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NOUVELLE BIBLIOTHEQUE DE THESES

, .
Etat de dro1t
Rechtsstaat
Rule of Law
2002

Luc HEUSCHLING

Thêse pour le doctorat en droit public


de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
présentée et soutenue publiquement
le 14 décembre 2000

---- These honorée du Prix de these du Groupe européen de droit public

o~k>z
,,. UfR8S
F.ACULDAOE OE OlflEl'fl
m~UOTE~
Cet ouvrage reproduit le texte intégral de la these,
établi à la date de la soutenance.

Le picrogramme qui figure ci-comre mérite une explication.


San objet est d'alerter le lecreur sur la menace que représente
DANGER pour l'avenir de l'écrit, parriculieremem dans le domaine de
LE l'édition technique et universitaire, le développemem massii du
PHOTOCOPILLAGE photocopillage.
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TUE LE LIVRE dit en effet expressémem la phorocopie à usage collectif sans
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dans les érablissements d'enseignemem supérieur, provoquant
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,. Éditions D.illoz, 2002


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État de droit
Rechtsstaat
Rule of Law

tre mérite une explication.


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; à l'usage privé du copiste
s justifiées par le caractere
{an. L. 122-4, L. 122-5 et
La Nouvelle Bibliotheque de Theses a vocation à publier, chaque année,
dix theses de droit primées par un jury universitaire, sur de stricts criteres
d'excellence et d'originalité.
Les parutions du programme 2002 ont été sélectionnées
parmi les theses soutenues au cours de l'année universitaire 2000-2001. Liste des pri

La sélection 2002 a été établie par :


Préface
Introductio1
M. Franck MODERNE
Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
M. Jean-François LACHAUME
Professeur à l'Université de Poitiers
M. François COLLART DUTILLEUL
Professeur à l'Université de Nantes
M. Denis MAZEAUD
Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) Titre 1.
Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
ÉTAT DE DROIT
RECHTSSTAAT
RULEOFLAW Titre 2.

MEMBRES DU JURY DE THESE Chapitre 1.


Chapitre 2.
Directrice de these :
Chapitre 3.
Mme Françoise DREYFUS
Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
Titre 3.
Membres du jury:
M. Jacques CHEVALLIER Chapitre 1
Professettr à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
M. Olivier JOUANJAN Chapitre 2
Professeur à l'Université Robert-Schuman (Strasbourg III)
M. Étienne PICARD
Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
M. Michel TROPER
Professettr à l'Université Paris X - Nanterre
lier, chaque année,
SOMMAIRE
sur de stricts criteres (Un plan détaillé figure à la finde l'ouvrage)

·lectionnées
!rsitaire 2000-2001. Liste des principales abréviations VII
Préface XI
Introduction 1
~ (Paris I)

Partie I
Du Rechtsstaat à l' État de droit?
Archéologie des mots et des concepts

~ris II) Titre l. À la recherche du sens d'un néologisme : le Rechtsstaat 31


Chapitre 1. L'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 35
Chapitre 2. Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 73
Chapitre 3. Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat
(1919-1933 et depuis 1949) 109

Titre 2. De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l' esprit


juridique anglais 165
Chapitre 1. Le XVII' siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 169
Chapitre 2. La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Anafyticaf ]urispmdence 213
Chapitre 3. L'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits
de l'homme et du juge 262
(Paris I)
Titre 3. L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours
doctrinal 323
Chapitre 1. Les principes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant
iris II) l'État de droit 329
Chapitre 2. Le discours français de l'État de droit: aléas, fonctions
;bom-g III)
et critiques 375

(Paris I)

rre
VI Sommaire

Partie II I
L'État, le droit et le juge. ,
Contribution à une théorie juridique de l' Etat
Titre 1. Les enjeux théoriques de la fondation juridique de
l'État : le droit naturel 435 A.C.
Chapitre 1. Le concept juridique de l'État au creur de la querelle
méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 437
Chapitre 2. « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler » ou le rôle AEAP
déconstructif du droit naturel sous le III• Reich 516 AIJC
AJIL
Titre 2. Les liens entre la démocratie, le droit et la justice ALJ
constitutionnelle 571 Année pol.
Ann. IIDP
Chapitre 1. De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 573
AéiR
Chapitre 2. Les limites matérielles au pouvoir de révision APD
constitutionnelle. Une analyse dogmatique comparée 609 Arch. f. So
ARSP
Conclusion générale 661 Bay. VerfG
Bibliographie 665
Index des noms 719 BVerfGE
Index des matieres 725
Table des matieres 729 BYIL
CLJ
CLP
cal.
CPPJ

DJ
DJZ
DÔV
DR
DRW
DRZ
DuR
DVBL
Grünhut:

GYIL

* Pourceri
l'éditeur or
Sommaire

. Liste des principales abréviations ::-


[Ue de l'État
1 juridique de
435 A.C. Appeal Cases (Recueil des jugements de la Court of
Appeal et de la House of Lords); ex. : [1969] 1 A.C. 645,
e la querelle
723 = tome 1 de l'année 1969, début de la décision
taturalistes 437 p. 645, l'extrait cité se trouve à la p. 723.
ou le rôle
> AEAP Annuaire européen d'administration publique
Reich 516 AIJC Annuaire international de justice constitutionnelle
AJIL American Journal of lnternational Law
et la justice ALJ Australian Law Journal
571 Année pol. fr. & étr. L'année politique française et étrangere
1e étude théorique Ann. IIDP Annuaire de l'lnstitut international de droit public
573
Ai:iR Archiv des i:iffentlichen Rechts
SlOil Archives de philosophie du droit
APD
lle comparée 609 Arch. f. Sozialwiss. Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik
ARSP Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie
661 Bay. VerfGH Entscheidungen des Bayerischen Verfassungs gerichts-
665 hof. Ex. : Bay. VerfGH 11, 127 (135) = vol. 11, début
de la décision p. 127, l'extrait cité est à la p. 135.
719 BVerfGE Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts. Ex. :
725 BVerfGE 30, 1 (15) = vol. 30, début de la décision p. 1,
l'extrait cité se trouve à la p. 15.
729
BYIL British Yearbook of lnternational Law
CLJ Cambridge Law Journal
CLP Current Legal Problems
col. colonne (Spalte)
CPPJ Cahiers de philosophie politique et juridique de l'Uni-
versité de Caen
DJ Deutsche Justiz. Rechtspflege und Rechtspolitik
DJZ Deutsche Juristen-Zeitung
DÔV Die i:iffentliche Verwaltung
DR Deutsches Recht
DRW Deutsche Rechswissenschaft
DRZ Deutsche Rechtszeitschrift
DuR Demokratie und Recht
DVBI. Deutsches Verwaltungsblatt
Grünhuts Zeitschrift Zeitschrift für das Privat- und i:iffentliche Recht der
Gegenwart (édité par Grünhut, Vienne)
GYIL German Yearbook of lnternational Law

* Pour cenaines revues dom !'origine géographique peut prêter à confusion, les iniciales du pays de
l'éditeur om été ajoutées entre paremheses.
VIII Liste des principales abréviations Liste des prin,

Harv. L.R. Harvard Law Review StWStP


HZ Historische Zeitung U. Penn. LJ
Iherings Jahrbücher Jahrbücher für die Dogmatik des heutigen rêimischen UP
und deutschen Privatrechts; à partir de 1897 : Jahrbü- VerwArch.
cher für die Dogmatik des bürgerlichen Rechts VVDStRL
Isr. L.R. Israel Law Review
JEV Jahrbuch für europaische Verwaltungsgeschichte - Yale L.J.
Annuaire d'histoire administrative européenne (RFA) YEL
].O. Journal officiel de la République française ZAkDR
JêiR Jahrbuch des éiffemlichen Rechts der Gegenwart ZgStW
JSLC Journées de la Société de législation comparée ZNR
Jur. Rev. The J uridical Review. The Law J ournal of Scottish ZP
U niversities ZRP
Jus J uristische Schulung ZSR
JW Juristische Wochenschrift
JZ Juristenzeitung
KJ Kritische J ustiz
LPA Les petites affiches
LQR Law Quarterly Review
MLR Modem Law Review
NILQ Northern Ireland Legal Quarterly
NJW Neue Juristische Wochenschrift
OJLS Oxford Journal of Legal Studies
ÔZfoR Ôsterreichische Zeitschrift für êiffentliches Recht
Pari. Aff. Parliamentary Affairs. A Journal of Comparative Poli-
tics
PL Public Law
RDP Revue du droit public et de la science politique en
France et à l'étranger
Rec. Recuei! de la jurisprudence de la Cour de justice des
Communautés européennes
Rev. philo. Revue philosophique de la France et de l'étranger
Rev. polit. & pari. Revue politique & parlementaire
RFDA Revue française de droit administratif
RFDC Revue française de droit constitutionnel
RGZ Entscheidungen des Reichsgerichts in Zivilsachen
RIDC Revue imernationale de droit comparé
RIEJ Revue interdisciplinaire d'études juridiques (B)
Rn. Randnummer ( = numéros des paragraphes)
RRJ Revue de la recherche juridique - Droit prospectif
Rth. Rech tstheorie
RUDH Revue universelle des droits de l'homme
RVerwBl. Reichsverwaltungsblatt
Schmollers J ahrbuch Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volks-
wirtschaft im deutschen Reiche (édité par Schmoller)
SJZ Süddeutsche J uristenzeitung
~ des principales abréviations Liste des principales abréviations IX

StWStP Staatswissenschaften und Staatspraxis


U. Penn. L.R. U niversity of Pennsylvania Law Review
:ik des heutigen rêimischen UP U niversity Press
; à partir de 1897 : Jahrbü- VerwArch. Verwaltungsarchiv
)Ürgerlichen Rechts VVDStRL Verêiffentlichungen der Vereinigung der Deutschen
Staatsrechtslehrer
Verwaltungsgeschichte - Yale L.J. The Yale Law Journal
s_trative européenne (RFA) YEL Yearbook of European Law
l1que française ZAkDR Zeitschrift der Akademie für Deutsches Recht
echts der Gegenwan ZgStW Zeitschrift für die gesamte Staatswissenschaft
islation comparée ZNR Zeitschrift für neuere Rechtsgeschichte
Law Journal of Scottish ZP Zeitschrift für Politik
ZRP Zeitschrift für Rechtspolitik
ZSR Zeitschrift für schweizerisches Recht

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.r êiffentliches Recht
·na] of Comparative Poli-

la science politique en

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e (édité par Schmoller)
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,
PREFACE

S'il est un terme dom l'usage connait, depuis une dizaine d'années, une
grande fortune au poim d'être galvaudé, par les hommes politiques mais quel-
quefois aussi parles juristes, c'est bien l'Etatdedroit. Cette banalisation n'est pas
de nature à éclairer sur le comenu de ce terme qui, dans son usage couram, tend
au premier chef à affirmer l'adhésion à des valeurs évidemmem positives.
Dans la mesure ou l'expression française est la traduction littérale de l'alle-
mand Rechtsstaat, on pourrait supposer que ces deux termes om la même accep-
tion; il n' en va pas de même pour la Rufe ofLaw britannique qui semble revêtir
une signification différeme. Les apparences som naturellement trompeuses, cha-
cun de ces concepts étant polysémique, produit d'une histoire spécifique au
cours de laquelle leur contenu et leur sens om évolué.
On comprend, d'emblée, que Luc Heuschling, en décidant de comparer
Rechtsstaat, Rufe of Law et État de droit afin de temer de reconstruire la défini-
tion juridique de l'État, a fait preuve d'une ambition que d'aucuns pourraient
juger excessive de la part d'un homme aussi jeune. Le résultat est à la hauteur du
projet auquel s'est consacré Luc Heuschling pendam cinq longues années.
Des le départ, notre chercheur possédait un atout majeur lui permettant de se
lancer dans cette difficile emreprise : la connaissance parfaite des trais langues lui
permettam d'accéder directement à toutes les sources; atout majeur dans la
mesure ou, comme on le sait, aucune traduction - aussi fidele soit-elle - ne rend
jamais totalement compte d'un sens qui ne se laisse appréhender que dans son
contexte origine!. Mais pour importam que fut cet avamage linguistique, il était
loin d'être suffisant. L'approche comparative embrassant dans leur profondeur
historique les doctrines anglaise et allernande - la référence à l'État de droit
n'apparaissant en France qu'au début du XX' siecle - impliquait la mobilisation
de tres vastes connaissances relevam tam de la philosophie que des théories du
droit; elle requérait aussi de lier théories et pratiques - celles des juridictions
dom le statut, le rôle et les compétences som spécifiques à chaque État, pour des
raisons tenant au systerne de droit et/ ou à la conjoncture historique qui a pré-
sidé à leur création.
On pourrait penser que les théories jusnaturaliste et positiviste som suffisam-
mem connues, pour qu'il ne soit pas pertinent, comme le fait Luc Heuschling,
XII Préface

d'y consacrer de longs développements. En réalité, les familiers des auteurs


anglais et allemands appartenant à l'une ou l'autre de ces écoles de pensée sont
fort peu nombreux en France ou de trop rares universités proposent à leurs étu-
diants des enseignements de théorie ou de philosophie du droit. Par ailleurs,
l'étude approfondie des différents auteurs conduit également à revisiter les classi-
fications qui, si elles ne sont certes pas arbitraires, souffrent d'un systématisme
ne rendam pas compre des nuances souvent profondes entre des théories rangées
sous la même banniere. Enfin, l'analyse du droit nazi permet à Luc Heuschling
de mettre en lumiere ce que l'on appellerait volontiers la« méthodologie de la
perversion » du droit; et c' est là un apport essentiel de ce travail que de montrer
comment, en Allemagne, des juristes de renom ont instrumentalisé, apres en
avoir détourné le sens, tant le Rechtsstaat que le droit naturel à des fins politiques
qui visaient à l'anéantissement du droit.
La forte inclination de Luc Heuschling pour la dispute conceptuelle ne le
détourne pas pour autant de l'analyse du droit positif; en effet, dans le rapport
qu'entretiennent l'État de droit et la démocratie, la jurisprudence du juge consti-
tutionnel occupe une place de choix. Là encore, de maniere avouée ou occultée,
rebondit le débat entre jusnaturalisme et positivisme des lors qu'à l'occasion
d'une révision constitutionnelle le juge se voit confronté à la question de la
supraconstitutionnalité des dispositions constitutionnelles dites « intangibles ».
Si le sujet de cet ouvrage peut, de prime abord, sembler aride, l'intérêt qu'il
suscite et le plaisir que procure sa lecture ne se démentent pas un seul instam. 1 Au commen
Et l'espoir na1t que d'autres talents, stimulés par celui de Luc Heuschling, mysteres, sei
empruntent à leur tour le chemin des études comparatives qui, dans une Europe toutes les lev
élargie, sont promises à un grand avenir parce que nécessaires à la compréhen- formule si b
sion de systemes de droit ayant chacun, quels que soient leurs traits communs, des penseur
des caractéristiques leur appartenant en propre. contre-perfc
éclairée, nul
Françoise DREYFUS, dira ouverte
Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I). de droit »3,
tenus desa(
de Strasbou

1. Quelques 1

nocamment k
l' objec écudié.
sons les guilk
par ce dernie 1
2. Cf Jean C
noncée par m,
1991, p. 8) et
3. J.CHEW
lisacion de l' l
et Liberté. É11
4. La philosc
/'État de droi1
de la nocion
5. J.W. PLN
Préface

, les familiers des auteurs


: ces écoles de pensée sont
;ités proposent à leurs étu-
hie du droit. Par ailleurs,
!ement à revisiter les classi-
uffrent d'un systématisme
; entre des théories rangées
permet à Luc Heuschling
rs la « méthodologie de la
: ce travai! que de montrer
instrumentalisé, apres en INTRODUCTION
ature! à des fins politiques

ispute conceptuelle ne le « Wás ist das. - Wás - ist das... »


:; en effet, dans le rapport « ]e, den Düwel ook, c'est la question,
isprudence du juge consti- ma tres chere demoiselle ! »
tniere avouée ou occultée,
: des lors qu'à l'occasion Thomas Mann,
ronté à la question de la Buddenbrooks I, 1
.elles dites « intangibles ».
nbler aride, l'intérêt qu'il
ntent pas un seul instam. 1 Au commencement de la présente étude se trouve le terme État de droit ', avec ses
elui de Luc Heuschling, mysteres, ses zones floues et ses failles. Volatil - il est dans l'air du temps et sur
ives qui, dans une Europe toutes les levres -, le vocable se fait fuyant et insaisissable. L'acquiescement à cette
cessaires à la compréhen- formule si belle 1 et si profonde, que l'on doit à l'Allemagne - pays des poetes et
:nt leurs traits communs, des penseurs -, est spontané, intuitif, voire instinctif : sauf à commettre une
contre-performance rhétorique et à s' exposer à l' opprobre de l' opinion publique
éclairée, nul auteur, et surtout nul régime - ni même le plus tyrannique -, ne se
Françoise DREYFUS, <lira ouvertement opposé à I'État de droit. De là nait un véritable « culte de l'État
mthéon-Sorbonne (Paris I). de droit »-', avec ses rites et ses prophetes', auquel tous les acteurs du droit sont
tenus de sacrifi~r. La success story de l' État de droit débute en Allemagne, du côté
de Strasbourg. Créé en 1798 par Johann Wilhelm Placidus (1758-1815)\ le néolo-

1. Quelques remarques préliminaires sur l'usage de l'italique et des guillemets. L'ítaliq11e est utilisé
notamment lorsque les développements portem particulierement sur le nom et non sur le concept de
l'objet étudié. Toutes les citations des auteurs som mises en italique et entre guillemets. Si naus utili-
sons les guillemets anglais (" ... "), c'est sair pour indiquer, au sein d'une citation d'un auteur, l'usage
par ce dernier de guillemets, sair pour marq~er le caractere inhabiruel ou étrange d'une expression.
2. Cf Jean GICQUEL qui fait l'éloge de l'Etat de droít comme étant la « p/11s bel/e expressíon pro-
noncée par zm j11ríste » (Droít constít11tíonnel et instíwtíons polítíq11es, 11 ·· éd., Paris, Montchresrien,
1991, p. 8) et le « point d'9rg11e d'zme civílísatíon » (op. cit., 12' éd., 1993, p. 3).
3. J. CHEV}\LLIER, L'Etat de droít, 2' éd., Paris, fyfontchresfien, cal!. clefs, 1994, p. 7. Sur la sacra-
lisation de l;Etat de droít, cf F. JULIEN-LAFERRIERE, « L'Etat de droit et les libertés », ín Po11voir
et Líberté. Et11des o/Jertes à Jacques Mo11rgeon, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 153.
4. ,La philosophe Blandine Barret-Kriegel s'est ainsi adjugée le titre d'« annonciatríce d11 reto11r de
l'Etat dedroít » (Le monde, 16 juin 1992; cité par C.-M. HERRERA, « Quelques remarques à propos
de la norion d'Etat de droit », L'Homme et la société, 1994, p. 89 note 1).
5. J.W. PLACIDUS ( = J.W PETERSEN), Liuerawr der Staatslehre. Ein Vers11ch, Strasbourg, 1798.
2 Introduction Introduction

gisme de Rechtsstaat investir peu à peu le langage des juristes allemands avant de philosophes,
s'exporter avec succes à l'étranger, à partir de la ,fin du XIX" siecle. Faisant l'objet tant que corn
de traductions littérales, il a donné naissance à l'Etat de droit des Français, au Stato melle en droi
di diritto des Italiens, à l'Estado de! derecho des Espagnols, au Rechtsstaat des Néer- nationaux. L
landais, au Prawowoje gosudarstwo des Russes, etc., à quoi il faut ajouter les créa- lendemain dt
tions récentes de la Communauté de droit'' et de l' Union de droit'. La construction cratique » ou
sémantique alliant, dans les diverses langues, les deux termes d'État et de droit fait constitution:
ainsi l'objet d'une réception positive à travers le monde'. de 1949 11•• L'
2 Face à ce discours unanimiste, la Grande-Bretagne reste quelque peu à l'écart. à l' occasion
Cerres, le concept classique de la rufe of faw, dégagé par Albert Venn Dicey fulguram ap.
(1835-1922)", et dans lequel il est d'usage de voir l'équivalent de 1'État de droit, l'État de dro1
connait de nos jours une renaissance, au point d'ailleurs de battre partiellement centrale et e
en breche le príncipe de la souveraineté du Parlement de Westminster. Le occidental. I
Human Rights Act de 1998 établit ainsi un mécanisme de protection des droits tant il paral
de l'homme qui se rapproche - encare que de façon timide et incomplete - du monde enti,
modele continental du constitutionnalisme écrit. Mais les sujets de Sa Gracieuse C'est dans e
Majesté restent hermétiques aux charmes et aux subtilités de la terminologie 1990 dans lt
continentale. Ils ignorem le terme d'État (State) et, a fortiori, celui d'État de (CSCE), arn
droit; l'équivalent littéral de "State of faw" ou "Law State" n'a pas encare vu le dement des
l'État de dru
jour, du moins pas dans la doctrine britannique '°, et la formule de « rufe of law
state » employée par Dawn Oliver II n'a rencontré aucun écho. Les juristes
traités de f'
d'outre-Manche traduisent indifféremment les formules d'État de droit, de Charte des
Communauté de droit et de prééminence du droit - cette derniere étant inscrite droit 1º.
dans la Convention européenne des droits de l'homme 11 - par rnle of faw, autre-
ment dit « regne du droit » '-'. Ce faisant, ils esquivem, sans s'en rendre compte,
14. Le terme
tout le débat théorique sur le point de savoir en quoi, d'un point de vue juri- on peut !ire :
dique, un État de droit se distingue d'un État, une Commttnauté de droit d'une respect de la fr;
simple Communauté. 15. Cf noçan
droit, 1m Et,11
3 Sur le continent, en revanche, le discours de l'État de droit est à son apogée et fait 15 déc. 1947. 1
l'objet d'une appropriation de la part de tous les acteurs de la société : juristes, de Rechtsstaa 1
16. Art. 28 ai
droit républic,
17. Cf art. l
6. CJCE arrêt du 23. 4. 1986, aff. 294/83, Parti écologiste Les Verts/Rtrlement, Rec., p. 1339. La for- textes, cf le r,
mule a été initialement forgée par l' Allemand Walter Hallstein. péenne, Paris,
7. J. RIDEAU, Droit institt<tiomzel de l'Union et des Commzmautés Européennes, 3" éd., Paris, LGDJ, 18. Cf, par,
1999, p. 60; id. (dir.), De la Communattté de droit à l'Union de droit. Contimtités et ,zv,ztars européens, Const. bulga
Paris, LGDJ, 2000. , tcheque de 1'
8. Cf J. CHEVALLIER, « La mondialisation de l'Etat de droit », in Mélanges Philippe Ardant, Paris, 1992; art. !O
LGDJ, 1999, pp. 325-337. de 1949; an.
9. A.V. DICEY, lntroduction to the Study of the Law of the Consti1111ion, réimpr. de la 8" éd. (1915), cf M. LESAI
préf. de Roger E. Michener, Indianapolis (USA), Liberty Fund, 1982. 1995. Pour u
10. R.C. van CAENEGEM, « The "Rechtsstaat" in Historical Perspective ", in id., Leg,zl History: DERIN (dir
A European Perspective, London, Hambledon Press, 1991, p. 185. Esp., Pol., 1-
11. D. OLIVER,« Written Constitution: Principies and Problems », Pari. Ajf., vol. 45, 1992, p. 142. J. YOUNG
12. Cf !e dernier alinéa du préambule de la Convemion européenne des droits de l'homme de 1950 19. Cf E. ll
ainsi que l'alinéa 3 du préambule et l'article 3 de la convemion du 5 mai 1949 portam statut du 1992), Paris.
Conseil ge l'Europe. 20. Cf, selo
13. Cf E. PICARD, « Les droits de l'homme et "l'activisme judiciaire" », Pouvoirs, n" 93 (Le bule et lesa
Royaume-Uni de Tony Blair), 2000, p. 119. memaux de
Introduction Introduction 3

juristes allemands avam de philosophes, hommes politiques, journalistes, etc.". Son prestige et son rôle en
J XIX' siecle. Faisam l' objet tant que concept clé du droit se trouvem encore accrus avec sa consécration for-
i droit des Français, au Stato melle en droit positif, que ce soit dans des constitutions ou dans des traités imer-
)ls, au Rechtsstaat des Néer- nationaux. Le signal de départ de ce mouvement est lancé par l' Allemagne au
1uoi il faut ajourer les créa- lendemain de la Seconde Guerre mondiale : la mention de « l'État de droit démo-
n de droit 7• La construction cratique » ou de« l'État de droit démocratique et social» apparalt d'abord dans les
ermes d'État et de droit fait constitutions de plusieurs Lãnder", puis dans l'article 28 de la Loi fondamentale
e'. de 1949 "'. L'exemple fut suivi par l'Espagne et le Portugal dans les années 1970,
~ste quelque peu à l'écart. à l'occasion de leur retour à la démocratie 17 • Le phénomene a connu un essor
;é par Albert Venn Dicey fulguram apres l'effondremem des régimes du bloc communiste: la référence à
uivalem de l'État de droit l'État de droit, qui figure dans la plupart des nouvelles constitutions de l'Europe
1rs de battre partiellemen~ centrale et orientale 18, devient le symbole de leur adhésion à l'héritage libéral
nem de Westminster. Le occidental. L' État de droit fait ainsi figure de concept fédérateur entre les nations
e de protection des droits tant il parart jouir d'une reconnaissance unanime en Occident, voire dans le
imide et incomplete - du monde entier. Il va de soi que tout État civilisé est, ou doit être un État de droit.
s les sujets de Sa Gracieuse C'est dans cet esprit que la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, signée en
,rilités de la terminologie 1990 dans le cadre de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe
a fortiori, celui d'État de (CSCE), annonce une « nouvelle ere de démocratie, de paix et d'unité » sur le fon-
:rate" n'a pas encore vu le dement des valeurs communes que sont « les droits de l'homme, la démocratie et
.a formule de « mie oflaw l'État de droit » ,.,_ Pareillement, la construction de l'Europe est placée, depuis les
aucun éc,ho. Les juristes traités de Maastricht et d' Amsterdam - auxquels il faut ajouter la récente
nules d'Etat de droit, de Charte des droits fondamentaux adoptée à Nice -, sous le sigle de l'État de
tte derniere étant inscrite droit 1º.
12
1 - par rufe oflaw, autre-
sans s'en rendre compre,
i, d'un poim de vue juri- 14. Le terme figlfre désormais 9ans Le petit Laro11sse illmtré (Paris, 2000, p. 402). Sous l'entrée État,
on peut !ire : « Etat de droit : Etat dans leque! les pottvoirs p11blics sont somnis de maniere ejfective a11
mmzmauté de droit d'une
respect de la légalité par voie de contrôle j11ridictionnel. ,, Dans l' édition de 1983, il était encore apsent.
15. Cf noçamment l'art. 3 ai. 1 de la Con~t. de Baviere du 2 déc. 1946 (« La Baviere est zm Etat de
·oit est à son apogée et fait droit, rm Etat civilisé [K11lt11rstaat} et zm Etat social »); are. 60 ai. 1 de la Const. de la Sarre du
15 déc. 1947. Sur les 16 constitutions actuelles des Lãnder, 10 mentionnenc expressisverbis le concept
lfS de la société : juristes, de Rechtsstaat.
16. Are. 28 ai. 1 LF: « L 'ordre constit11tionnel des Lãnder doit être confonne a11x príncipes d'11n État de
droit rép11blícain, démocratique et social, att sens de la présente Loi fondamentale. ,,
17. Cf are. 1 ai. 1 de la Const. espagnole de 1978; are. 2 de la Const. portugai,se de 1976. Pour les
P.irlement, Rec., p. 1339. La for- textes, cf le recuei! de C. GREWE & H. OBERDORFF, Les Constillltions des Etats de l'Union euro·
péenne, Paris, Documentation française, 1999.
c11ropéennes, J< éd., Paris, LGDJ, 18. Cf, par ex., are. 1 ai. 3 et 37 ai. 2 de la Const. roumaine de 1991; préambule et are. 4 ai. 1 de la
Contin11ités et av,1/ars e11ropéens, Const. bulgare de 1991; are. 2 de la Consc. slovene de 1991; préamb., are. 1 et 9 ai. 2 de la Const.
tcheque de 1992; are. 1 et 134 ai. 4 de la Const. slovaque de 1992; are. 7 de la Const. licuanienne de
Mélanges Philippe Ardam, Paris, 1992; are. 10 de la Const. estonienne de 1992; préamb. et are. 2 ai. 1 de la Const. révisée d'Hongrie
de 1949; are. 1 de la Const. russe de 1993; are. 2 de la Const. polonaise de 1997. Pour les textes,
ion, réimpr. de la 8" éd. (1915), cf M. LESAGE, Constiwtions d'E11rope centra/e, orienta/e et balte, Paris, Documentation française,
1. 1995. Pour une analyse de droit comparé, cf R. HOFMANN, J. MARK.O, F. MERLI & E. WIE-
pective », in id., Legal History: DERIN (dir.), Rechtssta,11/ichkeit in Europa, Heidelberg, Müller, 1996 (Suisse, Autr., RFA, Pore.,
Esp., Pol., Hongrie, Slovénie, Rép. tcheque, Slovaquie, Croatie, CEDH, CEE); J. PRIBAN &
, Pari. Ajf., vol. 45, 1992, p. 142. J. YOUNG (dir.), The R11le ofLaw in Central E11rope, Ashgate, Darcmouth, 1999.
· des droits de l'homme de 1950 19. Cf E. DECAUX, Sémrité et coopération en Ettrope. Textes o/jiciels dtt procesms de Helsinki {1973-
1 5 mai 1949 portam statut du 1992), Paris, Documentation française, 1992, p. 285.
20. Cf, selon la nouvelle numérotation introduite par le traité d' Amsterdam, l'alinéa 3 du préam-
liciaire" ", Po11voirs, ff' 93 (Le bule et les articles 11 ai. 1 et 6 ai. 1 du traité sur l'Union européenne. La Charte des droits fonda-
mencaux de l'Union européenne déclare dans l'alinéa 2 de son préambule: « Consciente de son patri
4 Introduction Introduction

4 L'État de droit est clone un mot à la mode, deux qualités qui, en soi, suffiraient à §L
éveiller quelques soupçons à son égard. S'agissant des phénomenes de mode, sur-
tout eelles importées de l'étranger, on eonna1t les avertissements du doyen
5 Le terme État,
Georges Vedel : « Il faut se défaire de l'idée que telle ou telle théorie, telle ou telle
oflaw, soulevé
pratique adoptée par une Cour constitutionnelle étrangere dans une démocratie par-
Les mots, ave,
fois juvénile s'impose comme le dernier cri de la mode féminine lancée dans les
gogues savent
collections de printemps. » 21 Mais, inversement, il serait regrettable de se priver des
la langue aller
lumieres des autres « nations-sceurs » (Otto Mayer) pour la simple raison qu'il
tendus et d'in
s'agit d'idées venues d'ailleurs. Un tel nationalisme juridique 22 serait d'autant
de sourds.
plus déplaeé en ee début du XXI' siecle que l'heure est à la fondation du jus publi- Si l'on se pl
cum europaeum et que la théorie du droit et de l'État en Franee a un réel besoin tain que les e
de se ressoureer. Admettre l'idée d'une autareie intelleetuelle serait du reste faire
même mot 2".
peu d'honneur à la tradition de dialogue - spéeialement avee l' Allemagne - le terme rufe 1
dont la seienee française de droit publie peut s'enorgueillir depuis le début du foi » ", évoqu
XIX' siecle. Cela dit, il ne s'agit pas non plus de gommer abusivement les parti-
lois, des lois ·
eularismes de ehaque eulture juridique. Le comparatiste se doit clone de naviguer résumé, sous
entre deux extrêmes, entre le Charybde d'un repli frileux sur soi et le Seylla d'un mot law a un
enthousiasme débordant qui nierair toute spéeifieité nationale. L'aeees à eette lementaires, t
voie étroite réside dans une euriosité prudente: à lui d'évaluer à sa juste mesure ment et de st,
l'apport venu d'ailleurs", et ee partieulierement lorsqu'il s'agit des mots. « Il faut law et statute
- disait déjà René Capitant - se méfier des mots, qui sont la tentation de l'esprit de droit est s1
et ne se livrerà eux qu'apres les avoir rachetés du mensonge. » 2' Nul autre n'a mieux vue sur le for
formulé eette exigenee de rigueur en matiere terminologique que Jeremy Ben- fonetion à la
tham (1748-1822), l'illustre philosophe anglais qui a fondé, avee son diseiple eulturel, hist
John Austin (1790-1859), l'éeole de l'Analytical ]urisprudence. Se livram à une mot peut s':
véritable « guerre des mots » 25 et à un « nettoyage de la situation verba/e » 21·, il ne l'autre rive d
eonna1t qu'un seu! remede pour eonstruire une véritable seienee: « Définissez vos de droit, et st
termes! » 27 d'un point d
des doctrine
Sur le pia
moine spiriwel et moral, l'Union se fende s11r les valeurs indivisibles et rmiverselles de dignité hrm;iaine, du Rechtssta,
de liberté, d'égalité et de solidarité; elle repose mr /e príncipe de la démocratie et /e príncipe de l'Etat de que chaeun e
droit. Elle place la personne au cce11r de son action en instilltant la citoyenneté de l'Union et en créant rm
espace de liberté, de sémrité et de justice. » dement, au
21. G. VEDEL, « Souveraineté et supraconstirutionnalité », Po11voirs, n" 67, 1993, p. 96. prineipalem
22. Sur la nationalisation de la science juridique au XIX' siecle (qui n'a routefois pas empêché l'émer-
gence d'un espace de réflexion et d'échange par-delà les fromieres), cf L.-J. CONSTANTINESCO,
Traité de droit comparé, t. !, Paris, LGDJ, 1972, spéc. pp. 19-47; H. COING, E11ropãisches Privatrecht,
t. II, München, Beck, 1989, pp. 1-63. Cf aussi infra n-· 333.
23. Comme l'a dit Kant au sujet de sa propre réception critique des idées du philosophe anglais 28. Sur les alé
David Hume : « Wenn m,m von einem gegnindeten, obzwar nicht aitSgefiihrten Gedanken anfãngt, den en 1999 », in I.
11ns ein anderer hinterlassen, so kann man wohl hojfen, es bei fortgesetztem Nachdenken weiter 211 brin- de législation
gen, ais der scharfsinnige M,mn kann, dem man den ersten Frmken dieses Lichts 211 verdanken hac » etp.311s.
(1. KANT, Prolegomen,t, in Werke, éd. Weischedel, r. V, p. 118). 29. Cf par e~
24. R. CAPITANT, « La courume constirutionnelle », RDP, 1979, p. 959. CNRS (1965).
25. J. BENTHAM, Fragment mr /e Gortvemement (1776), trad. et préf. de J.-P. Cléro, Paris, 30. En allema
de la III' Rép,
Bruylam-LGDJ, 1998, p. 178
polyarchiques
26. H.L.A. HART, Essays on Bentham. S111dies in ]11risprndence and Political Theory, Oxford,
31. Ainsi, la d
Clarendon, 1982, p. 2, cite en français l'expression de Bemham.
est abandonn:
27. J. BENTHAM, Fragment srtr /e Go11vemement, p. 169.
lntroduction Introduction 5

dités qui, en soi, suffiraient à § 1. LES MOTS, SOURCES DE BROUILLAGE CONCEPTUEL


!S phénomenes de mode, sur-
es avertissements du doyen
' ou telle théorie, telle ou telle 5 Le terme État de droit, et cela vaut mutatis mutandis pour le Rechtsstaat et la rule
gere dans une démocratie par- oflaw, souleve de prime abord une multitude de difficultés d'ordre sémantique.
ode féminine lancée dans les Les mots, avec leur part d'imprécision et d'obscurité - failles que les déma-
it regrettable de se priver des gogues savent exploiter avec habileté ainsi qu'en témoigne la manipulation de
P?U~ l_a simple raison qu'il la langue allemande sous le III• Reich - sont de redoutables sources de malen-
e iundique 22 serait d'autant tendus et d'incompréhensions, au point de nourrir parfois d'éternels dialogues
:t à la fondation du jus publi- de sourds.
t en France a un réel besoin Si l'on se place tout d'abord dans une perspective comparative, il n'est pas cer-
lectuelle serait du reste faire tain que les différentes nations entendem la même "chose" en se servant du
ement avec l' Allemagne _ même mor'". L'homonymie risque, comme si souvent, d'être trompeuse. Ainsi,
~gueillir depuis le début du le terme rule oflaw, que l'on serait tenté de traduire en français par« regne de la
tmer abusivement les parti- !oi » 29 , évoque aussitôt dans l'esprit du juriste continental l'idée du regne des
ste se doit donc de naviguer !ois, des lois votées par le parlement, ce que Rayr;nond Carré de Malberg avait
leux sur soi et le Scylla d'un résumé, sous la III• République, par la formule« Etat légal » 30 • Or, en anglais, !e
; nationale. L'acces à cerre mot law a une signification plus large puisqu'il vise le droit. Quant aux lois par-
d'évaluer à sa juste mesure lementaires, elles sont désignées par les expressions spécifiques de Act ofParlia-
u'il s'agit des mots. « Jlfaut ment et de statute. Aussi la law se subdivise-t-elle, chez les Anglais, en common
sont la tentation de l'esprit law et statttte law. De même, l'apparente similitude entre le Rechtsstaat et l'État
ige. » 2' Nul autre n'a mieux de droit est susceptible d'induire en erreur en ce qu'elle suggere une identité de
ologique que Jeremy Ben- vue sur le fond. Or, le même mor peut déployer des effets normatifs variables en
a fondé, avec son disciple fonction à la fois de son statut, de son contenu et plus largement de son contexte
prudence. Se livram à une culturel, historique et politique. On <lira même que la validité scientifique d'un
: situation verbale » 2", il ne mot peut s'apprécier de façon différente selon qu'on se trouve sur l'une ou
ile science : « Définissez vos l'autre rive du Rhin: car, pour juger de la pertinence scientifique du terme d'État
de droit, et surtout de son carac!ere pléonastique, il faut d'abord savoir ce qu'est,
d'un point de vue juridique, l'Etat, le Staat. Or, sur ce point décisif, les opinions
des doctrines française et allemande divergem 31 •
Sur le plan théorique, l' engouement actuel pour !e discours de l' État de droit,
t tmiverselles de dignité ht1maine
iocratie et !e príncipe de f'État d;
du Rechtsstaat et de la rule oflaw ne doit pas faire oublier les multiples réserves
'L'nneté de l'Union et en créant tm que chacun d' eux a suscitées et continue à susciter. Touchant tout à la fois au fon-
dement, au contenu et à l'existence même de ces concepts, les critiques sont
rs, n" 67, 1993, p. 96.
'a toutefois pas empêché l'émer-
principalement de trois ordres.
f L.-J. CONSTANTINESCO
)ING, E11ropãisches Privatrecht:

les_ idées du philosophe anglais 28. Sur les aléas de la traduction juridique, cf. É. PICARD, « L'état du droit comparé en France
efuhrten Gedanken anfãngt, den en 1999 », in L 'avenir dtt droit comparé. Un défi pottr les j11ristes dtt no11·vea11 millénaire, Paris, Société
tem Nachdenken weiter 211 brin- de législation comparée, 2000, p. 158 ss; P. LEGENDRE, « Comparer », RJDC, 1996, p. 307 s
'ieses Lichts 211 verdanken hat ,. et p. 311 s.
29. Cf par ex. M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 2' éd., Paris, Sirey, 1929, réimpr.
1. 959. CNRS (1965), p. 224 ss.
et préf. de J.-P. Cléro, Paris, 30. En allemand, on parle du Gesetzesstaat. Le rapprochement entre le cas britannique et le modele
de la Ili' République est opéré, par exemple, par C. EMERI, « L'État de droit dans les systemes
md Political Theory, Oxfàrd, polyarchiques européens », RFDC, 1992, p. 30.
31. Ainsi, la doctrine française continue à définir l'État comme une personne juridique, théorie qui
est abandonnée outre-Rhin depuis longtemps, du moins parles constitutionnalistes.
6 lntroduction Introduction

A. Des expressions polysémiques Et pourtant, 1


condarnne sai
6 La premiere critique, qui a trait à la plasticité des trois notions, est un lieu le positivismé
commun qui ne fait plus guere mystere; seule son étendue, totale ou relative, est Quoi qu'i]
réellement en cause. Jeffrey Jowell écrit ainsi sobrement : « The rufe of law has mot qui, à p
meant many things to many people. » 32 Sur un ton plus violem, Bismarck avait depuis !e régi
tourné en dérision, en 1883, le terme de Rechtsstaat, cette « expression artificielle porame, en !
(Kunstausdruck) (. ..) inventée par Mohl, dont personne n'a encare trouvé une défini- l'unité du co
tion satisfaisante pour un esprit politique et dont il n'existe aucune traduction étran- et les contrai
gere ,,n_ D'aucuns ont ainsi comparé !e Rechtsstaat à une notion fourre-tout ou à s' il est une "'
une « boíte magique (Zauberkiste), dont des esprits ingénieux ont pu faire sortir, par conceptions
un tour de magicien, n 'importe que! principe juridique ou revendication » ". S'il fal- Ernst-Wolfg:
lait encore une preuve de la malléabilité absolue et totale des mots, et en parti- visme'1 • La e
culier de celui de Rechtsstaat, n'est-elle pas donnée par l'usage qu'en ont fait les supérieur, d1
juristes nazis qui n'ont pas hésité à qualifier le III' Reich d'« État de droit exem-
plaire »"? Se réclamant d'une logique du tout concret, apres avoir proclamé la
mort des idées générales et, partant, de l'universalisme, Carl Schmitt (1888-1985)
soutient ainsi qu'il y autant d'États de droit que d'États 3'' et que l'État hitlérien 7 II est une se
est son propre État de droit. Pour !e spécifier dans la cacophonie générale sur !e du syntagm
Rechtsstaat, et surtout pour éviter toute confusion avec l'État de droit dit libéral, il de droit. II t
reprend la formule de Hans Frank (1900-1946)" - à plus d'un égard surprenante, lement des 1
si ce n'est contradictoire - de l'« État de droit allemand d'Adolf Hitler (Deutsche oflaw. Nul
Rechtsstaat AdolfHitlers) » 3'. Dans un registre plus conservateur, Otto Koellreut- tantôt l'ap
ter (1883-1972) proclame, quant à !ui, !e caractere éternel de l'idée du Rechtsstaat risque parf
au sens for mel 3\ L'ordre régnant, le III' Reich est, et doit être, un Rechtsstaat, c' est- -disait 01
à-dire un « État ordonné (Ordmmgsstaat) »'º. Polémique propagandiste, dira-t-on. est la peau e
contenu, s11
32.J. JO\Y/ELL, « The Rule of Law Today », in J. JO\Y/ELL & D. OLIVER (dir.), The Changúig
Constit11tion, 3" edn., Oxford, Clarendon, 1994, p. 57.
33. Extrait desa lettre du 25 novembre 1883 adressée au ministre von Gossler; cicé par M. STOL- 41. G.RADI
LEIS, « Rechcsstaac », in A. ERLER (dir.), Handwõrterb11ch z11r deutschen Rechtsgeschichte, Berlin, gabe, éd. par
t. IV, 199q, col. 371. [En principe, touces les traductions sont personnelles, sauf indication contraire.] 42. Cepoinç
34. G. PUTTNER, « Vertrauensschutz im Verwaltungsrecht », WDStRL, t. 32, 1974, p. 203. Figures de l'F,
35. C. SCHMITT, « Nacionalsozialismus und Rechtsstaat »,JW, 1934, p. 716. Scrasbourg, f
36. Jbid., p. 715. Le theme esc en réalité énoncé des 1932. Cf C. SCI:JMITT, Legalitãt und Legitimitãt deM. LOISE
(1932), 5' éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1993, p. 18: « Le mot "Etat dedroit" ades sensa11ssi variés 2000, 824 p. :
qtte !e mot "droit" lui-même et posseqe en 011tre attlarJl de significations diver~es qu 'il existe d'organisations delà des diffi
que l'on range sotts !e qualifirntif "Etat ". II y a tm Et,11 de droit féodal, 1m Etat de droit corporatif, bour- 43. E.-W. B(
geois, national, social, tm Etat de droit conforme a11 droit natttrel, un autre confonne au droit rationnel Staat, Freihci
011 encare a11 droit historiq11e. On comprend des lors qtte les propagandistes et apologistes fle to11t bord s'em·
Suhrkamp, 1
parent ·volontiers du tenpe afin de diffamer lettrs adversaires comme des ennemis de l'Etat de droit. Le11r tique est vag,
concept du droit et de l'Etat de droit se laisse rés111ner com me sttit: "li n'est de droit que ce qtte moi et mes jamais déjini
comperes apprécions" ('Recht aber sol! vorztiglich heissen, w,1s ich 1111d meine Gevatteni preisen "). » wantes mr l'
37. H. FRANK,« Der deutsche Rechtsstaat Adolf Hiders », DR, 1934, pp. 121-123. fonnercomf
38. C. SCHMITT, « \V/as bedeutet der Streit um den "Rechtsstaat"? », ZgSt W, vol. 95, 1935, p. 199; simple caqui
id., « Der Rechtscaat », in H. FRANK (dir.), Nationalsozi,1/istisches Handb11ch für Recht 1md Gesetz· De11tsches \!,
gebtmg, 1" éd., München, Zentralverlag der NSDAP, 1935, p. 10. LIER,«L'É
39. O. KOELLREUTTER, Der n<1tionale Rechtsstaat. Zum Wandel der de11tschen Staatsidee, Tübin- 44. Towne,
gen, Mohr (Paul Siebeck), 1932. it is the ski ,i
40. O. KOELLREUTTER, Deutsches Verjàsstmgsrecht. Ein Gmndriss, 3° éd., Berlin, Junker &
and the ti11i
Contempo1
Dünnhaupt, 1938, p. 12 s.
Introduction Introduction 7

migues Et pourtant, un certain malaise subsiste, malaise qui a d'ailleurs justifié que l'on
condamne sans autre proces, et sans analyser de plus wes
la réalité du droit nazi,
s trois notions, est un lieu le positivisme juridique et le concept dit formel de l' Etat de droit".
:endue, totale ou relative, est Quoi qu'il en soit, le spectre extrêmement large des acceptions d'un même
ment : « The rufe of law has mot qui, à premiere vue, a pu qualifier des régimes diamétralement opposés,
olus violent, Bismarck avait depuis le régime représentatif libéral du XIX' siecle jusqu'à la démocratie contem-
, cette « expression artificiei!e poraine, en passant par le totalitarisme, souleve la question de l'identité et de
n 'a encare trouvé une défini- l'unité du concept de Rechtsstaat 41 • Subissant à la fois les incursions du Zeitgeist
:iste aucune traduction étran- et les contraintes de !'espace, I'État de droit se meut surdes sables mouvants. Or,
une notion fourre-tout ou à s'il est une véritable « notion-sas (SchleusenbegrifJ} », ouvert aux flux et reflux des
~nieux ont pu faire sortir, par conceptions sur l'État et le droit, le Rechtsstaat n'en garderait pas moins, selon
ou revendication »·". S'il fal- Ernst-Wolfgang Bõckenforde, certains éléments essentiels échappant au relati-
:otale des mots, et en parti- visme'·'. La question d'un noyau dur de chaque concept national et, à un niveau
ar l'usage qu'en ont fait les supérieur, du concept européen est par conséquent posée.
eich d'« État de droit exem-
·et, apres avoir proclamé la
B. Le Rechtsstaat : une expression pléonastique
e, Carl SchmitJ (1888-1985)
:ats''' et que l'Etat hitlérien 7 11 est une seconde critique, autrement plus radicale, qui met en avant l'in~tilité
cacpphonie générale sur le du syntagme combinant, en allemand ou en français, les deux termes d'Etat et
: l'Etat de droit dit libéral i1
de droit. II est vrai que la polysémie est l'apan~ge de tous les concepts, et spécia-
!us d'un égard surprenan~e, lement des concepts à portée aussi large que l'Etat de droit, le Rechtsstaat et la rule
nd d'Adolf Hitler (Deutsche of law. Nulle notion n'échappe à des métamorphoses qui tantôt l'enrichissent,
1servateur, Otto Koellreut- tantôt l'appauvrissent, en tout cas qui l'adaptent à un contexte évolutif au
nel de l'idée du Rechtsstaat risque parfois de créer des tensions et des contradictions internes. « Un mot
it être, un Rechtsstaat, c'est- - disait Oliver Wendell Holmes - n 'est pas un cristal, transparent et inchangé; il
e propagandiste, dira-t-on. est la peau d'une pensée vivante et peut dane varier beaucoup en sa couleur et en son
contenu, suivant les circonstances et l 'époque dans lesquelles il est utilisé. » 44 Si la
1. OLIVER (dir.), Tbe Changing

ron Gossler; cité par M. STOL- 41. G. RADBUCH, « Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht » (1946), in id., Gesamta11s-
~utschen Rechtsgeschichte, Berlin, gabe, éd. par A. Kauimann, Heidelberg, Müller, t. III, 1990, pp. 83-106.
~elles, sauf indication contra.ire.] 42. Ce point est au centre des deux travaux récents de O.JOUANJAN, « Présentation », in id. (dir.),
DStRL, t. 32, 1974, p. 203. Figures de l'État de droit. Le Rechtsstaat dans l'bistoire intellect11elle et constittttionnelle de l'Allemagne,
134, p. 716.
Strasbourg, Presses universitaires, de Strasbourg, 2001, spéc. p. 1O(« jeu des combats sémantiq11es ») et
IMITT, Legalitãt und Legitimitãt de M. LOISELLE, Le concept d'Etat de droit dans la doctrine j11ridique Jrançaise, these dact., Paris II,
!at de droit" ades sens amsi variés 2000, 824 p. Si la réponse du premier est modérée, puisqu'il maintien~ l'idée d'un fond c?mmun au-
iver~es qu 'il existed'organisations delà des différentes figures du Rechtsstaat, celle du second est plus rad1cale car plus scepuque.
'm Etat de droit corporatif, bour- 43. E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Entstehung und Wandel des Rechtsstaatsbegriffs », in id., Recht,
utre confonne au droit rationnel Staat, Freiheit. Studien z1ir Rechts1Jhilosophie, Staatstheorie tmd Verfass,mgsgeschichte, 2° éd., Frankfurt,
es et apologistes de tolll bord s'em- Suhrkamp, 1992, p. 143: « // [l'Etat de droit] appartient à ces notions-sas, dom la signification séman-
, ennemis de l'État de droit. Le11r tique est vag11e et qui, de façon "objective'; pris en eux-mêmes ('objektiv" atts sich heraus), ne se laissent
est_ de droit que ce que moi et mes jamais déjinir de maniere exha11stive. !Is sont plutôt ouverts à l'injluence des conceptions théoriques jluc-
1eme Gevattern preisen "). » tuantes sur l'État et la constitution et, partant, s11jets à des concrétisations variables, sans tolllefois se trans-
'34, pp. 121-123. fonner completemem du poirzt de ·vue de leur conter111, en perdant leur contin11ité et en se réd11isant à une
,, ZgStW, vai. 95, 1935, p. 199; simple coquille vide (Leerfomiel}. » Sur l'aspect dynamique et mouvant du concept, cf. O. MAYER,
'landb11cb f,ir Recht 1md Gesetz- De11tsches lfrwaltungsrecht, 1" éd., Leipzig, Duncker & Humblot, 1895, t. I, p. 61; J. CHEVAL-
LIER, « L'Etat de droit », RDP, 1988, p. 319.
ler deutschen Staatsidee, Tübin- 44. Towne v. Eisner, 245 U.S. 372,376 (1918): « A word is nota crysta~ transparent and 11nchanged;
it is the skin ofa living thought and may vary greatly in colar and contem according to the cirmmstances
'riss, Y éd., Berlin, Junker & and the time in which it is 11sed »; cité par W.M. REISMAN, « Sovereignty and Human Rights in
Contemporary Internacional Law », AJIL, vol. 84, 1990, p. 873.
8 Introduction Introduction

science juridique ne saurait dane se passer completement des « mots caottt- le cas de la do
chouc » • 5 - tant le droit en est imprégné -, elle pourrait, en revanche, en réduire débarrasser du
le nombre.
À ce titre, la célebre critique de Hans Kelsen (1881-1973), qui a dénoncé le
Rechtsstaat comme un banal « pléonasme » 41', prend un relief particulier. Trop
souvent écartée d'un revers de main, comme s'il s'agissait d'une idée soit scan-
daleuse soit « trivia/e » 47 , elle mérite pourtant qu'on s'y attarde car elle éclaire 8 La troisieme e
d'un autre jour certains silences. Kelsen se fait en effet, avec la rigueur qu'on lui sa conclusion,
conna1t, le porte-parole d'un sentiment latem, partagé non seulement par cer- qui se situait,
tains positivistes- on pense surtout à GeorgJellinek (1851-1911)-, mais encare En 1986, à un
par certains protagonistes de l'école du droit naturel du vórmarz. Des le début, cédé la place à
un auteur libéral aussi prestigieux que Carl Rodecker von Rotteck (1775-1840) l'abandon pu1
se montre réservé sur la valeur heuristique du terme, introduit par son collegue plication et l';
Carl Theodor Welcker (1790-1869). 11 récuse la classification welckérienne des bien qu'il fig,
États en « États despotiques », « États théocratiques » et « États de droit » et préco- ticle 23 al. 1 e
nise, en lieu et place1 une grille analytique axée s,ur les deux concepts de « Répu- propre 5". Sa p
blique », au sens d'Etat, et de« despotisme » 48 • A la fin du XIX' siecle, le terme tiser en un se
Rechtsstaat disparait d'ailleurs presque completement des ouvrages consacrés tude de princ
au droit constitutionnel et à la théorie générale de l'État 4'. L'école positiviste la Loi fondan
fondée par Carl Friedrich Gerber (1823-1891) et Paul Laband (1838-1918) privi-
9 D'une part, (
légie, en effet, le concept de la personnalité juridique de l'État, du Staat, au détri- cela vaut ausi
ment du Rechtsstaat. À la lumiere de ces doutes récurrents sur le Rechtsstaat, on un texte de d
comprend mieux les aléas qui ont affecté le parcours de son homologue français. tations et le
lntroduit en tant que concept de droit français par Léon Duguit (1859-1928) en Rechtsstaat,
190r°, l'État de droit disparait peu à peu dans les années 1930 pour ne resurgir constitution
qu'à la findes années 1970. Même à l'heure actuelle, la doctrine française est divi- procédure de
sée entre ceux qui y voient le paradigme du nouveau droit constitutionnel 51 et lement dans
ceux qui l'ignorent 52 • On peut même en rapprocher, toutes proportions gardées, du 13 janvie
mule de« B
tants de la d
45. L'expression d'Edmond P,icard (Le droit p11r, Paris, 1908, p. 127) est citée par P. CUCHE, « Pour ticle 1", afir
une meilleure terminologie. A propos d'un nouveau livre de philosophie du Droit », APD, 1931, officiel j ust
p. 198.
46. H. KELSEN, Reine Rechtslehre, réimpr. de la 2' éd. (1960), Wien, Õsterreichische Staats-
druckerei, 1992, p. 314; id., Allgemeine Staatslehre, réimpr. de la 1" éd. de 1925, Wien, Õstereichische
Staatsdruckerei, 1993, p. 44 et p. 91. Le caractere pléonastique du Rechtsstaat a été également souligné,
dans une optique toutefois jusnaturaliste, par W. WERTENBRUCH, « Erwagungen zur materiellen 53. Cf R.W. E
Rechtsstaatlichkeit », in Festschrift fiir Hennann ]ahrreiss, Kõln, Heymann, 1964, p. 488. 54. Ph. KUN
47. N. MacCORMICK, « Der Rechtsstaat und die rule of law »,]Z, 1984, p. 67. der B11ndesrep1
48. C. v. ROTTECK, Lehrb11ch des Vermmftrechts rmd der Staatswissenschaften, I" éd., Stuttgart, 55. D.MEKI
Franck, e. 1, 1829. Stuttgart, 198
49. Cf R. THOMA, « Rechtsstaatsidee und Verwaltungsrechtswissenschaft », JõR, vol. 4, 1910, cf K. SOBO"l
pp. 196-218. , Mohr, 1997, f
50. L. DUGUIT, Manuel de droit constiwtionnel. Théorie générale de l'Etat - Organisation politiq11e, 56. Pour une
1" éd., Paris, Fontemoing, 1907. .. ning and Scof
51. Cf par ex., L. FAVOREU, P. GAIA, R. GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, A. ROUX, tenn {tenne p,
O. PFERSMA~, G. SCOFFONI, Droit constit11tionnel, 1" éd., Paris, Dalloz, 1998, pp. 49-485 57. Cf S. Bl
(« livre 1- L 'Etat de droit »). alii (dir.), Rec
52. Cf la critique, dans une optique kelsénienne, de M. TROPER, « Le concept d'État de droit », 58. Jbid. La i
Droits, n" 15, 1992, pp. 51-63. caie:• La Co
Introduction Introduction 9

:Jletemem des « mots caout- le cas de la doctrine anglaise qui, apres la seconde guerre mondiale, a failli se
1rrait, en revanche, en réduire débarrasser du concept de rufe of law 5'.

[881-1973), qui a dénoncé le


C. Des expressions synthétiques,
d ~n :elief particulier. Trop
ag1ssa1t d'une idée soit scan-
tiraillées entre le vide et le trop plein
>n s'y attarde car elle éclaire
8 La troisieme critique, énoncée dans la célebre these de Philip Kunig 5', est, de par
fet, avec la rigueur qu'on lui
sa conclusion, le pendam au niveau de la dogmatique juridique de celle de Kelsen,
tagé non seulemem par cer-
qui se situait, quant à elle, sur le plan de la théorie générale du droit et de l'État.
c (1851-1911) -, maisencore
En 1986, à un moment ou en Allemagne l'euphorie des années d'apres-guerre a
l du vónndrz. Des le début
cédé la place à une atmosphere de « crépuscule du Rechtsstaat » 5\ Ph. Kunig prône
:e~ von R~tteck (1775-1840)
l'abandon pur et simple du terme de Rechtsstaat pour tout ce qui concerne l'ap-
\ _mtr~dun par son collegue
plication et l'interprétation de la Loi fondamentale. Selon lui, le mot Rechtsstaat,
;s1fic~t1on welckérienne des
bien qu'il figure dans l'article 28 al. 1 et, depuis la révision de 1992, dans l'ar-
~t « Etats de droit » et préco-
ticle 23 al. 1 de la Loi fondamentale, serait dépourvu de toute valeur dogmatique
es deux concepts de « Répu-
propre 56 • Sa présence serait superfétatoire, puisque son rôle se réduirait à synthé-
fin du XIX' siecle, le terme
tiser en un seul terme - sans y ajouter quoi que ce soit sur le fond - une multi-
:n~ des ouvrages consacrés
tude de principes, de sous-principes et de regles énoncés ailleurs dans le corps de
l'Etat'". L'école positiviste
la Loi fondamentale. Deux arguments s'entremêlent dans cette critique.
l La~and (1838-1918) privi-
de l'Etat, du Staat, au détri- 9 D'une part, en l'absence de toute "valeur ajoutée", le vocable Rechtsstaat- mais
rrents sur le Rechtsstaat, on cela vaut aussi pour les autres termes - n'a pas véritablement lieu de figurer dans
:le son homologue français. un texte de droit positif. Cette conclusion théorique est corroborée parles hési-
éon Duguit (1859-1928) en tations et les doutes de certains constituants. Ainsi, en Suisse, l'expression
nées 1930 pour ne resurgir Rechtsstaat, employée par la doctrine mais ignorée jusqu'alors par le droit
1 doctrine française est divi- constitutionnel positif, a fait l'objet de divers rebondissements au cours de la
1 droit constitutionnel" et procédure de révision totale de la Constitution fédérale de 1874. Memionné seu-
outes proportions gardées, lement dans l'en-tête de l'article 104 du projet de constitution, dans sa version
du 13 janvier 1995, le terme dispara1t peu apres, pour être remplacé par la for-
mule de « Bindung an das Recht (soumission au droit) » 57 • Alors que les représen-
tants de la doctrine proposent, au contraire, son inscription solennelle dans l'ar-
) est citée par P. CUCHE « Pour
osophie du Droit », APD, 1931, ticle 1", afin d'en souligner le caractere fondamental 58 , les rédacteurs du projet
officiel justifiem son omission en arguam de l'ambigui"té d'un terme qui soit
, Wien, Õsterreichische Staats-
d. de 1925, Wien, Õstereichische
htsstaat a été égalemenr souligné,
I, « Erwagungen zur materiellen 53. Cf R.W. BLACKBURN, « Dicey and the Teaching of Public Law », PL, 1985, pp. 679-694.
rmann, 1964, p. 488.
54. Ph. KUNIG, Das Rechtsstaatsprinzip. Úberleg11ngen 211 seiner Bede11t1mgfür das Verfassungsrecht
'., 1984, p. 67.
der B11ndesrep11blik Deutschland, Tübingen, Mohr, 1986.
vissenschafien, 1~ éd., Stuttgart, 55. D. MERTEN, « Rechtsstaatsdammerung », Festschrifi zwn 70. Geb11rtstag von R11dolf Samper,
Stuttgart, 1982, p. 35 ss. Sur !' évolution de la perception du Rechtsstaat <lans la doctrine de la RFA,
ssenschaft ", JõR, vol. 4, 1910, cf. K. SOBOTA, Das Prinzip Rechtsstaat. Verfass11ngs- zmd verw,1lttmgsrecht!iche Aspekte, Tübingen,
Mohr, 1997, pp. 1-12.
l'État - Organis,1tion politiqtte, 56. Pour une critique similaire du terme ruleoflaw, cf G. MARSHALL,« The Rule ofLaw. Its Mea-
ning and Scope », CPP], n" 24, 1993, pp. 43-50. L'auteur qualifie le concept de mleoflawd'« 11mbrella
, J.-L. MESTRE, A. ROUX tenn {tenne parapluie) » (p. 43).
Paris, Dalloz, 1998, pp. 49-485 57. Cf S. BREITENMOSER, « Rechtsstaatlichkeit in der Schweiz », in R. HOFMANN et
alii (dir.), Rechtsstaatlichkeit in E11ropa, op. cit., p. 44.
« Le concept d'État de droit ", 58. Ibid. La faculté de droit de l'université,de Bâle avait soumis un projet dom l'arricle 1 ai. 1 énon-
cait : « La Confédération helvétiq11e est 1111 Etat de droit démocratique, Jédéral et social. »

UFR8S .
,ACULDA0E DE DlfE111
BIBLIOTECA
10 Introduction Introduction

énonce une évidence, soit prête à confusion ;•'. Par la suite, il est néanmoins réin-
troduit dans la discussion et figure ainsi dans l'en-tête de l'article 5 de la nouvelle
Constitution suisse du 18 avril 1999, article qui définit divers aspects du principe
de juridicité "º.
11 Sous le termé
10 À ce premier aspect de la critique de Ph. Kunig s'ajoute un second qui met en se cache un r
évidence les difficultés pratiques engendrées par la nature synthétique du complexité,
concept de Rechtsstaat. Même réduit au statut de simple « faisceau d'éléments méthode de
(SammelbegrifJ} »"1, le Rechtsstaat continue à poser probleme en raison de son comme onle
ampleur qui est de plus en plus difficile à ma1triser : incorporam en son sein des torique, com
éléments extrêmement hétéroclites, allant des principes les plus généraux jus- l'objet, mais,
qu' aux regles juridiques les plus techniques, il ne cesse de s'étendre sans qu'au- l' État de dro
cune limite ne soit perceptible. Katharina Sabota a ainsi identifié pas moins de même, en ta1
142 normes que la doctrine allemande de droit public met en corrélation avec le chaos d'imp1
Rechtsstaat"2• Eu égard à la multiplicité et à la généralité des éléments constitu- rechercher l'
tifs du Rechtsstaat, parmi lesquels figurem, entre autres, la définition du droit, le des apparenc
concept des droits fondamentaux, la constitution, la hiérarchie des normes, la entre mot et
séparation des pouvoirs, le principe de sécurité juridique, sans oublier le prin- de repere, UI
cipe de légalité de l'administration, voire l'idée de démocratie, etc., il est peu pro- enquête.
bable qu'il existe un seul probleme juridique qui ne touche, d'une maniere ou
d'une autre, au Rechtsstaat. Celui-ci est susceptible d'englober tout le droit
A. I
public, voire privé. Son étude serait strictement parlam infinie : on pourrait ainsi
rédiger mille ouvrages encyclopédiques sans jamais épuiser le sujet 63, et sans
12 Comme l'a
avoir besoin à la limite d'utiliser le terme, si ce n'est dans le titre de la collec-
blems (. .) st,,
tion '". Tiraillé entre le vide et le trop plein, entre le rien et le tout, le Rechtsstaat
de Recht, d' 1
se prête des lors, en pratique, à un traitement doctrinal à géométrie variable 6\
suscite une
répond gue
ne s'impose
59. Ibid., p. 45. Voir aussi p. 49. , soum1s au (
60. « Art. 5 - Fondements d'une ,1ction confonne à l'Et<1l de droit (Grrmdsãtze rechtsst<1<1tlichen H<111·
delns). 1. Le droít est le fondement et l<1 limite de 1'<1ctio11 étatiq11e. - 2. L 'action étatiq11e doit po1m11ivre subordinati1
l'intérêt général et être proportiomiée. - 3. Les organes étatiques et privés agissem se/on le príncipe de civil e serai t
bonne foi. - 4. La confédération et les cantons respectent le droit intemational. ,, [trad pers.] Pour le Or, on porn
texte allemand, cf R. SCHWEIZER, « Die erneuerte schweizerische Bundesverfassung vom
18. April 1999 ",jõR, 2000, pp. 263-309. rôle éminer
61. Ph. KUNIG, op. cit., p. 15 (trad. litt. : notion additive). de structun
62. K. SOBOTA, op. cit., pp. 27-259. Voir la liste intégrale ibid., pp. 254-257. et/ou résult
63. K. SOBOTA, op. cit., p. 4, cite l'avis désabusé de Helmut Ridder. Cf G. MARSHALL, op. cit.,
p. 50. pas le droit
64. G. MARSHALL, op. cit., p. 50. de penser q
65. K. SOBOTA, op. cit., p. 444 ss et p. 523, élimine ainsi le concept de la démocratie et, surtout, sont, au co1
celui des droits fondamentaux du Rechtsstaat, ce qui est assez peu orthodoxe. On notera également
que les auteurs allemands sont divisés sur la localisation du principe de la séparation des pouvoirs : sageables : i
cenains l'étudient dans le cadre du principe démocratique; d'autres !e rangem dans le concept du les deux so1
Rechtsst<1<1l; enfin, un troisieme groupe le met à part, à côté du principe de démocratie et de celui du
Rechtsstaat (cf les renvois chez E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Demokratie ais Verfassungsprinzip ",
in id., S1<wt, Verfasszmg, Demokratie. S111dien z11r Verf,1ss1111gstheorie zmd 211111 Verfasszmgsrecht, 2· éd.,
Si l' on se plac
Frankfurt, Suhrkamp, 1992, p. 369 note 369). Du côté anglais, on remarquera la position originale
constitue un é
de J. JOWELL (op. cit.) : bien qu'étant une des figures de proue du « liberal normativism ,,
oflaw, contra:
(M. LOUGHLIN, Pub/ic L1w ,md Political Theory, Oxford, Clarendon, 1992, chap. 8 et 9), c'est-à-
66. R.C. van
dire du nouveau courant doctrinal qui met les droits de l'homme au cceur du droit, il définit le
67. Cf !'anal;
concept de mie oflaw de façon formelle, en mettant la problématique des droits de l'homme à part.
lntroduction lntroduction 11

I
a suite, il est néanmoins réin- § 2. L 'ETAT DE DROIT ENTRE MOT ET CONCEPT,
te de l'article 5 de la nouvelle ENTRE THÉORIE ET DOGMATIQUE
nit divers aspects du principe

11 Sous le terme État de droit, ou plus exactement sous les trais termes ici étudiés,
1joute un second qui met en
se cache un na!ud de questions dont l'enchevêtrement est la source même de Ia
r _la nature synthétique du
complexité, mais aussi de la richesse du sujet. La difficulté naí't à la fois de la
simple « faisceau d'éléments
méthode de recherche et de son objet. Non seulement la méthode se doit,
f robleme en raison de son comme on le verra, d'être pluridisciplinaire, afin de saisir les diverses facettes his-
mcorporant en son sein des
torique, comparative, sémantique, théorique et, last but not least, dogmatique de
tcipes les plus généraux jus-
l'objet, mais, en outre, elle s'applique à un objet aussi fuyant que le discours de
~sse de s'étendre sans qu'au-
l'État de droit, dom les frontieres semblent évanescentes et dont l'existence
ainsi idemifié pas moins de
même, en tant que concept scientifique, est mise en doute par c_ertains. Face à ce
rc met en corrélation avec le
chaos d'impressions, ou toutes les pistes se brouillent, le scientifi.que est tenté de
·alité des éléments constitu-
rechercher l'objet tant convoité dans une réalité, de traquer, au-delà des mots et
res, la définition du droit le
des apparences, la chose dont il pressent vaguement l'existence. Orla distinction
a hiérarchie des normes' la
entre mot et chose est d'un usage malaisé en droit. Pour l'instant, le seul point
dique, sans oublier le p;in-
de repere, un tant soit peu sur, est le mot, et c'est de lui que doit partir notre
nocratie, etc., il est peu pro-
enquête.
: touche, d'une maniere ou
e d'englober tout le droit
nt infinie: on pourrait ainsi A. De la distinction entre mot, concept et chose en droit
: épuiser le sujetº3, et sans
,t dans le titre de la collec- 12 Comme l'a dit si finement l'historien belge R.C. van Caenegem, « the pro-
ien et le tout, le Rechtsstaat blems (. ..) start with the very word »''''. La combinaison des deux mots de Staat et
na! à géométrie variable 65 • de Recht, d'État et de droit, qui est précisément absente dans le syntagme anglais,
suscite une foule d'interrogations auxquelles l'expression, en elle-même, ne
répond guereº'. L'usage du génitif autorise différentes lectures dont aucune
ne s'impose de façon évidente. Ainsi, le Rechtsstaat peut signifier que l'État est
Gmndsãtze rechtsstaatlichen Han- soumis au droit, ce qui indiquerait un rapport d'hostilité, d'extériorité et de
'. L 'a_clion étatique doit potmttivre subordination entre les deux : alars que le respect du droit au sein de la société
)rz•ves _agzssent selon le príncipe de
e":atzonal. " [trad pers.] Pour le civile serait assuré, le véritable défi consisterait à faire plier la puissance publique.
ensche Bundesverfassung vom Or, on pourrait également arguer que la formule État de droit met en exergue le
rôle éminent joué par l'État dans la défense du droit. C'est de l'État, et non pas
). 254-257. de structures politiques infra- ou supra-étatiques, que découle le droit positif
er. Cf G. MARSHALL, op. cit., et/ ou résulte la protection du droit naturel. L' État de droit signifierait alars non
pas le droit contre l'État, mais le droit à travers l'État. li serait également loisible
~pt de la démocrarie et surrour de penser que le droit et l'État ne sont pas extérieurs l'un à l'autre, mais qu'ils
rrhodoxe. On notera é~alemen; sont, au contraire, intimement imbriqués. Diverses hypotheses sont alars envi-
e de la sépararion des pouvoirs : sageables : soit l'État se situe dans le droit, soit le droit se situe dans l'État, soit
~ le rang,enr dan~ le concept du
ipe de democrat1e et de celui du les deux som identiques, constituam les deux faces d'une même médaille. Quoi
kratie ais Verfassungsprinzip ",
,nd zttm Verfassrmgsrecht, 2·· éd.,
emarquera la position originale Si l'on se place enfin sur un plan comparatif, on remarquera que le droit inr,ernational et européen
ie du « liberal normativísm ,, constitue un élément central des théories françaises et surtout anglaises de l'Etat de droit et de la mie
lon, 1992, chap. 8 et 9), c'est-à- oflaw, contrai remem à la doctrine aliem ande du Rechtsstaat.
au Ca!ur du droit, il définit le 66. R.C. van CAENEGEM, « The "Rechtsstaat" in Historical Perspective ", op. cit,, p. 185.
e des droits de l'homme à pare. 67. Cf l'analyse de K. SOBOTA, op. cit., p. 20.
12 Introduction Jntroduction

qu'il en soit, il faudrait au préalable définir de quel droit il est question dans l'impact décis
l' État de droit: du droit positif, du droit naturel ou des deux? A fortiori, compre comprendre 11
tenu de ces interrogations sur l'État de droit, quel peut être l'inrérêr théorique anglais er frar
de formules dérivées telles que la Communauté de droit ou l' Union de droit? XVII' er XVIII'

13 L'ajout du préfixe Recht ou de la particule dedroit n'a logiquement de sens qu'au théorique. 11
regard d'une certaine définirion du terme de Staat. Il serair absurde et parfaite- sémanrique p
menr redondant de préciser la nature juridique d'un État qui, en soi, est déjà un la République
« être de droit »"'. On aboutirair ainsi à un pléonasme, peu importe d'ailleurs gue vole en éclati
l'on soit positivisre ou jusnaturaliste. Par conséquent, l'usage du synragme Etat emprunte sa
de droit nécessite au préalable une réflexion sur ce qu 'esr l'État au sens juridique, sens des rroii
si l'on veur éviter un « brouillage conceptztel ,,w_ Car, à force d'opposer le Rechs- qu'à rravers 1
staat à l'« État despotique » 70 , à l'« État de police » 71 , à l'« État de puissance » 71 , à 14 Un rel souci
l' « État total » 7·' er, depuis la fin de seconde guerre mondiale, à l' « État totali- aucun intérê
taire » dom l'« État nazi», on ne sait plus ce qu'est l'État, le Staat. De même, la inserir dans 1
formule qui est censée désigner l'antithese de l'État de droit par le biais de l'ad- droitn, un d
joncrion d'une parricule négative - ce qui donne en allemand le « Unrechts- En changear
staat » et, en français, l' « État de non-droit » - laisse l' observateur perplexe : à lui et/ou le drc
de savoir si la négarion vise exclusivement l'élémenr juridique - ce qui voudrair qu'esr le dro
dire qu'un Unrechtsstaat est encore un Érat, quoique un État sans droit 7' - , ou les mots pui
si elle s'applique également à l'élémenr ératique, auquel cas le Unrechtsstaat ne plus forte r:
serait même plus un État 7'. incarnation
Le juriste continental est, en effet, censé manier er le concepr d'État et celui choses, que 1
d'État de droit alors que, à l'heure actuelle, le juriste anglais les ignore tous avoir besoir
les deux. Pourtant, au XVII' siecle, les rhéoriciens de la doctrine classique de la phorograph
common law, rels que Sir Edward Coke (1552-1634) et Sir Marrhew Hale er l'Étar sor
(1609-1676), et les représentants anglais de l'école du droit naturel moderne travers les n
employaienr couramment les expressions de Commonwealth (République) et de chose pose
State. Ils disposaient même d'une formule quasi identique au Rechtsstaat, à savoir n'existe poi
le « lawful Go-vernment » de John Locke (1632-1704)7'·. Le syntagme mle of law pour prend
ne s'impose chez les juristes d'outre-Manche qu'au cours du XIX' siecle, sous linguistiqu1:
c'est-à-dire J
relations ª"
68. R. CARRÉ DE MALBERG, Contrib11tion à la théorie générale de l'Érat, spécialement d'apres les
données foumies p,,r !e Droit constit11tio,nnel frança is, Paris, réimpr. de l' éd. de 1920, éd. CNRS, 1962,
e. I, p. 9. II s'agit de la défipition de l'Etat comme personne juridique. 77. Cf N. BI
69. J. CHEVALLIER, L'Etat de droit, op. cit., p. 129. Paris-Bruxell,
70. C.T. WELCKER, Die letzten Gründe von Recht, Staat und Strafe, philosophisch 1md nach den 78. Cf H. K
Gesetzen der merkwürdigsten Võlker rechtshistorisch entwicke!t, Giessen, sans indication de l'édireur, « La signifirn 1

1813. c01nme un J.1 i


71. O. MAYER, Deutsches Verwalt11ngsrech1, 2' éd., München, Duncker & Humblot, e. 1, 1914. propriétés na 1
72. F. DARMST ÃDTER, Rechtssta<1t oder Machtssta,11 ?, 1932. 79. G. BURI
73. A. BRUNNER, Rechtsst,wt gegen Tot<1lstaat, 1948. , 80. Derriere
74. Cette lecture est suggérée par la suucture sémantique de l'expression française Etat de non-droit. concept et L
75. Ce doure él)1erge surtout au sujet du Unrechtssta<1t, la négarion précédant à la fois le terme de R. KOSELL
droit et celui d'Etat. Deutschland.
76. Cf J. LOCKE, Two Treatises of Govemment, préf. et notes de I>._Laslett, Cambridge, Cam- querre ou le 1
bridge UP, 1994, p. 137; Livr. II, chap. VIII, p. 333; chap. XVII, p. 397. A l'épo9ue, le terme govem- est l'objet d~
ment avait une significarion rres large et constituait un synonyme de celui d'Etat. II exisrait égale- mifere péris5<
ment en France un terme synonyme, à savoir le « droit gouvemement,, de Jean Bodin (1530-1596). [Larousse ili
Introduction Introduction 13

:l droit il est question dans l'impact décisif de la théorie de Dicey. C'est pourquoi il est indispensable, pour
les deux? A fortiori, compte comprendre les variations de la terminologie scientifique des juristes allemands,
)eut être l'intérêt théorique anglais et français, de remanter à la philosophie des Lumieres, à l'époque des
roit ou l' Union de droit? XVII" et xvm< siecles ou l'Europe a connu une forte unité tant sémantique que
a logiquement de sens qu' au théorique. Il conviem de replacer les trais termes ici étudif s dans un champ
:q serait absurde et parfaite- sérnantique plus large ou gravitem d'autres notions, dont l'Etat (Staat, State) et
Etat qui, en soi, est déjà un la République (Republik, Commonwealth). Cette unité sémantique de l'Europe
\ peu importe d'ailleurs 9ue vale en éclats à partir du XIX' siecle quand chaque science juridique nationale
tt, l'us~ge du syntagme Etat emprunte sa propre vaie et se forge s~ propre terminologie. Le sens ou le non-
1'est l'Etat au sens juridique, sens des trais termes de Rechtsstaat, Etat de droit et rufe of law n'apparait dane
, à forse d' opposer le Rechs- qu'à travers l'histoire, une histoire qui est nécessairement comparative.
à l' « Etat de puissance
,
» 71 à
' 14 Un tel souci pour les mots ne releve pas d'un exercice depure philologie, sans
mondiale, à l' « Etat totali- aucun intérêt pour le droit, et surtout le droit positif. Le droit est, au contraire,
'État, le Staat. De même, la inscrit dans les mots; il est même essentiellement, selon certains théoriciens du
de droit parle biais de l'ad- droitn, un discours dont la seule spécificité réside dans son caractere normatif.
en allemand le « Unrechts- En changeant les mots, en introduisant un mot jusque-là ignoré par la doctrine
'observateur perplexe: à lui et/ou le droit positif, on risque dane de modifier la perception de cet objet
juridique - ce qui voudrait qu'est le droit et l'État. Car le droit, en tant qu'entité abstraite, n'existe que dans
: un Etat sans droit 7' - , ou les mots puisqu'aucune réalité factuelle nele résume entierement 78 • Cela vaut à
quel cas le Unrechtsstaat ne plus forte raison pour l'État, qui est, et reste une pure idée 7' nonobstant son
incarnation dans des représentants ou organes. Ni l'un ni l'autre ne sont des
:t le concept d'État et celui choses, que l'on pourrait identifier, observer et décrire de façon empirique sans
iste anglais les ignore tous avoir besoin à la limite de mots, comme le fait, par exemple, le chercheur qui
: la doctrine classique de la photographie une nouvelle espece animale qui n'a pas encare de nom. Le droit
,34) et Sir Matthew Hale et l'État sont des constructions de l'esprit, et l'esprit raisonne nécessairement à
du droit naturel moderne travers les mots. Il s'ensuit qu'en droit la distinction courante entre le mot et la
mwealth (République) et de chose pose quelques difficultés'º. Car la "chose" qu'est supposé être le droit
ique au Rechtsstaat, à savoir n'existe point. Il n'y a qu'un concept du droit, qui, à son tour, a besoin de mots
'. Le syntagme rufe of law pour prendre forme. Comme l'a dit Uberto Scarpelli: « L'expression, l'expression
171

cours du XIX" siecle, sous linguistique, est l'apparence, le son, l'événement sensible, porteur de la signification,
c'est-à-dire posé par la coutume ou une convention. Elle se trouve dans un systeme de
relations avec d'autres expressions linguistiques et avec des entités non linguistiques,
1e del 'État, spécialement d'apres les
de l'éd. de 1920, éd. CNRS, 1962,
que. 77. Cf N. BOBBIO, Essais de théorie d11 droit, trad. M. Guéret & C. Agostini, préf. R. Guastini,
Paris-Bruxelles, LGDJ-Bruylant, 1998.
>!rafe, philosophisch zmd nach den 78. Cf H. KELSEN, Théorie p11re d11 droil, 2' éd., trad. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, p. 3 :
~ssen, sans indication de l' éditeur, « La signification juridique d'zm acte n 'est pas une propriété qui se laisse sans plus saisir en lu~ considéré
com me zm fail extérieur, parles sens, - la vue 011 l'ouie -, à la façon dom som perç11es, par exemple, les
)uncker & Humblot, t. 1, 1914. propriétés nawrelles des c9rps, telles que couleur, dureté, poids. »
79. G. BURDEAU, L'Etat, Paris, Seuil, coll. points, 1970, p. 14.
80. Derriere ce binôme se cache en vérité un tryptique, à savoir la distinction entre le mot, le
·ession française Étal de non-droil. concept et la chose. C/ R. KOSELLECK, « Einleitung », in O. BRUNNER, W. CONZE &
,n précédam à la fois le terme de R. KOSELLECK, Geschichtliche Grzmdbegriffe. Historisches Lexikon ztff politisch-sozialen Sprache in
Deutschland, Stuttgart, Klett, t. I, 1974, p. xxii. Le mot est le signe linguistique, autrement dit l'éti-
de P.,Laslett, Cambridge, Cam- quette ou le label. Le concept est la définition en termes généraux de la signification du mot. La chose
397. A l'épo9ue, le terme govem- est l'objet désigné, du mamem qu'il existe empiriquement. Exemple: le rhinocéros {mot}; « mam·
~ de celui d'Et,ll. II existait égale- mifere périssodactyle des régions chaudes, camctérisé par la présence d'une 011 deux carnes mr l,1 face »
zent » de Jean Bodin {1530-1596). [Larousse illustré, 1983] (concept); la chose : !'animal vu ou rencomré en savanne ...
14 lntroduction Introduction

ce qui constitue précisément la signification; le concept pettt être compris comme la qui reste plu
signification portée par une certaine expression linguistique, mais il peut éventuelle- l'étanchéité é
ment en même temps être également porté par d'autres expressions dijférentes dtt de saisir la n,
monde sensible ou bien se présenter comme la signification commune d'une classe on peut dist
d'expressions synonymes. » ' 1 La signification est nécessairement véhiculée par un concept non
ou plusieurs mots, mots qui peuvent être synonymes et, partam, redondants. La visé, en dem
distinction entre mot et chose ou, plus exactement, entre mot et concept, entre matériel "·. D
signifiant et signifié, a clone une valeur heuristique lorsque l'on est en présence de droit sup1
d'un nouveau terme, tel l'État de droit, et qu'il s'agit de savoir s'il déJigne la égard, le gra
même "chose" ou autre "chose" qu'un terme ancien, tel par exemple l'Etat. comme elle ·
autrement d
B. De la distinction entre concept doctrinal jusnaturalist1
la personna
et concept de droit positif
Samuel Puf,
15 Le droit étant inserir dans les mots, pour appréhender le droit, il faut par consé-
nuel Kant (1
quent saisir le sens et le statut des mots qui sont censés le véhiculer. Aussi faut- ajouter à ces
il commencer par situer et différencier les mots, selon qu'il s'agit d'un terme qu'elle a récz
figuram dans un texte adopté parle législateur"', dans une décision de justice'3 concept, po
ou dans l'ouvrage d'un juriste scientifique". De là découle la distinction, déga- celui de l'au
gée notamment par Charles Eisenmann, entre un concept doctrinal et un nom1e -, re
concept de droit positif 85 • De ce point de vue, les interrogations soulevées en effet, en lui
Allemagne par le Rechtsstaat sont plus vastes que celles suscitées par le discours Cela expliq1
de l'État de droit ou de la rule oflaw. Tous les trois sont des concepts relevam de de Jellinek e:
l'inverse, si
la théorie générale du droit et de l'État, qui, en tant que tels, influem sur la dog-
som les élé
matique du droit positif, puisque la premiere fournit les outils méthodologiques
Quels en se
à la seconde. Or le terme Rechtsstaat est, en outre, inscrit dans le texte constitu-
risques der
tionnel positif: il est clone, en lui-même - du moins selon l'avis de la majorité
sait en 194:
des juristes d'outre-Rhin -, une norme de droit positif.
égard à une
16 Au niveau de la théorie générale du droit et de l'État, les trois termes soulevent À celas',
d'épineuses questions. Ainsi qu'on l'a vu, ils appellent une réflexion sur ce qui est celu
qu'est l'État au sens juridique et, par conséquent, sur ce qu'est le droit. On ne elles indifü
saurait faire !'impasse sur le "vieux" débat entre jusnaturalisme et juspositivisme tielles? Qrn
que du rôle
81. U. SCARPELLI, Q11'est-ce que le positivismej11ridiq11e? (1965), trad. de !'irai. par C. Clavreul, droit? Nul
préf. L. Gianformaggio, Paris, Bruxelles, LGDJ, Bruylam, 1996, p. 4. d' ailleurs le
82. Exemple: le Rechtsstaat (depuis 1949) ec le principe de prééminence d11 droit (CEDH). juridicisatic
83. Exemple; la Com:nuna11té de droit, notion créée de façon prétorienne par la Cour de justice des
Communautes europeennes.
84. Exemple: le Rechtsstaa~ (avam 1949), la mie oflaw (excepcion faice de quelques rares évocations
dans la jurisprudence) ec l'Etat de droit.
85. Ch. EISENMANN, « Quelques problemes de méchodologie des définitions ec des classificacions 86. À cicre d't
en science juridique », APD, 1966, p. 26: « II y a d'abord cel11i 011 le "vocable conceptuel", c'est-à-dire inscicucionnel
q11i doit servir à désigner zm concept, à la façon d'zme étiq11ette 011 d'zm signe ,ilgébriq11e, se tro11ve employé des !ois, en id
dans une "source de droit positif', foi ott jugement, - disons pratiquement aujourd'hui: dans zm acte écrit normacif mat,
qui ém,me d'rme autorité extérie11re à !ui, juriste. Mais tom les concepts 11tilísés par le juriste ne pro- à un certain i1
viennent pas de ces so11rces d11 droit positif, des textes; certains concepts sont élaborés par !ui, et les mots 87. G.JELLI
correspondants choisis par !ui dans son travai! de connaissance systématique d11 droit, aux fins de l'ana- 88. A. BLEC
lyse 011 de la théorie d11 droit. » p. 21.
lntroduction Jntroduction 15

-pt pettt être compris comme la qui reste plus pertinent que jamais. D'une part, cette lig,ne de frontiere, dont
istique, mais il peut éventuelle- l'étanchéité est toutefois relative, structure le débat sur l'Etat de droit et permet
ttres expressions dijférentes du de saisir la nature spécifique des différentes théories avancées à son sujet. Ainsi
fration commune d'une classe on peut distinguer un concept strictement descriptif de ]' État de droit d'un
essairement véhiculée par un concept normatif ou prescriptif, leque! se subdivise, selon !e contenu de l'idéal
es et, partam, redondants. La visé, en deux catégories : un concept normatif formei et un concept normatif
:, entre mot et concept, entre matériel 81'. D'autre part, toute tentative de reconstruction du discours de l'État
lorsque l'on est en présence de droit suppose une clarification préalable de sa propre méthodologie. À cet
'agit de savoir s'il désigne la égard, le grand défi posé par l'école positivisfe est de savoir s'il est possible,
n, tel par exemple l'État. comme elle prétend le faire, de concevoir un Etat d'un point de vue juridique,
autrement dit de fonder l'État de droit, sans avoir besoin d'aucun présupposé
pt doctrinal jusnaturaliste. Ainsi, apres avoir, admis !'origine contractualiste du concept de
itif la personnalité juridique de l'Etat, forgé par Thomas Hobbes (1588-1679),
Samuel Pufendorf (1632-1694), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et Emma-
ler le droit, i1 faut par consé- nuel Kant (1724-1804), Jellinek n'hésite pas à dire que l'école positiviste « n'a pu
11sés le véhiculer. Aussi faut- ajouter à ces développements quoi que ce soit de nouveau, si ce n'est évidemment
elon qu'il s'agit d'un terme qu'elle a récusé ses fondements jusnaturalistes » 87 • Or, la validité scientifique du
ms une décision de justice 83 concept, pour ainsi dire atrophié, de la personnalité juridique de l'État et de
:lécoule la distinction, déga- celui de l'autolimitation - ce dernier étant inspiré du príncipe kantien d'auto-
n concept doctrinal et un nomie -, reste sujette à des doures, y compris au sein du courant positiviste. En
interrogations soulevées en effet, en lui Ôtant ses fondations, ne condamne-t-on pas tout l'édifice à la ruine?
lles suscitées par le discours Cela expliquerait la présence de certains vestiges du droit naturel dans les écrits
mt des concepts relevam de deJellinek et d'autres auteurs, vestiges dont le rôle crucial est souvent ignoré. À
:iue tels, influem sur la dog- l'inverse, si l'on suit le raisonnement de l'école moderne du droit naturel, quels
les _outils méthodologiques sont les éléments qui appellent nécessairement une fondation métajuridique?
scnt dans le texte constitu- Quels en sont les défauts et les risques? L' exemple du III• Reich, illustrant les
s selon l'avis de la majorité risques de manipulation non pas tant du positivisme juridique, comme le pen-
itif. sait en 1945 Gustav Radbruch, mais du jusnaturalisme lato sensu, invite à cet
:, les trais termes soulevent égard à une certaine prudence.
1lent une réflexion sur ce À cela s'ajoute aussitôt un autre probleme, car les deux sont intimement liés,
r ce qu'est !e droit. On ne qui est celui du lien entre la démocratie et l'État de droit. Les deux idées sont-
turalisme et juspositivisme elles indifférentes, voire hostiles l'une à l'autre ou, au contraire, consubstan-
tie1les? Quelle est la vision de la souveraineté, des pouvoirs poli tiques élus ainsi
que du rôle du juge que véhiculent ceux qui se targuent de l'autorité de l'État de
1, trad. de !'irai. par C. Clavreul, droit? Nul n'ignore, en effet, que le discours de l'État de droit, quel que soit
. 4.
2e1:ce d11 droit (CEDH). d'ailleurs le pays, constitue un ressort majeur du phénomene ·contemporain de
>nenne par la Cour de justice des juridicisation ou plutôt de «jurictionnalisation » 88 de la sphere politique. Laplace
'aite de quelques rares évocations

is définitions et des classifications 86. À titre d'exemple d'un concept normatif formei, on peut citer les théories qui érigem un critere
e_ "vocable concept11el~ c'est-à-dire institutionnel ou procédural, te! que, par exemple, le cqntrôle juridictionnel ,de la constitutionnalité
,tgne a_lgébriq11e, se trouve employé des !ois, en idéal normatif que se doit de réaliser tout Etat vou Iam être un Etat de droit. Le concept
,nt au;o11rd'htti: dans rm acte écrit normatif matériel exige que le comenu des normes positives appliquées aux individus soit conforme
·epts rtt'.fisés -p_ar !e juriste ne pro- à un certain idéal substantiel, défini, par exemple, en référence à l'idée des droits de l'homme.
s sont elabores par fu~ et fes mots 87. G. JELLINEK, System de,; mbjektiven õ/Jentlichen Rechte, Freiburg, Mohr, 1892, p. 32.
,tique du droit, a11x fins de f'ana- 88. A. BLECKMANN, « L'Etat de droit dans la constitution de la RFA », Pouvoirs, n" 22, 1982,
p. 21.
16 Introduction lntroduction

préémineme qu'occupe la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans le sys- d'une analyse
teme institutionnel établi par la Loi fondamemale, ainsi que les débats actuels en tique de ces d,
Grande-Bretagne sur l'instauration d'un contrôle juridictionnel des lois - objec- étude compa~
tif partiellemem atteint avec le Human Rights Act de 1998 -, le ,Prouvem à des
degrés divers. De même, le fait qu'en France le discours de l'Etat de droit ait § 3_ ENQ
resurgi de l' oubli à partir de 1977 n' est point anodin'" : s'inscrivam dans le sillage
de l'ascension du Conseil constitutionnel, il rompt justemem avec la tradition
Il conviem
jacobine de méfiance vis-à-vis des juges''º. Il conviem des lors d'idemifier, d'un
étude.
point de vue théorique, les modes de pensée par lesquels les juristes contribuem
à ce processus de légitimation du pouvoir des juges, afin d'en suivre ensuite les
répercussions au niveau dogmatique.
17 À cette optique théorique générale vient s'ajouter une perspective dogmatique
18 La présente ,
particuliere : il s'agit de la situation allemande ou le terme de Rechtsstaat, et cela tive - la sign
vaut mutatis mutandis pour la Communauté de droit et le principe de la préémi- tivement réc1
nence du droit, est consacré explicite~em dans le droit positif. Le Rechtsstaat est s'agit de s'in
ainsi le concept doctrinal qui permet de penser le droit positif, et en premier lieu terme allema
la Loi fondamentale, et, en même temps, il en est une partie imégrame : il est analyse criti1
tout à la fois en dehors du droit positif et dedans. Des lors, une grande partie du l'étranger -
débat tourne autour des implications dogmatiques de cette proclamation solen- , . a' 1
necessaire
nelle : il s'agit de définir exactement le statut, la sedes materiae"' ainsi que le ce terme qu1
contenu de ce terme évoqué dans les articles 28 al. 1 et 23 al. 1 de la Loi fonda- d'une influe
mentale, et qui a fait l'objet d'une vaste jurisprudence de la part de la Cour européen qu
constitutionnelle fédérale. Le défi majeur qui se pose à la doctrine allemande est terre est par
de ma1triser la croissance inflationniste de ce concept qui, de par sa structure, fait qu'elle igno1
figure de poupée russe. Il est clone, selon l'avis de la majorité de la doctrine, au ses particula
moins une norme de droit positif, alors que la Cour y voit, en outre, un prin- originale du
cipe non-écrit, fondé sur l'ordre des valeurs qui précede la Loi fondamentale, continemal1
autrement dit une norme de droit naturel "'. Pour Ph. Kunig, au comraire, le sur ce que s,
terme n'est même pas une norme de droit positif. Il est vrai que la présence d'un ce qui expl
terme dans un texte de droit positif n'est pas en soi suffisame pour lui attribuer ouvrage"".
aussitôt un effet normatif "3. Ainsi, l'inutilité du terme peut découler tamôt

89. Le poim de départ symbolique est le discours que le présidem de la République, Valéry Giscard dique. (cf É. I
d'Estaing, a tenu le 8 novembre 1977 dans les salons du Conseil constitutionnel : « Lnrsq11e chaq11e inS.BRONll
a11torité, de la pl115 mode5te à la pl115 ha11te, 5'exerce 50115 le contrôle d'un j11ge, qui 5'aj511re que cette a11torité cratie, Paris, I'
re5pecte l'ensemble de5 regles de çompétence et de fond <111xq11elfe5 elle e5t tenue, l'Et,11 de droit émerge »; 94. Cf GRE'
cité par J. CHEVALUER, L 'Et<1t de rj,roit, op. cit., p. 128. , L'un des ateli
90. Pour ,ce qui est du discours de l' Etat de droit sous la III· République, cf. M.]. REDOR, De l'Etat (AIDC), orga,
lég<1l à l'Etat de droit. L 'évol11tion des conception5 de l<1 doctrine p11bliciste fr<1nçai5e 1879-1914, préf. lisme et démo,
] . Combacau, Paris/ Aix-en-Provence, Economica/PUAM, 1992. butions som
91. La question du siege du príncipe général du Recht55la<1t s'avere d'un imérêt crucial étam donné 95. II aurait é
qu' en droit constitutionnel allemand toutes les dispositions de la Loi fondamemale ne se trouvem d'autres pays
pas sur un même pied d'égalité, cenaines bénéficiam de la protection accrue de l'article 79 ai. 3. États-Unis nc
dier les concé
Celui-ci soustrait certains príncipes à toute révision constitutionnelle.
96. Unerem
92: ?r?it naturel dom la Cour s'estime être la gardienne, même à l'égard du pouvoir constituam
au terme fran
ongma1re. ,
93. Comme l'a ren;iarqué E. Picard, la Déclaration de 1789, qui fait partie du bloc de constitutionna-
clairemem le
notre réponse
lité, se réfere à« l'Etre 511prême ». Or, pour !'instam, nul auteur n'en a encare déduit une norme juri-
lntroduction Jntroduction 17

'é?ér~le allemande dans le sys- d'une analyse théorique, tantôt d'une apprache dogmatique. C'est dans l'op-
ams1 que les débats actuels en tique de ces deux ordres de prablématiques que s'inscrit, par conséquent, cette
iridictionnel des lois - objec- étude comparative.
~e 1998 -, le ,rrauvent à des
hscours de l'Etat de droit ait
S9 ,. •
1 . : s mscnvant dans le sillage
§ 3. EN QUÊTE D'UN SENS ET ENQUÊTE SUR LE NON-SENS D'UN MOT
,t JUstement avec la tradition
!nt des lors d'identifier, d'un D conviem à présent de définir plus précisément l'objet et la méthode de cette
quels les juristes contribuem étude.
s, afin d'en suivre ensuite les
A. L'objet de la recherche
une perspective dogmatique
'. terme de Rechtsstaat, et cela 18 La présente étude se prapose d'analyser - et ce dans une optique compara-
it et le principe de la préémi- tive - la signification et la validité scientifiques du phénomene sémantique rela-
·oit positif. Le Rechtsstaat est tivement récent en France qu'est le discours de l'État de droit. Autrement dit, il
oit positif, et en premier lieu s'agit de s'interrager sur le bien-fondé de la transposition en drait français du
une partie intégrante : il est terme allemand de Rechtsstaat ainsi quedes théories qui s'ensuivirent. Une telle
es lors, une grande partie du analyse critique implique intrinsequement, de par son objet, un "détour" par
fe cette praclamation solen- l'étranger - détour qui n'en est pas un véritablement puisqu'il est le préalable
;edes materiae" ainsi que le nécessaire à une meilleure intelligence de l' objet français dénommé État de droit,
1 et 23 al. 1 de la Loi fonda- ce terme qui est une traduction littérale de l'allemand, et dont le sens est le fruit
ence de la part de la Cour d'une influence craisée entre les trais grandes patries du drait constitutionnel
! à la doctrine allemande est eurapéen que sont l'Allemagne, l'Angleterre et la France". Le cas de l'Angle-
· qui, de par sa structure, fait terre est particulierement intéressant sur ce sujet de par ses silences - le fait
majorité de la doctrine, au qu'elle ignore la référence sémantique à l'État et, afortiori, à l'État de droit - et
r y voit, en outre, un prin- ses particularismes insulaires - le fameux esprit de la common law, sa définition
écede la Loi fondamentale originale du positivisme -, qui dessinent en creux les traits saillants de la pensée
Ph. Kunig, au contraire, 1~ continentale. S'interrager sur ce qu'est l'État de droit revient ainsi à s'interrager
ist vrai que la présence d'un sur ce que sont, par analogie ou par opposition, le Rechtsstaat et la rufe oflaw'',
:uffisante pour lui attribuer ce qui explique la juxtaposition de ces trais expressions dans le titre de cet
!rme peut découler tantôt ouvrage 96 •

de la_ République, Valéry Giscard dique. (cf. É. PICARD, « Démocraties nationales et justice supranationale. L'exemple europé~n »,
:o_nsmuuonnel : « lorsqtte chaqtte in S. BRONDEL, N. FOULQUIER & L. HEUSCHLING (dir.), Go11vernement des j11ges et démo-
1 )ltge,quis 'a;mre que cette alltorité cratie, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 250.)
est ten11e, l'Etat de droit émerge »; 94. Cf. GREWE & H. RUIZ-FABRI, Droit constit11tionnels e11ropéens, Paris, PUF, 1995, p. 22 ss.
L'un des areliers du 5" congres mondial de I' Association internationale de droit constiturionnel
lique, cf. M.]. REDOR, De l'État (AIDC), organisé à Rotterdam du 12,au 16 juillet 1999 sous le titre « Constit11tionnalisme, zmiversa-
bliciste française 1879-1914, préf. lisme et démocratie », portait sur « L 'Etat de droit, !e Rechtsstaat et la rufe oflaw » (Les diverses contri-
butions sont disponibles sur le site internet de l'AIDC : www.frg.eur.nl/pub/iaçl/papers.hrml).
d'un intérêt crucial étant donné 95. II aurait été évidemment intéressant de suivre la trace de la problématique de l'Etat de droit dans
Loi fondamentale ne se trouvenr cj'autres pays soit européens (Italie, Suisse, Espagne, pays scandinaves, etc.) soit extra-européens (les
:tion accrue de l'article 79 ai. 3. Etats-Unis notammem). Toutefois, les limites inrrinseques à coute recherche nous ont concluir à écu-
·Ile. dier les concepts !à ou ils ont été conçus originellement, du moins pour ce qui est de l'Europe.
i I' égard du pouvoir constituant 96. Une remarque,sur l'ordre des trois expressions: la préséance accordée, dans le titre de l'ouvrage,
au terme français Etat de droit - suivi parle vocable allemand, puis anglais - a pour but d'indiquer
pareie du bloc de constitutionna- clairement le lieu de naissance de notre interrogation bien que ce ne soit pas le poim de départ de
. a encore déduit une norme juri- notre réponse qui débute, au contraire, avec I' Allemagne (cf. infra n" 28).
18 lntroduction lntroduction

19 Encore faut-il préciser davantage l'objet et, surtout, les limites de notre enquête, champ d'étuc
qui risque de se perdre dans les méandres de ces trois discours aux frontieres l'État de droi
évanescentes. À ce titre, il importe de définir la trame de la recherche dans ce sera abordé t1
qu'elle a de positif- les interrogations qui servem de fil conducteur, de clé pour
lire et imerpeller le discours de l' État de droit dans ses diverses variantes - et de
négatif- les questions que nous évacuons faute de temps et/ou d'intérêt. En ce
qui concerne le volet positif, notre démarche s'inscrit dans une optique de ce que 20 Afin d'appré
l'on pourrait appeler - par référence aux sciences naturelles -la "recherche fon- dans les trois
damemale" : il s'agit de mettre en évidence le sens, ou le non-sens, de l'expres- lumem large
sion française État de droit à la lumiere, d'une part, des théories sur le Rechtsstaat méthodologi
et la rule oflaw et, d'autre part, de la tradition imellectuelle française de 1789 sur d'une métho
laquelle vient se greffer ce nouveau discours. Quel est, en effet, son apport spé-
cifique à une meilleure compréhension de l'État" - question cruciale eu égard
lº Uneappr
à la critique kelsénienne -, du droit - quel est le lien entre l'État et le droit? et
d' ailleurs quel droit?" - et, enfin, du juge, avec en particulier la question du lien 21 La méthode
entre l'État de droit et la démocratie ''? ignore le sen
Quam au volet négatif, deux bornes om été fixées à la présente étude. D'une le plus fidele
part, elle se limite à étudier les trois discours dans le champ du droit constitu- - le XV' siecl
tionnel et de la science du droit constitutionnel, à l'exclusion notable du droit de droit 1º2 -
administratif. Si cette délimitation matérielle s'imposaii: en raison de l'étendue dans un char
du sujet, elle sera toutefois appliquée avec prudence compre tenu de l'unité du sant, on éca1
droit public, et du droit en général. De ce fait, des incursions en droit adminis- départ un ce
tratif et en droit international et européen s'imposeront à raison de l'influence fié à l'idée e
parfois décisive que ceux-ci om exercé, à certains moments, sur les trois notions aspect(s), et
ici étudiées. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, l'équation faite entre le droit et tions dans le
le juge, entre la norme juridique et la sanction juridictionnelle - qui est l'un des mot(s) a don
vecteurs majeurs de la dynamique actuelle de l'État de droit - a été théorisée de au moins trc
façon paradigmatique en droit administratif par Otto Bahr (1817-1895) et
Otto Mayer (1846-1924), lesquels se som d'ailleurs inspirés du droit privé. Pré-
cisons également que le terme de science du droit constitutionnel est entendu ici
100. Cf l'extr.1
dans un sens large, incluam tout à la fois la théorie générale de l'État, la théorie par A.V. DICE
du droit et la théorie de la constitution stricto sensu. D'autre part, on a exclu du 1nê1ne et toutes j1
rences repérées
De ce point de
101. Cf supra 1
97. Cf G. JELLINEK, Ein ,Verfasmngsgerichtshoffiir Õsterreich, Wien, Héilder, 1885, p. 1: « L'his- 102. H. AHRI
toire tolll entiere de l'!dée d'Etat a11 XIX siecle, on perll la connaftre d'apres la pro/onde mutation q11 'a Brockhaus, 1SE
connnue le concept d'Etat de droit » (cité et traduit par O. JOUANJAN,. Présentation », in id. (dir.), !e discours fran1
Les Figures de l'Etat de droit, op. cit., p. 7). Selon O. BEAUD (« Ouverture : l'hon~eur perdu de l'E- 103. Sur la thi'.1
tat? », Droits, ff' 15, 1992, p. 7 ss), la résurgence contemporaine du di~cours de l'Etat dedroit scelle c/11 droit au niv,
les retrouvailles de la doctrine juridique française avec la théorie de l' Etat. 104. Le fait de
98. Selon l'~rticle 2 de la Déclaration de Copenhague du 29 juin 1990 sur la dimension humaine de explique !e car,
la CSCE, l' Etat de droit implique non pas « simplement une légalitéfonnelle, assurant régularité et cohé- chaque pensée
rence dans l'inst,111ration et la mise en cettvre de l'ordre démocratique, mais bien la justice fondée sur la à l'autre. Ainsi
reconmússance et la pleine dcceptation de la valeur suprême de la personne hmnaine, et g,1rantie par eles de l'influence ê
instiwtions o/frant tm cadre pour son expression la plus complete» (reproduit in E. DECAUX, op. cit., dans !e giron J,
p.230). les doctrines n
99. Çf la Charte de Paris de 1990 (« La démocratie est fondée mr le respect de l,1 personne humaine et dimension eun
de l'Etat de droit »; reproduit in E. DECAUX, op. çit., p. 286) et l'art. 3 de la Déclaration de Copen- explique l'iméi
hague (« La démomaie est 1111 élément inhérent à l'Etat de droit »; reproduit ibid., p. 230). tion ne soit pa,
Introduction Jntroduction 19

:, les limites de notre enquête, champ d'étude la va,ste question du lien entre le Rechtsstaat et !e Sozialstaat, entre
trais discours aux frontieres l'État de droit et l'Etat-pravidence, sujet qui nous menerait trap Ioin. Celui-ci
rame de la recherche dans ce sera abordé tout au plus de façon incidente et fragmentaire.
de fil conducteur, de clé pour
ses diverses variantes - et de
B. La méthode de la recherche
temps et/ou d'intérêt. En ce
~it dans une optique de ce que
20 Afin d'appréhender les multiples facettes de la prablématique de I'État de droit
aturelles - la "recherche fon-
dans les trais pays, il naus a paru indispensable d'opter pour une démarche réso-
:, ou le non-sens, de l'expres-
lument large. Trais aspects - qui éclairerant à leur tour d'autres traits de la
des théories sur Ie Rechtsstaat
méthodologie - méritent plus particulierement d'être soulignés ici : il s'agit
ectuelle française de 1789 sur
d'une méthode sémantico-analytique, comparative et, enfin, critique.
est, en effet, son apport spé-
- question, cruciale eu égard
en entre l'Etat et Ie drait? et 1º Une approche sémantico-analytique
>articulier Ia question du lien
21 La méthode se doit - puisque l'on est confronté à une expression dont on
ignore le sens - d'être axée sur les mots. li s'agit de suivre à la trace et de décrire
~s à la présente étude. D'une
le plus fidelement possible l'usage qui est fait, depuis à peu pres leur naissa~ce
le champ du drait constitu-
-le xv• siecle pour la mie oflaw 100 , 1798 pour le Rechtsstaat'º 1 et 1868 pour l'Etat
l'exclusion notable du drait
1osait en raison de l'étendue
de droit 1º1 - , des trais expressions en question, qu'il faudra d'ailleurs restituer
dans un champ sémantique plus large 1º' pour en saisir toute l'originalité. Ce fai-
~ compte tenu de l'unité du
sant, on écarte une autre mét~ode qui aurait été de prendre comme point de
ncursions en drait adminis-
départ un certain concept de l'Etat de drait que l'on aurait, par exemple, identi-
!rant à raison de l'influence
fié à l'idée du contrôle de constitutionnalité des lois ou à quelque(s) autre(s)
)ments, sur les trais notions
aspect(s), et dont on aurait pu comparer, de façon systématique 104 , les illustra-
1uation faite entre Ie drait et
tions dans les trais pays à différents moments. La préférence accordée ainsi au(x)
:tionnelle - qui est l'un des
mot(s) a dane des répercussions importantes sur la trame de la recherche, et ce à
ie droit - a été théorisée de
au moins trais égards.
Otto Bahr (1817-1895) et
nspirés du drait privé. Pré-
1stitutionnel est entendu ici
énérale de l'État, la théorie 100. Cf !'extrair d'une décision de justice datam du regne d'Henri VI (1422-61) cité en law french
par A.V. DICEY, op. cit., p. 107 : « La Ley est !e plus haute inheritance, que le roy ad; car par la ley it
D'autre part, on a exclu du même et toutes ses sujets sont rulés, et si la ley ne fuit, mt! ro~ mt! inheritance sem. » La plupart des occur-
rences repérées par les auteurs britanniques se situem toutefois au rournam des xw et XVII" siecles.
De ce point de vue, il faudrait encore distinguer entre l'apparition du mot et celle du discours.
101. Cf supra note 5.
X'ien, Hõlder, 1885, p. 1 :« L 'his-
102. H. AHRENS, Cours de droit naturel ou de philosophie du droit, 6' éd., trad. de l'all., Leipzig,
d'apres la profonde mutation qu'a Brockhaus, 1868, t. 2, P,· 326, 329, 331, 350, 383 s, 387, 396. Là aussi, si le mot apparait en 1868,
AN, « Présencation », in id. (dir.), le discours français de l' Etat de droit ne date que de 1907.
1ve~ure : l'hon11eur perdu de !'E- 103. Sur la thématique de l' État de droit, de la Communauté de droit et du príncipe de la prééminence
u d1~cours de l'Etat de droit scelle du droit au niveau européen, cf. infra n" 304 ss.
e l'Etat.
104. Le fait de suivre fidelement les trais discours dans leurs parcours parfois sinueux et irréguliers
990 sur la dimension humaine de explique le caractere non systématique de narre exposé : il ne fait que refléter le cheminement de
ànnel!e, asmrant régularité et cohé- chague pensée nationale qui peut être décalée - à la fois dans le temps et sur le fond - d'un pays
,, mais bien la justice fondée mr la à l'autre. Ainsi naus intégrons tome problématique parriculiere, telle que par exemple la question
,onne lmmaine, et garantie par des de l'influence du droit internacional et européen, dans l'étude au fur et à mesure qu'elle est aspirée
produit in E. DECAUX, op. cit., dans le giron de l'un des trois discours. Or, le traitement à géométrie variable des trais concepts par
les doctrines nationales elles-mêmes - en l' espece le relati/ silence des auteurs allemands sur la
' respect de la personne hwnaine et dimension européenne du Rechtsstaat, par opposition à l'engouement des auteurs britanniques -
rt. 3 de la Déclararion de Copen- explique l'intégration de ces développements dans le rirre relatif à la mie oflaw, bien que cette solu-
produit ibid., p. 230). tion ne soit pas absolument satisfaisante d'un poinc de vue comparatif et systématique.
20 Introduction Introduction

Elle permet, en premier lieu, de fixer le point de départ de notre enquête mots som égal
généalogique : la référence au mot justifie que l'on se limite à la période de se développent
la modemité, qui a vu naí:tre ces trais termes, alars que le critere du concept cycle de vie sin
- selon la définition qu'on en retient -, aurait pu déboucher sur un cadre spa- raí:tre de façon
tio-temporel sensiblement différent 'º5• En second lieu, le critere du mot permet grandes lignes
de faire le trientre les auteurs qui ont employé le terme en question, et qui par dues de vue. L
conséquent seront étudiés ici, et ceux quine s'en servem point alars qu'on peut enjeux profon
légitimement considérer que l'idée, ou du moins une certaine idée de l'État de verses s' averer
\

droit, est présente dans leur ceuvre. Cela dit, la distinction entre mot et concept, fier la signific
entre signifiant et signifié, doit être manié avec bon sens caril ne s'agit pas là de naí:tre une do
deux mondes absolument étanches. Au contraire, il est parfois 'º'' intéressant deux "choses"
d'étudier un auteur nonobstant son silence gardé sur le mot recherché ou, jus- "réalité", la m
tement, à cause de ce silence qui est parlam sur le sens ou, plus souvent, le non- naturalistes et
sens de l'expression État de droit ou Rechtsstaat. une plus gran
Enfin, en troisieme lieu, l'attention portée aux poids'º' des mots, à leur statut peuvent renvc
et à leur rôle permet une lecture plus fine - à la fois en surface et en profondeur- in foro externe
des enjeux théoriques du droit et de l'État. À force de décortiquer et d'étiqueter désaccord, ce
les significations diverses et multiples qu'un même terme peut véhiculer au 22 Il faut dane s
cours de l'histoire, voire à un mamem donné, on saisit de plus pres - dans des les auteurs eu
détails et nuances parfois infimes, mais néanmoins significatifs - les glissements la pensée d'u
qui som en train de s'opérer. Le sens des mots n'est guere figé 108 , mais évolue au misses théori
fil de l'histoire, ce qui est pour les uns un signe d'enrichissement, pour les autres minologique
un facteur de polysémie et de confusions. 11 n'est point de concept aussi général Otto Brunm
qui soit à l'abri de cette incertitude, qui est du reste le garant desa souplesse et pliquer le te1
desa survie 10''. En même temps, l'ambigu"ité des mots laisse la porte ouverte à des tiques du Me
appropriations abusives, comme on a le verra sous le III' Reich. Évolutifs, les d'induire en
tion du pass
généalogie d
die Geschich
105. Tel serait notamment !e cas si l'on s'attachait à l'idée du gouvernement des !ois que déjà les quer la réali
an5=iens Grecs opposaient au gouvernement des hommes et dom les théories du Rechtsstaat, de
l'Etat de droit et de la rufe of law som, m11tatis m11tandis, les variantes modernes. II aurait alars encare com
fallu remanter jusqu'aux théories prémodernes. Sur les sources loimaines dans la philosophie médié- aux sources,
vale (saint Augustin, saim Thomas d' Aquin) et ,antique (Placon, Ari~tote, Cicéron, Tite-Live) de expose les o:
l'idée du Rechtsstaat, cf. A. PASSERIN D'ENTREVES, La notion de l'Etat, trad. J.R. Weiland, Paris,
Sirey, 1969, p. 85 ss; J. BRAND & H. HATTENHAUER (dir.), Der E11ropãische Rechtsstaat. 200 leu·
les siens -,
gnisse seiner Geschichte, op. cit.
106. Division du travai! oblige, la distinction moc-concept naus permet, sur !e plan pratique, de déli-
miter un cercain champ d'étude qui fera l'objet d'une étude qui se veuc exhaustive. Si, en revanche,
naus faisons des excursions en dehors de ce périmetre, naus ne prétendons pas à la systématicité. 110. Pour un
107. Le terme poids étam pris ici au sens figuré, mais aussi littéral. Car pour juger de l'importance KENFÔRDE
d'un terme au sein d'une reuvre et d'une période, il fauc cerces s'attacher à son rôle théorique, mais ztff H õhe des st
aussi à sa présence "numérique". D'ou l'imérêt de compter le nombre d'occurrences d'un terme et 111. O. BRUI
de différencier les apparitions selon leur emplacement (titre de l'ouvrage, intitulé d'un chapitre, risches Lexiko,.
corps du texte). 1997).
108. l.'idée que l'on puisse « calc11ler » avec les concepts, à !'instardes mathématiques, et qu'il n'y 112. Cf H. <.,
aurait dane aucune pare de subjectivité dans l'usage des notions - ainsi que !e soucenaiem les défen- tionnelle aller
seurs de la Begri/Jsj11rispmdenz, Gerber et Laband - est de nos jours largement battue en breche, ne Staates ais Vo
serait ce que parles travaux des linguistes. Sur !e« p11r calcul des concepts » (Gerber), cf O. JOUAN-
Staatstheorie 1,
JAN, « Science juridique et codification en Allemagne (1850-1900) », Droits, n" 27, 1998, p. 73 s.
Deutsche Verf,
109. R. KOSELLECK, « Einleitung », op. cit., p. xxn ss. 1992, p. 1 ss.
Introduction Jntroduction 21

nt de départ de notre enquête mots sont également fragiles: à l'image de la vie d'un être humain, ils naissent,
l'on se limite à la période de se développent, se déplacent, disparaissent, resurgissent et meurent. Rivée sur le
.lors que le critere du concept cycle de vie sinueux et aléatoire des mots, l'étude de la pensée juridique fait appa-
>U_ déboucher sur un cadre spa- rattre de façon encore plus éclatante la diversité des points de vue, sans que les
1 lieu, le critere du mot permet grandes lignes du débat - les éléments fédérateurs - ne soient pour autant per-
~ terme en question, et qui par dues de vue. L'étude des mots permet aussi et surtout de mieux appréhender les
servem point alors qu'on peut enjeux profonds des débats t~~oriques !es plus complexe~. Nombre d_e cont;~-
une certaine idée de l'État de verses s'averent a posteriori stenles du fa1t que les protagomstes ont om1s de ven-
;tinction entre mot et concept, fier la signification respective des mots utilisés par chacun d'eux. De là peut
>n sens caril ne s'agit pas là de naitre une double méprise, soit qu'ils utilisent le même terme pour désigner
~e, il est parfois IO/, intéressant deux "choses" différentes, soit qu'ils utilisent des termes différents pour dire, en
sur le mot recherché ou, jus- "réalité", la même "chose". On n'a qu'à penser à l'éternelle polémique entre jus-
sens ou, plus souvent, le non- naturalistes et positivistes sur le point de savoir si la loi injuste est une loi. Or,
une plus grande attention aux mots - en l'espece ceux de !oi et d'obligation, qui
poids 107 des mots, à leur statut peuvent renvoyer tantôt à une obligation in foro interno tantôt à une obligation
s en surface et en profondeur - in foro externo - permet de circonscrire plus clairement les points d' accord et de
ide décortiquer et d'étiqueter désaccord, ce qui laisse espérer d'un progres.
me terme peut véhiculer au 22 Il faut clone s'intéresser davantage aux mots, à commencer par ceux utilisés par
saisit de plus pres - dans des les auteurs eux-mêmes dont il s'agit de rapporter les idées. Pour saisir fidelement
significatifs - les glissements la pensée d'un auteur ou d'une école, il importe de la restituer, et dans ses pré-
t guere figé 108, mais évolue au misses théoriques 11 °, et dans ses choix sémantiques. Ce postulat de rigueur ter-
1richissement, pour les autres minologique a été énoncé de façon programmatique par l'historien autrichien
oint de concept aussi général Otto Brunner dans son ouvrage Land und Herrschaft de 1939, ou il refuse d'ap-
:e le garant desa souplesse et
pliquer le terme ditat, de Staat - propre à la modernité - aux régimes poli-
ts laisse la porte ouverte à des
tiques du Moyen Age qui l'ignorent. Anachronique, l'usage du mor Etat risque
s le III' Reich. Évolutifs, les d'induire en erreur tant le chercheur que son lecteur, en déformant leur percep-
tion du passé. Selon Brunner, qui est le fondateur d'une prestigieuse école de
généalogie des concepts (Begriffsgeschichte) dont le chef-d'ceuvre est l'encyclopé-
die Geschichtliche Grundbegriffe m, l'historien se doit d'appréhender et d'expli-
~ouvernement <les !ois que déjà Ies
Dnt les théories du Rechtsstaat de quer la réalité d'antan avec les mots de l'époque, pour peu que ceux-ci soient
variantes modernes. II aurait aÍors encore compréhensibles de nos jours 111 • En conséquence, par souci de fidélité
,incaii_ies dans la philosophie médié-
1, An~tote, Cicéron, Tite-Live) de
aux sources, et pour éviter les préjugés, au sens premier du terme, de celui qui
1 de l'Etat, trad. J.R. Weiland, Paris expose les ceuvres ou de celui qui les traduit - avec les mots qui sont justement
)er Europâ"ische Rechtsstaat. 200 Ze11'. les siens -, nous avons pris soin de lire les ouvrages originaux dans leur langue
ermet, sur le plan pratique, de déli-
:e v,eut exhaustive. Si, en revanche,
pretendons pas à la systématicité. 110. P<?_ur une illustration exemplaire de cette exigence méthodologique, cf E.-W. BÔC-
Ú. Car pour juger de l'imponance KENFORDE, Gesetz 11nd gesetzgebende Gewalt. Von den Anfãngen der deutschen Staatsrechtlehre bis
ittacher à son rôle théorique mais zur Hõhe des staatsrechtlichen Positivism11s, Berlin, Duncker & Humblot, 1958.
mbre d'occurrences d'un re:me et 111. O. BRUNNER, W. CONZE & R. KOSELLECK (dir.), Geschichtliche Gnmdbegri/fe. Histo-
l'ouvrage, intirulé d'un chapitre, risches Lexikon zttr politisch-sozialen Sprache in Deutschland, Stuttgan, Klett-Cotta, 8 tomes (1974-
1997) .
.r _de~ mathématiques, et qu'il n'y 112. Cf H. QUARJTSCH, « Otto Brunner ou !e tourn~!1t dans I'~_crirure de l'histoire constiru-
ams1 que le soutenaienc les défen- tionnelle allemande », Droits, 1995, pp. 145-162; E.-W. BOCKENFORDE, « Die Entstehung des
rs largemenc battue en breche, ne Staates ais Vorgang der Sakularisation », in id., Recht, Staat, Freiheit. Studien zur Rechtsphilosophie,
ncepts » (Gerber), cf. O. JOUAN- Staatstheorie tmd Veifassrmgsgeschichte, 2' éd., Frankfurt, Suhrkamp, 1992, p. 92; D. WILLOWEIT,
,0) », Droits, n" 27, 1998, p. 73 s. Deutsche Verfammgsgeschichte. Vom Frankenreich bis zur Teilrmg Deutschlands, 2" éd., München, Beck,
1992, p. 1 ss.
22 Introduction Introduction

originale, dont nous assurons nous-même, en príncipe, la traduction en français. seulement les ,i
Dans la mesure du possible - car sur ce sujet la littérature secondaire est des plus ral » 118 • Il n'est
vastes -, nous avons confronté et croisé notre propre regard avec ceux d'autres ne fait pas, en
lecteurs; le recours à la littérature secondaire s' est imposé surtout lorsqu'il s'agis- der ailleurs. L
sait d'éclairer un point controversé ou lorsque les sources originales étaient d'ac- rnle oflaw, for
ces difficile w. avancer la do,
réceme. De fa
2° Une approche comparative droit allemanc
comme !'a dic
23 Sur ce sujet, le comparatisme est à la fois indispensable et riche d'enseigne- la connaissanc
ments'". Ainsi qu'on l'a dit, l'objet même le commande, s'agissant d'un terme, 24 Quam à la ffié
celui d' État de droit, qui est né en Allemagne, et d'un concept, celui de la défi- tion. 11 s' agit
nition juridique de l'Etat, qui est le fruit d'une réflexion européenne depuis la tisme, pour u
philosophie des Lumieres jusqu'à la construction européenne de nos jours. Aussi lélisme. Souv,
nationale soit elle, la théorie du droit et de l'État est loin de fonctionner en vase méthode app
elos, dans une sorte d'autarcie; elle se meut, au comraire, dans un espace plus ments peuver
large défini par l'histoire et la géographie. Les imeractions, qu'elles soient posi- possible qu'u
tives ou négatives, ont ainsi joué un rôle crucial dans la cristallisation des trois banal qu'il se
concepts de Rechtsstaat, mie of law et État de droit. lnconstants, partíeis et par- fois théoriqu1
fois même partiaux, les emprums d'une théorie à l'autre, d'un pays à l'autre som trois termes t
néanmoins complexes et se soustraiem à toute lecture univoque. Si la compré- respective, à t
hension de ces liens subtils suppose qu'on les replace dans leurs contextes histo- tifique ont ét
riques particuliers, et partam dans leur traditions nationales, la construction de surtout dele
ponts par-delà les fromieres reste toutefois possible, en raison de la similitude des clone faire l' é
situations dans les trois pays ici retenus : à savoir l' Allemagne, l' Angleterre et la les trois expn
France. Même leurs divergences restem lisibles, puisqu'elles se détachent sur à notre conn
fond d'un héritage culturel commun, marqué par la philosophie de l'Antiquité, une telle recl
du Moyen Âge et, surtout, des Lumieres 11 5.
En ce sens, la comparaison, qui est selon Novalis, la« base de tottt savoir » "",
est révélatrice à la fois de l'idemité de l'autre et de soi-même 117 • Ainsi que l'a dit 118. É. PICAR
avec force Étienne Picard, « le droit comparé permet de mieux comprendre non pas 119. A.V. DICI
120. Cf F. G1\
(tmter Berücksic-
schen Staatsden!
113. Ce fut notamment le cas pour les écrits de Sir Edward Coke (1552-1634) et de Sir Matthew Hale Freiheit, trad. d,
(1609-1676). , (Angl., USA, 1'
114. Sur la méthode comparative, cf E. PICARD, « L'état du droit comparé en France en 1999 », Beitrag zur Rc
op. cit., pp. 152-165; P. LEGRAND, « Comparer », R!DC, 1996, pp. 279-318; L.-J. CONSTANTI- pp. 406-432 (A
NESCO, Tmité de droit comparé, t. II: La méthode comparative, Paris, LGDJ, 1974; R. SACCO, modernen Rec
Einfülmmg in die Rechtsvergleichung, trad. de l'ital., Baden-Baden, Nomes, 2001, p. 13 ss. Engel, 1979, p
pp. 65-70; R. l'
115. Ce disant, nous ne prétendons pas que seuls les objets comparables pourraient être comparés,
car, comme l'a dit de façon pertinente Rodolfo SACCO (op. cit., p. 28), celui qui nie tour intérêt menear z11111 G
scicntifique d'une comparaison d'objets dits incomparables, a en réalité déjà effcctué une telle com- USA); R.C. va
panison - au moins sommaire -, puisqu'il prétend que les différences seraient trop importantes
European Persp,
Rule of Law a,
par rapport aux similitudes. Or une comparaison vise à dégager à la fois les concordances et les diver-
W. WOLF(di,
gcnces, sans aucune préférence pour les unes ou les autres.
116. Cité par M. CAPPELLETTI, Le pouvoir des juges, trad. par R. David, préf. L. Favoreu, Paris,
Nacional and
HAVER (dir.
Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 1990, p. 218 note 7.
coll. UTB, l'i
117. Cf E.V. HEYEN, « Franzéisisches und englisches Verwaltungsrecht in der deutschen Rechts-
staats », Der S1,
vergleichung des 19. Jahrhunderts: Mohl, Stein, Gneist, Mayer, Hatschek »,}EV, 1996, p. 163.
Introduction Jntroduction 23

1cipe, la traduction en français. seulement les autres droits, mais bien son proprde droit, et m, êmef ~e droit en g~né-
térature secondaire est des plus ral » "". li n'est nul moyen de mieux compren re ce q;ie 1on a1t et ce que 1 on
apre regard avec ceux d'autres ne fait pas, en l'espece en se servant du discours de l'Etat de droit, que de regar-
Lmposé surtout lorsqu'il s'agis- der ailleurs. La richesse des théories allemande et anglaise du Rechtsstaat et de la
sources originales étaient d'ac- rufe oflaw, fortes d'une lon~ue tradition in;ell_ect~elle, ne p~ut
qu'insp_irer et faire
avancer la doctrine frança1se dont la theonsat10n de l Etat de drozt est assez
récente. De façon générale, la connaissance des chefs-d'reuvre de la théorie du
drait allemande et anglaise ouvrent de nouveaux horizons au débat français. Bref,
comme l'a dit Dicey, « ici, comme partout ailleurs, la comparaison est essentielle à
Jensable et riche d'enseigne- la connaissance » 11 "'.
mande, s'agissant d'un terme, 24 Quant à la méthode comparative, un point litigieux mérite plus ample clarifica-
l'un concept, celui de la défi- tion. li s'agit de l'éternel débat entre ceux qui optent, en matiere de compara-
flexion eurapéenne depuis la tisme, pour une méthode transversale et ceux qui privilégient un certain paral-
1rapéenne de nos jours. Aussi lélisme. Souvent décriée, la seconde apprache naus a pourtant semblé la seule
,t loin de fonctionner en vase méthode apprapriée pour répondre à notre interrogation. Trais séries d'argu-
mtraire, dans un espace plus ments peuvent être avancées à ce sujet. En premier lieu, il n'est de comparaison
ractions, qu'elles soient posi- possible qu'une fois que l'identité de chaque objet est reconnue et définie. Pour
ans la cristallisation des trais banal qu'il soit, ce présupposé pose, en l'espece, de redoutables difficultés à la
Inconstants, partiels et par- fois théoriques et pratiques. Sur le plan de la théorie, il se trauve que chacun des
mtre, d'un pays à l'autre sont trais termes fait, ou a fait, l'objet de polémiques au sein de la doctrine nationale
ure univoque. Si la compré- respective, à tel point que son existence ou son utilité en tant que concept scien-
:e dans leurs contextes histo- tifique ont été contestées à diverses reprises. La définition de leur contenu, et
ationales, la construction de surtout de leurs limites, est tout autant controversée. Le comparatiste ne peut
en raison de la similitude des clone faire l'économie d'une réflexion théorique préalable sur ce que recouvrent
Ulemagne, l' Angleterre et la les trais expressions État de droit, Rechtsstaat et rufe oflaw prises séparément. Or,
uisqu' elles se détachen t sur à notre connaissance, et sans vouloir nier la richesse de la littérature existante 110 ,
philosophie de l' Antiquité, une telle recherche juxtaposant l'histoire des trais termes, depuis leurs origines

, la « base de tout savoir » '"'


)i-même 117• Ainsi que l'a di;
r . 118. É. PICARD, « L'état du droit comparé ... », op. cit., p. 161.
e mzeux comprendre non pas 119. A.V. DICEY, lntrod11ction to the St11dy ofthe Law of the Constittttion, op. cit., p. 122.
120. Cf F. GARZONI, Die Rechtsstaatsidee im schweizerischen Staatsdenken des 19. Jahrh11nderts
{tmter Berricksichtig11ng der Entwicklung im englischen, nordamerikanischen, franzõsischen ttnd dellt-
schen Staatsdenken}, Zürich, Polygraphischer Verlag, 1952; F. A. von HAYEK, Die Verfassrmg der
1552-1634) et de Sir Matthew Hale Freiheit, trad. de l'angl. (The Constitution of Liberty, 1960), Tübingen, Mohr, 1971, chap. XI-XIII
(Angl., USA, Ali. Fr.); A. BLECKMANN, « Der Rechtsstaat in vergleichender Sicht. Zugleich ein
oit com paré en F rance en 1999 » Beitrag zur Rechtsquellenlehre des Europaischen Gemeinschaftsrechts », GYJL, vol. 20, 1977,
pp. 279-318; L.-J. CONSTANTr'. pp. 406-432 (All., Fr. Angl., USA, Bénélux, CEE, CEDH); A. BARATTA, « Zur Emwicklung des
Paris, LGDJ, 1974; R. SACCO, modernen Rechtsstaatsbegriffs », in Liber Amicomm frir B.C.H. A11bin zttm 65. Gebttrtstag, Kehl,
Nomos, 2001, p. 13 ss. Engel, 1979, PJJ· 1-14; N. MacCORMICK, « Der Rechtsstaat und die rule of law », JZ, 1984,
arables pour:'1iem être comparés, pp. 65-70; R. BÃUMLIN & H. RIDDER, « Art. 20 Abs. 1-3 III: Rechtsstaat », in Alternativ-Kom-
p. 28), celm qui nie tout imérêt mentar wm Gmndgesetz frir die BRD, 2' éd., Luchterhand, t. 1, 1989, pp. 1340 ss (Ali., Angl., Fr.,
éalité déjà effectué une telle com- USA); R.C. van CAENEGEM, « The Rechtsstaat in Historical Perspective », in id., Legal History: A
:re~ces seraiem trop importantes European Perspective, London, Hambledon, 1991, pp. 185-199 (AI!., Fr., Angl.); J.-Y. MORIN,« The
fois les concordances et les di ver- Rule of Law and the Rechtsstaat Concept : a Comparison », in E. McWHINNEY, J. ZASLOVE &
W. WOLF (dir.), Federalism-in-the-Making. Comemporary Canadian and German Comtit11tionalism,
l. David, préf. L. Favoreu, Paris, National and Transnational, Dordrecht, Kluwer, 1992, pp. 60-86; J. BRAND & H. HATTEN-
HAUER (dir.), Der Ettropãische Rechtsstaat. 200 Zettgnisse seiner Geschichte, Heidelberg, Müller,
gsrecht in der deutschen Rechts- coll. UTB, 1994; H. HOFMANN, « Geschichtlichkeit und Universalitatsanspruch des Rechts-
atschek »,]EV, 1996, p. 163. staats », DerStaat, 1995, pp. 1-32; R. HOFMANN,J. MARKO, F. MERLI & E. WIEDERIN (dir.),
24 Introduction Introduction

jusqu'à nos jours, n'a pas encore été effectuée, du moins pas dans l'optique ici à mesure de ]' a
retenue. gence entre les
Une telle identification se doit nécessairement - etc' est là le deuxieme argu- trois pays, étud
ment - de s'inscrire dans l'histoire. La méthode transversale, ou synchronique, de creuser de p 1
a l'inconvénient de réduire l'angle d'attaque - puisqu'elle suppose que l'on se faisant continu
situe à un moment historique précis pour confronter plusieurs objets - et de du droit compa
faire éclater l'unité de chaque pensée nationale dans !e temps. L'aspect diachro- miere partie, ir
nique de la problématique, qui s' étend sur deux siecles pour ce qui est de l' Alle- de la transposit
magne et de la France, voire quatre pour l' Angleterre, est des lors perdu de vue. négative, verdi
Or, le recours à l'histoire est essentiel : le sens d'un mot ne se laisse appréhender justement amo
qu'à travers son histoire et les particularismes de chaque concept national ne se rique caché s01
laissent saisir qu'à l'aune de son contexte spécifique.
Faudrait-il alors prévoir un chapitre final, synthétique, qui viendrait couronner 3º Une appro,
les trois piliers que sont l'histoire du Rechtsstaat, de la rufe of faw et de l'État de
droit, afin d'en tirer les conclusions générales, d'ordre comparatif? Si une telle 25 L'étude des trc
approche est tout à fait valable et même souhaitable dans l'optique du ius publi- de droit a un o
cum europaeum, elle ne correspond cependant pas tout à fait à l'interrogation qui la pensée juric
est la nôtre. li y a en effet deux façons - somme toute complémentaires, mais un tel travail 1
néanmoins distinctes - de lire la suite de ces trois expressions État de droit, juridique sur l
Rechtsstaat, rufe of faw et, partam, de concevoir le su jet. Une premiere lecture, ver- un regard cri t
ticale, serait celle qui tenterait, à partir de ces trois concepts, de dégager ce qui en France. L'opti
fait l'unité (dans la diversité) et de construire ainsi un nouveau concept, suprana- évoquant l'Ét
tional, en vue notamment - mais pas seulement - de contribuer à la théorie des devrait faire a
sources du droit européen 121 • Dans ce cas de figure, le droit comparé a une fonc- droit. Compt1
tion cognitive externe ou supranationale. L' autre optique, qui est la nôtre, consiste droit, du Rech
à lire les trois termes de façon horizontale ou successive : le premier terme, qui est outils méthoc
aussi le point de départ de notre réflexion -1' État de droit- appelle aussitôt son vivam, qui ne
alter ego, le Rechsstaat qui en est à l' origine; tous les deux appellent à leur tour le sélection entr,
troisieme, la rufe of faw, qui, de par sa structure sémantique, s'en distingue radi- - une façon
calement; une fois les deux concepts étrangers analysés, l' étude revient à son point tique-, et les
de départ, i.e. le discours français de l'État de droit, afin d'en scruter - à la lumiere ment dit des <
des leçons étrangeres - le contenu, les fonctions et la validité. Dans ce schéma, le Il faut don1
droit comparé a une fonction cognitive principalement interne : il favorise, en simple discot
réaction - au retour de ce long voyage à l' étranger -, une plus grande intelligence égard 125 • Un (
du droit nacional 122 • Cela dit, cette démarche met également en exergue, au fur et logique : sa si
lieu, un conci
soit pas redor
Rechtsstaat!ichkeit in Europa, op. cit.; K.-P. SOMMERMANN,« Art. 20 », in H. von MANGOLDT, príncipe épist
F. KLEIN, C. STARCK (dir.), Das Bonner Grun,dgesetz. Kommentar, 4 éd., München, Vahlen, t. II,
2000, pp. l 12-118; R. GROTE, « Rule of Law, Etat de droir and Rechtsstaat - The Origins of the
Different National Traditions and rhe Prospects for their Convergence in the Lighr of recem Consri-
rurional Developments », in C. STARCK (dir.), Constit11tionalism, Universalism and Democracy -
A ,Compara tive Analysis, Baden-Baden, Nomos, 1999; C. GREWE, « Réflexions compararives sur 123. G. VEDEI
l'Etat de droir », in J. RIDEAU (dir.), De la Communautédedroit ... , op. cit., pp. 11-22. aureurs français
121. Le sous-tirre de l'article d' Albert Bleckmann (« Der Rechrsstaar in vergleichender Sichr. Voir P. CUCHF
Zugleich ein Beitrag zur Rechrsquellenlehre des Europaischen Gemeinschaftsrechts ») esr sur ce de Malberg, Pari
poinr éloquent. , 124. G. VEDEI
122. Sur cerre foncrion du droit comparé, cf E. PICARD, op. cit., p. 161 ss. 125. Voir aussi
lntroduction Jntroduction 25

u moins pas dans l' optique ici à mesure de l'avancement de la recherche, les points de convergence et de diver-
gence entre, les trois ?1odeles. Quant au cou~onnement de c_es trois ét_ude~- su~ l~s
- et e' est là le deuxieme argu- trois pays, etudes qm ne sont pas tant paralleles que success1ves - pmsqu il s ag1t
:ransversale, ou synchronique, de creuser de plus en plus la problématique soulevée par le terme Etat de droit, en
uisqu'elle suppose que l'on se faisant continuellement des mises en perspectives -;, il est de l'ordre non pas tant
>nter plusieurs objets - et de du droit comparé que de la théorie du droit et de l'Etat. Arrivé au terme de la pre-
ns le temps. L'aspect diachro- miere partie, intitulée Du Rechtsstaat à l'État de droit?, la question du bien-fondé
ecles pour ce qui est de l'Alle- de la transposition en France du terme allemand de Rechtsstaat reçoit une réponse
ne, est des lors perdu de vue. négative, verdict qui appelle aussitôt ~n travai! ,de reconstr~~tion, le~uel s:ra
1mot ne se laisse appréhender justement amorcé dans la seconde part!e. Apr,ara1t alors le ventable ,enieu theo-
haque concept national ne se rique caché sous la formule pléonastique de l'Etat de droit, à savoir l'Etat.
1e.
tique, qui viendrait couronner
3º Une approche critique
e la rufe of faw et de l'État de
rdre comparatif? Si une telle
25 L' étude des trois modeles classiques que sont le Rechtsstaat, la rufe of faw et l' État
.e dans l'optique du ius pubfi-
de droit a un objectif qui dépasse l'horizon d'une simple histoire comparative de
JUt à fait à l 'interrogation qui
la pensée juridique. Si, dans un premier temps, il est nécessaire et ~tile de fai~e
toute complémentaires mais
. . , ' un tel travai! d'archéologie, qui permet d'esquisser une cartograph1e du sav01r
1
1s express1ons Etat de droit
juridique sur l'État en Europe, il importe, néanmoins d'aller plus loi~ en portam
et. Une premiere lecture, ver~
un regard critique sur le discours de I'Etat de droit, et ce particuherement en
Jncepts, de dégager ce qui en France. L'optique est clone double: apres avoir défini ce que fait la doctrine en
n nouveau concept, suprana- évoquant I'État de droit, iI importe également de s'interroger sur ce qu'elle
le contribuer à la théorie des devrait faire au regard d'une certaine métathéorie du droit et de la scie.qce du
le droit comparé a une fonc- droit. Compte tenu des doutes récurrents sur la validité du discours de l'Etat de
que, qui est la nôtre, consiste droit, du Rechtsstaat et de la rule of law, Ie juriste se doit de s'interroger sur ses
ve : le premier terme, qui est outils méthodologiques et sur sa terminologie : face à la richesse du langage
'droit - appelle aussitôt son
vivam, quine cesse de forger de nouvelles formules, il lui appartient de faire une
:leux appellent à leur tour le
sélection entre les mots quine sont qu'une « maniere commode de s'exprimer » 12'
antique, s' en distingue radi-
- une façon de parler peu exacte, souvent inspirée du langage dit journalis-
s, l'étude revient à son point
tique -, et les termes qui sont de« véritabfe[s] expression[s]juridique[s] » w, autre-
1 d'en scruter-à la lumiere
ment dit des concepts scientifiques.
validité. Dans ce schéma le
II faut clone définir ce qui fait la scientificité d'un concept par opposition à un
1ent interne : il favorise, 'en
simple discours ou une rhétorique. Trois criteres peuvent être avancés à cet
une plus grande intelligence égard 125 • Un concept doit, en premier lieu, faire preuve d'une certaine cohérence
ement en exergue, au fur et logique : sa signification ne doit pas être contradictoire en elle-même. En second
lieu, un concept ne doit pas être vide : il faut qu'il ait un contenu propre, quine
soit pas redondant par rapport à un autre concept. De là découle notamment le
t. 20 », in H. von MANGOLDT
tr, 4 éd., München, Vahlen, r. rr: príncipe épistémologique d'économie: celui-ci postule que l'on explique un maxi-
techrssraar - The Origins of rhe
nce in the Lighr of recenr Consri-
, Universalism and Democracy -
E, « Réflexions compararives sur 123. G. VEDEL, Manuel élément,1ire de droit constiwtionnel, Paris, Sirey, 1949, p. ·116. L'un des
.. , op. cit., pp. 11-22. aureurs français qui a le plus insisté sur la rigueur terminologique est Raymond Carré de Malberg .
1tssraar in vergleichender Sichr. Voir P. CUCHE, « À propos du "posirivisme juridique" de Carré de Malberg », in Mélanges R. Ctrré
emeinschaftsrechrs ») est sur ce de Malberg, Paris, Sirey, 1933, pp. 73-79.
124. G. VEDEL, op. cit., p. 116.
p. 161 ss.
125. Voir aussi les criteres de K. SOBOTA, op. cit., p. 417 ss.
26 lntroduction lntroduction

mum de données empiriques avec un minimum d'éléments théoriques "". Par doit-on, en t
conséquent, on ne doit introduire un nouveau concept qu'à condition d'en avoir écrits des ju1
vérifié préalablement le caractere novateur par rapport à l'armature conceptuelle l'État)? Faut
existante. Le troisieme critere est le plus complexe et le plus controversé, car il a scientifique?
trair à la définition du rôle de la science. On sait qu'en vertu d'une certaine sa nature int
conception de la science, qui s'inspire du modele des sciences empiriques, les Mais que! dr
positivistes réduisent le rôle du juriste à une description, sur un ton supposé discours de
neutre, du droit positif tel qu'il est 127 • La scientificité d'un concept est clone condi- répondre. D
tionnée par sa nature descriptive. À l'opposé, l'école jusnaturaliste, sous ses est d'un inte
diverses formes, admet une définition plus large du rôle de la science ou de la doe- toyage de las,
trine du droit, en intégrant une dimension prescriptive ou normative 12'. Les deux la premiere ·
positions paraissent ainsi diamétralement opposées. Ce constar doit néanmoins d'une gangn
être relativisé, à la fois d'un point de vue historique et théorique. Ainsi qu'on le s' attelle à la
verra, rares som les positivistes dans le passé à avoir respecté la pureté de leur pertinents. ~
méthode. En outre, on peut douter de la possibilité même en droit d'adopter une déployée ici
méthode strictement descriptive, inspirée des sciences empiriques 129 • À partir de!
26 Si l' on applique ces trois cri teres au cas de l' État de droit, on s' aperçoit que le partie, il est
terme n' en satisfait aucun. Le discours de l' État de droit se fourvoie, tout d' abord, rique et trar
dans des apories en ce qui concerne le lien postulé entre le droit et le juge, plus solides
en identifiant les deux. Quant au deuxieme critere, la célebre critique de Kelsen la définitioi,
- étayée parles démonstrations d'autres auteurs qui sont soit jusnaturalistes soit ne peut s'ag
positivistes 130 - a mis en évidence le caractere pléonastique du terme. Ce dernier miere parti,
n'est qu'une coquille vide qui renvoie, en "réalité", au concept juridique de les deux im
l' État. Enfin, pour ce qui est du troisieme critere, nombre de théories de l'État trois discou
de droit contiennent des éléments jusnaturalistes dont l'importance varie selon tion du fon
les auteurs et les époques. De ces critiques fondamentales, surtout de la seconde, une démoc1
découle logiquement la réfutation du terme d'État de droit: l'État, au sens juri-
dique, est par définition un État de droit, quelle que soit la définition positiviste
ou jusnaturaliste du droit que l'on stipule. Bref, exit l'État de droit ... init l'État!
27 Car si !e terme encombrant d'État de droit, né d'une malencontreuse traduction
littérale, est ainsi évacué - du moins pour ce qui est du droit français -, le pro- Partie I -
bleme sous-jacent, celui de la définition juridique de l'État, reste entier. Que concepts
Partie II -
de l'État
126. G. TIMSIT, Les fig11res d11 j11gement, Paris, PUF, 1993, p. 99 note 1. ,
127. Cf M. TROPER, « Le positivisme juridique », in id., Po11r une théorie j11ridiq11e de /'Etat, Paris,
PUF, 1994, pp. 27-44.
128. Cette dualité méthodologique est clairement énoncée par A. VERDROSS, Abendl<indische
Rechtsphilosophie. IIJTe Gmndlagen ,md Ha11ptprobleme in geschichtlicher Scha11, Wien, Springer, 1958,
p. 254 : « Un défenseur d11 droit nalllre/ se doit même de chercher d'abord à cormaitre (erkennen) /e droit
positifen tant qtte te/, c,,r il ne peut procéder à 11ne é-v,IÍ11atio11 j11s1Mttmi/iste (Bewerttmg} eles nonnes effec·
tives qu 'apres avoir constaté au préalable le11r existence et déterminé le11r contenu. En ejfet, chaque é-va-
luation doit être précédée de /,1 connéssance de l'objet à é-va/11er (da jeder Bewerttmg eine Erkenntnis des
211 bewertenden Gegenstandes vora11sgehen 11111SS). »
129. Comme on le verra, il existe un hiatus entre la méthode empirique du positivisme, orientée
vers un Sein, et l'objet de son érude, le droit, qui est un Sollen.
130. La liste est assez impressionnante: Rotteck, Blumschli, Ahrens, Jellinek, Kelsen, Wertenbruch,
Duguit, Carré de Malberg, M. Troper, etc.
lntroduction Jntroduction 27

d'éléments théoriques '2". Par doit-on, en effet, penser des éléments cryproju~naturalistes détectés dans les
.cept qu'à condition d'en avoir écrits des juristes qui tentem de concevoir un Etat de droit (clone, en réalité,
port à l'armature conceptuelle l'État}? Faut-il les réfuter radicalement comme étant étrangers à une démarche
i et le plus conrroversé, car il a scientifique? Or quelle science et quel droit? N' est-ce pas l' objet même du droit,
ir qu'en vertu d'une certaine sa nature intrinseque de Sollen, qui commande la présence du droit naturel?
~ des sciences empiriques, les Mais quel droit naturel? Voilà autant de questions théoriques soulevées par le
cription, sur un ton supposé discours de l' État de droit, dans ses diverses variantes, auxquelles il faudra
~'d' un concept est clone condi- répondre. De même, la question du rôle du juge, mis en avant par ce discours,
école jusnaturaliste, sous ses est d'un intérêt crucial à la fois sur le plan théorique et dogmatique. Le « net-
rôle de la science ou de la doe- toyage de la situation verba/e» (Bentham} auquel nous avons procédé au terme de
tive ou normative 12'. Les deux la premiere partie, implique nécessairement - une fois que le débat est dégagé
,. Ce constar doit néanmoins d'une gangrene sémantique qui en obscurcissait la véritable nature -, que l' on
~ et théorique. Ainsi qu'on le s'attelle à la vraie question, celle justement qui est formulée dans des termes plus
)ir respecté la pureté de leur pertinents. Si la premiere partie se clôt ainsi sur une note négative, la critique
même en droit d'adopter une déployée ici serait trop facile si elle n'était pas suivie d'une démarche positive.
:es empiriques ,,,_ À partir des matériaux extrêmement riches recueillis au cours de la premiere
le droit, on s' aperçoit que le partie, il est en effet possible d'esquisser une nouvelle réflexion, à la fois rhéo-
-oit se fourvoie, tour d'abord rique et transversale, visant à reconstruire - surdes fondations que l'on espere
ilé entre le droit et le juge: plus solides - ce qui constiJue la trame générale de cerre vaste fresque, à savoir
la célebre critique de Kelsen la définition juridique de l'Etat. 11 va de soi, au vu de l'étendue du chantier, qu'il
i som soit jusnaturalistes soit ne peut s'agir là que d'une simple contribution. Mais, celle-ci s'appuie sur la pre-
astique du terme. Ce dernier miere partie dont elle est l'achevement logique, en ce qu'elle reprend justement
:", au concept juridique de les deux interrogations fondamentales qui ont inspiré et guidé notre lecture des
1ombre de théories de l'État trois discours de l'État de droit, du Rechtsstaat et de la rufe oflaw, à savoir la ques-
mt l'importance varie selon tion du fondement juridique de l'État et celle du rôle du droit et du juge dans
ttales, surtout de la seconde une démocratie.
le droit: l'État, au sens juri~
soif la définirion positiviste
l'Etat de droit ... init l'État!
malencontreuse traduction
du d~oit français -, le pro- Partie I - Du Rechtsstaat à l'État de droit? Archéologie des mots et des
:le l'Etat, reste entier. Que concepts
Partie II - L'État, le droit et le juge. Contribution à une théorie juridique
de l'État
ote 1.
1e théorie j11ridiq11e de l'État, Paris,

A. VERDROSS, Abendlãndische
d1er !cha11, ;X'ien, Springer, 1958,
•ord a conna!lre (erkennen} !e droit
aliste (Bewertzmg) des nonnes effec-
'eur contem,. En ejfet, chaq11e éva-
ler Bewerttmg eine Erkenntnis des

pirique du positivisme, orientée

s, Jellinek, Kelsen, Wercenbruch,


ARCHJ

28 Le sens d'un 1
I I
vers sa genea
mots et lese
aboutissemer
que ce voyagt
là que le néol
dans le mom
venu de s'em
que de s'ins1
confirmer le:
la pensée juri
la pensée co1
qu'à rentrer ,

Titre 1. À 1
Titre 2. D,
anglais
Titre 3. L'l

1. Par conséqu
exemple, C. C
p. 22 ss (la mie
nent au regard
individuelle au
naires américa1
sais ir !' apport ,
Partie I
' DV ,RECHTSSTAAT
A L'ETAT DE DROIT?
,
ARCHEOLOGIE DES MOTS ET DES CONCEPTS

28 Le sens d'un mot, et en particulier celui d' État de droit, ne se laisse fixer qu'à tra-
vers sa généalogie. Un tel travai! d'archéologie, qui doit porter à la fois sur les
mots et les concepts, s'avere indispensable si l'on veut en saisir la logique, les
aboutissements et les failles. Si l' on prend comme fil conducteur le mot, il est clair
que ce voyage dans le temps et dans !'espace doit commencer en Allemagne: c'est
là que le néologisme Rechtsstaat a été forgé en 1798 et c'est de là qu'il a été exporté
dans le monde entier. Une fois l'étude du cas allemand terminée, le moment est
venu de s'embarquer vers les 'lles britanniques. Quoi de plus stimulant, en effet,
que de s'inspirer des "bizarreries" des théories britanniques pour infirmer ou
confirmer les doures nourris de l'histoire du Rechtsstaat? Les particularismes de
la pensée juridique anglaise permettront de mieux saisir le sens ou le non-sens de
la pensée continentale sur l'État de droit et le Rechtsstaat. Des lors, il n'est plus
qu'à rentrer en France pour passer au crible le discours actuel de l'État de droit 1.

Titre 1. À la recherche du sens d'un néologisme : le Rechtsstaat


Titre 2. De la Rule of Law ou les particularismes de l'esprit juridique
anglais
Titre 3. L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal

1. Par conséquent, nous ne suivons pas l'ordre de présemation chronologique que retiennent, par
exemple, C. GREWE & H. RUIZ-FABRI, Droits consliwtionnels européens, Paris, PUF, 1995,
p. 22 ss (la mie oflaw, les príncipes de 1789 et, enfin, le Rechtsstaat). Si ce ordre est tout à fait perti-
nem au regard des concepts, puisque les Anglais som les premiers à concepmaliser l'idée de la liberté
individuelle au cours du XVII" siecle avam qu'elle ne soit reprise et développée parles révolurion-
naires américains et français, puis parles libéraux allemands du XIXº siecle, il n'est d'aucune aide pour
saisir l'apport spécifique du mot allemand de Rechtsstaat.
D'U]_\

29 L'histoire di.:
savoir sc1ent·
crit dans la

2. Ph.KUNIG
BRD, Tübinge1
3. Cf R. von fl
p. 227 ss; L. Gl
brück, Zeller,
schaft »,fõR, vc
& Humblot, 1~
in Gesammelte
staat oder Dikc
staatsidee im sd
im englischen, 11
Verlag, 1952, p.
inE. vonCAE
rigen Bestehen
E.-W. BÕCKJ-:
Staat, Freiheit,
Freiheit, trad.
P. OERTZEN
tiber die Entste!
Suhrkamp, 1'
Rechtsstaats »,
pp. 13-81; A. 1
mmftirB.C.h
Deutschen 1md
Rechtsstaat »,
suchung zwn l
l'angl., Frankf
staates. Vom 1-,
staat », in R. 1
col. 2805-28H
7° éd., Freibur
Handwõrterb,
l
l
1
r
f
J
j

í
l
i
! Titre 1
i
1
1 À LA RECHERCHE DU SENS
i I
i D'UN NEOLOGISME : LE RECHTSSTAAT

29 L'histoire du Rechtsstaat n'est plus à écrire" : elle fait de nos jours l'objet d'un
savoir scientifique consolidé '. II s'agit là d'un phénomene assez récent qui s'ins-
crit dans la tradition intellectuelle de la Begri.ffsgeschichte pour laquelle l' Alle-

2. Ph. KUNIG, Das Rechtsstaatsprinzip. Úberlegungen 211 seiner Bedeutzmgfiir das Verfass11ngsrecht der
BRD, Tübingen, Mohr, 1986, p. 21.
3. Cf R. von MOHL, Geschichte zmd Literatur der Staatswissenschafien, Tübingen, Enke, t. l, 1855,
p. 227 ss; L. GUMPLOWICZ, Rechtsstaat zmd Socialismus, réimpr. de la l" éd. de 1881 (Wien), Osna-
brück, Zeller, 1964, pp. 134-263; R. THOMA, « Rechtsstaatsidee und Verwaltungsrechcswissen-
schaft »,fõR, vol. 10, 1910, pp. 196-218; C. SCHMITT, Verfassungslehre (1928), 8' éd., Berlin, Duncker
& Humblot, 1993, § 12, p. 125 ss; H. HELLER, « Der Begriff des Gesetzes in der Reichsverfassung »,
in GesammelteSchrifien, 2' éd., Tübingen, Mohr, 1992, t. 2, spéc. pp. 208 ss et p. 223 ss; id. « Rechts-
staat oder Diktatur? » (1929), in GesammelteSchrifien, t. 2, pp. 445-462; E GARZONI, Die Rechts·
staatsidee im sch-weizerischen Staatsdenken des 19. Jahrhzmderts {ttnter Beriicksichtigung der Entwicklung
im englischen, nordamerikanischen,franzõsischen zmd deutschen Staatsdenken), Zürich, Polygraphischer
Verlag, 1952, p. 74-93; U. SCHEUNER, « Die neuere Encwicklung des Rechtsstaats in Deucschland »,
in E. von CAEMMERER et alii (dir.), Hundert ]abre deutsches Rechtsleben. Festschrifi zttm Hzmdertjãh-
rigen Be~_tehen des qeutschen ]11ristentages 1860-1960, Karlsruhe, Müller, 1960, t. 2, pp. 229-262;
E.-W. BOCKENFORDE, « Enstehung und Wandel des Rechtsstaatsbegriff » (1969), in id., Recht,
Staat, Freiheit, 2' éd., Frankfurt, Suhrkamp, 1992, p. 143-169; F.A. von HAYEK, Die Verfassung der
Freiheit, trad. de l'angl. (The Constittttion of Liberty, 1960), Tübingen, Mohr, 1971, chap. XIII;
P. OERTZEN, Die soziale Funktion des staatsrechtlichen Positivism11s. Eine wissenssoziologische Studie
iiber die Entstehzmg des fonnalistischen Positivismus in der deutschen Staatsrechtswissenschafi, Frankfurt,
Suhrkamp, 1974; 1. MAUS, « Entwicklung und Funktionswandel der Theorie des bürgerlichen
Rechtsstaats », in M. TOHIDIPUR (dir.), Der bzirgerliche Rechtsstaat, Frankfurt, Suhrkamp, 1978, e. 1,
pp. 13-81; A. BARATTA, « Zur Entwicklung des modernen Rechcsstaatsbegriffs », in Liber Amico-
rnm fiir B.C.H. Aubin z11m 65. Gebttrtstag, Kehl, N.P. Engel, 1979, pp. 1-14; K. MICHAELIS, Die
Deutschen und ihr Rechtsstaat, Berlin, De Gruyter, 1980; \Y/. von SIMSON, « Die Deutschen und ihr
Rechtsstaat », Der Staat, 1982, pp. 97-112; F.L NEUMANN, Die Herschafi des Gesetzes. Eine Unter-
suchung zttm Verhãltnis von politischer Theorie zmd Rechtssystem in der Konkurrenzgesellschafi, crad. de
l'angl., Frankfurt, Suhrkamp, 1984; U. KARPEN, Die geschichtliche Entwicklzmg des liberalen Rechts-
staates. Vom Vonnãrz bis zum Grundgesetz, Mainz, Hase & Koehler, 1985; R. BAUMLIN, « Rechts-
staat •, in R. HERZOG et alii (dir.), Evangelisches Staatslexikon, 3' éd., Stuttgan, Krenz, 1987, t. 2,
col. 2805-2818; A. ALBRECHT, « Rechtsstaat », Staatslexikon. Recht - \Virtschafi - Gesellschafi,
7' éd., Freiburg, Herder, t. 4, 1988, col. 737-747; M. STOLLEIS, • Rechtsstaat », in A. ERLER (dir.),
Handwõrterbuch wr deutschen Rechtsgeschichte, Berlin, t. IV, 1990, col. 367-375; E.-W. BÔC-

l
32 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat À la recherche d

magne est réputée'. L'ascension fulgurante du concept de Rechtsstaat au sein de droit, en ce qu'
l'ordre constitutionnel établi par la Loi fondamentale a entraíné dans son sillage la renaissance d
un intérêt croissant pour ses origines historiques. Poursuivant le travai! d'exhu- jours. La vague
mation déjà amorcé sous Weimar, la doctrine a renoué les liens, interrompus par relle méthodol
le IDºReich, avec la tradition libérale du Vormarz'. Dans ce champ historiogra- sous le III' Reic
phique, on notera toutefois deux zones d'ombre, dont ]'une est en vaie d'être seque entre le ,
quadrillée alars que l'autre reste relativement délaissée. La premiere a trait au analogies avec
débat sur !e Rechtsstaat au sein de la doctrine juridique nazie", la seconde, qui continuité - n
retiendra toute notre attention ici, est relative à la fragilité du mot. de vue de la m
30 L'histoire du Rechtsstaat se décline entrais étapes 7 • La premiere étape, qui va de départ à zéro e
la fin du XVIII" siecle jusqu'au milieu du XIX", s'incarne dans la figure embléma- phénomene de
tique du philosophe de Konigsberg, lmmanuel Kant. II s'agit de l'âge d'or du d'aléatoire. Poi
Rechtsstaat ou· regne la théorie moderne du droit naturel. La seconde période, peuple en 191(
qui pour certains annonce son déclin, est inaugurée par la célebre définition de allai t de pair a,
Friedrich Julius Stahl ~ui semble vouloir réduire !e Rechtsstaat au simple respect du lien entre d
de la légalité formelle. A ce moment apparaít aussi progressivement l'école posi- nouvelle ere et
tiviste fondée par Carl Friedrich von Gerber et Paul Laband. Cette période cru- dique. II est t<
ciale, assez complexe, car sous la banniere de la forme se succedent en réalité notamment er
deux conceptions épistémologiques différentes du Rechtsstaat, prend fin non pas ]' échec de la R
en 1949, comme on !'estime souvent", mais en 1919. du Rechtsstaat,
La date de 1949 est contestable à deux points de vue. En premier lieu, elle 1919.
est décalée par rapport aux cycles de la méthodologie juridique. La these de
Radbruch, selon leque! l'année 1945 constitue une césure nette dans ]'histoire du Chapitre 1. l
Chapitre 2. I
Chapitre 3.
KENFÔRDE, « Rechrssstaat ", in J. RITTER & K. GRÜNDER (dir.), Historisches Wõrterb11ch der depuis 1949)
Philosophie, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, t. 8, 1992, p. 331-342; J. BRAND &
H. HATTENHAUER, Der E11ropãische Rechtsstaat. 200 Zeugnisse seiner Geschichte, Heidelberg, Mül-
ler, 1994; H. HOFMANN, « Geschichtlichkeit und Universalitatsanspruch des Rechtsstaats ", Der
Staat, 1995, pp. 1-32; K. SOBOfA, Das Prinzip Rechtsstaat. Verfasszmgs- zmd verwa,ltungsrechtliche
Aspekte, Tübingen, Mohr, 1997, pp. 263-396. En français: H. MOHNHAUPT, « L'Etat de droit en
Allemagne. Histoire, notion, fonctiçm ", CPP], n" 24, 1993, p. 71-91; C.M. HERRERA, « Quelques
remarques à propos de la notion d'Etat de droit ", L 'Homme et la société, 1994, pp. 89-103; J. HUM-
MEL, Le constit11tionnalisme allemand {1815-1918): Le modele allemand de l,i monarchie limitée, these
Paris II, 1998, pp. 209-235. Voir surtout les diverses comributions in O. JOUANJAN (dir.), Figures de
l'Etat de droit. Le Rechtsstaat dans l'histoire intellect11elle et constit1ttionnelle de l'Allemagne, Strasbourg,
PU Strasbourg, 2001, dom notamment la substamielle « Présentation,, d'Olivier Jouanjan (pp. 7-52).
4. Voir la tres riche encyclopédie Geschichtliche Grzmdbegriffe éditée par O. BRUNNER,
W. CONZE & R. KOSELECK. Sur l'histoire de la pensée juridique allemande, ef. l'ouvrage magis-
tral de M. STOLLEIS, Geschichte des õjfentlichen Rechts in Deutschland, München, Beck, t. 1 (1600-
1800), 1988, t. 2 (1800-1914), 1992, t. 3 (1914-1945), 1999. Voir aussi D. WYDUCKEL, lus Publirnm.
Grundlagen zmd Ent-wick/11ng des õ/Jentlichen Rechts zmd der de11tschen St,wtsrechts-wissenschaft, Berlin,
Duncker & Humblot, 1984; M. FRIEDRICH, Geschichte der de11tschen Sta,,t;rechts-wissenschaft,
Berlin, Duncker & Humblot, 1997.
5. Le Vormãrz comprend la période historique précédam la révolution de 1848, autremem dit coute 9. Pour rout ce q
la premiere moitié du x1x· siecle. 1O. Des auteurs
6. Cf infra n" 536 note 44. constitutionnelk
7. Le premier à énoncer clairement cette périodisation fut E.-W. Bõckenforde dans son article pré- m&me tendance
cité qui est désormais la référence classique. Cf I. MAUS, op.
8. En ce sens: E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Enstehung und Wandel des Rechtsstaatsbegriff ", op. cit., Alternativ-Kom11
p. 157 s; U. SCHEUNER, op. cit., p. 245 s; M. STOLLEIS, « Rechtsstaat ", op. cit., col. 372. p. 1373 ss.
is d'un néologisme: le Rechtsstaat À /a recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat 33

oncept de Rechtsstaat au sein de droit, en ce qu'elle met fin au regne d'un positivisme honni et qu'elle annonce
intale a entra1né dans son sillage la renaissance de la théorie du droit naturel, n'est plus admise telle quelle de nos
s. Poursuivant le travail d'exhu- jours. La vague antipositiviste puise en réalité ses sources dans la fameuse que-
~noué les liens, interrompus par relle méthodologique de Weimar, dont les ondes se propagent d'ailleurs jusque
2 '. Dans ce champ historiogra-
sous le III' Reich •. Les juristes nazis n' ont ainsi de cesse d'affirmer le lien intrin-
e, dom l'une est en voie d'être seque entre le droit et la morale, selon un discours qui n'est pas sans quelques
élaissée. La premiere a trair au analogies avec la théorie du droit naturel qui "rena1t" apres 1945 'º. Ce lien de
ridique nazie\ la seconde, qui continuité - relatif, cela va sans dire - entre Weimar, Berlin et Bonn, au point
a fragilité du mot. de vue de la méthodologie juridique, infirme, du moins en partie, la these du
.7. La premiere étape, qui va de départ à zéro en 1945. En second lieu, la date de 1949 ne permet pas de saisir le
1carne dans la figure embléma- phénomene de démocratisation du Rechtsstaat dans ce qu'il a de fondamental et
(ant. Il s'agit de l'âge d'or du d'aléatoire. Pourtant, nul ne doutera que la reconnaissance de la souveraineté du
t naturel. La seconde période peuple en 1919 constitue une nette rupture avec le xrt siecle, ou le Rechsstaat
·ée par la célebre définition d; allait de pair avec un régime monarchique autoritaire. A partir de là, la question
~ Rechtsstc:at au simple respect du lien entre démocratie et Rechtsstaat devient l'un des enjeux cruciaux de cette
1 progress1vement l'école posi- nouvelle ere et l'une des questions les plus âprement discutées par la science juri-
ul Laband. Cette période cru- dique. II est tout aussi évident que les choix des rédacteurs du Grundgesetz,
forme se succedent en réalité notamment en matiere de justice constitutionnelle, s'inspirent directement de
Rechtsstaat, prend fin non pas l'échec de la République de Weimar et de la tragédie nazie. La troisieme période
l9. du Rechtsstaat, placée sous le sigle de la démocratisation, doit clone débuter en
de vue. En premier lieu, elle 1919.
>logie juridique. La these de
césure nette dans l'histoire du
Chapitre 1. L'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison
Chapitre 2. Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat
Chapitre 3. Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et
:R (dir.), Historisches Wõrterbuch der
g, 1992, p. 331-342;]. BRAND & depuis 1949)
e seiner Geschichte, Heidelberg, Mül-
atsanspruch des Rechtsstaats », Der
rfass11ngs· 11nd verwa,lttmgsrechtliche
OHNHAUPT, « L'Etat de droit en
-91 ;_~;M. HERRERA, « Quelques
'soaete, 1994, pp. 89-103;]. HUM-
mand de la monarchie limitée, these
m O. ]OUAN]AN {dir.), Figures de
~om1ell: de_l'-:1-llemagne, Strasbourg,
10n » ,d -~llVler Jouanjan {pp. 7-52).
-iffe ed1tee par O. BRUNNER
:iue allemande, cf. l'ouvrage magis'.
h!and, München, Beck, r. 1 (1600-
'1 D. WYDUCKEL, !11s Publicmn
Jen Staatsrechtswissenschafi, Berlin:
deutschen Staatsrechtswissenschaft,

1tion de 1848, autrcmenr dit toure 9. Pour tout ce qui concerne le III' Reich, cf infra n-· 528 ss.
1O. Des auteurs particulierement critiques à l' égard de la théorie du droit naturel et de la justice
constitutionnelle insistem ainsi sur la continuité entre ces trois régimes politiques à travers une
3iickenfürde dans son article pré- m&me tendance à la matérialisation du Rechtsstaat et à la régression du príncipe démocratique.
Cf I. MAUS, op. cit., p. 46; R. BÃUMUN & H. RIDDER, « Art. 20 Abs. 1-3 ill: Rechtsstaat ", in
, des Rechtsstaatsbegriff ", op. cit., Alterna!Í·v-Komment,1r zum Gmndgesetzf,ir die BRD, 2' éd., Luchterhand, t. 1, 1989, p. 1359 ss et
!nsstaat », op. cit., col. 371.
p. 1373 ss.
L'invent

31 De l'avis d'un:
le pere spiritut
une chose auss
serait là : à Ki:i
la fin du XVIII'
politiques de I
particulierem
helm von Hui

1. Voir, par ex.,


M. Stolleis, H.
Robert von MO
comme !e fondat,
taat. D'autres a,
et XV!Il" siecles,
Entwickl1mg der
G.-Ch. Von UN
tionneller Zeit. f
tum », in Recht r,
Duncker & Hur
deutschen Staat5
ten hei der Ents/c
d'aucuns remom
Aristote (cf, pa
cf K. SOBOTA.
2. I. KANT,« h
éd. par W. Weisc
d'une histoire u,
sous dir. de F. ,,
Aufklarung? »
Lumieres? », tra
pruch : Das ma1
spéc. pp. 143-H
cela ne vaut poi
Chapitre 1
L'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi
et de la Raison

31 De l'avis d'un grand nombre de commentateurs, Immanuel Kant (1724-1804) est


le pere spirituel du Rechtsstaat. S'il fallait fixer une date et un lieu de naissance à
une chose aussi insaisissable qu'une idée, en l'occurrence l'idée du Rechtsstaat, ce
serait là : à Kõnigsberg, dans cette province lointaine de la Prusse orientale, vers
la fin du XVIII' siecle 1• Pourtant, on cherchera en vain le terme dans les écrits
politiques de Kant, qui som focalisés au contraire sur la notion de Staat et, plus
particulierement, sur celle de Republik 1• II est également absent chez Wil-
helm von Humboldt (1767-1835), que l'on présente d'habitude comme l'un de

1. Voir, par ex., les ouvrages précités de E.-W. Bõckenforde, I. Maus, E Garzoni, U. Scheuner,
M. Stolleis, H. Mohnhaupt, O. Jouanjan, etc. On notera toutefois que, déjà à l'époque,
Robert von MOHL, op. cit., p. 227 s, citait en premier lieu Hugo Grotius. Celui-ci est présenté
comme le fondateur de!' école moderne du droit naturel et, par conséquent, de la théorie du Rechtss-
taat. D'autres auteurs en situent)es origines dans les écrits de divers auteurs des XVI', XVII'
et XVIII" siecles, voire du Moyen Age (cf., par ex., O. von GIERKE, ]ohannes Alth11si11s 11nd die
Entwicklzmg der naturrechtlichen Staatstheorien (1880), 6' éd., Aalen, Scientia, 1968, p. 264 ss;
G.-Ch. Von UNRUH, « Die "Schule der Rechts-Staats-Lehrer" und ihre Vorlaufer in vorkonstitu-
tionneller Zeit. Anfang und Entwicklung von rechtsstaadichen Grundsatzen im deutschen Schrift-
tum », in Recht zmd Staat im sozialen Wandel. Festschrift fiir H U. Smpin zum 80. Geb11rtstag, Berlin,
Duncker & Humblot, 1983, pp. 251-281; Ch. LINK, « Anfange des Rechtsstaatsgdankens in der
deutschen Scaatsrechtslehre des 16. bis 18. Jahrhunderts », in R. SCHNUR (dir.), Die Rolle der ]11ris-
ten bei der Entstehzmg des modernen Staats, Berlin, Duncker & Humblot, 1986, pp. 775-795). Enfin,
d'aucuns remontem jusqu'à Mo"ise, Salomon, les douze tables de !ois à Rome, sans oublier Platon et
Aristote (cf., par ex., l'ouvrage de J. BRAND & H. HATTENHAUER). Sur ces hésitations,
cf. K. SOBOTA, op. cit., p. 265.
2. I. KANT,« Idee zu einer allgemeinen Geschichte in weltbürgerlicher Absicht » (1784), in Werke,
éd. par W. Weischedel, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, t. 9, 1981, pp. 33-50. [« Idée
d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique », trad. L. Ferry, in CE11vres philosophiques,
sous dir. de F. Alquié, Paris, Pléiade, t. 2, 1985, pp. 187-205]; « Beantwortung der Frage : Was ist
Aufklarung? » (1784), in Werke, t. 9, pp. 53-61 [« Réponse à la question :__ Qu'esc-ce que les
Lumieres? », trad. H. Wismann, in CE11vres philosophiq11es, t. 2, pp. 209-217]; « Uber den Gemeins-
pruch: Das mag in der Theorie richtig sein, taugt aber nicht für die Praxis » (1793), in Werke, t. 9,
spéc. pp. 143-164 [« Sur !e lieu commun: il se peut que ce soit juste en théorie mais, en pratique,
cela ne vaut point », trad. L. Ferry, in CE11vres philosophiq11es, t. 3, 1986, pp. 249-300]; « Zum ewigen
36 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du

ses premiers théoriciens'. L'historiographe bute ainsi sur un écueil redoutable n' est pas !e fru
qui est celui de la datation en histoire des idées : pour situer !'origine exacte du fins rhétorique
Rechtsstaat faut-il s'attacher plutôt au mot ou au concept? A fortiori, si l'on les « théoricien:
prend comme criterc l'idée ou, plus exactement, les idées que l'on désigne par !à miers refusent
- car le terme de Rechsstaat renvoie à un faisceau de principes et de sous-prín- ligkeit ») de se~
cipes -, jusqu'ou faut-il remanter? Du reste, on peut s'interroger sur la scienti- police) », l'anc,
ficité de l'exercice : est-il, en effet, possible de reconnaitre à une personne pré- étroitement as
cise, voire à une nation entiere, la paternité d'un concept? Autrement dit, les nalisme des rc
concepts ont-ils une nationalité?' strict point de
rapport au ter
a) L'origine du mot tique fondée s1
est donc, par l
32 Si l'on se situe sur !e plan strictement sémantique, la datation est assez aisée. 33 En 1809, le ter
L'inventeur du néologisme de Rechtsstaat semble être un certain Placidus, pseu- ciste conserv;
donyme sous lequel se cache Johann Wilhelm Petersen (1758-1815) ;_ Dans son « Rechtsstaat »
ouvrage La littérature de la théorie de l'État publié à Strasbourg en 1798, Placidus du droit et qu
se sert de la formule de « Rechts-Staats-Lehrer (les théoriciens de l'État de droit) » les « États no1
pour désigner l'école de Kant•. L'intérêt de l'expression est toutefois relatif. On « masses » 11 • 1v
peut même se demander si la combinaison des deux termes de Staat et de Recht dor Welcker 1
vónnarz, à cé:
Les fondemen,
Frieden. Ein philosophischer Emwurf » (1795), in ~rke, t. 9, pp. 201-251 [Projet de paix perpéwelle. Rechsstaat inc
Esquisse philosophiq11e, trad. J. Gibelin, Paris, Vrin, 1970]; « Der Streit der Faku!taten » (1798), ibid., variétés possil
t. 9, spéc. pp. 351-368 [« Le conflit des facultés », trad. A. Renaut, in CE11vres philosophiques, t. 3, spéc. forme la plus
pp. 887-906]; Metaphysik der Sitten, Teil 1: Rechtslehre (1797), in Werke, éd. par W. Weischedel, Frank-
furt, Surkamp, t. 8, 1993 [Métaphysiqtte des mre11rs. La doctrine dtt droit, trad. J. Masson er O. Mas- du progres, L-
son, in CF.11vres philosophiq11es, t. 3, pp. 447-650]. Naus naus référerons roujours aux édirions alle- tique», avant
mandes. En cas de citation d'un extrait de Kant, naus indiquerons en note de bas de page d'abord est donc sym
la référence allemande, puis, entre crochet, la page de la traduction française. Sur la philosophie
politique de Kant, cf. W. KERSTING, Wohlgeordnete Freiheit. I. Kants Rechts-zmd Staatsphilosophie, nunft) » 15 • L'e
Frankfurt, Suhrkamp, 2< éd:, 1993; I. MAUS, Zttr A11jklãrung der Demokratietheorie. Rechts- Rhin, grâce 1
ttnd demokratietheoretische Uberlegzmgen im Anschluss an Kant, Frankfurt, Suhrkamp, 1994;
G. DIETZE, Kant zmd der Rechtsstaat, Tübingen, Mohr, 1982; G. VLACHOS, La pensée politiq11e
de Kant. Métaphysiqtte de l'ordre et dialectiqtte dtt progres, Paris, Puf, 1962; A. PHILONENKO, Théo-
rie et pratiqtte dans la pensée mora/e et politique de Kant et de Fichte en 1793, Paris, Vrin,
1968; A. TOSEL, Kant révolutionnaire. Droit et politiqtte, Paris, PUF, 1988. 7. J. W. PLACII
3. W. von HUMBOLDT, Ideen zu einem Versuch die Grenzen der Wirksamkeit des Staates ztt bestim- 8. Cf infra n" 4-
men, I• éd., préf. E. Cauer, Breslau, E. Trewendt, 1851. L'ouvrage, écrit en 1792, ne fut publié qu'à 9. J. W. PLACII
titre posthume en 1851. Sur cet ouvrage, cf. le compte rendu de M. SCHAUB in F. CHATELET, 10. Cf M.STO
O. DUHAMEL & E. PISIER (dir.), Dictionnaire des re11vres politiq11es, 2< éd., Paris, PUF, 1989, t. 1, 1855, p. 25
pp. 433-436. substrat théolog
4. Sur la problématique des querelles des origines, cf. C. KLEIN, Théorie et pmtiqtte dtt po11voir li. A. MÜLLE
constiwant, Paris, PUF, 1996, p. 7 ss. II évoque la célebre controverse entre G. Jellinek et E. Boutmy op. cit., p. 269.
sur !'origine allemande ou française des droits de l'homme et le débat sur la paternité du pouvoir 12. Sur Welcke1
constituam, revendiquée par Sieyes au détriment des constituants américains. Or, le risque est de 13. Sur Rotted
dévier vers un ethnocentrisme peu sciemifique. 14. C.T. WEL(
5. G.-Ch. v. UNRUH, « Die "Schule der Rechts-Staats-Lehrer» und ihre Vorlaufer in vorkonstitu- zen der merkwii
tionneller Zeit. Anfang und Emwicklung von rechtsstaatlichen Grundsatzen im deutschen Schrift- 15. Ibid., p. 25.
tum », op. cit., p. 251. Cf déjà H. KRÜGER, Allgemeine Staatslehre, Stuttgart, Kohlhammer, 1964, GER, op. cit., p
p. 776. 16. C. ROTTF
6. J. W. PLACIDUS, Litterawrder Staatslehre. Ein Versttch, Strassburg, 1798, p. 73. Sur son reuvre, 15 vai., 1~ éd ..
cf. surtout G.-Ch. v. UNRUH, op. cit., p. 252 s. Voir aussi l'extrait (incomplet) cité dans le recuei! de Brockhaus, 185
J. BRAND & H. HATTENHAUER, op. cit., p. 91. ker'schen Staat,
ts d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 37

'. ainsi sur un écuei1 redoutable n'est pas le fruir, malheureux, d'un jeu de mots. Placidus oppose en effet, à des
pour situer !'origine exacte du fins rhétoriques évidentes, les « Rechts-Staats-Lehrer » aux « Staats-Rechts-Lehrer »,
au concept? A Jortiori, si l'on les « théoriciens de l'État de droit » aux « théoriciens du droit de l'État » 7 • Si les pre-
les idées que l'on désigne par là miers refusent à l'État absolutiste le droit de s'occuper du bonheur (« Glückse-
.u de principes et de sous-prin- ligkeit »)deses sujets, le~ seconds défendent au contraire le « Polizeistaat (État de
peut s'interroger sur la scienti- police)», l'ancêtre de l'Etat-providence actuel. Le terme de Rechtsstaat est ainsi
conna1tre à une personne pré- étroitement associé à la critique virulente que Kant formule à l'égard du pater-
n concept? Autrement dit, les nalisme des rois absolus du XVIII' siecle, qu'il qualifie de « despotisme » '. D'un
strict point de vue logique, le néologisme semble néanmoins superfétatoire par
rapport au terme de Staat puisque, selon Placidus, seule une asss,ciation ppli-
tique fondée sur les droits de }'homme est « digne d'être qualifiée d'Etat » '. L'Etat
est clone, par définition, un Etat de droit.
ie, la datation est assez aisée
33 En 1809, le terme appara1t brievement chez Adam Müller (1779-1829). Ce publi-
~tre un certain Placidus, pseu~
ciste conservateur, représentant du « romantisme politique » '°, voit dans le
tersen (1758-1815)'. Dans son
« Rechtsstaat » un « État organique », « vivant », qui nalt et crort autour de l'idée
t Strasbourg en 1798, Placidus
du droit et qui protege par conséquent la liberté individuelle. Son antithese som
,h~oriciens de l'État de droit) »
les « États non organiques » ou mécaniques, fondés, eux, sur la force brute des
!sswn est toutefois relatif. On
« masses » 11 • Mais la véritable percée du terme a lieu avec l'reuvre de Carl Theo-
IX termes de Staat et de Recht
dor Welcker 12 (1790-1869), qui fut l'un des ténors du libéralisme allemand du
¼rmãrz, à côté de Carl Rodecker von Rotteck (1775-1840) 11 • Dans son ouvrage
Les fondements ultimes du droit, de l'État et de la sanction publié en 1813 ", le
'P· 2~1-251 [Projet de paix perpétuelle. Rechsstaat incarne l'idéal de l'État libéral. Le Rechtsstaat n'est cerres qu'une des
S_rre1t der Faku!taten,, (1798), ibid.,
, m CEr;vres philosophiques, t. 3, spéc. variétés possibles de la catégorie générique de l'État, du Staat, mais il en est la
lVerke, ed. par W. Weischedel, Frank- forme la plus élevée et la plus aboutie dans l'évolution de l'humanité. Selon la loi
/,; droit, trad. J. Masson et o. Mas- du progres, la société est censée passer de « l'État despotique » à « l'État théocra-
fererons toujours aux éditions alle-
Jn_s en note de bas de page d'abord tique », avant d'accéder au stade suprême qu'est « l'État de droit ». Le Rechtsstaat
mon française. Sur la philosophie est clone synonyme de l'État moderne ou de « l'État de la raison (Staat der vér-
Kants Rechts-,md Staatsphilosophie, nunft) » 15 • L'expression devient par la suite le mot d'ordre du libéralisme d'outre-
ng der Demokratzetheorie. Rechts-
:!_l, Frankfun, Suhrkamp, 1994; Rhin, grâce notamment à sa réception dans le fameux Staats-Lexikon "'. Cette
"'· VLACHOS, La pensée politique
f, 1962 _; A. PHILONENKO, Théo-
de F1chte en 1793, Paris, Vrin
>LJF, 1988. '
7. ]. W. PLACIDUS, Litterat11r der Staatslehre; cité par G.-Ch. v. UNRUH, op. cit., p. 252 note 2.
· Wirksamkeit des Staates zu bestim- 8. Cf infra n" 44.
e, écrit en 1792, ne fut publié qu'à 9. ]. W. PLACIDUS, Litteratur der Staatslehre; cité par G.-Ch. v. UNRUH, op. cit., p. 253.
M. SCHAUB in E CHATELET 10. Cf M. STOLLEIS, Geschichte, t. 1, p. 139 ss. Selon R. MOHL, Geschichte und Literatur. .. , op. cit.,
,/itiques, 2< éd., Paris, PUF, 1989: t. 1, 1855, p. 254, Müller est, au comraire,, un adversaire de la théorie du Rechtsstaat en raison du
substrat t~~ologique desa conception de l'Etat.
N, Théorie et pmtique du pouvoir 11. A. MULLER, Die Elemente der Staatskzmst, 1. Teil, Berlin, 1809; cité par G.-Ch. v. UNRUH,
rs; entre G. Jellinek et E. Boutmy op. cit., p. 269.
:lebar_s~r _la paternité du pouvoir 12. Sur Welcker, cf M. STOLLEIS, Geschichte, t. 2, p. 177 s.
s amencams. Or, le risque est de 13. Sur Rotteck, cf. M. STOLLEIS, Geschichte, t. 2, p. 159 ss.
14. C. T. WELCKER, Die letzen Grzinde von Recht, Staat rmd Strafe. Philosophisch ,md nach den Geset-
nd ihre Vorlaufer in vorkonstitu- zen der merkwiirdigsten Võlker rechtshistorisch entwickelt, Giessen, 1813, spéc. p. 80 ,ss. ..
rundsatzen im deutschen Schrift- 15. Ibid., p. 25. Cf aussi R. MOHL, Geschichte, t. 1, p. 236 (« théorierationnellede l'Etat »); H. KRU-
re, Stuttgan, Kohlhammer, 1964, GER, op. cit., p. 777.
16. C. ROTTECK & C.T. WELCKER, Staats-Lexikon oder Encyklopãdie der Staatswissenschaften,
'.urg, 1798, p. 73. Sur son reuvre 15 vol., 1~ éd., Altona, Hammerisch Verlag, 1834-1848; 2' éd., Altona, 1845-48; 3• éd., Leipzig,
mcomplet) cité dans le recuei! d; Brockhaus, 1856-66. Sur cette reuvre cf R. GRAWERT, « Die Staatswissenschaft des Rotteck-Welc-
ker'schen Staats-Lexikon », Der Staat, vol. 3 !, 1992, p. 114-128. On remarquera qu'il n'y a pas d'en-
38 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention

vaste encyclopédie de philosophie politique, de droit public, d'histoire et d'éco- sion 22 • L'ap 1
nomie, publiée à partir de 1834 par Rotteck et Welcker, et rééditée à deux morcé l'ant,
reprises, constitua la bible des libéraux allemands du Vormdrz; elle assura l'État-provic
au terme un large auditoire en Allemagne, voire au-delà de ses frontieres 17 • Lesta- notion de R,
tut emblématique du Rechtsstaat, préféré à d'autres termes clés tels la Republik, geance des d
au sens kantien, est probablement du à l'influence de Welcker, sacham que Rot- d'une grand,
teck s'est montré beaucoup plus rétif à son usage '". fut, un insta
34 En 1828, le juriste bavarois Johann Christoph Freiherr von Aretin (1773-1824) a pas « heurett,
également employé le néologisme dans son traité de droit constitutionnel qui fins rationlll
fut le premier exposé systématique du régime de la monarchie constitutionnelle. (Recht- und
Selon Aretin, l'Etat constitutionnel réalisé en Baviere des 1818, avec la charte Staat) » suiv
octroyée par le roi, est l'incarnation même du « Rechtsstaat », c'est-à-dire de dépit de ces
l'État « dans leque/ on gouveme selon la volonté commune rationnelle et ot't on ne respect pour
poursuit que l'intérêt général »'".Par là, il vise la garantie la plus complete qui soit 35 La réceptior
de la liberté individuelle. Mais celui qui, sans doute, a le plus contribué à popu- n'est cepend
lariser et à imposer le terme, que ce soit dans les cercles scientifiques ou dans le teurs s'expli
milieu politique'º, fut le libéral Robert von Mohl (1799-1875) 21 • 11 reprend le auteurs libér
terme dans le titre de son célebre Traité de la science de police d'apres les príncipes montré Uw
de l'État de droit, publié en 1832-33, ce qui vaut au Rechtsstaat une grande diffu- ne se recouF
teck dénie t,
sification de
sert qu'à dt
trée Rechtsstaat. Le theme est abordé à diverses occasions. Voir notamment C.T. WELCKER, « Staat,
Staatsverfassung ", 3' éd., t. 13, 1865, pp. 502-541 ; id., « Gesetz », 1• éd., t. 6, 1838, pp. 726-754;
id., « Grundgesetz, Grundvertrag, Verfassung », 3' éd., r. 7, 1862, pp. 99- 148; C. ROTTECK,
« Vorwort », 1" éd., r. 1, 1834, pp. Ill-XXXII; id., « Constirution », 1" éd., t. 3, 1836, pp. 761-797; 22. R. MOH!
id., « Demokratisches Princip ", 1" éd., t. 4, 1837, pp. 252-263; Tübingen, Lau
17. On mentionnera ici, juste au passage, la présence des 1· et 3" éditions du Staats-Lexikon à la en 1844, l'obj,
Bibliotheque universitaire Cujas à Paris qui possede également les ouvrages individueis de Welcker L. Wolowski à
et de Rotteck. En revanche, elle ne dispose pas des ouvrages les plus importams de Mohl. Sur les n· 333 note 9.
contacts étroits entre les sciences juridiques allemande et française au début du XIX" siecle, cf infra 23. Lire à cet é
n· 333. 24. R. MOHI.
18. Voir infra note 28 25. R. MOH!
19. J.Ch. v. ARETIN, Staatsrecht der constillltionnellen Monarchie, 1• éd., Alrenburg, t. 1, 1824, U. BACKES,,
p. 163; cité par G.-Ch. v. UNRUH, op. cit., p. 251. Sur Aretin, cf U. BACKES, Liberalism11s cf G.-Ch. V. u
zmd Demokratie - Antirzomie zmd Synthese. Z111n \Vechselverhãltnis zweier politischer Strõmungen, 26. R. MOHI
Düsseldorf, Droste, 2000, chap. 6 (« Der Rechtsstaat »), p. 296 ss. Suite à la mort d' Aretin, qui n'a pu Paul Pfizer (181
terminer que le premier tome de la 1• édition, l'ouvrage sera poursuivi par Rotteck qui en assurera 27. Le terme n
même une 2' édition. cours des déba1
20. En témoigne le célebre propos de Bismarck qui, dans une lettre du 25 novembre 1883 adressée le mentionne 1
au ministre von Gossler, évoque « l'expression artificielle (Kzmstausdmck) de Rechtsstaat inventée par D. KLIPPEL
Mohl, dont personne n 'a encore tro11vé 11ne définition satisfaisante po11r 11n esprit politiq11e et dont il R.KOSELED
n'existe a11cune trad11ction étrangere,, (cité par M. STOLLEIS, « Rechtsstaat ", col. 371). de la Constitur
21. Le terme de Rechtsst,wt apparait pour la premiere fois, tres brievement, dans son ouvrage Das Reich zmd Lãnd
B1mdes-Sta,1tsrecht der Vereinigten Staaten von Nqrd-Amerika de 1824 (p. 141; cf U. BA,CKES, op. cit., 1987, p. 391 ss.
p. 301). Sa classificati9n des différents gemes d'Etat (la conception patrimoniale de l'Etat, le patriar- des Lãnder, pu1
chat, la théocratie, l'Etat classique, le despotisme et, enfin, le Rechtsstaat) apparait d'abord dans Das 28. U.BACK!
Staatsrecht des Kõnigreiches Wrírttemberg, t. 1, Tübingen, 1829, puis dans Encyclopãdie der Staatswis- désigné), cf C
senschaften (1859), 2' éd., Tübingen, Laupp, 1872. Le nombre de catégories d'Etat varie d'ailleurs Franck, r. 1, 18
selon les ouvrages et les éditions. L'hisroire de la théorie du Rechtsstaat est retracée dans Geschichte terme de Rech1,
zmd Literatt<r der Staatswissenschaften, t. 1, 1855, p. 227 ss. Sur Mohl, cf notamment P. OERTZEN, le Lehrbuch. D.,
op. cit., pp. 96-105 et M. STOLLEIS, Geschichte, t. 2, p. 172 ss et p. 258 ss. paré à la profu
ms d'un nfologisme: le Rechtsstaat L'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 39

idroit public, d'histoire et d'éco- • 21 L'apport théorique majeur de Mohl consiste dans le fait d'avoir désa-

et Welcker, et rééditée à deux swn é· l'antagonisme entre le Rechtsstaat et 1e Rot·zzezstaat,


. entre l'E tat de dr01t
. et 1

nands du Vormâ'rz; elle assura l'État-providence. A ses yeux, un n exc ut pomt autre. e a1sam, 1 sauve 1a
more ' l' , l . l' C f . ·1
au-delà de ses frontieres ". Lesta-
tl·on de Rechtsstaat d'une tension qui risquait de lui être fatale, tant l'intransi-
tres termes clés reis 1a Republik, noeance des disciples de Kant paralt en d'ecalage par rapport aux vceux et besoms
A .
.cede Welcker, sachant que Rot- 23
â'une grande pareie de la ~ociété • Il est d'ailleurs ~ntéressant de noter qu: Mo~l
;e is_
fut un instant, tenté de recuser le mot pour ces ra1sons. La formule ne lu1 paralt
·eiherr von Aretin (1773-1824) a pas' « heureuse » car el!~ serait ~< incomplete_ » ". Pour faire ;~ssortir l'i~tégralité d_es
té de droit constitutionnel qui fins rationnelles de l Etat, m1eux vaudra1t parler de « / 'Etat de drozt et de police
la monarchie constitutionnelle. (Recht- un~ Polizeistaat)_ » ou~ pourquoi pas, de_« l'E_tat de raison (Ve::ta~des-
',aviere des 1818, avec la charte Staat} » smvant la termmolog1e de Johann Gottheb F1chte (1762-1814) ·. S1, en
« Rechtsstaat », c'est-à-dire de dépit de ces réserves, il maintient l'expression de Placidus, c'est uniquement par
)mmune rationnelle et ou on ne respect pour l'usage sémantique établi 21••
rantie la plus complete qui soit 35 La réception de ce concept doctrinal, qui est absent des textes de droit positif",
te, a 1e plus contribué à popu- n'est cependant pas totale. Si le silence des publicistes monarchistes et conserva-
cerdes scientifiques ou dans le teurs s'explique aisément - il ne prendra fin qu'avec Stahl -, celui de certains
n1 (1799-1875)2 1• I1 reprend 1e auteurs libéraux, et non des moindres, mérite plus ample réflexion. Ainsi que l'a
cede police d'apres les principes momré Uwe Backes, les deux cercles du libéralisme et de l'école du Rechtsstaat
1 Rechtsstaat une grande diffu- ne se recoupent pas totalement, le premier étant plus large que le second. Rot-
teck dénie toute valeur heuristique, qu'elle soit historique ou logique, à la clas-
sification des trais types d'État défendue par Welcker. De façon générale, il ne se
sert qu'à de tres rares occasions du terme de Rechtsstaat 1•. Le libéral Frie-
otamment C.T. WELCKER, « Staat,
:z », 1• éd., t. 6, 1838, pp. 726-754;
1862, P~- 99-148; C. ROTTECK,
rn », 1· ed., t. 3, 1836, pp. 761-797; 22. R. MOHL, Die Polizeiwissenschafi nach den Grzmdsãtzen des Rechtsstaates (1832-33), 2' éd.,
Tübingen, Laupp, 3 tomes, 1844-45. Une 3· édirion a éré publiée en 1866. L'ouvrage fera d'ailleurs,
t 3' édirions du Staats·l.exikon à la en 1844, l'objet d'un compre rendu dans la Revue de législation et de jurispr!'dence, éditée par
les ouvrages individuels de Welcker L. Wolowski à Paris (pp. 529-531). Le terme de Rechtsstaat sera alors traduit par« Etat légal ». Cf infra
, plus imporranrs de Mohl. Sur les n" 333 note 9.
1se au débur du XIX" siecle, cf infra 23. Lire à cet égard la préface de E. Cauer à l'ouvrage de W. von Humboldr.
24. R. MOHL, Encyclopãdie der Staatswissenschafien, 2' éd., Tübingen, Laupp, 1872, p. 326.
25. R. MOHL, Das Staatsrecht des Kõnigreiches Württemberg, t. 1, 1829, p. 11 note 3; cité par
1:ie, 1• éd., Altenburg, t. 1, 1824, U. BACKES, op. cit., p. 301. Sur la terminologie de Fichte qui ignore le terme de Rechtsstaat,
rn, cf U. BACKES, Liberalism11s cf. G.-Ch. v. UNRUH, op. cit., p. 266.
nts z,weier politischer Strõmungen, 26. R. MOHL, Encyclopãdie, p. 326. On trouve encore le terme chez d'autres libéraux comme
uu~ a_ la more d'Aretin, qui n'a pu Paul Pfizer (1801-1867) et Silvester Jordan (1792-1861). Cf U. BACKES, op. cit., p. 304 ss.
rsmv1 par Rotteck qui en assurera 27. Le terme n'appara1t dans aucun texte constitutionnel. Bien que le terme soit évoqué en 1848 au
cours des débats de l' Assemblée nationale réunie à Francfort, le texte du projet de Constitution ne
tre du 25 novembre 1883 adressée le mentionne point. Cf les extraits cirés par R. KOSELLECK, W. CONZE, G. HAVERKATE,
,dmck) de Recht.<staat inventée par D. KLIPPEL & H. BOLDT, « Staat und Souveranitat », in O. BRUNNER, W. CONZE &
oour rm espnt pol1tzq11e et dom il R. KOSELECK (dir.), Geschichtliche Grundbegriffe, Stuttgart, Klerr-Cotta, t. VI, 1990, p. 75. Le texte
chtsstaar », col. 371).
de la Constitution du Reich du 28 mars 1848, jamais entrée en vigueur, se trouve chez H. BOLDT,
·ievemem, dans son ouvrage Das Reich rmd Lãnder. Texte wrdeutschen Verfassrmgsgeschichte im 19. rmd 20.]ahrhrmdert, München, Dtv,
f (p._ 141; rj U. BA,CKES, op. cit., 1987, p. 391 ss. II faudra attendre 1945 pour voir apparaltre le terme, d'abord dans les constirutions
oatnmomale de l'Etat, le patriar- des Lãnder, puis dans la Loi fondamemale.
sstaat) appara,t d'abord dans Das 28. U. BACKES, op. cit., p. 299 s. Sur sa critique radicale de Welcker (qui n'est jamais nommément
: dans Encyclopãdie der Staatswis- désigné), cf C. ROTTECK, l.ehrbuch des Vermmfirechts und der Staats-wissens_chafien, Stuttgart,
:arégories d'Etar varie d'ailleurs Franck, t. 1, 1829, pp. 64-~8 et t. 2, 1830, p. 181 s (on y reviendra infra n-· 45 ss). A cerre occasion, le
,taat est rerracée dans Geschichte terme de Rechtsstaat appara1t d'ailleurs une seule fois (t. 1, p. 66). Sinon, il ne figure nulle part dans
1, cf. notamment P. OERTZEN le Lehrbuch. Dans les articles de Rorreck dans le Staats-Lexikon, le terme est assez peu fréquent, com-
258 ss. '
paré à la profusion chez Welcker et Mohl. C/ C. ROTTECK, « Vorwort », op. cit., p. V, IX, XII,
40 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention 1

drich Christoph Dahlmann (1785-1860) ne l'évoque pas non plus 2·,. Frie- l'héritage de
drich Murhard (1779-1853), quant à lui, critique vertement le terme qu'il iden- XIX' siecle 3'.
tifie à la conception restrictive de Kant, qui est de plus en plus contestée, même est, en parti,
au sein des libéraux 30 • Le néologisme de Rechtsstaat devient toutefois progressi- Même l'ass<
vement le vecteur emblématique du programme réformateur des libéraux, d' outre-Rhir
même si certains ne se privem pas de critiques à son égard. manique'\ 1
anglais, on t
~) L'origine de l'idée gouvernemei
différence d1
36 Si le terme de Rechtsstaat nalt avec Placidus, en référence à la doctrine de Kant, diverses rais,
la "chose" qu'il désigne, autrement dit l'idée libérale de l'État, existait déjà 37 Le Rechtsst,1,
auparavant. On en trouve des éléments significatifs dans les écrits d'auteurs réel, l'étern,
allemands tels que Samuel Pufendorf (1632-1694), Christian Wolff (1679- l' Allemagne
1754), etc., sans parler des théories d'auteurs anglais, américains et français. On ville natale
peut penser notamment à Sir Edward Coke (1552-1634), Hugo Grotius (1583- apres 1793,
1645), Thomas Hobbes (1588-1679), John Locke (1632-1704), Montesquieu leur enthou
(1689-1755) ou encore Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Cela dit, pour ce qui a apportés i
est de la théorie politique en Allemagne, nul autre que l'austere philosophe de des « profeJ
Konigsberg n'a formulé avec autant de rigueur et de concision les fondements tuels engagi
du Rechtsstaat, à savoir la liberté, l'autonomie et le regne de la raison 11 • 11 serait rel, l'histoir
toutefois réducteur de s'arrêter là. L'opinion, isolée, de Ernst-Wolfgang de l'Allem;
Bockenforde, selon lequel et le mot et le concept de Rechtsstaat sont propres à mentaires n
l'Allemagne et n'ont aucun équivalent en Europe 32, parait infondée. À ce sujet, libéralisme
il importe néanmoins de procéder avec prudence. Si tant est qu'il faille attribuer teur qui te1
une nationalité à un concept, en l'espece le concept de Rechtsstaat, on ne peut le largement
faire qu'à condition de différencier en son sein différents segments et strates dont la findes n
il est possible de fixer l'origine et l'âge ". En soi, pris dans sa globalité, le concept
de Rechtsstaat est trop vaste et général pour se prêter à une telle datation. On
peut tout au plus dire, en jouant avec les mots, que "le" Rechtsstaat est ce que
« l'Allemagne européenne » (Th. Mann) a produit de plus beau : il est le fruir de
34. Cette op
« Constitutio,
WICZ, op. c,t
memdomina
ler, F. Garzor
H. HattenhaL
XXIV (en tout 5 fois);« Constitution », p. 765, p. 773, p. 783 (en tout 3 fois);« Demokratisches 35. CJ., par e
Princip », p. 259 (2 fois). 36. La ressern
29. U. BACKES, op. cit., p. 306. écaiem synon
30. lbid., p. 307 s. 37. II le fait ,
31. Sur l'influence du kantisme en Allemagne, cf. R. MOHL, Geschichte... , t. 1, p. 242-243. PUF, 1991, p.
32. E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Enstehung und Wandel des Rechtsstaatsbegriff », op. cit., p. 144 : 38. M. STOL
« Le Rechtsstaat est une constmction sémantiq11e propre à /'espace germanophone, q11i n',1 pas d'éq11iva· 39. Rotteck ,
lent dans les fllltTes lang11es. Même la chose, que l'on désigne par ce tenne, est 1m prod11it de la théorie alie- et députés d.i
mande de l'Etat. » Selon !ui, la mie oflaw n'a pas un sens équivalem et la pensée française ne connait d'office par I'
ni un mot ni un concept semblables (cf ibid., note 4). du parlement
33. L'historien Dieter Langewiesche retiem une méthode similaire afin de cerner de plus pres l'ob- gen et de Hei
jet qu'est le libéralisme. Cf. D. LANGEWIESCHE, « Gesellschafts· und verfassungspolitische 1848, ministr
Handlungsbedingungen und Zielvorstellungen europaischer Liberaler in der Revolution von 1848 », Sur leur bioi
in W. SCHIEDER (dir.), Liberalism11s in der Gesellschafi des de11tschen Vorm,i"rz, Gottingen, Vanden- op. cit., p. 16,
hoeck & Ruprecht, 1983, p. 341 ss. t. !, 1990, p.
is d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 41

'évoque pas non plus 2'. Frie- l'héritage des Lumieres tel que vu et revu par les libéraux allemands du début du
! vertement le terme qu'il iden- xrxc siecle 3'. Qu'il s'agisse du mot ou du concept, chacun de ces deux éléments
le plus en plus contestée, même i est, en partie, universel, en partie, spécifique à la culture juridique allemande.
'
':aat devient toutefois progressi- Même l'association des deux termes de Staat et de Recht, dont les auteurs
me réformateur des libéraux d' outre-Rhin se plaisent, non sans quelque fierté, de revendiquer l' origine ger-
,
son egard. '
manique 15, n'est pas unique en son genre. Sous la plume d'auteurs français et
anglais, on trouve des formules similaires, de structure binaire, telles le « droit
gouvernement » de Bodin et le « lawful Government » de Locke 1". Toutefois, à la
'L'
différence du Rechtsstaat, celles-ci n'ont point connu le même succes, et ce pour
~ierence a' la doctrine de Kant diverses raisons qui tiennent à la fois du hasard et de la conjoncture.
b~rale de l'État, existait déj~ 37 Le Rechtsstaat marie par conséquent l'universel et le particulier, l'abstrait et le
atifs dans les écrits d'auteurs réel, l'éternel et l'éphémere. Il s'enracine à la fois dans la réalité historique de
:>~4), Christian Wolff (1679-
l'Allemagne et dans une certaine pratique politique. N'ayant jamais quitté sa
ais, américains et français. On
ville natale de Konigsberg, Kant n'en a pas moins pris la plume pour défendre
2-1634), Hugo Grotius (1583-
apres 1793, à un moment ou les esprits cultivés d'outre-Rhin se rétractaient de
,e (1632-1704), Montesquieu leur enthousiasme initial pour la Révolution française, les bienfaits que celle-ci
2-1778). Cela dit, pour ce qui
a apportés à l'humanité 3'. Le concept du Rechtsstaat est l'ceuvre par excellence
e que l'austere philosophe de des « professeurs politiques » 38 que sont Rotteck, Welcker et Mohl. Intellec-
de concision les fondements tuels engagés, ils ne se contentent pas d'enseigner le droit public, le droit natu-
~ regne de la raison 11 • Il seraic rel, l'histoire, la science politique, etc. aux universités prestigieuses du sud-ouest
isolée, de Ernst-Wolfgang de l' Allemagne, mais s'investissent activement au sein des institutions parle-
de Rechtsstaat sont propres à mentaires nouvellement créées 3'. Le cas de Humboldt est révélateur du sort du
2
: para1t infondée. À ce sujet,
libéralisme prussien. Il est l'un desces hauts fonctionnaires à l'esprit réforma-
1 tant est qu'il faille attribuer
teur qui tentent, au début du siecle, de moderniser d'en haut un pays encare
: de Rechtsstaat, on ne peut le largement féodal. Sa révocation du gouvernement prussien en 1820 marque
rents segments et strates dont la fin des réformes et la résurgence d'une politique réactionnaire dans un pays
; dans sa globalité, le concept
ter à une telle datation. On
:e "le" Rechtsstaat est ce que
! plus beau : il est le fruit de
34. Cette optique européenne du Rechtsstaat est défendue, des le début, par C. ROTTECK,
« Constitution •, op. cit., p. 765 et R. MOHL, Geschichte ... , t. 1, p. 227 ss. Voir aussi L. GUMPLO-
WICZ, op. cit., p. 136 et O. MAYER (infra n" 69 note 13). Cette conception est de nos jours large-
ment dominante dans la doctrine allemande. Voir, par ex., les ouvrages cités de C. Schmitt, H. Hel-
ler, F. Garzoni, A. Baratta, H. Hofmann, R. Baumlin, G.-Ch. v. Unruh, M. Stolleis, J. Brand &
H. Hattenhauer.
·en tout 3 fois); « Demokratisches 35. CJ., par ex., H. MOHNHAUPT, op. cit., p. 74; K. MICHAELIS, op. cit., p. 5. ,
36. La ressemblance est évidente si l'on sait qu'à I' époque les deux termes de go11vemement et d'Etat
étaiem synonymes. Cf infra n" 166 et 353.
37. II le fait dans Le conjlit des farnltés. Cf A. RENAUT & L. SOSOE, Philosophie du droit, Paris,
schichte... , t. 1, p. 242-243. PUF, 1991, p. 369 ss.
htsstaatsbegriff », op. cit., p. 144: 38. M. STOLLEIS, Geschichte, t. 2, p. 266 s et p. 119 s.
nnanophone, q11i n'a pas d'éq11iva- 39. Rotteck et Welcker som pendant longtemps professeurs à la faculté de Fribourg-en-Brisgau
ne, est zm prod11it de la théorie alle- et députés dans le parlemem badois. Leurs activités politiques leur vaudront d'être mis en retraite
t et la pensée française ne connah d'office par l'administration royale. Welcker sera même l'un des chefs de file du libéralisme au sein
du parlement de Francfort de 1848. Quam à Mohl, il enseigne successivement aux facultés de Tübin-
e afin de cerner de plus pres l'ob- gen et de Heidelberg. Député au parlement du Wunemberg, il fut même, pendant la révolution de
haft_s- und verfassungspolitische 1848, ministre de la Justice du Reich, avam de terminer sa carriere en tant qu'ambassade4r à Munich.
Úer m der Revolution von 1848,, Sur leur biographie, cJ. O. JOUANJAN, « Présemation », in id. (dir.), Figures de l'Etat de droit,
•en Vormãrz, Gõttingen, Vanden'. op. cit., p. 16 s; E.R. HUBER, De11tsche Ve1fassungsgeschichte seit 1789, 3' éd., Stuttgart, Kohlhammer,
t. 1, 1990, p. 376 s.
,ens d'un 17éologisme: le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 43

dernier bastion de l'absolutisme Vc ilà la définition qu' en donne Kant en 1793 : « L 'état civil considéré uni,quement
ºmme état juridi,que''' est donc fondé sur les príncipes a priori suivants: 1- la liberté
: chaque membre de la société en tant qu'homme. 2. l'égalité de celui-ci avec tout
chtsstaat tre en tant qtte sttjet. J_ l'indépendance de tout membre d'une comrffunauté en tant
;:e citoyen. Ces príncipes ne s~nt p~s t~nt ~es l~is q1!e donne l'Er:,t déjà établi,
t question de l'arbitraire du pou- ue ceifes qui seules rendent posszble l znstztutzon d ttn Etat conformement aux purs
>Ut rapport de domination quel ;rincipes de la raiso n du ~roi~ ~umain ex_te~e en général. » ' 0 La prééminenc~ d~s
ipêcher les folies meurtrier~s des 1
principes de liberte et d egahte est expnmee avec force par Mohl dans sa defim-
ou de s'opposer aux allures des- tion du Rechtsstaat : « Un Rechtsstaat ne peut a'l:Joir d'autre but que celui d'ordon-
totteck appelle le « Gewaltsstaat ner la vie en commun du peuple de telle façon que chacun de ses membres soit sou-
éfi est toujours la même : faire tenu et encouragé dans le développement le plus libre et le plus complet de toutes ses
e, de la raison et de l'objectivité. Jacultés. Ce en qttoi doi~ ~onsister ce soutien ~t cei, enco~ragement e~t aiséme~t s~i-
astituants du Massachusetts om sissable. Suivant cette vzszon du monde, la liberte du cztoyen constztue le prmczpe
c' es_t-à-dire un régime ou regne suprême. » 51
lu fa1t, de la force et du bon plai-
39 Ce concept normatif du Rechtsstaat se caractérise à la fois par ses éléments for-
n Montesquieu..., -, on oppose
mels et matériels. Sa spécificité réside dans son caractere « unitaire » ;1 ou intégral,
nde par elle-même et ne dépend
par opposition à l' évol ution ul tér~eure _du ~ec~ts~taat ~ui ~erra sa_ sig~ification s:
tel « état juridique » '6, il faut un
réduire à l'aspect formel. Le qualrficat1f d umtaire do1t neanmoms etre nuance
-:ivec les principes du droit »" et
au regard de la complexité des liens établis entre la forme et la matiere au sein de
nne Kant dans la Métaphysique
ce concept. II existe, en effet, un rang hiérarchique entre les deux, la fin qu'est la
'2e multitude d'hommes sous des
liberté (Section I) l'emportant sur les moyens institutionnels qui en sont les
garanties (Section II). Ainsi que le disait Mohl au sujet du Rechtsstaat, « la qtfes-
!specte lui-même la loi. Autre-
tion principale a trait à la réalisation de toutes les fins du genre mentionné de l'Etat
ens, un Staat ou une Republik.
(Staatsgattung}; la forme du gouvernement n'est qu'un moyen à cela » '3. I1 faut donc
distinguer ces deux volets, d'importance inégale, sacham que, d'une part, la défi-
es en Prusse, cf. aussi D. GRIMM, nition de l'élément substantiel du Rechtsstaat fait l'objet d'une vive controverse
, 1986, chap. 2 et 3. - i1 s'agit du débat sur l'État-providence - et que, d'autre part, les théoriciens
g, t. 1, p. 329; J. HUMMEL, op. cit., du Rechtsstaat hésitent sur la forme de gouvernement à instaurer 5'. Apres un pre-
mier arrangement avec le despotisme éclairé tel qu'incarné dans la figure
80_: « ln the government of this com- mythique de Frédéric II de Prusse et de Joseph II d'Autriche, ils se prononcent
rttzve and j11dicial powers, ar either of résolument en faveur de la monarchie constitutionnelle.
/Jowers, ar euher ofthem; the j 11dicial
rthem; to the end it may be a govern-

on & O. Masson, p. 613: « Telleest 49. En allemand, Kant définit l'État comme un « rechtlicher Z11stand », ce qu'on peut traduire par
dle_-m?me et ne dépend d'a 11 czme per- « état }ttridiq11e », mais aussi par« état de droit » (avec e minuscule), par opposicion à l'état de nature.
t, ams1 que « ce q11i est bea 11coup pltts C'est ce que fait par exemple Heinrich Ahrens (cf infra n" 352, note 129).
':n homme à la volonté d'un a11 tre,, 50. I. KANT, « Uber den Gemeinspruch : Das mag in der Theorie richtig seio, taugt aber nicht für
non du contrat social chez Kant et die Praxis » (1793), op. cit., p. 145 : « Der biirgerliche Z11Stand also, bloss ais rechtlicher Z11stand betrach-
"nées d'étttde organisées à Dijon po1tr tet, ist auffolgende Prinzipien a priori begriindet: 1. Die Freiheit jedes Gliedes der Sozietãt, ais Menschen.
{~!~lles Lettres, 1964, p. 461). Sur 2. Die Gleichheit derselben mit jedem anderen, ais Untertan. 3. Die Selbstãndigkeit jedes Gliedes
eines gemeinen Wesens ais Bzirgers. Diese Prinzipien sind nicht sowohl Gesetze, die der schon errichtete
:on & O. Masson, p. 572 : « L 'état Staat gibt, sondem nach denen allein eine Staatserrichwng, reinen Vermmfiprinzipien des ãt1Sseren
'es conditions permeuam q1t'à cha- Menschenrechts iiberhattpt gemãss, mõglich ist » (trad. L. Ferry, p. 270-271]. Voir les explications de
A. PHILONENKO, op. cit., 1" pareie, chap. 4 à 7.
ta constit11tion avec les príncipes d1t 51. R. MOHL, Die Polizei-Wissenschafi ... , 2° éd., 1844, t. 1, p. 8.
52. E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Enstehung und Wandel des Rechcsstaatsbegriff », p. 148.
Menge von Menschen 11nter Rechts- 53. R. MOHL, Enzyklopãdie der Staatswissenschafien, p. 342 note 2.
54. G.-Ch. Von UNRUH, op. cit., p. 251.
44 À la recherche du sens d'un néologisme: !e Rechtsstaat L 'invention du

Section L LA LIBERTÉ, FIN SUPRÊME DU RECHTSSTAAT, engagements «


d'être emporte
DU VERNUNFTSTAAT ET DU STAAT Le droit nat
on ne saurait e
40 La théorie du Rechtsstaat s'inscrit dans le courant européen de la théorie du dont l'individ1
contrat social. Elle en est la version allemande puisque, selon Mohl, le Rechtss- C'est dire que,
I \

taat n'est autre que l'État fondé sur le contrat social55, qui a pour fonction de à l'Etat. A vr,
préserver les droits naturels de l'individu (§ 1). À l'état de nature anarchique, ou volonté libre;
domine le plus fort, vient se substituer l'Etat, ou le Rechtsstaat, les deux termes Locke et Rom
étant synonymes (§ 2). Cette conclusion, qui peut paraltre surprenante à pre- se constituer ,
miere vue, n'en est pas moins logique, si l'on analyse de pres le sens du mot « bürgerliche <
de Staat. La nomenclature empirique des divers « genres d'Etat (Staatsgattung) » « plus grande lz
que défendent Welcker et Mohl et qui est, logiquement, axée sur l'antinomie leitmotiv de L
entre le « despotischer Staat (État despotique) », le mal politique par excellence, et ne peut se fai1
l'idéal libéral du Rechtsstaat, se fourvoie en effet dans des contradictions irrémé- d'une loi qui :
diables. 42 Cette médiati
phore, ainsi q
§ 1. LE REGNE DE LA LO!, DE LA LIBERTÉ ET DE LA RAISON critique par r:
rences de eh
« a priori » OL
Le Rechtsstaat est l'État respectueux du droit naturel, de ce droit naturel
de« bon sens
moderne (A) axé sur l'idée de la liberté (B).
commun de L
cificité de l' é,
A. La révolution copernicienne du droit naturel : décisive dans
le principe d'autonomie mêmes de l'é<
naturel est in
41 Fervent lecteur de Rousseau pour lequel il éprouve une grande admiration 5(,, et que l'on a
Kant s'interroge à son tour sur la nature de l'homme et les fins de la chose droit, dans e
publique. Dans un état de nature marqué par la« sociabilité insociable »" de l'in- plation de ce
dividu, l'humanité vit dans une situation des plus précaires ou chacun agit à sa de l'être hun
guise comme bon lui semble 5'. Pour autant, à en croire Kant, il serait erroné de
n'y voir qu'un état d'injustice absolue. Nonobstant la violence latente de l'être
humain, il existe déjà à ce stade des relations juridiques embryonnaires entre les 59. Ibid., p. 431
60. I. KANT, «
individus, comme en témoigne la distinction entre le mien et le tien. Mais, il ne 61. I. KANT, 1'
s'agit là que de l'ébauche d'un droit de propriété, car ces rapports sont frappés tion, fondée su r
d'une tare génétique qui est l'absence de toute sanction publique. Tant qu'il nément tout dr
Kant ne peut, ,
n'existe pas de magistrat compétent pour trancher les litiges et contraindre, le cas à reconnaltre a1
échéant, la partie récalcitrante, les contrats juridiques ne constituent que des l'obligation sus·
prôner le retou
régression de l'
d'une liberté sa
pas de renverse
ne disposent sei
55. Cette identification apparait tres clairement dans l'historique retracé par Mohl et dans l'extrait de l'humanité,
de Pfizer cité infra note 112. toutefois à savo
56. Cf G. VLACHOS, « L'influence de Rousseau ... ", op. cit., pp. 459-488. n' envisage poir
57. I. KANT,« Jdee zu einer allgemeinen Geschichte ... ", p. 37. 62. I. KANT,·
58. Pour tout ce qui suic, cf I. KANT, Metaphysik der Sitten, § 44, p. 430 ss. 63. Metaphysik
1s d'un néologisme: !e Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 45

(ME DU RECHTSSTAAT. engagements « provisoires 5' » et fragiles. À n'importe que! moment, ils risquent
r DU STAAT ' d'être emportés dans les tourbillons de la guerre de tous contre !ous.
Le droit naturel a clone besoin de la puissance publique, de l'Etat, sans lequel
on ne saurait concevoir la liberté dans toute sa plénitude. La « liberté sauvage » 00
·ant européen de la théorie du dont l'individu jouit dans l'état de nature n'en donne qu'une image imparfaite.
misque, selon Mohl, le Rechtss- C'est dire que, si l'homme veut être libre, il n'a d'autre choix que de se soumettre
;ocial 55, qui a pour fonction de à J'État. À vrai dire, l'entrée dans l'état civil n'est pas le résu!tat d'un acte de
l'état de nature anarchique, ou volonté libre; d'apres Kant - et c'est en quoi il innove par rapport à Hobbes,
1 le Rechtsstaat, les deux termes Locke et Rousseau -, les hommes sont obligés de quitter l' état de nature et de
eut paraí'tre surprenante à pre- se constituer en État'''. Te! est l'objectif suprême de l'humanité : accéder à la
inalyse de pres le sens du mot « bürgerliche Gesellschaft (société politique) » dans laquelle l'individu jouit de la
"genres d'Etat (Staatsgattung) » « plus grande liberté » tout en étant soumis à un « pouvoir irrésistible » 62 • Véritable
1uement, axée sur l' antinomie leitmotiv de la philosophie kantienne, la conciliation de la liberté et de l'ordre
nal politique par excellence, et ne peut se faire qu'à travers l'avenement d'un État identifié au regne de la loi,
Ians des contradictions irrémé- d'une loi qui se doit d'être à la fois positive et juste.
42 Cette médiation s'opere par le biais du contrat social qui n'est qu'une méta-
phore, ainsi que le précise l'illustre philosophe de Kõnigsberg"'. Cette instance
'?.TÉ ET DE LA RAISON critique par rapport à la loi positive est appelée à tour de rôle, selon les préfé-
rences de chacun des théoriciens du Rechtsstaat, droit naturel, príncipes
: naturel, de ce droit naturel « a priori » ou príncipes « purs de la raison » (Kant, Rotteck), príncipes éthiques
de« bon sens » (Welcker), « droit philosophique » (Mohl), etc. Le dénominateur
commun de ces diverses formules est le príncipe d'autonomie qui fonde la spé-
cificité de l' école modeme du droit naturel. Kant marque, en effet, une césure
u droit naturel :
décisive dans l'histoire de la philosophie du droit puisqu'il sape les fondements
nie
mêmes de l' école classique du droit naturel. Pour Aristote ou St Thomas, le droit
naturel est inscrit dans les choses, dans un Sein qui est extérieur à l'être humain
1ve une grande admiration 5"
et que l'on appelle tantôt le cosmos, tantôt l'ordre divin. La connaissance du
>mme et les fins de la chos~
droit, dans ce qu'il a de plus objectif, découle par conséquent de la contem-
Jciabilité insociable »" de l'in-
plation de cet ordre éternel qui constitue une barriere absolue à la subjectivité
précaires ou chacun agit à sa
de l'être humain.
roire Kant, il serait erroné de
t la violence latente de l'être
1ues embryonnaires entre les 59. lbid., p. 431.
le mien et le tien. Mais, il ne 60. I. KANT, « Idee zu einer allgemeinen Geschichte ... », p. 40.
61. I. KANT, Metaphysik de Sitten, § 41, p. 422 ss et § 44, p. 430. C'est à la lumiere de cette obliga-
:ar ces rapports sont frappés tion, fondée sur un impératif catégorique, que l'on comprend mieux pourquoi Kant refuse si obsti-
nction publique. Tant qu'il némem tout droit de résistance. Nonobstant la proclamation de droits inaliénables de l'homme,
:s litiges et contraindre, le cas Kant ne peut, en effet, reconnaitre un te! droit sous peine de se contredire. L'inverse reviendrait
à reconnahre aux individus le droit de retourner à l'état de nature, ce qui est incompatible avec
1ues ne constituem que des l'obligation sus-mentionnée (cf « Über den Gemeinspruch ... », p. 158). Face à un régime despotique,
pr8ner le retour à ]'anarchie n'est qu'un maigre palliatif aux yeux de Kant, voire pire une véritable
régression de l'humanité. Sa théorie vise donc à éviter le çlouble écueil d'un ordre sans libené et
d'une libené sans ordre: comme on ne peut se passer de l'Etat pour jouir de la libené, le but n'est
pas de renverser l'ordre, mais de réformer celui-ci dans le sens de la libené. Pour cela, les individus
ne disposem selon !ui que d'un seu! remede: la libené d'expression, véritable « palladium '\ des droits
~ retracé par Mohl et dans l'extrait de l'humanité, qui est destinée à éclairer le prince sur les méfaits qui existem dans son Etat. Reste
toutefois à savoir ce qui empêche le prince de supprimer cette derniere liberté, hypothese que Kant
). 459-488. n'envisage poim.
62. I. KANT,« Idee zu einer allgemeinen Geschichte ... », p. 39.
, p. 430 ss. 63. Metaphysik der Sitten, § 49 Remarque générale A, p. 437 ss. Cf infra n" 50.
46 À la recherche dtt sens d'ttn néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du i

À cette vision du monde, Kant objecte dans sa Critique de la raison pttre qu'il homme'·'. Cett(
est impossible à la raison humaine de percer les mysteres de la chose en soi. Les fins, de s' épano
desseins de Dieu se situem, d'apres lui, au-delà des limites de la connaissance respecter la libe
humaine"'. 11 est des lors vain de vouloir chercher le sens de la vie et les fon- qu'aucune insta
dements du droit dans un quelconque ordre extérieur. C' est, au contraire, à dividu ne saura
l'homme lui-même qu'il revient, de par son libre arbitre, de se fixer ses propres droit se défi.nit-
objectifs. En se donnant ainsi ses propres lois, l'homme s'autolimite en selais- liberté des uns
sam guider parles lumieres de la raison pratique. Aussi le principe de l'autono- tions auxquelles
mie ne doit-il pas être confondu avec l'apologie d'une subjectivité débridée et foi universelle e;
d'un volomarisme sans bornes. L'autonomie est placée sous le sigle de la raison l' égalité : la libi
et c'est elle qui dicte à l'homme le principe, les conditions et les limites de l'obli- cas sous l' Anc
gation juridique 65 • Ainsi, la validité des contrats et, en premier lieu, du comrat entiere. Elle s' <
social dérive du principe jusnaturaliste pacta sttnt servanda"". Si l'homme peut se ne serait pas fo
lier par sa propre parole, il lui est néanmoins interdit de renoncer à sa propre fois d'une égali
humanité, à savoir sa liberté. Nul n'a ainsi le droit de se constituer esclave. En Au nom de
situam la source suprême du droit non pas dans un ordre transcendam, mais reconnaissance
dans la raison humaine, Kant effectue une véritable révolution copernicienne en de cette liste s
philosophie du droit : au droit naturel classique, il substitue le droit naturel sens de la stm
moderne que l'on appelle encore le « Vermmftrecht (droit de la Raison) », ce qui grer 75 , la li bert
lui vaut les critiques acerbes des défenseurs du premier''7 • du commerce,
s'ajoutent les 1
fonctions pub
B. Les diverses facettes du principe d'autonomie troisieme cerc
1º Le noyau dur : la liberté individuelle visés par là de
liberté d'assoc
43 Le Vernunftrecht puise toute sa force et son contenu dans ce premier axiome
qu'est le príncipe d'autonomie. 11 en découle le principe de la liberté individuelle
qui est un droit inhérem à l'homme, que celui-ci détient parce qu'il est un 68. I. KANT, /1/
(l 'indépendance p,
!iberté de torlt a11
homme en vertll ,
69. Sur !e themi:
BOLDT.
64. Cf D. FOLSCHEID (dir.), La philosophie allemande de Kant à Heidegger, Paris, Puf, 1993,
70. I. KANT, « 1
PP· 7-41. 71 I. KANT, Mel
65. Cf I. KANT, Metaphysik der Sitten, § 46, p. 432, trad. J. Masson et O. Masson, p. 578 (« Le po11-
72 I. KANT, « L
voir législatif ne pera échoir q11'à la volonté 11nifiée d11 pe11ple. En ejfet, comme c'est d'elle que torlt droit 73. R. MOHL,.
doit procéder, il fartt que ce pouvoir p11isse ne faire tort par sa foi absol11ment à personne [Denn, da von
74. Ibid.
ihr alies Recht attsgehen sol!, so muss sie durch ihr Gesetz schlechterdings niemand rmrecht ttm kõnnen} ») 75. C. ROTTE<
et § 51, p. 461; K. von ROTTECK, Lehrbuch des Vermmfirechts, t. 1, 1829, § 3, p. 5 ss («Seu/ela « Grundgesetz ,.
volonté rationnelle pe11t être conçue comme étant libre. Sa foi est la foi mora/e»); C.T. WELCKER, Die 76. R.MOHL,
letzten Grrinde ... , op. cit., p. 81 ss; id., « Grundvenrag ", Staatslexikon, 3' éd., t. 7, p. 99-148; id., 77. Ibid., p. 329
« Gesetz », Staatslexikon, l" éd., t. 6, p. 726-754. Sur !e caractere intrinsequemen_~ rationnel du
78. C. ROTTE<
principe kantien d'autonomie, cf. aussi les diverses contriburions in J. SCHWARTLANDER (dir.), 79. R.MOHL.
Menschenrechte rmd Demokratie, Kehl, Engel, 1981. 80. C. ROTTEI
66. Cf K. OLIVECRONA, i.Aw as Fact, 2"J edn., London, Stevens, 1971, p. 13: « The socitil contract 81. Ibid.
is the mother ofpositive hmnan !<1w, Groti11s says, and the law of nawre its grandmother. ,, 82. Ibid.
67. Lire les critiques de M. Villey dans sa préface à E. KANT, Métapbysiq11e des mce11rs, Premiere 83. C.T. WELL
partie: doctrine du droit, trad. fr. par A. Philonenko, 4' éd., Paris, Vrin, 1988. II ira m&me jusqu'à 84. R.MOHL,
accuser Kant d'avoir été un positiviste, ou du moins d'avoir ouvert la pane au positivisme en niant 85. C. ROTTE
coute possibilicé d'une connaissance du Sein. Cf infra n· 448 note 36. Pour une défense du kantisme, gesetz ", p. 114.
cf. A. RENAUT & L. SOSOE, op. cit., p. 367 ss.
j

! sens d'un_ néologisme: le Rechtsstaat í L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 47


!1
J

11s sa Critique de la raison pure qu 'i1 l' h mme"'. Cette prérogative si précieuse de l'être humain de choisir ses propres
les mysteres de la chose en soi. Les j
~s de s'épanouir et de s'enrichir comme il 1ui pla1t•", à condition toutefois de
lelà des limites de la connaissance 1
l res~ecter la liberté d'au_t~ui, consti~ue une exigen~e si fon~ame~tale de la_rai~?n
ercher le sens de 1a vie et les fon- u'aucune instance polmque ne d01t y porter attemte. Meme s 11 le voula1t, l m-
~ extérieur. C'est, au contraire, à 1 dividu ne saurait valablement s'en défaire : la liberté est inaliénable'º. Aussi le
bre arbitre, de se fixer ses propres droit se définit-il comme l'ensemble des prescriptions permettant de concilier la
:, l'homme s'autolimite en selais- i liberté des uns et des autres : « Le droit est dane le concept de l'ensemble des condi-
'~e. Aussi le príncipe de l'autono-
~Ie d'une subjectivité débridée et rj tions auxquelles /'arbitre de l'un peut être accordé avec /'arbitre de l'autre d'apres une
foi universelle de la liberté. » 71 De ce premier príncipe découle aussitôt celui de
ist placée sous le sigle de la raison l'égalité: la liberté n'est plus l'apanage de quelques privilégiés, comme ce fut le
conditions et les limites de l'obli-
ts et, en premier 1ieu, du conrrat 1
r cas sous l' Ancien Régime, mais c'est un droit inhérent à l'humanité toute
entiere. Elle s'oppose par conséquent à toute distinction d'origine féodale, qui
:t serv~nda•1,_ Si l'homme peut se 1'1 ne serait pas fondée sur les capacités et les mérites de l'individu. Il s'agit toute-
mt_erd1t de renoncer à sa propre j
l fois d'une égalité de droit et non pas d'une égalité de fait 72 •
lroit de se constituer esclave. En Í;
Au nom de ces deux príncipes, les libéraux du Vormâ"rz revendiq_uent la
tns un ordre transcendam mais i
l1 reconnaissance parles monarques d'un catalogue de droits de l'homme. A la tête
ble révolution copernicie~ne en de cette liste se situent des droits et libertés tels que la liberté individuelle, au
!'
ue, i1 substitue le droit nature1 j sens de la sureté 73, la liberté d'aller et venir" et spécialement la liberté d'émi-
echt (droit de la Raison) », ce qui ! grer75, la liberté d'expression 7", la liberté de conscience et de religion 77 , la ltberté
rem1er 1' 7• du commerce, la liberté coiltractuelle et, enfin, le droit de propriété ". A cela
s'ajoutent les revendications quant à l'égalité devant la loi", l'égalité d'acces aux
:ipe d'autonomie fonctions publiques'º, sans oublier l'égalité devanr les charges publiques 8 '. Un
troisieme cercle de droits concerne plus spécifiquement }'espace politique. Som
visés par là des droits tels que la liberté de la presse "', la liberté de réunion '3, la
liberté d'association ", 1'existence d'une opinion publique libre ", la publicité des
ttenu dans ce premier axiome
incipe de 1a 1iberté individuelle
i-ci détient parce qu'i1 est un
68. 1. KANT, Metapbysik der Sitten, p. 345; trad. J. Masson & O. Masson, p. 487 : « La liherté
(l'indépendance par rapport à un atttre arhitre contraignant), dans !,, mesure 011 elle peut suhsister a·vec la
liherté de tout a11tre mivant une !oi zmiverselle, est ce droit originaire, 11nique qui appartient à tout
homme en vertu de son humanité. »
69. Sur le theme de la diversité foisonnante engendrée par la liberté, cf. l'ouvrage de W. von HUM-
Kant à Heidegger, Paris, Puf, 1993, BOLDT.
70. 1. KANT,« Über den Gemeinspruch ... », p. 161.
asson et O. Masson, p. 578 (« Le pou- 711. KANT, Metapbysik der Sitten, p. 337 [trad. J. Masson & O. Masson, p. 479].
ejfet, comme c'est d'elle que tottt droit 721. KANT,« Über den Gemeinspruch ... », p. 147.
ihsolument à personne [Denn, da von 73. R. MOHL, Enzyklopãdie... , p. 329.
imgs memand tmrecht trm kõnnenj,,) 74. Ihid.
'ls, _t- l, 1829, § 3, p. 5 ss («Seu/ela 75. C. ROfTECK, « Constitution », p. 768; C.T. WELCKER, Die letzten Grzinde ... , p. 95; id.,
foz mora/e»); C.T. WELCKER, Die « Grundgesetz », p. 114.
slr:xzk_on, _]" ~d., t. 7, p. 99-148; id., 76. R. MOHL, Enzyklopãdie, p. 329.
:tere mtrmsequement rationnel du 77. Ihid., p. 329; C. ROTTECK, « Constitution », p. 768.
s zn]. SCHWARTLÃNDER (dir.), 78. C. ROTTECK, « Consticution », p. 767.
79. R. MOHL, Enzyklopãdie, p. 328; C. ROTTECK, « Constitution », p. 767.
ns, 1971 , P· 13: « Thesocidl contract 80. C. ROTTECK, « Constitution », p. 767.
itttre zts grandmother. » 81. Ihid.
. Métapbysiq11e des mce11rs, Premiere 82. lhid.
'.s, Vnn, 1988. II i_~ i:iême jusqu'à 83. C.T. WELCKER, « Grundgesetz », p. 114 .
.rt la porte au posmv1sme en niant 84. R. MOHL, Enzyklopãdie, p. 329; C.T. WELCKER, « Grundgesetz », p. 112.
36. Pour une défense du kamisme, 85. C. ROfTECK, « Constitution », p. 767; C.T. WELCKER, Die letzen ... , p. 94; id., « Grund-
gesetz », p. 114.

t
48 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du }

affaires étatiques "· et, enfin, le droit de pétition ". Ceux-ci som particulierement dont ils doivent 1
menacés à un moment ou, sous !'égide de Metternich (1773-1859), la réaction un tel gouvernc
a le vem en poupe. Les libéraux prennent alors conscience des risques d'une l'illustre philoso
confiance exagérée dans la vertu des rois et exigent une participation accrue de tif qui puisse sei
la société aux affaires de l'État"'. L'idée d'autonomie débouche ainsi - ce qui des besoins est t
n'était pas toujours prévu dans les premieres théorisations du Rechtsstaat - sur reux". À l'État
le droit d'être « son propre maítre » ". Cela signifie au moins le droit, pour cer- entiere à chaque
tains, d'élire des représentants qui aient leur mot à dire dans le vote des lois. À et des malades 9 '
cela s' ajoute l 'indépendance de la justice"º et la revendication de jurys populaires. siques, pour res1
En dernier lieu, on mentionnera également la catégorie des droits de l'État que l'ordre public''''.
Mohl fait découler du príncipe du Rechtsstaat en les distinguam des droits des de la société de
citoyens"'. L'autorité politique a ainsi le droit à l'obéissance de ses sujets pour est pour lui le
autant qu'elle reste dans le cadre des limites fixées par la Constitution'2• Elle a ment dans le p1
également le droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour venir à bout de d' indépendanc1:
ses fins. Enfin, le roi ale droit à un financement public de ses dépenses officielles. tique de l'État <
Mohl s' éleve
2° La pomme de discorde de l'État-providence dition absolutii
monde de l'adr
44 11 est néanmoins un point sur lequel les esprits som profondément divisés : il tion sociale dor
s'agit de la question du fameux Polizeistaat, dom l'un des plus illustres théori- explique son e
ciens fut Johann Heinrich Gottlob von Justi (1717-1771)" 3• Pour Kant, réputé opposé au Poli:
pour son esprit « ascétique » ", et ses disciples tels que Humboldt, l'État n'a en la liberté des e
aucune façon à se préoccuper du « bonheur », matériel ou spirituel, de ses mais il doit en
citoyens. L'État de police - terme que l'on ne trouve guere sous la plume de forces s' avérer:1
Kant - est clone, par nature, « despotique » : « Un gouvernement qui serait insti- que de faciliter
tué sur !e príncipe du bon vouloir à l'égard du peuple, comme celui d'un pere avec ses
enfants, c'est-à-dire un gouvernement paternel (imperium paterna/e), dans leque! § 2. DELA.!
dane les sujets sont contraints, comme des enfants mineurs qui ne peuvent pas distin-
guer ce qui est pour eux véritablement tttile ou pernicieux, de se comporter de façon
simplement passive, pour attendre uniquement du jugement du chefde l'État la façon
45 La philosophi
outre-Rhin A11

86. C.T. WELCKER, Die leczten ... , p. 93. Sur l'importance du príncipe de publicité, derriere leque!
transp~rait l'idée générale de lares p11blica, cf. O. JOUANJAN, « frésentation ", op. cit., p. 9 et 20 ss;
id., « Etat de droit, forme de gouvernement et représentation. A partir d'un passage d'un Kant ", 95 I. KANT, « Ül
Annales de la Farnlté de droit de Strasbourg, n· 2, 1998, pp. 279-301. 96 Ibid., p. 154 ~t
87. C.T. WEI.CKER, Die letzten ... , p. 93; id., « Grundgesetz », p. 114. 97. I. KANT, Ub,
88. C.T. WELCKER, « Grundgesetz ", p. 114 (« defaçon généraledes droits politiques les p/11s étend11s 98. Cf W. von H
possibles »); R. MOHL, Enzyklopãdie, p. 329. Sur l'étendue exacte de ces droits politiques, cf. infra [État-providence]
n" 59 ss. Avant qu'il n'exist
89. I. KANT, Metaphysik der Sitten, p. 345. Lire aussi de Kant !e texte fondamental « Beantwortung 99. Ibid., 3· parti,
der F rage ... ». 100. Cf la préfac,
90. C.T. WELCKER, « Grundgesetz », p. 11-t; C. ROTTECK, « Constitution », p. 767. 1966, p. xix et xx1
91. R. MOHL, Enzyklopãdie, p. 328. Staates. Das wissc
92. Mohl admettra d'ailleurs sur ce fondement !e droit des tribunaux ordinaires de contrôler la 101. R. MOHL,
constitutionnalité des !ois (cf. infr,, n'' 65). 102. Jbid., p. 325
93. Sur cet auteur et la science policiere du XVIW siecle, cf M. STOLLEIS, Geschichte, t. 1, chap. 8. t. 1, p. 16 ss. L'c
94. I. MAUS, « Entwicklung und Funktionswandel der Theorie des bürgerlichen Rechtssraats », Lorenz von Stein
op. cit., p. 17. social chez Loren
ns d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 49

". Ceux-ci sont particulierement dont ils doivent être heureux, et uniquement desa bonté que celui-ci aussi le veuille;
tternich (1773-1859), la réaction un tel gouvernement constitue le plus grand despotisme concevable. »" Selon
,rs conscience des risques d'une l'illustre philosophe, il n'existe sur ces questions aucun critere rationnel et objec-
;ent une participation accrue de tif qui puisse servir de guide à la puissance publique'". La diversité des gouts et
nomie débouche ainsi - ce qui des besoins est telle qu'il revient à chacun de choisir sa propre façon d'être heu-
éorisations du Rechtsstaat - sur reux'7. À l'État de s'abstenir de toute tutelle paternaliste et de laisser une liberté
ifie au moins le droit, pour cer- entiere à chaque individu. Faisant preuve de peu de sensibilité à l'égard des faibles
>t à dire dans le vote des 1ois. À et des malades' 8, Humboldt, quant à lui, avance trois arguments, désormais clas-
vendication de jurys populaires. siques, pour restreindre l~s f~nctions ?e l'~tat à la seule fo~ction de _main:ie~ de
ttégorie des droits de l'État que l'ordre public"'. Selon lm, l'mtervent10nmsme engendrera1t une umform1sat1on
n 1es distinguant des droits des de la société de parles contraintes imposées d'ep haut. Néfaste à la diversité, qui
l'obéissance de ses sujets pour est pour !ui le signe distinctif de la liberté, l'Etat-providence instillerait égale-
es par 1a Constitution "'. Elle a ment dans le peuple un esprit de paresse et d'oisiveté qui corrompe sa volonté
1écessaires pour venir à bout de d'indépendance. Enfio, il provoquerait un gonflement de l'appareil bureaucra-
ublic de ses dépenses officielles. tique de l'État quine peut qu'être nocif à la liberté.
Mohl s'éleve énergiquement contre cette vision restrictive. Ancré dans la tra-
dition absolutiste du Polizeistaat, en raison de ses attaches personnelles avec le
monde de l' administration, il détecte tres tôt les signes précurseurs de la ques-
mnt profondément divisés : il tion sociale dont i1 appréhende avec angoisse les possibles dangers '00 • C'est ce qui
: 1'un des plus illustres théori- explique son engagement pour un RfjChtsstaat qui_ ne soit pas diamétralement
17-1771)º'. Pour Kant, réputé ) opposé au Polizeistaat. D'apres !ui, l'Etat ne se d01t pas seulement de respecter
que Humboldt, 1'Etat n'a en la liberté des différents cercles sociétaux (individu, famille, ethnie, société) 1º1,
matériel ou spiritue1, de ses mais il doit encore les soutenir dans leurs entreprises au cas ou leurs propres
rouve guere sous la plume de forces s'avéreraient insuffisantes. Son rôle est donc supplétif et n'a d'autre but
gouvernement qui serait insti- que de faciliter l'exercice effectif des libertés'º'.
comme celui d'un pere avec ses
Jerium paterna/e), dans leque!
ieurs qui ne peuvent pas distin-
§ 2. DE LA SÉMANTIQUE DES LVMIERES ET DES LIBÉRAUX ALLEMANDS:
~ieux, de se comporter de Jaçon UN ESSA! DE CLARIFICATION
~ment du chefde l'État la façon
45 La philosophie des Lumieres, que l'on appelle outre-Manche Enlightment et
outre-Rhin Aujkléimng, a soudé l'Europe du XVIII' siecle dans une unité intellec-
>rin~ipe d~ publicité, derriere leque!
presenranon », op. cit., p. 9 et 20 ss;
A partir d'un passage d'un Kant »
li. , 95 I. KANT,« Über den Gemeinspruch ... », p. 145-146 [trad. L Ferry, p. 271].
p. 114. 96 Ibid., p. 154 et 164.
97. I. KANT, Überden Gemeinspmch ... , p. 145. ,
'e des droits politiqttes les pltts étendtts
98. Cf W. von HUMBOLDT, op. cit., p. 23 : « Même dans !e meil!ettr des cas, les Etats dont je parle ici
:te de ces droits politiques, cj infra
[Érat-providence] ne ressemblent que trop a11x médecins q11i nourrissent la ma/adie et éloignent la mort.
Avant q11'il n'existât des médecins, on ne connaissait que la santé 011 la mort. »
texte fondamenral « Beanrworrung
99. Ibid., 3' pareie, p. 17 ss.
100. Cf la préface de K. BEYME, Robert von Mohl. Politische Schrijien, Ké:iln, Westdeutscher Verlag,
Constitution », p. 767.
1966, p. xix et xxv. Voir aussi U. SCHEUNER, « Der Rechtsstaat und die soziale Verantworrung des
Staates. Das wissenschaftliche Lebenswerk von Robert von Mohl », Der Staat, 1979, pp. 1-30.
Junaux ordinaires de conrrôler la 101. R. MOHL, Encyclopãdie, p. 27 ss et p. 38 ss.
102. lbid., p. 325 et p. 77; id., Die Polizei-Wiss,enschafi nach den Gnmdsãtzen des Rechtsstaates, 2' éd.,
"OLLEIS, Geschichte, t. 1, chap. 8. t. 1, p. 16 ss. L'extension des fonctions de l'Etat à des objectifs sociaux est égaleme~t, prônée p~
e des bürgerlichen Rechtsstaats », Lorenz von Stein (1815-1890). Cf J. HUMMEL, op. at., p. 223 et ~- WASZEK, « L Etat de dro1t
social chez Lorenz von Srein » in O. JOUANJAN (dir.), Figures de l'Etat de droit, op. cit., pp. 193-217.
50 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention di

tuelle qui s'est traduite, et dans les idées et dans les mots. Au cceur de leurs A.
ré:flexions se situe la question du regne de la loi, idée à vrai dire ancienne, puis-
qu' elle remonte jusqu'à Platon et Ar~stote, à laquelle elles insuf:flent une nou-
velle vie à travers leur théorie de l'Etat. Ce dernier concept est résolument 46 La philosophi
moderne puisqu'il integre le concept jusque-là ignoré de la souveraineté 103 • Cette de la maniere
unité dans la diversité - caril va sans dire que la philosophie des Lumieres n'est des fois juridit,
pas un bloc monolithique 1°' - se manifeste également sur le plan sémantique. Rechtsgesetzen,
Le discours des Lumieres et des libéraux du début du XIX" siecle est axé sur trois identifiée au r
catégories de termes dont le sort respectif varie selon les circonstances spéci- caractérise pai
fiques à chaque pays. 11 s'agit, tout d'abord, des deux termes d'État (State, Staat) nomie politiq
et de République (Commonwealth, Republik), auxquels vient s'ajouter une troi- qu'il a de plu
sieme catégorie, composée de formules tres hétéroclites, dont les plus célebres naturelle. En
sont la rufe oflaw et le Rechtsstaat'º'. la res publica,
La présence de ce dernier terme fait toute l'originalité de la théorie allemande nymes, chacu
qui emploie les deux notions de Staat et de Rechtsstaat, ce qui n' est pas sans poser gene'ral 11 º. A\ e
I

quelques problemes de cohérence logique 106 • Il s'agit là d'un véritable nceud ter- Rechtsstaat qu
minologique et conceptuel qu'il n'est pas aisé de défaire. Si on l'analyse de plus l'avait du rest
pres, on s'aperçoit qu'à l'aune de la distinction fondamentale entre, d'un côté, ( 1808-1881) Ili.
le Staat ou la Republik et, de l'autre, le despotisme (A), la classification esquissée À chague f,
par Welcker et Mohl entre les différents genres d'État parart bancale (B). Des contrat social.
lors, la fameuse conclusion de Hans Kelsen, selon lequel l'État est, par défini- ressort égalen
tion, un État de droit 107, vaut non seulement pour les auteurs positivistes de la ( 1801-1867). 1
fin du XIX" siecle, ainsi qu'il le démontrera, mais aussi pour l'école moderne du si l'on admet,
droit naturel. stade du dével
droit (Rechtsst,
publique, à l'
Staat et de R

103. Cetie localisarion du concept de l'Ét,at dans la modernité, ce çiui imerdit par conséquent de par- 108. I. KANT, A
ler de "l'Etat dcs Mésopotamiens", de "l'Etat des Grecs" ou de "l'Etat moyenâgeux", est !e mérite de 109. Cf mpra nu
Otto Brunner. 11 O. Sur l'identit
104. Cf G. VLACHOS, L,1 pensée politiq11e de K,mt, op. cit., p. 28 s. Sur les Lumieres, TECK, Lehrb11cl
cf P. HAZARD, Lf! pensée e11ropéenne a11 XVIII' siecle. De Montesq11ie11 à Lessing, Paris, Fayard, coll. plu- p. 173 s; H.K. 1
riel, 1963; H. MOLLER, Venmnfi tmd Kritik. De11tsche A11fklãmng im 17. 11nd 18. Jahrhundert, Lexikon, 3' éd., t.
Frankfurt, Suhrkamp, 1986; W. SCHNEIDERS, Das Zeitalter der Arifklãrnng, München, Beck, Wissenschafi), ré
1997. O. BRUNNER,
105. Comme on !e voit, cette troisieme catégorie est composée de deux sous-catégories. La premiere Lexikon ztir poliL,
comporte les divers dérivés de l'expression regne de la /oi (government of law, empire des /ois, mie of p. 588 ss, p. 610,
law, « Rechtsherrschafi » [Rotteck] ou « Rechtswstand » [Kant]). La structure de toutes ces formules 111. En ce sens,
est moniste: il est fait ré_férence à la domination du droit - la !oi est roi-, sans que l'on memionne = Rechtsstaat}. S
sur quoi !e droit regne. A cela s'oppose la seconde sous-catégorie qui réunit des formules à structure Heinrich AHRF
binaire telles que Rechtsstaat, « law/111 goven1ment » (Locke), « droit go11vemement » (Bodin). Celles- ( = extraits cirés 1
ci évoquent explicitemem un lien de subordination de l'Etat, du g9uvernemem (au ,sens large) au 112. P. PFIZER.
droit, ce qui peut signifier à la fois que !e droit regne à travers l'Etat ou comre l'Etat. Cf infra tiger und rmbesie_,
n" 163 ss et n" 347 ss. nichts Anderes ist
106. Quant à la doctrine juridique anglaise, elle retiendra, sous l'influence décisive de Dicey, !e terme Natttrsstaates in ,,
de mie of law en abandonnam, celui de Commonwealth et de Sta te. ,Pour ce qui est des juristes fran- cule, et de État, a
çais, ils utilisem les termes d'Etat, de Rép11bliq11e et, depuis peu, d'Etat de droit. juridique, ce qui
107. Cf infra n" 100. l'état de narure.
~ns d'un néologisme: le Rechtsstaat L'invention dzt Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 51

ans les mots. Au creur de leurs A. La summa divisio entre le Staat (ou la Republik)
i, idée à vrai dire ancienne, puis- et le Despotismus
aquelle elles insuffiem une nou-
:lernier concept est résolumem
46 La philosophie politique de Kapt est cemrée sur la notion de Staat qu'il définit
gnoré de la souveraineté 103 • Cette de la maniere suivante : « Un Etat est la réunion d'une multitude d'hommes sous
l philosophie des Lumieres n'est
des fois juridiques (Ein Staat ist die lkreinigung einer Menge von Menschen unter
ilemem sur le plan sémamique. Rechtsgesetzen). » 1º' L'idée de l'État, selon les principes purs de la raison, est ai_nsi
llt du XIX' siecle est axé sur trais identifiée au regne de la loi, à un « état juridique (rechtlicher Zustand) » 1º' qm se
e selon les circ~:mstances spéci- caractérise parles trais princi,Pes a priori que som la liberté, l'égalité et l'auto-
:!eux termes d'Etat (State, Staat) nomie politique. En créant l'Etat, les hommes dépassent l'état de nature dans ce
xquels vient s'ajouter une trai- qu'il a de plus anarchique, pour jouir intégralement des bienfaits de la liberté
froclites, dom les plus célebres naturelle. En signant le contrat social, l'humanité accede à la chose publique, à
la res publica, à l' État. Les deux termes de Staat et de Republik sont clone syno-
ginalité de la théorie allemande nymes, cha,cun d'eux désignam l'autorité politique chargée de réaliser l'im~rêt
,taat, ce qui n'est pas sans poser général 110 • A cela s'ajoute le nouveau terme de Vernunftstaat et, surtout, celm de
1git là d'un véritable nreud ter- Rechtsstaat qui, strictemem parlam, n'est autre que le Staat, la Republik, comme
_défaire. Si on l'analyse de plus l'avait du reste compris, du moins implicitement, Johann Kaspar Bluntschli
ondamentale entre, d'un côté, (1808-1881) 111 •
~ (.~), la classification esquissée À chaque fois, il est fait référence à l'idée d'un pouvoir politique fondé sur le
d'Etat paraJt bancale (B). Des contrat social. Cette équation Staat = imérêt général = Republik = Rechtsstaat
n lequel l'Etat est, par défini- ressort égalemem d'un extrait tiré de l'article sur le libéralisme de Paul Pfizer
ir les auteurs positivistes de la (1801-1867). D'apres lui, « le libéralisme paraít encare plus puissant et invincible,
mssi pour l'école moderne du si l'on admet qu'il n'est rien d'autre que la transition, indispensable à un certain
stade du développement humain, de l'État de nature (Naturstaates) vers l'État de
droit (Rechtsstaat) » 111 • En sortam de 1' état de nature, l'humanité accede à la chose
publique, à l'État ou, encare, au Rechtsstaat. L'équivalence des deux termes de
Staat et de Rechtsstaat, au sein de la philosophie libérale, explique pourquoi

·e (IUÍ imerdir par conséquem de par- 108. I. KANT, Metaphysik der Sitten, op. cit., § 45, p. 431.
l'Erar moyenâgeux", esr le mérire de 109. Cf supra note 49.
110. Sur l'idemiré entre Staat er Republik, cf I. KANT, Metaphysik der Sitten, § 43, p. 429; C. ROT-
cit., p. 28 s. Sur les Lumieres TECK, Lehrb11ch des Vernrmftrechts und der Staatswissenschaften, r. 2, Srurrgart, Frai:ick, 1830,
{':." à l.essing, Paris, Fayard, coll. plu: p. 173 s; H.K. HOFMANN, « Republik », in C. ROTTECK & C.T. WELCKER {dlf.), Staats-
anmg zm 17. tmd 18. Jahrhrmden Lexikon, 3< éd., r. 12, pp. 509-513; J.K. BLUNTSCHLI, Lebre vom modernen Staat, t. 3 (Politik ais
" der Alljklãrung, München, Beck: Wissenschaft), réimpr. de l'éd. de 1876, Aalen, Scienria, p. 295; W. MAGER, « Republik », in
O. BRUNNER, W. CONZE & R. KOSELLECK (dir.), Geschichtliche Gnmdbegriffe. Historisches
e deux sous-carégories. La premiere l.exikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, r. V, Sturrgart, Kletr-Corta, 1984, pp. 571-580,
;ment oflaw, empire des fois, mie of p. 588 ss, p. 610 ss er p. 620 ss.
-ª srrucrure de toures ces formules 111. En ce sens déjà: J.K. BLUNTSCHLI, op. cit., p. 295 (Staat = Republik) er p. 297 (Rep11blik
est roi -, sans que l'on menrionne = Rechtsstaat). Sur l'idenriré du Staat et du Rechtsstaat, cf aussi les écrits du jurisres allemand
qui réunit des formules à structure Heinrich AHRENS, Corm de droit nalllrel, 6< éd., Leipzig, Brockhaus, 1868, r. 3, p. 331 er 350
>li go11vernemen1 » {Bodin). Celles-
(= exrrairs cirés infra n·· 352 nore 130).
1 ~wuvernemem (au ,sens large) au
112. P. PFIZER, « Liberal, Liberalismus », in Sta,us-Lexikon, 2· éd., r. 8, 1847, p. 534 : « Noch mãch-
1Erat ou conrre l'Etar. Cf. infra tiger und rmbesiegbarer muss aber der Liberalism11s dann erscheinen, wenn man sich überz!_!1tgt, dass er
nichts Anderes ist ais der auf einer gewissen Swfe menschlicher Entwickl11ng nothwendzge Ubergang des
1fluence décisive de Dicey, le terme Nat11rsstaates in den Rechtsstaat. » On notera que l'auteur confond les termes de état, avec e minus-
?. ,Pour ce qui est des jurisres fran-
cule, er de État, avec E majus,cule. Au lieu de pa~ler du passage de l'érar de narure vers l'érar,civil, ou
•Etat de droit.
juridique, ce qui abourir à l'Erat, il parle de« l'Etat de nalllre » comme s'il existair déjà un Erar dans
l'érat de narure.

UFR83
plllCIJLDAOE OE [)lftffle
BIBLIOTEGA
52 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention d11

Mohl peut qualifier Grotius, Hobbes, Locke, Rousseau, Montesquieu, Kant, C' est, en effet,
Constam, etc. de défenseurs - inconscients précisera-t-il 113 - du Rechtsstaat alars miere fois un
qu'ils ignorem ce terme IH. Mais, si l' on peut rajou ter le ter me de Rechtsstaat sans général appliq1.
modifier le fond de leur pensée libérale, on peut tout aussi bien l'enlever. Rien dans ses vertus
n'interdit, en effet, de présenter le concept d'État chez Kant et les autres sans nasmes, est arn
évoquer à aucun moment le terme litigieux, car redondant, de Rechtsstaat. tiques que dai
Staat est, et n,
47 Quant à l'antithese du Staat, et par conséquent de la Republik, du Rechtsstaat et
du Vernunftstaat, il s'agit du « Despotismus » m_ Celui-ci se caractérise parle regne Rotteck, Welc
du bon plaisir de celui qui détient la puissance et qui fait prévaloir ses propres surtout, àl'ide1
intérêts privés, ou ceux de ses collaborateurs, sur l'intérêt général. À partir de Pendam lor
cette distinction générale, Kant dégage les deux criteres précis qui, à ses yeux, magne en ra1s<
permettent de différencier radicalement la « République » du « despotisme » : il fois en Allema
s'agit des deux príncipes classiques des droits de l'homme et de la séparation des la fameuse « r,
pouvoirs, énoncés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 116 • Seul un régime avec les idées a
9,ui respfcte ces criteres du droit naturel est, par conséquent, digne d'être appelé d'ajouter un p
Etat 117 • A l'inverse, si l'on respecte le sens strict des mots, l'on doit admettre que de quel Staat il
l' expression État despotique constitue une contradictio in adjecto 118 • L' absence « Fürstenstaat ,
d'intérêt général, ce qui est le propre du Staat et du Rechtsstaat, ainsi que l'avait méfiance ne s'
noté Aretin 11 9, interdit logiquement une telle association. école du droit
figures aussi én
48 L'usage du terme de Rechtsstaat n'est clone qu'une façon de parler, peu scienti- (1655-1728), e
fique certes, pour répéter ce qui est déjà inscrit dans le concept de Staat et, de par la Révolut
façon encare plus explicite, dans celui de Republik. Seul l'effet rhétorique une vision lib
explique à ce stade l'intérêt de ce néologisme. Sa fonction est à cet égard double. gismes autour
D'une part, ainsi que le note Georg-Christoph von Unruh 120 , le concept de sons 115 • Parmi
Rechtsstaat répond à un intérêt professionnel des juristes: en démontrant jusque nunftstaat et P.
dans les mots qu'il y a un discours juridique possible sur l'État, le Rechtsstaat le « Volksstaat
participe à la légitimation de la nouvelle science de la théorie générale de l'État. le « poetische S
maté dans la d
nel 121 et, par ii
113. R. MOHL, Encyclopãdie, p. 330. Cf L GUMPLOWICZ, op. cit., p. 149 note 2. le devant de L-
114. R. MOHL, Geschichte, t. 1, p. 227 ss.
115. I. KANT,« Zum ewigen Frieden », p. 204 ss (République - despotis,me); C. ROTTECK, Lehr- d'abord, par\'
b11ch, t. 2, p. 174, p. 179 ss, p. 197 ss (II évoque la tryarchie République/Etat - despotisme - anar-
chie). Ce point est admis, de façon incidente, par C.T. WELCKER, « Staat, Staatsverfassung »,
p. 535 s, lorsqu'il critique certains auteurs de ne pas avoir respecté dans leur classification des régimes 121. Cette missio
politiques la distinction fondamentale entre « Rechtsstaat » et « Despotie ». manuel de droit 11
116. Cf l' étude approfondie de W. KERSTING, Wohlgeordnete Freiheit, op. cit., p. 418 ss. kon, ou il devient
117. Cf les avis en ce sens deJ.W. PLACIDUS (Litteratur, p. 73 et 27 s) et de R. MOHL (Staatsrecht public plus spécia
des Kõnigreichs W,irttemberg, 1829, t. 1, p. 103) cités par G.-Ch. Von UNRUH, op. cit., p. 253 et 276. 122. Cf sur ce
s. Lire aussi C. ROTTECK, Lehrb11ch, t. 2, p. 182 ou il s'insurge contre la dilucion du sens authen- H. BOLDT, « Sta
tique du terme de Staat. Geschichtliche Gn
118. J:n ce sens: C. ROTTECK, Lehrb11ch, t. 2, p. 174, p. 180, p. 188 (la mort du droit entratne celle 123. lbid. p. 16 et
de l'Etat), et sunout p. 199; H. MARQUARDSEN, « Déspotie, Despotismus », Staats-Lexikon, 124. Jbid. p. 17 ss
3' éd., t. 4, 1860, p. 363; EA. von der MARWITZ, Über Hardenbergs vier Reden, 1811 : « Par Rép11- 125. lbid. p. 25 s,
bliq11e nq11s entendons (com me /'indique déjà !e tenne) zm régime d'intérêt gefnéral (Gemeinwesen), c'est- 126. Trad. litt.: «
à-dire l'Etat; par despotisme, en revanche, une alltocratie illimitée, un non-Etat (Nicht-Staat) » (cité par de la nécessité » ( 1
G. HAVERKATE, Verfass11ngslehre, München, Beck, 1992, p. 59); Voir aussi infra (note 137) la clas- poétiq11e » (Novali
sification des régimes de Friedrich Schlegel. 127. Sur ce terff
119. Voir supra note 19. Cf aussi C. ROTTECK, Lehrb11ch, t. 2, p. 198. « Begriff und Pr,

120. G.-Ch. von UNRUH, op. cit., p. 262. Suhrkamp, 2000,


ms d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 53

' ~ouss~au, Montesquieu, Kant, C'est, en effet, en 1796, à l'université de Heidelberg, que l'on établit pour la pre-
crsera-t-11 113 - du Rechtsstaat alars miere fois un cours de « Allgemeine Staatslehre » appelé encare « droit naturel
outer le terme de Rechtsstaat sans général appliqué à l'État ». Le second intérêt du terme réside, naus semble-t-il,
1t tout aussi bien l'enlever. Rien dans ses vertus pédagogiques. L' art de la répétition, et dane le recours à des pléo-
~tat chez Kant et les autres sans nasmes, est autrement plus valorisant et importam dan_s les joutes oratoires poli-
· redondant, de Rechtsstaat. tiques que dans les débats feutrés entre spécialistes. A force de répéter que le
de la Republik, du Rechtsstaat et Staat est, et ne peut être qu'un Rechtsstaat, les professeurs politiques que sont
:elui-~i se_ cara~térise parle regne Rotteck, Welcker et Mohl auront réussi à vulgariser leur message polirique et,
et ~~ 1 ~ª1; pr~v~loir ~es propres surtout, à l'identifier clairement dans la cacophonie générale sur le rôle de l'Etat 121 •
ur l mteret general. A partir de Pendam longtemps, le mot Staat a gardé une connotation péjorative en Alle-
: crit_eres précis qui, à ses yeux, magne en raison de ses origines malfamées. Le terme appara1t pour la premiere
oublzque » du « despotisme » : il fois en Allemagne au cours du XVII' siecle daps le sillage des ouvrages italiens sur
l'.homme et de la séparation des la fameuse « ragione di stato », la raison d'Etat 122 • Pour éviter toute confusion
:10n de 1789 "". Seul un régime avec les idées abhorrées de Macchiavelli, les publicistes allemands prennent soin
:onséquent, digne d'être appelé d'ajouter un préfixe ou un adjectif au terme de Staat a:fin de marquer clairement
es ~~ts,_l'on doit admettre que de quel Staat il s'agit "3. De là naissent diverses combinaisons telles que le fameux
-adzctzo m adjecto "s. L'absence « Fürstenstaat (État du prince) » ou le « christlicher Staat (État chrétien) ». Cette
d~ R_echtsstaat, ainsi que l'avait mé:fiance ne s'estompe qu'au cours du XVIII' siecle, sous l'impact de }'influente
)Ciatron. école du droit naturel et du droit des gens représemée en Allemagne par des
te façon de parler, peu scienti- :figures aussi éminemes que Samuel Pufendorf (1632-1694), Christian Thomasius
fans le concept de Staat et de (1655-1728), Christian Wolff (1679-1754) et Kam 124 • Leurs efforts som couronnés
'4bli~. Seul ,l'effet rhétori~ue par la Révolution française qui agit comme un puissam catalyseur pour imposer
Jnctron est a cet égard double. une vision libérale du mot Staat. Pour autant, l'habitude de créer des néolo-
v~n Unruh 11D, le concept de gismes autour du mot Staat subsiste et donne lieu à de multiples combinai-
1~1stes : en tjémontrant jusque sons m_ Parmi elles on citera, outre les expressions déjà vues de Rechtsstaat, ¼r-
srble sur l'Etat, le Rechtsstaat nunftstaat et Polizeistaat, le « Freistaat », le « ¼rfassungsstaat », le « Kulturstaat »,
~ la théorie générale de l'État. le « Volksstaat », le « Notstaat », le « Gedankenstaat », le « philosophische Staat »,
le « poetische Staat », etc."'' Mais, si aucun de ces derniers termes ne s'est accli-
maté dans la doctrine juridique - à l'exception toutefois de l'État constitution-
op. cit., p. 149 note 2. ne/"7 et, par instams, de l'État civilisé -, celui de Rechtsstaat a été propulsé sur
le devam de la scene au gré d'une typologie plus empirique qui fut théorisée,
-d~spotis,me); C. ROTTECK, Lehr- d'abord, par Welcker, puis par Mohl.
ubhque/Etat - despotisme - anar-
~KER, « Staar, Staarsverfassung »
e dans _leur classification des régime; 121. Cerre mission de vulgarisation explique, nous semble-t-il, le décalage chez Rotteck entre son
'Jespotle ». manuel de droit naturel, ou le terme de Rechtsstaat ne figure nulle part, et sa préface du Staals-Lexi-
Freiheit, op. cit., p. 418 ss. kon, ou il deviem au comraire !'embleme du programme libéral. Si le premier ouvrage s'adresse à un
et 27 s) et de R. MOHL (Staatsrecht public plus spécialisé et plus averti, le second vise au comraire un auditoire beaucoup plus large.
fon UNRUH, op. cit., p. 253 et 276. 122. Cf sur ce sujet R. KOSELLECK, W. CONZE, G. HAVERKATE, D. KLIPPEL &
! comre la dilution du sens aurhen- H. BOLDT, « Sraat und Souveranitat », in O. BRUNNER, W. CONZE & R. KOSELECK {dir.),
Geschicht!iche Gmndbegriffe, Stuttgan, Klett-Cotta, t. VI, 1990, p. 1-100, spéc. p. 12 ss.
!88 {la more du droit emraine celle 123. Ibid. p. 16 et 20.
:te, Desporismus », Staats-1..exikon 124. Ibid. p. 17 ss
ber~s ';'ie~ J?_eden, 1811 : « Par Répu'. 125. !bid. p. 25 ss. , , , , ,
mteret gt,neral (Gemeinwesen), c'est- 126. Trad. litt. : « l'Etat libre »~ « l'Etat constiwtionnel », « l'Et~tl civilisé », « l'Etat pop11laire », « l'E,tat
m n~n-Eta'. (Nicht-Staat) » (cité par de la nécessité ,, (Hegel), « l'Etat de la pensée ,, (Hegel), « l'Etat philosophiqtte » (Novalis), « l'Etat
; Vo1r auss1 znfra (note 137) la clas- poétiq11e » {Novalis). .. ..
127. Sur ce terme que l'on trouve notammem chez Blumschli, cf E.-W. BOCKENFORDE,
J. 198. ·
« Begriff und Probleme des Verfassungsstaates », in id., Staat, Nation, Europa, 2' éd., Frankfurt,
Suhrkamp, 2000, p. 127-140.
54 À la recherche du sens d'un néologisme: !e Rechtsstaat L 'invention d

B. Une nomenclature empirique : opposant dai


de l'État despotique à l'État de droit constitution p,
le terme de Si
49 Le concept susmentionné de l'État1 de la République et de l' État de droit se réfere société d'hon
à un idéal, c'est-à-dire à l'idée de l'Etat tel qu'il devrait exister selon les principes simplement 1,
purs de la raison, idée qui doit servir de modele à coute société politique réelle- logique décot
ment existante 11'. C'est la mise en perspective du concept de l'Etat et desa réa- ou il existe u1
lité sociale, autrement dit l'opposition que l'on fait d'habitude entre la théorie fait, contraire
et la pratique, qui va aboutir progressivement à une différenciation entre le Staat sée kantienm
et le Rechtsstaat. incarne l'idée
réellement.
1º Ihéorie et pratique de l 'État chez Kant et Rotteck 51 Or, en toute
pecter scrupt
I
50 Si Kant situe le fondement juridique de l'État dans le contrat social, il n'est pas reserver cette
dupe sur !'origine historique des États réellement existants. En distinguam ce qui les criteres di:
releve du normatif et de l'ordre factuel, il est tout à fait conscient que le contrat l'utilisation e
social n'est qu'une idée régulatrice qui n'a aucune réalité historique 11•1• lnutile, par lieb Fichte (1
conséquent, d'aller fouiller dans le passé des États contemporains pour y cher- strict du temi
cher les traces d'un éventuel pacte social qui viendrait conditionner l'obéissance convention li
à l'État : il n'en existe point. Le contrat social n'est qu'une métaphore, qu'une plan empiriq1
idée comme il ne cesse dele dire, ce quine veut pas dire qu'il soit sans aucun effet du concept d
réel. Au contraire, il oblige le titulaire du pouvoir à mesurer à ce metre étalon les régime politi1
lois positives qu'il s'apprête à édicter pour vérifier leur caractere juste ou injuste. moins liberei,
A l'origine de ce que l'on appelle aujourd'hui les États, il n'y a clone pas un acte respecte poin
juridique, mais bel et bien un rapport de force 130 • Ce n'est que progressivement pratiques arb
que cette domination brutale se métamorphose en un rapport de droit 131 et ticides? 13" Po
qu'émerge l'État, un vrai État (au sens du contrat social). L'Etat « phénoménal », finer la distin
ou empirique, se rapproche clone plus ou moins de l'État idéal ou« nouménal » 111 • on peut s'in~
Sur ce point, la terminologié de Kant manque toutefois de cohérence et de ( 1772-1829).
rigueur. Déjà, il hésite sur la terminologie à adopter. Ainsi, il lui arrive d'utili- geant, à trave
ser le même terme de Staat ou de Republik pour désigner à la fois l'idée de l'État premier lieu,
et la réalité d'un État historique donné; seul l'usage d'adjectifs permet deles dif- et qu'il désig
férencier m. Parfois, il lui arrive d' esquisser un dualisme terminologique en ensuite les ré
rement, à sav
tous les crite1
128. I. KANT, Metaphysik der Sitten, § 45, p. 431, parle de« l'Étal en !dée, te! qu'il dait être d'apres !es
purs príncipes du droit, idée qui sert de fil canducteur {nanna) à coute unificatian e/Jective visanl la chase
publique (dane s11r J.e plan interne}» [trad. légerement modifiée de J. Masson & O. Masson, p. 578].
129. I. KANT,« Uber den Gemeinspruch ... », p. 153. 134. I. KANT,·
130. I. KANT, Metaphysik der Sitten, § 49, Allgemeine Anmerkung A, p. 437 s. blikanisch sein. ,,
131. On notera la,ressemblance entre ces propos de Kant et les theses ultérieures de Jellinek sur l'au- p. 199: «Seu/e,
tolimitation de l'Etat. Ce dernier n'a d'ailleurs jamais caché l'inspiration kantienne de sa théorie Rousseau est cre
Cf infra Il'' 97 ss et, sunout, Il'' 518. « ]'appel!e dane 1
132. Sur la distinction entre le phénoménal et le nouménal, cf. I. KANT, « Der Streit der Fakul- Cf infr,1 n" 349.
taten », p. 364 et W. KESTINÇ, ap. cit., pp. 428-448. , 135 J.G. FICffl
133. Cf, par ex., I. KANT, « Uber den Gemeinspruch ... », p. 145 (« L 'Etat déjà établi »); Metaphysik W. CONZE, G
der Sitten, § 49, Remarque générale A, p. 438 ss. Le même phénomene s'observe pour le terme de 136. Voir à ce s
Republik. Cf .Met,,physik der Sitten, § 52, p. 464 ou il parle de la« vraie Républiq11e (wahre) » ou de la « nan-Étal (U11st.
« Rép11bliq11e pure (reine)». de « régime de 11,
ens d'un n,éologisme : le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 55

~,mpirique : opposant clairem_ent les term 7s de S~a~t et ~e ReJ:u~lik. !insi, i1 affirme que « la
~tat de droit constitution polittque de tout Etat dott etre republtcame » ' • Dans ce cas de figure,
le terme de Staat prend une tout autre signification. II n'est plus cet idéal d'une
lique et de l 'État de droit se réfere société d'hommes régis par des lois libérales et démocratiques, mais il désigne
ievrait exister selon les principes simplement le pouvoir politique en place. De cette optique emp,irique ou socio-
! à toute société politique réelle- logique découle une définition_ tre~ large : est considéré comme ,Et~t t~ut r~gime
lu concept de l'Etat et de sa réa- ou il existe un rapport de dommat10n des uns parles autres. li s ag1t d un s1mple
fait d'habitude entre la théorie fait, contrairement à la Republik qui résume en elle l'essence libérale de la pen-
me différenciation entre le Staat sée kantienne. La Republik est l'aune à laquelle sera jugé le ~taat. La Republik
incarne l'idée a priori de l'État, alors que le Staat renvoie à l'Etat tel qu'il existe
réellement.
otteck 51 Or, en toute rigueur, un tel usage du terme Staat est impropre. Si l'on veut res-
pecter scrupuleusement le sens des mots, et notamment celui de Staat, il faut
.ns_le contrat social, i1 n'est pas réserver cette dénomination aux seuls régimes politiques qui en remplissent tous
ex1stants. En distinguam ce qui les criteres de définition. Tant qu'il existe un écart entre la théorie et la réalité,
t à fait conscient que le contrat
l'utilisation du mot Staat doit être proscrite. Ainsi que le disait Joh,ann Gott-
réalité historique 12•. Inutile, par lieb Fichte (1762-1814), « ce n'est que le résultat (. ..) que naus appelons Etat au sens
:s contemporains pour y cher- strict du terme » t35. Aussi pédante, voire rigoriste que puisse paraltre une telle
irait conditionner 1' obéissance convention linguistique, celle-ci ne s'avere pas moins d'une grande utilité sur le
est qu'une métaphore, qu'une plan empirique, lorsqu'il s'agit de saisir cette zone grise qui se situe à mi-chemin
; dire qu'il soit sans aucun effet du concept d'État et de celui de despotisme. Comment qualifier, en effet, un
1 mesurer à ce metre étalon les régime politique qui applique scrupuleusement ses Jois dont le contenu est néan-
.leur caractere juste ou injuste. moins liberticide? U n régime qui se dote, cerres, de lois libérales, mais qui ne les
itats, il n'y a clone pas un acte respecte point ou en partie seulement? Ou encore un régime qui se livre à des
Ce n'est que progressivement pratiques arbitraires qui vont encore plus loin que ce que prévoient ses lois liber-
en un rapport de droit 111 et ticides? 131• Pour intégrer ces cas de figure intermédiaires, il faut et il suffit d' af-
D~ial). L'Etat « phénoménal », finer la distinction logique entre État et non-État, i.e. le despotisme. À cet égard,
'Etat idéaJ ou« nouménal » "'. on peut s'inspirer du vocabulaire scientifique proposé par Friedrich Schlegel
toutefois de cohérence et de (1772-1829). Ce dernier integre ces différents niveaux "d'étaticité" en envisa-
er. Ainsi, il 1ui arrive d'utili- geant, à travers l'histoire, une suite de trois catégories de régimes politiques : en
igner à la fois ]'idée de l'État premier lieu, les régimes quine correspondem nullement à la d~finition du Staat
d'adjectifs permet deles dif- et qu'il désigne parle terme de « despotischer Antistaat (l'anti-Etat despotique) »;
ualisme terminologique en ensuite les régimes qui se rapprochent de l'idéal étatique sans l'atteindre entie-
rement, à savoir les « QuasisttUften (quasi-États) »; enfin, les régimes qui satisfont
t en ldée, te! qu 'il doit être d'apres /es tous les criteres du concept d'Etat et qui seuls auront la qualité de « wahrer Staat
e unijicatzon effective visant la chose
J. Masson & O. Masson, p. 578).
134. I. KANT,« Zum ewigen Frieden ", p. 204: « Die bürgerliche Verfassung in jedem Staat sol! repu-
ng A, p. 437 s.
blikanisch sein. ,, Voir aussi l'hymne panégyrique à la République de C. ROTTECK, Lehrb11ch, t. 2,
'.Ses ulrérieures de Jellinek sur l'au- p. 199 : «Seu/ela République est j11ste; seu/e la Rép11bliq11e est bonne. » L'empreime de la pensée de
spirarion kamienne de sa rhéorie Rousseau est tres nerre. N'est-ce pas dans le Contrat social (Livr. II, chap. 6) que celui-ci proclame:
« ]'appelle donc Rép11bliq11e tout État régi par des loix (. ..). Tom go11vemement légitime est républicain. ,,
·. KANT, « Der Streir der Fakul- Cf infra n" 349.
135 J.G. FICHTE, Grundzüge des gegenwãrtigen Zeita!ters (1804-1805); cicé par R. KOSELLECK,
f
(« itat déjà étab!i "); Metaphysik W. CONZE, G. HAVERKATE, D. KLIPPEL & H. BOLDT, « Staat und Souverãnitãt ", p. 33.
mene s'observe pour le rerme de 136. V9ir à ce sujec les débars Sfimulams sur la nature d}l III" Reich : celui-ci esr qualifié ramôr de
raie Rép11b!iq11e (wahre),, ou de la « non-Etat (Unstaat) ", ramôr d'Etat à moicié, ramôc « d'Etat de non-droit (Unrechtsstaat),, ou encore
de « régime de non-droit "· Cf infra n" 528 ss.

1
56 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du

(État authentique) » 117 • Or, ce n 'est pas dans cette vaie que s' oriente la sémantique égoi"stes du de:
des juristes libéraux du début du XIX' siecle. cence, aboutit
gieuse révélée
2° La distinction welckérienne entre le despotischer Staat, s'ouvre l'ere d(
« Rechtsstaat »
le theokratischer Staat et le Rechtsstaat
pomorphes en
52 Les libéraux de la premiere moitié du XIX' siecle vont s'engouffrer dans le dua- patriarcal»,«/,
lisme terminologique esquissé par Kant entre le Staat et la Republik, en substi- tiquité, le « Ret
tuam toutefois à celle-ci l'expression de Rechtsstaat. Le terme de Republik n'a pas en ce sens qu'i
réussi à s'imposer comme mot d'ordre chez les libéraux allemands qui s'en dis- temps, il s'agit
tanciem de plus en plus. Ce rejet s'explique par deux raisons essentielles 138 • a guere de dow
-D'une part, le mot de Republik est associé à la Terreur qui a suivi l'abolition de du Rechtsstaat.
la monarchie en France en 1792. Le mot fait peur dans les cercles cultivés d' Al- 53 On peut t0utt
lemagne. D'autre part, les libéraux doivent faire face outre-Rhin à l'émergence cialement sur
d'un courant plus radical, que l' on appelle tantôt les « jacobins allemands », tan- Sur ce point 1
tôt les « républicains », tantôt les « démocrates », tantôt encare les « radicaux » 13". Si, parfois, ils
Ceux-ci ne se contentem plus du modele d'une monarchie constitutionnelle, qui -comme une
réaliserait l'idéal libéral par vaie de réformes successives, mais exigem un chan- comme un sm
gement radical, instantané et révolutionnaire. L'idéal de la« République » dont aire géographi
ils se réclament devient synonyme de rébellion ouverte et sanglante, de régicide, tive de l'État.
d'!dées socialistes et communistes, sans oublier le suffrage universel; autant intérêts du pe1
d'éléments qui sont abhorrés parles libéraux de l'époque H 0 • Ceux-ci préferent raison 151 , qu'il
se ranger sous la banniere d'un terme plus inoffensif que celui de Republik, ce qui droits de l'hor
fait le succes du néologisme de Rechtsstaat.
Ce dernier constitue, à en croire Welcker et Mohl, le stade suprême de l'évo-
lution du Staat. Le Rechtsstaat est la forme moderne de l'État dont il est le cou-
142. C.T. WELC
ronnement au terme d'un long processus historique. Cela suppose, par consé- Staat der Sinnlich1
quent, que la catégorie générique du Staat soit définie de façon suffisamment 143. Ibid., chap.
vague et large pour pouvoir s' appliquer à toutes les variétés ainsi rencontrées Hi. p. 21 ss.
144. Ibid., chap.
Welcker distingue ainsi trais stades de développement de l'humanité, chacun p. 25. Ce rrypriq1
donnant lieu à un genre particulier d'État qui se caractérise à la fois par son prín- Scaatsverfassung •
cipe de gouvernement et par son systeme de législation. Ainsi, à l'enfance et à la consacrée à la dét
145. II s'agir de Li
vieillesse de l'homme correspond, au plan politique, « l'État despotique » ou pré- wissenschaften. D;
vaut la loi du plus fort. C'est le regne des passions et de la sensualité, des intérêts 146. Selon Mohl
bon sens. Cf, pai
p. 324. Concraire
Mohl est et reste
137. F. SCHLEGEL, Versuch tiber den Begrijfdes Republikanism11s ( 1796); cicé par R. KOSELLECK, losophique qui 01
W. CONZE, G. HAVERKATE, D. KLIPPEL & H. BOLDT, « Staat und Souveranitat », p. 32. droit naturel che;
138. Voir H.K. HOFMANN, « Republik », in Staats-Lexikon, 3' éd., e. 12, 1865, pp. 509-513 (avec 147. Lire les crit
un poscscripcum de C.T. WELCKER) et, surcout, W. MAGER, op. cit., p. 626-639. Si jusque dans les C. ROTTECK, 1
années 1820-30, certains libéraux continuem à se référer à la Rep11blik (cf le Lehrbuch des Vernrmf 148. C.T. WELC
trechts de C. ROTTECK), ils y renoncenc définicivement à partir de 1848 (W. MAGER, op. cit., comme !e laisse s
p. 633). 149. R. MOHL.
139. La confroncacion de ces deux courancs conscicue la trame de l'ouvrage de U. BACKES. m11ne d'rm peuple
140. On verra que le cerme de Commonwealth subira le même sorc en Anglecerre à la suice de la 150. R. MOHL.
République de Cromwell. Les tentatives de réhabilicacion du cerme par Locke s'avéreronc vaines. Ce fassung », p. 513.
n'est qu'en France que le cerme garde coute sa symbolique libérale ec démocracique. 151. R. MOHL.
141. Cf les précisions apportées à ce sujer par R. MOHL, Encyclopãdie, 2' éd., p. 72. p. 74 ss; C.T. WI
ns d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 57

vaie que s'oriente la sémantique égo"istes du despote et, de ses sbires 142 • La deuxieme période, celle de l'adoles-
cence, aboutit à un « Etat théocratique ». C'est le regne de la foi et de la loi reli-
gieuse révélée par la bouche des prêtres" 3 • Enfin, avec l'âge mur de l'homme,
tischer Staat, s'ouvre l'ere de la Raison ou les peuples se donnent eux-mêmes une loi. C'est le
« Rechtsstaat » '". On retrouve une classification similaire - les as,Pects anth,ro-
pomorphes en moins - chez Mohl qui distingue six caté~ories d'Etats : « l'Etat
e vont s'engouffrer dans le dua- patriarcal»,« le pouvoir patrimonial», la « théocratie », « l'Etat classique » de l' An-
~ Staat et la Republik, en substi- tiquité, le « Rechtsstaat » et, enfin, le « despotisme » " 5• L'analyse se -yeut empirique
cat. Le terme de Republik n'a pas en ce sens qu'il relate l'évolution des idées sur les fonctions de l'Etat. En même
libéraux allemands qui s'en dis- temps, il s'agit d'une présentation orientée, et non pas relativiste, puisqu'il n'y
Jar deux raisons essentielles '-18 • a guere de doute sur la finde l'histoire. Le progres va, évidemment "•, dans le sens
erreur qui a suivi l'abolition de du Rechtsstaat.
1r dans les cercles cultivés d' Al- 53 On peut toutefois s'interroger sur la cohérence logique de ces concepts et spé-
i face outre-Rhin à l'émergence cialement sur l'articulation entre les concepts de Staat et celui de Rechtsstaat"7 •
t les « jacobins allemands », tan- Sur ce point névralgique, il y a un certain flottement chez Welcker et Mohl.
:antôt encare les « radicaux » n,_ Si, parfois, ils semblent retenir une définition des plus larges du terme de Staat
1onarchie constitutionnelie, qui - comme une autorité dont les fonctions et les lois sont des plus variables" 8 ou
cessives, mais exigem un chan- comme un simple rapport de pouvoir sur un peuple sédentaire dans une certain
idéal de la « République » dont aire géographique "' -, ils défendent, à d'autres endroits, une définition norma-
uverte et sanglante, de régicide, tive de l'État. Or, des lors qu'il est admis que l'État n'existe que pour servir les
r le suffrage universel; autant intérêts du peuple 150 , qu'il n'a le droit de poursuivre quedes buts conformes à la
l'époque "º. Ceux-ci préferent raison 151 , qu'il n'y a d'État que l'État doté d'une constitution qui garantir les
sif que celui de Republik, ce qui droits de l'homme et organise le pouvoir"1, il n'est de Staat que le Rechtsstaat' 53 •

ohl, le stade suprême de l'évo-


·ne de l'État dont il est le cou-
que. Cela suppose, par consé- 142. C.T. WELCKER, Die letzen Grzinde, op. cit. chap. 4 (« Periode der Kindheit. Gesetze Recht rmd
Staat der Sinnlichkeit. Despotie »), p. 13 ss.
:léfinie de façon suffisamment 143. Jbid., chap. 5 (« Periode des Jringlingsalter. Gesetze, Recht zmd Staat des Glaubens. Theokratie »),
es variétés ainsi rencontrées '". p. 21 ss.
ement de l'humanité, chacun 144. Jbid., chap. 6 (« Periode des Mannesalters. Gesetze, Recht rmd Staat der Vemrmfi. Rechtsstaat »),
p. 25. Ce tryptique est aussi développée par Welcker dans la deuxieme pareie de son article « Staat,
tractérise à la fois par son prin- Staatsverfassung », Staats-Lexikon, 3' éd., t. 13, spéc. pp. 513-534. La premiere pareie (pp. 502-513) est
ation. Ainsi, à l'enfance et à la consacrée à la définition du Staat.
1e, « l'État despotique » ou pré- 145. II s'agit de la dassification décrite par R. MOiiL dans la 1" édition desa Encyclopãdieder Staats-
wissenschaften. Dans la 2' édition, la catégorie de l'Etat classique a dispam.
et de la sensualité, des intérêts 146. Selon Mohl le bien-fondé des postulats libéraux est au-delà de tout doure; c'est une affaire de
bon sens. Cf, par ex., R. MOHL, Die Polizeiwissenschafi, 2• éd., t. 1, p. 6; id., Encyclopãdie, 2' éd.,
p. 324. Contrairement à ce qu'on lit chez certains commentateurs qui voient en !ui un posiriviste,
Mohl est er reste un jusnaruraliste même s'il prend ses distances par rapport aux grands sysreme phi-
·ms (1796); cité par R. KOSELLECK, losophique qui ont fait la célébrité de l'idéalisme allemand (Kant, Fichte, Hegel, etc.). Sur !e rôle du
f, « Staat und Souveranitat », p. 32. droit naturel chez Mohl, cf. P. von OERTZEN, op. cit., p. 100 et 104.
, 3' éd., t. 12, 1865, pp. 509-513 (avec 147. Lire les critiques radicales de la classification de Welcker (dom le nom n'esr pas cité) par
op. cit., p. 626-639. Si jusque dans les C. ROTTECK, Lehrb11ch, t. 1, p. 64 ss et r. 2, p. 181.
~ep'.1b!ik (cf le Lehrbuch des Vemrmf 148. C.T. WELCKER, Die letzten Gründe, p. 7 ss. Ce qui abourirair à une sorte de relarivisme
amr de 1848 (W. MAGER, op. cit., comme !e laisse sous-emendre Rorteck dans sa critique. ,
149. R. MOHL, Die Polizeiwissenschafi, 2" éd., p. 5: « L'Etal » esr « l'ordonnancement de la vie com·
de l'ouvrage de U. BACKES. m11ne d'zm peuple insta!lé sur 11n certain territoire et s0111nis à zm po11voir mprême "·
e sort en Angleterre à la suite de la 150. R. MOHL, Encyclopãdie, 2" éd., p. 39 s, p. 73, p. 76 s; C.T. WELCKER, « Sraar, Staarsver-
·me par Locke s'avéreront vaines. Ce fassung », p. 513.
-ale et démocrarique. 151. R. MOHL, Encyclopãdie, 2' éd., p. 78-79 note 3 ou il restreint l'oprique relarivisre développée
yclopãdie, 2' éd., p. 72. p. 74 ss; C.T. WELCKER, « Sraat, Sraarsverfassung », p. 510.
r
1

58 À la .recherche du sens d'ttn néologisme: le Rechtsstaat


L'invent,

Aucun autre "État" ne remplit ces criteres et surtaut pas le sai-disant État despo-
d'un seul
tique. Il en va de même paur la théacratie, qui n'est paint fondée sur la ~isan
ainsi la ,
mais sur la foi, et paur la conceptian patrimaniale du pauvair, puisque "l'Etat"
refusé M
n'y est pas l'affaire de taus, mais releve de la prapriété du manarque '"'. La clas-
tueux do
sificatian esquissée par Welcker et Mahl n'a, en réalité, de sens qu'à suppaser que
Kant 1
le terme de Staat fasse référence à la théarie des trais éléments constitutifs de
raison po
l'État. Or, une telle définitian n'a rien de juridique, c'est-à-dire de narmatif,
la forme,
puisque ce que l'an appelle alars État n'est plus qu'un simple fait '". soit rien,
verne, m
pnnc1pes
Section IL LA FORME INSTITUTIONNELLE les formê
DU RECHTSSTAAT : DE L' ABSOLUTISME ÉCLAIRÉ ration, p.
VERS LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE allemand
que« l'o/;
vememei,
54 La théarie classique du Rechtsstaat canna1t, en ce qui concerne san valet institu- degarant.
tiannel, des inflexians et flattements qui brouillent en partie la clarté de san Cette vis
message. Si le discaurs du Rechtsstaat est fortement lié à l'émergence du cansti- Rechtssta:.
tutiannalisme libéral en Allemagne au caurs du XIX' siecle, il faut tautefois se croire Me
garder de les assimiler 156• Ce serait réduire la camplexité théarique et historique vememen
du Rechtsstaat, qui, en ses débuts, et même encare dans les écrits tardifs de Mahl, ceuvre est
ne s'identifie pas à une forme de gauvernement déterminée 157 • Ainsi que l' écrit du territo
Welcker en 1813, « la question de la forme de l'État, c'est-à-dire le point de savoir si traditian
l 'État doit être gouvemé com me une monarchie, une aristocratie ou une démocratie, tiannaire
avec ou sans représentation des états (Stdnde), avec ou sans séparation des pouvoirs, un «juste
cette question, aussi importante qu'elle puisse paraítre d'tm point de vue politique, ne ne cesse <
connaít guere de solution juridique » 158 • À ses yeux, taus les régimes peuvent et l'anarc.
arguer d'une certaine efficacité dans !e maintien du regne du droit et l'an pour- font canti
rait même envisager de « confier la sauvegarde des fois juridiques entre les mains rangem d
salutian F
les prince
d'abard à
152. C.T. WELCKER, « Staat, Staatsverfassung », p. 504 ss.
153. Pour preuve, le glissement sémantique de Welcker qui, parti pour définir la signification du mot pauvair d
« Staat », passe imperceetiblement à la définition du « Rechtsstaat » (cf. « Staat, Staatsverfassung »,
p. 505). Par la suite, « l'Etat » est identifié à une personne morale, chargé de l'intérêt général, autre-
ment dit de la « res publica » (ibid., p. 509), dom la premiere fonction est de maintenir le droit et la 159. Ibid. Y
libené. contrat socz~li
154. Cette théorie fut défendue parle célebre publiciste Carl Ludwig Haller (1768-1854), ['une des alltant lav,:,
figures de proue de la restauration. Quant à la théorie patriarcale, elle fut défendue par Adam Müller. l'aristocratic
Sur l'i~~uente pensée réactionnaire en Allemagne, cf. M. STOLLEIS, Geschichte, t. 2, pp. 121-155; constances. /.
K. KROGER, Einfiihmng in die j11ngere demsche Ve,fass11ngsgeschichte (1806-1933}, München, Beck, notamment
1988, p. 10 55. 160. Cf inji
155. C'est cc qu'admet du reste R. MOHL, Die Polizeiwischenschaji, 2' éd., p. 5-6 nqte 1. On retrou- 161. 1. KN
vera cette opposition entre le concept sociologique d'Etat et le concept juridique d'Etat dedmit chez Vergleich,m,~
Jellinek (cf. infra n" 98) et chez Dug~it (cf infr_q n" 398 ss). Angemessen/,
156. En ce sens pounant: E.-W BOCKENFORDE, op. cit., p. 146. Streit der Fal
157. Cf G.-Ch. von UNRUH, op. cit., p. 251; U. BACKES, op. cit., p. 292 ss; R. KOSELLECK, 162. Cf M.
W. CONZE, G. HAVERKATE, D. KLIPPEL & H. BOLDT, « Staat und Souveranitat », p. 69 s. 163. R. von
158. C.T. WELCKER, Die letzten Gründe, p. 101. 164. Ibid., p
r
'un néologisme : le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 59

Lt pas le soi-disant État despo- d'un seul, à qui le droit objectif trace partout une barriere visible » ' 5'. II reconna1t
st point fondée sur la ~ison ainsi la valeur et la légitimité de l'absolutisme éclairé, ce à quoi s'est toujours
du pouvoir, puisque "l'Etat" refusé Montesquieu. Selon le Baron de La Brede, même le pouvoir le plus ver-
iété du monarque 15'. La clas- tueux doit être limité par un contre-pouvoir "º.
té, de sens qu'à supposer que Kant résume parfaitement l'esprit de l'époque en affi.rmant que« sans compa-
rois éléments constitutifs de raison possible, c'est le mode de gouvernement qui importe au peuple, bien plus que
ue, c'est-à-dire de normatif, la fonne de l'État (quoique son plus ou moins de conformité au but en question ne
;un simple fait 155 • soit rien moins que négligeable) » '"'. L' essentiel n' est pas tant de savoir qui gou-
verne, mais comment on gouverne. Pourvu que les lois positives respectent les
principes a priori que sont la liberté et l' égalité naturelles de l'individu, toutes
UTIONNELLE les formes de gouvernement se valem. On comprend des lors la relative modé-
fTISME ÉCLAIRÉ ration, par rapport aux libéraux occidentaux, des revendications des libéraux
allemands en matiere de participation politique "''. En 1872, Mohl dira encare
~UTIONNELLE
que « l'objectifdu Rechtsstaat n 'entraíne pas logiquement une certaine forme de gou-
vernement; au contraire, tout aménagement de la puissance publique, qtti permette
ri concerne son volet institu- de garantir le droit et de développer toutes les activités humaines, est admissible » 16'.
rit en partie la clarté de son Cette vision strictement instrumentale du pouvoir autorise les théoriciens du
lié à l'émergence du consti- Rechtsstaat à se distancier nettement du courant des démocrates radicaux. À en
IX' siecle, il faut toutefois se croire Mohl, « la participation immédiate de tous les membres de la société au gou-
exité théorique et historique vernement n'est qu'une question d'utilité (Frage der Zweckmiissigkeit); sa mise en
ans les écrits tardifs de Mohl, reuvre est intrinsequement conditionnée, en partie par la taille de la population et
terminée 157 • Ainsi que l' écrit du territoire, en partie parle niveau d'éducation de la Joule»'"'. Coincés entre la
~'est-à-dire le point de savoir si tradition prestigieuse du despotisme éclairé et un courant démocratique révolu-
:ristocratie ou une démocratie, tionnaire qui se réclame de l'exemple français, les libéraux essaient de trouver
: sans séparation des pouvoirs, un « juste milieu » (Rotteck) entre les deux extrêmes de la réaction politique, qui
d'tm point de vue politique, ne ne cesse de prendre de l'ampleur sous l'impulsion du chancelier Metternich,
x, tous les régimes peuvent et l'anarchie révolutionnaire prônée parles jacobins allemands. À cet effet, ils
regne du droit et l'on pour- font confiance à l'esprit de réforme des monarques absolus, avec lesquels ils s'ar-
!ois juridiques entre les mains rangent dans un premier temps. Toutefois, selon Kant, il ne s'agit là que d'une
solution provisoire dans l' attente de la « vraie République (wahre Republik) » que
les princes sont censés faire naí'tre. Le concept du Rechtsstaat s'identifie ainsi,
d'abord à l'absolutisme éclairé (§ 1), puis à la monarchie constitutionnelle ou le
pouvoir du roi est tempéré par des institutions représentatives élues (§ 2).
i pour définir la signification du mot
iat » (cf. « Staat, Staatsverfassung »,
le, chargé de l'intérêt général, autre-
1ction est de maintenir le droit et la 159. Ibid. Voir id., « Grundgesetz », p. 128 : « Comment est-ce possible de confondre la théorie du
contrat social avec la théorie républicaine, que dis-je, jacobine de la so11veraineté du peuple? E!le reconnait
udwig Haller (1768-1854), ['une des azttant la vraie monarchie, héréditaire, atttonome, forte, qui est même bénéfique au salut du peuple, que
, elle fut défendue par Adam Müller. l'aristocratie ou la démocratie comme une fonne de gouvernement possible, voire sal11taire selon les cir-
.LEIS, Geschichte, t. 2, pp. 121-155; constances. Là 011 la monarchie existe !également, elle en reconn,zit la validité juridique. » II renvoie
:hichte {1806-1933), München, Beck, notamment aux regnes édairés de Frédéric II de Prusse et de Joseph II d' Autriche.
160. Cf infra Il'' 373.
haft, 2° éd., p. 5-6 n~te 1. On retrou- 161. I. KANT,« Zum ewigcn Frieden », p. 208: « Es ist aberan der Regienmgsart dem Volk ohne alie
}ncept juridique d' Etat de droit chez Vergleichzmg mehr gelegen, ais an der Staatsfonn (wiewohl auch a11f dieser ihre mehrere oder mindere
Angemessenheit zu jenem Zwecke sehr viel ankommt) » [trad. J. Gibelin, p. 20-21]. Voir aussi id., « Der
146. Streit der Fakultaten », p. 360 note*. ..
p. cit., p. 292 ss; R. KOSELLECK, 162. Cf M. STOLLEIS, « Rechtsstaat », op. cit., col. 368; R. BAUMLIN, op. cit., col. 2806 ss.
« Sraat und Souveranitat », p. 69 s. 163. R. von MOHL, Encyklopà·die, 2° éd., p. 331.
164. Ibid., p. 326. Voir aussi ibid., p. 342 note 2.
·r
, !I

1 60 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'inventio1

§ 1. LE PREMIER MODELE INSTITUTIONNEL DV RECHTSSTAAT :


LE DESPOTISME ÉCLAIRÉ
56 Dans sa th(
droits de 1
55 L'Allemagne fut, plus que tout autre pays, marquée parle succes et le prestige « Toute vra
intellectuel du despotisme éclairé "''. Kant se dit ainsi un sujet loyal et admiratif qu'un syste;
de ce roi philosophe que fut Frédéric II de Prusse (1712-1786), à tel point qu'il l'union de
proclame le xvmc siecle le « siecle de Frédéric » '"''. Sous le regne de celui qui se qua- (députés). » '
lifiait lui-même de « premier ser·viteur de l'État », le príncipe de la liberté indivi- ne correspc
duelle va s'épanouir progressivement dans les domaines de l'art, des sciences et catégoriqut
de la religion. Il s'agit d'une donnée historique capitale qui est spécifique aux dilemme er
pays germaniques, à la différence des autres pays occidentaux ou l'idée de l'abso- voir politiq
lutisme éclairé a essuyé, soit un refus net - c' est le cas de l' Angleterre du les principé
XVI!c siecle '"' -, soit un échec, comme ce fut le cas en France ou l'incapacité de
smvante : ,
l'Ancien Régime de s'adapter à l'évolution de la société provoque une césure
Jaçon répul
révolutionnaire '"'. Dans cette tradition de l' absolutisme éclairé, qui connalt un logueà celu
second souffie au début du xrxc siecle en Prusse, s'inscrit également l'reuvre de il entend q1
Humboldt. Il fait partie de ce que l'on appelait à l'époque le « parti réformiste blique, « c'E
(Reformpartei) », c'est-à-dire de ces ministres et hauts fonctionnaires imprégnés gouverner i
de la philosophie kantienne qui essaient de doter la Prusse d'une constitution et traiter le pe.
de libéraliser une société encare largement féodale "'". L'échec de leur politique (commezm
- en 1820 le roi Frédéric-Guillaume ill révoque Humboldt et refuse d'octroyer mêmeà la I
une constitution ainsi qu'il l'avait promis au peuple à plusieurs reprises - Kant dis
marque les limites de ce modele d'un « État de droit atttocratique » "º théorisé par rement, qw
Kant. mais le « 11
le peuple pc
même à !'~
165. Sur l'hiscoire de ce régime que d'aucuns préferem appeler absolutisme éclairé pour éviter coute éclairé: « 7
confusion avec le concept de despotisme, ef. D. MERTEN, « Rechtsstaatliche Anfange im preussi- l'idée de la
schen Absolutismus », Deutsches Verwaltungsblatt, 1981, pp. 701-709; id., « Friedrich der Grasse und autrement 1
Montesquieu. Zu den Anfangen des Rechtsstaats im 18. Jahrhundert », in Verwaltung im Rechtssta,tt.
Festschrift fi,r CH Ule, Kõln, Heymann, 1987, pp. 187-208; id., « Die Reclmstaatsidee im Allge- dans un pré
meinen Landrecht », in F. EBEL (dir.), Gemeinwohl - Freiheit - Vermmft - Rechtsstaat. 200 ]abre À lui de s'i1
Allgemeines Landrecht fiir die Pret<Ssischen Staaten, Berlin, De Gruyter, 1995, pp. 109-159; de savoir si
D. WILLOWEIT, « War das Kõnigreich Preussen ein Rechtsstaat? », in Staat, Kirche, Wissenschaft in
einer plura((stischen Gesellschafi. Festschrifi Paul Mikat, Berlin, Duncker & Humblot, 1989, pp. 451- demandé se
464; H. MOLLER, Vemrmft rmd Kritik. Deutsche A11jklãnmg im 17. rmd 18. ]<1hrh1mdert, Frankfurt, pas la pron
Suhrkamp, 1986, chap. 3 et 5; R.C. van CAENEGEM, An Historical lntroduction to Western Consti- formedelo1
llltional Law, Cambridge, Cambridge UP, 1995, chap. 7; F. HARTUNG, « Der aufgeklarte Abso-
lutismus », in Historische Zeitung, 1955, pp. 15- 42; V. SELLIN, « Friedrich der Grasse und der mêmeparie,
aufgeklarte Absolutismus », in U. ENGELHARDT et alii (dir.), Soziale Beweg11ng rmd politische
Verfammg, Stuttgart, Klett, 1976, pp. 83-112.
166. « Beamwortung der Frage : Was ist Aufklarung? », p. 59. Voir aussi les prapos élogieux de
C.T. WELCKER, « Grundvertrag », p. 143 ss. 171. I. KAN'I
167. Voir l'échec de la théorie de Hobbes et des tematives absolutistes de la dynastie des Stuarts anders sein, ,ti:
(infra Il'' 182 ss). vereinigt, vern
168. D. GRIMM, Deutsche Verfassrmgsgeschichte 1776-1866, Frankfurt, Suhrkamp, 1986, p. 19 ss. En O. Masson, p.
France, l'idée de l'absolutisme éclairé a été avancée surtout par les physiocrates à travers la théorie 172. I. KAN'l
du « despotisme !égal » (Le Mercier de la Riviere). Cf infra n" 341. 173. Ibid., p. :
169. Cf D. GRIMM, op. cit., chap. 2 et 3; E.R. HUBER, De11tsche Verfassrmgsgeschichte, t. 1, pp. 95-313. 174. I. KAN',
170. D. MERTEN, « Die Rechtsstaatsidee im Allgemeinen Landrecht », op. cit., p. 155. Gemeinsprucl
d'un néologisme : !e Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 61

EL DU RECHTSSTAAT : A. La légitimation par Kant du despotisme éclairé



56 Dans sa théorie de l'État et de la République, Kant insiste non seulement sur les
droits de l'homme mais aussi sur le principe de la séparation des pouvoirs :
tée par le succes et le prestige « Toute vraie République - dira-t-il ainsi en 1797 - est et ne peut être rien d'autre
nsi un sujet loyal et admiratif qu'un systeme représentatif du peuple institué pour prendre en son nom, à travers
{1712-1786), à tel point qu'il l'union de tous les citoyens, soin de ses droits, par la médiation de leurs déléf$ués
us le regne de celui qui se qua- (députés). » 171 Ce disant, il est tout à fait conscient que cette idée a priori de l'Etat
~ principe de la liberté indivi- ne correspond guere à l'état réel des régimes politiques en Allemagne. Récusant
1aines de l'art, des sciences et catégoriquement l'existence d'un droit à la révolution, Kant ne peut résoudre ce
apitale qui est spécifique aux dilemme entre l'idéal philosophique et la réalité historique en légitimant le pou-
:cidentaux ou l'idée de l'abso- voir politique en place qui se voit, en contrepartie, obligé de respecter, au moins,
~st le cas de l' Angleterre du les principes substantiels de la République. C'est ce que Kant résume de la façon
; en France ou l'incapacité de suivante : « Régner autocratiquement et pourtant en même temps gouverner de
société provoque une césure façon républicaine, c'est-à-dire dans l'esprit du républicanisme et sur un mode ana-
1tisme éclairé, qui connalt un logue à celui-là, te! est ce qui rend un peuple satisfait desa Constitution. » 172 Par là,
'inscrit également l'reuvre de il entend que« provisoirement », dans l'attente de l'instauration de la vraie Répu-
l'époque le « parti réfonniste blique, « c'est le devoir des monarques, bien qu'ils regnent de façon autocratique, de
uts fonctionnaires imprégnés gouverner pourtant de façon républicaine (non pas démocratique), c'est-à-dire de
t Prusse d'une constitution et traiter le peuple selon des príncipes qui sont confonnes à l'esprit des !ois de la liberté
'. "''. L'échec de leur politique (comme un peuple doué d'une raison múre seles prescrirait à lui-même), quand bien
[umboldt et refuse d'octroyer même à la lettre ce peuple ne serait pas interrogé sur son consentement » 173 •
:uple à plusieurs reprises - Kant distingue « l'esprit » et la « lettre » de la République, en indiquan~ clai-
'. autocratique » 170 théorisé par rement, que ce qui compte pour un p,euple ce n'est pas tant la «fonne de l'Etat »,
mais le « mode de gouvernement ». A condition que le roi absolu soit éclairé,
le peuple pourrait jouir des bienfaits de la liberté individuelle sans participer soi-
même à l'élaboration de la loi, ainsi que le suggere la devise du despotisme
éclairé : « Tout pour le peuple, rien parle peuple. » Dans la philosophie kantienne,
1bsolutisme éclairé pour éviter coute
lechtsstaatliche Anfãnge im preussi- l'idée de la volonté commune du Volk est fondamentalement une idée a priori,
-709; id., « Friedrich der Grasse und autrement dit une idée abstraite, qui prend forme à travers un représentant. Or,
1dert », in Verwaltung im Rechtssta,.t.
dans un premier temps, Kant reconnart la qualité de représentant au roi absolu.
1., « Die Rechtsstaatsidee im Allge-
- Vermmft - Rechtsstaat. 200 ]abre À lui de s'interroger, à chaque fois qu'il se propose d'édicter une loi, sur le point
De Gruyter, 1995, pp. 109-159; de savoir si cette loi aurait pu recueillir l'assentiment du peuple, si on lui avait
1t? », in Staat, Kirche, Wissenschaft in
iuncker & Humblot, 1989, pp. 451-
demandé son avis. Si tel n'est pas le cas, la loi est injuste et le roi est tenu de ne
117. rmd l8.Jahrh11ndert, Frankfurt, pas la promulguer: « Le critere de tout ce qui peut être décidé pour un peuple sous
nicai Introduction to Westem Consti- fonne de !ois tient dans la question suivante : un peuple pourrait-il se donner à lui-
\RTUNG, « Der aufgeklãrte Abso-
même parielle !oi?» 174 Le législateur royal de Kant est clone appelé à reconstituer
N, « Friedrich der Grasse und der
ir.), Soziale Bewegzmg rmd politische

'· Voir aussi les prapos élogieux de


171. 1. KANT, Metaphysik der Sitten, § 52, p. 464: « Alie wahre Republik aber ist und kmm nichts
solucistes de la dynastie des Stuarts anders sein, ais ein reprãsent,aives System des Volks, um im Namen derselben, durch alie Staatsbiirger
vereinigt, vermittelst ihrer Abgeordneten (Deputierten) ihre Rechte ztt besorgen »; [trad. J. Masson &
1kfurt, Suhrkamp, 1986, p. 19 ss. En O. Masson, p. 613].
les physiocrates à travers la théorie 172. I. KANT, Streit der Faku!tãten, p. 360 note* [trad. A. Renaut, p. 897 note *].
1. 173. Jbid., p. 364-5 [trad. A. Renaut, p. 902]. ..
Verfass11ngsgeschichte, t. 1, pp.95-313. 174. 1. KANT, « Was ist Aufklãrung? », p. 58 [trad. H. Wismann, p. 214). Cf id., « Uber den
drecht », op. cit., p. 155. Gemeinspruch ... », p. 153.
62 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'inventio 1,

en son for intérieur l'image métaphorique du contrat social. À lui tout seul, et tracerait, se
n'ayant comme seul guide que les conseils de son entourage et les opinions du des rois co1
public cultivé - à condition qu'il veuille bien leur prêter son oreille - il doit successeurs
restituer, sinon simuler un dialogue social qui en finde compte risque de se limi- 58 Kant lui-mi
ter à un monologue avec sa propre conscience. Ce premier modele de la Répu- visoire » "' <
blique n'est toutefois admis qu'à titre transitoire, puisqu'il ne correspond guere la disparitio
à la définition de la liberté qui ne se réduit pas à la liberté individuelle, mais suffisamme
englobe également la liberté politique. Selon Kant, la liberté consiste en effet la « vraie li
dans « la faculté de n'obéir à aucune loi extérieure, si ce n'est à celles auxquelles j'ai form », pou
pu donner mon assentiment » 175 • n'est point
som plus el
B. Le nécessaire dépassement du despotisme éclairé : garanties es:
« évolution, au lieu de révolution » ,n de la sépara1
rée a fait 0:
57 S'il est vrai que le despotisme éclairé constitue un progres importam, il faut toirement is·
néanmoins se garder de mythifier le passé. Si le Code civil général pour les États reJ01gnent. :
prusses (Allgemeines Landrecht fi"ir die Preussischen Staaten) de 1794 s'inspire de s'incliner dl
la théorie du droit naturel moderne et reconnaí't, à ce titre, les principes de lui de prom
liberté 177 et d'égalité devant la loi "', il confirme en même temps certaines dis- institue une
criminations féodales. li reste clone en deçà des exigences libérales de l'époque. En revarn
Outre son contenu contestable, il faut noter que ce texte ne constitue qu'une Nonobstant
simple loi sur laquelle le roi, dans sa souveraineté, peut revenir à tout moment, désapprouw
soit qu'il la modifie, soit qu'il dispense de son application dans un cas d'espece "". droit de rési
Dans ce schéma, le roi tient un rôle crucial et constitue la charniere entre le droit message pol
naturel et le droit positif. Le regne de la loi ne dépend que de lui, qui est à la fois dans la rébe
législateur, gouverneur et juge suprêmes "º. En l'absence de toute séparation des début du XI
pouvoirs, sa volonté ne rencontre sur son chemin aucun contre-pouvoir. Sa seule monarchiqu
limite réside dans sa vertu, dans la force de persuasion de ce « droit objectif » qui ment popuL

175. I. KANT,« Zum ewigen Frieden », p. 204 [trad. J. Gibelin, p. 15]. Cf aussi I. KAI:,rf, Meta-
physik der Sitten, § 46, p. 432 ainsi que le troisieme principe a priori desa définition de l'Etat (citée
supra note 50). Sur ce 3' principe a priori, cJ. W. SCHILD, « Freiheit - Gleichheit - "Selbstandig-
keit" (Kant): Strukturmomente der Freiheit », in J. SCHWARTLÃNDER (dir.), Menschenrechte rmd 181. C.T. WEI
Demokratie, Kehl, Engel, 1981, pp. 135-176. KATE, D. KLII
176. I. KANT,« Streit der Fakultaten », p. 367 {« statt Revolution, Evolution »). 182. Cf I. KAl'
177. Cf § 83 du titre préliminaire duAllgemeines Landrecht {ALR): « Les droits rmiversels de l'homme 183. I. KANT,
se fondent srtr la liberté natllrelle de pouvoir poursuivre son propre bonheur sans porter préjudice aux 184. I. KANT,
droits d'ammi » (cf art. 4 de la Déclaration de 1789); § 87 du titre préliminaire: « Les actes quine sont 185. I. KANT,
pas interdits par la !oi nawrelle 011 positive sont autorisés » (cf. art,- 5 de la Déclaration de 1789). Le pro- 186. Lire la fin,
jet initial du ALR disait même : « Les !ois et ordonnances de l'Etat ne doivent pas restreindre les droits sible, c'est !e mo,,
et libertés nawrels des citoyens att-delà de ce qui es! exigé p<tr l'intérêt général.» plus 011 moins d,
178. § 22 du titre préliminaire : « Les /ois de l'Et,1t o!,/igem tol/5 ses membres s,ms aurnne distinction p. 20-21].
selon !'origine, !e rang et !e sexe. » 187. I. KANT,
179. D. MERTEN, « Die Rechtsstaatsidee im ALR », p. 119 ss; 188. Ibid., p. 36
180. II faut noter que le droit prussien accordait au roi la prérogative de rendre justice en derniere 189. I. KANT,·
instance pour cenaines matieres. D'ailleurs, au début de son regne, Frédéric II n'hésitait pas à s'im- « Streit der Fakt
miscer dans les proces, même dans des cas ou la !oi ne le !ui permettait pas. Ce n' est que sous 190. Cf C. RUI
l'influence des écrits de Montesquieu qu'il changea d'attitude et qu'il laissa parler la !oi dans lcs nyme), « Revolui
tribunaux. C'est ainsi qu'émergea peu à peu ]'indépendance de la justice. (politische) », in
m néologisme : le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 63

at social. À lui tout seul, et tracerait, selon les dires de Welcker, une frontiere visible à son pouvoir 1" . Or, si
ntourage et les opinions du des rois comme Frédéric II furem des esprits éclairés, rien ne garantit que leurs
prêter son oreille - il doit successeurs le soient également 1" .
de compte risque de se limi- 58 Kant lui-même se fait !'interprete de ces critiques en soulignant le caractere« pro-
>remier modele de la Répu- visoire » 181 ou « temporaire » 1" de cette République phénoménale qui est vouée à
isqu' il ne correspond guere la disparition. L'absolutisme royal n'est accepté par Kant qu'à condition qu'il soit
a liberté individuelle, mais suf:fisamment éclairé pour... s'auto-détruire en cédant la place à ce qu'il appelle
la liberté consiste en effet la « vraie République » 185 • Quoi qu'il en dise sur l'insignifiance de la « Staats-
·e n 'est à celles auxquelles j'ai form », pourvu que l'esprit républicain y soit, Kant doit admettre que la forme
n'est point neutre en matiere politique. Certaines arrangements institutionnels
sont plus ef:ficaces que d'autres à faire régner la paix et la liberté 186 • L'une des
>otisme éclairé : garanties essentielles de l'esprit républicain consiste justement dans le principe
tion » 17• de la séparation des pouvoirs, dont Kant se fait le chantre. Si la monarchie éclai-
rée a fait reuvre honorable, i1 n'en reste pas moins que l'histoire va obliga-
progres importam, il faut toirement 187 dans le sens d'une « vraie République », ou 1' esprit et la lettre se
/e civil général pour les États rejoignent. Selon Kant, le monarque absolu est obligé, par le droit naturel, de
:aaten) de 1794 s'inspire de s'incliner devam le progres et de réformer l'État et la société dans ce sens 188 • À
à ce titre, les principes de lui de promulguer une constitution qui garantisse les droits de l'homme et qui
même temps certaines dis- institue une représentation nationale.
.ences libérales de l'époque. En revanche, il ne saurait être question d'une révolution contre l'ordre établi .
: texte ne constitue qu'une Nonobstant son admiration pour les acquis de la révolution française, Kant n'en
eut revenir à tout moment, désapprouve pas moins ses méthodes violentes. I1 rejette catégoriquement tout
tion dans un cas d'espece 17'!_ droit de résistance qui est, à ses yeux, synonyme de désordre et d'anarchie 18'. Ce
1e la charniere entre le droit message politique des Lumieres allemandes qui voit le salut du peuple, non pas
d que de lui, qui est à la fois dans la rébellion, mais dans 1' espoir de réformes, est repris par les libéraux du
ince de toute séparation des début du XIX" siecle. Rotteck et Welcker essaient de s'arranger avec le pouvoir
:un contre-pouvoir. Sa seule monarchique, de le convaincre à réformer le systeme pour éviter tout souleve-
,n de ce « droit objectif » qui ment populaire 1"º. Si leurs vreux d'une monarchie constitutionnelle sont exau-

, p. 15]. Cf aussi I. KAI>ff, Meta·


ori desa définition de l'Etat (citée
~eit - Gleichheit - "Selbstandig-
!\.NDER (dir.), Menschenrechte 1md 181. C.T. WELCK.ER, Die letzten Gründe, p. 101. Cf R. KOSELLECK, W. CONZE, G. HAVER-
KATE, D. KLIPPEL & H. BOLDT, « Staat und Souveranitat », p. 69.
,, Evol11tion »). 182. Cf I. KANT,« Zum ewigen Frieden », p. 208 note*.
) : « Les droits 11niversels de l'homme 183. I. KANT, Metaph-ysik der Sitten, § 52, p. 464.
' bonhe11r sans porter préj11dice a11x 184. I. KANT,« Streit der Fakultaten », p. 364.
Jréliminaire: « Les actes q11i ne sont 185. I. KANT, Metaph-ysik der Sitten, § 52, p. 464.
de la Déclaration de 1789). Le pro- 186. Lire la finde son propos in I. KANT,« Zum ewigen Frieden », p. 208: « Sans c,omparaison pos-
ne. d?ivent pas restreindre les droits sible, c'est !e mode de gouvemement q11i importe a11 pe11ple, bien p/11s q11e la fonne de l'Etat (q11oiq11e son
general.» pl11s 011 moins de confonnité a11 but en q11estion ne soit rien moins que négligeable) » [trad. J. Gibelin,
es 1nen1bres sLLns attcttne distinction p. 20-21].
187. I. KANT,« Streit der Fakultaten », p. 361.
188. Ibid., p. 366 note *.
ative de rendre justice en derniere 189. I. KANT,« Über den Gemeinspruch ... », pp. 156-161; id., Metaph-ysik der Sitten, p. 437 ss; id.,
e, Frédéric II n'hésitait pas à s'im- « Streit der Fakultaten », p. 367;
iermettait pas. Ce n' est que sous 190. Cf C. ROTTECK, « Vorwort », op. cit., p. XV et XXI ss; id., « Consticution », p. 796; G. (ano-
e qu'il laissa parler la !oi dans les nyme), « Revolucion », in Staats-Lexikon, 3· éd., t. 12, 1865, pp. 547-554; F. MURHARD, « Reformen
justice. (politische) », in Sta<1ts-Lexikon, 3· éd., t. 12, 1865, pp. 390-396; U. BACKES, op. cit., chap. 9.
À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention
64

cés assez tôt dans les pays du sud de l' Allemagne, il faudra attendra 1850 pour de l'Acte cc
que le roi de Prusse se décide enfin, sous la pression de la rue, à octroyer une doit, dans se
selon cet an
constitution.
certaines pn
ment. Il est
§ 2. LE SECOND MODELE INSTITUTIONNEL DV RECHTSSTAAT : laconiquem
LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE tion d'états (
sans être to
59 La figure emblématique de ce deuxieme moment du Rechtsstaat est le « citoyen », Encore faut-
le « Bürger » '"'. Les libéraux du ¼rmdrz placent résolument l' accent sur le volet ticle 13 ne d
institutionnel du Rechtsstaat qu'ils opposent désormais radicalement à l'abso- représentati
lutisme '"'. En revendiquant une participation de la société à l'État à travers un 1832), céleb
parlement élu, ils ouvrent la voie au principe démocratique ''" même s'ils se comme alla1
refusent à aller jusqu'au bout de cette logique par peur du « despotisme de la abolis sous
plebe» (Welcker). implicite du
par l'article
v1gueur ne 1
A. Le príncipe du constitutionnalisme écrit effet. Ainsi,
voir constitL
60 S'inspirant des précédents américain et français et, surtout, du modele de la
tution et à t
Charte octroyée par Louis XVIII en 1815, les libéraux d'outre-Rhin réclament
consenteme1
une constitution qui reconnaisse à la fois les droits de l'homme et la séparation
hibe par cor
des pouvoirs '". L'école du Rechtsstaat s'abstient toutefois de toute référence au
retrait unilat
principe de la souveraineté de la nation '''5• Selon eux, la constitution trouve son
Face à ce
origine non pas dans la nation ou le peuple, comme ce fut !e cas en 1787 et 1791,
contentem d
mais ailleurs, sans que l'on sache toujours ou situer cet ailleurs : dans la raison,
sur l'État, oi
dans un accord entre !e roi et le peuple ou dans la volonté exclusive du roi '"". De
fait nullemer
toute maniere, le principe du pouvoir constituam du peuple n'aurait été d'aucun
de la souverJ
effet dans leur modele théorique, étant donné leur refus catégorique de toute
résider qu'en
révolution. Or celle-ci est le seu! moyen pour !e peuple de faire valoir sa souve-
toutefois aus:
raineté face à un ordre juridique qui, com me c' est le cas en Allemagne, consacre
veraineté a Sl
le principe de la souveraineté de droit divin des princes. Des lors, s'il doit y avoir
est chargée d
une réforme constitutionnelle, elle ne peut procéder que du pouvoir politique
raineté non
en place.
publique auth
61 L'article 57 de l'Acte final de Vienne (WienerSchlussakte) du 15 mai 1820, qui est l'avis de ces d
l'un des actes constitutifs de la Confédération allemande (Deutscher Bund) à côté S'agissant de
apparences, 1

191. C.T. WELCKER, « Grundgesetz », p. 101.


192. Cf C. ROTTECK, « Constitution », p. 766 ss (« régime consti11ttiom1e/ ») ec p. 768 ss (absolu- 197. Pour le te,
tisme); C.T. WELCKER, « Sraat, Staatsverfassung », p. 522 (absolutisme = despotisme). fass1mgs-geschich1
193. Cf C. ROTTECK, op. cit., p. 784. 198. Sur tous ce,
194. C.T. WELCKER, « Sraat », p. 504 ss; iJ., « Grundgesetz », p. 109. 199. Ibid., p. 64;
195. On notera tourefois que dans le modele kantien de la« République pure », la souveraineté revient 200. C.T. WEC
à la nation ( Vo/k ). 201. Ibid., p. 51
196. Si Welcker et Rotteck défendent plutôt la these d'une souveraineté partagée entre le roi et le
202. Ibid.
parlement, ce qui nous rapproche du régime britannique mixte, Mohl reriem le principe de la sou- 203. Ibid., p. 50:
veraineté monarchique.
L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 65
n néologisme : le Rechtsstaat

de l'Acte confédéral (Bundesakte) du 8 juin 1815'"7, énonce que la souveraineté


faudra attendra 1850 pour doit, dans son intégralité, résider dans la personne du chef de l'État. Au surplus,
1 de la rue, à octroyer une
selon cet article, !e monarque n' est lié par la constitution que pour « l'exercice de
certaines prérogatives » pour lesquelles il doit obtenir l'assemiment du parle-
mem. Il est vrai que, depuis l'Acte conféd1ral de 1815, dom l'article 13 statue
DU RECHTSSTAAT : laconiquemem que « il y aura dans tous les Etats de la Confédération une constitu-
fNELLE tion d'états (Landstandische Verfassung) », les princes som juridiquement obligés,
sans être toutefois tenus par un délai, d'octroyer une charte à leurs sujets 198 •
Encore faut-il se mettre d'accord sur le contenu de cette constitution dom l'ar-
Rechtsstaat est le « citoyen »,
ticle 13 ne dit pas grand chose, si ce n'est qu'il évoque l'existence d'institutions
lumem l'accent sur le volet
représematives sans en définir exactement la nature. Si Friedrich Gemz (1764-
nais radicalemem à l'abso-
1832), célebre auteur conservateur proche de Metternich, interprete cet article
;ociété à l'État à travers un
comme allam dans le sens d'une restauration des anciens états généraux (Stdnde)
10cratique"' même s'ils se
abolis sous l' Absolutisme, les libéraux y voient à l' opposé une consécration
peur du « despotisme de la
implicite du príncipe de la représemation nationale. Ce dispositif est couronné
par l'article 56 de l' Acte final de Vienne qui prévoit que les constitutions en
vigueur ne peuvem être révisées que dans le respect des formes prévues à cet
1lisme écrit effet. Ainsi, le droit confédéral restreim dans une mesure non négligeable le pou-
voir constituam des États, puisqu'il oblige les monarques à élaborer une consti-
surtout, du modele de la tution et à en respecter les ·procédures de révision qui, en général, exigem le
ux d'outre-Rhin réclamem consentemem du parlement à tout amendement. Pris à la lettre, l'article 56 pro-
le l'homme et la séparation hibe par conséquem tout coup d'État de la part des rois, et spécialemem tout
tefois de toute référence au retrait unilatéral de la charte, une fois qu' elle est octroyée 199 •
, la constitution trouve son Face à cette dynamique du droit positif, les théoriciens du Rechtsstaat se
:e fut le cas en 1787 et 1791, contentem d'en explorer et amplifier le potemiel libéral. Ainsi, dans son article
cet ailleurs : dans la raison, sur l'État, ou il traite égalemem de la question de la souveraineté 200 , Welcker ne
omé exclusive du roi 1•)(,. De fait nullemem mention du fameux article 13. Au comraire, il estime que le siege
peuple n'aurait été d'aucun de la souveraineté, si l'on envisage la question sous un certain angle, ne saurait
refus catégorique de toute résider qu'en Dieu ou dans les principes éthiques de la Raison 2º1• 11 se démarque
ple de faire valoir sa souve- toutefois aussitôt de cette théorie développée par Guizot, en arguam que la sou-
cas en Allemagne, consacre veraineté a surtout pour objectif de désigner l'autorité, forcément humaine, qui
es. Des lors, s'il doit y avoir est chargée d'exprimer l'acceptation sociale du droit. Des lors, il situe la souve-
r que du pouvoir politique raineté non pas dans la volonté du roi, mais dans ce qu'il appelle « l'opinion
publique authentique de la nation » 202 qui est censée réunir, de façon consensuelle,
ikte) du 15 mai 1820, qui est l'avis de ces deux sujets juridiques 2º' que som la société civile et le gouvernement.
nde (Deutscher Bund) à côté S' agissant de l' acte constituam (originaire), Welcker fait com me si, en dépit des
apparences, la charte n'était pas octroyée de façon unilatérale parle roi, mais le

stiwtiom1el ») et p. 768 ss (absolu- 197. Pour le rexte de ces deux traités, cf. H. BOLDT, Reich 1md Lãnder. Texte zur demschen Ver-
lutisme = desporisme). fassungs-geschichle im 19. und 20. Jahrhunderl, München, dtv, 1987, p. 196 ss.
198. Surtous ces élémems, cf E.R. HUBER, Deutsche Verfassungsgeschichte seit 1789, t. 1, pp. 640-657.
). 109. 199. Jbid., p. 647.
lique pure », la souveraineté reviem 200. C.T. WECLKER, « Staat, Staatsverfassung », p. 511 s.
201. Jbid., p. 511.
eraineté panagée entre le roi et le 202. lbid.
Mohl reriem le príncipe de la sou- 203. Jbid., p. 505-506.
66 À la recherche du sens d'ttn néologisme: le Rechtsstaat L 'invention c1

résultat d'un accord de volontés entre !e roí, qui promulgue l'acte formei, et le B. Le régi
peuple qui l'accepte tacitement 2º'. Sa vision contractualiste reflete, en revanche,
plus fidelement l'état du droit positif lorsqu'il s'agit du pouvoir constituam 63 Les príncipe:
dérivé. Les clauses de révision des diverses constitutions requierent, en effet, un constituem l
consensus entre !e roí et les deux chambres pour tout amendement. grâce à ces de
62 En Allemagne, la validité de l'octroi de la constitution à l'égard du roí lui-même dique, en do
- octroi qui constitue la _premiere illustration de ce que Jellinek appellera plus pnnc1pes son
tard l'autolimitation de l'Etat'05 - repose ainsi sur plusieurs arguments tirés tout la séparation
à la fois du droit positif et du droit naturel. A la question classique de savoir si le ment"º, est t
roí peut, au titre desa souveraineté, revenir sur la charte octroyée, ainsi que l'a Rechtsstaat. ./\
fait le roí de Hanovre Ernst August en 1837 206 , la réponse ne pose guere de doute tique de la sé
aux yeux des libéraux. D'une part, le droit confédéral, qui est supérieur au droit Rotteck et \\:
des États confédérés, interdit un tel acte. D'autre part, les prémisses de droit ment du régi
naturel du concept de souveraineté interdisent de revenir sur des libertés accor- nouménale e
dées aux individus. Ce dernier argument théorique se décline en deux raison- les fonctions
nements sensiblement distincts. Si l'on se place dans la logique de Kant, le roí de cette triad
est obligé d'aller dans le sens de l'histoire et du progres qui conduit vers la mée dans la 1
« wahre Republik ». Il lui est clone interdit de révoquer une norme de droit posi- Quant à lace
tif, même unilatérale, qui reconnaí'trait un príncipe de droit naturel. Welcker vant les idées
développe quant à lui un autre argument. D'apres lui, le souverain n'est guere lié seur de la dé
par des actes unilatéraux sauf à violer des droits acquis, ce qui n' est jamais le cas pettt apparten
en matiere de droit public'º'. S'il est ainsi au-dessus des lois, qui sont des actes cipe d'autom
unilatéraux, il est néanmoins lié par tous les actes contractuels, à commencer par Sieyes entre 1
la Constitution, dont la validité est fondée sur le príncipe de droit naturel pacta versei est, d' a
sttnt servanda 20 s_ C'est pour cette raison qu'il déploie tant d'efforts pour
construire la fiction d'un pacte constitutionnel en la présence d'une charte
209. C. ROTTI
octroyée unilatéralement. assemblée librem
d'1m État de vi,,
Staatsrecht der e,
sence de la mon.,
de la séparation ,
cf. C. ROTTEC
210. Selon non
en étanc contra,
204. Cf C.T. WELCKER, « Ocroyirte Verfassungen », Staats-Lexikon, 3' éd., e. 10, 1864, pp. 735- Cf S.KORIOT
738. geschichce der <
205. Cf inji-a n" 97 ss ec surtout n" 517 ss, ou sera abordée la quescion des prémisses jusnamralisces Staat, 1998, pp.
de la chéorie de l'aucolimicacion. 211. I. KANT,
206. Sur les problemes juridiques soulevés par cecce crise conscicucionnelle majeure, cf 212. lbid., p. 4J
E.R. HUBER, op. cit., e. 2, 3' éd., 1988, pp. 91-115; G. DILCHER, « Der Hannoversche Verfas- 213. Kanc pari,
sungskonflikc von 1837 ("Die Gõttinger Sieben") ».]11S, 1977, p. 386 s et pp. 524-531, spéc. p. 526 ec (cicé par W. KI
528 (chese de la validicé de la limicacion conscimcionnelle du roi); Ch. LINK, « Noch einmal : Der A11jklãrong der
Hannoversche Verfassungskonflikc und die "Gõccinger Sieben" »,]11S, 1979, pp. 190-197, spéc. p. 193 Kant, Frankfurt
ou l'auceur expose une concepcion de la souverainecé selon laquelle le recraic auraic écaic valide; 214. I. KANT,
G. DILCHER, « Noch einmal : Der Hannoversche Verfassungskonflikc und die "Gõttinger 215. Sur la légi1
Sieben" »,]11S, 1979, pp. 197-200. C. ROTTECK.
207. C.T. WELCKER, « Otroyirte Verfassungen », St,zats-Lexikon, 3' éd., t. 10, 1864, pp. 735. Sur les les idées de Rou
origines de cette théorie ancienne, cf. O. GIERKE, Johannes Alth11sius, op. cit., p. 271 et 286 s. Lire sunouc la r
Ch. LINK, op. cit., p. 193 se réfere au même raisonnement mais, à la différence de Welcker, il estime Võlkerrecht 1md
que les constitucions octroyées doivent être rangées dans la cacégorie des acces unilatéraux. qu'à criciquer 1
208. O. GIERKE, op. cit., p. 271. crop généreuse.
un néologzsme : le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 67

·omulgue !'acre formei, et !e B. Le régime représentatif ou les premiers débuts de la démocratie


:tualiste reflete, en revanche,
1git du pouvoir constituant 63 Les principes de la représentation nationale et de la séparation des pouvoirs
:ions requierent, en effet, un constituent désormais des principes essentiels du Rechtsstaat. C'est seulement
ut amendement. grâce à ces deux principes que l'on peut, de l'avis de Rotteck, établir un état juri-
on à l'égard du roi lui-même dique, en donnant libre expression à la volonté générale 2w. Pourtant, ces deux
e que Jellinek appellera plus principes sont loin d'être évidents, même au sein du camp libéral. Le principe de
lusieurs arguments tirés tout la séparation des pouvoirs, que les auteurs conservateurs récusent catégorique-
stion classique de savoir si !e ment21°, est diversement apprécié par les uns et les autres au sein de l'école du
harte octroyée, ainsi que !'a Rechtsstaat. Alors que Kant défend un modele vertical, hiérarchique et démocra-
>onse ne pose guere de doure tique de la séparation des pouvoirs, les libéraux du Vormdrz regroupés autour de
ai, qui est supérieur au droit Rotteck et Welcker se font l'apôtre d'un modele horizontal qui s'inspire large-
part, les prémisses de droit ment du régime mixte prôné par Montesquieu. Selon !e premier, la République
:venir sur des libertés accor- nouménale est constituée de trais pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, dont
e se décline en deux raison- les fonctions distinctes sont à la fois coordonnées et subordonnéesm. Au sommet
ns la logique de Kant, !e roi de cette triade se situe le pouvoir législatif « souverain » 212 dont la volonté, expri-
progres qui concluir vers la mée dans la loi, doit servir de guide à l' activité du gouvernement et de la justice.
1er une norme de droit posi- Quant à la. composition du législateur, elle ne saurait être que démocratique sui-
te de droit naturel. Welcker vant les idées de Rousseau ou, plutôt, de Sieyes. Si Kant se pose, en effet, en défen-
i, !e souverain n'est guere lié seur de la démocratie représentative 213 en affirmant que « le pouvoir législatif ne
uis, ce qui n'est jamais !e cas peut appartenir qu 'à la volonté com mune du peuple », il restreint néanmoins le prin-
, des !ois, qui sont des actes cipe d' autonomie en reprenant, non sans quelque gêne, la distinction esquissée par
ntractuels, à commencer par Sieyes entre !e citoyen actif et !e citoyen passif 114 • La récusation du suffrage uni-
incipe de droit naturel pacta versei est, d' ailleurs, commune à tous les auteurs du Rechtsstaat de cette époque 215 •
léploie tant d'efforts pour
n la présence d'une charte
209. C. ROTTECK, « Constitution », pp. 773 : « La représentation du pe11ple entier par /e biais d'une
assembjée librement élue (. ..) est !e seu! moy,en de concrétiser l'idée de la vraie volonté générale et de faire
d'zm Etat de violence (Gewalt-Staat) zm Etat de droit (Rechtssta,,t) »; J.Ch. Freiherr von ARETIN,
Staatsrecht der constiwtionnellen Monarchie, 2" éd. faite par C. ROTTECK, t. 2, 1839, p. 198 : « L 'es-
sence de la monarchie constit11tionnelle et de maniere générale de tout Rechtsstaat réside dans !e príncipe
de la séparation des po11voirs » (cité par U. BACKES, op. cit., p. 298). Sur la séparation des pouvoirs,
cJ. C. ROTTECK, Lehrbz1ch des Vernzmftrechts, t. 2, p. 201 ss.
210. Selon nombre d'auteurs de l'époque, le principe de la séparation des pouvoirs est récusé
en étam contradictoire avec le principe d'unité de l'Etat et le principe de la souveraineté du roi.
exikon, 3' éd., t. 10, 1864, pp. 735- Cf S. KORIOTH, « "Monarchisches Prinzip" und Gewaltenteilung- unvereinbar? Zur Wirkungs-
geschichte der Gewaltenteilungslehre Montesquieus im deutschen Frühkonstitutionalisms », Der
estion des prémisses jusnaturalistes Staat, 1998, pp. 27-55.
211. I. KANT,MetaphysikderSitten, § 45, p. 431 s; § 48, p. 434s; § 49, p. 435 ss.
;e constitutionnelle majeure, cf 212. lbid., p. 431.
'-IER, « Der Hannoversche Verfas- 213. Kant parle plus exactement d'une « constitution démocratique dans zm systeme représentatif »
386 s et pp. 524-531, spéc. p. 526 et (cité par W. KERSTING, op. cit., p. 432). Sur sa conception de la d~mocratie, cf l. MAUS, Zur
) ; Ch. LINK, « Noch einmal : Der A11jklãrung der Demokratietheorie. Rechts- rmd demokratietheoretische Uberlegzmgen im Anschluss an
,]11S, 1979, pp. 190-197, spéc. p. 193 Kant, Frankfurt, Suhrkamp, 1994.
quelle le retrait aurait était valide; 214. I. KANT,« Über den Gemeinspruch ... », p. 151 s.
ungskonflikt und die "Gottinger 215. Sur la légitimitation du suffrage censitaire et capacitaire prévu parle droit positif, cf, par ex.,
C. ROTTECK, « Constitution », p. 774; C.T. WELCKER, « Grundgesetz », p. 99 ss (il y stigmatise
n, 3' éd., t. 10, 1864, pp. 735. Sur les les idées de Rousseau et des jacobins, français et allemands, concernam le suffrage universel) et p. 115.
A.lth11sius, op. cit., p. 271 et 286 s. Lire surtout la réfutation catégorique et récurrente du suffrage universel chez R. MOHL, Staatsrecht,
à la différence de Welcker, il estime Võlkerrecht zmd Politik, Tübingen, Laupp, 1860, t. 1, p. 12 s, p. 335, p. 381. Ce dernier va même jus-
;orie des actes unilatéraux. qu'à critiquer la Constitution du Wurtemberg, qui instaure pourtant un suffrage restreint, d'être
trop généreuse, car trop « libérale » (cf ibid., p. 335).
68 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention

64 La loi "démocratique" se trouve ainsi au cceur de la République kantienne. C'est défendue p:


à la loi qu'il revient de refondre et de réguler l'ordre social en mettant en ceuvre l'idée d'une
les príncipes de l'individualisme. Sur ce point, le modele de Kant, comme constitutifs
d'ailleurs celui des autres théoriciens du Rechtsstaat, s'inscrit dans la lignée de ce basse, est, à
que Hayek a appelé le « rationalisme constructiviste » 11": il s'agit de faire table rase la balance dt
du passé et de reconstruire la législation surdes bases rationnelles suivant un plan dérive de l'i.:
d'ensemble. Tout le succes de cette démarche repose sur l'activisme déployé par la constituti
le législateur. Or, en Allemagne, la subdivision tripartite du parlement se dans l'esprit
retourne contre les forces libérales qui doivent faire face au veto du roi et de la en effet sus,
chambre aristocratique 217 • En outre, ce programme ambitieux se heurte rapi- esquissées 22 '
dement à la résistance farouche de l'école historiciste fondée par Friedrich Karl dépassée. C'
Savigny (1779-1861), qui s'oppose à toute codification étatique. S'érigeant en tisation, cen
défenseur de l'autonomie d'un droit populaire qui naitrait de façon spontanée tique s'aven
des usages sociaux, l'école historiciste entend réserver la découverte ainsi que le nement 227 , e
développement du droit à la seule science juridique, à l'exclusion de toute inter- en plus tam
vention étatique 21 •. Le modele kantien est, au contraire, cartésien: c'est de la loi sion, que 1\
que nait l'ordre juridique, une loi qui est supposée claire, évidente, générale, dans l'ombr
prospective et, surtout, juste. 65 De cette th,
Sa rationalité découle, chez Kant, de ses qualités procédurales démocra- Mohl. Repn
tiques 219. Si la loi ne doit pas pouvoir être injuste à l'égard de quiconque, elle doit des idées de
procéder de la volonté de tous, car nul n'est censé être injuste envers lui-même. qui porterai
« Le pouvoir législatif ne peut échoir qu'à la volonté unifiée du peuple. En e./Jet, défense du p
comme c'est d'elle que tout droit doit procéder, il faut que ce pouvoir puisse ne faire repose sur 1,
tort par sa loi absolument à personne (Denn, da von ihr alles Recht ausgehen soll, so parlement q
muss sie durch ihr Gesetz schlechterdings niemand unrecht tun konnen). Or lorsque défendre les
quelqu'un décrete quelque chose à l'endroit d'un autre, il est toujours possible que par car opposés
!à il lui /asse tort, mais cela ne se produit jamais quant à ce qu 'il décide pour lui- que le droit ,
même (car volenti non fit injuria). » 220 La participation de la société (cultivée) à roi, le droit ,
l'élaboration de la loi, adoptée au terme d'un débat rationnel, dom est censée responsabilit
jaillir la meilleure solution possible 221 , constitue ainsi la barriere la plus puissante
contre l'éventualité d'une !oi oppressive 222 • En ce qui concerne l'organisation du
pouvoir législatif, les libéraux du Vormdrz se démarquent toutefois de la ligne
223. Sur la déf,
Dahlmann etc.)
et p. 123 ss.
216. Cf infra n" 168. 224. C.ROTT
217. Cf D. GRIMM, De11tsche Verfasszmgsgeschichte, p. 39 ss et p. 132 ss. Le mécanisme de la balance et p. 200. II s'a
des pouvoirs débouche ainsi sur un sérieux risque d'immobilisme qui bénéficie au st,1tt1 q110, c'est- Verfasszmgslehn
à-dire au droit positif hérité de la période préconstitutionnelle. (Blackstone) et
218. Cf G. DILCHER, « Der rechtswissenschaftliche Positivismus. Wissenschaftliche Methode, 225. Cf U. BA
Sozialphilo-sophie, Gesellschafrspolitik ", ARSP, 1975, p. 501; D. GRIMM, « Methode ais Macht ", 226. C. ROTT,
in id., Recht zmd Staat der btirgerlichen Gesellschafi, Frankfurt, Suhrkamp, 1987, spéc. p. 352 et 356. 227. Cf C. RO
219. Sur ce point insiste I. MAUS,« Emwicklung und Funktionswandel... ", op. cit., p. 15 ss. 228. Elle est b,
220. I. KANT, Metaplrysik der Sittten, § 46, p. 432 [trad. J. Masson & O. Masson, p. 578; ils tra- R.MOHL,Ent
duisent la citation !atine par : il n'y a pas d'injure envers celui qui y agrée]. Voir aussi I. KANT, 229. II faut to UI
« Über den Gemeinspruch ... "• p. 150. de l'humanité a
221. Sur cet élémem crucial de la théorie libérale du parlememarisme, cf. C. SCHMITT, Die geis- les individus (d,
tesgeschicht-liche Lage des he11tigen Parlementarism11s (1923), 8° éd., Berlin, Duncker & Humblot, la démocratie li
1996. 230. Le droir p
222. C. ROTTECK, « Verfassung ", p. 774. monarchie com
n néologisrne : le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 69

épublique kantienne. C'est défendue par Kant. Préconisant un régime mixte, ils écartent par conséquent
mcial en mettant en reuvre l'idée d'une démocratie représentative pure 113 • Le concours des trois éléments
modele de Kant, comme constitutifs du pouvoir législatif, à savoir le roi, la chambre haute et la chambre
;'inserir dans la lignée de ce basse, est, à leur yeux, le meilleur garant de la justice des !ois 224. La mécanique de
" : il s' agir de faire table rase la balance des pouvoirs au sein même du législatif est de nature à empêcher toute
-ationnelles suivant un plan dérive de l'un ou de l'autre, ce qui garantirait en finde compre la suprématie de
sur l'activisme déployé par la constitution. Toutefois, ce modele de régime mixte n'est pas totalement figé
ripartite du parlement se dans l'esprit des libéraux, ou du moins de certains. Ces différents éléments sont
face au veto du roi et de la en effet susceptibles d'une évolution dont les grandes lignes sont vaguement
ambitieux se heurte rapi- esquissées 225 • Le point de départ est la monarchie pure, car absolue, qui doit être
! fondée par Friedrich Karl dépassée. C'est au nom du « Rechtsstaat » que Rotteck exige ainsi une démocra-
ton étatique. S'érigeant en tisation, cerres relative, de la monarchie"". Si la présence de l'élément démocra-
1aítrait de façon spontanée tique s'avere absolument indispensable dans ce mélange des formes de gouver-
r la découverte ainsi que !e nement227, en revanche, la légitimité du príncipe de l'aristocratie s'érode de plus
1 l'exclusion de toute inter- en plus tant celle-ci inspire la méfiance m_ Quant au but final de cette progres-
,re, cartésien : c' est de la !oi sion, que l' on peut logiquement situer dans la démocratie pure 22', il est laissé
, claire, évidente, générale, dans l'ombre.
65 De cette théorie de la balance des pouvoirs se distingue encore la théorie de
:és procédurales démocra- Mohl. Reprenant à son compre certaines des critiques conservatrices à l'égard
5ard de quiconque, elle doit des idées de Montesquieu, Mohl récuse le príncipe de la séparation des pouvoirs
re injuste envers lui-même. qui porterait, selon lui, atteinte à l'unité de l'État et de la souveraineté. Sa
unifiée du peuple. En ejfet, défense du príncipe représentatif s'inscrit des lors dans une tout autre vision, qui
•ue ce pouvoir puisse ne faire repose sur le dualisme irrémédiable entre la couronne, c'est-à-dire l'État, et le
r alies Recht ausgehen soll, so parlement qui est l'organe représentatif de la société. À ce dernier, il incombe de
~cht tun konnen). Or lorsque défendre les libertés individuelles qui sont conçues comme des droits négatifs,
l est toujours possible que par car opposés à l'État. À cet effet, le parlement est doté de certaines armes telles
u à ce qu'il décide pour lui- que le droit de consentir aux !ois et au budget, le droit de donner des conseils au
m de la société (cultivée) à roi, le droit de réclamation, à quoi Mohl ajoutera plus tard le droit d'engager la
: rationnel, dont est censée responsabilité des ministres 230 .
la barriere la plus puissante
concerne l'organisation du
~quent toutefois de la ligne
223. Sur la défense du régime mixte par les libéraux allemands (Aretin, Rotteck, Welcker, Pfizer,
Dahlmann etc.) qui érigent l'Angleterre en modele, cf U. BACKES, op. cit., chap. 2, spéc. p. 119 ss
et p. 123 ss.
224. C. ROTTECK, « Constitution », p. 774. Cf aussi son Lehrb11ch des Vemrmfirechts, t. 2, p. 193 s
132 ss. Le mécanisme de la balance et p. 200. II s'agit !à du reste d'un leitmotiv de la pensée libérale européenne. Cf C. SCHMITT,
e qui bénéficie au stattt qtto, c' est- Verfassungslehre (1928), 8' éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1993, § 16, p. 202 ss. Cf infra n-· 212
(Blackstone) et n" 374 (Montesquieu, Monarchiens).
mus. Wissenschaftliche Methode, 225. Cf U. BACKES, op. cit., p. 129.
GRIMM, « Methode ais Macht », 226. C. ROTTECK, « Demokratisches Prinzip », Staats-Lexikon, 1" éd., t. 4, 1837, p. 259.
1rkamp, 1987, spéc. p. 352 et 356. 227. Cf C. ROTTECK, Lehrb11ch, t. 2, p. 197 et p. 200.
swandel... », op. cit., p. 15 ss. 228. Elle est beaucoup plus ha"ie que la monarchie. Cf C. ROTTECK, Lehrb11ch, t. 2, p. 190 ss;
;on & O. Masson, p. 578; ils tra- R. MOHL, Encyclopãdie, p. 347.
~ui y agrée]. Voir aussi 1. KANT, 229. II faut toutefois noter que pour Rotteck la démocratie (pure) est !e régime originaire et naturel
de l'humanité ainsi que !'indique la métaphore du contrat social qui est adopté à l'unanimité par tous
1risme, cf C. SCHMITT, Die geis- les individus (doués de raison). Cf Lehrbttch, p. 192 s. Sur la transition du régime mixte libéral vers
f., Berlin, Duncker & Humblot, la démocratie libérale au cours du XIX' et au début du XX' siecle, cf infra n" 614 ss.
230. Le droit positif a toutefois ignoré ce droit jusqu'à 1918, date de la parlementarisation de la
monarchie constitutionnelle.
r

70 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat L 'invention d,

ll importe également de mentionner un autre élément novateur qui est le théorie du dn


contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois dont Mohl se fait l'ardent sance dans le e
défenseur 2·11 • Il reconnaí't ainsi à toutes les juridictions le droit de vérifier leres- terprétation; .
pect des conditions, à la fois formelles et matérielles, imposées par la constitu- Pour autan1
tion au parlement. Chez les théoriciens précédents du Rechtsstaat, un tel rôle de cialistes de l'h,
la justice est inconcevable tant ils se font les hérauts de la vision classique de complexe. D'
Montesquieu, selon lequel le juge n'est que la bouche de la loi. Selon Kant, l'acte nelle allemanL
de jugement est un simple syllogisme 232 et Rotteck va même jusqu'à nier l'exis- tions reconnai
tence d'un pouvoir juridictionnel2·13 • D'apres lui, seul celui qui peut exprimer parlement élu
une volonté est titulaire d'un pouvoir. Or, cela n'est pas, et ne saurait être, le cas l'indépendanc
pour les jugesm. ministres deva
Sur le plan théorique, on voit clone que la position de Mohl est isolée au sein vers un régime
de l'école du Rechtsstaat du début du XIX' siecle. Du reste, sa these ne rencontre lors, l' évolutic.
aucun écho dans le droit positif. L'identification du Rechtsstaat avec la figure du formalisation,
juge au détriment du parlement ne s'operera, en réalité, que dans les années fait qu'étendre
1860-70 sous l'impact du débat sur le contentieux administratif. le droit admini
du sens du Rec
* * Dieter Grin
yeux, 1848 ma1
pouvoir politi1
66 Au terme de cette analyse, il reste à définir le degré de réception de ce concept ainsi sur le déc.
normatif du Rechtsstaat parle droit positif de l'époque. Même si le concept de raux allemands
Rechtsstaat sert aussi à "décrire", sous des traits avantageux, l'état du droit posi- ments battent t
tif dans les États qui accedent à la monarchie constitutionnelle, et ce notamment récusation du J
dans les pays du sud tels que la Baviere, le Bade et le Wurtemberg, ce concept, la souveraineté
qui fait partie d'une théorie générale de l'État, s'adresse à tous les régimes poli- aristocratiques
tiques existants. Il vaut surtout à l'égard des monarchies absolues qui se sont en Prusse du
maintenues en Prusse et en Autriche. Pris dans sa premiere acception, le néolo- classes 23•; 4) L
gisme de Rechtsstaat exprime, en effet, un Sollen fondé sur le droit naturel : il sert ment qui ne jo1
à légitimer ce qui existe déjà, à en amplifier la logique libérale, lorsqu'il s'agit des individus 2"
d'interpréter un point obscur, et à inciter les monarques à octroyer une charte roi retrouve so1
constitutionnelle, s'il ne l'ont pas encare fait jusque-là. Du point de vue de la lative; 5) l'imp,

231. R. MOHL, « Über die rechtliche Bedeurung verfassungswidriger Gesetze », in id., Sta<1tsrecht,
Võlkerrecht und Politik, t. 1, 1860, p. 66-95. II s'agit d'un article paru d'abord en 1852. Sur l'évolution 235. E.-W. BÕCKI
historique de la théorie et de la pratique du contrôle de constitutionnalité des !ois en Allemagne, 236. Sur cette lec
cf C. GUSY, Richterlíches Prrinfimgsrecht. Eíne verfasszmgsgeschíchtliche Umermch11ng, Berlin, E.-W. BÔCKENF<
Duncker & Humblot, 1985, spéc. p. 42 ss (« L'école d11 Rechtsstaat »). dert », ín id., Recht,
232. 1. KANT, Metaphysik der Sitten, § 49, p. 436. 237. E.-W. BÕCKI
233. C. ROTTECK, Lehrbuch, t. 2, p. 204 ss. 238. Le régime mi:
234. Rotteck va même plus loin en disam que, faute de volonté et de pouvoir, les juges ne font même tions \ibérales lorsq
pas partie de la« prúss,mce étatique (St<1atsgewalt} » (op. cit., p. 205). Ceux-ci se contentem, d'apres lui, 239. A vrai dire les
de constater cette donnée objective qu'est le droit, de même que le m~decin se contente de découvrir y a un décalage, e' e,
les lois sciemifiques de la santé et de l'hygiene. II appartiem alors à l'Etat d'en exécuter les sentences universel (masculin
par un acte de pouvoir. Des lors, l'indépendance de la justice ne repose pas sur le príncipe de la sépa- les électeurs en troi
ration des pouvoirs, mais découle de la distinction entre ce qui releve de la puissance étatique et ce chaque classe désig,
qui n'en relev~ point (ibid., p. 206). Ce disant, Rotteck ignore totalement ne serait-ce que le lien qrga- qui ne disait pas so1
nique entre l'Etat et les juges qui som des agents nommés parle roí et payés sur le budget de l'Etat. 240. D. GRIMM, ,
r
m néologisme: le Rechtsstaat L 'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi et de la Raison 71

lément novateur qui est le théorie du droit, sa fonction est clone tripie : 1) il crée une obligation d'obéis-
s dont Mohl se fait l'ardent sance dans le chef des individus; 2) il sert de guide au titulaire d'un pouvoir d'in-
ns le droit de vérifier le res- terprétation; 3) il appelle des réformes du droit positif.
s, imposées par la constitu- Pour autant, l'objectif ainsi fixé a-t-il été atteint? Sur ce point, les avis des spé-
iu Rechtsstaat, un tel rôle de cialistes de l'histoire constitutionnelle sont divisés, tant la matiere empirique est
ts de la vision classique de complexe. D'apres Ernst-Wolfgang Bõckenfõrde, la monarchie constitution-
: de la loi. Selon Kant, l'acte nelle allemande réalise l'essentiel des postulats du Rechtsstaat 235 • Les constitu-
ra même jusqu'à nier l'exis- tions reconnaissent, du moins sur le papier, l'essentiel des libertés, instituent un
'.Ul celui qui peut exprimer parlement élu qui participe à la confection des lois, et garantissent le principe de
pas, et ne saurait être, le cas l'indépendance de la justice. La consécration de la responsabilité pénale des
ministres devant le parlement laisse, en outre, la porte ouverte à une transition
n de Mohl est isolée au sein vers un régime parlementaire à !'instar de ce qui s'est passé en Angleterre 21 ". Des
reste, sa these ne rencontre lors, l'évolution ultérieure du concept de Rechtsstaat, placée sous le signe de la
Rechtsstaat avec la figure du formalisation, se laisse encare rattàcher à ce premier concept libéral dont elle ne
·éalité, que dans les années fait qu'étendre les revendications à d'autres domaines jusque-là négligés, à savoir
lministratif. le droit administratif 217 • La suite est clone moins une rupture qu'un élargissement
du sens du Rechtsstaat, qui explore désormais d'autres horizons.
Dieter Grimm est, quant à lui, beaucoup plus sceptique sur ce point. À ses
yeux, 1848 marque la findes espoirs de la bourgeoisie allemande de conquérir le
pouvoir politique suivant les exemples anglais, américain et français. II insiste
ainsi sur le décalage du droit constitutionnel positif par rapport à l'idéal des libé-
de réception de ce concept
raux allemands et, a fortiori, par rapport à la situation occidentale. Plusieurs élé-
que. Même si le concept de
ments battent en breche ou escamotent l'idée de la participation politique : 1) la
.tageux, l'état du droit posi-
récusation du principe de la souveraineté de la nation ou du peuple, au profit de
1tionnelle, et ce notamment
la souveraineté monarchique de droit divin; 2) le droit de veto du roí et des forces
le Wurtemberg, ce concept,
aristocratiques présentes dans la se conde chambre 218 ; 3) la reconnaissance fictive
·esse à tous les régimes poli-
en Prusse du suffrage universel, vidé de son sens par le systeme des trais
1rchies absolues qui se sont
classes 21 ' ; 4) la limitation matérielle de la compétence législative du parle-
remiere acception, le néolo-
ment quine joue qu'en cas de regles portant atteinte à la propriété et à la liberté
lé sur le droit naturel : il sert
des individus 2'º, ce qui signifie, a contrario, que pour toutes les autres affaires, le
que libérale, lorsqu'il s'agit
roí retrouve son entiere souveraineté et peut agir sans aucune autorisation légis-
rques à octroyer une charte
lative; 5) l'importance des matieres réservées exclusivement au roi, et ce notam-
e-là. Du point de vue de la

driger Gesetze », in id., Staatsrecht,


ru d'abord en 1852. Sur l'évolution 235. E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Entstehung und Wandel des Rechtsstaatsbegriffs », op. cit., p. 150.
utionnalité des !ois en Allemagne, 236. Su~. cette lec~_ure évolutionniste de la monarchie allemande, cf l'article fondamental de
;chichtliche Unters11chrmg, Berlin, E.-W. BOCKENFORDE, « Der deutsche Typ der konstitutionnellen Monarchie im 19. Jahrhun-
t »). dert », in id., [!.echt, Staa; Freiheit, p. 273-305.
237. E.-W. BOCKENFORDE, « Entstehung und Wandel des Rechrsstaatsbegriffs », p. 151.
238. Le régime mixte, tant vanté par les libéraux, risque en effet de se retourner contre leur aspira-
de pouvoir, les juges ne font même tions libérales lorsqu'il s'agit de faire adopter une loi. Cf supra note 217.
. Ceux-ci se contentem, d'apres lui, 239. A vrai dire les libéraux allemands n'ont jamais revendiqué le suffrage universel. En ce sens, s'il
e médecin se contente de découvrir y ª. un décalage, c:esr celui entre l'Allemagne er la France, celle-ci ayant reconnu, des 1848, le suffrage
à l'État d' en exécuter les sentences um versei (mascuhn). Quant au sysreme élecroral prussien des trais classes, il consistair à répartir rous
epose pas sur le principe de la sépa- les électeurs en trais catégories suivant le montam de leurs contributions fiscales. Étant donné que
-eleve de la puissance étatique et ce chague classe désignait le même nombre de grands électeurs, on aboutissait à un suffrage censitaire
,lement ne serait-ce que le lien orga- qui ne disait pas son nom.
roi et payés sur le budget de l'État. 240. D. GRIMM, op. cit., p. 116 ss; J. HUMMEL, op. cit., p. 224 ss.
........

72 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat

ment dans le domaine interne de l'administration, civile et militaire 1" ; 6) la


faible protection constitutionnelle des droits fondamentaux politiques en Prusse
(liberté d'expression, liberté de réunion, etc.)"1; 7) le blocage du mécanisme de
la responsabilité pénale et l'impossibilité d'une responsabilité politique 1''.
Les espoirs placés dans le concept libéral du Rechtsstaat, dans la mesure ou il
s'identifie à l'exigence de la liberté politique, se seraient ainsi révélés vains, ce qui
augure mal de l'avenir de la démocratie en Allemagne 2". L'évolution ultérieure
du concept de Rechtsstaat apparait des lors sous les traits d'un déclin lourd de
significations: l'échec des organes politiques démocratiques laisse ainsi le champ
libre à l'émergence d'un pouvoir juridictionnel de plus en plus fort 2" .

Les q

67 À partir de
staat. L'éch,
à tout prix t:
la premiere
certain esso
staat, s'il es1
pleur n'est 1
de la scene 1
troisieme et
l'école du d
publicatiom
naturaliste 1
Johann Kas1
Otto Gierkt
241. D. GRIMM, op. cit., p. 119 ss (enseignemenc, politique extérieure, armée) et p. 216. En Prusse, l'ancien con
l'armée garde un statut extraconstitutionnel dans la mesure ou les soldats doivent, en vertu de l'ar-
ticle 108 de la Constitution octroyée de 1850, prêter sermem non pas sur la Constitution, mais sur
la personne du roi (sur le rôle cru 7ial du sermenc militaire, dane la for,mulation pouvait décider du
succes ou de l'échec d'un coup d'Etat, cf. les précisions sur le coup d'Etat en Hesse électorale infra
n" 86). Dans la pratique, le monarque s'est même débarrassé de la regle du concreseing ministé- 1. M.STOLU
riel pour toutes les décisions relevam du commandement militaire. Le parlement incervienc tres 2. Professeur d
peu. Compétent pour sauvegarder les libertés individuelles, il doit voter le príncipe de la conscrip- delberg, o,u il ~'
tion. En revanche, les questions de l'équipement, de la composition et de l'organisation de l'armée comme depute.
lui échappent en príncipe. Ce n'est que parle biais de l'autorisation budgétaire que les partis libé- qui reprend le
raux au parlement peuvent influer sur la politique militaire. D' ou le rôle crucial des conflits bud- K. BRATER (e
gétaires -~t notam~ent celui de 1866 ou Bismarck décide de gouverner sans loi de finances. Cf Rechtsstaat, cf 1
E.-W. BOCKENFORDE, « Der deutsche Typ der konstitutionnellen Monarchie ... ", p. 287 ss. derts, op. cit. ; 1\:
242. D. GRIMM, op. àt., p. 217. la réception du
243. La mise en ceuvre du príncipe constitutionnel de la responsabilité pénale nécessitait une loi 3. Sur sa persor
d'application qui, en Prusse, n'a jamais vu le jour en raison de la résistance du roi et de la seconde 4. Sur sa conce
chambre. Quant à la responsabilité politique, elle n'a été acquise qu'en 1918, juste avant la défaite («Der Rechtssta.
militaire du Reich. p. 831 s; id., «
244. Cf D. GRIMM, op. cit., p. 209-211. vol. 30, 1874, ,1
245. Jbid., p. 210. dedans »); E G
ri néologisme : le Rechtsstaat

civile et militaire 241 ; 6) la


!ntaux politiques en Prusse
! blocage du mécanisme de
msabilité poli tique m.
sstaat, dans la mesure ou il
1t ainsi révélés vains, ce qui
e 2..... L'évolution ultérieure
traits d'un déclin lourd de
ttiques laisse ainsi le champ
us en plus fort"'.
Chapitre 2
Les quiproquos du processus de formalisation
du Rechtsstaat (1848-1919)

67 À partir de l'année 1848, un glissement décisif s'opere dans le discours du Rechts-


staat. L'échec de la révolution - révolution que les libéraux avaient voulu éviter
à tout prix et qu'ils n'ont pas su, ou pu, mener à bien avec les démocrates - clôt
la premiere période de l'histoire du Rechtsstaat. Plus généralement, il marque un
certain essouffiement du libéralisme. Ce déclin de la théorie classique du Rechts-
staat, s'il est réel, se fait néanmoins par petites ruptures successives dom l'am-
pleur n'est pas immédiatement perceptible. Si Welcker se retire ainsi par dépit
de la scene politique, il procede encore à la publication, de 1856 à 1866, d'une
troisieme et derniere édition du Staats-Lexikon. De même, la méthodologie de
l'école du droit naturel survit à travers l'reuvre de Mohl, lequel poursuit ses
publications jusque dans les années 1870. À cela vient s'ajouter un courant jus-
naturaliste minoritaire ', dont les représentants sont le célebre juriste suisse
Johann Kaspar Bluntschli (1808-1881) 2 , Heinrich Ahrens (1808-1874) 3 et, enfin,
Otto Gierke (1841-1921)4, qui se servem tous les trois, à des degrés différents, de
ieure, armée) et p. 216. En Prusse, l'ancien concept libéral de Rechtsstaat. Des résidus plus ou moins importants de
s soldats doivent, en vertu de l'ar-
L pas sur la Constitution, mais sur
la for,mulation pouvait décider du
tp d'Etat en Hesse électorale infra
, la regle du contreseing ministé- 1. M. STOLLEIS, Geschichte des õjfentlichen Rechts in Deutschland, t. 2, p. 426 ss.
iire. Le parlement imervient tres 2. Professeur de droit à l'université de Zurich, puis de Munich (à partir de 1848) et, enfin, de Hei-
it voter le principe de la conscrip- delberg, ou il reprend la chaire de Mohl, Bluntschli est également engagé dans la vie,parlementaire
on et de l'organisation de l'armée comme député. II a publié avec Karl Brater (1819-1869) une vaste encyclopédie sur l'Etat et le droit,
ion budgétaire que les partis libé- qui reprend le flambeau du libéralisme à la suite du Staats-I.exikon. Cf J.K. BLUNTSCHLI &
,u le r6le crucial des conflits bud- K. BRATER (dir.), Deutsches Staats-Wõrterbuch, 11 vol., Stuttgart, 1856-68. Sur sa conception du
mverner sans !oi de finances. Cf Rechtsstaat, cf F. GARZONI, Die Rechtsstaatsidee im schweizerischen Staatsdenken des 19. Jahrhzm-
!llen Monarchie ... », p. 287 ss. derts, op. cit.; M. STOLLEIS, op. cit., t. 2, p. 430 S5. Son reuvre jouera un r6le non négligeable dan5
la réception du terme de Rechtsstaat en France. Cf infra n" 333.
1sabilité pénale nécessitait une !oi 3. Sur 5a personne et 50n reuvre, cf M. STOLLEIS, op. cit., t. 2, p. 427 55 et infra n· 333 et 352.
résistance du roi et de la seconde 4. Sur sa conception organiciste du Rechtsstaat, cJ. O. GIERKE, Johannes Althusius, op. cit., chap. 6
· qu'en 1918, juste avant la défaite («Der Rechtsstaat » ), pp. 264-366; id., Das deutsche Genossenschafisrecht, t. I, Berlin, Weidmann, 1868,
p. 831 s; id., « Die Grundbegriff~ des Staatsrechts Uf)d die neueste Staatsrechtstheorien », ZgStW,
vol. 30, 1874, spéc. p. 184 : « L'Et,tt de droit est zm Etat quine se place pas au-dessus d11 droit, mais
dedans »); F. GARZONI, op. cit., pp. 91-93; M. STOLLEIS, op. cit., t. 2, p. 359 ss. Le terme de
74 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquc

la théorie libérale de l'État perdurent également dans les conceptions du Rechtss- fie de « pléon,
taat de Otto Bahr, Rudolf Gneist, Otto Mayer, Georg Jellinek et Richard période chan
Thoma. cedent des th
L'impact des événements de 1848 est si profond qu'ils infléchissent, à en tienne de Sta
croire Dieter Grimm, l'attitude générale de la bourgeoisie. Par déception et par positiviste for
peur des agitations du I;>rolétariat naissant, celle-ci se retire de la scene politique sans oublier 1
pour s'arranger avec l'Etat monarchique autoritaire en place, le fameux Obrig- ce mouvemer
keitsstaat5. Du coup, elle ne poursuit plus son combat pour la liberté politique la période de
et se contente de la liberté dont elle jouit désormais pleinement dans sa sphere et strates. Rie
privée. De politique, le libéralisme devient économique•. L'essentiel de son pro- 69 Même le con
gramme consiste, des lors, à faire protéger cet espace privé, conçu comme une s' avere largen
liberté négative, contre les incursions de la puissance publique. À cette fin, les des conservar
libéraux exigent un contrôle juridictionnel de l'administration, auquel s'identi- phare de Recl
fie peu à peu le Rechtsstaat. Au cours de ce débat sur le contentieux administra- la chasse gard
tif émerge ainsi la nouvelle figure du juge, dont le rôle et le pouvoir ne cesseront substrat libér;
de cro1tre en Allemagne et partout dans le monde. Il s'agit là d'un moment façon suivant,
névralgique dans l'histoire du Rechtsstaat car, comme le dit D. Grimm, « c'est ici vérité, l'esprit
que la substitution des moyens politiques de résoltttion des conjlits par des moyens les vaies et les 1
juridictionnels - si caractéristique de l'Allemagne jusqu'à ce jour - puise ses citoyens, limit
racines » 7 • il ne doit pas, ,
ce qui appartü
ex) La redéfinition du Rechtsstaat dans le sillage de Stahl libre arbitre e
que l'État se e
68 Au cours de la seconde moitié du XIX' siecle le néologisme créé par Placidus trative ou enc,
subir une profonde métamorphose. D'une notion éminemment politique, foca- ment à quelqr,
lisée sur les droits naturels de l'individu, le Rechtsstaat évolue peu à peu vers un une maniere cl
concept formel qui se réduit à l'exigence du respect de la simple légalité. Le Selon Rud,
signal de départ de cette évolution est donné par Friedrich Julius Stahl (1802- souscrire mot J
1861) dans sa fameuse Philosophie des Rechts. Son point d'orgue sera atteint avec belle unanimi
la Reine Rechtslehre de Hans Kelsen (1881-1973) qui, au nom d'une méthodolo-
gie pure, entend bannir toute référence politique, métaphysique ou idéologique
du domaine de la connaissance d~ droit et de l'État. Signe révélateur du déclin 8. Cf infra__n" 10
du Rechtsstaat, Kelsen dénie toute pertinence scientifique à ce terme qu'il quali- 9. E.-W. BOCKl
hérence des posir
10. M. STOLLE
11. F.J. STAHL,
We!tanscha11ung)
Losrmg rmd ist a11,
Rechtsstaat se retrouve également chez son disciple Hugo Preuss (1860-1925) qui élaborera le projet zen seiner Wirksa
de la Constitution de Weimar. rmverbnichlich si,
5. D. GRIMM, De111sche Verfassungsgeschichte 1776-1866, Frankfurt, Suhrkamp, 1988, p. 209. chen (erzwingen},
Cf aussi M. STOLLEIS, « Rechtsstaat », op. cit., col. 371 : « Le libéralisme asso11plissait le lien origi- der Begrijf des Re,
nal entre l'idée d11 Rechtssta,a et la participation politiq11e po11r l'abandonner presq11e entierement apres tmtive Zwecke, º"
1849. Le Rechtsstaat n 'était pl11s synon)?ne des libertés politiques, de la p,1rticipation active des citoyens et lnhalt des Staates,
d'rme ég,dité s11bstantielle, mais se réd11isait à 11ne protection j11ridictionnelle formelle en matieres civile son ouvrage date
et administrative. » Cette lecture n' est toutefois pas unanimemem admise au sein de la doctrine alie- 12. R. GNEIST,
m ande. Pour une lecture sensiblement différente, cf. E.-W. Bé:ickenforde (s11pra n"' 66). 1879, p. 3~.
6. D. GRIMM, op. cit., p. 209. 13. O. BAHR, 1
7. Jbid., p. 210 : « Die Ersetzrmg politischer Konjlikta11strag1111g durch justizfõnnige, wie sie fiir Scienta, 1961, p.
De11tschland bis he11te bezeichenend ist, hat hier ihre Wt1rzeln. » tungsrechtswisse,
n néologis"me : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 75

les conceptions du Rechtss- fie de « pléonasme »'. Il faut toutefois se garder de tout jugement hâtif sur cette
:;eorg Jellinek et Richard période charniere, d'une rare complexité, dans laquelle s'imbriquent et se sue-
cedem des théories aussi hétéroclites'' que le jusnaturalisme d'inspiration chré-
:l qu'ils infléchissent, à en tienne de Stahl, la théorie organiciste libérale de Bahr, le légalisme de l'école
eoisie. Par déception et par positiviste fondée par Gerber et Laband, le dualisme méthodologique de Jellinek,
retire de la scene politique sans oublier la théorie pure du droit de Kelsen. Pour saisir toutes les facettes de
en place, le fameux Obrig- ce mouvement intellectuel qui s'étend sur plus de 70 ans -voire 80 si l'on inclut
,at pour la liberté politique la période de Weimar-, il est indispensable d'en identifier les différentes phases
pleinement dans sa sphere et strates. Rien ne serait plus trompeur que d'y voir un seul bloc monolithique.
1ue O• L' essentiel de son pro· 69 Même le consensus qui s' est cristallisé autour de la célebre définition de Stahl
e privé, conçu comme une s'avere largement fictif a posteriori'º. L'entreprise de celui qui fut le chef de file
e publique. À cette fin, les des conservateurs prussiens n'est pas mince. Son but est de s'approprier le mot
inistration, auquel s'identi- phare de Rechtsstaat qui jusque-là, abstraction faite du cas d' Adam Müller, était
. le contentieux administra· la chasse gardée des libéraux. Pour ce faire, il vide le mot de Rechtsstaat de son
e et le pouvoir ne cesseront substrat libéral pour lui assigner un nouveau contenu, formel, qu'il définit de la
. Il s' agit là d'un moment façon suivante : « L 'État doit être un État de droit: tel est le mot d'ordre et aussi, en
le dit D. Grimm, « c'est ici vérité, l'esprit des temps modernes. Jl doit définir précisément, parle biais du droit,
i des conflits par des moyens les vaies et les limites de son propre rayon d'action ainsi que la sphere de liberté de ses
jusqu 'à ce jour - puise ses citoyens, limites qu'il doit garantir de façon inébranlable. Quant aux idées éthiques,
il ne doit pas, au titre de ses prérogatives, les réaliser (imposer} directement au-delà de
ce qui appartient à la sphere du droit, c'est-à-dire la fixation des limites nécessaires [au
e Stahl libre arbitre de chacun]. Telle est la définition du concept d'État de droit, non pas
que l'État se contente de garantir l'ordre juridique sans aucune fonction adminis-
ologisme créé par Placidus trative ou encare ne /asse que protéger les droits des individus; il ne se réfere nulle-
ninemment politique, foca- ment à quelque but ou contemt de l'État, mais uniquement à un mode d'action, à
at évolue peu à peu vers un une maniere de réaliser ceux-ci. » 11
ct de la simple légalité. Le Selon Rudolf Gneist (1816-1895), « même les adversaires de Stahl pourraient
riedrich Julius Stahl (1802- souscrire mot pour mot à ce que celui-ci désigne par Rechtsstaat » ". Or, derriere la
lnt d'orgue sera atteint avec belle unanimité avec laquelle la doctrine se réclame de la définition de Stahl 13 se
au nom d'une méthodolo-
étaphysique ou idéologique
. Signe révélateur du déclin 8. Cf infra__n" 101. ..
9. E.-W. BOCKENFORDE, « Entstehung und Wandel... », op. cit., p. 150 insistait déjà sur l'inco-
fique à ce terme qu'il quali- hérence des positions des uns et des autres au sein de cette mouvance.
10. M. STOLLEIS, « Rechtsstaat », op. cit., col. 371.
11. F.J. STAHL, Die Philosophie des Rechts, t. 2 (Rechts- zmd Staatslehre aufder Gnmdlage christlicher
Weltanschauung) 5< éd., Tübingen, Mohr, 1878, p.137 : « Der Staat sol/ Rechtsstaat se-yn, das ist die
Loszmg zmd ist auch in Wahrheit der Entwicklungstrieb der neueren Zeit. Er sol/ die Bahnen zmd Grãn-
(1860-1925) qui élaborera le projet zen seiner Wirksamkeit wie die freie Sphãre seiner B11rger in der Weise des Rechts genau bestimmen zmd
zmverbnichlich sichem zmd sol/ die sittlichen Jdeen ·von Staatswegen, also direkt, nicht weiter verwirkli-
1kfurt, Suhrkamp, 1988, p. 209. chen (erzwingen}, ais es der Rechtssphãre angehõrt, d.i. nur bis zur nothwendigsten Umzãzmzmg. Dies ist
ibéralisme ,1sso11plissait /e lien origi- der Begrilf des Rechtsstaates, nicht etwa dass der Staat bloss die Rechtsordmmg handhabe ohne adminis-
mdonner presq11e entierement apres trative Zwecke, odervollends bloss die Rechte der Einzelnen schütze, er bede11tet 11berhaupt nicht Ziel zmd
'a p,irticipation aclive des citoyens et Inhalt des Staates, sondem n11r A rt zmd Charakter dieselben 211 verwirklichen. » La premiere édition de
tionnelle formei/e en matieres civile son ouvrage date de 1830-1837.
t admise au sein de la doctrine alle- 12. R. GNEIST, Der Rechtsstaat zmd die Verwaltungsgerichte in Deutschland, 2< éd., Berlin, Springer,
nfõrde (mpra n" 66). 1879, p. 3].
13. O. BAHR, Der Rechtsstaat. Eine publicistische Skizze, réimp. de la 1"' éd. 1864 (Kassel), Aalen,
1g d11rch j11stizfõrmige, wie sie fiir Scienta, 1961, p. 1; R. GNEIST, op. cit., p. 33; R. THOMA, « Rechtsstaatsidee und Vewal-
tungsrechtswissen-schaft », JõR, t. 4, 1910, p. 201; O. MAYER, Deutsches Verwaltzmgsrecht, 2' éd.,
76 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproqu

cachent en vérité de profondes dissensions. Ainsi, la remarque finale de Stahl rentes: on y


semble sonner le glas de la théorie libérale des fonctions de l'État et, a fortiori, opposées ain
de toute théorie téléologique du pouvoir. C'est du moins ainsi que l'entend le et des représ
positiviste Richard Thoma (1874-1957)". Or, il y a là un premier malentendu lesquels il fa
car, dans l'esprit de Stahl, sa critique ne vise que l'école modeme du droit natu- Jellinek, Th<
rel. Sa critique du Rechtsstaat n'est en réalité qu'un stratageme au sein d'une 70 Ce n'est qu';
logique plus large. Une fois qu'il a éliminé le volet matériel du Rechtsstaat, Stahl Rechtsstaat",
réintroduit en effet, par le truchement du concept de « sittliches Reich », une dans ses rapp
théorie éthique de l'Etat qui se nourrit d'une « vision chrétienne du monde»". staat est syn
On comprend des lors mieux le renvoi ambigu aux « idées éthiques » dans sa défi- placé tout em
nition du Rechtsstaat, que Thoma a d'ailleurs dénoncé comme une « insertion mais Lex; tm
obscure et confuse d'un élément matériel » "'. Aussi Otto Mayer {1846-1924) se des individus
contente-t-il de citer la derniere phrase de la définition de Stahl en omettant son sance étatiqu,
début. À la stratégie hypocrite de Stahl répond ainsi une lecture partiale de son et sont gouve;
a:uvre, dom les positivistes ne retiennent que ce qui les intéresse. de ceux qui e
L'élimination de la problématique des fonctions de l'État ne se fait que pro- principe de 1
gressivement. Même chez Otto Bahr {1817-1895), dom l'accord avec la défini- lois liberticic
tion de Stahl n' est pas exempt d'une certaine ironie '7, la théorie des fonctions de publique do
l'État est chassée par la porte" pour revenir aussitôt ... par la fenêtre. Sa célebre antithese n'e
dé:finition du Rechtsstaat est encare fortement imprégnée de la philosophie libé- rare - que lt
rale. Par ce terme polysémique, il entend « que l'État /asse du droit le fondement diques et, su1
de son existence, que tottte la vie qui se déploie en son sein, que ce soit celle des indi-
vidus ou celle de la collectivité dans ses rapports avec ses membres, se meuve dans les
vaies du droit sans qu'il soit pour atttant porté atteinte à la liberté qui lui est indis-
20. La derniere
pensable » '". Ce renvoi discret au principe de liberté sera amplifié par la suite, car, som, en réalité.
sous le terme de droit, Bahr entend non pas le droit positif, mais un droit orga- positif. ·
nique focalisé sur l'idée kantienne de l'autonomie individuelle. Le processus de 21. Cf E.-W. Bc
22. D. GRIM1I
formalisation réunit clone sous un même chapeau des conceptions fort diffé- 23. G. ANSCI--
clopãdie der Reci
p. 593. La form,
24. Cf C. SCl-
München, Duncker & Humblot, 1914, p. 59. En ce qui concerne l'ouvrage de Mayer, dom nous p. 131; H. KEI.
citerons toujours la 2' édition qui est plus volumineuse sur le sujet du Rechtsstaat, il n'est pas inutile druckerei, 1992.
de consulter égalemem la 1" édition qui date de 1895 (Leipzig, Duncker & Humblot). Certains 25. R. THOM,
propos om ainsi été supprimés dans la seconde édition, publiée juste à la veille de la Premiere Guerre de sécurité tran,
mondiale, à !'instar de ses commemaires élogieux sur !'origine européenne de l'idée du Rechtsstaat, prit de cette ép,
que l' Allemagne partagerait avec ses « Sch-westemationen {nations-sawrs) » dom la France (!"' éd. [1944], Frankfu,
p. 61). Voir E.V. HEYEN, « Otto Mayer: Frankreich und das deutsche Reich », Der Staat, 1980, 26. P. LABANI
pp. 444-460. « L'Étal ne pelll
14. R. THOMA, op. cit., p. 198. 011 interdire, si o
15; II s'agit là du titre du tome 2 desa Philosophie d11 droit qui s'imitule « Une théorie dtt droit et de par opposition .i
l'Etat fondée s11r 11ne vision chrétienne du monde (Rechts- 1md Staatslehre a11Jder Gmndlage christlicher R. IHERING, 1
Weltanschammg} ». ringue le « regn,
16. R. THOMA, op. cit., p. 201 note t. potisme » ( = le
17. Cf O. BÃHR, op. cit., p. 1. « Recbtsst,w t ».
18. Ibid., p. 2 ou il récuse ;vaguemem le débat sur l'amagonisme entre le Rechtsstaat et le Polizeist,1<11, 27. D'apres O.
au sens traditionnel d'un Etat-providence. refuser le princi
19. Ibid., p. 2: « Vielmehr verstehen wir damnter, dass der Staat das Recht z11r Grrmdbeding1mg seines kel » du Polizeis;
Daseins erhebe; dass alies in ihm rege Leben, das individ11elle sowohl, ais das der Gesmnmtheit im Verhãlt- à chacun d' eux L'
niss 211 ihren Gliedem, 11nbeschade1 derJiír dasselbe noth-wendigen Freiheit, demzoch in den Grrmdangeln déjà retenu cetlL
des Rechts sich bewege. » qu'à son avis la,
rm néologisme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 77

la remarque finale de Stahl rentes: on y trouve à la fois des défenseurs du droit naturel, aux visions d'ailleurs
tions de l'État et, a fortiori, opposées ainsi que l'illustre la polémique lancée par Bahr à !'encontre de Stahl,
moins ainsi que l'entend le et des représentants de ce que l'on appelle communément le positivisme, parmi
L là un premier malemendu lesquels il faut à vrai dire distinguer entre les légalistes (Gerber, Laband, Mayer,
cole moderne du droit natu- Jellinek, Thoma, etc.) et l'école de Vienne 2º.
.n stratageme au sein d'une 70 Ce n'est qu'à la finde ce processus que l'on aboutit à une définition formelle du
natériel du Rechtsstaat, Stahl Rechtsstaat'1, selon laquelle l'État est supposé « se place [r] sur le plan de la légalité
t de « sittliches Reich », une dans ses rapports avec les individus en s'abstenant de tottt arbitraire » 22 • Le Rechts-
ion chrétienne du monde» 15 • staat est synonyme, selon Gerhard Anschütz (1867-1948), d'un « État qui est
« idées éthiques » dans sa défi- placé tout entier sous le signe du droit, dont la volonté suprême ne s'appelle pas Rex,
mcé comme une « insertion mais Lex; une République (Gemeinwesen) dans laquelle non seulement les rapports
Otto Mayer (1846-1924) se des individus entre eux, mais aussi, et surtout, les rapports des individus avec la puis-
on de Stahl en omettant son sance étatique sont déterminés par des regles de droit, et 01't les hommes gouvernent
;i une lecture partiale de son et sont gouvernés selon la loi et le droit et non point en vertu du "tel est notre plaisir"
i les intéresse. de ceux qui détiennent le pouvoir » 23 • L'idéal du Rechtsstaat s'identifie clone au
de l'État ne se fait que pro- príncipe de la sécurité juridique 2• : si l'individu n'est guere protégé contre des
dom l'accord avec la défini- lois liberticides, il l'est au moins contre des actes imempestifs de la puissance
'7, la théorie des fonctions de publique dont il peut se prémunir grâce à un recours juridictionnel 25 • Son
t ... par la fenêtre. Sa célebre antithese n'est plus tant le « despotisme (Despotie) » 26 - concept qui se fait plus
fgnée de la philosophie libé- rare - que le « Polizeistaat » 27 dans lequel regne l'arbitraire, faute de regles juri-
~t /asse du droit le fondement diques et, surtout, d'un juge qui en assure la sanction.
sein, que ce soit celle des indi-
es membres, se meuve dans les
:e à la liberté qzti !ui est indis- 20. La derniere distinction sera exposée en détail n" 494 ss. Précisons simplement que les légalistes
sera amplifié par la suite, car, som, en réalité, des jusnaturalistes cachés puisqu'ils postulem un devoir moral d'obéissance au droit
t positif, mais un droit orga- positif. .. ..
11. Cf E.-W. BOCKENFORDE, op. cit., p. 155.
ndividuelle. Le processus de
11. D. GRIMM,_9p. cit., p. 226.
des conceptions fort diffé- 23. G. ANSCHUTZ, « Deutsches Staatsrecht », in F. HOLTZENDORF & J. KOHLER, Enzy-
clopãdie der Rechtswissenschaft, 6° éd., Leipzig/Berlin, Duncker & Humblot/Guttentag, 1904, t. II,
p. 593. La formule« te! esl notre plaisir » se trouve en français dans le texte original.
24. Cf C. SCHMITT, Verfasszmgslehre (1928), 8° éd., Berlin, Duncker & t{umblot, 1993, § 12,
rne l'ouvrage de Mayer, dom nous p. 131; H. KELSEN, Reine Rechtslehre, réimpr. de la 2° éd. de 1960, Wien, Osterreichische Staats-
et du Rechtsstaat, il n'est pas inutile druckerei, 1992, p. 257.
;, Duncker & Humblot). Certains 25. R. THOMA, op. cit., p. 214. Derriere cette apologie parles positivistes (légalistes) du príncipe
me à la veille de la Premiere Guerre de sécurité transparait une vision axiologique caractéristique de la société du fin de siecle. Sur ]' es-
!uropéenne de ]'idée du Rechtsstaat, prit de cette époque, !ire les belles pages de Stefan ZWEIG, Die Welt von Gestem (Le monde d'hier)
ms-sceurs) » dom la France (1"' éd. [1944], Frankfurt, Fischer, 1996, chap. 1 : « Die Welt der Sicherheit (Le monde de la sémrité} ».
deutsche Reich », Der Staat, 1980, 26. P; LABAND, Das Staalsrecht des deutschen Reiches, 1"' éd., Tübingen, Laupp, 1876, t. 2, p. 202 :
« L 'Etat ne peztt exiger de ses sujets a11am service ou auczme abstention, il ne peut rien le'ir ordonner
ou interdire, si ce n 'est mr le fondement d'une regle juridique. C'est la caractéristique de l'Etat de droit
'intitule « Une théorie du droit et de par opposition a11 despotisme (Das ist das Merkmal des Rechtsstaates im Gegensatz Zllr Despotie) »;
tslehre aufder Grzmdlage christ!icher R. IHERING, Der Zweck im Recht, 4" éd., Leipzig, Breitkopf & Hartel, 1904, t. 1, p.,275 ou il dis-
tingue le « regne de la foi» ( = le droit est obligatoire à la fois pour les individus et l'Etat) du « des-
potisme » ( = le droit n'oblige que les individus). Cf ibid. p. 278 ou il idemifie le regne de la !oi au
« Rechtsst,iat ».
entre le Rechtsstaal et le Polizeist,Mt, 27. D'apres O. BÃHR, op. cit., p. 134, c'est dans le domaine du droit public, ou ]'État continue de
refuser ]e príncipe d'un contrôle juridictionnel que se trouve le dernier refuge, « letzle Schlupfwin-
ias Recht Zllr Grzmdbedingzmg seines kel » du Polizeist<1at. Le binôme Rechtsstaat-Polizeistaat est surtout popularisé par Mayer qui consacre
; ais das der Ges,immtheit im Verhãlt- à chacun d'eux un paragraphe entier de son introduction (cf O. MAYER, op. cit. p. 39-64). Stahl avait
'reiheit, demwch in den Grzmdangeln déjà retenu cette dichotomie, mais il avait défini le Polizeist<1at de façon particulierement large puis-
qu'à son avis la démocratie est, par définition, un Polizeistaat. On notera que le terme de Polizeistaat
,,.

78 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquos

~) Déplacement et disparition du terme de Rechtsstaat 72 Dans la nouvc


fondateurs, la
71 Le terme de Rechtsstaat change clone à la fois de contenu et de statut épistémo- plus de fonder
logique. Sa signification autrefois intégrale, c'est-à-dire formelle et matérielle, se ce fut le cas dai
réduit à un seul volet, celui de la forme. En outre, de concept jusnaturaliste, et à la consécr
c'est-à-dire prescriptif, il devient peu à peu un concept positiviste, c'est-à-dire droit administ
descriptif. Ces deux évolutions, si elles som historiquement tres proches, voire angle systémat
concomitantes, ne doivent pas être confondues d'un point de vue logique. Le qu'incidente, t
processus de formalisation comporte ainsi deux étapes cruciales : il y a d'abord en vigueur", à
une premiere transition ou l'on passe d'un concept normatif intégral à un tain .12 et, enfin,
concept normatif formei, puis, une seconde ou le concept normatif formei se est surtout em
dissout peu à peu dans un concept descriptif. Cette évolution sur le fond va de revendication ;
pair, sur le plan sémantique, avec une migration du discours du Rechtsstaat : clone des vesti
celui-ci se déplace de la théorie générale de l'État et du droit constitutionnel moins de plus
- ou se trouvait jadis son "siege" et dont il disparait presque totalement - vers évolution qui
le domaine du droit administratif et de la science administrative. Au désintérêt 73 Entre-temps, L
des constitutionnalistes s' oppose ainsi l' accueil enthousiaste des administrati- créditée » "' de .
vistes, lesquels s'emparent de ce mot d'ordre pour lui imprimer un nouveau s' est habitué, d
contenu à travers le débat sur la légitimité de la justice administrative. taat en bonne
Le potentiel critique, c'est-à-dire politique, de ce mot d'ordre se focalise désor- Jellinek, etc. (
mais sur le statut de la bureaucratie. Des libéraux comme Bahr et Gneist terme de Rech1
s'attaquem en son nom à ce pilier de l'Obrigkeitsstaat qu'est l'administration, est, au contrai;
dom la soumission au droit reste précaire à bien des égards. À l'encontre de Stahl
qui s'oppose à toute évolution du statu quo, ils demandem au législateur d'ap-
profondir les conquêtes libérales en instauram un contrôle juridictionnel de l'ad-
ministration. Le concept de Rechtsstaat, qui reste normatif, voit sa significa- 30. R. THOMA,
tion se focaliser sur le rôle du juge, au terme d'un débat assez peu satisfaisam. Le qui attestent du ,
Rosin, Stein, Preu
civiliste Otto Bahr, magistrat de profession - détails qui ne sont pas sans impor- TAGLIA, « Stato,
tance - va lancer l'argumem de choc, destiné à un grand avenir, selon lequel il 31. Sur cette déri •
n'y a pas de droit sans juge. Le message sera entendu : dans les divers États alle- 32. R. THOMA.
tive d'être « !e g1,
mands, le pouvoir législatif installe des juridictions administratives et commence champ de compét
à élaborer un droit administratif garamissam les droits subjectifs des individus. l'énumération de,
Cette évolution est résumée par Mayer lorsqu'il affirme que « le Rechtsstaat est Thoma, il faudrair
pece !e príncipe d,
l'État qui dispose d'un droit administratifbien ordonnancé » 18 et qui reconnait aux 33. Ibid., p. 217 s
administrés le droit de comester ses décisions devam un juge. Car, il ne suffit pas pation critique et p
de faire des lois, encore faut-il les voir sanctionner par un juge. Le Rechtsstaat est, quitté !e champ d
LINEK, Verwa/111
par conséquem, synonyme du príncipe de la« subordination de l'administration cipe de l'indépen
att jttge (Justizfõrmigkeit der Verwaltung) » 1'. membres des juri,
tauration d'une ju
34. R. THOMA.
de l'amolimitatio1
35. Et encore ... li
qui, aux yeux de e
change sensiblement de contenu puisqu'il ne se réfere plus en premier lieu à l'idée de l'État-provi- 36. R. THOMA,
dence. Au lieu d'être un cas de figure illustrant !e concept plus large de despotisme, !e Polizeistaat 37. Cf, par ex., l'
devient à !ui tout seu! la catégorie générique de l'antithese du Rechtsstaat. du Rechtsstaat in I
28. O. MAYER, op. cit., p. 60: « Der Rechtsstaat ist der Staat des wohlgeordneten Ver<iJalt1mgsrecht. » aussi J. CHEVAL
29. Ibid., p. 64. allemande d11 Red
r
n néologisme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 79

sstaat 72 Dans la nouvelle science du droit administratif, dom Mayer est l'un des peres
fondateurs, la fonction du concept de Rechtsstaat évolue. San rôle essentiel n' est
.tenu et de statut épistémo- plus de fonder des revendications radicales de réforme du droit positif - comme
re formelle et matérielle, se ce fut le cas dans les écrits de Bahr et Gneist-, mais de contribuer à l'émergence
, de concept jusnaturaliste, et à la consécration de cette nouvelle matiere académique qu' est la science du
cept positiviste, e' est-à-dire droit administratif 10 • 11 s'avere ainsi tres utile pour ordonner et décrire, sous un
1uement tres proches, voire angle systématique, le droit administratif positif. Sa fonction politique n'est plus
n point de vue logique. Le qu'incidente, et dans la plupart des cas, inavouée. 11 sert ainsi à légitimer le droit
,es cruciales : il y a d' abord en vigueur 11, à guider !'interprete lorsqu'il est face à un point obscur ou incer-
:pt normatif intégral à un tain 12 et, enfin, à justifier des propositions de réforme législative 33 • Le Rechtsstaat
:oncept normatif formei se est surtout employé pour fonder le principe de l'autolimitation, c'est-à-dire la
évolution sur le fond va de revendication à l'égard du pouvoir de se soumettre à ses propres lois 1'. S'il reste
lu discours du Rechtsstaat : dane des vestiges, au rôle parfois crucial, du concept normatif, on tend néan-
et du droit constitutionnel moins de plus en plus vers un concept descriptif, point d'aboutissement de cette
: presque totalement - vers évolution quine sera atteint, en réalité, qu'avec Kelsen n.
lministrative. Au désintérêt 73 Entre-temps, la doctrine constitutionnelle a peu à peu délaissé l'expression « dis-
thousiaste des administrati- créditée »"'de Rechtsstaat. Un tel constat peut surprendre le lecteur français qui
. lui imprimer un nouveau s' est habitué, depuis les écrits de Léon Duguit 17, à voir figurer le ter me de Rechtss-
tce administrative. taat en bonne place, pour ne pas dire à la tête des théories de Gerber, Laband,
not d' ordre se focalise désor- Jellinek, etc. Or, il s'agit là d'une représentation déformée. Ce n'est point le
1x comme Bahr et Gneist terme de Rechtsstaat qui se trouve au cceur de leur édifice théorique - son usage
'.aat qu'est l'administration, est, au contraire, des plus rares -, mais le concept de la « personnalité juridique
fgards. À !'encontre de Stahl
nandent au législateur d'ap-
ntrôle juridictionnel de l'ad-
normatif, voit sa significa- 30. R. THOMA, op. cit., p. 214 ss. On trouve chez !ui de nombreuscs références bibliographiques
bat assez peu satisfaisant. Le qui attestem du succes que connah le terme chez les administrativistes comme Sarwey, Loning,
Rosin, Stein, Preuss, von Lemayer, Anschütz, W. Jellinek, etc. Voir aussi les références chez BAT-
; qui ne som pas sans impor- TAGLIA, « Stato etico e Stato di diritto », Rivista internazionaledifilosofia dei diritto, 1937, p. 237 s.
grand avenir, selo~ lequel il 31. Sur cette dérive du positivisme vers le légalisme, cf fl' 468 ss.
u : dans les divers Etats alle- 32. R. THOMA, op. cit., p. 215, parle à cet égard de la fonction pratique de la science administra-
tive d'être « !e guide de la j11risprudence (Führerin der Rechtsanwendung) ». Ainsi, pour définir le
.dministratives et commence champ de compétence du juge administratif, les législateurs om opté en général pour la solution de
oits subjectifs des individus. ]'énumération de ses attributions, ce qui suscite parfois de délicats problemes d'imerprétation. Selon
firme que « le Rechtsstaat est Thoma, il faudrait dégager du droit positif « l'idée d11 droit » (p. 216) qui !ui est immaneme - en l'es-
pece le príncipe du Rechtsstaat - qui pourrait alars venir combler ces lacunes.
1ancé »" et qui reconnaí't aux 33. Jbid., p. 217 s. Thoma parle à ce sujet d'une « critique immanente du droit » et d'une « partici-
t un juge. Car, il ne suffit pas pation critique et productive à la législation ». Ce disant, il se défend de faire de la politique et d'avoir
ar un juge. Le Rechtsstaat est, quitté lc champ de l'objectivité sciemifique. On en trouve un exemple d'application chez W. JEL-
LINEK, Verwaltzmgsrecht, 3c éd., Berlin, Springer, 1931, p. 94 s. L'auteur y critique, au nom du prin-
rdination de l'administration cipe de l'indépendance de la justice, les réglemematjons de lege lata sur le statut juridique des
membres des juridictions administratives dans divers Etats. II appelle également de ses vceux l'ins-
rauration d'une justice administrative au niveau du Reich qui viendrait couronner ]e Rechtsstaat.
34. R. THOMA, op. cit., p. 201. Sur l'élément imrinsequemem jusnaturaliste qui fonde la validité
de l'autolimitation, cf infra n" 517 ss.
35. Er encare... Tout dépend, en effet, commem on interprete sa fameuse théorie de la Grrmdnonn
qui, aux yeux de certains, consritue un élémem jusnaturaliste caché. Cf infra n" 504 ss.
,remier lieu à l'idée de l'Érat-provi- 36. R. THOMA, op. cit., p. 199.
large de desporisme, le Polizeistaat 37. Cf, par ex., l'exposé des théo,ries allemandes que le doyen de Bordeaux place sous le leitmotiv
?chtsstaat. du Rechtsstaat in L. DUGU!T, L 'Etat, !e droit objectifet la !oi positive, Paris, Fomemoing, 1901. Voir
wohlgeordneten Verwaltrmgsrecht. » aussi J. CHEVALLIER, L'Etat de droit, 1' éd., Paris, Momchresrien, 1994, pp. 14-21 (« La doctrine
allemande du Rechtsstaat » ).
80 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproqu(

de l'État (Rechtspersõnlichkeit des Staates) qui découle du príncipe de l'autoli-


», Jellinek 45 • Le
mitation de l'État. Le premier à attirer l'attention du public sur ce silence des par les const
spécialistes du droit constitutionnel et de la théorie générale de l'État sur le 74 Au vu de ce
Rechtsstaat fut Thoma qui, en 1910, essaie dele rappeler à leur bon souvenir 3'. À terme, de la
l'époque, l'école positiviste fondée par Carl Friedrich von Gerber (1823-1891) et le nouveau r1
Paul Laband (1838-1918) regne en maltre dans les facultés d'outre-Rhin. Les rares l'histoire du
jusnaturalistes qui défendaient encare le concept classique du Rechtsstaat sont dégagent de 1
soit décédés 3', soit minoritaires 40 • Dans la plupart des traités et manuels repré- lisation » du ,
sentatifs de la fin du XIX' siecle, le terme de Rechtsstaat ne figure ni dans la table les questions
des matieres ni dans l'index 4 '. Si, à de rares occasions, le terme est évoqué, son voir exécutif
rôle scientifique est cependant des plus réduits. Trais cas de figure se présentent stantielle des
à ce sujet. 1) 11 arrive que le terme soit cité et expliqué dans le cadre d'un aperçu quant à !ui, ,
historique des diverses théories de l'État". Le concept de Rechtsstaat, associé à la effet, une an;
philosophie de Kant, est des lors relégué parmi les catégories pseudoscientifiques dit formel. C
du passé. 2) Parfois, il est fait mention du terme pour résumer les évolutions tif tantôt un
récentes qu'a connues le droit administratif 43 • 3) Parmi ces rares cas, l'hypothese
la plus fréquente est encare celle ou l'on s'en sert pour désigner l'État qui s'auto-
limite et qui respecte par la suite ses propres !ois". Or, ce dernier sens est Secti
parfaitement redondant par rapport à la notion de la personnalité juridique
de l'État, comme le notent Kelsen et, auparavant, quoique de façon implicite,

75 La métamor
38. R. THOMA, op. cit., p. 199 note 1. d'un débat h
39. Welcker meun en 1869, Ahrens en 1874, Mohl en 1875, Blumschli en 1881.
40. C'est le cas de Gierke et de son disciple Preuss. On trouve encore un exposé du concept classique <lu historique d'
Rechtssta,tl chez Richard SCHMIDT, Allgemeine Swatslehre, Leipzig, Hirschfeld, t. 1, 1901, p. 180-191. qui fut dépu1
41. C.F. GERBER, Grundzrige des deutschen Staatsrechts, 3' éd., Leipzig, Tauchnitz, 1880. Le terme Oberverwalt.
ne figure pas dans l'index. S'il conna1t le terme (cf p. 182 note 1 ou il cite l'ouvrage de Bahr), il ne
s'en sen poim. Le terme ne figure pas non plus dans l'index de l'ouvrage de référence de réussi à impL
P. LABAND, Das Staatsrecht des de11tschen Reiches, depuis la 1"' éd. de 1876 jusqu'à la 5' de 1911 (voir aux dépens d
toutefois infra note 44). Même silence chez C. GAREIS, Allgemeines Staatsrecht, Freiburg, Mohr, justice ordin.
1883; M. von SEYDEL, Das Staatsrecht des Kõnigreichs Bayern, Freiburg, Mohr, 1888; id., Bayerisches . .
Staatsrecht, 3' éd., 2 tomes, Tübingen, Mohr, 1913; G. JELLINEK, Üts System der mbjektiven õ/fent- nque-qms
lichen Rechten, Freiburg, Mohr, 1892; C. BORNHAK, Allgemeine Staatslehre, Berlin, Heymann, encare de no
1896; id., Pre11ssisches Staatsrecht, Freiburg, Mohr, 3 tomes et un supplémem, 1888-1893. sont déployé
42. G. JELLINEK, Allgemeine Staatslehre, 2' éd., Berlin1 Haring, 1905, p. 34 {Le terme apparalt une
seule fois à titre d'exemple d'un concept normatif de l'Etat) et p. 241 (1 x); H. REHM, Allgemeine Le terme de J

Staatslehre, Freiburg, Mohr, 1899, p. 249. L'index renvoie à cette page ou som évoquées les théories que Bahr ent
libérales de Kant, Humboldt, etc. sans que le terme de Rechtsstaat ne soit pour autant memionné une
seule fois.
43. Cf G. MEYER & G. ANSCHÜTZ, Lehrb11ch des de11tschen Staatsrechts, 7' éd., München,
Duncker & Humblot, 1919, p. 29 {Le terme apparalt 9 fois). 45. Cf infra n'
44. Le terme apparait, de façon sporadique, à l'occasion des développemems sur l'administration, 46. M. STOLL
<lans le iameux traité de P. LABAND, Das Staatsrecht des deutschen Reiches. Cf, par ex., 1" éd., Tübin- staates bilden n.
gen, Laupp, 1876, t. 2, p. 202 (2 x) et p. 203 {1 x). On retrouve le même passage dans les éditions 47. Sur sa pers
suivames: 3' éd., Freiburg, Mohr, 1895, t. 1, p. 653 (1 x); 5' éd., Tübingen, Mohr, 1911, t. 2, p. 186 t. 2, p., 385 ss;
(1 x). Cf la tra<l. fr. P. LABAND, Le droit p11blic de l'Empire allemand, Paris, Giard & Briere, 1901, KERVEGAN,,
t. 2, p. 526 {1 x). Voir aussi H. REHM, op. cit., p. 201 (1 x); G. JELLINEK, Gesetz rmd Verordnrmg, inO.JOUANJ
Freiburg, Mohr, 1887, p. 216 {1 x) [sur !'~sage du terme dans les premiers écrits, moins connus, de Rechtsstaat bei C.
Jellinek, tf infra note 183]; G. ANSCHUTZ, « Deutsches Staatsrecht », in F. HOLTZENDORF 48. Cour admir
& J. KOHLER, Encyclopãdie der Rechtswissenschaften, 6' éd., t. 2, München, Duncker & Humblot, 49. Nous repre1
1904, p. 593 {1 x); R. IHERING, Der Zweck im Recht, 4' éd., Leipzig, Breitkopf & Hanel, 1904, t. 1, de la RFA », Pu
p. 278, 325, 328 (en tout 3 x). 50. Stahl déced,
n néologisme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 81

Jle du principe de l'autoli- Jellinek• 5• Le terme n'est qu'un banal pléonasme, ce qui justifie le silence gardé
lu public sur ce ~ilence des par les constitutionnalistes.
e générale de l'Etat sur lf 74 Au vu de ce nreud de difficultés, ou il en va à la fois de l'utilité scientifique du
ler à leur bon souvenir·". A terme, de la définition du droit et de ses rapports avec le pouvoir, sans oublier
1 von Gerber (1823-1891) et le nouveau rôle du juge, on saisit l'importance cruciale de ce second moment de
1ltés d'outre-Rhin. Les rares l'histoire du Rechtsstaat. De l'avis de Michael Stolleis, deux lignes directrices se
assique du Rechtsstaat sont dégagent de ce débat complexe, voire confus: il s'agit, d'une pare, de la «forma-
es traités et manuels repré- lisation » du concept et, d'autre pare, desa« dépolitisation » ••. S'il est évident que
at ne figure ni dans la table les questions institutionnelles, à savoir l'articulation des rapports entre le pou-
ts, le terme est évoqué, son voir exécutif et le pouvoir judiciaire, prennent le dessus sur la thématique sub-
s cas de figure se présentent stantielle des droits de l'homme (Section I), le concept de « dépolitisation » doit,
1é dans le cadre d'un aperçu quant à lui, être manié avec prudence tant il prête à confusion. li suppose, en
>t de Rechtsstaat, associé à la effet, une analyse approfondie du statut épistémologique d'un concept que l'on
tégories pseudoscientifiques dit formel. Or, sous ce terme ambigu, peut se cacher tantôt un concept norma-
our résumer les évolutions tif tantôt un concept descriptif (Section II).
mi ces rares cas, l'hypothese
1r désigner l'État qui s'auto-

;". Or, ce dernier sens est Section L L'ÉMERGENCE D'UN NOUVEAU GARDIEN
.e la personnalité juridique DV RECHTSSTAAT : LE JUGE
1uoique de façon implicite,

75 La métamorphose institutionnelle du Rechtsstaat est, pour l'essentiel, le fruit


d'un débat houleux entre Bahr et Stahl. Ce disant, il ne s'agit pas de nier le rôle
ntschli en 1881. historique d'autres intervenants tels que Gneist•'. Le poids politique de celui-ci,
:e un exposé du concept classique du
g, Hirschfeld, t. 1, 1901, p. 180-191. qui fut député pendant de longues années et qui fut même nommé magistrat au
Leipzig, Tauchnitz, 1880. Le terme Oberverwaltungsgericht• 8 de Prusse, est loin d'être négligeable. 11 a notamment
ou il cite l'ouvrage de Bahr), il ne réussi à imposer l'idée d'un contrôle exercé par des juridictions administratives,
!ex de l'ouvrage de référence de
1. de 1876 jusqu'à la 5' de 1911 (voir aux dépens du modele de Bahr qui aurait préféré attribuer cette compétence à la
neines Staatsrecht, Freiburg, Mohr, justice ordinaire, du moins en derniere instance. Mais, s'agissant du débat théo-
·eiburg, Mohr, 1888; id., Bayerisches rique - qui seul naus intéresse ici -, les arguments essentiels, sur lesquels repose
K, Dt1s System der mbjektiven õ/fent·
·eine Stat1tslehre, Berlin, Heymann, encare de nos jours la dynamique de la « juridictionnalisation » ., du Rechtsstaat,
supplémem, 1888-1893. sont déployés, rodés et critiqués au cours de la "controverse" entre Bahr et Stahl.
, 1905, p. 34 (Le rerme apparalt une
Le terme de polémique serait, à vrai dire, plus exact s'agissant d'un débat virtuel
>. 241 (1 x); H. REHM, Allgemeine
! page ou som évoquées les rhéories que Bahr entretient avec un mort'º.
ne soit pour autant memionné une

hen Staatsrechts, 7' éd., München,


45. Cf infra n" 97 ss.
•veloppements sur l'adminisrrarion, 46. M. STOLLEIS, « Rechtsstaat », col. p. 371 : « Formalisiemng und Empolitisiemng der Rechts·
n Reiches. Cf, par ex., 1" éd., Tübin- staates bilden nach 1850 den gemeinsamen A11Sgt1ngsp1mkt für die Verbessenmg des Rechtssch11tzes. »
e le même passage dans les édirions 47. Sur sa personne, son oeuvre et son concept du Rechtsstaal, cf M. STOLLEIS, Geschichte,
, Tübingen, Mohr, 1911, t. 2, p. 186 t. 2, P·, 385 ss; K. SOBOTA, Das Prinzip Rechtsstaat, op. cit., pp. 354-387; C. Al}GYRIADES-
?111t1nd, Paris, Giard & Briere, 1901, KERVEGAN, « Rudolf Gneist: La jus,rice administrative, institution nécessaire de l'Etat de droit »,
iELLÍNEK, Gesetz zmd Verordmmg, in O. JOUANJAN (dir.), Figures de l'Etat de droit, op. cit., pp. 235-252; D. WEBER, Die Lebre vom
,s premiers écrits, moins connus, de Rechtsstaat bei Ouo Bãhrzmd Rudolf Gneist, these dactyl., Kêiln, 1968, pp. 41-83.
arsrecht », in F. HOLTZENDORF 48. Cour administrarive supérieure. ,
2, München, Duncker & Humblot, 49. Nous reprenons ici le néologisme de A. BLECKMANN, « L'Etat de droit dans la Constitution
ipzig, Breirkopf & Harrel, 1904, t. 1, de la RFA », Pouvoirs, nº 22, 1982, p. 21.
50. Srahl décede en 1861. Bahr publie son fameux pamphler en 1864.

f'. ..
J;'
82 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat ..
:ir
-=f· Lesquipro

À travers ces deux personnages s'opposent deux visions radicalemem diffé- de garanti
remes du Rechtsstaat. D'un côté, il y ale libéral Otto Bahr 51 : civiliste de forma- n'est gue1
tion, ami de Rudolf Ihering, il fut magistrat à partir de 1863 à la Cour supérieure ffiOlllSJUSt
d'appel à Kassel - célebre dans toute l' Allemagne pour son rôle historique joué fl.er une fc
lors du coup d'État de 1850 -, avam de terminer sa carriere au Reichsgericht à ams1 marc
Leipzig 52 • Il s'est même engagé dans la vie politique active puisqu'il a occupé
divers mandats parlementaires au niveau du Land et du Reich. De l'autre côté, il
y ale personnage haut en couleurs de Friedrich Julius Stahl 51 : juif converti - ce
qui !ui a valu nombre d'attaques antisémites 5' - , professeur de philosophie du
droit à Berlin, il était un monarchiste convaincu; à ce titre, il fut le conseiller
intime du roi Frédéric-Guillaume IV et le chef de file des conservateurs à la
lº Expos1
chambre haute du parlement prussien. Accusé d' esprit « sophistique » 55, en raison
des ambigui:tés qu'il cultivait dans ses écrits, Stahl se vame de vouloir à la fois 77 Par une p
« l'autorité et la liberté » , non sans préciser que le principe d'ordre précede le
56
qmconst1
principe de liberté. 11 s'oppose ainsi à tout comrôle juridictionnel de la bureau- droit » 5', (
cratie royale. Bahr se fait, quant à lui, l'avocat d'un contrôle juridictionnel en tion et /01,
usam d'arguments excessifs, dom, par honnêteté, il doit lui-même reconnaitre réalisatior.
les défauts. 11 n'en reste pas moins que les deux arguments en faveur du juge qu'il le nécessai
développe dans son célebre ouvrage Der Rechtsstaat, publié en 1864, vom semble, à
connaitre un succes grandissam (§ 1). La dynamique de la juridictionnalisation face à un 1
du Rechtsstaat se met lemement en marche : partie de la question du comrôle de pas appliq
légalité de l'administration, elle va déclencher un premier débat timide sur le propos ex
contrôle de constitutionnalité des lois (§ 2). de la valic
qu'il se la
§ 1. LE DOUBLE DISCOURS DE LÉGITIMATION veau. La f
DU POUVOIR DES ]UGES barkeit »,
Une telle
rhétoriqu,
76 Du débat déclenché par Bahr comre Stahl, la postérité a surtout retenu deux argu- subordina
mems, qui constituem depuis lors les deux matrices du pouvoir juridictionnel. juge. Face
Bien qu'étam contradictoires, ils s'emremêlent de façon intime et finissent par se rejeter l'ol
prêter mutuellemem secours. 11 s'agit, d'une part, de la these de l'assimilation du tourne au
droit et du juge, selon laquelle il n'y a poim de droit tant qu'il n'y a pas de juge liste Bahr
(A), et, d'autre part, de la these de l'inefficacité de tous les mécanismes politiques l'associati,
catégoriqt
51. SurBahr, cf P. OERTZEN, op. cit., pp. 109-113; K. SOBOTA, op. cit., pp. 338-354; B. BINDER,
sur le refu!
Otto Bãhr (1817-1895). Richter von universel!em Geist, Mittler zwischen Dogmatik 1md Praxis, Frank-
furt, Lang, 1983 et le compre rendu de cet ouvrage par A. HUEBER, ZNR, 1983, vai. 5, p. 201 s.
52. Le Tribunal de l'Empire, créé en 1879, constituait la juridiction allemande suprême en matieres 57. Le prem
civile et pénale. Chief]11sticc
53. Sur Stahl, cf P. OERTZEN, op. cit., pp. 72-82; K. SOBOTA, op. cit., pp. 319-337; H. HELLER, 58. C. SCH
« Friedrich Julius Stahl », in id., Gesammelte Schrifien, 2' éd., Tübingen, Mohr, 1992, t. III, pp.31-33. 59. O. BÃr·
54. Déjà de son vivam, il écait l'objec de telles attaques (cf la remarque de Bluntschli citée par nen, wo sze e1
M. STOLLEIS, Geschichte, t. 2, p. 432), mais c'est surtout apres 1933, sous l'instigacion de Carl ofi ein todtes
Schmitt, qu'il fera l'objet d'un dénigrement systématique. 60. Ibid., p.
55. C.F. GERBER, op. cit., p. 187 note 7. Cf O. BÃHR, op. cit., p. 3 qui !ui reproche d'être de mau- 61. Ibid., p.
vaise foi. 62. Ibid., p.
56. J .-F. STAHL, Die Philosophie des Rechts, t. III, p. XXVII. Rechts. » ). l
is d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 83

::leux visions radicalement diffé- de garantie du droit, ce qui fait le jeu des mécanismes juridictionnels (B). Si Bahr
Otto Bahr;' : civiliste de forma- n'est guere l'inventeur de ce double discours dont les origines remontem au
rtir de 1863 à la Cour supérieure moins jusqu'à la fin du XVIII' siecle ", son mérite historique est d' avoir su lui insuf-
rre pour son rôle historique joué B.er une force et une vigueur rarement rencontrées jusque-là en Allemagne. Il a
1er sa carriere au Reichsgericht à ainsi marqué de son empreinte les esprits de son temps et de sa postérité.
itique active puisqu'il a occupé
id et du Reich. De l'autre côté, il A. Le premier discours :
rulius Stahl ' 3 : juif converti - ce le paradigme de l'assimilation du droit et du juge
-, professeur de philosophie du
:u; à ce titre, il fut le conseiller
.f de file des conservateurs à la 1º Exposé
'esprit « sophistique » 55, en raison
ah! se vante de vouloir à la fois 77 Par une phrase mémorable, Bahr a lié !e sort du droit à celui du juge. Sa ~evise,
ele principe d'ordre précede le qui constitue selon Carl Schmitt un « énoncéfondamental de la pensée de l'Etat de
·ôle juridictionnel de la bureau- droit » 58 , est la suivante : « Le droit et la loi n'acquierent leurs véritables significa-
::l'un contrôle juridictionnel en tion et force qu 'à l'instant ou ils trouvent à leur disposition un juge en vue de leur
é, il doit lui-même reconnaí'tre réalisation. En son absence ils ne resteront que trop souvent lettre morte. II manque
·guments en faveur du juge qu'il !e nécessaire lien entre eux et la vie. » '' Le lien ainsi tissé entre la loi et le juge
?tsstaat, publié en 1864, vont semble, à premiere vue, renvoyer au probleme classique de l'efficacité du droit
1ique de la juridictionnalisation face à un monde réel qui se soustrait à son emprise. La !oi existe, mais elle n'est
ie de la question du contrôle de pas appliquée faute d'un juge. Cette lecture est d'ailleurs confirmée par certains
m premier débat timide sur le propos explicites de Bahr, dans lesquels il distingue nettement les deux aspects
de la validité et de l'efficacité d'une regle juridique"º. Mais, au fur et à mesure
qu'il se laisse emporter par la polémique contre Stahl, Bahr les mélange à nou-
LÉGITIMATION veau. La frontiere s'estompe ainsi lorsqu'il a recours au critere de la« Erzwing-
'GES barkeit », c'est-à-dire de la contrainte, afin de distinguer !e droit et la morale 1' 1•
Une telle logique lui permet de dénoncer, de maniere fort habile et avec un effet
rhétorique redoutable, les theses de son adversaire qui s'évertue à prôner la
frité a surtout retenu deux argu- subordination de l'administration à la !oi, tout en rejetant la compétence du
·ices du pouvoir juridictionnel. juge. Face à cela, Bahr radicalise son propos et réplique vertement à Stahl que
· façon intime et finissent par se rejeter l'office du juge, c'est rejeter le droit. L'enjeu théorique crucial de ce débat
, de la these de l'assimilation du tourne autour de la question de l'exemplarité du droit privé : alors que le civi-
roit tant qu'il n'y a pas de juge liste Bahr pose le droit privé en modele à suivre par le droit public, en raison de
tous les mécanismes politiques l'association si étroite entre la norme et la sentence judiciaire, Stahl s'y refuse
catégoriquement. Or, aux yeux de Bahr, une telle attitude « est, en réalité,fondée
)TA, op. cit., pp. 338-354; B. BINDER, sur !e refus de reconnaissance du droit public comme droit » "2•
zwischen Dogmatik zmd Praxis, Frank-
[UEBER, ZNR, 1983, vol. 5, p. 201 s.
iction allemande suprême en matieres 57. Le premier argumem est ainsi énoncé par Sieyes, dans son célebre discours de l'An ili, et parle
Chief]11stice Marshall dans la décision Marbury vs. Madison de 1803.
[A, op. cit., pp. 319-337; H. HELLER, 58. C. SÇ_HMITT Verfasszmgslehre, op. cit., § 12, p. 132.
~übingen, Mohr, 1992, e. ili, pp. 31-33. 59. O. BAHR, op. cit., p. 12 : « Recht zmd Gesetz komzen m,r da wahre Bedeutzmg zmd Macht gewin-
. la remarque de Blumschli citée par nen, wo sie einen Richterspruch zu ihrer Verwirklichung bereit finden. Wo dieser fehlt, werden jene nur zu
apres 1933, sous l'instigation de Carl ofi ein todtes Capital bleiben. Zwischen ihnen zmd dem Leben fehlt die notlYWendige Verbindungsbnicke. »
60. Ibid., p. 10.
it., p. 3 qui !ui reproche d'être de mau- 61. Ibid., p. 4. Voir aussi p. 50 ou Bahr se rapproche de plus en plus des cheses positivistes.
62. !bid., p. 56 (« Sie hat ihre eigent!iche Grzmdlage in der Nichtanerkenmmg des ojfentlichen Rechts ais
Rechts. »). C'est Bahr qui souligne en gras et c'est d'ailleurs la seule fois qu'il le fait.
84 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquc

On retrouve le même discours corrosif, dans une version extrapolée, sous la concevable si
plume de Otto Mayer qui s'inspire ouvertement de la logique de Bahr. Selon recht, d'un d
Mayer, tant qu'il n'existe pas de juge pour sanctionner la loi, la loi manque à cessus d'eng,
l'égard de l'administration de ce qui fait la valeur du droit pour les individus, à concrétisatio
savoir son caractere « irréfragable (Unverbrüchlichkeit} » 61 • 11 ne suffit clone pas de qu'est « l'âm
définir la loi com me un « commandement adressé aux sujets ( Vorschrift für die dérive la loi,
Unterthanen} »; en vérité, il faut définir la loi de maniere plus stricte en y ajou- dans un textt:
tant le critere du juge : seule la loi maniée par la justice - « das von der ]ustiz droit in abstr,
gehandhabte Gesetz » - est une loi authentique, « das wahre Gesetz »ou« Rechts- in concreto.
gesetz »"'. Aussi déplore-t-il vivement la différence qui existait du temps du « Poli- Tous ces é
zeistaat » entre le droit civil, qui fut un vrai droit, et d'ailleurs le seul droit qui entre l'existe1
méritait ce qualificatif, et le droit public qui n'en était pas un: « Das offentliche d'ailleurs om
Recht ist kein Recht. ,,•; La logique de Bahr et celle de Mayer se recoupent ainsi pose d'aucun
surdes points essentiels. Tous les deux trouvent leur source d'inspiration dans le d'un juge est
droit privé qui, paré de toutes les vertus, est érigé en modele pour les publi- qu'il ne fait e
cistes 66. Certes, il y existe déjà en "droit" public un semblant d'ordonnancement pourque la n
juridique (une constitution, des lois et reglements), mais tant qu'il n'existe pas force si besoir
de juge, l'État reste un « État de police » 67 • Si le soi-disant droit public n'est pas même 70 • On t
du droit, faute d'un juge, il reste à savoir ce qu'il est. Or, curieusement, Bahr et le civiliste Ba
Mayer rechignent à admettre de façon explicite la conséquence logique de leur pas être confc
raisonnement, à savoir que, dans l'attente d'un juge, le droit public n'est que de d' ordre éthic
la morale. publique, c'ei
einer sittliche
2º Critique étanches que

78 La force de l'ouvrage de Bahr est son honnêteté intellectuelle : apres avoir


défendu vigoureusement la these de l'assimilation du droit et du juge, il en l'in
éclaire également les failles. Nonobstant certains propos aux accents positivistes,
Bahr se fait, à l'instar de Otto Gierke, le chantre d'une conception organiciste 79 Alors que Bal
du droit aux accents kantiens : « Le droit - écrit Bahr - est synonyme de liberté. se fait au cont
Mais il ne s'agit pas d'une liberté absolue. (. ..) Le droit est la liberté relative de tous raineté de dro
dans leurs rapports réciproques. Le droit n'a rien d'arbitraire dans la mesure ou il d'une part, il ,
correspond à un besoin impérieux de la société humaine et que celle-ci est à peine \
a respecter et
exergue la spe
à toute logiqu

63. O. MAYER, De11lsches Verwalwngsrecht, 2' éd., p. 47.


64. Ibid., p. 47.
65. Jbid., p. 48 (« Le droit p11blic n 'est pas d11 droit » ). 68. O. BÃHR, O/
66. Cf O. BÃHR, op. cit., p. 2 et 3: « No11s estimons q11e pour la connaiss,mce (Erkenntnis) rien n'est de droit : Otto Ba
plus salutaire que l'observation de l'évol11tion q11',1 comme la sa?11r ,1znée, c'est-à-dire le droit pri·vé. » La pp. 219-234.
théorie du Genossenschafisrecht,(op. cit. p. 18-44} permet justement de transcender la distinction droit 69. O. BÃHR, O)
privé-droit public puisque l'Etat n'est qu'une association comme une autre. Rien ne s'oppose alors ser le statut de la
à ce que l'on transpose les solutions du droit privé au droit public. Fondamentalement, il y a clone cion, cout en rejo
une unité entre ces diverses branches du droit. Cf O. MAYER, op. cit., p. 47-55. Cf ibid., p. 48-51
67. Ce que Mayer reproche au « Polizeistaat », c'est-à-dire au régime absolmiste du xvm' siecle, ce 70. Jbid., p. 10 et
n'est pas d'avoir agi selon le bon plaisir du roi - « ganz wild zmd regellos » (op. cit., p. 47} -, mais 71. lbid., p. 10
de ne pas avoir institué des juridictions. 72. lbid., p. 10-1
~n néologisme : le Rechtsstaat Les qzúproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 85

~ version extrapolée, sous la concevable si l'on ne satisfait pas ce besoin. »''' Selon sa théorie du Genossenschafts-
e la logique de Bahr. Selon recht, d'un droit organiciste des corporations, le droit est !e résultat d'un pro-
rmer la !oi, la !oi manque à cessus d'engendrement complexe qui se subdivise en différentes phases de
ll droit pour les individus, à concrétisation de la norme juridique. Au sommet se situe la source suprême
't) » "1 • II ne suffi.t clone pas de qu'est « l'âme du peuple (Volksbewusstsein) », c'est-à-dire l'idée du droit. De là
aux sujets ( Vorschrift für die dérive la loi, qui ne fait que transcrire ces principes - issus d'un droit vivant -
miere plus stricte en y ajou- dans un texte précis en leur donnant une forme plus certaine. En appliquant ce
1stice - « das von der ]ustiz droit in abstracto à un cas d'espece, le jugement donne, enfin, naissance au droit
:s wahre Gesetz » ou « Rechts- in concreto.
ti existait du temps du « Poli- Tous ces éléments contredisent, par conséquent, l'assimilation abusive faite
:t d'ailleurs !e seu! droit qui entre l'existence de la norme juridique et l'existence d'un juge. Bahr reconnait
:ait pas un : « Das offentliche d'ailleurs ouvertement que le droit international est du droit, bien qu'il ne dis-
de Mayer se recoupent ainsi pose d'aucun juge pour le sanctionner''". Surtout, il admet que l'instauration
· source d'inspiration dans !e d'un juge est loin de résoudre entierement !e probleme de l'efficacité du droit,
: en modele pour les publi- qu'il ne fait en réalité que déplacer : il ne suffi.t pas qu'un jugement intervienne
emblant d'ordonnancement pour que la norme juridique soit ipso facto réelle; encare faut-il l' exécuter, par la
, mais tant qu'il n'existe pas force si besoin, ce qui est impossible lorsqu'il s'agit de la puissance publique elle-
disant droit public n'est pas même70. On touche là à une particularité irréductible du droit public que même
:. Or, curieusement, Bahr et !e civiliste Bahr ne peut guere nier. II en déduit que le concept du droit ne doit
:onséquence logique de leur pas être confondu avec la contrainte et qu'il faut tenir compte d'autres éléments,
, !e droit public n'est que de d' ordre éthique 71. Si, en effet, la sentence du juge s'impose à la puissance
publique, e' est uniquement « avec la force d'une instance éthique (mit der Wt,cht
einer sittliche Macht) » 72 • Les frontieres entre droit et morale ne sont clone pas si
étanches que Bahr l'a fait croire au début dans sa polémique contre Stahl.

intellectuelle : apres avoir B. Le second discours :


1 du droit et du juge, il en l'inefficacité des garanties politiques du droit public
)pos aux accents positivistes,
'une conception organiciste 79 Alars que Bahr plaide la cause du pouvoir des juges, et clone de la réforme, Stahl
hr - est synonyme de liberté. se fait au contraire un ardent défenseur de l'ordre établi et, surtout, de la souve-
t est la liberté relative de tous raineté de droit divin du roi. L'apport de Stahl au débat sur les juges est double:
rbitraire dans la mesure ou il d'une part, il entend rétablir la confiance dans la capacité des organes politiques
iine et que celle-ci est à peine à respecter et à faire respe~ter les lois et la constitution; d'autre part, il met en
exergue la spécificité de l'Etat comme une autorité de droit public irréductible
à toute logique de droit privé.

68. O. BÃHR, op. cit., p. 4-5. Voir maintenant \Y/. ZIMMER, « Une conception qrganiciste de l'État
r connaiss,mce (Erkenntnis) rien n'est de droit: Otto Bahr et Otto von Gierke », in O.JOUANJAN (dir.), Figures de l'Etatdedroit, op. cit.,
,1inée, c'est-à-dire !e droit privé. » La pp. 219-234.
1t de transcender la distinction droit 69_ O. BÃHR, op. cit., p. 10. Le malaise de Bahr croit encore davantage lorsqu'il est amené à analy-
ne une autre. Rien ne s' oppose alors ser le statut de la constitution. II reconnait le caractere juridique des droits inscrits dans la constitu-
,lic. Fondamentalement, il y a clone tion, tout en rejetant explicitement tout contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois.
op. cit., p. 47-55. Cf. ibid., p. 48-51.
:gime absoluriste du xvm' siecle, ce 70. Ibid., p. 10 et p. 67.
nd regei/os » (op. cit., p. 47} -, mais 71. Ibid., p. 10
72. Ibid., p. 10-11. Voir également p. 67.
86 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquo

1º L 'existence de garanties politiques et éthiques au juge reste ]


on retrouve l'
80 Stahl s'oppose à tout contrôle juridictionnel de la puissance publique en arguant l'idéal du gou
de l'existence de garanties politiques et éthiques 73 • II énumere toute une batterie institutionne:
de contrôles et de limites qui seraient, d'apres lui, suffisants pour empêcher que vorr qm peut
le roi et son administration ne dépassent les bornes fixées par le droit 74 • Tout le pouvoir le
d'abord, l'existence même d'un droit écrit et stable serait de nature à décourager contrôleur es
toute entreprise subversive de la loi : il faudrait faire preuve « d'un rare rnlot » Le regne du d
pour vouloir transgresser une loi respectée depuis toujours. Le roi ne le ferait tout empiéte1
jamais puisqu'il s'y est engagé par serment lors de son accession au trône. Si, tou- voirs est la th
tefois, le cas se présentait, les ministres et hauts fonctionnaires seraient respon- latif en trais F
sables des actes du roi; le parlement pourrait alars critiquer les actions du gou- autres'''. La st
vernement en engageant sa responsabilité pénale". Le pouvoir royal n'oserait pouvoirs. Or,
d'ailleurs jamais s'opposer radicalement à l'opinion publique qui constitue la aux dérives d,
garantie « éthique » ultime. Face à cela, l'argumentation de Bahr consiste à avec l'avenem
balayer, l'une apres l'autre, ces diverses garanties. En ce qui concerne la respon- le rôle de con
sabilité pénale des ministres, la pratique a, d'apres lui, suffisamment démontré cacité des gar;1
son inefficacité 1•. II s'agit à la fois d'une procédure trop lourde à mettre en reuvre Or, ce raisonr
et d'une sanction démesurée par rapport à la faute alléguée. De plus, la condam- personne - p
nation du ministre s'avérerait totalement inutile pour l'individu lésé dans ses ont du pouvo
droits, puisqu'elle n'emporte pas l'annulation de l'acte administratif en ques-
tion. Quant aux garanties éthiques, Bahr adapte à nouveau l'habit du positiviste 2° La spécific
en écartant du revers de la main un argument qui ne releverait pas, selon lui,
d'une analyse véritablement juridique 77 • 82 La théorie de '.
81 Sans qu'il soit besoin ici de vérifier la pertinence empirique des arguments avan- le second argt
cés par Bahr, il importe d'en saisir la logique intrinseque. Les deux discours chainement lc
maniés par lui reposent, en effet, sur des prémisses contradictoires. Le premier contre-pouvoi
se réduit à l'énoncé du postular selon lequel il n'y a de droit que s'il y a un juge. ter dans l'État
Si l'on accepte cette proposition, le débat est aussitôt tranché; il n'est même pas une régressior
besoin de s'interroger sur l'efficacité des garanties dites politiques puisque, par Par la souv,
définition, celles-ci ne sauraient assurer la juridicité des normes. Le second dis- (. ..) Macht auf1
cours admet, au contraire, l'idée que le regne du droit puisse être assuré même jugement de J
en l'absence d'un juge, à condition toutefois que les garanties politiques prévues juge. » 81 Pour
à cet effet soient d'une efficacité équivalente aux garanties juridictionnelles. Si tel
n'est pas le cas - conclusion qui découle d'une enquête empirique -, le recours
78. MONTESQl
« C'est une expérit
qu 'il trouve des li11
pouvoir, il faut q11,
73. Cet argumenr sera largemenr repris parles spécialisres du droit constitutionnel er du droir inter- 79. Cf P. PASQU
nacional, rres critiques à l'égard de l'assimilarion faire par Bãhr. Cf C.F. GERBER, op. cit., p. 191 ( « 1789 et la bala//
note 2; G. JELLINEK, Die rechtliche Mwtr der Staatenvertrãge. Ein Beitrag zttr juristischen Construc- 80. L'argumentat
tion des Võlkerrechts, Wien, Hi:ilder, 1880, p. 28-35. Cf aussi infra ff" 88. que le roi esr so,
74. Pour rour ce qui suir, cf F.J. STAHL, Philosophie des Rechts, r. III, p. 256. incomparible ave,
75. L'argumenr n'esr pas sans quelques hypocrisie si l'on sair qu'en Prusse, er même plus rard dans pouvoir constitu;i
l'Empire, le principe consrirurionnel de la responsabiliré pénale ne sera jamais mis en ceuvre faute chique : le roi ex,
d'une loi d'applicarion. vienr. C'est au n<
76. O. BÃHR, op. cit., p. 79 ss. principe de la sép.
77. Ibid., p. 79. Voir aussi p. 47-51. 81. F.J. STAHL,,
r

n néologisme : !e Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 87

au juge reste la seule issue de secours possible. Derriere ce second raisonnement,


on retrouve l'idée de la séparation des pouvoirs. On sait que, selon Montesquieu,
issance publique en arguam l'idéal du gouvernement modéré, c'est-à-dire libéral, est le fruit d'une mécanique
énumere toute une batterie institutionnelle complexe, ou chaque pouvoir trouve sur sa voie un contre-pou-
ffisants pour empêcher que voir qui peut l'arrêter, si jamais il dépassait les bornes fixées parle droit. Même
, fixées par le droit". Tout le pouvoir le plus vertueux a besoin d'un tel garde-fou, car seule la crainte du
erait de nature à décourager contrôleur est de nature à induire une attitude respectueuse à l'égard de la loi 78 •
e preuve « d'un rare culot » Le regne du droit n'est clone assuré que s'il existe un gardien qui puisse censurer
:oujours. Le roi ne le ferait tout empiétement. La premiere illustration de cette logique de balance de pou-
1 accession au trône. Si, tou- voirs est la théorie du régime mixte, c'est-à-dire la subdivision du pouvoir légis-
ctionnaires seraient respon- latif en trois parties, dont chacune a un droit de veto à l' égard des actes des deux
-ritiquer les actions du gou- autres". La suprématie de la constitution est ainsi le fruit de cet équilibre des
Le pouvoir royal n'oserait pouvoirs. Or, à supposer que le législatif ne puisse plus s'opposer efficacement
1 publique qui constitue la aux dérives de l'exécutif - cas de figure qui se réalisera au cours du XX' siecle,
1tation de Bahr consiste à avec l'avenement du fait majoritaire -, le seul pouvoir qui pourrait encare jouer
1 ce qui concerne la respon- le rôle de contrepoids est le troisieme et dernier : le pouvoir judiciaire. L'ineffi-
ui, suffisamment démontré cacité des garanties politiques joue ainsi en faveur du contrôle exercé parle juge.
)p lourde à mettre en reuvre Or, ce raisonnement a un point faible: si l'on ne doit jamais se fier à la vertu de
léguée. De plus, la condam- personne - puisque quiconque a du pouvoir est tenté d'en abuser, et les juges
)ur l'individu lésé dans ses ont du pouvoir -, comment se protéger contre les juges eux-mêmes?
'acte administratif en ques-
mveau l'habit du positiviste 2º La spécificité de l'État et du droit public
ne releverait pas, selon lui,
82 La théorie de Stahl se fait "d'outre-tombe" l'écho des interrogations suscitées par
pirique des arguments avan- le second argument de Bahr. Stahl s'attaque, en effet, à la clef de voute de l'en-
inseque. Les deux discours chaínement logique de Montesquieu, à savoir l'idée que tout pouvoir appelle un
contradictoires. Le premier contre-pou,voir. Il insiste, à juste titre, sur le fait qu'il doit en toute logique exis-
de droit que s'il y a un juge. ter dans l'Etat un pouvoir qui statue en dernier lieu, faute de quoi on aboutit à
t tranché; il n' est même pas une régression sans fin. Ce pouvoir est justement le souverain 80 •
lites politiques puisque, par Par la souveraineté, Stahl entend le « pouvoir suprême sur terre », la « oberste
des normes. Le second dis- (. ..) Macht azifErden », qui, tout en jugeant les autres, n' est elle-même soumise au
oit puisse être assuré même jugement de personne : « II n'existe au-dessus de fui aucune autorité ni aucun
garanties politiques prévues juge. » 81 Pour autant, la puissance publique, aussi suprême soit-elle, n'est pas
mies juridictionnelles. Si tel
1ête empirique -, le recours 78. MONTESQUIEU, De l'espril des !ois, in CEuvres completes, Paris, Pléiade, 1951, t. III, p. 395:
« C'esl une expérience éternelle que toul homme q11i a d11 porwoir esl porté à en abuser; il va jusqu'à ce
qtt 'il trouve des limites. Qui !e diroit ! la verltt même a besoin de limites. Po11r qu 'on ne puisse abttser du
po11voir, il fora que, par la disposilion des choses, le pouvoir arrête !e pottvoir » (Livr. XI, chap. 4).
ir constiturionnel et du droit inter- 79. Cf P. PASQUINO, Sieyes etl'invention de la constillttion en France, Paris, O. Jacob, 1998, chap. 1
Cf C.F. GERBER, op. cit., p. 191 (« 1789et la balanced11 législatif»). Cf supra n" 64 et infra n" 212 et 374.
:in Beitr,1g zttr j11rislischen Construc- 80. L'argumentarion de Srahl sur la souveraineté est néanmoins viciée dans la mesure ou il estime
1 ff' 88, que le roi est souverain dans rous ses actes, même administratifs. Ce point de vue, totalement
:. III, p. 256. incompatible avec la rhéorie libérale qui réserve la souveraineré au pouvoir législarif ou encore au
'en Prusse, et même plus tard dans pouvoir constituant, s'explique par !e fait que Stahl pan du príncipe de la souveraineté monar-
nc sera jamais mis en reuvre faute chique : !e roi exercerait ainsi la plénitude de la souveraineré que! que soit le domaine ou il inter-
vient. C'est au nom de l'indivisibiliré de la souveraineté et de l'uniré de l'État que Stahl rejette !e
principe de la séparation des pouvoirs. Cf F.J. STAHL, op. cit., t. III, p. 199.
81. F.J. STAHL, op. cit., t. III, p. 154.
r

88 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquc

« absolue » 82 • Au-delà de l'empire humain de l'État, regne l'ordre divin des choses § 2. LA DY
qu'il doit respecter : « De même que le concept d'État se définit essentiellement par
l'idée de la souveraineté (Obrigkeit), à son tour le concept de souveraineté se définit
83 D'une positi1
essentiellement par l'application des ordres de Dieu. » 83 Ainsi, d' apres Stahl, le sou-
staat. Les ge1
verain est soumis au droit, naturel et positif", sans pour autant être soumis à un
éclore : au dé
juge, à un pouvoir qui puisse le « contraindre »'5. Le pouvoir de l'État est «Jor-
est reconnu
mellement illimité », en ce qu'il n'y a personne pour l'arrêter, mais il ne l'est « pas
que le secofü
matériellement »"''. L'idée même de la souveraineté implique qu'il existe quelque
de l'administ
part une instance humaine qui soit le médium entre le droit naturel et le droit
siegent au pa
positif, et qui soit !'ultime juge de cette transcription, faute de quoi ce n'est plus
mer, ams1 q1
cette instance qui est le souverain, mais celui qui la contrôle. Car, à vouloir éta-
contrôle de e,
blir au-dessus du souverain un juge, on ne fait que déplacer la souveraineté et on
tulat de la cc
se perd dans une regressio ad infinitum ' 7•
marche (B).
Vouloir instaurer un juge au-dessus du souverain est un non-sens, et c' est, en
finde compre, ignorer la spécificité de l'État en tant qu'autorité de droit public
qui ne se laisse subsumer aux caté;;ories du droit privé. L'État ainsj subjugué A. Se
aurait renié « sa nature en tant qu'Etat » '8, il ne serait plus « un vrai Etat », sous
lº Les enjeu~
entendu une instance « au-dessus des individus », mais « une simple personne pri-
vée » ". En assimilam la souveraineté de l'État au banal pouvoir que détient un 84 La question d
créancier sur son débiteur"º, on ignorerait, selon Stahl, ce qui fait la spécificité dans ce débat
de l'État depuis son émergence historique au cours de la modernité, à savoir le vers, ou pluté
concept de souveraineté "'. En attribuant celle-ci au roi en sa fonction exécutive, créateur du ju
Stahl conclut à l'impossibilité logique d'un contrôle de l'administration royale : de son expéri
« Ce qui fait l'objet de l'administration et de l'atttorité du gouvernement de l'État
d'interprétati
ne peut jamais relever de la justice, même si l'on prétend une atteinte aux droits des tieuse soit-el11
sujets. »"' L'histoire le contredira, surtout sur le point du siege de la souveraineté, aura toujours
et verra la lente ascension du pouvoir des juges administratifs'''. juge de les co
à-dire ce droit
sion du droit
82. Ibid., t. III, p. 155.
83. Ibid., t. III, p. 145. la législation
84. Ibid., t. III, p. 155. manceuvre do
85. Ibid., t. III, p. 258. de Montesqui
86. Ibid., t. III, p. 155: « Der Staal ist darnm, wenn auch die souverãne, so doch nicht die absol11teMacht
arif Erden. Es ist seine Gewalt formei/ 11n11mschrãnkt, aber nicht materie/1 ». travers leque! 1
87. Ibid., t. III, p. 257-8: « Mais i/ ne doit, et i/ ne peut, yavoir rme instance qrti pourrait s'opposer méca· volonté, mais ,
niquement à tollle transgression desa pari, c'est-à-dire rm pouvoir qui pourrait user de la force po11r /e
remettre à sa place, voire /e détrôner. Un te/ po11voir appellerait, à son to11r, rm gardien veillant au respect
du droit et ainsi de suite j11sq11 'à l'infini. II doit exister rme autorité au-dess11s de laquelle i/ n 'en existe
aurnne a11tre, prima sedes a nemine judicalllr. »
88. Ibid., t. III, p. 608. en Hesse (1875),
89. Ibid., t. III, p. 607. en Saxe-Meining,
90. Ibid., t. III, p. 608. O. BÃHR compare ainsi l'administration à un tuteur - institution bien 94. D'apres O. D
connue du droit privé - pour faire valoir la nécessité desa subordination au juge (op. cit., p. 53). lement qui fixe le
91. EJ. STAHL, op. cit., t. III, p. 608. insiste également
92. Ibid., t. III, p. 608. Cela dit, Stahl doit recimna1tre qu'une p~rtie de l'administration est déjà sou· administratif sane
mise à la justice. En vertu de la théorie de l'Etat-fisc (Fiskus) l'Etat est, en partie, assimilé aux indi- 95. Cf I. MAUS.
vidus. En tant que personne juridique privée, il est des lors justiciable devant les tribunaux de droit 96. O. BÃHR,
commun (cf p. 6!4}. de « construire >>
93. Dans divers Etats allemands, le législateur établit des juridictions administratives spéciales sui- construiren ».
vant le modele préconisé par Gneist. II en est ainsi au Grand-Duché de Bade (1863}, en Prusse (1875), 97. Ibid., p. 13.
r
m néologisme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 89

\gne l'ordre divin des choses § 2. LA DYNAMIQUE DE LA JURJDICTIONNALISATION DU RECHTSSTAAT


se définit essentiellement par
:ept de souveraineté se définit 83 D'une position périphérique, le juge est projeté au cceur du concept de Rechts-
Ainsi, d'apres Stahl, lesou- staat. Les germes de cette métamorphose vont toutefois mettre du temps à
,our autant être soumis à un éclore : au début, chez Bahr, Mayer et Thoma, le titre de gardien du Rechtsstaat
: pouvoir de l'État est « for- est reconnu à la fois au parlement et au juge"; ce n'est que progressivement
l' arrêter, mais il ne l'est «pas que le second éclipsera le premier. Dans le débat sur le comrôle juridictionnel
nplique qu'il existe quelque de l'administration, le juge est encare l'allié objectif des forces libérales qui
·e le droit naturel et le droit siegent au parlemem". Mais cette alliance risque de se retourner comre ceder-
1, faute de quoi ce n'est plus
nier, ainsi que le montrem les premieres discussions sur l'instauration d'un
contrôle. Car, à vouloir éta- comrôle de constitutionnalité des !ois au nom du Rechtsstaat. Fondée sur le pos-
éplacer la souveraineté et on tular de la confiance dans le juge (A), la nouvelle dynamique se met ainsi en
marche (B).
est un non-sens, et c'est, en
e qu'autorité de droit public
)rivé. L'État ainsi subjugué
A. Ses ressorts : le postulat de la confiance dans les juges
it plus « un vrai État », sous 1º Les enjeux de la question
1is « une simple personne pri-
anal pouvoir que détiem un 84 La question de la confiance ou, à l'inverse, de la méfiance envers la justice revêt
:ahl, ce qui fait la spécificité dans ce débat une importance à tout égard décisive. Bahr évoque ce theme à tra-
de la modernité, à savoir le vers, ou plutôt à cause, des deux problématiques classiques que som le pouvoir
roi en sa fonction exécutive, créateur du juge et la question du contre-pouvoir face au pouvoir des juges. Fort
~ de l'administracion royale: de son expérience personnelle, Bahr admet volontiers l'existence d'un pouvoir
té du gouvernement de l'État d'interprétation du juge. D'apres lui, toute ceuvre de codification, aussi ambi-
nd une atteinte aux droits des tieuse soit-elle, ne pourra jamais épuiser intégralement la matiere du droit. II y
.t du siege de la souveraineté, aura toujours des questions laissées en suspens, des ambigu1tés et des lacunes. Au
1inistratifs '". juge deles combler en recouram à ce qu'il appelle le « Volksbewusstsein », c'est-
à-dire ce droit vivam, sécrété parles corporations, qui n'est qu'une nouvelle ver-
sion du droit naturel. Le « droit non écrit » garde ainsi un rôle de « succédané de
la législation » 96 • Bahr ne cherche pas pour autant à dissimuler la marge de
manceuvre dom dispose le magistrat, bien qu'il se réfere à la fameuse métaphore
de Montesquieu. II affirme ainsi que « le jugement est en soi un processus logique à
nine, so doch nicht die absol11te Macht
•aterie/1 ».
travers leque/ le partirnlier est subsumé sous le général. Jl est le produit non pas d'une
, instance q11i po11rrait s'opposer méca- volonté, mais d'une connaissance » 07• Ce point de vue est toucefois aussitôt relati-
. q11i po11rrait ttser de la force po11r /e
m tom; rm gardien vei/1,mt att respect
ité au-dessus de laq11elle il n 'en existe
en Hesse (1875), au Wurtemberg (1876), en Baviere (1878), en Anhalt (1888), en Brunswick (1895),
en Saxe-Meiningen (1897), en Lippe (1898), à Oldenbourg (1906).
ion à un tuteur - institution bien 94. D'apres O. BÃHR, op. cit., p. 12 ss, le Rechtsstaat suppose qu'il existe une constitution, un par-
bordination au juge (op. cit., p. 53). lemem qui fixe le droit in abstracto et un juge qui !e définit inconcreto. R. THOMA (op. cit., p. 204 s)
insiste égalemem sur le r8le crucial du parlemem puisque c'est !ui qui adopte les !ois que le juge
1rtie de l'administration est déjà sou- administratif sanctionnera à l'égard de l'administration. Voir aussi O. MAYER, op. cit., p. 57 et p. 64.
itat est, en partie, assimilé aux indi- 95. Cf 1. ~AUS, « Emwicklung und Funktionswandel... », op. cit., p. 37.
iciable devant les tribunaux de droit 96. O. BAHR, op. cit., p. 9. Voir aussi p. 63 : en cas de vide législatif, il appartiem au juge
de « comtruire » la norme juridique à partir des faits, « a11s den 1batsachen heraus das Recht z11
ictions administratives spéciales sui- constru1ren ».
ché de Bade (1863), en Prusse (1875), 97. Ibid., p. 13.
90 À la recherche du sens d'zm néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquc

visé : « // est vrai que les fois de la logique sous l'empire desquelles s'opere cette décou- entre les mair,
verte, ne sont pas contraignantes à un point tel que les déductions qui en découlent et de ses admi.
s'imposeraient de maniere absolument évidente. C'est pourquoi la jurisprudence bilité politiq 1
demeure toujours, jusqu'à un certain degré, une création intellectuelle libre (deshalb toire et de la
bleibt die Rechtsprechung in gewissem Sinne zmd Maasse stets ein freies geistiges nelles, cet act
Schaffen). Mais les risques d'abus, d'erreur et d'arbitraire qui résultent justement de
cette liberté intellectuelle, exigent qu'on remette le pouvoir juridictionnel entre les 2º La répon:
mains de ceux qui sont le moins tentés d'y succomber. Aussi a-t-on pris soin, depuis
la nuit des temps, de prévoir des mécanismes qui garantissent l'intégrité et le statut 86 En premier 1
des juges. » '' de justice du
85 De la question initiale Quid iuris? on passe ainsi à une toute autre problématique chaque sujet,
qui est celle de la personne du juge : Quis iudicabit? Suit alors une foule de consi- souverain de
dérations par lesquelles Bahr cherche à enrayer cet élément subjectif et à fermer taient pas alo
cette breche que l'on pourrait aisément exploiter à l'encontre du juge. 11 cite en lois moderne
premier lieu les mécanismes institutionnels d'autocontrôle qui, en l'absence se situent au-a
d'un contrôle externe - puisqu'il n'y a pas de juge au-dessus du juge -, sont Mayer? 107
censés empêcher toute dérive judiciaire. Outre le principe que nul ne peut être En deuxie
juge dans sa propre cause 99 , il invoque les principes de la procédure judiciaire tionsgericht d,
telles que l'appel, l'indépendance des magistrats, la collégialité des formations de de Hesse, Fr,
jugement, le mode de nomination des juges, etc. 1Do_ 11 mentionne également l'es- tionnaire qui
prit professionnel des magistrats, soucieux de se laisser guider par leur « serment à l'empire de
et leur devoir », ainsi que parles « conclusions de la science », sans oublier « les tra- l' Allemagne.
ditions et l 'honneur du corps » ID,. aussitôt refus
Cependant, toutes ces précautions ne peuvent éliminer entierement l'élément raux. Apres a
subjectif. Bahr admet ainsi que « la garantie ultime du droit ne peut être que mora/e
(Die letzen Garantie alies Rechts kann freilich immer nur eine moralische sein) » 1º2•
Reste alors à savoir à quel pouvoir se fier en dernier lieu? À qui faut-il confier ce
pouvoir créateur, cette « geistige Freiheit », qui est inscrite dans l'acte d'interpré-
tation du droit? L'élément psychologique joue ici un rôle décisif. Pour Bahr, la 103. lbid.
104. À l'époque.
cause est en tout cas entendue : « Naus croyons cependant que celle-ci [la garantie ruem de fervem·
ultime] repose plus súrement, en ce qui concerne la détermination des droits publics, juges constirue u
tout fait pour n·
conditions d'acci
des argumems p
constitutionnalir
98. lbid., p. 13-14. wilhelmien. Sur
99. Par là est évidemment visé le statut particulier du pouvoir polirique qui, en interprétant !e droit unbewãltigte Ver,,
sur un point lirigieux, statue sur son propre cas puisqu'il est à la fois juge et pareie. Cer argumem est 105. II s'agit du
souvem utilisé à !'encontre du parlemem pour revendiquer le rôle de gardien de la constitution au paru avec la diss<
profit du juge qui serait une rierce personne. Cf, par ex. K. BINDING, « Bundesrat und Sraatsge- 106. O. BÃHR,
richtshof », DJZ, 1899, pp. 69-76 et infra n" 196 (Coke). On doit rourefois noter à ce sujet qu'il existe 107. O. MAYEF
descasou !e juge est amené à sratuer sur sa propre situation. II en est ainsi lorsqu'il esr amené à pré- refois noter que ,
ciser l'étendue et les limites desa compétence (cf. les exemples cités infra n" 196 [Bonham's Case], poursuivi en just
n" 314 [Courde Justice européenne, aff. parti verte. Parlemem européen] et n" 660 [Cour consritu- porte sur les jugc
tionnelle allemande, contrôle du pouvoir constituam originaire]). 108. Sur cette cr
100. O. BÃHR, op. cit., p. 14-15. Quam à la nomination des juges, !ire p. 72: « Liegt in der Schaf entre !' Autriche.
fimg des Gerichts ein ka111n geringeres Moment fi,r die Gestaltung des Rechts, ais in der Schajfung des E.R. HUBER, L
Gesetzes ... » pp. 908-915 et r
101. lbid., p. 15. O.JOUANJAN
102. lbid., p. 110. Allemagne (1815
m néologisme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 91

desquelles s'opere cette décou- entre les mains de juridictions indépendantes plutôt qu 'entre les mains du souverain
déductions qui en découlent et de ses administrations. » 'º3 Afin d' évacuer les derniers doutes concernam la fia-
;t pourquoi la jurisprudence bilité politique des juges, Bahr avance une série de trais arguments tirés de l'his-
in intellectuelle libre (deshalb toire et de la sociologie judiciaire '"' qui sont censés fonder, sur des bases ration-
1asse stets ein freies geistiges nelles, cet acte de confiance.
:re qui résultent justement de
"Jvoir juridictionnel entre les 2º La réponse apportée par Ba"hr ou le prestige du juge allemand
Aussi a-t-on pris soin, depuis
"ltissent l'intégrité et le statttt 86 En premier lieu, Bahr cite la jurisprudence des anciens Reichsgerichte, les cours
de justice du Saint Empire romain germanique dispam en 1806 'º'. À l'époque,
e coute autre problématique chaque sujet, s'esttmant lésé dans ses droits acquis, avait !e droit de poursuivre le
,uit alars une foule de consi- souverain de son Etat devam les tribunaux impériaux. Les Reichsgerichte n'hési-
lément subjectif et à fermer taient pas alars à annuler des ordonnances de police, c'est-à-dire l'équivalent des
!'encontre du juge. II cite en !ois modernes '°". N'est-ce pas une preuve qu'en Allemagne « le droit et la justice
)COntrôle qui, en l'absence se situent au-dessus de la puissance étatique », comme le proclame, non sans fierté,
e au-dessus du juge -, sont Mayer?'º7
~incipe que nu! ne peut être En deuxieme lieu, Bahr rappelle le rôle h,istorique joué par !e Oberappella-
s de la procédure judiciaire tionsgericht de Kassel en 1850, lors du coup d'Etat fomenté par !e Prince-électeur
ollégialité des formations de de Hesse, Frédéric-Guillaume 'º'. Ce dernier se laisse porter par la vague réac-
J mentionne également l' es- tionnaire qui ale vent en poupe apres la révolution de 1848, afin de se soustraire
ser guider par leur « sennent à l'empire de lf Constitution de 1831, qui était !'une des plus libérales de toute
ience », sans oublier « les tra- l' Allemagne. A cet effet, il nomme un gouvernement conservateur qui se voit
aussitôt refuser le vote du budget par la chambre unique, dominée par les libé-
niner entierement l'élément raux. Apres avoir dissous le parlement à deux reprises, le monarque proroge, le
, droit ne peut être que morale
nur eine moralische sein} » t02•
lieu? À qui faut-il confier ce
.serice dans l'acte d'interpré-
103. Ibid.
rn rôle décisif. Pour Bahr, la 104. À l'époque, les magistrats se recrutem en grande majorité dans les classes bourgeoises et consti-
"ldant que celle-ci [la garantie tuem de fervems partisans des idées libérales. Ce lien sociologique entre les parlementaires et les
ennination des droits publics, juges constitue un facteur politique non négligeable. Bismarck ]'a du reste bien compris puisqu'il a
tout fait pour remplacer ces juges libéraux par des élémems plus conservateurs, en modifiam les
conditions d'acces à la carriere de magistrat. Le succes desa politique est tel que, sous Weimar, l'un
des argumems principaux avancés par des juristes libéraux contre l'instauration d'un comrôle de
constitutionnalité est l'attitude amirépublicaine d'une magistrature héritée justement de ]'Empire
wilhelmien. Sur l'évolution sociologique de la justice, cf I. MÜLLER, Furchtbare ]uristen. Die
)litigue qui, en interprétant le droit unbewãltigte Vergangenheit zmserer ]ttstiz, München, Kindler, 1987, p. 14-23.
fois juge et pareie. Cet argumem est 105. II s'agit du Reichskammergericht, fondé en 1495, et du Reichshofrat, créé en 1501, qui om dis-
$le de gardien de la constitution au paru avec l_:! dissolution du « Heilige Rõmische Reich Deutscher Nation ».
'1DING, « Bundesrat und Staatsge- 106. O. BAHR, op. cit., p. 111-135; O. MAYER, op. cit. p. 29-38.
toutefois noter à ce sujet qu'il existe 107. O. MAYER, op. cit., p. 37 (« Recht und Rechtspjlege stehen tiber der Staatsgewalt »). II faut tou-
n est ainsi lorsqu 'il est amené à pré- tefois noter que seuls les princes et rois som soumis aux juges. L'Empereur, quant à !ui, ne peut être
cités infra n" 196 [Bonham's Case], poursuivi en justice. En ce sens, Stahl a raison de dire qu'en finde compre le pouvoir politique l'em-
européen] et n· 660 [Cour constitu- porte sur les juges. Voir J.-E STAHL, op. cit., t. III, pp. 653-657.
]). 108. Sur cette crise en K11rhessen qui a fait scandale en Allemagne et qui a failli entra1ner une guerre
1ges, !ire p. 72 : « Liegt in der Schaf entre l' Autriche, qui soutiem !e prince-électeur, et la Prusse, qui soutient les forces libérales, voir
g des Rechts, ais in der Schajfung des E.R. HUBER, Deutsche VerfassungsgesdJichte seit 1789, t. II, 3" éd., Kohlhammer, Stuttgart, 1988,
pp. 908-915 et pp. 926-933; D. GRIMM, op. cit., p. 221-224; O. BAHR, pp. cit., p. 135-160;
O. JOUANJAN, « Le comrôle incidem des norm,es et les comradictions de l'Etat monarchique en
Allemagne (1815-1860) », in id. (dir.), Figures de l'Etat de droit, op. cit., p. 261 ss.
''i

92 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproqu(

4 septembre 1850 '°', la levée des impôts par voie d'ordonnance et proclame l'état
de guerre. Quelques jours plus tard, dans sa décision du 12 septembre 1850 "º, la les pren
Cour supérieure d'appel à Kassel, réunie en assemblée pléniere, déclare cette
ordonnance contraire à la Constitution et refuse de l'appliquer. La Cour devient 87 La logique d
ainsi le symbole d'une résistance généralisée qui emporte tout le pays, y inclus administra ti,
l'administration et surtout l'armée. Arguam du serment qu'ils ont prêté sur la contrôle juri
Constitution, et non pas sur la personne du prince, les officiers préferent démis- pliquer à la e
sionner plutôt que d'obéir. À la riposte de Frédéric-Guillaume, qui interdit aux juge, et de p
juges de conna1tre de la constitutionnalité des ordonnances prises par lui, la « clef de vota
Cour oppose à son tour l'incompatibilité de cette nouvelle ordonnance avec le s'aperçoit to1
principe constitutionnel de l'indépendance de la justice 111 • Le conflit sera résolu, discours du 1
en fin de compte, par la force : le pays est envahi par les armées de la Confédé- auteurs qui :
ration que le prince-électeur a appelées à son secours; menacés de devo ir rem- L'effet d'ent1
bourser personnellement les pertes fiscales infligées au trésor public, les magis- droit admini,
trats de la Cour sont contraints d'abandonner leur jurisprudence 112 • Mais leur tionnel. li fa
attitude courageuse marquera l'esprit des juristes libéraux et, en premier lieu, blique de We:.
Bahr qui a vécu en direct ces événements en sa fonction de juge à un tribunal devise du Re[
inférieur 111 • Outre-Rhin, le juge jouit ainsi d'une aura positive à l'instar du juge constitutionr
anglais de la common law, et contrairement à la France ou la figure du juge est du XIX' siecle
associée aussitôt aux abus des parlements de l' Ancien Régime. 88 S'il va de soi
En troisieme lieu, Bahr se réfere à la pratique du juge judiciaire qui est déjà tionnalité de!
amené à contrôler la légalité de certains actes administratifs en vertu de la théo- deux se fiem,
rie de l'État-fisc, du « Fiskus ». Lorsqu'elle s'engage dans des relations financieres tion du roi e1
contractuelles avec les individus, la puissance publique est assimilée à une per- tion 117 • La thL
sonne privée et, en tant que telle, soumise aux juridictions de droit commun. À a été dévelop
travers ce dernier exemple, Bahr entend démontrer une fois de plus que la subor- Ce dernier s'
dination complete de l'administration à un contrôle de légalité est loin de bou- obligatoire à
leverser l'équilibre politique au sein de l'État. Son message sera entendu : en par certains t
témoignent les échos à la fois au niveau du droit administratif et du droit consti-
tutionnel.
114. Sur ce déb
chrmg, Berlin, D
Staatsrechts, 7'
C. KLEIN, Th,
109. Le texce est reproduit in E.R. HUBER, Dokumente zur Deutschen Verfassrmgsgeschichte, t. I, Laband); O. JO
3' éd., Scuttgart, Kohlhammer, 1978, p. 612. chique en Allen
110. Pour le texte de cette décision, qui n'esc pas motivée, cf. E.R. HUBER, Dokumen,te... , p. 618. 115. Cf K. BIN
Pour arriver à ce résultat, la Cour a faic preuve d'une grande habileté et imagination. Etant donné cution d'une C,
que la Cour ne pouvait êcre saisie directement d'un recours en annulation d'une ordonnance royale, constitutionnel ,,
elle a procédé par voie d'exception: à l'occasion du premier proces venu, elle souleve d'office la ques- 116. F.J. STAHI
tion de la constitutionnalité de l'ordonnance, au sujet du droit de timbre qu'elle est obligée de per- 117. Cf O. MA
cevoir pour chaque jugement rendu. Mohr, 1909, p. 1
111. Cette ordonnance du 28 sepcembre 1850 est déclarée inconstitutionnelle par l'assemblée plé- 118. En ce qui e,
niere de la Cour le 3 octobre 1850. Reproduic in E.R. HUBER, Dokumente... , p. 621-626. Une situa- Verordmmg, Fre
tion similaire se posera en 1952, en Afrique du sud avec l'affaire H,1rris (cf. infra n" 281). Allgemeine Staat
112. Dans sa décision du 18 décembre 1850 (cf. E.R. HUBER, Dokumente... , p. 628), la Cour consi- Rechtspositivism1
dere que son indépendance ne s' étend pas aux « questions administratives » telles que la perception la confusion fait,
de taxes fiscales, pour lesquelles elle s'estime liée parles directives du gouvernement. D'apres lui, le dr
113. Bahr entre en 1844 comme assesseur au Obergericht de Kassel. En 1863, il sera nommé à l'Obe- toute violation d
rappellationsgericht. la seule. Sur les ;-
m néologisme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 93

donnance et proclame l'état B. Ses répercussions :


du 12 septembre 1850 11 º, la les premiers débats doctrinaux sur la justice constitutionnelle
.blée pléniere, déclare cette
'appliquer. La Cour devient 87 La logique déployée par Bahr, Mayer, Gneist dans leur combat pour la justice
Lporte tout le pays, y inclus administrative n' est pas sans rejaillir sur le débat relatif à l'instauration d'un
ment qu'ils ont prêté sur la contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois 11 •. Rien n'interdit d'ap-
.es officiers préferent démis- pliquer à la constitution l'argument selon lequel il n'y a de droit que s'il y a un
Guillaume, qui interdit aux juge, et de présenter la justice constitutionnelle sous les traits attrayants de la
lonnances prises par lui, la « clef de voúte » qui vient couronner l'édifice du Rechtsstaatm. Sur ce point, on

touvelle ordonnance avec le s'aperçoit toutefois qu'à l'époque de l'Empire bismarckien, puis wilhelmien, le
tice 111 • Le conflit sera résolu, discours du Rechtsstaat, pour autant qu'il existe, est encore fluctuant. Les rares
tr les armées de la Confédé- auteurs qui se servem du terme optem ainsi pour des solutions divergentes.
.rs; menacés de devo ir rem- L'effet d'entraí'nement que ce mot d'ordre a su développer dans le domaine du
au trésor public, les magis- droit administratif, grâce à sa forte charge émotive, n'a pas agi en droit constitu-
jurisprudence 112 • Mais leur tionnel. II faudra, en réalité, attendre le XX< siecle, plus exactement la Répu-
:béraux et, en premier lieu, blique de Weimar, pour voir les constitutionnalistes s'approprier à nouveau la
1ction de juge à un tribunal devise du Rechtsstaat afin de canaliser leurs aspirations à la création d'une justice
ra positive à l'instar du juge constitutionnelle. Quant aux rares acteurs de la rhétorique du Rechtsstaat à la fin
mce ou la figure du juge est du XIX< siecle, ils agissem encore en ordre dispersé.
:n Régime. 88 S'il va de soi que Stahl est hostile à tout contrôle juridictionnel de la constitu-
1 juge judiciaire qui est déjà tionnalité des lois"', l'attitude de Bahr et de Mayer est plus surprenante. Tous les
1istratifs en vertu de la théo- deux se fiem, en effet, à l'efficacité des garanties politiques que constituem la sanc-
lans des relations financieres tion du roi et l'élection du parlement pour assurer la suprématie de la constitu-
que est assimilée à une pei;- tion 117 • La thématique des garanties politiques et éthiques en droit constitutionnel
ictions de droit commun. A a été développée surtout par l'éminent juriste libéral Georg Jellinek (1851-1911).
rne fois de plus que la subor- Ce dernier s'efforce de fonder la juridicité de la constitution en tant que norme
e de légalité est loin de bou- obligatoire à l'égard du législateur, sans pour autant tomber dans l'équation faite
t message sera entendu : en par certains entre le droit et la contrainte, entre le droit et le juge 118 • Alors qu'en
ninistratif et du droit consti-

114. Sur ce débat, cf C. GUSY, Richterliches Przifungsrecht. Eine verfasszmgsgeschichtliche Unterm-


chrmg, Berlin, Duncker & Humbloc, 1985; G. MEYER & G. ANSCHÜTZ, Lehrbuch des deutschen
Staatsrechts, 7< éd., München, Duncker & Humblot, 1919, pp. 736-745 (résumé exhaustif);
C. KLEIN, Théorie et pratique du pou·voir constituant, Paris, PUF, 1996, pp. 92-95 !théorie de
)eutschen Verfasszmgsgeschichte, t. I, Laband); O. JOUANJAN, « Le contrôle incidem des normes et les comradictions de l'Etat manar-
chique en Allemagne (1815-1860} », op. cit., pp. 253-291.
.R. HUBER, Dokwnen,te... , p. 618. 115. Cf K. BINDING, « Bundesr.it und Staatsgerichtshof », DJZ, 1899, p. 70 qui préseme l'insti-
.bileté et imagination. Etant donné tution d'une Cour de justice de l'Etat (Staatsgerichtshoj) comme « la clé de voúte de l'État de droit
mulation d'une ordonnance royale, constittttionnel ».
~s venu, elle souleve d'office la ques- 116. F.J. STAHL, op. cit., t. III, p. 626 ss
le timbre qu'elle est obligée de per- 117. Cf O. MAYER, op. ~it., p. 72 note 12; id., Das Staatsrecht des Kõnigreichs Sachsen, Tübingen,
Mohr, 1909, p. 174; O. BAHR, op. cit., p. 55, 134.
nsticutionnelle par l'assemblée plé- 118. En ce qui concerne !e caractere normatif du droit constitutionnel, cf G. JELLINEK, Gesetz und
)okumente... , p. 621-626. Une situa- Verordnrmg, Freiburg, Mohr, 1887, pp. 261-276 et pp. 395-412. Pour sa définition du droit, cf id.,
H,mis (cf infra n" 281}. Allgemeine Staatslehre, réimpr. de la 3< éd. de 1928, Bad Hamburg, Gehlen, pp. 332-337; W. OTT, Der
>okmnente... , p. 628), la Cour consi- Rechtspositivismus, 2< éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1992, p. 67 ss. Jellinek rejette catégoriquemem
ústratives » telles que la perception la confusion faite, notammem parles civilistes et par!' école de Vienne, entre !e droit et la contrainte.
es du gouvernemem. D'apres !ui, !e droit existe du mamem qu'il existe des « garanties », de nacures diverses, qui empêchent
sei. En 1863, il sera nommé à l'Obe- coute violation de la norme juridique. Si la contraime constitue !'une de ces garamies, elle n'en est pas
la seule. Sur les autres garanties, sociales ou politiques, voir Allgemeine Staatslehre, pp. 788-795.
94 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproqu1

1885 il s'était fait un ardem défenseur d'un tel contrôle juridictionnel 1", deux ans pect des con,
apres, Jellinek rejette une telle solution, à l'instar d'ailleurs de la plupart des appréciation
ténors de la doctrine juridique 120 • Ses appréhensions à l'égard du juge constitu- Apres ave
tionnel som multiples. Une telle institution lui parait tout d'abord peu utile d'un veau modelt
point de vue pratique. En cas de crise, le juge sera incapable de s'opposer avec suc- mesure cette
ces à des dérives anticonstitutionnelles, à moins de bénéficier d'un soutien poli-
tique plus large 121 • Les vraies garanties sur lesquelles repose en dernier lieu, et par-
fois de maniere exclusive, l'ordre constitutionnel sont de nature politique et Sectio
éthique 122 : selon Jellinek, la tâche de protéger la constitution incombe surtout au
parlement et au roi qui fone, en quelque sorte, office de « juge » 123 • La question
parait clone résolue : en l'absence de toute disposition expresse, consacrant soit la
compétence soit l'incompétence du juge 124 , le silence de la constitution vaut inter- 89 Le premier à
diction de tout contrôle juridictionnel 125 • Jellinek doit toutefois se rendre à l'évi- Thoma: en
dence que les cas de lois inconstitutionnelles, qui constituem bel et bien du naturaliste, q
« Unrecht (non-droit) » 12 " au sens juridique, som bien plus nombreux qu'il nele « fonnel », d,

pensait. Face à l' inefficacité des garanties politiques 127 , il hésite néanmoins à sau- quée est cem
ter le pas et à revenir à son point de vue défendu en 1885. objective et
D'autres auteurs som beaucoup moins rétifs à l'idée d'un tel contrôle qu'ils école du droi
identifient au Rechtsstaat 12'. Lors de la 4< Assemblée des juristes allemands en qui dit que t(
1863, Gneist s'est fait l'avocat d'un contrôle juridictionnel de la constitutionna- repose sur dt
lité des lois au nom du nécessaire respect des conditions de forme prévues par la citam le phil
constitution 129 • 11 justifie un tel contrôle, dont la portée serait toutefois restreinte plus une métl
à la seule forme, en arguant à la fois de la non-juridicité du droit constitutionnel le droit posit
en l'absence d'un juge et de l'inefficacité des garanties politiques 130 • Quant au res- débarrassée (
concept deR
Une telle
119. Nous faisons référence ª!! projet de réforme que G. Jellinek présente en 1885 dans sa brochure vue historiqt
Ein Verfassrmgsgerichtshoff,ir Osterreich (Wien, Hõlder). Cf Ch. EISENMANN, La justice constiw-
tionnelle et la Haute Cour constiwtionnelle d'Autriche, réimpr., Paris, Economica, 1986, pp. 157-160.
kenforde 133 ,
120. Le príncipe de ce comr8le est ainsi rejeté par Laband et ses disciples (cf G. MEYER & grandes péri<
G. ANSCHÜTZ, op. cit., p. 740 note h ec p. 742 notem). L'argumemation de Laband est double. Contraireme
D'une part, il affirme l' existence de garamies politiques qui seraient de nature à assurer la supréma-
tie de la constitution. A ce titre, il insiste surtout sur la sanction royale. D'autre part, il affirme - en
processus de
contradiction d'ailleurs avec !e premier argumem - que la constitution ne jouit d'aucune supério- tivistes. Leur
rité par rapport à la !oi ordinaire. Une !oi ordinaire postérieure peut ainsi déroger à la constitution mative : il e:
qui !ui est amérieure. Ce dernier argument se retrouve égalemem chez Anschütz, mais pas chez
Jellinek.
quelque chos
121. G. JELLINEK, Gesetz rmd Verordnrmg, p. 398 écrivent, l'in
122. Jbid., p. 273 note 21. qu 'une reven
123. Jbid., p. 402; Cf aussi Allgemeine Staatslehre, p. 360.
124. L'exemple le plus importam à cet égard est la Constitution prussienne de 1850 dom l'ar-
l'a exprimé, 1
ticle 106 imerdit formellemem tout comr8le juridictionnel de la validité des ordonnances roY.ales. apparu à zm 1
On ena déduit afortiori l'imerdiccion de tout comr8le des !ois. Cf G. MEYER & G. ANSCHUTZ,
op. cit., p. 738 s.
125. G. JELLINEK, Gesetz rmd Verordnrmg, p. 401.
126. Ibid., p. 273 131. R. THOM
127. Ibid., p. 405. 132. H. KELSE
118. Cf K. BINDING, op. cit. « Nur d,,s Form"
129. R. GNEIST, « Hat der Richcer über das verfassungsmassige Zustandekommen der Gesetze zu 133. U. SCHE
befinden? », Verhandlrmgen des Vierten Deutschen]ttristentages, 1863, t. 1, p. 212-239. KENFÕRDE, <•
130. Cf notammem p. 220 ou il affirme que « le seu! droit réel est le droit sanctionné (Ein wirkliches 134. Cf la mise
Recht ist nur das erzwingbare} ». 1881 (Wien), O,
''un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 95

·ôle juridictionnel 119 , deux ans pect des conditions matérielles imposées par la constitution, il en laisse la libre
r d'ailleurs de la plupart des appréciation aux acteurs politiques.
ns à l'égard du juge constitu- Apres avoir vu l'émergence progressive de la figure du juge à travers ce nou-
Llt tout d'abord peu utile d'un veau modele du Rechtsstaat, il importe maintenant de préciser dans quelle
capable de s' opposer avec suc- mesure cette formalisation va de pair avec une « dépolitisation ».
bénéficier d'un soutien poli-
repose en dernier lieu, et par-
sont de nature politique et Section II. LA « DÉPOLITISATION » DV RECHTSSTAAT :
1stitution incombe surtout au MYTHE OU RÉALITÉ?
ice de « juge » w_ La question
)n expresse, consacrant soit la
e de la constitution vaut inter- 89 Le premier à énoncer l'idée de la dépolitisation du Rechtsstaat fut le positiviste
loit toutefois se rendre à l'évi- Thoma: en 1910, il opere une nette distinction entre, d'un côté, le concept jus-
LÍ constituent bel et bien du naturaliste, qualifié de « politique » et, de l'autre, le concept contemporain, dit
en plus nombreux qu'il nele « fonnel », dont il fait remanter !'origine à Stahl 131 • La neutralité ainsi revendi-

, 117 , il hésite néanmoins à sau-


quée est censée découler des prémisses d'une méthodologie qui se targue d'être
1 1885. objective et scientifique, par opposition à la démarche décriée de l'ancienne
l'idée d'un tel contrôle qu'ils école du droit naturel. Ce formalisme est le reflet d'un postulat épistémologique
lée des juristes allemands en qui dit que tout ce qui a trait à la substance du droit, c'est-à-dire le droit naturel,
ctionnel de la constitutionna- repose sur des appréciations arbitraires et subjectives. Comme le dit Kelsen, en
tions de forme prévues par la citant le philosophe néokantien Hermann Cohen : « Seul le fonnel est objectif,
>rtée serait toutefois restreinte plus une méthodologie est fonnelle plus elle est objective. » n 2 La forme inscrite dans
licité du droit constitutionnel le droit positif, et décrite selon la nouvelle méthodologie positiviste, serait ainsi
ies politiques 130 • Quant au res- débarrassée de toute connotation métaphysique, politique ou idéologique. Ce
concept de Rechtsstaat serait ainsi pur de tout élément jusnaturaliste.
Une telle vision est néanmoins contestable, ne serait-ce que d'un point de
ek présente en 1885 dans sa brochure vue historique. Ainsi que l'ont montré Ulrich Scheuner et surtout E.-W. Boc-
li. EISENMANN, L1 justice constilll· kenforde 133 , le processus de formalisation doit être divisé en au moins deux
Paris, Economica, 1986, pp. 157-160.
er ses disciples (cf G. MEYER &
grandes périodes dont seule la derniere est marquée du sceau du positivisme.
,rgumemation de Laband est double. Contrairement à ce que laisse sous-entendre Thoma, ceux qui ont déclenché le
raient de narure à assurer la supréma- processus de formalisation, à savoir Stahl, Gneist et Bahr, ne sont guere des posi-
1 royale. D'aurre part, il affirme- en
nsrirurion ne jouit d'aucune supério-
tivistes. Leur concept du Rechtsstaat s'inscrit encare dans une perspective nor-
·e peut ainsi déroger à la constirution mative : il exprime non pas un Sein, quelque chose qui est, mais un Sollen,
ment chez Anschütz, mais pas chez quelque chose qui doit être, mais qui n'est pas encare, puisqu'à l'époque ou ils
écrivent, l'instauration d'une justice administrative n'est qu'un simple vreu,
qu'une revendication de lege ferenda et non pas une réalité de lege lata'". Comme
l'a exprimé, de façon parfaite, Otto Mayer, « le mot - celui de Rechtsstaat - est
urion prussienne de 1850 dom l'ar-
~ la validiré des ordonnances rü):'ales.
apparu à zm moment ou la chose était déjà en marche. ll est censé désigner quelque
Cf G. MEYER & G. ANSCHUTZ,

131. R. THOMA, op. cit., p. 200.


132. H. KELSEN, « Juristischer Formalismus und Reine Rechtslehre »,JW, vai. 58, 1929, p. 1723:
« N11r das Fonnale ist sachlich, je fonnaler eine Methodik ist, desta sachlicher kann sie werden. »
133. U_._ SCHEUNER, « Die neuere Emwicklung ... », op. cit., p. 241 note 60; E.-W. BÕC-
ige Zusrandekommen der Geserze zu
KENFORDE, « Encstehung und Wandel... », op. cit., p. 152-155.
:, 1863, t. 1, p. 212-239. 134. Cf la mise au poinc de L. GUMPLOWICZ, Rechtsst,iat zmd Sozialismus, Réimpr. de l'éd. de
l est /e droit sanctiormé (Ein wirkliches
1881 (Wien), Osnabrück, O. Zeller, p. 198 note 1.
96 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproqu,

chose qui n'est pas encare, qui en tout cas n'est pas encare terminée et qui doit encare au-delà. Sa e<
se réaliser. C'est pourquoi le concept varie tant, car chacun est tenté d'y incorporer ses bli en 1850 e
idéaux juridiques » "'. haité par les
Le formalisme des Stahl, Bahr et Gneist est dane un "formalisme jusnatura- normatif du
liste" qui se différencie de l'école du droit naturel du début du siecle parle seul formels de e,
fait que les exigences normatives du droit naturel, par rapport au droit positif, tion de renf<
sont essentiellement d'ordre institutionnel et procédural. Le fond du droit, c'est- quant à eux, ,
à-dire les objectifs à atteindre par l'État, tels que les droits de l'homme, passe en
arriere plan au profit des questions institutionnelles. Mais derriere celles-ci se
A
cachent des enjeux substantiels considérables, car la forme n'est pas neutre. Elle
reflete au contraire des valeurs, ainsi que le remarque, fort à propos, Stahl : « 11 91 Sous l'appan
est vrai que tout cela ne concerne que la forme, mais dans cette forme s'incarne jus- accents nette
tement un principe et c'est pourquoi elle n'est pas indifférente » IJ6_ On ne sera dane chique par lt
guere étonné que Stahl et les deux libéraux Bahr et Gneist aient des avis diamé- nant à la lect
tralement opposés sur la forme idéale du Rechtsstaat (§ 1). De ce formalisme nor- affirme en ef
matif se distingue le formalisme des positivistes qui se fixem pour objectif cogni- tuent pas en e1
tif de décrire le plus fidelement le droit positif, c'est-à-dire quelque chose qui positif » 140 • D
est un Sein, ou du moins un "seiendes Sollen" (devoir-être étant) puisque, selon qu' « il n'exist
Kelsen, le droit est fondamentalement un Sollen. Toutefois, à la différence du se laisser all,
droit naturel qui serait un Sollen tel qu'il doit être, le drciit positif serait un Sollen contexte, ni l
qui est "'. En tout cas, si dépolitisation il y a, elle intervient dane tout au plus rementambi!
avec l'émergence du positivisme. Ce dernier prétend en effet dégager un concept En réalité,
descriptif du Rechtsstaat 138 (§ 2). l'école mode1
C'est à eux q1
§ 1. LA FORME COMME OB]ET D'UNE DÉMARCHE ]USNATURALISTE morale (sous-
appara1t alars
ment de la 1c
90 Au lendemain de la révolution de 1848, la vieille querelle entre conservateurs et
tiques, Stahl ,
libéraux est loin d'être dose. Si elle est mise en sourdine, un temps, par l'octroi
royal de la Constitution prussienne de 1850, les passions se décha1nent à nou-
veau au sujet du statut de la bureaucratie qui constitue l'un des piliers de l'auto-
139. Ce poim e•
rité monarchique. Stahl, en tant que chef de file des conservateurs prussiens, Funktionswande
accepte certes le compromis constitutionnel, mais il n'entend nullement aller Friedrich Julius:
140. EJ. STAHL
141. lbid, t. II, p.
142. Ses propos :
135. O. MAYER, op. cit., l"' éd., 1895, t. 1, p. 61 : « D,1s Wort ist aufgekommen, nachdem die Sache pas à parler, au s,
bereits im Gange war. Es sol! etwas bezeichnen, was noch nicht ist, jedenfalls noch nicht fertig ist, was erst positives. Par la ,
noch werden sol!. Damm schwankt a11ch der Begriff so sehr, weil jeder immer seine j11ristischen ldeale Ainsi, il dira que
hineinzulegen geneigt ist. » Ce passage a été supprimé dans la 2' édition, peut-&tre justement parce droit positif, son;;
qu'il n'est pas conforme à l'esprit de la nouvelle école positiviste de Laband dom Mayer est proche. timmende Macht ,
Dans la 2' éd. (p. 64), il énonce plus brievement: « No11s 11011s tro11vons ici dans /e domaine du Sollen 1md gerichtet win
(\Vir stehen hier ,mfdem Gebiet des Sollens). » · travai! l'artiste se
136. J.-E STAHL, op. cit., t. Ili, p. 645. tue. II ne constit,
137. Sur ces questions complexes qui naissent du décalage entre la méthode positiviste qui est foca- seu! le droit posit
lisée sur un Sein et l' objet du droit qui est un Sollen, cf inf,-a n'" 500 ss. de questions prati
138. Nous montrerons plus tard les éléments jusnaturalistes cachés de l' école positiviste (cf infra temem jusnatural
n'" 468 ss). Disons pour !'instam que l'école de Gerber et Laband, loin de décrire sur un ron neutre de toucher au pri
un Sein, se livre en réalité à une légitimation du droit positif. Quant à l' école kelsénienne, sa pureté succession au rrô1
est tributaire de l'interprétation que l'on reriem de la fameuse Grrmdnonn. 143. lbid., t. II, p
:n néologisme : !e Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 97

'e terminée et qui doit encare au-delà. Sa coneeption jusnaturaliste d'un ordre divin vise à figer le statu quo éta-
un est tenté d'y incorporer ses bli en 1850 et à interdire toute évolution institutionnelle allant dans le sens sou-
haité parles libéraux. Si tous ces auteurs se réclament par conséquent de l'idéal
: un "formalisme jusnatura- normatif du Rechtsstaat, ils divergent en revanche sur la définition des postulats
1 début du siecle par le seul formeis de cet idéal. Alars que pour Stahl, le droit naturel a surtout pour fonc-
>ar rapport au droit positif, tion de renforcer la légitimité des institutions existantes (A), Bahr et Gneist,
ural. Le fond du droit, e'est- quant à eux, défendent une vision progressiste et innovatrice du droit naturel (B).
:lroits de l'homme, passe en
:s. Mais derriere eelles-ci se A. Stahl ou l'apologie du statu quo institutionnel
forme n'est pas neutre. Elle
e, fort à propos, Stahl : « li 91 Sous l'apparence formaliste du Rechtsstaat se cache chez Stahl un diseours aux
'ans cette forme s'incame jus- accents nettement politiques D,_ Son objectif est de conserver le régime monar-
'ferente » D•_ On ne sera clone chique par le truchement d'un credo clérico-jusnaturaliste. Cela para1t surpre-
Gneist aient des avis diamé- nant à la lecture de certains de ses propos qui s'apparentent au positivisme. II
(§ 1). De ee formalisme nor- affirme en effet que « la Raison, les idées et les postulats de l'ordre divin ne consti-
e fixent pour objeetif eogni- tuent pas en eux-mêmes du droit » et qu' « il est de l'essence du droit d'être (...) du droit
ist-à-dire quelque ehose qui positif » 140 • De même, il dira que « le droit et le droit positif sont identiques » et
ir-être étant) puisque, selon qu'« il n'existe pas d'autre droit que le droit positif» 141 • Pourtant, on aurait tore de
:Outefois, à la différenee du se laisser aller à une conclusion trop hâtive qui ne tiendrait compre ni du
droit positif serait un Sollen contexte, ni de l'habileté de Stahl à semer le doure par des formules particulie-
ntervient clone tout au plus rement ambigues 142 •
en effet dégager un eoncept En réalité, s'il lui arrive de dénigrer le droit naturel, Stahl vise avant tout
l'école moderne du droit naturel, à savoir les idées de Grotius, Locke, Kant, etc.
C'est à eux que s'adressent ses reproches d'avoir coupé le lien entre le droit et la
'?.CHE JUSNATURALISTE morale (sous-entendu la morale chrétienne) 1• 1 • La formalisation du Rechtsstaat
apparatt alors sous son vrai visage, à savoir comme une entreprise de démantele-
ment de la logique libérale. En s'appropriant le slogan de ses adversaires poli-
erelle entre eonservateurs et tiques, Stahl essaie, dans un premier temps, de le neutraliser en lui Ôtant coute
·dine, un temps, par l'octroi
.ssions se décha1nent à nou-
:ue l'un des piliers de l'auto- 139. Ce poim est généralemem admis de nosjours. Cf, par e~., I. MAUS, « ,Emwicklung und
les conservateurs prussiens, Funktionswandel... », op. cit., p. 31; Ch. SCHONBERGER, «,Etat de droit et Etat conservateur:
il n'entend nullement aller Friedrich Julius Stahl », in O. JOUANJAN (dir.), Figures de l'Etat de droii, op. cit., pp. 177-191.
140. EJ. STAHL, op. cit., t. II, p. 218.
141. Ibid, t. II, p. 221.
142. Ses propos à la page 218 som ainsi extrêmemem confus et incohérems. D'un côté, il n'hésite
si a11/gekommen, nachdem die Sache pas à parler, au sujet de l'ordre divin, d'une « /oi s11périe11re à laq11elle doivent se confonner » les !ois
,denfalls noch nichl fertig ist, was erst positives. Par la suite, il reviem sur I'idée que seu! le droit positif est digne d'être qualifié de droit.
ieder immer seine j11ristischen Ideale Ainsi, il dira que les commandemems de la Raison et de Dieu ne som que la « force déterminante d11
édition, peut-être justemem parce droit positif, son fondement et son image originaire aimi que l'a11ne à laq11elle il sera mes11ré et j11gé (bes-
: de Laband dom Mayer est proche. limmende Macht im positiven Recht, sein Urgnmd zmd sein Urbild zmd das Maass, ,m dem es gemessen
J11vons ici dam !e domaine d11 Sollen zmd gerichtel wird » (p. 218). En guise d'explication, Stahl cite !'exemple du sculpteur: dans son
travai! l'artiste se laisse guider par un idéal de beauté, mais cet idéal n'est pas en lui-même une sta-
tue. II ne constitue qu'une source d'inspiration. Seule la statue réelle est une statue ... Par analogie,
la méthode positiviste qui est foca- seu! !e droit positif est du droit. II n'empêche qu'au fur et à mesure que Stahl est amené à débattre
'iOO ss. de questions pratiques, il ne tiem plus compte de ces subtilités. Sa lecmre de l'ordre divin est ouver-
chés de l'école positiviste (cf infra temem jusnamraliste. Voir, par ex., t. III, p. 265-269 ou il affirme que !e Iégislateur n'a pas !e droit
d, loin de décrire sur un ton neutre de toucher au príncipe de la souveraineté monarchique de droit divin, et notammem aux regles de
1am à !' école kelsénienne, sa pureté succession au trône, sous peine de nullité.
;mndnonn. 143. Ibid., t. II, p. 205 ss.
r
98 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproq1

référence matérielle, c'est-à-dire en supprimant le droit naturel qui est au cceur même jusqi
du concept. Le concept classique du Rechtsstaat se trouve pour ainsi dire déca- tuent une d
pité. Mais Stahl n'entend pas en rester là. Une fois la breche ouverte, il cherche prôner le c;i
à insuffier un nouvel esprit dans la coquille ainsi vidée du Rechtsstaat. À cette fin, s'opposant
il déclare que l'État est non seulement un Rechtsstaat - un État qui respecte ses conseillé 153 •
propres lois -, mais aussi un « royaume éthique (sittliches Reich) », c' est-à-dire un 93 Aux yeux d
État qui se doit de ne faire que des lois justes. 11 substitue ainsi au droit naturel de l'Etat de ,
des libéraux sa conception de l'ordre divin, son propre droit naturel. implique l'a1
92 11 importe, en effet, de replacer sa fameuse définition du Rechtsstaat dans son différencie l
contexte général et de garder à l'esprit sa double définition du droit et de l'État. respect de L
S'il insiste tant sur le caractere positif du droit 14', c'est pour mieux rejeter - au aura1t pu en
nom d'un postulat « moral» 145 - tout droit de résistance : ni les individus, ni les
juges n'ont ainsi le droit de s'opposer à une loi positive injuste 14''. En outre, Stahl
se fait l'apôtre d'un lien intrinseque entre !e droit et l'éthique, entre la loi posi-
sittliches
tive et la loi divine. Le droit est l'instrument humain pour garantir le regne de
l'ordre divin qui constitue la source d'inspiration commune au droit et à la mechaniscJ
morale. « Dans toute création du droit interviennent deux éléments : un élément
divin qui s'impose (le droit naturel) et un élément humain qui se détermine libre- Or, en dé
ment (le droit positif}. Tous les deux s'imbriquent indistinctement pour fomzer une de concevoi1
unité indissoluble. » 147 fonde injust
À cette double définition du droit répond la définition dualiste de l'État. « Jl dit : « L 'Étar
est par conséquent de l'essence de l'État d'être à la fois les deux, un Royaume du droit, Staat kann 11
"Rechtsstaat': et un Royaume de l'éthique, un État moral, ce qui n'est pas contradic- seau ne saur,
toire en raison de l'unité pro/onde entre le droit et la morale. » 1" Cette dualité per- général ou d,
met à Stahl de réintroduire par le biais du sittliches Reich tous les éléments maté- bornes fixée)
riels qu'il vient d'exclure du Rechtsstaat. En tant que sittliches Reich, l'État doit fondément i
se vouer entierement à la mise en ceuvre des idées éthiques 14". Loin d'être un taat, défini t
simple phénomene de force, pour ne pas dire une bande de brigands, l'État est Reich, défini
. \
le serviteur de l'ordre divin, le « gardien d'institutions sacrées (Wachter heiliger ser un cnten
Ordnungen) »"º,à qui il incombe d'assurer le « regne du sacré et de la justice» 151 • clairement st
Concretement, il appartient à l'État de respecter les dix commandements de n'étant ni ur
Dieu, de veiller à ce que le mariage soit protégé, que l'autorité des parents soit chie appara1t
honorée et que le divorce et l'inceste (« Blutschande ») soient interdits. Stahl ira satisfaisant a1
C'est bien
qui garantir q
144. Ibid., t. II, p. 221 ( = extrair cité supm note 141 ).
145. Jbid., t. II, p. 224. II distingue à cet endroit trois éléments: !e droit positif, !e droit naturel et la Janus, la pers
norme dite« mora/e» qui oblige à obéir à la loi. Celle-ci subsiste même si le droit positif est contraire l'unique autc
au droit naturel.
146. lbid., t. II, p. 220 ss. Stahl rejette catégoriquement !e droit du peuple de s'insurger comre un
pouvoir devenu oppressif. II admet tout au plus que les individus puissem, dans certains cas, résister
de maniere passive à une loi qu'ils jugent comraire au droit naturel. Cf tome III, p. 156. 152. Ibid., t. III.
147. F.J. STAHL, op. cit., t. II, p. 220. 153. lbid., t. III.
148. lbid., t. III, p. 137 (« Es liegt demnach im Wesen des Staates Beides, ein Reich des Rechts, « Rechts- 154. Jbid., t. III.
st,1at », 1md ein Reich der Sitte, ein sittliches Gemeinwesen zu seyn, rmd das ist nicht ein Widerspmch 155. A l'époque
vermõge der tieferen Einheit von Recht 1md Sitte » ). , tiviste que se fo,
149. Voir ibid., t. III, p. 131-161 (chapitre 1 : La nature de l'Etat). s'agit là d'upe si,
150. Jbid., t. III, p. 135. nyme de l'Etat i1
151. lbid., t. III, p. 132. 156. lbid., t. III.
n néologisme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 99

·oit naturel qui est au cceur même jusqu'à dire que le bien-être des hommes, ainsi que leur liberté consti-
rouve pour ainsi dire déca- tuent une des fonctions éthiques de l'État 15'. En même temps, i1 n'hésit~ra pas à
1 breche ouverte, il cherche
prôner le caractere intangible de la souveraineté monarchique de droit divin, en
e du Rechtsstaat. À cette fin, s'opposant à toute velléité de démocratisation de la part d'un prince mal
t - un État qui respecte ses conseillé m.
iches Reich) », c'est-à-dire un 93 Aux yeux de Stahl, les deux faces de l'État sont intimement liées. « Ainsi l'idée
stitue ainsi au droit naturel de l'Etat de droit et dtf Royaume éthique ne se contredisent point, au contraire l'un
>re droit naturel. implique l'autre. » 1,.. A partir de ses deux criteres du respect de la justice - ce qui
on du Rechtsstaat dans son différencie le sittliches Reich du « mechanischer Staat (État mécanique) » 155 - , et du
nition du droit et de l'État. respect de la légalité - ce qui distingue le Rechtsstaat du « Polizeistaat » - , on
'.St pour mieux rejeter - au aurait pu en effet déduire quatre cas de figure :
mce : ni les individus, ni les
ve injuste m_ En outre, Stahl Rechtsstaat Polizeistaat
I
• l' éthique, entre la loi posi- sittliches Reich Etat légal et juste (1) État arbitraire et juste (3)
.n pour garantir le regne de
commune au droit et à la mechanischer Staat État légal et injuste (2) État arbitraire et injuste (4)
: deux éléments : un élément
main qui se détermine libre- Or, en dépit desa définition formelle du Rechtsstaat, Stahl s'avere incapable
,tinctement pour former une de concevoir le cas extrême d'un État qui se caractériserait à la fois par sa pro-
fonde inj~stice et par son respect scrupuleux de la, légalité (n" 2). Comme il le
1ition dualiste de l'État. « Il dit : « L 'Etat mécanique ne peut jamais être un vrai Etat de droit (Der mechanische
, deux, un Royaume du droit, Staat kann nie wahrer Rechtsstaat seyn). » 156 Inversement, la démocratie de Rous-
ral, ce qui n 'est pas contradic- seau ne saurait être ni un Rechtsstaat - puisqu'au nom d'un soi-disant intérêt
wrale. » 1" Cette dualité per- général ou de la« vertu » (Robespierre), le pouvoir méconnaí't constamment les
'.eich tous les éléments maté- bornes fixées par la loi-, ni un sittlichesReich, puisqu'il s'agit d'un régime pro-
e sittliches Reich, l'État doit fondément immoral ou regne la masse. Par conséquent, l'existence du Rechtss-
éthiques 1" . Loin d'être un taat, défini de maniere formelle, est conditionnée par l' existence du sittliches
,ande de brigands, l'État est Reich, défini par des criteres matériels, ce qui revient en finde compte à faire glis-
ons sacrées (Wiichter heiliger ser un critere matériel dans la définition du Rechtsstaat. Voilà que Stahl affiche
e du sacré et de la justice » 151 • clairement ses arrieres pensées politiques : la démocratie est doublement exclue,
les dix commandements de n'étant ni un Rechtsstaat, ni un sittliches Reich (cas n" 4). A l'inverse, la monar-
1e l'autorité des parents soit chie apparaí't comme le seul ré gim e poli tique qui mérite le titre de Rechtsstaat en
») soient interdits. Stahl ira satisfaisant aux deux criteres (cas n" 1).
C' est bien le monarque qui fait le lien entre le Rechtsstaat et le sittliches Reich,
qui garantit que le droit naturel soit immanent au droit positif. À l'image du dieu
Janus, la personne du roi releve de ces deux spheres: en tant que souverain, il est
le droit posirif, le droit naturel et la
nême si le droit posirif est comraire l'unique autorité humaine à pouvoir poser la loi, mais en même temps il est roí

du peuple de s'insurger comre un


puissent, dans certains cas, résistcr
rei. Cf tome Ill, p. 156. 152. Ibid., t. III, p. 146.
153. Ibid., t. Ill, p. 265-269.
8eides, ein Reich des Rechts, « Rechts- 154. Ibid., t. III, p. 139.
·1, zmd das ist nicht ein Widerspmch 1_5~. A l'époque, le terme péjoratif d'État qi.écanique renvoie à la conception arrificielle ou construc-
t1v1ste que se font les contractualistes de l'Etat. Aux yeux d'aureurs organicistes ou aristotéliciens, il
). s'agit là d'upe simple machine dominée par la force du nombre. Le mechanischer Staat est donc syno-
nyme de l'Etat injuste. Sur cerre notion, cf STAHL, op. cit., t. III, p. 139.
156. Ibid., t. III, p. 139.
f

100 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquo

par la grâce de Dieu et, en tant que tel, soumis au droit naturel 157 • L'invocation wusstsein », e,
du droit naturel chez Stahl, autrement dit du sittliches Reich - dont Ludwig législatif ne se
Gumplowicz se fait un plaisir de dénoncer le caractere nébuleux, cléricaliste et sus ne s'arrêtt
réactionnaire 15' - , a donc pour fonction essentielle de légitimer le pouvoir du la loi, soit ªPI
roí, de créer une obligation d'obéissance dans le chef des individus, y compris juge. En part:
des juges, ainsi que d'empêcher toute évolution institutionnelle. li protege ainsi sus sophistiqt
la compétence du roí à la fois contre les prétentions démocratiques et contre le d'un juge.
pouvoir des juges. 95 On retrouve
tres originale
B. L'ardeur réformiste lihérale de Bahr et de Gneist tique précise l
ritage hégélie1
94 Dans la seconde moitié du XIX' siecle, le concept libéral du Rechtsstaat, tel qu'il de réduire ce
ressort des écrits de Bãhr et de Gneist, est focalisé sur des revendications insti- théorie du Re(
tu tionnelles, dont l'instauration d'un contrôle juridictionnel de l'adminis- les citoyens d
tration. Ils déduisent d'un concept objectif du droit certaines conséquences question de C(
institutionnelles. sillage de Heg
Ce mode de raisonnement appara1t de façon paradigmatique chez Bãhr 1;•,. cher de leur i
À partir de sa définition générale du droit "º, il déduit d' abord toute une série de toire récente :
droits de l'individu tels la liberté d'aller et venir, la liberté de choisir son domi- rogatives pou
cile, la liberté d'émigrer, la liberté de conscience et de religion, la liberté d'asso- partisanes.
ciation et de réunion, la liberté de la presse, la liberté du commerce et de l'in- L'intégrati,
dustrie, le droit de propriété etc. 11 ira même jusqu'à inclure certains Gneist, se fer,
droits-créance au profit des individus. À partir de ces éléments matériels, la théo- administrativt
rie de Bãhr bascule dans ce « curieux formalisme » évoqué par Peter von Oertzen. garanties juril
Ce lien intrinseque apparait nettement lorsqu'il affirme que « les principes du de droit n'est J
consentement des représentants du peuple à la législation et de l'indépendance de la une division ,
justice découlent de cette même idée que le droit ne saurait être laissé à l'appréciation sionnelle, alar
arbitraire du titulaire suprême de la puissance étatique, mais qu'il constitue, même sir et organise1
à l'égard de ce dernier, une puissance spiritttelle supérieure (t"iberragende geistige de la presse » "•'
Macht} au sein de l'État » 161 • « De même que l'idée du droit puise ses racines non pas Gneist revenci
dans l'esprit d'un seu!, mais dans la conscience de toute la nation, c'est-à-dire le des collectivit
prince et le peuple pris ensemble, l'expression réelle du droit, c'est-à-dire la foi, ne peut tions adminis
naítre que de l'entente entre le prince et le peuple. » 1" 2 De l'idée du droit découle (Ehrenbeamte:
ainsi un schéma institutionnel précis qui correspond aux différents niveaux de L'on voit e
concrétisation du droit. La source suprême du droit réside dans le « Volksbe- constitue un
l'école positi,

157. Ibid., e. III, p. 236-272 (chapicre 3: La royaucé).


158. L. GUMPLOWICZ, Rechtsstaat ,md Sozittlismm, op. cit., p. 199.
159. Cf P. OERTZEN, op. cit., p. 110 qui remarque au sujec de la chéorie du droic de Bahr: « Autant
l'objectivité de l'ordre juridique que son étrange fonnalisme solll nettement perceptibles [chez !ui]. » La 163. Voir R. GI'
chéorie du droic de Gneisc s'avere assez difficile d'acces en raison de son syncrécisme écleccique ec de Springer, 1879; l
son scyle obscur. S'inspiram de l'reuvre de Savigny ec de Hegel, il se réfere conscammenc à l'hiscoire KENFÕRDE,«
qui devien~. ainsi la source d'inspiracion ec l'aucoricé de légicimacion du droic. laat, op. cit., pp ..
160. O. BAHR, op. cit., p. 4 ( = mpra noce 68}. 164. R. GNE!S1
161. Ibid., p. 16. 165. Sur la mise
162. Ibid., p. 13. note 42.
m néologísme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 101

roit naturel 157 • L'invocation wusstsein », ce qui implique, d'un poim de vue institutionnel, que !e pouvoir
iches Reich - dom Ludwig législatif ne soit pas attribué au seu! roi, mais au roi et au parlement. Le proces-
:ere nébuleux, cléricaliste et sus ne s'arrête pas à ce stade: encore faut-il que !e droit in abstracto, c'est-à-dire
de légitimer le pouvoir du la !oi, soit appliqué inconcreto, ce qui ne peut se faire, d'apres Bahr, que par un
1ef des individus, y compris juge. En partam d'une définition matérielle du droit, Bahr aboutit à un proces-
itutionnelle. li protege ainsi sus sophistiqué d'engendrement du droit qui légitime en dernier lieu l'existence
, démocratiques et contre le d'un juge.
95 On retrouve une structure imellectuelle comparable chez Gneist 1• 1• Sa pensée
tres originale sur les modalités formelles du Rechtsstaat reflete une vision poli-
ihr et de Gneist tique précise de la société allemande de l'é,Poque. Ses écrits s'inscrivent dans l'hé-
ritage hégélien, à savoir !e dualisme de l'Etat et de la société civile. li se propose
)éral du Rechtsstaat, tel qu'il de réduire ce fossé en suggéram des liens organiques plus poussés entre eux. Sa
sur des revendications insti- théorie du Rechtsstaat vise à concilier et à combiner ces deux pôles en impliquam
c1ridictionnel de l'adminis- les citoyens dans la gestion quotidienne de l'administration; il n'est clone plus
:oit certaines conséquences question de confier l'imérêt général aux seuls fonctionnaires en arguam, dans le
sillage de Hegel, d'une soi-disam incapacité ontologique des individus à se déta-
aradigmatique chez Bahr 15". cher de leur intérêts particuliers et à accéder à l'universel. Selon Gneist, l'his-
it d'abord toute une série de toire réceme aurait prouvé à quel point l'administration pouvait user de ses pré-
liberté de choisir son domi- roga~ives pour servir non pas l'imérêt général, mais des visées réactionnaires et
de religion, la liberté d'asso- partisanes.
:rté du commerce et de l'in- L'intégration de la société dans l'administration, que réclame par conséquent
e jusqu'à inclure certains Gneist, se ferait par plusieurs moyens. S'il prône l'instauration de juridictions
; éléments matériels, la théo- administratives indépendames, sa théorie du Rechtsstaat ne se réduit pas à des
oqué par Peter von Oertzen. garamies juridictio?nelles : dans une phrase célebre, il affirme ainsi que « l'État
ffirme que « les príncipes du de droit n'est pas l'Etat des juristes (Der Rechtsstaat ist nicht Juristenstaat), qui, par
ion et de l 'indépendance de la une division du travai!, pourrait confier son droit à une seule corporation profes-
rait être laissé à l'appréciation sionnelle, alars que le reste de la société poursuivrait sa recherche de lucre et de plai-
:e, mais qu'il constitue, même sir et organiserait la défense de ses intérêts parle biais d'associations ou parle moyen
,érieure (t,berragende geistige de la presse » "''. D'autres facteurs et garamies som autam, sinon plus importants.
droit puise ses racines non pas Gneist revendique ainsi une meilleure législation, une autonomie plus étendue
oute la nation, c'est-à-dire le des collectivités locales (Selbstverwaltung) et, enfin, la participation aux fonc-
lroit, c'est-à-dire la !oi, ne peut tions administratives de certains citoyens à titre d'agems publics honorifiques
'' De l'idée du droit découle (Ehrenbeamte) 165 •
1d aux différems niveaux de L'on voit clone que, dans l'esprit de Stahl, Bahr et Gneist, la forme du droit
oit réside dans !e « Volksbe- constitue un enjeu politique crucial. 11 en va autrement avec l'émergence de
l' école positiviste .

. 199.
1 chéorie du droic de Bahr: « A111t1nt
ettement perceptibles [chez lui]. » La 163. Voir R. GNEIST, Der Rechtsstaat zmd die Verwaltrmgsgerichte in De11tschland, 2' éd., Berlin,
de son syncrécisme écleccique ec de SpringeE, 1879; U. SCHEUNER, « Die neuere Emwicklung ... », op. cit., p. 240-242; E.-W. BÕC-
il se réfere conscammenc à l'hiscoire KENFORDE, « Emscehung und Wandel... », op. cit., p. 152-154; K. SOBOTA, Das Prinzip Rechtss-
cion du droic. taat, op. at., pp. 354-389.
164. R. GNEIST, op. cit., p. 330.
165. Sur la mise en ceuvre de ces projecs de Gneisc, cf E.-W. BÕCKENFÕRDE, op. cit., p. 154
note 42.
r-
1

102 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquo~

§ 2. LA FORME COMME OBJET D'UNE DÉMARCHE POSJTJVISTE 1900 1' 1• L'ou,·


dom l'une a
Staatsrechtsleh
96 Avec l'arrivée du positivisme, la forme juridique - et avec elle la nature du
à-dire la Sozia,
concept de Rechtsstaat - change dane de statut épistémologique. Pour s'en
apparent entn
convaincre, il suffit de retracer en quelques lignes le chemin parcouru jusqu'ici.
uns, il en fait
L'idée du Rechtsstaat émerge avec l'école kantienne du Vemzmftrecht comme un
occuper du cc
concept normatif. Il incarne un Sollen idéal, le droit tel qu'il devrait être, par
en deçà d'une
opposition à la réalité du droit tel qu'il est. Le droit positif se voit ainsi contesté
deux volets 172 •
sous un double point de vue, à la fois en ce qui concerne les droits substantiels
conséquente, n
des individus et l'organisation des pouvoirs publics. Autrement dit, ce concept
qui était, selo,
normatif est à la fois matériel et formel. Vient alars la rupture de 1848. Chez les
et à l'harmoni,
auteurs comme Stahl, Bahr et Gneist, le concept de Rechtsstaat reste prescriptif,
tera ainsi de c1
mais sa normativité par rapport au droit positif se réduit à des questions de
Kant, avec les
forme et de procédure. Ce n'est qu'avec l'émergence du positivisme que l'on sub-
en Allemagne
stitue à ce concept normatif un concept descriptif ou « dogmatique » ""' qui, selon
nalité juridiqt
les positivistes, est pur de tout élément jusnaturaliste puisqu'il se contente de
en fin de cor
décrire le droit tel qu'il est 11'7 • Par Rechtsstaat, on ne désigne plus un État qui se
inavouées 175 •
conforme à un idéal transcendam tel que le droit naturel, mais l'État qui respecte
ses propres lois, quelle qu'en soit par ailleurs la qualité intrinseque t "'. Dan~ ce 98 La constructi,
débat, deux figures ont les plus contribué à la théorisation des liens entre l'Etat tels que son ar
et le droit, à savoir Georg Jellinek (A) et Hans Kelsen (B). aussi Raymon
blée, ou évolu
« fait » qui ap
A. Le modele jellinekien de l'autolimitation de l'État
force, qu'un <•
L'humanité st
97 Dans sa démarche méthodologique, Georg Jellinek (1851-1911), éminent pro-
- ce a' quo1 e,
fesseur de droit à la faculté de Heidelberg, s'inspire des axiomes méthodolo-
avait un élémt
giques de l'école positiviste de Laband !(,•, tout en faisant preuve d'une grande ori-
son apparence
ginalité 170 • S'il entend distinguer nettement la sphere du droit des autres sciences
telles que la philosophie, la morale, la sociologie, etc., il n'insiste pas moins
sur la nécessaire pluridisciplinarité du savoir du juriste. Ce dualisme méthodo-
171. G. JELLINI
logique, qui consiste à envisager un même objet sous deux angles différents, Bad Hamburg, G
transparait dans son chef d'ceuvre qu'est la Allgemeine Staatslehre, publiée en droit, Paris, 1911.
172. Sur la diffén
lyse du discours
in CURAPP, Les ,
173. M. STOLLE
166. E.-W. BÕCKENFÕRDE, op. cit., p. 155. 174. Ibid., p. 451.
167. Parmi les assertions célebres du caractere pur du posicivisme juridique, voir C.F. GERBER, 175. Cf infra n" 5
op. cit., préface; P. LABANp, op. cit., préface de la 2" éd.; H. KELSEN, Reine Rechtslehre, réimpr. 176. C.M.HER.R
de la 2" éd. (1960), Wien, Ostereichische Staatsdruckerei, 1992, préface et p. 1 ss. Cf aussi infra 177. Cf infra n" ➔
n" 465. 178. Cf infra n· ➔
168. Cf K. BERGBOHM, ]11rispmdenz 1md Rechtsphilosophie. Kritische Abhandltmgen, réimpr. de 179. G. JELLINI
l'éd. de 1892, Glashütten im Taunus, Auvermann, 1973, p. 144: « Si no11s approuvons en revanche la 180. G. JELLIN
doctrine réaliste, no11s naus trouvons dans la situation pénible, de devoir reconnaítre comme valides (ver- [ = System].
bindlich) les /ois les plus infâmes, des lors qu 'elles ont été élaborées correctement du point de vue formei. » 181. La distinctio
169. G. JELLINEK, System, op. cit., p. 17 ss. ne peut plus se dé
170. Sur sa méthode, cf M. STOLLEIS, Geschichte, t. 2, pp. 450-455; P. BADURA, Die Methoden des que les traits supet
neuerenAllgemeinen Staatslehre, Erlangen, Palm & Enke, 1959, p. 107 ss et 205 ss; C.M. HERRERA, à tout instam se J
Théorie j11ridiq11e et politique de Kelsen, Paris, Kimé, 1997, p. 81 ss. premiere leccure, ,

1
l
n néologisme : !e Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 103

ARCHE POSITIVISTE 1900 171 • L' ouvrage est subdivisé en deux parties, à peu pres d' é~ale importance,
dont l'une a trait à la théorie juridique, i.e. positiviste, de l'Etat (Allgemeine
Staatsrechtslehre), et l'autre à son soubassement philosophique et social, c'est-
- et avec elle la nature du à-dire la Soziallehre des Staates. Les deux parties sont juxtaposées, sans aucun lien
pistémologique. Pour s'en apparent entre elles, ce qui vaut à Jellinek des critiques de toutes parts. Pour les
chemin parcouru jusqu'ici. uns, il en fait déjà trop - puisque, sel<;m Kelsen, le positiviste n'a pas à se pré-
iu Vemunftrecht comme un occuper du concept sociologique de l'Etat -, alors que, pour les autres, il reste
it tel qu'il devrait être, par en deçà d'une véritable méthode interdisciplinaire faute de connexion entre les
positif se voit ainsi contesté deux volets 171 • Cette position médiane, qui n' est « ni une théorie de droit naturel
cerne les droits substantiels conséquente, ni du positivisme conséquent » '", reflete la personnalité de Jellinek
Autrement dit, ce concept qui était, selon M. Stolleis, « d'une nature libérale et idéaliste, aspirant à la synthese
la rupture de 1848. Chez les et à l'harmonie » 17' . Esprit encyclopédique d'une grande érudition, Jellinek ten-
Rechtsstaat reste prescriptif, tera ainsi de concilier ses lectures des théoriciens du contrat social, et surtout de
~ réduit à des questions de
Kant, avec les nouveaux postulats de l'école de Laband. Son Cl!uvre fut célebre
du positivisme que l'on sub- en Allemagne et ailleurs pour sa définition classique du concept de la person-
i « dogmatique » "" qui, selon
1
nalité juridique de l'État et de la théorie de l'autolimitation. Mais, elle repose,
ste puisqu'il se c~ntente de en fin de compte, sur nombre de prémisses jusnaturalistes plus ou moins
désigne plus un Etat qui se inavouées 175 •
urel, mais l'État qui respecte
98 La construction théorique de Jellinek, qui inspirera nombre d'auteurs réputés
alité intrinseque 1"'. Dan~ ce
tels que son ami et collegue Max Weber (1864-1920) 17", Richard Thoma 177 , mais
isation des liens entre l'Etat
aussi Raymond Carré de Malberg (1861-1935) 17' , repose sur une vision dédou-
~n (B).
blée, ou évolutive, de la nature de l'État. Initialement l'État n'est qu'un simple
«fait » qui appara1t à un moment donné de l'histoire"''. En soi, il n'est qu'une
lÍtation de l'État force, qu'un « pouvoir » qui exprime la domination des uns par les autres 180 •
L'humanité serait ainsi condamnée à subir le joug de la tyrannie du plus fort
ç (1851-1911), éminent pro- - ce à quoi correspond la définition de l'État comme simple force -, s'il n'y
re des axiomes méthodolo- avait un élément nouveau qui fera évoluer sinon la nature de l'État, du moins
ant preuve d'une grande ori- son apparence formelle m. De sa propre volonté, l'État se métamorphose. Il se
e du droit des autres sciences
etc., il n'insiste pas moins
·iste. Ce dualisme méthodo- 171. G. JELLINEK, Allgemeine Staatslehre, réimpr. de la 3' éd. de 1928 établie p;ir Walter Jellinek,
sous deux angles différents, Bad Hamburg, Gehlen, 1966. L' ouvrage a été traduit en français sous le titre L 'Etat moderne et son
•ieine Staatslehre, publiée en droit, Paris, 1911.
172. Sur la différence entre la pluridisciplinarité et l'imerdisciplinarité, cJ. M. LOISELLE, « L'ana-
lyse du discours -de la doctrine juridique. L'articulation des perspectives interne et externe »,
in CURAPP, Les méthodes au concret, Paris, PUF, 2000, p. 208 s.
173. M. STOLLEIS, op. cit., p. 452.
174. lbid., p. 451.
;me juridique, voir C.F. GERBER, 175. Cf infra n" 512 ss et 517 ss.
~ELSEN, Reine Rechtslehre, réimpr. 176. C.M. HERRERA, op. cit., p. 81.
1, préface et p. 1 ss. Cf aussi infra 177. Cf infra n" 472 ss.
178. Cf infra n·· 406 ss.
Kritische Abha11d!tmgen, réimpr. de 179. G. JELLINEK, Gesetz 11nd Verordnung, Freiburg, Mohr, 1887, p. 192 [en abrév.: Gesetz].
« Si naus appro11vons en re-vanche la 180. G. JELLINEK, System der mbjektiven õjfentlichen Recbte, Freiburg, Mohr, 1892, p. 184
r?'Voir recomwztre com me ·valides (ver- [ = System]. ,
Jrrecteme-nt du point de v11e formei. » 181. La distinction n'est pas sans importance. Si l'autolimitation change la nature de l'Etat, celui-ci
ne peut plus se défaire du drqit sous peine de se détruire lui-même. Si, en revanche, elle ne change
455; P. BADURA, Die Methoden des que les traits superficiels de l'Etat, sans toucher à sa nature profonde de force brute, celui-ci pourrait
,. 107 ss et 205 ss; C.M. HERRERA, à tout instam se débarrasser du droit sans se renier lui-même. Jellinek semble plutôt opter pour la
)S. premiere lecture, comme on le verra au sujet du suicide légal de la légalité.
104 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Les quiproquo

donne lui-même une loi. Il s'autolimite et devient ainsi un pouvoir de droit, une seulement à 1'1
« personne juridique (Rechtspersonlichkeit) ». « Grâce à l'autolimitation, il cesse la plus claire ,
d'être une simple force physique pour devenir un pouvoir éthique {sittliche Kraft). Sa Toute législatic
volonté s'éleve au-dessus de cette violence sans bomes pour accéder au rang d'une Rechtssetzung
volonté juridique qui est limitée à l'égard des autres personnalités. C'est ainsi qu 'il Par conséq
acquiert la personnalité juridique vers l'intérieur et vers l'extérieur. » 182 Cette per- tout ce que lui
sonne juridique n'est autre que le « Rechtsstaat ». Les deux termes sont en effet risé par l'ordn
synonymes, ainsi qu'il ressort des rares occasions ou Jellinek se sert de celui-ci 1" : l'État est, dan
l'État, le Staat, au sens juridique, est dane, par définition, un État de droit, un qu'une loi ex
Rechtsstaat. Cet État, nouvelle version, implique qu' « à l'égard des autres person- jacente à cette
nalités l'État apparaisse comme étant lié parle droit érigé par sa propre volonté, à te! contraire "' T 1

point que sa volonté n'est juridiquement valide que pour autant qu'elle respecte ce loi, l'État est ,
cadre fixé par elle-même et dont la modification ne peut à son tour se faire par la vaie qui est son dr
et dans la forme du droit » 1" . vues par la cc
99 Jellinek défend ainsi le dogme positiviste du monopole normatif de l'État. Seule nelles elles-mt
la volonté de l'État, au titre desa souveraineté, est source de droit, à l'exclusion révision instit
de toute norme transcendante de droit naturel. Sa conception de la volonté de En vertu du p1
l'État est toutefois tres originale. Si la souveraineté signifie que l'État est la puis- droit, créer un
sance suprême et qu'il n'a d'ordres à recevoir de personne, elle ne saurait être manifester en
confondue avec un pouvoir absolu et illimité 18 '. Aussi paradoxal que cela puisse néant et à lais~
para1tre, l'État peut recevoir des ordres de lui-même, ce qui lui vaut d'être limité serait formelle
par sa propre volonté, ses propres lois. Telle est la définition même de la souve- précise, en re:
raineté : d'une part, elle signifie que l'État ne peut être lié par la volonté d'au- príncipe de la
trui; d'autre part, elle définit la faculté de l'État de s'autolimiter: « La capacité même et rever
exclusive de s'obliger par sa propre volonté est !e critere juridique de l'État souve-
rain. » 18'' Dans un langage plus "musclé", qui s'inspire davantage de Gerber,
il dira : « C'est dans la constrnction d'un ordre juridique, qui fixe des limites non 187. G. JELLINI
188. G. JELLINI
189. G.JELLINl
190. G. JELLINl
182. G. JELLINEK, Gesetz, p. 199. 191. Certains pro
18,3. Dans ses premiers écrits, Jellinek utilisaic,assez souvent le terme de Rechtsstaat pour désigner trãge, pp. 38-42. P
l'Etat, au sens juridique, par opposition à l'Etat, au sens sociologique. Cf G. JELLINEK, Die gation de respecte
rechtliche Natllr der Staatenvertrãge. Ein Beitrag zur juristischen Constmction des Võlkerrechts, Wien, tief du droit » (p. 3
Hõlder, 1880, p. 20, 22, 23, 25, 27, 29, 30 [ = Staatenvertrãge]. Le terme apparait en tout 9 ,fois dans l'Eta~ ne peut dure,
un texte qui compte 45 pages. On notera que l' expression de personnalité juridique de l'Etat y est de l'Etat, droit qu
absente. Mais, apres cette courte envolée rhétorique, le néologisme de Placidus disparait aussitôt. LINEK, Gesetz, p
Voir, deux aos apres, G. JELLINEK, Die Lebre von den Staatenverbindungen, réimpr. de la 1"' éd. de penser » de cercai,
1882 (Wien), Aalen, Scientia, 1969 [=Lebre]. Absent de l'index, le terme apparait une seule fois à la théorie de l'aucoli
page 34. Dans sa fameuse Allgemeine Staats!ehre, le moe Rechtsstaat ge figure presque plus (cf. supra 192. L'État est ob
note 42). II est rempl\lcé par la notion de personnalité juridique de l'Etat. L'identité entre l'Etat-per- s' est autoli)llité pr
sonne juridique et l'Etat de droit est clairement soulignée dans son ouv;age Gesetz 1md Verordnung, c'est que l'Etat pe11,
publié à mi-chemin, en 1887. Jellinek y affirme que dans la mesure ou l'Etat s'autolimite, « i/ est dési- la portée desa fim,
gné par !e terme de Rechtsstaat » (p. 216). Al!gemeine Staatsl,
184. G. JELLINEK, Lebre, p. 34 (« ... ,mderen Persõnlichkeiten gegemiber der Staat durch seinen zu en avoir une. L 'a,
Rcchi erklãrten Wil!en derart geburulen erscheint, dass dieser nur innerhalb der selbstgesetzten Schranken (. ..) L 'État ne se sit11
des Rechtes recht!iche Gi!tigkeit hat 1md auch seine Aenderung nur im Wege 1md in der Fonn des Rechies (Der Staat steht nic
erfolgen kann »). 193. La similitude
185. G. JELLINEK, Lebre, p. 35-36; Cf G. JELLINEK, Allgemeine Staats!ehre, pp. 475-484. nité est non seuler
186. G. JELLINEK, Lebre, p. 34 (« Ausschliessliche Verpjlichtbarkeit durch eigenen Wil!en ist das juris- retourner une fois
tische Merkmal desso11verãnen Staates » ). Voir aussi Gesetz, pp. 196-197 et Allgemeine Staatslehre, p. 481. On retrouvera d'ai
un néologzsme : le Rechtsstaat Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 105

nsi un pouvoir de droit, une seulement à l'individu, mais ausfi aux actions de l'État, que se manifeste de la façon
ce à l'autolimitation, il cesse la plus claire la spécificité de l'Etat : sa capacité exclusive de dominer (herrschen).
oir éthique (sittliche Kraft). Sa Toute législation consciente est signe de cette puissance de domination {Alie bewusste
, pour accéder au rang d'une Rechtssetzung ist Bethatigung der Herrschermacht). » 187
1ersonnalités. C'est ainsi qu'il Par conséquent, l'État se trouve ligoté. « Si l'État, de par sa natttre, peut faire
'ers l'extérieur. » 1' 2 Cette per- tottt ce que lui permet sa force, en vertu du droit, il ne peut faire que ce qui est auto-
es deux termes sont en effet ri~é par l'ordre juridique et ce que lui permet sa volonté légale. » 188 11 s'ensuit que
Jellinek se sert de celui-ci 183 : l'Etat est, dans tous les cas de figure, limité par des contraintes formelles. Tant
inition, un État de droit, un qu'une loi existe, elle est valide car la volonté étatique initiale, qui est sous-
1'« à l'égard des autres person- jacente à cette loi, est supposée se maintenir jusqu'à ce que soit formulé un ordre
·igé par sa propre volonté, à tel contr~ire 1" . Tant que la loi n'a pas été modifi.ée ou supprimée par une nouvelle
10ur autant qu'elle respecte ce í loi, l'Etat est obligé de la respecter sous peine de nullité. S'il veut la modifi.er, ce
t à son tour se faire par la voie qui est son droit, il ne peut le faire q1;1'en suivant les formes et procédures pré-
vues par la constitution. Si jamais l'Etat veut changer ces regles constitution-
nelles elles-mêmes, il ne pourra le faire qu'à condition de suivre la procédure de
,ole normatif de l'État. Seule
révision instituée à cet effet, et à condition deles r~mplacer par d'autres regles 190 •
murce de droit, à l'exclusion
En vertu du príncipe même de l'autolimitatio~, l'Etat ne peut plus supprimer le
conception de la volonté de
droit, créer un vide juridique. La volonté de l'Etat ne saurait, d'apres Jellinek, se
signifi.e que l'État est la puis-
manifester en dehors de toute forme juridique; l'inverse reviendrait à créer un
>ersonne, elle ne saurait être
néant et à laisser la porte ouverte à l'anarchie. Ainsi, à aucun moment, l'État ne
1ssi paradoxal que cela puisse
serait formellement illimité 191 : s'il peut s'affranchir de telle ou telle contrainte
!, ce qui lui vaut d'être limité
précise, en respectant les regles prévues, il ne peut, en revanche, contester le
iéfi.nition même de la souve-
principe de la limitation formelle in. Bref, le Rechtsstaat ne peut se renier lui-
. être lié par la volonté d'au-
même et revenir à l'époque arbitraire d'avant la premiere autolimitation 1''3 •
! s'autolimiter : « La capacité
tere juridique de l'État souve-
1spire davantage de Gerber,
iique, qui fixe des limites non 187. G. JELLINEK, Gesetz, p. 217.
188. G. JELLINEK, System, p. 184.
189. G. JELLINEK, Staatenvertrãge, p. 27.
190. G. JELLINEK, Lebre, p. 33; Staalenvertrãge, p. 23.
191. Certains propos de Jellinek semblent comredire ce príncipe. Voir G. JELLINEK, Staalenver-
terme de Rechtssldal pour désigner trã?e, pp. 38-42. Ainsi, il affirme que, si le príncipe même de l'autolimitation est « abso/11 », l'obli-
:iologique. Cf G. JELLINEK, Die ganon de respecter tellfô ou telle !oi n' est que « rela tive » (p. 39). En invoquant « !'élémem mbstan-
'::onslmction des Võlkerrechls, Wien, tief d11 droit » (p. 38), l'Etat pourrait ne pas respecter sa propre volonté légale car « ,me obligation de
.e terme apparait en tout 9 fois dans l'Eta~ne pe11t d11rera11ssi longtemps q11'elle est raisonnable » (p.41). Comme exemple, il cite !e Notrechl
ersonnalité juridique de l'Etat y est de l'Etat, droit qu'il niera plus tard dans sa ,Allgemeine Staats!ehre (p. 359). Voir également G. JEL-
;isme de Placidus disparatt aussicôc. LINEK, Geselz, p. 268 ou il affirme que l'Etat pourrait, pour des « raisons importantes», « se dis-
1erbind1mgen, réimpr. de la 1"' éd. de penser » de certaines !ois. Sur cet élément jusnaturaliste, qui joue une fonction essentielle dans la
, le terme apparait une seule fois à la théorie ge l'aucolimitation, cf infra n" 517 ss.
laal ge figure presque plus (cf s11pra 192. L'Etat est obligé de créer de nouvelles normes et de maintenir l'ordre juridique une fois qu'il
de ['Etat. L'identité entre l'Etat-per- s'est aucoli!flité pour la premiere fois. Voir G. JELLINEK, Lebre, p. 33 note 44 : « Ce q11i esl vrai,
son ouvpige Geselz rmd Verordn11ng, c'est q11e l'Etttt peul supprímer chaque limite individuelle en tttnl q11e tel!e, c'est-à-dire q11e !e conlen11 el
ire ou ['Etat s'autolimite, « i/ esl dési- la portée desa limitation peuvem varjer, mttis !e príncipe même de/,., limitation doit perdurer. » Voir
Allgemeine Staats!ehre, p. 477 : « L 'Etal pera cerles choisir quelle constit11tion il va avoir, mais il doil
gegemíber der Staal d11rch seinen ztt en avo,ir 11ne. L 'anarchie se sit11e dans !e domaine des possibi!ité facwel!es, mais non pas juridiq11es.
merh,1/bder selbstgeselzten Schranken (. ..) L 'Etat ne se situe pas à te! poim a11-dess11s du droit q11 'il p11isse se débarrasser du príncipe même d11 droit
·im Wege zmd in der Fonn des Rechies (Der Staal stehl nicht derart ziber dem Recht, dass er des Rechts selbst sich endedigen kõnnte}. »
1~3. La similitude avec la théorie de Kant est frappame. On se souvient que, d'apres Kant, I'huma-
1eine S1a,1ts!ehre, pp. 475-484. ruté est non seulement obligée de sortir de l'état de nature, mais qu'en outre elle n'a pas le droit d'y
keit d11rch eigenen Willen ist das j11ris- recourner une fois que le contrat social est conclu. Sur les liens entre ces deux auteurs, cf infra n" 518.
1-l 97 et Allgemeine St,1,1ts/ehre, p. 481. On retrouvera d'ailleurs cet élément chez Carré de Malberg.

i
r
i
~

Les quiproq;
106 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat

droit, au sen
B. Le modele kelsénien de l'identité du droit, de l'État ordre de con
et de l'État de droit que soit son
contenu, do,
100 Hans Kelsen (1881-1973) s'est distingué par sa critique systématique de certaines pothétique <
idées reçues sur le Rechtsstaat. Doté d'un esprit scrupuleux et méthodique, il normesgénc;
dénonce les dernieres traces d'un jusnaturalisme honni au sein de la théorie de et du droit. ,
ses illustres prédécesseurs '". Sa théorie constitue à la fois un moment de désen- et, surtout, ,
chantement et de grande lucidité intellectuelle sur le Rechtsstaat, ce qui fait qu' on d'un ordre t
ne sait au juste si le maí'tre de Vienne doit être compté parmi les partisans ou les titutions te!
pourfendeurs du Rechtsstaat'"5. Tout dépend évidemment de ce que l'on en ministériel ,
retient. S'agissant du mot, il est un euphémisme de dire que Kelsen ne l'a point l'indépenda1
porté en son creur; il est même le premier à en dénoncer, de façon explicite, le ber dans les
caractere pléonastique. Si l'on s'attache en revanche au fond, autrement dit à la taat. Ce fai~
question des liens entre le droit et l'État, l'évaluation de son apport dépend du gés jusnatur,,
jugement que l'on porte sur sa méthodologie positiviste et, surtout, sur sa li import
Grnndnorm qui en constitue la clef de vou te'%. ses yeux, l'a
101 La premiere critique formulée vise les idées de Bahr que de nombreux juristes, s'il y a un ju
se disant par ailleurs positivistes, ont reprises sans se rendre compre de leurs pré- tout État, pc
supposés jusnaturalistes. Pour le strict positiviste que veut être Kelsen, « l'État est un État 1
est un roí Midas qui transforme tout ce qu'il touche en droit » '"7, ce qui veut dire la justice adi
encore que « chaque Staat est un Rechtsstaat » 198 • Le mot n'est qu'un « pléo- la justice co
nasme » '"''. À vrai dire, chaque État définit son propre Rechtsstaat et lui donne avoir clamé
le contenu qu'il souhaite : « D'un point de vue strictement positiviste, dont tout poursuit de
élément jusnaturaliste a été exclu, tout État doit être considéré comme 1m État de censé campo,
duels soient ,
tion. Sa répo
194. Kelsen critique ainsi vertement les idées de Jellinck en ce qui concerne son dualisme métho- nique dum,
dologique ainsi que sa théorie de l'autolimitation. Cf H. KELSEN, Reine Rechtslehre, réimpr. de la n'implique (
2' éd. (1960), Wien, Õsterreichische Staatsdruckerei, 1992, p. 314 ss. On reviendra ultérieurement pas chez Ke
sur sa dénonciation d'un élément jusnaturaliste dans la théorie de l'autolimitation. Cf infra n" 517 ss.
195. Cf C.M. HERRERA, Théqrie juridiq11e et politiq11e chez Hans Kelsen, Kimé, Paris, 1998, p. 112. d'une justict
196. Sa théorie du droit et de l'Etat étant suffisamment connue, nous nous limiterons i~i à évoquer
ici son traitement du mot Rechtsstaat. Sur ces différents points, cJ.]. CHEVALLIER, L 'Etat de droit,
2' éd., Montch~estien, Paris, 1994, pp. 44-54; C.M. HERRERA, op. cit., pp. 112-115; S. GOYARD-
FABRE, « L'Etat de droit et la démocratie selon Kelsen », CPPJ, n" 17, 1990, pp. 147-179;
H. DREIER, Rechtslehre, Staatssoziologie 1md Demokratietheorie hei Hans Kelsen, l"' éd., Baden-Baden,
Nomos, 1986, p. 208 ss. Pour ce qui est desa théorie sur la justice constitutionnelle, cf infra n" 131 ss.
En ce qui concerne sa théorie de la Gnmdnonn, cf infi-a n" 504 ss.
197. H. KELSEN, Allgemeine Staatslehre, réimpr. de la I"' éd. de 1925, Wien, Õstereichische Staats- 200. H KELSl'
druckerei, 1993, p. 44. 201. Ibid.
198. Ibid. 202. Ibid.
19,9. H. KELSEJ>I, Reine Rechtslehre, p. 314. L'idée d'une telle identité entre le concept juridique de 203. H. KELSI
l 'Etat et celui d'Etat de droit ne date toutefois pas de Kelsen. On en trouve déjà des aperçus, furtifs 204. H. KELSI
et souvent inconscients, sous la plume de certains représentants de l'école moderne du droit naturel 205. H. KELSF
(cf supra n" 45 ss) et plus encore chez Jellinek (mpra note 183). Mais il a faliu attendre Kelsen pour geboten sind, d,,_,
que lc,_ caractere pléonastique qu néologisme de Rechtsslaat soit affirmé de façon explicite. Cf a4ssi eine ,mdere Frag,
O. BAHR, op. cit., p. 8: « L'E1a1 et le droit sont des concepts inséparables. En réalisant le droi1, l'Elat Wortes. »
réalise le premier germe desa propre idée (ln der Ver-wirklichung des Rechts verwirklich1 der Staat den 206. On verra r
ersten Ke,im seiner eigenen Idee). » Voir auss,i, ibid. p. IV et p. 67 ou Bahr affirme qu'en détruisant le milation entre 1
droit, l'Etat se détl;uit lui-même. Donc l'Etat est, par définition, un être de droit, un phénomene justement la qu,
juridique, bref un Etat de droit.
Les quiproquos du processus de formalisation du Rechtsstaat 107
m néologtsme : le Rechtsstaat

droit, au sens formei, dans la mesure ot't chaque État [est] un ordre, quel qu 'il soit, un
lu droit, de l'État ordre de contrainte des comportements humains et que cet ordre de contrainte, quel
que soit son mode de production, démocratique ou autocratique, et quel que soit son
contenu, doit être un ordre juridique, qui se concrétise, par degrés, à partir de l'hy-
ue systématique de certaines pothétique Grundnorm jusqu'aux actes juridiques individueis en passant par des
rupuleux et méthodique, il normes générales. Te! est !e concept de l 'État de droit qui est identique à celui de l 'État
,nni au sein de la théorie de et dtt droit. » 200 L'idée du Rechtsstaat n'implique dane aucun « contenu spécifique »
.a fois un moment de désen- et, surtout, aucune configuration particuliere de ses institutions 2º1• D ire, en effet,
Rechtsstaat, ce qui fait qu'on d'un ordre étatique qu'il n'est pas un État dedroit s'il ne comporte certaines ins-
>té parmi les partisans ou les titutions telles qu'une « procédure législative démocratique, la regle du contreseing
emment de ce que l' on en ministériel de tous les actes exécutifs du chef de l'État, les droits et libertés des sujets,
dire que Kelsen ne l'a point l'indépendance de la justice, des juridictions administratives, etc. » 202 , c'est retom-
ioncer, de façon explicite, le ber dans les ornieres du concept « matériel », e' est-à-dire jusnaturaliste du Rechtss-
: au fond, autrement dit à la taat. Ce faisant, on réintroduit des jugements de valeur politiques - des « préju-
)n de son apport dépend du gés jusnaturalistes » - qu'il s'agit au contraire d'éradiquer de la science du droit 103 •
>sitiviste et, surtout, sur sa Il importe ici de noter l'ampleur de la critique radicale énoncée par Kelsen. À
ses yeux, l'argument récurrent selon lequel il n'y a de droit et d'État de droit que
.r que de nombreux juristes, s'il y a un juge, releve clairement d'une argumentation de droit naturel. Pour lui,
: rendre compte de leurs pré- tout État, peu importe la place et le rôle qu'il concede au pouvoir juridictionnel,
1ue veut être Kelsen, « l'État est un État de droit. Si dans ce texte '°', Kelsen se réfere surtout à la question de
m droit » 197 , ce qui veut dire la justice administrative, l'argumentation se laisse aisément transposer au cas de
Le mot n'est qu'un « pléo- la justice constitutionnelle. Ses propos sont, en effet, des plus explicites. Apres
>pre Rechtsstaat et lui donne avoir clamé la nécessaire identité entre l'État, le droit et l'État de droit, Kelsen
ctement positiviste, do~t tout poursuit de la façon suivante : « Savoir dans quelle mesure le contenu du droit est
considéré comme un Etat de censé comporter des garanties, afin de faire en sorte que les actes juridiques indivi-
dueis soient réellement conformes aux normes r;énérales, est toutefois une autre qttes-
tion. Sa réponse se trouve dans !e concept de l'Etat de droit, au sens matériel ou tech-
nique du mot. » 20 ; D'un point de vue positiviste, le concept de Rechtsstaat
qui concerne son dualisme métho-
EN, Reine Rechtslehre, réimpr. de la n'implique dane l'existence d'aucune juridiction en particulier. Ce n'est dane
14 ss. On reviendra ultérieurement pas chez Kelsen que l'on trouvera l'identification du Rechtsstaat à l'exigence
! l'autolimitation. Cf infra n" 517 ss.
d'une justice constitutionnelle 2°''.
,ns Kelsen, Kimé, Paris, 1998, p. 112.
nous nous limiterons ici à évoquer
f. J. CHEVALUER, L 'État de droit, * >f
, op. cit., pp. 112-115; S. GOYARD- >f
' CPPJ, n" 17, 1990, pp. 147-179;
,ei Hans Kelsen, 1"' éd., Baden-Baden,
: constitutionnelle, cf infra n" 131 ss.
ss.
e 1925, Wien, Õstereichische Staats- 200. H KELSEN, Allgemeine Staatslehre, p. 91.
201. lbid.
202. lbid.
dentité entre le concept juridique de 203. H. KELSEN, Reine Rechtslehre, op. cit., p. 320.
1n en trouve déjà des aperçus, furtifs 204. H. KELSEN, Allgemeine Sta,1tslehre, p. 91.
de l'école moderne du droit naturel 205. H. KELSEN, Allgemeine Staatslehre, p. 91 : « ln welchem Ma/Je rechtsinhaltliche Garantien dajiir
Mais il a faliu attendre Kelsen pour geboten sind, dass die individuellen Rechtsakte tatsâ"chlich den generellen Normen entsprechen, ist freilich
affirmé de façon explicite. Cf al!ssi eine andere Frage. Sie beantwortet der Begriffdes Rechtsstaates im materiellen oder technischen Sinne des
:éparables. En réalisant !e droit, l'Etat Wortes. »
des Rechis verwirklicht der Staat den 206. On verra toutefois que si Kelsen récuse dans ce passage consacré au terme de Rechtsstaat l'assi-
ou Bahr affirme qu 'en détruisant le milation entre le droit et le juge, il s'en servira à un autre endroit dans son ceuvre, lorsqu'il aborde
m, un être de droit, un phénomene justement la question du contrôle de constitutionnalité des !ois (cf infra n" 132).
108 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat

102 Muni de ce bagage intellectuel, la doctrine juridique s'engage dans la République


de Weimar. Or, à partir des années 1920, la doctrine positiviste se trouve de plus
en plus contestée par un courant néojusnaturaliste tres hétéroclite qui entend
redécouvrir et renouveler le conce_rt de Rechtsstaat. Alors se nouera ce lien si
caractéristique pour le concept d'Etat de droit du XX' siecle entre, d'un côté,
l'idée des droits de l'homme mise en avant par l'école kantienne et, de l'autre,
l'idée du contrôle juridictionnel prôné par Bahr, Gneist et Mayer. De la
confluence de ces deux courants naltra l'idée de la justice constitutionnelle.

103 La révolutio1
sous silence,
• I
momsuneet:
la fin d'une r
temps écarté

a) La portée

104 « L 'empire (1'


peuple » procl
peuple est do
rogatives que
hommesetat
que l'inique :
versei. Le po1
dans la volon
ment, parle
législative et
indirectemen
sont les dépu 1
quant à lui est
plus un droit

1. Cf S. HAFH
auteurs n'y ont ,
2. Pour le texte ,
Pour un exposé !
Kohlhammer, t. 1
3. II est à noter,
tants des gouven

j
1

f
l
n néologisme: le Rechtsstaat

;'engage dans la République


positiviste se trouve de plus
tres hétéroclite qui entend
. Alars se nouera ce lien si
XX' siecle entre, d'un côté,
Jle kantienne et, de l'autre,
r, Gneist et Mayer. De la
1stice constitutionnelle.

Chapitre 3
Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat
(1919-1933 et depuis 1949)

103 La révolution de 1918-1919 inaugure une nouvelle étape du Rechtsstaat. Passée


sous silence, oubliée, voire méconnue 1, cette révolution n'en constitue pas
moins une étape charniere de l'histoire allemande : elle scelle la fin du XIX' siecle,
la fin d'une monarchie de droit divin et marque l'avenement d'un acteur long-
temps écarté de la scene politique : le peuple.

a) La portée de la démocratisation

104 « L'empire (Reich) allemand est une République. Le pouvoir de l'État émane du
peuple » proclame l'article 1 de la Constitution de Weimar du 11 aout 1919'. Le
peuple est clone souverain et il se gouverne lui-même à travers les multiples pré-
rogatives que lui reconna1t la Constitution. Le droit de vote est ainsi accordé aux
hommes et aux femmes, aux riches et aux pauvres, sans qu'aucun mécanisme, tel
que l'inique systeme des trais classes, ne vienne fausser le jeu du suffrage uni-
versel. Le pouvoir ne vient plus d' en haut, mais trouve sa source de légitimité
dans la volonté du peuple qui peut s'exprimer par deux canaux : soit directe-
ment, parle biais de l'initiative populaire et du référendum prévus en matiere
législative et constitutionnelle par les articles 73 à 76 de la Constitution, soit
indirectement, à travers la voix de ses représentants élus au suffrage universel que
sont les députés du Reichstag (Diete) et le président de la République. L'exécutif
quant à lui est désormais soumis au législatif en ce que le chef de l'Etat ne détient
plus un droit de veto à l'égard des !ois adoptées parle parlement' et que legou-

1. Cf S. HAFFNER, Die deutsche Revolution 1918/1919, München, Knaur, 1991, p. 206. Certains
auteurs n'y ont vu qu'une simple émeute.
2. Pour !e texte de la Constitucion de Weimar, cf H. BOLDT, Reich zmd Lãnder, op. cit., p. 481 55.
Pour un expo5é général, cf. E.R. HUBER, Deutsche Verfi1ss1mgsgeschichte seit 1789, 2' éd., Stuttgart,
Kohlhammer, t. 6, 1993.
3. II e5t à noter que la 5econde chambre du parlement, le Reichsrat, dan5 leque! 5Íegent le5 repré5en-
tant5 de5 gouvernement5 de5 Lãnder, di5po5e d'un veto 5Ímplement 5U5pen5if.
110 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la

vernement est responsable politiquement devam le Reichstag. À ce volet institu- lectuels pou
tionnel s'ajoute la seconde partie de la Constitution de Weimar qui énonce les lent vains . .P
différents « Droits et devoirs fondamentaux des Allemands {Grnndrechte tmd ainsi sur le
Grundpflichten der Deutschen) ». 11 s'agit d'une déclaration des droits et libertés « Bürger », 1
extrêmement riche qui conserve l'héritage libéral du XIX" siecle en y intégrant les gage activen
droits socio-économiques. À cette fin, elle prévoit une panoplie de mesures poli- - si typiqu
tiques destinées à garantir une plus grande justice sociale. sphere publ
105 Déjà à l'époque, les commentateurs avisés étaient conscients à quel point cet public et lui
idéalisme, cette foi absolue dans le peuple relevaient du défi dans un contexte de plus en f
aussi trouble que la République de Weimar, tristement célebre de nos jours pour mar. Le vot
avoir été une « République sans républicains ». La démocratie allemande est tres d'une proct'.
jeune, presque sans traditions. « C'est tardivement - écrit Gerhard Anschütz - sabordage. I
que naus sommes devenr1s tm État et encare pfos tardivement un État populaire Weimar ser
(Volksstaat). La marche victorieuse de l'idée démocratique (. ..) a dtt s'arrêter long- 106 Au lendema
temps de·vant les portes de l'État allemand. »' À peine installée, la démocratie est 1919 n'est F
aussitôt rejetée par les extrémistes de droite et de gauche, pour lesquels la Répu- momentde
blique de Weimar est soit trop radicale, soit ne l'est pas suffisamment. En ce qui allemand es1
concerne les premiers, nostalgiques de la monarchie wilhelmienne, ils refusent nismes de d,
de s'identifier à un ordre constitutionnel qui ouvre grandement les portes de la plus encore
Cité à la majorité, à la masse, à la classe ouvriere ... Pour les républicains convain- nisés en 193
cus ou de raison, cette marque de confiance constitue au contraire un « défi de la Grundgeset2
civilisation occidentale qui fera date dans l'histoire du monde»; et qui est tout à la peuple aller
gloire de ce que Richard Thoma appelle « l'État des petites gens (Kleineleute- tuant, comn
staat) » ''. Le jugement des anciennes élites est tout autre. À leurs yeux, la Répu- fondamenta
blique annonce le nivellement vers le bas, autrement dit « le regne des minables du moinsen
(Herrschaft der Minderwertigen) » 7 • Elle est synonyme de l'irruption sur la scene spécialemen
politique d'une plebe inculte qui, non contente de s'attaquer à leurs privileges et elle fut é~
économiques, menacera à terme la « Kultur », la mission civilisatrice dont ces d'une ratific
élites se sentem investies'. Favorisé par une conjoncture économique désas- allemands ,;_
treuse, ce discours antidémocratique, au début minoritaire, commence peu à peu
à porter ses fruits''. Tous les beaux discours des artistes et écrivains sur l'idéal
humaniste de la République '°, et tous les appels à la raison que lancent les intel-
11. Cf R.SMF
Abhandl11nge11,
oder Diktatur ,
12. L'inconstit
formelles subst
4. G. ANSCHÜTZ, Drei Leitgedanken der Weimarer Reichsverfas~!mg, Tübingen, Mohr, 1923, p. 21. limites matérie
5. R. THOMA, « Das Reich ais Demokratie », in G. ANSCHUTZ & R. THOMA (dir.), Hand- 13. La Loi fone
b11ch des Deutschen Staatsrechts, réimpr. de la 1"' éd. de 1930-1932, Tübingen, Mohr, 1998, t. I, p. 189. des mécanisme,
6. Ibid., p. 200. gesetz Kommen,
7. H. HELLER, « Rechtsstaat oder Diktatur,, (1929), i11 Ges,,mme!te Schriften, 2" éd., Tübingen, 14. Cf R. HEI
Mohr, 1992, t. 2, p. 456. Kommentar, t.
8. Cf R. THOMA, « Das Reich ais Demokratie ", op. cit., p. 200. in R. WASSEF
9. Sur l'idéologie des divers courants d'extrême droite, cf K. SONTHEIMER, Antidemokratisches p. 1320. E.W. I
Denken in der Weimarer Rep11blik. Die politischen Ideen des deutschen Mttionalismus zwischen 1918 Demokratie, 2'
tmd 1933 (1968), 4" éd., München, DTV, 1994, 331 p. peuple alleman
10. Lire le fameux discours de Thomas MANN, « Von deutscher Republik » (1922), in id., Von 15. Cf B.-0. l'
Deutscher Rep11blik. Politische Schriften 1md Reden in De11tschland, Gesamtausgabe herausgegeben schen Staatsre,
von P. de Mendelssohn, Frankfurt, Fischer, 1984, pp. 118-159. R. BIEBER & 1

l
:n néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 111

~eichstag. À ce volet institu- lectuels pour exhorter le peuple à ne pas céder aux sirenes du nazisme, se réve-
i de Weimar qui énonce les
lent vains. Au début des années 1930, les ténors de la doctrine juridique insistem
?emands (Grundrechte zmd ainsi sur le fondement anthropologique de la démocratie qu'est la figure du
« Bürger », du citoyen qui se sent responsable de la chose publique et qui s'en-
tration des droits et libertés
XIX' siecle en y intégrant les gage activement dans la Cité 11 • Rudolf Smend l' oppose à la figure du « Bourgeois »
1e panoplie de mesures poli- - si typique de la société wilhelmienne de la fin du XIX' - qui abandonne la
ciale. sphere publique à un pouvoir autoritaire pourvu que celui-ci maintienne l'ordre
public et lui garantisse sa sécurité juridique. Orles électeurs allemands basculent
conscients à quel point cet
de plus en plus vers l'extrême droite et se détournent de la démocratie de Wei-
1t du défi dans un contexte
mar. Le vote des pleins pouvoirs à Hitler parle Reichstag en 1933 - au terme
nt célebre de nos jours pour
d'une procédure irréguliere 12 - n'est que l'acte final d'un long processus de
:mocratie allemande est tres
sabordage. Paute d'avoir su gagner la loyauté de ses citoyens, la République de
- écrit Gerhard Anschütz -
Weimar se meurt.
-divement un État populaire
tique (. ..) a dtt s'arrêter long- 106 Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'enthousiasme démocratique de
e installée, la démocratie est 1919 n'est plus de mise. Le Grundgesetz (Loifondamentale) de 1949 marque un
uche, pour lesquels la Répu- moment de désenchantement, tant l'échec de la premiere République sur le sol
pas suffisamment. En ce qui allemand est ressenti avec amertume. Il n'est plus question d'instituer des méca-
e wilhelmienne, ils refusent nismes de démocratie directe '1. Les images des foules galvanisées parle Führer, et
grandement les portes de la plus encare les succes de popularité d' Adolf Hitler lors des trois plébiscites orga-
our les républicains convain- nisés en 1933, 1934 et 1938 ne sont pas de nature à convaincre les rédacteurs du
1e au contraire un « défi de la Grundgesetz de leur bien-fondé. Mus par une certaine méfiance vis-à-vis du
monde » 5 et qui est tout à la peuple allemand '4, ils limitem ses interventions au strict minimum en insti-
des petites gens (Kleineleute- tuam, comme garde-fou, la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe. La Loi
mtre. À leurs yeux, la Répu- fondamentale elle-même repose d' ailleurs sur des fondements populaires fragiles,
nt dit « le regne des minables du moins en ses débuts. Elle fut élaborée non pas par une assemblée constituante
11e de l'irruption sur la scene spécialement élue à cet effet, mais par des délégués des parlements des Léinder,
: s'attaquer à leurs privileges et elle fut également adoptée par ces derniers. L'idée, préconisée parles Alliés,
nission civilisatrice dont ces d'une ratification du texte par voie de référendum fut rejetée par les dirigeants
joncture économique désas- allemands 15. L'accord populaire n'a pu ainsi être vérifié qu'à l'occasion des pre-
>ritaire, commence peu à peu
·tistes et écrivains sur l'idéal
a raison que lancent les intel- 11. Cf R. SMEND, « Bürger und Bourgeois im deutschen Staatsrecht » (1933), in id., Staatsrechtliche
Abhandlungen, 3' éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1994, pp. 309-325; H. HELLER, • Rechtsstaat
oder Diktatur » (1929), op. cit., pp. 443-462.
12. L'inconstitutionnalité de la !oi du 23 mars 1933 découle de la violation de diverses conditions
formelles substantielles, sans qu'il soit besoin de recourir à la théorie, contestée à l'époque, des
1smng, Tübingen, Mohr, 1923, p. 21. limites matérielles au pouvoir de révision. Cf infra n" 560 note 178.
IÜTZ & R. THOMA (dir.), Hand- 13. La Loi fondamentale se distingue en cela des constitutions des Lãnder dont beaucoup prévoient
!, Tübingen, Mohr, 1998, t. l, p. 189. des mécanismes de démocratie directe. Cf H. DREIER, • Are. 20 (Demokratie) », in id. (dir.), Grund-
gesetz Kommentar, 1'" éd., Tübingen, Mohr, 1998, t. 2, p. 32.
,mmelte Schriften, 2' éd., Tübingen, 14. Cf R. HERZOG, « Are. 20 II: Demokratie » in T. MAUNZ & G. DÜRIG (dir.), Grzmdgesetz
Kommentar, t. 2, München, Beck, sans date, Rn. 39, p. 20; E. STEIN, « Are. 20 II: Demokratie »,
00. in R. WASSER~ANN (dj_r.), Alternativkommentar zum Grrmdgesetz, t. 1, Luchcerhand, 1989,
üNTHEIMER, Antidemokratisches p. 1320. E: W. ,B?CKENFORDE, « Demokratie ais Verfassungsprinzip », in id., Staat, Verfassung,
·11Schen N1tion<1/is11111s zwischen 1918 Demokratze, 2 ed., Frankfurt, Suhrkamp, 1992, p. 326 (Rn. 39) parle d'une perte de confiance du
peuple allemand en lui-même.
scher Republik » (1922), in id., Von 15. Cf B.-0. BRYDE, « Verfass_!}nggebende Gewalt des Volkes und verfassungsanderung im deut-
'mzd, Gesamtausgabe herausgegeben schen Staatsrecht : Zwischen Uberforderung und Unterforderung der Volkssouveranitat », in
R. BIEBER & P. WIDMER (dir.), L'espace constitt<tionnel européen, Zürich, Schulthess, 1995, p. 337
!!"

112 À la recherche du sens d'un néologisme: !e Rechtsstaat


Le défi de la 1,

mieres élections législatives, qui furent considérées par la doctrine comme un


succédané de la ratification populaire "'. 11 n'en reste pas moins que l'assise démo- 13) Les grane
cratique de la Loi fondamentale prêtait à discussion. À en croire Smend, le
Grundgesetz ressemble à une « Treibhauspjlanze », à une plante élevée en serre : il 107 La période d
s'agit d'une ceuvre « créée non pas à l'air libre d'un État et d'un peuple souverains, au sein du bii
mais injluencée, voire protégée par les puissances d'occupation, dont la vie est en nom1e entre
outre placée sous l'écran protecteur de l'interdiction des partis extrémistes » ". Selon príncipe de
lui, la démocratie reste un « sujet douloureux (Schmerzenskind) » pour la doctrine majorité, aur
allemande 18 • Rechtsstaat o
Si ce constat pessimiste, prononcé en 1969 par un juriste qui a vécu directe- autre instanc,
ment la période de Weimar et du ili' Reich, mérite d'être nuancé de nos jours, il s' articulent e,
n'empêche qu'une partie de la doctrine d'outre-Rhin continue à déplorer un cer- une hiérarchi
tain « déficit démocratique » (Werner Maihofer) dans les institutions héritées du Le concep
Grundgesetz 19 • Divers signes témoignent ainsi de la continuité de cet esprit de naux, souven
méfiance à l'égard de la démocratie directe. L'idée de soumettre le Grundgesetz riche, de la },
à une ratification de tous les Allemands, une fois l'unité acquise, a été écartée désigné, ce e<
nonobstant la directive explicite que contenait à cet égard l'ancienne version de vistes au sujei
l'article 146. De même, les diverses propositions de révision de la Loi fonda- en effet, à ce:
mentale, qui visaient à élargir le champ d'application du référendum, compre ment apres L
tenu du rôle historique que le peuple avait joué dans la chute de la RDA, ont de cette redé
toutes échoué'º. D'ailleurs, de l'avis de Roman Herzog, l'article 79 al. 3 de la Loi mann Heller
(1868-1949)2',
fondamentale, qui impose des limites matérielles au pouvoir de révision consti-
tutionnelle, prohibe l'introduction massive d'éléments plébiscitaires 21 • La démo-
cratie est alars réduite, en son essence, à la démocratie représentative 22 • Bref,
24. Cette questi,
comme l' a affirmé Michel Fromont, « en forçant un peu les traits, on peut (. ..) dire 25. L' expression
qu'avant d'être une démocratie et zm État fédéra4 la RFA est d'abord et avant tout der deutschen Re
un État de droit » 25 • Grundpjlichten d,
et 45, ainsi que e
tion des deux ter
droit public moJ
26. Cf E.R. HL
mar), 2' éd., 199.1
« Rechtsstaat n 'ét"
qui parle à ce sujer d'un « Geb11rtsfehler {malfonnt1tion congénita/e)». Lire du même auteur: « Die aussi lénifiant le J
bundesrepublikanische Volksdemokratie ais Irrweg der Demokratietheorie », St WStP, vol. 5, 1994, mar: crise de l'Ét
pp. 305-330. de l'État de droit.
16. B.-0. BRYDE, « Verfassungsgebende ... », op. cit., p. 338. évidence et ne !e d
17. R. SMEND, « Das Bundesverfassungsgericht » (1962), in Stt1atsrechtliche Abhandl11ngen, op. cit., 27. C. SCHMIT
p. 585. miere partie com
18. R. SMEND, « Deutsche Staatsrechtswissenschaft vor hundert Jahren - und heute » {1969), in constitutifs de la
Staatsrechtliche Abhandltmgen, op. cit., p. 618. démocratie {3' pa,
19. Lire les conclusions de W. MAIHOFER et de H.J. VOGEL in E. BENDA, W. MAIHOFER, sa rhéorie du Rec!
H.J. VOGEL (dir.), Handb11ch des Verfass11ngsrecht, 2' éd., Berlin, De Gruyter, 1994, p. 1709 ss et n" 24, 1993, pp. 1
p. 1696 s, ainsi que les articles précités de B.-0. BRYDE. slehre de Carl Sch
20. Cf K. HESSE, Gmndztigeds Verfass111zgsrecht der BRD, 20' éd., Heidelberg, Müller, 1995, p. 42 s legitimitãt gegen ,
et p. 67. & Humblot, 199:
21. R. HERZOG, op. cit., Rn 42, p. 48 ou sont également précisées les tres rares occasions ou la Loi rie de la constiwu,
fondamentale évoque de tels mécanismes (arr. 28 ai. 1 et art. 29). 28. Cf les nomb
22. E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Demokratie und Reprasentation », in id., Staat, Veifasstmg, Demo· concept de Rechts,
kratie. Studien zur Verfassungstheorie und zum Veifassungsrecht, 2' éd., Frankfurt, Suhrkamp, 1992, in Gesammelte Sei
pp. 379-405. staat oder Dikran
23. M. FROMONT, « Le juge consritutionnel (en RFA) », Pouvoirs, n' 22, 1982, p. 42. 29. Cf H. TRIEI
12, 14, 21, 22, 27,

l
''un néologisme: !e Rechtsstaat
Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 113

:s par la doctrine comme un


~) Les grands axes de la réflexion
: pas moins que l'assise démo-
;ion. À en croire Smend, le
107 La période de Weimar est cruciale pour saisir les liens complexes qui se nouent
une plante élevée en serre : il
au sein du binôme constitué parle Rechtsstaat et la Demokratie. Y a-t-il une anti-
État et d'un peuple souverains,
nomie entre les principes de liberté et d'égalité, inscrits dans le Rechtsstaat, et le
occupation, dont la vie est en
1es partis extrémistes » ". Selon
principe de la souveraineté du peuple? Peut-on confier la chose publique à la
majorité, autrement dit faire de la volonté générale le support et le garant du
irzenskind) » pour la doctrine
Rechtsstaat ou est-il, au contraire, nécessaire d'en confier la sauvegarde à une
autre instance telle que la justice constitutionnelle? En d' autres termes, comment
un juriste qui a vécu directe-
s'articulent ces deux principes l'un par rapport à l'autre? À supposer qu'il existe
d'être nuancé de nos jours, il
une hiérarchie entre eux, lequel a préséance sur l'autre? 2'
Ln continue à déplorer un cer-
Le concept du « demokratischer Rechtsstaat » 2' est au cceur des débats doctri-
1s les institutions héritées du
naux, souvent virulents, qui ont jalonné la période si courte, et néanmoins si
la continuité de cet esprit de
riche, de la République de Weimar. Même s'il n'est pas toujours nommément
de soumettre le Grundgesetz
désigné, ce concept fédere les diverses querelles entre positivistes et antipositi-
l'unité acquise, a été écartée
vistes au sujet des définitions du droit, de la démocratie et du rôle du juge. C'est,
:t égard l'ancienne version de
en effet, à cette époque que le discours du Rechtsstaat est réactivé progressive-
de révision de la Loi fonda-
ment apres le silence gardé par l'école positiviste de Laband 2". Les instigateurs
tion du référendum, compte
de cette redécouverte sont, principalement, Carl Schmitt (1883-1985)2', Her-
Ians la chute de la RDA, ont
mann Heller (1891-1933)28, Richard Thoma (1874-1957) et Heinrich Triepel
·zog, l'article 79 al. 3 de la Loi
(1868-1949) 2'', sans oublier le rôle de juristes moins connus comme, par exemple,
u pouvoir de révision consti-
ents plébiscitaires". La démo-
::>cratie représentative". Bref, 24. Cette question sera abordée in extenso dans 2' partie, titre II, chap. 1.
'lpeu les traits, on peitt (. ..) dire 25. L' expression apparait chez R. THOMA, « Die juristische Bedeutung der grundrechtlichen Satze
RFA est d'abord et avant tout der deutschen Reichsverfassung im allgemeinen », in H.C. NIPPERDEY (dir.), Die Grundrechte rmd
Grundpj/ichLen der Reichsverfasmng, réimp. de l'éd. de 1930, t. 1, Kronberg i. T., Scriptor, 1975, p. 13
et 45, ainsi que chez H. HELLER, « Rechtsstaat oder Diktatur? », op. cit., p. 454. Cette juxtaposi-
tion des deux termes de Demokratie et de Rechtsstaat, qui constitueraient les deux idées phares du
droit public moderne, s'inspire évidemment de l'reuvre de Carl Schmitt (Cf infra la note 27).
26. Cf E.R. HUBER, Deutsche Verfasmngsgeschichte seit 1789, Stuttgart, Kohlhammer, t. VI (Wei-
mar), 2' éd., 1993, p. 82 ss. L'opinion de K. SOBOTA (Das Prinzip Rechtsstaat, op. cit., p. 11) que le
• Rechtsstaat n'était pas rm mjet de discussion dans la doctrine publiciste de Weimar», est infondée. Tout
"tale)». Lire du même auteur : « Die aussi lénifiam l~ propos de Ch. GUSY (« Le principe du "Rechtsstaat" dans la République de Wei-
uatietheorie », S1 WStP, vol. 5, 1994, mar :,crise de l'Etat de droit et crise de la science du droit public », in 0.JOUANJAN (dir.), Figures
de l'Etat de droit, op. cit., p. 333) selon leque! « tollt le monde acceptait le "Rechtsstaat" comme une
évidence et nele discutait pas ».
taatsrechLliche Abhandlttngen, op. ciL., 27. C. SCHMITT, Ve,jàssrmgslehre(1928), 8' éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1993. Apres une pre-
miere partie consacrée à la définition générale de la constitution, l'auteur aborde les deux éléments
dert Jahren - und heuce » (1969), in constitutifs de la constitution au sens moderne que som le Rechtsstaat (2' partie, pp. 123-220) et la
démocratie (3' partie, pp. 221-359). Une derniere partie est cpnsacrée au príncipe du fédéralisme. Sur
~L in E. BENDA, W. MAIHOFER, sa théorie du Rechtsstaat, cf. O. BEAUD « L~ critique de l'Etat de droit c,hez Carl Schmitt », CPP],
·lin, De Gruyter, 1994, p. 1709 ss et n" 24, 1993, pp. 111-125; P. PASQUINO, « Etat de droit et démocratie. A propos de la Verfassung-
slehre de Carl Schmitt », CPPJ, n" 24, 1993, pp. 95-108. Sur l'reuvre de Schmitt, cf H. HOFMANN,
éd., Heidelberg, Müller, 1995, p. 42 s Legitimitãt gegen Legalitãt. Der Weg der politischen Philosophie Carl Schmitts, 3' éd., Berlin, Duncker
& Humblot, 1995; O. BEAUD, « Carl Schmitt ou le juriste engagé », préface à C. SCHMITT, Théo-
:isées les tres rares occasions ou la Loi rie de la consLit11tion, trad. L Deroche, Paris, PUF, 1993, pp. 5-113.
)). 28. Cf les nombreux renvois dans l'index de ses Gesammelte Schrifien, t. 3, p. 545-456. Sur son
ion », in id., Sta,IL, Verfassrmg, Demo- concept de Rechtsstaat, cf. surtout H. HELLER, « Der Begriff des Gesetzes in der Reichsverfassung »,
, 2' éd., Frankfurt, Suhrkamp, 1992, in Gesammelte Schriften, 2' éd., Tübingen, Mohr, 1992, t. 2, spéc. pp. 208 ss et p. 223 ss; id. « Rechts-
staat oder Diktatur? » (1929), in Gesammelte Schrifien, t. 2, pp. 445-462
,vai,-;, n-· 22, 1982, p. 42. 29. Cf H. TRIBPEL, « Wesen und Emwicklung der Staatsgerichtsbarkeit », VVDStRL, 1929, p. 7,
12, 14, 21, 22, 27, 28 et son imervention dans le débat in WDStRL, 1932, p. 197.
114 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la d

Friedrich Darmstadter'º. II faut toutefois noter que cette réception du terme 108 Weimar a éti
n'est pas totale puisque certains auteurs en vue, comme Gerhard Anschütz auteurs presei
(1867-1948)", Rudolf Smend (1882-1975) 11, Hans Kelsen (1881-1973)" et continuem à
Erich Kaufmann (1880-1972) 3', ne l'emploient jamais ou alors tres rarement. Le vistes héritée
célebre traité dirigé conjointement par Anschütz et Thoma, qui se veut être la teurs et d' éco
vitrine représentative de la science du droit public de 1:époque, ne comporte tivisme. Les 1
ainsi aucun article spécifique consacré au Rechtsstaat 35 • A l'époque de Weimar, Heller.s et s;
son usage est encore éclectique : véhiculant une multiplicité de significations, d'avant 1848.
parfois contradictoires, il ne s' est pas encore cristallisé en un concept unanime- soit d'auteun
ment reconnu par la doctrine comme ce sera le cas apres 1945. Ainsi, la concep- éthique maté
tion administrativiste d'un Otto Mayer, selon leque! le Rechtsstaat est synonyme (1874-1928) 1
d'un contrôle juridictionnel de la légalité, garde toute sa valeur 1''. Or, les pré- Max Weber c1
supposés positivistes de ce modele sont vigoureusement contestés par un cou- tres personne
rant néojusnaturaliste. La résurgence du discours du Rechtsstaat permet ainsi à et même écol,
certains de ses représentants de renouer avec la pensée libérale du début du large que l'es1
XIX' siecle tout entiere axée sur l'idée des droits de l'homme 37 • À cela se super- ments histor
pose l'usage le plus fréquent, selon leque! le Rechtsstaat s'identifie à un contrôle assiste ainsi à
juridictionnel de plus en plus poussé. II sert ainsi de légitimation au contrôle « valeurs (Wer
juridictionnel de la constitutionnalité des lois 1' pour leque! le Reichsgericht s'est tion de la scie
estimé compétent dans son arrêt de principe du 4 novembre 1925 ". Ce retour
gique - se dis

40. Sur ce débar.


kussion der Wein
30. E DARMSTÃDTER, Die Grenzen der Wirksamkeit des Rechtsstaates, Heidelberg, 1930; id., op. cit., pp. 63-92:
Rechtsstaat oder Machtsstaat ?, 1932. ]115, 1989, pp. 91-
31. Le mor n'appara1t pas dans l'index de son fameux__commemaire de la Consrirurion de Weimar. Zeit der Weimare1
II l'utilise de façon exrrêmemem rare. Cf G. ANSCHUTZ, Die Verfass11ng des De11tschen Reichs vom M. FRIEDRICH
11 A11g11st 1919. Ein Kommentar fiir Wissenschafi rmd Praxis, 10' éd., Berlin, Srilke, 1929, p. 450; id., HOLZ, « Les te
« Gurachren: Empfiehlt es sich, die Zustandigkeit des Staarsgerichrshof auf andere ais die im Are. 19 C.M. HERRER1'
Abs. 1 Verf. bezeichneten Verfassungsstreirigkeiten auszudehnen? », Verhandlrmgen des 34. ]11risten- « Carl Schmitt ou
tags, t. 2, 1927, p. 204 et 212; son imervention dans le débat in WDStRL, 1927, p. 50. 41. Cf E.W. BÔ
32. Dans son ouvrage Verfassrmg rmd Verfassungsrecht de 1928, dom s'inspirera coute une école apres 2' éd., Franfurr, S
1945 (Scheuner, Hesse, Ehmke, etc.), le mor Rechtsstaat appara1t en tout trois fois. Cf R. SMEND, 42. Cf H.D. RA
StaatsrechtlicheAbhandlrmgen, p. 198,202 er 211. Lire aussi sa critique du terme, ibid., p. 314. Humblot, 1981, 2
33. Sa critique du terme a été exposée supn1 ff' 100 s. vol. 6, 1984, pp. 7
34. Voir l'index du tome 1 de ses Gesammelte Schrifien, Gõttingen, Schwarz, !960, p. 621, qui ren- 43. H. DREIER,
voie à deux écrir~. darem d'apres 1945. Baden, Nomos, l'
35. G. ANSCHUTZ & R. THOMA (dir.), Handbuch des de11tschen St,wtsrechts, réimpr. de la !"' éd. 44. M. FRIEDRJ(
de 1930-1932, préf. de W. Pauly, Tübingen, Mohr, 2 tomes, 1998. Voir toutefois les quelques renvois Die geisteswissensei
dans l'index, t. 2, p. 768. 45. C. MÜLLER
36. Cf, par ex., R. THOMA, « Grundrechte und Polizeigewalt ", in Verwaltrmgsrechtliche Abhand- Frankfurt, Suhrk
lrmgen. Festgabe zr,r Feier des 50 jãhrigen Bestehens des Preussischen Oberverwaltrmgsgerichts 1875-1925, H. HELLER, Ges.
Berlin, Heymann, 1925, p. 183; G. ANSCHÜTZ, Die Verfassrmg ... , op. cit., 10' éd., 1929, p. 450. Du 46. L'ceuvre la plt
côté des administrativistes, cf par ex. W. JELLINEK, Ver-&altrmgsrecht, 3' éd., Berlin, Springer, 1931, 2'' éd., 1921). Sur,
pp. 88-98. Kmt à Heidegger, 1
37. Cf surrout l'usage qu'en fom Schmitt, Heller, Triepel, Darmstadter, Gerhard Leihholz (1901- tik der Wenbegrü
1982), etc. De ce dernier auteur, qui jouera un rôle prééminem apres 1945, cf G. LEIBHOLZ, « Die 47. G. LEIBHOL
Gleichheir vor dem Gesetz », AõR, vol. 12, 1927, p. 8, 18, 31; id., « Les tendances actuelles de la doe- 48. Cf H. TRIEI'
trine du droit public », APD, 1931, p. 215,216,224. j11ridiq11e et politiq,
38. q inf,-a n" 130. fassungsrecht ais p
39. RGZ, t. Ili, p. 320. Cf les explications infra n" 125. Politik, 1929, p. 2~
!'ttn néologisme: le Rechtsstaat 1..e défi de la démocratisation dtt Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 115

[Ue cette réception du terme 108 Weimar a été le théâtre d'une violente querelle méthodologique 40 • Face à des
, comme Gerhard Anschütz auteurs prestigieux comme Anschütz 41 , Thoma ", Kelsen 43 et bien d' autres, qui
rns Kelsen (1881-1973) 33 et continuem à défendre, quoique sous une forme renouvelée, les maximes positi-
1ais ou alors tres rarement. Le vistes héritées du XIX" siecle, commence à émerger un courant hétéroclite d'au-
et Thoma, qui se veut être la teurs et d'écoles dont le point de ralliement est leur opposition radicale au posi-
ic de l'époque, ne comporte tivisme. Les grands chantres de ce mouvement que sont Smend 44 , Kauffmann,
w,t 35 • À l'époque de Weimar, Heller 45 et Schmitt, esquissent un certain retour aux théories jusnaturalistes
multiplicité de significations, d'avant 1848. Chacun d'eux s'inspire, selon ses propres affinités intellectuelles,
llisé en un concept unanime- soit d'auteurs anciens comme Kant, Hegel, Rousseau, etc., soit de la nouvelle
; apres 1945. Ainsi, la concep- éthique matérielle des valeurs prônée par les deux philosophes Max Scheler
el le Rechtsstaat est synonyme (1874-1928) et Nicolai Hartmann (1882-1950) 4", soit encore des idées de
toute sa valeur 36 • Or, les pré- Max Weber comme c'est !e cas du décisionnisme schmittien. De ces démarches
;ement contestés par un cou- tres personnelles - ce qui fait qu'on ne saurait véritablement parler d'une seule
du Rechtsstaat permet ainsi à et même école - se dégage une nouvelle méthodologie juridique qui se veut plus
pensée libérale du début du large que l'esprit formaliste, jugé borné, du positivisme, en intégrant des élé-
e l'homme 37 • À cela se super- ments historiques, philosophiques, sociologiques, psychologiques, etc. On
;staat s'identifie à un contrôle assiste ainsi à la renaissance d'un « idéalisme juridique » 47 et à un retour aux
i de légitimation au contrôle « valeurs (Werte) » inserires au ca:ur du droit, ce qui va de pair avec une politisa-
,ur lequel le Reichsgericht s'est tion de la science du droit ouvertement revendiquée".
novembre 1925 19 • Ce retour aux « valeurs » - terme clé de cette réorientation méthodolo-
gique - se distingue toutefois de l'ancien Vernunftrecht de l'école kantienne par

40. ?ur ce déba~, cf. M. FRIEDRICH, « Der Merhoden- und Richtungsstreit. Zur Grundlagendis-
kuss1on der Wetmarer Staatsrechtslehre », AõR, vol. 102, 1977, pp. 161-209; K. SONTHEIMER,
Rechtsstaates, Heidelberg, 1930; id., op. cit., pp. 63-92; M.E. GEIS, « Der Methoden- und Richrungsstreit in der Weimarer Staatslehre »,
]11S, 1989, pp. 91-96; U. SCHEUNER, « Die Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer in der
ntaire de la Constitution de Weimar. Zeit der Weimarer Republik », AõR, 1972, pp. 349-374; M. STOLLEIS, Geschichte, t. 3, pp. 153-186;
;e Verfasszmg des De11tschen Reichs vom M. FRIEDRICH, Geschichte der deutschen Staatsrechtswissenschafi, op. cit., pp. 320-398; G. LEIB-
1' éd., Berlin, Stilke, 1929, p. 450; id., HOLZ, « Les tendances acruelles de la doctrine du droit public », APD, 1931, pp. 207-224;
·ichtshof auf andere ais die im Are. J9 C.M. HERRERA, Théorie juridique et politique chez Hans Kelsen, op. cit., p. 85-96; O. BEAUD,
en? », Verhandlzmgen des 34. ]11risten- « Carl Schmitt '?.u !e jurisr1:. engagé », op. cit.
1 WDStRL, 1927, p. 50. 41. Cf E.W. BOCKENFORDE, « Gerhard Anschütz 1867-1948 », in id., Recht, Staat, Freiheit,
dom s'inspirera coute une école apres 2' éd., Franfurt, Suhrkamp, 1992, pp. 367-378.
11t en tout trois fois. Cf R. SMEND, 42. Cf H.D. RATH, Positivismus zmd Demokratie. Richard Thoma 1874-1957, Berlin, Duncker &
critique du terme, ibid., p. 314. Humblot, 1981, 213 p.; E. FRIESENHAHN, « Anmerkung zu dem Buch von H.D. Rath », ZNR,
vol. 6, 1984, pp. 74-79.
ngen, Schwarz, 1960, p. 621, qui ren- 43. H. DREIER, Rechtslehre, Staatssoziologie und Demokratietheorie hei Hans Kelsen, Ire éd., Baden-
Baden, Nomos, 1986, 332 p.
'.schen St<1atsrechts, réimpr. de la 1re éd. 44. M. FRIEDRICH, « RudolfSmend 1882-1975 »,AõR, vol. 112, 1987, pp. 1-26; K. RENNNERT,
)8. Voir toutefois les quelques renvois Die geistes7!1issenschafiliche Richtzmg in der Staatsrechtslehre der Weimarer Republik, 1987.
45. C. MULLER & I. STAFF (dir.), ~taatslehre in der Weimarer Republik. Hermann Heller zu ehren,
Ir», in VerwaltzmgsrechtlicheAbhand- Frankfurt, Suhrkamp, 1985; C. MULLER,« Hermann Heller: Leben, Werk, Wirkung », in
m Oberuerwaltzmgsgerichts 1875-1925, H. HELLER, Gesammelte Schrifien, 2' éd., t. 3, pp. 429-476.
,ng... , op. cit., 10' éd., 1929, p. 450. Du 46. L'ceuvre la plus connue de Scheler est Der Formalism11s in der Ethik zmd die materiale Wertethik,
ngsrecht, 3' éd., Berlin, Springer, 1931, 2•· éd.,, 192_1). Sur ce ~ouram philosophique, cf. D. FC?~SCHEID (dir.)_, La philosf!phie allemande de
Kam a Heidegger, Pans, PUF, 1993, p. 373-376 et la crmque de E.-W. BOCKENFORDE « Zur Kri-
'armsradter, Gerhard Leibholz (1901- tik der Wertbegründung des Rechts », in id., Recht, Staat, Freiheit, op. cit., pp. 67-91. '
apres 1945, cf. G. LEIBHOLZ, « Die 47. G. LEIBHOLZ, « Die Gleichheit vor dem Gesetz », AõR, vol. 12, 1927, p. 3.
d., « Les tendances actuelles de la doe- 48. Cf H. TRIEPEL, Staatsrecht ,md Politik, 1927. Sur cet ouvrage, cf. C.M. HERRERA, Théorie
juridique et politique chez Hans Kelsen, op. cit., p. 92 ss. L'intitulé de l'article de Carl Bilfinger (« Ver-
fassungsrecht ais polirisches Recht [Le droit constitutionnel comme droit politique] », Zeitschrifi ftir
Politik, 1929, p. 281-298) est tout aussi significatif.
r
116 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la cu

au moins deux aspects. D'une part, il faut noter la forte présence d'éléments irra- suit une nou,
tionnels chez plusieurs de ces auteurs. Alors que Heller se réclame d'une vision période du R1
rationaliste et universaliste du droit naturel •9, d' autres insistem, au contraire, sur sous la Répul
l'impossibilité de définir de façon abstraite !e contenu des Wérte. Seule une la richesse de
approche phénoménologique et intuitive permettrait d'appréhender ce qui est l'empire du G
juste et injuste dans le cas concret'º. On comprend des lors les craintes mani- et la « juridict
festées par un rationaliste comme Kelsen devam ce retour d'une métaphysique les deux mod
des plus obscures. D'autre part, contrairement à l'école moderne du droit natu- connus l' Alle
rel - dom le projet consiste à concevoir un droit naturel lai:c, suivant la fameuse (Section II).
devise de Grotius -, de nombreux représentants du courant antipositiviste
puisent leurs sources d'inspiration dans la religion 51 • La christianisation du droit
naturel apparait tres clairement apres 1945, ou l' emprise de l'Église catholique" Section
et, dans une moindre mesure, de l'Église protestante sur la société, a favorisé la D'II
redécouverte de la doctrine de saint Thomas d' Aquin 53 •
109 Ainsi s'opere une césure avec les prémisses positivistes de la théorie du Rechts-
staat de la fin du XIX' siecle. 11 existe néanmoins une tres forte continuité avec les 110 La Républiqu
idées de Bahr, Gneist et Mayer, en ce qui concerne l'aménagement institution- ni de fl.ambo)
nel du Rechtsstaat. De plus en plus de juristes assimilem, selon un réfl.exe bien son empremt,
rôdé et en dépit de toutes les critiques, !e droit et !e juge. On en trouve une illus- réfl.exion majt
tration particulierement éclairante chez Walter Jellinek (1885-1955) qui écrit : et de la démot
« Dans le terme "Rechtsstaat" est inscrite non seulement l'identification de "droit" et tionnel du Re,
de "foi•: mais aussi et peztt-être surtout la signification "droit" = "juridiction"" 54 • De Verfasszmg (ga
cette équation droit = !oi positive = juge, forgée par les administrativistes, les
constitutionnalistes retiendront surtout les premier et troisieme éléments, en §
remplaçant peu à peu le deuxieme par une définition matérielle du droit. II s'en- RELA

49. Cf H. HELLER, Scaatslehre, in Gesammelte Schriften, e. 3, p. 369. 111 D'ordinaire h


50. Cf, par ex., E. KAUFMANN, « Die Gleichheit vor dem Gesetz im Sinne des Anikels 109 der ébranlé dans !
Reichsver-fassung » (1926), in Gesamme!te Schrifien, Gottingen, Schwartz, 1960, t. 3, pp. 246-265; sociale que co
G. LEIBHOLZ, « Die Gleichheit vordem Gesetz», op. cit., pp. 1-4; ui.,« Les tendances actuelles ... »,
op. cit.,__ p. 214. Voir surtout la critique de l'éthique matérielle des valeurs par E.-W. BÕC- se bousculent
KENFORDE, « Zur Kritik der Wertbegründung des Rechts », p. 73 ss et 84 ss. des choses. Si
51. Cf, par ex., E. von HIPPEL, « Das richterliche Prüfungsrecht », in G. ANSCHÜTZ & méthodologie
R. THOMA (dir.), Handb11ch des deutschen Staatsrechts, t. 2, 1932, p. 553. M. STOLLEIS, Geschichte,
t. 3, p. 173 insiste sur l'importance de la foi protestante chez des auteurs comme Smend, Leibholz,
tion du 11 ao
Kaufmann, Gümer Holstein, Ernst Forsthoff, etc. sentem à l'étr
52. C'est ce que reflete l'ceuvre littéraire de Heinrich Bali (1917-1985) et surcout son roman Ansich- met pas de fai
ten eines Clowns de 1963.
53. Ce soubassement religieux transparah, par exemple, dans la décision du 10 mai 1951 de la Cour En 1921, K
constitutionnelle fédérale sur la question de la criminalisation de l'homosexualité (BVerfGE, 6,389). critiquant sév
Statuant sur la conformité du § 175 du code pénal, dans sa version alourdie parles nazis, avec le prín-
cipe de la liberté d'épanouissemem consacrée par l'anicle 2 du Gnmdgesetz, le Bundesverfasstmgsge-
richt confirme les dispositions pénales en arguam que la« !oi mora/e» à laquelle se réfcre l'arcicle 2
ai. 1 imerdit les rappons homosexuels. Pour définir la norion vague de« Sittengesetz », la Cour ren- 55. A. BLECKi\i
voie aux conceptions morales des deux confessions chrétiennes. L'influence religieuse est également p. 21.
perceptible en 1953 dans le traitement parle B11ndesgerichtshof(l'équivalem de la Cour de Cassation) 56. M. STOLLEI
de la question de l'émancipation de la femme. Sur ces points, cf. H.J. FALLER, « Wiederkehr des d'un commemai,
Naturrechts? Die Naturrechtsidee in der hochstrichterlichen Rechtsprechung von 1945-1993 », jõR, méthodologique
vol. 43, 1995, pp. 1-17. 57. E. KAUFM1'
54. W. JELLINEK, Verwalwngsrecht, op. cit., p. 90. zwischen Philosop,
'un néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949} 117

xte présence d' éléments irra- suit une nouvelle formule qui résume l'évolution générale de cette troisieme
[eller se réclame d'une vision période du Rechtsstaat, à savoir : droit = droits de l'homme = juge. Esquissée
res insistent, au contraire, sur sous la République de Weimar, qui fait figure de laboratoire d'idées, eu égard à
,ntenu des Werte. Seule une la richesse de ses débats théoriques, cette tendance s' épanouira pleinement sous
rait d'appréhender ce qui est l' em pire du Grundgesetz de 1949. C' est cette double évolution, la matérialisation
1d des lors les craintes mani- et la« juridictionnalisation » 55 du Rechtsstaat, qu'il s'agit ici de retracer à travers
e retour d'une métaphysique les deux modeles d'État de droit démocratique (demokratischer Rechtsstaat) qu'a
fcole moderne du droit natu- connus l' Allemagne, à savoir les Républiques de Weimar (Section I) et de Bonn
aturel lai:c, suivant la fameuse (Section II).
s du courant antipositiviste
• La christianisation du droit
1

1prise de l'Église catholique 52 Section L LA RÉ.PUBLIQUE DE WEIMAR, LABORATOIRE


.te sur la société, a favorisé la D'IDÉES OU « DEMOKRATISCHER RECHTSSTAAT »
lÍnsJ_

ristes de la théorie du Rechts-


! tres forte continuité avec les 110 La République de Weimar fut le théâtre d'un vif débat juridique quine manqua
e l'aménagement institution- ni de flamboyant ni de tragique. De cette querelle fascinante, qui marquera de
milent, selon un réflexe bien son empreinte la doctrine jusnaturaliste d'apres 1945, se dégagent deux axes de
juge. On en trouve une illus- réflexion majeurs. Le premier concerne les fondements mêmes du droit, de l'État
llinek (1885-1955) qui écrit: et de la démocratie (§ 1). Le second vise plus particulierement le modele institu-
nt l'identification de "droit" et tionnel du Rechtsstaat à travers la fameuse question schmittienne du « Hüter der
"droit" = "juridiction" » 5'. De Verfassung (gardien de la constitution) » (§ 2).
par les administrativistes, les
er et troisieme éléments, en § 1. LE DÉBAT SUR SES PRÉMISSES PHILOSOPHIQUES:
m matérielle du droit. 11 s' en- RELATIVISME ÉTHIQUE VERSUS PHILOSOPHIE DES VALEURS

111 D'ordinaire havre de paix et de sérénité, le monde académique du droit est


p. 369.
:;esetz im Sinne des Anikels 109 der ébranlé dans ses certitudes scientifi.ques par l'ébullition politique, culturelle et
1, Schwanz, 1960, t. 3, pp. 246-265; sociale que connart l'Allemagne dans les années 1920. Les événements politiques
1-4; id., « Les tendances actuelles ... »,
se bousculent, les uns plus radicaux que les autres, et bouleversent l'ordre établi
rielle des valeurs par E.-W. BÕC-
p. 73 ss et 84 ss. des choses. Si certains font comme si de rien n'était et continuent à appliquer la
ngsrecht », in G. ANSCHÜTZ & méthodologie héritée de Laband à ce nouveau droit positif qu'est la Constitu-
,2, p. 553. M. STOLLEIS, Geschichte,
tion du 11 aout 1919 5", d'autres ne se satisfont plus d'une telle solution. Ils se
es auteurs comme Smend, Leibholz,
sentent à l'étroit dans le carcan méthodologique du positivisme quine leur per-
7-1985) et surtout son roman Ansich- met pas de faire face aux questions essentielles que souleve la « vie ».
En 1921, Kaufmann se fait le porte-parole de cette frustration intellectuelle en
l décision du 10 mai 1951 de la Cour
le l'homosexualité (BVerfGE, 6,389). critiquant séverement les postulats néokantiens de l'école de Vienne 57 • D'apres
Jn alourdie parles nazis, avec le prin-
Grzmdgesetz, !e B11ndesverfassungsge-
1orale » à laquelle se réfcre l'article 2
1ague de « Sittengesetz », la Cour ren- 55. A. BLECKMANN, « L'État de droit dans la Constimtion de la RFA », Pouvoirs, n" 22, 1982,
. L'influence religieuse est également p. 21.
l'équivalent de la Cour de Cassation) 56. M. STOLLEIS, Geschichte, t. 3, p. 155 cite ainsi !'exemple de Friedrich Giese (1882-1958), auteur
cf H.J. FALLER, « Wiederkehr des d'un commemaire de la Constitution de Weimar, qui reste completement à l'écart de la querelle
.echtsprechung von 1945-1993 », ]õR, méthodologique à laquelle il dénie tout imérêt pratique ou dogmatique .
57. E. KAUFMANN, Kritik der neukantischen Rechtsphilosophie. Eine Betrachtung ziber die Beziehzmg
zwischen Philosophie zmdRechtswissenschafi (1921), reproduit in GesammelteSchrifien, t. 3, pp. 176-245.
118 À la recherche dtt sens d'zm néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la ,

lui, l' Allemagne est secouée jusque dans ses fondations parles divers événements A. Li
qui interpellent la conscience du citoyen et, a fortiori, du juriste ;s_ Face à deh
une telle actualité, celui-ci ne saurait plus faire l'impasse sur les questions essen-
tielles touchant au sens profond de la vie en commun. À ses yeux, la méthode 1º Relativis
positiviste garde une certaine valeur heuristique lorsqu'il s'agit d'une période
stable, dom elle reflete le sentiment général de « saturation » ". En revanche, 112 Les chefs de
elle n'est d'aucune aide dans une période aussi trouble et agitée que la Répu- Kelsen et 1
blique de Weimar. La doctrine se doit clone de faire face aux défis lancés par Max Weber
le monde actuel, en adaptam des outils méthodologiques plus adéquats. À droit natun
I I
cette tâche s'attellent également, chacun à sa façon, Smend et Heller. Si le enonce sc1e1
premier tente de faire face, à travers sa théorie de l'intégration, au « chaos de l'État la connaissa
constittttionnel malade »"º qui est rongé de l'intérieur parle pluralisme des inté- véracité est
rêts, des groupes et des partis, le second, qui est un fervem démocrate, met relevem de 1
en lumiere les fondements rationalistes, humanistes et socialistes du concept et le Sollen,
de volonté générale. Tous ces auteurs ont en commun d'insister sur les principes cerque sur 1
et valeurs qui fondent le consensus social, c'est-à-dire sur ce substrat matériel Sollen, relev
qui constitue le socle du droit, de la démocratie et de l'État au-delà de tous les sieurs au gn:
clivages (B). que Weber:
À l'opposé de cette démarche se situem les positivistes qui, à leur tour, sont Diable pou
divisés entre trais grands courants''', à savoir les rares tenants de la vieille métho- savoir hum:
dologie de Laband, les défenseurs d'un positivisme plus ouvert et tempéré, à systemes ju1
l'instar de celui prôné par Thoma''2, et, enfin, le normativisme de Kelsen qui de valeurs a
applique jusqu'au bout l'exigence radicale de pureté. Mais, nonobstant ces diver- systeme, sar
gences, les positivistes partagent un même point de départ qui est le relativisme nue. Il app,
éthique. D'apres eux, la réponse aux forces centrifuges qui travaillent l'État et la gordien » et
société n'est pas à chercher du côté d'hypothétiques valeurs, mais dans la vaie de juste"'.
la conciliatjon démocratique, autrement dit dans une conception formelle du 113 Encare faut
droit, de l'Etat et de la démocratie (A). Partam de l'axiome épistémologique du pouvoir lég
noncognivitisme, les positivistes conçoivent clone d'une tout autre façon le fon- subrepticen;
dement de l'État de droit démocratique et, surtout, les rapports noués en son valeur? À e,
sein entre ses deux pôles. en eux se ve
conscient d,
Pris à la lett
un strict pla
cratie à une

63. Cf S. ME
Grasset, 1996 a
58. E. KAUFMANN, « Die Gleichheic vor dem Gesetz », op. cit., p. 247. 64. Cf H. KEI
59. Jbid. Cf ,H. KELSEN, Reine Rechtslehre, 2' éd., op. cit., p. VI:« L'idé,IÍ d'1me science objective d11 p. 87 ss); G. R
dmit et de l'Et,tt n'a de chance de se voir généralement accepté q11e dans 11ne période d'éq11ilibre social. » delberg, Mülk
60. R. SMEND, Staatsrecht!iche Abhandl11ngen, p. 481. Gesamta11sgabc
61. q: W. HEUN, « Der Staatsrechtliche Posicivismus in der Weimarer Republik. Eine Konzeption pp.105-110).
im Widerstreit », Der Staat, 1989, pp. 377-403. Voir aussi l'exposé systématique des écoles posirivistes 65. G.RADBI
chez W. OTT, Der Rechtspositivism11s. K ritische W1irdig11ng a11J der Gmndlage eines j11ristischen Prag· 66.Ce dilemn
m,1tism11s, 2' éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1992. 67. M.K.RIEL
62. Sa méthodologie dualiste sera exposée ultérieurement. Cf infra n" 472 ss. 1983, p. 213.
'un néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 119

)ns parles divers événements A. Les positivistes : d'une vision procédurale et relativiste
'ortiori, du juriste ". Face à de la démocratie vers un concept légaliste du Rechtsstaat
passe sur les questions essen-
11un. À ses yeux, la méthode 1º Relativisme des valeurs et démocratie
orsqu'il s'agit d'une période
satttration » 5". En revanche, 112 Les chefs de file du positivisme de Weimar, qu'il s'agisse de Thoma, Anschütz,
ouble et agitée que la Répu- Kelsen et Radbruch, partagent le même postulat, inspiré de l'reuvre de
Lire face aux défis lancés par Max Weber (1864-1920)'·1, du relativisme éthique"'. À l'opposé des doctrines de
lologiques plus adéquats. À droit naturel, le relativisme nie qu'il soit possible d'émettre un quelconque
çon, Smend et Heller. Si le énoncé scientifi.que en matiere d'éthique. Selon le célebre sociologue allemand,
1tégration, au « chaos de l'État la connaissance scientifique ne peut porter que sur des faits, sur un Sein dont la
ur par le pluralisme des inté- véracité est empiriquement vérjfiable, à l'opposé des jugements de valeur qui
. un fervem démocrate, met relevent de la sphere du Sollen. Etant donné le fossé infranchissable entre le Sein
tes et socialistes du concept et le Sollen, entre ce qui est et ce qui doit être, le scientifi.que ne peut se pronon-
un d'insister sur les principes cer que sur le premier et non sur le second. Des lors, le domaine des valeurs, du
-dire sur ce substrat matériel Sollen, releve de la pure subjectivité. 11 n'y a pas une idée de la justice, mais plu-
t de l'État au-delà de tous les
sieurs au gré des opinions des uns et des autres dans un contexte donné. C'est ce
que Weber a appelé la « guerre des dieux » : ce qui est le Dieu pour l'un sera le
Diable pour l'autre. Cette conclusion tirée des limites épistémologiques du
itivistes qui, à leur tour, sont
savoir humain serait du reste confirmée, à en croire ces auteurs, par l'étude des
es tenants de la vieille métho-
systemes juridiques anciens ou étrangers. La diversité irréductible des systemes
11e plus ouvert et tempéré, à
de valeurs appelle une « décision » humaine, un choix arbitraire pour tel ou tel
normativisme de Kelsen qui
systeme, sans que la science ne puisse juger de la légitimité de la solution rete-
f. Mais, nonobstant ces diver-
nue. 11 appartient de maniere souveraine au législateur de « trancher le na:ud
e départ qui est le relativisme
c1ges qui travaillent l'État et la gordien » et de dire ce qui est légal, en l'absence de toute définition de ce qui est
:s valeurs, mais dans la voie de juste 65 •
une conception formelle du 113 Encore faut-il décider à qui il revient de ... décider. Autrement dit, pourquoi le
l'axiome épistémologique du pouvoir législatif devrait-il appartenir à la majorité? N'est-ce pas introduire
d'une tout autre façon le fon- subrepti~ement par là, sous couvert d'un raisonnement formel, un jugement de
c1t, les rapports noués en son valeur? A cet égard, les positivistes sont confrontés à un dilemme. Si le citoyen
en eux se veut un ardent défenseur de l'idéal de la démocratie, le scientifi.que est
conscient de la subjectivité d'une telle opinion - ou du moins il devrait l'être ''6 •
Pris à la lettre, les criteres de scientifi.cité des positivistes aboutissent à mettre sur
un strict plan d'égalité toutes les théories politiques 67 • La préférence de la démo-
cratie à une monarchie ou à une dictature ne peut, des lors, résulter que d'un

63. Cf S. ME~~ & A. R~N~UT, La guerre des dieux. Essai sur la querelle des vale11rs, Paris,
Grasset, 1996 ams1 que les expltcat10ns infra ff' 467.
cit., p. 247. 64. Cf H. KELSEN, Reine Rechtslehre, 2" éd., p. 65 ss (Théorie p11re du droit, trad. Ch. Eisenmann,
✓! : « L 'idé,,1 d'tme science objective d11 p. 87 ss); G. RADBRUCH, Rechtsphilosophie (1932), in Gesamta11sgabe, éd. par A. Kaufmann, Hei-
·e dans une période d'éq11ilibre social. » delberg, Müller, t. 2, 1993, § 2, p. 230-239; id., « Der Relativismus in der Rechtsphilosophie », in
Gesamtausgabe, t. 3, 1990, pp. 17-22 ( = « Le relarivisme dans la philosophie du droit », APD, 1934,
X-'eimarer Republik. Eine Konzeprion pp. 105-110).
sé systématique des écoles posirivistes 65. G. ~BRUCH, ".. Der_Relarivismus in der Recht~philosophie », in Gesamtausgabe, t. 3, p. 18.
r der Grrmdlage eines j11ristischen Prag· 66. Ce d1lemme appara1t cla1rement chez G. ANSCHUTZ, Drei Leitgedanken ... , op. cit., p. 32.
67. M. KRIELE, « Staatsphilosophische Lehren aus dem Nationalsozialismus », ARSP Beihefi, n" 18,
infra n" 472 ss. 1983, p. 213.
120 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la ,

choix subjectif, arbitraire, ainsi que l' admet à diverses reprises Kelsen "'. Or, on toutes les id,
constate chez Kelsen, et surtout chez Radbruch, des glissements successifs qui, à savoir les F
au nom du relativisme éthique, vont dans le sens d'une légitimation scientifique rité, etc. 76 l',
de la démocratie. À divers moments, ils essaient d'établir un lien logique entre jusnaturalisr
le principe scientifique du noncognitivisme et l'idée du gouvernement popu- le décisionni
laire, ce qui permettrait - s'il était prouvé - de défendre la démocratie sans sans que l'o
avoir recours à aucun jugement de valeur. impossible e
Radbruch résume ce projet en déclarant que « le relativisme exige rm État
démocratique »"". Kelsen semble, à premiere vue, adopter une position plus pru- 2º Leconce,
dente en affirmant simplement que « le relativisme est la Weltanschauung (vision
du monde) que présuppose l'idée démocratique » 70 • D'autres propos, cependant, tra- 114 La définitio1
duisent un net rapprochement avec les theses de Radbruch. Ainsi, le maJtre de ou procédu1
l'école de Vienne assimile la théorie du droit naturel à l'autocratie et le positi- formei » 7''. E
visme relati viste à la démocratie 71 • D' apres lui, le jusnaturalisme ne peut que tique » 'º qui.
déboucher sur l'apologie d'un régime autocratique, puisqu'il serait inutile et ceux à qui se
même dangereux de demander l'avis des individus s'agissant d'une vérité abso- État soit do
lue qui doit s'imposer d'elle-même. Au contraire, le relativisme appelle l'instau- politiques rt
ration d'une démocratie selon le raisonnement suivant : puisque toutes les idées qu'il s'agisse
se valent et qu'aucune ne peut prétendre à la vérité absolue, personne ne peut se il risquerait ,
prévaloir d'être plus savant que les autres; par suite, il n'y a aucune raison qui ces données
puisse justifier l'établissement d'un régime aristocratique ou monarchique. l'opinion est
A contrario, seule la majorité peut décider, car seule la démocratie respecte cette libéralisme !
égalité des idées qui constitue l'essence même du relativisme". De la nécessaire I • •
rev1s10n con
relativité des vérités humaines découle tout à la fois « la récusation impérative regne de lar
de l'absolutisme politique » 73 et le choix en faveur de la démocratie. Car, selon contramte q
Kelsen, des lors qu'il est impossible de savoir ce qui est vrai et juste, « la laquelle elle
contrainte ne se laisse légitimer que parle consentement d'au moins la majorité de litaire est ai1
ceux à qui cet ordre de contrainte doit être tttile » ". Kelsen l' af:fi1
On conviendra qu'une telle conclusion paraí't pour le moins surprenante
puisqu'elle contredit le postulat même du relativisme": parti de la prémisse que
76. Cf la liste
Radbruch.
77. Qu'on reli,
68. Cf H. KELSEN, « Juristischer Formalismus und Reine Rechtslehre », JW, 1929, p. 1724; droit « devmit ,
H. DREIER, Rechtslehre, Staatssoziologie rmd Demokratietheorie hei H,ms Kelsen, 1"' éd., Baden- de Radbruch, t•
Baden, Nomos, 1986, p. 260. livre un princip
69. G. RADBRUCH, « Der Relativismus ... », p. 20. Cf. aussi id., « Die politischen Parteien im de se confonner
System des deutschen Verfassungsrecht », in G. ANSCHUTZ & R. THOMA (dir.), Handbuch des 78. En ce sens.
deutschen Staatsrechts, t. 1, p. 289; id., Rechtsphilosophie, op. cit., p. 214. vism and Dem
70. H. KELSEN, • Vom Wesen und Wert der Demokratie » {1"' éd.), Arch.f Sozi,,lwiss., vol. 47, conclusion n" /-
1920, p. 83. 79. R. THOM
71. H. KELSEN, Allgemeine Sta,ttslehre, 1925, op. cit., p. 369 s. Prolegomena z
72. G. RADBRUCH, « Der Relativismus ... », p. 20; H. KELSEN, « Vom Wesen und Wert ... », p. 84. Soziologie. Eri,1
73. H. KELSEN, « Vom Wesen und Wert ... », p. 83-84: « Die Relativitãt des Wertes (. ..) zwingt gebie- 80. H.KELSE
terisch 211 einer Ablehmmg a11ch des politischen Abso/11tism11s. » 81. R. THOM
74. Ibid., p. 84: • Denn wer sich m1r a11f irdische Wahrheit sttitzt, wer mir menschliche Erkermtnis die Demokratie »,
sozialen Ziele richten lãsst, der karm den 211 ihrer Verwirkliclmng unvermeid/ichen Zwang kawn anders 82. R. THOM
rechtfertigen, ais durch die Zustimmung wenigstens der Mehrheit derjenigen, denen die Zwangsordmmg Staatslehre, p. 3
zttm Hei/e gereichen sol/. » 83. H. KELSE
75. Radbruch est d'ailleurs le premier à être surpris. Cf • Le relativisme ... », APD, 1934, p. 109 et 11 O. 84. R. THOM
m néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 121

,es reprises Kelsen "'. Or, on toutes les idées se valent, on aboutit à la conclusion inverse que certaines idées,
,s glissements successifs qui, à savoir les principes de 1789 que sont la liberté, l'égalité, la tolérance, la solida-
une légitimation scientifique rité, etc. n l' emportent sur les théories totalitaires de l' époque. li s' agit là d'un
;tablir un lien logique entre jusnaturalisme qui n'ose dire son nom 77 • Pris dans sa signifi.cation la plus stricte,
ée du gouvernement popu- le décisionnisme implique simplement qu'il existe de facto quelqu'un qui décide,
défendre la démocratie sans sans que l'on puisse juger à qui il revient de décider. Il est clone logiquement
impossible de fonder la démocratie à partir du relativisme éthique 78 •
le relativisme exige tm État
opter une position plus pru- 2º Le concept fonnel de la démocratie et les débuts d'une matérialisation
est la Weltanschauung (vision
utres propos, cependant, tra- 114 La défi.nition positiviste de la démocratie se veut, a priori, strictement formelle
adbruch. Ainsi, le maltre de ou procédurale. La démocratie est, selon Thoma, « quelque chose de purement
rel à l'autocratie et le positi- formei»". Elle constitue simplement une« méthode de production de l'ordre éta-
jusnaturalisme ne peut que tique » 'º qui, à l' opposé d'un régime autocratique, a pour particularité d'associer
1e, puisqu'il serait inutile et seux à qui sont destinées les normes à l'élaboration desdites normes. Pour qu'un
s'agissant d'une vérité abso- Etat soit clone qualifi.é de démocratique, il faut et il suffit que ses institutions
~ relativisme appelle l'instau- poli tiques reposent sur le socle du suffrage universel 81 • Tout élément matériel,
•ant: puisque toutes les idées qu'il s'agisse de l'idée de liberté individuelle ou de justice sociale, est à bannir car
absolue, personne ne peut se il risquerait de perturber la clarté de la définition, en raison de l'imprécision de
:e, il n'y a aucune raison qui ces données". Bien plus, à suivre le raisonnement radical de Kelsen - dont
ocratique ou monarchique. l'opinion est toutefois sujette à flottements -, les deux idées de démocratie et de
e la démocratie respecte cette libéralisme sont antagonistes. L'exigence d'une majorité renforcée pour toute
dativisme 72 • De la nécessaire révision constitutionnelle est ainsi contraire à la démocratie qui est identifi.ée au
ois « la récusation impérative
r regne de la majorité simple". Quant aux droits de l'homme, ils constituent une
de la démocratie. Car, selon [ contrainte que la démocratie a bien voulu accepter, par« idéalisme »", mais sur
laquelle elle pourra revenir à tout instant. L'hypothese d'une démocratie tota-
:e qui est vrai et juste, « la
ient d'au moins la majorité de
1 litaire est ainsi laissée ouverte : il suffi.t que la majorité des individus le veuille.
t
t Kelsen l' affirme clairement en 1929 : « Même un Etat ou la puissance étatique sur
: pour le moins surprenante t
[.
ne 75 : parti de la pré misse que
f
i 76. Cf la liste des príncipes sur lesquels est censé déboucher logiquement le relativisme chez
t Radbruch.
f 77. Qu'on relise simplement la finde la citation de Kelsen. Pour quelle raison, en effet, est-ce que le
, Rechrslehre », JW, 1929, p. 1724; droit « devrait » (sic) être « 11tile » à la « majorité des individ11s »? De même, le soi-disant relativisme
Jrie bei H,ms Kelsen, I'" éd., Baden- de Radbruch, te! qu'il le définit en 1934, n'a plus rien d'un relativisme. D'apres lui, « !e relativisme
livre 11n príncipe critiq11e po11r mes11rer le droit positif, et les posllllats, a11xq11els le droit positif est obligé
si id., « Die politischen Parteien im de se confonner » (« Le relativisme ... », APD, !934, p. 107).
& R. THOMA (dir.}, Handb11ch des 78. En ce sens, Cf H. DREIER, op. cit., p. 286,288 note 154; A. SQUELLA, « The Legal Positi-
, p. 214. vism and Democracy in the 20 th Century », ARSP Beiheft, n" 40, 1991, pp. 141-149, spéc. p. 148
(1"' éd.), Arch. f Sozialwiss., vai. 47, conclusion nº 6.
79. R. THOMA, « Der Begriff der modernen Demokratie in seinem Verhaltnis zum Staatsbegriff.
;. Prolegomena zu einer Analyse des demokratischen Staates der Gegenwart », in Ha11ptprobleme der
:N, « Vom Wesen und Wert ... », p. 84. Soziologie. Erinnerrmgsgabefiir Max Weber, t. 2, München, Duncker & Humblot, 1923, p. 42.
Relativitãt des Wertes (...) zwingt gebie- 80. H. KELSEN, Allgemeine Staatslehre, op. cit., p. 321, voir aussi p. 368.
81. R. THOMA, « Der Begriff der moderl)_en Demokratie ... », op. cit., p. 41 ss; id., « Das Reich ais
<t,wer mtr menscbliche Erkenntnis die Demokratie », op. cit., p. 188; G. ANSCHUTZ, Drei leitgedanken ... , p. 22.
, 1mvermeidlichen Zwang kamn anders 82. R. THOMA, « Der Begriff der modernen Demokratie... », p. 41; H. KELSEN, A!lgemeine
'derjenigen, denen die Zwangsordmmg Staatslehre, p. 368.
83. H. KELSEN, « Wesen und Wert der Demokratie », 1920, p. 57 note 8.
ativisme ... »,APD, i934,p.109et ttO. 84. R. THOMA, « Das Reich ... », p. 198, voir aussi p. 193.
122 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la ,1

l'individu recevrait une extension illimitée, c'est-à-dire ot't la "liberté" individuelle les limites d1
serait entierement anéantie et l'idéal libéral intégralement nié, pourrait encare nuent à affirr
constittter une démocratie, pourvu que l'ordre étatique fút créé parles individus qui cratie. La co1
y sont soumis. » 85 formelle du 1
115 Or, au for et à mesure que les dangers qui guettent la République de Weimar se
font jour, Thoma et Kelsen reviennent en partie sur leurs positions. Une certaine 3° Unevisio
ambigu"ité s'insinue dans leurs écrits et se manifeste par l'esquisse d'une matéria-
lisation, quoique timide et incohérente, du concept de démocratie. Thoma insiste 116 Par Rechtssta,
ainsi sur le fait qu'il est logiquement impossible de concevoir des élections vrai- pourautant <
ment démocratiques, sans que les libertés d'expression, d'association, de la positives". S
presse, etc. ne soient garanties"'. Les principes de liberté sont ainsi des conditions réflexion au :
sine qua non d'une démocratie qui les concrétise en même temps"7• Kelsen est visi- deux questio1
blement tiraillé entre deux visions de la démocratie "'. Si, en 1920, il affirme que droits fondar
les droits de l'homme constituem une « exigence essentielle de toute constitution Le rôle et 1
démocratique »"' - propos qu'il omettra dans la réédition de 1929 - il revient à fut l'objet d'i
son point de vue initial en 1933, juste avant la fin tragique de Weimar. 11 déclare parles problc
alors que « le príncipe vital (Lebensprinzip) de toute démocratie implique (. ..) l'article 109,
la liberté de l'esprít, la liberté d'expression, la liberté de religion et de conscience, le même le légi
príncipe de la tolérance et particulierement la liberté de la science » 'º. Auparavant, il injustifiées 01
avait déjà souligné la nécessaire cohabitation de la majorité avec la minorité, sans cer à son égar
toutefois en déduire une quelconque garantie au profit de celle-ci". l 'administra ti
Cette prise en compte d'un élément matériel dans le concept de démocratie à appliquer, 1
reste toutefois prudente et s'arrête à mi-chemin, surtout chez Kelsen. De toute contenu. Dar
façon, elle intervient trop tardivement" pour modifier l' édifice théorique tres faible no
défendu jusque-là parles positivistes. Cela se vérifie à l'étude du statut juridique de Weimar. S
des droits et libertés, dont !e rôle reste sous-évalué, et à l'occasion du débat sur part des posi
I •
neanmo1ns n
fie aux yeux
85. H. KELSEN, ú1 démocratie. Sa nawre, sa vale11r, Paris, Economica, 1988, p. 22. On notera qu'il intrinseque (
s'agit de traduction française de la 2nJ, édition, publiée en 1929, de son opuscule « Vom Wesen und applique ces 1
Wert der Demokratie ». La version de 1929 est en effet largement remaniée, parfois sur des points
cruciaux, par rapport à la I"' édition de 1920. Ainsi, la remarque citée ici ne figure point dans la ver- D'apres eu
sion de 1920. législateur est
86. R. THOMA, « Das Reich ... », 1930 (!), p. 190 et surtout id., « Die juristische Bedeutung ... »,
1932, p. 8.
87. R. THOMA, « Die juristische Bedeutung ... », p. 8.
88. Sur la matérialisation progressive du concept de démocratie chez Kelsen, cf l' étude fondamen- 93. Cf G. RADI
tale de H. DREIER, op. cit., p. 262 ss. § 26 (« Der Rechi
89. H. KELSEN, « Vom Wesen und Wert ... » 1"' éd., 1920, p. 59. positivistes par r
90. H. KELSEN, Staatsfonn rmd Weltanschawmg, 1933, p. 14; cité par H. DREIER, op. cit., p. 267 positives + gara1
note 77. note 190 (Thom.
91. H. KELSEN, Allgemeine Staatslehre, p. 324: « Carla majorité impliq11e déjà dans son príncipe 94. Sur le princÍj
l'existence d'rme minorité et c'est ainsi !e droit de la mt1jorité qrti prés11ppose /e droit à l'existence d'rme 95. Cf le résum
minorité. li n'en déco11le pas q11'1me telle protection de !t1 minorité soit nécessaire, d11 moins elle est pos- Republik », in e;
sible. (Ütrt111s ergibt sich zw,tr nicht die Notwendigkeit, aber doch die Mõglichkeit des Sch11tzes der Mino- 1990, pp. 299-3 l.
ritiit gegen die Majoritãt). En tora cas, il ne fa11t pas confondre te/ q11el, com me il arrive si s011vent, !e prín- 96. L' article 109
cipe majoritaire avec /'idée d'rm po11voir inconditionné de la majorité sur la minorité. » Cf aussi 97. Cette suprér
H. KELSEN, « Vom Wesen und Wert ... », 1"' éd., 1920, p. 83 s. contraire à défen
92. Ainsi Radbruch ne change d'optique qu'en 1934, dans son article consacré au relativisme. Sur autre.
l'évolution de la théorie de Kelsen apres la Seconde Guerre mondiale, cf in/rt1 n" 598 note 43 et 98. G. ANSCH
n· 609 note 98. Polizeigewalt »,
wn néologzsme : le Rechtsstaat I...e défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949} 123

·e 01, la "liberté" individuelle les limites du pouvoir de révision constitutionnelle, ou les positivistes conti-
dement nié, pourrait encare nuent à affirmer jusqu'au bout la these de la validité du suicide légal de la démo-
~ fút créé parles individus qui cratie. La conception formelle de la démocratie débouche ainsi sur une vision
formelle du Rechtsstaat.
la République de Weimar se
leurs positions. Une certaine 3° Une vision légaliste et restrictive du Rechtsstaat
par l'esquisse d'une matéria-
le démocratie. Thoma insiste 116 Par Rechtsstaat, les positivistes entendent, dans un premier sens général - et
concevoir des élections vrai- pour autant qu'ils se servent de ce terme -, un État qui respecte ses propres lois
·ession, d' association, de la positives 93 _ Sur le plan de la théorie du droit, ce principe suscite une vaste
~rté sont ainsi des conditions réflexion au sein de l'école de Vienne"'; sur le plan de la dogmatique juridique,
1ême tem ps 87 • Kelsen est visi- deux questions sont particulierement débattues: il s'agit du régime juridique des
"'. Si, en 1920, il affirme que droits fondamentaux et de la loi de révision constitutionnelle.
sentielle de toute constitution Le rôle et la place des droits et libertés garantis par la Constitution de Weimar
dition de 1929 - il revient à fut l'objet d'un âpre débat entre positivistes et antipositivistes 95 • Il fut déclenché
-agique de Weimar. Il déclare parles problemes d'interprétation que suscitait le principe d'égalité garanti par
!tte démocratie implique (. ..) l'article 109, al. 1, de la Constitution'H,_ S'agit-il d'une véritable norme liant
ie religion et de conscience, le même le législateur, qui par conséquent ne saurait établir des discriminations
e la science » "º. Auparavant, il injustifiées ou déraisonnables ou, au contraire, l'article 109 se limite-t-il à énon-
ajorité avec la minorité, sans cer à son égard une simple d1rective politique à caractere programmatique? Seule
>fi.t de celle-ci "1• l'administration serait alors juridiquement tenue par ce principe qui l'obligerait
.ns le concept de démocratie à appliquer, de façon égale, les lois votées parle parlement, quel qu'en soit le
nout chez Kelsen. De toute contenu. Dans ce débat, les positivistes ont plutôt tendance à n'accorder qu'une
1odifier l' édifice théorique tres faible normativité aux dispositions de la seconde partie de la Constitution
· à l'étude du statut juridique de Weimar. Si celle-ci est certes supérieure au législateur - sur ce point la plu-
et à l'occasion du débat sur part des positivistes sont d'accord avec les antipositivistes 97 - , sa portée est
néanmoins réduite. Cette lecture extrêmement prudente, voire timide, se justi-
fie aux yeux des positivistes par deux raisons qui sont, d'une part, l'ambigu"ité
10mica, 1988, p. 22. On norera qu'il intrinseque de ces dispositions et, d'autre part, l'identité de celui à qui l'on
de son opuscule « Vom Wesen und applique ces normes et qui n'est autre que le législateur élu démocratiquement.
:nr remaniée, parfois sur des poinrs
cirée ici ne figure poinr dans la ver-
D'apres eux, seule une disposition claire qui indique précisément ce à quoi le
législateur est tenu constitue une norme juridique 98 • À l'aune de ce critere tech-
d., « Die jurisrische Bedeurung... ",

! chez Kelsen, cf l'érude fondamen- 93. Cf G. RADBRUCH, Rechtsphilosophie (1932), in Gesamta11sgabe, Heidelberg, Müller, t. 2, 1993,
§ 2~ («_Der Rechtsstaat »), pp. 418-423. II s'agit !à d'un sens large qui est assez peu fréquenr chez les
). posmv1stes par rapporr à un sens plus précis qui renvoie à l' existence d'un juge (Rechtsstaat = !ois
ciré par H. DREIER, op. cit., p. 267 positives + garanries juridictionnelles). Pour ce dernier sens, cf supra note 54 (W. Jellinek) er infra
note 190 (Thoma, Anschütz).
1rité impliq11e déjà dans son príncipe 94. Sur le principe de l'idenr_i_té du droit, de l'État et de l'État de droit chez Kelsen, cf supra n" 100 s.
prés11ppose /e droit à l'existence d'tme 95. Cf le résumé de K. KROGER, « Der Wandel des Grundrechtsverscandnisses in der Weimarer
f soit nécessaire, d11 moins elle est pos· Republik ", in Geschichtliche Rechtswissenschaft. Fre11ndesgabe A. Sõllner, Giessen, Brühlscher Verlag,
iie Mõglichkeit des Sch11tzes der Mino- 1990, pp. 299-312; M. STOLLEIS, Geschichte, t. 3, p. !09 ss.
·el, com me il an-ive si so11ve11t, /e prin- 96. L'arricle 109 ai. 1 dispose que« tollS les Allemands sont éga11x devant la /oi"·
1ajorité sur la minori té. " Cf aussi 97. C~tte,su~rématie est cl~remenr affirmée par Kelsen et Thoma. Quant à Anschütz, il tend au
conrraire a defendre la théone de Laband, selon leque! la constirution n'est qu'une !oi comme une
arricle consacré au relativisme. Sur autre.
10ndiale, cf infr,i n" 598 note 43 er 98. G. ANSCHÜTZ, Die Veifàssung ... , 10' éd., 1929, p. 453 ss; R. THOMA, « Grundrechre und
Polizeigewalr », op. cit., p. 217; R. THOMA, « Die juristische Bedeurung der grundrechtlichen
124 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la déi

nique, ils sont amenés à peser chaque mot, chaque fragment de phrase sur une si l'on admetta
«balance d'or » pour en définir le poids normatif. Or, compte tenu de leur scep- difficulté restei
ticisme à l'égard du discours sur les valeurs, leur constat est tres souvent négatif: quant clairemt
« Vide de sens et superflu (Leerlaufend und überflüssig) » · , tel est le sévere jugement
19 D'aucuns, et er
de Thoma pour nombre de droits fondamentaux. D'apres lui, il s'avere souvent di té de telles li1
difficile, voire impossible, de saisir un quelconque sens normatif dans les droits de la constitut
fondamentaux. Que faut-il, en effet, entendre par un principe aussi vague que le selon la formu
principe d' égalité? La polysémie de ce terme appelle tout logiquement une inter- majorité des d
prétation restrictive de son sens 100 • Les limites épistémologiques de la science l'article 76. Re
juridique l'exigent tout autant que le respect que l'on doit à la compétence déci- n'importe que]
sionnelle du législateur. Toute autre solution serait à la fois arbitraire et antidé- portance 109 • S'i
mocratique, surtout s'il revient à un juge de trancher entre des systemes de constitutionne
valeurs contradictoires. La même conclusion s'impose, a fortiori, lorsque la démocratie, du
Constitution elle-même se contente d'évoquer un principe en précisant aussitôt serait, d'apres
qu'il revient à la loi ordinaire d'en définir le régime juridique. Compte tenu de par sa rigueur,
tous ces éléments, la Constitution de Weimar est, selon les positivistes, davan- Weimar, Kelsei
tage un mode d'organisation de la procédure démocratique, plutôt qu'une garan- contre de la vol,
tie des droits et libertés de l'individu qui trop souvent « ne valent pas grand- a cessé d'être tm
chose » 101 . peuple. » 112 li vc
117 Les passions se décha1nent également sur un autre sujet sensible qu'est la ques- vilege paradoxa
tion du suicide légal de la démocratie. Autrement dit, existe-t-il des limites maté- Bref, pour p
rielles au pouvoir de révision constitutionnelle établi par l'article 76 de la Consti- tie ne supprim,
tution de 1919? 1º2 Sur ce point, le refus de l'école positiviste est catégorique 103 : li n'y a que dei
l'article 76 étant muet sur cette question, que les constituants n'ont d'ailleurs Walter Jellinek
jamais évoquée, ce silence vaut rejet de la théorie défendue par Schmitt'°'. Même

105. R. THOMA.
Satze ... », op. cit., p. 5 ss; H. KELSEN, « !_a garantie juridictionnelle de la constitution (La justice 106. En ce sens : 1
constitutionnelle) », RDP, 1928, p. 241. A titre d'exemple d'une disposition qui soit « tranchée et R. THOMA, «
(scharjkantig) » (Thoma), ils citem l'anicle 139 (garantie du repos dominical), l'anicle 118 ai. 2 sceptique quam à
(« Timte cenmre est interdite»), ou encare l'anicle 109 ai. 2 (égalité des hommes et femmes en matiere l'hypothese d'une
de droits politiques). 107. G. ANSCHl
99. R. THOMA, « Grundrechte und Polizeigewalt », op. cit., p. 196. 108. lbid., p. 405.
1,00. En 1932, Thoma nuance quelque peu sa position initiale qui lui parait désormais trop timorée. 109. lbid., p. 403.
A l'époque ou il integre davantage les droits de l'homme dans la définition de la démocratie, il tente 110. lbid.
de donner une plus grande signification juridique à ces derniers en optam, en cas de dome, pour une 111. R. THOMA.
imerprétation juridique large. Cette conversion neva cependam pas tres loin en raison des prémisses danken der Weima
relativistes qu'il maimiem. Ainsi, il ne change pas de position sur l'article 109 ai. 1. Cf « Die juris- transcendant, mais
tische Bedeutung ... », op. cit., p. 9 ss. releve du domaine
101. R. THOMA, « Die juristische Bedeutung... », p. 25. sables de par notre
102. Sur l'historique de ce débat, Cf les ouvrages fondamemaux de H. EHMKE, Grenzen der Ver- participation consci
Jass1mgsãnder11ng, Berlin, Duncker & Humblot, 1953 et H.U. EVERS, « Art. 79 Abs. 3 » (1982), in l'essence et la valeur
Bormer Kommentar, Zweitbearbeitung, Hamburg, Heitmann, pp. 9-18. Voir aussi C. KLEIN, Théo- ainsi à ]' égard du p
rie et pratique d11 p_q11voir constit11ant, op. cit., chap. V. respectueux d'autr
103. G. ANSCHUTZ, Die Verfassrmg des demschen Reichs, réimpr. de la 14' éd. de 1933, Hamburg, (cf. H. DREIER, u,
Gehlen, 1968, p. 401 ss; R. THOMA, « Die juristische Bedeutung der grundrechtlichen Satze... », 112. H. KELSEN.
p. 38-53; ic!_., • Die Funktionen der Staatsgewalt. Grundbegriffe und Grundsatze », in zmd Sozialism11s, \\
G. ANSCHUTZ & R. THOMA (dir.), Handb11ch des de11tschen Staatsrechts, t. 2, p. 153 s. Thoma 113. H. KELSEN
admet toutefois deux barrieres, de natures tres différemes, au pouvoir de révision: d'une pare, la limite HESEMANN, « I
juridique du droit imernational et, d'autre pare, la limite morale, assez vague, de l'idée de justice. "legale Revolmio1
104. Cf infra n" 124. Regensberg & Bie1
'un néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 125

: fragment de phrase sur une si l'on admettait le principe d'une limitation implicite du pouvoir de révision, la
)r, compte tenu de leur scep- difficulté resterait entiere faute d'un « catalogue des príncipes intangibles » 105 indi-
1stat est tres souvent négatif : quant clairement les éléments constitutifs de ce noyau dur de la constitution.
» '", tel est le sévere jugement
D'aucuns, et en particulier Kelsen, admettent toutefois à titre d'hypothese la vali-
Yapres lui, il s'avere souvent dité de telles limites pourvu qu' eHes soient explicitement consacrées dans le texte
sens normatif dans les droits de la constitution 'º". En revanche, la Constitution de Weimar est entierement
n principe aussi vague que le selon la formule de Anschütz, « à la disposition » 107 du parlement statuant à ]~
! tout logiquement une inter- majorité des deux tiers, conformément aux conditions formelles requises par
istémologiques de la science l'article 76. Revêtu de sa « souveraineté » JO<, il !ui est alors Ioisible de modifier
m doit à la compétence déci- n'importe que! article de la Constitution, quels qu'en soient !e contenu et l'im-
à la fois arbitraire et antidé- portance 109 • S'il !e souhaite, il pourra même ébranler Ies fondements de l'ordre
1cher entre des systemes de constitutionnel tels que les principes du fédéralisme, de la république, de la
npose, a fortiori, lorsque la démocratie, du parlementarisme, voire des droits de l'homme 110 • Dire autre chose
)rincipe en précisant aussitôt serait, d'apres Thoma, méconnaí'tre « l'idée peut-être osée, mais extraordinaire
e juridique. Compte tenu de par sa rigueur, de l 'autonomie démocratique » 111 • Vers la fin de la République de
selon les positivistes, davan- Weimar, Kelsen dira encore : « Une démocratie qui essaie de se maintenir à /'en-
:ratique, plutôt qu'une garan- contre de la volonté de la majorité, qui irait même jusqu 'à user de la force à cette fin,
uvent « ne valent pas grand- a cessé d'être une démocratie. Le gouvernement du peuple ne peut subsister contre le
peuple. » 112 li voit même dans cette capacité de se détruire de façon légale, !e « pri-
vilege paradoxal de la démocratie par rapport à l'autocratie » 113 •
sujet sensible qu'est la ques-
Bref, pour peu que le peuple le veuille, rien ne s'oppose à ce que la démocra-
it, existe-t-il des limites maté-
tie ne supprime d'abord les libertés individuelles avant de se saborder elle-même.
li par l'article 76 de la Consti-
Il n'y a que deux voix parmi les positivistes qui s'opposent à cette vision: c'est
positiviste est catégorique 103 :
Walter Jellinek, qui estime que !e droit de vote pour le Reichstag est une limite
constituants n'ont d'ailleurs
:fendue par Schmitt 'º'. Même

105. R. THOMA, « Die juristische Bedeutung... », p. 41.


,nnelle de la constirution (La justice 106. En ce sens: H. _KELSE~, Allgemeine Scaatflehre, 1925, p. 254 (cf C. KLEIN, op. cit., p. 142 ss)
'une disposition qui soit « tranchée et R. THOMA, « D1e Funknonen ... », p. 153. A un aucre endroit, Thoma se momre rourefois tres
repas dominical), l'article 118 al. 2 sceptique quam à l'utiliré politique de telles clauses d'imangibiliré et il va m&me jusqu'à évoquer
:é des hommes et femmes en matiere l'hyporhese d'une_!Íouble révision (« Die jurisrische Bedeutung... », p. 39 ss).
107. G. ANSCHUTZ, op. cit., p. 401.
108. lbid., p. 405.
'· 196.
ui lui para1t désormais rrop timorée. 109. lbid., p. 403.
1 définition de la démocratie, il tente 110. lbid.
en optam, en cas de doute, pour une 111. R. THOMA, « Das_ Reich ais Demokratie », op. cit., P; 193. Cf G. ANSCHÜTZ, Drei Leitge-
: pas tres loin en raison des prémisses danken der Wezmarer Rezchsverfasszmg, op. cit., p. 31 : « L'Etat est à notre égard un po11voir non pas
sur l'article 109 al. 1. Cf « Die juris- tra~scendant, 1n:iis immanent à qtti nous sommes to11s so11111is, mais a11q11el nous participons tollS, qui
releve du domazne quz nous est le plus propre et pour leque/, no11s tollS, naus devons nous sentir respon-
sable_s _de par notre _dev?ir de citoye~. (.) L 'zmion de toutes les forces du petfple au sein de l'État, une
JX de H. EHMKE, Grenzen der Ver- partzczpatzon consczencze11se de tous a l'Etat, la responsabilité de tous po11r l'Etat, c'est en cela que réside
~VERS, « Art. 79 Abs. 3 » (1982), in l'essence et la valeur, c'est-à-dire l'ethos de la démocratie. » La confiance dom les positivisres rémoignent
ip. 9-18. Voir aussi C. KLEIN, Théo- ainsi à l' égard du peuple repose sur une image idéalisée du citoyen engagé et responsable, rolérant et
respectueux d'autrui. Sur ce dernier aspect, voir la description du homo democratims chez Kelsen
1pr. de la 14' éd. de 1933, Hamburg, (cf H. DREIER, op. cit., p. 271).
mng der grundrechrlichen Satze ... », 112. H. KELSEN, « Verteidigung der Demokratie », 1932, reproduit in H. KELSEN, Demokratie
1dbegriffe und Grundsatze », in und SozialismllS, Wien, 1967, pp. 60-68; cité par H. DREIER, op. cit., p. 269.
m Staatsrechts, t. 2, p. 153 s. Thoma 113. H. KELSEN, Staatsfonn und Weltanschauung, Tübingen, 1933, p. 20; cité par W. MEYER-
1voir de révision : d'une part, la limite ~ESEMANN, '.' Legalirar und Revoluti<:>n. Zur jurisrischen Verklarung der NS Machtergreifung ais
!, assez vague, de l'idée de justice.
legale Revolunon" », zn P. SALJE (dlí.), Recht 11nd Unrecht im Nationalsozialism11s Münster
Regensberg & Bierrnann, 1985, p. 130. ' '
"
,-

126 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la d

implicite intouchable 1", et Gustav Radbruch qui affirme en 1934, lorsqu'il est g1que comm,
déjà trop tard, que « la démocratie pettt faire tout, sauf renoncer définitivement à Autrement d
soi-même » m_ formelle, ou,
créé, appliqu
B. Les antipositivistes ou l'apologie d'une vision éthique du droit, appelle les « ,
de l'État de droit et de la démocratie du « iusnatu;
norme ne ser
118 Le signal de départ de lavaste critique du positivisme est donné en 1921 par clone de l'idé,
Kaufmann dans sa Critique de la philosophie néokantienne du droit 11 '. Soumettant 120 11 va sans din
les postulats épistémologiques de Kelsen à une critique radicale, il prône une tout texte ad,
méthodologie nouvelle qui prenne en compte le substrat éthique du droit. Le définition du
príncipe de l'isolation de la science juridique des autres domaines du savoir tique de vote
humain est ainsi vécu par un nombre croissant de juristes comme un appau- on devrait loi
vrissement du droit et de la science du droit. De l'avis de Kaufmann, Smend, mel de la dé;
Schmitt et Heller, toutes les vraies questions sur le droit et l'État ont été élimi- cette vision e
nées depuis que l'approche de Gerber et Laband s'est imposée dans les universi- mulation par
tés. L'ceuvre de Kelsen qui, à leurs yeux, a poussé jusqu'à l'absurde la logique tant en évide
positiviste, s'attire particulierement les foudres de leurs critiques. Sa théorie ton ironique,
générale de l'État est ainsi dénoncée par Smend comme le « Nullpunkt (point relativisme » '
zéro) », comme le point de déchéance ultime de cette « vaie sans issue » 117 • Au social-démoc1
même titre, Heller <lira du ma1tre de l'école de Vienne qu'il a conçu « une théo- deux volets d1
rie de l'État sans État et une science juridique sans droit » 118 • même médai
l'ceuvre de la
1º L 'esquisse d'une méthodologie juridique plus large plus, elle est .
l' égalité; en e,
119 Le verdict des antipositivistes est sans appel : selon Heller, la « théorie pure du pourrait croir
droit est vide sans la sociologie et aveugle sans la téléologie » 11 '. Des lors, la solution force, elle est
ne peut résider que dans un double mouvement qui aille à la fois « vers le haut et Elle est l'cem
vers le bas » 110 , en rompam l'isolement dans laquelle vit le droit depuis la fin du
XIX' siecle. L' objectif de cette révolution doctrinale est clone de renouer les liens
du droit avec la philosophie et la sociologie: il s'agit autant de mettre en exergue 122. Leur angle
les soubassements éthiques de la coercition, son « sens idéal et étemel » 121 , que souvem que Sme
au comraire, l'a1
d'inscrire le droit dans son contexte social, de le saisir dans sa réalité sociolo- semble néanmoi
aux deux auceU1
aspecrs psycho-s,
insisté sur les élé1
que les idées naz
114. W. JELLINEK, « Das verfassungsandernde Reichsgesetz », in G. ANSCHÜTZ & R. THOMA 123. H. HELU
(dir.), Handbuch des de11tschen Staatsrechts, t. 2, 1932, p. 185; id., Grenzen der Verfasmngsgesetzgebzmg, (1927), in Gesam,
Berlin, 1931, p. 9 ss. Cf H. EHMKE, op. cit., p. 34 note 60. op. cit., p. 139.
115. G. RADBRUCH, « Le relarivisme ... », p. 109. Pour lui, « !e relaiivisme pe11t tolérer chaq11e 124. R. SMENI:
opinio11 excepté l'opinion q11i prétend être absol11e ». in Staats-rechtlid
116. Cf s11pra note 57. veranitat », p. 61
117. R. SMEND, « Verfassung und Verfassungsrecht » (1928), in Staatsrechtliche Abhand!tmgen, 125. H. HELLF
p. 124 (litt. « !e point zéro »). 126. H. HELLE
118. H. HELLER, « Krisis der Staatslehre » (1926), in Gesammelte Schriften, t. 2, p. 24. ten, t. 2, p. 210.
119. Ibid. Cf R. SMEND, « Verfassung ... », op. cit., p. 124. sceprique quam :
120. H. HELLER, op. cit., p. 9. de la loi. Voir id.
121. R. SMEND, op. cit., p. 138. 127. H. HELLf

1
T'
~:

'1m néologisme : !e Rechtsstaat ~. Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 127

i
affirme en 1934, lorsqu'il est gique comme un lien créé et vécu par des hommes à un moment donné 122 •
·auf renoncer définitivement à Autrement dit, le droit se définit par deux criteres. 11 y a tout d'abord la légalité
~ formelle, ou, en d' autres termes, l' élément volitif du droit; le droit est en effet
r créé, appliqué, voire supprimé par les hommes. À quoi s'ajoute ce que Heller
~
vision éthique du droit, ~ appelle les « príncipes fondamentaux du droit (Rechtsgrundsãtze) », ces principes
du « ius natura/e » qui fondent le caractere obligatoire de la loi et sans lesquels la
:mocratie t norme ne serait qu'une pure contrainte, que l'expression de la forcem_ 11 s'agit
[ clone de l'idée substantielle du droit.
risme est donné en 1921 par t·
tienne du droit 116 • Soumettant
Í'
r,,,. 120 11 va sans dire qu'une vision strictement formaliste de la démocratie - est loi
:itique radicale, il prône une tout texte adopté par la majorité - pose probleme à l'égard de cette nouvelle
substrat éthique du droit. Le ,_ définition du droit. Qu'est-ce qui empêcherait, en effet, la majorité démocra-
s autres domaines du savoir if tique de voter une loi contraire aux droits de l'homme? À voir les choses ainsi,
le juristes comme un appau- ti. on devrait logiquement conclure à un antagonisme radical entre le príncipe for-
l'avis de Kaufmann, Smend, mel de la démocratie et l'idée matérielle du Rechtsstaat. Si d'aucuns partagent
! droit et l'État ont été élimi- cette vision dichotomique - à commencer par Schmitt qui en donne une for-
est imposée dans les universi- r i
mulation particulierement tranchée -, Heller s'y oppose au contraire en met-
tant en évidence la dimension éthique de la démocratie. Comme le dit, sur un
~
f jusqu'à l'absurde la logique
le leurs critiques. Sa théorie ton ironique, Smend, « la démocratie (du moins en dehors de Vienne) ne vit pas du
f
comme le « Nullpunkt (point f relativisme » "'. Dans l'esprit de Heller, qui est le seul publiciste ouvertement
:ette « vaie sans issue » " 7• Au social-démocrate et qui s'inspire du rationalisme universaliste des Lumieres, les
~nne qu'il a conçu « une théo- deux volets du demokratischer Rechtsstaat ne constituem que les deux faces d'une
·oit » 118 •
r même médaille qui se joignent dans l'idée du « regne de la loi » 125 • La loi est

~rge
l
f
l'ceuvre de la volonté populaire : en cela elle est démocratique. Mais la loi est
plus, elle est « juste » 126, car elle réalise en droit positif l'idéal de la liberté et de
[ l'égalité; en cela, elle releve de la sphere du Rechtsstaat. Contrairement à ce qu'on
,n Heller, la « théorie pure du
logie » "". Des lors, la solution
l pourrait croire, la loi n'est pas l'expression d'un simple rapport numérique de
force, elle est, comme y insiste Heller, l'expression de la« volonté générale » 117•
ii aille à la fois « vers !e haut et f Elle est l'ceuvre du peuple, d'un peuple qui n'est pas une« masse » inculte, mais
\
le vit le droit depuis la fin du i,.
e est clone de renouer les liens t1 122. Leur angle d'attaque est clone volontairement tres large. Pourtant, de nos jours, on considere
it autant de mettre en exergue
« sens idéal et éternel »
121
, que
ír souvent que Smend privilégie l' optique philosophique (« geisteswissenschafiliche Methode •) et Heller,
r au contraire, l'approche sociologique {« sozialwissenschafiliche Methode »). Une telle classification
saisir dans sa réalité sociolo- semble néanmoins réductrice par rapport à une démarche dialectique ambitieuse qui est commune
aux deux auteurs. D'ailleurs, certains commentateurs insistem, au contraire, sur les nombreux
aspects psycho-sociologiques de la théorie de l'intégration de Smend. Inversement, Heller a toujours
insisté sur les éléments idéalistes desa théorie qui prennent d'ailleurs de l'ampleur au fur et à mesure
que les idées nazies progressent dans la population allemande.
, in G. ANSCHÜTZ & R. THOMA 123. H. HELLER, « Die Souveranitat. Ein Beitrag zur Theorie des Staacs- und Võlkerrechcs »
, Grenzen der Verfass,mgsgesetzgebrmg, (1927), in GesammelteSchrifien, t. 2, p. 68-73. Voir aussi ibid., p. 144 et R. SMEND, « Verfassung ... »,
op. cit., p. 139.
i, « !e relativisme perll tolérer chaque 124. R. SMEND, « Die politische Gewalt im Verfassungsstaat und das Probleme der Staatsform »,
in Staats-recht!iche Abhandl,mgen, p. 93. Voir aussi ibid., p. 87 et 221. Cf H. HELLER, « Die Sou-
veranitat », p. 61.
8), in Staatsrechcliche A bhandlrmgen, 125. H. HELLER, « Rechtsstaat oder Diktatur? », op. cit., p. 446.
126. H. HELLER, « Der Begriff des Gesetzes in der Reichsverfassung » (1928), in Gesammelte Schrif
nelte Schriften, t. 2, p. 24. ten, t. 2, p. 210. Au lendemain de la prise de pouvoir des nazis, Heller se montrera beaucoup plus
sceptique quant à ce lien consubstantiel entre la légalité et la légitimicé, entre la forme et !e comenu
de la !oi. Voir id., « Staatslehre » (1934), in Gesammelte Schriften, t. 3, p. 331.
127. H. HELLER, « Die Souveranitat ... », op. cit., p. 39.
r
128 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la li

le « porteur des valeurs de la civilisation » "'. II est, pour citer le citoyen de Geneve, par sa nature
le « souverain » qui, «parcela seu! qu'il est, est toujours tout ce qu'il doit être » '". Wirklichkeit
Le principe de l'autonomie, si chere aux Lumieres, ne se conçoit en effet qu'à idéaux et ate;
travers le filtre de la Raison. En se gouvernant eux-mêmes, les hommes se sou- sociales vécu
mettent à leur propre loi pourvu qu'elle exclut l'arbitraire et qu'elle soit 11 revient ;
conforme à ce qu'ils estimem être juste no_ tégration en l
121 Smend qui est, avec Schmitt, la figure la plus en vue du mouvement antipositi- teurs d'intég1
viste, procede dans un esprit analogue. L'influence du social-démocrate Heller cette constell
reste marginale au sein du courant néojusnaturaliste qui se situe plutôt à droite, lisation (Kulz
voire, pour certains, à l' extrême droite 131 • La théorie de l' « intégration », élabo- droits et deve
rée par Smend dans son célebre ouvrage Constittttion et droit constittttionnel de d'un consens
1928, a profondément marqué les esprits de son époque et desa postérité. Pro- même temps,
fesseur à la prestigieuse université de Berlin, Smend, qui est activement engagé dans la mesu
dans l'Église protestante, s'inspire de la sociologie développée par Theodor Litt. tive"':« Les,
II est assez distam à l'égard du rationalisme, à son gout trop abstrait, de l'école vit et les réali.
moderne du droit naturel. D'un acces assez difficile, et se prêtant à des inter- Les valeurs n'
prétations fort différentes 132 , son reuvre s'inscrit néanmoins dans la lignée des n'a de réalité
vieilles théories du contrat social à travers les questions qui y sont soulevées. 11 il disparaí'tra.
s'agit d'une vaste interrogation sur ce qui fait l'unité dans la diversité d'une et fonctionne/
société, et sur ce qui garantir la vie et, surtout, la survie d'un État. D'apres organes, proc
Smend, « l'État n'existe que, parce que, et dans la mesure ou, il s'integre continuel- « Kultursyste11

lement, ou il se construit dans et à partir de l'individu » m_ C'est ce processus d'in- les concrétisa1
tégration qui fait la force et la vitalité de l'État : il constitue son « processus vital velle réalité à
(Lebensvorgang) » "'. L'État n'est pas une structure stable et fixe, il est un éternel 122 En résumé, p
processus, un mouvement, une « vie jluide qui se reproduit constamment » 135 • De pas le droit, l'l
la science juri,
terdisant d'êtr

128. H. HELLER, « Ziele und Grenzen einer deutschen Verfassungsreform » ( 1931 ), in Gesammelte
Schriften, t. 2, p. 414-5. Voir aussi id., « Die Souverãnitãt », p. 39 et 107.
129. J.-J. ROUSSEAU, Le contrai social, Liv. I, chap. 7; cité par H. HELLER, « Die Souverãnitat »,
op. cit., p. 39.
130. H. HELLER, « Der Begriff des Gesetzes ... », op. cit., p. 210 ss; id., « Rechtsstaat oder Dikta- 136. R. SMEND
tur? », op. cit., p. 450: « Ein sittlich-vemiinftiges Gesetz herrscbte, indem lebendige Menschen es aufsich 137. Jbid., p. 138
zmd andere anwandten. Sittliche Notwendigkeit wurde in sich selbst bestimmender Freiheit bejaht. » il n'hésite pas à fa
131. On notera ainsi que deux représentants importants du courant antipositiviste de Weimar, à zusammenhãnge ,,
savoir Carl Schmitt et Otto Koellreutter (1883-1972), vont jouer un rôle crucial dans la doctrine juri- vue. En même te
dique du III' Reich. Ce lien de continuité transpara1t aussi à travers les figures de Hans Gerber, sociologique - su
Ernst Rudolf Huber, Edgar Tatarin-Tarnheyden. II faut toutefois se garder d'assimiler te! que! l'an- chez Heller pour
tipositivisme sous Weimar à une attitude antidémocratique. Beaucoup de ses représentants sont ainsi c'est-à-dire lié à u,
restés à l'écart du régime nazi (Cf les cas de Smend et de Kaufmann, qui som marginalisés sous les 138. R. SMEND.
nazis, et de Heller qui meurt en exil en 1933). 139. R. SMEND.
132. Lire les critiques tres séveres qu'elle a suscitées de la part d'auteurs aussi différents que Kelsen 140. Cf R. SME!'
(Cf C.M. HERRERA, 171éorie j11ridiq11e et politiq11e chez H. Kelsen, p. 175 ss) et Kaufmann (Cf son 141. Ibid., p. 139.
avant-propos à ses Gesammelte Scbriften, t. 3, p. XXX ss). Si le premier l'accuse de faire !e lit d'une Smend.
dictature fasciste, !e second !ui reproche d'être en réalité relativiste. 142. Ibid., p. 160.
133. R. SMEND, « Verfassung ... », op. cit., p. 138 : « Der Staat ist m11; weil 11nd insofem er sicb 143. lbid., p. 142-
d111emd integriert, in tmd a11s dem Einzelnen aufbaut. » 144. E. KAUFM1
134. R. SMEND, « Die politische ... », op. cit., p. 91. 145. Ibid., p. 265.
135. Ibid., p. 91 (« ... nicht ein ruhender Bestand oder eine bestehende Beziebzmg, sondem lediglicb 146. Ibid., p. 264
Jliessendes, sich imme,fort emeuemdes Leben ... »). haben ist. »
'tn néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 129

tr citer le citoyen de Geneve, par sa nature, l'État est une « réalité spirituelle et sociale » - une « geistig-soziale
urs tout ce qu'il doit être » '". Wirklichkeit » m - qui releve à la fois de la sphere des idées, de « l'empire dessens
. ne se conçoit en effet qu'à idéaux et atempareis (Reich des ideel-zeitlosen Sinnes) » et de l'ordre des réalités
mêmes, les hommes se sou- sociales vécues parles hommes au quotidien 137 •
1' arbitraire et qu' elle soit li revient à la constitution de fixer le cadre normatif de ce mouvement d'in-
tégration en lui donnant une forme et un contenu. En premier lieu, il y ales fac-
teurs d'intégration matériels, à savoir le « cosmos des valeurs (Wertekosmos) » JJs,
e du mouvement antipositi-
cette constellation de valeurs propres à une société donnée. Ce « systeme de civi-
du social-démocrate Heller
lisation (Kultursystem) » 1" , tel qu'il ressort entre autres de la déclaration des
: qui se situe plutôt à droite,
droits et devoirs fondamentaux de la Constitution de Weimar, fixe le noyau dur
ie de l' « intégration », élabo-
d'un consensus social dans lequel vient s'insérer le débat démocratique 14º. En
m et droit constitutionnel de
même temps, ce consensus ne vit, ne survit à l' antagonisme de la vie sociale que
oque et de sa postérité. Pro-
dans la mesure ou les acteurs politiques intériorisent cette contrainte norma-
:!, qui est activement engagé
tive 141 : « Les valeurs n'ont de vie réelle que grâce à la communauté humaine qui les
éveloppée par Theodor Litt.
vit et les réalise. Mais, inversement, la communauté vit également des valeurs. » 142
5out trop abstrait, de l'école Les valeurs n'ont de réalité qu'à condition d'être vécues parles hommes, l'État
le, et se prêtant à des inter-
n'a de réalité qu'à condition d'être accepté et défendu par ses citoyens sans quoi
éanmoins dans la lignée des
il dispara1tra. D'ou la nécessité, en second lieu, d'une « intégration personnelle
ions qui y sont soulevées. Il
et fonctionnelle » '". Par ce deuxieme mode d'intégration, Smend vise divers
nité dans la diversité d'une
organes, procédures et formes à travers lesquels les hommes s'identifient à ce
a survie d'un État. D'apres
« Kultursystem », lui insuffl.ent une vie. En partageant ces « Wérte (valeurs) », en
mre ou, il s'integre continuel-
les concrétisant, en les aménageant, voire en les modifiant, ils donnent une nou-
,, m_ C'est ce processus d'in-
velle réalité à ce qui n'était jusque-là qu'une simple construction de l'esprit.
onstitue son « processus vital
table et fixe, il est un éternel 122 En résumé, pour reprendre la célebre conclusion de Kaufmann « l'État ne crée

'Jroduit constamment » ,n. De pas !e droit, l'État crée des lois; et l'État et les !ois sont soumis au dr~it » '''. Quant à
la science juridique, elle se doit d'être « au service de valeurs étemelles » 145 en s'in-
terdisant d'être la « putain qui sert à tous et à tout » "".

ungsreform » (1931), in Gesammelte


1 et 107.
H. HELLER, « Die Souveranitat »,

1O ss; id., « Rechtsstaat oder Dikta- 136. R. SMEND, « Verfassung ... », p. 138. Voir surtout pp. 131-138.
indem lebendige Menschen es aufsich 137. lbid., p. 138. L'influence du temps sur les valeurs est assez complexe chez Smend. D'un côté,
5t bestimmender Freiheit bejaht. » il n'hésite pas à faire l'apologie du caractere anhistorique de ces « constellations de sens », de ces « Sinn·
)uram amipositiviste de Weimar, à zusammenhãnge ». On peut penser que sa foi chrétienne n' est pas totalemem étrangere à ce poim de
un rôle crucial dans la doctrine juri- vue_. En _m&me tem~~• il in~iste lourdement - ;1u poim d'&tre accusé de verser dans une approche
travers les figures de Hans Gerber, soc10log1que - sur I evolunon des valeurs au gre du temps. On retrouve d'ailleurs ces deux élémems
is se garder d'assimiler tel que! l'an- chez Heller pour qui le ius natura/e est, en partie, universel et, en partie, « kulturkreisgebunden ,,
1coup de ses représemants som ainsi c'est-à-dire lié à un comexte culturel précis. '
nann, qui som marginalisés sous les 138. R. SMEND, « Verfassung ... », p. 155 note 29.
139. R. SMEND, « Die politische ... », p. 92.
l'auteurs aussi différems que Kelsen 140. Cf R. SMEND, « Verfassung ... », p. 155 ss.
;en, p. 175 ss) et Kaufmann (Cf son 141. lbid., p. 139. C'est ce qu'on appelle parfois la« pensée de l'im111<1nence (lmanenzdenken),, de
premier l'accuse de faire le lit d'une Smend.
ste. 142. lbid., p. 160.
143. lbid., p. 142-160.
iat ist nur, weil 1md insofem er sich

ehende Bezielmng, sondem lediglich


l 144. E. KAUFMANN, « Die Gleichheit », p. 263.
145. lbid., p. 265.
146. lbid., p. 264 : « Die bloss technische Rechtswissenschaft ist eine Hure, die fi,r alie und zu ,d/em zu
haben ist. »
T
130 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat
i
T· Le défi de la e

2º Une dogmatique juridique ressourcée aux valeurs ' naturel 153 - ,


souveraineté
123 La nouvelle dignité que revendique le droit à l'égard des !ois, produites par un
f
l"
compétence
f
[
parlement discrédité en raison du regne des partis, se manifeste sur deux points. t, loisible de rr
II s'agit à chaque fois de questions d'interprétation des dispositions de la Consti- F est en revanc
tution de Weimar, voire de ses silences - cas de :figures ou le recours aux valeurs l'ordre établi
prend un poids décisif. À travers les deux débats sur le statut des droits fonda- voir d'appn
mentaux et sur les limites matérielles au pouvoir de révision, les antipositivistes de façon im1
défendent une vision extensive du principe de la suprématie de la Constitution. de la décisio1
Pour eux, les droits et libertés, et notamment le principe d'égalité consacré par République,
l'article 109 al. 1, constituem non pas de simples directives politiques, mais Enconclu
de véritables normes juridiques liant le législateur 147 • D'une position périphé- en poids et e
rique1 la théorie des droits fondamentaux est ainsi projetée au cceur du droit et lement. Qu'
de l'Etat (de droit) sous l'impact des idées avancées par Smend, Kaufmann et f nque se retrc
Schmitt. Cet intérêt croissant pour les libertés va de pair chez certains 148 , dont de !'importa
Heller 149 et surtout Schmitt m, avec la réactivation du discours du Rechtsstaat garantir effe(
dont on redécouvre les premiers théoriciens du début du XIX' siecle. Heller se 1 ment que l'o
fait particulierement l'avocat d'un « État de droit social (sozialer Rechtsstaat) » 151 ,
en exigeant que l'on ne réduise pas le Rechtsstaat aux droits-libertés classiques, ir
mais qu'on prenne au sérieux l'exigence de justice sociale formulée par les
e
constituants de 1919.
124 L'impact de cette nouvelle conception du droit et de l'État se fait également sen-
tir au niveau de la question névralgique des limites matérielles du pouvoir de 125 Sous la Répt
révision constitutionnelle. Divers auteurs, dont en premier lieu Schmitt, auquel juridictionllt
Le texte mêr
se joignent Carl Bilfinger, Heinrich Triepel, Erwin Jacobi, s'opposent à la
conception traditionnelle selon laquelle le pouvoir de révision établi à l'ar- intervient le
ticle 76 de la Constitution de Weimar est souverain. Selon Schmitt "1, il faut dis- 1925, par lec
tinguer la « Constitution (Verfasstmg) » - qui est la décision fondamentale prise donné que la
par le souverain concernam le mode et le genre de l'unité politique - des « !ois
constitutionnelles (Verfassungsgesetze) », qui en sont la concrétisation technique
en droit positif. Si le pouvoir constituam est souverain, c'est-à-dire libre de« déci- 153. C'est pou1
der » ce qu'il veut - puisqu'il n'est tenu par aucune norme, pas même de droit partage l'hérita1
font les avocats
sionnisme de S,
librement parm
147. E. KAUFMANN, « Die Gleichheit vor dem Gesetz im Sinne des Artikels 109 der Reichsver- 154. Sur ce dél,
fassung » (1926), op. cit., pp. 246-265; R. SMEND, « Das Recht der freien Meinungsausserung » R.THOMA(d
(1928), in Staatsrechtliche Abhandlungen, op. cit., pp. 89-118; cf les références biblio. citées mpra terliche Prüfun,
note 95. NER, « Die Üb,
148. Ainsi qu'on !'a vu Smend et Kaufmann n'emploient guere l'expression de Rechtsstaat. gabe aus Anlass
149. Cf les références citées mpra note 28. pp. 1-62, spéc. r
150. Sur l'histoire du terme de Rechtsst,1at, Cf C. SCHMITT, Verfasmngslehre, § 12, p. 125 ss. Sur le Methodenstreit <1
lien intrinseque entre les libertés fondamentales et !e concept du Rechtsstaat, cf C. SCHMITT, Ver- op. cit., pp. 74-1
fassungslehre, § 12, p. 126 ss et § 14, P.· 157 ss; id., « lnhalt und Bedeumng des zweiten Hauptteils der constitution o,
Reichsverfassung », úz G. ANSCHUTZ & R. THOMA (dir.), Handb11ch des de11tschen Stat1tsrechts, L. JAUME (dir
t. 2, pp. 572-606, spéc. p. 580 ss. M. TROPER,"
151. H. HELLER, « Rechtsstaat oder Diktamr? », op. cit., p. 456. cf aussi id., « Grundrechte und politique. Autou
Grundpflichten » (1924), in Gesammelte Schrifien, t. 2, pp.281-317. S.L. PAULSOl'
152. C. SCHMITT, Verfassrmgslehre (1928), 8' éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1993, § 3, pp. 21- nalité et répons
26, § 11, pp. 101-112. Cf aussi réf. biblio. citées supra note 102. la constitution•·

l
ún néologzsme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 131

itrs naturel 1" - , le pouvoir de révision quant à lui ne saurait prétendre à une telle
souveraineté. II n'est en vérité qu'un simple pouvoir « constitué », doté d'une
rd des !ois, produites par un eompétenee quine saurait logiquement être illimitée. S'il lui est par eonséquent
;e manifeste sur deux points. loisible de modifier eertains points aeeessoires des lois eonstitutionnelles, il lui
les dispositions de la Consti- est en revanehe interdit de toueher à ee qui constitue l'essenee, le noyau dur, de
.res ou le reeours aux valeurs l'ordre établi en 1919, e'est-à-dire à la eonstitution, au sens sehmittien. Son pou-
1r le statut des droits fonda- voir d'appréeiation est clone strietement eneadré par des limites inserires,
révision, les antipositivistes de façon implieite, dans l'article 76, et qui garantissent les éléments eonstitutifs
prématie de la Constitution. de la déeision prise en 1919, à savoir la déeision en faveur de la démoeratie, de la
ineipe d'égalité consaeré par République, de l'État de droit, du parlementarisme et du fédéralisme.
, direetives politiques, mais En eonclusion, on peut dire que, ehez les antipositivistes, la eonstitution gagne
147
• D'une position périphé- en poids et en dignité par rapport à l'élément démoeratique inearné dans le par-
projetée au ereur du droit et lement. Qu'il s'agisse des lois ordinaires ou eonstitutionnelles, le pouvoir poli-
~s par Smend, Kaufmann et tique se retrouve enserré dans un earean juridique de plus en plus étroit en raison
le pair ehez eertains "', dont de l'importanee aeerue des droits fondamentaux. Reste alars à savoir eomment
1 du discours du Rechtsstaat garantir effeetivement eette suprématie de la eonstitution à l'égard d'un parle-
but du XIX" siecle. Heller se ment que l' on dit « assoi.ffé de pouvoir » (Triepel).
,eia! (sozialer Rechtsstaat) » i;i,
.ux droits-libertés classiques, §2. LENOUVELEN]EUINSTITUTIONNEL
ee soeiale formulée par les OU LE DÉBAT SUR LE « HÜTER DER VERFASSUNG »

e l'État se fait également sen-


125 Sous la République de Weimar, le débat esquissé des le XIX' siecle sur le eontrôle
~s matérielles du pouvoir de
juridietionnel de la eonstitutionnalité des lois gagne en ampleur et virulenee 1:tt.
premier lieu Sehmitt, auquel
Le texte même de la Constitution de 1919 est muet sur ee point. Dans ee silenee
;vin Jacobi, s'opposent à la
intervient le jugement de la 5' ehambre eivile du Reichsgericht du 4 novembre
>ir de révision établi à l'ar-
1925, par lequel la plus haute juridietion de l'ordre judieiaire estime qu'« étant
. Selon Sehmitt 1; 1, il faut dis-
donné que la Constitution elle-même ne contient aucune disposition selon laquelle
déeision fondamentale prise
l'unité politique - des « !ois
la conerétisation teehnique
1in, e'est-à-dire libre de« déci- 153. C'esc pourquoi la chéorie de Schmicc se crouve à mi-chemin entre les posicivisces, avec qui il
e norme, pas même de droit partage ]'héricage webérien du décisionnisme, ec les cenancs du droic nacurel. Alors que ceux-ci se
fone les avocacs de valeurs objeccives, que le conscicuanc de 1919 s'esc concencé de recueillir, le déci-
sionnisme de Schmicc consiste à défendre le sysceme de valeurs pour leque! le conscicuanc a opcé
libremenc parmi canc d'aucres.
nne des Artikels 109 der Reichsver- 154. Sur ce débac, cf E. von HIPPEL, « Das richcerliche Prüfungsrechc », in G. ANSCHÜTZ &
hc der freien Meinungsausserung » R. THOMA (dir.), Handb11ch des deutschen Staatsrechts, e. 2, pp. 546-563; H. MAURER, « Das rich-
f. les références biblio. cicées mpra cerliche Prüfyngsrechc zur Zeic der Weimarer Verfassung », DÕV, 1963, pp. 683-688; U. SCHEU-
NER, « Die Uberlieferung der deucschen Scaacsgerichcsbarkeic im 19. und 20. Jahrhundert », in Fest·
l'expression de Rechtsstaat. gabe aus Anlass des 25 jãhrigen Bestehens des B1mdesverfass1mgsgerichts, e. !, Tübingen, Mohr, 1976,
pp. 1-62, spéc. p. 40 ss; H. WENDENBURG, Die Debatte um die Verfammgsgerichtsbarkeit zmd der
'erfassungslehre, § 12, p. 125 ss. Sur le Methodenstreit der Staatslehre in der Weimarer Republik, 1984; C. GUSY, Richterliches Pnifimgsrecht,
u Rechtsstaat, cf C. SCHMITT, Ver- op. cit., pp. 74-119; C.M. HERRERA, op. cit., p. 183 s ec p. 196 ss; P. PASQUINO, « Gardien de la
!deucung des zweicen Haupcceils der conscicucion ou justice conscicucionnelle? Carl Schmicc ec Hans Kelsen », in M. TROPER &
Handb11ch des de11tschen Staatsrechts, L. JAUME (dir.), 1789 et l'invention de la constittttion, Paris, LGDJ-Bruylanc, 1994, pp. 143-152;
M. TROPER, « Kelsen ec le concrôle de conscicutionnalicé », in C.M. HERRERA (dir.), Ledroit, le
f56. cf aussi id., « Grundrechce und politique. Autour de Max Weber, Hans Kelsen et Carl Schmitt, Paris, L'Harmactan, 1995, pp. 157-182;
117. S.L. PAULSON, « Argumencs "concepcuels" de Schmicc à !'encontre du concr8le de conscitucion-
cker & Humbloc, 1993, § 3, pp. 21- nalicé ec réponses de Kelsen. Un aspecc de l'affroncemenc entre Schmicc ec Kelsen sur "]e gardien de
la conscicucion" », in C.M. HERRERA (dir.), Le droit, le politiq11e, op. cit., pp. 243-260.

1
132 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la d1

la prérogative de statuer sur la constitutionnalité d'une !oi du Reich serait retirée aux et fiables » 11•0• •
juges et transférée à un autre organe déterminé, le droit et le devoir du juge d'exami- faire respecter
ner la constitutionnalité des !ois du Reich doivent être reconnus » 155 • Aux yeux des du parlement
juges de Leipzig, le silence vaut clone autorisation du contrôle, du moins en ce ne s' arroge le
qui concerne les lois ordinaires 156. Au premier phénomene de la matérialisation au niveau de 1
du Rechtsstaat vient ainsi s'ajouter un second phénomene qui a trait à sa juridic- de contre-pot
tionnalisation. Ces deux évolutions doivent être distinguées d'un point de vue tutionnelle vc
logique car, si certains protagonistes du courant antipositiviste fone l'apologie du Constitution
juge - on pense surtout à l'hymne élogieux de Kaufmann -, d'autres sont extrê- suspendre la l
mement critiques, ou du moins réservés, comme en témoignent les écrits de de temps per
Schmitt, Heller et Smend. Le camp positiviste est lui aussi divisé : la position signatures po1
I
défendue par Thoma, Anschütz, Jellinek et Radbruch est ainsi diamétralement vers ce mecan
opposée à celle de l'école de Vienne, qui se fait le défenseur du contrôle juridic- de la constitu
tionnel de la constitutionnalité des lois. On assiste ainsi à un brouillage des fron- dont dispose 1
tieres entre les deux camps sur la question du lien entre le droit et le juge. voté par le Rc
On doit, à ce sujet, à Schmitt une critique mordante de cette tendance à vou- le texte à la n-
loir assimiler le Rechtsstaat à l'existence d'un juge. En fin connaisseur de l'histoire Constitu tio n
de ce principe au XIX" siecle et de ses métamorphoses subies depuis Kant jusqu'à « Rechtsstaat ,,
Bahr et Mayer, il fustige les incohérences théoriques d'un tel automatisme : « On un point nod,
cherche le gardien de la constitution du côté de la justice, souvent sans y réjléchir, pour garantir
comme si cela allait de sai,(. ..), et il semble impossible de s'imaginerqu'il puisse yavoir confere le drc
un autre gardien. » 157 Selon lui, la raison en est à chercher dans une conception loi parlement
« erronée » 158 , pour ne pas dire « nazve » 159 , du Rechtsstaat qu'on identifie immé- lois qui ont é1
diatement avec le juge (B). À force de subir l'influence du droit civil et desa pro- président a le
cédure contentieuse, les publicistes seraient dans l'incapacité de concevoir un gar- matérielle, d,
dien du droit autre que le juge. Pourtant, à suivre la pensée de Schmitt et d'autres ministres : à l
auteurs, c'est ailleurs qu'il faut chercher le « gardien de la constitution » (A). loi votée par 1
responsabilité
A. À la recherche d'un « gardien de la constitution » 127 En conséquen
autre que le juge titutionnelle :

160. R. THOM1
1º La fiabilité des mécanismes politiques de protection de la constitution « Richterliches P
161. R. THOM.
126 Le premier argument qu'avancent les détracteurs du contrôle juridictionnel de 162. En vercu de
ceurs inscrits.
constitutionnalité des lois s'appuie sur l'existence de garanties politiques «fortes 163. R. THOM:
ucilise le terme d
toujours référenc
155. RGZ, e. 111, p. 320 (323). Sur la jurisprudence des aucre cours ec cribunaux, Cf les références 164. R. THOM1
cicées par H. MAURER, op. cit. 1929, are. 70, p ..
156. Le Reichsgericht n'a pas écé amené à scacuer sur le cas des !ois de révision conscicucionnelle. Sa Schmitt esc asse:,
décision du 4 novembre 1927 (RGZ, e. 118, pp. 325-330), cicée par O. JOUANJAN (« Révision de il ne s' oppose pa,
la conscicucion et justice conscicucionnelle. La République fédérale d' Allemagne », AI]C, e. X, 1994, conscicucionnelk
p. 234), se contente de réaffirmer !e dogme général de l'aucolimicacion sans en cirer aucune consé- arguam de son e.
quence s'agissanc de l'arcicle 76. présidenc du Reic
157. C. SCHMITT, « Der Hücer der Verfassung », AõR, 1929, p. 164. gerichtspraxis im ,
158. Ibid., p. 173. 165. R. THOM,
159. Ibid., p. 174. p. 321.

l
n néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 133

foi du Reich serait retirée aux et fiables » "'º. Tant qu'il existe des mécanismes démocratiques qui suffisent pour
et le de·voir du juge d'exami- faire respecter la constitution, il n'est pas nécessaire d'ériger les juges en censeurs
reconnus » 155 • Aux yeux des du parlement. Thoma défend ce point de vue en 1922, avant que le Reichsgericht
u contrôle, du moins en ce ne s'arroge le droit de contrôle. Selon lui, la Constitution de Weimar a prévu,
:imene de la matérialisation au niveau de la procédure législative, toute une batterie de filtres, de contrôles et
mene qui a trait à sa juridic- de contre-pouvoirs qui sont tels qu'il est fort improbable qu'une loi inconsti-
;tinguées d'un point de vue tutionnelle voit le jour 11' 1• La premiere garantie se situe dans l' article 72 de la
,ositiviste font l'apologie du Constitution qui confere à un tiers des députés du Reichstag le droit de faire
nann -, d'autres sont extrê- suspendre la promulgation d'une loi pendam une durée de deux mois. Ce laps
~n témoignent les écrits de de temps permettra ainsi à l'opposition de recueillir le nombre nécessaire de
lui aussi divisé : la position signatures pour pouvoir exiger un référendum sur le texte en question 11''. À tra-
eh est ainsi diamétralement vers ce mécanisme, le peuple lui-même se trouve investi de la fonction de gardien
:fenseur du contrôle juridic- de la constitution. La deuxieme garantie réside, selon lui, dans le veto suspensif
insi à un brouillage des fron- dont dispose la représentation des Lá'nder, le Reichsrat, à l'égard d'un texte de loi
ntre le droit et le juge. voté parle Reichstag. Ce dernier ne peut lever ce veto qu'à condition d'adopter
.nte de cette tendance à vou- le texte à la majorité renforcée des deux tiers, conformément à l'article 74 de la
L fin connaisseur de l'histoire Constitution. En troisieme lieu, Thoma mentionne le rôle crucial pour le
« Rechtsstaat » ' que joue le président du Reich élu au suffrage universel. Situé à
11 1
s subies depuis Kant jusqu'à
d'un tel automatisme : « On un point nodal des affaires publiques, il dispose de deux prérogatives essentielles
;tice, souvent sans y réjléchir, pour garantir la suprématie de la constitution "''. D'une part, l'article 73 al. l lui
s'imaginer qu 'il puisse y avo ir confere le droit de déclencher, si bon lui semble, un référendum au sujet d'une
lercher dans une conception loi parlementaire. D'autre part, l'article 70 l'enjoint de ne promulguer que les
isstaat qu'on identifie immé- lois qui ont été élaborées « conformément à la constitution ». Par conséquent, le
ce du droit civil et de sa pro- président ale droit et l'obligation de vérifier la constitutionnalité, formelle et
capacité de concevoir un gar- matérielle, des lois. Enfin, Thoma et Anschütz citem la responsabilité des
pensée de Schmitt et d'autres ministres : à plusieurs reprises, des ministres ont ainsi refusé de soumettre une
de la constitution » (A). loi votée par les parlementaires à la signature du président, par peur de voir leur
responsabilité engagée pour une loi qu'ils estimem être inconstitutionnelle 16'.
la constittttion » 127 En conséquence, il apparaí't peu probable aux yeux de Thoma qu'une loi incons-
titutionnelle puisse échapper à la vigilance de tant d'acteurs. Qui plus est, ces

160. R. THOMA, « Das richcerliche Prüfungsrecht », AõR, 1922, p. 275. Adde G. RADBRUCH,
ction de la constitution « Richterliches Prüfungsrechc? » (1925), in Gesamtattsgabe, t. 13, Heidelberg, Müller, 1993, p. 126.
161. R. THOMA, op. cit., p. 279 ss.
lu contrôle juridictionnel de 162. En vereu de l'areicle 73 ai. 2, l'initiative populaire nécessite la signature d'un vingtieme des élec-
teurs inscrits.
le garanties politiques «fortes 163. R. THOMA, op. cit., p. 278. Cet excrait consticue le seu! cas, à nos connaissances, ou Thoma
utilise le cerme de Rechtsstaat au bénéfice d'un organe politique. Par la suite, !e mot Rechtsstaat fera
toujours référence à un contrôle juridictionnel. Cf infra note 190.
ours ec cribunaux, Cf les références 164. R. THOMA, op. cit., p. 278. Cf G. ANSCHÜTZ, Die Verfasszmg des Deutschen Reichs, 10' éd.,
1929, are. 70, p. 320; C. SCHMITT, « Der Hüter der Verfassung », op. cit., p. 233. La position de
ois de révision consticutionnelle. Sa Schmitt est assez complexe. S'il est extrêmement critique à l'égard du parlementarisme de Weimar,
par O. JOUANJAN (« Révision de il ne s'oppose pas moins à l'inscauracion d'un contrôle de constitutionnalité sous forme d'une cour
-ale d' Allemagne », AIJC, e. X, 1994, consticutionnelle. II est vrai qu'il accepte le contrôle diffus exercé par les cribunaux ordinaires en
nitation sans en tirer aucune consé- arguam de son caractere policiquemem inoffensif. Pour lui, !e vrai gardien de la constitution est !e
président du Reich. Cf C. SCHMITT, « Das Reichsgericht ais Hüter der Verfassung », in Die Reichs-
p. 164. gerichtspraxis im deutschen Rechtsleben, t. 1, Berl\!1, De Gruycer, 1929, pp. 154-178.
165. R. THOMA, op. cit., p. 279; G. ANSCHUTZ, Die Reichsve,fassung ... , op. cit., 10' éd., are. 70,
p. 321.
r
1
134 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat ' Le défi de la d,

instances politiques jouissent d'une légitimité démocratique, contrairement aux ment en disa1
juges 1••. Car e' est bien la légitimité du monde politique qui est en jeu, ainsi que « victoire de
le prouve l'analyse éclairante de Thoma. Le silence gardé par la Constitution de hommes polit1
Weimar au sujet du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois consti-
tue, selon lui, une véritable lacune. Face à ce silence, la« logique » ne s' avere d' au- 2° Lemanqu,
cune aide puisque - contrairement à ce que soutiennent certains - on ne peut \

en déduire ni une réponse négative ni une réponse positive 167 • Cette lacune ne 128 A vrai dire, l'
peut être comblée que par un acte de « volonté », plus précisément la volonté de retourner con
!'interprete qui jugera de la nécessité et du bien-fondé d'un tel contrôle 168 • Ce fai- on n'est pas e
sant il apprécie, de maniere forcément subjective, la capacité des acteurs démo- juges. Au cret
cratiques et, en particulier, des partis politiques à se montrer respectueux des vaux de l'écol
príncipes constitutionnels. 1e juge, puisque c'est bien lui qui est amené à inter- des juristes. S
préter ce silence, doit par conséquent s'interroger sur sa propre « confiance dans constitution s
la loyauté du nouvel organisme étatique » "''. C'est là que se situe, d'apres Thoma, sentiel du cor
la clé du débat. Or, si Thoma, Anschütz, Radbruch et d'autres, s'opposent au choses sont b,
nom de leurs convictions démocratiques à l'émergence d'un contrôle juridic- le terrain rasst
tionnel, ils seront contredits par un nombre croissant de juristes et surtout par des droits de 1
les juges eux-mêmes. Avec dépit et sur un ton désabusé, Radbruch doit consta- dera pas, et à
ter le peu de confiance qu'inspire la démocratie à une doctrine qui, sous la Thoma, « la j1
monarchie, refusait encore un tel droit de contrôle aux juges 170 • Ce subit revire- pour une part ,
ment de la doctrine et de la jurisprudence, sur fond d'une hostilité croissante à subjectivité des
l' égard du parlementarisme et des partis 171 , est vécu par nombre de démocrates d' égalité relev,
comme un affront contre la République de Weimar. Thoma résume ce senti- ment textuel t
rant à des élén
166. Voir sur cette différence de légitimité, C. SCHMITT, « Der Hüter... », op. cit., p. 234. tence du législ
167. R. THOMA, op. cit., p. 272. Nombre d'auteurs estiment en effet que le silence du texte consti- différentes cor
tutionnel équivaut logiquement à une réponse précise de la part du droit positif. Or, curieusement, tique », on assi
ils som en désaccord total sur le comenu de cette réponse: pour les uns, il s'agit d'une autorisation
implicite du contrôle (C/ Kelsen, la décision du Reichsgericht et les réf. biblio. citées par H. MAU-
RER, op. cit., p. 684 note 25), pour les autres, il s'agit d'une négation implicite (C/ les réf. citées par
H. MAURER, op. cit., p. 685 note 26 et mpra n-· 88 la théorie de G. Jellinek). En réalité, le silence de
cette norme suprême de droit positif qu' est la constitution - on fait abstraction ici du droit interna- d'accéder à l'univ,
tional - ne prend sens qu'à la lumiere d'une norme métajuridique que ces auteurs présupposem sans condamnerait aim
le dire. Ce n'est qu'au vu du cercle herméneutique dans leque! se situe celui qui imerroge les silences 172. R. THOMA
du droit positif, que ces silences - qui sont en sai muets - deviennent éloquents. Kelsen postule ainsi 173. G. ANSCHl
l'existence d'une norme métapositive qui impose l'existence d'un contrôle juridictionnel sauf déro- 174. G. RADBRL
gation explicite du droit positif (silence = obligation de comrôle; cJ.
nos explications infra n" 131 s). 175. Ibid.
Pour le deuxieme groupe au contraire, il faut partir de l'idée que le comrôle juridictionnel est, en prín- 176. R. THOMA
cipe, imerdit à moins que le pouvoir constituam ne l'ait autorisé de façon explicite (silence = imer- im de11tschen Rech,
diction). Chez Thoma, enfin, le silence équivaut à un choix discrétionnaire de !'interprete qui est seu- Gruyter, p. 198. TI
lement obligé de suivre une certaine démarche imellectuelle. II doit, en effet, se demander si les positif, défendu n,
garanties politiques existames som suffisammem efficaces ou non. Selon la conclusion de cette éva- Staatslehre, réimpr
luation empirique, le contrôle juridictionnel sera soit admis soit refusé (silence = choix conditionné). 177. R. THOMA
168. Ibid. Pour lui il s'agit d'un « vrai probleme [i.e. une vraie lacune1 quine pertl être réso/11 q11e grâce sung », op. cit., p.
à 11ne év,d11ation s11bjective des divers intérêts, a11trement dit par la volonté et non pas p,,r /a logique ». juges prennent de,
169. Ibid., p. 286; cf. G. ANSCHÜTZ, Die Verfassrmg ... , op. cit., 10' éd., art. 109, p. 466; G. RAD- lance ha11tement po
BRUCH, op. cit., p. 124. justifie par conséq,
170. G. RADBRUCH, op. cit., p. 124. 178. C. SCHMIT
171. Sur cette hostilité, cJ. C. SCHMITT, Die geistesgeschichtliche Lage des he11tigen Parlamentarism11s insiste le plus sur 1
(1926), 8' éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1996; H. TRIEPEL, Die Staatsverfassrmg rmd die politi- premiers ouvrages 1
schen R.rteien, 1928. Sur ce dernier, cf C.M. HERRERA, 7béorie j11ridiq11e et politiq11e... , p. 87. Ces II y mettait en ex<'
deux textes reprennem la thématique hégelienne, sclon laquelle la société civile serait incapable mitãt gegen Legalit.
m néologÚme: le Rechtsstaat
r
r
Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 135

cratique, contrairement aux ment en disant que la décision du Reichsgericht du 4 novembre 1925 marque la
que qui est en jeu, ainsi que « victoire de la méfiance des juristes vis-à-vis de la loyauté constitutionnelle des
;ardé par la Constitution de hommes politiques élus (y compris le président du Reich) » 172 •
ttutionnalité des lois consti-
la « logique » ne s' avere d' au- 2º Le manque de confiance dans les juges
ment certains - on ne peut
positive 167 • Cette lacune ne 128 À vrai dire, l'arme de la méfiance est à double tranchant et se laisse facilement
1s précisément la volonté de retourner contre les juges. Ainsi, Anschütz s'interroge sur le point de savoir si
f d'un tel contrôle "'8 • Ce fai- on n'est pas en train de remplacer « l'absolutisme » 173 du législateur par celui des
L capacité des acteurs démo- juges. Au creur du débat se situe le pouvoir créateur du juge qui, depuis les tra-
se montrer respectueux des vaux de l'école du droit libre (Freirechtsschule), attire de plus en plus l'attention
~n lui qui est amené à inter- des juristes. Selon Radbruch, les cas de violation flagrante et évidente de la
lf sa propre « confiance dans constitution sont peu probables vu la complexité de la machine législative. L'es-
1ue se situe, d'apres Thoma, sentiel du contrôle, si contrôle il y a, portera clone sur des cas limites ou les
h et d'autres, s'opposent au choses sont beaucou p moins tranchées 174 • Au fur et à mesure que le juge quitte
;ence d'un contrôle juridic- le terrain rassurant de l'évidence et s'avance vers les « frontieres évanescentes » 175
.nt de juristes et surtout par des droits de l'homme, il s'expose aux critiques du monde politique quine tar-
msé, Radbruch doit consta- dera pas, et à juste titre, à dénoncer chacun de ses faux pas. Comme le dit
i. une doctrine qui, sous la Thoma, « la jurispmdence n'est qu'en partie une déduction purement rationnelle;
aux juges 170 • Ce subit revire- pour une part considérable, elle est un jugement de valeur irrationnel qui reflete la
[ d'une hostilité croissante à subjectivité des juges » 176 • Dire, par exemple, qu'une loi est contraire au principe
1 par nombre de démocrates d'égalité releve d'un exercice d'interprétation fort délicat pour lequel le fonde-
ar. Thoma résume ce senti- ment textuel de l'article 109 al. 1 ne constitue qu'un mince renfort. En recou-
rant à des éléments métajuridiques, à des valeurs, le juge empiete sur la compé-
r Hüter... », op. cit., p. 234.
tence du législateur démocratique à qui il revient justement de choisir parmi les
1 effet que le silence du texre consti- différentes conceptions de la justicem_ Au lieu d'une « juridicisation du poli-
du droit positif. Or, curieusemem, tique », on assistera alars à une « politisation de la justice » 178 •
· les uns, il s'agit d'une autorisation
les réf. biblio. citées par H. MAU-
rion implicite (Cf les réf. cirées par
G. Jellinek). En réalité, le silence de
fair absuaction ici du droit interna- d'accéder à l'universel, et à l'intérêt général à rravers ses associations. L'arrivée au pouvoir des partis
e que ces auteurs présupposent sans condamnerait ainsi l'Etat à la more.
situe celui qui interroge les silences 172. R. THOMA,_ « Die juristische Bedeutung... », op. cit., p. 41.
rnent éloquents. Kelsen postule ainsi 173. G. ANSCHUTZ, Die Verfassrmg ... , op. cit., 10' éd., p. 466.
n contrôle juridictionnel sauf déro- 174. G. RADBRUCH, « Richrerliches Prüfungsrecht? », op. cit., p. 126.
i; cf nos explications infra n" 131 s). 175. Ibid.
i contrôle juridictionnel est, en prin- 176. R. THOMA, « Die Staatsgerichtsbarkeit des Deurschen Reiches », in Die Reichsgerichtspraxis
; de façon explicite (silence = inter- im deutschen Rechtsleben, Festgabe zum 50 jãhrigen Bestehen des Reichgerichts, t. 1, 1929, Berlin, De
frionnaire de !'interprete qui est seu- Gruyter, p. 198. Thoma a ainsi abandonné le dogme positiviste de la complétude de l'ordre juridique
! doit, en effet, se demander si les positif, défendu notamment par Bergbohm, Laband, Anschütz, etc. (Cf G. JELLINEK, Allgemeine
in. Selon la conclusion de cette éva- Staatslehre, réimpr. de la 3' éd. de 1928, op. cit., p. 356 s).
efusé (silence = choix conditionné). 177. R. THOMA, op. cit., p. 198 ss. Cf C. SCHMITT, « Das Reichsgericht ais Hüter der Verfas-
une1 q11i ne pe11t être réso/11 que grâce sung », op. cit., p. 163. En imerprétant des dispositions aussi vagues que les droits de l'homme, les
i volonté et non pas p,,r la logiq11e ». juges prennent des décisions politiques. Pour C. Schmitt, une Cour constitutionnelle est une « ins-
., 10' éd., art. 109, p. 466; G. RAD- tance hautement politiq11e avec des prérogatives législatives » (« Hüter der Verfassung », p. 236) ce qui
justifie par conséquent qu'on y nomme des juges de plus en plus polirisés.
178. C. SCHMITT, « Der Hüter der Verfassung ... », op. cit., p. 173. Schmitt est l'un de ceux qui
~ Lage des heutigen Parlamentarismus insiste le plus sur le pouvoir d'interprétation du juge, auquel il avait d'ailleurs consacré l'un de ses
. , Die Staatsverfassrmg tmd die politi- premiers ouvrages ( Gesetz rmd Urteil. Eine Untersuchung 211m Problem der Rechtspraxis, Berlin, 1912) .
·ie j11ridiq11e et politiq11e... , p. 87. Ces II y mettait en exergue l'élément décisionnisre de !'acre de jugement. Cf H. HOFMANN, Legiti-
lle la sociéré civile serait incapable mitãt gegen Legalitãt, op. cit., p. 32 ss.
1
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!

l
136 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la d

129 Le risque est alors de voir s'installer, au sein de la démocratie, une « aristocratie de contrôler ]
de la haute magistrature », si ce n'est une « gérontocratie » '". Les données socio- l'État de droi1
logiques et politiques sur la justice prennent ici tout leur poids. Sous la Répu- États-Unis '".
blique de Weimar, la justice voit sa réputation de neutralité et d'objectivité mise Tous ces é],
en cause. Walter Jellinek rappelle ainsi que les juges ne sont quedes hommes, et ~es iunstes qt
que les hommes sont, par nature, faillibles. Or, si le Reichsgericht (Tribunal de Juges peuvenr
l'Empire) peut autant se tromper que le Reichsgesetzgeber (Législateur de l'Empire), une telle déri,
il ne suffit pas d'arguer des dérapages du second pour justifier aussitôt la compé- gardiens? L'ir
tence de contrôle du premier "º. Pour sa part, J ellinek refuse à remettre le sort de tiques du co 1
la constitution entre les mains des juges. Sa mise en garde prends un relief parti- jusqu'au bour
culier eu égard à la grave crise de légitimité que traverse la magistrature. Son celui-là devrai1
impartialité se trouve battue en breche par les données chiffrées du statisticien qui est parfait
Emil Gumbel, qui a fourni la preuve scientifique au lieu commun que la justice critiquable en
était « aveugle sur son rei! droit » '". Ainsi, lorsqu' il s' est agi de réprimer les crimes constitutionn,
de trahison commis par des groupuscules d'extrême-droite, la justice a fait privé, comme
preuve d'une indulgence sans commune mesure avec la sévérité dont elle a usé à est assuré par
l'égard des conspirateurs d'extrême gauche. Radbruch, qui fut ministre social- de contrainte,
démocrate de la Justice, est tout à fait conscient de ce manque de confiance de la s' agit de faire r
population dans la justice"'. D' apres !ui, la justice est perçue comme un « corps dépend en de.
hérité de l'Obrigkeitsstaat et étranger à la démocratie » '''. En 1919, le gouverne- suprême. L'in;
ment social-démocrate s'était en effet abstenu de toute mesure d'épuration du elle, ne peut q1
corps des magistrats, qu'il a repris te! quel de l'ancienne monarchie wilhel- autant la faire ,
mienne '". Ces magistrats ont gardé un esprit plutôt conservateur et rechignent Pointés du,
à s'ouvrir au Zeitgeist, à l'esprit des nouvelles institutions républicaines. Les contrent poun
juristes de gauche ne tarderont pas à dénoncer ce qu'ils considerem être une «jus- plus en plus su
tice des classes ». Pour Heller, une justice composée quasi exclusivement
de membres issus des classes dominantes, sera tentée d'abuser desa prérogative

179. R. THOMA, • Die Staatsgerichtsbarkeit. .. », op. cit., p. 200; cf. C. SCHMITT, « Der Hüter
der Verfassung », op. cit., p. 236. .. 185. H. HELLER.
180. W. JELLINEK, « Das Marchen van der Uberprüfung verfassungswidriger Reichsgesetze durch se réfere également
das Reichsgericht », JW, 1925, p. 455. On paurrait tourefois envisager l'hyporhese, selan laquelle la XX' siecle.
probabilité d'une vialatian du droit est plus élevée dans le cas d'un argane palitique que dans celui 186. Cf l'imervent
d'un argane juridictiannel. Or, il ne s'agit là que d'une hypothese, que d'ailleurs Jellinek n'évaque richrsbarkeit ", vi:
paint et qui re.~te à démantrer empiriquement. begriffe und Grun
181. Cf I. MULLER, Frtrchtbare]uristen, op. cit., p. 19-23; M. WALTHER, « Hat der juristische Staatsrechts, t. 2, p.
Pasitivismus die deutschen Juristen im Dritten Reich wehrlas gemacht? », in R. DREIER & W. SEL- 187. R. SMEND, 1
LERT {dir.), Recht und ]ustiz im Dritten Reich, Frankfurt, Suhrkamp, 1989, p. 328; M. ZIMMER- lebre, in Gesamme/;
MANN, « Blind in the Right Eye: Weimar as a Tese Case», Is,: L.R., vai. 32, 1998, pp. 395-406. 188. H. HELLER.
182. G. RADBRUCH, « Richterliches Prüfungsrecht? », op. cit., p. 127. L'auteur se retrouve du dans le processus d
caup devam un dilemme inextricable, caril dait recannaitre en même temps que le parlement n'est Smend à la questio
pas nan plus toujaurs digne de canfiance. A qui faut-il alars faire canfiance? canfuse et évasive (1
183. L'expressian de Radbruch, est cirée par H. HATTENHAUER, « Wandlungen des Richterleit- nale aux juges ce q,
bildes_im 19. und 20. Jahrhundert », in R. DREIER & W. SELLERT (dir.), op. cit., p. 16. sible. II apparrient ;
184. A l'appasé, an se sauvient que le législateur de la III' République avait pris sain de suspendre, valeurs canstitutiar
par la lai du 30 aaíh 1883 (are. 11), le príncipe de l'inamavibilité des juges pendam un délai de trais l'immanence des va
mais, durant leque! le gauvernemem pauvait révaquer tous les magistrats cansidérés camme étant amhropalagique de
trop mêlés au régime de Napaléan III. Cf J .-P. ROYER, Histoire de la justice en France, 2' éd., Paris, République de Wei,
PUF, 1996, p. 600 ss. recht!iche A bhandl11,

1
/'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 137

démocratie, une « aristocratie de contrôler la constitutionnalité des lois pour s'opposer à la transformation de
cratie » 17·,. Les données socio- l'État de droit libéral en un État de droit social, à l'instar de ce qui s'est passé aux
mt leur poids. Sous la Répu- États-Unis 185 •
eutralité et d'objectivité mise Tous ces éléments ne sont pas de nature à inspirer confiance en la justice chez
s ne sont que des hommes, et ces juristes qui s'interrogent sur les risques d'un gouvernement des juges. Si les
i le Reichsgericht (Tribunal de juges peuvent se tromper, et se trompent réellement, que peut-on faire contre
geber (Législateur de l 'Empire), une telle dérive? « Quis custodiet ipsos custodes? » Qui nous garde de nos propres
ur justifier aussitôt la compé- gardiens? L'interrogation revient, à plusieurs reprises, dans la bouche des cri-
ek refuse à remettre le sort de tiques du contrôle juridictionnel '"". À suivre la logique de Bahr et Mayer
1 garde prends un relief parti- jusqu'au bout, il faudrait un deuxieme gardien pour surveiller le premier. Or,
traverse la magistrature. Son celui-là devrait à son tour être soumis à un troisieme gardien, et ainsi de suite, ce
mées chiffrées du statisticien qui est parfaitement absurde. La théorie de l'identification du droit au juge est
u lieu commun que la justice critiquable en ce qp'elle ne tient nullement compte de la spécificité du droit
'est agi de réprimer les crimes constitutionnel. L'Etat ne doit guere être confondu avec les associations de droit
rême-droite, la justice a fait privé, comme y insiste Smend : tandis que, le fonctionnement légal de celles-ci
ec la sévérité dont elle a usé à est assuré par un~ tierce personne qu'est l'Etat, lequel peut user de son pouvoir
ruch, qui fut ministre social- de contrainte, l'Etat quant à lui ne peut compter que sur lui-même lorsqu'il
ce manque de confiance de la s'agit de faire respecter sa constitution. Le maintien de l'ordre constitutionnel ne
est perçue comme un « corps dépend en dernier lieu que de la « bonne volonté » 187 de l'instance étatique
ie » 18 '. En 1919, le gouverne- suprême. L'instauration d'une justice constitutionnelle, aussi sophistiquée soit-
toute mesure d'épuration du elle, ne peut que déplacer cette lacune absolue du droit constitutionnel sans pour
'ancienne monarchie wilhel- autant la faire dispara'itre 188 •
:>t conservateur et rechignent Pointés du doigt, les faiblesses du discours de légitimation des juges ne ren-
Lstitutions républicaines. Les contrent pourtant qu'un faible écho dans l'auditoire des acteurs juridiques, de
L'ils considerem être une «jus- plus en plus subjugués par les arguments adverses.
1posée quasi exclusivement
:ée d'abuser desa prérogative

WO; cf C. SCHMITT, « Der Hücer


185. H. HELLER, « Rechtsstaat oder Diktatur? », op. cit., p. 450; G. RAD~RUCH, op. cit., p. 125
assungswidriger Reichsgesecze durch se réfere également à la jurisprudence antisociale de la Cour Suprême des Etats-Unis au début du
visager l'hypochese, selon laquelle la XX' siecle.
:l'un organe policique que dans celui 186. Cf l'intervention de W. JELLINEK lors du débat sur « Wesen und Encwicklung der Staacsge-
1ese, que d'ailleurs Jellinek n'évoque richtsbarkeit », WDStRL, 1929, p. 96; cf R. :fHOMA, « Die Funkcionen der Scaacsgewalt. Grund-
begriffe und Grundsatze ", in G. ANSCHUTZ & R. THOMA (dir.), Handbuch des Deutschen
1. WALTHER, « Hac der juriscische Staatsrechts, t. 2, p. 143; H. HELLER, Staatslehre (1934), in Gesammelte Schriften, t. 3, p. 373 et 383.
~machc? », in R. DREIER & W. SEL- 187. R. SMEND, Verfassung und Verfasszmgsrecht, p. 240 et surtouc p. 197; Cf H. HELLER, Staats-
rkamp, 1989, p. 328; M. ZIMMER- lehre, in Gesammelte Schriften, t. 3, p. 384.
/si: L.R., vol. 32, 1998, pp. 395-406. 188. H. HELLER, Staatslehre, p. 383. Pour Smend, la justice ne peut jouer qu'un « rôle périphérique"
cit., p. 127. L'auceur se recrouve du dans le processus d'intégration (vérfasszmg zmd Verfassungsrecht, p. 210 et p. 207 ss). La réponse de
même cemps que le parlemenc n'esc Smend à la question d'un concrôle juridiccionnel de constitutionnalité des !ois est extrêmement
re confiance? confuse et évasive (p. 255 ss). À vrai dire, la théorie de l'intégracion ne concede qu'une place margi-
UER, « Wandlungen des Richcerleit- nale aux juges ce qui explique pourquoi le débat sur le « richterliches Priifungsrecht ,, le laisse insen-
l.ERT (dir.), op. cit., p. 16. sible. II appartient aux ciroyens, ec plus particulieremenc aux acteurs politiques, de donner vie aux
,ublique avait pris soin de suspendre, valeurs constitutionnelles, sans qu'il soit question d'un juge (cf p. 240 et ses développements sur
:é des juges pendam un délai de crois l'immanence des valel.Jrs, p. 170, 197, 477, 484 s). C'est !e citoyen, !e Bzirger, qui est !e fondement
; magistrats considérés comme étant anchropologique de l'Etat ainsi esquissé, ec c'est de son attitude que dépendra la vie ou la more de la
rede la justice en France, 2' éd., Paris, République de Weimar (cf id., « Bürger und Bourgeois im deutschen Staacsrecht "(1933), in Staats·
recht!iche Abhandlungen, p. 309 ss).
138 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la dén

B. L'apologie du juge au titre du Rechtsstaat effet, des auteu1


fier aux aléas d,
130 Sous la République de Weimar, les constitutionnalistes s'appropriem à nouveau pas dans leurs é,
le discours du Rechtsstaat dont ils se servem surtout pour désigner, revendiquer Bahr " 5 n'y est 1
et légitimer l'instauration d'une justice constitutionnelle "". 11 n'est pas rare alors
d'entendre dire que le Rechsstaat n'est achevé qu'une fois que le comrôle de 1º L 'imbricati,
constitutionnalité des lois, qui en est le « couronnement » '"°, sera admis. L'iden-
tification du juge et du droit, véhiculée par la science du droit administratif 131 Évoquant la qu
depuis Bahr et Mayer, joue comme un automatisme. Le message est clair : il n'y Ernst von Hip
a de droit que là ou il y une comraime, ou il y a un juge '"'. Le message est si clair existe des limit,
que certains auteurs s'en tiennent à invoquer « l'esprit du Rechtsstaat », sans plus clut clone pas d
de précisions, pour se convaincre soi-même et les autres de la nécessité d'un tel Hippel som loi
contrôle '"'. Face à cela, Schmitt s'évertue à dire que « le mot de Rechtsstaat à lui contraire, preu
tout seu! ne préjuge de rien en ce qui concerne [cette] question », puisqu'il a été asso- qui concerne lt
cié, au cours de son histoire, à diverses institutions politiques et pas seulemem à contrôle de co1
la fonction du juge 193 • Schmitt en conclut qu'il vaudrait mieux se passer d'un logie des dépur
terme aussi ambigu et se focaliser sur des questions plus concretes '"'. 11 y a, en dans la réalité e
cation du droit,
189. Ce rôle du discours du Rechtsstaat est mis en exergue et critiqué par C. SCHMITT, "Der Hüter lateur n'a pas e
der Verfassung », p. 173 ss. Cf aussi H. MAURER, op. cit., p. 685. organe » pourr;
190. H. STOLL, « Rechtsstaatsidee und Privatrechtslehre », Iheringsjahrbticher, t. 76, 1926, p. 201 Quant au rô
(« Das volle richterliche Prrifimgsrecht krõnt erst den Rechtsstaat »); cité par H. MAURER, op. cit.,
p. 685 note 37. Cf aussi E MORSTEIN MARX, ½iriationen tiberdie richterliche Zustãndigkeit z11r en une seule ph
Priifimg der Rechtsmãssigkeit des Gesetzes, Berlin, 1927, p. 152 qui parle de • l'accomplissement dtt réduit à néam t
Rechtsstaat ». Cet usage du terme de Rechtsstaat est récurrent. Cf, par ex., H. TRIEPEL, • Wesen und va de même po
Emwicklung der Staatsgerichtsbarkeit », WDStRL, 1929, p. 7, 12, 14, 21, 22, 27, 28 et l'usage du
terme dans le débat qui s'ensuivit; C. SCHMITT, Verfasszmgslehre, p. 133 et surtout p. 136 sou il un contrôle ju;
cite les propos de H. Preuss lors des débats de l'Assemblée constituame de 1919; G. LEIBHOLZ, tie directe, sur
« Les tendances actuelles ... », op. cit., p. 216; R. THOMA, « Das Reich ais Demokracie », op. cit.,
D' ailleurs, on r
p. 198; id., « Die Funktionen der Staatsgewalt ... », op. cit., p. 130; id., " Der Vorbehalt der Legislative
und das Prinzip der Gesetzmassigkeit von Verwaltung und Rechtssprechung,», in G. ANSCHÜ;Z de leur analys,
& R. THOMA (dir.), Handbuch des demschen Staatsrechts, t. 2, p. 233 (« Un Eúa,jedirais, est zm Etat déclarées insuf
de droit d,ms la mesure 011 son ordre j11ridique déterrnine les voies et les limites de l,1 p11issance p11bliq11e et lui-même 1º1 • Sa
en assure le contrôle par des juridictions indépendantes dont l'autorité est respectée (Ein Swat, mõchte ich
definieren, ist Rechtsstaat in dem Masse, in dem seine Rechstordmmg die Bahnen zmd Grenzen der õjfent- toire, au sens tel
lichen Gewalt nonnalisiert zmd durch zmabhãngige Gerichte, deren Autoritãt respektiert wird, kontrol-
liert). »); id., "Die Staatsgerichcsbarkeic des Deutschen Reiches », in Die Reichsgerichtspraxis im deut-
schen Rechtsleben. Festgabe der j11ristischen Fak11ltãten zttm 50 jãhrigen Bestehen des Reichsgericht, Berlin,
De Gruyter, 1929, t. I, p. 198 ss. 195. Cf supra.
191. Le cas de Kaufmann est tres significacif à cet égard. Dans son article sur Die Gleichheit vor dem 196. E. von HIPP!
Gesetz im Sinne des Artikels 109 der Reichsverfasszmg, il définit tout d'abord la portée normative de garamie juridictio
l'arcicle 109, avam d'admettre aussitôt, sans aucune transicion, le principe de la compétence du juge. p. 221 in fine. II s' ~
Sa justification du contrôle juridiccionnel est « lapidaire » (W. HEUN, op. cit., p. 393), pour ne pas droit public tenue
dire inexistante. barkeit », VVDStl,
192. G. ANSCHÜTZ, « Gutachten: Empfiehlt es sich, die Zustandigkeit des Staatsgerichcshof auf 197. H. KELSEN
andere ais die im Are. 19 Abs. 1 Verf. bezeichneten Verfassungsstreitigkeiten auszudehnen? », in 198. Sur le bien-Í<
Verh,md/zmgen des 34. De11tschen Juristentages, 1927, t. 2, pp. 196-212. Anschütz doit se remire à l' évi- 199. H. KELSEN
dence que son opposition radicale est déjouée par la jurisprudence des différemes cours supérieures 200. Jbid., p. 223.
qui suivent le précédent du Reichsgericht. S'il admet, à comrecceur, le príncipe d'un te! contrôle - à 201. E. von HIPP
condicion coutefois que le Staatsgerichtshof en soit investi à titre exclusif -, il le fait en se référant 202. Lire la critiq
simplement à "l'idée » ou à« l'esprit d11 Rechtsstaat » (p. 212 et p. 204). pas dans la sphere LI
193. C. SCHMITT, "Der Hüter der Verfassung », op. cit., p. 174: « Mit dem Wort Rechtsstaat allein combat constitutio.
ist fiir zmsere Frage nichts entschieden. » législatif, ni d11 cô1,
194. Ibid, p. 175. 203. H. KELSEN
un néologisme : le Rechtsstaat r
f
Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949)

effet, des auteurs qui essaient de légitimer le contrôle juridictionnel sans trop se
139

1 Rechtsstaat
fier aux aléas de la sémantique. Or, si le terme de Rechtsstaat n'apparalt presque
,tes s'approprient à nouveau pas dans leurs écrits, la double logique de légitimation du juge mise en reuvre par
t pour désigner, revendiquer Bahr 195 n'y est pas moins présente.
nelle 189 • 11 n' est pas rare alors
une fois que le contrôle de 1º L 'imbrication des deux logiques de Báhr
nent » '"º, sera admis. L'iden-
ience du droit administratif 131 Évoquant la question de la légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois,
:. Le message est clair : il n'y Ernst von Hippel (1895-1984) précise d'emblée qu'une chose est de dire qu'il
juge m. Le message est si clair existe des limites juridiques, une autre de savoir qui vales sanctionner 1'16 • 11 n'ex-
rit du Rechtsstaat », sans plus clut clone pas de prime abord l'hypothese des garanties politiques. Or Kelsen et
utres de la nécessité d'un tel Hippel sont loin d'être convaincus de l'efficacité de ces mécanismes; ils font, au
e « le mot de Rechtsstaat à fui contraire, preuve d'une méfiance certaine vis-à-vis du monde politique. En ce
'testion », puisqu'il a été asso- qui concerne le législateur lui-même, il est « contre-indiqué » 197 de lui confier le
politiques et pas seulement à contrôle de constitutionnalité, de faire du contrôlé le contrôleur 198 • La psycho-
udrait mieux se passer d'un logie des députés ne s'y prête pas, étant donné que le parlement « se considere
s plus concretes 19'. 11 y a, en dans la réalité comme un créateur libre du droit et non comme un organe d'appli-
cation du droit, lié par la constitution, alars qu'il l'est théoriquement » 199 • Le légis-
qué par C. SCHMITT, « Der Hüter f lateur n'a pas conscience de ces limites, à quoi s'ajoute le fait que seul un « tiers
!5. organe » pourrait l' obliger « de façon efficace » 200 •
•rings }ahrbricher, t. 76, 1926, p. 201 Quant au rôle de la seconde chambre, Kelsen n'en parle pas et Hippel l'évacue
»); cité par H. MAURER, op. cit.,
ber die richterliche ZHStãndigkeit z11r en une seule phrase, considérant que la présence des partis politiques en son sein
qui parle de « l'accomplissement du réduit à néant toute prétention de sa part à vouloir jouer le rôle de gardien. li en
par ex., H. TRIEPEL, « Wesen und va de même pour l' exécutif, qui « par nature n 'est pas un organe fait pour exercer
, 12, 14, 21, 22, 27, 28 et l'usage du
·lm, p. 133 et surtout p. 136 s ou il un contrôle juridique » 201 • En ce qui concerne les mécanismes de démocra-
stituante <le 1919; G. LEIBHOLZ, tie directe, sur lesquels Thoma a lourdement insisté, ils n'en parlem point.
las Reich ais Demokratie », op. cit., D'ailleurs, on ne peut s'empêcher de noter le caractere pour le moins sommaire
; id., « Der Vorbehalt der Legisl~tive
1tssprechung,», in G. ANSCHUJ'Z de leur analyse. Tout tient en quelques lignes : les garanties politiques étant
. 233 (« Un Et,1t, je dirais, est rm Etat déclarées insuffisantes, le contrôle juridictionnel s'impose en quelque sorte de
les limites de !<1 puiss,mce publique et lui-même'º'. Sans lui, la constitution ne serait, en effet, « pas pleinement obliga-
-ité est respectée (Ein Staat, mõchte ich
g die Balmen rmd Grenzen der õjfent· toire, au sens technique »'º'. En l'absence de toute contrainte, elle « équivaut à peu
n Autoritãt respektiert wird, kontrol-
', in Die Reichsgerichtspraxis im deut-
sen Bestehen des Reichsgericht, Berlin,
195. Cf supra.
m article sur Die Gleichheit ~•ordem 196. E. von HIPPEL, « Das richterliche Prüfungsrecht », op. cit., p. 551. Cf aussi H. KELSEN, « La
out d'abord la portée normative de garamie juridictionnelle de la constitution (La justice constitutionnelle) », RDP, 1928, p. 212 et
! príncipe de la compétence du juge. p. 221 infine. II s'agit de la traduction française du rapport de Kelsen à la réunion des professeurs de
IEUN, op. cit., p. 393), pour ne pas droit public tenue à Vienne en 1928 ( = H. KELSEN, « Wesen und Emwicklung der Staatsgerichts-
barkeit », WDStRL, 1929, pp. 30-88).
;tandigkeit des Staatsgerichtshof auf 197. H. KELSEN, « La garamie ... », op. cit., p. 223.
gsstreitigkeiten auszudehnen? », in 198. Sur le bien-fondé de cet argument, Cf supra ff' 85 note 99.
212. Anschütz doit se ren<lre à l'évi- 199. H. KELSEN, op. cit., p. 223.
1ce des différentes cours supérieures 200. lbid., p. 223.
ur, le príncipe d'un rei contrôle - à 201. E. von HIPPEL, op. cit., p. 556.
e exclusif -, il le fait en se référam 202. Lire la critique de C. SCHMITT, « Der Hüter der Verfassung », op. cit., p. 176: « Ce n'est
). 204). pas dans la sphere de l'exécutifqu 'on cherche !e Hriter, car on est encare trop marqué parles souvenirs d11
'4: « Mit dem Worl Rechtsstaat allein combat constitutionnel sémlaire contre /e gouvernement. Si des lors !e Hriter ne se tro11ve ni du côté du
législatif, ni d11 côté de l'exéctttif, il ne reste, apparemment, plus que/,, justice. "
203. H. KELSEN, op. cit., p. 250.

1
140 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la déi

pres, du point de vue juridique, à rm vreu sans force obligatoire ». Bien qu' elle ne terait « a priori
soit « pas totalement dépourvue de sens juridique » 2º', on se rapproche de plus en le silence de la
plus d'une situation de non-droit, ou la constitution releve simplement de la par conséquen
morale politique 2º'. connaltre de la
132 À vrai dire, Kelsen, qui est un fervem défenseur de la justice constitutionnelle, juges ont le dn
aboutit à la même conclusion, c'est-à-dire à l'identification du droit et du juge, devient ainsi p;
au terme d'un raisonnement quelque peu différent que l'on pourra qualifier de Ce faisant, l
jusnaturaliste 206 • Partant du principe de la hiérarchie des normes, qui implique tions de Bahr e
un « rapport de correspondance d'un degré inférieur à un degré supérieur de l'ordre du droit et du
juridique » 207 , Kelsen en déduit que « chacun, autorités publiques com me sujets, a le priori qu'une r
droit d'examiner en toutes circonstances la régularité de l'acte nul, dele déclarer irré- non pas simple
gulier et de le traiter en conséquence comme non valable, non obligatoire » 208 - à le juge, de véril
moins que le droit positif ne vienne contredire ce droit général. « Ce n 'est que il y a automati<
dans la mesure ou le droit positif limite ce pouvoir d'examiner tout acte (. ..), en le le droit. Kelsen
réservant à des conditions précises à certaines instances déterminées, qu'un acte vention à la ré1
atteint d'rm vice juridique quelconque peut ne pas être considéré a priori comme nul, juge sont si inti1
mais seulement com me annulable. » 2º" nécessairement ,
À ce stade, il faut rappeler la distinction kelsénienne entre annulabilité et nul-
lité 210 • Un acte simplement annulable continue à faire partie de l'ordre juridique 2º La question
tant qu'une autorité publique ne lui a pas retiré sa qualité d'acte juridique. Il
appartient clone au droit positif de désigner une telle instance, faute de quoi 133 Reste à évoquer
l'acte annulable continue à lier les individus, nonobstant son vice inhérent. d'un contrôle j
Dans cette hypothese, le silence du législateur serait lourd de conséquences puis- de la loi sembl,
qu'il équivaudrait à une absolution de tous les défauts juridiques du systeme. Si avant tout de «
l'on applique ce raisonnement au cas du contrôle juridictionnel de la constitu- tion. Dans une
tionnalité des lois, le silence gardé par la Constitution de Weimar vaudrait alors Mais sa positio
interdiction d'un tel contrôle. Le choix entre nullité et annulabilité est clone loin que les juges se
d'être neutre. Or, Kelsen "déduit" du principe de la hiérarchie des normes la par conséquenr
regle de la nullité des actes entachés d'un vice, l'annulabilité étant l'exception. nommée par u
En effet, il introduit subrepticement un « droit » subjectif, que le droit positif politique, Kelsc
pourrait tout au plus limiter, mais qu'il n' a en aucune façon créé 211 • Ce droit exis- ment formel. E
vues par la cons
le pouvoir législ
204. H. KELSEN, op. cit., p. 251. pouvoir constit
205. Sur ce poim son disciple Charles Eisenmann est plus franc. Dans sa these de 1928 (La justice selon Kelsen, lc
constitutionnelle et la Haute Co11r constitutionnelle d'Arttriche, réimpr., Paris, Economica, 1986,
p. 22), il dira au sujet de la justice constitutionnelle : « Se11le e!le fait des nonnes constillltionnelles des
nonnes j11ridiq11ement obligatoires, de véritables regles de droit en y attachant 11ne sanction; sans elle la
constillltion n'est q11'11n programme politiq11e, à la rig11ettr obligatoire moralement, 11n remei! de bons
conseils à !'11sage d11 légis!ate11r, mais dom il est j11ridiq11ement libre de tenir 011 de ne pas tenir compte. " 212. On retrouve
206. Cf les critiques de M. TROPER, « Kelsen et le conrrôle de constitutionnalité », op. cit., pp. 165- note 153.
170. 213. Cf mpra, n 1:
207. H. KELSEN, op. cit., p. 200. 214. H. KELSEN 1
208. Jbid., p. 214 (souligné par nous). ·verbrmden, dass ein
209. Ibid., p. 214-5 (souligné par nous). Cf aussi H. KELSEN,Allgemeine Staatslehre, 1925, p. 289 ss. 215. H. KELSEN,
210. H. KELSEN, « La garamie... », op. cit., p. 214 ss. 216. Cf M. TROPI
211. Kelsen va m&me jusqu'à dire que !e príncipe de la nullité « nepertt jamaisêtreexc/11 completement 217. H. KELSEN.
p,,r /e droit positif » (ibid., p. 215), ce qui voudrait clone dire que le droit des individus à la nullité des 218. Sur cerre théo1
actes étatiques irréguliers est, en pareie, inrouchable. 219. H. KELSEN,

l
:m néologzsme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 141

,bligatoire ». Bien qu'elle ne terait « a priori», en vertu du príncipe de la hiérarchie des normes : il existe dans
on se rapproche de plus en le silence de la loi, avant même l'apparition de la premiere norme positive. Si,
on releve simplement de la par conséquent, la constitution d'un État a oublié d'interdire aux juges de
conna1tre de la constitutionnalité des lois, comme e' est le cas sous Weimar, les
la justice constitutionnelle, juges ont le droit de le faire en vertu de cette lacune du droit positif. Le silence
fication du droit et du juge, devient ainsi parlant 212 •
que l'on pourra qualifier de Ce faisant, Kelsen se contredit. Nonobstant sa critique initiale des concep-
.e des normes, qui implique tions de Bahr et de Mayer"3, il aboutit en finde compte à la même assimilation
un degré supérieur de l'ordre du droit et du juge. De la hiérarchie des normes, Kelsen déduit le príncipe a
fs publiques comme sujets, a le priori qu'une norme, qui est contraire à une norme supérieure, est « nulle » et
'e l'acte nu!, dele déclarer irré- non pas simplement annulable. De là, il déduit le « droit » de chacun, y compris
ible, non obligatoire » 208 - à le juge, de vérifier la validité de cette norme. Autrement dit, s'il y a une norme,
droit général. « Ce n 'est que il y a automatiquement un juge; inversement, la négation du juge revient à nier
'examiner tout acte (...), en le le droit. Kelsen aboutit à cette conclusion lors des débats qui ont suivi son inter-
rzces déterminées, qu'un acte vention à la réunion des Staatsrechtler à Vienne. 11 y affirme que « le droit et le
~onsidéré a priori comme nu!, juge sont si intimement liés, l'un avec l'autre, qu'un rejet de la juridiction équivaut
nécessairement à un rejet du droit » 214 •
me entre annulabilité et nul-
re partie de l'ordre juridique 2º La question du pouvoir créateur du juge
1 qualité d'acte juridique. 11
:elle instance, faute de quoi 133 Reste à évoquer la question délicate du pouvoir normatif du juge. Les défenseurs
10bstant son vice inhérent. d'un contrôle juridictionnel ne peuvent l'esquiver, tant le mythe de la bouche
lourd de conséquences puis- de la loi semble désuet. Pour Kelsen, la fonction du juge constitutionnel releve
m juridiques du systeme. Si avant tout de « l'application » de la loi, en l'occurrence du texte de la constitu-
uridictionnel de la constitu- tion. Dans une «/aible mesure seulement », il s'agit d'une « création du droit » 215 •
on de Weimar vaudrait alors Mais sa position est néanmoins fluctuante sur ce point 2"'. 11 admet ainsi le fait
et annulabilité est clone loin que les juges se laissent guider par des considérations politiques 217 , ce qui justifie
la hiérarchie des normes la par conséquent qu'une partie des membres d'une cour constitutionnelle soit
nulabilité étant l'exception. nommée par une instance politique. Afin de limiter la portée de cet élément
ubjectif, que le droit positif politique, Kelsen se fait l'avocat d'un contrôle de constitutionnalité exclusive-
e façon créé "'. Ce droit exis- ment formel. En se contentant de faire respecter les formes et procédures pré-
vues par la constitution, le juge jouerait le rôle d'un aiguilleur 218 : s'il sanctionne
le pouvoir législatif, il ne fait en réalité que protéger le champ de compétence du
pouvoir constituam, à qui il revient de trancher en dernier lieu 219 • En tout cas,
e. Dans sa rhese de 1928 (L, j11stice selon Kelsen, le juge n'a pas à se référer à ce « genre de phraséologie » - que les
réimpr., Paris, Economica, 1986,
/àit des nonnes constittttionnel/es des
y attachant 11ne sanction; sans elle la
'oire moralement, 1m remei! de bons
'de tenir 011 de ne pas tenir compte. » 212. On retrouve le même raisonnemem dans la décision du Reichsgericht de 1925. Cf supra
:onstitutionnalité », op. cit., pp. 165- note 153.
213. Cf mpra, n-· 101.
214. H. KELSEN in VVDStRL, 1929, p. 119 : « Denn Recht rmd Gericht sind miteinander so wesens-
verb1mden, dass ein Widerspmch zur Gerichtsbarkeit notwendig ein Widerspruch zum Recht bedemet. »

llgemeine Staats!ehre, 1925, p. 289 ss. 215. H. KELSEN, « La garantie ... », op. cit., p. 226.
216. Cf M. TROPER, « Kelsen et le contrôle de constirutionnalité des !ois», p. 177 ss.
e peut jamés être exc/11 completement 217. H. KELSEN, op. cit., p. 227.
e droit des individus à la nullité des 218. Sur cette rhéorie, cf M. TROPER, op. cit., p. 174 s.
219. H. KELSEN, « La garantie ... », p. 206.
r
142 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la dé11

constituams ont eu tort d'inscrire dans la constitution - invitam !e législateur la voix de la cc


à se conformer « à la justice, à l'équité, à l'égalité, à la liberté, à la moralité, etc. » 220 • juste dans ses act
Sinon, la puissance des juges serait « simplement insupportable » : « Jl va de soi que sion juste ne peu
la constitution n 'a pas entendu, en employant un mot aussi imprécis et équivoque Voilà un « ré,
que celui de justice ou tout autre semblable, faire dépendre le sort de toute loi votée vocation du dr
par le parlement du bon plaisir d'un college composée d'une façon plus ou moins débouche sur h
arbitraire au point de vue politique, comme le tribunal constitutionnel. » 221 Dans !e tive et rationnel
modele kelsénien, !e juge n'a à vérifier que la constitutionnalité formelle et non de !e saisir par L
pas matérielle des !ois. tice (Gerechtigke
134 Une telle solution est pourtant préconisée par nombre d'adeptes du couram de normes abstn;
néojusnaturaliste. À leurs yeux, ]'intérêt principal d'un te! contrôle juridiction- sus du législate
nel consiste justemem dans la protection des droits fondamentaux. Que les juges droit » - , la fig1
t
se trouvent ainsi investis d'un pouvoir d'appréciation importam, n'est guere est juste et qui,
contesté. Si Triepel; apres avoir mis en exergue !e caractere éminemment poli- un te! raisonner
tique du droit constitutionnel, se sem encare obligé d'avouer que« l'essence de la tifie qu'on acco1
constitution est, jusqu'à un certain degré, en contradiction avec !e príncipe de la jus- lemem? Pourqu
tice constitutionnelle » 121 , d'autres om moins d'états d'âme et ne tarissent pas 1 politiques qui S(
d'éloges sur les vertus des juges. À cet égard, !e discours de Kaufmann est parti- pur » et n' abuser
Kaufmann ne d,
culierement instructif et inquiétam. Dans sa contribution sur !e príncipe d'éga-
lité, il proclame sa foi dans l'idée éternelle du droit naturel, dans cet « ordre supé-
1
f. juge « ne doit pa,
rieur » 223 qui s' impose aux !ois positives. II en déduit que « le législateur ne crée faire preuve d'ur
pas !e droit »"'. Encare faut-il définir ce qu'on entend par !e« droit », par l'idée 135 Dans la pratique
du juste. Or, selon !ui, on ne peut pas définir de maniere rationnelle ce qui est fondamemales I
juste 225 • Les hommes om simplemem une« connaissance immédiate », imuitive, constitution. Po
de « ce qui est bon et mauvais, beau et laid, juste et injuste ». « Tout cela nous est de leur pouvoir
donné à travers notre conscience. » 116 Or, selon Kaufmann, la connaissance de cet défenseurs d'un
ordre supérieur, grâce à la conscience, n'est pas accessible à tout !e monde: seuls vrais problemes
les hommes au « cceur pur », ceux qui sont des « récipients purs » peuvem entendre de l'avenir. Or, 1
!e pouvoir des ju
rédacteurs de la
devam ]'impérie
pages d'un parlei
220. Jbid., p. 241.
22 t. Jbid., p. 241.
222. H. TRIEPEL, « Wesen und Encwicklung der Staatsgerichtsbarkeit », WDStRL, 1929, p. 8.
Cf p. 27 et 28.
223. E. KAUFMANN, « Die Gleichheit vor dem Gesetz im Sinne des Artikels 109 der Reichsver-
fasssung », op. cit., p. 247.
224. Ibid., p. 262: « Der Gesetzgeber ist nicht Schõpfer des Rechts.,, Cf p. 263 : « Der Staat schaffi nicht 227. E. KAUFMA:t\
Recht, der Staat schaffi Gesetze; rmd Gesetz rmd Staat stehen tmter dem Recht. » 228. lbid., p. 255 (« 11
225. Jbid., p. 254 : « Q11e signifie j11ste? (...) On ne pem pas définir ce q11e c'est. » 229. lbid.
226. Jbid., p. 254. Que les valeurs soient déterminées de façon irrationnelle est un fait admis parles 230. lbid.
philosophes de l'éthique matérielle des valeurs. II arrive ainsi quedes personnes, pour des raisons 231. lbid.
« gé11étiq11es et raci,des,, (sic Max Scheler), soienc incapables de ressentir les vraies valeurs. En l'absence 232. lbid., p. 263 {«
de l'org~ne approprié pour percevoir les valeurs, ils som« ave11gles »ou« wertblind "· Cf E.-W. BÔC- 233. lbid. p. 261.
KENFORDE, « Zur Kritik ... », op. cit., p. 85 et surtout la note 44 ou se trouve la citation de Sche- 234. C' est le cas de la
ler. On comprend des lors pourquoi la doctrine de la RFA reprend le príncipe d'une méthodologie de constitutionnalité
juridique large, qui soit ouverte à la dimension éthique des valeurs, tout en refusant la définition du le concrôle s'effeccue
rnncept de valeur proposée par l'éthique matérielle des valeurs. Cf C. STARCK, « Zur Notwendig- s'agit là d'une missio,
keit einer Wertbegründung des Rechts », ARSP Beiheft, n" 37, !990, pp. 47-61. 235. Cf infra n" 580.
m néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 143

on - invitant le législateur la voix de la conscience 227 • Eux seuls sont justes : « Celui qui a un ca:ur pur est
'iberté, à la moralité, etc. » 220 • juste dans ses actions et ses jugements, et fui seul. » 228 En d'autres termes, « une déci-
'Jportable » : « Jl va de soi que sion juste ne peut être prise que par une personnalité juste » 229 •
t aussi imprécis et équivoque Voilà un « résultat étrange », comme le remarque Kaufmann lui-mêmem. L'in-
1dre le sort de toute foi votée vocation du droit naturel, destinée à limiter le subjectivisme du législateur,
e d'ime façon plus ou moins débouche sur le subjectivisme du ... juge, en l'absence de coute définition objec-
' constitutionnel. » 221 Dans le tive et rationnelle de cet « ordre supérieur ». Car, d'apres lui, coutes les tentatives
:utionnalité formelle et non de le saisir par des normes abstraires et générales som vouées à l' échec : « La jus-
tice (Gerechtigkeit) est quelque chose de créatif et non pas une application mécanique
de normes abstraites et figées. » 2·1t La pensée de Kaufmann conduit à élever au-des-
mbre d'adeptes du courant
sus du législateur démocratique - qui, rappelons-le, « n'est pas le créateur du
'un tel contrôle juridiction-
droit » - , la figure du juge, personnalité « juste » au « ca:ur pur », qui dit ce qui
:mdamentaux. Que les juges
est juste et qui, quant à lui, « crée dans le vrai sens du terme du droit » 232 • Face à
:ion important, n' est guere
un tel raisonnement le lecteur reste pour le moins perplexe : Qu'est-ce qui jus-
:aractere éminemment poli-
tifie qu'on accorde un tel pouvoir créateur au juge, alors qu'on le refuse au par-
d' avouer que « l'essence de la
lement? Pourquoi les juges seraient-ils plus dignes de confiance que les hommes
tion avec le príncipe de la jus-
politiques qui som tout de même élus? Comment savoir si le juge a un « ca:ur
s d'âme et ne tarissent pas
pur » et n'abusera point de son pouvoir? Voilà des questions cruciales auxquelles
Jurs de Kaufmann est parti-
Kaufmann ne donne aucune réponse satisfaisante. 11 se contente de dire que le
mtion sur le principe d'éga-
juge « ne doit pas bouleverser l'ordre établi entre le législateur et le juge », qu'il doit
taturel, dans cet « ordre supé-
faire preuve d'un certain « tact » en usam de ses prérogatives 233 •
it que « le législateur ne crée
1d par le « droit », par l'idée 135 Dans la pratique, les juges ne se som pas laissés perturber par ces interrogations

!
aniere rationnelle ce qui est fondamentales pour s'arroger le droit de vérifier la conformité des lois à la
;ance immédiate », intuitive, constitution. Pourtant, les questions théoriques quant à l'ampleur et aux limites
njuste ». « Tout cela naus est de leur pouvoir normatif restem ouvertes. Les rares réponses qu'apportent les
nann, la connaissance de cet défenseurs d'un tel contrôle ne peuvent guere satisfaire : soit ils esquivem les
ssible à tout le monde : seuls vrais problemes 234 , soit ils concluem à un subjectivisme des juges qui augure mal
ients purs » peuvent entendre de l'avenir. Or, l'expérience tragique du III' Reich - ou le débat théorique sur
le pouvoir des juges se poursuit d'ailleurs 235 - aura un tel impact sur l'esprit des
rédacteurs de la Loi fondamentale de 1949, que tous les doutes s'évanouissent
devam l'impérieuse nécessité de garantir les droits de l'homme contre les déra-
pages d'un parlement, voire d'un peuple entier.

tsbarkeit », WDStRL, 1929, p. 8.

medes Artikels 109 der Reichsver-

' Cf p. 263 : « Der Staat schaffi nicht 227. E. KAUFMANN, op. cit., p. 255.
dem Recht.,, 228. lbid., p. 255 (« Wer reinen Herzens ist, ist gerecht ais Handelnder und ais Richtender, und nur er. ,,)
ce que c,est. » 229. Ibid.
-rationnelle est un fait admis par les 1 230. Ibid.
231. Ibid.
ue des personnes, pour des raisons
:emir les vraies valeurs. En l'absence r 232. Ibid., p. 263 (« ... und damm schdjfi auch er [le juge] im wirklichen Sim1e des Wortes Recht ,,).
·s,, ou« wertblind "· Cf E.-W. BÕC- 233. lbid. p. 261.
44 ou se trouve la citation de Sche- 234. C'est le cas de la théorie de Kelsen. L'application de son modele à la réalité actuelle du comrôle
de constitutionnalicé n'est pas sans poser quelques difficultés, dans la mesure ou Kelsen a refusé que
~nd le príncipe d'une méthodologie
1rs, tout en refusant la définition du
Cf C. STARCK, « Zur Nocwendig-
1 le contrôle s' effectue par rapport aux normes vagues et imprécises des droits fondamemaux. Or il
s'agit là d'une mission essentielle des cours constiturionnelles actuelles.
190, pp. 47-61. 235. Cf infra n" 580.
r
i
1
[.
144 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat ~ Le défi de la â

Section II. LE SACRE DU RECHTSSTAAT AU LENDEMAIN juste et injus


DE LA BARBARIE NAZIE 'r « vox dei», ,
r
f peuple n'aur;
!.

i' par le princir


136 L'élément démocratique dans le binôme du demokratischer Rechtsstaat sort affai- r crites dans le
bli du désastre de 1945 230 • À l'enthousiasme de 1919 pour le Volksstaat (État popu- ~- peu importe ,
laire) succede, chez la génération des juristes d'apres-guerre, une nette désillu- l criteres juridi
sion derriere laquelle on voit poindre une certaine méfiance. Le sentiment foule dans la
ambivalent à l'égard de l'idéal rousseauiste se reflete dans le célebre article de tant qu'entité
Werner Kagi sur L'État de droit et la démocratie. S'il ne s'agit pas aux yeux de de compétem
celui-ci de répudier la démocratie, il ne tarit pas de critiques sur une certaine mée par Kagi
conception de la démocratie, qu'il qualifie de « décisionniste-totalitaire »2.17. Par toutes les forn,
là, il désigne une foule d'auteurs et d'idées, de Rousseau et de Sieyes jusqu'à 137 Plus précisfo
Schmitt et aux positivistes de Weimar, qui sont accusés d'avoir fait le lit de Hitler Anschütz, Kt·
par l'apologie du caractere « absolutiste », « total» et « omnipotent » de la souve- passer au sec<
raineté populaire 118 • De ce mélange insolite de théories se dégage, selon Kagi, une fondements n
certaine vulgate 119 de la démocratie qui se résume en cette idée simple, mais et nombre de
fausse, que le peuple peut tout faire et faire n'importe quoi, sans que sa décision de ce binôme.
ne puisse jamais être questionnée. Délié de toute valeur suprême, le peuple défi- qu'il incarne.
nit lui-même ou plutôt « décide », selon la terminologie schmittienne, ce qui est dignité, d'en l
tionnel. Ce n ·
de cette cons1
236. Sur Ie príncipe du Rechtsstaat apres 1945, cf. K. HESSE, « Der Rechtsstaat im Verfassungssys- mer, que la vc
tem des Grundgesetzes », in Staatsverfassung 11nd Kirchenordmmg. Festgabe f11r R. Smend, Tübingen,
Mohr, 1962, pp. 71-95; R. HE~ZOG, « Artikel 20 VII: Art. 20 und die Frage der Rechtsstaatlich- des mots et d,
keit », in T. MAUNZ & G. DURIG (dir.), Gmndgesetz Kommentar, München, Beck, 18" livraison « rechtsstaatlic
(1980), pp. 252-293; K. STERN, Staatsr~cht der BRD, 2' éd., München, Beck, t. 1, 1984, pp. 759-871; nuance termii
Ph. KUNIG, Das Rechtsstaatsprinzip. Uberlegzmgen ztt seiner Bede11t1mgji1r das Verfasszmgsrecht der
B11ndesrep11blik Deutschland, Tübingen, Mohr, 1986; R. BÀ.UMLIN & H. RIDDER, « Art. 20 du Rechtsstaat
Abs. 1-3 III Rechtsstaat », in Altemati·vkommentar zttm GG, Luchterhand, 1987, pp. 1340-1389; démocratique
E. SCHMIDT-ASSMANN, « Der Rechtsstaat », in]. ISENSEE & P. KIRCHHOF (dir.), Handb11ch
des Staatsrechts der BRD, t. 1, Heidelberg, Müller, 1987, pp. 987-1041; E. BENDA, « Der soziale 138 Le processus d
Rechtsstaat », in E. BENDA, W. MAIHOFER & H.J. VOGEL (dir.), Handb11ch des Verfasszmg- des la Républi
srechts, 2' éd., Berlin, De Gruyter, 1994, spéc. pp. 719-755; K. HESSE, Gmndz11ge des Verfasszmg- tion de la Loi
srechts der BRD, 20' éd., Heidelberg, Müller, 1995, pp. 83-95; K. SOBOTA, Das Prinzip Rechtsstaat,
Verfasszmgs· 1md verwalt11ngsrechtliche Aspekte, Tübingen, Mohr, 1997; D. BUCHWALD, Prinzipien inventé en 179
des Rechtsstaats. Z11r Kritik der gegenwãrtigen Dogmatik des Staatsrechts anhand des allgemeinen
Rechtssta,1tsprinzips nach dem Grrmdgesetz der BRD, Aachen, Shaker, 1996; H. SCHULZE-FIELITZ,
« Art. 20 (Rechtsstaat) », in H. DREIER (dir.), Grrmdgesetz KommeTl/ar, 1" éd., Tübingen, Mohr,
t. 2, 1998, pp. 128-209; K.-P. SOMMMERMANN, « Art. 20 », in H. v. MANGOLDT, F. KLEIN 240. lbid., p. J19
& C. STARCK (dir.), Das Bonner Grrmdgesetz. Kommentar, 4' éd., München, Vahlen, \· 2, 2000, spéc. 241. E. SIEYES,
pp. 104-158. En français: M. FROMONT, « Répub)ique Fédérale d' Allemagne. L'Etat de droit », Kagi oublie de m,
RDP, 1984, pp. 1203-1226; A. BLECKMANN, « L'Etat de droit dans la Constitution de la RFA », est soumise.
Po11voirs, n" 22, 1982, pp. 5-27; C. AU'-ÇEXIER, lntrod11ction a11 droit p11blic allemand, Paris, PUF, 242. \V/. KÀ.GI, o,
1997, pp. 103-108; C. GREWE, «,L'Etat de droit sous l'empire de la Loi fondamentale », in 243. lbid., p. 132
O. JOUA~JAN (dir.), Figures de l'Etat de droit, op. cit., pp. 385-393. 244. lbid., p. 141
237. W. KAGI, « Rechtsstaat und Demokratie. (Antinomie und Symhese) », in Demokratie rmd à l'allemand, !e t
Rechtsstaat. Festgabe z11m 60. Geb11rtstag von lacearia Gi,1cometti, Zürich, Polygraphischer Verlag, doit d'abord être
1953, p. 108. Sur ce theme, cf aussi J.-L. TALMON, l.es origines de la démocratie totalitaire, trad. de G.RADBRUCH
l'angl. (1952), Paris, Calmann-Lévy, 1966; B. de JOUVENEL, D11 po11voir. Histoire nat11relle de s,1 t. III, Heidelberg,
croissance (1945), Paris, Hachette, 1972, chap. XIV, p. 415 ss (« La démocratie lotalitaire »). 245. La démarch,
238. W. KÀ.GI, op. cit., pp. 108-121. ~ipes de la démoc
239. Jbid., p. 120 s. Juge constitutiorn
'un néologzsme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 145

lAT AU LENDEMAIN juste et injuste. De là on dériverait vers l'identification de la « vox populi » à la


« vox dei », c'est-à-dire à une « idolâtrie » de la démocratie"º. Le pouvoir du
ZIE peuple n'aurait d'autre limite que sa propre volonté, qui ne serait restreinte ni
par le principe de la séparation des pouvoirs ni par les conditions de forme ins-
-atischer Rechtsstaat sort affai- erires dans le droit positif. Le peuple pourrait ainsi statuer sur toute question,
pour le Volksstaat (État popu- peu importe qu'elle soit d'ordre législatif, exécutif ou juridictionnel. Quant aux
·es-guerre, une nette désillu- criteres juridiques qui définissent ce qu'est le peuple par opposition à la simple
ine méfiance. Le sentiment foule dans la rue, ils ne seraient d'aucune valeur puisque le peuple existerait, en
:te dans le célebre article de tant qu'entité réelle, immédiatement présente, au-delà de ce réseau de normes et
'il ne s'agit pas aux yeux de de compétences. Bref, comme l'a dit Sieyes, dont la pensée est toutefois défor-
ie critiques sur une certaine mée par Kagi : « De quelque maniere qu 'une nation veuille, il suffit qu 'elle veuille;
2 1
~isionniste-totalitaire » 137 • Par toutes les formes sont bonnes et sa volonté est toujours la loi suprême. » •

:)USSeau et de Sieyes jusqu'à 137 Plus précisément, c'est la conception formaliste des positivistes tels que Thoma,
sés d'avoir fait le lit de Hitler Anschütz, Kelsen, etc. qui est mise au pilori. Leur théorie de la démocratie a fait
t « omnipotent » de la souve- passer au second rang le principe du Rechtssstaat; leur relativisme en a sapé les
ies se dégage, selon Kagi, une fondements métaphysiques en vidant celui-ci de son substrat éthique. Pour Kagi
~ en cette idée simple, mais et nombre de juristes de l'époque, la voie du salut est, si on devait choisir au sein
rte quoi, sans que sa décision de ce binôme, du côté du Rechtsstaat et des valeurs matérielles ou métajuridiques
.leur suprême, le peuple défi- qu'il incarne. 11 s'agit ni plus ni moins de rétablir le Rechtsstaat dans toute sa
.ogie schmittienne, ce qui est dignité, d'en faire la« base » 24 2, c'est-à-dire l'élément premier de l'ordre constitu-
tionnel. Ce n'est que dans le « cadre » tracé parle Rechtsstaat, c'est-à-dire au sein
de cette constellation de valeurs, que la voix de la démocratie pourra s' expri-
Der Rechtsstaat im Verfassungssys- mer, que la volonté populaire pourra produire des normes juridiques 243 • L'ordre
ig. Festgabe fiir R. Smend, Tübingen, des mots et des choses se trouve clone inversé : il n'y a plus lieu de parler d'une
O und die Frage der Rechtsstaatlich-
~ntar, München, Beck, 18' livraison « rechtsstaatliche Demokratie », mais d'un « demokratischer Rechtsstaat »"•. La
richen, Beck, t. 1, 1984, pp. 759-871; nuance terminologique est de taille : l'accent est désormais mis sur le principe
:de11t1mgfi1r das Ve1fass1mgsrecht der du Rechtsstaat, sur les valeurs humanistes garanties par le juge face à un príncipe
IMLIN & H. R!DDER, « Art. 20
Luchterhand, 1987, pp. 1340-1389; démocratique qui est toujours défini de façon formelle 2•5.
& P. KIRCHHOF (dir.), Handb11ch 138 Le processus de matérialisation et de juridictionnalisation du Rechtsstaat, esquissé
~7-1041; E. BENDA, « Der soziale
EL (dir.), Handb11ch des Verfass1mg· des la République de Weimar, connait ainsi son point d'orgue avec la promulga-
HESSE, Gmndzüge des Verfass1mg· tion de la Loi fondamentale en 1949 (§ 2). Signe de cette apogée, !e néologisme
. SOBOTA, Dt1s Prinzip Rechtsstaat, inventé en 1798 par Placidus est consacré en droit constitutionnel positif. Le signal
1997; D. BUCHWALD, Prinzipien
1taatsrechts anhand des allgemeinen
ker, 1996; H. SCHULZE-FIELITZ,
,mmentar, 1~ éd., Tübingen, Mohr,
, in H. v. MANGOLDT, F. KLEIN 1 240. Ibid., p. p9. , ..
1., München, Vahlen, ç. 2, 2000, spéc. r 241. E. SIEYES, Qu'est·ce que !e Tiers Etat ?, chap. V; cité par W. KAGI, op. cit., p. 113-114. Ce que
rale d' Allemagne. L'Etat de droit », Kagi oublie de mentionner, c'est que chez Sieyes la nation se forme dans le droit naturel auquel elle
,it dans la Constitution de la RFA », est soumise.
,11 droit p11blic allemand, Paris, PUF, 242. \Y/. KÃGI, op. cit., p. 132
1pire de la Loi fondamentale », in
1
i 243. Ibid., p. 132
i-393. f 244. Ibid., p. 141. II est impossible de traduire ce jeu de mots étant donné que, contrairement
md Synthese) », in Demokratie 1md à l'allemand, le terme ,français État de droit n'exisr7 pas sous forme d'adjectif. L'idée que l'État
tti, Zürich, Polygraphischer Verlag, 1 doit d'abord être un Etat de droit avant d'êrre un Etat démocratique se rerrouve également chez
,s de l,1 démocratie totalitaire, trad. de G. RADBRUCH, « Gesetzliches Unrecht und übergeserzliches Recht » (1946), in Gesamtausgabe,
t. III, Heidelberg, Müller, 1990, p. 93.
, Du pouvoir. Histoire naturelle de s,1
La démocratie totalitaire »). t! 245. La démarche de Kagi se résume clone en une inversion de l'ordre hiérarchique entre les prín-
cipes de la démocratie et du Rechtsstaat qui se traduit, au niveau institurionnel, par l'ascension du
juge constitutionnel (cf op. cit., p. 123 note 47).

l
146 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la déi

est d'abord donné au niveau des Lãnder"" avant que la Loi fondamentale ne fasse bolique qu'est
de même. De simple concept doctrinal, que les juristes étaient libre d'employer ou aux seuls Lãnc
non, le Rechtsstaat devient un concept de droit positif qui semble incontour- fondations de
nable 147 (§ 1). Or, face à une doctrine dominante quine cesse d'invoquer l'autorité sein de la doctr
de ce terme "magique" qui fait figure de fourre-tout"', une minorité d'auteurs cri- et tient compte
tique séverement cet usage débordant du terme et va jusqu'à prôner son abandon. risme national-
en fait s'attend;
de base qui y so
§ 1. LA CONSÉCRATION EN DROIT CONSTITUTIONNEL POSITIF
spécialement so
DV NÉOLOGJSME DE PLACIDUS
surprenant. » 1,.
rogée - et qui
139 L'expression Rechtsstaat n'appara1t en 1949 qu'une seule fois dans le texte de la cipe du Rechtss
Loi fondamentale, à savoir dans l'article 28 al. 1. La rareté du terme, qui, en pui d'une tel1
outre, ne figure pas à l'article 20, n'a pourtant pas empêché la jurisprudence et fondamentale :
la doctrine de s'en saisir pour en faire le concept central du droit constitution- évoqué à de m1
nel. À la relative discrétion des constituants s'oppose ainsi la profusion de sens futur article 2(
à laquelle on assiste depuis lors, ce qui n'a pas tardé de provoquer un certain article 21 dom
désenchantement. La controverse porte aussi bien sur le siege du príncipe du démocratique e
Rechtsstaat (A) que sur son existence même (B). rale » 154 • Par la
tionnels, sans e
A. Le débat sur le sedes materiae du principe du Rechtsstaat À la fin, ler
fondamentale,
1º L 'attitude de la doctrine dominante(<, herrschende Lehre ») conforme aux p
de la présente Li
140 En 1949, le terme Rechtsstaat n'est mentionné qu'une seule fois dans le Grund- les ordres jurid
gesetz14·1; qui plus est, il est évoqué non pas dans la disposition hautement sym- il oblige les con
désigne par l'e)
grâce à l'ajout
246. Art. 3 ai. 1 de la Const. de Baviere du 2 déc. 1946 (« La Baviere est 1m État de droit, 11n État civi- constitutionne1
lisé {K11lt11rstaat} et zm État social »); art. 60 ai. 1 de la Const. de la Sarre du 15 déc. 1947. Sur les effet, respecter
16 constitutions actuelles des Lãnder, 10 memionnent expressis verbis le concept de Rechtsstaat.
Cf aussi art. 3 ai. 1 de la Const. de Hambourg du 6 juin 1952; art. 23 de la Const. du Bade-Wur- universelle, ma
temberg du 11 nov. 1953; art. 1 de la Const. de la Saxe du 27 mai 1992; art. 1 ai. 2 de la Const. de
Saxe-Anhalt du 16 juillet 1992; art. 2 ai. 1 de la Const. de Brandebourg du 20 aout 1992; art. 2 ai. 1
de la Const. de Basse-Saxe du 19 mai 1993; art. 2 de la Const. du Mecklembourg-Poméranie orien-
tale du 23 mai 1993; art. 44 de la Const. de Thuringe du 25 oct. 1993. Pour les textes, cf Verfassun· 250. Art. 20 LF : .
gen derde11tschen Bzmdeslãnder, incro. de C. Pestalozza, 5' éd., München, Beck-dtv, 1995. Sur le rôle - 2. Tottt pouvoir d
du concept dans la jurisprudence des cours constitutionnelles des Lander, cf M. SCHRÕDER, des organes spéciaux
« Rechtsstaatlichkeit in der Rechtsprechung der Landesverfassungsgerichte », in C. STARCK & par l'ordre constitui
K. STERN (dir.), Landesverfasszmgsgerichtsbarkeit, 1983, t. 3, p. 225 ss. Allemands ont le d,
247. Sur la distinction entre concept doctrinal et concept de droit positif, Cf Ch. EISENMANN, remede possible. »
« Quelques problemes .de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique », 251. Art. 1 LF : « 1
APD, 1966, p. 25 s. de la respecter et de
248. K. SOBOTA (D,1s Prinzip Rechtsst,wt, op. cit., p. 13) parle à cet égard « d'tme s11rch,1rge pour ,1insi droits inviolables et,
dire grotesque du conten11 du concept ». tice dans le monde. ·
249. Depuis la révision du 21 décembre 1992 (BGBI., I, p. 2086), l'expression figure égalemem dans judicia ire à titre de,
le nouvel article 23 LF relatif à l'Union européenne. Son alinéa 1 dispose que « pour l'édifica- 252. R. HERZOG
tion d'une Europe zmie, la RFA,concourt au développement de l'Union européenne qui est attachée attx 253. E. SCHMIDI
príncipes fédératifi, soci,111:x, d'Etat de droit et de démocratie ainsi q11'a11 príncipe de mbsidiarité et qui St,1atsverstãndnis de
gar,1ntit une protection des droits fond,1menta11x substantiellement comparable à ceife de la présente Loi 254. Cité par E. S<
fondamentale. (. ..) ». 255. lbid.; H. SCH

1
"Jn néologzsme : le Rechtsstaat

la Loi fondamentale ne fasse


r Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et de-ptús 1949)

bolique qu'est l'article 20, mais dans l'article 28 qui s'adresse, à premiere vue,
147

·s étaient libre d'employer ou aux seuls Lcinder. Son absence dans l'article 20'5', qui avec l'article l 25' jette les
,sitif qui semble incontour- fondations de l'ordre constitutionnel fédéral, suscite quelque étonnement au
1e cesse d'invoquer l'autorité sein de la doctrine: « Quiconque connafr l'histoire constitutionnelle de l'Allemagne
', une minorité d' auteurs cri- et tient compte de l'impact extraordinairement profond que l'expérience du totalita-
jusqu' à prôner son abandon. rísme national-socialiste et communiste a eu sur son évolution depuis 1945, devrait
en fait s'attendre à ce que l'article 20 mentionne, parmi les príncipes constitutionnels
de base qui y sont consacrés, le Rechtsstaat en tout premier lieu. Que l'article 20, et
1TUTIONNEL POSITIF
spécialement son alinéa 1, se taise au contraire sur cette question, est pour le moins
1DUS surprenant. » 152 II s' en est suivi un vif débat au sein de la doctrine qui s' est inter-
rogée - et qui continue à le faire - sur le point de savoir si, malgré tout, le prín-
seule fois dans le texte de la cipe du Rechtsstaat n'est pas consacré de façon implicite par l'article 20. À l'ap-
La rareté du terme, qui, en pui d'une telle lecture, certains citent les travaux préparatoires de la Loi
empêché la jurisprudence et fondamentale : lors des débats du Conseil parlementaire, le terme Rechtsstaat est
entrai du droit constitution- évoqué à de multiples reprises' 53 et il fi.gurait même dans la premiere ébauche du
>se ainsi la profusion de sens futur article 20, proposée par le député von Mangoldt. Ce dernier soumet un
·dé de provoquer un certain article 21 dom l'alinéa 1 disposait que« la République fédérale est un État de droit
sur le siege du príncipe du démocratique et social, avec un régime parlementaire et une configuration fédé-
rale »'5'. Par la suite, le terme disparaí't toutefois, au gré de changements rédac-
1 tionnels, sans que cela n'ait suscité aucune réaction "'.
À la fin, le mot n'apparaí't de façon explicite qu'à l'article 28 al. 1 de la Loi
ncipe du Rechtsstaat
fondamentale, qui énonce que « l'ordre constitutionnel des Lcinder doit être
1ende Lehre »)
1 conforme aux príncipes de l'État de droit républicain, démocratique et social au sens
de la présente Loi fondamentale ». Ce disant, l'article 28, qui est l'interface entre
me seule fois dans le Grund- les ordres juridiques fédéral et fédérés, poursuit un double objectif. D'une part,
disposition hautement sym- il oblige les constituants des Lcinder à respecter un certain modele normatif qu'il
désigne par l'expression « Rechtsstaat », dont le contenu est par ailleurs précisé
grâce à l'ajout de divers adjectifs. D'autre part, il qualifi.e par ricochet l' ordre
,iere est zm État de droit, ,m État civi- constitutionnel fédéral lui-même de Rechtsstaat; le Rechtsstaat que doivent, en
de la Sarre du 15 déc. 1947. Sur les effet, respecter les Lcinder n'est pas un concept abstrair, anhistorique et à portée
sis verbis le concept de Rechtsstaat. universelle, mais le Rechtsstaat « au sens de la présente Loi fondamentale ». Cela
; an. 23 de la Const. du Bade-Wur-
nai 1992; an. 1 al. 2 de la Const. de
:lebourg du 20 aout 1992; an. 2 al. 1
:1u Mecklembourg-Poméranie orien-
:. 1993. Pour les textes, cf Verfasszm- 250. An. 20 LF : « f. La Rép11blique Jédérale d'Allemagne est zm État fédéral démocratique et social.
llünchen, Beck-dtv, 1995. Sur le rôle - 2. To11t po11voir d'Etat émane du pe11ple. Le peuple /'exerce au moyen d'élections et de votations et par
s des Lander, cf M. SCHRÔDER, des organes spéciaux investis des po11voirs législatif, exémtifet j11diciaire. - 3. Le pouvoir législatif est lié
sungsgerichte », in C. STARCK & par l'ordre constitutionnel, les po11voirs exécmif et j11diciaire sont liés par la /oi et le droit. - 4. TollS les
225 ss. Allemands ont le droit de résister à q11iconq11e entreprendrait de renverser cet ordre, s'il n 'y a pas d'autre
roit positif, Cf Ch. EISENMANN, remede possible. »
dassifications en science juridique », 251. An. 1 LF : « 1. La dignité de l'être humain est intangible. To11s les po11·voirs publics ont l'obligation
de la respecter et de la protéger. - 2. En conséq11ence, le pe11ple allem,md reconnait à l'être h111nain des

l
, cet égard « d'une s11rcharge po11r ainsi droits inviolables et inaliénables comme fondement de to11te co111m1ma11té h11maine, de la p,úx et de la jus-
tice dans le monde. - 3. Les droits fondamenta11x énoncés ci-apres lient les po11voirs législatif, exécutifet
,), l'expression figure également dans judicia ire à titre de droits directement applicables. »
linéa 1 dispose que « po11r l'édifica- 252. R. HERZOG, op. cit., Rn. 1, p. 257.
'Jnion européenne q11i est attachée a11x 253. E. SCHMIDT-ASSMANN, op. cit., p. 989 note 11 qui renvoie à l'ouvrage de V. OTTO, Das
,i q11 'a11 príncipe de mbsidiarité et q11i St,1atsverstãndnis des Parlamentarischen Rates, 1971, p. 175 ss.
it comparable à ceife de la présenle Loi 1 254. Cité par E. SCHMIDT-ASSMANN, op. cit., p. 989 note 1!.
255. Ibid.; H. SCHULZE-FIELITZ, op. cit., Rn. 19, p. 138.

i
148 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la (1

signifie, selon Konrad Hesse, que le príncipe du Rechtsstaat est « immanent »"" à explicitemen
la Loi fondamentale, et surtout à ses dispositions traitant de l'ordre constitu- on peut pern
tionnel fédéral, même si le terme n'y figure à aucun moment. la célebre aff
141 Reste alors à savoir ou localiser exactement l'idée ou le príncipe général du le príncipe n,
Rechtsstaat au sein de la Loi fondamentale. De prime abord, il est assez aisé la justice cc
d'identifier dans le corpus de la Loi fondamentale les divers éléments constitutifs articles 93, 9,
de ce que l' on appelle, selon les uns et les autres m, Rechtsstaat. On peut citer, d'ailleurs qu'
entre autres, les diverses dispositions relatives à la dignité de l'être humain et aux taat, l' article
droits fondamentaux (art. 1 à 19, 101, 103, 104), au contrôle juridictionnel de « affaiblissem
l'administration (art. 19 al. 4), à l'indépendance de la justice (art. 97), au contrôle de révision p
de constitutionnalité des lois (art. 93, 94, 100), à la hiérarchie des normes (art. 31, fassungsbesch,
80), à l'intangibilité du noyau dur de l'ordre constitutionnel (art. 79 al. 3), etc.
Or, selon la doctrine dominante, il existe, en sus de ces divers éléments, un prín- 2º L 'attitud1
cipe général du Rechtsstaat quine se réduit pas à la simple somme de ces éléments
énumérés 25 ', et dont le siege se situerait à l'article 20. D'apres ces auteurs, dont 142 Sur la questi1
l'avis est toutefois contesté par un courant minoritaire 2;', le príncipe du Rechtss-
taat constitue un élément « non-écrit » de l'article 20 2"º. Des divergences appa-
tt sation au sei1
décisions de
raissent également lorsqu'il s'agit d'en définir l'endroit exact au sein de l'ar- Rechtsstaat, e
ticle 20: si la plupart des auteurs se réferent aux alinéas 2 et 3, d'aucuns le situent t celles relativ,
dans l' alinéa 1 2" 1• r du premier,
L'enjeu de ce débat, qui peut para1tre stérile - et qui, selon certains, l'est réel- t avec la Loi fc
lement2"2 -, apparart à la lumiere de l'article 79 al. 3 du Grundgesetz. Celui-ci t d'un princip
soustrait certains príncipes constitutionnels à toute révision, dont notamment les seul article 2
príncipes consacrés aux articles 1 et 20 2"'. Étant donné la nature particuliere du n'est pas unú
príncipe de Rechtsstaat, qui constitue un «faisceau d'éléments (Sammelbegrijf) » 26' mais aussi de
de príncipes, de sous-príncipes, d'institutions, de regles, etc., son inclusion dans et les unissem
l'article 20 aurait un impact considérable sur l'étendue du champ d'application de préconstitutú
l'article 79 al. 3. Certains éléments jugés essentiels, quine sont pas mentionnés une dispositic
de droit; il d1
articles 1 al. _
256. K. HESSE, « Der Rechtsstaat ... », op. cit., p. 73. Cf E. SCHMIDT-ASSMANN, op. cit., p. 989 damentale » '
et R. HERZOG, op. cit., Rn. 1 et 34. Herzog estime que les deux articles 20 ai. 1 et 28 ai. 1 consti- jurisprudenc
tuem des « dispositions-soeurs (Schwestervorschrift) » et doivem s'interpréter l'un à la lumiere de tion de l' exi.,
l'autre.
257. Tous les constituants de 1949 ne semblaient pas avo ir la même conception du sens de ce terme, la polysémie
idemifié à tour de r81e au comr8le juridictionnel de l'administration, au príncipe d'indépendance de et de créer ai
la justice, etc. La portée exacte de l'obligation découlam de l'article 28 reste des lors assez floue. le príncipe d
258. K. STERN, op. cit., t. 1, p. 778. Voir aussi les références citées infra note 269.
259. Cf infra la critique de Ph. Kunig et alii. puisque tout
260. R. HERZOG, op. cit., Rn. 35, p. 271. Dans le même sens : K. STERN, op. cit., t. 1, p. 778;
E. SCHMIDT-ASSMANN, op. cit., p. 989; H. SCHULZE-FIELITZ, op. cit., Rn. 38, p. 147 s.
261. E. SCHMIDT-ASSMANN, op. cit., p. 989. D'apres lui, le príncipe du Rechtsstaat est ancré à la
fois dans l'article 28 et dans l'article 20 ai. 1; H. SCHULZE-FIELITZ, op. cit., Rn. 38, p. 148.
262. Voir l'avis des juges dissidems dans l'affaire des écouces téléphoniques (infra note 281) ainsi que 265. R. HERZt
la critique de Ph. Kunig. 266. R. HERZt
263. Art. 79 ai. 3 LF : « Est inadmissible tollle modification de la présente Loi fondamentale q11i 1011- 267. BVerfGE, .
cherait à l'organisation de la Fédération en l.Ãnder, a11 príncipe d11 concozm des Lãnder à la législation 268. II n'arrive
011 a11x príncipes énoncés a11x articles 1 et 20. » Sur ces limites matérielles au pouvoir de révision, ex., BVerfGE, 3:
cf infra 2' pareie, titre II, chap. 2. 63, 343 [353]). S
264. Ph. KUNIG, op. cit., p. 15. Cf aussi K. STERN, op. cit., t. 1, p. 778. i 269. Sur cette
1

1
rm néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 149

btsstaat est « immanent » 156 à explicitement dans les articles 1 et 20, pourraient ainsi être déclarés intangibles :
traitant de l'ordre constitu- on peut penser, par exemple, au droit au juge (art. 19 al. 4), quisera au cceur de
i moment. la célebre affaire des écoutes téléphoniques, ainsi qu'à d'autres normes telles que
'. ou le príncipe général du le príncipe nulla poena sine lege, consacré à l'article 103 al. 2 26 5, ou l'institution de
·ime abord, il est assez aisé la justice constitutionnelle qui n'est garantie, de façon explicite, qu'aux
; divers éléments constitutifs articles 93, 94 et 100. En appliquant ce raisonnement, Roman Herzog en conclut
, Rechtsstaat. On peut citer, d'ailleurs qu'au vu du rôle «central» du Bzmdesveifasszmgsgericht pour le Rechtss-
gnité de l'être humain et aux taat, l'article 79 al. 3 prohibe la« suppression complete» de la Cour ainsi que tout
« ajfaiblissement essentiel desa position » "·. En revanche, il admet que le pouvoir
1
u contrôle juridictionnel de
Ljustice (art. 97), au contrôle de révision puisse supprimer le droit de recours des individus, c'est-à-dire la ~r-
térarchie des normes (art. 31, fassungsbeschwerde consacrée par l'article 93 al. 1 n" 4a.
itutionnel (art. 79 ai. 3), etc.
ces divers éléments, un prin- 2° L 'attitude de la Cour constitutionnelle fédérale
mple somme de ces éléments
o. D'apres ces auteurs, dont 142 Sur la question de l'existence d'un príncipe général de Rechtsstaat et desa locali-
Lire 25', le príncipe du Rechtss- sation au sein de la Loi fondamentale, il faut distinguer, parmi les innombrables
202"º. Des divergences appa- décisions de la Cour qui touchent de pres ou de loin à la problématique du
1droit exact au sein de l'ar- Rechtsstaat, entre celles qui relevem du contentieux constitutionnel ordinaire et
éas 2 et 3, d'aucuns le situem celles relatives au contentieux spécifique des lois constitutionnelles. S'agissant
du premier, ou la Cour est amenée à vérifier la conformité des lois ordinaires
qui, selon certains, l'est réel- avec la Loi fondamentale, les juges de Karlsruhe ont toujours admis l'existence
. 3 du Grundgesetz. Celui-ci d'un príncipe général du Rechtsstaat qu'ils se refusent pour autant à fixer dans le
·évision, dont notamment les seul article 20. Des le début, la Cour a ainsi estimé que « le droit constitutionnel
nné la nature particuliere du n'est pas uniquement composé des dijférentes dispositions de la constitution écrite,
('éléments (Sammelbegrijj} » 2 1,-1
mais aussi de certains príncipes généraux et idées directrices (Leitideen) qui les relient
gles, etc., son inclusion dans et les unissent intrinsequement et que le constituant, partant de cette vision globale
1e du champ d'application de préconstitutionnelle (vorverfassungsmdssige Gesamtbild), n'a pas concrétisés dans
qui ne sont pas mentionnés une disposition particuliere. Parmi ces idées directrices (. ..) figure le principe de l'État
de droit; il découle d'un aperçu global des dispositions de l'article 20 al. 3 (. ..) et des
articles 1 al. 3, 19 al. 4, 28 al. 1, ainsi que de la conception d'ensemble de la Loi fon-
-IMIDT-ASSMANN, op. cit., p. 989
damentale »m. Il s'agit là d'une formule qui revient de façon récurrente dans la
1x arcicles 20 ai. 1 et 28 ai. 1 consti- jurisprudence de la Cour 2" 8 • À vrai dire, si, dans le contentieux ordinaire, la ques-
s'interpréter l'un à la lumiere de tion de l'existence du príncipe du Rechtsstaat est d'un intérêt crucial - puisque
me conception du sens de ce terme,
la polysémie de ce terme permet au juge de déployer un large pouvoir normatif
tion, au príncipe d'indépendance de et de créer ainsi de nouvelles normes constitutionnelles telles que, par exemple,
mide 28 reste des lors assez floue. le príncipe de proportionnalité 21' 9 - , la question de son siege importe assez peu
cées infra note 269.
puisque toutes les dispositions sont placées sur un pied d'égalité.
s: K. STERN, op. cit., t. 1, p. 778;
_ITZ, op. cit., Rn. 38, p. 147 s.
xincipe du Rechtssttiat est ancré à la
~LITZ, op. cit., Rn. 38, p. 148.
phoniques (infra note 281) ainsi que 265. R. HERZOG, op. cit., Rn. 39, p. 272.
266. R. HERZOG, op. cit., Rn. 41, p. 273.
'a présente Lni fondamentale q11i 1011- 267. BVerfGE, 1,380 (403).
1 co11co11rs des Lãnder à la législation
268. II n'arrive que tres raremem à la Cour de memionner exclusivement l'arcicle 20 ai. 3 (cf., par
matérielles au pouvoir de révision, ex., BVerfGE, 35, 41 [47]; 39, 128 [143]), ou les deux arei eles 20 ai. 1 et 28 ai. 1" (cf., par ex., BVerfGE,
63, 343 [353]). Sur ces poims, cf E. SCHMIDT-ASSMANN, op. cit., p. 989 note 12.
!, p. 778. 269. Sur cette fonction de "réservoir normatif" du Rechtsstaat, cf. E. SCHMIDT-ASSMANN,
150 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat I..e défi de la dé1

143 La question se pose en tout autres termes lorsqu'il s'agit au contraire du contrôle Dans sa dé(
de constitutionnalité des lois constitutionnelles, qui ne peut s'opérer qu'au majorité de la
regard de certaines normes de référence définies de façon restrictive par l'ar- ticle 20, « le "p
ticle 79 al. 3. L'inclusion du príncipe général du Rechtsstaat dans ce noyau dur éléments consti
fut ainsi au centre du débat déclenché par la décision de príncipe de la Cour du ticle 20 al. 2 et
15 décembre 1970 170 • En l'espece, il s'agissait de savoir si la loi de révision du Rechtsstaat qui
24 juin 1968, qui a inséré l'actuel alinéa 2 de l'article 10 271 , pouvait valablement l' article 79 al. .
prévoir, en matiere d'écoutes téléphoniques, un contrôle politique exercé par al. 4 est égalen
une commission parlementaire, au lieu et place du contrôle juridictionnel tionnel n' est p
prévu, pour tout acte administratif, par l'article 19 al. 4 172 • De l'avis des requé- terme encomb
rants, le droit au juge constitue un príncipe intangible ou supraconstitutionnel, humain {art. 1
comme diront certains en France, auquel la loi de révision ne pouvait en aucune ration des pot
façon porter atteinte. Or, à l'époque, la doctrine estimait en majorité qu'au vu (art. 20 al. 3),
de l'énoncé de l'article 79 al. 3, seuls les príncipes consacrés dans les articles 1 ticle 79 al. 3, s
et 20, et non pas 1 à 20, comme le prétendait Wernicke, étaient intangibles, ce L'effet d'irradi
qui aurait par conséquent exclu l'article 19 al. 4. C'est tout au plus de façon indi- partir de l'un (
recte, par effet d'irradiation à partir des príncipes énoncés aux articles 1 et 20, Rechtsstaat app
que l'article 19 aurait pu prétendre à une telle protection 273 • 11 restait alors à iden- stérile pour la
tifier un príncipe général qui soit inscrit dans l'un de ces deux articles et qui fasse dents 281 • La Ct
référence au droit au juge. Les requérants ont, à cet effet, invoqué le príncipe du pnnc1pes en es
Rechtsstaat qu'ils identi.6.ent justement à l'existence d'un contrôle juridictionnel par un organe
généralisé 174. Deux questions se posaient des lors aux juges: Premierement, est- celui-ci soit d'u
ce que l'article 20 consacre un príncipe général du Rechtsstaat? Deuxiemement, juges majoritai
à supposer qu'il en soit ainsi, quel est le sens exact de ce terme, sacham que la Danssadéci
partie adverse invoque elle aussi l'autorité du Rechtsstaat à l'appui desa demande le príncipe gér
de rejet de la requête m? En effet, selon le gouvernement fédéral, le Rechtsstaat tence. L' articl,
n'interdit nullement l'existence d'un contrôle simplement politique, du consacrer le pri
moment que celui-ci est d'une efficacité équivalente par rapport au contrôle certains points
effectué par un juge. ti ele 79 al. 3 281 ,
Rechtsstaat "". F

276. II s'agit d'aill


droit de publier u r
op. cit., Rn. 7, p. 990 ss; K. SOBOTA, op. cit., pp. 399-411. II s'agit de l'argument principal que ces 277. Cf P. HÃBE
auteurs avancem pour s'opposer à la these de Philip Kunig qui nie l'existence et l'utilité d'un prín- Analyse und Kritil
cipe général de Rechtsstaat et qui, par conséquent, bannit l'usage de ce terme dans la doctrine et la 156 et les référen
jurisprudence. Art. 79 III GG für
270. BVerfGE 30, 1 [écoutes téléphoniques]. 278. BVerGE, 30,
271. Art. 10 LF: « 1. Le secret de la correspondance ainsi que le secret de la poste et des télécomm11nica- dort "niedergelegt ''
tions sont inviolables. - 2. Des restrictions ne pe11vent y être apportées q11 'en ver/11 d'zme !oi. Si la res- prinzips (. ..). » L' e~
triction est destinée à défendre l'ordre constit11tiom1el libéral et démocratiq11e, 011 l'existence 011 la sérnrité 279. Ibid., p. 25.
de l,1 Fédération 011 d'zm Lmd, la !oi peut disposer q11e l'intéressé n 'en sera pas informé et q11e le reco11rs 280. Ibid.
j11ridictiom1el est remplacé parle contrôle d'organes et d'organes a11xiliaires désignés par la représentation 281. Ibid., p. 40. l
d11 pe11ple. » en se fondant nor
272. Art. 19 ai. 4 LF : « Q11iconq11e est lésé dans ses droits par la puissance p11bliq11e dispose d'zm reco11rs- Rechtsstaat qu'est 1
juridictionnel. » 282. Ibid., pp. 25-
273. Pour plus de détails, cf infra n" 644, 650 et 662 s. 283. Cf infra n" 6,
274. BVerfGE, 30, 1 (9). 284. Dans sa déci,
275. BVerfGE, 30, 1 (15). a considéré que p.
m néologÍsme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 151

1git au contraire du comrôle Dans sa décision, vivemem contestée par trois juges dissidems' 76 et par la
qui ne peut s'opérer qu'au majorité de la doctrine'77 , la Cour de Karlsruhe estime que, s'agissant de l'ar-
le façon restrictive par l'ar- ticle 20, « le "príncipe du Rechtsstaat" n'y est pas "énoncé", mais seulement certains
ichtsstaat dans ce noyau dur éléments constitutifs précis du príncipe du Rechtsstaat » 278 • Selon les juges, l'ar-
n de príncipe de la Cour du ticle 20 al. 2 et 3 ne fait que consacrer certains aspects d'un príncipe général du
voir si la loi de révision du Rechtsstaat qui est bien plus large, mais qui n'est pas visé dans son intégralité par
e 10 171 , pouvait valablement l'article 79 ai. 3 "". Des lors, la réponse concernam l'imangibilité de l'article 19
mtrôle politique exercé par ai. 4 est également négative 28 º. Or, à vrai dire, la question du contrôle juridic-
du contrôle juridictionnel tionnel n'est pas emierement évacuée une fois que l'on a éliminé du débat le
ai. 4 172 • De l'avis des requé- terme encombram de Rechtsstaat. D'autres príncipes tels que la dignité de l'être
ble ou supraconstitutionnel, humain (art. 1 ai. 1), la juridicité des droits fondamentaux (art. 1 ai. 3), la sépa-
:vision ne pouvait en aucune ration des pouvoirs (art. 20 ai. 2) ainsi que la suprématie de la constitution
,timait en majorité qu'au vu (art. 20 ai. 3), qui font indéniablemem pareie du noyau dur protégé par l'ar-
consacrés dans les articles 1 ticle 79 ai. 3, soulevent eux aussi la question de la protection juridictionnelle.
1icke, étaiem intangibles, ce L'effet d'irradiation à l'égard de l'article 19 ai. 4 pourrait également s'opérer à
st tout au plus de façon indi- partir de l'un de ces príncipes. Vu sous cet angle, le débat sur la localisation du
fnoncés aux articles 1 et 20, Rechtsstaat appara1t des lors comme étam purement « théoríque », autremem dit
:tion 173 • II restait alors à iden- stérile pour la décision du cas d'espece, comme le notem les trois juges dissi-
: ces deux articles et qui fasse dents"'. La Cour est d'ailleurs obligée de réfuter, l'un apres l'autre, ces divers
effet, invoqué le príncipe du príncipes en estimam à chaque fois que la protection du droit peut se faire soit
d'un comrôle juridictionnel par un organe juridictionnel soit par un organe politique. II faut et il suffit que
IX juges : Premieremem, est- celui-ci soit d'une effi.cacité équivalente, ce qui est le cas en l'espece selon les cinq
Rechtsstaat? Deuxiemement, juges majoritaires "'.
: de ce terme, sacham que la Dans sa décision de 1970, la Cour refuse clone de localiser dans le seu! article 20
5taat à l' appui de sa demande le príncipe général du Rechtsstaat, dom elle ne conteste pas par ailleurs l'exis-
.emem fédéral, le Rechtsstaat tence. L'article 20 ne fait que garantir certains aspects du Rechtsstaat sans en
simplemem politique, du consacrer le príncipe général. Si, par la suite, la Cour de Karlsruhe est revenue sur
1te par rapport au comrôle certains points de sa décision de 1970, concernam la théorie générale de l' ar-
ticle 79 ai. 3 " 1, elle a tou jours confirmé son analyse en ce qui concerne le siege du
Rechtsstaat"'. Reste maimenam à définir le sens précis de ce terme assez ambigu.

276. II s'agit d'ailleurs de la premiere fois dans l'histoire de la Cour que les juges fone usage de leur
droit de publi~r une opinion dissidente (!ire BVerfGE, 30, 1 (33 ss). .
agir de l'argument principal que ces 277. Cf P. HABERLE, « Die Abhorentscheidung des Bundesverfassungsgerichts vom 15. 12. 1970.
nie l'existence et l'utiliré d'un prin- Analyse und Kritik des Urteils sowie des Minderheitsvorum vom 4 Januar 1971 »,JZ, 1971, pp. 145-
;e de ce terme dans la doctrine et la 156 et les références citées par K. STERN, « Die Bedeutung der Unantasrbarkeitsgarantie des
Art. 79 III GG für die Grundrechte »,]115, 1985, p. 329 note 4.
278. BVerGE, 30, 1 (24) : « Auch in Art. 20 GG sind mehrere Grnndsãtze niedergelegt, nicht jedoch ist
icret de la poste et des télécommtmirn- dort "niedergelegt" das "Rechtsstaatsprinzip~ sondem nur ganz bestimmte Grnndsãtze des Rechtsstaats-
ortées q11 'en ver/lt d',me /oi. Si la res- prinzips (. ..). » L'expression « niedergelegt » est celle utilisée par l'article 79 ai. 3.
10cratiq11e, 011 l'existence 011 la sérnrité 279. Ibid., p. 25_
1 'en sera p<1s informé et q11e le reco11rs 280. Ibid.
xiliaires désignés par la représentation 281. Jbid., p. 40. Les rrois juges minoriraires affirment ainsi le caractere imangible de l'article 19 ai. 4
en se fondant non pas sur le príncipe général du Rechtsst,tat, mais sur cet élément consrirurif du
'lissance p11bliq11e dispose d'un reco11rs- Rechtsstaat qu'est le principe de la sépararion des pouvoirs (art. 20 al. 2) (ibid., p. 41).
282. Ibid., pp. 25-28.
283. Cf infra n" 662 ss.
284. Dans sa décision du 23.4.1991 sur les expropriations en ex-RDA (BVerfGE, 84, 90 [121]), elle
a considéré que parmi les limites du pouvoir de révision figuraient également les « éléments /onda-
rl
152 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat f Le défi de la dé1
f

B. L'existence et le contenu du príncipe général du Rechtsstaat 1º La définitio

144 Depuis que le Rechtsstaat constitue une norme de droit positif, la question de sa 146 Selon Konrad
définition se pose avec une acuité accrue. L'éventail des significations véhiculées l'État, à la vie ,
sous ce terme est des plus larges, ce qui ne saurait guere étonner eu égard à son « d'un ordre gi
caractere vague et général que personne ne conteste"\ Si ses contours restem compte, autre,
ainsi flous, si son sens est sujet à des variations au gré du temps, il existerait tou- et le droit som
tefois, selon l'avis de la doctrine dominante, un noyau dur qu'il importe de dis- l'on trouve dé
tinguer soigneusement des aspects secondaires et éphémeres 18". La Cour consti- D'apres lui, la
tutionnelle fédérale, quant à elle, n'a jamais fourni une définition globale et de Rechtsstaat e
exhaustive du principe général du Rechtsstaat 1' 7 • Elle se contente d'une démarche du droit devam
prudente ou elle énonce de façon concrete, au cas par cas, les exigences qui en portou l'un pré
découlent. Selon une formule récurrente, le principe du Rechtsstaat, qui se struc- même qu 'il n 'e
ture autour de deux éléments clés que sont l'idée de« justice matérielle » et l'idée conditionnent 1
de la « sécurité juridique » 1"', a besoin « d'être concrétisé selon les données objec- mise en ceuvre L
tives » 1"'. Le Rechtsstaat garantit clone un systeme de légalité qui est conforme aux que grâce à l'o1
postulats du droit naturel. droit est placé
145 La doctrine a essayé de synthétiser et d'encadrer le phénomene normatif du Rechtsstaat » éq
Rechtsstaat, dont l'ampleur ne cesse de croitre. Certains insistem surtout sur la Le concept,
question théorique du lien entre le droit, le pouvoir et l'État; d'autres tentem de s' étonnera don
résumer les riches développements que le Rechtsstaat conna1t dans la dogma- ouvrages de dn
tique. La profusion inflationniste de significations attribuées, à tort ou à raison, juridique de l'J
au Rechtsstaat - qui fait figure de « bozte magique (Zauberkiste) » 190 - n'est pas outre-Rhin, du
sans susciter des inquiétudes : à la ferveur unanimiste d'apres guerre succede est le principe
ainsi une phase de désenchantement 191 • Or, sur les deux plans, théorique et dog-
matique, le terme de Rechtsstaat para1t superflu aux yeux de certains: soit il s'agit
d'un pléonasme par rapport au terme de Staat (1"), soit il ne s'agit que de la
somme de différentes normes sans aucune valeur dogmatique propre (2"). 292. K. HESSE, «
Recht dein Staat, d,
293. Jbid., p. 74.
294. Jbid., p. 79: ..
295. Cf mpra n" 1
111enta11x d11 príncipe de l'État de droit et de l'État social, qui se trouvent cunsacrés dans l'art. 20 ai. 1 et néerlandais Hugo
3 (Ebenso sind gnmdlegende Elemente des Rechts- und Sozialstaatsprinzips, die in Art. 20 Abs. 1 ,md similitude des con,
3 GG z11m A11sdmc¾ kommen, 211 achten) ». Orce disant, elle énonce seulement l'immutabilité des 296. Jbid., p. 75 : «
sous-principes de l'Etat de droit qui se trouvent expressément consacrés à l'article 20. La subordon- Vorrang des Rechts
née {~ qui se tro11vent ... ») ~e rattache en effet aux « éléments fondame11taux » et non pas au « príncipe Nachordnung brin,1
de l'Etat de droit et de l'Etat social », qui est au singulier. Dans le même sens, cf sa décision du at1Sschliessliche Her
14.5.1996 sur le droit d'asile (BVerfGE, 94, 49 [104)). wirksamen Grõsse 1
285. Cf, par ex., R. HERZOG, op. cit., Rn. 3; Ph. KUNIG, op. cit., p. 231 ss. durch rechtliche On
286. E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Enmehung und Wandel des Rechtsstaatsbegriffs », op. cit., 297. Jbid.
p. 143 s; K. STERN, Staatsrecht der BRD, op. cit., t. 1, p. 778. 298. ,On remarque
287. Cf K. HESSE, Gmndz11ge ... , Rn. 185, p. 84. de l'Etat de la RFA 1
288. La formule « Rechtssicherheit 1md materielle Richtigkeit oder Gerechtigkeit » revient de façon nition de l'État. Q
constante dans la jurisprudence de la Cour. Cf, par ex., BVeifGE, 7, 89 {92); 13,261 (271); 20,323 tion du Staat est é,
{331); 25,269 {290), 35, 41 {47), 41,323 {326), etc. tution. Sous le titr<
289. BVerGE, 7, 89 {92) [« Konkretisierung je nach den sachlichen Gegebenheiten »); 45, 187 (246); questions du lien e
etc. Cf K f:!.ESSE, op. cit., p. 84. tie relative au Rech,
290. G. PUTTNER, « Vertrauensschutz im Verwaltungsrecht », WDStRL, n" 32, 1974, p. 203. 299. Cf K. HESS
291. Sur l'évolution historique de la perception du Rechtsstaat au sein de la doctrine, cf Ph. KUNIG, administratif. Cf 1,
op. cit., p. 3 ss et surtout K. SOBOTA, op. cit., pp. 1-12. München, Beck, I'
l'un néologisme: /e Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat {1919-1933 et depuis 1949) 153

général du Rechtsstaat lº La définition du Rechtsstaat comme un État juridiquement constitué

:lroit positif, la question de sa 146 Selon Konrad Hesse, « dans l'État de droit, le droit donne à l'État à la réalité de
11 des significations véhiculées l'État, à la vie globale au sein de l'État, la forme et la mesure»"'. Jetant les bases
guere étonner eu égard à son « d'un ordre global de la vie politique et sociale » "3, le Rechtsstaat n' est en fin de

ste 28'. Si ses contours restent compte, autre que l'État constitué juridiquement"'. Dans l'État de d;oit, l'État
;ré du temps, il existerait tou- et le droit sont intimement imbriqués. Hesse s'inspire ici de certains themes que
>yau dur qu'il importe de dis-
:phémeres's". La Cour consti-
rni une définition globale et
e se contente d'une démarche
; par cas, les exigences qui en
'
f
l'on trouve déjà énoncés dans la théorie organiciste de Gierke et de Bahr 195 •
D'apres lui, la« primauté du droit (Primat des Rechts) », qui est au cceur de l'idée
de Rechtsstaat cons~crée par, la Loi fondamentale, « ne signifie non pas la préséance
du droit devant "l 'Etat". L 'Etaf et le droit ne se laissent pas concevoir selon un rap-
port ou l'un précede l'autre. L 'Etat ne peut pas disposer du droit de façon exclusive de
)e du Rechtsstaat, qui se struc- même qu'il n'existe aucune domination exclusive du droit sur l'État. Les deux se
e « justice matérielle » et l'idée
crétisé selon les données objec-
1 conditionnent mutuellement. Le droit ne devient une grandeur réelle qu 'à travers sa
mise en reuvre et sa sauvegarde par l'État et, inversement, l'État n'accede à la réalité
: légalité qui est conforme aux que grâce à l'ordre juri~ique »"''. L'État est situé dans le droit de même que le
droit est placé dans l'Etat, ce qui signifie encore que tout « renforcement du
Rechtsstaat » équivaut à un « renforcement de l'État lui-même » "'.
· le phénomene normatif du
Le concept de Rechtsstaat sert ainsi de définition juridique de l'État. On ne
rtains insistem surtout sur la
s'étonnera clone guere de ne point trouver de définition du simple Staat dans les
r et l'État; d'autres tentem de
ouvrages de dr9it constitutionnel'". La notion fondamentale de la personnalité
,taat connait dans la dogma-
juridique de l'Etat, qui reste la clé de voute du droit public en France, a dispam
attribuées, à tort ou à raison,
outre-Rhin, du moins dans la sphere du droit constitutionnel '"'. Le Rechtsstaat
(Zauberkiste) » "º - n' est pas
est le príncipe constitutif qui structure et rationalise l'exercice du pouvoir
miste d'apres guerre succede
deux plans, théorique et dog-
yeux de certains : soit il s' agir
º), soit il ne s' agit que de la
logmatique propre (2"). 292. K. HESSE, « Der Rechtsstaat im Verfassungssystem ... », op. cít., p. 73 : « Im Rechtsstaat gibt das
Recht dem Staat, der Wirksamkeit des Staates, dem Gesamtleben innerhalb des Staates Mass und Fonn. »
293. Ibid., p. 74.
294. Ibid., p. 79: « Im sozialen Rechtsstaat (. ..) ist der Staat rechtlich gebundener Staat. »
295. Cf supra n" 101 note 199 et K. SOBOTA, op. cit., p. 37. Elle cite les opinions de Gierke et du
011vent consacrés dans l'art. 20 ai. 1 et néerlandais Hugo Krabbe (Die moderne Staatsidee, 2' éd., Den Haag, 1919) et évoque à ce sujet la
rtsprinzips, die in Art. 20 Abs. 1 1md similitude des conceptions organicistes avec la these kelsénienne de l'idencité du droit et de l'État.
nonce seulemenc l'immutabilité des 296. Ibid., p. 75 : « lm Rechtsstaat des Gmndgesetzes gi!t das Primai des Rechts. Das bede11tet nicht einen
:onsacrés à l'article 20. La subordon- Vorrang des Rechts vor dem "Staat ". Staat und Recht lassen sich nicht in ein Verhãltnis der Vor- oder
iamenta11x » et non pas au « príncipe Nachordnung bringen. Der Staat kann nicht ausschliesslicb tiber das Recht verfiigen, tmd es gibt keine
ns le même sens, cf sa décision du ausschliessliche Herrschaft des Rechts über den Staat. Beide bedingen einander. Das Recht wird zu einer
wirksamen Grõsse mir in der Ausgestaltung und Sichertmg durch den Staat wie mngekehrt der Staat est
o. cit., p. 231 ss. durch rechtliche Ordmmg Wirklichkeit gewinnt. »
des Rechtsstaatsbegriffs », op. cit., 297. Ibid.
298. ,On remarquera ainsi que le célebre traité de Klaus STERN, en cinq tomes, consacré au Droit
d': l'Etat de ~a RFA (Staatsrecbt der BRD) ne concient aucun chapirre ou paragraphe traitant de la défi-
der Gercchtígkeit » revienc de façon ~1tion de l'Etat. Quanc à l'ouvrage de K. HESSE (Gnmdztige des Verfassungsrecht der BRD), la ques-
"JE, 7, 89 (92); 13,261 (271); 20,323 t1on du Staat est évoquée au sein du paragraphe consacré au concept et à la spécificité de la consti-
tution. Sous le titre L 'ttnité politiqtte et l'ordre j11ridiq11e com me défis (A11/gabe) (p. 5 ss), il aborde les
1en Gegebenheiten »]; 45, 187 (246); questio1;1s du lien entre le P?uvoir ~t !e droit, questions que l'on retrouvera par la suite dans la par-
ne relanve au Rechtsstaat. Lire auss1 K. SOBOTA, op. cit., p. 428-9.
e», WDStRL, n" 32, 1974, p. 203. 299. Cf K. HESSE, Grnrzdztige ... , op. cit., p. 6. On trouve toutefois encore le concept en droit
u sein de la doctrine, cf Ph. KUNIG, administratif. Cf les renvois chez R. ZIPPELIUS, Allgemeine Staatslehre. Pulitikwissenschaft, 13' éd.,

l
München, Beck, 1999, p. 92 ss.

1
154 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la dén;

public, voire privé 300 , selon le double objectif que sont la justice et la sécurité ticle 16 de la L
juridique. Le Rechtsstaat devient synonyme du tout puisqu'il « transcende tous piliers sont don
les étage~ de l'ordre étatique » 30 '. Or7 des lors qu'il ne peut y avoir d'État sans présente « sous
droit, l'Etat est, par définition, un Etat de droit. Le caractere « pléonastique » de jectif et un ordOi
l'expression Rechtsstaat, s'il est latent chez tous les auteurs influencés par une La plupart d
vision proche de l'organicisme, est du reste affirmé de façon tres claire par une liste de pri1
Wilhelm Wertenbruch 301 • Selon ce défenseur de la doctrine du droit naturel, seul Parmi ces divers
un régime politigue qui met l'ho~me au centre de ses préoccupations mérite tence et la supr,
d'être qualifié d'Etat ou encore d'Etat de droit 303 • Mais cette critique du terme humain, de la 1
n'a connu qu'un faible écho parmi les juristes d'outre-Rhin. Ces derniers se chie du droit (s
servent de plus en plus du terme de Rechtsstaat au point de provoquer une administratifs e
virulente critique. tection des indi
lois -, par le 6
2º L 'inflation de significations ou le « crépuscule du Rechtsstaat » ·104 6) principe de 1,
tionnalité. Cett,
147 Le discours duRechtsstaat connaí't un succes hors pair sous l'empire de la Loi fon- rôle central jow
damentale. L'observateur est littéralement submergé parles milliers d'ouvrages, questions de la
de traités, d'articles et de décisions de justice qui traitent de pres ou de loin du pénal, etc., ainsi
Rechtsstaat 30'. Face à cet usage débordant et à cette « image d'ensemble diffuse », précision, la ela
rares sont les auteurs qui ont essayé d'en donner une dêfinition synthétique 1º". de cause, la liste
Outre la tentative de K. Hesse, on peut citer les définitions de Klaus Stern et de l' on décortique
Eberhard Schmidt-Assmann. Selon la célebre définition du premier, « l'État de multiples sous-r
droit signifie que !e pouvoir étatique ne peut être exercê que sur !e fondement d'une par le Rechtsstac1
constitution et de !ois conformes, d'un point de vue formei et matériel, à cette der- tit ainsi à une lis
niere, et dans !e but de garantir la dignité de l'homme, la liberté, la justice et la sécu- du droit public
rité juridique » 107 • D'apres le second, le Rechtsstaat vise à asseoir un « ordre de paix 17 catégories dil
par !e droit, garanti par l'État (staatsgewâhrleistete Friedensordnung durch double emploi a
Recht) » 108 • À la résolution des litiges par la force est substitué le regne du droit, elle range tout,
lequel se concrétise dans les deux exigences fondamentales formulées par l'ar- humaine à part,
148 Face à cette mu
cer l'usage abusi
300. Cf H. SCHULZE-FIELITZ, op. cit., Rn. 1, p. 131 : « D11 point de v11e de /,1 théorie de la comti- Apres le consen
ttttion, !e Rechlsstaal form11/e l'exigence q11e, dam rme société politiq11e (Gemeinwesen}, !e po11voir poli-
tique el social soil exercé essentiellemenl selon les criteres d11 droil el de /,1 justice (Gerechtigkeil), même si Rechtsstaat, se f
ce/,1 va à !'encontre des comidératiom d'opportrmité po!itiq11e d11 po11voir. » années 1980, avt
301. K. HESSE, « Der Recht55taat ... », op. cit., p. 76. pas à prôner l'a
302. W. WERTENBRUCH, « Erwagungen zur materiellen Recht55taatlichkeit », in Festschrifi frir
Hennann]ahrreiss, Kõln, Heymann, 1964, p. 488.
303. Ibid. Cf au55i le5 référence5 citée5 à l'appui de 5a conclu5ion, ibid. p. 488 note 4. E. BENDA,
op. cit., Rn. 9, p. 723 reprend l'argument 5an5 toutefoi5 en tirer aucune con5équence. 309. Ibid., p. 1009 n
304. D. MERTEN, « Recht55taat5dammerung », in Festschrifi zum 70. Geburlstag von Rudolf S,1m- 310. Ibid., Rn. 4, p.
per, Stuttgart, 1982, p. 35 55. 31 !. Jbid., Rn. 46, F
305. Voire la bibliographie volumineu5e de5 ouvrage5 de Ph. KUNIG et de K. SOBOTA. ais objektive Frmklio
306. K. SOBOTA, op. cit., p. 21. On trouve un expo5é de diverse5 définition5 chez Ph. KUNIG, 312. K. STERN, D
op. cit., p. 117 55. 313. Cf H. SCHUI
307. K. STERN, Das Staatsrecht der BRD, op. cit., t. 1, p. 781 : « Recl11ssta,1t/ichkeil bede11tet, dass die 314. Ibid., pp. 178-1
Armibrmg staat!icher Macht mir arif der Gnmdlage der Verfasstmg rmd von fomze!l ,md materiell ver- 315. K. SOBOTA,
fassrmgsmãssig erlassenen Gesetzen mit dem Ziel der Gewãhrleistzmg von Menschenwrirde, Freiheil, 316. Voir le tableau
Gerechtigkeil rmd Rechtssicherheit 211/ãssig isl. » 317. K. SOBOTA,
308. E. SCHMIDT-ASSMANN, op. cil., Rn. 1, p. 988. 318. Ph. KUNIG, J
un néologzsme : le Rechtsstaat

sont la justice et la sécurité


r
r
r
lt
Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949)

ticle 16 de la Déclaration de 1789 1º'. Le príncipe du Rechtstaat, dont les deux


155

l
t puisqu'il « transcende tous piliers sont clone la dignité de l'être humain et la séparation des pouvoirs 310 , se
ne peut y avoir d'État sans
ti présente « sous un angle systématique, comme un ordonnancement du statut sub-
caractere « pléonastique » de jectif et un ordonnancement des fonctions objectives » 311 •
; auteurs influencés par une La plupart des auteurs se contentem d'énumérer sous le titre du Rechtsstaat
mé de façon tres claire par une liste de príncipes et de regles que l'on range habituellement sous ce terme.
octrine du droit naturel, seul Parmi ces diverses listes, on peut citer celle en sept points de K. Stern 311 : 1) l'exis-
e ses préoccupations mérite tence et la suprématie de la constitution; 2) les principes de la dignité de l'être
vlais cette critique du terme humain, de la liberté et de l'égalité; 3) la séparation des pouvoirs; 4) la hiérar-
outre-Rhin. Ces derniers se chie du droit (suprématie de la constitution sur la loi et de la loi sur les actes
au point de provoquer une administratifs et juridictionnels); 5) garantie effective et généralisée d'une pro-
tection des individus, y compris à l'égard des actes étatiques - ce qui inclut les
!ois -, par le biais d'un juge indépendant stati;ant selon une procédure légale;
e du Rechtsstaat » JQ-1
6) principe de la responsabilité juridique de l'Etat; 7) le principe de la propor-
tionnalité. Cette liste est loin d'être complete : il faudrait au moins y ajouter le
ir sous l'empire de la Loi fon- rôle central joué dans le Rechtsstaat par la !oi "3, ce qui renvoie entre autres aux
;é parles milliers d'ouvrages, questions de la réserve de la loi, de la légalité en droit administratif et en droit
:aitent de pres ou de loin du pénal, etc., ainsi que les diverses exigences du príncipe de sécurité 314 que sont la
« image d'ensemble diffuse »,
précision, la clarté, la prévisibilité et la non-rétroactivité du droit. En tout état
ne définition synthétique 'º''. de cause, la liste de K. Stern s'élargit au fur et à mesure que l'on concrétise et que
~nitions de Klaus Stern et de l'on décortique les divers príncipes mentionnés qui, à leur tour, renvoient à de
iition du premier, « l'État de multiples sous-príncipes. Au terme d'une analyse du champ sémantique couvert
ré que sur le fondement d'une parle Rechtsstaat au sein de la doctrine de droit public, Katherina Sobota abou-
Ónnel et matériel, à cette der- tit ainsi à une liste impre~sionnante de 142 normes qui touchent à tous les aspects
·, la liberté, la justice et la sécu- du droit public et de l'Etat modernes 3 ' 5• Elle les regroupe, quant à elle, dans
ise à asseoir un « ordre de paix 17 catégories différentes 31 '', apres en avoir éliminé tous les éléments qui feraient
tete Friedensordnung durch double emploi avec les autres príncipes structurels de la Loi fondamentale. Ainsi,
tsubstitué le regne du droit, elle range coute la problématique des droits fondamentaux et de la dignité
mentales formulées par !'ar- humaine à part, ce qui est assez peu orthodoxe 317 •
148 Face à cette multiplicité de sens, des voix critiques se sont élevées pour dénon-
cer l'usage abusif du terme de Rechtsstaat, quine serait plus qu'une coquille vide.
poim de vue de la théorie de la consti- Apres le consensus des années d'apres-guerre, marquées par une idéalisation du
tique (Gemeinwesen}, !e pouvoir poli- Rechtsstaat, se fait jour une nette désillusion qui transparah surtout dans les
·t de la justice (Gerechtigkeit), même si
1ou·vozr.)) années 1980, avec la publication de l'ouvrage de Philip Kunig 3' 8 • Celui-ci n'hésite
pas à prôner l'abandon pur et simple du terme de Rechtsstaat dans !'argumenta-
~chtsstaatlichkeit », in Festschrift fiir

on, ibid. p. 488 note 4. E. BENDA,


aucune conséquence. 309. Ibid., p. 1009 note 126 ou il cite également la définition similaire du Rechtsstaat de Carl Schmitt.
mm 70. Geburtstag von RudolfSam- 310. Ibid., Rn. 4, p. 990.
311. Ibid., Rn. 46, p. 1009 : « Systenwtisch út das Rechtsstaatsprinzip ais subjekcive Statusordmmg rmd
UNIG et de K. SOBOTA. ais objektive Frmktionenordnung zu entf,ilten. »
•erses définitions chez Ph. KUNIG, 312. K. STERN, Das Staacsrecht der BRD, op. cit., t. 1, p. 784_
313. Cf H. SCHULZE-FIELITZ, op. cic., p. 152 s, pp. 166-178.
« Recbtsstaatlichkeit bedeutet, dass die 314. Ibid., pp. 178-191.
•g rmd von Jormell tmd materiell ver- 315. K. SOBOTA, op. cit., pp. 27-254. La liste complete se trouve pp. 254-257.
ist,mg von Menschenwrirde, Freiheit, 316. Voir le tableau récapitulatif ibid., pp. 520-522.
317. K. SOBOTA, op. cit., p. 419 ss et p. 444 ss.
318. Ph. KUNIG, Das Rechtsstaatsprinzip, op. cit., 1986, spéc. p. 89 ss, 109 s et 457 ss.

l
156 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat I..e défi de la dé1.

tion des juges et des juristes. Si le terme garde une certaine valeur heuristique et trouve accentu
pédagogique, en ce qu'il permet de synthétiser sous un seul terme un faisceau de II s'agit, d'une
príncipes et de regles, du plus général au plus particulier, il n'a en revanche aucun remontent aux
contenu dogmatique propre. li n'est que la somme de ses éléments constitutifs vation de la th(
sans y ajouter quoi que ce soit de nouveau "". II s'ensuit que ni l'article 20 ni la cumul nait un
Loi fondamentale dans son intégralité ne consacrent à aucun moment un soi- libérales et, dai
disant principe général du Rechtsstaat' 20 • Lors d'un différend juridique, il est des pour l'essentiel
lors préférable de s' abstenir de se référer au Rechtsstaat et de résoudre la question c'est-à-dire un
posée par référence à des concepts plus précis, tels que les droits fondamentaux, tend à l'être.
la séparation des pouvoirs, la suprématie de la constitution, etc. Même la fonc-
tion de réservoir normatif du terme, qui permet de cautionner le pouvoir créa- A. LeR
teur du jugem, est mieux prise en charge, selon Ph. Kunig, par le concept des
droits fondamentaux. II est à noter à cet égard que la Cour constitutionnelle, 150 Au lendemain
apres avoir fait découler le príncipe (prétorien) de la proportionnalité du prín- d'un positivisr
cipe (non-écrit) du Rechtsstaat, ena situé la source dans le concept des droits fon- bruch, qui reni
damentaux 321 • Par conséquent, le recours au terme Rechtsstaat est parfaitement droit naturel, «
inutile : au mieux il est surabondant, au pire il crée une confusion dans l'esprit la loi ", laissé les
du public et des juristes. Orla critique de Ph. Kunig n'est guere reprise par la et criminel » 3".
majorité des auteurs. L'année 1989 voit, au contraire, rena1tre le discours du droit naturel "'
Rechtsstaat dans toute sa splendeur : au vu des problemes délicats engendrés par tionnelle fédér,
le traitement juridictionel par un État de droit, i.e. la RFA, de situations nées matérialisation
d'un régime totalitaire, i.e. la RDA 321 , on revient à la célebre formule de Rad- La rupture ave
bruch, selon lequel les lois contraires à des príncipes essentiels de justice ne sont en ce qu1 conei
point des lois. II s'agit là de l'une des sources d'inspiration principales du dique des droit
concept de« demokratischer Rechtsstaat », tel qu'il fut fondé apres 1945 et dont Chacun de ces
il importe à présent de définir les grandes lignes institutionnelles. constitutionne

§ 2. LE MODELE INSTITUTIONNEL DE L'ÉTAT DE DROIT


DÉMOCRATIQUE DE 1949 324. G. RADBRL
reprod. in id., Ges,
n" 494 et 530 ss.
149 Apres la période noire du Ill' Reich qui sert tout à la fois de repoussoir et de cata- 325. Pour un résu,
lyseur, les peres fondateurs de la Loi fondamentale entendaient renouer avec la blick auf die Rena
tradition libérale du XIX' siecle. Le modele du Rechtsstaat consacré en 1949 schaft. Fre11ndesg,1b,
« Die Naturrecht·
devient le point de convergence de deux évolutions majeures, dont l'ampleur se M. STOLLEIS et ,
1991, pp. 131-132.
326. H.J. FALLEI
lichen Rechtsprecl
319. À comparer avec la critique similaire de G. Marshall à l'égard du concept de ruleoflaw(cf infra 327. Parmi les ,
n· 269). Cf E. FORSTHO
320. Ph. KUNIG, op. cit., p. 482 ou il affirme qu'une « norme c'!_nstit111ionnelle indépend,mte intit11- Verfass,mgsrechtl ici
lée "príncipe d11 Rechtsstaat" n'est pas en vig11eur "· Cf aussi R. BAUMLIN & H. RIDDER, op. cit., réserves de E.-W.
p. 1369; K-P. SOMMERMANN, op. cit., p. 104 s. également citer la
321. C'est l'argumem principal avancé par ceux qui défendem l'existence d'un príncipe général malisierung des 1
de Rechtsstaat. Cf E. SCHMIDT-ASSMANN, op. cit., Rn. 7, p. 990 ss; K. SOBOTA, op. cit., K.H. LADEUR, l-
pp. 399-411. tulat? »,]115, 1981.
322. Cf les références chez K. SOBOTA, op. cit., p. 5; H. SCHULZE-FIELITZ, op. cit., p. 194. bürgerlichen Rech,
323. Cf le numéro 51 de VVDStRL, 1992 consacré à Der Rechtssta<1t 11nd die Aujúbeit11ng der tique de la matéri,
vorrechtsstaat!ichen Vergangenheit. Cour constitution,

l
'un néologisme : !e Rechtsstaat

certaine valeur heuristique et


ri Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949)

trouve accentuée, de façon exponentielle, par l'expérience du régime hitlérien.


157

; un seul terme un faisceau de li s'agit, d'une part, du phénomene de juridictionnalisation, dont les débuts
ulier, il n'a en revanche aucun
e de ses éléments constitutifs
l remontem aux théories de Bahr, Gneist et Mayer, et, d'autre part, de la réacti-
vation de la théorie du droit naturel qui a commencé des les années 1920. De ce
'.nsuit que ni l' article 20 ni la cumul nalt un État de droit tout entier axé sur la défense des valeurs humanistes,
~nt à aucun moment un soi- libérales et, dans une moindre mesure, socialistes, dont la sauvegarde est confiée
différend juridique, il est des pour l' essentiel au juge. Le Rechtsstaat est clone à la fois un « Gerechtigkeitsstaat »,
·aat et de résoudre la question c'est-à-dire un État juste, et un « Richterstaat », un État des juges. Du moins, il
que les droits fondamentaux, tend à l'être.
tstitution, etc. Même la fone-
e cautionner le pouvoir créa- A. Le Rechtsstaat comme « Gerechtigkeitsstaat (État juste) »
'h. Kunig, par le concept des
1e la Cour constitutionnelle, 150 Au lendemain de la barbarie nazie, la science juridique allemande se détourne
la proportionnalité du prin- d'un positivisme formaliste accusé des pires turpitudes. D'apres Gustav Rad-
lans le concept des droits fon- bruch, qui renie en 1945 son passé de positiviste et se fait l'avocat d'un retour au
e Rechtsstaat est parfaitement droit naturel, « !e positivisme juridique a en effet de par sa conviction que "la !oi est
e une confusion dans l'esprit la !oi': laissé les juristes allemands sans défense à l'égard de fois à contenu arbitraire
mig n'est guere reprise par la et criminel » 324 • Dans ce contexte a lieu une vaste "renaissance" de la théorie du
raire, rena1tre le discours du droit naturel 115, qui a marqué de son sceau la jurisprudence de la Cour constitu-
Jlemes délicats engendrés par tionnelle fédérale et ce jusqu'à nos jours"". Il existe un large consensus sur cette
e. la RFA, de situations nées matérialisation du Rechtsstaat, qui n'est contesté que par une infime minorité 327 •
à la célebre formule de Rad- La rupture avec l'héritage du positivisme de Weimar est nettement perceptible
es essentiels de justice ne sont en ce qui concerne la question, si vivement débattue à l'époque, du statut juri-
d'inspiration principales du dique des droits fondamentaux et des limites matérielles du pouvoir de révision.
fut fondé apres 1945 et dont Chacun de ces aspects met en évidence les fondements de droit naturel de l'ordre
1stitutionnelles. constitutionnel érigé en 1949.

: L 'ÉTAT DE DROIT
149 324. G. RADBRUCH, « Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht », S]Z, 1946, p. 107,
reprod. in id., Gesamta11sgabe, éd. par A. Kaufmann, Heidelberg, Müller, 1990, t. 3, p. 88. Cf infra
n" 494 et 530 ss.
la fois de repoussoir et de cata- 325. Pour un résumé des différemes conceptions doctrinales du droit naturel, cJ. K. KÜHL, « Rück-
e entendaient renouer avec la blick auf die Renaissance des Naturrechts nach dem 2. Weltkrieg », in Geschicht!iche Rechtswissen-
schaft. Fre11ndesgabe für A. Sõllner, Giessen, Brühlscher Verlag, 1990, pp.331-357; A. KAUFMANN,
Rechtsstaat consacré en 1949 « Die Naturrechtsrenaissance der ersten Nachkriegsjahre - und was daraus geworden ist », in
ts majeures, dom l'ampleur se M. STOLLEIS el alii (dir.), Die Bede11tung der Wõrter. Festschrift ftir Sten Gagner, München, Beck,
1991, pp. 131-132.
326. H.J. FALLER, « Wiederkehr des Nacurrechts? Die Naturrechtslehre in der hõchstrichter-
lichen Rechtsprechung von 1945 bis 1993 »,jõR, vol. 43, 1995, pp. 1-17.
;ard du concept de rufe oflaw (cf infra 327. Parmi les voix critiques, on trouve certains représentants d u courant schmittien.
Cf E. FORSTHOFF, « Die Umbildung des Verfassungsgesetzes », in id., Der Rechtsstaat im Wandel.
, consti11aionnelle indépend,mte intíw- Verfass1mgsrecht!iche_.(lbhandl11Yf_gen (1950-1964), Stuttgart, Kohlhammer, 1964, pp. 147-175 et les
BÃUMLIN & H. RIDDER, op. cit., réserves de E.-W. BOCKENFORDE, « Entstehung und Wandel... », op. cit., p. 164 ss. On peut
également citer la critique de certains auteurs marxistes. Sur ces derniers, cf D. GRIMM, « Refor-
~nt l'cxistence d'un príncipe général malisierung des Rechtsstaats ais Demokratiepostulat? », ]11S, 1980, pp. 704-709; F. HASE,
7, p. 990 ss; K. SOBOTA, op. cit., K.H. LADEUR, H. RIDDER, « Nochmals: Reformalisierung des Rechtsstaats ais Demokratiepos-
tulat? »,]11S, 1981, pp. 794-798; I. MAUS,«« Entwicklung und Funktionswandel der Theorie des
,CHULZE-FIELITZ, op. cit., p. 194. bürgerlichen Rechtsstaats », op. cit. ; R. BA ÜMLIN & H. RIDDER, op. cit, spéc. p. 1367 ss. Leur cri-
Rechtsstadl 1md die A11farbei111ng der tique de la matérialisacion, qui se veut une défense de la démocratie, vise surtout le pouvoir de la

i Cour constitutionnelle fédérale dom on craint !e conservatisme face à des gouvernements de gauche.

UFR8S
-.ftCULDADE DE DlftEna;-
1 ' - BIBLIOTECA
158 À la recherche du sens d'un néologisme: !e Rechtsstaat Le défi de la ,

151 La rédaction de l'article 1 de la Loi fondamentale a valeur de symbole à cet égard. diques /onda
Le constituam se contente de proclamer le caractere « intangible » de la dignité juges de Ka
humaine sans prétendre à en fixer le contenu. L'existence de la dignité humaine 18 décembre
est présupposée par le constituant 328 • Le caractere pré-étatique de la dignité Loi fondamc
humaine est confirmé par l'alinéa 2 de ce même article, qui énonce que « !e faisant, la Cc
peuple allemand reconnaít les droits de l'homme, intangibles et inaliénables, comme censée être S(
fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans !e pouvoir cons,
monde ». Au lieu de poser ex nihilo des droits subjectifs, le constituam de 1949 rechute dans
ne fait que « reconnaítre » les droits de l'homme qui existem indépendamment depuis longtc
de toute loi positive. 11 en découle la distinction entre les « droits de l'homme », lois iniques t
reconnus par l'alinéa 2, et les « droits fondamentaux », énoncés par l'alinéa 3 de cet esprit lég
l'article 1 : si les premiers som des droits naturels, les seconds en constituem la constituant u
traduction en droit positif, sans pour autant les épuiser. Cette vision dualiste 1 dangerde vo
r
s'exprime également dans l'article 20 al. 3 qui prévoit la soumission de l'exécu- tranchée des
tif et de la justice « à la !oi et au droit ». Le Grundgesetz de 1949 entend mettre fin
au débat sur la nature juridique ou politique des droits et libertés constitution-
nels : selon l'article 1 al. 3, les « droits fondamentaux (. ..) lient !e powuoir législatif,
!e pouvoir exécutif et !e pouvoir jttdiciaire à titre de droit directement applicables ».
Suit la liste des droits fondamentaux énoncés notamment aux articles 1 à 19.
l sition de la
23 avril 199 l
ne peut passe
clone être le ~
du droit nat1
L'accent y est mis sur la réaffirmation des libertés classiques bafouées par les positives et, ,
nazis, au détriment des droits socio-économiques qui som presque absents·"''.
Enfin, l'article 19 al. 2 dispose qu'« en auczm cas il ne peut être porté atteinte à B. L
l'essence (Wesensgehalt) d'un droit fondamental ».
152 La protection des droits fondamentaux a atteint un niveau inconnu jusque-là 153 Que le Bunl,
avec le mécanisme de l'article 79 al. 3, qui transcrit en droit positif l'idée lancée est devenu ur
en 1928 par Schmitt. En souvenir de la loi constitutio~nelle du 23 mars 1933, éminente, pc
qui a accordé les pleins pouvoirs à Hitler, les constituants de 1949 ont voulu autre juridic
immuniser l'essence de l'ordre démocratique et libéral établi par la Loi fonda- compétence
mentale. À cet effet, l'article 79 al. 3 interdit toute révision constitutionnelle qui caractéristiq t
toucherait à la structure fédérale du pays ou aux « príncipes consacrés dans les sa décision d1
articles 1 et 20 » "°. S'il s'agit là d'une solution de droit positif, la théorie du droit pays occiden
naturel a néanmoins joué un rôle décisif dans la définition du statut juridique du des juges ». L
pouvoir constituam (originaire). À cette occasion, la césure avec l'esprit du posi- considérée, r
tivisme appara1t de façon évidente. S'inspirant de la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle bavaroise qui a joué un rôle de pionnier en la matiere 331 , la
332. Décision d
Cour de Karlsruhe estime ainsi qu'il existe des príncipes juridiques si fonda- 333. BVerJGE,:
mentaux qu'ils lient même le pouvoir constituam (originaire). D'emblée, elle 334. lbid., p. n
affirme en 1951 qu'une assemblée constituante est liée par« les príncipes juri- 335. Jbid. En l't
336. BVerfGE, i
337. Cf H. SI
H.J. VOGEL (ti
verfassungsgeric
328. Pour cette lecture jusnacuraliste, cf R. HERZOG, op. cit., Rn. 14, p. 263 s. , 1987, pp. 665-6
329. Le Grrmdgesetz proclame dans ses anicles 20 et 28 le principe général du Sozialstaat, de l'Etat- deutschen Verfa
providence sans en préciser toutefois le comenu. Seules quelques disposirions (an. 9 ai. 3, 14 et 15) 338. Cf les dévt
évoquent la dimension sociale et économique des droits de l'homme. 339. Décision d
330. Sur ce poim, cf infra 2' panie, titre II, chap. 2. azare trait spécif
331. Sur coute cette question, cf les développements infra n" 657 ss . et démocratiq11e.,

......
'un néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 159

,aleur de symbole à cet égard. diques Jondamentaux qui sont antérieurs et supérieurs à tout droit écrit »"'. Les
re « intangible » de la dignité juges de Karlsruhe précisent leur position dans la décision de príncipe du
istence de la dignité humaine 18 décembre 1953 ou ils affirment à la fois la suprématie du droit naturel sur la
re pré-étatique de la dignité Loi fondamentale et leur propre compétence pour en vérifier le respect 313 • Ce
article, qui énonce que « le faisam, la Cour s' arroge le droit du dernier mot même à l' égard de cette instance
:ngibles et inaliénables, comme censée être souveraine qu'est le constituam. Pour la Cour, accepter l'idée que« le
paix et de la justice dans le pouvoir constituant oríginaire peut tout régler selon sa volonté, équivaudrait à une
1ectifs, le constituam de 1949 rechute dans la mentalité d'un positivisme axiologiquement neutre, qui est dépassé
ui existem indépendamment depuis longtemps dans la science et la pratique juridiques » 334 • En se référant aux
11tre les « droits de l'homme », lois iniques d'Hitler, les juges rappellem à quel poim il est essentiel de dépasser
:x », énoncés par l'alinéa 3 de cet esprit légaliste face à un législateur qui peut se tromper : « Même le pouvoir
les seconds en constituem la constituant originaire n'est pas, d'un point de vue théoríque, immunisé contre le
fpuiser. Cette vision dualiste danger de vouloir enfreindre ces limites suprêmes de la justice. » 335 Cette position
voit la soumission de l' exécu-
,etz de 1949 entend mettre fin
1 tranchée des juges, quine som toutefois jamais allés jusqu'à annuler une dispo-
sition de la Loi fondamemale, a d'ailleurs été confirmée dans la décision du
lroits et libertés constitution-
:x (. ..) lient le pouvoir législatif,
1 23 avril 1991, ou la Cour rappelle que même le pouvoir constituam originaire
ne peut passer outre les « postulats fondamentaux de la justice» 336 • Le juge s'estime
lroit directement applicables ».
tammem aux articles 1 à 19.
és classiques bafouées par les
i clone être le gardien non seulemem du texte écrit de la Constitution, mais encare
du droit naturel, de cette constellation de valeurs qui se trouve au-delà des !ois
positives et, en premier lieu, de la Loi fondamentale.
; qui som presque absentsm.
il ne peut être porté atteinte à 1 B. Le Rechtsstaat comme « Richterstaat (État des juges) »

un niveau inconnu jusque-là 153 Que le Bundesveifassungsgerícht se situe au creur du demokratischer Rechtsstaat
t en droit positif l'idée lancée est devenu un lieu commun de la science juridique allemande 337 • Sa situation pré-
tutio~nelle du 23 mars 1933, émineme, pour ne pas dire dominante, est à bien des égards incomparable; nulle
nstituants de 1949 ont voulu autre juridiction constitutionnelle dans !e monde ne peut se targuer d'une
béral établi par la Loi fonda- compétence aussi large que les juges de Karlsruhe 338 • En cela se manifeste un trait
révision constitutionnelle qui caractéristique de la Loi fondamemale de 1949 qui, comme l'a dit la Cour dans
. « príncipes consacrés dans les
sa décision du 17 aout 1956, se différencie nettement des constitutions des autres
roit positif, la théorie du droit pays occidentaux par la place qu'elle concede au « troisieme pouvoir, au pouvoir
finition du statut juridique du des juges ». La volonté de pousser jusqu'au bout les postulats du Rechtsstaat est
la césure avec l' esprit du posi- considérée, même parles juges, comme étam « inhabituelle » m_
! la jurisprudence de la Cour
· pionnier en la matiere 311 , la 332. Décision du 23 octobre 1951 [État du sud-ouest], BVerfGE, 1, 14 (61).
príncipes juridiques si fonda- 333. BVerfGE, 3, 225 (229 ss) [égalité des sexes].
lt (originaire). D'emblée, elle 334. Jbid., p. 232.
335. Jbid. En l'espece, les juges ont conclu à la validité de l'article 117 ai. 3 LF.
st liée par « les príncipes juri- 336. BVerfGE, 84, 90 (121) [expropriations d'avant 1949 en ex-RDA].
337. Cf H. SIMON, « Verfassungsgerichtsbarkeit », in E. BENDA, W. MAIHOFER &
H.J. VOGEL (dir.), _op. cit., pp. 1637-1677; G. ROELLECKE, « Aufgabe und Stellung des Bundes-
verfassungsgenchts 1m Verfassungsgefüge », in J. ISENSEE & P. KIRCHHOF (dir.), op. cit., t. 2,
., Rn. 14, p. 263 s. , 1987, pp. 665-682; K. H_ESSE, op. _cit., p. 239 ss et p. 278 ss; id. « Stufen der Entwicklung der
1cipe général du Sozialstaat, de l'Etat- deutschen Verfassungsgenchtsbarke1t », JõR, 1998, pp. 1-23.
ues dispositions (art. 9 ai. 3, 14 et 15) 338. Cf les développements de droit comparé chez H. SIMON, op. cit., p. 1642 ss.
omme. 339. Décision du 17 aoi'.it 1956 (imerdiction KPD), BVerfGE, 5, 85 (139): « ••• apparait clairement un
autre trait spécifique à la Loi fondamentale, qui la distingue nettement au sein des constitutions libérales
,57 ss. et démocratiques, à savoir le renforcement du "troisieme" pouvoir, du po11voir juridictionnel, a11trement
160 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de La d

Le rôle du Bundesverfassungsgericht est tout aussi singulier par rapport aux constitutionr
autres juridictions. Si sa qualité de juge n'est nullement contestée, la Cour traités intern
reconna1t elle-même que sa fonction de « gardien suprême de la constitution » Fédération et
l'amene à juger un « contentieux juridique d'un genre particulier », à savoir des sions de justi,
litiges juridiques qui touchent au creur de la politique. Cela découle de la défi- la répartitio1
nition même du droit constitutionnel comme un « droit politique » "º. 11 est vrai organes supr,
qu'en raison de l'imprécision de ses dispositions, ce qui est le propre de coute derniere inst,
constitution 341 , la 1..oi fondamentale laisse une grande marge de manreuvre à ses en accusatior
interpretes, qui s' exposent des lors à des critiques poli tiques. À partir des années Enfin, elle se
soixante-dix, les critiques contre la « suprématie » de la Cour (Willi Geiger) se bare Demokr,
fone de plus en plus insistantes''1 • Une pareie de la doctrine s'insurge contre ce devise de Sair
qu'elle perçoit comme un bouleversement des rapports entre le législateur articles 18 et
démocratique et le juge constitutionnel, comme une dérive du Rechtsstaat vers le prononcer la
Richterstaat. Le spectre du gouvernement des juges rôde 343 • Si personne n'ose d'un parti p,
toucher aux compétences de la Cour (1"), tant elle jouit d'une haute estime dans démocratiqut
la population, la doctrine s'interroge néanmoins sur les limites de la justice 155 Eu égard à l'
constitutionnelle, et plus particulierement sur les limites qu'on peut opposer à Gmndgesetz ~
son pouvoir normatif (2"). du droit avec
vel avocat da
1º L 'aboutissement de la logique de Bahr: Rechtsstaat = Richterstaat terstaat », de ,
chien '" tous
154 Les compétences de la Cour de Karlsruhe sont si vastes qu'il para1t presque exclu définition qu
qu'un litige portam sur une question constitutionnelle puisse lui échapper'". idenrifie les d
Selon les conditions prévues 345 , la Cour est en effet amenée à statuer sur la droit (Herrscl.
qui est antérit
du juge. L 'Ét.
dit la volonté de subordonner également, dans 1111e mesure inlubiwellement large, les ,1ctes de la vie poli-
Rufe of Law.
tiq11e et les actions des organes politiq11es ,111 contrôle de j11ridictiorzs indépendantes, et de réaliser ainsi, s11r staat}. » 349 En
le plan procéd11ral, les post11lats de l'Etat de droit. » juge que repa.,
340. Mémorandum du BVerfG du 27 juin 1952 (dit le « Status-Bericht »), publié in JõR, 1952, commun. » ,;:
p. 144 ss; cicé par G. ROELLE_ÇKE, op. ci_t., p. 669.
341. Cf l'analyse de E.-W. BOCKENFORDE, « Die Eigenart des Staatsrechts und der Staats-
rechtswissen-schaft », in id., Staat, Verfass11ng, Demokratie, 2' éd., Frankfurt, Suhrkamp, 1991, pp. 11-
28 et « Die Methoden der Verfassungsimerpretation. Bestandsaufnahme und Kritik », ibid., pp. 53- 346. Si la Cour
89. D'apres !ui, la spécificité du droic constitutionnel réside dans le fait qu'il s'agit d'un droit dire un parti d\
politique de nature « fragmentaire » et « sommaire ». La constitution ne fait qu'esquisser un « cadre » 347. R. MARCJ
que vienc préciser ]'interprete. L'importance de l'élément volomariste se vérifie à la lumiere de la Ma/3 der Macht.
pratique. Apres avoir identifié les diverses méthodes d'interprétation qu'on retrouve confusément 548 p. Le terme
dans la jurisprudence de la Cour constitucionnelle, E.-W. Bockenforde illustre à l'aide d'exemples à l'usage polémi
concrets les variations de la jurisprudence de la Cour en fonction de la méthode retenue. Pour un Richterstaat? »,
même litige, le choix d'une autre méthode aurait ainsi abouti à un autre résultat. Sur le caractere 348. L' ouvrage
vague et imprécis du droit constitutionnel, cf aussi K. HESSE, Gmndztige... , op. cit., p. 11 ss et 240 s. mande. En ce se
342. Cf la bibliographie citée par H. SIMON, op. cit. p. 1665 s; G. ROELLECKE, op. cit., p. 672 ss. d'ailleurs souve1
343. Cf pour les diverses appellacions, H. SIMON, op. cit., 1653. Les termes qu'on retrouve !e plus gericht ... », op. e
souvent sont « Richterst,1,1t » et « ]ustizstaat ». 349. R. MARCI
344. H. SIMON, op. cit., p. 1647. 350. Ibid., p. 17
345. En ce qui concerne la procéc.lure, il importe de mentionner la facilicé avec laquelle la Cour peut social. Cette mê1
être saisie. Son prétoire est tres largement ouvert : elle peut être saisie, en fonction du comemieux tagée par coute 1
concerné, parle président de la RFA, parle gouvernement fédéral, parle Brmdest,1g et le B11ndesmt, concrétisation d
par un tiers des députés, voire un seu! député, par coutes les juridictions ordinaires, par les Linder et des pouvoirs, au
les communes et, enfin, par les particuliers. Rechtsstaat au R
'un néologisme : le Rechtsstaat Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949) 161

si singulier par rapport aux constitutionnalité d'actes aussi divers que la Loi fondamentale elle-même, les
llement contestée, la Cour traités internationaux, les amendements à la Loi fondamentale, les lois de la
suprême de la constitution » Fédération et des Léinder, les référendums, les reglements administratifs, les déci-
ire particulier », à savoir des sions de justice. II revient également à la Cour de trancher les litiges concernam
1ue. Cela découle de la défi- la répartition des compétences au sein de la République fédérale, entre ses
droit politique » '"º. II est vrai organes suprêmes, ainsi qu'entre l'État fédéral et les Léinder. La Cour juge en
:e qui est le propre de toute derniere instance le contentieux né des élections législatives et statue sur la mise
:le marge de manreuvre à ses en accusation du président de la RFA ainsi quedes juges fédéraux et régionaux.
>litiques. À partir des années Enfin, elle se voit attribuer un rôle crucial dans la « démocratie combative (streit-
:le la Cour (Willi Geiger) se bare Demokratie) » qu'institue la Loi fondamentale, en s'inspirant de la fameuse
doctrine s'insurge contre ce devise de Saint-J ust : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » En vertu des
1pports entre le législateur articles 18 et 21 al. 2 de la Loi fondamentale, la Cour est seule compétente pour
! dérive du Rechtsstaat vers le prononcer la déchéance des droits fondamentaux d'un individu ou l'interdiction
s rôdem. Si personne n'ose d'un parti politique pour avoir abusé de la liberté afin de combattre l'ordre
mit d'une haute estime dans démocratique et libéral du Grundgesetz'"".
sur les limites de la justice 155 Eu égard à l'ampleur des prérogatives de la Cour constitutionnelle fédérale, le
imites qu'on peut opposer à Grundgesetz s'inscrit dans la tradition intellectuelle de Bahr qui confond le regne
du droit avec l'office du juge. L'assimilation du droit et du juge a trouvé un nou-
vel avocat dans la figure de René Mareie qui se livre à une apologie du « Rich-
sstaat = Richterstaat terstaat »,de« l'État des juges » 347 • On retrouve chez ce philosophe du droit autri-
chien H8 tous les éléments de l'équation droit = droits fondamentaux = juge. La
tes qu'il paralt presque exclu définition que Mareie donne du Rechtsstaat et partam du Richterstaat, puisqu'il
nelle puisse lui échapper 14' . identifie les deux, est la suivante : « La liberté n 'est garantie que grâce au regne du
fet amenée à statuer sur la droit (Herrschaft des Rechts)- vai/à l'idée européenne ! Le regne du droit, d'un droit
qui est antérieur à l'État, ne peut se concrétiser et se réaliser qu'à travers la sentence
du juge. L'État libre (Freistaat) est l'État de droit, les Anglo-saxons l'appellent the
dlement L1rge, les <1ctes de la vie poli-
Rule of Law. L'État de droit est l'État des juges (Der Rechtsstaat ist der Richter-
ndépendantes, et de réaliser ainsi, s11r staat). »"' En résumé: « Dans l'État des juges au contraire, c'est sur les épaules du
juge que repose l'essentiel de la responsabilité pour la liberté de l'individu et !e bien
"s-Bericht »), publié in jõR, 1952,
commun. » 350 Que ce modele institutionnel du Rechtsstaat repose entierement
T des Staatsrechts und der Staats-
Frankfurt, Suhrkamp, 1991, pp. 11-
fnahme und Kritik », ibid., pp. 53- 346. Si la Cour n'a jamais appliqué l'article 18, elle a utilisé à deux reprises l'article 21 pour inter-
:lans le fait qu'il s'agit d'un droit dire un parti d'extrême droite (BVerfGE, 2, 1) et !e parti co91muniste all 7mand (BVerfGE, 5, 85).
ion ne fait qu'esquisser un « c.idre » 347. R. MARCIC, Vom Gesetzessta<1t zmn Richterst<1at [De l'Etat légal à l'Etat des juges]. Recht und
nariste se vérifie à la lumiere de la Ma/3 der Macht. Ged,mken riber den demokratischen Rechts- rmd Sozia!staat, Wien, Springer, 1957,
ation qu'on retrouve confusément 548 p. Le terme de Richterstaat a chez Mareie une connotation ouvertement positive contrairement
mfêirde illustre à l'aide d'exemples à l'usage polémique et péjoratif d'autres auceurs. Cf., par. ex., E. FORSTHOFF, « Rechtsstaat oder
m de la méthode retenue. Pour un Richterstaat? », in id, Rechtsstaat im Wandel, 2" éd. München, 1976, p. 243 ss.
un autre résultat. Sur le caractere 348. L'ouvrage s'appuie essentiellement sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle alle-
rzmdzrige... , op. cit., p. 11 ss et 240 s. mande. En ce sens, il est représentatif_~'une pareie au moins de la doctrine allemande qui s'y réfere
:;_ ROELLECKE, op. cit., p. 672 ss. d'ailleurs souvent. Cf, par ex., P. HABERLE, « Die Abhorentscheidung des Bundesverfassungs-
. Les termes qu'on retrouve le plus gericht ... », op. cit., p. 152 ou il identifie !e« Rechtsstaat » et le « Richterstaat » •
349. R. MARCIC, op. cit., p. 89. , ,
350. Ibid., p. 179. Cf. aussi p. 416 ou il affirme que seu! l'Etat des juges peut réaliser l'Etat de droit
,a facilité avec laquelle la Cour peut social. Cette même idée revient encore dans sa conclusion p. 451. Cette vision n' est toutefois pas par-
saisie, en fonction du contentieux tagée par coute la doctrine. Ainsi K. HESSE, Grundzrige ... , op. cit., p. 240 et 242 considere que la
ai, par le B1mdest<1g et le Brmdesrat, concrétisation de la consticution appartient en premier lieu, en vertu du principe de la séparation
ictions ordinaires, par les Lãnder et des pouvoirs, au législateur et non pas au juge constit~tionnel. Lire les réserves sur l'assimilation du
Rechtsstaat au Richterstaat ou au « Rechtswegestaat (Et<1t des vaies de recours juridictionnels) » chez
162 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat Le défi de la 1

sur la confiance des individus en une figure divinisée du juge ressort clairement n 'est pas enti,
des propos de Mareie. Le juge est pour lui un « Leuchtbild » 35 ', un guide qui tionnel mais
indique la voie à suivre, bref, un dieu 15'. faisant, !e jug,
mentation ra
2º La question lancinante du pouvoir normatifdes juges: sion de régler
!e« Richterrecht (droit prétorien) » cette lacune e;
justice qui smi
156 Sous couvert d'interprétation, celui qui n'est que le gardien, le « Hüter » de la vorstellungen
constitution, ne risque-t-il pas de s'ériger en « maítre », en « Herr der Veifas- juges à découi
stmg » 353 ? La question interpelle les juristes sur la légitimité démocratique des dung) n'a jam
juges. L'existence même d'un pouvoir normatif du juge, d'un « Richterrecht », fondamentale
n'est plus réellement contestée de nos jours dans la science juridique allemande, 157 Cette jurispri
tant les faits semblent clairs 3s.. Un tel pouvoir est « carrément indispensable dans à partir de qu
l'État modeme » 155 selon les dires de la Cour de Karlsruhe qui n'a pas hésité à droit écrit? (
légitimer l'existence d'un droit prétorien, en arguant de la soumission des juges « régler de m,1
« à la !oi et au droit » (art. 20 al. 3) 3 Sa jurisprudence prudente et nuancée sur
5{,.
de transposer
le sujet mérite d'être brievement évoquée 357 • redoutable qt
D'apres les juges de Karlsruhe, « le droit n'est pas égal à l'ensemble des !ois ment, que fat
écrites » m. Tout le droit n' est pas épuisé par les dispositions posées par la puis- « fondées » (pJ
sance étatique; il se peut qu'il subsiste, au-delà ou à côté du droit positif, un « sur- ritaires? Que
plus de droit (ein Mehr an Recht) », qui puise sa source dans l'ordre constitution- droit »? Trois
nel et qui joue comme un « correctif» face à la loi écrite. li appartient au juge de des juges en n:
« découvrir » et de « réaliser » cet élément, étant donné que la complétude du à savoir dans (
droit positif est un idéal qu' on ne peut atteindre en pratique. « Dans l'exercice de tures contradi,
sa fonction, le juge peut être amené à mettre à jour et à réaliser, par un acte de constitutionrn
connaissance et de jugement {Akt des bewertenden Erkennens) auquel la volonté fondamentale
tion : Quis cus
Face aux alt
K. HESSE, « Der Rechtsstaat ... », op. cit., p. 76; U. SCHEUNER, « Die neuere Entwicklung ... », d'un art ou d'
op. cit., p. 232; E. BENDA, op. cit., p. 728 (L'auteur considere que la suprématie de la constitution
n'implique pas nécessairement l'existence d'un juge constitutionnel). msrstent surto
351. R. MARCIC, op. cit., p. 452. mettent en av,
352. L'ouvrage de R. Mareie se laisse résumer dans les deux citations qu'il place en tête de son exigem enfin L
ouvrage. La premiere est de Cicéron : « Populus non est, nisi qui consenstt iuris continetur » (De re
p11blica, III, 33 (45); « Le peuple n'existe et ne continue à exister qu'à condition de se soumettre au pas figer la lec
droit » [trad. pers.]). La deuxieme est tirée de l'reuvre de Saint Thomas d' Aquin: « Unde i11dices mul-
titudinis dii vocanwr » (« C'est pourquoi les juges som appelés les dieux du peuple » [trad. pers.]).
353. H. SIMON, op. cit., p. 1670.
354. Sur cette vaste question, cf., par ex., Richterliche Rechtsfortbildung. Erscheinzmgsfonnen, A11firag 359. Ainsi dans s;
rmd Grenzen. Festschrifi z11r 600 Jahr Feier der Universitãt Heidelberg, Heidelberg, Müller, 1986, parles juridiction•
691 p.; K. HESSE, op. cit., p. 241. Comme exemple d'une invemion prétorienne, on peut citer le juridictions social,
príncipe de proportionnalité que le Brmdesverfassrmgsgericht a déduit, en l'absence de toute référence pouvoirs consacré
écrite, du príncipe général du Rechtsstaat. n'appara1t guere.
355. BVe1fGE, 65, 182 (190), [Sozialplanansprüche im Konkurs]. 360. C'est ['une d,
356. BVl?l[GE, 34, 269 (286), [Soraya]. sion du Brmdesver/
357. Voir sur ce sujet la présentation de I. RICHTER & G.F. SCHUPPERT, Casebook Verfassrmg- 361. Sur ce vast~
srecht, 2' éd., München, Beck, 1991, p. 400 ss. Dans les deux cas précités, la Coura dti statuer sur le Entschei-d11ngen, 2'
cas du pouvoir normatif du juge ordinaire. Ses conclusions peuvent toutefois être transposées m11ta- 362. G. ROELLE<

'
tis m11tandis au pouvoir normatif de la Cour elle-même. On parlera alors d'un « Verfasmngsrichter- révisions constituti
recht (droit constiwtionnel prétorien) ». l'article 79 ai. 3.
358. Toute les citations suivames som extraires de la décision BVerfG 34, 269. 363. K. HESSE, O/

1
'4n néologisme: le Rechtsstaat

:e du juge ressort clairement


r
i
l
Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat (1919-1933 et depuis 1949)

n'est pas entierement étrangere, des valeurs qui sont immanentes à l'ordre constitu-
163

.euchtbild » 351 , un guide qui tionnel mais qui ne s'expriment pas, ou pas suffisamment, dans les fois écrites. Ce
faisant, le juge doit s'abstenir de tout arbitraire; sa décision doit reposer sur une argu-
mentation rationnelle. » À condition de prouver que « la foi écrite a failli à sa mis-
ies juges: sion de régler de maniere juste un probleme », le juge est compétent pour « combler
cette lacune d'apres les criteres de la raison pratique et les conceptions fondées de la
justice qui sont communes à la commzmauté (fundierten allgemeinen Gerechtigkeits-
e gardien, le « Hüter » de la vorstellungen der Gemeinschaft) ». La Cour en conclut que « la prérogative des
:ítre », en « Herr der Verfas- juges à découvrir de façon créatrice le droit (Befugnis zur schopferischen Rechtsfin-
légitimité démocratique des
1 juge, d'un « Richterrecht »,
t dung) n 'a jamais été contestée dans son príncipe, du moins pas sous l 'empire de la Loi
fondamentale ».
science juridique allemande, 157 Cette jurisprudence souleve certaines questions fondamentales : Premierement,
carrément indispensable dans à partir de quel moment existe-t-il ce que la Cour appelle une« laczme » dans le
1rlsruhe qui n'a pas hésité à 1
f
droit écrit? Comment savoir si une disposition écrite a failli à sa mission de
rrt de la soumission des juges « régler de maniere juste un probleme juridique »? Autrement dit, à qui revient-il
nce prudente et nuancée sur de transposer le droit naturel dans le droit positif? On touche là à une question
redoutable qui a trait au príncipe de la séparation des pouvoirs 3;,_ Deuxieme-
pas égal à l'ensemble des !ois ment, que faut-il entendre par les conceptions de la justice qui soient à la fois
positions posées par la puis- «fondées » (par rapport à quoi?) et « communes », donc sociologiquement majo-
:ôté du droit positif, un « sur- ritaires? Quel est le contenu de ces valeurs immanentes et de ce « surplus de
·ce dans l'ordre constitution- droit »? Troisiemement, si la Cour semble esquisser une limite à la subjectivité
crite. 11 appartient au juge de des juges en renvoyant aux valeurs immanentes à l'ordre constitutionnel, il reste
lonné que la complétude du à savoir dans quelle mesure la constitution, qui prête elle aussi le flanc à des lec-
pratique. « Dans l'exercice de tures contradictoires, pourrait répondre à cette fonction. Le juge (en l' occurrence
, et à réaliser, par un acte de constitutionnel) pourrait être tenté de jouer ce « surplus de droit » contre la Loi
Erkennens) auquel la volonté fondamentale qui, apres tout, est elle aussi une loi écrite 3"º. D'ou l'éternelle ques-
tion : Quis custodiet ipsos custodes?
Face aux aléas de l'interprétation de la constitution, dont on ne sait s'il s'agit
ER, « Die neuere Emwicklung ... », d'un art ou d'une science, la doctrine met en exergue diverses limites. Certains
que la suprématie de la constitution insistent surtout sur les limites fonctionnelles au pouvoir des juges 3'''. D'autres
nnel).
mettent en avant le caractere écrit et révisable de la constitution '"'. D'aucuns
citations qu'il place en tête de son exigem enfin une certaine « retenue » 3'' 3 de la part du juge, lequel est invité à ne
•tti consenm i11ris continetur » (De re pas fi.ger la lecture de la constitution par une interprétation trop extensive et
~r qu'à condition de se soumettre au
homas d' Aquin : « Unde i11dices mui-
; les dieux du peuple » [uad. pers.]).

~ild11ng. Erscheimmgsformen, A11jirag 359. Ainsi dans sa premiere décision (BVerfGE 34, 269), la Cour admet la nouvelle norme créée
,idelberg, Heidelberg, Müller, 1986, parles juridictions civiles, dans le deuxieme cas (BVerfGE 65, 182) elle sanctionne, au comraire, les
·emion prétorienne, on peut citer le juridictions sociales pour avoir dépassé la « Jrontiere » et avoir violé le príncipe de la séparation des
éduit, en l'absence de toute référence pouvoirs consacré par l'article 20 al. 3. Un critere objectif pour savoir jusqu'ou. peut aller un juge
n'apparait guere.
,]. 360. C'est l'une des raison pourquoi K. HESSE (Gmndztige ... , p. 87 note 16) estime que cette déci-
sion du Bundesverfassungsgericht est « intenable ». Cf aussi la critique de 1. MAUS, op. cit., p. 48 ss.
SCHUPPERT, Casebook Verfassttng· 361. Sur ce vaste débat, cf K. SCHLAICH, Das Brmdesverfasmngsgericht. Stelltmg, Verfahren,
s précités, la Coura du statuer sur le Entschei-dungen, 2' éd., München, Beck, 1991, p. 265 ss.
vem toutefois être transposées muta· 362. G. ROELLECKE, op. cit., p. 677. La pertinence de l'argumem est toutefois relative puisque les
arlera alars d'un « Verfasszmgsrichter- 1 révisions constitutionnelles som elles-mêmes soumises au contrôle de constitutionnalité en vertu de
l'article 79 al. 3.
WerfG 34,269. 363. K. HESSE, op. cit., p. 242.

J
164 À la recherche du sens d'un néologisme: le Rechtsstaat
t
i
trop détaillée. On lui recommande de n'avancer une interprétation que si elle est 1
l
fondée surdes arguments évidents'"', d'autant plus que toute erreur de la part
du juge serait difficilement réparable. II s'agit ni plus ni moins de laisser une
plus grande marge de manceuvre au monde politique''5 et de maintenir une Loi
t
fondamentale ouverte vers le monde et l'avenir.
1

158 En 1934, le jeune docteur en droit, Kurt Wilk, qui a fui l'Allemagne nazie, écrit
dans un article paru aux Archives de philosophie du droit : « Tandis qu'en Europe
occidentale, le caractere juridique de l'Etat est supposé, pour ainsi dire naturellement,
en Allemagne, au contraire le rapport entre droit et État reste problématique. » 366 Le
néologisme Rechtsstaat, créé de façon quelque peu gratuite par Placidus en 1798, (
et qui a connu depuis lors un succes croissant dans la doctrine publiciste d'outre-
Rhin - quoique non sans quelques contretemps -, pourrait ainsi, à lui seul, révé- DEI
ler ce malaise sur la nature juridique de l'État. L'insistance sur l'aspect juridique
de l'État traduirait ainsi un manque, un défaut dans un pays qui a le triste hon- 159 En traversant b
neur d'être l'endroit ou est né le Rechtsstaat et celui ou il a été violé de façon mas- et tout reste la m
sive à deux reprises: d'abord sous le nazisme, puis sous la dictature communiste les í'les britanni
de la République démocratique d' Allemagne 367 • D' aucuns diront même que, faute anglais, en dira 1
d'avoir obtenu l'État démocratique au cours des luttes de pouvoir du XIX' siecle, ticularismes bie
les Allemands ont du se satisfaire de l'État de droit. II est vrai qu'à l'heure actuelle, idées continent
aucun autre pays occidental n'a poussé aussi loin la logique de juridicisation de la law. Nonobsta1
sphere poli tique; en témoigne particulierement le contrôle que la Cour constitu- il existe bien UI
tionnelle fédérale s'est arrogée à l'égard du pouvoir constituam (originaire). avec une susp1c
Le fossé entre, d'un côté, l'armature constitutionnelle de l'Allemagne, proté- sommée de just
gée à tout égard parle juge, contre quelque menace que ce soit - sauf peut-être fleurons, parmi
celle venant du juge lui-même ... -, et, de l'autre, le systeme britannique, qui, en Locke, Benthar
dépit de toutes les critiques, continue à se réclamer du principe de la souverai-
160 En ce qui com
neté du parlement, en partie fictif, et qui ne dispose toujours pas d'une consti-
qu'ignore à l'h
tution écrite, nonobstant le Human Rights Act de 1998, para!t assez importam.
S'il ne s'agit pas ici d'abonder dans le sens de la théorie du « Sonderweg (chemin
à part} », iI conviem toutefois de reconnaí'tre l' originalité du cas de l' Alle-
magne"", qui s'explique, là encore, par les spécificités de l'histoire allemande.
1. C. HARLOW, ,,
Mais, somme toute, en matiere de particularismes nationaux, l'Europe est riche : QUIER & L. HEL
le juriste anglais serait certainement le premier à l'admettre. Sorbonne, 2001, p.
2. Cf D.L. KEIR,
& Charles Black, 1
variée dans l'art d11
364. H. SIMON, op. cit., p. 1673. PUF coll. Quadrig
365. Ibid., p. 1671. 3. Lire la phrase m
366. K. WILK, « La doctrine politique du national-socialisme - Carl Schmitt - Exposé et critique 1971, p. 1: « Un fi,;:
de ses idées », APD, 1934, p. 17p. tional theory" need,
367. H. MOHNHAUPT, « L'Etat de droit en Allemagne. Histoire, norion, fonction », CPPJ, n" 24, 4. Dans nos reche1
1993, p. 73. F.A. HAYEK, Die Verfassung der Freiheit, op. cit., p. 299, oppose lui aussi la force de la relever une formul,
théorie allemande du Rechtsstaat à la faiblesse desa pratique polirique. par Dawn OUVE
368. Cf D. GRIMM, Deutsche Verfassungsgeschichte 1776-1866, op. cit., p. 9. p. 142. La situatior
'un néologisme : le Rechtsstaat

: interprétation que si elle est


, que toute erreur de la part
)lus ni moins de laisser une
1e 165 et de maintenir une Loi

a fui l' Allemagne nazie, écrit


t droit : « Tandis qtt'en Europe
1 Titre 2
pour ainsi dire naturellement,
tat reste problématique. » 366 Le DE LA RULE OF LAW
;ratuite par Placidus en 1798, OU LES PARTICULARISMES
a doctrine publiciste d'outre-
pourrait ainsi, à lui seul, révé-
DE L'ESPRIT JURIDIQUE ANGLAIS
sistance sur l'aspect juridique
s un pays qui a le triste hon- 159 En traversant la Manche, les Anglais se disent, en "franglais", que« tout change
ou il a été violé de façon mas- et tout reste la même chose » '. Le juriste continental, qui débarque frakhement sur
sous la dictature communiste les Iles britanniques et qui n'arrête pas de s'étonner des "bizarreries" du droit
llcuns diront même que, faute anglais, en dira tout autant. Or, dans cet étrange mélange de similitudes et de par-
:tes de pouvoir du XIX' siecle, ticularismes bien ancrés, réside tout l'intérêt scientifique d'une comparaison des
1est vrai qu'à l'heure actuelle, idées continentales sur le Rechtsstaat et l'État de droit avec la théorie de la rufe of
logique de juridicisation de la law. Nonobstant l'irréductible pragmatisme des sujets desa Gracieu~e Majesté1,
ontrôle que la Cour constitu- il existe bien une théorie anglaise. Certes, la théorie du droit et de l'Etat est vue
constituant (originaire). avec une suspicion certaine outre-Manche, à te! point d'ailleurs qu'elle se sent
nnelle de l' Allemagne, proté- sommée de justifier sa propre existence 1 ; elle n'en a pas moins produit quelques
e que ce soit - sauf peut-être fleurons, parmi lesquels on mentionnera, entre autres, les ceuvres de Hobbes,
systeme britannique, qui, en Locke, Bentham, Austin, Hart et T.R.S. Allan.
:r du príncipe de la souverai-
160 En ce qui concerne le sujet du Rechtsstaat et de l'État de droit, deux termes
1se toujours pas d'une consti-
qu'ignore à l'heure actuelle la langue anglaise', la comparaison avec la pensée
1998, para1t assez importam.
éorie du « Sonderweg (chemin
originalité du cas de l' Alle-
cités de l'histoire allemande. 1. C. HARLOW, « L'évolution du pouvoir judiciaire en Angleterre », in S. BRONDEL, N. FOUL-
1ationaux, l'Europe est riche : QUIER & L. HEUSCHLING (dir.), Go11vernement des j11ges et démocratie, Paris, Publications de la
admettre. Sorbonne, 2001, p. 117.
2. Cf D.L. KEIR, The Constitutional History ofModem Britain since 1485, 9,h edn., London, Adam
& Charles Black, 1969, p. vi(« Les instit11tions britanniq11es sont le produit d'une expérience longue et
variée dans l'art du gouvernement »); F.A. HAYEK, Droit, législation et liberté, trad. de l'angl., Paris,
PUF coll. Quadrige, 1995, t. !, p. 20 (« L'homme a agi ,.vant qu'il ne pensât »).
3. Lire la phrase mémorable de Geoffrey MARSHALL, Constiwtional Theory, Oxford, Clarendon,
- Carl Schmitt - Exposé et critique 1971, p. 1 : « Un livre sur la "théorie constitutionnelle" nécessite q11elq11es exrnses (A book abom "constitzt-
tional theory" needs some apology). ,,
:oire, notion, fonction ", CPP], n" 24, 4. Dans nos recherches sur la doctrine juridique contemporaine, il nous est arrivé une seule fois de
p. 299, oppose !ui aussi la force de la relever une formule sémantique similaire. II s'agit de l'expression de« mie of law state ", employée
itique. par Dawn OLIVER, « Written Constitution : Principies and Problems », Pari. Ajf., vol. 45, 1992,
, op. cit., p. 9. p. J42. La situation est toutefois différeme pour ce qui est de la pensée du droit du xvw siecle.
166 De la Rufe ofLaw ou les partirnlarismes de l'esprit juridique anglais De la Ruleoj

juridique britannique, ou plus exactement anglaise ', est riche d' enseignemems. 161 Les réponses
Elle l'est d'autam plus que les situations de part et d'autre de la Manche som of law, quis
comparables. L' Angleterre partage, en effet, avec les autres pays eurapéens un
., et ce a'
c1ee,
même héritage culturel qui puise ses racines dans la philosophie classique de la Albert Venn
Grece et de Rome, ainsi que dans les idées des Lumieres, de l'Enlightment. À a marqué des
l'aune de cette unité qui s'exprime à la fois dans les idées et dans les mots, les dif- Law of the C
férences que l'on constate actuellemem entre la théorie anglaise et la théorie concept de ri
continentale prennent tout leur sens. L'expression de rule oflaw, dans !e sens de s' iméresse à 1
« regne du droit » et non pas dans sa seconde acception de « regle de droit » '', suscite law apparaiss
en effet trais interragations. avam, elle ét
On constate, en premier lieu, l'absence de toute référence à l'État dans l'ex- monwealth. l
pression rule oflaw 7 • Or si de nos jours les constitutionnalistes anglais ignorem clair que les r
!e concept juridique d'État, il en allait autrement aux XVII' et XVJll' siecles ou il met du reste
n' était pas inhabituel de voir figurer les termes de Commonwealth (République) 1066, année
et, plus rarement, de State (État) dans les discours des hommes politiques, des XVII' siecle ot
philosophes et des juristes. Ce phénomene sémantique assez curieux mérite période extrê
d'être élucidé. À l'heure ou les publicistes allemands et français manient, non sem deux gr.
sans quelques difficultés, les deux termes d'État et d'État de droit - auxquels il juriste anglai
faut encare ajouter !e mot clé de République pour la doctrine hexagonale -, les
Anglais ignorem les trais.
En deuxieme lieu, il faut s'imerrager sur la signification du mot law. De
Democracy, Mell
quelle !oi, de que! drait parle-t-on en évoquant la rufe of law? Rien n'est plus Libercies », PL,
incertain, tam les opinions sur ce qu'est le drait divergem au sein de la science V. Penn. L. Rev ..
juridique anglaise: Faut-il entendre par !à la common law ou la statttte law? Le and the Rule of l.
9. II existe assez
drait dit par les juges ou !e droit édicté par !e Parlement de Westminster? A for- de Geoffrey de l
tiori, s'agit-il d'un concept érigé sur les fondations quelque peu nébuleuses de la imégral, depuis,
common law, sur les axiomes rationalistes de l'école moderne du drait naturel, déterminée. Cf
of Libercy, 1960)
sur les prémisses utilitaristes de l'école analytique de Bentham et d'Austin, ou im schweizerisch
encare sur des bases strictement juspositivistes? englischen, nord,.
Enfin, la traisieme question fondamemale vise le terme rufe, c'est-à-dire la tra- Verlag, 1952, pp.
Journal ofBritisl,
duction institutionnelle de la rufe oflaw. Qui regne au nom du drait? Qui est le of the Rule of 1
gardien du drait : le parlement ou les juges? Autrement dit, dans quelle mesure Rechtsstaat Com
l' Angleterre participe-t-elle au phénomene comemporain de la juridicisation ou, ralism-in-the-.MaA
national, DordrL
plus exactement, de la juridictionnalisation de la sphere politique? Commem rica! Perspectiv,
s'explique l'absence de tout contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des pp. 185-199; C.I
lois, même apres l'emrée en vigueur du Human Rights Act de 1998, alars que on the Bormdarz,
Press, 1910. Voir
l'idée de l'assimilation du drait et du juge - qui est l'un des ressorts majeurs de Clarendon, 195~
l'ascension du pouvoir des juges -, est fortement ancrée dans l'esprit des juristes Theory, Oxford,
anglais?" qu'à aujourd'hu,
Parlimnent. Hist,
10. Cf A.V. Dl 1
de 1915, indiana
5. Nous excluons de notre champ d'érude la pensée juridique écossaise et nord-irlandaise. derniere édition
6. D'un poinc de vue hiscorique, l'acception de mie of law au sens de regle de droit semble être la 7· éd. (cf ibid., p
premiere. Cf infra n" 163 note 5 et n" 164 note 12. de E.C.S. Wade.
7. Cf N.D. MacCORMICK, « Der Rechtsstaat und die rule of law »,JZ, 1984, p. 65 et 67. incroduction de
8. L'idencification du concept anglais de la mie of law à l'existence d'un comrôle juridictionnel est réimpression de
soulignée par divers auteurs. Cf G. de Q. WALKER, The Rufe of Law. Foundation of Constitutional Co11stitution.
~s de l'esprit juridique anglais

, est riche d' enseignements.


r
t
l
De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais

161 Les réponses à ces questions se trouvent dans l'histoire du concept anglais de rufe
167

: d'autre de la Manche sont of law, qui s'articule en trais temps'. De prime abord, la rufe of law est asso-
:s autres pays européens un ciée, et ce à juste titre, à l'reuvre du célebre Vinerian Professor à Oxford,
Lphilosophie classique de lf- Albert Venn Dicey ( 1835-1922). Sa définition est, et reste, un classique tant elle
mieres, de l' Enlightment. A a marqué des générations de juristes. Grâce à son Introduction to the Study ofthe
dées et dans les mots, les dif- Law of the Constitution publié pour la premiere fois en 1885 1º, le terme et le
1éorie anglaise et la théorie concept de rufe oflaw deviennent une référence incontournable pour quiconque
le rufe oflaw, dans le sens de s'intéresse à la matiere du droit constitutionnel anglais. Si l'expression de rufe of
n de « regle de droit » '', suscite law apparaissait déjà sous le regne des Tudors à la fin du XVI' siecle, voire même
avant, elle était néanmoins restée à l'ombre du concept fondamental de Com-
référence à l'État dans l'ex- monwealth. En cela, le mot doit sa célébrité à Dicey. Quant à la "chose", il est
.tionnalistes anglais ignorem clair que les racines du concept de rufe oflaw som bien plus anciennes, ce qu'ad-
ux XVII' et XVIll' siecles ou il met du reste Dicey. S'il ne s'agit pas ici de remanter jusqu'à la date mythique de
Commonwealth (République) 1066, année de l'invasion des Normands, il faut toutefois s'arrêter sur le
des hommes politiques, des XVII' siecle ou se joue le premier acte de l'histoire de la rufe oflaw. Il s'agit d'une
ntique assez curieux mérite période extrêmement riche en idées et en événements, au cours de laquelle nais-
1ds et français manient, non sent deux grandes théories du droit qui vont façonner le mode de pensée du
d'État de droit - auxquels il juriste anglais, à savoir la doctrine de la common law et la théorie du contrat
a doctrine hexagonale -, les

.gnification du mot law. De Democracy, Melbourne, Melbourne University Press, 1988, p. 127; E. BARENDT, « Dicey and Civil
rufe of law? Rien n'est plus Liberties », PL, 1985, p. 601; A. GOODHART, « The Rule of Law and Absolute Sovereignty »,
ivergent au sein de la science U. Penn. L. Rev., vol. 106, 1958, p. 953 s; A.C. HUTCHINSON & P. MONAHAN, « Democracy
and the Rule oflaw », in eid.. (dir.), 171e RuleofLaw. Ideal ofIdeo/ogy, Toropto, Carswell, 1987, p. 97 ss.
wn law ou la statute law? Le 9. II existe assez peu d'ouvrages sur l'histoire du concept de mie oflaw. A nos connaissances, !e livre
:ment de Westminster? A for- de Geoffrey de Q. WALKER, op. cit., pp. 93-160 est le seu! ouvrage récent à en faire un historique
quelque peu nébuleuses de la imégral, depuis ses débuts jusqu'à nos jours. La plupart des ouvrages ne portem que sur une période
déterminée. Cf E A. von HAYEK, Die Verfassung der Freiheit, crad. de l'angl. (The Conscitucion
1le moderne du droit naturel, of Liberty, 1960), Tübingen, Mohr, 1971, chap. 11, pp. 195-220; E GARZONI, Die Rechtsstaatsidee
de Bentham et d' Austin, ou im schweizerischen Staatsdenken des 19. Jahrhunderts (rmter Beriicksichtig1mg der Encwicklung im
englischen, nordamerikanischen, franzõsischen rmd deutschen Staatsdenken), Zürich, Polygraphischer
Verlag, 1952, pp. 17-31; W.H. DUNHAM, « Regai Power and che Rule ofLaw: a Tudor Paradox »,
~ terme rufe, c'est-à-dire la tra- ]ournal ofBritish St11dies, vol. 3, 1964, pp. 24-56; H.W. ARNDT, « The Origins of Dicey's Concept
e au nom du droit? Qui est le of the Rule of Law », AL], vol. 31, 1957, pp. 117-123; J.-Y. MORIN, « The Rule of Law and che
:ment dit, dans quelle mesure Rechtsstaat Concept: a Comparison », in E. McWHINNEY, J. ZASLOVE & W. WOLF (dir.), Fede-
ralism-in-the-Making. Contemporary Canadian and Gertnan Constitutionalism, Nacional and Trans-
Lporain de la juridicisation ou, national, Dordrecht, Kluwer, 1992, pp. 60-86; R.C. van CAENEGEM, « The Rechcsstaac in histo-
sphere politique? Comment rical Perspective », in id., Legal History: A European Perspective, London, Hambledon, 1991,
el de la constitutionnalité des pp. 185-199; C.H. McILWAIN, The High Court ofParliament and its Supremacy. An Historical Essay
on the Bo1mdaries between Legislation and Adj11dication in England, New Haven, Yale University
Rights Act de 1998, alars que Press, 1910. Voir aussi J.W. GOUGH, Fundamental Law in English Constitutional History, Oxford,
st l'un des ressorts majeurs de Clarendon, 1955 et surtout l'ouvrage fondamental de M. LOUGHLIN, Public Law and Political
mcrée dans l' esprit des juristes Theory, Oxford, Clarendon, 1992 qui retrace l'évolution de la doctrine juridique depuis Dicey jus-
qu'à aujourd'hui. Sur !e principe de la souveraineté, cf. J. GOLDSWORTHY, The Scwereignty of
Parlimnent. History and Philosophy, Oxford, Clarendon, 2000.
10. Cf A.V. DICEY, lntroduction to the S111dy of the Law of tbe Constit11tion, réimp. de la 8· éd.
de 1915, Indianapolis (USA), Liberty Fund, 1982 avec une préface de R.E. Michener. II s'agit de la
écossaise et nord-irlandaise. derniere édition assurée par Dicey lui-même qui a ajouté alors une longue introduction à l'ancienne
1sens de regle de droit semble être la 7· éd. (cf ibid., pp. XXXV-CXXI). II est d'usage de citer la 9' éd. qui a été publiée en 1939 parles soins
de E.C.S. Wade. Or, celui-ci, s'il reprend te! que! le corps du texte, supprime néanmoins la longue
:if law »,]Z, 1984, p. 65 et 67.
;tence d'un contrôle juridictionnel esc
1 introduction de Dicey et la remplace par une préface personnelle. Naus préférons utiliser ici la
réimpression de la 8' éd. que naus désignerons par la suite sous l'abréviation de The Law of che
'e of Law. Foundation of Constillltional Constillltion.
t
168 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais
r
'r
1

social. À cette époque charniere se cristallise également le modele institutionnel


de la rule of law, à savoir la distribution des rôles entre le Parlement de West-
minster et les juges du Strand.
En partam des théories du droit et de l'État des XVII' et XVIII' siecles, on saisit
dans toute son ampleur l'apport de Dicey. Celui-ci reprend cet héritage tout en
le reformulam à la lumiere de la nouvelle méthodologie juridique prônée par
l'école de l'Analyticaljurisprudence, fondée par Jeremy Bentham (1748-1832) et
John Austin (1790-1859). De ce mariage des influences résultera un modele libé-
ral et utilitariste de la rule of law qui prédominera jusque dans les années 1920-
1930. À ce moment, les premieres critiques se font jour avec les écrits de
Sir Ivor Jennings (1903-1965) et de William Robson. L'époque de Dicey est défi-
nitivement révolue avec l'impact croissant du droit de la petite et de la grande
Europe, qui l'emporte progressivement sur les lois votées à Westminster. Le
Human Rights Act de 1998 en est la trace, sinon la plus importante, du moins la
plus visible. Le modele classique de Dicey, ou le príncipe de la souveraineté du
Parlement prime sur le príncipe de la rule of law, a ainsi vécu. Mais si l'Angle-
terre se rapproche ainsi du modele continental de l'État de droit, caractérisé par 162 La ruleofla-i
l'existence d'une justice constitutionnelle, elle ne l'a pas encare rejoint entiere- On peut déc
ment. Elle reste dans une position médiane des plus originales. dans la fame'
symbolique,
Chapitre 1. Le XVII" siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais sion du roi
contient déj
Chapitre 2. La Rule of Law, Dicey et l'école de I'Analytical Jurisprudence
savoir l'inte1
Chapitre 3. L'ascension de la Rule of Law sous le signe des droits de obtenir justi
l'homme et du juge violé la char
de Henry de
lege, quia lex
domine l'arb
dans ses terre

1. MêmeDiw
n'hésite pas à d
politiq11es de l'A
tottt !e pays d11 ~
regne ou la supr,
chap. IV, p. 107
2. Voir les cha1
et 61. Une lect
de ce texte. En
cipe moderne d
3. H. deBRA<
« Regai Power
p. 24 : « I..e roi,
ton fut juge so,
4. H. de BRi
Sir Edward Co,
occidentale mo,
zes de l'esprit juridique anglais

rient le modele institutionnel


entre le Parlement de West-

XVII' et XVIII' siecles, on saisit


reprend cet héritage tout en
iologie juridique prônée par
emy Bentham (1748-1832) et
LCes résultera un modele libé-
jusque dans les années 1920-
font jour avec les écrits de
1. L' époque de Dicey est défi-
Chapitre 1
it de la petite et de la grande
>is votées à Westminster. Le Le xvne siecle ou l'âge d'or
plus importante, du moins la
rincipe de la souveraineté du
des droits et libertés des Anglais
a ainsi vécu. Mais si l' Angle-
'État de droit, caractérisé par
1 162 La rule oflaw est un tres vieux príncipe à en croire ses défenseurs du XVII' siecle 1•
l'a pas encore rejoint entiere- On peut déceler les premieres traces de ce qu'on appellera plus tard la rule oflaw
LS originales. dans la fameuseMagna CartaLibertatum de 1215. La valeur juridique, autant que
symbolique, de ce texte féodal réside avant tout dans l'affirmation de la soumis-
ts et libertés des Anglais sion du roi à la !oi. Tout en s'inscrivant dans un contexte moyenâgeux, il
contient déjà in nuce certains éléments cruciaux de la rufe of law moderne, à
~ l'Analytical Jurisprudence
savoir l'interdiction de toute arrestation arbitraire, !e droit des hommes libres à
ous le signe des droits de obtenir justice, ainsi qu'un droit de résistance des barons au cas ou le roi aurait
violé la charte 2 • L'idée de la suprématie du droit transpara1t aussi dans la maxime
de Henry de Bracton ( 1216-1268) : « Rex non debet esse sub homine sed sub Deo et
lege, quia !ex facit regem. » ) Selon lui, « la !oi fait le Roi, et il n 'y a pas de roi là ou
domine l 'arbitraire et non la foi. Etant le ministre et le vicaire de Dieu, le roi ne peut,
dans ses terres, rien d'autre que ce qzti est de droit » •.

1. Même Dicey, pourtant célebre pour ses critiques vis-à-vis de ce qu'il appelle « antiq11arianism ",
n'hésite pas à dire que« de11x traits ont depuis la conquête normande [1066] caractérisé les institutions
politiq11es de l'Angleterre. Le premier de ces traits est l'omnipotence ou la suprématie incontestée à travers
tottt le pays du gouvernement central. (. ..) Le second de ces traits, qui est intimement lié au premier, est le
regne ou la suprématie d11 droit {role or supremacy oflaw).,, (A.V. DICEY, The Law ofthe Constitution,
chap. IV, p. 107).
2. Voir les chapitres 39, 40 («tono one we will sei!, to no one will we refuse or delay, right and justice»)
et 61. Une leccure historique attemive fera néanmoins apparaitrc l'esprit féodal, et non pas libéral,
de ce texte. En réservam les droics et libertés à cenaines catégories sociales, il reste en deçà du prín-
cipe moderne de l'égalité des hommes.
3. H. de BRACTON, De Legibus et Consuetudinibus Angliae (c. 1250); cicé par W.H. D UNHAM,
« Regai Power and the Rule of Law: a Tudor Paradox ", The]o11mal o/British St11dies, vol. 3, 1964,
p. 24 : « Le roi doit être so11mis non pas aux hommes, mais à Die11 et à la !oi, car la !oi !'a fait roi. ,, Brac-
ton fut juge sous !e regne de Henri III. ,
4. H. de BRACTON, op. cit.; cité et traduic par J. BEAUTE, Un grand j11riste anglais :
Sir Edward Coke (1552-1634). Ses idées politiques et constitutionnelles 011 aux origines de la démocratie
occidentale moderne, Paris, PUF, 1975, p. 20.
,
'
170 De la Rule ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais Le XV!f siec/e

a) L'origine du terme de rule of law l'année 1600


Urbe condita
163 L'expression rule oflaw, au sens de regne du droit5, appara1t déjà en filigrane dans potentiora qt,
une sentence de justice, datam du regne d'Henri VI (1422-1461), que Dicey rap- oflaws, more
porte dans le law french de l'époque: « La Ley est le plus haute inheritance, que le entrée dans
roy ad; car par la lry it même et toutes ses sujets sont rulés, et si la lry ne fuit, nul roi, place dans la
nul inheritance sera.»" Les premieres traces écrites du terme datent surtout de la roi Jacques I
monarchie des Tudors, vers la fin du XVI' siecle. À l'aube du regne d'Élisabeth l" desa Majesté 1
(1558-1603), John Aylmer publie à Strasbourg un opuscule de bons conseils et qu'ils n'ont e:
d'admonestations, destinés à la jeune reine, sur la façon de gouverner le pays. II gouvemés pa1
y est dit : « En premier lieu, ce n 'est pas elle qui regne mais les lois, dont ses juges sont incertaine 011
les exécuteurs (. ..) 2. Elle ne Jait pas les lois ou le droit, mais c'est l'honorable Cour du
Parlement [qui le fait] (.. .)Si(...) le gouvemement serait tel que tout dépendrait de la ~! ~) Les term
volonté du Roi ou de la Reine, et non pas des lois écrites : si elle pouvait décréter et
faire les lois toute seule, sans son sénat; si elle jugeait les délits en suivant sa propre 164 Pour autant,
sagesse, et non pas en respectant les limites fixées parles lois et parle droit; si elle pou- per une posit
vait décider toute seu/e de la guerre et de la paix; si, pour être bref, on se trouvait sous fondateurs d
une monarchie pure et non pas dans un gouvemement mixte, vous auriez peut-être Coke (1552-
réussi à me faire craindre [le regne d'une femme ]. » 7 La formule commence à mar- (1723-1780),
quer les esprits de l'époque. Tel ce membre du Parlement, Peter Wentworth, qui Thomas Hol
s'exclame en 1576: « Forhe is nota King in whom will and not the lawdoth rule. »' creur de leur~
Le syntagme rufe oflaw figure tel quel dans l'Archeon or, aDiscourse upon the Commonwea
High Courts of justice in England (1591) de William Lambarde, dans un sens Dans son,
quelque peu imprécis il est vrai ". Sa réelle date de naissance serait, selon Hayek, Sir Thomas~

5. Le terme anglais de rufe oflaw a, en effet, deux acceptions. Selon le premier sens, qui semble être 10. TITUS LI\
le plus fréquem au moins jusqu'à l'époque de Dicey, une mie oflaw signifie simplemem une regle de F.A. von HAYE
droit. C/ Oxford English Dictionary, 2"J edn. by J.A. Simpson & E.S.C. Weiner, Oxford, Clarendon, !ois (est) p/11s p11i,
1989, t. XIV, p. 228 («mie») qui cite à ritre d'illustration un extrair tiré des lnstillltes (1634) de 11. Cité par J.-1
Sir Coke. De nos jours encore, on parle d'une mie oflaw posée par rei ou rei précédem. Le deuxieme E. McWHINNJ
sens est plus large et signifie alors le regne de la !oi ou, plus précisémem, le regne d11 droil. II importe and German Cr
tourefois de ne passe tromper sur le sens du mor law. Si le terme français de loi évoque aussitôt dans « Amongst man_'
l'esprit du constirurionnaliste l'idée de la loi adoptée parle parlemem, ce qui fait que l'expression rmder (. ..) Kings.
de regne de la loi est souvem associée à l'idée du regne du parlemem, la siruarion est différeme en cio11s than this, t"
anglais. Les !ois adoptées par le parlemem som, en effet, désignées par les termes spécifiques de Act fonn ofgovemm
ofParliament ou Stat11te. Le terme anglais law englobe par conséquem tout le droit et vise à la fois la 12. Le terme n'.
common law et la statttte law, le droit fait par les juges et le droit fait par le législateur. Cf Penguin, 1985. J
E. PICARD, « Les droits de l'homme et "l'activisme judiciaire" », Po11voirs, n" 93 (Le Royaume-Uni 1994 ne l'emplo
de Tony Blair), 2000, p. 119. comme quelqu',
6. Year Books, xix, Henry VI; cité par A.V. DICEY, op. cit., p. 107. absente chez W.
7. J. AYLMER, An Harborowe for ràithful and Tme Sttbjects against the Late Blown Blast conceming 1765-69, Chicag,
the Government of Women, Strasbourg, 1559; cité par W.H. D UNHAM, op. cit., p. 46: « For first it mier de regle de
is not she that mleth but the laws, the exemtors whereofbe her j11dges (. ..) 2. She maketh no st.1111/es or laws, supra note 5), m
b11t the honor,,ble Co11rt of P,;r/iament [does rhat] (. ..) If(...) the regiment were s11ch, as ,,li hanged 11pon tam ciré un extr
the King's or the Q11een 's will, anel not 11pon the l,1ws written : ifshe might decree and nwke laws alone, 13. Les termes ,
witho11t her sena te; ifshe j11dged offenses according to her wisdom, and not by limitation of stll/tltes and weal, qu'on rrou
laws; ifshe might dispose alone ofwar and peace; if, to be short, shewere a mere monarch, and nota mixed çais Rép11bliq11e.
mler, you might peradvent11re make me fear [a woman ruler]. " ducrion apglaise
8. Cité par W.H. DUNHAM, op. cit., p. 53 note 97: « Cllr n'est pas rm roí, celrii q11i fait régner sa Knolles. A note
volomé et non pas la !oi. " C/K.H.EDYS<
9. C/ G. de Q. WALKER, op. cit., p. 101; W.H. DUNHAM, op. cit., p. 53. York, Oxford U
mes de l'esprit juridique anglais L.e XVII siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 171

l'année 1600 ou est publiée la traduction effectuée par Philemon Holland du Ab


Urbe condita de l'historien romain Tite-Live. La formule latine « imperia legum
, apparalt déjà en filigrane dans potentiora quam hominum » est transcrite en anglais par « the authority and rufe
VI (1422-1461), que Dicey rap- oflaws, more powerful and mighty than those o/men » 'º. En 1610, le terme fait son
/e plus haute inheritance, que le entrée dans le langage offi.ciel du monde politique, puisqu'il figure en bonne
rulés, et si la ley ne fuit, nul roi, place dans la Petition o/ Grievances adressée par la chambre des Communes au
s du terme datent surtout de la roi Jacques l": « Parmi tant d'autres sources de bonheur et de liberté dont les sujets
, l'aube du regne d'Élisabeth l" de sa Majesté (. ..) ont joui sous (. ..) les Rois et Reines de ce Royaume, il n 'y en a aucune
n opuscule de bons conseils et qu'ils n'ont escomptée plus cherement et plus précieusement que ceife d'être guidés et
t façon de gouverner le pays. 11 gouvernés par un regne certain de !ois(. ..) et non par que/que forme de gouvernement
re mais les fois, dont ses juges sont incertaine ou arbitraire. »"
t, mais c'est l'honorable Cour du
~ait tel que tout dépendrait de la ~) Les termes clés de Commonwealth et de State
•crites : si elle pouvait décréter et
út les délits en suivant sa propre 164 Pour autant, l'expression rufe o/law, au sens de regne du droit, est loin d'occu-
les fois et parle droit; si elle pou- per une position centrale dans la théorie du droit des XVII' et XVIII' siecles. Ni les
pour être bref, on se trouvait sous fondateurs de la doctrine classique de la common law, c'est-à-dire Sir Edward
rzent mixte, vous auriez peut-être Coke (1552-1634), Sir Matthew Hale (1609-1676) et Sir William Blackstone
, 7 La formule commence à mar-
(1723-1780), ni les grandes figures de l'école du droit naturel moderne, à savoir
trlement, Peter Wentworth, qui Thomas Hobbes (1588-1679) et John Locke (1632-1704), ne s'en servem 12. Au
will and not the law doth rufe. »' creur de leurs théories respectives sur le droit se situe, au contraire, le concept de
A rcheon or, a Discourse upon the Commonwealth ou de State, les deux termes étant synonymes 13 •
tlliam Lambarde, dans un sens Dans son ouvrage De RepublicaAnglorum rédigé vers 1565 et publié en 1583,
le naissance serait, selon Hayek, Sir Thomas Smith avait formulé la définition suivante : « On appelle République

s. Selon le premier sens, qui semble être 10. TITUS LIVIUS, Roman Historie, translated by Ph. Holland, London, 1600, p. 44; cité par
'e oflaw signifie simplemenc une regie de F.A. von HAYEK, op. czt., p. 205 note 33. On pourrair traduire la maxime !atine par:« l'empire des
n & E.S.C. Weiner, Oxford, Clarendon, /ois (est) pl11s p11issant que ce/11i des hommes. ,,
l un extrait tiré des lnstillltes (1634) de
11. Cité par J.-Y. MORIN,« The Rule of Law and the Rechtsstaat Concept: A Comparison ,,, in
;ée par te! ou cel précédent. Le deuxieme E. McWHINNEY,]. ZASLOVE & W. WOLF, Federalis111-in-the-M,1king. Contemporary Canadian
,récisémenc, le regne d11 droit. II importe and German Constitutionalism, National and Transnational, Kluwer, Dordrecht, 1992, p. 62 :
« Amongst many other points of happiness and freedom which your Majesty's subjects (. ..) have enjoyed
!rme français de !oi évoque aussirôt dans
! parlement, ce qui fait que l' expression under (. ..) Kmgs <1nd Queens of this Realm, there is none which they have accounted more dear and pre-
parlemenc, la situation est différente en czous than thzs, to be guzded and governed by certain mie oflaw (. ..) and rzot by any uncertain or arbitrary
,signées par les termes spécifiques de Act form ofgovernment. »
onséquenc tout le droir et vise à la fois la 12. ~ terme n'appara1t pas chez T. HOBBES, Leviathan (1651), incro. C.B. Macpherson, London,
; er !e droit fait par le législateur. Cf Pengum, ,1985.J: LOCKE, Two Trea!isesofGovernment, incro. P. Laslett, Cambridge, Cambridge UP,
iire" », Po11voírs, n" 93 (Le Royaume-Uni 1994 ne I emplo1e pas non plus. Vmr tout au plus le chap. XVIII,§ 199, p. 399 ou il définit !e ryran
comme quelqu'un qui « makes not the IAw, but his Wi/1, the Rufe ». L'expression est égalemem
abseme chez W. BLACKSTONE, Commentaries on the Laws ofEngland, fac-similé de la 1• éd. de
., p. 107.
rs against the Late Blown Blast concerning 17_65-69, ~hicago, U~iversity of Chicago Press, 1979, 4 tomes. II l'utilise toutefois dans le sens pre-
. D UNHAM, op. cit., p. 46: « For Jirst it m1er de regle de dro1t (cf, par ex., t 1, p. 70). Coke se sert du terme au sens de regle de droit (voir
11dges (. ..) 2. She maketh no st,1tutes or laws, mpra note 5), mais pas, semble-t-il, au sens de regne du droit. Aucun commencateur n'a pour !'ins-
rhe regiment were s11ch, <1s ,11/ hanged 11pon tam cité un extrair de son ceuvre, ni d'ailleurs des écrits de Hale, ou !e terme figurerait en ce sens.
: ifshe might decree <1nd m,1ke /<1ws alone, 13. Les termes de Commonwealth (étym. Common weufth = richesse commune) ou de Common-
dom, and not by limitdtion ofstatlltes and w~al, 9u'on_ trouve parfois (common we,,l = bien ou imérêt commun) som synonymes du mor fran-
, she were a mere mmwrch, and nota mixed ça1s f!-epublzque. Cf H.C. DOWDALL, « The Word "State" », LQR, 1923, p. 116 qui renvoie à la tra-

1
ducnon ap.glaise des Six Livres de la République de Jean BODIN, effectuée en 1606 par Richard
).»
:..r n 'est pas un roi, ce/11i q11i fait rég11er sa Knolles. A noter que !e terme de State est beaucoup moins fréquenc que celui de Commonwealth.
Cf K.H.F. DYSON, The Sta te Tradition in Westem E11rope. A Stttdy ofan Jdea and lnstitution New
York, Oxford University Press, 1980, p. 36. '

l
,M, op. cit., p. 53.
172 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais Le XVlf" siecfe

(Commonwealth) une société ou vie en commun d'une multitude d'hommes libres, Commonwea,
rassemblés ensemble et unis par ttn accord commun et des conventions réciproques, para1tre 2º. Le
en vue de la conservation d'eux-mêmes que ce soit en temps de paix ou en temps de moins jusqu':
guerre » 14 • L'idée d'une société politique fondée sur le droit est également au gnent les écri
creur de la doctrine classique de la common law. D'apres Coke, « il est une chose ra1tre des ouv
si dangereuse d'ébranler ou de changer aucune des regles ou dispositions fondamen- gner le face-à-
tales de la Common Law, qui sont à vrai dire les principaux piliers et soutiens de la donner une d
construction de la République » 15 • Cela vaut autant, mutatis mutandis, pour le
Léviathan de Hobbes : « Car c'est l'art qui crée ce grand Léviathan qu'on appelle y) Diverses f
République (Common-Wealth) ou État (state), (Civitas en latin), leque/ n'est qu'un
homme artificie!, quoique d'une stature et d'une force plus grandes que celles de 166 II importe égi
l'homme naturel, pour la défense et la protection duque/ il a été conçu; en fui la sou- sémantique, s,
veraineté est une âme artificielle, puisqu'elle donne la vie et le mouvement à l'en- gisme allemar
semble du corps. »" L'État, simple artefact, est fait à l'image du corps humain : express1ons te
les magistrats en constituem les « articulations », les gratifications et punitions en selon un pam 1
sont les « nerfs », le salut du peuple est son « occupation » et l'équité et les lois en England ought
sont « la raison et la volonté artificielles » 17 • article 30 de
165 D'un point de vue comparatif, les similitudes entre les concepts anglais de Com- James Harrint
monwealth et de State et les concepts de Republik, de Staat et de Rechtsstaat tels 1656: « Ungo
que conçus par l'école jusnaturaliste allemande du début du XIX' siecle som indé- un art par leq1
niables 18 • Le Commonwealth est un État et, a fortiori, un État de droit, si l'on ment du droit ,
veut, c'est-à-dire un pouvoir politique dévoué au bien public, au common weal, pire des /ois et i
à lares publica. Seul un régime qui respecte à la fois le droit naturel et ses propres Quant à la
lois positives, comme y insistera Locke, mérite d'être appelé ainsi. Or, il se regiment » et
trouve que le terme de Commonwealth tombe en discrédit à la suite de l'inter- culierement in
regne (1649-1660), période tres agitée dom les Anglais gardent un mauvais sou- Rechtsstaat, l'it
venir 1". En dépit des efforts de Locke, qui tente de dégager le concept libéral de au premier. II :
donné que le t
XVIII' siecles, n
mais l'ensembl
14. Ciré par H.C. DOWDALL, op. cit., p. 120: « A Commonwealth is called a society or common
doing of a m11!tit11de offree men collected together and 11nited by a common accord and convenatmtes ment, on enter
among themselves,for the conservation ofthemselves as well in peace as in warre. »
15. E. COKE, lnstittttes of the Law ofEngland, t. 1 (1628), p. 51 : « So dangerotts a thing it isto shake
or alter any of the mies or fundamental points of the Common Law, which in tmth are the main pillars
and supporters ofthe fabric of the commonwea!th »; cité par J.W. GOUGH, op. cit., p.41. Voir ibid. la En même temps se
citation de Sir John DAVIES, Le Premier report descases et matters en ley (1628): « This customary law le radicalisme renI
is the most perfect and most excel!ent and withottt comparison the best to make and preserve a common· prend fin en 1660 ,
wealth. » On uouve le mor aussi dans l'ceuvre de Sir Matthew Hale. Cf G. POSTEMA, Bentham 20. CfJ. LOCKE
and the Common Law Tradition, Oxford, Clarendon, 1986, p. 8. chap. X du Second
16. T. HOBBES, Leviathan, or The Matter, Fonn, & Power of a Commonwea!th Ecclesiasticall and 21. Cf sa définitio
Civil! (1651), intra. C.B. Macpherson, London, Penguin, 1985, p. 81; [trad. fr: Léviathan. Traité de II !ui arrive encare
la matiere, de la forme et d11 po11voir de la rép11bliq11e écclésiastiqtte et ci·vile, trad., annoté et comparé 22. Cf infra n" 21 -
avec le texte latin par E Tricaud, Paris, Sirey, 1974, p. 4]. 23. Cicé par C.H.
17. Ibid. 24. Cf mpr,1 n-· 38
18. Cf supra titre 1, chap. 1. 25. Cité par C.H.
19. Apres l'exécurion du roi Charles I«en 1649, la monarchie est abolie et la République (Common- 26. Lire 1' anal yse d
wea!th) est prqclamée. S'opere alars un glissement sémamique puisque le moe Commonwealth ne formenlehre und F
désigne plus ]'Etat mais une cercaine forme de gouvernement. Dans le premier sens, le Commonwea!th in id., Wege z11r Gr
s'oppose à la« tymnny » ou au « despotism ». Dans le deuxieme sens il s'oppose à la« monarchy ». Verfass11ngsstaates, '
Dans les faits, le Commonwea!th dérive rapidement vers la dictacure militaire d'Oliver Cromwell. « gouvernement eh

1
es de l'esprit juridique anglais

ie multitude d'hommes libres,


f Le XV!f siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais

Commonwealth de l'emprise de ce passé encombrant, le terme périclite pour dis-


173

t des conventions réciproques, paraitre2º. Le mot State, qui n'a pas été touché par cette disgrâce, se maintient au
temps de paix ou en temps de moins jusqu'à la fin du XVIII" siecle dans le langage des juristes, ainsi qu'en témoi-
ur le droit est également au gnent les écrits de Blackstone 21 • À terme, le concept de State va lui-aussi dispa-
'apres Coke, « il est une chose raitre des ouvrages des juristes. Dicey s~ sert encore souvent du terme, pour dési-
:les ou dispositions fondamen- gner le face-à-face de l'individu et de l'Etat, mais il ne prend jamais la peine d'en
cipaux piliers et soutiens de la donner une définition scientifique 22 •
:, mutatis mutandis, pour le
rand Léviathan qu'on appelle y) Diverses formules proches du Rechtsstaat
is en latin}, leque! n'est qu'un
rce pltts grandes que celles de 166 11 importe également de noter un ensemble de termes qui, de par leur structure
1el il a été conçu; en !ui la sou- sémantique, se rapprochent tantôt de la formule de rufe oflaw tantôt du néolo-
avie et le mouvement à l'en- gisme allemand de Rechtsstaat. Dans la premiere catégorie, on peut ranger des
à l'image du corps humain : expressions telles que « empire of law » ou encore « government oflaw ». Ainsi,
gratifications et punitions en selon un pamphlet anonyme de 1659, intitulé The Leveller, « the Government of
tion » et l' équité et les lois en England ought to be by Laws, and not by Men » 13 • La phrase, qui inspirera le célebre
article 30 de la Constitution du Massashusetts de 1780 24, sera reprise par
les concepts anglais de Com- James Harrington ( 1611-1677) dans son ouvrage A Commonwealth of Oceana de
de Staat et de Rechtsstaat tels 1656: « Un gouvernement (pour le définir de jure, ou selon l'ancienne prudence} est
lébut du XIX" siecle sont indé- un art par leque/ une société civile d'hommes est instituée et préservée sur le fonde-
:ori, un État de droit, si l'on ment du droit ou de l'intérêt communs; ou (suivantAristote et Tite-Live) c'est l'em-
pire des lois et non des hommes. » 25
,ien public, au common weal,
le droit naturel et ses propres Quant à la seconde catégorie, on peut y ranger des termes tels que « lawful
i'être appelé ainsi. Or, il se regiment » et surtout « lawful Government ». Ce dernier syntagme est parti-
discrédit à la suite de l'inter- culierement intéressant en raison de sa structure binaire : il réunit, à !'instar du
;lais gardent un mauvais sou- Rechtsstaat, l'idée du droit et l'idée du pouvoir étatique, le second étant soumis
dégager le concept libéral de au premier. 11 s'agit là d'une formule quasi-identique à celle de Rechtsstaat, étant
donné que le terme de government désignait à l'époque, c'est-à-dire aux XVII' et
XVIII' siecles, non pas la partie de l'exécutif que forme le conseil des ministres,
mais l'ensemble des pouvo,irs publics, autrement dit l'État 26 • Par lawful Govern-
1wealth is called a sociely or common ment, on entend alors un Etat fondé sur le contrat social ainsi qu'il ressort de la
, a common accord and convenatmtes
ace as zn warre. >>
l : « So dangero11s a 1hing it is LO shake
,w, which in lrttth are the main pillars
GOUGH, op. ci1., p. 41. Voir ibid.1a En même cemps se propagent au sein de l'armée les theses égalitaires des Niveleurs, les Levellers, dom
rs en ley (1628): « This rnstomary law le radicalisme renforce encore les inquiétudes de la bourgeoisie anglaise. L'expérience républicaine
best LO make 1111d preserve a common- prend fin en 1660 avec la restauration de la dynastie des Stuans.
' Hale. Cf G. POSTEMA, Bentham 20. Cf. J. LOCKE, Two Treatises of Govermnent, intra. P. Laslett, Cambridge, Cambridge UP, 1994,
L chap. X du Second Treaty, § 133, p. 355; K.H.F. DYSON, The State Tradition ... , p. 37.
·a Commonwea!th Ecclesiasticall and 21. Cf. sa définition du State dans Commentaries on the Laws ofEngland (1765-69), op. cil., t. 1, p. 52.
, p. 81; [trad. fr: Léviatha11. Traité de II lui arrive encore d'utiliser le terme de Commonwealth.
11e et civile, crad., annoté et comparé 22. Cf infra n" 214.
23. Cité par C.H. Mc!LWAIN, The High Court of Parliamenl and ils S11premacy, op. cil., p. 87.
24. Cf s11pm n· 38 note 43.
25. Cité par C.H. Mc!LWAIN, op. cil., p. 87.
:st abolie et la République (Common- 26. Lire l'analyse de G. STOURZH, « Vom aristotelischen zum liberalen Verfassungsbegriff. Staats-
e puisque le mot Commonwealth ne formenlehre und Fundamentalgesetze in England und Nordamerika im 17. und 18. Jahrhunden »,
ans le premier sens, le Commonwealth in id., ITT,ge z11r Gr11ndrechtsdemokratie. St11dien 211r Begriffs- 1md Instittttionengeschichte des liberalen
1e sens il s' oppose à la « monarcl:ry ». Verfasszmgsstaates, Wien, Béihlau, 1989, pp. 6-10. Cf. aussi le titre du traité de Locke qui pane sur le
« gouvernement ci-vil ».
ctature milicaire d'Oliver Cromwell.
r
1
[
174 De la Rule ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais Le XV/f siecle oi

définition donnée par Robert Ferguson en 1689 : « Nul gouvernement n'est royaume, dom
conforme au droit s'il n'est fondé sur zm contrat et un accord entre ceux qui sont choi- l'Etat. De cette:
sis pour gouverner et ceux qui condescendent à se laisser gouverner. » 17 Chez Locke,
le « lawful Government »", qui est un synonyme du terme de Commonwealth,
l 49), l'exécutior
Cromwell, la r
est l'antithese de tout pouvoir « usurpé » 1', car conquis par la force. II est égale- rieuse » de 1681
ment le contraire de tout régime « arbitraire » ou « despotique », ou le prince gou- tutionnel angL
verne non pas selon des lois fixées et connues, mais à sa discrétion, selon son bon souveraineté d1
plaisir 30 • II est, enfin, à l'opposé de toute « tyrannie », ou les gouvernants usent
de leur pouvoir non pas en vue du bien public, mais à leur propre profit, en fai-
sant régner non pas la loi, mais leur volonté". Respect du droit dans l'acces et f Secti

l
l'exercice du pouvoir, respect du droit naturel et positif, telles sont les multiples
DELA
ramifications du concept lockien de Commonwealth ou de lawfid Government.
167 D'un pays à l'autre, et à deux siecles d'intervalle, on découvre ainsi le même trip-
tyque sémantique : à savoir la catégorie du Staat ou State, celle de la Republik ou 168 Le XVII' siecle ,
du Commonwealth et, enfin, la troisieme catégorie composée, du côté allemand, concevoir le sa,
de la Rechtsherrschaft et surtout du Rechtsstaat et, du côté anglais, de la rule oflaw, ciens de la com
du government of law, du lawful Government, etc . .11 Par la suite, les chemins se appelé le « rati,
sépareront toutefois progressivement. On constatera également une autre co"in- hommes polir
cidence : dans les deux pays, le terme de République est rejeté pour diverses rai- Sir Francis Baci
sons, dont notamment la crainte du regne du nombre, c'est-à-dire des dérives, se font les charn
potentielles ou réelles, d'une trop grande démocratisation du suffrage. Des lors, social est fond~
en Allemagne, la voie est libre pour le mot d'ordre du Rechtsstaat, alors qu'en un ordre engen
Angleterre le terme de rule oflaw est propulsé sur le devant de la scene par Dicey, maturation. S'i
à la fin du XIX' siecle. se doit de respt
Au-delà de ces similitudes, il importe néanmoins de ne pas perdre de vue les intégrale échap
différences existam entre le concept allemand de Rechtsstaat et le concept anglais avoir, il n'inte1
de Commonwealth. Si les deux sont focalisés sur l'idée du regne du droit et de la grands príncipe
liberté individuelle, leur forme institutionnelle n'est pas absolument la même. tivistes, la soei,
En Angleterre, la liberté individuelle et la liberté politique sont intimement v01re par un St
liées 3'. Ainsi, l'idée de l'absolutisme d'un roi éclairé, prônée notamment par doute radical p1
Hobbes, s'est heurtée à l'opposition farouche des juristes de la common law. se justifier sur
I
Ceux-ci s'érigent en défenseurs des droits du parlement face aux ambitions abso- vecues comme
lutistes de la dynastie des Stuarts, d'origine écossaise, qui a accédé au trône en de l'humanité,
1603. Le XVII' siecle sera le théâtre d'une vive lutte entre les diverses forces du doit être dédui
Forts des lumie
les information
27. R. FERGUSON, A BriefJustification ofthe Prince of Orange's Descent into England, 1689: « No appelle « l'illusi
g1wernment is lawful but what is fozmded upon compact and agreement between those chosen to govern du passé, suiva1
and those who condescend to be governed »; cité par J.W. GOUGH, op. cit., p. 162. que vous avez e,
28. J. LOCKE, op. cit., préface, p. 137, Livr. II, chap. VIII, p. 333, chap. XVII, p. 397. II écrit
coujours « law/11I Government » avec un G majuscule. conséquent qu,
29. lbid., chap. XVI (Of Conquesc) p. 384 ss et chap. XVII (Of Usurpation) p. 397 ss.
30. Ibid., chap. XI, p. 359 : « absolute arbitnl1)' Power, or G1weming without settled st,mding úws »
31. Ibid., chap. XVIII, p. 399 : « when the Governar, however intituled, makes not the L,,w, but bis 34. Cf F.A. von H
Will, the Rufe. » coll. Quadrige, 19~
32. Cf mpm n" 45 ss et infra n" 347 ss. CORMICK, « Sp,
33. Cf G. STOURZH, « Vom aristocelischen zum liberalen Verfassungsbegriff... », op. cit., spéc. p. 4 35. F.A. HAYEK,
et 29. 36. Cicé par F.A. 1
·s de l'esprÚ juridique anglais Le XVIf siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 175

« Nul gouvernement n'est royaume, dom chacune s'appuie sur une conception différeme du droit et de
:cord entre ceux qui sont choi- l'Etat. De cette période tres agitée - qui voit se succéder une guerre civile (1642-
r gouvemer. » 27 Chez Locke, 49), l'exécution du roi Charles l" en 1649, la proclamation de la République par
1 terme de Commonwealth, Cromwell, la restauration de la monarchie• en 1660 et, enfin, la « révolution glo-
uis par la force. 11 est égale- rieuse » de 1688 - émergent progressivernent les grandes lignes du modele insti-
ispotique », ou le prince gou- tutionnel anglais, caractérisé par la subordination du roi à la loi (Section I) et la
sa discrétion, selon son bon souveraineté du Parlement de Westminster (Section II).
», ou les gouvernants usent
; à leur propre profi.t, en fai-
Ject du droit dans l'acces et Section L LA LUTTE DE LA THÉORIE CLASSIQUE
;itif, telles som les multiples DE LA COMMON LAW CONTRE L' ABSOLUTISME ROYAL
!, ou de lawfúl Govemment.
:iécouvre ainsi le même trip-
'5tate, celle de la Republik ou 168 Le XVII' siecle voit s'affronter violemment deux modes de pensée, deux façons de
omposée, du côté allemand, concevoir le savoir humain, le droit et la société politique. D'un côté, les théori-
:ôté anglais, de la rufe oflaw, ciens de la common law défendem ce que Friedrich August Hayek (1899-1992) a
Par la suite, les chemins se appelé le « rationalisme évolutionniste ». De l'autre côté, il y a, pêle-mêle, divers
a égalemem une autre co"in- hommes politiques et philosophes tels que le roi Jacques l", son conseiller
i est rejeté pour diverses rai- Sir Francis Bacon (1561-1626), Thomas Hobbes, John Locke et bien d'autres, qui
bre, c'est-à-dire des dérives, se font les chantres d'un « rationalisme constructiviste » ·". Pour les premiers, l' ordre
sation du suffrage. Des lors, social est fondamentalernem, selon la terminologie de Hayek, « Cosmos» : c'est
! du Rechtsstaat, alors qu'en un ordre engendré spomanémem par la société au cours d'un lent processus de
devam de la scene par Dicey, maturation. S'inscrivant dans la lignée de ses ancêtres, chaque nouvelle génération
se doit de respecter la sagesse accumulée au fil du temps, dom la compréhension
; de ne pas perdre de vue les intégrale échappe à l'être humain, aussi imelligent soit-il. Si changement il doit y
:htsstaat et le concept anglais avoir, il n'interviem que par petites touches, cas par cas, et dans le respect des
ée du regne du droit et de la grands príncipes hérités du passé. À l'inverse, aux yeux des rationalistes construc-
st pas absolument la même. tivistes, la société est « Taxis » : elle est une organisation conçue par l'homme,
politique som intimemem voire par un seul homrne, suivant un plan d' ensemble. Suivam la maxime du
iré, prônée notamment par doure radical prôné par René Descartes, chaque institution humaine doit pouvoir
juristes de la common law. se justifi.er sur des bases rationnelles. Des lors, les vieilles traditions, qui som
ent face aux ambitions abso- vécues comme autant d'emraves au bonheur de l'individu et à l'épanouissemem
se, qui a accédé au trône en de l'humanité, som frappées d'illégitirnité. Plus rien n'est laissé au hasard : tout
: entre les diverses forces du doit être déduit logiquernem d'axiomes qui se doivent d'être clairs et évidems.
Forts des lumieres de la Raison et convaincus que l'hornme peut disposer de toutes
les informations nécessaires pour façonner le monde à son image - ce que Hayek
·'s Descent into England, 1689 : « No appelle « l'illusion synoptique » 35 - , les rationalistes constructivistes font table rase
ment between those chosen to gavern du passé, suivant le conseil de Voltaire : « Si vous voulez de bonnes !ois, brúlez celles
,:, op. cit., p. 162. que vous avez et faites-en de nouvelles. » 31' La société, l'État et !e droit ne som par
,. 333, chap. XVII, p. 397. Il écrit
conséquem que le produit, que !'artífice de l'homme en vue de son bonheur.
Usurpation) p. 397 ss.
•IÍng witho11t settled stmuling Úlws »
ntituled, makes not the Úlw, lmt bis 34. Cf F.A. von HAYEK, Droit, législation et liberté, t. 1 : Regles et ordre, trad. de l'angl., Paris, PUF,
coll. Quadrige, 1995; M. LOUGHLIN, op. cit., p. 84ss; G. de Q. WALKER, op. cit.,p. 121; N. Mac-
CORMICK, « Spontaneous Order and Rule of Law: Some problems », ]õR, t. 35, 1986, pp. 1-13.
'assungsbegriff... », op. cit., spéc. p. 4 35. F.A. HAYEK, op. cit., p. 16.
36. Cité par F.A. HAYEK, op. cit., p. 28.
176 De la Rule ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais
r
r
,_
!
;
Le XVIf siecfe (

L'aminomie décrite par Hayek est sous-jacente à la premiere lutte que se


livrem, d'un côté, les juges de la common law, guidés par la figure emblématique
t voire législatiJ
temem les mt
de Coke, et, de l'autre, le roi Jacques l", qui est un fervem admirateur du regne Coke avec cel
de Louis XIV et de la bureaucratie colbertienne. Les juges, en s' appuyant sur la taat allemand
théorie de la common law (§ 1), réussiront à soumettre le roi, le pouvoir exécu- l'existence d't
tif, à la loi et au droit. Ils empêchent ainsi l'émergence d'un despotisme éclairé mon law semi
en Angleterre, te! qu'il a été esquissé notamment par Hobbes(§ 2). commonlaw(

§ 1. L ÀPOLOGIE DV JUGE PAR LA THÉORIE CLASSJQUE A. l


DE LA COMMON LAW

170 La doctrine cL
169 Les prétentions du roi à légiférer, à faire !e droit selon sa propre conception de médiévale du l
la justice, susciterent une vive réaction de la part des juges de la common law". ancient, imma
Dans ce débat, Sir Edward Coke (1552-1634) 38 et Sir Matthew Hale (1609- pouvoir politi
1676)", qui occupaient successivement la fonction prestigieuse de Chie/Justice of vertes ou décb
England, de président du Bane du Roí, ont joué un rôle crucial en théorisant, pour autant. S
pour la premiere fois, la common law. Ils se mettent à systématiser, à rendre intel- société : puisa
ligible et accessible ce qui n'était jusque-là qu'une simple pratique juridiction- la nuit des ten
nelle, plus ou moins obscure, remontam au XI' siecle. Grâce aux écrits de Coke, aux juges. Or,
à savoir ses Reports'ª et ses Institutes ofthe Laws ofEngland, et de Matthew Hale, common law q
connu notamment pour sa History of the Common Law, sans oublier enfin les
Commentaries on the Laws ofEngland de William Blackstone '1 ( 1723-1780), nait
lº Un droitp
la doctrine classique de la common law. Elle agira comme un puissant facteur de
légitimation du pouvoir des juges, et cela au détriment du pouvoir exécutif, 171 La common la,
immémoriale »
Comme le dis,
37. Sur la définition de la common law, cf. G. POSTEMA, Bentham and the Common Law Tradition, n'est rien d'aut
Oxford, Clarendon, 1986, pp. 3-80; R. COTTERRELL, The Politics o/ }11rispmdence. A Critiml ne peut être fait
lntrod11ction to Legal Philosopby, London, Butterworths, 1989, pp. 21-51; R.C. van CAENAGEM,
« The Common Law Seen from the European Continent », in id., Legal History : A E11ropean actes soumis à é(
Perspective, London, Hambledon, 1991, pp. 165-183; A.WB. SIMPSON,« The Common Law and quement une aj
Legal Theory », in id. (dir.), Oxford Essays in Jurisprndence (Second Series), Oxford, Clarendon, 1973,
être enregistrée ,
pp. 77-99; M. LOUGHLIN, op. cit., pp. 42-50; P. KINDER-GEST, Droit anglais. Instit11tions poli-
tiques et judiciaires, 3' éd., Paris, LÇDJ, 1997, pp. 207-231.
38. Sur son reuvre, cf. J. BEAUTE, Un grand juriste anglais: Sir Edward Coke (1552-1634). Ses idées
politiq11es et constit11tionnelles, Paris, PUF, 1975, 230 p.; G. de Q. WALKER, op. cit., chap. 2;
C. HILL,« Sir Edward Coke: Myth-maker », in id., lntellec11tal Origins o/ The English R1r<.1ol11tion, de la philosophie po
revis. edn., Oxford, Clarendon, 1997, chap. 5, pp. 201-311. Blackstone : Teach
39. Cf G. de Q. WALKER, op. cit., chap. 2; W.S. HOLDSWORTH, « Sir Matthew Hale ", LQR, WH. GREENLEi'
vol. 39, 1923, pp. 402-426; id., « Sir Matthew Hale on Hobbes: an Unpublished Manuscript », der ]11risten hei der
LQR, vol. 37, 1921, pp. 274-303; D.E.C. YALE,« Hobbes and Hale on Law, Legislation and the Cf aussi les référe1
Sovereign », CL}, vol. 31, 1972, pp. 121-156. 42. Cf supra n" 76
40. Ce recueil de jurisprudence en 13 volumes a été publié d'abord en law Jrench (1600-1615), puis 43. J.G.A. POCC
en anglais (1656-5,9). p. 16. Cf aussi G. 1
41. Cf G. AUGE,« Aspects de la philosophie juridique de Sir William Blackstone », APD, t. XV, Supremacy, op. cit..
1970, pp. 71-98; E. BAKER,• Blackstone on the British Constitution ", in id., Essays on Govern- 44. W BLACKST1
ment, 2'' edn., Oxford, Clarendon, 1960, pp. 120-153; A.V. DICEY, « Blackstone's Commentaries ", from time to time d
CL}, 1930, pp. 286-307; P. LUCAS,« Ex parte Sir William Blackstone, "Plagiarist": A Note on 45. J. DAVIES, ln
Blackstone and the Natural Law ", The American }011rnal o/Legal History, vol. 7, 1963, pp. 142-158; the Common C11st,-
H.J. STORING, « William Blackstone 1723-1780 », in L. STRAUSS &J. CROPSEY (dir.), Histoire Charter, or by Parli.

J
~s de l'espnt juridique anglais

à la premiere lutte que se


r Le XVII siecle ou l'age d'or des droits et libertés des Anglais

voire législatif. Quoique les données théoriques et historiques ne soiem pas exac-
177

s par la figure emblématique temem les mêmes, on ne peut s'empêcher de mettre en corrélation les idées de
fervem admirateur du regne Coke avec celles de Bahr, pere imellectuel de la juridictionnalisation du Rechtss-
s juges, en s'appuyant sur la taat allemand ". Dans les deux cas, il est inconcevable de penser le droit sans
ttre le roí, le pouvoir exécu- l'existence d'un juge. Pourtant, à premiere vue, la doctrine classique de la com-
nce d'un despotisme éclairé mon law semble éviter un tel amalgame en distinguam bien la définition de la
ir Hobbes (§ 2). common law (A) du rôle qui incombe au juge (B).

foRIE CLASSIQUE A. La common law ou la fiction d'un droit populaire,


raisonnable et immuable

170 La doctrine classique de la common law véhicule une conception essentiellement


lon sa propre conception de médiévale du droit. Le droit est, pour reprendre la formule de J. Pocock, « a thing
es juges de la common law". ancient, immanent and unmade » 43 • Loin d'être le produit de la volomé d'un
t Sir Matthew Hale (1609- pouvoir politique, quel qu'il soit, les normes juridiques som simplement décou-
irestigieuse de Chie/Justice of vertes ou déclarées parle juge à l'occasion d'un litige, sans que celui-ci neles crée
rr rôle crucial en théorisant, pour autant. Selon cette conception, le droit est un ordre objectif immanent à la
à systématiser, à rendre intel- société : puisant ses sources dans les usages et traditions qui remontem jusqu'à
simple pratique juridiction- la nuit des temps, il préexiste non seulement au roi et au parlement, mais aussi
e. Grâce aux écrits de Coke, aux juges. Or, il s'agit là d'un mythe savamment emretenu par la doctrine de la
rzgland, et de Matthew Hale, common law qui s'oppose radicalement à l'idée naissante de la souveraineté.
1 Law, sans oublier enfin les

lackstone" ( 1723-1780), na1t 1º Un droit populaire car coutumier


)mme un puissant facteur de
·imem du pouvoir exécutif, 171 La common law est définie, de maniere classique, comme la « coutume générale et
immémoriale » d' Angleterre, « déclarée de temps en temps parles cours de justice»".
Comme le disait Sir John Davies en 1612 : « Carla Loi commune d'Angleterre
wn ,md the Common La-w 7i·adition, n'est rien d'autre que la coutume commzme du royaume; Jus non scriptum: car elle
Politics of ]11rispmdence. A Critic,,/ ne peut être faite ou créée ni par une charte, ni par un acte du parlement, qui sont des
Jp. 21-51; R.C. van CAENAGEM,
in id., Legal Hiswry : A E11ropean actes soumis à écriture et faisant toujours l'objet d'zm enregistrement; mais étant uni-
MPSON, « The Common Law and quement une affaire de faits, et consistant dans les usages et les pratiques, elle ne peut
id Series), Oxford, Clarendon, 1973, être enregistrée et rapportée nulle part ailleurs que dans la mémoire du peuple. » ' 5 La
EST, Droit ,mglais. lnstit11tions poli-

r Edward Coke (1552-1634). Ses idées


!e Q. WALKER, op. cit., chap. 2;
d Origins of The English Reruol11tion, de la philosophie politiq11e, trad. de l'angl., Paris, PUF, 1994, pp. 689-701; G. STOURZH, « William
Blackstone: Teacher of Revolmion ", in id., Wege zttr Gmndrechtsdemokratie, op. cit., pp. 137-153;
IRTH, « Sir Matthew Hale », LQR, W.H. GREENLEAF, « Blackstone and che Office of Govemment », in R. SCHNUR (dir.), Die Rol/e
es : an Unpublished Manuscript », der ]11risten bei der Entstehtmg des modemen Staats, Berlin, Duncker & Humblot, 1986, pp. 499-520.
1 Hale on Law, Legislacion and the Cf aussi les références citées infra n" 221 note 45.
42. Cf supra n" 76 ss.
JOrd en law french (1600-1615), puis 43. J.G.A. POCOCK, The Ancient Constit11tion ,mel the Fe11dal La-w, 2,J edn., Cambridge, 1987,
p. 16. Cf aussi G. POSTEMA, op. cit., p. 4; C.H. McILWAIN, TheHigh Court ofParliamentand its
William Blackstone », APD, t. XV, S11premacy, op. cit., p. 42 ss.
;citution », in id., Essays on Govern- 44. W. BLACKSTONE, Commentaries, t. 1, p. 72 (« general immemorial rnstom, or common law,
EY, « Blackstone's Commentaries », from time to time declared in the decisions of the co11rts ofj11stice ») ..
lackstone, "Plagiarist" : A Note on 45. J. DAVIES, lrish Reports, 1612, préface : « For the Common La-w of England is nothing e/se but
,il History, vai. 7, 1963, pp. 142-158; the Common C11stome of the Realm; (. ..) jus non scriptttm: for it cannot be made or created either by
,USS & J. CROPSEY (<lir.), Histoire Charter, or by Parliament, -which are Acts red11ced to -writing, and are al-waies matter ofRecord; b11t being

i
'1

178 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit jttridique anglais Le XV!f siecl1

common law est une loi non-écrite au sens ou elle « reçoit son pouvoir contrai- aussi démoc
gnant, sa force de loi, par un usage long et immémorial, et par sa réception univer- rieur parle!
selle à travers le royaume »"'. En cela, la !ex non scripta s'oppose à la lex scripta, la part du pa
aux lois édictées parle législateur, qui s'imposent en vertu d'un acre écrit, revêtu restreint. L'i
de l'autorité du parlement. fondement d
La common law se distingue fondamentalement de tout droit écrit par son écrit : « Car,
mode d'engendrement. Si la !ex scripta est un ordre imposé d'en haut, par son qu 'il est a
un pouvoir politique qui est perçu comme un élément exogene à la société, la vées sans les t1
common law fait figure, aux yeux de ses admirateurs, d'un droit populaire, car si le peuple d
généré spontanément par la société elle-même. « lmmanente à ce processus his- concordante <
torique pltts large par leque! la société se forme et se transfonne elle-même » ", la de la liberté a
common law est l'expression directe de la vie sociale que le juge se contente de elle-même cet
constater. En évoluant au plus pres avec la vie des hommes, la common law
s'adapte par petites touches, litige par litige, en tenant compre des particularités 1 introduite pa;

de chaque cas d'espece. Tout autre est le raisonnement de la loi écrite qui statue 2° Un droit
de maniere abstraite et générale, sans avoir fait ses preuves dans la pratique. Les
propos de Sir John Davies sont particulierement éclairants sur ce su jet : « Et cette 173 La common ,
!oi coutumiere est la plus parfaite et la plus excellente et, sans aucune comparaison, encore par
la meilleure pour ériger et préserver la République. Car les !ois écrites, qui sont faites Sir John Davi
soit parles édits de Princes, soit parles conseils des États, sont imposées au sujet avant fique au peupl1
même qu'un proces ou une expérience probatoire ait pu avoir lieu, peu importe et le prati.quen
qu'elles soient adaptées et agréables à la nature et à la disposition du peuple, et sans natt une cout1,
que l'on sache si elles engendrent ou non des inconvénients. » ' 8 coutume dépe,
172 De par son caractere coutumier, la common law repose, en dernier lieu, sur le doit surtout à
consentement des individus'". Le peuple réitere cet assentiment en s'appropriant investie la c1
les usages et traditions de ses ancêtres, tout en se réservant le droit de les adapter la Loi commu
aux circonstances changeantes. La common law se donne ainsi l'image d'un droit the Common
autonome, d'un droit que la société se donne à elle-même 50 • On serait tenté de accumule en s
dire que la common law est d'essence "démocratique" dans l'esprit de ses défen- ce capital de e
seurs, bien qu'ils n'utilisent jamais le terme 51 : elle constitue un ordre normatif

les théories évo!tw


cratiq11e du droit
onely matter offact, and consisting in use and practice, it can be recorded and registered no-where b111 in Pouvoirs, n" 93 (I ,
the memory of the people »; cité par M. LOUGHLIN, op. cit., p. 43. 52. W. BLACKSº
46. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 64. no other reason b1,
47. G. POSTEMA, op. cit., p. 7. people hath <1pproc
48. J. DAVIES, Irish Reports, 1612: « And this C11stomary l.Aw is the most perfect and most excellent, the people declare 1
and witho11t comp,irison the best, to make and preserve a Commonwealth. For the written laws which are indeed it is one of.
made either by the Edicts ofPrinces, or by cotmcils ofEstales, are imposed 11pon the Subject before any Triai which ca1Ties this i,
or Probation m<1de, wether the same be fit and agreeable to the natttre and disposition of the people, or tary consent ofthe
wether they will breed any inconvenience, orno »; cité par M. LOUGHLIN, op. cit., p. 44. 53. J. DAVIES, Ir.
49. W. BLACKSTONE (op. cit., t. 1, p. 64) affirme ainsi, en citam !e juriste romain Aulus Gelius, beneficial/ to the p,
« the i11s non scriptttm... is "t,tcito et illiterato hominum consens11 et moribus expressmn" "· Cf aussi again ,md again, ,11
G. POSTEMA, op. cit., p. 16 : « 011 pe11t dire q11e la common law repose s11r /e consentement d11 pe11ple. M. LOUGHLIN.
Ce consentemenl est pl11s profond q11e l'acceptation d'être représenté par q11elqu'11n d'autre dans ,me assem- 54. W. BLACKS'J
blée législative. » 55. E. COKE, ln,
50. G. POSTEMA, op. cit., p. 17. p. 6. Cf W. BLAC
51. D'apres Geoffrey de Q. WALKER (op. cit. p. 124), Sir Matthew Hale, en arguam de« la supé- 56. On remarque,
riorité d'11n droit fait par pl11sie11rs sttr tm droit fait par un 011 q11elq11es-1ms », « anticipe non seulement suggere Sir Davie,

1
rzes de l'esprit jttridique anglais 1.e XVIf siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 179

e «reçoit son pouvoir contrai- aussi démocratique, voire plus démocratique, que tout autre imposé de l'exté-
·ial, et par sa réception univer- rieur par le pouvoir politique, que ce soit de la part d'un roi absolu ou même de
ripta s' oppose à la lex scripta, la part du parlement, dom seulement une chambre est élue, et encore au suffrage
n vertu d'un acre écrit, revêtu restreint. L'idée en est clairement énoncée chez Blackstone lorsqu'il analyse le
fondement du caractere obligatoire respectivement du droit écrit et du droit non-
1t de tout droit écrit par son écrit : « Car, comme le dit julianus, puisque le droit écrit naus lie pour la seu/e rai-
>rdre imposé d'en haut, par son qu 'il est approuvé parle jugement du peuple, alars les !ois que !e peuple a approu-
:ment exogene à la société, la vées sans les avoir rédigées devront aussi lier tout le monde. Car, ou est la différence
urs, d'un droit populaire, car si le peuple déclare son assentiment à une loi par !e suffrage ou par une pratique
lmmanente à ce processus his- concordante et unifonne? (..J Et, en ejfet, il est !'une des caractéristiques marquantes
e transfonne elle-même » 47 , la de la liberté anglaise que notre loi commune dépende de la coutume, qui véhicule en
ale que le juge se contente de elle-même cette preuve intrinseque de liberté, à savoir qu'elle a été probablement
ies hommes, la common law introduite parle libre consentement du peuple. » ;,
1am compre des particularités
11ent de la loi écrite qui statue 2º Un droit libéral car raisonnable
preuves dans la pratique. Les
:lairants sur ce sujet: « Et cette 173 La common law se distingue non seulement par son origine populaire, mais
·e et, sans aucune comparaison, encore par son contenu raisonnable. Laissons de nouveau la parole à
:ar les lois écrites, qui sont faites Sir John D avies : « Si un acte raisonnable, fait une fois, est considéré être bon et béné-
its, sont imposées au sujet avant fique au peuple, ainsi qu 'agréable à sa nature et à sa disposition, alars les gens !e refont
út pu avoir lieu, peu importe et le pratiquent de plus en plus. A insi, par la répétition et la multiplication de cet acte
'a disposition du peuple, et sans natt une coutume. » 53 Blackstone affirme à son tour que« la bonté (goodness} d'une
:nients. » 48 coutume dépend du fait qu'elle est pratiquée depuis un temps immémorial » 54 • L'on
repose, en dernier lieu, sur le doit surtout à Coke des hymnes élogieux sur la « Raison artificielle » dom serait
: assentiment en s'appropriant investie la common law : « La Raison est la vie de la !oi, voire plus, car
fservant le droit de les adapter la Loi commune n'est rien d'autre que la Raison (Reason is the life of the law, nay
donne ainsi l'image d'un droit the Common law itself is nothing else but Reason}. » ;; Selon lui, la common law
le-même 50 • On serait tenté de accumule en son sein la sagesse et l'expérience de générations de juges 56 • Forts de
[Ue" dans l'esprit de ses défen- ce capital de connaissances, de cette « raison artificielle » du droit qui dépasse de
e constitue un ordre normatif

les théories évolutionnistes de la ,société et les théories modernes des systemes, mais aussi la théorie démo-
cratique du droit ». Cf aussi E. PICARD, « Les droits de l'homme et "l'activisme judiciaire" »,
,·ecorded and registered no-where b11t in Pouvoirs, n" 93 (Le Royaume-Uni de Tony Blair), 2000, p. 115 et 140.
). 43. 52. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 73-74 : « For since, says ]11/ianus, the written law binds us for
no other reason but because it is approved by the judgment of the people, therefore those laws which the
people hath approved without writing ought also to bind every body. For where is the difference, whether
v is the most perfect and most excellent, the people declare their assent to a law by su/frage, or by a zmiform course ofacting accordingly? (. ..)And
nwealth. For the written laws which are indeed it is one of the characteristic marks ofEnglish libert)\ that our common law depends on custam;
nposed 11pon the S11bject before any Triai which ca1,ies this internai evidence offreedom along with it, that it probablywas introduced by the volun-
~at11re and disposition of the people, ar tary consent of the people. »
.OUGHLIN, op. cit., p. 44. 53. J. DAVIES,IrishReports, 1612, préface: « When a reasonableact oncedone isfound to begood and
citam le jurisre romain Aulus Gelius, beneficial! to the people, and agreeable to their natttre and disposition, then do they use it and practice it
~s11 et morib11s expressttm" ». Cf aussi again and again, and so by ofien iteration and multiplication ofthe act it becometh a C11stome »; cité par
·w repose s11r le consentement d11 pe11ple. M. LOUGHLIN, op. cit., p. 44.
,é par quelqu'zm d'autre d,ms zme assem- 54. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 67.
55. E. COKE, Institutes ofthe Laws ofEngland, t. 1, 1628, section 21; cité par G. POSTEMA, op. cit.,
p. 6. Cf W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 70.
latthew Hale, en arguam de « la s11pé- 56. On remarquera que pour Coke la common law reflete non pas la sagesse populaire, comme le
r1elq11es-1ms », « anticipe non se11lement suggere Sir Davies, mais le savoir des juges. Ce glissemem est assez significatif.
180 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais Le XV!f siec/e e

loin tout ce que peut savoir un seul homme grâce à sa raison dite « natttrelle », les 3º Un droit 1
juges sont les mieux placés pour définir les normes de la société. « La Common
Law, elle-même, n'est autre que la raison; si bien qu'il faut y voir tm perfection- 174 La théorie ela
nement artificiei de la raison, fruit d'une longue étude, observation et expérience, populaire, rai,
et non pas la raison naturelle de chaque homme... Au cours d'une longue succes- difficile de tro
sion d'époques, le droit de l'Angleterre s'est trouvé fixé, affiné et raffiné par un l'histoire; le tt
nombre infini d'hommes savants et graves et par une longue expérience parvenue à discours des t
une telle perfection, pour le gouvernement de ce royaume, que l'on peut justement donné que la .
y trouver la confirmation de la vieille regle selon laquelle aucun homme, de par sa juristes de la e
raison personnelle, ne devrait être plus sage que la foi, qui est la perfection de la cisément vers
raison. » 57 en effet ces déci
Quant à savoir ce qu'est le contenu si raisonnable de la common law, la plus décisive (ti
réponse de Coke est tout aussi explicite : « La Common Law est le meilleur et le l'existenced'Ul;
plus commun des droits innés (birth right) qu'a le sujet pour défendre et sauvegarder, 1 \
a savmr iusqu
non seulement ses biens, ses terres et ses revenus, mais aussi sa femme et ses enfants, rial d'une cou
son corps, son honneur et sa vie » 5'. La common law est le palladium de la liberté fait qui irait à
individuelle, de ces droits que les Français appelleront en 1789 les droits de suffisait de dei
l'homme et que les Anglais chérissent comme leurs droits innés". Autrement moriale"1• Co1
dit, la common law est le droit naturel des Anglais en ce début du XVII' siecle, tourmente po
avant même la naissance de l'école moderne du droit naturel qui n'a eu lieu qu'en common law,
1625, avec la publication du De jure Bellis ac Pacis de Hugo Grotius (1583-1645)"º. nuit des temF
Les deux écoles se font ainsi les apôtres d'un même esprit libéral et individua- héraut, ne fait
liste. Aussi, le droit de propriété est-il considéré comme le premier droit des existam déjà a
Anglais par la common law, bien avant les publications par Locke de ses Deux d'or, d'une ér
traités sur le gouvernement civil. Blackstone se situe d' ailleurs à l'intersection des Coke se lame1
deux courants puisqu'il se réfere tantôt à la doctrine de la common law tantôt à ombre, compai
la théorie du droit naturel. Toutefois, sur certains points, en particulier sur le des hommes les
rôle et le statut du législateur souverain, leurs chemins se séparent, ce qui créera vers une expéri
quelques frictions. en découle qu
remanter dam
la liberté des ;1
critique mord.
rétrogression (,;
57. E. COKE, Reports, t. 12, p. 64-65; cité et traduit par J. BEAUTÉ, op. cit., p. 63. L'idée est récur-
rente dans l'reuvre de Coke. avant vers la c1
58. E. COKE, lnstittttes, t. !, p. 142a: « Tbe Common Law is tbe best and most common birth right incultes. » 67
that tbe s11bject hath for tbe safeg11ard and defence, not only of bis goods, lands m;d re-ven11es, b11t of bis
wifeand children, bis body,fame, and lifealso »; cité en anglais par J. BEAUTE, op. cit., p. 63. (trad.
pers.)
59. Cette différence ne doit toutefois pas être exagérée. D'apres BLACKSTONE (op. cit., t. 1, 61. W. BLACKSºl
p. 125), les droits innés sont, par essence, des droits universels. Etant donné que l'Angleterre est !e 62. Ibid. p. 67: « /
seu! pays dans le monde à reconnaitre ces droits, les droits innés s'identifient aux droits des Anglais. or in the solemnin
60. Cf R.C. van CAENEGEM, « The Rechtsstaat. .. », op. cit., p. 198 et « The Common law... », 63. R. COTTERI
op. cit., p. 172. D'ailleurs, la common law est souvent apostrophée comme étant l'incarnation de la 64. R. COTTERI
Law of God, c'est-à-dire d'un droit naturel de source divine. Voir les exemples cicés par McILWAIN, 65. E. COKE, R,
Tbe Hight Co11rt of Parliament, op. cit., p. 63 et 70 s; J.W. GOUGH, op. cit., p. 30, p. 41 (d'apres of the o/d t1ncient ,
Sir John Davies la common law « se rapprocbant /e pl11s de la /oi de /,1 natttre, q11i est la racine et la pierre men, in many s11cc
de to11cbe de to11tes les bonnes !ois, dépt1sse largement... les !ois {stattttes) 011 t1ctes ·votés p,1r /e Parlement »), refined »; cité par
p. 44 et p. 46 (d'apres Lord Ellesmere « /,1 common /,1w d'Angleterre est fondée mr la Loi de Die11, et 66. E. COKE, Rc
s'étend jmq11'à /,1 /oi originaire de la nature et la !oi tmiverselle des nations »). 67. A.V. DICEY.
de l'esprit juridique anglais f
'r

f
Le XVII" siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais

3° Un droit intouchable car immuable


181

raison dite « naturelle », les


e la société. « La Common
! faut y voir un perfection- 174 La théorie classique de la common law véhicule l'image d'un droit qui se veut
' observation et expérience, populaire, raisonnable et, enfin, immémorial voire immuable. À vrai dire, il est
cours d'une longue succes- difficile de trouver le mot juste pour qualifier le rapport de la common law avec
cé, affiné et raffiné par un l'histoire; le terme immuable peut paraí'tre excessif. Pourtant, certains aspects du
ngue expérience parvenue à discours des théoriciens de la common law invitem à une telle lecture. Étant
ne, que l'on peut justement donné que la coutume n'est obligatoire qu'à condition d'être immémoriale, les
lle aucun homme, de par sa juristes de la common law se tournent instinctivement vers le passé, et plus pré-
, qui est la peifection de la cisément vers les anciens précédents, pour connaí'tre le droit en vigueur : « Car
en effet ces décisions juridictionnelles constituent la principale preuve, et la preuve la
ble de la common law, la plus décisive (the principal and most authoritative evidence), qu'on puisse donner de
10n Law est le meilleur et le l'existence d'une coutume qui est de nature àfairepartie de la common law »"'.Reste
iortr défendre et sauvegarder, à savoir jusqu'ou il faut remanter dans le temps. En soi, le caractere immémo-
.ussi sa femme et ses enfants, rial d'une coutume exige simplement qu'aucune âme vivante ne se rappelle un
;t le palladium de la liberté fait qui irait à !'encontre de la coutume alléguée 62 • Des lors, au Moyen Âge, il
ront en 1789 les droits de suffisait de deux ou trais générations pour faire d'un usage une coutume immé-
: droits innés 5'. Autrement moriale"3. Comparés à cela, les propos de Coke, placé il est vrai au ca:ur d'une
~n ce début du XVII' siecle, tourmente politique, tranchent par leur radicalisme. Selon lui, les racines de la
1aturel qui n'a eu lieu qu'en common law et, par conséquent, des libertés des Anglais remontem jusqu'à la
fogo Grotius (1583-1645)"°. nuit des temps. Même la Magna Carta Libertatum de 1215, dont il se fait le
esprit libéral et individua- héraut, ne fait que déclarer et confirmer d'anciennes maximes de la common law,
>mme le premier droit des existam déjà avant l'invasion normande de 1066 6' . Entretenant le mythe de l'âge
.ons par Locke de ses Deux d'or, d'une époque révolue, hélas, ou régnaient le droit, la liberté et la paix,
'ailleurs à l'intersection des Coke se lamente des dérives de son temps : « Nos jours sur terre ne sont qu'une
de la common law tantôt à ombre, comparés aux anciens jours et temps passés, ou les !ois ont été, grâce à la sagesse
>oints, en particulier sur le des hommes les plus éminents, affinées et raffinées de génération en génération, à tra-
ns se séparent, ce qui créera vers une expérience longue et continue (l'épreuve de la lumiere et de la vérité). » 65 11
en découle que « plus la source est ancienne, plus le droit est pur » 66 • À force de
remanter dans le temps, le juriste est censé se rapprocher de cet âge mythique de
la liberté des anciens Anglais. Raisonnement paradoxal qui inspira à Dicey une
critique mordante de ce qu'il appelle « une méthode stupéfiante de progression par
rétrogression (an astounding method of retrogressive progress) » : « Chaque pas en
ITÉ, op. cit., p. 63. L'idée est récur- avant vers la civilisation a été zm pas en arriere vers la sagesse simple de nos ancêtres
e best and most common birth right incultes. » 67
,oods, lands mui revenues, b11t of his
:r]. BEAUTÉ, op. cit., p. 63. (crad.

res BLACKSTONE (op. cit., t. 1, 61. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 69.


:tant donné que l' Angleterre est le 62. Ibid. p. 67: « ln 011r law thegoodness ofa cus tom depemlrnpon it's having been 11sed time out ofmind;
s'identifient aux droits des Anglais. or in the solemnity of 011r legal phrase, time whereof the memory of man nmneth not to the contrary. »

p. 198 et « The Common law... », 63. R. COTTERRELL, op. cit., p. 29; J.W GOUGH, op. cit., p. 14.
ée comme étant l'incarnation de la 64. R. COTTERRELL, op. cit., p. 27.
les exemples cicés par Mc!LWAIN, 65. E. COKE, Reports, t. 7, p. 3 (Calvin's Case): « O11r days 11pon earth are b11t a shadow in respect
JGH, op. cit., p. 30, p. 41 (d'apres of the old ancient days and times past, wherein the laws have been by the wisdom of the most excellent
la na/tire, q11i est la racine et la pierre men, in many mccessions ofages, by long and contin11al experience (the triai oflight and tmth) fined and
'es) 011 actes ·votés p,ir le Parlement »), refined »; cicé par R. COTTERRELL, op. cit., p. 25. ,
cerre est fondée s11r la Loi de Dieu, et 66. E. COKE, Reports, t. 2, préface, p. x11; cité par J. BEAUTE, op. cit., p. 64.
nations ),). 67. A.V. DICEY, The Law of the Constitution, op. cit., p. cxxxv1.
182 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais

175 Ancrée dans un passé loimain, fortemem idéalisé, la common law prétend être
supérieure à tout autre forme de droit. Le pouvoir politique, qui ne jouit que
r Le XV!f" siecfe o

Coke : « La lo,
!ex loquens. » "
d'une légitimité éphémere, se voit imerdit de remettre en cause l'héritage du dit le droit sa1:
passé : « Pour tous les aspects fondamentaux des anciennes !ois communes et cou- Le juge ne fait
tumes du royaume, il est une maxime en politique, démontrée par l'expérience, que « preuve (evide

la modification d'aucunes d'elles est fort dangereuse; car ce qui a été raffiné et perfec- Le droit est de
tionné parles hommes les plus sages des générations précédentes, et ce que l'expérience constater l'exi:
continue à prouver et à approuver com me étant bon et profitable pour la République peuple et de s;i
(Commonwealth}, cela ne peut être altéré ou changé sans courir de grands risques coutumes. En
et dangers. » ''' Face aux ambitions législatives du roi, et plus tard du parlement, tant du peupl,
Coke et ses disciples exagerem la cominuité à travers les âges de la common law gnem, au plus
pour mieux l'immuniser comre l'emprise du pouvoir politique actuel. La mys- de la common
tification de l'histoire joue une fonction politique, ou idéologique, cruciale dans 177 Une telle ima,
la polémique qui oppose les juristes de la common law aux rois de la dynastie des déclarer ce qui
Stuarts"'. Même Hale, pourtam réputé pour ses propos nuancés, ne peut s'em- propos des th,
pêcher d'invoquer la constance de la common law tout en avouam, dans des allégation. Pre
termes les plus explicites, l'existence de changemems importams. « Ce sont les loin d'être neu
même fois anglaises aujourd'hui que celles d'il y a six cents ans » affirme-t-il, de Âge, mais il pe1
même que le « le navire des A rgonautes, lorsqu 'il est retoumé au port, était le même à la réalité act1
que celui qui en était part~ bien qu'au cours de son fong voyage il ait subi des modi- mettre l' erreur
fications successives et que c'est à peine s'il est revenu avec aucun de ses matériaux ini- processus par /
tiaux »'º. À la lumiere de cette métaphore assez paradoxale, apparait clairement nouveau conte;
la volomé politique des juges de la common law, à faire prévaloir les élémems de véritable inten,
continuité sur toutes les discontinuités qui existem indéniablement. li y va de s'agit presque i.
leur légitimité face au pouvoir politique. hension. » 'º
Une analyse réaliste de la common law met ainsi en évidence le rôle éminem,
pour ne pas dire central, que jouem les juges dans la définition même de la
common law. Il est impossible de séparer les deux, tant la loi et « la bouche de la
foi » se trouvem imbriquées. 72. E. COKE, ln
jttdges are the spea!
p. 206 note 37.
B. La place du juge au creur de la common law 73. \Y/. BLACKS7
74. M. HALE cit,
75. W. BLACKSºl
evidence that c,m I
1º L 'image mystificatrice du juge « lex loquens » common law,fro11,
76. Cf la remarq
176 À lire le discours des common lawyers sur l'objectivité du droit, réputé être Teachers of Law, 1
splendour and... 01
populaire, rationnel, voire immuable, on pourrait croire que le juge n'occupe Sesa,ne". »
qu'une place périphérique. Il est vrai que la figure du juge est représemée par la 77. Sur le caractel
TERRELL, op. ci,
métaphore ambigue et trompeuse de la« bouche de la foi » 71 • Comme le disait « représentants de /,
juges, soutenus pa
étant une « légis/<11
68. E. COKE, Instittttes, t. 4, 1641, p. 41; cité par C.H. Mcll.WAIN, op. cit., p. 74. 78. Cf C.H. Mel
69. Sur le caractere fictif de nombreuses allégations de la doctrine classique de la common law, cf. les « faisait » du droi1
développemems de R. Cotterrell et de C. Hill. The Economics o/)
70. M. HALE, The History of the Common Law, p. 43; cité par G. POSTEM A, op. cit., p. 6. 79. G. de Q. WAI
71. Sur les origines loimaines de cette métaphore qui fut déjà évoquée par Cicéron, cf EA. HAYEK, 80. EW. MAITL
Die Verfassttng der Freiheit, op. cit., p. 206; E.S. CORWIN, op. cit., p. 161. of EV7. Maitland, ~·
es de l'espnt juridique anglais Le XVII' siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 183

la common law prétend être Coke : « La loi est la regle, mais elle est muette (. ..) Les juges sont la bouche de la loi,
· politique, qui ne jouit que lex loquens. » 71 Le juge n'est que le « dépositaire des !ois»,« l'oracle vivant » 73 qui
Lettre en cause l'héritage du dit le droit sans faire du droit, « car cela, seu! le roi et le parlement le peuvent » 7'.
iennes lois communes et cou- Le juge ne fait que« déclarer » ce qui est de droit, et son jugement n'est qu'une
« preuve (evidence) » de l'existence d'une « coutume générale et immémoriale » •
75
:montrée par l'expérience, que
zr ce qui a été raffiné et perfec- Le droit est clone censé préexister à l'intervention du juge, lequel se limite à en
:cédentes, et ce que l'expérience constater l'existence et le contenu 76 • Ce faisant, le juge devient le porte-parole du
profitable pour la République peuple et desa volonté normative qui est supposée s'exprimer à travers les us et
sans courir de grands risques coutumes. En protégeant la common law, le juge devient un véritable représen-
i, et plus tard du parlement, tant du peuple, bien qu'il ne soit nullement élu par ce derniern. Ainsi, se joi-
rs les âges de la common law gnent, au plus grarld profit des juges, les deux fictions de l'essence démocratique
oir politique actuel. La mys- de la common law et de la fonction simplement déclaratoire du juge.
m idéologique, cruciale dans 177 Une telle image est néanmoins erronée 7'. La vision d'un juge qui ne fait que
iw aux rois de la dynastie des déclarer ce qui existe déjà ne saurait résister à une analyse plus poussée. Certains
opos nuancés, ne peut s'em- propos des théoriciens de la common law viennent d'ailleurs contredire cette
11 tout en avouant, dans des allégation. Premierement, l'usage que font les common lawyers de l'histoire est
nts importants. « Ce sont les loin d'être neutre. « Le juriste ne décrit pas le droit médiéval te! qu'il était au Moyen
1x cents ans » affirme-t-il, de Âge, mais il permet à de vieux príncipes de droit d'évoluer en vue de leur adaptation
etoumé au port, était le même à la réalité actuelle. » 7" D'apres Frederick William Maitland, il ne faut pas com-
rzg voyage il ait subi des modi- mettre l'erreur de confondre la logique du juriste avec celle de l'historien : « Ce
1ec aucun de ses matériaux ini- processus par leque! de vieux príncipes et de vieilles phrases sont remplis d'un
-adoxale, apparalt clairement nouveau contenu, constitue, d'apres le point de vue du juriste, une évoltttion de la
1ire prévaloir les éléments de véritable intention et du vrai sens du droit ancien; du point de vue de l'historien, il
t indéniablement. Il y va de s'agit presque inévitablement d'un processus de perversion et de mauvaise compré-
hension. » 'º
en évidence le rôle éminent,
1s la définition même de la
tant la loi et « la bouche de la
72. E. COKE, Institutes, t. 1, p. 130 a (Calvin's Case): « The Law is the rufe, but it is mttte (. ..) The
judges are the speaking la-w, /ex loquens »; cité par F.A. HAYEK, Die Verfammg der Freiheit, op. cit.,
p. 206 note 37.
1 common law 73. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 69.
74. M. HALE cité par R. COTTERRELL, op. cit., p. 25.
75. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 69 (les précédents som « principal and most authoritative
evidence that can be given, of the existence of such a custam») ec 72 (« general immemoria/ custam, or
common la-w,from time to time declared in the decisions of the courts ofj11stice »).
76. Cf la remarque ironique de Lord REID (« The Judge as Lawmaker », The ]ourna/ of P11blic
Teachers of Law, 1972, p. 22) : « ln some Aladdin's cave there is hidden the Common Law in ai/ its
ctivité du droit, réputé être splendour and... on a j11dge's appointment there descends on him know/edge of the magic words "Open
croire que le juge n'occupe Sesan1e''. »
:lu juge est représentée par la 77. Sur ]e caractere représemacif des juges dans la doctrine classique de la common /aw, cf. R. COT-
TERRELL, op. cit., p. 25 ss. C.H. Mc!LWAIN (op. cit., p. 267 note 2) qualifie lui-aussi les juges de
/e la loi » 7'. Comme le disait « représentants de la volonté de la nation » à l'occasion d'un conflit poli tique avec le parlement, ou les
juges, soutenus parle peuple et le roi, s'opposent vigoureusement à la !oi De Donis, critiquée comme
étant une « législation de classe ».
IAIN, op. cit., p. 74. 78. Cf C.H. Mc!LWAIN, op. cit., p. 46-47. L'auteur souligne que, déjà à l'époque féodale, on
1e classique de la common law, cf. les « faisait » du droit, mais on le cachait soigneusement sous des fictions. Voir aussi R.A. POSNER,
The Economics ofjustice, Harvard UP, 1981, chap. 2 (« Blackstoneand Bentham »), pp. 23-28.
G. POSTEMA, op. cit., p. 6. 79. G. de Q. WALKER, op. cit., p. 116.
~quée par Cicéron, cf F.A. HAYEK, 80. F.W. MAITLAND, « Why the Hisrory of English Law is nor Written », in Collected Papers
it.,p.161. ofEW. Maitland, éd. par H. Fisher, Cambridge, Cambridge UP, 1911, t. 1, p. 491.

1
.l
184 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais

Le juge n'est pas l'esclave du passé et il garde une marge de manceuvre consi-
r Le XV!f siêcf,

2° Le juge, !
dérable vis-à-vis des précédents. Les connaissances sur le droit moyenâgeux étant
plus ou moins fiables au XVII' siecle, le juge est libre d'interpréter à sa guise les 179 II est un aut1
points obscurs ou ambigus de l'ancien droit. Cela s'est vérifié, par exemple, dans tion centrale
le fameux Dr. Bonham's Case de 1610: les précédents invoqués par Coke, prési- « dire » le dr
dant la Cour des Common Pleas, pour contrôler la conformité des lois parle- juge, leque! ,
mentaires aux principes fondamentaux de la common law, s' averent assez minces noter que le
sous le regard critique de l'historien F. Plucknett". De même, à chaque fois que d'usage de Il(
les précédents se taisent sur un probleme nouveau, les juges som amenés à com- « Jontaine d
bler ces lacunes en raisonnant par analogie, une technique qui s'est avérée être De même, 1,
un puissant facteur de légitimation du pouvoir créateur des juges". Pourtant, à « High Cour;
aucun moment, le pouvoir normatif des juges n'est abordé de maniere scienti- et juger, em
fique, si ce n'est par des allusions ou des métaphores telle que la fameuse devise MoyenÂge'"
de Coke : « Lisons dane les anciens auteurs, car c'est sur les anciens champs que doit trois pouvoir
pousser le nouveau bié (Let us now peruse our ancient authors, for out ofthe old fields des termes p
must come the new come). » 83 raux, à l'inst
178 Coke a relevé le défi. Se situam « à mi-chemin du droit médiéval et du droit Autrement d
modeme », ce « Titan » 8' de la rufe of law s'attela à la tâche d'adapter un droit sens large, ét;
moyenâgeux, destiné à une société essentiellement féodale et agricole, au nou- tives est cara,
veau contexte d'une société libérale, entram dans l' ere du commerce et de !'in- avant que ne
dustrie". Son traitement du droit de propriété, grevé au Moyen Âge par les des fonctions
charges féodales, est significatif de ce processus. Coke n'hésite pas à ignorer pouvoirs exé
superbement ces vieilles obligations qui, à ses yeux, n'auraient plus de sens à commonlaw
l'heure du libéralisme"'. Selon la doctrine classique de la common law, la regle les seuls à co1
du précédent conna1t, en effet, une exception notable lorsque le précédent est le droit de co
« visiblement contraire à la raison et ce d'autant plus lorsqu 'il est contraire au droit et surtout l'a,
divin » 87 • Le juge n'est pas lié par une sentence « absurde ou injuste », pas plus que L'historie1
par une coutume déraisonnable, ce qui relativise nettement le caractere histo- juges de la co1
rique et populaire de la common law 88 • En dépit du discours des common la·wyers, cipalement su;
d'apres leque! le juge ne «Jait » pas du droit, le juge appara1t clairement comme rocher et inalt
un acteur politique et non pas comme un observateur passif"". anglaise et dOJ
ses successeur
juges détienn,
81. Sur les cinq précédents cités par Coke, deux seulement peuvent servir de fondement à la déci-
faut pas croir,
sion. Quant aux trois autres, soit ils n'ont rien à voir avec le sujet, soit ils som détournés de leur commonlaw.
sens original. Cf T.F.T. PLUCKNETT, « Bonham's Case andJudicial Review », Harv. L.R., vol. 40, de !e faire; d'<
1926-27, pp. 30-70.
82. G. POSTEMA, op. cit., p. 11.
83. E. COKE, lnstiwtes, t. 4, p. 109; cité par T.F.T. PLUCKNETT, op. cit., p. 30.
84. G. de Q. WALKER, op. cit., p. 119. ,
85. Voir Ch. HILL, op. cit.; G. de Q. WALKER, op. cit., p. 104 ss; J. BEAUTE, op. cit., p. 68.
86. G. de Q. WALKER, op. cit., p. 108. Comme autre exemple, on pourrait citer son imerprétation 90. Cf C.H. Mel
libéralc et nationale de la Magn,1 Cart,1 de 1215, qui, originairement, était un texte féodal et inégali- Bound.1ries betu:e,
taire. Cf C.H. McILWAIN, op. cit., p. 52 ss. 1910.
87. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 69-70. 91. C'est !'une d,
88. Sur le caractere raisonnable de la coucume, voir ibid., p. 77. Pour un exemple d'une coutume auteurs, tout en "
rejetée parles juges, tf D.E.C. YALE,« Hobbes and Hale on Law, Legislation and the Sovereign », cription ne vaut e
C.L.J., vol. 31, 1972, p. 131. 92. R.C. Van Cf\
89. R. COTTERRELL, op. cit., p. 26. p. 170.
es de l'espnt juridique anglais L.e XV!f siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 185

e marge de manceuvre consi- 2º Le juge, gardien exclusif de la « raison arti:6.cielle » du droit


llr le droit moyenâgeux étant
·e d'interpréter à sa guise les 179 Il est un autre aspect par lequel on mesure à que! point le juge occupe une posi-
est vérifié, par exemple, dans tion centrale dans la commonJaw: c'est ce qu'on peut appeler son monopole de
1ts invoqués par Coke, prési- « dire » le droit. Au Moyen Age, le droit est, par définition, un droit dit par un

la conformité des lois parle- juge, leque! déclare l'existence et le contenu d'une coutume. II est cependant à
,n law, s'averent assez minces noter que !e titre de juge n'est pas réservé aux cours et tribunaux, comme il est
De même, à chaque fois que d'usage de nos jours, mais s'applique également aux autres pouvoirs. En tant que
les juges som amenés à com- « fontaine de la justice {fons justitiae} », le roi a la qualité de juge suprême.

chnique qui s' est avérée être De même, le parlement est désigné, et ce jusqu'au XVII' siecle, sous le titre de
ateur des juges"'. Pourtant, à « High Court of Parliament » '°. En outre, la distinction moderne entre légiférer

,t abordé de maniere sciemi- et juger,, entre faire la loi et appliquer la loi, est encare ignorée au début du
es telle que la fameuse devise Moyen Age"'. Les fonctions normatives sont confondues de sorte que chacun des
ur les anciens champs que doit trais pouvoirs - !e roi, le parlement et les tribunaux - déclare le droit, soit en
iuthors, for out ofthe old fields des termes particuliers, à l'occasion d'un litige, soit dans des termes plus géné-
raux, à !'instar d'une loi qui confirme les vieilles maximes de la common law.
Autrement dit, chacun « disait » le droit et chacun de ces différents « juges », au
(u droit médiéval et du droit
sens large, était !e gardien de la common law. Ce mélange des fonctions norma-
à la tâche d'adapter un droit
tives est caractéristique de la période du Moyen Âge, du moins en ses débuts,
: féodale et agricole, au nou-
avant que ne s'établisse définitivement, au XVII' siecle, une hiérarchie moderne
1' ere du commerce et de l'in-
des fonctions, ou le pouvoir législatif est tout à la fois distinct et supérieur aux
;revé au Moyen Âge par les
pouvoirs exécutif et judiciaire. Or, au cours de cette transition, les juges de la
Coke n'hésite pas à ignorer
common law s'érigent en gardiens exclusifs de la common law. En arguam d'être
1x, n'auraient plus de sens à
les seuls à connaí'tre les secrets de la « raison artificielle » du droit, ils s'arrogent
e de la common law, la regle
le droit de contrôler non seulement les fonctions normatives du roi, mais aussi
able lorsque le précédent est
et surtout l'activité législative du parlement.
lorsqtt 'il est contra ire att droit
L'historien R.C. van Caenegem a pertinemment décrit la mentalité des
urde ou injttste », pas plus que
juges de la common law : « L.eur rôle dans !e développement du droit est fondé prin-
nettement !e caractere histo-
cipalement sur la conviction que la common law est intemporelle, stable comme un
discours des common la·wyers,
rocher et inaltérable, autrement dit un systeme de regles sur leque! repose la nation
e apparalt clairement comme
anglaise et dont les juges sont les gardiens et soutiens évidents. »"' D'apres Coke et
eur passif".
ses successeurs, le droit est, en effet, l'objet d'un savoir spécifique que seuls les
juges détiennent. Si la common law est l'incarnation parfaite de la Raison, il ne
faut pas croire que tout être humain, aussi doué soit-il, puisse dire ce qu'est la
uvem servir de fondemem à la déci-
sujer, soit ils som détournés de leur common law. Seuls les juges, de par leurs études et leur expérience, sont à mêmes
udicial Review », Harv. L.R., vol. 40, de !e faire; d' ou l' exclusivité de leur fonction de gardien ultime du droit.

ETT, op. cit., p. 30.

l ss; J. BEAUTÉ, op. cit., p. 68.


, on pourrait citer son imerprétation 90. Cf C.H. McILWAIN, The High Court ofParliament and its S11premacy. An Historical Essay on the
nem, érait un texte féodal et inégali- B01md,1ries between Legislation and Adjudication in England, New Haven, Yale University Press,
1910.
91. C'est !'une des rheses fondamemales de l'ouvrage de C.H. Mcllwain (op. cit., p. vm). D'aurres
7. Pour un exemple d'une coutume auteurs, tout en acceptam le príncipe d'une re!le indivision, considerem néanmoins que cette des-
_aw, Legislation and the Sovereign », cription ne vaut que pour !e début du Moyen Age.
92. R.C. Van CAENEGEM, « The Common Law seen from rhe European Cominem », op. cit.,

j
p. 170.
186 De la Rufe of Law ou les particularismes de l'esprit juridique anglais T

t~
Le XV!f siecle G

t
180 Coke a théorisé cet aspect fondamental desa théorie à l'occasion de son entre-
tien houleux avec le roi Jacques l"'· dont il a retranscrit le déroulement : « Alars le
~ 181 L'imbrication
des juristes, s'
Roí disait, qu'il pensait que les lois étaient fondées sur la raison, et que fui et d'autres du droit. Que
étaient autant doués de raison que les juges: à quoi il fut répondu par moi qu'il était acces fort diff
vrai que Dieu avait comblé Sa Majesté d'une science excellente et de grands dons natu- juristes en me
rels; mais Sa Majesté n'était pas instruite dans les fois de son royaume d'Angleterre, fait essentielle
alars que les proces qui concement la vie, la succession, les biens et les fortunes de ses law french, un
sujets doivent être tranchés non pas par la raison naturelle, mais par la raison artifi- pour tout non
cielle et le jugement du droit, droit qui nécessite delongues études et de l'expérience et la commun,
avant qu'un homme puisse prétendre à le connaftre; [je poursuivais en disant] que commonlaw,,
le droit était le golden metwand et la mesure pour juger les affaires des sujets et qu'il juges. On con
assurait à Sa Majesté sécurité et paix. Or le roí en était vivement offusqué et disait, fait selon des r
qu'alors lui aussi était soumis à la foi, ce qui, selon lu~ serait commettre une trahison à ausculter, qt1
que d'affinner pareille chose; à quoi je répondis que, selon Bracton, Rex non debet esse
sub homine sed sub Deo et lege. » 93 À travers les deux protagonistes de ce débat
1 juges. La façor
le rôle crucial
s'affrontent les deux conceptions du « rationalisme constructiviste » et du « ratio- a été rendu p:
nalisme évolutionniste » (Hayek). Le dernier modele sort vainqueur : progressi- continental, il
vement, les juges soumettront les actes juridiques du roi à leur contrôle et ils Justice Coke, J
essaieront même de contrôler la législation parlementaire. Ainsi se trouve confir- juge ne s' effa,
mée l'affirmation de Hale, selon lequel les sentences des juges constituem une appartient.
« plus grande preuve » du droit que« l'opinion de n'importe quelle personne privée
quelle qu'elle soit » "'. La raison « artificielle » du droit, gardée jalousement parles § 2. LA SOU
juges, l'emporte sur toute raison « natttrelle » de qui que ce soit. La common law
accumule, en son sein, la sagesse de générations de juristes et constitue un savoir
Avant d'an
« que nu! homme (étant de courte durée de vie) ne peut jamais acquérir en une seule
restreignent p,
vie, quand bien même il détiendrait la sagesse de tom les hommes dans le monde » ·,;_
la théorie de l
En conséquence, « nu! homme (à titre desa raison personnelle) n 'est censé être plus
de l'absolutisn
sage que le droit, qui est la perfection de la raison » "". D'un point de vue institu-
tionnel, personne ne doit par conséquent s'estimer plus sage que les juges.
A
1º Le concept
93. E. COKE, Reparis, t. 12, p. 63 : « 1he11 the King súd, that he thought the laws was founded 11pon
reason, and that he and others had reason as well as the judges: to which it was ,mswered by me, that trtte
it was, that God had endowed his Majesty with excellent science, and great endowments ofnatttre; but his 182 Dans ses écrit
Majesty was not leamed in the laws ofhis realm ofEngland, and causes which concern the life, or inheri- Philosopher an
tance, or goods, or fortrmes ofhis subjects are not to be decided by natttral reason, but by the artificial rea-
son and judgment oflaw, which law is an act which reqrúres long study and experience before that a m,m
can attain to the cognisance ofit; and that the law was the golden metwand and measure to try the ca11ses
ofthe subjects; and which protected his majesty in safety and peace: with which the king was greatly o/Jen-
ded, and said, that then he should be rmder the law, which was treason to affinn, as he said: to which I 97. E W. MA!Tl.
said, th.11 Bracton saith, qrwd Rex non debet esse mb homine sed s11b Deo et lege »; cité par M. LOUGH- of EW. Maitland, ,
LIN, op. cit., p. 44. 98. R. COTTER
94. M. HALE, History of the Common Law ofEngland, p. 45 : « They do not make a Law properly so 99. La langue an
called for that 011/y the King and Parliament can do; yet they h,ve gre,,t weight and authority in exporm- premiere tentativ,
ding, declaring, and publishing what the L,ws ofthis Kingdom is... ,md tho' mch decisions are less than a IDO. R. COTTEI
Law, yet they are a greater evidence thereofthan the opinion ofany private persons, as such, whatsoever »; 101. À cet égard 1
cité par G. POSTEMA, op. cit., p. 9. European Comin
95. E. COKE, Reports, t. 7, p. 3 (Calvin's Case de 1608); cité par R. COTTERRELL, op. cit., p. 25. des historiens du
96. E. COKE, lnstiwtes, t. 1, section 138 : « 110 man (0111 ofhis priva te reason) 011ght to be wiser than som dédiées. II s'
the law, which is the perfection of reason »; ciré par G. POSTE MA, op. cit., p. 61. rielles d' emrée da

l
1es de l'esprit juridique anglais Le XVIf siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 187

rie à l' occasion de son entre- 181 L'imbrication si forte entre !e droit et !e juge, entre la raison du droit et le savoir
rit le déroulement : « Alars le des juristes, s' explique historiquement par le caractere « occulte »"' de la science
la raison, et que fui et d'autres du droit. Quoique l'on dise sur ses racines populaires, la common law fut d'un
rut répondu par moi qu'il était acces fort difficile pour !e commun des morreis. En réalité, la corporation des
cellente et de grands dons natu- juristes en monopolise la connaissance ' 8 • La transmission de la common law se
de son royaume d'Angleterre, fait essentiellement de maniere orale et les rares sources écrites sont rédigées en
z, les biens et les fortunes de ses law french, un mélange de français, de latin et d' anglais, qui est incompréhensible
rrelle, mais par la raison artifi- pour tout non-juriste '". Tous ces éléments font que « le lien assumé entre le droit
ingues études et de l'expérience et la communauté a essentiellement une fonction symbolique dans la pensée de la
[je poursuivais en disant] que common law » ' 00 • Une fois le voile levé, se pose la question de la subjectivité des
:er les affaires des sujets et qu'il juges. On comprend alors l'importance de leur mode de recrutement - qui se
:it vivement offusqué et disait, fait selon des regles tres originales -, ainsi que le soin que manifeste la doctrine
serait commettre une trahison à ausculter, que ce soit en des termes élogieux ou critiques 101 , la personnalité des
!on Bracton, Rex non debet esse juges. La façon même du juriste anglais de citer une décision de justice souligne
ux protagonistes de ce débat !e rôle crucial du juge en tant qu'individu. Au lieu de dire que l'arrêt Dr Banham
constructiviste » et du « ratio- a été rendu par la Cour des Common Pleas en 1610, comme !e ferait le juriste
le sort vainqueur : progressi- continental, il préférera dire que la décision en question a été rendue par !e Chie/
du roi à leur contrôle et ils Justice Coke, présidant la Cour des Common Pleas. Le nom et la subjectivité du
ntaire. Ainsi se trouve confir- juge ne s'effacent clone pas derriere l'anonymat de l'organe étatique auquel il
ces des juges constituem une appartient.
importe quelle personne privée
it, gardée jalousement par les § 2. LA SOUMISSION DU ROi À LA STATUTE LAW ET À LA COMMON LAW
i que ce soit. La common law
juristes et constitue un savoir
Avant d'analyser la jurisprudence des tribunaux de la common law, qui
'Jt jamais acquérir en une seu/e
restreignent peu à peu le pouvoir discrétionnaire du roi (B), il importe d'analyser
les hommes dans le monde»,;_
la théorie de Hobbes qui fournit l'image la plus séduisante, car la plus libérale,
,ersonnelle) n'est censé être plus
de l'absolutisme royal (A).
". D'un point de vue institu-
. plus sage que les juges.
A. Le modele hobbien d'un despotisme éclairé
1º Le concept moderne de souveraineté
lie 1hought the L,ws was fo11nded upon
'JJhich it was ,mswered by me, 1ha1 lrue
,d great endowments ofnalllre; b11t bis
1 182 Dans ses écrits, que ce soit dans son Leviathan ou dans !e Dialogue between a
'auses which concem lhe life, or inheri- Philosopher and a Student of the Common Laws of England, Thomas Hobbes
1a111ral reason, bul by lhe artificial rea-
:111dy ,md experience before that a man
nelw,md and meas11re lo lry 1he causes
· wi1h which 1he king was great!y ojfen-
eason lo affinn, as he said : lo which I 97. F.W. MAITLAND, « Outlines of English Legal Hiscory » (1893), in The Collected Papers
b Deo et lege »; cité par M. LOUGH- of EW. Maitland, op. cit., t. 2, p. 483.
98. R. COTTERRRELL, op. cit., p. 34.
« They do not 111<1ke a Liw properly so 99. La langue anglaise ne sera imposée qu'en 1731 comme langue officielle du droit, apres une
gmll weight mui mtthority in expozm- premiere rentative sous !e regne de Cromwell.
.. arul 1ho' s11ch decisions <1re less 1han a 100. ~- COTTERRELL, op. cit., p. 34 .
·private persorzs, as s11cl1, whalsoever »; 101. A cet égard l'analyse sociologique de Van CAENEGEM (« The Common Law seen from rhe
European Continent », op. cit.) est particulierement inréressante. II critique notamment la tendance
ar R. COTTERRELL, op. cit., p. 25. des hiscoriens du droit à idéaliser, à titre posthume, l'image des juges dans les biographies qui leur
pri"Vule reason) 011gh1 to be wiser 1han som dédiées. II s'intéresse également aux origines sociales des juges, à travers les conditions maté-
lA, op. cit., p. 61. rielles d' entrée dans les écoles de droit.

1
188 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais Le XV!f siecle 01,

(1588-1679) s'érige en critique farouche de la pensée de la common law 1°'. II legislative powe
est le premier rationaliste anglais de renom à ébranler l'édifice intellectuel des caractere ration
common lawyers et à tourner en dérision leur admiration pour les pratiques conformité des
ancestrales. « L 'art d'établir et de maintenir les Républiques (Common-wealths) cial incombe a
repose, comme l'arithmétique et la géométrie, surdes regles déterminées, et non, absolu, détenar
comme le jeu de paume (Fennis-play) sur la seu/e pratique. » 1º1 Quoi de plus absurde paix, de la sécu
que de vouloir déduire le caractere rationnel d'un usage social du simple fait de 183 Hobbes est le t
son âge. Qu'une loi soit respectée depuis la nuit des temps, ne signifie point anglaise. S'insp
qu'elle soit bonne : « En effet, même si en tous les endroits du monde les hommes de souverainet
établissaient sur le sable les fondations de leurs maisons, on ne pourrait pas inférer de common law, q
là qu'il doit en être ainsi. » 1º' Inversement, il serait tout aussi erroné de récuser der parles lumi
d'emblée un príncipe pour la simple raison que les anciens l'ignoraient. C'est par rapport à la
comme si « les sauvages d'Amérique (. ..) niaient l'existence de fondements ou de métaphore du <
principes rationnels permettant de bâtir une maison apte à durer aussi longtemps que d'autres termes
les matériaux dont elle est faite, parce qu'ils n'en ont jamais vu aucune qui soit aussi souverain est a1
bien bâtie. Le temps, et /'industrie des hommes, enfantent chaque jour de nouvelles naturelles.
connaissances. » 1º' 184 Le despotisme
Hobbes s'accorde avec les common lawyers pour dire que la« !oi ne pettt jamais d'esprits, qui c1
a/ler à /'encontre de la Raison (law can never be against Reason) » ia,,_ Toutefois, il fins rationnelle~
rejette catégoriquement la définition qu'en donne Coke. Le concept de la« rai- du monstre Lé,
son artificielle » ne trouve aucune grâce à ses yeux : « Jl peut se faire en effet qu'une ner sur terre. L
longue étttde multiplie et confirme des jugements erronés: quand on bâtit sur un fon- autre forme de ,
dement trompeur, plus on bâtit, plus grande est la ruine. » 1º' D'apres lui, la raison mitée ». Le roi
ne réside pas dans une accumulation du savoir des anciennes générations, mais v1goureusemell'
dans l'usage par chacun de sa propre raison, de sa propre capacité à déduire des social conclu, 1
conséquences logiques de premiers axiomes. En d'autres termes, il n'y a de rai- droit ne serait-
son que de raison humaine et il n'existe point de raison artificielle, qui serait spé- demander des e
cifique au droit, comme le suggere la common law. « lt is not wisdom, but autho-
rity that makes a law. Obscure also are the words legal reason. There is no reason in
earthly creatures than human reason. But 1 suppose that he [Coke] means, that the
108. T. HOBBES,
reason ofa judge, or ofali the judges together without the King, is that summa ratio, cité par C.H. Mcll.
and the very law : which 1 deny, because nane can make a law but he that hath the L 'expression raison 1
son hmnaine. Mais 1
ensemble, sans !e ro;,
11ne !oi, si ce n 'est o
102. T. HOBBES, Leviathan ar The Mauer, fon11e, & Power o/ a Common-wealth Ecclesiasticall and « Aussi /,1 !oi ne pro,

Civil! (1651), inrrod. by C.B.MacPHERSON, Penguin, London, 1985. Nous nous référons coujours sonde cet homme a,
à l'édirion anglaise. Pour les rraducrions françaises, cf T. HOBBES, Léviathan. Traité de l,1 matiere, (lt is not that Juris p,
de la forme et dtt pouvoir de la Rép11blique écclesiastique el ci-vile, rrad., annoré er comparé avec le rexre the Common-wealtl
larin par F. Tricaud, Paris, Sirey, 1974. Son ouvrage inachevé The Dialogtte between a Philosopher and 109. Cf sa définiti,
a Student o/ the Common Laws o/ England, écrir aux alenrours de 1666, n'a éré publié qu'apres sa 1miq11e telle q11 'une
more en 1681. Sur sa critique de la common /,1w, cf G. POSTEMA, op. cit., p. 46-60. mut11elles q11'ils ont
103. T. HOBBES, Leviuthan, chap. XX, p. 261 [rrad. Tricaud, p. 219-220]. ressources de tous, co
104. Ibid.: « For tho11gh in ali places ofthe world, me11 sho11ld lay thefoundation o/ their ho11ses on the son ofwhose Acts ,1 g
s,md, it could not thence be inferred, that so it 011ght to be »; [rrad. F. Tricaud, p. 219]. one the m1thor, to th,
105. Ibid., chap. XXX, p. 378 [trad. F. Tricaud, p. 359]. potisme... ]for their
106. Ibid., chap. XXVI, p. 316. VALLIER, Histoirc
107. Ibid., chap. XXVI, p. 317: « For it is possible lo11g stmly may increase, and confinn erroneoHS et légitimité chez Th
Sentences : ,md where men b11i!t on false gro11nds, the more they b11i!t, the greater is the ruine »; 110. Leviathan, ch,1
[trad. F. Tricaud, p. 288]. 111. Ibid., chap. X'
s de l'esprÍt juridique anglais

ée de la common law 102 • Il


r
1
Le XV!f siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais

legislative power. » 1º" La vraie question est là. A qui revient-il de déterminer le
caractere rationnel de la loi : au roi ou au juges? Qui est le garant ultime de la
189

ler l' édifice intellectuel des


1iration pour les pratiques conformité des lois positives au droit naturel? Aux yeux de Hobbes, ce rôle cru-
,ubliques (Common-wealths) cial incombe au roi, à un roi qui est à la fois despote, c'est-à-dire monarque
; regles déterminées, et non, absolu, détenant tous les pouvoirs, et prince éclairé, qui n'agit qu'en vue de la
ie. » 103 Quoi de plus absurde paix, de la sécurité et de la prospérité de ses sujets 109 •
;age social du simple fait de 183 Hobbes est le fondateur de la modernité dans la pensée politique et juridique
.es temps, ne signifie point anglaise. S'inspirant de l'ceuvre de Jean Bodin, il introduit le concept moderne
droits du monde les hommes i
de souveraineté, c'est-à-dire l'idée, completement étrangere à l'esprit de la
on ne pomTait pas inférer de l common law, que l'homme fait le droit et l'État à son image, en se laissant gui-
out aussi erroné de récuser der parles lumieres de sa raison. 11 s'agit là de quelque chose de révolutionnaire
; anciens l'ignoraient. C' est par rapport à la tradition moyenâgeuse, dont hérite la common law. À travers la
:istence de fondements ou de
te à durer aussi longtemps que
1
"
métaphore du contrat social, Hobbes consacre le príncipe d'autonomie ou, en
d'autres termes, le principe d'une souveraineté qui est qualifiée d'absolue : si le
mais vu aucune qui soit aussi souverain est au-dessus des lois positives, il est néanmoins au-dessous des lois
ient chaque jour de nouvelles naturelles.
184 Le despotisme éclairé prôné par Hobbes avait de quoi inquiéter bon nombre
ire que la « loi ne peut jamais d'esprits, qui craignaient que le volontarisme du pouvoir ne l'emporte sur ses
"lSt Reason) » 1°''. Toutefois, il fins rationnelles. Il est vrai que l'État de Hobbes, ce dieu mortel qui porte le nom
:oke. Le concept de la « rai- du monstre Léviathan, constitue le pouvoir le plus grand que l'on puisse imagi-
Il peut se faire en ejfet qu'rme ner sur terre. La souveraineté du roi - car Hobbes préfere la monarchie à toute
fs: quand on bâtit sur un Jon- autre forme de gouvernement 11 º - est à la fois « indivisible », « absolue » et « illi-
ie. » 101 D'apres lui, la raison mitée ». Le roi cumule, en effet, tous les pouvoirs chez Hobbes, lequel récuse
anciennes générations, mais vigoureusement toute idée de séparation des pouvoirs 111 • Une fois le contrat
ropre capacité à déduire des social conclu, le peuple n'a plus rien à dire. Les individus n'ont même pas le
.utres termes, il n'y a de rai- droit ne serait-ce que de critiquer les actions de l'État et, encare moins, de
;on artificielle, qui serait spé- demander des comptes au monarque, qui n'est responsable que devant Dieu. Le
« It is not wisdom, but autho-
' reason. There is no reason in
,at he [Coke] means, that the 108. T. HOBBES, The Dialogue between a Philosopher anda Student ofthe Common Laws ofEngland;
:he King, is that summa ratio, cité par C.H. MclLWAIN, op. cit., p. 95 note 1: « Ce n'est pas la sagesse, mais l'autoritéqttifait la /oi.
ike a law but he that hath the L 'expression mison légale est également obscure. II n 'y a de raison dans les créatures terrestres que la rai-
son hmnaine. Mais je suppose que fui [Coke] entend par /à que la raison d'un juge, ou de to115 les juges
ensemble, sans /e roi, constitue cette 511,nma ratio et la !oi en question : ce que je nie, car nu/ ne peut faire
une /oi, si ce n'est celui qui a /e pou·voir législatif » [trad. pers.]. Cf Leviathan, chap. XXVI, p. 317 :
« Aussi la loi ne procede-t-elle pas de cette juris prudentia 011 sagesse des juges suba/temes, mais de la rai-
, Common-wealth Ecclesiasticall and
, 1985. Nous nous référons coujours son de cet homme artificiei que naus étudions ici, c'est-à-dire de/,, Rép11bliq11e et de ses commandements
~ES, Léviathan. Traité de/,, matiere, (lt is not that ]11ris prudentia, or wisedom ofmbordinate Judges; b111 the Reason ofthis 011r A rtificall Man
ad., annoté et comparé avec le texte the Common-wealth, and his Command, that maketh Law) »; [trad. F. Tricaud, p. 288].
i Di,,logue between a Philosopher ,md
109. Cf sa définition du Commmonwealth dans !e Leviathan, chap. XVII, p. 228 : « Une personne
de 1666, n'a été publié qu'apres sa 1miq11e telle q11 'une grande multitude d'hommes se sont faits, ch,1cun d'entre em;, par des conventions
11A, op. cit., p. 46-60. mutuelles qu'ils om passées l'un a·vec l'autre, l'ameur de cette action, afin qu'elle use de la force et des
'· 219-220]. ressources de tom, com me elle jugera expédient, en vue de leur paix et de leur commune défense (One per-
the fotmdation of their houses on the son of-whose Acts a great multitude, by mutual/ convenants one with another have made themselves every
F. Tricaud, p. 219]. one the author, to the end he may use the strength and mem1s of them ali as he sha/1 think expedient [des-
potisme...]/or theirpeaceand Common defence [... éclairé]) »; [trad. F. Tricaud, p. 178]. Cf J.-J. CHE-
VALLIER, Histoire de la pensée politique, Paris, Payot, 1993, pp. 306-321 et F. LESSAY, S011veraineté
may increase, and confirm erroneous et légitimité chez Thomas Hobbes, Paris, PUF, 1988.
•ey built, the greater is the ruine »; 110. üviathan, chap. XIX, p. 241 ss.

j
111. Ibid., chap. XVIII, p. 236 et chap. XXIX, p. 368.
190 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais le XVII' siecfe ,

pouvoir royal plane ainsi au-dessus de la société; il se reproduit d' ailleurs lui- exactes des e
même, puisqu'il revient au roi en place de désigner son propre successeur. Déte- confondre av,
nant un pouvoir indivisible, le roi est également absolu : il est, par définition 11 2, positive. Cell
au-dessus des « civil laws », des lois édictées par l'État, puisqu'il peut les faire et exercée par
les défaire 1". Ce qui signifie encore que le souverain est « illimité » "', le terme extemo 119 • À
limite désignant, en l'occurrence, un contre-pouvoir qui pourrait l'arrêter et le « natural law
contraindre à respecter sa propre loi. La loi positive est, en effet, définie par n'agissent qu,
l'existence d'une contrainte, c'est-à-dire d'un juge. Le souverain étant l'instance verain 120 • C'e:
de pouvoir suprême qui, par définition, détient la contrainte et n'est soumis à sion du roi à 1
aucune autre autorité, le roi ne peut logiquement être soumis à des juges, faute clone, pour l',
de quoi ce ne serait plus lui le souverain, mais les juges. 186 Dans le Com.
sont intimem
2° La soumission de la souveraineté à la loi naturelle l 'autre, et som
lement, à trav
185 Tout absolu et illimité qu'il soit, le pouvoir du souverain n'en est pas moins sou- chie par rapp
mis à ce que Hobbes appelle les « Laws of nature », c'est-à-dire ces principes dance qu'elle
éthiques 115 dont il a résumé le contenu comme suit : « Ne fois pas autrui ce que tu plus à même
ne voudrais pas qu'on te fit à toi-même. » 11 • 11 s'agit des diktats objectifs, éternels donné qu'il 1,
et immuables de la Raison 117 • Si le principe de la suprématie du droit naturel est aurait, en effe
clairement admis par Hobbes - « Il est vrai que tous les souverains sont assujettis l'intérêt géné
aux !ois de nature » écrit-il 118 - , il reste toutefois à préciser la nature et la portée puisque « la 1
richesse, la for,
glorieux, ou e,
112. Ibid., chap. XXVI, p. 313 et chap. XXIX, p. 367
blis » 122 • De e,
113. Dans le cas d'une monarchie absolue, ou !e roí cumule cous les pouvoirs, il n' est pas coujours cherchent qu,
aisé de délimicer exaccement !e champ de la souveraineté. S'il est clair que !e roí, à cicre de législaceur, pour accéder
est au-dessus des !ois, puisqu'il peuc les changer ec abroger, est-ce dire pour aucant qu'il l'est égale-
ment lorsqu'il agir en sa fonction d'adminiscraceur? Esc-il alors lié par ses propres !ois? Pourraic-il oppnmeson l
être déféré devam la justice en cas de non respect? La réponse de Hobbes est complexe. Si le roí s' est conviem Hol
placé, des le début, sur le cerrain de la loi positive, en agissanc comme n'importe que! sujet de droit, rants des vrais
il esc soumis à la !oi et au juge. Si, en revanche, !e monarque invoque de prime abord son titre de sou-
verain, il est au-dessus des !ois. Le roí esc clone souverain, en ce qu'il peut à la fois çhanger la !oi et
le droit de ré~
en dispenser dans un cas particulier (cf Leviathan, chap. XXI, p. 271). De même, l'Ecac ale droit de néanmoins d:
punir un délinquant soit en vercu des !ois écablies, soic en dehors de coute !oi positive, des lors que pomt compro
I'imérêt général !e juscifie (cf Leviathan, chap. XVII, p. 235). Dans les deux hypocheses évoquées, !e
droit du souverain de se souscraire à l'empire de la loi positive, est supposé trouver son fondement
social chez H
et sa limite dans la !oi nacurelle. individus; ce1
114. Jbid., chap. XIX, p. 246 et chap. XXII, p. 274.
115. Hobbes s'ipterroge, en effet, sur !e poinc de savoir si le terme de !oi ne devrait pas être réservé
aux ordres de l'Ecac, sanctionnés par la contraince. Le terme de !oi naturelle serait ainsi « impropre »
pour désigner somme coute des « verllls morales ». Cf chap. XV, p. 216-7 et chap. XXVI, p. 314, 119. Par conséqu
p. 323. Cela dit, Hobbes maincienc jusqu'à la fin !e terme de « natural laws ». li !ui arrive même de fait pas na1tre un
parler de« !ois morales » (chap. XXVI, p. 330). n 'obligent pas ch,1
116. Leviathan, chap. XV, p. 214; [crad. F. Tricaud, p. 157]. Pour la définicion des !ois naturelles, p. 174 note 3].
cf chap. XIV et XV. 120. I.e-ui,ahan, e
117. Leviathan, chap. XV, p. 215 : « les !ois de natttre sont immuables et éternelles. En ej}ét, l'in1ilstice, 121. lbid., chap.
l'ingratitude, l'<1rrogance, l'orgueil, l'iniquité, l'acceplion de personnes, etc. ne pe11vent jmnais de-uenir 122. lbid., chap.
légitimes: caril ne pe111 jamais se faire que la guerre préserve l<t vie, et que la paix la détruise »; [trad. 123. Ibid., chap.
F. Tricaud, p. 158]. Lire aussi p. 216. 124. Ibid., p. 250
118. Jbid., chap. XXIX, p. 367; [crad. F. Tricaud, p. 346]. Voir aussi chap. XXII, p. 275 ou Hobbes 125. Ibid., chap.
affirme que !e souverain est absolu, indépendant et supérieur à tous les aucres pouvoirs et, en même , 126. lbid., chap.
temps, soumis au droit nacurel. Cf aussi chap. XXIV, p. 297. 127. Ibid., chap.

l
'S de l'espnt juridique anglais Le XV!f siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 191

, se reproduit d'ailleurs lui- exactes des obligations qui en découlem. Il importe, en effet, de ne pas les
on propre successeur. Déte- confondre avec les obligations juridiques, au sens strict, qui découlent de la loi
olu : il est, par définition 11 1, positive. Celles-ci obligent les justiciables en vertu et à raison de la contraime
at, puisqu'il peut les faire et exercée Pªf l'État, et constituem, par conséquent, des obligations in foro
1 est « illimité » 11 ' , le terme externo"". A cela s'opposent les obligations in foro interno que font na'itre les
r qui pourrait l'arrêter et le « natural laws ». En l'absence de toute contraime, les normes du droit naturel

ve est, en effet, définie par n' agissent que sur la raison ou la conscience des individus et, a fortiori, du sou-
..e souverain étam l'instance verain '20 • C'est seulemem dans ce dernier sens que Hobbes envisage la soumis-
comrainte et n'est soumis à sion du roi à la Raison. Le visage libéral ou éclairé du monstre Léviathan dépend
tre soumis à des juges, faute donc, pour l'essentiel, de la vertu du roi.
ges. 186 Dans le Commonwealth esquissé par Hobbes, le droit positif et le droit naturel
som intimement imbriqués: « Le loi de nature et la loi civile se contiennent l'une
relle l'autre, et sont d'égale étendue. » 121 La médiation entre les deux s'opere, principa-
lemem, à travers la figure du roi. De l'avis de Hobbes, la supériorité de la monar-
~rain n'en est pas moins sou- chie par rapport à toute autre forme de gouvernemem réside dans la concor-
», c'est-à-dire ces principes dance qu'elle induit entre le droit naturel et le droit positif. Un roi absolu est le
: « Ne /ais pas autrui ce que tzt plus à même de garantir la paix, la sécurité et la prospérité des individus, étam
les diktats objectifs, éternels donné qu'il le fait dans son propre intérêt. Dans une monarchie absolue, il y
Jrématie du droit naturel est aurait, en effet, à en croire Hobbes, idemité entre l'intérêt personnel du roi et
is les souverains sont assujettis l'intérêt général de la société. Le roi se conduit forcémem en prince éclairé,
réciser la nature et la portée puisque « la richesse, le pouvoir, l'honneur d'une monarque ne reposent que sur la
richesse, la force et la réputation de ses sujets; aucun ro~ en eJfet, ne peut être riche,
glorieux, ou en sécurité, si ses sujets sont pauvres, exposés au mépris ou trop affai-
blis » 122 • De ce fait, le roi s'éleve au-dessus de la masse des être humains, quine
1s les pouvoirs, il n' est pas toujours cherchent que leur propre imérêt égo"iste, et de l' état anarchique qui en résulte,
clair que le roi, à rirre de législateur, pour accéder à l'imérêt général. Reste à savoir ce qui se passe si jamais le roi
:e dire pour autant qu'il l'est égale- opprime son peuple, ce qui constituerait « un grand inconvénient » ' 23 , comme en
lié par ses propres lois? Pourrait-il
Hobbes est complexe. Si le roi s'est conviem Hobbes. Que faire si les gouvernams s'averem « incapables » et « igno-
,mme n'importe quel sujet de droit, rants des vrais principes de la politique » 124 ? Hobbes récuse, de maniere générale,
que de prime abord son titre de sou- le droit de résistance "5, ce qui le rapproche de la position de Kant. Il l'accepte
qu'il peut à la fois çhanger la !oi et
. 271). De même, l'Etat ale droit de néanmoins dans des cas extrêmes, pourvu que la fin de l'État ne s'en trouve
rs de toute loi positive, des lors que poim compromise 12•. Car, contrairement à ce que l'on dit souvem sur le comrat
ms les deux hypotheses évoquées, le social chez Hobbes, celui-ci n'aboutit pas à une aliénation totale des droits des
est supposé rrouvcr son fondement
individus; ceux-ci gardent certains droits naturels « inaliénables » 127 •

me de /oi ne devrait pas être réservé


!oi naturelle serait ainsi « impropre"
:V, p. 216-7 et chap. XXVI, p. 314, 119. Par conséquent, une loi positive dénuée de sanction n'oblige pas, dans la mesure ou elle ne
~aturai laws "· II !ui arrive même de fait pas na1rre une obligation in foro externo. Cf Le-viathan (version !atine), chap. XVII : « Les !ois
n'obligent pas chaque fois que fait défaut la crainte d'zm pouvoir contraignant "; [ciré par F. Tricaud,
our la définicion des !ois nacurelles, p. 174 note 3].
120. Le-viathan, chap. XV, p. 215 et chap. XXX, p. 394.
,ables et éternelles. En efjét, !'injustice, 121. lbid., chap. XXVI, p. 314; [trad. F. Tricaud, p. 285].
mnes, etc. ne peuvent jamais decvenir 122. lbid., chap. XIX, p. 241-242; [trad. F. Tricaud, p. 195].
,ie, et que la paix la détruise "; [trad. 123. lbid., chap. XIX, p. 250.
124. lbid., p. 250.
aussi chap. XXII, p. 275 ou Hobbes 125. lbid., chap. XXIV, p. 297.
tous les aurres pouvoirs et, en même 126. lbid., chap. XXI, p. 269s.
'

j
127. lbid., chap. XIV, p. 192 et chap. XV, p. 212.
192 De la Rufe of Law ou les particularismes de l'esprit juridique anglais r
i
f
Le XV!f siecfe 01

La médiation entre le droit naturel et le droit positif s' opere encare par l' of- 1 matiere de just
fice du juge. Les lois naturelles subsistam dans l'État, elles servem à combler les la common lau
lacunes éventuelles dans l'ordonnancement des !ois positives 118 • Un « bon fois tendance à
juge » 11• se doit, selon Hobbes, de conna1tre les !ois naturelles, dom il devra tenir être un simple
compte lorsqu'il interprete les !ois édictées par le législateur. « L 'intention du parlement et d
législateur est toujours supposé être conforme à l'équité: penser autrement du souve-
rain, ce serait de la part d'un juge zm grave ozttrage. Le juge doit dane, si le texte de 1º En cequi L
la loi n'autorise pas pleinement une sentence raisonnable, le compléter par la loi de
nature, ou, si !e cas est difficile, ajoumer sa décision jusqu 'à ce qu'il ait reçu un man- 188 Les prétemion
dat plus détaillé (more ample authority). » '-' 0 Au nom de la Raison, !e juge peut
clone, dans une certaine mesure, faire prévaloir l' esprit de la !oi sur la lettre de la
t d'abord, les pn
restreime par
!oi; il garde une marge de manreuvre. Mais, peut-il pour autam aller jusqu'à décla- réglemematior
rer nulle et non avenue une !oi qui serait contraire au droit naturel? La réponse Coke et ses co
de Hobbes semble être négative '-''. Certains de ses propos prêtem toutefois à dis- f mation, créer u
cussions, et ce notamment lorsqu'il considere, sans plus de précisions, que cer- modifier le droi
tains actes du souverain, dom des !ois, peuvem être « nuls (void) » en cas de comra- « le roi n'a d'a
diction avec des principes rationnels 131 • land) » 135 • Ils at
À l'époque, la théorie du philosophe de Malmesbury n'a pas rencomré !e suc- rogative royalt
ces escompté : les forces libérales la trouvaiem trop autoritaire, le camp royaliste l' état existam ,
trop libérale. Dans les faits, les juges de la common law s'imposem face au roi, appartient au 1
auquel ils déniem toute prétemion à la souveraineté. 189 Le deuxieme n
latif, consistait
B. L'insertion du roí dans la hiérarchie Iam de la !oi o
des fonctions normatives de l'État est supposé fa
considératiorn
187 L'étendue du pouvoir royal, de la« royal prerogative » m, suscita de vifs débats au « mala prohibi,
cours du XVII' siecle. Jusqu'à cette époque, le roi revendiquait le droit de légifé- gative ne pouv
rer sans l'avis et l'assemimem des chambres, par le biais de proclamations. Le délictueux en ~
fondemem juridique de ces dernieres était toutefois sujet à doutes. En 1539, le naturel 137 • Les
parlemem avait certes voté une !oi, reconnaissant la validité des proclamations gative afin de e
royales sous certaines conditions, mais cette loi fut abrogée en 1547. Depuis, les dominé par !e
proclamations étaient dénuées de tout fondemem juridique, à moins de consi- tôt mitigée : s
dérer qu'elles reposaiem sur un principe de la common law. Le roi pouvait éga-
lemem faire valoir ses prétemions à la souveraineté à travers ses prérogatives en

134. Cf A.W. BI·


128. lbid., chap. XIX, p. 244. Dans le casou le roi auraic omis de désigner son successeur, les regles London, Longma,
du droic naturel s'appliquenc. Administra tive L,1
129. lbid., chap. XXVI, p. 327 s. tional Law. A Cri1
130. lbid., chapXXVI, p. 326; [crad. F. Tricaud, p. 300]. 135. E. COKE, R
131. lbid., chap. XXVI, p. 327. 136. Le príncipe
132. lbid., chap. XXI, p. 272. L'occroi d'une libené qui iraic à !'encontre de l'essence de la souve- à-dire sur la base ,
rainecé, en rendam le souverain incapable de garantir la paix ec la sécurité, esc « 1111/ ». Par conséquenc, Emick v. Carring
il cst incerdit au roí de renoncer à une prérogacive essemielle de la souverainecé. Cf aussi chap. XXIV, vol. 19, col. 1029)
p. 297. Touce discribution descerres parle souverain, qui iraic à !'encontre de l'objeccif de la paix ec 137. C.H. Mc!L\\
de la sécuricé commune, esc « rép11tée être mt!le ». roí et le pouvoir ,
133. La prérogative royale vise l'ensemble des pouvoirs que le roi ciem en venu de la common law, trop injuste. D'ail
sans cenir compce des pouvoirs qui !ui som conférés parles !ois du parlemenc. cetce prérogacive .
~s de l'esprit juridique anglais

sitif s'opere encore par l'of-


r
1
Le XV!f siecle ou l'âge d'or des droits et libe1tés des Anglais

matiere de justice. La soumission du roi au droit, c'est-à-dire à la statute law et à


la common law, ne se fera que lentement? les juges de la common law ayant par-
193

t, elles servem à combler les


lois positives 128 • Un « bon fois tendance à soutenir l'action royale. A terme, le roi se voit toutefois réduit à
taturelles, dont il devra tenir être un simple exécutant de la loi, soumis en tant que tel au pouvoir à la fois du
législateur. « L 'intention du parlement et des juges.
: : penser autrement du souve-
.e juge doit donc, si le texte de 1º En ce qui concerne le pouvoir législatif
1ble, le compléter par la foi de
:qu'à ce qu'il ait reçu tm man- 188 Les prétentions législatives du roi ont trait à trois catégories d'actes 134 • 11 y a, tout
n de la Raison, le juge peut d'abord, les proclamations du roi dont la portée juridique sera considérablement
rit de la loi sur la lettre de la restreinte par le Case of Proclamations de 1611. Interrogés sur la légalité d'une
)Ur autant aller jusqu'à décla- réglementation royale en matiere urbanistique et commerciale, le chie/Justice
au droit naturel? La réponse Coke et ses collegues estimem que, d'une part, « le roi ne peut, par une procla-
ropos prêtent toutefois à dis-
; plus de précisions, que cer-
1 mation, créer un délit qui n'a pas existé auparavant; car si te! était le cas il pourrait
modifier le droit du pays (law ofthe land)sur un pointcrucial » et que, d'autre part,
nuls (void) » en cas de contra- « le roi n'a d'autre prérogative que celle autorisée parle droit du pays (law of the
land) » 135 • 11s affirment ainsi clairement le príncipe de la subordination de la pré-
mry n'a pas rencontré le suc- rogative royale à la loi : le roi ne peut que rappeler à la mémoire de ses sujets
autoritaire, le camp royaliste l'état existam du droit, sans pouvoir le modifier en quelque point que ce soit. 11
i law s'imposent face au roi, appartient au parlement de faire les lois et au roi de les exécuter m.
:é. 189 Le deuxieme moyen du roi pour influer, de façon négative, sur le pouvoir légis-
latif, consistait dans son droit de dispenser une personne des obligations décou-
hiérarchie lant de la loi ou de suspendre globalement l'exécution d'une loi. En cela, le roi
le l'État est supposé faire reuvre de justice, en adoucissant la rigueur des lois par des
considérations d'équité. S'il pouvait dispenser un de ses sujets d'obéir à un
e» suscita de vifs débats au
J3)' « mala prohibita », à une interdiction pénale formulée dans un statute, sa préro-

~vendiquait le droit de légifé- gative ne pouvait toutefois, en aucun cas, s' étendre à des « mala in se», à des actes
le biais de proclamations. Le délictueux en soi, c'est-à-dire prohibés par la common law qui fait figure de droit
is sujet à doutes. En 1539, le naturel m. Les Stuarts, de religion catholique, userent largement de cette préro-
la validité des proclamations gative afin de contourner la législation anticatholique adoptée par un parlement
: abrogée en 1547. Depuis, les dominé par les protestants. La réaction des juges de la common law est plu-
juridique, à moins de consi- tôt mitigée : s'ils essaient d'encadrer l'exercice de ce pouvoir royal dans le cas
imon law. Le roi pouvait éga- 1
é à travers ses prérogatives en

134. Cf A.W. BRADLEY & K.D. EWING, Constit11tional and Administrative Law, 12'" edn.,
de désigner son successeur, les regles London, Longman, 199. 7, p. 54 ss; O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON, Constit11tional and
Administrative Law, 7'" edn., London, Sweet & Maxwell, 1987, p. 42 ss; I. LOVELAND, Constitu-
tional Law. A Criticai lntroduction, London, Butterworths, 1996, p. 103 ss.
135. E. COKE, Reports, t. 12, p. 74; cité par A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., p. 55.
136. Le príncipe selon leque! l'administration ne peut agir que sur le fondement d'une !oi, c'est-
à !'encontre de l'essence de la souve- à-dire sur la base d'une disposition de la statute law ou de la common law, sera précisé dans !e cas
a sécuriré, est «nu/». Par conséquent, Entick ·v. Carrington de 1765 (State Triais, ed. by W. Cobbet, T.B. Howell, London, 1809-1826,
la souveraineté. Cf aussi chap. XXIV, vol. 19, col. 1029).
à !'encontre de l'objectif de la paix et 137. C.H. McILWAIN, op. cit., p. 311..L'auteur insiste sur le parallélisme entre cette prérogative du

• roi tient en vertu de la common law,


1 roi et le pouvoir des juges, au Moyen Age, de ne pas appliquer une !oi, au casou celle-ci s'avérerait
trop injuste. D'ailleurs, dans son Second traité mr le gouvemement civil, John Locke attribue encore
is du parlement. cette prérogative au roi.
194 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais Le XVll siec/e ,

Thomas v. Sare!! de 1674 °8, ils se rétractent dans l'affaire Godden v. Hales de idée médiéval,
1686 m_ D'apres cette derniere semence, le roi est seul juge de l'usage de son droit quer que l'on
de dispense. Celui-ci constituerait même une prérogative « indétachable » de sa veut que cette
personne, qu'aucune loi parlememaire ne pourrait lui Ôter. Ainsi encouragé, le soient les inte1
roi Jacques II tente de faire reconna'itre la liberté de conscience de ses sujets se résume ain
catholiques, en suspendam, dans sa déclaration d'indulgence de 1687 et de 1688, voir le droit s
toute la législation discriminatoire. Ce fut l'une des causes immédiates de la common law,
révolution de 1688, qui se solda par l'imerdiction du droit de dispenser des lois tout d'abord,
ou de les suspendre par les articles 1 et 2 du Bill ofRights. tiae, Coke va
190 Le troisieme enjeu de la lutte entre le roi et le parlement concerne les impôts. Le Prohibitions d
principe du consemement à l'impôt, qui remonte jusqu'à la Magna Carta lui-même '". I
de 1215, a été l'un des facteurs majeurs en faveur de la montée en puissance du leurs imemio
parlement. Faute de moyens, le roi se voyait contraint de convoquer les Lords ces en attend.
et les Commons afin de s'arranger avec eux. Si le principe était arrêté en ce preuve d'un e
qui concerne les impôts directs, le statut juridique des taxes et impôts indirects révoqué par 1
restait incertain. Les rois Stuarts en profitent pour renflouer leurs caísses, en encare d'être
instituam diverses taxes sans l'avis et le consentement du parlement. Les juges précurseur de
de la common law confirmem, quam à eux, la validité de ces taxes dans les glorieuse de 1
affaires Bate's Case (Case ofImpositions) 140 de 1606 et R. v Hampden (Case o/Ship- principe de l'
Money) 14 ' de 1637. Ils vont même jusqu'à admettre la juridicité d'arrestations vem plus être
décidées par le roi contre des individus refusam de payer lesdites contributions. tion de leur ,,
Dans le Damel's Case (ou The Five Knight's Case) 14' de 1627, les juges recon- ams1 mettre u
naissem au roi le droit d' arrêter quiconque, et ce pour une durée illimitée, sans deux chambn
aucun contrôle judiciaire. Un « ordre spécial du roí » suffit pour faire obstacle à 192 Sir Edward C
la procédure d' habeas corpus, par lequel tout détenu a le droit de compara'itre d' asseoir la Sl
devam un juge et de voir vérifiée la légalité de son emprisonnemem. Face à cette autres ordres \
jurisprudence, le parlement constitue le dernier rempart de la liberté comre les la Star Cham/
agissemems du roi. 11 s'y opposera à travers la Petition o/Rights de 1628, le Habeas siastiques, qu i
CorpusAct de 1640 et 1679 et, enfin, le Bill o/Rights de 1689. Il faudra égalemem échoue face à
attendre la révolution de 1688 et l'article 4 du Bill of Rights pour que le par- sique entre la
lemem déclare illégale toute levée d'argent effectuée sans son consentemem. trouve à l'orit
insuffisances r
2° En ce qui concerne le pouvoir judiciaire cédurier et fo1
cours de la co;
191 Au cours du xvir siecle émerge égalemem le príncipe de l'indépendance de la de morale. Cc
justice. Le mérite en reviem surtout à Coke qui s'opposera farouchement aux initialemem 1,
tematives d'immixtion du roi. Selon les conceptions médiévales du droit, le roi tiques à parti
a, en sa qualité de juge suprême, le droit d'évoquer un proces pendam devam les
tribunaux ordinaires. Or, comme le note Jean Beauté, « bien qu'il s'agisse d'une
143. J. BEAUTF
144. E. COKE.
&K.D. EWING
138. Vtmghan's Reparis, p. 330. « raison nat11relle
139. Sta/e Triais, vol. 11, col. 1165. 145. Cf G. de Q.
140. Sta/e Triais, vol. 2, col. 371. 146. Sir Coke, âg,
141. Sta/e Triais, vol. 3, col. 825. 147. Pour rous 1c
142. Sta/e Triais, vol. 3, col. 1. tiq11es et j11dici<IÍrt
es de l'esprit juridique anglais

l'affaire Godden v. Hales de


r Le XVIf siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais

idée médiévale, Coke pour une fois ·vala combattre de toutes ses forces. li fera remar-
quer que l'on a toujours admis que le roí devait être soumis au droit et que, si l'on
195

Lil juge de l'usage de son droit


)gative « indétachable » de sa veut que cette proposition fondamentale ait un sens, il faut qu'il existe des juges qui
lui Ôter. Ainsi encouragé, le soient les interpretes indépendants de cette /oi suprême » '". La démarche de Coke
de conscience de ses sujets se résume ainsi en deux idées centrales, à savoir qu'il est impossible de conce-
1dulgence de 1687 et de 1688, voir le droit sans un juge et que, par ailleurs, le seul juge valable est le juge de la
des causes immédiates de la common law, à l'exclusion de toute autre instance ou ordre de juridictions. li va
:lu droit de dispenser des lois tout d'abord dénier au roi la qualité de juge : si le roí garde le titre de fons justi-
Rights. tiae, Coke va néanmoins le vider de toute substance, en estimam, dans l'affaire
Prohibitions dei Roy de 1607, que le roi ne peut se saisir d'une affaire pour la juger
nent concerne les impôts. Le ,_ lui-même 1••. Ensuite, Coke s'oppose à ce que le roi puisse interroger les juges sur
nte jusqu'à la Magna Carta
leurs intentions dans un proces en cours, ou leur ordonner de suspendre un pro-
le la montée en puissance du
ces en attendant ses instructions "5. Sa résistance vaudra à Coke, qui fait alors
raint de convoquer les Lords
~ principe était arrêté en ce
des taxes et impôts indirects
1 preuve d'un courage et d'un entêtement hors du commun, non seulement d'être
révoqué parle roi de son poste de Chie/Justice du King's Bench en 1616, mais
encore d'être emprisonné au Tower" 6 • Les idées de Sir Edward Coke, véritable
1r renflouer leurs caisses, en
précurseur de la séparation des pouvoirs, seront confirmées par la révolution
nem du parlement. Les juges
glorieuse de 1688 et, notamment, parle Settlement Act de 1701, qui consacre le
ralidité de ces taxes dans les
príncipe de l'indépendance du pouvoir judiciaire. Désormais, les juges ne peu-
t R. v Hampden (Case ofShip-
vent plus être révoqués selon le « bon plaisir du roí ». Leur nomination est fonc-
re la juridicité d'arrestations
tion de leur « bonne conduite », appréciée par le seul parlement. Le roi ne peut
payer lesdites contributions.
ainsi mettre un terme au mandat d'un juge si ce n'est sur requête commune des
') 142 de 1627, les juges recon-
deux chambres.
>our une durée illimitée, sans
i » suffit pour faire obstacle à 192 Sir Edward Coke ne s'est pas seulement acharné contre le roi. Dans sa volonté
·nu a le droit de compara1tre d'asseoir la suprématie des juges de la common law, il s'est attaqué à tous les
~mprisonnement. Face à cette autres ordres de juridictions de l'époque. Son combat réussit en ce qui concerne
:mpart de la liberté contre les la Star Chamber, supprimée parle parlement en 1641, et les juridictions ecclé-
on ofRights de 1628, le Habeas siastiques, qui ont été soumises au contrôle des juges de la common law; mais il
:s de 1689. li faudra également échoue face à la Court of Chancery qui juge en équité w_ C'est la dialectique elas-
'ili of Rights pour que le par- sique entre la rigueur du droit positif et les maximes de justice et d'équité qui se
ée sans son consentement. trouve à l'origine de la compétence juridictionnell; de la Chancellerie. Face aux
insuffisances manifestes de la common law, dues en large partie à son esprit pro-
cédurier et formaliste, le chancelier pouvait réviser les jugements rendus par les
cours de la common law en se fondant surdes príncipes substantiels d'équité et
1cipe de l'indépendance de la de morale. Ce faisant, il agit en lieu et place du roí, juge suprême, dom il était
s'opposera farouchement aux initialement le confessem, avant que !e poste ne soit attribué à des hommes poli-
ms médiévales du droit, le roi tiques à partir de la fin du XVI' siecle. 11 en garde d'ailleurs l'appellation de
- un proces pendant devant les
auté, « bien qu'il s'agisse d'une
143. J. BEAUTÉ, op. cit., p. 99.
144. E. COKE, Reports, e. 12, p. 63; voir J. BEAUTÉ, op. cit., p. 99 et A.\Y/. BRADLEY
& K.D. E\Y/ING, op. cit., p. 413. A l'occasion de ce proces, Coke développe la disrinction emre la
« raison naltlrelle » du roi et la« raison artificielle » du droit.
145. Cf G. de Q. \Y/ALKER, op. cit., p. 114.
146. SirCoke, ~gé al~rs de 70 ans, sera e_mprisonné pendam sept mois. Cf J. BEAUTÉ, op. cit., p. 107.
147. Pour tous_les developpements su1vams, cf. P. KINDER-GEST, Droit anglais. /nstit11tions poli-
tzques et;ud1c1t11res, op. czt., pp. 231-251.

l
196 De la Rufe of Law ou les particularismes de l'esprit juridique anglais Le XVII' siec/

« conscience du roi ». Au cours du XVI' siecle, l' equity s'institutionnalise avec des édifice de l'a1
maximes, des regles et des précédents, au point de constituer une nouvelle trie a été dét
source de droit à côté de la common law et de la statute law. Cette évolution ne des embelliss
laisse pas insensible Coke qui y voit une sérieuse menace pour la suprématie de mon lawyer.,
la common law. Tout son discours élogieux sur la common law, qui ne serait une tare gén
autre que la perfection de la raison, risque en effet de s' effondrer. C' est pourquoi, la souverain
dans l'affaire Heath v. Rydley de 1614, Coke dénie catégoriquement à la chan- poraire de V(
cellerie toute compétence de réviser les jugements rendus par les cours de la caractere jus
common law '". Or, son jugement, qui ne repose sur aucun fondement juridique, raison et le 1
est transmis au roi Jacques l" qui le contredit. Le systeme de l'equity est ainsi n'est que le
maintenu et se voit reconna1tre une suprématie sur la common law. tés. Une telli
À cette derniere exception pres, les theses de Coke sur la primauté de la Locke quipr
common law se sont imposées face aux tentatives absolutistes des rois Stuarts. rel. Alors qL
Une fois cette victoire acquise, se pose toutefois la question du rapport entre la seurs de la 1c
common law et le parlement. Des lors que la common law est l'incarnation fondent le li,
même de la raison, il est difficile de concevoir qu'un statute puisse contredire l'un Ces diver
de ses príncipes fondamentaux, sans risquer la censure des juges. temps, les ju
pnnc1pes es;
un basculen-
Section II. Du DR. BONHAM's CASE À L'ÉMERGENCE asseoir sa so1
DU PRINCIPE DE LA SOUVERAINETÉ DU PARLEMENT
§
193 Au cours du XVII' siecle, la théorie classique de la common law et l' école du droit
naturel, représentée par l'illustre figure de Locke, ont entretenu des rapports
complexes. Réunis, sous la banniere de la liberté individuelle, dans un même 194 Les juges de
combat contre l'absolutisme royal, elles se distinguem néanmoins par leur leur univers i
façon de concevoir le monde et le droit. Si par certains aspects les différences politique est
paraissent conciliables''", il est un point crucial ou les deux s'opposent radica- autorités pul
lement : il s'agit du rôle et de la place de la législation au sein du droit, ainsi que les « statutes
du statut du Parlement de Westminster à l'égard des juges. que les cours i
Les common lawyers sont profondément sceptiques en ce qui concerne la valeur tait déjà dan:
des lois faites par le parlement. Ainsi que l' écrit Gerald Postem a, « Coke et Blacks- Westminster
tone ont vu dans la législation parlementaire la raison exclusive, ou du moins princi- qu'au XVII' si
pale, de tout ce qui était confus, incohérent et injuste dans le droit anglais » ,;o_ Dans et tribunaux
ses Commentaries on the Laws of England, Blackstone s'insurge contre cette le juge suprê1
«fureur moderne de la réfom1e » qui a introduit tant de défauts dans ce « vénérable

151. W. BLACh
other venerable e,
and refine, with"
148. Cf J. BEAUTÉ, op. cit., p. 92 ss. 152. lbid.
149. L'exemple du constitutionnalisme américain illustre également les convergences entre les 153. G. POSTE
deux modeles théoriques, puisqu'il s'appuie sur la pensée de la common law. En ce sens, 154. W. BLACK
cf. G. STOURZH, « Grundrechte zwischen Common Law und Verfassung. Zur Entwicklung in their ,ment to il /,
England und den nordamerikanischen Kolonien im 17. Jahrhundert », in id., Wege zur Gnmdrechts- 155. R. COITE
demokratie, op. cit., pp. 75-89. 156. G. POSTE
150. G. POSTEMA, op. cit., p. 15. 157. Cf C.H. M
; de l'esprit juridique anglais

s'institutionnalise avec des


e constituer une nouvelle
r Le XVII siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais

édifice de l'antiquité » que constitue la common law 1' 1 : « Ainsi fréquemment sa symé-
trie a été détruite, ses proportions distendues, sa simplicité majesttteuse remplacée par
197

tte law. Cette évolution ne des embellissements précieux et des innovations fantaisistes. » 152 Aux yeux des com-
nace pour la suprématie de mon lawyers, l'arbitraire de la législation, loin d'être un accident du hasard, reflete
~ommon law, qui ne serait une tare génétique, dont l'origine se situe dans le volontarisme des doctrines sur
'effondrer. C' est pourquoi, la souveraineté. Si les statutes ne sont, en effet, que le « produit d'un agrégat tem-
:atégoriquement à la chan- poraire de volontés arbitraires » m, comme ils le pensent, rien ne garantit alors le
rendus par les cours de la caractere juste du statute law. Face à une common law, qui est la quintessence de la
ucun fondement juridique, raison et le fruit d'une longue maturation à travers les âges, la loi parlementaire
rsteme de l'equity est ainsi n'est que le produit de la raison dite naturelle d'élus éphémeres et inexpérimen-
a common law. tés. Une telle vision du pouvoir législatif est à l'opposé des idées rationalistes d'un
oke sur la primauté de la Locke qui prône, au contraire, la suprématie du parlement au nom du droit natu-
>solutistes des rois Stuarts. rel. Alors que les juristes de la common law sont tentés d'ériger les juges en cen-
1estion du rapport entre la seurs de la loi, en arguant même d'une légitimité démocratique 15', les rationalistes
mon law est l'incarnation fondent le lien de représentation exclusivement sur le mode de l'élection.
atute puisse contredire l'un Ces divergences théoriques rythment les luttes de pouvoir. Dans un premier
·e des juges. temps, les juges s'arrogent le droit de censurer une loi qui serait contraire à des
principes essentiels de la common law (§ 1). Puis, la révolution de 1688 amorce
un basculement du rapport de pouvoir en faveur du parlement, qui réussit à
: À L'ÉMERGENCE asseoir sa souveraineté (§ 2).
DU PARLEMENT
§ 1. L 'APOLOGIE PAR LES JUGES DE LA SUPRÉMATIE
DE LA COMMON LAW
mon law et l'école du droit
mt entretenu des rapports
dividuelle, dans un même 1 194 Les juges de la common law ont du mal à intégrer l'idée de la souveraineté dans
;uent néanmoins par leur leur univers intellectuel 1" . Que les lois soient «faites »parla volonté du pouvoir
ains aspects les différences politique est étranger à leur conception du droit héritée du Moyen Âge, ou les
es deux s' opposent radica- autorités publiques se limitaient à « dire le droit ». Pour les auteurs médiévaux,
i au sein du droit, ainsi que les « statutes ejfectuaient, de maniere plus explicite et plus générale, la même tâche
1uges. que les cours de justice, à savoir: déclarer, expliquer et rendre publique la loi qui exis-
en ce qui concerne la valeur tait déjà dans les pratiques traditionnelles du peuple » 156 • Aussi le Parlement de
:1 Postema, « Coke et Blacks- Westminster se voit-il attribuer le titre de « High Court ofParliament », et ce jus-
cclusive, ou du moins princi- qu'au XVII' siecle. Le quatrieme tome des Institutes de Coke, consacré aux cours
1s le droit anglais » 150 • Dans et tribunaux du royaume, traite encore en premier lieu, comme il se doit pour
)ne s'insurge contre cette le juge suprême, de la compétence du parlement 157 • En même temps, Coke, qui
défauts dans ce « vénérable

151. W. BLACKSTONE, Commentaries, vol. 1, p. 10: « The common law ofEngland hasfared like
other venerable edifices ofantiquit)1 which msh and rmexperienced workmen ha·ve ventured to nl?"<iJ·dress
and refine, with all the rage of modern impmvement. »
152. Ibid.
mem les convergences entre les 153. G. POSTEMA, op. cit., p. 15.
e la common law. En ce sens, 154. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 73-74: « Forwhere is thedifference, whether the peopledeclare
Verfassung. Zur Entwicklung in their ,ment to a law by s11/frage, ar by a rmifomz cotirse ofacting accordingly. »
rr », in id., Wege zur Grrmdrechts- 155. R. COTTERRELL, op. cit., p. 32.
156. G. POSTEMA, op. cit., p. 15.
157. Cf C.H. McILWAIN, op. cit., p. 139.
198 De la Rule ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais Le XVII siecfe

se fait élire à la House of Commons à la finde sa vie 158 , ne pouvait pas ne pas voir y ava1t eu cc
la profonde mutation qu'avait subie le parlement entre-temps. Sous le regne des juge suprêmt
Tudors, le parlement n'a pas hésité ainsi à bouleverser les structures dudroit et aurait gardé •
de la société. La rupture avec l'Église catholique, la nationalisation des biens Les juges e
ecclésiastiques, par exemple, furent autant de césures illustrant la volonté du l'idée moder
législateur de faire et de défaire le droit 159 • L'image du parlement en tant ale droit de
que Haute Cour de justice ne reflete clone plus la réalité de son pouvoir, ce qu'a maximesde 1
compris, du moins implicitement, Coke 'ºº. à ce défi, la r,
195 Bien qu'il continue à se servir de cette qualification, et ce notamment dans ses Le discours
Institutes, il a néanmoins perçu le nouveau rôle du parlement. La preuve en est modéré ne e]
le Dr. Bonham's Case de 1610, ou la Cour des common pleas se reconna1t le droit law (B).
de vérifier la conformité des lois adoptées par le parlement à la common law. Si
l'on se situe sur un strict plan logique, il est difficile de croire qu'à l'époque Coke
ait pu continué à envisager le parlement comme un simple juge qui ne fait que
dire le droit. Dans l'hypothese inverse, Coke aurait en effet commis l'aberration
logique consistam à soumettre les actes du juge suprême, i.e. le Parlement de 1º 1.e précéd
Westminster, au contrôle d'un juge inférieur, à savoir la Cour des common pleas.
La hiérarchie des organes s'en serait trouvé totalement ébranlée, car ériger le juge 196 Aux yeux de
inférieur en censeur du juge supérieur revient en finde compre à investir le plus indifféremme
petit juge du plus grand pouvoir. Pourtant, Coke ne s'est pas laissé impression- de la commo1
ner par cet argument de poids qui est présent à l'esprit de ses contemporains 1'· 1• minster, ainsi
On en déduit que pour lui le parlement n'était plus un juge. li se peut qu'il ne sieur Bonhan
saisissait pas, dans toute son envergure, le phénomene radicalement nouveau cher le fait d'
d'un législateur qui fait et défait les lois; cependant, il était conscient qu'une sation au Ro)
période était révolue. Dr Bonham's Case introduit une véritable rupture avec les des médecins
conceptions médiévales en ce qui concerne les rapports des juges avec le Parle- ment d'une p
ment de Westminster, contrairement à ce que soutient Charles Mcilwain "' 2• S'il Royal College
un Jugement .
dant la Cour
question ne p,
158. E.S. CORWIN, « The "Higher Law" Background of American Constitutional Law »,
Harv. L.R., vol. 42, 19J8, p. 376 s. homme ne pe1,
159. Sous le regne d'Elisabeth 1~, Sir Thomas Smith décrivait déjà le rôle du Parlement dans des ne peut se voi
rermes qui annoncent le principe de la souveraineré: « The most high and absolute power ofthe realme cer des peines
of Eng/ande, consisteth in the Parliament. (...) That which is doone by bis consentis called firme, stable,
and sanct111n, and is taken for lawe. The Parliament abrogateth o/de lawes, maketh news (. ..) ,md hath the Sir Coke, « il
power ofthe whole realme, both the head and the body. For everie Englishman is entended to bee there pre· sera amenée à
sent, either in person or by proettration and attornies » (De Republica Anglorum, Livr. II, chap. 1; ciré nuls : car si m,
par E.S. CORWIN, « The "Higher Law" Background of American Constitucional Law », op. cit.,
p. 365.). répugnant, ou
160. Ce poim esr néanmoins comesré. C.H. McILWAIN (op. cit., p. 139 er 147 s), J.W. GOUGH
(op. cit., p. 42) et E.S. CORWIN (op. cit., p. 378 s) estimem ainsi qu'aux yeux de Coke, le parlemem
esr er reste fondamemalement un juge.
161. Que le parlemem, en ram que juge suprême, ne puisse êrre soumis à un aurre juge, esr une idée
communémem admise par les aureurs de l'époque. Cf C.H. McILWAIN, op. cit., p. 123 er 139. 163. J.W. GOUC
Ainsi, vers la fin du XVII" siecle, Sir Roben Arkyns s'y réfere pour récuser l'idée d'un comrôle juri- 164. T.F.T. PLUl
dicrionnel de la !oi : « Here is an inferior court over-ruling and controuling the judgment ofa mperior p. 31. Voir aussi
court "· (State Triais, vol. 11, col. 1232 ciré par C.H. McILWAIN, op. cit., p. 312 note 1). Voir aussi Law ", Harv. L.R.
G. WINTERTON, « The British Grundnorm. Parliamentary Supremacy Re-examined ", LQR, 165. L' affaire, do
vol. 92, 1976, p. 595 s. in E. COKE, Rep
162. C.H. McILWAIN, op. cit., p. VIII, conclusion (g). 166. lbid., p. 118.
es de l'esprit juridique anglais Le XV!f siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 199

5',ne pouvait pas ne pas voir y avait eu continuité avec le Moyen Âge, le parlement aurait évolué du rôle de
1tre-temps. Sous le regne des juge suprême vers celui de législateur suprême 1"'. Bien que changeant de rôle, il
rser les structures dudroit et aurait gardé son rang hiérarchique.
la nationalisation des biens Les juges de la common law ont ressenti intuitivement la menace que constitue
ures illustrant la volonté du l'idée moderne de souveraineté pour la common law. Des lors que le législateur
nage du parlement en tant a le droit de faire et défaire les lois, il lui est loisible de supprimer les vieilles
:alité de son pouvoir, ce qu'a maximes de la common law pour lui substituer un droit rationnel et codifié. Face
à ce défi, la réaction des common lawyers s' articule en deux attitudes différentes.
n, et ce notamment dans ses Le discours le plus radical vise l'annulation d'une loi (A); le discours plus
parlement. La preuve en est modéré ne cherche qu'à interpréter les lois au regard des principes de la common
zon pleas se reconna1t le droit law (B).
1rlement à la common law. Si
de croire qu'à l'époque Coke A. L'ébauche d'un contrôle
n simple juge qui ne fait que de constitutionnalité prémoderne des lois
en effet commis l'aberration
uprême, i.e. le Parlement de 1º Le précédent du Dr. Bonham's Case (1610)
,ir la Cour des common pleas.
!nt ébranlée, car ériger le juge 196 Aux yeux de Coke, la common law constitue « une loi fondamentale qzti limite
11 de compte à investir le plus
indifféremment la couronne et le parlement » "''. 11 se fait le défenseur des principes
1e s' est pas laissé im pression- de la common law, même àl'égard des lois adoptées parle Parlement de West-
;prit de ses contemporains "' 1• minster, ainsi qu'il ressort de l'affaire du Dr. Banham de 1610 1"'. En l'espece, le
JS un juge. 11 se peut qu'il ne
sieur Bonham, docteur en médecine de l'université de Cambridge, se voit repro-
rnene radicalement nouveau cher le fait d'avoir exercé son métier à Londres, sans en avoir demandé l'autori-
mt, il était conscient qu'une sation au Royal College ofPhysicians. Apres moultes mises en demeures, l'ordre
une véritable rupture avec les des médecins le fait arrêter et le condamne, conformément à un statute, au paie-
,ports des juges avec le Parle- ment d'une peine de dix livres, dom une moitié est à verser au roi et l'autre au
ient Charles Mcllwain "''. S'il Royal College lui-même. Le sieur Bonham riposte contre ce qu'il considere être
un jugement arbitraire, en saisissant les juges de la common law. Sir Coke, prési-
dant la Cour des common pleas, lui donne raison, en considérant que la loi en
question ne pouvait transgresser cette « maxime établie de la common law que nul
American Constitutional Law »,
homme ne peut être juge dans sa propre cause» 1"'•. Autrement dit, le Royal College
: déjà le rôle du Parlemem dans des ne peut se voir attribuer, même par un Act ofParliament, le pouvoir de pronon-
'high and absol11te power ofthe realme cer des peines pécuniaires dont il bénéficie directement. D'apres la sentence de
1e by his consentis called firme, swble,
Sir Coke, « il apparait dans nos livres que dans de nombreux cas la common law
ie lawes, maketh news (..) ,md hath the
:nglishman is entended to bee there pre- sera amenée à contrôler les actes du parlement; par/ois elle les jugera completement
•lica Anglomm, Livr. II, chap. 1; cité nuls : car si un acte du parlement est contraire au droit et à la raison communs, ou
~rican Constitutional Law », op. cit., répugnant, ou impossible d'être appliqué, alars la common law le contrôlera, et
cit., p. 139 et 147 s), J.W. GOUGH
;i qu'aux yeux de Coke, le parlement

e soumis à un autre juge, est une idée


Mc!LWAIN, op. cit., p. 123 et 139. 163. J.W. GOUGH, op. cit., p. 27 et 42.
our récuser l'idée d'un contrôle juri- 164. T.F.T. PLUCKNETT, « Bonham's Case and Judicial Review », Harv. L. Rev., vol. 40, 1926-27,
contro11/ing the j11dgment ofa mperior p. 31. Voir aussi E.S. CORWIN, « The "Higher Law" Background of American Constitucional
N, op. cit., p. 312 note 1). Voir aussi Law », Harv. L.R., vol. 42, 1928, p. 372.
y Supremacy Re-examined ", LQR, 165. L'affaire, dont la dénomination exacte est 1be O.se ofthe College of Pbysicians, est retranscrite
in E. COKE, Reparis, vol. 8, p. 114a.
166. lbid., p. 118a.
200 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridiqtte anglais r Le XVII' siecfe

jttgera un te! acte nu! (It appears in our books, that in many cases the common law l'objet d'une
will controul Acts ofParliament, and sometimes adjuge them to be utterly void: for ler en Coke t
when an Act of Parliament is against common right and reason, or repugnant, or à l'école de I:
impossible to be performed, the common law will controttl it, and adjuge such Acts que les juges ,
to be void) » 167 • effet, à ébran
197 Par cet arrêt, Coke affirme la supériorité de la common law sur toute forme de le sens de la
droit, y inclus les lois du parlement. Les principes fondamentaux de la common l'histoire, en
law - car il semble que Coke n'ait pas voulu accorder un statut supralégal à Coke ne pau
toutes les regles de la common law 1"' - se trouvent érigés en véritable constitu- lois. Il se ser;1
tion, même si le terme n'est pas prononcé en l'occurrence 169 • Dans l'esprit de ses comme l'ont
défenseurs, la common law constitue le socle inébranlable et immuable sur leque! maniere que
repose la société anglaise, et dont les juges sont les arades et les gardiens. S'il
existe certains paralleles avec le modele contemporain de la justice constitution-
nelle, deux différences majeures sont toutefois à noter. Tout d'abord, l'idée d'une 1 2° Les réperc

loi fondamentale, sous-jacente à l'arrêt Dr. Banham, s'inscrit encare dans une 198 En 1614, Sir
pensée pré-moderne du droit qui ignore le concept de souveraineté, c'est-à-dire la Cour des
l'idée que le droit est fait, et non pas simplement dit parles hommes. II en résulte Day v. Savag1
la seconde différence qui a trait à l'absence du concept de pouvoir constituam et, fait à l 'enconi
partam, d'une constitution écrite. Dans le Dr. Banham 's Case, ce som les juges propre cause, t
eux-mêmes qui définissent l'identité et la signification de ces principes fonda- et elles sont f,
mentaux de la common law. Ils disposent ainsi d'une marge de manreuvre hors juge Keble dé
du commun. En conséquence, il parart exagéré de dire, comme l'a fait Mcllwain, Diett, inscrite ,
que « l'idée d'ttn contrôle de constittttionnalité et d'une !oi constitutionnelle sont tures, pett imp
dans lettr origine des idées anglaises » 170 • Dr. Banham 's Case n' est, en réalité, que naux, n 'est pa,
l'ébauche, fragmentaire, de ce que l'on entend de nos jours parle contrôle de prononcé; et i
constitutionnalité des !ois. S'il est vrai que le theme de la liberté individuelle se Dans la périOl
trouve au cceur de la théorie de la common law 171 , il n' en reste pas moins que l' on tiques aussi d
se situe encare dans une perspective prémoderne du droit, qui ignore le concept Case pour s' o
fondateur de la souveraineté. Cette absence explique le décalage entre les situa- s' agit de proté
tions britannique et américaine. De nombreux tribunaux américains ont, en Ce mouveme
effet, invoqué le Dr. Bonham's Case pour s'arroger, dans le silence des textes, un régime démo,
droit de contrôle à l' égard des lois parlementaires 172 ; or, à la différence de Coke, par un contré
leur contrôle s'appuie sur une constitution écrite, élaborée sur le fondement de
la souveraineté du peuple.
On notera, toutefois, que la signification exacte de Dr. Bonham's Case fait
173. Cette these
pp. 543-552;].W
et 276.
167. !bid. 174. Hobart's Re,
168. Seul le substrat jusnaturaliste ou divin de la co111111on la-w se soustrait à l'emprise du législateur. l 'affaire Lord She).
Cf ].W. GOUGH, op. cit., p. 40. !e po11voirque les_1
169. D'apres G. STOURZH (« Vom aristotelischen zum liberalen Verfassungsbegriff... ", op. cit., de les fi1çonner en
pp. 11-25), le terme sJe « constittttion,, appara1t d'abord en Angleterre, vers la fin du XVI' siecle, avant ª:ª!1enciq11e sens (1
de se répandre aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, etc. reference au pou,
170. C.H. McILWAIN, op. cit., p. 6. 175. State Triais, ·
171. Cf G. STOURZH, « Grundrechte zwisch~n Common law und Verfassung ", op. cit., p. 79 s. 176. Cf les chapi
172. Sur l'influence des idées de Coke aux Etats-Unis, cf PLUCKNETT, op. cit., p. 61 ss; 177. Sur l'émergL
E.S. CORWIN, op. cit., p. 394 ss. 1653 le lnstrnmen
; de l'esprit juridique anglais

nany cases the common law


rl Le XVIf siecle ou l'age d'or des droits et libertés des Anglais

l'objet d'une controverse. Alors que les auteurs américains ont tendance à déce-
ler en Coke un précurseur du judicial review, nombre de juristes anglais, formés
201

· them to be utterly void :for


nd reason, or repugnant, or à l'école de Dicey, om cherché à minimiser, voire à nier cet épisode. Reconnaitre
roul it, and adjuge such Acts que les juges de la common law se som érigés en censeurs de la loi reviendrait, en
effet, à ébranler le mythe d'une tradition historique ininterrompue, allant dans
le sens de la souveraineté parlememaire. D'aucuns vont ainsi jusqu'à réécrire
wn law sur toute forme de
l'histoire, en arguam qu'en dépit de ce qu'il a dit dans le Dr. Bonham's Case,
ndamemaux de la common
Coke ne pouvait pas, et ne voulait pas, s'arroger un tel pouvoir d'annulation des
,rder un statut supralégal à
!ois. II se serait contemé de revendiquer un « pouvoir d'interprétation » des lois
:rigés en véritable constitu-
comme l'om font tant d'autres juges avant lui 173 • Pourtam, ce n'est pas de cette
rence 1•·1• Dans l' esprit de ses
maniere que les observateurs de l'époque voiem les choses.
able et immuable sur leque!
oracles et les gardiens. S'il
2º Les répercussions dans la jurisprudence postérieure
n de la justice constitution-
r. Tout d'abord, l'idée d'une 1 198 En 1614, Sir Henry Hobart, !e successeur de Coke au poste de Chie/Justice de
i, s'inscrit encore dans une
de souveraineté, c'est-à-dire la Cour des common pleas, approuve les idées de ce dernier dans l'affaire
>ar les hommes. II en résulte Day v. Savage. Dans un obiter dictum, il affirme : « Même un acte du parlement
,t de pouvoir constituam et, Jait à l'encontre de l'équité naturelle, tel celui érigeant un individu en juge desa
,am 's Case, ce som les juges propre cause, est nul en ltti-même (void in itself), car Jura naturae sunt immutabilia
ion de ces principes fonda- et elles sont leges legum. » 174 De même, dans l'affaire R. v. Lave de 1653, le
e marge de manceuvre hors juge Keble déclare que « tout ce qui, en Angleterre, n'est pas conforme à la loi de
:e, comme l'a fait Mcllwain, Dieu, inscrite dans les Ecritures, ou à la droite raison, qtú est maintenue parles Ecri-
me loi constitutionnelle sont tures, peu importe que ce soit un acte du parlement ou un acte judiciaire des tribu-
's Case n'est, en réalité, que naux, n'est pas du droit anglais; mais c'est une erreur de la part de l'autorité qui l'a
10s jours par le contrôle de prononcé; et vous, comme quiconque d'autre du barreau, vou pouvez !e plaider » 175 •
de la liberté individuelle se Dans la période tourmentée de la guerre civile et de l'interregne, des acteurs poli-
t'en reste pas moins que l'on tiques aussi divers que les royalistes et les Levellers se réferent à Dr. Banham 's
droit, qui ignore le concept Case pour s'opposer au despotisme du Long Parliament 171'. Pour les premiers, il
e !e décalage entre les situa- s' agir de protéger la prérogative royale; pour les derniers, l' objectif est plus vaste.
bunaux américains ont, en Ce mouvemem radical, animé par John Lilburne, aspire à l'instauration d'un
ians !e silence des textes, un régime démocratique et l'établissemem d'une constitution écrite, sanctionnée
; or, à la différence de Coke, par un contrôle juridictionnel 177 • Si les projets des Niveleurs échouent, la cause
laborée sur le fondement de

~ de Dr. Banham 's Case fait


173. Cette these est défendue par S.E. THORNE, « Dr. Bonham's Case », LQR, vol. 54, 1938,
pp. 543-552;].W. GOUGH, op. cit., p. 10 s et pp. 32-40. Voir aussi C.H. McILWAIN, op. cit., p. 271
et 276.
174. Hobart's Report, p. 86; cité par T.F.T. PLUCKNETT, op. cit., p. 49. L'auteur cite encare
sousrrait à l'emprise du législateur. l'affaire Lord She/field v. R,1tcli/fe de 1615 (Hobart's Report, p. 334a} ou Hobart évoque « la liberté et
le pouvoir que les juges ont à l'égard_des !ois, et spécialement à l'égard des !ois d11 parlement (statttte laws),
ilen Verfassungsbegriff... », op. cit., deles façonner en fonclton de ce qm est razsomzable et convenable, en leur donnant !e meilleur et !e plus
cerre, vers la fin du XVI' siede, avant a11thentzq11e sens (,nould them to the tmest ,md besl use)». Or, il nous semble que cet extrait fait plus
référence au pouvoir d'interprétation qu'au pouvoir d'annulation des juges.
175. State Triais, vol. 5, p. 825; cité par I. LOVELAND, op. cit., p. 28.
», op. cit., p. 79 s.
w und Verfassung 176. Cf les chapitres VII et VIII de l'ouvrage de J.W. GOUGH.
PLUCKNETT, op. cit., p. 61 ss; 177. Sur l'émergence d'un constitutionnalisme écrit sous le regne de Cromwell, qui fie adopter en
1653 le lnstmment of Govemment, cf. W. ROTHSCHILD, Der Gedanke der geschriebenen Verfasszmg
202 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais Le XVlf siecle

des royalistes est entendue par certains juges, apres la restauration des Stuarts. légal le Jait q,
Dans l'affaire Godden v. Hales de 1686, le Privy Council s'appuie sur la doctrine femmedeBs,
de Coke pour accorder à la prérogative royale, et plus spécialement au pouvoir Au cours
du roi de dispenser des lois, un caractere constitutionnel auquel aucune loi ne Coke, préfé
pourrait porter atteinte '78 • Sir Thomas]
199 Le cas Godden v. Hales, qui est l'une des causes de la révolution de 1688, finit par Day et Savag,
discréditer l'idée d'un contrôle juridictionnel des lois. Taxés de conservatisme, pettt être nul
les juges voient leur jugement contredit par les parlementaires qui, dans le Bill of Equity); for J
Rights de 1689, suppriment ce droit royal, nonobstant son caractere "constitu- s'agir d'un cai
tionnel". Comme l' écrit Plucknett, « la nation sentait que la pression politique de acte nul ab in
l'opinion publique telle qu'elle s'exprimait à travers !e parlement était un moyen de prétation dar
protection plus súr que l'action des institutions judiciaires » '7'. Désormais, le parle- décisif est fra
ment, qui peut s'appuyer sur les idées de Locke, est perçu comme un meilleur 1742 : tout er
garant des droits et libertés que les juges de la common law. juge et partie,
une loi violar
200 Duram le XVIII' siecle, le principe de Dr. Bonham's Case périclite avant de dispa-
parlement est
ra1tre définitivement. Dans les sentences du Lord ChiefJustice Holt, la doctrine
tivement qu ',,
de Coke s'écroule pour ne plus ressembler qu'à une « triste épave » "ª. Dans
puisse le contn
l' affaire R. v. Earl of Banbury, Holt affirme encare que la tâche quotidienne du
judiciaire au-,1
juge consiste à « construire et exposer les actes du parlement et à les juger nuls » '"'.
exprime clair,
Mais le principe se disloque completement dans l'affaire City ofLondon v. Wood
a voulu dérog
de 1701, à l'occasion de laquelle Holt tergiverse entre deux positions antino-
En revanche,
miques. D'un côté, il insiste sur le fait que, contrairement à un reglement, la vali-
dents et explic,
dité d'une loi ne peut être mise en cause : « Un acte réglementaire (by-law) est
cipes de la rai!
susceptible de voir sa validité contestée alars qu 'il ne saurait en être question pour 1m
acte du parlement. »'"'De l' autre côté, il semble se ranger aux idées de Coke : « Et
ce que disait mon Lord Coke dans l'affaire du Dr Banham dans le huitieme tome de
ses Reports est loin d'être extravagant, car c'est un propos tres raisonnable et vrai. À
savoir que si un acte du parlement devait ordonner qu'une même personne doit être
partie et juge, ou, en d'autres termes, juge de sa propre cause, ce serait 1m acte nul 201 Outre la juris1
(void). » Or, il poursuit en affirmant juste le contraire : « Un acte du parlement ne décisions de jt
peut mal faire, bien qu 'il puisse faire diverses choses qui ont l 'air assez bizarre (...). Un premiere vue,
acte du parlement ne peut rendre légal l 'adultere, ce qui veut dire qu 'il ne peut rendre vise qu'à comi

in der englíschen Revolution, 1903; A. ESMEIN, « Les deux constitutions du Protectorat de Crom- 183. lbid., p. 55 (,.
well», RDP, 1899, pp. 193-218 et pp. 405-442; C. STARCK, « Vorrang der Verfassung und Verfas- odd (. ..). An act ofi
sungsgerichtsbarkeit », in id., Der demokratische Verfasstmgsstaat : Gesta!t, Grzmdlagen, Gefãhrdun- with the wife ofB. ,
gen, Tübingen, Mohr, 1995, p. 37, voit dans le constitutionnalisme de Cromwell, fondée sur l'idée 184. J.W. GOUG
du pouvpir constituam souverain du peuple, la premiere illustration de l'idée moderne de la consti- 1744, ou les juges,
tution. A cette époque remonte également l'idée si discutée de nos jours des limites matériclles au Le procureur géné
pouvoir de révision constitutionnelle. L'idée en est évoquée par James Harrington dans son ouvrage du parlement.
The Commonwealth of Ornm,1 (1656). Cf A. RIKLIN, « James Harrington - Prophet der geschrie- 185. Mod., vol. lC
benen Verfassung »,]õR, vol. 48, 2000, pp. 139-148, spéc. p. 148. interpret an Act vo
178. State Triais, vol. li, col. 1165. Cf T.F.T. PLUCKNETT, op. cit., p. 52. 186. Cf T.ET. Pl
179. T.F.T. PLUCKNETT, op. cit., p. 69. 187. W. BLACKS'
180. lbid. p. 56. which is unreasont1
181. Jbid., p. 55 note 72. 188. Jbid.
182. lbid., p. 54. 189. lbid.
es de l'esprit juridique anglais

s la restauration des Stuarts.


mcil s'appuie sur la doctrine
r Le XVII' siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais

légal le Jait que A couche avec la femme de B, mais il pourrait faire en sorte que la
Jemme de B soit la femme de A et dissoudre son mariage avec A. » " 3
203

,lus spécialement au pouvoir Au cours du XVIII' siecle, les juges rechignent à invoquer la doctrine de
ionnel auquel aucune loi ne Coke, préférant user de leur pouvoir d'interprétation 18 '. Comme le dit
Sir Thomas Powys, dans le Duchess ofHamilton's Case de 1712: « Dans l'affaire
révolution de 1688, finit par Day et Savage relatée dans Hobart, 87, il est dit, en effet, qu'un acte du parlement
ois. Taxés de conservatisme, peut être nu! depuis sa création, tel un acte contraire à l'équité naturelle (Natural
~mentaires qui, dans le Bill of Equity); for Jura Naturae sunt immutabilia, sunt leges legum. Mais il doit alars
tant son caractere "constitu- s'agir d'un cas tres clair, et les juges se mettront à rude épreuve avant de déclarer un
út que la pression politique de acte nul ab initio. »'"Lord Chie/Justice Kenyon procede à un tel effort d'inter-
~ parlement était un moyen de
prétation dans l'affaire King v. lnhabitants of Cumberland de 1795 186 • Un pas
iires » "'. Désormais, le parle- décisif est franchi avec l' affaire Parish of Great Charte v. Parish ofKennington de
,t perçu comme un meilleur 1742: tout en estimam qu'il est raisonnable qu'un même homme ne puisse être
~on law. juge et pareie, les juges du King's bench ne se disent pas moins obligés d'appliquer
une loi violam ce principe. La nouvelle vision des rapports entre les juges et le
Case périclite avant de dispa- parlement est résumée par Blackstone comme suit : « Si le parlement édicte posi-
JJie/Justice Holt, la doctrine tivement qu'une chose déraisonnable soit faite, je ne connais aucun pouvoir qui
une « triste épave » "º. Dans puisse le contrôler. » '87 Dire le contraire reviendrait, selon lui, à « mettre le pouvoir
que la tâche quotidienne du judiciaire au-dessus du législateur, ce qui serait subversif » '". À condition que la loi
r/ement et à les juger nuls » '". exprime clairement, sans qu'il puisse y avoir le moindre doute, que le législateur
ffaire City ofLondon v. Wood
a voulu déroger à ce qui semble raisonnable, le juge est tenu de s'y conformer.
~ntre deux positions antino-
En revanche, si la volonté du législateur n'est pas « couchée dans des tennes évi-
~ment à un reglement, la vali-
dents et explicites » '"', le juge a le droit d'interpréter la loi à la lumiere des prin-
irte réglementaire (by-law) est cipes de la raison et de l'équité.
iurait en être question pour 1m
mger aux idées de Coke : « Et
:ham dans !e huitieme tome de B. Le nébuleux pouvoir d'interprétation
1pos tres raisonnable et vrai. À des juges de la common law
11'une même personne doit être
•re cause, ce serait un acte nu! 201 Outre la jurisprudence relative à Dr. Banham 's Case, il existe toute une série de
re : « Un acte du parlement ne décisions de justice qui ont pour objet l'interprétation dite « stricte » des lois. À
i ont l'air assez bizarre (. ..). Un premiere vue, tout semble les séparer : si l'interprétation agit praeter legem et ne
1i veut d ire qu 'il ne peut rendre vise qu'à combler les lacunes et à éclairer les points obscurs du texte, l'annula-

ílstimrions du Protecrorat de Crom- 183. Ibid., p. 55 (« An act ofparliament can do no wrong, tho11gh it maydo severa! things thatlook pretty
Vorrang der Verfassung und Verfas- odd (. ..). An act ofparliament may not make ad11ltery lawful, that is, it cannot make it lawfitl for A. to fie
lt : Gestalt, Gnmdlagen, Gefãhrdun- with the wife ofB. b11t it may make thewife ofB. to be thewife ofA. and dissolve her marriagewithA. ,,).
isme de Cromwell, fondée sur l'idée 184. J.W. GOUGH (op. cit., p. 187 s) évoque un seu! cas contraire, l'affaire Omychand v. Barker de
uion de l'idée moderne de la consti- 1744, ou les juges ont accepté qu'un témoin prête serment dans des formes contraires à la statute law.
nos jours des limites matériclles au Le procureur général avait plaidé en ce sens, en arguam que la common l,zw est supérieure à un acre
·James Harringron dans son ouvrage du parlement.
Harrington - Prophet der geschrie- 185. Mod., vol. 10, p. 115 (« B11t this m11st be a ·very clear case, and j11dges will strain hard rather than
L interpret an Act void ab initio »); ciré par T.ET. PLUCKNETT, op. cit., p. 58.
p. cit., p. 52. 186. Cf T.ET. PLUCKNETT, op. cit., p. 56 s.
187_- W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 91 : « Jf the parliament will positively enact a thing to be dane
whzch zs unreasonable, 1 know ofno power that can contrai it. »
188. lbid.
189. lbid.
204 De la Rufe ofLaw ou les particularísmes de l 'esprít juridique anglais
r
(
Le XV!f siecfe o

tion tend au contraire à la destruction dudit texte. Pourtant à l'époque, la fron-


tiere entre ces deux argumentations est loin d'être aussi étanche. Le discours sur
l au max1mum
siecle, d'u
XVI'
le pouvoir d'interprétation « strícte » des lois va, en effet, jusqu'à reconnaltre aux 203 En premier liê
juges le droit de faire prévaloir l'esprit de la loi sur le texte, autrement dit, à leur lumiere de la e
conférer un pouvoir d'interprétation contra legem. du droit ont toi
Les juristes, qui clamem une différence de príncipe entre le pouvoir d'annula- mément à la e,
tion et le pouvoir d'interprétation stricte 19°, conviennent d'ailleurs de ce point, doute sur lese
si l'on analyse de pres leur position J'JJ_ Ainsi, selon Gough, il est erroné de par- justifier que la
ler d'un pouvoir d'annulation d'une loi, étant donné que Coke n'a jamais puient sur ce <
affirmé dans l'affaire Dr. Bonham que le parlement était incompétent pour légi- príncipes tienn
férer dans telle ou telle matiere. Coke se serait contenté de dire « que la cour serait s'inspirer des p1
amenée à construire [la loi] de maniere strícte, si cela s'avérait nécessaire afin de la lateur sont le 1;
rendre confonne à ces príncipes reconnus [la raison et la justice1 soit en ignorant la príncipes. » 1"' I
partie de la foi qui concerne le proces en cours, soit en statuant que le cas d'espece se inchangée par
situe en dehors du champ d'application de la !oi et qu'ainsi la foi est inapplicable » 1n. volonté contr;1
Or, ceux qui ont défendu la doctrine de Coke n'ont jamais dit autre chose, si ce qu'on appelle
n'est qu'ils parlem à ce sujet, non pas d'un pouvoir d'interprétation « strícte », de lacommon
mais d'un pouvoir d'annulation, en reprenant la terminologie de Coke qui avait posée coexiste
employé l'adjectif « void (nu!)». En réalité, les deux expressions prêtent à confu- est, ou risque ,
sion. Techniquement parlam, Coke n'a jamais,, annulé », au sens ou l'on entend
204 En second liet
aujourd'hui, une !oi, mais il a admis ce qu'on appelle de nos jours l'excep-
juge d'ignorer
tion d'inconstitutionnalité, en refusant d'appliquer la !oi à un cas d'espece. Le
ton v. Steward,
pouvoir d'interprétation stricte, dont se réclament Gough et tant d'autres, abou-
des plus raisom
tit au même résu!tat: en faisant prévaloir l'esprit du droit, c'est-à-dire la common
tion de la juste .
law, sur les termes de la !oi, ou en limitam !e champ d'application de la !oi, !e
parfois exposé 1
juge soustrait à chaque fois un cas d'espece à la !oi 191 • La !oi continue d'exister,
choses en équit(
mais elle n'est pas appliquée.
et à l'équité. » ·
202 La prééminence de la common law se manifeste à travers diverses regles d'inter- clair : apres aV(
prétation des !ois, qui, pour certaines, ont encore valeur au XX' siecle 1" . Dans apparaít que Ít
l'esprit des juges de la common law, celle-ci constitue le socle du droit sur leque! contraire à la
viennent se greffer les !ois adoptées par !e parlement. Selon une métaphore uti- comprennent t,
lisée par G. Postema, la statute law n'est qu'une ile, ou plutôt un archipel d'iles choses; les !ois ,
dans ce vaste océan qu'est la common law 1"'. La théorie classique de la common les ont interpn
law ne concede, en effet, qu'un rôle périphérique à la législation. En restreignant qui, príses à la /
que certaines p(
législateur » 1º1•
190. Ce som, d'ailleurs, les mêmes auteurs qui affirment que Coke n'a revendiqué qu'un simple
pouvoir « d'interprétation » dans l'affaire Dr. Bonham.
191. J.W. GOUGH, op. cit., p. 22.
192. J.W. GOUGH, op. cit., p. 35. Cf aussi p. 48. 196. C.H. McIL\\
193. Cf T.R.S. ALLAN, « The Limits of Parliamentary Sovereignty », PL, 1985, p. 617 : « An inter- 197. H,zrbert's C,.
pretation which limits the scope of statutory words in deference to an importam principie of politic,,l note D.
morality, necessarily excludes their ,zpplication in thoses sit11ations go·vemed by the principie. ,, Voir aussi 198. J.W. GOUG
id., Law, Liberty, and justice. The Legal Formdations of British Constit11tionalism, Oxford, Clarendon 199. Jbid. Voir au
Press, 1993, p. 267. 200. 1 Plowden's i
194. J.W. GOUGH, op. cit., p. 19. 201. 1 Plowden ',
195. G. POSTEMA, op. cit., p. 18. C.H. McILWAIN
· de l'espríi juridique anglais Le XVII siecle ou l'âge d'or des droits et !ibertés des Anglais 205

)urtant à l'époque, la fron- au maximum l'impact des lois, les juges ont fait preuve, notamment au
ssi étanche. Le discours sur siecle, d'une « audace ahuríssante » 1'°.
XVI'
fet, jusqu'à reconnaí'tre aux 203 En premier lieu, les juges estimem qu'il faut toujours interpréter les stattttes à la
texte, autrement dit, à leur lumiere de la common law, qui est l'incarnation de la raison: « Les juges et les sages
du droit ont toujours exposé les fois parlementaires générales (general statutes) confor-
i entre le pouvoir d'annula- mément à la common law, qui est fondée sur la raison parfaite. » 197 S'il existe un
nent d'ailleurs de ce point, doute sur le sens de la loi, il faut remanter aux principes de la common law. Pour
;ough, il est erroné de par- justifier que la common law soit ainsi érigée en norme de référence, les juges s' ap-
mné que Coke n'a jamais puient sur ce qu'ils supposent être la volonté du législateur. « En dernier lieu ces
tait incompétent pour légi- príncipes tiennent bon à cause de la présomption que !e parlement lui-même doit
té de dire « que la cour serait s'inspirer des príncipes de la raison et de la justice, et que les intentions réelles du légis-
;'avérait nécessaire afin de la lateur sont le mieux sauvegardées si un acte du parlement est lu à la lumiere de ces
a justice1 soit en ignorant la príncipes. » 198 Il en résulte une autre maxime, selon laquelle la common law reste
;tatuant que le cas d'espece se inchangée par la !oi, à moins que celle-ci ne fasse expressément mention de la
nsi la foi est inapplicable » 1•11 • volonté contraire du parlement. Si une loi se limite à prévoir des dispositions, ce
jamais dit autre chose, si ce qu'on appelle son aspect « positif », sans annuler explicitement les vieilles regles
d'interprétation « strícte », de la common law, ce qui constitue son aspect « négatif», la common law est sup-
ninologie de Coke qui avait posée coexister à côté de la nouvelle solution législative 199 • Tout silence de la loi
!xpressions prêtent à confu- est, ou risque d'être, interprété en sa défaveur.
1J!é », au sens ou l'on entend 204 En second lieu, !e pouvoir d'interprétation s'étend jusqu'à la possibilité pour le
>pelle de nos jours ]' excep- juge d'ignorer !e texte de la loi. Le juge Bromley l'affirme dans l'affaire folmers-
la loi à un cas d'espece. Le ton v. Steward, qui a lieu au début du regne de Marie Tudor. Selon !e juge, « il est
I.'

;ough et tant d'autres, abou- des plus raisonnables d'exposer les termes qui semblent contraires à la raison en fonc-
:lroit, c'est-à-dire la common tion de la juste raison et de l 'équité. Et ainsi les juges, qui furent nos prédécesseurs, ont
tp d'application de la !oi, le parfois exposé les mots de maniere fort contraire au texte et, parfois, ils ont prís les
11
La !oi continue d'exister,

choses en équité contrairement au texte, de façon à les rendre conformes à la raison
et à l'équité. » 100 Le jugement dans l'affaire Stradling v. Morgan est encare plus
avers diverses regles d'inter- clair: apres avoir passé en revue nombre de précédents, les juges affirment « qu'il
valeur au XX' siecle 1" . Dans apparaít que les sages du droit ont construit (. ..) les fois {statutes) de maniere assez
e le sacie du droit sur leque! contraire à la lettre d'un certain point de vue : les fois qui, prises à la !ettre,
t. Selon une métaphore uti- comprennent toutes les choses, ils les ont exposées de façon à n'inclure que certaines
ou plutôt un archipel d'í'les choses; les fois qui prohibent en général à tout le monde de faire un certain acte, ils
orie classique de la common les ont interprétées de façon à permettre à certaines personnes d'agir ainsi; et celles
a législation. En restreignant qui, príses à la !ettre, s'adressent à chaque personne, ils ont estimé qu'elles ne visaient
que certaines personnes, cette lecture étant à chaque fois fondée sur les intentions du
législateur » 1º1•

Coke n'a revendiqué qu'un simple

196. C.H. McILWAIN, op. cit., p. 267.


;my PL, 1985, p. 617: « An inter-
», 197. Hirbert's Case (26 and 27 Eliz.), 3 Coke's Reports 136; ciré par J.W. GOUGH, op. cit., p. 214
J ,m imporl,ml principie of po/itíc,i/ note D.
o·vemed by the principie. » Voir aussi 198. J.W. GOUGH, op. cit., p. 19.
rzslÍlttlÍonalism, Oxford, Clarendon 199. Jbid. Voir aussi C.H. McILWAIN, op. cit., p. 269.
200. 1 Plowden's Reports 109; cité par J.W. GOUGH, op. cit., p. 19.
201. 1 Plowden's Reports 205; cité ibid., p. 215 note E. Voir aussi les exemples cités par
C.H. McILWAIN, op. cit., p. 260 ss.
206 De la Rufe of Law ou les particularismes de l'esprit juridique anglais 1..e XV!t siecfe

205 Enfin, les juges se servem d'un dernier moyen, aux effets redoutables, que som suprême dei
les fictions. En témoigne !'exemple suivant : d'apres une loi du parlement, les appelle un «
juges de la common law ne pouvaient être saisis d'une obligation née en dehors temem des ÍL
du territoire anglais. Pour détourner cette regle légale, Coke n'hésite pas à plagié Burlar
recourir à une fiction astucieuse : « Une obligation contractée au-delà des mers peut parlement so
faire l'objet d'un recours en justice en Angleterre à l'endroit que désire !e requérant. anglaise... dél
Que faire alars si l'acte a été daté à Bourdeaux in France; ou Jaut-il saisir !e juge? La vation dangl
réponse est la suivante: on peut alléguer qu'il a été fait in quodam loco vocat' Bur- réfléchie »'º'·.
deaux en France, à Islington dans !e comté de Middlesex, et c'est !à que l'a/faire devra parlement à 1
être jugée car, qu'il existe ou non un tel endroit à Islington, est sans importance dans 207 Au sein du 1
l'a/faire. » 101 À travers cette fiction, le juge aboutit à ce que Sal"mond appelle une quées. Tout l
« altération indirecte de la !oi » º'. L'impact d'une regle légale dépend, en effet, de
1
l'idée que le l
deux facteurs : le contenu de la loi elle-même et la teneur des faits qui y sont sub- II appartient
sumés. Pour contrer la volonté du législateur, le juge ale choix entre s'attaquer lois 2º8 • À ce r
directement à la regle ou manipuler les faits. Dans les deux cas, le résultat est s' agit de l'idt!
identique. Aussi, Jeremy Bentham se fera-t-il un critique féroce des fictions, qui ce dernier ne
constituem, à ses yeux, un empiétement des juges sur le pouvoir du législateur 204 • lui aucune a1
Tels sont les différents moyens auxquels les juges de la common law ont conséquent, 1
recours pour résister à la montée en puissance du parlement. la souveraine
réflexions de:
§ 2. L APOLOGIE DE LA SOUVERAINETÉ DV PARLEMENT Filmer: « UJ
DANS LE SILLAGE DES IDÉES DE LOCKE n 'a pas de sttp(
recours doit é.
infinitum et 1.
206 La révolution glorieuse de 1688 marque, sur le plan politique 10 \ la souveraineté les deux sont ,
du parlement. Depuis que les juges se som déconsidérés aux yeux d'une large par- cet argument
tie de l'opinion publique, avec l'affaire Godden v. Hales, Ie parlement apparalt arbitraire en 1
comme le meilleur gardien des príncipes constitutifs de la nation anglaise. II législatif est
s'avere plus digne de confiance qu'aucune autre instance politique, ce qui explique
que, dans le modele de John Locke (1632-1704), le peuple lui confie le pouvoir
206. Le terme d,
voulu arrribuer l
príncipes de la e,
202. E. COKE, lnstittttes, t. 1, p. 261 b; cité par C.H. McILWAIN, op. cit., p. 266. 207. E. COKE,
203. J. SALMOND, Essays in ]11risprndence and Legal History, p. 9; cité par C.H. MclLWAIN, p. 72 ss. Ce poir
op. cit., p. 266. 208. D'apres J. I
204. Cf J. BENTHAM, Fragment mr le go11vemement et Manuel de sophismes politiq11es, Paris, « the right of m,
Bruylam-LGDJ, 1996, p. 172. Cf W.BLACKS
205. On peut toutefois s'interroger sur le fondement j11ridiq11e du príncipe de la souveraineté. Quelle rity in making, ,
est, en effet, la source de ce principe juridique? Est-il consacré parle Bill ofRights, ce qui en ferait laws, concerning
un príncipe de la statute law, révisable comme toute autre !oi, ou s'agit-il d'un príncipe de la common tilne, or crinzint11
l,,w, comme l'ont prétendu au cours du XX' siecle divers auteurs tels que I. Jennings, H.W.R. Wade, D'aucuns y om
T.R.S. Allan, etc. (cf infra n· 279,284 et 295)? Dans les deux cas, à premiere vue, une !oi parlemen- signifie seulemer
raire pourrait redéfinir les conditions d'exercice de la souveraineté (cf. toutefois la chéorie assez peu soumis au droir ,
orthodoxe de Wade infra n" 284). Dans le second cas, les juges pourraiem également, de leur propre n· 360 et 366).
initiative, redéfinir le príncipe et les condicions de la souveraineté. Ils pourraiem, grâce à un revire- 209. Locke parle
mem de jurisprudence, refuser obéissance à une !oi parlememaire jugée contraire à certains príncipes « rmcontroled" ei
supérieurs (cf. la rhéorie de T.R.S. Allan, infra n" 295). Ou, faur-il admettre une rroisieme hypothese et 143 s.
selon laquelle la source de la souveraineré résiderair dans une sorte de Gnmdnorm définie par les 210. R. FILMEI<
théuriciens du droir? 211. J. LOCKE.
es de l'esprit juridique anglais

. effets redoutables, que sont


f Le XV!f siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais

suprême de faire les lois. 11 est le bénéficiaire de ce pacte de confiance que Locke
207

es une loi du parlement, les appelle un « trust ». Quant à William Blackstone (1723-1780), qui s'inspire étroi-
me obligation née en dehors tement des idées des théoriciens du contrat social, au point d'être accusé d'avoir
légale, Coke n'hésite pas à plagié Burlamaqui, il partage le même point de vue que Locke. Les membres du
mtractée au-delà des mers peut parlement sont investis, selon lui, de la fonction de « gardien de la constitution
ndroit que désire le requérant. anglaise... délégués à observer, à contrôler et à mettre en garde devant toute inno-
ice; ou faut-il saisir le juge? La vation dangereuse, à proposer, à adopter et à chérir toute amélioration solide et
it in quodam loco vocat' Bur- réjléchie »'º". Même Coke semble avoir prôné le príncipe de la souveraineté du
~x, et c'est là que l'ajfaire devra parlement à la finde sa vie, lorsqu'il a été élu à la chambre des Communes 207 •
gton, est sans importance dans
. ce que Salmond appelle une 1 207 Au sein du concept de souveraineté, plusieurs idées sont intimement imbri-
quées. Tout d'abord, la souveraineté traduit le príncipe de l'autonomie, à savoir
gle légale dépend, en effet, de l'idée que le droit asa source non pas en Dieu, mais dans la volonté des hommes.
:neur des faits qui y sont sub- 11 appa\tient au souverain de faire, de modifier, de confirmer et d'abroger les
ge ale choix entre s'attaquer
s les deux cas, le résultat est 1 lois'08 • A ce premier aspect, matériel, vient s'ajouter un critere institutionnel. 11
s'agit de l'idée de la suprématie de l'organe législatif, selon laquelle les actes de
itique féroce des fictions, qui ce dernier ne sont susceptibles d'aucun recours en justice. 11 n'y a au-dessus de
ir le pouvoir du législateur' 04 • lui aucune autre instance étatique, qui puisse le contrôler. Est souverain, par
uges de la common law ont conséquent, celui qui décide en dernier ressort'º''. Faut-il alors en conclure que
)arlement. la souveraineté est un pouvoir arbitraire comme le laissent entendre certaines
réflexions des common lawyers? L'idée a également été évoquée par Sir Robert
TÉ DV PARLEMENT Filmer : « Un pouvoir suprême est toujours arbitraire : car est arbitraire celui qui
n'a pas de supérieur sur terre afin dele contrôler. Dans tout gouvemement, le demier
>ELOCKE
recours doit être porté devant un pouvoir arbitraire, car sinon les appels seront in
infinitum et ne cesseront jamais. Le pouvoir législatif est un pouvoir arbitraire, car
n poli tique'º', la souveraineté les deux sont des termini convertibiles. » 21 º Locke s'éleve vigoureusement contre
érés aux yeux d'une large par- cet argument. Selon lui, « même un pouvoir absolu, lorsqu'il est nécessaire, n 'est pas
Hales, le parlement appara1t arbitraire en étant absolu, mais il est toujours limité par la raison »"'. Le pouvoir
1tifs de la nation anglaise. 11 législatif est certes « suprême », ou souverain - terme que Locke n'utilise
mce politique, ce qui explique
: peuple lui confie le pouvoir
206. Le terme de« constitution » employé par Blackstone est assez ambigu. On peut penser qu'il ait
voulu attribuer un caractere fondamemal soit au droit naturel, comme le fait Locke, soit à certains
príncipes de la common law, à moins que les deux ne se confondent dans son esprit.
'\IN, op. cit., p. 266. 207. E. COKE, lnstit11tes, vai. 4, p. 25 ss. Cf J.W. GOUGH, op. cit., p. 41 et J. BEAUTÉ, op. cit.,
J', p. 9; cité par C.H. McILWAIN, p. 72 ss. Ce poim fait néanmoins l'objet d'une controverse. Cf E.S. CORWIN, op. cit., p. 378 s.
208. D'apres J. LOCKE (op. cit., Livr. II, chap. 1, § 3, p. 268), le « political power » se définit comme
(armei de sophismes politiques, Paris, « the right of making laws with penalties of death for the regulating and presserving of property ».
Cf W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 156 : « lt [parlement] hath sovereign and uncontrolable autho-
!u príncipe de la souveraineté. Quelle rity in making, confinning, enlarging, restraining, abrogating, repealing, reviving, and expounding of
: par le Bill ofRights, ce qui en ferait laws, conceming matters ofali possible denominations, ecclesiastica~ or temporal, civil, military, mari-
u s'agit-il d'un principe de la common time, or criminal. » Blackstone affirme à de multiples reprises que la souveraineté est « absolue ».
rs tels que 1. Jennings, H. W.R. Wade, D'aucuns y ont vu une contradiction avec ses convictions jusnaturalistes. Or, !e caractere absolu
as, à premiere vue, une !oi parlemen- signifie seulement que le souverain est supérieur aux !ois positives, ce qui ne l'empêche pas d'être
1eté (cf. routefois la théorie assez peu soumis au droit naturel. Cf l'opinion en ce sens de Hobbes (supra) et, avam !ui, de Bodin (cf infra
pourraient également, de leur propre n" 360 et 366).
teté. Ils pourraient, grâce à un revire- 209. Locke parle du caractere« suprême » du pouvoir législatif. Blackstone !e qualifie de« supreme »,
ire jugée contraire à certains principes « tmcontroled » et « illimitated » (op. cit., t. 1, p. 49,142 s, 156 s). Cf C.H. McILWAIN, op. cit., p. 129 s

:-il admettre une troisieme hypothese et 143 s.


sorte de Gmndnorm définie par les 210. R. FILMER, Freeholder's Granel lnquest, p. 40; cité par C.H. McILWAIN, op. cit., p. 162.
211. J. LOCKE, Two Treatises o/Govermnent, Liv. II, chap. XI,§ 139, p. 361.

t
j
208 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais

jamais 212 - , mais« il n'est et ne peut être absolttment arbitraire en ce qui concerne
r1 le XVlf siecle

ne s'estompe1,
les vies et les fortunes du peuple » 213 • La même idée apparaí\ sous la plume de serrées et se v<
Bolingbroke (1678-1751) qui écrit en 1733 : « Le législateur est suprême, et peut être forcer leur re!
appelé dans zm certain sens absolu, mais en aucun cas il n'est tm pouvoir arbi- les hommes, 1
traire. » 11 • Si le souverain est suprême et n'est soumis à aucun autre pouvoir, il ment, sur un
n'en est pas moins soumis au droit naturel (A), un droit qui n'est pas dénué de âge que l'hu11;
toute sanction ou garantie (B). tage que n 'ini
pays, à toute
A. La suprématie des lois naturelles contraire; et
indirectemen
208 La philosophie du contrat social de Locke a exercé une influence considérable 209 Dans l'espri1

1
sur les esprits de l'époque, en Angleterre et ailleurs. Ses idées ont même séduit à l'égard du
quelques juristes anglais, et non les moindres, puisque Blackstone s'en fait le tulé « De l'éi
défenseur au XVIII' siecle. Au creur de la doctrine du contrat social se trouvent qui s'imposi
les droits naturels de l'individu que l'État est censé défendre. Pour Blackstone, quatre. Bien
« la fin principale de la société est de protéger les individus dans la jouissance de ces absolument ,
droits absolus qui leur sont conférés par les lois immuables de la nature » 115 • Ces pouvoir lég
droits absolus sont des droits innés, « des droits inhérents en nous de par la nais- n'ont en vut
sance » et constituem« l'un des cadeaux de Dieu à l'homme lors desa création » 211'. au contenu
En son temps, Locke avait déjà estimé que les hommes sont libres et égaux dans peut ag1r qu
l'état de nature, et que la finde tout Commonwealth est la« préservation de leurs « Lepouvoú

propriétés » 117 ce qui inclut leur vie, leur liberté et leurs bi,ens. La métaphore de vernerparcl
l'état de nature sert d'explication logique, pour opposer au droit tel qu'il existe est obligé de
réellement un droit idéal, appelé le droit naturel, qui est la raison elle-même. Le mulguées et J
droit naturel qui, d'apres Locke, est « intelligible et clair à toute créature ration- effet. » 11, À
nelle », garantit la liberté et l'égalité des hommes. Chez Blackstone, les droits d'autonomi
absolus sont au nombre de trois : « right of personal security, right of personal aucun hom1
liberté, right ofprivate property » 21 ". libertés, po
Selon Locke, « la findes fois n'est pas d'abolir ou de restreindre, mais de préser- trieme lieu,
ver et d'élargir la liberté » 11 ". De là découle la hiérarchie entre le droit naturel et été confié p
le droit positif : « Les lois municipales des pays (...) ne sont justes que dans la mesure Plusieur:
ou elles sont fondées sur le droit naturel, en fonction duque! elles doivent être régu- pect est cen
lées et interprétées. » 11º Par conséquent, « les obligations découlant du droit naturel

212. S'il n'utilise pas !e terme de so11verain, eelui-ei ne !ui est pas eompletemem ineonnu. Cf op. cit.,
ehap. VIII,§ 108, p. 340; E.S. CORWIN, op. cit., p. 389. Cela dit, si !e mot est absent, l'idée de la 221. Ibid., eh:
souveraineté est bien présente. Contra F.A. von HAYEK, Die Verfass11ng der Freiheit, op. cit., p. 213. only in many
213. J. LOCKE, op. cit., ehap. XI,§ 135, p. 357. inforce their ui
214. BOLINGBROKE, Dissertations on Pareies; eité par J.W. GOUGH, op. cit., p. 186. as others. »
215. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 120. 222. W.BLA<
216. \Y/. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 121. tated by God f,
217. J. LOCKE, op. cit., ehap. IX,§ 124, p. 351. cotmtries, mui
218. La ressemblance avec l'art. 2 de la Déclaration de 1789 est frappame: « Le b11t de to11te associa- valid derive ,11
tion politiq11e est la conservation des droits natttrels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la 223. J. LOCr
liberté, la propriété, la s11reté et la résistance à l'oppression. » 224. Ibid.
219. J. LOCKE, op. cit., ehap. VI,§ 57, p. 306. 225. Ibid., p.
220. Jbid., ehap. II, § 12, p. 275 : « The Municipal Laws of Cottntries (. ..) are only so /ar right, as they 226. Ibid., p.
,ire fo1mded on the Law ofNt1t11re, by which they are .to be reg11lated and imerpreted. » 227. Ibid., eh
de l'esprii juridique anglais Le XV!f siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 209

rbitraire en ce qui concerne ne s'estompent pas dans la société; au contraire, dans de multiples cas, elles sont res-
apparait sous la plume de serrées et se voient annexer, par des !ois humaines, des sanctions certaines afin de ren-
teur est suprême, et peut être forcer leur respect. Ainsi le droit naturel a valeur de regle éternelle à l'égard des tous
is il n 'est zm pouvoir arbi- les hommes, qu 'il s'agisse des législateurs ou des autres » 111 • C' est ce que dit égale-
s à aucun autre pouvoir, il ment, sur un ton plus em phatique, Blackstone : « Ce droit naturel, étant du même
roit qui n'est pas dénué de âge que l 'humanité et étant dicté par Dieu lui-même, oblige bien évidemment davan-
tage que n 'importe quel autre. Ses obligations s'étendent sur tout le globe, sur tous les
pays, à toutes les époques: nulle loi humaine n'est d'aucune validité si elle y est
contraire; et celles qui sont valides puisent toute leur force, et toute leur autorité,
urelles
indirectement ou directement, de cette source originaire. » 111
L!Ile influence considérable 209 Dans l'esprit de Locke, la suprématie du droit naturel vaut également, et surtout,
Ses idées ont même séduit à l'égard du législateur souverain. Dans le chapitre XI de son célebre Traité, inti-
1ue Blackstone s' en fait le tulé « De l'étendue du pouvoir législatif », il met en exergue les multiples limites
contrat social se trouvent qui s'imposent à ce dernier en vertu du droit naturel. Elles sont au nombre de
léfendre. Pour Blackstone, quatre. Bien qu'il s'agisse d'un pouvoir suprême, « il n'est pas, et ne saurait être,
dus dans la jouissance de ces absolument arbitraire en ce qui concerne les vies et les fortunes du peuple » 123 • Le
ables de la nature » 11 '. Ces pouvoir législatif est réduit au rôle de faire des lois raisonnables et justes qui
0ents en naus de par la nais- n' ont en vue que le « bien public de la société » 214 • Si la premiere limite a ainsi trait
mme lors desa création » lH,_ au contenu des lois, la deuxieme vise le mode d'action du pouvoir: celui-ci ne
es sont libres et égaux dans peut agir que par la voie de lois générales, claires, certaines, publiques et stables.
est la « préservation de leurs « Le pouvoir législatif, appelé encare suprême, ne peut se conférer le pouvoir de gou-

irs biens. La métaphore de vemer par des décrets spontanés et arbitraires (extemporary arbitrary Decrees), mais
>ser au droit tel qu'il existe est obligé de dispenser la justice et de décider des droits de ses sujets par des lois pro-
est la raison elle-même. Le mulguées e_t fixes (promulgated standing laws) et par des juges connus et investis à cet
-lair à toute créatttre ration- effet. » 115 A ces deux limites vient s'ajouter une troisieme énonçant le principe
:hez Blackstone, les droits d'autonomie politique. Dans la mesure ou « le pouvoir suprême ne peut priver
d security, right of personal aucun homme d'aucune partie desa propriété sans son consentement » 116 , les deux
libertés, politique et individuelle, se trouvent intimement liées. Enfin, en qua-
~ restreindre, mais de préser- trieme lieu, le pouvoir législatif ne peut déléguer ou aliéner le pouvoir qui lui a
1ie entre le droit naturel et été confié parle peuple 117 •
mt justes que dans la mesure Plusieurs limites jusnaturalistes pesem ainsi sur le pouvoir législatif. Leur res-
tquel elles doivent être régu- pect est censé être assuré par diverses garanties.
s découlant du droit naturel

)mpleremenc inconnu. Cf op. cit.,


t, si le mor est absent, l'idée de la 221. lbid., chap. XI,§ 135, p. 357-58: « The Obligation of the Law o/M1tttre cease not in Society, but
'àssung der Freiheit, op. cit., p. 213. only in many cases are drawn closer, and have by human Laws known Penalties annexed to them, to
inforce their observation. Thus the Law o/Nature stands as an Eternal Rufe to ali Men, l.egislators as well
!UGH, op. cit., p. 186. as others.,,
222. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 41 : « This law o/n,llure, being co-eval with mankind and dic-
tated by God himself, is o/course superior in oblig,1tion to any other. lt is binding over ali the globe, in ali
cormtries, andat ali times: no lmman l,1wsare o/anyvalidity, ifcontrary to this; andsuch ofthem as are
appante : « l.e but de tome associa- valid derive ali their force, and ali their authorit)\ mediately or immediate!y, from thi; original. ,,
bles de l 'homme. Ces droits sont la 223. J. LOCKE, op. cit., chap. XI,§ 135, p. 357.
224. lbid.
225. lbid., p. 358.
·ies (. ..) are only so /ar right, as they 226. lbid., p. 360.
md interpreted. » 227. lbid., chap. XI,§ 141, p. 363.
210 De la Rufe ofLaw ou les partiwlarismes de l'esprit juridiqtte anglais Le XV/f' siecfe o

B. Les garanties de la justice des lois adoptées par le parlement : de lui que le d
le régime mixte ties internes a1
externes. Il n'·
210 La question des garanties est d'une importance cruciale pour mesurer la réalité pouvorr souve
de l'impact du droit naturel. Locke lui-même admet que toute loi, même la loi tone, de la st,;
naturelle, serait vaine, s'il n'y avait point un pouvoir pour l'exécuter 22'. Cela dit, ment rn. Le pn
comme le précise Blackstone, le droit naturel n'oblige pas de la même maniere l'élection, aut1
qu'une loi positive. Dans le premier cas, il s'agit d'une obligation in foro interno, un moyen ass
dans le second cas d'une obligation in foro externo 229. Le droit naturel n'oblige roi de dispens,
pas en vertu d'une contrainte étatique, à moins qu'il ne soit repris par une loi la théorie du
positive; il peut seulement agir sur le for intérieur, sur la conscience de celui qui nombre d'aut
fait les lois. Il s'agit alors de savoir quel organe va jouer, et selon quelles condi- consc1ent que
tions, le médium entre le droit naturel et le droit positif. parlement sm
211 Sur le continent, le pouvoir constituam joue à ce titre un rôle crucial. En
est toutefois !:
recueillant les droits de l'homme dans un texte de droit positif, il précise et cla- trois branche,
rifie le statut de ces derniers qui s'imposent par la suite au pouvoir législatif. Ce l'un des trois
mécanisme fait défaut en Angleterre, et ce pour diverses raisons. Déjà, l'idée dations ofsove
d'une constitution écrite est à peine évoquée par ceux qui paraissent les mieux et la chambre
placés pour en défendre l'idée, à savoir les rationalistes constructivistes de l'école associe, pour
du droit naturel. Or ni Hobbes ni même Locke ne développent le concept du la démocratie
pouvoir constituant 2'º. Sous le regne d'Oliver Cromwell, le constitutionnalisme poser à toute
émerge avec l'Instrnment of Government de 1653, qui constitue l'unique expé- lors assuré pa
rience de ce genre dans l'histoire anglaise. La chute de ce régime, discrédité aux tuellement ur
yeux des Anglais, entrafoe avec lui l'idée d'une constitution écrite, à laquelle de 213 Outre ces ga1
toute façon la common law est hostile. Ceux qui se réclament d'une !oi fonda- l'oppression.:
mentale sont du coup obligés de la situer dans !e droit naturel, sans bénéficier de entre des atti1
l'autorité d'un texte posé. Des lors, le débat entre positivistes et jusnaturalistes tion, il se fait
est d'autant plus tranché outre-Manche, alors que, sur le continent, les frontieres les hommes s,
ont tendance à s'évanouir, s'agissant d'une constitution écrite dont la nature
juridique prête à confusion. Pour certains positivistes, la constitution est, en
effet, du droit positif puisqu'il s'agit d'un texte posé par le constituam. Pour
d'autres positivistes au contraire, la constitution n'est qu'une simple référence
23 t. Cf la défin
morale, en l'absence de toute sanction juridictionnelle. STONE, op. cit..
212 Le pouvoir législatif du Parlement de Westminster est clone entier, en l'absence la liberté, la sécu
qui sont censés ;
de toute distinction entre loi constitutionnelle et loi ordinaire. Il n'y a au-dessus du parlement; 2
justice; 4) du dn
232. J. LOCKE.
233. Cf C. SCH
228. !bid., chap. II,§ 7, p. 271 : « For the Law of Nature wo11ld, as ali other Laws that concem Men in liament after Fa,
this World, be in vain, ifthere were no body that in the Sta/e ofNature, had a Power to Execute tht1t Law. » 234. W. BLACK
229. W. BLACKSTONE, op. cit., e. 1, pp. 57-58. 235. II faut [OU[
230. Hobbes ne fait que citer la notion, sans pour autant l'approfondir, dans son Léviath,m. Quant mécanisme de b
à Locke, il ne l'évoque à aucun moment dans ses Two Tre,itises of Govemement. Elle ne !ui est pour- fit de protéger e
tant pas inconnue, puisqu'il a élaboré en 1669 un projet de charte pour !'une des colonies anglaises plus apte à bloqi
en Amérique. Cf G. STOURZH, « Vom aristotelischen ... », op. cit., p. 23 qui renvoie à J. LOCKE, STONE, op. cit.
« Fundamental Constitutions of Carolina», in The \Vorks of]. Locke, t. 4, 8° éd., London, 1777, agree to alter it. .1I
p. 519. Une traducrion française de ce projet est annexée à J. LOCKE, Deuxieme traité sur le go11ver- of it fonn t1 1mtt1
11ement civil, trad. Gilson, Paris, Vrin, 1967. 236. !bid., p. 43
s de l'esprit juridiqzte anglais Le XV!f' siecle ozt l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 211

ées par le parlement : de lui que !e droit naturel dont !e respect effectif ne peut résulter que de garan-
ties internes au souverain, puisque, par définition, il ne peut y avoir de garanties
externes. II n'y a pas, en effet, d'organe étatique hiérarchiquement supérieur au
iale pour mesurer la réalité pouvoir souverain. Le caractere libéral, ou « constittttionnel » au sens de Blacks-
: que toute !oi, même la !oi tone, de la statute law ne peut clone résulter que de la composition du parle-
pour l'exécuter 218 • Cela dit, ment lJI. Le premiere garantie, en ce sens, réside, selon Locke, dans le príncipe de
.ge pas de la même maniere l'élection, autrement dit dans le príncipe de l'autonomie. À cela s'ajoute chez lui
,e obligation in foro interno, un moyen assez surprenant, au vu du Bill ofRights de 1689, qui est !e droit du
'". Le droit naturel n'oblige roi de dispenser des !ois et de les suspendre '". Quant à Blackstone, il développe
il ne soit repris par une loi la théorie du gouvernement mixte de l' Angleterre que l'on retrouvera chez
1r la conscience de celui qui nombre d'auteurs libéraux, tant en Angleterre qu'ailleursm. Blackstone est
mer, et selon quelles condi- conscient que les libertés des Anglais sont condamnées à disparaitre si jamais le
sitif. parlement souverain se met à agir arbitrairement'·". À ses yeux, cette hypothese
e titre un rôle crucial. En est toutefois largement écartée par !e fait de la division du pouvoir législatif en
roit positif, il précise et ela- trois branches distinctes, chacune représentant !'une des trois forces sociales et
.ire au pouvoir législatif. Ce l'un des trois príncipes éthiques qui fondent la souveraineté (« natural fozm-
iverses raisons. Déjà, l'idée dations ofsovereignty ») : le roi incarne le pouvoir, la chambre des Lords la sagesse
ux qui paraissent les mieux et la chambre des Communes la vertu. II en découle un gouvernement mixte qui
~s constructivistes de l'école associe, pour mieux en contrebalancer les défauts, la monarchie, l'aristocratie et
développent le concept du la démocratie. Chacune des trois branches du législatif détient le droit de s'op-
well, !e constitutionnalisme poser à toute dérive de la part des deux autres. Le caractere juste de la loi est des
1ui constitue l'unique expé- lors assuré par la mécanique des contre-pouvoirs qui oblige à rechercher perpé-
de ce régime, discrédité aux tuellement un consensus entre les trois pour faire passer un projet de loi m_
titution écrite, à laquelle de 213 Outre ces garanties institutionnelles, il existe également !e droit de résister à
réclament d'une !oi fonda- l'oppression. Si Locke en donne une formulation classique, Blackstone tergiverse
it naturel, sans bénéficier de entre des attitudes contradictoires. Dans la deuxieme section de son Introduc-
,ositivistes et jusnaturalistes tion, il se fait !e chantre des théories du droit naturel et n'hésite pas à dire que
.r !e continent, les frontieres les hommes seraient « obligés de transgresser telle !oi humaine »"" qui oserait léga-
ution écrite dont la nature
stes, la constitution est, en
,sé par !e constituant. Pour
est qu'une simple référence 231. Cf la définition des différems élémems de la « consti111tion » d'Angleterre par W. BLACK-
lle. STONE, op. cit., t. 1, p. 136 ss. Apres avoir énoncé les trais droits « absolus » des individus que som
la libené, la sécurité et la propriété, Blacksrone affirme cinq droits « a11xiliaires » ou « s11bordonnés »,
:st clone entier, en l'absence
qui som censés garantir les premieres. II s'agit, 1) de la« consti111tion, des pottvoirs et des privileges »
ordinaire. II n'y a au-dessus du parlemem; 2} de la limitation de la prérogative royale; 3} du droit de tout Anglais de saisir la
justice; 4} du droit de pétition; 5) du droit de résistance.
131. J. LOCKE, op. cit., chap. XIV, p. 375.
133. Cf C. SCHMITT, Verfasszmgslehre, op. cit., p.101 ss; P.P. CRAIG, « Sovereigmy of the UK Par-
, ali other Laws that concem Men in liamem after Factoname », YEL, vai. li, 1991, p. 234 ss. Voir supra n" 64 et inji-a n-· 373 s.
·e, had a Power to Exernte that Law. » 234. W. BLACKSTONE, op. cit., t. !, p. 157 et 123.
235. II faut toutefois noter que, depuis 1707, le roi n'a plus exercé son droit de veto. En outre, le
ifondir, dans son Léviath,m. Quam mécanisme de la balance des pouvoirs présume que le droit existam est déjà raisonnable et qu'il suf-
·cO'Vernement. Elle ne lui est pour- fit de protéger celui-ci comre toute innovation dangereuse. Ce modele institutionnel est, en effet,
:e pour ['une des colonies anglaises plus apte à bloquer des !ois injustes qu'à produire des !ois justes. Cf la présemation de W. BLACK-
cit., p. 23 qui renvoie à J. LOCKE, STONE, op. cit., t. 1, p. 150: « The law must perpet11ally stand as it now does, 1mless ali powers will
Locke, t. 4, 8' éd., London, 1777, agree to alter it. And herein indeed consists the tme excellence ofthe english GO'Vemment, that ai/ the parts
:=KE, De11xieme traité s11r /e go11ver- ofitfonn a m11t11al check 11pon each other. » C'est !e common lawyer qui parle.
136. Ibid., p. 43.
212 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais
r
liser le meurtre. II y aurait clone un devoir de désobéissance. Par la suite, ses pro-
pos deviennent de plus en plus ambigus. S'il se déclare d'accord, « en théorie »"',
1
avec les idées de Locke sur la résistance, il exclut d'adopter ce principe en pra-
tique, sous peine de faire le lit de l'anarchie. En tant que Whig, en tant qu'héri-
tier des anciens révolutionnaires de 1688, il est néanmoins mal placé pour nier
le droit de résister. Aussi, sur la base du précédent de 1688, semble+il accepter,
sous certaines conditions, un droit à la résistance 23 '.

C'est ainsi fondé sur le droit naturel qu'émerge le principe de la souveraineté


du parlement, voué à jouer un rôle crucial dans l'histoire de la pensée juridique
anglaise.

214 La deuxieme,
sous les auspi
(1835-1922). I
ral et de la rul,
trois niveaux.
Sur le plan
durable, l'us;
farouches, à e
sans quelques
lieu commun
trine juridiqu
est désormais
de Jeremy Be1
ploie plus. La
au concept de
sent dans l'ret

1. Sur les empru


H.W. ARNDT, «
123. L'article s'ar
2. Ainsi, au débt
la formule de ... ,,
minologie de Dic
en bonne place.
London Press, 1~
3. Cf les renvoi,
LGDJ, 1970, p. 2
4. Cf les définiti
237. Ibid., p. 157. the S111dy of]11risJ
238. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 139 (Y droit auxiliaire) et p. 245. Cf E. BARKER, op. cit., & Nicolson), Im
p. 137, 142 et 146; G. STOURZH, « William Blackstone : Teacher of Revolution », in id., Wege z11r 5. Sur l'idée du
Grzmdrechtsdemokratie. S111dien zttr Begri!Js- zmd Instit11tionengeschichte des liberalen Verfasszmgsstaat, cfH.L.A.HAR'
Wien, Bõhlau, 1989, pp. 137-153. don, 1982, p. 22(
es de f'esprit juridique angfais

fosance. Par la suite, ses pro-


1re d'accord, « en théorie » 217 ,
.'adopter ce príncipe en pra-
1t que Whig, en tam qu'héri-
nmoins mal placé pour nier
ie 1688, semble-t-il accepter,

Chapitre 2 ·
e príncipe de la souveraineté
istoire de la pensée juridique La Rule of Law, Dicey et l'école
de l'Analytical Jurisprudence
214 La deuxieme é tape de la rufe of faw, si ce n' est le concept tout entier, est placée
sous les auspices de l'éminent Vinerian Professor à Oxford, Albert Venn Dicey
(1835-1922). li a marqué de son sceau l'histoire du droit public anglais en géné-
ral et de la rufe of faw en particulier 1 • San influence décisive se situe sur au moins
trais mveaux.
Sur le plan de la terminologie tout d'abord, Dicey a imposé, et ce de façon
durable, l'usage de l'expression rufe of faw. MÊme ses détracteurs les plus
farouches, à commencer par Sir Ivor Jennings (1903-1965), reprendront - non
sans quelques réserves et résistances il est vrai - la formule qui devient ainsi un
lieu commun 2• Au cours du XIX" siecle, les conventions sémantiques de la doe-
trine juridique changent peu à peu. La disparition du terme de Commonweafth
est désormais consommée : s'il apparaí't encare au début du siecle sous la plume
de Jeremy Bentham (1748-1832) 3 et de John Austin (1790-1859)4, Dicey ne l'em-
ploie plus. La formule de government oflaw se fait également plus rare5. Quant
au concept de State, il subir un déclin tres net chez les juristes : le mot reste pré-
sem dans l'ceuvre de Dicey, qui s'en sert assez souvent pour décrire le face-à-face

1. Sur les emprums de Dicey à des juristes anrérieurs, dom notammem W.E. Hearn, cf. l'article de
H.W. ARNDT," The Origins ofDicey's Concept ofthe "Rule oflaw" », ALJ, vol. 31, 1957, pp. 117-
123. L' arcicle s' attache toutefois à la seule dimension administrative du concept de mie of law.
2. Ainsi, au début, Jennings emend bannir l'expression trop connotée de rufe of law. II lui préfere
la formule de ... " reign of law », dom se sert égalemem William Robson. II reviem toutefois à la ter-
minologie de Dicey à partir de la deuxieme édition de son ouvrage, ou le concept de mie oflaw figure
en bonne place. Cf I. JENNINGS, The Law and the Constit11tion, 4'' edn., London, University of
London Press, 1948, p. XI et p. 53 note 1.
3. Cf les renvois chez M. EL SHAKANKIRI, La philosophie j11ridiq11e de feremy Bentham, Paris,
LGDJ, 1970, p. 268 note 125; H.C. DOWDALL, "The Word "State", LQR, vol. 39, 1933, p. 122.
4. Cf les définitions de J. AUSTIN, The Pr<Yvince of]11risprndence Detennined (1832) & The Uses of
tbe St11dy of]11risprndence (1863), réimpr. de l'éd. de 1954 (inrro. H.L.A. Hart, London, Weidenfels
) et p. 2-15. Cf E. BARKER, op. cit., & Nicolson), Indianapolis, Hacket, 1998, note 19 pp. 224-227 [en abrév. = Province].
her of Revolution », in id., Wege z11r 5. Sur l'idée du " government by law », que Bemham appelle aussi " p11blic dominanion »,
chichte des liberalen Verfassrmgssta,lt, cf. H.L.A. HART, Essays on Bentham. St11dies in ]11rispmdence and Political Theory, Oxford, Claren-
don, 1982, p. 220.
214 De la Rule ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais LaRuleofLa

entre l'individu et l'État, mais il n'en donne à aucun moment une définition Rechtsstaat, a
générale". Sa fonction juridique, qui est d'exprimer l'unité des divers organes de pour une JU:
la puissance publique et, notamment, d'identifier l'employeur des agents giron du dn
publics, est assumée dans la common law parle concept de la« Couronne »'. La contrôle juri
conceptualisation des rapports entre le droit, au sens strict, et le pouvoir 216 La troisieme
incombe des lors à la notion de rule oflaw. gence de ce
215 Le deuxieme apport de Dicey a trait à la définition institutionnelle de la mie of anglaise, do
law. En confondant, à la suite de Coke et d' Austin, la loi (positive) et le juge, dence », fom
Dicey assoit les bases intellectuelles de la dynamique de juridictionnalisation de tin 12 , a prodt
la sphere politique, dans des conditions qui ne sont pas sans rappeler celles qui livré tous se:
ont présidé à l'identification du Rechtsstaat à la figure du juge. On se souvient moins d'un
qu'à la fin du XIX" siecle le concept allemand s'est déplacé vers la science du droit elle fait en o
administratif. Là, il s'ouvre à un nouvel élément, à savoir la figure du juge, au lecture rédu,
point de se confondre presque entierement avec lui. Un tel phénomene de recen- particulierer
trage s'observe également chez Dicey. Alars que les concepts antérieurs du terre. Si cet
Commonwealth, du State et du lawful Govemment englobaient toute la sphere bert Hart, q
étatique, y compris le parlement souverain, la portée du concept diceyen de mie sans rencom
of law se réduit aux seuls organes étatiques situés en dessous du parlement, ce entendu » 15 •
dernier étant extérieur et supérieur audit principe'. Suite à ce changement de s'ignore et, :
perspective, le juge se trouve projeté au centre du concept de la rufe oflaw, certes
plus restreint, alors qu'il n'occupait qu'une position secondaire - derriere le
parlement souverain - dans le concept antérieur de Commonwealth'. Aussi, il
l O. À la différc
suffit d'élargir le champ d'application du concept de mie oflaw- en particulier tel comrôle du
au parlement -, pour élargir aussitôt le champ de compétence des juges. Là si la démocrati,
aussi, on a pu voir la même dynamique à l'reuvre en Allemagne: le concept de voir d'Hider, 1
droits et libem
11. Sur sa pen,
Paris, LGDJ, 1
6. On trouve tout au plus une définition chezAustin (cf note 4) et chez S. AMOS, TheScienceofLaw, Cavendish, l 9'
7"' edn., London, Kegan Paul, Trench & Co, 1889, p. 48, p. 118 s et p. 329 ss. L'absence de coute défi- na/ Encycloped.
nition juridique du State perdure d'ailleurs dans la doctrine ,constitutionnaliste d'aujourd'hui, qui 12. Sur Austi,,
ignore le concept continental de la personnalité juridique de l'Etat. En général, le terme Sta te ne figure prndence. A C
même pas dans l'index. Cf A.W. BRADLEY & K.D. EWING, Constit11tional and Administrative M.A.CATTA
Liw, 11'" edn., London, Longman, 1997; I. LOVELAND, Constitlltiona/ Law. A Criticai lntroduc- rie du droit sei
tion, London, Butterworchs, 1996; T.R.S. ALLAN, Liu; Libertya11d]11stice. The Legal Fo1mdatioi;zs of W.OTT,Der,
British Constillltionalism, Clarendon, Oxford, 1993. Les seuls à donner une breve définition de l'Etat, m11s, 1' éd., Be
qui reprend la théorie des trois éléments constitutifs, som O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON, 13. Les traduc
Consti111tional ,md Administrative Law, 7'" edn., London, Sweet & Maxwell, 1987, p. 4 s. aux écrits d' A1
7. F. W. MAITLAND, « The Crown as Corporation », in 771e collected Papers of Frederic William La philosophie
Maitl,md, fd. by H.A.L. Fischer, Cambridge, Cambridge UP, vai. III, 1911, pp. 244-270; mais son arriei
J. BEAUTE, « La théorie anglaise de la couronne », Droits, n" 15, 1992, p. 113-123. On réadapte ainsi F. MICHAUl
la théorie médiévale de deux corps du roi, décrite notamment par E. KANTOROWICZ (Les de11x 1992, ne livre ,
corps d11 roi, Paris, Gallimard, 1989). extraits qui vo
8. Chez Dicey, le concept de state est aussi plus large q)-le celui de mie oflaw puisqu'il englobe cou- sion de leur ti,
jours le parlemem. Des lors, la conceptualisation de l'Etat comme une personne juridique est logi- 14. H.L.A. H
quemem impossible au vu de la définition restrictive de la norme juri,dique que Dicey idemifie à la Oxford, Clarc
sanction juridictionnelle. En effet, si le parlement fait bien pareie de l'Etat - il en est même l'organe pedia of the Su,
suprême -, il ne saurait être soumis au droit puisque, en tant que souverain, il est par définition libre Jurisprudence .
de tout contrôle juridictionnel. 15. W. MORI
9. Cf la liste des cinq droits « auxiliaires », censés garantir les droits de l'homme, chez Blackstone birth oflegal p
(supra ff' 212 note 231 ). Ce dernier cite en prcmier lieu l' existence et les pouvoirs du parlement et en 16. W. FRIEI
troisieme lieu seulement le droit de saisir la justice. 17. R. SEVE.
es de l'espiit jttridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurisprudence 215

:un moment une définition Rechtsstaat, apres avoir servi de mot d'ordre à Bahr et à Gneist dans leur combat
l'unité des divers organes de pour une justice administrative, rebondit pour revenir, sous Weimar, dans le
1er l'employeur des agents giron du droit constitutionnel ou il sert de légitimation, cette fois-ci, à un
.cept de la« Couronne » 7 • La contrôle juridictionnel du législateur 10 •
1 sens strict, et le pouvoir 216 La troisieme innovation de cette étape cruciale de la rufe oflaw a trait à l' émer-
gence de cette nouvelle donne méthodologique qu'est l'école analytique
institutionnelle de la rufe of anglaise, dont Dicey s'inspire largement. L'école de l'« Analytical Jurispru-
rr, la loi (positive) et le juge, .!
dence », fondée parle philosophe Jeremy Bentham II et son disciple John Aus-
1e de juridictionnalisation de tin 12, a produit une théorie du droit extrêmement stimulante qui est loin d'avoir
t pas sans rappeler celles qui livré tous ses secrets. Fleuron de la pensée juridique anglaise, elle souffre néan-
ure du juge. On se souvient moins d'un double handicap. Souvent ignorée par les juristes continentaux 13 ,
:placé vers la science du droit elle fait en outre l'objet, que ce soit dans les pays anglo-saxons ou ailleurs, d'une
à savoir la figure du juge, au lecture réductrice. Ainsi, il est d'usage de dire que l'reuvre de Bentham, et plus
U n tel phénomene de recen- particulierement celle d' Austin, donne naissance au « legal positivism » en Angle-
les concepts antérieurs du terre. Si cette these a été relayée par un positiviste aussi influem que Her-
: englobaient toute la sphere bert Hart, qui se voulait un héritier critique de ces deux auteurs 14 , elle n'est pas
fe du concept diceyen de rufe sans rencontrer des critiques. Les voix se multiplient pour dire qu'il y a un « mal-
en dessous du parlement, ce entendu » 15 • Aux yeux de Walter Friedmann 1•, Bentham est un jusnaturaliste qui
:'. Suite à ce changement de s'ignore et, à en croire René Seve 17 , Austin aurait certainement rejeté le qualifi-
mcept de la rufe oflaw, certes
ion secondaire - derriere le
ie Commonwealth•. Aussi, il
10. À la différence de l' Allemagne, l' Angleterre est toutefois restée longtemps réticeme à l'idée d'un
.e rufe oflaw - en particulier te! concr8le du parlemem. Le décalage s'explique par des raisons historiques et politiques évidentes:
le compétence des juges. Là si la démocratie parlemencaire tentée sous Weimar a subi un cuisam échec avec l'avenement au pou-
~n Allemagne : le concept de voir d'Hitler, l' Angleterre peut se targuer d'une longue tradition parlememaire respectueuse des
droits et libertés individueis.
11. .Sur sa pensée, cf. notammem M. EL SHAKANKIRI, L1 philosophie j11ridique de Jeremy Bentham,
Pans, L~DJ, 1970; W. MORRISON, J11risprudence from the Greeks to Post-modernism, London,
~t chez S. AMOS, The Science ofL1w, Cavend1sh, 1997, pp. 186-198; M.P. MACK, « Bemham,Jeremy », in D.L. SILLS (dir.), lnternatio-
; et p. 329 ss. L'absence de toute défi- nal Encyclopedia of the Social Sciences, USA, Macmillan, 1968, t. 2, pp. 55-58.
mstitutionnaliste d'aujourd'hui, qui 12. Sur Austin, cf. W. MORRISON, op. cit., pp. 213-245; R. COTTERRELL, The Politics ofJ11ris-
1t. En général, le terme Sta te ne figure pmdence. A Criticai lntrod11ction to legal Philosophy, London, Butterworths, 1989, pp. 52-82;
;, Constittttional and Administrative 1'.LA. CATTANEO, « Austin et l'utilitarisme »,APD, t. 26, 1981, pp. 121-132; R. SEVE, « La théo-
zstiwtional L1w. A Criticai lntroduc- ne du droit selon John Ausrin. Le positivisme rei qu'il devrait être? », CPPJ, n" 13, 1988, pp. 71-83;
Vand Justice. The Legal Fo1mcl1tio;1s of W. OTT, Der Rechtspositivismus. Kritische W'tirdigung aufder Grzmdlage eines juristischen Pragmatis-
lonner une breve définition de l'Etat, mus, 2' éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1992, pp. 33-39.
IOOD PHILLIPS & P. JACKSON, 13. Les traductions en français des reuvres de Bemham datem pour la plupart du XIX' siecle. Quant
& Maxwell, 1987, p. 4 s. aux écrits d'Austin, ils n'om jamais été publiés en français. La traduction de G. Henri Q. AUSTIN,
, collected Papers of Frederic William L1 philosoph~e du droit positif, Paris, Rousseau, 1894, 62 p.) reproduit non pas les Lecwres d' Austin,
UP, vol. lll, 1911, pp. 244-270; mais son ameie The Uses of the Study ofJurispmdence de 1863. L'ouvrage de C. GRZEGORCZYK,
;, 1992, p. 113-123. On réadapte ainsi F. MICHAUT & M. TROPER (dir.), Le positi·visme j11ridiq11e, Paris-Bruxelles, LGDJ-Story sciencia,
par E. KANTOROWICZ (Les de11x 1992,_ ne li~re qu'une vision partielle de leur idées sur le droit. Les trois auteurs n'om retenu quedes
e'.'traits qui vom dans le sens d'une lecture positiviste de l' reuvre de Bemham et d' Austin, à ]' exclu-
de mie of lau• puisqu'i] englobe tou- s10n de leur théorie utilitariste.
1me une personne juridique est logi- 14. H.L.A. HART s'est penché à plusieurs reprises sur leur pensée. Cf The Concept ofL1w, 2"' edn.,
me juri,dique que Dicey idemifie à la Oxford, Clarendon, 1994, chap. II-IV;« John Austin », in D.L. SILLS (dir.), lnternational Encyclo-
ie de l'Etat - il en est même l'organe pedza ofthe Social Sciences, USA, Macmillan, 1968, vol. 1, pp. 471-473; Ess,1ys on Bentham. St11dies in
,e souverain, il est par définition libre Jurzsprudence <1nd Political Theory, Oxford, Clarendon, 1982.
l?. W. MORRISON, op. cit., p. 213. Son chapitre 9 s'incitule « John Austin and the misunderstood
droits de l'homme, chez Blackstone birth oflegal positivism ».
,ce et les pouvoirs du parlement et en 16. W. FfIEDMANN, Legal Theory, 5,h ed., London, Stevens, 1967, p. 312.
17. R. SEVE, op. cit., p. 71.
216 De la Rufe ofLaw ou les partirnlarismes de l'esprit juridique anglais La Rufe o/1

catif de positiviste, lui qui rêvait de rédiger un ouvrage intitulé « The Principies adresse troi
and Relations of]urisprudence and Ethics » ". coup plus 1
Ce que les Anglais désignent habituellement sous le terme de legal positivism dance à ne
parart pour le moins étrange au lecteur continental, plutôt habitué au mode de l' école anal
raisonnement de l'école de Vienne. Tel le dieu Janus, la théorie analytique de lui, de réin
Bentham et d' Austin se présente, en effet, sous deux visages différents, aussi dif- mement se
férents l'un de l'autre que les deux visages du fameux Dr. jekyll and Mr. Hyde "'. marient air
D'un côté, il y a l'idéaliste, le juriste qui se réclame des lois justes, qui dit le droit une ngueu
tel qu'il devrait être au regard des principes utilitaristes; de l'autre, il y ale juriste français, fri
des tâches ingrates, des basses reuvres diront certains, qui dit le droit tel qu'il est, et ordonné
peu importe qu'il soit juste ou injuste. À croire que les fondateurs de l'école été nomm<'.
souffraient d'une sorte de schizophrénie ... On doit des lors se poser la question d' affinités ,
de savoir ce que les Anglais entendem au juste parle concept de legal positivism. Cette dt
Car, décidément, ils ne semblent pas parler de la même "chose" que les juristes sans équiw
continentaux. Or, si l'on analyse de pres la doctrine de Bentham et d'Austin, et tiv de Bem
si on la compare à la théorie jusnaturaliste classique d'un Locke ou d'un Black- bale » 13 • À
stone, les similitudes l'emportent en réalité de loin sur les différences. Autre- ment à l't
ment dit, et quoi qu'on en dise, les deux fondateurs de l'école de l'Analytical martre Wil
]urisprudence restem foncierement tributaires d'une vision dualiste du droit, ce d'Oxford.
qui est la caractéristique fondamentale du jusnaturalisme (Section I). Une fois safaçon !ui
cette question méthodologique résolue, on saisit mieux les tenants et aboutis- usage const
sants de la théorie de Dicey, qui se veut un fidele disciple de Bentham et d'Aus- médecins d
tin (Section II). jet d'étude
d'eux et dt
pements u
Section I. UNE NOUVELLE DONNE MÉTHODOLOGIQUE : gage, c'est-
ou d'un m
L'ÉCOLE ANALYTIQUE FONDÉE PAR BENTHAM ET AUSTIN
gler ainsi
fondateur~
217 La pensée de Bentham et d' Austin est caractérisée par leur esprit analytique,
c'est-à-dire )eur capacité à décortiquer un phénomene complexe en ses différents
éléments. A l'image d'un Newton, qui déconstruit les corps en leurs plus petits 20. Ainsi 'w".
éléments, à savoir les aromes, Bentham et Austin jettent un regard lucide et péné- from the Co1,
mre 9u'en a
trant sur le phénomene du droit afin de le réduire à un ensemble de propositions 21. A en cn
simples, sans pour autant tomber dans des simplismes. Le reproche qu'on leur qui était ali,
England d111
millan, 1962
de « ]11risprn
Bemhamien
18. Cf \'li. MORRISON, op. cit., p. 244. L'argument selon leque! Bentham et Austin sont des nera notam,
jusnamralistes inavoués, est récurrem depuis le début du XIX' siecle. Cf l'avis de B. CONSTANT et d'ailleurs co
de S. PINHEIRO-FERREIRA (cf. infra n· 343 note 49); F. POLLOCK, LQR, vol. 10, 1894, p. 100; 22.]. BEN
A. VERDROSS, Abendlãndische Rechtsphilosophie, \'1/ien, Springer, 1958, p. 121 (« Die utilitaris- Bruylam-L(
tische Naturrechtslehre »); S.I. SHUMAN, Legal Positivism. lts Scope and Limitations, Detroit, think distin,
Wayne Stare UP, 1963; A. AGNELLI, John Austin alie origini dei positi-vismo g11iridico, Turin, 23. H.L.A.
Giappichelli, 1959 (cf. le compte rendu en français de M.A. CATTANEO, Année Sociologiq11e, bien la lang,
1961, pp. 360-363). 24. J. BEN'
19. La comparaison, tres éclairame, est due à David DYZENHAUS, Hard Cases in Wicked Legal 25. Ibid., p.
Systems. 5011th African Law in the Perspective ofLeg,il Philosophy, Oxford, Clarendon, 1991, p. 1. 26. lbid., p
,es de l'esp'rit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurisprudence 217

rage intitulé « The Principies adresse trop souvent de ne donner qu'une vision simpli:fiée d'une réalité beau-
coup plus nuancée, vise davantage certains de leurs interpretes, qui ont eu ten-
s le terme de legal positivism dance à ne considérer qu'un aspect de leur théorie 10 • La force des analyses de
, plutôt habitué au mode de l' école analytique consiste justement dans la capacité d' Austin, pour ne citer que
LUS, la théorie analytique de lui, de réinsérer chaque proposition simple dans une structure théorique extrê-
I{ visages différents, aussi dif- mement sophistiquée qui reflete la complexité de la réalité. Les deux auteurs
ux Dr. Jekyll and Mr. Hyde 1''. marient ainsi, dans un assemblage astucieux, une vision tres large des choses avec
ies lois justes, qui dit le droit une rigueur pointilleuse dans les études de détail. Bref, un mélange de l'esprit
tes; de l'autre, il y ale juriste français, friand des idées générales, et de l'esprit allemand qu'on dit si scrupuleux
,, qui dit le droit tel qu'il est, et ordonné, à l'image de ce couple formé par Bentham et Austin: si le premier a
1
ue les fondateurs de l'école été nommé citoyen d'honneur de la République française, le second af:fichait plus
des lors se poser la question d' af:finités avec l' esprit allemand qu' avec le pragmatisme britannique 21 •
: concept de legal positivism. Cette déconstruction de l'objet va de pair avec une concision et une rigueur
ême "chose" que les juristes sans équivalent au niveau du langage. « Définissez vos termes » 2' ! Voilà le leitmo-
! de Bentham et d' Austin, et tiv de Bentham qui prône une poli tique radicale de« nettoyage de la situation ver-
! d'un Locke ou d'un Black- bale » 23 • À ce titre, il se livre à une véritable « guerre des mots » 2', et ce notam-
1 sur les différences. Autre- ment à !'encontre des écrits jugés confus et contradictoires de son ancien
rs de l'école de I'Analytical ma1tre William Blackstone (1723-1780), dont il avait suivi les cours à l'université
: vision dualiste du droit, ce d'Oxford. « Pour purger la science du poison que Blackstone et ceux qui écrivent à
alisme (Seccion I). Une fois sa façon fui ont injecté, je ne connais qu'un remede: c'est celui de la définition, d'un
1ieux les tenants et aboutis- usage constant et régulier de la définition, la prescription fondamentale des grands
sciple de Bentham et d' Aus- médecins de l 'esprit que furent Helvétius et Locke, avant lui. » 2; Une fois que l' ob-
jet d'étude est défait en ses plus petits éléments, il importe d'étiqueter chacun
d'eux et de respecter scrupuleusement cette dé:finition tout au long des dévelop-
pements ultérieurs. Selon Bentham, il faut éviter avant tout la confusion du lan-
~THODOLOGIQUE : gage, c'est-à-dire le fait de changer subrepticement, au sein d'une même phrase
~NTHAM ET AUSTIN ou d'un même paragraphe, le sens d'un mot, sans en avertir le lecteur, et de jon-
gler ainsi avec les diverses signi:fications qu'un terme peut avoir"·. D'apres les
fondateurs de l'école analytique, le style du juriste - mais cela vaut pour tous les
par leur esprit analytique,
e complexe en ses différents
es corps en leurs plus petits 20. Ainsi W. MORRISON s'efforce, tout au long desa premiere partie imitulée « Resrning Austin
~nt un regard lucide et péné- from the Commentators » (pp. 218-230), de débarrasser la théorie austinienne de l'emprise de la lec-
ture gu'en a faite Hart.
m ensemble de propositions 21. A en croire l'un de ses étudiams, John Stuart Mill, Austin vouait un véritable amour à tout ce
1es. Le reproche qu'on leur qui était allemand. Cf A.V. DICEY, Lectllres on the Relation between Law & Public Opinion in
England during the 191' Century, reprod. de la 2' éd. de 1914, préf. de E.C.S. Wade, London, Mac-
millan, 1962, p. 163 [en abrév. = Law & Public Opinion]. Lorsqu'il fut nommé premier professeur
de « ]urisprudence and Law of Nations » à l'Université de Londres, qui venait d'être fondée par des
Bemhamiens, Austin partir en Allemagne afin de préparer ses cours. Duram, ce voyage, qui l'emme-
~uel Bemham et Austin som des nera notammem en Prusse, il s'imprégna de l'esprit juridique allemand. A cette occasion, il fera
le. Cf l'avis de B. CONSTANT et d'ailleurs connaissance de la théorie du Rechtsstaat (cf infra note 144) .
.OCK, LQR, vol. 10, 1894, p. 100; 22. J. BENTHAM, Fragment rnr le Gouvernement (1776), trad. et préf. de J.-P. Cléro, Paris,
;er, 1958, p. 121 (« Die utilitaris- Bruylam-LGDJ, 1998, p. 178 [en abrév. = Fragment]. Cf J. AUSTIN, Province, p. 56: « Men should
ls Scope ,md Limitations, Detroit, think distinctly and speak with a meaning. »
i dei positivismo g11iridico, Turin, 23. H.L.A. HART, Essays on Bentham, p. 2, cite, en français, l'expression de Bemham qui maniait fort
:ATTANEO, Année Sociologiq11e, bien la langue de Racine. Certaines de ses oeuvres som même, originalement, rédigées en français.
24. J. BENTHAM, Fragment, p. 169.
AUS, Hard Cases in Wicked Legal 25. Ibid., p. 177.
)xford, Clarendon, 1991, p. 1. 26. Ibid., p. 166 note 143.
218 De la Rule ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais

scientifiques - doit être clair, précis et constant. Si les écrits, notamment d' Aus-
tin, peuvent para1tre pédants et ennuyeux, ils ont l'immense avantage de la
r
1
La Rule o)

embrasseL
ou une su,
clarté. exemple p
218 Appliquée au droit, la méthode analytique de Bentham et plus particulierement loi dépour
d' Austin, l' auteur de l' ouvrage de référence The Province ofJurisprudence Deter- de l'oblig;i
mined de 1832 27, aboutit à une théorie du droit des plus stimulantes. Au de la sanct
commencement de leur reuvre il y a le verbe, le mot law qui recouvre diverses d'autant p,
significations possibles. Au « sens le plus large », la loi désigne « une regle donnée impprtanti
pour diriger un être intelligent par un être intelligent qui a pouvoir sur lui » 28 • Aus- A ces d
tin envisage quatre catégories de lois au sens le plus large : 1) les « fois de Dieu entre la lo
(Laws of God) »; 2) les « lois positives (Positive Laws) »; 3) la « morale positive (Posi- clef de vai
tive Morality) »; 4) les « lois métaphoriques ou figurées (Laws metaphorical or figu- sa1s1r tout,
rative) ». Or, seuls les deux premiers types de lois sont des lois « au sens propre », seulement
et seules les lois positives sont des lois « au sens strict ». Au « sens propre », la loi de la natu
désigne un « command » 20 • Par ce commandement, une personne exprime vis- explique, l
à-vis d'autrui un désir sur un mode opératoire particulier. Ce qui distingue un lytique. A
commandement d'autres formes d'expression d'un désir, ce n'est pas tant le tiques, mo)
« style dans lequef.ce désir s'exprime », mais « le pouvoir et l'intention de la personne
permettem
qtti com mande à injliger un mal ou une peine au casou son désir serait méconnu. Si choses, l'é,
tu ne peux pas ou si tu ne veux pas me faire mal au ca; ou je ne respecterais pas ton contrainte;
désir, l'expression de ton désir n'est pas un commandement nonobstant le fait que tu sortes de s
l'aies exprimé dans un langage impérati/» 30 • 11 ne suffit pas de dire « fais ceei, fais légales qui
cela! » pour donner naissance à un commandement; il n'y a de commandement tiques», au
que si ce désir est assorti de la menace d'une sanction. En cela, Austin s'inspire fondent le~
d'un auteur aussi prestigieux que Locke, qui n'avait pas hésité à dire qu'il serait morales qu
vain de parler de !oi en l'absence de toute sanction 3 '. conventior
publique. 1
219 La notion d'obligation ne se comprend qu'à travers l'idée de la sanction. « Étant
sens le plu,
passible d'un désagrément de votre part si je ne me plie pas au désir manifesté par
vous, je suis lié ou obligé par votre commandement: autrement dit, je suis lié par un 220 Au cours L
devoir d'obéissance. ,,n L'existence d'une obligation est dane intrinsequement qui fera da
liée à l'existence d'une sanction, à tel point qu'elles s'identifient. « Commande- par la suite
ment, devoir et sanction sont des termes liés de maniere inséparable: chacun d'eux ment, Bem

27. II s'agit des six premiers cours qu' Austin a donnés à la faculcé pendam quelques années, avam
d' abandonner sa chaire par frustracion. Ces six premiers cours om été repris, tels quels, dans 33. Ibid., p. 1
son ouvrage posthume Lectures on ]11rispmdence or the Philosopby ofPositive Law (2 comes), publié par 34. Ibid., p. 2
les soins de sa femme Sarah. Elle a recomposé l'imégralité de ses cours à partir de diverses notes "droit" consri
manuscntes. légales. Ce q,
28. J. AUSTIN, The Province, p. 10 (« a mie laid down for the g11idance ofan inte!ligent being by an s'agit de la« 1
intelligent being having power over him »). religieuses. E,
29. Ibid., p. 1 : « L,ws proper, or properly so called, are commands. " tional, cf p. 1
30. lbid., p. 14. 35. Ibid., p. 1
31. Ibid. p. 166. Austin cite l'extrait suivanc, tiré du Essay on H11man Understandings (Livre li, the ej]icacy o/ 1
chap. 28) de John LOCKE : « For since it would be utterly ·vain to s11ppose a mie set to the free actions 36. J. BENTI
of man, witho11t annexing to it some enforcement of good and evil to detennine his will, we must, 37. J. AUSTI
wherever we suppose a law, s11ppose also some reward or prmishment annexed to that law. " 38. Austin éc
32. lbid., p. 14: « Being liableto evilfrom yo11 ifl complynotwith,, wish which yo11 signifi)\ Iam bo1md 39. Cf, par e
or obliged by yo11r command, or I fie 1mder a duty to obey it. " vol. 71, 1958.
es de l'espfit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurisprudence 219

es écrits, notamment d' Aus- embrasse la même idée que les autres, bien que chacun exprime ces idées dans un ordre
t l' immense avantage de la ou une suite particuliere. » '' Le cas des lois dites imparfaites est le meilleur
exemple pour illustrer l'identité entre la norme et la sanction. Pour Austin, une
1am et plus particulierement loi dépourvue de sanction légale n'est pas une loi positive". De même le degré
~ince of]urisprudence Deter- de l'obligation, ou la puissance de l'obligation, varie en fonction de la sévérité
t des plus stimulantes. Au de la sanction : « L 'efficacité d'un commandement et la force d'une obligation sont
:)t law qui recouvre diverses d'autant plus grandes que le désagrément éventuel et la chance de le subir sont plus
)i désigne « une regle donnée imp_ortantes. »·"
71ú a pouvoir sur !ui » ". Aus- À ces deux premiers criteres, à travers lesquels on peut décrypter l'identité
s large : 1) les « !ois de Dieu entre la loi et la sanction, s'ajoute un troisieme critere qui constitue la véritable
; 3) la« mora/e positive (Posi- clef de voute de la théorie austinienne du droit. Sans lui, il est impossible d'en
is (Laws metaphorical or figu- saisir toute la richesse et la cohérence interne. En effet, la loi est fonction non
,n t des lois « au sens propre », seulement de l'existence d'une sanction et de son degré de sévérité, mais encore
:t ». Au « sens propre », la loi de la nature même de la sanction. La notion de sanction est complexe, ce qui
, une personne exprime vis- explique, par conséquent, la richesse de la notion de loi prônée par l'école ana-
iculier. Ce qui distingue un lytique. Aux yeux de Bentham, « on peut concevoir trais sortes de devoirs : poli-
1 désir, ce n'est pas tant le
tiques, moraux et religieux; ils correspondent aux trais sortes de sanctions qui leur
r et l'intention de la personne permettent d'être en vigueur »'". Loin de faire preuve d'une vision restrictive des
i't son désir serait méconnu. Si choses, l'école analytique essaie au contraire de saisir la diversité des multiples
is ou je ne respecterais pas ton contraintes qui pesem sur l'individu dans la société humaine. Elle identifie trois
1
1ent nonobstant le fait que tu sortes de sanctions, d'obligations et de lois' 7• Il y a, tout d'abord, les sanctions
lit pas de dire « fais ceei, fais légales qui fondent les « fois positives » et qui crêem les devoirs légaux ou « poli-
; il n'y a de commandement tiques », au sens de Bentham. Il y a, en deuxieme lieu, les sanctions divines qui
m. En cela, Austin s'inspire fondent les lois divines, la « Law of God ». Il y a, en troisieme lieu, les sanctions
pas hésité à dire qu'il serait morales qui fondent ce que Austin appelle la« positive morality », c'est-à-dire les
conventions morales d'une société donnée telles que véhiculées par l'opinion
publique. Ce sont ces trois phénomenes distincts que désigne le terme law au
l'idée de la sanction. « Étant
sens le plus large' 8 •
rie pas au désir manifesté par
ttrement dit, je suis lié par un 220 Au cours de cette analyse, Bentham et Austin som amenés à formuler une idée
l est clone intrinsequement qui fera date dans l'histoire de la pensée juridique, et que d'autres appelleront,
s'identifient. « Commande- par la suite, le príncipe de la« séparation du droit et de la morale » ". Plus exacte-
-re inséparable: chaczm d'eux ment, Bentham et Austin introduisent dans le champ de la science juridique la

lté pendam quelques années, avant


rs om été repris, tels quels, dans 33. Ibid., p. 17-18.
,fPositive Law (2 tomes), publié par 34. Ibid., p. 27 s. En conséquence, ce que l'on appelle communémem le "droitn internacional et le
es cours à partir de diverses notes "droitn constitutionnel ne constituem pas, aux yeux d' Austin, des « fois positives» faute de sanctions
légales. Ce qui ne veut pas dire que ces regles soient inexistames ou insignifiames. Simplemem, il
tidance ofan inte!ligent being by an s'agit de la« mora/e positive» ou de« !ois divines » qui ne reposem que surdes sanctions morales et
r~ligieuses. En ce qui concerne le droit constitutionnel, cf p. 229 s, p. 263-4; pour le droit imerna-
t10nal, cf p. 12, p. 201.
35. Ibid., p. !6: « The greater the event11al e-,;i/, and the greater the chance of inrnrring it, the greater is
H111nan Underst,mdings (Livre li, the e/ficacy of the command, and the greater is the strength of the obligation. ,,
1 supposea mie set to the free actions 36. J. BENTHAM, op. cit., p. 166 note 143.
vil to detennine his will, we must, 37. J. AUSTIN, op. cit., p. 157-158.
, annexed to that law. » 38. Austin écarte, en effet, de prime abord le cas des !ois métaphoriques.
, wish which yott signifi}\ Iam bozmd 39. Cf, par ex., H.L.A. HART, « Positivism and the Separation of Law and Morais», Harv. L. Rev.,
vol. 71, 1958, pp. 593-629.
220 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais

distinction logique, théorisée par David Hume (1711-1776)'º, entre !e« is» et !e
r LaRuleof

conviction
dire que Bt
« ought », entre !e Sein et !e Sollen, entre !e droit te! qu'il est et !e droit te! qu'il professeur
devrait être. À vrai dire, l'idée d'une telle distinction n'est pas tout à fait nou- théorie. À
velle, puisque les jusnaturalistes distinguem, eux-aussi, entre !e droit naturel et !e grands axei
droit positif. Des lors, ce qui pose réellement probleme dans l'interprétation de
l'ceuvre de Bentham et d'Austin est la portée plus ou moins radicale que l'on
prête à cette distinction. Quels som exactement les effets théoriques de cette dif-
A. Le
férenciation entre !e is et !e ought chez ces deux auteurs? En distinguant les deux
222 Le Fragme1
éléments, avaient-ils l'intention deles séparer? Car, comme l'a dit Francis Bacon
contient la
(1561-1626), « c'est une chose de distinguer entre deux choses, c'est une autre deles
toute la po
rendre séparables » ". Le mot de séparation paralt en effet inadapté, car excessif,
comber à t
pour qualifier les idées tres nuancées de l'école analytique. Selon !e dictionnaire
en effet, tn
Larousse, !e mot séparer évoque l'acte de « désunir les parts d'un tout » et de
l'autre, un
« l'éloigner l'un de l'autre » ' 1, c'est-à-dire un processus d'isolation qu' Austin atou-
liste - cer
jours rejeté en des termes les plus vifs. D'ailleurs, à notre connaissance, Bentham
quant à !ui
et Austin n'ont jamais eu recours à ce terme et préferent utiliser !e verbe distin-
et un posit
guer". Or, distinguer signifie simplement « percevoir la différence entre des per-
ralistes? Se
sonnes, des choses », c'est-à-dire « différencier »" des éléments, sans qu'il soit ques-
mettra d'y
tion de les isoler les uns des autres.
Loin de vouloir séparer !e is and ought, le droit et la morale, Bentham et Aus- 223 D'apres Bt
tin font au contraire une analyse tres fine de chaque élément pris isolément et qu'elle s'idL
des liens qui les unissem. Tout en les distinguam(§ 1), ils théorisent avec une rare (Expositor),
lucidité l'articulation entre les deux (§ 2). S'ils ont bien fait une théorie du droit expliquer, d
positif qui mérite attention, ils ne sont pas pour autant des positivistes. Non- ver ce qu'eli
obstant ses critiques virulentes à l'égard du droit naturel et des droits de à établir de
l'homme en particulier, Bentham reste un enfant du siecle des Lumieres. Sa théo- D'apres la
rie uti!itariste n'est rien d'autre qu'une nouvelle variation sur !e theme éternel Blackstone
du droit naturel. Critiquer 1
tham, qu'u
teur ». Ce.
§ 1. DE LA DISTINCTION LOGIQUE ENTRE LE DROIT TEL QU'IL EST portance. I
ET LE DROIT TEL QU'IL DEVRAIT ÊTRE à faire le tr,
épistémolc
221 Le projet de l'école analytique s'inscrit en faux par rapport à une certaine confu- tham: « //
sion du is et du ought, que Bentham croit pouvoir déceler chez Sir Wil- à celui qui:
liam Blackstone .;_ Rétrospectivement, la polémique qu'il engage contre les Or, ce n'es

Morais amon~
40. Cf !'extrair de son reuvre citée in C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER (dir.), stone's Use o
Le positivisme j11ridiq11e, op. cit., p. 244 s; R. ALEXY, Begrijf 1111d Ge!t11ng des Rechts, 2' éd., Freiburg, « Blacksmne
Alber, 1994, p. 157 s. ]11stice, Harva
41. F. BACON, Post nati; cicé par E. KANTOROWICZ, Les de11x corps d11 Roi, Paris, 1989, p. 263. 46. En ce sen
42. Le pelit Laro11sse il/11stré, Paris, 1983, p. 925. STONE. Ce 1
43. Cf par ex. l'usage sémantique chez l'un des successeurs de Austin, W. MARKBY, Elements 47. J. BENTI
ofLaw, considered with Reference to Principies of General ]11risprudence, 6'" edn., Oxford, Clarendon, 48. lbid., p. 9
1905, p. 433. 49. lbid.
44. Le petit L,rousse il/11stré, p. 321. 50. !bid.
45. Sur ce débat, cf G. HIMMELFARB, « Bentham Versus Blackstone », in ead., Marri,1ge and
La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurísprudence 221
s de l'esprít juridique anglais

convictions jusnaturalistes de ce dernier parait excessive, voire infondée. Il faut


1-177 6) 40 , entre le is » et le
« dire que Bentham n'hésite pas à grossir certains traits de la pensée de son ancien
qu'il est et le droit tel qu'il professeu_r de droit, pour mieux la détruire et asseoir la légitimité de sa propre
,n n'est pas tout à fait nou- théorie. A travers sa critique parfois féroce (A) transparaissent ainsi, en creux, les
;i, entre le droit naturel et le grands axes de la théorie analytique du droit (B).
me dans l'interprétation de
ou moins radicale que l'on
A. Le péché de "Blackstone" ou la confusion entre is et ought
ffets théoriques de cette dif-
irs? En distinguant les deux
222 Le Fragment on GCYUernment, publié de façon anonyme par Bentham en 1776,
omme l'a dit Francis Bacon
contient la premiere ébauche de la théorie analytique du droit. Pour en saisir
: choses, c'est une autre de les
toute la portée, il est essentiel de revenir à ce point de départ et de ne pas suc-
effet inadapté, car excessif,
comber à une vision réductrice du débat entre Bentham et Blackstone. Il serait,
rtique. Selon le dictionnaire
en effet, trop facile d'y voir une querelle entre, d'un côté, un juspositiviste et, de
, les parts d'un tout » et de
l'autre, un jusnaturaliste : il n'est pas certain que Blackstone soit un jusnatura-
d'isolation qu'Austin atou-
liste - certains le contestent"' - et il est encore moins sur que Bentham soit,
::>tre connaissance, Bentham
quant à lui, un juspositiviste. S'agit-il des lors d'un débat entre un jusnaturaliste
:rent utiliser le verbe distin-
et un positiviste? Entre deux positivistes? Ou, au contraire, entre deux jusnatu-
ir la différence entre des per- ralistes? Seule une analyse minutieuse des arguments avancés par Bentham per-
éments, sans qu'il soit ques- mettra d'y voir plus clair.
223 D'apres Bentham, « on peut dire de toute personne qui veut discourir sur la foi,
la morale, Bentham et Aus-
e élérnent pris isolément et qu'elle s'identifie à l'un ou l'autre de deux personnages: celui du Commentateur
1, ils théorisent avec une rare (Expositor}, et le Censeur (Censor). Releve du domaine du Commentateur de naus
ien fait une théorie du droit expliquer, de son point de vue, ce qu 'est la foi; de celui du Censeur, de naus faire obser-
1tant des positivistes. Non- ver ce qu 'elle doit être, à son avis. Par conséquent, le premier cherche principalement
it naturel et des droits de à établir des faits ou à enquêter à leur propos; le second, à discuter des raisons » 47 •
siecle des Lumieres. Sa théo- D'apres la lecture que fait Bentham des Commentaries on the Laws ofEngland de
riation sur le theme éternel Blackstone, celui-ci « estimait pouvoir se dispenser » 48 de cette derniere fonction.
Critiquer le droit ne serait, aux yeux de Blackstone tel que lu et relu par Ben-
tham, qu'un « travai! superfétatoire », un « ornement » destiné à « divertir le lec-
teur ». Ce ne serait qu'un « parergon » 49 , autrement dit une chose de peu d'im-
E: DROIT TEL QU'IL EST portance. Est-ce à dire que Blackstone se limite à décrire le droit tel qu'il est, et
IIT ÊTRE à faire le travail d'un positiviste pointilleux et méthodique? En soi, un tel choix
épistémologique serait au-dessus de tout reproche, comme en conviem Ben-
1pport à une certaine confu- tham: « li est évident qu'on ne saurait, sans injustice, adresser le moindre reproche
mir déceler chez Sir Wil- à celui qui se contente de présenter une institution com me il imagine qu 'elle est. » 50
1ue qu'il engage contre les Or, ce n'est pas ce que fait Blackstone, à en croire Bentham.

Morais among the Victorians, London, Faber & Faber, 1986, pp. 94-110; H.L.A. HART, « Black-
v1ICHAUT & M. TROPER (dir.), stone's Use of the Law of Nature ", South African Law Review, 1956, pp. 169-174; R. CROSS,
Gelwng des Rechts, 2' éd., Freiburg, « Blackstone v. Bemham ", LQR, vai. 92, 1976, pp. 516-527; R.A. POSNER, 171e Economics o/
Justice, Harvard UP, 1981, chap. 2 (« Blackstone and Bemham »), pp. 13-47.
'IX corps d11 Rui, Paris, 1989, p. 263. 46. En ce sens, !ire la préface de Stanley N. KATZ au 1"' tome des Commentaries de W. BLACK-
STONE. Ce poim de vue parah toutefois contestable.
e Austin, W. MARKBY, Elements 47. J. BENTHAM, Fragment, p. 90.
ience, 6'' edn., Oxford, Clarendon, 48. lbid., p. 91.
49. Ibid.
50. Ibid.
lacksrone ", in ead., Marriage ,md
222 De la Rufe ofLaw ou les particttlarismes de l'esprit juridique anglais

224 Bentham !ui reproche, en réalité, autre chose. À ce stade, il s'avere nécessaire de
faire un rapide retour en arriere pour rappeler la double fonction que l'école du
l La Rufe o/1

démarche t
tement mêl,
droit naturel assignait aux !ois naturelles par rapport aux !ois positives. Le droit exactemem
naturel est censé jouer un rôle à la fois conservateur et progressiste : il est sup- Bentham, c
posé fonder les !ois positives qui sont conformes à ses exigences et dénoncer analyse la e
celles qui !ui sont contraires. Toute la cohérence des théories jusnaturalistes tice qu' est l
réside dans la subtilité de ce dosage, sans quoi on aboutirait soit à une apologie injuste soit-
de l'anarchie, soit à un immobilisme total, comme le note Bentham. D'un côté, a mélangé 1
« celui qui condamne de façon hâtive et sans faire de discrimination, ce qui est éta- tend, en ou
bli, mérite !e mépris » ". II ne s' agit pas de critiquer pour critiquer; il faut une cri- estcommee,
tique intelligente, construite selon des criteres rationnels. De l'autre côté, « un il empêche
défenseur zélé ou corrompu de tout ce que fait !e pouvoir se rend d'une certaine Bentham, d
maniere coupable des abus qu 'il soutient; à plus forte raison, si par des considérations 225 Les conséqt
biaisées et des commentaires sophistiques, il s'applique à préserver de tout reproche ne mâche p
voire à encenser ce qu'il ne parvient ni même ne cherche à justifier » ' 1• Or, de l'avis ment about
de Bentham, c'est justement ce à quoi se livre Blackstone. Autrement dit, Blacks- contrainte ,
tone est un « Apologiste »; 3 ou, en termes contemporains, un légaliste"': au lieu immorale. (
de critiquer les lois existantes dans ce qu'elles ont de critiquable, il en fait l'apo- et s'oppose
logie et les immunise contre tout reproche moral. II exagere la fonction conser- certain : qu '
vatrice du droit naturel à tel point que son rôle progressiste s'en trouve comple- que la résolu
tement absorbé. une qrú, si L
À l'appui de sa critique, Bentham cite, en le sortant de son contexte, un tout supplén,
extrait des Commentaries on the Laws ofEngland. Exposant le statut juridique de espece passh·
l'Église d'Angleterre, Blackstone en souligne « l'excellence » en affirmant qu'« à tout, dotés d
présent toute chose est comme elle doit être; si ce n 'est peut-être qu 'il faudrait définir obstinés, apci
pltts rigoureusement l'hérésie ... » ''. C'est contre ce bout de phrase - « toute chose serviles à ce ,
est comme elle doit être » - que s'insurge violemment Bentham, sans tenir par Bentha1
compre des nuances apportées par son auteur. À vrai dire, Blackstone a bien le juriste it;;
perçu la différence théorique entre les deux registres du is et du ought"' et, en l'es- théorie du d
pece, il se limite à dire que la législation sur l'Église, et elle seule, correspond, à (1656-1714)
quelques exceptions pres, à ce qu'elle devrait être. Bentham, au contraire, géné- défendre'1• <
ralise le propos de Blackstone, évacue coutes les nuances et réserves formulées li berté et de
par celui-ci et fait comme si cette remarque valait pour tout le droit positif. Ainsi, stone et Ben
il construir à sa guise un personnage fictif qu'il appelle par commodité "Black- turalistes su.
stone", et qu'il utilise comme un repoussoir pour mieux faire valoir sa propre
226 À la lumien
distinction ,

51. Ibid.
52. Ibid. 57. Cf G. Hn
53. Ibid., p. 95. 58. J. BENTH
54. Sur le concept de légalisme, cf. infra n'" 494 ss. 59. Ibid., p. %
55. \Y/. BLACKSTONE, Commentaries on the Laws of EngLmd, t. 4, p. 49; cité in extenso dans le 60. Ibid., p. 9.:1
Fr<1gment, p. 98 note 19. années 1800 à 1
56. Sur ce point, la critique de Bentham est infondée, com me en témoigne l' extrair suivant tiré des d' autosatisfact i
Commentaries de \Y/. BLACKSTONE (op. cit., t. 1, p. 121). Concernam les « droits absolus des indi- 61. J. BENTH
vid11s », l'auteur y déclare: « Let 11s therefore proceed to examine how far ai/ l,1ws 011ght, and how far the 62. Ibid.
Laws of Engl,md <1ct11ally do take notice of these absolute rights, and provide for their lasting sernrit)l » 63. Ibid., p. 95
?S de l'esprjt juridique anglais La Rule ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical ]ttrisprudence 223

;tade, il s'avere nécessaire de démarche théorique; 7• À ce spectre est destiné son reproche d'avoir « indistinc-
11ble fonction que l'école du tement mêlé » ;s les deux domaines du is et du ought. Du reste, en quoi consiste
t aux !ois positives. Le droit exactement la faute méthodologique impardonnable de "Blackstone"? D' apres
r et progressiste : il est sup- Bentham, quiconque s'intéresse au droit a !e choix entre deux méthodes. Soit il
1 ses exigences et dénoncer analyse la conformité des !ois existantes par rapport au critere objectif de la jus-
des théories jusnaturalistes tice qu'est le príncipe de l'utilité. Soit il se limite à décrire le droit existam aussi
>outirait soit à une apologie injuste soit-il. Mais, en aucun cas, il ne doit suivre !'exemple de "Blackstone" qui
e note Bentham. D'un côté, a mélangé les deux. Non contem d'avoir décrit le droit tel qu'il est, celui-ci pré-
iiscrimination, ce qui est éta- tend, en outre, et ce sur un ton « péremptoire » et « suffisant », que « toute chose
mr critiquer; il faut une cri- est comme elle doit être » 5', sans avoir fait au préalable !e travai! du censeur. Ainsi,
,nnels. De l'autre côté, « un il empêche ceux qui prennent la tâche de censeur au sérieux, à commencer par
uvoir se rend d'une certaine Bentham, d'accomplir leur mission scientifique.
ison, si par des considérations 225 Les conséquences d'une telle confusion sont néfastes aux yeux de Bentham, qui
· à préserver de tottt reproche ne mâche passes mots à l'égard de ceux qui s'en rendem coupables. Le raisonne-
~e à justifier » ' 2• Or, de l'avis
tone. Autrement dit, Blacks- 1 ment aboutit en effet à créer, outre l'obligation légale, c'est-à-dire la menace de la
contrainte qui pese sur les individus, une obligation mora/e d' obéir à une loi
,rains, un légaliste 54 : au lieu immorale. Ce faisant, !e juriste empêche tout débat sur le caractere juste de la loi
: critiquable, il en fait !' apo- et s'oppose à toute réforme, voire à une éventuelle révolution : « Ainsi est-il
exagere la fonction conser- certain: qu'un systeme quine doit jamais être censuré ne sera jamais amélioré (...) et
;ressiste s'en trouve comple- que la résolution de tout justifier à n'importe quel prix, sans rien désapprouver, en est
une qui, si elle se prolonge à l'avenir, constittte nécessairement un obstacle décisif à
::>rtant de son contexte, un tout supplément de bonheur qu 'il est possible d'espérer. » •0 La faute en revient à « cette
posam !e statut juridique de espece passive et sans ressort d'hommes prêts à avaler n'importe quoi et à acquiescer à
ellence » en affirmant qu'« à tout, dotés d'intelligences inaptes à distinguer le vrai du faux » • 1• « Insensibles, bomés,
1eut-être qu'il faudrait définir obstinés, apathiques », ils sont « sourds à la voix de la raison et de l'utilité publique,
,ut de phrase - « toute chose serviles à ce que leur souffle l'intérêt et aux sirenes du pouvoir. » "2 Les exemples cités
ment Bentham, sans tenir par Bentham s'averent tres instructifs sur ses conceptions épistémologiques. Si
,rai dire, Blackstone a bien !e juriste italien, Cesare Beccaria (1738-1794), est admiré comme !e « pere de la
du is et du ought;,, et, en l'es- théorie du droit de censure», pour avoir stigmatisé la torture, Jacques de Tourreil
' et elle seule, correspond, à (1656-1714) est en revanche dénigré comme un « Apologiste » parce qu'il a osé la
,entham, au contraire, géné- défendre 61 • Or, tous les deux sont jusnaturalistes: si le premier défend les idées de
1ances et réserves formulées liberté et de progres, le second légitime l'ordre établi. Ainsi, le débat entre Black-
Ir tottt le droit positif. Ainsi, stone et Bentham appara1t de plus en plus comme une querelle entre deux jusna-
elle par commodité "Black- turalistes sur le contenu, plus ou moins progressiste, du droit naturel.
nieux faire valoir sa propre
226 À la lumiere de cet exemple, on comprend mieux la fonction et les enjeux de la
distinction entre le is et le ought chez Bentham. Loin d'être le fondateur d'un

57. Cf G. HIMMELFARB, op. cit., p. 98 ss.


58. J. BENTHAM, op. cit., p. 96.
59. lbid., p. 98.
t. 4, p. 49; cité in extenso dans le 60. Jbid., p. 92. Ainsi, dans sa vaste fresque historique de la législation anglaise, Dicey qualifie les
années 1800 à 1830 de période de stagnation, voire de réaction. La cause essentielle en serait cet esprit
1 témoigne l'extrait suivant tiré des d'autosatisfaction qu'il attribue à Blackstone. Cf Law & P11blic Opinion, p. 62.
cernam les « droits abso!t1s des indi- 61. J. BENTHAM, op. cit., p. 94.
w for ali l,1ws 011ght, and how far the 62. lbid.
d provide for their lasting security. » 63. lbid., p. 95.
224 De la Rufe ofLaw ou les partirnlarismes de l'esprit juridique anglais

positivisme qui ne se préoccupe que du droit tel qu'il est, en évacuant coute
vision éthique du droit, ce dernier vise, au contraire, à asseoir la prééminence du
r LaRuleof L

tinction em
tif et le droi
droit tel qu'il devrait être sur le droit tel qu'il est. Car ce qui l'intéresse, ce n'est
pas tant l'exposition du droit positif- travail qu'il laisse à d'autres - que la cri- 1º La loi pc
tique de ce droit"'. Son but est de faire avancer le droit, de faire en sorte que la
législation positive soit réformée dans le sens du príncipe de l'utilité. Pour cela, 228 Que! est dei
il lui faut dégager la démarche critique, qu'il appelle aussi la « science de la légis- l' étudie, à s;
lation », de l'emprise abusive d'un "Blackstone" qui affirme, «péremptoirement », dtt terme », 1
qu'il n'y a pas lieu de changer quoi que ce soit dans le droit existam. La autres phén
démarche de Bentham se décline ainsi en trois étapes. 1) 11 dénonce l'absorption !e plus larg,
du ought par le is qu'opere à ses yeux "Blackstone". Ainsi, il rend coute son c' est-à-dire 1
importance et coute sa liberté de pensée et d'action à la figure du Censeur, à qui ture impéra
il revient de critiquer le droit existam et de proposer un droit plus juste. 2) Ben- mutatis mui
tham fonde l'autonomie des deux sciences qui analysent séparément le is et le !oi« att sens
ought, le droit tel qu'il est et le droit tel qu'il devrait être. 3) 11 pose le príncipe En ce quic<
de la suprématie du ought sur le is et analyse les mécanismes politiques et judi- liées à l' exi,
ciaires par lesquelles s' opere l' articulation entre les deux. Austin e1
!e pltts simpl
B. Un "nouveau" départ ou la distinction logique entre is et ought souverain d
politiqtte in,
227 La distinction héritée de David Hume est définie par Austin de la maniere ott suprême.
suivante : « L 'existence du droit est une chose; ses mérites ou l'absence de mérites en tention d'm
sont une autre. Savoir s'il existe ou non est l'objet d'une enquête; savoir s'il est tion envers .
confonne ou non à un standard présupposé est une autre recherche. Une loi qui existe unilatéral d
effectivement est une loi, quand bien même il naus arriverait de ne point l'apprécier, donnée: «
et quand bien même elle divergerait du texte, dont naus faisons dépendre notre obliger les i,
approbation ou improbation. Cette vérité, lorsqu'on l'énonce sous fonne de propo-
sition abstraite, est si banale et si évidente qu 'il sem ble inutile d 'y insister. » ,,; À
l'appui de sa démonstration - et c'est dans la perspective particuliere de cet sense. The mos.
and are contá:
exemple que s'inscrit sa distinction théorique -, Austin cite l'histoire du mal- ficial, be proh,
heureux pendu "'. Supposons qu'un souverain interdise, sous peine de mort, un and condemn,
acte qui en soi est conforme au príncipe d'utilité. Celui qui a commis un tel acte that h11man !,,
demonstrate ti
a beau invoquer la !oi de Dieu, cela ne !ui servira à rien face à un juge qui exé- I have imp11gn
cute la !oi et !e condamne à la pendaison 67 • De là découle, entre autres, la dis- in a Court ofj
ce faisanr, il i1
Dr. Bonham's
derniere hyp,
64. Ibid., p. 95. décisions de j,
65. J. AUSTIN, op. cit., p. 184: « Theexistence oflaw is one thing; its merit ordemerit is ,mother. Whe- 68. À noter,
ther it be or not is one enq11iry; whether it be or not conformable to an asswned standard, is a differenl possibles de L
enq11iryt A lau; which acwally exists, is a law, tho11gh we happen to dislike it, or tho11gh it vary from the ser. Elle rec0t
text, by which we reg11l,lle 011r ,1pprobation and disapprobdtion. This truth, when formillly ,mnormced ilS posirif, entre
iln iibstract proposition, isso simple and g/,1ring that it seems idle to insist 11pon it. » L'extrait se trouve peut que le ju
au début de sa célebre note sur « la tend.mce prédominante de confondre ce q11 'est !e droit 011 /,1 momle contraire aux
avec ce q11'ils devraient être » (p. 184-191). que « ,1 law ·1.
66. Ibid., p. 185. bation ... » (or
67. Pour Austin, la question de savoir si le juge va appliquer une !oi injuste ne se pose même pas. II 69. Sur !'usa~
part du point de vue que les juges appliquent toujours les !ois du souverain: « Now to say that hrmum 70. J. AUSTI
l,,ws which conjlict with the Divine /,1w are not binding, th,1t is to s,1y are not liiWS, is to talk st,,rk non 71. Ibid., p. :
,mes de l'esprit juridique anglais La Rufe of Law, Dicey et l'école de l'Analytical ]urispmdence 225

el qu'il est, en évacuant toute tinction entre la « positive la-w » (1") et la « law of God » (2"), entre le droit posi-
re, à asseoir la prééminence du tif et le droit naturel ••.
Car ce qui l'intéresse, ce n'est
il laisse à d'autres - que la cri- 1º La !oi positive, ou le droit te! qu'il est"'
: droit, de faire en sorte que la
príncipe de l'utilité. Pour cela, 228 Quel est clone le statut épistémologique de la positive law et de la science qui
elle aussi la « science de la légis- l' étudie, à savoir la « jurisprudence »? La loi positive, qui est la loi au « sens strict
ii affirme, « péremptoirement », du terme », ne se laisse saisir qu'à travers ses similitudes et ses différences avec les
>it dans le droit existam. La autres phénomenes normatifs qu' Austin range dans la catégorie « loi », au sens
pes. 1) II dénonce l'absorption le plus large. Comme la loi divine, la loi positive constitue un « command »,
me". Ainsi, il rend toute son c'est-à-dire l'expression d'un désir assorti de la menace d'une sanction. La struc-
n à la figure du Censeur, à qui ture impérative - l'existence d'un souverain, d'un ordre et d'une sanction - est,
ser un droit plus juste. 2) Ben- mutatis mutandis, commune aux deux et fait que chacune d'elles constitue une
1alysent séparément le is et le loi « au sens propre du terme ». Ce qui les distingue est la nature de leur sanction.
rait être. 3) II pose le principe En ce qui concerne la loi positive, son existence et sa spécificité sont directement
nécanismes politiques et judi- liées à l'existence et à la spécificité de la sanction légale.
s deux. Austin en donne la définition suivante : « Toute loi positive, ou toute loi au sens
le plus simple et le plus strict, est fixée par une personne souveraine, ou par un conseil
logique entre is et ought souverain de personnes, à l'intention d'un membre ou des membres d'une société
politique indépendante au sein de laquelle cette personne ou ce conseil est souverain
1ie par Austin de la maniere ou suprême. (. ..) Elie est fixée par un monarque, ou une multitude souveraine, à l'in-
frites ou l'absence de mérites en tention d'une ou plusieurs personnes qui se trouvent dans un rapport de subordina-
'. d'une enquête; savoir s'il est tion envers son auteur. » 70 La loi positive exprime fondamentalement un rapport
:tre recherche. Une !oi qzti existe unilatéral de supériorité d'une ou plusieurs personnes sur le reste d'une société
Tiverait de ne point l'apprécier, donnée : « Les fois et autres commandements sont censés procéder de supérieurs et
:t nous faisons dépendre notre obliger les inférieurs. » 71 En d'autres termes, la loi positive formalise un rapport
i l'énonce sous fonne de propo-
nble inutile d'y insister. »'• 5 À
erspective particuliere de cet sense. The most pemiciotts laws, and therefore those which are most opposed to the will ofGod, have been
and are contin11ally enforced as laws by j11dicial trib11nals. S11ppose an act innocuo11s, or positively bene-
Austin cite l'histoire du mal- ficial, be prohibited by the sovereign zmder the penalty of death; if I commit this act, I will be tried
rdise, sous peine de mort, un and condemned, and ifI object to the sentence, that it is contrary to the law of God, -who has commanded
:elui qui a commis un tel acte that hmnan lawgivers shall not prohibit acts which have no evil consequences, the Co11rt of]11stice will
demonstrate the inconclusiveness of my reasoning by hanging me up, in pursuance of the law of which
à rien face à un juge qui exé- I have impugned the validity. A n exception, dem11rrer, or plea, fozmded on the law ofGod was never heard
découle, entre autres, la dis- in a Court of]11stice,from the creation of the world down to thepresent moment » (op. cit., p. 185). Or,
ce faisant, il ignore rous les casou les juges ont soir arrénué la rigueur de la !oi (cf supra n" 196 ss:
Dr. Bonham's Case er les précédents en mariere d'interprérarion srricre), soit l'ont aggravée. Cette
derniere hypothese n' est pas exclue de prime abord, ainsi que le montrera l' exemple de certaines
décisions de justice sous le III' Reich.
:; its llll>rit ordemerit is mzother. Whe- 68. À noter que la disrinction entre la loi naturelle et la loi positive n'est qu'une des applications
to an ass11med standard, is ,1 di/Jerent possibles de la distinction entre is et 011ght, entre ce qui se passe réellement et ce qui aurait du se pas-
o dislike it, or tho11gh it vary from the ser. Elle recouvre un second cas de figure qui a trair à une contradiction interne à l' ordre juridique
>is tmth, when formally ,mnormced as positif, entre d'un côté le texte formei du droit et de l'autre son applicarion réelle parles juges. II se
'o insist 11po11 it. » L'exrrair se rrouve peut que le juge ne respecte pas à la lettre le texte d'une loi, ou encare que la loi qu'il applique soit
nfvndre ce qtt 'est le droic 011 la monde contraire aux normes constiturionnelles. C'est à ce dernier aspect que se réfere Ausrin lorsqu'il dir
que « a law which actu,dly exists, is a law, tho11gh it vary from the text by which we regzdate 01,r appro-
bation ... » (op. cit., p. 184).
e loi injusre ne se pose même pas. II 69. Sur l'usage de l'indicatif présent (droir rei qu'il est), cf infra n'" 483 ss.
souverain : « Now to say that hzmzan 70. J. AUSTIN, op. cit., p. 193.
1 Sü)' üre not lüws, is to tülk st,zrk 11011 71. Ibid., p. 24.
226 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais

de pouvoir, de force entre les gouvernants et les gouvernés. Ceei ressort claire-
ment de l'analyse que fait Austin de la souveraineté qui constitue avant tout un
fait social", i.e. la concentration du pouvoir de contrainte entre les mains de cer-
r LaRuleofL

qu1 constitui
pourquoi At
taines personnes. En soi, la notion de supériorité est assez vague, comme en propre ». En
convient Austin. Souvent on désigne par là une autorité qui excelle par ses ver- fois cruciale 1
tus et autres qualités morales. « Mais, au sens ou je l'entends ici, le temie supériorité entre la posit
signifie puissance (might}, à savoir le pouvoir d'injliger aux autres des désagréments qu'est une sai
ou des souflrances, et de les forcer, parle biais de la peur de ces châtiments, à ajuster international
leur conduite sur ses propres vreux. »" « En résumé, quiconque petlt obliger atttrui à d'être qualifi1
se soumettre à ses désirs est le supérieur de ce dernier, et cela aussi longtemps qu'il en lity. Le criter
est capable. » 74 La souveraineté, en tant que fait social, est évidemment fluctuante d'une sanctiL
et fragile, soumise comme tout rapport de pouvoir à des inflexions. Austin tence d'un jt1
« Si les moyei,
remarque ainsi que, si le roi est actuellement souverain, puisque dans les faits il
n' obéit à aucune institution supérieure et qu'à l'inverse il se fait obéir par ses s'agit davant,,
sujets, le rapport de force ainsi établi peut basculer à tout instam. Collective- En l'absence
ment, les individus som en effet plus forts que le roi. Celui-ci est conscient de ce sanction mor
danger et évite par conséquent d'abuser de son pouvoir pour ne pas susciter une ne crée que 1
révolution 75 • Austin en conclut que « la partie qui, d'un point de vue, est le supé- !oi positive q
rieur, s'avere être l 'inférieur d'un autre point de vue » 76 • reconnait. Ta
La théorie at
229 La loi positive, qui est le produit du souverain, traduit formellement ce rapport
théoreme d't
de force. D'ou l'équation entre la norme et la sanction, ou la confusion entre la
norme sancti,
validité du droit et son effectivité n_ Comme !e dit Bentham, « tout tient à la sanc-
la morale, so1
tion (punishment} », car « sans la sanction il n'y point de chose appelée loi » 78 • Il n'y
légale = juge
a de loi positive que s'il y a une sanction légale. Aussi Austin distingue-t-il la loi
positive d'un phénomene normatif assez proche, et néanmoins différent, qui est
la« mora/e positive (positive morality) ». 11 s'agit de« regles ou fois» posées parles 2º Le princif
hommes - d'ou l'adjectif de positif -, qui ne bénéficient toutefois pas d'une
230 Reste à élucid
sanction légale 79 • Leur seule arme est la force de persuasion de l'opinion publique
o/God », un J

72. Ibid., p. 215 : « Whether a given govermn,ent be or not suprem_e, is mther a q11estion offact
than a q11estion of internacional law. » Cj R. SEVE, op. cit., p. 77. A cet égard, la métaphore du 80. Austin, com
Gzmman utilisée par Hart pour expliquer l'essence du droit positif chez Austin, est particuliere- Lumieres, insiste
ment éclairaiue: te! le brigand qui menace de son arme un malheureux voyageur pour !ui enlever que « the habitua,
sa bourse, l'Etat use de la contrai me pour imposer sa volomé (H.L.A. HART, The Concept ofLaw, dence of laws imp
p. 6). Cj aussi ibid., chap. 4 ou Hart momre que la souveraineté chez Austin est une donnée habitually delem,
empirique. On retrouve cette même conception chez Bentham. Cj M. EL SHAKANKIRI, op. cit., 81. J. AUSTIN,,
p. 262: « Par !e mot so11verain, Bentham entend "chaq11e personne, ou assemblée de personnes, à la volonté 82. Relayée par!,
de faquelle to11te 1111e communa11té politiq11e est s11pposée obéir". Ainsi !e souverain pettt être un Chef la doctrine juridi,
d'Etat, rm Roi, une Assemblée législative, zm Dictatettr, zm Tyran ... cela importe pe11. L 'essentiel, c'esl « law ofthe constii
q11 'il soit dans 11ne situation de force, dans 1111e sit11ation q11i !11i garantisse l'obéissance de ses mjets. » dra une tres gran,
73. J. AUSTIN, op. cit., p. 24. théoricien du dn
74. lbid., p. 24-25. p. 49) définit !ui J
75. lbid., p. 25. of}11stice. » On la
76. lbid. titutional ,md Ad,
77. Cj M. EL SHAKANKIRI, op. cit., p. 264 s. = • mies of condr,
78. J. BENTHAM, The Limits ofj11risprudence Detennined ( = OfLaws in General), chap. 13, p. 227 83. Or, d'un poi1
note 6, resp. chap. 1, p. 53; cités par M. EL SHAK.ANKIRI, op. cit., p. 265. vité de la contrain
79. J. AUSTIN, op. cit., p. 8 : « positive moml rufes» = « s11ch ofthe rufes or laws set by men to men ,1s efficace, garantir 1
are nol armed with legal sanction ». même dire que l'i
chance aux indivi,
es de l'esprit juridique anglais

,uvernés. Ceei ressort claire-


qui constitue avant tout un
rainte entre les mains de cer-
r La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical ]urisprudence

qui constitue, à l'évidence, une entité difficile à cerner. C'est ce qui explique
pourquoi Austin ne considere pas la positive morality comme des lois « au sens
227

est assez vague, comme en propre ». En même temps, cela ne l'empêche pas de souligner l'importance par-
orité qui excelle par ses ver- fois cruciale de ces regles simplement morales"º. À l'occasion de cette distinction
uends ici, le terme supériorité entre la positive law et la positive morality, Austin est amené à mieux définir ce
r aux autres des désagréments qu'est une sanction légale. D'apres lui, les lois dites imparfaites, telles que le droit
Jr de ces châtiments, à ajuster
international, le droit constitutionnel et le droit coutumier, ne méritent pas
iiconque peut obliger autrui à d'être qualifiées de !ois puisqu'il ne s'agit que de regles morales, de positive mora-
i cela aussi longtemps qu 'il en
lity. Le critere essentiel qui les différencie consiste dans la présence ou l'absence
d'une sanction juridictionnelle. La contrainte légale est clone identifiée à l'exis-
1, est évidemment fluctuante
>ir à des inflexions. Austin
1 tence d'un juge. Évoquant le cas de la constitution, Austin n'hésite pas à dire :
« Si les moyens desa sanction juridictionnelle n'ont pas été prévus par son auteur, il
:ain, puisque dans les faits il
verse il se fait obéir par ses s'agit davantage d'une regle de la mora/e positive que d'une regle du droit positif. »"
r à tout instant. Collective- En l'absence d'un juge constitutionnel, la constitution ne bénéficie que de la
. Celui-ci est conscient de ce sanction morale exercée par l'opinion publique - ce qui n'est pas rien -, et
. . ne crée que des obligations morales. De même, une coutume ne devient une
r01r pour ne pas susc1ter une
d'un point de vue, est le supé- loi positive qu'à partir du moment ou un organe de l'État, à savoir le juge, la
reconnalt. Tant que le juge n'a pas statué, elle n'est qu'une simple regle morale.
"' La théorie austinienne du droit positif aboutit ainsi au même résultat que le
uit formellement ce rapport
théoreme d'Otto Bahr, à sàvoir l'identification de la loi et du juge. Seule une
.on, ou la confusion entre la
norme sanctionnée par un juge est une loi positive 8 2• Tout le reste releve soit de
!ntham, « tout tient à la sane-
la morale, soit du droit divin. D'ou l'équation finale : loi positive = sanction
de chose appelée !oi » 7'. Il n 'y légale = juge"3•
si Austin distingue-t-il la loi
néanmoins différent, qui est
regles ou !ois » posées par les 2º Le príncipe d'utilité, ou le droit tel qu'il devrait être
Léficient toutefois pas d'une
230 Reste à élucider le statut épistémologique de ce que Austin entend par la « law
1asion de l'opinion publique
of God », un aspect desa théorie que nombre de commentateurs ont tendance à

prem_e, is r,1ther a q11estion offact


77. A cer égard, la métaphore du 80. Ausrin, comme d'ailleurs route l'école des urilirarisres et, avant eux, les philosophes des
isirif chez Ausrin, esr parriculiere- Lumieres, insiste sur l'impact de l'opinion publique sur la marche des affaires publiques. II écrir ainsi
heureux voyageur pour !ui enlever que « the habit11al independence which is one of the essentials ofsovereignty, is merely habitual indepen-
LL.A. HART, The Concept of Law, dence of laws imperative and proper. By laws which opinion imposes, every member of every society is
neré chez Ausrin est une donnée habitually detennined » (op. cit., p. 220 note 17).
Cf M. EL SHAKANKIRI, op. cit., 81. J. AUSTIN, op. cit., p. 263.
,, assemblée de personnes, à la volonté 82. Relayée parles disciples de ]'école analyrique, cerre équarion esr reprise par une grande pareie de
insi !e so11verain pe11t être 11n Chef la docrrine juridique anglaise. La même idée se rerrouve chcz Dicey, à travers la distinction entre la
.. cel,1 importe peu. L 'essentiel, c'est « law ofthe constit11tion » er les « conventions oftheconstitution » (cf infra n" 249 et 254). Cela !ui vau-
,misse l'obéiss,mce de ses mjets. ,, dra une rres grande vulgarisarion puisque cerre distincrion a encore cours de nos jours. L' éminent
rhéoricien du droir John SALMOND U11risprndence, 9'' edn., London, Sweet & Maxwell, 1937,
p. 49) définir !ui aussi la !oi dans ce sens : « Law consists of the mies recognized and acted on by Courts
of]11stice. » On la retrouve de nos jours, par ex., chez O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON, Cons-
titutional and Administra tive Law, 7'' edn., London, Sweet & Maxwell, 1987, p. 3: « Law ofstate »
= « mies of conduct which are enforced by the duly constituted courts of that state ».
(Laws in General), chap. 13, p. 227 83. Or, d'un point de vue réaliste, si l'on prend uniquement en considération le critere de l'effecti-
cit., p. 265. vité de la contrainte, l'intervention du juge ne s'impose guere. L'administration peut, de maniere tres
he mies or laws set by men to men as efficace, garantir l'exécution des !ois positives, sans avoir à passer par un juge. Au contraire, on peut
même dire que ]'intervention de ce dernier ralentit la procédure d'exécution en vue de donner une
chance aux individus de faire valoir leurs droits. Cf aussi la critique infra n" 433.
228 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais La Rufe a

escamoter". II est vrai que l'école analytique est célebre pour ses critiques viru- naturel, <
lentes des théories du contrat social et des droits de l'homme. II n'est pas besoin chose qu1
ici d'entrer dans les détails de cette polémique lancée par Bentham, qui est suffi- plus appr
samment connue et débattue'\ Son verdict à l'égard des droits naturels déclarés divine co
en 1789 est sans appel : c'est du « nonsense on stilts (non-sens sur échasses) »'6 puis- ments ex1
qu'il n'existe, selon lui, quedes droits subjectifs conférés par des lois positives. S'il sanctions
s'oppose ainsi au discours jugé fictif, vague et confus du contrat social, on aurait la raison,
cependant tort d'en conclure aussitôt que l'école analytique prône un positivisme 231 II apparaí
juridique. Bentham a, au contraire, théorisé les fondements d'une nouvelle pas à arn
éthique, concurrente de l'impératif catégorique de Kant, qu'est l'utilitarisme". façon scit
Bentham esquisse une premiere ébauche de définition dans le Fragment sur !e lement dt
gowuernement: « C'est le plus grand bonheur du plus grand nombre qui est la mesure valeurs h,
du juste et de l 'injuste. » 88 Maximiser les plaisirs et minimiser les malheurs des existe un,
hommes, de tous les hommes puisqu'ils sont égaux, voilà en quelques lignes le accéder p
credo de l'utilitarisme, dom les conclusions pratiques se recoupent tres souvent l'objet et
avec les revendications formulées parles libéraux'". Au nom du principe objec- démarche
tif et rationnel de l'utilité, Bentham définit un droit idéal qui prétend être uni- romanesci
versel, parfait et immuable"" et qui est axé sur les príncipes de la liberté et de v1sages: e
l'égalité'1. Or, derriere ce principe d'utilité se cache en réalité un nouveau droit et réaliste
seur » qu1
dans le dr
84. Pourtant, il consacre trois des six chapitres de son ouvrage à la law of God, c'est-à-dire 85 pages celle entn
sur un total de 361 pages. Cf op. cit., Leccures II, III, IV, pp. 33-118. Or, cela n'a pas emp&ché cer- tion ». La
cains commentateurs d'ignorer simplemem la !oi de Dieu chez Auscin (cf les silences de
H.L.A. HART, The Concept of Liw, chap. 2-4; H. KELSEN, « The Pure Theory of Law and Ana-
« l'Exposi1
lytical Jurisprudence », Harv. L.R., vol. 55, 1941, pp. 44-70; K. OLIVECRONA, Law as Fact, fait » ,oo_ «
2"J edn., London, Stevens & Sons, 1971, pp. 27-33). D'autres commentateurs comemporains en strict, lesq
évoquem brievemem l'existence, pour l'évacuer aussitôt, en considéram que tous ces développe-
mems n'om aucune importance (Cf W. FRIEDMANN, op. cit., p. 258; W. OTT, op. cit., p. 36;
mauvazs ,,
M. CATTANEO, « Austin et l'utilitarisme », op. cit., p. 128). Sur l'éliminacion progressive de cette suggérer ;:
pareie de l'U!uvre d' Austin au cours du XIX' siecle, cf infra 11" 452 ss. droit te! e
85. Cf, p. ex., M. EL SHAKANK1Rl, op. cit., p. 224-240; J. DE SOUSA E BRITO,« Droits et uti-
lité chez Bemham », APD, e. 26, 1981, pp. 93-119; J. AUSTIN, Pmvince, p. 55 ss.
86. Cité par W. MORRISON, op. cit., p. 186 note 9.
87. Pour une présentation générale, cf J.S. MILL, L '11tilitarisme (1863), trad., présemé et annoté par
C. Audard, Paris, PUF, 1998. Pour une critique philosophique de l'utilitarisme, cf A. RENAUT 92. J. AUS'J
& L. SOSOE, Philosophie d11 droit, Paris, PUF, 1991, p. 445 ss; A. RENAUT, « J. Bentham », différence d,
in E CHATELET et alii (dir.), Dictíonnaire des reuvres politiq11es, Paris, PUF, 1989, p. 93 ss. D'apres 93. J. AUS"I
cec auteur, l'utilitarisme conduit à un relacivisme absolu des valeurs. Une donnée aussi empirique 94. lbid., p.
et variable que l'utilité du plus grand nombre ne pourraic constituer une limite à l'arbitraire du 95. Jbid., p.
pouvoir. De ce fait, l'utilitarisme bemhamien aboutiraic, en dépic de ses imemions, au positivisme. 96. Sur les ,
Pour une critique de ce poim de vue, cf A.V. DICEY, Law & P11blic Opinion, p. 139 ss ( = infra cf infra n" 4
note 293). A noter que cette derniere lecture positiviste, car relativiste, de l'reuvre de Bemham est 97. J. AUS'I
surcout défendue par les défenseurs cominemaux de la philosophie morale de Kant. Les auteurs 98. W. MO
anglo-saxons qui voiem en Bemham un posiciviste se placem dans une tout autre perspective, puis- Austin).
qu'ils ne contestem pas l'objectivité de l'éthique ucilitariste. 99. David I
88. J. BENTHAM, op. cit., p. 87. ment aux fo
89. Cf A.V. DICEY, Law & P11blic Opinion, p. 67. livre Hard <
90. J. BENTHAM, op. cit., p. 90: « Ceq11'est la Loidiffere tres profondémentd'zm paysà l'autre; tandis Oxford, Cla
que ce q11'elle doit être est tres sensiblement la même chose dans to11s les pays. (...) Le censeur estou doit être 100. J. BEN
citoyen d11 monde. » Cf aussi M. EL SHAKANK1RI, op. cit., pp. 283-286. 101. J. AUS
91. Sur le contenu du principe d'utilicé, cf M. EL SHAKANKIRI, op. cit., pp. 241-261 et les expli- with la-ws st ,·
cations de W. MORRlSON et de W. FRIEDMANN. 102. J. BEi\
de l'espritjuridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical ]urisprudence 229

ire pour ses crmques vrru- naturel, comme l'admet de façon explicite Austin. Sa law of God n'est autre
10mme. Il n'est pas besoin chose que la« law of nature »' 1 • L'expression law of God lui semble néanmoins
par Bentham, qui est suffi- plus appropriée, eu égard à sa définition impérative du droit en général. La loi
les droits naturels déclarés divine constitue ainsi une loi « au sens propre », puisqu'il s'agit de commande-
n-sens sur échasses) »" puis- mems exprimés par une autorité supérieure, en l'occurrence Dieu, et assortis de
:s par des lois positives. S'il sanctions religieuses'". Quam au principe de l'utilité, appelé encore la« voix de
lu comrat social, on aurait la raison » "', il sert à Austin « d'index » 95 pour conna1tre la volonté divine.
:ique prône un positivisme 231 II appara1t clone que l'école analytique fondée par Bemham et Austin ne se limite
1dements d'une nouvelle pas à analyser exclusivemem le droit positif. Elle s'attache aussi à définir, de
am, qu'est l'utilitarisme"'. façon sciemifique, le droit tel qu'il devrait être, ce qui la distingue fondamema-
ion dans le Fragment sur le lement de l'école de Vienne"'. Si Kelsen se fait le défenseur d'un relativisme des
rzd nombre qui est la mesure valeurs hérité de Max Weber, Bemham et Austin estimem, au contraire, qu'il
.inimiser les malheurs des existe une « vérité en matiere d'éthique » et qu'il est possible aux hommes d'y
voilà en quelques lignes le accéder par la raison ". Ils som cognitivistes. Cette bipolarité, ou la dualité de
se recoupent tres souvem l'objet et de la méthode du droit, est caractéristique de l'école analytique dom la
,u nom du principe objec- démarche est à la fois « descriptive et prescriptive » 98 • À l'image du personnage
idéal qui prétend être uni- romanesque du D1: Jekyll and Mr. Hyde, l' école analytique se préseme sous deux
·incipes de la liberté et de visages : d'un côté, le visage de « l'Expositeur » qui se veut un observateur froid
n réalité un nouveau droit et réaliste, insensible à !'injustice et au malheur; de l'autre, le visage du « Cen-
seur » qui se veut un esprit critique et juste". À la distinction des deux objets
dans le droit - le droit tel qu'il est et le droit tel qu'il devrait être - correspond
law of God, c'est-à-dire 85 pages celle entre les deux sciences que som la « jurisprudence » et la « science oflegisla-
8. Or, cela n'a pas empêché cer- tion ».La« jurisprudence », ou la« science du droit »,relevede la compétence de
nez Austin (cf les silences de
e Pure Theory of Law and Ana- « l'Expositeur » qui « montre ce que le Législateur et le juge, son subordonné, ont déjà
OLIVECRONA, Law as Fact, fait » 100 • « La science du droit (. ..) est concernée parles !ois positives, ou les !ois au sens
mmentateurs contemporains en strict, lesquelles sont envisagées sans qu'il soit tenu compte de leur caractere bon ou
;idérant que cous ces développe-
p. 258; W. OTT, op. cit., p. 36; mauvais » 1º1• Au « Censeur », il appartiem de discuter des raisons du droit et de
'élimination progressive de cette suggérer à ceux qui légiferent, que ce soit le parlement ou les juges, ce qu'est le
droit tel qu'il devrait être 1º'. Faut-il en conclure que ces deux sciences menent
)USA E BRITO,« Droits et uci-
wince, p. 55 ss.

163), trad., présenté et annoté par


: l'utilitarisme, cf A. RENAUT 92. J. AUSTIN, op. cit., p. 10. Selon A.V. DICEY (Law& P11hlic Opinion, p. 144 s), il n'existe qu'une
A. RENAUT, « J. Bentham », différence de langage entre le benthamisme et la doctrine du contrat social.
aris, PUF, 1989, p. 93 ss. D'apres 93. J. AUSTIN, op. cit., p. 34 ss.
trs. Une donnée aussi empirique 94. Jbid., p. 65.
tuer une limite à l'arbitraire du 95. Jbid., p. 43.
:le ses intentions, au positivisme. 96. Sur les différences entre les deux modeles du positivisme anglais et du positivisme allemand,
,blic Opinion, p. 139 ss ( = infra cf infra n" 451 ss.
viste, de l'reuvre de Bentham est 97. J. AUSTIN, op. cit., p. 75. ,
nie morale de Kant. Les auteurs 98. W. MORRISON, op. cit., p. 186 (au sujet de Bentham) et R. SEVE, op. cit., p. 82 (au sujet de
une tom autre perspective, puis- Austin).
99. David Dyzenhaus a mis en exergue ce principe d'une double vie, qui s'appliquerait non seule-
ment aux fondateurs de l'école analytique, mais aussi aux posicivistes anglais d'aujourd'hui. Cf son
livre Hard Cases in Wicked Legal Systems. 5011th African Law in the Perspective of Legal Philosophy,
1dément d'rm pays à l'autre; tandis Oxford, Clarendon, 1991, p. 1 ss. C/ H.L.A. HART, Essays on Bentham, p. 1.
pays. (. ..) Le censeur est ou doit être 100. J. BENTHAM, op. cit., p. 90.
l3-286. 101. J. AUSTIN, op. cit., p. 126 : « The science ofj11risprudence (. ..) is concaned with positive laws, or
, op. cit., pp. 241-261 et les expli- with laws strictly so called, as considered without regard to their goodness or badness. »
102. J. BENTHAM, op. cit., p. 90-91.
230 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais LaRuleof

une vie parallele, sans aucun point de contact? En distinguant le is et le ought, ment le co
Bentham et Austin ont-ils voulu les séparer? que, bien e
these inver
§ 2. DE L 'ARTICULATION DV DROIT TEL QU'JL EST font pas de
situe, en V(
ET DV DROIT TEL QU'IL DEVRAIT ÊTRE

1º L'artic,
232 L'école analytique a pour particularité de s'intéresser à la fois au droit positif et leprim
au príncipe d'utilité, leque! releve de la philosophie politique et morale. Une fois
ce point admis, il reste à élucider la question des liens éventuels entre ces deux 234 L'existenct
champs du savoir. Dans l'optique d'un positiviste comme Hart, qui travaille lui de l'école"
aussi sur les deux domaines '03, il s' agit de compartiments étanches, de deux prônée par
facettes de la personnalité de Bentham et d' Austin, qui se côtoient sans se tou- entre le dr
cher. En l'absence de toute liaison, les deux objets du is et ought seraient simple- (positif) d,
mentjuxtaposés, chacun menant une vie parallele à l'autre "". Une telle lecture est approche s
néanmoins réfractaire à certains aspects, essentiels, de la pensée des fondateurs tique du pc
de l'école analytique, lesquels ont, au contraire, envisagé une articulation hié- serait ainsi
rarchique entre le is et le ought. À analyser cette hiérarchie dans son príncipe (A) droit tel qu
et dans ses applications (B), on découvre une similitude pour le moins frappante tin pourrai,
entre la théorie du contrat social et les idées de l'école analytique. blée, il affii
les lois posi
A. Le principe d'une hiérarchie entre is et ought mentionné.,
mant que)
233 Selon la lecture faite par Hart de l'a:uvre benthamienne, « le droit n'a pas de science juri,
connexion nécessaire ou conceptuelle avec la mora/e, même s'il existe (. ..) de nom- 235 Aussitôt, P
breux et d'importants liens contingents, souvent tres complexes, entre les deux » ' 05 • Ce tant sur les
propos n'est pas d'une parfaite clarté. Que faut-il entendre au juste par des liens tive, la loi ,
« nécessaires ou conceptuels »? À quoi pense-t-il en évoquant des « liens contin- conçues aus
gents »? On peut tout d'abord écarter une premiere explication, d'ordre empi- tuent la clé
rique, du mot « nécessaire ». Il va sans dire que Bentham n'a jamais affirmé que droit positij
toutes les lois positives étaient nécessairement, ou forcément, conformes à l'idéal grâce à ces.
normatif de l'utilitarisme. Sa critique virulente de la common law prouve juste- que la philc
sur la law o
pose à plus
103. À côté de son célebre ouvrage The Concepl ofLaw, qui constitue, selon ses propres termes, un
« essay in analylical JÍlrisprudence rather than criiicism of law » (p. v), Hart s'est aussi penché surdes
questions substantielles de philosophie juridique, notamment dans le domaine du droit pénal.
Cf id., Punishment and Responsabiliiy. Essays in lhe Philosophy of Law, Oxford, 1968; The Moralily
of Criminal Law. Two Lectures, Jerusalem, London, 1965; Law, Liberly and Moralily, London, 1963. 106. H.L.A. 1
Le dernier ouvrage illustre l'engagement de Hart dans le débat sur la décriminalisation de l'homo- 107. Cf P.LA
sexualité en Grande-Bretagne. S'opposant à Lord Devlin, il souhaite l'abrogarion de la législation t. 1, p. 10 : ,,
répressive en reprenant une argumentation utilitariste qu'avait déjà développée, en son temps, p11issent être e
Jeremy Bemham. Cf W. MORRISON, op. cii., p. 204 et W. FRIEDMANN, op. cit., p. 316. H. KELSEN.
104. En ce sens: M. CATTANEO, « Austin et l'utilitarisme », op. cit., p. 128 s, qui s'oppose sur ce 108. J. AUST
point à son compatriote A. AGNELLI (John A11stin alie origini dei posilivismo gi11ridico, Turin, 109. Ibid.
1959). Ce dernier estime qu'il existe un lien intrinseque entre les deux. 110. Ibid., p..
105. H.L.A. HART, Ess,1ys on Bentham, p. 18. On retrouve la même phrase dans sa notice 111. Ibid., p.
biographique sur John Austin, publiée dans la Internalional Encyclopedia of Social Sciences, vol. 1, ihere are num,
pp. 471-472. Voir aussi id., The Concepi of Law, p. 185 et p. 268. 112. Ibid., p. ·
~s de l'espiit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical ]urisprudence 231

distinguam le is et !e ought, ment le contraire. D'un strict point de vue descriptif, Hart a donc raison de dire
que, bien que la législation incorpore souvent les postulats de la morale, l'hypo-
these inverse n'est pas pour autant à exclure ,o,,. Or, Bentham et Austin ne se satis-
. TEL QV'IL EST font pas de cette perspective exclusivement descriptive. Le lien qu'ils clamem se
situe, en vérité, sur un autre niveau, puisqu'il est de nature normative.
4/T ÊTRE

1º L 'articulation des deux méthodes du droit:


!r à la fois au droit positif et le príncipe de la pluridisciplinarité
JO!itique et morale. Une fois
:ns éventuels entre ces deux 234 L'existence d'un te! lien ressort déjà d'une premiere analyse de la méthodologie
)mme Hart, qui travaille lui de l'école analytique qui est loin d'être pure. La pureté de la méthode, telle que
rtiments étanches, de deux prônée par l'école de Vienne, est en effet révélatrice d'une séparation tres nette
qui se côtoient sans se tou- entre le droit positif et toutes les autres matieres. La volonté d'isoler le droit
u is et ought seraient simple- (positif) de son contexte et d'exclure de la méthodologie juridique toute
autre '()-!. Une telle lecture est approche sociologique, historique, éthique, philosophique, etc., est caractéris-
de la pensée des fondateurs tique du positivisme de Laband et de Kelsen 'º'. La connaissance des !ois positives
tvisagé une articulation hié- serait ainsi suffisante pour connaí'tre !e droit. II n'y pas lieu de s'intéresser au
archie dans son principe (A) droit te! qu'il devrait être ou à la !ex ferenda. Certains extraits de l' ouvrage d' Aus-
1de pour !e moins frappante tin pourraient faire croire qu'il entend mener le même projet scientifique. D'em-
>le analytique. blée, il affirme que « l'objectifprincipal des six cours qui suivent, est de distinguer
les fois positives (la matiere appropriée de la science du droit) des autres objets sus-
ttre is et ought mentionnés » 'º', c'est-à-dire la morale positive et la !oi divine. II poursuit en affir-
mant que ses cours « visent à décrire les frontieres qui séparent le domaine de la
nienne, « le droit n 'a pas de science juridique d'autres domaines qui se situent à ses confins» ID•.
même s'il existe (. ..) de nom- 235 Aussitôt, Austin assouplit néanmoins la rigueur d'une telle démarche, en insis-
nplexes, entre les deux » 'º5• Ce tam sur les nombreuses « affinités » et « analogies » qui existem entre la loi posi-
1tendre au juste par des liens tive, la !oi divine et la morale positive 11 º. Selon !ui, ces « affinités (. ..) doivent être
évoquant des « liens contin- conçues aussi précisément et clairement que possible, dans la mesure ou elles consti-
e explication, d'ordre empi- tuent la clé exclusive ou principale pour saisir de nombreux aspects de la logique du
:ham n'a jamais affirmé que droit positif» 111 • On ne peut comprendre !e droit positif dans son intégralité que
rcément, conformes à l'idéal grâce à ces analogies, en tenant compre des enseignements d'autres sciences telles
a common law prouve juste- que la philosophie, la sociologie, etc. Pourquoi, en effet, s'attarder si longuement
sur la law of God dans un ouvrage censé trai ter de la science juridique? Austin se
pose à plusieurs reprises la question 112, en étant conscient que de tels développe-
stitue, selon ses propres termes, un
v), Hart s'est aussi penché surdes
dans le domaine du droit pénal.
( Law, Oxford, 1968; The Morality
iberty and Morality, London, 1963. 106. H.L.A. HART, Essays on Bentham, p. 18.
ur la décriminalisation de l'homo- 107. Cf P. LABAND, Le droit public de l'Epire allemand, trad. Larnaude, Paris, Giard & Briere, 1900,
haite l'abrogation de la législation t. 1, p. 10 : « Toutes les considérations historiques, politiques et philosophiques, si précieuses qu'elles
t déjà développée, en son temps, puissent être en elles-mêmes, sont sans importance (Belang} pour la dogmatiq11e d'un droit concret. ,,
EDMANN, op. cit., p. 316. H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2' éd., trad. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, p. 1-2.
,p. cit., p. 128 s, qui s'oppose sur ce 108. J. AUSTIN, op. cit., p. 2.
~i dei positivismo giuridico, Turin, 109. lbid.
; deux. 110. lbid., p. 2, 3. II y revient à de multiples reprises.
: la même phrase dans sa notice 111. lbid., p. 3 : « affinities that ought to be conceived ,15 precisely and clearly as may be, inasm11ch as
cyclopedia of Social Sciences, vai. 1, there are numerous portions of the rationale ofpositive law to which they are the only ar principal key ».
112. lbid., p. 4, 59, 130 et 160.
232 De la Rufe o/ Law ou les particularismes de l'esprit juridique anglais LaRule o/J.

ments sont « quelque peu impertinents » 111 par rapport à l'objer esquissé initiale- d'utilité co1
ment. Toutefois, « convaincu de la vérité et de l'importance » du principe d'utiliré, le domainc
il n'hésite pas à « verser dans des analyses éthiques qui ne rentrent pas précisément culier » '". 1
dans l'objet de ces cours », au risque de se voir accusé d'avoir commis une« ojfense d'une oblit
à une logique rigoureuse » '". Cela importe finalement peu. plus grand
« Bien que la science de la législation (ou de la !oi positive telle qu'elle devrait être) diriger les a
ne soit pas la science du droit (ou de la !oi positive telle qu'elle est), il n'en reste pas de bonheur.
moins que les sciences sont reliées par des liens multiples et indissolubles. » 115 Le déni mule saisis:
de toute pureté, au sens kelsénien, est catégorique : « Etant donné que les divers du législatei
départements de la science sont imbriqués les uns dans les autres, tout exposé focalisé tive s' expri
sztr tm seu! département, séparé des autres, est inévitablement un fragment plus ou a théorisé l
moins impaifait. » '"' D'ailleurs, son ouvrage se clôt sur un véritable hymne à l'in- l'étalon (tes
terdisciplinarité : « Déterminer le champ de la science du droit revient à distinguer du droir nJ
le droit positif (qui est la matiere appropriée de la science du droit) des objets variés fait "'. Sur
(décrits dans les leçons précédentes) auxquels il est allié ou dont il est proche sur le et la docrn
mode de la ressemblance ou de l'analogie. Mais les liens par lesquels il est connecté extrair tiré
avec ses objets, ou encore les points de contact entre eux, sont si nombreux qu 'une défi- divines obl,
nition paifaite du champ de la science du droit équivaudrait à un exposé parfait de suprématit
toutes les diverses parties de la science. » 117 Autrement dit, le juriste ne peut se S'interrogr
consacrer exclusivement à l'étude du droit positif sous peine de ne pas saisir le [Blackston
phénomene du droit dans toute sa réalité et sa complexité. Le positivisme, s'il a aux !ois dii
une légitimité indubitable aux yeux de Bentham et Austin, n'en connait pas hésitation.
moins des limites. Il existe ainsi des situations, non négligeables, ou il n'est d'au- Austin;
cune aide au juriste pour résoudre certains problemes. Apparaí't alors, dans toute God. En t;
son ampleur, la nécessité d'une autre approche qui étudie un autre objet, à savoir mandemer
le droit tel qu'il devrair êrre. mesure ou
lui donne
2º L 'articulation des deux objets du droit: un jusnaturalisme qui s'ignore

236 À lire Bentham er Austin, il n'y a pas de doure possible sur l'existence d'un lien 118. J. BEN'
normarif, ou hiérarchique, entre le droir tel qu'il est er le droir tel qu'il devrait 119. J.BEN'
êrre. Se subsriruant à ce critere vague et fictif que fut le contrat social, le principe cité par M. L
120. Jbid., e\
121. J. AUS'
122. lbid., p.
113. Ibid., p. 4. the legislator.
114. Ibid., p. 7. 123. W.BU
115. Ibid., p. 6. gation to ali ,
116. Ibid., p. 160 note 9. 124. J. AUS'
117. Jbid., p. 354 : « To determine the pnrvince ofj11rispmde11ce is to distinguish positive law (the ,,ppro- !e droit 011 la
priate matter ofjurispmdence}fiwn the vario11s objects (noted in the foregoing lecwres) to which it is allied that hwnan /.
ar related in the way ofresemblance ar analogy. Brtt so n11mero11S are the ties by which it is connected with that 11/tinMlf
those objects, ar so 11w11ero11s are the points at which it to11ches these objects, that ,1 perfecl determination p. 185). Là OI
of the province ofj11rispmde11ce were a perfect exposition of the science in ali its manifold parts. » Si la tique de ceu
formularion para1r quelque peu excessive - à la suivre à la lettre le jurisre devrait érudier coutes du pendu k/.
les sciences, ce qui est évidemment impossible -, l'idée de base reste valable. Le príncipe d'une relle la loi narure 1
pluridisciplinariré, propre à l'école analyrique, se mainriendra plus ou moins chez les successeurs Au contrain-
d' Ausrin. Elle est encare présente chez Dicey (cf infra n'" 248 ss et n'" 263 ss). John SALMOND s' en mique na1t ~
fait encore un ardem avocat, même si, pour des raisons pratiques, il se consacre « principalement » au Blacksrone, 1
droit posirif et qu'à titre « subsidiaire » aux aspects hisroriques et érhiques (op. cit., p. X et pp. 1-8). alors qu'Am
es de l'esprit juridique anglais La Rufe o/Law, Dicey et l'école de l'A nalytical Jurisprudence 233

)rt à l' objet esquissé initiale- d'utilité constitue, selon Bentham, la nouvelle « mesure du juste et de l'injuste dans
'tance » du príncipe d'utilité, le domaine de la moralité en général et dans celui du gouvernement en parti-
ti ne rentrent pas précisément culier » 11 '. Le législateur, autrement dit le souverain, se trouve obligé, en vertu
d'avoir commis une« ojfense d'une obligation morale, de respecter dans son reuvre législative le príncipe du
1t peu. plus grand bonheur du plus grand nombre. « La mora/e, en général, est l'art de
sitive telle qtt'elle devrait être) diriger les actions des hommes, de maniere à produire la plus grande somme possible
le qu'elle est), il n'en reste pas de bonheur. La législation doit avo ir précisément le même objet. » 11 • D' ou cette for-
?S et indissolubles. » '" Le déni mule saisissante : « Des plaisirs à répandre, des peines à écarter, voilà l'unique but
: « Etant donné que les divers du législateur. » 12º La suprématie du ought sur leis, de la loi de Dieu sur la foi posi-
les autres, tout exposé focalisé tive s'exprime dans des termes au-dessus de coute équivoque chez Austin, qui en
blement un Jragment plus ou a théorisé le príncipe, les conditions et les limites. « La loi divine est la mesure ou
ur un véritable hymne à l'in- l'étalon (test) du droit positif et de la mora/e. » '" Le príncipe d'utilité, synonyme
? du droit revient à distinguer du droit naturel, « doit guider le législateur » et c' est en général ce qui se passe en
nce du droit) des objets variés fait"'. Sur ce point, il existe un consensus remarquable entre l'école analytique
ié ou dont il est proche sur le et la doctrine du contrat social. En témoigne la fameuse glose de Austin sur un
ms par lesquels il est connecté extrait tiré des Commentaires de Blackstone, ou celui-ci affirme que « les fois
sont si nombreux qu 'une défi- divines obligent davantage que toutes les autres fois» 121 • Sur le príncipe d'une telle
wdrait à un exposé parfait de suprématie, Austin est tout à fait d'accord avec l'ancien martre de Bentham.
nt dit, le juriste ne peut se S'interrogeant sur le sens exact de cet extrait, il affirme ainsi : «//se peut qu'il
:ous peine de ne pas saisir le [Blackstone] ait voulu dire que toutes les lois humaines doivent être conformes
plexité. Le positivisme, s'il a aux fois divines. Si telle est la signification desa phrase, je l'approuve sans aucune
et Austin, n'en connart pas hésitation. » 124
négligeables, ou il n'est d'au- Austin s'évertue à cerner plus précisément le caractere obligatoire de la law o/
!S. Apparalt alors, dans coute God. En tant que loi au sens propre du terme, la law o/ God constitue le com-
tudie un autre objet, à savoir mandement de Dieu aux hommes qui lui som inférieurs. Elle oblige dans la
mesure ou elle est assoreie d'une sanction, en l'espece, une sanction religieuse qui
lui donne sa nature spécifique de loi divine, par opposition aux lois positives.
maturalisme qui s'ignore

:ible sur l'existence d'un lien 118. J. BENTHAM, Fragment, p. 172.


st et le droit te! qu'il devrait 119. J. BENTHAM, Príncipes de législation, chap. XII, in CE11vres, trad. par L. Dumont, vol. 1, p. 37;
: le contrat social, le príncipe cité par M. EL SHAKANKlRI, op. cit., p. 244 note 12.
120. Ibid., chap. VIII, p. 24.
121. J. AUSTIN, op. cit., p. 6.
122. Ibid., p. 59 : « The principie of 11tility... not only ought to gttide, bttt has commonly in fact g11ided
the legislator. »
123. W. BLACKSTONE, op. cit., t. 1, p. 41 ( = supra n" 208): « The laws of God are superior in obli-
gation to ali other laws. » Cf J. AUSTIN, op. cit., p. 184.
124. J. AUSTIN, op. cit., p. 184 dans sa longue note sur la« tendancedominanteà confondreceqtt'est
to distinguish positive law (the ,1ppro- le droit ou la mora/e avec ce qtt'ils devraient être » (pp. 184-191). II poursuit: « Perhaps, again, he means
foregoing lectures) to which it is allied that h11man lawgivers are themselves obliged by the Divine laws to fashion the laws which thry impose by
~ the ties by which it is connected with that ultima te standard, because if thry do not, God will p1mish them. To this also l entirely assent » (ibid.,
, objects, that ,1 perfect detennination p. 185). Là ou Ausrin n'est plus d'accord avec Blackstone, c'est lorsqu'il s'agir de définir ]'impact pra-
ence in ali its manifold pares. » Si la tique de cette suprémarie des !ois divines dans un proces donné. Austin énonce alors son exemple
tre le juriste devrait étudier toutes du pendu (cf supra note 67) et fair comme si Blackstone avait affirmé qu'une !oi positive contraire à
·este valablc. Le príncipe d'une telle la !oi naturelle ne serait pas ne serait pas appliquée parles juges. Or, Blackstone n'a jamais dit cela.
plus ou moins chez les succcsseurs Au contraire, il estime que les juges n'om pas !e droit de censurer une !oi (cf. mpra n" 200). La polé-
~t fl'' 263 ss). John SALMOND s'en mique nalt ainsi d'un malemendu de la part d' Austin sur la signification du mor obligation. Pour
, il se consacre « principalement » au Blackstone, le terme renvoie, dans ]' extrair comroversé, à une obligation in foro interno (cf n-· 21 O),
!t éthiques (op. cit., p. X et pp. 1-8). alors qu' Ausrin l'idemifie à la comraime, à une obligation in foro externo.
234 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais

Austin ne définit pas davantage la nature des sanctions religieuses '", mais il ne
f LaRuleofL

ne peuvent êt
met pas en doute la réalité de la loi divine. À ses yeux, les sanctions divines les limites di
dépassent même de loin, en gravité, les sanctions juridiques; par conséquent, et ne se réfe
l'obligation religieuse l'emporte, d'un point de vue normatif et factuel, sur donné qu'il i
l' obligation légale 116 • « Si les commandements humains contredisent la loi divine, l' existence d'
nous devons désobéir au commandement qui est assorti de la sanction la moins forte; limité par un
c'est ce qui est impliqué parle terme "devoir" (. ..) et il est de notre intérêt de choisir est le propre <
le mal le plus petit et le pltts incertain, de préférence à un mal plus important et plus positive au i
certain. » ' 17 Sur ce fondement repose la suprématie du príncipe d'utilité, supré- contraint ni p
matie qui se trouve confirmée par la controverse sur les limites de la souveraineté. ni par lui-mê
contre lui-mé
3º Des limites juridiques et morales de la souveraineté limité par unt
238 À ce stade, il
237 À l'origine de ce débat houleux se trouve l'affirmation tranchée d' Austin que« le nie pas le prir
pouvoir souverain ou suprême est incapable d'être limité par une loi » 11'. La polé- parlons de façr
mique qu'il déclenche par cette idée, qui aurait valeur « tmiverselle » 12'1 et qu'on une foi à lui-11
trouve déjà sous la plume de Bentham 00 , repose en bonne partie surdes malen- sa propre con,
tendus. Est-ce dire en effet qu'Austin s'oppose à l'idée d'autolimitation du sou- encore, il faur
verain telle que envisagée par Kant et par Jellinek? Quel est en particulier le sta- souveram par
tu t normatif de la constitution à l'égard du Parlement de Westminster? Si ce juge. Or sa dé
dernier n'est pas juridiquement lié par la constitution, faut-il en conclure qu'il qui, sur le fon
n'existe aucune limite au pouvoir souverain? Sur toutes ces questions, il faut théorie de l' au
avancer avec prudence; surtout, il importe de restituer la pensée d' Austin avec à la contrainte
ses propres termes et concepts, afin d'éviter le piege d'un dialogue de sourds dans obligation in 1
lequel sont tombés tant de commentateurs. dique du rest~
Austin définit la souveraineté à travers deux criteres. Le souverain, qui peut
être soit une personne unique soit un organe composé de plusieurs individus, est
un « supérieur » qui, d'une part, se fait obéir habituellement par ses inférieurs et, 132. Ciré en fran1
d' autre part, n 'obéit lui-même à aucun « supérieitr humain déterminé » '-". Il sous- 133. lbid., p. 253
crit ainsi à la définition qu'en a donnée Grotius : « La puissance souveraine est 134. Cf M. VIRL
« Une doctrine q111
ceife dont les actes sont indépendants de tout autre pouvoir supérieur, en sorte qu'ils po11voir politique,
indique d'ailleurs
dus, ou les gouver
135. J. AUSTIN,
verain, alars la cor
125. On peut penser que la !oi divine s'appuie sur les remords de conscience des individus, qui, s'ils e' est-à-dire une loi
som partagés par une large partie de la population, suscitem une pression sociale (opinion publique, clone prohibé. Si 1,
révolucion, etc.). D'une entité métaphysique, elle devient une réalité sociologique, étant véhiculée mis à une obligari,
par la positive morality. En ce sens, cf A.V. DICEY, ÍAw & Public Opinion, p. 22-23; P.P. CRAIG, rion morale (ibid. f
« Bentham, Public Law and Democracy », PL, 1989, p. 414. poser que la cons
126. J. AUSTIN, op. cit., p. 184. consrirurionnaliré
127. !bid. On verra une application de ces idées dans le droir de résisrance des individus. vaguement esquiss,
128. Ibid., p. 223 : « Savereign or supreme power is incapt1ble of legt1l limitation. » Voir aussi p. 254. 136. !bid., p. 255 :
Sur cerre quesrion, voir G. MARSHALL, Parliament<1ry Sovereignty and the Commonwealth, a man may adopt ,1
Oxford, Clarendon, 1957, chap. 2, pp. 4-15. he were bormd to oi
129. ]. AUSTIN, Pravince, p. 254. 137. Cf R. V. !HEI
130. Cf Fragment, p. 158 ss et 166 s. G. JELLINEK, D,,
131. J. AUSTIN, op. cit., p. 194 : « 1. The bulk of the given society are in a habit of obedience or Võlkerrechts, Wien
s11b111ission to t1 detemzin<1te and common s11perior. (. ..) 2. [The sovereign] is not in a h<1bit of obedience selbst Zwingen ! (O,
to t1 detennin<1te h11man s11perior. » 138. Cf les explica
~s de l'esprit juridique anglais La Rule ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurisprttdence 235

ons religieuses 12 ', mais il ne ne peuvent être annulés par aurnne autre volonté humaine. » "' En ce qui concerne
yeux, les sanctions divines les limites dites « juridiques ~egal) », Austin entend le terme legal au sens strict,
juridiques; par conséquent, et ne se réfere qu'aux lois positives telles que définies par lui-même 133. Etant
ue normatif et factuel, sur donné qu'il identifie la loi positive avec la contrainte, et plus précisément avec
ins contredisent la loi divine, l'existence d'un juge, il va de soi, en pure logique, qu'un souverain ne peut être
de la sanction la moins forte; limité par une loi positive : il ne peut être à la fois le sujet de la contrainte, ce qui
est de notre intérêt de choisir est le propre du souverain, et en être l'objet, ce qui est la caractéristique d'une loi
m mal plus important et plus positive au sens ou l'entend Austin. En effet, le souverain ne saurait être
du príncipe d'utilité, supré- contraint ni par un autre, tel un juge - sinon il ne serait plus l'organe suprême -,
.es limites de la souveraineté.
1 ni par lui-même, car un tel acte réflexif reviendrait à diriger sa propre force
centre lui-même, ce qui est absurde '". D'ou sa conclusion: « Le pouvoir suprême
ineté limité par une loi positive est une contradiction nette dans les termes. » rn
238 À ce stade, il faut se garder de coute conclusion hâtive. Tout d'abord, Austin ne
m tranchée d' Austin que « le nie pas le príncipe fondamental de l'autolimitation, quoi qu'il en dise: « Si naus
iité par une loi » 128 • La polé- parlons de façon appropriée, il est impossible de dire qu'un homme puisse se donner
ur « universelle » ' 29 et qu 'on une loi à lui-même; totttefois un homme peut adopter un príncipe com me guide de
bonne pareie sur des malen- sa propre conduite et s'y tenir comme s'il y était obligé par une sanction. » '"' Là
lée d'autolimitation du sou- encere, il faut faire attention au sens des mots. S'il récuse une autolimitation du
~uel est en particulier le sta- souverain par une « loi », il entend par là une loi positive sanctionnée par un
nent de Westminster? Si ce juge. Or sa définition du mot loi n'a rien à voir avec celle de Kant ou de Jellinek,
on, faut-il en conclure qu'il qui, sur le fond, seraient certainement d'accord avec Austin. Il est évident que la
toutes ces questions, il faut théorie de l'autolimitation équivaut à une absurdité des lors qu'on identifie la loi
uer la pensée d' Austin avec à la contrainte m. L'autolimitation n'a de sens que si l'on se réfere non pas à une
i'un dialogue de sourds dans obligation in foro externo, mais à une obligation in foro interno 138 , comme !'in-
dique du reste Austin à la finde l'extrait cité. Le souverain austinien n'est certes
eres. Le souverain, qui peut
sé de plusieurs individus, est
llement par ses inférieurs et, 132. Cité en français ibid., p. 214.
emain déterminé »"'.II sous- 133. Ibid., p. 253 s.
" La puissance souveraine est 134. Cf M. VIRALLY, La pensée j11ridiq11e, reprod. de l'éd. de 1960, Paris, LGDJ, 1998, p. xvm :
« Une doctrine qtti définit l'ob!igation j11ridiq11e par la sanction promise à sa violation renonce à lier le
·voir supérieur, en sorte qu'ils po11voir politique, car on ne menace pas de la contrainte cel11i qui dispose de la puissance. » Austin
indique d'ailleurs clairemem que, selon sa définition impérativiste de la !oi positive, seuls les indivi-
dus, ou les gouvernés, som obligés par celle-ci (cf l'extrait cité mpra note 71).
135. J. AUSTIN, op. cit., p. 254. Si l'on admet !e postulat que le Parlemem de Westminster est sou-
verain, alors la constitution, qui emend limiter son pouvoir, ne peut et ne doit &tre une !oi positive,
, conscience des individus, qui, s'ils c'est-à-dire une !oi sanctionnée parles juges. Tout comrôle juridictionnel des actes du parlemem est
pression sociale (opinion publique, donc prohibé. Si le parlemem n' est pas juridiquemem limité par la constitution, il est toutefois sou-
:alité sociologique, étam véhiculée mis à une obligation morale de respecter la constitution, dans la mesure ou il est exposé à unl; sanc-
'ic Opinion, p. 22-23; P.P. CRAIG, tion morale (ibid. p. 255 ss). Le raisonnement de Austin se laisse aussi !ire dans le sens inverse. A sup-
poser que la constitution soit une !oi positive, les juges som obligés ipso facto de contrôler la
constitutionnalité des !ois. La souveraineté reviendrait à ce momem à un pouvoir constituam
résistance des individus. vaguemem esquissé par Austin (ibid., p. 232 s).
?gal limitation. » Voir aussi p. 254. 136. Ibid., p. 255: « Ifwe speak with propriet)\ wecamwtspe,1k ofa lawset bya manto himself: though
•ereignty and the Commonwealth, a man may adopt a principie as a g11ide to his own cond11ct, and may observe it ,ts he wo11/d observe it if
he were bozmd to observe it by sanction. »
137. Cf R. v. IHERING, Der Zweck im Recht, 4· éd., Leipzig, Breitkopf & Hanel, t. 1, 1904, p. 258 s;
G. JELLINEK, Die rechtliche Natttr der Staatenvertrãge. Ein Beitrag zur j11ristischen Constmktion des
ciety are in a habit of obedience or Võlkerrechts, Wien, Hõlder, 1880, p. 33 : « Ein sich selbst Verpjlichten ist mõglich, niemals aber ein sich
~reign] is not in a habit of obedience selbst Zwingen! (On peut s'a11tolimiter, mais jamais on ne peta se contraindre soi-même!) »
138. Cf les explications infra n" 517 ss.
236 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais

pas soumis à ses propres lois positives, mais il n'en est pas moins soumis à la law
r LaRuleofL

tham s'en L
of God et à la positive morality '3". 1808, date d1
tar d'ailleur:
B. Les vecteurs de la suprématie du ought sur le is positive de
pouvoir, de 1
239 S'il est bien beau de proclamer la suprématie du principe utilitariste, encore faut- lité. Il n'y ai:
il s'assurer de son respect dans la réalité. À moins de prévoir des « moyens de l' époque, un
mettre en conformité ce qui est avec ce qui devrait être » "º, tout le discours sur le Bentham écl
plus grand bonheur du plus grand nombre est vain, ce qui n'a pu échapper à un modele conf
esprit aussi critique et réaliste que Bentham. Sur ce point encore, la convergence à l'égoisme, ,
de vue entre l'école analytique et les théoriciens du contrat social est évidente, nombre vaj.
si l'on s'attache davantage au fond qu'aux querelles terminologiques. Tradition- contre, en 18
nellement, les diverses écoles du droit naturel prônent, à quelques exceptions conversion d
pres, trois canaux par lesquels s'opere la médiation entre !e droit naturel et !e Selon Ben
droit positif, à savoir : le législateur, !e juge et le peuple. Ces trois vecteurs se de garantir la
retrouvent, à divers degrés, dans les écrits de l'école analytique. bonheur du 1
lui-même 147 •
1º Le rôle primordial du législateur élu démocratiquement ainsi assurée.
bore un pro~
240 C'est au législateur qu'incombe !e rôle éminent de réformer le droit existam, de tutions britai
traduire les axiomes utilitaristes en une législation moderne, rationnelle et codi- des bourgs p,
fiée. Habité par une passion de la réforme, Bentham ne cesse de critiquer ce qu'il Hostile à la L
y a d'absurde, d'arbitraire et d'illogique dans les !ois positives anglaises, et spé- lable tous les
cialement dans la common law. Il s'avere ainsi tres proche à la fois du rationa- S'agissant de
lisme constructiviste "' d'un Thomas Hobbes et de la ferveur innovatrice des d'un rapport
révolutionnaires français. II se fait le chantre de la codification pour supprimer compre des v
définitivement la common law, ce « droit de chien » w qui est fait, de maniere révoquer lelii
rétroactive, parles juges. Le législateur !ui inspire, en effet, plus de confiance que gouvernemen
les juges qui ne sont responsables devam personne. En tant que souverain, !e par- som destinés
lement n'est toutefois soumis à aucun contre-pouvoir institutionnalisé qui serait que se passe-t
habilité à censurer ses !ois. La seule garantie du principe d'utilité vis-à-vis du scientifique?
pouvoir législatif réside des lors dans la structure interne de celui-ci.
241 S'agissant de la forme de gouvernement idéale, l'école analytique a préconisé -
non sans quelques tergiversations - un modele démocratique «radical» 143 • Ben- 144. Au cours <l
Rechtsstaat. Dam
fois citer le term,
mem, voir ibid, F
139. Ibid., p. 194, p. 218 note 17, p. 220 note 17, p. 223, p. 268 s, p. 294 (« The proper purpose orend calisme bemham
ofa Süvereign political government; ar the end for which it ought to exist, is the grrutest possible advan- 1859. Enfin, il fai
cement ofhmnan happiness »), p. 307 s. l'utilitarisme ben
140. J. BENTHAM, Constiwtional Code, introd., sect. 2; cité par M. EL SHAKANKIRI, op. cit., plural pour les i1
p. 324 note 33. les pi us com péte
141. Sur cette notion, cf s11pra O'' 168. des femmes.
142. J. BENTHAM, Tmth versmAshh11rst: «!tis thej11dges... that nwke thecommon la·m Do yo11 know 145. M. EL SHA
how thq make it? }ust as a man makes law for bis dog. When your dog does any thing you w,mt to break 146. lbid.
him of, you wait til/ he does it, and then beat him for it. Ibis is the way you make law for your dog: and this 147. Jbid., p. 32~
is the way the j11dges make law for yo11 and me»; cité par M. EL SHAKANKIRI, op. cit., p. 295 note 97. pp. 407-427.
Sur la codification, censée garantir la clarté, la certitude et la cohérence du droit, v. ibid., p. 287 ss. 148. En ce quico
143. Cf M. EL SHAKANKIRJ, op. cit., pp.315-338 et A.V. DICEY, Law & Public Opinion, pp. 158-165. Law & Public Op,
es de l'esprit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical ]urisprudence 237

:st pas moins soumis à la law tham s'en fait un fervent défenseur à la fin de sa vie. II faut dire que jusqu'en
1808, date desa conversion, l'illustre philosophe a l'esprit plutôt élitiste, à l'ins-
tar d'ailleurs d'Austin qui garde de son voyage en Prusse une impression tres
1 ought sur le is positive de l'absolutisme éclairé ,.. _ Aussi suffirait-il d'éclairer les hommes au
pouvoir, de les convertir à leur doctrine pour assurer le regne du príncipe d'uti-
1cipe utilitariste, encare faut- lité. II n'y aurait clone pas lieu de toucher au régime politique en place qui fut, à
de prévoir des « moyens de l'époque, un régime mixte fondé sur un suffrage censitaire. Tout bascule lorsque
·e » "º, tout le discours sur le Bentham échoue dans son projet de faire construire le panopticon, une prison
ce qui n'a pu échapper à un modele conforme aux maximes utilitaristes. Ruiné, « il en veut au roi, s'en prend
Joint encare, la convergence à l'égoisme, à l'apathie de l'aristocratie gouvernante » '". Or « la haine du petit
t contrat social est évidente,
nombre va facilement de pair avec l'amour du plus grand nombre » '". La ren-
terminologiques. Tradition- contre, en 1808, avec le démocrate convaincu James Mill (1773-1836) achevera la
nent, à quelques exceptions conversion de Bentham, alors sexagénaire.
1 entre le droit naturel et le Selon Bentham, la démocratie est la forme de gouvernement la plus à même
,euple. Ces trois vecteurs se de garantir la convergence entre les objectifs poursuivis parles gouvernants et le
analytique. bonheur du plus grand nombre, étant donné que c'est le peuple qui se gouverne
lui-même '". La conformité entre le droit positif et le principe d'utilité serait
ainsi assurée. Figure de proue d'un vaste mouvement réformiste, Bentham éla-
zquement
bore un programme ambitieux visant à remodeler de fond en comble les insti-
éformer le droit existant, de tutions britanniques de l'époque '". Au nom de l'égalité, il exige la suppression
10derne, rationnelle et codi- des bourgs pourris et l'instauration du suffrage universel, masculin et féminin.
ne cesse de critiquer ce qu'il Hostile à la chambre des Lords, il prône un parlement monocaméral, renouve- ,.
1/

!S positives anglaises, et spé-


lable tous les ans, et va même jusqu'à exiger l'instauration d'une République.
proche à la fois du rationa- S'agissant de l'appareil administratif, il se prononce en faveur de la mise en place
e la ferveur innovatrice des d'un rapport hiérarchique continu afin de garantir au maximum la prise en
·odification pour supprimer compte des vreux des électeurs : ceux-ci peuvent non seulement élire, mais aussi
»
142
qui est fait, de maniere révoquer leurs députés qui, à leur tour, peuvent engager la responsabilité du
1effet, plus de confiance que gouvernement, lequel supervise les fonctionnaires. Autant de mécanismes qui
,n tant que souverain, le par- sont destinés à induire les principes utilitaristes dans les rouages du pouvoir. Or,
.r institutionnalisé qui serait que se passe+il si jamais le législateur a méconnu les exigences de l'utilitarisme
·incipe d'utilité vis-à-vis du scientifique?
terne de celui-ci.
le analytique a préconisé -
ocratique «radical»'". Ben- 144. Au cours de son voyage d'érudes en Allemagne, Austin a pris connaissance du concept de
Rechtsstaat. Dans ses développemems sur la théorie du contrat social, il en évoque l'idée sans toute·
fois citer le terme (Province, p. 310 et 342). En ce qui concerne son analyse des formes de gouverne-
mem, voir ibid, p. 217 ss et W. MORRISON, op. cit., p. 215. Austin prend ses distances avec le radi-
p. 294 (« The proper p11rpose or end calisme bemhamien dans son article A Plea for the Constitution, paru dans le Frazer's Magazine de
exist, is the grn1test possible advan·
> 1859. Enfin, il faut mentionner l'attitude de John Stuart Mill (1806-1873) qui est un rénovateur de
l'utilitarisme bemhamien. Ce dernier se fait le défenseur d'un régime représentatif fondé sur un vote
ar M. EL SHAKANKIRI, op. cit., plural pour les individus les plus éduqués, ce qui garamirait la sélection des hommes politiques
les plus compétents. En même temps, il va dans le sens égalitaire en se prononçam pour le vote
des femmes.
nake the common Iam Do yo11 know 145. M. EL SHAKANKIRI, op. cit., p. 321.
'og does any thing you want to break 146. Jbid.
yo11 make law for your dog: and this 147. lbid., p. 322 ss. Cf aussi P.P. CRAIG, « Bemham, Public Law and Democracy », PL, 1989,
,KANKIRI, op. cit., p. 295 note 97. pp. 407-427.
érence du droit, v. ibid., p. 287 ss. 148. En ce qui concerne l'influence des idées de Bemham sur la législation anglaise, cf A.V. DICEY,
Law& P11blicOpinion, pp.158-165. Law & P11blic Opinion, pp. 126-210.
238 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais

2° Le rôle secondaire du juge: le pouvoir d'interprétation


r
1 absolument n
ses ye~x, le j1
242 De par sa position, le juge pourrait jouer un rôle crucial dans la résorption d'un soum1s aux p
éventuel décalage entre le droit tel qu'il est et le droit tel qu'il devrait être: c'est soit le juge 01
en effet à lui qu'il revient de définir en dernier ressort, dans un cas d' espece, ce d'être à la foi
qu'est le droit. Sa sanction fait justement d'une loi une loi positive; il pourrait
dane en adoucir la rigueur. En revanche, si le juge exécute sans états d'âme la loi 3° Le citoye1
inique - et c'est ce que prétend Austin dans son exemple du malheureux
pendu -, tout le discours sur le droit tel qu'il devrait être est vain, du moins sur 244 Dans la théor
le planjudiciaire 1" . Austin en déduit, à juste titre, que c'est une« ineptie », du décisif : « So
« stark nonsense », que de dire que « les fois humaines qui sont contradictoires avec D'obéir scrup1
la loi divine ne sont pas obligatoires, c'est-à-dire ne sont pas des fois» 150 • Puisque le laisse décrypt
juge applique la loi inique, celle-ci existe en tant que loi positive et elle oblige en morale d'obé
tant que telle, c'est-à-dire in foro externo. Aussi regrettable qu'elle soit, l'hypo- point de vue
these n'en est pas moins réelle. Cette obligati
Bentham et Austin sont en effet tous les deux d'accord, quoique pour des rai- in foro extem(
sons différentes, pour rejeter toute prétention des juges à vouloir censurer une d'obéir à la 1
loi. Aux yeux du premier, un tel droit est incompatible avec l'idée de démocra- citoyen est su 1
tie : « Donnez au juge le pouvoir d'annuler ses actes [ = les lois du parlement1 et elle est injuste
vous transférez une partie du pouvoir souverain d'une assemblée, à laquelle le peuple Cette censl
a au moins pris quelque part, à une assemblée d'hommes au choix desquels le peuple le droit tel qu
n'a pris la moindre part. » 151 La démarche de Bentham est dane prescriptive : le d'abord, user <
principe d'utilité s'oppose à un tel pouvoir exorbitant des juges. Quant à Aus- de presse, d'as:
tin, il se situe plutôt sur un plan empirique, en estimant qu'une telle compétence l'opinion publi
ne fait, et n'a jamais fait, partie du droit positif: « Aucune exception, objection ou changement d
plaidoirie fondée sur la foi de Dieu n 'a jamais été entendue dans une cour de justice, Leur seconde ;
depuis la création du monde jusqu'à ce jour. » 152 Là aussi, l' école analytique va dans analytique, il :
le sens des idées défendues par Blackstone qui, en son époque, s'était déjà opposé de l'attitude à
au précédent du Dr. Bonham's Case. d'obéir aussi lo,
243 Le juge se voit dane interdit de censurer la loi en arguant d'une éventuelle contra- « devoir » moi
diction avec le principe d'utilité. 11 ne faut toutefois pas en déduire l'inutilité partie, un droi;
totale du discours utilitariste sur le plan judiciaire. Celui-ci est à nouveau perti- se garde bien d
nent dans le cas de figure ou la législation présente des lacunes, des imprécisions naturels, il n'1
ou des contradictions. Tel est au moins l'avis d'Austin qui, sur ce point, s'avere
plus réaliste que Bentham 153 • Austin admet l'existence « hatttement bénéfique et
la solution qu'ils e
silence vaut accept
154. ]. AUSTIN,
149. Le seu! moyen de faire valoir le principe d'utilité est alors le droit de résistance. 155. Ibid., p. 31. S
150. J. AUSTIN, op. cit., p. 185. Sa critique de Blackstone n'est toutefois pas justifiée. Si ce dernier the Philosopby ofp,
affirme que les !ois humaines qui som contraires aux !ois divines n'obligent pas, il vise l'obligation op. cit., p. 39; H.l
mo rale, in foro interno, et non pas la comraime légale. vol. 71, 1958, p. 6í
151. J. BENTHAM, Fragment, p. 160. Cf aussi D. DYZENHAUS, op. cit., pp. 5-7. p. 212 ss.
152. J. AUSTIN, op. cit., p. 185. Ce disant, Ausrin ignore à la fois lajurisprudence Dr. Bonham's Case 156. J. BENTHA
de 1610 ainsi que la jurisprudence américaine concernam le contrôle de constitutionnalité des !ois 157. Ibid.
(Marburyv. Madison de 1803). 158. Ibid., p. 159.
153. Bentham est tres sensible à l'esprit de méfiance des révolutionnaires français à ]'égard des juges. 159. L'expression
Ainsi, il reprend l'idée du référé législatif, insrirué par la !oi des 16-24 aout 1790. En cas de lacune ou France à ]' époque 1
d'imprécision, les juges doivent, selon Bemham, soumettre la question au parlement en suggérant 160. ]. BENTHA~
· de l'esprit juridique anglais

étation
T La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurisprudence

absolttment nécessaire » 15' d'un « judge made law », d'un droit fait parles juges. À
239

ses yeux, le juge est un « législateur délégué » 155 qui, comme tout législateur, est
:ial dans la résorption d'un soumis aux préceptes de l'utilité. En conséquence, le juriste-praticien - que ce
: tel qu'il devrait être: c'est soit le juge ou l'avocat - est obligé, s'il veut faire face à toutes les éventualités,
rt, dans un cas d'espece, ce d'être à la fois versé dans la science du droit et dans la science de la législation.
me loi positive; il pourrait
;cute sans états d'âme la loi 3° Le citoyen, ultime rempart du príncipe d'utilité
t exemple du malheureux

être est vain, du moins sur 244 Dans la théorie du droit de l'école analytique, la figure du citoyen joue un rôle
ue c' est une « ineptie », du décisif : « Sous le gouvemement des fois, quelle est la devise d'un bon citoyen?
qzti sont contradictoires avec D'obéir scrupuleusement; de cenmrer librement. » ió6 La formule de Bentham se
t pas des fois»"º. Puisque le laisse décrypter à l'aide de la distinction entre l'obligation légale et l'obligation
!oi positive et elle oblige en morale d'obéir à la loi. Une loi positive continue à exister et à obliger, d'un
ettable qu'elle soit, l'hypo- point de vue juridique, les citoyens tant qu'elle est sanctionnée par les juges.
Cette obligation - qui s'identifie à la contrainte, autrement dit à l'obligation
:cord, quoique pour des rai- in foro externo - ne doit toutefois pas être confondue avec l' obligation morale
1ges à vouloir censurer une d'obéir à la loi, laquelle agit in foro interno. Du point de vue de celle-ci, le
1ble avec l'idée de démocra- citoyen est su pposé « approuver une foi quand elle est juste » et la « censurer quand
= les lois du parlement1 et elle est injuste » ' 57.
issemblée, à laquelle le peuple Cette censure peut prendre deux formes afin de restituer la conformité entre
es au choix desquels le peuple le droit tel qu'il est et le droit tel qu'il devrait être. Les citoyens peuvent, tout
m est donc prescriptive : le d'abord, user des moyens « d'opposition légale » 158 que sont leur liberté de parole,
mt des juges. Quant à Aus- de presse, d'association etc. Parle biais de ces critiques - le fameux « tribunal de
mt qu'une telle compétence l'opinion publique» 159 - ainsi que par leur droit de vote, ils peuvent amener un
Kttne exception, objection ou changement de cap et provoquer ainsi une réforme de la législation existante.
idue dans une cour de justice, Leur seconde arme se situe au contraire en dehors de la légalité : d'apres l'école
;i, l'école analytique va dans analytique, il y a des cas ou il est légitime de résister au pouvoir établi. Parlam
1 époque, s'était déjà opposé de l'attitude à adopter parle peuple, Bentham écrit ainsi qu' « il est de son devoir
d'obéir aussi longtemps que c'est son intérêt et pas davantage » 1• 0 • S'il existe ainsi un
ant d'une éventuelle contra- « devoir » moral d'obéissance au droit positif, il n'existe pas moins, encontre-

is pas en déduire l'inutilité partie, un droit moral des individus de résister au droit positif. Même si Bentham
:::elui-ci est à nouveau perti- se garde bien de parler d'un droit de résistance, puisqu'il nie l'existence de droits
es lacunes, des imprécisions naturels, il n'y a pas de doute possible sur l'existence d'un tel droit subjectif
:in qui, sur ce point, s' avere
1ce « hautement bénéfique et
la solucion qu'ils estimem adéquace. Soic !e législaceur en décide lui-même, soic il se caie ec alars son
silence vauc accepcacion de la proposicion des juges. Cf M. EL SHAKANKIRI, op. cit., p. 297.
154. J. AUSTIN, op. cit., p. 191.
~ droic de résiscance. 155. Ibid., p. 31. Sur le pouvoir normacif du juge, cf aussi J. AUSTIN, Lecwres on ]urisprudence or
coucefois pas juscifiée. Si ce dernier the Philosopby of positive Lüw, 5"' edn. by R. Campbell, London, 1885, come II, p. 628 s; W. OTT,
; n'obligenc pas, il vise l'obligacion op. cit., p. 39; H.L.A. HART, « Posicivism and che Separation of Law and Morais », Harv. L.R.,
vai. 71, 1958, p. 609; W.L. MORISON, « Some Myth abouc Positivism », Yale L.J., vai. 68, 1958,
US, op. cit., pp. 5-7. p. 212 ss.
la jurisprudence Dr. Banham 's Case 156. J. BENTHAM, Fragment, p. 92.
crôle de conscicucionnalicé des !ois 157. Ibid.
158. Ibid., p. 159.
Jnnaires français à !' égard des juges. 159. L'expression employée par Bencham (cf P.P. CRAIG, op. cit., p. 413 ss) écait cres en vogue en
6-24 aouc 1790. En cas de lacune ou France à l'époque révolucionnaire.
uescion au parlemenc en suggéranc 160. J. BENTHAM, Fragment, p. 127. Cf J. AUSTIN, Province, p. 53, p. 185 ss ec sunout pp. 296-307.
240 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais La Rufe ofLaw

moral 11•1• « Les seules conditions dans lesquelles nous pouvons dire qu 'il est permis à ideas » 166 - , il
un homme, s'il ne lui est pas obligatoire, aussi bien par devoir que par intérêt, de trais concepts ,
prendre desmesures de résistance, [c'est] lorsque, selon le meilleur calcul qu'il est des convention
capable de faire, les inconvénients qui résultent probablement de la résistance (..) lui ment connu. I
apparaissent moindres que les méfaits qui résultent probablement de la soumission. nuent à impré
Telle est alars pour lui et pour chaque homme la conjonctttre pour résister. » 101 La légi- XX" siecle.
timité d'une révolte s'apprécie désormais à l'aune de cette « balance de l'uti- 246 La doctrine an
lité » 1" 3 qui se substitue à la notion anarchisante des droits naturels de l'individu. Dicey. Elle es
L'un des parametres à considérer est justement la violation répétée de la consti- méthode 167 • Fa,
tution. de l'école anal)
En finde compre, les différences entre la doctrine utilitariste et la théorie du à supposer qu'
contrat social som moins importantes qu'on ne le croit généralement. La pre- genens qm sera
miere n'est, en vérité, qu'une version remaniée de la seconde. Certaines traces de
cette continuité se retrouvent encare dans l' ceuvre de Dicey. 1 Tres souvent, il
tivism », à la s
sache s' il s' agi t
Unte! jugemer
Section II. DICEY, FONDATEUR D'UNE NOUVELLE tions som intir
DOGMATIQUE OU DROIT CONSTITUTIONNEL ANGLAIS la définition dl
raison de prét
XIX" siecle, i] n
245 11 n'est pas exagéré de voir en Dicey le « grand prêtre de la théorie constitution- et Austin ne s,
nelle orthodoxe » 11·', tant son in:fluence sur l'esprit de générations successives de habituelle, ce n
juristes s'est avérée décisive. 11 a fondé une nouvelle dogmatique du droit consti- pourra alars st;
tutionnel qui s'est perpétuée dans ses grandes lignes jusqu'à nos jours. Sa façon
d'en concevoir l'objet, la méthodologie et la terminologie a connu un tel succes a) L'émergen,
qu'on a presque oublié aujourd'hui ce qui se faisait avant lui en la matiere 11·'. Si
son héritage a été contesté sur des points parfois essentiels - on pense surtout à 247 À la lumiere dt
son manque de sympathie pour le « droit administratif » et les « socialistic v1sme comme ~
lement possiblt
161. Bemham mani,e avec habileté l'art de formuler ses propos de façon à éviter l'usage de la formule être, soit parce
droit de résistance. A ses yeux, il n'existe quedes droits subjectifs légaux ou positifs. Or, il va de soi giques, d'accéd
que la résistance ne peut être un droit en ce sens, caril serait absurde de parler d'un droit légal à la c'est ce qu'on;
résistance comre la légalité. Logiquemem, on ne peut pas recourir à la protection de la puissance éta-
tique - ce qui est le propre d'un droit légal - pour résister à cette même puissance. Mais, si Ben- qu'il considere
tham s'imerdit de parler d'un droit moral de résistance, il n'hésite pourtant pas à parler d'un « devoir science d'effecr
moral d'obéissance ». Or, chaque devoir implique logiquement l'existence d'un droit subjectif cor- cette définition
respondam. Sur ce poim l'attitude d'Austin est plus claire puisqu'il admet l'existence de droits sub-
jectifs « divins » (op. cit., p. 158 s). La conclusion de M. EL SHAKANKIRI (op. cit., p. 262) qui estime
que Bemham ne peut être qualifié de jusnaturaliste en l'absence d'un « droit » de résistance, est clone
infondée. D'une part, on peut légitimemem affirmer que Bemham défend implicitement unte! droit 166. Cf l. JENNE
moral; d'autre pare, à supposer l'inverse, le critere du droit de résistance doit être relativisé puisqu'il 1948, p. viii: « Dú
existe des auteurs qui om nié un te! droit et qui som pourtant considérés comme des jusnaturalistes Law of the Constiti,
(ex. Kant). a pick-axe wo11ld h,1
162. ]. BENTHAM, Fragment, p. 157. what we mean by ii
163. Jbid. 167. Cf P. McAU~
164. M. LOUGHLIN, op. cit., p. 140. marking the Cente1
165. Martin Loughlin remarque à cet égard que nombre d'ouvrages comemporains sur l'histoire 168. Cf M. LOUC
du droit public anglais commencem avec Dicey, en passam sous silence tous les auteurs qui l'om 169. Pour un expo
précédé (op. cit., p. 140 note 9). II en conclut qu'on fait « comme si Dicey avait inventé la matiere » tin (Amos, Markb•
du droit constitutionnel. 170. On reviendra
~s de l'esprit juridique anglais La Rule ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurisprudence 241

mvons dire qu'il est permis à ideas » 166 - , il n'empêche que son apport a été durable en ce qui concerne les
ir devoir que par intérêt, de trois concepts fondamentaux de la souveraineté du parlement, de la rule oflaw et
n le meilleur calcul qu 'il est des conventions de la constitution. Le premier concept était en réalité déjà large-
1ement de la résistance (. ..) !ui ment connu. En revanche, Dicey a forgé les deux dernieres notions qui conti-
1bablement de la soumission. nuent à imprégner le langage et l'esprit du constitutionnaliste britannique du
ture pour résister. » 11•2 La légi- XX' siecle.
de cette « balance de l'uti- 246 La doctrine anglaise est ainsi d'accord pour souligner l'importance cruciale de
lroits naturels de l'individu. Dicey. Elle est toutefois quelque peu confuse lorsqu'il s'agit de définir sa
::ilation répétée de la consti- méthode 167 • Faut-il voir en Dicey- lui qui a tant admiré Bentham - un héritier
de l' école analytique? Ou un positiviste, fidele en cela à la démarche d' Austin -
~ utilitariste et la théorie du à supposer qu' Austin en fut un? Ou, au contraire, s'agit-il d'une approche sui
croit généralement. La pre- generis qui serait irréductible à toutes les catégories épistémologiques connues?
seconde. Certaines traces de Tres souvent, il est dit que son ceuvre s'inscrit dans le mouvement du « legal posi-
e Dicey. tivism », à la suite de Bentham et d' Austin, ou plus vaguement, sans que l' on
sache s'il s'agit de la même chose, dans le sillage d'un courant « formaliste » 168 •
1
Un tel jugement appelle évidemment des précisions. Dans ce débat, deux ques-
UNE NOUVELLE tions sont intimement liées. On se heurte tout d'abord à la question épineuse de
llONNEL ANGLAIS la définition du positivisme juridique. À supposer que la doctrine juridique ait
raison de prétendre que le positivisme est né, en Angleterre, au cours du
XIX' siecle, il reste à savoir qui en est l'auteur véridique, des lors que Bentham
:re de la théorie constitution- et Austin ne sauraient l'être. À quel moment précis émerge, selon la formule
e générations successives de habituelle, ce nouveau courant intellectuel? Une fois cette question résolue, on
:logmatique du droit consti- pourra alors statuer sur la qualification de la méthodologie de Dicey.
jusqu 'à nos jours. Sa façon
)logie a connu un tel succes a) L'émergence du positivisme juridique en Angleterre 169
avant lui en la matiere 11·'. Si
!ntiels - on pense surtout à 247 À la lumiere des développements précédents, on peut temer de définir le positi-
istratif » et les « socialistic visme comme suit: est positiviste tout juriste qui s'attache à décrire le plus fide-
lement possible le droit tel qu'il est, sans se préoccuper du droit tel qu'il devrait
façon à éviter l'usage de la formule être, soit parce qu'il estime qu'il est impossible, pour des raisons épistémolo-
légaux ou positifs. Or, il va de sai giques, d'accéder à une connaissance objective de ce qui est juste et équitable -
urde de parler d'un droit légal à la c'est ce qu'on appelle le relativisme ou le noncognitivisme éthique -, soit parce
· à la protection de la puissance éca-
,cce même puissance. Mais, si Ben- qu'il considere qu'il appartient, en vertu de la division du travail, à une autre
pounant pas à parler d'un « devoir science d'effectuer cette recherche qui, en soi, est tout à fait possible 170 • Grâce à
existence d'un droit subjectif cor- cette définition, on comprend mieux les conditions d'apparition du positivisme
.'il admet l'existence de droits sub-
\NKIRI (op. cit., p. 262) qui estime
'un « droit » de résiscance, est dane
n défend implicitement un rei droit 166. Cf I. JENNINGS, The Law and the Constitution, 4,h edn., London, U niversity of London Press,
istance doit être relativisé puisqu'il 1948, p. viii : « Dicey is reported to have to/d a Harvard a11dience, long ,ifier the first publication o/ bis
nsidérés comme des jusnaturalistes Law o/ the Constitution, tbat if yo11 scratch an Englishman yo11 will finda socialist. It is doubtfit! if e'Ven
a pick-axe wo11ld have prod11ced s11ch a diswvery in Dicey himself, and what he meant by "socialist" is not
what we mean by it now. »
167. Cf P. McAUSLAN & J. McELDOWNEY (dir.), Law, Legitimacyand the Constit11tion. Essays
marking the Centenary o/Dicey's Law o/ the Constitution, London, Sweet & Maxwell, 1985, p. 53 ss.
rages concemporains sur l'histoire 168. Cf M. LOUGHLIN, op. cit., pp. 13-23.
, silence tous les auteurs qui l'ont 169. Pour un exposé hiscorique détaillé de la théorie analytique du droit chez les successeurs d' Aus-
~ si Dicey avait in-venté la matiere » tin (Amos, Markby, Holland et Salmond), cf infra n-· 455 ss.
170. On reviendra ultérieurement sur cerre premiere ébauche de définicion.
242 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais La Rufe of Lm

juridique dans le sillage de l'école analytique. Sans être lui-même un positiviste, s1ve qm resso
puisqu'il s'intéresse à la fois au droit tel qu'il est et, surtout, au droit tel qu'il parait peu con
devrait être, Bentham peut néanmoins prétendre à la paternité d'un príncipe s'intéressant à
fondamental du positivisme, à savoir la nette distinction entre le is et le ought. II comprendre. L
suffit d'un glissement de l'un vers l'autre, de faire du droit positif- qui n'occupe sentir qu'il est
qu'une position périphérique chez Bentham -, l'objet premier de la recherche d'un panégyri:
juridique et de le libérer de tous les liens de subordination au droit naturel pour n'est ni d'attac
que le positivisme émerge. Ce dernier sort, pour ainsi dire, de son cocon. Cette regles juridiqu:
conquête de l'autonomie du droit positif et de la nouvelle science qui s'en ply to explain z
occupe, s'opere au prix d'une déconstruction de l'ancienne science du droit qui ter à décrire ],
se voulait pluridisciplinaire, ouverte à la fois sur le is et le ought 171 • anglais est de ,
Concretement, il suffit, comme le font certains interpretes, de partager remettre en on
l'reuvre de Bentham en deux - d'un côté la théorie utilitariste, de l'autre le posi- logiques. » m S
tivisme juridique - et d'écarter la premiere partie pour mieux faire valoir la enviable de se
seconde 171 • L'unité de la pensée benthamienne est, en effet, rarement respectée. texte écrit de 1
Ceux qui le font se retrouvent des lors dans l'obligation de situer ailleurs !'ori- document. La
gine du positivisme. La théorie d' Austin s'y prête plus facilement. Austin lui- law ressemble
même opere déjà un premier glissement : s'il s'attache encore à définir les liens composé de lc
complexes de subordination de la positive law à la positive morality et à la law of multiples élén
God, il s'intéresse beaucoup moins au contenu concrei: du principe d'utilité. II depuis peu, pa
en laisse la charge à Bentham et ses disciples, pour se consacrer presque exclusi- II lui faut t
vement à la cohérence logique du droit positif. Aussi suffit-il d'ignorer les pre- objet, son prc
mieres Lectures, de les trai ter comme une quantité négligeable, pour faire d' Aus- tion 179 • En tan
tin un "authentique" positiviste 173 • Qu'en est-il alors de Dicey? Peut-on dire que ttttion (law of t
le processus de déconstruction de la science du droit ait atteint chez lui son à ses yeux. En
paroxysme? Est-ce que tous les éléments méta- et extrajuridiques ont été élimi- actuel, contrai
nés du champ d' étude du juriste? On peut en dou ter. fictions légales
veut aussi diffi
~) La méthodologie de Dicey l'histoire qu'il
n 'est pas de sav,
248 À premiere vue, le projet scientifique de Dicey s'inscrit dans une logique positi- quelques siecles.
viste. À l'image de Bentham, il s'insurge contre cet esprit de vénération exces- voir expliquer

171. Si cette fragmentation du savoir était en pratique inéluctable, en raison de la croissance conti- 174. A.V. DICEY
nue de la masse du droit positif, qu'il fauc gérer, classer, systémariser, etc., le processus d'isolation ne rulé « The lrtte n,i;
l'érait point. Rien n'obligeait, en effet, de couper les liens avec les sciences voisines. 1915 (cf. supra n" 1
172. Les diverses argumentations som de quatre ordres. II y a: 1) ceux qui ne voiem que feu dans la 175. Ibid., p. CXL\
critique bemhamienne de la doctrine du contrat social et qui en déduisent que Bemham est un posi- fom1 pari of the e<
tiviste; 2) ceux qui ignorem la théorie utilirariste de Bentham et Austin (ex. Kelsen); 3) ceux qui, where possible thei,
bien que conscients de la dualité de la pensée bemhamienne, se contentem de juxtaposer les deux 176. Ibid., p. CXX
spheres du droit te! qu'il est er du droir rei qu'il devrait être (cf. l'attirude de M. El Shakankiri, 177. If;id., p. CXX
M. Carraneo, M. Loughlin, D. Dyzenhaus, H.L.A. Hart, etc.); 4) ceux qui, tout en a<lmettant l'exis- 178. A l'époque,
tence d'un lien hiérarchique entre les deux, récusem la définition bemhamienne du droit narurel : tés. Les plus émin
un auteur comme Alain Renaur comeste la validiré philosophique du príncipe d'utilité qui, loin de Maidand, etc., se 1
s'opposer à l'arbitraire du pouvoir, aboutirait à un relativisme absolu des valeurs et à la destruction torical Perspective
de coute référence métajuridique. 179. A.V. DICEY
173. C'esr le poim de vue défendu par W. FRIEDMANN, op. cit., p. 258: si Bemham est encare un 180. Ibid., p. CXXi
jusnaruraliste, Austin esr le premier juspositiviste. Voir aussi M. LOUGHLIN, op. cit., p. 20 s. 181. Ibid., p. CXX
•1es de l'esprit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l 'école de l 'A nalytical jurispmdence 243

être lui-même un positiviste, sive qui ressort des écrits d'un Burke ou d'un Hallam. Une telle attitude !ui
et, surtout, au droit te! qu'il para'1t peu conforme aux exigences de son temps: « À l'heure actuelle, les étudiants
à la paternité d'un príncipe s'intéressant à la constitution ne veulent ni la critiquer, ni la vénérer: ils veulent la
tction entre !e is et !e ought. II comprendre. Un professeur chargé de donner des cours en droit constitutionnel, doit
li droit positif- qui n'occupe sentir qu'il est appelé à jouer ni le rôle d'un critique ou d'un apologiste, ou encare
objet premier de la recherche d'un panégyriste, mais simplement celui d'un expositeur (expounder}; son devoir
lination au droit naturel pour n'est ni d'attaquer ni de défendre la constitution, mais seulement d'en expliquer les
insi dire, de son cocon. Cette regles juridiques (bis duty is neither to atttack nor to defend the constitution, but sim-
la nouvelle science qui s'en ply to explain its laws). » 174 En termes benthamiens, Dicey semble vouloir se limi-
ancienne science du droit qui ter à décrire le droit tel qu'il est. « En résumé, le devoir d'un professeur de droit
· is et !e ought '71 • anglais est de déclarer ce que sont les fois faisant partie de la constittttion, de les
tins interpretes, de partager remettre en ordre, d'en expliquer la signification et d'en montrer, si possible, les liens
! utilitariste, de l'autre !e posi- logiques. » 175 Sa tâche est particulierement ardue en comparaison à la situation
ie pour mieux faire valoir la enviable de ses collegues américains et européens qui n'ont qu'à commenter !e
, en effet, rarement respectée. texte écrit de la constitution m,_ Rien de te! en Angleterre ou il n'existe pas de tel
gation de situer ailleurs l'ori- document. La matiere de ce que l'on entend communément par constitutional
~ plus facilement. Austin lui- law ressemble davantage à un « labyrinthe (a sort of maze} » 177, à un vaste champ
ache encore à définir les liens composé de lois, de précédents, de coutumes et autres regles politiques, bref de
positive morality et à la law of multiples éléments enseignés par des historiens du droit, des politologues et,
,ncret du príncipe d'uti!ité. II depuis peu, par des professeurs de droit 1" .
· se consacrer presque exclusi- II lui faut clone, pour exister dans ce concert de voix, dégager son propre
ussi suffit-il d'ignorer les pre- objet, son propre angle d'attaque de cette matiere si vaste qu'est la constitu-
négligeable, pour faire d' Aus- tion 179 • En tant que juriste, il s'attachera à ce qu'il appelle le « droit de la consti-
rs de Dicey? Peut-on dire que ttttion (/,aw of the constitution} » qui n'en est qu'un aspect, mais un aspect crucial
droit ait atteint chez !ui son à ses yeux. En cela, il se veut un observateur « réaliste » du droit constitutionnel
extrajuridiques ont été élimi- actuel, contrairement à un Blackstone qui, à force de reproduire telles quelles les
ter. fictions légales, s'est completement détaché de la réalité du pouvoir 1" . Dicey se
veut aussi différent des historiens du droit, ou du moins d'une certaine vision de
l'histoire qu'il appelle « antiquarianism » 1" : « La fonction d'un juriste qualifié
n 'est pas de savoir ce qu 'était le droit anglais hier, et encare moins ce qu 'il était il y a
1scrit dans une logique positi- quelques siecles, ou ce qu'il devrait être demain, mais elle est de connaftre et de pou-
et esprit de vénération exces- voir expliquer les principes du droit qui existent ejfectivement à l'heure actuelle en

1ble, en raison de la croissance conci- 174. A.V. DICEY, lntroduction to the Stttdy of the Law ofthe Consti111tion, chapirre préliminaire inci-
ariser, etc., le processus d'isolation ne rulé « The lme nature of constittttional law », p. CXXII. Nous cirons roujours d'apres la 8" édirion de
les sciences voisines. 1915 (cf. supra n" 161 note 10).
1) ceux qui ne voienc que feu dans la 175. Ibid., p. CXLVI: « The duty, in short, ofan English professoroflaw is to statewhat are the laws which
1 déduisenc que Bencham est un posi- fonn pari of the constittttion, to arrange them in their order, to explain their meaning, and to exhibit
1 et Austin (ex. Kelsen); 3) ceux qui, where possible their logical connection. ,,
se concencenc de juxtaposer les deux 176. Ibid., p. CXXVII.
: (cf. l'attitude de M. El Shakankiri, 177. zbid., p. cxx1x.
4) ceux qui, tout en a<lmettanc l'exis- 178. A l'époque de Dicey, l'école hisrorique jouissair d'une grande réputation au sein des universi-
ion benchamienne du droit naturel : tés. Les plus éminencs jurisres à la fin du XIX" siecle, à savoir Maine, Pollock, Vinogradoff, Bryce,
que du príncipe d'utiliré qui, loin de Maidand, etc., se réclamaienc rous de l'approche historique. Cf J. McELDOWNEY, « Dicey in His-
absolu des valeurs et à la destruction torical Perspective -A Review Essay », in P. McAUSLAN &J. McELDOWNEY (dir.), op. cit., p. 55.
179. A.V. DJCEY, op. cit., p. CXXIX,
cit., p. 258: si Bencham est encore un 180. lbid., p. CXXIX-CXXXII.
1. LOUGHUN, op. cit., p. 20 s. 181. Jbid., p. CXXXII-CXXXVII.

l
244 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais LaRuleofLa

Angleterre. » 181 Voilà un langage des plus clairs, digne d'un Laband ou Kelsen, qui « Le sujet ne n
semble définitivement situer Dicey dans le camp des positivistes, s'il n'était pré- pertztrber auc,
cédé par cette mise en garde : « Ne me faites pas dire, par là, qu'il s'agit de nier le tout par ce suj
lien entre l'histoire et le droit. »
183
lien (si un tel ,
249 La pureté est à peine esquissée que déjà Dicey semble y revenir. En réalité, il ne tion. » 191 Le la
récuse qu'une certaine vision de l'histoire, celle qui s'attache à découvrir les ori- les liens com1
gines lointaines des institutions britanniques, en remontam bien au-delà de la le respect de 1
date mythique de 1066. Pour Dicey, une telle recherche, aussi passionnante jeter des pom
qu'elle puisse être, n'est d'aucune utilité pour !e juriste qu'il est 184 • Cela dit, il est 250 Reste à éluci(
conscient que quiconque veut expliquer le droit constitutionnel de son époque caractéristiqu
doit au moins connaitre l'histoire récente : celle du xvn< siecle pour ce qui est de semble voulo
la Constitution britannique, et celle du XVIII' pour les États-Unis. D'ou sa tique, ni à un
conclusion : « Un historien est principalement ocrnpé à établir les étapes par les- pos qm som l
quelles une constitzttion est passée pour devenir ce qu 'elle est actuellement. (. ..) ll n 'est g1que, et qu
qu'indirectement concerné par l'étude de ce que sont les regles de la constitution en regrettables. J
l'année 1908. Pour un juriste, au contraire, l'objectifpremier est d'étudier le droit tel garantit bien
qu'il existe maintenant; ce n'est qu'à titre secondaire qu'il s'occupe de la question de nent : « Aussi,
savoir comment le droit a émergé. » 185 II n' est pas question d'isoler completement sont-elles aussl
le droit de l'histoire. Au contraire, !e juriste est « obligé » 186 de connaitre un la bouche d'u
minimum de l'histoire, ne serait-ce que pour déterminer le sens des dispositions époque récente
ambigues et lacunaires de la constitution 187 • La nécessité de l'interprétation de la comme un act1
!oi légitime donc en dernier lieu la pluridisciplinarité chez Dicey, qui suit en cela 251 S'ajoute, enfo
l'un des principes fondamentaux de l'école analytique. grand ouvrag
11 en va de même en ce qui concerne la délimitation de l'approche juridique publique, et d
par rapport à celle de politologues comme W Bagehot ou WE. Hearn. À cet tives qui vont
égard, Dicey introduit au sein de la constitution la distinction entre les regles taire du Educc,
strictement juridiques, ce qu'il appelle la« loi »ou« les fois de la constitution (laws çon mourant t,
of the constitution) », et les simples regles politiques ou éthiques, désignées sous de ltti enseigm
!e terme de « conventions de la constitution (conventions ofthe constitution) » 188 • En qu 'une autori1
tant que juriste, il se doit d'étudier les regles légales et il n'a pas « d'intérêt arffiame"l''
a eco lL
direct » 18' pour une matiere qui, apres tout, dépasse les limites qu'il s'est posées 1'º. tout d'abord, L
il est légaleme1.
puisse, sous le r
182. Jbid., p. CXXXIV : « The fimction o/a trained lawyer is not to know what the law o/England was parlementaires
yesterday, still less what it was cenlllries ago, or what it ought to be tomorrow, but to know and be able to
state what are the principies o/ law which actually andai the present day exist in Engl,md. ,. que pere, puis/;
183. Ibid.
184. Ibid., p. CXXXIV.
185. Jbid. Cette même hiérarchisation des incérêts du juriste se trouve aussi chez J. SALMOND
(}urisprudence, p. x et pp. 1-8) qui distingue entre l'incérêt «principal» et l'incérêt « subsidiaire,. du
juriste. 191. lbid., p. CXL'
186. LAw o/ the Consti111tion, p. CXXXV. 192. Jbid., p. 277
187. Jbid., p. cxxvn-cxxvm. Cette constatation faite pour la constitution écrite des États-Unis vaut divers auteurs. C).
à plus forte raison encore pour la constitution coutumiere de l' Angleterre. & P. JACKSON.
188. Le titre de son ouvrage - Imroduction to the Swdy o/ the Law o/ the Constitution - est à cet Studies in constit,,
égard programmatique. « Dicey and the ·1:
189. Jbid., p. CXLV. 193. A.V. DICE'i
190. II y a aussi une pare d'humilité dans cette attitude. Cf ibid., p. CXXXIX: «Asa lawyer, I find these 194. Ibid., p. LVlli
mauers too high for me. » déplore le mépris
s de l'esprit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurisprudence 245

d'un Laband ou Kelsen, qui « Le sujet ne releve pas du droit, mais de la politique, et il n 'est pas besoin qu 'il vienne
positivistes, s'il n'était pré- pertttrber aucttn juriste ou la classe d'aucttn professeur de droit. S'il est concerné du
par là, qu'il s'agit de nier le tottt par ce sujet, c'est uniquement dans la mesure ou il peut être amené à montrer le
lien (si un tel existe) entre les conventions de la constitution et les lois de la constitu-
e y revenir. En réalité, il ne tion. » 1" Le langage parait prudent, mais Dicey ne tentera pas moins de théoriser
'attache à découvrir les ori- les liens complexes qui relient le droit à la science politique 192 _ Une fois de plus,
montant bien au-delà de la le respect de la spécialisation scientifique va, chez lui, de pair avec la volonté de
herche, aussi passionnante jeter des ponts vers les sciences voisines.
;te qu'il est 1" . Cela dit, il est 250 Reste à élucider un dernier aspect de sa méthodologie, à savoir la distinction si
tstitutionnel de son époque caractéristique entre le droit tel qu'il est et le droit te! qu'il devrait être. Dicey
:vil' siecle pour ce qui est de semble vouloir se limiter à expliciter !e droit positif sans se livrer ni à une cri-
iir les États-Unis. D'ou sa tique, ni à une apologie. Pourtant, à lire ses écrits, on s'étonne de certains pro-
,é à établir les étapes par les- pos qui sont difficilement conciliables avec un te! principe de neutralité axiolo-
e est actuellement. (..) ll n 'est gique, et qu'on ne saurait excuser comme des dérapages exceptionnels et
is regles de la constitution en regrettables_ Ainsi, il n'hésite pas à se féliciter d'une Constitution anglaise qui
~mier est d'étudier le droit tel garantir bien mieux les droits individueis que les constitutions écrites du conti-
rt'il s'occttpe de la question de nent : « Aussi, à l'heure actuelle, les garanties de la liberté individuelle en Angleterre
tion d'isoler completement sont-elles aussi completes que possible. »'"' On croirait entendre Blackstone ___ Dans
obligé » m de connaltre un la bouche d'un juriste qui est supposé être positiviste, la phrase que« jusqu'à une
iner le sens des dispositions époque récente » - hélas révcilue - « une infraction à la loi était aussi considérée
sité de l'interprétation de la comme un acte immoral » '", résonne pour le moins curieusemenr_
: chez Dicey, qui suit en cela 251 S'ajoute, enfin, la question épineuse du statut épistémologique de son second
ile. grand ouvrage, consacré aux liens entre la législation anglaise et l'opinion
ion de l'approche juridique publique, et dans lequel il n'hésite pas à pourfendre toutes les initiatives législa-
:hot ou WE. Hearn. À cet tives qui vont dans le sens du « collectivism ». Voici, par exemple, son commen-
distinction entre les regles taire du Education (Provision ofMeals) Act de 1906 : « Nul ne peut nier qu 'un gar-
es lois de la constitution ~aws çon mourant de faim aura de la peine à profiter pleinement des efforts déployés afin
ou éthiques, désignées sous de lui enseigner les regles de l'arithmétique. Mais il ne s'ensuit pas nécessairement
rzs ofthe constitution) » 1"'. En qu 'une autorité loca/e soit obligée du coup de fournir un repas à chaque enfant
.les et il n'a pas « d'intérêt affaméà l'école; il paraít encare moins justed'un point de vue moral qu'un pere, qui,
s limites qu'il s'est posées"º. tout d 'abord, laisse mourir de faim son enfant et, ensuite, faillit à payer le prix dont
il est légalement redevable pour le repas donné à l'enfant aux frais du contribuable,
puisse, sous le régime de la loi de 1906, conserver son droit de vote pour les élections
know what the law o/Engl,md was parlementaires. Pourquoi un homme qui, tout d'abord, néglige ses devoirs en tant
morrow, but to know and be able to que pere, puis fraude l 'État, devrait garder intégralement ses droits politiques, est une
day exist in EngLmd. »

trouve aussi chez J. SALMOND


:ipal » et l'imérêt « subsidiaire » du
191. lbid., p. CXLV-CXLVI.
192. lbid., p. 277 ss. Que Dicey n'ait poim voulu isoler le droit de la science policique est admis par
stitution écrice des Écats-Unis vaut divers auceurs. Cf G. MARSHALL, Constitutional Theory, op. cil., pp. 7-12; O. HOOD PHILLIPS
ngleterre. & P. JACKSON, Constitutional and Administrative Law, 7,h edn., op. cit., p. 113; C.R. MUNRO,
.aw o/ the Constiwtion - est à cet Studies in constitutional Law, Butterworths, London, 1987, p. 39. Contra R.W. BLACKBURN,
« Dicey and the Teaching of Public Law », PL, 1985, p. 681 ss.
193. A.V. DICEY, op. cit., p. 133.
>. CXXXIX : «Asa lawyer, 1find these 194. lbid., p. LVIII. Il s'agit d'un extrair de l'imroduction de Dicey à sa 8" édition, dans laquelle il
déplore le mépris grandissam des Anglais envers la mie o/law.
246 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais

question pltts simpleà poserqu'à résoudre. » 1•15 À la lumiere de tant d'éléments exo-
r LaR11leofl

être puni po,


genes à une démarche strictement juspositiviste, on ne peut s'empêcher de don- cipe de la r1
ner raison aux quelques rares auteurs qui estimem que Dicey est tout, sauf un soit en mati
positiviste 19". D'ailleurs, à notre connaissance, Dicey n'a jamais revendiqué d'en s'oppose à 1
être un. Le mot positiviste n'apparalt dans aucun de ses deux grands ouvrages '"7 • « Elle sig1
L' analyse des deux piliers de la constitution, que sont la rufe oflaw (§ 1) et la sou- classes au dri
veraineté du parlement (§ 2), confirme à quel point l'reuvre de Dicey s'inscrit plus simple
encare dans la bipolarité caractéristique de l'école analytique. seule loi et ;
tratif, ni ju~
§ 1. LA RULE OF LAW OU LE REGNE DU ]UGE compre le e,
monopole L
DANS L4. SPHERE DU DROIT
dire le droit
ment conte,
A. Le substrat libéral de la rule of law trat1v1stes ar
à la fois d'ur
252 Selon Dicey, la rufe of law signifie la « garantie accordée aux droits des individus
La troisie
sous l'empire de la Constitution anglaise (security given 1mder the English Constitu- notre attenti
tion to the rights of individuais)»,.,,. S'opposant à tout régime « despotique » 1"", le príncipes gén
concept normatif de la rufe oflaw reflete les convictions libérales de Dicey ainsi duelle, ou le ,
que sa méfiance vis-à-vis de ce qu'il appelle les « socialistic ideas ». Sa conception ciaires qui dé
de la rufe oflaw ne se réduit pas à une vision synthétique et descriptive du droit saisies les jur,
anglais de l'époque, mais contient un véritable idéal normatif' 00 • S'inscrivant garanties (qu;
dans lavaste et illustre lignée du libéralisme, la théorie de Dicey se rapproche à semblent rés11
la fois des idées de Coke et de Locke, des principes révolutionnaires de 1789 ou en exergue 1'
encare du concept classique du Rechtsstaat. Sa célebre définition de la rufe oflaw
se décline en trais éléments intimement liés, qui se laissent résumer par le trip-
tyque : légalité, égalité et liberré. B.
« La rufe of law (. ..) signifie, en premier lieu, la suprématie ou la prééminence
absolue du droit régulier (regular law) par opposition à l'injluence d'un pouvoir arbi- 253 Du point de
traire; elle exclut l'existence de l'arbitraire, de la prérogative, et même de pouvoirs Jennings dir;·
discrétionnaires étendus dans le chef du gouvernement. Les Anglais sont gouvernés
par la loi et seulement par la loi (Englishmen are ruled by the law, and by the law 201. A.V. DICI
alone); chez nous, un homme peut être puni pour avoir violé la loi, mais il ne peut 202. En ce qui
raison de l'imp"
qui pouvait cré,
l'administration
203. A.V. DICI
195. A.V. DICEY, Lt1w & P11blic Opinion, p. 1 (introd. 2'·' edn.). 204. Sur cet asp
Í96. Cf N. MacCORMICK, « Jurisprudence and the Constitution », CLP, 1983, p. 17 s (Dicey tratif France et
serait dworkinien avant Dworkin); M. LOUGHLIN, op. cit., p. 151. clefs, 2000, p. 4:,
197. Sur les origines et les conditions d'apparition du mot en Angleterre, cf. inji-a n" 453 note 55. 205. En ce qui ,
Les auteurs que l'on dit de nos jours positivistes, reis que Austin, Amos, Markby, Holland, Salmond, chéenne, comre
se qualifiaient eux-mêmes de disciples d'une démarche analytique. part of the recog•
198. A.V. DICEY, law of the Constiwtion, p. 107. zmsatisfactory\ iu
199. Jbid., p. 111. II utilise même la métaphore, chere à Montesquieu, du « despotisme orie111,d » P11blic Law ,md
(p. 113). Oxford, 1990, cl
200. Ivor JENNINGS a mis en exergue le caractere normatif, et non descriptif, du concept de la mie 206. W. A. ROi
oflaw chez Dicey. Cf The Law and the Constit11tion, p. 55 et surtout p. 88 : « Dicey (. ..) was stating as MacMillan, Lon,
a principie of the British Constittttion wh,11 he, and many others of bis generation tho11ght ought to be a tion de 1951 (pp.
principie ofpolicy ». 207. A.V. DICE
is de l'esprit juridique anglais

iiere de tant d' éléments exo-


ne peut s'empêcher de don-
r La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical ]urisprudence

être puni pour que que ce soit d'autre. » '°' Au nom de la sécurité juridique, le prín-
cipe de la rufe oflaw prohibe radicalement tout pouvoir discrétionnaire, que ce
247

que Dicey est tout, sauf un soit en matiere pénale ou encore, et surtout, en matiere administrative, ou Dicey
r n'a jamais revendiqué d'en s'oppose à l'emprise grandissante du « collectivism »'º'.
ses deux grands ouvrages 1'". « Elle signifie, en outre, l'égalité devant la loi, ou la soumission égale de toutes les
t la rufe oflaw (§ 1) et la sou- classes au droit ordinaire du pays, administré parles juridictions ordinaires. » 'º' Du
t l'reuvre de Dicey s'inscrit plus simple citoyen jusqu'au premier ministre, tout le monde est soumis à une
nalytique. seule loi et à un seul juge. Il n'y a pas, et il ne saurait y avoir, ni droit adminis-
tratif, ni juge administratif en Angleterre"". Sur ce point, Dicey reprend à son
compre le combat de Sir Edward Coke en vue de maintenir la suprématie et le
;NEDU]UGE
monopole des juridictions de la common law, seules dignes de confiance pour
)JT
dire le droit 105 • Cet aspect bien connu de la doctrine de Dicey sera vigoureuse-
ment contesté par Sir Ivor Jennings et, surtout, par l'un des premiers adminis-
de oflaw trativistes anglais, William A. Robson, qui a démontré l'existence en Angleterre
à la fois d'un droit administratif et de divers juges administratifs '°".
rdée aux droits des individus La troisieme signification de la rule oflaw, qui retiendra plus particulierement
'1zmder the English Constitu- notre attention, a trait à la forme coutumiere de la Constitution anglaise : « Les
Lt régime « despotique » 1"', le príncipes généraux de la constitution (tels que par exemple le droit à la liberté indivi-
ions libérales de Dicey ainsi duelle, ou le droit de s'assembler en public) sont chez naus le résultat de décisions judi-
alistic ideas ». Sa conception ciaires qui déterminent les droits des personnes privées dans les cas d'espece dont sont
tique et descriptive du droit saisies les jurídictions; en revanche, sous de nombreuses constitutions étrangeres, les
éa! normatif' 00 • S'inscrivant garanties (qui valent ce qu'elle valent} conférées aux droits des individus résultent, ou
>rie de Dicey se rapproche à semblent résulter, des príncipes généraux de la constitution » 'º'. Ce dernier aspect met
révolutionnaires de 1789 ou en exergue le rôle crucial du juge qui est érigé en gardien des droits individueis.
:e définition de la rufe oflaw
laissent résumer parle trip-
B. Le volet institutionnel de la rule of law : le juge
·tprématie ou la prééminence
l'injluence d'zm pouvoir arbi- 253 Du point de vue institutionnel, la rufe of law est identifiée à la figure du juge.
cJgative, et même de pouvoirs Jennings dira à ce sujet que« lorsque Dicey disait que "les Anglais sont gouvemés
t. Les Anglais sont gouvernés
?d by the law, and by the law 201. A.V. DICEY, op. cit., p. 120.
ir violé la foi, mais il ne peut 202. En ce qui concerne !e droit pénal, !e principe était loin d'être rigoureusement respecté, en
raison de l'importance de la common law et du caractere forcément rétrÕactif des décisions du juge,
qui pouvait créer de nouveaux délits. De même, l'existence de larges pouvoirs discrétionnaires de
l'administration est indéniable, même à l'époque de Dicey. Cf I.JENNINGS, op. cit., p. 50, 54,288.
203. A.V. DICEY, op. cit., p. 120.
204. Sur cet aspect administratif de son ceuvre, cf S. CASSESE, La constmction du droit adminis-
1rion », CLP, 1983, p. 17 s (Dicey tratif France et Royaume-Uni, trad. de ['irai. par J. Morvillez-Maigret, Paris, Montchresrien, coll.
151. clefs, 2000, p. 43 ss et p. 113 ss.
\nglererre, cf infra n" 453 note 55. 205. En ce qui concerne Coke, cf mpra n" 191 s. Robson s'insurgera contre une relle vision mani-
Amos, Markby, Holland, Salmond, chéenne, contre cette « ready-made assumption that every tribunal which does not at the moment fonn
.e. part o/the recognized system ofj11dicat11re nmst necessarily and inevitably be arbitrary, incompetent,
zmsatisfactoT)\ inj11rio11s to the freedom ofthe citizen and to the welfare ofsociety » (cité par P.P. CRAIG,
esquieu, du « despotisme orient,il » Public Law and Democracy in the United Kingdom and the United States o/ America, Clarendon,
Oxford, 1990, chap. 2 [« Dicey: Unitary, Selfcorrecting Democracy and Public Law » ], p. 49).
rion descriptif, du concept de la mie 206. \V/. A. ROBSON, jttStice and Administrative Law. A Swdy o/ the British Comtitution, 1" edn.,
out p. 88 : «Dice-;•(. ..) was stating as MacMillan, London, 1928. On rrouve une critique détaillée de la mie of law de Dicey dans sa 3" édi-
"his generation tho11ght ought to be a tion de 1951 (pp. 437-442). Cf aussi M. LOUGHLIN, op. cit., p. 159 ss et P.P. CRAIG, op. cit., chap. 2.
207. A.V. DICEY, op. cit., p. 115.
248 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais LaRuleofLa

par la !oi et seulement par la !oi" il signifiait que les Anglais étaient gouvernés par 2º L 'équatio
les juges et seulement par eux » 1°'. Dicey se livre, en effet, à une apologie du pou-
voir des juges à travers un double discours, dans lequel viennent s'imbriquer les 255 Le second aq
deux logiques d' Austin et de Coke. Sur ce point précis, l' reuvre de Dicey devient la pensée elas
. \
le point de convergence des deux courants opposés du rationalisme constructi- ams1 a un exe
viste et du rationalisme évolutionniste 10". tant desa déf
given under t1
1° L'équation d'Austin: droit = sanction = juge travers le tro i
anglais de la e
254 Le premier vecteur de légitimation du pouvoir juridictionnel est inserir dans le complexe, cai
mot même de law. Faisant sienne la distinction esquissée par Austin entre la loi
positive, au sens strict, et les autres regles de nature éthique ou sociale, Dicey a) Le model
insiste sur le nécessaire respect de la summa divisio entre la « foi de la constitu- \

tion » et les simples« conventions de la constitution ». Le critere qui permet deles A l'étrange
différencier est l'existence d'une sanction juridictionnelle. « La premiere catégo- les droits et li
rie de regles sont des "fois" au sens le plus strict, puisqu'il s'agit de regles sanctionnées tution. D'apr
parles juridictions (peu importe qu'elles soient écrites ou non, qu'elles soient édictées distingue net
dans les !ois parlementaires (statutes) ou qu'elles découlent de l'ensemble de coutumes, même de la li!
traditions ou maximes prétoriennes, connu sous le nom de Common Law}. (. ..) ce qu'est la l
L 'arttre catégorie de regles est composée de conventions, arrangements (understan- anglaises, à sa
dings}, usages ou pratiques qui, bien qu'ils puissent régler la conduite des différents suivent un ob
membres du pouvoir souverain, du ministere ou d'autres représentants publics, ne tonnent à ide
sont pas en réalité des !ois puisqu'ils ne sont pas sanctionnés parles juridictions. » 1 'º pouvoir, viol
.,
Il n'y a de norme juridique que s'il y a un juge pour l'appliquer. Il s'ensuit appropnes pc
logiquement que le droit international n'en est pas un, stricto sensu. C'est du parait qu'en e
« law which is not law », car il s'agit à proprement parler de « mies of public
pouvoir faire
ethics » 111 • Quant au droit constitutionnel, dont la nature juridique est également ment en quoi
sujette à doute, il est au moins à moitié composé de lois au sens strict. Il s'agit qu'il reste qm
notamment des droits et libenés des individus dont le respect à l'égard de l'exé-
cutif est garanti parles tribunaux de la common law. L'autre moitié, à savoir les 13) Le model(
conventions de la constitution qui ont trait à la composition et au fonctionne-
ment du souverain, constitue de la« constitutional morality » 111 , car « s'il arrivait 256 11 est assez su
qu'une telle regle soit violée, aucun tribunal n'en tiendrait compte » 11'. Le terme. définit le stan
même de rufe oflaw implique clone déjà l'existence d'un pouvoir juridictionnel. temem le rôle
que les « prú
duelles] sont e
des personnes .
reprend, bien

208. I. JENNINGS, op. cit., p. 290. E. BARENDT, « Dicey and Civil Liberries », PL, 1985, p. 601,
estime lui-aussi que le concept de mie oflaw chez Dicey est excessivement focalisé sur les juges. Dans
le même sens, cf. Arrhur GOODHART, « The Rule of Law and Absolute Sovereigmy », U Penn. 214. Ibid., p. 118
L. Rev., vol. 106, 1958, p. 953 s. 215. E. BARENI
209. Cf M. LOUGHLIN, op. cit., p. 153. breux consritutiu
210. A.V. DICEY, Law ofthe Consti11ttion, p. CXL-CXLI. Voir aussi p. CXLVI. Constitutional an,
211. Ibid., p. CXL. p. 460 ss.
212. Ibid, p. CXLI. 216. E. BARENI
213. Ibid., p. CXLIII. Cf p. CXXXVIII. 217. A.V. DICE1
~s de l'esprit juridique anglais La Rufe ofLa·w, Dicey et l'école de l'Analytical jurisprudence 249

1nglais étaient gouvernés par 2ª L 'équation de Coke: droit = liberté = common law = juge
ffet, à une apologie du pou-
uel viennent s'imbriquer les 255 Le second argument s'inspire d'une toute autre tradition intellectuelle, à savoir
:is, l'ceuvre de Dicey devient la pensée classique de la common law, tant honnie par Bentham. Dicey se livre
du rationalisme constructi- ainsi à un exercice d' équilibriste qui ne va pas sans quelques contradictions. Par-
tant desa définition de la rufe oflaw qui signifie, comme on l'a vu, « the security
given under the English Constitution to the rights of individuais », il est amené, à
travers le troisieme élément constitutif de la rufe of law, à opposer le modele
anglais de la common law au systeme des constitutions écrites. L'argumentation
dictionnel est inserir dans le complexe, car incohérente, s'articule en trois moments.
1issée par Austin entre la loi
:e éthique ou sociale, Dicey o:) Le modele des constitutions écrites
, entre la « loi de la constitu-
À l'étranger, et plus particulierement aux États-Unis, en France et en Belgique,
. Le critere qui permet de les
les droits et libertés des individus découlent d'un document écrit appelé consti-
,nnelle. « La premiere catégo-
tution. D'apres Dicey, l'esprit d'une telle déclaration des droits de l'homme se
'il s'agit de regles sanctionnées
distingue nettement de l'approche anglaise en ce qui concerne la définition
m non, qu 'elles soient édictées
même de la liberté. Si les textes étrangers essaient de définir, en termes généraux,
mt de l 'ensemble de coutttmes,
ce qu'est la liberté de l'individu sous ses différents aspects, les déclarations
nom de Common Law). (. ..)
anglaises, à savoir le Petition ofRights de 1628 et le Bill ofRights de 1689, pour-
ns, arrangements (understan-
suivent un objectif beaucoup plus restreint et concret. Selon Dicey, elles se can-
'gler la conduite des différents
tonnent à identifier certains « maux (wrongs) », certains pratiques abusives du
ttres représentants publics, ne
pouvoir, violant la sphere de liberté de l'individu, et à prévoir des remedes
onnés parles juridictions. » 110
appropriés pour les empêcher à l'avenirm. Dans le droit anglais, la liberté n'ap-
pour l'appliquer. Il s'ensuit
parait qu 'en creux ou de façon négative : elle est « résiduelle » 115 ; elle consiste à
ts un, stricto sensu. C'est du
pouvoir faire tout ce qui n'est pas interdit par la loi, sans que l'on sache forcé-
1t parler de « mies of public
ment en quoi elle consiste positivement. Elle est tout ce qui reste, à supposer
lture juridique est également
qu'il reste quelque chose.
le lois au sens strict. Il s' agit
: le respect à l'égard de l'exé-
~- L'autre moitié, à savoir les ~) Le modele anglais
mposition et au fonctionne-
256 Il est assez surprenant de voir Dicey ne parler que de la common law lorsqu'il
riorality » 111 , car « s'il arrivait
ndrait compte »m. Le terme
définit le statut juridique des droits des individus. Ce faisant, il néglige comple-
d'un pouvoir juridictionnel. tement le rôle de la législation parlementaire en la matiere 116 • 11 affirme, en effet,
que les « príncipes généraux de la constitzttion [c'est-à-dire les libertés indivi-
duelles] sont chez naus le résultat de décisions judiciaires qui déterminent les droits
des personnes privées dans les cas d'espece dont sont saisies les juridictions » 117 • 11
reprend, bien qu'il s'en défende, le mythe d'une common law qui serait l'incar-

», PL, 1985, p. 601,


1 Civil Liberties
sivemem focalisé sur les juges. Dans
1d Absolute Sovereigmy », U. Penn. 214. Ibid., p. 118.
215. E. BARENDT, op. cit., p. 599. Cette présentation classique de Dicey est reprise par de nom-
breux constitutionnalistes auXX' siecle. Voir, par ex., O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON,
ssi p. CXLVI. Constitutional andAdministrative Law, 1987, pp. 39-40; A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit.,
p. 460 ss.
216. E. BARENDT, op. cit., p. 600.
217. A.V. DICEY, Law of the Constitution, p. 115. Cf p. 121.
250 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais La Rufe oflai

nation de la raison et de la liberté, et souscrit à l'image idéalisée d'une constitu- « nominales »

tion qui, loin d'être fabriquée parles hommes, a été découverte parles juges au qtt 'aucun ava;
fur et à mesure que la société évoluait 218 • À travers cette identification de la probleme est c1
liberté des Anglais et de la common law, Dicey commet deux erreurs, sans par- négligé par 1.
ler des incohérences inextricables dans lesquelles il s'enferme. D'une part, il sanction - jL
escamote le rôle parfois décisif joué parle Parlement de Westminster pour ce qui les États-Uni
est de la reconnaissance de certains droits. Dans le sillage des idées bentha- des lois. Dice
miennes, le législateur britannique a fait preuve d'un esprit de réforme libéral au aux États-Un
cours du XIX" siecle 21 ". Bien avant, des textes comme la Petition o/Rights de 1628, pays dom la
le Habeas Corpus Act de 1679 et le Bill ofRights de 1689 som autant de preuves Angleterre, e,
du rôle libéral joué par le parlement. Dicey, qui ne peut pas ne pas les évoquer, Dans un p
a tendance soit à minimiser leur rôle - en considérant que ces lois ne font que ment prétori,
confirmer les solutions inventées par la common law -, soit à les assimiler à subjectif et l'
des ... jugements rendus parle« High Court ofParliament » 210 • On détecte même n'yapasded
des signes de méfiance vis-à-vis d'un législateur supposé agir de façon incohé- is no remedy
rente, illogique et sans considération pour les grands principes 211 • Dicey, qui se implique né(
dit par ailleurs un admirateur du « génie de Bentham » 221 , se rapproche ici plutôt expnme une
des positions de Coke et de Blackstone qui étaient hostiles à toute législation. Stephen dan!
D'autre part, Dicey a tendance à surestimer les convictions libérales des juges deux termes (
dom la personnalité n'est pas sans influence sur un dràit qui est essentiellement latifs; et il ser
prétorien 223 • Or, il s'avere justement que nombre de lois parlementaires ont du "Là ou il n'y
être édictées pour venir corriger les défauts et errements de la common lawm. legal remedy,
Nonobstant tous ces éléments, Dicey maintient l'équation initiale : liberté des continentale
Anglais = common law. - au point L
axé sur l'idé,
y) La supériorité de la common law: l'existence d'un juge Dans une
caule de soui
257 Quel systeme faut-il préférer? À tout prendre, la distinction entre constitution XIX' siecle. I!
écrite et constitution non-écrite n'est que formelle; la liberté peut exister tout constitution
aussi bien en Belgique qu'en Angleterre, pour peu que les garanties offertes par que la comm
le modele du constitutionnalisme écrit soient « réelles » 225 et non pas simplement de Westmin~
voire abroge
il y aurait te
quer est libe
218. Ibid., p. 116.
219. Dicey a d'ailleurs retracé, dans son ouvrage Law & Public Opínion, les diverses réformes entre-
prises en ce qui concerne, par exemple, l'abolition des discriminations à l'égard des catholiques, la
liberté comractuelle, l' extension des droits des femmes mariées, etc. 226. !bid., p. 1
220. A.V. DICEY, Law of the Constitution, p. 115 note 17, p. 116, 124. 227. Ibid., p. 1
221. A.V. DICEY, Liw & P11blic Opíniun, p. 397-8. 228. Une telle
222. Ibid., p. 126. aux yeux de D
223. Sur le « judge-made law ", voir ibid., pp. 361-398 et 483-494. C/0.HOOL'.
224. Dicey l'avoue d'ailleurs en ce qui concerne le Habeas Corpus Act (e/ Lzw of lhe Conslitulion, 229. Law uf th,
p. 131) et les droits des femmes mariées (e/ Law & P11blic Opinion, p. 371-395). Ce dernier poim est 230. A.V.DIC
particulierement révélateur. La common law n'accordait, en effet, aucun droit aux femmes mariées. constitution th.1
Pour faire face à cette injustice, la Chancellerie a usé des príncipes d'équité pour leur en accorder which is the stn
certains. Une fois que le systeme de l'eq11ity touchait à ses limites imrinseques, il a faliu l'imerven- 231. A.V. DK
tion de plusieurs !ois pour faire avancer la cause des femmes. 232. A.V. D!C
225. A.V. DICEY, Law of the Constiwtion, p. 117. 233. 12 Q11eeu
de l'esprii juridique anglais La Rufe of Law, Dicey et l 'école de l 'A nalytical ]urisprudence 251

;e idéalisée d'une constitu- « nominales » 226 • Comme le dit Dicey : « II n 'y a aucune difficulté, et souvent pres-
:iécouverte parles juges au qu 'aucun avantage, à déclarer l'existence d'un droit à la liberté individuelle. Le vrai
; cette identification de la probleme est d'en assurer la sanction. » 227 Or, cet aspect pratique est trop souvent
net deux erreurs, sans par- négligé par les constituants en France et ailleurs qui oublient de prévoir une
s' enferme. D'une part, il sanc,tion - juridictionnelle - à la suprématie de la constitution 228 • Il n'y a que
!e Westminster pour ce qui les Etats-Unis qui connaissent, depuis 1803, un contrôle de constitutionnalité
: sillage des idées bentha- des lois. Dicey en conclut que « la rufe oflaw est une caractéristique aussi marquée
~sprit de réforme libéral au aux États-Unis qu'en Angleterre » 22 '. Mais cela ne saurait valoir pour les autres
1 Petition ofRights de 1628, pays dont la garantie des droits se révele bien en deçà des standards établis en
S89 sont autant de preuves Angleterre, ou encore aux États-Unis.
eut pas ne pas les évoquer, Dans un pays à common law comme l'Angleterre, ou le droit est essentielle-
nt que ces lois ne font que ment prétorien, la « connexion inséparable » entre la loi et le juge, entre un droit
w -, soit à les assimiler à subjectif et l'action en justice va de soi 21 º: « Là ou il n'y a pas d'action en justice il
ient » 22 º. On détecte même n'y a pas de droit. Accorder une action en justice c'est conférer un droit (Where there
José agir de façon incohé- is no remedy there is no right. To give a remedy is to confer a right). » 231 L'un
; principes 221 • Dicey, qui se implique nécessairement l'autre. Des lors, l'adage latin ubi jus, ibi remedium
.,
212
, se rapproche ici plutôt exprime une simple « tautologie », voire « plus »m. Car, comme le dit le juge
10stiles à toute législation. Stephen dans l'affaire Bradlaugh v. Gossett, « la maxime signifie seulement que les
victions libérales des juges deux termes de délit légal (legal wrongs) et d'action légale (legal remedy) sont corré-
roit qui est essentiellement latifs; et il serait plus pertinent et plus correct si on inversait l'ordre, de façon à dire:
lois parlementaires ont du "Là ou il n'y a pas d'action en justice, il n'y a pas de délit légal (Where there is no
1ents de la common law 224 • legal remedy, there is no legal wrong}" » 233 • II s'avere ainsi que si les déclarations
uation initiale : liberté des continentales des droits de l'homme som trop focalisées sur la notion de droit
- au point d'oublier l'idée du recours -, le droit anglais est, en revanche, trop
axé sur l'idée de recours, au détriment de l'idée de droit.
un juge Dans une comparaison ou la réalité des garanties est érigée en critere final, il
coule de source que la common law l'emporte sur le constitutionnalisme écrit du
tinction entre constitution XIX" siecle. II faut toutefois garder à l'esprit que, dans le modele continental, la
la liberté peut exister tout constitution écrite se veut une limite juridique au pouvoir du législateur, alors
1e les garanties offertes par que la common law est entierement subordonnée à la souveraineté du Parlement
» 225 et non pas simplement de Westminster. À quoi sert, en effet, la rufe of law si le parlement suspendait,
voire abrogeait la procédure du habeas corpus si chere aux juristes anglais? Cerres,
il y aurait toujours un juge, mais à quoi pourrait-il bien servir si la loi à appli-
quer est liberticide?

inion, les diverses réformes entre-


1tions à l'égard dcs carholiques, la
te. 226. lbid., p. 124 et 134.
124. 227. Jbid., p. 134.
228. Une telle constitution écrite, dépourvue de coute sanction juridictionnelle, ne constituerait
aux yeux de Dicey qu'une contraime morale, qu'une convemion et non pas une limite juridique.
Cf O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON, op. cit., p. 8.
rs Act (cf. Liw of the Constiwtion, 229. Law of the Constiwtion, p. 119.
, p. 371-395). Ce dernier point est 230. A.V. DICEY, Liw ofthe Constitution., p. 118: « 011 the other hand there mns throttgh the English
aucun droir aux femmes mariées. constit11tion that inseparable cormection between the means ofenforcing a right a,u{ the right to be enforced
es d'équité pour leur en accorder which is the slrength o/judicial legislation. »
imrinseques, il a faliu l'imerven- 231. A.V. DICEY, Law & P11blic Opinion, p. 487.
232. A.V. DICEY, Law of the Constit11tion, p. 118.
233. 12 Q11een's Bench Division 271,285; ciré par A.V. DICEY, Law ofthe Constillltion, p. 15.
252 De la Rule ofLaw ou les partirnlarismes de l'esprit juridique anglais La R11le of La11

§ 2. L 'ARTICULATION DE LA SOUVERAINETÉ DV PARLEMENT maniere suivar


ET DE LA RULE OF LAW droit de faire et
ou autorité ne ;
législation Jaité
258 Les liens entre les deux grands príncipes de la Constitution anglaise sont évoqués qu'il existe dei
par Dicey dans le chapitre XIII de son Introduction. Il s'y montre assez confiam facettes de la s,
dans l'esprit de justice du législateur démocratique, sentiment que certains de ses tout contre-po
collegues ne sont pas prêts de partager. À ses yeux, on aurait tort de déceler un être séparées d
quelconque antagonisme entre ces deux idées qui, loin de s'opposer l'une à entra1ne ipso fi,
l'autre, se renforceraient mutuellement: « La souveraineté du parlement- écrit- du juge Stepht
il - favorise la suprématie de la loi » 23 4. D'aucuns n'en som pas si convaincus et Le concept
jugent ses explications pour le moins « spécieuses », voire pire. Car il se peut que rarchique étab
le jeune étudiant Owen Hood Phillips ne faisait que formuler à haute voix, et en ment (. ..), qzti ,
des termes peu diplomatiques, ce que d'autres pensaient en leur for intérieur : regle existante,
« This chapter is tripe! » 215 S'il est vrai que ses explications dans le chapitre XIII la Constitutior;
sont assez obscures, son propos s'insere néanmoins dans un schéma intellectuel du parlement, (
cohérent, qu'il importe de reconstruire à partir de divers éléments éparpillés au détriment d
dans son ceuvre. S'inspirant de la théorie austinienne de la souveraineté, Dicey est souverain e
récuse ainsi l'existence de limites juridiques à la souveraineté (A), tout en insis- les lois du sou
tam sur les limites politiques et éthiques auquel est soumis le parlement dans un ne peut être q
régime démocratique (B). normes de ceu
li: pas ou, plus p1
A. L'inexistence de limites juridiques logiques du co
à la souveraineté du parlernent Dicey n'entern
outre, que ce e
1º Un conce-pt logique dique » "" en d1
259 En ce qui concerne la définition du concept de souveraineté, Dicey reste fidele à
2º Un fait ju1
la pensée analytique d' Austin. Ce dernier a démontré que, d'un strict point de
vue logique, il ne peut y avoir de limites juridiques à un pouvoir qualifié de sou-
260 À l'appui de l';
verain. Dire le contraire reviendrait, comme y insiste Dicey, à une « contradictio
de législations
in adjecto »'"'. Un pouvoir ne saurait être à la fois suprême, ce qui est le propre touché à presq
de la souverainet~, et subordonné au contrôle d'un juge, ce qui est le propre soit contestée J
d'une loi. La clé essentielle de ce raisonnement réside dane dans la définition du vée des indivic
terme loi. Sur ce point, Dicey reprend la définition austinienne de la loi (posi-
tive) en entendam par« law », par droit, « toute regle quisera sanctionnée parles
juridictions (any rnle which will be enforced by the Courts) » 237 • Dicey définit la sou-
238. lbid., p. 3-4.
veraineté du parlement ou, plus précisément, du « King in Parliament » de la 239. Cf ibid., p. 2
chose. Contra C.I
240. Cf supra not
241. Cf A.\Y/. BR
234. A.V. DICEY, Lzw of the Constiwtion, p. 268. I. JENNINGS, O/
235. (« Ce ne sont quedes bêtises! ») II s'agit d'une note manuscrice, rédigée desa propre main, que 242. A.V. DICE'I
O. HOOD PHILLIPS (« Dicey's Law of the Conscicucion. A Personal View », PL, 1985, p. 591) 243. Ibid.
retrouva dans sa vieille édicion de Dicey. Si le professeur se dic « choqué » par le con de l' écudianc, il 244. II s'agit néce
reste néanmoins convaincu du fond en qualifianc le raisonnemenc de Dicey de« spécie11x ». juges ne som pas,
236. A.V. DICEY, Law of the Constillltion, p. 24 note 48. 245. Law ofthe C
237. Ibid., p. 4. 246. Ibid., p. 18-1
de l'espritjuridique anglais

TÉ DV PARLEMENT
T La Rufe of Law, Dicey et l'école de l'Analytical ]urisprudence

maniere suivante : « Le parlement, ainsi défini, a, sous la Constitution anglaise, le


253

droit de faire et de défaire n'importe quelle foi; et, en outre (further), aucune personne
ou autorité ne soit voit reconnu, en droit anglais, !e droit de censurer ou d'écarter la
législation faite parle parlement. » 218 À lire cette définition, on pourrait croire
tion anglaise sont évoqués qu'il existe deux criteres, séparés parle mot «further ». Or, en réalité, les deux
s'y montre assez confiam facettes de la souveraineté - l'absence de toute limite normative et l'absence de
1timent que certains de ses tout contre-pouvoir - n'expriment qu'une seule et même idée, et ne sauraient
n aurait tort de déceler un être séparées dans l'esprit de Diceym. L'absence de tout contrôle juridictionnel
loin de s'opposer l'une à entraine ipso facto l'absence de toute limite juridique. Pour reprendre la formule
:neté du parlement- écrit- du juge Stephen, « where there is no legal remedy, there is no legal wrong » 2'º.
1 sont pas si convaincus et Le concept de souveraineté exprime clone fondamentalement le rapport hié-
ire pire. Car il se peut que rarchique établi entre le parlement et les juges 2" : « N'importe que! acte du parle-
>rmuler à haute voix, et en ment (. ..), qui établit une nouvelle regle juridique, ou qui révoque ou modifie une
.ent en leur for intérieur : regle existante, sera obéi parles juridictions. (. ..) II n 'y a personne (. ..) qui puisse, sous
:ions dans le chapitre XIII la Constitution anglaise,faire des regles qui s'imposeraient ou dérogeraient aux actes
ans un schéma intellectuel du parlement, ou qui (pour le dire autrement) seraient sanctionnées parles tribunaux
divers éléments éparpillés au détriment d'un acte du parlement. » 242 Au juge revientle rôle crucial de dire qui
· de la souveraineté, Dicey est souverain et quine l'est pas. D'un point de vue «positif»rn, le juge sanctionne
eraineté (A), tout en insis- les lois du souverain; il est même tenu de le faire en vertu d'une obligation qui
umis le parlement dans un ne peut être que morale'". D'un point de vue « négatif » 245 , le juge écarte les
normes de ceux qui prétendent être des législateurs souverains et qui ne le sont
pas ou, plus précisément, quine doivent pas l'être. Telles sont les implications
idiques logiques du concept de souveraineté que Dicey dégage à la suite d' Austin. Mais
tent Dicey n'entend passe limiter à des raisonnement abstraits. 11 veut démontrer, en
outre, que ce concept théorique de la souveraineté est une réalité, un «fait juri-
dique » 24 " en droit positif anglais.

·aineté, Dicey reste fidele à


2º Un fait juridique
é que, d'un strict point de
rn pouvoir qualifié de sou- 260 À l'appui de l'aspect positif de la souveraineté, Dicey cite de nombreux exemples
Dicey, à une « contradictio de législations, témoignant de l'extrême latitude d'un pouvoir législatif qui a
>rême, ce qui est le propre
juge, ce qui est le propre
touché à presque tous les domaines de la vie en société, sans ,que son autorité n:
soit contestée par un juge. Qu'il s'agisse des institutions de l'Etat ou de la vie pn-
clone dans la définition du vée des individus, rien n'échappe à l'emprise du Parlement de Westminster qui,
1ustinienne de la loi (posi-
qui sera sanctionnée parles
ts) » 237 • Dicey définit la sou-
238. Ibid., p. 3-4.
'(ing in Parliament » de la 239. Cf ibid., p. 21, ou Dicey relie lui-même les deux propositions en disant qu'il s'agit de la même
chose. Contra C.R. MUNRO, St11dies in Constittttional Law, London, Butterworths, 1987, p. 83.
240. Cf s11pra note 233.
241. Cf A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., p. 58; C.R. MUNRO, op. cit., p. 85. Contra
I. JENNINGS, op. cit., p. 140.
!,rédigée de sa propre main, que 242. A.V. DICEY, Law of the Constit11tion, p. 4.
rsonal View », PL, 1985, p. 591) 243. Jbid.
1oq11é » par le con de l' étudiant, il 244. II s'agit nécessairement d'une regle morale ou d'une convention, au sens de Dicey, puisque les
de Diccy de « spécie11x ». juges ne sont pas, à leur tour, soumis au contrôle d'un juge supérieur.
245. Law ofthe Consti111tion, p. 4.
246. Ibid., p. 18-19.
/UFR8S
f.JC\JLDADE DE DIREl'VG
BIBLIOTEGA
254 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais LaRuleofL

selon la formule de Jean-Louis de Lolme, « peut tout faire sauf changer une femme incorporé e1
en homme et un homme en femme ». U n exemple est particulierement révélateur tangibilité d
de la maniere dom Dicey envisage la souveraineté, à savoir le Septennial Act sée outre ce
de 1715. À l'époque, une loi de 1694 avait limité le mandat de la chambre des que les juge
Communes à trois ans. Or, la classe politique voulait repousser à tout prix les parler de lin
élections imminentes, jugées dangereuses pour la stabilité de l'État. Pour ce faire, logiques 255 • ]
le parlement modifie la loi de 1694 en allongeant de trois à sept ans, non seule- lement de \i:
ment le mandat des parlements à venir - compétence que personne ne lui contes- faudrait alm
tait -, mais aussi le sien. Divers auteurs jugerent ce dernier point inconstitution- ment existe1
A \
nel, car allant à !'encontre du principe de la représentation démocratique 247 • Dicey paraltre. A e
est d'accord pour dire qu'il s'agit là effectivement d'une violation de la constitu- lements sép;;
tion et qu'aux États-Unis un tel acte aurait été jugé « illégal » par la Cour à modifier e1
suprême; mais, en tant que juriste anglais, il ne peut que conclure à la« légalité »"8 limites au fo
de cette loi puisqu'il n'y a point en Angleterre de juge pour annuler une telle loi autre législat
pour vice d'inconstitutionnalitém. Une fois de plus, on retrouve l'idée que exige, selon l
« where there is no legal remedy, there is no legal wrong ». La loi de 1715, aussi d'un organe
inconstitutionnelle soit-elle, est valide d'un point de vue juridique tant que les 262 Les juges eu:
juges lui obéissent. Par conséquent, le príncipe violé de la constitution ne consti- substituam ~
tue qu'une simple convention quine lie le parlement que sur le plan éthique"º. large partie t
261 En ce qui concerne l'aspect négatif de la souveraineté, Dicey évoque plusieurs que le parlei
précédents illustrant la façon dom les juges ont écarté divers concurrents poten- ci est nécess.
tiels du Parlement de Westminster. Les juges ont, tout d'abord, rejeté les préten- ront, dans Li
tions du roi à légiférer par voie d'ordonnance dans la décision de principe Case gences de la 1
of Proclamations de 1611 151 • Pareillement, ce som les juges qui ont réduit, tant inquiéter car
bien que mal, dans l'affaire Stockdale v. Hansard de 1839 252 , les tentatives de la peut être ren
chambre des Communes de légiférer par voie de résolution, en se passam de l'ac- les « juges mi
cord du Roi et des Lords. De même, le peuple britannique ne jouit d'aucune !ois parlemeJi
autorité législative, car les « les électeurs n 'ont aucun moyen juridique d'initier, de dien de la m,
sanctionner ou de révoqtter la législation du parlement. Aucun tribunal ne tiendrait Coke en ce q
compte un instant de l'argument qu'zme loi est invalide car contraire à l'opinion de nées par les .
l'électorat » 251 • S'ajoute la question d'une éventuelle concurrence, dans le temps, concerne les
entre les parlements successifs. Ainsi, à diverses reprises, le Parlement de West- juges sur la s
minster a tenté de lier juridiquement, à l'instar d'un pouvoir constituam, le pou- den v. Hales <
voir de ses successeurs. Ainsi le traité d'union entre l' Angleterre et l'Écosse, juges n'adme
paraí't à Dice
pas la peine L

247. Ibid., p. 8. Cercains Lords s'y opposerent en arguam qu'il apparcenait au peuple de désigner ses
représentams pour une durée déterminée d'avance. Or, si la chambre des Communes peut prolon-
ger son propre mandar, elle n'est plus élue puisqu'elle se coopte elle-même. 254. Ibid., pp. 2
248. Ibid., p. 9. 255. lbid., note
249. Sur les différentes significations de ]' expression !oi inconstitutionnelle, voir ibid., appendix VII, 256. Cf A.V. D
pp. 371-372. En Anglecerre il s'agit fune !oi valide, mais contraire à l'esprit et à cercaines 257. A.V. DICI
regles échiques de la consticurion. Aux Etats-Unis il s'agit d'un acre« n11/ (void) "· 258. Ibid., p. 18
250. Ibid., p. 9. 259. Ibid., p. 18.
251. 12 Coke Reports 74. 260. Ibid., p. 19
252. 9 Ad & E 1. 261. Ibid., p. 19
253. A.V. DICEY, op. cit., p. 17. 262. Ibid., p. 20.
ie l'esprit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l 'école de l 'A nalytical Jurisprudence 255

ire sauf changer une femme incorporé en droit anglais parle Union with ScotlandActde 1706, a consacré l'in-
irticulieremem révélateur tangibilité de certaines institutions écossaises. Pourtam, une loi de 1853 est pas-
à savoir le Septennial Act sée outre cette interdiction sans qu'aucun juge ne s'en offusque 25'. Ainsi, tant
nandat de la chambre des que les juges se refusem à sanctionner de telles limitations, il n'y a pas lieu de
: repousser à tout prix les parler de limites juridiques. La situation inverse poserait du reste des difficultés
ité de l'État. Pour ce faire, logiques 25 \ En effet, si jamais les juges modifiaient leur attitude à l' égard du Par-
rois à sept ans, non seule- lement de Westminster, celui-ci ne serait plus qu'un législateur subordonné et il
1ue personne ne lui comes- faudrait alors situer ailleurs la souveraineté. Car, dans tout État, il doit logique-
·nier point inconstitution- mem exis,ter un souverain : selon Dicey, celui-ci ne peut pas s'autolimiter et dis-
on démocratique 2" . Dicey parattre. A cet égard, le traité d'unipn aurait pu prévoir le maimien des deux par-
1e violation de la constitu- lements séparés d' Angleterre et d'Ecosse, dom l'unique rôle aurait alors consisté
;é « illégal » par la Cour à modifier et à adapter le traité. Au lieu de cela, le traité a seulemem énoncé des
e conclure à la« légalité »''" limites au futur parlement britannique, sans prévoir au-dessus de ce dernier un
pour annuler une telle loi autre législateur auquel serait échue la souveraineté. Or, la validité de telles limites
s, on retrouve l'idée que exige, selon Dicey, le respect des deux conditions cumulatives que sont l'existence
ig ». La loi de 1715, aussi d'un organe souverain et la reconnaissance d'un comrôle juridictionnel.
vue juridique tant que les 262 Les juges eux-mêmes auraiem pu être des concurrems du parlement, soit en se
e la constitution ne consti- substituam à lui, soit en le contrôlant. Au premier titre, Dicey reconna1t qu'une
que sur le plan éthique ,;o. large partie du droit anglais est créée parles juges 256 • De plus, même à supposer
é, Dicey évoque plusieurs que le parlemem adopte une loi pour imervenir dans tel ou tel domaine, celle-
divers concurrents poten- ci est nécessairement soumise au pouvoir d'imerprétation des juges qui tente-
d'abord, rejeté les préten- rom, dans la mesure du possible, de concilier les termes de la loi avec les exi-
décision de príncipe Case gences de la morale et du droit imernational 257 • Pourtant, il n'y a pas lieu de s'en
juges qui om réduit, tant inquiéter car, selon Dicey, il ne s'agit que d'une « législation subordonnée » 258 qui
l839 ,;2 , les tentatives de la peut être renversée à tout moment parle Parlemem de Westminster. À l'inverse,
1tion, en se passam de l' ac- les « juges anglais ne réclament pas et n'exercent pas un powuoir de révocation des
mnique ne jouit d'aucune !ois parlementaires » 25 '. Toutes les théories qui voudraient ériger le juge en gar-
zoyen juridique d'initier, de dien de la moralité som dénuées de « tout fondement juridique » 2• 0 • Les idées de
4ucun tribunal ne tiendrait Coke en ce qui concerne la suprématie de la common law ne som plus sanction-
car contraire à l'opinion de nées par les juges et som désormais « obsoletes » 2'". Il en va de même en ce qui
mcurrence, dans le temps, concerne les propos de Blackstone sur le droit naturel, les obiter dieta de certains
.ses, le Parlemem de West- juges sur la suprématie du droit international, ou encore la jurisprudence God-
ouvoir constituam, le pou- den v. Hales de 1686 sur le caractere intangible de la prérogative royale. Que les
e l' Angleterre et l'Écosse, juges n'admettrom jamais de tels moyens pour prononcer l'invalidité d'une loi
paratt à Dicey une vérité si évidente, « a plain truth » "' 2, qu'il ne se donne même
pas la peine de citer la jurisprudence bien établie sur ce point.

artenait au peuple de désigner ses


bre des Communes peur prolon-
le-même. 254. Ibid., pp. 21-25.
255. !bid., note 48 p. 25.
ionnelle, voir ibid., appendix VII, 256. Cf A.V. DICEY, Law & Public Opinion, p. 361 ss.
mraire à l'esprit et à certaines 257. A.V. DICEY, L,w of the Constiwtion, p. 20.
e « md {void) ». 258. !bid., p. 18.
259. lbid., p. 18.
260. Jbid., p. 19.
261. Ibid., p. 19 note 32.
262. Ibid., p. 20.
256 De la Rufe of Law ou les particularismes de l'esprit jttridique anglais La Rufe ofLa,

À l'époque, la souveraineté du parlement est un fait juridique incontestable. strictement a_1:


En 1842, dans l'affaire Edinburgh and Dalkeith Railways v. Wauchope 1•3, la Si le parlemen
chambre des Lords refuse de vérifier la conformité d'une loi, en l'occurrence une mis au juge, il
private law, aux regles de la procédure parlementaire. Comme le dit Lord Camp-
bell : « Tout ce qu'une cour de justice peut faire est de regarder dans le registre du par- B. L'exist
lement (Parliament rol!): s'il apparaít qu'un projet de !oi est passé parles deux
chambres et qu'il a obtenu l'assentiment royal, il n'appartient à aucune juridiction 263 Si d'un strict 1
d'enquêter sur le point de savoir comment il a été introduit dans le parlement, ce qui ment anglais t
s'est passé préalablement à son introduction, ou ce qui s'est passé au cours des diverses être replacé d;·
étapes de la procédure parlementaire dans les deux chambres. » Dans l'affaire Grand exclusivemem
Junction Canal Co. v. Dimes"'"' de 1849, Lord Langdale ne tient aucunement \
nomenes norr:
compre des précédents Bonham's Case, Day v. Savage et autres cités par l'une de la souverai1
des parties. En 1866, le juge Blackburn estime dans l'affaire Mersey Docks Trus- côté du conce
tees v. Gibbs, que « il est contraire au principe général de la rufe of law, non seule- une éthique 1-
ment dans ce pays, mais aussi dans tous les autres, de faire d'une personne le juge de complétée pai
sa propre cause(...) encare que le législateur peut, et sans aucun doute le ferait dans un l'utilitarisme l
cas approprié, déroger à cette regle générale » "'5. 11 faut, et il suffit, que le parlement et en même te
exprime clairement son intention en ce sens.
La doctrine de la souveraineté a été formulée dans des termes particuliere- 1º La suprém
ment vigoureux parle juge Willes dans l' affaire Lee v. Bude & Torrington ]unction
Railways de 1871 : « ]e voudrais observer concemant ces actes du parlement qu'ils 264 Dicey se fait l'
constituent la !oi de ce pays; et nous ne siégeons pas ici en cour d'appel du parlement. nalisme moder
(. ..) Nous siégeons ici à titre de serviteurs de la Reine et du législateur. (. ..) Ici les pro- veraineté politi
cédures sont judiciaires et non pas autocratiques, ce qui serait le cas si, au lieu d'ap- est aussi impo
pliquer les !ois, nous pouvions les faire. » '"" Enfin, il faut citer l' affaire intéressante de la façon su
de ex parte Canon Selwyn de 1872. En l'espece, il s'agissait de savoir si le parle- l'entité (body) c1
ment était compétent pour adopter le Irish Church Disestablishment Act de 1869 Si le Parlemen
nonobstant les interdictions expresses contenues dans l'article 5 du Union with les juges ne ct
IrelandAct de 1800. L' article en question affumait le caractere perpétuel et intan- exprimés par l
gible de l'union des deux Eglises d' Angleterre et d'Irlande, ce qui équivalait à constitution so;
une tentative de la part du législateur de 1800 de limiter le pouvoir de ses suc- par des moyen.
cesseurs. La réponse des juges Cockburn et Blackburn est claire et nette : « Il corrzme le facte1
n'existe aucun organe judiciaire dans le pays devant leque! on pourrait mettre en « A long terme,
doute la validité d'un acte du parlement. Un acte du parlement dispose d'une auto- ment dit, la lo
rité supérieure à toute cour de justice. » '"' Pendam tout le x1xc siecle, les juges ont a la volonté d
« nation », le «
un rôle assez s

263. 8 CL & F. 710; cité par O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON, op. cit., p. 52.
264. 12 Beav. 63 (Rolls Court}; cité par T.F.T. PLUCKNETT, « Bonham's Case and Judicial 268. On uouve u
Review », op. cit., p. 58. op. cit., p. 52 note
265. L.R. 1 H.L. 93, 110; cité par T.F.T. PLUCKNETT, op. cit., p. 59. 269. A.V. DICE).
266. L.R. 6 C.P. 576, 582 : « / wo11ld observe as to these Acts of fürli,m1enl, that they are the law of this 270. lAw ofthe C
l.md; and we do 1101 sit here as a co11rt of,1ppeal from parliamcnt. (. ..) We sit here as servams ofthe Q11een 271. Ibid., p. 27.
,md the legisla111re. (. ..) The proceedings here are judicial, not a11tocratic, which they would be ifwe co11ld 272. Ibid., p. 28.
make laws imtead ofadministering them. »; cité par T.F.T. PLUCKNETT, op. cit., p. 59. 273. Ibid., p. 27-2:
267. 36JP 54; cité par O. HOOD PHILLIPS & P.JACKSON, op. cit., p. 51. 274. Ibid., p. 28.
?S de l'esprit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical ]urisprudence 257

fait juridique incontestable. strictement appliqué cette ligne de conduite qui s'est perpétuée au XX" siecle 2''.
~ailways v. Wauchope 263 , la Si le parlemem souverain n'est pas lié par la loi (positive), puisqu'il n'est passou-
'une loi, en l'occurrence une mis au juge, il est néanmoins soumis à des limites d'une autre nature.
:. Comme le dit Lord Camp-
garder dans le registre du par- B. L'existence de limites politiques et éthiques à la souveraineté
de loi est passé par les deux
partient à aucune juridiction 263 Si d'un strict poim de vue juridique, au sens de Dicey, la souveraineté du parle-
duit dans le parlement, ce qui mem anglais est illimitée, absolue et incontrôlable, ce constat doit néanmoins
:'est passé au cours des diverses être replacé dans une perspective plus large. Dicey ne se borne pas à une vision
ribres. » Dans l'affaire Grand exclusivemem positiviste du droit puisqu'il élargit son analyse à d'autres phé-
.gdale ne tiem aucunemem nomenes normatifs. Son approche est pluridisciplinaire : à son concept juridique
~ge et autres cités par l'une de la souveraineté vient s'ajouter un concept politique de la souveraineté (1"); à
; l'affaire Mersey Docks Trus- côté du concept étroit de la law, il y a le concept de la convention qui recouvre
l de la rule of law, non seule- une éthique poli tique (2"); de même, son analyse strictemem juridique est
àire d'une personne le juge de complétée par une étude de l'opinion publique et, plus particulierement, de
·aucun doute le ferait dans un l'utilitarisme bemhamien (3"). À chaque fois, il s'agit de phénomenes distincts
et il suffit, que le parlemem et en même temps connexes.

ans des termes particuliere- 1º La suprématie du souverain poli tique sur le souverain juridique
'· Bude & Torrington Junction
, ces actes du parlement qu'ils 264 Dicey se fait l'avocat de ce qu'il appelle « un dogmefondamental du constittttion-
en cour d'appel du parlement. nalisme modeme : la souveraineté juridique du parlement est subordonnée à la sou-
, du législateur. (...) lei les pro- veraineté politique de la nation » 1" 9 • Le concept politique de la souveraineté, qui
ti serait le cas si, au lieu d'ap- est aussi importam, voire plus importam que le concept juridique 270 , est défini
mt citer l'affaire iméressame de la façon suivante : « Est "politiquement" souverain ou suprême dans un État
'agissait de savoir si le parle- l'entité (body) dont la volonté est obéie en demier lieu parles citoyens de cet État. » 271
Disestablishment Act de 1869 Si le Parlemem de Westminster est clairemem le souverain juridique - puisque
ms l'article 5 du Union with les juges ne censureraient jamais une loi pour incompatibilité avec les vceux
. caractere perpétuel et iman- exprimés par les électeurs"' -, il n' en reste pas moins que « les conventions de la
l'Irlande, ce qui équivalait à constitution sont aujourd'hui de nature à assurer que la volonté des électeurs puisse,
.miter le pouvoir de ses suc- par des moyens réguliers et constittttionnels, toujours s'imposer en fin de compte
>urn est claire et nette : « Il comme le facteur prédominant dans ce pays ,,m_ II s'agit là d'un « fait politique »:
leque! on pourrait mettre en « À long terme, les électeurs peuvent toujours faire prévaloir leur volonté. »
174
Autre-
oarlement dispose d'une auto- ment dit, la loi est la loi, car les juges l'appliquem, mais au-dessus de la loi, il y
1t le XIX" siecle, les juges ont a la volomé du souverain politique, de cette entité floue, appelée tantôt la
« nation », le « peuple » ou encore les « électeurs » qui, à y regarder de pres, joue
un rôle assez similaire à celui du droit naturel. Plus précisément, la fonction de

SON, op. cit., p. 52.


"T,« Bonham's Case and Judicial
268. On trouve une liste de précédems du XJX' et XX' siecle dans l'ouvrage de O.H. PHILLIPS,
op. cit., p. 52 note 70.
, p. 59. 269. A.V. DICEY, Law of the Constit11tion, p. 302. Cf J. AUSTIN, The Province ... , p. 229 ss.
rliumenl, th,11 they are the law of this 270. Law of the Constitution, p. 28.
.) We sit here <1s serv<1nts ofthe Queen 271. Ibid., p. 27.
mie, which they would be ifwe co11/d 272. lbid., p. 28.
:KNETT, op. cit., p. 59. 273. Ibid., p. 27-28.
, op. cit., p. 51. 274. Jbid., p. 28.
258 De la Rufe ofLaw ou les partirnlarismes de l'esprit juridique anglais LaRuleofL

ce dernier est assumée par plusieurs notions disséminées à travers l'ceuvre de l' égard de la
Dicey, qui ne les a jamais synthétisées en une notion globale, comme l'a fait des masses 1,
Blackstone avec l'idée des droits naturels et Bentham avec le príncipe d'utilité. que la finde
À reconstituer l'ensemble à partir de ces divers éléments, parmi lesquels il faut plus oprimis
citer le concept politique du souverain, les limites internes et externes de la grandes réfoi
souveraineté, les conventions de la constitution, sans oublier le regne de l'opi- sa vie, l'avoc,
nion publique et l'utilitarisme, on découvre des similitudes importantes avec le le caractere r,
jusnaturalisme occulté de Bentham, ce « génie » sur lequel Dicey ne tarit pas ce fut le cas
d'éloges. démocratiqu
Qu'est-ce qui empêche, en effet, le Parlement de Westminster d'édicter une in Parliamen
législation antidémocratique ou réactionnaire? Qu'est-ce qui fait que le législa- l'emporte di
teur ne décide point, pour reprendre la formule de Leslie Stephen, de tuer « tom à l'effet con
les bébés aux yeux bleus »? La limite, qui réside selon Dicey dans « la nature des formem ce,
choses (natttre of thing) » 21 \ est définie de la façon suivante par Stephen : « Si le jouent un ró
parlement décidait l'assassinat de tous les bébés aux yeux bleus, la protection des bébés ment ne saur
aux yeux bleus serait illégale; mais les législateurs doivent être fous avant qu 'ils souveraineté
n 'adoptent une telle loi, et les individus idiots avant qu 'ils n 'y obéissent. » 21" En tin 18', ces re ~
conséquence, Dicey définit deux limites ou, en d'autres termes, deux moyens la procédure
par lesquels la volonté du souverain politique prime sur la volonté du souverain de regles pm
légal, deux canaux par lesquels s'articule le is et le ought : il s'agit du rôle du limitem la st
citoyen et du législateur, qui sont tous les deux supposés agir de façon raison- Les conve
·11:1 nable 177. En ce qui concerne le citoyen, il peut s'opposer à coute législation en tttmes ou arr.
résistant 278 • C'est ce que Dicey appelle la« limite externe» de la souveraineté. La différents me1
deuxieme limite, « interne », à la souveraineté a trait à la nature intrinseque du Parliament':
souverain juridique : celui-ci est constitué de telle façon à ce qu'il respecte les nier s'appelle
valeurs éthiques de la société dont il dépend. Cette limite interne se laisse jet des convt
décomposer en deux éléments, formel et matériel. Le premier consiste dans la constitutif d1
configuration démocratique du législateur, alors que le second a trair à l'utilita-
risme défendu par Dicey.
280. H.S. MAJi
grad11,il establish
2° Les conventions de la constitution : la défense du príncipe démocratique tific opinion »).
M.LOUGHLn
265 La théorie des conventions de la constitution joue un rôle crucial dans la défi- 281. Sur la dém
fin desavie, Dic
nition de l'identité du souverain. Selon Dicey, les risques d'abus de la pare du tive à l' égard de 1
souverain som considérablement réduits du fait de son origine démocratique 2'''. qui parle d'un n
Sur ce point, il se range à l'opinion de Bentham et se distancie nettement des 282. A.V. D!Cl
283. Cf J. AUS
critiques formulées par certains de ses collegues - dom Sir Henry Maine - à « I mean the pos1
ters of the person,
284. Sur ce rôle
liamenl<11)' Sove,
275. lbid., p. 33. conventions seul
276. leslie STEPHEN, Science of Ethics, p. 143; cité par A.V. DICEY, op. cit., p. 33. y voit une limite
277. Dicey ne mentionne pas les juges à cet endroit. Mais, sa position sur le juge ne differe guere de and undisputed,
celle d'Austin. Si le juge n'a pas le droit de censurer une !oi en cas ce contrariété avec !e droit te! qu'il mited sovereign p
devrait être, il peut néanmoins concilier les deux par !e biais de son pouvoir d'interprétation. ted conventiona 1
278. A.V. DICEY, op. cit., pp. 30-32. SHALL, Consti1
279. Ibid., p. 268: « The sovereigmy offüdiament, t1s contrasted with other fonns ofsovereign powers, en com pte par I
fi1vo11rs the s11premacy of the law. » 285. A.V. DICE

l
de l'esprit juridique anglais La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical jurisprndence 259

tinées à travers l'ceuvre de l'égard de la démocratisation du suffrage. Maine voit, en effet, dans l'avenement
m globale, comme l'a fait des masses le signe précurseur d'un regne de l'ignorance et de l'intolérance ainsi
1 avec le principe d'utilité. que la fin de toute « législation fondée sur la science » "º. Dicey se veut au contraire
ents, parmi lesquels il faut plus optimiste: il soutient l'extension progressive du droit de vote initiée parles
internes et externes de la grandes réformes de 1832, 1867 et 1884, et il se fait même, du moins au début de
s oublier le regne de l'opi- sa vie, l'avocat du suffrage des femmes à l'instar de John Stuart Mill 2 81 • Sa foi dans
litudes importantes avec le le caractere raisonnable des lois adoptées par le parlement ne repose plus, comme
· lequel Dicey ne tarit pas ce fut le cas chez Blackstone, sur l'idée du régime mixte, mais sur le príncipe
démocratique de l'autonomie. Si le parlement est toujours constitué parle King
Westminster d'édicter une in Parliament, l' élément démocratique, incarné dans la chambre des Communes,
st-ce qui fait que le législa- l'emporte désormais sur les éléments aristocratique et monarchique, et ce grâce
!slie Stephen, de tuer « tous à l'effet conjugué de plusieurs conventions de la constitution. Ces regles, qui
Dicey dans « la nature des formem ce que Dicey appelle une « éthique constitutionnelle ou politique » 282 ,
ivante par Stephen : « Si le jouent un rôle crucial puisqu'elles servem de fondement au souverain. Le parle-
bleus, la protection des bébés ment ne saurait logiquement être soumis à des lois, au sens strict, en raison de sa
ivent être fous avant qu'ils souveraineté; il est néanmoins soumis à des regles de nature éthique. Selon Aus-
qu'ils n'y obéissent. »"" En tin 1'1, ces regles som indispensables pour déterminer le siege, la composition et
1tres termes, deux moyens la procédure du souverain juridique, qui, en tant qu'organe complexe, a besoin
sur la volonté du souverain de regles pour exister. En ce sens, les conventions de la constitution fondent et
ought : il s'agit du rôle du limitem la souveraineté juridique 1" .
posés agir de façon raison- Les conventions de la constitution « envisagées dans leur totalité, sont des cou-
Joser à toute législation en tttmes ou arrangements (customs or understandings), concemant la façon dont les
·me » de la souveraineté. La différents membres du corps législatifsouverain qui est, comme on le sait, !e "King in
: à la nature intrinseque du Parliament': devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire, peu importe que ceder-
açon à ce qu'il respecte les nier s'appelle la prérogative de la couronne ou les privileges du parlement » "'. L' ob-
:te limite interne se laisse jet des conventions est clone d'encadrer la liberté d'action de chaque membre
:,e premier consiste dans la constitutif du parlement, que ce soit le Roi, la chambre des Lords ou encare la
le second a trait à l'utilita-

280. H.S. MAINE, Pop11l,1r Go11vernment, London, 1885, p. 98 (« We may say generally that the
grad11,il establishment of the masses in power is the blackest omen for all legislation fozmded on scien·
lu principe démocratique tific opinion »). Sur l'attitude de la doctrine juridique vis-à-vis du príncipe démocratique, voir
M. LOUGHUN, op. cit., p. 142 s.
281. Sur la démocratisation du suffrage en Angleterre, cf I. LOVELAND, op. cit., p. 234-285. À la
m rôle crucial dans la défi- fin de sa vie, Dicey se prononcera toutefois contre le droit de vote des femmes. Sur son attitude posi-
isques d' abus de la part du tive à l'égard de la démocratie, voir P.P. CRAIG, P11blic Law & Democracy in UK and USA, pp. 12-55,
on origine démocratique 17''. qui parle d'un modele de « selfcorrecting democracy ».
282. A.V. DICEY, op. cit., p. 277.
se distancie nettement des 283. Cf J. AUSTIN, Province, p. 259. Austin définit le "droit" constitutionnel de la façon suivame:
dont Sir Henry Maine - à « I mean the positive morality (. ..) which determines the character of the person, or the respective charac·
ters of the persons, in whom, for the time being, the so-vereignty shall reside. »
284. Sur ce rôle fondamemal, cf I. LOVELAND, op. cit., p. 384 ss (« The Conventional Basis ofPar-
liament,,ry Sovereignty? »). Geoffrey Marshall insiste égalemem sur ce poim. Si Dicey conçoit les
convemions seulemem sous un angle procédural ou institutionnel, G. Marshall va plus loin puisqu'il
CEY, op. cit., p. 33. y voit une limite matérielle à la souveraineté juridique du parlemem. D'apres lui, « the most obvious
ition sur le juge ne differe guere de and w1disp111ed convention of the British consti111tional system is that Parliament does not 11se its 11nli-
ce comrariété avec le droit tel qu'il mited sovereign power oflegislation in an oppressive or tyrarmical way. That is a vague but clearly accep-
:m pouvoir d'imerprétation. ted conventional mie resting on the principie of constittttionalism and the mie of law » (G. MAR-
SHALL, Constittttional Conventions, Oxford, Clarendon, 1984, p. 9). Cet aspect substamiel est pris
1ith other /onns o/sovereign powers, en compre par Dicey à travers l'idée du regne de l'opinion publique et du príncipe d'utilité.
285. A.V. DICEY, op. cit., p. 284-5.
260 De la Rufe ofLaw ou les partiwlarismes de l'esprit juridique anglais LaRuleofL

chambre des Communes, afin de garantir la subordination du souverain juri- idées utilitai
dique au souverain politique : « Leur fin est d'assurer que le parlement applique à veut prescr
long terme la volonté du pouvoir qui, dans l'Angleterre moderne, est !e véritable sou- XIX' siecle la
verain politique de l 'État : la majorité des électeurs ou (. ..) la nation. » "" Tout il doit en êt
d'abord, les conventions assurent la subordination de tous les organes dépour- rente à l'o.i:
vus de légitimité démocratique à la chambre des Communes, qui est le seul contraire, d'
organe à être élu. Aussi le roi est-il obligé de convoquer le parlement au moins guer ces det
une fois par an, faute de quoi le souverain n'existerait même pas. 11 lui est égale- ambigue et i
ment interdit, toujours en vertu d'une convention, d'exercer son droit côté, il y vo
de veto pour s'opposer à la volonté exprimée par le parlement. De même, le que certaines
monarque est obligé de choisir comme premier ministre le leader du parti vain- au contraire,
queur aux élections, et le gouvernement ainsi nommé est responsable devam la révoquées » , ..
chambre des Communes. Si, d'un strict point de vue juridique, la chambre des « apres tout, /
Lords est sur un pied d'égalité avec la chambre des Communes, du moins jus- penche dava1
qu'en 1911, elle est néanmoins obligée, en vertu d'une convention, de céder ment de son
devam la volonté exprimée parles Communes; elle y est tenue lorsqu'il est avéré sociologique
que l'avis de la chambre basse reflete la volonté manifeste du peuple. Enfin, la obstam les c1
chambre des Communes elle-même est soumise au peuple par le biais du droit ses yeux, va l
de dissolution du roi, qui peut ainsi faire vérifier la conformité de vues entre les 267 Somme tout,
représentants et les représentés. Aux yeux de Dicey, cet encha1nement institu- tham : si le
tionnel garantit en dernier lieu la suprématie du souverain politique. convaincre l'
11:1
r. qu'est Dicey
3° Le regne de l'opinion publique: le principe d'utilité sans se privei
ce droit idéal
266 À la limite formelle de la souveraineté juridique s'ajoute une limite matérielle, de Dicey et q
que Dicey évoque à travers son étude des liens entre la législation et l'opinion n'est pas un J
publique anglaise au cours du XIX' siecle. Le statut épistémologique d'une telle
étude peut prêter à confusion et mérite d'être éclairci, comme le reconnalt lui-
même Dicey"'. Disons tout de suite qu'il reste assez ambigu sur ce point. Sa
démarche paralt sociologique. 11 montre, en effet, qu'il est un fait admis qu'en
Angleterre la législation - mais cela vaut aussi mutatis mutandis pour la common
law - suit les exigences et variations de l'opinion publique : « Opinion contrais
legislation. » 288 II distingue à cet égard trois grandes époques : la période de stag-
nation législative de 1800 à 1830, marquée parles idées de Blackstone, la période
de la réforme et de l'individualisme benthamien (1825-1870) et, enfin, la période
d'émergence du collectivisme (1865-1900).
Dicey dépasse néanmoins à de multiples reprises cette logique descriptive et
s'engage résolument dans des débats sur la légitimité des valeurs qui sous-tendem 289. lbid., p. 1.
ces différents courants d'opinion. En marquant clairement sa préférence pour les 290. On connait
Duguic (cf infr,1 1
291. A.V. DICE'
292. !bid., p. 414
286. Ibid., p. 285. 293. Ibid., p. 138
287. A.V. DICEY, lectures on the Relation bet-ween La-w & Opinion in England during the 191' Cen- one can deny its .
wry, reprod. de la 2" éd. de 1914, préf. de E.C.S. Wa<le, London, Macmillan, 1962, p. X. Wade se pose diction. » Aux yc
!ui aussi la qucscion ec souligne que cec ouvrage, qui se différencie clairemenc de ses ouvrages « stric- diversité des gof1t
wnent j11ridiq11es », moncre à que! poinc Dicey reste fidele à ses opinions libérales de Whig (p. VI). dencale, sur que!,
288. Ibid., p. 26. pp. 139-141).
de l'espritjttridique anglais

ination du souverain juri-


I La Rule ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurisprndence

idées utilitaristes et son opposition au « collectivism », il use d'un discours qui se


veut prescriptif. Non seulement l'opinion publique a contrôlé durant le
261

que !e parlement applique à


noderne, est le véritable so11- XIX' siecle la législation, ce qui est un fait incontestable d'apres lui, mais en outre
2
J1J (. ••) la nation. » '" Tout il doit en être ainsi 2". Reste à saisir la nature exacte de cette normativité inhé-
e tous les organes dépour- rente à l' opinion publique : s'agit-il d'un positivisme sociologique ou, au
:ommunes, qui est le seul contraire, d'un jusnaturalisme - à supposer que l'on puisse absolument distin-
uer le parlement au moins guer ces deux écoles 2'º? La définition diceyenne de l' opinion publique reste
: même pas. 11 lui est égale- ambigue et integre des éléments à la fois sociologiques et philosophiques. D'un
ion, d' exercer son droit côté, il y voit la « croyance ou conviction prédominante dans une société donnée
e parlement. De même, le que certaines /ois sont bénéfiques et méritent, par conséquent, d'être maintenttes, ou,
stre le leader du parti vain- au contraire, qu 'elles sont nuisibles et devraient par conséquent être modifiées ou
té est responsable devant la révoquées » m. De l' autre côté, il insiste sur le fait que l' opinion publique est
e juridique, la chambre des « apres tout, une simple abstraction »m. Tout bien pesé, il nous semble que Dicey

Communes, du moins jus- penche davantage vers une définition abstraite des valeurs. Cela ressort notam-
'une convention, de céder ment de son opposition radicale au « collectivism » qui était pourtant l'opinion
est tenue lorsqu'il est avéré sociologiquement prédominante à la fin du XIX' et au début du XX' siecle. Non-
1ifeste du peuple. Enfin, la obstant les croyances du jour, il réaffirme sa foi en la doctrine utilitariste qui, à
peuple par le biais du droit ses yeux, va de soi. Seul un fou pourrait la nierm.
onformité de vues entre les 267 Somme toute, Dicey remonte d'en bas le chemin emprunté d'en haut par Ben-
, cet encha1nement institu- tham : si le philosophe définit in abstracto le príncipe d'utilité et essaie de
verain politique. convaincre l'opinion publique pour faire réformer le droit positif, le juriste
qu'est Dicey part de la législation pour remanter à sa source intellectuelle, non
tilité sans se priver, à divers moments, de quelques remarques sur ce que devrait être
ce droit idéal. Bref, même s'il n'est pas toujours évident de cerner la démarche
joute une limite matérielle, de Dicey et qu'il reste des zones d'ombre, une chose au moins est claire: Dicey
e la législation et l'opinion n'est pas un positiviste.
fpistémologique d'une telle
·ci, comme le reconna1t lui-
ez ambigu sur ce point. Sa
1
u'il est un fait admis qu'en
is mutandis pour la common
ublique : « Opinion contrais
fpoques : la période de stag-
:es de Blackstone, la période
!5-1870) et, enfin, la période

• cette logique descriptive et


des valeurs qui sous-tendent 289. Ibid., p. 1.
290. On connait à ce sujet les débats sur la nature exacte du positivisme sociologique de Léon
ement sa préférence pour les Duguit (cf in/m n· 395 ss).
291. A.V. DICEY, Law & P11blic Opinion, p. 3.
292. Ibid., p. 414.
293. Ibid., p. 138 : « lndeed, if once the meaning of this st,mdurd be tmderstood, it is hurd to see how ,;ny
ion in England d11ring the 19'' Cen- one can deny its applicability, without involving himseif in something like abmrdity ar selfcontra-
viacmillan, 1962, p. X. Wade se pose diction. ,, Aux yeux de Dicey, il n'y a pas de dome possible sur le fait qu'au-delà de la nécessaire
ie clairement de ses ouvrages « stric- diversité des got1ts des êtres humains, il existe un consensus, au moins au sein de la civilisation occi-
opinions libérales de Whig (p. VI). dentale, sur quelques príncipes fondamentaux. Cela lui para1t être une vérité de bon sens (ibid.,
pp. 139-141).
L 'ascension d,

anglais, préfe
titutionnalisa
le mot de la
- sans pour:
faw » - , avan
II n'est pas pe
dont il conte
de la rufe of 1
mot, auquel i
consacre, il re
Chapitre 3 fondamentau
whole is regui
aboutissant à
L'ascension de la Rule of Law ment ainsi qu
sous le signe des droits de l'homme et du juge pective comp
law avec les ti
Un même sei
268 À peine le grand prêtre mort - Dicey décede en 1922 -, que déjà des « héré-
pnnc1pes, cer
tiques » élevent leur voix pour critiquer l'autorité de la« Bible » du droit public
férencier les
anglais'. Le XX' siecle s'ouvre surde violentes critiques du modele théorique de
tiques, instau
Dicey, ce qui oblige ses disciples à des réajustements sensibles.
magne. Parn
Rtl constitution ,
r.: a) La querelle autour du príncipe de l'État-providence
1 de l' égalité dt
Des les années trente, la nouvelle école du « functionalism » 2 focalise ses Jennings ne s
attaques sur l'idée du laissezfaire sous-jacente à la conception diceyenne de la par rapport à
rule of law. Face aux disciples de Dicey, tels que Lord Hewart, C.K. Allen, voir discrétio
William Wade, etc., se constitue un nouveau courant doctrinal, composé entre mel. II meta
autres de Harold Laski, Sir Ivor Jennings, William Robson, J.A. Griffith, l' articulation
Patrick McAuslan, etc., qui défend une approche sociologique du droit 1• Au ment, qui ser
cceur de la querelle doctrinale se situe la question de la bureaucratie croissante, 269 Depuis les éc
que ce soit au niveau central ou local, de ses pouvoirs discrétionnaires, de l'effi- par la doctrir
cacité de son contrôle par des juridictions administratives; autant d'aspects du
nouvel État-providence que les premiers récusent comme une nouvelle forme de
« despotisme »' et que les seconds défendent, au contraire, au vu des nécessités 5. W.A. ROBS(
sociales. Dans ce débat, le discrédit qui frappe les théories de Dicey affecte éga- don, Macmillan.
6. I.JENNING
lement l'expression rufe offaw. Aussi Robson, le pionnier du droit administratif p. xi et p. 53 nrn
7. Ibid., p. 44 s
principies... ».
8. Ibid., p. 47.
9. Ibid.
1. R.W. BLACKBURN, « Dicey and the Teaching of Public Law », PL, 1985, p. 689. L'hérétique 1O. Ibid., p. 59.
est évidemment Jennings. 11. Ibid., pp. 47
2. Cf M. LOUGHLIN, P11blic Law ,md Political Theory, Oxford, Clarendon, 1992, chap. 4, 6, 7 et 12. Jbid., p. 47 ,
8. Loughlin s'en revendique également. 13. Sur la réfb
3. Sur ces auteurs et les débats de l'époque, cf. M. LOUGHLIN, op. cit., pp. 159-206; EA. HAYEK, of law, cf. M. l(
Verfassttng der Freiheit, op. cit., chap. 16, p. 308 ss; S. CASSESE, La construction d11 droit administra- History and othe
tif France et Royazmze-Uní, op. cit., p. 113 ss. ding the Rule ot
4. G. HEWART, 171e NewDesporism, London, 1929. remem consacrc
L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 263

anglais, préfere-t-il parler de« reign of law » pour désigner le phénomene d'ins-
titutionnalisarion du pouvoir politique 5 • De même, Jennings (1903-1965) a rayé
!e mot de la premiere édition de son ouvrage The Law and the Constittttion
- sans pour autant abandonner l'idée de ce qu'il appelle lui-aussi « the reign of
law » - , avant de revenir à la terminologie de Dicey dans sa deuxieme édition 6 •
II n'est pas peu paradoxal que ce soit Jennings, pourtant si critique envers Dicey
dont il conteste les trais idées-maltresses de la souveraineté, des conventions et
de la rufe of law, qui ait perpétué ce dernier concept ou, plus précisément, le
mot, auquel il Ôte la connotation anti-interventionniste. Dans les pages qu'il !ui
consacre, il revient au noyau dur de la rufe oflaw qu'il identifie avec les príncipes
fondamentaux du libéralisme, voire de la démocratie 7 • L'idée que « the State as a
whole is regulated by law »' s'est cristallisée au cours de l'histoire anglaise, en
aboutissant à la soumission du roí et de ses serviteurs à la !oi votée par le parle-
fLaw ment ainsi qu'au contrôle des juges de la common law. Se plaçant dans une pers-
lme et du juge pective comparativiste, Jennings souligne d'ailleurs les similitudes de la rufe of
law avec les théories continentales du « Rechtsstaat, état de droit, stato di diritto » ".
Un même souci de limitation du pouvoir politique a fait na1tre un corpus de
12 -, que déjà des « héré-
príncipes, certes « imprécis dans leur essence » 10 , mais permettant toutefois de dif-
a « Bible » du droit public
férencier les démocraties constitutionnelles des régimes tyranniques et despo-
s du modele théorique de
tiques, instaurés par le « Duce » en Italie et un certain « Herr Hitler » en Alle-
ensibles.
magne. Parmi les divers criteres de la rufe of law, il cite l'existence d'une
constitution écrite, la séparation des pouvoirs, la reconnaissance de la liberté et
nce de l'égalité des individus, ainsi que le príncipe de la légalité 11 • Reste à préciser, et
ictionalism » 1 focalise ses Jennings ne se prive pas d'y insister '1, que l' Angleterre se trouve en porte à faux
mception diceyenne de la par rapport à cette définition, puisque le parlement britannique jouit d'un pou-
ord Hewart, C.K. Allen, voir discrétionnaire absolu, qui n'est limité par aucune constitution au sens for-
doctrinal, composé entre mel. II met ainsi !e doigt sur le talon d' Achille de la théorie de Dicey, à savoir
n Robson, J.A. Griffith,
l'articulation des deux príncipes de la rufe of law et de la souveraineté du parle-
,ciologique du droit 1 • Au ment, qui sera au cceur des controverses du XX' siecle.
la bureaucratie croissante, 269 Depuis les écrits de Jennings, le concept de rufe of law est quelque peu délaissé
discrétionnaires, de l'effi- par la doctrine juridique '3. Celle-ci tend à s'en débarrasser assez rapidement, en
1tives; autant d'aspects du
me une nouvelle forme de
raire, au vu des nécessités 5. W.A. ROBSON,]ustice and Administrative law. A Swdy ofthe British Constitution, 1" edn., Lon-
don, Macmillan, 1928, p. 2 ss ec p. 35 ss. II maimient cecce terminologie dans sa 3' édition de 1951.
ories de Dicey affecte éga- 6. I. JENNINGS, The Law ,md the Contit11tion, 4,h edn., London, U niversity of London Press, 1948,
nier du droit administratif p. xi et p. 53 note 1. La premiere édition date de 1933.
7. Jbid., p. 44 ss et notamment p. 47 : « /1 is an attit11de, an expression of liberal and democratic
principies... ».
8. lbid., p. 47.
9. lbid.
», PL, 1985, p. 689. L'hérécique 10. lbid., p. 59.
11. lbid., pp. 47-53.
Clarendon, 1992, chap. 4, 6, 7 ec 12. Jbid., p. 47 ec p. 55 ss.
13. Sur la réflexion de philosophes cels que F.A. Hayek ou M. Oakeshott sur le concept de mie
,. cit., pp. 159-206; F.A. HAYEK, oflaw, cf. M. LOUGHLIN, op. cit., chap. 5; M. OAKESHOTT, « The Rule of Law », in id., On
constmction d11 droit administra- Historyand otheressays, Oxford, Basil Blackwell, 1983, pp. 119-164; N.B. REYNOLDS,« Groun-
ding the Rule of Law », Ratio ]11ris, vol. 2, 1989, pp. 1-16 et les arcicles suivams de ce numéro emie-
remem consacré à la rufe of law.

l
264 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de /,

quelques pages, voire parfois en quelques lignes 14 • Si la souveraineté et les term » qui emb
conventions de la constitution sont traitées in extenso dans des chapitres entiers, pouvoirs, les p1
le troisieme pilier de l'reuvre de Dicey se voit en général relégué dans l'intro- nel, etc. - sans
duction réservée à des généralités. En 1985, à la commémoration du centieme pas besoin », car
anniversaire de la premiere édition de Introduction to the Study of the Law of the sans que l' on ,
Constitution, organisée par le College All Souls à Oxford, R. W Blackburn joue pourrait rédige
les Cassandre en évoquant la menace d'une disparition du concept, au vu de cer- terme n'appan
tains signes précurseurs';. Sa prévision ne s'est pas vérifiée à l'heure actuelle, ou ment dit, l'idé,
l'on assiste au contraire à un intérêt croissant pour le sujet; son analyse est néan- plutôt si famili
moins révélatrice de l'esprit d'une partie de la doctrine qui trouve le concept ployer ce mot t
bien trop abstrair à son gout. Au terme d'une enquête lancée en 1981 sur la pré- il aura tendanc
sence du concept dans les enseignements universitaires, Blackburn arrive aux
résultats suivants: sur les vingt-six Law Schools qui ont répondu à l'appel (sur un ~) Le renouve
total de trente-cinq universités contactées), seize affirment enseigner le concept du liberal 1
de rule oflaw jugé « central à la matiere entiere du droit public et d'un intérêt cru-
cial pour la compréhension des droits individueis contre l'État ». Les dix autres 270 Ce pragmatisn-
avancem diverses raisons pour ne pas l'enseigner, en arguam que le sujet est « de courant doctrir
la rhétorique politique », « purement théorique », et « une chose extrêmement glis- ci esquisse un
sante et dangereuse » qui n'est susceptible d'aucune définition objective. À cela droits de l'hon
s'ajoute que les programmes sont si surchargés qu'il a faliu évacuer tout ce qui liter le princip,
est trop théorique 1•. l' ombre du pri
li)~ Les références à la rufe of law sont plutôt rares dans la doctrine juridique tion lancée à 1
u::
1 anglaise, ce qui vaut d'ailleurs aussi pour la jurisprudence qui, à en croire Tre- tuelles tres div
vor Allan, n'aurait pas réussi à dégager une théorie claire et cohérente de la rule Fédéralistes, le
oflaw' 7 • L'absence relative du terme s'explique, selon Geoffrey Marshall, parle Cour européer
fait que la rufe of law n'est qu'un « label », ou plus exactement un « umbrella sans oublier le~

14. R.W. BLACKBURN, op. cit., p. 692. Cf S.A. de SMITH, Constiwtional and Administrative 18. G. MARSHA
Law, 1" éd., London, Longman, 1971, consacre en tout et pour tout une page au concept de rufe of p. 43.
law, jugé sans imérêt pour la matiere. O. HOOD PHILLIPS, Constit11tion,,l and Administrative 19. Jbid. II est d'a
Law, 6' éd. de 1978: 9 pages, dans sa 7' éd. de 1987: 7 pages sur un total de 808 pages. E.C.S. WADE, don, 1971) ne con
Cunstit11tional and Administrative Law, 9' éd. de 1977: 14 pages; 12· éd. de 1997 (par A.W. BRAD- constitutifs du pri,
LEY & K.D. EWING): 14 pages sur un total de 886 pages. Signe du renouveau acmel: I. LOVE- la souveraineté du
LAND, Constitutional Law. A Criticai lntroduction, 1" éd. de 1996, ne consacre pas moins de Voir toutefois du 1
39 pages sur un total de 685 à la mie oflaw. 1997, pp. 1-5, ou
15. R.W. BLACKBURN, op. cit., p. 692. Rights, contrôle ju
16. lbid., p. 693. 20. G. MARSHA
17. T.R.S. ALLAN, « Legislative Supremacy and the Rule of Law: Democracy and Constitutiona- 21. J. RAZ, « Fo
lism ", CL], vai. 44, 1985, p. 114 s. La doctrine cite quelques arrêts seulemem ou appara1t le terme : Contemporary Ess.
Christie v. Leachinsky [1945] 2 Ali E.R. 395, 405 et 408 C.A. per Scott L.J. (]e bon fonctionnemem 22. M. LOUGHI
d~ la démocratie dépend de la rufe of law, d'ou illégalité d'une arrestation sans mandar); Carl-Zeiss tism and Theory i11
Stifi11ng v. Rayner [1966] 2 Ali ER 536, 577; Black-Clawson lntenMtional Ltd. v. Ripierwerke AG in Public Law », l
[1975] A.C. 591, 638 per Lord Diplock (príncipe de la cerrimde et de la prévisibilité de la loi); lmegrity », OJLS.
D11ports Steels v. Sirs [1980] 1 WL.R. 142, 157 per Lord Diplock (seule la soumission du juge à la !oi constittttional theo
garantit son impartialité); Chokolingo v. Attomey Gener.1! ofTrinidad [1981] 1 Ali ER 244, 248 per coherence witho111
Lord Diplock; Merkrff Jsland Shipping Corpn. v. La11ghton [1983] 2 A.C. 570 per Lord Diplock phers: Dworkin h..
(exigence d'une !oi claire); Francome v. Mirrar Gro11p Newspaper Ltd. [1984] 1 W.L.R. 892, 897 per 23. T.R.S. ALLAi
Sir John Donaldson (obligation d'obéir à la !oi); Abse v. Smith [1986] Q.B. 536, 555 per May LJ; 24. Cf R. DWOI
X ·v. Morgan-Grampian Ltd. [1991] A.C. 1, 48 per Lord Bridge (la mie oflaw est aussi importante que Britain, London, 1
le suffrage démocratique dans une société libre); M. v. Home Office [1993] 3 WLR 433 per Lord Woolf. of Principie, Caml

1
; de l 'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 265

. Si la souveraineté et les term » qui embrasse un certain nombre de principes connus - la séparation des
1 dans des chapitres emiers, pouvoirs, les principes de légalité, de liberté et d'égalité, le contrôle juridiction-
fnéral relégué dans l'intro- nel, etc. - sans y ajouter quoi que ce soit ". En somme, « il se peut qu'on n'en ait
nmémoration du centieme pas besoin », car tous les problemes constitutionnels se laissent aisément discuter
J the Stttdy of the Law of the sans que l'on soit obligé de mentionner le terme rufe of law'". De même, on
:ford, R.W Blackburn joue pourrait rédiger un traité en plusieurs volumes sur la mie of law, sans que le
,n du concept, au vu de cer- terme n'apparaisse une seule fois, si ce n'est dans le titre de l'ouvrage 1º. Autre-
:rifiée à l'heure actuelle, ou ment dit, l'idée qui se cache sous l'expression rufe of law para1t si évidente, ou
sujet; son analyse est néan- plutôt si familiere, au juriste anglais, qu'il ne ressent nullement le besoin d'em-
:rine qui trouve le concept ployer ce mot et de conceptualiser davantage sa pratique 1 1• S'il le fait néanmoins,
e lancée en 1981 sur la pré- il aura tendance à reproduire, avec quelques ajustements, la définition de Dicey.
Lires, Blackburn arrive aux
1t répondu à l'appel (sur un ~) Le renouveau du concept de la rule of law dans le sillage
rment enseigner le concept du liberal normativism
Jit public et d'un intérêt cru-
1tre l'État ». Les dix autres 270 Ce pragmatisme ambiant est contesté à partir des années 1980 par un nouveau
arguam que le sujet est « de courant doctrinal que Martin Loughlin a appelé le « liberal normativism ». Celui-
une chose extrêmement glis- ci esquisse un net retour à la théorie et plus exactement à la philosophie des
:léfinition objective. À cela droits de l'homme 12 • Le but affiché de T.R.S. Allan, par exemple, est de réhabi-
a fallu évacuer tout ce qui liter le principe de la rufe oflaw qui, jusque-là, n'agissait que « sub silentio » 2-', à
l' ombre du príncipe sacro-saint de la souveraineté. Véritable entreprise de séduc-
dans la doctrine juridique tion lancée à l'adresse des juges, ce mouvement s'inspire de sources intellec-
1dence qui, à en croire Tre- tuelles tres diverses ou se côtoient à la fois les idées de Locke, de Hayek et des
:laire et cohérente de la mie Fédéralistes, les arrêts de la Cour suprême des États-Unis, la jurisprudence de la
n Geoffrey Marshall, par le Cour européenne des droits de l'homme, la théorie de la justice de John Rawls,
exactement un « umbrella sans oublier les écrits d'un autre Américain célebre, Ronald Dworkin ", profes-

ConsLit11tion,,l and Administrative 18. G. MARSHALL,« The Rule of Law. Its Meaning, Scope and Problems », CPP], no. 24, 1993,
~ut une page au concept de rufe of p. 43.
Constit11tion,,l aml Administrative 19. lbid. II est d'ailleurs à noter que son ouvrage classique Constitution,1/ Theory (Oxford, Claren-
total de 808 pages. E.C.S. WADE, don, 1971) ne comiem aucun chapitre spécifique sur la rufe of law. En revanche, rous les élémems
12' éd. de 1997 (par A.W. BRAD- constitutifs du príncipe de la rule oflaw - à savoir les libertés publiques, la séparation des pouvoirs,
1e du renouveau actuel : I. LOVE- la souveraineté du parlemem, !e lien entre la !oi et la morale, !e droit de résistance - y som traités.
1996, ne consacre pas moins de Voir routefois du même aureur l'article récem « Parliamemary Sovereigmy: the new horizon », PL,
1997, pp. 1-5, ou !e terme apparatt plus souvem au sujet des réformes constitutionnelles (Bill of
Rights, comrôle juridictionnel des !ois, etc.).
20. G. MARSHALL,« The Rule of Law... », op. cit., p. 50.
" : Democracy and Consritutiona- 21. J. RAZ, « Formalism and the Rule of Law », in R.P. GEORGE (dir.), Natural Law Theory.
ts seulemem ou appara1t le terme : Contemporary Essays, Oxford, Clarendon, 1992, p. 309.
Scott L.J. (le bon fonctionnemem 22. M. LOUGHLIN, op. cit., p. 206 ss. Sur !e pragmatisme britannique, cf. P.S. ATIYAH, Pragma-
rrestation sans mandar); Carl-Zeiss tism and Theory in English Law, London, Stevens, 1987; T.R.S. ALLAN, « Pragmatism and Theory
c>r1Mlion,,l Ltd. ·v. Ripic>rwerke AG in Public Law », LQR, vol. 104, 1988, pp. 422-447; id. « Dworkin and Dicey : The Rule of Law as
le et de la prévisibilité de la loi); Imegrity », OJLS, vol. 8, 1988, p. 276-7 : « M,my public lawyers distrust constit11tional theorists; some
seule la soumission du juge à la loi constit11tional theorists are wary of philosophers. B11t public law - British public law - cannot gain in
iidad [1981] 1 Ali ER 244,248 per coherence witho11t better constit11tional theory. And constit11tional theorists m11st now become philoso-
B] 2 A.C. 570 per Lord Diplock phers: Dworkin has mrely left them no choice. »
· Ltd. [1984] 1 W.LR. 892, 897 per 23. T.R.S. ALLAN, « Legislative Supremacy... », op. cit., p. 114.
[1986] Q.B. 536, 555 per May LJ; 24. Cf R. DWORKIN, Taking Rights Seriously, London, Duckworth, 1977; A Bill of Rights for
rufe of /,1w est aussi importante que Britain, London, Charro & Windus, 1990, 57 p. Pour sa définition de la rule of law, voir A Matter
, [1993] 3 WLR 433 pa Lord Woolf. of Principie, Cambridge/Mass., Harvard University Press, 1985 chap. 1.
266 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension e

seur de théorie du droit à Oxford. Le terme de rufe of law, avec l'idée sous- duelles sur la
jacente de la protection juridictionnelle des droits de l'homme, est l'un des leit- criteres forn
motive de leur approche novatrice du droit anglais. À l'instigation de cette nou- tive stabilité
velle génération de professeurs dom le message est relayé et inspiré par quelques tere général ,
juges supérieurs, s' opere un retour à une conception substantielle de la rufe of teme juridiq
law qui va de pair avec la revendication d'un contrôle croissant du juge 25 • à un proces'
271 Dans le débat s' opposent, en fait, trais conceptions de la rufe of law 21•• Dans un droit des ju,
premier sens, descriptif, la rufe oflaw exprime simplement l'existence d'un ordre normes, y in
juridique, quel qu'il soit. Peu importe sa qualité formelle ou matérielle, la rufe possible à ur
oflaw existe pour peu que la paix regne et qu'il n'y ait aucun recours à la force. Sous la ba
C'est l'idée que le « law and arder est meilleur que l'anarchie » 27 • II s'en suit logi- critique, on l
quement que tout gouvernement effectif respecte ipso facto le principe de la rufe ser l'impens,1
oflaw qui se résume en une« tautologie », comme le remarque Joseph Raz'". Un tionnalité de
tel concept serait «trivial»'\ ce qui implique en conséquence que, si l'on veut politiques de
donner un sens à ce syntagme - et c'est ce que veut J. Raz à la différence d'un fier « d'idéal
Kelsen qui n'est pas mécontent d'avoir détruit, sinon démystifié le mot Rechts- rité juridiqut
staat-, il faut procéder à un autre type d'analyse. Aussi la doctrine anglaise ne leur culture,
s' arrête-t-elle guere à ce premier concept; elle passe aussitôt à la définition de la techniques e1
rufe of law comme un « idéal politique » '°, comme un « standard auquel la !oi l'homme 36 • S
devrait se conformer » 31 • les juges, c'e!
vagues de ce
272 Le vrai débat en Angleterre se livre, en effet, entre ceux qui prônent un concept
cée à la fois p
rc normatif simplement formel de la rufe of law (2' conception) et ceux qui cher-
phie politiqw
chent à dépasser ce point de vue étroit, pour y inclure des éléments matériels
anglais pour
(3' conception) ". Pour les premiers, dom J. Raz, qui est un disciple du positi-
viste Herbert Hart, la rufe oflaw implique que le pouvoir poli tique soit soumis 273 Matérialisatic
à la loi, mais à une loi qui respecte certains criteres de qualité formeis, sans les- facettes de la
quels elle ne saurait satisfaire à sa fonction de régulation de la vie en société. Sur niveaux. Tout
ce point, J. Raz s'affirme en parfait accord avec Friedrich von Hayek (1899- profondémen
1992), pour lequel la rufe oflaw signifie que « le gouvernement est lié dans toutes à un véritable
ses actions par des regles fixées et proclamées d'avance, regles qui permettent de pré- draient axer ;1
voir, avec une relative certitttde, comment l'autorité publique usera de son pouvoir
coercitif dans les circonstances données, et de planifier ses propres ajfaires indivi- 33. F.A. HAYH
34. J. RAZ, op.,
ofLaw, 2"' edn., :
25. J. BELL, « I,e regne du droir et le regne du juge : vers une inrerprétarion substantielle de l'Érar p. 104 ss et G. d,
de droit », in L'Etat de droit. Mélanges G. Braibant, Paris, Dalloz, 1996, pp. 15-28. formelle de D.N
26. A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., p. 105-109; B. BEINHART, « The Rule of Law », R.P. GEORGE(,
Acta Jurídica (Afr. Sud), 1962, pp. 99-138. Cf supra n" 70, 71, 72, 89 et 96. staat... », op. cit., 1
27. A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., p. 106. Cf I. JENNINGS, op. cit., pp. 41-44. p. 270 ss; J. JO\X
B. BEINHART, op. cit., p. 100, conclut que« in essence, the R11le ofLaw means here the mainten,mce Constitution, 3'' ,
ofthe gnmdnonn "· 35. J. RAZ, op. e
28. J. RAZ, « The Rule of Law and its Vinue », LQR, 1977, p. 196. 36. Cf P.S. AT!J
29. N. MacCORMICK, « Der Rechtsstaat und die rule of law »,JZ, 1984, p. 67. en droit d'apres 1
30. J. RAZ, op. cit., p. 196, 198. II parle aussi de la mie oflaw com me d'une « vert11,, qu'un systeme 37. J. JOWELL ,
juriJique posséderait plus ou moins (p. 196). Law », PL, 1987,
31. lbid., p. 205. 38. Sur ces aspec
32. P.P. CRAIG, « Formal and Substantive Conceptions of the Rule of law: An Analytical Frame- A. LESTER, op. ,
work », PL, 1997, pp. 467-487. On y rrouve une analyse des conceptions de J. Raz, A.V. Dicey, Changing Constit.
R. Unger, R. Dworkin, Sir J. Laws, T.R.S. Allan, J. Jowell. and Theory... ","
; de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rule ofLaw sous le signe des droits de l 'homme et du juge 267

le of law, avec l'idée sous- duelles sur la base de ces connaissances » 33 • J. Raz en déduit un certain nombre de
: l'homme, est l'un des leit- criteres formels 3' : 1) le caractere prospectif, public et clair des lois; 2) une rela-
~ l'instigation de cette nou- tive stabilité des lois pour ne pas dérouter inutilement les justiciables; 3) le carac-
layé et inspiré par quelques tere général des lois; 4) l'indépendance de la justice, trait « essentiel » de tout sys-
rr substantielle de la rule of teme juridique; 5) le respect des príncipes de la« natural justice» tels que le droit
e croissant du juge 1'. à un proces équitable, à un juge impartial, à un débat contradictoire, etc.; 6) le
droit des juges à contrôler le respect de ces criteres énoncés par toutes les
de la rule of law"'. Dans un
normes, y inclus les « lois adoptées parle parlement »; 7) un acces aussi facile que
ment l'existence d'un ordre
possible à une justice qui doit occuper une« position centra/e» dans ce modele.
melle ou matérielle, la rule
Sous la banniere de la forme, dont on aurait tort de sous-estimer le potentiel
ait aucun recours à la force.
critique, on découvre ainsi une analyse extrêmement poussée qui va jusqu'à pen-
narchie » 27 • Il s'en suit logi-
ser l'impensable en Angleterre, à savoir un contrôle, certes formel, de constitu-
o facto le príncipe de la rule
tionnalité des lois. D'ailleurs, J. Raz est tout à fait conscient des implications
remarque Joseph Raz". Un
politiques de ce concept "simplement" formel, puisqu'il n'hésite pas à le quali-
nséquence que, si l'on veut
fi.er « d'idéal politique » 35 • Une telle conception, axée sur le príncipe de la sécu-
t J. Raz à la différence d'un
rité juridique, n'est pas sans plaire à des juristes et des juges anglais qui, de par
,n démystifié le mot Rechts-
leur culture, sont plus portés à des interrogations pratiques sur les recours, les
~ussi la doctrine anglaise ne
techniques et les procédures, qu'à des spéculations abstraires sur les droits de
aussitôt à la définition de la
l'homme 36 • Si jamais le contenu des décisions des pouvoirs publics est scruté par
un « standard auquel la loi
les juges, c'est plutôt par référence au sens commun et à des standards assez
vagues de ce qui est moral et raisonnable 37 • 11 a fallu l'influence étrangere, exer-
~ux qui prônent un concept cée à la fois par la Convention européenne des droits de l'homme et la philoso-
,nception) et ceux qui cher- phie politique américaine, pour susciter un regain d'intérêt chez certains juristes
[l

lure des éléments matériels anglais pour la question des droits de l'homme.
ui est un disciple du positi-
273 Matérialisation et juridictionnalisation de la rule of law : telles sont les deux
)uvoir politique soit soumis
facettes de la logique du « liberal normativism », qui s'est manifestée à deux
de qualité formels, sans les-
niveaux. Tout d'abord, le contrôle juridictionnel de l'administration s'en trouve
tion de la vie en société. Sur
profondément remanié. Le judicial review est étendu et approfondi aboutissant
;riedrich von Hayek (1899-
à un véritable « Droit public - English Style » que les « liberal normativists » vou-
i·vernement est lié dans toutes
draient axer autour de la notion de droit subjectif38 • À ce premier mouvement
regles qui permettent de pré-
mblique usera de son pouvoir
er ses propres ajfaires indivi- 33. F.A. HAYEK, The Road to Serfdom, London, 1944, p. 54; cité par J. RAZ, op. cit., p. 195.
34. J. RAZ, op. cit., pp. 198-202. Voir aussi la liste de crireres formeis de L FULLER, 771e Morality
ofLaw, 2"' edn., New Haven, Yale University Press, 1969, chap. 2, pp. 33-94; B. BEINART, op. cit.,
nerprérarion subsrantielle de l'Érar p. 104 ss et G. de Q. WALKER, The Rufe of Law, op. cit., chap. 1, pp. 1-48. Voir aussi la définirion
, 1996, pp. 15-28. formelle de D.N. MacCORMICK, « Natural Law and the Separation of Law and Morais », in
BEINHART, « The Rule of Law », R.P. GEORGE (dir.), Natural Law Theory. Contemporary Essays, op. cit., p. 121 ss.; id. « Der Rechts-
, 89 et 96. staat ... », op. cit., pp. 65-70; N. FINNIS, Natural Law and Natural Rights, Clarendon, Oxford, 1980,
•· JENNINGS, op. cit., pp. 41-44. p. 270 ss; J. JOWELL, « The Rule of Law Today », in J. JOWELL & D. OLIVER, The Changing
~ of Law means here the maintenance Constitution, 3~ edn., Oxford, Clarendon, 1994, pp. 57-78.
35. J. RAZ, op. cit., p. 196 et 198.
196. 36. Cf P.S. ATIYAH, op. cit., pp. 18-26 et 112-125. Adde G. RADBRUCH, « La sécurité juridique
·,}Z, 1984, p. 67. en droit d'apres la théorie anglaise », APD, 1936, pp. 86-99.
mme d'une « verttt » qu'un sysreme 37. J. JOWELL & A. LESTER, « Beyond Wednesbury: Substantive Principies of Adminisrrarive
Law », PL, 1987, pp. 368-382.
38. Sur ces aspects administratifs qui ne renrrent pas dans notre analyse, cf p. ex. J. JOWELL &
Rule of law : An Analyrical Frame- A. LESTER, op. cit.; J. JOWELL, « The Rule of Law Today », in J. JOWELL & D. OLIVER, The
conceptions de J. Raz, A.V. Dicey, Changing Constillltion, 3'' edn., Oxford, Clarendon, 1994, pp. 57-78; T.R.S. ALLAN, « Pragmatism
and Theory... », op. cit., pp. 422-447.

l
268 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de

viem s'ajouter, au niveau constitutionnel, une contestation de plus en plus place éminen,
véhémente de la souveraineté du Parlement de Westminster, qui est perçue avec raineté, c'est-:
une méfiance grandissante. Le modele de Dicey en ce qui concerne l' articulation semble inspir
de la rufe of law et de la souveraineté du parlement, que certains auteurs main- en faisam tab
tiennent fidelement", a subi un coup décisif avec l'emprise croissante des partis l' expérience l
politiques'º. La concentration des pouvoirs législatif et exécutif entre les mains classification ,
du cabinet, qui s'opere du fait d'une majorité partisane stable et disciplinée aux l'histoire angl
Communes, met à mal l'image traditionnelle de la balance des pouvoirs supposée social", et un
empêcher toute dérive liberticide. Tout au long de ce siecle, que ce soit d'abord de Bentham. i
de droite, puis de gauche, fusent les critiques contre le « nouveau despotisme » la force attrac
(Lord Hewart), contre la « dictature élective » (Lord Hailsham) et la tyrannie que sont les d
d'une majorité qui n'en est pas une, puisque qu'elle ne représente qu'une mino- traite des droi
rité du corps électoral, et a fortiori de la population, en raison des distorsions pour y intégn
induites par le scrutin majoritaire ". Bref, il faut un contre-pouvoir qui ne peut cédure des p(
résider que dans le troisieme et dernier pouvoir, c'est-à-dire le pouvoir judiciaire. considerem ê
Ces critiques som à l'origine d'un vaste mouvement de réforme qui réclame l'Jnstrument e:
l'élaboration sinon d'une constitution écrite, du moins d'une déclaration des Ils n'ont pas
droits de l'homme dument sanctionnée par les juges. Le concept de la souverai- constituam e1
neté du Parlement de Westminster est ainsi pris en tenaille par une double souveraineté t
contestation, dont l'une s'inscrit dans une logique interne, à savoir le constitu- parlement ne
tionnalisme écrit (Section I), et l'autre dans une logique externe ou de droit euro- Or, ces tro
n:r. péen (Section II). Des deux côtés, le pouvoir discrétionnaire et absolu du parle- Ce qui jusqu
r.: comme une h
t ment se trouve contesté au nom de la défense des droits de l'homme. À l'heure
actuelle, la conjugaison des efforts de deux camp a abouti à l'adoption du lisme écrit, qt1
Human Rights Act de 1998. L' Angleterre continue néanmoins d'occuper une ainsi concepti
position originale, à part, du point de vue du droit constitutionnel, en raison de de redéfinitio
l'échec des divers projets d'une constitution écrite. dernier conce
législatif (§ 1).
constitutionn
Section l. PENSER L'IMPENSABLE :
L'IDÉE D'UNE CONSTITUTION ÉCRITE POUR LE ROYAUME-UNI ~
EN7

274 Par mi les causes historiques et théoriques qui expliquem les réticences de l' An-
gleterre à l'égard de l'idée d'une constitution écrite, supérieure au pouvoir légis- 275 Le XX' siecle '
latif, il y ena trais qui méritent d'être relevées ici. Rétrospectivement, on s'aper- souveraineté ,
çoit, en effet, que les Anglais ont du mal soit à en concevoir la possibilité
théorique, soit à en identifier l'intérêt pratique. Le premier obstacle tient à la
42. Sur ces deux
43. Sur la prése1
note 230.
39. Cf O. HOOD PHILLIPS & P.JACKSON, op. cit., pp. 49-58. D.C.M. YARDLEY, « The Bri- 44. Cf mpra n' :
tish Consticution and the Rule of Law »,JõR, t. 13, 1963, pp. 129-138. On retrouve à la fois l'absence 45. Cf C. STA!<
de limites légales et la présence de limites morales et politiques, telles que l'opinion publique, le rôle 46. Pour une vu,
de l'opposition, les conventions et le droit imernational. LIPS & P. JACK
40. Cf l'analyse détaillée de P.P. CRAIG, P11blic Lawand Democracy in the UK and the USA, op. cit., TON, « The Bri
pp. 39-47. pp. 591-617; P.P.
41. Cf M. LOUGHLIN, op. cit., p. 162 ss et 212 ss. 1991, pp. 221-2
?S de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe eles droits de l'homme et du juge 269

>ntestauon de plus en plus place éminente de la common law qui est hostile au príncipe même de la souve-
:minster, qui est perçue avec raineté, c'est-à-dire à l'idée qu'une volonté humaine, guidée par un plan d'en-
e qui concerne l'articulation semble inspiré de la Raison, puisse produire un nouvel ordre abstrair de la Cité,
, que certains auteurs main- en faisant table rase du passé. Dans cet antagonisme entre la raison abstraite et
~mprise croissante des partis l'expérience historique, entre les constructivistes et les évolutionnistes, selon la
f et exécutif entre les mains classification de Hayek", les derniers l'ont emporté à des moments cruciaux de
;ane stable et disciplinée aux l'histoire anglaise : une premiere fois au XVII' siecle, face aux théories du contrat
1lance des pouvoirs supposée social'\ et une deuxieme fois au XIX', face au projet de « codes constitutionnels »
:e siecle, que ce soit d'abord de Bentham. Ensuite, les disciples de l'utilitarisme ont considérablement affaibli
re le « nouveau despotisme » la force attractive du constitutionnalisme, en en récusant un élément essentiel
rd Hailsham) et la tyrannie que som les droits de l'homme". Farouchement hostile à toute déclaration abs-
ne représente qu'une mino- traite des droits, Bentham se fait l'avocat de codes constitutionnels uniquement
m, en raison des distorsions pour y intégrer des dispositions relatives à la forme, à la composition et à la pro-
contre-pouvoir qui ne peut cédure des pouvoirs publics. Enfin, si les Anglais ont connu ce que certains
t-à-dire le pouvoir judiciaire. considerem être le premier modele moderne d'une constitution écrite, à savoir
1ent de réforme qui réclame l'Jnstrument ofGovernment de 1653'\ ils n'ont jamais poursuivi dans cette voie.
noins d'une déclaration des Ils n'ont pas réussi à différencier, d'un point de vue organique, les pouvoirs
is. Le concept de la souverai- constituam et législatif, que réunit en son sein le Parlement de Westminster. La
en tenaille par une double souveraineté étant conçue comme étant tout à la fois indivisible et continue, le
interne, à savoir le constitu- parlement ne pourrait se lie:r lui-même ou lier ses successeurs.
que externe ou de droit euro- Or, ces trois arguments som peu à peu remis en cause au cours du XX' siecle.
tionnaire et absolu du parle- Ce qui jusque-là était tout simplement impensable, est, depuis lors, envisagé
lroits de l'homme. À l'heure comme une hypothese sérieuse et réaliste. Deux éléments clés du constitutionna-
p a abouti à l'adoption du lisme écrit, qui faisaie1;t défaut dans la théorie juridique et politique anglaise, sont
e néanmoins d'occuper une ainsi conceptualisés. A partir des années 1930, on assiste à un vaste mouvement
constitutionnel, en raison de de redéfinition de la souveraineté, qui s'est fixé pour objectif d'intégrer dans ce
dernier concept, la distinction théorique entre le pouvoir constituam et le pouvoir
législatif (§ 1). A cela s'ajoute, à partirdes années 1970, un retour aux sources du
constitutionnalisme moderne, à savoir la philosophie des droits de l'homme (§ 2).
NSABLE:
)UR LE RoYAUME-UNI § 1. L 'ESQUISSE D'UNE DISTINCTION THÉORIQUE
ENTRE POUVOIR CONSTITUANT ET POUVOIR LÉGISLATIF

rquent les réticences de l' An-


275 Le XX' siecle est le théâtre d'un débat académique complexe sur le concept de la
' supérieure au pouvoir légis-
létrospectivement, on s'aper- souveraineté du parlement britannique"'. Ce débat s'oriente en trais directions
1 en concevoir la possibilité

.e premier obstacle tient à la


42. Sur ces deux notions, v. supra n" 168.
43. Sur la présence de l'idée du constitutionnalisme écrit dans l'ceuvre de Locke, cf supn1 n" 211
note 230.
1-58. D.C.M. YARDLEY, « The Bri- 44. Cf supra n" 230.
9-138. On retrouve à la fois l'absence 45. Cf C. STARCK, « Vorrang der Verfassung und Verfassungsgerichtsbarkeit .. , op. cit., p. 36 s.
telles que l' opinion publique, le rôle 46. Pour une vue générale cf A. W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., chap. 4; O. HOOD PHIL-
LIPS & P. JACKSON, op. cit., chap. 3 et 4; I. LOVELAND, op. cit., chap. 2 et 15; G. WINTER-
,rn1cy in the UK and the USA, op. cit., TON, « The British Grundnorm : Parliamentary Supremacy Re-Examined .. , LQR, vol. 92, 1976,
pp. 591-617; P.P. CRAIG, « Sovereignty of the UK Parliament after Factortame », YEL., vol. 11,
1991, pp. 221-255; A.W. BRADLEY, « The Sovereignty of Parliament in Perpetuity? .. , in
270 De la Rule ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de

différentes : il y a ceux qui contestem le dogme traditionnel selon lequel le par- En princip
lement ne peu t se lier; il y a ceux qui se disent les ti.deles héritiers de Dicey et fonction qui i1
qui, en réalité, s' en détachent à force de radicaliser ses vues; enfin, il y a une tefois, deux e;
lignée de juges qui s'inspirent du discours de Dicey pour maintenir leur tradi- d'une part, d
tionnel refus de tout contrôle de la loi ' 7• concilier légal
En ce qui concerne la jurisprudence, on retrouve les divers aspects de la défé- d'autre part, e
rence traditionnelle des juges à l'égard des lois. Selon une jurisprudence abon- mettent en eff
dante'S, les juges se refusent à juger la loi en fonction de criteres moraux ou leur jugemem
constitutionnels. Une fois qu'un document est certifié être une loi, il revient au toire devient i
juge de l'appliquer. S'il ne peut pas censurer la loi, il peut néanmoins l'interpré- Lord Scarman.
ter dans le sens d'une plus grande justice. Comme le dit, en 1974, Lord Reid dans « Si le résultat
l'affaire Pickin v. British Railways Board: « Autrefois, de nombreux juristes distin- permettant de
gués semblent avoir cru qu'un acte du parlement pouvait être écarté dans la mesure lement de revo
ot't il était contraire à la loi divine, à la loi naturelle, ou encare à la natural justice; le camp du lé~
mais depuis que la suprématie du parlement a été démontrée en fin de compte par la L'on retr0t
révolution de 1688, toute idée de ce genre est devenue obsolete. »" Dans l'affaire juges; mais le
Madzimbuto v. Lardner-Burke, Lord Reid reprend à son compte la distinction de est tiraillée en
Dicey entre les limites morales et juridiques de la souveraineté : « Jl est souvent souveram peu
dit qu'il serait inconstitutionnel de la part du Parlement du Royaume-Uni de faire nique. Le Pari
certaines choses; par là on vettt dire que les raisons morales, politiques et autres qui en la transférai
s'y opposent sont si fortes que la plupart des gens l'estimeraient hautement indécent les autres au c<
(highly improper) si jamais !e parlement faisait pareille chose. Mais cela ne veut pas chable et irré
dire qu'il serait au-delà du pouvoir du parlement de faire ces choses. Si !e parlement tout faire, sau
opte pour une telle action, les juges ne tiendraient pas la loi pour nulle. » 50 D' ou la débat, dont il
conclusion de Lord Morris dans l'affaire Pickin : « Jl est de la fonction des cours toire de la pre1
d'appliquer (administer) les /ois édictées par !e parlement. Au cours de la procédure prudence sur 1
parlementaire, il y aura un large débat sur le point de savoir si un projet de !oi doit Human Right:
ou non, sous telle ou telle forme, être adoptée. Des l'instant ou la loi est adoptée, !e
débat est elos, à moins que !e parlement ne décide de changer ou de révoquer la loi.
Devant les tribunaux, il peut y avoir débat s'agissant de l'interprétation correcte de
la loi; il ne doit y en avoir aucun concernant l'existence de la !oi (ln the courts there
may be argument as to the correct interpretation of the enactment : there must be 276 Dans les anné
nane as to whether it should be on the statttte book at ali). »" avocats succe!
frey Marshall ·
colonies brita
J. JOWELL & D. OLIVER, The Changing Co11stit11tion, 3"' edn., pp. 79-107; C. KLEIN, Théorie et
pratiq11e d11 po11voir co11stit11ant, Paris, PUF, 1996, pp. 35-48; J. BELL, « Que représente la souverai-
neté pour un Britannique? », Po11voirs, n" 67, 1993, pp. 107-116.
47. En général, on présente le débat comme écant scindé en de11x camps, incarnés respectivemem 52. 1 Ali Englan,
dans la figure de JENNINGS et de H.W.R WADE, le premier étant supposé critiquer Dicey et le 53. La distinctior
deuxieme le défendre. Mais il me semble que Wade se détache surdes aspects cruciaux de la pensée The Concept ofL,
de Dicey et avance une vision qui !ui est proprc. Seuls certains juges me paraissem défendre l'héri- 54. W:I. JENNil'
tage de DICEY dans toute sa pureté. II y a dane bientrais théories qui som en jeu. inW.K. HANO
48. Cf la liste de jugemems cités par O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON, op. cit., p. 49 ss. 1937, pp. 509-63'.
49. [1974] A.C. 765, 782. On notera que, selon Lord Reid, le principe de la souveraineté puise ses ]11rispmdence, 1"
sources non pas dans la common law, mais dans un fait révolutionnaire. Sur les questions relatives à Sovereignty and
la source exacte du principe de souveraineté du parlement, cf s11pra n" 206 note 205. Oxford, Clarend
50. [1969] 1 A.C. 645, 723. &K.D.EWING
51. (1974] A.C. 765, 789. 55. Cf infra.
, de l'esprit juridique anglais

ltionnel selon lequel le par-


r L 'ascension de la Rule ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge

En principe, le juge n'a dane pas à se préoccuper de la légitimité de la loi,


271

ideles héritiers de Dicey et fonction qui incombe dans un régime démocratique aux organes élus. 11 y a, tou-
ses vues; enfin, il y a une tefois, deux cas ou il est amené à raisonner en termes de légitimité : il s' agit,
pour maintenir leur tradi- d'une part, de son pouvoir d'interprétation traditionnel, qui lui permet de
concilier légalité et équité, la statute law et les príncipes de la common law, et,
les divers aspects de la défé- d'autre part, de son droit de critique à l'égard des lois. Les juges anglais se per-
m une jurisprudence abon- mettent en effet, chose qui para1t inconcevable sur le continent, d'exprimer dans
ion de criteres moraux ou leur jugement leur désaccord avec une loi qu'ils appliquent par ailleurs. Le pré-
6.é être une loi, il revient au toire devient ainsi une tribune politique. Cette liberté d'esprit a été définie par
peut néanmoins l'interpré- Lord Scarman, dans l'affaire Duport Steels Ltd. v. Sirs de 1980, de la façon suivante:
:iit, en 1974, Lord Rei d dans « Si le résultat est injuste mais inévitable - aucune technique d'interprétation ne
, de nombreux juristes distin- permettant de l' esquiver - le juge peut le dire (the judge may say so) et inviter le par-
ait être écarté dans la mesure lement de revoir les dispositions »" de la loi en question. La balle revient ainsi dans
u encare à la natural justice; le camp du législateur élu.
mtrée en fin de compte par la L'on retrouve ainsi la vision orthodoxe de Dicey sous la plume de certains
q obsolete. »" Dans l'affaire juges; mais le débat doctrinal s' en détache progressivement. La doctrine anglaise
on compre la distinction de est tiraillée entre deux visions antagonistes de la souveraineté. Pour les uns, le
mveraineté : « Il est souvent souverain peut s'imposer volontairement des limites de nature formelle et orga-
~nt du Royaume-Uni de faire nique. Le Parlement de Westminster ppurrait ainsi mettre fin à sa souveraineté
1rales, politiques et autres qui en la transférant à un autre organe, composé selon des regles différentes (A). Pour
neraient hautement indécent les autres au contraire, la souveraineté du King in Parliament est un dogme intou-
q chose. Mais cela ne veut pas chable et irrévocable qui s'impose au souverain lui-même : le parlement peut
ire ces choses. Si le parlement tout faire, sauf se défaire de la souveraineté (B). De nos jours, l'issue de ce riche
la foi pour nulle. » 'º D' ou la débat, dont il s'agit seulement de retracer les grandes lignes, s'oriente vers la vic- ll,

Il est de la fonction des cours toire de la premiere école qui connait un écho grandissant. 11 est vrai que la juris-
mt. Au cours de la procédure prudence sur la suprématie du droit européen, ainsi que les réformes récentes du
savoir si zm projet de loi doit Human RightsAct de 1998 et du House ofLordsAct de 1999, leur donnent raison.
1stant ou la loi est adoptée, le
hanger ou de ré-voquer la foi. A. L'école de la« self-embracing sovereignty
ie l'interprétation correcte de (souveraineté s'autolimitant) » ' 3
~e de la foi (ln the courts there
he enactment : there must be 276 Dans les années 1930-1940 na1t une nouvelle théorie de la souveraineté dont les
ili). »" avocats successifs furem Jennings, Richard Latham, R.F.V. Heuston et Geof-
frey Marshall,.._ En s'inspirant d'évolutions jurisprudentielles dans les anciennes
colonies britanniques ", ces auteurs s'interrogent sur les présupposés logiques de
, pp. 79-107; C. KLEIN, Théorie et
,ELL, « Que représente la souverai-

11x camps, incarnés respectivement 52. 1 Ali England Repores, p. 551.


étant supposé critiquer Dicey et le 53. La distinction entre« selfembracing » et « continuing so-vereigmy » se trouve chez H.L.A. HART,
,r des aspects cruciaux de la pensée The Concept ofLaw, op. cit., p. 149 s (chap. VII. 4.)
juges me paraissent défendre l'héri- 54. WI.JENNINGS, op. cit., pp. 132-160; R.T.E. LATHAM, « The Lawand the Commonwealth »,
·ies qui sont en jeu. in W.K. HANCOCK (dir.), Survey of British Commonwe,dth Affairs, vol. 1, London, Oxford UP,
P. JACKSON, op. cit., p. 49 ss. 1937, pp. 509-630; R.EV. HEUSTON, « Sovereignty », in A.G. GUEST (dir.), Oxford Essays in
rincipe de la souveraineté puise ses ]urispmdence, 1" series, Oxford, Oxford UP, 1961, pp. 198-222; G. MARSHALL, Parliamentary
mnaire. Sur les questions relatives à Sovereignty and the Commonwealth, Oxford, Clarendon Press, 1957 et Constittttional Theory,
pra n" 206 note 205. Oxford, Clarendon, 1971, chap. 3. Cette position est reprise de nos jours par A.W. BRADLEY
& K.D. EWING ainsi que par I. LOVELAND.
55. Cf infra.
272 De la Rufe of Law ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de !.

la notion de souveraineté. Avant même d'attacher un quelconque effet juridique certes, juridiqu,
à une !oi, qui est supposée être !e produit du souverain, il faut, en effet, savoir préa- fond de la !oi. :
lablement qui est !e souverain. Si ce probleme d'identification est résolu facile- législateur, conl
ment lorsque !e souverain s'incarne dans une personne physique telle un roi, il en 278 À la lumiere de
va autrement pour la définition d'un organe forcément abstrait et aussi complexe de ce qu'on apr
que !e « Roí en son Parlement ». Selon Latham, « à moins que !e prétendu souverain l'école du « ma;
ne soit une personne individuelle en chair et en os, sa désignation doit inclure l'énoncé melle du souve
de regles (rufes) permettant d'identifier sa volonté, et ces regles, des lors que leur respect pour dire qu'il
est une condition de la validité desa législation, sont des regles de droit (rufes oflaw) raient être des r
qui lui sont logiquement antérieures » '". sont des « conv,
lity »"1• C'est st
1º L'existence de« regles (rules) » constitutives du souverain recognition que
« rufe » est une
277 Pour identifier la volonté du souverain, les juges ont nécessairement recours à une 279 Tout d' abord, l
définition formelle de ce qu'est !e souverain. « L'extraction d'une expression de qu'il s'agit d'un
volonté précise à partir d'une multitude d'êtres humains est, quoi qu'en en disent les cette !oi, comn-
réalistes, un processus artificiei, processus qui ne peut être accompli sans certaines les formes et p1
regles. » 57 Par conséquent, « une telle assemblée d'êtres humains (. ..) ne peut être sou- dique peut s'aut1
veraine qu 'en agissant de la maniere prescrite parle droit » ". On retrouve !e même changer la loi q1
raisonnement chez Jennings : « La "souveraineté juridique" est tout au plus un terme la regle d'identi
indiquant que le législateur a, sous les conditions actuelles, le pouvoir de faire des fois mant par exem
illf.1 de tout genre dans la maniere (manner) requise parle droit » 59 • « La suprématie du
li:"J une majorité re
t1 parlement résulte donc de la law » 60 , du droit, à savoir de la regle, que les auteurs fier certaines l<
' qualifient de regle juridique, de « rufe oflaw », que les !ois sont, selon la formule britannique a r
de promulgation, faites par !e roi « avec !e consentement des Lords spirituels et tem- procédure législ
porels, et les Com munes assemblées dans !e présent parlement, et en vertu de l'autorité
de ceux-ci (with the consent ofthe Lords spiritual and temporal, and Commons in this
present parliament assembled, and by the authority ofthe same) ». Aussi seule une !oi 62. I. JENNINGS.
adoptée conformément aux formes prévues constitue-t-elle une expression (convemions) et p.
d'auteurs qui consi,
authentique du souverain et est reconnue comme telle parles juges. Cela dit, une rien ne s' oppose à e
fois ces regles formelles respectées, !e législateur est souverain sur !e fond et il est qu'aurait fait lesou·
entierement libre de donner !e contenu qu'il veut à la !oi"'. Le parlement est, ci consacre l'intang
ordre juridique et ti
est cependant à nua
conditions formelk
56. R.T.E. LATHAM, op. cit., p. 523 : « When the p11rported sovereign is anyone b11t" single dC/1111! Ainsi, en l'absence,
person, the designation of him mmt incl11de the statement of mies for the ascertainment of his will, ,md le sont ad vitam a,
these mies, si11ce their observance is a condition of the validity ofhis legislation, are mies of law logically ce que la majoriré
prior to him. » le même statut qu,
57. R.T.E. LATHAM, « What is an Act of Parliament? », Ki11g's Cozmsel, 1939, p. 152 : « The l'article 79 ai. 3 d,
Extraction of a precise expression of will from a m11ltiplicity of h11man beings is, despite ali the realists T.B. SMITH,« Th
say, an artificial process a11d one which canrzot be accomplished witho11t <1rbitrary mies »; cité par MICK, « Does thc
R.F.V. HEUSTON, op. cit., p. 203. NILQ, vai. 29, 1978
58. Ibid. 1707 », LQR, vol. 1
59. 1. JENNINGS, op. cit., p. 143 : "Legal so-vereignty" is merely a name indicati11g that the legislat11re 63. Cf s11pra n" 265
has for the time being power to make l<1ws ofany kind in the manner required by the l<1w. » 64. I.JENNINGS,
60. Ibid., p. 144. p. 187 s.
61. Jbid., p. 148 ss. Cf R.F.V. HEUSTON, op. cit., p. 221; G. MARSHALL, Constit11tional Theory, 65. I. JENNINGS.
p. 42; W. FRIEDMANN, « Trethowan's Case, Parliamentary Sovereignty and rhc Limits of Legal 66. Ibid. : « The leg.
change », AL], vol. 24, 1950, p. 104. law incl11des the pou
1es de f'esprit juridique angfais L'ascension de la Rufe ofLaw sous !e signe des droits de f'homme et du juge 273

m quelconque effet juridique certes, juridiquement lié par la forme, mais il ne l'est pas en ce qui concerne le
n, il faut, en effet, savoir préa- fond de la loi. Seules des limites morales et politiques pesem à cet égard sur le
lentification est résolu facile- législateur, conformémem à ce que disait déjà Dicey" 2•
ne physique telle un roí, il en 278 À la lumiere de la théorie de Dicey appara1t le caractere plus ou moins novateur
em abstrair et aussi complexe de ce qu'on appelle désormais la« nouvelle école »dela souveraineté, ou encore
oins que fe prétendu souverain l'école du « mannerandform ». II est à noter que la question de la définition for-
'signation doit inclure f'énoncé melle du souverain a déjà été évoquée par Austin et Dicey. S'il som d'accord
, regfes, des fors que feur respect pour dire qu'il faut des regles pour définir qui est le souverain, ces regles ne sau-
ies regfes de droit (rufes oflaw) raient être des regles de droit, du law, puisqu'elles s'appliquent au souverain; ce
sont des « conventions », c'est-à-dire des regles faisant partie de la« positive mora-
lity »"1• C'est sur la question de la qualification de cette Grundnorm ou rufe of
iu souverain recognition que la nouvelle école se sépare des idées de Dicey. Pour celle-ci, cette
« rufe » est une « rufe of law » ce qui implique deux choses.
, .
necessarrement recours a' une 279 Tout d'abord, puisqu'il s'agit d'une regle de droit, et en général on considere
':?Xtraction d'une expression de qu'il s'agit d'une regle de la common faw"', le législateur souverain peut changer
ins est, quoi qu'en en disent les cette !oi, comme il peut changer n'importe quelle loi, à condition de respecter
t être accompfi sans certaines les formes et procédures prévues'·'. Comme le dit Jennings, « fe souverain juri-
s humains (...) ne peut être sou- dique peut s'autofimiter, puisque son pouvoir de changer la !oi inclut le pouvoir de
'OÍt » 5'. On retrouve le même changer la foi qui !e concerne lui-même »''". Le parlement pourrait ainsi modifier
iique" est tout au pfus un terme la regle d'identification en vigueur, soit pour assouplir la procédure, en suppri-
dles, fe pouvoir de faire des !ois mant par exemple le veto de la House of Lords, soit pour la durcir, en exigeant
~ droit » 5'. « La suprématie du une majorité renforcée ou l'organisation d'un référendum pour pouvoir modi-
ir de la regle, que les auteurs fier certaines lois jugées fondamentales. C'est d'ailleurs ce que le législateur
les lois som, selon la formule britannique a prétendu faire à plusieurs reprises, en modulam les regles de la
1ent des Lords spirituels et tem- procédure législative en fonction de la nature des matieres.
ement, et en vertu de f'autorité
~mporaf, and Commons in this
he sarne}». Aussi seule une loi 62. I. JENNINGS, op. cit., p. 135 (droit de résistance), p. 139 (élections, opinion publique), p. 151
tstitue-t-elle une expression (convemions) et p. 234 note 1 (démocratie). II faut néanmoins memionner un couram minoritaire
d'auteurs qui considerem que, s'il est loisible au souverain de s'imposer des contraimes formelles,
lle par les juges. Cela dit, une rien ne s'oppose à ce qu'il s'impose également des limites matérielles. D'ailleurs, à leur avis, c'est ce
souverain sur le fond et il est qu'aurait fait le souverain en 1707, parle biais du traité d'union emre l'Angleterre et l'Ecosse. Celui-
à la loi "'. Le parlemem est, ci consacre l'imangibilité, de certaines institutions spécifiques à l'Ecosse tetles que l'existence d'un
ordre juridique et d'une Eglise séparés. L'analogie faite entre les contraimes formelles et matérielles
est cependant à nuancer, car, dans le premier cas, la souveraineté continue à exister, quoique sous des
conditions formelles plus restrictives, ators que, dans le second cas, la souveraineté a cessé d'exister.
Jvereign is anyone b11t a single act11al Ainsi, en l'absence de tout m~canisme de révision, les dispositions dites intangibles du traité d'union
for the ascertainment ofbis will, and le som ad vitam aeternam. A supposer qu'il s'agisse vraimem de normes juridiques obligatoires,
is legislation, are mies oflaw logically ce que la majorité de la doctrine comeste, les dispositions inviolables du traité d'union auraient
le même statut que les « clauses d'éternité (Ewigkeitskla11seln) " que l'on trouve, par exemple, à
'.ing's Cozmsel, 1939, p. 152 : « The l'article 79 ai. 3 de la Loi fondamentale allemande. Cf G. WINTERTON, op. cit., p. 611 ss;
·1man beings is, despite ali the realises T.B. SMITH,« The Union of 1707 as Fundamental Law », PL, 1957, pp. 99-121; N. MacCOR-
' without arbitrary rufes »; cité par MICK, « Does the UK Have a Constitution? Reftections on MacCormick v. Lord Advocate »,
NILQ, vol. 29, 1978, pp. 1-20; M. UPTON, « Marriage Vows of the Elephant: The Constitution of
1707 ", LQR, vol. 105, pp. 79-103.
a n,1me indicating that the legisl,aure 63. Cf supra n" 265.
~er required by the law. ,, 64. I.JENNINGS, op. cit., p. 144. Cf H.W.R. WADE, « The Basis ofLegal Sovereignty », CL], 1955,
p. 187 s.
1ARSHALL, Constit11tional Theory, 65. 1. JENNINGS, op. cit., p. 143
Sovereigmy and the Limits of Legal 66. Ibid. : « The legal sovereign may impose legal limitations 11pon itself, beca11se its power to change the
law incl11des the power to change the law a/fecting itself »
274 De la Rule ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension e

Le cas le plus célebre d'une telle législation est évidemment celui des Parlia- 2° La quali
ments Acts de 1911 et 1949 restreignam le veto législatif de la House ofLords. Aux
yeux des protagonistes de la« manner and form school », le parlemem a manifesté 280 Le second p,
à travers ces lois sa capacité de redéfinir sa propre idemité 07 • Dans certaines hypo- « ruleoflaw
theses, un projet de loi adopté uniquemem par la chambre des Communes et le cement, san:
roí est reconnu être une loi nonobstam l' absence d' assentimem des Lords. A for- dans ce déb;
tiori, le parlemem pourrait valablemem supprimer la chambre haute contre son d'une sancti,
gré. Si la loi peut alléger la procédure d'élaboration de la loi, elle peut tout aussi de Latham.
bien prévoir des conditions plus contraignantes pour soustraire certaines must inclttdl
matieres, jugées fondamentales, aux caprices de la majorité. Ainsi, le Statute of point, tout 1
Westminster de 1931 redéfinit, dans son article 4 ''', les rapports hiérarchiques alors un glis
entre la métropole et les anciennes colonies, en amputam la souveraineté du Par- vance is a co;
lement impérial de Westminster. Désormais, il ne peut plus légiférer pour un to him. » 72 E1
Dominion, à moins dele faire à l'instigation et avec l'accord de ce dernier''". De une chose, L
même, le lreland Act de 1949 dispose que toute loi qui voudrait mettre fin à l' ap- un autre prc:
partenance de l'Irlande du nord au Royaume-Uni nécessite l'accord du Parle- de R.F.V. H,
mem de l'Irlande du nord. Enfin, le Regency Act de 1937 prévoit qu'en cas de tifient le sou,,_
minorité du roí, le régem exerce ses fonctions à la seule réserve qu'il ne peut pro- ment antéric
mulguer une loi qui restreindrait les droits du roi. La pleine souveraineté s'en n' apparaissai
trouve ainsi paralysée duram cette période 70 • Si, à l'époque, le législateur britan- lorsqu'il énc
nique n'a usé de cette méthode que pour imroduire des variations circonstan- tions juridiq
cielles, dom la portée reste plus ou moins réduite, rien ne l'empêche de modi- champ d'apr
fier radicalement les données en élaborant une constitution que seule une pour élargir
majorité renforcée pourrait réviser 7 '. En tout cas, la nouvelle école a ouvert la Afrique du ~
perspective à une évemuelle différenciation des pouvoirs constituam et législatif n'est pas !e e
qui sont jusqu'à ce jour confondus. Les juristt
aujourd'hui
« manneran
67. Ibid., p. 144. la formule d
68. Article 4 [en angl. « section 4 »]: « NoAct of fürlitm1ent of the UK passed ajier the commencement
regle de nat
of this Act shall extend, or be deemend lo extend, lo a Dominion as pari of the law of thúl Domi-
nion, zmless it is expressly declared in that Act that that Dominion has req11ested, and consented to, the anglais se dis
enactment thereof » sort de la fa
69. Cette procédure a écé scrupuleusemenc respeccée par His Majesty's Declaration of Abdicútion de Selon Lord (
1936 qui valaic pour couc l'empire. Cf I. JENNINGS, op. cit., p. 145. II se crouve néanmoins qu'en
1983, dans l'affaire Manuel v. Auorney Generúl [1983] Ch. 77, ou les plaignancs invoquem une vio- tant le « pari
larion de l'article 4 parle Canada Act de 1982, Sir Robert Megarry, Vice-Chancellor, se refuse à véri- lement lui-ff
fier le respecc de cecce clause, une fois qu'il esc prouvé que l'acte licigieux a écé adopcé parles crois dure et de e
com posantes du parlement. II affirme au concraire que « the co11rts ofEngland recog11ize Parliament as
being omnipote111 in ai! save the power to destroy its omnipotence » (ibid., p. 89). Saisie de l'affaire, la
Cour d'appel esquive le débac par une applicacion formalisce de l'article 4. Aux yeux de Lord Slade,
l'article 4 esc respeccé des lors que le parlemenc faic mencion dans la !oi de l'accord du Dominion, ce
qui esc le cas, même si, en réalicé, cec accord n'a jamais écé donné (ibid., p. 106). 72. R.T.E. LAI
70. Cec exemple illuscre les difficulcés qu'il y a parfois à discinguer les concrainces formelles des 73. R.F.V. HEL
concrainces matéridles. La différence semble êcre seulemenc de degré ec non pas de nacure, car on süvereign and p,
pourrait imaginer des limitacions formelles, une majorité des 4/5, 5/6, 6/7 etc., qui abourissenc, en 74. Ibid., p. 211
pratique, au même résulcac qu'une incerdiccion macérielle explicite. Cf G. MARSHALL, Parliú- 75. (1842) 8 CI.
111entary Süvereiguty ,md the Commonwea!th, p. 41 s. 76. Cf les réfén
71. Les divers projets de consticucions écrices, élaborés au début des années 1990, prévoienc d'ailleurs p. 26. On rema,
cous des condicions de révision concraignames pour en garantir la rigidité. Cf les exemples cités par chambre des C
D. OLIVER,« Written Consticucions: Principies and Problems », Pari. Ajf., vai. 45, 1992, p. 149. sa décision ne s.
·s de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l 'bomme et du juge 275

,idemmem celui des Parlia- 2° La qualité de« rules of law » ou l'appel au juge
tif de la House ofLords. Aux
l », le parlement a manifesté 280 Le second point qui mérite d'être souligné est qu'à travers cette qualification de
1tité ". Dans certaines hypo- « rufe oflaw », certains protagonistes de la nouvelle école introduisent subrepti-

.ambre des Communes et le cemem, sans crier gare, le juge. L' expression rufe of law est loin d'être neutre
ssemimem des Lords. A for- dans ce débat puisqu'elle implique, dans l'esprit du juriste anglais, l'existence
a chambre haute comre son d'une sanction juridictionnelle. Sur ce poim, il n'est pas inutile de relire l'extrait
de la loi, elle peut tout aussi de Latham. Il commence par dire que « tbe designation of bim [ = le souverain]
pour soustraire certaines must include tbe statement of rules for tbe ascertainment of bis will ... ». Sur ce
najorité. Ainsi, le Statttte of point, tout le monde sera d'accord. Dans la suite de la même phrase intervient
, les rapports hiérarchiques alors un glissement sémantique significatif : « .•• and tbese rufes, since tbeir obser-
1tant la souveraineté du Par- vance is a condition oftbe validity ofbis legislation, are rules of law logically prior
peut plus légiférer pour un to bim. » ' 1 En arguam du caractere logiquement amérieur de ces regles, ce qui est
l'accord de ce dernier''". De une chose, Latham en conclut, sur le champ, à leur caractere juridique, ce qui est
ui voudrait mettre fin à l'ap- un autre probleme. On retrouve le même mode de raisonnement dans l'article
nécessite l'accord du Parle- de R.F. V. Heuston : « La souveraineté est un concept juridique; les regles qui iden-
e 1937 prévoit qu' en cas de tifient le souverain et prescrivent sa composition ainsi que ses fonctions sont logique-
1le réserve qu'il ne peut pro- ment antérieures à lui. »" L'idée d'une assimilation du juge et du droit, si elle
La pleine souveraineté s' en n'apparaissait jusque là qu'en filigrane, est exprimée en des termes tres clairs,
:poque, le législateur britan- lorsqu'il énonce que « la tbéorie du regne du droit (Rufe oflaw) exige que les ques-
·e des variations circonstan- tions juridiques soient résolues parles tribunaux » 74 • 11 suffit clone d'étendre le
rien ne l'empêche de modi- champ d'application de la loi, de faire d'une simple convention une regle légale,
:onstitution que seule une pour élargir aussitôt la compétence du juge. S'il est vrai qu'en Australie et en
a nouvelle école a ouvert la Afrique du Sud, les juges om accepté de vérifier la validité formelle des lois, tel
vairs constituam et législatif n'est pas le cas en Angleterre.
Les juristes anglais étaient déjà confrontés à la problématique que l'on désigne
aujourd'hui la « rufe ofrecognition » (Hart). Bien avam l' avenement de l' école du
« manner and form », ils disposaient d'une telle définition du souverain à travers
la formule du King in Parliament qui constitue bel et bien une regle, mais une
iUK passed ajier the commencement regle de nature conventionnelle, selon la nomenclature de Dicey. Les juges
n as part of the law of that Domi- anglais se disem, en effet, incompétents pour en vérifier le respect, comme il res-
has req11ested, and consented to, the
sort de la fameuse décision Edinburgb & Dalkeitb Railway Co. v. Waucbope '5.
rjesty's Declaration of Abdication de Selon Lord Campbell, le juge ne fait que vérifier l'existence de la loi, en consul-
145. II se trouve néanmoins qu'en tam le « parliamentary roll » pour voir si la loi y est bien inscrite. C'est au par-
1 les plaignams invoquem une vio-
ry, Vice-Chancellor, se refuse à véri- lement lui-même qu'il revient de faire respecter en son sein les regles de procé-
! litigieux a été adopté par les uois dure et de corriger d'éventuels vices'". A moins de nier la pertinence de ce
s ofEngland recognize Parliament as
» (ibid., p. 89). Saisie de l'affaire, la
l'article 4. Aux yeux de Lord Slade,
s la loi de l'accord du Dominion, ce
é (ibid., p. 106). 72. R.T.E. LATHAM, « The Law and the Commonwealth », op. cit., p. 523 (souligné par nous).
1guer les comraintes formelles des 73. R.F.V. HEUSTON, op. cit., p. 202 : « Sovereignty is a legal concept; the mies which identify the
degré et non pas de nature, car on sovereign and prescribe its composition and fimctions are logically prior to it. »
5, 5/ 6, 6/7 etc., qui aboucissem, en 74. lbid., p.211 : « The doctrine ofthe Rufe oflaw req11ires that the co11rts sho11ld detennine legal questions. »
icite. Cf G. MARSHALL, Parlia- 75. {1842) 8 Cl. & F. 710, 724.
76. Cf les références citées par G. MARSHALL, Parliamentary Sovereignty ,md the Commonwealth,
les années 1990, prévoiem d'ailleurs p. 26. On remarquera que les Parliament Acts prévoiem explicitement qu'il reviem au Speaker de la
a rigidité. Cf les exemples cités par chambre des Communes de vérifier la respect des formes et procédures prévues par cette loi et que
s », Pari. Ajf., vol. 45, 1992, p. 149. sa décision ne saurait &ue contestée en jµstice (cf. Parliament Act de 1911, sect. 2 {2) et sect. 3).
276 De la Rufe o/ Law ou les partirnlarismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension ,

précédent 77 , il faut bien reconna1tre qu'il existe deux problemes distincts à crait le prin1
résoudre. Il s'agit, tout d'abord, de définir les limites formelles de la souverai- à la majorit,
neté, puis de convaincre le juge de passer outre le principe de l'immunité juri- lement pou·
dictionnelle du parlement (parliamentary privilege), afin de sanctionner la viola- pectée. Si la
tion de cette « rufe o/ law » 78 • Pretoria, ell
281 Pour ce faire, les représentants de cette nouvelle doctrine de la souveraineté s'ins- dictionnel. 1
pirent des événements dans divers pays du Commonwealth et, plus particuliere- faire respec
ment, des deux cas célebres de Attomey-General o/New South Wáles v. Trethowan même du se
et Harris v. Donges (Minister o/the Interior}. Le premier cas a eu lieu en Australie regles ordin.c
qui, à l'époque, faisait encore partie de l'empire colonial britannique. En 1929, sera pas plm
le législateur de New South Wáles adopte une loi selon laquelle la chambre haute faire »".
dudit parlement ne pouvait être abolie qu'à condition d'organiser un référen- C'est sur
dum sur !e sujet. En outre, par précaution, la loi prévoyait que cette clause par- inviter les j1
ticuliere, instituam une procédure législative spéciale, ne pouvait à son tour être minster et à
modifiée que grâce à une consultation populaire. En 1930, suite à une alternance
politique, le législateur adopte deux projets de !ois destinés à supprimer ces deux B. L'écol
dispositions sans passer par le référendum. Saisie par deux membres de la
chambre haute, la Cour suprême de New South Wáles 1·, enjoint au gouverneur de 282 La deuxiem
ne pas promulguer les !ois en question, en se fondant sur l'article 5 de la loi bri- dans son fa
tannique Colonial Laws Validity Act de 1865. Celle-ci dispose que l'adoption termes, il st
d'une loi parles législateurs coloniaux ne peut se faire que dans le respect «dela Pourtant, à
maniere et de la forme (,nanner and form} » prévues à cet effet, soit par une !oi Dicey, il s' i
britannique soit par une loi coloniale. Non seulement le juge a ainsi reconnu la chaque aute
validité de cette autolimitation du législateur colonial, mais, en outre, il s'est qui vaut po
déclaré compétent pour en sanctionner toute violation. La solution n'est, en réa- aspect, à sa,,
lité, guere étonnante, comme l'ont remarqué certains, puisqu'il s'agit en l'espece lier ses succ
d'un législateur subordonné, comparable à une autorité administrative. Somme
toute, on reste dans le cadre d'un contrôle de légalité classique ou s'applique, en lº Leprinc
vertu de la loi de 1865, la regle patere legem quam ipse fecisti. On est clone loin du
cas spécifique d'un parlement suprême d'un État souverain. Cette hypothese est 283 Sa définitio1
néanmoins évoquée dans la seconde affaire. assez comp
Dans l'affaire Harris v. Minister o/the Interior 8°, la Cour suprême de l' Afrique (composé de
du Sud a jugé que le Separate Representation o/ Voters Act de 1951, qui jetait les juge »; (2) <
bases de la ségrégation raciale, était contraire aux articles 35 et 152 du South
AfricaAct de 1909, la Constitution de l'État souverain d'Afrique du sud. L'ar-
ticle 35, qui faisait partie des articles dit rigides (« entrenched sections »), consa- 81. Minister o)
Hígh Court of
sirnple, soume
recours devam
77. C'est ce que fait R.F.V. HEUSTON, op. cit., p.211 ss. V. aussi p. 205. mentaires. Par
78. C'est l'attitude adoptée par G. MARSHALL, Constit11tion,d Theory, p. 51 et G. WINTERTON, chambre et de
op. cit., p. 607. confonable po
79. Trethowan ·n Pede11 (1930) 31 S.R. (N.S.W.), 183. Cette décision est confirmée en appel par la nelle instituam
High Court d'Australie dans l'arrêt Attorney General of New South W.:iles v. Trethowan (1931) de la constituti
44 C.L.R. 394, arrêt qui à son tour est maintenu parle jttdicial commíuee du Privy Council à Londres ,,..,''" 82. L'expressi1
- ?',~-
([1932] A.C. 526). 83. Ibid., p. 17
80. (1952) 2 S.A. 429. Sur ces événemencs, cf aussi M. CAPPELLETTI, Le pott·voír des jttges, Paris, 84. Cf les crit
Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 1990, p. 216-217 note 17. after Factorta11
~s de l'esprú juridique anglais L 'ascension de la Rufe of Law sous le signe des droits de l'homme et du juge 277

:leux problemes distincts à crait le príncipe d'égalité en matiere de vote, príncipe auquel seul un acte adopté,
:es formelles de la souverai- à la majorité renforcée des deux tiers, par la réunion des deux chambres du par-
>rincipe de l'immunité juri- lement pouvait déroger. Or, en l'espece, cette double condition ne fut point res-
afin de sanctionner la viola- pectée. Si la constitution délimitait ainsi clairement le pouvoir du parlement de
Pretoria, elle restait toutefois muette sur la question d'un éventuel contrôle juri-
rine de la souveraineté s'ins- dictionnel. La Cour suprême n'en jugea pas moins qu'elle était compétente pour
zwealth et, plus particuliere- faire respecter ces regles formelles, qui conditionnent à ses yeux l'existence
'ew South Wáles v. Trethowan même du souverain. Ainsi, elle affirma que « si le parlement, constitué selon les
ier cas a eu lieu en Australie regles ordinaires, s'arroge le pouvoir de changer le droit de vote du Cap, son acte ne
onial britannique. En 1929, sera pas plus valide que si le cansei! municipal de Bloemfontein avait prétendu le
,n laquelle la chambre haute faire »".
:ion d'organiser un référen- C'est sur cette jurisprudence que s'appuie le nouveau courant doctrinal, pour
fvoyait que cette clause par- inviter les juges anglais à reconsidérer leur rapports avec le Parlement de West-
e, ne pouvalt . a' son tour "etre minster et à rejeter les theses de l'école adverse .
1930, suite à une alternance
~stinés à supprimer ces deux B. L'école de la « continuing sovereignty (souveraineté continue) » 82
e par deux membres de la
s 79 enjoim au gouverneur de 282 La deuxieme position dans ce débat a été définie parle professeur H.WR. Wade
tt sur l'article 5 de la loi bri- dans son fameux article « The Basis of Legal Sovereignty ». D'apres ses propres
e-ci dispose que l'adoption termes, il se veut un fidele gardien de la vision orthodoxe de la souveraineté"3 •
re que dans le respect « de la Pourtant, à force de radicaliser le propos de Bacon, de Blackstone et surtout de
à cet effet, soit par une loi Dicey, il s'en détache sensiblement. Sans s'attacher à restituer la pensée de
:nt le juge a ainsi reconnu la chaque auteur dans son imégralité et dans son comexte historique - reproche
nial, mais, en outre, il s'est qui vaut pour nombre de commentateurs"' -, il se contente d'en extraire un
on. La solution n'est, en réa- aspect, à savoir le príncipe selon lequel le parlement ne peut se lier lui-même ou
s, puisqu'il s'agit en l'espece lier ses successeurs.
>rité administrative. Somme
é classique ou s'applique, en 1º Le príncipe d'une souveraineté immuable et inaliénable
efecisti. On est clone loin du
llVerain. Cette hypothese est 283 Sa définition qui se veut « simple » se résume, en réalité, en un faisceau d'indices
assez complexe. La souveraineté implique, (1) « qu'aucun acte du parlement
1Cour suprême de l'Afrique (composé de la Reine, des Lords et des Communes) ne puisse être invalidé par un
rs Act de 1951, qui jetait les juge »; (2) « qu'il est toujours loisible au législateur, ainsi constitué, de révoquer
articles 35 et 152 du South
rain d' Afrique du sud. L' ar-
mtrenched sections »), cansa- 81. Minister of the Interior v. Harris, (1952) 4 S.A. 769, 791. Dans cette affaire, la Cour invalide le
High Court of Parliament Act de 1952 par laquelle le parlemem sud-africain, statuam à la majorité
simple, soumettait tous les arrêts de la Cour, censuram une !oi pour inconstitutionnalité, à un
recours devam un "juge" supérieur, à savoir le High Court ofParliament composé de tous les parle-
;si p. 205. memaires. Par la suite, le Iégislateur modifie par une !oi ordinaire la composition de la seconde
Theory, p. 51 et G. WINTERTON, chambre et de la Cour suprême elle-même. Le gouvernemem disposait des lors d'une majorité
confortable pour faire passer, conformémem aux regles prévues à cet effet, la révision constitution-
sion est confirmée en appel par la nelle instituam le principe de la ségrégation raciale et limitam strictemem le comr8le juridictionnel
, Suuth W,,les v. Trethowan (1931) de la constitutionnalité des !ois.
nmittee du Privy Co1mcil à Londres 82. L'expression se trouve chez H.W.R. WADE, « The Basis o/Legal Sovereignty », CL], 1955, p. 187.
83. Ibid., p. 174.
.LETTI, Le po1woir des juges, Paris, 84. Cf les critiques formulées par P.P. CRAIG, « Sovereigmy of the United Kingdom Parliamem
after Factortame », YEL, vol. 11, 1991, p. 236 ss.
278 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension (.

n 'importe quelle législation antérieure et que, par conséquence, aucun parlement ne jouir d'un po,
peut lier ses successeurs »; (3) « que le législateur n'a qu'un seu! procédé à sa disposi- école l' ont t
tion pour édicter des !ois sowueraines », à savoir par un « Acte commun de la Cou- contre la dérr
ronne, des Lords et des Com munes réunis au Parlement » ' \ Wade en tire la conclu- à la majorité
sion générale qu'il est juridiquement impossible pour le parlement d' édicter des tion par une
lois « rigides », ou « entrenched », puisqu'elles peuvent être révoquées, comme un terme au
n'importe quelle autre législation, par une loi ultérieure. Wade réduit ainsi les lourde de co
prétentions de l'école adverse à néant, en accordant une portée générale et abso- légitimité de
lue à l'adage latin selon leque! lex posterior derogat lege priori. Toute tentative gnée à cet eft
d'établir une constitution écrite et rigide serait ainsi vouée à l'échec. dure législati
284 Le príncipe de la lex posterior ne connait, à ses yeux, qu'une seule exception qui nomie de cha
est assez peu orthodoxe par rapport à l'reuvre de Dicey. Si Wade s'oppose à la à la majorité
hiérarchie des lois esquissée par l' école du « manner and form », lui-même n'hé- 285 La souverain
site pas à déduire desa définition, « qu'il existe une, et une seule limite att pouvoir chable. Horn
légal du parlement : il ne peut pas se défaire de sa propre souveraineté qui est conti- éphémeres d1
nue »'6 • II existe dane au moins une« loi »'7, à savoir la regle de la common law importe de tr
qui définit la souveraineté du parlement, que celui-ci ne saurait valablement de cette limit,
modifier". Cet aspect fondamental de la théorie de Wade est proprement révo- vise la contin
lutionnaire. Wade va, en effet, jusqu'à renverser, au moins pour une regle, le rap- nelle du souv
port traditionnel entre la statute law et la common law. L'idée, paradoxale, que en effet l'exis
le souverain peut tout faire sauf défaire son propre pouvoir, fut déjà avancée en Parliament. «
1886 par James Bryce et laissa Dicey pour le moins perplexe"". Aux yeux de ce de trais partie_;
dernier, il ne pouvait s'agir que d'un « dogme étrange » 'º, dénué de tout fonde- parlement so11
ment scientifique, vu le caractere absolu de la souveraineté quine saurait souffrir faire disparait
aucune exception. Le parlement peut modifier toutes les lois, quelles qu'elles lui-même, ce
soient, et il peut même aller jusqu'à aliéner la souveraineté s'il le souhaite". devient « im1
Wade conteste justement cette derniere prérogative à un parlement en leque! il tiques qu'on 1
n'a plus une confiance aussi grande que l'avait jadis Dicey. II se félicite de certaines s' ils le voulaie
décisions de justice qui, d'apres !ui, manifestem clairement l'idée que « la procé- puisqu'ils n'e1
dure de fabrication des !ois n 'est pas, dans les conditions actuelles, à la libre disposition quée, ce qu'u1
du parlement, mais est protégée parles trilmnaux afinque les parlement futurs puissent un mouvemei

85. H.W.R. WADE, op. cit., p. 174. 92. H.W.R. WAI


86. Ibid. the time being, bu
87. Ibid., p. 176. La qualification de« mie oflaw » momre bien qu'il s'agit d'une limite juridique et 93. Cf les réflexi
non pas simplemem morale de la souveraineté. 94. Les défenseu 1
88. lbid., p. 187 ss. projet de Tony B,
89. R.F.V. HEUSTON, op. cit., p. 200. Sur le débat de 1886 qui opposa Bryce et Dicey sur la ques- parei libéral-dém,
tion du Home Rufe Bill pour l'Irlande, cf H.W.R. WADE, op. cit., p. 195 s. et la légirimité de
90. A.V. DICEY, l.Aw of the Constiwtion, op. cit., p. 24 note 48. nelle pour les élec
91. Ibid. Dans le cas d'un transfere de souveraineté, le titulaire de la souveraineté change, mais la sou- d'aurres réforme,
veraineté reste la même. Dicey cite à titre d'exemple le cas du traité d'union de 1707 ou les deux par- p. 140.
lements, anglais et écossais, transferem leurs pouvoirs souverains au parlement britannique. \'qade 95. H.W.R. WAI
critique vivement cer aspect de la théorie de Dicey et l' accuse de « dogmatisme » et d'incohérence 96. G. WINTER
(op. cit., p. 196 note 69). Or, selon Dicey, le parlement est à la fois le bénéficiaire et le gardien de la Cf P. MIRFIELD
souveraineté, alors que Wade est, logiquemem, obligé d'ériger le juge en gardien de la souveraineté 97. Sur ce poinr I
parlementaire comre un parlement qui voudrait l'abandonner. Ce faisant, lui-même peut êrre accusé raie, en tome lég
d'incohérences (cf infra). op. cit., p. 36-39.
es de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l 'homme et du juge 279

,équence, aucun parlement ne jouir d'un pouvoir illimité »".II faut en effet reconna1tre, et certains de la nouvelle
u'un seul procédé à sa disposi- école l'ont fait'3, qu'en soi l'idée d'une constitution rigide pourrait se retourner
m « Acte commun de la Cou- contre la démocratie. Apres tout, qu'est-ce qui empêche le parti dominam de voter
Wade en tire la conclu-
it ,,,;_ à la majorité simple une disposition rigide dont la révision nécessiterait l'approba-
ur le parlement d' édicter des tion par une majorité de 99 % des voix? N'est-il pas paradoxal de vouloir mettre
vent être révoquées, comme un terme au « despotisme » de la majorité en confiant une tâche aussi complexe et
rieure. Wade réduit ainsi les lourde de conséquences à cette même majorité? Comment garantir, en effet, la
une portée générale et abso- légitimité de contraintes adoptées, non pas par une assemblée spécialement dési-
t lege priori. Toute tentative gnée à cet effet, mais par le législateur ordinaire, selon les conditions de la procé-
i vouée à l'échec. dure législative ordinaire? .,. Dans l' esprit de Wade, il vaut mieux garantir l' auto-
., qu'une seule exception qui nomie de chaque génération à travers la pérennité d'une souveraineté qui s'exerce
)icey. Si Wade s' oppose à la à la majorité simple, plutôt que de se lancer dans une entreprise aussi risquée.
e and form », lui-même n'hé- 285 La souveraineté devient ainsi un príncipe figé et éternel, inaliénable et intou-
et une seule limite au pouvoir chable. Hormis le cas imprévisible d'une révolution, il est défendu aux titulaires
f}re souveraineté qui est conti- éphémeres du pouvoir souveráin de porter atteinte à l'essence de ce pouvoir, qu'il
ir la regle de la common law importe de transmettre intacte aux générations suivantes. Mais, sous l'apparence
ui-ci ne saurait valablement de cette limite « unique », se cache en vérité deux limites distinctes : si la premiere
: Wade est proprement révo- vise la continuité de la souveraineté, la deuxieme a trait à la structure institution-
moins pour une regle, le rap- nelle du souverain britannique. D'apres Wade, l'existence du souverain implique
law. L'idée, paradoxale, que en effet l'existence des trois organes qui constituent ce qu'on appelle la Queen in
pouvoir, fut déjà avancée en Parliament. « Le législateur souverain a toujours été considéré comme étant composé
, perplexe"'. Aux yeux de ce de trais parties; un acte auquel les Lords n 'ont pas consenti n 'est nullement un acte du
ige » 'º, dénué de tout fonde- parlement souverain. » 95 Puisque les Lords font partie intégrante du souverain,
raineté qui ne saurait souffrir faire disparaitre les premiers revient logiquement à faire dispara1tre le souverain
J tes les lois, quelles qu' elles lui-même, ce qu'interdit absolument la premiere limite. Bref, la House of Lords
eraineté s' il le souhaite ·n. devient « immortelle » w., ce qui relativise sérieusement les intentions démocra-
re à un parlement en leque! il tiques qu'on pouvait prêter à cette these. II en découle logiquement que, même
)icey. II se félicite de certaines s'ils le voulaient, les Lords ne p~urraient pas consentir à leur propre suppression
irement l'idée que « la procé- puisqu'ils n'en ont pas le droit. A supposer que la voie de la légalité soit ainsi blo-
•actuelles, à la libre disposition quée, ce qu'une majeure partie de la doctrine anglaise conteste néanmoins'7, seul
ue les parlement futurs puissent un mouvement révolutionnaire pourrait faire dispara1tre ce legs de l'histoire.

92. H. W.R. WADE, op. cit., p. 176 : « The law-making process was not at the mercy of Parliament for
the time being, but was guarded by the courts in order that future Parliaments might be unfettered. »
qu'il s'agit d'une limite juridique et 93. Cf les réflexions critiques de I. LOVELAND, op. cit., pp. 612-615.
94. Les défenseurs d'une constitution écrite om d'ailleurs tenu compre de cette critique. Ainsi le
projet de Tony Benn prévoyait la ratification de la constitution par vaie de référendum. Le projet du
i opposa Bryce et Dicey sur la ques- parti libéral-démocrate préconisait coute une série de mesures destinées à garantir l'assise populaire
1., p. 195 s. et la légitimité de l'~uvre à construire. II prévoyait l'imroduction de la représemation proportion-
nelle pour les élections législatives. Ce n'est qu'une fois élu de cette façon, et apres avoir mis en route
: la souveraineté change, mais la sou- d'autres réformes, que le parlemem serait investi du pouvoir consriruant. Cf D. OLIVER, op. cit.,
.ité d'union de 1707 ou les deux par- p. 140 .
ns au parlemem britannique. Wade 95. H.W.R. WADE, op. cit., p. 193.
de « dogmatisme » et d'incohérence 96. G. WINTERTON, « Is the House of Lords Immortal? », LQR, vol. 95, 1979, pp. 386-392.
ois le bénéficiaire et le gardien de la Cf P. MIRFIELD, « Can the House oflords Lawfully be Abolished? »,LQR, vol. 95, 1979, pp. 36-95.
e juge en gardien de la souveraineté 97. Sur ce poim la doctrine suit plutôt les idées de Dicey, selon leque! la Queen in Parliament pour-
:e faisam, lui-même peut être accusé rait, en coute légalité, transférer ses pouvoirs à un parlemem monocaméral. Cf P. MIRFIELD,
op. cit., p. 36-39.
280 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridiqtte anglais L 'ascension de

2° Les incertitudes quant au rôle du juge valide, car ellê


en vertu de la
286 Reste à préciser un dernier aspect de la théorie de Wade, quis' avere d'une impor- deuxieme loi,
tance cruciale en ce qui concerne la cohérence de son propos. II s'agit du rôle surtout pas su
dévolu aux juges. Leur place tient, en réalité, de la quadrature du cercle, puisque la !oi L' pour
Wade entend à la fois leur confier une mission des plus sensibles, sans pour n'est plus S°, 1
autam leur accorder les moyens adéquats. Ils som censés veiller à l'intégrité du 288 Si l'argumem
principe de la souveraineté sans disposer toutefois du droit de censurer une loi, figure, il n'en
ce qui serait absolumem contraire à ce qu'il y a de plus orthodoxe dans l'idée de n'évoque pas
souveraineté. La difficulté a été soulevée par Jennings à propos de l'article 4 du même du Qu,
Statute of Westminster de 1931. Selon cet article, le parlemem britannique n' a Des lors, on 1
I
plus le droit de légiférer pour l'un des Dominions de son Empire, à moins de !e poupees russc
faire à l'instigation et avec l'accord de ce dernier. D' apres Jennings, tous ceux qui prem1er comi
contesteraient la validité de cette restriction formelle de la souveraineté seraiem du second. D~
obligés de dire que cette disposition est « void »º'. C'est justemem ce que veut hypotheses de
éviter, à tout prix, Wade pour ne pas contredire le premier critere de sa défini- Soit les jug1
tion 99 • Pour juger de la validité de sa démarche, il faut distinguer deux hypo- s'en trouve ir
theses. traditionnelle.
287 Le premier cas de figure se laisse aisémem illustrer à l'aide du Statute of West- figure, récupé
minster. Supposons la loi L' qui entend modifier la norme fondamentale Lº et Il n'existe plu
redéfinir ainsi les contours du souverain. À cet effet, elle joim au souverain exis- et la chambre
tam Sº - la Queen in Parliament dom la structure tripartite reste imacte - un violée de mar
organe supplémentaire, à savoir les représentams du Dominion, afin de consti- "passif" des ju
tuer le nouveau souverain S'. Du point de vue de Wade 100 , la violation de ce qu'il can (S 1) pour j
appelle la limite « unique » de la souveraineté, inscrite dans la loi Lº, ne fait pas sible en l'occt
de doute. Pour autam, il est hors de question pour lui d'exhorter les juges suite sacrifié a
à annuler la loi L'. Si la Queen in Parliament se lie les mains et se tiem à cette Soit, et c'e
loi, on ne peut rien faire. Le juge ne commence à jouer un rôle décisif, quoique l'identité trad
"passif", qu'à partir du mamem ou la Reine en son parlemem voudrait récupé- surer la !oi L' ,
rer la souveraineté et se débarrasser de cet obstacle que constitue l'organe sup- sieme critere 1
plémemaire. Pour ce faire, elle voterait une loi L1 en se passam de l'accord de ce mier. Par con!
dernier. De l'avis de Wade, qui s'appuie sur les affaires Vauxhall Estates Ltd. v. qui enleverait
Liverpool Corporation 'º', Ellen Street Estates Ltd. v. Minister ofHealth 'º' et British définition de '
Coai Corporation v. The King 'º1, cette nouvelle loi ne ferait que révoquer, et ce sieme critere l
en toute légalité, les contraintes imposées par la loi antérieure L'. Elle serait cette hypothe
une apone.
De nos jow
98. I. JENNINGS, op. cit., p. 145. ner and form ,.
99. H.WR. WADE, op. cit., p. 186. qui sont à !'o
100. Ibid.
101. [1932] 1 K.B. 733. Pour les détails de ces arrêts, cf H.W.R. WADE, op. cit., p. 175 ss.
102. [1934] 1 K.B. 590. Dans cette affaire le Lord Justice Maugham disait que« the legis!at11re cannot,
according to our constittttion, bind itsselfas to the form ofs11bseq11ent legis!,ztion ».
103. [1935] A.C. 500, 520. Dans cette affaire, Lord Sankey remarquait au sujet du Statttte of West- 104. II est éviden
minster que « it is doubtless true that the power of the Imperial Parliament to pass on ils own initiative ses droits l'ancien
any legis!ation it tho11ght fit extending to Canada remains in theory rmimpaired: indeed the Imperial renair en vertu d.
fürliament cort!d, as matter ofabstract law, repeal ar disregard section 4 ofthe Statute. B11t that is theory tale L', ce qui pr•
and has no relation to realities ». norme fondamen
, de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe of Law sous le signe des droits de l'homme et du juge 281

valide, car elle est l'ceuvre du "vrai" souverain S0 qui est toujours resté souverain
en vertu de la norme Lº. II appartient alors au juge d'admettre la validité de cette
:le, qui s'avere d'une impor- deuxieme loi, même si le Dominion n' a jamais donné son accord. Le juge ne doit
)n propos. II s' agit du rôle surtout pas suivre l'argumentation de Jennings qui demande que le juge annule
1adrature du cercle, puisque la loi L1 pour vice de forme ou incompétence. Car, selon Jennings, le souverain
s plus sensibles, sans pour n'est plus S°, mais bel et bien S1•
!nsés veiller à l'intégrité du 288 Si l'argumentation de Wade peut para1tre convaincante dans ce premier cas de
u droit de censurer une loi, figure, il n'en va pas de même dans la deuxieme hypothese que, d'ailleurs, Wade
us orthodoxe dans l'idée de n'évoque pas vraiment. Supposons cette fois-ci que la loi L1 change la structure
~s à propos de l'article 4 du même du Queen in Parliament en supprimant, par exemple, la House of Lords.
parlement britannique n'a Des lors, on n'est plus dans la situation précédente caractérisée, à l'image des
: son Empire, à moins de le poupées russes, par l'embo1tement de l'ancien et du nouveau souverain, ou le
pres Jennings, tous ceux qui premier continue à exister comme une entité potentiellement autonome au sein
! de la souveraineté seraient du second. Dans le nouveau cas de figure, la théorie de Wade vole en éclats. Deux
:::'est justement ce que veut hypotheses doivent être distinguées à cet égard.
)remier critere de sa défini- Soit les juges admettent la validité de la loi L 1 : des lors l'identité du souverain
fau t distinguer deux hypo- s' en trouve irrémédiablement modifiée. La Queen in Parliament sous sa forme
traditionnelle, à trois têtes (S 0), ne peut plus, comme dans le premier cas de
à l'aide du Statute of West- figure, récupérer sa souveraineté pour la simple raison qu'elle a cessé d'exister.
norme fondamentale Lº et II n'existe plus que le nouveau souverain S1 composé de deux éléments, la Reine
elle joint au souverain exis- et la chambre des Communes. La limite « unique » de la souveraineté est ainsi
ripartite reste intacte - un violée de maniere flagrante sans qu'il y ait un moyen de s'y opposer. Le rôle
Dominion, afin de consti- "passif'' des juges n'a d'effet que si l'ancien souverain S0 peut se libérer de son car-
de 100 , la violation de ce qu'il can (S pour jouer le rôle "actif'' en révoquant la loi L Or, ceei n'est plus pos-
1
)
1

.te dans la loi Lº, ne fait pas sible en l'occurrence 10-1. Le troisieme critere de la souveraineté de Wade est par
ur lui d'exhorter les juges suite sacrifié au bénéfice du premier.
les mains et se tient à cerre Soit, et c'est la seule solution possible si l'on veut assurer la pérennité de
uer un rôle décisif, quoique l'identité traditionnelle du souverain S°, on reconna1t aux juges le droit de cen-
parlement voudrait récupé- surer la loi L 1 qui abolit la House ofLords. Or, cette fois-ci, on sauve certes le troi-
que constitue l'organe sup- sieme critere de la souveraineté selon Wade, mais on le fait aux dépens du pre-
se passam de l'accord de ce mier. Par conséquent, quelle que soit l'issue envisagée, le cas de figure d'une loi
1ires Vauxhall Estates Ltd. v. qui enleverait un élément de la Queen in Parliament, fait exploser l'unité de la
rinister ofHealth 1º1 et British définition de Wade. Il oblige en effet le juge à choisir entre le premier et le troi-
te ferait que révoquer, et ce sieme critere de la souveraineté, les deux ne pouvant coexister logiquement dans
)i antérieure L1 • Elle serait cerre hypothese. La théorie débouche ainsi sur un dilemme inextricable, bref sur
une apone.
De nos jours, un nombre croissant de juristes penchent pour l'école du « man-
ner and form » qui semble plus adaptée et plus ou verte aux réformes audacieuses
qui sont à l'ordre du jour en ce xx•· siecle. Ce débat a su préparer les esprits à
MDE, op. cit., p. 175 ss.
n disait que « the legislatttre carmot,
11 legisl,aion ».
1rquait au sujer du Staltlte of West- 104. II est évidemment loisible au nouveau souverain S1 d'adopter une nouvelle !oi qui rétablit dans
liamerit to pass on its own initiative ses droits l'ancien souverain S0 , en rétablissant la HollSe ofLnrds. Mais, dans ce cas, l'ancien souverain
')' 1mimpaired: indeed the Imperial rena1t en vertu d'un acre du nouveau souverain. Le retour se fait en verru de la norme fondamen-
on 4 of the Stalule. B11t thal is theory tale L', ce qui prouve que !e législateur peut modifier sa propre identité. On passerait ainsi de la
norme fondamenrale Lº à L', de L' à L' ( = Lº).
282 De la Rufe of Law ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de

l'idée d'un transfert de souveraineté au profit de l'Europe 'º' et au projet d'une L'analyse d
constitution écrite, à travers la distinction entre le pouvoir constituam et le pou- dégager, par v
voir législatif. Sur cette dynamique vient se greffer le nouveau discours sur les dans son sens
droits de l'homme qui émerge à partirdes années 1970. la démocratie,
l' élection n' es
§ 2. LA REDÉCOUVERTE DV CONCEPT DES DROITS DE L'HOMME les citoyens pt
de cause et à d
opm1ons ce qt
289 Le regne incontesté des partis a déclenché, à partir des années 1970 et surtout d' expression s
depuis l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, une réactivation du discours veraineté ne s;,
des droits de l'homme en Angleterre 10/,. Selon nombre de juristes, la concentra- tie de respecte
tion des pouvoirs qu'induit le fait majoritaire détruit la balance des pouvoirs, qui formels, à savt
seule garantit ce que Montesquieu appelait le caractere modéré du gouverne- tie se traduit p
ment. Des lors, plus rien ne s'oppose à ce que l'intérêt particulier d'un parti, qui veraineté et dt
ne représente qu'une partie minoritaire du peuple en raison de l'effet grossissant cédant désorrr
du scrutin majoritaire, se substitue à l'intérêt général. Analyses empiriques à moyen, qu'un
l'appui 107 , la doctrine démontre « l'érosion de la liberté » 'º' due à l'absence de maire que son
limites légales à la souveraineté du parlement. À travers ce débat s'opere une Encore fam
métamorphose du concept jusque-là formel de démocratie, qui integre de plus aisée. Si les ju1
en plus des données substantielles. Les libéraux tels que R. Dworkin ou de ces valeurs
T.R.S. Allan récusent ainsi une vision simplement « numérique » ou« statistique » gomsme entre
de la démocratie, selon laquelle « tout ce que désire une majorité ou une plattralité nalisme constr
est légitime pour cette raison » 109 • L'identification de la démocratie avec le « regne attacher une ir
des élus » releve d'une confusion intellectuelle qui en méconna1t le sens « authen- même dynami
tique » "º. Selon eux, la démocratie présuppose certains principes substantiels, qui dente, le contr
sont soit stipulés, soit induits de maniere logique. Comme le dit T.R.S. Allan, la
légitimité du « processus démocratique (. ..) dépend en demier lieu de son respect de
A. L'apolog
certains criteres minimmn de la justice » 111 • La démocratie, entendue a priori
comme une forme de gouvernement, doit s'inscrire dans une « comnmnauté de
290 La vieille hos
príncipes » "2, si elle ne veut pas être assimilée à une tyrannie de la majorité, ou
constitution é,
pire, à des régimes «barbares»'" ou« totalitaires » "'. L'épouvantail des horreurs
ci se montre p
du totalitarisme qu'on ne se prive pas de citer comme argument final, voire exclu-
sif, vaut souvent démonstration.
115. R. D\XIORK
93, spéc. p. 81 e
105. Pour la suite européenne du débat, cf infra ff' 307 ss. N.S. MARSH, «
106. Sur l'historique de cette redécouverce, cf M. ZANDER, A Bill of Rights ?, 4'" edn., London, Essays in Jurispru
Sweet & Maxwell, 1997, pp. 1-39 et M. LOUGHLIN, op. cit., chap. 9, pp. 211-229. 116. Sir J. LA\XIS.
107. Cf l'audit démocratique organisé par un groupe de chercheurs. Sur ce projet, v. S. WEIR, « The PL, 1995, p. 68: ··
Democratic Audit of the UK », PL, 1993, pp. 56-58. rait aussi chez T.
108. R. D\XIORKIN, A Bill of Rights for Brit,zin, London, Chatto & \Xlindus, 1990, p. 1. concept méconm
109. lbid., p. 35. que reflete d'ailk
110. Ibid., p. 33. chapitre consacré
111. T.R.S. ALLAN, Liw, Liberty and Justice. The Leg,il Fotmdations of British Constit11tion<1/is111, 117. Sur le débat
Oxford, Clarendon, 1993, p. 12. Oxford, Clarend,
112. Ibid., p. 13. 118. T.R.S. ALL
113. Sir J. LA\XIS, « Is the High Court the Gardian of Fundamental Constitucional Rights? », Law, Libertyand)
PL, 1993, p. 60. p. 4. Dans le mê,
114. Ibid. V. aussi R. D\XIORKIN, op. cit., p. 36. PL, 1992, p. 397-~
1es de l'esprit juridique anglais L'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 283

'Europe 'º' et au projet d'une L'analyse de R. Dworkin se veut plus sophistiquée. 11 s'attache notamment à
,ouvoir constituam et le pou- dégager, par voie d'induction, les présupposés logiques de la démocratie prise
r le nouveau discours sur les dans son sens formel. L'idée du suffrage universel, auquel se réduit trop souvent
1970. la démocratie, n'a de sens que s'il existe un véritable débat et un choix, sans quoi
l'élection n'est qu'une manceuvre dilatoire du pouvoir. Cela implique que tous
les citoyens puissent exercer leur droit de vote en toute liberté, en connaissance
'S DROITS DE L 'HOMME
de cause et à des intervalles réguliers, qu'il existe un pluralisme des partis et des
opinions ce qui suppose à son tour que les libertés d'association, de réunion et
tr des années 1970 et surtout d'expression soient garanties. Dans un régime qui se veut démocratique, la sou-
une réactivation du discours veraineté ne saurait être sans limites, caril est de l'essence même de la démocra-
1bre de juristes, la concentra- tie de respecter certains principes substantiels - les libertés fondamentales - et
ir la balance des pouvoirs, qui formeis, à savoir le suffrage universel m_ Cette vision renouvelée de la démocra-
-actere modéré du gouverne- tie se traduit par une inversion de la préséance entre les deux principes de la sou-
:rêt particulier d'un parti, qui veraineté et de la rufe of law. Ce dernier se voit propulsé au premier rang, pré-
m raison de l' effet grossissant cédant désormais l'idée démocratique qui, loin d'être une fin en soi, n'est qu'un
1éral. Analyses empiriques à moyen, qu'un instrument plus ou moins efficace pour atteindre l'objectif pri-
iberté » 'º' due à l'absence de maire que sont les libertés fondamentales '"'.
travers ce débat s'opere une Encare faut-il saisir le concept des droits de l'homme, ce qui n'est pas chose
mocratie, qui integre de plus aisée. Si les juristes évitent, dans leur grande majorité, la question du fondement
.x tels que R. Dworkin ou de ces valeurs' 17, le débat s'anime au fur et à mesure qu'on retrouve le vieil anta-
, numérique » ou « statistique » gonisme entre ces deux facettes de la culture juridique anglaise que sont le ratio-
une majorité ou une plauralité nalisme constructiviste (B) et l' esprit de la common law (A). 11 ne faut toutefois pas
: la démocratie avec le « regne attacher une importance excessive à leur rivalité tant ils semblent se nourrir d'une
·n méconna1t le sens « authen- même dynamique qui vise à étendre progressivement, quoique de maniere pru-
.ins principes substantiels, qui dente, le contrôle des juges au nom de la nécessaire défense des droits de l'homme.
::::omme le dit T.R.S. Allan, la
>1 demier lieu de son respect de
A. L'apologie contemporaine du « common law constitutionalism » 11
'
:mocratie, entendue a priori
:e dans une « communauté de 290 La vieille hostilité de la common law à tout projet constructiviste tel qu'une
te tyrannie de la majorité, ou constitution écrite s' est exprimée de nos jours par la voix de T.R.S. Allan. Celui-
'". L'épouvantail des horreurs ci se montre pour le moins sceptique sur la nécessité et les vertus d'un tel chan-
1e argument final, voire exclu-

115. R. DWORKIN, op. cit., p. 33. Cf Sir John LAWS, « Law and Democracy », PL, 1995, pp. 72-
93, spéc. p. 81 et 85; id., « The Consrirurion: Morais and Righrs », PL, 1996, pp. 622-635;
N.S. MARSH, « The Rule of Law as a Supra-Nacional Concept », in A.G. GUEST (ed.), Oxford
, A Bill ofRights?, 4'" edn., London, Essays in Jurisprudence, l'' series, Oxford, OUP, 1961, p. 244. Cf infra n-' 608 ss.
:hap. 9, pp. 211-229. 116. Sir J. LAWS, « Law... », p. 73. Cf Lord WOOLF ofBARNES, « Droit public - English Sryle »,
eurs. Sur ce projet, v. S. WEIR, « The PL, 1995, p. 68 : « Our parliamentary democracy is based on the mie o/ law ». Ce renversement appa-
rait aussi chez T.R.S. ALLAN qui souhaite privilégier comme point de départ de son analyse le
no & Windus, 1990, p. 1. concept méconnu de la mie o/law par rapport au príncipe de la souveraineté (op. cit., p. 2). C'est ce
que reflete d'ailleurs son plan : son premier chapitre, introducrif, est immédiatement suivi par un
chapitre consacré à la mie oflaw. La souveraineté n'est traitée in extenso que dans le dernier chapitre.
ulations of British Constiwtionalism, 117. Sur le débat philosophique, cf. P.P. CRAIG, Public Law and Democracy in the UK and the USA,
Oxford, Clarendon, 1990.
118. T.R.S. ALLAN, « Constitucional Righrs and Common Law », OJLS, vai. 11, 1991, p. 478; id.,
damenral Constitutional Rights? », Law, Liberty and Justice. The Legal Foundation o/British Constitution,dism, Oxford, Clarendon, 1993,
p. 4. Dans le même sens, cf. Lord BROWN-WILKINSON, « The Infiltrarion of a Bill of Rights »,
PL, 1992, p. 397-410.
284 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension d,

gement radical m_ À ses yeux, la rédaction d'une charte des droits de l'homme est - y inclus la
inutile compte tenu du rôle de la common law qui fait déjà figure de constitu- faculté pour 1
tion. li lui reste néanmoins à convaincre une doctrine anglaise qui doute de plus restrictions lé
en plus du caractere libéral de la common law et de l'efficacité de ses moyens de ne saurait se 1
protection. L'idée des droits de l'homme, si présente dans la common law des concevoir san
XVII" et XVIII' siecles, s' est dissipée depuis lors et est de moins en moins évoquée principes qui
dans les décisions des juges. Pour faire face à ce déclin qu'il ne saurait nier, Allan oflaw signifie
adopte une attitude à la fois descriptive et normative. En se posant en rénova- de T.R.S. All.
teur de la pensée classique de la common law, il insuffle aux solutions jurispru- la société, d'u
dentielles actuelles un nouvel esprit libéral puisé chez des philosophes anciens et phénomene d
récents, comme Locke, Hayek, Rawls et surtout Dworkin. li s'agit ni plus ni sonnables, so
moins de donner une nouvelle signification, plus adaptée aux défis du monde appelait la « r,
contemporain, aux principes par nature souples et évolutifs de la common law 110 • plus techniqu
Sa théorie, qui esquisse à la fois un retour en arriere et un bond en avant, vise à même si T.R.:
réaffirmer la place centrale de la liberté qui se conjugue avec un rôle croissant aussi, leur rac
du juge. 292 Face aux criti
mieux définir
1º La liberté au cCEur de la common law? Selon la défin
voir faire tout
291 S'opposant vivement aux méfaits formalistes d'un « positivzsme » vaguement libérale de ce
défini 121 , T.R.S. Allan défend, dans le sillage des idées de Dicey et surtout de perdue. Une e
R. Dworkin, une définition à la fois formelle et matérielle du concept de rufe of laire de ce drc
law 122 • Sous ce terme se cache, selon lui, un « amalgame de standards, d'attentes et telle qu'un ju
de souhaits », c' est-à-dire un idéal politique fondé sur l' autonomie et la dignité de liberté et qu'i
l'être humain, qui implique un engagement allant au-delà de ce que l'on demande célebre affaire
en général aux juristes m_ « Au ca:ur de cette idée se trouve la conviction que le droit sioner'-", le jug
fournit les moyens de protéger chaque citoyen contre la volonté arbitraire d'autmi tuées par la pos
violée, il n 'est J
de la common 1
119. Cf T.R.S. ALLAN, « Consrirurional Righrs ... », op. cit., pp. 453-480. qu'il n'y a rir
120. On peut cirer deux exemples pour illusrrer cerre maniabiliré. Le premier a trair à l'un descri- XVIII' siecle, 01
teres tradirionnels du contrôle de l'adminisrrarion. Selon le précédent de Wedne;buryde 1948, le juge liberté résidut
peur censurer un acre adminisrrarif qui serait « déraisonnable ». De nos jours, l' école du « liberal nor-
mativism » vise à la fois à uriliser er à dépasser ce crirere somme coute tres vague, en définissant ce l'obligation d'
qui est raisonnable et déraisonnable par rappon à la nouvelle notion des droits de l'homme. prouver, sous F
Cf J. JOWELL & A. LESTER, « Beyond Wednesbury : Substantive Principies of Administrative faire Malone 01
Law », PL, 1987, pp. 368-382. Le deuxieme a trair à l'impact de la Convention européenne des droits
de l'homme sur le droit anglais. Selon Sir John LAWS (« Is the High Coun ... », op, cit., pp. 59-79) légale pesant s
!'une des façons d'introduire la Convention dans le droit interne esr de faire évoluer les príncipes
existants de la common law à la lumiere de la Convention. Ce faisant, le juge découvre dans la
common law des príncipes identiques à ceux de la Convention sans pour autant ériger celle-ci en source 124. Ibid., p. 22.
formelle de légalité ce qui !ui est interdit tant que le parlement ne l'a pas incorporée. C'est ce qu'ont 125. T.R.S. ALU
fait les juges dans Derbyshire County Cozmcil v. Times Newspapers (1993) 2 WLR 449; R v. Lord - nalism », CL], 198
Ch,mcellor ex parte \flitham (1997) 2 Ali ER 779; R v. Home Secret,1ry ex parte Leech (1994) QB 198. 126. T.R.S. ALLA
121. Son concept du positivisme reste assez fiou ainsi que le montre son traitement de Dicey. Celui- 127. lbid., p. 15, 2
ci est présenté à la fois comme un disciple du positivisme austinien et comme un défenseur d'une 128. Jbid., p. 12.
définition substantielle, car libérale, de la mie oflaw. Cf Law, Liberty... , p. 16 ss et p. 46 s. 129. T.R.S. ALLA
122. Ibid. chap. 2, pp. 20-47. 130. (1765) 19 Stat,
123. lbid., p. 21 : « Allegiance to the mie of law is not, therefore, a technictt! (or even "lawyerly") 131. [1979] 2 Ali I·.
commitmem: it i; necessary ,dlegiance to ,1 politictt! philosophy ... » 132. Jbid., p. 638.
s de l'espnt juridique anglais L'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 285

te des droits de l'homme est - y inclus la volonté des plus puissants. » 11' Si la sécurité juridique, c'est-à-dire la
fait déjà figure de constitu- faculté pour un citoyen de connaitre d'avance et le plus précisément possible les
e anglaise qui doute de plus restrictions légales à sa liberté, constitue un élément crucial de la rufe oflaw, elle
'efficacité de ses moyens de ne saurait se réduire à cet aspect technique. L' idéal de la rufe oflaw ne saurait se
te dans la common law des concevoir sans référence aux principes de la liberté, de l'égalité, de la justice etc.,
le moins en moins évoquée príncipes qui se trouvent consacrés dans la common law"5. Autrement dit, la rufe
1 qu'il ne saurait nier, Allan oflaw signifie avant tout le regne de la common law' 1''. On retrouve sous la plume
re. En se posam en rénova- de T.R.S. Allan tous les vieux mythes d'une common law jaillie des tréfonds de
1ffle aux solutions jurispru- la société, d'un droit que les hommes se donneraient à eux-mêmes sans qu'aucun
i des philosophes anciens et phénomene de pouvoir n'intervienne, d'un ensemble de principes justes et rai-
workin. 11 s'agit ni plus ni sonnables, souples et maniables qui incarneraient ce que Coke en son temps
daptée aux défis du monde appelait la« raison artificielle » 127 • A cela s'oppose la statute law qui est de nature
ulutifs de la common law 120 • plus technique et qui ne saurait jouir de la même légitimité que la common law,
et un bond en avant, vise à même si T.R.S. Allan reconnalt que les lois votées par le parlement puisent, elles
ugue avec un rôle croissant aussi, leur racines dans les valeurs fondamentales de la communauté 128 •
292 Face aux critiques contemporaines de la common law, T.R.S. Allan s'attache à
mieux définir le caractere résiduel de la liberté sous le regne de la common law 11'.
Selon la définition classique de Dicey, la liberté consiste pour « chacun » à pou-
voir faire tout ce qui n'est pas interdit par la loi. Avec le temps, la signification
« positivisme » vaguement libérale de ce principe dégagé en 1765 dans l'affaire Entick v. Carrington 130 s'est
lées de Dicey et surtout de perdue. Une certaine confusion s'est installée dans l'esprit des juristes sur le titu-
érielle du concept de rufe of laire de ce droit, plus exactement sur le sens du mot chacun. La confusion est
me de standards, d'attentes et telle qu'un juge a estimé que le gouvernement lui aussi jouissait d'une telle
l'autonomie et la dignité de liberté et qu'il pouvait faire tout ce qui n'était pas interdit par la loi. Dans la
delà de ce que l'on demande célebre affaire des écoutes téléphoniques Malone v. Metropolitan Police Commis-
uve la conviction que !e droit sioner rn, le juge Sir Robert Megarry affirme que « si les écotttes téléphoniques effec-
a volonté arbitraire d'autrui tuées par la poste à la demande de la police peuvent se faire sans qu 'auettne /oi ne soit
violée, il n 'est pas nécessaire d'avancer un fondement légal, tiré soit de la statute soit
de la common law, pour le justifier: on peut le faire légalement pour la simple raison
qu'il n'y a rien qui le rende illégal » m_ On est loin des idées libérales du
. 453-480.
:é. le premier a trait à l'un descri- XVIII' siecle, ou il allait de soi que seuls les individus bénéficiaient d'une telle
Jem de Wedne;bury de 1948, le juge liberté résiduelle et que les organes étatiques, au contraire, se voyaient dans
e nos jours, l' école du « liberal nor-
toute tres vague, en définissam ce
l'obligation d'avancer une base légale pour chaque action entreprise. À eux de
e notion des droirs de l'homme. prouver, sous peine de nullité, qu'un tel fondement existait ! Rien de tel dans l'af-
mive Principies of Administrative faire Malone ou il revenait à l'individu de prouver l'existence d'une interdiction
Convemion européenne des droits
High Coun ... », op. cit., pp. 59-79)
légale pesam sur l'administration pour faire protéger sa vie privée. Face à une
,e est de faire évoluer les príncipes
~ faisant, le juge découvre dans la
pour autant ériger celle-ci en source 124. Ibid., p. 22.
l'a pas incorporée. C'est ce qu'om 125. T.R.S. ALLAN, « Legislative Supremacy and the Rule of Law : Democracy and Constitutio-
ers (1993) 2 WLR 449; R v. Lord - nalism », CL], 1985, p. 117 et p. 142.
·etary ex parte Leech (1994) QB 198. 126. T.R.S. ALLAN, Law, Liberty... , p. 11, 40.
1tre son traitemem de Dicey. Celui- 127. Ibid., p. 15, 25, 30.
1ien et comme un défenseur d'une 128. Ibid., p. 12.
berty... , p. 16 ss et p. 46 s. 129. T.R.S. ALLAN, « Constitucional Rights ... », p. 456 ss.
130. (1765) 19 State Triais 1030.
re, a teclmirnl (or e-ven "lawyerly") 131. [1979] 2 Ali ER 620
132. Ibid., p. 638.
286 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de

telle dérive de la jurisprudence, T.R.S. Allan ne peut que rappeler le sens authen- aurnne excepti
tique de Entick v. Carrington en espérant être entendu "'. confi,ée à la g,,
À ce principe général de liberté viennent s'ajouter des regles de la common volonté: un ai
law qui protégent des libertés particulieres telles que par exemple la liberté d' ex- raison » 139 • L
pression. Or, sur ce point également, la vision de T.R.S. Allan est jugée quelque tique, comme
peu trop oprimiste par une large partie de la doctrine qui met en doute les venir débattre
convictions supposées libérales des juges. Nombre de décisions nient au a terminé son
contraire les libertés individuelles 134 et nombre de juges rechignent, comme doit et renouvelée
le reconnaitre T.R.S. Allan, à raisonner en termes de droits de l'homme 135 • À classiquement
l'aune de cette critique apparait le caractere plus prescriptif que descriptif desa Certes, l' ir
théorie. arrêter un ins
Reste un dernier point faible de la common law qui est son rapport avec la sta- vernement, v1
tute law. Une vision entierement focalisée sur la common law risque de ne pas pation se lim
prendre suffisamment en compte l'impact controversé, à la fois positif et néga- tranche en d,
tif, des statutes sur les droits de l'homme m_ De nos jours, maintes libertés sont déconnectée (
régies par des statutes. Le parlement peut, en effet, jouer un rôle progressif en liées dans une
consacrant des droits ignorés par la common law tels les droits socio-écono- « médiateur e1.
miques. Inversement, la garantie des droits par la common law, pour peu qu'elle vigilant des d
joue, risque de s'avérer inefficace, en raison desa vulnérabilité vis-à-vis des lois celui-ci ferait ·
votées par une majorité parlementaire disciplinée, soumise aux volontés de dans la comm,
l'exécutif. Aussi T.R.S. Allan accorde-t-il un pouvoir de censure accru aux juges. Le juge se pla
leurs élus et
2° Le rôle croissant du juge dicéyens, « le 1
dique de la s01
peuple » 1" .
a) La légitimité du juge dans une démocratie
~) Les moyer
293 Le désir de T.R.S. Allan d'accorder au concept de la rufe of law une place plus
importante, voire une préséance par rapport au principe de la souveraineté"' va 294 Le juge se voi1
de pair avec une volonté d'accroitre les prérogatives des juges face au Parlement certain degré ,
de Westminster. S'il ne dénie pas toute légitimité au processus démocratique, une qu1 on ne saw
certaine méfiance vis-à-vis des partis transparait clairement à travers ses écrits '". un pouvoir d
D' apres lui, « la volonté dtt législatif et celle de l 'exécutif sont, toutes les deux, sans lois parlemen

133. T.R.S. ALLAN, 1..aw, Liberty... , p. 158. 139. T.R.S. ALI


134. Cf A.\YI. BRADLEY & K.D. E\Y/ING, op. cit., p. 460 ss; E. BARENDT, « Dicey and Civil tive and exemtiv,
Liberties », PL, 1985, p. 602, 605 ss, 611 s. Cette critique se nourrit notamment des mises en cause the mstody ofthe J
de la common l,1w par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui !ui oppose or not, in accord<1
!e modele rationaliste d'une déclaration écrite des droits de l'homme. 140. T.R.S. ALL
135. Cf T.R.S. ALLAN, « Constitucional Rights ... » et « Pragmatism and Theory in Public Law », M.ZANDER,A
LQR, 1988, pp. 422-447. Entre-temps son appel semble être entendu parles juges dom la culture juri- 141. ... à moins
dique évolue de plus en plus. L'opinion dissidente de Lord BROWN-\Y/ILK.INSON dans l'affaire dépourvu de toUl
!Vheeler v. Leicester City Cormcil [1985] A.C. 1054, 1063 est devenue !e« clarion rnll for liberal qu'à supposer qu
,wmwivism » selon M. LOUGHLIN (op. cit., p. 210). Depuis, d'éminents juges ont repris ce dis- saisine du juge p.1
cours com me l'illustrent leurs multi pies intervemions dans !e débat sur « Bill ofRights ». 142. T.R.S. ALL
136. A.\Y/. BRADLEY & K.D. E\Y/ING, op. cit., p. 461 ss. 143. Ibid., p. 13C
137. T.R.S. ALLAN, Law, Liberty... , p. 2. 144. Ibid., p. 129
138. Ibid., p. 12 s. 145. T.R.S. ALL
~s de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 287

que rappeler le sens authen- aucune exception, assujetties en demiere analyse aux diktats de la raison du droit,
du 13·'. confiée à la garde des juges, étant donné que la raison est toujours supérieure à la
er des regles de la common volonté: un acte de volonté est un fait que l'on suit ou non, selon sa conformité à la
par exemple la liberté d'ex- raison » m. Le prétoire du juge !ui apparaí't même comme un espace démocra-
R.S. Allan est jugée quelque tique, comme un forum de discussion ouvert à tous les citoyens qui pourraient
trine qui met en doute les venir débattre du caractere juste et raisonnable de la loi, une fois que !e parlement
bre de décisions nient au a terminé son travai!"º. li propage ainsi le mythe d'une « citoyenneté » renforcée
ges rechignent, comme doit et renouvelée qui, à y regarder de plus pres, se situe tres loin de ce qu'on entend
de droits de l'homme 135 • À classiquement par citoyenneté.
:scriptif que descriptif de sa Certes, l'individu peut à !ui seu! saisir une instance de l'État, le juge, pour
arrêter un instant la machine étatique et interroger ses acteurs, à savoir !e gou-
ii est son rapport avec la sta- vernement, voire le parlement, sur !e bien-fondé de leur action. Or, sa partici-
mmon law risque de ne pas pation se limite en réalité à avancer des arguments puisque c'est le juge qui
rsé, à la fois positif et néga- tranche en dernier lieu 1" . Il s'agit ainsi d'une "participation" completement
jours, maintes libertés sont déconnectée de la prise de décision, alors que les deux devraient être intimement
jouer -un rôle progressif en liées dans une démocratie. Dans cette nouvelle configuration, !e juge, en tant que
« médiateur entre les gouvernants et les gouvemés » , est supposé être !e défenseur
142
tels les droits socio-écono-
nmon law, pour peu qu'elle vigilant des droits de l'individu. En contrôlant la volonté du parlement élu,
1lnérabi!ité vis-à-vis des !ois celui-ci ferait valoir « ces standards communs de la morale qui sont supposés acquises
:, soumise aux volontés de dans la communauté » et ne fait que « respecter les attentes légitimes des citoyens » 14·'.
r de censure accru aux juges. Le juge se place dans le fossé qui se creuse de plus en plus entre les citoyens et
leurs élus et se fait le porte-parole des uns vis-à-vis des autres. En termes
dicéyens, « le príncipe de la rufe oflaw sert (...) à jeter un pont entre la doctrine juri-
dique de la souveraineté du parlement et la doctrine politique de la souveraineté du
peuple » 1" .

~) Les moyens d'action du juge


:a rule of law une place plus
1cipe de la souveraineté 117 va 294 Le juge se voit ainsi confier un rôle crucial, mais T.R.S. Allan recommande « un
des juges face au Parlement certain degré de déférence judiciaire » 14 ; à l'égard d'un législateur démocratique à
)rocessus démocratique, une qui on ne saurait nier toute légitimité. Ce faisant, il reconnaí't aux juges à la fois
rement à travers ses écrits 138 • un pouvoir d'interprétation et, à titre exceptionnel, un pouvoir de censure des
utifsont, toutes les deux, sans !ois parlementaires. Sur le premier point, T.R.S. Allan n'innove guere. li se

139. T.R.S. ALLAN, « Pragmatism and Theory in Public Law », LQR, 1988, p. 446: « Both legisla-
E. BARENDT, « Dicey and Civil tive and exemtive will are always subject in the last analysis to the dictates of legal reason, which fies in
rrit notammem des mises en cause the mstody ofthe judges, since reason is always 11/timate over will: an act ofwill is a fact to be acted upon,
,s droits de l'homme qui !ui oppose or nol, in accordance with reason. "
nme. 140. T.R.S. ALLAN, La-w, Liberty ... , p. 16, notammem note 65. On retrouve la même idée chez
atism and Theory in Public Law », M. ZANDER, A Bill ofRights?, 4,h edn., London, Sweet & Maxwell, 1997, p. 79.
1du parles juges dom la culture juri- 141. ... à moins de croire que !e juge n' est que la bouche de la !oi, un robot froid et objectif,
:)WN-WILKINSON dans l'affaire dépourvu de toute subjectivité, quine fait qu'appliquer mécaniquemem les textes de la !oi. II est vrai
levenue !e « clarion üill for liberal qu'à supposer qu'il n'existe qu'une « right answer », selon la these de R. Dworkin, il va de soi que la
d'éminems juges om repris ce dis- saisine du juge par !e citoyen vaut ipso facto décision.
·bat sur « Bill ofRights "· 142. T.R.S. ALLAN, « Legislative Supremacy and the Rule of Law... », p. 125.
143. Ibid., p. 130.
144. Ibid., p. 129.
145. T.R.S. ALLAN, « Constitucional Rights ... », p. 473.
288 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension

limite à synthétiser et à rappeler les regles d'interprétation traditionnelles, qui incohérent


accordent aux juges une marge de manceuvre certaine vis-à-vis des statutes en vue sance des ju
de garantir leur conformité avec certains príncipes supérieurs "". Ainsi, on sup- Allan touch
pose que le législateur n'a pas entendu se soustraire aux obligations découlant du de l'obligati
droit international, ce qui justifie que les juges retiennent l'interprétation de la une attitudt
loi nationale qui soit la plus conforme possible avec celui-ci. Les lois pénales s'in- en cas de ci:
terpretent de façon restrictive. De même, les lois ne sont pas présumées avoir un valeurs fone
effet rétroactif, à moins que le législateur ne le spécifie expressément. On pré- pect de lar
sume que le législateur n'a pas voulu exproprier un individu sans lui accorder loi 152 • Unte
une juste compensation. Il est un príncipe général que toutes les lois qui portem quelques écl
atteinte aux droits des sujets s'interpretent de maniere stricte. De même, une loi lementaire t
votée parle parlement n'est pas supposée altérer ou supprimer la common law, évoluer les L
à moins qu'elle nele dise en des termes clairs et nets qui s'interpretent, à leur
tour, de façon stricte. Tout silence, toute ambiguºité ou imprécision - et il arrive
aux juges anglais d'exiger de la part des lois un degré élevé de précision - joue
en faveur de la liberté individuelle. Selon T.R.S. Allan, il serait illusoire de croire 296 L'heure est ;
à une séparation stricte entre l'application et l'interprétation d'une loi '", ce qui teurs déplo1
lui permet de qualifier d'ambigue toute disposition qui serait injuste : « C'est jus- Dicey, marq
tement notre conviction que la loi parlementaire peut déboucher sttr des résultats common la'c
injustes ou déraisonnables, qui naus conduit (avec raison) à penser que sa significa- d'un public
tion est imprécise. » "" on se tourrn
295 Sur le deuxieme point, le pouvoir d'annulation des lois par les juges, Allan lisme constr
s'avere beaucoup plus hardi, même s'il reste en deçà de ce que revendiquent cer- vise à doter
tains défenseurs d'un Bill ofRights. Il refuse, en effet, aux juges un droit général question de
de censurer une loi pour incompatibilité avec les príncipes constitutionnels ins- réforme du
crits dans la common law. « Une foi dont les tennes sont suffisamment clairs ne peztt se contente
être censurée parce que ses ejfets paraissent injustes. » m Dans cette hypothese, le Par- droits de l'h
lement de Westminster continue, a priori, de bénéficier de l'immunité juridic-
tionnelle que lui garantir sa souveraineté. Il faut néanmoins noter que, selon
152. lhid., p. 2
Allan, la théorie de la souveraineté parlementaire découle d'une regle de la 153. II existe L
common law sur laquelle les juges pourraient revenir, le cas échéant, si les cir- [1969] 2 AC 14
constances l' exigeaient 150 • La soumission de ces derniers traduit en effet leur res- disposition lég:
l'action admini
pect pour le príncipe de la démocratie qui s'incarne dans le parlement. « Mais il lution dans l'es
est clair que ce respect ne saurait être sans limites. » "' Selon T.R.S. Allan, il serait OFBARNES,
les fondements c1
Voir aussi, dans
mate Constitut
146. Jbid., p. 117 ss. Cf Law, Liberty ... , p. 266 ss. Cf Lord BROWNE-WILKINSON, op. cit., 154. Le point l
p. 402 ss. Cf supm n" 201 ss. tés du milieu ju
147. T.R.S. ALLAN, Law, Liberty... , p. 65 et 267. le lnstit11te for 1
148. Jbid., p. 64: « lt is precisely 011rcon-viction that the stalt<te might have 1mj11st ar 1mrn1sonable remlts Constit11tion fo;
which causes us 611stifiably) to think its meaning zmcerttlÍn. » Pareillement, Lord BROWN-WILKIN- ment le projec ,
SON (op. cit., p. 405 ss) va jusqu'à réclamer un droit d'interprétation vis-à-vis d'une !oi, jugée injuste, Problems », p,,,
dont les dispositions ne souffrent pourtant d'aucune ambigu·ité. 155. Lord SC1\
149. T.R.S. ALLAN, « Legislative Supremacy... », p. 125. Cf ibid., p. 121, 125 etLaw, Liberty... , p. 62 « English Law -
et 65. Reste à savoir ce qu'il faut entendre parle mot « clair » ••• accueil croissar
150. T.R.S. ALLAN, Law, Liberty... , p. 10. K.D.EWING.
151. Jhid., p. 282. Cf T.R.S. ALLAN, « The Limits of Parliamentary Sovereignty », PL, 1985, notamment SOL
pp. 614-629. Sir John LAWS
?s de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rule ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 289

rétation traditionnelles, qui incohérent qu'un parlement puisse requérir, au nom de la démocratie, l'obéis-
e vis-à-vis des stattttes en vue sance des juges à une loi qui aurait pour but affiché de détruire la démocratie.
supérieurs "". Ainsi, on sup- Allan touche !à à la question de la nature nécessairement morale, ou supralégale,
ux obligations découlant du de l'obligation d'obéir à la loi. Si en temps normal, la« política! morality » exige
:nnent l'interprétation de la une attitude loyale vis-à-vis des institutions élues, il pourrait en aller autrement
:elui-ci. Les lois pénales s'in- en cas de circonstances exceptionnelles. Selon la gravité de l'atteinte à ces deux
sont pas présumées avoir un valeurs fondamentales que constituem le principe du suffrage universel et le res-
cifie expressément. On pré- pect de la rufe of law, les juges pourraient être amenés à refuser d'appliquer la
rr individu sans lui accorder !oi 15'. Unte! appel à la résistance judiciaire reste pour l'instant, à l'exception de
ue toutes les lois qui portem quelques échos "3, incongru en droit positif anglais. Le poids de la tradition par-
re stricte. De même, une loi lementaire est tel que seule une réforme constitutionnelle radicale pourrait faire
t supprimer la common law, évoluer les choses sur ce point.
~ts qui s'interpretent, à leur
Ju imprécision - et il arrive B. L'émergence d'un fort mouvement réformiste
ré élevé de précision - joue
rn, il serait illusoire de croire 296 L'heure est à la réforme en Grande-Bretagne à la fin du xx< siecle. Nombre d'au-
prétation d'une !oi "7, ce qui teurs déplorent l'érosion des libertés sous !e schéma constitutionnel hérité de
qui serait injuste : « C'est jus- Dicey, marqué par cette double confiance dans le parlement souverain et dans la
tt déboucher surdes résultats common law. Il se trouve que ni l'un ni l'autre n'ont su répondre aux attentes
son} à penser que sa significa- d'un public de plus en plus sensible au theme des droits de l'homme. Des lors,
on se tourne vers la solution continentale d'un texte écrit. Le motif du rationa-
les !ois par les juges, Allan lisme constructiviste se décline sous deux formes : une version maximaliste qui
. de ce que revendiquent cer- vise à doter la Grande-Bretagne d'une constitution écrite, réglant à la fois la
t, aux juges un droit général question des droits de l'homme et les problemes institutionnels tels que la
incipes constitutionnels ins- réforme du mode de scrutin, la dévolution, etc. 15' ; une version minimaliste qui
nt sziffisamment clairs ne peut se contente de l' élaboration d'un « Bill of Rights », d'une déclaration écrite des
Dans cette hypothese, !e Par- droits de l'homme m. Ce dernier courant est à son tour divisé entre les pragma-
ficier de l'immunité juridic-
1éanmoins noter que, selon
152. lbid., p. 282 et 269.
~ découle d'une regle de la 153. II existe un seu! précédenc récenc : l'affaire Anisminic v. Foreign Compensation Commission
iir, !e cas échéant, si les cir- [1969] 2 AC 147. En l'espece, les juges se déclarenc compétencs pour juger un !itige nonobstanc une
iiers traduit en effet leur res- disposition légale explicite qui excluait, en des termes les plus clairs, tout concrôle juridictionnel de
l'action administrative (cf ALLAN, Law, Liberty... , p. 65 ss). Enfin, on peut noter une certaine évo-
: dans !e parlement. « Mais il !ution dans l'esprit des juges supérieurs à travers la fameuse conférence donnée par Lord WOOLF
Selon T.R.S. Allan, il serait OF BARNES, à l'occasion de laquelle il affirme que les juges s'opposcraienc à une !oi qui « saperait
les fondements de la mie oflaw » (op. cit., p. 68). Dans !e même sens, Sir J. LAWS, « Law and ... », p. 87.
Voir aussi, dans le passé, l'avis du jugc australien Sir Owen DIXON, « The Common Law as an Ulti-
mate Constitutional Foundation, AL], vol. 31, 1957, p. 245.
3ROWNE-WILKINSON, op. cit., 154. Le poinc de départ fut !e manifeste Charter 88, signée en 1988 par de nombreuses personnali-
tés du milieu juridique. Cf M. LOUGHLIN, op. cit., p. 220 ss. Le theme fut repris notammenc par
le lnstit11te for P11blic Policy Research qui élabora l'un des projets les plus étoffés. Cf IPPR, A Written
ht h,n,e zmjust ar 1mre,1sonable res11lts Constittttion for the United Kingdom, London, Mansell, 1993. Sur les divers projets en !ice, notam-
illemenc, Lord BROWN-WILKIN- menc le projet du parti libéral-démocrate, cf D. OLIVER, « Written Constitution : Principies and
ion vis-à-vis d'une loi, jugée injuste, Problems », Pari. Ajf., vol. 45, 1992, pp. 135-152; I. LOVELAND, op. cit., chap. 15, p. 605 ss.
155. Lord SCARMAN lança le débat sur un Bill of Rights en 1974, dans sa fameuse conférence
'., p. 121, 125 et Law, Liberty... , p. 62 « English Law - The New Dimension ». Depuis les initiatives se sonc multipliées et onc connu un
accueil croissant dans la doctrine (M. Zander, R. Dworkin, etc.). Cf aussi A.W. BRADLEY &
K.D. EWING, op. cit., p. 479 ss. L'idée a été vivement soutenue par de nombreux juges supérieurs,
imencary Sovereigncy », PL, 1985, notamment sous sa forme de l'incorporation de la Convemion européenne. Cf les articles cités de
Sir John LAWS; Lord BROWN-WILKINSON; Sir Stephen SEDLEY, « Human Rights : A Twency:
290 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension d,

tiques, qui veulent simplement incorporer en droit anglais la Convention euro- l'existence de
péenne des droits de l'homme de 1950, et ceux qui se proposent de rédiger un d'un contrôk
texte nouveau, plus ambitieux, qui integre notamment les droits socio-écono- est, à titre d' e:
miques, ignorés par la Convention et mis à mal par dix-huit ans de « thatche- tifie la rule of
rism ». On sair, depuis l'adoption du Human Rights Act de 1998 que ce som les des vérités « é
plus pragmatiques des constructivistes qui l'ont emporté i;o_ L'espoir d'une loppées, naus"
constitution écrite pour le Royaume-Uni s'est évanoui. sont devenus ,;
L'intérêt théorique de ce débat réside avant tout en la question du rôle du juge, que, deuxiem
et plus exactement du lien entre le juge et les droits de l'homme. L'enjeu n'est pas tain) les princz
tant la définition de ce fondement humaniste de la démocratie qu'à de rares pouvoir arbit1
exceptions pres, personne ne semble contester; les esprits libéraux se divisem sur saurait être ni
la question de la compétence du juge à censurer une loi. bare ». La sec<
ses yeux un « ,
1º L 'apologie du juge au nom des droits de l'homme logiquemem i
l'homme. C' e
297 Comme il se doit dans la patrie du pragmatisme, l'argumentation développée divers projets
par les ardents défenseurs d'un contrôle juridictionnel des lois, se résume tres de la justiciabii
souvent en un subtil pesage des arguments pro et contra 157 • S'il n'est pas toujours régner !e droit
aisé de démêler les fils du raisonnement - en cela la conception théorique du tant feature of
lien entre le droit et le juge reste souvent :floue -, on perçoit néanmoins, par-ci 298 L'imbrication
par-là, les deux logiques sous-jacentes au phénomene de judiciarisation en Alle- common law,
magne, à savoir le théoreme de Bahr qui identifie le droit et le juge ainsi que le du rationalism
rhéoreme de la balance des pouvoirs chere à Montesquieu iss_ Quant à ce dernier, C' est chez T.F
on en trouve une illustration paradigmatique chez Sandra Fredman 15'. À commonlaw ..
l'époque de Dicey, le processus démocratique était jugé suffisant pour garantir la entre les gouve
nature libérale des lois; il en va autrement de nos jours ou le regne d'un parti traire, est détr,
majoritaire aboutit à une concentration des pouvoirs. Or, comme le disait déjà dants » H,◄• Tout
l'auteur de I'Esprit des /ois, tout pouvoir, même le plus vertueux, nécessite une sentie des lors
limite, un contre-pouvoir que l'on va désormais chercher du côté des juges. La observations s1
garantie juridictionnelle de la liberté se substitue ainsi aux garanties politiques déclaration dei
défaillan tes. dans !'instaura
L'autre logique, qui consiste à identifier le droit et le juge, est également tres moderne de la
présente, ce quine saurait véritablement étonner compre tenu de l'esprit procé- Enfin, T.R.S. i
durier du droit anglais. Souvent, le juriste anglais estime qu'il n'y a aucun inté- kin entre « pri.
rêt à reconna1tre à l'individu de nouveaux droits si on ne lui donne pas les que, si les hon
moyens, forcément juridictionnels, de les faire respecter. Des lors, une fois que

160. J. LAWS, « h
First Century Agenda», PL, 1995, pp. 386-400; T. BINGHAM « "There is a World Elsewhere": The 161. Jbid. Une tel1
Changing Perspectives of English Law » (1992) 41 lntemational and Comparative Law Quarterly 513 nus compétents pc
et « The European Convenrion on Human Rights. Time to Incorporate » (1993) 109 LQR 390. électeurs. Les juge,
156. Cf infra ff' 324 ss. une telle définitior
157. Les ouvrages citées de M. ZANDER et R. DWORKIN som à cet égard exemplaires. 162. D. OLIVER.
158. Sur ces deux logiques, cJ. supra ff' 76 ss et n-· 131 ss. Sur l'idenrification du droit et du juge dans 163. lbid., p. 142.
la pensée anglaise, cf. supra n-· 176 ss (théorie classique de la common law) et n" 253 ss (Austin, Dicey). 164. T.R.S. ALLA
159. S. FREDMAN, « Allies or Subversives? The Judiciary and Democracy », !sr. L.R., vol. 32, 165. lbid., p. 66. C
1998, pp. 407-447, spéc. p. 408 ss. On retrouve le même argument chez d'autres auteurs reis que in seeing how such ,
P.P. Craig, Lord Scarman, etc. 166. T.R.S. ALLA
de l'espritjuridique anglais L 'ascension de la Rule of Law sous le signe des droits de l 'homme et du juge 291

:1.glais la Convention euro- l'existence des droits de l'homme vis-à-vis du législateur est admise, le príncipe
;e proposent de rédiger un d'un contrôle juridictionnel va de sai. La démarche du magistrat Sir John Laws
mt les droits socio-écono- est, à titre d'exemple, révélatrice d'un certain automatisme intellectuel qui iden-
- dix-huit ans de « thatche- tifie la rufe oflaw au contrôle exercé par les juges. 11 considere, en effet, comme
4.ct de 1998 que ce sont les des vérités « évidentes » que, premierement, « dans la famille des démocraties déve-
mporté i;e_ L'espoir d'une loppées, naus avons atteint un stade ou l'on peut dire que les droits de cette catégorie
lll.
sont devenus des axiomes dont la valeur ne peut plus être sérieusement discutée » et
la question du rôle du juge, que, deuxiemement, « il a été de façon générale la mission des juges d'établir (ascer-
l'homme. L'enjeu n'est pas tain} les principes, au nom desquels le peuple doit être protégé contre l'exercice d'un
L démocratie qu'à de rares pouvoir arbitraire » "'º. Selon lui, la premiere proposition, d'ordre éthique, ne
,rits libéraux se divisem sur saurait être niée à moins de faire l'apologie d'un régime « totalitaire » et « bar-
.01.
bare ». La seconde, qui attribue au juge un rôle extrêmement large, constitue à
ses yeux un «Jait » historique 1'". De la conjonction de ces deux facteurs découle
logiquement la nécessité d'un contrôle juridictionnel pour protéger les droits de
l'homme. C'est ce que résume le professeur Dawn Oliver, apres examen des
argumentation développée divers projets de constitution, de la façon suivante : « La présomption en faveur
nel des lois, se résume tres de la justiciabilité est une caractéristique marquante et importante de "l'État faisant
'.ra"7• S'il n'est pas toujours régner le droit" (This presumption in favour ofjusticeability is a strong and impor-
a conception théorique du tant feature of the "rufe oflaw" state}. » 1• 2
1 perçoit néanmoins, par-c1 298 L'imbrication si forte entre le droit et le juge semble être due à l'esprit de la
: de judiciarisation en Alle- common law, que n'inspire pas moins ceux qui se réclament de l'école adverse
droit et le juge ainsi que le du rationalisme constructiviste 11'', sans oublier la théorie d' Austin et de Dicey.
1uieu 158 • Quant à ce dernie~, C'est chez T.R.S. Allan que l'on retrouve la vision traditionnelle du juge de la
tez Sandra Fredman 159 • A common law. 11 estime ainsi que « le rôle du droit comme bastion (bulwark} placé
gé suffisant pour garantir la entre les gouvernement et les gouvemés, s'opposant à l'exercice d'un pouvoir arbi-
)UrS ou le regne d'un parti traire, est détruit si les citoyens sont privés du recours à des tribunaux indépen-
·s. Or, comme le disait déjà dants » 1"'. Toute exclusion du contrôle exercé parles tribunaux ordinaires est res-
,lus vertueux, nécessite une sentie des lors comme une atteinte à la rufe of law comme en témoignent ses
!rcher du côté des juges. La observations sur l'affaire Anisminic"". À cela s'ajoute que l'unique atout d'une
nsi aux garanties politiques déclaration des droits par rapport au modele de la common law réside justement
dans l'instauration d'un contrôle juridictionnel de la loi, ce à quoi la pensée
:t le juge, est également tres moderne de la common law s'est jusqu'ici refusée, du moins de façon générale 11' 6 •
mpte tenu de l'esprit procé- Enfin, T.R.S. Allan reprend à son compte la distinction esquissée par R. Dwor-
time qu'il n'y a aucun inté- kin entre « principies (principes} » et « policy (politique} ». II en tire la conclusion
si on ne lui donne pas les que, si les hommes politiques sont compétents pour décider librement de tout
:cter. Des lors, une fois que

160. J. LAWS, « Is rhe High Courr ... », op. cit., p. 60.


"There is a World Elsewhere" : The 161. Jbid. Une relle allégation esr néanmoins conresrable. Apres rour, les juges ne se sonr pas recon-
nd Compara tive Law Q11arterly 513 nus compérents pour remédier à l'arbirraire des !ois er se sonr conrenrés de renvoyer la quesrion aux
,rporare,, (1993} 109 LQR 390. électeurs. Les juges n'onr pas une compérence générale pour s'opposer à rour acre arbirraire. Avec
une relle définirion, rour serair en effer jusriciable.
1t à cer égard exemplaires. 162. D. OLIVER, op. cit., p. 142. Voir aussi p. 145.
,nrificarion du droir er du juge dans 163. Ibid., p. 142.
on law) et n" 253 ss (Ausrin, Dicey). 164. T.R.S. ALLAN, Law, Liberty... , op. cit., p. 65.
1d Democracy ", /sr. L.R., vol. 32, 165. Jbid., p. 66. Cf J. LAWS, « Law and ... », op. cit., p. 75, note 11 : « There remains great diffirnlty
1enr chez d'aurres aureurs reis que in seeing how mch 011ster cla11Ses and the mie of law can share the same bed ».
166. T.R.S. ALLAN, « Consrirurional Rights ... », p. 455 et 471 s.
292 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais L 'ascension e

ce qui touche à la policy, c'est-à-dire à la politique de l'État-providence, il appar- comme una


tient aux juges de vérifier le respect des principies que sont les droits de l'homme. dant aux jug
On ne pourrait formuler plus clairement l'imbrication conceptuelle entre les contradictoi 1
droits de l'homme et le juge. Néanmoins, cette logique n'est pas sans susciter des rait à la fois
craintes et des critiques. discours des
entend exen:
2º L 'apologie des organes démocratiques au nom des droits de l'homme réitere sa foi
publique et e
299 Un courant non négligeable 167 d'auteurs n'entendent guere attribuer une telle de l'intellige1
responsabilité aux juges. IIs se refusent à passer de leur attachement aux droits dividu son at
de l'homme, qui est indéniable 168 , à une confiance à leur yeux démesurée dans !e tici per à la e
juge. L'analyse de Jeremy Waldron est particulierement éclairante sur cette moyen, remp
approche inspirée de la conception rousseauiste de l'autonomie. II s'attaque à rerait plus eff
l'idée, récurrente chez nombre de philosophes libéraux contemporains, d'un droit de pan
« lien nécessaire » entre l'existence de droits moraux et la nécessité d'une décla- concernam];
ration écrite de droit légaux, sanctionnés par un juge constitutionnel 1••. II constitue le I=
résume ce lien en une suite logique de propositions qui sont supposées découler pourrait ainsi
l'une de l'autre 170 : 300 Que les insti
a) « La personne P a un droit (moral) à X». ' contest
guere
b) « La personne P devrait, d'un point de vue moral, avoir un droit légal à X», la participati
ce qui signifie que : contraire, an
c) « La !oi devrait être telle qu'elle permet à P d'obtenir X». Certains vont jus- libertés indiv
qu'à déduire de b) que plutôt qu'aux
d) « P devrait, d'un point de vue moral, avoir un droit constitutionnel à X ». ce qui constit,
Sacham que le droit subjectif légal ou constitutionnel est défini par l'existence surtout à lar
d'un recours juridictionnel, selon la terminologie usuelle chez les juristes anglo- confiance dan
saxons 1" , on passe ainsi de la reconnaissance de droits moraux, i.e. naturels, à la confier à des j
revendication d'un contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. table? "" Les y
Une telle logique ignore notamment qu'il puisse y avoir des garanties poli- eia! supremaci
tiques, i.e. démocratiques des droits individueis. Aux yeux de J. Waldron, l'idée 301 Les critiques s
de la liberté politique et celle de la liberté individuelle sont consubstantielles, car rait plus nier 1
ancrées dans un même fondement anthropologique qui conçoit l'être humain sur le juge-lég

172. Ibid., p. 28 :
167. L'opcion des garanties policiques, au lieu des garanties juridiccionnelles des droics de l'homme, the very reaons th.
est évoquée couc au long du débat sur le Bill ofRíghts. Cf M. ZANDER, op. cit., p. 1-39; J. BELL, I see each person .
op. cít., p. 23 ss et D. OLIVER, op. cit., p. 142 ss. to entrust the peop
168. K.D. EWING, « The Bill of Righcs Debate : Democracy or Juriscocracy in Bricain? », 173. Ibid., p. 36-J
ín Hwnan Rights and Labo11r Law. Essays for Paul O'Higgins, London, Mansell, 1994, pp. 147-187, 174. Ibid., p. 36,
a largement analysé l'érosion des libercés sous le regne de la Dame de fer. Quant à Jeremy WAL- 175. Ibid., p. 37 :
DRON, le cicre de son arcicle esc révélaceur: « A Righcs-Based Critique of Constitucional Righrs », human life. To dei;
OJLS, vai. 13, 1993, pp. 18-51. Cf ibid., p. 32 : « Ali of 11s want to see an end to injustice, oppression 176. !bid., p. 43 ,
m1d the violation ofhwnan rights; none 0/11s is happy with political proced11res that allow s11ch violations 177. L'expression
to take place "· Cf aussi James ALLAN, « Bills of Rights and Judicial Power - A Liberal's Quan- 178. L' expression
dary », OJLS, vol. 16, 1996, pp. 337-352. Decision-Makers :
169. J. WALDRON, op. cit., p. 19. Cf K.D. EWING, op. cit., p. 147. Sir S. SEDLEY, /'
170. J. WALDRON, op. cít., p. 23 ss. du cheme du gou,
171. Ibid., p. 24. ciaire », Pouvoirs,
de l'espritjuridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l 'homme et du juge 293

'État-providence, il appar- comme un agem moral, autonome et raisonnable '". Opposer les deux, en accor-
ont les droits de l'homme. dant aux juges un tel pouvoir de censure, reviendrait à adopter une conception
Lon conceptuelle entre les contradictoire, pour ne pas dire schizophrénique, de l'individu, puisqu'il s'agi-
e n 'est pas sans susciter des rait à la fois de vanter l'autonomie de celui-ci dans sa sphere privée, à travers le
discours des droits de l'homme, et en même temps, de se méfier de lui lorsqu'il
entend exercer son autonomie de maniere collective. J. Waldron, quant à lui,
es droits de l'homme réitere sa foi en la légitimité d'une loi qui serait le produit d'une délibération
publique et contradictoire des citoyens et, ce faisant, récuse le mythe platonicien
t guere attribuer une telle de l'intelligence supérieure d'une petite élite 173 • Des lors qu'on reconnalt à l'in-
ur attachement aux droits dividu son autonomie en matiere privée, on ne saurait lui refuser le droit de par-
ur yeux démesurée dans le ticiper à la chose publique. Car, d'apres lui, la démocratie n'est pas un simple
ment éclairante sur cette moyen, remplaçable par n'importe quel autre régime des lors que celui-ci s'avé-
l'autonomie. Il s'attaque à rerait plus efficace à garantir les droits de l'homme. La démocratie qui signifie le
raux contemporains, d'un droit de participer à coutes les décisions importantes, y inclus les décisions
et la nécessité d'une décla- concernam la nature et la portée des droits moraux, est une fin en soi "'. Elle
juge constitutionnel 169 • Il constitue le prolongement et le couronnement de l'autonomie de l'individu qui
ui som supposées découler pourrait ainsi s'épanouir completement 175 •
300 Que les institutions représentatives existantes sont loin d'être parfaites n'est
guere contesté par ces auteurs. Mais, ils se refusent à sacrifier le príncipe de
', avoir un droit légal à X», la participation citoyenne sur l'autel des droits de l'homme et veulent, au
contraire, améliorer les mécanismes démocratiques pour mieux garantir les
mir X». Certains vont jus- libertés individuelles. Leur objectif est de donner plus de pouvoir aux citoyens
plutôt qu'aux juges. L'efficacité de ces garanties politiques reste donc à prouver,
droit constitutionnel à X ». ce qui constitue le point faible de cette these; la force de leur démonstration tient
riel est défini par l'existence surtout à la méfiance que leur inspire le pouvoir des juge. S'il est clair que la
1elle chez les juristes anglo- confiance dans le Parlement de Westminster est ébranlée, faut-il pour autant se
:s moraux, i.e. naturels, à la confier à des juges dont la légitimité démocratique est encore davantage contes-
;titutionnalité des lois. table? 17" Les voix qui mettent en garde devam une « juristocracy » 177 ou un « judi-
y avoir des garanties poli- cial supremacism » ' 7' se fone de plus en plus pressantes.
: yeux de J. Waldron, l'idée 301 Les critiques se focalisent sur le pouvoir d'interprétation du juge dom on ne sau-
! sont consubstantielles, car rait plus nier l'existence. Comme le disait Lord Reid dans sa fameuse conférence
qui conçoit l'être humain sur le juge-législateur : « Il était un temps ou l'on estimait presque indécent de sug-

172. Ibid., p. 28 : « The reasons which make me 1hink of lhe h11man individ11al as a bearer of righls are
:cionnelles des droits de l'homme, the very reaons thal allow me lo lrttsl heras the bearer ofpolitical responsabilities. ll is precisely beca11se
NDER, op. ci1., p. 1-39; J. BELL, I see each person as a potencial moral agent, endowed with dignity and a11tonomy, that I am willing
to entrnst lhe people en masse with 1he b11rden ofselfgavernment. »
:y or Juriscocracy in Britain? », 173. Ibid., p. 36-38.
Gdon, Mansell, 1994, pp. 147-187, 174. Ibid., p. 36 s.
me de fer. Quant à Jeremy WAL- 175. lbid., p. 37 : « \lí'e believe that participation in 1he public realm is a necessary part of the /11/filling
ricique of Constitucional Righcs », human life. To deny people the opportunity for Sttch participation is to deny part of their essence. »
:o see an end lo injustice, oppression 176. Ibid., p. 43 s.
1roced11res 1hal allow s11ch violacions 177. L'expression est de K.D. EWING.
dicial Power - A Liberal's Quan- 178. L' expression est utilisée par l' accuel Lord Chancellor, Lord IRVINE OF LAIRGH, « J udges and
Decision-Makers: The Theory and Practice of Wednesbury Review », PL, 1996, p. 77, et parle juge
147. Sir S. SEDLEY, PL, 1993, p. 544. Sur les Jiifférences de perception de pare et d'autre de la Manche
du cheme du gouvernement des juges, cf E. PICARD, « Les droits de l'homme et « l'accivisme judi-
ciaire », Po11voirs, n" 93 (Le Royaume-Uni de Tony Blair), 2000, pp. 113-143.
294 De la Rule ofLaw ou les pa1tiwlarismes de l'esprit juridique anglais L'ascension de 1

gérer l 'idée que les juges faisaient du droit - ils ne faisaient que le déclarer. Ceux qui remem que lei
avaient un penchant pottr les contes de fées faisaient semblant de penser que la sociale formée
common law était cachée, dans tottte sa splendeur, dans quelque caverne d'Aladin et tiens et apparte;
qu'à la nomination d'un juge la connaissance de la formule magique "Ouvre-toi sentants, car n
Sésame !" descendait sur !ui. Les décisions mauvaises sont imputables au fait que le 302 De plus, les ju
juge s'est embrouillé dans le code et a ouvert la mauvaise porte. - Naus ne croyons pouvmr, s1 ce
plus dans les contes de fées. » '" Même la codification des droits de l'homme, reste en deçà d
à laquelle la doctrine attache une si grande importance, ne pourrait qu'encadrer outre, en cas d
le pouvoir discrétionnaire du juge, lui servir de guide, sans pour autant le faire décision. Les (
dispara1tre 180 • Le caractere forcément vague et imprécis des principes d'une contraignante,
déclaration - souplesse qui n'est pas sans plaire aux défenseurs du pouvoir des fameux article
juges 181 - implique qu'en cas de doute quelqu'un prenne une décision finale sur permet au légi
le sens à donner à telle ou telle disposition. Aux yeux de J. Waldron, il va de soi clauses contrai
que ce doute sur l'objectivité des droits de l'homme - doute partiel qui n'em- charte sur ce p
porte pas un relativisme intégral 181 - doit être levé par les citoyens et non par la Convention
quelques éminents juges. clause équival1:
Une fois qu'il est admis que les juges disposent d'une marge de manceuvre, se Car, si le Pari,
pose, en effet, la question de savoir que! usage les juges sont supposés en faire, et contraires de L
en font réellement. Quelles som, au-delà du voile d'ignorance qu'on jette sur les la Convention
:.f,~
?M opinions personnelles des juges '", les valeurs qu'ils défendent? À ce sujet, une violation d'un
~ partie de la doctrine anglaise a mis en cause les visions politiques sous-jacentes ner, certes non
·RI~ aux décisions de justice 18' et a fait valo ir que les juges ne sont pas d' aussi ardents qui de plus est
·r.:t~
Ql'' défenseurs des libertés individuelles que veulent le faire croire certains juristes 185 • britannique rn
~
D'apres eux, rien ne garantir que les juges défendent les bonnes valeurs et qu'ils
303 On voit ainsi ,
les défendent mieux que les élus '"'. Pour cerner de plus pres la personnalité et les
tions instituti,
valeurs des juges, ils s'intéressent aux conditions de nomination des juges supé-
juge. A.W. Br;1
rieurs en Grande-Bretagne et à leurs origines sociales 187 • Le constar montre dai-
a) Une con
serait sar
179. Lord REID, « The Judge as Lawmaker », The ]011rn,zl of Public Teachers of Law, 1972, p. 22 :
tionnel L
« Thae was a time when it was tho11ght almost indecent to sttggest that judges make law - thry only b) Une sim
declare it. Those with the taste for fairy tales seem to have thought that in some Aladdin 's Cave thae is Charte,
hidden the common law in ali its splendour and that on a j11dge's ,1ppointment there descends on him
knowledge of the magic words "Open SesameJ». Bad decisions are gi·ven when the j11dge muddles the pass-
juridicti,
word and the wrong door opens. - We do not believe in fairy tales any more. »
180. K.D. EWING, op. cit., p. 156 ss; T.R.S. ALLAN, « Constitucional Righcs ... », op. cit., p.460 ss.
181. Cf M. ZANDER, op. cit., p. 40. Pour !ui, la souplesse qui permec au juge d'adapter le droit aux
besoins évolucifs de la société est l 'un des premiers argumencs en faveur du comrôle juridiccionnel. 188. S. FREDM/
182. J. WALDRON, op. cit., p. 34. 189. K.D. EWIN
183. K.D. EWING, op. cit., p. 155. en général d'établ
184. La critique classique a écé faice par J.A.G GRIFFITH, The Politics ofthej11diciary, 4'" edn., Lon- Cf D. OLIVER,
don, 1991. Sa critique est plus radicale que celle d'un Waldron puisqu'il met en douce l'exiscence même 190. Cf D. OLI\
d'une morale objeccive et considere que la nocion de Dworkin d'une « shared political morality » est peuvem s'ajouter
du « nnnsense at the very top ofa very high ladder » ( « The Policical Constitution », MLR, 1979, p. 11 ). 191. En l'absencc
185. K.D. EWING (op. cit., p. 169) iaic remarquer que la Cour suprême ne s'est pas opposée à l'es- invalidée, par voi,
clavage des noirs au XIXº siecle, à l'incernement des ciroyens d'origine japonaise pendam la Deuxieme voir à avouer ce <]
Guerre mondiale, à la chasse aux sorcieres concre les communisces à l' époque de McCarchy et à la fonde ainsi la sup
discrimination acruelle des homosexuels. 192. Précisons q,
186. S. LEE, « Commem on: T.R.S. Allan, The Limits of Parliamemary Sovereigncy », PL, 1985, emretemps réalis,
p. 633. 193. Sur cet argu
187. K.D. EWING, op. cit., 151 ss. 194. A.W. BRAI
es de l'esprit juridique anglais

úent que le déclarer. Ceux qui


T L 'ascension de la Rufe of Law sous le signe des droits de l 'homme et du juge

remem que les juges nommés par l'exécutif sont globalement issus d'une élite
295

zt semblant de penser que la sociale formée à Oxbridge, et sont des « hommes relativement âgés, blancs, chré-
!S quelque caverne d'Aladin et tiens et appartenant à la classe moyenne » 188 • En ce sens, ils ne seraient ni des repré-
formule magique "Ouvre-toi sentants, car non élus, ni même représentatifs 18'.
wnt imputables au fait que le 302 De plus, les juges ne sont nullement tenus de rendre compte de l'usage de leur
aise porte. - Nous ne croyons pouvoir, si ce n'est parle fait de devoir motiver les décisions de justice, ce qui
ion des droits de l'homme, reste en deçà du contr8le démocratique exercé par les citoyens sur leurs élus. En
nce, ne pourrait qu'encadrer outre, en cas d'erreur, il est difficile, parfois même impossible de revenir sur leur
ide, sans pour autant le faire décision. Les conditions d'une révision constitutionnelle peuvent s'avérer tres
1précis des príncipes d'une contraignantes selon les solutions avancées "º, à moins qu'on ne s'inspire du
x défenseurs du pouvoir des fameux article 33 de la Charte canadienne des droits de l'homme de 1982 qui
renne une décision finale sur permet au législateur d'adopter, à la majorité simple, une loi « nonobstant » ses
ux de J. Waldron, il va de soi clauses contraires pour peu qu'il avoue ainsi publiquement sa volonté de nier la
1e - doute partiel qui n'em- charte sur ce point précis''". Or, à supposer'" que le parlement anglais incorpore
: par les citoyens et non par la Convention européenne des droits de l'homme et veuille même intégrer une
clause équivalente à l'article 33, le dernier mot reviendrait néanmoins aux juges.
'une marge de manceuvre, se Car, si le Parlement de Westminster adapte une loi « nonobstant » les clauses
ges sont supposés en faire, et contraires de la déclaration anglaise des droits, qui n'est qu'une transcription de
'ignorance qu'on jette sur les la Convention, l'État britannique, quant à lui, avouerait ainsi publiquement la
s défendent? À ce sujet, une violation d'un traité international auquel il est partie et se ferait ainsi condam-
:ians politiques sous-jacentes ner, certes non pas par ses propres juges, mais par la Cour de Strasbourg. Le juge,
es ne sont pas d'aussi ardents qui de plus est un juge « étranger » ''3, garde le dernier mot, à moins que l'État
·aire croire certains juristes m_ britannique ne réussisse à se soustraire à ses obligations internationales.
1t les bonnes valeurs et qu'ils
303 On voit ainsi émerger au cours de ce débat scientifique, une multitude de solu-
>lus pres la personnalité et les
tions institutionnelles qui accordent une place plus ou moins importante au
~ nomination des juges supé-
juge. A.W. Bradley et K.D. Ewing énumerent au total cinq modeles,,, :
,es 187 • Le constar montre dai-
a) Une constitution écrite et rigide, reconnaissant les droits des individus, qui
serait sanctionnée, à !'instar du modele américain, par un contr8le juridic-
Public Teachers of Law, 1972, p. 22 :
tionnel de toutes les lois, antérieures et postérieures.
~sl that judges make law - they only b) Une simple déclaration des droits jouissant d'une protection similaire à la
that in some Aladdin's Cave thffe is Charte canadienne des droits et libertés de 1982 qui combine !e contr8le
's <1ppointment there descends on him
:i·ven when the judge muddles the pass-
juridictionnel avec le fameux article 33.
. llny 1nore. >>
tutional Righrs ... », op. cit., p.460 ss.
Jermet au juge d'adapter !e droit aux
~n faveur du contrôle juridictionnel. 188. S. FREDMAN, op. cit., p. 425.
189. K.D. EWING, op. cit., p. 152 s. Les défenseurs d'une constitution écrite proposem, d'ailleurs,
en général d'établir une nouvelle Cour suprême avec un mode de nomination plus démocratique.
Politics ofthej11dici<1ry•, 4'" edn., Lon- Cf D. OLIVER, op. cit., p. 137 ss.
squ'il met en doute l'existence même 190. Cf D. OLIVER, op. cit., p. 149. La plupart des projets prévoient une majoriré des 2/3 à laquelle
d'une « shared political mor,1/ity » est peuvent s'ajouter d'autres contraintes.
ai Constitution », MLR, 1979, p. 11). 191. En l'absence d'une telle déclaration explicite, la loi est supposée respecter la Charte et peut être
· suprême ne s'est pas opposée à l'es- invalidée, par voie d'exception, en cas de comrariété. L'exigence de la transparence, qui oblige !e pou-
igine japonaise pendam la Deuxieme voir à avouer ce qui est en soi difficilement avouable et à affronter la critique de l'opinion publique,
istes à l'époque de McCarrhy er à la fonde ainsi la suprématie de la Charte en l'absence de mure rigidité.
192. Précisons qu'il s'agit d'une hypothese formulée en 1994 par K.D. Ewing, hypothese qui s'est
·liamemary Sovereignty », PL, 1985, emretemps réalisée avec !e Human Rights Act de 1998.
193. Sur cet argument, cJ. M. ZANDER, op. cit., p. 62 ss.
194. A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., p. 481 ss.
296 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension

c) Une loi incorporant la Convention européenne des droits de l'homme et ·- potentielle


instaurant un contrôle juridictionnel qui s'étend soit à toutes les lois, anté- assimilé à l
J;_
rieures ou postérieures, soit uniquement aux lois antérieures. Dans ce der- ~
est vrai néa
nier cas, les futurs parlements resteraient entierement libres. ~: lité du cor
d) Une loi qui reconna1trait certains droits vis-à-vis de l' administration, sans Angleterre
donner toutefois au juge le moindre pouvoir d'invalidation d'une loi. tourné veri
Ainsi, l'article 4 du New Zealand Bill ofRights de 1990 interdit au juge de 305 Que ce soi
vérifier la validité d'aucune loi, même antérieure; il !ui permet juste d'in- mandation
terpréter la législation au regard de cette déclaration 195 • a contribUt
e) Une réforme qui introduit de nouvelles garanties politiques censées préve- dictionnali
nir toute violation des droits de l'homme. D'ou les propositions de cer- staat et de
tains d' établir la représentation proportionnelle, de rénover la seconde faut noter.
chambre du parlement, ou de créer une commission des droits de tion, les p1
l'homme, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur du parlement, qui serait dotée l'homme e
soit de pouvoirs consultatifs, soit d'un veto suspensif. sont nés dt
On voit donc à que! point la discussion doctrinale anglaise s'est rapprochée l'homme,;
du modele continental du constitutionnalisme écrit. Quant au droit positif, il traités qui ,
évolue, sans que l'on s'en aperçoive forcément au moment même, sous l'impact droits de!'
croissant de l'ordre juridique européen. de 1966, éL
et politiqut
de rnle ofL,
Section II. LE DROIT POSITIF : de laDécla
L'ENRACINEMENT DE LA RULE OF LAW La com
express1on
DANS LE DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

304 L'imbrication croissante des États-nations dans la sphere internationale n'est pas 197. Voir la i
restée sans conséquence sur les concepts de rufe oflaw, d'État de droit et de Rechts- sur le droit e,
198. Le fait l
staat. Au fil de l'histoire, et selon un rythme propre à chaque pays, les fondations vier 1975 (IV1
juridiques de l'État de droit s'inscrivent dans des strates de plus en plus élevées tique du déba
de la hiérarchie des normes, passant du décret à la loi, de la loi à la constitution, 199. C'est pi:
cré à l' Angle1
de la constitution à la supraconstitutionnalité et, depuis la fin de la Deuxieme naus aurait e1
Guerre mondiale, du droit nacional au droit internacional'"". Ce dernier phéno- na! dans les ,
mene est visible en Allemagne et en France, sous le double signe de la concurrence n'aurait pas p
internacional
et de la complémentarité, mais il l'est encore davantage en Angleterre : en l'ab- l' ordre juridi,
sence d'une constitution écrite, le concept anglais de la rnle of law s' appuie sur pourrait-il êt1
les facultés offertes parle droit internacional afin de limiter l'arbitraire du légis- 200. Cf N.S.
Oxford Ess,iy,
lateur. En comparaison, le concept allemand de Rechtsstaat reste tres axé sur le déjà netteme,
systeme de protection extrêmement sophistiqué mis en place par la Loi fonda- 201. Le trais
mentale de 1949. Le droit internacional est plutôt perçu comme une menace par 1m régimc
contnúnt, en .
202. Le dern
like-minded .1
195. C'est le modele préconisé par K.D. EWING, op. cit., p. 182. Dans la versi,
196. L. FAVOREU, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, n" 67, 1993, p. 73-74 parle État de droit.
à cet égar<l <l'unt, « élévation constante d11 niveau a11q11el doi·vent être prises les décisions ». Voir aussi tage puisqu' i1
C. EMERI, « L'Etat de droit dans les systemes polyarchiques européens », RFDC, 1992, pp. 27-41. la traduction
zes de l'esprit juridique anglais L'ascension de la Rule of Law sous le signe des droits de l'homme et du juge 297

me des droits de l'homme et potentielle m. Quant au concept français d'État de droit, il est encore trop souvent
:nd soit à toutes les lois, anté- assimilé à l'émergence progressive du Conseil constitutionnel à partir de 1971. II
lois antérieures. Dans ce der- est vrai néanmoins que l'absence de saisine individuelle du Conseil souligne l'uti-
ierement libres. lité du contrôle exercé par la Cour européenne des droits de l'homme 1''8 • En
L-vis de l'administration, sans Angleterre, faute d'un juge national, le concept de rule of law est tout entier
)ir d'invalidation d'une loi. tourné vers le droit international lorsqu'il s'agit de définir les limites de la loi w,_
ts de 1990 interdit au juge de 305 Que ce soit par le biais des regles obligatoires du droit international, de recom-
eure; il lui permet juste d' in- mandations solennelles ou d'appels à l'opinion publique, la société internationale
!aration i,;_ a contribué à son tour à cette double dynamique de la matérialisation et de la juri-
1ties politiques censées préve- dictionnalisation, qui est à l'reuvre dans les trois concepts de mie oflaw, de Rechts-
)' ou les propositions de cer- staat et de l'État de droit 200 • En ce qui concerne tout d'abord le premier aspect, il
nelle, de rénover la seconde faut noter qu'au lendemain des horreurs de la guerre et des camps de concentra-
commission des droits de tion, les puissances occidentales tenaient à réaffumer leur respect des droits de
lu parlement, qui serait dotée l'homme comme fondement de la démocratie et de la paix dans le monde. Ainsi
llspensif. sont nés des textes solennels à !'instar de la Déclaration universelle des droits de
tale anglaise s'est rapprochée l'homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1948, et des
·it. Quant au droit positif, il traités qui ont force de loi, tels que la Convention européenne de sauvegarde des
1oment même, sous l'impact droits de l'homme, signée le 4 novembre 1950 à Rome, ainsi que les deux pactes
de 1966, élaborés sous l' égide des Nations U nies, l'un étant relatif aux droits civils
et politiques, l'autre aux droits économiques, sociaux et culturels. Le terme même
de mle oflaw apparalt d' ailleurs à plusieurs reprises, que ce soit dans le préambule
)SITIF: de la Déclaration de 1948 2º1 ou dans celui de la Convention européenne de 1950 202 •
TLE OF LAW La communauté scienti:fique a été invitée à se pencher sur le sens de cette
expression lors de deux conférences internationales, la premiere étant organisée
L ET EUROPÉEN

)here jnternationale n'est pas 197. Voir la jurisprudence de la Cour de Karlsruhe quam à la suprématie du droit communautaire
w, d'Etat de droit et de Rechts- sur !e droit constitutionnel allemand: BverfGE 37, 271 (Solange I), et BverfGE 73, 339 (Solange II).
à chaque pays, les fondations 198. Le fait que les juges ordinaires som, depuis la décision du Conseil constitutionnel du IS jan-
vier 1975 (IVG), habilités à exercer un comrôle de convemionnalité des !ois, relati vise l'imér&t pra-
trates de plus en plus élevées tique du débat sur l'exceprion d'inconstitutionnalité.
oi, de la loi à la constitution, 199. C'est pourquoi nous avons préféré traiter du droit internacional et européen dans !e titre consa-
lepuis la fin de la Deuxieme cré à !' Angleterre. L'imégrer dans chaque titre aurait induit un certain nombre de redondances et
nous aurait emrainé vers un sujet, qui n'est pas !e nôtre, à savoir la suprématie du droit internacio-
ational 1"'. Ce dernier phéno- nal dans les divers systemes nationaux. Quant à la solution de !ui consacrer un titre exclusif, elle
ouble signe de la concurrence n'aurait pas permis de souligner la cominuité qui ,existe entre les deux ordres juridiques, nacional et
ttage en Angleterre : en l'ab- internacional. En outre, l'idée que !e concept d' Etal de droit ou du Rechtsstaat puisse s'appliquer à
l' ordre juridique im,ernational nous para1t absurde. Car, en quoi l' ordre européen ou internacional
:le la mle of law s' appuie sur pourrait-il &tre un Etat de droit, alors qu'il n'est m&me pas un Etat? Voir nos explications infra.
e limiter l'arbitraire du légis- 200. Cf N.S. MARSH, « The Rule of Law as a Supra-Nacional Concept ", in A.G. GUEST (ed.),
·chtsstaat reste tres axé sur le Oxford Essays in ]11risprudence, J-• series, Oxford, OUP, 1961, pp. 223-264. Si la matérialisation était
déjà nettemem perceptible à !' époque, la juridicrionnalisarion !'était beaucoup moins.
is en place par la Loi fonda- 201. Le troisieme alinéa dit: « Considérant q11'il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés
: perçu comme une menace par zm régime de droit (h11man rights should be protected by the rufe oflaw) pottr q11e l'homme ne soit pas
contraint, en suprême reco11rs, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression. »
202. Le dernier alinéa du préambule stipule que « the Governments ofE11rope.m cozmtries which are
like-minded and have a common heritage of política/ traditions, ideais freedom and the rufe of law "·
2. r:;>ans la version française, le terme rufe oflaw est traduit par« prééminence d11 droit ", et non pas par
Pouvoirs, n" 67, 1993, p. 73-74 parle Etat de droit, ce qui n'est pas vraimem surprenam. En revanche, la traduction allemande l'est davan-
être prises les décisions ». Yoir aussi tage puisqu'il n'y est pas question du Rechtsstaat, mais de la« Vorherrschafi des Gesetzes ", ce qui est
uopéens », RFDC, 1992, pp. 27-41. la traduction littérale de l'expression anglaise.
298 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais L 'ascension de

dans !e cadre de !'UNESCO en 1957 à Chicago, et la seconde par la Commis- membres un cc


sion internationale des juristes en 1959 à New Delhi 20 '. Leurs conclusions vont ment en Anglé
dans !e même sens que les divers traités et déclarations : elles placent !e príncipe rôle du discour
de la dignité et de l'autonomie de l'être humain au creur de la rufe oflaw et s'op- péen (§ 1), avai
posent à une lecture strictement formelle, ou quantitative, de la démocratie.
Cette vision substantielle a connu un nouvel essor au lendemain de la chute du § 1. LE Di.'
bloc communiste dans des textes adoptés dans !e cadre de la Conférence sur la
DANS
sécurité et la coopération en Europe (CSCE) 204 • Selon l'article 2 de la Déclara-
tion de Copenhague du 29 juin 1990, « l'État de droit ne signifie pas simplement
une légalité fonnelle assurant régularité et cohérence dans l'instauration et la mise 307 La société eun
en reuvre de l 'ordre démocratique mais bien la justice fondée sur la reconnaissance et sur la rufe ofla
la pleine acceptation de la valeur suprême de la personne humaine et garantie par des velles variatior
institutions offrant un cadre pour son expression la plus complete » 205 • La Charte de tion européen1
Paris pour une nouvelle Europe des 19 et 21 novembre 1990 !e réaffirme : « Le du droit ». En
gouvernement démocratique repose sur la volonté du peuple, exprimée à intervalles son compre la
réguliers par des élections libres et loyales. La démocratie est fondée sur le respect de nauté de droit ,,
la personne humaine et de l'État de droit. »'º" il s' avere plus i
306 Le second trait caractéristique de la rufe oflaw contemporaine, à savoir la juridic- des mots. Il fa
tionnalisation croissante, est !ui aussi renforcé par la société internationale. En aux "choses", ,
1959, les participants au colloque de New Delhi étaient encore divisés sur la ques- de la Conventi
tion de savoir si la justice constitutionnelle était un élément essentiel de la rufe of
law. D'un côté, !e texte final de la résolution affirmait que « dans de nombreuses
sociétés, et particulierement celles qui ne disposent pas encore d'une tradition parle-
mentaire, il est essentiel que certaines limites au pouvoir législatif (...) soient intégrées
dans une constitution écrite, dont la sauvegarde devrait être attribuée à tm tribunal 308 Au momento
judiciaire indépendant (independant judicial tribunal) ». D'un autre côté, il était mentaux ou la
admis que « dans d'autres sociétés, des standards établis de comportement législatif rir quelques dl
peuvent servir à assurer le respect de ces mêmes limitations »'07 • Unte! doute n'est à leur utilisati(
plus de mise aujourd'hui en Europe. Le droit de la "grande" et de la "petite" ginalité d'être
Europe a en effet largement contribué à la montée en puissance des juges. D'une '
sans etre toute
part, il a contribué à la judiciarisation du droit international lui-même, ce qui est commencer p.-
en soi déjà une innovation majeure'°'. D'autre part, il a introduit dans les États mveau comm1

lº Luxembou
203. Pour les actes du colloque The R11le ofLaw as Understood in the Wést, cf Annales de la Famlté de
droit d'!stanb11/, t. IX, 1959, pp. 1-349; Internacional Commission of Jurists, The R11le of Law in a
Free Society, Geneve, 1960. Cf N.S. MARSH, op. cit., p. 230 ss. 309 Il est de nos jo
204. Cf E. DECAUX, Sémrité et coopération en E11rope. Textes officiels du processus de Helsinki {1973- les plus hardie:
1992), Paris, La documentation française, 1992, 458 p.
205. Ibid., p. 230. ,
206. Ibid., p. 286. L'exigence de l'Etat de droit apparait aussi dans la déclaration de la Comll)unauré
européenne du 16.12.1991 sur les « lignes directrices sur la reconnaissance des nouveaux Etats en 209. M. ZULEEC
Europe orientale et en Union soviétique ». Cf P.M. DUPUY, Grands textes de droit international renvoie à l'ouvra!
public, Paris, Dalloz, 1996, p. 129. Hallstein a éré pr,
207. I.es conclusions du 1"' groupe de travai!, chargé des rapports entre la mie oflaw et le législateur, 210. Le préambul
sont citées par MARSH, op. cit., p. 241. alinéa 2 : « Canse,,
208. L'existence d'une juridiction obligatoire, comme c'est le cas avec la Cour de justice à Luxem- et universelles de 11
bourg, est en effet une exception par rapport au droit internacional dassique. Cf G. ISAAC, Droit com- démocratie et /e pr,
m11n,mt.úre général, 6" éd., Paris, Colin, 1998, p. 229 ss. Sur la Cour de Strasbourg, v. infra n" 316 ss. citoyenneté de l'U,.
s de l'esprit juridique anglais L'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 299

la seconde par la Commis- membres un comrôle juridictionnel des !ois, !à ou il n'y en avait point, et ce notam-
i '°'. Leurs conclusions vont ment en Angleterre. II conviem clone d' analyser, de façon générale, la place et !e
1s : elles placent le príncipe rôle du discours de la rufe oflaw et des divers termes équivalents dans le droit euro-
eur de la rufe oflaw et s' op- péen (§ 1), avant d'en préciser l'impact sur !e cas particulier de l'Angleterre (§ 2).
1titative, de la démocratie.
I
u lendemain de la chute du § 1. LE DISCOURS DE LA RULE OF LAW, DE L 'ETAT DE DROIT, ETC.
dre de la Conférence sur la
DANS LE DROIT DE LA PETITE ET DE LA GRANDE EVROPE
)n l'article 2 de la Déclara-
it ne signifie pas simplement
ans l'instauration et la mise 307 La société européenne n'est pas restée à l'écart de l'engouemem pour le discours
ndée sur la reconnaissance et sur la rufe oflaw, !e Rechtsstaat et l'État de droit. Elle y a ajouté d'ailleurs de nou-
? humaine et garantie par des velles variations sémamiques. On a ainsi assisté à la consécration, par la Conven-
· complete » ,a;_ La Charte de tion européenne des droits de l'homme de 1950, du príncipe de la« prééminence
bre 1990 !e réaffirme : « Le du droit ». En 1986, la Cour de justice des communautés européennes a repris à
euple, exprimée à intervalles son compte la formule doctrinale, forgée par Walter Hallstein '°", de la« Commu-
ie est fondée sur le respect de nauté de droit ». Dans cette Babel, dans ce meltingpot des langues qu' est l'Europe,
il s'avere plus importam que jamais de s'imerroger, de façon critique, sur l'usage
1poraine, à savoir la juridic- des mots. II faut à ce titre s'attacher à la fois à la forme et au fond, aux mots et
L société internationale. En
aux "choses", en analysant d'abord !e droit communautaire (A), puis le systeme
1t encore divisés sur la ques- de la Convemion européenne des droits de l'homme (B).
ément essentiel de la rufe of
.it que « dans de nombreuses A. De la liberté, du juge et du rôle des mots
mcore d'une tradition parle- en droit communautaire
· législatif (. ..) soient intégrées
'. être attribuée à tm tribunal 308 Au moment ou l'Union européenne s'est dotée d'une Charte des droits fonda-
». D'un autre côté, il était memaux ou la notion d'« État de droit » figure en bonne place"º, on peut nour-
is de comportement législatif rir quelques doutes sur l'utilité de tous ces termes, si ce n'est des craintes quant
ians»'º'. Unte! doute n'est à leur utilisation future parles juges. L'Union européenne a, en effet, pour ori-
. "grande" et de la "petite" ginalité d'être tout à la fois une« Communattté de droit » et un « État de droit »,
L puissance des juges. D'une sans être toutefois un État. Pour saisir l'apport de chacun de ces termes, il faut
ational lui-même, ce qui est commencer par étudier brievement la problématique des droits de l'homme au
il a introduit dans les États niveau communautaire.

1º Luxembourg ou la sauvegarde des droits fondamentaux


he Wést, cf Amiales de la Faculté de
n of Jurists, The R11le o/ Law in a
309 II est de nos jours admis par la doctrine que !'une des reuvres jurisprudemielles
ciels du processus de Helsinki (1973- les plus hardies de la Cour de justice des communautés européennes fut la recon-

la déclaration de Ia Communauté
maissance des nouveaux États en 209. M. ZULEEG, « Die Europaische Gemeinschaft ais Rechtsgemeinschaft », N]W, 1994, p. 546,
;rands textes de droit intemational renvoie à l'ouvrage de W. HALLSTEIN, Die Europá"ische Gemeinschaft, 5' éd., 1979, pp. 51-77.
Hallstein a été président de la Commission européenne de 1958 à 1967.
:ntre la rule o/law et le législateur, 210. Le préambule de la Chane des droits fondamemaux de l'Union européenne déclare dans son
alinéa 2 : « Consciente de son patrimoine spiriwel et moral, l'Union se fende sur les valeurs indivisibles
avec la Cour de justice à Luxem- et 1miverselles de dignité hum9ine, de liberté, d'égalité et de solidarité; elle repose mr !e príncipe de la
:lassique. Cf G. ISAAC, Droit com· démocratie et !e príncipe de l'Etat de droit. Elle place la personne att creur de son action en instituant la
ir de Strasbourg, v. infra n" 316 ss. citoyenneté de l'Union et en créam un espace de liberté, de sérnrité et de justice. •
300 De la Rttle ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de

naissance graduelle des droits de l'homme 211 • En consacrant de façon prétorienne ams1 que son
les droits fondamentaux, la Cour de Luxembourg a devancé et répondu aux cri- droits de l'ho1
tiques libérales dont la Cour constitutionnelle fédérale allemande s'était faite 310 L'apport libér
l'écho: dans sa célebre décision Solange 1 du 29 mai 1974, celle-ci s'était réservée nettement per
le droit de vérifier la conformité des actes communautaires aux droits fonda- les lacunes du
mentaux garantis par la Loi fondamentale de 1949, tant que la Communauté ne protection ne
disposait pas d'une propre déclaration des droits et de voies de recours juridic- du champ d'a1
tionnelles plus appropriées 212 • Le principe de la suprématie du droit commu- justice de Lu
nautaire sur !e droit national, y compris constitutionnel, était ainsi mis en cause. cependant pas
Les traités étant, à quelques exceptions pres, muets sur la question des droits fon- de l'homme, (
damentaux, la Cour de justice a puisé dans la catégorie des principes généraux légal au plein ,
du droit. Dans l'affaire lntemationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970, Act de 1998, 1
elle proclame ainsi que « le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante nationales, mi
des príncipes généraux du droit dont la Cour de Justice assure le respect » 2 1.1. dans la fameu:
En ce qui concerne la définition matérielle de ces droits, les juges européens un iour a' cen:
s'inspirent, d'une part, des « traditions constitutionnelles communes aux États crés par le dro
membres » 2 " et, d'autre part, des divers traités internationaux auxquels les États par leHuman
sont parties 2' 5• Dans sa jurisprudence, la Cour se réfere surtout à la Convention L'influence d1
européenne des droits de l'homme, mais elle ne néglige pas pour autant d'autres tante si l'on s~
sources telles que, par exemple, !e Pacte des Nations Unies relatif aux droits européenne e
civils et politiques, la Charte sociale européenne et les conventions de l'Organi- médiate, d'un
sation internationale du travai! (OIT). L'hypothese d'une adhésion de la la sphere du l
Communauté à la Convention européenne des droits de l'homme ayant été écar- « d'infiltrati01,

-
..... tée, les traités de Maastricht du 7 février 1992 et d'Amsterdam du 2 octobre 1997
se contentem de confirmer l'reuvre jurisprudentielle de la Cour, tout en y ajou-
qui s' opere sai

tant certains droits nouveaux. Ainsi le nouvel article 13 du Traité sur la Com- 2° Babel ou l
munauté européenne (TCE), dans sa version modifiée parle traité d' Amsterdam,
prévoit la compétence du Conseil pour prendre « les mesures nécessaires en vue de Dans le m,
combattre tottte discrimination fondée sur le sexe, la race ou !'origine ethnique, la perdre. C'est :
religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle » 2"·. Depuis sant d'abord !'
lors, !e Conseil, !e Parlement européen et la Commission ont proclamé conjoin- nauté de droit.
tement, lors du Cansei! européen de Nice (7-9 décembre 2000), la Charte des
droits fondamentaux de l'U nion européenne; celle-ci suscite toutefois nombre ex) État de dn
d'interrogations concernam sa sanction juridictionnelle par la Cour de justice
311 Le syntagme 1
nautaire. Alo1
211. Cf]. RIDEAU, Droit instit11tiom1el de l'Union et des Comm1ma11tés Européennes, 2" éd., Paris,
LGDJ, 1996, pp. 144-157; G. ISAAC, Droit commrmautaire général, 6< éd., Paris, A. Colin, 1998,
pp. 159-165 ;J. BOULOUIS, Droit institutionnel de l'Union Européenne, 6< éd., Paris, Montchrescien, 217. N. GRIEF, ·
1997, pp. 238-242; A. BLECKMANN, Europ,mcht, 6" éd., Kõln, C. Heymann, 1997, pp. 49-70. ted Through Cor
212. Décision Ju 29 mai 1974 (Solange 1), BVerJGE, 37,271. cracion of A Bill ,
213. Aff. 11/70, Rec., p. 1125. Le souci pour les droics fondamencaux appara,c déjà dans l'arrêt de la 218. CJCE, arrê
CJCE du 12 nov. 1969, Sw1der, aff. 26/69, Rec., p. 419. 30 sepc. 87, Dem,
214. Cf aff. lntem,1tio11ale Hmdclsgesellsch,ft. 219. Cf infra n .
215. CJCE, arrêc du 14 mai 1974, No/d, aff. 4/73, Rec., p. 491; arrêc du 28 occ. 1975, R11tili, 220. Cf infra n· .
aff. 36/75, Rec., p. 1219. 221. II s'agic enc,
216. Sur l'applicabilicé direcce de cec arcicle, cf O. de SCHUTTER, « Les droics fondamencaux dans anglais pour l'ins
!e Traicé d' Amsterdam », in Y. LEJEUNE (dir.), Le Traitéd'Amsterdam. Espoirs et déceptions, Bruxelles, 222. La version a
Bruylanc, 1998, pp. 153-187, spéc. p. 184 s. D'un autre avis: J. RIDEAU, op. cit., 3< éd., p. 192. pas qu'il faille an

·;;:, ....
,. .

~s de l'esprit juridique anglais

sacram de façon prétorienne


devancé et répondu aux cri-
T
.
L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge

ainsi que son articulation avec le systeme de la Convention européenne des


droits de l'homme.
301

érale allemande s'était faite 310 L'apport libéral du droit communautaire à chaque ordre juridique national est
1974, celle-ci s'était réservée nettemem perçu par la doctrine d' outre-Manche, qui y voit un moyen de combler
mautaires aux droits fonda- les lacunes du systeme anglais de défense des droits de l'homme 217 • Bien que sa
:ant que la Communauté ne protection ne soit pas générale, puisqu'elle se limite aux seuls domaines relevant
de vaies de recours juridic- du champ d'application du droit communautaire, comme le souligne la Cour de
1prématie du droit commu- justice de Luxembourg 218 , l\mpact potentiel du droit communautaire n'est
mel, était ainsi mis en cause. cependant pas à sous-estimer. A l'opposé de la Convention européenne des droits
ur la question des droits fon- de l'homme, qui continue à ne pas bénéficier en droit anglais d'un statut supra-
;orie des principes généraux légal au plein sens du terme, même apres son incorporation parle Human Rights
,chaft du 17 décembre 1970, Act de 1998, le principe de la suprématie du droit communautaire sur les lois
ientaux fait partie intégrante nationales, même postérieures, a été pleinement reconnu par la House of Lords
~ assure le respect » "1. dans la fameuse affaire Factortame"',_ Aussi le juge anglais pourrait-il être amené
is droits, les juges européens un jour à censurer un statute pour non respect des droits fondamentaux consa-
nnelles communes aux États crés parle droit communautaire, alars que dans le systeme complexe mis en place
riationaux auxquels les États parle Human Rights Act il a seulemem le droit "d'interpréter" la loi nationale 22 º.
fere surtout à la Convention L'influence du droit communautaire pourrait 121 s'avérer d'autant plus impor-
lige pas pour autant d'autres tante si l'on sait que le droit communautaire renvoie à son tour à la Convemion
::ms Unies relatif aux droits européenne des droits de l'homme. Celle-ci pourrait ainsi jouir, de façon
les convemions de l'Organi- médiate, d'un statut supralégal en droit anglais pour toutes les affaires relevam de
hese d'une adhésion de la la sphere du droit communautaire. II s'agit là d'un des aspects du phénomene
:s de l'homme ayam été écar- « d'infiltration d'zme déclaration des droits », décrit par Lord Brown-Wilkinson,
msterdam du 2 octobre 1997 qui s'opere sans même que le Parlement de Westminster ne soit amené à statuer.
e de la Cour, tout en y ajou-
:le 13 du Traité sur la Com- 2° Babel ou les pieges de la sémantique
:e parle traité d' Amsterdam,
, mesures nécessaires en vue de Dans le mélange des langues au sein de l'Europe, les esprits risquem de se
race 011 /'origine ethnique, la perdre. C'est pourquoi il importe de procéder de façon systématique en analy-
entation sexuelle » 211•• Depuis sant d'abord l'apport du terme d'État de droit, puis celui de la notion de Commu-
ission ont proclamé conjoin- nauté de droit.
:embre 2000), la Charte des
:-ci suscite toutefois nombre a) État de droit, Rechtsstaat 222 , rule of law
melle par la Cour de justice
311 Le syntagme État de droit n'appara1t que tres tardivement dans le droit commu-
nautaire. Alars que la jurisprudence de la Cour de justice sur les droits fonda-
m1m<11<tés E1tropéennes, 2· éd., Paris,
~éd, 6" éd., Paris, A. Colin, 1998,
péenne, 6· éd., Paris, Monrchrestien, 217. N. GRIEF, « The Domestic Impact of the European Convenrion on Human Rights as Media-
iln, C. Heymann, 1997, pp. 49-70. ted Through Community Law », PL, 1991, pp. 555-567. Lord BROWN-WILKINSON, « The Infil-
tration of A Bill of Rights », op. cit., p. 399 ss.
1taux appara1t déjà dans l'arrêt de la 218. CJCE, arrêt du 11 juillet 1985, Cinétheque, aff. 60/84 et 61/84, Rec., p. 2605; arrêt du
30 sept. 87, Demirel, aff. 12/86, Rec., p. 3719; arrêt du 18 juin 91, ERT, aff. C-260/89, Rec., p. I-2925.
219. Cf infra n" 322.
-91; arrêt du 28 oct. 1975, R11tili, 220. Cf infra n-· 325 ss.
221. II s'agit encore d'une hypothese puisque ce potenciei n'a pas encore été exploité par les juges
ER, « Les droits fondamenraux dans anglais pour l'instant.
·dam. Espoirs et déceptions, Bruxelles, 222. La version allemande des traités européens parle parfois de Rechtssta,1tlichkeit, mais il ne semble
IDEAU, op. cit., 3" éd., p. 192. pas qu'il faille attacher une importance quelconque à cette variation terminologique.
1

302 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de

mentaux s'est développée à partir des années 1970, l'expression État de droit créer un certai
n'est mentionnée pour la premiere fois qu'en 1992"'. Il figure à deux reprises à user de son F
dans le Traité.sur l'Union européenne (TUE) signé le 7 février à Maastrichtm. cipes plus corn
Le troisieme alinéa du préambule stipule que les parties contractantes, clone les liser )e terme,
États, « confirm[e]nt leur attachement aux principes de la liberté, de la démocratie des Etats mem
et du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'État de 312 Au vu de ces é
droit » 225 • Ensuite, l'article J. l, al. 2, fixe comme objectif à la poli tique étrangere l~té de l'expres
et de sécurité commune « le développement et le renforcement de la démocratie et A la lecture dt
de l'État de droit, ainsi que le respect des droits de l'homme et des libertés fonda- puisse à sa déi
mentales » 12". ll cite notamment la Charte de Paris qui est toute entiere axée sur Quelle que so
le discours de l' État de droit. Une troisieme référence appara'it avec le traité déjà, en tant q
d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997. Celui-ci vient modifier l'article F pour en sance du princi
faire, selon la nouvelle numérotation, l'article 6 du traité sur l'Union euro- des droits fon
péenne. L' alinéa 1 de l' article 6 dispose que « l'Union est fondée sur les príncipes que la science
de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fonda-
mentales, ainsi que de l'État de droit, príncipes qui sont communs aux États
membres ». Suit l'alinéa 2 qui énonce que « l'Union respecte les droits fondamen- son interprécacion
taux, tels qu'ils sont garantis par la Convention (. ..) et tels qu'ils résultent des tradi- reprend pas l' expre
p,,rk Groothusen/C
tions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que príncipes géné- allemande, qui im·
raux du droit communautaire ». En cela, l' article 6 confirme l' reuvre prétorienne dépare du délai de
de la Cour de justice, sans changer toutefois la nature de ces droits qui continuent 4) Conclusions de
Wilhelm Mecklenb1,
à valoir en tant que principes généraux du droit. nacional, en 1; espé
Le terme 227 appara'it également, de façon assez rare 22 ', dans les arrêts de la concept de ]'Etat ,
Cour de justice et du tribunal de premiere instance, ainsi que dans les conclu- cion.); 5) Trib. de
et autres/Commiss,,
sions de l'avocat général. Dans les cinq cas recensés lors d'une recherche sur le demander aux juge,
site internet de la Cour de justice 22 ', ce sont surtout les parties, d'ailleurs toutes de consulcer cous 1,
d'origine germanophone, qui se réferent à l'État de droit. Leur objetif est de droic à un débat co 1
230. Cf cas n" 2, 3
231. Cf cas n-· 1 ec
232. Cf G. ISAAC
223. Sur les différemes dates qui ont jalonné la percée des droits fondamemaux, cf J. RIDEAU, 233. CJCE, 15.5.l'J
op. cit., 2" éd., p. 149 ss. 234. L'unique rem·
224. Pour les textes, on peut consulcer l'ouvrage de la Documemacion française, les Traités de Rome, prudence de la Cou
Maastricht et Amsterdam, Textes comparés, Paris, 1998. tionale Handelsgesel,
225. L'alinéa esc maintenu te! que] parle traicé d' Amsterdam. droic communaucai
226. Selon la nouvelle numérocacion prévue parle craicé d'Amsce,rdam, l'arcicle J.!, ai. 2, devient sémancique, puisqu,
l'areicle 11, ai. 1. San comenu, en ce qui concerne la référence à l' Etat de droit, reste inchangé. On nocera égaleme1
227. Dans nos recherches sur le site internet de la CJCE, naus avons ucilisé com me clé de recherche (pp. 49-70), le cerm,
le terme français d'État de droit ainsi que les divers termes allemands de Rechtsstaat, rechtsstaatlich, Beck, München, l'-
Rechtsstaatlichkeit, Rechtsstaatsprinzip. L'expression anglaise de mie of(aw s'avere peu ucilisable, puis- arcicle 6 TUE sans ,
qu' elle recouvre trois acceptions différentes: celle de regle de droit, d' Etat de droit ec de Comm1ma11té parechts, Schulcheiss
de droit. raie dans ]e chapitre
228. Cf R. HOFMANN, « Rechcsstaatsprinzip und Europaisches Gemeinschafcsrechc », in à l' expression. Voir
R. HOFMANN et alii (dir.), Rechtsstaatlichkeit in Europa, Müller, Heidelberg, 1996, p. 323, arrive à 1993. Ils résument s,
la même conclusion. II a répertorié une vingtaine de décisions ou conclusions générales ou figure le légalicé, légicime cor
cerme Rechtsstaat. diccoire, égalicé, ac,
229. La recherche effeccuée le 10 avril 1999 a débouché sur les cinq références suivames: 1) CJCE, l'exclusion des droit
arrêc du 4.2.99, aff. C-103/97,)ose/Kõllensperger, considérant 24 (La Cour n'escime pas que les regles parecht, München, l
du Land du Tyrol concernam l'indépendance d'un organe juridiccipnnel soienc appliquées « de tue, selon lui, un p1
maniere contra ire à /,1 Constit11tion a11trichienne et ,111x príncipes d',m Etat de droit »); 2) CJCE arrêc même (Rn. 207, 21
du 10.12.98, aff~ C-221/97P, Schrõder el a11tres/Commission, consid. 41 (L'une des pareies invoque le l'homme, le droic à
príncipe de« l'Etat de droit s11r leque! se/onde également !e droit comm11n,wtaire » pour faire prévaloir príncipes (proporei,
es de l'esprit juridique anglais

O, l'expression État de droit


l w. Il figure à deux reprises
r L 'ascension de la Rule ofLaw sous le signe des droits de l 'homme et du juge

créer un certain effet rhétorique dans des affaires ou le juge est amené ou invité
à user de son pouvoir normatif. Le juge, quant à lui, préfere recourir à des prín-
303

: le 7 février à Maastricht'''. cipes plus concrets pour résoudre les questions litigieuses'30 • S'il lui arrive d'uti-
trties contractantes, clone les liser le terme, il vise en tout cas non pas la Communauté, mais les institutions
de la liberté, de la démocratie des États membres'3'.
?ndamentales et de l'État de 312 Au vu de ces éléments peu concluants, on peut s'interroger sur le sens et l'uti-
jectif à la politique étrangere lité de l'expression État de droit, greffée il y a peu sur l'édifice communautaire.
forcement de la démocratie et À la lecture des traités et de la jurisprudence, il ne semble guere que !e terme
'homme et des libertés fonda- puisse à sa défense revendiquer un quelconque apport novateur sur !e fond.
:i_ui est toute entiere axée sur Quelle que soit la signification qu'on !ui attache, les principes visés existem
:ence appara1t avec le traité déjà, en tant que tels, en droit communautaire : il en va ainsi de la reconnais-
: modifier l'article F pour en sance du principe de légalité, de la personnalité juridique de la Communautém,
du traité sur l'Union euro- des droits fondamentaux et du droit au juge m. II est d' ailleurs révélateur
1011 est fondée sur les príncipes que la science du droit communautaire, que ce soit en Allemagnern, Angle-
l'homme et des libertés fonda-
ui sont communs aux États
i respecte les droits fondamen- son imerprétation du príncipe de légalité concernam une décision de la Commission. La Cour ne
t tels qu'ils résultent des tradi- reprend pas l'expression dans son argumemation.); 3) CJCE arrêt du 14.5.1998, aff. C-48/96P, Wind-
park Groothusen/Commissipn, consid. 23 (C'est à nouveau la panie demanderesse, de nationalité
~s, en tant que príncipes géné- allemande, qui invoque l'Etat de droit pour faire prévaloir son imerprétation quant au poim de
Jnfirme l'reuvre prétorienne dépan du délai de recours comre une décision de la Commission. La Cour ne l'évoque pas.);
! de ces droits qui continuent
4) Conclusions de l'avocat gén., Antonio La Pergola, présemées le 15.1.98 dans l'aff. C-321/96,
Wilhelm Mecklenburg, consid. 24 (Concernam l'extension de la compétence du juge administratif
nacional, en 1;espece allemand, par une directive communautaire, l'avocat général se réfere au
rare'", dans les arrêts de la concept de l'Etat de droit pour désigner l'exigence d'un comrôle juridictionnel de l'administra-
e, ainsi que dans les conclu- tion.); 5) Trib. de Premiere Instance arrêt du 24.10.97, aff. T-244/94, Wirtschafqvereinigung Stahl
et autres/Commission, consid. 168 (La panie allemande invoque le príncipe de l'Etat de droit pour
, lors d'une recherche sur le demander aux juges de formuler un nouveau príncipe général du droit qui obligerait la Commission
t les pareies, d'ailleurs toutes de consulter tous les iméressés avam de prendre une décision. Le Tribunal se réfere simplemem au
de droit. Leur objetif est de droit à un débat comradictoire.).
230. C/ cas n" 2, 3 et 5. Sur les réticences de la Cour, cJ. R. HOFMANN, op. cit., p. 323 s.
231. C/ cas n-· 1 et 4.
232. C/ G. ISAAC, op. cit., p. 25.
,irs fondamemaux, e/ J. RIDEAU, 233. CJCE, 15.5.1986,Johnston, aff. 222/84, Rec., p. 1663.
234. L'unique renvoi au Rechtsstaat dans l'index de l'ouvrage de A. BLECKMANN vise la juris-
tation française, Les Traités de Rome, prudence de la Cour de Karlsruhe. L'auteur affirme tout au plus, en visam la jurisprudence Interna·
tionale Handelsgesellschaft, que, selon la CJCE, le príncipe du Rechtsstaat est l'un des fondemems du
droit communautaire (op. cit., p. 399 s). Or cette affirmation est inexacte d'un strict point de vue
,ste,rdam, l'anicle J.l, ai. 2, deviem sémamique, puisque la Cour n'a pas invoqué le Rechtsstaat pour consacrer les droits de ]'homme.
l'Etat de droit, reste inchangé. On notera égalemem que dans les développemems consacrés spécialemem aux droits de l'homme
1ons utilisé com me clé de recherche (pp. 49-70), le terme de Rechtsstaat n'est plus memionné. C/ H.G. FISCHER, Europarecht, 2° éd.,
ílands de Rechtsstaat, rechtsstaatlich, Beck, München, 1997. Le mot Rechtsstaat n'est pas inclus dans l'index. L'auteur cite le nouvel
de of{aw s'avere peu utilisable, puis- anicle 6 TUE sans en préciser la signification (p. 425). Chez S. BREITENMOSER, Praxis des Euro·
1, d'Etat dedroit et de Commtmattté parechts, Schultheiss, Zürich, 1996, le mot Rechtsstaat n'est pas memionné dans ]'índex, mais appa-
ralt dans le chapitre consacré aux droits de l'homme (p. 649). D'autres auteurs om davamage recours
aisches Gemeinschaftsrecht », in à l'expression. Voir M. SCHWEITZER & W. HUMMER, E11roparecht, 4° éd., Metzner, Neuwied,
T,Heidelberg, 1996, p. 323, arrive à 1993. Ils résumem sous le príncipe communautaire du Rechtsstaat divers príncipes (proponionnalité,
u conclusions générales ou figure le légalité, légitime confiance, protecrion des droits acquis, sécurité juridique, bonne foi, débat comra-
dictoire, égaliré, acces aux documems administrarifs, révocation des actes administratifs, etc.) à
:inq références suivames: 1) CJCE, l'exclusion des droits fondamemaux « proprement dits » (p. 198 s). Thomas OPPERMANN, Ettro·
:La Cour n'estime pas que les regles parecht, München, Beck, 1991, utilise à de 1;10mbreuses reprises l'expression Rechtsstaat qui consti-
·idicti9nnel soiem appliquées « de tue, selon !ui, un príncipe constitutif des Etats membres et de la Communauté européenne elle-
l'1m Etat de droit »); 2) CJCE arrêt même (Rn. 207, 210, 405 ss, 411, 501, 618, 799, 942 ss). Sous ce terme, il entend les droits de
;id. 41 (L'une des panies invoque le l'homme, le droit à une protection juridictionnelle aussi large que possible ainsi que divers autres
mmun,mtaire » pour faire prévaloir príncipes (proponionnalité, sécurité juridique, publicité et clané du droit, débat comradictoire,
304 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension d1

terrem ou en France 2-'", ne semble pas, dans sa grande majorité, attacher un effet 313 li est toutefoi:
juridique particulier à aucun de ces trois termes. Tres souvent, le mot resyectif taire. À qui s'
ne figure même pas dans l'index des ouvrages. L'utilité de l'expression Etat de est supposé ê1
droit semble ainsi se réduire à synthétiser, dans une formule attrayante et valori- Traité sur l'L1
sante, une « série de sous-principes » 211 dont la liste est variable. En général, on se pellent mutUc
réfere au príncipe de sécurité juridique, au contrôle juridictionnel et, pour cer- ticle J.l, al. 2
tains, aux droits de l'homme. Toutefois, la signification du terme semble s'épui- neure, en vu(
ser dans l'énoncé de cette liste de príncipes, en l'absence de toute "valeur ajou- l'Étatdedroit
tée". La rédaction même des dispositions des traités européens, sous forme d'une qui prête le p
suite de príncipes quelque peu redondants, ou il est question à la fois de la liberté, déduire de sa
des droits de l'homme, des libertés fondamentales et, enfin, de l'État de droit, de l'État de dn
invite à un tel scepticisme. En réalité, le terme d' État de droit constitue en droit qualifier d' Étci
communautaire ce que Geoffrey Marshall appelle un « umbrella term (notion de nier l'élém
parapluie) » 238 : sa fonction se réduit à résumer en un seul mot une multitude au regard de L
d'institutions, de mécanismes et de regles juridiques. En soi, et à elle seule, une de la Commu
telle critique ne signifie pas "l'arrêt de mort" de l'expression; elle proscrit sim- sémantique st
plement un usage abusif: il vaut mieux s'en servir le moins possible, en essayant quement visei
de résoudre les litiges d'interprétation grâce à des sous-príncipes, plutôt que de l'État de droit
recourir à un príncipe trop abstrair pour commander une solution concrete'19 • demande 241 et
si elle n 'est pa
nauté de droit
obligation de motivation, etc.). Voir aussi D. BUCHWALD, « Zur Rechtssscaatlichkeic der Euro-
paischen Union », DerStaat, 1998, pp. 189-219. R. HOFMANN, op. cit., p. 322 s, insiste également
sur les silences de la doctrine allemande. ~) Communa,
235. S. WEATHERILL & P. BEAUMONT, EC Law, 2"' edn., London, Penguin, 1995. Le moe mie
oflaw ne figure ni dans l'index, ni dans les intitulés de la cable des macieres, ni dans les pages consa-
crées aux droits fondamentaux. II apparatc juste com me traduccion de la nocion de Comm11na11té de
314 L'expression ,·
droit (p. 179 ec 368) que les auteurs citem sans s'y accarder. D. POLLARD & M. ROSS, E11ropean c/Parlement d;
Co1111mmity Law. Text ,md Materiais, London, Buccerworchs, 1994. Le constar est le même. Le terme qualifié de « rr
apparatt à la p. 760 dans le cadre de la jurisprudence de la CJCE, aff. 294/83, sur la Comm1ma11té
de droit. D. \WATT, A. DASHWOOD et ,,lii, E11ropea11 Commzmity Law, 3'' edn., I.ondon, Sweet
& Maxwell, 1993. Le cerme mie oflaw n'apparaic nulle pare, ni dans l'index, ni dans les pages consa-
crées aux droics de l'homme. L'affaire pertinente 294/83 de la CJCE n'est pas cicée dans la cable des 240. On rapeelle
décisions de justice. J. TILLOTSON, E11ropean Commzmity Law. Text, Cases and Materiais, London, invoquem l'Etat ,,
Cavendish, 1993. Le mot apparait juste à cravers l'aff. 294/83 (p. 138). P. MENGOZZI, E11ropean 241. En ce sens : .
Commzmity Law, trad. de l'ical., London, Graham & Trocman, 1992. C'esc l'unique ouvrage ou il Veifass11ngsrechts,
existe une entrée mie of law dans l'index. II renvoie à la p. 124, à l'inticulé d'une section qui craite cipe régulaceur ap
du contr8le juridiccionnel (« Review oflegality ofCommzmityActs and respect for the mie oflaw in the et Government 11
Commzmity legal system »). , p. 189 ss. Un cel s,
236. Dans aucun des crois ouvrages français susmentionnés, le terme Etat de droit n'apparaic dans de Rechtssta,tt ec 1,
l'index. II arrive que le mot soit brievement cité dans le cadre des développements sur les droics fon- 242. C'esc la posit
damentaux ou à l'occasion de l'exposé des arcicles 6 ec li. Cf G. ISAAC, op. cit., p. 163; J. BOU- appliqué le concer
LOUIS, op. cit., p. 242;]. RIDEAU, Droit instit11tionnel de l'Union et des comm1ma11tés e11ropéennes, tique, sans en êcre
3· éd., Paris, LGDJ, 1999, p. 60, 70, 74, 192. Voir aussi le silence de O. de SCHUTTER, op. cit., p. 171 Or, selon la Cour,
ec 179. D. SIMON, Le systeme hridiq11e com1111ma11t<1ire, 2" éd., Paris, PUF, 1998, esc l'un des rares européenne n 'esc J
auteurs à insiscer sur l'idée de l'Etat de droit, du Rechtsstaat et de la R11le ofLaw en établissant un lien 243. Cf le nouvel
généalogique entre ces concepcs nationaux ec le concepc communautaire de Com1111ma11té de droit 244. Cf le nouvel
(p. 50 ec 55 s). Sur ce dernier concepc, voir infra n" 314 ss. 245. Cf les dével,
237. L'expression esc de D. SIMON, op. cit. p. 252 qui l'ucilise pour le concepc de Comm1ma11té de C. CHARRIER, ,.
droit. RMC, 1996, pp. 5;
238. G. MARSHALL, « The Rule of Law... », op. cit., p. 43. Voir la critique similaire de Ph. KUNIG, droit », in H11111am
D,1s Rechtsstaatsprinzip, 1986 en ce qui concerne l'usage du mot Rechtsstaat en droit conscicucionnel id., Droit institutio
allemand. Cf supra n" 148. 717; M. ZULEEG
239. Cf supra, l'usage qu'en font les pareies devam le précoire du juge communaucaire. 246. Sic J.P. Jacqu,
1es de l 'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l 'homme et du juge 305

de majorité, attacher un effet 313 Il est toutefois une autre raison de s'inquiéter de son usage au niveau communau-
ses souvent, le mot re~ectif taire. À qui s'adresse,,en effet, le príncipe de l'État de droit ou du Rechtsstaat? Qui
1tilité de l' expression Etat de est supposé être un Etat de droit? Sur ce point, la formulation du préambule du
! formule attrayante et valori- Traité sur l'Union européenne semble plutôt claire : ce sont les États qui se rap-
ist variable. En général, on se pellent mutuellement leur attachement au principe de l'État de droit"ª. Selon l' ar-
le juridictionnel et, pour cer- ticle J.l, al. 2 (nouv1;} art. 11 al. 2), l'Union doit ceuvrer, dans sa politique exté-
Ltion du terme semble s'épui- ri1:,ure, en vue de l'Etat de droit~ ce qui peut vouloir dire qu'elle doit renforcer
bsence de toute "valeur ajou- l'Etatdedroit dans les différents Etats du monde. C'est le nouvel article 6 du TUE
•européens, sous forme d'une qui prête le plus le flanc à une confusion sémantique. On pourrait être tenté de
question à la fois de la liberté, dédu}re de sa formulation, selon laquelle « l'ljnion est fondée sur les principes (. ..)
; et, enfin, de l'État de droit, de l'Etat de droit », que l'Union doit être un Etat de droit. Or, il paralt absurde de
tat de droit constitue en droit qualifier d'Étatdedroit l'Union européenne gui n'est même pas un État. À moins
! un « umbrella tenn (notion de nier l' élément étatique dans l' expression Etat de droitrn, ce qui semble infondé
Lun seul mot une multitude au regard de la généalogie du concept, ou de proclamer la nature « para-étatique »
es. En soi, et à elle seule, une de la Communauté, ce qui est discutable 142 , on ne peut que souscrire à un usage
expression; elle proscrit sim- sémantique strict qui év,ite toute confusion des genres. L'article 6 ne peut logi-
le moins possible, en essayant qu,ement viser que les Etats : ainsi la ,violation des principes de la liberté, de
sous-principes, plutôt que de l'Etat de droit, etc., peut valoir à un Etat candidat à l'adhésion le refus de sa
.der une solution concrete 219 • demande 241 et à un État membre la suspension de ses droits 244 • Cela dit l'Union
si elle n'est pas et ne saurait être un État de droit, est néanmoins une<; Commu'.
nauté de droit », selon les dires de la Cour de Justice de Luxembourg.
, Zur Rechtssstaatlichkeit der Euro-
:s!, op. cit., p. 322 s, insiste également
~) Communauté de droit, rule of law, Rechtsgemeinschaft 245
London, Penguin, 1995. Le moe mie
:les matieres, ni dans les pages consa-
314 L'expression apparait pour le premiere fois dans l'arrêt Parti écologiste Les Verts
:ion de la notion de Commrmamé de
POLLARD & M. ROSS, Et1ropean c/Parlement du 23 avril 1986. Dans cette affaire, la Cour de justice a, par un acte
94. Le constar est le même. Le terme qualifié de « révision judiciaire du traité » w,, étendu sa sphere de compétence aux
::E, aff. 294/83, sur la Comm1mat1té
'11tmity Law, 3,J edn., London, Sweet
dans l'index, ni dans les pages consa-
::JCE n'est pas citée dans la table des 240. On rapP,elle que dans les deux cas de jurisprudence (nos. 1 et 4), ou la Cour et l'avocat général
w. Text, Cases and Materiais, London, invoquem l'Etat de droit, la décision visait un Etat membre et non pas la Communauté elle-même.
{p. 138). P. MENGOZZI, European 241. En ce sens : A. SCHMITT GLAESER, Grundgesetz rmd Europarecht ais Elemente Europãischen
1, 1992. C' est l'unique ouvrage ou il Verfossrmgsrechts, Berlin, Duncker & Humblot, 1996. D'apres !ui, le Rechtsstaat constitue un prín-
!, à l'intitulé d'une section qui traite cipe régulateur applicable à n'importe quel pouvoir, à !'instardes formules anglaises de la R11le oflaw
els and respect for the rule oflaw in the ec Government under law. Voir aussi D. BUCHWALD, « Zur Rechtsstaadichkeit ... », op. cit.,
p. 189 ss. Un tel syncrétisme nie la différence, inscrite dans la sémantique, entre le concept allemand
i terme État de droit n'apparait dans de Rechtsstaat et le concept anglais de ruie of law qui a, en effet, une portée plus large.
es développements sur les droits fon- 242. C'est la posicion adopcée par Thomas OPPERMANN, l'un des auceurs allemands qui ale plus
G. ISAAC, op. cit., p. 163; J. BOU- appliqué le concept de Rechtsstaat à la Communauté qui, selon !ui, se rapproche d'une structure éca-
'lion et des comm1mat1tés européennes, tique, sans en êcre une absolument (op. cit., p. 304: « D.is "Staatsãhnliche" der E11ropãischen Union »).
le O. de SCHUTIER, op. cit., p. 171 Or, selon la Cour de justice de Luxembourg et la Cour constitucionnelle fédérale allemande l'Union
, Paris, PUF, 1998, est l'un des rares européenne n'est pas un État (cf D. BUCHWALD, op. cit., p. 192 et 198). '
!la R11le ofLaw en établissam un lien 243. Cf le nouvel article 49 du TUE tel que modifié par !e Traité d'Amsterdam.
nunaucaire de Comm1ma11té de droit 244. Cf le nouvel article 7 du TUE tel que modifié par !e Traité d'Amsterdam.
245. Cf les développemems chez D. SL\1ON, op. cit., p. 55 s, 60, 201, 232, 234, 252, 332 et 417;
pour le concept de Comm1ma11té de C. CHARRIER, « La Communauté de droit, une étape sous-escimée de la construction européenne »,
RMC, 1996, pp. 521-533; J. RIDEAU, op. cit., 2' éd., p. 146; id. « Communaucé de droit et États de
r la critique similaire de Ph. KUNIG, droit », in Humanité et droit international. Mélanges Renéjean Dttpuy, Paris, Pédone, 1991, pp. 249-269;
t Rechtsstaat en droit constitutionnel id., Droit institutionnel de l'Union et des communautés européennes, 3' éd., p. 59 s, 70 s, 191 s, 707,711,
717; M. ZULEEG, « Die Europaische Gemeinschaft ais Rechcsgemeinschaft », N]W, 1994, p. 545-549.
lu juge communaucaire. 246. Sic J.P. Jacqué, cicé par G. ISAAC, op. cit., p. 255.
306 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension d,

actes du Parlement européen, en dépit du fait qu'à l'époque l'article 173 du traité du moins ex~
de Rome ne mentionnait que les actes du Conseil et de la Commission comme conception e
étant passibles d'un recours en annulation. Alars qu'en 1977, dans l'affaire perceptible à
De Lacroix c/Parlement 147 , la Cour interprétait ce silence comme une interdic- Cosmas, prés
tion de tout contrôle juridictionnel, elle va opérer un revirement de jurispru- Bundespost 1i
dence en 1986. La Cour estime alars que l'exclusion des actes du parlement respecte et sau
aboutirait à un résultat contraire à« l'esprit » et au « systeme » du traité qu'elle la dignité de L
résume par la notion de« Communattté de droit » : « II y a lieu de souligner d'abord 315 On peut néa
(. ..) que la Communauté économique européenne est une communauté de droit en ce nauté de droir
que ni ses États membres ni ses institutions n 'échappent au contrôle de la conformité État de droit,
de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le traité. Spécialement, par étatiques » (T.
ses articles 173 et 184, d'une part, et par son article 177, d'autre part, le traité a éta- reuse?-de L
bli un systeme complet de vaies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour Or, ce faisant
de justice le contrôle de légalité des actes des institutions. » 2" La lecture téléologique néologisme d,
et systématique des diverses dispositions du traité, ainsi que l'invocation de la que les princi
symbolique et de la force suggestive attachées à l'expression « Communauté de les droits de l'
droit » 2" permettent ainsi à la Cour d'attribuer une nouvelle signification au risque d'être ii
silence gardé parle seul article pertinent en l'espece, à savoir l'article 173. Ainsi le sera surrou:
se trouve fondé, à travers cette nouvelle notion, le droit au juge 150 • celui de Comi
Le terme réappara1t dans l'avis sur !'Espace économique européen, rendu par juridique, dif i
la Cour le 14 décembre 1991. Celui-ci énonce que« le traité CEE, bien que conclu "valeur ajouti
sous la forme d'un accord intemational, n 'en constitue pas moins la charte constitu- Communauté
tionnelle d'rme communauté de droit » 251 • Sous ces termes solennels, qui prêtent classiques Cos
....-- le flanc à la critique, entre autres à cause de la référence à la notion de constitu- ter à chaque i1
tion, se cache un résumé, somme toute tres conventionnel, de la jurisprudence Plus rien ne s
de la Cour en matiere de primauté et d'applicabilité directe du droit commu- sémantique :
nautaire151. L'expression de Communauté de droit n'y ajoute aucun élément nou- droit"? Le "d,
veau m_ À l'heure actuelle, la notion renvoie essentiellement à la hiérarchie des "l' organisatior
normes et au contrôle exercê par la Cour de justice 2 " sans que soit mentionnée, II s'avere a1
d'État de droi;
n'en résolvent
247. CJCE, arrêt du 3. 2. ,1977, aff. 91/76, Rec., p. 225. Voir les explications de J. RIDEAU, peuvent se pas
« Communauté de droit et Etats de droit », op. cit., p. 254.
248. CJCE arrêt du 23. 4. 1986, aff. 294/83, fürti écologiste « Les Verts » c/Parlement, § 23, ture de pouvoi
Rec., p. 1365 (souligné par nous).
249. II est certain que l'incantation d'une simple Commrmauté, au lieu de la Comm11na11té de droit,
n' aurait pas eu le même effet rhétorique. c/Comission, aff.
250. Le droit au juge sera consacré comme príncipe général du droit quelques jours apres, dans C-262/96, § 6 (sit,
l'arrêt du 15 mai 1986, aff. 222/84,johnson, Rec., p. 1663. 255. C' est aussi, ,
251. CJCE avis no 1/91 du 14 déc. 1991, Espace économiq11e e11ropéen, § 21, Rec., p. I-6102. moment il inclue 1
252. Cf la suite du § 21. deux éléments : le
253. Contra C. CHARRIER qui considere que l'introduction de l'expression Co1mmma11tédedroit droits fondamenta
par la Cour en 1986 équivalait à un « no11ve,m départ [de] la construction e11ropéenne » (op. cit., p. 521). droirs fondamenta
Or, il reste ators à définir en quoi consiste cette innovation sul;>Stantielle. Dire que « cette entrée 256. Concl. de l'a
sémantiq11e fait bénéficier [la Communauré] de l,1 symbolique de l'Etat de droit "et « postule 11ne stmc· C-271/97, § 80 (sit
tltre policiq11e p11issante » (ibid.) ne répond guere à la question. 257. Cf D. SlMO
254. Cf CJCE ord. 13. 7. 90, aff. C-2/88, 1mm, Zwart·veld, Rec., 1-3372; arrêt 23.3.93, aff. C-314/91, 258. CJCE arrêt 5
Beate Weber, Rec., p. 1-1109; cone!. de l'av. gén. Damaso Ruiz-Jarabo Colomer du 28. 1. 99, aff. 259. Laplace acco1
C-3 I0/97P, Commission c/AssiDomãn Krafi Prod11cts, § 64 (site internet); Cond. de l'av. gén. G. Cos- et J. Rideau (surto
mas du 19. 1. 99, aff. C-321/97, UI/a BrichAndersson, § 48 (site internet); CJCE arrêt 24.10.97, EISA l'évoque à peine. C
is de l 'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 307

:poque l'article 173 du traité du moins explicitement, l'idée des droits de l'homme' 55. Une évolution vers une
e de la Commission comme conception ouvertement matérielle de la Communauté de droit est néanmoins
: qu 'en 1977, dans l' affaire perceptible à travers, par exemple, les conclusions de l'avocat général Georges
ilence comme une interdic- Cosmas, présentées le 8 octobre 1998 dans l' affaire Lilli Schroder et alii c/Deutsche
un revirement de jurispru- Bundespost Telekom rn,. G. Cosmas y évoque une « communauté de droit qui
lon des actes du parlement respecte et sauvegarde les droits de l'homme » et qui est fondée sur les « príncipes de
« systeme » du traité qu'elle la dignité de la personne humaine et de l'égalité des hommes et des femmes ».
rf y a lieu de souligner d'abord 315 On peut néanmoins s'interroger sur l'utilité du terme. L'expression Commu-
ie communauté de droit en ce nauté de droit esquive, certes, la critique formulée à l'encontre de l'usage du mot
tau contrôle de la conformité État de droit, s'agissant d'institutions européennes qui som tout au plus « para-
st le traité. Spécialement, par étatiques » (T. Oppermann). A croire qu'il s'agit là d'une transposition - heu-
1, d'autre part, le traité a éta- reuse? - de la notion d' État de droit au cas spécifique de l'U nion européenne 257 •
eres destiné à confier à la Cour Or, ce faisant, on hérite également des problemes théoriques redoutables liés au
;. » '" La lecture téléologique néologisme de Rechtsstaat. S'il ne s'agit que d'un résumé de príncipes connus tels
ainsi que l'invocation de la 1 que les principes de la primauté et de l' effet direct, le contrôle de légalité, voire
{pression « Communauté de les droits de l'homme, autrement dit, le droit au juge et le droit au droit, le terme
ne nouvelle signification au risque d'être à la fois inutile et redondant par rapport à des concepts existants. li
, à savoir l'article 173. Ainsi le sera surtout à l'égard d'un concept général qui a la même fonction, à savoir
lroit au juge''º. celui de Communauté. C,ar, de même qu'il reste à prouver en quoi l'État, au sens
Jmique européen, rendu par juridique, differe d'un Etat de droit, il demeure à savoir en quoi consiste la
le traité CEE, bien que conclu "valeur ajoutée" d'une Communauté dite « de droit » par rapport à la simple
~ pas moins la charte constitu- Communauté, dont la Cour se satisfaisait autrefois, notamment dans ses arrêts
~rmes solennels, qui prêtent classiques Costa c/ENEL et ¼n Gend et Laos'". À quoi cela peut-il servir d'ajou-
~nce à la notion de constitu- ter à chaque institution détenant un pouvoir normatif l'appendice « de droit »?
1tionnel, de la jurisprudence Plus rien ne s'oppose des lors à ce que l'on décline à l'infini cette construction
lté directe du droit commu- sémantique : à quand la "commune de droit"? La "communauté urbaine de
y ajoute aucun élément nou- droit"? Le "département de droit"? La "région de droit"? Et, pourquoi pas,
iellement à la hiérarchie des "l' organisation internationale intergouvernementale de droit"?
'" sans que soit mentionnée, Il s'avere ainsi qu'au niveau du droit communautaire, les deux expressions
d'État de droit et de Communauté de droit posem plus de problemes qu'elles
n'en résolvent 15'. Au terme de cette clarification sémantique, dont les Anglais
r les explications de J. RIDEAU, peuvent se passer puisque l' expression rufe oflaw peut s' appliquer à toute struc-
ture de pouvoir, quelle que soit sa nature, leur usage para1t peu recommandable.
e « Les Verts » c/Parlement, § 23,

au lieu de la Comm1ma11té de droit,


c/Comission, aff. T-239/94, § 40; concl. de l'av. gén. A. La Pergola du 17.12.98, aff. Sema S1inil,
lu droit quelques jours apres, dans C-262/96, § 6 (site internet).
255. C'est aussi, semble-t-il, la définition que retient D. SIMON (op. cit., p. 251 s) bien qu'à un
·opéen, § 21, Rec., p. I-6102. moment il inclue les droits de l'homme dans le concept (p. 55). C. CHARRIER retient, quant à elle,
deux éléments : !e « droit au droit ,. (hiérarchie des normes, príncipes généraux du droit et donc les
e l'expression Co111m1ma11té de droit droits fondamemaux) et !e« droit att juge,. (op. cit., p. 522). M. ZULEEG, op. cit., se réfere aussi aux
ruction ettropéenne » (op. cit., p. 521). droits fondamentaux.
ubstantielle. Dire que « cette entrée 256. Cone!. de l'av. gén. G. Cosmas dans les aff. Joimes C-50/96, C-234/96, C-235/96, C-270/97,
'État de droit ,. et « postule une stmc- C-271/97, § 80 (site internet CJCE).
257. Cf D. SIMON, op. cit., p. 55; C. CHARRIER, op. cit., p. 529.
I-3372; arrêt 23.3.93, aff. C-314/91, 258. CJCE arrêt 5 février 1963, aff. 26/ 62, Rec., p. 1.
~-Jarabo Colomer du 28. 1. 99, aff. 259. Laplace accordée au concept de Communautédedroit varie selon les auteurs. Alors que D. Simon
1ternet); Concl. de l'av. gén. G. Cos- et J. Rideau (surtout dans la 3' éd. de son ouvrage) !ui consacrem certains développements, G. Isaac
nternet); CJCE arrêt 24.10.97, EISA l'évoque à peine. Cf G. ISAAC, op. cit., p. 255,266 et 118. Le terme ne figure pas dans !'índex.
308 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais L 'ascension d1c

B. De I'État de droit et de la prééminence du droit 2° Le princiJ


dans l'ordre juridique du Conseil de l'Europe
a) La jurispr
1º Son apport sur le fond : la défense des droits de l 'homme par le juge
317 La Coura co
316 L'impact de l'ordre juridique du Conseil de l'Europe sur l'émergence et la conso- au principe d
lidation du phénomene de juridictionnalisation de l 'État de droit transparalt sous dernier aliné;i
de multiples facettes. Le systeme de protection instauré par la Convention euro- alinéa du pré:
péenne de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales est suffi- l'Europe 1' 6 • E
samment connu pour qu'il ne soit pas nécessaire dele présenter ici. On sait que miere fois sur
la Cour a élaboré, à partir de ce texte et des protocoles additionnels, une juris- à ses yeux, « 1,
prudence tres sophistiquée en ce qui concerne à la fois la définition de ces droits !'interprete de
et leur degré de protection. La création même de la Cour de Strasbourg en 1950 ticle 6 § 1 se bo
participe intimement de cette conviction que seul un juge, en l'occurrence euro- affaire déjà pei
péen, peut valablement défendre les droits de l'homme. Son rôle central tranche toute personne
par rapport au droit international classique beaucoup moins axé autour de la sur ses droits et
figure du juge"·0 • Si, à l'épogue, les rédacteurs de la Convention voulaient ména- tannique, s' ét.
ger les susceptibilités des États, en faisant dépendre la compétence de la Cour pour conteste
d'une manifestation de volonté des États (art. 25 et 46), son rôle s'avere fonda- Cour, viveme1
mental une fois que sa juridiction est admise 1'''. Sur ce point, la liberté des États ne proclame pc1
s'est réduite de plus en plus. Ainsi, les États de l'Europe centrale et orientale se majoritaires, e
sont vus imposer, comme condition à leur adhésion au Conseil de l'Europe, non fondamentale ,
seulement la ratification de la CEDH, mais encare l'acceptation de ces deux nition précise, .
clauses dites facultatives. Depuis l'entrée en vigueur du protocole n" 11, insti- de rechercher p,
tuam la nouvelle Cour, sa compétence est désormais obligatoire. ou aspect du d1
Le rôle de la Cour s'avere crucial dans la garantie des droits de l'homme en qu'elle se met
Europe. Capable de « réduire (. ..) les angles morts des systemes nationaux de justice
constitutionnelle, voire même d'y suppléer », la Cour est amenée, en statuant sur
les requêtes individuelles, à exercer un contrôle qui «fait office, toutes proportions 264. En anglais, ,
gardées, de contrôle de constitutionnalité » 1'' 1• S'érigeant en véritable « Cour consti- revanche, les terrn
tutionnelle européenne », elle n'hésite pas de vérifier la conventionnalité non seu- Cour, ne jouent a
n' om pas d' effet
lement des lois nationales, mais encare des normes constitutionnelles des Baraon,t, § 39; arr
États 1'··1• arrêt 28.8.86, G/<1
arrêt 28.8.86, Kosi
n" 123, § 18; arrêt
265. Dernier ai. d
animés d'rm mêm,
pect de la liberté et
collective de cert,ú,
266. Statut du 5 n
260. Cela vaur pour le droit international en général et pour les déclarations internationales des droits 3' ai. du préambu
de l'homme en p~iculier. Ainsi, les Pactes de 1966 ont mis en place un systeme de garamies poli- moine commrm d,
tiques. Cf J. RIVERO, les libertés p11bliq11es, 6' éd., Paris, PUF, t. 1, 1991, p. 281 ss. tique et de préé111i11
261. Cf H. KLEBES, & D. CHATZIVASSILIOU, « Problemes d'ordre constitutionnel dans le pro- Art. 3 : « Tout m,
cessus d'adhésion d'Etats de l'Europe cemrale et orientale au Conseil de l'Europe », RUDH, vol. 8, príncipe en verl/1 ,!
1996, p. 270. libertés fodament,1/
262. J.-F. FLAUSS, « La Cour européenne des droits de l'homme est-elle une Cour constitution- 267. Arrêt du 21 1
nelle? », RFDC, 1998, p. 711. 268. lbid., § 25, p
263. Ibid., p. 712. C/ aussiJ.-F. FLAUSS, « Droit constitutionnel et CEDH », RFDC, 1996, pp. 377- 269. Ibid., § 26, p.
399. 270. Ibid.
is de l'esprit jttridique anglais L 'ascension de la Rufe of Law sous le signe des droits de l 'homme et du juge 309

inence du droit 2° Le príncipe de la « prééminence du droit »


1 de l'Europe a) La jurisprudence de la Cour
•l'homme parle juge
317 La Cour a conceptualisé le lien entre le droit et le juge à travers ses références
: sur l' émergence et la conso- au principe de « prééminence du droit »''". Celui-ci se trouve consacré dans le
État de droit transparait sous dernier alinéa du préambule de la Convention de 1950m et dans le troisieme
uré par la Convention euro- alinéa du préambule ainsi que dans l'article 3 du Statut de 1949 du Conseil de
rtés fondamentales est suffi- l'Europe'"6 • En 1975, dans l'affaire Golder, la Cour s'est penchée pour la pre-
le présenter ici. On sair que miere fois sur ce principe, dont la présence dans le préambule ne constitue pas,
:oles additionnels, une juris- à ses yeux, « un simple "rappel plus ou moins réthorique': dépourvu d'intérêt pour
ois la définition de ces droits /'interprete de la Convention » "·1 • En l' espece, l' enjeu consistait à savoir si « l'ar-
Cour de Strasbourg en 1950 ticle 6 § 1 se bome (. ..) à garantir en substance !e droit à un proces équitable dans une
n juge, en l'occurrence euro- ajfaire déjà pendante ou [s'il] reconnazt en outre un droit d'acces aux tribzmaux à
me. Son rôle central tranche toute personne désireuse d'introduire une action relative à une contestation portant
oup moins axé autour de la sur ses droits et obligations de caractere civil » 268 • Monsieur Golder, prisonnier bri-
:::onvention voulaient ména- tannique, s'était vu refuser l'autorisation ministérielle nécessaire en droit anglais
·e la compétence de la Cour pour contester une décision de l'administration. La décision majoritaire de la
t 46), son rôle s'avere fopda-
Cour, vivement critiquée parles trois juges dissidents, admet que « l'article 6 § 1
ce point, la liberté des Etats ne proclame pas en termes expres un droit d'acces aux tribunaux » "'". Selon les juges
1rope centrale et orientale se majoritaires, cet article « énonce des droits distincts mais dérivant d'une même idée
. au Conseil de l'Europe, non fondamentale et qui réunis, constituent un droit zmique dont il ne donne pas la défi-
re l'acceptation de ces deux nition précise, au sens étroit de ces mots ». Elle en conclut qu' « il incombe à la Cour
ur du protocole n" 11, insti- de rechercher par voie d'interprétation, si l'acces aux tribunaux constitue un élément
1is obligatoire. ou aspect du droit » 270 • Ce faisant elle ne s'attache plus aux mots du texte, puis-
cie des droits de l'homme en qu'elle se met à rechercher et à interpréter le sens de cette « idéefondamentale »,
s systemes nationaux de justice
r est amenée, en statuant sur
«fait office, toutes proportions 264. En anglais, on p:1rle de la « mie of law » et en allemand de • Vorherrschaft des Gesetzes ». En
mt en véritable « Cour consti- revanche, les termes Etat de droit ou Rechtsstaat, s'ils som memionnés de maniere incidente par la
Cour, ne jouent aucun rôle en ce qui concerne l'argumentation de ses décisions. Autremem dit, ils
la conventionnalité non seu- n'om pas d'effet normatif. Cf par ex. Cour arrêt 25.10.89, Allan ]acobsson, § 57; arrêt 8.7.87,
rmes constitutionnelles des Baraon,z, § 39; arrêt 6.12.88, Colak, série A n" 147, § 25; arrêt 25.8.87, Englert, série A n" 123, § 22;
arrêt 28.8.86, Glasenapp, série A n" 104, § 17 de l'arrêt et § 34 de l'opp. diss. du juge Spielmann;
arrêt 28.8.86, Kosiek, série A n'' 105, § 25 opp. diss. du juge Spielmann; arrêt 25.8.87, Lutz, série A
n" 123, § 18; arrêt 23.4.92, Castel!s, série A n" 236.
265. Dernier ai. du préambule de la CEDH : « Résolus, en tant que gouvemements d'États européens
animés d'zm même esprit et possédmt un patrimoine commun d'idéal et de traditions politiques, de res-
pect de la liberté et de prééminence du droit, à prendre les premieres memres propres à asmrer la garantie
collective de certains droits énoncés dans la Déclaration universelle. »
266. Statut du 5 mai 1949 signé à Londres:
iéclarations imernationales des droits 3' ai. du préambule : « lnébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales q11i sont !e patri·
íl place un systeme de garamies poli- moine commzm de leurs pe11ples et q11i sont à /'origine des príncipes de liberté individuelle, de liberté poli-
r. 1, 1991, p. 281 ss. tique et de prééminence dtt droit, sttr lesque!s se /onde /011/e démocratie véritable. »
s d'ordre constitutionnel dans le pro- Are. 3 : « Tout membre d11 Cansei! de l'E11rope reconnait !e príncipe de la prééminence du droit et !e
:onseil de l'Europe », RVDH, vol. 8, príncipe en verw duque! tollte personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et des
libertés fodamentales. »
nme est-elle une Cour constitution- 267. Arrêt du 21 février 1975, série A n" 18, § 34, p. 17.
268. Jbid., §25, p. 11.
1el et CEDH », RFDC, 1996, pp. 377- 269. lbid., § 26, p. 12.
270. Jbid.
310 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais L'ascension d,

autrement dit de ce « droit unique ». Pour saisir cette « idée », elle se réfere au d'une justice
principe de prééminence qui est un « élément du patrimoine spirituel commzm respecter le l
aux États membres du Cansei! de l'Europe », comme !'indique le préambule. « Or conditionner
en matiere civile la prééminence du droit ne se conçoit guere sans la possibilité d'ac- vement de la
céder aux tribunaux. » 271 Par conséquent, en s'inspirant du droit privé, qui est deux pays 276 •
érigé en modele"', la Cour en déduit que le droit d'acces aux tribunaux est sortant d'urn
« inhérent au droit qu'énonce l'article 6 » 273 • que la Grand
En invoquant l'idée d'un lien intrinseque entre le droit et le juge, idée qui est rigide et salll
beaucoup plus familiere aux civilistes qu'aux publicistes et internationalistes, la a priori, char
Cour essaie de légitimer l'usage qu'elle fait de son pouvoir d'interprétation. Elle
tente ainsi de fonder son renvoi à un « droit unique », qui lui permet de se déta-
cher des dispositions textuelles, alars que les juges dissidents insistem, au
contraire, sur le fait que la Convention ne vise qu'à garantir « certains des
droits » 174 et non pas tous les droits de l'homme. On ne peut s'empêcher de rap-
procher la hardiesse de la Cour de Strasbourg dans l'affaire Golder de ce qu'a fait 319 La théorie et
la Cour de Luxembourg dans l'affaire Parti écologiste « Les \krts » c/Parlement, sous l'impac
pour asseoir son contrôle vis-à-vis du parlement, nonobstant le silence de l'ar- gressive en P
ticle 173 du traité CEE. Dans les deux cas, les juges européens se servem, pour le parlement
la premiere fois, des mots clés respectifs de Communauté de droit et de préémi- dont les Ant
nence du droit pour faire valider, grâce à ces renvois solennels, une interprétation tard 277 , se so
favorable à un contrôle plus étendu du juge. Dans le contexte de la Convention communaut,
européenne des droits de l'homme, le principe de la prééminence du droit et les juges : l
consacre ainsi le droit au juge 27 ; • mité des loi,
.....
--1
~) L'application par les organes politiques du Conseil de l'Europe
sous Dicey 1
exercé sur le
ampleur que
318 À ce jour, la Cour de Strasbourg n'a jamais déduit du principe de la prééminence la Conventi(
du droit une obligation pour les États de se doter d'une justice constitutionnelle. 1998 (B).
II en va autrement des instances politiques du Conseil de l'Europe qui sont, elles
aussi, amenées à faire respecter ce principe, inscrit à l'alinéa 3 du préambule et A. L'I
à l' article 3 du Statut du Conseil de 1949. Selon l' article 4 du traité de Londres,
seuls les États « capables de se conformer aux dispositions de l'article 3 » peuvent
être admis au sein du Conseil et toute infraction grave aux principes de l'article 3 320 Dans la que1
par un État membre autorise les instances politiques à suspendre ses droits, voire ser les deux
à l'exclure. Ainsi, lors de l'élargissement du Conseil de l'Europe aux pays de pas décisif a
l'Europe centrale et orientale, l' Assemblée parlementaire a vu dans l' existence prudence an
dires du maí

271. lbid., § 34, p. 17.


272. Sur l'influence décisive du droit privé, cf mpra n· 77 (Bahr, Mayer) et infra n· 380 (Sieyes). 276. H. KLEBI
273. Arrêt du 21 février 1975, série A n" 18, § 36, p. 18. 277. Le ticre d
274. Dcrnier alinéa du préambule de la Convencion in fine. Des lors, les trais juges dissidents liamenc? », LQ
concluem à l'absence d'un te! droit d'acces faute de consécration texcuclle. 278. Pour un e.
275. Cf la jurisprudence citée in LE. PETTITI, E. DECAUX, P.H. IMBERT (dir.), La Convention interne: les soh
européenne des droits de l'homme, Paris, Eco no mica, 1995, p. 56 s et 132. Voir notamment l'arrêt Bro- 279. G. MARS
gan, 29.11.88, série A n" 145-B, § 58: « Le contrôle j11dici,tire va de pér a·vecl,1 prééminence d11 droit. » reigncy : the N
•s de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rule ofLaw sous le signe des droits de l 'homme et du juge 311

-ce « idée », elle se réfere au d'une justice constitutionnelle un élément décisif quant à la volonté des États de
atrimoine spiritttel commzm respecter le principe de la prééminence du droit. Elle est même allée jusqu'à
'indique le préambule. « Or conditionner l'adhésion de l'Ukraine et de la Croatie à la modification respecti-
guere sans la possibilité d'ac- vement de la compétence et de la composition des cours constitutionnelles des
rant du droit privé, qui est deux pays 276 • 11 faut néanmoins souligner que ces exigences s'adressent à des pays
: d'acces aux tribunaux est sortam d'une longue période de dictature, et non pas à d'anciens membres tels
que la Grande-Bretagne quine s'est toujours pas donné une constitution écrite,
: droit et !e juge, idée qui est rigide et sanctionnée par un juge. Le Human Rights Act de 1998 ne semble pas,
istes et internationalistes, la a priori, changer cette donnée.
mvoir d'interprétation. Elle
», qui !ui permet de se déta- § 2. L 'INFLUENCE DÉCISIVE DV DROIT EUROPÉEN
~es dissidents insistem, au SUR LE MODELE ANGLAIS DE LA RULE OF LAW
qu'à garantir « certains des
1 ne peut s'empêcher de rap-

affaire Golder de ce qu 'a fait 319 La théorie et la pratique anglaises de la rule oflaw ont considérablement changé
u « Les Verts » c/Parlement, sous l'impact du droit européen. Celui-ci a servi de canal à une réception pro-
onobstant le silence de !'ar- gressive en Angleterre des théories continentales concernam les rapports entre
; européens se servem, pour !e parlement, les droits de l'homme et les juges. Ces changements de mentalité,
mauté de droit et de préémi- dont les Anglais ne s'aperçoivent parfois qu'apres coup, lorsqu'il est déjà trop
olennels, une interprétation tard 177, se sont illustrés sur deux points essentiels de la souveraineté. Le droit
~ contexte de la Convention communautaire a ainsi fait évoluer le rapport entre le Parlement de Westminster
le la prééminence du droit et les juges : désormais, les juges britanniques sont habilités à contrôler la confor-
mité des !ois avec certaines normes supérieures, ce qui aurait été inimaginable
sous Dicey (A). Le second aspect a trait à l'influence croissante du contrôle
inseil de l'Europe exercé sur les lois britanniques par la Cour de Strasbourg, qui a pris une telle
ampleur que !e pouvoir politique s'est vu contraint d'incorporer en droit anglais
1 principe de la prééminence la Convention européenne des droits de l'homme par le Human Rights Act de
me justice constitutionnelle. 1998 (B).
!il de ]'Europe qui sont, elles
à l'alinéa 3 du préambule et A. L'Europe, la souveraineté du Parlement de Westminster
:ticle 4 du traité de Londres, et les juges
tions de l'article 3 » peuvent
re aux principes de l'article 3 320 Dans la querelle sur la nature de la souveraineté parlementaire qui a vu s'oppo-
; à suspendre ses droits, voire ser les deux theses de la « continuing » et de la « self-embracing sovereignty », un
eil de ]'Europe aux pays de pas décisif a été franchi avec le European Communities Act de 1972 178 et la juris-
entaire a vu dans l' existence prudence anglaise qui s'en est suivie, notamment l'affaire Factortame"'. Selon les
dires du ma1tre à penser de la premiere école, le professeur H.W.R. Wade, « il est

, Mayer) er infra n· 380 (Sieyes). 276. H. KLEBES & D. CHATZIVASSILIOU, op. cit., p. 279 s.
277. Le rirre de l'arricle de H.W.R. WADE (« Whar Has Happened to rhe Sovereigmy of Par-
Des lors, les rrois juges dissidems liament? », LQR, vai. 107, 1991, pp. 1-4) esr significarif à cer égard.
a rexruelle. 278. Pour un exposé de cerre loi, cf. F. DREYFUS, « Le droir communauraire er le droir brirannique
P.H. IMBERT (dir.), La Convemion interne: les solurions du European Communiries Acr du 17 ocrobre 1972 », RTDE, 1973, pp. 242-259.
er 132. Voir norammem l'arrêr Bro- 279. G. MARSHALL,« Overriding a Bill of Righrs », PL, 1987, p. 9-11; id., « Parliamemary Sove-
e p,iir a·vec /,1 prééminence du droit. »
reigmy: rhe New Horizons », PL, 1997, pp. 1-5.
312 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais

évident que !e parlement de 1972 a réussi à lier ses successeurs, en raison de la néces-
sité de respecter !e traité » "º. Ce faisant, il avoue que l' hypothese de ce qui consti-
r L 'ascension d

définitive de /
latéral ultérie
tue dans son modele une révolution a bien eu lieu. Le dogme diceyen de la sou- Face à ces
mission des juges à la volonté législative du parlement est largement battu en aussitôt que
breche, puisqu'il appartient désormais aux juges britanniques de censurer toute nautaires sur
loi, antérieure ou postérieure, qui serait contraire au droit communautaire (l"). neures .ou p1
La suprématie de ce dernier bouleverse completement les rapports institution- Communitie.1
nels entre Westminster et le Strand. Encore faut-il en mesurer toute l'ampleur, ]e 1" janvier
car pour certains il reste encore quelques vestiges, quelques traces d'une « ultime gences du dr
souveraineté » (2"). · mots»"'. On
gations interr
. , \ .
1º Le crépuscule de la souveraineté traditionnelle du parlement non s avere 1
souveraineté,
321 Déjà en 1972, Ia menace qui pesait sur la suprématie du parlement était percep- débats parlen
tible. Si la question fut évoquée, la réponse donnée à l' époque ne fut guere à la « continous se
hauteur du défi m_ L'obligation pour chaque État candidat à l' adhésion de futur de rever
reprendre intégralement « l'acquis communautaire » impliquait pour l' Angle- 322 L'hypothese
terre, une fois qu'elle s'était engagée, de devoir abandonner la théorie de la sou- com patibilité
veraineté et d'admettre l'idée d'un droit et d'un juge supérieurs à Westminster. Rome était ei
La !oi de 1972 qui réglemente le statut du droit européen au Royaume-Uni pré- juges anglais
voit tout d'abord, dans son article 2 (1), I'applicabilité immédiate et directe du ministre, le te
droit communautaire : « Tous les droits, pouvoirs, responsabilités, obligations et res- chambre des l
trictions créés de temps en temps parles traités ou institués en vertu des traités, ainsi mentaire qui 1
que tous les recours et procédures prévus de temps en temps par ou institués en vertu lateur 287 • Saisi,
des traités, doivent être appliqués ou utilisés att Royaume-Uni conformément attx refus d'une te
traités sans qtt 'attettn texte ultériettr soit nécessaire; ils seront reconnus et légalement taire, la Cour
valides, niis en application, admis et observés en conséqttence. » En ce qui concerne nautaire serait
la primauté du droit européen sur le droit national, l'article 2 (4) dispose, entre de recourir à
autres, que « toute législation en viguettr ott à venir (. ..) devra être interprétée et droit commur
prendre ejfet sous réserve des dispositions précitées de cet article », c'est-à-dire l'ar- plication d'ur
ticle 2 (1). À cela s'ajoute l'article 3 qui dispose que les juges anglais doivent communauta1
régler toutes les questions de droit, concernam le sens à donner à telle ou telle législateur et 1
norme communautaire, en accord avec la jurisprudence de la Cour de justice des l'avait déjà for
Communautés européennes. Ce faisant, le législateur accepte implicitement d'appliquer, da
le principe de la suprématie du droit communautaire sur une loi nationale pos- a l'obligation e
térieure, principe dégagé par la Cour dans la fameuse affaire Costa v. ENEL du de sa propre au
15 juillet 1964. Elle y déclare notamment que« !e transfert opéré parles États, de
leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits
et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraíne... une limitation
282. CJCE, arrêt
283. O.HOOD
284. Voir les réfé1
285. GarLmd ·V. li
280. H.W.R. WADE, « What has Happened to the Sovereignty of Parliament? »,LQR, vol.107, 1991, 286. A.W. BRAD
p. 4. Voir aussi, id., « Sovereignty- Revolurion or Evolution? », LQR, vol. 112, 1996, pp. 568-575. l'occurrence, on s
281. A.W. BRADLEY, « The Sovereignty of Parliament - in Perpituity? », op. cit., p. 93. Voir aussi 287. R. v. Secret,1
A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., pp. 148-159; P.P. CRAIG, « Sovereignty of the UK Appeal); [1990] 2
Parliament after Factortame », YEL, 1991, pp. 221-255. 288. R. v. Secret,11
es de l'esprit juridique anglais

cesseurs, en raison de la néces-


.'hypothese de ce qui consti-
T L'ascension de la Rule ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge

définitive de leurs droits s011verains, contre laquelle ne saurait prévaloir un acte uni-
latéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté » 282 .
313

Le dogme diceyen de la sou- Face à ces exigences, l'article 2 (4) reste assez « obscur » 283 • Certains estimem
nent est largement battu en aussitôt que les juges anglais som tenus de faire prévaloir les normes commu-
itanniques de censurer toute nautaires sur toutes les lois incompatibles, peu importe qu'il s'agisse de lois anté-
u droit communautaire (1"). rieures .ou postérieures. D'autres considerent, au contraire, que le European
1ent les rapports institution- Communities Act permet juste au juge, en ce qui concerne les lois adoptées apres
en mesurer toute l'ampleur, le 1" janvier 1973, de retenir l'interprétation la plus conforme possible aux exi-
uelques traces d'une « ultime gences du droit communautaire 28 ', « sans faire violence au sens ordinaire des
mots » m_ On présume, en effet, que le parlement n'a pas voulu déroger aux obli-
gations internationales de l'État britannique. Dans le cas ou une telle concilia-
i du parlement tion s'avere impossible, le juge anglais serait obligé, en vertu du príncipe de la
souveraineté, de faire prévaloir la loi anglaise sur le droit européen. Au cours des
e du parlement était percep- débats parlementaires, le gouvernement a d'ailleurs fait sienne la these de la
: à l' époque ne fut guere à la « continous sovereignty », selon laquelle il est toujours loisible à un parlement

at candidat à l'adhésion de futur de revenir sur le European CommunityAct de 1972"".


» impliquait pour l'Angle- 322 L'hypothese s'est présentée avec la décision de príncipe Factortame, ou la
1donner la théorie de la sou- compatibilité du Merchant Shipping Act de 1988 avec les dispositions du traité de
ge supérieurs à Westminster. Rome était en cause. En l'espece, les plaignants demandent tout d'abord aux
opéen au Royaume-Uni pré- juges anglais de suspendre l'application de la loi, par voie d'injonction au
ilité immédiate et directe du ministre, le temps que leur demande soit jugée sur le fond. La cour d'appel et la
ponsabilités, obligations et res- chambre des Lords s'y refusent, en arguant du príncipe de la souveraineté parle-
itués en vertu des traités, ainsi mentaire qui leur interdit de censurer et, a fortiori, de suspendre un acte du légis-
emps par ou institués en vertu lateur287. Saisie au moyen d'un renvoi préjudiciel parles Lords, pour savoir si le
rnme-Uni conformément aux refus d'une telle injonction n'est pas en soi une violation du droit communau-
· seront reconntts et légalement taire, la Cour de justice de Luxembourg estime que l'effectivité du droit commu-
rquence. » En ce qui concerne nautaire serait compromise, si !e juge national était empêché par la !oi nationale
1, l'article 2 (4) dispose, entre de recourir à un te! moyen, en vue de la protection d'un droit conféré par le
r (..) devra être interprétée et droit communautaire"8. En accordant au juge anglais !e droit de suspendre l'ap-
cet article », c'est-à-dire l'ar- plication d'une loi, au mépris du dogme de la souveraineté, l'ordre juridique
:iue les juges anglais doivent communautaire est ainsi amené à bouleverser l'équilibre constitutionnel entre le
sens à donner à telle ou telle législateur et les juges nationaux dans les matieres visées parles traités. La Cour
ence de la Cour de justice des l'avait déjà formulé en 1978 dans l'affaire Simmenthal: « Le juge national chargé
ateur accepte implicitement d'appliquer, dans le cadre desa compétence, les dispositions du droit communautaire
ire sur une loi nationale pos- a l'obligation d'assurer le plein ejfet de ces normes en laissant au besoin inappliquée,
use affaire Costa v. ENEL du desa propre autorité, toute disposition contraire de la législation, même postérieure,
transfert opéré parles États, de
7ue communautaire, des droits
ité, entrazne... une limitation 282. CJCE, arrêt 15.7.1964, aff. 6/64, Rec., p. 1141.
283. O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON, op. cit., p. 75.
284. Voir les références citées par A.W. BRADLEY, op. cit., p. 94.
285. Garl,md v. British R,úl Engineering Ltd., [1983] 2 A.C. 751 per Lord Diplock.
,f Parliament? ", LQR, vol. 107, 1991, 286. A.W. BRADLEY, op. cit., p. 94. Cf supra ff' 286 ss, nos explications sur la théorie de Wade. En
», LQR, vai. 112, 1996, pp. 568-575. l'occurrence, on se situerait dans la 1• hypothese.
'erpituity? », op. cit., p. 93. Voir aussi 287. R. v. Secretar;• of State for Transport, ex p. Factortame (No 1) [1989] 2 CMLR 353 (Court of
. CRAIG, « Sovereigmy of the UK Appeal); [1990] 2 A.C. 85 (House of Lords) .
288. R. v. Secretar;• of Sta te for Transport, ex p. Factortame (No 2) [1991] 1 A.C. 603 (ECJ and HL)
314 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension de

sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie Les auteurs se
législative ou par tout autre procédé constitutionnel. » 2" choose which n
Dans la décision Factortame No. 2, le juge Lord Bridge s'interroge sur les munautés eun
implications constitutionnelles d'une telle suspension de la loi. Pour lui, les voix aux obligation
qui se sont élevées pour dénoncer une incursion nouvelle et dangereuse des juges obligé, du poii
dans la souveraineté du parlement, se trompent sur des données fondamentales. et il ne pourr;
« Si le príncipe de la suprématie (. ..) du droit communautaire sur le droit national grave crise inst
des États membres n 'était pas toujours inhérent au traité CEE, il fut certainement ce confl.it entr
bien établi dans la jurisprudence de la Cour de justice européenne bien longtemps quer ou non L
avant que le Royaume-Uni ne rejoigne la Communauté. Des lors, la limitation de la loi de 1972?
sa souveraineté, que !e parlement a acceptée en adoptant le European Communities attendant que
Act de 1972, était entierement volontaire. Sous le régime de la foi de 1972, il était en 1972 292 •
toujours clair qu'il était du devoir d'une juridiction du Royaume-Uni, lorsqu'elle La deuxiem
prononçait sa décision finale, de passer otttre tottte regle du droit national, estimée nities Act de 1S
être contraire à que/que regle directement applicable du droit communautaire. » '"º mettre fin à l
Aux yeux de Lord Bridge, le droit de censure des juges n'est guere nouveau et ne contesté de ce
constitue « rien d'autre qu'une reconnaissance logique de la suprématie » du droit retrair unilatér
communautaire. Le législateur savait, ou du moins aurait du savoir ce à quoi il tures européen
s'engageait. Aux yeux des juges et de la doctrine, la these de la « selfembracing fin qu'avec unc
:f,,li
1-- sovereignty » s'est clone imposée. Encore faut-il clarifier dans quelle mesure le des Etats-mem
"ille: souverain britannique a réussi à s'autolimiter. ne serait alors
·Q:I) 1 estime que le

-
·~
Of, 2º Le nouveau concept d'une « souveraineté ultime» façon unilatéra
point de vue d
::.:~
323 La définition classique de la souveraineté telle qu'elle a été formulée par Dicey, appliquer la lo
et selon laquelle « aucune personne ou autorité n 'est reconnue com me ayant !e droit le différend avl
de passer outre ou d'écarter la législation du parlement », n' est plus valable depuis prendre part.
l'intégration européenne, du moins pas dans les domaines touchés par le droit Exception f:
communautaire. Reste à savoir si le concept de souveraineté parlementaire sub- réussi à s'autoli
siste, à titre résiduel, dans des cas limites : le transfert de souveraineté est-il réver- d'une constitur
sible ou non, et, si oui, à quelj.es conditions? Le parlement peut-il recouvrer sa pragmatique dt
pleine et entiere souveraineté? S'agit-il d'une véritable aliénation ou d'une des droits de l'l
simple délégation sur laquelle le parlement pourrait revenir de façon unilatérale
à tout instam? Deux hypotheses sont évoquées par la doctrine.
La premiere vise une loi adoptée apres le 1" janvier 1973 dans laquelle le par-
lement exprimerait, en des termes expres, sa volonté de déroger, sur un point
précis, au droit communautaire et, partant, à l'article 2 du European Communi-
ties Act. Que ce serait-il, en effet, passé si !e Merchant Shipping Act de 1988 avait
compris une clause énonçant que ses dispositions valaient nonobstant les 291. P.P. CRAIG, ,
normes contraires du droit européen? Sur ce point, la doctrine est incertaine. 292. Pour A.W. BI
imprévisible. On r
Ltd. V Smith [1979
nique en pareille si1
289. CJCE arr&c du 9 mars 1978, aff. 106/77, Rec., p. 629. 293. G. ISAAC, Of
290. R. v. Secretary ofStatefor Transport, ex p. Factortame (No 2) [1991] l A.C. 603,658. Le pouvoir implicite, en vertu
des juges anglais de ne pas appliquer une loi poscérieure a écé confirmé depuis Jans R ·v. Employment 294. A.W. BRADI
Secretary, ex parte EOC [l 995] l A.C. l. op. cit., p. 72 ss; G.
1es de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et du juge 315

n préalable de celle-ci par vaie Les auteurs sont d'accord pour reconna1tre qu'un État ne peut pas « pick and
» 28:1 choose which norms ofEEC law to comply » 2" et que la Cour de justice des Com-
,rd Bridge s'interroge sur les munautés européennes ne tarderait pas à le sanctionner comme un manquement
.on de la loi. Pour lui, les voix aux obligations internationales découlant des traités. Le gouvernement sera alors
,uvelle et dangereuse des juges obligé, du point de vue du droit européen, de s'incliner devam l'arrêt de la CJCE
r des données fondamentales. et il ne pourra que révoquer aussitôt la loi en question, sauf à provoquer une
mautaire sur le droit national grave crise institutionnelle. Mais comment le juge britannique doit-il réagir dans
raité CEE, il fut certainement ce conflit entre les deux ordres juridiques, national et européen? Doit-il appli-
ice européenne bien longtemps quer ou non la loi britannique en vertu de la « rufe ofrecognition » inscrite dans
wté. Des lors, la limitation de la loi de 1972? Sur ce point, la doctrine hésite et préfere ne pas se prononcer, en
ant le European Communities attendant que les juges statuent sur la portée exacte de l'autolimitation opérée
gime de la !oi de 1972, il était en 1972m.
i du Royaume-Uni, lorsqu'elle La deuxieme hypothese concerne la révocation globale du European Commu-
~gle du droit national, estimée nities Act de 1972 par le parlement anglais, qui voudrait, de maniere unilatérale,
du droit communautaire. » m mettre fin à la participation du Royaume-Uni à l'Europe. Or, selon l'avis
1ges n'est guere nouveau et ne contesté de certains juristes, en l'absence d'une reconnaissance d'un droit de
ue de la suprématie » du droit retrait unilatéral dans les traités, l'obligation des États de rester dans les struc-
s aurait du savoir ce à quoi il tures européennes et de respecter le droit communautaire ne prend valablement
la these de la « self-embracing fin q.u'avec une révision de tous les traités, ce qui supposerait un vote unanime
larifier dans quelle mesure le des Etats-membresm. Au regard du droit européen, le retrair d'un État membre
ne serait alors valide qu'à cette condition. À l'opposé, la doctrine britannique
estime que le parlement ne s' est pas interdit en 1972 le droit de révoquer de
façon unilatérale le European Communities Act'',._ Cette issue resterait ou verte du
1me »
point de vue du droit constitutionnel britannique, ce qui obligerait les juges à
elle a été formulée par Dicey, appliquer la loi de révocation. 11 reviendrait alors au pouvoir politique de gérer
reconntte comme ayant le droit le différend avec les instances européennes, sans que les juges anglais n'aient à y
nt », n'est plus valable depuis prendre part.
lomaines touchés par le droit Exception faite de ce dernier cas d'école, le parlement britannique aurait ainsi
uveraineté parlementaire sub- réussi às' autolimiter. Des lors, théoriquement, la voie estou verte à l' élaboration
:rt de souveraineté est-il réver- d'une constitution. Or, le gouvernement de Tony Blair a préféré la solution plus
>arlement peut-il recouvrer sa pragmatique de l'incorporation en droit anglais de la Convention européenne
éritable aliénation ou d'une des droits de l'homme.
lit revenir de façon unilatérale
ir la doctrine.
vier 1973 dans laquelle le par-
mté de déroger, sur un point
ide 2 du European Communi-
ant ShippingAct de 1988 avait
ons valaient nonobstant les 291. P.P. CRAIG, op. cit., p. 253.
nt, la doctrine est incertaine. 292. Pour A.W. BRADLEY, op. cit., p. 97 et P.P. CRAIG, op. cit., p. 253, la réaction des juges est
imprévisible. On peut tout au plus cirer les obiter dieta de Lord Denning dans l'affaire Maccanhys
Ltd. V Smith [1979] ICR 785, 789 ou il affirme que les juges seraient tenus d'appliquer la loi britan-
nique en pareille situation. Cf A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., p. 154 s.
293. G. ISAAC, op. cit., p. 21 s. D'aurres auteurs estimem toutefois qu'il existe un droit de retrait
2) [1991] 1 A.C. 603, 658. Le pouvoir implicite, en vertu du droit international général des traités.
Jnfirmé depuis dans R v. Employment 294. A.W. BRADLEY & K.D. EWING, op. cit., p. 153; O. HOOD PHILLIPS & P. JACKSON,
op. cit., p. 72 ss; G. WINTERTON, op. cit., p. 615.
316 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l 'esprit juridique anglais

B. Le Human Rights Act de 1998 et le mythe de la souveraineté


du parlement
l L 'ascension de /,

incorpore certt
ment des attent
terre un contré
324 La common law se rattache à la conception dualiste du droit international, selon du Labour lui-1
laquelle les traités que conclut sa Majesté, en vertu de sa prérogative royale, avec Au moment oi
le~ puissances étrangeres ne font pas partie du droit interne"5, bien qu'ils lient communautair,
l'Etat britannique du point de vue du droit international 2 Ce principe découle
91,. niere bataille, à
du Case of Proclamations de 1611 2'7, ou les juges refusent de reconna1tre au Roi pouvoir de Wes
le pouvoir de créer des droits et obligations dans le chef des sujets par le biais Lord Irvine 1
d'une proclamation, ce qui vaut a fortiori aussi pour un traité international. Seul projet de loi, p
le parlement est habilité à poser des normes qui obligent les individus. N'ayant ment élu du pe,
pas été incorporée dans un statute, la Convention européenne de 1950 ne consti- Human Rights.
tue pas, en droit anglais, une source légale qu'un justiciable pourrait invoquer à s'agisse d'une 11
l'encontre d'un acte administratif et encare moins vis-à-vis d'une loi. Le droit nel de conventi
international constitue tout au plus une source d'inspiration pour les juges lors- plus originales
qu'il sont amenés à interpréter une disposition ambigue d'un statute ou d'une le législateur gi
regle de la common law. Dans cette seule hypothese, le juge est supposé ne plus systeme institu
ignorer la Convention en raison d'une convention, au sens de Dicey, selon responsabilité u,
laquelle le parlement est présumé avoir respecté les obligations internationales les mains du sei,
du Royaume-Uni à moins d'avoir clairement exprimé le contraire. Or, depuis là d'une fiction
que le Premier ministre Wilson a accepté, le 14 janvier 1966, la juridiction obli-
gatoire de la Cour européenne des droits de l'homme (art. 46 CEDH) ainsi que 2º Le systeme ,
le droit de saisine des individus (art. 25), l'État britannique est soumis à un
contrôle juridictionnel au niveau européen. Le justiciable peut alars, à condition Le systeme 1
de prendre le chemin long et couteux jusqu'à Strasbourg, faire prévaloir ses sieurs étapes à 1
droits, et ce même à l'encontre des lois votées parle Parlement de Westminster.
Des lors, tout le débat sur le juste équilibre entre les élus et les juges était déjà .a) La déclarati
tranché depuis 1966, et ce au profit d'un juge qui n'est pas même pas un juge
national. 326 La premiere ét.
incorporés par
tive. Avant la d,
1º Le dogme de la souveraineté: le refus d'un droit de censure
des deux cham 1
du juge britannique
l'article 19, soi1
325 Au lieu de tirer, de façon pragmatique, les conséquences de cet état de fait, le par- de la Conventi
« déclarer que, b
lement nouvellement élu sous les couleurs du Labour s'est soudainement méfié
le gowuememen
du pouvoir des juges et s'est réclamé du principe traditionnel de la souveraineté.
Entré en vigueur le 2 octobre 2000, le Human Rights Act du 9 novembre 1998 '"'
299. V. supra n" 29
300. En 1993, il s,
295. Cf l'affaire The Parlement Belge (1879) 4 P.D. 129, 154. avec un contrôle j,
296. Sur la suprématie du droit internacional du point de vue internacional, cf. D. CARREAU, ration d'une déclar
Droit internacional, 3' éd., Paris, Pédone, 1991, pp. 41-52. ing Rights Home :
297. (1611) 12 Coke's Reports 74. 301. Lord IRVINI·
298. On peut consu!ter le texte sur le site internet du Her Majesty's S1,1tionary 0/fice 302. Cf are. 3 ai.
(www.hmso.gov.uk). Pour une présentation par son auteur, ef. Lord IRVINE of LAIRG, « The Deve- Act 1998 », PL, 19'
lopment of Human Rights in Britain under an Incorporated Convention on Human Rights », 303. S. FREDMA
PL, 1998, pp. 221-236. 304. Lord IRVINI

1 .
s de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe of Law sous le signe des droits de l 'homme et du juge 317

he de la souveraineté incorpore certes la Convention en droit anglais, mais il reste en deçà non seule-
ment des attentes des libéraux, lesquels auraient voulu voir s'instaurer en Angle-
terre un contrôle juridictionnel des lois '"', mais aussi des promesses électorales
lu droit international, selon du Labour lui-même, qui se voulait beaucoup plus ambitieux dans le passé-' 00 •
e sa prérogative royale, avec Au moment ou la mise en cause de la souveraineté par la suprématie du droit
interne 195, bien qu'ils lient communautaire ne fait plus aucun doute, le pouvoir politique se livre à une der-
:mal ,w._ Ce príncipe découle niere bataille, à une sorte de baroud d'honneur, pour sauver ce qui peut l'être du
1sent de reconnaltre au Roí pouvoir de Westminster pris entre les tenailles des juges européens et de l'exécutif.
· chef des sujets par le biais Lord Irvine of Lairg, Lord Chancellor dans le gouvernement Blair et auteur du
un traité international. Seul projet de loi, proclame ainsi que « le parlement est le représentant démocratique-
igent les individus. N'ayant ment élu du peuple et doit rester souverain » 'º 1• Par conséquent, l'article 3 (2) du
ropéenne de 1950 ne consti- Human Rights Act de 1998 interdit au juge d'invalider une loi britannique, qu'il
ticiable pourrait invoquer à s' agisse d'une loi antérieure 30' ou postérieure. Au lieu d'un contrôle juridiction-
vis-à-vis d'une loi. Le droit nel de conventionnalité en bonne et due forme, la loi instaure une technique des
:piration pour les juges lors- plus originales consistam en un « dialogue ,,m entre le Strand et Westminster, ou
bigue d'un statute ou d'une le législateur garderait toutefois le dernier mot, du moins en ce qui concerne le
, le juge est supposé ne plus systeme institutionnel britannique (et encore ... ). Aux dires de Lord Irvine, « la
n, au sens de Dicey, selon responsabilité ultime pour ce qui est du respect de la Convention doit reposer entre
obligations internationales les mains du seul parlement »-'º'. Reste à savoir dans quelle mesure il ne s'agit pas
mé le contraire. Or, depuis là d'une fiction.
ier 1966, la juridiction obli-
te (art. 46 CEDH) ainsi que 2° Le systeme de protection inventé parle Human Rights Act
ritannique est soumis à un
iable peut alors, à condition Le systeme mis en place par la loi est assez complexe. Il se compose de plu-
asbourg, faire prévaloir ses sieurs étapes à la fois politiques et judiciaires, nationales et européenne.
· Parlement de Westminster.
!S élus et les juges était déjà a) La déclaration de compatibilité devant le parlement (art. 19)
1'est pas même pas un juge
326 La premiere étape de ce mécanisme de protection des droits de la Convention,
incorporés par l'article 1 et l'annexe I, se situe au niveau de la procédure législa-
tive. Avant la deuxieme lecture d'un projetou d'une proposition de loi dans l'une
it de censure
des deux chambres, le ministre en charge du dossier « doit », selon les termes de
l'article 19, soit déclarer que la loi envisagée ne porterait pas atteinte aux droits
de la Convention - ce qu'on appelle un « statement of compatibility » - , soit
ices de cet état de fait, le par-
« déclarer que, bien qu 'il soit incapable de faire une telle déclaration de compatibilité,
rJr s'est soudainement méfié
le gouvemement souhaite néanmoins que la chambre continue à débattre de la loi ».
ditionnel de la souveraineté.
:sAct du 9 novembre 1998 2"
299. V. supra n" 296 ss.
300. En 1993, il se proposait d'incorporer la Convemion en y incluam une clause « nonobstant ,,
avec un comrôle juridictionnel de convemionnalité des lois. En outre, il souhaitait à terme l 'élabo-
imernational, cf D. CARREAU, ration d'une déclaration proprement britannique des droits de l'homme. Cf J. WADHAM, « Bring-
ing Rights Home: Labour's Plans to Incorporate the ECHR imo UK Law ", PL, 1997, p. 75.
301. Lord IRVINE OF LAIRG, op. cit., p.225.
Her Majesty's St<llionary 0/fice 302. Cf art. 3 al. 2 (a) et N. BAMFORTH, « Parliamentary Sovereigmy and the Human Rights
rd IRVINE of LAIRG, « The Deve- Act 1998 ", PL, 1998, p. 574.
Convention on Human Rights ", 303. S. FREDMAN, « Bringing Rights Home ", LQR, vol. 114, 1998, p. 538.
304. Lord IRVINE, op. cit., p. 225.

l
,,;

318 De la Rufe ofLaw ou les partirnlarismes de l'esprit juridique anglais L'ascensio

À travers ces termes choisis, la loi oblige le gouvernement à avouer qu'il ne peut sible. » ,o•,
certifier le caractere entierement conforme du projet en cause, ce qui peut valoir, phore de
vis-à-vis de la Cour de Strasbourg - toujours présente à l'arriere-fond -, recon- quement,
naissance officielle d'une violation de la Convention en tant que traité interna- a' savoir i.:
tional. Du coup, le gouvernement se lie les mains pour l'avenir et se trouve qua- en user, e
siment dans l'impossibilité de se défendre devant la Cour européenne si jamais Conventi
celle-ci est saisie par un justiciable britannique. On peut clone supposer que soit clairemen
le ministre évitera de dire quoi que ce soit, ce qui pose la question de la sanction tion. Aut
juridictionnelle d'une méconnaissance de l'article 19'º5, soit il usera de toutes ses forme, pa
capacités rhétoriques pour affirmer le caractere compatible de la loi projetée, ce ce qm exF
qui légitimera ultérieurement un certain pouvoir d'interprétation des juges. bourg. À
ment invi
~) Le pouvoir d'interprétation des juges britanniques (art. 3 al. 1) lité", mên
Si cett,
327 Une fois que la loi, déclarée conforme ou non parle ministre, est adoptée parle comme le
parlement, la question de sa compatibilité avec les droits de la Convention ins- entre un t
crits dans le Human Rights Act se posera, tout d'abord, devam les juges natio- la loi, n'e'.
naux. L'article 3 de loi de 1998 prévoit à cet effet deux principes. En premier la Conver
lieu, l'alinéa 1 de l'article 3 dispose que « dans la mesure du possible la législation à la Conv,
primaire et secondaire doit être lue et appliquée d'une façon qui est compatible avec hibant au
les droits de la Convention » 'º6 • Voilà une formule« profondément mystérieuse » 'º' prétation
à en croire G. Marshall. L' expression « dans la mesure du possible » peut, en effet, constitue,
prêter à confusion. Traditionnellement, le pouvoir d'interprétation des juges est de ce mên
admis dans le cas ou il existe une ambigu"ité dans la loi et que le juge a le choix est, par d,
entre plusieurs lectures. En revanche, son pouvoir est supposé trouver ses limites tion"º.
là ou le texte est à nouveau clair. Or, selon le gouvernement, le Human Rights
Act va au-delà de cette regle d'interprétation traditionnelle. Lord Irvine of Lairg y) La décl
affirme ainsi qu'« il ne sera pas nécessaire de trouver un point ambigu »'º'. « Au
contraire, les juridictions seront appelées à interpréter la législation de maniere 328 L'article 3
à maintenir les droits de la Convention, à moins que la législation elle-même aille sible" au j
si clairement à /'encontre de la Convention que tout essai en ce sens s'avere impos- juge se lin
jurisprud,
Conventi<
l'article 4
305. N. BAMFORTH, op. cit., p. 575 ss. II considere qu'il s'agit d'une obligation de narure politique aveu, pror
ou conventionnelle, au sens de Dicey. Selon !ui, les juges déclineront leur compétence pour vérifier
Ie respect de cerre formalité, qui releverair des affaires internes du parlement.
306. Par « législation primaire » il faur entendre les !ois votées par le Parlement de Westminster et
par« législation secondaire » les actes réglementaires édictés par l'exécurif. 309. Ibid. :
307. G. MARSHALL,« lnterpreting Interpretation in rhe Human Rights Bill», PL, 1998, p. 167. Convention
Voir le large débat sur la signification de l'an. 3: F. KLUG, « The Human Righrs Act 1998, Pepper impossible tP
v. Han and Ali That », PL, 1999, pp. 246-273; G. MARSHALL,« Two Kinds of Compatibility: 310. Comm
more abour Section 3 of The Human Rights Act 1998 », PL, 1999, pp. 377-383; R.A. EDWARDS, organisée le
« Generosity and the Human Rights Act : the Right lnterpretation? », PL, 1999, pp. 400-405.; tion consrin
F. BENNION, « What lnterpretation is "Possible" under Section 3 (1) of the Human Rights quelques inc
Act 1998? », PL, 2000, pp. 77-91; R. BUXTON, « The Human Rights Act and Private Law », LQR, du droit po,
vol. 116, 2000, pp. 48-65. prudepce qu
308. Lord IRVINE, op. cit., p. 228. Cf supra ff 294, les conceptions de T.R.S. Allan et Lord Brown- 311. A supp
Wilkinson quant au pouvoir d'interprétation du juge. <lamentai en
is de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe of Law sous le signe des droits de l'homme et du juge 319

iment à avouer qu'il ne peut sible. »-'º'' On pourrait expliquer la différence en transposant la fameuse méta-
en cause, ce qui peut valoir, phore de Carol Harlow du feu rouge et du feu vert. Jusqu'ici il fallait, théori-
1te à l'arriere-fond -, recon- quement, au juge un feu vert pour recourir à son pouvoir normatif,
n en tant que traité interna- à savoir une ambiguYté textuelle. À partir du Human Rights Act, le juge peut
mr l' avenir et se trouve qua- en user, de prime abord, pour "harmoniser" une loi avec les exigences de la
Cour européenne si jamais Convention, à moins qu'il n'y ait un feu rouge explicite, c'est-à-dire une volonté
peut clone supposer que soit clairement exprimée de la part du législateur d'aller à !'encontre de la Conven-
se la question de la sanction tion. Autrement dit, il faudrait presque avouer la violation de ces droits sous la
1m, soit il usera de coutes ses forme, par exemple, d'un refus parle ministre de la déclaration de compatibilité,
patible de la loi projetée, ce ce qui expose inévitablement le Royaume-Uni à la censure de la Cour de Stras-
mterprétation des juges. bourg. À l'inverse, dans le cas d'une déclaration de compatibilité, le gouverne-
ment invite les juges à faire « le plus possible » pour éliminer coute "incompatibi-
ques (art. 3 al. 1) lité", même s'il faut aller à !'encontre du texte.
Si cette nouvelle regle d'interprétation des lois est réellement novatrice,
'. ministre, est adoptée parle comme le prétend le gouvernement, cela implique que la distinction classique
:lroits de la Convention ins- entre un texte clair et un texte ambigu, entre l'application et l'interprétation de
JOrd, devant les juges natio- la loi, n'est plus opératoire. Un texte qui est clair, mais "légerement" contraire à
deux príncipes. En premier la Convention doit être lu, « dans la mesure du possible », dans un sens conforme
~sure du possible la législation à la Convention. Des lors, l'interdiction que formule l'alinéa 2 de l'article 3, pro-
façon qui est compatible avec hibant au juge d'invalider une loi, est paradoxale et contradictoire : une inter-
1rofondément mystérieuse » 'º7 prétation contra legem, à laquelle invite l'article 3 al. 1 (à en croire Lord lrvine),
0 e du possible » peut, en effet, constitue, en effet, une invalidation de la loi {ce qu'interdit justement l'alinéa 2
l'interprétation des juges est de ce même article), puisque la volonté de !'interprete l'emporte sur un texte qui
loi et que le juge a le choix est, par définition, clair mais "légerement" contraire aux droits de la Conven-
t supposé trouver ses limites tion "º.
·ernement, le Human Rights
mnelle. Lord Irvine of Lairg y) La déclaration d'incompatibilité par le juge britannique (art. 4 al. 2)
'zm point ambigu »-'"'. « Au
,er la législation de maniere 328 L'article 3, alinéa 2, ne vaudrait ainsi que pour les casou il est "vraiment impos-
la législation elle-même aille sible" au juge de faire une telle interprétation neutralisante. À ce moment là, le
essai en ce sens s'avere impos- juge se limite (à moins de pouvoir recourir encore à un autre moyen, à savoir la
jurisprudence Factortame-' 11 ) à constater l'incompatibilité de la loi avec la
Convention. À cet effet, il fait une « déclaration d'incompatibilité », en vertu de
l'article 4 alinéa 2, tout en appliquant, par ailleurs, la !oi. Voilà clone un nouvel
!'une obligation de nature politique aveu, prononcé par un organe étatique, d'une violation de la Convention, aveu
ront leur compétence pour vérifier
u parlement.
>ar le Parlement de Westminster et
'exécutif. 309. lbid. : « On the contrary the co,ms will be req11ired to interpret legislation so as to 11phold the
nan Rights Bill», PL, 1998, p. 167. Convention rights zmless the legislation itself is so clearly incompatible with the convention that it is
1e Human Rights Act 1998, Pepper impossible to doso. ,,
L, « Two Kinds of Compatibility : 310. Comme l'a fait remarquer Jack Beatson, lors d'un entretien à l'occasion de laJournée d'études
99, pp. 377-383; R.A. EDWARDS, organisée le 6 avril 2000 par l'Association française des constitutionnalistes sur le theme « L'évolu-
rnion? », PL, 1999, pp. 400-405.; tion constitutionnelle du Royaume Uni : une révolution? ", un te! systeme n'est pas sans poser
ction 3 (1) of the Human Rights quelques inconvéniems au regard du principe de la sécurité juridique. Pour connaitre, en effet, l'état
lights Act and Private Law », LQR, du droit positif anglais, il faudrait non seulement consulter le texte de la !oi, mais encore la juris-
prudepce qui pourrait avoir contredit le texte clair de la !oi.
:ms de T.R.S. Allan et Lord Brown- 311. A supposer que le litige concerne le droit communautaire et que cdui-ci consacre le droit fon-
damental en cause, le juge pourrait, en effet, censurer la !oi anglaise.
320 De la Rufe ofLaw ou les particularismes de l'esprit juridique anglais L 'ascension d(

qui risque de peser lourdement dans un évemuel proces à Strasbourg. Des lors, tion dans la
souveraineté du parlement oblige, la balle reviem à ... l'exécutif. L'arricle 10 ainsi XVII' siecle pa
que l'annexe 2 du Human Rights Act prévoiem un « fast track procedure », une John Locke.
procédure législative simplifiée qui n'est pas sans rappeler la technique comi- politique, à t
nentale des décrets-loi ou ordonnances. Elle permet au ministre compétent de autre pays n';
prendre les mesures nécessaires, afin de rendre Ia loi conforme aux droits de la juridictionnel
Convemion. À cet effet, il « peut » ' 11 , caril n'y est pas légalement obligé m, chan- constitutionn
ger toutes les lois. li peut même agir de façon rétroactive-"' pour revenir sur la lutions et bou
décision de justice qui a du appliquer une !oi nationale comraire à la Conven- côté de l'Atla
tion et qui risque de provoquer une saisine de la Cour de Strasbourg. nies américair
329 En conséquence, la soi-disant défense du principe de la souveraineté du parle- vont alars se l
mem para1t relever davamage d'une fiction que de la réalité. Pour sauver celle-ci, príncipe de la
on refuse cerres au juge britannique d'invalider officiellement une !oi; mais, en d'un texte fon
même temps, on semble admettre que !e juge puisse faire violence aux mots de tion juridictic
la loi, en verru d'un pouvoir dit « d'interprétation » dom il est difficile d'appré- nem europée1
hender les limites. De surcroit, l'article 3 ai. 2 ignore la jurisprudence Factortame querom de le
et les possibilités offertes par !e droit communautaire au juge britannique. Dans poursun sa pr
la mesure ou la Convention fait parrie du droit communautaire par !e biais des utilitariste de
príncipes généraux du droit, et à condition que !e litige entre dans le champ d'ap- attendre la cor
plication du droit communautaire, ce qui n'est cerres pas toujours le cas, le juge reio1gne, en p;
anglais pourra censurer la loi en se passam du mécanisme complexe des arricles 3
et 4. Enfin, il ne faut pas oublier que, depuis 1966, les lois du Parlement de West-
minster sont soumises au comrôle juridictionnel exercé par la Cour de Stras-
bourg. Rétrospectivemem, on s'aperçoit qu'en réalité la souveraineté du parle-
mem, dans sa conception traditionnelle, c'est-à-dire l'absence d'un droit et d'un
juge supérieurs, n'existe plus depuis, déjà, 1966 et 1972. Cerres, le parlement
pourra toujours recouvrer sa souveraineté en se retiram du Cansei! de l'Europe
et de l'Union européenne. Mais, tam qu'il ne !'a pas fait, la souveraineté au sens
ou l'emendait Dicey n'est plus. Le concept de« souveraineté ultime» n'est que
Ia feuille de vigne qui cache la nudité du roi.

330 L'histoire du concept anglais de rufe of law n'est pas sans quelques paradoxes.
Alars que l'Angleterre ne s'est toujours pas dotée d'une constitution, au sens
formei, même apres !e Human RightsAct de 1998, elle peut se targuer d'avoir été
le premier pays occidemal à avoir donné vie à des élémems clés du constitu-
tionnalisme moderne. L'idée des droits individueis trouve sa premiere formula-

312. An. 10 ai. 2.


313. N. BAMFORTH, op. cit., p. 573. II s'agit tout au plus d'une obligation conventionnelle, au sens
de Dicey, dom la sanction réside à la fois dans la pression de l'opinion publique et dans le poids des
obligations découlant du droit internacional.
314. Annexe 2, an. 1 ai. 1 (b).
ies de l'esprit juridique anglais L 'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe des droits de l'homme et dtt juge 321

,roces à Strasbourg. Des lors, tion dans la doctrine classique de la common law, élaborée des le début du
.. l'exécutif. L'article 10 ainsi XVII' siecle par Sir Edward Coke, avant d'être reprise dans la célebre théorie de
l « Jast track procedure », une John Locke. Bien avant les autres pays, elle a concrétisé l'idée de l'autonomie
rappeler la technique conti- politique, à travers le rôle central accordé au Parlement de Westminster. Nul
et au ministre compétent de autre pays n'a évoqué aussi tôt l'idée d'une constitution écrite, d'un contrôle
Di conforme aux droits de la juridictionnel des lois, voire l'hypothese d'une limitation du pouvoir de révision
as légalement obligé "3, chan- constitutionnelle. Mais, éparpillés dans les soubresauts d'un siecle riche en révo-
oactive 314 pour revenir sur la lutions et bouleversements de tout ordre, ces germes ne vont éclore que de l'autre
Dnale contraire à la Conven- côté de l' Atlantique, lorsque au nom des idées anglaises sur la liberté, les colo-
)ur de Strasbourg. nies américaines vont se révolter contre le roi George III. Ces divers éléments
de la souveraineté du parle- vont alors se cristalliser en un systeme cohérent, au sein duque! s'imbriquent !e
i réalité. Pour sauver celle-ci, principe de la souveraineté du peuple avec l'idée des droits naturels, l'exigence
tciellement une loi; mais, en d'un texte fondateur, supérieur au pouvoir législatif, avec le postular d'une sanc-
;e faire violence aux mots de tion juridictionnelle. L'écho de ces idées modernes sera amplifié, sur !e conti-
► dont il est difficile d'appré- nent européen, par la Révolution française de 1789, dont les principes mar-
! la jurisprudence Factortame queront de leur empreinte les esprits d'outre-Rhin. Entre-temps, l' Angleterre
re au juge britannique. Dans poursuit sa propre voie, adoptant, à partir du début du XIX' siecle, la doctrine
nmunautaire parle biais des utilitariste de Bentham qui inspirera la nouvelle dogmatique de Dicey. II a fallu
ige entre dans le champ d'ap- attendre la construction de la grande et de la petite Europe pour que l' Angleterre
es pas toujours le cas, le juge rejoigne, en partie, le mouvement général.
tisme complexe des articles 3
!S lois du Parlement de West-
!xercé par la Cour de Stras-
.ité la souveraineté du parle-
1' absence d'un droit et d'un
1972. Certes, le parlement
rant du Conseil de l'Europe
, fait, la souveraineté au sens
tveraineté ultime» n'est que

,as sans quelques paradoxes.


d'une constitution, au sens
le peut se targuer d'avoir été
; éléments clés du constitu-
trouve sa premiere formula-

)bligation conventionnelle, au sens


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teur de l' État
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riou, Carré de
332 Sur cette quest
français. Les o
de l'apport d,
France, obnul:

l. Cf par ex. J. C
que la Contributi,
cue « !e véritable ,/
déjà Esmein, qui ,
rer !e droi t positif,
ne comprend pas
rieurs. Voir aussi 1
Montchrestien, q,
p. IX), tantôt que 1
notes 1 et 2. Sur 1
berg (infi-a n" 384
Titre 3
/

L' ETAT DE DROIT OU LES APORIES


D'UN NOUVEAU DISCOURS DOCTRINAL

331 En histoire des idées, et cela vaut a fortiori pour l'histoire de la pensée juridique,
les questions d'apparence facile sont souvem les plus difficiles. II en est ainsi de
la date de naissance exacte du concept français d'Etat de droit, si toutefois il existe
un tel concept. Les deux aspects som, en effet, imimement liés puisqu'il faut déjà
conna1tre l' objet pour pouvoir en situer les origines. À cet égard, les avis des
auteurs français som assez variés et parfois hésitams, hésitations qui refletem les
incertitudes quam à l' objet même de la recherche 1• Faut-il s' attacher au mot ou,
plutôt, à l'idée? Faut-il se tourner vers l' Allemagne, qui serait la patrie de l' État
de droit, ou doit-on s'iméresser davamage à la théorie des juristes français? Dans
cette derniere hypothese, quel auteur hexagonal peut se targuer d'être l'inven-
teur de l'État de droit? S'agit-il de l'un des fondateurs de la science du droit
public sous la ll• République - et si oui, lequel parmi les Esmein, Duguit, Hau-
riou, Carré de Malberg - ou faut-il remanter jusqu'à la Révolution française?
332 Sur cette question, les auteurs étrangers ne som pas moins divisés que les auteurs
français. Les opinions les plus contradictoires ont ainsi été défendues s'agissant
de l'apport des philosophes et juristes français. D'aucuns ont estimé que la
France, obnubilée par la théorie rousseauiste de la souveraineté, était incapable

1. Cf par ex. J. CHEVALLIER, L 'État de dr9it, 2' éd., Paris, Momchrestien, 1994, p. 154. II affirme
que la Contrib11tion à la théorie générale de l'Etat P,Ubliée en 1920-22 par R. Carré de Malberg consti-
tue « le véritable départ de la théorie française de l'Etat de droit ». En même temps, il avance l'idée que
déjà Esmein, qui n'a pourtant jamais employé le terme, utilise « le concept d'Etat de droit pour éclai-
rer le droit positiffrança is». Or, s'il faut retenir com me critere non pas le mot, mais la "chose", on
ne comprend pas pourquoi avoir choisi Esmein et non pas d'autres auteurs de l'époque ou anté-
rieurs. Voir aussi les hésitations de J. GICQUEL, Droit constitittionnel et instittttions politiques, Paris,
Montchrestien, qui ,affirme tantôt que l'Et,tt de droit est né de la Déclaration de 1789 (12' éd., 1993,
p. IX), tantôt que l' Etat de droit est une« idée no11velle » (15' éd., 1997, p. 485). Voir aussi infra n" 382,
notes 1 et 2. Sur !'origine française ou allemande du Rechtsstaat, cf les hésitations de Carré de Mal-
berg (infra fi'' 384 note 13 et n" 413 note 221).
324 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal L'Étatdedr

de concevoir l'idée, intrinsequement allemande, du Rechtsstaat'. À force d'exalter investi les t


les vertus du regne du nombre, si ce n'est de la rue, les révolutionnaires auraient mieres OCCI
peu contribué à l'idéal du regne du droit, bien que l'idée soit évoquée par cer- France, par
tains d'entre eux '. Selon l'avis, assez surprenant, de E.-W. Béickenféirde, il rêt pour les
n'existe dans les doctrines juridiques étrangeres aucun terme, ni même aucun sait-au ler
concept analogues au Rechtsstaat, lequel serait propre à la culture juridique pour object
d'outre-Rhin 4. À cette vision ethnocentrique s'oppose toutefois un fort courant intellectuell
cosmopolite qui, depuis les débuts de la théorie du Rechtsstaat, n'a cessé d'insis- ce qu1 est n
ter sur ses origines occidentales, situées en Angleterre, aux États-Unis, en juridiques cl
France, etc.' déjà à cette
333 Seule la distinction épistémologique entre signifiant et signifié naus permettra des ouvrage
de démêler ce nceud gordien. Si l'on s'en tient à une approche strictement la connaiss,
sémantique - car pour l'instant, l'existence du terme est notre seul point de jacente 8 • En
repere -, l'histoire de l' État de droit commence avec le discours de l'État de droit. de Législatit
11 conviem dane de déterminer à quel moment précis l'expression française a senschaft na(
de la premi
Rechtsstaat,
« État légal
2. En ce sens : R. GNEIST, Der Rechtsstaat ,md die Verwaltungsgerichte in Deutschland, 2' éd., ~erlin,
Springer, 1879, chap VII, p. 158 ss («La négation du Rechtsstaat dans.la conception françaisede l'Etat »). Mis au e
Lire spéc. pp. 164-167 et p. 172. n'estiment 1
3. F.A. HAYEK, Die Verfasmng der Freiheit, op. cit., chap. 13, p. 248. D' ou le caractere extrêmemem
succinct de ses développemems sur la,France (en tout 4 pages) comrairemem aux longs développe-
mems consacrés à l'Angleterre, aux Etats-Unis et à l'Allemagne. Souvem d'ailleurs, la France est
ignorée dans des ouvrages comparatifs. Cf, par ex., H. HOFMANN, « Geschichtlichkeit und Uni- 6. Cf infra ff
versalitatsanspruch des Rechtsstaats », Der St,1at, 1995, pp. 1-32, spéc. p. 1 ss; M. TOHIDIPUR (dir.), 7. Sur ces éch.
[?er bzirgerliche Rechtsst,wt, op. cit., comiem des chapitres consacrés à l' Allemagne, l'Angleterre et les tifs étrangers e,
Etats-Unis, à l'exclusion de la France. en France des 1
4. E.-W. BÕCKENFÕRDE, « Emstehung und Wandel des Rechtsstaatsbegriffs », op. cit., p. 144 1988, pp. 85-1
( = extrair cité supra n-· 36 note 32). Staatswissenscl
5. R. v. MOHL, Geschichte 1mg Literawrder Staatswissensch,iften, Erlangen, Enke, 1855, t. 1, p. 227- en France et e
252. Dans la section imitulée Emergence et fonnation de l'idée du Rechtsstaat, Mohl évoque successi- des droits adm
vemem l'ceuvre de Grotius, les théories politiquj!S et juridiques de l'Anglcterre, des Pays-Bas, de la Foelix », ]EV,
France, de l'Allemagne, de l'Italie et enfin des Etats-Unis. Parmi les auteurs français qui auraiem 19"/20' siecles)
conceptualisé le Rechtsstaat, il cite Rousseau, Montesquieu, Constam, Guizot, Rossi, Daunou et in der deutsch,
Schützenberger (Les !ois de l'ordre social, Paris, 1849). O. Mayer estimait égalemem, du moins dans ]EV, vol. 8 (A
la 1" édition de son manuel de droit administratif, que le Rechtsst,1at était une idée européenne, pp. 163-189; J
commune aux deux « nations·s<rurs » que som l' Allemagne et la France (cf mpra n" 69 note 13). F rankreich vo,
Parmi les études comparées qui incluem le cas de la France, cf F. GARZONI, Die Rechtssta,1tsidee im Rechtsgeschich1,
scbweizerischen Sta,1tsdenken des 19. Jahrhzmderts (rmter Berzicksichtig1mg der Entwicklrmg im engli- juristes françai
schen, nordmner:fkanischen, franzõsischen 1111d deutschen Staatsdenken), Zürich, Polygraphischer Ver- conservées daw
lag, 1952; R. BAUMLIJ\!1 « Rechtsstaat », in R. HERZOG et alii (dir.), Ev,mgelisches Staatslexikon, façon générale.
op. cü., col. 2806 ss; R. BAUMLIN & H. RIDDER, « Anikel 20-Rechtsstaat », inA!temativKom- étrangere de L,:
mentar des Gnmdgesetz, op. cit.; A. BARATTA, « Zur Emwicklung des modernen Rechtsstaatsbe- reprises et devi
griffs », in Liberamicomm B.C.H Aubin, Kehl, Engel, 1979, pp. 1-14; A. BLECKMANN, « Der à partir de 184
Rechtsstaat in vergleichender Sicht. Zugleich ein Beitrag zur Rechtsquellenlehre des Europaischen fondée par L. ·
Gemeinschaftsrechts », GYIL, vol. 20, 1977, pp. 406-432 (Ali., Autr., Suisse, USA, Italie, GB, Béné- administra tive,
lux, Fr., CEE); R.C. van CAENEGEM, « The Rechtsstaat in Historical Perspective » i11 id., Leg,,l 8. Ainsi, le ju
History. A Eurvpean Perspective, op. cit., pp. 185-199; BATTAGLIA, « Stato etico e Stato di diritto », comacts persor
Rivista intemazionale di filosofia dei diritto, 1937, p. 237 ss; K.-P. SOMMERMANN, « Art. 20 », in qui avait effect
H. von MANGOLDT, F. KLEIN, C. STARCK (dir.), Das Bonner Gmrzdgesetz. Kommentar, 4, éd., Berriat-Saim-1'
München, Vahlen, t. II, 2000, pp. 112-118; R. GROTE, « Rule of Law, Etat de droit and Rechtsstaat nemem en Fra
- The Origins of the Differem Nacional Traditions and the Prospects for their Convergence in the 9. Revuedelég
Light of recem Constimtional Developmems », i11 C. STARCK (dir.), Constitmionalism, Universa- J.-L. MESTRE
lism and Democmcy- A Compara tive Analysis, Baden-Baden, Nomos, 1999. 10. Cf supra n
n no11veai1 discours doctrinal L'État de droit ozt les apories d'un nouveau discours doctrinal 325

~echtsstaat'. À force d'exalter investi les écrits des juristes. On ne sera guere surpris d'apprendre que les pre-
les révolutionnaires auraiem mieres occurrences du terme s'inscrivent dans le sillage de la réception en
l'idée soit évoquée par cer- France, par deux vagues successives, des théories juridiques allemandes. L'inté-
' de E.-W. Bõckenforde, il rêt pour les auteurs d'outre-Rhin a connu son heure de gloire - comme on le
cun terme, ni même aucun sait - au lendemain de la défaite de 1870, lorsque les autorités françaises se fixem
opre à la culture juridique pour objectif d'apprendre de l'ennemi afin de saisir ce qui fait la force, à la fois
Jse toutefois un fort couram intellectuelle, politique, militaire, etc., du Reich bismarckien''. Mais - et c'est
Rechtsstaat, n'a cessé d'insis- ce qui est moins connu - les premiers comacts entre les facultés et les sciences
leterre, aux États-Unis, en juridiques de part et d'autre du Rhin se som noués des le début du XIX' siecle :
déjà à cette époque a lieu un échange assez imense des personnes, des idées et
tt et signifié nous permettra des ouvrages 7 • À cette occasion, les publicistes français ont d'ailleurs pu faire
. une approche strictement la connaissance du néologisme de Rechtsstaat et de la théorie libérale sous-
rme est notre seu! point de jacente 8. En témoigne le compte rendu anonyme, publié en 1844 dans la Revue
le discours de l'État de droit. de Législation et de Jurisprudence", du fameux traité de Mohl sur Die Polizeiwis-
·écis l'expression française a senschaft nach den Grundséitzen des Rechtsstaats 'º. 11 s' agit là, à notre connaissance,
de la premiere fois qu'un juriste français aborde explicitement la théorie du
Rechtsstaat, terme qui est d'ailleurs traduit non pas par État de droit, mais par
« État légal ».
?Ticbte in Deutscbland, 1' éd., Berlin,
ns la conception fr,mçaise de l'Étal » ). Mis au couram du concept de Rechtsstaat, les juristes libéraux de l'époque
n'estiment toutefois pas opportun dele reprendre à leur compte. Le silence du
248. D' ou !e caractere extrêmemem
omrairement aux longs développe-
.e. Souvem d'ailleurs, la France est
,NN, • Geschichtlichkeit und Uni- 6. Cf infra n" 384.
péc. p. 1 ss; M. TOHIDIPUR (dir.), 7. Sur ces échanges, dans les deux sens, cf. J.-L. MESTRE, « La connaissance des droits administra-
és à l' Allemagne, !' Anglecerre et les cifs étrangers en France entre 1815 et 1869 », AEAP, vol. 8, 1985, pp. 711-729; id., « Le rayonnement
en France des faculcés de droit et d'adminiscracion de Tübingen sous la monarchie de Juillet », RR],
,chtsstaatsbegriffs », op. cit., p. 144 1988, pp. 85-110; T.R. OSBORNE, « The "German Model" in France: French Liberais and che
Scaatswissenschafcen, 1815-1848 »,JEV, vol. 1 (Formation et transformacion du savoir adminiscracif
,, Erlangen, Enke, 1855, t. 1, p. 227- en France et en Allemagne, 18'/19' sieclc), 1989, pp. 123-139; J.-L. MESTRE, « La connaissance
, Recbtsstaat, Mohl évoque successi- des droits administratifs allemands en France entre 1830 et 1869 à partir de la "Revue étrangere" de
de l' Anglcterre, des Pays-Bas, de la Foelix »,JEV, vol.1 (Confroncacion et assimilation des droits administratifs nacionaux en Europe,
ni les auteurs français qui auraiem 19'/20' siecles), 1990, pp. 193-212; E.V. HEYEN, « Franzõsisches und englisches Verwalcungsrechc
mstant, Guizot, Rossi, Daunou et in der deutschen Rechcsvergleichung des 19. Jahrhundercs : Mohl, Stein, Gneisc, Mayer, Hatschek »,
estimait également, du moins dans JEV, vol. 8 (Adminiscraciqn et droic administratif en France et Allemagne, 18'/20' siecles), 1996,
btsst,,at écait une idée européenne, pp. 163-189; J.-L. HALPERIN, « Der Einfluss der deucschen Rechtsliteratur zum Code civil in
la France (cf supm n" 69 note 13). Frankreich von Lassaulx bis Zacharia », in R. SCHULZE (dir.), Rheinisches Recht zmd Europãische
GARZONI, Die Recbtssta<1tsidee im Rechtsgeschichte, Berlin, Duncker & Humblot, 1998, pp. 215-237; O. MOTTE, « lntroduccion: Les
d1tig1mg der Entwickltmg im engli- jurisces français et l'Allemagne (1804-1914} », in id., Lettres inédites dejuristesfrançais d11 XIX siecle
,ken), Zürich, Polygraphischer Ver- conservées d,1ns les archives et bibliotheques allemmzdes, Bonn, Bouvier, 1989, t. 1, pp. 12-95. Voir, de
'ii (dir.), Ev,mgelisches St<1atslexikon, façon générale, les numéros qes deux grandes revues juridiques publiées à partir de 1834: l} la Revue
- Rechtsstaac », in Altemativ Kom- étrangere de Législation et d'Economie politique: fondée par J.-J. Foelix, elle, change de nom à deux
lung des modernen Rechtsstaatsbe- reprises et devienc des 1836 la Revue étrangere et franç<1ise de Législation et d'Economie politique, puis,
p. 1-14; A. BLECKMANN, « Der à partir de 1844, la Revue de droit /rançais et étranger; 2) la Revue de législation et de jurispmdence :
~chcsquellenlehre des Europaischen fondée par L. Wolowski, elle devient en 1851 la Revue critique de la jurispmdence en matiere civile,
cutr., Suisse, USA, ltalie, GB, Béné- administrative, commerciale et criminei/e.
-Iistorical Perspective » in id., Leg,,I 8. Ainsi, le juriste libéral Édouard Laboulaye, qui s'écait rendu en Allemagne, avait noué des
IA, « Stato etico e Stato di dirino », comacts personnels avec Robert von Mohl, !'une desfigures de proue de l'école du Rechtsstaat. Mohl,
. SOMMERMANN, « Are. 20 », in qui avaic effeccué un voyage d'études à Paris, emretenait également des liens épistolaires avec Félix
1er Gmrzdgesetz. Kommentar, 4' éd., Berriac-Saim-Prix et Firmin Laferriere. Sur son influence en France, cf J.-L. MESTRE, • Le rayon-
f Law, Etat de droic and Rechcsstaat nement en France ... », op. cit., spéc. pp. 94-98 et p. 106 s.
,speccs for cheir Convergence in che 9. Revue de législation et de]urispmdence, 3' série, t. 5, 1844, pp. 529-531. L'article est reproduit chez
. (dir.), Constitutiorwlism, Universa- J.-L. MESTRE, « Le rayonnemem en France ... ", op. cit., p. 94 ss .
[omos, 1999. 10. Cf supra n" 34.
326 L 'État de droit ou les apories d'un nouveatt discours doctrinal L 'État de droi,

côté français sera total duram tout le XIX' siecle. Le vocable français État de droit cours dans so:
sera, en réalité, créé par des auteurs allemands ou, plus précisément, par leurs et lointain (17
traducteurs. Ainsi en 1868 le terme « État de droit » fait sa premiere apparition "valeur ajouté
dans le Cours de droit naturel du professeur allemand Heinrich Ahrens (1808- continuités et,
1874) ". Celui-ci s' était réfugié en France à la suite du coup d'État royal à rer l'impact et
Hanovre en 1837; il a enseigné pendant une courte période la philosophie du linguistiques ;
droit à Paris, avant de repartir d'abord à Bruxelles, puis à Graz et à Leipzig 11• Le expression do
terme État de droit figure ensuite dans la traduction française de la Allg_emeine tout à rompre
Staatslehre de Johann Kaspar Bluntschli (1808-1881), publiée en 1877 ".Ala fin juges, au gré d
du xrx· siecle, il appara,t brievement, à quelques rares endroits, dans les traduc-
tions des ouvrages classiques de Rudolf Ihering, Georg Jellinek, Paul Laband, Chapitre 1. L
sans oublier l'ouvrage d'Otto Mayer qui est plus prolixe sur le Rechtsstaat' 4 • Ce
n'est qu'au début du XX' siecle, plus précisément en 1907, que la doctrine publi-
Chapitre 2. l
ciste française, en la figure de Léon Duguit, commence à s'en servir à titre de
tiques
concept valam pour le droit français ". S'il faut fixer une date de naissance au dis-
cours français de l'Étatdedroit, c'est bien 1907, date à laquelle un seuil critique
est franchi. Le succes est cependant de courte durée, car l' expression dispara'it
peu apres et ne resurgit de l'oubli qu'au cours des années 1980-1990 sans que l'on
sache, au vu des critiques et réticences qu'elle suscite, si elle va ou non s'accli-
mater dans la science constitutionnelle française.
334 L'on ne sait guere, en effet, s'il s'agit d'un simple mot à la mode, d'un label sou-
mis aux aléas et caprices d'une doctrine qui n' est pas totalement insensible aux
attraits du beau verbe, ou, au contraire, d'une construction intellectuelle cohé-
rente, pertinente et nécessaire. Faut-il y voir la simple traduction littérale du mot
Rechtsstaat, dont la seule utilité consiste à désigner tantôt des normes du droit
positif allemand, tantôt des idées de la doctrine d'outre-Rhin - en tout cas une
"réalité" allemande -, ou peut-on identifier, en plus, un concept spécifiquement
français de l'État de droit? Pour saisir la signification, les enjeux et la fonction de
ce nouveau discours de l'État de droit dans le paysage intellectuel français, il faut
partir de la césure chronologique de 1907. C'est seulement en restituam ce dis-

11. L'expressian État de droit figure dans H. AHRENS, Cottrs de droit natllrel 011 de philosophie du
droit, 6" éd., Leipzig, 1868, t. 2, p. 326,329, 331,350,383 s, 387,396. Naus n'avans pu consulter la
premiere éditian datam de 1837-39. En tout cas, le terme ne figure pas dans la 2" édician.
12. Cf M. STOLLEIS, Geschichtedes õ/fentlichen Rechts in De11tschland, t. 2 (1800-1914), München,
Beck, 1992, p. 427 ss. ,
13. J.K. BLUNTSCHLI, Théorie généralede l'Etat, trad. de la 5, éd. ali de 1875 par A. de Riedmat-
cen, Paris, Guillaumin, 1877. Cf notamment p. XXIV, 53, 56 ss, 271 s, 334. Naus avans d'abard
cansulté la versian aliem ande Allgemeine Staatslehre, reprod. de la 6' éd. de 1886, Aalen, Scienta, 1965
qui contient un index camrairement à la traductian française. Vair du même auteur La Politique,
trad. de !'ali. par A. Riedmatten, Paris, Guillaumin, 1879, p. 193; Die Politik ais Wissenschaft, reprod.
de la 1" éd. de 1876, Scienta, Aalen, 1965, p. 297.
14. O. MAYER, Droit administra ti/allemand, préf. H. Benhélemey, Paris, t. I, 1903; R. IHERING,
L 'é-uolution du droit, trad. O. de Meulenaere, Paris, Maresq, 1901; P. LABAND, Le droit p11blic, de
l'Empire allem,md, trad. F. Larnaude, Paris, Giard & Briere, 6 vai., 1900-1904; G. JELLINEK, L 'Etat
moderneet son droit, Paris, 2 vol., 1911-13. Sur la fréquence du terme de Rechtsstaat dans ces auvrages,
e/ s11pra n" 73.
15. C/ infra n" 387.
nouveatt discours doctrinal L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal 327

>cable français État de droit cours dans son contexte immédiat (la période allant de 1870 jusqu'à nos jours)
1lus précisément, par leurs et lointain (1789-1870) que l'on sera à même de saisir son caractere novateur, sa
fait sa premiere apparition "valeur ajoutée". Seule une confrontation dans le temps, qui mettra à jour les
d Heinrich Ahrens (1808- continuités et, surtout, les points de rupture avec le passé, permettra d'en mesu-
e du coup d'État royal à rer l'impact et l'utilité par rapport à l'outillage conceptuel et aux conventions
période la philosophie du linguistiques antérieurs. On verra alars que le discours de l'État de droit -
IÍs à Graz et à Leipzig 12 • Le expression dont on essaiera de démontrer l'inutilité scientifique - sert avant
française de la Allg__emeine tout à rompre avec la tradition jacobine de méfiance vis-à-vis du pouvoir des
publiée en 1877 n_ A la fin juges, au gré d'un raisonnement qui prête le flanc à la critique.
:s endroits, dans les traduc-
org Jellinek, Paul Laband, Chapitre 1. Les principes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit
lixe sur le Rechtsstaat". Ce
Chapitre 2. Le discours français de l'État de droit : aléas, fonctions et cri-
l907, que la doctrine publi-
nce à s' en servir à titre de 1 tiques
me date de naissance au dis-
à laquelle un seuil critique
'., car l'expression disparait
ées 1980-1990 sans que l'on
:e, si elle va ou non s'accli-

t à la mode, d'un label sou- 1 r'

s totalement insensible aux


ruction intellectuelle cohé-
: traduction littérale du mot
tantôt des normes du droit
1tre-Rhin - en tout cas une
un concept spécifiquement
les enjeux et la fonction de
: intellectuel français, il faut
lement en restituant ce dis-

e droit natttrel 011 de philosophie dtt


396. Nous n'avons pu consulter la
·e pas dans la 2' édition.
:hland, t. 2 (1800-1914), München,

éd. ali de 1875 par A. de Riedmat-


:, 271 s, 334. Nous avons d'abord
6" éd. de 1886, Aalen, Scienta, 1965
/oir du même auteur La Politiq11e,
Die Politik ais Wissenscht1ft, reprod.

1ey, Paris, t. !, 1903; R. IHERING,


1 ; P. LABAND, Le droit public, de
, 1900-1904; G.JELLINEK, L'Ett1t
ne de Rechtsstt1at dans ces ouvrages,
Les

335 Deux voies s' o


téresse à la pé1
celle de l'histo
soit dans le fon
sur ce qu'on ªF
racines de cettt
de l'homme et
d'employer le 1
est vrai qu'une
certaine rigueu
l'esprit du lect
soient comprél
de l'époque 2• C
cipes de 1789 »
forgés, pour l'
perdra rien de
gouvernement,
compréhensior
blemes qu'elle
Si une telle ,
ou tout anachr,
la doctrine a te

1. Cf les appréhern
constittttion françai.-
2. Cf nos explicari
3. Sous cerre expre
emendons les prin,
des droirs de l'hom
les publicisres er ju,
Chapitre 1
,
Les principes de 17~9 ou l'Etat (de droit)
d'avant l'Etat de droit

335 Deux vaies s' offrent à celui qui, voulant retracer l'histoire de l'État de droit, s'in-
téresse à la période antérieure à la date de césure de 1907. La premiere, qui est
celle de l'historien, consiste à reconstruire aussi fidelement que possible, que ce
soit dans le fond ou dans la forme, c'est-à-dire dans les mots, les idées de l'époque
sur ce qu' on appellera ultérieurement l' État de droit. Il s'agit clone d'identifier les
racines de cette problématique, en insistam notamment sur la garantie des droits
de l'homme et la suprématie de la constitution. Ce faisant, on évitera toutefois
d'employer le terme État de droit afin de ne pas commettre un anachronisme '. Il
est vrai qu'une enquête en histoire des idées exige, de la part de son auteur, une
certaine rigueur dans le langage, sous peine de créer une confusion inutile dans
l'esprit du lecteur. L'idéal est, en effet, de présenter, pour peu que les termes
soient compréhensibles au public d'aujourd'hui, les idées d'antan avec les mots
de l'époque 2• Cela para1t d'autant plus faisable et logique, s'agissant des « prín-
cipes de 1789 »3, que les termes et les concepts du juriste contemporain ont été
forgés, pour l'essentiel, à l'époque de la Révolution française. Le propos ne
perdra rien de sa clarté avec l'usage de mots aussi connus que République, État,
gouvernement, constitution, etc. L'expression État de droit n'ajoutera rien à la
compréhension de cette période et risquera, au contraire, de poser plus de pro-
blemes qu'elle n'en résout.
Si une telle conception est tout à fait légitime et souhaitable dans la mesure
ou tout anachronisme prête le flanc à des abus, on doit toutefois constater que
la doctrine a tendance à étendre l'usage de l'expression jusqu'aux príncipes de

1. C/ les appréhensions de M. MIAILLE, « L'État de droit dans la Constitution », in 1791. La premiere


constittttion française, Actes du colloque de Dijon des 26-27 sept. 1991, Paris, Economica, 1993, p. 21.
2. C/ nos explications mpra n" 22.
3. Sous cette expression historique, que I' on trouve sous la plume des auteurs du XIXº siecle, naus
emendons les príncipes fondamemaux du droit public, consacrés notamment dans la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen du 26 aout 1789, et repris - avec parfois des corrections - par
les publicistes et juristes de la période aliam de 1815 à 1870.
330 L 'État de droit 011 les apories d'un nouveau discours doctrinal Les príncipes ci

1789, voire plus loin ... Souvent, le but de ce discours est soit de légitimer le clairement si 1
modele politique visé à l'aune de cette expression à forte charge émotionnelle, cas de figure,
soit au contraire de le critiquer. Face à cela, la vision puriste de l'historien est mer que le co
rapidement dépassée. Du reste, la rigueur absolue de l'historien, si elle est valable Kant, Welcke
dans le champ de l'histoire, ne l'est plus une fois qu'on élargit la perspective à tout de l'État
d'autres considérations. D'ou la seconde vaie qui est celle du théoricien et du lois. Or, ce di
comparatiste. Notre enquête ne se veut pas, en effet, une recherche historique au des principes
sens strict; elle tend aussi et surtout à évaluer le sens du discours contemporain matie du parl
de l' État de droit, en le confrontant au discours antérieur, lequel est axé sur les cette époque,
termes clés de République, État, légalité, etc. Il vades lors de sai qu'à un moment mais construi
donné on est obligé de comparer ces deux catégories de termes pour savoir L'inventio
notamment si l'État, tel que défini en 1789, est un État de droit. Ce faisant, on est possible à
est obligé de prêter aux Révolutionnaires des mots qu'ils ignorent et à fausser terroger sur 1
leur langage pour mieux défendre l'esprit de leur raisonnement. A priori, les pirant par an
deux vaies - celles de l'historien et du théoricien - semblent s'exclure mutuel- l'époque sur 1
lement. Or, la conclusion finale de notre analyse révélera, au contraire, qu'elles sieme critere,
se rejoignent dans un même refus du terme Etat de droit : l'historien le fera en Rechtsstaat, à
vue d'éviter un anachro1;isme, le théoricien pour éviter un pléonasme car, à y de ce concept
regarder de plus pres, l'Etat ou la République des révolutionnaires français est, tifier au sein e
par définition, un État de droit. Rechtsstaat. :C
336 En l'absence de toute définition de l'époque, il faut clone construire l'objet "État aisé de recons
de droit" pour la période allant de 1789 à 1870. La tâche n'est pas sans difficultés tif, comparati
tant l~s opinions divergent sur le concept à retenir. Les uns considerent que l'idée de 1789 est e<
de l' Etat de droit est née en 1789 ', à cette époque charniere ou se cristallisent les dans laquelle
notions fondamentales du droit public moderne (la suprématie de la constitu- déterminée, n
tion, les droits de l'homme, la séparation des pouvoirs, le regne de la loi etc.). des lors de e
D';1utres estiment, au contraire, que la Révolution française n'a produit qu'un l'homme (Sec
« Etat de droit inachevé » 5, voire pire; certains n'hésitent pas à parler d'une véri- son contenu ,
table « régression » au sujet de la Révolution française qui, « persuadée avec Rous- ment "État de
seau que l'âge d'or est un âge sans fois et sans juges », aurait « décidé (. ..) la déjuridi- l'idéal frança
cisation de la France »". Avançant l'argument qu'une loi sans juge n'est pas une Rechtsstaat de
loi, J.-M. Varaut déduit de l' échec du projet de« jurie constittttionnaire » de Sieyes
l'absence de suprématie de la constitution et le caractere arbitraire de la« souve-
raineté » du parlement, qui ne serait même pas limitée par le droit naturel. Sans Sectio1
qu'il soit besoin d'analyser chacune de ces allégations, il suffit de dire qu'une OU LE~
telle lecture des événements de 1789 revient à greffer le discours actuel de l'État
de droit, identifié au contrôle de constitutionnalité, à une époque qui remonte à
deux cents ans. L'absurdité d'un tel usage, anachronique, des concepts appara1t
337 Abstraction f
penseurs frar
4. Cf par ex. F. DREYFUS & F. D' ARCY, Les instit111ions poli tiques et administn1tives de la France, conceptions
Paris, Economica, 5" éd., 1997, p. 12 ss; P. DUCLOS, L1 notion de constit11tion dans l'cr11·11re de
l'Assemblée constit11ante, these Poitiers, Paris, Dalloz, 1932, p. 153 ss. l' école classiq
5. M. MIAILLE, op. cit., p. 34.
6. J.-M. VARAUT, Le droit ,111 droit. Po11r zm libéralisme instit11tio11nel, Paris, PUF, 1986, p. 59-60.
On trouve une ~rgumentation tres proche de celle deJ.-M. Varaut chez R. Carré de Malberg (cf infra
Il"' 414) et chez E. Zoller (cf infra Il"' 410 note 209). 7. Cf M. MIAI!
'un nouveau discours doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 331

cours est soit de légitimer le clairement si l'on se place dans une perspective historique comparative. Dans ce
à forte charge émotionnelle, cas de figure, et à s'en tenir à l'argumentation de J.-M. Varaut, on devrait affir-
,ion puriste de l'historien est mer que le concept de Rechtsstaat est bel et bien présent dans les théories d'un
'.e l'historien, si elle est valable Kant, Welcker et Rotteck et qu'à la même époque les libéraux français ignorent
qu'on élargit la perspective à tout de l'État de droit parce qu'ils refusent le contrôle de constitutionnalité des
est celle du théoricien et du lois. Or, ce disant, on oublie que le principe allemand du Rechtsstaat se nourrit
t, une recherche historique au des principes de 1789 et que les Allemands font, eux aussi, l'apologie de la supré-
ns du discours contemporain matie du parlement. Si l'on veut clone parler d'un concept d'État de droit pour
Ltérieur, leque! est axé sur les cette époque, il faut non pas transposer les idées d'aujourd'hui dans le passé,
:s lors de soi qu'à un moment mais construire un concept à partirdes idées d'antan_
;o~ies de termes pour savoir L'invention de ce concept d'État de droit pour la période antérieure à 1870
1 Etat de droit. Ce faisant, on est possible à partir de trois pistes de ré:fl.exion. En premier lieu, il s'agit de s'in-
ts qu'ils ignorem et à fausser terroger sur les théories de l'époque sur le droit, le pouvoir et l'État, en s'ins-
: raisonnement. A priori, Ies pirant par analogie - 2" critere - des conceptions allemandes et anglaises de
- semblent s'exclure mutuel- l'époque sur le Rechtsstaat, la Republik, Ie Commonwealth, le State, etc. Un troi-
évélera, au contraire, qu'elles sieme critere, qui s'avere particulierement fructueux, a trair à l'antithese du
'e droit : l'historien le fera en Rechtsstaat, à savoir le concept de « despotisme » cher à ... Montesquieu. À partir
éviter un pléonasme car, à y de ce concept connu à la fois des auteurs allemands et français, on pourra iden-
révolutionnaires français est, tifier au sein de la pensée juridique française l'équivalent du concept allemand de
Rechtsstaat. Des que l'on sait ce que ce concept d'État de droit n'est pas, il sera
clone construire l'objet "État aisé de reconstruire, en creux, ce qu'il est. En appliquant ces trois criteres - posi-
:âche n'est pas sans difficultés tif, comparatif et négatif-, on s'aperçoit que le substrat de l'État de droit au sens
,es uns considerem que l'idée de 1789 est contenu dans l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société
1arniere ou se cristallisent les dans laquelle la garantie des droits n 'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
la suprématie de la constitu- déterminée, n'a point de constitution. » 7 L'existence de l'État de droit dépendrait
voirs, le regne de la loi etc.). des lors de ces deux conditions fondamentales - la garantie des droits de
Lfrançaise n'a produit qu'un l'homme (Section I) et la séparation des pouvoirs (Section II) -, qui lui donnent
,itent pas à parler d'une véri- son contenu et son apparence institutionnelle. Or ce concept, appelé ici fictive-
ise qui, « persuadée avec Rous- ment "État de droit", s'appelait à l' époque tout simplement État. Autrement dit,
aurait « décidé (. ..) la déjuridi- l'idéal français de I'État ou encore de la République constitue l'équivalent du
1e loi sans juge n'est pas une Rechtsstaat des jusnaturalistes kantiens d'outre-Rhin.
~ constitutionnaire » de Sieyes
LCtere arbitraire de la « souve-
itée par le droit naturel. Sans Section L UN POUVOIR FAIT À L'IMAGE DE L'HOMME,
,
ions, il suffit de dire qu'une OU LES FONDEMENTS ANTHROPOLOGIQUES DE L' ETAT
~r le discours actuel de I'État
(DE DROIT)
à une époque qui remonte à
nique, des concepts apparaí't
337 Abstraction faite de la théorie rousseauiste sur la démocratie directe, les idées des
penseurs français, avant et apres 1789, quant au rôle de l'État rejoignent les
iq11es et administr,uives de la France, conceptions défendues par les Anglais aux XVII' et XVIII' siecles ainsi que par
ion de constit11tion d,ms l'crwvre de
;3 ss. l'école classique du Rechtsstaat au début du XIX' siecle. Sur les points fondamen-

tionnel, Paris, PUF, 1986, p. 59-60.


t chez R. Carré de Malberg (cf infra
7. Cf M. MIAILLE, op. cit., p. 23; F. DREYFUS & F. D' ARCY, op. cit., p. 12.
332 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les príncipes d

taux, à savoir la défense des droits naturels de l'individu, le mouvement euro- marque « l'a"<
péen des Lumieres, de la Aujklãrung ou de I'Enlightment, a donné naissance à comme un «J
une culture juridique commune aux trois nations. La sémantique en garde les suffi.sammen t
traces, bien qu'il faille noter, autour d'un tronc linguistique commun, desvaria- On se limiter
tions et fluctuations propres à chaque pays. La France a même joué un rôle savoir la foi e
d'avant-garde, à en juger du rayonnement au-delà de ses frontieres, et notamment voir (A), et la
en Allemagne, des écrits de Montesquieu, des Encyclopédistes, de Rousseau,
etc. 8 Les points de convergence se situem au niveau de l'idée de la liberté indivi-
duelle (§ 1) et du concept de l'État (§ 2).

§ 1. LE REGNE DE LA LOI, DE LA LIBERTÉ ET DE LA RAISON 339 À !'origine dt


roi dans ce qu
et à l' égalité d
338 Sous la Révolution française se déploie un culte de la loi dont les racines remon-
plaire. Au « d,
tem à la philosophie des Lumieres". Nait une nouvelle religion ou la loi, se sub-
1755) et aux 1
stituam à Dieu et au Roi, est érigée en référence « sacrée » 'º et le législateur en
définition, set
gardien d'un temple exerçam « moins une autorité qu'un sacerdoce » 11 • Religion
droits natureh
qui a ses passionnés et ses rites. Ainsi s' ouvre en 1790, dans l' ex-chapelle Sainte-
d'abord - car
Marie, au faubourg Saint-Antoine à Paris, le « club des Nomophiles », c' est-à-dire
l'homme ne déJ
des amoureux des lois". En 1792, l'Assemblée législative décidera même d'orga-
ne saisit l' app<
niser, le premier dimanche du mais de juin, une fête nationale entierement
politique par e.,
dédiée à la Loi ". La langue n'échappe point à ce nouvel enthousiasme, comme
« un seu!, sans I
en témoigne le lyrisme et la force de certaines des formules, allam du « regne de
personnalisati<
la !oi», « empire de la !oi», « triomphe des !ois » '4, ou encare le « joug saltttaire des
soumis à la vc
!ois » '\ jusqu'à ce néologisme resté sans lendemain de « Loyamnie ». Selon un
toire, versatile.
mot maintes fois cité de l'historien Jules Michelet, la Révolution française
avenir et de se~
liberté consiste
l'on retrouve c
8. R. MOHL, Geschichte und Literaltlr der Staatswissenschaften, r. 3, p. 3.
9. Sur !e culte de la !oi, cf M. LEROY, La /oi. Essai mr la théorie de l'autorité dans la démocratie, Paris,
Giard & Briere, 1908, notamment les chap. 1 et 2; E. GARCIA DE ENTERRIA, Révo/11tio11 fran·
çaiseet administration contemporaine, trad. de l'esp. par F. Moderne, Paris, Economica, 1993, pp. 9 ss; 16. J. MICHELE
J. RAY, « La Révolution française et la pensée juridique : l'idée du regne de la !oi ", Rev11e philoso- 17. La formule n',
phiq11e, 1939, pp. 364-393; J. BELIN, La logiq11e d'une úléeforce. L 'idée d'utilité sociale el /<1 révolution il voit la plus parf.
(1789-1792), Paris, Hermann, 1939, pp. 75-102; G. B,URDEAU, « Essai sur l'évolution de la notion de ses lecteurs à p:
de loi en droit frança is ", APD, 1939, pp. 7-55; F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit légal ,, ou « éclairé
privé positif, 2' éd., Paris, LGDJ, 1932, t. I, pp. 70-123; J. CARBONNIER, « La Passion des !ois au 18. B. GROETH
siecle des Lumieres ", in id., Essa is s11r les !ois, Paris, Defrénois, 1979, pp. 203-223; S. GOYARD- 19. Ph. RAYNAL
FABRE, « Le prestige de la !oi à l'époque révolutionnaire ", CPP], n"l2, 1987, pp. 123-135. constiltllionnel, 1'
10. L'adjectif reviem souvent dans la bouche des législateurs lors des débats sur le code civil. 20. MONTESQl
Cf M. LEROY, op. cit., p. 35 s chap. 1, p. 239. Vo
11. J. PORTALIS, Disco11rs préliminaire a11 premier projet de Code ci-vil, Paris, éditions confluences, 13, 1966, pp. 14-3'.
1999, p. 16. par rous les auteur
12. ]. CARBONNIER, op. cit., p. 203. tion de ces deux t,
13. M. LEROY, op. cit., p. 27. Pour d'autres exemples, cf J. BELIN, op. cit., p. 89; J. RAY, op. cit., États (1979}, Paris
p. 364. régime « sans foi 11
14. Pour ces trois formules, cf J. BELIN, op. cit., p. 100. L'expression « empire des Loix" se trouve Iarge, chezD. SER
p. ex. chezJ .-]. ROUSSEAU dans sa H11itieme leure éaile de la Montagne (1764), in CE11vres completes, !ui, « !e go11vermm
r. III, Paris, Pléiade, 1964, p. 837. il ne sera pas légiti1
15. ].-]. ~OUNIER, « Discours du 5 septembre 1789 sur la sanction royale ", i11 F. FURET & deux crireres initi,
R. HALEVI (dir.), Orateurs de la Révo/11tio11 f,,mçaise. Les constit11ants, Paris, Pléiade, 1989, p. 891. 21. VOLTAIRE, i
n nouvea"u discours doctrinal
r Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit} d'avant l'État de droit 333

:lividu, le mouvement euro-


'?tment, a donné naissance à
La sémantique en garde les
uistique commun, desvaria-
' marque « l'avenement de la loi » u,_ Le theme de ce qu'on décriera plus tard
comme un « fétichisme de la loi » (F. Gény) ou un « légicentrisme » (S. Riais) est
suffisamment connu pour qu'il ne soit point nécessaire d'y revenir longuement.
On se limitera à esquisser les deux vecteurs qui en fondent la dynamique, à
rance a même joué un rôle savoir la foi en les idées abstraires, autrement dit l'impersonnalisation du pou-
ses frontieres, et notamment voir (A), et la confiance en la nature libérale et rationnelle de la loi (B).
,cyclopédistes, de Rousseau,
de l'idée de la liberté indivi- A. Le culte de la loi, générale et abstraite,
et le spectre du « despotisme »

rÉ ET DE LA R.AISON 339 À !'origine du soulevement orchestré parle Tiers état se trouve !e pouvoir du
roi dans ce qu'il a de plus arbitraire, d'imprévisible et d'attentatoire à la liberté
et à l'égalité des individus. Les lettres de cachet en sont une illustration exem-
la loi dont les racines remon-
plaire. Au « despotisme oriental» '7, qui sert de repoussoir à Montesquieu (1689-
elle religion ou la loi, se sub-
1755) et aux Lumieres de l'Europe entiere, s'oppose l'idéal de « l'État » ou, par
sacrée » 'º et le législateur en définition, seules les lois regnent, des lois qui respectent et font respecter les
qu'un sacerdoce » 11 • Religion
droits naturels, imprescriptibles et inaliénables de l'individu. « Ce que l'on exige
90, dans l'ex-chapelle Sainte-
d'abord - car c'est la premiere revendication de la conscience du droit -, c'est que
des Nomophiles », c'est-à-dire
l 'homme ne dépende pas de l 'homme, mais seulement de la Loi impersonnelle. » " On
:!ative décidera même d'orga-
ne saisit l'apport décisif de 1789 qu'à l'aune du concept de despotisme, ce « mal
: fête nationale entierement
politique par excellence » '", défini par Montesquieu comme un gouvernement ou
ouvel enthousiasme, comme
« un seu!, sans loi et sans regle, entratne tout par sa volonté et ses caprices » 20 • De cette
:ormules, allant du « regne de
personnalisation du pouvoir découle son caractere arbitraire car, à force d'être
1 encore le « joug saltttaire des
soumis à la volonté d'un autre homme - volonté nécessairement fragile, aléa-
n de « Loyattmie ». Selon un
toire, versatile, voire capricieuse -, et de dépendre ainsi, pour ce qui est de son
·let, la Révolution française
avenir et de ses droits, du « bon plaisir » du prince, l'individu n' est plus libre. « La
liberté consiste à ne dépendre que de fois» disait Voltaire (1694-1778)2', idée que
l' on retrouve chez tous les penseurs du XVIII' siecle. Jean Jacques Rousseau ( 1712-
, t. 3, p. 3.
de l'a11torité dam la démocratie, Paris,
\ DE ENTERRIA, Révoltttion fran-
:ne, Paris, Economica, 1993, pp. 9 ss; 16. J. MICHELET, Histoire de la Révol11tion fr,mçaise, Paris, 1847, premiere ligne de l'introduction.
e du regne de la loi », Rev11e philoso- 17. La formule n'est pas à proprement parler de Montesquieu quine parle que de« despotisme » dom
L 'idée d'utilité suciale et la révolt<tion il voit la plus parfaite illustration dans les rêgimes ottoman, perse, etc. C' est ce qui a amenê nombre
, « Essai sur l'êvolmion de la notion de ses lecteurs à parler de « despotisme oriental» pour bien le diffêrencier du concept de « despotisme
Jde d'interprétation et sources en droit légal » ou « éclairé ».
BONNIER, « La Passion des lois au 18. B. GROETHUYSEN, Philosophie de la Révol11tion française, Paris, Go11thier, 1956, p. 191.
s, 1979, pp. 203-223; S. GOYARD- 19. Ph. RAYNAUD, « Despotisme, Tyrannie », in O. DUHAMEL & Y. MENY (dir.),Dictionnaire
'P], n"12, 1987, pp. 123-135. comtitutionnel, 1• êd., Paris, PUF, 1992, p. 301.
rs lors des dêbats sur le code civil. 20. MONTESQUIEU, De l'Esprit des !ois, in CEuvres completes, t. II, Paris, Plêiade, 1951, Liv. II,
chap. 1, p. 239. Voir A. MORKEL, « Montesquieus Begriff der Despotie », Zeitschrift fiir Politik, vol.
ode civil, Paris, êditions confluences, 13, 1966, pp. 14-32. Avant que le terme de despotisme n' occupe le devam de la scene et ne soit repris
par tous les auteurs, la fonction de repoussoir incombajt à la notion de « seigne11rie ». Sur la défini-
tion de ces deux termes, cf. B. BARRET-KRIEGEL, L 'E1at et les esclaves. Réjlexions pour l'histoire des
ELIN, op. cit., p. 89; J. RAY, op. cit., Etats (1979), Paris, Payot, 1989, p. 42 ss. Le terme despotisme dêsigne donc chez Montesquieu un
rêgime « sans !oi ni foi», ou il n'y a ni lêgalitê, ni lêgicimité. On trouve une autre dêfinition, plus
xession « empire des Loix » se trouve large, chez D. SERRIGNY, Traitéd11 droit p11blicdes Français, Paris,Jouben, 1846, t. 1, p. 52. D'apres
Jontagne ( 1764), in CE11vres completes, lui, « !e gorwernment despotique pettt être légal, c'est-à-dire confonne à la !oi d11 pays 011 il est établi, mais
il ne sera pas légitime, c'est-à-dire q11 'il sera toujours contra ire a11x !ois éternelles d11 monde moral ». Des
sanction royale », in F. FURET & deux criteres initiaux, matériel et formei, il ne retient que le premier.
;tilllants, Paris, Plêiade, 1989, p. 891. 21. VOLTAIRE, Pensées sur le go11vernement, cité par F.-A. HAYEK, op. cit., p. 206 note 36.
334 L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les príncipes

1778) affirme ainsi, dans la huitieme de ses Lettres écrites de la Montagne, que « la B. La
liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à ceife d'autmi; elle
consiste encare à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre. (. ..) II n 'y dane point Le culte d
de liberté sans Loix, ni ot't quelqu'un est au dessus des Loix: dans l'état même de droit de laR
nature l'homme n'est libre qu'à la faveur de la Loi naturelle qui commande à tous. selon Monte
Un peuple libre (. ..) obéit aux Loix, mais il n'obéit qu'aux Loix et c'est par la force des soit libérale
Loix qu'il n'obéit pas aux hommes. (. ..) En un mot, la Liberté suit toujours le sort des tyrannie de •
Loix, elle regne ou périt avec elles; je ne sache rien de plus certain » ".
À travers le rejet du despotisme appara1t l'attachement des hommes de 1789 lº Le leitm1
à ce que l'on pourrait appeler l'anonymat du pouvoir politique, ou encore son d'avant
caractere impersonnel ou « rationnel-légal », selon la formule de Max Weber 21 •
En détachant l'autorité politique de la figure du roi, à qui l'obéissance n'est due 340 S'il est un F
qu'en vertu de la !oi, comme le dispose la Constitution de 1791 1', les révolu- juristes qui
tionnaires poussent jusqu'au bout une logique qui est déjà à l'ceuvre au Moyen Lumieres au
Âge dans la théorie des deux corps du roi 25 • Les multiples signes de cette volonté Napoléon Il
de désincarnation du pouvoir se retrouvent à la fois dans l'idéal du regne de la droits de l'h
!oi, dans l'exigence d'une souveraineté appartenant non pas au roi ou à un corps politiques : e
. . .
du peuple, mais à ce concept abstrait qu'est la Nation 1" et, enfin, dans la défini- m1ers iunst,
tion de l'État comme une personne morale, c'est-à-dire artificielle, différente des XIX' siecle, e
êtres de chair qui le composent 27 • L'État n'est autre qu'un artifice, qu'une grands ma1t1
machine anirnée par la !oi, expression de la volonté générale, autour de laquelle 1870 est don
s'articulent les diverses parties que sont les pouvoirs législatif, exécutif et judi- une école pc
ciaire. La loi est au cceur de l' effort des Modernes de fonder un ré gim e politique 341 Ce panorarr
qui soustraie l'homme à l'arbitraire de l'homme et qui !ui garantisse, que ce soit contrat socia
à !'encontre des puissances publique ou privées, cette sphere d'autonomie auquel sortirait pou
il a droit en vertu desa qualité d'être humain. Afin de répondre à ces attentes, la vision huma
!oi doit être démocratique dans son origine, générale et impersonnelle dans son moderne du
objet, claire, précise et stable dans sa forme 2'. Ainsi na1t la dynamique de ce que Lumieresdu
Hayek appelle !e« rationalisme constructiviste » 2' : faisant table rase du passé, et d'autres - :
ne se laissant guider que par les lumieres de la raison abstraite, les révolution- la révolutior
naires français se lancem dans une ceuvre législatrice systématique qui culminera La Brede: «
dans !e Code civil de 1804. les peuples de
que les caspa
- elle a été
consacrée à 1
22. J.-J. ROUSSEAU, Lettres écrites de la Mon1t1gne (1764), in CE11vres completes, t. III, Paris, Pléiade, sphere de la
1964, p. 841-842. Sur le theme de la dépendance personnelle chez Rousseau, cf infra.
23. Sur le theme de l'impersonnalité du pouvoir, cf M. LEROY, op. cit., p. 31; E. GARCIA DE
ENTERRIA, op. cit., p. 9 s.
24. Constit. du 3 sept. 1791, titre III, chap. 2, secc. 1, are. 3 : « 11 n'y a point en France d'a11torité 30. MONTESt
s11périe11re à celle de la !oi. Le roi ne regue que par elle, et ce n 'est qu 'a11 nom de /,, foi q11 'il pe111 exiger 31. L'hiscoire d
l'obéiss,mce. » reste encore lan
25. E. KANTOROWICZ, Les de11x corps d11 Roi, Paris, Gallimard, 1989. Cf aussi F. LINDITCH, françaisede 180:
Recherches sur la personnalité mora/e en droit administratif, Paris, LGDJ, 1997, p. 89 s. R. MOHL, Ge.,
26. Cf l'arcicle 3 de la Déclaration de 1789 et l'arcicle 1 du titre III de la Consticution de 1791. et alii, Droit co1
27. Cf infra n" 351. 32. W. SCHM
28. Sur les caracteres de la !oi, cf LEROY, op. cit., chap. 1; BELIN, op. cit., p. 83 ss. politisch-soziale,
29. EA. HAYEK, Drvit, législation et liberté, trad. de l'anglais, Paris, PUF, Quadrige, 1995, e. 1. 1992, pp. 65-87
Cf supra n" 168. 33. MONTESt
in nouveaú discours doctrinal

rites de la Montagne, que « la


r Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit

B. La légitimité de la Loi, acte de Raison et gage de Liberté


335

is soumis à celle d'atttrui; elle


Le culte de la loi est fondé sur le postular de l'existence d'un droit naturel ou
la nôtre. (...)li n'ydoncpoint
droit de la Raison. Si« la liberté est le droit de faire tout ce que les fois permettent » 10 ,
~s Loix: dans l'état même de
selon Montesquieu, il faut toutefois s'assurer, en théorie et en pratique, que la loi
·turelle qui commande à tous.
soit libérale et non liberticide, faute de quoi le regne de la loi dériverait vers une
ux Loix et c'est par la force des
tyrannie de la loi.
~iberté suit toujours le sort des
1/us certain » 22 •
,ement des hommes de 1789 1º Le leitmotiv du droit naturel dans la science du droit public /rançais
oir politique, ou encore son d'avant 1870
la formule de Max Weber".
, à qui l'obéissance n'est due 340 S'il est un point commun aux reuvres des divers philosophes, publicistes et
tution de 1791 2', les révolu- juristes qui ont réfl.échi sur les questions de droit constitutionnel, depuis les
est déjà à l'ceuvre au Moyen Lumieres au XVIII' siecle jusqu'aux idées professées ex cathedra à l'époque de
tiples signes de cette volonté Napoléon III, c'est l'idée du droit naturel, d'un droit naturel focalisé sur les
s dans l'idéal du regne de la droits de l'homme. Tel un fil rouge, l'idée en traverse les siecles et les régimes
non pas au roi ou à un corps politiques : on la retrouve chez les révolutionnaires, mais également chez les pre-
on 11' et, enfin, dans la défini- miers juristes spécialisés en droit constitutionnel du début et du milieu du
XIX' siecle, doctrine dont les écrits, de qualité inégale, ont été éclipsés par les
lire artificielle, différente des
utre qu'un artifice, qu'une grands maí'tres à penser de la III' République". La doctrine juridique d'avant
générale, autour de laquelle 1870 est clone dans son immense majorité jusnaturaliste et il n'existe pas encore
rs législatif, exécutif et judi- une école positiviste, du moins pas en droit public.
~ fonder un régime politique 341 Ce panorama historique se doit de commencer avec les diverses théories du
:iui lui garantisse, que ce soit contrat social, axées sur l'idée d'un hypothétique état de nature dont l'humanité
e sphere d'autonomie auquel sortirait pour mieux assurer le bonheur, la liberté et l'égalité des individus. La
de répondre à ces attentes, la vision humaniste ou anthropocentrique de l'univers, qui est le propre de l'école
le et impersonnelle dans son moderne du droit naturel, est développée d'abord dans les écrits savants des
naí't la dynamique de ce que Lumieres du XVIII' siecle - que ce soit chez les Encyclopédistes, Rousseau et bien
faisant table rase du passé, et d'autres - avant de devenir un lieu commun dans les années qui précedent
;on abstraite, les révolution- la révolution 32 • Ce credo rationaliste est affirmé en ces termes par le Baron de
: systématique qui culminera La Brede : « La foi, en général, est la raison humaine, en tant qu 'elle gouverne tous
les peuples de la terre; et les !ois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être
que les cas particuliers ou s'applique cette raison humaine. » 33 Sa définition célebre
- elle a été reprise mot pour mot par Jaucourt dans l'article de l'Encyclopédie
consacrée à la loi - marque une double inscription de la norme, à la fois dans la
rtvres completes, e. III, Paris, Pléia<le, sphere de la raison abstraite, commune à toute l'humanité qui convoite cette
,z Rousseau, cf infra.
IY, op. cit., p. 31; E. GARCIA DE

« II n 'y a point en France d'a11torité


30. MONTESQUIEU, op. cit., L. XI, chap. 3, p. 395.
qtt 'a11 nom de /,, /oi qtt 'il pettt exigc'T 31. L'hiscoire de la doccrine de droic public, ec spécialemenc de droic conscicucionnel, au XIXº siecle
reste encare largemenc à écrire. Sur cecce période oubliée, voir J. BONNECASE, La pensée j11ridiq11e
ard, 1989. Cf aussi F. LINDITCH, française de 1804 à l'heure présente. Ses variations et ses traits essentiels, Bordeaux, Delmas, 2 vol., 1933;
LGDJ, 1997, p. 89 s. R. MOHL, Geschichte tmd Literatttrder Staatswissenschafien, op. cit., e. 3, pp. 149-193; L. FAVOREU
III de la Conscicucion de 1791. et alii, Droit constittttionnel, 1~ éd., Paris, Dalloz, 1998, p. 29-36.
32. W SCHMALE, « Droic », in R. REICHARDT, E. SCHMITT et alii (dir.), Handb11ch der
IN, op. cit., p. 83 ss. politisch-sozialen Grzmdbegriffe in Frankreich {1680-1820), München, Oldenbourg Verlag, Heft 12,
, Paris, PUF, Quadrige, 1995, e. 1. 1992, pp. 65-87, spéc. p. 71 ss.
33. MONTESQUIEU, op. cit., L. I, chap. 3, p. 237. Lire aussi Liv. !, chap. 1, p. 233.
336 L 'État de droit ou les aporíes d'un nouveau discours doctrinal Les príncipes

« tranquillité d'esprít » 3' qu'est la liberté, et en même temps dans les particula- teur, qui trai
rismes géographiques, climatiques, historiques, culturels, sociologiques etc. de L'idée du dn
chaque société donnée. aux horreun
Le postulat d'un droit naturel se trouve aussi dans l'ceuvre des physiocrates de codificati<
qui ont joué un rôle crucial dans l'émergence d'un rationalisme à la française au aura une inf
cours du XVlll' siecle 35 • Dans ses Maximes, François Quesnay (1694-1774) écrit : Jean Portalis
« Les hommes ni leurs gouvernements ne font point les lois et ne peuvent point les Discours pré/
faire. Ils les reconnaissent comme conformes à la raison suprême qui gouverne l'uni- humains ne
vers, ils les déclarent; ils les portent au milieu de la société (. ..). C'est pottr cela qu'on encore dans
dit porteur de loi, législateur, et recuei! des lois portées, législation, et qu 'on n 'a jamais raison tmive;
osé dire faiseur de loi, légisfacteur. » 11• On doit à Le Mercier de la Riviere ( 1719- sont ou ne d
1801), avocat au parlement de Paris, intendam aux Antilles à l'fpoque ou une culiers. »43 L',
génération d'administrateurs éclairés cherchent à moderniser l'Etat, à la fois la à la fois ratio
formule du « despotisme légal »ou« naturel » et une formulation cohérente de la clair et cohé
pensée juridique des physiocrates. Dans son ouvrage L 'ordre naturel et essentiel droit naturel
des sociétés politiques publié en 1767, Le Mercier de la Riviere écrit ainsi : « Faire tive s' avere 1
de mauvaises lois est un malheur, un accident de l'humanité, et nullement tm droit, aux príncipes
une prérogative de l'autoríté (. ..). Le pouvoir législatif n 'est point le pouvoir de faire doxal, à prer
arbitrairement des lois évidemment mauvaises. » 37 Aux yeux des physiocrates, la du droit natL
garantie de la liberté réside dans la soumission du pouvoir à la raison, c'est-à-dire tiviste. En el
à ce qui est « évident ». « L'opposé de l'arbitraire, c'est l'évidence; et ce n'est que réduire la se
la force irrésistible de l'évidence qui puisse servir de contreforce à celle de l'arbitraire scrupuleuse,
et de l'opinion. » 3" Le príncipe de l'évidence - que Quesnay avait défini dans tion d' ordre
l'Encyclopédie comme « une certitude si claire et si manifeste par elle-même que des fonnes d11
l'esprít ne peut s'y refuser » 3' - « doit être le príncipe même de l'autoríté parce qu'elle droit privé, l
est la réunion des volontés » 'º. s'il ne l'a pas
342 Le jusnaturalisme connait son heure de gloire avec la Révolution française et plus 343 La situation
précisément avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 aout du milieu du
1789, qui cristallise les divers ressorts de l'idée du regne de la loi. Si la !oi se voit per une plaL
attribuer, selon l'article 4, !e rôle nodal de délimiter les spheres de liberté de cha- nouvelle vie
cun, la Déclaration reconnait préalablement l'existence de « droits naturels, l'école de la I
inaliénables et sacrés de l'homme » qu'elle se contente de« déclarer » et « d'expo- acerbes de B,
ser », sans les créer. On notera même une certaine méfiance vis-à-vis du législa- « ]'établis qul

34. Jbid., Liv. XI, chap. 6, p. 397.


35. Cf P. ROSANVALLON, Le sacre d11 citoyen. Histoire d11 mfji·e1ge ,miversel en France, Paris, 41. Voir, p. ex.,
Gallimard, 1992, pp. 149-160; J.-J. CHEVALLIER, Histoire de la pensée politiq11e, Paris, Payot, 1993, p. 58 ss.
p. 485 s. 42. PORTALIS
36. Ciré par P. ROSANVALLON, op. cit., p. 151. Cf DUPONT DE NEMOURS, De !'origine et 1999, p. 15.
des progres d'11ne science no11velle, 1768, p. 8 : « Les ordon11a11ces appelées positives ne doi·vent p,1s être 43. lbid., p. 24.
e111tre chose quedes actes déclaratoir~s de ces fois essentielles de l'ordre social. » de jztStice et de 1;,
37. LE MERCIER DE LA RIVIERE, L'ordre naturel et essemiel des sociétés politiq11es, Paris, 1910, 44. Ibid., p. 20.
p. 82-85; cité par P. ROSANVAL_LON, op. cit., p. 151. 45. Cerraines d,
38. LE MERCIER DE LA RIVIERE, op. cit., p. 345; cité ibid. p. 152. 46. J. BONNF
39. Cité ibid., p. 152 note 3. , méthodes d'apre.,
40. LE MERCIER DE LA RIVIERE, op. cit., p. 346; cité ibid., p. 152. 47. F. GARZO
>i nouveaú discours doctrinal Les principes de 1789 ou l'État (de droit} d'avant l'État de droit 337

1e temps dans les particula- teur, qui transpara1t à la fois dans le préambule et dans les articles 5, 8 et 17 41 •
turels, sociologiques etc. de L'idée du droit naturel survit dans les méandres de la Révolution et notamment
aux horreurs de la Terreur. On la retrouve ainsi aux origines de la grande reuvre
ns l'reuvre des physiocrates de codification entreprise sous le regne de Napoléon Bonaparte, expérience qui
ationalisme à la française au aura une influence décisive sur l'émergence d'un courant positiviste en droit.
Quesnay (1694-1774) écrit : Jean Portalis (1746-1807), l'un des rédacteurs du code civil, se réclame dans son
~s !ois et ne peuvent point les Discours préliminaire des « príncipes de cette équité natttrelle dont les législateurs
z suprême qui gouveme l'uni- humains ne doivent être que les respectueux interpretes » ". Sa pensée s'inscrit
iété (. ..). C'est pour cela qu 'on encare dans une vision dualiste ou le droit l' em porte sur les lois : « Le droit est la
igislation, et qu'on n'a jamais raison universelle, la suprême raison fondée sur la nature même des choses. Les !ois
\tlercier de la Riviere (1719- sont ou ne doivent être que le droit réduit en regles positives, en préceptes parti-
Antilles à l'époque ou une culiers. » 43 L' exigence récurrente chez les penseurs de l' époque d'un droit qui soit
1oderniser l'État, à la fois la à la fois rationnel, juste et équitable et, en même temps, accessible au justiciable,
formulation cohérente de la clair et cohérent, conduit à la codification d'un droit positif qui recueillerait le
;e L'ordre natttrel et essentiel droit naturel, sans l'absorber pour autant entierement. Car si jamais la loi posi-
.a Riviere écrit ainsi : « Faire tive s'avere lacunaire, obscure ou imprécise, il appartient au juge de« remanter
ianité, et nullement tm droit, aux príncipes du droit naturel »" selon les dires de Portalis. 11 parait des lors para-
n'est point le pouvoir de faire doxal, à premiere vue, que ce soit cette codification, désirée par les théoriciens
ux yeux des physiocrates, la du droit naturel, qui soit à !'origine de l'émergence progressive d'une école posi-
mvoir à la raison, c'est-à-dire tiviste. En effet, à en croire Julien Bonnecase", l'école de l'exégese qui entend
'est l'évidence; et ce n'est que réduire la science du droit civil à la lecture du code Napoléon, à une analyse
ztreforce à celle de l 'arbitraire scrupuleuse, article par article, du droit positif à l'exclusion de toute considéra-
e Quesnay avait défini dans tion d'ordre philosophique ou sociologique, serait « la premiere et la plus solide
manifeste par elle-même que des formes du positivisme juridique » en F rance"'. En ce qui concerne la sphere du
ême de l'autorité parce qu 'elle droit privé, la théorie du droit naturel aurait ainsi cédé la place au positivisme,
s'il ne l'a pas carrément engendré.
1Révolution française et plus 343 La situation se présente sous un tout autre jour dans le droit public du début et
me et du citoyen du 26 aout du milieu du XIX' siecle. Les réflexions sur le droit naturel continuem à y occu-
!gne de la loi. Si la loi se voit per une place importante. Les idées classiques du libéralisme retrouvent une
les spheres de liberté de cha- nouvelle vie sous la plume de Benjamin Constam (1767-1830), le « maítre de
istence de « droits natttrels, l'école de la liberté » comme il aimait s'appeler lui-même' 7• Face aux critiques
te de « déclarer » et « d'expo- acerbes de Bentham, Constam se fait l' ardem défenseur des droits de l'homme:
méfiance vis-à-vis du législa- « ]'établis que les individus ont des droits, et que ces droits sont indépendants de l'au-

mffi-age 1miversel en France, Paris, 41. Voir, p. ex., les explications de J. RIVÉRO, Les Libertés publiques, Paris, PUF, 6' éd., 1991, t. 1,
i pemée politique, Paris, Payor, 1993, p. 58 ss.
42. PORTALIS, Discottrs préliminaire att premier projet de Code civil, Paris, éditions confluences,
-./T DE NEMOURS, De !'origine et 1999, p. 15.
appelées positives ne doivent p,15 être 43. lbid., p. 24. Cf aussi p. 16: « Les !ois ne sont pas de purs actes de puissance; ce sont des actes de sagesse,
re soci,1/. >> de justice et de raison. »
·et des sociétés politiques, Paris, 1910, 44. lbid., p. 20.
45. Certaines de ses conclusions doivent néanmoins être relativisées. Cf infra n" 450 note 39.
p. 152. 46. J. BONNECASE, L 'école de l'exégese en droit civil. Les traits distinctifs desa doctrine et de ses
méihodes d'apres la profession de foi de ses plus illustres représentants, 2' éd., Paris, Boccard, 1924, p. 271.
, p. 152. 47. E GARZONI, op. ci1., p. 64.
338 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les príncipes

torité sociale, qui ne peut leur porter atteinte sans se rendre coupable d'usurpa- droit naturel
tion. »" Dans une annexe aux Principes de politique, Constant insiste sur deux tiples ouvrag
points qui méritent attention : d'une part, il démasque l'utilitarisme bentha- Quant à]
mien com me étant un jusnaturalisme qui n' ose pas avouer son nom et qui est mer parle p,
similaire en de nombreux points aux príncipes de 1789'"; d'autre part, il insiste Silvestre Pinl
sur la nécessaire distinction entre !e droit tel qu'il devrait être et !e droit te! qu'il but de leur a
est, récusant ainsi une critique souvent adressée aux jusnaturalistes de mélanger, liberté indivl
voire de confondre l'être et !e devoir-être, autrement dit de prendre leurs rêves ne pourrait d,
pour des réalités 50 • En cette premiere moitié du XIX" siecle, le critere benthamien il Jaut faire d
de la maximisation des plaisirs pour un maximum de personnes est d'ailleurs les membres li
!'une des multiples sources d'inspiration d'une pensée jusnaturaliste en France gere; et ilJauz
qui, de par son caractere hétéroclite, ressemble à un véritable carrefour d'idées, et arrêtés. » 5''
de théories, de préceptes moraux et de lieux communs. S'y côtoient à la fois crite dans l'a
l'utilitarisme, des réminiscences des vieilles théories du contrat social 51 - pour- le but de !'as~
tant séverement critiquées pour leur caractere artificiei, volontariste et anhisto- en second lie
rique -, des emprunts à l'impératif catégorique de Kant 5', dont la rigueur toute tir ces droits
prussienne séduit davantage que le « despotisme » prêché par Rousseau qui est la matiere du d
bête noire de tous, et, enfin, un net retour à Dieu, créateur suprême d'un ordre chartes et cor
harmonieux, objectif et éternel 51 • La fondation divine du droit naturel tranche tous les autre
!e plus avec les idées la"iques, pour ne pas dire athées, des Lumieres - on pense à (1735-1827) ;-
Voltaire - et avec le processus de sécularisation du droit naturel amorcé avec la cart ", Denis
fameuse formule de Grotius : etiamsi daremus ... 5' En tout cas, l'existence du

48. Príncipes de po!itiq11e applicab!es à tom les go11vemements représentatifs et partirnlierement à la


Co11stit11tion actuel!e de la France (1815), Annexe 1, in B. CONSTANT, De la Liberté chez les même à suppose
Modemes. Ecrits politiques, textes choisis et annotés par M. GAUCHET, Paris, Pluriel, 1980, p. 434-5. existe, se désinté
49. Ibid., p. 432: « N11! do11te q11 'en définissant convenablement !e mot d'11tilité, l'on ne parvienne à tirer 55. Voir les ouvi
de cette notion précisément les mêmes conséq11ences q11e cel!es q11i déco11lent d11 droit nat11rel et de la j11s· 56. S. PINHEm
tice. » Dans le même sens : S. PINHEIRO-FERREIRA, Cozm de droit p11b!ic interne et externe, Paris, 57. Les Chanes
Rey & Gravier-Aillaud, 1830, t. 1, p. 8. L'auteur, d'origine ponugaise, se dit jusnaturaliste et en des Français », su1
même temps se réfere à l'utilitarisme de« l'ill11stre Bentham » pour définir ce qui est juste et injuste. de la Il' Républi,
(cf DE SANTAREM, « Notice biographique sur M. Sylvestre Pinheiro-Ferreira », Rev11e de droit le troisieme alin,
étranger et /rançais, 1847, pp. 75-81.) Voir aussi F. BERRIAT-SAINT-PRIX, Commentaire mr a11x fois positives
la Charte constit11tionnelle, Paris, Videcoq, Langlois, Delaunay, 1836, p. 121 s. L'auteur se réclame en son article 19.
lui aussi de la doctrine utilitariste, mais à la différence de Pinheiro-Ferreira, il nie l'idée d'un droit Même la Consti
naturel. Or, tout le débat semble se réduire à une« différence de rédaction » (B. CONSTANT, op. cit., d'État, « reconnd
p. 433). tuer sur la «/orn,
50. B. CONSTANT, op. cit., p. 434 : « Mais en disant q11e ces droits sont inaliénables 011 imprescrip- 58. J.-D. LANJl
tib!es, on dit simple111ent q11'ils ne doivelll pas être aliénés, q11'ils ne doivent pas être prescrits. On parle de tique sur la chart,
ce q11i doit être, non de ce q11i est. » 181-188. Sur cet
51. Cf par ex. S. PINHEIRO-FERREIRA, op. cit., et D. SERRIGNY, Traité de droit public des Fran- Da1mo11, Lanj11i11
ça is, précédé d'rme introd11ction s11rles fondements dessociétés politiq11es, Paris, Joubert, 1846, pp. 1-130. 59. C.G. HELU
52. Cf par ex. W. BELIME, Philosophie d11 droit, 011 co11rs d'introd11ction à la science d11 droit, 2· éd., politique (1827),:
Paris, Durand, 1856, t. 1. L'école organicisre de Krause est également présente en France à rravers 60. J. ORTOLA
l'ouvrage de son disciple Ahrens. Joubm, 1844, PI
53. Cf par ex. E.V. FOUCART, Eléments de droit p11blic et administratij," 011 exposition 111éthodiq11e modeme, Paris, J.
des príncipes du droit p11blicpositifavecl'indication des fois à l'appui (1832), 3" éq., Paris, Videcoq, 1843, Ortolan (1802-18
t. 1, pp. 1-24. L'auteur est transi de dévotion pieuse. Voir aussi F. LAFERRIERE, Cours théoriq11eet 1995, pp. 172-23',
pratique de droit p11blic et administrati/(1839), 3' éd., Paris, Cottilon, 1850, p. 17. 61. E.V. FOUC:
54. C'est sous forme d'une simple hypothese (« etiamsi darem11s, qrwd sine mmmo scelere dari nequit, 62. D. SERRIGt
non esse De11m ») que Grotius énonce sa volonté de fonder un droit naturel lai:c qui serait valide, 63. E LAFERRI
un nouveáu disco11rs doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 339

se rendre coupable d'usurpa- droit naturel n'est nullement remise en cause, comme en témoignent les mul-
\/e, Constant insiste sur deux tiples ouvrages traitant de la question 55 •
nasque l'utilitarisme bentha- Quant à la science du droit constitutionnel, sa trame générale se laisse résu-
as avouer son nom et qui est mer par le passage sur lequel s' ouvre le Cours de droit public interne et externe de
1789"; d'autre part, il insiste Silvestre Pinheiro-Ferreira (1770-1846): « La réunion des hommes en sociétéa pour
levrait être et le droit tel qu'il bttt de leur assurer réciproquement la jouissance des droits de propriété réelle, de
x jusnaturalistes de mélanger, liberté individuelle et de sureté personnelle, que, dans un état d'isolement, le faible
~nt dit de prendre leurs rêves ne pourrait défendre contre le fort qui voudrait l'en dépouiller. Pour atteindre ce but,
:' siecle, le critere benthamien il faut faire des /ois; il faut terminer les différends qui pourraient s'élever, soit entre
n de personnes est d' ailleurs les membres de la même nation, soit entre ceux-ci et les membres d'une nation étran-
nsée jusnaturaliste en France gere; et il faut enfin disposer des forces commrmes pour maintenir l'exécution des lois
m véritable carrefour d'idées, et arrêtés. » 56 Voilà qu'on retrouve l'articulation classique chez les libéraux, ins-
1muns. S'y côtoient à la fois crite dans l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme, entre, d'un côté,
es du contrat social 51 - pour- le but de l'association politique que sont les droits de l'homme et, de l'autre, ou
ficiel, volontariste et anhisto- en second lieu car l'un découle de l'autre, le schéma institutionnel censé garan-
Kant 52, dont la rigueur toute tir ces droits, à savoir la séparation des pouvoirs. Cette façon de concevoir la
,rêché par Rousseau qui est la matiere du droit public, d'ailleurs induite par la structure binaire des diverses
créateur suprême d'un ordre chartes et constitutions de l'époque'7, se retrouve, à quelques nuances pres, chez
vine du droit naturel tranche tous les autres constitutionnalistes, que ce soit le Comte Jean Denis Lanjuinais
!S, des Lumieres - on pense à (1735-1827)", C.-G. Hello", Joseph-Elzear Ortolan (1802-1873)''º, E.V. Fou-
1 droit naturel amorcé avec la cart"', Denis Serrigny'·\ Firmin Laferriere (1798-1861)'·3, Pellegrino Rossi, etc.
;, En tout cas, l' existence du

représentatift et partirnlierement à la
:ONSTANT, De la Liberté chez les mÊme à supposer-ce que, évidemment, personne n'oseraic faire - que Dieu n'existât point ou, s'il
ICHET, Paris, Pluriel, 1980, p. 434-5. existe, se désintéressât des affaires humaines.
! mot d'11ti!ité, l'on ne parvienneà tirer 55. Voir les ouvrages de Belime, Ahrens, Jouffroy, Lherminier, Oudot, Pradier-Fodéré, etc.
déco11lent d11 droit nat11rel et de la jus- 56. S. PINHEIRO-FERREIRA, op. cit., p. 1-2.
/e droit p11blic interne et externe, Paris, 57. Les Chartes du 4 juin 1814 et du 14 aout 1830 s'ouvrent sur la reconnaissance du « droit p11blic
1ortugaise, se dit jusnaturaliste et en des Français », suivie des dispositions relacives à l'organisation des pouvoirs. Quam à la Constitution
,our définir ce qui est juste ec injuste. de la II République de 1848, son préambule est porté par une nouvelle ferveur jusnaturaliste. Ainsi,
0

e Pinheiro-Ferreira », Rev11e de droit le troisieme alinéa dispose que la République « reconnait des droits et devoirs antérieurs et mpérie11rs
<\T-SAINT-PRIX, Commentaire rnr aux !ois po~itives ». Apres avoir énuméré les «_droits eles citoyens », la Constitucion de 1848 proclame,
·, 1836, p. 121 s. L'auteur se réclame en son art1cle 19, que« la séparation des po11voirs est la premiere condition d'11n gouvernement !ibre ».
1eiro-Ferreira, il nie l'idée d'un droit M?me la Constitution du 14 janvier 1852, élaborée par Napoléon III au lendemain de son coup
réd<1ction » (B. CONSTANT, op. cit., d'Etat, « reconnait, confinne et g,irantit les grands príncipes proclamés en 1789 » (art. 1) avam desta-
tuer sur la« fonne de gouvernement de la République » (titre II).
droits sont in,1/iénables 011 imprescrip- 58. J .-D. LANJUINAIS, Constillltions de la nation française, avec zm essai de traité historiq11e et poli-
e doivent pas être prescrits. On p,1r/e de tiq11e mr la charte, et 11n recuei! de piecqs corrélatives, Paris, Baudouin, 1819, pp. 1-19, 97-106, 110-114,
181-188. Sur cet auteur, cf. J.-P. CLEMENT, Aux sources d11 libéralisme /rançais: Boissy d'Anglas,
~IGNY, Traité de droit p11blic des Fran- Da1mo11, Lanjuinais, Paris, LGDJ, 2000.
tiq11es, Paris,Joubert, 1846, pp. 1-130. 59. C.G. HELLO, Du régime constitutionnel, d,1ns ses rapports avec l'état actttel de la science sacia/e et
!rod11ction à la science d11 droit, 2° éd., politiq11e (1827), 3° éd., Paris, A. Durand, 1848, t. 1 (Libertés) et t. 2 (séparation des pouvoirs).
alement présente en France à travers 60. J. ORTOLAN, Cotm p11blic d'histoire d11 droit politiq11e et constiwtionnel (1831), 2° éd., Paris,
Joubert, 1844, pp.9-29 et De la so11veraineté c/11 pe11ple et des príncipes d11 go11vernement rép11blicain
l111i11istratiJ; 011 exposition 111éthodiq11e moderne, Paris, Jouben, Guillaumin, 1848. Sur ce juriste, cf. M. VENTRE-DENIS, « Joseph-Elzear
,ui (1832), 3° éq., Paris, Videcoq, 1843, Ortolan (1802-1873). Un juriste dans son siecle », Rev. d'hist. desfacultés de droit et de la science j11rid.,
F. LAFERRIERE, Cours théorique ct 1995, pp. 172-239.
:tilon, 1850, p. 17. 61. E.V. FOUCART, op. cit. (1832), 3° éd., 1843, t. 1, pp. 1-24.
,s, q11od sine s11mmo scelere dari nequit, 62. D. SERRIGl''F, op. cit., 1846, p. 1-130.
n droit naturel la"ic qui serait valide, 63. F. LAFERRIERE, op. cit. (1839), 3° éd., 1850, pp. 6 ss et 49 ss.
340 L 'État de droit ou les apories d'ttn nowueau discours doctrinal Les príncipes ci

2° La suprématie du droit naturel ou le fondement assez fort pour


et les limites du devoir d'obéissance aux fois positives en devo ir. » "'
de tyranniqut
344 Le droit naturel ainsi défini par les modernes constitue le metre étalon des !ois qu'on obéisse
positives, autrement dit un devoir-être, un idéal régulateur qu'il est possible de par un devoir
découvrir grâce aux lumieres de la raison. Contrairement à l'école classique du Or Rousse;
droit naturel, telle qu'elle apparait dans les écrits de Platon, Aristote, saint Tho- situations qut
mas d'Aquin, ces lois ne sont plus déduites de I'être, c'est-à-dire de l'observation contrainte, la
du monde extérieur, de cet ordre supposé harmonieux créé par Dieu. Encore je ne vois poin
faut-il ajouter sur le champ que la rupture entre ces deux conceptions du droit de nécessité, n
naturel n'est pas toujours nette et que l'on trouve, par exemple chez Montes- pottrra-ce être
quieu, certains rappels de cette vieille ontologie. Sa vision d'un monde social trouve en pos
réglé par les lois doit beaucoup à l'engouement de l'époque pour les sciences force égale ou
naturelles et pour la physique de Newton en particulier"'. En témoigne un [en conscienc,
célebre passage de l'Esprit des !ois: « Les !ois, dans la signification la plus étendtte, justes, mérite1
sont les rapports nécessaires qtti dérivent de la natttre des choses: et, dans ce sens, totts il n'y a rien, e
les êtres ont lettrs !ois; la divinité a ses !ois; le monde matériel a ses !ois; les intelli- brigand me su
gences supériettres à l'homme ont lettrs !ois; les bêtes ont leurs !ois; l'homme a ses la bourse, ma
!ois. »"; II n'en est pas moins vrai que la nature qu'invoquent les théoriciens du donner? » 73 -
contrat social pour fonder le droit naturel ne saurait êti-e identifiée avec un quel- 346 Divers auteur
conque Sein, ou être, autrement dit avec des éléments factuels, sous peine de vio- d'obéissance a
ler la distinction énoncée par Hume et reprise par Kant entre l'être et le devoir- et de l' égalité
être. Elle reflete plus exactement une conception idéale, universelle et des sujets, qui
atemporelle de la nature de l'être humain, à savoir l'essence de l'individu conçu « l'obéissance i
de façon abstraite dans cet état spéculatif qu'est l'état de nature. Le droit naturel il est relati/; il
constitue clone un « devoir-être », à l'aune duque! on juge la validité de la loi posi- forme dans de ,
tive, comme le précise Constam dans sa réplique aux critiques de Bentham "'. paratt clairem
345 Le postulat de la suprématie du droit naturel sur les lois positives se concrétise, On voue à la
sur le plan théorique et pratique, de diverses façons, débouchant à la fois sur un tique » '". Dani
concept de la souveraineté qui integre ces limites''7 , une théorie de l'équilibre ins- rationnel, pre
titutionnel censé garantir la transposition du droit naturel en droit positif (à tra- porte-parole l
vers une distribution des rôles entre le citoyen, le parlement et les juges''') et,
enfin, une théorie de l'obligation d'obéissance à la loi qui débouche, en général,
sur un droit (moral) de résistance à l'oppression. C'est ce dernier aspect que l'on
évoquera ici, à savoir la différenciation entre l'obligation (morale) d'obéissance 69. J.-J. ROUSSI
p. 354.
à la loi et la simple contrainte exercée par la puissance publique. Cette distinc- 70. Ibid.
tion a été formalisée en des termes lumineux par Rousseau dans le chapitre 3, du 71. Ibid., p. 355.
Livre I, du Contrat social ou il déconstruit cette fausse idée du « droit dtt plus 72. Ibid.
73. Ibid.
fort ». Les données de la question sont les suivantes : « Le pltts fort n 'est jamais 74. B. CONSTA
Code civil, Paris, ,
même il n'empor1
!e droit naturel, e
64. Cf E. GARCIA DE ENTERRIA, op. cit., p. 10 et B. GROETHUYSEN, op. cit., p. 225 ss. évidemmem de j,
65. MONTESQUIEU, op. cit., Liv. l, chap. 1, p. 232. 75. Sur ces métar
66. Cf supra note 50. 76. J. BELIN, op
67. Cf infra ff' 359 s et n" 366 s. sion de la volonté
68. Cf infra n-· 361 ss et n" 369 ss. profitent desa pro,
i nottveau· discours doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 341

t assez fort pour être toujours maztre, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance
;itives en devoir. » 09 Voilà la prétention de l'homme fort d'un régime qu'on qualifiera
de tyrannique, dictatorial ou encare « despotique », qui voudrait non seulement
tue le metre étalon des lois qu'on obéisse à ces lois par crainte de la sanction, mais encare par obligation,
1lateur qu'il est possible de par un devoir moral de respecter les lois, quel qu'en soit le contenu.
ment à l'école classique du Or Rousseau démonte le soi-disant « droit » du plus fort en distinguam deux
Platon, Aristote, saint Tho- situations que ce dernier voudrait, au contraire, confondre. D'un côté, il y a la
c' est-à-dire de l'observation contrainte, la force exercée par un supérieur: « La force est une puissance plrysique;
eux créé par Dieu. Encare je ne vais point quelle moralité peut résulter de ses ejfets. Céder à la force est tm acte
deux conceptions du droit de nécessité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence. En que/ sens
par exemple chez Montes- pourra-ce être un devo ir? » 70 Il est clone prudent de céder à la force, si l' on se
L vision d'un monde social trouve en position d'infériorité et dans l'incapacité d'opposer à cette force une
l'époque pour les sciences force égale ou supérieure, c'est-à-dire de résister. D'un autre côté, « on n'est obligé
:iculier"'. En témoigne un [en conscience] d'obéir qu 'aux puissances légitimes » 71 • Seules les lois légitimes, ou
signification la plus étendue, justes, méritent d'être respectées en dehors de toute contrainte. Entre les deux,
s choses: et, dans ce sens, tous il n'y a rien, car la «force ne fait pas droit » 72 • À sa question ironique - « Qu'un
natériel a ses fois; les intelli- brigand me surprenne au coin d'un bois: non seulement il faudra par force donner
mt leurs fois; l'homme a ses la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la
1voquent les théoriciens du donner? » 73 - la réponse va de soi.
être identifiée avec un quel- 346 Divers auteurs développent la théorie de l'obligation (morale ou jusnaturaliste)
; factuels, sous peine de vio- d'obéissance aux lois. Seule une loi, qui est conforme aux préceptes de la liberté
_ant entre l'être et le devoir- et de l'égalité des hommes, est digne de ce nom et requiert à ce titre l'obéissance
ion idéale, universelle et des sujets, qui y som tenus par une obligation inforo interno. D'apres Constam,
essence de l'individu conçu « l'obéissance à la loi est un devoir; mais comme tous les devoirs, il n'est pas absolu,
t de nature. Le droit naturel il est relati/; il repose sur la supposition que la loi part d'une source légitime, et se ren-
1uge la validité de la loi posi- ferme dans de justes bornes »". La nature spécifique de ce respect du à la loi trans-
ux critiques de Bentham .,,_ para1t clairement dans les métaphores religieuses du discours révolutionnaire.
lois positives se concrétise, On voue à la loi, parée des attributs de la « sainteté » 75 , un « respect quasi mys-
débouchant à la fois sur un tique » 76 • Dans un registre plus sobre, car le respect du à la loi devrait être un acre
rre théorie de l'équilibre ins- rationnel, presque un calcul et non pas un acre de foi, Montesquieu se fait le
aturel en droit positif (à tra- porte-parole de son époque en insistam sur l'importance de la vertu pour le
parlement et les juges"') et,
>i qui débouche, en général,
st ce dernier aspect que l'on
ation (morale) d'obéissance 69. J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, in CEuvres completes, Paris, Pléiade, 1964, t. III, Livr. I, chap. 3,
p. 354.
1ce publique. Cette distinc- 70. !bid.
1sseau dans le chapitre 3, du 71. !bid., p. 355.
usse idée du « droit du plus 72. !bid.
73. !bid.
; : « Le plus fort n 'est jamais 74. B. CONSTANT, op. cit., p. 437. Cf J. PORTALIS, Discottrs préliminaire au premier projet de
Code civil, Paris, éditions confluences, 1999, p. 24: « Le droit est moralement obligatoire; mais par l11i-
même il n'emporte aucime contrainte; il dirige, les !ois commandent. "Autrement dit, si !e droit, i.e.
!e droit naturel, oblige en conscience, la loi positive ne s'impose que grâce à sa contrainte, à moins
THUYSEN, op. cit., p. 225 ss. évidemmem de jouir d'une couverture de légitimité conférée par !e droit naturel.
75. Sur ces métaphores religieuses, cf M. LEROY, op. cit., p. 26 et 93.
76. J. BELIN, op. cit., p. 87. II cite à l'appui les propos de Dubois-Crance: « La !oi qtti est l'expres-
sion de la volonté générale, quine pe11t léser l'intérêt partirnlier p11isq11e tous y sorlt librement sownis et
profitent desa protection, inspire attx pe11ples le respect qu 'on porte à la divinité. "
342 L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les princip

regne de la !oi. Car l'homme vertueux n'est autre que celui « qui airne les !ois de à la théori
son pays, et qui agit par l'amour des !ois de son pays » 77 • tel droit.
En revanche, toute « !oi » qui est contraire aux droits naturels, inaliénables et éclairé d'u
imprescriptibles de l'homme, n'est pas une« foi», du moins pas au plein sens du en France
terme. Car si cette norme, cette "chose" qui ne mérite plus vraiment le titre de radicalisati
!oi, sans que l' on sache exactement comment la qualifier, est bien une !oi de par tionnaire (
sa forme, ce qui la rattache encore au droit et ce qui la distingue d'un acte abso- une nouve
lument arbitraire, elle ne l' est pas de par son contenu. « Ce ne sont pas !à des !ois,
c'est un abus de fois»", ce som encore des «fois» dites « tyranniques » 79 • Ces fluc-
tuations terminologiques, ces hésitations entre le refus catégorique du qualifica-
D
tif « foi » et le simple rajout d'un adjectif péjoratif au terme « !oi » traduisent
toute l'ambivalence de ces normes qui se trouvent à mi-chemin entre la norme
parfaite, la « foi » au sens formei et matériel, et le néant juridique ou la force 347 II s'agit ici
brute. Celle-ci est l'acte arbitraire par excellence qui ne se rattache en rien à la leurs succe
loi, quelle que soit la définition de celle-ci. et, inciderr
Faut-il alors obéir aux « fois tyranniques »? 80 Sur ce point, les avis divergem. droit. Les
Selon les uns, assez peu nombreux il est vrai, il n'y a pas lieu de parler d'un droit sonnent et
de résistance, soit qu'il n'en existe pas, soit qu'il n'est pas nécessaire puisque la ries de ten
loi ne saurait se tromper. On reconnalt là un des aspects les plus controversés de commund
la doctrine rousseauiste". À l'autre bout de l'éventail se situe un second courant (Commom
d'auteurs qui admettent, au contraire, un droit de résistance, voire une obliga- Staat). Um
tion de résistance contre toute « foi tyrannique ». Encore faut-il distinguer deux soit monis
hypotheses. Car il ne conviem pas, selon Constam, d'être « trop inflexible » en référence à
ce qui concerne ses droits individuels. « Nous devons au repos public beaucoup de donne not,
sacrifices » et, sacham que l'absence d'anarchie est en soi un objectif moralement gone est p,
souhaitable, notre « devoir ne cesse pas, lorsque la !oi ne s'écarte de cette regle qu'à de ces mot
quelques égards »81 • L'atteinte au droit naturel doit être suffisamment grave pour
pouvoir justifier le recours au droit de résistance, si l' on veut éviter de faire le lit A
de l'anarchie''. Si tel est !e cas, l'existence d'une telle « foi tyrannique », c'est-
à-dire son efficacité, dépend entierement de la crainte qu'inspire la force de 348 Parmi tous
contrainte in foro externo que seule la résistance, active ou passive, pourra, voire mentionne
devra briser. L'apologie récurrente dans la pensée et la pratique françaises d'un préfiguratir
droit (moral) de résistance à l'oppression ", si ce n'est une obligation ", s'oppose

86. Cf H.M(
77. MONTESQUIEU, op. cit., Avertissemem de l'auteur, p. 228. p. 189 ss et 29
78. S. PINHEIRO-FERREIRA, op. cit., t. 1, p. 47. Cf dans le m&me sens B. CONSTANT, op. cit., VALLIER,H,
p. 438. 87. Cf les dé,
79. S. PINHEIRO-FERREIRA, op. cit., t. ), p. 48. 88. Cf l'excel
80. Voir de maniere générale R. DERATHE, ]eanjacques Rousseau et la scierzce politique de son temps, Klett-Cotta, t
2' éd., Paris, Vrin, 1,995, p. 320ss; B. CONSTANT, op. cit., p. 437-440; \Y/. BELIME, op. cit., p. 155-160. t. 35, ,1990, PI
81. R. DERATHE, op. cit., p. 341-347. Y. MENY(di
82. B. CONSTANT, op. cit., p. 437. républicaine e;
83. Dans le cas d'une atteime légere au droit narurel, il existerait ainsi une obligation morale d'obéir 89. Ainsi B. 1
à une loi immoralc. voit dans la 1
84. Cf art. 2 de la Déclaration de 1789. Cf W. BELIME, op. cit., p. 155-160. définitions de
85. Cf l'art. 35 de la Déclaration de 1793. Cf B. CONSTANT, op. cit., p. 439 : « Un devoir positif, cite le concep
général, sans restriction, tollles les fois qu'rme !oi parait injuste, c'est de ne p,1s s'erz rendre l'exémter1r. » querait l'abse1
D'ou une obligation de résisrance passive pour Constam. op. cit., p. 923
m nouveau discours doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 343

1ue celui « qui airne les !ois de à la théorie allemande du Rechtsstaat qui nie, à la suite de Kant, l'existence d'un
77
tel droit. Tandis que les Lumieres d'outre-Rhin, séduites par le despotisme
roits naturels, inaliénables et éclairé d'un Frédéric II, préferent la réforme à la révolution, il en va autrement
u moins pas au plein sens du en France ou l'échec des tentatives de réforme lancées parle roi provoque une
rite plus vraiment le titre de radicalisation des revendications politiques 8". 11 s'ensuit un mouvement révolu-
1lifier, est bien une loi de par tionnaire qui veut ni plus, ni moins faire table rase de l' Ancien Régime et créer
i la distingue d'un acte abso- une nouvelle Cité dom les noms sont pluriels.
m. « Ce ne sont pas là des !ois,
es « tyranniques »". Ces fluc- § 2.
LES NOMS DE LA CITÉ OU LA SÉMANTIQUE
I
fos catégorique du qualifica-
DU DROIT PUBLIC FRANÇAIS DAVANT L 'ETAT DE DROIT
r au terme « loi » traduisent
à mi-chemin entre la norme
néant juridique ou la force 347 11 s'agit ici de saisir, dans les mots de l'époque, l'effort des hommes de 1789 et de
1i ne se rattache en rien à la leurs successeurs pour construire l'autorité politique surde nouvelles fondations
et, incidemment, de réfléchir sur la pertinence et l'utilité de l'expression État de
· ce point, les avis divergem. droit. Les références linguistiques pour marquer ce nouvel idéal politique foi-
1pas lieu de parler d'un droit sonnent et se déclinent, parfois en d'infimes variations, autour des trois catégo-
est pas nécessaire puisque la ries de termes que l'on a déjà identifiées, comme formam le tronc linguistique
)ects les plus controversés de commun des Lumieres en Europe. 11 y a tout d' abord la référence à la République
.il se situe un second courant (Commonwealth, Republik), à laquelle s'ajoute aussitôt le terme État (State,
résistance, voire une obliga- Staat). Une troisieme classe integre de multiples expressions dom la structure est
ncore faut-il distinguer deux soit moniste - l'exemple le plus classique est mie of law- soit binaire, faisant
:, d'être « trop injlexible » en référence à la fois au pouvoir, sous ses diverses dénominations, et au droit, ce qui
is au repas public beaucoup de donne notamment le Rechtsstaat et le lawful government ". Cette troisieme caté-
1 soi un objectif moralement gorie est particulierement riche en éléments en France, ce qui traduit la fragilité
i ne s'écarte de cette regle qu'à de ces mots dom aucun n'a pu s'imposer pour de bon.
tre suffisamment grave pour
l'on veut éviter de faire le lit A. La République, synonyme d'État et d'État de droit
elle « loi tyrannique », c'est-
ainte qu'inspire la force de 348 Parmi tous les termes qui désignent le corps politique dans son ensemble, il faut
. . .
:1ve ou passive, pourra, voire mentionner tout d'abord celui de R1f'ublique", dans lequel certains voient la
!t la pratique françaises d'un préfiguration, voire l' équivalent de l' Etat de droit 8". L'histoire de sa signification,
st une obligation s5, s'oppose

86. Cf H. MÔLLER, Vernzmfi und Kritik, Deutsche Azifklá'mng im 17. zmd 18. Jahrhzmdert, op. cit.,
8. p. 189 ss et 298 ss; D. GRIMM, Deutsche Ve,fasszmgsgeschichte 1776-1866, op. cit., p. 19 ss;J.-J. CHE-
1ême sens B. CONSTANT, op. cit., VALLIER, Histoire de la pensée politique, op. cit., p. 455 ss.
87. Cf les développements supra n" 45 ss et n" 163 ss.
88. Cf l'excellente étude de W. MAGER, « Republik », in Geschichtliche Grzmdbegriffe, Stuttgart,
lll et la science politiq11e de son temps, Klett-Cotta, t. 5, 1984, pp. 549-651, spéc. p. 565 ss et le résumé français id., « République », APD,
440; \Y/. BELIME, op. cit., p. 155-160. t. 35,,1990, pp. 257-273. Voir aussi J.-L. QUERMONNE, « République », in O. DUHAMEL &
Y. MENY (dir.), Dictionnaire constit11tionnel, Paris, PUF, 1992, pp. 921-924; C. NICOLET, L'idée
républicaine en France (1789-1924). Essai d'histoire critique, Paris, Gallimard, coll. te!, 1994, pp. 16-31.
ainsi une obligation morale d'obéir 89. Ainsi B. BARRET-KRIEGEL, Cours de philosophie politique, Paris, Livre de poche, 1996, p. 18,
voit dans la Rép,ublique de Bodin, défini comme un « droit gouvernement » !'une des premieres
, p. 155-160. définitions de l'Etat de droit. De même, le comparatiste allemand A. BLECKMANN, op. cit., p. 425
op. cit., p. 439 : « Un devoir positif, cite !e concept français de République corpme étant équivalem à celui de Rechtsstaat, ce qui expli-
•st de ne p,1s s'en rendre l'exémte11r. » querait l'absence relative du mot français Etat de droit. Cf dans le même sens J.-L. QUERMONNE,
op. cit., p. 923.
344 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les principes ,

ou plutôt de ses significations modernes, débute avec Jean Bodin (1529-1596) qui forme d'admi
en donna une définition célebre dans ses Six Livres de la République publiés en verne, et la e!
157 6 : « République est un droit gouvemement de plusieurs ménages, et de ce qui leur blicain. » " Il
est commtm, avec puissance souveraine. » 'º Sous le terme de République, Bodin pas seulement
désigne clone l'État, les deux étant synonymes, et plus précisément un État gouvernemen
structuré parle droit. En effet, la souveraineté qu'il définit comme la« summa pas que le G
in cives ac subditos legibusque soluta potestas », e' est-à-dire « puissance absolue et per- ministre : alo
pétuelle d'une République » '", s' exprime par le biais de la loi positive que le sou- déclaration d
verain peut faire et défaire à sa guise, tout en étant soumis au droit naturel, aux frontieres et
lois fondamentales et aux traités internationaux conclus par lui "'. Ainsi, la sou- écrits de Rot
veraineté est un pouvoir de droit qui est supérieur aux lois positives, mais infé- ment différer
rieur aux lois naturelles. 11 est à noter que le terme de République n'est associé à (La constittttz,
aucune forme de gouvernement particuliere et surtout pas à un régime caracté- 11 importe
risé par l'absence d'un roí; Bodin est, en effet, un fervem défenseur d'une Répu- et complexit
blique monarchique. à-dire la cone
Le sens du mot République varie toutefois entre deux acceptions quis' opposent, nyme de l'Ét,
se croisent et s'enchevêtrent, l'une étant globale et matérielle - la République au supposée just
sens de l'État, de lares publica, de la chose publique-, l'autre étant de nature qu'à cette cor
plus formelle et partielle, ne désignant plus qu'un aspect de l'État, à savoir sa « État régi pa;
forme de gouvernement qui est tout sauf monarchique, clone soit aristocratique, aspect de la J
soit démocratique. Ce dernier usage se propage des le XV' siecle en France, fois légal et li
par référence aux cités républicaines de Florence et de Venise, et l'emporte pro- Ceei peut par
gressivement sur le premier. Sous l' entrée République, la deuxieme édition du de Geneve p.
Dictionnaire de l'Académie française de 1695 donne en premier lieu le sens for- tion ». Rouss
mel - « Estat gouvemé par plusieurs » - et ne mentionne qu'accessoirement la nement par 1,
signification plus large - « Il se prend quelquefois pour toute sorte d'Estat, de gou- corps politiq
vernement » 93 • Ce dernier sens n'apparait même plus sous la plume de Montes- l' exécution d
quieu qui en 1748, dans l'Esprit des !ois, définit la République comme le gouver- classique des
nement « ot't le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine n'est plus qu,
puissance »",formule que l'on retrouve telle quelle dans l'Encyclopédie de Dide- le peuple. 1111
rot et d'Alemben·,;_ de faire la loi
349 11 reviendra à Rousseau de donner une nouvelle impulsion à la sémantique répu- à résoudre, et
blicaine en France et ailleurs. L'originalité desa définition consiste à fusionner plutôt d'adm
les deux acceptions. Dans le fameux chapitre VI du Livre II du Contrat social,
consacré à la« Loi », le citoyen de Geneve va faire de la République le fer de lance
de ses theses : « ]'appelle dane République tout État régi par des loix, sous que/que 96. J.-J. ROUSS
97. J.-J. ROUSS
98. I. KANT, Z,
op. cit., e. ~, p. 2C
90. Cicé par W. MAGER, « Republik », op. cit., p. 570. 99. Tom Ett1t es1
91. Ibid. tous les deux à ,
92. Sur ces crois cacégories de limites, cf W. MAGER, op. cit.; D. KLIPPEL & H. BOLDT, « Sou- sémantique, il st·
veranitat », in O. BRUNNER et alii (dir.), Geschichlliche Grrmdbegriffe, e. VI, p. 109; A. TRUYOL les régimes polir
SERRA,« Souveraineté », APD, e. 35, 1990, p. 316. non. La discinct i
93. W. MAGER, op. cit., p. 587. despotiques ou a
94. MONTESQUIEU, De l'Esprit des !ois, op. cit., Liv. II, chap. 1, p. 239. 100. Cf l'écude,
95. Encyclopédie, e. 14 (1765), p. 150 : « Forme de go11vernemen1 dans leque! !e pe11ple en corps 011 1995, p. 384 ss (
seulement 11ne partie d11 pe11ple, a la s011veraine p11issance »; cicé par \Y/. MAGER, op. cit., p. 588. go11vernement).
nouveau -discours doctrinal Les principes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 345

Jean Bodin (1529-1596) qui forme d'administration que ce puisse être, car alars seulement l'intérêt public gou-
ie la République publiés en verne, et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est répu-
urs ménages, et de ce qui leur blicain. » "' II précise dans une note, pour éviter toute confusion : « ]e n 'entends
rme de République, Bodin pas seulement par ce mot une A ristocratie ou une Démocratie, mais en général tout
plus précisément un État gouvernement guidé par la volonté générale qui est la !oi. Pour être légitime il ne faut
définit comme la « summa pas que le Gouvernement se confonde avec le souverain, mais qu'il en soit le
ire « puissance absoltte et per- ministre: alors la monarchie elle-même est république. » 97 Sa formule, qui est une
e la loi positive que le sou- déclaration de guerre lancée à tous les régimes despotiques, a résonné au-delà des
mmis au droit naturel, aux frontieres et n'est pas pour peu dans la maxime de Kant - lecteur assidu des
:lus par lui "'. Ainsi, la sou- écrits de Rousseau - qui proclame à son tour, quoi que dans un sens sensible-
1x lois positives, mais infé- ment différent : « Die bürgerliche Ve,ifasszmg in jedem Staat sol! republikanisch sein
~ République n'est associé à (La constittttion civile dans chaque Etat doit être républicaine) » "'.
ut pas à un régime caracté- II importe toutefois de saisir le concept de République dans toute sa richesse
vent défenseur d'une Répu- et complexité. D'une part, Rousseau s'approprie la tradition de Bodin, c'est-
à-dire la co1;cepti,on globale et substantielle de la République prise comme syno-
e acceptions qui s'opposent, nyme de l' Etat, Etat qui, par définition •n, doit agir par la vaie de la loi, d'une loi
1térielle - la République au supposée juste et équitable, qui garantisse à chacun la liberté et l'égalité. Ce n' est
-, l'autre étant de nature qu'.à cette condition que la« chose publique est quelque ~hose ». La Réfublique, cet
1spect de l'État, à savoir sa « Etat régi par des loix », n' est clone ri~n d' autre que l' Etat de droit. A ce premier

1e, clone soit aristocratique, aspect de la République, désignant l'Etat dans sa globalité comme un ordre à la
!S le XV' siecle en France, fois légal et légitime, s'ajoute un second qui a trait à sa forme de gouvernement.
le Venise, et l'emporte pro- Ceei peut paraí'tre surprenant vu l'apparente indifférence affichée parle citoyen
te, la deuxieme édition du de Geneve par rapport à ce qu'il appelle, à dessein, les « formes d'administra-
:n premier lieu le sens for- tion ». Rousseau introduit ici un usage radicalement nouveau du terme gouver-
ionne qu'accessoirement la nement par lequel il ne vise plus - comme nombre de ses contemporains - le
r toute sorte d'Estat, de gou- corps politique en son ensemble, mais exclusivement les organes chargés de
; sous la plume de Montes- l'exécution des lois 1ºº. Ce faisant, il modifie radicalement le sens de la trilogie
tmbliq11e comme le gouver- classique des régimes qu'il maintient par ailleurs, du moins nominalement. II
ie du peuple, a la souveraine n'est plus question pour lui de confier la souveraineté à une instance autre que
ans l'Encyclopédie de Dide- le peuple. II n'y a de République, au plein sens du terme, que lorsque le pouvoir
de faire la loi appartient àl'universalité des citoyens. La seule question qui reste
lsion à la sémantique répu- à résoudre, et pour laquelle la distinction des trais formes de gouvernement ou
nition consiste à fusionner plutôt d'administration devient pertinente, c'est de savoir à qui confier le pou-
Livre II du Contrat social,
la Républiqtte le fer de lance
lgi par des loix, sous quelque 96. J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, op. cit., p. 379-8.
97. J.-J. ROUSSEAU, op. cit., p. 380 note*-
98. L KANT, Z111n ewigen Frieden. Ein philosophischer Emwurf (1795), in Werke, éd. de Weischedel,
op. cit., t. ~' p. 204.
99. Tour Etat est, par définition, une Rép11bliq11e, car les deux termes som synonymes et renvoiem
tous les deux à un concept idéal ou normarif (cf ibid., J,iv. I chap. 6, p. 362). D'un poim de vue
. KLIPPEL & H. BOLDT, « Sou- sémantique, il serait dane inexact de faire de la notion d'Etat une catégorie générique, incluam tous
igriffe, t. VI, p. 109; A. TRUYOL les régime:5 poliriques, légirimes ou illégitimes, dom ce1;rains seraiem des Républiques et d'aurres
non. La d1srincrion doit se faire entre les Républiques/Erats et les régimes illégirimes, e' est-à-dire
despotiques ou anarchiques. ,
, p. 239. 100. Cf l'étude de R. DERATHE,J.-f- Ro11ssea11 et la science politiq11e de son temps, ~' éd., Paris, Vrin,
t dans leque! !e pe11ple en corps 011 1995, p. 384 ss (Appendice : Q11estions de tenninologie et notions fondamentales. Etat, so11veraineté,
\Y/. MAGER, op. cit., p. 588. gottvernement).
346 L 'État de droít ou les apories d'un nouveau díscours doctrínal Les príncipe:

voir exécutif'º'. La Républíque de Rousseau est clone à la fois forme et contenu, mot qu 'elle ;
le tout et la pareie : elle désigne l'État, l'État libéral et l'État démocratique. Ce bref interlu,
faisant, l'auteur du Contrat social dépasse les anciens clivages autour de cette tere soi-disJ
notion pour en proposer une troisieme définition qui sera destinée à connaitre en marche.
un net succes sous les diverses Républiques instaurées sur le sol français. forme de g
350 Sous la Révolution, le terme est au centre des débats politiques apres la fuite à douloureux
Varennes du roi Louis XVI. Les discours successifs de Maximilien de Robespierre de la rhétor
(1758-1794) à cette occasion sont instructifs sur l'élargissement continu du savoir celui
concept. Dans son discours du 13 juillet 1791, au lendemain de la suspension du
roi, il affirme encore que : « Le mot républíque ne sígnifie aucune forme partículiere
de gouvemement: il appartíent à tottt gouvemement d'hommes líbres, qui ont une
patríe. Or, on peut être libre avec un monarque comme avec un sénat. Qu'est-ce que 351 D'apres Me
la constítutíon française actuelle? C'est une républíque avec un monarque. » 102 Le sous-entend
terme pris dans son sens global, comme synonyme de l'État, est entierement axé On notera 1
sur le critere de la liberté individuelle de ses citoyens. Suite à l'abolition de la (Civítas) íst ,
monarchie et de la proclamation de la République en 1792, les idées de Robes- (Civitas) est ,
pierre évoluent. La République est désormais intimement associée à la démocra- forme politi
tie: les deux moes sont « synonymes » ID,. Parallelement, sa connotation éthique « la dépend,

se trouve renforcée par des références à la « vertu », à la « mora/e», à la « vérité » volonté arbi
et à la « raison » républicaines que Roberpierre oppose « à tous les víces et à tous potísme ». D
les ridícules de la monarchíe » '°'. Ainsi, la République, prise dans son sens global, fort improp
s' enrichit à la fois de criteres formels - la garantie du suffrage universel, l' ab- plaisir qui ri
sence de roi - et d'éléments substantiels qu'on qualifierait aujourd'hui de« prín- despotique »
cipes » ou de « valeurs républicaines ». - ce qu1 es
Orles ravages de la Terreur sont à l'origine d'un net désenchantement vis-à- d'État'". À 1
vis d'un terme surchargé d'idéologie. Sa signification s'étiole. Si le terme se dissout », no
maintient pendam un moment sous le regne de Napoléon, dont les pieces de avoir d'« Éu,
monnaie gardaient jusqu'à 1808 la double mention « République française - État. 11 faut
Napoléon Empereur » 'º\ e' est au prix de la perte d'un élément autrefois essentiel, plement l'e>;
à savoir son caractere démocratique. Au début du XIX' siecle, le Comte Jean- d'en bas. Sur
Denis Lanjuinais, ancien révolutionnaire, tente de sauver le terme de l'oubli, du ainsi « l'Éta,
moins sa signification d'État au sens libéral : « ]e ne reconnais poínt la république « associatíon
pour une fonne particuliere de gouvemement; c'est un nom quí convíent à tous mais simple1
les gouvemements simples ou mixtes que naus avons appelés nationaux ou de droit
commun, (. ..) parce que, dans ces gouvernements, l'autorité supérieure est actuelle-
106. ].-D. LA!'
ment ou habituellement la chose du publíc, la chose de la société, de la nation; en un 107. On retrot
libéral et d'État
cipes d11 gouven
101. ].-]. ROUSSEAU, op. cit., Liv. III. II se déclare d'ailleurs défavorable à un exécutif démocra- 108. Louis-Phi
tique, car selon !ui, seu! un peuple de dieux se gouvernerait démocratiquement. Cf encare P. PI
102. M. ROBESPIERRE, CEuvres completes, t. VII, éd. M. Bouloiseau et alii, Paris, 1950, p. 552; cité 109. Cf p. ex.
par W. MAGER, op. cit., p. 596. 110. MONTEI
103. M. ROBESPIERRE,Disco11rsd11 5.2.1794, in op. cit., t. X, Paris, 1967, p. 352; cité W. MAGER, 111. I. KANT.
op. cit., p. 598 : « Ces deux tennes sont synonymes, malgré les abus d11 langage vulgaire; car l'aristocratie p. 431.
n 'est pas plus républiq11e que la monarchie. » 112. J.·J. ROU
104. Ibid. op. cit., p. 1449
105. C. NICOLET, op. cit., p. 26. Sur la disparition progressive du terme de République des insignes 113. Cf mpra 1

du pouvoir (monnaie, sceau, !ois et décrets, etc.), cf W. MAGER, op. cit., p. 597. 114. ].-]. ROU
nouveau discottrs doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 347

à la fois forme et contenu, mot qu'elle n'existe que par la nation et pour la nation. » 1º1, Mais, à l'exception du
et l'État démocratique. Ce bref interlude de la li' République 1º1 et de quelques discours élogieux sur le carac-
1s clivages autour de cette tere soi-disant républicain des monarques 'º', le processus de décomposition est
lÍ sera destinée à conna1tre en marche. Pour la plupart des auteurs, la République ne désigne plus qu'une
·s sur le sol français. forme de gouvernement particuliere qui évoque des souvenirs historiques
douloureux 10'. Ce déclin relatif de la République, quisera arrêté parle renouveau
, politiques apres la fuite à
de la rhétorique républicaine à partir de 1875, ouvre la voie à un autre terme à
Maximilien de Robespierre
savoir celui d' État. '
'élargissement continu du
jemain de la suspension du
fi,e aucune fomie particuliere B. L'ascension progressive du mot État
{'hommes libres, qui ont une
avec un sénat. Qu'est-ce que 351 D'apres Montesquieu, l'État se définit comme une « société ou il y ades fois» 110 ,
? avec un monarque. »
102
Le sous-entendu des lois conformes à l'idéal de la justice et de la raison universelle.
~ l'État, est entierement axé On notera la proximité de sa définition avec celle de Kant selon lequel le « Staat
1s. Suite à l'abolition de la {Civitas) ist die ¼reinigung einer Menge von Menschen unter Rechtsgesetzen (L 'État
:n 1792, les idées de Robes- (Civitas) est la réunion d'une multitude d'hommes sous des fois juridiques) » 111 • Cette
nent associée à la démocra- forme poli tique incarne le regne de la loi et s' oppose à ce que Rousseau appelle
:nt, sa connotation éthique « la dépendance personnelle » 11 2, autrement dit la soumission de l'homme à la
. la « mora/e», à la « vérité » volonté arbitraire d'un autre homme, ce que d'aucuns appellent encore le « des-
)Se « à tom les vices et à tous potisme ». Dans ces régimes, dans ces « États despotiques », comme le dit de façon
, prise dans son sens global, fort impropre Montesquieu, « il n'y a point de loi », car c'est la volonté, le bon
du suffrage universel, l' ab- plaisir qui regne en ma1tre. D'un strict point de vue logique, l'expression « État
fierait aujourd'hui de« prin- despotique » est en effet une contradictio in adjecto, car là ou il n'y a pas de loi
- fe qui ,est le propre du despotisme -, il ne saurait, par définition, y avoir
net désenchantement vis-à- d'Etat 11 3. A l'instant même ou« le despote (. ..) se met au-dessus de la loi », ,, l'État se
ion s'étiole. Si le terme se dissout », ~ote à juste titre Rousseau,,._ À proprement parler, il n'y a, et ne peut y
apoléon, dont les pieces de ayoir d'« Etat despotique », à moins de changer radicalement de définition du mot
n « République française - Etat. 11 faut clone parler d'un régime despotique, le terme régime signifiant sim-
. élément autrefois essentiel, plement l'existence d'un rapport de pouvoir entre ceux qui sont en haut et ceux
XIX' siecle, le Comte Jean- d' en bas. ~ur ce point, la terminologie de Rousseau est plus rigoureuse. 11 distingue
mver le terme de l'oubli, du ainsi « l'Etat légüime », fondé sur le contrat social et constituam une véritable
reconnais point la république « association », du « despotisme » ou il n'y ni bien public (res publica), ni société,
'4n nom qui convient à tous mais simplement une « multitude», une simple « agrégation » faite d'un maitre et
tppelés nationaux ou de droit
rtorité supérieure est actuelle- 106. J.-D. LANJUINAIS, op. cit., p. 14. Cf aussi p. 187.
la société, de la nation; en un 107. On ret,rouve ainsi la définirion rousseauiste de la Républiq11e, pris en tripie sens d'Érar, d'État
libéral er d'Etat démocrarique dans !' écrir de J. ORTOLAN, De la s011veraineté du peuple et des prín-
cipes du gouvemement républicain modeme de 1848.
léfavorable à un exécutif démocra- 108. Louis-Philippe et Napol~on,III som ainsi présemés comme des « monarques républicains ».
ocratiquemem. Cf encare P. PRADIER-FODERE, op. cit., p. 260 qui, en 1869, se réfere à la définirion de Rousseau.
iseau et alii, Paris, 1950, p. 552; cité 109. Cf p. ex. D. SERRIGNY, op. cit., p. 104.
110. MONTESQUIEU, L'Esprit des /ois, op. cit., Liv. XI, chap. 3, p. 395.
aris, 1967, p. 352; cicé W. MAGER, 111. 1. KANT, Metapbysik der Sitten, Recbtslebre, in Werka11Sgabe, éd. W. Weischedel, t. VIII,§ 45,
itt langage v11/gaire; car l'aristocratie p. 431.
112. J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, op. cit., Liv. I, chap. VII, p. 364. Cf note 1 de R. DERATHÉ,
op. cit., p. 1449.
:1u terme de Rép11bliq11e des insignes 113. Cf mpra n" 47.
l, op. cit., p. 597.
114. J.-J. ROUSSEAU, op. cit., Liv. III, chap. X, p. 423.
348 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les principé

d'esclaves, bref un « attroupement forcé » 115 • Le mot État est l'un des multiples 352 À lire ces q
termes, à côté de « République », « corps politique » et « société civile » 11 ", par les- '
eppque cor
quels Rousseau désigne l' autorité née du contrat social. C' est ce dernier qui consti- l'Etat comr
tue le statut du « corps moral» 117 , de cet « être de raison » 118 qu'est l'État et qui lui être de dro
donne « son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté » 11 ". Le theme de la per- définisse cc
sonnalité juridique ou morale de l'État, dont on trouve en France une premiere « commun,,
ébauche chez Rousseau, sera repris par d'autres auteurs au début du XIX' siecle 120 • juridique, 1
Du temps de la Révolution, le terme État tombe quelque peu dans l'oubli 121 , troduire ce
comme l'illustre d'ailleurs la Déclaration de 1789 dom l'article 2 évoque non pas se rendre à
les buts de l'État, mais ceux de « toute association politique ». À partir du tour- rie générah
nant du siecle, le terme s'emploie de nouveau, tout en étant concurrencé par intrinseque
d'autres expressions telles que « société politique », « corps politique », « autorité vers la mh
sociale » ou « gouvernement ». Si le terme est connu de tous les auteurs de de faire ré~
l'époque allant de 1815 à 1870, on cherchera néanmoins en vain un chapitre d' existence
exclusif consacré à une théorie générale de l' État. Seuls les ouvrages de Rossi 112 de la volon
- premier titulaire de la chaire de droit constitutionnel créée par Guizot - et de comme le
Ahrens dérogent à cette regle. En général, les définitions de l'État sont rares et embrassant
succinctes. L'ceuvre de Constam, ou le terme État ne figure dans l'intitulé d'au- un côtéà r~
cun chapitre 12', est à cet égard révélatrice d'une doctrine qui s'intéresse, en prio- nisme social
rité, au droit naturel et à la question des limites rationnelles de la souveraineté, cés par l'idé
pour passer ensuite à l'analyse institutionnelle des pouvoirs. On notera simple- faite » 128 • L'
ment en 1819, sous la plume de Lanjuinais"', une breve évocation de la person- droit (Recht.
nalité juridique de l'État ainsi que des développements un peu plus substantiels nature. N';
chez Serrigny en 1846. Dans sa longue introduction consacrée aux «fondements l'homme et
des sociétés politiques », il définit l' État comme une « communauté de lois et de gou- droit (Recht:
vemement » 12' contrairement à une « multitude confuse » qui « n'est pas un état
social proprement dit » w,_ De façon plus précise, il dira qu'un « État constitue une e.
personne mora/e ou civile, tm être collectifqui ades droits et des devoirs, et par consé-
quent une volonté propre, distincte de celle de charnn de ses membres » 127 •
353 À ces deux
115. Jbid., Liv. I, chap. 5, p. 359. , press1ons q1
116. Cf les références citées par R. DERATHE, op. cit., p. 381 s. Comme le dit explicitement formules te
Rousseau, tous ces termes som synonymes. Cf op. cit., Liv. I, chap. 6, p. 361-362.
117. J.-J. ROUSSEAU, op. cit., Liv. I, chap. 6, p. 361. etc. qui pos1
118. Ibid., Liv. I, chap. 7, p. 363. rales et abs
119. Ibid., Liv. I, chap. 6, p. 361. « governme.
120. Cf F. LINDITCH, op. cit., p. 86 s et 89 s.
121. C. NICOLET, op. cit., p. 443. clone existe
122. P. ROSSI, Cozm de droit constit11tionnel, in CE11vres completes, éd. par A. Porée, 2< éd., Paris, nature, priv
Guillaumin, 1877, t. 1, pp. 1-12 (1" leçon). Lire aussi Co11rs de droit constillltionnel, t. 3, pp. 294-311 structure dt
(68° leçon). Cf P. LAVIGNE, « Le Comte Rossi, premier professeur de droit constitutionnel français
(1834-1845) », in Histoire des idées et idées mr l'histoire. Mélanges ojferts à].-]. Chrrval!ier, Paris, Cujas,
1977, pp. 173-178. ,
123. Cf la table des matieres de son Cours de politiq11e constit11tionnelle, éd. par E. LABOULAYE,
Paris, Guillaumin, 1861, 2 vol. et De !t1 Liberté chez les Modernes, éd. par M. GAUCHET. 128. H.AHR
124. J.-D. LANJUINAIS, op. cit., p. 181-182. 129. Ibid., p. :
125. D. SERRIGNY, op. cit., p. 19, 20. Cette formule est reprise par P. PRADIER-FODÉRÉ, 130. Ibid., p. J
op. cit., p. 188. 131. La formt
126. D. SERRIGNY, op. cit., p. 20. l' expression an
127. Ibid. la loi est la loi
i nottveau discours doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 349

État est l'un des multiples 352 À lire ces quelques définitions, on s'aperçoit que les publicistes franpis de cette
t « société civile » "", par les- ép?que conçoivent déjà, avant même l'apparition de l'expression Etat de droit,
. C' est ce dernier qui consti- l' Etat comme un être abstrair, un « être de raison » (Rousseau), autrement dit un
n » 118 qu'est l'État et qui lui être de droit, qu'on désignera sous diverses appellations. Peu importe qu'on le
rité » li'). Le theme de la per- définisse comme « société ou il y a des lois », ce qui se rapproche de la formule
1ve en France une premiere « communauté de lois et de gouvernement », ou encore comme une personnalité
rs au début du XIX< siecle 120 • juridique, l'État est, par définition, un État de droit. S'il est clone possible d'in-
quelque peu dans l'oubli 121 , troduire ce terme, anachronique, dans la doctrine antérieure à 1870, il faut bien
lt l'article 2 évoque non pas se rendre à l'évidence qu'il n'ajoute rien de nouveau du point de vue de la théo-
>litique ». À partir du tour- rie générale de l'État et du droit. Les deux concepts de l'État et du droit sont
t en étant concurrencé par intrinsequement liés : ils sont consubstantiels. L' Etat est né dans le droit, à tra-
corps politique », « autorité vers la métaphore du contrat social; sa raison d'être, ce qui fait son essence, est
mu de tous les auteurs de de faire régner la loi, d'être un pouvoir anonyme et impersonnel; son mode
moins en vain un chapitre d'existence et d'action est le droit, à savoir les lois qui lui sont imputées à partir
!uls les ouvrages de Rossi 122 de la volonté de ses organes. L'État est clone, si l'on veut, un « État de droit »,
1el créée par Guizot - et de comme le dira Ahrens. Selon ce dernier, « l'État est l'ordre général du droit,
tions de l'État sont rares et embrassant toutes les spheres sociales et tous leurs rapports, en tant qu'ils présentent
e figure dans l'intitulé d'au- un côté à régler d'apres les príncipes généraux du droit. L 'État est donc dans l'orga-
~ine qui s'intéresse, en prio- nisme social général cet organisme spécial, dont le but et la sphere d'action sont tra-
onnelles de la souveraineté, cés par l'idée, de droit qui doit recevoir par lui une application de plus en plus par-
ouvoirs. On notera simple- faite » 128 • L'Etat correspond, selon une formule empruntée à Kant, à un « état de
·eve évocation de la person- droit (Rechts-Zustand, status juris) » 12'' puisqu'il succede à l'hypothétique état de
1ts un peu plus substantiels nature. N'ayant d'autre but et regle d'action que le droit, un droit axé sur
consacrée aux « fondements l'homme et sa liberté, « l'État » est conçu « comme étant par son essence l'État de
ommunauté de lois et de gou- droit (Rechts-Staat) » 130 •
Stse » qui « n'est pas un état
·a qu'un « État constitue une C. Quelques variations sémantiques autour du theme
its et des devoirs, et par consé- du pouvoir et du droit
e ses membres » 127 •
353 À ces deux catégories s'ajoute une derniere qui rassemble une multitude d'ex-
pressions qui ont trait au caractere juridique du pouvoir. II y a, d'une part, des
1 s. Comme le dit explicitement formules telles que « regne de la loi », « empire de la foi», « joug salutaire de la loi »
p. 6, p. 361-362.
etc. qui postulent l'existence (le regne) du droit, ou plus exactement de lois géné-
rales et abstraires 1.li. Elles s' opposent à ce que les Anglo-saxons appellent le
« government of men » et Rousseau la « dépendance personnelle ». Le droit doit
clone exister et régler, a priori, tous les rapports humains, peu importe leur
:es, éd. par A. Porée, 2' éd., Paris, nature, privée ou publique, nationale ou internationale. D'autres expressions, de
,it constittttiomzel, t. 3, pp. 294-311 structure dualiste, se construisent autour de deux pôles : d'un côté, la référence
lf de droit constitutionnel français
'{erts à J.j. Chec,;allier, Paris, Cujas,

1m1elle, éd. par É. LABOULAYE,


!d. par M. GAUCHET. 128. H. AHRENS, Coursdedroit n<1tttrel, 6' éd., Leipzig, Brockhaus, 1868, t. 2, p. 311.
129. lbid., p. 315.
rise par P. PRADIER-FODÉRÉ, 130. Jbid., p. 331. Cf aussi p. 350.
131. La formule regne de la foi a clone, en français, une signification sensiblement différente que
l'exprcssion anglaise de rufe of law qu'il faut traduire plutôt par regne du droit. Alars qu'en France,
la loi est la loi votée par le parlement, la law se réfere à la fois à la common law et à la statute law.
350 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les principes

au droit et, de l'autre, la mention du pouvoir public, perçu tour à tour comme Section
le destinataire principal du droit (le re_gne du droit contre l'État) et son premier
vecteur (le regne du droit à travers l'Etat). li y a une foule d'expressions de ce
dernier genre dont aucune n'a perduré contrairement à ce qui s'est passé en
Allemagne pour le Rechtsstaat. On peut noter tout d'abord la formule « droit 354 Il n'y a pas e
gouvernement » de Bodin m, que Richard Knolles a traduit en 1600 par« lawfúl n'y a d'insta1
governement » ')', autrement dit, si on le traduit littéralement, un "gouvernement concrétise rn
respectueux du droit", soit, en langage contemporain, État de droit 1.i._ L' ouvrage tiples visage1
de Lanjuinais, et plus particulierement le chapitre 1 du livre l" intitulé Des Gou- etc. C' est so1
vernements et des Constitutions en général, est un véritable trésor de définitions comme le pl
des notions fondamentales de l'époque. Selon que les gouvernements font ou titre, de la fo
non de la « volonté générale » Ieur príncipe constitutif, Lanjuinais distingue les solutisme, q1
« gouvernements nationaux et de droit commun » des « gouvernements spéciaux, n'a pas réuss
ou d'exception » 135 • Si l'un est le standard à atteindre en matiere de libertés passé en An,
publiques, l'autre fait figure de repoussoir. Mais, à vrai dire, ces termes signifient Français se n
la même chose - à savoir la chose publique- que le mot République. Chaque fois, luer de l'inti
« l'autorité supérieure est actuellement ou habituellement la chose du public, la chose ciples d'un «
de la société, de la nation; en un mot (. ..) elle n'existe que par la nation et pour est nette et
la nation » 136 • Prolixe, il ajoute sur le champ : « La qualification de république Lumieres en
convient à tout gouvernement constitutionnel et représentatif » m_ On remarquera 355 Le regne de 1
également la notion de« régime constitutionnel » - qui figure en tête de l' ouvrage du corps lég
de C.-G. Hello 138 et qui se rapproche du terme allemand de Verjàssungsstaat (litt. D'aucuns pa
l'État constitutionnel) - ainsi que celle de « gouvernement national » chez parlement q
Pinheiro-Ferreira m_ du peuple s'c
Ainsi, la doctrine française n'a pas manqué d'expressions similaires au Rechts- entend par 11
staat. Pourtant, elle n'a pas cru nécessaire ni deles garder, ni d'introduire une tra- miler, tel qu,
duction littérale du mot Rechtsstaat dont certains ont probablement eu connais- allant de 179
sance. Les termes de République et surtout d' État Ieur paraissaient suffisants pour et à juste tit1
transporter leur conception libérale du pouvoir, focalisée sur les deux idées maí'- entre les lois
tresses de la liberté et de la séparation des pouvoirs. inclus le pau
tout autre, e.
dont on adm
norme supér
132. « La Rép11bliq11e est rm droit go1wernement de pl11sie11rs ménages et de ce q11i leur est comm11n, avec ticulieremen
pttissance souvaaine » (Liv. 1, chap. 1). qui puisse C(
133. « A Commonweale is a lawfi,l govemment of m,my families, and of that which unto them in mot, mais 1
common belongeth, with a p11issant soveraigntie » (ciré par W. MAGER, op. cit., p. 571). Cf aussi
l'usage identique de ces deux mors chez Locke (supra n'' 166). ,
134. En effer, le ,mor govemment ou go11vernme11t esr à l'époque un synonyme du mor Etat.
Cf R. DERATHE, op. cit., p. 384 s.
135. J.-D. LANJUINAIS, op. cit., p. 13. La disrincrion, qui remonte à Desrutt de Tracy, esr reprise
par P. ROSSI, Corm de droit cunstit11tionnel, t. 3, op. cit., pp. 301 ss. 140. Cf s11pn1,
136. Ibid., p. 14. 141. Cf le ritre
137. Ihid. Pour ces deux rermes cf p. 18 er 187. tent ,1tteinte et 1
138. C.-G. HELLO,Du régimeco11stit11tionnel (1827), Paris, A. Durand, Y éd., 1848, r. 1, p. 4, 12, 20. garantis par la C
Sa définirion de la constirution et partant du régime constirurionnel est fondée sur l'arricle 16 de la torique de A. B
Déclararion de 1789. Le tome I traire des libertés er le tome 2 de la sépararion des pouvoirs. 142. Comme o
Cf S. PINHEIRO-FERREIRA, op. cit., p. 58 qui parle du « systeme constit11tionnel ». raineré du parle
139. S. PINHEIRO-FERREIRA, op. cit., p. 12. sence de juge en
1 nouveau· discours doctrinal Les principes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 351

:, perçu tour à tour comme Section II. LA MÉCANIQUE INSTITUTIONNELLE DE L' ÉTAT
ontre l'État) et son premier (DE DROIT) ISSU DES PRINCIPES DE 1789
.e foule d'expressions de ce
ent à ce qui s' est passé en
d' abord la formule « droit 354 11 n'y a pas de contenu sans forme, et il n'y a pas de rationalité en politique s'il
raduit en 1600 par« lawfitl n'y a d'instance censée en être le vecteur. L'aspect matériel de l' État (de droit) se
tlement, un "gouvernement concrétise nécessairement dans un volet institutionnel qui peut prendre de mul-
1, État de droit 1" . L'ouvrage tiples visages, en fonction des circonstances historiques, culturelles, politiques,
:lu livre l" intitulé Des Gou- etc. C'est soit le roi, soit le parlement, soit le juge, soit le citoyen qui est perçu
·itable trésor de définitions comme le plus digne de confiance, car le plus éclairé, et qui se voit investi, à ce
les gouvernements font ou titre, de la fonction de gardien suprême des droits de l'individu. En France, l'ab-
tif, Lanjuinais distingue les solutisme, qui est l'une des phases charnieres de l'histoire de l'État en Occident,
s « gouvemements spéciaux, n'a pas réussi sa métamorphose en absolutisme éclairé. À l'image de ce qui s'est
dre en matiere de libertés passé en Angleterre au cours du xvnc siecle, quoique pour d'autres raisons, les
ai dire, ces termes signifient Français se révoltent en 1789 contre le roi. Celui-ci s'avere incapable de faire évo-
.ot République. Chague fois, luer de l'intérieur l' Ancien Régime, comme l'y invitaient les physiocrates, dis-
nt la chose du public, la chose ciples d'un « despotisme légal » (Le Mercier de la Riviere). La rupture avec le passé
'.e que par la nation et pour est nette et brutale, à l'opposé de la politique de réforme préconisée par les
i qualification de république Lumieres en Allemagne.
,entatif » 117 • On remarquera 355 Le regne de la loi, expression de la volonté générale, débouche alars sur le regne
lli figure en tête de l'ouvrage du corps législatif, qui vote les lois que l'exécutif et les juges doivent appliquer.
and de Verfassungsstaat (litt. D'aucuns parleront même, avec une pointe critique, de la « souveraineté » du
vernement national » chez parlement qui au lieu d'être le gardien de la constitution et le représentant
du peuple s'érigerait en martre. 11 faut toutefois se mettre d'accord sur ce qu'on
:essions similaires au Rechts- entend parle terme assez ambigu de souveraineté. On aurait en effet tort d'assi-
rder, ni d'introduire une tra- miler, tel quel, le statut des diverses assemblées françaises au cours de la période
t probablement eu connais- allant de 1791 à 1870 à celui du Parlement de Westminster qui jouit, quant à lui,
. paraissaient suffisants pour et à juste titre, de la souveraineté en l'absence de toute distinction hiérarchique
tlisée sur les deux idées ma'i- entre les lois ordinaires et les lois constitutionnelles. Tout le pouvoir législatif, y
inclus le pouvoir constituant, réside entre ses mains "º. La situation en France est
tout autre, car, abstraction faite du cas controversé des Chartes de 1814 et 1830,
dont on admet en général le caractere souple, le parlement se doit de respecter la
norme supérieure qu'est la constitution, ainsi que le rappelle en des termes par-
es et de ce q11i le11r est co11111mn, avec ticulierement fermes la Constitution de 1791 " 1• Cerres, il n'a point de supérieur
qui puisse contrôler et censurer ses actes, ce qui lui donne le droit du dernier
~s, ,md of that which unto them in mot, mais il n'en reste pas moins soumis à la norme constitutionnelle 142 •
[AGER, op. cit., p. 571). Cf aussi

>que un synonyme du mot État.

Jnte à Destutt de Tracy, est reprise


ss. 140. Cf mpra ff 211,259 et 261.
141. Cf le titre Ide la Constitution de 1791 : « Le po11voir législatifne po11rra faire auc1mes fois q11i por·
tent ,1tteinte et mettent obstacle à !'exercice des droits naturels et civils consignés dans !e présent titre, et
urand, 3· éd., 1848, t. 1, p. 4, 12, 20. garantis parla Constiwtion. "Sur l'idée de la suprématie de la constitution en France, cJ. l'analyse his-
mel est fondée sur l'article 16 de la torique de A. BLONDEL, Le contrôle juridictionnel de la constitmionnalité des fois, these Aix, 1928.
2 de la séparation des pouvoirs. 142. Comme on le verra, notamment chez Carré de Malberg, les auteurs qui dénoncent la souve-
me constit11tionnel "· raineté du parlement panem de la prémisse, selon laquelle il n'y a de droit que s'il y a un juge. L'ab-
sence de juge entra1ne ainsi l'inexistence, en tant que norme juridique, de la constitution, ce qui fait
352 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les principes de

La suprématie de l'organe législatif se situe sur le plan institutionnel et non séparation des
pas sur le plan juridique : il s'agit d'une supériorité à l'égard des autres organes de toutes les de
étatiques, et notamment des juges, à qui on refuse tout droit de regard (§ 2), de 1793 jusqu 'a
mais non pas à l'égard du droit. Abstraction faite du droit de résistance des auxiliaire de to,
citoyens et du rôle de l' opinion publique, les garamies du caractere libéral risme d u XX' :
et constitutionnel des lois votées par le parlement som des lors immanentes elles s'averent
aux regles qui régissem sa structure, sa composition et son mode de fonction- Rousseau qui,
nement (§ 1). pas réduire sa
démocratie, qt
« Vous avez ju
§ 1. LA PRÉÉMINENCE DE L 'ORGANE LÉGISLATIF,
Le concept de
GARDIEN DE LA CONSTITUTION ET DES DROITS DE L 'HOMME subtil.

356 Le paradigme de la supériorité institutionnelle de l'organe législatif est, pour l'es- 1º Volonté et
sentiel, le fruit des deux sources d'inspiration que sont le modele démocratique
de Rousseau et la théorie du régime mixte de Montesquieu. S'ils partagent 358 À l' origine et
le même idéal de la liberté individuelle, ils divergem toutefois sur les moyens égale pour tou
institutionnels pour le mettre en reuvre. Selon le citoyen de Geneve (A), la loi, constat pessirr
dans la mesure ou elle est l' expression de la volonté générale, est infaillible. Elle remédier. L'ol
ne peut errer, elle ne peut être injuste à l'égard des individus, puisqu'elle est le le bien-être de
produit de leurs propres volomés. Nul n'étant injuste vis-à-vis de soi-même, le tege de toute L
risque d'une loi liberticide est par conséquent infime, voire inexistam. La liberté laquelle chacui.
individuelle repose ainsi dans la liberté politique. Le Baron de La Brede, quant qu'auparavanr
à lui, ne partage guere cette foi dans la démocratie, bien qu'il admette en partie liberté politiq
le principe d'autonomie. 11 défend le modele anglais du régime mixte qui est, à en sorte qu'or
ses yeux, le meilleur garant de la modération du gouvernemem (B). l'état de natm
teme de législ
A. Le démocrate Rousseau, le principe d'autonomie l'intérêt géné1
et la « volonté générale » ,H qui « se réduit

357 11 peut para1tre surprenant de parler de l'idée de l'État de droit chez Rousseau
tant cet auteur est accusé d'avoir sacrifié les droits individuels à la souveraineté 144. Cf les référ,
absolue d'un peuple, qu'on a tendance à identifier à la foule, à la masse, en tout ciation de la dén
cas, à un simple phénomene quantitatif dépourvu de toute qualité intrinseque. « Rechrsstaat un,
Z. Giacometti, Z,
En récusant, comme il est d'usage de dire, les éléments essemiels de la théorie 145. L DUGUI"
libérale de l'État que sont les idées du droit naturel, de la constitution et de la p. 345.
146. Sic B. Com
147. Cf J.-L T
Calmann-Lévy, 1
148. J.-J. ROUS'.
que le parlement français se retrouve, sinon en théorie, du moins en pratique, dans une situation p. 351.
identique à celle du Parlement de Westminster. Or, toute cette construction repose sur le posrulat, 149. Ibid., Liv. 1.
comestable, de l'assimilation du juge et du droir. Cf infi-a n" 414 et n" 431 ss. 150. Pour cet ex
143. Cf R. DERATHÉ, J.J. Ro11sse,m et la science politiq11e de son temps, op. cit.; R. BÃUMLIN, R. Derarhé).
« J.-J. Rousseau und die Theorie des demokratischen Rechtsstaats », in E. BUCHER & P. SALADIN 151. Ibid., Liv. 1
(dir.), Berner Festgabe zmn Schweizerischen }uristentag 1974, Bem, Haupt, 1979, pp. 13-49; H. NEF, 152. Ibid., Liv. l'
«].-].Rousseau und die Idee des Rechtsstaates », Schweizer Beitr,ige z11r allgemeinen Geschichte, vol. 5, de son instit11tio11
1947, pp. 167-185. 153. Ibid., Liv. 1
ei nouveaú discours doctrinal

plan institutionnel et non


T Les principes de 1789 ou l'État (de droit} d'avant l'État de droit

séparation des pouvoirs'", le citoyen de Geneve ne s'est-il pas fait « l'initiateur


353

à l'égard des autres organes de toutes les doctrines de dictature et de tyrannie, depuis les doctrines jacobines
tout droit de regard (§ 2), de 1793 jusqu'aux doctrines bolchevistes de 1920 » 145 ? N'est-il pas le « plus terrible
du droit de résistance des auxiliaire de tous les genres de despotisme » 146, si ce n'est le précurseur du totalita-
ranties du caractere libéral risme du xxc siecle w? Aussi « séduisantes » que puissent para1tre ces theses,
: sont des lors immanentes elles s'averent par trop manichéennes eu égard à la complexité de l'ceuvre de
n et son mode de fonction- Rousseau qui, certes, n'est pas exempte d'ambigu"ités. En tout cas, il ne faut
pas réduire sa pensée, sous peine de la caricaturer, à une certaine vulgate de la
démocratie, qui transpara1t dans la célebre formule du député André Laignel :
« Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire. »
✓E LÉGISLATIF,
Le concept de démocratie, surtout chez Rousseau, est autrement plus riche et
ROITS DE L 'HOMME
1

subtil.

rgane législatif est, pour l' es- lº Volonté et raison dans l'reuvre de Rousseau
:mt le modele démocratique
:ontesquieu. S'ils partagent 358 À l' origine et à la fin de la pensée de Rousseau se trouve la liberté, une liberté
:nt toutefois sur les moyens égale pour tous. « L 'homme est né libre et partout il est dans les fers. » " 8 Voilà le
toyen de Geneve (A), la loi, constat pessimiste sur lequel s'ouvre le Contrat social et auquel Rousseau veut
générale, est infaillible. Elle remédier. L'objectif final du pacte social consiste des lors à garantir la liberté et
individus, puisqu'elle est le le bien-être des individus, à « trouver une fonne d'association qui défende et pro-
ste vis-à-vis de soi-même, le tege de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par
e, voire inexistant. La liberté laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre
..e Baron de La Brede, quant qu'auparavant » ''". La liberté individuelle étant la fin de la société politique, la
bien qu'il admette en partie liberté politique, qui est certes une fin en soi, est également le moyen pour faire
.s du régime mixte qui est, à en sorte qu'on soit « aussi libre », voire « plus libre » "º dans l'état civil que dans
uvernement (B). l' état de nature. Rousseau ne cesse de répéter que la fin de tout « État » et sys-
teme de législation est non pas « l'intérêt particulier » de quelque groupe, mais
ipe d'autonomie l'intérêt général de tout le peuple, la« chose publique»"', le « bien commun » 15'
»IH qui « se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et l'égalité » 15'.

État de droit chez Rousseau


individuels à la souveraineté 144. Cf les références citées par H. NEF et R. B.ÃUMLIN. Pour les lieux communs de la dénon-
1 la foule, à la masse, en tout ciation de la démocratie rousseauiste apres les horreurs de la 2''' Guerre mondiale, cf. W. KÃGI,
de toute qualité intrinseque. « Rechtsstaat und Demokratie ", in Demokratie zmd Rechtsstaat. Festg,1be z11m 60. Geburtstag von
Z. Giacometti, Zürich, Polygraphischer Verlag, 1953, pp. 107-142. ,
1ents essentiels de la théorie 145. L. DUGUIT, Souveraineté et Liberté, Paris, Alcan, 1922, p. 135; cité par R. DERATHE, op. cit.,
J, de la constitution et de la p. 345.
146. Sic B. Constam, cité par W. KÃGI, « Rechtsstaat und Demokratie ", op. cit., p. 110.
147. Cf J.-L. TALMON, Les origines de la démocratie totalitaire, trad. de l'angl. (1952), Paris,
Calmann-Lévy, 1966.
148. J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, in CEuvres completes, t. III, Paris, Pléiade, 1964, Liv. I, chap. 1,
,ins en pratique, dans une siruation p. 351.
construction repose sur le postulat, 149. lbid., Liv. I, chap. 6, p. 390.
4 et n" 431 ss. 150. Pour cet extrair tiré du Emile de Rousseau, cf ibid, p. 1445 note 2 (L'annotation est faite par
son temps, op. cit.; R. B.ÃUMLIN, R. Derathé).
s ,,, i11 E. BUCHER & P. SALADIN 151. Ibid., Liv. I, chap. 5, p. 359. ,
1, Haupt, 1979, pp. 13-49; H. NEF,
152. Ibid., Liv. II, chap. 1, p. 368 : « La volonté générale peut se11le diriger les forces de l'Etat selon la fin
'ge wr allgemeinen Geschichte, vol. 5, de son instit11tion, qui est !e bien co111m1m. ,,
153. Ibid., Liv. II, chap. XI, p. 391

l
T
-

354 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les principes de ,

11 est hors de question pour lui de sacrifier, sur l'autel du bonheur de la majo- tttile, parce qu'el.
rité, les droits d'un seul individu. La question est, en réalité, ancienne et trouve sous les auspicei
sa premiere formulation sous la plume de Claude Adrien Helvétius (1715-1771). la volonté » "' 3• Si
Ce dernier n'avait-il pas écrit dans son ouvrage De l'Esprit (1758) que« l'Huma- de l'entendemen
nité publique est quelquefois impitoyable envers les particuliers. Lorsqu'un vaisseau acte pur de l'en
est surpris par de longs calmes, et que la famine a, d'une voix impérieuse, commandé l'homme peut ex
de tirer au sort la victime infortunée qui doit servir de pâture à ses compagnons, on ger de !ui, nul n ',
l'égorge sans remords: ce vaisseau est !'embleme de chaque nation; tout devient légi- c'est-à-dire engl<
time et même vertueux pour le salut public » ';.,? Dans une note manuscrite, appo- espace d'échang,
sée dans son exemplaire personnel du livre, Rousseau s'insurge contre cette opine selon lui-m
assertion en déclarant que « le salut public n 'est rien, si tous les particuliers ne sont savoir si la loi pr
en sureté » '". Sur ce point, il reprend l'idée qu'il avait déjà émise dans son article connaissance d,
Economie politique, publié dans l'Encyclopédie de Diderot et d' Alembert : « En consciences indi
ejfet, l'engagement du Corps de la nation n 'est-il pas de pourvoir à la conservation se trouver plus I
du dernier de ses membres avec autant de soin qu 'à ceife de tous les autres et le salut La subordina
d'un citoyen est-il moins la cause commune que celui de tout État? Qu'on naus dise théorie de la sm
qu'il est bon qu'un seu! périsse pour tous; j'admirerai cette sentence dans la bouche citoyen de Gene
d'un digne et vertueux patriote qui se consacre volontairement et par devoir à la le caractere abso
mort pour le salut de son pays. Mais si l'on entend qu'il soit pennis au Gouvemement l'essence de la pu,
de sacrifier tm innocent au salut de la multitude, je tiens ceite maxime pour une des n 'est rien. » "'' « L
plus exécrables que jamais la tyrannie ait inventées, la plus fausse qu 'on puisse avan- prêtent toutefoi
cer, la plus dangereuse qu'on puisse admettre, et la plus directement opposée aux fois nature des limit,
fondamentales de la société » ' 5''. En d'autres termes, « le souverain n'est jamais en extrair, tiré des 1
droit de charger un sujet plus qu'un autre » ,;,_ des limites de n8
359 À la source de l'reuvre rousseauiste, il y a une inspiration libérale, un souci Cansei! général e
constam de faire régner au sein de la société politique la liberté et la raison 15'. Le de la souveraim
concept de volonté générale n'est point une coquille vide, ouverte à tout contenu de limites que s
pour peu que !e décompte mathématique des voix soit bon. Elle ne se confond le souverain, ellt
ni avec la volonté particuliere d'une partie du peuple, ni même avec la volonté les modifier ou
de tous ''". Référence idéale à laquelle doivent se conformer les lois positives"·º, signifie rien d' a
elle est par définition, « éclairée » "' et « équitable, parce qu 'elle est commune à tous,

162. Ibid., Liv. II, cl


154. Ciré par R. DERATHÉ,}. J Rousseau ... , p. 357 163. Ibid., Liv. II, cl
155. Ibid. 164. J.-J. ROUSSE/
156. J.-J. ROUSSEAU, Discours mr l'économie politique, in CEuvres completes, t. III, p. 256. CEuvres completes, t.
157. J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, Liv. II, chap. 4, p. 375. rique de Kant.
158. Cf S. GOYARD-FABRE, « Le prestige de la !oi à l'époque révolutionnaire », CPPJ, n'' 12, 1987, 165. Cf la compara
p. 123 ss. tion de J. Habermas
159. J.-J. ~OUSSEAU, Co111ra1 soei,,!, Liv. II, chap. 3, p. 371. 166. Sur cette analc
160. R. BAUMLIN, op. cit., p. 15 insiste sur le fait qu'il ne faut pas confondre la loi, qui est une op. cit., p. 236 s.
donnée « empirique ", et la volomé générale, qui est au comraire une emité idéale et « nonnative "· 167. Même les révo
Com me le dit ROUSSEAU dans son Discours s11r l'Economie politique (p. 250), « !e premier devoir d11 cratie. Cf Carnot, r.
légis!ateuresl de confonner les fois à la volomé générale et la premiere regie de l'économie poli tique est que instituam !e gouven
l'administration soit confonneaux fois"· De même, ce n'est pas la /oi qui est infaillible, mais la volonté ment, celui a11q11el !e/
génémle. Dans le chapitre 3, Livre II, du Contrai social (p. 371 ), il précise en effet que si « la volonté la l11miere el la direcl
générale esl 1011jo11rs droite [. ..] il ne s'enmit pas que les délibérations d11 peuple aiem 1011jours la même 168. J.-J. ROUSSE/
rectiwde "· Cf aussi P. BASTID, L 'idée de constitution, Paris, Economica, 1985, p. 131. 169. J.-J. ROUSSE/
161. J.-J. ROUSSEAU, Contrai social, Liv. II, chap. 3, p. 372. 170. Cf les explicari
1 nouveau· discours doctrinal

1tel du bonheur de la majo-


T Les principes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit

utile, parce qu'elle ne peut avoir d'atttre objet que le bien général » '" 1• C'est en elle,
355

L réalité, ancienne et trouve sous les auspices des Lumieres, que se cristallise « l'union de l'entendément et de
rien Helvétius (1715-1771). la volonté » 11' 3• Selon une formule du Manuscrit de Geneve, il s'agit d'un « acte pur
Esprit (1758) que« l'Huma- de l'entendement ». « En effet que la volonté générale soit dans chaque individu un
·ticuliers. Lorsqu'un vaisseau acte pur de l'entendement qui raisonne dans le silence des passions sur ce que
voix impérieuse, commandé l'homme pettt exiger de son semblable, et sur ce que son semblable est en droit d'exi-
pâture à ses compagnons, on ger de !ui, nu! n 'en disconviendra. » '"' Le processus législatif qui doit être général,
7ue nation; tout devient légi- c'est-à-dire englobam la totalité des citoyens, est en même temps un forum, un
une note manuscrite, appo- espace d'échange, de confrontation et de délibération, au terme duquel « chacun
seau s'insurge contre cette opine selon lui-même » '". En son for intérieur, chacun s'interroge sur le point de
,i tous les particuliers ne sont savoir si la loi projetée est conforme ou non à l'idéal de la volonté générale '"". La
: déjà émise dans son article connaissance de la volomé générale émerge ainsi comme la résultante des
iderot et d' Alembert : « En consciences individuelles prises dans leur ensemble, la majorité étant supposée
é pourvoir à la conservation se trouver plus proche de la vérité que la minorité qui s'est trompée 11' 7•
le de tous les autres et le salut La subordination théorique de la volonté à la raison transpara1t aussi dans la
'e tout État? Qu'on naus dise théorie de la souveraineté chez Rousseau. Sur ce sujet hautement controversé, le
cette sentence dans la bouche citoyen de Geneve a usé d'un discours particulieremem catégorique pour clamer
tairement et par devoir à la le caractere absolu, indivisible et illimité de la souveraineté. « li est - dit-il - de
oit pennis au Gouvemement l'essence de la puissance souveraine de ne pouvoir être limitée: elle peut tout, ou elle
is cette maxime pour une des n 'est rien. » '" 8 « La limiter, c'est la détruire. » 11' 9 Ces propos, sortis de leur comexte,
olus fausse qu 'on puisse avan- prêtent toutefois à confusion. 11 conviem en effet de se mettre d'accord sur la
directement opposée aux !ois nature des limites visées en l'occurrence par Rousseau"º. S'agissant du premier
, le souverain n 'est jamais en extrair, tiré des Lettres écrites de la Montagne, il intervient au cours d'une analyse
des limites de nature constitutionnelle qu'impose l'Edit de Médiation de 1738 au
spiration libérale, un souci Conseil général de la République de Geneve. En proclamam le caractere illimité
e la liberté et la raison ,;s_ Le de la souveraineté, Rousseau ne vise en réalité que cette catégorie spécifique
vide, ouverte à tout contenu de limites que sont les !ois fondamemales. Etant des !ois positives, posées par
;oit bon. Elle ne se confond le souverain, elles ne sauraient lui être supérieures puisqu'il peut à tout momem
le, ni même avec la volonté les modifier ou les révoquer. Le souverain est, par définition, absolu, ce qui ne
nformer les !ois positives 11•0 , signifie rien d'autre qu'il est au-dessus des lois positives dans lesquelles sont
ce qu 'elle est commrme à tous,

162. Ibid., Liv. II, chap. 4, p. 375.


163. Ibid., Liv. II, chap. 6, p. 380.
164. J.-J. ROUSSEAU, Du Contrai social ou Essai mr la fonne de la Rép11blique (Premiere version), in
•res completes, t. III, p. 256. CE11vres completes, t. III, p. 286. On retrouve là une formulation tres proche de l'impératif catégo-
rique de Kant.
évolutionnaire », CPPJ, n" 12, 1987, 165. Cf la comparaison esquissée par R. BÃUMLIN, op. cit., p. 44 avec la théorie de communica-
tion de J. Habermas.
166. Sur cette analogie entre la volomé générale et la conscience individuelle, cf R. DERATHÉ,
tt pas confondre la loi, qui est une op. cit., p. 236 s.
une entité idéale et « nonnati've ». 167. Même les révolutionnaires de 1793 se réclament de l'idéal de la Raison pour fonder la démo-
tique (p. 250), « le premier de-voir du cratie. Cf Carnot, rapporteur au nom du comité du salut public, du projet de loi du lcr avril 1794
e regle de l'économie politiq11e est q11e instituam le gouvernement révolutionnaire : « A11 ha11t, "1 rúson pl,me et imprime le premier mouve-
1oi qui est infaillible, mais la volonté ment, celui auq11el le peuple en masse obéit et obéira toujours. Vient enmite le peuple lui-même, qzti cherche
l précise en effet que si « la volonté la lzmúere et la direction qu'il doit prendre [... ] » (cité par D. SERRIGNY, op. cit., p 27).
ns d11 pe11ple aient to11jours la même 168. J.-J. ROUSSEAU, Lettres écrites de la Montagne, in CEuvres completes, t. III, Lettre VII, p. 826.
momica, 1985, p. 13 !. 169. J.-J. ROUSSEAU, Contrat soci,il, Li':. III, chap. 16, p. 432
170. Cf les explications de R. DERATHE, op. cit., p. 332 ss et p. 320 ss.
356 L 'État de droit ou les apories d'un nottveau discours doctrinal Les príncipes d

comprises les lois fondamentales ou constitutionnelles 171 • En dira de même verain. En rér
Sieyes, l'un des peres fondateurs de l'idée moderne de constitution 112 • S'agissant qu'il admet, a
du second extrait, son sens est clarifié par la suite. « Il est absurde et contradictoire « supérieures »
- poursuit en effet Rousseau - que le Souverain se donne un supérieur. » 11-' qui dérive de L
Par définition, le souverain est l'instance étatique suprême qui décide ou plutôt cceur honnête 1
légifere - car la souveraineté s'exprime à travers les lois - en dernier ressort, de cette loi na
sans être jugé par aucun autre pouvoir. Le subordonner aux ordres d'autrui serait mité, ne saur;
nier son caractere souverain, ce qui reviendrait encare à faire de son gardien normes.
le nouveau souverain, leque! à son tour ne serait soumis à aucune limite d'ordre En premier
institutionnel. Sous peine de se perdre dans une régression ad infinitum, il est appellerait de r
logiquement impossible d'instituer un organe de contrôle au-dessus du souve- Rousseau y in
rain à qui il revient justement de traduire, en dernier lieu, les lois naturelles en à l'homme d';
lois positives. liberté, et de s'
360 Si le souverain n'est soumis ni à la loi positive, ni à un pouvoir supérieur, il est lement obligat
toutefois soumis au droit naturel, comme l'illustre toute une tradition de pen- aux droits de l 'i
seurs depuis Bodin m jusqu'à Pierre Jurieu (1637-1713) 17 \ Jean-Jacques Burlama- tible avec la n
qui (1694-1748) 171', plus tard Sieyes m_ Aux yeux de Rousseau,« le pouvoir Sottve- toute liberté à .
rain, tout absolu, tout sacré, tout inviolable qu'il est, ne passe nine peut passer les neté qui tient
bomes des conventions générales » 178 , qu'il définit encare comme les « bomes de de sa liberté p
l'utilité pttblique » 179 • Ces limites intrinseques à la notion de volonté générale affaires publiq
prennent la forme d'une « /oi naturelle »,ou« loi de raison », qui s'impose au sou- pose le respect
mode d' action
fonctions légis
la vaie de lois
171. L'adjectif absolu puise ses racines écymologiques (ab-solucus) dans !e principe lacin princeps
legibus so!tttus. Cf D. KLIPPEL & H. BOLDT, « Souveranitat », in O. BRUNNER et alii (dir.), révoquer, il lu
Geschicht!iche ,Grrmdbegriffe, e. VI, p. 10,9. duelles ou enc,
172. E. SIEYES, Qu'est-ce que !e Tiers Etat?, éd. R. Zapperi, Geneve, Droz, 1970, chap V, p. 181: saurait créer 1
« Il est clair qu'elle [constitucion] n'est relative qu'au gouvemement. li serait ridirnle de s11pposer la
nation liée elle-même p,1r les forma!ités ou par l,1 constitution, auxquelles elle a assujetti ses mand,itaires. »
Liberté, démo
Voir ibid., p. 182 : « Non seulement la nation n 'est pas so111nise à une constillltion, mais elle ne peut pas naturelle 187 qu
l'être, mais elle ne doit pas l'être, ce qui équivattt encore à dire qu'elle ne l'est pas. » Rousseau et Sieyes table et tttile » ,
s'opposent ainsi à la définicion de Bodin et de Jurieu de la souverain,eté. D'apres eux, !e souverain est
soumis aux !ois naturelles et aux !ois fondamentales. Cf DERATHE, op. cit., p. 328 ss; D. KLIPPEL
& H. BOLDT, op. cit., p. 109.
173. J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, Liv. III, chap. 16, p. 432.
174. D. KLIPPEL & H. BOLDT, op. cit., p. 109. Chez Bodin, !e souverain est limité à la fois parles
!ois divines et naturelles, les !ois fondamentales et les traicés internationaux. 180. Cicé par R. J
175. Dans ses Lettres pastorales, il écrit : « II faztt exactement distinguer deux choses que bien des gens 181. C/ les cermc
confondent, c'est !e pouvoir absolu et !e pouvoir sans bomes, prétendant que c'est la même chose... Quant p. 807.
à nous, en reconnaissant la puissance absolue com me légitime, nous so11teno~1s que la puissance sans bomes 182. J.-J. ROUSSI
est contre tottte sorte de !ois divines et h111naines »; cité par R. DERATHE, op. cit., p. 340. tocaie de la liberté
176. Dans ses Príncipes du droit po!itique, il dit: « II nefaut pas confondre tm pouvoir abso/11 avec un nacion tocaie? Cel
pouvoir arbitra ire, despotique et sans bomes; caril résulte de ce que nous venons de dire s11r !'origine et toires, du moins f
L1 nalllre de la Souveraineté absol11e, qu 'el!e se tro11ve limitée par sa nat11re même, Pfff l'intention de ceux " aliénation totale
de qui !e So11verain la tient, et parles !ois même de Dieu »; cité par 1\- DERATHE, op. cit., p. 340. Sur il affirme que l'in,
la chéorie de la souverainecé, e/ aussi B. BARRET-KRIEGEL, L'Etat et les esclaves, op. cit., chap. 2, co1111nunauté ». Po
p. 39-64. , op. cit., p. 24.
177. E. SIEYES, op. cit., chap. V, p. 180 : « La nation existe avant tottt, elle est !'origine de tottt. 183. Cf !e chap. 1
Sa ~,o!rmté est toujours légale, elle est la !oi elle-même. Avant elle et att·dessus d'elle il n 'y a que !e droit 184. Cf H. NEF,
naturel. » Voir ibid., p. 181 : « La nation sefonne par !e seu! droit naturel. » 185. Cf les nomb
178. J.·J. ROUSSEAU, Contrat soci,il, Liv. li, chap. 4, p. 375. 186. Cf supm n" 'i
179. Ibid., Liv. IV, chap. 8, p. 467. 187. Cf les limite
n nouveaÍt discours doctrinal Les principes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 357

nelles 171 • En <lira de même verain. En réplique à une critique formulée par des gens de loi, Rousseau écrit
de constitution "'. S'agissam qu'il admet, au-dessus de la souveraineté, « trais autorités » « indépendantes » et
ri est absurde et contradictoire « supérieures » : « Premierement, l'autorité de Dieu, et puis celle de la foi naturelle

i se donne un supérieur. » m qui dérive de la constitution de l 'homme, et puis celle de l 'honneur plus forte sur un
1prême qui décide ou plutôt cceur honnête que tous les Rois de la terre. » 180 Si l' on essaie de résumer le contenu
~s lois - en dernier ressort, de cette loi naturelle que même le contrat social, qui se fait pourtant à l'unani-
1er aux ordres d'autrui serait mité, ne saurait enfreindre '" 1, on peut identifier au moins trais catégories de
.core à faire de son gardien normes.
1mis à aucune limite d'ordre En premier lieu, la loi naturelle consacre le caractere inaliénable de ce que l'on
:gression ad infinitum, il est appellerait de nos jours la dignité de la personne humaine. 11 n'est pas permis - et
ontrôle au-dessus du souve- Rousseau y insiste longuement à travers la question de l' esclavage volontaire -
er lieu, les lois naturelles en à l'homme d'aliéner, par voie de contrat, ce qui fait l'essence de lui-même, sa
liberté, et de s'abandonner ainsi à un maí:tre. Un tel contrat serait « vain » et nul-
lement obligatoire, car « renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme,
un pouvoir supérieur, il est
aux droits de l 'humanité, même à ses devoirs. (. ..) Une telle renonciation est incompa-
toute une tradition de pen-
tible avec la nature de l'homme, et c'est ôter toute moralité à ses actions que d'ôter
l3) 175 , Jean-Jacques Burlama-
toute liberté à sa volonté » "1. D' ou la deuxieme limite rationnelle à la souverai-
lousseau, « le pouvoir Souve-
neté qui tient à son caractere« inaliénable » '"-'. Le peuple ne saurait se démettre
ne passe ni ne peut passer les
de sa liberté politique sans violer le droit naturel de chacun de participer aux
1core comme les « bornes de
affaires publiques'"'. Enfin, en troisieme lieu, l'exercice de la souveraineté sup-
notion de volomé générale
pose le respect de certaines regles formelles en ce qui concerne notamment son
·aison », qui s'impose au sou-
mode d'action. Rousseau ne cesse ainsi d'insister sur la nécessaire séparation des
fonctions législative et exécutive 18'. Selon lui, le souverain ne peut agir que par
la voie de lois générales et abstraires. S'il lui est loisible de les changer et de les
tus) dans le príncipe latin princeps révoquer, il lui est au contraire imerdit d'agir par le biais de décisions indivi-
», in O. BRUNNER et alii (dir.),
duelles ou encare, ce qui va de soi, de supprimer en entier l'ordre juridique. 11 ne
,neve, Droz, 1970, chap V, p. 181: saurait créer un néant législatif, comme le dira plus tard Georg Jellinek 186 •
1ent. II ser,iit ridimle de s11pposer la Liberté, démocratie et légalité : voilà donc le triptyque rousseauiste de la loi
1elles elle a ass11jetti ses mancL,taires. »
ne constit11tion, mais elle ne pe11t pas naturelle 187 qui n' est qu'un autre mor pour désigner le caractere « éclairé, équi-
,!!e ne l'est pas. » Rousseau et Sieyes table et tttile » d'une volomé générale qui « ne peut errer ».
aineté. D' apres eux, le souverain est
HÉ, op. cit., p. 328 ss; D. KLIPPEL

, souverain est limité à la fois par les


rnationaux. 180. Cité par R. DERATHÉ, op. cit., p. 157
'ing11er deux choses q11e bien des gens 181. Cf les termes explicites de J.-J. ROUSSEAU, Lettres écrites de la Montagne, Lettre VI, op. cit.,
iant q11e c'est la méme chose... Q11ant p. 807.
011teno~1s que la p11issance sans bornes 182. J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, Liv. I, chap. 4, p. 356. Que faur-il alors penser de l'aliénation
tATHE, op. cit., p. 340. tocaie de la libené naturelle des individus par le pacte social? D' ailleurs, s' agit-il vraimem d'une alié-
:onfondre zm po11voir abso/11 avec rm nation totale? Cela parah discutable, car les propos de Rousseau sur ce point som sinon contradic-
e no11s ·venons de dire s11r !'origine et toires, du moins peu clairs. Dans le livre I, chap. 6 (p. 360) du Contrai social, il parle bien d'une
n,aure même, pf1r l'intention de ce11x « aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits ». Or, dans le chapirre 4 du Livre II (p. 373),

R. DERATHE, op. cit., p. 340. Sur il affirme que l'individu se dépouille « se11lement [de] la partie de,tollt cela dont l'usage importe à la
.'État et les escl<1ves, op. cit., chap. 2, communauté ». Pour une rentative d'explication, cf R. DERATHE, op. cit., p. 170 s; R. BÃ.UMLIN,
op. cit., p. 24.
1vant 10111, elle est !'origine de tollt. 183. Cf le chap. 1 du Livr. II du Contrai social.
·t au-dessus d'elle il n 'y a q11e !e droit 184. Cf H. NEF, op. cit., p. 174.
naturel. » 185. Cf les nombreux renvois chez H. NEF, op. cit., p. 176 ss; W. KÂGI, op. cit., p. 124, note 52.
186. Cf supra n" 99 et infra n" 520.
187. Cf les limites au pouvoir législarif chez Locke. Cf supra ff' 209.
358 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les príncipe

2º Statique et dynamique de la démocratie rousseauiste cielle faite F


teur et le dt:
361 Si beaucoup de lecteurs de l'~uvre de Rousseau sont convaincus de ses inten- !oi ne saura
tions libérales, son modele institutionnel de la démocratie les laisse pour le composent 1
moins sceptiques. Son originalité, tel qu'il ressort du seul Contrat social, tient en sance souveJ
effet à sa "fluidité" : la problématique de la rigidité constitutionnelle n'y est évo- que le corps
quée à aucun moment, ce que d'aucuns ont interprété, à tore, comme la recon- nuire à auc
naissance implicite par Rousseau de l'antinomie entre démocratie et constitu- semble, du
tionnalisme 188 • La vision de Rousseau est, pour l'époque, des plus hardies et va !'exemple e
bien au-delà des theses des quelques rares auteurs qui avaient déjà admis le prin- rité, pour l
cipe de la souveraineté populaire. Or, il s'agissait alors d'une « souveraineté-auto- modele rou
risation » '", selon laquelle seu! !e siege de la souveraineté réside dans !e peuple, générale, ce
leque! se voit exclu du droit d'exercice effectif de celle-ci. Le seu! moyen pour abstraites, j,,
!e peuple de faire valoir sa volonté est de s'insurger contre !e pouvoir en place et au pnnc1p,
d'instituer de nouveaux délégués. Chez Rousseau, au contraire, !e concept impose aux
de souveraineté du peuple s'inscrit dans une perspective d'autogouvernement. admirable c1
Le peuple est non seulement le titulaire originei de souveraineté, autrement dit est toujours
sa source, mais également son détenteur réel. Sa souveraineté ne s'épuise plus à Les deux
désigner, de façon plus ou moins directe, quelque représentant agissant en son la force des
nom; elle exige, au contraire, que ce soit !e peuple luí-même qui exerce !e pou- !ois ne vise
voir législatif. Voilà un pari osé que de donner tout le pouvoir législatif à tout !e cipe d'auto
peuple, pendant tout !e temps, sans qu'il n'existe aucun contre-pouvoir, aucune représentan
limite d'ordre constitutionnel et que la seule borne à ce pouvoir énorme réside tée extensi,
en la volonté générale, autrement dit en la conscience, la vertu et la raison de !e moins ré
chague citoyen. illettré, voi
362 Selon Rousseau, c'est la souveraineté populaire qui est supposée garantir la pologiques
liberté et !e bien-être de l'individu. Cette garantie repose sur deux présupposés modele rep
fondamentaux qui sont les príncipes d'autonomie et d'égalité devant la loi : tence d'un
« La volonté générale pour être vraiment telle doit l'être dans son objet aussi que dans
chague citl
son essence, (. ..) elle doit partir de tous pour s'appliquer à tous. » '"º Selon !e premier teur». Le pi
príncipe, la source du droit ne réside plus en Dieu ou dans !e cosmos, mais en qu'elle veut
l'homme qui, sous les auspices et !e contrôle de la Raison, se donne sa propre
!oi'"'. La métaphore du contrat social en est une illustration parfaite: l'État n'est
plus un fait naturel, dans !e sens de la philosophie d' Aristote, ou un fait voulu 192. Jbid., Li,
par Dieu, comme !e prônent les théologiens chrétiens, mais une ~uvre artifi- 602 note 7
( ff'
193. Jbid., Li,
194. Ibid., Li,,
195. Ibid., Li,
188. II faut se garder d'attribuer une signification trop importante à ce silence. D'une part, un auteur 196. Ibid., Li,
comme Locke, dom nu! ne contesterait !e libéralisme, n'a jamais évoqué l'aspect constitutionnel 197. Les criei,
dans son célebre traité sur !e gouvernement civil (cf s11pra n-· 211). D'autre part, Rousseau a claire- notamment p.
mcm admis !e principe du constitutionnalisme ainsi qu'en témoignent ses deux écrits sur les consti- 198. Si le peu1
tutions de Pologne et de Corse. !'extrair du li,·
189. P. ROSANVALLON, Le sacre d11 citoyen. Histoire d11 s11Jlrage uni-versei, Paris, Gallimard, 1992, de changer ses 1
p. 25. Voir ibid:, pp. 22-26 et I. MAUS, Zur A11jklãrnng der Demokratietheorie. Rechts- zmd demokra- l'en empêcher?
tietheoretische Uberlegzmgen im Anschluss an Kant, Frankfurt, Suhrkamp, 1994. de se faire ma
190. J.-J. ROUSSEAU, Contrai social, Liv. II, chap. 4, p. 373. rieurs sur la fir
191. Jbid., Liv. II, chap. 6, p. 380: « Le pe11ple somnis a11x !ois en doit être l'a11te11r; il n',1pp,irtie,u q11'à Le peuple est
ce11x q11i s'associent de régler les conditions de la société. » dus n'ont pas
"l nouveaú discours doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 359

iuiste cielle faite par l'homme à son image. Dans ce schéma, l'homme est à la fois l'au-
teur et le destinataire de la loi et « puisque nul n 'est injuste envers lui-même » in, la
nt convaincus de ses inten- loi ne saurait être injuste : « Le Souverain n 'étant formé quedes particuliers qui le
mocratie les laisse pour le composent n 'a ni ne peut avoir d'intérêt contraire aux leurs; par conséquent la puis-
seul Contrat social, tient en sance souveraine n'a nul besoin de garant envers les sujets, parce qu'il est impossible
)nstitutionnelle n'y est évo- que le corps veuille nuire à tous ses membres et naus verrons ci-apres qu'il ne peut
fté, à tort, comme la recon- nuire à aucun en particulier. » " 3 Si le peuple n'a aucun intérêt à nuire à l'en-
Ltre démocratie et constitu- semble, du moins à sa plus grande partie, il risque néanmoins, à !'instar de
oque, des plus hardies et va !'exemple cité par Helvétius, de sacrifier la liberté de quelques-uns, de la mino-
i avaient déjà admis le prin- rité, pour le plus grand bonheur de la majorité. C'est là qu'intervient dans le
rs d'une « souveraineté-auto- modele rousseauiste le príncipe d'égalité devam la loi. La loi est, par définition,
LÍneté réside dans le peuple, générale, ce qui signifie qu'elle « considere les sujets en corps et les actions comme
elle-ci. Le seul moyen pour abstraites, jamais un homme com me individu ni une action particuliere » '". Grâce
onere le pouvoir en place et au príncipe d'égalité, « chacun se soumet nécessairement aux conditions qu'il
1, au contraire, le concept impose aux autres » et ce n'est qu'à cette condition que se produit un « accord
!ctive d'autogouvernement. admirable de l'intérêt et de la justice» 195 et que« le souverain, par cela seul qu'il est,
souveraineté, autrement dit est toujours ce qu'il doit être » ''"•.
Lveraineté ne s'épuise plus à Les deux conditions du modele rousseauiste ont été vivement critiquées. Par
eprésentant agissant en son la force des choses, vu la complexité croissante de la société humaine, toutes les
ui-même qui exerce le pau- lois ne visent, et ne peuvent viser tous les citoyens. En ce qui concerne le prín-
e pouvoir législatif à tout le cipe d'autonomie, ce n'est pas tant le principe en lui-même - puisque tous les
cun contre-pouvoir, aucune représentants de l' école moderne du, droit naturel s' en réclament - que sa por-
à ce pouvoir énorme réside tée extensive qui pose probleme '"'. A l'époque, les esprits cultivés étaient pour
1
r1ce, la vertu et la raison de le moins réservés à l'idée de conférer le pouvoir législatif à un peuple largement )
~
illettré, voire inculte. Rousseau est du reste conscient des présupposés anthro-
ui est supposée garantir la pologiques de sa vision de la démocratie. La stabilité et la rationalité de son
~pose sur deux présupposés modele reposent en dernier lieu, en l'absence de tout filtrage induit par l'exis-
et d'égalité devam la loi : tence d'un régime représentatif et d'un texte constitutionnel, sur la vertu de
•dans son objet aussi que dans chaque citoyen, guidé tout au plus par les sages conseils du fameux « Législa-
à tous. » 1''º Selon le premier teur ». Le peuple risque, en effet, d'être une multitude aveugle qui, soit ne sait ce
ou dans le cosmos, mais en qu'elle veut, soit veut le bien, mais nele voit point 19' . En conséquence, la« ele/
Raison, se donne sa propre
tration parfaite: l'État n'est
i' Aristote, ou un fait voulu 192. Ibid., Liv. II, chap. 6, p. 379. Pour une critique de ce postulat, cf infra les remarques de Hêiffe
.ens, mais une ceuvre artifi- (n· 602 note 75).
193. Ibid., Liv. I, chap. 7, p. 363.
l 94. Ibid., Liv. II, chap. 6, p. 379.
195. Ibid., Liv. II, chap. 4, p. 374.
: à ce silence. D'une part, un auteur l 96. Ibid., Liv. I, chap. 7, p. 363
,is évoqué l'aspect consticutionnel 197. Les critiques de Rousseau veulent au contraire limiter et encadrer le príncipe d'autonomie,
l). D'autre part, Rousseau a daire- notamment parle biais d'une constitution et d'un régime représentatif.
gnent ses deux écrits sur les consti- 198. Si le peuple peut se tromper, ce n'est pas dire qu'il ena !e droit. C'est dans ce sens qu'il faut !ire
l'extrait du livre II, chap. 11 du Contrai social: « En tout ét,it de mt<Se, zm peuple est to11jours le maitre
e 11niversel, Paris, Gallimard, 1992, de changer ses /ois, même le1 111eille11res; car s'il !ui plait de se faire mal à lui-même, qui est-ce qui a droit de
,kratietheorie. Rechts· zmd demokra- l'en empêcher? » (p. 394). A !ire ces lignes, on notera que Rousseau dit non pas que le peuple ale droit
1rkamp, 1994. de se faire mal, et d~ faire mal à ses membres, ce qui serait contradictoire avec cous ses propos anté-
rieurs sur la finde l'Etat qu'est le bien commun, mais que personne ne peut s'opposerà une telle dérive.
oit être l'a11le11r; il n ',,pp,zrtient q11 'à Le peuple est le souverain (le « maitre ») qui, par définition, n'a pas de supérieur et auquel les indivi-
dus n'ont pas le droit de résister, selon Rousseau, du moins lorsqu'il s'agit d'un régime démocratique.
360 L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les príncipes e

inébranlable » de tout systeme politique réside dans « les mreurs, les coutumes, et latif constitu,
surtout l'opinion » 1" comme le souligne l'auteur du Contrat social. II s'agit de la méralisme et
catégorie de lois qui « est la plus importante de toutes, qui ne se grave ni sur le et du judiciai1
marbre ni sur l'airain, mais dans les creurs des citoyens, qui fait la véritable consti- ticale et hiér,
tution de l'État; qui prend tous les jours de nouvelles forces; qui, lorsque les autres discrédité sei
fois vieillissent ou s'éteignent, les ranime ou les supplée [et] conserve un peuple dans « terrorisme ,,
l'esprit de son institution ( ...) » 200 • Descartes poli
363 La garantie de la liberté réside entierement dans !e processus législatif. Celui-ci trompé. » 'º' I
n'est pas encadré par un texte constitutionnel, du moins pas selon !e modele du « despote
démocratique esquissé par Rousseau dans son <l!uvre majeure qu' est !e Contrat plus libérale
social. Cela ne l'empêche pas d'en admettre l'existence dans ses Considérations
sttr le Gouvemement de Pofogne. Ainsi, « il est contre la nature du corps politique B.
de s'imposer des fois qu'il ne puisse révoquer, mais il n'est ni contre la nature, ni
contre la raison qu'il ne puisse révoquer ces fois [fondamentales] qu'avec la même
solennité qu'il mit à les établir » 201 • À cette occasion Rousseau définit également 365 Le paradigrr
ce qu'il entend par majorité, point crucial s'il en est dans tout régime démo- quoique dan
cratique. II s'exprime en faveur d'une gradation des majorités en fonction de raux, souven
l'importance des matieres : si l'unanimité doit être réservée au cas du pacte social L'accent est
et des !ois « véritablement fondamentales », la majorité sim pie, qu'il appelle droits natun
encore « la pluralité », ne s'applique qu'à des matieres de peu d'importance telles que! qu'en s
les « matieres de simple administration », les élections et « atttres affaires courantes ment divisé
et momentanées ». L'essentiel, à savoir la législation et les « matieres d'État » les deux élér
requierent en revanche une majorité qualifiée des trois quarts ou des deux tiers'º'.
On est clone loin d'un concept de démocratie réduit à la tyrannie de la majorité lº D'unesc
simple.
La responsabilité de faire prévaloir la volonté générale dans les lois positives 366 L'idée de b
repose entierement sur les épaules du législateur démocratique. Le rôle du juge réserves au r
est à peine évoqué par Rousseau. Même !e citoyen se voit refuser !'ultime moyen parte'º'. Les
de défense qu'est !e droit de résistance. Confronté au dilemme classique de nature, le si
devoir choisir entre donner le dernier mot à la conscience individuelle, au risque Bodin. Lep1
de provoquer l'anarchie, ou faire primer ce que l'État considere comme juste, !e est souvera11
citoyen de Geneve opte pour le second terme : « On convient que tout ce que cha- ce sens, la se
cun aliene parle pacte social desa puissance, de ses biens, desa liberté, c'est seulement !atine ah-sol
la partie de tottt cela dont l'usage importe à la communauté, mais il faut convenir
aussi que !e souverain seul est juge de cette importance. » 20·' Dans !e pire des cas, l'in-
dividu serait ainsi moralement tenu d'obéir à une !oi profondément immorale'º'.
364 Si Rousseau s'est fait l'apôtre de la démocratie directe, ses idées néanmoins ont
205. Étaiem t,
été utilisées parles révolutionnaires pour légitimer la suprématie du corps légis- 206. Sur ce th
207. F.P.B., D.
potwoirs. L, so
199. ].-]. ROUSSEAU, Contmt soci,il, Liv. II, chap. 12, p. 394 208. Sur l'am
200. !bid. Guizot, Paris,
201. ].-]. ROUSSEAU, Considérations sur le gouvemement de Pologne, in CEuvres completes, t. III, 209. Ibid., p..
chap. 9, p. 996. 210. Sur ce e
202. Ibid., p. 997 in O. BRUN
203. ].-]. ROUSSEAU, Contna social, Li,v. II, chap. 4, p. 373. úi puissance d,
204. Pour une critique, cf R. DERATHE, op. cit., p. 341 ss. lieu commun
'un nouveàu discours doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 361

1s « les mceurs, les coutumes, et latif constitué selon le príncipe d'égalité, ce qui aboutira en 1791 au monoca-
u Contrat social. Il s'agit de la méralisme et en 1793 au suffrage universel ' 05. La stricte soumission de l'exécutif
>utes, qui ne se grave ni sur le et du judiciaire à la loi, et par conséquent au législateur, s'inspire de sa vision ver-
ms, qui fait la véritable consti- ticale et hiérarchique de la séparation des pouvoirs 206 . La Terreur a néanmoins
is forces; qui, lorsque les autres discrédité ses idées. Comme le dira un anonyme, ancien député détenu pour
'ée [et] conserve un peuple dans « terrorisme », dans une brochure publiée sous Thermidor : « Quand viendra un
Descartes politique? On croit qu'il est arrivé dans la personne de Rousseau. On s'est
e processus législatif. Celui-ci trompé. » 207 D'ou un net retour, que ce soit au lendemain de 1793 ou de la chute
u moins pas selon le modele du « despote » Napoléon, aux idées de Montesquieu, censé incarner une lignée
vre majeure qu'est le Contrat plus libérale et plus rationnelle face aux dérives imputées à la démocratie 208 .
tence dans ses Considérations
tre la natttre du corps politique B. Le libéral Montesquieu, la balance des pouvoirs
il n 'est ni contre la nature, ni et le régime mixte
1damentales] qu'avec la même
n Rousseau définit également 365 Le paradigme de la suprématie du pouvoir législatif est également repris,
t est dans tout régime démo- quoique dans un contexte sensiblement différent, par un courant d'auteurs libé-
des majorités en fonction de raux, souvent anglophiles, qui ont pour trait commun de s'opposer à Rousseau.
réservée au cas du pacte social L'accent est clairement mis sur la nécessaire rationalité de la politique et sur les
1ajorité simple, qu'il appelle droits naturels de l'individu érigés en limites indépassables de la souveraineté,
res de peu d'importance telles quel qu'en soit le titulaire (1º). Leur respect est censé être garanti par un parle-
ns et « autres ajfaires courantes ment divisé en trais pareies, ou le principe démocratique est contrebalancé par
ion et les « matieres d'État » les deux éléments monarchique et aristocratique (2").
·ois quarts ou des deux tiers 202 .
1it à la tyrannie de la majorité 1º D'une souveraineté populaire limitée vers la souveraineté de la Raison
;énérale dans les lois positives 366 L'idée de la souveraineté du peuple suscite de la part des libéraux de vives
lémocratique. Le rôle du juge réserves au regard de l'usage qui ena été fait sous Robespierre et Napoléon Bona-
se voit refuser !'ultime moyen parte2º'. Les publicistes et juristes du début du XIX' siecle tentent d'éclairer la
nté au dilemme .classique de nature, le siege et surtout les limites d'un concept de souveraineté hérité de
science individuelle, au risque Bodin. Le premier critere de la souveraineté est d'ordre matériel ou fonctionnel:
1tat considere comme juste, le est souverain, celui qui fait et défait les lois 21 º, sous-entendu les lois positives. En
>n convient que tout ce que cha- ce sens, la souveraineté est « absolue » : cet adjectif controversé, qui provient du
ms, desa liberté, c'est seulement !atine ab-solutus et de l'adage romain princeps legibus solutus, signifie la supério-
nunauté, mais il faut convenir
?. ȼ' Dans le pire des cas, l'in-
1

oi profondément immorale 2º'.


·ecte, ses idées néanmoins ont
205. Étaiem coutefois exclus du droit de vote en 1793 les femmes et les domestiques.
r la suprématie du corps légis- 206. Sur ce theme, cf. les explications de H. NEF, op. cit., p. 176 ss.
207. F.P.B., De l'éq11ilibre des trais po11voirs, an III, p. 115; cité par M. GAUCHET, La révolution des
pouvoirs. La souveraineté, le pmple et la représent,1tion 1789-1799, Paris, Gallimard, 1995, p. 146.
208. Sur l'atmosphere imellectuelle du début du x1x· siecle cf. P. ROSANVALLON, Le moment
Guizot, Paris, Gallimard, 1985.
, Pologne, in CE11vres completes, t. III, 209. Ibid., p. 75 ss.
210. Sur ce critere de définition de Bodin, cf. D. KLIPPEL & H. BOLDT, « Souveranitat »,
in O. BRUNNER et alii (dir.) Geschichtliche Gnmdbegriffe, op. cit., t. 1, p. 108 et O. BEAUD,
La p11issance de l'Ét,11, Paris, PUF, 1994. II sera repris par Rousseau et deviendra progressivement un
lieu commun Cf D. SERRIGNY, op. cit., p. 31 et 69.
362 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les príncipe

rité du souverain à l'égard de ses propres lois positives 211 • Cette définition mérite confondre /
toutefois d'être précisée, sachant qu'il existe deux catéiories majeures de lois qui absoltt est e
sont les lois ordinaires et les lois constitutionnelles. A partir de ce premier cri- lumieres de
tere, on pourrait en effet estimer que la souveraineté revient soit au pouvoir ressort, sans
constituant, soit au pouvoir législatif, soit aux deux 211 • sa conduite
Le deuxieme critere, formel, de la souveraineté est son caractere suprême, naturelle de
indépendant ou irresponsable. D'apres Serrigny, « la souveraineté politique est le ce qu'a sou
droit de commander en demier ressort dans un État, ou de dire le demier mot sur les l'une des fi;
grandes alfaires qui l'intéressent » 1", c'est-à-dire la législation « qui en est l'acte le du principt
plus éminent » 1". « Cette autorité s'appelle le pouvoir suprême ou le souverain, parce versalité de.
qu 'il n 'existe point de recours contre ses décisions, n 'y ayant point de pouvoir humain en ms1stan
supérieur à lui: car s'il y avait une autorité supérieure au souverain, c'est celle-là, et l'existence L
non celui-ci, qui possederait la souveraineté, et qui mériterait d'être appelée le souve- droit hors t
rain. »m Le mot suprême doit être compris dans un sens institutionnel, et non limitée et n
pas normatif: il s'agit, au sein de l'État, de l'autorité publique la plus haut pla- que celle-ci
cée qui n'est soumise à aucun contrôle institutionnalisé. Elle n'a aucun juge au- « rien d'ab.,

dessus d'elle, ce qui lui confere son caractere irresponsable, au sens légal et non torité néces:
moral, comme le précise Serrigny 116 • Caril existe toujours le contrôle diffus de catégoriqu1
l'opinion publique qui, au pire des cas, peut prendre la forme d'une rébellion çoit dans 1,
ouverte. Aussi suprême qu'il soit au sein de l'État, le souverain n'en est pas 367 Reste un p
moins tenu de rendre compte aux citoyens du respect de ses obligations de droit souverame·
naturel. Burlamaqu
Le troisieme aspect a trait aux limites de la souveraineté dont il importe d'ap- la droite ra
préhender la nature exacte. Comme le précise Serrigny, « il ne faut en effet pas travers les ,
point. D'a
propre cor
211. Cf D. KLIPPEL & H. BOLDT, op. cit., p. 109. II faut néanmoins noter une certaine polysémie.
élevée - i:
Dans un premier sens étymologique, le mot absolu se réfere au statut du souverain placé au-dessus
des !ois positives, ce quine l'empêche pas d'être soumis à des principes de droit naturel (ex. Rous- ainsi défini
seau, Sieyes), voire même aux !ois fondamemales (ex. Bodin, Jurieu). Dans un deuxieme sens, que à aucun c1
l'on trouve par exemple chez Serrigny, le mot est pris comme synonyme de suprême. Le souverain régime pol
est abso/11 car, d'un poim de vue institutionnel, il n'est soumis à aucun comrôle. II décide en dernier
lieu, ce qui, à nouveau, n'exclut pas qu'il soit so1,1mis au droit naturel, voire même au droit consti- ver au pou
tutionnel des lors que celui-ci n'est pas sanctionné par un juge. Dans un troisieme sens, l'adjectif ce dernier
abso/11 fait référence à l'absolutisme royal de]' Ancien Régime et signifie que le roi ale droit de légi- soum1s a' a
férer seu!, sans la participation d'organe représematif élu. Des lors, le roi n'est pas soumis à des !ois
fondamemales qui om jusremem pour objet d'imposer la consultatio9 du parlemem. Etre souverain tuant ou d
signifie alars ne pas être soumis à une constitution (tf R. DERATHE, op. cit., p. 340). Enfin, selon est malgré
un quatriemc sens, que l'on trouve chez certains libéraux (Constam), l'adjectif abso/11 a une conno- positif qu',
tation péjorative, étam synonyme du mot arbitraire. U n souverain absofzt ne conna,trait aucune
limite er serait supérieur à la fois aux !ois positives, aux !ois constitutionnelles et au droit naturel. sens premi
212. Ce probleme ne se pose évidemmem pas en Angleterre ou les deux pouvoirs som justemem soum1s un
confondus.
alars que 1
213. D. SERRIGNY, op. cit., p. 19
214. Ibid., p. 31
215. Ibid., p. 21. Cf J.-D. LANJUINAIS, op. cit., p. 12: « // est remarq11able qtte notre mot so11·verain
ne signifie fittéfalemenl que sttpériettr, el non s11périe11r d,ms tm sens tottl à Jâit abso/11, et non supériettr 217. Ibid., p
sans limites. ,, A l'appui de ce critere, il cite les cours de justice suprêmes, appelées encare souveraines 218. Ibid., 7'
puisque leurs décisions ne sont susceptibles d'aucun recours (cf dans le même sens D. SERRIGNY, 219. B. cor
op. cit., p. 69). Selon A. TRUYOL SERRA, « Souveraineté », APD, t. 35, 1990, pp. 314, l'idée de 220. Ibid.
supériorité constitue le premier sens historique du rerme souverain. 221. Ibid., p
216. D. SERRIGNY, op. cit., p. 60. 222. Ibid., p
mveau discours doctrinal Les príncipes de 1789 ott l'État (de droit} d'avant l'État de droit 363

. Cette définition mérite confondre la sottveraineté abso!tte avec la souveraineté arbitraire. Un sottverain
,ries majeures de lois qui absoltt est celtti qui commande en dernier ressort dans l'État, en consultant les
partir de ce premier cri- lumieres de la raison. Un souverain arbitraire est celui qui commande en dernier
revient soit au pouvoir ressort, sans consulter la droite raison, et en ne prenant que ses caprices pour regle de
sa conduite politique » 217 • II va de sai pour tous les jusnaturalistes que« la limite
son caractere suprême, naturelle de la souveraineté politique est (...) placée dans la droite raison » 218 • C'est
weraineté politique est le ce qu'a soutenu, en des termes particulierement vigoureux Benjamin Constant,
dire le dernier mot sur les l'une desfigures les plus en vue du libéralisme en France. S'il se réclame toujours
.tion « qui en est l'acte le du principe révolutionnaire de la« souveraineté du peuple », défini comme « l'uni-
:me ou le souverain, parce versalité des citoyens »m, il n'entend pas moins se démarquer des exces de 1793
point de pouvoir humain en insistant sur l'inviolabilité des droits de l'homme : « li y a(. ..) une partie de
;ouverain, c'est celle-là, et l'existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de
út d'être appelée le souve- droit hors de toute compétence sociale. La souveraineté n'existe que d'une maniere
1s institutionnel, et non limitée et relative. » 220 Quel que soit le titulaire de la souveraineté, peu importe
Jblique la plus haut pla- que celle-ci repose dans les mains d'un seul, de quelques-uns ou de tous, elle n'a
. Elle n'a aucun juge au- « rien d'absolu, rien d'arbitraire » car elle ne se compose que de la « somme d'au-

ble, au sens légal et non torité nécessaire à la súreté de l 'association » 221 • En d' autres termes, Constant réfute
,urs le contrôle diffits de catégoriquement la these de l'aliénation complete des droits naturels qu'il per-
a forme d'une rébellion çoit dans le Contrat social de Rousseau 222 •
: souverain n'en est pas 367 Reste un probleme épineux et lancinant qui est la question du rapport entre la
! ses obligations de droit souveraineté et la constitution. Si, dans le passé, aux yeux de Bodin, Jurieu et
Burlamaqui, le souverain était à la fois soumis à la volonté de Dieu, aux lois de
~té dont il importe d'ap- la droite raison ainsi qu'aux !ois fondamentales, la théorie moderne exprimée à
r, « il ne faztt en e/fet pas travers les écrits de Rousseau et de Sieyes, se démarque clairement de ce dernier
point. D'apres ceux-ci, le souverain se trouve nécessairement au-dessus de sa
propre constitution qui n'est qu'une loi positive - certes la premiere et la plus
noter une certaine polysémie. élevée - parmi d'autres. Si l'on voulait appliquer le concept de souveraineté
t du souverain placé au-dessus
Jes de droit naturel (ex. Rous- ainsi défini - à savoir, le pouvoir de transposer, en dernier lieu, sans être soumis
. Dans un deuxieme sens, que à aucun contrôle institutionnalisé, le droit naturel en lois positives - à un
,me de suprême. Le souverain
régime politique doté d'une constitution, il faudrait en bonne logique le réser-
L contrôle. II décide en dernier
l, voire même au droit consti- ver au pouvoir constituant à l'exclusion du pouvoir législatif (ordinaire). Certes
LS un troisieme sens, l'adjectif ce dernier est, comme son titre !'indique, un pouvoir législatif qui en outre n'est
fie que le roi a le droit de légi- soumis à aucun contrôle institutionnel, que ce soit de la part du pouvoir consti-
roi n'esr pas soumis à des !ois
, du parlement. Etre souverain tuant ou de la part du juge, mais il se trouve que le pouvoir législatif (ordinaire)
(, op. cit., p. 340). Enfin, selon est malgré tout, même s'il n'existe aucun gardien, soumis à cette norme de droit
, l'adjectif abso/11 a une conno-
,,bsolu ne connattrait aucune
positif qu'est la constitution. II n'est clone pas à proprement parler « absolu », au
ttionnelles et au droit naturel. sens premier du mot. Sinon, on aurait deux catégories de souverains, l'un étant
deux pouvoirs sont justement soumis uniquement au droit naturel, à savoir le pouvoir constituant (originaire),
alars que l'autre, i.e. le pouvoir de révision et le pouvoir législatif, serait égale-

q11,1ble q11e notre mot souvemin


t à Jàit absolu, et non s11périe11r 217. lbid., p. 76.
~s, appelées encore souveraines 218. lbid., 75.
le même sens D. SERRIGNY, 219. B. CONSTANT, Príncipes de politique, op. cit., p. 271.
t. 35, 1990, pp. 314, l'idée de 220. Ibid.
221. lbid., p. 274.
222. lbid., p. 272
364 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal

ment soumis à cette loi positive qu'est la constitution '". Le concept perdrait de
T Les príncipes

et Guizot sai
sa clarté et de sa cohérence "'. le concept dt
C'est ce qui apparait sous la plume de certains juristes de la premiere moitié du fait que l'on
XIXº siecle, du temps des deux Chartes qui, il est vrai, se trouvaient au même aussitôt la « .
niveau qu'une loi ordinaire en l'absence de toute rigidité 225 • Selon le Comte Lan- ver de façon
juinais, la« souveraineté a pour limites de droit 1. Les commandements et les défenses norme ou er
de la loi naturelle ou de la raison, qui est une loi divine; 2. Les clattSes du code consti- perpétuera d
tutionnel (... ) »"•. Quant à Serrigny qui reprend sur ce point des idées développées nationale éla
par François Guizot (1787-1874), il fait la distinction entre une « souveraineté raison ou de
éminente ou latente » et une « souveraineté organisée ». Par la premiere, il désigne savoir l'oppc:
l'acte créateur par lequel un peuple se donne, en toute liberté, sans être lié par un doté de verti
quelconque droit positif, une constitution. II s' agit là indubitablement d'un « acte sociologique
de souveraineté »"' mais, une fois que ce texte fondateur est rédigé et que les pou- qualité éthiq1
voirs constitutionnels som établis, le créateur disparait derriere sa créature"' : il nenie-mê11
« abdique »"9 • « On voit par-là que le pouvoir constituant meurt à l'instant ou natt politique ne d
la constitution, pour reruivre au déces de celle-ci. » 230 Serrigny se refuse, en effet, à lors, la vraie
l'hypothese d'un pouvoir constituam permanent, surplombant son reuvre. Une de la raison e
telle vision laisserait la porte ouverte à une remise en cause perpétuelle des struc- la raison et la
tures et regles établies. Se substitue à cette souveraineté inorganisée, qui mene une de justice, de ,
existence à éclipses, une « souveraineté fondée et réglée pàr la Charte » ( Guizot) '-11 , de réponse d'
qui s'incarne dans le pouvoir législatif formé parle roi et les deux chambres. cations de G,
368 Enfin, le débat sur la souveraineté rebondit à travers la question de son origine
ou de son siege. Si les libéraux du début du siecle, tout imprégnés encore de la 2º Les « régt
rhétorique révolutionnaire, se contentaient d'apprivoiser le príncipe de la sou-
veraineté du peuple, les « doctrinaires » comme Pierre Royer-Collard (1763-1845) 369 Le pouvoir 1
aucun supéri
en son sein d
223. Ces problemes som d'actualité. II suffit de penser à la décision assez ambigue du Cansei! consti- dérapage"', p
tutionnel du 2 septembre 1992 (Maastricht II) sur le pouvoir constituam (cf infra n" 671 ss). Amené
à statuer sur l'étendue du pouvoir de révision institué par l'article 89 de la Constitution de 1958, le
Cansei] répond par une formule alambiquée supposée satisfaire chacune des deux parties. D'un c8té,
le Cansei! dit que le « po11voir con5titllant est 5011verain » sans que l'on sache s'il parle du pouvoir 232. Cf SERRI<
constituam originaire ou dérivé ou des deux. De l'autre c8té, il précise préalablemem que le pouvoir 5011veraineté du J
constituam est souverain « 50115 réserve » des limites énoncées par la Constitution, et notammem par Cf aussi E LAFI
les articles 89, 16 et 7. Enfin, à supposer que ces limites s'imposem au pouvoir constituam dérivé, il change, que pertt.
reste à, savoir si le Cansei! s'estime compétem pour en sanctionner le respect. la rai50n, à la vé,
224. A moins évidemmem de supposer qu'une !oi dépourvue de juge ne soit pas une !oi positive, ce force, et q11i répru
qui ferait sauter la limite constitutionnelle en tam que limite positiviste et en ferait une simple limite 233. Cf D. KLII
morale ou de droit naturel. Cela justifierait alars cet usage sémamique selon leque!, par exemple, le beau. Cf M. GA
parlemem était « 5011verain » sous les IIIº et IV· Républiques. Orce présupposé théorique de l'assi- 234. ]. BACOT.
milation de la norme à la garamie est hautemem comescable d'un poim de vue théorique (cf infra à l'État de droit.
n" 431 ss). Economica-PU1\
225. Encare faudrait-il nuancer ce jugemem car certains juristes n'hésitem pas à pr8ner la supré- 235. D. SERRIC
matie des Chartes sur les !ois ordinaires (Lanjuinais) et à réclamer un comr8le juridictionnel par vaie 236. lbid., p. 26.
d'exception (Berriat-Saim-Prix). 237. W. BELIMI
226. J.-D. LANJUINAIS, op. cit., p. 13. 238. Sur ]'idée r,
227. D. SERRIGNY, op. cit., p. 36. l11tion de5 po1rvo1
228. lbid., p. 59. Sur les diverses
229. lbid., p. 37. « La garamie de

230. Jbid., p. 37. Aix, Economica·


231. Cité ibid., p. 60. l'apanage des déi
nouveau ·discours doctrinal

n "'. Le concept perdrait de


r Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit

et Guizot sautent le pas. La critique contre Rousseau se radicalise : ils réduisent


le concept de souveraineté populaire à une simple opération numérique - ce qui
365

tes de la premiere moitié du fait que l' on débouche ipso facto sur la tyrannie de la majorité - pour proclamer
:-ai, se trouvaient au même aussitôt la « souveraineté de la raison, de la justice et du droit » 232 • L'idée de réser-
lité 225 • Selon le Comte Lan- ver de façon explicite la souveraineté au droit, et plus spécifiquement à une
mmandements et les défenses norme ou entité idéale, n'est pas absolument nouvelle' 33. L'idée sous-jacente se
2. Les clauses du code consti- perpétuera d'ailleurs sous la III• République à travers le concept de souveraineté
point des idées développées nationale élaboré par Carré de Malberg' 3'. Qu'il s'agisse de la souveraineté de la
,n entre une « souveraineté raison ou de la nation, à chaque fois on retrouve la même logique à l'ceuvre, à
. Par la premiere, il désigne savoir l'opposition presque manichéenne entre d'un côté un concept dit abstrait,
! liberté, sans être lié par un doté de vertus intrinsequement libérales, et de l'autre le concept supposé réel,
,ndubitablement d'un « acte sociologique et démocratique de souveraineté du peuple à qui l'on dénie toute
ur est rédigé et que les pou- qualité éthique. Or, comme l' a remarqué de façon pertinente Serrigny, « personne
Llt derriere sa créature 228 : il ne nie - même pas les démocrates - que les pouvoirs préposés à la tête d'une société
mt meurt à l'instant ou naft politique ne doivent prendre pour guide dans leurs actes la raison et la justice» 235 • Des
rrigny se refuse, en effet, à lors, la vraie question est de savoir qui est le mieux placé pour parler au nom
rplombant son ceuvre. Une de la raison et du droit, pour «Jaire les actes tenant à la souveraineté, en consultant
cause perpétuelle des struc- la raison et la justice» 23". Le vocable, en lui-même, de « souveraineté de la raison,
é inorganisée, qui mene une de justice, de droit » n'est qu'un «Jauxfuyant »"7, caril ne donne aucun élément
'par la Charte » (Guizot)'3 ', de réponse d'un point de vue institutionnel. Il ne s'éclairera qu'à travers les expli-
)i et les deux chambres. cations de Guizot sur le régime représentatif et le concept de capacité.
: la question de son origine
)Ut imprégnés encore de la 2º Les « régulateurs » au sein du pouvoir législatif
'OÍser le príncipe de la sou-
. Royer-Collard (1763-1845) 369 Le pouvoir législatif est suprême, ou souverain, dans le sens ou il ne connait
aucun supérieur, aucun gardien extérieur. Les libéraux ont néanmoins institué
en son sein des filtres, garde-fous et autres « régulateurs », censés empêcher tout
1 assez ambigue du Conseil consti-
dérapage 238 , puisque, selon la célebre maxime de Montesquieu, « tout homme qui
ticuam (cf. infra ff' 671 ss). Amené
! 89 de la Constitution de 1958, le
acune des deux parties. D'un côté,
1e l'on sache s'il parle du pouvoir 232. Cf SERRIGNY, op. cit., p. 24 ss; J. BACOT, Carré de Malberg et !'origine de la distinction entre
kise préalablement que le pouvoir souvmt~neté d11 pe11ple ft souveraineté nationale, Paris, éd. du CNRS, 1985, p. 119 ss et spéc. p. 131.
a Constitution, et notamment par Cf auss1 F. LAFERRIERE, op. at., p. 54 : « Ce n 'est donc pas à des volontés mobiles, que tout altere et
.t au pouvoir constituam dérivé, il change, q11e pe11t appartenir la s011veraineté absol11e. Elle appartient à ce q11i est immuable et nécessaire à
r le respect. la raison, à la vérité, à Dieu. C'est la s011veraineté du droit et du devoir q11i détrône la souveraineté de' la
juge ne soit pas une !oi positive, ce force, et q11i réprouve !e despotisme de to/IS comme !e despotisme d'rm seu!. »
iviste et en ferait une simple limite 233. Cf D. KLIPPEL & H. BOLDT, op. cit., p. 122 s qui citem des extraits de Quesnay et de Mira-
cique selon leque!, par exemple, le beau. Cf M. GAUCHET, op. cit., p. 70 qui cite un texte de Bergasse.
ce présupposé théorique de l'assi- 234.,]. BACOT, op. cit., p. 131. Sur le débat sous la III· République, cf M.-]. REDOR, De l'État légal
n poim de vue théorique (cf infra à l'Etat de droit. L'évolution des conceptions de la doctrine p11blicistefrançaise (1879-1914), Paris, Aix,
Economica-PUAM, 1992, p. 37-84.
n'hésitent pas à prôner la supré- 235. D. SERRIGNY, op. cit., p. 25.
un comrôle juridictionnel par voie 236. lbid., p. 26.
237. W. BELIME, op. cit., p. 344. Cf H. AHRENS, op. cit., t. 2, p. 364.
238. Sur l'idée récurreme du « rég11late11r » au cours de la révolution, cf M. GAUCHET, La Révo-
lution des po11voirs. La s011veraineté, !e pe11ple et la représentation 1789-1799, Paris, Gallimard, 1995.
Sur les diverses garamies de la suprématie ,de la constitution à l'époque, cf. D. ROUSSEAU,
• La garamie de la constitution », in ].-P. CLEMENT et alii, Liberté, libéra11x et constitutions Paris
Aix, Economica-PUAM, 1997, pp. 97-105. On voit clone que le theme de la garamie est !oi~ d'êtr~
l'apanage des défenseurs de la justice constitutionnelle au XX" siecle.
366 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Les príncipe,

a du pouvoir est porté à en abuser ». Il faut dane impérativement trouver un de lumieres 1


moyen de garantir la suprématie de la constitution et du droit naturel sur les !ois commun la
votées par le législateur. Ces limites qui ne peuvent être qu'internes sont au mation du
nombre de quatre. 1850 que le
accepté qu \.
a) Le régime représentatif la !oi moral,
Ce n'est qu'
370 Le príncipe de la représentation aboutit en quelque sorte à un filtrage de la « droits poli
volonté populaire par vaie de sélection de ses éléments les plus capables, c'est- conciliation
à-dire les plus éclairés2.". À eux seulement il revient d'exprimer la volonté de la
« nation » (Sieyes) ou de parler au nom de la« raison » (Guizot). La connotation y) Le débat
élitiste de ce procédé ressort clairement des écrits de Montesquieu : « Le grand
avantage des représentants, c'est qu'ils sont capables de discuter des a/faires » et ils 372 La troisiem,
sont les seuls à pouvoir !e faire car « !e peuple n 'y est point du tout propre » "º. Cela doit être trai
dit, !e choix de ses représentants est « tres à sa portée », car « chacun est (...) capable est censée j8
de savoir, en général, si celui qu 'il choisit est plus éclairé que la plupart des autres » 241 • porte, ce n't
Aux yeux de Guizot, le processus de représentation a une double optique, socio- force et le dr
logique et philosophique, puisqu'il permet à la fois à la société de se révéler à rité a raison
elle et de produire son unité à partir des éléments de justice et de raison épar- somption fo
pillés en elle. Ce som ces «fragments » qu'il s'agit « d'extraire »dela masse et de
« recueillir » "'. Õ) Le régim

~) Le suffrage restreint 373 La quatriem


méfiance vi,
371 La deuxieme garantie consiste dans le caractere restreint du suffrage"', qui est lié Montesquie1
soit à la propriété, censée offrir le loisir nécessaire pour se cultiver et s'intéres- porté à en ai
ser à la chose publique, sair par une certaine « capacité » définie par Guizot mêmea beso1
comme « la Jaculté d'agir selon la raison » m_ Hantés parles souvenirs de la Ter- disposition d
reur, les doctrinaires et libéraux de la premiere moitié du XIX< siecle ne cessem « l'expériencc
d'insister sur la nécessité de s'assurer de la rationalité de tout acteur doté d'au- particulieren
tonomie, et ce d'autant plus lorsqu'il s'agit de la sphere publique. Comme !e dit
Pinheiro-Ferreira, « pour qu'on puisse faire usage de que/que chose qui pourrait tour-
ner au désavantage d'autrui, il faut qu'on soit doué du discemement nécessaire pour 247. Ibid., p. 3,
248. F. LAFER
que la société ait une garantie du bon usage qu'on en fera » m_ Si tous les hommes op. cit., p. 116.
jouissent de par leur nature d'être humain de droits civils, il en va autrement en 249. F. LAFER
ce qui concerne les droits politiques ou. l'égalité n'est plus de mise, car elle serait 250. CfM.BA
1904, p. 130; S.
« injuste et dangereuse » 2'". L'idée que le « sujfrage présuppose rm certain degré J. GICQUEL,
p. 30; C. SCH
Duncker& Hu
239. Cf J.-P. CLÉMENT, Attx sources d11 libéralismefrançais: Boissy d'Anglas, Da1mo11, Lanj11inais, de Guizot, tiré
op. cit., p. 71 ss. de plr,s !e carac1,
240. MONTESQUIEU, De l'Esprit des !ois, op. cit., Liv. XI, chap. 6, p. 400. citoyens à cherch
241. Ibid. pouvoir de fait. (
242. Cf P. ROSi\NVALLON, l..e moment G11izot, op. cit., p. 93-94. cher en commrw
243. Cf J.-P. CLEMENT, A11x so11rces d11 libéralisme fi,mçais ... , p. 78 ss. des citoyens; ]" f
244. Cité par P. ROSANVALLON, op. cit., p. 95. dire a11 po11voir.
245. S. PINHEIRO-FERREIRA, op. cit., p. 12. Cf D. SERRIGNY, op. cit., p. 113-4. 251. MONTES
246. W. BELIME, op. cit., t. 1, p. 346. 252. Cf l'utilis"
nouveau discours doctrinal Les principes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 367

npérativement trouver un de lttmieres et de prndence qui n 'existe pas chez tous » m est à cette époque un lieu
du droit naturel sur les lois commun largement véhiculé par la doctrine juridique, même apres la procla-
t être qu'internes sont au mation du suffrage universel (masculin) en 1848. Ainsi Laferriere rappelle en
1850 que le « suffrage universel, ou le gouvernement du pays parle pays », n'est
accepté qu' « à condition que la lumiere y pénétrera de toutes parts, en y développant
la loi morale, qui est la /oi du véritable progres pour l'homme et pour la société » 148 •
Ce n'est qu'à condition que la prééminence des « droits naturels et civils » sur les
e sorte à un fi.ltrage de la « droits politiques et fonctions sociales » soit sauvegardée, que peut se réaliser la
nts les plus capables, c'est- conciliation entre le libéralisme et la démocratie ''".
l'exprimer la volonté de la
, (Guizot). La connotation y) Le débat parlementaire
Montesquieu : « I..e grand
discuter des affaires » et ils 372 La troisieme limite tient aux vertus qu'on attribue au débat parlementaire qui
1int du tout propre » 1'º. Cela doit être transparent, ouvert, rationnel et contradictoire. Du choc des arguments
, car « chacun est (. ..) capable est censée jaillir la plus grande approximation de la vérité. Si la majorité l'em-
7ue la plupart des autres » 1". porte, ce n'est pas en vertu de l'arithmétique, ce qui serait encare confondre la
une double optique, socio- force et le droit, mais c'est parce qu'on peut légitimement présumer que la majo-
à la société de se révéler à rité a raison et que la minorité se trompe 250 • Mais il ne s'agit là que d'une pré-
e justice et de raison épar- somption fondée sur un calcul de probabilités.
'extraire » de la masse et de
8) Le régime mixte

373 La quatrieme limite interne a trait à la balance des pouvoirs. Ce príncipe de


méfiance vis-à-vis de tout pouvoir étatique, quel qu'il soit, a été théorisé par
lnt du suffrage "', qui est lié Montesquieu : « C'est une expérience étemelle que tout homme qui a du pouvoir est
our se cultiver et s'intéres- porté à en abuser; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait! la vertu
1acité » définie par Guizot même a besoin de limites. Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la
par les souvenirs de la Ter- disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » 251 Cette maxime, fondée sur
ié du XIX" siecle ne cessem « l'expérience », a un impact capital sur la théorie générale de l'État et du droit, et
é de tout acteur doté d'au- particulierement sur le discours actuel de l'État de droit 251 • Si l'on peut déceler
:re publique. Comme le dit
lque chose qui pourrait tour-
iiscernement nécessaire pour 247. lbid., p. 347. ,
248. F. LAFERRIERE, op. cit., p. 13. Voir les longs développements p. 70 ss. Cf D. SERRIGNY,
•ra » "'. Si tous les hommes op. cit., p. 116. ,
:ivils, il en va autrement en 249. F. LAFERRI};RE, op. cit., p. 72.
plus de mise, car elle serait 250. Cf M. BARBE, Etude historique des idéessur la so11·veraineté en France de 1815 à 1848, these Paris,
1904, p. 130; S. RIALS, « Sieyes ou la délibération sans prudence », Droits, n"' 13, 1991, p. 123 ss;
présuppose un certain degré J. GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, 12· éd., Paris, Montchrestien, 1993,
p. 30; C. SCHMITT, Die geistesgeschichtliche lAge des heutigen fürlamentarismus (1923), Berlin,
Duncker & Humblot, 8· éd., 1996. Dans ce riche ouvrage, Schmitt cite notamment l'extrait suivant
issy d'Anglas, D,111no11, úmj11inais, de Guizot, tiré de son Histoire des origines dtt gouvernement représentatifen Europe de 1851: « C'est
de pl11s le caractere d11 systeme qui n 'admet n11!le part la légitimité d11 pouvoir absol11 d'obliger tous les
. 6, p. 400. citoyens à chercher sans cesse, et dans chaq11e occasion, la vérité, la raison, la j11stice, qui doivent régler le
po11voir de fait. C'est ce qtte fait le systeme représentatif: J· par la disrnssion q11i oblige les po11voirs à cher-
4. cher en commrm la vérité; 2· par la publicité qui met les pouvoirs occupés de cette recherche sous les yeux
78 ss. des citoyens; 3" par la liberté de la presse qui provoque les citoyens e11x-mêmes à chercher la vérité et à la
dire ar, pouvoir. »
IY, op. cit., p. 113-4. 251. MONTESQUIEU, De l'esprit des fois, Liv. XI, chap. 4, p. 395.
252. Cf l'utilisation de l'argument par Bahr (cf supra n"' 81).
368 L'État de droit ou fes apories d'un nouveau discours doctrinaf Les príncipes

dans le modele démocratique de Rousseau un certain optimisme quant à l'usage espece de cri J
qui est fait du pouvoir, pour peu que les citoyens se donnent la loi à eux-mêmes ter» dira L1
et soient suffisamment éclairés et vertueux pour se laisser guider, dans cet acte, trice, érigée
par la volonté générale, Montesquieu érige la méfiance en dogme incondition- s'ajoute la i
nel, éternel et universel. Pris au pied de la lettre, ce principe va à l' encontre de fiberté » ,s, f;
l'idée même d'un souverain dont la spécificité réside justement en l'absence de comporter e
tou~ supérieur, autrement dit d'un contre-pouvoir. abuser de S<.
A cela s'ajoute l'impact décisif de ce príncipe de méfiance sur la définition du oublier l'opi
droit: à retenir l'assertion de Montesquieu, une norme juridique n'a de valeur à traire pour li
l'égard d'un pouvoir que s'il existe en même temps un contre-pouvoir qui puisse a connu son
contraindre celui-ci au respect de la norme. Si seul le pouvoir peut arrêter le pou- juridique ne
voir, il n'y a de limite que s'il y a un contre-pouvoir, il n'y a de droit que s'il y suprématie (
a un gardien, car une loi dom l'efficacité dépendrait du respect volontaire, autre- L'on voir
ment dit de la vertu des sujets qui lui sont soumis, n'est qu'un leurre en pratique. ment dans F
De là, il n'y a qu'un pas pour dire qu'une loi dépourvue de sanction - et par là la suprémati
on entendra de plus en plus une garantie juridictionnelle - n'est pas une loi, au
sens juridique, mais constitue tout au plus une norme morale.
374 Si cette logique juridictionnelle va éclore, assez rapidement, avec la théorie de
Sieyes sur le « jurie constitutionnaire » 253 , la théorie de la balance des pouvoirs
fonde, dans un premier temps, l'idéal du régime mixte. Ayant à l'esprit le Parle-
375 L'absence dt
ment de Westminster, Montesquieu s'exprime en faveur d'un pouvoir législatif
trait caractér
divisé en trois branches qui se surveilleraient et se freineraient mutuellement au
cours conter
plus grand profit des droits de l'individu '"'. Ainsi rena1t la théorie du régime
le strict cadn
mixte dans lequel se mélangeraient les trois formes de gouvernement monar-
sonnement s
chique, aristocratique et démocratique. L'idée est clairement mise en avant en
ticulieremen
1789, lors des débats de l' Assemblée constituante, par les « Monarchiens » qui
du juge, qui
s'inspirent des idées du Baron de La Brede, de Sir William Blackstone et de l'avo-
toute la phil1
cat genevois Louis de Lolmem. L'idée de la balance des pouvoirs, c'est-à-dire
social, qu'il
d'une vision non plus verticale, à l'instar de Rousseau, mais horizontale de la
Kant - ces l
séparation des pouvoirs, est le fil conducteur des interventions de Lally-Tollendal
libéralisme -
(1751-1830), Malouet (1740-1814), Mounier (1758-1806), etc. Elle exige un subtil
équilibrage ou les pouvoirs sont à la fois distincts et liés, et ce au sein même de
l'organe législatif, afin de garantir la conformité de la loi à la constitution et au
droit naturel. Dans ce modele, chaque branche du législatif surveille et modere 256. T.-G. de L
les actes des deux autres. « Une assembfée unique court perpétuellement fe danger la sanction roya
tion française. L,
d'être entraínée par f'éloquence, séduite par des sophismes, égarée par des intrigues, 257. ].-]. MOLi
enflammée par des passions qu'on fui fait partager, emportée par des mouvements 258. Comte d':
soudains qu'on fui communique, arrêtée par des terreurs qu'on fui inspire, par une p. 9.
259. Comte de
260. Cf ].-D. 1
261. G. VEDEI
253. Cf infra. L. JAUME (dir.
254. Cf Çh. EISENMANN, « La pensée constirurionnelle de Montesquieu », in B. MIRKINE- 262. R. BADIT\
GUETZEVITCH & H. PUGET (dir.), Bicentenaire de l'Esprit des Lois (1748-1948}, Paris, 1952, 263. Toutefois,
p. 152 ss. du « dépôt des lo
255. Cf P. PASQUINO, Sieyes et l'invention de /,1 Constillltion en Fmnce, Paris, O. Jacob, 1998, du droic de rem,
chap. 1 (« 1789 et la balance d11 légis!atif »), p. 15-29. L'idée est d'ailleurs commune aux libéraux de pouvoir des j11ge,
toute l'Europe. Cf supra n'' 64 et 212. 1990, p. 259 nor
i nouveatt'discours doctrinal Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit 369

. optimisme quant à l'usage espece de cri public même dont on l'investit, et contre leque! elle n'ose pas seule résis-
lonnent la loi à eux-mêmes ter » dira Lally-Tollendal '". D' ou la nécessité d'une seconde chambre modéra-
aisser guider, dans cet acte, trice, érigée en « conservateur » 157 de la liberté et de la constitu tion. À cela
1ce en dogme incondition- s'ajoute la sanction du roi qui est censé incarner le dernier « rempart de la
principe va à !'encontre de liberté » ' 5' face à des parlementaires tentés de s' émaneiper du peuple et de se
! justement en l'absence de comporter comme une « aristocratie de fait » m. Si, par hypothese, le roi devait
abuser de son droit de veto, il reviendrait aux chambres de s'y opposer, sans
1éfiance sur la définition du oublier l'opinion publique à laquelle le roi ne saurait, selon ces auteurs, se sous-
ne juridique n'a de valeur à traire pour longtemps. Si cette théorie du régime mixte a été rejetée en 1789, elle
11 contre-pouvoir qui puisse a connu son moment de gloire en France sous les deux Chartes, ou la doctrine
Jouvoir peut arrêter le pou- juridique ne tarit pas d'éloges sur ses bienfaits comme sacie philosophique de la
, il n'y a de droit que s'il y suprématie du parlement'60 •
lu respect volontaire, autre- L'on voit clone qu'en fin de compte les deux courants, incarnés respective-
st qu'un leurre en pratique. ment dans Rousseau et dans Montesquieu, convergem sur le même postular de
vue de sanction - et par là la suprématie institutionnelle du législatif, et ce notamment à l'égard des juges.
1elle - n'est pas une loi, au
1e morale. § 2. LA MÉFIANCE DES RÉVOLUTIONNAIRES
dement, avec la théorie de VIS-À- VIS DV POUVOIR DES JUGES
de la balance des pouvoirs
te. Ayant à l'esprit le Parle-
375 L'absence de ce que le Doyen Vedel a appelé la« cléricaturejudiciaire »'" est le
,eur d'un pouvoir législatif
trait caractéristique de l'reuvre révolutionnaire qui tranche le plus avec le dis-
!ineraient mutuellement au
cours contemporain de l'État de droit. La puissance du juge se voit enserrée dans
·ena1t la théorie du régime
le strict cadre de la légalité et sa fonction se réduit à appliquer la loi, selon un rai-
; de gouvernement monar-
sonnement syllogistique : à !ui de juger selon la loi et non pas de juger la loi. Par-
.airement mise en avant en
ticulierement radical en France"'', ce discours de méfiance à l'égard de la figure
Jar les « Monarchiens » qui
du juge, qui inspire la peur, constitue en réalité un dénominateur commun à
liam Blackstone et de l'avo-
coute la philosophie des Lumieres en Europe. Aucun des théoriciens du contrat
e des pouvoirs, c'est-à-dire
social, qu'il s'agisse de Hobbes, Rousseau ou encare Locke, Montesquieu"'' et
!au, mais horizontale de la
Kant - ces derniers étant considérés en général comme les figures de proue du
ventions de Lally-Tollendal
libéralisme -, ne s'est prononcé en faveur d'un contrôle juridictionnel de la
J6), etc. Elle exige un subtil
liés, et ce au sein même de
a loi à la constitution et au
fgislatif surveille et modere 256. T.-G. de LALLY-TOLLENDAL, « Premier discours sur l'organisation du pouvoir législatif et
rt perpétuellement le danger la sanction royale » du 31 aout 1789, reproduit in F. FURET & R. HALÉVI, Orateurs de la Révolu-
tion française. Les constitttants, Paris, Pléiade, 1989, p. 370.
nes, égarée par des intrigues, 257. J.-J. MOUNIER, « Discours sur la sanction royale » du 5 septembre 1789, in ibid., p. 883.
zportée par des mouvements 258. Comte d'ANTRAIGUES, « Discours sur la sanction royale" du 2 septembre 1789, in ibid.,
TS qu'on fui inspire, par une p. 9.
259. Comte de MIRABEAU, « Discours sur le droit de veto» du 1"' septembre 1789, in ibid., p. 675.
260. Cf J.-D. LANJUINAIS, op. cit., p. 18 et p. 181 ss; D. SERRIGNY, op. cit., p. 104 ss
261. G. VEDEL, « La constitution comme garantie des droits. Le droit naturel » in M. TROPER &
L. JAUME (dir.) 1789 et l'invemion de fo constiwtion, Paris, LGDJ-Bruylant, 1994, p. 211.
Montesquieu », in B. MIRKINE- 262. R. BADINTER, « Une si longue défiance ", Pouvoirs, n-· 74 (« Les jttges »), 1995, pp. 7-12.
des Lois {1748-1948), Paris, 1952, 263. Toutefois, au XVIII' siecle, l'autoricé de l'reuvre de Montesquieu, et plus particulierement l'idée
du « dépôt des !ois », évoquée dans le Livre II, chapitre 4, de l' Esprit des !ois, a été invoquée en faveur
en Fr,mce, Paris, O. Jacob, 1998, du droit de remontrance des anciens parlements. cf. J. RAY, op. cit., p. 374; M. CAPPELLETII, Le
ailleurs commune aux libéraux de pouvoir des juges, trad. par R. David, préf. L. Favoreu, Paris, Aix-en-Provence, Economica, PUAM,
1990, p. 259 note 28.
370 L 'État de droit ou les apories d'tm nouveau discours doctrinal Les príncipes d1

conformité des lois à la constitution ou encare au droit naturel 1'". Pourtant, on Au contraire, .
aurait pu imaginer que le juge puisse faire le lien entre le droit naturel et le droit en 1789 que le
positif à travers les deux prérogatives que sont le pouvoir d'interprétation et le tionnaires n'o1
pouvoir d'annulation de la loi: dans le premier cas, il instille dans le silence de trais solutions
la loi des éléments méta-juridiques 165 ; dans le second, il fait prévaloir, de façon juges, la respor
radicale, un droit supérieur sur la loi en cas de contrariété. Or, en France, cha- de la justice et
cune de ces prérogatives sera refusée au juge en 1791. Tel un fonctionnaire, le juge 377 Comme le dit
se voit confiné dans un rôle marginal qui est d'appliquer à des cas d'espece la loi nombre des pro
abstraite et générale, votée par le parlement. y voit non seu/1
possible, d'une
A. La récusation de tout pouvoir d'interprétation de la loi "'" doit viser à din
!oi soit claire, u
376 Le juge est, selon la célebre formule de Montesquieu, la« bouche de la !oi sa »"'7 ; dira, en fin co1
puissance est « pour ainsi dire, invisible et nulle » "' car elle n' est, ou plutôt elle ne
3 constituants al
doit être que l'application d'une loi fixe:« Si les tribttnaux ne doivent pas être fixes est pas un et fo
- ce qui permettra de réduire dans le temps ce pouvoir si terrible parmi les de la justice du
hommes - les jugements doivent l'être à unte! point qu'ils ne soient jamais qu'un chainement lo:
texte précis de la !oi. S'ils étaient une opinion particuliere du juge, on vivrait dans la la nation, port,
soçiété, sans sa·voir précisément les engagements que l'on y contracte. »1"" En cela, les associer à L
l'Etat moderne se distingue du despotisme ou « il n 'y a point de !oi» et ou « le juge encare faire la
est lui-même sa regle » 270 • Le principe de légalité fonde et conditionne l'indépen- involontairemt
dance du pouvoir judiciaire qui, en soi, est inconciliable avec l'idée de balance des « Le pouvoir jw
pouvoirs telle que l'entend le Baron de La Brede 271 • Elle ne se justifie qu'à suppo- d'interpréter la
ser que le pouvoir des juges soit « nu!». Si jamais les juges avaient un pouvoir dis- !oi peut être in,
crétionnaire, le risque d'abus serait à craindre, car rien a priori ne prédispose les d'une volonté p
juges à ne pas succomber à cette faiblesse toute humaine qu'est l'abus de pouvoir. la puissance de ,
un autre homm
tion de la !oi, 01
264. II faut ajouter tout de suite que si le modele théorique des Lumieres du juge, automate à syllo- digieuse, si la Ja,
gisme, s'est déployé dans coute sa force sur le cominem, et plus particulierement en France, son En 1789, l'i
influence été contrebalancée sur les tles britanniques par la pensée de la common la-w qui accorde au
contraire un large pouvoir normatif à quelques « vénérables » juges (cf mpra n-· 176 ss). Sur la récep- l'idéal du regrn
tion de la théorie du juge, automate à syllogismes, en Allemagne, cf mpra n·· 65. mais à la volo1
265. Cf PORTALIS, op. cit., p. 22: « QJtand la foi est claire, il fimt la sui·vre; quand elle est obsmre, il une « dépenda;
fora en approfondir les dispositions. Si l'on manque de !oi, ilfaut consulter l'usage 011 l'équité. L 'équité esl
!e retour à la foi natttrelle, dans !e silence, l'opposition 011 l'obsmrité des fois positives. » « ce mot de juri
266. Nous nous limitons à esquisser les grandes lignes de la question qui est traitée de façon exhaus- constitution, u1
tive dans divers ouvrages. Cf M. TROPER, « La notion de pouvoir judiciaire au début de la révolu- !oi » 27". De cett
tion française », in 1791 La premiere constitJttion française. Actes du colloque de Dijon des 26-27 sep-
tembre 1991, Paris, Economica, 1993, pp. 355-367; M. LEROY, op. cit., chap. 2; J. BELIN, op. cit., 16-24 aout 179
p. 91 ss; J. RAY, op. cit., p. 372 ss; J.-P. ROYER, Histoire de la justice en hmce, 2· éd., Paris, PUF, corps législatif
1996, p. 261 ss.
267. MONTESQUIEU, De l'Esprit des fois, op. cit., Liv. XI, chap. 6, p. 404: « Les juges de la nalion
ne sont [. ..] q11e la bo11che qui prononcem les paroles de la !oi; des êtres inanimés qui n 'en peu·vent modé-
rer ni la force ni l,1 rig11e11r. » 272. Cité par P. R1
268. Jbid., Liv. XI, chap. 6, p. 398. 273. VOLTAIRE.
269. Ibid., Liv. XI, chap. 6, p. 399. Gallimard, 1994, f
270. !bid., Liv. VI, chap. 3, p. 311. 274. N. BERGA:
271. M. }'ROPER,_ op. cit.; C. SCHMITT, Verfasszmgslehre, op. cit., § 13, p. 155 et § 12, p. 133; in F. FURET & R
E.-W. BOCKENFORDE, « Demokratie ais Verfassungsprinzip », in id., Staat, Verfassrmg, Demo- 275. Ibid., p. 112.
kratie, 2· éd., Frankfurt, Suhrkamp, 1992, pp. 307-309. 276. Cité par M. l
2 nouveati discours doctrinal

roit naturel 26'. Pourtant, on


T Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit

Au contraire, l'exemple des anciens parlements démontre à qui veut l'entendre


371

~e le droit naturel et le droit en 1789 que les juges ont un pouvoir réel et qu'ils en abusem. Aussi les révolu-
,uvoir d'interprétation et le tionnaires n'ont-ils de cesse à Ôter toute autonomie aux magistrats, en exploram
il instille dans le silence de trois solutions : la codification qui est censée réduire le pouvoir normatif des
d, il fait prévaloir, de façon juges, la responsabilité des juges qui est supposée protéger les citoyens des dérives
rariété. Or, en France, cha- de la justice et, enfin, la mesure la plus radicale qui est celle du référé législatif.
Tel un fonctionnaire, le juge 377 Comme le dit l'abbé Castel de Saint-Pierre dans son Mémoires pour diminuer le
1uer à des cas d'espece la loi nombre des proces de 1725 : « Les !ois doivent être si claires, que chacun en les lisant
y voit non seulement la décision dtt cas qtt'il cherche, mais qu'il la voit encare, s'il est
possible, d'une maniere à n'avoir pas besoin d'interpréter, ainsi un bon législateur
prétation de la loi ,1,1, doit viser à diminuer le besoin que l'on peut avoir de jttrisconsultes. » 272 « Que toute
!oi soit claire, uniforme et précise: l'interpréter, c'est presque toujours la corrompre »
, la« bouche de la !oi»""; sa dira, en fin connaisseur des rouages de la justice, Voltaire 273 • Dans cet esprit, les
r elle n'est, ou plutôt elle ne constituants abordem la question du troisieme pouvoir qui, pour certains, n' en
'.naux ne doivent pas être fixes est pas un et fait partie du pouvoir exécutif. Dans son Rapport sur l'organisation
)Uvoir si terrible parmi les de la justice du 17 aout 1789, Nicolas Bergasse (1750-1832) met en exergue l'en-
qu'ils ne soient jamais qu'un chainement logique entre les deux idées de la liberté et de la loi, une loi que seule
re du juge, on vivrait dans la la nation, porteuse de l'intérêt général, peut faire. Quant aux juges, on ne saurait
'on y contracte. » ""1 En cela, les associer à la législation parle biais de l'interprétation. lnterpréter la loi c'est
a point de !oi » et ou « le jttge encore faire la loi. Or, au lieu de défendre la liberté, les juges som « mús comme
le et conditionne l'indépen- involontairement dans totttes leurs démarches par le dangereux esprit de corps » '".
)le avec l'idée de balance des « Le pouvoir judiciaire serait donc mal organisé si le juge jouit du dangerettx privilege
:lle ne se justifie qu'à suppo- d'interpréter la !oi ou d'ajouter à ses dispositions. Car, on aperçoit sans peine que si la
uges avaient un pouvoir dis- !oi peut être interprétée, augmentée, ou, ce qtti est la même chose, appliquée au gré
en a priori ne prédispose les d'une volonté particuliere, l'homme n'est plus sous la sattvegarde de la !oi, mais sous
ine qu'est l'abus de pouvoir. la puissance de celui qui !'interprete ou qui l'augmente; et le pouvoir d'un homme sur
un autre homme étant essentiellement ce qu'on s'est proposé de détruire par l'institu-
tion de la !oi, on voit clairement que ce pouvoir att contraire acquerrait une force pro-
.umieres du juge, amomate à syllo- digieuse, si la faculté d'interpréter la !oi était laissée à celui qui en est le dépositaire. » 275
s particulieremem en France, son En 1789, l'idée du pouvoir d'interprétation des juges est inconciliable avec
e de la common la-w qui accorde au
es (cf s11pra fi'' 176 ss). Sur la récep- l'idéal du regne de la loi. Dans un tel cas, l'individu ne serait plus soumis à la loi,
, cf. s11pra n" 65. mais à la volonté subjective d'un autre homme, le juge, et il y aurait à nouveau
tt la s11i·vre; q11and elle est obscure, il une « dépendance personnelle » (Rousseau). C'est pourquoi, selon Robespierre,
·su!ter l'11sage 011 l'éq11ité. L'éq11ité est
·des !ois positives. » « ce mot de jurisprudence... doit être effacé de notre langage. Dans un État qui a une
ion qui est traitée de façon exhaus- constitution, une législation, la jurisprudence des tribunaux n 'est autre chose que la
Jir judiciaire au débm de la révolu- !oi»"''. De cette crainte nait l'institution du référé législatif, prévu par la loi des
d11 colloq11e de Dijon des 26-2 7 sep-
1p. cit., chap. 2; J. BELIN, op. cit., 16-24 aout 1790, qui permet aux juges, et parfois leur impose, de s'adresser au
11stice en Fr,mce, 2· éd., Paris, PUF, corps législatif pour éclairer un point obscur ou imprécis de la loi. Ainsi, c'est à
p. 6, p. 404 : « Les j11ges de la nation
es inanimés q11i n'en peuvent modé-
0

272. Cité par P. ROSANVALLON, Le sacre d11 citoyen, op. cit., p. 150.
273. VOLTAIRE, Dictionnaire philosophiq11e {1764), art. « Lois civiles et écclésiastiques ", Paris,
Gallimard, 1994, p. 369.
274. N. BERGASSE, « ,Rapport sur l'organisation du pouvoir judiciaire » du 17 aout 1789,
. cit., § 13, p. 155 et § 12, p. 133; in E FURET & R. HALEVI, op. cit., p. 108 .
», in id., Staat, Verfasstmg, Demo- 275. lbid., p. 112.
276. Cité par M. LEROY, op. cit., p. 60.
372 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal

celui qui fait la loi qu'il revient encare de l'interpréter. Mais il faut croire que
même le référé n'était pas de nature à évincer toute méfiance des révolution-
T Les príncipes de

favorables hésit
ou quasi-juridic
naires vis-à-vis de l'indépendance des juges. Selon Bergasse, « le pouvoir judiciaire 379 Le projet de co1
serait mal organisé, si les juges ne répondent pas de leurs jugements », car « une 1794) en 1793,
nation ou les juges ne répondent pas de leurs jugements serait, sans contredit, la plus Girondins se m
esclave de toutes les nations ,,m_ Non contents de vouloir éradiquer dans le chef !e principe est 1
des juges toute liberté d'action, les révolutionnaires établissent, au cas ou il res- constitutionne
terait des bribes de pouvoir - car à quoi bon prévoir une responsabilité s'il n'y citoyens, ils pri
a plus de pouvoir - un mécanisme de sélection des juges qui soit le plus démo- peuple sur les ac
cratique possible. En conséquence, l' Assemblée constituante décide en 1790 de appel au peuplé
ne pas rendre les juges inamovibles à vie et de les faire élire par les citoyens pour ou un décret,
un mandat limité à six ans. II reviendra à Napoléon Bonaparte de supprimer le maires, puis de
principe de l'élection et d'imposer le modele du juge-fonctionnaire 27' , nommé Celui-ci est alo
par l'exécutif. Quant au pouvoir d'interprétation, il faudra attendre l'article 4 de résistance d,
du code civil pour que sa légitimité soit implicitement reconnue. Le référé obli- de nouvelles éle
gatoire ne sera supprimé que par la loi du 30 juillet 1828. actes du législat
quée, de 1793. 1
B. La récusation d'un contrôle juridictionnel de la loi des assemblées
Si l'appel au pe1
378 II n'est dane guere étonnant, dans ce climat général de méfiance à l'égard des cratique qui so
juges, que le principe unanimement admis de la suprématie de la constitution questions de l'c
sur la loi n' aille pas de pair avec un contrôle juridictionnel. II ne s' agit pas ici de aspects faisant 1
revenir sur l'histoire de ce contrôle, avec tous ses aléas et ses soubresauts 27", mais 380 L'option d'un l
de mettre en relief les ressorts intellectuels de cette dynamique qui mettra si boration de la C
longtemps à s'imposer en France. Le débat révolutionnaire sur la question est de « jurie constz
des plus riches, comme en témoigne la foule de projets et de modeles esquissés inévitablement
alars pour s'opposer à ce que certains n'hésitent pas à appeler le « despotisme » 24 thermidor a
du législateur. On propose par conséquent de soumettre celui-ci à un gardien toires, ou ce n'es
doté d'un pouvoir de contrôle plus ou moins étendu "º. De ce foisonnement sera la magistra
d'idées ressort, d'une part, le constat qu'aucun acteur n'envisage de donner un inconcevable a11
tel pouvoir aux tribunaux ordinaires et que, dans tous les cas de figure, il est l'ordre politiquc
prévu d'instaurer un organe spécial à cet effet 281 • D'autre part, ceux qui y sont et du droit en ~
droit privé. L'i
dans celle de su
277. N. BERGASSE, op. cit., p. 118. \

278. M. CAPPELLETTI, Le pott·voir des j11ges, p. 260 note 28, insiste ainsi sur les différences de statut
A l' encontre
entre le juge continental et le juge anglais : d'un côté, il y a une magistrature de carriere, tres désormais class
nombreuse, organisée selon des criteres bureaucratiques et jouissant d'une image de « médiocrité possibles que le
sacia/e et professionnelle »; de l'autre, une magistrature élitiste, peu nombreuse, composée de quelques
éminents juges, issus des meilleures écoles et sélectionnés selon des criteres de réussite profession-
nelle. Si l'un est réduit à &rre un automate à syllogismes, l'autre, qui se targue également d'&tre la
« !ex loq11ens » (Coke), joue un rôle crucial dans la définition de la common l<1w. 282. Cf A. BLON
279. Cf l'ouvrage de A. BLONDEL; L. FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, girondin, cf A rchi,
1" éd., 1998, pp. 273-292; A. STONE, The Birth of]11dicial Politics in Fmnce, New York, Oxford UP, 283. Cf supra n· 1.
1992, p. 23 ss; G. DRAGO, Contemie11x constitutiomielfrançais, 1" éd., Paris, PUF, 1998, p. 125 ss. 284. Cet aspect se
280. V. la liste de projets exhumés par M. GAUCHET, Li révol11tio11 des pott·voirs. Li so11veraineté, 285. Sur ce proje1
!e pe11ple et la représentation 1789-1799, Paris, Gallimard, 1995, pp. 55-255. p. 93 ss; A. BLON
281. Sur les quelques tentatives de tribunaux ordinaires de s'arroger unte! droit, cf A. BLONDEL, 286. Réimpression
op. cit. A. BLONDEL, op.
n nouveaú discours doctrinal

·éter. Mais il faut croire que


T Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit) d'avant l'État de droit

favorables hésitent entre deux modeles institutionnels, l'un étant juridictionnel


373

te méfiance des révolution- ou quasi-juridictionnel, l'autre étant politique.


Tgasse, « le pouvoir judiciaire 379 Le projet de constitution présenté, au nom des Girondins, par C~mdorcet (1743-
leurs jugements », car « une 1794) en 1793, est exemplaire de cette deuxieme tendance. A l'époque, les
, serait, sans contredit, la plus Girondins se méfient des emportements de l' Assemblée législative unique, dont
mloir éradiquer dans le chef le principe est néanmoins maintenu. Pour garantir à la fois le respect des droits
• établissent, au cas ou il res- constitutionnels de l'individu et la subordination des élus aux vreux des
ir une responsabilité s'il n'y citoyens, ils prévoient dans le titre VIII de leur projet, consacré à La censure du
juges qui soit le plus démo- peuple sur les actes de la représentation nationale, un dispositif complexe, faisant
1stituante décide en 1790 de appel au peuple. II est prévu que, dans le casou les citoyens contestem une loi
re élire par les citoyens pour ou un décret, ils ont la possibilité d'abord de convoquer les assemblées pri-
t Bonaparte de supprimer le maires, puis de faire remanter leurs griefs jusqu'au corps législatif lui-même.
tge-fonctionnaire"S, nommé Celui-ci est alars sommé de modifier ou d'abroger le texte en question. En cas
il faudra attendre l'article 4 de résistance du législateur, celui-ci serait dissous, sous certaines conditions, et
:nt reconnue. Le référé obli- de nouvelles élections auraient lieu "'. La même idée d'un contrôle populaire des
1828. actes du législateur est présente dans la Constitution mythique, car jamais appli-
quée, de 1793. Ses articles 58 à 60 prévoient, en cas de demande d'une majorité
ctionnel de la loi des assemblées primaires, la soumission de la loi à un référendum obligatoire 283 •
Si l'appel au peuple a l'avantage d'être la garantie de la constitution la plus démo-
al de méfiance à l'égard des cratique qui soit, son inconvénient réside toutefois dans le mélange des deux
1prématie de la constitution questions de l'opportunité politique et de la validité juridique de la loi, les deux
:ionnel. II ne s'agit pas ici de aspects faisant l'objet d'une même procédure 184 •
:as et ses soubresauts"9, mais 380 L'option d'un contrôle juridictionnel a été mise en avant par Sieyes lors de l'éla-
te dynamique qui metera si boration de la Constitution de l'an Ill 185 • La discussion que déclenche son projet
:ionnaire sur la question est de « jurie constitutionnaire » fait appara1~re les apories logiques sur lesquels bute
>jets et de modeles esquissés inévitablement le discours actuel de l'Etat de droit. Dans son intervention du
ts à appeler le « despotisme » 24 thermidor an III, Sieyes affirme : « Une constitution est un corps de !ois obliga-
mettre celui-ci à un gardien toires, ou ce n 'est rien; si c'est tm corps de fois, on se demande ou sera le gardien, ou
ndu "º. De ce foisonnement sera la magistrature de ce code. II faut pouvoir répondre. Un oubli de ce genre serait
:ur n'envisage de donner un inconcevable autant que ridicule dans l'ordre civil; pourquoi le sou.ffririez-vous dans
tous les cas de figure, il est l'ordre politique » "''. Sieyes se fait ainsi le ténor de l'idée de l'assimilation du juge
1'autre part, ceux qui y sont et du droit en s'inspirant - à !'instar de ce que fera ultérieurement Bahr - du
droit privé. L'idée du contrôle juridictionnel est des lors logiquement inscrite
dans celle de superlégalité de la constitution.
iste ainsi sur les différences de statut
À !'encontre de ce point de vue, Thibeaudeau développe une argumentation
une magistrature de carriere, tres désormais classique. En premier lieu, il insiste sur l'existence d'autres gardiens
issant d'une image de « médiocrité possibles que le juge. Le bicamérisme que les constituants de l'an ill s'apprêtent
1 nombreuse, composée de quelques

des criteres de réussite profession-


e, qui se targue également d'être la
la common !uw. 282. Cf A. BLONDEL, op. cit., p. 163 ss; M. GAUCHET, op. cit., p. 110. Pour le cexte du projet
)roit constit11tionnel, Paris, Dalloz, girondin, cf Archives purlementaires, l" série, t. LVIII, pp, 602-609 et 616-624.
·s in Fr,mce, New York, Oxford UP, 283. Cf supra n-· 126 s (théorie de Thoma sous la République de Weimar).
, 1" éd., Paris, PUF, 1998, p. 125 ss. 284. Cet aspect se retrouve également dans l'autre garantie politique qu'est la balance des pouvoirs.
lution des po11·voirs. L1 souveraineté, 285. Sur ce projet, cJ. P. PASQUINO, Sieyes et l'invention de la constitution en France, op. cit.,
). 55-255. p. 93 ss; A. BLONDEL, op. cit., p. 170 ss.
,ger unte! droit, cf A. BLONDEL, 286. Réimpression de l'Ancien Moniteur, séance du 26 thermidor an III, t. XXV, p. 442; cité par
A. BLONDEL, op. cit., p. 174.
374 L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal

à établir crée, selon lui, une balance des pouvoirs au sein même du corps légis-
latif, capable d'empêcher toute dérive. De ce fait, l'établissement d'un gardien
extérieur, de nature quasi-juridictionnelle, serait tout simplement « inutile ». En
second lieu, Thibeaudeau s'attaque aux fondements même de l'argument central
de Sieyes, à savoir la nécessité d'un gardien pour garantir la suprématie de la
constitution. II s'agit de la question Quis custodiet custodem?: « Si le jurie consti-
tutionnaire, dont les fonctions seront détemiinées par la constitution, en passe les
limites, qui est-ce qui réprimera son usurpation? ]e vous avoue que j 'ai beau chercher
une réponse, je n'en trouve point de satisfaisante. (. ..) ]e serais fondé à demander
qu'on donne amsi des surveillants à ce jury, et cette surveillance graduelle s'étendrait
à l'infini. Ainsi chez un peuple des lndes la croyance vulgaire est, dit-on, que le
monde est porté par un éléphant, et cet éléphant par une tortue; mais quand on vient
à demander sur quoi repose la tortue, adieu l'érudition »"'. En d'autres termes,
« c'est courir apres une peifection chimérique que de vouloir donner des gardiens à
une constitution et des surveillants aux pouvoirs constitués supérieurs » 1''.
L'idée que le droit n'est rien en l'absence d'un juge conduit ainsi à une apo-
rie inextricable puisqu'à partir de cette définition du droit il est logiquement 382 Le discour
impossible de garantir la juridicité des normes vis-à-vis du juge lui-même. La date que d
logique des limites internes, sous sa double configuration - l'autonomie démo- entend pa
cratique de Rousseau et le régime mixte de Montesquieu-, l'emporte ainsi sur fa1;sses rei:
l'idée d'une garantie externe au corps législatif. Dans les deux cas, il s'agit d'un l'Etat de d
autocontrôle dont les modalités institutionnelles variem en fonction des pré- nition de
misses sociologiques de chaque auteur. Chez Rousseau, ce mécanisme d'autodis- dé~omin:
cipline s'appuie sur une vision égalitaire de la société : le contrôle se fait au for à d'autres
intérieur de chaque citoyen, au moment du vote de la loi. Pour Montesquieu, le au contrai
contrôle s'inscrit, au contraire, dans un champ social divisé en trais groupes ou entre lese
états, ou chacun surveille l'autre parle biais de son droit de veto 18''. tinence e
commenc
mature cc
cipe épist
pléonasm
381 Au cours de la période allant de 1789 à 1870, les divers concepts du droit public (...) start 7,,
français, en particulier ceux de l'État et de la République - dans lesquels il faut de la doct
voir les équivalents du Rechtsstaat et de la rufe of la-w -, ont pour particularité sert ce nc
d'associer l'idée des droits de l'homme avec le príncipe de la suprématie de l'or- que breve
gane législatif. Le juge quant à lui se retrouve cantonné dans un rôle mineur. Or,
c'est ce modele institutionnel que remettra en cause le nouveau discours de l'État
1. M.TRO
de droit qui émerge sous la III• République. de droit en
doctrine jttr
2.]. CHE\
3. Cf G. T
d'une théo,
287. Réimpression de l'Ancien Monitettr, séance du 26 thermidor an III, t. XXV, p. 486; cité par d'un rnaxin
P. PASQUINO, op. cit., p. 96. née par la l
288. Ibid., p. 448. Sur ce theme cf M. GAUCHET, op. cit., p. 183 ss et 249. point de vu
289. II s'agit bien d'un autocomrôle car, à imaginer que les trois corps se mettem d'accord pour 4. R.C. vai
~ A E11ropea1,
violer la norme, il n'y a pas de comrôleur externe pour les en empêcher.
nouveau discours doctrinal

sein même du corps légis-


!tablissement d'un gardien
simplement « inutile ». En
1ême de l'argument central
trantir la suprématie de la
todem ? : « Si le jurie consti-
la constitution, en passe les
avoue que j'ai beau chercher
/e serais fondé à demander
~illance graduelle s'étendrait
vulgaire est, dit-on, que le
Chapitre 2
'.ortue; mais quand on vient ,
287
'l » • En d'autres termes,
Le discours français de I'Etat de droit:
uloir donner des gardiens à
ués supérieurs » 2". aléas, fonctions et critiques
;e concluir ainsi à une apo-
u droit il est logiquement 382 Le discours de l'État de droit en France est un phénomene « fort récent » 1 qui ne
-vis du juge lui-même. La date que du début du XX" siecle. Encore faut-il se mettre d'accord sur ce qu'on
tion - l'autonomie démo- entend par là, car sur l'histoire de l'État de droit circule un certain nombre de
1ieu -, l'emporte ainsi sur fausses représentations et d'idées reçues. D'aucuns disent ainsi que les racines de
les deux cas, il s'agit d'un l'État de droit sont fort anciennes2. La raison de cette divergence tient à la défi-
riem en fonction des pré- nition de l'objet intitulé État de droit: s'agit-il du concept, quelle qu'en soit la
J, ce mécanisme d'autodis-
dénomination, ce qui implique qu'on élargisse le champ d'investigation
: le contrôle se fait au for à d'autres termes tels que l'État, la Ré-publique, le regne de la foi etc., ou faut-il,
loi. Pour Montesquieu, le au contraire, s'attacher au vocable et à lui seul? L'absence d'une nette distinction
divisé en trois groupes ou entre les deux est souvent source de confusions. Or, si l'on veut juger de la per-
~oit de veto 2'''. tinence et de l'utilité d'un soi-disant concept d'État de droit, il faut bien
commencer parle mot afin d'en saisir le caractere novateur par rapport à l'ar-
mature conceptuelle de la période antérieure. 11 s'agit là d'une exigence du prin-
cipe épistémologique d'économie qui permet d'éviter tout double emploi ou
pléonasme 3• Bref, comme le dit à juste titre R.C. van Caenegem, « the problems
·s concepts du droit public (...) start with the very word » 4. Il reste à savoir pourquoi, tout à coup, une pareie
que - dans lesquels il faut de la doctrine de la III' République s'est mise à parler de l'État de droit. À quoi
-, ont pour particularité sert ce nouveau terme? Comment expliquer son apparition qui est aussi subite
,e de la suprématie de l'or- que breve? Afortiori, comment s'explique l'engouement actuel de la doctrine de
f dans un rôle mineur. Or,
nouveau discours de l'État
1. M. TROPER, « Le concept d'État de droit », Droits, 1992, p. 51. Sur l'histoire 5ÍU concept de!' État
de droit en France, voir maintenant l'étude de M. LOISELLE, Le concept d'Etat de droit dans la
doctrine juridique française, these dacr., P:1ris II, 2000.
2. ]. CHEVALUER, « Le discours de l'Etat de droit », Politiqttes, 1993, p. 13.
3. Cf G. TIMSIT, Les figures dtt jugement, Paris, PUF, 1993, p. 99 note 1. Selon ce critere, la validiré
d'une théorie riem à ce qu'elle permet, avec un minimum d'ourils conceptuels, de rendre compre
an III, t. XXV, p. 486; cité par d'un maximum de données empiriques. L'acceprarion d'un concept nouveau est des lors condirion-
née par la démonstration préalable de son caractere "posicif", aurremenr dit de sa valeur ajoucée, du
ss et 249. poinr de vue des connaissances scientifiques exisranres.
corps se mettent d'accord pour 4. R.C. van CAENEGEM, « The "Rechrssraat" in Hiscorical Perspective », in id., Legal History:
,êcher. A European Perspective, London, Hambledon Press, 1991, p. 185.
376 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fr

droit constitutionnel pour un terme ignoré sous la IV' République? L'existence Hauriou, M
de ce discours est, en effet, des plus aléatoires et cycliques. scientifique ,
patriote s' en
a) Le premier cycle de la rhétorique de l' État de droit {1907-1929) refroidit net1
allemandes e
383 Le premier temps fort de la réception du terme allemand de Rechtsstaat s'ouvre cet engouen
en 1901 ', ou plus exactement en 1907'', avec l'ceuvre de Léon Duguit {1859- valeurs qu'il
1928), fondateur de l'école de Bordeaux. Contrairement à un préjugé bien ancré samment im
dans les esprits, selon leque! et le mot et le concept ont été introduits en France rie forgée p.
par Raymond Carré de Malberg (1861-1935)7, le mérite en revient incontesta- de Malberg,
blement à Duguit". II n'est pas à !'origine de la traduction littérale qui existait partie, aux p
déjà au XIX' siecle, mais il l'a popularisée parmi les publicistes français. Quant à voir des juge
la "chose", si l'on entend par là l'exigence d'un contrôle juridictionnel de la 385 La complexi
constitutionnalité des lois, Maurice Hauriou {1856-1929) est, naus semble+il, le lence des po~
premier à utiliser en ce sens l'expression « état de droit »•. Cet intérêt soudain l'existence n
pour l'expression allemande Rechtsstaat n'est évidemment pas neutre. Jusque-là, oublier qu'à
c'est-à-dire avant la ili' République, le phénomene du Rechtsstaat n'était pas ouvrages de ,
passé completement inaperçu dans les milieux universitaires en France, qui planté par L
vouaient déjà une admiration à la patrie de Kant et de Savigny. II est néanmoins siste que dar
significatif qu'aucun auteur français de cette époque n'ait ressenti ni le besoin ni mer et légit
l'utilité de reprendre à son compre le mot d'ordre des libéraux allemands. conception ,
384 Le silence prend fin dans le cadre de ce que l'historien Claude Digeon a appelé la rend parti
« la crise allemande de la pensée française » • Au lendemain de la défaite de 1870, débarrasser L
10

qu'on impute du côté françãis à la supériorité du systeme éducatif germanique, dien des dro
les juristes français se tournent vers les écrits de Gerber, Laband, Gierke, Jelli- succes de la
nek, etc., pour « apprendre de l'ennemi » - « et ab hoste doceri » - selon la devise vecteurs 17 • P
de Joseph Barthélemy". II faut s'approprier ce qui fait la force et le génie de l'Al- staat est plu
lemagne, et ce à tous les niveaux. En même temps, Duguit, Carré de Malberg,

12. Ainsi Dug,


leurs ouvrages 1
5. L. DUGUIT, L'État, le droit objectif et la !oi positive, Paris, Fomemoing, 1901. Cf les précisions lectuel à un enr
infra note 26. tutionnel de L.
6. L. DUGUIT, Manuel de droit constitutionnel. Théorie générale de l'État - Organisation politiq11e, DE MALBER1
l"' éd., Paris, Fomemoing, 1907. Cf infra note 28. , juristes françai,
7. Cf M. TROPER, op. cit., p. 51; J. CHEVALLIER, L'Etat de droit, 2' éd., Paris, Momchrestien, allemande sou,
coll. clefs, 1994, F· 22: « II faudra attendre Carré de Ma)berg et la pamtion desa Contribution à la théo- Heller, Smend.
rie générale de l'Etat (1920-22) pour q11e le concept d'"Etat de droit", traductio,n littérale de l'expression années 1920-3G
allemande, soit 11tilisé » et p. 154 (« véritabledépart de la théorie françaisede l'Etat de droit »); L. FAVO- 13. R. CARRI
REU, P. GAIA, R. GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, A. ROUX, O. PFERSMANN, G. SCOF- données foumi,
FONI, Droit constitutionnel, I"' éd., Paris, palloz, 1998, p. 43. , 1962, t. !, p. 4f
8. En ce sens déjà B. MIRKINE-GUETZEVITCH, L1 théorie générale de l'Etat saviétiq11e, préf. de les idées maitre;
G. Jeze, Paris, Giard, 1928, p. 107 note 2. 14. R. CARRI
9. M. HAURIOU, Príncipes de droit p11blic, I"' éd., Sirey, Paris, 1910, p. 76. Le e minuscule est de Ami. IIDP, 192
Hauriou. 15. Cf s11pra n
10. C. DIGEON,_!..a criseallemande de la penséefrançaise (1870-1914}, Paris, PUF, 1959. , 16. Cf M.-J. R
11. Cf Ch. SCHONBERGER, « Critique et réception de la conception juridique de l'Etat de ciste française 1
Laband chez Carré de Malberg », in O. BEAUD & P. WACHSMANN (dir.), La science j11ridiq11e 17. A en juger
française et la science j11ridique allemande de 1870 à 1918, Annales de la Farnlté de droit de Strasbo11rg, Rechtssta<1 t à t,
n" !, 1997, p. 257. Gierke, Mohl ,
2 nouveaú discours doctrinal

V' République? L'existence


T Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques

Hauriou, Michoud, etc. sont tiraillés par des sentiments contradictoires : si le


377

1ques. scientifique en eux admire la profondeur de la pensée juridique d'outre-Rhin, le


patriote s'en méfie. D'ailleurs, une fois l'ennemi vaincu, en 1919, leur intérêt se
rroit (1907-1929) refroidit nettement 11 • En tout cas, c' est à ce moment crucial des relations franco-
allemandes qu'a lieu la transposition du concept allemand de Rechtsstaat. À voir
nand de Rechtsstaat s'ouvre cet engouement pour le Rechtsstaat, il faut croire que le terme, ainsi que les
\Tfe de Léon Duguit (1859- valeurs qu'il véhicule à cet instam, répondent désormais à un besoin jugé suffi-
ent à un préjugé bien ancré samment importam par la doctrine, pour qu'elle accepte de reprendre une théo-
mt été introduits en France rie forgée par l'ancien ennemi ... à moins de prétendre, comme le fait Carré
érite en revient incontesta- de Malberg, que l'idée du Rechtsstaat remonte « en partie », mais seulement en
luction littérale qui existait partie, aux principes de 1789 ". L'enjeu est évidemment, on s'en doutait, le pou-
,ublicistes français. Quant à voir des juges que la Révolution a traité « en marâtre » ".
mtrôle juridictionnel de la 385 La complexité de ce processus de réception est due non seulement à l'ambiva-
929) est, nous semble-t-il, le lence des positions françaises, mais encore aux aléas qui affectent, à cette époque,
roit » ·1• Cet intérêt soudain l'existence même du concept de Rechtsstaat du côté allemand. Caril ne faut pas
tment pas neutre. Jusque-là, oublier qu'à la fin du XIX' siecle le terme disparait presque completement des
! du Rechtsstaat n'était pas ouvrages de droit constitutionnel et de théorie générale de l'État, et qu'il est sup-
tiversitaires en France, qui planté par la notion de la personnalité morale de l'État". L'expression ne sub-
le Savigny. 11 est néanmoins siste que dans le milieu des administrativistes, lesquels s' en servem pour récla-
n'ait ressenti ni le besoin ni mer et légitimer le contrôle juridictionnel de l'administration. La nouvelle
!S libéraux allemands. conception du Rechtsstaat s' est ainsi cristallisée autour de la figure du juge, ce qui
en Claude Digeon a appelé la rend particulierement attrayante pour des juristes français qui voudraient se
emain de la défaite de 1870, débarrasser de la tradition de défiance vis-à-vis du juge, et ériger ce dernier en gar-
steme éducatif germanique, dien des droits de l'homme à l'égard du pouvoir politique "'. Ainsi s'explique le
rber, Laband, Gierke, Jelli- succes de la rhétorique du Rechtsstaat en France, dom il importe d'identifier les
,te doceri » - selon la devise vecteurs 17 • À l' époque, les traductions de livres allemands, ou le terme Rechts-
it la force et le génie de l' Al- staat est plus ou moins présent, se multiplient : en 1877 et 1879 paraissent les
Duguit, Carré de Malberg,

12. Ainsi Duguit et Carré de Malberg, qui continuem à se référer aux classiques allemands dans
leurs ouvrages publiés apres la guerre, se sentem obligés d' expliquer à leur public cet emprunt imel-
,memoing, 1901. Cf les précisions lectuel à un ennemi accusé par ailleurs de barbarie (cf. la préface de la 2' éd. du Y;aité de droit const~-
tutionnel de L. DUGUIT et celle de la Contribution à la théorie générale de l'Etat de R. CARRE
de l'État - Organisation politiq11e, DE MALBERG). On notera par ailleurs l'ignorance presque totale dans laquelle se trouvent les
juristes français en ce qui concerne les débats méthodologiques qui ont déchiré la science juridique
droit, 1' éd., Paris, Montchrestien, allemande sous Weimar. Parmi coutes les grandes figures de cette querelle - Thoma, Anschütz,
,mtion desa Contribution à la théo- Heller, Smend, Kaufmann, Schmitt -, seu! Kelsen jouit d'une certaine notoriété en France dans les
•; traductio,n lictérale de l'expression années 1920-30.
1çaisede l'Etatdedroit »); L FAVO- 13. R. CARRÉ DE MALBERG, Contribr1tion à la théorie générale de l'État, spécialement d'apres les
X, O. PFERSMANN, G. SCOF- données foumies parle droit constit11tionnel /rançais, 1 vol., 1920-22, Paris, Sirey, réimpr. éd. CNRS,
1962, t. 1, p. 489 note S : « Mais c'est en France et par l'Assemblée nationale de 17~9 qu'ont été dégagées
foérale de l'État soviétiq11e, préf. de les idées maitresfeS et, en partie, les institutions sur lesq11elles repose le systeme de l'Etat de droit. »
14. R. CARRE DE MALBERG, « La sanction juridictionnelle des príncipes constitutionnels »,
1910, p. 76. Le e minuscule est de Ann. IIDP, 1929, p. 146.
IS. Cf mpra n" 73. , ,
'914), Paris, PUF, 1959. , 16. Cf M.-J. REDOR, De l'Etat légal à l'Etat de droit. L 'évol11tion des conceptions de la doctrine p11bli-
conception juridique de l'Etat de ciste française 1879-1914, préf. J. Combacau, Paris, Aix-en-Provence, Economica, PUAM, 1992.
MANN (dir.), La science j11ridiq11e 17. A en juger d'apres les références bibliographiques, les auteurs français ont pris connaissance du
de la Farnlté de droil de Strasbo11rg, Rechtsstaat à travers les ouvrages de Gneist, Mayer, Ihering et, plus rarement, Jellinek, Laband,
Gierke, Mohl et Bahr.
378 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours Jra;

deux ouvrages de Bluntschli "; en 1901 est publiée L 'évolution du droit de théorie que ce
Rudolf von Ihering '", ou se trouve développée l'idée de l'autolimitation de visiblement à
l'État; en 1903 parait enfin le Droit administratifallemand de Otto Mayer ou le cation de son ,
binôme Rechtsstaat- Polizeistaat occupe une position centrale 2º. Quant aux tra- sance du discc
ductions des ouvrages classiques de Paul Laband et de GeorgJellinek, leur apport proprie le ten
au phénomene sémantique de l'État de droit est pour ainsi dire nul vu l'extrême deux dates les
rareté du terme 21 • À ce facteur s'ajoute le fait que plusieurs figures éminentes de « relativement
la science juridique française, dont Duguit, Carré de Malberg, Léon Michoud et cours qui con
bien d'autres, maitrisent parfaitement la langue allemande. Ceux-ci réservent terme est év0<
dans leurs ouvrages respectifs une large place à l'analyse et à la discussion des une fois, à titr
théories élaborées outre-Rhin et s'intéressent notamment à la question du retrouve en 1<;
Rechtsstaat. De cet échange critique naissent en partie - car il ne s'agit pas de dans un sens, i
nier d'autres sources, propres à la culture française - les théories de Duguit et, allemand 31 • H
plus encare, de Carré de Malberg. 5' édition de s,
386 La réception a été progressive, critique et surtout partielle. Il est en effet à noter sion allemand
que, sous la III' République, une partie non négligeable de la doctrine reste majuscule, et t
insensible aux théories allemandes. L'exemple d'Adhémar Esmein (1848-1913),
qui ignore completement le droit public allemand ainsi que le vocable de Rechts- 26. L. DUGUIT.
staat dans ses Eléments de droit constitutionnel/rançais et comparé - et il n' est pas erreur de notre p.
le seul -, en témoigne 22 • Il en va de même pour les ouvrages de Henry Nézard 23 (cf. p. 15, 109, 11'
seulement (cf. p.
et Félix Moreau 1• : on cherchera en vain le mot dans l'index de leurs manuels ou quelques tergiver,
dans les pages consacrées à l'État, aux droits de l'homme ou à la justice consti- On remarquera q
tutionnelle. Même à l'occasion de ce dernier débat, le terme Étatde droit est loin paragraphe.
27. La date de 19
d'être toujours évoqué, même parles adeptes du contrôle de constitutionnalité II est vrai que l' e
des lois 2'. L. DUGUIT, mai
au renvoi à H. Nl
387 Le premier à introduire le terme français État de droit est clone Duguit, chef de de sens (cJ. mpra r
file de l'école du service public. Dans son livre L 'État, !e droit objectifet la foi posi- 28. L. DUGUIT.
tive de 1901, il s'en sert à de multiples reprises, moins pour désigner sa propre 1"' éd., Paris, Fon
droit ). L 'expressi,
(cf. p. 44, 48, 51, '.
335, 472, 473, 66:!
18. Cf supra n·· 333 note 13. 29. M.-J. REDOI
19. Cf R. von IHERING, L'é-vol11tion d11 droit, Paris, 1901. Dans l'édition allemande (Der Zweck im 30. A. BOISTEL
Recht, 4" é<l., Leipzig, Breitkopf & Hartel, 1904, t. I, p. 278 et 325), le terme apparait en tout trois fois. ~ente en quelqu es
20. O. MAYER, le droit administratif allemand, préf. H. Berthélémy, Paris, Giard, t. I, 1903. a son compre I e~ 0

Cf s11pm n" 71 s. tion sur ce texte.]


21. P. LABAND, le droit public de l'Empire allemand, Paris, Giard & Briere, 1900-1904. Le terme 3 l. E. J~ILLÉ, 1
apparait une fois dans le t. 2 (1901), p. 526; G. JELLINEK, L'Etat moderne et son droit, Paris, 1911. d'h11i 1m Etat de d,
Cf supra n" 73, , consiste à faire rég
22. Le terme Etat de droit n'apparait jamais dans l'index de ses Eléments de droit constit11tionnel fran- cas unique, Juillé
ça is ~l comparé. Cf la 3' éd. de 1903, la 4" é,d. de 1906, la 5' éd. de 1909, la 6' éd. de 1914 (par J. BAR- au comrôle juridi
THELEM,Y), la 7' éçl. de 1921 (par H. NEZARD). 32. L. MICHOL
23; H. NEZARQ, Eléments de droit p11blic, Paris, Juven, Rousseau, 191 J: Contra M.-J. REDOR, De LGDJ, 2 vol., 19C
l'Etal de droit à l'Etat, légal, op. cit., p. 10 qui cite l'auteur com me l'un des invemeurs de l'expression. p. 392 ss.
Pourtam, le t~rme Etat de droit n'apparatt à aucun momem dans les pages indiquées (p. 1-20) qui 33. M. HAURICl
portem sur l'Etat, les droits de l'homme, les principes de 1789, etc. Nézard maimiem du resti, cette Le terme « État d,
position comme en témoigne 1~ 5' édition de son ouvrage, publiée en 1931, ou l' expression Etat de de la 5' éd. (1903)
droic est toujóurs abseme. Cf Elémems de droic p11b!ic, 5' éd., Paris, Rousseau, 1931, 492 p. (index). celui de la 9' de 1'
24. E MOREAU, Précis élémentaire de droit consti111tionnel, 8' é<l., Paris, Sirey, 1917, 627 p. (index). 34. lbid., 5' éd., r
25. Si certains l'utilisem dans ce <lébat, le plus souvem en faveur du comrôle (Hauriou, Duguit, 35. lbid., 5' éd., 1
Carré de Malberg, Blondd), d'autres !'ignorem completemem. tratif, 8' éd., p. 31,
in nouvea~t discours doctrinal Le discours /rançais de l 'État de droit : a/éas, fonctions et critiques 379

iée L 'évolution du droit de théorie que celle de Ihering et Jellinek sur l'autolimitation de l'État'". II hésite
idée de l'autolimitation de visiblement à le transposer en droit français. Ce n'est qu'à l'occasion de la publi-
1emand de Otto Mayer ou le cation de son Manuel de droit constitutionnel en 1907 - la véritable date de nais-
Jn centrale'°. Quant aux tra- sance du discours français sur l'État de droit" - que Duguit saute le pas et s'ap-
e Georg J ellinek, leur apport proprie le terme pour qualifier cette fois-ci ses propres idées 28 • À partir de ces
r ainsi dire nul vu l'extrême deux dates les occurrences de l' État de droit se font plus fréquentes, tout en étant
usieurs figures éminentes de « relativement rare [s] » 29 • L' reuvre de Duguit a ainsi servi de catalyseur à un dis-
! Malberg, Léon Michoud et cours qui commençait à émerger depuis la fin du XIX' siecle. Déjà en 1899, le
lemande. Ceux-ci réservent terme est évoqué brievement par A. Boistel3°. En 1905, Eugene Juillé s'en sert
1alyse et à la discussion des une fois, à titre de concept de droit français, dans sa these de doctorat 31 • On le
,tamment à la question du retrouve en 1906 dans l'ouvrage de Michoud consacré à la personnalité morale,
·tie - car il ne s' agit pas de dans un sens, il est vrai, quelque peu obscur et se référant toujours au Rechtsstaat
- les théories de Duguit et, allemand 3'. Hauriou, fondateur de l' école de Toulouse, cite en 1903, dans la
5' édition de son Précis de droit administratif et de droit public généra/ 33 , l'expres-
.rtielle. II est en effet à noter sion allemande Rechtsstaat qu'il traduit une fois par « État de droit » 34 , avec E
igeable de la doctrine reste majuscule, et une autre fois par« état de droit » 35 , avec e minuscule, ce quine veut
lhémar Esmein (1848-1913),
insi que le vocable de Rechts- 26. L DUGUIT, L 'État, le drait objectifet la !ai positive, Paris, Fontemoing, 1901 (pas d'index). Sauf
is et comparé - et il n 'est pas erreur de notre pare, le mot apparait vingt fois. Dans seize cas, le terme vise les théories allemandes
mvrages de Henry Nézard 23 (cf. p. 15, 109, 113, 131, 133, 134, 136,256,303,304,305,387,438, 439, 442, 585). Dans quatre cas
seulement (cf. p. 15, 256, 305, 358), Duguit envisage de l'utiliser à son propre compre, non sans
l'index de leurs manuels ou quelques tergiversations puisqu'il récuse d'abord le terme (p. 305), pour !e reprendre ensuite (p. 358).
>mme ou à la justice consti- On remarquera que le terme ne figure ni dans la conclusion, ni dans l'imitulé d'aucun chapitre ou
e terme État de droit est loin paragraphe.
27. La date de 1911, indiquée par M.-J. REDOR, op. cit., p. 10 et reprise par d'aurres, est inexacte.
ntrôle de constitutionnalité li est vrai que I' expression figure dans la 1"' édirion de 1911 du Traité de drait constittttionnel de
L DUGUIT, mai~ il ne s'agit pas ]à desa premiere apparition, comme nous venons de !e voir. Quam
au renvoi à H. NEZARD, Eléments de drait public, Paris, Juven, Rousseau, 1911, pp. 1-20, il n'a pas
>it est clone Duguit, chef de de sens (cf. mpra note 23). ,
'., !e droit objectifet la !oi posi- 28. L DUGUIT, Manuel de drait canstittttionnel. 7béorie générafe de l'Etat - Orga'!isation politiq11e,
ins pour désigner sa propre 1"' éd., Paris, Fomemoing, 190J. Cf dans !'índex les emrées « Etat de drait » et « Etat » (- lié parle
drait). l'expression française Etat de drait désigne à sept reprises le concept allemand de Rechtsstaat
(cf. p. 44, 48, 51, 54,472, 662) et à dix reprises la théorie de Duguit (cf. p. 44, 51, 168,183,220, 238,
335, 472, 473, 662).
29. M.-J. REDOR, op. cit., p. 9.
l'édirion allemande (Der Zweck im 30. A. BOISTEL, Cours de philasophie d1i droit, Paris, Fomemoing, 1899, t. II, p. 236. l'auteur pré-
le terme apparait en tout trois fois. sente en quelques lignes la théorie de « l'Etat de droit » chez Heinrich Ahrens, sans roufois reprendre
,hélémy, Paris, Giard, t. I, 1903. à son compte l'expression. [Que Frédéric Dromard soit remercié ici pour avoir attiré notre atten-
tion sur ce texte.]
ard & Briere, 1900-1904. le rerme 31. E. J~ILLÉ, Le domaine du reglement présidentiel, these Lille, 1905; p. 15: « L'État est aujour-
rt moderne et son drait, Paris, 1911. d'hui 1m Etat de droit -Rechtsstaat, disent les Allemands - c'est-à-dire un Etat dont la mission essentielle
consiste à faire régner le drait et qui y estJui-même so111nis au même titre que les individus. » À part ce
Íments de drait canstit11tionnel fran- cas unique, Juillé parle toujours de« l'Etat ». Par ailleurs, il se dit jusnaturaliste (chap. 1) et s'oppose
1909, la 6' éd. de 1914 (par J. BAR- au comrôle juridicrionnel de la constitutionnalité des !ois (p. 18 note 1).
32. L MICHOUD, La théorie de la personnalité 1iwrale et son application au drait /rançais, Paris,
u, 191 l." Contra M.-]. REDOR, De LGDJ, 2 vol., 1906-1909, cf. dans ]'índex l'emrée Etat ➔ Polizeistaat, Rechtsstaat, Kultrmtaat: t. 1,
'un des invemeurs de l'expression. p. 392 ss.
1s les pages indiquées (p. 1-20) qui 33. M. HAI.JRIOU, Précis de drait administratifet de drait public, 5' éd., Paris, Sirey, 1903, p. 7 et 12.
:e. Nézard maimiem Ju reste cette le terme « Etat de drait » ne figure pas dans !'índex de la 3' édition de 1897, ni d'ailleurs dans celui
fe en 1931, ou l'expression État de de la 5' éd. (1903) et de la 7' éd. (1911). II apparait dans !'índex de la 8' éd. de 1914, mais plus dans
is, Rousseau, 1931, 492 p. (índex). celui de la 9' de 1919.
., Paris, Sirey, 1917, 627 p. (índex). 34. lbid., 5' éd., p. 7 .
1r du comrôle (Hauriou, Duguit, 35. lbid., 5' éd., p. 12. l'erreur est d'ailleurs récurreme chez Hauriou. Cf Précis de drait adminis-
tratif, 8' éd., p. 36; Príncipes de drait public, 1" éd., Paris, Sirey, 1910, p. 72; Príncipes de drait public,

1
380 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fra

pas dire la même chose'". À voir cette erreur d'orthographe, il para1t peu pro- À cette diffict
bable que l'auteur ait véritablement saisi ce qui fait la spécificité sémantique et, de conna'ltre 1
en même temps, la difficulté théorique du néologisme de Rechtsstaat. Etant un de droit, comr
dérivé du Staat, de l'État, il doit logiquement être traduit par État de droit avec patriotique d,
E majuscule 37 • Erreur à vrai dire heureuse, objecteront d'aucuns, et ce à juste tion révolutic
titre, car elle nous évite bien des confusions et des ennuis en nous épargnant ces point. Dans e,
discussions interminables sur le rapport entre Staat et Rechtsstaat, entre État et moment clé <
État de droit. Les deux termes "État" et "état de droit" peuvent cohabiter paisi- essentielle vi,
blement, caril va de soi que l'État, en produisant des lois, crée en son sein un occupe ams1 L
état de droit 3'. Quoi qu'il en soit, en 1903, Hauriou ne fait que se référer à la doe- publie, en 1~
trine allemande, et ce n'est qu'en 1910, dans la premiere édition de ses Príncipes démarche thé
du droit public, que« l'état de droit », avec ou sans majuscule, devient une notion Lénine et Stal
spécifiquement française. dans la these
F rance et aux
388 À partir de 1907 le vocable conna1t clone une relative ascension qui est à la fois
la notion de e
quantitative et qualitative. Son prestige et sa supposée valeur heuristique se
manifestem notamment par sa présence dans les intitulés de paragraphes, de cha-
pitres, voire de parties entieres. II apparait, des la 1"' édition de 1911, dans le
13) La traversc
Traité de droit constitutio,nnel de Léon Duguit 9ui consacre le premier paragraphe
389 Cette recensic
du chapitre VI sur « L 'Etat et le droit » à « L 'Etat de droit » -'". Hauriou va même
la li' Républi
jusqu'à consacrer toute la deuxieme partie de son Précis de droit constitutionnel
sor du vocabl
de 1929 à l' étude du « DROITDE LA CONSTIWTION L 'ÉTAT DE DROIT ET
silence gardé J
LAPLACE DVJUGE DANS L 'ÉTAT » 'º. Entre-temps, en 1920-22, Carré de Mal-
les années 19~
berg a publié sa monumentale Contribution à la théorie générale de l'État, qui
mort des troi,
aura un impact décisif sur le destin de l'État de droit en France". Sa définition,
1929) et Cam
et plus spécialement sa célebre opposition entre l'État de droit et l'État légal, est
listes, représer
souvent citée, mais rarement reprise telle quelle avec toutes ses implications
nard, ne se sei
logiques. On s'en inspire certes, mais on se réserve un droit d'inventaire plus ou
moins large, comme si la distinction n'était pas absolument convaincante. 390 Au lendemain
tutionnel de J1
ignorer l' expn
2' éd., Paris, Sirey, 1916, p. 17 ss et p. 31 ss; Précis de droit constit11tionnel, 2' éd., Paris, Sirey, 1929,
réimpr. éd. CNRS, 1965, p. 216, 225. On la retrouvera chez André Biandei, Georges Burdeau et
Claude Leclerc. 42. B. MIRKINI·
36. Cf la mise en garde de B. l}OURGEOIS, « La question de l'État de droit en France aujour- Giard, 1928, nota
d'hui », in D. COLAS (dir.), L 'Etat de droit, Paris, PUF, 1987, p. 3. 1927, p. 308-326.
37. En allemand, le terme étal de droit veut dire Rechtszustand. Ce terme se ré fere évidemment à la p. 78, 169.
célebre distinction des rhéoriciens du contrat social entre, d'un côté, l'étal de nature et, de l'autre 43. A. BLONDE
côté, l'état civil ou l'état de droit qui correspond à l'avenement de l'Étal ou encare du Rechtsstaat. « état de droit » ar
Cf supra n" 38 notes 49 (Karyt) 7t n" 352 note 129 (Ahrens). 44. P. DUCLOS.
38. Cf par ex. H. BERTHELEMY, « Le fondement de l'autorité politique », RDP, 1915, p. 667. Poitiers, 1932, cf.
39. L. DUGUIT, Traité de droit constillltionnel, 3' éd., 1927-30, Paris, Fontemoing, t. III, chap. VI, 45. Le terme est ,
§ 88, p. 589. En comparaison, on remarquera que le même chapitre dans son Man11el de droit consti- nel, 2' éd., Paris, 1
t11tionnel de !?07 s'ouvrait sur un paragraphe intitulé simplement « Notions générales » (chap. IV: de droit p11blic, 3·
« Ledroit el l'Etal », § 69, p. 472). Mais, si l'on fair abstraction desa présence dans l'intitulé du § 88,
completement da
il faut bien reconna1tre que le rerme est plutôt rare dans le Traité. II appara1t six fois dans le tome I 46. C'est du moi
(p. 53, 539, 555, 653, dont une seule fois - p. 539- pour désigner sa propre théorie) et à sept reprises et la justice const
dans le tome III (p. 589, 594, 725, 733, 738, 743, 761, désignant à chaque fois sa propre théorie). tionnel, 2' éd., Par
40. M. HAURIOU, Précis de droit constittttionnel, 2' éd., 1929, op. cit., p. 215. Les majuscules som (index); R. PIN1
de Hauriou. J. RIVERO, « L'I
41. Sur la présence du mor Étal de droit dans son ceuvre, cf inji·a notes 204-206. de Liege, 1957, PP
-
.
T
.

m nouvea~ discours doctrinal Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques 381

:hographe, il para1t peu pro- À cette dif:ficulté théorique s'ajoute un probleme pratique, a priori banal, qui est
la spécificité sémantique et, de conna1tre la position exacte de Carré de Malberg. Est-il un partisan de I'État
,me de Rechtsstaat. Etant un de droit, comme chacun semble le supposer, ou, au contraire, se fait-il un devoir
traduit par État de droit avec patriotique de défendre ce qu'il considere - à tort, à notre sens - être la tradi-
:ront d'aucuns, et ce à juste tion révolutionnaire française de I'État légal? Un certain mystere regne sur ce
nnuis en nous épargnant ces point. Dans cet imbroglio qui entoure la pensée de Carré de Malberg se joue un
t et Rechtsstaat, entre État et moment clé de la problématique de I'État de droit en France. À cette source
Jit" peuvent cohabiter paisi- essentielle viendront s'ajouter par la suite d'autres auteurs. L'État de droit
des lois, crée en son sein un occupe ainsi une place cruciale chez Boris Mirkine-Guetzévitch (1892-1955) qui
1e fait que se référer à la doc- publie, en 1928, sa Théorie générale de l'État soviétique' 2• S'inspirant de la
aiere édition de ses Príncipes démarche théorique de Dugui~, il tente de prouver que l' « État » fondé par
ajuscule, devient une notion Lénine et Staline n'est pas un « Etatdedroit ». Le vocable appara1t encare en 1928
dans la these d' André Blondel sur le contrôle de constitutionnalité des lois en
France et aux États-Unis 43 et dans celle de Pierre Duelos, soutenue en 1932, sur
ve ascension qui est à la fois
posée valeur heuristique se la notion de constitution ".
ltulés de paragraphes, de cha-
1"' édition de 1911, dans le ~) La traversée du désert (spécialement de 1930 à 1977)
nsacre le premier paragraphe
· droit » '". Hauriou va même
389 Cette recension de l'usage du vocable État de droit dans la doctrine française sous
:,récis de droit constitutionnel la III' République ne prétend pas être exhaustive. Elle montre toutefois que l'es-
roN L'ÉTAT DE DROIT ET sor du vocable reste tout à fait relatif et sujet à des aléas, comme l'illustre le
)S, en 1920-22, Carré de MaI-
silence gardé par Esmein, Nézard et Moreau, attitude qui va se généraliser dans
héorie générale de I'État, qui les années 1930. Le premier cycle du discours de I'État de droit se clôt avec la
it en France 41 • Sa définition, mort des trais protagonistes de taille que furem Duguit (en 1928), Hauriou (en
tat de droit et I'État légal, est 1929) et Carré de Malberg (en 1935). La génération suivante de constitutionna-
1vec toutes ses implications listes, représentée notamment par Joseph Barthélemy, Paul Duez et Roger Bon-
Jil droit d'inventaire plus ou
nard, ne se servem plus de l'expression dans leurs ouvrages respectifs' 5•
absolument convaincante. 390 Au lendemain de la deuxieme guerre, les trais manuels classiques de droit consti-
tutionnel de Julien Laferriere, Georges Vede! et Roger Pinto semblent, eux aussi,
ignorer l'expression 46 • On peut tout au plus noter l'apparition du terme « état de
it11tionnel, 2' éd., Paris, Sirey, 1929,
,ndré Blondel, Georges Burdeau et
42_. B. MIRKINE-GUETZÉVITCH, La théorie générale de {'État soviétique, prff. de G. Jeze, Paris,
e l'État de droit en France aujour- G1ard, 1928, notammem chap. VIII. Cf déjà son article « L'Etat soviétique et l'Etat de droit », RDP,
. 3. 1927, p. 308-326. Voir aussi id., Les nouvelles tendances du droit constit1ttionnel, Paris, Giard, 1931,
:e terme se réfere évidemmem à la p. 78, 169.
1 côté, l'état de nature et, de l'autre 43. A. BLONDEL, Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des fois, these Aix, 1928. Le mot
de l'État ou encore du Rechtsstaat. « état de droit » appara1t, par ex., p. 16.
44. P. DUCLOS, La notion de constitution dans l'ceuvre de l'Assemblée constitztante de 1789, these
ité politique », RDP, 1915, p. 667. Poitiers, 1932, cf. p. 153 ss.
Paris, Fomemoing, t. III, chap. VI, 45. Le terme est absem dans l'index de J. BARTHÉLEMY & P. DUEZ, Traité de droit constitution-
itre dans son M,muel de droit consti- nel, 2' éd., Paris, Dalloz, 1933, 955 p. II n'appara1t pas plus chez R. BONNARD, Précis élémentaire
'.nt « Notions générales » (chap. [V : de droit public, 3' éd., Paris, Sirey, 1934, 464 p. (pas d'index). Le terme ne dispara1t toutefois pas
~ sa présence dans l'imitulé du § 88, completemem dans les années 1930 et même sous Vichy; voir surce poim la these de M. LO[SELLE.
é. II appara1t six fois dans le tome I 46. C'est du moins ce qui ressort d'un rapide survol des chapitres sur l'État, les droits de l'homme
r sa propre théorie) et à sept reprises et la justice constitutionnelle, en l'absence d'index. Cf J. LAFERRIERE, Manuel de droit constitu-
1 chaque fois sa propre théorie). tionnel, 2' éd., Paris, 1947; G. VEDEL, Mam,el élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949,
op. cit., p. 215. Les majuscules som (index)j R. PINTO, Eléments de droit constitutionnel, 2' éd., Paris, 1952. Voir toutefois l'article de
J. RIVERO, « L'État moderne peut-il encore être un État de droit? », Annales de la Famlté de droit
,1 notes 204-206. de Liege, 1957, pp. 65-101.
L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours Jrai
382

droit », avec l'orthographe inexacte d'Hauriou, sous la plume de Georges Bur- y) La renaissa
deau (1905-1988) qui, à partir de 1950, l'évoque brievement dans son Traité de
science politiqueª' et, des 1963, dans son manuel Droit constitutionnel et institu- 391 Le deuxieme •
tions politiques ". Le terme reste néanmoins tres marginal et se confond d' ailleurs décennie 1970
avec la définition de I'État comme processus d'institutionnalisation du pouvoir. par Valéry Gis
Mais, il faut bien dire qu'il s'agit là d'une exception dans le champ de la science discours, qui a
constitutionnelle des années 60, puisque les ouvrages de Marcel Prélot" et d' An- une définitior
dré Hauriou 50 n'en parlem guere, et ce jusqu'à leurs dernieres éditions. Dans la logique d'assi1
5' édition, publiée en 1972, du Droit constitutionnel et instittttions politiques du modeste à la pi.
fils de Maurice Hauriou, le terme ne figure toujours pas dans l'index 51 • Le cas du rité respecte l'e
précis Dalloz de Prélot, repris des la 6" édition de 1975 par Jean Boulouis, est l'État de droit,
tout aussi significatif, si ce n'est plus, car le terme ne figure à aucun moment dans Encare faut
l'index, depuis la 1"' édition de 1957 jusqu'à la derniere de 1990'1 • Enfin, il faut lier, de l' ordre
mentionner le cas particulier, et en même temps tres instructif, de l'ouvrage de années 70 às'
droit constitutionnel de Pierre Pactet. Dans toutes les éditions antérieures à la notamment à
11" de 1992 - la premiere date de 1969 -, l'expression État de droit est comple- bution du pro
tement absente. Or, à partir de 1992, le vocable figure dans l'index, mais non terme reste né
dans ... le corps du texte 51 • L'index renvoie, en effet, aux développements sur la premiere fois 1
définition juridique de l'État et sur les droits de l'homme, ou l'on cherchera en pour bien mar
vain l'expression État de droit. Celle-ci n'apparalt dans le texte même qu'au gré nellement, il
d'une modification du plan dans la 15" édition de 1996, ou figure désormais une gouvernants »,
section 3 intitulée « L'objectif de l'État de droit », qui répete brievement ce qui la démocratie
vient d'être dit sur la nature juridique de l' État, les droits de l'homme et le rôle "État de droit",
des juges 54 • On notera quele terme État de droit est présent en tout et pour tout à l'arbitraire q.
deux fois : dans le titre même de la section et dans la premiere phrase introduc- édition des ln
tive qui reprend ... le titre. terme appara
inexacte, c'est·
de Bernard C
47. G. BURDEAU, Traité de science politiq11e, 1"' éd;, Paris, LGDJ, 7 vai. (1949-57), índex (t. 7).
d'État de dro1
Cj t. III, 1950, p. 44: « La constillltion, comlition de l'Etat de dmit »; t. III, p. 175 note 1; t. VII, 1957,
p. 74. Selon l'index, le terme apparait en tout six fois. Dans la deuxieme édition du Traité (10 vai.
1966-77), l'usage du mor va décroissam. Cj índex t. X.
48. G. BURDEAU, Droit constit11tionnel el instittttions politiq11es, 10" éd., Paris, LGDJ, 1963, 600 p. 55. Cité par J. Cf
Le rerme est absem dans ]'índex, mais apparait une seule fois à la page 31 (« La personnalisation d11 avec la définition ,
po11voir ») : « Telle qu 'ellr vient d'être analysée, la silllation des gouvemants répond à la théorie classique élémentaire de dru
de ce qtte l'on appelle l'Etat de droit el d'apres laq11elle n11l ordre ne pezll être imposé si ce n 'est par 11ne du terme à Yves l
personne rég11lierement investie d11 droit de commander et conformément aux regles légales relatives à Lazare ou Janus?
l'émi{sion de la décision. » Auparavam, l'auteur a expliqué la différenciation entre le concept abstrair 56. J. CHEVALI
de l'Etat et les personnes physiques qui en som les organes. II poursuit en abordam le phénomene 380; « Érat de dn
de personnalisarion du pouvoir. Cerre phrase se retrouve dans toutes les édirions ultérieures jusqu'à LGDJ, 1993, pp.
ce que l'om;rage soit repris par F. Hamon et M. Troper en 1988. réactivarion du ti
49. M. PRELOT, lnstit11tions politiques et droit constitutionnel, 1"' éd., Paris, Dalloz, 1957, 585 p. années 1980 et 19'
(índex). tutionnel.
50. A. HAURI OU, Droit consti111tionnel et instiwtions politiq11es, Momchrestien, Paris, 1966, 826 p. 57. J.P. HENRY,
(índex). 58. W. LEISNER
51. Suite au déces d'André Hauriou, l'ouvrage sera repris à partir de la 6" éd. de 1975 par Jean Gic- pp. 65-79.
quel qui imroduira pmgressivemem le terme. 59. M. DUVERC
52. M. PRELOT & J. BOULOUIS, Insti111tions politiq11es et droit co1zsti111tionnel, 11' éd., Paris, p. 175. La premiei
Dalloz, 1990, 925 p. (índex). roujours dans les 1
53. P. PACTET, lnstittttions politiq11es el droit consti111tionnel, 11' éd., Paris, Masson, 19':12. 60. C. LECLERt
54. P. PACTET, op. cit., 15' éd., 1996, (índex). Cj op. cit., 16' éd., Paris, A. Colin, 1997, p. 125-127.
d'index), p. 95. L'
:n nouvea~J discours doctrinal Le discours /rançais de l'État de droit: aléas,fonctions et critiques 383

1s la plume de Georges Bur- y) La renaissance du discours de l'État de droit depuis 1977


·ievement dans son Traité de
aoit constitutionnel et institu- 391 Le deuxieme temps fort de la rhétorique de l'État de droit commence dans la
ginal et se confond d'ailleurs décennie 1970 - et encare - avec le fameux discours tenu le 8 novembre 1977
tutionnalisation du pouvoir. par Valéry Giscard d'Estaing dans les salons du Conseil constitutionnel. Dans ce
t dans le champ de la science
discours, qui aurait été rédigé par G. Vedel, le président de la République donne
·s de Marcel Prélot'" et d'An- une définition de l'État de droit qui fera date, en poussant jusqu'au bout la
·s dernieres éditions. Dans la logique d'assimilation du droit et du juge : « Lorsque chaque autorité, de la plus
d et institutions politiques du modeste à la plus haute, s'exerce sous le contrôle d'un juge, qui s'assure que cette auto-
; pas dans l'index". Le cas du ri~é respecte l'ensemble des regles de compétence et de fond auxquelles elle est tenue,
1975 par Jean Boulouis, est l'Etat de droit émerge. »"
figure à aucun moment dans Encare faut-il relativiser cet essor qui releve, comme le note Jacques Cheval-
iiere de 1990 ". Enfin, il faut lier, de l'ordre de l'« exhumation »"'. Rares som les constitutionnalistes dans les
es instructif, de l'ouvrage de années 70 à s'intéresser à l'État de droit. S'il fait une percée timide - on pense
• les éditions antérieures à la notamment à l'article dans la Revue de droit public de J.-P. Henry 57 et à la contri-
ion État de droit est comple- bution du professeur allemand W. Leisner dans les Mélanges Eisenmann 58 - , le
gure dans l'index, mais non terme reste néanmoins marginal. En 1973, Maurice Duverger consacre pour la
:, aux développements sur la premiere fois une ligne, et une seule, à l'État de droit, en mettant des guillemets
omme, ou l'on cherchera en pour bien marquer ses distances par rapport à un terme historique que, person-
,ans le texte même qu'au gré nellement, il n'utilise jamais. Sous l'intitulé « Le contrôle juridictionnel des
996, ou figure désormais une gouvernants », on peut lire : « Le príncipe de légalité est un élément fondamental de
1ui répete brievement ce qui la, démocratie libérale. Les ansiens auteurs disaient que celle-ci constitue ainsi un
droits de l'homme et le rôle "Etat de droit': c'est-à-dire un Etat qui se conforme aux regles établies, par opposition
présent en tout et pour tout à l'arbitraire qui regne dans les régimes autoritaires. » s, En 1975, dans la premiere
la premiere phrase introduc- édition des lnstitutions politiques et droit constitutionnel de Claude Leclerc, le
terme apparalt brievement, une seule fois, avec en plus une orthographe
inexacte, c'est-à-dire avec e minuscule•0 ; même constat pour l'ouvrage classique
de ,Bernard Chantebout qui ne conna1t point un soi-disant concept français
GDJ, 7 vol. (1949-57), index (e. 7}. d'Etat de droit puisque le terme n'apparalt, depuis la premiere édition en
t »; t. III, p. 175 note 1; t. VII, 1957,
deuxieme édition du Traité (10 vol.

es, 10' éd., Paris, LGDJ, 1963, 600 p. 55. Cité par J. CHEVALLIER, L 'État de droit, op. cit., p. 128. On notera la ressemblance frappante
la page 31 (« La personn<1/isation du ~v;c la d~finition de la« hiérarchie des normes » que l'on trouve sous la plume de G. VEDEL, Manuel
,vem<1nts répond à la théorie classique elemenldzre de drozt constztutzonnel, op. cit., p. 118. Certains auteurs attribuent toutefois la paternité
~e perlt être imposé si ce n 'est par 11ne du terme à Yves Cannac, conseiller du président de la République (cf. P. AVRIL, « La constitution:
·mémem a11x regles lég<1les rel<1tives à Lazare ou Janus?», RDP, 1990, p. 951 note 7).
'érenciation entre le concept abstrait 56. J. ÇHEVALL~ER, _op. cit.'. p. 12_3. Cf du même auteur, « L'État de droit », RDP, 1988, pp. 313-
)oursuit en abordam le phénomene 380; « Etat de dro1t », m Dzctzonnazre encyclopédique de théorie et de sociologie dtt droit, 2' éd., Paris,
:mtes les éditions ultérieures jusqu'à LGDJ, 1993, pp. 240-241. Ces ouvrages contiennent de nombreuses références sur le processus de
réac~ivation du theme de l'État de droit, dans le ~h~p philosophique et politique, au cours des
, 1"' éd., Paris, Dalloz, 1957, 585 p. annees 1980 et 1990. Pour notre part, nous nous hm1terons au discours des juristes de droit consti-
tutionnel.
is, Montchrestien, Paris, 1966, 826 p. 57. j.P. HENRY, « Vers,la finde l'État de droit? », RDP, 1977, p. 1208 ss.
58. W. LEISNER, « L'Etat de droit : une contradiction », Mélanges Eisenm<1nn, Paris, Cujas, 1975,
tir de la 6' éd. de 1975 par Jean Gic- pp. 65-79.
59. M. DUVE~~E~,_I'.1stittttions politiqttes et droit constitutionnel, 13' éd., Paris, PUF (índex), t. 1,
droit constittttionnel, 11' éd., Paris, p. 1_75. La prem1ere edmon date de 1955. Dans la derniere édition, la 18', de 1990, le terme apparait
touiours dans les mêmes circonstances.
1' éd., Paris, Masson, 1992. 60. C. LECLERC, fostitutions politiq11es et droit constit1ttionnel 1"' éd Paris Litec 1975 (pas
d., Paris, A. Colin, 1997, p. 125-127. d'index), p. 95. L'usage n'a pas changé dans la 9' éd. de 1995 (cf p_' 125). . , ' ' '
384 L'État de droit 011 les apories d'un no11vea11 discours doctrinal Le discours Jrai

1978 jusqu'à nos jours, qu'une seule fois pour désigner le concept allemand de phénomene es
Rechtsstaat'". les ouvrages d
392 L'État de droit ne devient le mot clé d'une partie, et seulement d'une partie, de pin 7', d'Élisab
la science de droit constitutionnel qu'à la findes années 1980. En 1987''', par rédigé par l' é1
exemple, Jean Gicquel écrit dans la préface de son manuel que celui-ci « se vettt droit se voit e
11n hommage à l'État de droit » 61 • L' État de droit devient une référence incontour- tout !' ouvrage
nable, digne des éloges les plus lyriques - c' est « la plus belle expression prononcée L'expressio
par 11n juriste » ,,, et le « véritable point d'orgue d'une civilisation » '"-, qui donne prestige au se
toute la structure à l'ouvrage, leque! s'ouvre et se clôt"" sur la symbolique de entier, et il sei
l'État de droit dont l'articulation complexe, car antagoniste, avec le principe de de presou de
la démocratie constitue la trame centrale du droit constitutionnel 67 • Le terme est de certains -
aussi présent chez Louis Favoreu, fondateur de l'école d' Aix-en-Provence, dans quelques-autn
son ouvrage au titre évocateur La politique saisie par !e droit de 1988. Un savoir lier quant à l'
spécifique est en train de se constituer sur l' Etat de droit à partir de la fin giques conten
des années 1980, comme en témoignent les diverses contributions entierement raisons de cro
focalisées sur ce terme"8 • On notera, par ailleurs, que l'expression État de droit scientifiques l
figure en bonne place dans le manuel de Burdeau, repris depuis 1988 °'' par à une analyse
Francis Hamon et Michel Troper, nonobstant les critiques acerbes de ce dernier identifier son
vis-à-vis d'une expression jugée soit inutile, soit impossible 70 • Les ouvrages parus
récemment réservent une place de plus en plus importante à l' État de droit. Si ce
Sectior
VÉHII
61. B. CHANTEBOUT, Droit constiwtionnel et science politique, Paris, Economica, 1978, index,
p. 26 (et non pas p. 28 comme ['indique par erreur !'índex). Cf 15' éd., Paris, A. Colin, 1998, p. 34:
« L 'institutionnalisation d11 pouvoir ,constitue donc le premier pas dans la voie de la fonnation de ce
que fes j11ristes allemands appellent l'Etat de droit (or', les dirigeants sont soumis au droit} par opposition 393 À quoi sert 1
à l'Etat de police (oz', regne le bon plaisir d11 prince}. » 1907? S'agit-i
62. II faut savoir que]. GICQUEL reprend des 1975 (6' éd.) l'ouvrage d;André Hauriou. Si la 6' édi- contraire, de
rion ne comiem pas d'index, la 7' de 1980 en comiem un et le terme Etat de droit n'y figure point.
63. J. GICQUEL, Droit constiwtionnel et institutions politiques, s11i-v,.mt la conception d'André H,111-
d'un vocable,
riou et avec la participation de Patrice Gélard, 9' éd., Paris, Momchrestien, 1987, (index), p. VII. jours? 7' Du,
64. lbid., 11' éd., 1991, p. 8. La formule a disparu dans la 12' édition.
65. Ibid., 12' éd., 1993, p. 3. Cf p. 8. ,
66. Cf par ex. 12' éd. qui commence par une définition de l'Ew dedroit(p. 3) et se terminesur l'image
symbolique ou, le jour des délibérations du Conseil constitutionnel, la ga~de républicaine préseme les 71. P. ARDAJ\
armes aux juges constitutionnels, désignés comme les « gendanne(,s) de l'Etat de droit » (p. 774). (pas d'index). L
67. Cf l'avant-propos à la 12' éd., 1993, p. IX:« Selon la,conception de mon Maztre André Hauriou souvent (p. 13, :
(... ), ce manuel se veut 1m hommage, en to11te humilité, à l'Etat de droit, né de la Déclanllion des droits sophiq11e de la co
de l'homme et d11 citoyen, le 26 aottt 1789 et, à la démocratie proclamée, il y a deux siecles, par la consti- 72. C. GREWI
tlltion d11 24 juin 1793 ( ...). » , , p. 22 ss.
68. Outre les diverses comributions de J. Chevallier, M.-J. Redor, M. Troper, cf C. EMERI, « L'J;:tat 73. D. TURP!i
de droit dans les systemes polyarchiques européens », RFDC, 1992, pp. 27-41; C. GOYARD, « Etat chap; II:« L'Ét.
de droit et dén;10cratie », Mélanges R. Chapus, Paris, Momchrestien, 1992, pp. 299-314; B. BARRET- 74. E. ZOLLEI
KRIEGEL, « Etat de droit », in Dictionnaire constiwtionnel, 1"' ~d., Paris, PUF, 1992, pp. 415-418; 169 ss, 257,274
C.M. HERRERA, « Quelques remarques à propos de la notipn d'Etat de droit », L 'bomme et la société, 75. L. FAVOR!
19~4, pp. 89-103; M.P. DESWARTE, « Droirs sociaux et Etat de droit », RDP, 1995, pp. 951-985; G.SCOFFON!
L 'Etat de droit. Mélanges G. Brajbant, Paris, Dalloz, 1996; le numér\l 24 des G,zhiers de philosophie poli- droit », pp. 49-4
tique et juridiq11e consacré à l' Etat de droit; E JULIEN-LAFERRIERE, « L'Etat de droit et les liber- 76. J. CHEVAl
rés », in Po11voir et Liberté. Mélanges olfertes àJacques Mo11rgeon, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 153-176. 77. Cf la nome
69. G. BURDEAU, E HAMON, M. TROPER, Droit constitutiomiel, 21' éd., Paris, LGDJ, 1988, normarif, leque
(index), p. 38 et 48. La tendance est d'ailleurs croissame. Cf 24' éd., 1995, p. 88, 281, 663, 682. Un 78. Contrairem
chapitre entier est intitulé : « Les ga,ranties de l'Etat de droit » (p. 663). tif, l'expression
70. M. TROPER, « Le concept d'Etat de droit », Droits, 1992, pp. 51-63. J. blemes de méth,
nouveau discours doctrinal Le discours /rançais de l'État de droit: aléas,fonctions et critiques 385

1er le concept allemand de phénomene est moins perceptible chez Philippe Ardam", il l'est davamage dans
les ouvr~ges de Constance Grewe & Hélene Ruiz-Fabri 72, de Dominique Tur-
seulemem d'une partie, de pin ", d'Elisabeth Zoller" et dans le dernier venu qu' est le Droit constitutionnel
mées 1980. En 1987"2, par rédigé par l'équipe aixoise sous la coordination de Louis Favoreu 75 • L'État de
tanuel que celui-ci « se vettt droit se voit consacrer des chapitres emiers et deviem même le fil d' Ariane de
1t une référence incontour- tout l'ouvrage, comme le montre particulierement le dernier cité.
us belle expression prononcée L'expression État de droit est de nos jours au comble de sa gloire et de son
ivilisation » "' - , qui donne prestige au sein de la science de droit constitutionnel, voire du droit public
lôt 1'1' sur la symbolique de emier, et il serait vain de vouloir recenser toutes les publications qui en parlem
ganiste, avec le principe de de presou de loin. Le seul point d'ombre dans ce tableau est le silence obstiné
1stitutionnel •7 _ Le rerme est de certains - B. Chantebout en premiere ligne -, les critiques acerbes de
!e d' Aix-en-Provence, dans quelques-autres - notamment M. Troper - ainsi que les craintes de J. Cheval-
le droit de 1988. U n savoir lier quant à l'usure rapide, ce qu'il appelle le « tumover »7(', des produits idéolo-
de droit à partir de la fin giques contemporains qui subissem les lois de la mode. 11 y a, en effet, de bonnes
contributions emierement raisons de croire à une éventuelle fin de ce troisieme cycle, tant les fondements
e l'expression État de droit scientifiques de ce discours paraissent précaires et fragiles. Mais, avant de se livrer
1, repris depuis 1988 • par
9 à une analyse de sa validité (Section II), il faut d'abord en retracer l'existence,
tiques acerbes de ce dernier identifier son contenu au cours du XX' siecle (Section I).
,ssible 70 • Les ouvrages parus
rtame à l' État de droit. Si ce
Section L UN ÉTAT DES LIEUX. LE MESSAGE NORMATIF
, , ' ,
VEHICULE A TRAVERS L'EXPRESSION ETAT DE DROIT
e, Paris, Economica, 1978, index,
,' éd., Paris, A. Colin, 1998, p. 34:
dans la vaie de la fonnation de ce
:ont sownis a11 droit} par opposition 393 À quoi sert l'expression État de droit dans la science juridique française depuis
1907? S'agit-il de fins cognitives, au sens descriptif théorisé par Kelsen, ou, au
rage d; André Hauriou. Si la 6' édi- contraire, de fins normativesn? Quel peut être l'effet juridique, au sens large,
rme Etat de droit n'y figure poim.
:11iv,111t la conception d'André Hau- d'un vocable que le droit constitutionnel positif français ignore, et ce jusqu'à nos
mstien, 1987, (index), p. VII. jours? "Du coup, c'est le rôle même de la science juridique qui se trouve pro-
10n.

droit (p. 3) et se termine sur l'image


:!, la garde républicaine présente les 71. P. ARDANT, lnstitutions politiques et droit constiwtionnel, 2' éd., Paris, LGDJ, 1990, 596,
s) de l'Etat de droit » (p. 774). (pas d'index). Le mot est présem à la p. 48, 112, 282. Dans la 10' éd. de 1998, !e mot appara1t plus
tion de mon Maitre André Hattriou souvent (p. 13, 54, 119, 287) e,t notamment dans l'intitulé d'un paragraphe relatif à la« portée philo-
/roit, né de la Déclamtion des droits sophiqtte de la constiwtion : l'Etat de droit » (p. 54).
,née, il y a de11x siecles, par la consti- 72. C. GREWE & H. RUIZ-FABRI, Droits constitutionnels européens, 1"' éd., Paris, PUF, 1995,
p. 22 ss.
M. Troper, cf C. ÉMERI, « L"trat 73. D. TURf'.IN, Droit constitutionnel (1992), 3' éd., Paris, PUF, coll. 1" cycle, 1997, (index),
2, pp. 27-41; C. GOYARD, « Etat chap; II:« L'Etat de droit », p. 73-152.
n, 1992, pp. 299-314; B. BARRET- 74. E. ZOLLER, Droit constitutionnel (1998), 2' éd., Paris, PUF, 1999, (index), p. 41, 85, 91, 154,
/d., Paris, PUF, 1992, pp. 415-418; 169 ss, 257, 274, 275, 448.
,tat de droit », L 'homme et la société, 75. L. FAVOREU, P. GAIA, R. GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, A. ROUX, O. PFERSMANN,
! droit », RDP, 1995, pp. 951-985; G. SCOFFONI, Droit constitmionnel, 1"' éd., Paris, Dalloz, 1998, (pas d'index), Livre I: « L 'État de
ro 24 des C,hiers de philosophie poli- droit », pp. 49-485. ,
lERE, « L'État de droit et les liber- 76. ]. CHEVALLIER, L 'Etat de droit, clefs, Momchrestien, p. 151.
1ylant, Bruxelles, 1998, pp. 153-176. 77. Cf la nomenclamre esquissée mpra (n" 16, 70, 89, 96 et 271) entre concept descriptif et concept
iomzel, 21' éd., Paris, LGDJ, 1988, normatif, leque! peut prendre deux visages, soit formei soit matériel.
éd., 1995, p. 88, 281, 663, 682. Un 78. Contrairement à!' Allemagne, ou !e terme de Rechtsstaat est depuis 1949 une norme de droit posi-
;63). tif, l'expression française constitue un concept doctrinal. Cf Ch. EISENMANN, « Quelques pro-
p. 51-63. blemes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique », APD, 1966, p. 25 ss.
386 L 'État de droit ou les apories d'un nottveau discours doctrinal Le discours Jí

jeté sur le devam de la scene à travers le débat sur l'Étatdedroit. Car nul n'ignore dique, l'hisr,
qu'au nom d'une certaine conception de la sciemificité, l'école positiviste récuse d'études de
tout rôle actif, normatif, à la doctrine juridique. Celle-ci doit se borner à obser- quelque peu
ver et à décrire de l'extérieur son objet d'étude qu'est le droit, sans participer ni est identifié
à sa constitution ni à sa légitimation ". Aux juristes de s' occu per de la lex lata et diverses lecr
non poim de la lexferenda 80 • seule naus i:
Or, à analyser les divers modeles théoriques de I'État de droit qui ont vu le ma1tres de l'
jour en France depuis 1907, on s'aperçoit que, dans la plupart des cas, l'expres- paradigme e1
sion État de droit sert de récipient à un message normatif ou jusnaturaliste - les de Carré de
positivistes dirom politique ou « idéologique » 81 • Si l'ampleur et le comenu référence inl
variem selon les auteurs, l'élémem jusnaturaliste n'en reste pas moins présent. actuelle, l' a:1
Le concept strictement descriptif de l' État de droit, tel que défini par Kelsen, tale, Fin con
n'est appliqué par personne, ce qui, apres tout, n'est que logique, puisque Kelsen premier à p1
vise bel et bien à éliminer ce terme. Une fois que le syntagme Etat de droit est tions dom o
démysti:fié comme un trivial pléonasme, autrement dit est rabaissé au statut l' articulatior
d'une coquille vide (puisque le vrai concept est celui d'État), son intérêt scienti- sée fait figuri
fique est nul "'. II va sans dire que l'importance de ces éléments métajuridiques de droit ne fa
est des plus variables. On passe ainsi d'un discours ouvertement idéaliste sous la que déplorer
III' République (§ 1) à un "cryptojusnaturalisme" 8' , car inconscient ou caché, à de leurs ma1
l'époque actuelle (§ 2). Comparé au silence gardé par une large partie de la doe- de l'État, l'É
trine d'aujourd'hui sur les questions théoriques, le début du XX' siecle avec ses sans nécessai
diverses écoles fait figure d'âge d'or. À cette époque, maints théoriciens du droit de l' État de ll
ont temê d'élucider les conditions de validité d'un éventuel concept d'État de quoi il est di
droit, essais dont les constitutionnalistes restem de nos jours encare largemem de Bordeaux
tributaires.
A. L'o
§ 1. LA JJP RÉPUBLIQUE OU L '.ÂGE D'OR DE LA
I
CONCEPTUALISATION
L'a:uvre t
DE L 'ETAT DE DROIT pour sa défii
faire cohabit
394 La doctrine juridique de la III' République constitue un champ sciemifique qua-
drillé depuis un certain temps déjà par diverses disciplines, dom la science juri-

79. Cf M. TROPER, « Le posirivisme juridique », in id., Po11r 11ne 1héorie juridiq11e de l'É1a1, Paris, 84. On notera ,;
PUF, coll. Lévi;1than, 1994, pp. 27-44. idées ma1tresses
80. R. CARRE DE MALBERG, « Réllexions tres simples sur l'objet de la science juridique », fr. &étr., t. 4, 1~
Mélanges en l'honne11rde François. Gény, Paris, LGDJ, 1935, p. 198. du droit : Dugu
81. Cf G. BURDEAU, E HAMON, M.,TROPER, Droit consti111tionnel, 24' éd., Paris, LGDJ, Maurice Hauri,
19,95, p. 85 et 88 qui rangent le concept d'Etat de droil parmi les « idéologies » sur les raP,ports entre p11blic dans /,, 1h,
l'Etat et le dro,it. Même çiualificatif chez M. TROPER, Po11r !me théorie j11ridiq11e de l'Etat, op. ci1., générale de Dui
p. 329. J. RIVERÇ), « L'Etat moderne peut-il être encere un Etat de droit? ,,, op. ci1., p. 67, évoque droil, les second
« l'idéologie de l'Ew de droil » qu'il importe de professer et de défendre. Voir aussi p. 68 (« Notre 85. Le riche ou
discipline [juridique] est 10111 enliere a11 service de l'homme ») et p. 101. , ces aspects. La 1
82. La critique kelsénienne est reprise en France par M. TROPER, « Le concept d'Etat de droit », tradition consti1
Droits, n" 15, 1992, pp. 51- 63. - les conceptio
83. La formule s'inspire de celle de « Kryptopolitik », utilisée par R. THOMA dans sa préface au tut sémancique
Handb11ch des de111schen S1aatsrechts, Tübingen, Mohr, t. 1, 1930, p. 7. sciencifique de e
1 nouveaú discours doctrinal Le discottrs /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques 387

atdedroit. Car nul n'ignore dique, l'histoire des idées politiques, voire la philosophie. S'il ne manque pas
té, l'école positiviste récuse d'études de tout genre, l'objet spécifique qu'est le terme État de droit est passé
le-ci doit se borner à obser- quelque peu inaperçu dans ce foisonnement d'écoles, de théories et d'idées 84 • S'il
;t le droit, sans participer ni est identifié, il n'est pas étudié selon une méthode pluridisciplinaire, alliant
:ie s'occuper de la lex lata et diverses lectures - sémantique, historique, comparative et théorique -, qui
seule naus paraí't à même d'en saisir la nature exacte 8'. Parmi tous les grands
'État de droit qui ont vu le maí'tres de l'époque, il y ena deux dont la pensée sur l'État de droit a valeur de
la plupart des cas, l'expres- paradigme en raison de leur génie et de leur influence : il s'agit de Duguit (A) et
natif ou jusnaturaliste - les de Carré de Malberg (B). Si les écrits du célebre Strasbourgeois constituem une
Si l'ampleur et le contenu référence incontournable sur ce sujet, à en croire l'avis unanime de la doctrine
en reste pas moins présent. actuelle, l'reuvre du maí'tre de Bordeaux nous paraí't à plus d'un titre fondamen-
, tel que défini par Kelsen, tale. Fin connaisseur des théories allemandes du Rechtsstaat, qu'il est d'ailleurs le
que logique, puisque Kelsen premier à présenter, Duguit se distingue, nonobstant les inévitables contradic-
~ syntagme Etat de droit est tions dont on l'accuse, par une lucidité exemplaire dans ses analyses concernam
tt dit est rabaissé au statut l' articulation théorique entre l' État et l' État de droit. Sur ce point crucial, sa pen-
d'État), son intérêt scienti- sée fait figure d'archétype. Le lien conceptuel entre les deux termes État et État
es éléments métajuridiques de droit ne fait que rarement l' objet d'une analyse approfondie, ce qu' on ne peut
uvertement idéaliste sous la que déplorer. Trop souvent, les juristes se servem des deux, à différents endroits
car inconscient ou caché, à de le}lrs ma~uels - l'État dans la pareie consacrée à la personnalité juridique
r une large pareie de la doc- de l'Etat, l'Etat de droit dansla pareie consacrée à la justice constitutionnelle -,
début du XX< siecle avec ses sans IJ-écessairement se préoccuper de la cohérence du propos. Or, si l',on parle
maints théoriciens du droit de l' Etat de droit, il faut bi~n, au préalable, définir ce qu 'est un simple Etat et en
éventuel concept d'État de quoi il est différent d'un Etat de droit. Sur ce dernier point, les idées du doyen
nos jours encare largement de Bordeaux paraissent extrêmement stimulantes.

A. L'ceuvre de Duguit, premier théoricien de I'État de droit


'..A CONCEPTUALISATION
L'reuvre du doyen de Bordeaux est intéressante à un double titre: d'une part,
pour sa définition sociologique du droit (1") et, d'autre part, pour sa façon de
faire cohabiter les deux concepts d'État et d'État de droit (2").
un champ scientifique qua-
iplines, dont la science juri-

ne théorie juridiq11e de l'Écat, Paris, 84. On notera ainsi l'opposicion sémancique entre, d'un côté, les deux études de M. WALINE (« Les
idées ma1tresses de deux grands publicistes français : Léon Duguit et Maurice Hauriou », Année pol.
· l' objec de la science juridique », fr. & étr., t. 4, 1929, pp. 387-409 et t. 5, 1930, pp. 39-63) et de C. EISENMANN (« Deux chéoriciens
8. du droit: Duguit et H~uriou », Rev. philo., 1930, p. 231-279), et de l'aucre A. BRIMO (« Le doyen
•stit11tionnel, 24< éd., Paris, LGDJ, Maurice Hauriou et l'Eta} », APD, t. 21, 1976, pp. 99-110) et E. PISIER-KOUCHNER (Le service
« idéologies » sur les raP,ports entre public dans la théorie de l'Etat de Léon Duguit, Paris, LGDJ, 1972). Si les premiers présemem l'ÇI!uvre
? chéorie j11ridiq11e de l'Ecat, op. cit., générale de Duguit et de Hauriou sans évoquer ne seraic-ce qu'une seule fois l'expression Etat de
t de droit? », op. cit., p. 67, évoque droit, les seconds en fone au comraire le fil conducteur de leur exposé.
défendre. Voir aussi p. 68 (« Notre 85. Le riche ouvrage de M.-J. REDÇ>R (De l'État légal à l'Écat de droit) reste muet sur cenains de
101. ces aspects. La réception du terme Etat de droit n'est replacée ni dans son comexte hiscorique - la
~R, « Le concept d'État de droit », tradition constitucionnelle française amérieure à 1875 -, ni dans une perspective de droit comparé
- les conceptions allemapdes de l'époque. De même, on notera l'absence d'une enquête sur lesta-
ar R. THOMA dans sa préface au tut sémamique du moe Et<1l de droit au sein de la doccrine de l'époque et d'une al)alyse de l'utilité
p. 7. scientifique de ce vocable par rapport au concept de la personnalité juridique de l'Etat.
388 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fra

1º Un esprit idéaliste sous les apparences d'un positivisme sociologique contraire, un


la nature exa(
a) Le rejet de la distinction entre Sein et Sollen s'impose à la

395 Le positivisme sociologique de Léon Duguit est fondé sur ce qu'il appelle lui-
13) Les normc
même la « méthode réaliste » 8'. « Constater les faits, n 'a/firmer comme vrai que ce
que l'on constate par l'observation directe et bannir du domaine juridique tous les 396 Partam du co
concepts a priori, objets de croyance métaphysique ou religieuse, qui prêtent à des génere spont;i
développements littéraires, mais qui n'ont rien de scientifique » "7 : voilà le pro- fameux « drol
gramme scientifique de Duguit qui, en fidele disciple d' Auguste Comte (1798- la prééminem
1857) et d'Émile Durkheim (1858-1917)", se veut entierement voué à la« vérité qu'il y ades so,
positive». Les «faits », rien que les «faits » et tous les «faits » ! Or Duguit a une a des hommes,
vision tres large de ce qu'est un «/ait ». 11 s'inspire en effet de Durkheim qui, sur des phénome
ce point, s'inscrit en faux contre la sociologie allemande marquée par les idées tion, le droit e
de Max Weber (1864-1920) '". On sait que celui-ci reprend à son compte la loi de tion sociale su
Hume quant à l'irréductibilité absolue des faits et des valeurs, seuls les premiers social qui pen
étant susceptibles d'une connaissance objective et scientifique alors que les du type de n
secondes som nécessairement subjectives, car variables en fonction du contexte toutes les non
personnel, culturel, politique, etc. C'est le fameux theme de la « guerre des diques » "7• Re~
dieux » : ce qui pour les uns est une valeur, un dieu, est une non-valeur, bref un obscures: car,
diable pour les autres et il n'existe aucun moyen de dépasser cet antagonisme tion sociale, e
absolu. Duguit récuse, au contraire, une telle dichotomie entre le Sein et le « la masse des
Sollen. À ses yeux, « on a grandement tort de croire que le positivisme social et le matérielle de (
réalisme juridique excluent tout idéalisme et rendent impossible l'établissement savoir ce qu' e:
d'zme échelle des valeurs sociales » ''º. « Le positivisme n'exclut point l'idéal (... ), mais réactions-non
cet idéal n 'est pas dans les astres; il est sur la terre et tout pres de naus. » ·11 Au tremem regles de bier
dit, les valeurs som elles-mêmes des faits, le Sollen est lui-même un Sein "'. L'idéal d'une interve1
est dans ce « fait social» qu'est « l'interdépendance des individus » c'est-à-dire la entre le droit
« solidarité sociale ,, • 11 est clone possible de définir scientifiquement les valeurs
11
Si les lois p
de par leur nature de faits sociaux. norme sociale
Si Duguit est clone bel et bien un cognitiviste éthique, ce qui l'éloigne de la plus précisém
pensée relativiste (Weber, Kelsen, etc.), est-il véritablement un sociologue ou, au tations entre t
moralisatrice
ments sur so
86. I.. DUGUIT, Traitéde droit consti111tionnel, 3' éd., 1927-30, Paris, Fontemoing, t. !, 1927, p. XVI!.
[= Truite1
87. Ibid., p. xv.
88. Ce lien généalogique est bien mis en exergue par M. LOUGHLIN, P11blic Law and Political
Theory, Oxford, Clarendon, 1992, pp. 106-113. Lire aussi l'extrait de Comte cité infra n'' 466 94. Ch. EISENt
note 133. cf aussi M. WAI
89. Sur ces divergences épiscémologiques entre le posicivisme (sociologique) français et le positi- Maurice Hauriou
visme allemand, cf S. MESURE & A. RENAUT, La g11erre des die11x. Ess,ii sur la q11erelle des vale11rs, 95. I.. DUGUIT
Paris, Grasset, 1996, pp. 75-88. 96. !bid., t. I, p.
90. I.. DUGUIT, Traité, t. I, p. xvm. 97. Le terme « 11
91. Jbid. Cf aussi p. 98. positive dont Du
92. C' est ce qu' avait chéorisé Durckheim dans son anicle « Jugements de valeur et jugements de réa- 98. I.. DUGUIT
lité », publié dans la Rev11ede métaphysiq11e et de mora/e de 1911. Cf S. MESURE & A. RENAUT, 99. Ibid., p. 97. C
op. cit., p. 84 ss. d'Esquimaux, no
93. 1.. DUGUIT, Traité, t. !, p. XIX. 100. Ibid., p. 89.
m nouveau discours doctrinal Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques 389

,itivisme sociologique contraire, un « moraliste politique», comme le soutient Eisenmann"'? Quelle est
la nature exacte de cette « regle de droit », de ce « droit objectif » dont le respect
s'impose à la loi positive?

mdé sur ce qu'il appelle lui- ~) Les normes morales, le droit objectif et la loi positive
n'affirmer comme vrai que ce
iu domaine juridique tous les 396 Partant du constat que l'homme est un être social et que toute société humaine
it religieuse, qui prêtent à des
génere spontanément des normes sociales, y inclus des n?rmes juridiques - le
~ientifique »" : voilà le pro- fameux « droit objectif » -, avant même l'fmergence de l'Etat, Duguit en déduit
ple d' Auguste Com te ( 1798- la prééminence du droit par rapport à l'Etat et à la loi positive. «Parcela seu!
ntierement voué à la « vérité qu'il y ades sociétés humaines, et il ne peut pas ne pas y en avoir, étant donné qu'il y
es «Jaits » ! Or Duguit a une ades hommes, il y a une foi sociale. »"' Le droit (objectif) et la société sont ainsi
n effet de Durkheim qui, sur des phénomenes concomitants et consubstantiels. Selon une premiere défini-
nande marquée par les idées tion, le droit objectif est « une regle de conduite dont la violation entraíne une réac-
,prend à son compte la loi de tion sociale susceptible d'être organisée » 96 • C'est en effet la réaction du milieu
les valeurs, seuls les premiers social qui permet de saisir l' existence d'une norme sociale dont la nature dépend
!t scientifique alors que les du type de réaction engendrée, ce qui permettrait ainsi de distinguer, parmi
bles en fonction du contexte toutes les normes sociales, les normes dites « morales », « économiques » et « juri-
JX theme de la « guerre des
diques » "7• Reste que la distinction esquissée à ce niveau par Duguit est des plus
, est une non-valeur, bref un obscures : car, si la violation de chacune de ces normes sociales entraine une réac-
de dépasser cet antagonisme tion sociale, on dira qu'il s'agit d'une norme « juridique » dans l'hypothese ou
:hotomie entre le Sein et le « la masse des consciences individuelles est arrivée à comprendre que la sanction
•que le positivisme social et le matérielle de cette nonne peut être socialement organisée » ' 8• Quant au point de
nt impossible l'établissement savoir ce qu'est cette « organisation sociale »de la contrainte, par opposition aux
1'exclut point l'idéal (... ), mais réactions-non-socialement-organisées dans le cas d'une norme morale (ex. les
·tt pres de nous. »" Autrement regles de bienséance), Duguit reste tres évasif. En tout cas, il ne saurait s'agir
,t lui-même un Sein'' 2• L'idéal d'une intervention de la puissance publique sous peine de gommer la différence
des individus » c'est-à-dire la entre le droit objectif et la loi positive". ,
: scientifiquement les valeurs Si les lois positives sont des regles établies par l'Etat, le droit objectif est une
norme sociale; il en est même la quintessence 100 • Or, lorsqu'il s'agit d'en définir
thique, ce qui l' éloigne de la plus précisément la nature, les propos de Duguit se font plus ambigus. Ses hési-
>lement un sociologue ou, au tations entre une optique strictement empirique, ou sociologique, et une vision
moralisatrice du droit objectif se ma~ifestent clairement dans les développe-
ments sur son caractere impératif. A ce sujet, Duguit parle tantôt d'une
Paris, Fonremoing, t. l, 1927, p. xvn.

UGHLIN, P11blic Law and Political


~xtrait de Comte cité infra n" 466 94. Ch. EISENMANN, « Deux théoriciens du droit: Duguit et Hauriou », Rev. philo., 1930, p. 247;
cf aussi M. WALINE, « Les idées maitresses de deux grands publicistes français : Léon Duguit et
(sociologique) français et le positi- Maurice Hauriou », Armée polit.fi: & étr., t. 4, 1929, pp. 385-409.
die11x. Ess,IÍ mr la q11erelle des vale11rs, 95. L. DUGUIT, Traité, t. I, p. 66.
96. !bid., t. I, p. 14. .
97. Le terme « nonne j11ridiq11e » fait évidemme,nt référence au « droit objectif » et non pas à la 101
positive dont Duguit fait abstraction tant que l'Etat n'existe pas.
,ments de valeur et jugemenrs de réa- 98. L. DUGUIT, Trété, t. I, p. 81.
1. Cf S. MESURE & A. RENAUT, 99. Jbid., p. 97. Cf aussi p. 95 : Duguit considere qu'il existe des
« regles de droit » chez le~ peuplades
d'Esquimaux, nonobstant l'absence de toute différenciation politique, constitutive de l'Etat.
100. Ibid., p. 89.
390 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours Jran 1

« contrainte sociale » 101 tantôt d'une « obligation sociale » IO', deux termes qui sont fois les théories
loin de signifier la même chose 103 • Par moments, il semble épouser une vision tive, mais aussi,
empirique de cette regle de droit, qu 'il appelle encore « regle de fait » ")-1. « L 'obli- Reste à évoq1
gation qui en résulte n'est pas à proprementparler morale » - car la volonté de l'in- tere moraliste d
dividu reste libre et ne s'en trouve point liée, comme par une sorte d'impératif aux yeux de Dt
moral supérieur - « mais seulement sociale » JOi_ La violation de la norme produit comme JUste e
un certain déséquilibre dans les relations et suscite par là même, presque de façon moment-là - 1
mécanique, une réaction puisqu' « il y a une tendance du milieu social à rétablir le doyen de Bor
l'ordre » 1º". Mais si, comme l'affirme Duguit, cette norme n'affecte en rien la
volonté du sujet, mais est simplement le fruit d'une « discipline sociale » 1º1 ou 2º ljne logiqu1
d'une « coercition externe » JOs, le droit objectif s'identifie à la contrainte. Or, Etat + dro
quelle qu'en soit !'origine, étatique ou sociale, la contrainte, prise en soi, n'a rien
de vertueux: l'exemple du lynchage, cité par Duguit pour illustrer sa théorie de 398 On se plait à so
la sanction sociale d'une regle de droit, incite au contraire à la prudence. II fau- Duguit. Or, en
drait clone supposer que le droit objectif ne fait que refléter des rapports de force. vues sont plutô
Or, comme le dit lui-même Duguit, « la force ne crée jamais le droit » u,.,_ rences, fort inst
397 C'est à la lumiere de cette af:firmation qu'il faut lire les propos plus nuancés de Abstraction fait,
Duguit quant au caractere légitime, voire juste, de cette « obligation sociale ». II à élaborer un vé
introduit des criteres de légitimité, en les définissant non pas tant en fonction de eu égard au coni
criteres empiriques - ce que les individus éprouvent à un moment donné de cette dé:finiti1
comme étant juste et équitable, autrement dit les « sentiments de justice», et non I'État au droit 11
pas le juste en soi -, mais surtout en fonction d'a priori philosophiques quant à termes soient di
la nature sociale, clone solidaire et humaniste de l'homme. On décele ainsi trois en mesure de li:
segments différents dans le concept de droit objectif: tout d'abord l'idée de la cheres absurdes.
contrainte sociale, qui est obligatoirement fondée, sinon il n'y a pas de véritable ment constitué,
droit, sur une légitimité sociale, laquelle, à son tour, est construite à partir de ce l'État comme u1
noyau dur qu'est l'idée de solidarité sociale. Car, s'il admet que « la notion du un « être de droi1
juste et de l'injuste est infiniment variable » "°, Duguit n'est pas moins convaincu disant État de d1
de la constance de certains éléments essentiels. La « solidarité sociale » est en effet, cessé de récuser
à en croire le martre de Bordeaux, un « fait pennanent, toujours identique à lui- constitue « en so
même, l'élément constitutif irréductible de tout groupement humain » 111 • Quant à I' État par le dro
son contenu, il s'agit d'un amalgame d'éléments hétéroclites, ou se côtoient à la vision dichoton
droit incarne l'i,
ce dernier se réc
101. Ibid., p. 142 et 150.
102. Ibid., p. 83,
103. Cf l'analyse pén~trante de J.-J. ROUSSEAU, Contrai socd, Livr. I, chap. 3. ,
104. L. DUGUIT, L'Etat, ledroit objectifet la /oi positive, 1901, Paris, Fontemoing, [ = L'Etat], p. 16: 112. Ibid., p. 84: «
« C'est une regle de fait; 11ne regle qrti s'impose aux hommes, non pas en ·verti< d'rm príncipe s11périe11r, respecte l'autonomfr
que! qu'il soit, bien, intérêt, bonheur, mais en verlll et par la force des faits, parce q11e l'homme vil en On comprend des 1
société et ne peut vivre q11 'en société. (...) Elle l11i dit: fais cela parce q11e cela est. » II va sans dire qu'une nelle de la Déclarat
telle définition va absolument à !'encontre de la distinction entre le Sein et le Sollen. 113. Ce qui est rou
105. L. DUGUIT, Traité, t. 1, p. 83. II estime, en effec,,
106. Ibid., p. 83. peu vent pas ne pas
107. Ibid., p. 92. 114. M. WALINE.
108. Ibid., p. 88. 115. Cf,par ex. J. (
109. Ibid., p. 93. 116. L'Etat, p. 256.
110. Ibid., p. 119. 117. Cf L. DUGL
111. Ibid., p. 86. 118. Traité, t. I, p. :
m nouvea~t discours doctrinal Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques 391

ale» 102 , deux termes qui sont fois les théories de saint Thomas d'Aquin sur la justice distributive et commuta-
l semble épouser une vision tive, mais aussi, ce qui est plus surprenant, le principe kantien de l'autonomie 112 •
,re « regle de fait » 104 • « L 'obli- Reste à évoquer l'épreuve de vérité de la théorie duguiste, ou se révele le carac-
"ale » - car la volonté de l'in- tere moraliste du droit objectif, à savoir l'hypothese, théoriquement impossible
ne par une sorte d'impératif aux yeux de Duguit 113 , d'un décalage entre ce que l'opinion publique considere
iolation de la norme produit comme juste et ses propres conceptions quant à la solidarité sociale. À ce
ar là même, presque de façon moment-là- Marcel Waline cite !'exemple de la !oi sur les congrégations'"-,
ice du milieu social à rétablir le doyen de Bordeaux n'hésite pas à prendre le contre-pied de l'opinion courante.
e norme n'affecte en rien la
ne « discipline sociale » 1º' ou 2º [jne logique dich9tomique a priori implacable:
dentifie à la contrainte. Or, Etat + droit = Etat de droit
ritrainte, prise en soi, n'a rien
it pour illustrer sa théorie de 398 On se pla1t à souligner, et souvent à juste titre, les contradictions dans l'reuvre de
mtraire à la prudence. Il fau- Duguit. Or, en ce qui concerne le phénomene linguistique de l'État de droit, ses
refléter des rapports de force. vues sont plutôt cohérentes et s'averent en tout cas, même à travers ses incohé-
fo jamais le droit » 10''. rences, fort instructives sur l'utilité ou l'inutilité scientifique de cette expression.
·e les propos plus nuancés de Abstraction faite de certains dérapages, Duguit est l'un des rares, si ce n'est le seu!,
cette « obligation sociale ». Il à élaborer un véritable concept d' État de droit qui ne soit ni vide ni contradictoire,
t non pas tant en fonction de eu égard au concept d'État. C'est chez !ui, en effet, que l'on trouve la théorisation
uvent à un moment donné de cette définition courante, selon laquelle l'État de droit signifie la soumission de
sentiments de justice», et non l'État au droit 115 • Or une telle définition n'a de sens qu'à supposer que ces deux
•riori philosophiques quant à termes soient distincts. Si l'on veut subordonner l'un à l'autre, on doit d'abord être
LOmme. On décele ainsi trois en mesure de les concevoir isolément, sous peine de s'empêtrer dans des suren-
tif: tout d'abord l'idée de la cheres absurdes. Car, à quoi bon soumettre au droit un État qui est déjà juridique-
,inon il n'y a pas de véritable ment constitué, ce qui est justement le cas si l'on définit, avec la doctrine actuelle,
r, est construite à partir de ce l'État comme une personne juridique? Ou est la différence entre un État, qui serait
s'il admet que « la notion du un « être de droit » ( Carré de Malberg), au titre de sa personnalité morale, et un soi-
it n'est pas moins convaincu disant État de droit? Cet écueil a été esquivé parle doyen de Bordeaux, !ui qui n'a
solidarité sociale » est en effet, cessé de récuser la notion de personnalité juridique de l'État et de dire que l'État
nent, toujours identique à lui- constitue « en soi un fait étranger au droit » 11 ''. Durant toute sa vie, il visait à limiter
pement humain » 111 • Quant à I'État par le droit et à fonder sur des bases solides le droit public. Il en découle une
itéroclites, ou se côtoient à la vision dichotomique, presque manichéenne, du droit et de l'État'". Si la re~le de
droit incarne l'idéal de la solidarité sociale et existe avant et en dehors de l'Etat 11 8,
ce dernier se réduit à un simple fait, plus précisément à un rapport de force.

ai, Livr. I, chap. 3. ,


)aris, Fontemoing, [ = L'Etat], p. 16: 112. Ibid., p. 84: « L 'objet de la nomie sociale est donc d'obliger tout individu à agir de telle sorte qu'il
pas en ·vertu d'ttn príncipe mpérieur, respecte l 'autonomie des autres et la sienne propre en tant qu 'elles sont des éléments de la vie nationale. »
cedes faits, p<1rce q11e l'homme vit en On comprend des lors mieux, pourquoi Duguit s'est prononcé en faveur de la valeur constitution-
·e que cela est. » II va sans dire qu'une nelle de la Déclaration de 1789 sous la III' République.
re le Sein et le Sollen. 113. Ce qui est tout à fait logique, si l'on récuse, comme il le fait, la distinction entre Sein et Sollen.
II estime, en effet, que la solidarité ( = valeur) est intrinseque à la nature sociale des hommes, qui ne
peuvent pas ne pas vivre en société ( = fait). Cf ibid., p. 125.
114. M. WALINE, op. cit., p. 399.
115. Cf,par ex. J. GICQUEL, Droit consiitutionnel et institutions politiques, 12' éd., 1993, p. 3.
116. L'Etat, p. 256. ,
117. Cf L. DUGUIT, L'Etat, p. 227.
118. Traité, t. I, p. 534.
392 L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fr,;

a) La définition de I'État comme pur fait c'est la forcem


elle devient lég
399 En abordant I'État dans une optique sociologique, Duguit confere à ce vocable gations négati-
une signification peu commune au sein de la science juridique de l'époque. Cette à la réalisatio?
situation n'a pas changé de nos jours, ce qui rend afortiori toute transposition de propres fins. 1
son concept d'État de droit tres hasardeuse, pour ne pas dire impossible. L'État, droit 11º. On ai
aux yeux de Duguit, est en effet un simple «fait social» qui se traduit par la« dif- voir politique
férenciation entre les gouvernants et les gouvernés ». « On voit un groupe d'hommes droit, il peut ,
plus ou moins nombreux qui se trouvent, en fait, dans la possibilité d'imposer leur On voit ai
volonté par la contrainte mayérielle aux autres membres de la société. » m. li y a donc I' État soit un
des forts et des faibles et l'Etat est un « groupement humain, fixé sur zm ten-itoire alors la norm
déterminé, oz't les plus forts imposent leur volonté aux plus faibles » 110 • Sa définition gence d'une <
se veut entierement « empirique » 121 , factuelle ou sociologique: l'État s'identifie limité à la fois
. .
completement à la personne physique des gouvernants, en dehors desquels neure, mais a
il n'existe point. Aux yeux du réaliste qu'est Duguit, la définition courante de qm 1mpose à
l'État comme une personne morale, donc abstraite, releve purement de spécula- les faire exécu
tions méta,Physiques dénuées de bon sens, car, s'il est possible de d'lner avec le de respecter rn
chef de I'Etat, Ie premier ministre, les ministres, etc., nul n'a encore d'lné avec qu'elle existe, i
l'État ... L'État n'est rien d'autre que le « monopolede la contrainte » 122 détenu par tionnel que da
certains individus. Son origine est obscure : il s'agit là, selon Duguit, d'un pro- de droit. L 'Éta
bleme scientifique « insoluble » 123 • On sait simplement que l'État, étant « fondé Il peut être par
sur la force» 124 , est « en sai un fa~t étranger au droit » 125 • Si le droit (objectif) n'est comme zm sin
pas un élément constitutif de l'Etat, à !'instar de la métaphore du contrat social
qui engendre l'État, il intervient a posteriori comme un facteur limitatif 121••
des gouvernants. ,
~) La subordination de I'État au droit objectif probleme de la lir
vérifie la lecture j1
rarif moral.
400 Les gouvernants, aussi forts soient-ils, n'en sont pas moins des individus vivant 129. L'État, p. 15
en société. En tant que tels, ils sont soumis comme tous les autres à la norme 130. Trajté, t. I, p
131. L 'Etat, p. 25
sociale qu'est le droit objectif 127 • Le droit objectif vient en quelque sorte se &ref- de réaliser le droit.
fer sur la force brute des gouvernants pour l'infléchir dans le bon sens 1" . « L'Etat, du droit. »
132. Manuel, p. 4
tres énergiquemen,
119. 7i·t1jté, e. I, p. 535. Cf ibid., p. 670 ss. chez Duguit, d'ur
120. L'E,tat, p. 9. . de droit (cf. Traité.
121. L'Etat, p. 233. flottements sémar
122. Trt1ité, e. I, p. 108 et 142. On aurait néanmoins tort de confondre la définition duguiste de l'État mf tralement opp,
avec celle de Weber. l'Etat est un faic.
123. Traité, e. 1, p. 552. « l'État est la force
124. L. DUGUIT, Manuel de droit constitutionnel, 1" éd., Paris, Fontemoing, 1907, p. 42 ment constiwtifd,
[ = Mamie/J. CJ Traité, e. I, p. 534-541. ter sans droit (M,1,
125. L 'Etat, p. 256. Cf ibiçl. p. 233 : « L 'obseruation montre que la notion de b111 ne rentre p,1s dt1ns la premem parler ui
conception empirique de l'Ett1t. » Voir aussi Tr,iité, t. I, p. 653 ss. contraire, pris au,
126; Ce qui est quelque peu surprenant ... <:;ar, on sair que, d'apres Duguit, le droit objectif préexiste derniere hypothes
à l'Etat. On se demande alors comment l'Erat a pu émerger sans que le droit ne s'y iméresse? Sur- lité de sens du mo
tout, comment esr-il possible que le droit réussisse à asseoir a posteriori son emprise sur une force, chez Duguit et de
qu'il n'a,su juguler au moment desa naissance? 13). (souligné par
127. L'Etat, p. 265; Traité, e. I, p. 672. l'Etat à la définiti,
128. On se demande comment ... Si le droit objectif est fondé sur la contrainte sociale, aurrement dit 134. Manuel, p. 5
sur la force du nombre, il cst contradictoire de dire que la plus grande force réside dans la personne gerichte in Deutscl.•
n nouveait discours doctrinal Le discours /rançais de l 'État de droit : a/éas, fonctions et critiques 393

c'est la force matérielle, quelle que soit son origine; elle est et reste un simple fait; mais
elle devient légitime si ceux qui la détiennent l'emploient à l'accomplissement des obli-
Duguit confere à ce vocable gations négatives et positives que leur impose la regle de droit, c'est-à-dire l'emploient
juridique de l'époque. Cette à la réalisation du droit. » 11• Le droit objectif canalise ce pouvoir et s'en sert à ses
>rtiori toute transposition de propres fins. De la rencontre de l'État avec le droit (objectif) nalt ainsi l'État de
pas dire impossible. L'État, droit 11º. On assiste ainsi à la transformation de l'État en État de droit. « Si le pou-
d» qui se traduit par la « dif voir politique n'est jamais légitime par son origine, s'il est en sai un fait étranger au
On voit tm groupe d'hommes droit, il peut devenir légitime par son exercice; il peut devenir un Rechtsstaat. » n,
s la possibilité d'imposer leur ,On voit ainsi que l'expression d'État de droit n'a de sens, qu'à supposer que
~s de la société. » 11 ·,. 11 y a clone l'Etat soit un pur fait, un phénomene de force. Le vocable Etat de droit résume
humain, fixé sur un tenitoire alors la normativité du droit objectif sous ses diverses facettes; il traduit l' exi-
plus faibles » 120 • Sa définition gence d'une « construction juridique de l'État » 111 • En conséquence, l'État est
:iologique : l'État s'identifie limité à la fois parle principe de la solidarité sociale, qui lui est antérieure et exté-
rnants, en dehors desquels rieure, mais aus,si par ses propres lois positives. C'est, en effet, le droit objectif
it, la définition courante de qui impose à l'Etat de se doter d'une constitution écrite, d'adopter des lois, de
releve purement de spécula- les faire exécuter et de les respecter lui-même. « L 'État, ayant fait la loi, est obligé
est possible de d1ner avec le de respecter cette loi tant qu'elle existe. li peut la modifier ou l'abroger; mais tant
e., nul n'a encore d1né avec qu'elle existe, il ne peut faire un acte de contrainte, un acte administratif ou juridic-
~ la contrainte » ' 11 détenu par tionnel que dans les limites fixées par cette loi, et en cela encare l'État est m un État
: là, selon Duguit, d'un pro- de droit. L 'État, en verttt de la même idée, est le justiciable de ses propres tribunaux.
ent que l'État, étant « fondé Jl peut être partie à un proces; il peut être condamné par ses propres juges et il est tenu
'". Si le droit (objectif) n'est comme un simple particulier d'exécuter la sentence prononcée contre lui. » rn Or,
métaphore du contrat social
un facteur limitatif 12'·.
des gouvernams. Car alars cem~ qui som dits gouvernés som les véritables gouvernams et des lors le
probleme de la limitation de l'Etat, i.e. les (nouveaux) gouvernams, reste emier. Une fois de plus se .i
1

vérifie la lecture jusnaturaliste du droit objectif duguiste, quine peut s'imposer que gdce à un impé- 1,
ratif moral.
; moins des individus vivam 129. L'Étal, p. 15.
e tous les autres à la norme 130. Trajté, t. I, p. 539.
131. L 'Etat, p. 256 (c'est naus qui soulignons). Cf Manuel, p. 41 : « La puissance po/itiq11e a po11r bttl
ent en quelque sorte se &ref- de réaliser le droit; e//e est obligée parle droit de faire tolll ce qui est en son po11voir pour assurer le regne
. dans le bon sens '". « L'Etat, du droit. »
132. Manuel, p. 44: « D11 jour surtolll 011 on a compris ceue notion de l'État de d7oit, le besoin s'est fait
tres énergiquemenl sentir à tous les esprits d'édifier la, construction j11ridique de l'Etat. » qn passe aigsi,
chez Duguit, d'une définition, sociologique de l'Etat à une définitio\1 juridique de l'Etal, i.e. l'Etat
de droit (cf Traité, t. I, p. 539). On aurait clone deux définitions de l'Et]lt. Cela expliquerait certains
flottemems sémamiques chez Duguit à qui il arrive d'utiliser le terme Etat dans deux acceptions dia-
ndre la définition Juguiste de l'État mftralemem opposées. D'une part, il se sert de la définition stricte, la plus connue, selon laquelle
l'Et~t est un fait, une force brute. D'autre part, il en donne une Jéfinition large selon laquelle
« l'Etal est laforceau,ser-vicedu droit » (L'Etat, p. 11; cf ibid., p. 265-6). Le droit serait clone un élé-

Paris, Fonremoing, 1907, p. 42 mem constiwtifde l'Etat quine pourrait vivre « que dans un milieu j11ridique » et 51ui cesserait d'exis-
ter sans droit (Manuej, p. 472; cf aussi Traité, t. II, p. 1). Pris au premier sens, l'Et~t n 'esl pas à pro-
1a notion de b11t ne rentre p,u dans la premem parler un Etat de dr9it; il devient ou, plus exapemem, il doit être un Etal de droit. Au
conrraire, pris au sens large, l'Etaç est, par définition, un Etal de droit. On remarquera que dans cette
·s Duguit, le Jroit objectif préexiste derniere hypothese l'expression Etat de droit est absolumem inutile, car redondame. C'est cette dua-
s que le droit ne s'y inréresse? Sur- lité de sens du mor Étal qui est, naus para1t-il, à l' origine de la relarive rareté du vocable Étal de droit
Jsteriori son emprise sur une force, chez Duguit et de son absence totale dans les exposés de Eisenmann et Waline.
13}. (souligné par naus) On notera que Duguit a glissé igiperceptiblemem de la définition stricte de
l'Etat à la définition large. Pour d'autres exemples cf L'Etat, p. 358 et Manuel, p. 662.
la conrrainre sociale, aurremenr dit 134. Manuel, p. 51-52. II se réfere à l'ouvrage de R. GNEIST, De,,- Rechtsstaal tmd die Verwalt11ngs-
,rande force réside dans la personne gerichte in Deutschland, 2' éd., 1879.

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394 L 'État de droit ou les apories d'un nowveau discours doctrinal Le discours fr<1

puisqu'il n'existe point de contrainte contre l'État lui-même, même à supposer tif en cas de 1
qu'il existe un juge administratif voire constitutionnel, seule la force morale du surer, si elle ;
droit objectif peut servir de moyen de pression pour garantir le respect du droit constitutionn
(positif) public 135 • Des lors, on comprend pourquoi Duguit invoque si souvent des rares à rés
le mot magique État de droit, lorsqu'il s'agit de faire respecter par l'État lui-
même les regles de son propre droit positif et plus précisément les décisions B.
de justice 13". Le concept d'État de droit sert à créer dans le chef des gouvernants,
en d'autres termes vis-à-vis de l'État, une obligation (morale) d'obéissance au 402 La pensée du
droit 117 • L'incantation de l'État de droit est censée intimider les détenteurs du qui est sourct
pouvoir et les rappeler à l'ordre, sous peine d'une réaction sociale. ce qu'il appel
401 Le concept d'État de droit chez Duguit se laisse, en partie, résumer par la for- définition mi:
mule suivante : « L 'État modeme 138 est tm État de droit: 1° parce qu 'il ne pettt faire discussions. '.
certaines fois contraires au droit; 2° parce qtt 'il est obligé parle droit de faire certaines France, à cô
lois; 3° parce que, administrateur et juge, il est lié par les fois qu 'il a faites, dans les d'autres insis
conditions qtti viennent d'être rappelées. » 11•1 Or, au moment ou il écrit cette défi- méthode pur
nition, en 1907, Duguit considere que l'idée de l'État de droit ne réclame point '
meme '
asevo
l'instauration d'un contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. À ses taine prudem
yeux, les garanties politiques de la Constitution, qui inclut la Déclaration de qu'on ne cess
1789 nonobstant le silence des trais lois constitutionnelles de 1875, sont suffi- autrement di1
santes : « Att stade de l'évolution jttridique auquel sont parvenues les sociétés positiviste "7 •
modemes, le droit légal, c'est-à-dire constaté par la foi positive, coincide approxima- d'une vision
tivement avec !e droit objectif général. » "º Ce n'est que plus tard, au cours des juriste-techni
débats doctrinaux, que Duguit changera d'avis et estimera que les mécanismes pour un reg8
politiques sont insuffisants et doivent être remplacés par des garanties juridic- l'aune de cett
tionnelles '". Ce faisant, Duguit rejoint ceux qui réclament au nom de l'État de cation de son
droit un accroissement du pouvoir des juges : « Un État ne pratique vraiment le normative (2
régime de l'État de droit que s'il a fortement organisé un systeme de sanction juri-
dictionnelle. » 142 Le juge aurait non seulement le droit de remanter au droit objec-

143. Traité, t. I,
135. ,Manuel, p. 220 et 662-3. Cf p. 335 : « La force obligatoire des décisi9ns juridictionn,elles à l'ég,1rd 144. Sur le posi1
de l'Etat est dane 11ne conséq11ence logiq11e et simple de la conception de l'Etat de droit : l'Etat est lié par Nouvelle contrib,
le droit objectif... » ; Traiié, t. I, p. 710 ss. et pp. 241-254 (<
136. Manuel, p. 51-52, 220,238,335 (= 40 % sur un total de 10 utilisations; cf supra note 28). doctrine », RDI
137. La situation est nettement différente en ce qui concerne les (autres) individus, i.e. les gouver- III' République.
nés. Ceux-ci sont à la fois tenus de respecter le droit positif en venu des sanctions étatiques qui les (cf. infra note 31
menacent et de l'obligation d'obéissance imposée parle droit objectif. Celle-ci trouve néanmoins sa 145. Cf M. TR
limite dans le droit de résistance reconnu parle droit objectif au cas ou la !oi positive serait conrraire « Carré de Malb
à la solidarité sociale. science j11ridiq11e_,
138. Faut-il supposer qu'il,existe une diffé,rence entre« État » er « État moderne »? Cela explique- « Carré de Mall

rait, peut-être, pourquoi l'Etat d1?vient un Etat de droit et quj! l'Etat moderne ou « civilisé » (Traité, constitutionnell,
t. I, p. 743) l'est déjà. Est-ce dire que coute sa définition de l'Etat comme force brute n'est pas repré- science j11ridiq11e.
sentative de la modernité et n'a plus qu'un intérêt historique? tutionnalité des
139. M,muel, p. 662 (souligné par nous). Cf "Ji-aité, t. III, p. 589 ss. 146. M. WALI"f\
140. Man11el, p. 661. en l 'honnettr de (
141. E. PISIER, « Léon Duguit et le contrôle de la constitutionnalité des !ois : paradoxes pour para- de Strasbourg, t.
doxes ... », Mélanges M. Duverger, Paris, PUF, 1987, pp. 189-202. Waline ou le pre
142. Traité, t. III, p. 761. Cf p. 725 (contrôle de constitutionnalité), p. 733 (principe de légalité), 147. Cf M. TRl
p. 738 et 743 (contre les actes de gouvernemem). 148. En ce sens
nouveau ·discours doctrinal

1i-même, même à supposer


el, seule la force morale du
f Le discours /rançais de l 'État de droit: aléas, fonctions et critiques

tif en cas de lacune ou d'obscurité dans la loi positive l43, mais encare de la cen-
surer, si elle était contraire à la Constitution qui se compose à la fois des lois
395

garantir le respect du droit constitutionnelles de 1875 et des príncipes inscrits dans le droit objectif. L'un
Duguit invoque si souvent des rares à résister à cette tendance est Carré de Malberg.
re respecter par l' État lui-
; précisément les décisions B. Le legs intellectuel ambigu de Carré de Malberg
ms le chef des gouvernants,
n (morale) d'obéissance au 402 La pensée du maltre de Strasbourg n'est pas exempte d'une certaine complexité
ntimider les détenteurs du qui est source de multiples controverses et malentendus. Ainsi ses opinions sur
action sociale. ce qu'il appelle l'État de droit et l' Étatlégal souffrent d'une ce:Caine opacité. La
partie, résumer par la for- définition même desa méthodologie a fait, et continue à faire, l'objet de vives
:t: 1° parce qu'il ne peut faire discussions. Si les uns voient en lui l'un des premiers et rares publicistes en
)ar le droit de faire certaines France, à côté de Gaston Jeze, à avoir théorisé le positivisme juridique l4\
les fois qu'il a faites, dans les d'autres insistem au contraire sur les nombreuses entorses à la rigueur d'une
ornem ou il écrit cette défi- méthode pure en droit '". D'ailleurs, les réticences de Carré de Malberg lui-
it de droit ne réclame point même à se voir accoler l' étiquette de « positiviste » invite, sur ce point, à une cer-
titutionnalité des lois. À ses taine prudence l4<,. 11 s' avere, en effet, que la préserrce d' éléments jusnaturalistes,
ui inclut la Déclaration de qu'on ne cesse de découvrir dans ses écrits, ne releve pas d'un simple accident,
,nnelles de 1875, sont suffi- autrement dit d'une dérive regrettable par rapport à une méthodologie a priori
' sont parvenues les sociétés positiviste w_ Cette optique normative constitue, au contraire, la clef de vou te
1ositive, coi"ncide approxima- d'une vision globale, car dualiste, du droit, laquelle ne se réduit pas à celle du
:i_ue plus tard, au cours des juriste-technicien Hs_ 11 y a indubitablement chez Carré de Malberg un espace
;timera que les mécanismes pour un regard différent, c'est-à-dire moral et politique, sur le droit. C'est à
fs par des garanties juridic- l'aune de cette méthodol9gie dualiste (1") qu'apparalt d'ailleurs toute la signifi-
lament au nom de l'État de cation de son concept d'Etat de droit, qui s'inscrit justement dans cette optique
État ne pratique vraiment le normative (2").
un systeme de sanction juri-
de remanter au droit objec-

143. Traité, t. I, p. 159 ss.


s décisipm juridictionn,elles à l'ég,ird 144. Sur le positivisme de ces deux auteurs, cf. F. GÉNY, Science et technique en droit privé positif.
1 de l'Etat de droit: l'Etat est lié par
Nouvelle contribution à la critique de la méthode j11ridiq11e, t. IV, Paris, Sirey, 1924, pp. 231-241 Oeze)
et PP: 241-254 (Carré de Malberg); G. BURDEAU, « Raymond Carré de Malberg. Son reuvre, sa
nilisations; cf supra note 28). doctnne », RDP, 1935, pp. 354-381. II est à noter que les positivistes som minoritaires sous la
s (autres) individus, i.e. les gouver- IUC République. Les grandes figures comme Hauriou, Duguit, Michoud, Le Fur, Gény, Esmein
ertu des sanctions étatiques qui les (cf. infra note 317), etc. sont tous des jusnaturalistes. Cf fyl.-J. REDOR, op. cit., p. 295.
jectif. Celle-ci trouve néanmoins sa 145. Cf M. TROPER, Pour une théorie j11ridiq11e de l'Etat, op. cit., p. 17 s; O. PFERSMANN,
« Carré de Malberg et la "hiérarchie des normes" », in O. BEAUD & P. WACHSMANN (dir.), La
:as ou la !oi positive serait comraire
science juridique française et la science juridique allemande de 18 70 à 1918, op. cit., p. 322; O. BEAUD,
« Carré de Malberg, juriste alsacien. La biographie comme élément d'explication d'une doctrine
} « État moderne »? Cela explique-
~tat moderne ou « civilisé » (Traité, constitucion_nelle », in O. BEAUD & P. WACHS,MANN (dir.), La science juridique française et la
comme force brute n' est pas repré- saence pmd1q11e allemande... , op. at., pp. 245-253; E. MAULIN, « Le príncipe du contrôle de consci-
tutionnalicé des !ois dans la pensée de R. Carré de Malberg », RFDC, 1995, pp. 79-105.
146. M. WALINE, « Le positivisme juridique de Carré de Malberg », Relations des]o11rnées d'ét11des
ss.
en l'honneur de Carré de Malberg {1861-1935), Annales de la Farnlté de droit et des sciences économiques
,alité des !ois : paradoxes pour para- de Strasbourg, t. XV, 1966, p. 20 et notamment p. 35 (extrair d'une lettre de Carré de Malberg à
Waline ou le premier réaffirme son dualisme méthodologique).
alité), p. 733 (príncipe de légalité), 147. Cf M. TROPER, « Positivisme », op. cit., p. 33.
148. En ce sens déjà: O. BEAUD, op. cit., p. 252.
396 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fr,i

1º Un apport méconnu : le dualisme méthodologique de Carré de Malberg droit positif e


réunir dans la
403 Pour saisir la pensée de Carré de Malberg sur le droit, il faut revenir à son point tenant à des C<
de départ. Dans la préface de sa monumentale Contribution à la théorie générale de la langue,
de l'Etat, publiée en 1920-22, il s'insurge contre « l'odieuse notion allemande de sur le contine
Herrschaft [domination] » dom les propagateurs auraient « systématiquement (. ..) berg au sein d
passé sous silence l'existence des regles d'ordre moral, qui dominent elles-mêmes de juridique, la t,
leur supériorité majeure toute puissance étatique, si absolue que soit juridiquement un terme prop
cette demiere, si nécessaire qu'elle soit politiquement » 1" . II reproche aux auteurs d'amener la e
allemands, qu'il ne désigne pas nommément, le fait d'avoir nié l'existence, au- engagent les i<
dessus du droit, de préceptes idéaux, soit qu'il n'y en ait pas ou plus - c'est le séparer de l' a1
motif de la mort de Dieu -, soit, ce qui revient au même, que c'est l'État qui en que Carré de
monopolise la définition 150 • D'ou une confusion entre le droit (étatique) et la
morale (elle aussi étatique), ce quine laisserait plus aucune place à un jugement a) Le regard
moral de l'individu sur le droit positif 151 • Carré de Malberg se refuse à une telle
emprise, exclusive, de la puissance publique : « Tout en maintenant le principe 404 Carré de Mall
d'autorité et le pouvoir de commandement sans lesquels l'État ne pourrait, ni fonc- fication étroir
tionner, ni même se concevoir, il faut (... ) réserver la part de la mora/e, à côté et au- appelés droit.
dessus de ceife du droit effectif. » 152 Reste à savoir quelle est la place de ce qu'il moyens de coe
appelle la« mora/e» à côté du nécessaire respect pour l'autorité de l'État, prin- sance. La con
cipe qui, à son tour, comme on le verra, se fonde sur des considérations méta- Du point de,
juridiques. une telle défi
La deuxieme critique majeure formulée par Carré de Malberg s'adresse à des conditions. D
auteurs français, connus pour être des jusnaturalistes, tels que Montesquieu, jours fidele, o
Michoud, Le Fur, Hauriou, etc. Loin de rejeter d'un seul trait, et avec la férocité tion des mots
d'un Bentham, leurs théories quant au droit naturel, Carré de Malberg fait par son publi
preuve d'une ouverture d'esprit certaine. Tout en prenant ses distances, il n'hé- en fonction d
site pas à reconna1tre d'importants points de convergence entre ces théories et sa
propre pensée. Le leitmotiv de sa critique est, avant tout, d'ordre terminolo-
gique "-'. Selon lui, c'est « brouiller les catégories » 1'"' que de désigner par un seul
mot, le droit, deux choses aussi différentes par leur nature et leur origine que le 155. Jbid., p. 239
156. On verra te
propres regles rig
157. Cité, sans ir
149. R. CARRÉ DE MALBERG, Contrib11tion à la théorie générale de l'État, spécíalement d'apres les 158. Cf R. CAR
données fo11rnies par !e droit constit11tionnel ji-ançais (1920-22), 2 vai., Paris, Sirey, réimpr. CNRS, [ = Réflexions], 1\
1962, t. I, p. xix. [ = Contrib11tion] de tenninologie, ,1
150. Jbid., t. !, p. XX. Cf ibid., p. 238. des idées. ,,
151. Le point de départ de Carré de Malberg n'est pas sans rappeler celui de Bentham, critique fé roce 159. Contrib11tio.
du droit naturel, ce quine l'a pas empêché d'être à son tour jusnaturaliste. Outre les idées de Weber 160. Contrib11tio,
et surtout de Jellinek sur le dualisme méthodologique, le débat anglais sur la distinccion entre is et 161. Oucre la dét
011ght peut en effet servir de grille de lecture pour décrypter la chéorie de Carré de Malberg. autres définitions
152. Contribmion, t), p. xx. définicion du dro
153. P. CUCHE, « A propos du "positivisme juridique" de Carré de Malberg ", Mélanges G1rré (2" définicion). F
de M,dberg, Paris, Sirey, 1933, p. 74. Apres avoir comparé les doccrines de Duguic ec de Carré de III" République i
Malberg, l'auceur arrive à la conclusion que, nonobstanc les divergences cerminologiques, il y a un de sa vie, il seml,
accord quant « att fond "· Or sacham que Duguit est un moraliste, Carré de Malberg le serait aussi. prenanc uniquem
Mais l'auceur neva pas jusque-là. conscitutionnel s,
154. L'expression, reprise d'Esmein qui esc cres proche de la pensée anglaise, se recrouve à plusieurs nition). Mais, il L
reprises chez Carré de Malberg (Contrib11tions, e. I, p. 207 ec 210). dans cet article a,

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--1--
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'

~ nouvear~ discours doctrinal Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques 397

ique de Carré de Malberg droit positif et le droit naturel. À ses yeux, « il est tout à fait illogique de vouloir
réunir dans la commune notion et appellation de droit deux especes de regles appar-
t, il faut revenir à son point tenant à des catégories aussi essentiellement distinctes » 155 • Ce souci pour la clarté
ribution à la théorie générale de la langue, si présent en Angleterre grâce à Bentham, et si souvent méconnu
'odieuse notion allemande de sur le continent, fait toute l'originalité et la richesse de l'reuvre de Carré de Mal-
aient « systématiquement (. ..) berg au sein de la doctrine française "". Comme il se plart à dire, « en toute matiere
7ui dominent elles-mêmes de juridique, la terminologie ne peut être satisfaisante qu'à la condition de comporter
1solue que soit juridiquement un terme propre pour chaque concept spécial. Le danger du mot à double sens, c'est
•> '". II reproche aux auteurs d'amener la confusion dans les idées » m_ En d'autres termes, puisque les mots
: d'avoir nié l'existence, au- engagent les idées 15', la forme le fond, l'acte de concevoir un objet ne se laisse pas
~n ait pas ou plus - c'est le séparer de l'acte d'énonciation. Aussi est-ce par souci pour la clarté du langage
1ême, que c'est l'État qui en que Carré de Malberg est amené à différencier deux optiques du droit.
rrtre le droit (éta tique) et la
aucune place à un jugement a) Le regard du juriste : le droit comme droit positif
vlalberg se refuse à une telle
Jt en maintenant le principe 404 Carré de Malberg part du mot droit auquel il confere, de prime abord, une signi-
•ls l'État ne pourrait, ni fonc- fication étroite. Pour lui, seules les regles sanctionnées par l'État méritent d'être
art de la morale, à côté et au- appelés droit. « L 'essence même de la regle de dr9it, c'est d'être sanctionnée par des
1elle est la place de ce qu'il moyens de coercition immédiate » 159 que seul l'Etat détient en raison de sa puis-
ur l'autorité de l'État, prin- sance. La contrainte est ainsi « la condition du droit au sens positif du mot » "'º.
ur des considérations méta- Du point de vue scientifique, Carré de Malberg est évidemment libre d'adopter
une telle définition stipulative du mot droit, sous réserve toutefois de deux
é de Malberg s' adresse à des conditions. D'une part, une fois cet usage établi, il doit s' astreindre à y rester tou-
,tes, tels que Montesquieu, jours fidele, ce qui n'est pas toujours le cas"''. D'autre part, sa liberté de défini-
seul trait, et avec la férocité tion des mots est intrinsequement limitée par l'objectif de se faire comprendre
irel, Carré de Malberg fait par son public, autrement dit d'être clair. Ce dernier critere varie évidemment
renant ses distances, il n'hé- en fonction du public visé. Afin de définir son usage du mot droit, Carré de
gence entre ces théories et sa
nt tout, d'ordre terminolo-
que de désigner par un seul
nature et leur origine que le 155. Jbid., p. 239.
156. On verra toutefois que Carré de Malberg n'applique pas toujours de façon conséquente ses
propres regles rigoristes en matiere de terminologie.
157. Cité, sans indiration bibliographique, par M. WALINE, op. cit., p. 31.
·ale de l'État, spécialement d'apres les 158. Cf R. CARRE DE MALBERG, « Réflexions tres simples sur l'objet de la science juridique »
vol., Paris, Sirey, réimpr. CNRS, [ = Réflexions], Mélanges en l'honne11rde François Gény, Paris, LGDJ, 1935, p. 195: « Simple q11erelle
de tenninologie, a-t-on répliq11é. Comme si, en 11n parei! s11jet, les mots n'engageaient pas essentiellement
des idées. »
er celui de Bentham, critique fé roce 159. Contrib11tion, t. I, p. 57 note 6.
aturaliste. Outre les idées de Weber 160. Contrib11tion, t. I, p. 211.
anglais sur la distinction entre is et 161. Outre la définition de la regle de droit par rapport à la sanction (1"' définition), on trouve deux
1éorie de Carré de Malberg. autres définitions sensiblement différentes. Dans les développements sur l' État de droit, il utilise une
définition du droit encore plus étroite, puisqu'il réduit le droit aux regles sanctionnées par 11n j11ge
arré de Malberg », Mélanges C,rré (2' définition). En conséquence, il n'y a pas eu de droit constitutionnel depuis 1791 jusqu'à la
octrines de Duguit et de Carré de III' République incluse, en l'absence de coute justice constitutionnelle (cf infra n" 414). À la fin
~rgences terminologiques, il y a un de sa vie, il semble, par moments, hésiter et adopter une définition plus large du droit positif en
ce, Carré de Malberg le serait aussi. prenant uniquement pour critere son « origine » étatique (cf RéJ,lexions, p. 195). Des lors, le droit
constitutionnel serait du droit positif, puisqu'il est édicté par l'Etat dans un texte formei (3' défi-
,sée anglaise, se retrouve à plusieurs nition). Mais, il faut reconrnutre que cette 3' définition est à peine développée et cohabite, d'ailleurs,
). dans cet article avec la 1"' définition.
398 L 'État de droit ott les apories d'ttn nowveau discottrs doctrinal

Malberg, qui est civiliste et romaniste de formation '", s'inspire justement d'une
T Le discours fi

peuvent au e
situation triviale en droit privé, que même l'homme de la rue est censé com- (positives) in
prendre. Or, ainsi qu'on le verra, cette situation, si elle symptomatique du droit Carré de]
privé, ne l'est point pour le droit public, ce qui fausse clone des le début la du mot droi1
démarche. dictio in adje
Dans ses Réjlexions tres simples sttr l'objet de la science jttridiqtte, Carré de Mal- naturelle, cai
berg commence par évoquer le cas d'un individu qui va consulter un juriste- incorporée e
praticien pour « s'éclairer sttr le regle de droit qtti régit, en un point détenniné, du parlemen
[s] es rapports avec desmembres de [s] afamille, ou avec des tiers, ou avec la civi- s' agit désorn
tas »"''. Au regard de ce contexte précis, il est évident que l'expression droit se du droit (sou
réfere aux regles que l'individu risque de se faire appliquer, au pire à son corps elle ne saurai
défendant, parles autorités étatiques. Aux yeux de Carré de Malberg, ni l'avocat jectif naturel
ni son client n'ont un intérêt pratique à s'interroger surdes questions philoso- on pourra di
phiques qui ont trait à la valeur du droit (positif) ou à l' existence d'un droit idéal. aux précepte
Or, en s'inspirant d'un tel lieu commun, a priori séduisant, Carré de Malberg la frontiere e
s'enfonce dans une impasse. Si l'optique de« l'homme de la rue » "'', focalisée sur que cette dif
la menace d'une sanction étatique, permet en effet de saisir le caractere obliga- Ainsi, seules
toire du droit, privé ou public, à l'égard des individus, elle interdit en revanche de toutes les
de concevoir un quelconque droit vis-à-vis de l'État lui-même, puisqu'il n'y a pas quement, C;i
de contrainte contre l'État. Le droit serait ainsi dépourvu de toute réciprocité « droit » la (
et exprimerait, au fond, un commandement unilatéral qui n'obligerait que les « droit positij
gouvernés et non point les gouvernants 165 • jusnaturalistt
405 Le critere de la sanction est clone incapable de saisir le droit positif dans son inté- tiale du mor
gralité, puisqu'il existe bien du droit positif, au sens de posé par l'État (exemple étroite qu'ell
la constitution), qui est toutefois dépourvu de sanction. À vrai dire, dans l'esprit
de Carré de Malberg, l'intérêt du critere de la sanction réside ailleurs. S'il est ~) Le regard
incapable de saisir tout le droit positif, il est néanmoins parfait pour écarter du
champ du droit ce que l'on appelait jusque-là le droit naturel. En effet, des lors 406 À cette pren
que l'on admet l'équation entre droit et sanction (étatique), il va de soi « qu'il ne qu'une seule
peut se concevoir, en fait de droit, que du droit positif» '"'' et que « la notion de "droit une deuxiem
naturel" n'est pas une notion juridiqtte » "'7 • Là encare il faut prendre l'exacte un dualisme
mesure de la critique de Carré de Malberg. D'un strict point de vue logique, son dont Carré d
dernier propos se résume en effet à énoncer une tautologie : il dit ni plus ni ter « à côté e1
moins qu'il n'y a de droit (sous-entendu positif) que le droit positif et que le citoyen. II n'
droit naturel n'est pas du droit (sous-entendu positif). On conviendra qu'il s'agit
là d'un secret de polichinelle que nul ne contestera. Car, le jusnaturaliste affirme
lui aussi que le droit naturel n'est pas la même chose que le droit positif; les deux 168. Cf infra n
169. Contrib11t1,
170. Cf ibid., t.
171. On menti,
162. Cf O. BEAUD, op. cit., p. 227. Lire ibid., note 33 l'exrrait de Esmein qui justifie la créarion de droit, 2' éd., Bn
deux agrégations distinctes par la profonde différence de l' objet du droit public par rapport au droit mais de celui dn
privé. rités publiques.
163. Réjlexions, p. 192. 172. Contrib11t1,
164. M. WALINE, op. cit., p. 24. fonnation dépen
165. Cf infra n" 432. de Malberg résu
166. Contrib11tion, t. I, p. 57 note 6. 173. Cf Contril
167. Jbid., t. I, p. 58 note 6. 174. Ibid., t. I, r
'1 nowveazi discours doctrinal Le discours /rançais de l'État de droit: aléas, fonctions et critiques 399

'1, s'inspire justement d'une peuvent au contraire s'opposer ainsi que !e prouve !e débat classique sur les !ois
rie de la rue est censé com- (positives) injustes '".
lle symptomatique du droit Carré de Malberg en arrive tout logiquement, à partir de sa définition initiale
:ausse clone des le début la du mot droit, à la conclusion que l'expression « droit naturel » est une« contra-
dictio in adjecto » "'": tant qu'elle n' est pas sanctionnée par l'État, cette regle dite
nce juridique, Carré de Mal- naturelle, car idéale, n'est pas du « droit » (i.e. droit positif) et une fois qu'elle est
1

:i_ui va consulter un juriste- incorporée dans l'ordre juridique de l'Etat, peu importe que ce soit par une loi
égit, en un point déterminé, du parlement ou une décision de justice, elle n'a plus rien de« naturel » puisqu'il
vec des tiers, ou avec la civi- s'agit désormais d'une regle de droit positif. L'adjectif est inutile dans la sphere
:nt que l'expression droit se du droit (sous-entendu positif). Une regle peut être soit naturelle, soit juridique,
pliquer, au pire à son corps elle ne saurait être les deux à la fois (dans la sphere du droit, bien entendu). L'ad-
:arré de Malberg, ni l'avocat jectif naturel redevient pertinent, si l'on se situe sur le plan moral. À ce moment,
r sur des questions philoso- on pourra dire que telle regle de droit (positif) est, en outre, conforme ou non
, l' existence d'un droit idéal. aux préceptes idéaux de la morale. Mais, pour que nu! ne puisse se tromper sur
éduisant, Carré de Malberg la frontiere qui sépare ces deux séries de regles, il faut, selon Carré de Malberg,
'1e de la me » "'', focalisée sur que cette différence se traduise par deux dénominations absolument distinctes.
de saisir !e caractere obliga- Ainsi, seules les regles sanctionnées par l'État sont dites« juridiques », à l' opposé
us, elle interdit en revanche de toutes les autres qui sont « morales ». Il n'y a pas de moyen terme 170 • Tres logi-
ui-même, puisqu'il n'y a pas quement, Carré de Malberg se refuse à un compromis linguistique qui ferait du
Jourvu de toute réciprocité « droit » la catégorie générique qui serait subdivisée en deux parties, l'une le

éral qui n'obligerait que les « droit positif» et l'autre le « droit naturel ». Un tel usage, propre à de nombreux
jusnaturalistes (mais pas à tous 171 ), est en effet incompatible avec sa définition ini-
e droit positif dans son inté- tiale du mot « droit » qui, eu égard à l'hypothese du client de l'avocat, est si
de posé par l'État (exemple étroite qu'elle ne peut renfermer que le droit positif.
on. À vrai dire, dans l'esprit
:tion réside ailleurs. S'il est ~) Le regard du citoyen : le caractere moral ou amoral du droit
oins parfait pour écarter du
,it naturel. En effet, des lors 406 À cette premiere méthode, celle du juriste qui n'entend sous le terme droit
atique), il va de soi « qu'il ne qu'une seule chose, ce qui fait que« le systeme du droit est un » 172, vient s'ajouter
1
"' et que « la notion de "droit
une deuxieme méthode qui n'est plus descriptive, mais normative. Il en découle
ore il faut prendre l'exacte un dualisme méthodologique, proche de, mais non identique à celui de Jellinek,
ict point de vue logique, son dont Carré de Malberg se réclame du reste 171 • Au regard du juriste vient s'ajou-
:autologie : il dit ni plus ni ter « à côté et au-dessus » m le regard du moraliste, du philosophe ou encore du
ue !e droit positif et que !e citoyen. II n'est pas inintéressant à cet égard de rappeler que Carré de Malberg
). On conviendra qu'il s'agit
Car, !e jusnaturaliste affirme
que le droit positif; les deux 168. Cf infra n" 522 ss.
169. Contribution, t. l, p. 239.
170. Cf ibid., t. l, p. 210 s.
171. On memionnera ainsi le cas original du néothomiste belge Jean DABIN, 1béorie générale dtt
!e Esmein qui juscifie la création de droit, 2' éd., Bruxelles, Bruylam, 1953. Il se sert non pas du binôme droit naturel - droit positif,
lu droit public par rapport au droit mais de celui droit - morale, en réservam le premier terme aux seules normes posées parles auto·
rités publiques.
172. Contribution, t. I, p. 60 note 6. « Bien loin d'être d11aliste, /e systeme dtt droit est ttn, p11isqtte sa
formation dépend invariablement de la pttissance d11 législatettr. » En ce sens, le dualisme de Carré
de Malberg résulte de la complémemarité de deux monismes.
173. Cf Contribution, t. 1, p. 43-44 note 37.
174. Ibid., t. I, p. xx ( = extrair cité supra note 152).
400 L itat de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours /rai

était un fervent chrétien qui n'a pas eu peur de s'exposer à des sanctions admi- n'est pas du d
nistratives pour rester fidele à sa foi, au moment ou l'État procédait manu mili- « idée » '" régul
tari à l'expulsion des congrégations' 75 • TI est d'ailleurs probable que ses convic- point il se dém
tions religieuses l' aient rendu insensible au relativisme éthique prôné par Weber dans sa préfact
et Jellinek, deux auteurs dont il reprend pourtant le príncipe d'une méthodolo- qu' « on ne sam
gie dualiste. Le célebre sociologue allemand a théorisé à la fois le theme de la certaines fois q1.
« guerre des dieux » et, en même temps, ce qui peut para1tre paradoxal, une ces derniers se
méthodologie dualiste censée modérer les effets négatifs de la distinction entre fere !e terme d
les faits et les valeurs. D'un côté, il analyse les faits qui sont les seuls éléments 408 En second Iieu
scientifiques; de l'autre, il s'intéresse aux questions relatives aux valeurs, bien lecture vertical
que celles-ci soient irrationnelles et subjectives '76 • Cette méthode si particuliere se juxtaposer e,
avait déjà connu une illustration en droit, avec la célebre Allgemeine Staatslehre regle peut des
publiée en 1900 par G. Jellinek. L' originalité de cet ouvrage réside dans sa sub- niveau supérie 1

division en deux parties : l'une a trait à la théorie juridique, i. e. positiviste, de inférieur à Ia r


l'État (« Allgemeine Staatsrechtslehre ») et l'autre à son soubassement philoso- volonté étatiqu
phique et social, c'est-à-dire la« Soziallehre des Staates ». Les deux parties, d'égale l' adéquation er
importance, sont juxtaposées, sans aucun lien apparent entre elles. Carré de Mal- classique du dn
berg s'inscrit !ui aussi dans cette lignée m, à trois différences pres, qui ne sont pas législateur, le jt
sans importance. la responsabi!it
407 En premier lieu, il ne partage guere !e postular du noncognitivisme éthique '7'. juge dans un ró
Selon !e ma1tre de Strasbourg, « la regle idéale, fondée sur un principe d'immuable matif certain l
justice, et tirant d'elle-même sa propre valeur, sa force impérative » ' 7'' n' est pas une doutes sur le pc
chimere ou une sim pie opinion subjective. Au contraire, en matiere de morale, cerner l'idéal d,
« il existe effectivement des vérités et eles regles pemianentes » "º. Si !e droit naturel les principes de
doit s'opérer u1
la garantie de 1
« droiture » '" d
175. Cf l'intervention de M. PRÉLOT dans le débat suivant la contriburion de M. WALINE,
op. cit., p. 43. citoyen, s'il jou
176. Lire l'arricle fondamental de M. WEBER, « Die "Objektivitat" sozialwissenschaftlicher und vie politique dt
sozialpolitischer Erkenntnis » (1904), reproduit in Gesamme!te Aufiãtze zttr Wissenschafistheorie, saurait disposer
2' éd., Tübingen, Mohr, 1951, pp. 146-214. Cf infra n· 467 et 472.
177. Cf Contrib11tio11, t. !, p. 43-44 note 37.
178. Cf Ph. RAYNAUD, « Droit n~turel et souveraineté nationale dans la pensée juridique fran-
çaise. Remarques sur la théorie de l'Etat chez Carré de Malberg », Commentaire, 1983, p. 385-6. II
est à noter que ni Waline, ni Gény ne mettent en doure ce point. Mais ils n'en estiment pas moins 181. Contribution,
que Carré de Malberg est un positiviste. Or, selon la définition de M. TROPER {« Le positivisme 182. Contribrttion.
juridique », op. cit., p. 31), le cognitivisme de Carré de Malberg suffirait déjà à l'exclure de la catégo- sujet dans l'article L
rie des posirivistes. op. cit., p. 242, note
179. Contrib11tio11, t. 1, p. 210. 183. Cf !'extrair ci,
180. Contrib11tion, t. I, p. 207: « Qu'en raison comme en justice, mt point de v11e de l'opportrmité poli- p. 358, situe tous 1,
tique comme au point de v11ede l'utilité sociale, la !oi ne p11isse se ramener exclusivement à la volonté arbi- juridique ».
traire du législate11r, qu 'a11-dessus de cette volonté acwelle il p11isse se concevoir et il existe e/fectivement 184. Contribution,
des vérités 011 des regles pennanentes dont on puisse a/firmer q11 'aucrme prescription !égislative positive ne 185. Contribution,
devrait méconnaztre la supériorité transcendante, c'est ce que les observ,1tions préser;tées ci-dess11s n'ont La !oi, expression de
nullement l'intention de contester. » Voir aussi Contribution, t. !, p. 57 note 6: si l'Etat est un pur pro- à la garantie de la m
duit de la force,« ce/<1 ne vera pds direq11e /,1 disJinction du bien et du mal, du justeet de !'injuste, dépende 186. Sur ce point, ,_
de la seu/e appréciation et détennination de l'Etat ».licite à l'appui un extrair tiré de l'Esprit des !ois 187. Réjlexions, p.:
de Montesquieu (Liv. !, chap. 1) sur l'antériorité des rapports de justice aux !ois positives. II se dit 188. Contribrttion,
« profondément convainrn de l,1 mprême valeur transcend<1nte des préceptes qui découlent de cette source
189. II prône, l'im
srtprême », mais précise aussitôt qu'il ne saurait s'agirde normes juridiques, au sens propre du terme. Cf R. CARRE DE
Voir aussi ibid., t. !, p. 238. référendum avec le
n nouveau discours doctrinal Le discours frança is de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques 401

:poser à des sanctions admi- n'est pas du droit, au sens strict qu'il donne à ce terme, il est néanmoins une
l'État procédait manu mili- « idée » '" régulatrice dont l'existence objective est au-dessus de tout doute. En ce
irs probable que ses convic- point il se démarque de l'école positiviste allemande, accusée despires turpitudes
ne éthique prôné par Weber dans sa préface à la Contribution, et rejoint les jusnaturalistes français pour dire
: príncipe d'une méthodolo- qu' « on ne saurait nier l'existence de certaines regles de justice, non plus que celle de
1risé à la fois le theme de la certaines !ois qui sont supérieures à la volonté de l'État » 182 • La seule différence avec
eut paraitre paradoxal, une ces derniers se situe sur le plan sémantique: à l'expression droit naturel, il pré-
gatifs de la distinction entre fere le terme de morale.
; qui sont les seuls éléments 408 En second lieu, Carré de Malberg opte, apres quelques hésitations "3, pour une
s relatives aux valeurs, bien lecture verticale ou hiérarchique des deux plans du droit et de la morale. Loin de
:ette méthode si particuliere se juxtaposer comme chezJellinek, les deux niveaux se superposent. Une même
Hebre Allgemeine Staatslehre regle peut des lors faire l'objet, d'abord, d'une analyse juridique, puis, à un
t ouvrage réside dans sa sub- niveau supérieur, d'un jugement moral. Ce qui veut dire aussi que le droit est
uridique, i. e. positiviste, de inférieur à la morale : en effet, « la notion de justice est plus haute que celle de
son soubassement philoso- volonté étatique » 18 ' . Reste alors la question épineuse des moyens de garantir
~s ». Les deux parties, d'égale l'adéquation entre les deux séries de regles. Sur ce point, on retrouve l'ossature
int entre elles. Carré de Mal- classique du droit naturel moderne avec ses trois vecteurs principaux que sont le
:érences pres, qui ne sont pas législateur, le juge et le citoyen. Carré de Malberg n'innove guere en attribuant
la responsabilité principale en la matiere au législateur 185 , et en maintenant le
noncognitivisme éthique 178 . juge dans un rôle secondaire. S'il reconnait que le juge dispose d'un pouvoir nor-
:e sur un príncipe d'immuable matif certain dans le processus d'interprétation '"', il a néanmoins quelques
impérative » ''" n'est pas une doutes sur le point de savoir si le juge est mieux placé que le parlement pour dis-
traire, en matiere de morale, cerner l'idéal de justice. C'est l'une des raisons pour lesquelles il refuse d'inclure
>ientes » "º. Si le droit naturel les príncipes de la Déclaration de 1789 dans le bloc de référence au regard duque!
doit s'opérer un éventuel contrôle de constitutionnalité des lois 187 • D'apres lui,
la garantie de l'adéquation entre l'idéal et la réalité réside avant tout dans la
« droiture » 188 du peuple lui-même qui a le droit positif qu'il mérite. Quant au
la contribution de M. \X/ALINE,
citoyen, s'il joue un rôle crucial dans ce processus à travers sa participation à la
ivitat" sozialwissenschaftlicher und vie politique de l'État (élections, référendums "', opinion publique, etc.), il ne
e A11Jsãtze zttr Wissenschafistheorie, saurait disposer, selon Carré de Malberg, d'un droit {moral) de résistance à l'op-
r2.

)nale dans la pensée juridique fran-


; », Commentaire, 1983, p. 385-6. li
1t. Mais ils n'en estimem pas moins 181. Contrib11tion, t. I, p. 58 note 6.
1 de M. TROPER (« Le positivisme
182. Contribtltion, t. I, p. 237. Voir encore ibid., t. II, p. 490. On trouve une série de citation~ à ce
suffirait déjà à l'exclure de la catégo- sujet dans l'article cité de M. \X/ALINE. Voir aussi les nornbreuses références réun.ies par F. GENY,
op. cit., p. 242, note 4.
183. Cf l'extrait cité supra note 152 (« à côté et a11-desms »). On notera que G. BURDEAU, op. cit.,
,111 point de v11e de l'opporttmité poli-
p. 358, situe tous les développements de Carré de Malberg sur la morale « à côté dtt point de vtte
nener excl11sivement à la volonté arbi- j11ridiq11e ».
se concevoir et il existe e!Jectivement 184. Contrib11tion, t. I, p. 238. ,
,me prescription législative positive ne 185. Contrib11tion, t. 1, p. 207 ( = extrait cité mpra note 180). Cf R. CARRE DE MALBERG,
1bserv,1tions préser;tées ci-dess11s n'ont La !oi, expression de la volonté générale (193 !), [ = l.oz1, réimp. Economica, Paris, 1984, p. 108 quam
J. 57 note 6: si l'Etat est un pur pro-
à la garantie de la morale par l'opinion publique. Cf G. BURDEAU, op. cit., p. 359.
/11 mal, d11 j11ste et de l'inj11ste, dépende 186. Sur ce point, cf les références chez F. GENY, op. cit., p. 245 ss.
)ui un extrait tiré de l'Esprit des fois 187. Réjlexions, p. 202.
!e justice aux !ois positives. li se dit 188. Contrilmtion, t. I, p. xx; Réjlexions, p. 203.
préceptes q11i découlent de cette s011rce 189. Il prône, l'introduction du référendum dans le régime politique de la III' République.
juridiques, au sens propre du terme. Cf R. CARRE DE MALBERG, « Considérations théoriques sur la question de la combinaison du
référendum avec le parlementarisme », RDP, 1931, pp. 225-244 [ = Considérations].
402 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours_1

pression '"º. Sur cet aspect, qui n'est pas toujours clairement perçu, tant ses pro- valeur mor,
pos sont touffus, Carré de Malberg épouse à la fois les vues de Rousseau et de tant de réaf
Kant. Ainsi, il instille dans le droit positif français de 1875 l'idée rousseauiste, qui relations de,
ne s'y trouve point 191 , que la loi est l' expression de la volonté générale. Il en l'exigence r
conclut à l'existence d'une obligation morale' 91 d'obéissance à la loi. Ce faisant, tielle, ainsi
le maí'tre de Strasbourg s'écarte définitivement de la méthodologie positiviste m_ Loin de dé
II estime même qu'il s'agit là d'une obligation « absolue » ••• en récusant les theses contenu, pr
prétendument « anarchistes » de Léon Duguit qui a osé légitimer un droit de lui obéir p
résistance de l'individu face à l'État'"'. C'est instaurer le désordre au sein de l'État D'autres pa
et « ébranler jusque dans ses fondements toute notion d'un ordre juridique positif » 196 méthode "F
que de légitimer la résistance. Le postulat de la survie de l'État prend ainsi le pas tion une la1
I •
sur l'exigence substantielle de justice. C'est là que se trouve, objectivement, la neanmoms
racine du reproche qu'on lui a fait si souvent de prôner le culte de l'État. turalistes se
409 Enfin, contrairement à l'équilibre gardé par Jellinek, Carré de Malberg n'ac- sous le faux
corde pas autant de place à l'analyse morale du droit qu'à l'analyse strictement vu déjà ave(
juridique. L'idéal qu'il se fait de la société et de la Cité - sa Weltanschauung on le verra
diront les Allemands - reste fragmentaire et ne s'éclaire qu'à travers quelques mitation dt
remarques éparses qui se trouvent souvent dans les notes de bas de page. Excep- chez le maí'1
tion faite d'un renvoi furtif à l'idée des droits de l'homme, on ne trouve guere impossible ,
de définition de ce qui est juste et moral, d'un point de vue substantiel. En exemple.
revanche, il insiste sur la nécessité et les bienfaits de l'ordre qui, en soi, est une
2° 1/n app1
Etat lég
190. En ce sens déjà: F. GÉNY, op. cit., p. 243. Contra M. WALINE, op. cit., p. 23.
191. O. PFERSMANN, « Carré de Malberg et la "hiérarchie des normes" », op. cit., p. 322. Carré 410 Contrairem
de Malberg invoque, en effet, l'areicle 6 de la Déclaration des droits de l'homme pour fonder cette pression Ét.
définition de la l9i. Or, la Déclaration de 1789 ne fait pas pareie du droit positif de la III'" République. l'existence L
192. R. CARRE DE MALBERG, Loi, pp. 141-173, spéc. p. 156 s. Le titre de ce chapitre, intitulé
« D11 fondement juridiq11e de la force obligatoire de la /oi selon !e droit p11blic act11el », est inexact. Plus décisif est à
exactement l'adjectif « j11ridiq11e », qui renvoie logiquement chez Carré de Malberg au droit positif,
e' est-à-dire à une norme sanctionnée par la contrainte, est erroné. Carré de Malberg doit, en effet, se
rendre à l'évidence que les titulaires de la puissance publique ne sauraie!]t faire l'objet de la contrainte
puisqu'ils en sont les détenteurs. Des lors, pour ne pas affirmer que l'Etat n'est pas soumjs au droit, 197. Contrib11,
Carré de Malberg distingue l'obligation d'obéissance de la contrainte exercée par l'Etat (ibid., 198. G. BURI
p. 152). Le mot droit prend du coup une nouvelle signification. Pour fonder cette obligation soi- c'est-à-dire dan,
disant juridique, il invoque l'areicle 6 de la Déclaration de 1789. Or, celui-ci ne fait pas pareie du droit Malberg ajferm
positif. De toute façon, l'obligation d'obéir au droit (positif) ne peut être fondée sur aucun texte de droit « l'essent1,
droit positif (ex. la constitution), puisqu'il reste toujours à savoir pourquoi on devrait obéir à cette 199. C'est le q
premiere norme de droit positif qui oblige à obéir à tomes les autres normes. II s'agit donc bien d'une bourg. Cf la ré
obligacion mora/e ou j11snatttraliste. op. cit., p. 42. L
193. Cf G. BURDEAU, F. HAMON, M. TROPER, Droit constitmionnel, 24' éd., p. 82, ou ils n" 468 ss et 49-1
insistem sur la« grande dijférence entre une définition du droit et 1me j11stification de son contemi ort une 200. Ainsi, il ,
incitation à la soumission ». Le positivisme est une « auiwde scientifique el non mornle 011 poli tique » (ibid., t. II, p. 4
(ibid.). On peut qualifier de « droit » cereaines normcs et constater leur existence « s,ms pour ,111tant le fait O. BEAI
prêcher l'obéissance » (p. 83). de Malberg », /
194. Contribution, t. I, p. 209 note 8. rale de l'Etat d,
195. Contribution, t. I, p. 203 ss. Critiquant les idées de Duguit, Carré de Malberg affirme que« cette comme Kant, ,
théorie ne l,iisse s11bsister q11 'une apparence el une ombre de go11vernement, car elleenleve a11 gouvemement 201. Nous ne t
ce q11i fait sa force et son 11tili1é: !e príncipe d'a11torité. Selon la fonnule des Pastorales de ]11rieu - fonnule l'reuvre de Cai
bmtale peut-être el qém1ée de ménagements, mais q11i renfenne une pari de pro/onde vérité - ªil doit y et surtout de n
<1voir dans chaq11e Et.11 11ne autorité qtti n'a pas besoin d'avoir raison po11r valider ses actes" » (p. 204). pements dédui
196. lbid., t. I, p. 205. Voir aussi ibid., t. I, p. 59 note 6, p. 208 ss et p. 237. 202. Cf infra 1
2 nouveau discours doctrinal

1rement perçu, tam ses pro-


T Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques

valeur morale plutôt formelle. II <lira ainsi que « le but des regles de droit n 'est pas
403

les vues de Rousseau et de tant de réaliser la justice en sai que d'assurer le maintien de l'ordre social dans les
1875 l'idée rousseauiste, qui relations des hommes les uns avec les autres » 197 • Carré de Malberg fait prévaloir
e la volonté générale. II en l'exigence métajuridique de la « sécurité sociale » sur celle de la justice substan-
,éissance à la loi. Ce faisam, tielle, ainsi qu'il ressort notamment desa récusation du droit de résistance 198 •
méthodologie positiviste 193 • Loin de décrire le droit tel qu'il est, il en fait l'apologie, que! qu'en soit le
'ue » '"' en récusant les theses contenu, prenant ainsi le poim de vue du « légalisme » ''" : la loi est la loi; il faut
a osé légitimer un droit de lui obéir par respect pour l'ordre, même en l'absence de toute contrainte.
!e désordre au sein de l'État D'autres pans de la théorie de droit naturel classique manquem également. Sa
'un ordre juridique positif» '"' méthode "positiviste" lui permet en effet d'évacuer de son champ d'investiga-
e de l'État prend ainsi le pas tion une large partie de ces questions comme étant non juridiques 200 • On aurait
;e trouve, objectivemem, la néanmoins tort d'en conclure à un dualisme de façade, car si les vestiges jusna-
ner !e culte de l'État. turalistes som plutôt rares, d'un point de vue quamitatif2° 1, et souvent cachés
:k, Carré de Malberg n'ac- sous le faux qualificatif de juridique, leur rôle n'est que plus importam. On l'a
t qu'à l'analyse strictement vu déjà avec la question de l'obligation pseudo-juridique d'obéissance à la loi et
Cité - sa Weltanschauung on le verra éga!ement avec la question du fondement jusnaturaliste de l'autoli-
claire qu'à travers quelques mitation de l'Etat 2º2• De maniere générale, l'élémem métajuridique se réduit
1otes de bas de page. Excep- chez le ma1tre de Strasbourg à l'essentiel, à un strict minimum sans leque! il est
10mme, on ne trouve guere impossible de penser le droit positif. Le theme de l'État de droit en est un autre
,int de vue substantiel. En exemple.
'. l' ordre qui, en soi, est une
2º [jn apport q'une valeur scientiji.que douteuse: la trilogie État de police,
Etat légal, Etat de droit
INE, op. cit., p. 23.
s normes" », op. cit., p. 322. Carré 410 Comraire!J1em à certaines idées reçues, Carré de Malberg n'a introduit ni l'ex-
Jits de l'homme pour fonder cette pression Etat de droit, ni son acception courante, selon laquelle il s'identifie à 1
1
1 droit posicif de la III' République. l'existence d'un contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des !ois. Son rôle
i s. Le titre de ce chapicre, inciculé
"
oit p11blic act11el », est inexact. Plus décisif est à chercher ailleurs. Sa célébrité est surtout due à sa distinction entre
Carré de Malberg au droit positif,
Carré de Malberg doit, en effet, se
uraienc faire l'objet de la concraince
ue l'État n'est pas soumjs au droit, 197. Contribution, t. I, p. 260, § 87, note 2.
ncraince exercée par l'Etat (ibid., 198. G. BURDEAU, op. cit., p. 363 : « En partant de l'idée que la regle de droit trouve en elle-même,
. Pour fonder cette obligation soi- c'est-à-dire dans /e fait d'être émise par l'organe compétent, sa j11stification et sa p11issance, M. Carré de
'r, celui-ci ne fait pas pareie du droit Malberg ajfennit la sémrité sacia/e. » L'auteur voit dans la« qualité organisatrice et modératrice » du
ieut être fondée sur aucun texte de droit « l'essentiel desa raison d'être » (ibid.).
r pourquoi on devrait obéir à cette 199. C'est le qualificatif employé par Michel Villey au cours du colloque organisé en 1966 à Stras-
es normes. II s' agit dane bien d'une bourg. Cf la réplique de M. Prélot in Relation des ]oumées d'études en l'honneur de Carré de Malberg,
op. cit., p. 42. L'imervemion de Villey n'a pas été reproduice dans l'ouvrage. Sur le légalisme, cJ. infra
nstiwtionnel, 24' éd., p. 82, ou ils n-· 468 ss et 494 ss.
1e j11stification de son contenu 0111me 200. Ainsi, il évacue de la chéorie juridique de l'État la question des coups d'État et révolutions
1tifiq11e et non momle 011 politique» (ibid., t.11, p. 497) ainsi que le pouvoir constituam originaire. Fauc-il pour autam en dé,duire, comme
er leur existence « sans po11r autant le fait O. BEAUD (« La souveraineté dans la "Concribution à la chéorie générale de l'Etat" de Carré
de Malberg », RDP, 1994, p. 1253) que l'reuvre de Carré de Malberg est idemique à la chéorie géné-
rale de l'Etat de Kelsen? II nous semble que non. Carré de Malberg n'est cerres pas un jusnaturaliste
:arré de Malberg affirme que « cette comme Kant, mais il n'est pas non plus un posiciviste « pur » comme Kelsen.
·1ent, car elle enleve a11 gouvemement 201. Naus ne faisons que formuler une hypochese minimale, car, pour être sur, il faudrait soumettre
de des Pastorales de ]1trie11 - fonnule l'reuvre de Carré de Malberg à une analyse scrupuleuse pour savoir exactemem combien de pages,
· part de profonde vérilé - "il doit y et surtout de notes de bas de page, seraiem "hors sujet", car extrajuridiques. Déjà cous les dévelop-
on po11r valider ses actes" » (p. 204). pemems déduits de ]'anicle 6 de la Déclaration de 1789 en feraiem pareie.
: et p. 237. 202. Cf infra n" 517 ss.
404 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fr,

l'État de droit et l'État légal. 11 a ainsi formaté le débat sur la justice constitu- lables, qui en
tionnelle et tracé le chemin dans lequel vont s' engouffrer nombre de juristes ture Etat de p,
apres lui. Sa propre position sur l'État de droit est, en effet, des plus ambigues. Si tifiq ue et de (
par certains aspects, il se fait le défenseur d'un contrôle de constitutionnalité des Plus on l'aus1
lois, en adoptant résolument un point de vue de politique juridique, par d'autres
aspects, notamment lorsqu'il s'agit d'interpréter le droit positif, et notamment a) État de pc
ses silences, il se fait, paradoxalement, l'avocat de l'État légal 1º1• Ce qui importe
ici, c'est de saisir en quoi son concept d'État de droit, dont on se réclame si sou- 411 Les choses se
vent de nos jours, est nonnatif et dans quelle mesure il est formel et matériel. clefs, mais il
L'expression État de droit appara1t à diverses reprises dans son reuvre majeure effet, à oppos
qu'est la Contribution à la théorie générale de l'État 20' et beaucoup plus rare- reprend tel q
ment105, si ce n'est plus du tout dans ses travaux postérieurs'°". À étudier de plus ma1tre de Str,
pres ces différents usages, on s'aperçoit que Carré de Malberg se réfere à deux tive peut, d'u1
si&nifications différentes, dont la deuxieme, - qui consacre l'identité entre complete, app!
l'Etat, défini comme personne juridique, et l'Etat de droit 1º' - est completement elle-même l'in
éclipsée par la premiere, à savoir l'identification de l'État de droit à la justice moment les fi1
constitutionnelle. Pourtant, sa célebre distinction entre l'État légal et l'État de suffit à justifie;
droit « manque de clarté » 1º', comme le note M. Troper. Si elle est reprise de nos sitôt abandon
jours par nombre d'auteurs, ce n'est qu'au prix de certains ajustements préa- sane, Carré d,
le concept d'
Comment un
203. Cf F. GÉNY, op. cit., p. 243; É. MAULIN, « Le principe du comrôle de constitutionnalité des
!ois dans la pensée de R. Carré de Malberg », RFDC, 1995, pp. 79-105.)l faut dire que la question est sait que l'un e
des plus complexes. Cerres, il conclut ses développeme1;1ts sur l'Etat de droit en disant que la droit » 111 ? Fat
III' République « ne s'est p,ts élevée j11squ'à la perfect~on de l'Etat de droit » (Contribution, t. I, p. 492). synonyme de
Faut-il y voir un jugement de valeur en faveur de l'Etat de droit? On serait tenté de répondre par l'af-
firmative. Or, à la même époque, Carré de Malberg s'oppose à tout contrôle juridictionnel de la l'État de droii
constitutionnalité des !ois, en se basant sur ce qu'il croit être le droit positif (cf R. CARRÉ répond guere.
DE MALBERG, « La constitutionnalité des !ois et la Constitution de 1875 », Rev. polil. & pari.,
t. CXXXII, 1927, pp. 339-354 [ = Constitutionnalité]; « La sanction juridictionnelle des principes
constitutionnels », Arm. IIDP, 1929, pp. 144-161 [ = Sanction]). En déniant un te! droit aux juges, ~) La distinct
il est convaincu de se placer sur un strict point de vue positif puisque, d' apres !ui, la question a
été « expressément solmionnée » ( Constittttionnalité, p. 339) par les !ois constitutionnelles de 1875. II 412 11 aborde auss1
resterait juste la possibilité d'instaurer unte! contrélle de lege ferenda, par le biais d'une révision de
la constitution, solution qui semble avoir les faveurs personnelles du maitre de Strasbourg, spéciale- de l'État de dr,
mem à la finde sa vie {e/« Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référen-
dum avec le parlememarisme », RDP, 1931, p. 240 s [ = Considérations]; Loi, 1931, p. 221 s). Mais les
choses se compliquem lorsque l'on sait que Carré de Malberg a, en réalité, recours à un argumem
métajuridique - le fameux article 6 de la Déclaration de 1789 ou« l'esprit public » (Sanction, p. 160) 209. Cf M.-J. RF
- pour faire dire au droit positif, qui est muet sur ce point, que les juges n'om pas ce droit. Subjec- créé en 1789 com
tivement, il croit raisonner en positiviste alors qu'objectivement il procede comme un jusnaturaliste deux sens, étant à
ou un sociologue. D'ou un imbroglio ou l'on peut distinguer trois éléments : le texte positif qui, vrage, « De l'Ét,11
objectivement, reste silencieux sur la question; le soi-disant « esprit public » (i.e. l' article 6, le « passé » constitutionnel, 2·
de la France, la « tradition révolutionnaire », etc.) qui est comre un te! contrôle; et enfin les vreux constitutiormel » ,
personnels de Carré de Malberg qui s'exprime en faveur d'un te! contrôle. Sur la question contro- 21 O. Contributio1
versée de l'interprétation du silence de la constitution, cf supra n" 127 spéc. note 167 (Thoma, 211. Voir ses lorn
Kelsen). tiun, t. r, p. 9 ss) .
204. Le mot appara,t dans le tome I p. 38 note 33, p. 199 note 3, p. 219, p. 231, p. 232 {2x), p. 256 212. Contrib11tio1
{2x), p. 488 (5x), p. 489 {6x), p. 490 {4x), p. 491 (2x), p. 492 {8x), p. 493, p. 508, p. 513; dans le tome II 213. Contrib11tio,
p. 8; ce qui fait au total 37 utilisations. et 351.
205. Constitutionnalité, 1927, p. 346 {2x); Loi, 1931, p. 125. 214. Quelle irpp,
206. II s'agit des trois anicles précités Sanction {1929), Considérations (1931) et Réjlexions (1935). le concept d'Etal
207. Cf Contribution, t. 1, p. 256 et, Loi, p. 125. quelque part aille
208. M. TROPER, « Le concept d'Etat de droit », op. cit, p. 52. faut-il entendre p.
n nouveaú discours doctrinal Le discours /rançais de l'État de droit: aléas, fonctions et critiques 405

ébat sur la justice constitu- lables, qui en modi~ent nette1;1ent le sens'º'. 11 faut dire que la triple nomencla-
;ouffrer nombre de juristes ture Etat de police, Etat légal, Etat de droit n' est guere un modele de rigueur scien-
t effet, des plus ambigues. Si tifi.que et de clarté sémantique. Elle a quelque chose d'inachevé et d'incohérent.
$le de constitutionnalité des Plus on !'ausculte, plus elle paraí:t boiteuse, bancale et obscure.
tique juridique, par d' autres
droit positif, et notamment a) État de police, État despotique, État
~tat légal 101 • Ce qui importe
t, dont on se réclame si sou- 411 Les choses se compliquem des le début, car, au départ, il n'y a pas deux mots
ire il est formel et matériel. clefs, mais il y en a trais, quatre, voire cinq. Carré de Malberg commence en
ises dans son reuvre majeure effet, à opposer les deux concepts d'État de droit et d'État de police, binôme ~u'il
it 2º' et beaucoup plus rare- reprend tel quel de la dostrine allemande, à savoir d'Otto Mayer. D'apres le
térieurs'°". À étudier de plus ma'itre de Strasbourg, « l'Etat de police est celui dans leque/ l'autorité administra-
de Malberg se réfere à deux tive peut, d'une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins
1Í consacre l'identité entre complete, appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par
droit 2º' - est completement elle-même l'initiative, en vue de faire face aux circonstances et d'atteindre à chaque
e l' État de droit à la justice moment les fins qu'elle se propose: ce régime de police est fondé sur l'idée que la fin
!ntre l'État légal et l'État de suffit à justifier les moyens » "º. Une fois défini, le concept d' État de police est aus-
per. Si elle est reprise de nos sitôt abandonné et n'apparaí:tra plus dans les développements ultérieurs. Ce fai-
! certains ajustements préa- sant, Carré de ,Malberg esquive quelques questions délicates quant au lien entre
le concept d'E~at, défini coinme une pers~nne juridique"t, et l'État de police.
Comment un Etat de police peut-il être un Etat, au sens propre du terme, si l'on
1 comrôle de conscitucionnalicé des sait que l'un est un ré gim e ou regne l' arbitraire, alors 9,ue l' autre est un « être de
'-105.)l fauc dire que la quesrion est
ir l'Etat de droit en disant que la
droit »"'? Faut-il ~onsidérer, en outre, que le terme Etat de police n'est qu'un
~ droit » (Contribution, e. I, p. 492). sy~onyme de« l'Etat despotique »"3, présenté auparavant comme l'antithese de
}n seraic cemé de répondre par l'af- l'Etat de droit? Voilà autant d'interrogations auxquelles Carré de Malberg ne
1 couc concrôle juridiccionnel de 1\1

·e !e droic posicif (cf R. CARRE répond guere.


1cion de 1875 », Rev. po!it. & pari.,
:cion juridiccionnelle des principes
En dénianc un rei droir aux juges,
~) La distinction entre État de droit et État légal
puisque, d'apres !ui, la quescion a
:s !ois constitucionnelles de 1875. II 412 11 ab9rde aussitôt la définiti~n de l'État de droit, ou plus exastement, du « régime
enda, par !e biais d'une révision de de l'Etat de droit » 114 • « Par Etat de droit il faut entendre un Etat qui, dans ses rap-
s du maicre de Strasbourg, spéciale-
srion de la combinaison du référen-
ttions]; Loi, 1931, p. 221 s). Mais les
, en réalicé, recours à un argumenc
1 « l'esprit p11blic » (Sanction, p. 160) 209. Cf M.-J. REDOR, op. cit., p. 14. Comrairem,em à Carré de Malberg, eVe estime que l'Érar légal
les juges n'onc pas ce droir. Subjec- créé en 1789 conscitue « une premiere version de l'Etat de droit ». L.e terme « Etat de droit » aurait clone
il procede com me un jusnaturalisce deux sens, éraryr à la fois !e tj!rme générique er !'une des deux sous-carégories. Des)ors !e ricre de l'ou-
:rois éléments : !e cexte posirif qui, vrage, « De l'Etat légal à l'Etat de droit », perd de sa pertinence. ,Cf également E. ZOLLER, Droit
rit p11blic» (i.e. l'arricle 6, !e« passé » constitutionne!, 2" éd., Paris, PUF, 1999. Elle distingue entre« I;Etat légal » fondé en 1789 et « l'État
: un rei conrrôle; ec enfin les vceux constittttionnel » de nos jours, les deux éram des formes de« l'Etat dedroit » (p. 41, 45).
~1 comrôle. Suda quesrion comro- 210. Contribution, r. I, p. 488.
ra n" 127 spéc. note 167 (Thoma, 211. Voir ses longs développemems sur !e concept de la personnaliré juridique de !'Érar (Contribu-
tion, t. I, p. 9 ss)
l, p. 219, p. 231, p. 232 (2x), p. 256 212. Contribution, t. I, p. 9. II s'agir de la définicion de l'État comme personne juridique.
,. 493, p. 508, p. 513; dans le tome II 213. Contribution, r. I, p. 199 note 3. Pour une critique de ce com:ept comradictoire, cf. supra n" 47
et 351.
214. Quelle iIJlpOrtance fauc-il attacher à ce mor qui reviem régulieremem? Faut-il en déguire que
frations (1931) er Réjlexions (1935). le concept d'Etat de droit se situe non pas au même plan que la définition générale de l'Etat, mais
quelque pare ailleurs, à un niveau d'analyse inférieur quine rouche qu'à son « régime »? Mais que
faut-il entendre par« régime » et de que! niveau s'agit-il?
406 L 'État de droit ou les apories d'un nowveau discours doctrinal Le discours fim,

ports avec ses sujets et pour la garantie de leur statttt individuei, se soumet lui-même sions sous la pi
à un régime de droit, et cela en tant qu'il enchazne son action sur eux par des regles, parfaitement c
dont les unes déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les autres fixent par Carré de M
avance les vaies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser les buts éta- tion de I'État I
tiques. »m 11 ajoute que« l'un des traits caractéristiques du régime d'État de droit droit est établi
consiste précisément en ce que, vis-à-vis des administrés, l'autorité administrative ne citoyens (. ..), le
peut user quedes moyens autorisés par l'ordre juridique en vigueur, et notamment tache à une cor1
parles !ois » 211'. Enfin, dernier aspect, et non des moindres: « Le régime de l'État voirs » 222 • L'Ét:
de droit implique essentiellement que les regles limitatives que l'État s'est imposées de gouvernem,
dans l'intérêt de ses sujets, pourront être invoquées par ceux-ci à la façon dont s'in- fonné des élus 1
voque le droit: car, ce n'est qu'à cette condition qu'elles engendreront, pour les sujets, impose une gr
du droit véritable. » 217 Derriere ce renvoi implicite à la pensée de Bahr et de pas au-dessus d
Mayer, se cache la figure du juge, véritable cheval de Troie compte tenu de la tra- droit, défini dt
dition révolutionnaire de 1789. « L'État de droit est dane celui qui - en même par leurs gardi
temps qu'il formule les prescriptions relatives à l'exercice desa puissance administra- carne la démoc
tive - assure aux administrés, comme sanction de ces regles, un pouvoir juridique vide. Selon cet
d'agir devant une autorité juridictionnelle à l'effet d'obtenir l'annulation, la réfor- structurel, entr
mation ou en tout cas la non-application des actes administratifs qui les auraient rés de l'individ
enfreintes. » 218 Si, pour l'instant, le concept d'État de droit se limite à réclamer et l'individu, on ,
à légitimer le juge administratif - problématique connue en France à travers le tout autre mé(
rôle joué par le Conseil d'État -, la question nouvelle du juge constitutionnel ma1tre de Stra~
ne tardera pas à être évoquée. lier « le législat,
413 C'est en ces termes que Carré de Malberg résume les conceptions d'outre-Rhin, !ui de façon ab
à la fin du XIX' siecle, concernant les relations entre l'administration et les parti- ment que « la e
culiers. L' État de droit est en effet un concept représentatif de la réalité alle- des droits indi7.
mande. 11 ne saurait s'appliquer au droit public de la France qui se présente plu- teur » 2". À cel
tôt comme un « État légal ». D'apres Carré de Malberg, l'État légal est « l'État l'existence du
« Pour que l'E
dans leque/ tout acte de puissance administrative présuppose une loi à laquelle il se
rattache et dont il soit destiné à assurer l'exécution » 219 • On notera que cette défini- citoyens soient
tion est entierement focalisée sur le droit administratif, ce qui n'est guere éton- étatiques vicie11
nant, vu l'emplacement de ce paragraphe 220 • En revanche, elle n'est d'aucun inté- 414 De ces déveloF
rêt du point de vue de la théorie générale de l'État. Là encare, la question de ment opposés.
l'articulation entre l'État, au sens d'une personne juridique, et l'État lér,al n'est du législateur ,
point abordée. En outre, il demeure à savoir ou se situe exactement l'Etat légal a fortiori à un
par rapport aux deux notions antagonistes que sont l'État de droit et l'État de
police? Est-il plus proche de l'un ou de l' autre? D' ailleurs, à voir certaines confu-
221. Ainsi, il pré,
en contradiction ;
et, de l'autre côté
Montesquieu d'ab
215. Contribution, t. I, p. 488-489. sentam de la chéc
216. Ibid., p. 489. tion constitutiom
217. Ibid., p. 489. en même temps e
218. lbid., p. 489-490. note 5).
219. Ibid., p. 490. 222. Ibid., t. I, p.
220. ,Tous ces développements ne se trouvent ni dans les premiers chapitres consacrés à la définition 223. Ibid., t. I, p.
de l'Etat, ni même dans les chapitres relatifs au pouvoir judici,aire ou à la notion de constitution, 224. Ibid., t. I, p.
mais dans la partie qui traite de la fonction administracive de l'Etat. 225. Ibid., t. I, p.
n nouveau discours doctrinal

1dividuel, se soumet ltti-même


T Le discottrs /rançais de l'État de droit: aléas,fonctions et critiques

sions sous la plume de Carré de Malberg, il semble que lui-même ne maí'trise pas
407

i action sur eux par des regles, parfaitement cette nouvelle distinction 221 •
'ens, dont les atttres fixent par Carré ~e Malberg ne donne que quelques índices sommaires pour la défini-
en vue de réaliser les buts éta- tion de I'Etat légal au point de vue de la théorie générale de l'État. Si« l'État de
ues du régime d'État de droit droit est établi simplement (ft uniquement dans l'intérêt et pour la sauvegarde des
,, l'autorité administrative ne citoyens (. . .), le régime de l'Etat légal est orienté dans une autre direction : il se rat-
ue en vigueur, et notamment tache à une co,nception politique ayant trait à l'organisation fondamentale des pou-
1indres : « Le régime de l'État voirs » 222 • L'Etat légal est clone un príncipe formel: il prône une certaine forme
itives que l'État s'est imposées de gouvernement, démocratique, selon laquelle « le Corps législatif, en tant que
r ceux-ci à la façon dont s'in- fomié des élus du pays, est l'atttorité supérieure » 21 '. Ce faisant, Carré de Malberg
, engendreront, pour les sujets, impose une grille de lecture du débat sur la place du juge dans la Cité qui n'est
~ à la pensée de Bahr et de pas au-dessus de toute critique. II esquisse une dichotomie absolue entre l' État de
Troie compte tenu de la tra- droit, défini de façon substantielle, par rapport aux droits individueis protégés
;t dane celui qui - en même par leurs gardiens inflexibles que sont les juges, et I'État légal, dans lequel s'in-
à desa puissance administra- carne la démocratie et qui n'est qu'une simple forme, autrement dit une coquille
, regles, un pouvoir juridique vide. Selon cette vision, tres répandue de nos jours, il n'y a pas, ou plus, de lien
Jbtenir l'annulation, la réfor- structurel, entre démocratie et droits de l'homme, entre le parlement et les liber-
dministratifi qui les auraient tés de l'individu. Des lors, il va de soi que si l'on se prononce pour les droits de
i droit se limite à réclamer et l'individu, on opte nécessairement pour la voie juridictionnelle, à l'exclusion de
onnue en France à travers le tout autre mécanisme, politique, de protection de ces droits. En effet, selon le
,elle du juge constitutionnel maí'tre de Strasbourg, le concept de I'État légal a pour particularisme de ne pas
lier « le législateur à un príncipe de respect du droit i,ndividuel qui doive s'imposer à
:s conceptions d'outre-Rhin, !ui de façon absolue ». En revanche, l'esprit de I'Etat de droit implique logique-
l'administration et les parti- ment que « la constitution détemiine supérieurement et garantisse aux citoyens ceux
)résentatif de la réalité alie- des droits fndividuels qui doivent demeurer placés au-dessus des atteintes du législa-
a France qui se présente plu- teur » 22'. A cela s'ajoute, aussitôt, car l'existence du droit est conditionnée par
lberg, I'État légal est « l'État l'existence du juge, un contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois.
« Pour que l'Etat de droit se trouve réalisé, il est, en effet, indispensable que les
;uppose une !oi à laquelle il se
. On notera que cette défini- citoyens soient armés d'une action en justice, qui leur permette d'attaquer les actes
:-atif, ce qui n'est guere éton- étatiques vicieux qui léseraient leurs droits. » 225
nche, elle n'est d'aucun inté- 414 De ces développements se dégagent ainsi deux modeles institutionnels radicale-
Lt. Là encore, la question de ment opposés. D'un côté, il y a I'État légal, qui se caractérise par la souveraineté
uridique, et I'État lé$al n'est du législateur démocratique, leque! n'est soumis ni à une constitution écrite, ni
situe exactement l' Etat légal a fortiori à un contrôle juridictionnel. L'exemple le plus représentatif en est
nt I'État de droit et I'État de
lleurs, à voir certaines confu-
221. Ainsi, il présente le Cansei! d'État français comme un élément crucial de « l'État de droit »
en contradiction avec sa présentation ini~iale entre, d'un côté, la notion allemande d'État de droit
et, de l'autre côté, la notion française d'Etat légal ,(Contrib11tion, e. I, p. 513). De même, il désigne
Montesquieu d'abord comm1; le chéoricien de« l'Etat légal » (ibid., t. II, p. 6), puis comme un repré-
sentant de la chéorie de « l'Etat de droit » (ibid., t. II, p. 8).,Enfin, il considere que coute la cradi-
tion constitutionnelle fraryçaise esr dominée par l'idée de l'Etat légal (v. infra). Pourtant, il affirme
en même temps que « l'Etat de droit » puise ses sources dans les idées de 1789 (ibid., t. I, p. 489
note 5).
222. Ibid., t. I, p. 490.
rs chapitres consacrés à la définition 223. Ibid., t. I, p. 491.
aire ou à la notion de consticucion, 224. Ibid., e. I, p. 492.
itat. 225. Ibid., t. I, p. 492.
408 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau disco11rs doctrinal Le discours fr,i

l'Angleterre 121•• En l'absence de toute distinction hiérarchique entre les lois ordi- 415 À l'aune du e
naires et les lois constitutionnelles, le Parlement de Westminster est absolument 1791 jusqu'à
souverain et n'a d'autres limites que celles érigées par la morale des citoyens et plique au dro
des élus. De l'autre côté, il y a l'exemple des États-Unis 227 qui incarnem la quin- multiples. 1) l
tessence de l'État de droit, puisque le législateur est strictement subordonné à ainsi l'autolin
une constitution écrite, reconnaissant les droits des individus, et à un contrôle tique se fait e
juridictionnel qui garantir non seulement l'efficacité de la constitution, mais légal, l'État dr:.
encare sa juridicité. Selon la définition du droit véhiculée par le discours de dique, et recc
l' État de droit, il n'y a de droit que s'il y a un juge. Toute norme de droit positif remplies par 1
dépourvue d'une sanction juridictionnelle ne pourrait ainsi prétendre qu'à la suppose le co
qualité de norme morale. príncipe qui e
Dans ce schéma de classification, le cas de la France semble se situer, à pre- clone ici simp
miere vue, à mi-chemin, puisque depuis 1791, à l'exception des deux Chartes de permet dé for
1814 et 1830, la France a toujours séparé les deux pouvoirs constituam et légis- tant 231'. 4) La 1
latif, contrairement à l'Angleterre. En outre, la plupart des constitutions fran- de droit, sup
çaises comportaient une déclaration des droits que le parlement devait respecter. contrôle jurid
Toutefois, à la différence des États-Unis, la France n'a pas opté pour un contrôle d'être le cas d,
juridictionnel. Or, de l'avis de Carré de Malberg, la France a toujours été, depuis C'est surto
1791 jusqu'à la III' République incluse, un État légal. Selon son analyse parti- terme d' État e
culiere, le droit public français s'est caractérisé parle cumul du pouvoir consti-
tuam et du pouvoir législatif entre les mains d'un parlement « souverain » 228 • S'il
n'ignore point l'effort des constituants français, notamment en 1791, à préser-
D.A
ver les droits inscrits dans la constitution contre les empietements du législa-
teur 22" et à assurer à ce texte fondamental une rigidité maximum, il n'en objecte
pas moins que l'absence d'une sanction juridictionnelle a rendu vaine toute cette 416 À partir des a1
entreprise 11º. Car, il n'y a de droit que s'il y a un juge. La these de l'assimilation en force 117 • Er
du droit et du juge, inseri te dans le concept d' État de droit, permet ainsi de récu- veau mot d'o1
ser la juridicité de la Constitution de 1791 "'. Quant aux trais lois de 1875, elles toutefois à ce
« ne possede (nt) pas les forces juridiques qui font qu 'un ensemble de regles édictées à mots clés trai
titre fondamental mérite véritablement et pleinement le nom de constitution » 131 • La
III' République n'a pas de constitution, « au sens propre de ce mot ,,m_ Du coup, 234. Car, on se r;
grâce à cet argument théorique de choc qu'est la confusion du droit et du juge, allemand et pour
Carré de Malberg peut assimiler completement le cas de la France à celui de 235. Nous allons
nalité juridique; ,
l' Angleterre. 236. On pense é,
237. Cj]. CHE\
238. Cj les disser
226. Cj Loi, p. 110 s. darmes en Corse
227. Ibid., p. 109 ss et 136. « l'État de droit »
228. On trouve un exposé synthétique de cette these contestable de Carré de Malberg qans Sanction 239. On notera"
et Loi (pp. 103-139). Pour une critique, voir les articles précités de O. PFERSMANN et E. MAULIN. considéré comm,
229. CJ la formule de la Constitution de 1791 : « Le po11·voir législatifne pottrra faire aucunes fois q11i « l 'État et l,1 dé,m
portent <1tteinte et mettent obstacle à l'exercice des droits nat11rels consignés d<1ns !e présent titre et g,iran· semble utiliser les
tis par la constitution. » KRIEGEL, L 'Ét,1
230. Loi, p. 119-120; Sanction, p. 151-152. Pour une critique de l'assimilation du droit et du juge, mentation françai
cJ. infm n· 431 ss. 240. Voir, par ex.
231. Loi, p. 120. Chez Carr~ de Malberg, le contrôle juridictionnel est clone constitutif de la grada- nale « Politique er
tion entre deux normes (cf. E. MAULIN, op. cit., p. 88 s). entre la politique ·
232. Loi, p. 138. de représentants /,,
233. !bid., p. 134. bliqtte implique a1
n nouveai1 disco11rs doctrinal Le discours /rançais de l'État de droit: aléas, fonctions et critiques 409

rarchique entre les lois ordi- 415 À l'aune du concept d'État légal, censé "déc~ire" le droit positif français depuis
Westminster est absolument 1791 jusqu'à 1920, le concept allemand d'Etat de droit, pour peu qu'on l'ap-
>ar la morale des citoyens et plique au droit français 23 ', 1éploie un potentiel normatif dont les aspects sont
Jnis 227 qui incarnem la quin- multiples. 1) Il exige de« l'ftat » de se soumettre à un « régime de droit » et fonde
t strictement subordonné à ainsi l'autolimitation de l'Etat 235 • 2) La limitation juridique de la puissance éta-
; individus, et à un contrôle tique se,fait en vue de« garantir le,5tatut des individus ». À l'opposé de l'État
ité de la constitution, mais légal, l'Etat de droit implique que l'Etat se dote d'une constitution, au sens juri-
,éhiculée par le discours de dique, et reconnaisse les droits de l'homme, deux conditions qui ne sont pas
foute norme de droit positif remplies par la ili' République selon le mattre de Strasbourg. 3) L'État de droit
rrait ainsi prétendre qu'à la suppose le contrôle juridictionnel du respect de la légalité par l'administration,
príncipe qui est déjà consacré en France et en Allemagne. Sa signification serait
ance semble se situer, à pre- clone ici simplement descriptive, à moins que l'on ne considere que le concept
ception des deux Chartes de permet dé fonder des propos de lege ferenda visam à améliorer le systeme exis-
,ouvoirs constituam et légis- tant 236. 4) La définition tres particuliere du droit, sous-jacent au concept d'État
1 part des constitutions fran- de droit, suppose logiquement la consécration, par voie de révision, d'un
e parlement devait respecter. contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, ce qui, en 1920, est loin
'a pas opté pour un contrôle d'être le cas des deux côtés du Rhin.
France a toujours été, depuis C'est surtout le dernier aspect qui va être à la source de la redécouverte du
gal. Selon son analyse parti- terme d'État de droit sous la V' République.
le cumul du pouvoir consti-
I
arlement « souverain » 228 • S'il § 2. LE DISCOURS DE L 'ETAT DE DROIT
>tamment en 1791, à préser- DANS LA SCIENCE CONSTITUTIONNELLE DEPUIS 1977
les empietements du législa-
té maximum, il n'en objecte
Lelle a rendu vaine toute cette 416 À partirdes années 1980, la philosophie des droits de l'homme fait un net retour
ge. La these de l'assimilation en force 237 • En témoign~ l'appropriation progressive, quoique partielle, du nou-
1e droit, permet ainsi de récu- veau mot d'ordre de l'Etat de droit par le monde politique. D'aucuns résistent
Lt aux trois lois de 1875, elles toutefois à ce nouveau phénomene sémantique et continuem à se référer à des
n ensemble de regles édictées à mots clés traditionnels tels que l'État 13', la démocratie 1 " ou encore la Répu-
le nom de constitution » 232 • La
'apre de ce mot » 111 • Du coup, 234. Car, on se rappelle que d'apres Carré de Malberg, l' État de droit est un concept essemiellemem
::mfusion du droit et du juge, allemand et pour !'instam il n'a pas encare manifesté une quelconque volomé de le transposer.
235. Naus allons revenir plus tard sur cet élémem jusnaturaliste qui se trouve à la base de la person-
! cas de la France à celui de
nalité juridique; cf infra n" 512 ss.
236. On pense évidemmem à l,a question des actes de gouvernemem.
237. Cf J. CHEVALLIER, L 'Etat de droit, 2' éd., Clefs, p. 121 ss.
238. Cf les dissensions sémamiques sur l'affaire de la paillote incendiée le 20 avril 1999 par des gen-
daripes en Corse entre, d'un côté, !e Premier ministre qui invoque le nécessaire rétablissement de
« l'Etat de droit » et, de l'autre, le président de la République qui rappelle !e « sens de l'État ».

e de Carré de Malbcrg qans Sanction 239. On notera ainsi que le fameux rapport rédigée en 1986 par B. BARRET-KRIEGEL - qui est
! O. PFERSMANN et E. MAULIN. con~idéré comme une étape décisive dans la résurgence du theme de l'État de droit - s'intitule
:islatifne po11rra faire aumnes fois q11i « l'Etat et L1 démocratie » conformémem à l'ordre pe mission donné par F. Mitterrand. Ce dernier

onsignés dans !e présent titre et g<1ran- semble utiliser Jes deux expressions démocratie et Etat de droit comme synonymes. Cf B. BARRET-
KRIEGEL, L 'Etat et la démocratie. Rapport à E Mitterrand, président de la Rép11blique, Paris, Docu-
le l'assimilation du droit et du juge, memation française, 1986, p. 3.
240. Voir, par ex., la définition de la Rép11bliq11e retenue parle groupe de travai! de l' Assemblée natio-
nnel est dane constitutif de la grada- nale « Politique et argent » dans sa Déclaration du 27 septembre 1994 sur la clarification des rapports
entre la politique et l'argent : « Le po11voir so11verain appartient a11 pe11ple q11i /'exerce par l'intermédiaire
de représentants /ibrement élttS: te! est !e príncipe fondamental de toute démocratie. En France, la Rép11-
bliq11e impliq11e a11 surplus la cohésion d11 peuple et de ses représentants autour de vale11rs communes. »
410 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours JI

blique''º. En France, l'idéal républicain garde un fort potentiel d'attraction en rai- l'émergence
son de son association avec les principes de 1789. « Être "républicain" au sens rarement -
XIX" siecle et II/' République du mot - écrit Maurice Agulhon - c'est adhérer aux La rareté,
grands principes et à la Révolution décisive de 1789 bien que 89 ait conservé !e Roi et homonyme
que laRépublique n'ait été établie qu'en 1792. » 241 De nos jours, la République reste n' est qu'un ,
une référence axiologique majeure dans la culture politique et juridique hexago- non pas une
nale, à l'opposé de l'Angleterre et de l'Allemagne ousa signification s'est réduite bloc de cons:
à sa dimension strictement formelle. La République incarne un pouvoir imper- 11 en va de n
sonnel, abstrair, poursuivant l'intérêt général et garantissant les droits de nel qui s'est
l'homme. Les points de chevauchement entre le discours de l' État de droit et le sens ,s,. Le re
concept hexagonal de République 242 som multiples: en témoignent les príncipes la fragilité dt
généraux du droit, élaborés par le Conseil d'État au vu de la tradition républi- fique est su
caine, les « principes fondamentaux reconnus par les !ois de la République » w ainsi III' Républiq
que le débat sur la portée de l'interdiction de toucher, par vaie de révision, à la de Carré de
«Jonne républicaine du gouvernement ,,m, formule qui, selon certains, vise égale- marqué par 1
ment la devise républicaine liberté, égalité, fraternité. (A), le terme
417 Au sein de la science constitutionnelle, le nouveau discours de l' État de droit cryptonorm"
vient se greffer sur le savoir juridique existam. Sa réception est toutefois éclec-
tique. Pour Louis Favoreu, fondateur de l'école d' Aix-en-Provence,« l'idée de réa-
lisation de l'État de droit domine le droit constitutionnel modeme » 245 • Ainsi, l'État
de droit est érigé en paradigme structurant toute la matiere du droit constitu- 418 11 est évidem1
tionnel, comme en témoigne le plan du manuel de droit constitutionnel coor- la science co1
donné par lui 246 • À l'autre bout de l'éventail se situe Michel Troper: il conclut sources que
soit à l'inutilité du terme, en reprenant à son compte la critique kelsénienne, soit colloques, etc
à une impossibilité théorique, en raison des postulats jusnaturalistes'". Quant au manuels de d1
parti pris de Bernard Chantebout, il s'avere en finde compre assez proche de ce dominante -
constat d'inutilité, puisqu'il estime qu'il s'a~it là d'une expression strictement
allemande qui ne mérite pas le détour'". A mi-chemin entre ces deux pôles
se situe, par exemple, Élisabeth Zoller qui se sert de l'expression État de droit, 150. Ibid., p. 41,
151. Ibid., p. 154
en premier lieu, pour décrire le droit positif allemand '", puis, pour relater 151. Ce constar
droit figure notan
n"' 311. Il est prés,
241. M. AGULHON, La République. 1880 à nos jours. Histoire de France, Paris, Hachette, 1990; citée relative à la méth
par J.-L. QUERMONNE, « République », in Dictiomzaire constitutionnel, 1"' éd., p. 922. Voir aussi 253. Sacham né.
C. NICOLET, L 'idée républicaine en France (1789-1924). Essai d'histoire critique, Paris, Gallimard, d'Amsterdam, or
cal!. te!, 1994; J.-M. PONTIER, « La République », Dalloz, 1992, pp. 239-246; M.-H. FABRE, Prín- liserait les traités,
cipes républicains de droit constitutionnel, 4' éd., Paris, LGDJ, 1984. de 1946 -, qu'il i
242. Cf A. BLECKMANN, « Der Rechtsstaat in vergleichender Sicht... », op. cit., p. 425; emendu, que d'u1
J.-L. QUERMONNE, op. cit., p. 923 qui cite M. Agulhon: « La République? elle reste solide, puisque troduction du ter
e~ qtt'on entend !e p/115 commzmément par "Rép11bliq11e", c'est-à-dire zm systeme sans roi ni dictateur; zm sion du bloc de e,
Etat de droit, une démocratie libérale, reçoit une adhésion qttasi zmanime. » 254. Cf Décision
243. Préambule de la Constitution de 1946. l'exposé des grief,
244. Are_ 89 ai. 5 de la Constitution de 1958. des étrangers, con
245. L. FAVOREU, « Le droit constitutionnel, droit de la Constitution et constiturion du droit », en mettant des gu
RFDC, n" 1, 1990, p. 79. vier 1994 : les déf
246. L. FAVOREU et alii, Droit constit11tio11nel, 1"' éd., Paris, Dalloz, 1998. dictionnel en mar
247. M. TROPER, « Le concept d'État de droit », Droits, n" 15, 1992, pp. 51-63. de droit » (cf JO.
248. J}. CHANTEBOUT, op. cit., 15' éd., p. 34. derni~re expressio
249. E_ ZOLLER, Droit constit11tionnel, 1' éd., op. cit., p. 85, p. 91, p. 169 ss (13x). En tout, 15 fois 255. E. PICARD
sur un total de 22 usages (idemifiés grâce à l'index). hommage à Rol,m,
m nouvea·u discours doctrinal

: potentiel d'attraction en rai-


« Être "républicain" au sens
T
.
Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques

l'émergence de la justice constitutionnelle en France 1'º et, enfin, - mais assez


rarement - pour désigner un concept juridique commun à l'Europe 151 •
411

Agulhon - c'est adhérer aux La rareté et la précarité de l' expression française État de droit, comparée à son
~n que 89 ait conservé le Roi et homonyme allemand, s'expliquent, tout d'abord, parle fait que l'Etat de droit
10s jours, la République reste n'est qu'un concept doctrinal, que chacun est libre d'adopter ou de rejeter, et
,olitique et juridique hexago- non pas une norme de droit constitutionnel positif 151 • Aucun des éléments du
~ sa signification s' est réduite bloc de constitutionnalité de la V' République nele mentionne pour l'instant 153.
e mcarne un pouv01r 1mper- II en va de même en ce qui concerne la jurisprudence du Cansei! constitution-
t garantissant les droits de nel qui s'est toujours gardé de s'y référer nonobstant quelques invitations en ce
scours de l'État de droit et le sens 1''. Le relatif insucces du concept doctrinal d'État de droit tient en outre à
: en témoignent les príncipes la fragilité de ses fondements théoriques, rarement élucidés. Sa validité scie;ti-
m vu de la tradition républi- fique est supposée acquise depuis les travaux des auteurs classiques de la
lois de la République » w ainsi III' République. On se repo~e surtout s~r la distinction, pourtant contestable,
1er, par vaie de révision, à la de Carré de Malberg entre Etat légal et Etat de droit. Dans ce contexte général,
marqué par un, « statu quo mal défini » 155 entre jusnaturalistes et juspositivistes
1ui, selon certains, vise égale-
:é. (A), le terme Etat de droit sert, en réalité, de vecteur à un discours micro- ou
cryptonormatif (B) .
.u discours de l'État de droit
réception est toutefois éclec-
ix-en-Provence, « l'idée de réa- A. Un statu quo méthodologique mal défini
nel moderne » 1". Ainsi, l'État
la matiere du droit constitu- 418 II est évidemment impossible de résumer en quelques lignes toute la richesse de
e droit constitutionnel coor- la science constitutionnelle française telle qu'elle se manifeste dans ses diverses
1e Michel Troper : il conclut sources que som les manuels, les revues scientifiques, les theses, les
:e la critique kelsénienne, soit colloques, etc. II n'en reste pas moins que divers propos, spécialement dans les
ts jusnaturalistes"'. Quant au manuels de droit constitutionnel qui som pour ainsi dire la vitrine de la doctrine
de compte assez proche de ce dominante - de la « herrschende Meinung », comme disent les Allemands -,
:!'une expression strictement
:hemin entre ces deux pôles
250. Ibid., p. 41, p. 257, p. 274 s (3x). En tout, 5 fois.
de l'expression État de droit, 251. Ibid., p. 154 et p. 448. En tout, 2 fois.
emand 1'", puis, pour relater 252. Ce constat ne vaut cependant pas pour rout le droit positif français puisque !e terme État de
droit figure notammem dans les trairés de Maastricht et d' Amsterdam ratifiés par la France. Cf supra
fl'' 311. II est présem égalemem dans la directive du Premier Ministre, Michel Rocard, du 25 mai 1988

{e France, Paris, Hachette, 1990; citée relative à la méthode de travai[ du gouvernemem (J. O. du 27 mai 1988).
;ciwtionnel, 1"' éd., p. 922. Voir aussi 253. Sacham néanmoins que l'anicle 88-2 se réfere expressis verbis aux trairés de Maastricht et
d'histoire critique, Paris, Gallimard, d' Amsterdam, on pourrait imaginer, dans !'hypothese ou le Conseil constitutionnel constitutionna-
12, pp. 239-246; M.-H. FABRE, Prin· liserait les rraités européens - à !'instar de ce qu'il a fait pour la Déclaration de 1789 et !e préarnbule
184. de 1946-, qu'il imroduirair égalemem la référence à[' Etat de droit. Pour !'instam, il ne s'agit, bien
hender Sicht. .. », op. cit., p. 425; emendu, que d'une hypothese d'école, d'ailleurs peu opponune à nos yeux (en ce qui concerne l'in-
a République? elle reste solide, puisque troduction du rerme Etat de droit). Quam à la premiere hypothese, cf É. PICARD, « Vers l'exten-
're tm systeme sans roi ni dictateur, tm sion du bloc de constiturionnalité au droir européen? ", RFDA, 1993, pp. 47-54.
rianune. » 254. Cf Décision n" 89-261 DC du 28 juiller 1989: Le Conseil consriturionnel reprend cenes dans
l'exposé des griefs la formule des requérams, s,elon lesquels la mesure Iégislative, qui a r~ir à la ~olice
des étrangers, constiruerait « la nég,uion de l'Etat de droit ", mais !e Conseil marque bien sa disrance,
1stitution er constirution du droir », en mettam des guillemets er en ignoram l'expression par la suite. Cf Décision n" 93-335 du 21 jan-
vier 1994 : les dépurés critiquem une disposirion législative qui restreim !e droir à un recours juri-
)alloz, 1998. dictionnel en mariere administrative en arguam une violation du « príncipe de légalité » et de « l'État
>, 1992, pp. 51-63. de droit » (cf ].O. du 26 janvier 1994, p. 1403). Le Conseil, quam à !ui, ne se prononce pas sur cerre
derni~re expression.
,. 91, p. 169 ss (13x). En tout, 15 fois 255. E. PICARD, « "Science juridique" ou "doctrine juridique" », in L '1mité du droit. Mélanges en
hommage à Roland Drago, Paris, Economica, 1996, p. 119.
412 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fi;

confirment les conclusions convergentes d'Étienne Picard et de Michel Troper. tion et la rhe
Selon le premier, les débats méthodologiques entre positivistes et nonpositi- cette hésitati,
vistes paraissent de nos jours « un peu vains » faute d'une « issue décisive ou défi- tivisme bon t
nitive » ' 5'. Le désintérêt pour la théorie du droit laisse la place à« un vague syn- s' avoue oblig
crétisme pouvant néanmoins couvrir confusément cet indifférentisme incertain » 157 • définitions r
On retrouve les même doutes sous la plume de M. Troper lorsqu'il s'interroge ouvrant ainsi
sur la nature exacte de la définition habituelle de l'État de droit comme étant un On trouve
État « soumis à la constitution et aux déclarations des droits de l'homme » : « Unte! théorie jusna
État doit-il être appelé État de droit formei dans la mesure ou ces droits sont conçus sence d'une d
non comme des droits naturels, mais comme l'expression de la volonté d'zm consti- de limites à la
tuant, ou au contraire État de droit matériel, parce que les organes de l'État auraient Bodin et Loy
non sezt!ement l'obligation d'agir dans !e cadre de compétences dérivées de la consti- de l'histoire ,
tution, mais aussi ceife de donner aux nonnes qu 'ils émettent un contenu spéci- jours. De mê1
fique? »' 5' Autrement dit, le discours de l'État de droit tel qu'il est véhiculé de nos selon laquelle,
jours par la grande majorité des juristes et qui est axé à la fois sur l'idée des droits damentaux a1
de l'homme et le rôle protecteur du juge, est-il fondé sur une méthodologie posi- exacte du poin
tiviste ou jusnaturaliste? par M. Trope1
419 11 ne s'agit évidemment pas d'occulter l'existence de quelques voix qui prônent de nonpositiY
ouvertement tel ou tel choix méthodologique, qu'il soit positiviste - on pense Certains es
notamment à M. Troper et Otto Pfersmann - ou non positiviste, ce qui est déjà la doctrine ét
plus rare, comme par exemple G. Burdeau (1905-1988), Stéphane Rials, voire France à l'heu
B. Chantebout 259 • Mais une partie non négligeable de la doctrine semble vouloir sitôt positivist
esquiver ce genre de débat. L'exemple de Philippe Ardant est sur ce point tres avant tout un,
éclairant. Dans la préface de son manuel, l'auteur se refuse à réduire la droit lité pour en e)
constitutionnel à « un ensemble de techniques sans âme et sans racines, regles de jeu oblige à faire !,
à la vocation simplement zttilitaire »"º. De façon rhétorique, il s'interroge sur tif de tout élé
« l'autre signification »dela constitution qui n'est pas seulement un texte de droit
juridique ne s,
positif, mais s'ouvre sur un au-delà, surdes« valeurs ». En France, et c'est de ce au droit. Aini
seul pays qu'il parle, l'État est, en effet, fondé sur les « valeurs démocratiques et réelle ou sa v,
libérales » "'. La dimension « philosophique » de la constitution transparaí't juste- sophe sont res
ment dans la question de « l'État de droit »"''. Celui-ci n'est pas simplement
un systeme de légalité, sinon même l' Allemagne nazie aurait été un État de droit
- ce que Ph. Ardant rejette - mais comporte un certain « contenu » 11·'. N'est-ce 264. Ph. ARDAJ\
pas là faire foi d'un idéal normatif, d'un jusnaturalisme de facture classique? Or, qu 'il en soit ... ».
265. C. KLEIN, ·,
confronté au dilemme de devoir choisir entre l'idée positiviste de l'autolimita-
« Le Cansei! cons1
l'homme ", Pottvu
tie des droits. Le d
256. Ibid. tution, Paris, LGL
257. Ibid. 266. G. VEDEL,
258. M. TROPER, « Le concept d'État de droit ", op. cit., p. 52. 267. S. RIALS, «:
259. II va sans dire que leurs méthodes ne som pas idemiques. Si le premier a théorisé la notion 268. C'est la ques
« d'idée d11 droit ", le second s'inscrit dans la lignée du droit naturel ancien et le dernier plurôt dans 12•· éd., p. 11, qui
une optique sociologique. donné ». L'auteur
260. Ph. ARDANT, lnstit11tions politiques &droit constittttionnel, 10' éd., Paris, LGDJ, 1998, p. 12. qu' est !e positivisn
261. Ibid. la raison d'être, a,
262. Jbid., p. 54. L'auteur distingue trois aspects dans la constiturion : symbolique, philosophique mems de narure h
et juridique. sa pareie imroduct
263. Ibid. 269. Cf. H. KELS
m nouvea·u discours doctrinal

Picard et de Michel Troper.


T
1
Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques

tion et la théorie des droits naturels, l'auteur s'esquive 2"'. Une autre preuve de
413

:re positivistes et nonpositi- cette hésitation a été fournie par Georges Vedei, réputé pour défendre « un posi-
d'une « issue décisive ou défi- tivisme bon teint » 265 • Pourtant, interrogé sur sa propre définition du droit il
isse la place à « un vague syn- s'avoue obligé de rendre copie blanche 2 Critiquant à tour de rôle chacune des
6('.

indifférentisme incertain » 157 • définitions du droit avancées à un moment, G. Vedei n'en retient aucune
. Troper lorsqu'il s'interroge ouvrant ainsi la voie à un scepticisme radical en pépit de ses dénégations. '
ttat de droit comme étant un On trouve encore, de façon ponctuelle, chez E. Zoller, quelques vestiges de la
droits de l'homme »: « Un tel théorie jusnaturaliste dont !e statut reste néanmoins imprécis en raison de l'ab-
esure ou ces droits sont conçus sence d'une définition générale du droit. Ainsi, elle insiste sur les trois catégories
;ion de la volonté d'un consti- de limites à la souveraineté - les lois divines, naturelles et fondamentales - chez
e les organes de l'État auraient Bodin et Loyseau, sans que l'on sache précisément s'il s'agit d'un simple rappel
npétences dérivées de la consti- de l'histoire des idées ou d'une théorie qui garderait quelque validité de nos
ls émettent un contenu spéci- jours. De même quelle portée faut-il attribuer à l'affirmation suivante : « L'idée
it te! qu'il est véhiculé de nos selon laquelle, par-delà les conditions posées parles textes, il existe des príncipes fon-
:é à la fois sur l'idée des droits damentaux auxquels le pouvoir constituant ne peut pas déroger est certainement
é sur une méthodologie posi- exacte du point de vue de la philosophie politique »? Au regard des cri teres énoncés
par M. Troper, un tel postulat cognitiviste serait de nature à qualifier son auteur
de nonpositiviste.
:!e quelques voix qui prônent
Certains estimem que la doctrine est en majorité positivistem. 11 est vrai que
il soit positiviste - on pense
la doctrine étudie non pas un droit idéal, utopique, mais le droit applicable en
10n positiviste, ce qui est déjà
France à l'heure actuelle. Or suffit-il de s'intéresser au droit positif pour être aus-
-1988), Stéphane Riais, voire
sitôt positiviste? 2'' 8 Une réponse négative semble s'imposer : le positivisme est
de la doctrine semble vouloir
avant tout une méthode, tres astreignante par ailleurs, que l' on applique à la réa-
: Ardant est sur ce point tres
lité pour en extraire l'objet scientifique appelé droit positifl"'. Une telle méthode
r se refuse à réduire la droit
oblige à faire le trientre ce qui releve ou non du juridique, et à isoler le droit posi-
me et sans racines, regles de jeu
tif de tout élément méta- ou extrajuridique. Cela signifie encare que la science
rhétorique, il s'interroge sur
juridique ne saurait répondre à toutes les questions touchant de pres ou de loin
as seulement un texte de droit
au droit. Ainsi en est-il des questions touchant à son origine, son application
ers ». En France, et c'est de ce
réelle ou sa valeur, pour lesquelles seuls l'historien, !e sociologue et le philo-
les « valeurs démocratiques et
sophe sont respectivement compétents.
:onstitution transparatt juste-
:elui-ci n'est pas simplement
azie aurait été un État de droit
:ertain « contem-t ,,m_ N'est-ce 264. Ph. ARDANT, op. cit., p. 25. À la finde l'exposé des deux options, il conclut en disant: « Quoi
isme de facture classique? Or, qu 'il en soit ... ».
265. C. KLEIN, Théorieet pratiquedu pouvoirconstituant, Paris, PUF, 1996, p. 167. C/ G. VEDEL,
.ée positiviste de l'autolimita- « Le Conseil constitutionnel, gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de
1:homme »_, Pouvoirs: n" 13, 3' rééd., 1991, pp. 209-219; G. VEDEL, « La constitution comme garan-
tle des dro1ts. Le dro1t naturel », m M. TROPER & L. JAUME {clir.), 1789 et l'invention de la consti-
llltion, Paris, LGDJ-Bruylant, 1994, pp. 205-215.
266. G. VEDEL, « Indéfinissable mais présent », Droits, n" 11, 1990, pp. 67-71.
267. S. RIALS, « Supraconstitucionnalité et systématicité du droit », APD, 1986, p. 57.
12.
268. C'est la question que l'on peut se poser à la lecture de l'ouvrage de Jean GICQUEL, op. cit.,
!S. Si le premier a théorisé la notion
12' éd., p. 11, qui définit le droit posicif comme « le droit applicable dans une société à 1m momenl
1turel ancien et le dernier plutôt dans
donné ». L'auteur qui, on le sait, se dit positiviste, ne définit à aucun moment dans son ouvrage ce
qu'est le positivisme. Le terme ne figure même pas dans ]'index. On ades lors du mal à comprendre
nel, 10' éd., Paris, LGDJ, 1998, p. 12.
la raison d'être, au regard d'une méthodologie pure au sens kelsénien, des nombreux développe-
ments de nature historique, sociologique, voire philosophique dans cet ouvrage, spécialement dans
,itution : symbolique, philosophique
sa panie introductive.
269. Cf H. KELSEN, Reine Rechtslehre, op. cit., 2' éd., p. III ss et p. !.
414 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours frc 1

420 Les raisons de cet « indifférentisme » (É. Picard) s' expliquem, en grande partie, définitivemen
par la richesse des ressources de la dogmatique actuelle. Une fois que l'État est les défenseurs
soumis, en droit positif, à une constitution et, à un niveau supérieur, à des tions par une
normes de droit international, qui consacrent toutes les deux les droits de remanié. Or,
l'homme, la question du droit naturel semble perdre de son intérêt. À quoi bon française, on ,
remanter jusqu'aux confins du droit, si la solution est à portée de main ! Selon
Mauro Cappelletti, le constitutionnalisme contemporain - et cela vaut, mutatis B. Ler,
mutandis, pour le droit international des droits de l'homme - « constitue une
tentative pour dépasser l'opposition datant de milliers d'années entre droit positifet 421 Selon la défini
droit natttrel; opposition entre un droit souverain (higher) non écrit, immuable, prit de la doe
fondé sur la nature et la raison, et une loi de caractere temporaire, faite par un légis- droit supposé
lateur particulier pour tm lieu et un temps donnés » 170 • La constitution, en alliant par « le droit ,
la forme de l'un et le contenu de l'autre, représenterait ainsi « une sorte de syn- encare que le
these entre positivisme juridique et droit naturel » 271 • Même le débat sur la supra- des auteurs fr.
constitutionnalité n'a pas abouti en fin de compre à cette guerre d'écoles que opposition au
d'aucuns voyaient se dessiner, non sans quelque plaisir 172 • Sauf exceptions 27\ de la défense (
ceux qui tenaient à protéger les droits de l'homme contre tout empiétement de fie pas » 281 , fon
la part du pouvoir de révision constitutionnelle, pouvaient recourir soit à la lisée par Bahr
théorie décisionniste de Schmitt 2" , qui se situe à mi-chemin entre le positivisme J. Rivéro, « la
et le jusnaturalisme"', soit à la constitution elle-même - l'article 89 al. 4, à qui nion la regle d
l'on injecte une forte dose libérale - ou encare au droit positif supranational tel elle tire sa spéc
que la Convention européenne des droits de l'homme' 7''. C'est ce qui permet de cacité pratique
mieux saisir l'ambigu·iré de la définition de l'État de droit de L. Favoreu: tout en quer la révolu
se disant positiviste 277 , il n'affirme pas moins que seul l'État qui respecte les « La constituti,
droits de l'homme et qui se dote d'une justice constitutionnelle mérite d'être regle juridiqu(
qualifié d' État de droit. Sieyes, Carré 1
Faut-il dane conclure que le débat entre positivisme et jusnaturalisme est
dépassé en théorie, et qu'un certain discours positiviste l'a emporté? L'argu-
mentation, selon laquelle la querelle entre positivistes et jusnaturalistes serait 278. B. OPPETJ"
d11 contentieux co,.
l'État de n'impon
rance, faisant des
270. M. CAPPELLETTI, Le pouvoir des j11ges, trad. R. David, préf. L. Favoreu, Paris, Economica- moyens institutio,,
PUAM, 1990, p. 278. 279. Voirtoutefoi
271. Ibid. Dans le même sens: G. DRAGO, Contentie11x constitutionnel, Paris, PUF, 1998, p. 7, qui Droit constitution
voit dans le retour à une définition substantielle du droit et de la constitution, te! que prôné notam- sentam les proprié1
ment par l'école d'Aix-en-Provence, un certain paradoxe puisqu'il se fait sur les prémisses positi- mtion a) permette
vistes de Kelsen. D' ou sa conclusion : « Le normativisme kelsénien participe ainsi à 11ne revalorisation l'arbitraire et e) q11
d11 droit natttrel" (ibid.). céd11res permettan 1
272. Cf H. ROUSSILLON, Le Cansei! constiwtionnel, 2' éd., Paris, Dalloz, p. 59. mpériet1r selon !e r
273. Cf l'optique jusnaturaliste d,e S. RIALS, « Supra-constitutionnalité et systématicité du droit ", pour une théorie
APD, 1986, pp. 57-76 et S. ARNE, « Existe-t-il des normes supra-constitutionnelles? ", RDP, 1993, droit, op. cit., pp.
pp. 459-512. , 280. Cf, C. GO)
274. O. BEAUD, La p11issance de l'Etat, Paris, PUF, 1994, pp. 307 ss; id., « Maastricht et la théorie droit, 2'" éd., op. e,
constitutionnelle ", LPA du 31.3.1993, pp. 14-17 et LPA du 2.4.1993, pp. 7-10. p. 169. ,
275. Sur le décisionnisme schmittien, qui est un enfant du relativisme éthique de M. Weber dont il 281. J. RIVJ;:RO.
modere simplement les effets, cf H. EHMKE, Grenzen der Verfassrmgsãndenmg, Berlin, Duncker & 282. J. RIVERO.
Humblot, 1953, p. 37 ss. Paris, Dalloz, 197
276. L. FAVOREU, « Souveraineté et supra-constitutionnalité », Pouvoirs, n" 67, 1993, pp. 71-77. O. Jacob, 1997, p.
277. L. FAVOREU, « Le droit constitutionnel, droit de la Constitution et constitution du droit », 283. L. FAVORE
RFDC, 1990, p. 77. RFDC, !990, p. 7.
'1 nouveaÚ discours doctrinal

cpliquent, en grande ,pareie,


elle. Une fois que l'Etat est
T Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques

définitivement dose, n'est pas, en effet, sans quelque paradoxe. Le plus souvent,
les défenseurs de cette these concluem non pas au dépassement des deux posi-
415

un niveau supérieur, à des tions par une nouvelle théorie, mais à la victoire du positivisme, plus ou moins
utes les deux les droits de remanié. Or, à analyser de plus pres le theme de l'État de droit dans la doctrine
'. de son intérêt. À quoi bon française, on est frappé par l'existence d'un discours micro- ou cryptonormatif.
est à portée de main ! Selon
Jfain - et cela vaut, mutatis B. Le rôle jusnaturaliste caché du discours de l' État de droit
l'homme - « constitue une
d'années entre droit positif et 421 Selon la définition de Bruno O_ppetit 278 , qui est assez représentative de l'état d'es-
1igher) non écrit, immuable, prit de la doctrine actuelle, l' Etat de droit se définit par le « droit au droit », un
temporaire, faite par un légis- droit supposé libéral, conforme aux exigences des droits de l'homme, ainsi que
'. La constitution, en alliant par« le droit au juge ». À de rares exceptions pres"", l'optique est donc double,
:rait ainsi « une sorte de syn- encore que le volet juridictionnel de l'État de droit ressort davantage des écrits
Même le débat sur la supra- des auteurs français. L'apport spécifique de la rhétorique de l'État de droit, par
à cette guerre d'écoles que opposition aux príncipes révolutionnaires de 1789, se situe justement sur le plan
>laisir"'. Sauf exceptions 273 , de la défense du rôle du juge 28 º. L'idée que« la regle est morte si le juge nela vivi-
:ontre tout empiétement de fie pas » 281 , formule écrite par Jean Rivéro, et qui n'est pas sans rappeler celle uti-
Jouvaient recourir soit à la lisée par Bahr en 1864, est devenu depuis lors un lieu commun. Toujours selon
-chemin entre le positivisme J. Rivéro, « la regle de droit, c'est dans la conception dominante et aussi dans l'opi-
me - l'article 89 al. 4, à qui nion la regle dont la violation appelle l'intervention du juge; de cette intervention,
roit positif supranational tel elle tire sa spécificité théorique par rapport aux autres regles de conduite, et son effi-
ne 27''. C'est ce qui permet de cacité pratique » 282 • L'argument a été amplement utilisé par L. Favoreu pour mar-
droit de L. Favoreu : tout en quer la révolution que traverse actuellement le droit constitutionnel en France.
seul l'État qui respecte les « La constitution a cessé d'être une "idée" pour devenir une "norme': c'est-à-dire une
1stitutionnelle mérite d'être regle juridique obligatoirement sanctionnée »m. Selon l'idée déjà avancée par
Sieyes, Carré de Malberg, Eisenmann et d'autres, il n'y a de droit que s'il y a un
visme et jusnaturalisme est
tiviste l'a emporté? L'argu-
istes et jusnaturalistes serait 278. B. OPPETIT, Philosophied11 droit, Paris, Dalloz, 1999, p. 96. Voir ~ussi D. ROUSSEAU, Droit
d11, contentieux constitutionnel, 5' éd., Paris, Momchrestien, p. 460 : « L 'Etat ele droit n'est pas, en ejfet,
l'Etat de n'importe q11el droit; il est celui d'rm droit exprimam les vale11ry de liberté, d'égalité, de tolé-
mnce, Jaisant des individ11s des s11jets titulaires de droits opposables à l'Etat, et leur reconnaissant les
iréf. L. Favoreu, Paris, Economica- moyens instit11tionnels, juridictionnels notammçnt, deles faire prévaloir. "
279. Voir toutefois la définition formelle de l'Etat dedroit d'Otco Pfersmann in L. FAVOREU et alii,
tllionnel, Paris, PUF, 1998, p. 7, qui Droit constitutionnel, op. cit., p. 107-108 : « On désignera par "État de droit" rm systeme juridique pré-
constitution, te! que prôné nocam- sentant les propriétés suivantes: 1. Des formulations de nonnes mffisamment précises pour que leur appli-
u'il se fait sur les prémisses positi- rntion a) permette une orientation claire a11x destinataires, b) ne laisse que la plus faible place possible à
n participe ainsi à 11ne revalorisation l'arbitraire et e} q11e l'on puisse vérifier la conformité de l'application aux nonnes de référence; 2. Des pro-
céd11res pennettant de contrôler e/Jectivement la conformité des nonnes d'application aux nonnes de rang
aris, Dalloz, p. 59. s11périeur selon le rapport de prod11ction,- "Voir maimenam aussi O. PFERSMANN, « Prolégoi;nenes
onnalité et systématicité du droit ", pour une théorie normativiste de l'"Ecac de droit" », in O. JOUANJAN (dir.), Figures de l'Etat de
a-constitucionnelles? », RDP, 1993, droit, op. cit., pp. 53-78. , ,
280. Cf, C. GOYARD, « Etat de droit et démocrati,e ", op. cit-, p. 303; J. CHEVALLIER, L 'Etat de
07 ss; icl., « Maastricht et la théorie droit, 2' éd., op. cit., p. 147; F. JULIEN-LAFERRIERE, « L'Etat de droit et les libercés », op. cit.,
993, pp. 7-10. p. 169. , , ,
ivisme éthique de M. Weber dont il 281. J. RIV:1;'.RO, « L'Etat moderne peut-il être encare un Ecat de 9roit », op. cit., p. 73.
ssrmgsãnclemng, Berlin, Duncker & 282. J. RIVERO, « Sanction juridictionnelle e,t regle de droit », Etudes L. ]ulliot de la Morandiere,
Paris, Dalloz, 1974, p. 457; cité par D. de BECHILLON, Qu'est-ce qu'une regle de droit?, Paris,
», Po11voirs, n" 67, 1993, pp. 71-77. O. Jacob, 1997, p. 59.
stitucion et constitution du droit », 283. L. FAVOREU, « Le droit constitucionnel, droit de la Consticution et consticution du droit »,
RFDC, 1990, p. 72.
416 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal

juge, ce qui veut dire encore que la naissance du droit constitutionnel, en tant
que droit, et de la science constitutionnelle, en tant que science juridique, ne
T Le discours fr,i

lacunes dans 1
ticulieremen t
date que de 1958, voire de 1971. Il est des lors logique d' affirmer que « le phéno- la théorie de~
mene de juridicisation du droit constitutionnel est inséparable de celui de l 'expansion à la tête du ·
de la justice constitutionnelle » 284 • Sans la sanction juridictionnelle, « la constitu- la loi-écran 2'"
tion n'est qu'un programme politique, à la rigueur obligatoire moralement » 285 • Or l'État de droi;
il s'agit là d'un a priori politique, qui ne se distingue des anciennes théories jus- l'exigence d'u
naturalistes que par son contenu. La logique est la même : les uns diront que seul individus 2')(,.
le droit qui respecte les droits de l'homme est du vrai droit; les autres diront que L'impact d
seul le droit qui consacre le droit au juge est un vrai droit. s'agit d'interp
422 À travers le discours de l'État droit, la doctrine fait reuvre de légitimation et de récent sur la
critique politique, en neutralisant l'ancien réflexe jacobin de méfiance vis-à-vis (Maastricht II
du pouvoir des juges. L'optique retenue par la plupart des auteurs ne se réduit des limitatiom
pas, en effet, à une simple description, sur un ton neutre, de l'état actuel du droit tution ne peut
positif. À supposer qu'il soit théoriquement possible de décrire un objet sans le alinéa 4, du te:i
légitimer, comme le pense M. Troper 2"', une telle attitude aurait pu s'appliquer quieme alinéa
en l' espece: apres tout, la garantie des droits de l'homme et le contrôle de consti- nement ne pe1,
( ••• ) » • Face !i
297
tutionnalité des lois font partie intégrante du droit positif. 11 suffirait clone à rela-
ter l'émergence historique du Conseil constitutionnel depuis 1971 pour dégager camps, chacun
un concept descriptif de l'État de droit. Or, si la doctrine décrit cerres le droit rie. Si les uns ,
positif, elle ne se contente pas de ce seul aspect : d'aucuns visem également à de toute limit,
mettre en exergue la légitimité de la légalitém. De là découle l'amalgame entre énoncées par 1
« professer » le droit positif et « défendre » 1" le stattt quo. On se réjouit de la « fin
ce débat, on n
d'un absolutisme » 289 , celui du regne sans borne d'un législateur décrié, et on telles limites e
s'efforce de démontrer la légitimité du juge constitutionnel"º, en s'opposant vérifier le resp
notamment à ceux qui dénoncent l'instauration d'un gouvernement des juges 2" 1• que les auteur
L'apport spécifique du discours de l'État de droit ne se limite toutefois pas à ment dans un:
une fonction conservatrice. Au nom de l'État de droit, la doctrine se livre égale- Or, à lire 1,
ment à un exercice critique à l' égard du droit positif. Se situam sur le plan de lege termes État de
ferenda, elle met en exergue tantôt le caractere alibéral du droit, tantôt les G. Marshall, 11
concerne la VJ
droit.
284. !bid.
285. L. FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 141. II se réfere à Charles Eisenmann.
286. La possibilité même d'une neutralité axiologique fut l'un des enjeux du débat entre M. Troper
et D. Lochak sur !e rôle du positivisme sous !e régime de Vichy. Cf D. LOCHAK, « La doctrine
sous Vichy ou les mésaventures du positivisme », in CURAPP, Les 11sages sociaux dr, droit, Paris, PUF, 292. C. GOYARI
1989, pp. 252-285; M. TROPER, « La doctrine et !e positivisme (à propos d'un article de Daniele 293. E JULIEN-L
Loschak) », in CURAPP, Les 11sages sociatfX du droit, pp. 286-292. 294. Jbid., p. 163.
287. Cf, pai; ex., F. JU,LIEN-LAFERRIERE, op. cit., p. 17~. 295. Sur l'archétYf
288. J. RIVJ;:RO, « L'Etat moderne peut-il être encore un Ecat de droit? », op. cit., p. 67. du juge », Po11voir,
289. J. RIVERO, « Fin d'un absolutisme », Pouvoirs, n" 13 (Conseil constitucionnel), 3•· rééd., 1991, 296. Cf, par ex., G
pp. 5-15. F. JULIEN-LAFEJ
290. L. FAVO~EU, « La légitimicé du juge constitutionnel », R!DC, 1994, pp. 557-581; id., «Dela 297. Décision du é
démocratie à l'Etat de droit », Le débat, 1991, n" 64, pp. 158-162; D. ROUSSEAU, Droit du conten· 298. Cf L. FAVC
tieux constitutionnel, 5' éd., op. cit., p. 443 ss. Pour un exposé récapitulacif de ce travai! de la doctrine F. LUCHAIRE, «
depuis les débuts du Conseil constitutionnel, cf Y. POIRMEUR, « Le Conseil conscicutionnel pro- « Maastricht et la t
tege-t-il véritablement les droits de l'homme? », in G. DRAGO, B. FRANCOIS & N. MOLFESSIS la suprématie de la ,
(dir.), La légitimité de la Jt(rispmdence d11 Cansei! constitutionnel, Paris, Economica, 1998, pp. 295-317. contrôle de constitJJ
291. R. de LACHARRIERE, Opinion dissidente, Pouvoirs n" 13, 3' rééd., 1991, pp. 141-158. L'un est !e« coral!"
n nouveaú discours doctrinal

·oit constitutionnel, en tam


T Le discours /rançais de l 'État de droit: aléas, fonctions et critiques

lacunes dans le systemes de protection juridictionnelle. Le dernier aspect est par-


417

1t que science juridique, ne ticulieremem développé : au nom de l'État de droit, on récuse, entre autres,
ue d'affirmer que« le phéno- la théorie des actes de gouvernement 292 , la présence du ministre de la Justice
'Jarable de celui de l'expansion à la tête du Tribunal des conflits'"', la jurisprudence du Conseil d'État sur
tridictionnelle, « la constitu• la }oi-écran 294 , etc. La logique de judiciarisation de la sphere politiquem, dont
'igatoire moralement ,,m_ Or l'Etat de droit est l'un des ressorts les plus puissants, débouche également sur
e des anciennes théories jus- l'exigence d'un élargissemem du droit de saisine du Conseil constitutionnel aux
ême : les uns diront que seul individus'"".
.i droit; les autres diront que L'impact du discours de l'État de droit est perceptible également lorsqu'il
droit. s'agit d'imerpréter un poim obscur. On en trouve une illustration dans le débat
récent sur la supraconstitutionnalité. Dans sa décision du 2 septembre 1992
ceuvre de légitimation et de
(Maastricht II), le conseil constitutionnel a estimé que « sous réserve, d'une part,
acobin de méfiance vis-à-vis
des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Consti-
Jart des auteurs ne se réduit
tution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89,
utre, de l'état actuel du droit
alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cin-
!e de décrire un objet sans !e
quieme alinéa de l'article 89 en vertu desquelles "la forme républicaine du gouver-
ttitude aurait pu s'appliquer
nement ne peut faire l'objet d'une révision': le pouvoir constituam est souverain
nme et !e comrôle de consti-
( ... ) » 2". Face à l'imprécision de cette décision, la doctrine s'est scindée en deux
,ositif. Il suffirait clone à rela-
camps, chacun trouvam le terme adéquat dans la décision pour y loger sa théo-
tei depuis 1971 pour dégager
rie. Si les uns considerent que le pouvoir constituant est « souverain », i.e. libre
octrine décrit certes !e droit
de toute limite juridique, les autres insistent, au contraire, sur les « réserves »
d'aucuns visent également à
énoncées parle Conseil. Sans qu'il soit besoin de remrer dans tous les détails de
!à découle !'amalgame entre
ce débat, on remarquera que ceux qui défendent l'hypothese de l'existence de
quo. On se réjouit de la « fin
telles limites en déduisent, automatiquement, la compétence du juge pour en
'un législateur décrié, et on
vérifier le respect'"". Or, sur ce dernier pojnt, le juge a gardé le silence, lacune
:itutionnel "º, en s' opposam
que les auteurs qui se revendiquent de l'Etat de droit interpretent immédiate-
n gouvernement des juges''11 •
ment dans un sens favorable au juge.
t ne se limite toutefois pas à
Or, à)ire les critiques parfois féroces que suscitem, dans les trois pays, le
oit, la doctrine se livre égale-
termes Etat de droit, Rechtsstaat et rufe of law - on pense à Kelsen, Ph. Kunig,
:_ Se situam sur !e plan de lege
G. Marshall, M. Troper -, on ne peut s'empêcher d'être sceptique en ce qui
alibéral du droit, tantôt les
concerne la validité scientifique et l'utilité d'un soi-disant concept d'État de
droit.

1. II se réfere à Charles Eisenmann.


les enjeux du débat entre M. Troper
1y. Cf D. LOCHAK, « La doctrine
es 11sages socia11x d11 druit, Paris, PUF, 292. C. GOYARD, op. cit. ;_F. JULIEN-LAFERRIERE, op. cit., p. 164.
1e (à propos d'un article de Daniele 293. F. JULIEN-LAFERRIERE, op. cit., p. 162.
294. Ibid., p. 163.
295. Sur l'archétype du nouveau discours de légirimation du juge, cf A. GARAPON, « La question
de droit? », op. cit., p. 67. du juge », Po11voirs, n" 74, 1995, pp. 13-26.
1seil consritutionnel), 3' rééd., 1991, 296. Cf, par ex., G. BlJRDEAU, F. HAMON, M. TROPER, Droit constiwtionnel, 24' éd., p. 682 s;
F. JULIEN-LAFERRIERE, op. cit., p. 159 note 11.
1/DC, 1994, pp. 557-581; id., «Dela 297. Décision du 2 septembre 1992 n" 92-312 DC, considérant 19. Voir infra n" 671 ss.
!; D. ROUSSEAU, Droit d11 conten· 298. Cf L. FAVOREU, « Maastricht II - Premier commentaire », RFDC, 1992, p. 410-11;
:apitularif de ce travai! de la doctrine F. LUCHAIRE, « L'Union européeenne et la constitution », RDP, 1992, p. 1592; O. BEAUD,
R, « Le Cansei! consritutionnel pro· • Maastricht et la théorie constitutionnelle », LPA, 2 avril 1993, p. 7: « On sait en e/fet qu'en droit,
, B. FRANCO IS & N. MOLFESSIS la suprématie de la constit11tion par rapport à la foi de révision n 'a de sens que si elle est garamie par le
Paris, Economica, 1998, pp. 295-317. contrôle de constiwtionnalité, moyen j11ridiq11e de garantir la supériorité d'une nonne sur une a11tre. ,,
3, 3' rééd., 1991, pp. 141-158. L'un est le « corollaire logiq11e » de l'autre.
418 L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours /rall

Section II. UNE


,
ÉVALUATION CRITIQUE.
/

POUR UNE THEORIE JURIDIQUE DE L'ETAT ,n ne s'agit p:


l'Etat et le droi
423 La science juridique doit s'interroger sur sa propre méthode si elle veut prétendre et théorique, la
à des résultats théoriquement fondés. L'un des aspect de ce travail autocritique
des juristes a trair au langage. Le droit est inserir dans les mots : il importe dane lº L'État, un j
d'y prendre garde, voire de s' en méfier, tant les mots prêtent à confusions. Face
à la richesse foisonnante du langage qui propulse sans cesse de nouveaux vocables 425 Le mor État ain
sur le marché médiatique, politique et culturel, le juriste doit faire le tri entre ce produits de la r
que G. Vedel a appelé une« maniere commode de s'exprimer » et une « véritable ouvrage II prim
expression juridique » 2"'. Dans le premier cas, il s'agit d'un mor du langage cou- mot traduit l'én
rant, d'une façon de parler, d'un discours peu précis, voire dépourvu de tout sens tique axée sur l'
scientifique. Dans le second cas, on parlera d'un véritable concept scientifique des lors absurde
dont l'existence dépend d'au moins deux conditions, à savoir qu'il soit ni parler d'un "Ét
contradictoire ni vide. Sur ces deux plans, le concept contemporain de l'État de l'homme » 3o,,. Si
droit est critiquable. D'une part, il est vide, puisqu'il n'a pas de contenu spéci- décisif est néarn
fique : il ne fait que renvoyer, en réalité, au concept juridique de l'État. L' État de le monde féodal
droit est dane une expression inutile, car pléonastique (§ 1). D'autre part, l'État la théorie classic
de droit véhicule tres souvent une définition réductrice et contradictoire du droit, cessus historiqu1
d'apres laquelle la sanction juridictionnelle est un élément constitutif de la humain autono1
norme juridique. Or une telle définition souffre d'apories (§ 2). sence surhumai1
fait par l'homm
que Hayek app,
§ 1. UNE EXPRESSION INVTILE
I
OU LE CARACTERE PLÉONASTIQVE
gere à ce mond,
DE L'ETAT DE DROIT n'est qu'une de:
l'histoire. Lesou
424 La disqualification de l'expression État de droit n'est pas intrinsequement liée mis aux précept,
aux postulats méthodologiques de l'école normativiste de Vienne. Kelsen a, Ceux qui, à l'
cerres, été le premier à dénoncer en des termes célebres le caractere pléonastique nation, qui, en t;
du néologisme de Placidus; mais la critique était déjà latente chez d'autres
auteurs ' 00 • Au demeurant, elle sera reprise, apres lui, par des auteurs d'horizons
tres divers 1º1• Aussi l'identité entre l'État, au sens juridique, et l'État de droit 302. Pour une enrré
D~ctionnaire encyclo,
s'impose quelle que soit la méthodologie, positiviste (B) ou jusnaturaliste (A). « Etat », APD, 1990,
En tant que positiviste, si l'on applique rigoureusement le principe de la pureté 303. Sur ]e lien inr,
méthodologique, on est obligé de souscrire à la conclusion de Kelsen. Quant aux Souveranirat », in O
griffe, op. cit., t. VI,
jusnaturalistes, il suffit de se souvenir que celui qui est censé être le pere intel- 1970; O. BEAUD, 1
lectuel du Rechtsstaat, à savoir Immanuel Kant, n'a jamais utilisé ce terme. Sur compararive, cf D. C
ce point, le néokantien qu'est Kelsen est entierement fidele à la pensée du maítre und Staat der biirger/1
304. H. HELLER, .',
de Kõnigsberg. pp. 221-236.
305. O. BRUNNER
reichs im Mitte!alter,
199. G. VEDEL, ffan11el élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 116. Cf aussi les diatribes de Vorgang der Sakular
Paul CUCHE (« A propos du posirivisme juridique de Carré de Malberg », op. cit., p. 73-79) contre Verfassungsgeschichte,
les imprécisions et abus de langage qui rendem tout débat stérile entre jurisres. le tournant dans ]' écr
300. Voir surrour les posirions de Rotteck et de Jellinek. 306. F. KEUTGEN, I
301. Voir les posirions de W. Werrenbruch et de M. Troper. 307. Cf supra n" 170
y
'4n nouveàu discours doctrinal
l Le discours /rançais de l'État de droit: aléas, fonctions et critiques

A. D'un point de vue jusnaturaliste


419

~ CRITIQUE.
UE DE L'ÉTAT , Il ne s'agit pas ici de revenir sur tout le débat classique concernant le lien entre
l'Etat et le droit 1º2, mais tout au plus de clarifier, d'un point de vue sémantique
et théorique, la position jusnaturaliste.
néthode si elle veut prétendre
iect de ce travail autocritique
ms les mots: il importe dane 1º L 'État, un produit de la modernité
>ts prêtent à confusions. Face
ns cesse de nouveaux vocables 425 Le mot État ainsi que la "chose" que l'on désigne par là sont, l'un et l'autre, des
uriste doit faire le tri entre ce produits de la modernité. Le terme figure pour la premiere fois dans le célebre
;'exprimer » et une « véritable ouvrage Il príncipe (1513) de Niccolo Machiavelli (1469-1527). La naissance du
git d'un mot du langage cou- mot traduit l'émergence, depuis la fin du Moyen Âge, d'une nouvelle forme poli-
s, voire dépourvu de tout sens tique axée sur l'idée de souveraineté, théorisée en 1576 par Jean Bodin 103 • Il serait
,éritable concept scientifique des lors absurde, comme l'ont montré Hermann Heller"" et Otto Brunner'º' de
itions, à savoir qu'il soit ni parler d'un "État" moyenâgeux en supposant que « l'État est aussi vieux ~ue
!pt contemporain de l'État de l'homme » 30l,. Si l'on peut débattre de la date de naissance exacte de l'État, un pas
u'il n'a pas de contenu spéci- décisif est néanmoins franchi avec l'apparition du concept de souveraineté que
t juridique de l'État. L'État de le monde féodal ignorait completement. C'est ce qu'illustre de façon exemplaire
.que(§ 1). D'autre part, l'État la théorie classique de la common law anglaise 307• Le droit y est le fruit d'un pro-
rice et contradictoire du droit, cessus historique de sédimentation du savoir: il est non pas le produit d'un esprit
un élément constitutif de la humain autonome, mais le réceptacle d'une raison « artificielle » (Coke), car d'es-
'apories (§ 2). sence surhumaine, recueillie de génération en génération. L'idée que le droit est
fait par l'homme à son image et en suivant les lumieres de sa propre raison - ce
que Hayek appelle le rationalisme constructiviste -, est completement étran-
:ACTERE PLÉONASTIQUE gere à ce monde. Le concept de souveraineté est dane spécifique à l'État, qui
T n'est qu'une des multiples formes politiques possibles dans le monde et dans
l'histoire. Le souverain est celui, qui pose délibérément le droit tout en étant sou-
1'est pas intrinsequement liée mis aux préceptes idéaux de la loi de nature.
ativiste de Vienne. Kelsen a, Ceux qui, à l'instar de Duguit, assimilem l'État à un simple rapport de domi-
~bres le caractere pléonastique nation, qui, en tant que tel, existerait depuis la nuit des temps, échouent en réa-
tit déjà latente chez d'autres
ui, par des auteurs d'horizons
302. _Pour_une entrée ,en matiere, ,cf. J. CHEVALLIER, « État », in A.-]. ARNAUT et alii (dir.),
s juridique, et l'État de droit Dz,ctzonnazre encyclopedzque de theorie et de sociologie du droit, 2' éd., pp. 236-240; O. BEAUD,
'Íste (B) ou jusnaturaliste (A). « Etat », APD, 1990, p. 119-142.

~ment le príncipe de la pureté 303. Sur le lien intrinseque entre État et souveraineté Cf R. KOSELLECK et alii, « Staat und
Souveranitat », in O. BRUNNER, W. CONZE, R. KOSELLEECK (dir.), Geschichtliche Gnmdbe-
1clusion de Kelsen. Quant aux grijfe, op. cit., t. VI, pp. 1-154; H. Q!JARITSCH, Staat und Souverãnitãt, Frankfurt, Athenaum,
ui est censé être le pere intel- 1970; O. _BEAUD, La puissance de l'Etat, _Paris, PUF, coll. Léviathan, 1994. Dans une perspective
' a jamais utilisé ce terme. Sur comparauve, cf. D. GRIMM, « Der Staat m der kominentaleuropaischen Tradition », in ui., Recht
und Staat der btirgerlichen Gesellschaft, op. cit., pp. 53-83.
'.nt fidele à la pensée du ma1tre 304. H. HELLER, Staatslehre (1934), in Gesammelte Schrifien, 2' éd., Tübingen, Mohr, 1992, t. 3,
pp. 221-236. .
30_5. O. BRUNNER, 1;:?d und Herrschaft. GrU;_ndfragen d_r,r territorialen Verfasstmgsgeschichte Õster-
rezchs zm Mzttelalter, 1 · ed, 1939. Cf E.-W. BOCKENFORDE, « Die Entstehung des Staates als
'P· cit., p. li 6. Cf aussi les diatribes de Vorgang der Sakularisation », in Recht, Staat, Freiheit, op. cit., p. 92; D. WILLOWEIT, Deutsche
de Malberg », op. cit., p. 73-79) contre Verfassungsgeschichte, 2' éd., München, Beck, 1992, pp. 5 ss; H. QUARITSCH, « Otto Brunner ou
·ile entre juristes. le tournant dans l'écriture de l'histoire constitutionnelle allemande », Droits, 1995, pp. 145-162.
306. F. KEUTGEN, Derdeutsche Staat des Mittelalters, 1918, p. 3; cité par D. WILLOWEIT, op. cit., p. 5.
307. Cf supra n-· 170 ss.
420 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal

lité à saisir la spécificité du phénomene étatique. La démarche du doyen de Bor-


deaux s'expose, en effet, à trais séries de critiques qui sont de nature à invalider
r
.

Le discours fi:

les deux cone


pleinement e
à la fois sa définition de l'État et a fortiori - car l'une est conditionnée par l'autre le príncipe d1
- celle de l'État de droit. Tout d'abord, son critere de la puissance, i.e. la supé- celui du droi:
riorité d'un homme sur autrui, ne permet pas de distinguer l'État de tout autre Une telle
phénomene de pouvoir tel une bande de brigands qui se prévaut, elle aussi, d'un tionnelle ent
rapport de force vis-à-vis de ses victimes 3º'. En deuxieme lieu, Duguit est inca- droit et, de l'
pable d'expliquer comment l'État, en tant que pouvoir, a pu naitre et, surtout, en ces terme~
se maintenir. Les relations de pouvoir étant intrinsequement instables et fluc- poule ou de
tuantes 30", seul le droit peut conférer une assise stable à ce qui est par nature condamner à
dynamique 31 º. li est difficilement imaginable comment un organisme aussi com- quement l'id1
plexe et sophistiqué que l'État contemporain, avec ses divers organes, sa bureau- cune des dem
cratie, ses liens divers et multiples avec son environnement, etc., aurait pu émer- toriquement
ger comme un simple fait, en dehors de toute norme juridique. L'absurdité constater que
d'une telle dichotomie - due à la volonté de Duguit d'isoler absolument le droit logie affichée.
de l'État pour mieux soumettre l'un à l'autre - saute aux yeux. Enfin, même à ont tenté de (
supposer que l'État soit présent à toutes les époques et chez tous les peuples de écoles. On m
la terre, l'ampleur de la tâche scientifique est telle qu'il est impossible de vouloir droit chez les
analyser les rapports entre l'État et le droit dans des contextes aussi différents. Certes, le dro
On est forcément amené à historiciser la définition de l'État pour ne retenir que pas tout le d1
l'État moderne dans ses rapports avec le droit moderne 3". besoin de thé<
déjà, au plein
2º L 'inadfquation de la question traditionnelle relative au lien forme embryo
entre Etat et droit sus du droit p

426 L'État, au sens propre du terme, est clone un phénomene moderne qui se dis- 3° La these d1
tingue radicalement des structures politiques féodales par son emprise à la fois
sur le droit positif - la souveraineté - et sur les corps - le monopole de la 427 L'idée de l'Ét:
contrainte physique 312 • D'apres l'école du droit des gens et de la nature, l'État est définition dua
créé par l'homme à son image, à travers l'hypothese du contrat social, avec pour
finalité de faire régner le droit, surtout le droit privé, et de contraindre, par la
force si besoin, les individus récalcitrantsm. D'apres la théorie du contrat social, définition habitu,
tionnée par !'État
Cf infra n· 431 s.
314. H. HELLEI<
308. D. de BÉCHILLON, Q11'est-ce q11'1me regle de droit?, op. cit., p. 101-2. condition nécessai,
309. Cf M. FOUCAULT, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976. rain. Sans l'apporl
310. Cf K. HESS);'., Grundzügedes Verfasszmgsrechts, op. cit., p. 5 ss, qui insiste sur le fait que l'unité droit ni p11issance i
et l'existence de l'Etat ne som pas données de prime abord, mais constituem un défi à relever conti- ÍA relation entre I'
nuellement (« Aufgegeben ist die politische Einheit des Staates. Denn Staat zmd staatliche Gewalt kõnnen nisme irréductible.
nicht ais etwas Vorfindliches vorausgesetzt werden »). Voir aussi la théorie de l'imégration de auch ais die notwe1,
R. SMEND ( Verfi1ss1mg 11nd Verfammgsrecht, 1928). rakter des Rechts ,
311. C'est du reste ce que fait Duguit. Cf s11pm note 138. bildenden Charak1
312. Mais les deux éléments ne se superposent pas absolument. L'emprise de la souveraineté Beziehzmg von S1.
dépasse, en cffet, celle de la force physique puisqu'il existe des normes de droit positif dépourvues Gegensãtzlichkeit 1.
de contrainte. Cf infra n" 431 s. 315. Sur la théori
313. On notera que les théoriciens du contrat social raisonnept souvent comme des juristes de droit cf O. GIERKE,}1
privé. Dans l'état de namre, !e péril provient non pas de l'Et~t, qui n'existe pas encare, mais des rechts und die nc1
(aucres) individus. II faut donc créer une puissance publique, l'Etat, qui soit capable de faire respec- Voir aussi les déve
ter le droit, i.e. le droit privé, contre l'arbitraire des individus. C'est !à que se trouve !'origine de la 316. Cf O. GIER
1 nouveau.discours doctrinal Le discours /rançais de l'État de droit: aléas, fonctions et critiques 421

iémarche du doyen de Bor- les deux concepts d'État et de droit sont intrinsequement liés 314 • L'un ne saurait
1i sont de nature à invalider pleinement exister sans l'autre, les deux étant reliés par ce lien ombilical qu'est
est conditionnée par l'autre le príncipe de la souveraineté qui est au creur à la fois du concept de l'État et de
de la puissance, i.e. la supé- celui du droit.
;tinguer l'État de tout autre Une telle lecture peut surprendre tant on s' est habitué à cette vision tradi-
.i se prévaut, elle aussi, d'un tionnelle entre, d'un côté, les positivistes qui clamem l'antériorité de l'État au
6eme lieu, Duguit est inca- droit et, de l'autre, les jusnaturalistes qui affirment l'inverse. Or, poser le débat
mir, a pu naitre et, surtout, en ces termes, qui ressemblent fâcheusement à la question de l'antériorité de la
,equement instables et fluc- poule ou de l'reuf, c'est l'enserrer des le départ dans un carcan réducteur et le
1ble à ce qui est par nature condamner à terme à rester stérile. À vrai dire, si l'on s'attache à définir logi-
:nt un organisme auss1 com- quement l'idéal-type du positivisme et du jusnaturalisme, on s'aperçoit qu'au-
es divers organes, sa bureau- cune des deux écoles ne pose ainsi la question. Par là, on ne conteste pas qu'his-
1ement, etc., aurait pu émer- toriquement le débat a pu se dérouler en ces termes : force est simplement de
1rme juridique. L'absurdité constater que cette position était logiquement erronée au regard de la méthodo-
d'isoler absolument le droit logie affichée. Les positions de Gierke 3 ' 5 et de Kelsen, qui, chacun à sa maniere,
te aux yeux. Enfi.n, même à ont tenté de dépasser ce dualisme, sont en ce sens plus représentatives des deux
s et chez tous les peuples de écoles. On méconna1t, en effet, la complexité et le dualisme de la défi.nition du
1'il est impossible de vouloir droit chez les jusnaturalistes en affirmant qu'à leurs yeux le droit précede l'État.
!S contextes aussi différents. Certes, le droit naturel lui est antérieur et supérieur, mais le droit naturel n'est
de l'État pour ne retenir que pas tout le droit - sinon Hobbes, Locke, Kant, Rousseau n'auraient pas eu
besoin de théoriser le contrat social, la naissance de l'État, etc. si le droit existait
déjà, au plein sens du terme, dans l'état de nature. Le droit naturel n'est qu'une
forme embryonnaire du droit. Il n'en est qu'un élément à côté ou, plutôt, au-des-
"elative au lien
sus du droit positif.

10mene moderne qui se dis- 3° La these de la consubstantialité de l'État et du droit


1les par son emprise à la fois
corps - le monopol~ de la 427 L'idée de l'État est en quelque sorte enkystée au sein - à mi-hauteur - de cette
gens et de la nature, l'Etat est défi.nition dualiste, car à deux étages, du droit 3"'. 11 revient à l'État de produire
~ du contrat social, avec pour
ivé, et de contraindre, par la
s la théorie du contrat social, ~éfinition habjtuelle - et à nos yeux erronée - du droit positif comme ,une norme posée et sanc-
uonnée par l'Etat. L'optique du droit public (d'un droit positif contre l'Etat) est des lors occultée.
Cf infra n" 431 s.
314. H. HELLER, Staat~lehre, op. cit., p. 287-305, spéc. p. 297: « Le droit doit être envisagé comme la
it., p. 101-2. condition nécessaire de l'Etat contemporain et l'État comme la condition nécessaire du droit contempo·
·d, 1976. rain. Sans l'apport d11 droit, q11i est rm facteur constitutif du po11voir, il n'y a ni validité nonnative du
5 ss, qui insiste sur le fait que l'unité droit ni puissance ét9tique; sans le pouvoir, qui prod11it dtt droit, il n 'y a ni ordre juridiq11e positifni État.
is constituem un défi à relever conti- IA relation entre l'Etat et le droit est concevable ni en tant qu'tmité indifférenciée, ni en tant qu'antago-
m Staat 11nd staatliche Gl?'"illalt kõnnen nisme irréductible. (Das Recht muss ais die notwendige Bedingung des heutigen Staates, der Staat aber
ussi la théorie de l'intégration de attch ais die notwendige Bedingrmg des hetttigen Rechtes erkannt werden. Ohne den machtbildenden Cha-
rakter des Rechts gibt es weder eine nonnative Rechtsgeltrmg noch eine Staatsmacht, ohne den recht-
bildenden Charakter der Staatsm,1eh1 ,tber gibt es weder eine Rechtspositivitãt noch einen Staat. Die
nent. L'emprise de la souveraineté Beziehung von Staat rmd Recht ist weder ais rmterschiedslose Einheit noch ais ttnziberbrrickbare
normes de droit positif dépourvues Gegensãtzlichkeit mõglich.) »
315. Sur la théorie de Otto Gierke concernam les liens consubstancieis entre l'État et le droit
: souvent comme des juristes de droit cf O. GIERKE, ]ohannes Althusitts, op. cit., chap. 6, p. 264 ss; id., • Die Grundbegriffe des Staats'.
<\t, qui n'existe pas encore, mais des rec~ts u11;d die ,neueste Staatsrechtstheorien », ZgSt!J7, vol. 30, 1874, pp. 153-198 et pp. 265-335.
Etat, qui soit capable de faire respec- Voir auss1 les developpements chez L. DUGUIT, L'Etat, p. 131 ss et Traité, t. I, p. 646 s.
C' est là que se trouve !'origine de la 316. Cf O. GIERKE, Johannes Althusi11s, op. cit., p. 266 s.
422 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fr"

en tant que souverain le droit positif et de le sanctionner, le cas échéant (car il despotique. (
existe du droit positif sans contrainte), grâce à son monopole de la force, tout en républicain q
s'inspirant des préceptes idéaux de ce que les uns appellent le droit naturel et les de droit dans :
autres « l'idée du droit » (Burdeau), les « príncipes éthiques du droit » (Heller) ou
encore la morale. La théorie du droit naturel est, en effet, focalisée sur le droit
positif dans la mesure ou celui-ci confere au premier deux éléments cruciaux qui
sont la précision formelle - à travers le texte posé - et l'effectivité réelle - à 1º La natun
travers la contrainte.
L'idée moderne du droit, telle qu'elle a été théorisée autour de la dignité et 428 11 semble de r
de l'autonomie de l'être humain par Hobbes, Locke, Rousseau, Kant, appelle la l'État doit êtr
souveraineté de l'État. Seul l'État, doté de la souveraineté, ce qui le rend absolu, prime abord, ,
c'est-à-dire supérieur aux lois positives existantes, peut édicter une législation Gerber, Jellin
rationnelle, uniforme et codifiée. Ce n'est pas pour rien que .tous les auteurs du courante ne h
contrat social ont repris de Bodin le concept de souveraineté et que les écoles sur ses racmes
historiques du droit, qui s'opposent à toute législation ou codification, l'ont naturel. Mêmi
vivement combattu. Ainsi, le droit naturel constitue et limite en même temps morale de l':É
l'État : (1) il lui assigne ses fonctions qui sont de respecter les droits de l'indi- Michoud, Esr
vidu 317 ; (2) il l'oblige, d'un point de vue moral, à se donner des lois positives 318, trine contemi:
à les respecter tout en lui permettant, dans certaines circonstances exception- linek selon lec
nelles, d'enfreindre ces mêmes regles"'; (3) il fonde l'obligation morale des temem la. dét
citoyens à l'égard des lois étatiques, sans l'adhésion desquels le pouvoir ne sau- récuser les for
rait se maintenir 31 º, mais peut aussi légitimer le droit de résistance contre un pou- possible reste
voir « despotique ». Inversement, c'est l'État qui, parle biais desa puissance, tra- clone, pour l'i
duit en fait ce qui n'est, jusque-là, qu'une simple idée. Caril ne suffit pas que le
droit naturel existe comme abstraction, il faut encore le vouloir, le trans~rire 2° L 'inadiqi,
dans des textes positifs et, enfin, l'appliquer par la force si besoin. La réalisation entre Etat
du droit naturel constitue la tâche primaire de l'institution étatique.
Aussi, aux yeux des théoriciens du contrat social, l'État et, a fortiori, l'État 429 Selon les théo
répuklicain, est, par définition, un État de droit 31 '. 11 s' oppose en cela, non pas à XIX' siecle, l'F
un "Etat despotique" - formule proprement contradictoire -, mais à un régime norme juridic
brut, qui se Sl
raineté. À tra
317. Çf, par ex., A. ESMEIN, Éléments de droit constit11tionnel frança is et comparé, 8' éd., revue par phose en État
H. NEZARD, Paris, Sirey, 1927, t. l, p. 311: « Lafiction d11 contrat social étant écartée, s11rq11elle idée
peut·on et doit-on faire reposer la so11veraineté nationale? ,, II y répond en invoquam « l'idée de bon sens viste de la pm
presq11e évidente, q11i a longtemps s11ffi à l'esprit des hommes: c'est que la p11issance p11bliq11e et le go11·ver- n'a pas à se J
nement qui !'exerce n'existent q11e dans l'intérêt de /0115 les membres q11i composent l,1 nation "· Cf t. I, concept jurid1
p. ,317 et p. 39: « 11 semble q11e la so11veraineté soit nécessairement illimitée et q11e, par s11ite, le droit de
l'Etat soit sans bornes. (... ) C'est, a11 contra ire, 11ne des idées les mie11x établi7s et les plus fécondes des temps positiviste est-
modernes q11e l'indiv~d11 a des droits antérie11rs et s11périe11rs à ce11x de l'Etat, q11i s'imposent par consé- la souverainet,
q11ent au respect de l'Et,ll. » Cf aussi t. I, p. 316 ou l'auteur distingue clairement sa méthode jusnatu- lutions, etc. -
raliste de sa méthode historique.
318. Cf les positions de Locke, Rousseau, Kant, etc. pn
retrouve d'ailleurs cette idée chezjcllinek
et Carré de Malberg qui estimem tous les deux que l'Etat est obligé de maintenir un ordre juridique.
II !ui est interdit de provoquer un néant juridique en supprimant toutes les !ois (,f infra n" 520).
319. C'est la question du « Notrecht ", soulevée en cas de circonstances exceptionnelles. Cf IHE- 322. G. JELL!Nl
RING, op. cit., t. I, p. 327 ss et G. JELLINEK (infra n" 521). 323. On démont
320. H. HELLER, Staatslehre, p. 297; A. ESMEIN, op. cit., 8' éd., t. 1, p. 317: « Jl n'y a pas de force 324. Aussi, celui-
matérielle q11i soit capable de maintenir a11 po11voir 1111 maitre dont l'immense majorité ne vo11drait pas. ,, ment avec la cor
321. Cf supra n" 46 ss et fl'' 347 ss. Cf infra fl'' 514 n,
1 nouveaz; discours doctrinal 1..e discours /rançais de l 'État de droit: aléas, fonctions et critiques 423

::mner, le cas échéant (car il despotique. On comprend des lors mieux pourquoi un auteur aussi libéral et
onopole de la force, tout en républicain qu'Adhémar Esmein n'a jamais cru nécessaire de se référer à l'État
)ellent le droit naturel et les de droit dans son manuel de droit constitutionnel.
1iques du droit » (Heller) ou
1 effet, focalisée sur le droit B. D'un point de vue positiviste
deux éléments cruciaux qui
- et l'effectivité réelle - à lº La nature épistémologique du concept de personnalité morale de l'État

risée autour de la dignité et 428 li ,semble de nos jours chose admise que le concept de la personnalité morale de
, Rousseau, Kant, appelle la l'Etat doit être attribué à l'école positiviste classique de la fin du XIX' siecle. De
tineté, ce qui le rend absolu, prime abord, on !ui associe les noms d'éminentes figures du positivisme telles que
peut édicter une législation Gerber, Jellinek, Carré de Malberg ou, plus pres de nous, G. Vedel. L'opinion
rien que tous les auteurs du courante ne lui reconnait aucun présupposé jusnaturaliste et ne s'interroge guere
uveraineté et que les écoles sur ses racines plus lointaines qui remontem, pourtant, à l'école moderne du droit
ation ou codification, l'ont naturel. Mêmf le fait qu'en France quelques grands théoriciens de la personnalité
1e et limite en même temps morale de l'Etat soient à ranger dans le camp des jusnaturalistes - à savoir
especter les droits de l'indi- Michoud, Esmein, Burdeau, etc. - ne semble pas troubler outre mesure la doe-
donne,r des lois positives"', trine contemporaine. Tout se passe comme si elle avait fait sienne l'opinion de Jel-
1es circonstances exception- linek selon lequel on peut, en tant que positiviste, s'approprier presque comple-
1de l'obligation morale des tement la. définition de Hobbes, Rousseau, Pufendorf, etc., sous réserve d'en
desquels le pouvoir ne sau- récuser les fondations jusnaturalistes 311 • Qu'une telle opération chirurgicale soit
de résistance contre un pou- possible reste à démontrer, mais pour l'instant le débat n'est pas là. Concluons
. le biais de sa puissance, tra- clone, pour l'instant, qu'il s'agit d'un concept descriptif et non pas normatif 323 •
fe. Car il ne suffit pas que le
:ore le vouloir, le trans~rire 2° L 'inadfquation de la question traditionnelle rela tive au lien
::>rce si besoin. La réalisation entre Etat et droit
titution étatique.
11, l' État et, a fortiori, l'État 429 Selon les thé~ries en cours chez ceux que l'on qualifie de positivistes à la fin du
l s' oppose en cela, non pas à XIX' siecle, l'Etat se conçoit initialement, avant que n'intervienne la premiere
,dictoire -, mais à un régime norme juridique, comme un simple fait. II est une réalité sociale, un pouvoir
brut, qui se soumet volontairement à ses propres normes par un acte de souve-
raineté. À, travers ce processus d'autolimitation, l'État-pouvoir se métamor-
(rançais et comparé, 8' éd., revue par phose en Etat-personne juridique. Or, une fois qu'on a admis le postulat positi-
rat social étant écartée, sur q11elle idée viste de la pureté méthodologique, il va de soi que la théorie générale de l'État
Jnd en invoquant « l'idée de bon sens
ruela puissance publique et le gouver- n'a pas à se préoccuper d'une telle définition sociologique de l'État. Seul le
is qui composent l<1 n<1tio11 ». Cf t. I, concept juridique rentre dans son champ d'investigation scientifique : aussi le
· illimitée et que, par suite, le droit de positiviste est-il logiquement obligé d'évacuer tout ce qui se trouve en amont de
x établiçs et les plus fécondes des temps
x de l'Etat, qui s'imposent par consé- la souveraineté-le pouvoir constituant originaire 324, les coups d'États, les révo-
gue clairement sa méthode jusnatu- lutions, etc. - pour ne retenir que les éléments en aval. En ce sens, Carré de Mal-
ve d'ailleurs cette idée chez Jellinck
igé de maintenir un ordre juridique.
ant coutes les lois (tf infr,, n" 520).
mscances exceptionnelles. Cf IHE- 322. G. JELLINEK, SJ~tem der subjekti~1en ojfentlichen Rechte, Freiburg, Mohr, 1892, p. 32.
323. On démontrera le contraire ultérieurement. Cf infra n" 512 ss.
:d., t. I, p. 317: « Il n'y,1 pasdeforce 324. Aussi, celui-ci ne saurait être un organe étatique puisque l'État, au sens juridique, na1t seule-
l'immense majorité nevoudrait pas. » ment avec la constitution. II est clone, d'un strict point de vue positiviste, un organe sociétal.
Cf infra n-· 514 note 362.
424 L'État de droit ou les apories d'un nowueau discours doctrinal Le discours Jra

berg affirme à juste titre la concomitance de la naissance du droit et de l'État 12 '. défi.nition, un
En positiviste, il lui est interdit de concevoir l'État autrement que par son puisqu'il est j
concept juridique. II est, en effet, hors de question de recourir à des données façon explicit
extrajuridiques, telles une analyse sociologique de l'État. De là on aboutit néces- ciente, chezJc
sairement avec Kelsen, qui va jusqu'au bout de la logique, à l'identification du Jellinek utilis<
droit et de l'État. l'autrem. Qu;:i
II est, en effet, à noter que la vulgate positiviste, d'apres laquelle l'État précede il est vrai - d,
le droit, n'a de sens que si l'on ~ransgresse les prémisses méthodologiques du posi- Enfi.n, il faut
tivisme. On conviendra que l'Etat, au sens juridique, ne peut précéder les normes personnalité j
juridiques sans lesquelles il n'existe point. Seul l'État, au sens sociologique, peut ce concept av,
être antérieur au droit. II faut clone choisir : soit on maintient une méthodologie « L 'État étant ,

pure, car moniste, et, à ce moment là, l'État na1t en même temps que le droit droit, il devien
auquel il s'identifie; soit on maintient le dogme de l'antériorité de l'État au droit Que I'État de,
et l'on accepte un dualisme méthodologique qui n'a plus rien à voir avec le posi- constitutionn
tivisme. Des lors, la vision traditionnelle des rapports entre l'État et le droit, ou tionnalisation
l'un précede nécessairement l'autre, s'avere tout aussi inexacte d'un point de vue seule fois le te
(strictement) positiviste que d'un point de vue (strictement) jusnaturaliste. « personnalisa.

Oublions clone pour de bon la métaph?re de la poule et de l'reuf; la vraie ques- de droit et d'aj
tion en ce qui concerne les liens entre l'Etat et le droit est ailleurs. Elle réside dans régulierement
l'alternative entre la these de l'identité et la these de la consubstantialité. relatives à l'én
que la défi.niti
3° L 'id~ntité entre l'État, défini comme personne juridique, II est clone.
et l'Etat de droit I'État et le dis1
ter - ce qui e
430 Apres ces préliminaires, nous voilà au creur du probleme qui est le rapport e~tre contredire, e' t
l'Etat, nécessairement défini comme un concept juridique, et le soi-disant Etat sous couvert e
de droit. Sur ce point, la position de Kelsen s'avere d'une lucidité implacable. se sa tisfai t, en
À !'origine de la théorie de la personnalité morale de l'État se situe le spectre par une autor
de ce que Rousseau appelait la « dépendance personnelle », c'est-à-dire la crainte
que l'individu soit soumis au bon plaisir de celui qui regne, bref au despotisme.
Pour conjurer ce danger, on attribue le pouvoir non pas aux gouvernants, mais 24' éd., p. 80 s; B
à une entité abstraite,, appelé État, qui est la source de tout pouvoir. En tant P. PACTET, op. ,'
327. R. CARRE
qu'entité abstraite, l'Etat a besoin d'organes pour pouvoir exprimer sa volonté. 328. Le theme de
C'est juste~ent au droit qu'il revient de faire le lien entre les personnes phy- logische zmd der jz,
siques et l'Etat, en imputam les actes des premiers au second. Selon ce príncipe, p. 54), puis dans 1
de 1960.
UI}e personne physique ne peut, par ses actes, engager valablement la volonté de 329. Cf supra n;
l'Etat, qu'à condition d'être préalablement investie d'une telle compétence juri- 330. R. CARRE
dique et d'agir selon les regles légales prévues à cet effet 326 • L'État est clone, par concept de persom1
concept pennet de
sance juridiqueme.
de droit" ». Cf au
tuelles vis-à-vis d,
325. R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution, t. l, p. 65: « La nússance de l'ÉMt coincide a·vec l'éta· 331. L. DUGUl"I
blissement desa premiere comtittttion. » plus un État-puis,
326. Sur le concept de personnalité morale, cf les définitions classiques de R. CARRÉ DE MAL- droit. Voir aussi p
BERG, Contribution, t. 1, PP; 8-68; G. VEDEL, Manuel élémentaire de droit constittttionnel, op. cit., 332. G. BURDE
p. 99 ss; G. BURDEAU, L'Etat, Paris, Seuil, 1970. Le concept figure dans la plupart dcs manuels, 333. Ainsi, on rc
cf par ex. P. ARDANT, op. cit., 10' éd., p. 23; G. BURDEAU, F. HAMON & M. TROPER, op. cit., la personnalité ju
>iottveau discottrs doctrinal Le discours /rançais de l'État de droit: aléas, fonctions et critiques 425

tce du droit et de l'État '"- définition, un « être de droit » 117 , selon Carré de Malberg, bref un État de droit
t autrement que par son puisqu'il est juridiquement constitué. Si le premier à tirer cette conclusion de
le recourir à des données façon explicite fut Kelsen m, l'idée apparalt déjà en filigrane, de maniere incons-
at. De là on aboutit néces- ciente, chezJellinek et Carré de Malberg. Dans ses a:uvres datant de 1880 à 1887,
ique, à l'identification du Jellinek utilise les deux termes comme synonymes et passe facilement de l'un à
l'autre 329 • Quant au maitre de Strasbourg, il l4i arrive - tres exceptionnellement,
>res laquelle l'État précede il est vrai - de désigner la personnalité de l'Etat par l'expression État de droit"ª.
méthodologiques du posi- Enfin, il faut mentionner !,éon Duguit. Bien qu'il rejette catégoriquement la
e peut précéder les normes personnalité juridique de l'E,tat, il n'en a pas moins perçu, des 1907, l'identité de
au sens sociologique, peut ce c~ncept avec l'idée de l'Etat de droit, comme en témoigne l'extrait suivant:
« L 'Etat étant conçu com me une personne, un sujet de droit, il tombe sous la prise du
1intient une méthodologie
même temps que le droit droit, if,devient, d'apres l'expression allemanqe, un État de droit, un Rechtsstaat. » 331
ttériorité de l'État au droit Que l' Etat de droit soit synonyme du mot Etat ressort encore des écrits de divers
lus rien à voir avec le posi- constitutionnalistes français qui se sont attachés à mettre en évidence l'institu-
entre l'État et le droit, ou tionnali_sation du p9uvoir à travers l'État. Ainsi, Burdeau ne mentionne qu'une
1nexacte d'un point de vue seule fms le terme Etat de droit dans son manuel pour opposer le phénomene de
rictement) jusnaturaliste. « personnalisation du pouvoir » à la« théorie classique de ce que l'on appelle l'État
: et de l' a:uf; la vraie ques- de droit et d'apres laquelle nul ordre ne peut être imposé si ce n'est par une personne
:st ailleurs. Elle réside dans régulierement investie du droit de commander et confonnément aux regles légales
1 consubstantialité.
relatives à l'émission de la décision ,,m_ Or, cette derniere définition n'est autre
que la définition de ... l'État.
,ll est clone absurde de juxtaposer à la fois la notion de personnalité morale de
uridique,
l' Etat et le discours de l' Etat de droit. Le risque que l' on court est soit de se répé-
ter - ce qui explique certains silences de part et d' autre du Rhin m - , soit de se i
l
contredire, c'est-à-dire de jongler avec deux définitions contradictoires du droit í1
me qui est le rapport e~tre
sous couvert de ces deux notions. Le concept de la personnalité morale de l'État
dique, et le soi-disant Etat
se satisfait, en effet, d'une définition large du droit - est droit toute norme posée
d'une lucidité implacable.
par une autorité habilitée à cet effet, peu importe qu' elle soit sanctionnée ou
de l'État se situe le spectre
·lle », c'est-à-dire la crainte
regne, bref au despotisme.
pas aux gouvernants, mais 24' éd., p. 80 s; B. CHANTEBOUJ, op. cit., 15" éd., p. 33 s; J. GICQUEL, op. cit., 12' éd., p. 49;
P. PACTET, op. ,cit., 16' éd., p. 43; E. ZOLLER, op. cit., 2' éd., p. 22 s.
de tout pouvoir. En tant 327. R. CARRE DE MALBERÇ, Contribu,tion, t. I, p. 9.
l!Voir exprimer sa volonté. 328. Le theme de l'idemité de l' Etat et de l' Etat de droit apparait chez Kelsen d'abord dans Der sozio-
1 entre les personnes phy- logische 1md der juristische Staatsbegrijf de 1922 (p. 253; cf !'extrair cité par L. DUGUIT, Traité, t. I,
p. 54), puis dans la Allgemeine Staatslehre de 1925 et, enfin, dans la 2.k édition de la Reine Rechtslehre
second. Selon ce principe, de 1960.
· valablement la volonté de 329. Cf mpra n; 98 note 183.
'une telle compétence juri- 330. R. CARRE DE MALBERG, Contribution, t. I, p. 255-6 : « Le grand intérêt de l'application du
concept de personnalité et de mbjectivité bilatérale aux rapports de puissance dominatrice, c'est que settl ce
ffet"''. L'État est clone, par concept pennet de transfonner cette puissance de fait en une puissance de droit, c'est-à-dire en une p11is-
sance juridiquement réglementée et limitée. (. ..) Elle est la condition même du systeme modeme de "l'État
de droit" ». Cf aussi l'usage ambigu ibid., t. I, p. 219 (respect par l'État de ses obligations comrac-
tuclles vis-à-vis des particuliers) et Loi, p. 125.
iss,mce de l'État coincide ,1·vec l'éld- 331. L. I?UGUIT, Manuel, 1907, p. 48. Le texte est quelque peu confus car, des lors que l'État n'est
plus un Etat-puissance, mais est devenu une personne juridique, il est (et non pas devient) un État de
;siques de R. CARRÉ DE MAL- droit. Voir aussi p. 44.
re de droit constit1t1iormel, op. cit., 332. G. BURDEAU, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., 10' éd., 1963, p. 31.
;ure dans la plupart des manuels, 333. Ainsi, on remarquera qu 7 les constitutionnalistes allemands ne se réferent plus au concept de
AMON & M. TROPER, op. cit., la personnalité juridique de l'Etat. Cf Supra n" 146.
426 L 'État de droit ou les apories d'1m nouveau discours doctrinal 1.e discours Jra

non par un juge -, alors que le discours de l'État de droit se prête souvent à une modele le dro
conception restrictive du droit, selon laquelle seule une norme sanctionnée par mement lié le
un juge est une norme juridique. contraire, sur
insistem sur 11
§ 2. UNE lliÉORIE INFONDÉE OU LES APORIES DE LA CONFUSION ment satisfair
dépourvu de
ENTRE DROIT ET JUGE
public n'est-il
privé. Or, la J
L'assimilation du droit et du juge est l'un des leitmotive du discours actuel de dant vigoureu
l'État de droit, de la rufe oflaw et du Rechtsstaatm. Or, aussi séduisante que puisse réfutent non:
para1tre l'équation : droit = contrainte = juge, elle est scientifiquement inte- privé qu'ils or
nable au vu de ses conséquences (A), de ses présupposés erronés (B) et de ses il faut en réali
contradictions (C).
432 À supposer q
définit nécess;
A. Une dé:finition dévastatrice ou l'impossibilité fort envers le
de lier l 'État par le droit port entre l'É
appelle vis-à-,,
431 En réduisant le droit à la contrainte, on signe l' arrêt de mort du droit public, liée par une n
voire du droit tout entier en tant qu'il prétend vouloir lier l'État. Il est, en effet, ou du "droit"
impossible de contraindre celui qui, par définition, détient le monopole de la lois. Ainsi la
contrainte, à savoir l'État 335 • Selon Michel Virally, « une doctrine qui définit l'obli- obligation jur
gation juridique par la sanction promise à sa violation renonce à lier le pouvoir poli- mora/e vis-à-v
tique, car on ne menace pas de la contrainte celui qui dispose de la puissance » 33". entierement li
L'être humain peut, certes, si l'on fait siennes les idées kantiennes sur l'auto- remem à ce q
nomie, se lier lui-même en se donnant des lois; mais, en tout état de cause, il ne donner raison
saurait se contraindre lui-même. La distinction entre les deux a été clairement qu'à l'autre, i-
perçue par Jellinek, le maltre à penser de la théorie de l'autolimitation : « On n'existe pas vi
peut se lier soi-même, mais jamais on ne peut se contraindre soi-même (E in sich selbst La confusion
verpjlichten ist moglich, niemals aber ein sich selbst Zwingen}. » m Il en va de même potisme 1' 1•
pour l'État. Les couts d'une telle définition restrictive du droit sont énormes, On objecte
car, si l'on va jusqu'au bout de cette logique, il faut admettre que l'État en tant de contraintes
que tel n'est jamais lié parle droit, quel qu'il soit, publicou privé. le probleme e
Les conséquences de cette définition dépassent, en effet, de loin ce que l'on tique une secc
imagine généralement. Le débat sur ce sujet oppose souvent les spécialistes du on retombe e
droit privé aux juristes de droit public, ou, plus précisément, ceux qui érigent en

338. Pour l'influ,


Deutsches Verwal,
334. La liste des auteurs ayam défendu ce poim de vue est longue. Cf, par exemple, O. Bahr, cf. R. IHERING.
O. Mayer, H. Kelsen, Coke, Austin, Dicey, Sieyes, Carré de Malberg, Blondel, Eisenmann,J. Rivéro, 339. C'est la th~
L. Favpreu, etc. p. 710 ss; J. L'H
335. A titre d'illustration, on peut cirer l'ceuvre de R. von IHERING, per Zweck im Recht (1877}, op. cit., 10' éd,-, p
4' éd., Leipzig, Breitkopf & Hartel, 1904, 2 vol. Pour sa définition de l'Etat comme instance déten- sentants de l'Etat
trice de la comrainte, cf t. I, p. 239 ss. Quam à sa définition du droir par la contrainte (qu'il n'iden- constitucionnel e
tifie pas avec le juge, comrairemem à Bahr et Mayer), cf. t. I, p. 249 ss. 340. R. IHERIN
336. M. VIRALLY, La pensée juridique, réimpr. de l'éd. de 1960, Paris, LGDJ, 1998, p. XVIII. 341. Ibid., p. 257
337. G. JELLINEK, Die úhrevon den Staaten·verbindrmgen, réimpr. de l'éd. de 1882 (Wien), Aalen, 342. Ibid., p. 27C
Scienta, 1969, p. 33. Cf R. IHERING, op. cit., r. I, p. 258-9 et L. DUGUIT, Traité, t. I, p. 710 ss. verbindende Non
nouveau ·discours doctrinal

iroit se prête souvent à une


1 Le discours /rançais de l 'État de droit : aléas, fonctions et critiques

modele le droit privé ou encore le droit romain m - chacun des deux ayant inti-
mement lié le droit (subjectif) et l'action en justice -, à ceux qui insistem, au
427

me norme sanctionnée par


contraire, sur la spécificité irréductible du droit public. Tandis que les premiers
insistem sur le lien entre droit et juge, critere que le droit privé semble parfaite-
ment satisfaire, les seconds font valoir que le droit public est nécessairement
rES DE LA CONFVSION
dépourvu de sanctions coercitives 339 • Aussi, aux yeux des premiers, le droit
public n'est-il pas du droit, mais seulement de la morale, contrairement au droit
privé. Or, la problématique s'avere plus complexe et plus explosive : en défen-
rrotive du discours actuel de dant vigoureusement le lien entre la norme juridique et la contrainte, ces auteurs
, aussi séduisante que puisse réfutent non seulement la juridicité du droit public, mais encore celle du droit
e est scientifiquement inte- privé qu'ils ont pourtant érigé en modele. Pour comprendre les enjeux du débat,
)posés erronés (B) et de ses il faut en réalité prendre en compte le caractere unilatéral ou bilatéral du droit "º.
432 À supposer que l'on identifie la norme juridique avec la contrainte, le droit se
définit nécessairement comme un impératif unilatéral : il s'agit d'un ordre du
l'impossibilité fort envers le faible, du su périeur envers son inférieur 1". Des lors, dans le rap-
,it port entre l'État et l'individu, seul !e dernier est lié, car contraint, par ce qu'on
appelle vis-à-vis de lui du droit. Quant à la puissance publique, elle n'est jamais
êt de mort du droit public, liée par une norme juridique, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse du "droit" public
)ir lier l'État. Il est, en effet, ou du "droit" privé, car nulne peut la contraindre à l'obéissance de ses propres
, détient le monopole de la lois. Ainsi la législation étatique ferait naí'tre, au sujet d'une même regle, une
une doctrine qui définit l'obli- obligation juridique dans le chef des individus et, tout au plus, une obligation
renonce à lier le pouvoir poli- mora/e vis-à-vis de l'État lui-même. D'un strict point de vue juridique, l'État est
â dispose de la puissance » 33". entierement libre d'appliquer le "droit" comme il l'entend. S'il préfere, contrai-
idées kantiennes sur l'auto- rement à ce que dit la loi, ne pas accorder une autorisation à un administré ou
.s, en tout état de cause, il ne donner raison, dans un litige de droit privé entre deux individus, à l'un plutôt
:re les deux a été clairement qu'à l'autre, à chaque fois, le droit ne peut rien lui opposer, puisque le 4roit
ie de l'autolimitation : « On n'existe pas vis-à-vis de lui. Autrement dit, c'est le regne du bon plaisir de l'Etat.
indre soi-même (Ein sich selbst La confusion entre le droit et la contrainte (étatique) aboutit ainsi au pire des-
RJingen). » 137 Il en va de même potisme341.
:tive du droit sont énormes, On objectera que de nos jours le droit public n'est plus entierement dépourvu
t admettre que l'État en tant de contraintes. Mais, il ne s'agit là que d'un subterfuge, que d'une façon d'éluder
public ou privé. le probleme en le déplaçant. En érigeant au-dessus de la premiere autorité éta-
en effet, de loin ce que l' on tique une seconde qui est supposée la surveiller et la contraindre le cas échéant,
se souvent les spécialistes du on retombe en fin de compre sur le même probleme en ce qui concerne cette
cisément, ceux qui érigent en

338. Pour l'influence du <lroit privé, cf, par ex., O. BÃHR,Der Rechtsstaat, op. cit., p. 2 s; O. Mayer,
Deutsches Verwaltungsrecht, 2' éd., op. cit., p. 48; E. Sieyes (mpra n" 380). Quant au droit romain,
longue. Cf, par exemple, O. _B~hr, cf R. IHERING, op. cit., p. 199 note*.
berg, Blondel, Eisenmann, J. R1vero, 339. C'est la these défendue par F.J. STAHL cf mpra n" 82. Cf aussi L DUGUIT, Traité, t. 1,
p. 710 ss; J. L'HUILLIER, « Défense du positivisme », RDP, 1~54, p. 941, note 1; P. ARDANT,
ERING Der Zweck im Recht (1877), op. cit., 10' éd,-, p. 10. Cf J. GICQUEL, op. cit., 12' éd., p. 14: « A l'évidence, il est difficile a11x repré-
ion de l:État comme instance <lécen- sentants de l'Etat de se contraindre e11x-mêmes. » L'auteur poursuit néanmoins en disant que le droit
, droit par la contrainte (qu'il n'iden- constitutionnel est bien du droit en raison de l' existence d'un juge.
249 ss. 340. R. IHERING, op. cit., p. 270 ss et p. 278 ss.
O, Paris, LGDJ, 1998, p. xvm. 341. Ibid., p. 257. Cf aussi supra n" 228.
:impr. de l'éd. de 1882 (Wien), Aalen, 342. lbid., p. 270 ss. (« finseitig verbindende Norm » = Despotisme) et p. 278 ss (« Die zweiseitige
t L. DUGUIT, Traité, t. I, p. 710 ss. verbindende Norm » = Etat de droit).
428 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours)

seconde autorité. Quis custodiet ipsos custodes? 11 faudrait dane créer une troi- faute de qu1
sieme autorité qui, à son tour, nécessiterait un contrôleur etc. On aboutit ainsi si l'on ente
à une regressio ad infinitum 343 • Si les autorités étatiques inférieures peuvent être deux pouvo
contraintes par des instances supérieures, l'État dans sa globalité n'est jamais bien ce qu'~
soumis à la contrainte. 11 s'ensuit qu'en adoptant le postular de l'assimilation du « la force d'1

droit et de la contrainte, on renonce définitivement à l'idée de la soumission de ne s'est pas


l'État au droit, qui n'est plus qu'une chimere, qu'un vceu pieu. Aussi, les juristes de faire exéc
conscients de ce danger potentiel sont-ils amenés à prôner une obligation morale quente inca1
d'obéissance au droit 3". plier ceux q,

B. Une définition fondée surdes présupposés erronés


quant au statut du juge

433 La these de l'assimilation du droit et du juge repose sur trais malentendus, ou 434 L'argument~1
erreurs logiques, en ce qui concerne le juge. Tout d'abord, le droit et le juge ne fonde sur de:
sauraient être assimilés étant donné que l'un précede logiquement l'autre. Défi- liant intimei
nir le droit par la sanction juridictionnelle qui, à son tour, se définit par le droit morte» 350 .D
- puisque le tribunal lui-même est institué en vertu d'une loi -, c'est se perdre logie quelqw
dans un raisonnement circulaire 345 • En deuxieme lieu, il importe de garder à l 'administra t
l'esprit que le juge n'est pas extérieur à l'État 34", mais qu'il est lui-même un passé, on vis,
organe étatique. Des lors, les défenseurs de l'équation droit = contrainte ne sau- nalité des loi:
raient sauver l'idée de la soumission de l'État au droit en arguam de la soumis- de révision,
sion de l'État au juge. 11 s'agit là d'une vision erronée puisque le processe situe l'ombre du d
à l'intérieur de l'État, ou une autorité étatique (l'administration) est soumise à le juge, ces ju
une autre autorité étatique, à savoir le juge. On retombe sur l'écueil de la régres- d'existence a
sion vers l'infini. Enfin, l'équation: juge = contrainte ne correspond guere à la completeme1
réalité puisque le juge constitutionnel, administratif ou judiciaire ne dispose pas, n'est pas soUJ
. .
en personne, des moyens de contrainte pour faire exécuter ses sentences. 11 a Juge -, mais
besoin du concours volontairew des deux autres pouvoirs, législatif et exécutif, tionm, il n'e:,,
tutionnelles.
probleme res1
343. Cf R. IHERING, op. cit., t. I, p. 254: « Der oberste Trãger der Gewalt, der alie andem tmter ihm
stehenden Trãger derselben zwingen sol!, kann nicht selbst wiederum einen andem tiber sich h,1ben, der
ilm zwingt. Bei irgend einem P11nkte in der staatlichen Zw,111gsmachi11e m11ss das Gezw1111genwerden ein
Ende nehmen 11nd lediglich das Zwingen tibrig bleiben. »
344. N. BOBEIO, Essais de théorie d11 droit, Paris-Bruxelles, LGDJ-Bruylant, 1998, p. 31 : « Si on
entend p,1r ob/ig,1tion mora/e ceife qui est d11e par respect de la !oi, par obligt1tion j11ridiq11e ceife q11i est L ',1dministration
dtte par crainte de /,1 st1nction, c'est une donnée de fait que tout ordre compte m1ssi sttr l'obligation momle Cf aussi A.-C. I-
d'obéir, po11r !e moins de la part de ce11x à qui est confiée la tâche de punir cel11i qui a démontré ne pas res- (dir.), The Rufe o,
sentir cette obligation ni t1voir peur de la sanction. » Cf aussi l'opinion de M. HAURIOU: « L'Etat cultés pratiques d
n 'esc jamais que mort1lement obligé à organiser 1m service, ec, même si 11ne !oi en prescrit l'orgt1nisation, diction de la ségr
c'esc 1m ordre qtte l'Etat se donne à !11i-même et dont a11ame a11torité ne pettt ass11rer l'exécution » (« D~oit 348. O. BÃHR,
administr,nif », Répercoire Beqttel, t. XIV, Paris, Dupont, 1897, p. 3; cité par M.-J. REDOR, De l'Ew 349. Cf s11pra nu
légal à l'Etat de droic, op. cic., p. 298 note 13). 350. O. BAHR
345. Cf G. TIMSI'I~ Les noms de /,1 !oi, Paris, PUF, 1991, p. 14. 351. G. VEDEL.
346. En ce sens, voir par ex. D. ROUSSEAU, Droic çiu comentieux constittttionnel, 5' éd., p. 450. pmdence(1902), 'J
Le juge y est présenté comme un médiateur entre l'Etat et la société civile. Cf aussi sttpra n-· 65 352. On peut pe1
note 234 et n" 293. conrrôle du juge
34?- Cf J. RIVÉRO, « L'État moderne peuc-il être encare un État de droit? », op. cit., p. 96: Convention euroJ
« A l'égard de l'administration, !e j11ge est s,1ns po11voir réel; son glaive est de ·verre, ses fo11dres de carton. décisions des juge
nouveau discours doctrinal

1drait clone créer une troi-


T Le discours /rançais de l 'État de droit: aléas, fonctions et critiques

f~u;e de quoi sa décision restera_ lettre morte. Car, d'un point de vue juridique,
429

si l on enter.td par le terme droit une norme sanctionnée par la contrainte, les
ôleur etc. On aboutit ainsi
d~ux pouvoirs ne sont pas liés par la décision du juge et ne sauraient l'être. C'est
1es inférieures peuvent être
bien ce qu'a vu Otto Bahr qui reconnaí't que la décision du juge s'impose avec
1s sa globalité n'est jamais
« la force d'une autorité éthique »"'. 11 n' est plus question de contrainte. Duguit
,ostulat de l' assimilation du
à l'idée de la soumission de ne s'~st pa~ non plus t~~mp~ ~~r la faiblesse intrinseque du juge lorsqu'il s'agit
1
de faire ~xecute~ sa decisi9n a 1egard des (autres) instances étatiques. D'ou sa fré-
vceu pieu. Aussi, les juristes
q~ente mcan~atl?~ de l'Etat de droit, autrement dit du droit objectif, pour faire
·ôner une obligation morale
pher ceux qm deuennent le monopole de la contrainte"'.

C. Une définition contradictoire ou l'impossibilité logique


mpposés erronés
· de soumettre le juge au droit
;e
434 L'argumentation déployée par les défenseurs du discours de l'État de droit se
e sur trois malentendus, ou
fonde surdes intentions louables: elle tend à mieux asseoir l'empire du droit en
'abord, le droit et le juge ne
liant intimement le droit à l'office du juge, sans leque! la norme resterait « lettre
e logiquement l'autre. Défi-
morte » 350 • De la compétence des juges en matiere civile, on conclut, par une ana-
1 tour, se définit par le droit
logie quelque peu forcée, à l'impérieuse nécessité d'un contrôle juridictionnel de
1d'une loi -, c'est se perdre
l'ad~inist~tio,n pour faire du d~oit admin~stratif un vrai Adroit; une fois ce cap
lieu, il importe de garder à
passe, on vise a etendre la competence des iuges au controle de la constitution-
mais qu'il est lui-même un
nalité des lois, et, de là, il n'y a plus qu'un pas pour admettre le contrôle des lois
m droit = contrainte ne sau-
de révision, v~ire de la constitution elle-même. Or, l'ascension des juges à
"Oit en arguant de la soumis-
l'ombre du droit n'est pas sans prix. En acquiesçant à la fusion entre le droit et
.ée puisque le proces se situe 1
1~ ju?e, ces juristes livrem l'un à la discrétion de l'autre. Des lors, le droit n'a plus l
dministration) est soumise à :.i
d existence autonome par rapport à son gardien privilégié auquel il s'identifie
,mbe sur l'écueil de la régres-
completement, ce qui, par voie de conséquence, signifie que le juge lui-même
nte ne correspond guere à la
f ou judiciaire ne dispose pas, ~'est pas s~u1;1is à d,es reg~es de droit - puisqu'il n'y a pas de juge au-dessus du
iuge -, mais ades regles simplement moralesm. Sauf le cas spécial d'une fédéra-
: exécuter ses sentences. 11 a
tion 352, il n'existe pas de procédure d'appel contre les décisions des cours consti-
)uvoirs, législatif et exécutif,
tutionnelles. Même à supposer qu'une telle voie de recours soit instaurée, le
probleme resterait entier en ce qui concerne le juge d'appel.
-ler Gewalt, der ,zlle andem 1mter ihm
·,m einen andem itber sich h,iben, der
chine mtlSS das Gezw1mgenwerden ein

GDJ-Bruylant, 1998, p. 31 : « Si on
L'administmtion ne fui obéit que parce qu'elle /e veut bien, et dans /,i mesure 011 elle /e veut bien. »
', par obligation juridiqtte ceife qui est Cf: aussi A.-C. HUTCHINSON & P. MONAHAN, « Democracy and che Rule of law », in eid..
re compte ,iussi mr l'ob/igation mora/e
(d1r.), The !?-ule of Law. Ideal of Ideology, Toronto, Carswell, 1987, p. 116, qui insistem sur les diffi-
i punir celui qui a démontré ne pas res-
cultés prat1ques de la Cour suprême américaine à faire imposer de facto sa jurisprudence sur l'inter-
pinion de M. HAURIOU : « L'Etat
diction de ).a ségrégation raciale.
ne si une /oi en prescrit l'organisation,
348. O. BAHR, op. cit., p. 10-11. Cf aussi p. 67.
té ne peut asmrer /'exécution » (« D~oit
349. Cf mpra notes 135 et 136.
>. 3; cité par M.-J. REDOR, De l'Et<1t
350. O. BÃHR, op. cit., p. 12.
351. G. VEDEL, ~' Indéfinissable mais présent », Droits, n" 11, 1990, p. 69; J. SALMOND, juris-
pn;dence (1902), 9' edn., remis~ à jou,r p~r J.-L ~ARKER,_Lo~don, Sweet 13F Maxwell, 1937, p. 63 ss.
ntieux constittttionnel, 5' éd., p. 450. 35_, On peut penser au cas ou la dec1S1on du iuge consmunonnel d'un Etat fédéré est soumis au
a société civile. Cf aussi supra n" 65
contrôle _du juge c,onstitutionn':l fédé,ral. À cela _s'ajoute le cas spécial de l'ordre juridique de la
C;1?~ent1on e:1ropeenne _des _drons de l ?omme qm permet, dans certains cas, un contrôle ultime des
un État de droit? », op. cit., p. 96 :
dec1s10ns des iuges consmunonnels nanonaux par la Cour européenne de Strasbourg.
:laive est de ·verre, ses foudres de carton.
430 L 'État de droit ou les apories d'un nouveau discours doctrinal Le discours fr.;

Le rhéoreme s'avere être une arme à double tranchant, puisque le droit en sort II va de soi qu
à la fois renforcé vis-à-vis des instances dites politiques et, en même temps, fra- tionnelles ne
gilisé à l'égard des juges eux-mêmes. Apres tout, les juges sont loin d'être des cas en Allem
dieux infaillibles, des oracles d'une vérité transcendante dont ils détiendraient mesure ou le ,
seuls le secret. lls ne sont quedes êtres humains, sujets à l' erreur et à la critique validité des lo
lorsqu'ils sont amenés à exercer leur pouvoir discrétionnaire m_ L'objection prémisses de 1
n'est pas passée inaperçue aux défenseurs du discours de l'État de droit qui n'ont gardien ultim,
eu d'autre issue que de se contredire pour sauver ce qui peut l'être de leur théo- -mais un on
rie. On se souvient que celle-ci repose entierement sur la récusation des garan- Ainsi, le di
ties dites politiques, sociales et éthiques du droit. II n'y a de droit, selon leur hautement COi
théorie, que s'il y a un juge. Des lors, l'argumentation de leurs adversaires, selon apories. Le co
laquelle il n'y a pas lieu d'instaurer un contrôle juridictionnel en la présence de avec la sanctio
garanties politiques suffisamment fortes, n'est pas pertinente puisqu'elle est hors
sujet. De toute façon, il n'y a de garanties quedes garanties juridictionnelles.
Or, curieusement, ce qui n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit des pouvoirs poli-
tiques, le redevient lorsqu'il s'agit des juges eux-mêmes. Ainsi, pour justifier la
soumission du juge (suprême) au droit, on fait état de diverses garanties profes- 436 Incarnant, cha
sionnelles et éthiques qui seraient de nature à empêcher l'arbitraire des juges. On de Rechtsstaat,
évoque leur esprit professionnel, leur « sennent », leur conscience du « devoir », commun de l'
leur attachement aux « conclusions de la science », sans oublier « les traditions classique, maii
et l'honneur du corps » "''. Sur ce point les propos de Maurice Hauriou sont chaque modelt
éloquents. D' apres le doyen de Toulouse, « le juge autonome est de tous les fonc- toire nationale
tionnaires, celui qui se pénetre le plus des devoirs de sa fonction; la fonction de jus- gies. Axés aut1
tice, la plus ancienne en date, reste la premiere de totttes par sa vertu professionnelle. l'homme et la
Cela tient à la pratique constante de l'acte de juger, qui est l'acte scrupuleux par excel- évolution marc
lence. Sans compte que le juge est essentiellement un individu et que si l'on ne peut droits fondam,
parler que par figure de la conscience du législateur ou de celle de l'administration, publics, y com;
on peut parler réellement de celle du juge ,,m_ Parmi les facteurs de nature à inspi- garantis soit p:
rer confiance dans le pouvoir des juges, et spécialement des juges constitution- internationale,
nels, on cite également le mode de nomination, dont la complexité garantirait la en place, sous 1
sagesse et la fiabilité des candidats retenus. nique de protel
435 Enfin, ceux qui assimilent le droit et le juge ont recours à un dernier argument tion de l'État 1
qui est censé sauver le príncipe de la suprématie de la constitution vis-à-vis des prend une amp
juges eux-mêmes. II s'agit de la fameuse théorie du « lit de justice» développée 437 Les conception
par G. Vedel 356 et reprise par de nombreux auteurs en France. Ainsi, à supposer l'État de droit n
que le juge se soit trompé sur l'application ou l'interprétation de la constitution, effet, une cerrai
la majorité politique - à condition de satisfaire aux conditions procédurales étant assimilés -
posées par l'article 89 de la Constitution de 1958 - garde le dernier mot puis- qui fait cohabir
qu'elle peut revenir sur sa décision parle biais d'une révision constitutionnelle. soient véritable
apres avoir étud
bassements théc
353. Cf, par ex., D. LOCHAK, Le Cansei! consticutionnel, protecteur des libertés?, Pouvoirs, celle de l'État d
n'' 13, 3' rééd., 1991, pp. 41-54. l'État.
354. O. BÃHR, op. cit., p. 15.
355. M. HAURIOU, Principesdedroit public, !" éd., 1910, p. 76.
356. G. VEDEL, « Schengen et Maastricht», RFDA, 1992, pp. 173-184.
1 nouveau discours doctrinal Le discours /rançais de l'État de droit: aléas,fonctions et critiques 431

.ant, puisque le droit en sort II va de soi que l'argument n'a de sens que dans l'hypothese ou les lois constitu-
1es et, en même temps, fra- tionnelles ne sont pas à leur tour soumises au contrôle du juge, comme c'est le
s juges sont loin d'être des cas en Allemagne. Quant à la France, l'argument pourra s'appliquer dans la
lante dont ils détiendraient mesure ou le Conseil constitutionnel s'est estimé incompétent pour juger de la
ets à l' erreur et à la critique validité des lois constitutionnelles. Or, on notera que l'argument contredit les
:rétionnaire m. L' objection prémisses de la théorie de l'assimilation du juge et du droit en ce qu'il érige en
s de l' État de droit qui n' ont gardien ultime du sens de la constitution non pas un juge - ce qui serait logique
qui peut l'être de leur théo- - mais un organe politique, i.e. le pouvoir constituam dérivé.
sur la récusation des garan- Ainsi, le discours actuel de l'État de droit, assimilam le droit et le juge, est
[l n'y a de droit, selon leur hautement contestable : il aboutit soit à des conclusions dévastatrices, soit à des
m de leurs adversaires, selon apories. Le concept du droit ne saurait être confondu ni avec la contrainte, ni
dictionnel en la présence de avec la sanction juridictionnelle.
!rtinente puisqu'elle est hors
aranties juridictionnelles.
:i_u'il s'agit des pouvoirs poli-
!mes. Ainsi, pour justifier la
de diverses garanties profes- 436 Incarnam, chacun à sa façon, l'idée de la suprématie du droit, les trois concepts
:her l'arbitraire des juges. On de Rechtsstaat, Rufe of Law et État de droit font partie du patrimoine culturel
eur conscience du « devoir », commun de l'Europe. Leurs racines se laissent retracer jusqu'à la philosophie
sans oublier « les traditions classique, mais c'est surtout la modernité qui les a marquês de son sceau. Si
s de Maurice Hauriou sont chaque modele a suivi sa propre évolution, en fonction des vicissitudes de l'his-
autonome est de tous les fonc- toire nationale, les trois ne présentent pas moins de fortes similitudes ou analo-
;a fonction; la fonction de jus- gies. Axés autour des deux idées phares des Lumieres que sont les droits de
:es par sa verttt professionnelle. l'homme et la séparation des pouvoirs, ils se rejoignent de nos jours dans une
i est l 'acte scrupuleux par excel- évolution marquée par deux caractéristiques majeures. D'une part, le statut des
individu et que si l'on ne pettt droits fondamentaux se trouve graduellement renforcé à l'égard des pouvoirs
,u de ceife de l'administration, publics, y compris le pouvoir législatif, par l'élévation de leurs sources: ils sont
les facteurs de nature à inspi- garantis soit par un texte à valeur constitutionnelle, soit par une convention
~ment des juges constitution- internationale, soit par un texte hybride, à !'instar du Human Rigts Act qui met
nt la complexité garantirait la en place, sous le contrôle ultime de la Cour européenne, un mécanisme britan-
nique de protection des libertés individuelles. Avec ce processus de matérialisa-
~cours à un dernier argument tion de l' État de droit va de pair un phénomene de juridictionnalisation qui
le la constitution vis-à-vis des prend une ampleur variable, mais en tout cas croissante, dans les trois pays.
lu « lit de justice » développée 437 Les conceptions théoriques sous-jacentes au Rechtsstaat, à la Rufe of Law et à
s en France. Ainsi, à supposer l'État de droit ne sont, toutefois, pas au-dessus de toute critique. On décele, en
erprétation de la constitution, effet, une certaine confusion, tant sur le !ien entre le droit et le juge - les deux
aux conditions procédurales étant assimilés -, que sur la nature de l'Etat. La sémantique actuelle en France
- garde le dernier mot puis- qui fait cohabiter les deux notions d'État et d'État de droit, sans que leur liens
me révision constitutionnelle. soient véritablement élucidés, est source de confusions inutiles. Aussi faut-il,
apres avoir étudié la généalogie des trois concepts, s'attacher à en sonder les sou-
bassements théoriques. Il importe alors de reformuler la question, qui n'est pas
!1, protecteur des libertés?, Po11voirs,
celle de l'État de droit, pur pléonasme, mais celle de la définition juridique de
l'État .

. 76.
p. 173-184.
L'J
CONTF

438 Dans les réfle:


l'État de droit
entre le droit
mots, est la d
tions qui ont
droit, et, enfir
problématiqw
la théorie et L
construction ;
verses entre, d
s' avere que se
nature de l'ob
la puissance p
nel de ce que
tique. L'analy:
à cet égard de ·
rielles au pou'

Titre 1. Les e
naturel
Titre 2. Les 1
Partie II
,
L'ETAT, LE DROIT ET LE JUGE
\ ,
CONTRIBUTION A UNE THEORIEJURIDIQUE
DE L'ÉTAT

438 Dans les réflexions des juristes et philosophes sur le Rechtsstaat, la rufe oflaw et
l'État de droit se lit, tel un fil d' Ariane, une même interrogation sur le rapport
entre le droit et le pouvoir. L'enjeu théorique crucial, au-delà des querelles de
mots, est la définition juridique de l'État. De là surgissem une foule de ques-
tions qui ont trair à la définition du droit, à la nature des liens entre l'État et le
droit, et, enfin, au rôle du juge au sein d'un État se voulant démocratique. Deux
problématiques majeures se dégagent de cet ensemble. La premiere, portam sur
la théorie et la philosophie du droit, a trair aux présupposés théoriques de toute
construction juridique de l'État. Celle-ci fait, en effet, l'objet de vives contra-
verses entre, d'un côté, les jusnaturalistes et, de l'autre, les juspositivistes. Or, il
s'avere que seule une démarche jusnaturaliste permet de rendre compre de la
nature de l'objet qu'est le droit et de faire face au défi qu'est la subordination de
la puissance publique au droit. La seconde concerne l'aménagement institution-
nel de ce que l'on appelle communément de nos jours l'État de droit démocra-
tique. L'analyse théorique des liens entre le di-oit, la démocratie et le juge permet
à cet égard de mieux comprendre le débat dogmatique actuel sur les limites maté-
rielles au pouvoir de révision constitutionnelle.

Titre 1. Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État : le droit


naturel
Titre 2. Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle
D
D:

439 L'encadremen
ce point, les j
lequel l'État S(
liste, selon laq
lui. On se pla1
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440 En même tem1
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d'une morale ci
tantôt d'une m
Allemagne apre
les nazis s' oper,
Titre 1
I

LES ENJEUX THEORIQUES


DE LJ\ FONDATION JURIDIQUE
DE L'ETAT : LE DROIT NATUREL

439 L'encadrement juridique du pouvoir pose de sérieuses difficultés théoriques. Sur


ce point, les juristes sont en général tiraillés entre le modele positiviste, selon
lequel l'État se soumet à ses propres lois, et à elles seules, et la théorie jusnatura-
liste, selon laquelle le pouvoir est soumis à des normes objectives, extérieures à
lui. On se pla1t ainsi à opposer l' autolimitation à l'hétérolimitation. Or, une telle
vision dichotomique est en réalité réductrice. La théorie de l'autolimitation, éla-
borée à la fin du XIX' siecle par Ihering et, surtout, par Jellinek, s'inspire directe-
ment de la doctrine kantienne de l'autonomie. Souvent ignorés, les emprunts de
Jellinek à la pensée du ma1tre de Konigsberg s'averent pourtant décisifs: la vali-
dité de l'édifice théorique de l'école positiviste, caractérisé parles deux príncipes
fondamentaux de la personnalité juridique de l'État et du principe de l'autolimi-
tation, tient entierement à la présence de ces prémisses jusnaturalistes, dont Jelli-
nek admet du reste l'existence, du moins en partie. Celles-ci subsistent, souvent
de façon inconsciente, dans les théories actuelles sur l'État. Ainsi appara1t un lien
de continuité ou de filiation entre les deux écoles : les positivistes entendent, en
effet, reprendre nombre de concepts forgés par la théorie du contrat social, tout
en en récusant les soubassements jusnaturalistes. Or, l'objet même du droit et de
la définition juridique de l'État s'y oppose, ce qui explique par conséquent le
caractere indéracinable de ces éléments métajuridiques.
440 En même temps, si la présence du droit naturel est une nécessité logique, elle
constitue également un défi. L'expérience du III' Reich illustre, de façon
extrême, les risques liés à une telle fondation de l'État. Le terme droit naturel
peut recouvrer, en effet, des significations fort diverses : il peut s'agir tantôt
d'une morale critique, conforme aux postulats de la raison et de l'humanisme,
tantôt d'une morale corrompue, raciste et totalitaire, comme ce fut le cas en
Allemagne apres 1933. Le processus de décomposition du droit et de l'État sous
les nazis s'opere justement parle biais d'un droit naturel volkisch qui sape, de
436 Les enjeux théoriques de lafondation juridique de l'État: !e droit naturel

l'intérieur, la construction juridique de l'État, donnant ainsi naissance à un


régime despotique. À cet égard, le débat entre Carl Schmitt et Otto Koellreutter
sur l'existence d'un État de droit nazi révele, en creux, les failles de la théorie
juridique, e' est-à-dire jusnaturaliste, de l'État.

Chapitre 1. Le concept juridique de l'État au ca:ur de la querelle méthodo-


logique entre positivistes et jusnaturalistes
Chapitre 2. « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler » ou le rôle décons-
tructif du droit naturel sous le III< Reich

au

441 Toute définiti


L'un neva p:
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tique. Or la L
gent sur la sig
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se succedent, ,
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Le paradigr
cependant sé
D'une part, s~
- quitte à rec
soit de l'autre
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1. Cf les numéro
2. H.L.A. HAR1
3. Intervention d
ue de l'ÉÚt: le droit natttrel

nnant ainsi naissance à un


:hmitt et Otto Koellreutter
~ux, les failles de la théorie

1r de la querelle méthodo-

fitler » ou le rôle décons-


Chapitre 1
,
Le concept juridique de l'Etat
au creur de la querelle méthodologique
entre positivistes et jusnaturalistes

441 Toute définition juridique de l'État présuppose que l'on sache ce qu'est le droit.
L'un neva pas sans l'autre et d'aucuns diront même, avec Kelsen, que les deux
questions ne constituem que les deux facettes d'une seule et même probléma-
tique. Or la définition du droit fait figure de nceud gordien, tant les avis diver-
gent sur la signification qu'il importe d'attacher au mot droit'. À en croire Hart 2 ,
aucune autre science ne consacre autant d'efforts et de temps à la définition
1
de son propre objet que la science juridique. On est pourtant loin d'un concept i.
qui fasse l'unanimité. La régularité et, a fortiori, la virulence avec lesquelles
refont surface les querelles méthodologiques entre positivistes et jusnaturalistes
témoignent, au contraire, de l'acuité constante de la question. L'histoire de la
pensée juridique occidentale est, en effet, émaillée d'âpres débats entre ces deux
camps, ou domine tantôt l'un tantôt l'autre. D'apres Kelsen, cet « antagonisme »
constituerait le fil rouge des siecles passés et à venir, car il serait « étemel » '. Ainsi
se succedent, dans un cycle que rien ne semble pouvoir arrêter, les actes de déces
et les renaissances : si, d'un côté, la théorie du droit naturel a survécu aux cri-
tiques parfois féroces du xrxc siecle, de l'autre, le juspositivisme, du moins un cer-
tain juspositivisme, s'est remis des accusations de collusion avec le nazisme.
Le paradigme de la distinction entre jusnaturalisme et juspositivisme se trouve
cependant sérieusement écorné de nos jours par deux sortes de critiques.
D'une part, sa prétention à vouloir épuiser tous les courants de pensée en droit
- quitte à requalifier les théories récalcitrantes comme des avatars soit de l'un
soit de l'autre - est de plus en plus contestée. Un nombre croissant d'auteurs
explorem ainsi une « troisieme vaie » au-delà de ce dualisme jugé réducteur et

1. Cf. les numéros 10 et 11 {« Définir le droit » I et II) de la revue Droits, 1989.


2. H.L.A. HART, The Concept ofLzw, z,J edn., Oxford, Clarendon, 1994, p. 1 [ = Concept].
3. Intervention dans le débat de H. KELSEN, VVDStRL, 1927, p. 53.
438 Les enjeux théoriques de la fondatian juridique de l'État: le drait naturel La querelle 111(

stérile'. C'est d'ailleurs ce qu'admettent certains défenseurs de la dichotomie que le droit p<
classique en abandonnant la these du tertia nan datur'. D'autre part - et c'est à alternatives p:
cette seule critique, modérée, que sera en partie consacré ce chapitre - les voix naturel sur le
se multiplient pour récuser les exces d'un certain manichéisme qui préside, sou- drait pasitifsu
vent inconsciemment, à la présentation du débat. II n'est pas rare de voir la disque le pasit1
controverse placée de prime abord, sans que ce choix ne soit élucidé - ce qui est n 'alfinne pas l
le propre d'un préjugé -, sous le signe d'un antagonisme absolu et irréductible. même s'il est d,
Les deux théories se feraient ainsi face comme deux ennemis héréditaires, à !'ins- Des lors, il
tar de ce quis' est passé sous la République de Weimar ou les débats entre les deux droit 1°, ce qui
écoles furent d'une rare virulence. On se souvient qu'en 1928 la controverse sur a) « droit n
la justice constitutionnelle, qui opposa Heinrich Triepel et Hans Kelsen, se solda pas de dt
parle constar d'un fossé infranchissable. « Kelsen et mai ne parlans pas le même théorie e
langage, car naus ne vayans pas les chases avec les mêmes yeux », dira le premier; à b) « seu! ex/
quoi le second répondra : « Naus ne naus sammes pas rencantrés aujaurd'hui et il c) « draits n
est fort prabable que naus ne naus rencantrerans jamais. »" drait nat,
443 En ignoram ce
a) Le caractere asymétrique des définitions du jusnaturalisme extrapolation,
et du juspositivisme naturalisme. C
opuscule Die p,
442 Cette vision antagoniste n'est pas sans effet sur l'appréhension de la théorie vismus publié t
adverse. Elle aboutit souvent à un raisonnement manichéen : si l'un est blanc, fixe comme ob
l'autre est forcément noir, caril est inconcevable que les deux puissent avoir le spécificité du p
même avis sur un même sujet. On raisonne par antithese: si le positivisme est A, taganisme qui ci
le jusnaturalisme est non-A 7 • Ce faisant, on ignore le « caractere asymétrique » des sur la contrairn
deux théories mis en évidence par Norberto Bobbio". En termes tres généraux, d'opposer celu
on peut dire que le jusnaturalisme postule l'existence d'un droit naturel et d'un pour se concré1
droit positif, dont le premier serait supérieur au deuxieme, alars que le positi- l'évidence. Kel
visme n'admet pas cette distinction et récuse qu'il puisse y avoir un droit autre comme élémen
nise un « ardre,
4. Cf A. KAUFMANN, Gmndproblemeder Rechtsphilosophie, München, Beck, 1994, chap. 4 (« ]en- - si elle mainti,
seits von Naturrecht ,md Rechtspositivismus »); W. K.RAWIETZ, « Neues Naturecht oder Rechcs- Une telle méco
positivismus? Eine kritische Auseinandersetzung mit dem Begriff des Rechts bei Ralf Dreier und l'exclusivité ou
Norbert Hoerster », Rechtstheorie, 1987, pp. 209-254; N. MacCORMICK & O. WEINBERGER,
An Institutional Theory of Law. New Approaches to Legal Positivism, Donlrecht, D. Reide!, 1986, la nécessité d'u1
chap. V(« Beyond Positivism and Natitral Law »). L'approche de ces deux derniers auteurs peut néan- force de se focal
moins prêter à confusion dans la mesure ou ils veulent à la fois dépasser ce vieux conflit et continuer
à se réclamer du positivisme, ce qui est contradictoire.
5. Cf C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER (dir.), Le positivisme juridique, LGDJ-
Story Scienta, Paris-Bruxelles, 1992, p. 19. 9. Ibid.
6. VVDStRL, 1929, P- 117. Cf U. SCHEUNER, « Die Vereinigung der deutschen Staatsrechtlehrer 10. Ibid., p. 40.
in der Zeit der Weimarer Republik »,AõR, vol. 97, 1972, p. 350 s. 11. H. KELSEN, l
7. Cf, par ex., V. VILLA, « A Definition of Legal Positivism », ARSP Beiheft, n" 70, 1997, p. 27. Charlottenburg, Pai
L'auteur recherche ainsi « a m11t11ully exclusive conceptual opposition » entre le jusnaturalisme et le 12. Ibid., chapitre J.
juspositivisme. Par là, il entend que« chaque concept représente la négation totule de l',wtre (ils se contre- positif et le droit na
disent m11t11elle111ent) ». Du reste, le langage juridique courant favorise une telle vision antagoniste droit naturel soit dé
puisqu'il tend à identifier j11snat11rulistes et antipositivistes, alars qu'on peut être concre !e positivisme d'un droit pré-étatic
sans être pour autant pour le jusnaturalisme et vice versa_ Cf infru les théories a), b) et e) définies par pas le cas (cf le cas d
N. Bobbio. n" 431 ss).
g_ N. BOBBIO, Essais de théo,-ie du droit, trad. par M. Guéret et C. Agostini, préf. de R. Guastini, 13. H. KELSEN, O/
Paris-Bruxelles, LGDJ-Bruylant, 1998, chap. 2, p. 39. 14. Ibid.
ue de l'Étát: le droit natztrel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 439

éfenseurs de la dichotomie que le droit positif. Or il apparait que les deux définitions ne constituem pas des
r;_ D'autre part - et c'est à alternatives parfaites. « Tandis que le jusnaturalisme a/firme la supériorité du droit
sacré ce chapitre - les voix naturel sur le droit positif, le positivisme juridique n 'a/firme pas la supériorité du
michéisme qui préside, sou- droit positifsur le droit naturel, mais l 'exclusivité du premier. D'un autre côté, tan-
11 n' est pas rare de voir la dis que le positivisme juridique a/firme l'exclusivité du droit positif, le jusnaturalisme
ne soit élucidé - ce qui est n'affirme pas l'existence du seu! droit naturel, mais également celle du droit positif,
isme absolu et irréductible. même s'il est dans une position d'infériorité par rapport au premier. » •
:nnemis héréditaires, à l' ins- Des lors, il est possible d' envisager au moins trois autres conceptions du
. ou les débats entre les deux droit 'º, ce qui prouve l'invalidité de la these tertio non datur:
1'en 1928 la controverse sur a) « droit naturel et droit positifexistent tous deux, dans des rapports quine sont
ipel et Hans Kelsen, se solda pas de dépendance, mais d'indépendance et d'indifférence »; il s'agit d'une
moi ne parlons pas le même théorie distincte à la fois du jusnaturalisme et du juspositivisme.
1es yeux », dira le premier; à b) « seu! existe le droit naturel »; il s' agit de l' antithese parfaite du positivisme.
s rencontrés aujourd'htti et il e) « droits naturel et positifexistent tous deux mais le droit positifest supérieur au
). » 6 droit naturel »; il s'agit de l'antithese parfaite du jusnaturalisme.
443 En ignorant cette asymétrie, on court le risque d'inventer de toutes pieces, par
maturalisme extrapolation, des oppositions qui n'existent pas entre le positivisme et le jus-
naturalisme. C'est à cette erreur que succombe, par exemple, Kelsen dans son
opuscule Die philosophischen Grundlagen der Naturechtslehre und des Rechtspositi-
appréhension de la théorie vismus publié en 1928. Le ton est clairement donné dans la préface, ou Kelsen se
anichéen : si l'un est blanc, fixe comme objectif de faire ressortir, par le biais d'un « scharfes Gegenbild », la
1e les deux puissent avoir le spécificité du positivisme par rapport au jusnaturalisme et d'illustrer ainsi « l'an-
nese : si le positivisme est A, tagonisme qzti domine depuis toujours la science juridique » ". Par la suite, il insiste
« caractere asymétrique » des sur la contrainte comme un critere essentiel du droit positif, ce qui lui permet 1

>'. En termes tres généraux, d'opposer celui-ci au droit naturel, lequel n'aurait pas besoin de la contrainte
l
:e d'un droit naturel et d'un pour se concrétiser "· Ce dernier s'imposerait de lui-même, par la seule force de
uxieme, alors que le positi- l'évidence. Kelsen en déduit que seul le positivisme insiste sur la coercition
misse y avoir un droit autre comme élément distinctif du droit, alars que la théorie du droit naturel préco-
nise un « ordre anarchique, sans contrainte » ". « Toute théorie du droit naturel doit
- si elle maintient l'idée d'un droit naturel pur - être zm anarchisme idéaliste. »"
[ünchen, Beck, 1994, chap. 4 (« ]en-
« Neues Naturecht oder Rechts-
Une telle méconnaissance de la théorie du contrat social, qui n'a jamais prôné
'iff des Rechts bei Ra[f Dreier und l'exclusivité ou la "pureté" du droit naturel, mais qui tend au contraire à justifier
ORMICK & O. WE!NBERGER, la nécessité d'un ordre juridique positif, est due à une extrapolation abusive. À
'JÍsm, Dordrecht, D. Reide!, 1986,
es deux derniers auteurs peut néan- force de se focaliser sur les différences entre les deux théories, on les exacerbe et
passer ce vieux conll.ic et continuer

ir.), l.e positivisme j11ridique, LGDJ-


9. Jbid.
mg der deutschen Staacsrecht!ehrer 10. Ibid., p. 40.
s. li. H. KELSEN, Die philosophischen Gnmdlagen der Naturrechtslehre 1md des Rechtspositivism11s,
, ARSP Beiheft, n· 70, !997, p. 27. Charlottenburg, Pan Verlag, !928, p. 3.
tion » entre le jusnaturalisme et le 12. Ibid., chapitre !, § 2, p. 9. Sur l'utilité de \a contraime comme critere de distinction entre !e droit
1égation tocaie de l',u~tre (ils se con:re- positif et !e droit namrel, cf déjà R. CARRE DE MALBERG, supra, n" 404 s. Cela suppose que !e
1vorise une celle vis10n antagomste droit naturel soit dépourvu de la comrainte étatique - ce qui est vrai, par définicion, puisqu'il s'agit
u'on peut être concre le posicivisme d'un droit pré-étatique -et que coutes les normes de droit positif en soient pourvues - ce qui n'est
i les chéories a), b) et e) définies par pas le cas (cf le cas du droit internacional et du droit constitucionnel ainsi que nos explications mpra
nº 431 ss}.
: C. Agostini, préf. de R. Guastini, 13. H. KELSEN, op. cit., p. !O.
14. Ibid.
440 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle mt

on oublie les points communs. Des lors, Kelsen se livre à une escarmouche de défendre u
contre un ennemi imaginaire car, dans ce débat, ce n'est pas le jusnaturalisme qui nel 11 • Voilà ur
se trouve attaqué - puisque celui-ci est une théorie dualiste du droit 15 - , mais cur, fiou et va
une autre théorie que N. Bobbio a conceptualisée sous le poim b) comme ami- comrairement
these parfaite du positivisme. viste en raison
tions de la log
~) Les sources de l'antagonisme: le rôle crucial du langage tivistes conter
jusnaturaliste 1
444 Bien souvem les argumems, supposés mortels, de l'un contre l'autre ne font que 446 Si le cas de fi.gu
se croiser sans se rencontrer, puisqu'ils se situem surdes plans completement met au moins
différents 11•• On comprend des lors pourquoi « à la suite d'un duel morte/, ils sont de façon plus i:
tous deux plus vivants qu'auparavant » 17 • A l'origine de ces polémiques stériles se de redoutables
trouvent diverses raisons. Il va sans dire que l'existence d'aversions personnelles écoles. Pour s',
et de querelles de clochers ne contribuem guere à l'émergence d'un dialogue camps sur troi.
constructif. Il n'est pas rare, dans des contextes politiques particulierement tendus a) Si le jusn
- on pense, par exemple, à la période tourmentée de la République de Weimar le droit ,
ou de l'apres-guerre -, de voir la controverse déboucher sur les pires accusations conceptu
et sur des échanges de compliments peu élogieux 1". À cela s' ajoute un élément b) Si le prer
plus scientifique qui riem à la difficulté structurelle de toute synthese sur le sujet, second d
en raison à la fois de la complexité de l'objet d'étude - chacune des deux écoles n'existe l
étant traversée par de multiples courants - et à l'engagement, en général, de l'ob- c) Si les ten
servateur en faveur de l'une des deux ", ce qui l' oblige à cerner objectivement et n'est pas
dans toute sa diversité une théorie à laquelle il est hostile et moins familier. contraire
445 Enfin, sans qu'il soit question de nier les désaccords sur le fond, il faut insister À lire ces d
sur le rôle crucial joué par le langage dans la naissance de différends. Les deux camps sont ab:
camps ne parlem pas la même langue ou alors, s'il utilisent les mêmes mots, ils nécessaire » ne i:
n'entendent pas la même chose. Dans un cas, il y a incompréhension, dans ou il n'existe p
l'autre malentendu. Ainsi, l'apologie d'un au-delà, de « valeurs » appréhendées se décider puis
de façon émotionnelle, intuitive, religieuse, voire carrément mystique, résonne (vrai/faux), à 1;
- et ce à juste titre - comme du « chino is » 10 à un positiviste em piriste, soucieux les deux protag
Ainsi, l'expres,
positiviste et 1,
15. Cf N. BOBBIO, op. cit., p. 40: « Le j11snat11ralisme est d11aliste, !e positivisme juridiq11e est moniste. »
16. N. BOBBIO, op. cit., p. 39. Adde R. ALEXY, Begriff11nd Gelt11ng des Rechts, 2' éd., Freiburg i.
Br., Alber, 1994, p. 50.
17. N. BOBBIO, op. cit., p. 39.
18. Du côté des jusnaturalistes, cf R. LAUN, « Die Staatsrechtslehrer und die Politik », AõR, 1922, 21. Cf les ravages
p. 164 {II accuse les positivistes d'avoir « rabaissé la science juridique à une pute (Dirne}, se jetant dans chapitre 2).
les bms de celui q11i détient actuellement !e pouvoir »); E. KAUFMANN, « Die Gleichheit vor dem 22. Cf R. ALEXY.
Gesetz im Sinne des Artikels 109 der Reichsverfassung » {1926), in Gesammelte Schrifien, Géittingen, Recht zmd der Moral
Schwartz, 1960, t. III, p. 264 (II parle d'une « p11tain (Hure) q11i sert à /0115 et à toztt »). De leur côté, R. Alexy, l'admette
les positivistes ne som pas en reste. Cf, par ex., les propos de J.A.G. GRIFFITH, « The Political 23. Cf H.LA. Hl\
Constitution », MLR, vol. 42, 1979, p. 11, sur la théorie de R. Dworkin: « "Commzmity morality" is me,m the simple co11
nonSf{'ISe al the very top ofa very high ladder. » demands of moralit_,
19. A moins de faire un ouvrage collectif {cf. le livre sur le positivisme de C. GRZEGORCZYK, between law and m,
F. MICHAUT & M. TROPER, dom le premier atiteur est jusnaturaliste et le dernier juspositiviste) morality. » On retrL
ou de se situer résolumem en dehors de ce dualisme ... d' Austin (cf. mpra n
20. Intervemion de R. THOMA suite à la profession de foi jusnaturaliste de E. Kaufmann, in WDStRL, 24. K. BERGBOH
1928, p. 86. II faut néanmoins remarquer que les positivistes ne som pas les seuls à ne pas comprendre positifest du droit. »
ces nouvelles théories. Kaufmann lui-même avoue ne pas toujours saisir le sens des propos de Smend. 25. J. FINNIS, Mu
,e de l'État: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 441

: livre à une escarmouche de défendre un rationalisme au moins formel contre l'intrusion de l'irration-
st pas le jusnaturalisme qui nel 21 • Voilà une critique récurreme chez les positivistes quant au caractere obs-
dualiste du droit 15 - , mais cur, flou et vague de toute spéculation dite « métapbysique », au sens péjoratif,
us le point b) comme anti- comrairemem à la clarté et à la certitude auxquelles prétend la méthode positi-
viste en raison de son attachement aux seuls faits. Or, d'un autre côté, les équa-
tions de la logique formelle dom usem, à titre de démonstration, certains posi-
tivistes comemporains constituem parfois une véritable terra incognita pour le
L langage
jusnaturaliste (mais pas seulement pour lui) néophyte en ce domaine.
rr contre l'autre ne font que 446 Si le cas de figure de l'incompréhension peut être facilemem identi:6.é, ce qui per-
Ir des plans completement met au moins de circonscrire l' ampleur du désaccord, les malentendus agissem
iite d'un duel morte!, ils sont de façon plus pernicieuse car ils restent, par dé:6.nition, à l'état inconsciem. D'ou
le ces polémiques stériles se de redoutables confusions quine cessem d'envenimer les relations entre les deux
tce d' aversions personnelles écoles. Pour s'en convaincre, il suf:6.t de juxtaposer les theses de chacun des deux
l'émergence d'un dialogue camps sur trois des points les plus litigieux.
1ues particulierement tendus a) Si le jusnaturaliste prétend qu'il existe un « lien conceptuel nécessaire » entre
ie la République de Weimar le droit et la morale 22 , le juspositiviste dira au contraire qu'un tel lien
:her sur les pires accusations conceptuel n'existe pas nécessairemem 2'.
À cela s'ajoute un élément b) Si le premier estime qu'il existe, outre !e droit positif, un droit naturel, le
e toute synthese sur le sujet, second dira qu'il n'y a de droit que le droit positif et que le droit naturel
: - chacune des deux écoles n'existe pas 2'.
1gement, en général, de l'ob- c) Si les tenants de la théorie du droit naturel estimem qu'une loi immorale
~e à cerner objectivement et n'est pas une loi (« !ex corrupta non est !ex »)2\ les positivistes diront au
,stile et moins familier. , contraire que la loi immorale n'en reste pas moins une loi.
A lire ces différentes déclarations, on peut croire que les theses des deux
s sur le fond, il faut insister
camps som absolumem contradictoires car il va de soi qu'un « lien conceptttel
mce de différends. Les deux
Jtilisent les mêmes mots, ils
nécessaire » ne peut pas à la fois exister et ne pas exister. Le « droit naturel » existe
ou il n'existe pas; la« loi immorale » est une loi ou elle n'en est pas une. Il faut
y a incompréhension, dans
de « valeurs » appréhendées se décider puisqu'il n'y a pas de troisieme solution dans une logique binaire
arrément mystique, résonne (vrai/faux), à moins de supposer que les mots n'aiem pas le même sens pour
)Sitiviste em piriste, soucieux les deux protagonistes. Or cette hypothese ne para1t pas entierement absurde.
Ainsi, l'expression lien conceptuel nécessaire n'a pas le même sens pour !e jus-
positiviste et le jusnaturaliste : si le premier l'emend dans un sens descrip-
, /e posítivisme j11ridique est moniste. »
;eltung des Rechts, 2" éd., Freiburg i.

21. f:f les ravages sur la forme du droit engendrés par le nihilisme juridique du ili' Reich (infra
Jehrer und die Politik », AõR, 1922,
chapme 2).
;que à une pute (Dime), se jetant dans
22. Cf R. ALEXY, op. cit., p. 15 ss, parle d'un « begriff/ich notwendiger Z11sammenhang zwischen dem
MANN, « Die Gleichheit vor dem
in Gesammelte Schrifien, Gottingen, Recht tmd der Moral». Les juspositivistes le récusent, les jusnaturalistes, parmi lesquels il faut ranger
sert à tollS et à tottt »). De leur côté, R. Alexy, l'admettent.
23. Cf H.L.A. HART, The Concept of Law, op. cit., p. 185: « Here we sha/1 take Legal Positivism to
J.A.G. GRIFFITH, « The Pofüical
>workin : « "Commrmity momlzty" zs mean the simple contention that it is in no sense a necessary truth that Liws reprod11ce or satisfy certain
demands of morality » et p. 268 (Postscript) : « Though there are many different contigent connections
sirivisme de C. GRZEGORCZYK, between !aw and morality there are no necessary conceptual connections between the content oflaw and
aturaliste et le dernier juspositiviste) morality. » On retrouve cette formule dans les ouvrages que consacre Hart à I' reuvre de Bemham et
d'Austin (cf supra n" 233 note 105).
1raliste de E. Kaufmann, in \IVDStRL, 24. K. BERGBOHM, op. cit., p. 51 note*:« Tortt droit est positif, tortt droit est "posé" et seu! !e droit
om pas les seuls à ne pas comprendre positifest du droit. » II récuse la conception dualiste du droit défendue par les jusnaturalistes (p. 109).
25. J. FINNIS, Natural Law and Natural Rights, Oxford, Clarendon, 1980, chap. XII, p. 351 ss.
rs saisir le sens des propos de Smend.
442 Les enjeux théoriques de la fondation juridiqtte de l 'État : le droit naturel La querelle mé,

tif"', l'autre le conçoit sous un angle normatif". De même, le mot droit est défini y) Vers une vi
de façon si large parle jusnaturalisme qu'il peut s'appliquer à la fois au droit dit
naturel et au droit dit positif, alars que le même terme est défini de façon res- 447 En gardant à 1
trictive parle juspositiviste de sorte que le mot droit ne peut s'appliquer qu'au certain nombr
droit positif. II s'ensuit logiquement qu' aux yeux d'un positiviste rigoureux, l' ex- différends qui
pression droit positif est un « pléonasme » 1• et que l' expression droit naturel une à une prise de
« contradictio in adjecto » 1'. L'exclusion du droit naturel résulte alars d'une tants auteurs 1
simple convention linguistique définie par lui·'º. Enfin, le mot loi n'a pas néces- une vision plu
sairement la même signification dans les deux théories : selon les usages, le terme Par là, il ne s'
peut se référer soit au seul droit positif, soit au seul droit naturel, soit aux deux. consensus mo1
Si le positiviste se réfere logiquement au seul droit - sous-entendu : positif -, entre les deux
le jusnaturaliste utilise, à tour de rôle, les deux sens différents dans la même leurs dissensio
phrase, ce qui ne facilite guere la tâche du lecteur. Le premier affirme que la loi ment antagoni
positive, même immorale, est toujours une loi (positive) - ce qui est à vrai dire On convien
tautologique -, alars que le second déclare que la loi positive immorale n'est pas de l'étendue dt
une loi au sens du droit naturel, ce quine l'empêche pas pour l'instant d'être une portants travall
loi positive 1 '. sans rappeler e
Le langage, avec toutes ses imperfections, s'avere ainsi un redoutable facteur deux théories,
de confusion et il le restera tant qu'on n'aura pas trouvé un nouveau langage, ou inverse qui co1
métalangage, dans lequel on pourrait traduire, avec des mots différents mais temps, il impo
compréhensibles pour chacun des deux, le sens de la théorie positiviste et celui
de la théorie jusnaturaliste. Pour l'instant, il ne s'agit que d'une utopie et il faut
clone se contenter de l'existence d'un seul langage qui est supposé véhiculer, avec 32. Cette piste esr
les mêmes mots, deux conceptions aussi différentes du droit. · Allgemeine Staatsle,
« Défense du positi
les deux ne se rédu
« raisonnenl tous [..
positivismus und (
positivismus », AR
tisch beleuchtet », 1
26. Ayant défini le « droit » au sens de droit positif, ce qui !ui permet d'y inclure le droit nazi, et à condition de s'a;
ayant choisi une démarche strictement descriptive, le positiviste arrive tout naturellement à mologiqu~s irrédu
la conclusion que le « droit ,, ainsi défini n'est pas toujours conforme à la morale, puisqu'il existe Moral», OZfõR, I'
des droits positifs amoraux (ex. le droit nazi). II s'agit là simplement d'un constat au terme d'une droit positif », in 1
description de ce qui est. Dans les faits, ce lien n'est pas nécessairement donné, il est contingent. Duncker & Humb
Cf par ex. H.L.A. HART, op. cit., p. 205 ss. [p. 286)); P. KOLL
27. La démarche du jusnaturaliste, s'il se place sur le plan du droit naturel, est nonnative. Le lien est nisschrifi fiir R. M,1
postulé d'un poim de vue normatif : le droit (positif) doit être conforme à la morale. Ce faisam, Herausforderung J
le jusnaturaliste sait peninemment, s'il se place sur le plan du droit positif, que ce n'est pas toujours pp. 303-335; P. A~
le cas dans les faits. II s' agit clone de deux plans différems, voire complémemaires. On reviendra sur pp. 271-282 (II évo,
ce point infra n-· 522 ss. droit" ou "doctrinc
28. K. BERGBOHM, ]11rispmdenz zmd Recl?.tsphilosophie, réimpr. de l'éd. de 1892, Glashütten, p. 130 s (L'auteur e
D. Auvermann, 1973, p. 51; A. MERKEL, « Uber das Verhalmis der Rechtsphilosophie zur « posi- naturalisme(s), l'un
tiven » Rechtswissenschaft und zum allgemeinen Theil derselben », Grrinhuts Zeitschrift, vol. I, 1874, droit comparé dan,
p. 403. , vol. 16, p. 219 s (C'
29. R. CARRE DE MALBERG, Contribution, op. cit., t. 1, p. 239. du XIXº siecle). Les
30. On pourrait même dire avec M. WALINE, « Défense du positivisme juridique », APD, 1939, veulem se placer « .
p. 84, qu'il ne s'agit là que d'une « querelle de mots », si seulement le positivisme n'était pas identi- deux adversaires dé,
fié, comme il est d'usage en Europe continentale, au relativisme éthique. Des lors, le désaccord n'est elle ne s'expliqtte pa,
plus seulement linguistique, mais il touche au fond. op. cit., chap. VI; I'
31. On reviendra sur ce point plus loin (n" 460). On clarifiera notamment la confusion qui peut R.P. GEORGE (dir
naitre de l'usage de l'indicatif présent dans la phrase du genre: « La norme X est une norme de droit 133 (II y admet d'i,
positif », prononcée dans une optique descriptive par un positiviste (infra n-· 483). thomiste défendue
ue de l'Étát: le droit natttrel

1ême, le mot droit est défini


T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

y) Vers une vision plus consensuelle


443

pliquer à la fois au droit dit


·me est défini de façon res- 447 En gardant à l'esprit cette difficulté linguistique, on peut espérer dissoudre un
t ne peut s'appliquer qu'au certain nombre de questions ou, du moins, circonscrire exactement la portée des
1 positiviste rigoureux, l'ex- différends qui continuem d'opposer les deux écoles. La voie serait ainsi ouverte
:xpression droit naturel une à une prise de conscience des points communs entre les deux, ce que d'impor-
naturel résulte alors d'une tants auteurs n'ont cessé de dire depuis le début des "hostilités", en défendant
in, le mot loi n'a pas néces- une vision plus consensuelle du débat entre jusnaturalisme et juspositivisme 32 •
:s : selon les usages, le terme Par là, il ne s'agit évidemment pas de noyer la controverse dans une sorte de
froit naturel, soit aux deux. consensus mou et difforme, mais d'identifier plus précisément les similitudes
- sous-entendu : positif -, entre les deux camps, dues à leur lien de « parenté », sans occulter pour autant
11s différents dans la même leurs dissensions. li s'agit clone d'un correctif par rapport à la vision radicale-
e premier affirme que la loi ment antagoniste telle qu'elle a été défendue notamment par l'école de Vienne.
tive) - ce qui est à vrai dire On conviendra qu'une telle synthese n'est pas aisée, ne serait-ce qu'en raison
positive immorale n'est pas de l'étendue du champ d'étude, qui, heureusement, est déjà quadrillé par d'im-
pas pour l'instant d'être une portants travaux, et du nombre de parametres à considérer. L'exercice n'est pas
sans rappeler celui d'un équilibriste : à la lumiere du caractere asymétrique des
ainsi un redoutable facteur deux théories, il ne faut ni exagérer les différences, ni tomber dans le piege
uvé un nouveau langage, ou inverse qui consisterait à occulter la spécificité de chacune d'elles. En même
:e des mots différents mais temps, il importe de tenir càmpte de la diversité interne des deux théories qui
a théorie positiviste et celui
'1t que d'une utopie et il faut
.i est supposé véhiculer, avec 32. Cette piste est souvent indiquée sans être toujours systématisée. Cf par ex. G. JELLINEK
Allg,emeine Staats!~h~e, réi!Il~r._de la 3< éd. de 1928, Hamburg, Gehlen, 1966, p. 354 ss; M. WALINE'.
du droit. « Defense du posmv1sme iund1que », APD, 1939, pp. 83-96 (II se demande [p. 84] si le différend entre
les deux ne se réduit pas à une simple « q11ere!le de mots ", sacham que jusnaturalistes et positivistes
i.
« ra:s?~nent tollS [. ..]dela mê!'?e façon, q11atre-vingt-dix-ne11ffois sttr cem »); A. BARATTA, « Rechts-
pos!t!v~smus und Gesetzposmvismus. Gedanken zu einer "naturrechtlichen" Apologie des Rechts-
~osmv1smus », ARSP, 1968, pp. 325-349; M. KRIELE, « Rechtspositivismus und Naturecht - poli-
'.1sch b 7I~uchtet ~,]11S, 1969,' pp. 149-156 (_II estim~ que les deux théories sont « conciliables,, [p. 156]
Jermet d'y inclure le droit nazi, et a cond!non ~e s atta~her d abord aux enieux polmques concrets et non pas aux différends épisté-
~iste arrive tout naturellement à molog1qu~s irréducnbles) et « Rechtspflicht und die positivistische Trennung von Recht und
forme à la morale, puisqu'il existe Mo:-11 », <çJ'!,fõR_, 1966, p. 415 note 5; S. COITA, « Six theses sur les rapports entre droit naturel et
ment d'un constat au terme d'une dr01t posmf », m Das Natt<rrechtsdenken heute :md morgen. Gedãchtnisschrifi fiir R. Mareie, Berlin,
sairement donné, il est comingent. Duncker & Humblot, 1983, pp. 273-290 (II parle de la« réconciliation » des « deuxfreres ennemis »
[p. 286]); P. KOLLER, • Zur Vertraglichkeit von Rechtspositivismus und Naturrecht » in Gedãcht-
it naturel, est normative. l..e lien est nisschrifi fiir R. Mareie, op. cit., 1983, PP·. 3_37-358; O. HÕFFE, « Das Naturrecht a~gesichts der
conforme à la morale. Ce faisant, Herausforderung durch den Rechtspos1t1v1smus », Gedãchtnisschrifi fiir R. Mareie, op. cit., 1983,
Jit positif, que ce n'est pas toujours pp. 303-335; P. ,AMSELEK, « Kelse,n et les contradictions du positivislI)e juridique », APD, 1983,
:omplémentaires. On reviendra sur pp. 271-282 (II evoque une• parente pro/onde» [p. 272] entre les deux); E. PICARD « "Science du
droit" ou ~doctrine j~ridiq~:" », _Mélang~s R. Drago. L ':mité d11 droit, Paris, Economica, 1996, spéc.
npr. de l'éd. de 1892, Glashütten, p. 130 ~ (L auteur esume qu il existe un Iien d'engendrement entre le(s) juspositivisme(s) et le(s) jus-
naturahsme(s), l'un étant !e« produit et l'avatar » de l'autre) et surtout « Le rôle de la doctrine et du
s der Rechtsphilosophie zur « posi-
droit comparé dans la formation de la jurisprudence en droit administratif français »,JSLC, 1994,
, ", Griinh11ts Zeitschrift, vol.1, 1874,
vol. 16, p. 219 s (C'est la doctrine de droit naturel de 1789 qui a imposé !e positivisme légicentriste
du XIX< siecle). Les simil~tudes ent:e les deux théories sont soulignées notamment par ceux qui
39.
veulent se placer « a11-dela » de ce d1lemme. Cf A. KAUFMANN, op. cit., p. 33 : « La parenté entre
,ositivisme juridique ", APD, 1939,
!nt le positivisme n'était pas identi-
de11x ad~ersazres déclarés comme le ;usnat11ralisme et le j11spositivismus petlt paraitre surprenante, mais
éthique. Des lors, le désaccord n' est
elle ne s explzq11e pas moins par des raisons profondes »; N. MacCORMICK & O. WEINBERGER
op. cit., chap. VI; N. MacCORMICK, « Natural Law and the Separation of Law and Morais» i~
R.P. GEORGE (di_r.), Natural Law Theory. Contemporary Essays, Oxford, Clarendon, 1992, pp. 105-
notamment la confusion qui peut
133 (II y admet d'1mportantes convergences entre ses propres idées positivistes et la doctrine néo-
La norme X est une norme de droit
thomiste défendue par N. Finnis).
·iste (infra n" 483).
444 Les enjeux théoriques de la fondation juridi,que de l 'État: le droit naturel La querelle mét.

se subdivisent en plusieurs courants. Eu égard à cette double contrainte, qui 449 L'analyse des c
implique de définir l'une par rapport à l'autre et l'un dans le multiple, le travai! devait se libére,
de polarisation en vue de l'élaboration d'archétypes doit se faire de façon nuan- clé essentielle 1
cée (Section I). Reste néanmoins la nécessité d'un choix final entre les deux, ce ries. D'apres pi
qui suppose une évaluation critique. Notre choix s'opérera contre le positivisme chercher dans
au regard de ses déficiences à expliquer la nature intrinseque du droit et à relever on voit en ces
les défis posés par notre problématique spécifique qu'est la définition juridique querait l'existe1
de l'État (Section II). reste encare à é
filiation. Cette
ment par Paul
Section L UNE DÉFINITION NUANCÉE ET ASYMÉTRIQUE positivisme juri
reçues, nous dir
DU BINÔME POSITIVISME - JUSNATURALISME
secondaires par
positiviste et le
448 Une premiere clé de la relation complexe entre les deux méthodologies en droit proclament, les J
se trouve dans l'histoire, plus précisément dans les conditions historiques dans physi,que jusnati
lesquelles l'une émerge par rapport à l'autre. Ce n'est qu'en remontam à la volonté d' élim
source de ce rapport conflictuel, autrement dit à la naissance du dernier venu dégager de « l'c
qu'est le positivisme, qu'on pourra en saisir tous les ressorts. Abstraction faite quelque sorte, d,
de quelques références succinctes à la philosophie de la Grece antique'3, on 450 Encare faut-il s
constate en effet que le point de départ du positivisme est généralement située généalogiques ,
en aval de la théorie de droit naturel, plus précisément au XIX< siecle 3'. Les vaies "paternité" du
qu'aurait empruntées le positivisme sont des plus diverses: pour ce qui est de la fille ?) juspositi
France, on cite à la fois l' école de l' exégese et le positivisme philosophique d' Au- cachant !'existe
guste Comte; en Angleterre, il est d'usage de voir en Bentham et Austin les fon- ont joué un rôl
dateurs du positivisme, alars qu'en Allemagne ses premieres traces se situeraient le XIX< siecle. II
du côté de l'école historique et de la science des pandectes. Même à supposer encare, à l'apf
- ce qui est contestable - que Hobbes et Rousseau en soient les peres intellec- phiques allema
tuels '\ il reste que le positivisme est né dans le sillage des théories du droit natu- reste pas mo!Il)
rel. Selon une lecture d'inspiration heideggérienne, admise par certains défen- marqué par le s
seurs du droit naturel classique qui récusent derechef toute la modernité, on même si c'est d,
prétend même que ce sont les jusnaturalistes modemes qui, à eux seuls, auraient présence de l'il
engendré le positivisme et qui, par conséquent, seraient responsables des méfaits idée qui s' est ré
et ravages commis par celui-ci '".

Cf par ex. M. VII


33. Cf par ex. C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER, op. cit., p. 34 note 1. modemes [. ..} ne pe1,
34. S. GOYARD-FABRE, Les fondements de l'ordre j11ridiq11e, Paris, PUF, 1992, p. 97 : « En to11te losophie juridique
rig11eur, !e positivisme j11ridiq11e n'est apparu q11'au XIX siecle. » D'ailleurs, les deux ouvrages majeurs modernes »). Pour
de W. OTT, Der Rechtspositivism11s, 2° éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1992 et de C. GRZE- L. SOSOE, Philoso
GORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER, op. cit., ne présentent que des auteurs des x1x· et 37. P. AMSELEK.
XX" siecles. 38. Ibid.
35. S. GOYARD-FABRE, op. cit., p. 101 : « L 'archéologied11 positivisme juridiq11e: Hobbes et Ro11ssea11. » 39. Sur Portalis e/
36. Selon cette vue tres discutable - car elle ignore dans !' origine du positivisme les facteurs exo- CASE, L 'école de l ',
genes à la théorie moderne du droit naturel -, le jusnaturalisme des théoriciens du contrat social (sic J. Bom;iecase, p
devait nécessairement déboucher sur l'apologie de l'arbitraire, autrement dit le positivisme. En niant culte de l'Etat et d,
toute connaissance de l'être, du Sein, les Hobbes, Rousseau, Kant, etc. auraient ouvert les vannes au de la sagesse et de L
volontarisme. Quant à la Raison, elle serait une barriere bien trop fragile pour pouvoir s'y opposer. ce dernier concept.
we de l'Ét;t: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 445

449 L'analyse des conditions dans lesquelles « émerge » le positivisme - comme s'il
:tte double contrainte, qui
1 dans le multiple, le travail
devait se libérer du carcan jusnaturaliste dans lequel il serait enfermé - livre une
doit se faire de façon nuan- clé essentielle pour la compréhension du caractere asymétrique des deux théo-
10ix final entre les deux, ce ries. D'apres plusieurs auteurs, l'explication de leurs similitudes serait en effet à
pérera contre le positivisme chercher dans un lien familial dont la nature est interprétée diversement : soit
inseque du droit et à relever on voit en ces deux théories « deux freres ennemis » (S. Cotta) - ce qui impli-
u'est la définition juridique querait l'existence d'une matrice commune, d'une métathéorie dont l'existence
reste encare à élucider -, soit on croit pouvoir déceler entre les deux un lien de
filiation. Cette derniere these, qui est la plus convaincante, a été défendue notam-
ment par Paul Amselek : « On ne saurait, certes, nier les différences qui séparent
positivisme juridique et jusnaturalisme; et pourtant, au risque de heurter les idées
E ET ASYMÉTRIQUE
reçues, naus dirons que ces différences naus paraissent, d'une certaine maniere, tres
1-lATURALISME secondaires par rapport à la parenté pro/onde qui unit en réalité le mode de pensée
positiviste et le mode de pensée jttsnaturaliste: contrairement à ce qu'ils croient et
eux méthodologies en droit proclament, les positivistes sont d'abord, fondamentalement, des héritiers de la méta-
conditions historiques dans pbysique jusnaturaliste, des continuateurs de ses péchés. » 17 En dépit de la farouche
n' est qu' en remontam à la volonté d'éliminer tout élément idéologique, les positivistes n'ont pas su se
L naissance du dernier venu
dégager de « l'emprise soumoise de séquelles, d'habitudes de pensée, de "réflexes" en
s ressorts. Abstraction faite quelque sorte, de la métapbysique jusnaturaliste » 1'.
'. de la Grece antique 13, on 450 Encare faut-il se méfier de tout anthropomorphisme dans l' élucidation des liens
sme est généralement sirnée généalogiques entre les deux. On aurait ainsi tort de conclure hâtivement à la
!nt au XIX' siecle 3'. Les vaies "paternité" du jusnaturalisme qui, à lui seul, aurait engendré un fils (ou une
.verses : pour ce qui est de la fille ?) juspositiviste. Une telle métaphore risque de naus induire en erreur en
:ivisme philosophique d' Au- cachant l' existence de facteurs étrangers à la théorie du droit naturel, facteurs qui
1 Bentham et Austin les fon- ont joué un rôle crucial dans la formalisation scientifique du positivisme durant
remieres traces se situeraient le XIX" siecle. Il suffit de penser au positivisme philosophique en France et, plus
andectes. Même à su pposer encare, à l'apparition du noncognitivisme éthique dans les cercles philoso-
1 en soient les peres intellec- phiques allemands, influencés par les idées de Nietzsche et de Weber. Il n'en
•e des théories du droit natu- reste pas moins que le positivisme juridique est né dans un contexte largement
', admise par certains défen- marqué parle sceau de la pensée jusnaturaliste et qu'il s'inscrit dans cet héritage,
:hef toute la modernité, on même si c'est de façon négative. Pour s'en convaincre, il suffit de penser à la forte
nes qui, à eux seuls, auraient présence de l'idée du droit naturel chez les auteurs du Code civil dont Portalis,
ient responsables des méfaits idée qui s'est répercutée jusqu'au sein de l'école de l'exégesew. Le cas de Bentham

C/ par ex. M. VILLEY, Seize Essais de philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1?69, p. 63 (« tous les
OPER, op. cit., p. 34 note 1. modemes[ ..j ne pe11vent qu'être adhérents du positivisme juridique ») et G. AUGE,« Aspects de la phi-
[>aris, PUF, 1992, p. 97: « En toute losophie juridique de Sir W. Blackstone », APD, 1970 p. 97 (« positivisme larvé des jusnaturalistes
1'ailleurs, les deux ouvrages majeurs modemes »). Pour une réhabilitation de la modernité contre cette critique, cf. A. RENAUT &
l Humblot, 1992 et de C. GRZE-
L. SOSOE, Philosophie du droit, op. cit., p. 96 ss et p. 339 s.
sement que des auteurs des x1x· et 37. P. AMSELEK, « Kelsen et les contradictions du positivisme juridique », op. cit., p. 272.
38. Ibid.
visme j11ridiq11e: Hobbes et Ro11ssea11. » 39. Sur Portalis cf. supra n" 342. Sur la présence du droit naturel chez les exégetes, cf.]. BONNE-
;ine du positivisme les facteurs e~o- CASE, L 'écolede l'exégese en droit civil, op. cit., p. 158 ss. Loin d'être un détail décoratif et clone inutile
ne des théoriciens du contrat social (sic]. Bongecase, p. 270), ce credo spiritualiste des exégetes est ]e soubassement idéologique de leur
nremem dit le positivisme. En niant culte de l'Etat et de leur adulation du code napoléonien dans leque! ils voient l'incarnation parfaite
rit, etc. auraient ouvert les vannes au de la sagesse et de la raison (ibid., p. 127 ss, 148 ss, 206 ss, 242). C'est de là que natt leur légalisme. Sur
op fragile pour pouvoir s'y opposer. ce dernier concept, voir infra n" 468 ss et n" 494 ss.
446 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit natttrel

et Austin est encore plus révélateur : quoique considérés comme les fondateurs
du positivisme, ils ne sont pas moins des jusnaturalistes à quelques détails pres'º.
r La querelle m

§1.,
Cette filiation partielle se traduit par des continuités et des ressemblances que
l'on découvre en confrontant leurs conceptions respectives du droit et de l'État.
Que ce soit la distinction entre Sein et Sollen ", le culte de la loi et de la codifi- 451 Par le terme
cation '2, le dogme du caractere systématique et complet de l'ordre juridique", la consiste d'ab<
personnalité morale de l'ÉtatH, la théorie de l'autolimitation '5, l'idée de la Une fois l'obj
Grundnorm '", la notion des droits subjectifs, le príncipe de la sécurité juri- bilités. Soit il
dique 47 , etc., à chaque fois il s' agit d'idées'" couramment associées au positivisme qu1 est peu re1
et qui, pourtant, remontent à des auteurs jusnaturalistes. en cela d'une
li va de soi qu'un tel lien de filiation entre jusnaturalisme et positivisme juri- entre l'ancien
dique est complexe et ce, d'autant plus qu'il varie en fonction du contexte cultu- lise les divers .
rel, philosophique et politique propre à chaque pays. La naissance du positi- rent du premi
visme se fait ainsi à la fois dans le sillage de la théorie jusnaturaliste et sur ses à une recompo
décombres. C'est cette réalité dualiste et ambivalente que l'on essaiera de résumer ver certaines, ·
parle concept de déconstruction (§ 1), avant de procéder à une définition des Grâce à ce l
archétypes du positivisme et du jus naturalisme (§ 2). variées de l'a1
globalement e
et le positivisr
effet noté une
visme éthiqu,
Manche 50 • Si ]
40. Cf supra n" 216 ss.
41. Si elle trouve sa premiere formulation chez Hume, elle a été reprise par divers auteurs modernes
de l' existence l
qui som soit des positivistes, soit des jusnaturalistes. Parmi les premiers, cf par ex. Kelsen et Han. allemands, do1
Parmi les seconds, on peut citer, par exemple: Kant (cf A. RENAUT & L SOSOE, op. cit., p. 339; défendu !e dog
S. MESURE & A. RENAUT, La g11erre des die11x. Essai sur la querelle des valeurs, Paris, Grasset, 1996,
p. 68 ss), Constam (cf supra n" 343 note 50); Blackstone, Bentham, Austin (cf mpra n" 224 et 227).
de se situer PJ
Parmi les jusnaturalistes contemporains qui s'en fom l'avocat, citons le néo-thomiste J. FINNIS, v1sme.
Naturqf Law and Mttural Rights, Oxford, Clarendon, 1980, chap. 2, pp. 33-48 et le néo-kantien
O. HOFFE, Politische Gerechtigkeit. Grundlegrmg einer kritischen Philososphie von Recht zmd Staat,
2' éd., Frankfun, Suhrkamp, 1994, chap. 4.3, pp. 102-109 et « Das Naturrecht angesichts ... », op. cit.,
p. 31} s et 324 ss.
42. E. PICARD, « Le rôle de la docrrine ... », op. cit., p. 219; A. KAUFMANN, op. cit., p. 33.
43. A. KAUFMANN, op. cit., p. 33. Si l'on a tendance à voir dans l'école de l'exégese, représentée 49. Quant au posi
notamment par Laurent, ainsi que dans Bergbohm les rhéoriciens par excellence de la complétude peut rattacher les t
du droit positif, les premiers jalons de cette these som, en réalité, posés par Montesquieu. d'exégese et de Ca,
Cf G. TIMSIT, Les figures d11 jugement, Paris, PUF, 1993, p. 17 ss. kelsénienne est ner
44. Cf infra n" 512 ss. qui concerne la que
45. Cf infra, n" 517 ss. ambigue.
46. Cf R. DREIER, « Bemerkungen zur Theorie der Grundnorm », in Hans Kelsen Institut (éd.), 50. Au creur de cet
Die Reine Rechtslehre in wissenschaftlicher Diskussion, Wien, Manz, 1982, p. 44; R. ALEXY, op. cit., le 5' critere de la d,
p. 155 ss et p. 186 ss. Kelsen lui-même effectue un rei rapprochement cf Reine Rechtslehre, 2' éd., vism and the Sepa
p. 226 et Allgemeine Staatlehre, op. cit., p. 250. Cette similitude est due à l'inspiration néo-kantienne (note 25 in fine), p.
de la théorie pure du droit. distinctions faites p
47. Cf M. WALTHER, « Hat der juristische Posirivismus die deutschenJuristen im "Dritten Reich" probleme in Geschic,
wehrlos gemacht? Zur Analyse und Kritik der Radbruch-These », in R. DREIER & W. SELLERT ou « extrê,ne >>, er p
(dir.), Recht 1md]11stiz im « Dritten Reich », Frankfurt, Suhrkamp, 1989, p. 337. tigkeit, op. cit., p. 11
48. Sans oublier les mots que les uns reprennent des aurres ... On peut songer à l'expression Rechts- du modele comine1
st,zat ou encore à celle de droit positif, qui fut inventée au Xll' siecle et que l'on trouve d'abord sous dence », Harv. L.R.
la plume de jusnaturalistes. Cf S. KUTTNER, « Sur les origines du terme "Droit positif" », Nouvelle Bentham et d' Austi
rev11e historiquededroitfrançais et étranger, 1936, p. 728-740; J.G. BLÜHDORN & Ch. JAMME, épistémologique de
« Positiv, Positivitat », in J. RITTER & K. GRÜNDER (dir.), Historisches Wõrterb11ch der Philoso- positivisme au non,
phie, t. VII, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1989, col. 1106-1118. visme juridique », i,
rue de l'Éiat: le droit natttrel

dérés comme les fondateurs


T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

§L ÉMERGENCE DV JUSPOSJTIVISME ET DÉCONSTRUCTION


447

.tes a' que 1ques d'eta1·1 s pres


' '° . DV JUSNATURALISME
és et des ressemblances que
,ectives du droit et de l'État.
451 Par le terme de déconstruction, on entend ici un processus analytique qui
ulte de la loi et de la codifi- consiste d'abord à défaire un ensemble complexe en ses plus petits éléments.
plet de l'ordre juridique", la Une fois l'objet décortiqué, celui qui a lancé ce processus dispose de deux possi-
1tolimitation 45, l'idée de la bilités. Soit il en détruit les éléments essentiels pour n'en garder qu'une partie
,rincipe de la sécurité juri- qui est peu représentative de l'ancienne totalité. Si la déconstruction se distingue
tent associées au positivisme en cela d'une destruction pure et simple, il sera toutefois difficile de faire le lien
1stes. entre l'ancien ensemble et ce qu'il en reste apres coup. Soit, au contraire, il réuti-
uralisme et positivisme juri- lise les divers éléments afin de créer un nouvel assemblage plus ou moins diffé-
fonction du contexte cultu- rent du premier. Dans le premier cas, on assiste à une épuration, dans le second
ays. La naissance du positi- à une recomposition selon un nouveau mode d'emploi, ce qui permet de retrou-
orie jusnaturaliste et sur ses ver certaines, voire toutes les caractéristiques de l'ancien ensemble.
que l' on essaiera de résumer Grâce à ce concept dualiste de déconstruction, on saisit mieux les conditions
:océder à une définition des variées de l'apparition du positivisme en Europe. Celui-ci s'est développé
!). globalement en fonction de deux modeles que sont le positivisme « anglais »
et le positivisme « continental » ou, plutôt, allemand '". Hart et W. Ott ont en
effet noté une différence de taille, en ce qui concerne la question du cogniti-
visme éthique, entre ceux qui se disent positivistes des deux côtés de la
Manche;º. Si la plupart des héritiers de Bentham et d'Austin sont convaincus
de l'existence d'une morale objective, à savoir l'utilitarisme (A), les positivistes
reprise par divers auteurs modernes allemands, dont le représentant par excellence est Kelsen, ont généralement
Jremiers, cf. par ex. Kelsen et Han.
'AUT & L. SOSOE, op. cit., p. 339; défendu le dogme du relativisme éthique (B). li en découle une façon différente
relie des vale11rs, Paris, Grasset, 1996, de se situer par rapport au jusnaturalisme et, partant, de concevoir le positi-
am, Austin (cf s11pn1 n" 224 et 227). v1sme.
cirons le néo-thomiste J. FINNIS,
iap. 2, pp. 33-48 et le néo-kanrien
en Philososphie ·von Recht rmd Sta,tt,
lSNaturrechr angesichrs ... », op. cit.,

. KAUFMANN, op. cit., p. 33.


49. Quant au positivisme juridique en France, dom l'histoire reste encore largemenr à écrire, on
Ians l' école de l' exégese, représenrée
peut rattacher les divers aureurs soit à l'un, soit à l'autre des deux modeles. Si les écrits de l'école
ms par excellence de la complét~de
d'exégese et de Carré de Malberg se rapprochenr, par cenains poinrs, du modele anglais, l'influence
1 réalité, posés par Montesquieu.
kelsénienne est nettement perceptible dans les écrits de Eisenmann, M. Troper, O. Pfersmann en ce
;s.
qui concerne la question du noncognitivisme. Quanr à Waline, sa position sur le cognitivisme parait
ambigue.
Jrm » in Hans Kelsen Institut (éd.), 50. Au creur de cette opposition entre ]e modele« britanniq11e » et le modele« continental» se trouve
le 5' critere de la définition du positivisme donnée par H.L.A. HART, Concept, p. 302 et « Positi-
nz, 1982, p. 44; R. ALEXY, op. cit.,
vism and the Separation of Law and Morais » [ = Positivism], Harv. L.R., vol. 71, 1958, p. 603
:hement cf Reine Rechtslehre, ~· éd.,
~st due à l'inspiration néo-kanttenne (note 25 in fine), p. 618 et sunout p. 624 ss. Cf aussi W. OTT, op. cit., p. 115. A rapprocher avec les
distinctions faites par A. VERDROSS, Abendlãndische Rechtsphilosophie lhre Gmndlagen 1md Ha11pt-
!utschen Juristen im "Dritten Reich" probleme in Geschichtlicher Scha11, Wien, Springer, 1958, p. 251 ss (entre positivisme « dogmatiq11e »,
e », in R. DREIER & W. SELLERT ou« extrême », et positivisme « hypothétique »ou« modéré ») et par O. HÕFFE, Politische Gerech-
tigkeit, op. cit., p. 16, 110, 115 ss et 118. Cette différence n'est pas toujours saisie parles défenseurs
lp, 1989, p. 337. .
)n peut songer à l'express10n Rechts- du modele continental. Ainsi, H. KELSEN, « The Pure Theory of Law and Analyrical Jurispru-
iecle et que l'on trouve d'abord sous dence », Harv. L.R., vol. 55, 1941, pp. 44-70, omet completemenr de menrionner l'utilitarisme de
; du terme "Droit positif" », Nouvel!e Benrham et d'Austin alors qu'il insiste longuement sur le relativisme éthique comme fondement
.G. BLÜHDORN & Ch. JAMME, épistémologique de la théorie pure du droit. Du reste, la plupan des commentateurs idenrifienr le
, Historisches Wõrterb11ch der Philoso- positivisme au noncognitivisme, donc au modele allemimd. Voir par ex. M. TROPER, « Le Positi-
visme juridique », in id., Pour 11ne théorie juridiq11e de l'Etat, Paris, PUF, 1994, p. 31.
89, col. 1106-1118.
448 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle 1;

A. Le modele anglais axé sur la distinction entre is et ought a) Les fond

Avant d'en définir les caractéristiques fondamentales (2"), il importe d'en 453 L'émergenc,
retracer le cheminement historique (1º). terme est en
étapes. Le p
1º Le processus de déconstruction en A ngleterre ancien profe
ner un « spii
452 L'exemple anglais est on ne peut plus révélateur de la these avancée ici selon « indistincte1
laquelle il existe un lien de filiation entre le positivisme juridique et la théorie devrait être s·
du droit naturel, puisqu'un positiviste aussi célebre que Hart se dit lui-même un épistémolog
héritier, cerres critique, de la pensée de Bentham et d' Austin qui sont, bel et rel ou, en d';
bien, des jusnaturalistes'1• Aussi paradoxale que puisse paraí'tre l'hypothese, elle déconstructi
n' en est pas pour autant absurde. Elle s' explique par des glissements successifs tion de l' anci
au cours des deux siecles qui séparent le Fragment on Governement, publié par rels individu
Bentham en 1776, et le Concept ofLaw de Hart, publié en 1961. 11 faut à ce sujet rent du lib(
dépasser la lecture communément admise selon laquelle la césure entre jusnatu- constitutifs e
ralisme et juspositivisme aurait été opérée au tournant des XVIII' et XIX' siecles, lytique de B1
avec la polémique engagée par Bentham contre son ancien maí'tre, Sir William qu'il est (i.e.
Blackstone. L'histoire de la pensée juridique anglaise se diviserait, selon cette litariste, selo
vision, en deux périodes : au regne de la théorie de droit naturel succéderait en d' Austin). Le
1776 l'ere du positivisme juridique avec les deux ténors de l'école analytique. Or se greffer un
les choses sont plus complexes car, si Bentham et Austin posem certains jalons l'autre, du dr,
de la future « séparation »entre« droit » et « mora/e »'2, la rupture est loin d'être feste à traveri
consommée. On trouve, certes, sous la plume de ces deux auteurs une définition 454 S'il y a une e
plus nette et précise de ce qui fera la spécificité du futur positivisme juridique, à formei- ce 1
savoir l'approche descriptive du droit. Mais celle-ci n'a pas chez eux le statut et Austin, à l
d'exclusivité ou d'exhaustivité qu'elle aura avec le positivisme, puisqu'elle s'in- blemes - « lt
sere encare dans une méthodologie plus large qui comporte une dimension pres- ils réaffirmen
criptive''. 11 s'ensuit que le futur positivisme est déjà inserir in nuce dans le jus- entre ce qui 1
naturalisme, puisque celui-ci combine deux approches du droit, descriptive et question de l
prescriptive, et qu'il suffit d'éliminer ou simplement de faire abstraction de la
donnée du droit idéal pour aboutir à une méthode descriptive exclusive. C'est
aux héritiers de Bentham et d'Austin qu'il revient d'opérer ce que Sheldon 55. À notre con
Austin, Dicey, A
Amos a appelé de façon judicie use « the enucleation of a true Science of law » ". ouvrages. Cf K. 1
Auscin, on trom·,
trine allemande ,
51. Cf la démonstration supra n" 216 ss. dence (Lire sa nQ(
52. On se réfere évidemment à la terminologie de Han qui n'est pas identique à celle de Bemham phie du droic pos
et d'Austin. Ils parlem en effet de« distinction » du is et du ought. Du reste, Austin n'oppose jamais un Lehrbttch des .·
le « droit » et la « mora/e», mais il distingue entre la « /oi positive » et la « /oi de Dieu ». comme une phil,
53. L'approche jusnaturaliste s'appuie, en effet, sur une approche descriptive qu'elle dépasse en miere fois chez J
même temps par sa dimension critique. Comme le disait A. VERDROSS, op. cit., p. 254: « Un défen· well, 1937, p. 46.
se11r du druit n.w1rel se doit même de chercher d'abord à connaitre (erkennen) /e droit positifen tant que de Duguit. Mais.
te/, caril ne peut procéder à une évaluation j11snat11mliste (Bewertzmg} des nonnes effectives qu 'apres avoir à l' époque « the"
corwaté au préalable leur existence et déterminé leur coutem,. En ejfet, chaque évaluation doit être pré- 56. J. BENTHA
cédée de la connaissance de l'objet à évaluer (da jeder Bewertzmg eine Erkenntnis des ztt bewertenden SON, « SomeM:
Gegenstandes vorausgehen 1mm). » Dans le même sens, cette fois-ci dans la perspective juspositiviste, 57. J. BENTHA;
cf N. MacCORMICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 127 s. 58. C' est en ces t
54. S. AMOS, The Science ofLaw, 7,h edn., London, Keagan Paul, Trench & Co, 1889, p. 7. son disciple J.S. l\ 1
1ue de l'État: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnatttralistes 449

a) Les fondateurs de l'école analytique: Bentham et Austin


,on entre is et ottght
ntales (2"), il importe d'en 453 L'émergence de ce que l'on appellera ultérieurement le « positivisme » - car le
terme est encore absent tout au long du XIX" siecle 55 - se fait clone en plusieurs
étapes. Le point de départ est la fameuse polémique de Bentham contre son
ancien professeur de droit à Oxford, Sir William Blackstone, qu'il accuse de prô-
ner un « spirit of obsequious quietism » 5''. Celui-ci aurait, à en croire le premier,
« indistinctement mêlé » le is et le ought, le droit tel qu'il est et le droit tel qu'il
le la these avancée ici selon
'isme juridique et la théorie devrait être 57 • Accusation grave et à vrai dire infondée, puisque d'un point de vue
que Hart se dit lui-même un épistémologique Blackstone distingue bien entre le droit positif et le droit natu-
et d' Austin qui sont, bel et rel ou, en d'autres termes, entre le is et le ought. Des lors, la premiere phase de
sse para1tre l'hypothese, elle déconstruction de la théorie du droit naturel se solde par une entiere recomposi-
ar des glissements successifs tion de l' ancien ensemble, si ce n' est qu' on a substitué à la notion des droits natu-
cm Go-vemement, publié par rels individuels le príncipe d'utilité qui, à y voir de plus pres, n' est pas si diffé-
,lié en 1961. 11 faut à ce sujet rent du libéralisme des théoriciens du contrat social. Tous les éléments
uelle la césure entre jusnatu- constitutifs de la théorie jusnaturaliste sont en effet présents dans la théorie ana-
Lant des XVIII" et XIX" siecles, lytique de Bentham et d'Austin: 1) La dualité du droit, subdivisé en droit tel
1 ancien maitre, Sir William
qu'il est (i.e. le droit positif) et le droit tel qu'il devrait être (i.e. la« mora/e» uti-
1ise se diviserait, selon cette litariste, selon la terminologie de Bentham, ou la « law of God », d' apres celle
droit naturel succéderait en d'Austin). Le premier est le produit d'une analyse descriptive sur laquelle vient
ors de l'école analytique. Or se greffer une approche critique et prescriptive. 2) La supériorité de l'un sur
'i.ustin posent certains jalons l'autre, du droit tel qu'il doit être sur le droit te! qu'il est, supériorité qui se mani-
» 52 , la rupture est loin d'être
feste à travers divers vecteurs que sont le législateur, le juge et le citoyen.
; deux auteurs une définition 454 S'il y a une césure avec le jusnaturalisme de Blackstone, elle est plutôt d' ordre
utur positivisme juridique, à formel - ce qui n'a rien de péjoratif. Elle tient au style analytique de Bentham
:i n'a pas chez eux le statut et Austin, à leur façon de manier le bistouri, de décortiquer des nceuds de pro-
positivisme, puisqu' elle s'in- blemes - « untying knots » " - , sans oublier la clarté et l'ardeur avec lesquelles
tm porte une dimension pres- ils réaffirment la distinction, en soi déjà connue, entre le is et le ought. Le tri
jà inscrit in nuce dans le jus- entre ce qui releve de l'un et de l'autre est d'une rigueur exemplaire. Ainsi, la
ches du droit, descriptive et question de l'obligation d'obéissance à la loi est nettement différenciée en ses
!nt de faire abstraction de la
~ descriptive exclusive. C' est
55. À notre connaissance, le terme « positivism » n'appara1t nulle pan dans les écrits de Bentham,
nt d'opérer ce que Sheldon Austin, Dicey, Amos, Markby, Holland et Salmond. Ainsi, il ne figure point dans l'index de leurs
n of a true Science of law » 5'. ouvrages. Cf. K. OLIVECRONA, Lawas Fact, 2'' edn., London, Stevens & Sons, 1971, p. 56. Chez
Austin, on trouve simplement l'expression « Philosopby ofpositive Law » qu'il a empruntée à la doe-
trine aliem ande et qui figure même dans le sous-titre de son ouvrage posthume Lectures on Jurisprn-
dence {Lire sa note explicative dans t. 1, p. 31 s). Le premier auteur allemand à parler d'une philoso-
phie du droit positif fut, d'apres K. OLIVECRONA (op. cit., p. 26), Gustav Hugo qui publia en 1798
:st pas identique à celle de Bentham
un Lehrbuch des Naturrechts ais einer Philosophie des positiven Rechts (Manuel de droit naturel conçu
1t. Du reste, Austin n'oppose jamais com me une philosophie du droit positif). Le terme « positivist jurisprudence » apparnt pour la pre-
•e» et la« /oi de Dieu ». miere fois chez J. SALMOND, ]urispmdence, 9'' edn., by J.-L. PARKER, London, Sweet & Max-
oche descriptive qu' elle dépasse en
well, 1937, p. 46, pour désigner l'école positiviste d'Auguste Comte en France ainsi que la doctrine
lDROSS, op. cit., p. 254: « Un défen·
de Duguit. Mais, aucun rapprochement n'est fait avec le courant de juristes anglais que l'on appelle
(erkemien) /e droit positif en tant que à l'époque « the analytica/ jurispmdence ». Voir aussi infra note 213.
zg) des nonnes ;ffictives q11 'apr~s avoi; 56. J. BENTHAM, Fragment on Government, ed. Montague, 1891, p. 237; cité par W.L. MORI-
ejfet, chaque evaluatzon dozt etre pre- SON, « Some Myth About Positivism », Yale L.]., vol. 68, 1958, p. 217.
eine Erkemztnis des 211 bewertenden 57. J. BENTHAM, Fragment sttr /e Gouvernement, trad. J.-P. Cléro, Paris, LGDJ-Bruylant, 1998, p. 96.
-ci dans la perspective juspositiviste, 58. C' est en ces termes qu' Austin a décrit sa mission scientifique, à en croire les souvenirs laissés par
son discipleJ.S. Mill (cf. W. MARKBY, Elements ofLaw, 6'' edn., Oxford, Clarendon, 1905, p. 9 note 1).
11, Trench & Co, 1889, p. 7.

1
450 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: !e droit naturel La querelle mé,

deux aspects, moral et coercitif, le premier relevam de la « law of God » et le dire que !e oug
second de la « positive law ». Du coup, toute confusion est évitée des le début, - au contraire
à la différence du modele allemand 5". À cela s'ajoute une certaine rupture lin- général d'un 6
guistique, du moins en ce qui concerne Bentham. Celui-ci réserve le terme lifiées telles les
« law » à la loi positive'º, alors que Austin maintient l'usage dualiste du mor se fait entieren
« law » puisqu'il continue à distinguer entre, d'un côté, la« positive law » et, de tonomie de eh
l'autre, la« law of God ». entre le is et 1(
Le nouvel assemblage qu'operent les fondateurs de l'école analytique va néan- lisme hiérarch i
moins se déliter progressivement au gré de divers glissements. Le premier s' opere téristique du p
déjà avec Austin puisque celui-ci, tout en étant un utilitariste convaincu, préfere 456 L'reuvre de Sh
se consacrer avant tout à l'analyse du droit positif. Quant à la tâche de censeur, tin, reste enco
il l'abandonne volontiers à Bentham"'. Ainsi s'installe en pratique un début de ringue soigneu
division du travail, même si, dans ses écrits méthodologiques, Austin n'a de cesse de ces domairn
d'affirmer la nécessaire pluridisciplinarité du juriste"1 • Si celui-ci s'intéresse dans Science ofPolit1
son travail quotidien principalement au droit positif, il ne peut pas ignorer com- tions ofLaw to ,
pletement la law of God. Celle-ci demeure d'un intérêt capital dans certaines s'inspire davan1
hypotheses non négligeables qui som au nombre de trois: 1) le cas de figure d'un de guide à quic
conseil à donner au législateur en vue d'un changement législatif, ou toute autre ment, !e roi ou
action réformatrice; 2) l'hypothese, heureusement exceptionnelle, d'un acre de creuse au fur er
résistance à l'encontre d'une loi injuste; 3) !e c2s de figure assez courant ou un nomene appara
juge est amené à combler les lacunes de la loi positive, ce qui autorise l'avocat à tulé Elements o)
tenir un discours fondé sur la law of God. qui est le seu! «
~
risque d'être p~
ª -;:A ~) Leurs successeurs : Amos, Markby, Holland, Salmond "1 « incontestable ,

..:;. W3 455 La déconstruction de la position initiale de l'école analytique se fait par rapport
tincts, il est tou
C'est ce que fai:
.:-;.'( ,._
; . . ; à deux axes. D'une part, le lien entre !e is et le ought, autrement dit la supério- II se trouve, en ,
rité de l'un sur l'autre ou la vision hiérarchique du droit (dans son ensemble), se est une contre-\
perd progressivement. La théorie anglaise du droit évolue ainsi vers une position crées à la Law o,
tres proche de celle décrite par N. Bobbio sous !e point a) ", à savoir une théo- paradoxalemen t
rie qui juxtapose, sans connexion apparente, !e droit positif et la morale, le is et « principe solide;
le ought. Le second critere du jusnaturalisme se disloque ainsi peu à peu. D'autre
part, les successeurs de Bentham et d'Austin se désintéressent de plus en plus du
ought pour se concentrer exclusivement sur le is. Par là, ils n'entendent guere 65. S. AMOS, The.
66. Ibid., préface, p
67. Ibid., p. 18: « TI
dinated. » Cf aussi s
59. Cf infra n" 468 ss er les développemems sur le légalisme. liré et la cohérence ,
60. K. OLIVECRONA, op. cit., p. 28. définition des objec1
61. Cf W.L. MORISON, op. cit., 1958, p. 217. mais aussi leur amél
62. Cf supra n" 234 ss. Des lors l'ceuvre d'Austin peur faire l'objet de diverses lecrures selon qu'on 68. S. AMOS, The.
s'iméresse davamage à sa définition théorique de la méthodologie du juriste (ce qui est notre cas) ou chap. XII(« Right "'
à sa pratique, ou il peut ne pas respecter ses propres prémisses (cf l'analyse de M. Cattaneo). 69. S. AMOS, The .'
63. Nous nous limirons à l'étude des théoriciens les plus connus. Pour êrre exhaustif, il faudrait 70. W. MARKBY, /
y ajourer HEARN, The Theory o/Legal D11ties and Rights, 1883; LIGHTWOOD, The Nature of (1871), 6•h edn., Oxi
Positive Law, 1883; CLARK, Practical ]11rispmdence. A Comment on A11stin, 1883; RATTIGAN, logique chez Amos.
The Science of]11rispmdence, 2"J edn., 1891; BRO\VN, The Austinian Theory of Law, 1906; GRAY, 71. Ibid., p. 4.
The Nature ,.md S011rces of the Law, 1909. 72. Jbid., p. 5.
64. Cf mpra note 10. 73. Jbid., p. 5.
•ue de l'Ét~t: le droit naturel

t de la « law of God » et le
T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnatttralistes

dire que le ought serait incapable d'être analysé de façon objective et scientifique
451

sion est évitée des le début, - au contraire, ils continuem à être des utilitaristes -, mais ils se contentem en
te une certaine rupture lin- général d'un bref rappel pour laisser aussitôt le champ à des personnes plus qua-
.. Celui-ci réserve le terme lifiées telles les philosophes et les moralistes. La réduction de leur champ d' étude
ent l'usage dualiste du mot se fait entierement en fonction du principe de spécialisation du savoir et de l'au-
ôté, la « positive law » et, de tonomie de chaque science. Ce qui n'était au début qu'une simple distinction
entre le is et le ought devient ainsi progressivement une séparation. D'un dua-
e l'école analytique va néan- lisme hiérarchisé, on passe d'abord à un parallélisme, puis à un monisme carac-
;sements. Le premier s' opere téristique du positivisme juridique.
tilitariste convaincu, préfere 456 L'ceuvre de Sheldon Amos (1835-1886), l'un des premiers continuateurs d' Aus-
Quant à la tâche de censeur, tin, reste encare assez proche de l'esprit initial de l'école analytique. S'il dis-
alle en pratique un début de tingue soigneusement entre le « droit » et la « morale », en consacrant à chacun
,logiques, Austin n'a de cesse de ces domaines autonomes" 5 un ouvrage distinct - The Science of Law et The
:'''. Si celui-ci s'intéresse dans Science ofPolitics -, il n'oublie pas pour autant d'insister sur les « essential rela-
f, il ne peut pas ignorer com- tions ofLaw toMorality » 66 • L'un est subordonné à l'autre 67 • Le juste - car Amos
ntérêt capital dans certaines s'inspire davantage de la doctrine chrétienne que de l'utilitarisme"8 - doit servir
trais: 1) le cas de figure d'un de guide à quiconque dispose d'un pouvoir discrétionnaire, que ce soit le parle-
nent législatif, ou toute autre ment, le roi ou encare le juge••. Mais le fossé entre le droit positif et la morale se
exceptionnelle, d'un acte de creuse au fur et à mesure que l'on évacue tout ce qui a trait à la morale. Ce phé-
le figure assez courant ou un nomene apparaí't déjà plus nettement dans l'ouvrage de Sir William Markby inti-
ive, ce qui autorise l' avocat à tulé Elements ofLaw. Par« law », Markby entend exclusivement la« foi positive»
qui est le seul « objet approprié de la science du droit » 70 • Si le domaine ainsi défini
risque d'être petit, comme le concede l'auteur, il a néanmoins l'avantage d'être
« incontestable » • Des lors que le droit et la mo rale constituem deux objets dis-
71
,almond"1
tincts, il est tout à fait possible et légitime de ne se consacrer qu'à l'un des deux.
analytique se fait par rapport C' est ce que fait Markby, non sans quelques pirouettes pour le moins curieuses.
5ht, autrement dit la supério- II se trouve, en effet, qu'à ses yeux Austin n'a jamais été un utilitariste 72 - ce qui
droit (dans son ensemble), se est une contre-vérité historique - et que ses fameuses leçons II, III et IV, consa-
évolue ainsi vers une position crées à la Law of God, n'ont « strictement parlant » 73 rien à voir avec le reste. Or,
point a) "', à savoir une théo- paradoxalement, Markby n'est pas peu fier de se dire lui-même utilitariste. Le
)it positif et la morale, le is et « príncipe solidement fondé de l'utilité » est, selon lui, le seul guide valable de tout
.oque ainsi peu à peu. D'autre
intéressent de plus en plus du
Par là, ils n'entendent guere 65. S. AMOS, The Science ofLaw, 7,h edn., London, Keagan Paul, Trench & Co, 1889, p. 2-4.
66. Ibid., préface, p. VI.
67. Ibid., p.18: « TheScienceoflawisdisting11ishable{ .. jfrom theScienceofPolitics, towhichit issubor·
dinated. » Cf aussi sa définition téléologique de la« law » qui a pour but d'assurer l'idemité, la vita-
lité et la cohérence de tous les groupes sociaux formam l'Etat (ibid. p. VII et p. 123). Cf p. 27-28 la
définition des objectifs de la science du droit qui vise non seulemem la description des !ois positives,
mais aussi leur amélioration en fonction des besoins sociaux.
objet de diverses lecrures selon qu' on 68. S. AMOS, The Science of Politics, 3" edn., London, Keagan Paul, Trench, Trübner & Co, 1890,
,gie du juriste (ce qui est notre cas) ou chap. XII(« Right and Wrong in Politics »).
(cf l'analyse de M. Catt~ne?)- . 69. S. AMOS, The Science ofLaw, p. 42.
nnus. Pour être exhaust1f, 11 faudra1t 70. W. MARKBY, Elements of l.Aw, considered with Référence to A·inciples of General J11rispmdence
883 · LIGHTWOOD, The Natttre of (1871), 6'" edn., Oxford, Clarendon, 1905, p. 4. On trouvait déjà cette même convemion termino-
men~ on A11Stin, 1883; RATTIGAN, logique chez Amos.
1stinian Theory of l.Aw, 1906; GRAY, 71. Ibid., p. 4.
72. Ibid., p. 5.
73. Ibid., p. 5.

l
.
452 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel Laquerellem

législateur humain 74 • Ces propos de nature éthique ne sauraient toutefois cacher cune critique
un glissement méthodologique qui devient de plus en plus perceptible : si s'agit là de de
Markby se sent encore obligé, non sans quelques réticences, d'évoquer la de la philoso
question des fins de la société politique, il le fait seulement pour se débarrasser d' indifférenc1
rapidement de certaines « misconceptions » 75 (i.e. la rhéorie du contrat social, tie de son eh;
empiriquement non vérifiable) et pour abandonner aussitôt le champ à un phi- juriste' 5• En ·
losophe, en l'espece Sidgwick, qui serait mieux placé que lui pour tirer au clair qu'on la trou
les implications de la doctrine utilitariste 71'. C'est à peine s'il mentionne les 458 Rétrospectiv,
divers vecteurs de la supériorité du ought sur leis 77. Cette double évolution - la l'école analyt
perte de toute vision dualiste et hiérarchique du droit - conna1t son point -et des dem
d'orgue avec la théorie absolument moniste de Thomas Erskine Holland. législation -
457 D'apres Holland, la science du droit est une « science formelle ou analytique »'" disciplinarité
qui décrit certains faits réels que som les « fois positives »". Au juriste de se tive law. Ce e
concentrer exclusivement sur l' objet de sa science « en ne regardant ni à droite, ni cie nullement
à gauche, aussi tentantes que soient de telles digressions » 'º. Car « digression » il y a, n'y voit aucu
lorsque Austin s'attache au príncipe utilitariste qui est « sans lien nécessaire avec attendre. Fac1
son argument central» 81 • Le leitmotiv de Holland est la spécialisation ou, plutôt, partie aux se
la« séparation des sciences »". li appartient à chaque science de se constituer son D'apres lui,
propre objet, selon les objectifs cognitifs qu'elle se fixe, ce qui lui permet de fon- approches « ,1
der son autonomie par rapport aux sciences voisines" 3• D'ou les efforts de Hol- droit, « le tra,
land pour délimiter le plus nettement possible la « positive law » de phénomenes tion de chacu1
similaires ou analogues comme la« natural law »"". Ce faisant, il ne fait part d'au- pletement de
ristes"", mêm
positive et se1
74. Ibid., p. 33. Le príncipe d'utilité est analysé dans les pages 28 à 37.
75. Ibid., p. 29. Ce faisant, il est tout à fait conscient qu'il transgresse les limites méthodologiques y) Les posith
qu'il s'est lui-même fixées. D'ou une certaine mauvaise volomé (p. 28) et la hâte à se débarrasser du Hart,J. R:
sujet {p. 33).
76. Ibid., p. 33.
77. II évoque brievement, en deux lignes (ibid. p. 4 et 22), la question de la résistancc à une !oi 459 L'ceuvre de I-
injuste, qui est désignée tantôt comme une« verttt » (6" éd.) tantôt comme un « devoirmoral » (Yéd.). entre is et OU!
II insiste un peu plus sur le rôle directeur que doit jouer le príncipe d'utilité vis-à-vis du législateur
(p. 25). La pertinence du discours utilitariste dans le comexte du pouvoir d'interprétation du juge telle qu'elle r,
est completemem passée sous silence (p. 12 s). parle mot la
78. T.E. HOLLAND, 7be Elements of]rtrispmdence (1880), 7,h edn., Oxford, Clarendon, 1895, p. 5. décrire le dro
L'adjectif « analytiqtte », qui désignait encore chez Bentham et Austin une démarche à la fois des-
criptive et prescriptive, voit son sens se réduire progressivement pour devenir synonyme de jusposi- corrige d'aille
tiviste - terme qui n'existait pas encore à l'époque.
79. Ibid., p. 9: « La connaissance dtt droit n'est pas ttne science de rapports j11ridiq11es a priori, tels qu'ils
auraienl pu 011 dri existe,; mais est dégagée a posteriori des rapports ayant revêttt rm te! caractere j11ridiq11e
dans des systemes réels, c'est-à-dire d'rm droit qtti a ejfectivement été imposé, atttremem dil dtt droit posi- 85. C'est ce qu'i
ti/Ottrispmdence is nota science o/legal relations a priori, as the-y might have been, or sho11ld have been, the air » (p. VIII).

but is abstracted a posteriori from sttch relations as have been clothed with a legal character in actttal sys- 86. J. SALMOI'-
tems, that is to say from law which has act11ally been imposed, or positive law). » C/ p. 12 : « lt is the 1937, p. 7.
science o/actual, or positive, law. » L'adjectif « actrwl » est difficile à traduire puisqu'il peut signifier 87. Ibid., p. 8.
tantôt ce qui est réel ou effectif, tantôt ce qui se passe à l'heure actuelle. 88. Ibid., p. 1.
80. Ibid., p. VIII. 89. Ibid., p. 66 s•
81. Ibid., p. VII. 90. Jbid., p. 4. P,;
82. Ibid., p. 16. law o/God (réfor
83. lbid., p. 24 : « Each science mttst define and classify s11ch ideas as /ar as is necessary for its own le dernier (p. 62 ,
p111poses, leaving their fit!l and final investig,aion to Psychology or Metaphysics. » 91. N. Macem
84. lbid., chap. III, p. 23-37. intégrale de Han

1
7ue de l'Éiat: le droit natttrel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnatttralistes 453

ne sauraient toutefois cacher cune critique à l'égard du droit naturel et se limite simplement à démontrer qu'il
lus en plus perceptible : si s'agit là de deux objets différents, dont l'un releve de la science du droit et l'autre
es réticences, d'évoquer la de la philosophie morale et politique. San positivisme est fondé sur une sorte
ulement pour se débarrasser d'indifférence, de neutralité par rapport à la natural law: celle-ci ne fait pas par-
a théorie du contrat social, tie de son champ d'étude et lui semble dénuée de tout intérêt pratique pour le
· aussitôt le champ à un phi- juriste". En tout cas, on est loin d'une profession de foi noncognitiviste telle
cé que lui pour tirer au clair qu'on la trouve sous la plume d'auteurs allemands comme Bergbohm ou Kelsen.
· à peine s'il mentionne les 458 Rétrospectivement, on voit tout le chemin parcouru depuis les fondateurs de
Cette double évolution - la l'école analytique : tout en admettant la différenciation des objets - is et ough
droit - conna'1t son point - et des deux sciences qui s'en occupent - la science du droit et la science de la
>mas Erskine Holland. législation -, ces derniers ont évité l'éclatement du savoir en prônant la pluri-
1ee formelle ou analytique » 78 disciplinarité du juriste quine peut passe contenter de l'étude de la seule posi-
ositives » 79 • Au juriste de se tive law. Ce dernier aspect est négligé completement par Holland quine se sou-
en ne regarclant ni à droite, ni cie nullement de l'unité théorique du savoir sur le droit, et ce, d'autant plus qu'il
s » 'º. Car « digression » il y a, n'y voit aucun intérêt pratique. La réaction à ce monisme strict ne se fait pas
est « sans lien nécessaire avec attendre. Face à un certain « formalisme aride »''', Sir John Salmond revient en
;t la spécialisation ou, plutôt, partie aux sources de l' école analytique, à savoir à sa pluridisciplinarité 87 •
! science de se constituer son
D'apres lui, s'il importe de bien distinguer, d'un point de vue logique, les
:ixe, ce qui lui permet de fon- approches « analytique » (c'est-à-dire descriptive), « historique » et « éthique » du
es '3. D' ou les efforts de Hol- droit, « le traitement scientifique complet de n'importe quel droit implique l'adop-
~ositive law » de phénomenes tion de chacune de ces trais méthodes » ". On ne peut dane faire abstraction com-
Ce faisant, il ne fait part d'au- pletement de l'idée de justice, que Salmond définit selon des criteres utilita-
ristes'", même s'il est clair que le juriste s'intéresse « essentiellement » à la loi
positive et seulement de façon « incidente » à l'idée du droit naturel 'º.
(8 à 37.
1sgresse les limites méthodologiques y) Les positivistes de la seconde moitié du xx• siecle :
(p. 28) et la hâte à se débarrasser du Hart, J. Raz, N. MacCormick

. question de la résistancc à une !oi 459 L'ceuvre de Hart s'inscrit dans cette lignée d'auteurs en reprenant la distinction
>t com me un « devoir moral» (5" éd.). entre is et ought. De ce point de vue, on peut dire que sa « théorie du droit » "1,
1cipe d'utilité vis-à-vis du législateur
du pouvoir d'interprétation du juge
telle qu' elle ressort de son célebre ouvrage The Concept of Law, est positiviste :
par le mot law, il n'entend que le droit positif et, dans ce livre, il ne fait que
edn., Oxford, Claren<lon, 1895, p. 5. décrire le droit tel qu'il est en faisant abstraction de tout autre point de vue. Il
t Austin une démarche à la fois des-
t pour devenir synonyme de jusposi-
corrige d'ailleurs surde nombreux aspects la définition austinienne de la loi posi-

i rapports j11ridiq11es a priori, tels q11'ils


ayant revêttt zm te! caractere j11ridiq11e
ié imposé, autrement dit d11 droit posi- 85. C'est ce qu'il semble vouloir dire en qualifiant les théories du droit naturel de« jurispmdence in
might have been, or sho11ld have been, the air » (p. vm). Au juriste de s'occuper de ce qui est réel, pratique, utile, bref des !ois positives.
1ed with a legal ch,1racter in actu,il sys· 86. J. SALMOND, furispmdence (1902), 9•h edn. by J.-L PARKER, London, Sweet & Maxwell,
e positive law). » Cf p. 12 : « lt is the
1937, p. 7.
:ile à traduire puisqu'il peut signifier 87. Ibid., p. 8.
88. Jbid., p. 1.
! actuelle.
89. Jbid., p. 66 ss et surtout p. 71 ss.
90. Jbid., p. 4. Parmi les trois cas de figure évoqués par Austin afin d'illustrer l'imérêt pratique de la
law ofGod (réforme législative, résistance, imerprétation judiciaire de la !oi), Salmond n'évoque que
;deas as far as is necessary for its own le dernier (p. 62 note 44).
91. N. MacCORMICK, H.L.A. Hart, London, Edward Arnold, 1981, p. 149. Toutefois, l'ceuvre
,r Metaphysics. "
intégrale de Hart ne se réduit pas à sa théorie du droit positif développée dans le Concept ofLaw.
454 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : !e droit naturel La querelle m

tive, en introduisant la distinction entre les points de vue interne et externe ainsi « rationalistü
que le concept de la rufe ofrecognition. À cela s'ajoutent, sans que l'on sache tou- reconna1t lui
jours sur quel plan les situer - au-dessus ou à côté? 91 - , divers textes ou Hart longue tradit
s'est penché surdes questions relatives au droit tel qu'il devrait être, c'est-à-dire logique entre
la morale critique. Ainsi, il s'est intéressé à la légitimité du droit pénal'3 et, spé- rait ainsi se r:
cialement, à la question de l'interdiction légale de l'homosexualité en Angle-
terre "'. II a même, ce qui peut paraltre curieux, affirmé l'~xistence d'un « droit 2° Les carac1
naturel »ou« moral» de tous les êtres humains à la liberté"õ. À regarder l'reuvre
imégrale de Hart, et non pas seulement ses écrits juridiques (au sens strict), il est Au terme
à la fois positiviste et moraliste "". esquisser brii:
Peut-on dire pour autant que Hart est cognitiviste? Dans son article de 1958,
centré sur la définition de ce qu'est la law et ou il raisonne clone en positi- a) La distinc
viste, il esquive habilement le dilemme entre cognitivisme et noncognitivisme et le droit
en estimam qu'il s'agit là d'une question sans lien direct avec le positivisme"'.
Celui-ci consiste, en effet, à décrire le droit tel qu'il est. Qu'il existe en outre un 460 À !'origine d
critere rationnel pour juger le droit positif est un autre probleme qui releve de la ought. Austin
morale, du ought, et dom la réponse, quelle qu'elle soit d'ailleurs, ne changera tendance dom
rien à l'exposé du is. Celui-ci reste le même, qu'il existe ou non un critere de existence ofla·,
jugement objectif. Or, lorsqu'il est amené dans ses écrits de philosophie morale whether it be
et politique à parler du droit tel qu'il devrait être, et ou il aurait clone du prendre A law, which,
position sur la question du cognitivisme, Hart évite d'y revenir"'. Des lors, la ra1sonnemem
seule chose que l'on puisse affirmer est qu'il fonde son positivisme non pas sur in the absence
le noncognitivisme, mais sur la distinction analytique entre is et ought, ce qui lui from the mere
permet une certaine indifférence. On retrouve d'ailleurs la même problématique law; and, con;
chez un autre positiviste britannique, Neil MacCormick, qui se dit lui-même desirable that ;
Encore fau
pas propre am
92. On note ainsi un vestige de l'ancienne hiérarchie entre le 011ght et leis dans le fait que Hart et
le droit tel qu'
MacCormick maintiennent l'idée d'un droit moral à la résistance, voire d'une obligacion de résis- naturel). En r
tance contre une !oi injuste. Cf H.L.A. HART, Positivism, p. 617 et Concept, p. 208; MacCOR- droit positif e
MICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 139. D'un serice point de vue positiviste, !e juriste n'a pas
de commentaire à faire sur ce point, puisqu'affirmer un droit (ou est-ce un devoir?) individuei (ou
peut tout ausi
collectif?) de résistance (active ou passive?) releve d'un raisonnement moral, du 011ght, avec leque! ment de Hart
d'ailleurs tous les moralistes ne seraient pas forcément d'accord. Apres tout, Kant nie l'existence d'un naturel, il ne
te! droit.
93. H.L.A. HART, P1mishment and Responsibility. Essays in the Philosophy ofLaw, Oxford, 1968; The
deux, une reg
Morality ofthe Criminal Law. Two Leclllres, Jerusalem, London, 1965; « Prolegomenon to thc Prin- contraire au d1
cipies of Punishment », Proccedings ofthe A ristotelian Society, vol. 60, 1959-60, p. 1 ss; Essays on Ben- naturel, il ne :
tham. S111dies in ]11rispmdence and Political Theory, Oxford, 1982. Son disciple Joseph Raz s'intéresse,
!ui aussi, à la fois au droic et à la morale (cf. les deux pareies dans J. RAZ, Ethics in the P11blic Domain.
droit naturel ,
Essays in the Morality ofLaw and Politics, Oxford, Clarendon, 1994). chainement Ie
94. H.L.A. HART, Law, Liberty and Morality, Stanford, Stanford UP, 1963.
95. H.L.A. HART, « Are there Any Natural Rights? », Philosophiml Review, 1955, vol. 64, pp. 175-
191. Cf N. MacCORMICK, op. cit., p. 149 s. 99. D.N. MacCC
96. Cf la présentation dualisce de N. MacCORMICK, op. cit., p. 6 et p. 12. 100. ]. AUSTIN.
97. H.L.A. HART, Positivism, p. 626. 101. H.L.A. HAJ
98. Cf D.N. MacCORMICK, op. cit., p. 48. D'apres N. HOERSTER, qui s'esc fait l'avocat de 102. Cf les formul
l'reuvre de Hart en Allemagne (cf « Zur Verteidigung des Rechcsposicivismus », NJW, 1986, P. KOLLER, op. ,
pp. 2480-2; « Die rechtsphilosophische Lehre vom Rechtsbegriff »,]11S, 1987, pp. 181-188; « Zur Ver- 103. Cf A. VER!
teidigung der positivistischen Trennungschese », ARSP Beihefi, n· 37, 1990, pp. 27-32), ce dernier l'indicacif prés~?t
serait cognitiviste. 104. Cf O. HOF
{e l'État: le droit natttrel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 455

!interne et externe ainsi « rationalistic non-cognitivist » .,,, ce qui est pour le moins paradoxal comme il le

sans que l'on sache tou- reconnait lui-même. En ce sens, le modele anglais du positivisme, adossé à une
-, divers textes ou Hart longue tradition cognitiviste, à savoir utilitariste - bien qu'il n'y ait pas de lien
devrait être, c'est-à-dire logique entre les deux - semble entrer dans une phase de perturbations. li pour-
du droit pénal ' 3 et, spé- rait ainsi se rapprocher du modele continental ou allemand.
)mosexualité en Angle-
l'~xistence d'un « droit 2º Les caractéristiques fondamentales du modele anglais du positivisme
:té'5 • À regarder l'reuvre
_ues (au sens strict), il est Au terme de ce récit historique, il conviem d'en tirer les conclusions pour
esquisser brievement les traits spécifiques du modele anglais de positivisme.
)ans son article de 1958,
aisonne clone en positi- a) La distinction logique entre le droit tel qu'il est
sme et noncognitivisme et le droit tel qu'il devrait être
:ct avec le positivisme ".
Qu'il existe en outre un 460 À !'origine du positivisme anglais se trouve la distinction logique entre is et
irobleme qui releve de la ought. Austin en a donné une définition classique dans sa fameuse note sur « la
.t d'ailleurs, ne changera tendance dominante de confondre ce qu 'est et ce que devrait être le droit (... ) » : « The
;te ou non un critere de existence oflaw is one thing; its merit is another. Whether it be or not is one enquiry;
cs de philosophie morale whether it be or not conformable to an assumed standard, is a different enquiry.
il aurait clone du prendre A law, which actually exists is a law, though we happen to dislike it (... ). » 100 C'est ce
.'y revenir·,,. Des lors, la raisonnement que poursuivra Hart en insistant sur « two simple things » : « First,
positivisme non pas sur in the absence of an expressed constitutional or legal provision, it could not follow
ntre is et ought, ce qui lui from the mere fact that a rule violated standards ofmorality that it was nota rule of
; la même problématique law; and, conversely, it could not follow from the mere fact that a rule was morally
ick, qui se dit lui-même desirable that it was a rule oflaw. » 101
Encare faut-il préciser quelle portée on entend donner à ce príncipe qui n'est
pas propre aux positivistes, puisque les jusnaturalistes distinguem eux aussi entre
le droit tel qu'il est (i.e. le droit positif) et le droit tel qu'il devrait être (i.e. le droit
et le is dans le fait que Hart et
mire d'une obligation de résis- naturel). En paraphrasant la formule d'Austin, on dira ainsi que l'existence du
et Concept, p. 208; MacCOR- droit positif est une chose, sa conformité au droit naturel en est une autre. On
ue positiviste, le juriste n'a pas peut tout aussi bien transposer dans le langage d'un jusnaturaliste le raisonne-
;t-ce un devoir?) individue! (ou
nt moral, du ought, avec leque! ment de Hart 10'. Ainsi, du fait qu'une regle de droit positif est contraire au droit
s tout, Kant nie l'existence d'un naturel, il ne s'ensuit pas qu'elle ne soit plus, au moment ou l'on compare les
deux, une regle de droit positif. Elle est justement une regle de droit positif
:ophyofLaw, Oxford, 1968; The
;; « Prolegomenon to the Prin- contraire au droit naturel 103 • Inversement, parce qu'une regle fait partie du droit
, 1959-60, p. 1 ss; Essays on Ben- naturel, il ne s' ensuit pas qu' elle soit, déjà, du droit positif 10-1. L' opposition du
, disciple Joseph Raz s'iméresse, droit naturel et du droit positif a justement pour objectif de faire évoluer pro-
\Z, Ethics in the Pttblic Domain.
chainement le droit positif dans le sens indiqué.
P, 1963.
/ Review, 1955, vol. 64, pp. 175-
99. D.N. MacCORMICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 9.
et p. 12. 100. ]. AUSTIN, Province of]ttrisprudence Detennined, op. cit., p. 184.
101. H.L.A. HART, Positivism, p. 599.
,TER, qui s'est fait l'avocat de 102. Cf les formules en ce sens de O. HÕFFE, Politische Gerechtigkeit, op. cit., p. 123-4 et p. 133. V. aussi
uspositivismus », NJW, 1986, P. KOLLER, op. cit., p. 355 ss qui souscrit, en tant que jusnaturaliste modéré, à la formule de Hart.
1S, 1987,pp.181-188;«ZurVer- 103. Cf A. VERDROSS, op. cit., p. 254 ( = extrair cité mpra note 53). En ce qui concerne l'usage de
37, 1990, pp. 27-32), ce dernier l'indicatif prés~!}t du verbe être, voir les précisions infra n-· 483 ss.
104. Cf O. HOFFE, « Das Naturrecht angesichts ... », op. cit., p. 324.
456 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle m

~) Le caractere adéquat d'une définition restrictive du mot law fique JO,, à l'u1
les véritables
461 La distinction entre is et ought ne permet pas en soi de différencier positivisme À partir d
et jusnaturalisme, étant donné qu'elle autorise également une définition dualiste mêmes auteu
du droit. Comment passe-t-on alars de ce dualisme au monisme? Pourquoi choi- à un autre an 1
sir une définition positiviste du mot law alars que la distinction du is et du ought puis moralist,
permet tout aussi bien une définition jusnaturaliste 105 ? Pour cela, il faut un élé- ou les positiv
ment supplémentaire, à savoir l'intérêt prioritaire pour le is aux dépens du morale.
ought. Puisqu'il s'agit de deux objets logiquement distincts, il est possible de se
consacrer uniquement à l'un des deux, pour peu qu'on le veuille et qu'on le jus- y) « L'entenll
tifie par rapport à certains objectifs cognitifs. C'est ce que fait le positiviste
anglais en se laissant guider par au moins trais types de considérations. . 462 Dans le mod,
II y a, tout d'abord, l'argument de la spécialisation des sciences: en se limitant combattivité
à un seul objet, on peut lui consacrer tous ses efforts en ne perdant aucun temps est et en s' ast1
avec des digressions, aussi tentantes soient-elles. En ne regardant « ni à gauche, ni permet justen
à droite » (Holland), on verra d'autant mieux ce qui se passe devam soi. À cela qui seu! perm
s'ajoute, en deuxieme lieu, une considération d'ordre pratique qui consiste à dire évite tout lég
que le juriste praticien n'a pas besoin d'autre chose que du droit positif. À quoi consiste à dire
bon des lors s'intéresser au droit tel qu'il devrait être? La pluridisciplinarité est telle rigueur r
clone inutile. II importe, enfin, de mentionner le gain de clarté sémantique que terminologie
l'on tire d'une définition restrictive du mot droit. La formule classique selon discutés en ta1
laquelle « il n'y a de droit que le droit positif » a, chez les auteurs anglais, une loir légitimer
dimension essentiellement terminologique : ils réservent le terme law à une cer- contraire, une
taine catégorie de normes, à savoir les commandements du souverain. Ce faisant, juge et le cito)
ils rangem toutes les autres normes, dont ils ne contestem pas l'existence, dans Ce souci d,
la rubrique morais. Un tel usage permet d'éviter certaines confusions qui, à en ment les choi
croire les positivistes, naissent de l'usage ambigu que font les jusnaturalistes du positiviste an~
terme droit : en désignant par un seul mot deux choses aussi différentes que ce qm concern
!e droit tel qu'il est et le droit tel qu'il devrait être, les jusnaturalistes risquent supprime la q1
d'engendrer de redoutables confusions dans l'esprit du public 101·, si ce n'est
dans leur propre esprit, en prenant leurs idéaux ou leurs rêves pour des réa-
lités déjà acquises 107 • Bref, il importe de donner à chaque objet un terme spéci- naturel (classique
droit positif. II est
sane de l' adage « Ir
105. Qu'il y ait à la base de la définition posiriviste du droit chez Han un choix, fondé sur une éva- positive? de la loi
luation rationnelle des avamages et inconvénients respecrifs de chaque définition, est clairemem mis 108. T.E. HOLL
en exergue par M. PAWLIK, Die Reine Rechtslehre rmd die Rechtstheorie H.L.A. Harts. Ein kritischer note 6 et p. 239.
Vergleich, Berlin, Duncker & Humblor, 1993, p. 21 ss (« Die Argumente Harts: Zweckmãssigkeit des 109. W. LUCY, «
positivistischen Rechtsbegriff »). II s'agit d'une différence fondamemale par rappon à Kelsen qui est vues qu'admet N.
obligé, pour des raisons épistémologiques qui om trair à son relativisme éthique, de définir le droit « Natural Law and
de façon posiriviste (p. 19: « Die Au/Jassung Kelsens: Positivismus ais einzig wissenschaftliche Weise der Contempomry Ess.,
Rechtsbetr,1chwng »). 110. Cf H.L.A. H
106. N. HOERSTER, « Zur Veneidigung des Rechrspositivismus », NJW, 1986, p. 2481 cite ainsi op. cit., p. 1 : « Le f
l'hyporhese d'un touriste américain qui, accompagné desa femme de couleur noire, voudrait visiter que contrib11er à in,
l' Afrique du Sud à l'époque de l'apanheid. En aliam voir un avocat pour se renseigner sur le droit des citoyens. » Lire
de l' Afrique du Sud, il n'a que faire d'une information de type jusnaturaliste, disam que les !ois ins- tivisme de Han e,
tauram la ségrégation raciale ne constituem pas du droit valide en raison de leur incompatibilité avec law »; N. HOERS
les droits de l'homme. 111. H.L.A.HAR
107. Cf M. WALINE, « Défense... », p. 96; M. KR1ELE, « Rechtsposirivismus und Naturrechr... », or obe-yed" (No11s d,
op. cit., p. 149. Cette critique n'est pas penineme dans la mesure ou les auteurs de l'école du droit 112. H.L.A. HAR
,e de l'État: le droit natttrel La querelle méthodologique entre positivistes et jmnaturalistes 457

: du mot law fique 10 ', à l'un le mot droit et à l'autre le terme morale, ce qui permet de clarifier
les ~éritables enjeux des querelles doctrinales et d'éviter certains faux débats.
de différencier positivisme A partir de là, on aboutit à un monisme. Mais, cela ne veut pas dire que les
1ent une définition dualiste mêmes auteurs, une fois leur étude juridique terminée, ne puissent se consacrer
1 monisme? Pourquoi choi- à un autre angle d'attaque. Un même auteur peut, à tour de rôle, être positiviste,
listinction du is et du ought puis moraliste, ce qui est inconcevable dans le modele continental dans la mesure
'? Pour cela, il faut un élé- ou les positivistes contestem la possibilité même d'une approche scientifique en
pour !e is aux dépens du morale.
stincts, il est possible de se
m le veuille et qu'on le jus- y) « L 'entente cordiale » 'º' entre positivistes et jusnaturalistes
t ce que fait le positiviste
de considérations. . 462 Dans le modele anglais, les auteurs positivistes se targuent de la vertu et de la
des sciences : en se limitam combattivité morales de leur définition du droit 110 • En exposant le droit tel qu'il
en ne perdant aucun temps est et en s' astreignant à ne pas préjuger de sa valeur morale, le positiviste anglais
e regardant « ni à gauc._he, ni permet justement l'émergence d'un débat moral transparent, ouvert et rationnel
se passe devam sai. A cela qui seul permettra de conclure si l'on doit, on non, obéir à la loi. Ce faisant, il
pratique qui consiste, à dire évite tout légalisme, ce néfaste « spirit of obsequious quietism » (Bentham) qui
1ue du droit positif. A quoi consiste à dire, de façon péremptoire, que tout ce qui existe mérite d'exister. Une
'.? La pluridisciplinarité est telle rigueur rnéthodologique empêche également à ce que l'on cache, sous une
n de clarté sémantique que terrninologie juridique, des enjeux intrinsequernent rnoraux qui méritent d'être
La formule classique selon discutés en tant que tels par tous, et pas seulernent par des juristes. Loin de vou-
.ez les auteurs anglais, une loir légitirner les lois injustes, le modele anglais du positivisrne suscite, au
,ent le terme law à une cer- contraire, une réflexion critique sur leur valeur rnorale et, ce faisant, invite le
1ts du souverain. Ce faisant, juge et le citoyen à y résister 111 •
estent pas l'existence, dans Ce souci de la transparence oblige également les acteurs à assumer ouverte-
taines confusions qui, à en rnent les choix éthiques, parfois douloureux, qu'ils sont arnenés à faire 111 • Le
e font les jusnaturalistes du positiviste anglais, une fois que son travail descriptif est fait, renvoie pour tout
hases aussi différentes que ce qui concerne l'évaluation du is aux autres sciences, ce quine veut pas dire qu'il
les jusnaturalistes risquem supprirne la questionou qu'il la renvoie dans les ténebres. L'exposé du is n'est
·it du public'º'', si ce n'est
1 leurs rêves pour des réa-
1aque objet un terme spéci- naturel (classique et moderne) distinguem d'un poim de vue terminologique entre droit naturel et
droit positif. II est vrai cependant que l'usage de l'adjectif n'est pas coujours de rigueur. Ainsi, s'agis-
sam de l'adage « !ex com1pta non est !ex», dans quel sens il faut emendre le mot /ex: au sens de la loi
Hart un cboix, fondé sur une éva- positive? de la loi naturelle? ou des deux?
aque définition, est clairement mis 108. T.E. HOLLAND, op. cit., p. 14. V. aussi R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution, t. I, p. 60
,beorie H.L.A. Harts. Ein kritiscber note 6 et p. 239.
11nente Harts: Zweckmãssigkeit des 109. W LUCY, « Natural Law Now », MLR, vai. 56, 1993, pp. 757 (au sujet des convergences de
ncale par rapport à Kelsen qui est vues qu'admet N. MacCormick avec les idées néothomisces de N. Finnis; cf N. MacCORMICK,
:ivisme éthique, de définir le droit « Natural Law and the Separation of Law and Morais», in R.P. GEORGE (dir.), Natural Law Theory.

,Is einzig wissenschafiliche \Veise der Contemporary Essays, Oxford, Clarendon, 1992, pp. 105-133).
110. Cf H.L.A. HART, Positivism, p. 621; D. DYZENHAUS, Hard Cases in Wicked Legal Systems,
us », NJW, 1986, p. 2481 cite ainsi op. cit., p. 1 : « Le positivisme est une doctrine sur la nawre d11 droit q,ú, comprise correctement, ne peut
e de couleur noire, voudrait visiter q11e contrib11er à inculquer des attitttdes moralement désirables à l'égard du droit dans l'esprit des juges et
1cat pour se renseigner sur le droit des citoyens. » Lire aussi p. 9; J. RAZ, Ethics in the P11blic Domain, op. cit., p. 194 définit ainsi le posi-
snacuraliste, disant que les !ois ins- tivisme de Hart comme « a conceptual foundation for a coo! and potentially critica[ assessment of the
raison de leur incompatibilité avec law »; N. HOERSTER, op. cit., p. 2481.
111. H.L.A. HART, Concept, p. 208: « We sho11ld say, ªthis is law; but it is too iniq11ito11s to be applied
:spositivismus und Naturrecht. .. », or obeyed" {NollS devrions dire: "ceei est la !oi, mais elle est trop iniq11e pour être appliquée 011 obéie"). »
: ou les auteurs de l'école du droit 112. H.L.A. HART, Concept, p. 211 et « Posicivism ... », p. 619 ss.
458 Les enjettx théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle n;

que le « préliminaire » 113 du ought qui, à son tour, peut être l'objet d'une analyse mordia! des ,
scientifique. Le positiviste tend ainsi la main au moraliste: aussi Hart et N. Mac- théorique.
Cormick peuvent-ils, en tant que moralistes, défendre un droit moral à la résis- 464 Si !e modele •
tance contre des lois iniques. De là na1t un rapport plus consensuel, si ce n'est questions su1
complémentaire, entre positivistes et jusnaturalistes britanniques : ils sont tous mand, dom]
convaincus de l'existence de príncipes éthiques supérieurs au droit (positif), à leur annih
príncipes que les uns appelleront «mora/e» et les autres « droit naturel »'".II en figure, la qUt
va tout autrement dans le modele allemand du positivisme ou les rapports entre politique ou
les deux écoles s'enveniment rapidement en raison du postular du noncogniti- en cause. Da
visme défendu parles positivistes. L'opposition est des lors frontale. lement sur !1
plus lieu d'êr
B. Le modele allemand fondé sur le noncognitivisme éthique tions auxqUt
répondre. II
463 À travers le modele allemand du positivisme appara1t un tout autre mode de anglais de la
déconstruction de la théorie du droit naturel. On trouve, en effet, sous la plume bien que no
d'auteurs germanophones - ce qui inclut les juristes autrichiens - l'archétype science 117 • 01
d'une certaine fondation épistémologique du positivisme juridique, axée sur le sur le droit 11 •
postular du noncognitivisme. Cela étant dit, il ne s'agit pas ici de réduire à cette gie du droit,
seule explication !e phénomene historique complexe qu'est l'apparition du posi- fere radicaler
tivisme en Allemagne, dom !e noncognitivisme n'est qu'un facteur, certes domi- Celles-ci son
nant, parmi d'autres 115 • Inversement, il n'est pas non plus question de diaboliser postular du 1
' la pensée juridique allemande et de nier l'importance qu'a pris !e theme du rela- questions, to
~ tivisme des valeurs dans d'autres pays de l'Europe continentale '"'. L'objectif pri- de réponse s,
~i
sur un cham1
.,
:. ~:
'~

Pour saisi1
les racines ph
~i' .:: 113. H.L.A. HART, Concept, p. 240. Cf N. MacCORMICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 139:
. ·, ;i
« To be" so-called posicivist in this mould is not to asseri the superiority o/ law to moral considerations
de sa réceptic
nor to treat it as ,1 mor«lly indifferent phenomenon. Rather, it is to present law «s "fonn o/soei«! pratice
or soei,,! institution which has to be subjected to a pennanent moral critique, a critique founded on prin-
cipies ofenlightened morality. »
114. C/ R.A. DUFF, « Legal Obligation and the Moral Nature ofLaw »,]11r. Rev., 1980, p. 61: « Un
positiviste et tm jr,snulltraliste pe11vent être completement d'«ccord s11r les exigences momles m1xq11elles
de-vrait satisfaire tout droit ou systeme j11ridiq11e méritant notre respect [. ..}. »
115. L'histoire du positivisme allemand a fait l'objet de multiples études. C/ G. DILCHER, « Der l'esprit de l'écol,
rechtswissenschaftliche Positivismus. Wissenschaftliche Methode, Sozialpolitik, Gesellschaftspoli- (cf.w. OTT, Of'
tik », ARSP, 1975, pp. 497-527; D. GRIMM, « Methode ais Machtfaktor », in id., Recht und Staat der Kelsen -, M. TI
biirgerlichen Gesellschaft, Frankfun, Suhrkamp, 1987, pp. 347-372; W. PAULY, Der Methodenwandel théorie j11ridiq11e
im de11tschen Spãtkonstitutionalismus, Tübingen, Mohr, 1993; P. von OERTZEN, Die sozwle Funk- 117. Cf par ex.
tion des staatsrechtlichen Positivismus, Frankfun, Suhrkamp, 1974; M. STOLLEIS, Geschichte des p. 378.
õ/fentlichen Rechts in Deutschland, t. II (1800-1914), München, Beck, 1992, p. 330 ss; H. COING, 118 .... et, mula,
Gnmdztige der Rechtsphilosophie, 5' éd., Berlin, de Gruyter, 1993, p. 59 ss; F. WIEACKER, Privat- 119. C/H.KEI
rechtsgeschichte der Ne11zeit, Gõttingen, Vanderhocck & Ruprecht, 1967, p. 458 ss et p. 558 ss; mann de la 2· éd
O. JOUANJAN, « Carl Friedrich Gerber et la constitution d'une science du drojt public alle- justice se termin
mand », Annales de la Faculté dedroit de Strasbourg, n" 1, 1997, pp. 11-63; J.-F. KERVEGAN, « Rai- ti~e d'un point ,i
son philosophique et positivisme juridique. L'exemple allemand », CPP], 1988, pp. 47-68; mr notre attenm
D. WYDUCKEL, ltts Publicum, Berlin, Duncker & Humbloc, 1984, p. 257 ss; M. FRIEDRICH, juridique avec la
Geschich1e der deutschen Staatsrechtswissenschaft, Berlin, Duncker & Humblot, 1997, p. 222 ss. 120. D'apres l'é
116. Cf la définition du positivisme du juriste danais AlfROSS, « Validity and the Conflict between pan d'un juriste
Positivism and Natural Law », Revista jurídica de Buenos Aires, 1961, pp. 46-88, spéc. p. 48 ss [repris juriste se limite.\
in M. JORI (dir.), Legal Positivism, Aldershoc (UK), Danmouth, 1992, pp. 165-186 (avec la numé- née d'avance. C).
rotation originale des pages)]. De façon générale, !e theme du noncognitivisme est fondamemal dans in Õsterreich »,
,e de l'Éta't: le droit naturel

t être l'objet d'une analyse


T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

mordial des développements qui suivent est clone moins d'ordre historique que
459

liste: aussi Hart et N. Mac- théorique.


·e un droit moral à la résis- 464 Si le modele anglais du positivisme se concrétise par un déplacement de certaines
plus consensuel, si ce n'est questions sur le droit au sein de la classification des sciences, le positivisme alle-
britanniques : ils som tous mand, dom le représentant par excellence est Hans Kelsen, aboutit au contraire
Jérieurs au droit (positif), à leur annihilation en tant que questions scientifiques. Dans le premier cas de
-res « droit naturel » '". 11 en figure, la question change d'affi.liation puisque de juridique elle devient morale,
visme ou les rapports entre politique ou sociologique. Mais sa nature scientifique n'est pas pour autant mise
:lu postulat du noncogniti- en cause. Dans le second cas, certaines questions que l'on se posait traditionnel-
les lors frontale. lement sur le droit, et notamment sur son caractere juste et obligatoire, n'ont
plus lieu d'être: il faut les éliminer car, selon ces auteurs, il ne s'agit pas de ques-
)gnitivisme éthique tions auxquelles un scientifique, quel qu'il soit, juriste ou moraliste, pourrait
répondre. 11 arrive parfois à Kelsen et à ses disciples de se servir de l'argument
aí\ un tout autre mode de anglais de la spécialisation du savoir pour déplacer certaines thématiques qui,
uve, en effet, sous la plume bien que non pertinentes pour le juriste, pourraient l'être pour une autre
, autrichiens - l'archétype science 117 • On peut citer le cas typique de tous les développements sociologiques
risme juridique, axée sur le sur le droit "8 • Or, si Kelsen n'a jamais nié le caractere scientifique de la sociolo-
git pas ici de réduire à cette gie du droit, rattachée en tant que telle à la sociologie générale, sa position dif-
qu'est l'apparition du posi- fere radicalement en ce qui concerne les interrogations éthiques sur le droit.
qu'un facteur, certes domi- Celles-ci som, à ses yeux, dénuées de toute objectivité scientifique en raison du
plus question de diaboliser postulat du relativisme des valeurs "'· Pour cette catégorie tres particuliere de
~ qu'a pris le theme du rela- questions, touchant au droit tel qu'il devrait être, il n'y a pas, et il ne peut y avoir
ntinentale '"'. L'objectif pri- de réponse scientifique "º. L'autonomie de la science du droit se construit ainsi
sur un champ de ruines.
Pour saisir ce mode particulier de déconstruction, on dégagera tout d'abord
les racines philosophiques de l'idéal de pureté (1") avant de retracer les conditions
1.WEINBERGER, op. cit., p. 139: de sa réception au sein de la doctrine juridique (2").
,rity of la-w to moral considerations
resent la-w as ,1 form ofsocial pratice
critique, a critiq11e formded on prin-

Law »,]11r. Rev., 1980, p. 61 : « Un


sttr les exigences momles m1xq11elles
~ct{. ..J. »
s études. Cf G. DILCHER, « Der l'esprit de l'école réaliste scandinave, fondée notamment par A. Hagerstrom au début du XXº siecle
e, Sozialpolitik, Gesellschaftspoli- (cf. W. OTT, op. cit., p. 70 ss). Pour la France, cf outre Charles Eisenmann - fidele disciple de
tfaktor », in id., Recht rmd Staat der Kelsen -, M. TROP);'.R, « Le positivisme juridique », Rev11e de synthese, 1986, repris in id., Pour 11ne
; W. PAULY, Der Methoden-wandel théorie j11ridiq11e de l'Etal, Paris, PUF, 1994, pp. 27-44, spéc. p. 31.
von OERTZEN, Die soziale Frmk- 117. Cf par ex. J.-L. KUNZ, « Die definitive Formulierung der Reinen Rechtslehre », ÕZfõR, 1961,
74; M. STOLLEIS, Geschichte des p. 378.
eck, 1992, p. 330 ss; H. COING, 118 .... et, mutatis mutandis, des développements historiques.
, p. 59 ss; F. WIEACK.ER, Privat· 119. Cf H. K.ELSEN, Reine Rechtslehre, op. cit., 2· éd., p. 65 ss; 1béoriep11redu droit, trad. Ch. Eisen-
cht, 1967, p. 458 ss et p. 558 ss; mann de la 2· éd., Paris, Dalloz, 1962, p. 87 ss. Ses nombreuses études sur le droit naturel et l'idée de
'une science du droit public alle- justice se terminent ainsi inlassablement par la conclusion qu'il n'y a pas de droit naturel ou de jus-
J. 11-63; J.-F. K.ERVÉGAN, « Rai- tice d'un point de vue scientifique. C'est surtout ce lien entre le droit positif et l'éthique qui va rete-
nand », CPPJ, 1988, pp. 47-68; nir notre attemion par la suite. Nous écartons clone coutes les questions quant aux liens de la science
1984, p. 257 ss; M. FRIEDRICH, juridique avec la sociologie et l'histoire.
& Humblot, 1997, p. 222 ss. 120. D'apres l'école de Vienne, la seule politique juridique (Rechtspolitik) qui soit acceptable de la
, Validity and the Conflict between pare d'un juriste sciemifique est celle fondée sur la rationalité instrumentale, au sens webérien. Le
)61, pp. 46-88, spéc. p. 48 ss [repris juriste se limite à évaluer l' efficacité de certains moyens tcchniques pour atteindre une fin qui est don-
, 1992, pp. 165-186 (avec la numé- née__d'avance. Cf !l· WALTER, « Kelsens Rechrslehre im Spiegel rechtsphilosophischer Diskussion
tcognitivisme est fondamental dans in Osterreich », OZfõR, 1968, p. 339 ss et note 40.
460 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle mé

1º Le postulat du noncognitivisme idéaliste hors ,


influences, do
465 Le leitmotiv des juspositivistes allemands est l'idée de l'isolation, de « l'autosuf doctrine du d 1
fisance » 121 d'une science du droit qui ne doit s'intéresser qu'au droit positif, à philosophiqUt
l'exclusion de tout autre élément. Les formules se répetent et se ressemblent. par Max Webt
L'un des premiers à en saisir la logique fut Bernhard Windscheid (1817-1892).
Pour lui, « les considérations éthiques, politiques ou économiques ne relevent pas du a) Le positivi
domaine du juriste en tant que te! » 122 • D'apres Paul Laband (1838-1918), le pere
fondateur avec Carl Fiedrich von Gerber (1823-1891) de la nouvelle école posi- 466 II faut tout d\1
tiviste en droit public, « toutes les considérations historiques, politiques et philoso- n'existerait au
phiques, si précisieuses qu 'elles puissent être en elles-mêmes, sont sans importance losophique 12H_
pour la dogmatique d'un droit concret » 12 3. li suffit de se servir des regles de la sur les faits, st
logique pour déterminer le sens du droit positif. À quoi répondra, cinquante ans naturelles, éri,
plus tard, Kelsen dans sa Théorie pure du droit qui « se propose uniquement et exclu- méthode qui ~
sivement de connaítre son objet, c'est-à-dire d'établir ce qu'est le droit et comment il observation er
est. Elle n 'essaie en aucune façon de dire comment le droit devrait être ou devrait être «métapbysiqm
fait. D'un mot: elle entend être science du droit, elle n 'entend pas être politique juri- jectives et arbi
dique. (... ) Elle souhait [e] simplement assurer une connaissance du droit, du seu! programmatiq
droit, en excluant de cette connaissance tout ce qui ne se rattache pas à l 'exacte notion « Praeterea cen.

de cet objet. En d'autres tennes, elle voudrait débarrasserla science du droit de tous À !'origine,
les éléments qui lui sont étrangers » 11'. de la métaphy
La volonté de faire abstraction de tout ce qui entoure le droit s'explique par Selon lui, l'hu
diverses raisons. À en croire certains, ces développements seraient tout simple- physique, à }';
ment sans aucun intérêt, sans aucun « Belang » (Laband), c'est-à-dire inutiles constaté l'inani
pour la description des regles de droit positif 125. À cela vient se superposer un phie initiale, s
second argument qui tend à devenir prépondérant, et qui a trair à l'irrationalité renonce désom,
de toute réflexion d'ordre moral 1"·. Ce que les uns considerem être des príncipes circonscrit ses e1
objectifs issus de la Raison n'est que de l'idéologie aux yeux d'un nombre crois- observation, s~
sant de penseurs allemands - à commencer par Marx. Le rejet de toute pensée

127. Ces deux infl


& L. SOSOE, op.,
121. G. DILCHER, op. cit., p. 509. 107. Pour être exh
122. B. WINDSCHEID, • Die Aufgaben der Rechtswissenschaft » (1884), cité par G. DILCHER, du rationalisme d:
op. cit., p. 510. l'école historique .1
123. P. LABAND, Le droit public de l'Epire allemand, trad. Larnaude, Paris, Giard & Briere, 1900, chaque pays ayam
t. 1, p. 10 (« Alie historischen, politischen tmd philosophischen Betrachtungen - so wert-voll sie an zmd poserait radicalem,
fiir sich sein mõgen - sind fiir die Dogmatik eines konkreten Rechtsstojfes o/me Belang »). Cf aussi plus complexe qu·
J. ULBRICHT, professeur de droit à Prague, qui écrit en 1882 qu'un • exposé scientifique du droit G. DILCHER, op.
public » ne Jevrait pas ressembler à un « mélange opaque de remarques philosophiques, historiques et 128. K. BERGBO
statistiques; il devrait au contra ire trailer sa matiere de façon j11ridiq11e, dans un esprit systématiq11e scm- tivismus? », JZ, 1'
puleux » (cité par R. WALTER,« Entwicklung und Stand der Reinen Rechtslehre », in R. WALTER proches !'une de l'.
(dir.), Schwerpunkte der Reinen Rechtslehre, Wien, Manz, 1992, p. 10). 129. Sur le terme,
124. H. KELSEN, TPD, p. 1. 130. W. OTT, op. ,
125. Ainsi, Laband estime qu'il est tout à fait possible et intéressam « en soi » de faire une analyse 131. K. BERGBO
historique du Jroit - lui-même l'a fait du reste-, mais une telle étude ne renseigne en rien sur !e mauvaise herbe du ,
droit te! qu'il est à l'heure actuelle, i.e. le droit positif. L'argumem transparait égalemem dans les soit honteusement (,
développemems que K. BERGBOHM consacre à l'absence de lacuncs dans le droit positif, ce qui du es auch aufireten m,
coup rend superfétatoire tout recours à un quelconque droit naturel (op. cit., p. 371 ss). 132. Cité par C. (
126. H. COING, op. cit., p. 59-60, p. 62, p. 77 s. outre, je pense que !.
!iq11e de l'État: !e droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnatttralistes 461

idéaliste hors des frontieres du champ scientifique est surtout le résultat de deux
influences, dom l'effet conjugué en Allemagne a eu des effets dévastateurs sur la
e de l'isolation, de « l'autosuf doctrine du droit héritée des jusnaturalistes. Il s'agit, d'une part, du positivisme
téresser qu'au droit positif, à philosophique d' Auguste Com te et, d' autre part, du relativisme éthique théorisé
e répetent et se ressemblent. par Max Weber à travers sa célebre formule de la« guerre des dieux » 127 •
1ard Windscheid (1817-1892).
fconomiques ne relevem pas du a) Le positivisme philosophique ou la croisade contre la « métaphysique »
1 Laband (1838-1918), le pere
:91) de la nouvelle école posi- 466 II faut tout d'abord se défaire du mythe que fit na1tre Bergbohm, selon lequel il
istoriques, politiques et philoso- n'existerait aucune affinité entre le positivisme juridique et le positivisme phi-
-m êmes, sont sans importance losophique 118 • Ce qui les unit de façon intime, outre le nom m, est leur fixation
: de se servir des regles de la sur les faits, sur ce qui est réel, concret et clone vrai no. Le prestige des sciences
quoi répondra, cinquante ans naturelles, érigées en modele parfait de la science, n'est pas étranger à une telle
se propose zmiquement et exclu- méthode qui ne reconna1t de connaissance objective que celle résultant d'une
ce qu'est !e droit et comment il observation empirique ou d'un raisonnement logique. Le reste n'est que de la
/roit devrait être ou devrait être « métapbysique », au sens péjoratif, autrement dit un amalgame d'opinions sub-

n 'entend pas être politique juri- jectives et arbitraires qu'il importe« d'éradiquer sans pitié » 131 • D'ou la formule
connaissance du droit, du seu! programmatique d'Axel Hagerstrõm, l'un des pionniers de l'école d'Uppsala:
se rattache pas à l'exacte notion « Pr._aeterea censeo metapbysicam esse defendam. » m

~sser la science du droit de tous A l'origine de cette croisade contre tout ce qui ressemble de presou de loin à
de la métaphysique, se trouve le positivisme philosophique d' Auguste Com te.
ntoure le droit s' explique par Selon lui, l'humanité accéderait enfin, au terme de l'âge religieux, puis méta-
pements seraient tout simple- physique, à l'âge positif. « De tels exercices préparatoires ayant spontanément
(Laband), c'est-à-dire inutiles constaté l'inanité radica/e des explications vagues et arbitraires propres à la philoso-
\ cela vient se superposer un phie initiale, soit théologique, soit métapbysique, l'esprit humain - écrit-il -
, et qui a trait à l'irrationalité renonce désormais aux recherches absolues quine convenaient qu'à son enfance, et
considerem être des príncipes circonscrit ses efforts dans !e domaine, des lors rapidement progressif, de la véritable
aux yeux d'un nombre crois- observation, seule base possible des connaissances vraiment accessibles, sagement
tlarx. Le rejet de toute pensée

127. Ces deux inf!uences som mises en évidence par H. COING, op. cit., pp. 59-85; A. RENAUT
& L. SOSOE, op. cit., pp. 337-349 etS. MESURE & A. RENAUT,Laguerredesdieux, op. cit., pp. 43-
107. Pour être exhaustif, il faudrait y ajouter d'autres sources en amont, telles que la crise générale
1aft » (1884), cité par G. DILCHER, du rationalisme dans la seconde moitié du XIXº (Marx, Nietzsche, etc.), sans oublier l'impact de
l'école historique à laquelle on prête volomiers l'intention de vouloir fondre !e droit dans l'histoire,
lfnaude, Paris, Giard & Briere, 1900, chague pays ayant sa propre culrure et sa propre conception du droit. En cela, l'historicisme s'op-
etmchtungen - so wert·voll sie an tmd poserait radicalement au credo universaliste de l' école du Vernunfirecht. Or, la théorie de Savigny est
Rechtssto/Jes o/me Belang »). Cf aussi plus complexe qu'il n'y parait et elle résiste à une lecture aussi schématique. Cf les explications de
12 qu'un « exposé scientifique d11 droit G. DILCHER, op. cit.
imarques philosophiques, historiques el 128. K. BERGBOHM, op. cit., p. 51 note*. Plus nuancé: H. KELSEN, « Was ist juristischer Posi-
dique, d.ms tm esprit systématique scrn- tivismus? », ]Z, 1965, p. 465 qui reconnait que les deux théories, bien que distinctes, som tres
leinen Rechtslehre », in R. WALTER proches !'une de l'autre.
129. Sur !e terme de positivisme juridique, cf supra note 55 et infra note 213.
p. 10).
130. W. OTT, op. cit., p. 111; A. RENAUT & L. SOSOE, op. cit., p. 347.
ressane « en soi » de faire une analvse 131. K. BERGBOHM, op. cit., p. 118: « En tm mot, ilfaut extirperradicalement, sans aumne pitié, la
elle érude ne renseigne en rien su~ !e mauvaise herbe d11 droit nalllrel, sous que/que fonne et déguisemem qu'elle apparaisse, soit ouvertement
1ment transparait également dans les soit honteusement (Es 1mm mit einem Wort das Unkraut Naturrecht, in welcher Form rmd Verhtillung
lacunes dans !e droit positif, ce qui du es auch aufireten mõge, o/fen oder verschãmt, ausgerottet werden, schommgslos, mit Stt1mpfund Stiel}. »
132. Cité par C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER, op. cit., p. 54 note 29. (« En
ature! (op. cit., p. 371 ss).
outre, je pense que la métaphysique doit être détruite », trad. pers.)

l
462 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel

adaptées à nos besoins réels. La logique spéculative avait jusqu'alors consisté à rai-
T La querelle 1;

sur !e Solte,
sonner, d'une maniere plus ou moins subtile, d'apres des principes confus, qui, ne impossible e
comportant aucune preuve suffisante, suscitaient toujours des débats sans issue. Elle La scienc
reconnaít désormais comme regle fondamentale, que toute proposition qui n 'est pas les attitudes
strictement réductible à la simple énonciation d'un fait, ou particulier ou général, ne tives, multiI
peut offrir aucrm sens réel et intelligible. » m Tout ce qui n'est pas déduit d'un fait, préférences,
et en premier lieu l'idée du contrat social dont l'existence n'a jamais pu être systemes de
prouvée de façon empirique, releve de la pure spéculation personnelle. Toute choix ou u
réflexion d' ordre jusnaturaliste serait des lors, si l' on prend au sérieux le pro- dieux» 13' da
gramme de Comte, entachée de subjectivisme 13'. Or, en France, l'impact desa commento11
critique a été absorbé en grande partie par la dé:finition extensive que donne valeur de la ,
Durkheim à la notion de fait"'. Celle-ci recouvre non seulement le Sein, mais dieux se co11
également le Sollen. Ainsi, Duguit peut se targuer d'être à la fois« réaliste », c'est- fondes de eh,
à-dire positiviste, et « idéaliste », puisqu'il est possible d'apres !ui de déduire de du dieu etc/.i
l'observation des faits sociaux (Sein) l'idée du droit te! qu'il devrait être, c'est- qui est diabl,
à-dire le fameux « droit objectif » 136 • Le positiviste s'inscrivant dans cette lignée politique qt
française peut clone dire ce qui est juste tout en restant scienti:fique. scienti:fique
gique (Wer~
~) Le polythéisme axiologique de Max Weber ou la « guerre des dieux » gnitivisme é
qui soit exp
467 Ce n'est qu'en Allemagne que s'épanouit tout !e potentiel critique, d'aucuns
diront dévastateur, du noyau dur du positivisme qu'est la réduction du 2° Leproce
champ scienti:fique aux seuls faits. Si les sociologues français ont pu en édulco-
rer l'impact, les auteurs allemands, et en premier lieu Max Weber, en tirent L'idéal d
toutes les conséquences logiques en dé:finissant de façon stricte ce qu'est un fait. :fication qui
Weber reprend en effet la distinction théorisée par Hume et Kant entre Sein et ouvertes (~)
Sollen, entre« connaítre et juger » 111 • De ce que quelque chose est - et c'est jus-
tement le but d'une science empirique comme la sociologie que d'exposer des ex) Les vesti
faits -, on ne peut en déduire que quelque chose doit être' 38 • II ne peut clone y de l'obli
avoir de connaissance objective que sur les faits, c'est-à-dire sur !e Sein, et non
468 Le postular
juristes alle1

133. A. COMTE, Disco11rs sttr l'esprit positif (1844); cité en français par H. COING, op. cit., p. 60.
134. C'est !e poim de vue de K. BERGBOHM, selon leque! le droit naturel est une aberration 139. Sur ce eh
logique en raison de son « s11bjectivisme stmcttlrel,. (op. cit., p. 133 et 141). Sur sa critique du droit op. cit., p. 78 s,
naturel, cf A. VERDROSS, op. cit., p. 165 ss. 140. M. WEB
135. Cf sur ce poim les explications de A. RENAUT & L SOSOE, op. cit., p. 340 ss et S. MESURE 2° éd., 1951, p.
& A. RENAUT, op. cit., p. 75 ss. Au creur du débat se trouve l'anicle écrit en 1911 par Durkheim trad. F reund, 1
sur les « Jugemems de valeur et jugemems de réalité "· Voir les explications mpra n" 395. 141. Le them,
136. Cf s11pm n" 395 ss. p. 87 ss; G.Jel
137. M. WEBER, « Die "Objektivitat" sozialwissenschaft!icher und sozialpolitischer Erkenntnis,, 1" éd., 1914, r
{1904), in Gesammelte Aufiãtze zur Wissenschafislehre, 2" éd. faite par J. Winckelmann, Tübingen, op. cit., vol. Ili
Mohr, 1951, p. 155. {= « L'objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales ", de la vision w
in id., Essais sur la théorie de la science, tr. par J. Freund, Plon, 1965). Nous nous référerons toujours mem, il n'y a
à la pagination de l'édition allemande. tyrannie; cour
138. lbid., p. 149 : « En effet, no!IS ne pensons pas que le rôle d'une science de l'expérience p11isse jamais comradictoire.
consister en une déco11verte de nonnes et d'idéaux à caractere impératifd'or, l'on po11rrait dédrtire des recettes comme la colé
pour la pratique,. [trad. Freund]. Voir aussi p. 151 : « Une scienceempirique ne sarm,it enseigner à qui que raliste que Ra,
ce soit ce qu 'il doit faire, mais seulement ce q11 'il pertt et - le cas échéant - ce q11 'il vertt jàire,, [trad. Freund]. 142. Cf M. P:
que de l'État: !e droit naturel

vait jmqu 'alars consisté à rai-


T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

sur le Sollen, car, contrairement à ce qu'a cru Durkheim, il est logiquement


463

; des príncipes confus, qui, ne impossible de passer de l'un à l'autre.


r1urs des débats sans issue. Elle La science ne peut clone se prononcer sur les valeurs qui ne font que refléter
toute proposition qui n 'est pas les attitudes subjectives ou émotionnelles des individus. Les valeurs sont rela-
t, ou particulier ou général, ne tives, multiples et contradictoires : chaque individu, chaque culture a ses propres
1ui n'est pas déduit d'un fait, préférences, ce qui aboutit selon Weber à un antagonisme absolu entre les divers
existence n'a jamais pu être systemes de valeurs, sans qu'il soit possible d'opérer de façon rationnelle un
iculation personnelle. Toute choix ou une conciliation entre eux. C'est ce qu'il appelle la « guerre des
'on prend au sérieux le pro- dieux » iw dans son fameux discours Wissenschaft ais Beruftenu en 1919: «]'ignore
)r, en France, l'impact de sa comment on pourrait s'y prendre pour trancher "scientifiquement" la question de la
inition extensive que donne valeur de la cultureJrançaise comparée à la culture allemande; car là aussi différents
non seulement le Sein, mais dieux se combattent, et sans doute pour toujours. (. ..) Suivant les convictions pro-
'être à la fois« réaliste », c'est- /andes de chaque être, l'une de ces éthiques prendra le visage du diable, l'autre celle
ble d'apres lui de déduire de du dieu et chaque individu aura à décider, de son propre point de vue, qui est dieu et
1t tel qu'il devrait être, c'est- qui est diable. » 1<o La science ne peut décider de l'issue finale de cette lutte, tâche
;'inscrivant dans cette lignée politique qui revient à chaque individu, clone en fin de compte au « destin ». Le
:ant scientifique. scientifique se doit, au contraire, d'adopter une attitude de neutralité axiolo-
gique (Wertfreiheit). 11 s'ensuit que le juriste qui fait sienne la these du nonco-
1 la « guerre des dieux » gnitivisme éthique 141 est obligé H, de retenir une définition restrictive du droit,
qui soit expurgée de toute référence à l'idée du droit naturel.
potentiel critique, d'aucuns
me qu'est la réduction du 2° Le processus de purification de la science du droit
~s français ont pu en édulco-
r lieu Max Weber, en tirem L'idéal de la pureté de la science du droit se traduit par un processus de puri-
açon stricte ce qu'est un fait. fication qui fait appara1tre à la fois des résidus jusnaturalistes (ex) et des résistances
Hume et Kant entre Sein et ouvertes (~).
!lque chose est - et e' est jus-
sociologie que d'exposer des ex) Les vestiges jusnaturalistes : la question lancinante
doit êtrens. 11 ne peut clone y de l'obligation morale d'obéissance aux lois
'est-à-dire sur le Sein, et non
468 Le postular de neutralité axiologique revendiqué par toute une génération de
juristes allemands correspond dans la pratique non pas tant à un état acquis une

1çais par H. COING, op. cit., p. 60.


le droit naturel est une aberracion 139. Sur ce theme chez Weber, cf S. MESURE & A. RENAUT, op. cit., p. 46-59 et H. COING,
133 et 141 ). Sur sa critique du droit op. cit., p. 78 ss.
140. M. WEBER, « Wissenschaft ais Beruf » (1919), in Gesammelte Art/sãtze zttr Wissenschafislehre,
OE, op. cit., p. 340 ss et S. MESURE 2' éd., 1951, p. 588 [ = « Le métier et la vocation de savam », in M. WEBER, Le savant et !e politiq11e,
'arcicle écrit en 1911 par Durkheim trad. Freund, Paris, Plon, 1959, p. 94].
explications s11pra n· 395. 141. Le cheme du relativisme des valeurs est présem chez H. KELSEN, Théorie p11re d11 droit,
p. 87 ss; G. Jellinek; R. Thoma (cf infra n" 472); G. RADBRUCH, Gmndzrige der Rechtsphilosophie,
r und sozialpolicischer Erkenntnis » 1" éd., 1914, p. 2 et, en pareie,« Der Relacivismus in der Rechtsphilosophie », in Gesamta11sgabe,
ice par J. Winckelmann, Tübingen, op. cit., vol. III, pp. 17-22. Dans ce dernier texte écrit en 1934, Radbruch se détache de plus en plus
les sciences et la politique sociales », de la vision webérienne du relacivisme éthique, selon laquelle tous les idéaux se valem. Concrete-
965). Nous nous référerons coujours mem, il n'y a clone aucune raison sciemifique de préférer la démocratie à la dictature, la libercé à la
tyrannie; tout est affaire de choix. Or, Radbruch considere au comraire, ce qui parait pour le moins
ne science de l'expérience p11isse j,1111ais comradictoire, que le relativisme en soi suppose et réclame certains príncipes échiques substancieis
ifd'or, l'on po11miit déd11ire des recettes comme la colérance, la liberté, l'égalité, etc. Sous ce "relacivisme" transparatt déjà la chéorie jusnatu-
mpiriq11e ne s,wmit enseigner à q11i que raliste que Radbruch va prôner ouvercement apres 1945.
11- ce q11 'il verti faire » [crad. Freund]. 142. Cf M. PAWLIK, op. cit., p. 19 ss (Quant au modele anglais, cf supra note 105).
464 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel

fois pour toutes, mais plutôt à un lent processus. Que des auteurs positivistes
T La querelle n,

v1sme se mu:
comme Bergbohm 14 ', Kelsen 144 ou Ross 145 soient amenés de façon récurrente à soit le contei
dénoncer, dans l'ceuvre de leurs prédécesseurs ou collegues positivistes, des rési- 470 La difficulté
dus de la pensée jusnaturaliste - ce que Thoma appelle les éléments « cryptopoli- obligatoire d 1
tiques » - , témoigne du décalage qui pouvait exister entre la dogmatique et la ci s'interroge
théorie du droit. Là encare, la confrontation avec le modele anglais est éclairante : prétend dirig
tandis que celui-ci se construir sur un tri net, opéré des le début par Bentham et à savoir en q
Austin, entre les deux blocs que sont le is et le ought, les positivistes continentaux droit positif 1
sont parfois tentés d'occulter, sous une appellation juridique, une question si l'on analys
d'ordre moral, par peur de devoir la supprimer. Car, si outre-Manche, la question Bergbohm o
morale est simplement déplacée d'une discipline vers une autre, dans le modele propre, que d
allemand la question du ought est renvoyée dans le néant. Des lors, on ne s' éton- le concept e
nera guere que, face à la réalité de la« vie », qui n'a que faire des distinctions épis- contrainte co
témologiques entre ce qui est scientifique et ce quine l'est pas, le juriste-dogma- les théories d
ticien soit tenté de dépasser les strictes limites imposées par la science 14". comme crite1
469 Ainsi que l'ont montré de nombreuses études' 47 , l'école positiviste fondée par l'évoque à au
Gerber et Laband a remplie une fonction idéologique de « légitimation du statu concept de«
quo politique » (Carl Schmitt). Leur intérêt exclusif pour le droit positif servait à oppose au cri
couper court à toute critique libérale des conditions autoritaires dans lesquelles D'apres Il(
s'était faite l'unité du Reich allemand en 1870. Loin de s'en tenir à une stricte identifie les d
neutralité axiologique, ils prenaient la défense de l' ceuvre de Bismarck. cet effet 153 • O

-~.
!:11
- ,i:sl!)
L'exemple le plus révélateur à cet égard est la question de l'obligation d'obéis-
sance à la !oi positive. S'il est un résidu de la théorie du droit naturel dans
l'ceuvre de ceux qui se disent positivistes, c'est bien l'existence postulée, souvent
de façon inconsciente, d'une obligation mora/e d'obéissance à la !oi'". Le positi-
aux destinara
conformer au
tution? '" Be1
validité juridi
s' arrête là, pu
~. ·:.

143. K. BERGBOHM passe au crible plus de 250 auteurs (sic A. Verdross) en craquant partout cette
« mauvaise herbe » que constitue le droit naturel. Pourtant, lui-même n'échappera pas à la dérive du
légalisme. 149. Cf infra n
144. Cf mpra n" 100 s. 150. Sic A. ROS:
145. Cf A. ROSS, On Law and Justice, London, 1958, p. 250 s ( = extrair cité par Ch. GRZE- p. 74; A. BAR.A'!
GORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER, op. cit., p. 200 ss: « Le droit nat11rel dég11isé »). on retrouve cette
146. On le verra avec l'étude de la méthodologie de Thoma. Caril ne faut pas croire que, parce sion de la volonté
qu'une question n'est plus sciencifique, elle cesserait d'être réelle. Cf les propos tres clairs sur ce 151. Cf K. BER
point de M. WEBER(« Wissenschaft ais Beruf », op. cit., p. 588 [trad. J. Freund, p. 94]): « Voilà la tenden Kraftj ») e
limite de la dismssion qu'un professe11r ne peut dépasser au cours d'rme leçon [ = guerre des dieux], ce qui Sollens] »). Cf p.
évidemment ne verti pas dire qu'on aurait ainsi résol11 l'immense probleme de la vie q11i se cache derriere obligé de respecte,:
(Damit ist aber die S.iche fiir jede Erõrtenmg in einem Hõrs.ial rmd d11rch einen Professor schlechterdings 152. Ibid., p. 397
ztt Ende, so wenig nattirlich d.is d,zrin steckende gewaltige Lebensproblem selbst damit zu Ende ist). » 153. Ibid., p. 398
147. Cf les analyses et les renvois chez D. GRIMM, op. cit., p. 363 ss; P. von OERTZEN, op. cit., tu comme du dro,
p. 260 et 321 ss; P. von OERTZEN, « Die Bedeutung C.F. von Gerbers für die deutsche Staats- Si la prétend11e '"'
rechtlehre », in Staatsverfassrmg rmd Kirchenordmmg. Festgabe fiir R. Smend, Tübingen, Mohr, 1962, point de v11e fom,,
p. 186; H.D. RATH, op. cit., p. 55 note 12. pas de son c.iracte,
148. L'analyse de N. BOBBIO, op. cit., chap. 1, est éclairante à la fois sur l'importance d'une telle 154. li va sans di,
obligation au sein des divers courants positivistes - puisqu'il en fait l'un des trois criteres historiques puisse s'inclure
de définition du positivisme - et sur son statut épistémologique paradoxal, puisqu'un te! devoir constitution X d,
moral est en contradiction flagrante avec le príncipe méthodologique de neutralicé axiologique. li d'obéir aux !ois e;
faudrait dane en conclure que soit de nombreux positivistes ne som pas en réalité des positivistes, la question, car p,
mais des légalistes ou jusnaturalistes (au sens tres large), soit que le positivisme n'est pas cohérent en 155. K. BERGBl
lui-même. Cf aussi le second critere de la définition du positivisme chez H. COING, op. cit., p. 77. 156. K. BERGBl
7.ue de l'État: le droit naturel

Que des auteurs positivistes


T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

visme se mue en un légalisme 1'" - la loi est la loi, et il faut lui obéir, quel qu'en
soit le contenu - et ce, particulierement en Allemagne 15º.
465

nenés de façon récurrente à


>llegues positivistes, des rési- 470 La difficulté de se défaire des vieux réflexes jusnaturalistes quant au caractere
elle les éléments « cryptopoli- obligatoire de la loi transpara1t dans le célebre ouvrage de Karl Bergbohm. Celui-
er entre la dogmatique et la ci s'interroge sur la« puissance impérative particuliere » du droit qui, en tant qu'il
nodele anglais est éclairante : prétend diriger les actions humaines, constitue une norme, un « Sollen » 151 • Reste
des le début par Bemham et à savoir en quoi consiste exactement une telle obligation juridique d'obéir au
les positivistes continentaux droit positif par opposition à une obligation dite morale ou in foro interno. Or,
on juridique, une question si l'on analyse de plus pres la notion d'obligation juridique telle que définie par
si outre-Manche, la question Bergbohm ou d'autres positivistes, on s'apercoit qu'elle n'a pas de contenu
'fS une autre, dans le modele propre, que derriere ce mot se cache en réalité un vide dans lequel vient se nicher
1éant. Des lors, on ne s'éton- le concept de l'obligation morale. On peut d'emblée écarter l'idée de la
tue faire des distinctions épis- contrainte comme fondement éventuel. On sait que traditionnellement, depuis
ne l'est pas, le juriste-dogma- les théories de Bentham et d' Austin, les juristes anglais se servem de la sanction
>sées par la science 1"'. comme critere de défi.nition de l'obligation légale. Bergbohm, quant à lui, ne
'école positiviste fondée par l'évoque à aucun moment. Chez lui, le critere de la juridicité se situe dans le
1ue de « légitimation du statzt concept de « la validité formelle des fois posées selon la procédure réguliere » qu'il
pour le droit positif servait à oppose au critere jusnaturaliste de la « justice matérielle » des lois 152 •
is autoritaires dans lesquelles D'apres notre auteur, le droit positif est valide et clone obligatoire - car il
in de s'en tenir à une stricte identifi.e les deux -, s'il est élaboré selon les regles constitutionnelles prévues à
: de l'reuvre de Bismarck. cet effet 153 • Or, même à supposer que l'un des articles de la constitution enjoigne
,tion de l'obligation d'obéis- aux destinataires des normes que sont les individus et les agents de l'État de se
iéorie du droit naturel dans conformer aux lois, il reste à savoir pourquoi ceux-ci devraient obéir à la consti-
l'existence postulée, souvent tution? 15' Bergbohm reste assez évasif sur la question, pourtant cruciale, de la
béissance à la loi 1'". Le positi- validité juridique de la constitution ,s;_ Celle-ci est un simple fait 1;.. La cha1ne
s'arrête là, puisqu'il faut bien l'arrêter à un moment donné. Il déduit ainsi un

.. Verdross) en traquant partout cette


nême n'échappera pas à la dérive du
149. Cf infra n'' 494 ss, pour la définition du légalisme.
150. Sic A. ROSS, « Validity and the Conflict between Legal Positivism and Natural Law », op. cit.,
O s ( = extrait cité par Ch. GRZE- p. 74; A. BARATTA, « Rechtspositivismus ... ", op. cit., p. 331; N. ~OBBIO, op. cit., p. 29. Cela dit,
: « Le droit nat11rel dég11isé »).
on retrouve cette même tendance dans d'autres pays. Cf R. CARRE DE MALBERG, La /oi, expres-
Car il ne faut pas croire que, parce sion de la volonté générale, op. cit., p. 141 ss (v. supra n" 408 s).
dle. Cf les propos tres clairs sur ce 151. Cf K. BERGBOHM, op. cit., p. 360 note 3 (« force impérative spéciale [eigenartig verpj/ich-
8 [trad. J. F reund, p. 94 ]) : « Voilà la tenden Kraftj »} et p. 365 {« po11voir impératif spécial du devoir-être {eigenartig befehlende Gewalt des
une leçon [ = guerre des dieux], ce qui Sollens] »). Cf p. 438 : « Les dispositions du droit {. ..} sont des ordres que chamn • que cela regarde » est
,robleme de la vie q11i se cache derriere obligé de respecter. »
d d11rch einen Professor schlechterdings 152. Ibid., p. 397-8.
isproblem selbst damit 211 Ende ist). ,, 153. Ibid., p. 398: « Chaq11e disposition d11 droit positifno11s adresse la question s11ivante: Me reconnais-
. 363 ss; P. von OERTZEN, op. cit., t/1 comme d11 droit valide? II faut donner la réponse sans poser des conditions (ohne Aber rmd Indessen} .
'On Gerbers für die deutsche Staats- Si la prétend11e nonne j11ridique révele 11ne tare constiwtionnelle, elle n 'en est absolument pas; si d'rm
i,r R. Smend, Tübingen, Mohr, 1962, poirzt de vue fonnel on ne petlt rien l11i reprocher, il faut absol11ment répondre par l'ajjinnative. Ce n 'est
pas de son caractere juste q11e dépend la réponse (Von seiner G11te ist die Antwort nicht abhãngig). ,,
à la fois sur l'importance d'une telle 154. II va sans dire qu'il serait absurde, d'un poim de vue logique, de supposer que la constitution
, fait l'un des uois criteres historiques puisse s'inclure elle-même dans l'injonction d'obéir aux lois. Prenons ['exemple d'une
ique paradoxal, puisqu'un tel devoir constitution X dom l'article 1"' dispose que « tous les citoyens et les agems étatiques som tenus
,logique de neutralité axiologique. II d'obéir aux !ois et, en premier lieu, à la présente constitution ». Or, par !à, on ne fait que repousser
e som pas en réalité des positivistes, la question, car pourquoi faudrait-il obéir à l'article 1°'?
ele positivisme n'est pas cohérent en 155. K. BERGBOHM, op. cit., p. 399 note 16. Cf A. VERDROSS, op. cit., p. 167.
isme chez H. COING, op. cit., p. 77. 156. K. BERGBOHM, op. cit., p. 400.

1
466 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natttrel La querelle mé1

Sollen d'un Sein : « Le droit positif(...) trouve sa justification et sa légitimation déjà Radbruch "'', I
dans son existence. » 157 Ce faisant, Bergbohm « réduit la validité du droit à son autre, l'idée de
actualité factuelle » 15', caril suffit à la constitution d'exister, d'être efficace pour en d' autres ter:
qu'elle soit aussitôt valide et clone obligatoire. Toute la construction repose ainsi, tuel président
en dernier lieu, sur le postulat jellinekien de « la force normative du factuel » '". tion », e' est-à-1
À travers ce saut du Sein vers le Sollen, qui est en soi une véritable aberration naturel du plm
logique, Bergbohm introduit subrepticement, au sommet de la hiérarchie des juspositiviste e
normes, une norme métajuridique 11•0 selon laquelle il faut obéir à ce qui est, à ce
qui est dit dans les textes posés, quel qu'en soit le contenu juste ou injuste. Seule ~) Les résistar
cette obligation morale peut logiquement fonder la validité de la constitution et,
par ricochet, renflouer cette coquille vide qu'est la soi-disant obligation juri- 472 L'idéal de la p
dique d'obéir à la loi. La finalité politique de cette norme métajuridique est contrer des ré~
nette : elle vise exclusivement le maintien de l'ordre, autrement dit la sécurité Thoma (1874-
juridique "''. II faut obéir à la loi tant qu'elle n'a pas été modifiée selon les regles blique de Wein
formelles l(,,_ Bergbohm a ainsi, inconsciemment, intériorisé les principes d'une dont il déplon
philosophie kantienne rivée au principe de l'ordre. des analyses "'.
471 La présence de cet élément idéologique dans l'ceuvre de Bergbohm n'est pas une ralistes qui co
donnée exceptionnelle, ni accidentelle. La légitimation du pouvoir en place est adepte du ther
un theme récurrent chez tous les auteurs positivistes de l'époque, que ce soit positivisme, n
Gerber 1•3, Laband, Bergbohm, Jellinek (pere iM et fils lf,,), Mayer 166, Anschütz l/,,, Thoma se situ
de vue tranché
dologique que

157. lbid., p. 409. 168. Cf H. DREI


158. J.F. KERVEGAN, op. cit., p. 52. in Theorie 1md Pr.
159. G. JELLINEK, Allgemeine Staafslehre, p. 337 ss (« normative Krafi des Faktischen »). On mems infra.
retrouve la même idée chez R. CARRE DE MALBERG, Contribution, t. I, p. 66 s. 169. Cf H. NAW
160. Le caractere idéologique transpara,t notamment dans ses propos sur le caractere « sacré ,, du que la constitutio,
droit (K. BERGBOHM, op. cit., p. 145). au droit positif.
161. Jbid., p. 473. Selon Bergbohm, à la source du droit se trouve non pas ce que certains appellent 170. L'élément lé
l'idée du droit, mais le besoin instinctif de l'homme à faire régner l'ordre (« Rechtstrieb »). Cf infra n" 512 ss.
162. lbid., p. 145 et 398. viste de ]' époque ,
163. Sur l'inspiration hégélienne de Gerber, cf L. DUGUIT, « La doctrine allemande de l'auto-limi- saisir un Sollen.
tation », RDP, 1919, p. 162 ss. 171. R. WALTEB
164. Cf ses propos explicites sur le devoir d'obeissance du citoyen in G. JELLINEK, System der sub- 172. D'aucuns on
jektiven õlfentlichen Rechte, op. cit., p. 187 ss. 82 (II qualifie Kel,
165. Walter Jellinek estime ainsi qu'il existe une norme « suprême »ou« ultime» qui oblige à obéir point de vue du p
au droit posé par le pouvoir suprême. Cf S. PAULSON, « Hans Kelsen et les fictions juridiques », la Constittttion, O)
Droits, 1995, p. 76. explications infrn
166. Cf O. MAYER, « Die juristische Person und ihre Verwertbarkeit im õffemlichen Recht », in 173. Pour la mise
Staatsrechtliche Abhandlzmgen. Festgabe für Paul Laband, Tübingen, Mohr, 1908, t. I, p. 47. S'inspi- sen, cf H.D. RAl
rant implicitement de la philosophie hégélienne, Mayer estime que la possession du pouvoir Humblot, 1981, r
suprême implique déjà la présence d'une puissance morale qui inciterait le détenteur du pouvoir vol. 6, 1984, PP·
suprême à l'utiliser dans le but prédestiné. Le rationnel est réel, le réel est rationnel... cf W. HEUN, « I
167. Cf les explications et renvois chez \Y/. OTT, op. cit., p. 41 note 15. Dans le texte cité, Anschütz Widerstreit », De,
impose au juge un devoir d'obéissance moral à la !oi puisque le juge n'a pas le <lroit de désobéir pour 174. Cf H.D. R1'
<les motifs éthiques à une !oi inique. De mêmr, lorsque Thoma affirme que !e positivisme consiste 175. R. THOMJ'
à « défendre » le monopole normatif de l'Etat et, partam, celui du législateur démocratique (dir.), Handbuch ,,
(« G. Anschütz zum 80. Geburtstag », Deutsche Rechts-Zeitschrift, 1947, p. 26), on peut avoir quelques constate, interpret,
domes sur la neutralité axiologique d'un te! positivisme. II existe en effet une nette différence entre (Alie ]urispmdenz
décrire ce qui est et « défendre » ce qui est. tivisn1us). >>
ique de l'État: le droit naturel La querelle méthodologiqtte entre positivistes et jusnaturalistes 467

fication et sa légitimation déjà Radbruch 108 , Nawiasky "'", etc. Ils reprennent tous, d'une mamere ou d'une
luit la validité du droit à son autre, l'idée de la« normative Kraft des Faktischen » "º. Tous sont des légalistes ou,
d'exister, d'être efficace pour en d'autres termes, des jusnaturalistes inavoués. De l'avis de Robert Walter, l'ac-
~ la construction repose ainsi, tuel président de l'Institut Kelsen à Vienne, le « positivisme de la vieille généra-
~rce normative dtt factttel » ''". tion », c'est-à-dire d'avant Kelsen, véhiculait en réalité une « doctrine du droit
soi une véritable aberration natttrel du plus fort » '". En clair, Kelsen doit être considéré comme le premier
sommet de la hiérarchie des juspositiviste en Allemagne ! 172
il faut obéir à ce qui est, à ce
:mtenu juste ou injuste. Seule P) Les résistances au monisme ou le dualisme méthodologique de Thoma
validité de la constitution et,
la soi-disant obligation juri- 472 L'idéal de la pureté défendu de maniere radicale par Kelsen neva pas sans ren-
tte norme métajuridique est contrer des résistances au sein même du mouvement positiviste. Ainsi, Richard
ire, autrement dit la sécurité Thoma (1874-1957), l'une des figures de proue du positivisme sous la Répu-
s été modifiée selon les regles blique de Weimar, prend ses distances à l'égard du monisme de l'école de Vienne
ntériorisé les principes d'une dont il déplore à la fois « l'étroitesse » des vues et le caractere « ennuyettx » (sic)
des analyses 173 • Cela dit, il ne s'agit pas, à ses yeux, d'embrasser les vues jusnatu-
rede Bergbohm n'est pas une ralistes qui connaissent une renaissance dans les années 1920-30. Il reste un
1tion du pouvoir en place est adepte du theme webérien de la guerre des dieux 174 et continue à se réclamer du
positivisme, même s'il s'éloigne de la lignée de Gerber, Laband et Kelsen 175 •
istes de l'époque, que ce soit
Thoma se situe dans une position médiane, quelque part entre ces deux points
fils ",;) Maver ""' Anschütz "''
' J ' ' de vue tranchés. Son objectif est de mettre à profit en droit une ouverture métho-
dologique que son ami et collegue à Heidelberg, Max Weber, avait esquissée dans

168. Cf H. DREIER, « Die Radbruchsche Formei - Erkenntnis oder Bekenntnis? », in Staatsrecht


in Theorie 1<nd Praxis. Festschrift frir Robert Wtilter, Wien, Manz, 1991, p. 117-135 et les développe-
,·111ative Kr<1fi des Faktischen »). On ments infra.
'rib1t1io11, e. 1, p. 66 s. 169. Cf H. NAWIASKY, « Positives und überpositives Recht », ]Z, 1954, p. 717. L'auteur affirme
: propos sur le caractere « s<1cré ,, du que la constitution contient implicitiment un ordre enjoignant aux destinataires des normes d'obéir
au droit positif.
1ve non pas ce que certains appellent 170. L'élément légaliste est aussi sous-jacent à la construction de la personnalité morale de l'État.
ner l'ordre (« Rechtstrieb »). Cf infra n" 512 ss. On peut même dire qu'il est présent dans tous les concepts de la doctrine positi-
viste de l'époque des l'instant ou ces concepts se veulent juridiques, c'est-à-dire prétendent vouloir
La doctrine allemande de l'auto-limi- saisir un Sollen.
171. R. WALTER,« Emwicklung und Stand der Reinen Rechtslehre ", op. cit., p. 10.
yen in G. JELLINEK, System der mb- 172. D'aucuns ont même prétendu que Kelsen faisait le jeu du légalisme. Cf A. ROSS, op. cit., p. 68-
82 (II qualifie Kelsen de « quasi-positiviste »); R. GUASTINI, « Sur la validité de la constitution du
ime ,, ou « 1<ltime » qui oblige à obéir point de vue du positivisme juridique », in M. TROPER & L. JAUME (dir.), 1789 et l'invention de
ms Kelsen et les fictions juridiques »,
la Constittttion, op. cit., p. 222 ss. Tout dépend de la lecture de sa théorie de la Grzmdnonn. Cf les
explications infra n" 506 ss.
rtbarkeit im offemlichen Recht », in 173. Pour la mise en perspective de la méthodologie de Thoma par rapport à Weber, Laband et Kel-
1gen, Mohr, 1908, e. 1, p. 47. S'inspi- sen, cf H.D. RATH, Positivism1<s 11nd Demokratie - Richard Thoma 1874-1957, Berlin, Duncker &
time que la possession du pouvoir Humblot, 1981, pp. 52-71 ainsi que le compte-rendu de l'ouvrage par E. FRIESENHAHN, ZNR,
ui inciterait le détenteur du pouvoir vol. 6, 1984, pp. 74-79. Sur les différems courams positivistes sous la République de Weimar
1, le réel est rationnel... cf W. HEUN, « Der staatsrechtliche Positivismus in der Weimarer Republik. Eine Konzeption im
note 15. Dans le rexte cité, Anschütz Widerstreit », Der Staat, vol. 28, 1989, pp. 377-403.
juge n'a pas le <lroit de désobéir pour 174. Cf H.D. RATH, op. cit., p. 66.
1a affirme que le positivisme consiste 175. R. THOMA, « Gegenstand - Methode - Literatur », in G. ANSCHÜTZ & R. THOMA
, celui du législateur démocratique (dir.), Handb11ch des deutschen Staatsrechts, t. I, Mohr, Tübingen, 1930, p. 5: « Dans la mesure 011 elle
'i, 1947, p. 26), on peut avoir quelques constate, interprete et systématise !e droit en vig11e11r, la doctrine juridique est nécessairement positiviste
ste en effet une nette différence entre (Alie ]urisprudenz ist, insoweit, ais sie geltendes Recht feststellt, auslegt zmd systematisiert, notwendig Posi-
tivisn1us). >~

l
468 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit natttrel La querelle ni

son fameux article de 1904 sur L 'objectivité de la connaissance dans les sciences et fois que l'ob
la poli.tique soei.ales. Dans ce texte, tout en défendant d'un point de vue épisté- plus large et
mologique l'irréductible subjectivité des valeurs, Weber n'en affirme pas moins de solution à
qu'il est difficile, qu'il est même regrettable d'éradiquer tous les jugements de s'agit de dé1
valeur des travaux scientifiques 176 • Selon lui, de tels propos sont « non seulement Laband et K
sans danger, mais carrément utiles, voire nécessaires (geboten) » 177, à condition tou- D'apres lui,
tefois que leur auteur s'astreigne au strict respect d'une double regle de transpa- Thoma met-
rence 178 • À !ui de prévenir son lecteur chague fois qu'il raisonne non pas en mene »"'· du
scientifique, mais en citoyen ou homme politique, et d'indiquer clairement les pomt, comn
valeurs auxquelles il se réfere, puisqu'il en existe une multitude. Aux yeux de point les ens
Weber, il s'agit "seulement" de juxtaposer deux ordres d'idées distincts qu'il ne le point de v1,
faut en aucun cas « mélanger » ou « confondre » ''". On peut néanmoins s'inter- de la méthoc
roger sur la pertinence d'une telle démarche dualiste : en quoi peut bien résider saurait existe
l'intérêt de tels développements d'ordre axiologique, qui, apres tout, ne sont que objet État n,
des digressions d'un strict point de vue scientifique et qui, en outre, risquem qm ne peut,
d'engendrer de redoutables confusions en dépit de toutes les précautions? Or, il constituer q 1
s'avere - c'est ce qui ressort de l'application qu'en fait Thoma en droit - qu'en Selon Thc
l'absence d'une utilité strictement scientifique, le dualisme méthodologique ne tence de son
peut avoir qu'un enjeu pratique"º. Celui-ci est même d'une telle importance que tématiquem1
des épistémologues aussi scrupuleux que Weber et Thoma se sentem obligés de l'inadéquatil
quitter le droit chemin de la scientificité pour s'avancer sur le terrain incertain nécessaire, n
des valeurs. « dogmatiqu,
'v.a outre une a
'9, 473 De là nalt toute la différence entre, d'un côté, le modele de pureté défendu par
'. ii. Kelsen qui, au nom de la nécessaire subjectivité des valeurs, s'astreint à un strict quoique sub
fondamental
..:,:l ~· monisme dans ses ouvrages à prétention scientifique, et, de l'autre, le dualisme
méthodologique de Thoma qui, tout en partageant le même relativisme axiolo- malisme aric
. ..
.·~
~ gique, estime cependant qu'il est nécessaire d'élargir son champ d'horizon. En plus profond,
:1 reprenant le flambeau de Georg Jellinek, qui servit d'ailleurs de modele d'inspi- pureté métl·
·1
,, ration à Weber avec sa célebre théorie générale de l'État « à deux faces»'", Thoma
'.i
relance le débat sur les qualités et les défauts d'une méthode exclusivement
;;' moniste en droit. À travers ses critiques de Kelsen et Laband, il met en effet le
' doigt sur plusieurs failles du positivisme en général, failles qu'il se sent obligé de 183. Ibid., p. 5
ais rmentbehrlic,
colmater en recourant à des éléments « extrajuridiques » 18'. 11 s'agit pour lui, une Die Aufgabe is,
Strome der Ges,
184. Ibid., p. 4.
176. M. WEBER,« Die "Objektivitat" sozialwissenschaftlicher und sozialpolitischer Erkenmnis », 185. Ibid., p. 1.
op. cit., p. 156. II estime égalemem qu'une telle juxtaposition de propos sciemifiques et de jugements 186. Ibid., p. 2
de valeur serait « inél11ctable » (p. 157). 187. H. KELSI
177. Ibid., p. 156. ]ahrbuch, vai. -l
178. Ibid., p. 156-157. 188. H. KELSI
179. Ibid., p. 157. 2' éd., p. 74; TI
180. Cf supra note 146. note 4; P. BAD
181. G. JELLINEK, Allgemeine Staatslehre, réimpr. de la 3' éd. de 1928, Bad Hamburg, Gehlen, 189. R. THOI
1966. Sur sa méthode cf. M. STOLLEIS, Geschichte des õ/fentlichen Rechts, op. cit., t. II, p. 450 ss; beschrãnkung "·
P. BADURA, Die Methoden des neueren Allgemeinen Staatslehre, Erlangen, Palm & Enke, 1959, 190. R. TH01'
p. 107 ss et 205 ss. On comprend des lors pourquoi l'école de Vienne se réfere, parmi ses prédéces- 191. R. TH01'
seurs, surtout à Gerber et Laband et « en partie » seulement à Jellinek. Cf R. WALTER, « Kelsens Kritik rmd phil,
Rechtslehre im Spiegel... », op. cit., p. 333. 192. Ibid., p. 4
182. R. THOMA, « Gegenstand ... », op. cit., p. 2. 193. Ibid., p. 6
ique de l'État: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 469

mnaissance dans les sciences et fois que l'objet est « fixé de façon positiviste », de « l'insérer » dans un contexte
mt d'un point de vue épisté- plus large et de comprendre chague institution juridique « comme une tentative
Veber n' en affirme pas moins de solution à un probleme politique, qui s'inscrit dans le cours de l'histoire » 18J_ 11
::liquer tous les jugements de s'agit de dépasser « l'étroitesse » '" de la méthode exclusivement logique de
propos sont « non seulement Laband et Kelsen, sans pour autant verser dans un syncrétisme polymorphe.
'geboten) » 177 , à condition tou- D'apres lui, « l'objet d'une science est déterminé par son objectifcognitif » 185 • Aussi
'une double regle de transpa- Thoma met-il au centre ~e ses préoccupations l'objet que constitue le « phéno-
is qu'il raisonne non pas en mene » "" du droit et de l'Etat, avec ses diverses facettes et interrogations, et non
, et d'indiquer clairement les point, comme Kelsen, la méthode. Selon le maitre de Vienne, qui suit sur ce
une multitude. Aux yeux de point les enseignements de la philosophie néokantienne, il y a une « unité entre
dres d'idées distincts qu'il ne le point de vue cognitif, la méthode et l'objet de la connaissance » 187 • C'est l'identité
On peut néanmoins s'inter- de la méthode qui « constitue » l'identité de l'objet de la connaissance; celui-ci ne
:te : en quoi peut bien résider saurait,exister avant ou en dehors d'elle 18 ' . Des lors, aux yeux de Kelsen, le même
e, qui, apres tout, ne sont que objet Etat ne peut logiquement faire l'objet à la fois d'une analyse normative,
ue et qui, en outre, risquem qui ne peut constituer qu'un Sollen, et d'une analyse sociologique, qui ne peut
toutes les précautions? Or, il constituer qu'un Sein.
fait Thoma en droit - qu'en Selon Thoma, la science du droit public se doit au contraire de partir de l' exis-
dualisme méthodologique ne tence de son objet - le phénomene du droit et de l'État -, en en saisissant sys-
1e d'une telle importance que tématiquement les divers aspects. Des lors, il doit admettre les déficiences ou
Thoma se sentent obligés de l'inadéquation d'une « attitude exclusivement positiviste » '": celle-ci est certes
rancer sur le terrain incertain nécessaire, mais pas suffisante. II importe des lors de joindre à cette méthode
« dogmatique et statique » une vision « politique et dynamique » º qui comporte,
19

nodele de pureté défendu par outre une analyse historique et socio-économique, une évaluation critique,
quoique subjective, d'un point de vue politique et philosophique 1'11 • L'erreur
s valeurs, s'astreint à un strict
fondamentale de Kelsen, si l'on en croit Thoma, est de s'enfermer dans un for-
[Ue, et, de l'autre, le dualisme
.t le même relativisme axiolo-
malisme aride, étriqué et « frileux » '", et de rester insensible aux « problemes les
gir son champ d'horizon. En plus profonds de la vie »''"par peur d'entacher, par quelque élément politique, sa
t d'ailleurs de modele d'inspi-
pureté méthodologique. Or ce n'est pas ainsi que l'on obtient une « image
É tat « à deux faces » "', Thoma
'une méthode exclusivement
1 et Laband, il met en effet le
183. Ibid., p. 5: « Es handelt sich nicht dar111n den Positivismus zu ",iberwinden", sondem dar111n ihn
1, failles qu'il se sent obligé de ais 1mentbehrliches Element einzubetten in die wissenschaftliche Erfass1mg der staatsrechtlichen lnstitute.
7ues » 18'. 11 s'agit pour lui, une Die Aufgabe ist, ein jedes lnstitttt sowohl positivistisch zu fixieren, ais auch 211 begreifen ais einen im
Strome der Geschichte stehenden Vers11ch der Lõsung eines politischen Problems. »
184. Ibid., p. 4.
:r und sozialpolitischer Erkenntnis », 185. Ibid., p. 1.
e propos scientifiques et de jugements 186. Ibid., p. 2.
187. H. KELSEN, « Die Rechtswissenschaft ais Norm- oder ais Kulturwissenschaft », Schmollers
Jahrbuch, vol. 40, 1916, p. 1181 ss; cité par H.D. RATH, op. cit., p. 56.
188. H. KELSEN, Allgemeine Staatslehre (1925), op. cit., p. 7. Cf H. KELSEN, Reine Rechtslehre,
2' éd., p. 74; TPD, p. 98; S. PAULSON, « Hans Kelsen et les fictions juridiques », Droits, 1995, p. 71
note 4; P. BADURA, op. cit., p. 20 ss.
éd. de 1928, Bad Hamburg, Gehlen, 189. R. THOMA, « Gegenstand ... », op. cit., p. 5 et p. 6, dénonce la « n11r-positivistische Selbst-
lichen Rechts, op. cit., t. II, p. 450 ss; beschrãnkung ».
~hre, Erlangen, Palm & Enke, 1959, 190. R. THOMA, « Gerhard Anschütz zum 80. Geburtstag », DRZ, 1947, vol. 2, p. 26.
Viennc se réfere, parmi ses prédéces- 191. R. THOMA, « Gegenstand ... », p. 4 (« ••• historische Ableitung, soziologische Erklarnng, politische
Jellinek. Cf R. WALTER, « Kelsens Kritik ,md philosophische Wtirdig1mg »).
192. Ibid., p. 4.
193. Ibid., p. 6.
470 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle mét

vivante du droit constitutionnel positif » m. Si Thoma reproche à Kelsen le fait de comme l'ont 1
se taire sur les vrais problemes, autremem dit d'être « ennuyeux » 1'15 , il accuse au poim, Thoma
comraire Laband de faire ce qu'il appelle de la« cryptopolitique », c'est-à-dire de Weber'º'.
faire face à ces enjeux pratiques sans le dire, en prétendam faire reuvre sciemi- 475 C'est donc la<
fique. À ses yeux, Laband se trompe en croyant que le dogmaticien n'a besoin Thoma à élarg
que de la logique pour accomplir sa tâche. « Le dogmaticien du droit, qu'il s'agisse minés, soit disi
d'zm théoricien ou d'un juge obligé de décider, se heurte à tout moment à des pro- et « s'insinuen
blemes, pour la solution desquels s'offrent à lui diverses constructions contradictoires, d' en prendre a
bien que logiquement cohérentes en elles-mêmes. li doit à cet instant prendre sa déci- cher claireme1
sion à l'aide d'un jugement de valeur qui est au fond irrationnel et ne saurait décou- qu'émergera u
ler d'aucune analyse logique. » 1')(, contraintes ép
474 L'interprétation des lois 197 est un exemple topique de ce genre de problemes répond pas m1
concrets que l'on ne saurait résoudre avec une méthode exclusivement positi- désiméresser "·
viste. Sa fameuse étude sur !e comrôle juridictionnel de la constitutionnalité des rapose une an;
!ois de 1922 198 avait permis à Thoma de réfuter !e dogme traditionnel de la com- souffrant d'ur
plétude du droit positif, défendu notamment par Bergbohm, Laband et valeurs 'º7, ne
Anschütz 199 • On se souviem que la Constitution de Weimar de 1919 ne soufflait constante che,
mot de la question du contrôle de constitutionnalité des !ois qui fut vivement prétendre à la
débattue dans les milieux politique, juridique et judiciaire. Or ce silence, dom leque! ne se !ai
on ne saurait dire par voie de déduction logique s'il a valeur de prohibition ou du dilemme ci
d'autorisation, constitue une véritable lacune aux yeux de Thoma. Le juge se Vienne prend
trouve du coup obligé de se substituer à l'autorité politique, en l'espece !e consti- qu'il a de plus
w Apres cet e:

~.
'a; tuam, et de faire un choix qui est nécessairement politique. II ne peut en effet,
sous peine de commettre un déni de justice, refuser de statuer sur une plainte en modalités et lt
-~
arguam du caractere impur de la décision qui s'imposerait à !ui. Quam à la doe- turalisme) vw
trine juridique, si elle entend faire face au rôle que !ui reconna1t Thoma, à savoir nant a' en t1re1
.

... :i être !e « guide de la jurisprudence » '°º, elle ne peut pas davantage se voiler la face en un concept
devam l'irruption de l'irrationnel, ni se réfugier dans une quelconque tour
d'ivoire 201 • Elle doit se prononcer, se mêler de ces questions politiques, tout en
étant néanmoins consciente de ce qu'elle fait. II ne faut surtout pas occulter la
nature politique du débat sous les fausses apparences d'un raisonnement logique,
202. R. THOM:
concepts de Laba
(voire consciemmc
194. !bid., p. 2. abotllir à la conc/1,
195. lbid., p. 6. mais qui en vérité
196. !bid., p. 4. 203. lbid., p. 4 et
197. Sur la participation du juriste à la réforme du droit, cf s11pra n" 72, note 33. 204. Thoma fait
198. R. THOMA, « Das richterliche Prüfungsrecht », AõR, 1922, pp. 267-286, spéc. p. 270 ss. savoir et d'un sou
Cf s11pra n" 127. point cf H.D. Ri
199. Pour une présentation de cette théorie ainsi que de ses protagonistes, cf G. JELLINEK, Allge- tion juridique se i
meine Staatslehre, p. 356. 205. R. THOM/
200. R. THOMA, « Rechtsstaatsidee und Verwaltungsrechtswissenschaft »,JõR, 1910, p. 215. 206. lbid., p. 6 : ·
201. C'est justemem ce à quoi aboutit l'attitude de Kelsen qui, d'un côté, reconnait le pouvoir créa- au désir légitime ,
teur du juge, mais de l'autre imerdit à la science juridique - qui se doit d'être pure - de se mêler cation politiq11e e,
de ces questions extrajuridiques. Du coup, il condamne les professeurs de droit à la réclusion dans des Problemstel/11.
une tour d'ivoire, ceux-ci n'étant « redevables que d'une se11le vale11r, ceife de la vérité » (R. WALTER, wissenschaft eine 1
« Kelsens Rechtslehre ... », op. cit., p. 335). Les conséquences pratiques découlant d'une telle défini- Staatswesens 211 b,
tion de la science importen~ pen (cf R. WALTER, « Die Trennung von Recbt und Moral im System 207. D'ou la diff
der Reinen Rechtslehre », OZfõR, 1967, p. 124). va de pair avec le
1ue de l'Éí:at: le droit naturel

1 reproche à Kelsen le fait de


T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

com me l' ont fait trop souvent les adeptes de la Begriffsjurisprudenz 202 • Sur ce
point, Thoma suit fi.delement la double consigne de transparence énoncée par
471

« ennuyeux » ,·,s, il accuse au


ptopolitique », c'est-à-dire de Weber 2°1•
:tendam faire reuvre scienti- 475 C'est clone la dimension pratique'().\ du droit et de la science du droit qui incite
1e le dogmaticien n' a besoin Thoma à élargir sa pers_pective à des éléments métajuridiques jusque-là soit éli-
1aticien du droit, qu'il s'agisse minés, soit dissimulés. A ses yeux, les jugements de valeur sont « indéracinables »
rte à tout moment à des pro- et « s'insinuent dans toute exégese, conceptualisation et construction » 205 • li s'agit
constructions contradictoires, d'en prendre acte, d'en délimiter avec précision le champ d'application et d'af:fi-
t à cet instant prendre sa déci- cher clairement les valeurs dont on s'inspire. Ce n'est qu'à cette condition
rrationnel et ne saurait décou- qu'émergera une véritable science du droit qui, tout en étant consciente de ses
contraintes épistémologiques, à savoir la distinction entre faits et valeurs, ne
e de ce genre de problemes répond pas moins aux attentes pratiques qui l'assaillent et dont elle ne peut se
:thode exclusivement positi- désintéresser'º". Ainsi s'explique le dualisme méthodologique de Thoma qui jux-
il de la constitutionnalité des tapose une analyse positiviste du droit et une évaluation critique qui, bien que
Jgme traditionnel de la com- souffrant d'un statut épistémologique précaire en raison du relativisme des
par Bergbohm, Laband et valeurs ' 07 , ne s' avere pas moins indispensable. De là na1t aussi une tension
Weimar de 1919 ne souffl.ait constante chez lui entre la méthodologie positiviste, qui est la seule à pouvoir
ité des lois qui fut vivement prétendre à la scientifi.cité, et l' objet du juriste qui est le phénomene du droit,
1diciaire. Or ce silence, dont lequel ne se laisse pas entierement saisir par cette méthode. Du coup, à la lumiere
il a valeur de prohibition ou du dilemme de Thoma, le programme de purifi.cation prônée par l'école de
yeux de Thoma. Le juge se Vienne prend un relief particulier; son radicalisme appara1t alors dans tout ce
Jlitique, en l'espece le consti- qu'il a de plus contestable.
)olitique. Il ne peut en effet, Apres cet exposé historique comparatif qui a permis de mettre en exergue les
de statuer sur une plainte en modalités et les ressorts du passage d'une théorie dualiste hiérarchisée (le jusna-
,oserait à lui. Quant à la doe- turalisme) vers une théorie moniste du droit (le juspositivisme), il reste mainte-
ui reconna1t Thoma, à savoir nant à en tirer les conclusions théoriques. Il s'agit des lors de temer de défi.nir,
,as davantage se voiler la face en un concept unitaire, chacun des deux éléments de ce binôme.
· dans une quelconque tour
questions politiques, tout en
e faut surtout pas occulter la
s d'un raisonnement logique,
202. R. THOMA, « Gegenstand ... », p. 7 : « En partirnlier, cette méthode [la jurisprudence des
concepts de Laband] comporte le risque que l'inventeur de constmctions y introduit inconsciemment
(voire consciemment!) ses préjugés politiq11es de façon à ce q11e, lors de décisions de cas d'especes, il p11isse
abo11tir à la conclusion so11haitée parvoie de déd11ction logiq11e d'tme prémisse apparemment scientifiq11e,
mais q11i en vérité est de natllre cryptopolitiq11e. »
203. Ibid., p. 4 et 6.
204. Thoma fait preuve à Ia fois d'une conscience aigue des conditions épistémologiques de tout
m.1 n" 72, note 33.
1922, pp. 267-286, spéc. p. 270 ss. savoir et d'un souci constant pour les conséquences pratiques de la science juridique. Sur ce dernier
poim cf. H.D. RATH, op. cit., p. 17 s et p. 69. Thoma lui-même disait que la valeur d'une construc-
}tagonisres, cf G. JELLINEK, Allge- tion juridique se juge à son « utilité pratiq11e (praktischen Brauchbarkeit) ».
205. R. THOMA, « Gegenstand ... », p. 6.
206. lbid., p. 6: « Ce n'est qu'en donnant 11ne étend11e a11ssi large à la problématiq11e q11e l'on satisfait
issenschaft »,joR, 1910, p. 215.
d'un côté, reconnait le pouvoir créa- a11 désir légitime de la nation qui souhaite disposer, avec sa science dlf droit public, d'1me so11rce d'édu-
1ui se doit d' être pure - de se mêler cation politiq11e et d'une force vive tendant à l'amélioration de son Etat (N11r durch solche Spannweite
ifesseurs de droit à la réclusion dans des Problemstellung wird dem berechtigten Verlangen der Nation entsprochen, in ihrer Staatsrechts-
le11r, ceife de la vérité » (R. WALTER, wissenschaft eine Quelle der politischen Bildung und eine lebendige Kraft der Vervol!kommnung ihres
ratiques découlam d'une telle défini- Staatswesens 211 besitzen). »
mg von Recbt und Moral im System 207. D'ou Ia différence avec les théories dualistes que l'on rencontre en Angleterre ou !e dualisme
va de pair avec Ie cognirivisme.
472 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natttrel La querelle me

§ 2. ESSA! DE DÉFINITION DES ARCHÉTYPES DV POSITJVISME ]URIDIQUE comme une«


ET DV ]USNATURALISME droit et de l'Ét,
sonne que ce e
tralement opp
Commençons d'abord par celui qui est le plus difficile à cerner, à savoir le jus-
lité axiologiqu
positivisme (A), avant d'aborder la théorie du droit naturel (B).
une prise de p<
tuelle, que le j
A. Le casse-tête de la définition du positivisme juridique l'autre se préo
chose qui est
476 Il peut parartre surprenant de déceler quelque difficulté dans la définition du beaucoup de
positivisme alars que celui-ci semble aller de sai. Le juriste-dogmaticien, s'il ne savoir le hiatu
sait pas toujours ce qui se cache derriere la métaphysique dite obscure et floue du
478 On retombe <
droit naturel, sait néanmoins en quoi consiste le positivisme. Quoi de plus
étymologique
"naturel" en effet pour un juriste que d'étudier le droit positif, c'est-à-dire le
développé not
droit réel, effectif et efficace, ce qui ferait de lui un authentique positiviste. La
le droit positif
pratique vaut ainsi preuve, et ce d'autant plus que le choix en faveur du positi-
définir le posi
visme se ferait de façon instinctive. D'apres Gérard Timsit, « tout le monde a été,
droit positif, ,
est, ou sera kelsénien » 208 • À croire que le positivisme - surtout dans sa version
viennoise - ne serait pas une construction théorique contraignante pour celui
qui s'en inspire, mais ne ferait que refléter ou systématiser une attitude sponta- 211. II s'agit, nor
née, voire innée ... voie au crirere de
du droit aux !ois.
477 Cette belle certitude vale pourtant en éclats si l'on se penche sur l'extrême diver- 212. II s'agit de,.
sité des définitions théoriques qui circulem au sein même de l' école ou de la indépendamment
«familie» positiviste"''. Au vu du fossé qui sépare parfois les positions des uns et p. 27-28). « L 'obé,
ou de conscience !
des autres, on peut s'interroger sur le caractere fictif ou réel d'un concept unitaire crainte de la sanei
du positivisme; celui-ci risque de se limiter à l'usage commun - et encare - du 213. Voir l'étude
mot juspositivisme 21 º. Ainsi, Norberto Bobbio a identifié, d'un point de vue D'apres !ui, l'exr
seconde moitié d
sémantico-analytique, trais acceptions du positivisme sans indiquer ce qui en Merkel (1836-18'i
ferait le dénominateur commun. Le positivisme est envisagé, à tour de rôle, wissenschafr und
pp. 402-421). Ler
dans les écrits de
H. QUARITSCJ-
208. G. TIMSIT, « Sur l'engendrement du droit », RDP, 1988, p. 44. jusqu'à 1772. II ci
209. Cf les craintes exprimées par U. SCARPELLI, Q11 'est-ce que !e positivisme j11ridiq11e ?, trad. de dentiam Positiva,,
l'ital., Bryulant-LGDJ, Paris, 1996, p. 13 ss. des positiven Rec/.,
210. La dilution progressive du concept de positivisme juridique s'illustre, par exemple, dans l'usage Pour ce qui est d,
de plus en plus fréquent que font les positivistes de la notion de« ressemblance de familie» dévelop- Deux remarques
pée par Wittgenstein. Cf G.H. WRIGHT, « Is and Ought », in E. BULYGIN, J.-L. GARDIES & 1) On voit que C
I. NIINILUOTO (dir.), Man, Law and Modem Fonns of Life, Dordrecht, 1985, p. 277; C. GRZE- express10ns comr
GORCZYK, E MICHAUT & M. TROPER, op. cit., p. 28; W. KRAWIETZ, op. cit., p. 230; tiviste. Or, on pe1
M. PAWLIK, op. cit., p. 17. L'unité du positivisme serait ainsi fondée sur une ressemblance de familie ment dit, ne faud
qui se définit de la façon suivante. Supposons 4 individus: le 1" individua un trait commun a avec dérivent visiblen
le 2·; le 3· a un rrait commun y avec le 4". Si le 2· a un trait commun ~ avec le 3", on parle d'une res- S. KUTTNER), ,
semblance de familie entre les quatre. « De11x membres q11elconq11es d11 gro11pe possedent to11jo11rs a11 risé par Com te? 1
moins 11n c,m1ctere commrm même si auam n 'est comm11n à to11s » (C. Grzegorczyk & M. Troper). Or, 2) L'hisroire du 11
il s'avere qu'un te! crirere, si toutefois il s'agir d'un critere, n'est pas discriminatoire entre les deux l'on fair remonte
groupes du posirivisme et du jusnaruralisme puisqu'il existe des rrairs communs, des passerelles entre 214. Les auteurs
eux. Une illusrrarion en esr fournie parles légalistes qui ont pour particulariré de partager avec les fication du mot j
posirivistes, au sens stricr, la mérhode scientifique et avec les jusnaruralistes l'élément idéologique sémantique fond,
que constirue le devoir moral d'obéissance à la loi_ De fil en aiguille, de maillon en maillon, on pour- « Posirivisme >>, 1.

rait ainsi détecrer une ressemblance de familie entre jusnaturalistes et jusposirivistes. 1993, p. 461.
que de l'État: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 473

U POS!TIVISME JURIDIQUE comme une « méthode » qui se veut scientifique, comme une certaine « théorie du
droit et de l'État » 211 et, enfin, comme une « idéologie » 112 • Or il n'échappe à per-
E
sonne que ce concept, éclaté en trois morceaux, est tiraillé dans deux sens diamé-
tralement opposés. La premiere acception postule en effet une attitude de neutra-
ucile à cerner, à savoir le jus- lité axiologique vis-à-vis de la réalité, alors que la troisieme implique, au contraire,
naturel (B). une prise de position en sa faveur; l'une est focalisée sur la méthode empirique, fac-
tuelle, que le juspositiviste a empruntée au positivisme philosophique, alors que
sitivisme juridique l'autre se préoccupe de la nature de son objet qui est un Sollen, c'est-à-dire quelque
chose qui est obligatoire. On touche là à un point crucial qui est à l' origine de
ficulté dans la définition du beaucoup de disputes concernam la signification du positivisme juridique, à
,e juriste-dogmaticien, s'il ne savoir le hiatus entre la méthode dite scientifique et l'objet qu'est le droit.
,ique dite obscure et floue du 478 On retombe d'ailleurs sur ce même dilemme si l'on tente de clarifier l'origine
: positivisme. Quoi de plus étymologique de l' expression positivisme juridique 113 • Dérive-t-elle du positivisme
: droit positif, c'est-à-dire le développé notamment par Comte ou, au contraire, se réfere-t-elle à l'objet qu'est
1 authentique positiviste. La le droit positif? 1 H Autrement dit, et on en revient à notre question initiale, pour
le choix en faveur du positi- définir le positivisme juridique, faut-il partir de l'objet droit, en l'occurrence le
Timsit, « tout le monde a été, droit positif, avec l'idée sous-jacente d'un Sollen, d'une norme obligatoire - ce
1e - surtout dans sa version
1ue contraignante pour celui
\matiser une attitude sponta- 211. II s'agit, notammem pour le xix· siecle, d'une définition impérativiste du droit positif qui ren-
voie au critere de la sanction étatique. A cela s'ajoute d'autres idées directrices comme la réduction
du droit aux !ois, l'élimination des sources coutumieres, une vision mécanique du rôle du juge, etc.
;e penche sur l'extrême diver- 212. II s'agit de« l'attribution au droit te/ qu'il est, par /e seu! fait de son existence, d'une valeurpositive,
in même de l'école ou de la indépendamment de tollle considération sur sa correspondance à 1m dmit idéal" (N. BOBBIO, op. cit.,
,arfois les positions des uns et p. 27-28). « L 'obéissance a11x normes juridiques est 1m devoir moral, en entendam par obligation interne
011 de conscience l'obligation due par respect de la /oi, en opposition avec l'obligation externe, 011 par
ou réel d'un concept unitaire crainte de la sanction" (ibid., p. 28).
_e commun - et encore - du 213. Voir l'étude généalogique tres riche de K. OLIVECRONA, op. cit., chap. 1, spéc. pp. 50-62.
identifié, d'un point de vue D'apres !ui, l'expression positivisme j11ridiq11e est née dans la littérature juridique allemande de la
seconde moitié du XIX' siecle. 1/_ renvoie notammem à l'anicle programmatique publié par Adolf
sme sans indiquer ce qui en Merkel (1836-1896} en 1874 (« Uber das Verhaltnis der Rechtsphilosophie zur "positiven" Rechts-
est envisagé, à tour de rôle, wissenschaft und zum allgemeinen Theil derselben ", Gninhuts Zeitschrifi, vol. I, 1874, pp. 1-10 et
pp. 402-421}. Le terme est néanmoins plus ancien puisqu'il appara1t déjà au taut début du XIX' siecle
dans les écrits de J.-L. K.lüber (1762-1837) qui est, pourtant, un jusnaturaliste (cf l'extrait cité par
H. QUARITSCH, Staat 1md S011verãnitãt, Frankfurt, Athenaum, 1970, p. 481}. Olivecrona remonte
p. 44. jusqu'à 1772. II cite l'ouvrage d'un dénommé l'{ettelbladt qui s'intitule Nova introductio infurispru-
q11e le positivisme j11ridiq11e ?, trad. de dentiam Positivam Gennanorum Communem. A ces sources il faut ajouter l'expression « Philosophie
des positiven Rechts (philosophie d11 droit positif}" utilisée des 1798 par Gustav Hugo (cf s11pra note 55).
1e s'illustre, par exemple, dans l'usage Pour ce qui est de la terminologie en Angleterre, cf s11pra note 55.
e « ressemblance de familie» dévelop- Deux remarques s'imposent ici.
·n E. BULYGIN, J.-L. GARDIES & I} On voit que Olivecrona fait remanter !'origine du terme actuel de positivismej11ridiq11e à diverses
Dordrecht, 1985, p. 277; C. GRZE- expressions com portant le mot positif. II met dane en corrélation les deux termes de positif et de posi-
:; W. KRAWIETZ, op. cit., p. 230; tiviste. Or, on peut se demander s'il ne s'agit pas !à de deux racines étymologiques différentes. Autre-
,ndée sur une ressemblance de familie ment dit, ne faudrait-il pas distinguer les expressions philosophie d11 droit positifet science positive, qui
" individu a un trait commun a avec dérivent visiblement de l'expression droit positif connue depuis le XII' siecle (cf l'article cité de
1mun ~ avec le 3c, on parle d'une res- S. KUTTNER), et celle de positi·visme juridique qui, à notre sens, découle plutôt du positivisme théo-
riques du groupe possedent to11jo11rs att risé par Com te? II s'agit là, pour !'instam, d'une sim pie hypothese qui mériterait d'être approfondie.
, (C. Grzegorczyk & M. Troper). Or, 2) L'histaire du mot est, en finde compte, assez peu concluante sur l'identité de la "chose", puisque
:st pas discriminataire entre les deux l'on fait remanter l'expression positivisme juridique à des auteurs qui som des jusnaturalistes.
traits communs, des passerelles entre 214. Les auteurs indiquem en général ces deux sources. L'impact de !'une ou de l'autre sur la signi-
,our particularité de partager avec les fication du mot juspositivisme aurait varié selon les époques et selon les pays. Sur cette ambigu"ité
jusnaturalistes l'élément idéologique sémantique fondamentale, voir K. OLIVECRONA, op. cit., pp. 50-62 et spéc. p. 58; M. TROPER,
Jille, de maillon en maillon, on pour- « Positivisme ", in Dictionnaire encyclopédiq11e de théorie et de sociologie du droit, 2' éd., Paris, LGDJ,
istes et juspositivistes. 1993, p. 461.
474 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle mét)

qui naus ferait plutôt pencher vers l'idéologie -, ou, au contraire, faut-il donner de concret, de r
la préférence à la méthode et clone à la neutralité axiologique? Les deux criteres qui est, c'est-à-,
som loin d'être identiques. Dans le premier cas, on dira d'un juriste qu'il est vérifiés ou cont
positiviste s'il transpose en droit la méthode positiviste ou empirique utilisée en ci sont ou bien
sciences naturelles et en sociologie. Dans le second, est juspositiviste celui qui se droit, on about
concentre exclusivement sur l'étude du droit positif. Sur ce point crucial, les che- factuel dans le (
mins se séparent : si de nos jours, compte tenu notamment de l'impact du débat ce qui n'est qt
sur la responsabilité du "positivisme" dans le totalitarisme nazi, un grand comme un fait.
nombre de théoriciens positivistes adaptem le critere de la méthode dite scien- dans la positivi
tifique, d'autres, dont le plus illustre est Uberto Scarpelli, optem au contraire résumé, est cor
pour le critere idéologique ou politique 1". empirique, c'est-
479 Or, si l'on retient cette derniere acception, plus rien ne distingue le positivisme l'un des modelô
du jusnaturalisme puisque chacun d'eux postule l'existence d'une obligation La préémine
morale d'obéissance au droit. Tous les auteurs dits positivistes qui s'engagent reste logique p~
dans cette vaie ne sont, en réalité, que des légalistes, c'est-à-dire des jusnatura- autrement dit 1
listes qui s'ignorent. S'il existe par conséquent un vrai positivisme, distinct du à suivre, l'autn
jusnaturalisme - ce qui reste à démontrer -, celui-ci doit être recherché dans la comprend alar!
premiere acception de N. Bobbio. Adoptons clone, par hypothese, la définition en fonction du
que naus proposent des auteurs comme Waline, M. Troper, Ross, W. Ott, etc., tématise. 11 n'e:
selon lesquels le positivisme est surtout et avant tout une méthode empirique, a pas, à proprem
afin d'en voir les aboutissements logiques. Si l'on applique jusqu'au bout cette constater un « ,
\

définition, on s'aperçoit alars que le positivisme juridique apparaí't comme une nues a un morn
méthode en droit qui permet aux professeurs de droit de se donner, à un moment nationales ou ir
donné, un certain objet - le droit positif de la science du droit - susceptible 481 La méthode ai
d'un discours scientifique qui s'adresse à un certain public, à savoir le milieu aca- comme l'illustr
démique. Ce som ces quatre éléments (méthode, moment, objet, public) qu'il de l'idée courar
s'agit d'expliquer à tour de rôle. telle méthodol<
bohm 123 • D'apr
1º Une méthode empirique: décrire des faits La méthode po
la part du jurist
480 Selon la définition stipulative que l'on retient ici du mot positivisme, celui-ci imaginables sur
consiste essentiellement en une méthode 1 "' inspirée du positivisme comtien qui positiviste et ce
réduit tout savoir sciemifique à un discours sur 1esfaits 111 • 11 faut quelque chose gations, d' ordn
viste n'a pas à
qu'elles releven
215. U. SCARPELLI, op. cit., p.31 ss. C'est ce qu'il appelle encare« l'interprétation politiq11edu posi- ceptibles d'auc
tivisme ». Cette conception du positivisme est également retenue par K. 0livecrona ainsi que p~r la
plupart des amiposicivistes (cf par ex. H. C0ING, op. cit., p. 77; O. BEAUD, L1 p11issancede l'Etat,
Paris, PUF, 1994, p. 81 s; la chese de Radbruch apres 1945). 0n notera enfin la posicion cres origi-
nale de N. Bobbio : d'un côté, il opte pour la méthode sciemifique - en ce sens restreim, il se dit 218. R. GUAST!l'
« positiviste »-,mais, en même temps, il se réclame de l'éthique légaliste qu'il range dans le jusna- 219. K. 0LIVEO
curalisme et qui est pourtant indispensable à ses yeux pour fonder le droit public (op. cit., p. 31). Du 220. C. GRZEGC
coup, il se dit à la fois« positiviste" et « j11snat11raliste » (p. 53). 0r, ce faisant, N. Bobbio admet « Posirivisme >>, iu
l'échec du projet juspositiviste puisque le positivisme ne saurait rendre compre, à !ui touc seu!, de 1992, p. 769 s.
l'objet droit. 221. C. GRZEGC
216. M. WALINE, « Défense ... », op. cit., p. 83. Cf S. G0YARD-FABRE, « De quelques ambigu"i- 222. Ibid. Cf N. B
tés du posicivisme juridique », CPPJ, n" 13, 1988, p. 29. 223. K. BERGB0
217. W. 0TT, op. cit., p. 108 ss. 224. Ibid. : « Ange,
que de l'État: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 475

1, au contraire, faut-il donner de concret, de réel, de positif et il n'y a de science que dans la description de ce
,iologique? Les deux cri teres qui est, c'est-à-dire dans la formulation d'énoncés qui sont susceptibles d'être
)n dira d'un juriste qu'il est vérifi.és ou contredits de façon empirique. À l'aune de la réalité objective, ceux-
,iste ou empirique utilisée en ci sont ou bien vrais ou bien faux 218 • En transposant cette méthode empirique au
est juspositiviste celui qui se droit, on aboutit à la méthode juspositiviste qui consiste à décrire ce qu'il y a de
. Sur ce point crucial, les che- factuel dans le droit, i.e. le droit positif. Il s'agit clone de faire abstraction de tout
Lmment de l'impact du débat ce qui n' est que de la métaphysique floue et vague afin d' envisager le droit
Jtalitarisme nazi, un grand comme un fait, « law as fact » selon le titre de l'ouvrage d'Olivecrona ,,,_ C'est
ere de la méthode dite scien- dans la positivité du seul droit positif que l'on situe la factualité du droit. En
,carpelli, optem au contraire résumé, est considéré comme juspositiviste « tout auteur qui adapte l'approche
empirique, c'est-à-dire qui manifeste sa volonté de construire une science du droit, sur
n ne distingue le positivisme
l'un des modeles des sciences de la nature » 220 •
l' existence d'une obligation La prééminence attribuée ici au critere de la méthode dite scientifi.que est du
:s positivistes qui s' engagent reste logique par rapport à la défi.nition du positivisme comme théorie du droit,
:es, c'est-à-dire des jusnatura- autrement dit la deuxieme acception de N. Bobbio : si l'une indique la voie
à suivre, l'autre est la conclusion à laquelle on aboutit en l'empruntant. On
vrai positivisme, distinct du
-ci doit être recherché dans la comprend alors que, si la méthode est constante, le résultat qu'on en tire varie
, par hypothese, la défi.nition en fonction du contenu concret du ou des ordres juridiques positifs que l'on sys-
1. Troper, Ross, W. Ott, etc.,
tématise. Il n'est clone pas exagéré de dire, comme le fait M. Troper, qu'« il n'y
Jut une méthode empirique, a pas, à proprement parler, de théorie du droit positiviste » 221 • On peut tout au plus
applique jusqu'au bout cette constater un « lien contingent et historique » 211 entre des theses similaires, soute-
1ridique appara1t comme une nues à un moment précis par divers positivistes au regard de réalités juridiques,
,it de se donner, à un moment nationales ou internationales, qui se ressemblaient.
ience du droit - susceptible 481 La méthode ainsi défi.nie s'avere fort contraignante pour celui qui s'en sert,
. public, à savoir le milieu aca- comme l'illustre toute la rigueur déployée par Kelsen. Il faut à cet égard se défaire
moment, objet, public) qu'il de l'idée courante qu'il est assez facile, voire évident, d'être positiviste, car une
telle méthodologie est loin d'être innée comme l'a remarqué à juste titre Berg-
bohm 123 • D' apres lui, « tous les hommes sont de prime abord des jusnaturalistes » 2".
La méthode positiviste exige, en effet, une grande rigueur puisqu'elle suppose de
la part du juriste qu'il fasse un tri sévere, parmi toutes les questions possibles et
,. du mot positivisme, celui-ci imaginables sur le droit, entre celles auxquelles il peut répondre en tant que jus-
e du positivisme comtien qui positiviste et celles auxquelles il ne doit pas répondre. Il existe certaines interro-
;faits 217 • Il faut quelque chose gations, d'ordre historique, sociologique ou éthique, sur le droit dont le positi-
viste n'a pas à tenir compte, soit qu'elles ne sont d'aucun intérêt pour lui et
qu'elles relevem d'une autre science (modele anglais), soit qu'elles ne sont sus-
ceptibles d'aucune réponse scientifi.que du tout (modele allemand). De par sa
ore« !'interprétation politiq11e du posi-
ue par K. Olivecrona ainsi que p~r la
7; O. BEAUD, L1 p11immcede /'Etat,
ln notera enfin la position tres origi-
ifique - en ce sens restreint, il se dit 218. R. GUASTINI, op. cit., p. 219.
1ue légaliste qu'il range dans le jusna- 219. K. OLIVECRONA, L1w «s Fact, 2"' edn., London, Stevens, 1971.
der !e droit public (op. cit., p. 31). Du 220. C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT llç M. TROPER, op. cit., p. 27-28. Cf M. TROPER,
,3). Or, ce faisant, N. Bobbio admet « Positivisme », in O. DUHAMEL & Y. MENY (dir.), Dictionnaire constittttiomzel, Paris, PUF,

iit rendre compte, à !ui tout seu!, de 1992, p. 769 s.


221. C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER, op. cit., p. 273.
RD-FABRE, « De quelques ambigu"i- 222. lbid. Cf N. BOBBIO, op. cit., p. 27.
223. K. BERGBOHM, op. cit., p. 122.
224. Ibid. : « Angeboren ist sie niemals: alie Menschen sind geborene Naturrechtsj11risten. »
476 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle méi

méthode empirique, le positiviste ne peut se prononcer que sur des faits, sur un des événemen
Sein, ce qui signifie par conséquent que toutes les questions touchant à un Sollen, n'est pas susce
à quelque chose qui doit être, lui sont interdites. li faut clone extirper tout Sollen !e "présent" f
de l'objet scientifique des positivistes. Le droit naturel est aussitôt éliminé. Or, si méthode empi
l'on applique rigoureusement la méthode positiviste, on devrait même passer au jet. On interv
crible le droit positif pour y éliminer tou t ce qui ne serait pas du Sein m. Du coup, 484 Cet aspect est
le champ d'investigation du juspositiviste se trouve considérablement réduit par science du dro
rapport à la doctrine juridique des théoriciens du droit naturel. qu 'ils auraient
482 En tout cas, pour saisir tous les enjeux de la logique juspositiviste, il faut garder des rapports a;
à l'esprit !'origine étrangere d'une telle méthode qui se veut exclusivement empi- s' agit, selon sei
rique221'. Celle-ci n'est pas née dans le champ du droit, mais elle y a été transpo- (law which has
sée à partir des sciences naturelles, en passant quelquefois par la sociologie. Ce mots ainsi que
fait n'est pas sans importance puisque, pour reprendre le langage kelsénien, des relevés. Holla1
sciences comme la physique, la chimie et même la sociologie sont des « Seins- comme la« la,
wissenschaften », des sciences causales qui ont pour objet un Sein, alors que la à confusion pt
science du droit est une« Normwissenschaft », c'est-à-dire une science qui étudie et en second li,
un Sollen. Ainsi s'explique le hiatus entre l'identité de l'objet droit, qui est un pourrait clone
Sollen, et l'identité de la méthode empirique choisie pour l'étudier, quine peut puisqu'il pour
saisir qu'un Sein 117 • passé (on sait <
par les juges el
2° Une méthode située dans le temps : une science a posteriori comme l'indic
du droit tel qu'il a été L'ambigui:t,
''lia
'i, laquelle il dit e
~;
~ f;!;i,
483 Il est un aspect de cette méthode auquel, nous semble-t-il, on ne prête pas suffi- ce qm prouve
samment attention : il s'agit de la question du temps, de la position de ce dis- positif tel qu'i
cours scientifique sur !e droit dans le cours de l'histoire. La méthode positiviste passé. C' est e,
' . « l'expositeur »
étant une approche descriptive qui entend décrire te! quel, sans aucun jugement,
certains faits dans le droit, il s'ensuit logiquement que !e positiviste ne se pro- teur et le juge, !
nonce que sur le passé. Il est évident qu'on ne peut décrire qu'un fait qui est, ou est significatif.
plus exactement qui a été. U n fait est nécessairement un «Jait historique » comme scientifique qt
le note de façon incidente N. Bobbio 11•. Il serait en effet aberrant, à moins de norme de dro
croire aux devins et aux tireuses de cartes, de vouloir "décrire" comme des "faits" ne peut décrir
l'usage du pré
prit du public
225. Le droit positif, s'il releve de l'ordre du Sein par l'adjectif positif, ne prétend pas moins être du entend par là
droit, d'être une norme, un Sollen. L'expression même de droit positif indique ainsi la présence d'un
Sollen qu'il faut éradiquer au regard d'une méthode empirique. Or, en général, les positivistes
du XIX' siecle se limitem à garder tel que! le concept de droit positif hérité des jusnamralistes et à
éliminer le droit naturel. Cf K. OLIVECRONA, op. cit., p. 26: « La critique [des positivistes] n'a 229. Cf H. KELI
pas nécessairement entrainé une révision radica/e d11 concept traditionnel du droit positif {. ..} Amsi veut une approcli
l'innavation consistait-elle principalemelll à enlever !e droit nalllrel et à restreindre !e champ d'éwde de pmdence is the ge1,
l.i théorie du droit <111 droit ''positif' (lbe imwvation therefore chiejly consisted in mtting 011t the law of Concept of L1w, ,
nalllre and restricting the fie/d oflegal theory to "positive" law). » 1e
:• guid; la jurisJ
226. Comme on le verra, le jusnaturalisme comportait déjà une composante empirique, mais celle- a des elements ex
ci n' était pas exclusive. 230. T.E. HOLl.
227. Cf infra ff' 500 ss. 231. Ibid.
228. N. BOBBIO, op. cit., p. 44: « Le positivisme est p<1rven11 à cette séparation [entre le droit tel qu'il 232. Voir « actu:
est et le droit tel qu'il devrait être] en considérant !e droit com me 1m simple fait historique. » Cf aussi by J.B. Sykes, Ox
p. 43 (« Jàit nr~ historiquement ·vérifiable ») et p. 49 (« !e droit comme fait historique »). 233. J. BENTH/
7ue de l'État: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 477

icer que sur des faits, sur un des événements qui n'om pas encare eu lieu. Même le présem, au sens strict,
estions touchant à un Sollen, n'est pas susceptible d'une telle description, puisqu'au mamem ou on le décrit,
mt dane extirper tout Sollen le "présent" fait déjà pareie du passé, cerres proche. Si l'on adapte ainsi la
el est aussitôt éliminé. Or, si méthode empirique ou descriptive en droit, on se situe forcément en aval de l'ob-
!, on devrait même passer au
jet. On intervient apres que l'événemem ait eu lieu et non pas avam 22•.
erait pas du Sein 11 5. Du coup, 484 Cet aspect est clairement perçu par les auteurs anglais. Ainsi, Holland définit la
considérablemem réduit par science du droit, non pas comme « une science des rapports juridiques a priori, tels
roit naturel. qu'ils auraient pu ou du avoir lieu », mais comme une systématisation « a posteriori
! juspositiviste, il faut garder
des rapports ayant revêtu un tel caractere juridique dans des systemes réels » 23 º. li
i se veut exclusivement empi- s' agit, selon ses termes, d'une connaissance du « droit qui a été ejfectivement imposé
)it, mais elle y a été transpo- (law which has actually been imposed), autrement dit le droit positif» 131 • Le choix des
quefois par la sociologie. Ce mots ainsi que l'emploi du temps dans la conjugaison des verbes méritent d'être
Ldre le langage kelsénien, des relevés. Holland parle ainsi du « actual [law] system » et il définit le droit positif
1 sociologie som des « Seins- comme la« law which has actually been imposed ». L'adjectif « actual » peut prêter
r objet un Sein, alars que la à confusion puisqu'il désigne en premier lieu quelque chose qui est effectif, réel,
-à-dire une science qui étudie et en second lieu quelque chose d'actuel, qui se passe en ce moment même 131 • On
é de l'objet droit, qui est un pourrait dane hésiter sur la signification de l'expression « actual law system »,
ie pour l'étudier, quine peut puisqu'il pourrait s'agir à la fois du droit effectif, ce qui releve nécessairement du
passé (on sait que telle norme est effective dans la mesure ou elle a été appliquée
parles juges et la police), ou du droit actuel qui s'impose en ce mamem même,
comme !'indique le présent de l'indicatif.
:e a postenon
L'ambigu"ité ne se leve que lorsqu'on lit la phrase suivante de Holland, dans
laque~le il dit clairement qu'il s'agit de normes qui « ont été(has been) » imposées,
ce qm prouve que le positiviste décrit non pas le droit tel qu'il est, mais un droit
ble-t-il, on ne prête pas suffi-
positif tel qu'il a été. De par sa méthode, le positiviste a le regard tourné vers le
nps, de la position de ce dis-
passé. C'est ce qui ressare encare chez Bentham lorsqu'il dit que la tâche de
;toire. La méthode positiviste
« l'expositeur » - l'ancêtre du positiviste - consiste à momrer « ce que le législa-
:el que!, sans aucun jugemem,
teur et le juge, son subordonné, ont déjà fait ,,rn_ Là aussi l'usage du passé composé
e que le positiviste ne se pro-
est significatif. Si le positiviste voulait être précis sur la nature de la proposition
: décrire qu'un fait qui est, ou
scientifique qu'il énonce, il ne devrait pas dire que « X est à l'heure actuelle une
1t un «fait historique » comme
norme de droit positif », mais « X a été une norme de droit positif », puisqu'il
en effet aberram, à moins de
ne peut décrire que ce qui s'est passé. Ce n'est qu'en évitam systématiquement
ir "décrire" comme des "faits"
l'usage du présent de l'indicatif que l' on évite de sérieuses confusions dans l' es-
prit du public sur la portée et les implications exactes du positivisme - si l'on
positif, ne prétend pas moins être du emend par là une méthode strictement empirique en droit.
positif indique ainsi la présence d'un
que. Or, en général, les positivistes
positif hérité des jusnaturalistes et à
\6: « La critique [des positivistes] n'a
229. Cf H. KELSEN, Reine Rechtslehre, 2' éd., p. 74; TPD, p. 98. À l'opposé, le jusnaturalisme se
veut une approche prospective. Ainsi, d'apres R. DWORKIN, Law's Empire (1986), p. 9 : « Juris-
raditionnel dtt droit pusitif [. ..] A11ssi
crel et à restreindre /e champ d'éwde de pmdence zs the general_part ofadjudica tio~ silen_t prologue to any decision at law » (cité par H. HART,
iej/y consisted in c11tting 0111 the law of Concept ofLaw,_ op. czt., p. 241). Cf auss1 l'att1tude de Thoma, selon leque! la doctrine doit être le
« guzde de la pmspmdence » (supra note 200), ce qui l'oblige du coup à ouvrir sa méthode positiviste

1e composante empirique, mais celle- à des élémems extrajuridiques.


230. T.E. HOLLAND, op. cit., p. 9. Pour la ciration imégrale, cf supra note 79.
231. Ibid.
232. Voir « actual », « acrually » in The Concise Oxford Dictionary of Current English, 7,h edn.,
cette séparation [entre le droit tel qu'il
by J.B. Sykes, Oxford, Clarendon, 1982, p: 10.
ne zm simple fait historiq11e. » Cf aussi
233. J. BENTHAM, Fragment sur /e gouvemement, op. cit., p. 90. C'est nous qui soulignons.
omme fait historique »).
478 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit natttrel La querelle ni

485 Or, si le positiviste est focalisé sur le droit tel qu'il était, est-il encare possible de être séparé de
le distinguer - et si oui comment? - de l'historien qui, lui aussi, décrit de façon création ains,
systématique des ordres juridiques du passé? Si le positiviste travaille sur quelque tionnées par ,
chose qui a été, pourquoi devrait-il, par exemple, s'intéresser à la Constitution de doit être pur
la V• République et non pas à celle de la IV•? Certes, on dira que l'historien s'in- que parce qu
téresse à des systemes anciens, alars que le positiviste s'intéresse au passé proche, aux renvois :
en d'autres termes à l'histoire contemporaine, puisqu'il entend décrire le droit en qu'aux const
vigueur. Or, ce critere de différenciation ne découle nullement de la méthode politique, qu
empirique qui ne justifie en rien un tel choix'". Un sociologue peut, avec la valeurs comr
même méthode empirique, s'intéresser à la fois à des faits sociaux tres éloignés ou droit positif
tres proches. Il en va de même en ce qui concerne l'historien du droit qui décrit, décrit dans le
lui aussi, un droit tel qu'il a été. Derriere ce choix de l'objet d'étude se cache, en ments. II y a1
vérité, un facteur exogene à la méthode empirique, facteur qui a trait à la nature purifié tel qu
profonde et irréductible du droit, lequel, en tant que Sollen, vise l'avenirrn. tiel du premi
puisqu'elle s
3º L'objet scientifique: le droit positif de la science du droit Tout en ét
science du dr
486 Le rapport entre le positiviste et son objet d'étude peut prêter à confusion. Selon dans le droit
une premiere vision - la plus proche de l'esprit des sciences naturelles -, l'objet s' abstenir de
préexiste à la science, le droit positif au juriste positiviste. Celui-ci se veut être un n'en va pas d
observateur extérieur à son objet d'étude qu'est le droit, extériorité qui seule de statuer se:
garantirait son objectivité et son impartialité. Selon une deuxieme vision, que l'on recourir à d,
trouve sous la plume de Kelsen 13", le positiviste constitue son propre objet, le droit conna1ssance
positif, selon de stricts criteres épistémologiques qui interdisent notamment d'y tionnaire eu 1
inclure un quelconque jugement de valeur. Dans ce concept de droit positif, on ne est non pas u
peut faire rentrer que des éléments certains et objectifs, autrement dit des faits. en est un act,
cessus d' élab
487 Or, du coup, le positivisme se voile la face devam une partie de la réalité 237 • Le
« ne vise pas
droit positif que saisit ou constitue la science du droit, n' englobe pas la totalité
volonté et no
du phénomene du droit tel qu'il se présente dans la vie réelle. C'est ce qu'admet
saura1ent se e
implicitement Kelsen lorsqu'il précise que « la dépolitisation qu'exige la théorie
aussi de natu
pure du droit vise la science du droit et non pas son objet, le droit. Le droit ne peut

238. H. KELSI
234. Cf à ce sujet les réflexions tres stimulantes sur le concept de validité de R. LIPPOLD, op. cit., Z. Giacometti, 'J
p. 476-482. L'école de Vienne reconnait d'ailleurs l'intervention d'un facteur exogene à la méthode 239. Ibid., p. 15
scientifique puisqu' elle admet, dans le sillage des théories de M. Weber, que le jur]ste « cboisit » parmi 240. M. TROPI
divers faits son objet d'étude. Cf R. WALTER,« Wirksamkeit und Gelcung », OZfõR, 1961, p. 539. Recht und Mor,
Or ce choix en faveur d'un droit en vigueur plutôt qu'un droit mort (ex. !e droit romain) ou pas op. cit., p. 197 s.
encore né (ex. un projet de !oi dont on ne sait s'il sera voté ou non) est absolument subjectif, comme 241. ... et ce pan
le note Lippold. de l'art. 11 ai. :
235. Chez Kelsen, le facteur exogene réside dans le concept fictif de la Grrmdnorm qui permet au « l'État garantit
wofesseur de droit de concevoir les normes juridiques comme des normes act11ellement en vigueur. presque biologi,
A travers cette fiction, le juriste positiviste peut détacher son regard du passé vers l'avenir et proje- tutionnelle dans
ter les normes inserires dans le passé comme étant obligatoires pour l'avenir. Cf infra n-· 504 ss. du droit positif,
236. Cf les références cicées supra note 188. quellenlehre un,
237. Que le positivisme est,,paradoxalement, déconnecté de la réalité et qu'il est aveugle aux vrais tation », ARSP 1
problemes du droit et de l'Etat est une critique récurrente dans l'histoire de la pensée juridique. fait plus myscer,
Cf par ex. H. HELLER, « Die Krisis der Staatslehre », in Gesammelte Scbrifien, op. cit., t. II, p. 9; renvois à Kelsen
R. SMEND, Verfammg rmd Verfassrmgsrecbt, in Staatsrecbtlicbe Abbandlrmgen, op. cit., p. 233. 242. H. KELSE
7tte de l 'Éiat : le droit natttrel

tait, est-il encare possible de


T
f
La qtterelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

être séparé de la politique, puisqu 'il est zm instrument essentiel de la politique. Sa


479

:i_ui, lui aussi, décrit de façon création ainsi que son application sont des fonctions politiques, c'est-à-dire condi-
sitiviste travaille sur quelque tionnées par des jugements de valeur » 238 • En d'autres termes, c'est la science qui
Ltéresser à la Constitution de doit être pure et non pas le droit 2'''. Le droit quant à lui est impur, ne serait-ce
, on dira que l'historien s'in- que parce qu'il incorpore des valeurs à de multiples reprises. On n'a qu'à penser
~ s'intéresse au passé proche, aux renvois aux bonnes mceurs que l'on trouve dans tous les codes civils ainsi
1'il entend décrire le droit en qu'aux constitutions qui integrem, en général, des príncipes à forte connotation
le nullement de la méthode politique, que ce soient les príncipes de liberté et d'égalité ou, à l'inverse, des
Jn sociologue peut, avec la valeurs comme la dictature du prolétariat, l'apartheid, la pureté raciale, etc. Le
faits sociaux tres éloignés ou droit positif dans sa réalité est impur alors que le droit positif que l'on trouve
nistorien du droit qui décrit, décrit dans les ouvrages scientifiques des positivistes est dépouillé de tous ces élé-
e l' objet d' étude se cache, en ments. Il y aurait clone deux types de droit positif : le droit réel, impur, et le droit
facteur qui a trair à la nature purifié tel qu'il ressort de la science du droit et quine constitue qu'un reflet par-
~ Sollen, vise l'avenir 21 ;. tiel du premier. Des lors, la science du droit peut être accusée d'inconséquence
puisqu'elle s'est donnée pour objectif cognitif de décrire le droit tel qu'il est.
~e du droit Tout en étant conscient de ce grief, M. Troper n'en affirme pas moins que la
science du droit doit se limiter à circonscrire simplement le domaine des valeurs
~ut prêter à confusion. Selon dans le droit sans s'avancer sur ce terrain incertain 240 • Or, si le scientifique peut
sciences naturelles -, l'objet s'abstenir de répondre à certaines questions faute de connaissances objectives, il
viste. Celui-ci se veut être un n'en va pas de même pour lejuge. Face à une lacune du droit, celui-ci est obligé
: droit, extériorité qui seule de statuer sous peine de commettre un déni de justice. Il est clone obligé de
me deuxieme vision, que l' on recourir à des éléments extrajuridiques 2' 1 • Aussi indispensable qu' elle soit, la
itue son propre objet, le droit connaissance du seul droit positif ne saurait suffire au juge ou encore au fonc-
i interdisent notamment d'y tionnaire eu égard à leur fonction spécifique. En tant qu'organe de l'État, le juge
oncept de droit positif, on ne est non pas un observateur extérieur du droit, à l'instar du juriste savant, mais il
ctifs, autrement dit des faits. en est un acteur. Il se situe dans la« pratique du droit », c'est-à-dire dans le pro-
cessus d'élaboration et d'application des normes juridiques qui, selon Kelsen,
une pareie de la réalité 237 • Le
« ne vise pas des concepts; [mais] doit produire des normes; il est une fonction de
"Oit, n'englobe pas la totalité
volonté et non pas de connaissance » 2" . C' est dire que les praticiens du droit ne
vie réelle. C'est ce qu'admet
sauraient se contenter de la science du droit pour mener à bien leur rôle qui est
wlitisation qu'exige la théorie
aussi de nature politique.
1bjet, le droit. Le droit ne pettt

238. H. KELSEN, « Was ist die Reine Rechtslehre? », in Demokratie zmd Rechtsstaat. Festgabe

de validité de R. LIPPOLD, op. cit., Z. Giacometti, Zürich, Polygraphischer Verlag, 1953, p. 152.
1 d'un facteur exogene à la méthode 239. Ibid., p. 153.
Weber, que le juriste " choisit » parmi 240. M. TROPER, « Le pos_itivisme juridique », og. cit., p. 36. Cf R. WALTER,« Die Trennung von
md Geltung », ÕZfõR, 1961, p. 539. Recht und Moral...», op. czt., p. 125; R. CARRE DE MALBERG, « Réflexions tres simples... »,
.t mort (ex. le droit romain) ou pas op. cit., p. 197 s.
m) est absolument subjectif, comme 241. ... et ce particulierement lorsque le droit positif renvoie lui-même au droit naturel. C/ !'exemple
de 1:an. li al. 3 de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg de 1868, qui dispose que
lif de la Grundnorm qui permet au « l'Etat ga_rami_t les droits natttrels de la personne hmnaine et de la familie », ainsi que la définition

:les normes aclllellement en vigueur. presque b10log1que de la« natttre » et du « droit natttrel de la familie» qu'a retenue la Cour consti-
~gard du passé vers l'avenir et proje- tutionnelle dans son arrêt du 13 novembre 1998 (Mémorial, 1998, A, p. 2501). Sur le rôle des lacunes
pour l'avenir. Cf infra ff' 504 ss. du droit positif comme porte d'entrée du droit naturel, cf U. NEUMANN, « Positivistische Rechts-
qu:llenlehre und Namrrechdiche Methode. Zum Alltagsnaturrecht in der juristischen Argumen-
réalité et qu'il est aveugle aux vrais tatton »,ARSP Bezheft, n" 37, 1990, pp. 141-151. L'existence d'un pouvoir discrétionnaire du juge ne
ns l'histoire de la pensée juridique. fait plus mystere de nos jours, même parmi les positivistes. Cf H.LA. HART, Concept, chap. 7; les
rmmelte Schriften, op. cit., t. II, p. 9; renvois à Kelsen chez U. Neumann; R. WALTER,« Die Trennung ... », op. cit., p. 125.
Abhand/11ngen, op. cit., p. 233. 242. H. KELSEN, « Was ist die Reine Rechtslehre? », op. cit., p. 160. Cf Reine Rechtslehre, 2' éd., p. 74;
480 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: !e droit naturel La querelle mét.

4º Les destinataires de la science du droit: !e monde académique 1º Une définii

488 La science du droit, telle qu'elle est définie par les positivistes, s'adresse, en 489 Le jusnaturalis1
termes tres généraux, à tous ceux qui sont intéressés de savoir ce qu'est (a été) le du concept du
droit positif, que ce soit le citoyen, le fonctionnaire, le juge ou encare le législa- nier clame qu'
teur. 11 n'en reste pas moins, comme on l'a vu, qu'une telle science du droit ne contraire qu'il,
saurait répondre à toutes les questions pratiques que se posent ces divers lés à tour de 1
acteurs 243 • Ainsi, elle ne saura dire au citoyen, ou encare à un fonctionnaire, s'il morale, éthiqu
doit ou non obéir à la regle existante; elle ne pourra guider le juge lorsque le droit
positif s'avere imprécis, ambigu ou obscur, etc. Le juspositiviste a le droit, si ce ex) Une vision
n'est le devoir, de s'en désintéresser puisque, dans son travai!, il n'a à se préoccu-
per que de l'idéal de la vérité, défini de façon restrictive, sans cure des consé- 490 La méthode d
quences pratiques 1H. Par conséquent, le destinataire idéal de la science du droit - décrit d'abord
celui qui se satisfait entierement de la réponse fournie par celle-ci - est le monde rique) à un ju~
académique 245 • À un message déconnecté, en partie, de la réalité, correspond un tique. Dans le
ensemble de destinataires qui eux aussi sont déconnectés, en partie, du monde. pour l' avenir;
Voilà à l'état pur ce qui naus semble être la trame logique de la méthode empi- que l'individu
rique prônée parles positivistes, si on l'applique dans toute sa rigueur. II s'agit tive à laquelle
dane d'un type idéal que l'on trouve rarement tel quel chez un auteur. Reste à nécessaire, légi
définir l'autre idéal-type qu'est le jusnaturalisme. Del Vecchio, ,,
considere ce qu1
B. La structure logique du jusnaturalisme regles positives,
outre cette acti'i.
11 n'est évidemment pas question ici de retracer l'histoire de la théorie du sité de rechercht
droit naturel depuis les anciens Grecs jusqu'à nos jours'". 11 s'agit simplement II y a dane, d.
d'esquisser, dans ses grandes lignes, la structure logique caractéristique du jus tinctes et « ind
naturalisme (1") et d'en établir une nomenclature schématique à partir du critere droit positif, l'
du contenu du droit naturel (2"). .
sment '
necessa1 .

deurs. II s' agit


est essentiellemL
TPD, p. 98 : « II est exact que les organes chargés d'appliquer !e droit doivent, eux aussi, commencer par disciple de Kel
connaztre- pour ainsi dire de l'intérieur- le droit q11 'ils ont à appliquer. [. ..} Mais cette comiaissance n 'est
pas l'essentiel; elle n 'est que la préparation à le11r fonction qui est {. ..] création de droit en même temps
q11'application d11 droit, non se11lement dans !e cas d11 législate11r, mais également dans !e cas du j11ge. »
243. En ce qui concerne le sens du mor pratique, cf J. FINNIS, op. cit., p. 12 : « By "praticai"[. ..]
Ido not mean "workab!e" as opposed to rmworkable, efjicient as opposed to inefjicient; l mean "with 247. Cf N. BOB
a view to decision and action". Praticai thought is thinking abo111 what (one 011ghf) to do. » moniste »); S. CO
244. R. WALTER,« Die Trennung von Recht und Moral...», op. cit., p. 124. A l'opposé, le néotho- tutionnel, op. cit., .
miste J. FINNIS, op. cit., p. 18, estime que l'objectif primordial de son ouvrage est pratique(« assist 248. Un jusnatur-.i
the praaical rejlections ofthoseconcerned to art, wether as judges oras statesmen oras citizens »). Cf ibid. que seu] le droit p
p. 21 les renvois à R. Dworkin. Lire aussi E. PICARD, « Le rôle de la doctrine ... », op. cit., p. 209. droit naturel, mai,
245. Ce point est rarement mis en avant par les positivistes. Cf toutefois Ch. EISENMANN, Jean DABIN (Thé,
« Quelques problemes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique », nalllrel - droit po.,
APD, 1966, p. 25. L'auteur se demande« en qttoi consiste po11r !e j11riste leprobleme de la définition d'rm 249. Cf infra n 5
concept ». II précise aussitôt que par« j11riste », il entend « ceux q11i font rm travai/ de science d11 droit » 250. G. DEL VEl
en « laissant de côté, d11 moins en príncipe, les ''praticiens" dtt droit ». 251. Ibid.
246. Cf par ex. G. DEL VECCHIO, Philosophied11 droit, Paris, Dalloz, 1953; M. VILLEY, Lafor- 252. Ibid., p. 249.
mation de la pensée j11ridiq11e modeme, Paris, Monchrestien, 1975; A. RENAUT & L. SOSOE, n'ont pas les mêm
op. cit.; S. GOYARD-FABRE, Les fondemems de l'ordre j11ridiq11e, Paris, PUF, 1992; G. FASSO, His- lui reprocher de
toire de la philosophie d11 droit (XIX" et XX" siecles), trad. de l'ital. par C. Rouffet, Paris, LGDJ, 1976. contrainte relevée
rue de l'Éiat: le droit natztrel

de académique
T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

1º Une définition générale


481

!S positivistes, s'adresse, en 489 Le jusnaturalisme se caractérise par le dualisme hiérarchique qu'il prône au sein
de savoir ce qu'est (a été) le du concept du droit à l'opposé du positivisme qui se veut moniste"'. Si ceder-
, le juge ou encore le législa- nier clame qu'il n'y a de droit que le droit positif, le jusnaturaliste estime au
me telle science du droit ne contraire qu'il existe au-delà du droit positif des principes d'un autre ordre, appe-
; que se posent ces divers lés à tour de rôle droit naturel, Vernunftrecht, droit objectif, idée du droit,
core à un fonctionnaire, s'il morale, éthique, valeurs, etc. 148
;uider le juge lorsque le droit
uspositiviste a le droit, si ce o:) Une vision dualiste du droit
,n travail, il n'a à se préoccu-
rictive, sans cure des consé- 490 La méthode du jusnaturaliste est clone dualiste, descriptive et prescriptive. Il
idéal de la science du droit - décrit d'abord ce qu'est (a été) le droit positif, avant de soumettre ce fait (histo-
le par celle-ci - est le monde rique) à un jugement de valeur au terme duquel soit il le justifie, soit il le cri-
de la réalité, correspond un tique. Dans le premier cas, il lui reconna'lt la qualité de droit, de Sollen qui vaut
1ectés, en pareie, du monde. pour l'avenir; dans le second, il le maintient à l'état de fait, de rapport de force
logique de la méthode empi- que l'individu a intérêt à fuir s'il ne veut pas le combattre 2'". La tâche descrip-
ans coute sa rigueur. Il s'agit tive à laquelle se livre exclusivement le positiviste s'avere en ce sens tout à fait
1uel chez un auteur. Reste à nécessaire, légitime et utile, bien qu'elle ne soit pas suffisante. D'apres Georges
Del Vecchio, « il est, en eJ/et, logique et même nécessaire que le juriste, comme tel,
considere ce qui est, se limite à comprendre et à interpréter dans leur sens propre les
regles positives, sans chercher à savoir s'il pourrait y en avoir de meilleures. Mais,
1aturalisme
outre cette activité spéciale du juriste, au sens strict, l'homme éprouve aussi la néces-
r l'histoire de la théorie du sité de rechercher et étudier la justice, autrement dit le droit tel qu 'il devrait être » 25º.
jours 2"'. Il s'agit simplement Il y a clone, dans l'approche du jusnaturaliste, deux méthodes nettement dis-
,gique caractéristique du jus tinctes et « indépendantes » 251 : l'une se consacre à ce qui est (a été), c'est-à-dire le
hématique à partir du critere droit positif, l'autre à ce qui doit être, i.e. le droit naturel, sans que les deux ne
soient nécessairement confondues, comme veulent le faire croire ses pourfen-
deurs. Il s'agit de deux objets que l'on ne saurait confondre car « le droit natttrel
est essentiellement distinct du droit positif» 252 • Alfred Verdross, qui fut d' abord un
disciple de Kelsen avant d'adopter le point de vue jusnaturaliste, a tres bien mis
Jit doivent, eux ,111ssi, commencer par
ique,: [. ..} M,ús cette conu,ússance n 'est
{. ..] tTéatíon de droit en même temps
mais également dans !e cas d11 j11ge. »
S, op. cít., p. 12 : « By "praticai"{. ..}
opposed to ine/ficient; I mean "with 247. Cf N. BOBBIO, op. cit., p. 40 (« Le jusnaturalisme est dualiste, !e positivisme juridique est
what (one 011ghf) to do. » moniste »); S. COTTA, op. cit., p. 275; G. BURDEAU, F. HAMON & M. TROPER, Droit consti-
o. cit., p. 124. A l'opposé, \e néocho- ttttionnel, op. cit., 24" éd., p. 33; W. OTT, op. cit., p. 113.
de son ouvrage est pratique (« assist 248. Un jusnaturaliste peut tres bien réserver le mot droit au droit positif, ce qui voudrait dire alors
·as statesmen or ,1s citízens »). Cf ibid. que seu! le droit positif est du droit, au sens strict du terme. Il soumettrait celui-ci alors non pas au
\e de la doctrine ... », op. cit., p. 209. droit naturel, mais à la mora/e. C'est ce qu'ont fait, par exemple, Bentham et le néothomisre belge
. Cf toutefois Ch. EISENMANN, Jean DABIN (Théorie générale du droit, 2' éd., Bruxelles, Bruylant, 1953, p. 324 : « A11 binôme droit
:lassifications en science juridique », natllrel - droit positif il fartt mbstit11er celrú de mora/e - droit »).
ttriste !e probleme de la définition d'un 249. Cf infra n" 525 s.
rtÍ font rm tra·vail de scienced11 droit » 250. G. DEL VECCHIO, op. cit., p. 16.
t ».
251. Ibid.
s, Dalloz, 1953; M. VILLEY, Lafor- 252. Ibid., p. 249. Comme le note S. COTTA, op. cit., p. 275 ss, !e droit naturel et !e droit positif
1975; A. RENAUT & L. SOSOE, n'ont pas les mêmes qualités. Par conséquent, c'est faire un mauvais proces au droit naturel que de
e, Paris, PUF, 1992; G. FASSO, His- !ui reprocher de ne pas avoir l~s mêmes caractéristiques que le droir positif (ex. l'absence de
par C. Rouffet, Paris, LGDJ, 1976. contrainte relevée par R. CARRE DE MALBERG, Contribution, I, p. 57 note 6).
482 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel La querelle métl:

en exergue l'autonomie de l'approche descriptive sur laquelle vient se greffer la au droit naturel
démarche critique : « Un défenseur du droit naturel se doit même de chercher au contraire, S(
d'abord à connaítre (erkennen) le droit positifen tant que te!, caril ne peut procéder figures de l'écol
à une évaluation jusnaturaliste (Bewertung) des normes effectives qu 'apres avo ir (354-430), il inc
constaté att préalable leur existence et détenniné leur contenu. En effet, chaque éva- d' elle : « Non c1
luation doit être précédée de la connaissance de l'objet à évaluer (da jeder Bewertung leur théorie est
eine Erkenntnis des zu bewertenden Gegenstandes vorausgehen muss). » m juge se doit d' ê1
naí't le droit d' i
491 Ce deuxieme moment, qui fait toute la spécificité de la démarche jusnaturaliste,
seule issue face
se présente sous diverses formes. Déjà, son importance "quantitative" est des
juge, la démissi
plus variables : il peut être tres succinct, ce qui est le cas dans le légalisme ou la
tesquieu, Rousi
référence au droit naturel se résume en une seule norme : il faut obéir à la loi;
opéré de nos jo
le droit naturel peut, au contraire, comporter un nombre élévé de normes
Si l'idée de la
articulées au sein d'un systeme philosophique complexe à l'image de l'reuvre
l'idée desa gar;
d'un Platon, Aristote, saint Thomas d' Aquin, Kant, Hegel, etc. La descrip-
C'est clone e
tion du droit tel qu'il était à leur époque et dans leur pays n'y occupe qu'une
posam au droit
place réduite, voire insignifiante 25'. Le soubassemem philosophique ainsi que
naturel.
le contenu attribué au droit naturel divergem aussi selon les auteurs. Si la plu-
part d'eux considerem que le droit naturel est le produit de la raison et se fonde
sur le postulat du cognitivisme, d'autres n'hésitent pas à faire l'apologie d'un 2º Une classifi
droit naturel irrationnel, obscur, voire à connotation raciste. En ce sens, on ne
saurait nier le fait qu'il y a effectivement eu une doctrine nazie du droit naturel 493 À !'origine de
sous le III< Reich et que celle-ci a joué un rôle néfaste dans la dissolution du droit te! qu
du droit 255 • diverger si l'on
rique), ce qui
rationnel, estir
P) Une vision hiérarchique du droit On distinguer:
492 L'élément hiérarchique permet de différencier la théorie du droit naturel d'une
tions du jusnat
autre conception de la science du droit qui juxtapose, sans aucun lien apparem,
le droit et la morale. 11 s'agit de la théorie formalisée brievement par N. Bobbio
sous le poim a) et dont il est difficile d'identifier un représentam; on pourrait 256. Cf M. WAL
tout au plus en détecter quelques traits dans le processus de déconstruction en chap. I (« Droit ,
un contrôle juridi,
Angleterre ou l'on passe d'un dualisme hiérarchisé à un monisme, sans que critere fon pratiq,
l'existence de la morale ne soit pour autam niée. Le principe de la prééminence jusnacuralistes ne ,
du droit naturel sur le droit positif se concrétise à travers diverses modalités ins- CHIO, op. cit., p.
jours exigé un dru
titutionnelles. En général, on peut distinguer trois vecteurs - le législateur, le 257. Voir W. BEL
juge, le citoyen - dom le rôle respectif varie selon les théories : tous ne prônent Paris, Durand, 18
pas le droit de résistance ou encore le droit du juge de censurer une loi contraire nawrel? ») et cha1
258. Cité ibid., p.
259. D'apres W. 1
immorale. [... ] Le,
et de relllrer dans /,
« de to/IS les asse111

253. A. VERDROSS, op. ci1., p. 254. Cf O. HÔFFE, Polilische Gerechligkeil, p. 107 et « Das Nacur- (citée ibid. p. 165:
recht angesichts ... », op. cil., p. 312 s. Dans le même sens, quoi qu'à panir du point de vue du posi- 260. Ce lien gén,
tiviste, N. MacCORMICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 127 s. tution sur la !oi. <
254. C'est peut-être !'une des raisons pour laquelle cenains auteurs, com me Kclsen, considerem que tutional Law », f
le jusnaturalisme est un monisme e,ntierement focalisé sur le droit naturel. Cf Supra n" 443. Verfassung und 1
255. Cf infra le chapiue 2 sur « l'Elat de droil allemand d'AdolfHitler». Gmndlagm, Gep
T
.

'

ique de l'itat: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 483

ur laquelle vient se greffer la au droit naturel, comme on !e croit si souvent 2"'. Cette derniere prérogative est,
irei se doit même de chercher au contraire, soit ignorée soit fermement rejetée par la plupart des grandes
que te!, caril ne peut procéder figures de l'école classique et moderne du droit naturel2 57 • Selon saint Augustin
rmes effectives qu'apres avoir (354-430), il incombe au juge d'appliquer la loi et non pas de se hisser au-dessus
contenu. En effet, chaque éva- d'elle : « Non de legibus judicare, sed secundum ipsas. »15s Quant aux Modernes,
à évaluer (da jeder Bewertung leur théorie est entierement focalisée sur le rôle du législateur et du citoyen; le
rausgehen muss). » m juge se doit d'être la sim pie« bouche de la foi» et c'est tout juste si on lui recon-
naí't le droit d'interpréter la loi à la lumiere des préceptes du droit naturel. La
le la démarche jusnaturaliste,
seule issue face à une loi tyrannique est, pour le citoyen, la résistance et, pour le
rtance "quantitative" est des
juge, la démission 25' . En tout cas, ce n' est guere chez les Hobbes, Locke, Mon-
!e cas dans !e légalisme ou la
tesquieu, Rousseau, Kant, etc. que l'on trouvera la théorisation de !'amalgame
1orme : il faut obéir à la !oi;
opéré de nos jours entre !e pouvoir des juges et la défense des droits de l'homme.
n nombre élévé de normes
Si l'idée de la hiérarchie des normes remonte à la théorie du droit naturel 2''º,
mplexe à l'image de l'ceuvre
l'idée de sa garantie juridictionnelle est plus récente .
.ant, Hegel, etc. La descrip-
C'est clone ce double critere - l'existence de príncipes métajuridiques s'im-
leur pays n'y occupe qu'une
posant au droit positif - qui constitue l'ossature des diverses théories du droit
ent philosophique ainsi que
naturel.
;i selon les auteurs. Si la plu-
·oduit de la raison et se fonde
1t pas à faire l'apologie d'un 2° Une classification sommaire
on raciste. En ce sens, on ne
ictrine nazie du droit naturel 493 À !'origine de l'idée du droit naturel se trouve la quête d'un idéal, la recherche
néfaste dans la dissolution du droit tel qu'il devrait être. Or, sur ce qu'est l'idéal du droit, les avis peuvent
diverger si l'on se place sur un plan strictement descriptif (comparatif ou histo-
rique), ce qui n'empêche pas que l'on puisse, d'un point de vue critique ou
rationnel, estimer qu'il n'existe qu'un seul et vrai droit naturel, au sens strict.
On distinguera clone, selon une logique de cercles concentriques, trois accep-
1éorie du droit naturel d'une tions du jusnaturalisme : latissimo sensu, lato sensu et stricto sensu.
>se, sans aucun lien apparent,
fe brievement par N. Bobbio
lln représentant; on pourrait 256. Cf M. WALINE, Cours de droil constiltttionnel, Licence, 1951-52, Paris, Les cours de droit,
xessus de déconstruction en chap. I (• Droit naturel et droit positif »), p. 20. D'apres !ui, tous les jusnaturalistes réclament
un contrôle juridictionnel de la !oi et ils seraient même les seuls à le faire. On disposerait ainsi d'un
isé à un monisme, sans que critere fort pratique pour différencier les deux écoles. Or cette opposition est infondée car tous les
e príncipe de la prééminence jusnaturalistes ne sont pas d'ardents défenseurs du pouvoir juridictionnel (cf par ex. G. DEL VEC-
:ravers diverses modalités ins- CHIO, op. cit., p. 445). Inversement, certains positivistes et non des moindres (ex. Kelsen) ont tou-
jours exigé un droit de contrôle des !ois au profit des juges.
s vecteurs - !e législateur, !e 257. Voir W. BELIME, Philosophie d11 droit, 011 co11rs d'introd11ction à la science d11 droit (1844), 2' éd.,
les théories : tous ne prônent Paris, Durand, 1856, t. 1, chap. XVI (« Doit-on obéir à la foi positive quand elle esl contraire au droit
de censurer une !oi contraire nalltrel? ») et chap. XVII (« Que doit faire le magistral chargé d'appliquer une foi injuste? »).
258. Cité ibid., p. 163 note 1.
259. D'apres W. BELIME, op. cit., p. 164, le juge est même « obligé de s'abstenir en présmce d'11ne foi
immorale. [... ] Le devoir du magistral était, même au prix desa s11reté personnelle, de déposer ses insignes
et de rentrer dans la -vie privée ». II n'a pas à rester pour tenter d' éviter le pire car, selon Mme de Stael,
« de to11s les assemblages le pl11s cormpleur, c'est cel11i d'zm décrel sanguinaire et d'zm exérnteur bénin »

Gerechtigkeit, p. 107 et « Das Natur- (citée ibid. p. 165).


qu'à partir du point de vue du posi- 260. Ce ]ien généalogique a été mis en évidence pour ce qui concerne la suprématie de la consti-
127 s. tution sur la !oi. Cf par ex. E.S. CORWIN, « The "Higher Law" Background of American Consti-
!urs, com me Kclsen, considerem que tutional Law », Harv. L.R., vol. 42, 1928, pp. 149-185 et pp. 365-409; C. STARCK, « Vorrang der
oit naturel. Cf Supra n" 443. Verfassung und Verfassungsgerichtsbarkeit », in id., Der demokratische Verfassungsstaat : Gestalt,
(Hitler». Grzmdlagen, Gefãhrdungen, Tübingen, Mohr, 1995, pp. 33-57.

l
484 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel La querelle 1,

a) Latissimo sensu : le légalisme, le parent ignoré et mal aimé du XX' siecle


du jusnaturalisme Mayer, Ans<
de délestage
494 La doctrine du légalisme - la loi est la loi, il faut lui obéir par devoir moral, - le vrai -
même si elle est injuste "· 1 - se trouve au cceur de la fameuse polémique pro- une théorie ,
voquée par Gustav Radbruch à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci se reposer su
stigmatise le positivisme juridique pour être, sinon le responsable, du moins le strict, tel qu
complice objectif de la perversion du droit commise parles nazis. D'apres lui, piege du lég.,
« le positivisme juridique a en effet, de par sa conviction que "la foi est la loi': laissé sur ce point,
les juristes allemands sans défense à l'égard de fois à contenu arbitraire et crimi- 495 Quoi qu'il e1
nel » 2• 2• II faudrait clone croire que des juristes se réclamant du positivisme naturel lati.,
auraient non seulement décrit sur un ton neutre l'état du droit positif tel qu'il
méthode à p
était - opération à vrai dire nécessaire et logique, que même le jusnaturaliste ne
il est un deve
peut récuser puisqu'il fait de même 263 - , mais qu'ils auraient, en outre, légitimé
Les individu
l'ordre en place en prônant un devoir d'obéissance à la loi qui est intrinseque- loi de façon s
ment moral, car détaché de la contrainte. Selon les protagonistes de la renais- tion. On en t
sance du droit naturel apres 1945, l'esprit légaliste ainsi défini constitue l'essence le président
même du positivisme; les deux termes ne désignent qu'une seule et même demande qui
conception du droit. sur le statztt ,1
Cette identité est vigoureusement rejetée par nombre de défenseurs contem- respect de la J
porains du positivisme, comme Hart, Ross, M. Troper, H. Dreier, N. Hoers- Allemands nc
ter, etc. S'ils ne contestem pas d'un point de vue historique que certains juristes présence de l
se disant positivistes ont effectivement véhiculé une telle idéologie ou éthique qu'elle est la
légaliste, ils s'en désolidarisent néanmoins sur le plan théorique. D'apres eux, loi ... - est st
le vrai positiviste doit se limiter à décrire des faits en s'abstenant de tout juge- ralisme, au Sl
ment, qu'il soit négatif ou positif. Les légalistes sont en réalité de faux positi- ne décrire qu
vistes ou, en d'autres termes, des jusnaturalistes cachés. Afin de sauver le positi- 1gnoré, voire
visme authentique, les positivistes de l'apres-guerre sont amenés à sacrifier - en positivistes, :·
général, de façon implicite - l'illustre lignée des soi-disant positivistes du XIX' et l'homme qui
conformiste,
bien que com
261. En ce sens, cf N. BOBBIO, op. cit., p. 28, 30, 44, 45 (« éthiq11e légaliste »); A. ROSS, op. cit.,
pp. 68 ss (le « q11asi-positivisme » qui constitue « 11ne branche de la théorie d11 droit nat11rel »);
A. BARATTA, « Rechtsposicivismus und Gesetzespositivismus », op. cit., p. 328 note 4 (« falsche
Ethisiernng des Rechts ») et p. 331 (« mora/e légaliste » = « idée q11e !e droit et l'Etat sont a priori des por-
te11rs des valeurs éthiq11es et q11e par conséq11ent les fois obligent d'zm poúll de -vue moral»); H. WEL- 264. C'est du re,
ZEL, « Nacurrecht und Rechcspositivismus », in W. MAIHOFER (dir.), Nawrrecht oder Rechts- op. cit., p. 10. D'
positivismus ?, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1972, p. 333; H.L.A. HART, 265. Cf section
« Positivism ... », op. cit., p. 615 ss; H. DREIER, op. cit., p. 118 s et p. 127 ss; N. HOERSTER, « Die 266. J. JEANNI
rechtsphilosophische Lehre vom Rec~tsbegriff »,]115, 1987, p. 185 (« Legalismusthese »); M. TRO- R. BADINTER.
PER, Pour 11ne théorie juridique de l'Etat, p. 36 et le débat sur le rôle du positisme sous Vichy : p. 67. C'est dans
D. LOCHAK, « La doctrine sous Vichy et les mésavamures du posicivisme », in CURA PP, Les usages foi même injuste,
sociaux d11 droit, Paris, PUF, 1989, pp. 252-285; M. TROPER, « La doccrine et le posicivisfi1e (à pro- civiq11e poussé ,, I
pos d'un anicle de Daniele Lochak) », in CURA PP, op. cit., pp. 286-292; D. LOCHAK, « Ecrire, se 110) II s'agit « d',
caire ... Réflexions sur l'attitude de la doctrine française », Le Genre humain Il'' 30-31 (Le droit ,mtisé- sous le régime d,
mite de Vichy), 1996, pp. 433-462; A. VERDROSS, op. cit., p. 252 (« Kadavergehorsam »). Lévy, coll. Livre
262. G. RADBRUCH, « Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht », S]Z, 1946, p. 107, 267. En résumé
reprod. in id., Gesamtausgabe, éd. par A. Kaufmann, Heidelberg, Müller, 1990, t. 3, p. 88. Bobbio). On voi
263. Avam de jecer l'opprobre sur les !ois amisémites, le jusnaturaliste doit en effet les connaitre, légaliste un posit
clone les décrire. aspect sans que e,
ie de l'Éta"t: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 485

:t mal aimé du XX' siecle que furent Gerber, Laband, Bergbohm, J ellinek, Carré de Malberg,
Mayer, Anschütz, Radbruch (avant 1945), etc. Or, le cout d'une telle opération
de délestage est loin d'être mince : il s'ensuit logiquement que le positivisme
ui obéir par devoir moral, - le vrai - n'est apparu que tres récemment sur le continent et qu'il constitue
a fameuse polémique pro- une théorie du droit assez jeune qui a encare ses preuves à faire, faute de pouvoir
Guerre mondiale. Celui-ci se reposer sur l'héritage de ses ancêtres 2'". 11 reste à voir si le positivisme, au sens
e responsable, du moins le strict, tel que formulé au XX' siecle par Kelsen, Hart et les réalistes, échappe au
: par les nazis. D'apres lui, piege du légalisme et s'il est capable de fonder un concept cohérent du droit. Or,
1 que "la foi est la foi': laissé sur ce point, on peut nourrir de sérieux doutes 2'·5.
~ontenu arbitraire et crimi- 495 Quoi qu'il en soit, le légalisme doit logiquement être qualifié de théorie du droit
réclamant du positivisme naturel Iatíssimo sensu. L'élément métajuridique, qui s'est insinué dans la
:at du droit positif tel qu'il méthode à premiere vue positiviste de ces auteurs, se limite à une seule norme :
e même le jusnaturaliste ne il est un devoir moral d'obéir à la loi, peu importe qu'elle soit juste ou injuste.
auraient, en outre, légitimé Les individus et agents de l'État sont tenus de se soumettre aux impératifs de la
à la loi qui est intrinseque- loi de façon spontanée et volontaire, en l'absence même de toute menace de sanc-
protagonistes de la renais- tion. On en trouve une formulation saisissante dans la lettre envoyée en 1940 par
1si défini constitue l'essence le président du Sénat, Jules Jeanneney, au Maréchal Pétain en réponse à la
:nt qu'une seule et même demande qui lui était faite d' établir la liste des sénateurs juifs : « ]e réprouve la foi
sur !e statut des Juifs- écrit-il - pour tout ce qu'elle a de contraire à la Justice, au
1bre de défenseurs contem- respect de la personne humaine, à la tradition française, comme aussi parce que les
>per, H. Dreier, N. Hoers- Allemands naus l'ont imposée. Elle est pourtant la !oi. Obéissance fui est due. » 266 La
:orique que certains juristes présence de cet unique élément idéologique - obéissance est due à la loi parce
telle idéologie ou éthique qu'elle est la loi, parce qu'elle a la forme d'une loi, parce qu'elle porte le nom de
an théorique. D'apres eux, loi ... - est suffisante pour justifier que l'on range le légalisme parmi le jusnatu-
:n s'abstenant de tout juge- ralisme, au sens le plus large, même si, par ailleurs, le légaliste fait semblant de
lt en réalité de faux positi- ne décrire que le droit positifm. 11 n'empêche qu'il s'agit là d'un parent éloigné,
,és. Afin de sauver le positi- ignoré, voire mal-aimé du jusnaturalisme, qui s'attire à la fois les foudres des
ont amenés à sacrifier - en positivistes, au sens strict du terme (les "vrais"), et des défenseurs des droits de
:lisant positivistes du XIX' et l'homme qui, à l'instar de Radbruch, n'ont de cesse de stigmatiser son esprit
conformiste, serviable et docile. Pourtant, il existe un lien généalogique réel,
bien que complexe, entre le légalisme et les doctrines classiques du droit naturel.
iq11e légaliste »); A. ROSS, op. cit.,
de la théorie dtt droit naturel »);
», op. cit., p. 328 note 4 (« falsche
'e droit et l'Etat sont a priori des por·
n poirll de vue moral,,); H. WEL- 264. C'est du reste ce qu'affirme R. WALTER,« Emwicklung und Stand der Reinen Rechtslehre »,
'ER (dir.), Nawrrecht oder Rechts- op. cit., p. 10. D'apres !ui, Kelsen serait le premier vrai positiviste en Allemagne.
:, 1972, p. 333; H.L.A. HART, 265. Cf section II.
t p. 127 ss; N. HOERSTER, « Die 266. J. JEANNENEY, ]ournal politiqtte: septembre 1939-j11illet 1942, Paris, 1972, p. 282; cité par
85 (« Legalismusthese »); M. TRO- R. BADINTER, Un antisémitisme ordinaire. Vichy et les avocats juifi {1940-1944), Paris, Fayard, 1997,
le rôle du positisme sous Vichy : p. 67. C'est dans les termes suivants que R. Badimer décrit le « légalisme » des avocats juifs : « A la
sitivisme ", in CURA PP, Les 11sages /oi même injuste, même odie11se, chamn doit se somnettre. Non point par crainte, mais par 1m esprit
.a doctrine ct le positivis111e (à pro- civiq11e pottssé à l'extrême chez ces Israélites fmnçais qtti se vo11laient exempla ires dans la Cité. » (p. 109-
86-292; D. LOCHAK, « Ecrire, se 110) II s'agit « d'obéir en attendant des jours meille11rs » (p. 110). Sur le ]égalisme de l'administration
re humain n· 30-31 (Le droit ,mtisé- sous le régime de Vichy, cf M.R. MARRUS & R.O. PAXTON, Vichy et les ]11ifi, Paris, Calmann-
! (« Kadavergehorsam »). Lévy, coll. Livre de poche, 1981, chap. 4.
.liches Recht », SJZ, 1946, p. 107, 267. En résumé : le légalisme = méthode sciemifique + élémem idéologique (selon les criteres de
Müller, 1990, t. 3, p. 88. Bobbio). On voit qu'il suffit d'ignorer ou de faire abstraction de ce dernier aspect pour faire d'un
uraliste doit en effet les connaitre, légaliste un positiviste au sens strict du terme. Reste toutefois à savoir s'il est possible d'ôter cet
aspect sans que toute la construction ne s' écroule.
486 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: !e droit naturel La querelle méi

496 Le príncipe d'un devoir moral d'obéir à une loi injuste est admis dans deux cas ist, festzustelle 1
de figures assez différents parles représentants de l'école classique et moderne Etant donné q
du droit naturel. Dans la premiere hypothese, un tel devoir n' existe qu'à titre droit, le Sollc
exceptionnel et découle des réserves exprimées à l'égard du droit de résistance. remettre à UilE
La plupart des jusnaturalistes prônant un droit de résistance n' en admettent en traire par le po
effet la légitimité qu'à condition que !'entorse portée par la loi positive au droit seule, que « l'o
naturel soit particulierement grave. S'il ne s'agit que d'une atteinte légere ou tifier que l'on
minime, l'individu se voit moralement obligé d'obéir à la loi immorale au nom contenum. À
de la sauvegarde de l'ordre public. La paix civile, qui est en soi un principe sif, car incond
I •
de droit naturel à côté du principe substantiel de la justice 2"S, est à ce prix. necessairemen
Par conséquent, !e seul moyen pour l'individu de se soustraire à l'empire de cette c'est que l'idé;1
loi inique est de la faire abroger ou modifier,r'". La seconde hypothese, dont la croire qu'il s'a
portée est beaucoup plus large, nart du refus catégorique du droit de résistance visme axiologi
par des auteurs aussi prestigieux que Kant, Rousseau et Hobbes. Si le premier fois son object
a énoncé une interdiction générale et absolue de résister 270 , le second l'a cir- logique. Enfir
conscrite au cas d'un régime démocratique"'. Quant au philosophe de Malmes- encare meneie
bury, il a prôné une interdiction totale à l' exception de certaines hypotheses vaguement hé
rarissimes 272 • laquelle tout e
497 À ce legs de la théorie du contrat social s'ajoute une foule d'inspirations et d'au- légalité se tro1
teursm véhiculant l'idée chere à Carl Schmitt, le martre à penser du décision- même le Solle1
nisme politique, que « ce qui existe en tant que grandeur politique est, d'un point
de vue juridique, digne d'exister » 274 • En d'autres termes, une fois qu'un pouvoir ~) Lato sensu
politique est installé, existe, ses ordres ont valeur de normes juridiques et il a
droit à l'obéissance de ses sujets. Selon les dires de Radbruch, du temps ou il était 498 Si le légalism,
"positiviste", « celui qui réussit à imposer du droit prouve par là même qu'il est des- comporte qu'1
tiné à poserdu droit »"\ ce qui signifie qu'un simple fait, que même la force brute sente, en géné
peut engendrer du droit. En effet, « puisqu 'il est impossible de découvrir ce qui est tielles, dont le
juste, l'on doit décider ce qui doit être du point de vue juridique (Weil es unmoglich est suffisammc
d'y revenir. 11
stade une nau·
le premier, no
268. Ce poim a été mis en évidence par G. Radbruch. D'apres !ui, l'idée du droit se laisse décom- d'un systeme <
poser en trais élémems, à savoir les príncipes d'égalité, de justice et de sécurité. Cf A. KAUF- s' agir de valeu
MANN, op. cit., chap. 9 à 11.
269. R. ALEXY, op. cit., p. 90 ss. Cf aussi supra n" 346 (B. Constam).
270. Cf supra n" 58.
271. Cf supra Il'' 363.
272. Cf mpra n" 186. 276. G. RADBRl
273. Cf surtout la théorie de Stahl (supra n" 92) ainsi que les diverses sources citées par N. BOBBIO, form ulation de la
op. cit., p. 28 s, 31 s, 44 ss et A. ROSS, op. cit., p. 74 {Luther, Hegel). « Le relativisme d
274. C. SCHMITT, Verfassungslehre {1928), 8' rééd., Berlin, Duncker & Humblot, 1993, p. 22 miner ce qui est j11.
{§ 3, !). S'agissam de la validité de la constitution, Schmitt énonce que« chaq11e 1mité politique exis- 277. En évoquan
t,mte p11ise sa valeur et son "droit d'exister» non pas dans la justice 011 /'milité des normes, mais dans le11r mais bel et bien .
existence. Ce qui existe en tant qu'entité politiq11e, est, d'un point de v11e j11ridiq11e, digne d'exister Oede rité mora/e,, de b
existierende politische Einheit hat ihren \¼rt tmd ihre "Existenzberechtigung" nicht in ihrer Richtigkeit 278. Voir, par ex.
oder Brauchbarkeit von Nonnen, sondem in ihrer Existenz. Was ais politische Grõsse existiert, ist, j11ris- monie préétablie e,
tisch betmchtet, wert, dass es existiert) ». D'ou son « droit à mbsister (Recht aufSelbsterhalt11ng) ». Lire Wandel der Priv,1
la critique de H. EHMKE, op. cit., p. 37 ss. p. 93 s). L'_i_nfluen
275. G. RADBRUCH, Rechtsphilosophie, 1932: « Wer Recht durchsetzen ·vermag beweist damit dass 279. B. RUTHEI
er Recht zu setzen bemfen ist. ,, qui parle de « /'id,
'Ue de l'État: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 487

1ste est admis dans deux cas ist, festzustellen, was gerecht ist, muss man festsetzen, was rechtens sein soll) » 276 •
'école classique et moderne Etant donné qu'il est impossible pour des raisons épistémologiques de définir le
el devoir n'existe qu'à titre droit, le Sollen, en fonction d'un critere substantiel de justice, il faut s'en
gard du droit de résistance. remettre à une décision. La norme sera clone énoncée ou arrêtée de façon arbi-
fsistance n' en admettent en traire parle pouvoir en place. Du coup, le simple fait qu'il existe une regle et une
e par la loi positive au droit seule, que « l'ordre » soit maintenu et que la « sécurité » soit garantie, suffit à jus-
ue d'une atteinte légere ou tifier que l\m soit moralement obligé d'obéir à cette loi, quel qu'en soit le
ir à la loi immorale au nom contenu in_ A !'origine de l'éthique légaliste se trouve ainsi un hommage exces-
qui est en soi un principe sif, car inconditionnel, à l'idéal de l'ordre qui l'emporte sur coute considération,
la justice 2''', est à ce prix. nécessairement subjective, de justice. Ce qui est paradoxal dans cette théorie,
;oustraire à l'empire de cette c'est que l'idéal de l'ordre et de la sécurité est en lui-même une valeur. Or, il faut
seconde hypothese, dont la croire qu'il s'agit de la seule valeur qui ait su résister à l'effet corrosif du relati-
rique du droit de résistance visme axiologique. Tout se passe comme si le critere de la forme avait gardé à la
m et Hobbes. Si le premier fois son objectivité scientifique - seul le formel est objectif - et sa valeur axio-
'.ésister 210 , le second l' a cir- logique. Enfin, parmi les diverses sources intellectuelles du légalisme, il faut
t au philosophe de Malmes- encare mentionner une certaine conception historiciste du droit, aux accents
on de certaines hypotheses vaguement hégéliens - le rationnel est réel, le réel est rationnel -, d'apres
laquelle tout ce qui est, est forcément bon et juste 278 • Du simple fait d'exister, la
foule d'inspirations et d'au- légalité se trouve ipso facto revêtue de la légitimité 21 •. Le Sein emporte en lui-
1a1tre à penser du décision- même le Sollen.
ieur politique est, d'un point
nes, une fois qu'un pouvoir P) Lato sensu et stricto sensu : le jusnaturalisme comme systeme de valeurs
ie normes juridiques et il a
1dbruch, du temps ou il était 498 Si le légalisme fait figure de jusnaturalisme minimaliste, en ce sens qu'il ne
uve par là même qu'il est des- comporte qu'une seule regle métajuridique, la théorie du droit naturel se pré-
:ait, que même la force brute sente, en général, sous les traits d'un systeme de valeurs, formelles et substan-
ossible de découvrir ce qui est tielles, dont le contenu peut varier en fonction du temps et de !'espace. Tout cela
juridique (Weil es unmoglich est suffisamment connu, débattu et contesté pour qu'il ne soit pas nécessaire ici
d'y revenir. 11 importe néanmoins, pour la clarté de l'analyse, d'introduire à ce
stade une nouvelle distinction entre jusnaturalisme lato sensu et stricto sensu. Par
le premier, nous entendons toute théorie qui soumet le droit positif à l'empire
!ui, l'idée du droit se laisse décom- d'un systeme de valeurs, quelles qu'en soient la nature et la signification. 11 peut
tice et de sécurité. Cf A. K.AUF- s' agir de valeurs rationnelles ou irrationnelles, religieuses ou laYques, libérales ou
tant).

276. G. RADBRUCH, « Der Relativismus in der Rechtsphilosophie », op. cit., p. 18 [trad. pers.]. La
rses sources citées par N. BOBBIO, formulation de la traduction française parue en 1934 naus parait moins claire. Cf G. RADBRUCH,
~el). « Le relativisme dans la philosophie du droit », APD, 1934, p. 106: « P11isqu'il est impossible de déter-
)uncker & Humblot, 1993, p. 22 miner ce qui est j11ste, il faut a11 moins constit11er ce que doit être de droit. »
.ce que« chaq11e 1mité poli tique exis- 277. En évoquant la « force obligatoire d11 droit positif », Radbruch ne se réfere pas à la contrainte,
,u l'11tilité des nonnes, mais d,ms leur mais bel et bien à un élémem moral (cf ses explications p. 19). II y parle du « minimum d'a11to-
/e v11e j11ridiq11e, digne d'exister Oede rité mora/e» de la !oi, découlant de sa « fonction de maintenir l'ordre et la sérnrité ».
·echtig11ng" nicht in ihrer Richtigkeit 278. Voir, par ex., les idées formulées en 1911 parle jus~:1turaliste Erich Kaufmann quant à« l'har-
!s politische Grõsse existiert, ist, j11ris- monie préétablie entre !e pouvoir et !e droit » (cité par B. RUTHERS, Die unbegrenzte A11sleg1mg. Zum
er (Recht azif Selbsterhaltttng} "· Lire Wandel der Privatrechtsordmmg im Nationalsozialismus {1968), 4" éd., Heidelberg, Müller, 1991,
p. 93 s). L'_i_nfluence de Hegel est tres nette chez Jes auteurs comme Gerber et O. Mayer.
rchsetzen ·vermag beweist damit dass 279. B. RUTHERS, op. cit., p. 98. V. aussi M. KRIELE, Recht 1md praktische Vermmfi, 1979, p. 126
qui parle de« l'identification de la légalité et de la légitimité » chez les « positivistes ».
488 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel Laquerellem

conservatrices, collectivistes ou individualistes, etc. Des lors, même le pire des Section l
régimes politiques peut se voir appliquer le concept de droit naturel lato sensu, I
du moment qu'il produit un certain discours idéologique sur le caractere juste
de son droit - ce que faisaient Hitler et les juristes nazis - et que ces valeurs ont
joué un rôle effectif dans le fonctionnement de son ordre juridique 2'º. 499 La faiblesse i1
Sous ce ter me, le scientifique synthétise l' ensemble des valeurs morales posi- partielle et fi
tives qui, à un moment donné, ont influé sur l'ordre juridique positif d'un pays ne se laisse g
donné. De ce point de vue, on peut parler d'un droit naturel nazi fondé sur positivistes si
des valeurs racistes, sans pour autant le justifier. L'approche est clone stricte- un Sein s' ave
ment descriptive ou historique: il s'agit de saisir ce que Austin, Hart et d'autres se soucier de
appellent la« positive morality ,,m_ C'est d'ailleurs ce que font tous les jusnatu- grief de faire
ralistes qui font précéder leur propre définition du droit naturel de l'exposé des essentielle de
I

diverses définitions qui ont eu cours dans le passé 282 • Si le jusnaturalisme lato l'Etat (§ 2). «
sensu permet simplement de cerner, de façon empirique, l'existence et l'impact propos lancé
d'éléments métajuridiques, le droit naturel stricto sensu se réfere, au contraire, à en Prusse rés
ce que Hart désigne sous le terme de « criticai morality », autrement dit une celle-ci n' a d,
morale critique, rationnelle, éclairée, axée sur les principes de la dignité de l'être en cr01re ses 1
humain, de la liberté et de l'égalité des individus. II va sans dire que le postular lire les écrits
. \
d'un tel droit naturel stricto sensu est directement lié à la prémisse philosophique convamcre a ,
du cognitivisme éthique 2''. et stérile d'ur
Les deux termes du binôme jusnaturalisme-juspositivisme étant clarifiés, il On aurait 1
convient maintenant de justifier en quoi et pourquoi la méthodologie jusnatu- par les positi,
raliste est la plus appropriée pour saisir le concept du droit dans ses divers ne réside pas
aspects. Une évaluation critique du positivisme s'impose. exclusif ou e:x
juriste, se con
pour sa1s1r ce
fit de connait
280. Étam donné que le droit écrit est nécessairement lacunaire, obscur, voire comradictoire, le juge
a, par la force des choses, recours à des éléments extrajuridiques. Toute la question est évidemmem
qu'une partie
de savoir s'il s'est référé aux bonnes valeurs. L'importance du pouvoir d'imerprétation du juge dans ferme ainsi d
la perversion du droit sous les nazis, si elle a écé niée dans les débuts de l'historiographie sur le dépasser cet e
III' Reich (cf travaux de H. Weinkauff et Schorn), a fait depuis l'objet de nombreuses études, dom
notamment les travaux pionniers de B. R ÜTHERS, Die unbegrenzte Auslegrmg, op. cit., et Entartetes
démarche pl u
Recht. Rechtslehren rmd Kronjuristen im Dritten Reich, 2' éd., München, Beck, 1989. Cf par ex. tive. Ce faisan
R. DREIER & W. SELLERT (dir.), Recht rmd ]11stiz im « Dritten Reich », Frankfurt, Suhrkamp, 1989 moins scientil
(articles de H. Hattenhauer, O. Behrends, I. Maus).
281. Sur ce concept, cf H.L.A. HART, Law, Liberty and Momlity, op. cit., p. 17 ss; W. OTT, op. cit.,
crit dans la lo
p. 113. La distinction entre « positive morality » et « critic,i/ morality » est similaire dans sa structure renaissance d
à celle d' Austin entre « positive morality » et « Law of God ». juriste, mais a
282. Cf la distinction qu'opere G. De! Vecchio entre la définition du droit natrtrel et l'historique des
diverses doctrines du droit naturel. peut ne pas eh
283. Avant de proposer une réponse à la question de savoir s'il existe des valeurs objectives, il
importe tout d'abord de souligner la nacure philosophique de ce débat (cf A. ROSS, op. cit., p. 50). En
d'autres termes, tous les positivistes qui se disem relativistes (cf modele allemand) fom de la philo-
sophie morale, car nier l'exisrence d'une éthique objeccive, c'est encore faire de la morale. En ce sens, 284. G. MEYER
leur méthode n'est absolumem pas pure - sous-emendu pure de tout élémem étranger ou méra- & Humblot, 191'
physique - puisqu' elle est fondée sur un postular philosophique. Quam à notre propre réponse, elle 285. O. HÕFH
est à la fois de bon sens - peur-on vraimem affirmer, apres ce qui s'est passé à Auschwitz, que toutes « Jurisprudence a

les valeurs se vale_1:r? - et à caractere plus sciemifique. Cf la réfucarion du theme de la guerre des quent consiste à d,
dieux par O. HOFFE, Po!itische Gerechtigkeit, p. 41 ss; S. MESURE & A. RENAUT, op. cit., constiwtionne!les,
p. 125 ss. Sur le retour actuel à Kant, e}: A. RENAUT & L. SOSOE, op. cit., p. 418 ss; S. GOYARD- (The conclmion 1,
FABRE, op. cit., p. 313 ss. constiwtional nor
La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 489
rue de l'État: le droit naturel

Des lors, même le pire des Section II. UNE ÉVALUATION CRITIQUE OU LE NÉCESSAIRE
t de droit naturel lato senstt, DÉPASSEMENT DE LA MÉTHODE POSITIVISTE
ogique sur le caractere juste
Lazis - et que ces valeurs ont
499 La faiblesse intrinseque de la démarche positiviste est de ne refleter qu'une image
ordre juridique "º.
ble des valeurs morales posi- partielle et figée d'un phénomene juridique beaucoup plus complexe. Celui-ci
·e juridique positif d'un pays ne se laisse guere enfermer dans les limites épistémologiques étriquées que les
droit naturel nazi fondé sur positivistes se sont imposés à eux-mêmes. Leur méthode empirique focalisée sur
L' approche est dane stricte- un Sein s'avere inadéquate par rapport à leur objet qui est un Sollen. À force de
que Austin, Hart et d'autres se soucier de la pureté de leur méthode scientifique, pour ne pas s'exposer au
ce que font tous les jusnatu- grief de faire non pas du droit, mais de la politique, ils se coupent d'une partie
droit naturel de l' exposé des es~entielle de leur objet d'étude qu'est le droit (§ 1) et le concept juridique de
é'". Si le jusnaturalisme lato l'Etat (§ 2). « lei s'arrête le droit public (Hier hort das Staatsrecht auj}. » 28 ' Le célebre
Lrique, l'existence et l'impact propos lancé par Gerhard Anschütz au sujet de la querelle sur le vote du budget
:ensu se réfere, au contraire, à en Prusse résume parfaitement le programme de la science positiviste du droit :
iorality », autrement dit une celle-ci n'a de cesse d'ériger des bornes et de supprimer des questions qui, à
rincipes de la dignité de l'être en croire ses représentants, ne seraient d'aucun intérêt scientifique. II n'est qu'à
II va sans dire que le postulat lire les écrits d'un positiviste aussi lucide et perspicace que Thoma pour se
é à la prémisse philosophique convaincre à quel point une telle attitude peut être frustrante intellectuellement
et stérile d'un point de vue pratique.
,positivisme étant clarifiés, il On aurait néanmoins tort de récuser, sans autre proces, la méthode appliquée
[UOi la méthodologie jus~atu- parles positivistes comme étant dépourvue de toute utilité. L'erreur de leur part
:ept du droit dans ses d1vers ne réside pas dans le choix d'une approche empirique, mais dans son caractere
exclusif ou exhaustif. Elle tient dans le fait de croire que l'on peut, en tant que
impose.
juriste, se contenter d'une démarche descriptive inspirée des sciences naturelles
pour saisir ce qu'est le droit, qu'il n'y a de droit que le droit positif et qu'il suf-
fit de conna1tre l'un pour définir l'autre. Pars pro tato: ce qui n'est initialement
:e obscur voire contradictoire, le juge qu'une partie - le droit positif - devient ainsi le tout"5. Le positivisme s'en-
,e;, Toute' la quesrion est évidemment
ferme ainsi dans un réductionnisme qui lui est fatal. Pour y remédier, il faut
pouvoir J'incerprétation du j~ge dans
les débuts de l'historiograph1e sur le dépasser cet empirisme exclusif en l'ouvrant à un au-delà, en l'insérant dans une
is l'objet de nombreuses études, dont démarche plus large, dualiste, qui integre également une composante prescrip-
:renzte A11sleg1mg, op. cit., et Entartetes tive. Ce faisant, il se peut que l'on ait affaire à des sujets plus nébuleux, peut-être
1., München, Beck, 1989. Cf par ex.
en Reich », Frankfurt, Suhrkamp, 1989 moins scientifiques, que sont les valeurs, mais ce retour au droit naturel est ins-
crit dans la logique du concept du droit. C'est là que g1t la racine de l'éternelle
1/icy, op. cit., p. 17 ss; W. OTT, op. cit., renaissance du droit naturel qui constitue à la fois l'horizon inéluctable du
wrality » est similaire dans sa struccure
juriste, mais aussi un défi majeur à l'homme. Doté d'un libre arbitre, l'individu
,tion du droit n,1wrel et l'historique des peut ne pas choisir la vaie de la raison et lui préférer au contraire une morale cor-
,ir s'il existe des valeurs objectives, il
:e débat (cf. A. ROSS, op. cit., p. 50) ..En
(cf modele allemand) fone de la plulo- 284. G. MEYER & G. ANSCHÜTZ, Lehrbttch des de11tschen Staatsrechts, 7' éd., München, Duncker
•st encore faire de la mo rale. En ce sens,
& Humblo~, 1919, p. 906.
~re de tout élément étranger ou méra-
285. O. HOFFE, Politische Gerechtigkeit, chap. 5.1, p. 123. Lire à ce tirre N. MacCORMICK,
que. Quant à notre propr~ réponse, elle
« Jurisprudence and the Constitution », CLP, 1983, p. 28: « La conclusion q11e je vous o/fre parconsé-
~ qui s'est passé à Auschwitz, que to11tes
q11ent consiste à dire q11'on ne pettt certes pas écarter d'11n revers de main les analyses positivistes de nonnes
a réfutation du theme de la guerre des
constit11tionnelles, mais q11 'on ne pe11t pas non pltts s'en contenter comme étant completes en elles-mêmes
:. MESURE & A. RENAUT, op. cit.,
(lhe concl11sion 1 ojfer yo11 is therefore that one can neither dismiss out o/hand positivistic el11cidations o/
OSOE, op. cit., p. 418 ss; S. GOYARD-
constit11tional nonns; but nor can one rest content with them as complete in themselves). »
490 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : !e droit naturel

rompue. En tout cas, quoi qu'en pense Bergbohm - qui, d'ailleurs, en tant que
légaliste, est mal placé pour en parler -, la« mauvaise herbe » n'en finit pas de
T La querelle m,

de son objet ,
certain laps d
repousser. ou est posé e1
au critere de 1
§ 1. L 'INADÉQUATION ENTRE L 'OB]ET QU'EST LE DROIT juge et/ ou la
suit à chaque
ET LA MÉTHODE POSITIVISTE
gique - du p(
de ces tentati·
500 Si l'on admet, comme il est d'usage dele faire, que le positivisme se caractérise ment impossi
parle caractere empirique de sa démarche, il faut se rendre à l'évidence que le d'un être.
positivisme ainsi défini est incapable de saisir l'objet qu'il s'est fixé, à savoir 502 Divers auteur
le droit. Car, fondamentalement, il est aveugle à la nature intrinseque du droit s' en som renc
qui est, par définition, un Sollen, autrement dit une norme visam les actions risque de rédt
futures des individus. Le droit ne saurait se laisser réduire à un Sein. II en découle normativeme;
une inadéquation fondamentale entre la méthode du positiviste et son objet de nant telle son
recherche et ce, sous deux points de vue. comme du va
méthode emr
A. Le droit n'est pas un fait, un Sein, mais un Sollen mais un sacio
tivisme juridi,
1º Un réductionnisme empirique des sciences en;
lui-même emp
501 L'erreur du positivisme juridique consiste à vouloir appliquer à un objet qui est et que les théo
un Sollen - ce qu'est incontestablement le droit 28' ' - une méthode quine peut modele des scú
cerner quedes faits, qu'un Sein 287 • Armé d'un ou til méthodologique inadapté, le ou bien décri1
positiviste, s'il entend y rester fidele, ne peut du coup saisir qu'une image par- décrire un obj
tielle et statique d'un phénomene juridique qui !ui échappe. II ne peut cerner choses !'une :
tout au plus qu'un Sein dans le Sollen, qu'une partie dans le tout, sans qu'il soit mais alars il t
d'ailleurs clair sur que! Sein il doit se focaliser. La norme juridique, en effet, n'est qu'il est rédui
pas un état fixe et stable, mais se présente sous la forme d'un processus d'engen- fere sauvegard
drement qui n'est qu'une succession dans le temps de divers faits plus ou moins d'introduire u
importants. L'existence "factuelle" de la norme peut clone prêter à diverses lec- il lui est impo
tures28'. Des lors, le positiviste doit faire face à la question, subjective, du choix exclusivemen1
503 D'apres Fried
cificité de l'ol
286. D'apres N. MacCORMICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 96, « it is an accepted truism that
laws are nonnative, indeed that laws are nonns. Yet is is equally a proformd article of ,malytical faith
that norms are not facts; that norms express the sollen, the devoir-être, the ought to ben which mmt be
rigoro11sly disting11ished from the sein, the être, the is. »
187. Cf d'ailleurs le malaise sur ce point de H. KELSEN, « Was ist die Reine Rechtslehre? », op. cit., En T•, le juge suç
p. 146. Le fondateur de la théorie pure du droit affirme, d'une part, que le droit est un Sollen suprême. En T'· L
et, d'autre part, que la méthode de la science juridique se doit d'être empirique, proche de ce qui est ne poursuit plus
réellement. Pourtant, à ses yeux, la« contradiction » que l'on peut y voir n'est qu' « app,trente "· Tout prudence. En T.
à coup, en effet, la distinction logique entre Sein et Sollen, que Kelsen a d'abonl présentée comme 189. Cf R. ALE
un dualisme irréductible, n'est plus que« relative ». Le droit serait ainsi à la fois du Sein et du Sollen: (concepts du droic
au regard de la conduite réelle des individus, le droit positif se présente toujours comme un devoir- Rechtsbegriffe (co1
être, mais à l'aune des conceptions jusnaturalistes de la justice, ce même droit positif est un fait, écoles, cf. l'ouvra:
un Sein. 190. M. WEBER
288. Exemple: la normc N est adoptée parle parlement à la date T'. En T', le parquet applique N 291. M. TROPE
en déférant l'individu A devam la justice. En T', le juge inférieur interprete N dans un certain sens. 191. Ibid., p. 44.

l
:que de l'État: le droit naturel

- qui, d'ailleurs, en tam que


~aise herbe » n'en finit pas de
l La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

de son objet d'étude en situam, dans une certaine catégorie de faits et dans un
certain laps de temps, ce qu'il appelle, lui, le droit. À lui de positionner le lieu
491

ou est posé et ou prend réalité le droit positif. Qu'il s'attache plutôt en amom
au critere de la promulgation formelle, ou plutôt en aval à son application par le
juge et/ ou la puissance publique, voire à son acceptation par la société, il s' en-
• QU'EST LE DROIT
suit à chague fois une toute autre définition - formaliste, réaliste ou sociolo-
1STE gique - du positivisme 289 • Mais, quelle que soit la valeur heuristique de chacune
de ces tentatives, elles sont d'avance condamnées à l'échec puisqu'il est logique-
! le positivisme se caractérise mem impossible de passer d'un Sein à un Sollen, de saisir un devoir-être à partir
se rendre à l' évidence que le d'un être.
bjet qu'il s'est fixé, à savoir 502 Divers auteurs, parmi lesquels il n'y a pas que des détracteurs du positivisme,
l nature intrinseque du droit s'en som rendu compre. Déjà Max Weber, de formation juridique, avait relevé ce
me norme visam les actions risque de réductionnisme à l'adresse des juristes et moralistes: « Quand une chose
;duire à un Sein. 11 en découle normativement valable devient l'objet d'une recherche empirique, elle perd en deve-
:lu positiviste et son objet de nant telle son caractere de norme: on la traite comme de l'étant (Seiende) et non
comme du valable (Gültig). » 2'º Un juriste qui voudrait clone s'inspirer de la
méthode empirique de Weber serait ainsi condamné à ne plus être un juriste,
n, mais un Sollen mais un sociologue. De même, Michel Troper note dans son article sur le posi-
tivisme juridique que « Kelsen prétend constrnire une science du droit sur le modele
des sciences empiriques tout en considérant qu'elle doit décrire un objet qui n'est pas
lui-même empirique » 291 • « On voit - poursuit-il - que la difficulté est considérable
r appliquer à un objet qui est et que les théories, qui ont pour ambition commune de fonder une science sur le
·- une méthode quine peut modele des sciences empiriques - et qui peuvent dane se dire positivistes - doivent
méthodologique inadapté, le ou bien décrire une réalité empirique, qui ne présente aucune spécificité, ou bien
:oup saisir qu'une image par- décrire zm objet spécifique, dont on ne peut dire qu'il est empirique. » 292 De deux
IÍ échappe. 11 ne peut cerner choses l'une : soit le juspositiviste entend rester fidele à sa méthode factuelle,
ie dans le tout, sans qu'il soit mais alors il est comraint de sacrifier l'autonomie de la science juridique puis-
Jrme juridique, en effet, n'est qu'il est réduit à faire de la sociologie ou de l'histoire comemporaine; soit il pré-
)rme d'un processus d'engen- fere sauvegarder la spécificité du droit en tant que Sollen, mais alors il est obligé
de divers faits plus ou moins d'imroduire un élément exogene à la méthode positiviste. En tout état de cause,
:ut clone prêter à diverses lec- il !ui est impossible de concilier ce qui est inconciliable, d'être à la fois juriste et,
1uestion, subjective, du choix exclusivement, empiriste.
503 D'apres Friedrich Müller, le positivisme juridique a en effet perdu de vue la spé-
cificité de l'objet droit en adoptam tel quel, sans autre critique, l'idéal métho-
·1., p. 96, « it is an accepted truism that
•a proformd article of ,malycical faith
r-être, the 011ght to ben which mttsl be

s ist die Reine Rechtslehre? ", op. cit., En T', le juge suprême interprete N dans un autre sens. En T', la police exécute la décision du juge
me part, que le droit est un Sollen suprême. En T'· une partie de la société ne respecte plus la norme N. En T', une partie du parquet
l'être empirique, proche de ce qui est ne poursuit plus la violation de la norme N. En T', le juge suprême opere un revirement de juris-
:ut y voir n'est qu' « app,,rente "· Tout prudence. En T', la puissance publique refuse d'exécuter les décisions du juge suprême, etc., etc.
! Kelsen a d'abord présentée comme
289. Cf R. ALEXY, op. cit., p. 31 ss. II distingue entre « primãr setz11ngsorientierte Rechtsbegrijfe
ait ainsi à la fois du Sein et du Sollen : (concepts du droit axés primairement s11r le critere de la positivité},, et « primãr wirksamkeitsorientierte
présente coujours comme un devoir- Rechtsbegriffe (concepts d11 droit axés primairement mr le critere de l'effectivité} "· Sur les différentes
e, ce même droit positif est un fait, écoles, cf l'ouvrage de W. ITTT.
290. M. WEBER, Essais sur la théorie de la science, çrad. J. Freund, Paris, Plon, 1965, p. 463.
late T'. En T', le parquet applique N 291. M. TROPER, Po11r rme théoriejuridiquede l'Etat, op. cit., p. 43.
ur interprete N dans un certain sens. 292. lbid., p. 44.
492 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel

dologique des sciences naturelles"'. Sa conception de ce qu'est une science, iden-


tifiée à la description de faits, lui semble plus importante que l'identité de son
T La querelle 1,

la philosopl:
du Sein et d,
propre objetm. Or, une fois que l'on a constaté le caractere normatif de la disci- juridique ne
pline juridique, « nous voilà nús en garde - prévenait déjà le doyen Gény - le hiatus em
contre la tentation d'appliquer purement et simplement à l'investigation juridique qui est un S
les moyens et procédés reconnus efficaces dans l'élaboration des sciences proprement entier car, d'
dites, mathématiques, plrysique, chimie, sciences naturelles, psychologie, sociologie cela il est ur
pure; toutes disciplines visant principalement la description, et, éventuellement, fonder le drc
l'explication du monde tel qu'il est »195 • L'erreur fatale est de croire que l'on puisse l'existence e
raisonner sur le rôle de la science du droit par analogie, voire par symétrie avec étroite entre
des sciences descriptives comme la sociologie, la géologie"'', la géographie, la cli- réductionnii
matologiem, la médecine 2'", l'histoire du droit"\ etc. Les lois que les sciences tion artificie
naturelles découvrent par voie d'observation de la réalité, ne font que décrire ou pose que« l'
traduire une régularité inscrite dans le Sein, qui, en tant que telle, se reproduira et efficace » "·
nécessairement ou automatiquement dans l'avenir, faute de quoi il ne s'agit pas Ce n'est.
d'une loi scientifique. Le "non-respect" signifie en effet la nullité ab initio de cette oblige à obé
pseudo-loi scientifique. Les lois juridiques, en revanche, expriment un Sollen qui qu'elle n'est
doit s'imposer dans l'avenir. Elles s'adressent au libre arbitre de l'individu qui qu'elle est u
peut donc ne pas les respecter - puisqu'il n'y a pas de déterminisme -, sans que devoir-être. <
cela ne porte nécessairement préjudice à leur validii:é en tant que normes 100 • à part : elle n
C' est justement la prise de conscience de cette différence entre les « Normwis- les autorités,
senschaften (sciences normatives) » et les « Seinswissenschaften (sciences causales) » d'une étude
qui a amené Kelsen à introduire l'idée de la Grundnorm. elle n'est pas
individus -
2° L 'esquisse d'une esquive: la théorie kelsénienne de la Grundnorm
a) Exposé 302. H. KELSI
tianisnms, Mün
303. H. KELSI:
504 Ce qu'une telle entreprise réductionniste a de « contradictoire » et de « scientifi- samkeit, p. 532.
quement morte!», puisqu' elle aboutit à« vider le droit desa juridicité » 101 et à sup- 304. Cette po5i1
primer l'autonomie de la science juridique, n'a pas échappé à un esprit aussi Recht5lehre era,
tivi5m and Ít5 B
méthodique que Kelsen. Sa prise de distance avec l'ancienne école positiviste qui 305. Sur la nor
croyait en la «force normative du Jactuel » (Tellinek) s'explique par l'influence de lebre und des Re,
p. 250 5; RR, l
meine Theorie d
Entwicklung d,
293. F. MÜLLER,juristischeMethodik, Berlin, Duncker & Humblor, 1971, p. 51. SclrúJerpzmkte d,
294. Jbid.P p. 52. R. LIPPOLD, ..
295. E GENY, Science ec teclmiqueen droil privé posicif, e. I, p. 69. Cette inadéqu,ation e5t encore mÍ5e p. 476 55; S.L. 1'
en évidence par N. MacCORMICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 96; E. PICARD, op. cic., 306. RR, 2" éd ..
p. 125; J. GOLDSWORTHY, « The Self-De5truction of Legal Po5itivi5m ", OJLS, vol. 10, 1990, 307. Cette qual
p. 450. fondamentale", 1
296. T.E. HOLLAND, op. cic., p. 10. la science juridiq
297. A. ROSS, op. cit., p. 50. lité d'rme conn.1
298. R. WALTER, « Wirk5amkeit und Geltung ", op. cic., p. 540. "nonnes ~ ,nais (.
299. N. BOBBIO, op. cic., p. 35. que science ne pe,
300. Cf H. KELSEN, Hauplprobleme der Scaalsrechtslehre, réimpr. de la 2· éd. (1923), Aalen, Scien- Gõdel et la non
tia, 1984, chap. !. n 'est dane pas ,l /
301. S. GOYARD-FABRE, « De quelque5 ambigu'ité5 du po5itivi5me juridique », CPP], 1988, n" 13, these !ogique, de;.
p. 44. 308. RR, 2' éd ..
que de l'Éíat: le droit naturel

e ce qu'est une science, iden-


l
l
La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

la philosophie néokantienne qui insiste sur l'opposition entre les deux spheres
du Sein et du Sollen'º'. Par conséquent, le fondement d'un Sollen, d'une norme
493

)rtante que l'identité de son


aractere normatif de la disci- juridique ne peut résider qu'en un autre Sollen et non pas en un Sein'º'. Du coup,
mit déjà le doyen Gény - le hiatus entre une méthode empirique qui décrit des faits et un objet, le droit,
nt à l'investigation juridique qui est un Sollen, appara'lt de façon d'autant plus criante. Le dilemme semble
ation des sciences proprement entier car, d'un côté, Kelsen s'interdit de faire remanter le droit à des faits - en
trelles, psychologie, sociologie cela il est un héritier de Hume et de Kant-, mais, de l'autre côté, il refuse de
;cription, et, éventuellement, fonder le droit sur des valeurs, sur des principes de droit naturel dont il conteste
'. est de croire que l'on puisse l'existence en tant que relativiste. En cela, il est le fils spirituel de Weber. La voie
)gie, voire par symétrie avec étroite entre ce double écueil qu'est, aux yeux du ma'ltre de l'école de Vienne, le
>logie""', la géographie, la cli- réductionnisme empirique et le jusnaturalisme"" débouche ainsi sur la concep-
!tc. Les lois que les sciences tion artificielle, car hypothétique ou fictive, de la fameuse Grundnorm 305 qui dis-
éalité, ne font que décrire ou pose que « l'on doit se conduire conformément à la constitution e/fectivement posée
tant que telle, se reproduira et efficace » 'ºº.
faute de quoi il ne s'agit pas Ce n'est qu'en présupposant l'existence de cette norme fondamentale, qui
ret la nullité ab initio de cette oblige à obéir au droit positif, que la science juridique existe en tant que telle,
:he, expriment un Sollen qui qu'elle n'est ni de la sociologie (1" écueil), ni de l'idéologie (2' écueil), mais
bre arbitre de l'individu qui qu'elle est une véritable science du droit, d'un droit défini défini comme un
:le déterminisme -, sans que devoir-être. Cette « norme », car selon Kelsen il s'agit d'une norme'º', a un statut
dité en tant que normes 'ºº. à part: elle n'est pas une norme de droit positiflO', puisqu'elle n'est pas posée par
:érence entre les « Normwis- les autorités étatiques (ce quine l'empêche pourtant pas de faire partie intégrante
nschaften (sciences causales) » d'une étude qui se veut positiviste, quine veut conna'ltre que le droit positif... );
iorm. elle n'est pas non plus une norme créée ou voulue par la science à l'adresse des
individus - chose impossible pour une science qui se doit d'être un observateur
ie de la Grundnorm
302. H. KELSEN, Hauptprobleme, chap. 1, p. 3 ss. Cf M. PASCHER, Einfiihrung in den Neukan-
tianismus, München, Fink, coll. UTB, 1997, p. 151 ss.
303. H. KELSEN, op. cit., p. 8; H. KELSEN, RR, 2' éd., p. 196; TPD, p. 255; R. WALTER, Wirk-
ltradictoire » et de « scientifi- samkeit, p. 532.
it desa juridicité » 'º' et à sup- 304. Cette position médiane de Kelsen est mise en exergue par S. PAULSON, « Lasst sich die Reine
Rechtslehre transzendental begründen? », Rth., 1990, vol. 21, pp. 155 ss; id., « Continental Norma-
LS échappé à un esprit aussi
tivism and its British Counterpan : How Different Are They? », Ratio ]uris, vol. 6, 1993, p. 229 ss.
ncienne école positiviste qui 305. Sur la norme fondamentale cf. H. KELSEN, Die philosophischen Grundlagen der Naturrechts-
s'explique par l'influence de lehre und des Rechtspositivismus, op. cit., 1928, p. 12 ss, p. 20 ss; Allgemeine Staatslehre, 1925, op. cit.,
p. 250 s; RR, 1" éd., Leipzig, Deuticke, 1934, p. 62 ss; RR, 2' éd., p. 196 ss; TPD, p. 255 ss; Allge-
1neine 1beorie der Normen, Wien, Manz, 1975, p. 206 s; Cf aussi R. WALTER,« Entstehung und
Entwicklung des Gedankens der Grundnorm » [en abrév. : Grundnorm], in R. WALTER (dir.),
nblot, 1971, p. 51. Schwerp1mkte der Reinen Rechtslehre, Wien, Manz, 1992, pp. 47-59; R. ALEXY, op. cit., p. 155-186;
R. LIPPOLD, « Geltung, Wirksamkeit und Verbindlichkeit von Rechtsnormen », Rth, 1988, spéc.
Cette inadéquJltion est encare mise p. 476 ss; S.L. PAULSON, « Hans Kelsen et les fictions juridiques », Droits, 1995, pp. 65-81.
p. cit., p. 96; E. PICARD, op. cit., 306. RR, 2" éd., p. 219; TPD, p. 287.
Positivism », OJLS, vai. 10, 1990, 307. Cette qualification a été critiquée. Cf R. LIPPOLD, op. cit., p. 476 s : « Quant à la "nonne
fondamentale~ il ne pettt s'agir d'une nonne. On pourrait des lors la qualifier de "nécessité conceptttelle de
la science juridique" (Grundvoraussetzung der Rechtswissensch,ift). Car, en lant que conditio11 de possibi-
lité d'une connaissance juridique, elle se situe à l'extérieur du dro~t, elle ne fait pas partie de l'objet
). "normes~ mais elle est une condition de la connaissance de nonnes. A cela s'ajoute que la science en tant
que science ne pmt ni pose,; ni présupposer des nonnes. » Voir aussi H. THEVENAZ, « Le théoreme de
pr. de la 2' éd. ( 1923), Aalen, Scien- Gõdel et la norme fondamentale de Kelsen », Droit et société, 1986, p. 439 : « La nonne fondamentale
n'est dane pas à proprement parler une nonne, mais ce que Kelsen a pendant longtemps appelé une l:rypo-
isme juridique », CPPJ, 1988, ff' 13, these logique, destinée à fender non pas le droit positiflui-même, mais la science dont il est l'objet. »
308. RR, 2' éd., p. 202.

UFRBS
fACULDADE DE ~
illBLIOTECA
494 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel

exteneur au droit • La norme fondamentale, selon Kelsen, est simplement


109

« pensée »-"ºpar quiconque veut penser certains faits comme du droit"'. Sa fonc-
r La querelle

même «po
de la norm
tion est capitale, car c'est grâce à elle que la science juridique peut saisir le droit
positif, qui n'est a priori qu'un fait, qu'un « matériau empirique » 3 ' 2 , qu'un « rap- ~) Critiqu
port de pouvoir » 313 , comme un véritable devoir-être. La norme fondamentale est
la « condition logique transcendantale » de toute connaissance juridique, de toute 1) L'incita
« interprétation (...) de certains faits com me un systeme de normes juridiques (. ..) » 314 •
La méthode empirique ne permettant que d'observer et de décrire des faits, 506 Supposons
Kelsen est logiquement obligé d'y ajouter l'hypothese ou la fiction de la Grund- III' Reich. l
norm pour constituer à partir de ce qui n'est qu'un Sein, qu'un amas de papier inhumaine
- en l'an X une assemblée d'individus a adopté un texte intitulé constitution - pas comme
un véritable Sollen - la constitution est une norme, dane obligatoire. La norme un angle so
fondamentale a dane une « fonction de transfonnation des catégories » m. comme un
nonn? 310 L
505 La norme fondamentale s' avere ainsi une nécessité épistémologique pour qui-
le modele d
conque voudra étudier le droit en tant que juriste, c'est-à-dire comme un Sollen 3'º.
scientifique
Cela dit, Kelsen a toujours affirmé qu'on est libre d'adopter ou non la norme
ponsabilité
fondamentale, qui n'est qu'une simple hypothese ou fiction. À supposer qu'on
se dire qu'e
la récuse, on est simplement réduit à raisonner comme un sociologue sur le
nuité de la
"droit", le terme droit étant pris dans un sens impropre puisqu'il ne s'agit plus
trueux. n ei
d'un Sollen, mais d'un fait, bref d'un rapport de force. D'apres Kelsen, « l'on ne
c'est de ses
doit pas nécessairement supposer la norme fondamentale d'un ordre juridique positif; statut sacia
l'on ne doit pas nécessairement interpréter les relations humaines dont il s'agit de politiques q
façon normative, c'est-à-dire comme des obligations, des habilitations, des droits, des tige et à la 1
compétences, etc., fondés par des normes juridiques objectivement valables; on a seu-
que droit, d
lement la faculté dele faire, c'est-à-dire que l'on peut aussi les interpréter sans recours
Imagine-1
à une hypothese préalable, sans supposer la nonne fondamentale, comme des relations tique, surto
de force, comme des relations entre des individus qui commandent et des individus qu'il n'y a p
qui obéissent... ou qui n'obéissent pas, - c'est une interprétation qui n'est plus juri-
sem à adme1
dique mais sociologique » 117 • Mais, des lors que l'on veut définir un certain ordre
de contrainte comme du droit, au sens propre, des lors que l'on veut être juriste
et raisonner sur un Sollen, on est obligé de présupposer l'existence d'une Grund- 318. Cf H. Ke
norm. C'est dans ce choix discrétionnaire, dane subjectif - en 1914 il disait p. 217 : « La q1
cormaissance j11
ultime, dane, e1
duque! le mond,
pas en príncipe 1
309. RR, 2' éd., p. 208. Si la science retient cette obligation d' obéissance au droit, elle le fait pour la connaissance
elle-même, à usage interne. Elle n'impose pas son propre choix aux autres. « Elle ne prescrit pas que 319. La situati;
l'on [ = individus, agents étatiques] doive obéir aux ordres d11 constitttant » (ibid.; TPD, p. 272). C'est individus.
à chacun de décider soi-même si on veut ou non admettre l'existence de la norme fondamentale. 320. On ne p,
310. RR, 2' éd., p. 206. - Pourquoi faL
311. RR, 2' éd., p. 208 note*. des jusnaturalis;
312. RR 1, p. 66:" Ce n'est q11'à condition de prés11pposerla normefondamencaleq11e le matéria11 empi- 321. On pounc
riq11e (empirische Material), qui se présente à la lectttre j11ridiq11e, pertt être interprété comme d11 droit, de l'avenemenr
c'est-à-dire com me zm systeme de normes j11ridiq11es. » Dans sa lettre a-
313. Allgemeine S1aa1slehre, p. 250. le nouveau droi1
314. RR, 2' éd., p. 205. « Ma mission p,:,
315. R. ALEXY, op. cil., p. 170. toujours mise en
316. R. WALTER, Gnmdnonn, p. 58. li.fiques, ,nais ég. ◄
317. RR, 2' éd., p. 224; TPD, p. 294. diants la conn,11

l
ique de l'État: le droit naturel

'1on Kelsen, est simplement


T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnatttralistes

même « politique » m - que réside la premiere faiblesse de la théorie kelsénienne


495

s comme du droit"'. Sa fone- de la norme fondamentale.


: juridique peut saisir le droit
iu empirique » 312 , qu'un « rap- ~) Critique
·. La norme fondamentale est
1) L'incitation au conformisme : le spectre du légalisme
rnaissance juridique, de toute
e de normes juridiques (..) » 3". 506 Supposons, par exemple, que l'on se trouve sous un régime despotique tel le
~rver et de décrire des faits,
III< Reich. Pourquoi un professeur de droitm devrait-il qualifier des lois positives
ese ou la fiction de la Grzmd-
inhumaines de droit, de normes? Pour quelle raison devrait-il définir ces lois non
n Sein, qu'un amas de papier
pas comme un simple fait, un rapport de pouvoir, susceptible d'être étudié sous
texte intitulé constitution -
un angle sociologique et historique - comme l'y autorise Kelsen -, mais plutôt
:, clone obligatoire. La norme
comme un Sollen? Autrement dit, pourquoi devrait-il présupposer une Grund-
ion des catégories »"'. norm? 320 Le juriste scientifique a, en effet, un choix à faire, un choix qui, dans
é épistémologique pour qui- le modele de Kelsen, est nécessairement pré- ou a-scientifique, clone politique. Le
est-à-dire comme un Sollen"º. scientifique doit y faire face en tant que cit~yen puisqu'il y va à la fois desa res-
d'adopter ou non la norme ponsabilité et desa respectabilité morales. A cet égard, il pourrait tout d'abord
Ju fiction. À supposer qu'on se dire qu'en tant qu'enseignant du droit, il doit absolument préserver la conti-
:omme un sociologue sur le nuité de la science du droit, serait-ce au prix de devoir étudier un droit mons-
,ropre puisqu'il ne s'agit plus trueux. Il est probable qu'il pensera également à son intérêt personnel, puisque
rce. D'apres Kelsen, « l'on ne c'est de ses cours à la faculté de droit que dépendent sa survie matérielle et son
ile d'un ordre juridique positif; statut social. En même temps, il ne pourra se voiler la face devant les intérêts
ms humaines dont il s'agit de politiques qui sont en jeu. Il va sans dire que le pouvoir en place tient au pres-
ies habilitations, des droits, des tige et à la respectabilité politiques que lui confere l'étude de son droit, en tant
7ectivement valables; on a seu- que droit, dans les lieux du savoir que sont les universités.
iussi les inte1préter sans recours Imagine-t-on l'effet déstabilisateur que pourrait avoir sur un régime despo-
'-amentale, comme des relations tique, surtout à ses débuts, le fait que tous les professeurs de droit annoncent
commandent et des individus qu'il n'y a plus de droit à enseigner dans les facultés de droit - puisqu'ils se refu-
teryrétation qui n 'est plus juri- sent à admettre l'existence d'une Grundnorm 321 - , et qu'ils ne feront plus que de
veut définir un certain ordre
lors que l'on veut être juriste
oser l'existence d'une Grund- 318. Cf H. Kelsen « Reichsgesetz und Landesgesecz nach õsterreichischer Verfassung », AõR, 1914,
p. 217 : « La question de la validité de eette nonne ultime, admise eomme une présupposition de toute
subjectif - en 1914 il disait eonnaissanee j11ridique, se trouve elle-même hors [du champ] de eette connaissanee juridiq11e. Ce point
ultime, dane, en tant q11e nonne mprême présupposée, est en même temps /e point archimédien à partir
duque/ /e monde de la eonnaissanee juridique est mis en mouvement. le ehoix de ee point de départ n 'est
pas en príncipe une question juridique, mais politiq11e, et doit dane paraztre arbitraire du point de v11e de
obéissance au droit, elle le fait pour la eonnaissance juridique. »
< aux autres. « Elle ne prescrit pas que 319. La sicuacion sera évidemment différeme en ce qui concerne les juges, les fonccionnaires ec les
1stituant » (ibid.; TPD, p. 272). C' est individus.
xiscence de la norme fondamemale. 320. On ne peut s'empêcher de remarquer l'écrange similitude de cecce quescion kelsénienne
- Pourquoi faudraic-il voir en ces !ois du droic, du Sollen? - avec les interrogacions cradicionnelles
des jusnaturalisces au sujec des !ois injustes.
•1e fondament,de que /e matériau empi- 321. On pourrait en rapprocher le cas hiscorique du posicivisce libéral Gerhard Anschücz qui, lors
perl/ être interprété eomme du droit, de l'avenement au pouvoir des nazis en 1933, se retira de ses fonccions à l'universicé d'Heidelberg.
Dans sa lettre adressée au ministre, il indique qu' en l' absence de coute sympachie personnelle pour
!e nouveau droit public, il !ui est impossible de l'enseigner aux étudiams. Vaiei un extrait desa leme:
« Ma mission pérlagogiq11e s'étend principalement au droit publie allemand. Selon la conception que j'ai
toujours mise en ceuvre [. ..}, cette matiere pose a11 prufesseur des exigences q11i ne sont pas seulement scien-
tifiq11es, mais également politiques. La tâehe d11 publiciste ne consiste pas se11lement à transmettre aux étu-
diants la connaissance d11 droit public allemand, mais également à les éd11q11er dans l'esprit de l'ordre
496 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel La querelle mé1

la sociologie du droit, qu'une analyse de rapports de force? 122 Scientifiquement, 2) Une notion
cela reviendrait à mettre Hitler et Pétain au même niveau qu'une ... bande de bri-
gands. Le brigand formule !ui aussi un énoncé qui a la signification subjective 507 Le deuxieme p
d'un ordre. Cependant, en l'absence de norme fondamentale, il n'a pas la signi- statut qui indl
fication objective d'un devoir-être, comme !e précise à chaque fois Kelsen lors- exactement? l
qu'il oppose le droit aux ordres d'un brigand. À travers le choix pour ou contre Elle est autre (
l'hypothese de la Grundnorm, le juriste scientifique doit opérer un jugement de ment cette "au
valeur qui consiste à se demander s'il veut ou non laisser s'épanouir le « sens véritable droit,
immanent » m d'un ordre de contrainte qui, subjectivement, prétend vouloir fondamentaux
donner des ordres. En retenant l'hypothese de la Grundnorm, le scientifique effet, qu'il peu1
admet que la signification subjective de cet ordre de contrainte est également sa clusion de toU1
signification objective, du moins pour la science. Le régime a ainsi surmonté l'un à lui, affirme q
des premiers obstacles. II faut évidemment que tous les autres acteurs (citoyens, damentales, sai
juges, fonctionnaires) admettent eux aussi la Gnmdnorm. Mais, on peut se Sollen. Le mo1
demander si la science n'a pas un rôle de guide"'. s' agit là cerres ,
théorie du droi
tement faire ai:
n' empêche alo
constiwtionnel existam. À cet ejfet, !e professe11r doit, à 1m ha11t degré, se sentir personnellement lié à
l'ordre étatiq11e (Hierz11 ist ein hoher Grad innerlicher Verbzmdenheit des Dozenten mit der Staatsord· réduit à une set
mmg nõtig). » Pour le texte, cf. E. FORSTHOFF, « Gerhard Anschlitz », Der Staat, 1967, p. 139. compliquée qu
322. De là, il ne s'ensuit pas qu'il n'y a plus de savoir sciemifique sur cetre réalité que som les !ois tai~s principes
votées et appliquées. Simplement, il s'agirait d'un savoir sociologique, ou historique, er non pas
d'une science juridique. Apres tout, vu les circonstances, on pourrait tres bien se passer d'une telle
A travers la t
science du droit. tention des p
323. C'est en ces termes que R. WALTER,« Kelsens Rechtslehre im Spiegel... », op. cit., p. 336 défi- démarche réali:
nit le programme de la théorie pure du droit : « La Théorie p11re d11 droit ve,tt irzterpréter de te!s ordres
de contrainte positifs et ejfectifs comme des ordres nonnatifs, com medes ordonnancements de Sollen [Soll- clusion de tout
Ordmmgen}. Elle entend ainsi se confonner 1-111 sens intrinseq11e (immanent) de ces systemes [Sie meint Kelsen introdu
damit dem diesen SJ~temen innewohneden (immanenten) Sinne 211 entsprechen}. Elle entend par !à, que vie 325, qu'elle es
!e sens subjectifd11 matéria11 à interpréter se perdrait, si l'on renonçait à son interprétation nonnative et
l'inteiprétait comme des faits en remplaçant en q11elq11e sorte la dogmatiq11e j11ridiq11e par la sociologie d11 émise par M. 1
droit. ,, Dans une note de bas de page (n" 26), l'auteur reconnait toutefois le caractere subjectif er non viste est obligé
scienrifique d'une relle préférence pour une lecture normative. Ce disant, l'éminent représemanr de Grundnorm en
l'école de Vienne témoigne d'un esprit particulierement conformiste. Ce qui compre avant rour dans
sa décision, c'est d'essayer de ne pas frustrer le sens immanent de l'ordre de contrainre - qui, bien 508 Car, à nouveau
emendu, voudra se faire obéir et se perpétuer - et de se conformer aux vreux du pouvoir, leque! ne positif ni du d1
pourra que s'en réjouir! On remarquera à ce sujet que Kelsen - alors que rien ne ]'y obligeait - a
toujours considéré comme du droit les !ois adoptées par les nazis. Cf son intervenrion in
nier comme l' a
F.-M. SCHMÕLZ (dir.), Das Natzmecht in derpolitischen Theorie, Wien, Springer, 1963, p. 148: « D11 jusnaturaliste e
point de v11e de la science d11 droit, !e droit d11 régime nazi est d11 droit. No11s po11vons !e regretter, mais droit positif, p
no11s ne po11vons nier que c'était d11 droit. [ ..} No11s po11vons !e détester, comme no11s détestons 1m serpent
venime11x, mais no11s ne po11vons nier q11'il existe. Ce q11i veztt dire q11 'il est valide (gilt). {. ..} ]e !e répete dique peut !ui .
encare 11ne fois{. ..}: La Grnndnonn ne pe11t rien changer à l'existence (Gegenbenheit) d11 droit. » De la Seul le droit na
part d'un auteur que l'on présente habituellement comme un démocrate convaincu, un te! choix en est incapabl
subjectif laisse pour le moins dubiratif. Qu'est-ce qui empêche en effet, apres 1945, un jurisre scien-
rifique ou un juge de ne pas admerrre l'hypothese de la Gnmdnorm pour nier aux !ois nazis le carac-
tere de droit? Au vu desa derniere phrase, faut-il penser qu'en réaliré Kelsen n'admet pas la liberté
du scienrifique en ce qui concerne la Gnmdnorm et qu'il l'oblige, au contraire, à la présupposer une 325. Allgemeine 11
fois qu'un régime est érabli et que la majorité des gens obéissenr aux ordres? La docrrine de Kelsen 326. Voir surtour 1,
serait alars aux mieux conrradicroire, au pire légaliste. der Nat11rrechts!elm
324. Cf D. LOCHAK, « La doctrine sous Vichy ou les mésavenrures du positivisme », in CURAPP, 327. Le droit posit
Les 11sages socia11x d11 droit, Paris, PUF, 1989, p. 252 ss; ead., « Ecrire, se taire ... Réflexions sur l'atri- pothese d'un législa
rude de la docrrine française », Le Genre h111nain n"' 30-31 (« Le droit antisémite de Vichy»), 1996, tif qui soient oblig.
p. 433 ss.
' préalablemenr une

J
'tte de l'Étát: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 497

force? "' Scientifiquement, 2) Une notion qui contredit les postulats de base de la méthode positiviste
veau qu'une ... bande de bri-
a la signification subjective 507 Le deuxieme point faible de la théorie kelsénienne de la Grundnonn a trait à son
amentale, il n'a pas la signi- statut qui incluir de lourdes ambigu"ités et contradictions. Car de quoi s'agit-il
e à chaque fois Kelsen lors- exactement? La norme fondamentale n'est pas, selon Kelsen, du droit positif.
,ers le choix pour ou contre Elle est autre chose - une « norme pensée » ou une « fiction » - et e' est seule-
doit opérer un jugement de ment cette "autre chose" qui permet de comprendre le droit positif comme du
laisser s' épanouir le « sens véritable droit, comme un devoir-être. Or, ce faisant, Kelsen ébranle deux piliers
ctivement, prétend vouloir fondamentaux du credo méthodologique du juspositiviste. Celui-ci prétend, en
Grundnonn, le scientifique effet, qu'il peut saisir ce qu'est le droit à travers l'étude du seul droit positif à l'ex-
contrainte est également sa clusion de tout autre chose : il n'y a de droit que le droit positif. Kelsen, quant
·égime a ainsi surmonté l'un à lui, affirme qu'il y a, outre le droit positif, la catégorie des normes dites fon-
les autres acteurs (citoyens, damentales, sans lesquelles le droit positif ne serait pas du droit, c'est-à-dire du
:ndnorm. Mais, on peut se Sollen. Le monisme méthodologique est clone contredit de façon radicale. Il
s'agit là certes d'une ontologie dite légere par rapport à l'ontologie lourde de la
théorie du droit naturel, mais il n'en reste pas moins que l'on ne saurait comple-
tement faire abstraction d'une donnée métajuridique pour saisir le droit. Rien
n'empêche alors de substituer à la Grundnonn kelsénienne, dont le contenu se
legré, se sentir personnellemenl iié à réduit à une seule norme - il faut obéir à la loi -, une norme fondamentale plus
'ieit des Doze,iten mil der Staalsord-
nschütz », Der Staat, 1967, p. 139. compliquée qui conditionne le devoir d'obéissance des sujets au respect de cer-
1e sur cette réalité que som les !ois tains príncipes par le pouvoir en place.
logique, ou historique, et non pas À travers la théorie de la Grundnonn, Kelsen s'attaque encore à une autre pré-
Jfrait rres bien se passer d'une telle
tention des positivistes. Traditionnellement, ceux-ci se réclament d'une
! im Spiegel... », op. cit., p. 336 défi- démarche réaliste quine s'attache qu'à des faits empiriquement vérifiables à l'ex-
'11 droit veut iriterpréter de tels ordres clusion de tout ce qui ressemble, de loin ou de pres, à de la « métaph-ysique ». Or
des ordonnancements de Sollen [Soll-
mmanent} de ces systemes [Sie meint Kelsen introduit une norme fondamentale dont il dit lui-même, à la fin de sa
entsprechen]. Elle entend par !à, q11e vie 32 \ qu'elle est fictive et qu'elle contredit la réalité. Ainsi se confirme l'opinion
út à son interprétation nonnative et émise par M. Troper : pour être fidele à la spécificité de l'objet droit, le positi-
natiq11e juridiq11e par la sociologie d11
)utefois le caractere subjectif et non viste est obligé d'introduire des éléments exogenes à sa méthode empirique. La
:e disant, l'éminent représemam de Grundnonn en est un exemple topique.
liste. Ce qui compre avam tout dans
!e l'ordre de comrainte - qui, bien 508 Car, à nouveau, qu'est-ce qu'une norme « pensée » qui est censée être ni du droit
íler aux vceux du pouvoir, leque! ne positif ni du droit naturel, bien qu'elle ait de fortes ressemblances avec ce der-
- alors que rien ne l'y obligeait - a nier comme l'admet à diverses reprises Kelsen 326 ? Le parallélisme avec la pensée
es nazis. Cf son intervemion in
, Wien,Springer, 1963,p.148:«D11 jusnaturaliste est en effet frappant : le jusnaturaliste considere lui aussi que le
lroil. Naus pozwons !e regreuer, mais droit positif, pris isolément, n'est qu'un fait et que seul un élément métajuri-
;ter, comme notts déteslons zm serpent dique peut lui accorder une dimension normative en lui servant de fondement.
e qu 'il esl valide (gilt). {. .. ]]e/e répete
mce (Gegenbenheit) dtt droil. » De la Seul le droit naturel peut créer une obligation d'obéissance à la loi positive qui
démocrate convaincu, un te! choix en est incapable à elle toute seule 317 • Il s'ensuit que, d'un strict point de vue
,n effet, apres 1945, un jurisre scien-
,rm pour nier aux !ois nazis !e carac-
réalité Kelsen n'admet pas la liberté
e, au comraire, à la présupposer une 325. Allgemeine Theorie der Nonnen, p. 206.
t aux ordres? La doctrine de Kelsen 326. Voir surtout les premiers écrits: Aiigemeine Staatslehre, p. 250; Die phiiosophischen Gmndlagen
der Naturrechtslehre zmd des Rechtsposilivismus, p. 20.
tures du posirivisme », in CURAPP, 327. Le droit positif ne peut fonder sa propre normativité de façon autoréféremielle. Prenons l'hy-
crire, se taire ... Réflexions sur I' atti- pothese d'un législateur qui veut promulguer, sous forme de code, un ensemble de regles de droit posi-
e droil antisémite de Vichy»), 1996, tif qui soiem obligatoires à la fois à l'égard des fonctionnaires et des individus. Pour cela, il élabore
préalablement une constitution disam que toutes les normes inserires dans le futur code seront obli-

1
498 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natttrel

sémantique, l'expression droit positif, prise isolément, n'a pas de sens puisqu'il
ne peut na1tre du droit, du Sollen, de quelque chose qui est positif. En soi, le droit
T La querelle;

crmre par rr
tion de savc
positif n'est qu'un fait : sa dimension normative lui vient de l'extérieur - que est régie pa
ce soit du droit naturel, dans le cas des jusnaturalistes, ou de la Grnndnorm chez répondre à
Kelsen -, ce qui veut dire encore que la présence du mot droit dans l'expression Grnndnorn1
droit positif n'est justifiée qu'à condition de postuler l'existence de cet élément à une décis
métapositif. Kelsen n'a d'ailleurs jamais nié ces similitudes. En 1928, il ira même Quant à sa,
jusqu'à dire que la Grnndnorm constitue le « minimum de métaphysique », sans dans l'élabo
leque! « la connaissance du droit serait impossible » 328 • Plus tard, il temera de par la const
mieux différencier la norme fondamentale du droit naturel. Mais toujours est-il « premiere e
que la structure logique de l'objet droit, en tant que Sollen, l'oblige à emprunter à cette prem
des chemins kantiens tout en se refusant d'aller jusqu'au bout, à savoir adopter si on veut ir
un point de vue jusnaturaliste. D'ou l'éternelle ambigu"ité de la norme fonda- Kelsen répo
mentale, d'une norme "simplement" pensée qui est supposée être ni du droit quoi il devra
positif, ni du droit naturel m_ interpréter e
norm s'aven
3) Une notion inutilisable en pratique d'un boulev1
lation qu'en
509 Enfin, la théorie de la Grnndnorm présente un troisieme inconvénient majeur conduire con
qui est celui d'être inutilisable en pratique. À l'analyser de plus pres, on s'aper- cacité de 1'01'.
çoit qu'elle est incapable de répondre à la question cruciale que l'individu, le tit inéluctab
fonctionnaire, le juge se posent dans la réalité, à savoir : doit-on obéir à la loi et, censée être à
si oui, pourquoi? 130 C'est ce qu'admet de façon tres claire Robert Walter, selon en son sein
leque! la théorie pure du droit ne veut pas et ne peut pas y répondre, en raison aval. Ainsi n
de ses présupposés relativistesm. Quant à Kelsen, il n'est pas toujours d'une par- être efficace:
faite clarté. Ainsi, dans son article Why should the law be obeyed? 312 , on pourrait La théorie
une question
Si Kelsen a et
gatoires. Or, ce faisam, il ne fait que déplacer la question, car pourquoi les policiers et les individus la solution q
seraiem-ils obligés de respecter la constitution? Même à supposer que la constitution comienne une mier réducti1
disposition enjoignam de façon explicite aux autorités publiques ainsi qu'aux individus d'obéir à
celle--ci (cf par ex. disposition finale XVIII de la Const. ital. de 1947; art. 120 ai. 2 de la Const. grecque qu'il importe
de 1975; disposit. finale de la Const. espagnole de 1978), il reste à savoir pourquoi l'on devrait obéir
à cet anicle. La référence à notion mora/e de,« loyauté" ou de« fidélité" (cf disposit. finale de la Const.
fr. de 1791 et O. BEAUD, La puissancede l'Etat, op. cit., p. 256 ss) est par conséquem incomournable.
328. H. KELSEN, Die philosophischen Gnmdlagen ... , op. cit., p. 20.
329. Cf R. ALEXY, op. cit., p. 173. 333. !bid., p. 25;
330. Cf par ex. les réfle~ions de M. KRIELE, « Rechrspflicht und die positivistische Trennung 334. Cf les criei,
von Recht und Moral», OZfõR, 1966, pp. 413-429 et « Recht und Moral und die Problematik der rie der Grundrn:
Reinen Rechtslehre », ÕZfõR, 1967, pp. 382-384 qui insiste sur la nécessaire dimension pratique du kussion, Wien, 1·
savoir juridique. fondamemale su
331. R. WALTER,« Kelsens Rechtslehre im Spiegel... », p. 342: « A11ctme théorie scie11ti}iq11e ne peut résistance.
répondre à la question de savoir si l'on doit obéir à 1m ordre effectif011 se ré-uolter. Cette q11estion doit être 335. RR, 2" éd., 1
réso!tte par chaq11e être h11mttin en s<1 conscience » er_ sa réplique à Kriele (« Die Trennung von Recht 336. R. LIPPOI.
und Moral im System der Reinen Rechtslehre », OZfõR, 1967, p. 124) ou il affirme qu'en tant que 337. RR, 2" éd., 1
disciple de Kelsen, il n'a à se préoccuper que de la véracité sciemifique. Tout scrupule quam aux 338. RR, 2' éd., J
résultats pratiques desa théorie sciemifique se trouve ainsi éliminé. 339. Sur les défa
332. Reproduit in H. KELSEN, What is justice? justice, Law and Politics in the Mirrar of Science, tion », cf la cririq
2'' edn., Berkeley, University of California Press, 1971, pp. 257-265. L'anicle a été publié en fran- of recognition de
çais, avec quelques légeres modifications, par Kelsen sous le titre « Que! est le fondemem de la vali- (« matter offact ,.
diré du droit? », Rev11e imemat. de criminologie et de police techniq11e, 1956, pp. 161-169. le Sein, grief qu' i

l
•ue de l'ÉÚt: le droit naturel

lt, n'a pas de sens puisqu'il


ui est positif. En soi, le droit
1 La querelle méthodologique entre positivistes et jusnatttralistes

croire par moment, ne serait-ce qu'en lisant le titre, qu'il s'interroge sur la ques-
tion de savoir « pourquoi les gens [et par là il entend tous ceux dont la conduite
499

. vient de l'extérieur - que est régie par la loi] doivent-ils obéir à la foi?» m_ Or, Kelsen prétend vouloir y
,, ou de la Grundnorm chez répondre à travers sa théorie de la validité qui repose sur le présupposé de la
mot droit dans l' expression Grundnorm: les individus sont obligés d'obéir à un ordre de l'administration ou
r l'existence de cet élément à une décision de justice parce qu'ils sont obligés d'obéir à la constitution.
itudes. En 1928, il ira même Quant à savoir pourquoi ils sont tenus de respecter celle-ci, la réponse réside
ium de métaphysique », sans dans l'élaboration de celle-ci en conformité avec les regles de révision prévues
318
• Plus tard, il tentera de par la constitution précédente et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on remonte à la
naturel. Mais toujours est-il « premiere constitution historique ». La suite s'arrête là : l'obligation d'obéir

Sollen, l'oblige à emprunter à cette premiere constitution ne peut qu'être présupposée en tant qu'hypothese
1u'au bout, à savoir adopter si on veut interpréter la suite des événements comme du droit. Or, ce faisant,
bigu"ité de la norme fonda- Kelsen répond à la question ... par la question. Au citoyen qui veut savoir pour-
t supposée être ni du droit quoi il devrait obéir à telle loi, il lui répond qu'il doit y obéir s'il le veut, s'il veut
interpréter ces faits comme du droit. Sur le fond, Kelsen ne dit rien 334 • La Grund-
norm s'avere également inutile pour un juge ou fonctionnaire dans le cas précis
d'un bouleversement révolutionnaire de l'ancien ordre positif. Selon la formu-
lation qu'en retient Kelsen, la norme fondamentale dispose que « l'on doit se
sieme inconvénient majeur conduire conformément à la constitution ejfectivement posée et efficace ,,m_ L'effi-
rser de plus pres, on s'aper- cacité de l'ordre juridique devient ainsi une condition desa validité, ce qui abou-
1 cruciale que l'individu, le tit inéluctablement à un « circulus vitiosus ,,m_ La norme fondamentale qui est
,ir : doit-on obéir à la loi et, censée être à !'origine de l'ordre juridique, être un « point de départ » 337 , integre
claire Robert Walter, selon en son sein une donnée - l'efficacité - qui, logiquement, n'intervient qu'en
1t pas y répondre, en raison aval. Ainsi naí't un cercle vicieux : pour être valide, la constitution devrait déjà
1'est pas toujours d'une par- être efficace; or, pour être efficace, une norme doit tout d'abord être valide 138 •
w be obeyed? 311 , on pourrait La théorie de la Grundnorm apparaí't ainsi comme une réponse insuffisante à
une question des plus cruciales, celle de la fondation du droit comme Sollenm.
Si Kelsen a eu raison de dépasser le réductionisme de l' ancienne école positiviste,
uquoi les policiers et les individus la solution qu'il esquisse reste trop sujette à des doures. Mais au-delà de ce pre-
que la constimtion contienne une mier réductionnisme, empirique, il existe un deuxieme danger réductionniste
s ainsi qu'aux individus d'obéir à qu'il importe également de clarifier et de conjurer.
7
; art. 120 ai. 2 de la Const. grecque
savoir pourquoi l'on devrait obéir
'ité » (cf. disposit. finale de la Const.
!St par conséquent incontournable.
'.O.
333. Ibid., p. 257.
und die positivistische Trennung 334. Cf les critiques de R. ALEXY, op. cit., p. 182 ss et de R. DREIER, « Bemerkungen zur Theo-

1d Moral und die Problematik der rie der Grundnorm », in Hans Kelsen Institut (éd.), Die Reine Rechtslehre in wissenschafilicher Dis-
, nécessaire dimension pratique du kussion, Wien, Manz, 1982, pp. 38-46. Les deux aureurs soulignent la nécessité de fonder la norme
fondamentale sur des criteres rationnels de légitimité, qui incluem la reconnaissance d'un droit de
, A11rnne théorie scienti}iq11e ne petll résistance.
tt se ré-uolter. Ceue q11eslion doit être 335. RR, 2° éd., p. 219; TPD, p. 287.
<.ride {« Die Trennung von Recht 336. R. LIPPOLD, op. cit., p. 480 note 41.
. 124) ou il affirme qu'en tant que 337. RR, 2° éd., p. 202 .
ntifique. Tout scrupule quant aux 338. RR, 2° éd., p. 11.
lé. 339. Sur les défauts de la solution proposée par Hart à travers son concept de la « rule of recogni-
1d Politics in the Mirrar of Science, tion », cf. la critique cinglante de R. ALEXY, Begrijf11nd Gelt1mg des Rechts, op. cit., p. 194 ss. La rule
265. L'article a été publié en fran- of recognition de Hart, qui est censée fonder le droit en tant que devoir-être, est quant à elle un fait
« Que! est le fondement de la vali- (« matter offact »). Des lors Hart se rend coupable de ne pas respecter la différence entre le Sollen et
711e, 1956, pp. 161-169. le Sein, grief qu'il oppose toujours aux jusnaturalistes.
500 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: !e droit natttrel La querelle mé

B. Le droit n'est pas un fait historique, la gravité, l'or


mais un Sollen qui vise l'avenir en tombam d1
tions prévues,
1º Le réductionnisme rétrospectif tifique. Le pro
celles-ci s' adre
510 L'inscription de la norme dans le temps est un aspect assez peu évoqué, peut-être n'est pas de l',
parce qu'il para1t évidem. Il est vrai que cette dimension est sous-entendue dans
la dé:finition du droit comme un Sollen et ne devient problématique qu'à partir 2° Le subterj
du mamem ou l'on tente, comme le font les positivistes, de réduire le droit à un
fait. L'on aboutit ainsi à un « réductionisme rétrospectif », selon une formule 511 Cette différen
emprumée à Martin K.riele·"º. Il se trouve en effet que la méthode descriptive ou concept de va
empirique ne permet que de saisir des faits dans le passé puisque, par dé:finition, fait. Pour fain
un fait que l'on décrit ne peut être qu'un fait passé. Car, au mamem ou on le prédiction. P1
décrit, le fait releve déjà de l'histoire, certes proche '". Or, le droit, en tam que qu'est son éla
Sollen, traverse les fromieres du temps, puisqu'il trouve en partie sa source et son les réalistes se
comenu dans le passé pour régir des actions projetées hic et nunc, clone dans le prochain, pré
futur. John Finnis a nettemem saisi la spéci:ficité de la logique juridique qui agit fait pour que]
par une « technique spéciale » dé:finie comme suivam : « The treating of (ttsually dictoire. Ce s<
datable) past acts (whether of enactment, adjudication, or any of the multitude of en l'espece les
exercises ofpublic and private "powers'') as giving, now, sufficient and exc!ttsionary « l'approche se
reason for acting in a way then ''provided for". »-"' juridique est fG
Car la question : « Que dit le droit? » se pose à l'heure actuelle. Celui qui la ejfectivement •
pose, que ce soit un individu, un fonctionnaire ou un juge, ne veut pas savoir ce Oliver Wende
qu'a été le droit, hier ou avant-hier, mais ce qu'il est au mamem même ou il doit prédiction de e
se décider sur ce qu'il va faire dans le proche avenir. Ce saut dans le temps, cette ce que j'appelle
projection dans l'avenir qu'entend réguler le droit som inscrits dans la dimension nition du droi
nonnative du droit : vous devez, dans ce que vous allez faire, respecter les condi- à un "fait" pn
tions énoncées parle droit, de même que le juge et la police sont obligés"' à leur de parler de 1
tour de vous sanctionner (demain) au casou vous ne l'auriez pas fait. On retrouve qu'ils doivem
ainsi une différence fondamentale entre, d'un côté, les lois juridiques qui for- som incapabl,
mulem un Sollen et, de l'autre côté, les lois des sciences naturelles ou encare les guer le droit,
lois sociologiques qui exprimem un Sein. Une fois que l' on a découvert la loi de usage qui a de
due avec une l
340. M. KRIELE, « Rechtspflicht und die positivistische Trennung ... », op. cit., p. 419.
341. Cf s11pra n" 483 s.
342. J. FINNIS, Natural Liw and Natt1ral Rights, op. cit., chap. X.3., p. 269. Cf aussi WUNDT, 344. Cf la critiqt
Logik, 3· éd., 1906, t. I, p. 6 : « To11te nonne est initialement une regle [adressée à] la volonté, et en tant 345. C. GRZEGI
q11e tel!e, elle est d'abord 11n ordre po11r 11ne action imminente q11i est encare sujette à tm choix »; cité par duit ibid. p. 217.
H. KELSEN, Hattptprobleme, p. 14 note 2. 346. O. W. HO
343. La formulation d'usage - vous devez respecter le droit parce que sinon vous serez poursuivi par F.MICHAUT&
la police - est de nature à induire en erreur. L'usage systématique de la conjugaison du f11tttr sim pie, 347. H.L.A. HA
en ce qui concerne l'intervention de la puissance publique (cf les extraits de A. Ross et O.W. Holmes 348. D.N. MacO
cités par C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER, op. cit., p. 208 s et p. 123 ss), fait martien qui, post,
croire qu'il s'agit là d'un événement certain, ou du moins fortement probable. On fait comme si les le feu devient rou,
pouvoirs publics respectaient et faisaient respecter le droit de façon presque machinale, mécanique, tir d'un certain ter
à !'instar d'un automatisme. II va sans dire que l'on méconnait ainsi le libre arbitre des individus sonnablement pré
investis de l'autorité publique : si, de j11re, ils doivent obéir au droit, de facto, ils peuvent ne pas le alars que le secon,
faire. En d'autres termes, du point de vue du juriste, l'intervention de la police n'est pas un fait, aussi 349. Cf !e cours
prévisible soit-il, mais à nouveau un Sollen. (Paris I), 1994, sé.
7ue de l'Éiat: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 501

istorique, la gravité, l'on sait d'avance que, demain, la même pomme suivra le même trajet
en tombam du haut de l'arbre. Si jamais l'événemem n'a pas lieu selon les condi-
venir
tions prévues, la "loi sciemifique" en question n' est pas, en réalité, une loi scien-
tifique. Le probleme se pose en tout autres termes pour les lois juridiques, puisque
celles-ci s'adressent au libre arbitre des individus. Leur rapport aux actions futures
: assez peu évoqué, peut-être n'est pas de l'ordre de la prédiction: il est, au contraire, normatif.
sion est sous-emendue dans
t problématique qu'à partir 2º Le subteifuge de la prévisibilité
1stes, de réduire le droit à un
pectif », selon une formule 511 Cette différence est méconnue en particulier parles réalistes qui, en récusam le
Le la méthode descriptive ou concept de validité 3", continuem à s'en tenir à la définition du droit comme un
assé puisque, par définition, fait. Pour faire face à la dimension temporelle du droit, ils ont recours à l'idée de
·. Car, au moment ou on le prédiction. Puisque la vraie nature du droit ne se résume pas en ce fait du passé
'. Or, le droit, en tant que qu'est son élaboration, mais consiste dans les effets qu'il déploie dans l'avenir,
34

1ve en partie sa source et son les ré alistes som amenés à situer l' existence "factuelle" du droit dans un "fait"
:es hic et nzmc, clone dans le prochain, prévisible, probable - à supposer que l'on puisse encore parler d'un
la logique juridique qui agit fait pour quelque chose qui n'a pas encore eu lieu. Cela para1t en effet comra-
1t : « The treating of {ttsually dictoire. Ce soi-disam fait consiste en la conduite future des acteurs juridiques,
z, ar any of the multitude of en l'espece les juges. Dans le modele scientifique proposé parle danois Alf Ross,
'.li, sufficient and exclttSionary « l'approche scientifique du droit est "réaliste" en ce sens que l'existence d'une regle
juridique est fonction du degré de probabilité avec leque/ on peut prédire qu'elle sera
'heure actuelle. Celui qui la ejfectivement appliquée » 345• On se souvient également de la fameuse formule de
n juge, ne veut pas savoir ce Oliver Wendell Holmes, l'un des fondateurs de l'école réaliste américaine: « La
au momem même ou il doit prédiction de ce que feront en fait les tribunaux, et rien de plus extraordinaire, voilà
Ce saut dans le temps, cette ce que j'appelle le droit. » 346 Or on voit aussitôt ce qu' a de déficieme une telle défi-
nt inscrits dans la dimension nition du droit: elle en néglige completement l'aspect normatif pour le réduire
lez faire, respecter les condi- à un "fait" probable. On se demande d'ailleurs comment il est encore possible
1 police sont obligés''' à leur de parler de la subordination des juges au droit, puisque le droit n'est plus ce
.'auriez pas fait. On retrouve qu'ils doivent faire, mais ce qu'ils vom réellemem faire. Des lors, les réalistes
, les lois juridiques qui for- som incapables, comme l'om montré Hart 347 et N. MacCormick 348 , de distin-
1ces naturelles ou encore les guer le droit, qui doit s'imposer dans l'avenir, d'une simple habitude ou d'un
ue l' on a découvert la loi de usage qui a de fortes chances de se perpétuer. La loi juridique est ainsi confon-
due avec une loi sociologique, avec un Sein, et on frôle le déterminisme 34 '.
mg ... », op. cit., p. 419.

. X.3., p. 269. Cf aussi WUNDT, 344. Cf la critique de Kelsen par A. ROSS, op. cit .
gle [adressée à] la volonté, et en tant 345. C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT & M. TROPER, op. cit., p. 55. Cf le texte de Ross repro-
t encare sttjette à ,m choix ,, ; cité par duit ibid. p. 217.
346. O. W. HOLMES, The Path of the Law, 1897; extrair reproduit in C. GRZEGORCZYK,
~ que sinon vous serez poursmv1 par
F. MICHAUT & M. TROPER, op. cit., p. 126.
e de la conjugaison du J11wr simple, 347. H.L.A. HART, 7be Concept ofLaw, op. cit., p. 9 ss et p. 55 ss.
~xtraits de A. Ross et O.W Holmes 348. D.N. MacCORMICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 130 s. MacCormick cite ]'exemple d'un
., op. cit., p. 208 s et p. 123 ss), fait manien qui, posté sur un carrefour, s'aperçoit que dans 99 % des cas les conducteurs s'arrêtem lqrsque
1em prob,1ble. On fait com me si les le feu deviem rouge et que dans 95 % des cas les conducteurs écoutem la radio duram leur arrêt. A par-
on presque machinale, mécanique, tir d'un cenain temps d'observation, pendant leque] ces chiffres som restés stables, le manien pourra rai-
ainsi le libre arbitre des individus sonnablemem prédire la conduite des automobilistes. Or, seu) ]e premier comportement est obligatoire
lroit, de facto, ils peuvem ne pas le alors que le second n'est qu'un usage social, différence que le manien ne peut percevoir de l'exrérieur.
n de la police n'est pas un fait, aussi 349. Cf le cours polycopié de théorie du droit d'Andrée LAJOIE, DEA de droit public interne
(Paris I), 1994, séance Il'' 3 : « Réalisme américain et criticai legal swdies ", p. 6.

l
502 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel La querelle mi

De ce double refus du réductionnisme empirique et retrospéctif, ainsi que de public 154 et dt


ses subterfuges, découle des lors une définition du droit qui s'appuie sur les deux que nul ne pt
criteres que sont le droit positif et le droit naturel. Si le premier est un simple sant ainsi I' ai:
fait - un texte posé par un ou plusieurs individus, bref un amas de papier et de dans le chef d
signes -, seul le second, incarnam une valeur, peut fonder la validité du premier commel'a no
en tant que Sollen et lui conférer sa dimension normative en créant une obliga- sa propre par<
tion d'obéissance dans le chef des destinataires. Le droit naturel reste ainsi l'ho- 513 À lire les pro1
rizon indépassable du droit. Il en va de même en ce qui concerne la définition cupe le conce
juridique de l'État qui est également un concept à forte charge jusnaturaliste. viste (ou légal
fut le premier
§ 2. LE SUBSTRAT DE DROIT NATUREL DU CONCEPT ]URIDIQUE fameux artic.
DE L'ÉTAT 1876)n•_ Or ]'
une entité ab:
qui n'est ylw
La nécessité d'un soubassement de droit naturel à la définition juridique de
teur de l'Etat ,
l'État apparalt de façon évidente si l'on s'intéresse de plus pres à trais aspects
XVII' siecle, le:
fondamentaux de celle-ci : il s'agit de la question de la personnalité morale de
Rousseau et K
l'État {A), de la théorie de l'autolimitation (B) ainsi que du fondement et des
cette origine e
limites de l'autorité de l'État (C).
ti viste « n 'a p,
évidemment lj
A. Le fondement de droit naturel de la personnalité juridique point qui est
de l'État d' avo ir quelq 1
rel, qui jusqUt
512 La personnalité juridique de l'État constitue, à en croire Jellinek, l'un de ses velles fondati<
théoriciens les plus éminents à la fin du XIX" siecle, la « pierre de fondation et lyse rigoureu'.
d'angle » du droit public, le « Grund- und Eckstein des Staatsrechts »';º. Dans la laisse aucune,
doctrine positiviste de l'époque, elle était indispensable pour fonder le droit cer : à l'idée e
public et, même de nos jours, elle continue à l'être, du moins dans la doctrine
514 Revenons d'al
publiciste française. Carré de Malberg ne s'y est pas trompé lorsqu'il énonce théorie contr,
d'un ton grave, face aux critiques qui se sont faites entendre, que « la notion de prem1ers a rn
\

personnalité étatique a pour utilité de donner une base juridique fenne au systeme I

l'Etat, par ºPI


moderne de limitation des pouvoirs des individus qui servent d'organes à l'État. infra-étatique'.
Elle implique en effet- poursuit-il - que l'État se distingue de ces individus, en ce les concerne,
sens tottt au moins que les pouvoirs dont ils sont détenteurs sont exercés par eux, non
pas en leur nom propre, mais au nom de la personne État et en vertu du statut orga-
nique établi dans l'État : d'ou cette conséquence que ces porwoirs trouvent dans ce
354. lbid., p. 30,
statut leurs conditions d'exercice et leurs bomes » 351 • Quiconque oserait en contes- 355. O. MAYEl
ter la validité est aussitôt accusé de faire le lit de « l'anarchie » m, car « attaquer Staatsrechtliche A
cette idée, c'est vouloir renverser cet ordre juridique tout entier, ainsi que l'État 356. Cf M. STO
357. Cf G.JEL!
même dont il est la base » ,;,_ Sans elle, il est impossible de concevoir le droit p. 169 s; U. Hi'
Tübingen, Mohr
nistmtif, op. cit ..
350. G.JELLIN,EK, Gesetz tmd Verordmmg, 1887, p. 195. , Albrecht et l'éw
351. R. CARRE DE MALBERG, Contrib11tion à la théorie générale de l'Etat, op. cit., e. 1, p. 30 j11ristische Staacsp
note 24. entre les deux éc,
352. Ibid., p. 30 note 24. 358. G. JELL!N
353. lbid., p. 29. 359. T. HOBBE
iique de Litat: le droit natttrel

ue et retrospéctif, ainsi que de


T
1
La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

public 3s-, et de soumettre à l'empire de la loi les détenteurs de la force publique


503

droit qui s'appuie sur les deux que nul ne peut contraindre puisqu'ils sont à !'origine de la contrainte. En fai-
!l. Si le premier est un simple sant ainsi l'apologie d'un concept qu'elle a elle-même créé, la doctrine induit
;, bref un amas de papier et de dans le chef des agents de l'État une obligation morale d'obéir à la loi positive,
t fonder la validité du premier comme l'a noté de façon pertinente Otto Mayer 355 . Elle oblige l'État à respecter
,rmative en créant une obliga- sa propre parole, ses propres lois.
! droit naturel reste ainsi l'ho- 513 À lire les propos de Carré de Malberg, on comprend la place stratégique qu'oc-
ce qui concerne la définition cupe le concept de la personnalité juridique de l'État au sein de l'école positi-
à forte charge jusnaturaliste. viste (ou légaliste) de la fin du XIX'. Gerber, bientôt suivi par Laband et d'autres,
fut le premier positiviste à introduire ce concept en droit public à la suite d'un
U CONCEPT ]URJDJQUE fameux article publié en 1837 par son ancien maltre W.E. Albrecht (1800-
1876)356. Or l'idée que l'État est une personne morale, que le pouvoir réside dans
une entité abstraite, distincte de ses organes constitutifs et spécialement du roi
qui n'est ,Plus le tout (« L'État, c'est moi »), mais seulement « le pre._mier servi-
el à la définition juridique de teur de l'Etat », selon les dires de Frédéric II, est bien plus ancienne. A partir du
se de plus pres à trois aspects XVII' siecle, les théoriciens du contrat social et spécialement Hobbes, Pufendorf,
de la personnalité morale de Rousseau et Kant s'en étaient fait les avocats 357 • Jellinek, qui assume ouvertement
insi que du fondement et des cette origine quelque peu encombrante car suspecte, dira même que l'école posi-
tiviste « n'a pu ajouter à ces développements quoi que ce soit de nouveau, si ce n 'est
évidemment qu'elle a récusé ses fondements jusnaturalistes ,,m_ Or, sur ce dernier
personnalité juridique point qui est crucial pour la validité de tout le projet positiviste, il est permis
d'avoir quelques doutes. Est-il logiquement possible de substituer au droit natu-
rel, qui jusque-là soutenait l'édi:fice de la personnalité juridique de l'État, de nou-
en croire Jellinek, l'un de ses velles fondations dites juridiques, au sens du droit positif? Si l'on en croit l'ana-
ele, la « pierre de fondation et lyse rigoureuse d'Otto Mayer, ce dé:fi releve de la quadrature du cercle qui ne
:n des Staatsrechts » "º. Dans la laisse aucune échappatoire au positiviste. À lui de choisir à quoi il préfere renon-
,ensable pour fonder le droit cer : à l'idée de la personnalité morale de l'État ou à son credo positiviste.
re, du moins dans la doctrine 514 Revenons d'abord un peu en arriere pour cerner le rôle du droit naturel dans la
pas trompé lorsqu'il énonce théorie contractualiste de la personnalité morale de l'État. Hobbes fut l'un des
!s entendre, que « la notion de premiers à insister clairement sur la spécificité de la personnalité morale de
1ase juridique forme au syst?me l'État, par opposition à celle d'autres entités comme les collectivités territoriales
qui servent d'organes à l'Etat. infra-étatiques ou encore les sociétés et associations de droit privé 359 . En ce qui
distingue de ces individus, en ce les concerne, la problématique du fondement juridique est une question banale
nteurs sont exercés par eux, non
État et en vertu dtt statut orga-
e ces pottvoirs trottvent dans ce 354. Ibid., p. 30 et p. 50 (Elle e5t « la condition de l'existence d'un te! droit »).
Quiconque oserait en contes- 355. O. MAYER, « Die juri5ti5che Per5on und ihre Verwertbarkeit im õffemlichen Recht », in
« l 'anarchie » 352, car « attaqtter Staatsrechtliche Abhandlzmgen. Festgabe fiir Paul l.Aband, Tübingen, Mohr, 1908, t. I, p. 60.
356. Cf M. STOLLEIS, op. cit., t. II, p. 106 55 et p. 368 55.
ue tout entier, ainsi que l'État 357. Cf G. JELLINEK, Allgemeine Staatslehre, réimpr. de la 3° éd. (1928}, Hamburg, Gehlen, 1966,
)ossible de concevoir le droit p. 169 5; U. HAEFELIN, Die Rechtspersõnlichkeit des St,1ates. Dogmengeschichtliche Darstell11ng,
Tübingen, Mohr, 1959, 429 p.; F. LINDITCH, Recherche sz,r la personnalité mora/e en droit admi-
nistratif, op. cit., p. 84 55; H. QUARITSCH, op. -~it., p. 502 55, qui met en exergue le lien entre
Albrecht et l'école du droit naturel. Contra R. HOHN, Der individ11alistische Staatsbegrijf 11nd die
générale de l'État, op. cit., t. I, p. 30 juristische Staatsperson, Berlin, C. Heymann, 1935, p. 190 qui conteste l'idée d'une telle continuité
entre les deux écoles.
358. G. JELLINEK, System der mbjekti-ven õffentlichen Rechte, Freiburg, Mohr, 1892, p. 32.
359. T. HOBBES, Leviathan, éd. C.B. Macpher5on, London, Penguin, 1985, chap. 22, p. 274 ss.
504 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel

puisque leur personnalité résulte d'une loi positive de l'État. Elle prend, au
contraire, une envergure particuliere s'agissant de l'État lui-même. Le statut de
T La querellem

voir 1r,;_ On a,
contradiction
ce dernier ne peut résulter d'aucune !oi positive puisqu'il est lui-même la source part du poim
exclusive et souveraine de coutes les lois positives. 11 précede le droit positif, il en sonnalité mo
est le maltre, ce qui explique pourquoi il ne peut logiquement lui devoir sa tés commerci
propre existence. Le fondement juridique de sa personnalité morale ne peut rési- ces entités pr
der que dans le droit naturel, dans cette idée régulatrice qu'est le contrat social"'°. - puisqu'uni
C'est la donnée du droit naturel qui justifie que !e roi absolu, mais éclairé, Frédé- concerne l'Ét
ric II, ait pu se qualifier lui-même de « premier serviteur de l'État ». Dans la mesure supposerait e
ou l'individu qu'est le roi Frédéric II parle au nom de l'intérêt ~énéral, se laisse conféré son
guider par les consignes du droit naturel, il est un organe de l'Etat et ses sujets ancrées de la
obéissent non pas à un homme en chair et en os, mais à une autorité anonyme et et qu'il n'y a.
invisible, à l'État, à la loi "''. 11 en va de même pour le pouvoir constituam (origi- l'État reviem
naire) qui, étant souverain, n'a reçu aucune compétence de droit positif pour par- mands [qui] e
ler au nom de l'État 1" 2• 11 n'est un organe de l'État, au sens d'une entité abtraite, ticement un e
qu'à supposer que les constituants-personnes physiques ne donnent pas libre 516 À cette critic
cours à leur volonté particuliere, mais qu'ils sont investis du rôle de parler au satisfaisante 37
nom de toute la communauté nationale de parle droit naturel qui fait d'eux de l'analyse de ?
véritables représentants ·"'1• s' est fixé con
515 À partir du moment ou l'on supprime !e posrnlat du droit naturel, ]e concept sonnalité mo
tout entier est condamné. La tentative de Jellinek de !ui donner des fondements exclusivement
plus solides tirés du droit positif est vouée à l'échec, ainsi que l'a montré la cri- Mayer, qui se
tique de Mayer"". Selon ce dernier, l'État est et reste avant tout un fait, un pou- Ainsi, ce n'es
car « nihiliste,
sa propre thél
ne peut justiJ
360. lbid., p. 276. Cf ].-]. ROUSSEAU, Lecontrat social, op. cit., Liv. I, chap. 6, p. 361 s.
concept qui s,
361. R. THOMA, « Der Begriff der modernen Demokratie in seinem Verhaltnis zum Staatsbe-
griff », in Hauptprobleme der Soziologie. Erinnerrmgsgabe fiir M. Weber, München, Duncker & Hum- par Carré de í
blot, l~p, t. li, p. 49; O. MAYER, op. cit., p. 57. L'on comprend alors pourquoi E.-W. BÕC- lité juridique
KENFORDE, « Organ, Organisation, Juristische Person », in Fortschritte des Verwalttmgsrechts.
Festschriftfijr H.J. Woljf, München, Beck, 1973, spéc. p. 287 ss, récuse la not~on de personnalité juri-
également êt
dique de l'Etat en insistam sur !e statut particulier de l'organe suprême de l'Etat qu'il estime ne pou- déduire du d1
voir définir que de façon sociologique et non point juridique. II f~ut noter égalemem que P. Laband droit positif.
et G. Meyer situaiem au sommet de la personnalité juridique de l'Etat un titulaire physique de la puis-
sance étatique, ce qui va à !'encontre de l'idée de base (cf R. THÇ)MA, op. cit., p. 48).
362. Si l'on considere en effet que la personnalité juridique de l'Etat na1t avec la constitution, il faut
en tome rigueur admettrt; qu'en l'absence d'un mandat formei, le pouvoir constituam (originaire) 365. O. MAYEI;
n'est pas un organe de l'Etat. Les individus composam ce pouvoir ne font valoir que leur propre 366. Ibid., p. 11.
volomé et ne représentent que leur propre personne. Or, pour les positivistes, le pouvoir constituam 367. Ibid., p. 56,
originaire est un pouvoir étatique. Cf par ex. G. VEDEL, op. cit.J p. 104 : « C'est !e pouvoir consti- 368. Cf par ex. I
tuant qui manifeste de la n1aniere la plus visible la souveraineté de l'Etat parce que, en se donnant de lui- Traité de droit co,
même une constitmion, l'Etat affirme !,e camctere originaire et suprêmede son autorité. » D'ou les expli- 369. O. MAYEF
cations tres ambigues de R. CARRE DE MALBERG, Contrib11tion, t. I, p. 62 s, sur le caractere 370 .... voire auc
représentatif du ppuvoir constituam (originaire). par Otto Mayer
363. Cf E. SIEYES, Q11'est ce que !e tiers, état ?, chap. V; M. TROPER, « Le concept 9e constitu- Homburg, Gehl,
tionnalisme et la théorie moderne de l'Etat », in id., Pour une théorie juridique de l'Etat, op. cit., 3 71. II y revi em
p. 206. 372. L' expressio
364. Cette critique est du reste confirmée par des travaux plus récents. Cf F. LINDITCH, op. cit., Carré de Malbeq
p. 81 ss. D;apres l'auteur, « l'hypothétique acte j11ridique » qui viendrait conférer la personnalité 373. Ibid., t. !, p
morale à l'Etat reste« introuvable » (p. 82). Des lors, on ne peut faire !'impasse d'une « référence au 374. lbid., t. I, p
domaine politique » (p. 84). 375. Jbid., t. I, p
que de l'État: le droit naturel

ve de l'État. Elle prend, au


T La querelle méthodologique entre positivistes et jttsnaturalistes

voir 3''5. On aurait tort d'y voir une personne morale au risque de se mettre en
505

'État lui-même. Le statut de comradiction avec les prémisses méthodologiques du positivisme. Son analyse
.squ'il est lui-même la source part du point de vue de Laband qui a transposé en droit public la notion de per-
précede le droit positif, il en sonnalité morale utilisée en droit privé, et plus spécialemem en droit des socié-
t logiquement lui devoir sa tés commerciales 366 • Or, si le fondemem juridique de la personnalité morale de
onnalité morale ne peut rési- ces entités privées, sou~ises à l'autorité de l'État, est situé dans le droit positif
rice qu'est le contrat social"'°- - puisqu'une loi de l'Etat la leur accorde -, une telle loi fait défaut en ce qui
ii absolu, mais éclairé, Frédé- concerne l'État lui-même 307 • Appliqué à l'État, lf raisonnement de Laband pré-
iur de l'État ». Dans la mesure supposerait en effet qu'il existe au-dessus de l'Etat une autorité qui lui aurait
de l'imérêt ~énéral, se laisse conféré son statut par une loi. Or cela irait à !'encontre des idées les mieux
organe de l'Etat et ses sujets ancrées de la doctrine positiviste, selon laquelle l'État souverain précede le droit
iis à une autorité anonyme et et,qu'il n'y a de droit que le droit étatique 368 • Prôner la personnalité juridique de
le pouvoir constituam (origi- l'Etat reviem clone de la .eart de la doctrine - car ce som « les professeurs alle-
·nce de droit positif pour par- mands [qui] ont qualifié l'Etat de personne juridique » 369 - à réintroduire subrep-
au sens d'une entité abtraite, ticement un droit naturel que l'on croyait définivement voué aux gémonies.
siques ne donnent pas libre 516 À cette critique cinglante, l'école positiviste n'a su apporter aucune réponse
investis du rôle de parler au satisfaisante 370 • L'essai infructueux de Carré de Malberg, qui est bien au fait de
roit naturel qui fait d'eux de l'analyse de Mayerm, est des plus révélateurs. Cerres, le maí'tre de Strasbourg
s' est fixé comme objectif de rechercher le « fondement juridique » 172 de la per-
du droit naturel, le concept sonnalité morale. Un tel exercice semble aller de soi s'agissant d'une « notion
le lui donner des fondements exclusivement juridique » qui « prend sa source dans !e droit » 373 • Or, sa réplique à
e, ainsi que l'a montré la cri- Mayer, qui se décline en plusieurs argumentations, est assez peu convaincante.
te avam tout un fait, un pou- Ainsi, ce n' est pas en faisant miroiter à ses détracteurs les conséquences néfastes,
car « nihilistes », de leur critique que Carré de Malberg aura prouvé la validité de
sa propre théorie"'. Ce genre de chantage, dans leque! excelle égalememJellinek,
ne peut justifier tout au plus qu'un pis-aller, base assurément fragile pour un
:., Liv. l, chap. 6, p. 361 s. concept qui se veut fondamental. Quant à la deuxieme argumentation déployée
in seinem Verhalcnis zum Staatsbe-
Weber, München, Duncker & Hum- par Carré de Malbe;g - consistam à prouver la validité du concept de personna-
1prend alars pourquoi E.-W. BÕC- lité juridique de l'Etat à partir d'exemples tirés du droit positif 37; _ ' elle doit
n Fortschrille des Verwalwngsrechts. également être réfutée en raison de sa circularité. On ne peut logiquement
·écuse la notion de personnalité juri-
1prême de l'État qu'il estime ne pou- déduire du droit positif la validité d'un concept qui est censé fonder ce même
f~ut noter également que P. Lab~d droit positif.
l'Etat un titulaire physiq11e de la pu1s-
f OMA, op. cit., p. 48).
'État nait avec la constitution, il faut
, le pouvoir constituant (originaire) 365. O. MAYER, op. cit., p. 47 s.
1voir ne font valoir que leur propre 366. Ibid., p. 11.
!S positivistes, le pouvoir constituant 367. lbid., p. 56, p. 59 et P; 66 s.
cit., p. 104: « C'est !e pouvoir consti- 368. Cf par ex. R. CARRE DE MALBERG, Contribution, t. I, p. 56 s et 61 s. V. aussi L. DUGUIT,
l'Etat parce q11e, en se donnant de lm- Traité de droit constiwtionnel, op. cit., 3' éd., t. 1, p. 620.
rême de son a11torité. » D'ou les expli- 369. O. MAYER, op. cit., p. 59.
·b11tion, t. 1, p. 62 s, sur le caractere 370 .... voire aucune réponse du tout. Le silence qu'oppose GeorgJellinek aux objections formulées
par Ütto Mayer est à cet égard parlam. Cf sa Allgemeine Staats!ebre, réimpr. de la 3' éd. (1928),
'ROPER « Le concept de constitu-
Hamburg, Gehlen, 1966, p. 166 note 2.
,e théorie j11ridiq11e de !'État, op. cit., 371. II y revient à plusieurs reprises. V. Contribution, t. !, p. 19 s note 13; p. 29 s note 24; p. 41 s.
372. L'expression n'appar.ut curieusement que tres rarement (ibid., t. 1, p. 38 note 33), comme si
récents. Cf F. LINDITCH, op. cit., Carré de Malberg était déjà conscient des problemes insurmomables qui l'attendaient.
i viendrait conférer la personnalité 373. Ibid., t. I, p. 28.
1t faire !'impasse <l'une « référence att 374. lbid., t. 1, p. 29 s.
375. Ibid., t. I, p. 42 et 48.
506 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit natztrel

Carré de Malberg avance enfin l'idée, pour le moins curieuse de la part d'un
positiviste, qu' « il n 'est nullement besoin d'invoquer des textes positifs pour fon-
T La querelle n

que l'on ide


tion 384 , l'aut
der la personnalité de l'État ,,m,_ D'apres lui, la personnalité de l'État « est anté- tant, des crit
rieure à toute espece de lois émanant de ses organes. Elle découle du fait même de rie qui fait d
l'organisation unifiante avec l'établissement de laquelle a co'incidé la naissance desa les remarqm
premiere constitution ,,m_ Aux professeurs de droit de« constater » ce gui n'est sophisme? C
qu'un « fait ». Car, comme il le précisera plus tard, « la naissance de l'Etat n'est au droit que
pour [la science juridique] qu 'un simple fait, non susceptible de qualification juri- en réalité il 1,
dique » 178 • « Sa création, puisqu'elle précede l'apparition du droit, ne pettt constituer tort de s'ins1
un acte juridique »"", ce qui revient encore à dire que, contrairement à tous les de l'État à 1
autres groupements, dont la formation est conditionnée parle droit, l'État est d'ordre obje
une« personne morale de fait » 3' 0 • Carré de Malberg doit ainsi se rendre à l'évi- que! instam,
dence qu'il n'y a pas de «Jondementjuridique », au sens positiviste, à la person- mitation" n
nalité morale de l'État 38 '. Du coup, la notion de la personnalité morale de l'État, "limité" par
sans laquelle il est impossible de concevoir le droit public, se trouve réduite à un qu'il veut, e,
fait - « le droit tout entier présuppose un fait initial qui est le point de départ de tottt 518 Or, ce n'est
ordre jttridique » "' - , ce qui est évidemment inacceptable au regard de la dis- grossiereme1
tinction logique entre le Sein et le Sollen. tron libre, 1:
tatrice de l'I
B. La nécessaire présence d'une norme métajuridique sorte qu'il r
fondant l'autolimitation de l'État confusion d
traire 387 , il ir
517 La théorie de l'autolimitation (Selbstbeschrá'nkung) 3'3, qui se conjugue avec l'idée norme supé
de la personnalité morale de l'Etat, constitue une autre piece ma\'tresse de l'école Kelsen 188 • Je
positiviste de droit public. Elle constitue, à côté de la théorie des droits naturels blématique
dique positi
théorie de 1
376. lbid., t. 1, p. 42. Ce faisant, il contredit !'une des theses fondamentales de la doccrine positiviste. remem axée
Cf par ex. G. JELLINEK, Das System der s11bjektiven õjfentlicben Recbte, Freiburg i. Br., Mohr, 1892,
p. 27: « Elle [la personnalité] est to11jours conférée par !e droit, elle n'est pas donnée par la natltre. »
377. Contribution, e. 1, p. 42.
378. lbid., t. I, p. 62. 384. Cf parmi
379. lbid., t. I, p. 64. du droit nacure
380. lbid., t. I, p. 65. viduelle et coll,
381. lbid., e. I, p. 68. Ol1 serait tencé de répliquer que la consticu,tion est l'acte fondateur de la 1;er- 385. L. DUGl
sonnalité juridique de l'Etat. Mais, c'est oublier que le concept d'Etat est plus large que celui d'« Etat p. 321, la nocio
constiwé » (p. 51) : ainsi !e pouvoir constituam (originaire) est considéré par Carré de Malberg volonté à ses dé,
comme un pouvoir étatique alors que, par définition, il n'est pas encadré par la consticution. 386. C'est ce q
382. lbid., t. I, p. 67. tion de l'État s,
383. Sur l'aucolimitation, cf, outre la présentation générale supra (n" 97 ss), G. JELLINEK, Die par sa fonctior
recbtlicbe Natltr der Staaten·vertrãge. Ein Beitrag zur juristiscben Constmction des Võlkerrecbts [ = Staa- Cf R. von IH!
tenvertrãge], Wien, Hõlder, 1880, pp. 9-45; Die Lebre von den Staatenverbind1mgen [= Lebre], 387. V. par ex.
réimpr. de la lre éd. (1882), Aalen, Scienca, 1969, pp. 16-36; System der subjektiven õjfentlichen Rechte Contrib11tion, 1
[ = System], Freiburg i. Br., Mohr, 1892, p. 183-193; Gesetz mui Verordmmg [ = Gesetz], Freiburg i,. 388. H. KELS
Br., Mohr, 1887, p. 195 ss et p. 261 ss; Allgemeine Staatslehre, op. cit., p. 367 ss et p. 475 ss; R. CARRE 389. G. JELLI
DE MALBERG, Contrib111ion, t. I, pp. 228-243; L. DUGUIT, « La doctrine allemande de l'auto- t. I, p. 237 s. A1
liIJlitation de l'Ecac », RDP, 1919, pp. 161-190; M. CASTILLO, « La question d~ l'autolimitation de teur affirme en
l'F.tat », CPP], n" 13, 1988, pp. 87-102; M. LA TORRE,« Science juridique et Etat de droit -Leo- !'a -vz1 précéden,
nard Nelson et Georg Jellinek », in O. JOUANJAN (dir.), Figures de l'Etat de droit. Le Rechtsstaat s11bordonné à d
d,ms l'histoire i11tellect11elle et constit1ttionnelle de l'Allemagne, Strasbourg, PU de Strasbourg, 2001, renvoie aux w
p.318ss. l'État au droit.
ique de l'Ítat: le droit natttrel

.oins curieuse de la part d'un


T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnatttralistes

que l'on identifie - de façon réductrice, nous semble-t-il - à une hétérolimita-


507

er des textes positifs pour /on- tion 18', l'autre alternative pour fonder la subordination de l'État au droit. Pour-
sonnalité de l'État « est anté- t~nt, des critiqufs n'ont pas manqué de souligner l'extrême fragilité d'une théo-
Elle découle du fait même de ne qui fait de l'Etat à la fois l'objet et le sujet de la limite. On conna1t à cet égard
?e a co'incidé la naissance desa les remarques cinglantes de Léon D~guit : « Quine voit,qu'il n'y a !à qu'un pur
de « constater » ce gui n'est sophisme? Cette autolimitation de l'Etat est illusoire. Si l'Etat en ejfet n'est soumis
1, « la naissance de l'Etat n'est au droit que parce qu'il le veut bien, quand il le veut et dans la mesure oi't il le veut,
rsceptible de qualification juri- en réalité il n 'est point subordonné au droit. » 185 Le doyen de Bordeaux n' aurait pas
on du droit, ne peut constituer tort de s'insurger si, en effet, la théorie de l'autolimitation identifiait la volonté
iue, contrairement à tous les de l'État à l'arbitfaire, à un libre arbitre quine serait lié par aucune restriction
onnée par le droit, l'État est d'ordre objectif. A supposer que le souverain pourrait tout vouloir, à n'importe
g doit ainsi se rendre à l'évi- quel instam, dans n'importe quelles conditions, il va de soi qu'une telle "autoli-
sens positiviste, à la person- mitation" ne serait qu'une supercherie : cela reviendrait à dire que l'État est
>ersonnalité morale de l'État, "limité" par ce qu'il veut à l'instant ou il le veut. II serait "limité" à vouloir ce
public, se trouve réduite à un qu'il veut, ce qui n'est pas une limitation puisqu'il le veut de toute maniere.
ui est le point de départ de tout 518 Or, ce n'est pas ce que dit la théorie de l'autolimitation. Ce serait la caricaturer
ceptable au regard de la dis- grossierement que d'occulter, au-delà de l'élément volitif qui fait figure d'élec-
tron libre, 1~ présence d'une limite objective censée réguler la volonté autolimi-
tatrice de l'Etat. Plus précisément, Jellinek construit la volonté de l'État de telle
ne métajuridique sorte qu'il ne peut vouloir que ce, qu'il doit vouloir 1'". En s'opposant à coute
e l'État confusion de la souveraineté de l'Etat avec une omnipuissance absolue et arbi-
traire 187, il introduit de façon plus ou moins explicite une donnée objective, une
'\ qui se conjugue avec l'idée norme supérieure quine peut être que « mora/e», comme l'a clairement perçu
me piece ma1tresse de l'école Kelsen "'. Jellinek reconnalt d'ailleurs le caractere « métajuridique » d'une pro-
la théorie des droits naturels blématique qu'on ne saurait résoudre avec les seuls outils de la technique juri-
dique positiviste 3'". II n'hésite pas à avouer le lien ombilical qui relie sa propre
théorie de l'autolimitation à la philosophie politique et morale de Kant entie-
lamentales de la doctrine positiviste. rement axée sur l'idée d'autonomie. « Presque tous les adversaires de ma théorie
Freiburg i. Br., Mohr, 1892,
1 Rechie,
e n 'esi pas donnée par l,1 nat11re. »

384. Cf parmi d'autres G. VEDEL, Manuel élémentairededroit constitutionnel, p. 105 s. Pour l'école
du droit naturel moderne, il serait plus exact de parler des présupposés objectifs de l'autonomie indi-
viduelle et collective.
tu,tion est l'acte fondateur de la P,er- 385. L. DUGUIT, op. cit., p. 167-8. Selon A. TRUYOL SERRA,« Souveraineté », APD, t. 35, 1990,
'Etat est plus large que celui d'« Ei<1i p. 321, la notion d'autolimitation est « coniradictoire en elle-même, fattte d'une regle supérieure liant la
st considéré par Carré de Malberg volonté à ses décisions ».

1s encadré par la constitution. 386. C'esr ce qui ressare clairement dans Systen;, p. 184, ou Jellinek estime que l'intérêt et la fonc-
tion de l'Etat se confondent. Par conséquent, l'Etat veut par intérêt (égoi"ste) ce qu'il doit vouloir de
,pra (n" 97 ss), G. JELLINEK, Die par sa fonction (altruiste), à savoir instaurer un ordre juridique et faire regner l'intérêt général.
:onsimction des Võlke1Techts [ = Staa- Cf R. von IHERING, Der Zweck im Recht, 4° éd., Leipzig, Breitkopf & Hanel, J904, t. I, p. 294 s.
en Staatenverbindrmgen [ = Lebre], 387. V. par ex. G. JELLINEK, Siaaienvertrãge, p. 18 et Lebre, p. 35 s; R. CARRE DE MALBERG,
m der mbjektiven õffemlichen Rechie Contribution, p. 228 s et p. 234.
1 Verordmmg [ = Gesetz], Freiburg i,. 388. H. KELSEN, Hauptprobleme, p. 431.
~it., p. 367 ss et p. 475 ss; R. CARRE 389. G. JELLINEK, Allgemeine Siaatslehre, p. 368. Cf R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution,
, « La doctrine allemande de !'auto- t. I, p. 237 s. Apres avoir admis l'existence de regles de justice supérieures à la volonté de l'État, l'au-
« La question di, l'autolimitation de teur affirme en visam la théorie de l'autolimitation : « Le fait mênJe que l'État ne peui - comme on
ce juridique et Etat de droit - Leo- l'a vu précédemment - se passer de droit, suffirait à prouver que l'Etat, iout comme les individus, est
!tres de l'Etat de droit. Le Rechtsstaat mbordonné à des /ois divines ou naturelles qu'il n'a pas le pouvoir d'éluder ». Adde p. 242 ou l'auteur
trasbourg, PU de Strasbourg, 2001, repvoie aux convictions morales des gouvernants et du peuple pour garantir la subordination de
l'Etat au droit.

l
508 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natztrel

- affirme l' éminent professeur d'Heidelberg - ont omis de voir que, pour fonder
le droit public, j'ai transposé à l'État, par analogie, l'idée fondamentale de l'éthique
T La querelle mé,

gation (moral,
contredire, ce
modeme, [à savoir] l'autonomie morale et que, par conséquent, sa récusation ébranle ro1 ne som pai
non seulement le droit public mais aussi l'éthique. On aboutirait ainsi à un nihilisme !ois naturelles
qui rend impossible toute science sociale. » 3"º À nouveau, l 'é cole positiviste essaie de « le prince sou-i
s'approprier un concept forgé par l'école du droit naturel moderne, en l'espece La nécessit~
celui d'autonomie, à ceei pres que cette fois-ci Jellinek ne prétend plus vouloir de celui-ci qui
!ui substituer des fondements strictement juridiques. Le concept d'autolimita- d'un te! engag,
tion ou d'autodétermination (Selbstbestimmung) est la transposition à l'État, sous dans la conce1
un autre vocable - ce qui ne change rien au fond 391 - , du príncipe kantien de Raison qui pc
l'autonomie, leque! se trouve au cceur de la théorie moderne du droit naturel. individu 397 • D1
519 La présence de ces données jusnaturalistes sous la plume de Jellinek n'est pas un droit privé tr
accident du hasard. Elle répond, au contraire, à une nécessité logique. Pour s'en rieure 3"'. Du e
convaincre, il faut revenir à la critique récurrente que l'on a fait valoir à !'en- ti vistes, qu' il 1
contre de l'idée que quelqu'un pourrait se lier, de façon unilatérale, par sa seule 520 Or, justement
volonté. Jean Bodin est peut-être l'un des premiers à s'en faire l'écho dans le de vue juridiq1
domaine spécifique du droit public. Dans son fameux ouvrage Les six livres de la l'État » 1"". Le
République de 1576, Bodin énonce que le souverain, le roi, ne saurait se lier lui- Natur der Sta,
même : « Si dane le prince souverain est exempt des loix de ses predecesseurs, beau- droit dont l'ei
coup moins seroit-il tenu aux loix et ordonnances, qu'il fait; car on peut bien rece- vistes : il y e1
voir loy d'autruy, mais il est impossible par nature de se donner loy, non plus que de l'État qual
commander à soimesme chose qui dépend desa volonté (... ) le Roy ne peut être suget
à ses loix. » 392 Gardons-nous cependant d' en tirer des conclusions hâtives. Ce que
394. Cf G.MM
met en cause le célebre légiste est l'idée qu'une limite pourrait naí'tre d'un acte 395. J. BODIN,
absolument réflexif, en l'absence de toute référence à une norme extérieure et 396. L'argumern
supérieure. La validité du premier acte d'autolimitation d'une volonté, quelle (cf. supra n" 281; 1
of Legal Change .
qu'elle soit (étatique ou individuelle), présuppose en effet qu'il existe une regle des constitutions
antérieure qui définisse à la fois le príncipe de l'autolimitation - « Vous devez posait alors la qu,
respecter votre propre parole » - et ses modalités - « Pour que vous puissez unilarérale la con
Le droit de la C
engager votre parole, vous devez respecter les conditions suivantes ». C'est du monarques et no
reste ce qu'affirme de façon indirecte Bodin lorsqu'il estime que le roi est néan- que les constituti
moins soumis à ses propres !ois positives dans la mesure ou celles-ci transcrivent Wiener Schlussaki
quoi la rhéorie d,
les !ois de la nature et de Dieu que doit respecter en tout état de cause le souve- n-· 60 ss).
rain 393 • II revient ainsi au droit naturel de fixer le principe et l'étendue de l'obli- 397. Les théorici,
validité du droit p
caractere obligato
rie de Grotius, cf
390. G. JELLINEK, Gesetz, p. 199 note, 11. Dans le même sens, Staatenvertrãge, p. 14 ss; System, law, Grotius says, .
p. 185; Allgemeine Staatslehre, p. 480 ss. A titre d'exemple d'un auteur contemporain qui récuse à la qui ?i~~rencie ne
fois la théorie de l'autolimitation et la théorie jusnaturaliste de la hétérolimitation, on peut citer effrene a travers 1
G. Vedei. Cf infra n" 674. de L. LE FUR, E
391. Cf spéc. System, p. 185 ou Jellinek affirme que le concept d'obligarion auquel se réfere le droit propre rhéorie (Ji
est « en premier lieu éthique "· V. aussi Allgemeine Staatslehre, p. 352. en effer que « /,, s,
392. J. BODIN, Les six livres de la Rép11bliq11e, Paris, 1576, t. I, chap. IX, p. 130; cité par G. JELLI- dans les limites d"
NEK, Staatenvertrãge, p. 10. 398. L. DUGUJ'
393. Cf les explications et les renvois à l'ceuvre de Bodin chez G. MARSHALL, Parliamentary Sove- 399. G. JELLIN
reigntyand the Commonwealth, Oxford, Clarendon, 1957, p. 50. G.JELLINEK, op. cit., p. 10 n'évoque Allgemeine Staa/5
poim cet aspect de l'ceuvre de Bodin. Des lors, Bodin fait figure d'oppposant à la rhéorie de l'autoli- 400. Staaten·vert,
mitation alors qu'il dit la même chose sur le fond, quoiqu'en récusant le terme d'autolimitation. 401. Ibid., p. 37.

l
ique de l'État: le droit natttrel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 509

· omis de voir que, pour fonder gation (morale) du souverain à respecter ses propres lois. Bodin devrait clone se
idée fondamentale de l'éthique contredire, ce qu'il évite en estimant que les lois positives que doit respecter le
rzséquent, sa récusation ébranle roí ne sont pas des lois positives - bien qu'elles soient posées par lui - mais des
aboutirait ainsi à un nihilisme lois naturelles 394 • En jouant avec les mots, il maintient son idée de départ que
tu, l' école positiviste essaie de « le prince souverain ne se peut lier les mains, quandores il voudroit » 395 •

naturel moderne, en l' espece La nécessité logique d'une norme qui soit extérieure et supérieure à la volonté
inek ne prétend plus vouloir de celui-ci qui s'autolimite, et qui définisse le principe, la portée et les limites
1es. Le concept d'autolimita- d'un tel engagement unilatéral, a été mise en exergue par divers auteurs 3" . Ainsi,
la transposition à l'État, sous dans la conception jusnaturaliste de l'autonomie, ce rôle régulateur revient à la
39
' - , du principe kantien de
Raison qui pose des conditions à la validité des engagements souscrits par un
ie moderne du droit naturel. individu 3'7_ De même, Duguit a insisté sur le fait que les cas d' autolimitation en
droit privé trouvent leur fondement dans la loi de l'État qui leur est supé-
,lume de Jellinek n'est pas un
rieure 398. Du coup, le cas de l'État pose probleme si l'on considere, avec les posi-
e nécessité logique. Pour s'en
tivistes, qu'il ne saurait y avoir de norme juridique au-dessus de l'État.
que l'on a fait valoir à l'en-
:açon unilatérale, par sa seule 520 Or, justement sur ce point, Jellinek avoue qu'il est nécessaire de« quitter le point
rs à s'en faire l'écho dans le de vue juridique formei» pour s'intéresser au « moment substantiel du droit et de
!ux ouvrage Les six livres de la l'État » 3" . Le texte fondateur de sa théorie de l' autolimitation - Die rechtliche
1, le roi, ne saurait se lier lui- Natur der Staatenvertrâge écrit en 1880 - s'inspire en effet d'une définition du
loix de ses predecesseurs, beau- droit dont l'esprit et le style sont assez loin de la pureté et de la rigueur positi-
"J 'il fait; car on peut bien rece- vistes, : il y est question des « motift rationnels » ' 00 censés guider une volonté
ie se donner loy, non plus que de l'Etat qualifiée également de « volonté éthique » 'º', de ses « fonctions » qui
té (... ) le Roy ne peut être suget
s conclusions hâtives. Ce que 394. Cf G. MARSHALL, op. cit., p. 50.
nite pourrait naitre d'un acre 395. J. BODIN, op. cit., p. 133; cité par G. JELLINEK, Staalenvertrãge, p. 10.
ce à une norme extérieure et 396. L'argument est développé par divers commentateurs de l'affaire australienne Trethowan
(cf mpra n" 281; W. FRIEDMANN, « Trethowan's Case, Parliamemary Sovereigmy, and the Limits
itation d'une volonté, quelle of Legal Change ", ALJ, vol. 24, 1950, pp. 103-108; H.L.A. HART, Concept, p. 43). Voir aussi !e cas
en effet qu'il existe une regle des constimtions octroyées par les princes allemands au titre de leur souveraineté monarchique. Se
1tolimitation - « Vous devez po~ait alars la questjon de savoir si le roi ou l'un de ses successeurs avait le droit de révoquer de façon
umlatérale la consmution. Or, dans le cas de I' Allemagne, ce point est darifié par le droit positif.
s - « Pour que vous puissez Le droit de la Confédération germanique dispose en effet : 1} que la souveraineté réside dans les
tditions suivantes ». C'est du monarques et non pas dans le peuple; 2) que les rois som obligés d'octroyer une constitution; 3}
t'il estime que le roi est néan- que les constitutions ne peuvent être révisées qu'en respectant les formes prévues à cet effet (an. 56
Wiener Schlussakte). Toute révocation unilatérale était dane interdite. On comprend des lors pour-
esure ou celles-ci transcrivent quoi la théorie de l'autolimitation a pu connaitre unte! succes dans la doctrine allemande. (cf supra
~n tout état de cause le souve- n" 60 ss).
,rincipe et l'étendue de l'obli- 397. Les théoriciens du droit namrel étaiem conscients du probleme. Car si le comrat social fonde la
validité du droit positif, il reste à expliquer pourquoi les individus seraient liés parle comrat social. San
caractere obligatoire ne peut découler que de la regle de droit namrel pacta s1ml ser.;anda. Sur la théo-
rie de Grotius, cf K. OLIVECRONA, op. cit., p. 13 : « The social contract is the mother o/positive hmnan
ns, Staatenvertrãge, p. 14 ss; System, la'lf!, (!roll11s ~ays, and the law o/nalttre its grandmolher. "Voir aussi A. KAUFMANN, op. ciL, p. 177 s
auteur contemporain qui récuse à la qui d1fférenc1e nettemem entre le concept kamien de l'autonomie et sa dérive vers un subjectivisme
:le la hétérolimitation, on peut citer effréné à travers )a philosophie existentialiste 9e J.-P. Sanre. C'est ce qui resson égalemem des écrits
de L. LE FUR, Etat fédéral et confédération d'Etals, Paris, 1896, p. 443, que Jellinek cite à l'appui desa
d' obligation auquel se réfere le Jroit propre théorie (Allgemeine Staatslehre, p. 481 npte 1). Le Fur, qui fut un adepte du droit naturel, affirme
. 352.
en effet que« la so11veraineté est la q11alité de l'Etat de n 'être obligé ou détenniné que par sa propre volonté,
chap. IX, p. 130; cité par G. JELLI- dans les limites dtt príncipe supériettr dtt droit, et conformément att bttt collectifqu'il est appelé à réaliser "·
398. L. DUGUIT, op. cit., p. 181.
::;_ MARSHALL, Parliamentary Sove· 399. G. JELLINEK, Staatenvertrãge, p. 38. Cf aussi p. 45. Dans le même sens: System, p. 193 et
G.JELLINEK, op. cit., p. 10 n'évoque Allgemeine Staatslehre, p. 368.
~ d'oppposant à la théorie de l'autoli- 400. Staaten·vertrãge, p. 38.
cusant le terme d'autolimitation. 401. lbid., p. 37.

l
•.

510 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natttrel


·r·· La querelle mét)

consistent à établir un ordre juridique et à faire regner l'intérêt général 'º', sans exister qu 'aussi l
oublier le « principe objectif» qui constitue !'ultime fondement du droit'º'. C'est de l'État » "'. II,
dans ces éléments métajuridiques que se situe visiblement !e fondement de l'auto- exigent que la f
limitation, autrement dit la norme qui en définit, d'une part, le príncipe et, certaine modul:
d'autre part, les modalités et clone aussi les exceptions. Sur !e príncipe, Jellinek à trois exemplei
est tres ferme: « D'un point de vue matériel, il n'appartient pas à l'État de décider premiers écrits'
discrétionnairement s'il veut ou non créer un ordre juridique et que! contenu il cas de circonsta:
revient de fui donner. » ,0➔ De par sa fonction, il est « obligé » de se do ter de !ois'º', le législateur ne
et, en premier lieu, d'une constitution 'OI,. des « Veifassum
Le caractere « moral» (Kelsen) d'une telle obligation appara1t encore davan- des traités inte;
tage dans le System der subjektiven offentlichen Rechte de 1892, ou Jellinek revient fameuse clausu/,
sur ce qui fonde la premiere autolimitation de l'État, déclenchant sa métamor- et le contenu va
phose en une personne juridique. À la source de cette autolimitation se trouve validité de l'aut,
la « regle suprême » de la conduite de l'État, « dans laquelle se joignent la loi juri- chague fois pos
dique et la loi mora/e » et dont le contenu est le suivant : « Prends chacun de tes En ce sens, la •
actes de telle façon qu'il corresponde au mieux à l'intérêt général. » ' 07 L'auteur auteurs classiqu
ajoute dans une note de bas de page : « Car c'est grâce à la reconnaissance de ce à véhiculer un r
devoir que s'opere son autolimitation, sa mutation d'un sujet de pouvoir en un sujet
de droit. » 'º' C' est clone parce qu' il existe cette « regle suprême » - qui n 'est pas C. Le
sans rappeler l'impératif catégorique de Kant - que l'Etat, simple force brute,
doit se donner un ordre juridique'º' et le maintenir par la suite, caril !ui est inter-
dit de créer un néant juridique"º. S'il !ui est loisible de changer telle ou telle 522 La nécessité loE
limite, il doit néanmoins la remplacer par une nouvelle. II ne saurait commettre des questions 1
un suicide légal en supprimant, parle biais d'un ultime acte juridique, tout l'or- N. Bobbio, « e
donnancement juridique rn. mora/e d'obéir,
521 Encore ne faut-il pas en déduire que l'État serait, dans tous les cas de figure, tenu punir celui qui ,z
de respecter sa propre parole. II peut, selou Jellinek, qui reprend sur ce point une tion » "°. Ce ser
idée déjà développée par Ihering"', se dédire car « la limitation de l'État ne peut

402. Ibid., p. 39 et p. 44. 413. Staatenverm;;~


403. Ibid., p. 43. Si cet élémem jusnaturaliste est moins flagram dans ses écrits postérieurs, il n'en 414. Staatenvertrãg
reste pas moins présem. Jellinek n'a d'ailleurs jamais renié ce texte; au comraire, il s'y réfere tou- temem le principe ,
jours lorsqu'il aborde la question du fondemem de l'autolimitation. 415. II s'agit, bien e
404. Ibid., p. 38. La référence à un comenu obligatoire du droit va completemem dispara1tre dans tif rei que c' est le e:
les écrits ultérieurs de Jellinek. En revanche, l'obligation de se doter d'un ordre juriçlique formei, 416. Gesetz, p. 263
quel qu'en soit le comenu, restera inchangée. Cf Allgemeine Staatslehre, p. 477 : « L 'Etat pe11t certes consiste à adopter 1
choisir quelle constit11tion il vettt, mais il doit cependant en a·voir 11ne. [... ] Seul le Comment (Wie), mais deux tiers exigée p,
pas le si (Ob} d'11n ordre j11ridiq11e releve de son po11voir [... ]. ,, culiere, sans pour .1
405. Staatenvertrãge, p. 38. qu'emériner ce qui
406. Allgemeine Staatslehre, p. 477. rolimitation, le fact
407. System, p. 190. 417. Staatenvertrãg
408. Ibid., p. 190 note 1. aussi F. SOMLO, )1
409. St,iatenvertrãge, p. 23, 38 s et 44. mitation ne vaut qu
410. St,1atenvertrãge, p. 23; Lebre, p. ,33 (exemple de la Constitution) et note 44; Allgemeine Staats- tional.
lehre, p. 477 et p. 482. Cf R. CARRE DE MALBERG, Contribution, t. I, p. 229 et p. 234. 418. On remarque,
411. Lehre, p. 33 note 44. l'autolimitation qui
412. R. von IHERING, op. cit., t. I, p. 327 ss: « Les limites de la subordination d11 po11voir étatiq11e à 419. On verra que,
la !oi. ,, II prévoit, au nom du « sal11t de la société,, et de la «justice», diverses limites à l'autolimita- auteurs qui se récl:
tion dom le concept du « Notrecht ,, (329) et, sunour, la suspension du principe n11lla peona sine lege norme métajuridiq,
dans le cas d'un crime abject non prévu parle code pénal (334). 420. Cf N. BOBBI
7.ue de l'État: le droit naturel

;ner l'intérêt général'º', sans


fondement du droit'º'. C'est
T La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

existe; qu'aussi longtemps qu'elle est raisonnable, c'est-à-dire conforme aux fonctions
de l'Etat » ' 13 • li existe clone des cas ou des « raisons importantes» justifient, voire
511

ment !e fondement de !'auto- exigem que la puissance publique se mette au-dessus du droit positif. D'ou une
, d'une part, !e principe et, certaine modulation du príncipe de l'autolimitation que l'on peut illustrer grâce
ms. Sur !e principe, Jellinek à trois exemples caractéristiques. Tout d'abord,Jellinek admet, du moins dans ses
'artient pas à l'État de décider premiers écrits' 1', la possibilité pour l'État de se dispenser du respect de la loi en
juridique et que! contenu il cas de circonstances exceptionnelles (Notrecht)m. En deuxieme lieu, il estime que
obligé » de se doter de !ois'º', le législateur ne méconnart pas la constitution par la pratique tres controversée
des « Verfassungsdurchbrechungen » rn,. F;nfin, il relativise le caractere obligatoire
ltion apparart encore davan- des traités internationaux signés par l'Etat en postulant de façon généralisée la
( de 1892, ou Jellinek revient fameuse clausula rebus sic stantibus 417 • Chacun de ces exemples illustre l'existence
lt, déclenchant sa métamor- et !e contenu variable' 18 de cette -9orme de droit naturel qui fixe les conditions de
:tte autolimitation se trouve validité de l'autolimitation de l'Etat. Qu'elle soit simple ou complexe, elle est à
'aquelle se joignent la !oi juri- chaque fois postulée dans les écrits des juristes positivistes sur l'autolimitation.
vant : « Prends chacun de tes En ce sens, la science constitutionnelle française qui s' en remet souvent aux
ntérêt général. » 407 L'auteur auteurs classiques, sans toujours exercer un droit d'inventaire critique, continue
sâce à la reconnaissance de ce à véhiculer un message cryptopolitique sans s'en apercevoir"'.
m sujet de powvoir en un sujet
:le suprême » - qui n 'est pas C. Le fondement et les limites du caractere obligatoire
e l'Etat, simple force brute, du droit positif
1ar la suite, caril !ui est inter-
)le de changer telle ou telle 522 La nécessité logique d'une obligation morale d'obéir à la loi positive est l'une
"elle. II ne saurait commettre des questions les plus âprement débattues par les juristes. Pourtant, d'apres
ime acte juridique, tout l'or- N. Bobbio, « c'est une donnée de fait que tout ordre compte aussi sur l'obligation
morale d'obéir, pour le moins de la part de ceux à qui est confiée la tâche de
11s tous les cas de figure, tenu punir celui qui a démontré ne pas ressentir cette obligation, ni avo ir peur de la sanc-
qui reprend sur ce point une tion » m_ Ce serait en effet se rendre coupable d'un paralogisme que de vouloir
'a limitation de l'État ne peut

413. Staatenvertrãge, p. 41.


: dans ses écrits postérieurs, il n'en 414. Staatenvertrãge, p. 40 ss. Plus tard, dans sa Allgemeine Staatslehre, p. 359,Jellinek critiquera ver-
!xte; au comraire, il s'y réfere tou- temem le principe selon leque! nécessité fait !oi.
ton. 415. 11 s'agit, bien entendu, de circonstances exceptionnelles non prévues par un texte de droit posi-
t va completement disparaitre dans tif te! que c'est !e cas actuellement avec, par exemple, l'art. 16 de la Constitution française de 1958.
doter d'un ordre juri~ique formei, 416. Gesetz, p. 263 et p. 268. Cette pratique à laquelle le parlement allemand eut souvent recours
atslehre, p. 477 : « L 'Etat pettt certes consiste à adopter une !oi ordinaire, qui est contraire à la constitution, à la majorité qualifiée des
rie. [... ] Seul !e Comment (Wie), mais deux tiers exigée pour une révision constitutionnelle. On fait profiter la !oi d'une dispense parti-
culiere, sans pour autant changer le texte formei de la constitution. Sur ce point, Jellinek ne fait
qu'entériner ce qui se passe en réalité (cf ibid. p. 263 note 2a). Parle biais de la norme fondant l'au-
tolimitation, le factuel devient ainsi le normatif...
417. Staatenvertrãge, p. 40 ss. Cf aussi les développements chez L. DUGUIT, op. cit., p. 188. Voir
aussi F. SOML0,]11ristische Gnmdlehre, Leipzig, F. Meiner, 1917. Selon !ui, le principe de l'autoli-
mitation ne vaut que pour les normes de droit interne et non à l' égard des normes de droit interna-
tion) et note 44; Allgemeine St,wts· tional.
·1tion, t. I, p. 229 et p. 234. 418. On remarquera que Carré de Malberg n'évoque à aucun moment une exception à la regle de
l'autolimitation qui aurait clone valeur absolue à ses yeux.
mbordination d11 pott·voir étatique à 419. On verra que dans le débat sur le statut juridique du pouvoir de révision constitutionnelle, les
ice»,diverses limites à l'autolimita- auteurs qui se réclament de la théorie d'autolimitation véhiculent diverses conceptions de cette
on du principe n11lla peona sine lege norme métajuridique. Cf infra n· 685.
420. Cf N. BOBBIO, op. cit., p. 31 et supra n" 431 ss.
512 Les enjettx théoriqttes de la fondation juridique de l'État: !e droit naturel La querelle m,

fonder le caractere obligatoire du droit à l'égard des organes de l'État sur la don 't stop exis
contrainte, alors qu'ils en som les détenteurs exclusifs. Quant à l'hypothese merit or demc
d'une obligation créée par le droit positif, i.e. la constitution, elle aboutit iné- is and remain
luctablement à une impasse puisqu'elle ne dit rien sur la validité de la constitu- voir lire dans
tion elle-même 411 • Du coup, ce qui est au centre du débat, ce n'est pas tant le ou plutôt ré1
príncipe d'une telle obligation in foro interno, mais plutôt son fondement et ses demain, voire
limites. L'on connalt à cet égard la fameuse formule, censée résumer la doctrine il se peut que
de droit naturel, de la !ex injusta non est lex qui n'a cessé de faire couler de le client qui a
l'encre 422 • On se perd facilement dans les arcanes de ce débat fort complexe et il ou l'édulcore
importe par conséquent d'avancer avec prudence en décortiquant soigneusement mentqueles j
les termes de la question. - l'expérienc
523 Pour cela, on peut commencer par le point de départ choisi par N. MacCor- exécu tants de
mick, à savoir la phrase d' Austin selon leguei « the existence of law is one thing; bien au-delà J
its merit or demerit another » 423 • II est un fait certain, que même le jusnaturaliste En suppos,
ne contestera guere - car sinon tout le débat sur un éventuel droit de résistance continuera à e
n'aurait pas de sens -, qu'il existe des lois positives injustes, immorales, c'est-à- jamais avoué ii
dire contraires au droit naturel. Le droit positif existe dane déjà - sous une nueront dans
forme qui reste à préciser - avant que n'intervienne la critique fondée sur le ne seront jam;
droit naturel; il jouit clone d'une certaine autonomie. N. MacCormick en déduit Selon cette vi
que « puisque tottt cela est si évident, il parazt tout aussi évident qu'il doit y avoir l'État se confr
une façon de rendre compte de l'existence du droit, qui soit assez indépendante de "on", c'est-à-d
toute théorie de la justice. Les lois n 'existent pas en raison du fait qu'elles sont justes, d' Austin 428 , de
et elles ne s'arrêtent pas d'exister en vertu du fait qu'elles sont injustes (Laws don't quée manu 11,
exist by virtue ofbeingjust, and don 't stop existing by virtue ofbeing unjust) » m_ Or, injuste est (ét;
c'est sur la façon d'appréhender cette « existence » du droit positif que se divisem possible de cc
les esprits 425 • Que signifie en effet pour le droit positif « d'exister »? Si l' on se situe c'est oublier q
dans une démarche empirique - ce qui est le propre à la fois des positivistes et, d'un libre arbi
dans un premier temps, des jusnaturalistes -, l'existence d'une loi injuste est l'État. II s'ave
d'ordre factuelle. II est un fait avéré, que l'on peut vérifier empiriquement, que in foro interno
le législateur a adopté en l'an X telle loi inique, que la justice et la police l'ont à l'encontre d1
appliquée par la suite et que, jusqu'à ce jour, aucun mouvement de révolte popu- 525 De quoi s'agit
laire n'a éclaté afin de s'y opposer. positif, qui, a1
524 Or, comme nous l'avons démontré, il s'agit là simplement d'un constar de faits autorités hum
historiques. La description d'un passé, soit lointain soit proche, constitue, en naturel peut ér
effet, la seule catégorie d'énoncés à caractere objectif qu'autorise une méthode
strictement empirique. Pourtant, à lire les conclusions des positivistes quant à
l'existence de la loi injuste, on s'aperçoit qu'elles vont bien au-delà. Ainsi, 426. A. ROSS, op
427. II existe par ,
N. MacCormick en déduit non seulement que la loi injuste existe, ou plutôt dividu pris dans 1
existait encore récemment, mais qu'en outre elle continuera à exister (« Laws... qu'un arbitraire ai
tant soit peu enc.1
15 septembre 193:
voit de punition q
4 21. Cf supra notes 154 et 327. terait dane indem
422. Sur !'origine et !e sens de cette formule cf J. FINNIS, op. cit., p. 350 ss. prévue par la loi,
423. J. AUSTIN, The Province of]urispmdence Detennined, op. cit., p. 184. mon, ce qui n'a
424. N. MacCORMICK & O. WEINBERGER, op. cit., p. 128. op. cit., p. 105-123
425. Cf R.A. DUFF, « Legal Obligation and the Moral Nature of"Law », op. cit., p. 61. 428. J. AUSTIN,
7ue de l'Éiat: le droit naturel La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 513

les organes de l'État sur la don 't stop existing » ). Ross en <lira de même : « The existence oflaw is one thing; its
usifs. Quam à l'hypothese merit or demerit another. For this means exactly that the law is a Jact; and that a fact
,nstitution, elle aboutit iné- is and remains a fact wether you happen to like it or not. » 416 Or, à moins de pou-
:ur la validité de la constitu- voir lire dans les astres, il va de soi qu'on ne peut déduire de l'existence "actuelle"
1 débat, ce n' est pas tam le ou plutôt réceme d'une loi positive, le « fait » qu' elle continuera à exister
plutôt son fondement et ses demain, voire apres-demain. Toutes les hypotheses som en effet envisageables :
, censée résumer la doctrine il se peut que les juges, ou un seul juge - celui auquel est soumis, par exemple,
1'a cessé de faire couler de le client qui avait demandé conseil à un avocat - n'applique pas la regle du tout,
ce débat fort complexe et il ou l'édulcore en ayant recours à son pouvoir d'interprétation; il se peut égale-
:lécortiquant soigneusemem mem que les juges continuem à appliquer la loi à la lettre; enfin, il n'est pas exclu
- l'expérience du Ili' Reich le prouve malheureusement - que les juges ou les
exécutants de la justice que sont les policiers, les gardiens de prison, etc. vont
,art choisi par N. MacCor-
bien au-delà dans l'inhumain et l'injuste de ce qu'exigeait la loi 427 •
existence of law is one thing;
En supposant que parce qu'une loi existe (existait) - ce qui est un fait - elle
que même le jusnaturaliste
continuera à exister - ce quine l' est plus -, les positivistes partem d'un a priori
éventuel droit de résistance
jamais avoué à savoir que les individus qui constituem les organes de l'État conti-
in justes, immorales, e' est-à-
nueront dans le futur à appliquer les lois positives, aussi injustes soient-elles, et
:iste clone déjà - sous une
ne seront jamais tentés de les violer, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire.
ne la critique fondée sur le
Se}on cette vision fortement teintée de déterminisme, ou l'intérêt égoi"ste de
. N. MacCormick en déduit
l'Etat se confond avec le respect de ses propres lois, il est plus que probable que
ssi évident qu 'il doit y avo ir
"on", c'est-à-dire l'individu malheureux qui risque d'être pendu, selon !'exemple
ti soit assez indépendante de
d' Austin ' 2", devra faire face demain à J'existence de la loi injuste qui lui sera appli-
on du fait qu 'elles sont justes,
quée manu militari si nécessaire. A en croire les positivistes, la loi positive
lles sont injustes (Laws don 't
injuste est (était) et continue à être un fait. De là, on pourrait déduire qu'il est
:rtue ofbeing unjust) » 424 • Or,
possible de concevoir le droit sans avoir recours à une obligation morale. Or,
droit positif que se divisem
c'est oublier que les individus qui sont investis de l'autorité publique, som dotés
: « d'exister »? Si l' on se situe
d')ln libre arbitre et que le droit s' adresse à la fois aux individus et aux agents de
'. à la fois des positivistes et,
l'Etat. Il s'avere ainsi qu'on ne peut faire l'impasse sur une obligation morale,
stence d'une loi injuste est
in foro interno, d'obéir à la loj positive, faute de quoi il n'existerait pas de droit
érifier empiriquemem, que
à !'encontre des organes de l'Etat. .
'. la justice et la police l'om
t0uvemem de révolte popu- 525 De quoi s'agit-il en effet? Selon la lecture jusnaturaliste présentée ici, le droit
positif, qui, au sens étymologique, n'est autre que le droit posé par certaines
autorités humaines, ne constitue qu'un simple fait historique que seul le droit
emem d'un constat de faits
naturel peut ériger en Sollen, c'est-à-dire en une norme (obligatoire) visam à régir
L soit proche, constitue, en
if qu'autorise une méthode
)ns des positivistes quam à
426. A. ROSS, op. cit., p. 52 (souligné par nous).
vont bien au-delà. Ainsi, 427. Il existe par conséquem des cas limites ou il est moralemem souhaitable - pour le salut de ]'in-
oi injuste existe, ou plutôt dividu pris dans les mailles du pouvoir -, que l'État respecte ses propres !ois injustes pour éviter
ntinuera à exister (« Laws... qu'un arbitraire absolu, délié de toute forme et limitation, vienne se substituer à une injustice légale
tant soit peu encadrée et prévisible. L'exemple le plus terrible est celui des ]ois de Nuremberg du
15 septembre 1935 imerdisam les rapports sexuels entre aryens et juifs. II se trouve que la loi ne pré-
voit de punition qu'à !'encontre de l'homme, que! que soit d'ailleurs son statut racial. La femme res-
terait clone indemne si ]'on appliquait la !oi à la lettre. Orla Gestapo se réservait la possibilité, non
., p. 350 ss. prévue par la !oi, de corriger des décisions de justice. De même, la !oi ne prévoyait pas la peine de
t., p. 184. mort, ce qui n'a pas empêché certains juges de l'appliquer. Cf I. MÜLLER, Furchtbare ]uristen,
op. cit., p. 105-123.
f"Law », op. cit., p. 61. 428. J. AUSTIN, op. cit., p. 185.

l
514 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel

la conduite projetée des êtres humains. À cet effet, le droit naturel crée au béné-
fice du droit positif une obligation d'obéissance dans le chef des êtres humains,
T La querelle m

ne peut être
violence » rn e
obligation qui est par définition une obligation in foro interno et qui n'a rien à la même q1
à voir avec la force coercitive m_ Inversement, la formule !ex injusta non est la Grundnor
!ex signifie que le fait qu' est la loi positive ne mérite pas d'être élevé à l' état de Sollen, mais<
Sollen et de porter, par conséquent, le qualificatif de loi, de norme. Si une telle soit, à suppc
loi positive est toujours positive - c'est un fait historique indéniable - elle ne tive, aucun d
saurait se targuer d'être une loi' 3º, c'est-à-dire d'être obligatoire en conscience, liste - ne dir
d'avoir ce que saint Thomas d'Aquin appelle la« virtutem obligandi ,,rn_ 11
convient maintenant d'envisager les conséquences pratiques de l'analyse dégagée
ici. Une fois que l'on a décrit le fait historique d'une loi positive, que l'on juge
contraire au droit naturel et qui n'oblige donc pas en conscience, il reste
à savoir comment vont y réagir les divers acteurs. Soit personne, ni les individus 527 Le positivisn
ni les agents de l'État, n'a,Ppliquent la loi; soit, ce qui est le cas le plus problé- semblances a
matique, les agents de l'Etat continuent à l'appliquer alors que les individus unit. 11 s'aver
ne se sentem pas liés en conscience. Dans ce dernier cas, le fait qu'est la loi posi- que le conce1
tive risque de se perpétuer en tant que tel par le biais de la contrainte exercée par exclusivemen
le plus fort. Mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit toujours d'un fait - « a fac- vistes se plai:
tual data » m - qu'il vaut mieux esquiver si on le peut, et non pas d'un Sollen, paradoxalem.
d'une loi. droit naturel.
526 À analyser cette situation de plus pres, on s'aperçoit en finde compte que la que- positives la F
relle entre le juspositivisme et le jusnaturalisme repose, en partie, sur un droit naturel
malentendu sémantique. L'un entend parle mot foi une obligation qu'il identi- de la doctrin,
fie à la contrainte : en ce sens précis, un juif est soumis sous le III' Reich aux qu'elle ouvre
fois nazies puisqu'il risque de s'exposer à des sanctions, à supposer que la loi en rei. La naturc
question en ait prévues et que celles-ci soient appliquées à la lettre par les ins- ainsi que l' ill
tances étatiquesm. En revanche, il est impossible au juspositiviste de clamer
la subordination de l'État nazi aux fois nazies des lors qu'il confond obligation
et contrainte. Quant au jusnaturaliste, il ne dira pas que le juif est soumis à
des fois nazies, puisque pour lui le mot foi est associé à l'idée d'obligation qui

429. Cf supra les développemems sur Hobbes, Blackstone, Rousseau, Constam. D'apres J.-J. Rous-
seau, Contrat social, Livr. I, chap. 3, aucune obligation, au sens strict du terme, ne peut naitre de la
force, de la comraime. Par définition, il n'y a d'obligation que d'obligation morale. Cf A. K.AUF-
MANN, op. cit., p. 176; S. CITTTA, op. cit., p. 282 ss; H. WELZEL, op. cit., p. 337: « La contrainte
ne fait q11e contraindre, elle n'oblige point. Se11le une ·vale11r peut obliger el celle-ci 11011s oblige d'zm poilll
de v11e moral. Les obligations j11ridiq11es, elles a11ssi, n'existent q11'en tant q11'obligations morales. » Voir
aussi K. OLIVECRONA, op. cit., p. 9 s (Grotius, Pufendorf). Les Allemands distinguem d'ailleurs
entre Sollen et Müssen. Contra l'usage sémamique des juristes anglais qui se servem du terme obliga-
tion à double titre : legal obligation = contrainte et moral obligation = obligation en conscience.
Cf la distinction de H.L.A. HART entre « being obliged » et « having ,m obligation » (.Concept,
p. 82 ss).
430. Ainsi la formule même de droit positif n'a de sens qu'à supposer l'existence d'un droit naturel 434. C. von R(
qui puisse justifier la présence du mot droit. p. 338.J. HABE
431. S1111m1a Theologiae, I-II, quest. 96, art. 6 e; cité par J. FINNIS, op. cit., p. 360. D'apres men mtr ais eine
St Thomas,« s11ch laws do not oblige in the fomm o/ conscience » (cité ibid., p. 360 note 6). baren Folgen mõ,;
432. R.A. DUFF, op. cit., p. 65. 435. Cf le fame
433. Voir aussi !'exemple du touriste américain cité par N. Hoerster (cf mpra note 106). Cf s11pra n" 345.
i,que de l'État: le droit naturel

le droit naturel crée au béné-


T
'
La querelle méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes

ne peut être que morale; à ses yeux, il s'agit d'un simplefait, « d'un rapport de
515

ns le chef des êtres humains, violence » 431 qu'il serait évidemment imprudent d'ignorer. On aboutit d'ailleurs
1 foro interno et qui n'a rien à la même qualification dans le modele kelsénien si l'on refuse de présupposer
formule lex injusta non est la Grundnorm : dans ce cas de figure, les lois positives ne constituem plus un
te pas d'être élevé à l' état de Sollen, mais de simples rapports de pouvoir au sens sociologique. Quoi qu'il en
le loi, de norme. Si une telle soit, à supposer que le juif ait la possibilité de violer impunément la loi posi-
torique indéniable - elle ne tive, aucun des deux juristes - à moins de faire l'apologie d'une éthique léga-
~e obligatoire en conscience, liste - ne dira qu'il est néanmoins tenu de la respecter 435 •
411
« virtutem obligandi » • II

>ratiques de l'analyse dégagée


ne loi positive, que l'on juge
pas en conscience, il reste
::iit personne, ni les individus 527 Le positivisme a clone une certaine valeur heuristique et présente même des res-
qui est le cas le plus problé- semblances avec la théorie du droit naturel, en raison du lien de filiation qui les
quer alars que les individus unit. II s'avere néanmoins que le concept du droit, défini comme un Sollen, ainsi
r cas, le fait qu' est la loi posi- que le concept juridique de l'État se soustraient en fin de compre à une analyse
s de la contrainte exercée par exclusivement positiviste. La distinction entre être et devoir-être, que les positi-
. toujours d'un fait - « a fac- vistes se plaisent à brandir à !'encontre de la doctrine du droit naturel, creuse
)eut, et non pas d'un Sollen, paradoxalement leur propre tombe. Car, à moins de présupposer un Sollen, un
droit naturel, on ne peut logiquement déduire de certains faits que som les lois
: en finde compre que la que- positives la présence d'un devoir-être, c'est-à-dire d'une norme. La théorie du
: repose, en partie, sur un droit naturel reste, par conséquent, le point de départ et l'horizon indépassables
i une obligation qu'il identi- de la doctrine juridique. Cette conclusion n'est toutefois pas une panacée puis-
::>umis sous le III• Reich aux qu'elle ouvre un vaste champ d'interrogations sur la nature de ce droit dit natu-
ons, à supposer que la loi en rel. La nature humaine a en effet fait l'objet d'interprétations les plus diverses
iquées à la lettre par les ins- ainsi que l'illustre le cas du droit naturel nazi.
au juspositiviste de clamer
ors qu'il confond obligation
pas que le juif est soumis à
,cié à l'idée d'obligation qui

sseau, Constam. D'apres J.-J. Rous-


strict du terme, ne peut naitre de la
d'obligation morale. Cf A. KAUF-
-':EL, op. cit., p. 337: « La corztrainte
•liger et celle-ci naus oblige d'rm point
1 tant qu'obligations morales. » Voir
.es Allemands distinguem d'ailleurs
glais qui se servem du terme obliga-
g,1tion = obligation en conscience_
« having ,m obligation » (Concept,

poser l'existence d'un drnit naturel 434. C. von ROTTECK, Lehrbuch des Vern11njirechts, op. cit., t. 1, p.; Cf H. WELZEL, op. cit.,
p. 338. J. HABERMAS, Die Einbeziehung des Anderen, Frankfurt, Suhrkamp, 1996, p. 295 (« die Nor-
FINNIS, op. cit., p. 360. D'apres men nur ais eine faktische Einschrãnkrmg ihres Handlungsspielra1m1S betrachten und mit den kalkulier-
:cité ibid., p. 360 note 6). baren Folgen mõglicher Regelverletzungen strategisch 11mgehen »).
435. Cf le fameux exemple du brigand cité par J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, Livr. I, chap. 3.
rster (cf supra note 106). Cf mpra n" 345.

l
T « L 'État de d1

l'époque ne 5
débridée 4 • O
nant la défin
529 À ce sujet, i
compte du II
régime légal
vante Carl S,
de 1933, est
l'époque 5• e
Chapitre 2 droit déclefü
lement aux,
. . \

/
mais auss1 a
« L'Etat de droit allemand d'Adolf Hitler» pectif, ela ir,
l'est beaucm
ou le rôle déconstructif du droit naturel régime hitlé1
On se trouv(
sous le Jlle Reich
politique a e
L'instauratic
528 L'étude historique du droit ou de ce que l'on appelait ainsi à l'époque du plaisir de Hi
III' Reich constitue un moment privilégié pour saisir, dans toute leur profon- de droit, en
deur, les idées des Lumieres sur le droit et l'État. L'acharnement des idéologues sens modern
nazis à vouloir éradiquer toute trace de la modernité, à « faire disparaztre l'an- L'objectif
née 1789 de l'histoire allemande », selon le mot de guerre lancé par Goebbels 1, a sur l'état d'a
servi et sert toujours de catalyseur à une prise de conscience des enjeux du libé- politique, l'J
ralisme. Des 1933, les débats de la doctrine allemande sur la valeur de concepts moments-cl,
traditionnels tels que le Rechtsstaat, la personnalité juridique de l'État, le prin- aux historiei
cipe de légalité, les droits subjectifs, etc. ont fait apparaitre en creux à quel point débat sur le
ces concepts étaient marqués du sceau de leur ascendance libérale 1• Si les uns les nazis des id,
récusent d'office, au nom de la révolution nazie, d'autres tentent deles récupé- théoriques,
rer, soit pour les exploiter à des fins de propagande soit, au contraire, pour sau-
ver ce qui peut l'être de leur sens libéral. Plus que tout autre cas pathologique,
4. Sur le « dro
l' Allemagne nationale-socialiste fait de nos jours figure de paradigme aux yeux
et les ]11ifs, Pari,
des défenseurs d'une philosophia negativa 3 en droit. Aucun autre régime de colloque de l'F
sémire de Vich.
612 p.; R.H. \\
York Universit
1. Cité par I. MÜLLER, Furchtbare Juristen. Die zmbewaltigte Vergangenheit zmserer ]11stiz, Mün- of Lawyers and
chen, Kindler, 1987, p. 78. 1995, p. 1121 s,
2. Voir, par ex., la démarche fanatique de Reinhard Hohn qui s'était fixé pour objectif <;i_e détecter de Vichy 1940-1
toutes les implications libérales de la notion de personnalité juridique de l'Etat. Cf R. HOHN, Der 5. II est vrai q,
individ11alistische Staatsbegriff 1md die j11ristische St,wtsperson, Berlin, C. Heymann, 1935; id., Rechts- berg et ª.':1 proc
gemeinsch,ift 11ml Volksgemeinschafi, Hamburg, Hanseatische Verlagsanstalt, 1935; id., « Führer oder 6. B. RUTHE
Staatsperson? Um eine neue staatsrechtliche Dogmatik », DJZ, 1935, cal. 65-72; id., « Staat und sozialismus (191
Rechtsgemeinschaft », ZgStW, vai. 95, 1935, pp. 656-690. Sur ce débat, cf M. STOLLEIS, Geschichte 7. Voir les trai
des õffentlichen Rechts in Deutschland, München, Beck, t. III (1914-1945), 1999, p. 325 ss et id., Recht shaw, etc. On
im Unrecht. Studien zttr Rechtsgescbicbtedes Nationalsozialism11S, Frankfurt, Suhrkamp, 1994, p. 94 ss. III" Reich n'est
3. Sur ce concept, cf A. KAUFMANN, Gmndprobleme der Recbtsphilosophie, op. cit., p. 137 et 162. un non-État. I
Sur l'intérêt du grotesque et du monstçueux pour le juriste, cf O. JOUANJAN, « Remarques sur aliam jusqu'à 1

les doctrines nationales-socialistes de l'Etat », Politix, 1995, p. 97 s. ment sur la pé,


'
T « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

l'époque ne semble avoir déployé une dynamique totalitaire ou despotique aussi


débridée'. Or que peut-on appre,ndre exactement de l'expérience nazie concer-
517

nam la définition juridique de l'Etat?


529 À ce sujet, il faut se débarrasser tout d'abord de quelques idées reçues sur le
compte du III' Reich, et notamment de celle qui y voit l'illustration parfaite d'un
régime légaliste. Le fameux « sens allemand de l'ordre et de la discipline », que
vante Carl Schmitt pour souligner le caractere légal de la « révolution nationale »
de 1933, est un cliché qui induit davantage en erreur qu'il n'éclaire la réalité de
l'époque5. Comparé à d'autres dictatures, le processus de dégénérescence du
droit déclenché parles nazis a, en effet, pour particularité de s'attaquer non seu-
lement aux qualités substantielles du droit, c'est-à-dire les droits de l'homme,
mais aussi à son armature formelle, à savoir son caractere général, public, pros-
''Adolf Hitler» pectif, clair, cohérent et hiérarchisé. Si le premier aspect est connu, !e second
l'est beaucoup moins. Créant une situation à la fois d'injustice et de désordre, le
iroit naturel régime hitlérien a atteint un degré jusque-là inconnu de « nihilisme juridique » •.
On se trouve ainsi face à un cas, exceptionnel fort heureusement, ou un pouvoir
l
politique a corrompu et l'idéal matériel et l'idéal formei de l'État (de droit).
L'instauration d'un régime personnel ou despotique, entierement axé sur !e bon
1ppelait ainsi à l'époque du plaisir de Hitler, entraine dans son sillage un phénomene de dissolution de l'idée
aisir, dans toute leur profon- de droit, en tant que norme générale, abstraite et juste, et de l'idée de l'État, au
.' acharnement des idéologues sens moderne d'une personne juridique .
rrité, à « faire disparaítre l'an- L' objectif de ce chapitre n' est évidemment pas de faire une étude empirique
;uerre lancé par Goebbels ', a sur l'état d'avancement de ce déclin dans les différentes spheres du III' Reich- le
onscience des enjeux du libé- politique, l'administration, la justice, la police, l'économie, etc.-, aux différents
nde sur la valeur de concepts moments-clés de son histoire : 1933, 1938, 1940, 1942. Unte! travai! incombe
é juridique de l'État, !e prin- aux historiens et aux sociologues 7 • II s'agit ici de mettre en exergue, à travers le
paraitre en creux à que! point débat sur !e Rechtsstaat, la négation radicale par certains idéologues et juristes
rrdance libérale 2• Si les uns les nazis des idées fondatrices du droit et de l'État. À la lumiere de ces éléments
l'autres tentem deles récupé- théoriques, on comprend mieux alors comment on a pu en arriver là en pra-
e soit, au contraire, pour sau-
tout autre cas pathologique,
igure de paradigme aux yeux 4. Sur !e« droit monstrne11x » (D. Gros) de Vichy, cf M.R. MARRUS & R.O. PAXTON, Vich-y
etlesjuifi, Paris, Calmann-Lévy, coll. Livre de poche, 1981, chap. 4; «Juger sous Vichy». Actes du
·oit. Aucun autre régime de colloque de l'ENM à Bordeaux !e 29.11.93, Le Genreh11main, n" 28, 1994, 160 p.; « Le droit anti-
sémite de Vichy», Actes du colloque à Dijon du 19-20 déc. 1994, Le Genre humain, nº 30-31, 1996,
612 p.; R.H. WEISBERG, Vichy Law and the Holoca11st in France, Gordon & Breach (UK) et New
York University Press, 1996; Symposium: « Nazis in the Court Room -Lessons from the Conduct
e Vergangenheit 1mserer ]11stiz, Mün- of Lawyers andJudges under the Law of the Third Reich and Vichy France », Brooklyn L.R., vol. 61,
1995, p. 1121 ss. Sur la nature plus autoritaire que totalitaire de Vichy, cf R.O. PAXTON, La France
s' était fi.xé pour objectif c,l_e détecter de Vichy 1940-1944, Paris, Seuil, coll. poims, 1973, p. 220 ss.
idique de l'Etat. Cf R. HOHN, Der 5. II est vrai que la logique bureaucratique déployée dans la Shoah - on pense aux !ois de N urem-
~rlin, C. Heymann, 1935; id., Rechts· berg et ª.1:1 proces d'Eichmann - a largemem comribué à la construction de ce lieu commun.
·rlagsanstalt, 1935; id., « Führer oder 6. B. RUTHERS, Die zmbegrenzte Auslegzmg. Zmn Wandel der Privatrechtsordmmg ím National-
Z, 1935, col. 65-72; id., « Staat und sozialísm11s (1968), 4' éd., Heidelberg, Müller, 1991, p. 108.
~ débat, cf M. STOLLEIS, Geschichte 7. Voir les travaux cités infra de E. Fraenkel, E Neumann, O. Kirchheimer, M. Broszat, I. Ker-
14-1945), 1999, p. 325 ss et id., Recht shaw, etc. On peut, tres grossierem 7m, distinguer deux conclusions : si Fraenkel considere que !e
Frankfurt, Suhrkamp, 1994, p. 94 ss. III' Reicq n'est plus qu'à moitié un Etat, au sens moderne, Neumann estime qu'il est imégralemem
·chtsphilosophie, op. cit., p. 137 et 162. un non-Etat. II faut toutefois garder à l'esprit que les travaux du premier se limitem à la période
: O. JOUANJAN, « Remarques sur aliam jusqu'à 1938, date à laquelle le régime se radicalise, alors que l'étude du second porte égale-
17 s. mem sur la période cruciale de la guerre.
518 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: !e droit natttrel

tique'. La période du national-socialisme constitue donc un champ d'étude inté-


ressant pour tester, à l'aune de faits extrêmes, la validité de certaines théories
T « L 'État de drc

l' on a pu croi1
en majorité p1
juridiques et pour en tirer, à un certain degré de généralité, quelques leçons pour auteurs ont ai1
l'avenir". Encare faut-il savoir lire un passé qui ne manque pas de complexité, battait en retr;
comme l'illustrent les déboires de la these de Radbruch. des juges, et q1
guere la doctr
ex) Les erreurs et aléas empiriques de la these de Radbruch positiviste sor
Si certains sor
530 Une premiere leçon que l'on a cru pouvoir tirer de ces années est la condamna- des deux lois
tion sans équivoque du positivisme, identifié à la célebre formule « Gesetz ist W. Jellinek, et
Gesetz (la !oi est la !oi)» 10 • Enoncée des 1945 par Gustav Radbruch, la critique, ou de force at
qui a joué un rôle crucial dans la renaissance de la théorie du droit naturel en l'impulsion d,
Allemagne 11 et à l' étranger ", se cristallisait autour de deux points. On reprochait à une critique
tout d'abord au positivisme d'avoir été désarmé face à des partis totalitaires se tere libéral, in
servant du processus électoral pour accéder au pouvoir, et cela, à ce qu'il para1t, et Jellinek, qu
en toute légalité. L'exemple topique en est la fameuse loi des pleins pouvoirs du vituperent le 1
23 mars 1933 (Ermci"chtigungsgesetz) ", par laquelle le cabinet dirigé par Adolf reste ils profü
Hitler est investi du pouvoir législatif et, en partie, du pouvoir constituam. Non son indifféren
contem de l'avoir mis en selle, d'être son « Steigbüghalter », le positiviste se ferait particulier ".
également le complice objectif du totalitarisme dans l'exercice du pouvoir, en
légitimant des lois liberticides du simple fait de leur positivité.
531 Cette mise en cause féroce du positivisme a depuis lors subi le feu de la critique. 15. Sur la mise
Gesetzes-positiv i
On ena d'abord souligné une certaine faiblesse logique: sous le positivisme ainsi p. 98 s; E. FRM
visé se cache, en réalité, le légalisme qui est un jusnaturalisme latissimo sensu ". LEUTHNER, ,.
Puis, on a fait remarquer que la these de Radbruch repose sur certains présuppo- sozialismus », .,1
pp. 20-36; I. MA
sés empiriques qui s'averent en grande partie inexacts. Contrairement à ce que heft, n-' 18, 198J
« Rechtspositivi,
D11R, 1987, pp. :
8. Contra P. CALDWELL, « Nacional Socialism and Consciturional Law. C. Schmitt, O. Koell- im "Dritten R,
reutter, and che Debate over the Nature of the Nazi State (1933-37) », Cardozo Law Review, vol. 16, R. DREIER & \1
1994, p. 411 note 48 qui relativise fortement l'imérêt du débat en le rabaissant à une joute rhétorique. pp. 323-354; I. ~
Fondamemalement, cela n'aurait rien changé au mode de fonctionnemenE réel du systeme juridique. Rechcsnormen ,.
9. La derniere grande tentative en ce sens se trouve dans l'reuvre de B. RUTHERS, Entartetes Recht. « Wandlungen d,

Rechtslehren und Kronjuristen im Dritten Reich, 2< éd., München, Beck, 1989, chap. 3: « Rechtsmystik (dir.), op. ci'.:• p.
oder Rationalitãt ?- Lehren a11s der Rechtsperuersion im NS », pp. 181-225. Plus sceptique: M. STOL- Unrecht". Uber
LEIS, « Lehren aus der Rechtsgeschichte? Zur Auseinandersetzung mit den Thesen von Bernd J. MARTE &I.
Rüthers (Emartetes Recht) », in Gegen Barbarei. Essays Robert M. W. Kempner 211 Ehren, Frankfurt, in Õsterreich 1111
Athenaum, 1989, pp. 385-395. H. DREIER, « I
10. Cf G. RADBRUCH, « Fünf Minuten Rechtsphilosophie » (1945), in id., Gesamtausgabe, éd. par rie rmd Praxis. fL
A. Kaufmann, Heidelberg, Müller, 1990, t. III, pp. 78-79; « Erneuerung des Rechts » (1946), ibid., op. cit., p. 187 ss
pp. 80-82; « Gesetzliches Unrecht und übergeseczliches Recht » (1946), ibid., pp. 83-93; « Die Gõttingen, 1985
Erneuerung des Rechts » (1947), ibid., p. 107 s. 16. RGBI., I, p.
11. E. BRUNNER, Gerechtigfeit. Eine Lehre ·von den Grundgesetzen der Gesellschaftsordn11ng, Z win- 17. RGBI., I, p.
gli, Zürich, 1943, p. 7 : « L 'Etat total n 'est rien d'atttre que la mise en application politique du posi- 18. Sur la politi
ti·visme j11ridiq11e »; H. SCHORN, Die Richter im Dritten Reich, Frankfurt, 1959; id., Die Gesetz- éminentes du m,
gebrmg ,1's Mittel der Machtpolitik, Frankfurt, 1963; H. WEINKAUFF, Die deutsche J11stiz rmd cf B. LIMPERC
der Nation,1lsozialism11s. Ein Überblick, Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 1968 et « Was heisst das : der Machtergrei
"Positivismus ais jurisitische Strategie"? », JZ, 1970, pp. 54-57. ten Reich, Heidc
12. Cf, par ex., M. VILLEY, Philosophiedu droit, Paris, Dalloz, 2< éd., 1979, t. II, p. 120. 19. C/J. l}~GE
13. Le titre officiel de la !oi est « Gesetz 211r Behebung der Not ·von Volk rmd Reich » (RGBl., I, p. 14 !). in E.-W. BOCK!
14. C/ supra n-· 494 ss. sionismus... >),
ique de l'État: le droit natztrel

clone un champ d'étude inté-


T « L 'État de droit allemand d 'Adolf Hitler»

l'on a pu croire, les juristes allemands avant et, surtout, apres 1933 ne furem pas
en majorité positivistes, même au sens du légalisme ,;_ Analyses à l'appui, divers
519

validité de certaines théories


1éralité, quelques leçons pour auteurs ont ainsi démontré que déjà sous la République de Weimar le positivisme
! manque pas de complexité, battait en retraite, qu'il était même minoritaire au sein des professeurs de droit et
,ruch. des juges, et que ce déclin allait croissant apres 1933. Le positivisme ne constituait
guere la doctrine juridique officielle du lli'Reich. Les grandes figures de l'école
Radbruch positiviste sont, au contraire, mises à l'écart apres l'arrivée au pouvoir de Hitler.
Si certains sont exclus de la fonction publique pour des raisons raciales, en vertu
e ces années est la condamna- des deux lois du 7 avril 1933 "' et du 21 janvier 1935 17 - c'est le cas de Kelsen,
. célebre formule « Gesetz ist W Jellinek, etc.-, d'autres se retirem, tel Anschütz, ou sont marginalisés de gré
;ustav Radbruch, la critique, ou de force au sein de la discipline, à l'instar de Thoma et de Radbruch 18 • Sous
a théorie du droit naturel en l'impulsion de Schmitt, Larenz, Lange, etc., la« nouvelle science juridique » se livre
le deux points. On reprochait à une critique en regle du positivisme juridique, stigmatisant, pêle-mêle, le carac-
ace à des partis totalitaires se tere libéral, individualiste et « enjuivé » d'une science juridique fondée par Laband
1voir, et cela, à ce qu'il para1t, etJellinek, qui sont officiellement rayés de la mémoire. En même temps, les nazis
use loi des pleins pouvoirs du vituperent le positivisme pour son relativisme, sa lâcheté et sa docilité- dont du
e le cabinet dirigé par Adolf reste ils profitent sans vergogne, si cela paralt utile à leur cause - ainsi que pour
du pouvoir constituant. Non son indifférence aux valeurs en général et à celles du Volk, du sang et de la race en
:halter », le positiviste se ferait particulier 19 • Ce faisant, ils reprochent aux positivistes à tour de rôle de ne
ans l'exercice du pouvoir, en
ir positivité.

lors subi le feu de la critique. 15. Sur la m_i~e _en cause de la these de Radbruch, <J. A. BARATTA, « Rechtspositivismus und
Gesetzes-posmv1smus », ARSP, 1968, p. 327 s; B. RUTHERS, Die rmbegrenzte A11sleg1mg, op. cit.,
ique : sous le positivisme ainsi p. 98 s; E. FRANSSEN, « Positivismus ais juristische Strategie »,JZ, 1969, pp. 766-775; H. ROTT-
snaturalisme latissimo sensu 14 • LE1:.J1:"HNER, « Substamieller Dezisionismus. Zur Funktion der Rechtsphilosophie im National-
repose sur certains présuppo- soz1ahsmus », ARSP Bezheft, n" 18 (Recht, Rechtsphilosophie und Nationalsozialismus), 1983,
pp. 20-36; 1. MAUS, « Juristische Meth_çidik und Justizfunktion im Nationalsozialismus », ARSP Bei-
:acts. Contrairement à ce que heft, ff' 18, 1983, pp. 176-196; 1. MULLER, op. cit., 1987, p. 221 ss; H. ROTTLEUTHNER
« Rechtspositivismus und Nationalsozialismus. Bausteine einer Theorie der Rechcsencwicklung »:
J?uR_, 19_87, pp. 3?3-~94; M. WALTHER, « Hat der juristische Po~i'.ivismus die deutschen Juristen
tutional Law. C. Schmitt, O. Koell- 1m Dntten Re1ch wehrlos. gemacht? Zur Analyse und Krmk der Radbruch-These », in
l-37) », Cardozo L,w Review, vol. 16, R. DREIER & W. SELLERT (d1r.), Recht undjustiz im « Dritten Reich », Frankfurt, Suhrkamp, 1989,
n !e rabaissant à une jouce rhétorique. pp. 323-354; 1. MAUS,« "Gesetzesbindung" der Justiz und die Struktur der nationalsozialistischen
ionnement réel du systeme juridique. Rechtsnormen », in R. DREIER & W. SELLERT (dir.), op. cit., p. 80-103; H. HATTENHEUER
« Wandlungen des Richterleitbildes im 19. und 20. Jahrhundert », in R. DREIER & W. SELLERT
·e de B. RÜTHERS, Entartetes Recht.
1, Beck, 1989, chap. 3: « Rechtsmystik (dir.), op. ci?:, p. 9-33; G. LUF, « Zur Verancwortlichkeit des Rechtspositivismus für "gesetzliches
,. 181-225. Plus sceptique: M. STOL- Unrecht". Uberlegungen zur "Radbruch These" », in U. DAVY, H. FUCHS, H. HOFMEIER,
;eczung mie den Thesen von Bernd J. N!ARTE & 1. REITER (dir.), Nationalsozialism11s und Recht. Rechtssetzrmg und Rechtswissemchaft
M. W. Kempner 211 Ehren, Frankfurt, m Osterrezch rmter der Herrschaft des Nationalsozialismus, Wien, Orac Verlag, 1990, pp. 18-37;
H. DREIER, « Die Radbruch'sche Formei - Erkenntnis oder Bekenntnis? », in Staatsrecht in Theo·
(1945), in id., Gesamta11sgabe, éd. par rie 111!d Praxis. Festschrift R. \V,i/ter, Wien, Manz, 1991, pp. 117-135; W. OTT, Der Rechtspositivismus,
rneuerung des Rechts » (1946), ibid., op. at., p. 187 ss; B. SCHUMACHER, Rezeption rmd Kritik der Radbruchschen Fonnel chese droit
:ht » (1946), ibid., pp. 83-93; « Die Gõttingen, 1985. ' '
16. RGBl., I, p. 175.
:etzen der Gesellschaftsordnung, Z win- 17. RGBl., I, p. 23 ss.
mise en application politique d11 posi- ~8. _Sur la politique d'épurati?n q~i,_ dans les ~acultés de droit, affecte également certaines figures
ich, Frankfurt, 1959; id., Die Gesetz- eminentes du mouvement annposmv1ste de Weimar, comme Heller, Kaufmann, Leibholz et Smend,
:INKAUFF, Die deutsche ]11stiz 11nd cf B. LIMPERG, « Personnelle Ver~nderunge~ in der Staatsrechcslehre und ihre neue Situation nach
:lagsanstalt, 1968 et « Was heisst das : der Machtergreifung », in E.-W. BOCKENFORDE (dir.), Staatsrecht und Staatsrechtslehre im Drit-
ten Reich, Heidelberg, Müller, 1985, pp. 44-67; M. STOLLEIS, Geschichte, op. cit., t. III, p. 254 ss.
z, 2' éd., 1979, t. II, p. 120. 19. Cf J. LEGE, « Neue methodische Posicionen in der Staatsrechtslehre und ihr Selbstverstandnis »
m Volk rmd Reich » (RGBI., !, p. 141). in E.-W. BÕCKENFÕRDE (dir.), op. cit., pp. 23-43; H. ROTTLEUTHNER, « Substantieller Dezi'.
sionismus... », op. cit., p. 21 note 3; 1. ENGLARD, « Nazi Criticism Against the Normativist

l
.

520 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: !e droit natttrel

défendre aucune valeur et d'en défendre de mauvaises. La doctrine juridique


nationale-socialiste, quant à elle, esquisse un net retour aux « vraies » valeurs du
T « L 'État de drc

gine de la pen
"retour" au d1
droit et prône une méthodologie de type jusnaturaliste un peu particuliere'º. niste imprégn
Rarement, il fut en effet une époque ou l'on a tant invoqué la justice et la nature, roi de certain
au sens biologique, comme fondement du droit et de l'État. Même la devise personnes, de
d' Aristote (suum cuique tribuere) a servi pour couvrir les pires injustices". apres 1945 28 •
532 Des lors, la these de Radbruch para1t doublement paradoxale. D'une part, alars 533 II va sans dire
que le positivisme est récusé parles nazis en 1933, c'est lui qui, apres 1945 - au Bonn, du fait ,
moment ou s'ouvrent les premiers proces et ou il s'agit de définir les respon- crédit sur la r
sables sinon pénaux, du moins moraux"-, se voit tout à coup propulsé au pre- seurs ms1sten 1
mier rang des accusés. II n'est pas exagéré de dire qu'il a servi de bouc émissaire modeles de dr
aux juges et juristes qui ont ainsi pu se décharger sur le législateur, c'est-à-dire lérien, la théo
Hitler et ses adjoints 13 • Surtout, la responsabilité des juges, qui ont joué un rôle loureuse qui r
crucial dans le systeme juridique nazi grâce à leur travai! de relecture des fins peu élogi
anciennes lois à la lumiere de l'idéologie nazie, a pu être occultée ou du moins contre le jusn;
minimisée" jusqu'en 1968, date ou paralt l'étude fondamentale de Bernd le jusnaturalis
Rüthers 15. D'autre part, ce sont paifois Ies même juristes"· qui, en 1933, se livrem supériorité, fo
à des panégyriques du Führer au nom du droit naturel nazi et qui, apres 1945, au contraire, r
forts de la caution morale de Radbruch 27 , accusent le positivisme d'être à l'ori- et à l' étranger
la these de R,
effet, de différ
Theory of Hans Kelsen: lts Intellectual Basis and Post-modern Tendencies », !sr. L.R., vol. 32, 1998, arguments. Su
pp. 183-249; O. JOUANJAN, « La doctrine juridique allemande. "Rénovation du droit" et positi- légaliste ne fu 1
visme dans la doctrine du III· Reich », Le Genre h11main, n" 30-31,__ 1996, p. 464.
20. Ce point est amplement connu et décrit. Cf K. ANDERBRUGGE, Võlkisches Rechtsdenken -
Zur Rechtslehre in der Zeit des Nationalsozialism11s, Berlin, Duncker & Humblot, 1978; W. SCHILD,
« Die national-sozialistische Ideologie ais Prüfstein des Naturrechtsgedankens », in Das Nawrrechts- 28. Si le príncipe
denken he11te tmd morgen. Gedãchtnisschrifi fi,r René Mareie, Berlin, Duncker & Humblot, 1983, par une pensée ju
pp. 437-453; D. GRIMM, « Die "neue Rechtswissenschaft" - Über Funktion und Formation natio- tateurs, son appr,
nalsozialistischer Jurisprudenz », in id., Recht zmd Staat der btirgerlichen Gesellschafi, Frankfurt, Suhr- comme E. Franss
kamp, 1987, pp. 373-395; B. RÜTHERS, Entartetes Recht. Rechtslehren tmd Kronj11risten im Dritten la continuité da!7
Reich, München, Beck, 1989; M. STOLLEIS, Recht im Unrecht, op. cit. et Geschichte, op. cit., t. III, exemple, l'obliga1
p. 246 ss. En français, cf O. JOUANJAN, « La domine juridique ... », op. cit., pp. 463-496; id., "Les de l'homosexuali
fossoyeurs de Hegel. "Rénovation allemande du droit" et néo-hégélianisme sous !e III" Reich », 29. Cf la réactio
Droits, 1997, pp. 121-133; L.J. WINTGENS, « Le concept du droit dans le national-socialisme », ploitation à des 1
RIE], 1991, n" 26, pp. 8?-110. humanistes prôn,
21. "fedem das Seine » (A chacun son dt'i): cette formule était inscrite dans la grille d'entrée du camp implicitemem, 1,
de concentration de Buchenwald, ce qui - aussi grotesque que cela puisse paraitre de nos jours -, W. SCHILD, op.
n'était que logique au regard d'une ontologie raciale pseudo-scientifique qui distinguait radicalement associer le natior
entre les race_~ supérieures et les sous-hommes (cf W. SCHILD, op. cit. p. 451). désormais classiq,
22. Cf I. MULLER, op. cit., p. 223 s. non pas sur le pb
23. Même Carl Schmitt fut tenté de s'abriter derriere le positivisme. Cf I. ENGLARD, op. cit., 30. Cf !'extrair e
p. 185 note 4. Beihefi, n" 18, 19H
24. H. ~):INKAUFF, Diedeutsche]11stiz, op. cit., p. 92 s. 31. L'option d'u,
25. B. RUTHERS, Die tmbegrenzte A11sleg1mg. Zmn Wtmdel der Privatrechtsordmmg im National- mands comme ln
sozi,ilism11s, 4° éd., Heidelberg, Müller, 1991. 32. Sur les rebon
26. Cf I. MÜLLER, op. cit., p. 223 s et 1. ENGLARD, op. cit., p. 185 qui se réferent à K. Larenz, sion entre H.L.A
H. Welzel, F. Wieacker; H. ROTTLEUTHNER, S11bstantielles Dezisionism11s, op. cit., p. 31 ss, cite les pays anglo-sax
l'engouement en 1933 pour le NS des trais grands représentants de la philosophie allemande du droit l'apartheid, cf le,
(E. Wolf, W. Sauer, C. A Emge) avant qu'ils ne prennent leurs distances avec le régime. op. cit., p. 23 no1
27. Sa caurion est double: d'une part, il s'agit d'un ancien positiviste (légaliste) qui effectue un mea 33. Cf G. LUF, ,
ett!pa et, d'autre part, il s'est toujours tenu à l'écart sous le IIIº Reich alars que d'autres philosophes 34. Cf l'analyse
avaient pris fait et cause pour Hitler en 1933. Destruktion eine

l
iique de l'État: le droit natttrel
T « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler» 521
1
,vaises. La doctrine juridique gine de la perversion du droit sous les nazis. Ils font ainsi valoir la nécessité d'un
~tour aux « vraies » valeurs du "retour" au droit naturel, compris cette fois-ci comme un droir naturel huma-
uraliste un peu particuliere'º. niste imprégné de la doctrine néothomiste de l'Eglise catholique. D'ou le désar-
invoqué la justice et la nature, roi de certains juristes, notamment de gauche, devam une telle continuité des
et de l'État. Même la devise personnes, des figures de pensée, voire des solutions de droit positif avant et
rir les pires injustices". apres 1945".
paradoxale. D'une part, alors 533 Il va sans dire que la mise à jour de ce lien de continuiré entre Weimar, Berlin et
c'est lui qui, apres 1945 - au Bonn, du fait de l'analogie de leur mode de pensée juridique, jette un certain dis-
il s'agit de définir les respon- crédit sur la renaissance de la théorie du droit naturel apres 1945. Si ses défen-
t tout à coup propulsé au pre- seurs insistem, et ce à juste titre, sur la différence de contenu entre ces divers
:i_u'il a servi de bouc émissaire modeles de droit naturel, le coup est néanmoins dur''. Associée au régime hit-
· sur le législateur, c'est-à-dire lérien, la théorie du droit naturel ne peut plus esquiver une introspection dou-
les juges, qui ont joué un rôle loureuse qui révele sa propre faiblesse à se laisser manipuler et exploiter à des
leur travail de relecture des fins peu élogieuses. Le grief d'être la « putain (Hure) » du pouvoir se retourne
pu être occultée ou du moins contre le jusnaturalisme ainsi que l'admet, pour certaines périodes de l'histoire,
ude fondamentale de Bernd le jusnaturaliste autrichien Ilmar Tammelo'º. La théorie du droit naturel perd sa
ristes"· qui, en 1933, se livrem supériorité, facilement acquise apres 1945, et sa supposée virginité que semble,
tturel nazi et qui, apres 1945, au contraire, retrouver le positivisme à en croire ses défenseurs en Allemagne 31
t le positivisme d'être à l'ori- et à l'étranger 32 • Encore faut-il apprécier à sa juste mesure la remise en cause de
la these de Radbruch et se garder de toute conclusion hâtive". Il importe, en
effet, de différencier soigneusement la nature empirique o.u logique" des divers
1Tendencies », !sr. L.R., vol. 32, 1998, arguments. Sur le plan empirique, on notera que, s'il est vrai que le positivisme
r1de. "Rénovation du droit" et positi- légaliste ne fut guere la doctrine dominante apres 1933, la situation d'avant 1933
31,__1996, p. 464.
iRUGGE, Võlkisches Rechtsdenken -
:ker & Humblot, 1978; W. SCHILD,
echtsgedankens », in Das Nat11rrechts- 28. Si le principe d'une certaine continuité entre le III' Reich et la RFA - les deux étant marqués
Berlin, Duncker & Humblot, 1983, par une pensée juridique de type jusnaturaliste - est de nos jours admis par la plupart des commen-
Jber Funktion und Formation natio- tateurs, son appréciation générale varie. La critique la plus virulente est formulée par des auteurs
erlichen Gesellschaft, Frankfurt, Suhr- comme E. Franssen, M. Walther, I. Maus et surtout I. Müller. D'apres ce dernier (op. cit., p. 226 ss),
btslehren 1md Kronjuristen im Drillen la continuité dans la pensée juridique se révele notamment sur des sujets sensibles comme, par
,1, op. cit. et Geschichte, op. cit., t. III, exemple, l'obligation de loyauté du fonctionnaire, l'émancipation de la femme ou le statut juridique
1ue ... », op. cit., pp. 463-496; id., « Les de l'homosexualité.
:o-hégélianisme sous le lll" Reich », 29. Cf la réaction de G. LUF, op. cit., p. 37, qui, en tant que jusnaturaliste, s'insurge contre l'ex-
1 droit dans le national-socialisme », ploitation à des fins politiques de la juxtaposition du droit naturel nazi et de l'ordre des valeurs
humanistes prônées apres 1945. II n' en reste pas moins qu'il est obligé de reconnaitre, du moins
1scrite dans la grille d'entrée du camp implicitement, les analogies entre les deux. Lire aussi les précautions rhétoriques prises par
e cela puisse paraitre de nos jours -, W. SCHILD, op. cit., p. 437 pour désamorcer le caractere iconoclaste de sa démarche consistant à
entifique qui distinguait radicalement associer le national-socialisme à l'idée du droit naturel. II énonce toutefois, selon une distinction
, op. cit. p. 451). désormais classique, que la correspondance se situerait exclusivement au niveau de la « strnct11re » et
non pas sur le plan du «contem,» (p. 439).
itivisme. Cf I. ENGLARD, op. cit., 30. Cf l'extrait cité par A. KAUFMANN, « Rechtsphilosophie und Nationalsozialismus », ARSP
Beiheft, nº 18, 1983, p. 19.
31. L'option d'un retour au positivisme est ouvertement privilégiée de nos jours par des auteurs alle-
ler Privatrechtsordmmg im National- mands comme Ingeborg Maus, Horst Dreier et Norbert Hoerster.
32. Sur les rebondissements du débat allemand au niveau international, cf. outre la fameuse discus-
·., p. 185 qui se réferent à K. Larenz, sion entre H.L.A. Hart et L. Fuller dans la Harvard Law Review de 1958 les réactions récentes dans
·s Dezisionism11s, op. cit., p. 31 ss, cite les pays anglo-saxons citées par I. ENGLARD, op. cit., p. 184 ss; pour l' Afrique du Sud du temps de
; de la philosophie allemande du droit l'apartheid, cf les références citées par H. ROTTLEUTHNER, « Substantieller Dezisionismus »,
distances avec le régime. op. cit., p. 23 note 8; pour les pays francophones, cJ. les articles de O. Jouanjan et L.J. Wintgens.
itiviste (légaliste) qui effectue un mea 33. Cf G. LUF, op. cit., p. 29.
Reich alors que d'autres philosophes 34. Cf l'analyse rigoureuse de K. FÜSSER, « Rechtspositivismus und "gesetzliches Unrecht". Zur
Destruktion einer verbreiteten Legende », ARSP, 1992, p. 303 ss.
522 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit natztrel

est beaucoup plus ambivalente. ll est ainsi faux d'affirmer que les positivistes
n'ont plus joué aucun rôle sous la République de Weimar. À ce titre, on ne sau-
T « L'État de d

~) L'intérêt

rait nier l'importance cruciale de la théorie du suicide légal de la démocratie, 535 À premiere 1
défendue par l'école positiviste. Dire, comme le fait encore en 1933 Anschütz lifieraient vc
- soutenu en cela par Thoma et Kelsen 35 - , qu'il n'existe dans une démocratie ment dénué
aucune limite matérielle au pouvoir de révision constitutionnelle, qu'il est Hermann G
loisible par conséquent à celui-ci de renverser tous les fondements de l'État, y l'humanité à
compris les droits de l'homme, c'est saborder la démocratie en la livrant à ses et de « l'État
pires ennemis 3". Le relativisme ainsi véhiculé, quine saurait fonder en lui-même pects grotesc
la démocratie puisqu'il met sur un strict pied d'égalité la démocratie et l'auto- 1934 sur le p
cratie, la philosophie des Lumieres et l'irrationalisme raciste d'un Hitler, vaut tible ou non
aux positivistes dits démocrates de Weimar une responsabilité au moins partielle historique, 11
dans le désastre de 1933 37 • Enfin, sur le plan logique, le mea culpa de Radbruch aspect surré,
garde toute sa pertinence en ce qui concerne le légalisme. termes tradit
534 La these de Radbruch n'est clone pas entierement défaite. Sa conclusion quant à dans un régi1
la nécessité d'un retour à l'idée du droit naturel reste valide, même si elle requiert lequel, ou s':
de nos jours un surplus de justification. Autant l'idée du droit naturel est une les concepts
nécessité logique pour concevoir le droit, autant elle constitue un défi moral en 536 De ce point
raison des abus dont elle a pu faire l'objet dans le passé. Aujourd'hui, en tout cas, ce que parce
il ne suffit plus de se référer vaguement, sans plus de précisions historiques, à la riques quelq1
période hitlérienne pour démontrer ipso facto les insuffisances du positivisme penser la no
juridique et, a contrario, les bienfaits du jusnaturalisme 3'. L'argument ad Hitle- Soren Kierk1
rum a perdu de sa superbe, de son évidence et devient au contraire un défi, la et elle-même.
« pierre de touche (Prüfstein) » '' pour toute théorie du droit naturel. D'ou la ques-
3
une véritable
tion terrible, inimaginable à l' époque, de W. Schild : « Comment est-il encore pos- que le général
sible de penser le droit naturel apres 1945? » '° Voilà une vaste interrogation à il existe des ex
laquelle il serait présomptueux de vouloir répondre en quelques lignes. ll s'agit davantage le
ici tout au plus d'illustrer, à travers le débat nazi sur le Rechtsstaat, la perversion aborde le cas
de la pensée jusnaturaliste, de mettre en exergue les failles par lesquelles s'est insi-
nuée et propagée cette "maladie" et d'établir un diagnostic qui constitue le préa-
lable nécessaire à toute guérison.
41. H. GÕRIJ\
pp. 1427-1432.
42. H. FRANK
portefeuille, Fra
35. Cf H. DREIER, Rechtslehre, Staatssoziologie zmd Demokratietheorie hei Hans Kelsen, 1~ éd., listes (BNSD]) a:
Baden-Baden, Nomos, 1986, p. 269. Voir mpra n" 117. tête du gouvernc
36. Cf infra titre li, chap. 1 et 2. à avoir une form
37. Cf les critiques de M. KRIELE, « Staatsphilosophische Lehren aus dem NS », ARSP Beihefi, nazis, à commen
n" 18, 1983, p. 213 s; W. MEYER-HESEMANN, « Legalitat und Revolution. Zur jurisrischen yeux, le droit se
Verklarung der national-sozialistischen Machtergreifung ais "legale Revolution" », in P. SALJE (dir.), 43. Cf infra n" ~
Recht zmd Unrecht im NS, Münster, Regensberg & Biermann, 1985, p. 130. 44. Si pendant 1,
38. C'est pourquoi !e chapitre consacré au national-socialisme est placé apres le chapitre consacré à par les arricles d,
la définition du droit. II s'agit de dépassionner le plus possible le débat. Comme l'a dit Leo va autremem der
STRAUSS, Droit nalllrel et histoire, Paris, Flammarion, 1986, p. 18: « L'indignation est m,111vaise rie des bürgerlicl
coi:seillere. Elle témoigne att mieux de nos bonnes intentions, mais elle ne prouve pas que naus ayons len und nationa
razson. >> S1aatsrechllehre ii
39. W. SCHILD, op. cit., p. 437. Recht im Unrechi
40. Ibid., p. 451. Cf aussi les leçons n" 5, 21 et 24 de B. RÜTHERS, Entartetes Rechl, p. 184, 213 301; E. SARCE'
et 219. 1993, pp. 205-22
dique de l'État: le droit naturel

d'affirmer que les positivistes


Weimar. À ce titre, on ne sau-
T « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

~) L'intérêt scientifique du débat nazi sur le Rechtsstaat


523

;uicide légal de la démocratie, 535 À premiere vue, il peut sembler vain de s'intéresser à un débat que d'aucuns qua-
fait encore en 1933 Anschütz li:fieraient volontiers de propagandiste. Qu'un tel jugement ne soit pas entiere-
1n' existe dans une démocratie ment dénué de sens, nul n'en douterait à voir certains dignitaires nazis, comme
n constitutionnelle, qu'il est Hermann Gõring ou Hans Frank - reconnus coupables despires crimes contre
us les fondements de l'État, y l'humani:é à Nuremberg- se faire les apôtres du principe de sécurité juridique•1
démocratie en la livrant à ses et de« l'Etat de droit allemand d'AdolfHitler »•1 • La querelle ne manque pas d'as-
ne saurait fonder en lui-même pects grotesques et irréels à l'image de la mini-polémique qui agita la doctrine en
fgalité la démocratie et l'auto- 1934 sur le point de savoir si l'existence des camps de concentration était compa-
lisme raciste d'un Hitler, vaut tible ou non avec l'idée du Rechtsstaat•3. Pourtant, au-delà de la simple curiosité
sponsabilité au moins partielle historique, le débat garde un intérêt théorique, peut-être même à cause de cet
iue, le mea culpa de Radbruch aspect surréaliste qui dérange et interpelle. Quel peut être, en effet, le sens de
galisme. termes traditionnels tels que le Rechtsstaat, la sécurité juridique, la liberté, etc.
défaite. Sa conclusion quant à dans un régime dont on sait le caractere totalitaire? Ont-ils un sens réel, et si oui
,te valide, même si elle requiert lequel, ou s'agit-il simplement de mots creux sans autre importance? Les mots,
l'idée du droit naturel est une les concepts sont-ils entierement falsifiables ou résistent-ils?
elle constitue un défi moral en 536 De ce point de vue, le débat nazi sur le Rechtsstaat mérite le détour•<, ne serait-
)assé. Aujourd'hui, en tout cas, ce que parce qu'il nous oblige à sortir des sentiers battus et des discours théo-
; de précisions historiques, à la riques quelque peu assoupis sur le droit et l'État. Le cas extrême nous oblige à
'.S insuffisances du positivisme penser la normalité différemment, ainsi que l'affirmait le philosophe danois
-alisme 3'. L'argument ad Hitle- Sõren Kierkegaard : « L 'exception explique à la fois le cas général (Allgemeine)
levient au contraire un défi, la et elle-même. Et si l'on veut étudier correctement le cas général, il suffit de chercher
du droit naturel. D'ou la ques- une véritable exfeption. Elle jette sur toutes choses une lumiere beaucoup plus crue
ld : « Comment est-il encare pos- que le général. A la longue, on finit par se lasser de l'éternel verbiage sur le général;
::iilà une vaste interrogation à il existe des exceptions. On n'est pas en mesure deles expliquer? On n'expliquera pas
:lre en quelques lignes. li s'agit davantage le général. Habituellement, on ne remarque guere la difficulté, car on
mr le Rechtsstaat, la perversion aborde le cas général non seulement sans la moindre passion, mais encare avec une
·s failles par lesquelles s' est insi-
iagnostic qui constitue le préa-

41. H. GÕRING, « Die Rechtssicherheit ais Grundlage der Volksgemeinschaft », D], 1934,
pp. 1427-1432.
42. H. FRANK,« Der deutsche Rechtsstaat Adolf Hitlers », DR, 1934, pp. 121-123. Ministre sans
portefeuille, Frank (1900-1946) se trouvait à la tête de l' Union des juristes allemands nationaux-socia-
Jkratietheorie bei Hans Kelsen, 1~ éd., listes (BNSDJ) ainsi que d'autres organismes juridiques, avant d'acquérir une triste réputation à la
tête du gouvernement général de Pologne. Ancien avocat du NSDAP, il est l'un des rares chefs nazis
à avoir une formation juridique et à montrer une certaine estime pour le droit. Les grands dignitaires
Lehren aus dem NS », ARSP Beiheft, nazis, à commencer par Hitler, font preuve d'un mépris total à l'égard du droit et des juristes. À leurs
tat und Revolurion. Zur juristischen yeux, !e droit se résume en le droit du plus fort, ce qui signifie l'absence de tout droit.
legale Revolution" », in P. SALJE (dir.), 43. Cf infra n" 556.
1985, p. 130. 44. Si pendant longtemps le débat nazi sur le Rechtssta,ll suscitait peu d'intérêt (cf le silence gardé
1e est placé apres le chapitre consacré à parles articles de référence de E.-W. Bi:ickenforde et U. Scheuner sur l'histoire du Rechtsstaat), il en
:issible le débat. Comme l'a dit Leo va autrement depuis les années 1980. Cf I. MAUS, « Entwicklung und Funktionswandel der Theo-
6, p. 18 : « L'indign,1tion est m,111vaise rie des bürgerlichen Rechtsstaats », op. cit.,; U. SCHELLENBERG, « Vom liberalen zum nationa-
mais elle ne prouve pas q11e nous ayons len und nationalsozialistischen Rechtsstaat », in E.-W. BÕCKENFÕRDE (dir.), Staatsrecht zmd
Staatsrechtlehre im Dritten Reich, op. cit., p. 71-88; M. STOLLEIS, Geschichte, t. III, pp. 330-338; id.,
Recht im Unrecht, p. 147 ss et p. 190 ss; P. CALDWELL, « Nacional Socialism ... ", op. cit., pp. 273-
ITHERS, Entartetes Recht, p. 184, 213 301; E. SARCEVIC, « Missbrauch eines Begriffes - Rechtsstaat und Nationalsozialismus ", Rth.,
1993, pp. 205-223.

l
524 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel

confortable superficialité. Au contraire, l'exception pense le général avec la passion de


l'énergie. » ' 5
T « L 'État de droz,

dénoncer certa1
vegarder non se
537 Le débat sur le Rechtsstaat nait et croit au rythme des actes de violence commis Dans cette den
soit en-dehors ou à la lisiere de la légalité parles nazis, soit en toute légalité. On Koellreutter (1
pense à la terreur semée parles SA sous l'reil complaisant de la police et de la jus- regnent l'ordre
tice, à l'instauration des premiers camps de concentration, à la nuit des longs noyau dur du e
couteaux, etc., sans oublier les lois liberticides telles que, par exemple, la Lex son contenu pc
Lubbe du 29 mars 1933 qui instaure de façon rétroactive la peine de mort pour lisme. La forrr
l'incendie du Reichstag. Tout cela ne peut qu'inquiéter l'opinion publique inter- régime ne pou
nationale et, surtout, les cercles bourgeois en Allemagne, qui ont cru pouvoir Koellreutter p1
domestiquer Hitler au sein de la coalition entre le NSDAP et les partis conser- l' égard du forn
vateurs "'. La doctrine juridique qui s'empare aussitôt du sujet et en discute jus- loppe au sein d
qu' en 1938" - date à laquelle la· dynamique totalitaire s' emballe et ou la futilité 539 La querelle sur
des débats théoriques devient flagrante -, se scinde en plusieurs camps. Il y a caracteres oppc
ceux qui rejettent le mot et le concept; ceux qui gardent le mot, mais pas le 1936, esprit br
concept et, enfin, ceux qui maintiennent les deux. rigide, mais aw
538 La premiere ligne, la plus radicale, est défendue par Carl Schmitt (1888-1985) jus-
de la doctrine j
est que l'on vo
qu'à son soi-disant revirement en 1934. Elle consiste à récuser tous les concepts
croissante entn
de la science juridique traditionnelle en raison de leur imprégnation par l'esprit
par Ernst Fraer
« libéraliste », synonyme selon lui d'un individualisme laxiste, dépravé, matéria-
liste et enjuivé. La fidélité à l'esprit révolutionnaire de 1933 implique, par consé-
quent, une césure totale avec le passé et la création d'une terminologie et d'un 49. H. HELFRIT
outillage conceptuel totalement nouveaux". À cela s'oppose une deuxieme atti- dénonce sur un tu
tude, plus ambigue car tiraillée dans deux sens diamétralement opposés, qui 5'inspirant de l'id
concepts traditioni
consiste à maintenir l'usage de l'ancienne tenninologie et, en l'espece, du mot 50. L' expression e
Rechtsstaat. Or, pour certains de ce groupe, dont Schmitt qui fait semblant de 51. 5itué politiquc
revenir sur sa position initiale, l'intérêt pour le terme de Rechtsstaat est stricte- alors qu'il accusait
d'abord à Halle, p
ment tactique. Conscient de la «force suggestive » de ce mot phare et, surtout, de
tratives et judiciair
l'opprobre jeté sur tout régime qui oserait le réfuter, Schmitt se fixe désormais dologique qui agir;
pour objectif de battre l'ennemi libéral avec ses propres armes. Pour y parvenir, ringe et membre e
il réduit le Rechtsstaat à une coquille vide, à un label ouvert à tout contenu. Le pouvoir des nazis.
de Munich. En 19
terme Rechtsstaat sert ainsi des fins de propagande, ce que n'ont pas tardé à d'office en raison,
52. 5ur les rivalité
1972). Sein Lebm, .,
53. M. 5TOLLEI'
54. E. FRAENKI
45. Cité par C. 5CHMITT, Théologie politiq11e, trad. J.-L. 5chlegel, Paris, Gallimard, 1988, p. 25 s. publié à New Yorl•
L'extrait tiré de l'ouvrage Wiederhol11ng de Kierkegaard est cité en allemand par H. HOFMANN, à laquelle il émigra
Legitimitãt gegen Legalitãt. Der Weg der politischm Philosophie Carl Schmitts, 3' éd., Berlin, Duncker e' est-à-dire « !e sy.,
& Humblot, 1995, p. 66-67. 5chmitt l'a placé à la fin du chapitre 1 desa Politische Theologie sans tou- a11ame garantiej11,
tefois en indiquer l'auteur. mmt qrú, eri v11e da
46. M. 5TOLLEI5, Geschichte, p. 331; 1. MÜLLER, op. cit., p. 44. dans !es !ois, les dé,
47. L'une des dernieres comributions à ce débat est l'article de W. BE5T, « Rechtsstaat? », DR, 1938, théorie a été critil
pp. 413-416. (1933-1944), 2' éd.
48. C'est ce que prône également, dans un style toutefois plus brutal, Reinhart Hohn (né en 1904), zum Verhãltrzis vo1
fervem nazi, membre de la 55 et promu professeur à Berlin à la suite des épurations (cf J. LEGE, Frankfurt, 5uhrka
op. cit., p. 36 s). II veut faire table rase du passé, sans toutefois indiquer précisément par quoi il entend Der Unrechts-StaCI
remplacer les anciens concepts. Ainsi, sa notion de« Volksgemeinschafi (comm1ma11téd11 Volk) », qui Nomos, 1983, PP
est supposée se substituer à la personnalité juridique de l'Etat, reste extrêmement vague et obscure. Kritisch-theoretis,

l
iique de l'État: le droit naturel

-nse le général avec la passion de


T « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

dénoncer certains juristes, dont Hans Helfritz (1877-1958)", qui entendem sau-
vegarder non seulement le mot, mais aussi le concept, du moins ce qui peut l'être.
525

Dans cette derniere ligne s'inscrit également la position conservatrice de Otto


des actes de violence commis
Koellreutter (1883-1972) qui se fait l'avocat d'un État autoritaire dans lequel
1zis, soit en toute légalité. On
regnent l'ordre et la discipline. Ce dernier croit pouvoir différencier entre le
laisant de la police et de la jus-
noyau dur du concept de Rechtsstaat, à savoir le nécessaire respect des formes, et
entration, à la nuit des longs
son contenu politique qui est contingent, et qui seul serait marqué parle libéra-
lles que, par exemple, la Lex
lisme. La forme juridique serait ainsi un élément neutre, éternel, dont nul
>active la peine de mort pour
régime ne pourrait se passer. Or il s'agit là d'une vision erronée, erreur dont
éter l'opinion publique inter-
Koellreutter prendra conscience au vu de la critique corrosive de Schmitt à
emagne, qui ont cru pouvoir
l'égard du formalisme juridique, et au vu de l'anarchie croissante qui se déve-
NSDAP et les partis conser-
loppe au sein du III' Reich.
tôt du sujet et en discute jus-
:aire s'emballe et ou la futilité 539 La querelle sur le Rechtsstaat est dominée par ces deux figures, aux idées et aux
de en plusieurs camps. II y a caracteres opposés: d'un côté, Schmitt, « Kronjurist » 50 du ill" Reich de 1933 à
1
• gardent le mot, mais pas le 1936, esprit brillant, vif et souple; de l'autre, Koellreutter 5', personnage plus
rigide, mais aussi ambitieux que le premier qu'il tente en vain d'éclipser à la tête
de la doctrine juridique nazie 52 • Ce qui fait tout l'intérêt de ce débat théorique
Carl Schmitt (1888-1985) jus-
est que l'on voit s'y refléter, comme l'a souligné Michael Stolleis 5', l'antinomie
;te à récuser tous les concepts
croissante entre les deux modes de fonctionnement du régime hitlérien décrits
eur imprégnation par l'esprit
par Ernst Fraenkel dans sonfameux ouvrage The Dual State": une logique auto-
,me laxiste, dépravé, matéria-
. de 1933 implique, par consé-
ri d'une terminologie et d'un
49. H. HELFRITZ, « Rechtsstaat und nationalsozialistischer Staat », DJZ, 1934 [l" avril], col. 427
l s' oppose une deuxieme atti- dénonce sur un ton véhément l'irruption de la propagande politique dans le champ scientifique.
liamétralement opposés, qui S'inspirant de l'idéal webérien de sciemificité, il s'oppose à ce que l'on change le comenu des
concepts traditionnels simplement pour plaire au régime politique en place.
>logie et, en l'espece, du mot 50. L'expression est de Waldemar Gurian. Cf infra note 199.
Schmitt qui fait semblant de 51. Sicué politiquement à droite, Koellreutter se vamait de son passé d' ancien combattant à la guerre
rme de Rechtsstaat est stricte- alors qu'il accusait Schmitt de ne jamais avoir emendu siffler les bailes. Nommé professeur en 1920,
d'abord à Halle, puis, l'année d'apres, à Iéna, il a travaillé notammem sur les institutions adminis-
e ce mot phare et, surtout, de tratives et judiciaires britanniques. II ne joua toutefois qu'un rôle marginal dans la querelle métho-
er, Schmitt se fixe désormais dologique qui agita la doctrine sous Weimar. II fut également juge à la Cour administrative de Thu-
>pres armes. Pour y parvenir, ringe et membre du comité d'édition de la revue A rchiv des õffentlichen Rechts. Apres l'arrivée au
pouvoir des nazis, il accéda à divers postes-clé dans l' édition juridique et fut nommé à l'université
>el ouvert à tout contenu. Le de Munich. En 1949, il fut l'un des rares professeurs de droit, avec Schmitt, à être mis en retraite
:!e, ce que n'ont pas tardé à d'office en raison de ses engagemems nazis.
52. Sur les rivalités et les intrigues qui ont opposé les deux, cf J. SCHMIDT, Otto Koellreutter (1883-
1972). Sein Leben, sein Werk, seine Zeit, Frankfurt, P. Lang, 1995, pp. 76-86.
53. M. STOLLEIS, Recht im Unrecht, p. 149.
54. E. FRAENKEL, Der Doppelstaat, Frankfurt, Europaischer Verlag, 1974. L'ouvrage fut d'abord
egel, Paris, Gallimard, 1988, p. 25 s. publié à New York en 1940 sous le titre The Dual State. Dans son étude qui porte juJqu'en 1938, date
: en allemand par H. HOFMANN, à laquelle il émigra de l' Allemagne, Fraenkel distingue entre le « Massnahmenstaat (Etat desmesures)»,
'ar/ Schmitts, 3° éd., Berlin, Duncker e' est-à-dire « le systeme de po11voir fondé sur l'ar~itraire absolu et la violence, q11i n 'est restreint par
! 1 desa Politische Theologie sans tou- auame garantie juridique » et le « Normenstaat (Etat des normes) » qui vise « le systeme de go11veme-
ment q11i, en vue de maintenir l'ordre juridique, est doté de compétences étendues telles qtt'elles s'expriment
44. d,ms les !ois, les décisions de jttstice et les actes administratifi de l'exérntif » (Doppelsta,ll, p. 21). Cette
XI. BEST, « Rechtsstaat? », DR, 1938, théorie a été critiquée par E NEUMANN, Behemoth. Stmklllr ,md Praxis des Nationalsozialsim11s
(1933-1944), 2° éd. (1944), Frankfurt, Fischer, 1984; id., Die Herschafi des Gesetzes. Eine Unters11ch1mg
>rutal, Reinhart Hõhn (né en 1904), z11m Verhãltnis von politischer Theorie und Rechtssystem in der Konkurrenzgesellschafi, trad. de l'angl.,
la suite des épurations (cf. J. LEGE, Frankfurt, Suhrkamp, 1980, pp. 340-355 et O. KIRCHHEIMER, « Die Rechtsordnung des NS », in
iquer précisément par quoi il entend Der Unrechts-Staat. Recht und justiz im NS, Sonderhefi der kritischen ]11stiz, 2° éd., Baden-Baden,
nschaft (commrmartté d11 Volk) », qui Nomos, 1983, pp. 9-23. Sur ce débat, cf W. LUTHARDT, « Unrechtsstaat oder Doppelstaat?
·este extrêmement vague et obscure. Kritisch-theoretische Reflektionen über die Struktur des Nationalsozialismus aus der Sicht demo-

l
526 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel

ritaire et statique, défendue par Koellreutter, et une dynamiqu~ totalitaire dont


T
1
« L'Étatdt

théorie lil:
nul autre en droit n'a mieux théorisé les ressorts que Schmitt. A travers le débat « volkisch,
sur le Rechtsstaat, qui n'est que le sommet de l'iceberg - car la problématique mondiale,
sous-jacente rejaillit ailleurs, que ce soit dans les discussions sur la personnalité Hitler. M,;
juridique de l'État" ou, à mots couverts, sous forme de questions plus tech- ex1geant q
niques56-, se pose la question de l'identité et de l'autonomie du droit, à l'égard 1938, au n
d'un pouvoir politique qui n'a de cesse d'étendre son emprise et d'accr01tre sa port au ré
liberté d'action. Face à cela, l'impératif de l'ordre que prône Koellreutter agit, voire bien
dans une certaine mesure, comme un frein vis-à-vis des dérives despotiques du .r,ublic à pr
Fiihrer, alors que la théorie de Schmitt sape le fondement des limites formelles A l'instar
et crée ainsi les conditions propices à une action politique en perpétuel mouve- sentant''3, i
ment, de nature révolutionnaire et totalitaire. Tandis que le premier tente le nationa.
de concilier au maximum la forme et le contenu, la légalité et la légitimité nature lui
(Section I), le second les oppose radicalement. Schmitt déjoue, en effet, les 541 En témoig
contraintes imposées par la légalité en faisant appel constamment à la notion en plus da.
supérieure de légitimité, qu'il dissout à son tour en l'identifiant à la volonté de tation de l'
Hitler. Du coup, il annihile et la légalité et la légitimité (Section II). par le biai
Constituti,
plume pot
Section L « LÉGALITÉ ET LÉGITIMITÉ » ". optimiste t
LES VAINS EFFORTS DE KOELLREUTTER POUR PRÉSERVER par Smend
à s'engager
LE PRINCIPE FORMEL DU RECHTSSTAAT
ment en ga
vegarder se
540 Si la postérité reconnait volontiers à Koellreutter le mérite d'avoir essayé, cerres de l'incom
sans succes, de théoriser des limites d'ordre formei face aux dérives totalitaires
du III• Reich 5\ il faut toutefois se garder de toute vision manichéenne qui ferait
de lui le bon juriste face au méchant Carl Schmitt. Ce serait édulcorer la réalité
historique du personnage qui est loin d'être un libéral, au plein sens du terme, 59. Sur saco:
lismus. Eine .Si
bien qu'il défende par moment, sans en être toujours conscient, des résidus de la Campus, Frar
60. CfK.M
61. M.STOL
der Wissensc 1
62. Ainsi, en
kratischer Sozialisten ", ARSP Beiheft, n" 18, 1983, pp. 197-209. La distinction de Fraenkel entre les vote pour les
deux modes opératoires du III" Reich est toutefois retenue comme grille de lecture par la plupart raissent déjà J
des juristes travaillant sur cerre période. Cf par ex. M. STOLLEIS, Recht im Unrecht, p. 10 s, 20, le parti comm
119, 142,160,191,218; I. MAUS, «Juristische Methodik ... ", p. 190. quem, suppn
55. Sur ce débat, cf M. STOLLEIS, Recht im Unrecht, pp. 110-120 et Geschichte, t. III, pp. 325-330. Koellreutter r
On Y, retrouve d'ailleurs Koellreutter et Helfritz qui défendent la théorie de la personnalité morale Schmitt.
de l'Etat. Ce dernier concept leur permet à nouveau de fi;mder le príncipe de légalité, les droits sub- 63. M. STOI
jectifs et le contrôle juridictionnel de l'administration. A l'opposé, Hé:ihn prô_ne le concept totali- Weimar, cf l-
taire de la Volksgemeinschafi, dans laquelle toure différenciation entre l'individu et la toralité poli- 4, éd., Münch
tique est, par définition, exdue. 64. J. SCHM
56. Cf M. STOLLEIS, Recht im Unrecht, p. 155 note 32, p. 191 s, p. 194 note 13. 65. O. KOEI
57. O. KOELLREUTTER, Grundriss der Allgemeinen Staatslehre, Tübingen, Mohr, 1933, p. 65 gen, Mohr, 1~
[ = Staatslehre]. L'ouvrage publif apres la prise de pouvoir de Hitler constirue, d'apres son aureur, la 66. R. SME!'
p~miere t~éorie générale de l'Etat fondée sur l'idéologie nationale-socialiste, avis que ne parragent Abhandlrmge,,
guere ses detracteurs. 67. H. HELL
58. Cf J. SCHMIDT, Otto Koellreutter(1883-1972). op. cit., p. 176 et 182. Mohr, 1992, r
ique de l'État: le droit natztrel

e dynamique totalitaire dont


1e Schmitt. À travers le débat
T «
« L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

théorie libérale du droit. Esprit autoritaire" et adepte de ce nébuleux courant


volkisch » 'º qui s' est propagé en Allemagne depuis la fin de la Premiere Guerre
527

berg - car la problématique mondiale, il adhere entierement aux valeurs racistes et antisémites prônées par
iscussions sur la personnalité Hitler. Mais, en même temps, il se fait le chantre de l'ordre et de la légalité en
rme de questions plus tech- exigeant que tout se passe dans !e strict respect des formes. Si sur le tard, vers
mtonomie du droit, à l'égard 1938, au retour d'un séjour au Japon, Koellreutter marque ses distances par rap-
son emprise et d'accr01tre sa port au ré gim e hitlérien 61 , il n' en était pas moins un fervem adepte en 1933,
que prône Koellreutter agit, voire bien avant. Il se targue en effet d' avoir été le premier professeur de droit
is des dérives despotiques du Rublic à prendre cause et parti pour le NSDAP sous la République de Weimar 62 •
:lement des limites formelles A !'instar des milieux conservateurs nationalistes dom il est un parfait repré-
)litigue en perpétuel mouve- sentant''3, il fait figure d'apprenti sorcier à force de croire à cette idée illusoire que
~andis que le premier tente !e national-socialisme, dans leque! il a placé tous ses espoirs, et dom la vraie
1, la légalité et la légitimité nature lui échappe en réalité 1r1, se laisserait maitriser.
chmitt déjoue, en effet, les 541 En témoigne son attitude en 1932, au moment ou l'Allemagne s'enfonce de plus
el constamment à la notion en plus dans la crise. Le parlement, miné de l'imérieur par l'extrême fragmen-
1 l'identifiant à la volonté de tation de l'échiquier politique, a cédé sa place à des gouvernements qui agissem
mité (Section II). par !e biais d'ordonnances présidentielles prises en vertu de l'article 48 de la
Constitution. Dans cette « atmosphere de fin de siecle » ''', Koellreutter prend la
plume pour réitérer sa foi dans la pérennité de l'idée du Rechtsstaat. Son ton
'JITIMITÉ » ". optimiste tranche résolument avec les appels à la raison lancés à la même époque
~R POUR PRÉSERVER par Smend 61' et Heller, qui exhortent les Allemands à être, enfin, des citoyens et
à s' engager pour la défense de la République de Weimar. Heller met spéciale-
:CHTSSTAAT
ment en garde la bourge?isie de ne pas céder aux sirenes de la dictature pour sau-
vegarder ses privileges. A ses yeux, une telle politique serait suicidaire en raison
mérite d'avoir essayé, certes de l'incompatibilité fondamentale de l'idée du Rechtsstaat avec la dictature 67 •
face aux dérives totalitaires
ision manichéenne qui ferait
Ce serait édulcorer la réalité
59. Sur sa conception autoritaire de l'État, cf J. MEINCK, llíéimarer Staatslehre und N,1tionalsozia-
fral, au plein sens du terme, lism11s. Eine Studie zwn Problem der Kontin11itãt im staatsrechtlichen Denken in Deutschland (1928-36),
·s conscient, des résidus de la Campus, Frankfurt, 19~~, p. 103 ss.
60. Cf K. ANDERBRUGGE, op. cit., p. 68 ss et p. 132 ss.
61. M. STOLLEIS, « Koellreutter, Otto », in Neue deutsche Biographie, éd. par Bayerische Akademie
der Wissenschaften, Berlin, Duncker & Humblor, t. XII, 1980, p. 324 s.
62. Ainsi, en 1932, il est l'un des rares juristes à signer une pétitition d'universitaires appelam au
La distinction de Fraenkel entre les vote pour les nazis. Cf J. SCHMIDT, op. cit., p. 84. Ses affinités avec le national-socialisme appa-
me grille de lecture par la plupan raissem déjà dans son opuscule Reichstagswahlen und Staatsrechtslehre de 1930, ou il considere que, si
EIS, Recht im Unrecht, p. 10 s, 20, le parti com muniste KPD est amiconstitutionnel, le NSDAP ne l' est poim. Celui-ci peut, par consé-
. 190. quem, supprimer le parlememarisme à condition de le faire dans les formes légales. En revanche,
20 et Geschichte, t. III, pp. 325-330. Koellreutter ne deviem membre du pani que le 1"' mai 1933, au même mamem d'ailleurs que Carl
a théorie de la personnalité morale Schmitt.
, principe de légalité, les droits sub- 63. M. STOLLEIS, « Koellreutter, Otto », op. cit., p. 324 s. Sur la droite amidémocratique sous
Jsé, Hohn prône le concept totali- Weimar, cf K. SONTHEIMER, Antidemokratisches Denken in der \líéimarer Rep11blik (1968),
emre l'individu et la totalité poli- 4° éd., München, dtv, 1994.
64. J. SCHMIDT, op. cit., p. 176, 179, 182 note 832.
s, p. 194 note 13. 65. O. KOELLREUTTER, Der nationale Rechtsstaat. Zum Wandel der deutschen St,iatsidee, Tübin-
hre, Tübingen, Mohr, 1933, p. 65 gen, Mohr, 1932, p. 3 [ = Nationale Rechtsstaat].
ler constitue, d'apres son auteur, la 66. R. SMEND, « Bürger und Bourgeois im deutschen Staatsrecht » (1933), in Staatsrechtliche
ale-socialiste, avis que ne panagent Abhandltmgen, 3° éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1994, p. 309-325.
67. H. HELLER, « Rechtsstaat oder Diktatur? » (1930), in Gesammelte Schrifien, 2' éd., Tübingen,
6 et 182. Mohr, 1992, t. II, pp. 443-462, spéc. p. 460.
528 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natttrel

C'est précisément contre cette assertion que s'éleve Koellreutter"' en affirmant


T « L 'État de dro

s'agit de dépa,
que la nouvelle donne politique, sous-entendu la montée en puissance du parti resurgir les lier
d' Adolf Hitler depuis les élections de 1930, est loin d'être incompatible avec « la Or, lorsqu'il s
valeur étemelle (Ewigkeitswert) de l'État de droit ». « À moi également il m 'importe socialiste, Koe
de sauvegarder le Rechtsstaat, la valeur étemelle du Rechtsstaat. Or celui-ci n 'est pas à juste titre, ~
menacé par la crise politique, si l'on en saisit la natttre exacte, et si l'on n 'identifie pas conception du
l'idée du Rechtsstaat avec [la défense de] la situation juridique de tel ou tel individu. príncipe de la
Au contraire, il est menacé aujourd'hui lorsque les représentants de la théorie géné- laquelle l'indi,
rale de l'État se refusent à tenir compte de l'évolution des idées politiques, au risque
de s'aliéner de la réalité politique. » ''9 Pour Koellreutter, il s' agit de préserver le A. Les é]
noyau dur du Rechtsstaat, c'est-à-dire le principe de légalité, non pas en s'oppo-
sant aux nouvelles tendances politiques, mais en les épousant. 544 Dans les anné,
542 Le dualisme entre une forme dite éternelle, car supposée neutre, et un contenu dualiste hérité
politique, qui, quant à !ui, est contingent et évolutif, fait l'originalité du concept sous ce terme
du droit (§ 1) et de l'État de droit (§ 2) prôné par Koellreutter. En cela, il se laxiste 72 • Koell
démarque radicalement de certains ténors de la doctrine nazie qui méprisent individualismê
tout ce qui est formei. Or, c' est !à aussi que se situe !e talon d' Achille de sa doc- est un é~oi"ste e
trine. Sa conclusion, énoncée des 1932 70 , quant à la compatibilité du national- et de l'Etat en
socialisme avec l'idéal du Rechtsstaat est viciée par une double méprise : il se source de cetti
trompe à la fois sur les intentions réelles du Führer et sur la signification théo- d'apres !ui, un
rique de la forme juridique. Hitler tend en effet à détruire le systeme de légalité sont, en réalit,
précisément parce qu'il a compris que la forme n'était pas neutre, qu'elle véhi- propre pmssan
culait certaines valeurs - libérales - qui sont à l'opposé de l'idéologie nazie. mique contre 1
D'ou un hiatus croissant entre le discours cryptolibéral, car formaliste, de Koell- blique de Weir
reutter et la réalité du III• Reich qui ressemble davantage à un chaos qu'à un État de leurs traiter
autoritaire. cile du trésor
Koellreutter r
§ 1. UNE VISION DUALISTE DV DROIT
milieux aisés, 1
un matérialisn
ALLIANT LÉGALITÉ ET LÉGJTIMJTÉ
à un au-delà qt
et de !' action ''
543 La méthodologie juridique de Koellreutter s'inscrit dans la vaste critique du Le libéralis1
positivisme amorcée sous Weimar, et quis' est poursuivie sous le III• Reich. Selon social. Son abc
!e discours prôné parles officiels du régime et repris en chreur parles juristes, il to tale de toutes
version modé
conglomérat, L
68. Nationale Rechtsstaat, p. 5-6. P. CALDWELL, op. cit., p. 412 note 51, attire l'attemion sur le
fait que Koellreutter et Heller étaiem tous les deux étudiams de Richard Schmidt à l'université de
Leipzig. On se souviem que celui-ci fut l'un des rares consritutionnalistes au tournam du XIX' 71. Cf]. SCHMI
et du XX" siecle à utiliser le terme de Rechtsst,1at. 72. lbid., p. 17.
69. Jbid., p. 4: « Auch mir geht es 11m den Rechtsstaat, 11m den Ewigkeitswert des Rechtsstaates. Erwird 73. Nation,tle Reci
aber nicht bedroht durch die politische Krise, wenn man deren Wesen richtig erkennt tmd den Gedanken 74. Nation,ile Recl
des Rechtsst,1t1ts nicht mit der einzelnen individuellen Rechtsposition identifiziert. Sondem er wird heute 75. Nationale Reci
dann bedroht, wenn die Staatsrechtslehre den Wandel der politischen Jdeen nicht sehen will 1md sich 76. Ibid.
dadurch der politischen Wirklichkeit zu enifremden droht. » l.e premier à parler du « Ewigkeitswert » 77. lbid., p. 19
du Rechtssta,tt fut Heinrich Triepel (cf VVDStRL, n" 7, 1932, p. 197). 78. Voir P. MIL7
70. II la réitérera une fois Hitler au pouvoir. Cf le ton jubilatoire de son anicle « Der nationale ( « La revanche de 1
Rechtsstaat », DJZ, 1933 [IS avril], col. 517-524. 79. Staatslehre, p.

l
'ique de l'État: le droit natttrel

re Koellreutter" en affirmant
nontée en puissance du parti
1 « L 'État de droit allemand d 'AdolfHitler»

s' agit de dépasser le carcan étroit, aride et sans âme des paragraphes pour faire
resurgir les liens du droit positif avec la politique, la moralité volkisch, bref la vie.
529

. d'être incompatible avec « la Or, lorsqu'il s'agit de définir plus précisément le sens de l'idéologie nationale-
À moi également il m 'importe socialiste, Koellreutter avance des idées dans lesquelles certains ne tardent pas, et
'.echtsstaat. Or celui-ci n'est pas à juste titre, à détecter des vestiges d'un libéralisme officiellement honni. Sa
i exacte, et si l'on n 'identifie pas conception du droit (B), et notamment son refus de sacrifier completement le
úridique de tel ou tel individu. principe de la sécurité juridique, reflete ainsi une vision de la société (A) dans
présentants de la théorie géné- laquelle l'individu garde tout de même une certaine place.
1 des idées politiques, au risque
1tter, il s'agit de préserver le A. Les éléments cryptolibéraux d'un modele social volkisch"
~ légalité, non pas en s'oppo-
s épousant. 544 Dans les années 1920-30, l'air du temps est à la critique du libéralisme indivi-
Jposée neutre, et un contenu dualiste héritée des Lumieres ou, du moins, de ce que l'on entend vaguement
f, fait l'originalité du concept sous ce terme péjoratif qui est devenu synonyme de tout ce qui est faible et
1r Koellreutter. En cela, il se laxiste 72 • Koellreutter, quant à lui, tend plutôt à identifier le libéralisme avec un
octrine nazie qui méprisent individualisme exacerbé. À ses yeux, l'homme libéral ne pense qu'à lui-même, il
: le talon d' Achille de sa doe- est un é~o·iste qui place son propre bien-être au-dessus du sort de la commun~uté
la compatibilité du national- et de l'Etat en arguam du caractere pré-étatique de ses droits subjectifs 73 • A la
r une double méprise : il se source de cette indifférence totale à l'égard d'autrui et de la nation se trouve,
r et sur la signification théo- d'apres lui, une méconnaissance de la vraie nature des droits individuels quine
létruire le systeme de légalité sont, en réalité, que des espaces de liberté conférés par l'État en fonction de sa
ftait pas neutre, qu'elle véhi- propre puissance interne et externe". Koellreutter se lance ainsi dans une polé-
'opposé de l'idéologie nazie. mique contre les theses de certains juristes libéraux selon lesquels, sous la Répu-
,éral, car formaliste, de Koell- blique de Weimar, les droits acquis des fonctionnaires, spécialement le montam
1tage à un chaos qu'à un État de leurs traitements, seraient intangibles en dépit de la situation financiere diffi-
cile du trésor public 75 • « Fiat justitia, pereat mundus » : e' est en ces termes que
Koellreutter résume la doctrine libérale du début du XX' siecle 7''. Seuls les
milieux aisés, les beati possidentes, peuvent se satisfaire d'un libéralisme réduit à
)U DROJT
un matérialisme borné alors que les jeunes générations aspirem à autre chose 77 ,
'TIMITÉ à un au-delà que l'on croit trouver, à l'époque, dans le culte de la vie, du groupe
et de l' action 78 •
rir dans la vaste critique du Le libéralisme est, à en croire Koellreutter, incapable de construire du lien
:uivie sous le Ifr Reich. Selon social. Son aboutissement logique est l'anarchisme, c'est-à-dire la « destruction
s en chreur par les juristes, il to tale de totttes les valeurs éthiques de l'État et de la communauté » 1·,. Même dans sa
version modérée, le libéralisme ne conçoit la société que sous forme d'un
conglomérat, d'une masse, comme « une somme abstraite d'individus égaux, dont
12 note 51, attire l'attention sur le
e Richard Schmidt à l'université de
rutionnalistes au rournant du XIXº 71. Cf J. SCHMIDT, op. cit., p. 17 ss et p. 111 ss.
72. lbid., p. 17.
,igkeitswert des Rechtssta,ites. Er wird 73. Nationale Rechtsst,tat, p. 12 s; Sta,its!ehre, p. 103.
m richtig erkennt rmd den Gedanken 74. Nationale Rechtsstaat, p. 7 ss; Staatslehre, p. 83. V. aussi J. SCHMIDT, op. cit., p. 54 et 57.
n identifiziert. Sondem er wird heute 75. Nationale Rechtsstaat, p. 14.
:hen !deen nicht sehen will rmd sich 76. lbid.
·emier à parler du « Ewigkeitswert " 77. lbid., p. 19
197). 78. Voir P. MILZA, Les fascismes, Paris, Imprimerie nationale, coll. Notre siecle, 1985, p. 13 ss
oire de son arricle « Der nationale (« La revanche de l'irrationnel ")-
79. Staatslehre, p. 16.

l
530 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel « L 'État de dro

on fait completement abstraction de leurs diflérences corporelles et spirituelles. d'un équilibre


D'apres cette conception, est tenu pour égal, surtout d'un point de vue politique, tout rité et liberté »
ce qui porte un visage humain {Gleich, vor allem politisch gleich ist nach dieser Auf 546 D'apres celui-,
fassung alles, was Menschenantlitz tragt). » 'º L'individu n'a aucun lien organique entre l'un et 1,
ni avec la société ni avec l'État : il est au contraire cosmopolite, « Weltbürger », - car il s' agit 1
s'installant à n'importe quel endroit du monde - « ubi bene, ibi patria » -, et fusion harmo1
rejetant tout sacrifice personnel pour sauver la patrie en danger". blématique de
545 À ce modele d'une liberté égocentrique et d'une égalité artificielle, Koellreutter au centre de s,
oppose une nouvelle Staatsidee qui est née dans les tranchées de la Premiere bleme n 'existe
Guerre mondiale ou les soldats ont vécu un esprit de camaraderie, de dévoue- Hohn est pen
ment pour la patrie et de solidarité avec autrui ". D'apres !ui, l'homme ne sau- libérale, vue e
rait être cet individu isolé de Rousseau, car seule la communauté est à même de Julius Stahl (1
!ui offrir !e cadre indispensable pour son épanouissement personnel. Ce n'est liberté » ". En
que dans sa « Gemeinschaftsstellung (statut communautaire) », dans sa « volkische matique : s'il
Gliedschaft (appartenance au Volk) » que l'homme « peut et doit »83 accéder à la et, en partie, e
liberté, comprise non pas comme une liberté contre l'État, mais dans l'État. « Ce conservateur,
concept politique de la liberté se/onde également sur une autre perception de l 'essence moms au sens
de l'homme. D'apres elle, l'homme a besoin des liens avec le peuple et l'État pour Au-delà de s,
s'épanouir conformément à son essence. »"' Cela signifie que l'être humain, en tant XX' siecle, qui
que Volksgenosse"\ est réinséré dans « l'ordre vital (Lebensordnrmg) » du Volk, a touiours recc
c'est-à-dire dans les liens organiques noués par le « sang et la terre (Blut und À raison de l' a
Boden) ». En replaçant I'individu dans la dimension soi-disant objective de son du XIX' siecle
appartenance raciale, Koellreutter légitime la politique nazie d'exclusion des une théorie i1
juifs et d'autres minorités jugées indésirables'". Toutefois, il se refuse à dissoudre grilfe » 97 _ qui
la personnalité de ceux qui ont la chance d'être des Allemands aryens dans un trop libérale J
magma social indifférencié, dans un état de fusion prôné par les théoriciens de dans !e nation
la logique totalitaire. Ainsi que !e note son biographe Jõrg Schmidt, il n'est nul-
lement question pour Koellreutter de souscrire à ce slogan hitlérien de triste
90. Staatslehre, p.
mémoire : « Ttt n 'es rien, ton peuple est tout (Du bist nichts, dein Volk ist alles). » ' 7 p11ise ses racines. »
II dira au contraire, et ce en 1941, qu'on « ne peut pas ~simultanément] bâtir un devoir rechercher 1
peuple et vouloirécraser !'ego de chaque Volksgenosse »'".Ases yeux, il ne s'agit pas l'a11tre selon !e deg
91. R. HÕHN,
de « dissoudre » la personnalité, mais de « l'insérer » dans l'entité collective".
lehre »,]W, 1934.
C'est pourquoi il ne cesse, jusqu'à la fin du régime nazi, de souligner Ia nécessité 92. Staatslehre, p.
dira encore que "
contre des atteintl':
dtt XX siecle "· e
80. lbid. VerwArch., vol. 4
81. lbid., p. 17. 93. R. HÔHN,,
82. Cf J. SCHMIDT, op. cit., p. 65 ss. Sur ce creuser de la révolurion conservarrice, cf K. SON- 94. Cf supra n-· 7
THEIMER, op. cit., p. 93 ss. (cf Staatslehre, p.
83. St,1acslehre, p. 63. pelle plus que « J,
84. St<1<1ts!ehre, p. 101. 95. Cf par ex. S1.
85. Litt. « mmarade d11 peuple » = aryens. 96. Cf St,!,11slehn
86. Cf par ex. O. KOELLREUTTER, « Die polirische und rechrliche Bedeurung des Rassebe- 97. R. HOHN,,
griffs », DR, 1934, pp. 77-78 er J. SCHMIDT, op. cit., p. 101 ss. 98. Les exemple,
87. J. SCHMIDT, op. cit., p. 113. nature pré-érariq1
88. O. KOELLREUTTER, « Führung und Herrschaft », RVerwB!., 1941, vol. 62, p. 447. liberté aux Volks.,
89. « Durch diese võlkische A11jfass1mg wird die Persõnlichkeit nicht a11sgelõscht, sondem n11r in die cas de circonstan
hõhere Ganzheit der sie wgehõrt, eingegliedert. » pouvoirs à l'excc

1
ique de l'État: le droit naturel

ces corporelles et spirituelles.


T « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

d'un équilibre entre l'individu (aryen) et le Volk, d'un compromis entre « attto-
531

'un point de vue politique, tout rité et liberté » 'º, ce qui lui vaut les critiques cinglantes de Hõhn ' 1•
tisch gleich ist nach dieser Auf 546 D'apres celui-ci, il est inconcevable qu'il puisse y avoir le moindre antagonisme
idu n'a aucun lien organique entre l'un et le tout, entre l'individu et la communauté. Les deux sont supposés
cosmopolite, « Weltbürger », - caril s'agit là d'une pure fiction aux effets redoutables - vivre dans un état de
« ubi bene, ibi patria » - , et fusion harmonique sous la direction suprême du Führer. Des lors, toute la pro-
·ie en danger• 1• blématique de la conciliation de l'autorité et de la liberté, que Koellreutter met
;alité artificielle, Koellreutter au centre de ses préoccupations'1, est dépassée et n'a plus lieu d'être : « Ce pro-
les tranchées de la Premiere bleme n 'existe plus du tout. » .,, II s' agit en effet - et c' est en quoi la critique de
t de camaraderie, de dévoue- Hõhn est pertinente - d'une interrogation qui puise ses racines dans la pensée
Yapres lui, l'homme ne sau- libérale, vue et revue par le théoricien conservateur du Rechtsstaat, Friedrich
communauté est à même de Julius Stahl (1802-1861), qui fut le premier à lancer le slogan de « autorité et
ssement personnel. Ce n'est liberté » ". En ce sens la critique koellreutterienne du libéralisme n'est pas systé-
iautaire} », dans sa « volkische matique : s'il fustige ses exces'\ s'il récuse le príncipe fondamental de l'égalité
« peut et doit » 83 accéder à la et, en partie, celui de la séparation des pouvoirs, il en reprend, via son héritage
! l'État, mais dans l'État. « Ce conservateur, l'idée de la nécessaire garantie d'un certain espace de liberté, au
ne autre perception de l 'essence moins au sens d'une liberté aristocratique réservée en l'espece aux seuls aryens.
s avec le peuple et l 'État pour Au-delà de ses diatribes visam principalement le libéralisme du début du
fie que l'être humain, en tant XX' siecle, qui n'est plus qu'une pâle copie de son ancêtre de 1789, Koellreutter
l (Lebensordnung) » du Volk, a toujours reconnu aux libéraux le mérite d'avoir introduit l'idée de la liberté'".
! « sang et la terre (Blut und À raison de l'appropriation des idées des Lumieres parles conservateurs au cours
,n soi-disant objective de son du XIX' siecle, Koellreutter est libéral sans l'être officiellement. II en résulte
itique nazie d'exclusion des une théorie intermédiaire, faite de compromis - Hõhn parle de « Brückenbe-
.tefois, il se refuse à dissoudre griffe » ' 7 - quine satisfait personne : aux yeux d'un nazi fanatique, elle est encore
:s Allemands aryens dans un trop libérale alors que pour un authentique libéral elle est déjà trop empêtrée
prôné par les théoriciens de dans le national-socialisme ".
he Jõrg Schmidt, il n'est nui-
ce slogan hitlérien de triste
· nichts, dein Volk ist alles}. » ' 7 90. Staatslehre, p. 63 : « C'est dans la connexion de l'a11torité et de la vraie liberté que l'idée de l'État
p11ise ses racines. ,, Vair aussi p. 235 : « To11te forme de gouvernement qui velll s'inscrire dans la durée va
pas ~simultanément] bâtir un devoir rechercher tm éq11ilibre {Ausgleich) entre la liberté et l'ordre, en insistant davantage sur l'11n 011 s11r
88
•> • A ses yeux, il ne s'agit pas l'autre selon !e degré de cohésion interne et de séc11rité externe. ,,
r » dans l'entité collective 8'. 91. R. HÕHN, « Buchbesprechung van Occo Kaellreuccer, Grundriss der Allgemeinen Scaats-
lehre »,]W, 1934, e. II, p. 1635-1636.
nazi, de souligner la nécessité 92. Staatslehre, p. 15-16, p. 63 et p. 100 ss (§ 22 cansacré aux « droitsfondamenta11x »). En 1942,.il
dira encare que « le statttt j11ridiq11e d11 Volksgenosse, pris individ11ellement, et sa protection légit~me
contre des atteintes to11chant à son existence constiwe l'1m des problemes constit11tionnels décisifs de l'Etat
du xx siecle ». Cf O. KOELLREUTTER, « Rechc und Richcer in England und Deutschland »,
VerwArch., vai. 47, 1942, p. 218 [ = Recht und Richter].
93. R. HÕHN, op. cit., p. 1636.
valurian canservacrice, cf K. SON- 94. Cf sttpra n" 75. Alars que Koellreuccer vaie en Scahl l'un des plus grands penseurs du XIX' siecle
(Lf Staatslehre, p. 54), Schmicc se lance dans une polémique ancisémite ignoble contre celui qu'il n'ap-
pelle plus que «Joll]olson,, (cf Staat, Bewegzmg, Volk, 1933, p. 30).
95. Cf par ex. Sta,1tslehre, p. 105.
96. Cf Sttf_atslehre, p. 18 et J. SCHMIDT, op. cit., p. 18.
rechcliche Bedeucung des Rassebe- 97. R. HOHN, op. cit., p. 1636 (!ice.« concepts de pont »).
98. Les exemples illuscrant la posicion à mi-chemin de sa, chéorie som nombreux. S'il récuse la
nacure pré-étacique de la libené, il estime paunant que l'Ecat doit concéder un cenain espace de
wBI., 1941, vai. 62, p. 447. libené aux Volksgenossen, et qu'il doic respeccer les droits subjeccifs cansacrés par sa propre !oi, sauf
1icht ausgelõscht, sondem n11r in die cas de circonstances excepciannelles (Notrecht). li rejette également la chéorie de la séparatian des
pauvoirs à l'excepcion coucefois du príncipe d'indépendance de la justice. II critique l'écendue de

l
532 Les enjeux théoriqttes de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel

B. Les deux pôles de son « concept politique du droit


la race et la sécurité juridique
» ;
1 « L 'État de dr,

548 En ce quico
droit, Koellre
tier de Weber,
547 La critique de Koellreutter à l'égard du positivisme juridique prend déjà corps une certaine r
sous la République de Weimar", avam de se déployer sous le régime nazi ou il est Toutes les cone
de bon ton de stigmatiser ses défauts. Situé à l'opposé de l'idéal de neutralité axio- mentales de rn
logique cher à Kelsen, le concept du droit défendu par Koellreutter se veut réso- porei de la lég
lument « politique » 100 , proche de la« vie » et de« l'âme du peuple » à !'instar desa chaque époqc
théorie générale de l'État quis' ouvre surdes imerrogations existentielles 'º'. De là, Si le libéralisr
cependant, Koellreutter ne va pas jusqu'à faire siennes les positions radicales de tan en ce déb1
certains de ses collegues qui vouent une hostilité et un dédain sans commune est « mort » '"
mesure à la« légalité noire sur blanc » ou encare aux « paragraphes », dom ils raillent mains du Füh
l'esprit étriqué, poussiéreux et formaliste, et dont ils voudraient bien se passer du Volk. Derr
pour de bon 1º2• Dans ses divers écrits, il ne cesse en effet, en insistam selon le réactionnaire
contexte tamôt sur l'un tantôt sur l'autre, de mettre en exergue la« double signifi- trouve clone, 1

cation » 101 du concept du droit qui est à la fois forme et matiere, qui prend sa source dis, l'apologic
à la fois dans « l'ordre juridique positif de l'État » et dans « l'idée du droit, laquelle ordre, patrie,
culmine dans l'exigence de justice»'°'. S'il reconna1t que le « droit précede la loi » ' 05, des juifs, que!
qu'il existe clone un droit en dehors des lois à !'instar du Notrecht (le droit de néces- faille à !'insta
sité) dom il défend la validité à l'aune de l'idée de justice 106, Koellreutter tente 549 Mais, comme
cependant de maintenir le lien le plus étroit possible entre les deux aspects, en tutif du droit
appelant de ses vceux un systeme qui soit à la fois légitime et légal : « Dans l'État positives. Km
de Führer allemand également, le droit n 'est pas seulement juste, ce qui va de sai, mais principe de sé
[en outre] il revient à l'ordre juridique positifdu Führerstaat de remplir sa fonction de libérales ou, s
maintien de l'ordre. »'º'li s' oppose par conséquent à quiconque voudrait définir le de légalité : p
droit et le Rechtsstaat de façon unilatérale ou exclusive 108 , en faisant abstraction soit l' arbitraire pu
de l'idée du droit - c'est ce qu'a fait Kelsen -, soit de la légalité, ce que prônem tifs que conci
nombre de juristes nazis tels que Roland Freisler et, surtout, Carl Schmitt.
109. Staatslehre f
compétence des juridictions administratives, mais s'oppose à leur suppression pure et simple qui 110. Nationale R
serait comraire à l'idée du Rechtsstaat. II va même jusqu'à réclamer la création du tribunal admi- 111. Ftihrerstaat.
nistratif fédéral (Reichsverwaltungsgericht) promis parles constituams de Weimar et établi de façon 112. O. KOELL
factice par Hitler en 1942. 113. Ibid., col. 5
99. M. STOLLEIS, « Koellreutter, Otto », op. cit., p. 324. Staatslehre (p. 12
100. Staatslehre, p. 71 ss. V. aussi O. KOELLREUTTER, Derdeutsche Ftihrerstaat, Tübingen, Mohr, idéal politiq11e ali
1934, p. 17, 20 [ = Fzihrerstaat]. 114. Ibid., col. 5.
101. Voir Nationale Rechtsstaat, p. 4, 6, 12, 21; Staatslehre, p. 9 ss, 57 ss; Fzihrerstaat, p. 7. 115. Ibid. cal. 51
102. Voir infra. du 24 mars 1933
103. O. KOELLREUTTER, Deutsches Verfasszmgsrecht - Ein Grnndriss, 3' éd., Berlin, Junker 31 mars 1933 (G/
& Dünnhaupt, 1938, p. 55 [ = Verfasszmgsrecht]. pas des Lãnder q,
104. Ibid. Comrairemem à ce qu'avance J. Schmidt (op. cit., p. 163), ce dualisme appara1t déjà dai- du pouvoir juri.:
remem avam l'avenemem au pouvoir de Hitler (Lire son Nationale Rechtsstaat, p. 24 ss qui date de juges ordinaires ,
1932). 116. L. FULU(I
105. Recht zmd Richter, p. 229. V. aussi Verfassungsrecht, p. 15. 117. Cf inji-,1. A
106. Nation,ile Rcchtsstaat, p. 34 s; O. KOELLREUTTER, « Der nationale Rechtsstaat », DJZ, 1933, 1935 (RGBI., 1, p
col. 518-9. Cf J. SCHMIDT, op. cit., p. 61 ss. sang allemand. !',
107. Ftihrerstaat, p. 21 : « A11ch im de11tschen Ftihrerstaat ist das Recht nicht nur selbstverstãndlich culin, quelle que
gerechtes Recht, sondem die positive Rechtsordmmg des de11tschen Ftihrerstaat hat ihre Ordmmgsaufgabe peine. Or, dans 1
w erfiil/en. » la justice, mais el
108. Nationale Rechtsstaat, p. 25 ss; Staatslehre, p. 75 s, 78 s. appellait à l'épo,
'ique de l'État: le droit naturel

)/itique du droit
dique
» :
T « L 'État de droit allemand d'AdolfHitler»

548 En ce qui concerne tout d'abord l'aspect matériel du droit, à savoir l'idée du
droit, Koellreutter se révele curieusement être un enfant du XIX' siecle un héri-
533

tier de Weber, voire ... de Marx. À ses yeux, tout idéal de justice est enra~iné dans
1e juridique prend déjà corps une certaine réalité historique et poli tique : « II n 'existe pas de justice absolue en sai.
:r sous le régime nazi ou il est Toutes les conceptions de la justice sont déterminées parles positions politiques fonda-
;é de l'idéal de neutralité axio- mentales de celui qui les énonce. » 1°' 11 n'y a pas de critere absolu, universel et atem-
par Koellreutter se veut réso- porel de la légitimité. Son approche est par conséquent sociologique : il revient à
1me du peuple » à l'instar de sa chaque époque de formuler sa propre vision de l'idéal politique, de la Staatsidee.
gations existentielles 'º'. De là, Si le libéralisme a dominé le XIX" siecle, il ne reste plus rien de sa grandeur d'an-
mes les positions radicales de tan en ce début du XX" siecle. L'esprit du libéralisme créatif, né des idées de 1789,
et un dédain sans commune est « mort » 11 º, à en croire Koellreutter qui place le salut de son époque entre les
paragraphes », dont ils raillent mains du Führer Adolf Hitler, ce chef messianique incarnant l'idée rédemptrice
ils voudraient bien se passer du Volk. Derriere cet idéal volkisch se cache chez Koellreutter un conservatisme
:n effet, en insistam selon le réactionnaire imprégné de l'idéologie raciste du « Blut und Boden » 111 • On y
en exergue la « double signifi- trouve clone, pêle-mêle, sans que ces éléments ne soient véritablement approfon-
~t matiere, qui prend sa source dis, l' apologie de « l'ancien héritage allemand conservateur » 112 (famille, propriété,
dans « l'idée du droit, laquelle ordre, patrie, etc.), des éléments anti-féministes (la femme au foyer 113), l' exclusion
ue le « droit précede la !oi » 'º5, des juifs, quelques vagues références socialisantes 11 \ sans oublier l'adhésion sans
du Notrecht (le droit de néces- faille à l'instauration d'un pouvoir dictatorial au profit de Hitler 115 •
. justice ,e", Koellreutter tente 549 Mais, comme il a été vu plus haut, l'idée de justice n'est pas le seul élément consti-
>le entre les deux aspects, en tutif du droit. Encore faut-il que celle-ci soit transcrite dans un systeme de lois
gitime et légal: « Dans l'État positives. Koellreutter souligne ainsi à de multiples reprises le rôle crucial du
ent juste, ce qui va de sai, mais principe de sécurité juridique. Il insiste sur ce que l'on pourrait appeler les vertus
rstaat de remplir sa fonction de libérales ou, selon la formule de Lon Fuller, la « moralité interne » "" du príncipe
quiconque voudrait définir le de légalité : pris en lui-même, celui-ci constitue déjà un certain rempart contre
~ 10' , en faisant abstraction soit l'arbitraire puisqu'il protege au moins les rares niches, les quelques droits subjec-
de la légalité, ce que prônent tifs que concede encore la loi positive aux individus 117 • À ce titre, Koellreutter
surtout, Carl Schmitt.
109. Staatslehre p. 75. V. aussi Ftihrerstaat, p. 17.
~ur suppression pure et simple qui 110. NatiomileRechtsslaat, p. 19.
1mer la créarion du tribunal admi- 111. Ftihrerstaat, p. 8 ss et p. 17. Voir aussi les références cirées mpra note 86.
:uanrs de Weimar et érabli de façon 112. O. KOELLREUTTER, « Der narionale Rechrssraar ", DJZ, 1933 [15 avril], col. 519.
113. Jbid., col. 520 ou il s'inrerroge sur l'inrérêt de mainrenir le droit de vote des femmes. Dans sa
StaaLS!ehre (p. 12), !e ton est déjà plus carégorique : « Ni l'amazone ni la suffragette ne constituent un
'ltsche Fiihrerstaat, Tübingen, Mohr, idéal politique allemand. »
114. Jbid., col. 523.
s, 57 ss; Fiihrerstaat, p. 7. 115. Jbid. col. 518-521 ou il légirime la prise de pouvoir des nazis, à savoir la !oi des pleins pouvoirs
du 24 mars 1933, la fin du régime parlemenraire et l'abolirion tocaie du fédéralisme par la !oi du
1 Grrmdriss, 3· éd., Berlin, Junker 31 mars 1933 (Gleichschaltrmgsgesetz). Cerre derniere ne fair que valider rérroacrivement une mise au
pas des Lãnder qui s'est faite de façon rout à fait illégale. II est par ailleurs favorable à une limitation
163), ce dualisme apparalt déjà clai- du pouvoir juridicrionnel (prohibirion du contrôle de consrirurionnaliré des !ois conquis par les
·1ale Rechtsstaat, p. 24 ss qui date de juges ordinaires sous Weimar, resrricrion des pouvoirs des rribunaux administratifs).
116. L. FULL~R, The Morality o/ Law, 2"' edn., 1969, New Haven, Yale UP, 1969, spéc. chap. 2.
117. Cf infra. A rirre d'exemple exrrême, on peur cirer la loi, dite de Nuremberg, du 15 septembre
· narionale Rechrsstaat ", DJZ, 1933, 1935 (RGBI., I, p. 1146) dom l'article 2 inrerdit rour rapporr extraconjugal entre juifs et ciroyens de
sang allemand. Pourtant, l'anicle 5 ai. 2 ne prévoit de peine de prison qu'à l'égard du panenaire mas-
,s Recht nicht n11r selbstverstãndlich culin, quelle que sair d'ailleurs son origine raciale. En príncipe, la femme n'est soumise à aucune
,ihrerstaat hat ihre Ordmmgsaufgabe peine. Or, dans la pratique du III• Reich, la femme, sunour si elle est juive, sera cerres acquittée par
la justice, mais elle sera aussitôt arrêrée par la SS ou la Gestapo à la sonie du tribunal. C'est ce qu'on
appellait à l'époque les « corrections de jugements ».
534 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel

exige de la part du pouvoir nazi que la mise en <l!uvre de l'idée du Volk se fasse
T « L 'État de drc

au début, Ko,
par la voie de lois positives 11 ' , générales et abstraites, publiés dans le Reichsgesetz- que le princiF
blatt11", afin que les destinataires des normes puissent décider en connaissance défense de ce ,
de cause de leur conduite à l' avenir. L' option platonicienne d'un roi philosophe 12º
- en l'espece le Führer qui, fort desa connaissance de l'idée objective de justice,· A. Lt:
se verrait attribuer un pouvoir discrétionnaire absolu -, est implicitement reje-
tée par Koellreutter au profit du modele du regne des lois. Il appartient ainsi au 551 Koellreutter e:
Führer de créer et de maintenir un ordre juridique positif 121 • Car « ce n'est que et du concept
lorsque chacun a vis-à-vis du titulaire de la puissance étatique un droit (Anspruch) au mer la compa1
fonctionnement régulier du pouvoir, en bénéficiant ainsi de la sécurité juridique, que ou, plus exact
l'exercice du pouvoir est infom1é et détenniné parle droit. Alars seulement est établi qu'un élémen
le lien politique entre le pouvoir et le droit » w_ Un tel critere formel peut paraí'tre et atemporelle ,
anodin, minimaliste et sans réelle valeur au regard de fois liberticides. Pourtant, si se déroule sel(
on analyse l'histoire du ili' Reich, on s'aperçoit que la forme légale constitue le « conception p1
dernier bastion de l'autonomie du droit. Sa destruction fera naí'tre un néant juri- rapporte à l'id
dique total 12.1_ En l'absence de toute rationalité substantielle, il ne restait plus que
552 Le Rechtsstaat
la rationalité formelle héritée des Lumieres et c'est à sa sauvegarde que servait de
vernement de
plus en plus le concept de Rechtsstaat chez Koellreutter.
célebre définit
qui entendait
§ 2- UNE PENSÉE DE L 'ORDRE OU LA MORALITÉ INTERNE DE L 'ÉLÉMENT toute la vie quz
FORMEL DU R.ECHTSSTAAT lectivité dans s
qu'il soit pour,
se doit par co11
550 À l'image de son concept du droit, le Rechtsstaat de Koellreutter est également
certaine quali
dualiste, axé sur ces deux éléments que som la forme et la matiere (A). L'articula-
Volksgenossen.
tion hiérarchique de ces deux volets s'inverse cependant en cours de route : si,
écrits, aller de
produit d'une e
indissociable d(
118. Cf Verfasszmgsrecht, p. 15: « C'est pourq11oi dans l'Ét,lt de droit national-socúiliste toute m,mifes-
t,llion des hautes spheres dirigeantes (Fzihmng) n 'a pas ·valeur de /oi. Po11r déployer les effets d'zme /oi, la légalité s'impc
volonté d11 Fzihrer doit également re--uêtir la forme de la /oi. » Voir aussi ibid., p. 56: « Ainsi se tro11ve
exprimée l'idée que l'ordre juridique positif et les souces juridiques positives puisent leur sens (Sinn) exc/11-
sivement dans la commzmauté võlkisch. Mais, de l'azttre côté, l'idée du droit ,1 besoin de la concrétisation
et de la fonne de l'orqre juridique positifpo11r devenir e!Jicace »; Frilmmg rmd Herrschaft, p. 446 : tout 124. cf]. semi
en admettant que l'Etat légal du XIX" siecle est dépassé, il affirme néanmoins que « la création d',m 125. U. SCHELI
ordre juridique stable n'est pas moins importante dans /e Fzihrerstaat actttel »; Recht zmd Richter, p. 212 cf H. HELFRIT:
ou il loue le régime fasciste italien pour son reuvre législatrice illustrée notamment dans les Codici H. GERBER, Sta.
Mussol iniani. nationale Revolw
119. Sur la nécessaire publicité du droit, cf Staatslehre, p. 56; Verfasszmgsrecht, p. 57; Fzilmmg zmd E. TATARIN-TA
Herrschafi, p. 447; Recht rmd Richter, p. 229 ss. pp. 345-349; R.A.
120. Sur la théorie du roi-philosophe que Platon abandonnera vers la finde sa vie, en adhéram à l'idée ]W, 1933, p. 2945
du regne des lois, cf. J.-J. CHEVALLIER, Histoire de la pensée politiq11e, Paris, Payot, 1993, p. 42 ss. 126. Nationale Rc
121. En ce sens, il existe, toutes propon~ons gardées, des affinités structurelles entre la pensée de 127. Ibid., p. 21.
Koellreurrer et la théorie du droit et de l'Etat des Lumieres. Pour les deux, il n'y a de loi que de [oi 128. Ibid., p. 5. \',
légitime et, surtout, la légitimité se doit d'emprunter le canal de la légalité. Cf supra n· 209 (Locke}. 129. Précisons qu
On remarquera aussi les similitudes avec la pensée de Jellinek quant à l'obligation du souverain de cule à l'époque u
maimenir en vigueur un ordre juridique positif. Cf supra n· 99 et 520. nazis, cf. infra n" ~
122. Staatslehre, p. 56. 130. O. BAHR, l
123. C'est à la démonstration de cerre these qu'est consacré l'ouvrage de D. KIRSCHENMANN, 131. Nationale Rc
,, Gesetz » im Staatsrecht zmd in der Staatsrechtslehre des N,aionalsozialismus, Berlin, Duncker 132. Ibid., p. 20-2
& Humblot, 1970. sité d'une justice i
que de l'État: le droit natttrel

vre de l'idée du Volk se fasse


T « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

au début, Koellreutter s'intéresse davantage au contenu politique, en estimant


que le principe de légalité va de soi, il est de plus en plus obligé de prendre la
535

, publiés dans le Reichsgesetz-


ent décider en connaissance défense de ce dernier au fur et à mesure que le li' Reich se radicalise (B).
cienne d'un roi philosophe 120
de l'idée objective de justice, A. Les deux volets, matériel et formei, du Rechtsstaat m
lu -, est implicitement reje-
les lois. 11 appartient ainsi au 551 Koellreutter est l'un des auteurs les plus engagés en faveur du maintien du terme
positif 121 • Car « ce n'est que et du concept de Rechtsstaat sous le li' Reich m. Des 1932, il se croit fondé à affir-
'.atiqtte un droit (Anspruch) au mer la compatibilité de l'idéologie nationale-socialiste avec l'idéal du Rechtsstaat
isi de la sécurité juridique, que ou, plus exactement, avec le « Ewigkeitswert » du Rechtsstaat qui n'en constitue
roit. Alars seulement est établi qu'un élément. Koellreutter distingue, d'une part, la« conception philosophique
1critere formel peut para'ltre et atemporelle du Rechtsstaat » m, qui a trait à l'idéal formel d'un État dont la vie
: lois liberticides. Pourtant, si se déroule selon des procédures régulieres et prévisibles 127 , et, d'autre part, une
~ la forme légale constitue le « conception politique » 12' qui varie selon le contexte historique concret et qui se
ion fera nattre un néant juri- rapporte à l'idéal substantiel du droit.
antielle, il ne restait plus que 552 Le Rechtsstaat est clone tout d'abord un État légal 12·i, en d'autres termes un gou-
L sa sauvegarde que servait de
vernement de lois et non pas d'hommes. Koellreutter reprend à ce sujet la
:ter. célebre définition du Rechtsstaat formulée parle libéral Otto Bahr (1817-1895)
qui entendait par là « que l'État fosse du droit le fondement de son existence, que
rÉ INTERNE DE L 'ÉLÉMENT toute la vie qui se déploie en son sein, que ce soit celle des individus ou celle de la col-
.AT lectivité dans ses rapports avec ses membres, se meuve dans les vaies du droit sans
qu'il soit pour autant porté atteinte à la liberté qui /ui est indispensable » IJo_ L'État
se doit par conséquent de faire regner l'ordre en son sein, un ordre qui soit d'une
e Koellreutter est également
certaine qualité puisqu'il doit garantir une sécurité juridique maximale aux
i et la matiere (A). L'articula-
Volksgenossen. Cet aspect formei semble à ses yeux, du moins dans ses premiers
1dant en cours de route : si,
écrits, aller de soi: il s'agit d'un príncipe éternel et atemporel, qui n'est « pas le
produit d'une évolution progressive », mais qui constitue au contraire un « élément
indissociable de l 'idée du droit » IJi. C' est un truisme que de dire que le princi pe de
roit national-soci,diste totlle m,mifes- légalité s'impose « de façon générale » à« toute nation cultivée » 131 • Helfritz dira
1. Po11r déployer les ejfets d'une /oi, la
aussi ibid., p. 56 : « Ainsi se trouve
ositives p11isent leur sens (Sinn} exclu-
d11 droit ,1 besoin de la concrétisation
ilmmg rmd Herrschafi, p. 446 : tout 124. Cf]. SCHMIDT, op. cit., p. 53 ss et p. 118 ss.
e néanmoins que « la cré,ttion d'rm 125. U. SCHELLENBERG, op. cit., p. 80. Divers juristes vont d'ailleurs s'inspirer desa démarche:
,1 acwel "; Recht rmd Richter, p. 212 cf H. HELFRITZ, op. cit.; B. DENNEWITZ, Das nationale De11tschland, ein Rechtsstaat, 1933;
li ustrée notam ment dans les Codici H. GERBER, Staatsrechtliche Gnmdlinien des ne11en Reiches, 1933, p. 29 ss; U. SCHEUNER, « Die
nationale Revolution. Eine staatsrechtliche Untersuchung ", AõR, vol. 24, 1934, spéc. p. 343;
'erfimrmgsrecht, p. 57; Frilmmg rmd E. TATARIN-TARNHEYDEN, « Grundlagen des Verwalcungsrechc im neuen Staat », AõR, 1934,
pp. 345-349; R.A. REUSS, « Buchbesprechung von G.A. Walz, Das Ende der Zwischenverfassung »,
-s la finde sa vie, en adhérant à l'idée ]W, 1933, p. 2945 s.
Jlitiq11e, Paris, Payot, 1993, p. 42 ss. 126. Nationale Rechtsstaat, p. 5.
ités structurelles entre la pensée de 127. Ibid., p. 21.
r les deux, il n'y a de loi que de loi 128. Ibid., p. 5. Voir aussi Staatslehre, p. 106. ,
la légalicé. Cf supra n-· 209 (Locke). 129. Précisons que Koellreutter n'utilise jamais l'expression de« Gesetzesstaat (Etat légal)" qui véhi-
uant à l'obligation du souverain de cule à l'époque une connotacion tres péjoracive. Sur la critique du formalisme juridique sous les
!t 520. nazis, cf infra n" 575 ss.
130. O. BAHR, Der Rechtsstaat (1864), p. 2; cité in Nationdle Rechtsstaat, p. 20.
uvrage de D. KIRSCHENMANN, 131. Nationale Rechtsstaat, p. 20.
1onalsozialismus,
Berlin, Duncker 132. Ibid., p. 20-21. Dans le même sens: H. HELFRITZ, op. cit., col. 431-2 ou il estime que la néces-
sité d'une justice indépendante est une « évidence » au-dessus de tout doure.
536 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel « L 'État de droi1

même que l'idée du Rechtsstaat ainsi défini est connue et admise « depttis la nuit B.
des temps », que ce soit dans les écrits d' Aristote ou, plus loin encore, dans le
fameux code d'Hammurabi m_ De là il n'y a qu'un pas pour qualifier le príncipe
de légalité de« neutre » '", puisqu'il est ouvert à tout contenu politique et qu'il
n'est guere lié à la théorie libérale qui, du reste, lui est historiquement pos- 1º L 'évolution
térieure. Ayant ainsi extirpé le príncipe de sécurité juridique de « l'emprise du
libéralisme dégénéré de l'apres guerre » ns - c'est du moins ce qu'il croit -, 554 Paradoxal a pri1
Koellreutter en déduit que le national-socialisme ne s'oppose guere à l'idée plorer l'au-delà
éternelle du Rechtsstaat, à savoir l'idéal d'un État qui respecte sa propre parole. une défense du
553 Mais, à côté de ce premier aspect, il existe le volet politique du Rechtsstaat qui a de dépérisseme
trait à son contenu substantiel, c'est-à-dire à l'idéal de justice qui sous-tend le du droit est cél(
droit d'une époque donnée. Chaque période produit en effet ses propres valeurs du droit, celle-c
et par conséquent son propre Rechtsstaat 13". Si les libéraux du XIX' siecle ont mis statut hors du
« gothique » 144,
le príncipe des droits inaliénables et imprescriptibles de l'homme au sommet de
Hitler est l'inc~
leur hiérarchie des valeurs 137, le XX' siecle assiste à l' émergence d'une nouvelle
car lui seul sait ,
conception de l'État et du droit qui fait primer les intérêts du Volk et de la nation
des lors à ce qu
sur ceux des individus 138 • À l'État de droit libéral succede ainsi, selon Koellreut-
culant sur le co
ter, « l'État de droit national » ou, à partir de 1935, « l'État de droit national-socia-
tion, à toute c1
liste » n·,. Les formes d'antan deviennent ainsi le réceptacle d'un contenu poli-
n'est clone habi
tique nouveau 140 • D'ou la double définition du concept de nationalsozialistischer
atteinte à ce dn
Rechtsstaat qui est à la fois « un État juste (gerechter Staat) et rm État ordonné
Hitler n'a de
(Ordnungsstaat) » '". Koellreutter s'oppose ainsi à toute définition unilatérale
qui l' on interdi t
du Rechtsstaat qui se focalise exclusivement soit sur l'un soit sur l'autre aspect '".
du droit nature
Or, par la force des choses, Koellreutter est amené à insister de plus en plus sur
de pure façade 1
l'aspect formel du Rechtsstaat à tel point qu'il lui arrive parfois de commettre un
ordres d'en hau
glissement sémantique et d'identifier les deux.
nipotence de l'i

143. Cf par ex. St<1


133. H. HELFRITZ, op. cit., col. 433. 144. C'est en ces t,
134. U. SCHELLENBERG, op. cit., p. 81. aux mythes germar
135. Führerstaat, p. 20. V. aussi Verwaltungsrecht, col. 627 note 1. Sauer la figure de H
136. Koellreutter admet ainsi le concept « libéral » ou « bourgeois » du Rechtsstaat du XIX' siecle 145. Cf la priere p
comme ]'une des formes historiques de l'idée éternelle de celui-ci (Nationale Rechtsstaat, p. 5 et mein Fzihrer, von (
!'extrair cité par J. SCHMIDT, op. cit., p. 122). Sur ce point, il s'oppose à cenains juristes gazis qui gerettet aus tiefster i'
considerem au conrraire que les libéraux se St;raient conrenrés de faire l'apologie d'un « Etat légal nicht,/führer, meÍl1
(Gesetzesstaat) » et que le III· Reich est le seu! Etat à mériter le qualificatif de Rechtsstaat pour avoir Dieu m 'a donné,IA
restauré l'idée de justice. Cf H. LANGE, Vom Gesetzesstaat zum Rechtsstaat, Tübingen, Mohr, 1934 la plus profonde/A1,
et la contribution de Otto von Schweinichen in G. KRAUSS & O. von SCHWEINICHEN, quitte pas,/Ftihrer, 1
Disputation tiber den Rechsstaat, intra. et postf. de C. Schmitt, Hamburg, Hanseatischer Verlag, figure de Hitler, cf
1935, p. 33 ss; R. FREISLER, « Der Rechtsstaat », D], 1937, p. 153. Gallimard, Paris, 1'
137. Nationale Rechtssta,11, p. 6, 22 s. 146. Cf D. KIRSC
138. f/,id., p. 33 et 35. V. aussi O. KOELLREUTTER, « Der nationale Rechtsstaat », DJZ, 1933, Duncker & Humb
col. 519, ou il affirme que d'un point de vue matériel le concept du nationale Rechtsst,,at est « anti- staat, p. 13 ss et 23
libéral ». 147. G. DAHM, J,;
139. O. KOELLREUTTER, « Der nationalsozialistische Rechtsstaat », in Die Verwaltttngsakade- über Scellung und ,
mie, t. I, contribucion n· 15, Berlin, 1935. 148. Selon la doccr
140. Verwaltzmgsrecht, col. 628. la volonté du peupl
141. Verfasszmgsrecht, p. 56. par le peuple « réel
142. N1tionale Rechtsstaat, p. 19 et 25 ss; Staatslehre, p. 106, 109. avis de Hohn, Hui
.
.
ique de l'État: le droit naturel

nue et admise « depuis la nuit


ou, plus loin encare, dans le
1 « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

B. Le glissement vers une apologie du principe


de sécurité juridique
537

pas pour qualifier le príncipe


ut contenu politique et qu'il
lui est historiquement pos- 1º L 'évolution desa position théorique sur le Rechtsstaat
é juridique de « l'emprise du
du moins ce qu'il croit -, 554 Paradoxal a priori, puisqu'il va à !'encontre de son projet initial qui était d'ex-
! ne s'oppose guere à l'idée plorer l'au-delà du droit positif 141 , le repli progressif qu'opere Koellreutter vers
1ui respecte sa propre parole. une défense du seul principe formel du Rechtsstaat illustre en creux le processus
politique du Rechtsstaat qui a de dépérissement du droit sous le III' Reich. Si le retour aux sources raciales
11 de justice qui sous-tend le du droit est célébré par tous les juristes nazis comme un renouveau de la science
it en effet ses propres valeurs du droit, celle-ci bute néanmoins tres vite, sur l' obstacle infranchissable qu' est le
béraux du XIX' siecle ont mis statut hors du commun du Führer. « Etre de lumiere (Lichtgestalt) », héros
« gothique » 144 , messager de la providence si ce n'est Dieu lui-même 1•5, Adolf
~s de l'homme au sommet de
Hitler est l'incarnation vivante de l'âme du Volk; il en est même le seul oracle,
l'émergence d'une nouvelle
car lui seul sait ce qu'est et ce que veut le vrai Volk. L'unicité du Führer s'oppose
1térêts du Volk et de la nation
des lors à ce que d'autres s'interposent dans ce lien direct ou immédiat en spé-
1ccede ainsi, selon Koellreut-
culant sur le contenu d'une loi supérieure dont l'essence se soustrait, par défini-
l'État de droit national-socia-
tion, à toute connaissance rationnelle 14 ". Aucune instance, quelle qu'elle soit,
iceptacle d'un contenu poli-
n'est donc habilitée à résistér aux ordres du Führer en arguant d'une éventuelle
:ept de nationalsozialistischer
atteinte à ce droit naturel võlkisch.
:er Staat) et un État ordonné
Hitler n'a de compte à rendre à personne, ni à un parlement, ni à des juges - à
toute définition unilatérale
qui l' on interdit tout contrôle des lois au regard de la constitution 147 et, a fortiori,
l'un soit sur l' autre aspect 142 •
du droit naturel nazi -, ni même au corps électoral dont les consultations sont
à insister de plus en plus sur
de pure façade 148 • Relégués, voire abaissés à être la courroie de transmission des
·ive parfois de commettre un
ordres d'en haut, les juristes, quant à eux, doivent se contenter de justifier l'om-
nipotence de l'individu Adolf Hitler à l'aune de cette loi supérieure, immanente,

143. Cf par ex. Staats!ehre, p. 10.


144. C'est en ces termes panégyriques, emprumés à la fois au culte de Promérhée et d'Apollon et
aux mythes germaniques glorifiés par Wagner, que décrit, en 1933, le philosophe du droit Wilhelm
1. Sauer la figure de Hitler (cité par I. STAFF,]11stiz im Dritten Reich, Frankfurt, Fischer, 1964, p. 163).
:eois » du Rechtsstaat du XIX" siecle 145. Cf la priere pour enfants invemée parles nazis que cite W. SCHILD, op. cit., p. 446: « Ftihrer,
1i-ci (Nationale Rechtsstaat, p. 5 et mein Ftihrer, von Gott mir gegeben,/Beschtitz'und erha!te noch lange mein leben!/Hast De11tschland
'oppose à certains juristes ryazis qui gerettet a11s tiefster Not.,/Dir danke ich he11te mein tãgliches Brot./Bleib noch lange hei mir, verlass mich
fo faire l'apologie d'un « Etat légal nicht.,/Ftihrer, mein Ftihrer, mein Gla11be, mein Licht!/Heil, mein Führer! » (« Ftihrer, mon Ftihrer, que
1ualificatif de Rechtsst,iat pour avoir Die11 m 'a donné,/Protege et conserve encare longtemps ma vie !/Toi q11i a sa11vé l'Allemagne de la misere
Rechtsstaat, Tübingen, Mohr, 1934 la p/11s profonde/A11jo11rd'h11i je te dois mon pain q11otidien./Reste encare longtemps à mes côtés, ne me
S & O. von SCHWEINICHEN, q11itte pas,/F1ihrer, mon Ftihrer, ma foi et ma lumiere !/Hei!, mon Ftihrer ! ») Sur la mysrification de la
, Hamburg, Hanseatischer Verlag, figure de Hitler, cJ. E. MICHAUD, Un art po11r l'éternité. L 'image et !e temps d11 national-socialisme,
53. Gallimard, Paris, 1996.
146. Cf D. KIRSCHENMANN, « Gesetz » im Staatsrecht 1md in der Staatsrechtslehredes NS, Berlin,
1ationale Rechrsstaat », DJZ, 1933, Duncker & Humblor, 1970, p. 53 ss et p. 72 ss. Pour Koellreutter, cf. Staatslehre, p. 163 ss; Ftihrer-
: du nationale Rechtsstaat est « anti- staat, p. 13 ss et 23 ss; Ftihrttng 1md Herrschaft, p. 445.
147. G. DAHM, K.A. ECKHARDT, R. HOHN, P. RITTERBUSCH & \Y/. SIEBERT, « Leitsatze
rsstaat », in Die Verwalt11ngsakade- über Stellung und Aufgaben des Richrers », DRW, vol. 1, 1936, p. 124.
148. Selon la docrrine nazie, !e Ftihrer n'est nullement lié parles résulrats d'un référendum puisque
la volomé du peuple « objectif», que Hitler est seu! à connahre, ne se confond pas avec l'avis exprimé
parle peuple « réel ». Cf D. KIRSCHENMANN, op. cit., p. 61 note 36 et p. 104 note 32, citant les
avis de Héihn, Huber et Koellreutter.
538 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel
l « L 'État de dra
1
dont ils sont pourtant incapables de dire !e contenu 149 • Ils participent à la divi- l' on puisse os
.nisation du Führer en excluant, ipso facto, l'hypothese d'un possible abus de pou- raison. Ils se o
voir desa part 150 • Le renvoi à l'esprit du Volk, à l'idée du droit, etc., qui trouve de la volonté
son expression immédiate dans la parole de Hitler, sert à stipuler l'identité abso- délicat sur leq
lue entre le pouvoir politique et le droit, entre ce que commandent Hitler et ses camps de con,
adjoints et ce qui est obligatoire. C'est ce que Koellreutter appelle « l'unité tout à Koellre1
conceptuelle entre le droit et l'État, entre !e droit et !e pouvoir (Sinneinheit von Recht nous semble-t
und Staat, von Recht und Macht} » 151 , etc' est ce qui autorise à qualifier !e III• Reich nulla poena sir
de Rechtsstaat au sens d'un État juste. Des lors, il ne reste plus aux Volksgenossen certains auteu
qu'à obéir aveuglément et à faire preuve de cet « état d'esprit militaire qui définit tion de légitin
l'essence du Führerstaat actuel », à savoir "l'autorité vient d'en haut (. ..), la confiance 11 faut savo
et la discipline d'en bas » ' 52. tionnement d
555 Une fois ce príncipe posé, Koellreutter se tourne vers la question de la légalité légal. Seule le t
qui le préoccupe de plus en plus. En 1932-33, lorsqu'il s'agissait à la fois de 1933, prise aL
combattre la doctrine positiviste et de légitimer la mise en place du régime, il d'exception p
estimait encare que le véritable défi posé parle concept du Rechtsstaat avait trait nombrede dn
à la définition des valeurs' 53 ; l'élément formei était censé aller de soi. Cette hié- la liberté in&
rarchie est inversée progressivement. Déjà dans sa Allgemeine Staatslehre de 1933, étant mises e
qui se veut tout entiere inspirée de l'idéologie du NSDAP, Koellreutter consacre forces de la SP
des développements substancieis à l'idéal de la sécurité juridique',.,, ce qui lui ments, la criei
vaudra les critiques virulentes de Hohn. blement, il ad
de la situatior
556 La premiere note discordante se fait entendre dans le Detttscher Führerstaat,
de la Reichta,1
publié en 1934, dont l'allure générale est pourtant tres conforme à l'air du temps.
bleme. Ce qu
Dans ce texte qui fait l'apologie de la race et du Führer, et qui se conclut même
pour de bon.
par un tonitruant « Hei! Hitler!», ce qui est assez inhabituel chez les juristes,
transitoire. C1
Koellreutter glisse cette remarque incidente selon laquelle il « serait absurde de
est, à ses yemi
dire que, par exemple, les camps de concentration sont une institution particuliere-
du Rechtsstaat
ment confonúe au Rechtsstaat » '"· II ajoute sur le champ que les camps sont
sible un term
« néanmoins indispensables pour garantir les nouveaux fondements du droit et de
minimales le
l'État aussi longtemps que les fondations de l'État volkisch sont encare exposées à
grande satisfa
des menaces » ' 5". Une fois que celles-ci seront stabilisées, le Führerstaat pourra
rieur, Frick, t
« aussitôt » poursuivre ses efforts en faveur du Rechtsstaat ' • À l' époque, ce bémol
57
porei pour co,
déclenche une mini-tempête dans le sérail des juristes nazis qui s'offusquent que
557 Au fur et à m
rendre à l'évi1
neutre qui fer
149. Cf l'analyse tres éclairante de D. KIRSCHENMANN, op. cit., p. 59. compris l' Ali,
150. Ibid., p. 54-55, 60.
151. St,iatslehre, p. 106; Führerstaat, p. 20; Ver-<ii<1lt1mgsrecht, col. 626.
152. Staatslehre, p. 168.
153. Nationale Rechtsstaat, p. 21. Dans le même esprit : « Der narionale Rechtssraar », DJZ, 1933, 158. Cf H. LAJ\
col. 517 ss. à l' épisode héro"i,
154. Staatslehre, p. 56 s, 73, 75 s, 78, 93, 109. il esr resré malhi:
155. Frihrerstaat, p. 21 : « Es wãre widersinnig, zu beha11pten, dass z. B. die Konzentracionslager eine 159. E. FORSTI
betont rechtsstaatliche lnstitution wãren, aber sie sind z11r Sicherrmg der ne11en Staats· und Rechtsgmnd- 160. cf J. sem
lagen rmentbehrlich, solange den neuen Grrmdlagen des võlkischen Staates noch Angriffe drohen. » 161. Verwaltrm1,:.:
156. Ibid. 162. Cf Verfassr,.
157. Ibid., p. 22. zmd Richter (194.
rique de l'État: le droit natttrel

rn 1" . lls participem à la divi-


T « L 'État de droit allemand d'AdolfHitler»

l' on puisse oser critiquer l' action d'un Führer qui, par définition, a toujours
raison. lls se contentem par conséquent d'un bref rappel du dogme de l'identité
539

!se d'un possible abus de pou-


idée du droit, etc., qui trouve de la volonté de Hitler et de l'intérêt du Volk pour clore aussitôt un chapitre
sert à stipuler l'identité abso- délicat sur leque! il vallait mieux ne pas s'attarder 1" . Le débat juridique sur les
[Ue commandent Hitler et ses camps de concentration n'a clone pas eu lieu en 1934. La remarque vaudra sur-
(oellreutter appelle « l'unité tout à Koellreutter les vertes remontrances de Forsthoff qui l'accuse, à juste titre
,ouvoir (Sinneinheit von Recht nous semble-t-il, d'être un libéral caché pour avoir prôné un retour au principe
utorise à qualifier le III' Reich nulla poena sine lege 1'". Quel est en effet la signification exacte de son propos que
e reste plus aux Volksgenossen certains auteurs contemporains 1"º interpretem, au contraire, comme une opéra-
at d'esprit militaire qui définit tion de légitimation des camps de concentration?
1ient d'en haut (..}, la confiance 11 faut savoir qu'au moment ou Koellreutter écrit ces lignes, le mode de fonc-
tionnement des camps de concentration n'est soumis à aucun régime juridique
vers la question de la légalité légal. Seule leur existence se fonde implicitement sur l'ordonnance du 28 février
mqu'il s'agissait à la fois de 1933, prise au lendemain de l'incendie du Reichstag. Celle-ci instaure un état
a mise en place du régime, il d'exception permanent en suspendam, pour une durée illimitée, un certain
1cept du Rechtsstaat avait trait nombre de droits fondamentaux garantis par la Constitution de Weimar comme
t censé aller de soi. Cette hié-
la liberté individuelle. Les lois de Weimar relatives aux conditions d'arrestation
tllgemeine Staatslehre de 1933, étant mises entre parentheses jusqu'à nouvel ordre, la police et, surtout, les
.JSDAP, Koellreutter consacre forces de la SA disposent d'un pouvoir discrétionnaire illimité. Au vu de ces élé-
curité juridique is-i, ce qui !ui ments, la critique de Koellreutter parait, somme toute, tres relative. Incontesta-
blement, il admet la légitimité du statu quo au regard de la nature exceptionnelle
de la situation. Le Notrecht couvre tout. 11 ne s'attaque clone guere à la validité
ans !e Deutscher Führerstaat, de la Reichtagsbrandverordnung, qui est pourtant la véritable source du pro-
res conforme à l'air du temps. bleme. Ce qui !e gêne est le risque que cette situation ne perdure et s'installe
1hrer, et qui se conclut même pour de bon. Pour !ui, le Notrecht ne doit être qu'une solution provisoire ou
l inhabituel chez les juristes,
transitoire. Cela ressort de ses propos sur l'idée de révolution permanente qui
laquelle il « serait absurde de est, à ses yeux, incompatible avec l'exigence de stabilité inscrite dans la notion
nt une instittttion particuliere- du Rechtsstaat. 11 demande dane à la Führung de mettre !e plus rapidement pos-
e champ que les camps sont sible un terme à cette suspension de la légalité et d'encadrer par des garanties
aux fondements du droit et de minimales le pouvoir discrétionnaire absolu de la police. Cela fut fait, à sa
~otkisch sont encare exposées à grande satisfaction 1• 1, peu de temps apres, par un arrêté du ministre de l'inté-
)i!isées, !e Führerstaat pourra rieur, Frick, du 12 avril 1934, énonçant des conditions d'ordre formei et tem-
sstaat 157 • À l'époque, ce bémol porel pour toute Schutzhaft.
tes nazis qui s'offusquent que
557 Au fur et à mesure que le III' Reich s'installe "'', Koellreutter doit néanmoins se
rendre à l'évidence que le principe formei du Rechsstaat est loin d'être un idéal
neutre qui ferait l'objet d'une adhésion spontanée de la part de toute nation, y
p. cit., p. 59. compris l' Allemagne nazie. II doit admettre que le príncipe de légalité est en sai

)1. 626.

· narionale Rechrsstaat ", DJZ, 1933, 158. Cf H. LANGE, op. cit., p. 30; G. KRAUSS & O. v. SCHWEINICHEN, op. cit., p. 30. Quant
à l'épisode héroi"que du procureur bavarois Josef Hartinger, qui lança des investigarions sur Dachau,
il est
resté malheureusement un épiphénomene.
iass z. B. die Konzentrationslager eine 159. E. FORSTHOFF, « Buchbesprechung von O. Koellreutter... », op. cit., p. 538.
ng der neuen Staats- tmd Rechtsgnmd- 160. Cf J. SCHMIDT, op. cit., p. 120 et I. STAFF, op. cit., p. 167.
n Staates noch A ngriffe drohen. ,, 161. Verwalttmgsrecht, col. 627.
162. Cf Veifass1mgsrecht (1938), p. 11 ss, 55 s; Ftihrung ,md Herrschafi (1941), p. 446 s et surtout Recht
tmd Richter (1942), p. 209-212, p. 217 s, 226, 229 ss

l
540 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natttrel « L 'État de dro

une « valeur politique » '"·' qui, en l'occurrence, pose probleme. Ses idées sur la riques "'' ont n
législation, le respect des droits subjectifs, l'indépendance de la justice ainsi que le caractere eh
le maintien d'un contrôle juridictionnel de l'administration, sont tout sauf solutions opp
neutres. Au contraire, elles heurtent de front la volonté de Hitler de s'arroger un artiste raté dai
pouvoir totalitaire qui ne soit restreint par aucune limite, ni même par ses velléité de son
propres lois. lnterpellé par Forsthoff sur l'origine philosophique de l'idée de de le figer et d,
légalité, Koelleutter se défend d'être un libéral en mettant en avant des sources constitution n
jugées plus sures, car politiquement plus correctes : il se réclame tantôt de figures juridique » ' 7ª h
éminentes de l'histoire allemande récupérées parles nazis, comme Frédéric II, de la Constiti
Stein et Bismarck'"', tantôt de certains dignitaires nazis, comme Gõring et pu1sque son g
Frank, tantôt de régimes étrangers supposés proches du nazisme, comme l'Italie intégral, à en e
et le Japon, sans oublier le recours à l'épouvantail du bolchevisme 165 • le refus du Fü!
À la fin, exaspéré par la tournure des événements et par les critiques inces- que proposen
santes qui lui font grief d'un «fom1alisme excessif » '"'', Koellreutter lance un der- vigueur le pro
nier appel en faveur de l'idéal de l'État de droit formel qu'il appelle encore le
« Ordnungsstaat » 167 : « On a essayé d'éliminer ce probleme en arguant que l'exigence
de sécurité juridique en faveur de tout un chacun était une revendication libérale, 169. Cf H. AREi
qui n'aurait plus lieu d'être dans l'État contemporain. Or !e príncipe de sécurité S. HAFFNER, A
Grrmdlegrmg rmd
juridique n 'a rien à voir avec le libéralisme, caril s'agit d'exigences élémentaires de compte rendu de :
la nature humaine qui valent dans tout État qui prétend être un État civilisé op. cit., pp. 177-lf
(Kultursstaat). Toute autre attitude aboutit, quoi qu 'on en dise, au bolchevisme, trmg im Zweiten
1989; id., « Innerc
à l'exploitation sans bornes de la force de travai! humaine et à l'abolition de la t. IV, Stuttgart, 1
dignité humaine, sur la reconnaissance de laquelle repose la culture européenne. » ,.. Gallimard, 1995.
Or, en s'accrochant à l'idée de la légalité, Koellreutter s'éloigne de plus en plus cf M. RUCK, « I
pp. 1-48. Sur la d,
de la réalité du régime national-socialiste. vrage précité de I:
170. E. FRAENJ;
171. Les divers gli
2° Le fossé croissant avec la réalité du II/' Reich : des faux-semblam
l'état d'exception permanent comraire à la Con
le droit de prend r
558 L'image pyramidale du III' Reich, dans lequel on est tenté de voir un pouvoir porter atteime à "
du Reich ». Les jur
monolithique, un super-État qui, sous des traits machiavéliques, aurait poussé freindre la Consr
jusqu'au bout la logique webérienne de la rationalité légale, releve davantage du constitutionnelles
mythe que de la réalité. Sur le theme de la polycratie, diverses études histo- en ignoram délibi
dans !e gouverner
également sabord,
sables au peuple,
163. Verfassrmgsrecht, 1938, p. 14 et Recht rmd Richter, 1942, p. 209 : « Le juge est !e gardien de la séett- rendum (Sic C. S<
rfté juridique dont on ne pera que trop souligner l'importance politique, et ce également dans les vastes de cet argument p
Etats de masses de nos jours. Si un peuple perd la confiance dans la protection et la sémrité que !ui confere par une !oi gouve
!e droit, à ce moment s'éo-oule l'rm des piliers les plus importants de l'existence de la commrmauté dtt Reichstag. II rédu i
Volk. » Cf déjà Staatslehre, p. 75 et p. 251. à 1945, !e Reichst,1
164. O. KOELLREUTTER, « Das Verwalcungsrecht im nationalsozialistischen Staat » [Verwal- des Lãnder, son i,
trmgsrecht], DJZ, 1934, col. 626 et Recht rmd Richter, p. 226. , vernementale. À 1
165. « L 'Etat bolchevique », qui est qualifié de « Nichtrechtsst,wt (non-Etat de droit) », sert constam- par le Reichstag et
menr de repoussoir pour mieux faire valoir les diverses revendications de Koellreutter quam à la pro- légalité en dispos:
tection de la famille, de la propriété, de l'indépendance de la justice, de la nécessité de l'ordre, etc. constitutionnelles
Cf Sta,lts!ehre, p. 9, 108, 110,255; Fzihrerstaat, p. 21; Recht rmd Richter, p. 209 et 230. primé par la !oi g,
166. Recht rmd Richter, p. 230. confondue avec e,
167. Verwaltrmgsrecht, col. 628 note 1,629; Verfassrmgsrecht, p. 12. prise apres consu 1
168. Recht rmd Richter, p. 218. 172. Voir les expl
iique de Litat: le droit natttrel

)Se probleme. Ses idées sur la


~ndance de la justice ainsi que
i « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

riques 1"' ont mis en avant l' absence d'un systeme de gouvernement cohérent et
le caractere chaotique du régime nazi, qui agit par voie d'improvisations et de
541

lministration, sont tout sauf solutions opportunistes, sans aucune vision globale. Le Führer Adolf Hitler,
onté de Hitler de s' arroger un artiste raté dans son passé, a l'esprit boheme : il s'oppose obstinément à toute
une limite, ni même par ses velléité de son entourage de structurer ou de stabiliser le mouvement, par crainte
1e philosophique de l'idée de dele figer et de restreindre ainsi sa liberté totale. En témoigne l'absence de toute
mettant en avant des sources constitution nationale-socialiste, au sens formel, qui viendrait combler le « vide
: il se réclame tantôt de figures juridique » 170 laissé au niveau de la sphere politique par la destruction progressive
les nazis, comme Frédéric II, de la Constitution de 1919. Pourtant, Hitler avait tout loisir d'en faire une
res nazis, comme Gõring et puisque son gouvernement disposait d'un pouvoir constituant partiel, voire
es du nazisme, comme l'Italie intégral, à en croire les juristes nazis 171 • On en trouve une autre illustration dans
du bolchevisme "". le refus du Führer de donner suite aux projets d'unification de l'administration
!nts et par les critiques inces- que proposent les défenseurs d'un État autoritaire nazi 172 ou de mettre en
, "'", Koellreutter lance un der- vigueur le projet de code civil nazi élaboré dans le cadre de l' Académie de droit
:ormel qu'il appelle encore le
'?leme en arguant que l'exigence
ait une revendication libérale, 169. Cf H. ARENDT, Elemente tmd Ursprtinge totaler Herrschaft, Frankfurt, 1955, spéc. p. 628 ss;
ún. Or le principe de sécurité S. HAFFNER, Anmerkungen zu Hitler, München, 1978, p. 58 s; M. BROSZAT, Der Staat Hitlers.
Grrmdlegrmg rmd Entwicklung seiner inneren Erytwicklrmg (1969), 12' éd., München, dtv, 1989 ~t le
igit d'exigences élémentaires de compre rendu de M. TROPER, « Y a-t-il eu un Etat nazi?» in id., Pourune théoriej11ridiq11ede l'Etat,
prétend être un État civilisé op. cit., pp. 177-182. Parmi les travaux plus récems, cf D. REBENTISCH, Ftíhrerstaat und vérwal-
u'on en dise, au bolchevisme, trmg im Zweiten Weltkrieg. vérfammgsentwicklzmg und Verwaltungspolitik 1939-1945, Stuttgart,
1989; id., « Innere Verwaltung », in K.G.A. JESERICH et alii (dir.), Deutsche Verwaltzmgsgeschichte,
mmaine et à l 'abolition de la t. IV, Stuttgart, 1985, pp. 732-774; I. KERSHAW, Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris,
pose la culture européenne. » 168 Gallimard, 1995. Pour un aperçu de l'état d'avancement des travaux de recherches historiques,
1tter s'éloigne de plus en plus cf M. RUCK, « Die deutsche Verwaltung im toraliraren Führerstaat 1933-1945 », JEV, n· 1O, 1998,
pp. 1-48. Sur la destruction de la rarionalité formelle, c'est-à-dire la hiérarchie des normes, cf l'ou-
vrage précité de D. KIRSCHENMANN.
170. E. FRAENKEL, Der Doppelstaat, op. cit., p. 26.
171. Les divers glissements sur !e statut juridique du pouvoir constituam apres 1933 som révélateurs
des faux-semblams de la tactique de légaliré des nazis. La !oi du 24 mars 1933 (qui, en elle-même, est
comraire à la Constitution de Weimar cf infra note 178) accorde au go11vernement dirigé par Hitler
!e droit de prendre des !ois qui peuvem comredire la Constitution de 1919 sans toutefois pouvoir
est tenté de voir un pouvoir porter atteime à « l'institution d11 Reichstag et du Reichsrat » ainsi qu'aux « prérogatives d11 président
du Reich "· Les jurisres nazis en déduisem que !e gouvernemem détiem non seulemem !e droit d' en-
nachiavéliques, aurait poussé freindre la Constitution par des !ois ordinaires, mais également celui de poser de nouvelles !ois
té légale, releve davantage du constitutionnelles rigides. Ils vont même jusqu'à conférer ce pouvoir normatif au Frihrer, et à !ui seu!,
'cratie, diverses études histo- en ignoram délibérément l' existence des ministres. (Au début, il n'y avait que trois ministres nazis
dans le gouvernement dominé numériquemem par les alliés conservateurs.) Les juristes nazis vont
également saborder les limites de ce pouvoir constituam, en arguam que celles-ci ne sont pas oppo-
sables au peuple, statuant conformément à la !oi (gouvernementale) du 14 juillet 1933 sur !e réfé-
209 : « Le juge est le gardien de la sécu- rendum (Sic C. SCHMITT, Staat, Bewegtmg, Volk, 1933, p. 6). Mais Hitler neva même passe servir
/itique, et ce également dans les vastes de cet argument pour s'attaquer aux réserves imposées par la !oi des pleins pouvoirs. Déjà, il abolit
Orotection et la sécurité que !ui confere par une !oi gouvernementale du 14 juillet 1933 le multiparrisme qui est un élémem constitutif du
s de l'existence de la commrmauté du Reichstag. II réduit ainsi ce dernier à un organe d'acclamation sans aucun rôle législarif (de 1933
à 1945, !e Reichstag votera en tout 9 !ois). Quant au Reichsrat, composé en príncipe de représentants
ionalsozialisrischen Staat » [ vérwal- des Lãnder, soq fondement qu' est le fédéralisme est supprimé à travers diverses !ois d' origine gou-
vernementale. A la fin, l'article 4 de la !oi de révision constitutionnelle du 30 janvier 1934 adoptée
t (non-État de droic) », sert constam- parle Reichstag et le Reichsrat - tous les deux étam mis au pas entre-temps - donne un semblant de
itions de Koellreutter quam à la pro- légalité en disposant\ sans plus de précisions, que « le gouvernement peut poser de nouvelles normes
mice, de la nécessité de l'ordre, etc. constit11tionnelles ». A partir de !à, le Reichsrat, réduit à une coquille vide, sera formellement sup-
Richter, p. 209 et 230. primé par la !oi gouvernementale du 14 février 1934. Quant au président du Reich, sa fonction sera
confondue avec celle du chancelier et Ftihrer, en vertu de la !oi gouvernementale du l" aout 1934,
12. prise apres consultation populaire.
172. Voir les explications de M. RUCK, op. cit.
542 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit natttrel « L 'État de droil

allemand. Si Hitler se sert bien du pouvoir législatif qui lui a été conféré indi- que trop insistt
rectement, par l'entremise du gouvernement ou du Reichstag qui lui sont soumis Constitution dt
- ce quine l'empêchera pas de s'en emparer directement, du reste de façon illé- méfier de ce liec
gale 173 - , il ne se contente pas de cet unique mode de pouvoir. Outre les divers l'acte constituti
textes adoptés et publiés dans le journal officiel du Reich - Ingo von Münch bien souvent l'ii
avance le chiffre de 8000 lois et ordonnances pour la période de 1933 à 1945 174 - , respect de la lég
Hitler se met à jouer sur d'autres tableaux, à utiliser diverses méthodes afin de légal en respect;
régner en maí'tre absolu à la tête d'un chaos institutionnel et juridique. encore. À ce ffi',
le respect de la Í
559 II n'est pas aisé de présenter de façon systématique un désordre qui, par défini-
tion, se soustrait à toute description rationnelle, si ce n'est par des négations qui kel oppose au c1
siege » et que « .i
indiquent ce qu'il n'est pas ou plus. D'ou les divers labels négatifs accolés
tection dtt peuple
au III' Reich qualifié à tour de rôle d'État dualiste, quine serait plus qu'à moitié
un État de nonnes, d'État de non-droit (Unrechtsstaat) ou encore de non-État 561 L'?rdonnance q
( Unstaat). Le désordre ne se laisse en effet saisir qu'à travers un certain concept l'Etat de la part,
(rationnel) de l'ordre qu'il implique en le niant et à partir duquel le désordre articles 114, 115,
devient compréhensible. Ainsi qu'on l'a dit, il n'est nullement question ici de sttspendus jusqu ',
livrer une analyse empirique complete, du reste fort difficile, du III' Reich. li énoncés dans ce
s'agit tout au plus d'insister sur quelques traits saillants du régime qui per- prévues jadis par
mettent de mieux saisir le processus de destruction du droit et de l'État de tée n'est pas tot
1933 à 1945. Deux aspects méritent à cet égard une attention particuliere : 1) la que dans les m:1
mise à l'écart du systeme de légalité par un pouvoir discrétionnaire absolu, dont mis entre parem
la portée est extensible à volonté en vertu de la proclamation d'un état d' excep- discrétionnaire
tion de facto permanent; 2) le sabotage de la hiérarchie des normes par le prín- bornes fixées à 1
cipe d'ubiquité ou d'omnipotence de Hitler 17 5.
560 L'importance du premier élément est facilement saisissable à l'aune du modele 177. Are. 48 ai. 2: .,
de Rechtsstaat défendu par Koellreutter. L'idée de l'État légal présuppose logi- menacés dans le Reic/.,
quement, selon les explications classiques de Jellinek et de Carré de Malberg, recours si besoin a11x /
lesdroits fondame,u;,
que le souverain est obligé de se doter et de maintenir un systeme de lois posi- 117 [secret des comr
tives. li lui est clone interdit de commettre un suicide légal de la légalité, autre- 123 [liberté de réuni,
ment dit de créer un néant juridique en abrogeant, par une ultime norme légale, président doit aussi t
178. Sur la constr
toute la légalité m,_ C'est pourtant ce à quoi se livre le régime hitlérien en exploi-
cf G. DANNEMA
tant jusqu'au bout la faille de ce modele qu'est le fameux Notrecht. On ne saurait Umbruch von 1933
op. cit., pp. 3-22; \\,
rung der national-s,
173. II y a un net décalage entre le discours nazi officiel, selon leque! !e Ftihrer détient la totalité du rmd Unrecht im N.'
pouvoir étatique entre ses mains, et !e droit positif qui a investi !e gouvernement du pouvoir consti- W. SAUER & G. S<
tuant et législatif. Pour s'arroger de facto un pouvoir législatif personnel, Hitler va détourner !e droit Verlag, 1962; D. WI
d'adopter des décrets (Erlass) ou des ordonnances (Verordnung) qu'il détient en sa qualité de chef du spéc. sur l'inconstir,
parti(§ 1 de la !oi gouvernementale du 1" décembre 1933), en l'étendant au-delà du domaine défini de procédure (sans ,
par la !oi qui ne visait que les affaires internes du NSDAP. Ainsi, c'est par un ordre personnel de pouvoir de révisio1
Hitler (Ftihrerbefehl), et non pas par une !oi du Reichstag comme ce fut le cas en 1937 et 1939, que pp. 170-176; sur l'in
fut prorogée en 1943 la !oi des plein pouvoirs dom la validité était limitée initialement à quatre ans. p. 26 ss et p. 33 ss.
Vers la fin du régime, même la procédure de la !oi gouvernememale, pourtant réduite à un mini- 179. E. FRAENKI·
mum, était encore trop lourde et fut presque entierement supplantée par les Frihrerbefehle. Sur ces 180. RGB!., 1, p. 8~
questions, cf D. KIRSC~NMANN, op. cit., p. 104-113. 181. Cf H. HELFB
174. Cf la préface de 1. MUNCH à U. BRODERSEN, Gesetzedes NS-Staates, 2' éd., Bad Homburg affirme que !e prin,
v. d. H., Gehlen, 1968, p. 13. autant. II s'agit là ,
175. Ce deuxieme axe sera étudié plus bas (Section II). que donne par exen
176. Cf supra n" 99 et 520. extraits cités par M.
'ique de l'État: le droit natttrel

tif qui lui a été conféré indi-


Reichstag qui lui sont soumis
1 « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

que trop insister sur l'importance cruciale qu'a joué l'article 48, ai. 2, de la
Constitution de Weimar 177 dans la réalité du ill' Reich. li convient en effet de se
543

ement, du reste de façon illé- méfier de ce lieu commun qui voit dans la loi des pleins pouvoir du 24 mars 1933
. de pouvoir. Outre les divers l'acte constitutif et représentatif par excellence du régime hitlérien. De !à nart
u Reich - Ingo von Münch bien souvent l'idée que la révolution nationale de 1933 s'est passée dans le strict
1 période de 1933 à 1945 174 - , respect de la légalité, ce qui est faux 178 , et que les nazis entendaient ériger un État
;er diverses méthodes afin de légal en ~espectant à la lettre leurs propres lois, ce qui n'est qu'à moitié vrai, et
1tionnel et juridique. encore. A ce mythe, savamment entretenu parles nazis eux-mêmes, selon leque!
! un désordre qui, par défini- le respect de la loi est consubstantiel à leur mode de gouvernement, Ernst F raen-
ce n'est par des négations qui kel oppose au contraire l'idée que « la Constitution du troisieme Reich est l'état de
siege » et que « sa charte fOnstitutionnelle est l'ordonnance d'exception pour la pro-
ivers labels négatifs accolés
tection du peuple et de l'Etat du 28 février 1933 » in_
qui ne serait plus qu'à moitié
taat) ou encore de non-État 561 L' ?rdonnance qui vise d' apres son préambule à prévenir « des actes de sabotage de
'à travers un certain concept l'Etat de la part des communistes », dispose dans son paragraphe premier que « les
t à partir duquel le désordre articles 114, 115, 117, 118, 123, 124 et 153 de la Constitution du Reich allemand sont
ist nullement question ici de suspendus jusqu'à nouvel ordre » et quedes restrictions aux droits fondamentaux
ort difficile, du III' Reich. ll énoncés dans ces articles « sont valables même si elle se situent en dehors des limites
,aillants du régime qui per- prévues jadis parles fois»"º. II en découle une conséquence radicale, dont la por-
ion du droit et de l'État de tée n'est pas toujours clairement perçue parles juristes de l'époque 181 , à savoir
! attention particuliere : 1) la que dans les matieres visées le príncipe de légalité est supprimé ou, du moins,
discrétionnaire absolu, dont mis entre parentheses. La puissance étatique se trouve ainsi investie d'un pouvoir
damation d'un état d'excep- discrétionnaire qui n'est pas encore absolu, c'est-à-dire sans limites. Or les
·chie des normes par le prin- bornes fixées à ce pouvoir vont rapidement être détournées par les nazis.

lisissable à l'aune du modele 177. Art. 48 ai. 2 : « Le président du Reich peut, si l'ordre et la sémrité publics sont gravement tro11blés 011
l'État légal présuppose logi- menacés daris le Reich allemand, pr~re les mesures (Massnahmen) nécessaires à le11r rétablissement, en ayant
1ek et de Carré de Malberg, reco11rs si besoin a11x forces am1ées. A cette fin, il peut s11spendre temporairement, de façon totale 011 partielle,
les droits fondamentaux cons,,crés dans les articles 114 [liberté individuelle], 115 [inviolabilité du domicile1
~nir un systeme de !ois posi- 117 [secret des communications postales, téléphoniques et télégraphiques1 118 [liberté d'expression1
ide légal de la légalité, autre- 123 [liberté de réunion1124 [liberté d'association] et 153 [droit de propriéré]. » L'alinéa 3 prévoit que le
par une ultime norme légale, président doit aussitôt en informer le Reichsú1g et révoquer les mesures prises si celui-ci !e demande.
178. Sur la construction et la dénonciation du mythe de la légalité de la révolution nazie,
le régime hitlérien en exploi- cf G. DANNEMANN, « Legale Revolution, Nationale Revolution. Die Staatsrechtslehre zum
neux Notrecht. On ne saurait U mbruch von 1933 », in E.-W. BÕCKENFÕRDE, Staatsrecht und Staatsrechtslehre im Dritten Reich,
op. cit., pp. 3-22; W. MEYER-HESEMANN, « Legalitat und Revolution. Zur juristischen Verkla-
rung der national-sozialistischen Machtergreifung ais "legale Revolution" », in P. SALJE (dir.), Recht
equel !e Ftihrer détient la totalité du 1md Unrecht im NS, Münster, Regensberg & Biermann, 1985, pp. 110-136; K.D. BRACHER,
le gouvernement du pouvoir consti- W. SAUER & G. SCHULZ, Die national-sozialistische Machtergreifimg, 2' éd., Koln, Westdeutscher
rsonnel, Hitler va détourner !e droit Verlag, 1962; D. WILLOWEIT, Deutsche Verfammgsgeschichte, 2' éd., München, Beck, 1992, p. 312 s;
1u'il détient en sa qualité de chef du spéc. sur l'inconstitutionnalité de la loi des pleins pouvoirs pour non respect des regles de forme et
étendant au-delà du domaine défini de procédure (sans qu'il soit besoin de recourir à la théorie concroversée des limites matérielles au
1si, c'est par un ordre personnel de pouvoir de révision) : E. WADLE, « Das Ermachtigungsgesetz. Eine Erinnerung », ]11S, 1983,
1e ce fut le cas en 1937 et 1939, que pp. 170-176; sur l'inconstitutionnalité de l' ordonnance du 28 février 1933 : E. FRAENKEL, op. cit.,
1it limitée initialemcnt à quatre ans. p. 26 ss et p. 33 ss.
~ncale, pourtant réduite à un mini- 179. E. FRAENKEL, op. cit., p. 26.
lancée parles Ftihrerbefehle. Sur ces 180. RGBI., I, p. 83.
181. Cf H. HELFRITZ, op. cit., col. 433. Apres avoir cité l'ordonnance du 28 février 1933, l'auteur
des NS-Staates, 2' éd., Bad Homburg affirme que !e príncipe de la subordination de l'administration à la !oi n'est pas supprimé pour
autant. II s'agit !à d'un vceu pieu comredit par les termes explicites du droit positif. Les ordres
que donne par exemple Goring à la police prussienne som sur ce point on ne peut plus clairs (cf les
extraits cités par M. BROSZAT, op. cit., p. 103).
544 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel

Les griefs que l'on peut formuler à !'encontre de la validité de cette ordon-
nance sont de quatre ordres. Premierement, il n'a jamais été prouvé, pas même
1 « L 'État de dro;

pour déjouer 1
l'état d'excepti
lors du proces de l'incendie du Reichstag' 8', que !e parti communiste avait jugements » eff1
fomenté un coup d'État. De ce point de vue, la base factuelle de l'ordonnance régime nazi : 1
est mince. On pourrait même dire, comme !e fait Fraenkel 183 , que ce sont les décision de jus
nazis qui ont eux-mêmes créé, par la terreur semée par les SA dans les rues, la à la sortie du t1
situation exceptionnelle qui leur servira de tremplin. Deuxiemement, les nazis son systeme dê
vont utiliser l'état d'exception non pas pour rétablir l'ordre républicain de Wei- !e veut et dans
mar, ce qui est son objectif - et c'est en quoi l'idée du Rechtsstaat et l'état d'ex- gence comme 1
ception se completem sans se contredire -, mais pour le détruire '". Troisieme- ce genre de dé,
ment, loin de rétablir aussitôt la légalité, comme l'y enjoint la formulation sans nahmen-staat q
ambigui"té de l'article 48 al. 2, leque! n'autorise la suspension des droits fonda- tionne la vie et
mentaux qu'à titre « provisoire », les nazis vont pérenniser l'état d'exception. despotique, au
L'ordonnance du 28 février 1933 restera en vigueur jusqu'à la fin du régime et simple mise en
ne sera annulée que par les Alliés " 5• Enfin, quatriemement, les nazis vont une critique d1
étendre '"', souvent avec la bénédiction de la justice, la portée de l'état d'excep- msmuer que«
tion. lls vont tout d'abord l'appliquer à des droits fondamentaux quine sont pas façon arbitrain:
inclus dans la liste exhaustive de l'article 48, à !'instar du príncipe d'égalité l'idée de justic,
(art. 109), de la liberté de conscience (art. 135), etc. Ensuite, ils vont poursuivre abusive qu'en f
des catégories d'opposants autres que les communistes, reis que, par exemple, les Pour saisir 1
anarchistes, les sociaux-démocrates'", les témoins de Jéhovah, les Eglises chré- nazie, il faut à
tiennes, les résistants du 20 juillet 1944 '" ou encare les opposants à la politique être, le mieux i
systématique de ... vaccination. Toute critique du régime, aussi minime soit-elle,
toute velléité de se démarquer de la ligne officielle est interprétée aussitôt
comme une atteinte à l'ordre public, comme une source de désagrégation de la Secti
sacro-sainte unité du Volk, et qualifiée ipso facto comme un sabotage communiste LA
« au sens le plus large » pour reprendre les termes du tribunal de Berlin '".

562 En créant ainsi un état d'exception à la fois « imaginaire » '"°, « souverain » "',
« pennanent » '"' et total, Hitler et ses adjoints se donnent un instrument capital
563 Carl Schmitt 1
controversé du
182. Seul l'ancien communiste néerlandais van Lubbe, pris en flagram délit, fut condamné à la peine
de more et exécuté. Les autres accusés communistes furem relâchés. De nos jours, les historiens
estimem qu'il s'agissait d'un acre individuei et aucunement d'une conspiration, qu'elle soit d'ailleurs
d'origine communiste ou nationale-socialiste. Cf M. BROSZAT, op. cit., p. 100. 193. E. FRAENK
183. E. FRAENKEL, op. cit., p. 33. trib1ma11x quí com
184. lbid. l'administration d,
185. I. MÜLLER, op. cit., p. 55; K.D. BRACHER, W SAUER & G. SCHULZ, op. cit., p. 84. keít) » (p. 69). La P'
186. Voir les larges développemems chez E. FRAENKEL, op. cit., p. 40-50. · censurer les organc
187. Cf M. BROSZAT, op. cit., p. 103. 194. Le refus des j,
188. Pour ces deux dernieres catégories, cf. K.D. BRACHER, W SAUER & G. SCHULZ, op. cit., blique de Weimar e
p. 85. arbitraire: est polir
189. Jugemem du Lmdgericht de Berlin du 1.11.1933 (D], 1934, p. 64); cité par E. FRAENKEL, dédare l'être. Cf F
op. cit., p. 45. 195. lbid., p. 88 ss.
190. E. FRAENKEL, op. cit., p. 35. 196. Décision du)
191. lbid., p. 27. Ainsi s'est opéré un glissemem d'une « dictature mandatée (kommissaásche Dikta- op. cit., p. 68. En I'
t11r) », instituée par l'article 48 en référence au modele du dictateur à Rome, vers une « dictalllre sieurs de ses confrc
s011veraine », déliée de toute limite, selon une distinction théorisée par Carl Schmitt dans son niere phrase suffisa
ouvrage Die Diktatllr de 1928. 197. H. HOFMAi
192. lbid., p. 34. Cf K.D. BRACHER, W. SAUER & G. SCHULZ, op. cit., p. 82 ss. 3' éd., Berlin, Dun,
'ique de l'État: le droit naturel

de la validité de cette ordon-


T « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

pour déjouer la légalité ordinaire, puisqu'ils peuvent à tout moment invoquer


545

jamais été prouvé, pas même l'état d'exception pour agir au mépris total des lois. Les fameuses « corrections de
~ le parti communiste avait jugements » effectuées par la Gestapo sont le signe le plus visible de la dualité du
ase factuelle de l'ordonnance ré gim e nazi : les forces de l' ordre se permettaient, en effet, de revenir sur une
t Fraenkel "3, que ce sont les décision de justice supposée injuste, car trop clémente, en arrêtant la personne
\e par les SA dans les rues, la à la sortie du tribunal ou de la prison m_ Le systeme de la légalité ordinaire, avec
lin. Deuxiemement, les nazis son systeme de tribunaux, n'est plus que toléré parle pouvoir qui s'en sert s'il
ir l'ordre républicain de Wei- le veut et dans la mesure ou il le veut : il a en effet toute latitude de déclarer l'ur-
e du Rechtsstaat et l'état d'ex- gence comme bon lui semble, étant donné que les juges se refusent à contrôler
iour le détruire 1" . Troisieme- ce genre de décision qualifiée de politique 19' . En d'autres termes, c'est le Mass-
y enjoint la formulation sans nahmen-staat qui constitue le socle sur lequel repose le III' Reich et qui condi-
suspension des droits fonda- tionne la vie et la survie du Normenstaat 1"'. On touche là au ca:ur d'un systeme
)érenniser l' état d' exception. despotique, au plein sens du terme, que les nazis ont soigneusement caché : la
1r jusqu'à la fin du régime et simple mise en évidence de la dualité du systeme est tout de suite perçue comme
ltriemement, les nazis vont une critique du sr,steme et vaut à son auteur une peine de prison pour avoir osé
e, la portée de l' état d' excep- insinuer que « l'Etat agissait non pas conformément au droit et à la foi, mais de
ondamentaux quine sont pas façon arbitraire » 1 L'idée du Notrecht que Koellreutter avait légitimé au nom de
91,.

.'instar du príncipe d'égalité l'idée de justice volkisch, et dont il pouvait difficilement prévoir l'exploitation
. Ensuite, ils vont poursuivre abusive qu'en ferait Hitler, fait ainsi voler en éclats sa théorie du Rechtsstaat.
stes, tels que, par exemple, les Pour saisir les autres failles par lesquelles s'engouffrera la logique totalitaire
de Jéhovah, les Eglises chré- nazie, il faut à présent se tourner vers la pensée de Schmitt. Celui-ci en a, peut-
·e les opposants à la politique être, le mieux saisi les enjeux et les mécanismes.
égime, aussi minime soit-elle,
telle est interprétée aussitôt
source de désagrégation de la Section II. « LÉGITIMITÉ CONTRE LÉGALITÉ » 1
"'.

orne un sabotage communiste LA CRITIQUE DÉVASTATRICE DU RECHTSSTAAT


u tribunal de Berlin 1" .
PAR CARL SCHMITT
aginaire » 1'°, « souverain » 1"',
)nnent un instrument capital
563 Carl Schmitt (1888-1985), qui est sans doute le publiciste allemand le plus
controversé du XX' siecle, a joué sous les nazis un rôle capital dans la subversion
lagrant délit, fut condamné à la peine
~lâchés. De nos jours, les historiens
1e conspiration, qu'elle soit d'ailleurs
T, op. cit., p. 100. 193. E. FRAENKEL, op. cit., p. 67 ss. II conclut en disant que « dans zm État de droit, ce sont les
tribuna11x q11i contrôlent l'administration d11 point de v11e de la légalité; dans le Troisieme Reich, c'est
l'administration de la police qui contrôle les tribzmaux d11 point de vue de l'utilité (Zweckmãssig·
t & G. SCHULZ, op. cit., p. 84. keit) » (p. 69). La police es,t ainsi érigée en gardien infaillible du droit naturel nazi, ce qui l'autorise à
cit., p. 40-50. censurer les organes de l'Etat légal.
194. Le refus des juridictions de vérifier !e bien-fondé du recours au Notrecht date déjà de la Répu-
W. SAUER & G. SCHULZ, op. cit., blique de Weimar et est confirmé apres 1933. Sous les nazis, la définicion du politique est totalement
arbitraire: est politique, et clone soustrait à tout contrôle juridictionnel, tout ce que !e pouvoir nazi
l4, p. 64); cité par E. FRAENKEL, déclare l'être. Cf E. FRAENKEL, op. cit., p. 28, 42, 65-75.
195. Ibid., p. 88 ss.
196. Décision du Reichsgericht du 22 septembre 1938, JW, 1938, p. 2957; cité par E. FRAENKEL,
:ure mandatée (kommissarische Dikta· op. cit., p. 68. En l'espece, un prêtre avait, à la finde son homélie, émis une priere au sujet de plu-
:tateur à Rome, vers une « dictawre sieurs de ses confreres « soumis à Sch11tzhaft, alars q11e l'instmction légale a été abandonnée ». Cette der-
1éorisée par Carl Schmitt dans son niere phrase suffisait à provoquer !'ire des nazis.
197. H. HOFMANN, Legitimitãt gegen Legalitãt. Der Weg der politischen Philosophie Carl Schmitts,
ULZ, op. cic., p. 82 ss. 3° éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1995.

1
546 Les enjeux théoriques de la fondation jttridique de l 'État : le droit natttrel

théorique du Rechtsstaat'". Promu « Kronjuristdu III' Reich » '"', avant de tomber


en disgrâce à la finde l'année 1936'cº, il met ses redoutables talents rhétoriques
1 lecture du
le mot et I
au service de la toute-puissance d' Adolf Hitler. Ses écrits des années 1933-35 sur (§ 2). Or,
le Rechtsstaat confirment une fois de plus sa martrise du verbe et ce, à tout point
de vue, qu'il s'agisse d'éclairer la nouvelle réalité à l'aide de formules saisissantes,
souvent à caractere antithétique, ou, au contraire, de brouiller !e jeu en cultivam
l'art du clair-obscur, en semant la confusion par des propos délibérément ambi-
gus, voire totalement contradictoires'°'. Tres sensible à l'air du temps, l'auteur de
la fameuse Verfassungslehre (1928), tout entiere focalisée sur l'État de droit libé- En 193.
ral, déploie maintenant sa « dialectique diabolique »'º' à !'encontre de ce même à laquelle
príncipe. Sa perspicacité en ce qui concerne à la fois la signification théorique de lectuel lég
liste» et «
cet idéal libéral et le fonctionnement réel du Ili' Reich - ce qui ressort notam-
ment de l' article tristement célebre« Der Führer schützt das Recht », publié au len- billons le j

demain de la nuit des longs couteaux - confere à sa critique du Rechtsstaat un


poids particulier. Elle s'avere doublement instructive sur ce qu'est, et ce que A.
n'est pas le régime de Hitler. La critique schmittienne du Rechtsstaat, qui s'arti-
cule en deux temps, au gré d'un revirement tactique, peut ainsi servir de clef de
564 La critiqu,
employée
198. Sur le rôle de Schmitt du temps des nazis: cf. B. RÜTHERS, Entartetes Recht, pp. 99-180; 1933, insis
H. HOFMANN, op. cit., pp. 177 ss; Kurt WILK, • La doctrine politique du national-socialisme l'on ne sal
- Carl Schmitt - Exposé et critique de ses idées »,APD, 1934, pp. 169-196; A. KOENEN, Der Fall
« Tout led1
Carl Schmitt. Sein Aufstieg zum « Kronjuristen des Dritten Reiches », Darmstadt, Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, 1995. Sur sa critique du Rechtsstaat, voir {outre la biblio. citée supra note 44) savoir la lc
l'exposé tres sommaire de W. SCHULLER, « Der Rechtsstaat bei Carl Schmitt. Der Einbruch der visoire » '°'·.
Zeit indas Spiel », in Gedãchtnisschrifi R. Sclmur, Berlin, Duncker & Humblot, 1997, pp. 117-133;
C. H. ULE, « Carl Schmitt, der Rechtsstaat und die Verwaltungsgerichtbarkeit ", Verw,dtrmgs idées maí'ti
Archiv, 1990, vol. 81, pp. 1-17; A. KOENEN, op. cit., pp. 461-497 et pp. 599-629; et surtout a été supri1
R. GROSS, Carl Schmitt rmd die juden. Eine deutsche Rechtslehre, Frankfurt, Suhrkamp, 2000, tagsbrandi•
p. 60 ss, qui en fait ressortir les ressorts antisémites. L'auteur déconstruit en outre le mythe selon
leque! l'antisémitisme de Schmitt, apres la prise de pouvoir de Hitler, serait puremem opportuniste.
du droit n,,
Or il en existe des traces dans ses écrits datam d'avam 1933. encare moz
199. L'expression est due à Waldemar Gurian, un juif converti au catholicisme, qui connaissait
Schmitt du temps de Weimar et qui fut comraint de s'exiler en Suisse au lendemain des assassinats
du 30 juin 1934. Choqué par l'attitude abjecte de Schmitt à l'égard des juifs et des émigrés allemands,
il publia en 1934 dans la revue Detttsche Briefe, éditée en Suisse par des résistants catholiques, une
série d'articles dom celui intitulé « Carl Schmitt. Der Kronjurist des III. Reiches ». II y mettait en 203. Voir en
exergue les multiples revirements de Schmitt qui, autrefois, avait été proche des milieux catholiques par Schmitt,
et du général Schleicher (assassiné par les SA le 30 juin 34) et plutôt distam à l'égard du national- comme le pr,
socialisme. Gu:.ian en profite pour se moquer du NSDAP d'avoir porté aux nues un te! opportu- • Das Judem,
niste (Cf B. RUTHERS, op. cit., p. 132 s). Schmitt bénéficia en effet, de 1933 à 1936, de la protec- gruppe Hoch
tion de Gõrin,g et de Frank qui !e propulserent à divers postes stratégiques. II devim ainsi membre theme est éga
du Conseil d'Etat prussien, chef de la section des professeurs dans !' Union des juristes nationaux-socia- de l'interprét
listes allemands (BNSDJ) et directeur d'édition de diverses revues juridiques aryanisées, dom la op. cit., p. 60·
Deutsche ]11risten-Zeit11ng. p.120(« "Le;
200. La déchéance de ses fonctions officielles fait sui,te au attaques de la SS qui !ui reprochait 204. C. SCH
son opportunisme et ses liens antérieurs avec des juifs. A partir de 1937, il se consacre davantage au 1934 »,DJZ,
droit internacional ou il légitime la politiqu_e impérialiste de !'espace vital menée par Hitler. 205. Sur !e dé
Cf H. HOFMANN, op. cit., p. 198 ss et B. RUTHERS, op. cit., p. 142 ss. p. 72 s. Ce chi
201. Sur la personnalité insaisissable, car brillame et cha~geame, de Schmitt, cf. les diverses appré- Wendungzun
ciations citées par H. HOFMANN, op. cit., p. 7 ss et B. RUTHERS, Entartetes Recht, op. ciL, p. 107, Versailles 192.
111,123. 206. C. SCH
202. K.A. BETTERMANN, « Rechtsstaat ohne unabhangige Richter? ", Nj\17, 1947-48, p. 217 Hanseatische
note 3. 207. lbid.
que de l'État: le droit natttrel

[!' Reich » ''",


avant de tomber
1 « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

lecture du processus de perversion du droit. Si, au début, il récuse radicalement


le mot et le concept de Rechtsstaat (§ 1), il semble changer d' avis à partir de 1934
547

loutables talents rhétoriques


écrits des années 1933-35 sur (§ 2). Or, il ne s'agit là que d'une diversion d'ordre propagandiste.
e du verbe et ce, à tout point
aide de formules saisissantes, § 1. LE PREMIER TEMPS OU LA RÉCUSATION RADICALE
e brouiller le jeu en cultivam DV MOT ET DU CONCEPT
s propos délibérément ambi-
e à l'air du temps, l'auteur de
En 1933, une partie de la doctrine juridique, à savoir la frange la plus radicale
Llisée sur l'État de droit libé-
,, ,o, à !'encontre de ce même à laquelle appartient également Schmitt, veut faire table rase de l'héritage intel-
lectuel légué par le XIX' siecle, qui serait tout entier infesté par « l'esprit libéra-
•la signification théorique de
~ich - ce qui ressort notam-
liste » et « juif » 1º1 (A). La révolution hitlérienne emporte ainsi dans ses tour-
billons le Rechtsstaat (B).
ttzt das Recht », publié au len-
sa critique du Rechtsstaat un
tive sur ce qu'est, et ce que A. Le rejet catégorique de l'héritage libéral du x1x• siecle,
me du Rechtsstaat, qui s'arti- une « époque vieille et malade » 1<H
e, peut ainsi servir de clef de
564 La critique de Schmitt s'inscrit en ses débuts dans la rhétorique révolutionnaire
employée parles nazis. Aussi, dans son opuscule Staat, Bewegung, Volk publié en
IERS, Entartetes Recht, pp. 99-180; 1933, insiste-t-il sur l'unicité et la spécificité du régime politique hitlérien que
ne politique du national-socialisme l'on ne saurait juger à l'aune des valeurs et des concepts datant du XIX' siecle 2º5•
Jp. 169-196; A. KOENEN, Der Fali « Tout le droit public de l'État allemand actuel repose sur ses propres fondements », à
~es », Darmstadt, Wissenschaftliche
utre la biblio. citée supra note 44) savoir la loi des pleins pouvoirs du 23 mars 1933 qualifiée de « Constitution pro-
iei Carl Schmitt. Der Einbruch der visoire » 10<·. Des lors, il va de soi que la Constitution de Weimar, dont les deux
ker&Humblot, 1997,pp.117-133; idées ma1tresses ont été annihilées, « ne vaut plus » 107 : la séparation des pouvoirs
tungsgerichtbarkeit », Verw,tltungs
}61-497 et pp. 599-629; et surtout a été suprimée par la loi susmentionnée et les droits fondamentaux par la Reichs-
lebre, Frankfurt, Suhrkamp, 2000, tagsbrandverordnung du 28 février 1933. De façon générale, « le nouveau monde
léconstruit en outre le mythe selon du droit national-socialiste ne peut, en aucune façon, ne serait-ce qu'être compris et
[itler, serait puremem opportuniste.
encare moins être justifié ou fondé à l'aide des concepts et des formes du systeme de
rti au catholicisme, qui connaissait
Suisse au lendemain des assassinats
rd des juifs et des émigrés allemands,
~ par des résistams catholiques, une
ist des III. Reiches ». II y mettait en 203. Voir en ce sens l'imervemion de Theodor Maunz lors du fameux congres, orchestré en 1936
t été proche des milieux catholiques par Schmitt, sur « Le j11daisme dans la science juridiqtte ». Maunz préseme la théorie du Rechtsstaat
ilutôt distam à l'égard du national- comme le produit d'administrativistes libéraux juifs, dom Stahl. Lire le compre rendu anonyme
•oir porté aux nues un tel opportu- « Das Judemum in der Rechts- und Wirtschaftswissenschaft. Bericht über die Tagung der Reichs-

1 effet, de 1933 à 1936, de la protec- gruppe Hochschullehrer des NSRB am 3. und 4. Oktober in Berlin », DJZ, 1936, col. 1230. Ce
stratégiques. II devim ainsi membre theme est égalemem récurrem chez Schmitt qui associe le respect de la loi à l'esprit étriqué et bomé
s l' Union des j11ristes nationa11x-socia- de l'imerprétation dite judáique de la Bible et de la loi. Voir sur ce poim l'étude de R. GROSS,
vues juridiques aryanisées, dom la op. cit., p. 60-90 (« La lutte contre !e Rechtsstaat com me "État légal juif 6tidischer Gesetzesstaatj» ») et
p. 120 {« "Le j11daisme dans la science j11ridiq11e" »).
ttaques de la SS qui lui reprochait 204. C. SCHMITT, « Der Führer schützt das Recht. Zur Reichstagsrede Adolf Hitlers vom 13. Juli
de 1937, il se consacre davamage au 1934 •, D]Z, 1934, col. 948 [=Der Ftihrer].
e !'espace vital menée par Hitler. 205. Sur le dépassemem historique de l'État libéral du XIX" siecle, cf U. SCHELLENBERG, op. cit.,
, p. 142 ss. p. 72 s. Ce theme appara1t déjà clairemem dans l'ceuvre de Schmitt d'avam 1933. C/ son article « Die
:e, de Schmitt, cf les diverses appré- Wendung zum totalen Staat » {1931), in ui., Positionen tmd Begrijfe im Kampf mit ~imar- Genf-
~RS, Entartetes Recht, op. cit., p. 107, Versailles 1923-1939, Berlin, Duncker & Humblot, 1988, pp. 146-157.
206. C. SCHMITT, Staat, Bewegtmg, Volk. Die Dreigliedertmg der politischen Einheit, Hamburg,
· Richter? », NJ\'(I, 1947-48, p. 217 Hansearische Verlagsanstalt, 1933, p. 5 [ = Staat, Bewegtmg, Volk].
207. Ibid.

l
548 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel

Wéimar »'°'. De l'avis de Schmitt, Hõhn, Forsthoff, Krauss etc., la« révolzttion
nationale » de 1933 constitue une césure décisive dans l'histoire de l' Allemagne.
T « L 'Etat de dr,

Constitution,
staat, à une cr,
Cela suppose de la part du juriste, s'il veut être un national-socialiste authen- sée libérale à i
tique et non pas un libéral masqué - pire injure qui soit sous les nazis-, qu'il Quiconque n
se défasse totalement de ses modes de pensée hérités du XIX' siecle et imprégnés de la pensée li
d'un individualisme honni et dépassé. Car, selon le credo vitaliste et pseudo- en ce sens dan
darwiniste de Schmitt, « la vie ne pettt se fonder sur ce qui est mort et la force n'a conséquent b
pas à se légitimer par rapport à la faiblesse » 'º".
La détermination avec laquelle Schmitt et Hõhn s'attaquent à la méthodologie B. Le st
de la doctrine juridique en dit long sur le potentiel politique de celle-ci. Le succes
de la révolution nazie en droit dépend cerres, pour une partie"º, de la réforme
des lois positives, mais, à en croire Schmitt, on ne saurait s'en contenter. Encore 565 « Nousdevons
faut-il s'attaquer aux concepts utilisés parles juristes et à leurs réflexes imellec- mains et à que
tuels qui som loin d'être sans effet sur la réalité du droit' 11 • 11 s'agit là d'un enjeu terme de Rechi
crucial, car dans ce « combat des concepts et des convictions juridiques », qui n' est lyse méticule1
pas un « vain jeu de mots », « il y va de la victoire et de la défaite, de l'ami et de l'en- fois leur incc
nemi » '". Or, à ses yeux, le terme de Rechtsstaat est lié, « jusque dans ses derniers points de cett
recoins », à la pensée libérale"': appliquer ce concept au droit national-socialiste sont, plus qrn
revient des lors à en réintroduire subrepticement, par voie de « captation ou de de s' opérer.
substitution » '", des résidus et, ce faisant, à obstruer ou à freiner la logique natio-
nale-socialiste. « Chaque époque politique et spirituelle - écrit son disciple Ernst 1º La substit
Forsthoff - développe un langage confonne à sa pensée. La supériorité d'une pensée
politique se révele de la façon la plus súre dans le fait qu 'elle réussit à imposer sa ter- 566 Au cceur du e
minologie comme universellement valide et à la faire accepter comme allant de équivalentes ''
sai. » m Le libéralisme du XIX' siecle a ainsi marqué de son sceau les termes de liberté ne pet
nementd'un
pelé encore ai
208. lbid., p. 6. Cf ibid. p. 9, 11-12 er 41. Dans le même sens, C. SCHMITI, « Ein Jahr narional- façon explicit
sozialisrischer Verfassungssraar », DR, 1934, p. 30 [ = Ein Jahr]. cipe du Führe
209. S1aat, Bewegrmg, Volk, p. 8.
210. Selon la rhese développée par B. Rürhers dans Die unbegrenzle A11sleg1mg, la révolurion nazie Rex selon son
s'esr même faire en droir privé en l'absence de grandes révisions législarives, grâce au seu! pouvoir est tout entie1
d'imerprérarion des juges. · rismatique ad
211. Siaat, Bewegrmg, Volk, p. 43 ss. Schmin se réfere à ce rirre au pouvoir d'imerprérarion des juges,
car, d'apres !ui, on passe rres rapidemem de la quesrion « Q11id j11ris?,, à la quesrion « Q11is j11dica-
bit? ». D'ou l'imporrance cruciale desmesures d'aryanisarion de la foncrion judiciaire er de la !une
comre « l'esprit juif» dans la docrrine juridique. Cf Ein fahr, p. 27 ou il cite !'exemple des différemes
lectures possibles de la !oi des pleins pouvoirs dom l' arricle 2 garantir, entre aurres, « l'existence d11 216. lbid. Cene
Reichs1ag en lant que te!». Si l'on raisonne selon les concepts tradirionnels de Weimar, le Reichstag in G. KRAUSS ,
qu'om maimenu les nazis à titre d'organe d'acclamarion du Ftihrer, er dans leque! seu! le NSDAP est 217. NS zmd Recl
représemé, ne sacisfaic guere à ce critere. Ce n'est qu'en panam des príncipes du nacional-socialisme, 218. Pour un exr
comme !e prône Schmitt, que l'on peur esrimer que l'exigence légale a éré respecrée. Sur le rôle du 219. Ainsi, d'ap,
pouvoir d'imerprération du juge dans la rhéorie de Schmirr, cf infra. de l'Érar que pró
212. C. SCHMITT, « Narionalsozialismus und Rechrssraar », JW, 1934, p. 714 [ = NS zmd Rech1s- 220. H. HELLE
s1.1al]. Sur ce langage guerrier, cf aussi C. SCHMITT, « Was bedeutet der Srreir um den "Rechrs- doit p/11s obéir q11
sraat"? », ZgSt W, vol. 95, 1935, p. 189 [ = Sireit] er G. KRAUSS & O. v. SCHWEINICHEN, op. cit., sondern n11r noch
p. 29. 221. Sur ce pri1
213. Staal, Beweg11ng, Volk, p. 22 ss er p. 36 ss; Einjahr, p. 27. J. MEINCK (dir.
214. NS mui Rechtssta,lt, p. 716 (« Erschleichrmgen rmd Unterschiebtmgen »). Cf ibid., p. 715 sentscheidungen i·

215. E. FORSTHOFF, « Buchbesprechung von O. Koellreutter, Der deursche Führersraar », JW, 222. II s' agir !à d
1934, p. 538. note 23) que cite
:que de l'État: le droit natttrel

f, Krauss etc., la « révolution


ms l'histoire de l' Allemagne.
1 « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

Constitution, représentation, etc. et « s'est livré carrément, avec le mot Rechts-


staat, à une création sémantique de toutes pieces, qui, étant un pur produit de la pen-
549

n national-socialiste authen- sée libérale à laquelle elle est conforme, ne saurait être détachée du libéralisme » 21 •.
1i soit sous les nazis-, qu'il Quiconque reprend ce mot clé risque de véhiculer, parfois à son insu, des bribes
:s du XIX' siecle et imprégnés de la pensée libérale ou, du moins, de provoquer des associations et des émotions
le credo vitaliste et pseudo- en ce sens dans l'esprit du public. La révolution nationale-socialiste implique par
. ce qui est mort et la force n 'a conséquent la récusation intégrale et du mot et du concept de Rechtsstaat.

;'attaquent à la méthodologie B. Le substrat intrinsequement libéral du mot et du concept


>olitique de celle-ci. Le succes de Rechtsstaat
r une partie 21 º, de la réforme
aurait s'en contenter. Encore 565 « Naus devons savoir - ne cesse de répéter Schmitt - ce que naus prenons dans les
es et à leurs réflexes intellec- mains et à quel genre de logique naus naus soumettons lorsque naus naus servons du
droit 1". 11 s'agit là d'un enjeu terme de Rechtsstaat. » 217 C'est dans cet esprit de méfiance qu'il se livre à une ana-
1ictions juridiques », qui n'est lyse méticuleuse des idées fondant le Rechtsstaat, en mettant en exergue à chaque
[e la défaite, de l'ami et de l'en- fois leur incompatibilité avec l'idéal prôné par et incarné dans Hitler. Deux
: lié, « jusque dans ses derniers points de cette critique 1" méritent à cet égard une attention particuliere car ils
pt au droit national-socialiste sont, plus que tout autre, révélateurs de la régression historique qui est en train
par voie de « captation ou de de s' opérer.
ou à freiner la logique natio-
lle - écrit son disciple Ernst 1º La substitution du Führerstaat à l'idéal du gouvernement des fois
;ée. La supériorité d'une pensée
qu'elle réussit à imposer sa ter- 566 Au cceur du concept du Rechtsstaat et aussi du Staat - car les deux notions sont
ire accepter comme allant de équivalentes 119 - se situe l'idée com mune à tous les libéraux, selon laquelle la
é de son sceau les termes de liberté ne peut s'épanouir que sous le regne des lois et non pas sous le gouver-
nement d'un homme, aussi sage et éclairé soit-il. C'est ce príncipe classique, rap-
pelé encore au début de ce XX' siecle par Anschütz et Heller 22 º, que récusent de
C. SCHMITT, « Ein Jahr nacional- façon explicite Carl Schmitt et ses disciples en se fondant sur le nouveau prín-
cipe du Führern'. L'idée si fondamentale que c'est la Lex qui regne, et non pas le
·enzte Amleg11ng, la révolution nazie
Rex selon son bon plaisirm, devient en effet problématique dans un régime qui
1s législatives, grke au seu! pouvoir est tout entier fixé sur le caractere hors du commun d' Adolf Hitler, ce chef cha-
rismatique adulé comme un Dieu vivant. Ce type de personnalisation du pou-
u pouvoir d'interprétation des juges,
1j11ris? » à la question « Quis judica-
le la fonction judiciaire et de la lutte
17 ou il cite !'exemple des différentes
;arantit, entre autres, « l'existence d11 216. lbid. Cette position est également défendue par un autre éleve de Schmitt, Günther K.rauss,
raditionnels de Weimar, !e Reichstag in G. KRAUSS & O. von SCHWEINICHEN, Disp11tation über den Rechtsstaat, op. cit., p. 9-32.
rer, et dans leque! seu] le NSDAP est 217. NS rmd Rechtsstaat, p. 715.
des príncipes du national-socialisme, 218. Pour un exposé complet de cette critique, cf U. SCHELLENBERG, op. cit., pp. 72-79.
légale a été respectée. Sur le rôle du 219. ,Ainsi, d'apres Schmitt (Streit, p. 201), la récusation du concept de la personnalité juridique
infnz. de l'Etat que prône Hi:ihn entraine logiquement celle du Rechtsstaat.
}W, 1934, p. 714 [ = NS 1md Rechts- 220. H. HELLER, « Rechtsstaat oder Diktatur? », op. cit., p. 448: « L'homme est libre lorsq11'il ne
iedeutet der Streit um den "Rechts- doit p!us obéir q11 'à des !ois et non pas à des hommes (Frei ist der Mensch, wenn er nicht mehr Menschen,
& O. v. SCHWEINICHEN, op. cit., sondern nttr noch Gesetzen gehorschen mim). »
221. Sur ce príncipe, voir les textes et documents réunis par M. HIRSCH, D. MAJER &
J. MEINCK {dir.), Recht, Verwaltung rmd]ttstiz im NS. A11Sgewãh!te Schriften, Gesetze ttnd Gericht-
,iebungen »). Cf ibid., p. 715 sentscheidungen von 1933 bis 1945, Ki:iln, Bund Verlag, 1984, p. 141 ss.
:er, Der deutsche Führerstaat », JW, 222. II s'agit ]à des criteres de définition du Rechtsstaal par G. Anschütz ( = extrair cité s11pra n" 70
note 23) que cite et récuse C. Schmitt dans NS und Rechtsstaat, p. 715.

l
.

550 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel

voir, plus précisément l'imbrication indissociable et immédiate entre un être


humain, morte!, et une idée, en l'espece "l'idée" du Volk 223, s'oppose radicale-
T « L 'État de dru

tion défini par


sur « l'identiti:
ment à l'image d'un pouvoir abstrair, anonyme et invisible que véhicule le loyauté et d'ol
concept du Rechtsstaat et du Staat. Comme le reconnalt Schmitt, « le Rechtsstaat voir, autour d1
en tant qu'État légal est ici l'antithese spécifique de toute sorte de Führerstaat »m. apparalt ainsi 1
C' est justement « l'absence de Führer (Führerlosigkeit) » et de tout régi,me person- de « Führerstaa
nel qu'il reproche au libéralisme 225 • A cet idéal fonctionnel d'un « Etat de droit propriation jui
bureaucratique » 226 , cher aux libéraux et surtout à Max Weber, théoricien par mortelle, en l'
excellence d'un régime rationnel-légal qui assurerait tout au plus la sécurité juri- une contradicti
dique, il manque, de l'avis de Forsthoff, un espace pour le déploiement «dela une régression
vraie passion, de la sagesse et des talents géniaux de l'homme d'État » 227 • À travers les
quelques renvois discrets au modele platonicien du roi-philosophe et au chef cha- 2º Le mythe 11
rismatique de Weber, se lit chez les juristes nazis ce désir d'un chef, d'un guide, contre l'esJ
theme récurrent s'il en est dans l'idéologie antidémocratique depuis Weimar 228 •
567 À !'encontre de« l'institutionalisation de la plus grande envergure ,,m mis en reuvre 568 Schmitt s'attac
par les libéraux au cours du XIX' siecle, les nazis préferent lier le sort de l'État à politique libér;
celui d'un seul homme. En témoigne de façon symbolique la loi du 20 aout que Montesqu
1934 230 qui oblige tous les fonctionnaires et soldats à prêter serment non plus à la a du pouvoir es
Constitution comme autrefois, mais à la personne d' Adolf Hitler, lequel devient pouvoirs 23'. 01
Führer et chancelier à vie 211 • On remarquera également que Hêihn, grand pour- entre le droit et
fendeur de la personnalité juridique de l'État, se refuse à réduire Hitler à un voir, l 'esprit et 1
simple organe d'État'3'. De même, le rapport entre le Führer et ses sujets (sa on pourrait em
troupe ousa« Gefolgschaft ») se définit non pas comme un rapport de subordina- Schmitt. Au m
ralisme voire L
serait plus exac
223. Lire l'exposé particulieremenr éclairant de H. KRÜGER, Ftihrer 1md F1ilmmg, Breslau, 1934, Volk et le droi
pp. 23 ss [reprod. in M. HIRSCH, D. MAJER & ]. MEINCK (dir.), op. cit., p. 149 ss]. tient - selon
224. NS 1md Rechtsstaat, p. 715. Cf G.A. WALZ, « Autorirarer Staat, nationaler Rechtsstaat oder
vêilkischer Führerstaat? », DJZ, 1933, cal. 1334-1340. exceptionnel de
225. St,iat, Beweg11ng, Volk, p. 36. politique de la J
226. E. FORSTHOFF, Der totale Staat, Hamburg, Hanseatische Verlagsanstalt, l 933, p. 11. quement le pr
227. Ibid., p. 12.
228. K. SONTHEIMER, op. cit., chap. 9, pp. 214 ss.
dires de Otto ,
229. E. FORSTHOFF, op. cit., p. li.
2~0. RGBI., I, p. 785. Sur l'importance théorique de ce changemenr de serment, cf. C. SCHMITT,
Uber die drei Arten des rechtswissenschaftlichen Denkens (1934), 2' éd., Berlin, Duncker & Humblot,
1993, p. 42-43 [ = Drei Arten]. 233. MONTESQI
231. L'article l de la !oi du l'' aout 1934 (f?.GBl., I, p. 747), qui, au lendemain du déces d'Hinden- 234. Staat, Bewegli
burg, réunit les deux fonctions de chef d'Etat et de chancelier dans la personne de Hitler, prévoit d'ailleurs sous la pi
cerres la possibiliré pour celui-ci de désigner son « lieutenant », mais ne prévoit aucune regle abstrai te Auslegung, op. cit.,
qui pourrait s'appliquer notammenr en cas de silence de la part de Hitler. Ce manque d'institution- 235. Ibid., p. 22. 1
nalisation sera d'ailleurs critiqué par une pareie de la doctrine et spécialement par Koellreutter [ = NS Rechts-denki
(cf. « Führung und Herrschafr », op. cit., p. 446). 236. R. FREISLEI
232. Sur la doctrine de Hêihn, cf. les références citées mpra note 2. L'argument est repris par Recht », DJZ, 193
Schmitt. Cf Drei Arten, p. 18 s. Lire aussi J. HECKEL, « Die Führerrede und das sog. Ermachti- G. KRAUSS & O.
gunggesetz vom 30. Januar 1937 », De11tsche Verw,dt11ngsblãtter, 1937, p. 61 ss [reproduit in 237. Staat, Bewegli
M. HIRSCH, D. MAJER &]. MEINCK, (dir.), op. cit., p. 144 s] qui estime que le pouvoir de Hitler 238. H. LANCE.
n'est pas une compétence puisqu'il réunit en son sein roures les compétences. On notera, au 239. o. V. SCHW
comraire, l'apologie de la nécessaire institutionnalis~tion de l'Etat chez Forsthoff qui contredit ainsi de la confiance ab,
ses propres critiques du Rechtsstaat. D'apres !ui, l'Etat ne saurait se fondre ni dans la personne de dans la doctrine ju,
Hitler, gui n'est qu'un individu morrei alars« l'État ne doit pas s'éteindre », ni dans !e mouvement REUTTER qui, d'
car « l'Etat est a11 contruire lié à la tradition, à la /oi et à l'ordre » (op. cit., p. 31). et d11 droit) ,, (Ftih,
'ique de l'État: le droit naturel

: et immédiate entre un être


T « L 'État de droit allemand d'AdolfHitler»

tion défini par les termes de la loi, mais comme une relation personnelle, fondée
551

du Volk 223 , s' oppose radicale- sur « l'identité raciale (A rtgleichkeit) » et marquée par un esprit de fidélité, de
et invisible que véhicule le loyauté et d'obéissance aveugle. A l'aune du principe de désincarnation du pou-
11na1t Schmitt, « le Rechtsstaat voir, autour duquel se sont cristallisés le concept d'État et celui d'État de droit,
toute sorte de Führerstaat » "'. appara'lt ainsi le caractere grotesque, pour ne pas dire monstrueux, de la formule
't) » et de tout régime person- de« Führerstaat » et plus encare de« l'É!jat de droit allemand d'AdolfHitler ». L'ap-
1ctionnel d'un « État de droit propriation jusque dans les mots de l'Etat (de droit) par une personne physique
L Max Weber, théoricien par mortelle, en l'espece Hitler, marque non seulement d'un point de vue logique
t tout au plus la sécurité juri- une contradictio in se - ces formules constituent des oxymorons -, mais aussi
: pour le déploiement « de la une régression dans la façon de concevoir le pouvoir.
'Jmme d'État »"'.À travers les
roi-philosophe et au chef cha- 2° Le mythe de l'unité du Führer et du Volk
~ désir d'un chef, d'un guide, contre l'esprit libéral de méfiance
nocratique depuis Weimarm.
deenvergure» 119 mis en ceuvre 568 Schmitt s'attaque en deuxieme lieu à un autre ressort fondamental de la théorie
éferent lier le sort de l'État à politique libérale qui est la méfiance vis-à-vis du pouvoir, quel qu'il soit. On sait
rmbolique la loi du 20 aout que Montesquieu s' est inspiré de cette « expérience étemelle que tout homme qui
L prêter serment non plus à la
a du pouvoir est porté à en abttser », pour élaborer sa théorie de la séparation des
i' Adolf Hitler, lequel devient pouvoirs 233 • Or c'est contre ces « liber,ale Zerreissungen ,,m, contre « le dualisme
nent que Hohn, grand pour- entre le droit et le,Pou·voir, le droit et l'Etat, le droit et {a politique, l'esprit et le pou-
refuse à réduire Hitler à un voir, l'esprit et l'Etat, l'individu et la communauté, l'Etat et la société » 235 - à quoi
:re le Führer et ses sujets (sa on pourrait encare ajouter le dualisIIJ-e entre le droit et la morale - que s'insurge
tme un rapport de subordina- Schmitt. Au modele libéral d'un « Etat de droit de méfiance » 23 " ou regne le plu-
ralisme voire la zizanie, il substitue l'image idyllique de l'unité organique - il
serait plus exact de parler de fusion au bénéfice de Hitler - entre le Führer, le
Fzihrer 111ul Fühmng, Breslau, 1934, Volk et le droitm. « Que la volonté du Führer et le droit aient le même contenu,
dir.), op. cit., p. 149 ss]. tient - selon Lange qui ne fait qu'exprimer un lieu commun - au caractere
·r Sraat, narionaler Rechtsstaat oder
exceptionnel de la personnalité du Führer. » 23 ' De cette « identité entre la volonté
politique de la Führung et la volonté générale politique du Volk » découle tout logi-
1e Verlagsanstalr, 1933, p. 11. quement le principe d'une « confiance sans bornes envers le Führer », selon les
dires de Otto von Schweinichen m_ li n'y a plus aucune différence entre ce qui

mem de sermem, cf. C. SCHMITT,


(' éd., Berlin, Duncker & Humblor,
233. MONTESQUIEU, De l'Esprit des !ois, op. cit., Liv. XI, chap. 4, p. 395.
i, au lendemain du déces d'Hinden- 234. Staat, Bewegzmg, Volk, p. 12, 16, 35, 38 (litt. : « les déchiremems libéraux ..). La formule revienr
dans la personne de Hitler, prévoit d'ailleurs sous la plume de divers auteurs 1;f les références citées par B. RÜTHERS, Die zmbegrenzte
iais ne prévoit aucune regle abstraite Auslegung, op. cit., p. 120 note 30 et I. MULLER, op. cit., p. 80 s.
de Hitler. Ce manque d'instirurion- 235. lbid., p. 22. Cf C. SCHMITT, « Nationalsozialistisches Rechtsdenken », DR, 1934, p. 225
1e et spécialemem par Koellreutter [ = NS Rechts-denken].
236. R. FREISLER, « Der Rechrsstaar », op. cit., p. 153. Cf C. SCHMITT, « Der Führer schützt das
note 2. L'argumem est repris par Recht », DJZ, 1934, col. 948; H. LANGE, Vom Gesetzesstaat zum Rechtsstaat, op. cit., p. 32-35;
Führerrede und das sog. Ermachri- G. KRAUSS & O. v. SCHWEINICHEN, op. cit., p. 82.
itter, 1937, p. 61 ss [reproduit in 237. Staat, Bewegzmg, Volk, p. 16.
1qui estime que le pouvoir de Hitler 238. H. LANGE, op. cit., p. 37.
~s les compétences. On norera, au 239. O. v. SCHWEINICHEN in G. KRAUSS & O. v. SCHEINICHEN, op. cit., p. 64. Le theme
ar chez Forsrhoff qui comredit ainsi de la confiance absolue dans la Fzihrzmg - fondant un devoir d'obéissance absolu - est récurrent
lÍt se fondre ni dans la personne de dans la docrrine juridique nazie. On notera routefois la position à nouveau médiane de O. KOELL-
; s'éteindre ", ni dans le mouvemem REUTTER qui, d'un côté, admer la« Sinneinheit von Staat zmd Recht (l'zmité concept11elle de l'État
:op. cit., p. 31). et du droit) » (Fzihrerstaat, p. 21) en ce qui concerne les hautes spheres de la Fzihrung (Hitler, ses

l
.

552 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel

est, le Sein, la réalité du pouvoir de Hitler et ce qui doit être, le Sollen, le droit.
Tout est parfait dans ce monde parfait.
1 « L 'État de di

la fonction i(
totale de l'in1
569 Des lors, l'individu n'a plus aucune raison de se plaindre du pouvoir politique. du Führer, n
À vrai dire, l'hypothese d'un éventuel différend entre le Volksgenosse et la garantir la 1c
Fiihrung ne se pose même plus dans la Volksgemeinschaft. Celle-ci consacre, par continue de
définition, l'unité indissoluble entre l'un et le tout. C'est ce qu'illustre de façon raciale, le ju 1
radicale la théorie de Hohn qui récuse les « déchirements de la vie ». II en ressort den »""- po
un modele de société totalitaire que l'on pourrait comparer à un bloc monoli- Ce discot
thique ou à une colonne de soldats marcham au pas sous l'égide du Führer, et III" Reich ser
prêts à se sacrifier à tout moment pour lui "º. Quiconque ose contester une déci- du Führer qt
sion du Führer se place lui-même en dehors de la Volksgemeinschaft et devient, moment, sur
ipso facto, un ennemi qui, en tant que tel, ne mérite aucune protection juridique appara1t auss
ou juridictionnelle'". Du coup, la question du contrôle du pouvoir se résout juristes nazis
d'elle-même, puisque le vrai Volksgenosse, l'ami selon le schéma manichéen de les repenser,
Schmitt, n'en a pas besoin, et que celui qui le réclame est, par définition, un
ennemi. Aussi le príncipe de la séparation des pouvoirs n'est-il plus de mise, qu'il
s'agisse de la distinction déjà supprimée entre le législatif et l'exécutif ou encore
de l'indépendance du pouvoir judiciaire, quisera progressivement abolie 242 • De
même, il n'est plus question sous le III• Reich de reconna1tre à l'individu des
droits naturels, ni même de simples droits subjectifs au sens positiviste'43 • S'il est 570 À ce franc pa
vrai que d'aucuns s'enorgueillissent de la nouvelle « liberté » (sic) du Volksgenos- plus policé, a
sen dans son « statut organique (Gliedstellung) »"', il ne faut guere se tromper sur dissimule ma
pagande poli
III• Reich réc
collaborateurs, etc.), mais, de l'autre côté, lorsqu'il s'agit des strates inférieures du régime, maintienr ment gratuitt
le principe de différenciation du droit et du pouvoir (Stddts!ehre, p. 56 et p. 73 s). Cet antagonisme Suite aux voe
potenciei !ui sen de fondement au principe de légalité et au pouvoir de contrôle du juge administra- Frick, Freisle
tif. Sur ce dernier point, il essuie aussitôt des critiques de la pan de Forsthoff et Hõhn qui contestem
!e principe de ce__dualisme, même paniel. staat, Schmitt
240. Cf R. HOHN, « Buchbesprechung von O. Koellreutter, Grundriss der Allgemeinen sémantique, 1
Staatslehre », op. cit., p. 1636. Le theme du sacrifice suprême qui va jusqu'à l'acceptation de la mon • • I
contmmte su
est un élément essentiel de la définition de la Volksgemeinschafi (cf !'extrair de Hõhn cité par
M. STOLL_\:[S, Recht im Unrecht, op. cit., p. 121). d'entâcher la
241. H. GORING, op. cit., p. 1428; P. SCHNEIDER, A11snahmez11stand rmd Norm. Eine S1ttdie z11r dans la logiq 1
Rechts!ehre von Carl Schmitt, Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 1957, p. 212 et sunout p. 214.
Cf aussi M. STOLLEIS, « Gemeinschaft und Volksgemeinschaft. Zur juristischen Terminologie im
NS », in Recht im Unrecht, op. cit., pp. 94-125. L'aureur insiste sur !e caractere vague, souple et fictif
du concept de Volksgmeinschafi qui a pour fonction idéologique d'évacuer ou de dissimuler les ten- Einzelnen - Vo
sions réellement existantes entre la Fülmmg et ses sujets (cf spéc. p. 101 ss et p. 155, 191). FÕRDE (dir.), .\
242. Cf E.R. HUBER, « Die Einheit der Staatsgewalt », D]Z, 1934, col. 950-960; A. SCHÃFER, 245. Cf S. DAI\
« Führergewalt statt Gewaltemeilung », in E-W. BÕCKENFÕRDE (dir.), Staatsrecht rmd Staats· 246. Litt. : « !e,,
rechts!ehre im Dritten Reich, op. cit., p. 106-121. Sur la suppression de l'indépendance de la justice, 247. Voir les diY
cf infra note 310. de Nuremberg,,
2+3. Parmi les ténors de la critique du droit subjectif, cf R. HÕHN, « Das subjektive õffenr- dettes, attriburin
liche Recht und der neue Staat », DRW, 1936, p. +9 ss et T. MAUNZ, « Das Ende des subjektiven tion, etc.) cités F
õffenrlichen Rechts », ZgStW, vol. 96, 1936, pp. 71-111. Sur ce débat, cf D. GRIMM, « Gemein- op. cit., p. 123-12
schaftsvorrang und subjektives Recht », in U. DAVY, H. FUCHS, H. HOFMEIER, J. MARTE & libéral hérité du
1. REITER (dir.), op. cit., pp. 38-54; M. LA TORRE, « Der Kampf wider das subjektive Recht. solurions jurispr
Karl Larenz und die NS Rechtslehre », Rth., 1992, pp. 355-395. 248. Cf M. STC
244. Cf S. DANNBECK, « Freiheit der Persõnlichkeit im nationalsozialistischen Gemeinschafts- 249. Cf C. SCH
staat », in H. FRANK (dir.), Nationalsozialistisches Handb11ch fiir f!.echt tmd Gesetzgebzmg, 2" éd., fiir Recht tmd Ge,
München, Zenrralverlag der NSDAP, 1935, pp. 427-443 et H. SCHAFER, « Die Rechtsstellung des 250. De façon cl
que de l'État: le droit naturel

doit être, le Sollen, le droit.


1 « L 'État de droit allemand d 'Ado!fHitler »

la fonction idéologique de ce discours flou et obscur qui cache une mise au pas
totale de l'individu. Celui-ci ne peut ni invoquer des droits naturels à l'encontre
553

du Führer, ni faire valoir l~ protection, aussi minime soit-elle, que pourrait lui
1indre du pouvoir politique.
garantir la loi positive 245 • A l'encontre des droits subjectifs que la loi positive
entre le Volksgenosse et la
continue de garantir aux juifs, à défaut de toute disposition de discrimination
schaft. Celle-ci consacre, par
raciale, le juge se réclamera du droit naturel nazi - le « gesunde Volksempfin-
C'est ce qu'illustre de façon
den » w,_ pour supprimer ceux-ci m_
nents de la vie ». 11 en ressort
Ce discours sur la soi-disant « liberté » des personnes humaines sous le
:omparer à un bloc monoli-
III' Reich sert tout juste de camouflage hypocrite à un pouvoir discrétionnaire
as sous l'égide du Führer, et
du Führer qui peut empiéter de n'importe quelle façon, t;t à n'importe quel
nque ose contester une déci-
moment, sur les rares espaces d'autonomie de l'individu 248 • A travers ce discours
volksgemeinschaft et devient,
appara'lt aussi un changement radical dans la politique de communication des
aucune protection juridique
juristes nazis: il ne s'agit plus de récuser tels quels les concepts libéraux, mais de
ntrôle du pouvoir se résout
les repenser, de les retourner, de les détourner...
on le schéma manichéen de
lame est, par définition, un
,irs n'est-il plus de mise, qu'il § 2. UNE RECONNAISSANCE DV BOVT DES LEVRES
islatif et l'exécutif ou encore DV CONCEPT FORMEL DE RECHTSSTAAT
rogressivement abolie 142 • De
reconna'ltre à l'individu des
570 À ce franc parler initial, qui n'est pas sans quelque brutalité, succede un discours
au sens positiviste 2". S'il est
plus policé, aux intonations plus conventionnelles, dont l'apparence rassurante
, liberté » (sic) du Volksgenos-
dissimule mal un raisonnement sinueux, tout entier rivé à des objectifs de pro-
ne faut guere se tromper sur
pagande politique. 11 n'est plus question de clamer à la face du monde que le
ili' Reich récuse le quali:6.catif de Rechtsstaat en s' exposant ainsi, de façon pure-
ment gratuite, à l'opprobre de l'opinion publique internationale et nationale.
tes inférieures du régime, maintient
, p. 56 et p. 73 s). Cet amagonisme Suite aux voeux exprimés par certains hauts dignitaires nazis''", tels que Frank,
10ir de contrôle du juge administra- Frick, Freisler, Lammers, qui veulent récupérer le terme symbolique de Rechts-
le Forsthoff et Hê:ihn qui contestem staat, Schmitt esquisse un revirement à premiere vue radical, du moins sur le plan
tter, Grundriss der Allgemeinen sémantique, qui en fait, si l'on analyse de pressa pensée, recouvre une grande
va jusqu'à l'acceptation de la mon continuité sur le fond. Car, quoi qu'il arrive, il est strictement exclu à ses yeux
,afi (cf !'extrair de Hê:ihn cité par d'entâcher la pureté de l'idéologie nationale-socialiste et de se laisser enfermer
ez11stand rmd Norm. Eine St11die zrtr dans la logique adverse' 50 • Du coup, il se livre à un jeu tres habile sur les mots,
!t, 1957, p. 212 et sunout p. 214.
:. Zur juristischen Terminologie im
1r !e caractere vague, sou pie et fictif
d'évacuer ou de dissimuler les ten- Ei_i:izelnen - Von den Grundrechten zur vê:ilksgenê:issischen Gliedsrellung », in E.-W. BÕCKEN-
•· p. 101 ss et p. 155, 191). .. FORDE (dir.), Staatsrecht ... , op. cit., pp. 106-121.
1934, col. 950-960; A. SCHAFER, 245. Cf S. DANNBECK, op. cit., p. 432 et 434 s.
)RDE (dir.), Staatsrecht rmd Staats- 246. Litt. : « !e sentiment sain d11 Volk ».
on de l'indépendance de la justice, 247. Voir les divers exemples (refus de célébrer un mariage "mixte" avant même l'adoption des !ois
de Nuremberg, annulation d'un te! mariage, rupture de contrats de travai!, non remboursement de
HÔHN, « Das subjektive ê:iffent- dettes, attribution de la g'.1rde d'enfam au parem aryen, résiliation sans préavis de contrats de loca-
~UNZ, « Das Ende des subjektiven tion, etc.) cités par B. RUTHERS, Die rmbegrenzte A11slegrmg, op. cit., p. 148-174 et I. MÜLLER,
, débat, cf D. GRIMM, « Gemein- op. cit., p. 123-127. Ainsi, le législateur nazi n'a même plus à imervenir pour modifier !e droit privé
IS, H. HOFMEIER, J. MARTE & libéral hérité du XIX' siecle et de Weimar. S'il l'a fait, il a pu souvent se contenter de reprendre les
Campf wider das subjektive Recht. solutions jurisprudemielles.
248. Cf M. STOLLEIS, Recht im Unrecht, p. 157 s.
ionalsozialistischen Gemeinschafts- 249. Cf C. SCHMITT, « Der Rechtsstaat », in H. FRANK (dir.), Nationalsozialistisches Handbuch
{,ir Recht rmd Gesetzgebrmg, 2' éd., fiir Recht rmd Gesetzgebrmg, 1• éd., München, Zemralverlag der NSDAP, 1935, p. 9-10 [ = Rechtsstaat].
:HÃFER, « Die Rechtsstellung des 250. De façon claire et nette: NS und Rechtsstaat, p. 715, 717-8.

J
554 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natttrel

tirant profit de leur polysémie et accentuant au besoin leur antagonisme. Cette


tactique a pour seul but de confondre l'ennemi qu'est le libéralisme, en le bat-
T « L 'État de droi;

existant du Red
nal-socialisme. ,
tant avec ses propres armes 251 • Apres avo ir fait semblant d' accepter, à titre pro- on ne peut s' en
visoire, le concept forme! de Rechtsstaat, Schmitt se livre à une critique véhé- d'un tel projet.
mente de l'idée de légalité qu'il réduit à une forme sans contenu, et clone sans droit, et clone t
valeur, pour lui opposer aussitôt le concept matériel de « l'État juste » ou « idéo- liste se résume
logique » ( Gerechtigkeitsstaat ou Weltanschauungsstaat) (A). II court-circuite ainsi se réclament d'
la légalité en se fondant sur la légitimité, sur un droit naturel qu'il appelle la Nietzsche, selo
« pensée des ordres et des créations concretes (konkretes Ordnungs- rmd Gestaltungs- leurs propres in
denken} », et qui n'est, en réalité, qu'un carcan vide dans lequel vient se nicher avec le soi-disa1
le pouvoir discrétionnaire illimité de Hitler (B). En fin de compre, il ne reste du seau 25 ', à une e<
Rechtsstaat que la coquille vide, que le label qui est, lui aussi, voué à disparaí'tre. 573 Contrairement
n' existe pas un
A. L'acceptation factice du Rechtsstaat au sens formei d'États de droii
corporatiste, bo
Pour saisir la portée toute relative de ce revirement tactique (2"), il importe Jasciste, etc. » 25 ',
d'abord d'en préciser les deux causes (1"). La nationalité
droit /rançais, a
1º Les deux causes de ce revirement tactique époque de défi
adjectif qualific
571 S'apercevant de sa propre contre-performance rhétorique, Schmitt se devait en Schmitt exager
. . .
tant que « Kronjurist » du file Reich de modifier sa position, ce qui fut fait lors ams1 croire qu
de son discours sur Nationalsozialismus und Rechtstaat, prononcé le 12 février Rechtsstaat, qui
1934 à Cologne devant un parterre de membres de l'U nion des juristes allemands mot polysémiq
nationaux-socialistes. Dans cette guerre idéologique sans répit que se livrem les se passe dans le
apologistes et les détracteurs du régime hitlérien, le terme de Rechtsstaat est 1mverbrüchlich
devenu un en jeu crucial en raison de sa « force suggestive » sur les esprits à l' étran- formei, neutre
ger et en Allemagnem. Ainsi que l'écrit Schmitt, « l'histoire du monde ne se réduit son idéal politi
pas seulement à un combat d'armes militaires ou à un affrontement des puissances dépendance de
économiques; elle est aussi un combat des concepts et des convictions juridiques. Un staat ainsi défo
tel combat n 'est pas un vain jeu de mots. Il y va de la victoire et de la défaite, de l'ami moult précaut
et de l'ennemi » "'. II s'agit ni plus ni moins de briser le monopole intellectuel convaincu de L
détenu par la philosophie libérale depuis le xixc siecle en ce qui concerne la défi-
nition de termes clés tels que l'État, le droit, la liberté, la constitution, etc. 25'
L'objectif n'est plus deles récuser intégralement, mais au contraire deles récu-
256. NS rmd Rech1
pérer, de les « repenser » selon le nouveau leitmotiv de Schmitt : « Wir denken die 257. Sur les cone,
Rechtsbegriffe um. » "' grenzte A11sleg1mg,
258. Cf Contrais,
572 Dans le cas d'espece, cette nouvelle approche débouche sur le constar suivant: 259. NS 11nd Rech
« Naus ne déterminons dane pas le national-socialisme à partir d'un concept pré- Berlin, Dunckcr &
260. C. SCHMIT
conceptions de dro1,
251. Streit, p. 197. BECK, op. cit., p. ·
252. _['IS rmd Recbtsstaat, p. 714. Sur ce contexte, cf. M. STOLLEIS, Geschicbte, t. III, p. 331 et 261. NS rmd Rech1
I. MULLER, op. cit., p. 44. 262. Jbid., p. 716.
253. lbid. 263. Rechtsstaat, p
254. lbid., p. 713. 264. C'est du resc,
255. NS Recbtsdenken, p. 229 (« Naus repensons les concepts j11ridiq11es »). marché de dupes :
'ique de l'État: !e droit naturel « L 'État de droit allemand d'Ado/f Hitler» 555

:soin leur antagonisme. Cette existant du Rechtsstaat, mais à l'inverse !e concept de Rechtsstaat à partir du natio-
ll'est le libéralisme, en le bat- nal-socialisme. » 15'' Or, même à supposer que la démarche de Schmitt fut sincere,
11blant d'accepter, à titre pro- on ne peut s'empêcher, avec le recul du temps, de constater l'absurdité ab initio
se livre à une critique véhé- d'un tel projet. C?mment concevoir, en effet, une quelconque autonomie du
1e sans contenu, et clone sans droit, et clone un Etat de droit, lorsque l'on sait que l'idéologie nationale-socia-
tel de « l'État juste » ou « idéo- liste se résume en une idolâtrie du pouvoir? Les nazis, à commencer par Hitler,
wt) (A). 11 court-circuite ainsi se réclament d'une vision vitaliste du droit, vaguement inspirée de Darwin et de
droit naturel qu'il appelle la Nietzsche, selon laquelle le droit est un simple intrument qui ne doit servir que
es Ordnzmgs- und Gestaltungs- leurs propres intérêts et qui n'oblige que les autres 257 • Le droit se confond des lors
:le dans lequel vient se nicher avec le soi-disant droit du plus fort, ce qui aboutit, ainsi que l'a montré Rous-
n fin de compte, il ne reste du seau 258 , à une confusion du droit avec la force, du normatif avec le factuel.
t, lui aussi, voué à disparaitre. 573 Contrairement à ce qu'il disait antérieurement, Schmitt estime désormais qu'il
n'e,xiste pas un seul concept, libéral, du ~echtsstaat, mais qu'il y a« des douzaines
aat au sens formel d'Etats de droit, selon qu'il s'agit d'un Etat de droit féodal, corporatiste, féodal-
corporatiste, bourgeois à l'état pur, libéral-démocratique, social, national-libéral,
ment tactique (2"), il importe fasciste, etc. » 159 , de même qu'il existe une multitude de définitions de la liberté 2• 0 •
La nationalité est également un critere important puisqu'il existe « un État de
droit /rançais, américain, anglais, etc. ». 11 revient ainsi à chaque pays et à chaque
époque de définir sa propre conception du Rechtsstaat. Seul l'adjonction d'un
adjectif qualificatif permet tant soit peu de donner un sens clair à un terme dont
ftorique, Schmitt se devait en Schmitt exagere délibéremment le caractere imprécis et ambigu 2• 1• On pourrait
,a position, ce qui fut fait lors ainsi croire qu'il ne reconnait aucune signification consubstantielle au terme
,tstaat, prononcé le 12 février Rechtsstaat, quine serait qu'un simple label. Par la suite, il concede toutefois à ce
l'U nion des juristes allemands mot polysémique un sens minimal puisqu'il vise par là un « État dans leque! tout
ue sans répit que se livrent les se passe dans !e strict respect de la !oi et de l'ordre (ein Staat in dem es streng tmd
n, le terme de Rechtsstaat est tmverbrüchlich nach Gesetz und Ordnung zugeht) » 261 , autrement dit, un procédé
estive» sur les esprits à l' étran- formei, neutre sur le fond 2"3, qui oblige "simplement" le pouvoir à médiatiser
l'histoire du monde ne se réduit son idéal politique à travers des lois positives et à reconna1tre les principes d'in-
un alfrontement des puissances dépendance de la justice et de légalité de l'administration. Le concept de Rechts-
t des convictions juridiques. Un staat ainsi défini pourrait des lors s'appliquer à la réalité du Ill' Reich. Apres
victoire et de la défaite, de l'ami moult précautions et mises en garde - comme s'il n'était pas tout à fait
riser le monopole intellectuel convaincu de la neutralité ou de l'innocuité de ce concept formei 2(,4-, Schmitt
ecle en ce qui concerne la défi-
liberté, la constitution, etc. 25'
, mais au contraire de les récu-
256. NS zmd Rechtsstaat, p. 716.
" de Schmitt : « Wir denken die 257. Sur les conceptions ami-juridiques des hauts dignitaires nazis, cf. B. RÜTHERS, Die 11nbe-
grenzteA11sleg1mg, pp. 104-111 et H. WEINKAUFF, Diedeutsche]11stiz zmd der NS, op. cit., pp. 40-56.
258. Cf Contrai social, Liv. I, chap. 3 et supra n" 345.
)otiche sur le constat suivant : 259. NS 11nd Rechtsstaat, p. 715. Cf déjà C. SCHMITT, Legalítãt zmd Legitimitãt (1932), Y éd.,
'isme à partir d'un concept pré- Berlin, Duncker & Humblot, 1993, p. 18.
260. C. SCHMITT, Nationalsozi<1lism11s zmd Võlkerrecht, Berlin, 1934, p. 7: « II existe atttant de
conceptions de droits fondamenta11x q11'il y a de conceptions de la société h11111aine » (cité par S. DANN-
BECK, op. cit., p. 432 note 10).
-oLLEIS, Geschichte, t. III, p. 331 et 261. NS zmd Rechtsstaat, p. 715.
262. Ibid., p. 716.
263. Rechtsstaat, p. 6; Streit, p. 190, 193 s.
264. C'est du reste ce que pense profondémem Schmitt, comme nous le verrons plus tard. D'ou le
,idiq11es »). marché de dupes : il accepte le mot et le concept formei de Rechtssta<1t à condition que ce concept
1··.··
556 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État: le droit naturel
l « L'Étatde e

se fait à l'idée de ce qu'il appelle soigneusement « l'État de droit allemand natio- 2º Un revi
nal-socialiste » 265 ou encore, en s'inspirant de Frank 2"", « l'État de droit allemand et le Ge1
d'Adolf Hitler » 267 • II ne cesse, en effet, d'insister sur la nécessité d'éviter toute
équivoque et d'empêcher, à tout prix, que d'aucuns ne fassent de ce terme leur 575 Si l'on s'an
cheval de Troie pour réintroduire des idées cryptolibérales. comme l'a 1
574 L'acceptation tactique, car « provisoire » 1''',
du Rechtsstaat au sens formei se fonde cette dispute
également sur une deuxieme série de considérations. En effet, ce concept pour- preuve d'av,
rait s'avérer d'une grande utilité pour Hitler afin d'asseoir son autorité à l'égard camps, sach
d'un corps de fonctionnaires éduqués dans une culture de légalité 11·". « Quoi de ses critiquei
plus confortable - écrit avec cynisme Schmitt - que de commander à un État légal Schmitt pn
et de respecter le principe de légalité de la justice et de l'administration, lorsqu'on auquel il dé
• A

manie soi-même la machine législative et que l'on peut même, comme c'est le cas du saura1t etre ,
gouvernement actuel, faire des !ois au sens fonnel du tenne, voire des !ois révisant la constituer u
Constitution, par simple décret? » 170 II va de soi que« celui qui fixe les horaires, a moins mille
intérêt à ce que tout se passe selon les horaires » 271 • Vue sous cet angle, la question mot et !eco
du Rechtsstaat vise simplement « une proposition d'ordre pratique et technique de nition de l'l
mise au pas (G/eichschaltung} » de l'administration 111 • Tant que !e systeme bureau- son remplaL
cratique de l'Etat est encore régi par ce mode de fonctionnement, il peut para1tre schauungsst,
« adéquat de maintenir les méthodes et fomies du Rechtsstaat et de s'en servir- sans
Rechtsstaat,
se laisser subjuguer en son for intérieur - tant que de nouvelles méthodes, de nou- lument con
veaux concepts et une nouvelle fonnation des fonctionnaires n'ont pas été introduits affirme d' al
et essayés » 173 • En ce sens, il ne s'agit que d'un « probleme de transition pratique et communau
technique » m_ La conciliation entre l'idéologie nationale-socialiste et l'idée du « l'État de d;
Rechtsstaat ne dure que !e temps de la guerre de propagande : une fois que Hitler de droit, soi
s'est imposé, et que l'on a mis en place cet autre mode de fonctionnement admi- pour appliq1
nistratif, que Fraenkel décrira à travers !e concept du « Massnahmenstaat », il n'est logiquemen
plus besoin de faire des compromis. Car, sur !e fond, Schmitt n'a pas changé veau et si di
d'avis. 576 Schmitt vist
voué à dispa
calement le
nique de« l'
qu'est « l'Ét
formei soit absolument neutre, c'esc-à-dire dépourvu de coute connotacion libérale. Or, par la suite, keitsstaat} »,
il découvre "couc à coup" que la neucralité politique de la forme n'est qu'illusoire. li se rétracte
aussitôt de son acceptation antérieure, ce qui fait qu'il admet certes, à titre transitoire, le mot, mais
qu'il en récuse le concenu.
265. NS und Rechtsstaat, p. 716. 275. H. HELI:
266. H. FRANK,« Der deutsche Rechtsstaat Adolf Hiclers », DR, 1934, pp. 121-123. li s'agic à ]'ori- 276. À commc
gine d'un discours retransmis le 20 mars 1934 sur les ondes du Deutschlandsender. revient long~e1
267. Rechtsstaat, p. 10; Streit, p. 199. De ce poinc de vue formei, le III- Reich serait même « zm État quer son revire
de droit exemplaire, peut-être même p!us q11e la plupart des arares pays d11 monde » (NS rmd Rechtsstaat, 277. Streit, p. é
p. 716). 278. Streit, p. 1
268. Streit, p. 199 et 197. 279. Ibid., p. 21
269. Au début, les nazis doivent encore prendre des précautions pour s'assurer la coopération des 280. NS ,md R,
élites conservacrices dans l'administration et la justice. Cf M. STOLLEIS, Geschichte, t. III, p. 332. 281. Streit, p.,
270. Streit, p. 196. 282. II s' agit 1:i
271. Ibid. : « Wer den Fahrpl,m macht, hat doch Interesse daran, d,1ss es fahrplanmãssig z11geht. » ]W, 1933, p. E
272. Ibid., p. 197. p. 713 s; Recht,
273. Jbid. gegen Legalitãt.
274. Ibid. propre à ]'<l!uv1
iique de l'Êtat: le droit naturel « L 'État de droit allemand d'AdolfHitler» 557

l'État de droit allemand natio- 2° Un revirement relati/ ou l'antinomie entre le Rechtsstaat


k21·",« l'État de droit allemand et le Gerechtigkeitsstaat
sur la nécessité d'éviter toute
ns ne fassent de ce terme leur 575 Si l'on s'arrêtait à ces propos de Schmitt, on pourrait être tenté de conclure,
,libérales. comme l'a fait Helfritz avec une certaine na·iveté, que « ce qui était en jeu dans
,tsstaat au sens formel se fonde cette dispute, ce n'était pas la chose mais son nom » 275 • En réalité, ce serait faire
preuve d'aveuglement que de croire à l'émergence d'un consensus entre les deux
ns. En effet, ce concept pour-
camps, sacham que Schmitt continue à ne pas faire mystere de ses réserves et de
l' asseoir son autorité à l'égard
ses critiques 276 • Certains índices sont assez révélateurs de ce double jeu. Ainsi,
Jlture de légalité"·". « Quoi de
Schmitt prend soin de préciser que l'acceptation du concept de Rechtsstaat,
e de commander à un État légal
auquel il dénie toute prétention à l'éternité contrairement à Koellreutter 277 , ne
de l'administration, lorsqu'on
saurait être que« provisoire »ou« transitoire » 278 • Le Rechtsstaat est clone loin de
·ut même, comme c'est le cas du
constituer un élément essentiel d'un ill• Reich destiné, quant à lui, à durer au
terme, voire des fois révisant la
moins mille ans ... De l'avis de Schmitt, on ne tardera pas à s'apercevoir que le
.e « celui qui fixe les horaires, a
mot et le concept de Rechtsstaat sont « superflus », comme l'est d'ailleurs la défi-
rue sous cet angle, la question
nition de l'État en tant que personne juridique. Plus rien ne s'opposera alors à
{'ordre pratique et technique de
son remplacement par la notion plus appropriée « d'État idéologique (Weltan-
' • Tant que le systeme bureau-
2
schauungsstaat) » 279 • Si Schmitt fait clone semblant d'accepter le príncipe du
nctionnement, il peut parartre
Rechtsstaat, il ne s'agit là que d'un compromis bancal entre deux éléments abso-
chtsstaat et de s'en servir - sans
lument contradictoires. Le double langage de Schmitt transparart lorsqu'il
de nouvelles méthodes, de nou-
affirme d'abord, sur un ton péremptoire, qu'il n'existe aucun dénominateur
•nnaires n'ont pas été introduits
commun aux divers usages du terme de Rechtsstaat, ce qui expliquerait pourguoi
,bleme de transition pratique et
« l'État de droit allemand national-socialiste » n' a rien à voir avec les autres États
ationale-socialiste et l' idée du
de droit, soit du passé soit de l'étranger 2'º. Or, en même temps, il est d'accord
)pagande : une fois que Hitler
pour appliquer le concept formel de Rechtsstaat au III• Reich, ce qui impliquerait
iode de fonctionnement admi-
logiquement que le soi-disant « État de droit national-socialiste » n' est pas si nou-
lu «Massnahmenstaat», il n'est
veau et si différent que cela.
fond, Schmitt n'a pas changé
576 Schmitt vise simplement à s'approprier le mot - et encore, car celui-ci est aussi
voué à disparartre 281 - sans se sentir lié par la chose. Pour ce faire, il oppose radi-
calement le Rechtsstaat, identifié au concept purement formel, neutre et tech-
nique de« l'État légal (Gesetzesstaat) », et l'idéal supposé plus proche du nazisme
qu'est « l'État juste », « l'État idéologique » ou encore « l'État éthique (Sittlich-
connotation libérale. Or, par la suite, keitsstaat) », fondé sur une « justice immédiate »282 à l'instar du modele platoni-
Jrme n'esc qu'illusoire. li se récracce
cerces, à cicre cransicoire, le moe, mais
275. l;I- HELFRITZ, op. cit., col. 433.
DR, 1934, pp. 121-123. II s'agic à l'ori- 276. A commencer par sa critique fondamencale de l'idée du gouvernemenc des lois, sur laquelle il
Deutschlandsender. , revienc longuemenc dans son discours de Cologne (NS 1md Rechtsstaat) qui esc pourtant censé mar-
el, le III- Reich serait même « 1m Etat quer son reviremenc en faveur du Rechtsstaat.
, pays d11 monde » (NS 1md Rechtsstaat, 277. Streit, p. 200 s.
278. Streit, p. 197 ec 199.
279. lbid., p. 201.
ons pour s'assurer la coopéracion des 280. NS 1md Rechtsstaat, p. 717.
STOLLEIS, Geschichte, t. III, p. 332. 281. Streit, p. 201.
282. II s'agic !à d'un che,me récurrenc. Cf C. SCHM\TT, « Neue Leicsacze für die Rechcspraxis »,
d,us es fahrpl,mmãssig zttgeht. »
]W, 1933, p. 2794 (« L'Etat national-socialiste est un Etat j11Ste ») [ = Leitsãtze]; NS und Rechtsstaat,
p. 713 s; Rechtsstaat, p. 6; Streit, p. 190 ec 194; Drei Arten, p. 29. Selon H. HOFMANN, Legitimitãt
gegen Legalitãt, op. cit., p. 17, l'opposicion radicale entre les concepts de légalicé ec de Iégitimicé esc
propre à l' reuvre incégrale de Schmitt.

J
558 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel « L 'État de droi,

cien du roi-philosophe. Selon lui, « c'est justement le Rechtsstaat qui est l'antithese de la dynamiqt
contre 283 un État immédiatement juste; il est un État qui intercale des "normes fixes" tionniste au dé1
entre lui-même et la justice immédiate du cas d'espece » "'. À partir de là, Schmitt Sur ce prem
déploie une double critique a priori paradoxale, car comradictoire, à l'égard de forme n'est pas
l'idée de légalité en s'inspirant de certains lieux communs de la doctrine nazie lité, en ce qu'il
qui n'a que du mépris pour ce qu'elle appelle, avec dédain, les « paragraphes ». est tout emier
Face à l'esprit étriqué, poussiéreux et desséché des « paragraphes », de ce « droit politique » com
formei», les idéologues du régime se livrem à des hymnes élogieux au « droit de mel que la tech;
la vie » en se référant explicitement au droit du plus fort, au droit du sur- d'une tendance
homme 285 • On déclare la « guerre au formalisme », à ce mode de pensée qui « plie l'exercice in cc
la vie à la nonne et non pas la norme à la vie » w,. N ul n' a mieux symhétisé cette Gerichtsbarkeit
haine vis-à-vis des lois positives que Walther Sommer (1893-1946), cet ancien sens formel esr
fonctionnaire du NSDAP qui, comble du paradoxe, fut nommé président lisme individu:
du tout nouveau tribunal administratif du Reich, crée en 1942 par décret de précise, prospe
Hitler 187. D'apres le plus haut juge administratif du Reich, « moins il y a de droit voir politique
administratif, plus il y aura de la place pour l'art de l'administration » 1", carde d'écran protect
toute façon une« administration saine n'a rien à voir avec des paragraphes » 1". totale, mais qu
577 Schmitt reprend et amplifie les deux arguments contradictoires, enchevêtrés moins les droi
dans ce discours. Tout d'abord, il insiste sur la « neutralité » politique de la soient-ils, et pt
forme 1'º. Ouverte à tout comenu politique, la forme légale n'a pas de valeur de la loi. Ains
propre. En tam qu' ou til fonctionnel, elle est, en elle-même, « sans contenu » 1" et laws, however /
known rufe » ,,.,
dane sans valeur aux yeux d'une doctrine qui est emierement focalisée sur ce qui
fait la substance du droit, à savoir les valeurs de la vie, du Volk, de la race, etc. La ment différem
forme légale n'a pas de valeur intrinseque puisque, d'elle-même, elle n'ajoute
rien sur le fond: elle n'est qu'une simple formalité dom on ne voit pas, ou dont
on ne veut pas voir, l'imérêt. Superflues car superficielles, les formalités
292. E. FORSTH
risquem, au contraire, de retarder inutilement l'action du pouvoir politique, 293. lbid., p. 348.
lequel aurait pris la même décision, et de surcr01t plus rapidement, s'il avait pu 294. Streit, p. 197
s'en passer. Aussi l'idée de légalité est-elle l'objet d'un mépris grandissam au sein n 'importe leq11el. ·1
l'État de droit fon.
d'une partie des juristes nazis, ceux justemem qui font l'apologie de la Bewegrmg, Allerdings kann er
len Rechtsstaatlich!
ou !e theme du « ,
283. L'usage du mot contre est ici délibéré. Peu élégante, cette traduction littérale - Schmitt parle 295. Rechtsstaat, f
de« Gegenbegriffgegen ... » au lieu de« Gegenbegrijfvon ... », comme !e voudrait la formule d'usage dique garantie pai
- a !e mérite de souligner à que! point Schmitt se plait à créer et à cultiver des rapports antinomiques (Gerechtigkeit). Pa
tranchés entre les concepts. lité induisam une
284. Streit, p. 190 : « ln Wirklichkeit ist gerade der Rechtsstaat der Gegenbegriffgegen einen rmmittel- 296. F.W. MA!Tl
bar gerechten Staat; es ist ein Staat, der "feste Nonnierzmgen" zwischen sich rmd die rmmittelbare Philosophy from 1
Gerechtigkeit des Einze/falles einfiigt. » ed. by H.A.L. Fisl
285. Cf. les discours de H. FRANK et A. ROSENBERG, publiés sous le titre « Lebensrecht, nicht L. FULLER, The
Formalrecht (Vers un droit de la vie et non pas un droit formei)», DR, 1934, pp. 231-234; le discours auteur des princi1
de H. FRANK, « Aufgabe des Rechtslebens : nicht die Sicherung der Paragraphenanwendung, son- sence de contradi,
dem vor aliem Sicherung des Volkslebens (La fonction de la vie juridique: garantir non pas l'appli- tyran d'agir selon
cation des P.aragraphes, mais surtout la vie du Volk) », DR, 1934, pp. 425-427. « The Rule of La,·
286. R. HOHN, « Form und Formalismus im Rechtsleben », DR, 1934, p. 346. Fuller, est néanm•
287. Sur !e Reichsverwaltrmgsgericht, voir M. STOLLEIS, Recht im Unrecht, op. cit., pp. 190-220. not cause good exec
288. Cité ibid., p. 165. négative » de la rn
289. Cité ibid., p. 155. jeu de la question.
290. Rechtsstaat, p. 6; Streit, p. 193. oflaw qu'il comp
291. Streit, p. 193. raux. En ce sens,
/ique de l'État: le droit natttrel « L 'État de droit allemand d'AdolfHitler» 559

!e Rechtsstaat qui est l'antithese de la dynamique aux dépens de toute statique, de la "justice" concrete ou situa-
qui intercale des "normes fixes" tionniste au détriment de toute regle générale et abstraite.
·e»"'. À partir de là, Schmitt Sur ce premier discours vient se greffer un second argument, selon lequel la
ar contradictoire, à l' égard de forme n'est pas politiquement neutre. Selon ce point de vue, le principe de léga-
:lmmuns de la doctrine nazie lité, en ce qu'il renvoie à l'idée de compétence et à l'indépendance de la justice,
:c dédain, les « paragraphes ». est tout entier marqué par le libéralisme. La forme est alars un réel « probleme
; « paragraphes », de ce « droit politique » comme l' affirme Forsthoff : « Le formalisme est aussi peu purement for-
:1ymnes élogieux au « droit de mel que la technique est purement technique »m; il est, au contraire, « au service
1 plus fort, au droit du sur- d'une tendance politique ,,m_ Selon Schmitt, le « nomiativisme »"' s'oppose à
1 ce mode de pensée qui « plie l' exercice in concreto de la justice, au double sens du terme (Gerechtigkeit et
fui n'a mieux synthétisé cette Gerichtsbarkeit), parle Führer. La sécurité juridique garantie parle Rechtsstaat au
:1mer (1893-1946), cet ancien sens formei est en soi une valeur, qui plus est, une valeur prônée par le libéra-
doxe, fut nommé président lisme individualiste"" : l' obligation d' inscrire son action dans une regle générale,
, crée en 1942 par décret de précise, prospective et publique constitue une véritable contrainte pour le pou-
1 Reich, « moins il y a de droit voir politique, même à supposer qu'il maí'trise l'organe législatif. Elle sert
'e l 'administration » 2"', car de d'écran protecteur à l'égard de l'individu avec une efficacité qui n'est cerres pas
voir avec des paragraphes » 2'". totale, mais qui n'est pas non plus nulle. Le respect du à la forme garantir au
contradictoires, enchevêtrés moins les droits subjectifs reconnus par la loi positive, aussi réduits et rares
" neutralité » politique de la soient-ils, et permet à l'individu de prévoir et de se prémunir contre l'arbitraire
1rme légale n'a pas de valeur de la loi. Ainsi que le disait Frederick Maitland (1850-1906), « known general
le-même, « sans contenu »"' et laws, however bad, interfere less with freedom than decisions based on no previously
1tierement focalisée sur ce qui known rufe » ,w.. Schmitt reprend cette idée, quoique dans une optique radicale-
rie, du Volk, de la race, etc. La ment différente, lorsqu'il écrit que « ce type d'État de droit redevient malgré tout,
1e, d'elle-même, elle n'ajoute
dom on ne voit pas, ou dom
;u perficielles, les formalités
292. E. FORSTHOFF, « Der Formalismus im õffemlichen Rechr », DR, 1934, p. 347.
action du pouvoir politique, 293. Ibid., p. 348.
plus rapidement, s'il avait pu 294. Streit, p. 197 et p. 194: « Ce concept 'Jonnel" n'a certes p!us de contenu [propre1 mais il en admet
11 •~mporte leque!. Tome/ois, il ne !e fait q11 'à condition q11e ce contenu se so11mette a11 nonnativisme de
un mépris grandissant au sein
l'Etat de droit fonnel (Dieser "fonnale" Begriff hat eben keinen Inha!t mehr, lãsst aber jeden Inhalt zu.
)nt l'apologie de la Bewegung, Allerdings kann er das nttr unter der Bedingrmg, dass dieser Inha!t sich dem Normativismtts der fonna-
len Rechtsstaatlichkeit rmterwirft.) » Voir aussi Staat, Bewegung, Volk, p. 39 s et, surrour, Drei A rten
ou !e rheme du « nonnativisme » est largement trairé (p. 10 ss, p. 24 ss).
traducrion littérale - Schmitt parle 295. Rechtsstaat, p. 6; Streit, p. 192. Dans ce dernier texte, Schmitt reconnait que la sécurité juri-
Dmme !e voudrait la formule d'usage dique garamie par la légaliré est en elle-même une concrétisation de l'idée substantielle de justice
à culriver des rapporrs aminomiques ( Gerechtigkeit). Par conséquem, la légaliré et la légirimité ne som pas des spheres hermétiques, la léga-
liré induisam une forme de légirimiré minimale.
'er Gegenbegriff gegen einen rmmitte!- 296. EW. MAITLAND, « A Historical Sketch ofLiberry and Equality as Ideais ofEnglish Polirical
zwischen sich rmd die rmmittelbare Philosophy from the Time of Hobbes to the Time of Cooleridge » (1875), in id., TheCol!ected Papers,
ed. by H.A.L Fisher, Cambridge, Cambridge UP, t. I, 1911, p. 81. C'est ce qu'a démomré également
liés sous !e rirre « Lebensrecht, nicht L FULLER, The Morality o/Law, 2'' edn., 1969, New Haven, Yale UP, 1969, chap. 2. D'apres cet
», DR, 1934, pp. 231-234; !e discours aureur des príncipes formeis reis que la généraliré, la publicité, la non-rétroacriviré, la clarré, l'ab-
ng der Paragraphenanwendung, son- sence de comradicrions, la constance et la cohérence de la !oi limitem sérieusemem la capaciré d'un
~ juridique : garantir non pas !' appli- ryran d'agir selon son bon plaisir et assurent ainsi une cerraine moraliré interne du droit. J. RAZ,
i, pp. 425-427. « The Rule of Law and lts Virrue », LQR, vai. 93, 1977, p. 205 ss, tout en s'opposant à la rhéorie de

DR, 1934, p. 346. Fuller, est néanmoins d'accord pour dire que la« confonnity to it [ = mie o/law au sens formei] does
ht im Unrecht, op. cit., pp. 190-220. not cause good except through avoiding evil » (p. 206). II naus semble que cerre définition de la« va!ettr
négative »dela mie o/law, qui est censée minimiser les dangers potencieis de la !oi, résume bien l'en-
jeu de la quesrion. Par la suite, l'auteur adapte pourram une vision puremem foncrionnelle de la mie
o/law qu'il compare à un coureau aiguisé, leque! peut servir à la fois des objecrifs moraux et immo-
raux. En ce sens, la forme serait neurre.

1
560 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : !e droit naturel

en dépit de son apparente neutralité et instrumentalisation, un moyen typique de


l'individualisme libéral » 297 • À titre d'illustration, il cite !'exemple du príncipe
i « L 'État de dro

a) Le pouvoir

580 Tres tôt, desse


libéral nulla poena sine lege, leque! est inconciliable avec l'idée "juste", selon la
tique juridiqueJ
conception nazie, du « nullum crimen sine poena » 2' 8 •
klauseln) tels e
578 Selon ce double discours, la forme légale est soit superflue, car sans valeur autant « de nid!
propre, soit dangereuse, car porteuse de valeurs libérales. En pratique, cette cri- c'est-à-dire dei
tique s'avere d'une efficacité redoutable. D'un côté, elle permet au pouvoir nazi Schmitt, il va d
de profiter de la légalité tant que celle-ci sert ses propres intérêts : quoi de plus pas à un « droi1
utile, en effet, que de disposer d'un code pénal, d'un code fiscal ou de toute autre cipes éternels e
législation pour diriger et exploiter les individus? De l'autre côté, elle autorise socialiste qui,
les nazis à tout instam de se débarrasser du carcan légal si besoin en est, s'il s'agit, revient régulie1
par exemple, d'assassiner des opposants politiques ou d'autres éléments indési- mais être lue er
rables. Bref, il y a cerres des lois, mais elles ne valem que pour les autres. C'est à rer un pouvoir
la légitimation de cette tactique hypocrite que contribue l'antinomie schmit- s'agit d'un pm
tienne entre le Rechtsstaat et le Gerechtigkeitsstaat, entre la légalité positive et le cuns voient da
droit naturel nazi. « gouvememen
non seulement
B. Les ressorts théoriques de la subversion du Rechtsstaat : Lareconnai
le « konkretes Ordnungs- und Gestaltungsdenken » devient du cm1
fondement mt
579 En prônant l'existence d'un droit (naturel) au-dessus et en dehors des lois posi- l'aune de l'idé,
tives, Schmitt se fait l'un des ténors de la récusation du positivisme sous le que la simple «
ill" Reich. À ce sujet, deux aspects méritent une attention particuliere : premie- tion du pouvoi
rement, les points d'incursion de cet élément métajuridique dans le systeme tique du droit, 1
légal et, deuxiemement, la définition de son contenu. C' est la conjonction de ces tenu de ses répe
deux éléments - un droit naturel vide qui peut bouleverser à tout moment le quelle mesure, 1.
systeme de légalité - qui assure à Hitler un pouvoir discrétionnaire absolu dans lement prévisib
le modele de Schmitt. n 'est pas sans
Schmitt const~
1º Les trais leviers permettant de faire sauter l'obstacle de la légalité diques 3°6 • Lede
ill usoire et « Ít
Outre ce premier moyen qu'est le Notrecht 2" , sur leque! il n'est plus besoin gner de plus en
de revenir, les écrits de Schmitt de la période 1933-1936 mettent en évidence foi qtti est pow
deux autres mécanismes qui ont joué un rôle de premier ordre dans le déclin du coup, « la ques1
droit: il s'agit du pouvoir d'interprétation des juges (a) et du príncipe d'omni-
potence du Führer (~)-
300. Leitsãtze, p. 3
301. Jbid., p. 351.
Drei Arten, p. 48 s
302. Staat, Bewegz,
297. Rechtsstaat, p. 6. 303. Cf l'interver
298. NS zmd Rechtsstaat, p. 714; Rechtsstaat, p. 9; Streit, p. 196. SCHLING (dir.).
299. Voir C. SCHMITT, « Das Gesetz zur Behebung der Not von Volk und Reich », DJZ, 1933, p. 164 s. ..
col. 455-458 et !e compte rendu d'une conf~_rence de Schmitt à Weimar sur « Das Staatsnotrecht im 304. Cf B. RUTl
modernen Verfassungsleben » par BRODFUHRER, Deutsche Richterzeitzmg, vai. 25, 1933, pp. 254- 174 (contra legem '
255. Si ce theme dispar:ut par la suite de l'reuvre de Schmitt (cf H. HOFMANNN, op. cit., p. 180), 305. Staat, Beweg11
il ne faut pas oublier le rôle capital qu'a joué Schmitt du temps de Weimar dans la théorisation des 306. Ibid., p. 44.
pouvoirs d'exception. Cf par ex. Théologie politique, op. cit., chap. l. 307. Ibid.
que de L'État: Le droit naturel « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler» 561

isation, un moyen typique de a) Le pouvoir d'interprétation des juges


1 cite l'exemple du príncipe
580 Tres tôt, des ses Neue Leitsatze für die Rechtspraxis (Nouvelles directives pour la pra-
~ avec l'idée "juste", selon la
,X
tique juridique) de 1933, Schmitt insiste sur l'importance des standards (General-
klauseln) tels que la bonne foi, l'ordre public, les bonnes mceurs, etc. Ce sont
t superflue, car sans valeur autant « de nids de coucou (Kuckuckseie1) », pour reprendre la formule de H. Lange,
érales. En pratique, cette cri- c'est-à-dire des portes d'entrée pour les valeurs nazies dans le droit. D'apres
, elle permet au pouvoir nazi Schmitt, il va de soi que, pour combler ces lacunes, les juges doivent se référer non
·opres intérêts : quoi de plus pas à un « droit supra-étatique » 300, inserir dans les nu ages - sous-entendu les prin-
t code fiscal ou de toute autre
cipes éternels et universels des droits de l'homme -, mais à l'idéologie nationale-
De l'autre côté, elle autorise socialiste qui, seule, reflete la nouvelle réalité de l' Allemagne 301 . Par la suite, il
gal si besoin en est, s'il s'agit, revient régulierement sur ce sujet en affirmant que toute la législation doit désor-
ou d'autres éléments indési- mais être lue et interprétée à la lumiere de l'idéal nazi 302 • Le juge se voit ainsi confé-
t que pour les autres. C' est à rer un pouvoir normatif dom la portée est considérable : selon Bernd Rüthers, il
ntribue l'antinomie schmit- s'agit d'un pouvoir d'interprétation « illimité (unbegrenzte Auslegung) » et d'au-
~ntre la légalité positive et !e cuns voient dans le cas du ill' Reich une illustration paradigmatique de l'idée du
« gouvernement des juges » JOJ. Les juges se sont en effet servis de cette prérogative
non seulement pour interpréter praeter legem, mais également contra legem 10'.
,ion du Rechtsstaat : La reconnaissance de ce pouvoir normatif du juge, dont la soumission à la !oi
rltungsdenken » devient du coup factice, du moins en partie, a toutefois un cout, car elle sape le
fondement même de l'indépendance de la justice : celle-ci ne se justifie qu'à
us et en dehors des !ois posi- l'aune de l'idée que le juge ne dispose d'aucun pouvoir politique et qu'il n'est
tion du positivisme sous le que la simple « bouche de la foi», selon la formule de Montesquieu. Aussi la réac-
:ention particuliere : premie- tion du pouvoir politique ne se fera-t-elle pas attendre. « Dans la théorie et la pra-
itajuridique dans le systeme tique du droit, nous sommes déjà arrivés au point ou se pose de façon sérieuse, compte
J. C' est la conjonction de ces tenu de ses répercussions pratiques, la question épistémologique de savoir si, et dans
ouleverser à tottt moment !e quelle mesure, un tenne ou un concept utilisé parle législateur peut lier de façon réel-
r discrétionnaire absolu dans lement prévisible les personnes chargées de l'application des fois. » 305 Sur un ton qui
n'est pas sans rappeler les doctrines prônées par l'école réaliste américaine,
Schmitt constate l'incertitude et l'ambigu"ité qui frappent tous les concepts juri-
'lstacle de la légalité diques306. Le dogme de la complétude de l'ordre juridique n'est plus qu'un mythe
illusoire et « !e chemin de l'avant semble se diriger vers l'infini (Uferlose) et s'éloi-
ur leque! il n'est plus besoin gner de plus en plus des terres fennes de la sécurité juridique et de la soumission à la
i3-1936 mettent en évidence foi qui est pourtant en même temps la base de l'indépendance judiciaire » 307 . Du
~mier ordre dans !e déclin du coup, « la question "quis judicabit?" n'a jamais eu unte! poids décisif, à tout égard,
~s (a) et du príncipe d'omni-

300. Leitsãtze, p. 350, directive n" 1.


301. Ibid., p. 351, directives n" 3 et 4. Cf Staat, Bewegung, Volk, p. 43; NS zmd Rechtsstaat, p. 717;
Drei Arten, p. 48 s.
302. Staat, Bewegung, Volk, p. 43 ss; NS und Rechtsslaat, p. 717.
303. Cf l'intervention de Massimo La Torre in S. BRONDEL, N. FOULQUIER & L. HEU-
SCHLING (dir.), Gouvernement des juges et démocratie, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001,
von Volk und Reich », D}Z, 1933, p. 164 s.
Weimar sur « Das Staatsnotrecht im 304. Cf B. RÜTHERS, Die unbegrenzte Auslegung, op. c_/t., pp. 175-270 (praeter legem) et pp. 136-
ichterzeitung, vol. 25, 1933, pp. 254- 174 (contra legem = exemples cités supra note 247); I. MULLER, op. cit., pp. 90-92 et 97-127.
H. HOFMANNN, op. cit., p. 180), 305. Staat, Bewegung, Volk, p. 43.
de Weimar dans la théorisation des 306. Ibid., p. 44.
lp. 1. 307. Ibid.

j
562 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel « L 'État de droi

que de nos jours » 30'. L'affirmation de la subjectivité du juge autorise et justifie des avancé par Hit!
lors l' épuration de la magistrature de tous les étrangers à la race aryenne, qui, lequel le Fiihre
ontologiquement, sont incapables de penser correctementw', ainsi que d'autres D'apres le Kro,
mesures telles que la réorganisation de la justice, l'abolition de l'inamovibilité, lorsque, à l'inst«
la fameuse pratique des Richterbriefe - lettres secretes rédigées par le ministere suprême, de façc
de la Justice afin de guider l'action des magistrats -, sans oublier les intimida- 582 Dans ce discou1
tions de la part du parti et les corrections de jugements auxquels se livrent à la dissocier pour
fois Hitler en personne et les forces de la SS et de la Gestapo 3 'º. caractere extraj1
lité de Fiihrer, 1
13) Le príncipe du Führer ou la destruction de la hiérarchie des normes jours aussi ;uge.
Pour justifier l'i
581 À ces deux failles, somme toute classiques, vient s'en ajouter une troisieme qui celles du Moyer
est propre au national-socialisme, et qui bouleversera completement le systeme titiae, et ou les
de légalité. II s'agit du principe du Fiihrer que Schmitt a développé dans son sait en son sein
article sulfureux Der Fiihrer schiitzt das Recht, publié le 1" aoíh 1934, peu apres Pour désarmer
la nuit des longs couteaux "'. À l' époque, la doctrine se trouve face à une situa- Schmitt fait jm
tion sans précédent : dans la nuit du 30 juin et dans les jours suivants, les SS ont du Volk. Cela 1
procédé, sur ordre personnel de Hitler et en dehors de tout fondement légal, l'égard de Hitle
puisque le code pénal est toujours en vigueur, à l'assassinat de plus de 85 per- à réclamer la st
sonnes. Insensible à cette dérive terroriste du régime, dans laquelle certains de Ces derniers
ses proches ont d'ailleurs laissé leur vie, Schmitt prend la plume pour justifier au au sein de cette
contraire ces meurtres orchestrés par les titulaires même de la puissance ser les deux - p 1

publique. Pour ce faire, il ne se fonde pas, bien qu'il les cite, sur l'idée du Staats- soit l'instmmen
notrecht, selon laquelle nécessité fait loi, ou sur ce semblant de légalité qu'a justice. » 3' 7 Celt
conféré la loi gouvernementale du 3 juillet 1934 validant rétroactivement les faits table pour faire
commis durant ces trais jours 3 ' 2• II développe au contraire l'argument, déjà voit aussitôt r.i
Schmitt, de mê
comme on a pi
308. Ibid.: « Niemals hat die Frage "quis j11dicabit?" eine derart alies entscheidende Bedeutzmg gehabt n'est pas non pi
wie heute » (mis en gras par l'aureur).
309. Ibid., p. 45 : « Qu'un étranger racial fosse preuve d'zm esprit des plttS critiques, 011 qu'il s'ejforce de
tissant la hiéran
l'aiguiser en lisant et en écrivant des livres, rien n'y fait: il pense et comprend dijféremment, parce qu'il est suspendu au
appartient à une autre espece et que, dans chaque étape décisive de son raisonnement, il reste prisonnier D' ou la conclw
des conditions existentielles desa propre espece. (Ein Artfremder m,tg sich noch so kritisch gebãren zmd tion attthentiqw
noch so scharfiinnig bemtihen, mag Bzicher lesen zmd Bzicher schreiben, er denkt zmd versteht anders, weil
er anders geartet ist, zmd bleibt in jedem entscheidenden Gedankengang in den existentiellen Bedingzm- de justice suprên
gen seinereigenenArt.}» Par là som évidemment visés les juges et les juristes d'origine juive.1.e terme
« A rt (espece) » est synonyme de race chez les nazis.
310. Sur la sippression de l'indépendance de la justice, cf H. WEINKAUFF, Die deutschejustiz und
der NS. Ein Uberblick, op. cit.; A. WAGNER, Die Umgestaltzmg der Gerichtsverfasszmg und des Ver- 313. Verhandlzmge,
fahrens- zmd Richterrechts im NS Staat, 1968, Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, spéc. p. 205-222; H. WEINKAUF, L
L. GRUCHMANN, ]ustiz im Dritten Reich 1933-1940. Anpasszmg zmd Unter-werfimg in der Ara 314. Der Fzihrer, co
Gürtner, München, R. Oldenbourg, 1987; H. ROTTLEUTHNER, « Substamieller Dezisio- Augenblick der Gej:,
nismus ... », op. cit., p. 24 s; id., « Rechtsposirivismus ... », op. cit., p. 383 ss. 315. Ibid., col. 9-½6-
311. C. SCHMITT, « Der Führer schützt das Recht. Zur Reichstagsred~ Adolf Hitlers vom 13 Juli 316. Ibid., col. 948,
1934 », DJZ, 1934, col. 945-950 [ = Der Ftihrer]. Lire l'analyse de B. RUTHERS, En/drtetes Recht, n'y ait plus de com
op. cit., pp. 120-125. 317. Ibid., col. 947.
312. Gesetz tiber Massnahmen zur Staatsnotwehr du 3.7.1934 (RGB!., I, p. 529); Der Fzihrer, col. 948. 318. lbid. L'expres,
C' est sur ce texte que se fonde, en revanche, Koellreutter pour admettre la légalité des assassinats von Liszt.
( Verfasszmgsrecht, 1938, p. 13). Pourcant, auparavant, il avait affirmé l'impossibilité pour quiconque, 319. Ibid.: « ln W:,
même pour le législareur (sic Staatslehre de 1933, p. 256), de soustraire un accusé au juge ordinaire. sondem war selber h
ique de l'itat: le droit naturel « L 'État de droit allemand d 'Ado/fHitler» 563

du juge autorise et justifie des avancé par Hitler dans son discours d'autojustification du 13 juillet 1934 31 3, selon
mgers à la race aryenne, qui, lequel le Führer est la source directe ou immédiate du droit et de la justice.
ctement 10'', ainsi que d'autres D' apres le Kronjurist du III' Reich, « le Führer protege le droit contre les pires abus
'abolition de l'inamovibilité, lorsque, à l'instant du danger, il crée, en vertu desa qualité de Führer et à titre de juge
etes rédigées par !e ministere suprême, de façon immédiate du droit » 314 •
-, sans oublier les intimida- 582 Dans ce discours viennent s'imbriquer deux arguments distincts qu'il importe de
nents auxquels se livrent à la dissocier pour la clarté de l' exposé. Selon le premier argument, qui a trait au
a Gestapo"º. caractere extrajudiciaire de ces exécutions, Hitler se voit reconna1tre, en sa qua-
lité de Führer, une compétence juridictionnelle suprême. « Le vrai Führer est tou-
hiérarchie des normes jours aussi juge. De la qualité de Führer découle celle de juge », écrit ainsi Schmitt 315 •
Pour justifier l'injustifiable, ce dernier en vient à invoquer les idées d'un autre âge,
'en ajouter une troisieme qui celles du Moyen Âge et de l' Absolutisme, ou le roi était considéré être la fons jus-
era completement le systeme titiae, et ou les sujets étaient censés se fier à l'entiere sagesse d'un roi qui réunis-
:hmitt a développé dans son sait en son sein tous les pouvoirs, ce à quoi s'opposera justement Montesquieu.
lié le 1" aout 1934, peu apres Pour désarmer les critiques s'inspirant du principe de la séparation des pouvoirs,
ne se trouve face à une situa- Schmitt fait jouer aussitôt le mythe de l'unité organique du Führer, de l'État et
s les jours suivants, les SS ont du Vc>lk. Cela lui permet, de façon habile, d'exclure a priori toute méfiance à
ors de tout fondement légal, l'égard de Hitler et de faire taire définitivement la voix de ceux qui s'obstineraient
'assassinat de plus de 85 per- à réclamer la séparation du pouvoir politique (le Führertum) et de la justice 3"'.
me, dans laquelle certains de Ces derniers sont aussitôt accusés de faire le lit de la zizanie et de l' anarchie
end la plume pour justifier au au sein de cette belle unité du li' Reich. « Celui qui voudrait séparer voire oppo-
1ires même de la puissance ser les deux - prévient Schmitt - fait du juge soit un Führer opposé (Gegenführer)
il les cite, sur l'idée du Staats- soit l'instrument d'un Gegenführer et cherche ainsi à renverser l'État à l'aide de la
ce semblant de légalité qu'a justice. » 317 Celui qui oserait arguer de la nécessité d'un proces régulier et équi-
idant rétroactivement les faits table pour faire juger ceux qui sont, officiellement, accusés de haute trahison, se
u contraire l'argument, déjà voit aussitôt rangé dans le camp des complices des « ennemis ». Car, selon
Schmitt, de même que le code pénal n'est plus la« Magna Carta du criminel »
comme on a pu le dire jadis, du temps du libéralisme, le droit constitutionnel
: ,11/es elllscheidende Bedeutzmg gehabt n'est pas non plus la Magna Carta des « traítres » 318 • Le principe de légalité, garan-
tissant la hiérarchie des compétences et notamment l'indépendance de la justice,
t des p/115 critiques, 011 q11 'il s'efforce de
et comprend dijféremment, parce qu'i/ est suspendu aussitôt que le Führer a identifié un « ennemi », au sens schmittien.
~ son raisonnement, il reste prisonnier D'ou la conclusion : « En vérité, l'action du Führer constituait un acte de juridic-
mag sich noch so kritisch gebãren zmd tion authentique. Elle n'est pas soumise à la justice puisqu'elle est elle-même ceuvre
ben, er denkt 1md versteht anders, weil
:ngang in den existentiellen Bedingzm- de justice suprême. » 11 '' Puisqu'il est juge, et même juge suprême, Hitler peut à
t les juristes d'origine juive. Le terme

7EINKAUFF, Die de11tsche J11stiz und


1g der Gerichtsverfasszmg und des Ver- 313. Verh<1ndlzmgen des Reichstags, IX. Wahlperiode 1933, vol. 458, p. 30 s. Voir les extraits cités par
che Verlagsanstalt, spéc. p. 205-2~2; H. WEINKAUF, Die deutsche Justiz 1md der NS, op. cit., p. 43 s.
1ss1mg zmd Unterwerfimg in der Ara 314. Der Ftihrer, col. 946: « Der Ftihrerschtitzt das Rechtvordem schlimmsten Missbrauch, wenn er im
THNER, « Substantieller Dezisio- Augenblick der Gefahr krafi seines Ftihrertums ais oberster Gerichtsherr zmmiuelbar Recht schafft. »
it., p. 383 ss. 315. lbid., col. 946-7.
hstagsrede Adolf Hitlers vom 13 Juli 316. lbid., col. 948 ou il affirme que dans le Ftihrerstaat touce méfiance a dispam, ce qui justifie qu'il
de B. RÜTHERS, Ent,metes Recht, n'y ait plus de contrôle réciproque entre les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
317. lbid., col. 947.
GB/., 1, p. 529); Der Ftihrer, col. 948. 318. Jbid. L'expression de« Magna Charta des Verbrechers » est due au célebre pénaliste du XIX' siecle,
1r admettre la légalité des assassinacs von Liszt.
irmé l'impossibilité pour quiconque, 319. lbid.: « ln Wahrheit war die Tat des Führers echte Gerichtsbarkeit. Sie zmtersteht nicht der Justiz,
iuscraire un accusé au juge ordinaire. sondem war selber hõchste ]11stiz »

J
564 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel « L'État de,

tout moment, et de quelque façon que ce soit, intervenir dans le cours de la Jérence de n
justice. À l'instar d'un électron libre, il s'accorde ainsi le droit de se déplacer ci est posé. A:
et d'agir en toute liberté, selon son bon plaisir, au sein de l'organigramme deproductú
étatique-12º. ultérieurem
Ainsi se trouve désamorcée la critique relative au caractere extrajudiciaire de "constitutio
ces exécutions. Toutefois, Schmitt ne s'arrête pas là. Car une fois que l'on a Le princ
reconnu à Hitler le droit de se substituer aux tribunaux ordinaires, il reste à savoir ill' Reich. 1
si, sur le fond de l'affaire - en l'espece une accusation de haute trahison 111 - , il et ordonna
est lié parles articles du code pénal à l'instar du juge ordinaire. Or, d'emblée, Hitler est t1
Schmitt affirme que Hitler est le juge suprême « en vertu desa qualité de Führer » mis à mal f
et qu'à cette occasion il « crée defaçon immédiate du droit » 321 • Ce propos, qui n'a qui se trou
pas manqué d'attirer l'attention de certains observateurs 311 , implique que Hitler, toutes les 1c
en se substituant au juge de droit commun, n'est pas tenu d'appliquer les articles stituer à un
de la loi : étant lui-même la source directe du droit, il peut, dans chaque cas contredit le
d'espece, imposer une solution "juste" au mépris de ce que prévoient les « para- L'ubiquité
graphes » 11•. Bref, « le Führer détermine lui-même le contenu ainsi que la portée de limitée par
son action » 315 • le biais de
583 L'idée ainsi esquissée sera mise en reuvre à de multiples reprises par Hitler. liberté tota
Celui-ci n'est pas lié par le príncipe de la hiérarchie des normes ainsi que le que ce so1t
reconnaít ouvertement la fameuse résolution du Reichstag du 26 avril 1942 qui arbitraire, L
dispose « qu'il est hors de doute que, en ces temps de guerre, ou il en va de l'existence 584 Qualifier u
ou de l'inexistence du peuple allemand, le Führer doit disposer du droit revendiqué lence aux r
par lui de pouvoir faire tout ce qui sert ou contribue à la conquête de la victoire » 11".
En tant que chef de la nation, de l'État, de l'armée, etc., il se voit ainsi confirmer
le droit de donner des ordres à qui que ce soit, « sans être lié parles regles juridiques 329. W. BES"l
existantes » 117 • Il lui est clone loisible de révoquer tout responsable, qu'il s'agisse stverwirklich11
in welcher For
d'un officier, d'un fonctionnaire ou d'un juge, sans devoir emprunter les procé- keiten tmd For
dures disciplinaires prévues à cet effet, et sans devoir respecter les droits acquis F,ihrzmg erlas.<
conférés par la loi 12•. Cette résolution, qui ne fait qu'avaliser une situation exis- stãrkeres Rech1
cations de D.
tant delongue date, est !'ultime preuve d'une récusation totale du príncipe d'au- 330. Cf D. K!
tolimitation, que Werner Best avait déjà formulée en 1939. D'apres !ui,« tozttes nalsozialistiscl
les regles sont d'égale importance pour l'épanouissement du Volk; il n 'y a pas de dif- 149. Hitler ér:
défense du Rc
mie; 3. Le res1
de l'air; 5. Le -
320. Cf J. HECKEL, op. cit., p. 144 s. D'apres l'auteur, « !e pouvoir officiel {Ams1gewalt) d11 Ftihrer lateurs om un
n 'est pas 11ne compéience », puisque cel ui-ci dispose de tomes les compétences dont il a besoin. Par peut qu'accroi
conséquent, il se trouve « a11-desst1s de to11tes les compé1ences » qu'il peut s'arroger libremem. Toutefois, 331. Cf B. Rl
selon Heckel, cette prérogative serait limitée à des cas de circonstances exceptionnelles, le F,ihrer 332. Cf H.K!
étant supposé s'autolimiter en temps normal. Or, c'est au Ftihrer lui-même qu'il reviem de qualifier risée par Mon
la simation de normale ou d'anormale. Sa liberté est des lors totale. traire sans foi
321. Sans emrer dans ce débat, il est permis de douter de la pertinence des accusations. dique et q11e so
322. Der Ftihrer, col. 946. rm quelconq11c
323. H. LANGE, op. ci1., p. 38. Ordnzmg men,
324. q: G. KRAUSS & O. v. SCHWEINICHEN, op. cit., p. 57 s et p. 64. lité juridique, ,
325. Der Ftihrer, col. 948. p. 335: « Ceq,
326. RGBI., 1, p. 247. Le texte est reproduit in U. BRODERSEN, op. cit., p. 41. quer to11te déc1
327. Jbid. pendre 011 de 11
328. lbid. Sur le comexte de cette résolution née de la résistance d'un officier à ]'encontre d'une mesure vant. Un te! é1
disciplinaire déshonorante, prise au mépris des formes, cf D. KIRSCHENMANN, op. cit., p. 86 s. côtés positifs. L
idique de l'État: le droit natttrel « L 'État de droit allemand d'AdolfHitler'-' 565

intervenir dans le cours de la férence de rang au sein du droit concret, quelle que soit la forme dans laquelle celtti-
de ainsi !e droit de se déplacer ci est posé. Même les dispositions juridiques réglementant les compétences et les formes
ir, au sein de l'organigramme de production du droit, se trouvent modifiées par toute disposition juridique adoptée
ultérieurement avec la légitimation de la Führung suprême; elles ne forment pas une
e au caractere extrajudiciaire de "constitution" au sens d'une regle fondamentale et d'un droit supérieur » m_
>as là. Car une fois que l'on a Le príncipe de la hiérarchie des normes est de plus en plus moribond sous le
maux ordinaires, il reste à savoir ill' Reich. Déjà la distinction entre loi et constitution a disparu; celle entre loi
sation de haute trahison 31 ' - , il et ordonnance, décret, arrêté, n'est plus que nominale - et encore, car là aussi
u juge ordinaire. Or, d'emblée, Hitler est tres boheme. Même !e príncipe sacro-saint de l'unité du Führerstaat est
en vertu de sa qualité de Führer » mis à mal par l'éclatement effectif du pouvoir législatif entre plusieurs organes,
du droit » 122 • Ce propos, qui n' a qui se trouvent sur un pie1 d'égalité avec Hitler puisqu'ils peuvent contredire
:-vateursm, implique que Hitler, toutes les !ois existantes 31 º. A cette anarchie s'ajoute le fait que Hitler peut se sub-
pas tenu d'appliquer les articles stituer à un juge, ou à un fonctionnaire, en prenant une décision sur !e fond qui
droit, il peut, dans chaque cas contredit les regles générales établies par les lois, les ordonnances ou les décrets.
s de ce que prévoient les « para- L'ubiquité du Führer, qui est source d'une omnipotence absolue, n'est même pas
le contenu ainsi que la portée de limitée parle temps puisque Hitler peut, à tout moment, revenir sur !e passé par
le biais de lois et/ ou de mesures individuelles rétroactives. C' est dans cette
liberté totale de Hitler, qui refuse de se laisser enserrer par quelque contrainte
multiples reprises par Hitler.
que ce soit, même "simplement" formellen', que git la racine de son pouvoir
archie des normes ainsi que !e
arbitraire, despotique ou totalitaire.
1 Reichstag du 26 avril 1942 qui
e guerre, ou il en va de l'existence 584 Qualifier un tel régime d'ordre juridique, comme !'a fait Kelsen m, est faire vio-
ioit disposer du droit revendiqué lence aux mots puisque plus rien ne distingue l'ordre du désordre, !e droit du
e à la conquête de la victoire » m.
:e, etc., il se voit ainsi confirmer
ms être lié parles regles juridiques 329. W. BEST, « Rechtsbegriff und Verfassung ", DR, 1939, p. 1202 : « fede Regei ist fiir die Selb-
stverwirklicbzmg des Volkes gleich wicbtig; es gibt keine Rang11nterschiede des konkreten Recbtes, gleich
- tout responsable, qu'il s'agisse in welcher Fonn es gesetzt worden sein mag. A11ch die Rechtsbestimmzmgen, d11rch die die Z11stãndig-
ms devoir emprunter les procé- keiten 1md Fonnen der Rechtsetzzmg geregelt sind, werden d11rcb jede mit der Legitimation der obersten
evoir respecter les droits acquis F11bmng erlassene spãtere Rechtsbestimmzmg geãndert; sie sind nicbt "Verfasszmg" ais Gmndregel 11nd
stãrkeres Recbt. ,, II récuse par conséquent le concept d'aucolimication (p. 1203). Voir aussi les expli-
tt qu'avaliser une situation exis- cations de D. KIRSCHENMANN, op. cit., p. 22-28.
:usation totale du príncipe d'au- 330. Cf D. KIRSCHENMANN, op. cit., pp. 113-121 ec A. RAPSCH, « Gesetzgebung unter natio-
fe en 1939. D'apres lui, « toutes nalsozialistischer Gewaltherrschaft », in P. SALJE (dir.), Recbt 1md Unrecbt im NS, op. cit., pp. 138-
149. Hitler établit cinq autres législateurs à côté de !ui, à savoir : 1. Le conseil des ministres pour la
ment du Volk; il n 'y a pas de dif défense du Reich; 2. Les plénipotentiaires généraux pour l'administration du Reich et de l'écono-
mie; 3. Le responsable des plans quadriennaux; 4. Le ministre du Reich pour l'aviation et l'armée
de l'air; 5. Le • collegedes trais» (écabli en venu d'un décret secret de Hitler). Si cenains de ces légis-
~ po11voir o/jiciel (Amstge-w,ilt) d11 F11brer lateurs ont un domaine d'action précis, d'autres se trouvent en situation de concurrence, ce quine
s les compétences <lont il a besoin. Par peut qu'accro~~re la confusion au sein du régime.
1u'il peut s'arroger librement. Toutefois, 331. Cf B. RUTHERS, Die 11nbegrenzteA115/eg1mg, op. cit., p. 104 et 108.
:irconstances exceptionnelles, le F,ibrer 332. Cf H. KELSEN, Allgemeipe Staatslebre, op. cit., l 925, p. 334 ss ou il récuse la distinction, théo-
ihrer lui-même qu'il revient de qualifier risée par Montesquieu, entre l'Etat, qui un ordre juridique, et le despotisme qui est un régime arbi-
s totale. traire sans foi ni !oi. D'apres Kelsen, « l'a/jinnation q11e dans !e despotisme il n,'y a point d'ordre j11ri-
peninence des accusations. diq11e et q11e seu! l'arbitraire regne (. ..) est completement abs11rde p11isq11e même l'Etat despotique insta11re
1m q11elconq11e ordre dans les cond11ües h11maines (stel!t docb a11cb der despotisch regierte Staat irgendeine
Ordnung menschlichen Verba/tens dar). (..J Cet ordre est j11stement l'ordre j11ridiq11e. L11i ref11ser la q11a-
p. 57 s et p. 64. lité j11ridiq11e, c'est faire pre11ve de naiveté 011 d'arrogance propres au j11snat11ralisme,, (p. 334). Voir aussi
p. 335 : « Ce q11i est interprété comme de l'arbitraire n 'est que la possibilité j11ridiq11e de l'atttocrate d'évo-
tSEN, op. cit., p. 41. q11er to11te décision, de détenniner inconditionnellement les actions des organes mbordonnés et de s11s-
pendre 011 de modifier à to11t moment, que ce soit à titre général 011 partimlier, les nonnes posées a11para-
:e d'un officier à !'encontre d'une mesure vant. Un te! état est 11n état j11ridiq11e, même s'il est ressenti,négativement. Mais apres to11t il a a11ssi des
>. KIRSCHENMANN, op. cit., p. 86 s. côtés positift. L 'appel à la dictatllre q11i n'est pas si rare dans l'Etat dedroit moderne !e montre clairement. ,,
566 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l 'État : le droit naturel « L 'État de dri

non-droit. On se trouve, en effet, dans un régime proprement despotique ou il limite rempla


n'existe qu'une seule et unique regle générale: est droit ce que veut Hitler selon la personne d
son bon plaisir. Celui-ci peut faire toutes les lois qu'il veut, même les plus Fithrer, sans h
ignobles, même celles qui contredisent l'idéologie nazie puisqu'il en est l'oracle nition, toute ,
exclusif, et, en même temps, les contredire dans un cas précis, ce qui lui permet Hitler - sujei
également, en multipliant à l'infini ces cas particuliers, de mettre en ceuvre une mots couverti
persécution généralisée d'éléments sociaux jugés indésirables en l'absence de la morale à tr;
toute loi 133 • C'est en se réclamant à chaque fois du droit naturel nazi pour faire plutôt, on ne
sauter tout obstacle, sans que ce droit naturel nazi puisse à son tour constituer naturel nazi, 1
un frein à son action, que Hitler regne au sein d'un chaos. Cette fonction des- rieux, auquel
tructrice du droit naturel nazi ressort particulierement de la définition qu 'en dans sa foncti
donne Schmitt. 586 La définition
théorie de la
2° Un droit naturel « concret » et malléable selon la volonté du Führer ter son décisi,
autre raisonn,
585 Sous le li' Reich, tous les juristes qui entendem s'adapter à la nouvelle donne se dépassement
trouvent confrontés à un dilemme fondamental m_ Si, d'un côté, ils sont tenus de qu'apparent e
souscrire au dogme défendu par Hitler lui-même de l'unité indissoluble du droit cule Über dic
et de la morale võlkisch, ils se doivent en même temps d'honorer la toute-puis- quelques aut
sance de ce dernier que rien, ni même un droit naturel d' obédience nazie, ne doit méthodologi,
restreindre. Ainsi que le dit de façon particulierement explicite Herbert Krüger, socialiste du
le devoir de fidélité à l'égard du Führer est lié à sa personne et à elle seule, et non E.R. Huber,
pas au respect d'un programme idéologique, serait-ce celui du NSDAP"5. Loin résume ni en
d'être soumis à un programme rigide dont il serait un simple exécutant, à la la doctrine pc
partir d'un Ill
autrefois sow
tude « d'ordn
333. La méthode expérimemée d'abord lors des assassinats commis entre le 30 juin et le 2 juillet 1934
sera transposée à d'autres cas. Si, en 1934, Hitler croit encore nécessaire de faire valider rétroactive- tallisées auto1
ment ses actes par une loi go11·vemememale (cf loi du 3 juillet 1934, RGBI., I, p. 529), il s'en passera crite, en part
par la suite en invoquam simplement sa qualité de juge suprême et de Fzihrer. Sur ce fondement, il l'ordre; elle a,
ordonnera, par exemple, l'exécution de personnes à l'égard desquelles les tribunaux auraiem fait
preuve d'une trop grande clémence. Ce genre d'imervemion écait le plus souvent déclenché par un taine fonction
coup de tête : il suffisait que Hitler lise un commemaire critique d'une décision de justice dans un du contexte, a
journal nazi. En général, il ne prenait même pas la peine de !ire le texte du jugement ou de consul-
ter le dossier. Sur ce fondemem, il déclencha également la politique dite d' euthanasie des mal ades
memaux, qui violait ouvertement les articles 211 et 212 du code pénal allemand et pour laquelle il
rechignait à adopter une !oi, en raison des critiques exprimées par la population allemande et notam- 336. lbid., p. 15
ment parles Eglises. Pour arriver à ses fins, il ordonna l'action par un ordre secret et amidaté. Aux 337. Cf D. KIR
exécutants, il garantissait une impunité cotale en les soustrayant, en sa qualité de juge suprême, à 338. Ibid., p. 55.
coutes les poursuites de la justice (cf W. OTT, « Der Euthanasie-Befehl Hitlers vom 1 September 339. Pour un ex1
1939 im Lichte der rechtspositivistischen Theorien », in Staatsrecht in Theorie und Praxis. Festschrift SCHENMANN
R. Wálter, Wien, Manz, 1991, pp. 519-533; D. KIRSCHENMANN, op. cit., p. 26 s). De même, si zmbegrenzte Ausl
les premieres mesures de persécution des juifs furem prises, en partie, sous forme de lois publiées 340. C. SCHMI
dans le journal officiel, la solution finale résulte elle aussi d'un ordre secret de Hitler. Des lors, apres Duncker & Hui
1945, de multiples mesures nazies ont pu être condamnées par les tribunaux de la RFA pour simple pensée juridique.
illégalité, sans qu'il soit besoin de recourir à la théorie plus comroversée de la comrariété de ces actes 341. Cf C. SC!-
avcc les droits naturels de l'homme {these de Radbruch). Sur les actions d'euthanasie, cf., par ex., Rechtsdenken].
la décision du Oberlandesgericht Frankfurt du 12.8.1947, note de G. Radbruch, Szidde11tschej11risten- 342. DreiArten.
Zeit1mg, vai. 2, 1947,pp. 621-635. 343. lbid., p. 11
334. K. ANJ?ERBRUGGE, op. cit., p. 104 s; H. HOFMANN, op. cit., p. 185. zmd im Rahmen ,
335. H. KRUGER, Fzihrer zmd Fzihrzmg, op. cit., p. 150 s. Ma/3 in sich selbs1
dique de l ;État: le droit natttrel

e proprement despotique ou il
T « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»

limite remplaçable, le « Führer est le programme »"'.De par son immanence dans
567

droit ce que veut Hitler selon la personne de Hitler, l'idée du Volk a pour seule finde légitimer le pouvoir du
)is qu'il veut, même les plus Führer, sans le limiter. D'ou un droit naturel "à sens unique" qui exclut, par défi-
! nazie puisqu'il en est l'oracle nition, toute critique. Pour exorciser le spectre d'un éventuel abus de la part de
.n cas précis, ce qui lui permet Hitler - sujet tabou, s'il en est, que les juristes nazis évoquent à peine ou alors à
rliers, de mettre en ceuvre une mots couverts m - , ils se contentent de postuler telle quelle l'unité du droit et de
, indésirables en l'absence de la morale à travers la personne de Hitler. Celui-ci ne pourrait clone mal faire ou,
u droit naturel nazi pour faire plutôt, on ne saurait dire qu'il fait mal, faute de connaissances suf:fisantes. Le droit
~i puisse à son tour constituer naturel nazi, inserir dans le sang et la terre, est en effet un savoir occulte, mysté-
'un chaos. Cette fonction des- rieux, auquel on ne saurait accéder par les lumieres de la raison '". Seul Hitler,
rement de la définition qu'en dans sa fonction d'interprete, sinon exclusif du moins ultime, en détient les clés.
586 La définition que Carl Schmitt donne de ce droit naturel, à travers sa nouvelle
théorie de la « pensée des ordres et créations concretes » qui est supposée supplan-
!on la volonté du Führer ter son décisionisme de jadis, est intéressante en ce qu'elle a encore recours à un
autre raisonnement pour travestir le pouvoir discrétionnaire total de Hitler. Le
adapter à la nouvelle donne se dépassement de l'arbitraire inserir dans la théorie décisionniste n'est, en effet,
Si, d'un côté, ils sont tenus de qu'apparent comme le notent les divers commentateurs 319 • C'est dans son opus-
ie l'unité indissoluble du droit cule Über die drei Arten des rechtswissenschaftlichen Denkens"º de 1934, et dans
:emps d'honorer la toute-puis- quelques autres écrits, que Schmitt esquisse les grands traits d'une nouvelle
urel d'obédience nazie, ne doit méthodologie juridique qui se veut représentative de la conception nationale-
1ent explicite Herbert Krüger, socialiste du droit rn. Elle a été reprise par divers juristes nazis en vue comme
personne et à elle seule, et non E.R. Huber, T. Maunz, etc. À en croire Schmitt, le droit sous le ilI' Reich se
it-ce celui du NSDAP 335 • Loin résume ni en un ensemble de « normes », comme ce fut le cas, par exemple, dans
rait un simple exécutant, à la la doctrine positiviste du XIX' siecle, ni en une « décision » fondamentale qui, à
partir d'un néant, jette les bases de l'unité politique, comme lui-même le prônait
autrefois sous Weimar. Le droit nazi est constitué, au contraire, par une multi-
tude « d'ordres concrets ». Le droit est essentiellement formé d'institutions cris-
nmis entre le 30 juin et le 2 juillet 1934
nécessaire de faire valider rétroactive- tallisées autour d'une « substance juridique » qui leur est propre et qui est trans-
1934, RGBI., I, p. 529), il s'en passera crite, en partie, dans des regles formelles" 2• « La norme ou la regle ne crée pas
me et de F,ihrer. Sur ce fondement, il l'ordre; elle a seulement, sur le fondement et dans le cadre d'un ordre donné, une cer-
desquelles les tribunaux auraient fait
ftait le plus souvent déclenché par un taine fonction régulatrice; en cela elle jouit d'une validité autonome, indépendante
que d'une décision de justice dans un du contexte, assez réduite. » m L' on serait ainsi tenté de situer les idées de Schmitt
ire le texte du jugement ou de consul-
llitique dite d' euthanasie des malades
)de pénal allemand et pour laquelle il
par la population allemande et notam- 336. Ibid., p. 151.
n par un ordre secret et antidaté. Aux 337. Cf D. KIRSCHENMANN, op. cit., p. 54 ss.
•ant, en sa qualité de juge suprême, à 338. Jbid., p. 55, 74.
tasie-Befehl Hitlers vom 1 September 339. Pour un exposé et une critique desa théorie, cJ. -~- HOFMANN, op. cit., pp. 17~~187; D. KIR-
srecht in Theorie 1md Praxis. Festschrift SCHENMANN, op. cit., pp. 29-36; K. ANDERBRUGGE, op. cit., pp. 98-120; B. RUTHERS,Die
1ANN, op. cit., p. 26 s). De même, si 1mbegrenzte A11sleg11ngt op. cit., pp. 277-302; id., Entartetes Recht, op. cit., pp. 59-76.
~n pareie, sous forme de !ois publiées 340. C. SCHMITT, Uber die drei Arten des rechtswissenschaftlichen Denkens {1934), 2· éd., Berlin,
ordre secret de Hitler. Des lors, apres Duncker & Humblot, 1993, 55 p. [Drei Arten]. Voir la trad. fr. : C. SCHMITT, Les trais types de
r les tribunaux de la RFA pour sim pie pensée j11ridiq11e, trad. M. Kéiller & D. Séglard, présentation de D. Séglard, Paris, PUF, 1995.
1troverséc de la contrariété de ces actes 341. Cf C. SCHMITT, « Nationalsozialistisches Rechtsdenken », DR, 1934, pp. 225-229 [ = NS
- les actions d' euthanasie, cf., par ex., Rechtsdenken ].
de G. Radbruch, S11dde11tsche]ttristen- 342. DreiArten, p. 17.
343. Jbid., p. 11: « Die Nonn oder Regei schaffi nicht die Ordn11ng; sie hat vielmehrn11ra11fdem Boden
N, op. cit., p. 185. 11nd im Rahmen einer gegebenen Ordn11ng eine gewisse reg11lierende Funktion mit einem relativ kleinen
Ma/3 in sich selbstãndiger, von der Lage der Sache 11nabhãngigen Geltens. »

l
568 Les enjeux théoriques de la fondation juridique de l'État: le droit natttrel « L 'État de dro;

dans le droit fil de la pensée institutionnelle d'auteurs aussi variés que Aristote, à la légitimité,
saint Thomas d'Aquin, Luther, Hegel, Hauriou, qu'il cite du reste à l'appui de Bref, on en rev
sa démonstration. Le pouvoir politique, en l'espece Hitler, se trouverait par « Hir gilt : "Dc1
conséquent limité par « l'essence » ou l'être des institutions « données » "', qu'il 587 À la fin, lorsq 1
ne saurait méconnartre. balayés, qu'il s
Or Schmitt prend soin de se démarquer de cette lignée en faisant remarquer plus qu'à se ta
qu'il ne s'agit pas pour !ui de faire l'apologie d'une restauration ou de tout autre par son franc f
projet conservateur. Cela l'amene d'ailleurs à récuser !e terme d'institution au de vue théoriq
profit de l'expression plus ambivalente de « konkrete Ordnung und Gestaltung II n'y aquele 1
(un ordre et une création concrets) » 345 • La formule est loin d'être anodine; elle tra- seu! un vacarrr
duit parfaitement la spécificité et l'ambigu"ité de la démarche de Schmitt. II faut se taire soi-mê:
tout d'abord saisir l'importance cruciale de la dimension « concrete » de ces occuper l' espa
ordres. Depuis que Schmitt a fait sienne la these de la« banqueroute des idées géné- tissement de e,
rales »"'', il n' est à ses yeux de concepts juridiques que les concepts concrets, il seurs : « Das D,
n' est de droit que la substance concrete des ordres concrets w. Or, à force de zuhalten, das h1
détruire la dimension abstraite et générale du droit, qui fait que celui-ci puisse
s' élever au-dessus du cas individuei et prétendre à la qualité de regle, Schmitt
contribue à la confusion du fait et du droit. De par sa définition situation-
niste du droit - chaque ordre concret empane en lui-même sa propre norme
concrete -, il autorise Hitler, qui seul peut définir ce qu'est la substance de tel 588 L'image comn
ou tel ordre, à agir en toute liberté, au gré des cironstancesm. Car, contrairement cipliné et légal
à ce qu'il affirme quant au caractere « donné » de ces ordres, il revient à Hitler de tables défis po;
« créer » ces « nouveaux » m ordres conformes à l'idéologie nazie que sont le pay- est instructive
san vertueux, le soldar courageux, le fonctionnaire loyal, la famille pure d'un s1ne, en creux,
point de vue racial, etc., qui n'ont pas encare d'existence. La soi-disant réalité de lités libérales e
ces ordres concrets n'est qu'imaginaire et n'existe qu'à titre de chimere dans l'es- Fuller, du prin
prit de Hitler qui, d'en haut, en impose la création par vaie de lois 1;º. Schmitt a cun secours fac
ainsi réussi son pari : apres avoir détruit la légalité grâce à un recours incessant dérives tentacl
absolu en se l:
processus de p,
344. Ibid. II dira encore que ces ordres concrets sont « l'expression vivante de la réa!ité actuelle », le contredire les ,
fruir d'une croissance naturelle du Volk allemand (NS Rechtsdenken, p. 228). Tout semble indiquer
qu'il s'agit d'une conception réaliste, au sens classique, du droit, leque! puiserait ses racines dans un
Sein, dans un êrre donné.
345. Drei Arten, p. 48. 351. C. SCHMIT
346. NS Rechtsdenken, p. 225: « Panni les expériences et renconlres marquantes qzti m'ont poussé, en (« lei s'appliq'.!e la_/
tqnt que j11riste, vers le national-socialisme figure zm entretien avec zm juriste mondialement célebre des 352. H. KRUGEI
Etats-Unis, ·vieux de plus de 70 ans, qui, en 1932, a11 terme de ses m11ltiples voyages et fort de son expé- et de la Ftilmmg ,,
rience d11 monde contemporain, me résuma son di,,gnostic de la situation actuelle dans la phrase suivante: Führzmg et deles fi:
"Nous vivons aclllellement la banqueroute des idées générales. » » (L' expression « idées générales » appa- empêchées. (. ..) Ce
ra1t en français dans le texte original.) tionnelle d11 Fzihrc
347. Cf la critique cinglame du tout concret par O. KOELLREUTTER, Recht zmd Richter, p. 211 des Fzihrers zmd de
et note 10. Ftihrzmg z11 scha/J;
348. En ce sens déjà: W. KÃGI, « Rechtsstaat und Demokratie », in Festschrifi Z. Giacometti, ºP,· cit., sondem gerade ,,l!t-
p.119 note 39. Cf aussi, par analogie, la célebre critique de l'existemialisme en droit par J. RIVERO, Selbsthemmzmg de,
« Apologie pour les faiseurs de systemes », Dalloz, 1951, chron. n·· XXII!, pp. 99-102. Wesen zmd seine E,
349. Cf:. NS Rechtsdenken, p. 228 et les extraits de Schmitt cités par H. HOFMANN, op. cit., p. 196 353. Ibid., p. 152.
et B. RUTHERS, Entartetes Recht, p. 66. 354. Ibid. : « lei/.
350. En ce sens: H. HOFMANN, op. cit., p. 182 ss, 196 s; K. ANDERBRÜGGE, op. cit., p. 117 s; 355. Sur cette « ,w
D. KIRSCHENMANN, op. cit., p. 33 ss; B. RÜTHERS, Entartetes Recht, p. 70-75. et Recht im Unrecl
1
dique de l'État : le droit naturel « L 'État de droit allemand d 'Adolf Hitler» 569

teurs aussi variés que Aristote, à la légitimité, il dissout celle-ci en l'identifiant à la volonté arbitraire de Hitler.
qu'il cite du reste à l'appui de Bref, on en revient à la formule tapageuse lancée par le même Schmitt en 1932 :
pece Hitler, se trouverait par « Hir gilt : "Das Reste in der Welt ist ein Befehl. " » 351
1stitutions « données » 3H, qu'il 587 À la fin, lorsque tous les obstacles potentiels à la toute-puissance de Hitler sont
balayés, qu'il s'agisse des lois positives ou du droit naturel nazi, le juriste nazi n'a
:te lignée en faisant remarquer plus qu'à se taire. À suivre Herbert Krüger 35', qui se distingue une fois de plus
e restauration ou de tout autre par son franc parler, il est vain, il est même imerdit de vouloir saisir d'un point
:user le terme d'institution au de vue théorique le pouvoir du Führer. Le conceptualiser, c'est encore le limiter.
érete Ordnung und Gestaltung Il n'y aquele silence de l'esprit qui rend honneur au génie de Hitler, silence que
st loin d'être anodine; elle tra- seul un vacarme ambiant peut instaurer. En bon juriste nazi, il ne suffit pas de
a démarche de Schmitt. li faut se taire soi-même; encore faut-il empêcher les autres de réfléchir 353 • Il faut donc
limension « concrete » de ces occuper !'espace de la doctrine pour parler sans rien dire, afin d'éviter l'inves-
i la « banqueroute des idées géné-
tissement de ce lieu de pensée par ceux auxquels il est destiné, à savoir les pen-
s que les concepts concrets, il seurs : « Das Denken hat hier die A ufgabe, das Denken von diesem Gegenstand fem-
res concrets 347 • Or, à force de zuhalten, das heisst sich selbst zu beschrãnken » 354 • Le juriste a cessé d'être juriste 355 •
>it, qui fait que celui-ci puisse
à la qualité de regle, Schmitt
e par sa définition situation-
:n lui-même sa propre norme
ir ce qu'est la substance de tel
588 L'image communément véhiculée du III' Reich comme un régime ordonné, dis-
tstances 348 • Car, contrairement cipliné et légaliste reste en deçà de la réalité. Elle l'embellit, en occultant les véri-
!S ordres, il revient à Hitler de
tables défis posés par cet exemple extrême. La dérive chaotique du régime nazi
léologie nazie que sont le pay- est instructive à plus d'un titre sur la théorie juridique de l'Etat, dont elle des-
re loyal, la famille pure d'un sine, en creux, les grandes lignes. Ainsi, la théorie de Koellreutter illustre les qua-
stence. La soi-disant réalité de lités libérales du principe de sécurité juridique. Les vertus morales, au sens de
1u'à titre de chimere dans l'es-
Fuller, du príncipe de légalité som, certes, relatives, puisque celui-ci n'est d'au-
1 par voie de lois 350 • Schmitt a
cun secours face à des lois liberticides; mais il permet au moins de s' opposer aux
f grâce à un recours incessant dérives tentaculaires d'un pouvoir despotique, qui entendrait régner en maítre
absolu en se laissant guider par les inspirations spontanées de son "génie". Le
processus de personnalisation du pouvoir, qui se déploie sous le nazisme, vient
,ion vivante de la réalité actuelle », !e contredire les efforts séculaires en vue de l'instauration d'un pouvoir abstrair et
mken, p. 228). Tom semble indiquer
t, leque! puiserait ses racines dans un

351. C. SCHMITT, Legalitãt 1md Legitimitãt (1932), 5· éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1993, p. 13
1tres marq11antes q11i m 'ont po11ssé, en (« lei s'appliqi!e la fonn11le: «un ordre est ce qu'il y a de mieux dans /e monde."»).
ic tm j11riste mondialement célebre des 352. H. KRUGER, Frihrer tmd Frihrrmg, op. cit., p. 151 s: « La réjlexion sur les questions d11 Frihrer
m11ltiples voyages et fort de son expé- et de la Ftihrnng n'a plus comme autrefois comme fonction d'élaborer des concepts d11 Frihrer et de la
ration act11elle dans la phrase s11ivante: Ftihmng et deles jixer ainsi (. ..); a11 contra ire, to11tes ces conséq11ences de la pensée doivent justement être
L' expression « idées générales » appa- empêchées. (. ..) Ce n 'est que par une telle a11tocenst1re de la pensée que la personnalité 1mique et excep-
tionnelle d11 Führer, qui fait son essence et son originalité, est préservée. (Das Durchdenken der Fragen
EUTTER, Recht rmd Richter, p. 211 des Ftihrers tmd der Frihrrmg hat nãmlich nicht mehr wie frriher den Zweck, Begriffe ·von Ftihrer tmd
Frihnmg zu schajfen 1md d11rch eine solche Begriffsbestimmrmg Frilmmg rmd Ftihrer festwlegen (. ..),
», in Festschrifi Z. Giacometti, op_. cit., sondem gerade alie diese Folgen des Denkens sollen verhindert werden. (. ..) Nur d11rch eine solche bewusste
;cemialisme en droit par J. RIVÉRO, Selbsthem1111mg des Denkens wird der Ftihrer ais die einmalige und einzigartige Person erhalten, die sein
Il' XXIII, pp. 99-102. Wesen rmd seine Eigenart ausmacht.) ,,
par H. HOFMANN, op. cit., p. 196 353. Ibid., p. 152.
354. Jbid. : « lei la pensée a po11r mission d'écarter la pensée de cet objet, c'est-à-dire de s'a11tolimiter. »
1.NDERBRÜGGE, op. cit., p. 117 s; 355. Sur cette « ,wtodestmction,, de la science juridique, cf M. STOLLEIS, Geschichte, t. III, p. 318 ss
'tetes Recht, p. 70-75. et Recht im Unrecht, p. 138 et 143.
570 Les enjeux théonques de la fondation juridique de l'État: le droit naturel

anonyme, qui n'agit qu'en vertu des lois, et qui n'est autre que l'Étac. Le
III< Reich marque ainsi un net déclin de l'idée moderne de l'État.
Parmi les facteurs qui om joué un rôle décisif dans le dépérissement de l'ordre
juridique étatique sous les nazis, on retiendra surtout le recours à l'état d'excep-
tion ainsi que l'usage du droit naturel volkisch. Les deux moyens permettent, en
effet, de faire suspendre la légalité selon les v~ux du pouvoir en place. La dua-
lité du systeme, décrite par Fraenkel, illustre l'hypocrisie de Hitler et de ses col-
laborateurs qui entendem conserver un pouvoir discrétionnaire absolu, tout en
maintenant, du moins en partie, un systeme de légalité. Le rôle néfaste joué par
le droit naturel nazi doit égalemem être souligné : en rendam spongieux les der-
nieres barrieres érigées par la légalité, il a servi de porte d'emrée à l'arbitraire du
pouvoir. Au vu de l'expérience de l'Allemagne nazie apparaí't le dilemme que
peut ressentir un juriste à l'égard de l'idée du droit naturel : celle-ci est à la fois LES
une nécessité logique, puisqu'elle est la clé de voute de la construction juridique
de l'État, et, en même temps, un défi majeur, n'étant poim immunisée contre
des abus.

589 Apres avoir é


de droit du p<
rifier ses enje
du pouvoir d
Le phénome1
de l'Étatded1
de la rufe ofl.
la controvers
niere notion,
il importe de
trop souvent

Chapitre 1.
Chapitre 2.
Une analyse

* Cf S. BROT'
démocratie, Pari
lique de l'Êtat: le droit naturel

ui n' est autre que l'État. Le


derne de l'État .
.ns le dépérissement de l'ordre
)Ut le recours à l'état d'excep-
; deux moyens permettent, en
du pouvoir en place. La dua-
,ocrisie de Hitler et de ses col-
iscrétionnaire absolu, tout en
;alité. Le rôle néfaste joué par
en rendam spongieux les der-
)Orte d'entrée à l'arbitraire du Titre 2
azie apparait le dilemme que ,
:C naturel : celle-ci est à la fois LES LIENS ENTRE LA DEMOCRATIE,
e de la construction juridique
tant point immunisée contre LE DROIT ET LA JUSTICE
CONSTITUTIONNELLE

589 Apres avoir étudié les questions fonda~entales que souleve le discours de l' État
de droit du point de vue de la théorie et de la philosophie du droit, il reste à cla-
rifier ses enjeux institutionnels. Au c~ur du débat se situe l'ascension fulgurante
du pouvoir des juges en général et de la justice constitutionnelle en particulier.
Le phénomene n'a pas tardé de susciter en réplique la dénonciation d'une dérive
de l' État de droit vers le gouvemement des juges, du Rechtsstaat vers le Richterstaat,
de la rule oflaw vers la rule ofjudges';. En France, cette critique a rebondi lors de
la controverse sur la supraconstitutionnalité. Mais, avant de préciser cette der-
niere notion, en s'inspirant notamment de l'expérience allemande en la matiere,
il importe de tirer au clair certains postulats théoriques sous-jacents qui restent
trop souvent occultés.

Chapitre 1. De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique


Chapitre 2. Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle.
Une analyse dogmatique comparative

•· Cf S. BRONDEL, N. FOULQUIER & L HEUSCHLING (<lir.), Gouvemement des juges et


démocratie, Paris, Publicacions de la Sorbonne, 2001.

l
Le rappon
de droit, pou1
damentales de

a) Un bref ªI

590 L'idée de la dé
antique, elle i

1. Sur !e concept
J. RITTER (dir.).
gesellschaft, 1972
t. I, 1985, col. 1
Staatslexikon, 3° é
P.RAYNAUD&
P. BOURETZ, «
1" éd., Paris, Put
coll. points, 1997
2. La littérature s
Berlin, Duncker
ihrem gegenseitigc
nomie und Syntl
scher Verlag, 195.
Zürich, Orell Fü
Verlag, 1954; F.A
sierung des Rech 1
(dir.), Menschenrc
kratie. Die polan
176; P. HÃBERL
SEE & P. KIRCI-1
pp. 845-849; A.C
(dir.), Rufe o/ La,
rechtliche und d,
Chapitre 1
,
De la démocratie et de l'Etat de droit
Une étude théorique

Le rapport au sein de ce binôme classique formé par la démocratie' et l'État


de droit, pour reprendre la formule d'usage, constitue l'une des questions fon-
damentales de la philosophie politique et de la science constitutionnelle'.

a) Un bref aperçu historique

590 L'idée de la démocratie n'a pas suscité quedes éloges. Déjà du temps de la Grece
antique, elle inspirait un vif mépris à Platon qui stigmatisait la versatilité et l'in-

1. Sur le concept de démocratie, voir à titre indicatif: G. BIEN & H. MAIER, « Demokratie », in
J. RITTER (dir.), Historisches Wõrtf!!b11ch der Philosophie, t. II, Darmstadt, Wissenschaftliche Buch-
gesellschaft, 1972, col. 50-55; M. HA TTICH & E. BENDA, « Demokratie », in Staatslexikon, 7' éd.,
t. I, 1985, col. 1182-1201; R. BÃUMLIN, « Demokratie », in R. HEI\ZOG (dir.), Evangelisches
Staatslexikon, 3' éd., t. I, Stuttgan, Kreuz, 1987, col. 458-469; J.-E KERVEGAN, « Démocratie », in
P. RAYNAUD & S. RIALS (dir.), Dictionnaire dephilosophi~politique, Paris, Puf, 1996, pp. 127-133;
P. BOURETZ, « Démocratie », in O. DUHAMEL & Y. MENY (dir.), Dictionnaire constit11tionnel,
1" éd., Paris, Puf, 1992, pp. 283-288; P. BRAUD, Science politique. 1. La démocratie, Paris, Seuil,
coll. poims, 1997.
2. La littérature sur ce sujet est abondante. Cf, par ex., C. SCH\yUTT, Verfassungslehre (1928), 8' éd.,
Berlin, Duncker & Humblot, 1993, §§ 16-17, p. 200 ss; J.. THUR, Demokratie und Liberalism11s in
ihrem gegenseitigen Verhãltnis, these, Zürich, 1944; W. KAGI, « Rechtsstaat und Demokratie (Ami-
nomie und Symhese) », in Demokratie 1md Rechtsstaat. Festgabe Z. Giacometti, Zürich, Polygraphi-
scher Verlag, 1953, pp. 107-142; ?,. GIACOMETTI, Die Demokratie ais Hiiterin der Menschenrechte,
Zürich, O reli Füssli, 1954; R. BAUMLIN, Die rechtsstaat!iche Demokratie, Zürich, Polygraphischer
Verlag, 1954; EA. HAYEK, Die Verfasszmg der Freiheit, op. cit., chap. VII; D. GRIMM, « R~_formali-
sierung des Rechtsstaats ais Demokratiepostulat? »,fuS, 1980, pp. 704-709; J. SCHWARTLANDER
(dir.), Menschenrechte 1md Demokratie, Kehl, Engel, 1981; J. ISENSEE, « Grundrechte und Demo-
kratie. Die polare Legitimation im grundgesetzlichen Gemeinwesen », Staat, vol. 20, 1981, pp. 161-
176; P. HÃBERLE, « Die Menschenwürde ais Grundlage der staatlichen Gemeinschaft », in J. ISEN-
SEE & P. KIRCHHOF (dir.), Handbuch des Staatsrechts der BRD, Heidelberg, Müller, t. I, 1987, spéc.
pp. 845-849; A.C. HUTCHINSON & P. MONAHAN, « Democracy and the Rule of Law », in eid.
(dir.), Rufe of Law: Ideal or Jdeology?, Carswell, Toronto, 1987, pp. 97-123; C. STARCK, « Grund-
rechtliche und demokratische Freiheitsidee », in J. ISENSEE & P. KIRCHHOF (dir.), op. cit., t. II,
574 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle

culture de la foule. De !à nalt l'opposition classique entre le regne du nombre et


!e regne de la raison '. Les fondateurs de la Cité d' Athenes qui, de 507 jusqu'à 322
i
1
De la démoc;

agite les spé,


sur l'absenc
av. J.-C., s'enorgueillit d'être une démocratie, n'étaient pas dupes des risques autres' argll(
d'une dérive démagogique. À titre préventif, ils instituerent deux mécanismes extrair tiré d
- les nomothetai et la graphe paranomôn - dans lesquels on a tendance de nos « le principe 1
jours à voir une premiere ébauche, mutatis mutandis, du constitutionnalisme deux signific
moderne'. Les nomothetes étaient des citoyens élus par l'assemblée populaire, et gowuernan
la ecclesia, qui avaient le droit de récuser les lois adoptées par celle-ci. Quant à la 591 Quoi qu'il e
graphe paranomôn, il s'agit d'une action pénale intentée devam le tribunal du fiées avec l'é1
peuple contre l'auteur d'une proposition de loi ou d'une loi déjà adoptée, jugée sur plusieurs
contraire à certaines lois fondamentales;. liberté indiv
La comparaison de la démocratie contemporaine avec la démocratie antique un simple an
reste toutefois sujette à caution tant la nature de celle-ci prête à discussion. N'est- s'ajoute l'in1
ce pas Constam qui en 1819, dans son célebre discours à l'Athénée royal de de facto impc
Paris", avait lancé l'idée selon laquelle les Grecs connaissaient cerres la liberté présence d'u
politique, mais ignoraient la notion, chere aux Lumieres, de la liberté indivi- au monde de
duelle? Depuis, le débat sur le caractere a-libéral de la démocratie athénienne veau cadre C<
Celui-ci est e
de démocrati
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cratie - justice conscitutionnelle. 11. Cf].-F. KEI
3. Cf pour le XIX' siecle P. ROSANVALLAN, Le moment G11izot, Paris, Gallimard, 1985, p. 75 ss. 12. Cf P. BRAL
4. M. CAPPELETTI, Le pouvoir des juges, Paris, Economica, 1990, p. 183 s; J. ELSTER & R. SLAG- Jellinek appelait
STAD (dir.), op. cit., p. 2. Plus critique: P. BRAUD, op. cit., p. 25. 13. W. SCH!Ll
5. Pour plus de précisions, cf. M.H. HANSEN, La démocratie athénienne à l'époque de Démosthene. heic », in J. SCH
Stmcture, príncipes et idéologie, Paris, Les Belles lettres, 1993, p. 195 ss et p. 241 ss. 14. N. BOBBIC
6. B. CONSTANT, « De Ja liberté des anciens comparée à celle des modernes » (1819), in id., De la 15. Cf H. HEI
liberté chez les Modernes. Ecrits politiqttes, éd. par M. Gauchet, Paris, Livre de poche, coll. pluriel, Voir aussi A. Ml
1980, p. 491 ss. (3. bis 6. Septemh
t et la jusúce constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 575

entre le regne du nombre et agite les spécialistes de l'histoire et de la théorie politique. Si les uns 7 insistent
henes qui, de 507 jusqu'à 322 sur l'absence d'une théorie des droits naturels, à caractere pré-étatique, les
taient pas dupes des risques autres' arguent d'un faisceau d'indices contraires, à commencer par un célebre
1stituerent deux mécanismes extrait tiré du Livre VI de La politique d' Aristote. En effet, d' apres le Stagirite,
:squels on a tendance de nos « le príncipe de base de la constitution démocratique, c'est la liberté » • prise dans ses

idis, du constitutionnalisme deux significations. « L 'une des formes de la liberté c'est d'être tour à tour gouverné
1s par l'assemblée populaire, et gouvemant. (. ..) Un autre signe [de la liberté] c'est de vivre comme on veut. » 10
,ptées par celle-ci. Quant à la 591 Quoi qu'il en soit, les données de la question se trouvent profondément modi-
tentée devam le tribunal du fiées avec l'émergence de la modernité à partir du XVI' siecle 11 • La césure se situe
d'une loi déjà adoptée, jugée sur plusieurs plans. Elle a trait, tout d'abord, au rôle désormais primordial de la
liberté individuelle. Celle-ci devient la fin d'une société politique définie comme
e avec la démocratie antique un simple artefact et non plus comme un ordre naturel au sens d' Aristote. À cela
e-ci prête à discussion. N'est- s'ajoute l'introduction de mécanismes représentatifs, sans lesquels il devient
scours à l' Athénée royal de de facto impossible d'envisager une quelconque démocratie, sans oublier enfin la
)nnaissaient cerres la liberté présence d'un appareil bureaucratique étatique qui, en tant que tel, est étranger
1mieres, de la liberté indivi- au monde des cités grecques 12 • La démocratie se conçoit également dans un nou-
ie la démocratie athénienne veau cadre conceptuel qui est celui de la figure métaphorique du contrat social.
Celui-ci est d'ailleurs, ce qui mérite d'être noté, la matrice à la fois du concept
de démocratie et de celui de Rechtsstaat '3, ce qui laisse entrevoir un lien généalo-
gique intime entre ces deux «freres ennemis » ". L'idée de liberté, sous son double
nalism and Democracy, Cambridge, aspect politique et individue!, se reflete en effet dans la structure même du
:lle et démocratie », RFDC, 1990,
·d Kingdom and the United States of contrat social. On peut distinguer trois dimensions dans le contrat social : une
~fiques, t. 1, 6' éd., Paris, Puf, 1991, dimension formelle ou juridique (au sens technique), matérielle ou philoso-
. Le débat, 1991, n·· 64, pp. 158-162; phique et, enfin, interindividuelle ou sociologique 15 •
J », in id., Staat, Verfassung, Demo-
2' éd., Frankfurt, Suhrkamp, 1992, 592 Bien qu'il ne soit qu'une simple métaphore, le contrat social évoque tout
1stirutional Rights », OJLS, vol. 13, d'abord l'idée d'un écrit, d'un texte juridique positif, et débouche ainsi sur l'apo-
nokratie », in E. BENDA, W. MAI-
s, 2' éd., Berlin, De Gruyter, 1994, logie du constitutionnalisme écrit. De ce point de vue, le contrat social fait figure
rie. Rechts- 1md demokratietheore- d'instrmnentum, de contenant dans lequel est couché l'accord desmembres de
J, 1994; K. HESS E, Gmndz1ige des la société sur certains points jugés fondamentaux. 11 fixe des lors un certain cadre
118 ss ; J. LAWS, « Law and Demo-
Réflexions sur la légitimité du droit
universitaires de Saint-Louis, 1995;
f, 1996; J. HABERMAS,Faktizitãt 7. Cette these, que l'on trouve déjà sous la plume de Hobbes (Léviathan, chap. XXI), fut reprise au
!ratischen Rechtsstaats, 5' éd., Frank- XIX' siecle par N.-D. FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique, Paris, 1864. De nos jours,
/ deliberative Demokratie. Elemente cf M.I. FINLEY, Démocratie antique et démocratie moderne, trad. de l'angl., 2' éd., Paris, Payot, 1990;
997; S. GOSEPATH & G. LOH- P. Graf KIELMANSEGG, « Demokratiebegründung zwischen Menschenrechten und Volkssou-
durt, Suhrkamp, 1999 (biblio.); veranitat », in J. SCHWARTLÃ.NDER (dir.), op. cit., p. 99 ss; H. DREIER, « Art. 20 (Demokratie) »,
\l"N (dir.), Recht aufMepscherzrechte. in id. (dir.), Gmndgesetz Kommentar, t. II, Tübingen, Mohr, 1998, p. 22 ss.
rt, Suhrkamp, 1999; E. PICARD, 8. M.-H. HANSEN, op. cit., pp. 100-114; F.A. HAYEK, op. cit., chap. XI, p. 199 ss.
e européen », in S. BRONDEL, 9. ARISTOTE, Les Politiques, trad. P. Pellegrin, Paris, GF-Flammarion, Livre VI, chap. 2, p. 417
des juges et démocratie, Paris, Publi- (1317a, 40).
69 les références sur le débat démo- 10. lbid., p. 417-41?.
11. Cf ].-F. KERVEGAN, op. cit., p. 129.
:ot, Paris, Gallimard, 1985, p. 75 ss. 12. Cf P. BRAUD, op. cit.,,p. 30 ainsi que la critique fondamentale de O. Brunner comre ce que
O, p. 183 s; J. ELSTER & R. SLAG- Jellinek appelait encare « l'Etat » des anciens Grecs.
'.5. 13. W. SCHILD, « Freih_~it - Gleiheit - "Selbstandigkeit" (Kant) : Strukturmomente der Frei-
thénienne à l'époque de Démosthene. heit », in]. SCHWARTLANDER (dir.), op. cit., p. 143; C. STARCK, op. cit., Rn. 12, p. 8 s.
195 ss et p. 241 ss. 14. N. BOBEIO, op. cit., p. 116.
des modernes » (1819), in id., De la 15. Cf H. HELLER, « Die Krisis der Staatslehre », in Gesammelte Schrifien, t. II, op. cit., p. 6 s.
Paris, Livre de poche, coll. pluriel, Voir aussi A. MENZEL, « Narurrecht und Soziologie », in Festschrifi zum 31. Deutschen ]11ristentag
(3. bis 6. September, Wien 1912), Wien, C. Fromme, 1912, pp. 5-60.
576 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocrai

spatio-temporel à la politique. Quoiqu'étam un acte daté, !e texte constitution- Cette visior


nel jouit d'une certaine rigidité et prétend vouloir régir l'action des générations qu'est la doctr
à venir. Ce faisant, il imprime à la société politique une vision dédoublée du courants idéol,
temps en distinguam, d'une part, le temps plus lem et plus stable des príncipes leux selon les 1
fondamentaux et, d'autre part, celui plus rapide et plus éphémere de la politique Encore faut-il
quotidienne 11•• Le deuxieme élémem du comrat social est constitué par son objet rapport entre e
- à savoir l'existence, les fonctions ainsi que les modalités de fonctionnemem ment exclusif
de l'État -, sur leque! tous les participants tombem d'accord. Du moins, en tant saxonne 20 • En
qu'agems raisonnables, ils som susceptibles d'être d'accord avec le príncipe des tôt consensuel
droits de l'homme et de la séparation des pouvoirs. Par là on aborde directemem individuelle et
le troisieme élément, sociologique ou interindividuel, du contrat social qui na1t, taxation witho1
comme on l'a dit, de l'accord unanime des futurs membres de la société poli- tension progre
tique. Le contrat social préfigure ainsi de façon exemplaire l'idée de la participa- II s'agit d'une
tion démocratique. Les deux príncipes de la liberté politique et de la liberté indi- !' école utilitari
viduelle se trouvent ainsi étroitement imbriqués dans !e concept du contrat tergiversations
social, à l'instar d'ailleurs du concept kantien de la Republik qui désigne et la rité" -, Bemh
démocratie et le Rechtsstaat". individuelle et
593 Certains sont néanmoins temés de faire éclater cette unité 18 en associam à au contraire un
chaque aspect du comrat social un seu! et unique príncipe : à l'aspect objectif En France, la
correspondrait ainsi l'État de droit, à l'aspect interindividuel ou sociologique la effets parfois i:
démocratie. D'aucuns vom même jusqu'à relier à chaque príncipe une vision lorsque le suffr
spécifique du temps : à l'État de droit la durée et la continuité, à la démocratie césaro-populist
l'éphémere et le quotidien. II en découle une vision manichéenne des deux peine à s'allier
concepts. D'un côté, on fait de l'État de droit le réceptacle de valeurs inserires l' administra tio
quelque part dans les cieux et se détachant totalemem des réalités de la société sement du can-
humaine. À tout prendre, la participation des citoyens à l'élaboration des du prolétariat'
normes n'est plus indispensable puisque !e droit préexiste déjà à l'état parfait et 594 Si l'on survole 1

fini. II n'est qu'à !e recueillir te! que!, ce que peut faire n'importe qui, que ce soit on peut identií
un roi éclairé ou encore un juge 19 • De l'autre côté, on aurait une démocratie qui rapports entre
se trouverait ballottée au gré de ce que les Allemands appellem l'opinion majo- précisément la
ritaire du jour, la« Tagesmeinung ». Le concept se trouverait ainsi happé par une seau 2'. Face à d,
vision exclusivemem empirique ou sociologique. conséquent urn
ner la voie de L
d'anarchie dans
sions nah de l'i
16. Cf B. ACKERMAN, « La démocrarie dualiste », in M. TROPER & L. JAUME (dir.), 1789
et l'invention de la constit11tion, Paris, Buxelles, LGDJ, 1994, p. 191 ss.
17. Cf supra n" 46 en ce qui concerne l'identification de la Rep11blik au Rechtsst,tat. Quant au lien
entre Rep11blik er démocrarie, cf W. SCHILD, op. cit., p. 136; J. SCHWARTLÃNDER, « Demokra- 20. P. ROSANVA
tie und Menschenrechte » in id. (dir.), Menschenrechte mui Demokmtie, op. cit., p. 210; 21. CIJ .-S. MILL.
18. Voir le rableau in/rú n" 600. 22. Sur l'engagem,
19. C'cst cerre vision objectivisre radicale qui explique l'acceprarion par cerrains libéraux en France spéc. N. BOBEIO
et surrour en Allemagne (cf s11pn1 ff' 54 ss) du desporisme éclairé et de l'idée des constirurions 23. D. GRIMM, L
ocrroyées par le roí. Le droit se détache des acteurs sociaux et de !' él~ment interindivuel du contrat 24. L'on connait
social; le consentement des destinaraires du droit devient superRu. A la limite, il n'est même plus Cf B. CONSTAI'
besoin de réviser ou d'adapter la constiturion qui devrait êrre intangible, comme l'ont d'ailleurs sou- M. Gauchet, Paris.
tenu cenains révolurionnaires français en 1791. Cf D. GRIMM, « Der Verfassungsbegriff in hisro- 25. C' est ce qui re,
rischer Entwicklung », in id., Die Z11k1mfi der Verfassrmg, p. 118 s. 26. Cf C. SCHMI
it et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étttde théorique 577

:te daté, !e texte constitution- Cette vision réductrice explique comment, à partir de cette source commune
régir l'action des générations qu'est la doctrine du contrat social, ont pu se dégager duram le XIX' siecle deux
1ue une vision dédoublée du courants idéologiques, deux partis entretenant des rapports plus ou moins hou-
1t et plus stable des príncipes leux selon les pays : les uns étant qualifiés de démocrates, les autres de libéraux.
plus éphémere de la politique Encare faut-il noter des différences appréciables selon les pays : si la question du
:ia! est constitué par son objet rapport entre démocratie et libéralisme s'est posée en des termes parfois violem-
nodalités de fonctionnement ment exclusifs sur !e continent, il en va autrement dans la pensée anglo-
t d' accord. Du moins, en tant saxonne2º. En Angleterre se noue, sur la base du socle de 1688, un rapport plu-
d'accord avec !e príncipe des tôt consensuel entre les deux. Des le début, les Anglais font le lien entre la liberté
Par !à on aborde directement individuelle et la représentation politique ainsi que l'illustre le fameux adage no
lei, du contrat social qui na1t, taxation without representation. La pérennité de cet équilibre est assurée par l' ex-
; membres de la société poli- tension progressive du droit de vote lors des réformes de 1832, 1867 et 1884-85.
:mplaire l'idée de la participa- II s'agit d'une ouverture opérée sur la base du programme radical lancé par
politique et de la liberté indi- l'école utilitariste. Même si leur reuvre n'est pas toujours dépourvue de certaines
; dans !e concept du contrat tergiversations - ils sont conscients de la menace d'une tyrannie de la majo-
la Republik qui désigne et la rité 21 -, Bentham, Mill et Dicey s' engagent résolument en faveur de la liberté
individuelle et de la participation du plus grand nombre 22 . Sur le continent, c'est
cette unité 18 en associam à au contraire une certaine violence qui marque les rapports entre les deux courants.
príncipe : à l'aspect objectif En France, la démocratisation se réalise de façon abrupte et radicale, avec des
·individuei ou sociologique la effets parfois pervers comme ce fut le cas en 1793, avec la Terreur, et en 1851,
l chaque principe une vision lorsque le suffrage universel se retourne contre la République au profit du régime
la continuité, à la démocratie césaro-populiste de Napoléon III. Quant à l' Allemagne, le mouvement libéral
ision manichéenne des deux peine à s'allier avec les démocrates pour conquérir le pouvoir détenu parle roi,
:éceptacle de valeurs inscrites l'administration et l'armée. L'échec de la révolution de 1848 marque l'affaiblis-
nent des réalités de la société sement du camp libéral qui préfere s'arranger avec le Obrigkeitsstaat par crainte
citoyens à l'élaboration des du prolétariat 23 .
réexiste déjà à l'état parfait et 594 Si l'on survole l'histoire du libéralisme et de la démocratisation dans ces trois pays,
iire n'importe qui, que ce soit on peut identifier au moins quatre facteurs qui ont successivement envenimé les
on aurait une démocratie qui rapports entre les deux camps. Le premier concerne la Révolution française, plus
1ds appellent l'opinion majo- précisément la Terreur de 1793 dom les libéraux imputem aussitôt la faute à Rous-
:rouverait ainsi happé par une seau 2•. Face à des libéraux qui s'accrochent au dogme de l'ordre et privilégient par
conséquent une politique de réforme 2', les démocrates radicaux continuem à prô-
ner la vaie de la révolution. La démocratie devient alars synonyme de troubles et
d'anarchie dans l'optique, par exemple, d'un Guizot 26 . Un deuxieme foyer de ten-
sions na1t de l'instauration du suffrage universel abhorré par beaucoup de libéraux
fROPER & L. JAUME (dir.), 1789
191 ss.
?p11blik au Rechtsst,iat. Quant au lien
. SCHWARTLÃNDER, « Demokra- 20. P. ROSANVALLON, Le moment Guizot, p. 14.
okmtie, op. cit., p. 210; 21. Cf J.-S. MILL, On Liberty(1859), ed. by S. Collini, Cambridge, Cambridge UP, 1989, chap. 2, p. 20.
22. Sur l' engagement démocratique de Bemham, 1jill et Dicey, cf mpra n" 241 et 265. Sur Mill, voir
ation par certains libéraux en France spéc. N. BOBEIO, op. cit., chap. 13, p. 81 ss; P. GERARD, op. cit., p. 138 ss.
:clairé et de l'idée des constitutions 23. D. GRIMM, Deutsche Verfasszmgsgeschichte 1776-1866, op. cit., p. 110.
ie !' élément imerindivuel du contrat 24. L'on connait à cet sujet les diatribes de Constam à !'encontre de la s9uveraineté du peuple.
!rflu. À la limite, il n'est même plus Cf B. CONSTANT, Príncipes de politique, in De la liberté des modemes. Ecrits politiques, éd. par
1tangible, comme l'ont d'ailleurs sou- M. Gauchet, Paris, Livre de poche, coll. pluriel, 1980, p. 269 ss.
vl, « Der Verfassungsbegriff in histo- 25. C' est ce qui ressort particulieremem chez les libéraux allemands (cf supra n' 58).
8 s. 26. Cf C. SCHMITT, Verfassunglehre, p. 201. Adde P. ROSANVALLON, op. cit., p. 83 ss.

l
578 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constittttionnelle De la démocrat

de l'époque 27 • À cela s'ajoute ensuite la montée en puissance des partis socialistes, les opposent r
ce qui n'arrange guere les choses 2'. Ceux-ci entendem se laisser porter par la vague qui est !'extra
du suffrage universel pour faire triompher l' égalité réelle au détriment de la liberté aborde par là 1
formelle défendue par la plupart des libéraux, quoique pas par tous 2". Au XX' siecle concepts, une 1
la tension entre démocrates et libéraux est entrée dans une nouvelle phase qui pendants l'un
nous occupera plus particulierement ici. L'ascension spectaculaire de la justice t-il, au contrai
constitutionnelle au lendemain de régimes totalitaires qui, pour certains, ont pu peut en effet d
voir le jour grâce à un suicide légal de la démocratie - on pense à Weimar et à Norberto Bob
Vichy -, a ranimé le débat sur le sens et les limites de la démocratie. Si les libé- 1. La these
raux sont supposés favoriser ce phénomene de juridictionnalisation de l'État de férents ot
droit - jugement qui mérite à vrai dire d'être relativisé, car on peut être libéral démocra1
Sfns être un admirateur des juges -, les démocrates quant à eux criem au scandale. met d'en
Ales entendre, la souveraineté du peuple serait soumise à un processus d'érosion tique et t
qui aboutirait inéluctablement à l'émergence d'un gouvernement des juges. 2. La these,
libéralisn
~) Les termes de la problématique variantes
mutuelle
595 À la lumiere de ces faits historiques, on comprend mieux les polémiques qui ont soit pour
accompagné un débat théorique passablement complexe. Temer d'y répondre diverses 1
suppose, en premier lieu, que l'on définisse les deux teimes clés de ce binôme. II cal soit-il
n'est guere besoin d'insister sur la polysémie de ces deux mots, polysémie qui défenseu1
est pourtant souvent occultée par le consensus unanimiste qui s' est cristallisé restem in
autour de ces deux références axiologiques. Victimes de leur propre succes, ces de limite
deux notions phares voient leur sens se diluer pour se fondre dans une sorte de 3. La these
magma indifférencié qu'est la démocratie libérale ou I'État de droit démocra- conflits e
tique'º. Une telle confusion suscite aussitôt une réaction virulente chez ceux qui saire entr
ontologi<
raient oci

27. L'atticude de Roben Mohl {1799-1875) !'une des grandes figures du libéralisme allemand est à cet
égard tres révélatrice. Non contem de récuser in abstracto le príncipe du suffrage universel, il va 31. Lire les mises e
m&me jusqu'à critiquer les !ois électorales existantes qui instaurem pounant un suffrage censitaire. radicaux et les plu
Cf supra n·· 63 note 215. C'est à la m&me époque, c'est-à-dire au début du XIX" siecle, que les libéraux Cf la présentation
français autour de Guizot élaborent la théorie du vote capacitaire (cf. supra n" 371). L'arrivé au pou- Verfasszmgslehre de
voir du peuple, présenté sous les traits d'une masse inculte, est vécue par cenains comme un atten- 32. N. BOBBIO,
tat à la civilisation et à l'idée d'un « gouvemement scientifique » (H. Maine) {cf. infra note 54). 33. Ibid.
28. Cette craime trouva un écho dans des pages célebres de la Démocratie en Amériq11e d' Alexis de 34. Ibid.
Tocqueville (cf. tome II, 2" panie, chap. 6). Cf aussi N. BOBBIO, op. cit., chap. 15, p. 94 ss et 35. Les motivatio1
M. LOUGHLIN, P11blic Liw and Political Theory, op. cit., p. 162 ss au sujet du spectre du « new est parfois évoqué,
despotism », évoqué en 1929 par Lord Hewan face à l'expansion des idées socialistes que Dicey rents au gouverne1
combattait déjà en son temps. cratie. U n te! pari
29. Un contre-exemple significatif est, à cet égard, !e mouvement anglais du « new liberalism » nazisme. II faut do
incarné au tournant du XIX' et du XX' siecle par des auteurs comme T.H. Green et L.T. Hobhouse. som en théorie in,
Cf M. LOUGHLIN, op. cit., p. 119 ss. travai! d' exégese d
30. Voir par ex. G. VEDEL, « Le régime présidentiel? La moutarde apr~s d1ner », Le Monde, pouvoir con~~1tua1
31.10.1997, p. 15 : « Enfin le caractere démocratiq11e du systeme est asmré par l'Etat de droit, et particu- 36. Cf P. HABER
lierement parle contrôle j11ridictio1111el, par la garamie des libertés publiques et parle statut de l'opposi- trative, Paris, LGL
tion »; I. MAUS,« Entwicklung und Funktionswand,el der Theorie des bürgerlichen Rechtsstaats », cipe de libené, l'au
op. cit., p. 15. D'apres elle, « la théorieallemandede l'Etat de droit se constitue [au début du XIX' siecle] de « l'antagonismc
comme une théorie de la démocratie ». Voir aussi l'anide précité de \Y/. MAIHOFER ou les deux 37. Nous emprun
concepts som indistinctement mélangés. quant à !ui parle d
>it et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 579

puissance des partis socialistes, les opposent radicalement 3'. Ceux-ci tombem néanmoins dans l'exces inverse
nt se laisser porter par la vague qui est l'extrapolation abusive des différences entre les deux principes. On
·éelle au détriment de la liberté aborde par là le second probleme qui a trair à la nature du lien entre ces deux
1ue pas par tous". Au xxc siecle concepts, une fois qu'on lesa définis séparément. S'agit-il de deux concepts indé-
dans une nouvelle phase qui pendants l'un par rapport à l'autre, voire de deux concepts hostiles, ou existe-
(on sp~ctaculaire de la justice t-il, au contraire, un lien intime, intrinseque, consubstantiel entre eux? On
Ires qm, pour certains, ont pu peut en effet distinguer trois hypotheses d'école selon la typologie élaborée par
tie - on pense à Weimar et à Norberto Bobbio 12 :
is de la démocratie. Si les libé- 1. La these de la « compatibilité » 33 selon laquelle les deux idéaux som indif
idictionnalisation de l'État de férents ou neutres l'un par rapport à l'autre. S'il est possible de combiner
tivisé, car on peut être libéral démocratie et libéralisme, rien ne s'oppose à ce qu'on les sépare, ce qui per-
quant à eux criem au scandale. met d'envisager tout à la fois un régime libéral quine serait pas démocra-
mise à un processus d' érosion tique et un régime démocratique qui ne serait pas libéral.
5ouvernement des juges. 2. La these de « l'antinomie » 34 qui affirme que les idées de la démocratie et du
libéralisme sont contradictoires. Ce modele d'explication conna1t deux
variantes. Selon la premiere, la plus radicale, les deux príncipes s'excluent
mutuellement ce qui signifie qu'il faudrait logiquement opter soit pour l'un
mieux les polémiques qui ont soit pour l'autre. Selon la deuxieme variante, plus modérée, il importe pour
mplexe. Temer d'y répondre diverses raisons 35 de concilier les deux, d'opérer un compromis, aussi ban-
x termes clés de ce binôme. Il cal soit-il, entre les exigences contradictoires de l'un et de l'autre. Parmi les
:es deux mots, polysémie qui défenseurs de cette derniere vision, on trouve tres souvent des auteurs qui
nanimiste qui s' est cristallisé restem imprégnés de la these radicale de l'antinomie dom ils se contentem
1es de leur propre succes, ces de limiter les effets pervers 3".
.r se fondre dans une sorte de 3. La these de la « consubstantialité »" qui postule qu'en dépit de tous les
i ou l'État de droit démocra- conflits entre libéraux et démocrates, il n'existe pas moins un lien néces-
ction virulente chez ceux qui saire entre les deux príncipes dom l'un appelle l'autre. Il s'agirait d'un lien
ontologique que les rivalités qui ont pu exister à un moment donné ne sau-
raient occulter.

ures du libéralisme allemand est à cet


príncipe du suffrage universel, il va 31. Lire les mises en garde de C. SCHMITT, op. cit., p. 225-6. Schmitt est l'un des défenseurs les plus
rent pourtant un suffrage censitaire. radicaux et les plus conséquents de la these de l'antagonjsme entre la démocratie et /e libéralisme.
début du XIX" siecle, que les libéraux Cf la présentation (tres sommaire) de P. PASQUINO, « Etat de droit et démocratie. A propos de la
re (cf mpra n" 371). L'arrivé au pou- Verfasstmgslehre de Carl Schmitt », CPP], n" 24, 1993, pp. 95-108.
vécue par certains comme un atten- 32. N. BOBBIO, op. cit., p. 64.
(H. Maine) (cf infra note 54). 33. lbid.
Démocratie en Amériq11e d' Alexis de 34. Ibid.
IBIO, op. cit., chap. 15, p. 94 ss et 35. Les motivations de ces auteurs som des plus diverses. L'idée hégélienne d'un rapport dialectique
162 ss au sujet du spectre du « new est parfois évoquée. Plus souvent, il s'agit de libéraux qui, tout en écant conscients des risques inhé-
;ion des idées socialistes que Dicey rents au gouvernement populaire, n'osent routefois pas aller jusqu'à prôner l'abandon de la démo-
cratie. Un te! parti pris serait difficilement défendable même apres l'expérience douloureuse du
ment anglais du « new liberalism ,, nazisme. II faut clone s'arranger avec la démocratie, faute de mieux, en conciliam ainsi deux idées qui
nme T.H. Green et L.T. Hobhouse. som en théorie inconciliables. II peut s'agir plus banalement de juristes qui som amenés, dans leur
travai! d'exégese des dispositions constitutionnelles, à concilier deux príncipes amagonistes que !e
noutarde apres d,ner », Le Monde, pouvoir constituam a voulu faire cohabicer dans un même texte.
l asmré par l'État de droit, et particu- 36. Cf P. HÃBERLE, op. cit., p. 845. Voir, par analogie, É. PlCARD, La notion de police adminis-
' publiques et par !e statut de l'opposi- trative, Paris, LGDJ, 1984, t. II, p. 539. Traíram du rapport entre la notion d'ordre public et !e prín-
orie des bürgerlichen Rechtsstaats », cipe de liberté, l'auteur insiste également sur les affinités entre la these de la« conciliation,, et la these
t se constitue [au début du XIX' siecle] de « l'antagonisme "·
té de W. MAIHOFER ou les deux 37. Naus empruntons le terme de « conmbstantialité,, à É. PICARD, op. cit., p. 540 ss. N. Bobbio
quant à !ui parle d'un rapport de« nécessité » (op. cit., p. 64).
580 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocrai

596 C'est à la démonstration de cette derniere hypothese - on suppose que leurs Sec
rapports puissent se laisser résumer par une seule these _;s - que sera consacré ce
I
chapitre théorique. 11 ne faut toutefois pas croire qu'il s'agit là d'une réflexion
philosophique sans aucun lien avec la réalité du droit positif. De notre point de
vue méthodologique, il para1t, en effet, vain de croire que le juriste puisse éluder 598 Selon une thé,
des questions aussi cruciales que le rôle et la légitimité de la justice constitu- concept de la
tionnelle. D'ailleurs, l'existence d'une littérature juridique extrêmement riche et concept forme
proliférante à ce sujet prouve l'intérêt croissant des juristes et plus spécialement s'inscrivent d'
des constitutionnalistes. Ainsi, lorsqu'il s'agit de trancher une question relarive dictoires - 011
à la compétence du juge, que le droit positif n'a pas clairement résolue, le juriste crates, et des
se fait nécessairement, quoique parfois à son insu, l'instrument d'une certaine peuple s'oppo
vision de la démocratie, du droit et du juge. Cette incursion des valeurs dans le On peut d'ail
droit positif est, comme on l'a dit, inévitable'". Par honnêteté intellectuelle, le démocratie pr
juriste se doit des lors d'afficher clairement ses choix et préférences, ce à quoi positifs et nor
répond justement ce chapitre. souhaite, s' en
cuns appellen
597 Au seuil de cette étude, il est toutefois nécessaire de s'arrêter un instam sur
de l' avis des p
quelques aspects sémantiques qui risquem d'être à l'origine de confusions
peut ainsi sup
conceptuelles. 11 s'agit en l'espece, on l'aura compris, de l'utilisation du syn-
par le biais d' t
tagme État de droit. 11 importe d'en faire un usage prudent, non pas tant à cause
les mains d'ur
de sa polysémie qui est l'apanage de tous les concepts ayant une portée aussi
démocratie es
large, qu'en raison des fausses idées qu'il véhicule, en particulier en ce qui
barriere absol
concerne le rapport entre le droit et le juge. Ainsi qu'on l'a vu, le discours de
de l'homme s
l'État de droit assimile tres souvent les deux'º. On risque des lors de mélanger
vide qu'est le
deux questions qui sont strictement distinctes d'un point de vue logique, à
simple instrui
savoir le rapport entre la démocratie et les droits de l'homme et le rapport entre
(§ 1) que s'oF
la démocratie et la justice constitutionnelle. On escamote en effet une pareie de
la problématique en reprenant à son compre cette démonstration assez courante,
selon laquelle la suprématie du droit sur la démocratie entraine aussitôt dans son 41. Sans être exh
sillage la suprématie du juge sur la démocratie. Or on oublie qu'il est tout à fait see, I. Berlin, F.1'
42. Cf B. CONS
concevable d'affirmer la consubstantialité entre la démocratie et les droits de SEGG, op. cit., p.
l'homme, sans pour autant être obligé de faire l'apologie du juge. Apres tout, il p. 91: «lln'yaj.,
existe aussi des mécanismes politiques de garantie des droits de l'homme. C'est 43. Cf H. KELS
1988, p. 22. La d,
dane dans une double optique, celle du droit (Section I) et celle du juge République de \1
(Section II) que l'on doit analyser la nature de la démocratie. que Kelsen incor
tie. Ainsi il dira ,
(vol. LXVI, 1955
(p. 27). Voir inf,.
Demokratietheon
C.M.HERRER,
lacunaire sur ce f
44. L' expression
tota!itaire (1952)
38. Contra J. THÜR, op. cit., p. 91 qui estime que les rappom entre libéralisme er démocratie som NEL, D11 pouvu
marqués en partie par un amagonisme, en partie par une imerdépendance. Voir aussi les hésirarions chap. XIV, p. 41:
de N. BOBBIO qui parle à la fois de liens « possibles » (p. 56), « complémentaires » (p. 96), « naturels » 45. Comme !e di
et « nécessaires » (p. 44, 50 s), « dia!ectiques » (p. 116) et « conjlictuels » (p. 94, 102, 115 s). Cet opportunisn
39. Cf s11pra n" 499 ss. HAN, op. cit., p.
40. Cf la critique détaillée s11pra n" 423 ss. Si nous avons repris le terme dans l'imirulé du chapitre, ouverte à un aba
c'est uniquement par commodité. s' avere plus effic
,it et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 581

hese - on suppose que leurs Section L L'INSCRIPTION DE LA DÉMOCRATIE


these_;s_ que sera consacré ce DANS LE CONCEPT HUMANISTE DU DROIT
qu'il s'agit là d'une réflexion
:oit positif. De notre point de
,ire que le juriste puisse éluder 598 Selon une théorie tres répandue, il existe une antinomie fondamentale entre le
itimité de la justice constitu- concept de la démocratie et le príncipe de la dignité humaine. L'un est un
1ridique extrêmement riche et concept formel alors que l'autre est un concept matériel. D'apres ces auteurs, qui
s juristes et plus spécialement s'inscrivent d'ailleurs dans des courants philosophiques fort divers, voire contra-
:rancher une question relative dictoires - on y trouve à la fois des positivistes, qui se disent par ailleurs démo-
s clairement résolue, le juriste crates, et des jusnaturalistes libéraux 41 - , l'idée de la souveraineté absolue du
1, l'instrument d'une certaine
peuple s'oppose radicalement au concept jusnaturaliste des droits de l'homme 42 •
: incursion des valeurs dans le On peut d'ailleurs lire cette contradiction dans les deux sens. Selon les uns, la
ar honnêteté intellectuelle, le démocratie précede les droits de l'homme qui ne sont que des droits subjectifs
1oix et préférences, ce à quoi positifs et non point des droits naturels. 11 s'ensuit que le souverain peut, s'il le
souhaite, s'en débarrasser à tout moment" au risque de faire naitre ce que d'au-
cuns appellent apres 1945 la « démocratie totalitaire » «. 11 lui est même loisible,
·e de s'arrêter un instam sur
de l'avis des positivistes à l'époque de Weimar, de se suicider par voie légale. Il
re à l'origine de confusions
peut ainsi supprimer le príncipe du suffrage universel, du parlementarisme, etc.
1pris, de l'utilisation du syn-
parle biais d'une révision constitutionnelle qui transfere tous les pouvoirs entre
prudent, non pas tant à cause
les mains d'un dictateur. À l'inverse, dans l'esprit des jusnaturalistes libéraux, la
1cepts ayant une portée aussi
démocratie est précédée par les droits naturels de l'homme qui constituem une
ule, en particulier en ce qui
barriere absolue à la souveraineté, quel qu'en soit d'ailleurs le titulaire. Les droits
;i qu' on l' a vu, le discours de
de l'homme servem en quelque sorte de contenu prédéterminé à cette coquille
11 risque des lors de mélanger
vide qu'est le príncipe majoritaire qui se trouve du coup rabaissé au rang de
l'un point de vue logique, à
simple instrument, interchangeable à la limite"· C' est à cette vision antagoniste
e l'homme et le rapport entre
(§ 1) que s'oppose radicalement la these de la consubstantialité (§ 2). D'apres
;camote en effet une partie de
iémonstration assez courante,
atie entrafoe aussitôt dans son 41. Sans être exhaustif, on peut citer par exemple C. Schmitt, H. Kelsen, E.-W. Bõckenfõrde,J. Isen-
· on oublie qu'il est tout à fait see, I. Berlin, F.A. Hayek, P. Gérard, A.C. Hutchinson & P. Monahan, G. Sartori, J. Gicquel, etc.
42. Cf B. CONSTANT, Príncipes de politique, in úl., op. cit., chap. 1, p. 269 ss; P. Graf KIELMANN-
.a démocratie et les droits de SEGG, op. cit., p. 105; G. VEDEL, « Souveraineté et supraconstitutionnalité ", Pouvoirs, n" 67, 1993,
JOlogie du juge. Apres tout, il p. 91 : « II n'y a jamais eu de souverain si l'on admet qu'il existe une transcendance de certaines nonnes. »
43. Cf H. KELSEN, La démocratie. Sa nature, sa valeur, trad. de la 2'" éd. {1929), Paris, Economica,
des droits de l'homme. C'est 1988, p. 22. La doctrine de Kelsen a néanmoins connu une évolution qui s'est amorcée à la finde la
(Section I) et celle du juge République de Weimar. C'est surtout apres 1945, afin de se démarquer des démocraties populaires,
lémocratie. que Kelsen incorpore des éléments libéraux dans sa définition jusque-là procédurale de la démocra-
tie. Ainsi il dira dans son long article « Foundations of Democracy », publié dans le journal Ethics
(vai. LXVI, 1955, pp. 1-101) que « modem democracy cannot be separated from political liberalism ,,
(p. 27). Voir infra note 98 et l'étude tres complete de H. DREIER, Rechtslehre, Staatssoziologie 1md
Demokratietheorie bei Hans Kelsen, l" éd., Baden-Baden, Nomos, 1986, p. 262-271. L'ouvrage de
C.M. HERRERA, Théorie juridique et politique chez Hans Kelsen, Paris, Kimé, 1997, p. 118 ss reste
lacunaire sur ce poim.
44. L'expression fut rendue célebre par l'ouvrage de J.L. TALMON, Les origines de la démocratie
totalitaire {1952), trad. de l'angl., Paris, Calmann-Lévy, 1966. Voir déjà auparavant B. DE JOUVE-
; entre libéralisme et démocratie som NEL, Du pouvoir. Histoire naturelle desa croissance (1945), Paris, Hachette, coll. pluriel, 1972,
iépendance. Voir aussi les hésitations chap. XIV, p. 415 ss.
complémentaires,, (p. 96), « naturels,, 45. Com me !e dit F.A. HAYEK, op. cit., p. 127, « la démocratieest un moyen et non pas un but [en sai]».
~tuels,, (p. 94, 102, 115 s). Cet opportunisme est vivement reproché aux libéraux. Cf A.C. HUTCHINSON & P. MONA-
HAN, op. cit., p. 100. Cette vision, qui n'est pas partagée par tous les libéraux, laisse en effet la porte
s le terme dans l'imiculé du chapitre, ouverte à un abandon, provisoire ou définitif, de la démocratie p9urvu qu'un autre régime politique
s'avere plus efficace pour garantir les droits de l'homme. Cf P. GERARD, op. cit., p. 153 s.

l
582 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocra

celle-ci, les deux principes de la démocratie et du libéralisme sont liés par des
Iiens intimes qui vont bien au-delà d'une simple cohabitation forcée ou fortuite.

§ 1. LA THESE DE L ANTAGONISME ENTRE LA SOUVERAINETÉ


POPULAIRE ET LES DROITS DE L 'HOMME Mécanismes
institutionnels
599 Les disciples de cette these se font fort de mettre en exergue les différences qui,
de leur avis, opposent les deux principes de la démocratie et du libéralisme. Pour
avoir une vision d' ensemble de leur these, on essaiera de synthétiser sous forme
d'un idéal-type les multiples éléments éparpillés dans les écrits d'auteurs prove-
nant d'horizons tres divers. À voir la liste de criteres ainsi établie (A), l'on est
tenté de souscrire à cette démarche. Or cette liste, aussi impressionnante soit- Attributs psych(
elle, doit être lue avec prudence en raison de certaines erreurs d'analyse qui sont soc1aux
dues à un esprit par trop manichéen (B).

600 A. Les différences censées opposer le libéralisme et la démocratie Vision du temp.

Démocratie Libéralisme (État de droit)


Origine Grece antique Modernicé"·
Rousseau Mon_tesquieu
54. Cf]. THÜR.
Idée d'reuvre souveraineté du peuple droits de l'homme 55. Cf sur ce the1
príncipe formei" príncipe substantiel Staates zu bestimm
forme de gouvernement fonction de l'État 56. D'apres C. SC
príncipe constitutif de l'État príncipe limitatif de l'État" cipe d' égalité des
d'égalité entre les
publicité secret" 57. Cf par ex. la d
Sujet peuple individu op. cit.; A.C. Hl
« An. 20 Abs. 1-J
(fondement cicoyen (condition de nacionalité) homme (y inclus l'étranger)
positivistes, selon
anthropologique) régime autocratiqt
Soubassement relativisme des valeurs"' jusnacuralisme 1920, p. 84 et A. S
58. C. SCHMIT1
philosophique iusposmv1sme dans une démocra
empirisme ;, rationalisme abstrair de trancher un pn
!oi = volzmtas !oi= ratio" 59. R. DE LACI-
égalicé;' libené • Comment la vai,
que celle-ci a été in,
60. H. KELSEN, ··
d'une majorité qua
46. Sur ce débat, cf mpra les références citées dans les notes 5, 6 et 7. .. 61. Selon ce raisor
47. Cf .~unout H. KELSEN, Allgemeine Staatslehre, op. cit., p. 320 ss et p. 368 ss et E.-W. BOC- puisqu'il est exch
KENFORDE, op. cit., p. 297 ss. Voir aussi l'exposé d'une cenaine vulgate démocratique chez CfF.A. HAYEK,,
W. KÃGI, op. cit., p. 108 ss. Rousseau, on dédu
48. Cf infra ff" 604 s. 62. C. SCHMITT
49. D'apres C. SCHMITT, op. cit., p. 243 ss, !e secret constitue un élémem libéral en ce qu'il sen à 63. Cf E. SCHMI
garantir le caractere individuei du vote. II serait des lors fondamemalemem étranger à l'esprit démo- op. cit., t. I, p. lOC
cratique dom la manifestation par excellence serait l'acclamation publique et collective. viscérale exprimée
50. Cf mpra n" 112 ss (Kelsen, Radbruch); H. DREIER, Rechts!ehre ... , p. 260 ss; A. SQUELLA, La démocratie ma1
« The Legal Positivism and Democracy in the 20'" Cemury », A~SP Beihefi, ff' 40, 1991, pp. 141-149 64. J. ELSTJ;:R, «
dom la conclusion est néanmoins plus nuancée. Voir aussi P. GERARD, op. cit., p. 114 qui affirme 65. E.-W. BOCIU
• l'indétennination radica/e" des criteres de légitimité dans une démocratie. Jefferson et Cond
51. 1. MAUS, op. cit., p. 9. vivams aux mons.
52. Cf C. SCHMITT, op. cit., p. 138 s et p. 258. pratique du pouvoi,
53. Sur cette opposition théorisée par Tocqueville, cf C. SCHMITT, op. cit., p. 224; P. BRAUD, PUF, 1994, p. 403
op. cit., p. 97 ss. 66. K. HESSE, op.
it la justicé constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 583

béralisme sont liés par des nivellement vers le bas richesse de la diversité ;;
bitation forcée ou fortuite. regne de la médiocrité" regne de l'excellence
liberté politique liberté individuelle
LA SOUVERAJNETÉ égalité démocratique égalité humaniste;'
HOMME Mécanismes parlement justice (constitutionnelle)
institutionnels référendum autocratie, technocratie 57
~xergue les différences qui, concentration des pouvoirs 58 séparation des pouvoirs
atie et du libéralisme. Pour équivalence de la volonté hiérarchie des normes
1de synthétiser sous forme populaire dans le temps'·, constitutionnalisme
; les écrits d'auteurs prove- majorité simple majorité qualifiée
s ainsi établie (A), l'on est unanimité
1ussi impressionnante soit- Attributs psycho- optimisme'" méfiance
; erreurs d'analyse qui sont soczaux identité entre gouvernants distance'·'
et gouvernés'· 2
pass10n raison"'
sme et la démocratie Vision du temps réflexion à court terme ,.; réflexion sur plusieurs
générations
éralisme (État de droit) fluidité, dynamique rigidité, statique "·
dernité"·
ntesquieu
54. Cf J. THÜR, op. cit., p. 96 s; M. LOUGHLIN, Public Law and Political Theory, op. cit., p. 142 s.
its de l'homme 55. Cf sur ce theme W. von HUMBOLDT, Ideen 211 einem Versuch, die Grenzen der Wirksamkeit des
1cipe substantiel Staates zu bestimmen, Breslau, E. Trewendt, 1851.
ction de l'État 56. D'apres C. SCHMITT, op. cit., p. 226 ss et E.-W. BÕCKENFÕRDE, op. cit., p. 331 ss, le prin-
cipe d'égalité des cicoyens, sous-jacenc à la démocratie, serait essentiellement différenc du principe
1cipe limitatif de l'État"
d'égalité entre les hommes que postule le libéralisme.
·et''' 57. Cf par ex. la dénonciation d'une dérive oligarchique de la justice CO!).Sticurionnelle par I. MAUS,
ividu op. cit.; A.C. HUTCHINSON & P. MONAHAN, op. cit.; R. BAUMLIN & H. RIDDER,
« Are. 20 Abs. 1-3 III: Rechrsstaat », op. cit. On peur y ajourer les critiques formulées par cercains
nme (y inclus l'étranger) positivistes, selon lesquels la théorie du droit nacurel débouche presque obligaroirement sur un
régime aucocratique. Cf H. KELSEN, « Vom Wesen und Were der Demokratie », Arch.f Sozialwiss.,
1aturalisme 1920, p. 84 et A. SQUELLA, op. cit. p. 147 s.
58. C. SCHMITT, op. cit., p. 258 s et p. 275. D'apres !ui, !e peuple peut faire rour et n'imporce quoi
dans une démocratie « absolue », qu'il s_'_agisse d'édicrer une !oi, de prendre un acte administratif ou
onalisme abstrair de trancher un proces. Vo(r aussi W. KAGI, op. cit., p. 117 et 128.
= ratio; 2 59. R. DE LACHARRIERE, « Opinion dissidente», Pouvoirs, n" 13, rééd. de 1991, p. 142 :
« Comment la volonté nationale peut-elle être liée par une de ses manifestations antérieures, a11 prétexte
rté
que celle-ci a été inscrite dans un document spécial, dénommé Constitution? »
60. H. KELSEN, « Vom Wesen und Werc ... », op. cit., 1920, p. 56 s et note 8 ou il estime que l'exigence
d'une majorité qualifiée pour une révision de la constitution esr contraire à l'esprit démocratique.
e 7. 61. Selon ce raisonnement, il n'y pas lieu de se méfier d'un pouvoir détenu parle peuple lui-même
20 ss et p. 368 ss et E.-W. BÕC- puisqu'il est exclu qu'un individu, qu'un peuple puisse vouloir être injuste envers lui-même.
aine vulgate démocratique chez Cf F.A. HAYEK, op. cit., p. 130 et spéc. note 7. De l'infaillibilité de la voloncé générale affirmée par
Rousseau, on déduit l'infaillibilité de la !oi adoptée par la majorité.
62. C. SCHMITT, op. cit., p. 223.
1 élément libéral en ce qu'il serc à 63. Cf E. SCHMIDT-ASSMANN, « Der Rechtssraat », jn J. ISENSEE & P. KIRCHHOF (dir.),
alemenc étranger à !' esprit démo- op. cit., e. I, p. 1001. Cette distance caractéristique de l'Ecat de droit traduit à 13; fois la méfiance
,ublique et collective. viscérale exprimée par Montesquieu à !' égard du pouvoir et le dualisme entre l'Etat et la société.
?!1re ... , p. 260 ss; A. SQUELLA, La démocratie marquerait, au concraire, la conquête de l'Etat par la société.
P Beihefi, ff' 40, 1991, pp. 141-149 64. J. ELST);:R, « Incr~?uction », in J. ELSTER & R. SLAGSTAD (dir.), op. cit., p. 6 et 8.
lARD, op. cit., p. 114 qui affirme 65. E.-W. BOCKENFORDE, op. cit., p. 337. On peut y ajouter les fameuses critiques énoncées par
mocraue. Jefferson et Condorcet à !' égard du constitutionnalisme qui aboutirait à une subordination des
vivancs aux mores, de la génération accuelle aux générations ancérieures. Cf C. KLEIN, ,Théorie et
pratique du pouvoir constituant, Paris, PUF, 1996, chap. VII; O. BEAUD, La p11issance de l'Etat, Paris,
lTT, op. cit., p. 224; P. BRAUD, PUF, 1994, p. 403 ss.
66. K. HESSE, op. cit., p. 119.
584 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démoci;

B. Une mise en perspective critique l" Quantà

601 Aussi louable que soit l'objectif cognitif des disciples de cette these, leur analyse 602 Le premier e
- à supposer que l'on puisse parler d'une seule analyse 67
peche par mani-
- question de l
chéisme. À force de vouloir délimiter de façon aussi tranchée la sphere de chacun f érence entre
des deux principes, en rattachant chaque institution soit à l'un soit à l'autre"', ils lument sépar
en arrivent à des résultats parfois grotesques"''. Ils sont souvent tentés d'extrapo- et la richesse
ler ce qui n'est qu'un détail ou un élément partiel. Conjugué à un usage abusif ment formei
du raisonnement a contrario, cela aboutit à une logique binaire, à premiere vue démocratie é
parfaite, ou tout est soit blanc soit noir. De façon générale, toute différence est - selon laqu,
aussitôt identifiée à un antagonisme. Or, de ce que deux choses sont différentes, tacher, de fa~
on ne peut pas en déduire aussitôt qu'elles s'opposent puisqu'elles pourraient être signification
complémentaires, à l'instar des deux faces d'une médaille qui sont à la fois diffé- ments. Tour
rentes et unies. Ce sont toutes ces raisons qui empêchent les défenseurs de la these taines condir
de l'antinomie de voir les points d'enchevêtrements entre ces deux principes ou mum, les tr
alors, s'ils les identifient, d'en saisir la véritable nature 70 • Ainsi, si l'on peut faire d' association
abstraction de certains arguments fallacieux, souvent inspirés d'une lecture précise qui e:
réductrice des écrits de Rousseau 71 , d'autres moyens soulevés méritent d'être ana- fi.n, comme:
. \

lysés de plus pres. Il y en a trois spécialement qu'il importe d'approfondir ici. vise a assurer
pation de to,
d' élaboratior
67. Cet idéal-type recouvre, en effet, certaines incohérences. Car de deux choses l'une : soit le La légalité in
concept de démocratie est fondé sur une neurralité axiologique et alors il s'oppose au libéralisme en
ce que le premier est relati viste alors que !e second est cognitiviste; soit le concept de démocratie qui autorise i
incarne !ui aussi des valeurs axiologiques (liberté politique, égalité, etc.) et alors la différence entre quelaloiadc
les deux se situe seulement au niveau du contenu des valeurs. Contra H. DREIER, op. cit., p. 253 qui
semble n'y voir aucune contradiction.
68. Cf J. ISENSEE, op. cit., p. 168.
69. Pour preuve, le raisonnement de J. ISENSEE, ibid., selon leguei la légitimité des P,artis poliriques plus identifié la,
se fonde exclusivement sur la liberté d'association, autrement dit sur le príncipe de l'Etat de droit, ce rité qualifiée, y
qui signifie a contrario qu'elles n'ont « intrinseq11ement" rien à voir avec !e príncipe de la démocratie. Enfin, il n' est gt
70. En général, ces auteurs (cf par ex. E.-W. Bõckenforde, Kelsen) n'ignorent guere qu'il est impos- lue du peuple. S
sible de concevoir la démocratie au sens stricrement formei sans incorporer au préalable cercains 72. Cf O. GER
príncipes substantiels telles que les libertés d' expression, d' association et de réunion. Mais, ils ne 73. Sur les asp,
réussissent pas à en expliquer le statut de sorte que ces trois libertés restem suspendues dans !e vide, ouvrages des po
à mi-chemin entre un príncipe démocratique qu'elles conditionnent et un príncipe libéral auquel 74. Voir nos d~
elles se rattachem et qui risque pourtant à rout momem d'être supprimé par !e souverain démocra- démocratie prés
rique. Voir nos développements infra n" 613. démocratique ir
71. Le citoyen de Geneve n'a pourfendu ni !e príncipe du constitutionnalisme qu'il a clairement choix et clone d
admis dans ses écrits sur la Corse et la Pologne, ni !e príncipe de la séparation des pouvoirs. II est, au cipes a priori. Ir
contraire, l'un des rhéoriciens qui a !e plus insisté sur la nécessité de distinguer nettement les pou- de !' autocratie. '.
voirs législarif et exécutif, seu! le premier revenam de droit au peuple. Ce que vise sa fameuse raille- chie, l'aristocrat
rie sur les charlatans japonais (Contrai social, Liv. II, chap. 2), ce n'est ni la distinction des deux fonc- de droit naturel
rions législative et exécurive, ni leur attriburion à deux organes distincts, mais !e rapport entre ces 75. De là décm
deux organes. En référence à l'idéal démocratique, Rousseau place le législatif, composé uniquement (simple) de cons
de ciroyens ou de représentants élus par le peuple, au-dessus de !' exécutif. II y a un rapport hiérar- cratique, n' est f
chique ou vertical alars que Montesquieu situe le législatif eF l'exécutif sur un même plan afin qu'ils tici pation de to
puissent s'arrêter muruellement. Le roi, qui est le chef de l'Erat et de l'administration, fait ainsi par- souffre d'excepi
eie du législatif à côté de la chambre haute et de la chambre basse. La rhéorie de la séparation des kritischer Mass,
pouvoirs chez Montesquieu n'est qu'en pareie démocratique puisqu'elle va de pair avec l'apologie kratie, op. cit., p
d'un régime mixte (sur tous ces points, cf H. NEF, « Jean Jacques Rousseau und die Idee des Rechts- moins se tromp
sraates », Schweizer Beitrãge zur a!lgemeinen Geschichte, t. 5, 1947, pp. 167-185). C'est également déna- de moyens. 4) (
turer l'reuvre de Rousseau que d'y voir l'apologie d'un regne débridé de la volonté, du caprice et de plus dénier tout
la passion, lui qui n'a cessé d'insisrer sur les verrus rationnels de la volomé générale. II n'a pas non Quoi qu'on en,
Jit et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 585

e critique 1º Quant à la distinction entre la forme et la substance

,les de cette these, leur analyse 602 Le premier critere qui vient instantanément à l'esprit lorsque l'on évoque la
analyse •7 - peche par mani- question de l'articulation entre la démocratie et le libéralisme est celui de la dif-
,i tranchée la sphere de chacun férence entre la forme et le contenu. Or déjà il est douteux que l'on puisse abso-
m soit à l'un soit à l'autre"', ils lument séparer la forme et la matiere 72 • De plus, c'est sous-estimer la complexité
som souvent tentés d'extrapo- et la richesse de ces deux concepts que de voir dans l'un un principe exclusive-
1. Conjugué à un usage abusif ment formel et dans l'autre un principe exclusivement matériel. Le terme de
>gique binaire, à premiere vue démocratie évoque, certes, en premier lieu une certaine forme de gouvernement
t générale, toute différence est - selon laquelle toute manifestation de la puissance étatique doit pouvoir se rat-
~ deux choses sont différentes, tacher, de façon médiate ou immédiate, à la volonté du peuple souverain"-, sa
:nt puisqu'elles pourraient être signification ne s'arrête cependant pas là. À ce titre on peut avancer deux argu-
1édaille qui sont à la fois diffé- ments. Tout d'abord, le processus démocratique présuppose tout d'abord cer-
:hent les défenseurs de la these taines conditions de fonctionnement parmi lesquelles il faut compter, au mini-
ts entre ces deux principes ou mum, les trois libertés démocratiques que som les libertés d'expression,
ture 70 • Ainsi, si l' on peut faire d'association et de réunion". Ensuite, le gouvernement du peuple a une finalité
,uvent inspirés d'une lecture précise qui est le gouvernement pour le peuple. La forme renvoie à une certaine
s soulevés méritent d'être ana- fin, comme l'a d'ailleurs toujours répété Rousseau. D'apres lui, la démocratie
.'il importe d'approfondir ici. vise à assurer le regne de la liberté individuelle et de l'égalité à travers la partici-
pation de tous les citoyens à un processus délibératif rationnel. C' est le mode
d' élaboration de la loi qui est censé garantir sa conformité à la volonté générale .
. Car de deux choses !'une : soit le La légalité induit, du fait de son origine démocratique, une certaine légitimité ce
! et alors il s' oppose au libéralisme en
iviste; soit le concept de démocratie qui autorise à présumer - jusqu'à preuve du contraire car nul n'est infaillible -
,alité, etc.) et alors la différence entre que la loi adoptée par tàus et s'appliquant à tous est juste 75 • Aussi la tension entre
'ontra H. DREIER, op. cit., p. 253 qui

que! la légitimité des P,artis politiques plus identifié la démocratie au regne de la majorité simple, puisqu'il prévoit plusieurs types de majo-
it sur le príncipe de l'Etat de droit, ce rité qualifiée, y inclus l'exigence d'unanimicé pour le contrat social (Contrai social, Liv. IV, chap. 2).
voir avec le príncipe de la démocratie. Enfin, il n'est guere un positiviste puisqu'il admet des limites de droic naturel à la souveraineté abso-
,en) n'ignorent guere qu'il est impos- lue du peuple. Sur tous ces détails, cf. supra n' 357 ss.
;ans incorporer au préalable certains 72. Cf O. GERSTENBERG, op. cit., p. 43.
sociation et de réunion. Mais, ils ne 73. Sur les aspects formeis de la démocratie, cf E.-W. BÕCKENFÕRDE, op. cit. ainsi que les
ertés restem suspendues dans le vide, ouvrages des positivistes tels que Kelsen ou Thoma (cf mpra n" 114 s).
onnent et un príncipe libéral auqud 74. Voir nos développements infra. En ce sens, la these de Kelsen et Radbruch selon lesquels la
, supprimé parle souverain démocra- démocratie présuppose le relativisme des valeurs ou le positivisme est erronée. Certes, le processus
démocratique implique une dose de relativisme ou un cenain pluralisme sans leque! il n'y a plus de
mstitutionnalisme qu'il a clairement choix et clone de liberté. En même temps, la démocratie ne peut se passer d'un minimum de prin-
e la séparation des pouvoirs. II est, au cipes a priori. Inversement, il est tout aussi faux d'assimiler te! que! le jusnaturalisme à une apologie
sité de discinguer nettement les pou- de l'autocracie. S'il est incontestable que certains défenseurs du droit naturel ont légitimé la monar-
peuple. Ce que vise sa fameuse raille- chie, l'aristocratie ou un régime mixte, d'autres et notamment les grandes figures de l'école moderne
! n'est ni la distinction des deux fonc- de droit naturel ont, au comraire, ceuvré pour un régime démocratique.
~s discincts, mais le rapport entre ces 75. De !à découle également l'idée, défendue par certains constitutionnalistes, d'une présomption
ace le législatif, composé uniquement (simple) de constitutionnalicé des !ois adopcées parle parlement. Cela dit, le législateur, même démo-
e l'exécutif. II y a un rapport hiérar- cratique, n'est pas à !'abri d'erreurs. La prémisse rousseauiste de l'autonomie, selon laquelle la par-
!xécutif sur un même plan afin qu'ils ticipation de tous garantir la justice de la !oi - __puisque personne n'est injusce envers lui-même -,
e et de l'administration, fait ainsi par- so~~fre d'exceptions comme !'a moncré O. HOFFE, « p_ie Menschenrechte ais Legitimation und
>asse. La théorie de la séparation des krmscher Massstab der Demokratie », in J. SCHWARTLANDER (dir.), Menschenrechte 1md Demo·
Juisqu' elle va de pair avec l' apologie kratie, op. cit., p. 258 ss: 1) On peut vouloirdu mal à soi-même. 2) On peut vouloir le bien ec néan-
1es Rousseau und die Idee des Rechts- moins se tromper. 3) En pratique, tous ne participem pas à l'élaboracion de la !oi faute de temps et
7, pp. 167-185). C'cst également déna- de moyens. 4) On peut vouloir le bien pour soi-même sur le dos d'autrui. Mais on ne saurait non
ébridé de la volonté, du caprice et de plus dénier toute légitimité à la !oi démocratique sous peine de verser dans une vision manichéenne.
:!e la volonté générale. II n'a pas non Quoi qu'on en dise, tous les élus ne som pas d'affreux égoi"stes et tous les juges ne som pas des sages.
u,Res
bCULDAOE OE OIREfT&
IIBLIOTECA
586 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocratic

les deux príncipes de la démocratie et du libéralisme ne doit-elle pas être assimi- suppose: « Les p
lée à un choc frontal entre, d'un côté, une légalité formelle vide, car dépourvue pérer un État, r.
de toute valeur intrinseque, et, de l'autre, une légitimité matérielle. Si confl.it il Comme l'a dit )
y a, il s'agit en réalité d'un confl.it entre deux modes de légitimation, l'un opé- vision qui rédui
rant plutôt par l'instauration de procédures, l'autre plutôt par l'objectivation de ment anti-étatiqz
príncipes substantiels 76 • 605 Trois argumenti
603 Si le principe démocratique n'est clone pas exclusivement formel, il serait tout d'un exposé ine}
aussí faux de réduire le líbéralisme à un principe exclusivement matériel. Ainsi qu'elle serait inc
qu'il ressort de l'article 16 de la Déclaration de 1789, les libéraux défendent à la vise, au contrair
fois l'idée substantielle des droits de l'homme et le principe formel de la sépara- effet, elle substi1
tion des pouvoirs. Au sein du concept libéral du Rechtsstaat du début du soit à la fois fort
XIX' siecle, qualifié à juste titre d'« intégral » par Ernst-Wolfgang Bõckenforde, infonne Ie pouv,
l'idée des droits de l'homme appelle le principe de la séparation des pouvoirs qui tort d'opposer e
en est la garantie institutionnelle. Celui-ci introduit le germe de la démocratie liberté individli(
puisqu'il suppose l'existence d'un organe législatif distinct du roi, le parlement, lement qu'il s'a(
lequel est composé en partie au moins par des représentants élus parle peuple. nouir. C'est à l'
Pour toutes ces raisons, l'opposition entre un príncipe formei de démocratie et l'ordre public, v
un principe matériel du libéralisme est réductrice puisqu'elle occulte Ies nom- surer des missio
breux points de chevauchement 77 • rielles minimale
l'interventionni:
2º Quant à la distinction entre le concept positifet le concept négatif sont pas moins
de la liberté qu'État-gendarn
exclusivement n
604 Un autre critere de différenciation, souvent évoqué parles auteurs allemands, sions propremer
vise la distinction entre le caractere « constitutif » de la démocratie et le caractere par nature antit
« limitatif» du libéralisme. Carl Schmitt s'en est fait le théoricien par excellence. s'agrandit au fu
Dans sa fameuse Verfassungslehre de 1928, il conçoit le príncipe du Rechtsstaat serait clone max
comme un élément apolitique, si ce n'est antipolitique, par opposition au prín- autrement dit l'
cipe dit « politique » de Ia démocratie 7". Si la démocratie permet de fonder l' exis- faut sortir, selon
tence et l'unité du souverain et, par conséquent, de l'État, !e Rechtsstaat aurait puisse s'épanoui
pour seu! objectif de restreindre et d'amputer la puissance d'un État qu'il pré- différenciation é

76. Cf 1. MAUS, • Volkssouveranitat versus Konstitutionalismus. Zum Begriff einer demokrati- 79. C. SCHMITT,,
schen Verfassung », in G. FRANKENBERG (dir.), Azif der Suche nach der gerechten Gesellschafi, du XIXº siecle : trop
Frankfurt, Fischer, 1994, p. 76; Cf 1. MAUS,« Emwicklung und Funktionswandel der Theorie libéraux se comente
des bürgerlichen Rechtsstaats », in M. TOHIDIPUR (dir.), Der btirgerliche Rechtsstaat, Frankfurt, par.ut encore dans
Suhrkamp, 1978, t. 1, p. 15, 47, 58; D. GRIMM, op. cit., p. 705. Rechte, entre statlls"
77. Cf K. HESSE, op. cit., p. 120 s (Rn. 276). D'apres Iui, chacun des concepts majeurs de Ia science timation und kritisc
constitutionnelle se rattache aux deux príncipes respectifs, qu'il s'agisse de la notion des droits de et 256; N. BOBBIC
l'homme, de la séparation des pouvoirs, de la Ioi, de la garamie juridictionnelle de la constitu- le « distribuer » ; F. ~
tion, etc. C' est ce qui rcssort également de la place du príncipe de la séparation de pouvoirs dans les of Comradictions i,
divers manuels et ouvrages sciemifiques ailemands. Si certains développent Ie príncipe de la sépara- op. cit., p. 131 qui se
tion des pouvoirs dans le chapitre consacré au Rechtsstaat, d'autres l'incluent, au contraire, dans le of liberty » et le « pu
príncipe de la démocratie - Rousseau oblige ! -, sans parler d'une troisieme catégorie d'auteurs qui 80. Cf K. HESSE, r
le rangc,_m à part, à côté des deux príncipes. Cf Ies renvois bibliographiques chez E.-W. BÕC- sion citée est de F. h
KENFORDE, op. cit., p. 369 note 369. 81. Cf K. HESSE, 1
78. Cf la partie II(« Der rechtsstaatliche Bestandteil der modernen Verfasscmg ») et III(« Der politische 82. Cf par ex. H. K
Bestandteil der modemen Verfasszmg »)desa Verfasscmgslehre. l'absence de toute obl
oit et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 587

me ne doit-elle pas être assimi- suppose : « Les príncipes de la liberté individuelle peuvent, certes, modifier ou tem-
; formelle vide, car dépourvue pérer un État, mais ils ne sauraient d'eux-mêmes fonder une forme politique.
;itimité matérielle. Si conflit il Comme l'a dit pertinemment Mazzini : "La liberté ne constitue rien." »" Cette
ides de légitimation, l'un opé- vision qui réduit la pensée libérale du Rechtsstaat à une conception « essentielle-
'.e plutôt par l'objectivation de ment anti-étatique » a été vivement critiquée"º.
605 Trois arguments peuvent être avancés à son encontre. Premierement, il s'agit
sivement formei, il serait tout d'un exposé inexact de la théorie libérale. Loin de se contenter de limiter un État
exclusivement matériel. Ainsi qu'elle serait incapable à elle toute seule de fonder, la théorie du contrat social
'89, les libéraux défendent à la vise, au contraire, à jeter les bases rationnelles de la puissance publique. À cet
e principe formei de la sépara- effet, elle substitue à un état de nature potentiellement anarchique un État qui
du Rechtsstaat du début du soit à la fois fort et limité. Ces deux aspects sont inséparables en ce que le droit
Ernst-Wolfgang Bi:ickenforde, informe le pouvoir: il le constitue et le limite tout à la fois" et l'on aurait clone
la séparation des pouvoirs qui tort d'opposer catégoriquement la liberté et l'État. Deuxiemement, si l'idée de
luit le germe de la démocratie liberté individuelle postule que l'État s'abstienne de certains actes, elle exige éga-
f distinct du roi, le parlement, lement qu'il s' ac)l_uitte de son rôle actif, positif, sans lequel elle ne saurait s' épa-
Jrésentants élus par le peuple. nouir. C'est à l'Etat qu'il revient, au nom de la liberté, de maintenir la paix et
ncipe formei de démocratie et l'ordre public, voire, selon les néo-libéraux anglais du début du XX' siecle, d'as-
e puisqu'elle occulte les nom- surer des missions de service public afin de fournir à tous les conditions maté-
rielles minimales pour jouir de la liberté. Même les plus farouches opposants à
l'interventionnisme des pouvoirs publics en matiere économique et sociale n' en
i/ et le concept négatif sont pas moins obligés de reconna1tre le rôle positif, actif, de l'État en tant
qu'État-gendarme. Troisiemement, si l'on applique jusqu'au bout la conception
exclusivement négative de la liberté et du libéralisme, on aboutit à des conclu-
1ué par les auteurs allemands, sions proprement absurdes. À suppos,er en effet que la liberté de l'individu soit
:le la démocratie et le caractere par nature antithétique à l'idée de l'Etat 81 , il faudrait en déduire que la liberté
Lit le théoricien par excellence. s'agrandit au for et à mesure que la puissance publique se rétrécit. La liberté
;oit le principe du Rechtsstaat serait clone maximale, totale, lorsque l'État a disparu, lorsque regne l'anarchie,
tique, par opposition au prin- autrement dit l'état de nature! Or c'est précisément de cet état de nature qu'il
,cratie permet de fonder l'exis- faut sortir, selon les théoriciens du contrat social, pour que la liberté individuelle
de l'État, le Rechtsstaat aurait puisse s'épanouir pleinement. C'est dire qu'on ne peut que rejeter ce critere de
puissance d'un État qu'il pré- différenciation entre démocratie et libéralisme.

smus. Zum Begriff einer demokraci- 79. C. SCHMITT, op. cit., p. 200. On reconnaiJ là le contexte hiscorique parciculier de l'Allemagne
S11che nach der gerechten Gesellschafi, du XIX' siecle : crop faibles pour conquérir un Ecac bureaucracique royal héricé de l'absolucisme, les
g und Funkcionswandel der Theorie libéraux se contentent d' en limicer la capacicé de nuisance grâce au principe de légalicé. L'idée trans-
)er bürgerliche Rechtsstaat, Frankfurt, paraic encare dans la discinction esquissée par G. JELL~_K, System der subjektiven õ/fent!ichen
5. Rechte, entre status activ11s et status negativus. Cf aussi O. HOFFE, « J:?.ie Menschenrechte ais Legi-
:un des concepts majeurs de la science cimacion und kritischer Massstab der Demokratie », in J. SCHWARTLANDER (dir.), op. cit., p. 254
1'il s'agisse de la nocion des droics de et 256; N. BOBBIO, op. cit., p. 12 qui distingue entre l'exigence de« limiter » le pouvoir ec celle de
antie juridiccionnelle de la conscicu- le « distrib11er »; F. SEJERSTED, • Democracy and the Rule of Law: Some Hiscorical Experiences
! de la séparacion de pouvoirs dans les of Contradiccions in the Striving for Good Government », in J. ELSER & R. SLAGSTAD (dir.),
développent le principe de la sépara- op. cit., p. 131 qui se réfere à la distinccion développée par Sir Isaiah Berlin entre le « negative concept
tucres l'incluent, au contraire, dans le of liberty » et le « positive concept », nomenclacure qui est proche de celle de Jellinek.
'une croisieme cacégorie d'auceurs__qui 80. Cf K. HESSE, op. cit., p. 84 (Rn. 186) et p. 120 (Rn. 274). Lire aussi p. 5 s (Rn. 6 ec 8). L'expres-
, bibliographiques chez E.-W. BOC- sion citée est de F. KLEIN, « Bonner Grundgesetz und Rechcsscaat », ZgSt W, vai. 106, 1950, p. 407.
81. Cf K. HESSE, op. cit., p. 5 ss.
,en Ve,fassrmg ») et III(« Derpolitische 82. Cf par ex. H. KELSEN, Allgemeine Staatslehre, p. 150: « En ce sens, la liberté signifie simplement
l'absence de to11te obligation juridiq11e » et H. DREIER, Rechtslehre ... , p. 252 note 18.
588 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocra,

3° Quant à la distinction entre le peuple et l'individu, phique, il im1


entre le citoyen et l'homme sens fort du it,
à l'unanimité 1
606 II est un autre critere de poids que l'on invoque souvent dans ce débat et qu'il origine. Au ni
faut pourtant relativiser. II s'agit de la question du fondement anthropologique qui font la loi
de chacun des deux principes. Selon un premier argument, les deux príncipes démocratie dé
s'opposent puisque l'un se fonde sur une entité collective, le peuple, alars que notera égalern
l'autre se fonde sur l'individu. Or, là aussi il n'y a pas d'antithese, mais plutôt de vote à cer
une imbrication étroite. N'en déplaise à certains théoriciens organicistes, déci- citoyenneté et
sionistes ou racistes, le peuple n'a pas d'existence propre, autonome, à côté ou deux figures d
A
au-dessus des êtres humains pris ut singuli". Le peuple n'est en effet qu'un « arte- sur un meme
factdu droit », qu'un « Kunstgeschopf», comme l'a ditJoseph Isensee". II n'existe Au vu de t<
qu'à travers les membres qui le composent, c'est-à-dire les individus libres et deux concept
égaux'5, dotés de dignité humaine, ce qui fait, d'apres Peter Haberle"', que l'idée explorer les li,
des droits de l'homrne est inscrite au creur même de l'idée de la souveraineté du
peuple. À cela rétorquent toutefois les disciples de la these de l'antinomie que le § 2.
peuple est, certes, un ensemble créé parle droit, mais que celui-ci est constitué
non pas d'« individus », mais de« citoyens » à l'exclusion de tous les étrangers".
II est vrai que la différence entre les droits des citoyens et les droits de l'homme,
pour reprendre la formule de la Déclaration de 1789, est représentative du droit 607 Pour cerner lc
positif de la plupart, mais pas de tous les pays occidentaux. Sur le plan philoso- il ne faut ni le
ser radicalemc
rnement entré
83. Contra la théorie de C. Schmitt qui conçoit le peuple comme un être homogene qui existe deux príncipe
indépendamment de toute regle juridique. Cf l'exposé des idées schmittiennes par H. EHMKE, nité -, ce qu
Grenzen der Verfasszmgsãnderzmg, op. cit., p. 41 ss. Sur la « fiction de la présence immédiate du peuple
politique à soi-même », rhéorie qui, en récusanr coute forme, tout écan, et donc coute différence, s' est reconnaítre u1
fourvoyée dans le totalitarisme et qui appelle a contrario une réflexion sur le caractere informé, abs- rnomentou n
Cf:\it et donc représentatif de la démocrarie, même directe, !_ire l'érude stimulanre d'O. JOUANJAN, II n'en reste p
« Etat de droit, forme de gouvernement et représentarion. A panir d'un passage d'un Kant», Annales
de la Faculté de droit de Strasbourg, n" 2, 1998, spéc. p. 283 ss. une sorte de ,
84. Cf J. ISENSEE, op. cit., p. 162. Voir aussi H.-P. SCHNEIDER, « Die verfassunggebende vers la matric1
Gewalt », in J. ISENSEE & P. KIRCHHOF (dir.), op. cit., t. VII, 1992, p. 13: « Le peupe en tant que dans l'épreuvi
masseam,orphe n'a pas de volonté ». La fameuse diatribe de Sieyes dans le chapitre V du Qu'est-ce que
!e Tim Etat? (éd. R. Zapperi, Geneve, Droz, p. 183: « De que/que maniere qu'11ne n,1tion veuille, il à l' époque de:
sufjit qu 'elle veuille; toll/es les formes sont bonnes et sa volonté est tottjours la !oi s11prême. (. ..) Une nation l'on doit !'ex
est indépendante de toute forme») ne doit pas induire en erreur à ce sujet. Son propos se dirige tout rnême oppro
enrier conrre les formes que l'on voudrait imposer à la narion au nom du droit positif, à savoir sa
subdivision en rrois états. II n' en reste pas moins que, pour Sieyes, le peuple a besoin de principes
formeis pour se constiruer et exister. Seulement ces príncipes résidenr dans les príncipes de droit
naturel que som les principes d'égalité et de libené. C'esr pourquoi il affirme que« la nationsefonne
par !e seu/ droit nawrel » (ibid., p. 181). 88. Cet élargiss~
85. Dans sa fameuse décision sur la norion de « peuple corse », le Conseil consritutionnel a mis en par E.-W. B00
exergue le fait que le peuple (français) s' est construir dans le respect des droirs de l'homme. Cf déci- ciroyens et desci,
sion 91-220 du 9 mai 1991 (statut de la Corse), considérant 12 et 13. lui-même situe à
86. P. HABERLE, op. cit., p. 847: « La souveraineté du peuple repose en "dernier" et en premier (!) lieu 89. CfJ. WAU:
mr la dignité humaine. Le pe11ple n 'est pas 11ne entité mystique, mais /,1 réunion d'zme Joule d'hommes dis- ralisme et la dém
pos,mt chacun desa propredignité: il s'agit de l'associt1tion d'une "multituded'hommes" sousdes fois juri- l'individualisme.
diques (au sens kantien), association qui est située géographiquement, qui se constmit et se développe au fil 90. H. RYFFEL
du temps, et qui est vécue en public et de façon responsable; autrement dit, il s'agit du peuple constilllé p. 83. Ce ~ernie1
démocratiquement et lié, en sa conscience, au príncipe de !t1 dignité humaine. » 91. W. KAGI, Oj
87. Cf C. SCHMITT, op. cit., p. 226 s et p. 253; E.-W. BÕCKENFÕRDE, op. cit., p. 311 ss et 332; 92. Cf J. GICQ
C. STARCK, op. cit., p. 25 s. 1993, p. 195 noc,
·oit et la jústice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 589

1dividu, phique, il importe toutefois de noter l'absence de ce critere de nationalité (au


sens fort du ius sanguinis) dans la théorie du contrat social, lequel est approuvé
à l'unanimité par tous les individus présents sur un territoire, quelle que soit leur
souvent dans ce débat et qu'il origine. Au niveau du contrat social, il existe une adéquation parfaite entre ceux
u fondement anthropologique qui font la loi et ceux à qui elle doit s'appliquer. Aussi n'est-il pas rare de voir la
argument, les deux príncipes démocratie définie par rapport à la catégorie des destinataires des normes 88 • On
:ollective, le peuple, alors que notera également qu'en 1793 les Révolutionnaires français ont accordé le droit
a pas d'antithese, mais plutôt de vote à certains étrangers, illustrant par là même que dans leur esprit la
théoriciens organicistes, déci- citoyenneté et la nationalité ne se confondaient point. Fondamentalement, les
'. propre, autonome, à côté ou deux figures du citoyen et de l'individu se rejoignent en ce qu'elles sont fondées
L1ple n'est en effet qu'un « arte- sur un même idéal, qui est celui d'un être humain autonome et raisonnable ".
dit Joseph Isensee ". II n' existe Au vu de tous ces éléments, il conviem de dépasser la vision antagoniste des
t-à-dire les individus libres et deux concepts de la démocratie et du libéralisme. II s'agit, au contraire, d'en
>res Peter Haberle'", que l'idée explorer les liens intimes, ce à quoi tend la these de la consubstantialité.
de l'idée de la souveraineté du
· la these de l'antinomie que le § 2. LA THESE DE LA CONSUBSTANTIALITÉ ENTRE LIBERTÉ
mais que celui-ci est constitué
INDIVIDUELLE ET LIBERTÉ POLITIQUE
clusion de tous les étrangers".
yens et les droits de l'homme,
89, est représentative du droit 607 Pour cerner les rapports entre démocratie et libéralisme, la voie est clone étroite :
identaux. Sur le plan philoso- il ne faut ni les confondre comme s'il s'agissait de deux synonymes, ni les oppo-
ser radicalement comme le fait la these de l'antinomie. Les deux sont plutôt inti-
mement entrelacés, ce qui ressort déjà d'un bref aperçu de leur généalogie. Les
omme un être homogene qui existe deux príncipes se déploient ainsi dans un même temps historique - la moder-
lées schmittiennes par H. EHMKE,
011 de la présence immédiate d11 pe11ple nité -, ce qui n'est pas un hasard comme le note H. Ryffel'º, même s'il faut
1t écarc, et clone coute différence, s' est reconnaltre un certain décalage, plus ou moins importam selon les pays, entre le
rnexion sur le caractere informé abs- moment ou nalt la liberté individuelle et la reconnaissance du suffrage universel.
étude stimulame d'O. JOUANÍAN,
1:ird'un passage d'un Kant »,Annales II n'en reste pas moins que les deux príncipes se trouvent liés l'un à l'autre dans
une sorte de « communauté de destin » (W. Kagi "1) : unis dans leur origine à tra-
\/EIDER, « Die verfassunggebende vers la macrice commune qu'est la théorie du contrat social, ils le sont également
[!, 1992, p. 13 : « Le peupe en tant q11e
~s dans le chapitre V du Qu'est-ce que dans l'épreuve de l'adversité lorsqu'ils se retrouvent sur le mêine bane d'accusés
lq11e maniere qtt 'zme n,,tion ve11ille, il à l'époque des régimes totalitaires du XX' siecle. C'est d'ailleurs à Mussolini que
011jo11rs la foi suprême. (. ..) Une nation l'on doit l'expression de « démo-libéralisme » qui est censée réunir dans une
à ce sujet. Son propos se dirige tout
1 au nom du droit positif, à savoir sa
même opprobre tous les príncipes des Lumieres 92 • Car, abstraction faite de
~yes, le peuple a besoin de príncipes
résident dans les príncipes de droit
uoi il affirme que« la nation se forme
88. Cet élargissement ~e la base anthropologique de la démocratie est d' ailleurs vivement critiquée
le Conseil constitutionnel a mis en par E.-W. BOCKENFORDE, op. cit., Rn. 27, p. 312. II s'oppose à cette confusion récurrente entre
pect des droits de l'homme. Cf déci- citoyens et destinataires des normes puisque cette derniere catégorie inclut les étrangers. Pourtant,
t 13. lui-même situe à !'origine de la démocratie l'idée d'aut<?.nomie « individ11elle » (cf. Rn. 35 s, p. 321 s).
:pose en "dernier" et en premier (!) liett 89. Cf J. WALDRON, op. cit., p. 38 et surcout J. THUR, op. cit., p. 85-90. D'apres celui-ci, le libé-
s /,, rézmion d'zme Joule d'hommes dis- ralisme et la démocratie parcagent une même image de l'homme qui se caractérise par trois éléments:
ntt!titude·d'hommes" sous des fois juri- l'individualisme, le rationalisme et l'optimisme.
,1, q11i se constrnit el se développe au fil 90. H. RYFFEL, « Menschenrechte und Demokratie », in J. SCHWARTLÃNDER (dir.), op. cit.,
ment dit, il s'agit du peuple constit11é p. 83. Ce ~ernier ouvrage est tout emier axé sur la these de la consubstantialité.
f htanaine. » 91. W. KAGI, op. cit., p. 107.
:NFÔRDE, op. cit., p. 311 ss et 332; 92. Cf J. GICQUEL, Droit constiwtionnel et instit11tions politiq11es, 12° éd., Paris, Montchrestien,
1993, p. 195 note 8.
590 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Deladémoo

quelques consultations populaires de façade, effectuées à des fins propagandistes, forcée, voire
les régimes totalitaires fasciste, nazi, stalinien, etc. ne tolerem ni la liberté indi- seau ";. D'aill
viduelle ni la liberté politique puisqu'ils en récusent l' élément central, à savoir regne de la rr
l'idée de choix 93 • tant sur le f;
L'histoire met ainsi à jour des affinités philosophiques plus profondes entre !' existence d
ces deux príncipes dont l'un appelle l'autre: d'un côté, la démocratie ne peut se concrets de <
concevoir sans le libéralisme qui en est une condition de fonctionnement (A); rité à deveni1
de l'autre, le príncipe de l'autonomie individuelle débouche logiquement sur la n'a pas le drc
liberté politique qui en est non seulement la meilleure garantie, mais aussi le par- la porte», po
achevement logique (B). tifie notamrr
ment la mirn
A. Les droits de l'homme, conditio sine qua non de la démocratie Onpeut a
l'homme co1
608 On pourrait se placer immédiatement sur un plan éthique pour affirmer que n'est pas vén
l'idée des droits de l'homme est si essentielle à l'humanité que nul régime, ni de Weimar,e
même la démocratie, ne pourrait y porter atteinte; elle s'impose d'elle-même. la tres riche
Une telle démonstration risque néanmoins de ne pas convaincre les adeptes souscrivent ~
d'une définition strictement formelle de la démocratie quine tarderont pas d'ar- tinomie 10'. S
guer de la relativité des valeurs. Le débat risque par conséquent de tourner court,
chacun restam campé sur ses positions. II faut par conséquent choisir un autre
95. Cf ].-]. R1
angle d'attaque, plus subversif, qui consiste à accepter, par hypothese, la défini- C. SCHMITT,
tion adverse pour mieux en démontrer les failles de l'intérieur. II s'avere en effet tendre la démo,
que, si l'on part de la définition procédurale de la démocratie, sur laquelle tout démocratique d
cratie au sens k
le monde est à peu pres d'accord, on ne peut logiquement faire l'économie de pression, de rél
certains príncipes a priori qui sont de nature à la fois formels et matériels. On ne constitutionnal i
saurait clone s'arrêter à une définition qui identifie la démocratie au regne sans ral (garantie de,
96. H. KELSE'.
limites de la majorité élue. 97. H. KELSE:
98. Cf supra n
de la minorité, ,
1º Les conditions de fonctionnement de la démocratie au sens forme! Dans sa Allgenu
ment la « possih,
609 On peut aborder sous différents angles ce travai!, proprement kantien, de mise à (p. 324). Dans Li
même que la dé 1
jour des conditions de possibilité théoriques de la démocratie. On peut tout cratie. Sa nallln,
d'abord s'interroger sur la faisabilité d'une démocratie identifiée au regne de la {Tübingen, Mal
majorité. II reste alors à élucider pourquoi la minorité serait obligée de suivre liberté de ]'espri
tolérance et de 1
l'avis de la majorité. Si l'on estime, en effet, que l'on ne peut être lié que par sa poim d'orgue L'
propre volonté, le príncipe majoritaire doit nécessairement être fondé sur une Ethics (1955, vol
regle antérieure par laquelle tous acceptent d'être soumis, par la suite, à la cratie et libéral i
témoigne cette 1
l volonté de la majorité". Cela prouve par conséquent que la démocratie ne peut po11voird11 peup,
i faire completement abstraction de certains príncipes adoptés à une majorité ren- tion de la Reine
i affirme que « /e
taire » (p. 389}.
l 99. A. SQUELI
j' 93. Sur le caractere factice des trois référendums organisés par Hitler, cf. supra n· 554 note 148.
Quant aux élections organisées parles nazis pour un Reichstag qui n'avait plus aucun rôle législatif,
100. C. SCHM
p. 31. Lire ..spéc.
l
elles ne furem guere,!ibres puisqu'il n'y eut qu'un seu! parti. 101. R. BAUM
94. Cf I. KANT,« Uber den Gemeinspruch : Das mag in der Theorie richtig sein, taugt aber nicht 102. Cf par ex.
für die Praxis », op. cit., p. 152 s. K. HESSE, op. ,
oit et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 591

:uées à des fins propagandistes, forcée, voire à l'unanimité, comme c'est le cas pour le comrat social chez Rous-
. ne tolerem ni la liberté indi- seau 95 • D'ailleurs, Kelsen a pris soin de ne pas confondre la démocratie avec le
:em l'élémem central, à savoir regne de la majorité 96 - pourtam qualifiée de « roidela démocratie » 97 - en insis-
tant sur le fait que l'idée même de majorité, qui n'est pas la totalité, postule
>phiques plus profondes entre l'existence d'une minorité. Si le ma'ltre de Vienne a tergiversé sur les effets
côté, la démocratie ne peut se concrets de ce principe"S, d'autres insistem en revanche sur le droit de la mino-
ition de fonctionnement (A); rité à devenir à son tour la majorité"". Cela signifie au minimum que la majorité
débouche logiquement sur la n' a pas le droit d' interrompre le processus démocratique « en fennant derriere elle
:ure garantie, mais aussi le par- la porte», pour reprendre la fameuse métaphore de Carl Schmitt 100 • Ainsi se jus-
tifie notammem l'imerdiction du suicide légal de la démocratie qui prive juste-
ment la minorité et les générations futures de leur droit à la démocratie.
'Ua non de la démocratie
On peut aller plus loin dans ce raisonnement en arguam que tous les droits de
l'homme constituem une « condition fonctionnelle » 'º' de la démocratie. L'idée
an éthique pour affirmer que n'est pas véritablement nouvelle: si elle appara1t d'abord timidemem à l'époque
'humanité que nul régime, ni de Weimar, elle se trouve au creur des réflexions d'apres-guerre, notamment dans
:e; elle s'impose d'elle-même. la tres riche doctrine suisse, et constitue depuis lors un lieu commun auquel
1e pas convaincre les adeptes souscrivent également, du moins en pareie, certains disciples de la these de l'an-
ratie quine tarderont pas d'ar- tinomie 10'. Sa portée théorique, à vrai dire cruciale, reste toutefois à creuser.
. conséquem de tourner court,
r conséquem choisir un autre
95. Cf J.-J. ROUSSEAU, Le conlrat social, Livr. IV, chap. 2; J. THÜR, op. cit., p. 100;
pter, par hypothese, la défini- C. SCHMITT, op. cit., p. 252 q_ui va m&IT!~ jusqu'à dire que l'unanimité est l'idéal vers leque! doit
e l'intérieur. 11 s'avere en effet tendre la démocratie; E.-W. BOCKENFORDE, op. cit., Rn. 53, p. 338 s qui admet la légitimité
démocratie, sur laquelle tout démocratique des majorités qualifiées pour garantir justement les éléments essentiels de la démo-
cratie au sens formei, à savoir les droits fondamentaux démocratiques (droit de vote, libertés d'ex-
iquement faire l'économie de pression, de réunion et d'association) ainsi que le principe d'égalité. II existe donc à ses yeux un
,is formels et matériels. On ne constitutionnalisme proprement démocratique qui doit &tre distingué du constitutionnalisme libé-
e la démocratie au regne sans ral (garamie des droits de l'homme).
96. H. KELSEN, Allgemeine Staatslehre, 1925, p. 324.
97. H. KELSEN, « Vom Wesen und Wert der Demokratie ", 1" éd., 1920, op. cit., p.59.
98. Cf mpra n" 115. Dans son arricle précité de 1920, Kelsen évoque deux mécanismes de protection
de la minorité, à savoir les droits de l'homme et la représentation proportionnelle (ibid., p. 59 et 83}.
Jcratie au sens formei Dans sa Allgemeine Staatslehre de 1925, sa réponse est beaucoup plus ambigue: il y évoque simple-
ment la « possibilité,, et non pas une « nécessité,, logique de protéger la minorité contre la majorité
,roprement kantien, de mise à (p. 324). Dans la seconde édition, remodelée, de son article sur la démocratie, qui date de 1929, il dira
m&me que la démocratie peut logiquement supprimer la liberté individuelle sans se renier (La Démo-
la démocratie. On peut tout cralie. Sa natltre, sa valeur, op. cit., p. 22). En 1933, dans son opuscule Slaatsform und Weltanschauung
:ratie identifiée au regne de la (Tübingen, Mohr, 1933, 30 p.), il dira au contraire qu'il n'y a pas de démocratie sans le respect de la
10rité serait obligée de suivre liberté de l'esprit, de la liberté d'expression, de la liberté de religion et de conscience, du príncipe de
tolérance et de la liberté de la science. Cette matérialisation du concept de démocratie connait son
on ne peut être lié que par sa point d'orgue en 1955, avec son long article « Foundations of Democracy ,, publié dans la revue
:sairement être fondé sur une Ethics (1955, vol. LXVI, pp. 1-101, spéc. p. 27). II y affirme nettement le lien indissoluble entre démo-
re soumis, par la suite, à la cratie et libéralisme. Or m&me dans ce texte, il !ui arrive encare d'évoquer la these adverse. En
témoigne cette remarque succincte ou il énonce que « confonnémenl au príncipe de la démocratie, le
!m que la démocratie ne peut po11voir du peuple est illimité,, (p. 3). Dans son texte Das Problem der Gerechtigkeit annexé à la 2"' édi-
es adoptés à une majorité ren- tion de la Reine Rechlslehre (Wien, Deuticke, 1960), il semble revenir à sa position initiale puisqu'il
affirme que« le príncipe d'autonomie politiq11e ne s'oppose pas à l'instauration d'tme démocratie tolali-
taire ,, (p. 389).
99. A. SQUELLA, op. cit., p. 146; D. GRIMM, op. cit., p. 708; C. STARCK, op. cil., p. 20.
ar Hitler, cf mpra n" 554 note 148. 100. C. SCHMITT, Legalitãt zmd Legi~_imitãt (19?.2), 5, éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1993,
qui n'avait plus aucun rôle législatif, p. 31. Lire_:5péc. p. 28-37. Adde E.-W. BOCKENFORDE, op. cit., Rn. 54, p. 340.
101. R. BAUMLIN, Die rechtsstaatliche Demokratie, op. cit., p. 94.
fheorie richtig sein, taugt aber nicht 102. Cf par ex. E.-W. BÕCKENFÕRDE, op. cil., p. 323-327; C. STARCK, op. cit., p. 5 et 22 s;
K. HESSE, op. cit., p. 72 et 134; H. DREIER, « Are. 20 (Demokratie) ", in H. DREIER (dir.), Grnnd-
592 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocra

Si l'on prend en effet au sérieux l'idée du débat démocratique et du processus en ceuvre revi
électoral dont est censé jaillir la volonté populaire, on doit convenir qu'il ne peut là le principe 1
y avoir de démocratie au sens formel sans respect préalable des droits de l'indi- dans son sens
vidu. Il n'y a d'élection démocratique, au vrai sens du terme, que s'il y a un choix pas en déduin
possible entre plusieurs options, si ce choix peut se faire en toute liberté, à inter- veraineté préc
. . .
valles réguliers et en connaissance de cause, et si tous les citoyens ont le même pnnc1pes 1mn
droit d'y participer. Il n'y a de démocratie que si le pluralisme est respecté, ainsi tuent et limitt
que l' ont dit le Conseil constitutionnel français 103, la Cour constitutionnelle riorité logiqw
fédérale allemande 101 et la Cour européenne des droits de l'homme 1º'. La liberté peut être écrit
d'expression, d'information, de presse, d'association et de réunion formem ainsi l' on estime rn
les piliers indispensables de tout processus qui se veut démocratique. Ils font par- Le pouvoir
tie de ce que E.-W. Bockenfõrde appelle les « droits fondamentaux démocra- ceuvre de ces
tiques » 100 • On peut même dire qu'il n'y a de débat démocratique possible que si, L'école d'Hal
au préalable, tous les citoyens se sont reconnus mutuellement la qualité d'agents et l'État de dr
libres et égaux 107 • L'autonomie du tout n'est que la résultante de l'autonomie de montre ainsi
chacun de ses membres pris individuellement 1º'. nelle du proc
610 Il ressort de ce qui vient d'être dit que le pouvoir du souverain démocratique
résultat puisq
- peu importe ici de savoir si le titulaire de la souveraineté est le peuple ou la les lois qui e1
nation - est en son essence limité, car infomié par plusieurs principes a priori. la formule su
sans droit légi1
L'idée de démocratie, au sens formel, fournit ainsi la justification d'un ensemble
de libertés et de droits dont le principe au moins est « soustrait aux aléas de la déci- cipes a prion
sion politique » 1º', même si la définition des modalités particulieres de leur mise
finale qui rés1
tingue entre
juspositiviste
qui sont de
geset";. Kommentar, t. II, p. 53 ss; O. HÕFFE, op. cit., p. 257; O. GERSTENBERG, op. cit., p. 15 ss; 1" le suffrage
P. GERARD, op. cit., p. 129; M. CAPPELLETTI, le pouvoir des j11ges, Paris, Aix-en-Provence, Eco- façon général
nomica, PUAM, 1990, p. 274; O. BEAUD, op. cit., p. 301 ss; A. SQUELLA, op. cit., p. 146; la démocratie
R. DWORKIN,A Bill ofRightsfor Britain, op. cit., p. 33; Z. GIACOMETTI, op. cit., p. 5 s; id.,Das
Staatsrecht der scbweizerischen Kantone, Zürich, Polygraphischer Verlag, 1941, p. 167; W. KÃGI,
op. cit., p. 137 s; J. ISENSEE, op. cit., p. 173 s; Voir aussi supra n-· 115 (Kelsen et surtout Thoma) er
n" 289 (débat actuel en Angleterre).
103. Décision 89-271 DC du 11 janvier 1990, R. p. 21 : « L 'exigence d11 pl11ralisme des courants d'idées
et d'opions constiwe le fondement de la démocratie. " Cf D. ROUSSEAU, Droit d11 contentiettx consti- 110. Cf K. HES
wtionnel, 5° éd., Paris, Montchrestien, 1999, p. 308 ss. op. cit., p. 208 s.
104. D'apres la Cour, la liberté d'expression esr un élément « to11t bonnement constit11tif" de la 111. O. GERST
démocratie (BVerfGE, 7, 189 [208]). Par la suite, elle a étendue ce qualificatif à la liberté de la presse, Vorbedingung u1,
de la radio et du cinéma (BVerfGE, 20, 56 (97)), à la liberté d'information (BVerfGE, 27, 71 [81]) ainsi comme co11ditio11
qu'à la !)berté de réunion (BVerfGE, 69,315 [345]). Cf C. STARCK, op. cit., p. 22 s et E.-W. BÕC- 112. Ibid.
KENFORDE, op. cit., p. 323. 113. Cf la distin
105. Voir par ex. sa célebre décision Handyside du 7.12.1976, série A, n" 24, § 49. Pour un exposé de l'homme" (an
compler cf S. MARKS, « The European Convemion on Human Rights and its "Democratic 114. Cf J. LA\\•
Society"", BYIL, vol. 66, 1995, p. 212 s. l'homme. Dans
106. E.-W. BÕCKENFÕRDE, op. cit., Rn. 37, p. 323. II y inclut également le droit de vote et le 115. Ainsi, le p,
droit d'acces aux fonctions publiques. constiruant déri •
107. Ce point esr bien mis en évidence par O. GERSTENBERG, op. cit., p. 44. universel nonob
108. C. STARCK, op. cit., p. 23 (« La démocratie, c'est-à-dire l'a11todétemúnation du peuple dépend de Grenzen der Ver/
la liberté et de l'a11todétenninatio11 de ses membres individueis»); Z. GIACOMETTI, Das Staatsrecht ... , 116. Cf G.RAI
op. cit., p. 165 (« Sans liberté i11divid11elle il n'y a point de liberté po/itiq11e »); R. ALEXY, « Die Insti- t. III, 1990, PP·
tutionalisierung der Menschenrechte im demokrarischen Verfassungsstaat », i11 S. GOSEPATH Kelsen, p. 270. L
& G. LOI;IMANN (dir.), op. cit., p. 261 (« L'a11tonomie ne se laisse p,ts diviser »). nable de la liber
109. P. GERARD, op. cit., p. 130. acruelle à accéde
Jit et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 593

démocratique et du processus en ceuvre revient de droit à la majorité élue. L'État de droit, si l' on entend par
on doit convenir qu'il ne peut là le principe du droit et des droits de l'homme, précede ainsi la démocratie prise
préalable des droits de l'indi- dans son sens formei. La formule peut néanmoins prêter à confusion. II ne faut
du terme, que s'il y a un choix pas en déduire que ces principes viendraient se greffer de l'extérieur sur une sou-
e faire en toute liberté, à inter- veraineté préexistante, monolithique et sans bornes 11 º. II s'agit, au contraire, de
tous les citoyens ont le même principes immanents qui se situem à la source d'une souveraineté qu'ils consti-
e pluralisme est respecté, ainsi tuem et limitem tout à la fois. Du point de vue de la technique juridique, la supé-
11
º , la Cour constitutionnelle riorité logique de ces principes se traduit par l'émergence d'une constitution qui
·oits de l'homme 10'. La liberté peut être écrite ou coutumiere, souple ou rigide, selon le degré de protection que
>n et de réunion formem ainsi l'on estime nécessaire dans une société politique donnée.
:ut démocratique. IIs font par- Le pouvoir politique dispose clone d'une marge de manceuvre dans la mise en
1roits fondamentaux démocra- ceuvre de ces príncipes dom le contenu reste sujet à certaines imprécisions.
démocratique possible que si, L'école d'Habermas parle à cet égard d'un lien « circulaire » entre la démocratie
tuellement la qualité d'agents et l'État de droit, quine serait pourtant pas tautologique 111 • Oliver Gerstenberg
l résultante de l'autonomie de montre ainsi que, si les droits de l'homme constituem une condition fonction-
nelle du processus délibératif démocratique, elles en som en même temps le
r du souverain démocratique résultat puisqu'il revient à la majorité démocratique de poser la constitution et
uveraineté est !e peuple ou la les !ois qui en définissent le statut juridique précis. C'est ce qu'il résume par
r plusieurs principes a priori. la formule suivante : « Pas de droit légitime sans démocratie, pas de démocratie
la justification d'un ensemble sans droit légitime. » 111 II faui: clone distinguer entre le noyau objectif de ces prín-
t « soustrait aux a/éas de la déci-
cipes a priori qui précedent la décision démocratique et leur concrétisation
ités particulieres de leur mise finale qui résulte de la loi positive votée par la majorité, de même que l'on dis-
tingue entre la notion jusnaturaliste des droits de l'homme et la catégorie
juspositiviste des droits subjectifs 113 • Les príncipes essentiels de la démocratie,
qui som de nature à la fois formelle et matérielle 11 \ som de trais ordres :
. GERSTENBERG, op. cit., p. 15 ss; 1" !e suffrage universel 11 ' ; 2" les « droits fondamentaux démocratiques » et, de
es j11ges, Paris, Aix-en-Provence, Eco- façon générale, les droits de l'homme; 3" l'interdiction d'un suicide légal de
ss; A. SQUELLA, op. cit., p. 146; la démocratie 116 •
ACOMETTI, op. cit., p. 5 s; id., Das
er Verlag, 1941, p. 167; W. KÃ.GI,
n" 115 (Kelsen et surtout Thoma) et

mce d11 pl11ralisme des co11rants d'idées


ISSEAU, Droit d11 contentie11x consti- 110. Cf K. HESSE, op. cit., Rn. 292, p. 133; P. HÃBERLE, op. cit., p. 845 ss. Contra O. BEAUD,
op. cit., p. 208 s.
« tout bonnement constit11tif » de la 111. O. GERSTENBERG, op. cit., p. 19 ss: • Nicht-ta11tologische Zirkularitãt: Die Verfassung ais
e qualificarif à la liberté de la presse, Vorbedingung tmd Resultat demokratischer Politik (Une cirrnlarité non-tatitologique: la Constitution
>rmation (BVerfGE, 27, 71 [81]) ainsi comme condition et résultat de la politique démocratiq11e). »
RCK, op. cit., p. 22 s et E.-W BÔC- 112. Ibid.
113. Cf la distinction faite dans l'article 1 de la Loi fondamemale allemande de 1949 entre les « droits
;érie A, n" 24, § 49. Pour un exposé de l'homme » (art. 1 ai. 2) et les « droits fondamentaux » (art. 1 ai. 3).
uman Rights and its "Democratic 114. Cf J. LAWS, op. cit., p. 85, 92 qui cite deux limites : le suffrage universel et les droits de
l'homme. Dans le même sens : H.-P. SCHNEIDER, op. cit., p. 18 ss.
:lut égalemem le droit de vote et le 115. Ainsi, le positiviste Walter Jellinek, par ailleurs démocrate convaincu, estimait que le pouvoir
constituant dérivé sous la République de Weimar ne pouvait porter atteinte au príncipe du suffrage
G, op. cit., p. 44. universel nonobstant le silence gardé par l'article 76 de la constiturion de 1919. Cf H. EHMKE,
,todétermination d11 peuple dépend de Grenzen der Verfassungsãnderzmg, op. cit., p. 34 note 60.
.. GIACOMETTI, Das Staatsrecht ... , 116. Cf G. RADBRUCH, « Der Relativismus in der Rechtsphilosophie » (1934), in Gesamtausgabe,
,o!itiq11e »); R. ALEXY, « Die Insti- t. III, 1990, pp. 17-22; H. DREIER, Rechtslehre, Staatssoziologie 1md Demokratietheorie hei Hans
fassungsstaat », in S. GOSEPATH Kelsen, p. 270. L'imerdiction se justifie par diverses raisons qui om trair à la fois au caractere inalié-
·sse p,,s diviser ,, ). nable de la liberté et, par conséquem, de la liberté polirique (cf. Rousseau), au droir de la minorité
actuelle à accéder à la majorité dans l'avenir et au droit des générations futures à la démocratie.
594 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Deladém1

2º Les critiques fonnulées à !'encontre d'une telle these laquelle l'i


déplacer l,
611 11 va sans dire qu'une telle conclusion heurte de front certaines idées les mieux sorte de 1v
ancrées. Trois types de résistances méritent à cet égard d'être relevés. Tout au droit 121 .
d'abord, certains défenseurs de la these de l'antinomie, s'ils reconnaissent le rôle qui décidé
crucial du triptyque : liberté d'expression, liberté d'association, liberté de de souver;i
réunion, se refusent néanmoins à étendre la protection qui en découle à toutes désigne qL
les libertés 117 • Loin d'être contredit, l'antagonisme serait simplement relativisé 11 '. faire et dé!
Or une telle scission - qui pourrait d'ailleurs aller jusqu'à distinguer au sein sont les lo
même de ces trois libertés un usage à des fins publiques, qui serait protégé (ex. la lois consti
création d'un parti politique), d'un usage à des fins strictement privées, qui ne qui par d
le serait plus (ex. la création d'une association de collectionneurs de timbres) - contrairei
para1t pour le moins artificielle. Car, au-delà de ses diverses facettes, la liberté est éthiques, l
une en son essence. Du reste, il serait absurde de qualifier de démocratique un diques au:
régime qui organiserait, certes, des élections multipartistes, mais qui ne garanti- 613 Le troisien
rait pas la liberté de circulation des candidats et électeurs ou qui ferait peser sur écrits des j
ses opposants la menace perpétuelle d'une arrestation arbitraire ou d'une expro- défenseurs
priation sans dédommagement, etc. "" Anschütz.
612 Le deuxieme argument que l'on cite volontiers a trait au caractere « absolu » et quelles col
« sans bomes » de la souveraineté. Pour preuve, on se réfere à un célebre extrait en faveur <
de Rousseau, selon lequel « il est de l'essence de la puissance souveraine de ne pou- en dépit d
voir être limitée: elle peut tout, ou elle n 'est rien » 120• Ce propos n' a cessé de semer Alors que
la confusion. À croire que le juriste libéral n'a le choix qu'entre trois options de postulat d,
plus en plus radicales : soit restreindre l'impact d'une souveraineté populaire à démocrati,
faveur d'u1

117. En ce sens: E.-W. BÕCKENFÕRDE, op. cit.; adde M. TROPER, « Justice constitutionnelle 121. C'est l',
et démocrarie ", RFDC, 1990, p. 33. 122. II s'agir
118. Aussi la plupart des défenseurs comemporains de la conception formelle de la démocratie fom- XIX" siecle (cf
ils la distinction entre un constitutionnalisme d'essence démocratique et un constitutionnalisme 123. Le juris1
imrinsequemem libéral. Si le premier est légirime puisqu'il garantir les élémems consrirurifs formeis SERRA, «S,
de la démocratie (le suffrage uni versei, le príncipe d' égaliré des ciroyens, les droits fondamemaux 124. L'un de
démocratiques, les procédures de participation et de prise de décision), le second, qui protege rous docrrinaires :
les autres droits de l'homme, ne l'est guere. Celui-ci aboutit à leurs yeux à une emprise excessive sur lntrod11ction ,
la majorité élue en raison notammem du poids pris par la justice constitutionnelle. Pour certains, la avocats. Cf p
source du pouvoir créareur des juges réside principalemem dans ces príncipes substancieis qui som de la suprac,
particulieremen,t vagues. De là résulte la proposition de ce que l'on appelé en Allemagne la « for- 125. Cf l'an
malisation de l'Etat de droit ", autremem dit la restriction du comrôle de constitutionnalité aux seuls 126. Cf sttpi:
cri teres formeis de la loi. C'est l'américain J.H. ELY, Democracy and Distmst. A Theory of]11dicial 127. Sur la e
Review, Cambridge, Harvard UP, 1980 qui lança le premier cette idée. Toujours sur ce même fonde- note 211.
mem, certains aureurs vom jusqu'à admettre la légitimité démocratique des limites matérielles au 128. Voir po
pouvoir de révision constitutionnelle pour aurant que celles-ci ne visem que les aspects procéduraux existe néanm
de la dému~ratie. D'a'cl_cuns y incluem aussi une prohibition du suicide légal de la démocratie. postular de I:
Cf E.-W. BOCKENFORDE, op. cit., Rn. 39 s, 53 s, p. 326 s, 338 ss; A.C. HUTCHINSON & mauré de la<
P. MONAHAN, op. cit., p. 122. ment l'idée d
119. Cf C. STARCK, op. cit., p. 5; D. GRIMM, op. cit., p. 708; Z. GIACOMETTI, Die Demokra- cun ne peur
tie... , op. cit., p. 6. Voir aussi KELSEN (mpra note 98) qui integre également la liberté de conscience, (cf. H. DREII
de la science, le príncipe de rolérance, etc. tivisme des ,·
120. II s'agit d'un extrair tiré des Leures de la Montagne (Lettre VII), cf. les explications supra n" 359 s. axiologique.
,it et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 595

!e these laquelle l'idée de la dignité de l'homme serait intrinsequement étrangere 121 ; soit
déplacer le siege de la souveraineté dans une sphere plus éthérée - dans une
rom certaines idées les mieux sorte de Mont Olympe juridique - en l'attribuam tantôt à la raison 122 , tantôt
et égard d'être relevés. Tout au droit m, tantôt à la constitution 12•; soit abandonner pour de bon une notion
mie, s'ils reconnaissem le rôle qui décidément fait peur 125 • Or, si l' on retrace l' évolution historique du concept
irté d'association, liberté de de souveraineté, on s'aperçoit que le caractere « absolu » de la souveraineté ne
:ction qui en découle à toutes désigne que sa supériorité par rapport aux lois positives, que le souverain peut
serait simplemem relativisé 118 • faire et défaire, et qu'il n'exclut nullement sa soumission à certaines bornes que
ler jusqu'à distinguer au sein som les lois naturelles, voire pour certains - mais ce point est comestable - les
ques, qui serait protégé (ex. la lois constitutionnelles 12". On a clone tort de croire que l'idée de la souveraineté,
1s strictement privées, qui ne qui par définition est absolue (au sens étymologique de ab-solutus) 127 , est
:ollectionneurs de timbres) - contraire à l'idée des droits naturels de l'homme. li s'agit en effet de príncipes
diverses facettes, la liberté est éthiques, de droit naturel ou a priori, selon Kant, et non point de limites juri-
qualifier de démocratique un diques au sens étroit du droit positif.
partistes, mais qui ne garanti- 613 Le troisieme genre de résistances, ou plutôt d'incohérences, se rencomre dans les
ecteurs ou qui ferait peser sur écrits des juspositivistes, plus précisément chez ceux qui se veulent, par ailleurs,
ion arbitraire ou d'une expro- défenseurs de l'idéal démocratique. On peut citer à titre d'exemple Thoma,
Anschütz, Kelsen, W Jellinek, etc. Les deux spheres de leurs ceuvres, dans les-
trait au caractere « absolu » et quelles cohabite une théorie positiviste du droit avec un engagement personnel
l se réfere à un célebre extrait en faveur de la démocratie, som séparées par un fossé qui reste infranchissable,
missance souveraine de ne pou- en dépit des efforts de leurs exégetes de mettre au jour un lien entre les deux.
Ce propos n' a cessé de semer Alors que si le juspositivisme leur interdit tout jugement de valeur en raison du
l-ioix qu'entre trois options de postulat de la neutralité axiologique de la science, leur théorie politique de la
'une souveraineté populaire à démocratie traduit au comraire leur préférence individuelle, donc subjective, en
faveur d'un régime politique précis 128 •

íROPER, « Justice consrirurionnelle 121. C'est l'oprion retenue par B. Constam (cf mpra n'' 366).
122. II s'agit de la célebre rhéorie de la souveraineté de la raison défendue par Guizot au début du
:prion formelle de la démocrarie fom- XIX' siecle (cf supra n" 368).
.ocratique et un constitutionnalisme 123. Le juriste néerlandais Krabbe s'en fie le chantre pendam l'entre-deux-guerres. Cf A. TRUYOL
mrit les élémems consrirurifs formeis SERRA,« Souveraineté », APD, r. 35, 1990, p. 321 s.
es ciroyens, les droirs fondamemaux 124. L'un des premiers à défendre cerre opinion fut Royer-Collard, ]'une des figures de proue des
iécision), le second, qui protege rous docrrinaires au début du XIX' siecle. Cf C. SCHMITT, Verfassungslehre, p. 8; J. BARTHÉLEMY,
eurs yeux à une emprise excessive sur lntroduction d11 régime parlementaire en France, 1904, p. 20 ss. De nos jours, on en rrouve encore des
:e consrirurionnelle. Pour certains, la avocats. Cf par ex. J. LAWS, op. cit., p. 92; A. BALDASSARRE, « Aspects théoriques et hisroriques
ns ces príncipes substancieis qui sont de la supraconstitutionnalité », Journées de la société de législation comparée, vol. IS, 1993, p. 332.
1e ]' on appelé en Allemagne la « for· 125. Cf l'attirude de Duguit.
ntrôle de consrirurionnaliré aux seuls 126. Cf mpra n" 359 s et n'' 366 ss.
acy and Distmst. A Theory of]11dicial 127. Sur la confusion induite par les différents sens possibles de l'adjecrif abso/11, cf s11pra n" 366,
te idée. Toujours sur ce même fonde- note 211.
nocratique des limites marérielles au 128. Voir pour l'ceuvre de Kelsen, H. DREIER, Rechtslehre ... , op. cit., p. 249 s. D'apres l'aureur, il
ne visem que les aspects procéduraux existe néanmoins un lien lacem qui est le relativisme des valeurs : celui-ci fonderait non seulement le
~ du suicide légal de la démocratie. postular de la neurraliré axiologique de la science du droit, ce qui semble logique, mais aussi la pri-
s, 338 ss; A.C. HUTCHINSON & mauté de la démocratie, ce qui est beaucoup plus comesrable. Si l'on applique, en effet, rigoureuse-
mem l'idée du relarivisme dans la rhéorie politique, rous les régimes politiques se valem puisqu'au-
8; Z. GIACOMETTI, Die Demokra· cun ne peut arguer d'être objectivemem !e meilleur. C'est du reste ce qu'a admis Kelsen en 1953
re également la liberté de conscience, (cf H. DREIER, Rechtslehre... , p. 260). Aussi est-il impossible de fonder, à partir du príncipe du rela-
rivisme des valeurs, la prééminence de la démocratie sans imroduire subrepticement un jugement
VII), cf les explications supra n" 359 s. axiologique.
596 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocra;

Cette incohérence fondamentale transpara1t dans la façon dont ces auteurs élitiste plutôt
articulent les deux príncipes de la démocratie et du libéralisme. Du point de vue à cet égard élo
de la théorie politique, ils admettent peu à peu l'idée que la souveraineté popu- tée à ce qui n'
laire implique logiquement certaines limites garantissant au minimum le príncipe historique qui
du suffrage universel et les trais libertés démocratiques. Or, les prémisses métho- raineté du peu
dologiques du positivisme juridique ne leur permettent pas de concevoir une postular libfo
quelconque norme qui serait supérieure à la souveraineté, sous peine de tomber cette vision ar
dans les ornieres du droit naturel. La souveraineté est en effet la source premiere pas tardé de dei
et exclusive du droit. Des lors, le triptyque des trais libertés démocratiques jouit raux qui, parfc
d'un statut qu'il est malaisé de définir, et qui fait figure de bizarrerie conceptuelle. aboutir à la d~
Elles sont en quelque sorte suspendues dans l'air, à mi-chemin entre un príncipe
démocratique qu'elles conditionnent et un príncipe libéral auquel elles se rat- 1º Le potenti,
tachent et qui risque pourtant d'être supprimé à tout moment parle souverain.
Du point de vue de la science du droit, ces trais libertés ne sont que de simples 615 Ce potentiel s
droits subjectifs positifs quine sauraient jouir d'aucune protection particuliere à le principe de
l'égard du souverain démocratique. On ne s'étonnera donc guere que la concilia- Leur impact e
tion entre la théorie politique et la théorie juridique de Kelsen soit quelque peu début du XIX'
problématique 12". Et l'on comprendra mieux pourquoi le relativisme des valeurs admet l'idée q
tel que défini par Radbruch en 1934 n'est ni un véritable relativisme - puisqu'il sonnable de s;
débouche curieusement sur l'affirmation d'une préférence pour les idées de la d'exercer son
démocratie et de la tolérance au détriment de toute dictature totalitaire -, ni une selon Jeremy ·
authentique théorie jusnaturaliste "º. optimiste et e
miste et méfia
B. La démocratie, gardienne et ahoutissement logique leitmotiv des l
des droits de l'homme célebre texte (
(puisqu'ils sor
614 Si un nombre croissant d'auteurs admettent de nos jours qu'il n'y a de démo- tique, de leur
cratie que la démocratie libérale, ils sont beaucoup plus réticents à admettre
l'existence d'une affinité particuliere de la théorie libérale à l'égard du príncipe
démocratique. Selon une opinion assez répandue, il est possible de concevoir un 133 .... sans mêff
État de droit quine soit pas démocratique alors que l'inverse serait conceptuel- notamment en A
134. Ainsi, l'acc,
lement exclu "'. De là il n'y a qu'un pas pour dire que le libéralisme se trouve n" 57 s). Le caracr
dans une position de force par rapport à l'idée démocratique à l'égard de laquelle deutsche Typ der
il ferait preuve, au pire d'une attitude d'hostilité, au mieux d'une réelle indiffé- op. cit., pp. 273-3
135. Sur le fond
rence m_ D'un strict point de vue historique, ce jugement sévere n'est pas entie- le rationalisme et
rement faux. Apres tout, la liberté individuelle s'est d'abord développée dans 136. J. WALDR,
des régimes représentatifs, à caractere mixte, caractérisé par un parlementarisme 137. Pourtant e11
Lexikon, 3' éd., t.
138. On se rapp,
nmg ist der A11sg,
129. C.M. HERRERA, Théorie j11ridiq11e et politique chez Hans Kelsen, p. 136 et surtout H. DREIER, Unvennõgen, sicl
Rechtslehre... , p. 268 ou il admet la difficulté à concilier la matérialisation du concept de la démo- dich deines eigen,
cratie chez Kelsen avec ses postulats relativistes. II en conclut que sa théorie n'est que« partiellement définissent com111
rel,,tiviste (n11r bedingt relativistisch) ». fa/1/e. La minorit,
130. Cf G. RADBRUCH, « Der Relativismus in der Rechtsphilosophie » (1934), in Gesamtausgabe, aude! Aie !e coztr,
t. Ili, 1990, pp. 17-22 ( = « Le relativisme dans la philosophie du droit », APD, 1934, pp. 105-110). « Beantwortung,
131. Cf par ex. C. STARCK, op. cit., p. 5. H. Wismann in
132. A.C. HUTCHINSON & P. MONAHAN, op. cit., p. 100. p. 209]).
t et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 597

1s la façon dom ces auteurs élitiste plutôt que démocratique rn_ L'exemple de l' Angleterre du XVII' siecle est
libéralisme. Du point de vue à cet égard éloquent. On aurait néanmoins tort d'attacher une trop grande por-
ée que la souveraineté popu- tée à ce qui n'est qu'un phénomene transitoire, cerres long, dans une évolution
sant au minimum le principe historique qui va inéluctablement dans le sens de la reconnaissance de la souve-
1es. Or, les prémisses métho- raineté du peuple rn. L'idéal démocratique est, en réalité, déjà en germe dans le
ettent pas de concevoir une postulat libéral d'un sujet autonome, raisonnable et doté de droits égaux 135 • Si
aineté, sous peine de tomber cette vision anthropologique s'est d'abord appliquée à la sphere privée, elle n'a
st en effet la source premiere pas tardé de déployer ses effets sur la sphere publique. En ce sens, ce sont les libé-
; libertés démocratiques jouit raux qui, parfois à leur insu, ont déclenché une logique qui ne pouvait pas ne pas
rede bizarrerie conceptuelle. aboutir à la démocratie.
mi-chemin entre un principe
Je libéral auquel elles se rat- 1º Le potentiel démocratique de la philosophie libérale
,ut moment par le souverain.
,ertés ne sont que de simples 615 Ce potentiel se révele à la lumiere des deux príncipes libéraux majeurs que sont
une protection particuliere à le príncipe de l'autonomie individuelle et celui de la séparation des pouvoirs.
ra clone guere que la concilia- Leur impact conjugué a fait évoluer le régime libéral mixte tel qu'il appara1t au
.e de Kelsen soit quelque peu début du XIX' siecle vers un régime libéral démocratique. Une fois que l'on
1uoi le relativisme des valeurs admet l'idée que l'être humain est un agem autonome qui sait faire un usage rai-
itable relativisme - puisqu'il sonnable de sa liberté dans sa sphere privée, il est difficile de lui refuser le droit
éférence pour les idées de la d'exercer son autonomie au niveau de la sphere politique. L'inverse reviendrait,
dictature totalitaire -, ni une selon Jeremy Waldron 13", à adopter une vision anthropologique contradictoire :
optimiste et confiante lorsqu'il s'agit de l'individu, du homo economicus, pessi-
miste et méfiante lorsqu'il s'agit au contraire du citoyen, du homo politicus 137 • Le
tissement logique leitmotiv des Lumieres consiste en effet, comme l' a si bien résumé Kant dans son
célebre texte Qu'est-ce que les Lumieres ?, à inciter les hommes, tous les hommes
1e
(puisqu'ils som nés libres et égaux en droits) à se servir de leur propre esprit cri-
>S jours qu'il n'y a de démo-
tique, de leur propre raison 138 - chose qui est la mieux partagée à en croire Des-
1p plus réticents à admettre
libérale à l'égard du principe
1est possible de concevoir un 133 .... sans même évoquer le cas du despotisme éclairé qui a séduit un cenain nombre de libéraux,
1e l'inverse serait conceptuel- notamment en Allemagne. .
134. Ainsi, l'acceptation du despotisme édairé n'est que provisoire dans l'.~sprit de ~ant (cf supra
~ que le libéralisme se trouve
n" 57 s). Le caractere rransitoire a été également mis en exergue par E.-W. BOCKENFÓRDE (« Der
::icratique à l'égard de laquelle deutsche Typ der konstitutionnellen Monarchie im 19. Jahrhunderts », in id., Recht, Staat, Freiheit,
1u mieux d'une réelle indiffé- op. cit., pp. 273-305) pour ce qui concerne la monarchie constitutionnelle allemande du XIX' siecle.
135. Sur le fondement anthropologiqu<;_ commun aux deux príncipes, à savoir l'individualisme,
;ement sévere n'est pas entie- le rationalisme et l'optimisme, cf. J. THUR, op. cit., p. 85 ss.
est d'abord développée dans 136. J. WALDRON, op. cit., p. 27 s.
érisé par un parlementarisme 137. Pourtant en ce sens : K. BIEDERMANN, « Demokratie, Demokratisches Princip », Staats-
Lexikon, 3' éd., t. IV, 1860, p. 359. ·
138. On se rappelle la célebre réponse de Kant à la question Qu 'est-ce que les Lumieres?: « Aujklà"-
mng ist der Ausgang des Menschen aus seiner selbst verschuldeten Ummindigkeit. Unmtindigkeit ist das
'(e/se11, p. 136 et surtout H. DREIER, Unvennõgen, sich seines Verstandes ohne Leitung eines anderen zu bedienen. (. ..) Sapere aude ! Habe Mut,
cérialisarion du concept de la démo- dich deines eigenen Verstandes 211 bedienen ! ist also der \Vahlspmch der Aujklà"nmg [Les Lumieres se
1e sa théorie n'est que« p,irtiellement définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité, 011 il se maintient par sa propre
faute. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un amre. (. ..) Sapere
ilosophie » (1934), i11 Gesamtausgabe, aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des lumieres.] » (I. KANT,
du droit », APD, 1934, pp. 105-110). « Beantwortung der Frage: Was ist Aufklarung? "(1784), in Werke, éd. Wieschedel, t. IX, p. 53 [trad.
H. Wismann in E. KANT, CEuvres philosophiques, sous dir. de F. Alquié, Paris, Pléiade, t. 2, 1985,
)_ p. 209]).

j
598 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocrat

cartes. Or, des lors que les individus som invités à se libérer de coutes les chaínes ration des pou
qui les maintiendraient dans un état de tutelle, il devient malaisé de justifier dom l'une des
pourquoi seuls quelques privilégiés auraient le droit de gouverner m_ nomie, à savoi
Le seul régime qui soit absolument conforme à cet idéal libéral, sous son est admise, qu
double aspect de la liberté et de l' égalité, est par conséquent la démocratie. Aussi le modele mix
n'est-il que logique que la Déclaration de 1789 reconnaisse à la fois les droits de composante p;
l'homme et les droits du citoyen. Son article 3 proclame le príncipe de la souve- liament. De st
raineté nationale dont la portée radicale n'a pu être bridée qu'à travers la dis- tive puisqu'ell
tinction de Sieyes entre citoyen actif et citoyen passif, reprise non sans quelque erice dans l'id.!
gêne par Kant. Car l'idée de la démocratie est inscrite dans la métaphore même de la séparatiu
du contrat social qui est l'acte démocratique par excellence puisque tous les indi- le principe d'a
vidus y participem à titre égal 140 • De l'avis de Hobbes'", Spinoza 142 et Rotteck, sauter les verr
sans oublier évidemment Rousseau et Kant"-', la démocratie constitue ainsi la trois pays, et
«forme de gouvernement origina/e»'" de l'hi.Jmanité. Toute autre solution revien- tique ou mon;
drait en effet à traiter les individus de « moutons » "\ ce à quoi tous les libéraux tique qui se 1
se refusent, du moins lorsqu'il s'agit de personnes éduquées, aisées et de sexe n'échappe gu~
masculin ... régime libéral
616 La dynamique démocratique se nourrit également du principe de la séparation
des pouvoirs. S'il est clair que Montesquieu est loin d'être un fervem démocrate, 2º La recomz
puisqu'il fait au contraire l'apologie du régime mixte, son célebre ouvrage de
1741 n' en constitue pas moins une étape cruciale sur la voie de la démocratisa- 617 La these ici so
tion. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler le contexte dans lequel il l'a raux se font l';
écrit. L'adversaire auquel s'oppose le Baron de La Brede est l'absolutisme royal garantir le mi,
tel qu'il apparaít sous sa version séduisante du despotisme éclairé. Cette option exemplaire Bé
est écartée d'un revers de main par Montesquieu au nom du príncipe de la sépa- répete, voilà L
liberté politiq1
cratie n'est qt
tout cas, le m
139. Voir les efforts rhétoriques que doit déployer le kantien C. ROTTECK, Lehrb11ch des Vermmji- viduelle "º. El
rechts 11nd der Staatswissenschajien, Stuttgart, Franck, 1830, t. 2 (Allgemeine Staatslehre), p. 188 pour logiq_uement •
légitimer le maintien de la monarchie dans un régime constitutionnel. II estime ainsi que, si l'aris-
tocratie est absolument contraire au príncipe d' égalité qui constitue « das Grundprinzip der Gesell-
schaji ,md die ewige Rechtsfordenmg des Seiner Selbst bew11ssten Bzirgers (/e fondement de la société et le
droit éternel de toztt citoyen conscient desa propre valeur) », la monarchie le serait beaucoup moins, ce
qui justifierait par conséquent son maintien. Or il est évident qu'il ne s'agit là que d'un pis aller, car
si la monarchie est moins attentatoire au príncipe d'égalité que l'aristocratie, elle l'est plus que la
démocratie. 146. MONTES!
140. Cf W. SCHILD, op. cit., p. 143. II démontre le caractere fondamental du príncipe d'autonomie libre, totlt hom111
politique dans la fameuse trilogie kantienne Liberté - égalité - autonomie (Selbstãndigkeit), en ren- pe11ple en corps e,i
voyant à l'idée origigale du contrat social qui en est la premiere illustration. à bea11coup d'incr
141. Cf J.-E KERVEGAN, op. cit., p. 130 qui renvoie à l'ouvrage De Cive (VII, 5) de Hobbes. peut faire par /111·
141. Cf H. DREIER, « An. 20 (Demokratie) », op. cit., p.17. 147. Ce process,
143. Sur la teneur démocratique de la doctrine kantienne du droit public, cf I. MAUS, op. cit. 148. Cf K. BIEI
144. C. ROTTECK, op. cit., p. 192 (par référence à l'idée du contrat social qui na1t du consentement 149. B. CONS'I
de tous). 150. Cf par ex.
145. R. MOHL, St,1atsrecht, Võlkerrecht zmd Politik, t. 1, Tübingen, laupp, 1860, p. 381. Dans la etwa darin, das,
même veine, C. ROTTECK, op. cit., p. 191 se lance dans de violentes diatribes contre l'idée du gou- nicht geringere J
vernement aristocratique qui maintiendrait « la majorité d11 peuple dans zm état d'immaturité intellec- dern darin, das,
111elle et d'asservissement (Geisteszmmtindigkeit zmd Knechtschaji} ». Cela n'empêchera pas ces mêmes zmd die politiSCJ
auteurs, une fois le príncipe d'autonomie posé, d'en limiter les conséquences en excluam le suffrage duelle Freiheit z1
universel et en prônant un régime mixte. op. cit., p. 105.
et la justice constitutionnelle

libérer de toutes les chaines


:levient malaisé de justifier
1 De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique

ration des pouvoirs. Celui-ci postule l'existence, à côté du roí, d'un parlement
dom l'une des chambres au moins est élue. Ainsi, l'idée fondamentale de l'auto-
599

de gouverner ''". nomie, à savoir que les individus doivent consentir à la loi qu'on leur applique,
cet idéal libéral, sous son est admise, quoique avec certaines restrictions qui som de deux ordres ,.._ Dans
équent la démocratie. Aussi le modele mixte de Montesquieu, l'élément démocratique n'est en effet qu'une
maisse à la fois les droits de composante parmi trois, conformément à l'exemple brítannique du King in Par-
1me le príncipe de la souve- liament. De surcroit, la chambre populaire n'est pas véritablement représenta-
~ bridée qu'à travers la dis- tive puisqu'elle est issue d'un suffrage censitaire. Mais, la logique égalítaire ins-
lf, reprise non sans quelque críte dans l'ídée d'autonomíe va peu à peu transfigurer, de l'íntérieur, le príncipe
ce dans la métaphore même de la séparation des pouvoirs. Une fois admis au seín de ce cadre institutionnel,
llence puisque tous les indi- le príncipe d'autonomie politique va se déployer, prendre de l'ampleur en faisant
es "', Spinoza " 2 et Rotteck, sauter les verrous du suffrage restreint, aboli plus ou moins rapidement par les
:mocratie constitue ainsi la troís pays, et en l'emportant sur les organes représentatifs d'origine aristocra-
Toute autre solution revien- tique ou monarchique "'· De par la force irrésistible de l'idée d'autonomie poli-
' ce à quoi tous les libéraux tique qui se nourrit de l'idée d'autonomie individuelle - phénomene qui
éduquées, aisées et de sexe n' échappe guere à l' aúl vigilant de certains contem porains du XIX' siecle "8 - , le
régime libéral mixte et censitaire va se muer en une démocratie libérale.
lu príncipe de la séparation
l'être un fervent démocrate, 2° La reconnaissance du droit à la démocratie
{te, son célebre ouvrage de
1r la voie de la démocratisa- 617 La these ici soutenue va au-delà du raisonnement fonctionnel dom certains libé-
~ contexte dans lequel il l'a raux se font l'avocat. À leurs yeux, le choix de la démocratie s'ímpose puisqu'elle
rede est l'absolutisme royal garantit le mieux la liberté indivíduelle. C'est cette opinion que résume de façon
)tÍsme éclairé. Cette option exemplaire Benjamin Constant lorsqu'íl s' exclame : « La liberté individuelle, je le
nom du príncipe de la sépa- répete, voilà la véritable liberté modeme. La liberté politique en est la garantie; la
liberté politique est par conséquent indispensable. » ,.,, En d' autres termes, la démo-
cratie n'est qu'un « moyen », qu'un instrument - certes le plus efficace ou, en
tout cas, le moins mauvais - pour atteindre la fin ultime qu'est la liberté indí-
ZOTTECK, Lehrb11ch des Vermmfi- viduelle ,;o_ Elle n'est clone pas une fin en soi, c'est-à-dire un « droit » découlant
lllgemeine Staatslehre), p. 188 pour logiquement de la digníté humaine ainsi que le pensem de nos jours nombre de
onnel. II estime ainsi que, si l' aris-
itue « das Grundprinzip der Gesell-
rgers (/e fondement de /,1 société et /e
archie le serait beaucoup moins, ce
il ne s'agit là que d'un pis aller, car
l'aristocratie, elle l'est plus que la
146. MONTESQUIEU, De l'Esprit des fois, op. cit., Livr. XI, chap. 6, p. 399: « Comme, dans zm État
<lamentai du principe d'autonomie libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudroit que /e
mtonomie (Selbstãndigkeit), en ren- peuple e11 corps eíit la puissance législative. Mais comme cela est impossible dans les graneis États et est sujet
llustration. à beaucoup d'inconvénients dans les petits, il fartt que /e peuple fasse par ses représentants tout ce qu 'il ne
;e De Cive (Vil, 5) de Hobbes. peut faire par lui-même. ,,
147. Ce processus a été tres bien décrit pour l'Angleterre par Dicey (cf. supra n·' 265).
,ir public, cf 1. MAUS, op. cit. 148. C/ K. BIEDERMAN, op. cit., p. 358 s.
rat social qui nait du consentement 149. B. CONSTANT,__ « La libené des modernes comparée... », op. cit., p. 509.
150. Cf par ex. O. BAHR, Der Rechtsstaat, op. cit., p. 169 : « Die wahre Volksfreiheit besteht nicht
1gen, Laupp, 1860, p. 381. Dans la etwa darin, dass ein relativ grosser Theil des Volkes an der Herrschafi Theil nehme - wobei eine
mes diatribes contre l'idée du gou- nicht geringere Thyrannei getibt werden kann, wie hei der absoluten Hemchaji eines Einzelnen, - son-
e dans zm état d'immaturité intellec- dem darin, dass dem Individuum zur Entwicklung seiner Individualitãt der nõthige Raum verbleibt;
. Cela n'empêchera pas ces mêmes und die politischen Rechte des Volkes haben nur Werth, insofern sie ais Mittel dienen, die indivi-
)nséquences en excluam le suffrage duei/e Freiheit zu erhalten rmd zu sichern. ,, Voir aussi A.C. HUTCHINSON & P. MONAHAN,
op. cit., p. 105.
600 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocrat

philosophes du droit 151 , de constitutionnalistes 151 et d'internationalistesm. À ce inhérent à l'Ét.:i


sujet, il importe de noter que la quasi-totalité des documents internationaux ne serait pas d
garantissant les droits de l'homme reconnaissent également le droit de participer « príncipes de /,
aux affaires publiques, c'est-à-dire le principe de la souveraineté populaire. Outre personne humti
l'art. 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 15-1, l'art. 25 Au premier ra
du Pacte international relatif aux droits civils et poli tiques de 1966 155 et l' art. 3 des élections 1
du premier protocole additionnel de 1952 à la Convention européenne des droits affirmé comm1
de l'homme 156, on citera surtout ces deux textes récents, à forte valeur symbo- humain dom i
lique, que sont la Déclaration de Copenhague du 29 juin 1990 et la Charte de signataires s' er
Paris du 21 janvier 1990 adoptées dans le cadre de la Conférence sur la sécurité systeme de gou·,
et le coopération en Europe (CSCE) peu apres la chute du bloc de l'Est. Le pre- 618 La participatic
mier document déclare ainsi dans son article 3 que « la démocratie est un élément de l'homme, e
dural, accordé
tuellement sot
a besoin de l'É
151. Ce point de vue, que certains historiens des idées qualifient de« rép11blicain » par opposition le couronnem
au libéralisme strícto sens11, est défendue notamm,ent par O. HÕFFE, op. cit., et J. WALDRON, fait qu'il n'y a
op. cit., pp. 18-51. Voir les explications de P. GERARD, op. cit., 136 ss sur la distinction entre
le modele d'une « démocratie de protection » et le modele d'une « démocratie de dé-veloppement »
point de vue s
ou « d'épano11issement ». Pour ce dernier modele, l'auteur renvoie notammem aux théories de litaire » est un
J.-J. Rousseau et ~e J.S. Mill_._ Voir aussi R. ALEXY, op. cit., p. 261. Pour une critique de ce poim de cratie se sabon
vue, cf E.-W. BOCKENFORDE, « Ist Demokratie eine notwendige Forderung der Menschen-
rechte? », in S. GOSEPATH & G. LOHMANN (dir.), op. cit., pp. 233-243.
vu sous le Ili'
152. Déjà en ce sens: Z. GIACOMETTI, Die Demokratie... , op. cit., p. 4 (« les libertés constit11ent !e de l'Est. Ce pc
fondement spirituel de la démocratie dans !,, me511re 011 la fonne de go11vemement démocratique est tice constituti
l'aboutissement 11/time de l'idée de la liberté individ11elle; la démocratie résolll, en effet, !e probleme de
l'artimlation entre l'individu et la collectivité a11 projit d~ l'individ11, en cherchant à établir l'a11todéter·
mination la pl11s [arge possible de l'individ11 a11 feÍn de l'Etat. Appliq11ée de façon conséq11ente, la liberté
à /'encontre de l'Etat cond11it à la liberté dans l'Etat (Die Freiheit vom Staate fiihrt, konseq11enterweise 211
Ende gedacht rmd verwirklicht, z11r Freiheit im Staat). ») et p. 5 (« La liberté et la dignité h11maines
ne sont pleinement ass11rés q11'à l'instant 01, l'individ11 est, a11-delà de ses droits et libertés, non se11lement C<
l'objet de l'ordre étatiq11e, mais aussi son sujet. »). Voir aussi id., Das Staatsrecht ... , op. cit., p. 166. On
retrouve là la distinction classique faite par la doctrine française entre l'électorat-droit et l'électorat-
fonction.
153. À la suite de la chute du mur de Berlin, ce som surtout des auteurs anglo-saxons qui ont 619 La justice con
défendu l'idée que le droit internacional consacre désormais un droit (de l'homme) à la démocratie. vers le monde
Cf H. DREIER, « Art. 20 (Demokratie) », op. cit., p. 33 s; M. REISMAN, « Sovereigmy and Human et ce particuli1
Rights in Contemporary Internacional Law », AJJL, vol. 84, 1990, pp. 866-876; T. FRANCK, « The
Emerging Right to Democratic Governance », A]IL, vol. 84, 1992, pp. 46-91; J. CRAWFORD,
« Democracy and Internacional Law », BYIL, vol. 64, 1993, pp. 113-133 (voir la biblio. note 40);
S. MARKS, op. cit., pp. 209-238; H. STEINER, « Political Participation as a Human Right »,
H<1rvard H111nan Rights Year Book, vol. 1, 1988, p. 77 ss. 157. Reproduit
154. « Tome personne a ledroit de prendre part à la direction des affaires publiq11es de son pays, soit direc- d'Helsinki (1973·
tement, soit par l'intennédiaire de représentants librement choisis. (. ..) La volonté d11 pe11ple est !e fonde- qui affirme que
ment de l'a11torité des po11·voirs p11blics; cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doi- périodiq11es et ho1
vent avoir lie11 périodiq11ement, a11 sujfrage zmiversel égal et au vote secret 011 s11ivant 11ne procéd11re 158. Jbid., p. 23(
éq11ivalente asszmmt la liberté du vote. » 159. Jbid. L'arti,
155. « To11t citoyen ,, le droit et la possibilité, sans a11c1me des discriminations visées par l'art. 2 et sans scrutin secret ou ~
restrictions déraisonnables: ,1) de prendre pari à la direction des affaires p11bliq11es, soit directement, soit outre la respons:
par !'intermédia ire de représent,mts librement choisis; b) de voter et d'être é/11, a11 cours d'élections pério- constitution et e
diq11es, honnêtes, au s11/Jmge zmiversel et égal et a11 scrutin secret, asS11rant l'expression libre de la volonté (an. 5-7) et du p,
des électe11rs; e) d'accéder, dans des condilions génér,iles d'égalité, a11xfonctions p11bliq11es de son pays. » 160. Sur ce lien
156. « les Ha11tes Pareies contract,mtes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections op. cit., p. 27 ser
libres a11 scmtin secret, dans les conditions qui ass11rent la libre expression de l'opinion d11 pe11ple s11r !e 161. Reproduit ,
choix d11 corps législatif » 162. On penses
rJit et la justice constitutionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 601

et d'internationalistes m_ À ce inhérent à l'État de droit »'",~e qui exclut par conséquent tout État de droit qui
les documents internationaux ne serait pas démocratique. A cela s'ajoute l'article 5 qui énonce une liste de
galement le droit de participer « príncipes de la justice essentiels à l'expression complete de la dignité inhérente à la
souveraineté populaire. Outre personne humaine et des droits égaux et inaliénables de tous les êtres humains » 158 •
e l'homme de 1948 154 , l'art. 25 Au premier rang de ces principes figure l'obligation pour tout État d'organiser
politiques de 1966'" et l'art. 3 des élections libres (art. 5-1) "". Le droit à la démocratie est ainsi clairement
tvention européenne des droits affi.rmé comme un droit découlant directement du principe de la dignité de l'être
récents, à forte valeur symbo- humain dont il est une illustration essentielle "'º. Quant à la Charte de Paris, ses
1 29 juin 1990 et la Charte de signataires s'engagent « à édifier, consolider et raffermir la démocratie comme seu!
~ la Conférence sur la sécurité systeme de gouvernement de [leurs] nations » '"'.
chute du bloc de l'Est. Le pre- 618 La participation à la chose publique - la res publica - est clone en soi un droit
e « la démocratie est un élément de l'homme, ou plus exactemem un droit (naturel et positif) à contenu procé-
dural, accordé aux citoyens, à côté des droits substamiels que l'on désigne habi-
tuellemem sous le vocable droits de l'homme. On voit clone, que si la démocratie
a besoin de l'État de droit, i.e. les droits de l'homme, elle en est en même temps
ien~. de « rép11blic,,i11 » par opposition le couronnement logique et naturel. II y a clone un lien d'interdépendance qui
HOFFE, op. cit., et J. WALDRON, fait qu'il n'y a de démocratie que la démocratie libérale - ce qui est, d'un strict
). cit., 136 ss sur la distinction entre
'une « démocratie de développement »
poim de vue sémantique, un pléonasme - et que la soi-disant « démocratie tota-
renvoie notamment aux théories de litaire » est un non-sens. En se débarrassam desa composame libérale, la démo-
261. Pour une critique de ce point de cratie se saborde elle-même et ne survit qu'à titre de farce électorale comme on l'a
)twendige Forderung der Menschen-
., pp. 233-243.
vu sous le III' Reich et dans les anciennes « démocraties populaires » de l'Europe
op. cit., p. 4 (« Les libertés constit11ent le de l'Est. Ce point clarifi.é, il reste maintenant à défi.nir le rôle et la place de la jus-
me de gouvernement démocratiq11e est tice constitutionnelle au sein de ce schéma.
nocratie résout, e11 e/fet, le probleme de
vid11, en chercha11t à étdblir l'ú11todéter-
~pliq11ée de façon conséquente, la liberté
vom Staate führt, ko11seq11enterweise ztt
5 (« L1 liberté et l,1 dignité h11111aines
Section II. LA LÉGITIMITÉ DE LA JUSTICE
'à de ses droits el libertés, 11011 seule111e11t CONSTITUTIONNELLE DANS LA DÉMOCRATIE
, Das S1a,1tsrecht ... , op. cit., p. 166. On
ise entre l'électorat-droit et l'électorat-

)Ut des auteurs anglo-saxons qui ont 619 La justice constitutionnelle a connu duram le XX' siecle un succes fulguram à tra-
m droit (de l'homme) à la démocratie. vers le monde, succes qui n'est pas sans susciter quelques inquiétudes et critiques,
:lEISMAN, « Sovereignty and Human et ce particulieremem dans les pays riches d'une longue tradition parlementaire 162
990, pp. 866-876; T. FRANCK, « The
4, 1992, pp. 46-91; J. CRAWFORD,
pp. 113-133 (voir la biblio. note 40);
1 Participation as a Human Right »,
157. Reproduit in E. DECAUX, Sérnrité et coopération en E11rope. Textes officiels d11 processus
a/faires p11bliq11es de son pays, soit direc- d'Helsinki {1973-1992), Paris, Documentation française, 1992, p. 230. Voir aussi article 6 (ibid., p. 231)
is. (. ..) L1 volonté d11 pe11ple est le fonde- qui affirme que « la volonté du pe11ple, exprimée librement et équitablement dans le cadre d'élections
imer par des élections honnêtes qui doi- périodiques et honnêtes, est le fondement de l'autorité et de la légitimité de tout gouvernement ».
11 vote secret 011 s11ivant 11ne procéd11re 158. Ibid., p. 230.
159. Ibid. L'article 5-1 prévoit « des élections libres q11i seront organisées à interval!es raisonnables, a11
'iscriminations visées par l'art. 2 et sans scrutin secret 011 suivant une procédure équivalente assumnt la liberté du vote( ... ) ». La liste prévoit en
ajfaires p11bliq11es, soit directeme11t, soit outre la responsabilité de l'exécutif devam soit le peuple soit le parlement (art. 5-2), le respect de la
r et d'être él11, a11 co11rs d'élections pério- constitution et des lois (art. 5-3), le principe de légalité (art. 5-5), le respect des droits de l'homme
ass11rant l'expression libre de la volonté (art. 5-7) et du principe d'égalité (art. 5-9), l'indépendance de la justice (art. 5-12), etc.
\ a11x fonctions p11bliques de son pays. » 160. Sur ce lien entre la dignité humaine et les droits de participation politique, cf. J. WALDRON,
ies interval!es raisonnables, des élections op. cit., p. 27 s et surtout p. 37 s.
expression de l'opinion d11 pe11ple s11r le 161. Reproduit in E. DECAUX, op. cit., p. 285.
162. On pense surtout à l'Angleterre et à la France ou le rôle du juge à l'égard du parlement élu reste

l
602 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constittttionnelle De la démocrat

(§ 1). La clé de ce débat fort complexe réside, à notre sens, dans une théorie du tection des drc
bilan, autrement dit dans une évaluation prudente des arguments pro et contra cratique stricta
d'une garantie juridictionnelle du droit en lieu et place des mécanismes politiques exercê par la C
traditionnels de protection des droits de l'homme (§ 2). En tout cas, on ne saurait 621 La dynamique
déduire tel quel, de la nécessaire inscription de la démocratie dans le droit, la rit, comme il
nécessaire suprématie du juge sur les organes politiques élus. chez la plupar
juge et !e droit
§ 1. LE PHÉNOMENE CONTEMPORAIN DE LA ]URIDICTJONNALISATION !e pouvoir pe
DE L 'ESPACE POLITIQUE
appelle nécess
cet égard, le d;
un rôle cruci:
620 La supériorité logique des príncipes formeis et matériels sans lesquels il ne sau- double discou
rait y avoir de démocratie au vrai sens du terme, se traduit de diverses façons sur velle mécaniq1
le plan de la technique juridique. Se pose alars la question de leur formulation d'un raisonne
écrite ainsi que de leur garantie juridictionnelle. Quant au premier aspect, l'on contrôle jurid
sait qu'il y a deux modeles: celui des pays continentaux qui s'engagent dans un même du rôle
processus d'« objectivation » 11'' de ces príncipes, que l' on recueille dans un texte solution mut,1
solennel, daté voir figé afin d'en assurer la sécurité et la précision juridiques 1M; ler d'abord !e
celui de !' Angleterre qui, en gardant sa constitution coutumiere, a fait le pari de naire? 167 On i
faire confiance aux traditions et à la culture démocratiques à la fois des élites jusqu'à en arr
sociales - issues dans leur grande majorité d'Oxbridge - et des citoyens, autre- 622 Ce phénomer
ment dit de construire la stabilité du régime sur des normes immanentes aux en ce qm con
usages sociaux. À l'aube du XXI" siecle, on peut dire que la tendance historique, débat, la justi
du moins sur le continent - bien que l'Angleterre s'en rapproche quelque peu tice européen
depuis l' adoption du Human Rights Act de 1998 -, va dans le sens d'une rigidité un juge étrar
croissante des textes constitutionnels 1<,5 : à partir de la fin du XVIII' siecle, le dépend évidc
constitutionnalisme moderne se substitue aux anciennes !ois fondamentales cou-
tumieres; l'option d'une constitution souple, telle les deux Chartes françaises de
1814 et 1830, est abandonnée au profit d'un écrit rigide, dont les conditions de 166. Pour !'Alie
révision sont d'abord faciles - on pense à la III" République française et au n" 253 ss); pour 1
167. Cf C. KLE
1" Em pire allemand - puis de plus en plus restrictives; enfin, à partir des lisation du contrr
années 1920-30, on voit émerger le príncipe de la justice constitutionnelle dont écho a11 niveau s1,
les compétences de contrôle ne cessent de s'étendre et de s'approfondir jusqu'à 168. Sur l'impa,
en droit européc
y inclure les lois de révisions de la constitution. De nos jours, le niveau de pro- 169. La littératu
tice constitutior
des juges, op. ci r
d'ailleurs en-deçà de la panoplie de compétences que détient la Cour constitutionnelle fédérale Paris, Bruxelles.
d' Allemagne. RIDC, 1994, PP·
163. H. HELLER, Staatslehre, in Gesammelte Schrifien, t. III, p. 374: « Dad11rch dases dem menschli- G.DRAGO,Co
chen Bl!"&11sstsein gelingt, a11s dem Fl11ss der Ausfiihmngsaktion eines sinnhafien Handelns dessen objekti- B.FRANCOIS
ven, den Akt tr,mszendierenden Sinn hera11sz11heben, ilm von seinem s11bjektiven Erlebnisprozess abw- Paris, Economi,
lõsen, 211 vergegenstãndlichen zmd ihn gegebenenfalls - was keineswegs notwendig ist - sogar in einem Mélanges Chake,
kõrperlichen Gebilde (z. B. in der Schrifi) 211 objektivieren, durch diese Wend11ng zmsres Bewusstsein haben ex. C. STARCK
wir einen Bedeutzmgsgehalt der gesellschafilichen Wirklichkeil 211 einem Sinngebilde verselbstãndigt, das Veifassungsstaat.
n11mnehr von ne11en 11nd fremden seelischen Akten au/genommen und wiedererlebt werden kann. » desverfammgsge,
164. Selon J. WALDRON, op. cit., p. 27, ]e pani pris du constitutionnalisme écrit implique une cer- cf notamment ~
taine pene de souplesse, une confiance exagérée dans le r8le du constituam, qui n'est pas infaillible, rences citées sup
ainsi qu'une cenaine Jéfiance vis-à-vis des générations suivantes. 170. Ce point e
165. Cf L. FAVOREU, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoir, n" 67, 1993, pp. 73-74. raison de l'abse1
et la justice constitutionnelle

·e sens, dans une théorie du


:les arguments pro et contra
1 De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique

tection des droits de l'homme et, dans une certaine mesure, du príncipe démo-
cratique stricto sensu, a atteint un niveau encore plus élevé à travers le contrôle
603

e des mécanismes politiques exercé par la Cour européenne des droits de l'homme.
2). En tout cas, on ne saurait 621 La dynamique du phénomene de juridictionnalisation de l'État de droit se nour-
iémocratie dans le droit, la rit, comme il a été vu, de deux raisonnements distincts, quoique enchevêtrés
1es élus. chez la plupart des auteurs. Il s'agit, d'une part, de l'assimilation opérée entre le
juge et le droit, et, d'autre part, de l'idée chere à Montesquieu, selon laquelle seul
URIDICTIONNALISATION le pouvoir peut arrêter le pouvoir, ce qui signifie encore que chaque pouvoir
appelle nécessairement un contre-pouvoir si l'on veut faire respecter le droit. À
cet égard, le débat sur les juridictions administratives à la fin du XIX' siecle a joué
un rôle crucial, puisqu'il a servi de premier champ d'expérimentation de ce
friels sans lesquels il ne sau- double discours "'". Une fois le lien tres fort entre le droit et le juge établi, la nou-
raduit de diverses façons sur velle mécanique peut déployer ses effets et s'appliquer à d'autres spheres au gré
Liestion de leur formulation d'un raisonnement par analogie. Puisque l'on a pu constater les bienfaits d'un
1ant au premier aspect, l'on contrôle juridictionnel à l'égard de l'administration - contrôle qui s'inspire lui-
taux qui s'engagent dans un même du rôle joué parle juge en droit privé -, pourquoi ne pas transposer cette
l'on recueille dans un texte solution mutatis mutandis au droit constitutionnel, ce qui permettrait de contrô-
et la précision juridiques 1M; ler d'abord le pouvoir législatif, puis le pouvoir constituam dérivé, voire origi-
coutumiere, a fait le pari de naire? 167 On saute ainsi d'un niveau à l'autre au sein de la hiérarchie des normes
cratiques à la fois des élites jusqu'à en arriver au droit international 168 •
ige - et des citoyens, autre- 622 Ce phénomene suscite néanmoins des interrogations de plus en plus pressantes
es normes immanentes aux en ce qui concerne sa compatibilité avec le príncipe démocratique 169 • Dans ce
que la tendance historique, débat, la justice constitutionnelle fait figure d'accusé principal à côté de la jus-
s'en rapproche quelque peu tice européenne qui, en tant qu'organe supranational, constitue en quelque sorte
,a dans le sens d'une rigidité un juge étranger par rapport au concept national de la démocratie 170 • Tout
de la fin du XVIII' siecle, le dépend évidemment de la définition que l'on retient de la démocratie, car,
mes !ois fondamentales cou-
:s deux Chartes françaises de
gide, dont les conditions de 166. Pour l'Allemagne, cf. les idées de Bahr (mpra n" 76 ss);,pour l'Angleterre, cf. Dicey (mpra
République française et au n" 253 ss); pour la France, cf. M.J. REDOR, De l'Etat légal à l'Etat dedroit, op. cit.
167. Cf. C. KLEIN, 7héorie et pratiqued11 pouvoir constituam, Paris, PUF, 1996, p. 188: «!.Abana-
·ictives; enfin, à partir des lisation d11 contrôle de constitutionnalité de la foi(...) n'a pas manqué, tres rapidement, de provoquer un
,stice constitutionnelle dont écho a11 niveau mpérieur, c'est-à-dire à celui du contrôle éventuel du pouvoir de révision. »
: et de s'approfondir jusqu'à 168. Sur l'impact croissant de cette logique juridictionnelle en droit imernational, et spécialement
en droit européen, cf. supra n" 306 ss.
nos jours, le niveau de pro- 169. La littérature sur la sujet est des plus vastes. Sur le débat français, cf. par ex. M. TROPER, « Jus-
tice constiturionnelle et démocratie », RFDC, 1990, pp. 31-48; M. CAPPELLETTI, Le pouvoir
des juges, op. cit., pp. 215-279; D. ROUSSEAU (dir.), La démocratie continue, préf. G. Vedei,
la Cour constitutionnelle fédérale Paris, Bruxelles, LGDJ, Bruylant, 1995; L. FAVO~U, « La légitimité du juge constitutionnel »,
RIDC, 1994, pp. 557-581; id., «Dela démocratie à l'Etat de droit », Ledébat, 1991, n" 64, p. 158 ss;
l74: « Dad11rch dases dem mensch!i- G. DRAGO, Contentie11xconstitutionnel, Paris, PUF, 1998, p. 68 ss et p. 87 ss (biblio.); G. DRAGO,
s sinnhaften Handelns dessL'n objekti- B. FRANCO IS & N. MOLFESSIS (dir.), La légitimité de la jurisprudence du Cansei! constitutionnel,
em s11bjektiven Erlebnisprozess abzu- Paris, Economica, 1998; B. CHANTEBOUT, « Comrôle de constitutionnalité et démocratie »,
wegs notwendig ist - sogar in einem Mélanges Chaker, n" spécial de la revue tunisienne de droit, p. 171 ss; Sur le débat allemand, cf. par
,e Wendrmg rmsres Bew11sstsein haben ex. C. STARCK, « Vorrang der Verfassung und Verfassungsgerichtsbarkeit » in id., Derdemokratische
nem Sinngebilde verselbstà'ndigt, das Verfassrmgsstaat, Tübingen, Mohr, 1995, pp. 33-57 et les références chez K. SCHLAICH, Das Brm-
nd wiedererlebt werden kann. » desverfassungsgericht, 2' éd., München, Beck, 1991, p. 264 ss. Sur le débat anglais comemporain,
,tionnalisme écrit implique une cer- cf. notamment M. ZANDER,A Bill ofRights?, 4,h edn., London, Sweet & Maxwell, 1997 et les réfé-
:onstituant, qui n'est pas infaillible, rences citées supra n" 289 ss.
170. Ce poim est parriculieremem bien mis en évidence dans le débat anglais sur la démocratie en
é», Pouvoir, n" 67, 1993, pp. 73-74. raison de l'absence de toute justice constitutionnelle nationale. Cf. M. ZANDER, op. cit., p. 63 s.
604 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constittttionnelle De la démoc1;

comme le note M. Troper, « si l'on définit la démocratie comme la fonne de gou- posé, on déni
vernement dans laquelle les fois sont faites par le peuple ou ses élus, la réponse [à la des législateu
question de la compatibilité entre la démocratie et le constitutionnalisme] ne l'ere de la jus
saurait être que négative » 111 • À supposer que l' on puisse définir l' essence de l'un 624 On convienJ
et de l'autre, ce à quoi ne croit guere M. Troper pour des raisons épistémolo- taine prudern
giques - ce qui le concluir à évoquer les hypothese suivantes sans les discuter -, en effet que lE
on pourrait, en effet, envisager trois cas d'école : « 1} La démocratie est détruite les droits de l'
s'il existe un contrôle de constitutionnalité; 2) la démocratie implique l'existence être soit polir
d'un contrôle de constitutionnalité; 3} le contrôle de constitittionnalité n'est pas la forme d'un
indispensable à la démocratie, mais nela détrnit pas. » ' 71 C'est justement à la le plus 175 - , v;
démonstration de cette troisieme proposition que nous nous attacherons ici propre à chaq
compre tenu de la définition intrinsequement libérale de la démocratie qui a été poserait avec
développée précédemment. texte constitu
sur une comp
§ 2. POUR UNE THÉORIE DU BILAN EN CE QUI CONCERNE l'avait déjà rer
LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE il n'y a aucur
autorisation d
623 Dans ce débat, il importe d'éviter toute vision manichéenne qui serait néces- dans les ornie
sairement réductrice de la complexité des concepts en jeu. Ainsi, la démocratie probation; il
ne se limite pas au regne absolu et sans bornes de la majorité. II s'ensuit que pour et contr,
l'instauration d'une justice constitutionnelle n'aboutit pas ipso facto à la chances d'un
négation de la démocratie comme le suggere la premiere proposition. Inverse- opte plutôt pc
ment, la deuxieme proposition est tout aussi erronée puisqu'elle nie !'exemple quera que le f
de certains pays comme la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Suisse qui, quoique l'on se penchi
dépourvus d'une justice constitutionnelle, n'en sont pas moins des démocraties
libérales. À cela s'ajoute que cette deuxieme hypothese s'inspire de la these de
l'assimilation du droit et du juge. Selon nombre d'auteurs libéraux, il ne peut,
en effet, y avoir de démocratie sans droits de l'homme, ce qui revient à dire qu'il 175. Cf le dilem
ne peut y avoir de démocratie sans justice constitutionnelle, puisque le droit srecht? », in Ge;.
m&me, dans le d(
appelle nécessairement le juge. De là il n'y a qu'un pas vers la divinisation des que K.D. Ewing.
juges 173, érigés en augures infaillibles de la sagesse, de la raison et de la justice, qui mentarisme (cf s,
ne peuvent jamais se tromper sur le « one right answer » (R. Dworkin) 174 • À l'op- 176. M. CAPPEI
177. Cf supra n
178. Cf supra n
179. Nous nous
d'État français d.1
171. M. TROPER, « Démocratie continue et justice constitutionnelle », in D. ROUSSEAU (dir.), c/Fédération de d.
L:, démocratie continue, op. cit., p. 125. Est », concl. G. Bi
172. Jbid., p. 127. La démarche de M. Troper se veut strictement sémantique : à supposer que l'on pour annuler une
veuille concilier démocratie et comrôle de constitutionnalité, que! est le sens que l'on doit donner sur ces avantages.
au mot démocratie? Pour !ui, en tant que positiviste, il ne s'agit pas de justifier l'existence de la jus- 180. Selon le co,
tice constitutionnelle. Ainsi, à la fin du
173. Cf en ce sens R. MARCIC, Vom Gesetzesstaat zmn Richterstaat. Recht 1md Mass der Macht. voir commis d'ab
Gedanken tiber den demokratischen Rechts- und Sozialst<1at, Wien, Springer, 1957 ( voir s11pra n" 155); En F rance, les réY
H. de PAGE, A propos du gouvcmement des j11ges. L 'éq11ité en fiice dtt droit, Bruxelles-Paris, Bruylam- pas de percevoir 1,
Sirey, 1931, spéc. p. 181 s. Sur ce juriste belge, !ire les critiques de J. BONNECASE, L, penséejuri- des monarchiens ,
diq11e Ji-ançaise de 1804 à !'he11re présente. Ses variations et ses traits essentiels, Bordeaux, Delmas, t. II, 1919 a connu un,
1933, p. 238 ss (« L:, théorie du "gouvemement des juges" et !e romantisme j11diciaire » ). constitutionnelle
174. R. DWORKIN, Taking Rights serio11sly, 7,h impression, London, Duckworth, 1994, chap. 13. l'illustrent les cas,
Sur le débat déclenché par la these de Dworkin, cf les références citées par G. DRAGO, op. cit., p. 95. ou encore en Eun
et la justice constitzttionnelle De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 605

·atie comme la fonne de gou- posé, on dénie toute rationalité à l'action des élus politiques. Apres la déchéance
le ou ses élus, la réponse [à la des législateurs et le mythe pseudo-rousseauiste de la loi sacrée s'ouvrirait ainsi
: le constitutionnalisme] ne l'ere de la justice constitutionnelle, au double sens du terme.
isse définir l'essence de l'un 624 On conviendra que l'image est trop belle pour être vraie ce qui justifi.e une cer-
our des raisons épistémolo- taine prudence en la matiere. li faut se garder de tout automatisme. À supposer
uivantes sans les discuter -, en effet que le concept de démocratie présuppose certains principes a priori, dont
1} La démocratie est détrnite les droits de l'homme, il reste à en déterminer la garantie institutionnelle qui peut
nocratie implique l'existence être soit politique soit juridictionnelle. La réponse à ce choix, qui prend parfois
1 constittttionnalité n'est pas la forme d'un dilemme - lorsqu'on ne sait plus à qui se fier ou de qui se méfier
·s. » 172 C'est justement à la le plus 175 - , varie en fonction du contexte politique, culturel, social et historique
naus naus attacherons ici propre à chaque pays. Il n'y a en la matiere aucune solution universelle qui s'im-
le de la démocratie qui a été poserait avec la force de la logique m,_ Cela veut dire encare que tout silence d'un
texte constitutionnel sur le principe même du contrôle de constitutionnalité ou
sur une compétence particuliere du juge équivaut à une véritable lacune, comme
:E. QUJ CONCERNE l'avait déjà remarqué Thoma en 1920 177 • Contrairement à ce qu'affirme Kelsen 178,
-IELLE il n'y a aucune raison logique qui obligerait le juriste à voir dans ce silence une
autorisation du contrôle donnée parle pouvoir constituam, à moins de retomber
michéenne qui serait néces- dans les ornieres de la théorie de Bahr. Le silence ne vaut ni approbation ni désap-
en jeu. Ainsi, la démocratie probation; il laisse la place à un véritable choix, à une balance des arguments
la majorité. 11 s'ensuit que pour et contre, bref à une théorie du bilan 179 • li s'agit dane d'évaluer à la fois les
1boutit pas ipso facto à la chances d'un meilleur respect du droit ainsi que les risques d'erreurs selon qu'on
imiere proposition. Inverse- opte plutôt pour un contrôle politique ou un contrôle juridictionnel. On remar-
ée puisqu'elle nie !'exemple quera que le poids de l'histoire est ici décisif 18º et qu'en général, au moment ou
s-Bas, la Suisse qui, quoique l'on se penche sur la question, la faillite de l'organe politique est patente - sans
t pas moins des démocraties
hese s'inspire de la these de
auteurs libéraux, il ne peut,
11e, ce qui revient à dire qu'il 175. Cf le dilemme sous la République de Weimar de G. RADBRUCH, « Richcerliches Prüfung·
utionnelle, puisque le droit srechc? », in Gesamta11sg.ibe, Heidelberg, Müller, e. XIII, 1993, pp. 123-127 (cf mpra n" 129). De
même, dans le débac accuel en Anglecerre, les adversaires d'un concrôle juridiccionnel des !ois, cels
. pas vers la divinisation des que K.D. Ewing, J. Waldron, etc., som couc à faic consciencs des failles ec des faiblesses du parle-
· la raison et de la justice, qui mencarisme (cf supra n" 299 ss).
er » (R. Dworkin) 174 • À l'op- 176. M. CAPPELLETTI, op. cit., p. 216.
177. Cf mpra n· 127.
178. Cf srtpra n" 132.
17?. Naus naus référons évidemmenc ici à la fameuse chéorie du bilan géveloppée parle Cansei!
d'Ecac français dans son arrêc de príncipe du 28 mai 1971 Ministre de l'Equipement et d11 logement
mnelle », in D. ROUSSEAU (dir.), c/Fédération de défense des personnes concemées par le projet actuellement dénommé « Ville nouvelle
Est », cone!. G. Braibanc, Remei! Lebon, p. 409. Selon cecce jurisprudence, le juge s'escime compécenc
e sémancique: à supposer que l'on pour annuler une déclaracion d'ucilicé publique au casou les inconvéniencs du projec l'emporceraienc
1el esc le sens que l'on doic donner sur ces avancages.
pas de juscifier l' exiscence de la jus- 180. Selon le concexce hiscorique, la méfiance des cicoyens se focalise sur des pouvoirs différencs.
Ainsi, à la fin du XVIII' siecle, les Américains se méfienc du parlemenc en souvenir des tbus de pou-
rerstaat. Recht 1md Mass der M.icht. voir commis d'abord parle Parlemenc de \11/estminster, puis parles législaceurs dans les Ecacs fédérés.
, Springer, 1957 (voir s11pr.i n" 155); En France, les révolucionnaires se méfienc surcouc de l'exécucif ec du judiciaire, ce quine les empêche
d11 droit, Bruxelles-Paris, Bruylant· pas de percevoir les risques d'un despocisme de la pare du législaceur (voir à ce sujec les mises en garde
le J. BONNECASE, La pensée juri- des monarchiens des 1790). En Allemagne, la confiance placée dans les inscances démocraciques apres
' essentiels, Bordeaux, Delmas, e. II, 1919 a connu un nec échec, ce qui explique en grande pareie l'écendue de la compécence de la Cour
antisme j11diciaire » ). conscicucionnelle fédérale. L'expérience d'un régime dictatorial s'avere souvenc décisive ainsi que
ndon, Duckworch, 1994, chap. 13. l'illustrenc les cas des nouvelles démocraries, que ce soit en Europe du sud (Portugal, Grece, Espagne)
icées par G. DRAGO, op. cit., p. 95. ou encare en Europe cencrale et oriencale.
606 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle De la démocrai

quoi il n'y aurait pas débat - et que !e spectre de l' erreur judiciaire n'existe qu'à au juge de trai
I'état virtuel 181 • pouvoir d'int,
625 S'il n'est possible ici de rentrer dans tous les détails de cette vaste discussion, on peuple ne réso
peut néanmoins insister sur quelques arguments des plus importams à l'heure un représema1
actuelle. Un premier argumem au bénéfice du juge a trait à la définition usuelle rendre à persa
de la fonction juridictionnelle selon laquelle il incombe au juge de faire respec- participation 2
ter le droit, tout le droit, dans un cas d' espece. A fortiori, on en a déduit une pré- mal"'.
disposition particuliere du juge pour la défense des droits de l'homme, ce que Reste un de
d'aucuns ont néanmoins comesté 181 • À cela viem s'ajouter de nos jours un dis- peu de crédit q
cours de plus en plus répandu, inspiré à la fois des idées de R. Dworkin et de rique de la lég
J. Habermas, selon leque! le prétoire du juge constitue un véritable forum démo- en pratique !e
cratique qui permet au citoyen de faire valoir ses droits à l'égard d'une sphere les institutiorn
politique jugée hermétique aux griefs d'une seule personne. Ainsi s'ouvrirait un les derniers de
nouvel espace à l'individu qui disposerait désormais d'un nouveau droit de par- tique des droit
ticipation 183 • Le droit au juge se légitimerait ainsi, non pas seulement comme une poser un mod,
garamie de ses droits individueis, mais comme une nouvelle forme de liberté que ce que 1'01
politique, ce que d'aucuns exprimem par des formules iconoclastes comme la comme la moi
« démocratie parle juge » 1"'. 626 Quant aux inc
L'argument est à la fois vrai et faux : vrai en ce que le droit au juge permet en de deux ordre
effet à une seule personne d'agir au niveau étatique, en forçam les instances éta- que d'aucuns
tiques à se pencher sur son cas individuei, alars que les mécanismes traditionnels concerne le pc
de la démocratie représentative som ou bien collectifs (élection), ou bien discussion : sei
dépourvus de force contraignante {droit de pétition). II n'en reste pas moins que que les juges 1
Ia légitimation par rapport à la notion d'autonomie politique est quelque peu celle retenue p
fallacieuse, en ce sens que le rôle actif du justiciable se limite dans un proces à politique qu'o
saisir le juge et à !ui soumettre une argumemation. II ne lui revient nullemem de l'on se situe j1
décider - ce qui est pourtant le propre de l'autonomie -, puisqu'il appartiem C' est dans ce <
tion de la non
de pouvoir de
181. On peut toutefois cirer deux contre--exemples célebres pour le cas de la France. II s'agir, tout
« paternalisme
d'abord, des parlements de l'ancien régime: le souvenir de leur attirude réacrionnaire face aux ten- tionnel qui se
tatives de réforme lancées par le roí est encore à l'esprit de tous les révo,Jurionnaires. Le second telles que les 1
exemple a trair à la jurisprudence amisoci:ile de la Cour suprême des Etats-Unis au début du
XX" siecle. Diffusée parle fameux ouvrage d'Edouard Lambert, l'information a jeté un froid dans !e
débat sur l'introduction d'un contrôle juridictionnel de la constirurionnaliré des !ois sous la
III' République. Cf A. STONE, The Birth ofj11dici,t! Politics in France. The Constitrttional Cormcil in 185. Cf les cririq1
Comparative Perspective, New York, Oxford U niversiry Press, 1992, p. 39 s. 186. C'esr ce qt
182. Cf D. LOCHAK, « Le Conseil consrirurionnel, protecteur des liberrés? », Po11voirs, n" 13, Menschenrechre i
3' rééd., 1991, pp. 41-54; Y. POIRMEUR, « Le Conseil consrirurionnel protege-r-il véritablemem les 187. C'esr le case
droirs de l'homme? », in G. DRAGO, B. FRANCOIS & N. MOLFESSIS (dir.), op. cit., pp. 295- 188. Cf, par ex.,
343; K.D. EWING, « The Bill of Rights Debate : Democracy or Jurisrocracy in Brirain? », in 189. J. WALDRl
K.D. EWING, C.A. GEARTY & B.A. HEPPLE (dir.), H111nan Rights ,md úbo11r Law. Essays in nécessairement êt
Honour for Paul O'Higgins, London,,Mansell, 1994, spéc. p. 167 ss ou il se réfere à !'exemple de la limites.
jurisprudence de la Cour suprême. A divers moments de son hisroire, celle-ci a momrée tres peu 190. H.L.A. HAI
d'ardeur à défendre les droits de minorités reis que les esclaves, les classes sociales défavorisées, les 191. R. ALEXY.
citoyens américains d'origine japonaise (lors de la seconde Guerre mondiale), les communistes (lors 192. C. STARCK
de la chasse aux sorcieres lancée par McCarrhy), les homosexuels, etc. 193. CfJ.H. EL'I
183. Voir, par exemple, les ouvrages de D. ROUSSEAU et de M. ZANDER. sation du Rechtsst.
184. II s'agir de l'intirulé de !'une des séances du séminaire sur la démocratie européenne, organisé ]uS, 1980, pp. 70-l
en 1999-2000 par Valérie Guidat et Guillaume Lemiere à Paris I. des Rechrssraar ai
't la justicé constittttionnelle

·eur judiciaire n'existe qu'à


l De la dérnocratie et de l'État de droit. Une étude théorique

au juge de trancher le litige et d' exercer ce pouvoir normatif crucial qu' est !e
pouvoir d'interprétation. Dire que le juge agit en tant que représentant du
607

peuple ne résout pas entierement le probleme puisque cela revient à substituer à


e cette vaste discussion, on
un représentant élu, mais révocable, un représentant-juge qui n'a de comptes à
plus importants à l'heure
rendre à personne. Au point de vue de la démocratie stricto sensu, au sens de la
trait à la définition usuelle
1be au juge de faire respec- participation à la chose publique, le remede ainsi prôné risque d'être pire que le
Jri, on en a déduit une pré- mal 18 '.
droits de l'homme, ce que Reste un dernier argument qui est, peut-être, le plus performant: il s'agit du
peu de crédit qu'inspirent de nos jours les organes élus. Si la démonstration théo-
jouter de nos jours un dis-
1dées de R. Dworkin et de rique de la légitimité démocratique du juge bute sur d'innombrables obstacles,
en pratique le décalage entre l'idéal du débat démocratique clone se réclament
! un véritable forum démo-
les institutions parlementaires et la réalité politicienne de ces dernieres emporte
oits à l'égard d'une sphere
sonne. Ainsi s'ouvrirait un les derniers doutes 186 • Même les défenseurs les plus fervents d'une garantie poli-
tique des droits de l'homme n'ont pas d'illusion à cet égard, et ils peinent à pro-
d'un nouveau droit de par-
poser un modele de rechange qui soit à la fois plus démocratique et plus libéral
pas seulement comme une
que ce que l'on a connu jusqu'alors'"'. Le juge s'imposerait ainsi faute de mieux,
nouvelle forme de liberté
comme la moins mauvaise des solutions.
1les iconoclastes comme la
626 Quant aux inconvénients de la justice constitutionnelle, ils sont essentiellement
! !e droit au juge permet en de deux ordres. Le premier contre-argument que l'on cite en général - encore
!n forçant les instances éta- que d' aucuns y voient au contraire un avantage en termes de souplesse 188 -
s mécanismes traditionnels concerne le pouvoir d'interprétation dont l'étendue exacte est toujours objet à
lectifs (élection), ou bien discussion : selon les uns et les autres, il est soit total, soit nul, soit partiel. Le fait
Il n'en reste pas moins que que les juges puissent imposer leur lecture de la constitution au détriment de
: politique est quelque peu celle retenue parle parlement constitue indéniablement une perte d'autonomie
se limite dans un proces à politique qu'on ne saurait justifier par rapport aux droits de l'homme, puisque
ne !ui revient nullement de l'on se situe justement dans un cas ou ceux-ci autorisent plusieurs lectures 189 •
nie -, puisqu'il appartient C'est dans ce que Hart appelle la zone de« penumbra» 190, les casou la significa-
tion de la norme n'est plus claire et évidente, que s'opere un véritable transfere
de pouvoir de l'un vers l'autre. De l'avis de certains, la solution à ce risque de
« paternalisrne » 191 judiciaire réside dans une précision accrue du texte constitu-
!e cas de la F rance. II s' agir, couc
ccicude réaccionnaire face aux cen- tionnel qui serait obtenue par l'élimination de normes réputées plus vagues
s les révolucionnaires. Le second telles que les droits socio-économiques '"2, voire tous les droits de l'homme m_
fme des Écacs-Unis au débuc du
nformacion a jecé un froid dans le
inscitucionnalité des !ois sous la
nce. The Consti111tional Cormcil in 185. Cf les critiques de J. WALDRON, op. cit., et K. EWING, op. cit.,
12, p. 39 s. 186. C'est ce qui ressort tres clairement chez R. ALEXY, « Die Institutionalisierung der
r des libertés? », Pouvoirs, ff' 13, Menschenrechte im demokratischen Verfassungsstaat », op. cit., p. 263 s.
,nnel protege-t-il véritablement les 187. C'est le cas de K.D. Ewing ec J. Waldron.
OLFESSIS (dir.), op. cit., pp. 295- 188. Cf, par ex., L. FAVOREU, «Dela démocratie à l'État de droit », op. cit., p. 161.
or Juriscocracy in Bricain? », in 189. J. WALDRON, op. cit., p. 32 ss, insiste sur le fait que la théorie des droits de l'homme doit
Rights ,md Labo11r Law. Essays in nécessairement être complétée par une théorie de l'aurorité pour savoir qui doit trancher ces cas
ss ou il se réfere à !'exemple de la limites.
scoire, celle-ci a montrée tres peu 190. H.L.A. HART, The Concept ofLaw, op. cit., p. 12.
es classes sociales défavorisées, les 191. R. ALEXY, op. cit., p. 264.
: mondiale), les communistes (lors 192. C. STARCK, « Vorrang der Verfassung ... », op. cit., p. 52 ss.
, etc. 193. Cf J.H. ELY, Democracy and Distrnst, op. cit. Voir aussi le débat en Allemagne sur la formali-
ZANDER. sation du Rechtsstaat: D. GRIMM, « Reformalisierung des Rechtsstaats ais Demokratiepostulat? »,
démocratie européenne, organisé ]uS, !980, pp. 704-709; F. HASE, K.-H. LADEUR & H. RIDDER, « Nochmals: Reformalisierung
des Rechrsstaat ais Demokratieposrulat? »,]uS, 1981, pp. 794-798. Déjà Kelsen voulait exlure les
608 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle

Mais, il ne s'agit là pour l'instant que de projets théoriques quine correspondent


à aucune réalité de droit positif.
Enfin, il reste à savoir comment se protéger des erreurs éventuelles des juges
eux-mêmes quine sont que des hommes et non pas des dieux. Quis custodiet ipsos
custodes? Là aussi les solutions avancées, qui se réferent à la fois au droit du der-
nier mot du pouvoir constituam dérivé et à des garanties éthiques (conscience
professionnelle des juges, esprit de corps, self restraint, rôle de la doctrine et de
l'opinion publique, etc.) ne sont pas toujours de nature à entrainer la conviction.
Ainsi, la théorie du dernier mot, invoquée à de multiples reprises en France, s'ef-
fondre des lors que le juge a le pouvoir de contrôler les révisions constitution-
nelles, comme c'est le cas en Allemagne. Quant aux garanties éthiques, elles
montrent une fois de plus que le droit ne saurait être entierement détaché de cer-
taines conditions morales, d'une certaine vertu civique que Montesquieu se pro- I
posait, au contraire, d'éliminer dans sa vision mécanique de l'État ou un pouvoir
arrête nécessairement un autre. Or, ce faisant, il a oublié qu'il doit logiquement
exister une instance qui ale dernier mot, sous peine d'aboutir à une régression
vers l'infini. Toute la question est alars de savoir s'il vaut mieux conférer ceder-
nier mot à un juge, à un organe élu ou aux citoyens eux-mêmes au regard à la
fois de la liberté individuelle et de la liberté politique. Au cours d,
627 On voit clone que la démocratie constitutionnelle n'est pas tout à fait la même configuration
chose que la démocratie libérale représentative du XIX' siecle, mais qu'elle n'est doctrinale. D'
pas non plus totalement autre chose. Si le concept des droits de l'homme atou- nalité » qui s' e
jours été au creur de l'idée de démocratie, celle-ci connait cependant de nos jours
une profonde mutation d'un point de vue institutionnel : la place prééminente a) Les termes
de gardien de la constitution et de l'État de droit ne revient plus au parlement
élu, mais à un juge constitutionnel. Désormais, c'est la justice constitutionnelle 628 Derriere cette
qui protege, avec plus ou moins de volonté et de succes, la démocratie contre ses mand de« ¼1
propres démons, à commencer parle spectre de l'autosabordage '"'. questions. Dar
tion tantôt de
l' articulation L
rarchisation in
ment à la défir
C'est à la lumiere de ces conclusions théoriques sur les liens entre la démo- voir constitua1
cratie, le droit et le juge qu'il importe d'aborder le vif débat qui a éclaté récem- les deux visés,
ment en France au sujet de la mystérieuse « supraconstitutionnalité ». seul le dernier
soit celui de p
seule chose qt
pouvoir légish
sion, et que l' e

1. Litt. : normes ,
droirs de l'homme des normes de référence du comrôle de consrirurionnalité des !ois Cf id., « La Veifassungswidrig,
garamie juridicrionnelle de Ia Consrirution. La justice constirurionnelle », RDP, 1928, p. 241. plupan des auteUI
194. M. CAPPELLLETTI, op. cit., p. 274. On peut penser à la tragédie de la II· République fran- 12, 45 {50); 89, 15
çaise, reniée par ses propres ciroyens au profit d'un régime césaro-monarchisre, et au cas bien connu 2. Sur les divers ,
de Ia République de Weimar. nels »,foumées de
it et la justice constitutionnelle

oriques qui ne correspondem

•erreurs éventuelles des juges


des dieux. Quis custodiet ipsos
:rent à la fois au droit du der-
aranties éthiques (conscience
iint, rôle de la doctrine et de
cure à entrainer la conviction.
itiples reprises en France, s'ef-
ler les révisions constitution-
aux garanties éthiques, elles
Chapitre 2
·e entierement détaché de cer-
1que que Montesquieu se pro- Les limites matérielles au pouvoir
aique de l'État ou un pouvoir
)ublié qu'il doit logiquement de révision constitutionnelle
ae d'aboutir à une régression
tl vaut mieux conférer ce der-
Une analyse dogmatique comparative
:ns eux-mêmes au regard à la
tue. Au cours de la procédure de ratification du traité de Maastricht en France, la
n'est pas tout à fait la même configuration de la hiérarchie des normes a fait l'objet d'une vive controverse
XIX' siecle, mais qu'elle n'est doctrinale. D'aucuns ont alors argué de l'existence d'une « supraconstitution-
des droits de l'homme a tou- nalité » qui s'opposerait à la révision de la Constitution de 1958.
mnait cependant de nos jours
ionnel : la place prééminente a) Les termes de la problématique
ne revient plus au parlement
ist la justice constitutionnelle 628 Derriere cette formule assez ambigue, qui équivaut à peu pres au concept alle-
cces, la démocratie contre ses mand de« Verfassungswidrige Verfassungsnormen »',se dissimulem une foule de
mtosabordage '"'. questions. Dans ce débat à géométrie variable, d'une rare complexité 2, il est ques-
tion tantôt de la vieille querelle entre le droit naturel et le droit positif, tantôt de
l'articulation du droit internacional avec le droit interne, tantôt encore d'une hié-
rarchisation interne au droit constitutionnel positif. Le désaccord touche égale-
ment à la définition du destinataire de ces normes : alors que pour les uns, le pou-
is sur les liens entre la démo- voir constituam (originaire) et le pouvoir de révision constitutionnelle sont tous
: vif débat qui a éclaté récem- les deux visés, soit de façon identique, soit de façon différenciée, pour d'autres
onstitutionnalité ». seul le dernier est en jeu. De plus, personne n'est d'accord sur les moes, que ce
soit celui de pouvoir constituam ou encore celui de supraconstitutionnalité. La
seule chose qui soit à peu pres claire est que l'on essaie d'explorer l'au-delà du
pouvoir législatif, c'est-à-dire au minimum le statut juridique du pouvoir de révi-
sion, et que l'on se rapproche de plus en plus de ces régions hautement discutées

1. Litt.: normes constirutionnelles inconstirutionnelles. L'expression fut lancée par O. BACHOF,


nstirutionnalité des !ois Cf id., « La Verfassungswidrige Verfassungsnomzen?, Tübingen, Mohr, 1951 et est reprise de nos jours par la
tionnelle », RDP, 1928, p. 241. plupart des auteurs. La Cour constirutionnelle fédérale s'en est également servi (cf. par. ex. BVe,fGE,
la tragédie de la II' République fran- 12, 45 (50); 89, 155 (168)).
ro-monarchiste, et au cas bien connu 2. Sur les divers enjeux, cf. l'analyse de M. TROPER, « La notion de príncipes supraconstitution-
nels », ]ournées de la société de législation comparée, vol. 15, 1993, p. 337 ss.

l
610 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle

que sont les confins du droit. Le probleme évoqué, à tort ou à raison, parle terme
de supraconstitutionnalité a clone trair à la définition de la normativité ainsi qµ'à
1 Les limites md

Voici clone le:


dessus du ni'J
l'étendue desa sanction juridictionnelle, s'il y ena une - là aussi il y a débat -, constitutionn
dans ce qui constitue l'étage supérieur, supralégal, de l'ordre juridique national, rant d'auteur
sachant clone que la structuration même de cette strate en un seul ensemble '
rev1s1on, entr
homogene ou en deux, voire en trois sous-strates est vivement discutée. constitutionr
629 Dans ce débat, le choix des mots est loin d'être anodin car chacun d'eux véhi-
crée dans la
cule, parfois à l'insu de celui qui s'en sert, un certain nombre de prémisses théo- constituant (<
riques. Ainsi, il est d'usage en France de ranger dans une même catégorie - le aurait des lar
pouvoir constituant - l'instance qui établit la constitution et celle qui en révise 630 Ces premien:
les dispositions. Ce n'est qu'à partir de 1942 3 que les juristes français prennent ment notre cl
l'habitude de différencier les deux en qualifiant l'un de pouvoir constituant « ori- en France et ,
ginaire » et l'autre de pouvoir constituant « dérivé »ou« institué ». II n'en reste à titre incide
pas moins qu'en désignant l'instance de révision de pouvoir constituant, certes écartera de fa
dérivé, on maintient un lien d'identité tres fort entre les deux. Dans cette asso- un autre déb:
ciation sémantique, le substantif l'emporte sur l'adjectif. Le choix même de l'ad- voir de révisi
jectif dérivé ou institué au lieu de constitué, ce qui aurait été logique puisqu'il veut pas dire
s'agit d'un pouvoir conditionné par la constitution, n'est point anodin. Dire, en les limitatio;
effet, de l'instance de révision qu' elle est un pouvoir constitttant constitué revien- contraire, d\
drait à révéler au grand jour l'absurdité d'une telle assimilation •. De l'avis d'un voir de révisi
nombre croissant d'auteurs en France, il faut réserver le terme de pouvoir consti- 631 II faut en efü
tuant aux seuls auteurs de la constitution. Quant au soi-disant pouvoir consti- limites proci:
tuant dérivé, il n'est qu'un pouvoir « constitué », qu'une « compétence ,,; enca- ristique, il e,
drée par la constitution, qu'il convient d'appeler parle terme de « pouvoir de point de vue
révision constitutionnelle »". C'est du reste l'usage qui s'est établi en Allemagne 7 • au meme' '
res
exige des con
révision puis
3. O. BEAUD, La p11issance de l'État, Paris, PUF, 1994, p.314, fait remanter cette distinction à l'ou- de 1787, que
vrage de Roger BONNARD, Les acles constitutionnels de 1940 qui date de 1942. lité qu'une e
4. O. JOUANJAN, « La forme républicaine de gouvernement, norme supraconstitutionnelle? »,
in B. MATHIEU & M. VERPEAUX (dir.), La Rép11bliq11e en droil /rançais, Paris, Economica, (fédéré) ne p,
1996, p. 281. qui revient
5. C. SCHMITT, Verfasstmgslehre, p. 102. Selon Schmitt, il n'y a de compétence que de compétence chambre du'
limitée et encadrée par des normes juridiques, par des normes de droit positif. II suffit d'ailleurs de
se référer à la définition courante du terme, selon laquelle la compétence constitue une « aptilltde damentale al
légale à accomplir 1111 acte » (Lexiq11e de tennes juridiques, 8' éd., Paris, Dalloz, p. 110). Une compé- projet, il étai
tence absolue, sans borne, est clone un non-sens, bref une contradictio in adjecto. Des lors, la défini- cune révisio
tion du pouvoir constituam par O. DUHAMEL, « Pouvoir constituam » in Dictionnaire constiltt·
tionnel, 1"' éd., Paris, PUF, 1992, p. 777, selon leque! il s'agit de« l'organe bénéficianl de la compétence Bundesrat. C
constiwtionnelle, c'est-à-dire doté d11 po11voir d'adopter 11ne conslitution 01111ne modification de la consti-
tution en vigueur », est lourde de sous-entendus. Le rerme « organe » suppose lui aussi l'existence
d'une habilitation juridique, ce qui impliquerait par conséquent que le pouvoir constituant dérivé
et originaire soit soumis au droit (positif). Voir aussi s11pn1 n-· 514 note 362. auteurs qui s'in:
6. O. BEAUD, op. cil., p. 310 et 315 s; id., « Maastricht et la rhéorie constitutionnelle. La nécessaire (litt. le législaté
et inévitable distinction entre le pouvoir constituam et le pouvoir de révision constitutionnelle », jàsstmgsgeber » (
LPA, n" 39 du 31 mars 1993, pp. 1-1-17 {1" pareie) et n" 40 du 2 avril 1992, pp. 7-10 {2' pareie). Nous 8. Sur la quest
suivrons par la suite cet usage terminologique qui est encore minoritaire. Si nous ajoutons parfois, (le droir imerr
entre parentheses, l'adjectif orginaire pour qualifier le pouvoir constilltarit - ce qui est parfaitement cf M.-F. RIGAI
pléonastique -, c'est uniquement pour éviter tout malemendu. Larcier, 1985, F
7. Les auteurs allemands opposent en général la « verfass11ngsãndernde Gewah » à la « verfasszmgge· tar, Zweirbearl·
bende Gewalt » que l'on désigne encore par l'expression française « potwoir constituant ». Cereains 9. Cf pour rou
roit et la jústice constittttionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 611

:, à tort ou à raison, par le terme Voici clone les trois hypotheses de structuration de la hiérarchie des normes au-
ion de la normativité ainsi qu'à dessus du niveau des lois ordinaires : selon une premiere doctrine, les normes
a une - !à aussi il y a débat -, constitutionnelles se trouvent toutes à un même niveau; selon !e deuxieme cou-
1, de l'ordre juridique national, rant d'auteurs, il faut distinguer entre le pouvoir constituant et le pouvoir de
tte strate en un seu! ensemble révision, entre les normes constitutionnelles dites fondamentales et les normes
est vivement discutée. constitutionnelles simples; selon une troisieme option, que l' on trouve consa-
anodin car chacun d'eux véhi- crée dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, le pouvoir
tain nombre de prémisses théo- constituam (originaire) est à son tour soumis à des normes de droit naturel. II y
dans une même catégorie - !e aurait des lors trois niveaux de normes constitutionnelles.
mstitution et celle qui en révise 630 Ces premieres clarifications étant faites, on peut clone délimiter plus précisé-
1e les juristes français prennent ment notre champ d'étude: il s'agit principalement de définir le statut juridique
un de pouvoir constituam « ori- en France et en Allemagne du pouvoir de révision, ce qui permettra également,
r,;é »ou« institué ». li n'en reste à titre incidem, d'esquisser le statut du pouvoir constituam (originaire). L'on
1 de pouvoir constituant, certes écartera de façon générale l' optique de droit international qui nous menerait vers
entre les deux. Dans cette asso- un autre débat". Enfin, parmi les limites de droit constitutionnel interne au pou-
1djectif. Le choix même de l'ad- voir de révision, on se concentrera surtout sur les limites matérielles, ce qui ne
:iui aurait été logique puisqu'il veut pas dire que l'on perdra de vue les deux autres catégories de limites que sont
:m, n'est point anodin. Dire, en les limitations procédurales et temporelles. Leur juxtaposition s'avérera, au
;oir constitttant constitué revien- contraire, d'un grand intérêt pour saisir la nature et le régime juridique du pou-
lle assimilation'. De l'avis d'un voir de révision.
rver !e terme de pouvoir consti- 631 II faut en effet se garder de trop isoler les unes des autres. Si la distinction entre
1t au soi-disant pouvoir consti- limites procédurales, circonstancielles et matérielles a une certaine valeur heu-
•>, qu'une « compétence » 5 enca- ristique, il existe toutefois des cas ou la distinction est à peine perceptible du
~r par !e terme de « pouvoir de point de vue de l'effet engendré. Les limites procédurales peuvent ainsi aboutir
: qui s' est établi en Allemagne 7 • au même résultat qu'une limite matérielle. Pour cela, il suffit que le constituam
exige des conditions procédurales si draconiennes qu'il est exclu d'avance qu'une
révision puisse jamais réussir. Ainsi, l'article V de la Constitution des États-Unis
4, faic remomer cette discinccion à l'ou- de 1787, que l'on cite à titre d'exemple d'une limite matérielle, n'instaure en réa-
'O qui date de 1942. lité qu'une condition procédurale supplémentaire. Selon cet article, aucun État
1em, norme supraconscicucionnelle? »,
,e en droit /rançais, Paris, Economica, (fédéré) ne peut être privé desa représentation égale au Sénat sans son accord, ce
qui revient à exiger l'unanimité pour modifier la structure de la seconde
t'y a de compétence que de compétence chambre du Congres. L'histoire de l'élaboration de l'article 79 ai. 3 de la Loi fon-
es de droic positif. II suffü d' ailleurs de
a compétence constitue une « apti111de damentale allemande est encore plus instructive à cet égard 9 • Dans un premier
;d., Paris, Dalloz, p. 110). Une compé- projet, il était prévu que le principe du fédéralisme ne pouvait faire l'objet d'au-
ntradictio in ,1djecto. Des lors, la défini- cune révision constitutionnelle sans l'accord unanime des Là"nder au sein du
. constituam » in Dictionnaire constitu-
:le « l'organe bénéficiant de la compétence Bundesrat. Ce n'est que par la suite que les rédacteurs du Grundgesetz changent
;titution 01111ne modification de la consti-
" organe » suppose !ui aussi l' existence
uem que le pouvoir constituam dérivé
· 514 note 362. auteurs qui s'inspirent de la terminologie schmittienne distinguem entre !e« Veifass1mgsgese1zgeber »
chéorie constitutionnelle. La nécessaire (licc. !e législateur constitutionnel, c'est-à-dire celui qui modifie les !ois constitutionnelles) au « Ver-
,ouvoir de révision constitucionnelle », fassungsgeber » (celui qui adopte la constitution).
1 2 avril 1992, pp. 7-10 {2' pareie). Nous
8. Sur la question des limites au pouvoir constituam découlant d'un ordre juridiqge supérieur
e minoritaire. Si nous ajoucons parfois, (!e droit internacional et européen; le droit fédéral à !' égard du constituam d'un Etat fédéré),
ir constit11ant - ce qui est parfaitement cJ M.-F. RIGAUX, La théorie des limites maiérielles à l'exercice de la fonction constituante, Bruxelles,
1du. Larcier, 1985, p. 139-195; H.-U. EVERS, « Are. 79 Abs. 3 » (version de 1982), in Bonner Kommen-
~sãndemde Gewa!t » à la « verfasszmgge· tar, Zweicbearbeicung, Hamburg, Heicmann, Rn. 46-64.
nçaise « po11voir constit11<1nt ». Certains 9. Cf pour tous les décails H.-U. EVERS, op. cit., p. 3.

J
612 Les liens entre la démocratie, !e droit et la justice constitutionnelle Les limites mat

de stratégie pour inclure le principe du fédéralisme dans la liste des principes l'idée sous-ten
constitutionnels immuables énoncés à l'arricle 79 al. 3. La doctrine s'en félicite vegarder les dr
en général, ce qui est quelque peu surprenant. On peut, en effet, estimer que le criptibles et d
droit de veto est le meilleur moyen pour un Land de protéger ses droits et inté- constitué, ni r
rêts, et ce d'autant plus que la Cour constitutionnelle fédérale est particuliere- éminence de e
ment réticente à censurer une loi constitutionnelle. L'un des preff
Quant à la distinction entre les limites ratione materiae et ratione temporis, constitution e
elle doit également être nuancée, car si les premieres aboutissent à l'immutabi- ci, qu'à l'enr
lité continue de certains principes constitutionnels, les secondes entra1nent l'in- jusque-là - ce
altérabiliré partielle ou totale de la constitution pendam un certain laps de fut, outre Jam
temps, qui peut d'ailleurs être plus ou moins long 10 • Enfin, la lourdeur même des célebre discip
conditions procédurales peut être telle que sous les dehors d'une limite procé- Wissenschaftsl,
durale se cache en fait une limite temporelle 11 • On voit clone que les frontieres La premier
entre ces trais catégorief de limites ne sont pas aussi tranchées qu'on pourrait le du Delaware
croire à premiere vue. A ce sujet, plusieurs auteurs ont d'ailleurs critiqué verte- absolue de to
ment l'inconséquence de la doctrine traditionnelle française qui, d'un côté, stricto sensu e1
admet la validité des limites procédurales" mais, de l'autre, nie la juridicité des et libéral. À e
limites matérielles n. Pourtant, « une limite constitutionnelle est une limite comme « regles /onda.,
une autre que! que soit son objet » ". principe de l'
deux chambr,
~) Les origines modernes des « clauses d'éternité (Ewigkeitsklauseln} » la séparation
de clause d'ir
632 Les origines des clauses intangibles remontem, au moins, jusqu'à la fin du 12 avril 1798
XVIII' siecle. C'est à cerre époque charniere que les fondations de la démocratie tive» 18 • Mais
libérale sont jetées et qu'apparait également le concept des limites matérielles au de Norvege e
pouvoir de révision. Bien qu'elle ne soit guere évoquée de façon explicite dans !'exemple de
les écrits des grandes figures qui ont marqué de leur empreinte cette époque, norvégienne
de telles limi
et 1830 : si ct
10. Exemple: !'are. V de la Constiturion américaine de 1787 qui prévoyait que jusqu'en 1808 aucun Constant et ·
amendemem ne pouvait porter sur le príncipe constitutionnel de la licéiré de l'esclavage.
11. Exemple: le mode de révision de la Constitution française de 1791 qui exigeait l'adoption d'un
vreu uniforme de révision par trois législatures consécutives avant que la quatrieme législature ne
puisse l'adopter définitivemem. La procédure s'étendait ainsi au minimum sur dix ans. 15. Sur la prése
12. Certains positivistes refusem d'ailleurs de parler,de limites à leur sujet. Cf H.L.A. HART, The LIN, «James H,
Concept of Law, 2"J edn., op. cit., chap. IV.3., p. 68. Evoquam le rapport entre le souverain, Rex, et spéc. p. 148.
les regles formelles définissam « the manner and fonn » de la législarion, Hart affirme : « Though we 16. Cf D. GRJ:
may well rank them as legal mies, we need not cozmt them as "limits" on his legisla tive power, since if he Verfasszmg, 2' é,
does follow the required fonn there is no mbject on which he canrzot legislate so as to give ejfect to his 17. « Azmm ar11
wishes. The ªarea" if not the 'Jonn" of bis legisla tive power is zmlimited by law. » Ces regles formelles sente conventio1
som qualifiées de « specifications of the identity of the legisla tive body (. ..) rather than legal limitations s11ffrage}, ni les ,·
on the scope of its legi~lative power,. (p. 71). violés, so11s q11eh
13. Voir J. BARTHELEMEY & P. DUEZ, Traité de droit constiwtionnel, réimpr. de l'éd. de 1933, ou di,ninuée, s,z;
Paris, Economica, 1985, p. 231 et 233. S'ils acceptem la validité juridique et polirique des limites pro- d11 cansei! législ.,
cédurales du pouvoir de révision, dans la mesure ou elles n'abourissem qu'à une immurabilité rela- constiwtions, d
tive de la constitution, ils récusem au contraire les limites matérielles et les limites temporelles en ce Béchet, 1823, r
qu'elles instaurem une immutabilité absolue de celle-ci. Alors que dans le premier cas, le souverain 18. Art. 2 ai. 2
est toujours présem au sein de son reuvre, bien qu'il soit emravé parles limites procédurales, il adis- jo11rs une démo,
paru dans le second cas, ce qui est à Jeurs yeux inadmissible et absurde. 19. Pour rous 1
14. O. BEAUD, La p11iss,mce de l'Etat, op. cit., p. 336. Cf O. JOUANJAN, « La forme républi- tung der Unan
caine ... ", op. cit., p. 281. H. NEF, « Mat,
oit et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 613

me dans la liste des príncipes l'idée sous-tend la logique du constitutionnalisme moderne. Celui-ci vise à sau-
'al. 3. La doctrine s'en félicite vegarder les droits de l'homme que l'on déclare être des droits naturels, impres-
1 peut, en effet, estimer que le criptibles et dane inaltérables, ce qui signifie logiquement qu'aucun pouvoir
/ de protéger ses droits et inté- constitué, ni même le pouvoir de révision, ne saurait y porter atteinte. La pré-
melle fédérale est particuliere- éminence de ces droits vaut même à l'égard du pouvoir constituant (originaire).
le. L'un des premiers penseurs à énoncer l'idée que le droit du peuple de réviser sa
~ materiae et ratione temporis, constitution est intrinsequement limité et ne saurait servir qu'à améliorer celle-
~res aboutissent à l'immutabi- ci, qu'à l'enrichir des nouvelles Lumieres sans toucher au trésor accumulé
ls, les secondes entra1nent l'in- jusque-là - ce que l'on appelle de nos jours plus prosa"iquement l'effet cliquet -,
1 pendant un certain laps de fut, outre James Harrington (1611-1677) ", Johann Gottlieb Fichte (1762-1814),
º. Enfin, la lourdeur même des célebre disciple de Kant, dans son System der Sittenlehre nach den Principien der
les dehors d'une limite procé- Wissenschaftslehre de 1798 16 •
n voit dane que les frontieres La premiere clause d'éternité appara1t aux États-Unis, dans la Constitution
ssi tranchées qu'on pourrait le du Delaware du 10 septembre 1776. San article 30 17 proclame l'intangibilité
·s ont d'ailleurs critiqué verte- absolue de toute la déclaration des droits qui précede le texte constitutionnel
elle française qui, d'un côté, stricto sensu et dans laquelle sont énoncés les axiomes d'un ordre démocratique
de l'autre, nie la juridicité des et libéral. À ce premier noyau dur, qui releve de l'universel, s'ajoutent certaines
itionnelle est une limite comme « reglesfondamentales de cet état » qui sont spécifiques au Delaware: il s'agit du
príncipe de l'existence de l'État du Delaware, la subdivision du parlement en
deux chambres dotées de pouvoirs égaux, l'interdiction de l'esclavage et, enfin,
€(Ewigkeitsklauseln} » la séparation de l'Église et de l'État. Par la suite, on retrouve un autre exemple
de clause d'intangibilité dans la Constitution de la République helvétique du
au moins, jusqu'à la fin du 12 avril 1798 qui interdit de toucher au príncipe de la « démocratie représenta-
·s fondations de la démocratie tive » 18 • Mais il faut surtout mentionner le célebre article 112 de la Constitution
cept des limites matérielles au de Norvege de 1814 qui a servi de modele à la théorie de Carl Schmitt, outre
oquée de façon explicite dans l'exemple de la loi de révision française de 1884. Ledit article de la Constitution
leur empreinte cette époque, norvégienne protege« l'esprit de la Constitution » contre toute révision ". L'idée
de telles limites est également évoquée à propos des Chartes françaises de 1814
et 1830 : si certains représentants de la doctrine libérale tels que Royer-Collard,
ui prévoyait que jusqu' en 1808 aucun Constant et Toqueville déduisent de l'absence d'une clause de révision l'immu-
de la licéité de l'esclavage.
! de 1791 qui exigeait l'adoption d'un
avam que la quatrieme législature ne
tu minimum sur dix ans. 15. Sur la présence de ce concept chez l'auteur du A Commonwea!th of Oceana {1656), cf A. RIK-
s à leur sujet. Cf H.LA. HART, The LIN, « James Harringron - Prophet der geschriebenen Verfassung »,]õR, vol. 48, 2000, pp. 139-148,
le rappon entre le souverain, Rex, et spéc. p. 148.
:gislation, Harr affirme : « Though we 16. Cf D. GRIMM, « Der Verfassungsbegriff in historischer Enrwicklung », in id., Die Zukunfi der
úts" on bis legisla tive power, since ifhe Verfasszmg, 2' éd., Frankfurt, Suhrkamp, 1994, p. 117.
rmot legis!ate so as to give effect to his 17. « Aumn article de la déclaration des droits et des regles fondamentales de cet état, arrêtés par la pré-
limited by law. » Ces regles formelles sente convention, ni les premiers, second, cinquieme (à l'exception de la partie qui concerne !e droit de
· body (. ..) rather than legal limitations suffrage), ni les vingt-sixieme et vingt-neuvieme articles de la présente constiwtion ne doivent jamais être
via/és, sous que/que prétexte que ce soit. Auctme autre pareie de ses parties ne pourra être a!térée, changée
rtiwtionnel, réimpr. de l'éd. de 1933, 011 dimin11ée, sans !e consentement des cinq septiemes de la chambre d'assemblée, et de sept des membres
juridique et politique des limites pro- du cansei! législatif »; cité d'apres P.-A. DUFAU, J.-B. DUVERGIER & J. GUADET, Collection des
ourissem qu'à une immurabilité rela- constit11tions, chartes et /ois fondamentales des peuples de l'E11rope et des deux Amériques, t. V, Paris,
rielles et les limites temporelles en ce Béchet, 1823, p. 428.
que dans !e premier cas, le souverain 18. Are. 2 ai. 2 : « La fonne de gouvernement, q11elq11es modifications qu'elle puisst; éprouver, sera to11-
é parles limites procédurales, il adis- jours une démocratie représentative »; cité d'apres O. BEAUD, La puissance de l'Etat, op. cit., p. 337.
absurde. 19. Pour rous les exemples suivanrs, cf H.-U. EVERS, op. cit., Rn. 23 ss; K. STERN,• Die Bedeu-
. JOUANJAN, « La forme républi- tung der Unantastbarkeitsgaramie des Are. 79 III GG für die Grundrechte »,]11S, 1985 p. 329 s;
H. NEF, « Materielle Schranken der Verfassungsrevision », ZSR, vol. 61, 1942, p. 118 ss.
614 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites ma

tabilité absolue de toute la Charte'°, d'autres auteurs, tels que de la Bourdonnaie, jugée suffisan
font une distinction entre les « dispositions fondamentales » de la Charte qui même à l'ég,
seraient soustraites à toute modification et ses « dispositions réglementaires » qui instable, il s' a,
se raiem au contraire révisables ". Au cours du xixc siecle, on trouve de telles boussole pou1
clauses d'éternité dans les constitutions de divers pays tels que la Suisse, l'Équa- de la Constitu.
teur, la Grece, le Brésil" et surtout en France avec la fameuse loi constitution- ses finalités. S
nelle du 14 aout 1884 qui interdit de toucher à la « forme républicaine du gou- se réaliserait l
ve,rnement ». Au début du xxc siecle, on peut citer les exemples du Portugal, de inspire cette t
l'Egypte, de la Chine et de la Turquie '-', mais e' est surtout apres 1945 que s' ouvre innovation es
l'âge d'or des clauses intangibles''. L'expérience douloureuse des régimes totali- discussions su
taires, souvent mis en place par la voie d'une révolution dite légale, joue comme lité a joué un
un puissant catalyseur. À l'heure actuelle, l'extension du phénomene est telle cice délicat q
qu'il n'est plus possible de traiter la supraconstitutionnalité comme une chose démocratique
incongrue ou une quantité négligeable' 5• la souverainet
concept rédw
633 L'apparition des clauses d'éternité dans le droit positif ou dans le débat doctri-
ne som légiti
nal n'est évidemment pas anodine. Elle révele en creux l'existence d'une menace
toute démocr
latente à l'égard de certains príncipes essentiels à l'État et à la société, menace
ce qu'exprim
cien Land de
20. L'i<lée que le silence de la canstiturian vaut imerdicrian de toute révisian sera reprise par sables d'zme n
C. Schmitt dans sa fameuse Verfasszmgslehre de 1928 {p. 18) et par P. KIRCHHOF, « Die Identitat par une /oi de
der Verfassung in ihren unabanderlichen Inhalten "• in J. ISENSEE & P. KIRCHHOF (dir.), Hand- volonté tutéL
b11ch des Staatsrech1s der BRD, t. I, Heidelberg, Müller, 1987, p. 788 {Rn. 31). D'apres ce dernier, la
cantinuiré de la canstitutian, autrement dir san imangibiliré, est le príncipe alars que « sa mutabi-
lité est l'exception ». On abautir à la canclusian inverse si l'on part d'une aurre prémisse métajuri-
dique, à savair de l'idée avancée parles Révolutiannaires français que« la nation ale droit imprescip-
tible de changer sa constit11tion » {art. 1" du rirre VII de la constitution de 1791; cf. aussi l'arr. 28 de 26. C. SCHMJ'i
la Déclararian des droits de l'homme et du cirayen de 1793 : « Un peuple a toujours /e droit de rl?lloir, 27. Cf P. KIRCI
de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne pettt asmjettir à ses !ois les génératiollS posirif ou défen,
suivantes »). II s'avere ainsi que sur ce sujer le juriste ne peut faire !'impasse de certains élémems p. 213 ss.
jusnaturalistes, que! qu'en sair le contenu. 28. L'idée en est
21. En pratique, c'est rourefois la these de la murabilité rorale de la constitution parle pouvoir légis- révision de la cu
latif qui l'a emporreré. Sur taus ces éléments, cf. A. BLONDEL, Lecontrôle juridictionnel de la consti- proposé de procl
ttttionnalité des !ois, rhese, Aix, 1928, p. 197 ss; H.-U. EVERS, op. cit., Rn. 23; O. BEAUD, op. cit., tuant en France
p. 338. droit, Caen, 190
22. Voir art. 2 ai. 2 de la Const. de la Suisse de 1848 (l'immurabilité du príncipe de la démacratie droir imprescrir
représemarive); art. 132 de la Const. d'Equateur de 1861 {l'esprit de la constitutian); art. 107 de la confortée par l':
Consr. de la Grece de 1864 (disposjrions fondamemales); arr. 90 de la Consr. du Brésil de 1891 Déclarer l'immL
(forme républicaine et fédérale de l'Etat). deux points cf. h
23,- Vair art. 82 ai. 3 de la Canst. du Portugal de 1911 (république); arr. 156 ai. 2 de la Const. de p. 309 et 353.
l'Egypre de 1923 (forme représemarive er parlememaire du régime, succession royale, principes 29. Ciré par P. I-
d'égaliré et de liberré); an. 1 et 138 de la Consr. de la Chine de 1923 {république); art. 102 de la Verfasszmg kõm
Consr. de la Turquie de 1924 (république); arr. 125 ai. 1" de la Consr. de la Grece de 1927 (dispasi- werden »). Voir
rians fondamemales). démocmtique de
24. Sur le droir camparé actuel, cf. M.-E RIGAUX, op. cit.; P. HÃBERLE, « Verfassungsrechrliche 30. Lire à cet éh
Ewigkeirsklauseln ais verfassungsstaarliche I<lemirarsgarantien », in Võlkerrecht im Die11Ste des Men- inT. MAUNZ.
schen. Festschrift fiir Hans Haug, Bem, Haupt, 1986, pp. 81-108; C. KLEIN, Théorie et pratique d11 Beck, sans date.
po11voir constituam, op. cit.; le tome X de AIJC, 1994 (révision de la constiturion er justice consriru- peur-êrre allée ,.
rionnelle). tout à fait louab
25. Selon, M.-E RIGAUX, op. cit., p. '!4, plus de 38 canstiturians dans le monde, sur un rotai de le fédéralisme. ·
142, prévoiem des normes imangibles. A l'orée du xxi< siecle, ce chiffre, qui se fonde sur une étude de façan resrric
srarisrique de 1978, doit êrre revu à la hausse compre tenu de la nouvelle vage de consriturions H. EHMKE, C
en Europe cemraje et oriemale, sans oublier d'autres pays comme l'Afrique du sud. O. BEAUD, B.-0. BRYDE.
L1 puissance de l'Etat, op. cit., p. 380 va jusqu'à y voire le « droit positifdominant ». München, Beck
ú et la jusúce constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 615

rs, tels que de la Bourdonnaie, jugée suffisamment sérieuse pour que l'on estime nécessaire de les protéger
imentales » de la Charte qui même à l'égard du pouvoir de révision. Dans un contexte mouvementé,
spositions réglementaires » qui instable, il s'agit de définir un point d'ancrage, un point fixe qui puisse servir de
X" siecle, on trouve de telles boussole pour les temps à venir. Ce désir de protéger « l'identité et la continuité
>ays tels que la Suisse, l'Équa- de la Constitution » 26 n'échappe cependant pas à une certaine ambiguºité quant à
: la fameuse !oi constitution- ses finalités. Si l'idée chere aux Lumieres d'un progres continu vers la liberté, qui
1 « forme républicaine du gou- se réaliserait par conquêtes successives sur lesquelles il est interdit de revenir 27,
les exemples du Portugal, de inspire cette théorie, le risque d'un repli frileux sur le passé et d'un rejet de coute
urtout apres 1945 que s'ouvre innovation est néanmoins sérieux. On a pu en voir les effets potencieis lors des
>Uloureuse des régimes totali- discussions sur le traité de Maastricht ou l'argument de la supraconstitutionna-
1tion dite légale, joue comme lité a joué un rôle central des deux côtés du Rhin. li s'agit, en effet, d'un exer-
sion du phénomene est telle cice délicat qui n' est pas sans susciter quelques craintes dans l' esprit d' auteurs
tionnalité comme une chose démocratiques. Sans devoir souscrire à la these radicale, selon laquelle l'idée de
la souveraineté populaire ne tolere aucune norme intangible 28 - ce qui reflete un
>sitif ou dans le débat doctri- concept réducteur de la démocratie -, on peut toutefois estimer que ces limites
eux l'existence d'une menace ne sont légitimes que dans le cas ou elles consacrent des éléments essentiels à
l'État et à la société, menace coute démocratie, à !'instar du suffrage universel et des droits de l'homme. C'est
ce qu'exprimait de façon exemplaire l'article 92 ai. 3 de la Constitution de l'an-
cien Land de Bade de 1947, qui disposait que « les éléments constitutifs indispen-
de roure révision sera reprise par sables d'une constitution démocratique ne peuvent être ni violés ni supprimés, même
par P. KIRCHHOF, « Die Identitat par une loi de révision constitutionnelle » ". Toute autre emprise manifesterait une
iEE & P. KIRCHHOF (dir.), Hand- volonté tutélaire d'une génération sur une autre 30 •
788 (Rn. 31). D'apres ce dernier, la
'St le príncipe alars que « sa mutabi-
part d'une aurre prémisse métajuri-
s que « l,1 nation a le droit imprescip-
irurion de 1791; cf aussi l'arr. 28 de 26. C. SCHMITT, Verfassungslehre, p. 103.
ln pe11ple a to11jo11rs le droit de re-voir, 27. Cf P. KIRCHHOF, op. cit., Rn. 5; G. VEDEL, « Le Cansei! constitutionnel, gardien du droit
«l ass11jeuir à ses fois les générations positif ou défenseur de la transcendance des droirs de l'homme ", Pouvoirs, nº 13, 3" éd. de 1991,
faire ['impasse de cerrains éléments p. 213 ss.
28. L'idée en est défendue par nombre d'auteurs français afin de légitimer l'existence d'un mode de
la constiturion parle pouvoir légis- révision de la constitution. II est vrai que sous la Révolurion française, cerrains consrituants avaient
Le conlrôle juridictionnel de la consti- proposé de proclamer l'immutabilité totale de leur ceuvre (cf G. FONTENEAU, D11 po11voirconsti-
,p. cit., Rn. 23; O. BEAUD, op. cit., tuant en France et de la révision constit11tionnelle dans les constitutions françaises depuis 1789, rhese
droit, Caen, 1900, p. 11). Pour s'opposer à de relles visées, on déclare en 1791 et, surrour, en 1793 le
tbilité du príncipe de la démocratie droit imprescriptible de la nation de modifier sa consritution. Cette conception est également
·ir de la constitution); art. 107 de la confortée par l'approche sociologique et hisrorique du droit qui en affirme l'irréductible relarivité.
90 de la Const. du Brésil de 1891 Déclarer l'immutabilité d'une norme juridique serait des lors sinon absurde, du moins naiJ. Sur ce
deux poinrs cf les renvois àJulien-Laferriere et àJ. Barrhélémy & P. Duez chez O. BEAUD, op. cit.,
que); art. 156 ai. 2 de la Const. de p. 309 et 353.
fgime, succession royale, principes 29. Cité par P. HÃBERLE, op. cit., p. 85 (« Die unerlãsslichen Gmndbesiandteile einer demokratischen
le 1923 (république); art. 102 de la Verfassung kõnnen auch durch ein verfassrmgsãnderndes Gesetz nicht verletzt und nicht beseitigt
:::onst. de la Grece de 1927 (disposi- werden »). Voir aussi l'art. 75 ai. 1"' de la Const. bavaroise de 1946 qui protege « l'idée de base
démocratique de la constitution "·
-IÃBERLE, « Verfassungsrechtliche 30. Lire à cet égard les _1;éserves de T. MAUNZ & G. DÜRIG, « Art. 79 Abs. III,, (version de 1960),
, in Võlkerrecht im Dienste des Men- in T. MAUNZ, G. DURIG, R. HERZOG & R. SCHOLZ, Grrmdgesetz Kommentar, München,
; C. KLEIN, Théorie e1 pmtiq11e d11 Beck, sans date, t. III, Rn. 29. D'apres eux, la clause d'imangibilité contenue dans l'art. 79 ai. 3 est
e la consrirurion et justice constitu- peut-&tre allée « 1rop loin ,, en incluam non seulement les droirs de l'homme, ce qui à leur yeux est
tout à fait louable et conséquem au regard de l'art. 1, mais aussi des príncipes institutionnels te! que
Jns dans le monde, sur un rotai de le fédéralisme. D' apres eux, il faut inrerpréter cer article, qui déroge au príncipe démocratique,
! chiffre, qui se fonde sur une érude de façon restrictive pour évirer de « cimenter l'ordre normatif » (Rn. 31). Dans le m&me sens :
' la nouvelle vage de constitutions H. EHMKE, Grenzen der Verfassungsãnderrmg, Berlin, Duncker & Humblot, 1953, p. 100 s et
me l'Afrique du sud. O. BEAUD, B.-0. BRYDE, « Art. 79 » in I. MUNCH & P. KUNIG (dir.), Gmndgesetz Kommentar, 3" éd.,
~ositifdominant "· München, Beck, t. III, 1996, Rn. 25.
616 Les fiens entre la démocratie, !e droit et la justice constitutionnelle Les limites mat

y) L'évolution du débat en Allemagne et en France résume parfait


débat f rançais,
634 L'un des parametres essentiels pour comprendre le phénomene des clauses À cette lim
d' éternité est l'histoire : si la présence d'une culture poli tique démocratique for- autre limite, i1
temem enracinée dans les mreurs est de nature à fonder dans l'esprit des consti- riou et Léon I
tuants un certain optimisme quant à l'avenir 31 , l'inquiétude née d'un passé dou- supérieurs aux
loureux, qui illustrerait - à tort ou à raison - la faillibilité du peuple et/ou de sur ce sujet. D
ses élus, est au contraire un facteur souvent décisif dans le choix en faveur d'une tend à détermi
protection constitutionnelle accrue des bases de la démocratie. L'exemple de príncipes supéri
l' Allemagne est à cet égard éloquent. Si la question des limites matérielles au teur ordinaire.
pouvoir de révisions commence à être débattue sous la République de Weimar, elle les constate
elle connaí't son heure de gloire apres les horreurs du III' Reich. Le sinistre pré- lence, celle qui
cédent de la loi des pleins pouvoirs du 23 mars 1933 sert de repoussoir aux rédac- naires, qui ne s,
teurs des constitutions des différents Lãnder 31 et du Grzmdgesetz de 1949. Les dis- mesure ou elles
positions adoptées alors visem surtout à protéger le fondement humaniste du mération de ces
droit et de la démocratie 33 • En France, le débat s'est cristallisé autour du concept de 1789, il y a ;
emblématique de la République. Sous la III' République, la loi de révision du !ois constitutio1
14 aout 1884 vient insérer dans l'article 8, al. 3, de la loi constitutionnelle matérielles s'é1
du 25 février 1875 une disposition selon laquelle « la fomze républicaine du gou- 635 Sous la IV' Ré
vernement ne peitt faire l'objet d'une proposition de révision ». Elle entend ainsi n'a débouché <
mettre un terme définitif à la querelle, ouverte depuis 1870 et qui s'est poursuivie dérapage est ir
même apres 1875, entre républicains et monarchistes. La doctrine est toutefois d'Hitler. Selon
divisée sur la portée de cette révision. De l'avis des uns, la République serait príncipe de l'i1
désormais intangible sauf cas de révolution 3'. D'autres auteurs nient au contraire d'occupation di
la juridicité de cette limite établie par le pouvoir de révision lui-même : « Ce aucune procéd1,
qu'un Congres a fait en 1884, un autre Congres peut le défaire. »" Ce propos limites caracté.
aux alinéas 4 e
31. Cf P. HÃBERLE, op. cit., p. 93 ss, p. 104 ss. II évoque le cas de la Suisse qui n'a jamais cru néces- si elle s' enflam
saire d'insérer une clause d'éternité dans sa constitution. La nouvelle Constitution suisse du 18 avril une moindre 1
1999 est tout aussi silencieuse sur ce sujet; elle affirme néanmoins la subordination du pouvoir de
cieuse sur la si
révision au droit international (cf. les art. 192-194; pour le texte de la constitution voir R. SCHWEI-
ZER, « Die erneuerte schweizerische Bundesverfassung vom 18. April 1999 »,]õR, vol. 48, 2000, l' article 89 de •
pp. 281-309). Une pareie de la doctrine suisse admet toutefois l'existence de limites implicites. est un non-sui,
32. Le signal est donné parles constitutions des Lãnder. Cf par ex. l'art. 75 de la Const. de la Baviere tion du traité
de 1946; art. 26 de la Const. de la Hesse de 1946; art. 77 de la Const. de la Rhénanie-Palatinat de
1947 qui a servi de modele à l'art. 79 ai. 3 de la LF; art. 103 ai. 2 de la Const. de la Sarre de 1947, etc. cipe de la souv
Lire H.-U. EVERS, op. cit., Rn. 26 ss. À l'heure actuelle, sur les seize Lãnder onze connaissent des 636 II ressort de cc
clauses d'éternité. Cf le recuei! Verfassungen der deutschen Btmdeslãnder, préf. de C. Pestalozza,
5' éd., München, Beck, 1995, 768 p. ment différent
33. L'élément fédéral, s'il est à !'origine d'un premierdébat timide sous l'empire wilhelmien, n'a joué
qu'un rôle secondaire sous Weimar et en 1949. Sur l'historique du débat allemand depuis le XIX' siecle,
cf. H.-U. EVERS, op. cit., Rn. 1 ss; H. EHMKE, op. cit., p. 19 ss; C. KLEIN, op. cit., chap. V et VIII.
34. M. HAURIOU, Précis de,droit constiwtionnel, réimpr. de la 2' éd. (1929), Paris, CNRS, 1965, 36. Sur ces deux
p. 240 et 335 s; A. ESMEIN, Elémems de droit constitutionnel frança is et comparé, Paris, Sirey, 4' éd., V' République ,., 1
1906, p. 907 s; G. FONTENEAU, op. cit., p. 168 ss; G. ARNOULT, Dela révision desconstittttions, APD, t. 31, 1986,
these droit, Nancy, 1895, pp. 379-410, spéc. p. 401 s. 37. L DUGUIT.
35. C. ROY, Dtt pouvoir constituam dans les diflérentes constillltions de la France et dans les principales 38. Cf les dévelo1
législations étrangeres, these droit, Poitiers, 1893,, p. 155. En ce sens aussi L DUGUIT, Traité de droit 39. Cf M.-F. RIG,
constitutionnel, 3' éd., t. IV, p. 540; J. BARTHELEMY & P. DUEZ, op. cit., p. 227-239, spéc.p.231 B. GENEVOIS, «
et 233; G. BURDEAU, Essai d'une théorie de la révision des /ois constiwtionnelles en droit positif p. 916. On retrou'
fiunçais, these droit, Paris, 1930. Sur ce débat, cf. M.-F. RIGAUX, op. cit., p. 61 ss. fois une prédomin
1it et la justice constitutionnelle Les limites matéríelles au pouvoir de révision constitutionnelle 617

mce résume parfaitement la these de la double révision qui marquera durablement le


débat français, et ce jusqu'à nos jours.
·e le phénomene des clauses À cette limite expresse, textuelle, vient s'ajouter sous la Ili' République une
:e politique démocratique for- autre limite, implicite, théorisée par les deux grands publicistes Maurice Hau-
:mder dans l'esprit des consti- riou et Léon Duguit 36 • D'apres eux, les droits de l'homme déclarés en 1789 sont
1quiétude née d'un passé dou- supérieurs aux trois lois constitutionnelles de 1875 qui sont pourtant muettes
faillibilité du peuple et/ou de sur ce sujet. D'apres le doyen de Bordeaux, « le 5)Steme des déclarations des droits
dans le choix en faveur d'une tend à déterminer les limites qui s'imposent à l'Etat, et pour cela, on formule des
la démocratie. L'exemple de príncipes supéríeurs que doivent respecter le législateur constituant comme le législa-
.on des limites matérielles au teur ordinaire. Ces príncipes supéríeurs, la déclaration des droits ne les crée point :
ms la République de Weimar, elle les constate et les proclame solennellement. (. ..) Par conséquent, la loi par excel-
du III' Reich. Le sinistre pré- lence, celle qui est plus forte que toutes les autres, !ois constitutionnelles ou !ois ordi-
3 sert de repoussoir aux rédac- naires, quine sont qu 'une émanation d'elle, quine valent quelque chose que dans la
L Grundgesetz de 1949. Les dis- mesure ou elles se conforment aux príncipes qu'elle édicte, c'est la foi contenant l'énu-
. le fondement humaniste du mération de ces droits individueis, c'est la déclaration des droits. (...) Dans le systeme
t cristallisé autour du concept de 1789, il y a trais catégoríes de !ois se hiérarchisant, les Déclarations des droits, les
ublique, la loi de révision du !ois constitutionnelles et les lois ordinaires » 37 • Le débat ainsi esquissé sur les limites
>, de la loi constitutionnelle matérielles s' éteint néanmoins peu à peu.
, la fomze républicaine du gou- 635 Sous la IV' République, le souvenir de la loi constitutionnelle du 10 juin 1940
i révision ». Elle entend ainsi n'a débouché que sur une limite ratione temporís au pouvoir de révision, dom le
iis 1870 et qui s'est poursuivie dérapage est imputé exclusivement à l'occupation de la France par les troupes
stes. La doctrine est toutefois d'Hitler. Selon l'article 94 de la Constitution de 1946, qui reprend par ailleurs le
des uns, la République serait príncipe de l'intangibilité de la forme républicaine dans son article 95, « au cas
tres auteurs nient au contraire d'occupation de tout ou partie du terrítoire métropolitain par des forces étrangeres,
de révision lui-même : « Ce aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie ». Ce sont ces deux
,eut le défaire. » ,; Ce propos limites caractéristiques de la tradition républicaine française que l'on retrouvera
aux alinéas 4 et 5 de l'article 89 de la Constitution de 1958. Quant à la doctrine,
: de la Suisse qui n'a jamais cru néces- si elle s' enflamme sur la question de la validité de la loi du 10 juillet 1940 et, dans
Jvelle Consrirmion suisse du 18 avril une moindre mesure, sur celle de la loi du 3 juin 1958 3', elle reste assez silen-
oins la subordinarion du pouvoir de
de la constitution voir R. SCHWEI-
cieuse sur la signification des articles 94 et 95 de la Constitution de 1946 et de
18. April 1999 »,]õR, vol. 48, 2000, l'article 89 de la Constitution de la V' République ". La supraconstitutionnalité
'exisrence de limites implicires. est un non-sujet quine resurgit qu'en 1992, à l'occasion du débat sur la ratifica-
ex. !'are. 75 de la Consr. de la Baviere
1 Consr. de la Rhénanie-Palarinat de
tion du traité de Maastricht. D'aucuns affirment alors l'immutabilité du prin-
! de la Const. de la Sarre de 1947, etc. cipe de la souveraineté nationale.
~s seize Lãnder onze connaissenr des
636 Il ressort de ce bref survol historique que l'optique des deux pays est sensible-
mdeslãnder, préf. de C. Pestalozza,
ment différente. Alors que la question de la supraconstitutionnalité constitue
de sous l' em pire wilhelmien, n'a joué
u débar allemand depuis le XIX' siecle,
; C. KLEIN, op. cit., chap. V et VIII.
la 2' éd. (1929), Paris, CNRS, 1965, 36. Sur ces deux auteurs cf S. RIALS, « Les incenitudes de la norion de Consrirurion sous la
,mç<IÍs et comparé, Paris, Sirey, 4' éd., V' République », RDP, 1984, p. 587 ss et sunout « Supraconsritutionnalité er systématiciré du droir »,
1ULT, De la révision des constitmions, APD, t. 31, 1986, pp. 57 ss.
37. L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, 3' éd., Paris, Fonremoing, t. III, 1930, p. 603-604.
ions de la France et dans les principales 38. Cf les développemenrs chez C. KLEIN, op. cit., chap. IV er VIII.
~ns aussi L. DUGUIT, Traitédedroit 39. Cf M.-E RIGAUX, op. cit., p. 66s; O.JOUANJAN, « La forme républicaine ... », op. cit., p. 268 s;
JEZ, op. cit., p. 227-239, spéc. p. 231 B. GENEVOIS, « Les limites d'ordre juridique à l'intervenrion du pouvoir constiruant », RFDA, 1998,
/ois constit11tiom1elles en droit positif p. 916. On retrouve les deux theses opposées que l'on a déjà vues sous la III' République avec toute-
X, op. cit., p. 61 ss. fois une prédominance pour la these de la validité d'une double révision (Laferriere, Vedei, etc.).
618 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constittttionnelle Les limites mau.

l'un des enjeux cruciaux de la science constitutionnelle allemande apres 1949, la titre de sa souv
tradition intellectuelle de la Ili' République qui était tres axée sur les droits de pouvoir de révi
l'homme, ainsi qu'on l'a vu chez Duguit et Hauriou, s'est peu à peu perdue. constitué qui d
II reste certes un droit positif qui prévoit explicitement une limite matérielle, citement. En t;
mais jusqu'à une date récente celle-ci était soit délaissée soit niée par la doctrine légalité, sans êt
française. La comparaison entre les deux pays met ainsi au jour un net décalage. fai t ainsi figure
L'Allemagne fait figure de véritable « terre d'élection de la supraconstitutionna- teme juridique
lité »'ºà voir le degré de sophistication de la théorie des « nonnes constitutionnelles au-dessus de se
inconstitutionnelles » (Section I). Elle est certainement l'un des pays qui a poussé moment, y fair
le plus loin le processus « d'élévation » 41 des garanties des droits de l'homme et de tionnaires ". Er
la démocratie. Comparée à ce sommet de l'abstraction qu'est la théorie alle- est totalement
mande, la doctrine française qui s'est développée vers 1992, à l'occasion de la déci- Sieyes en des t1
sion du Cansei! constitutionnel du 2 septembre 1992, fait figure de parent pauvre. ne peut rien chci
Le débat hexagonal reste à un stade embryonnaire" (Section II). Paradoxalement, Sur ce mode
les deux casse rejoignent néanmoins si l'on s'attache davantage à leur portée pra- de pair avec un
tique, c'est-à-dire juridictionnelle, qui est assez réduite dans les deux cas. théorie du droi
mentales (les d
s'impose à tout
Section l. LA THÉORIE ET LA PRATIQUE ALLEMANDES ne saurait d'ail
sous peine de Y
DES « VERFASSUNGSWIDRIGE VERFASSUNGSNORMEN »
rie, on doit do
entre celles qui
637 Dans le débat allemand sur les normes constitutionnelles inconstitutionnelles celles qui sont ,
s' entremêlent deux modeles théoriques distincts : d'une part, la théorie déci- 638 Le droit positif
sionniste de Carl Schmitt et, d'autre part, la pensée jusnaturaliste ou matérielle pire de la doctr
de la constitution qui a connu un net succes apres la guerre''. L'on sait que, dans dépasse en mêr
sa Verfassungslehre de 1928, Schmitt fait une nette distinction entre ce qu'il la Cour constit
appelle la « Constitution », qui est la décision globale du pouvoir constituant, tionnelles. Ce i:
c'est-à-dire du peuple, quant au genre et à la forme de son unité politiqueH, et les mais égalemen 1
« !ois constittttionnelles » qui n'en sont que la concrétisation et la transcription a été adoptée 1
dans un texte de droit positif•5. C'est au pouvoir constituant qu'il revient, au Grundgesetz fu
On abordera d
doctrine au suj1
40. É. ZOLLER, Droit constit11tionnel, 2' éd., Paris, PUF, p. 85. à bien des égan
41. L. FAVOREU, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, n" 67, 1993, p. 73 s.
42 .... sans même parler du cas de la Grande-Bretagne qui ignore la problématique faute d'une consti-
tution écrite (voir toutefois s11pra n" 277 note 62). Dans !e modele actuel, issu du Human Rights Act
de 1998, la garamie de la démocratie (Iibérale) repose coujours sur !e parlemem. Celui-ci voit néan- 46. Ibid., p. 22: « 1
moins sa marge de manreuvre se restreindre du fait de la conjugaison des conditions procédurale- existe en tam que g,
simposées par le H11man Rights Act avec le comrôle exercé par la Cour européenne des droits de 47. E.-W. BÕCKI;
l'homme. Si l'on fait abstraction de cette dimension européenne, le Human RightsAct n'imerdit nul- Verfassungsrechts ,
Iemem à la majorité parlememaire à Westminster de vorer une !oi Iibenicide, voire de saborder la 48. C. SCHMITT
démocratie, à condition qu'elle le fasse explicitement. À elle de trouver !e courage d'affronter l'opi- le peuple a une dt:
nion publique qui est la seule limite, extralégale, du souverain britannique à côté des conventions, quemem limité, ai,
autremem dit les regles de Ia morale politique. (cf s11pra fl'' 265 note 284 et n" 324 ss). bon plaisir. II va d,
43. Par !à on vise des auteurs comme O. Bachof, H. Ehmke, T. Maunz, G. Dürig, etc. De nos jours, les d 7ux. ,
l'optique matérielle de la constitution est encore tres préseme chez K. Hesse et P. Haberle. 49. E. SIEYES, Q1
44. C. SCHMITT, Verfass,mgslehre, p. 21. 50. En ce sens : 1
45. Ibid., p. 22 et p. 76. La RFA », Al]C, t.
it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 619

1elle aliem ande apres 1949, la titre de sa souveraineté, de prendre les décisions fondamentales sur lesquelles !e
ait tres axée sur les droits de pouvoir de révision ne saurait revenir en aucun cas. Celui-ci n'est qu'un pouvoir
riou, s'est peu à peu perdue. constitué qui doit respecter ce noyau dur désigné soit explicitement soit impli-
ement une limite matérielle, citement. En tant qu'instance suprême qui définit ce qu'est la légitimité et la
.issée soit niée par la doctrine légalité, sans être elle-même soumise à aucune norme"', !e pouvoir constituant
ainsi au jour un net décalage. fait ainsi figure de « concept limite », à connotation théologique, qui clôt !e sys-
ion de la supraconstitutionna- teme juridique". En tant que créateur, !e pouvoir constituant reste en dehors et
des « normes constitutionnelles au-dessus de son reuvre sans toutefois dispara1tre entierement; il peut, à tout
~nt l'un des pays qui a poussé moment, y faire des incursions par des actes que l'on qualifiera alors de révolu-
'.S des droits de l'homme et de tionnaires ". En revanche, !e pouvoir de révision, en tant que pouvoir constitué,
action qu'est la théorie alle- est totalement soumis à la volonté du constituant. Ainsi que l'avait dit l'abbé
·s 1992, à]' occasion de la déci- Sieyes en des termes particulierement fermes, « aucune sorte de pouvoir délégué
2, fait figure de parent pauvre. ne peut rien changer aux conditions desa délégation » ".
(Section II). Paradoxalement, Sur ce modele, caractérisé par une liberté totale du pouvoir constituant qui va
e davantage à leur portée pra- de pair avec une subordination totale du pouvoir de révision, vient se greffer la
1ite dans les deux cas. théorie du droit naturel. Celle-ci postule l'existence de certaines normes fonda-
mentales (les droits de l'homme et !e principe démocratique stricto sensu) qui
s'impose à tout pouvoir, y compris !e pouvoir constituant (originaire). Celui-ci
IQUE ALLEMANDES ne saurait d'ailleurs imposer n'importe quelle norme au pouvoir de révision
sous peine de violer le droit à la liberté politique de chague génération. En théo-
4SSUNGSNORMEN »
rie, on doit clone distinguer au sein des normes constitutionnelles intangibles
entre celles qui sont simplement déclaratives d'une norme de droit naturel et
)Ilnelles inconstitutionnelles celles qui sont constitutives, car nées de la volonté du pouvoir constituant.
d'une part, la théorie déci- 638 Le droit positif allemand est !e fruit de ces deux sources intellectuelles: s'il s'ins-
~ jusnaturaliste ou matérielle pire de la doctrine schmittienne qui est recueillie à travers l'article 79 ai. 3, il la
1 guerre 43 • L'on sait que, dans dépasse en même temps 50 • C'est ce qui ressort nettement de la jurisprudence de
te distinction entre ce qu'il la Cour constitutionnelle fédérale sur les normes constitutionnelles inconstitu-
)ale du pouvoir constituant, tionnelles. Ce dernier concept ne s'applique pas seulement aux !ois de révisions,
le son unité poli tique", et les mais également aux dispositions de la Loi fondamentale elle-même telle qu'elle
rétisation et la transcription a été adoptée en 1949. À peine entrées en vigueur, certaines dispositions du
constituant qu 'il revient, au Grundgesetz furent à ce titre soumises à un contrôle juridictionnel a posteriori.
On abordera clone, dans un premier temps, !e travai! d'exégese effectué par la
doctrine au sujet de l'article 79 ai. 3 (§ 1) avant de présenter l'attitude paradoxale
à bien des égards de la Cour de Karlsruhe (§ 2).
Pouvoirs, n" 67, 1993, p. 73 s.
la problématique faute d'une consti-
·le actuel, issu du Human Rights Act
ur le parlemem. Celui-ci voit néan- 46. Ibid., p. 22 : « Was ais politische Grõsse existiert, ist, juristisch betrachtet, wert dass es existiert (Ce qui
1gaison des conditions procédurale- existe en tant_gue grand~:lr politique, est, d'rm point de vue juridique, digne d'exister). ,, Cf aussi p. 76.
. la Cour européenne des droits de 47. E.-W. BOCKENFORDE, « Die verfassunggebende Gewalt des Volkes. Ein Grenzbegriff des
le Hmnan Rights Act n'imerdit nul- Verfassungsrechts ", in id., Staat, Verfassung, Demokratie, 2' éd., ºP.: cit., p. 95_:
loi liberticide, voire de saborder la 48. C. SCHMITT, op. cit., p. 77 et 91. Comme le note E.-,W. BOCKENFORDE, op. cit., p. 104,
trouver le courage d'affromer l'opi- le peuple a une double casquette : en tam qu'organe de l'Etat il est un pouvoir constitué, juridi-
>ritannique à côté des convemions, quement limité, alars qu'en tant que pouvoir constituam souverain, il est libre de décider selon son
iate 284 et n" 324 ss). bon plaisir. II va de sai que dans la réalité de la vie politique, il n' est pas toujours aisé de distinguer
viaunz, G. Dürig, etc. De nos jours, les deux.
hez K. Hesse et P. Haberle. 49. É. SIEYES, Qu'est ce que !e Tiers état ?, éd. R. Zapperi, op. cit., chap. V, p. 181.
50. En ce sens : O. JOUANJAN, « Révision de la constitution et justice constitutionnelle.
La RFA », Al]C, t. X, 1994, p. 229-244.
620 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites m<i

§ 1. L '.ANALYSE DOCTRINALE DE L 'ARTICLE 79 Al. 3 LF A

639 Selon les termes de l'article 79 al. 3, « est inadmissible toute modification de la pré-
sente Loi fondamentale qui toucherait à l'organisation de la Fédération en Lãnder, 1º « L'organ
au principe du concours des Lãnder à la législation ou aux principes énoncés aux
articles 1 et 20 ». 640 La double prc
L'article 1 dispose : « 1. La dignité de l'être humain est intangible. Tous les pou- de la mentior
voirs publics ont l'obligation de la respecter et de la protéger. - 2. En conséquence, le et du renvoi
peuple allemand reconnaít à l'être humain des droits inviolables et inaliénables même décent
comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le frontieres act
monde. - 3. Les droits fondamentaux énoncés ci-apres lient les pouvoirs législatif, comme le pr
exécutifet judiciaire à titre de droits directement applicables. » tale". II fau t
L'article 20 dispose quant à lui : « 1. La République fédérale d'Allemagne est zm y en ait au ff
État fédéral démocratique et social. - 2. Tout pouvoir d'État émane du peuple. Le d' eux dispost
peuple !'exerce au moyen d'élections et de votations et par des organes spéciaux inves- ils doivent t
tis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. - 3. Le pouvoir législatif est lié par et bénéficier ,
l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutifet judiciaire sont liés par la foi et le droit. la Fédératior
- 4. TottS les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de ren- impossible d,
verser cet ordre, s'il n 'y a pas d'autre remede possible. » compétences
L'article 79 al. 3 consacre ainsi l'intangibilité des éléments essentiels de l'ordre financement
démocratique et libéral instauré parle Grundgesetz. Or, il n'est pas toujours aisé
de faire la part entre ce noyau dur et la périphérie en raison de l'effet d'irradia-
2º « Leprinc
tion de l'article 79 vers les autres dispositions de la Loi fondamentale (LF) 5'. Ce
phénomene s'explique par la généralité même des príncipes figés dont chacun
641 Le droit de J
renvoie à son tour à des sous-príncipes selon un systeme complexe de ramifica- mais moins e
tions. On passe ainsi, parfois sans s'en apercevoir, de !'explicite à l'implicite, de cisément aw
príncipes dont l'intangibilité est expressément mentionnée à l'article 79 al. 3 à nelles et cell
des cas plus discutés dont l'intangibilité découlerait de façon logique. À ce sujet,
la doctrine allemande s' est livrée à travai! exégétiq ue extraordinaire 52 qu 'il
importe de retracer ici. C' est dans les questions de détail que l' on s' aperçoit plei-
nement des difficultés théoriques soulevées. L'expérience ainsi accumulée par 53. Reste à sav,
les juristes allemands met surtout en lumiere les problemes délicats d'interpré- G. DÜRIG, op.
tation surdes sujets hautement sensibles. nés à l'article 7'
sans en épuiser
54. C'est ce qu
(État du sud-ou
55. Selon le ser
op. cit. Rn. 34
(H. DREIER, ,
certains, une
51. Cf P. HA.BERLE, op. cit., p. 101 qui insiste sur la dimension créatrice du travai! d'interpré- H. DREIER, 0 1
tation. 56. Sur la néce
52. Voir T. MAUNZ & G. DÜRIG, op. cit., Rn. 21 ss; H. DREIER, « Art. 79 III», in H. DREIER Rn. 33. L'argu1
(dir.), Gmndgesetz Kommentar, 1" éd., München, Beck, t. II, 1998, Rn. 16 ss; B.-0. BRYDE, op. cit., vereinheit!icb111,
Rn. 30 ss; P. KIRCHHOF, op. cit., Rn. 47 ss; H.-U. EVERS, op. cit., Rn. 149 ss; K. HESSE, op. cit., 57. B.-0. BRY
p. 292 ss; K. STERN, « Die Bedeutung der U nantastbarkeitsgaramie des Art. 79 III GG für die 58. Le pouvoir
Grundrechte », op. cit.; id., Das Staatsrecht der Bundesrepublik Deutschland, 2" éd., München, Beck, Quant à la pai
t. I, 1984, pp. 153-176; J. LÜCKE, « Art. 79 », in M. SACHS (dir.), Gmndgesetz Kommentar, 1"' éd., prévue par l'ari
München, Beck, 1996, Rn. 20 ss. 59. H. DREif
it et la justice constittttionnelle Les limites matérie!les au pouvoir de révision constitutionnelle 621

TICLE 79 AL. 3 LF A. Les deux éléments constitutifs du fédéralisme


mentionnés dans l'article 79 ai. 3
le toute modification de la pré-
,n de la Fédération en Lander, 1º « L 'organisation de la Fédération en Lãnder »
ou aux principes énoncés aux
640 La double protection de la structure fédérale de l' Allemagne, qui découle à la fois
in est intangible. Tous les pou- de la mention explicite de deux de ses éléments constitutifs par l'article 79 al. 3
otéger. - 2. En conséquence, !e et du renvoi opéré à l'article 20", interdit l'instauration d'un État unitaire,
its inviolables et inaliénables même décentralisé. La clause d'éternité ne rigidifie toutefois ni le nombre ni les
? la paix et de la justice dans !e
frontieres actuelles des seize Lander qui peuvent faire l'objet d'une modification
·es lient les pouvoirs législatif, comme le précisent d'ailleurs les articles 29, 118 et 118 a de la Loi fondamen-
icables. » tale ". Il faut et il suffit qu'il existe plusieurs Llinder - pluriel qui suppose qu'il
r.e Jé~érale d'Allemagne est un y en ait au moins deux ou trais, voire plus, selon les auteurs 55 - et que chacun
ir d'Etat émane du peuple. Le d' eux dispose d'une certaine autonomie en tant qu' « État » 51' fédéré. À ce titre,
'Jar des organes spéciaux inves- ils doivent disposer d'un pouvoir législatif, exécutif et judiciaire propre 57
"_,e pouvoir législatif est lié par et bénéficier d'une part substantielle de l'ensemble des recettes fiscales levées par
re sont liés par la !oi et le droit. la Fédération. Cela dit, l'idée d'une autonomie minimale sans laquelle il est
wnque entreprendrait de ren- impossible de concevoir un Land ne fige ni le systeme de répartition actuel des
»
compétences entre la Fédération et les Lander (art. 73 à 75 LF), ni leur mode de
fléments essentiels de l'ordre financement (titre X de la LF).
Or, il n'est pas toujours aisé
en raison de l'effet d'irradia-
2º « Le príncipe du concours des Uinder à la législation »
Loi fondamentale (LF) 51 • Ce
príncipes figés dont chacun
641 Le droit de participation des Lander, qui est plus qu'une simple consultation
;teme complexe de ramifica-
mais moins qu'un droit de veto, s'applique à la législation fédérale" et plus pré-
.e !'explicite à l'implicite, de
cisément aux !ois au sens formel. Cela inclut les !ois ordinaires, constitution-
ttionnée à l'article 79 al. 3 à
nelles et celles ratifiant un traité, mais exclut tous les actes réglementaires 59 • Si
de façon logique. À ce sujet,
tique extraordinaire" qu 'il
étail que l'on s'aperçoit plei-
frience ainsi accumulée par
53. Reste à savoir si ce renvoi à l'arricle 20 n'est pas surabondam comme le pensent T. MAUNZ &
oblemes délicats d'interpré- G. DÜRIG, op. cit., Rn. 40. Selon H. DREIER, op. cit., Rn. 16 note 56, les deux aspects memion-
nés à l'article 79 ai. 3 ne font qu'illustrer le principe général du fédéralisme, consacré à l'arricle 20,
sans en épuiser le contenu.
5f. C'est ce qu'a reconnu la Cour constitutionnelle fédérale dans sa décision du 23 octobre 1951
(Etat du sud-ouest), BVerfGE, l, 14 {47 s).
55. Selon le sens commun il y a pluralité des lors qu'il y a deux objets (T. MAUNZ & G. DÜRIG,
op. cít. Rn. 34); à moins qu'on ne dise avec les juristes romains que tres facirmt collegium
(H. DREIER, op. cít., Rn. 16). J:ncore que le bon fonctionnement d'une fédération suppose, selon
certains, une multiplicité d'Etats fédérés, c'est-à-dire plus de trois (cf les références chez
ion créatrice du travai! d'imerpré- H. DREIER, op. cit., Rn. 16 note 59; B.-0. BRYDE, op. cít., Rn. 30). ..
56. Sur la nécessaire « étatícité (Sta,1tsq11alitãt) » des Lãnder, cf T. MAUNZ & G. DURIG, op. cit.,
ER, « Arr. 79 III », in H. DREIER Rn. 33. L'argument est repris par la Cour de Karlsruhe dans sa décision du 26. 7. 1972 (Besoldrmgs-
i, Rn. 16 ss; B.-0. BRYDE, op. cit., vereinheitlichrmg), BVerfGE, 34, 9 (19). Lire les critiques de B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 31.
,it., Rn. 149 ss; K. HESSE, op. cit., 57. B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 31.
tramie des Arr. 79 IIl GG für die 58. Le pouvoir législatif propre au Land est déjà garanti par le principe d'autonomie des Lãnder.
~utschland, 2" éd., München, Beck, Quant à la parricipation des Lãnder à la production normative de l'Union européenne, elle est
.), Gmndgesetz Kommentar, l"' éd., prévue par l'article 23 LF quine bénéficie pas de l'écran protecteur de l'arr. 79 ai. 3.
59. H. DREIER, op. cit., Rn. 18 s.
622 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites m

« en général » "º les Lander concourent à la législation, l' article 79 al. 3 n' exclut classique de :
pas qu'il puisse y avoir des exceptions à cette regle. De façon générale, il auto- raliste des «
rise une modification fondamentale du systeme actuel. De l'avis de la doctrine, al. 2. Mais il
le pouvoir de révision pourrait ainsi abolir la catégorie des lois fédérales pour les- trine se focal
quelles l'accord du Bundesrat est indispensable, supprimer la commission de Jondamenta1,
conciliation entre les deux chambres et même substituer à l'actuel Bzmdesrat un détaillée, en
organe représentatif constitué selon le modele du Sénat américain "'. Enfin, on 644 II n'est pas
notera que le concours des Lander n'est protégé qu'en ce qui concerne la légis- humaine. G
lation alors que l'on sait qu'à l'heure actuelle l'essentiel de leurs pouvoirs se situe selon laquell
au niveau de l'exécution des lois fédérales (art. 83 LF). Des lors, l'article 79 al. 3 moyen de l\1
reste en deçà de la réalité, à moins qu'on ne considere que le systeme du «fédé- été reprise p
ralisme exécutif » soit protégé parle biais du renvoi à l'article 20'' 2 • de 1970 69, s't
soit, la doct
B. « Les principes énoncés aux articles 1 et 20 » ticle 79 al. 3
mulée par '-:
642 Il est à noter que seuls les « príncipes » énoncés aux articles 1 et 20 sont immu- droits fonda
nisés contre tout empiétement de la part du pouvoir de révision. Des lors que le normes inta
contenu essentiel de ces articles est préservé, rien ne s'oppose à ce que l'on modi- qu'opere l'a1
fie leur rédaction 6' ou que l'on fasse évoluer les concrétisations historiques des effet à l' arti,
principes ainsi visés 64 • Il faut clone essayer de définir ce qu'il y a de fondamental vantes. Cett
dans ces articles en évacuant tous les aspects contingents ou mineurs, exercice majorité de 1
qui n'est pas toujours aisé. lait non pas
Selon urn
1° Les príncipes énoncés à l'article 1 taux particiJ
qu'un reflet
643 Le príncipe de la dignité humaine qui, selon les termes de l'article 1 al. l"est inhérent à e
« intangible » et dont le respect s'impose « à tout pouvoir étatique », ce qui inclut que l'article
le pouvoir de révision, participe pleinement•; à la protection garantie par l'ar- lors protégé
ticle 79 al. 3. Sa mention n'est que logique au regard du caractere suprapositif de une large pai
cette norme que les constituants se sont contentés de reconna1tre sans la fonder. cés par la l
Sur ce point, l'article 79 ai. 3 a simple valeur déclarative selon l'interprétation humaine". :
droits fonda
n'est que da
60. Le texte allemand parle en effet de la « gmndsãtzliche Mitwirkrmg der Liinder », nuance que ne
également ai
rend guere la traduction habituelle en français («/e príncipe de la participation des Lãnder... »).
61. H. DREIER, op. cit., Rn. 19. Cet avis n'est cependant pas unanimement panagé en ce qui
concerne la possibilité de toucher au mode de composition tres particulier du Bundesrat dans leque!
siegent, comme on le sait, non pas d~s représentants élus, mais des mandataires des gouvernements 66. T.MAUN
des Lãnder. Cf T. MAUNZ & G. DURIG, op. cit., p. 16 note 1 qui insiste sur le fait que, d'un strict 67. H. DREIE
point de vue sémantique, l'article 79 ai. 3 exige Ia participation des Lãnder et non pas de la popula- 68. G. DÜRI<
tion des Lãnder. Adde les références citées par B.·Ü. BRYDE, op. cit., Rn. 32. Pladoyer) », in
62. H. DREIER, op. cit., Rn. 20 et 39. cf K. STERN.
63. Voir par ex. la loi de révision du 19 mars 1956 (BGBI. I, p. 111) qui a modifié l'article 1 ai. 3 en 69. Décision d
remplaçant le terme « administration » par celui de« pouvoir exécutif ». 70. Sur cette «
64. H. DREIER, op. cit., Rn. 21. Bonner Komm,
65. H. DREIER, op. cit., Rn. 22. Par Ià il faut entendre que tout le contenu de l'alinéa 1 a valeur de 71. T.MAUN
príncipe. L'auteur précise toutefois que les diverses interprétations circonstancielles qu'en a faites la 72. II en concl
Cour constitutionnelle, en recourant notamment à des lectures croisées avec d'autres dispositions, 73. Cf B.-O. B
ne tombem pas dans le champ de l'article 79 ai. 3. en 1991.
it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 623

ion, l'article 79 al. 3 n'exclut classique de Maunz et Dürig''''. Cela vaudra également pour la catégorie jusnatu-
e. De façon générale, il auto- raliste des « droits de l'homme intangibles et inaliénables » qu'évoque l'article 1
tuel. De l'avis de la doctrine, al. 2. Mais il faut dire que l'alinéa 2 est assez peu mobilisé dans ce débat 67 • La doe-
>rie des lois fédérales pour les- trine se focalise davantage sur la dignité de l'être humain et la notion des « droits
;u pprimer la commission de fondamentaux », donde príncipe est énoncé à l'article 1 al. 3 et dom la liste est
,tituer à l'actuel Bzmdesrat un détaillée, en grande partie, dans les articles 2 à 19.
Sénat américain "'. Enfin, on 644 II n'est pas aisé de définir exactement le comenu et la portée de la dignité
u'en ce qui concerne la légis- humaine. Gümer Dürig en a proposé une définition, d'inspiration kantienne,
1tiel de leurs pouvoirs se situe selon laquelle l'être humain ne doit jamais être traité comme un objet ou un
"F). Des lors, l'article 79 al. 3 moyen de l' action étatique, mais tou jours comme une fin 68 • Elle n' a toutefois pas
:lere que le systeme du « fédé- été reprise par la Cour constitutionnelle fédérale qui, dans l'affaire des écoutes
. à l' article 20 "2• de 1970", s'est bornée à une approche pragmatique et casuistique. Quoi qu'il en
soit, la doctrine s'est surtout interrogée sur la portée de la protection de l'ar-
ticles 1 et 20 » ticle 79 al. 3 par rapport aux droits fondamentaux. Selon une premiere these for-
mulée par Wernicke - la these des dominas (« Kettenreaktion » 70 ) - tous les
x: articles 1 et 20 som immu- droits fondamemaux énoncés aux articles 2 à 19 sont inclus dans la sphere des
ir de révision. Des lors que le normes intangibles. À l'appui desa these, Wernicke insiste sur le double renvoi
i s'oppose à ce que l'on modi- qu'opere l'article 79 al. 3 en liaison avec l'article 1 al. 3. Le premier renvoie en
mcrétisations historiques des effet à l'article 1 qui, à son tour, renvoie en son alinéa 3 aux dispositions sui-
r ce qu'il y a de fondamemal vames. Cette these a néanmoins essuyé un refus catégorique de la part de la
mgems ou mineurs, exercice majorité de la doctrine qui a insisté sur le fait que le texte de l'article 79 al. 3 par-
lait non pas des príncipes énoncés aux articles 1 à 20, mais 1 et 20.
Selon une deuxieme these, défendue par Dürig 7 ', tous les droits fondamen-
taux participem en leur essence à la dignité humaine dont ils ne constituent
qu'un reflet partiel. Le « substrat de dignité humaine (Menschenwürdegehalt) »
ermes de l' article 1 al. 1" est inhérent à chaque droit fondamental - qui équivaut d'ailleurs à peu pres à ce
uvoir étatique », ce qui inclut que l'article 19 al. 2 appelle « l'essence » des droits fondamemaux - se trouve des
protection garantie par l'ar- lors protégé par la ela use d' éternité 71 • Cette théorie a également été critiquée par
:1 du caractere suprapositif de une large partie de la doctrine qui estime que tous les droits fondamemaux énon-
:le reconna1tre sans la fonder. cés par la Loi fondamentale ne som pas nécessairement liés à la dignité
1rative selon l'imerprétation humaine 73 • Selon une derniere these d'irradiation, seule la substance de certains
droits fondamemaux bénéficie de l'intangibilité garantie par l'article 79 al. 3. Ce
n'est que dans la mesure ou une révision relative à un droit fondamental porte
irkzmg der Liinder », nuance que ne également atteinte à la dignité humaine qu'elle est formellemem prohibée. Si la
participation des Liinder... »).
1s unanimemem panagé en ce qui
particulier du Bundesrat dans leque!
les mandataires des gouvernemems 66. T. MAUNZ & G. DÜRIG, op. cit., Rn. 41.
lui insiste sur le fait que, d'un strict 67. H. DREIER, op. cit., Rn. 25.
des Liinder et non pas de la popula- 68. G. DÜRIG, « Zur Bedeutung und Tragweite des Art. 79 Abs. III des Grundgesetzes (Ein
'· cit., Rn. 32. Pladoyer) », in Festgabe fiir Theodor Maunz, München, Beck, 1971, pp. 41-53. Sur tout ce débat,
cf K. STERN, op. cit.
11) qui a modifié l'arcicle 1 ai. 3 en 69. Décision du 15.12.1970, BVergGE, 30, 1.
~cutif >,. 70. Sur cette « these de la réaction en chaine » développée par Werni~_ke dans la premiere version du
Bonner Kommentar (Are ..!, III, Erl. II 5 b), cf T. MAUNZ & G. DURIG, op. cit., Rn. 39.
le contenu de l'alinéa 1 a valeur de 71. T. MAUNZ & G. DURIG, op. cit., Rn. 42.
ns circonstancielles qu' en a faites la 72. II en conclut d'ailleurs que l'article 19 ai. 2 est lui-m&me imangible.
croisées avec d' autres dispositions, 73. Cf B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 36. C'est d'ailleurs la these qu'a retenue la Cour constitutionnelle
en 1991.
624 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites ma

doctrine semble de nos jours d'accord sur ce point, elle est néanmoins divisée mandat sans 1
quant à la liste des droits fondamentaux intouchables 74 • républicaine e
645 Reste à clarifier un dernier point qui a trait à la suprématie des droits fonda- à l'intérêt gér
mentaux qui lient, selon l'article 1 al. 3, les pouvoirs législatif, exécutif et judi- n'est pas nié,
ciaire. Selon Horst Dreier, cette disposition interdit de réduire les droits fonda- de la démocr
mentaux à de simples directives politiques, ce qui pose du coup la question de redondances ''
leur sanction effective 75 • À ce titre, la doctrine est divisée: si les uns jugent l'exis-
tence d'une justice constitutionnelle indispensable en estimant qu'il n'y a du ~) La démoc
droit que s'il y a un juge 7", d'autres n'excluent pas de prime abord l'hypothese
d'organes non juridictionnels pour autant qu'ils offrent un degré de protection 648 Le principe d
équivalent 77 • En tout cas, l'existence, la composition et le champ de compétences tue selon cert
actuel de la Cour de Karlsruhe ne seraient pas garantis ad vitam aetemam. complexité d
'
une exegese \
s,
ticle 79 al. 3
2° Les príncipes énoncés à l'article 20
conclut à l'in
I
trouve neanrr
646 L'article 20, du moins dans sa version de 1949", consacre cinq principes fonda-
majorité, ain:
mentaux que sont la République, la démocratie, l'État providence (Sozialstaat),
l'immutabilit
le fédéralisme et le Rechtsstaat, encare que ce dernier point soit contesté par cer-
caractere uni\
tains. De là, une large partie de la doctrine a également déduit la consécration du
démocratiqUt
principe de l' étaticité de la République fédérale d' Allemagne.
serait pas asst
pression, etc.
a) La République
et direct du i
régime parler
647 La consécration de la forme républicaine du gouvernement dans l'alinéa 1 de
l'article 20 prohibe tout projet de restauration monarchique, peu importe qu'il 649 Des dissensio
s'agisse d'une monarchie absolue, constitutionnelle ou parlementaire. Cette que l'on touc
norme s'oppose également à tout mode de désignation du chef de l'État pour un douloureux »
non pas une
culier de dén
74. Cf par ex. les catalogues établies par B.-0. BRYDE, op. cil., Rn. 36 (art. 2 ai. 2, 3, 4, 10, 13, l'an-
tale de 1949'
cien an. 16 al.2, 103, 104 LF); K. HESSE, op. cit., Rn. 704 (an. 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 LF);
H. DREIER, op. cit., Rn. 26 (an. 2, 3, 5, 8, 9, 38, 103, 104 LF). La Cour quant à elle a consacré l'in-
tangibilité de l'essence du príncipe d'égalité et du droit de propriété (an. 3 et 14; BVerfGE, 84, 90).
En revanche, elle ena exclu le droit d'asile (ancien an. 16 ai. 2; BVerfGE, 94, 49). 79. P. KIRCHI
75. H. DREIER, op. cit., Rn. 27-28. R. KOSELECK
76. Cf surtout P. HÂBERLE, « Die Abhorentscheidung des Bundesverfassungsgerichts vom 80. H. DREIEB
15.12.1970 »,]Z, 1971, p. 152 ou il pose l'équation: « Rechtsslaat!ichkeit » = « Richterstaadichkeit ». Rn. 38.
77. H. DREIER, op. cit., Rn. 28 et B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 37 qui estimem que la décision du 81. T. MAUNí'
BVerfGE 30, 1 (25) est fondée dans ses prémisses théoriques mais erronée dans ses conclusions. Déjà 82. Le « etc. » r
en 1960, Maunz et Dürig estimaient que « la garantie d11 droil ne doit pas nécessairement être asmrée ment en y inclu
pardes j11ridictio11s (Rechtsschutz m11ss nichl ,mbedingl Gerichtssch11tz sein) » (p. 17 note 1 in fine; voir Cela dit, la doct
aussi Rn. 48 point dd). 83. T. MAUN1
78. La doctrine est presque unanime pour exclure du champ d'application de l'article 79 ai. 3 l'ali- est assez surprer
néa 4 de l'artide 20 quine fut inséré qu'à la suite de la !oi CO!}Stitutionnelle du 24 juin 1968 (BGBI., 84. T.MAUNí'
1, p. 709). Cf H. DREIER, op. cit., Rn. 45. Contra : P. HABERLE, « Verfassungsrechtliche ... », voix contraires.
op. cit., p. 99 s qui dénonce cette approche historiciste. La doctrine dominante s'inscrit ainsi dans 85. R. SMENL
une optique schmittienne, selon laquelle le pouvoir de révision ne peut ni élargir ni restreindre sa in Staalsrechtlid
propre compétence. Une lecture jusnaturaliste laisse au contraire la porte ouverte à un enrichisse- 86. La fonction
ment continu des normes intangibles selon le príncipe de l'effer cliquet. Cf H.-U. EVERS, op. cit., qu'il y ~ d'uni
Rn. 146 ss. Cf P.HABERL
1it et la justice constittttionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 625

nt, elle est néanmoins divisée mandat sans limitation de durée. II s'agit là d'une lecture minimaliste de l'idée
bles'". républicaine qui renvoie également, comme on le sait, à la notion de res publica,
suprématie des droits fonda- à l'intérêt général, aux droits de l'homme et même à la démocratie". Si ce lien
oirs législatif, exécutif et judi- n'est pas nié, la doctrine réserve néanmoins ces développements aux príncipes
:fit de réduire les droits fonda- de la démocratie, du Rechtsstaat et des droits fondamentaux a:6.n d'éviter des
i pose du coup la question de redondances 80 •
1ivisée: si les uns jugent l'exis-
le en estimam qu'il n'y a du 13) La démocratie
IS de prime abord l'hypothese

)ffrent un degré de protection 648 Le príncipe démocratique est particulierement riche en significations et consti-
m et le champ de compétences tue selon certains la norme intangible la plus importante 81 • Compte tenu de la
antis ad vitam aetemam. complexité d'un concept aux multiples ramifications, la doctrine a procédé à
une exégese scrupuleuse pour en dé:finir la portée exacte du point de vue de l'ar-
ticle 79 ai. 3. Partant du príncipe de la souveraineté populaire, la doctrine
conclut à l'intangibilité de la regle du vote majoritaire. Le regne de la majorité
:~nsacre cinq príncipes fonda- trouve néanmoins ses limites dans le droit de la minorité à devenir à son tour la
'Etat providence (Sozialstaat), majorité, ainsi que dans le príncipe de la périodicité des élections. II en résulte
1er point soit contesté par cer- l'immutabilité des principes fondamentaux relatifs au droit de vote, à savoir le
11ent déduit la consécration du caractere universel, libre et égal du suffrage (art. 38 ai. 1 LF), ainsi quedes droits
Allemagne. démocratiques fondamentaux sans lesquels la liberté du processus électoral ne
serait pas assurée (pluralisme des partis, liberté de réunion, d'association, d'ex-
pression, etc."'). En revanche, l'article 79 ai. 3 ne garantit ni le caractere secret'3
et direct du suffrage, ni le principe de la représentation proportionnelle, ni le
vernement dans l'alinéa 1 de régime parlementaire contre d'éventuelles réformes".
marchique, peu importe qu'il 649 Des dissensions apparaissent en revanche au sein de la doctrine au fur et à mesure
elle ou parlementaire. Cette que l'on touche à des aspect plus délicats de la démocratie en Allemagne, « sujet
tion du chef de l'État pour un douloureux » à en croire Rudolf Smend 85 • De l'avis des uns, l'article 79 rigidi:fie
non pas un concept abstrair et universel de la démocratie, mais le modele parti-
culier de démocratie qu'ont voulu instaurer les fondateurs de la Loi fondamen-
, Rn. 36 (arr. 2 ai. 2, 3, 4, 10, 13, l'an- tale de 1949"·. Sa spéci:ficité réside notamment dans le concept de« démocratie
1, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, li, 12, 13, 14LF);
La Cour quant à elle a consacré l'in-
priété (arr. 3 et 14; BVerfGE, 84, 90).
; BVerfGE, 94, 49). 79. P. KIRCHHOF, op. cit.; W. MAGER, « Republik », in O. BRUNNER, W. CONZE &
R. KOSELECK (dir.), Geschichtliche Grnndbegriffe, t._?, Stuttgart, Klett-Cotta, 1984, pp. 549-651.
les Bundesverfassungsgerichts vom 80. H. DREIER, op. cit., Rn. 29; T. MAUNZ & G. DURIG, op. cit., Rn. 45; B.-0. BRYDE, op. cit.,
·atlichkeit » - « Richterstaatlichkeit ». Rn. 38.
L.37 qui estimem que la décision du 81. T. MAUNZ & G. DÜRIG, op. cit., Rn. 47; H. DREIER, op. cit., Rn. 30.
is erronée dans ses conclusions. Déjà 82. Le « etc. » n' est évidemment pas forruit car, logiquement, on pourrait poursuivre !e raisonne-
ne doit pas nécessairement être ass11rée ment en y incluam tous les droits fondamentaux selon le raisonnement développé supra n-· 608 ss.
h11tz sein) » (p. 17 note 1 in fine; voir Cela dit, la doctrine s'arrête en général aux droit fondamentaux démocratiques.
83. T. MAUNZ & G. DÜRIG, op. cit., Rn. 47; H. DREIER, op. cit., Rn. 32. Cette exclusion, qui
l'application de l'article 79 ai. 3 l'ali- est assez surprename, est néanmoins contestée par quelques auteurs.
titutionnelle du 24 juin 1968 (BGBI., 84. T. MAUNZ & G. DÜRIG, op. cit., Rn. 48; H. DREIER, op. cit., Rn. 35 qui cite aussi quelques
3ERLE, « Verfassungsrechtliche ... », voix contraires.
:trine dominante s'inscrit ainsi dans 85. R. SMEND, « Deutsche Staatsrechtswissenschaft vor hundert Jahren - und heute » (1969),
n ne peut ni élargir ni restreindre sa in Staatsrechtliche Abhandlzmgen, op. cit., p. 618.
1ire la porte ouverte à un enrichisse- 86. La fonction des clauses d' éternité prête en effet à discussion puisqu' elles peuvent figer soit ce
!t cliquet. Cf H.-U. EVERS, op. cit., qu'il y '.! d'universel dans une constitution donnée, soit au comraire ce qui !ui est propre.
Cf P. HABERLE, « Verfassungsrechtliche ... », op. cit., p. 96 ss.

l
626 Les liens entre la démocratie, !e droit et la justice constitutionnelle Les limites mal

combative (wehrhafte Demokratie) », selon lequel les partis extrémistes som sous le concep
exclus du processus démocratique (art. 9 al. 2, 18, 21 al. 2 LF)", ainsi que dans qui bénéficie ;
une nette méfiance à l'égard de la démocratie directe. On en a déduit des res- régime juridiq
trictions en ce qui concerne l'introduction, par vaie de révision, d'un systeme est ainsi possit
de votations populaires"". Certains auteurs de la génération actuelle tendem au si l'indépenda
contraire à gommer cette spécificité nationale - due à un passé encombrant Rechtsstaat ver
dont le spectre s'éloigne - en s'inspiram du modele des démocraties étrangeres Cour constitu
pour définir la portée juridique de l'article 79". Cette attitude plus décomplexée quelques-uns ·,·
se traduit à la fois par le rejet du concept de démocratie combative de la sphere al. 3 suppose s
de l'article 79 et par une attitude plus ouverte à l'égard d'éventuelles réformes d'un noyau d,
constitutionnelles visam à élargir le champ d'application du référendum. lls d'une loi des p
ne vom toutefois pas jusqu'à dire qu'il serait imerdit au pouvoir de révision de également dai:
supprimer l'option de la démocratie directe qui se trouve brievement évoquée à pouvoir légisL
l'article 20 al. 2"º. Enfin, la derniere pomme de discorde a trair justemem au de la Loi fond
caractere national de la démocratie, plus précisémem à la limitation du droit de tration et de L
vote aux citoyens de nationalité allemande. Si les uns estimem que la démocra- vise non seule
tie se réfere au peuple allemand, ce qui interdirait par conséquent toute révision la réserve de L
constitutionnelle attribuant un droit de vote aux étrangers "', les autres niem un À partir de
tel lien en citam notamment les exemples de démocraties étrangeres (Grande- en effet que, ·
Bretagne, pays scandinaves) qui accordem un tel droit à des immigrés 92 • consacre un p1
Rechtsstaat n')
y) Le Rechtsstaat? vivement criti
il faut définir 1
650 La question de la protection d'un principe général du Rechtsstaat par l'article 79 nition qu' on e
al. 3 a suscité une large comroverse au sein de la doctrine. On sait que l'article 20 l'existence d'u
consacre expressis verbis certaines institutions que l'on range traditionnellement un comrôle (
valente'". Deu

87. Cj R. HERZOG, « Art. 20 II» Rn. 32 et les renvois cités par H. DREIER, op. cit., Rn. 37.
88. R. HERZOG, ~- Artikel 20 II : Die Verfassungsemscheidung für die Demokratie », in 93. T.MAUNZ
T. MAUNZ & G. DURIG, Grrmdgesetz Kommentar, e. 2, Rn. 42, p. 48. 94. R. HERZO
89. C'est ce qui ressort tres clairemem chez H. DREIER, op. cit., Rn. 15 in fine et 37. On retrouve T.MAUNZ&C
ce même esprit chez Brun-Occo Bryde. Celui-ci critique vivem,em le peu de place qu'om accordée 95. C'est ce que
le~ auteurs de la Loi fondamemale à la démocratie semi-directe. A ses yeux, la souveraineté du peuple sion pourrait ins1
fa1t figure de concept hypostasié dom les constitutionnalistes se servem pour figer le sla/11 q110. à l'image du ... C
Cf B.-O. BRYDE, « Veijassunggebende Gewalc des Volkes und Verfassungsanderung im deutschen qu'il serait possil
Staatsrecht: Zwischen Uberforderung und Umerforderung der Volkssouveranitat », in R. BIEBER de revenir à la sit
& P. WIDMER (dir.), L 'espace constitutionnel ettropéen, Zürich, Schulch~~s, 1995, pp. 329-343. des aucres restem
90. H. DREIER, op. cit., Rn. 33. En ce sens déjà: T. MAUNZ & G. DURIG, op. cit., Rn. 47. justice consticuti,
91. P. KIRCHHOF, op. cit., Rn. 75. 96. Voir B.-O. B
92. B.-O. BRYDE, « Are. 79 », op. cit., Rn. 40 s; id., « Verfassunggebende ... », op. cit., p. 334 ss ou il parcielle de !'arei,
critique vertemem « l'etlmicisation » du concept de peuple par les juristes allemands qui se livrem, à révision. L'intan
ses yeux, à une argumemation crypcopolitique. Adde H. DREIER, op. cit., Rn. 36. Dans sa décision une certaine libe
du 31 occobre 1990, la Cour constitucionnelle fédérale a censuré une !oi ordinaire du Land de Schles- cerces pas alléger
wig-Holstein, qui avait accordé le droit de vote aux élections municipales à cous les étrangers. Dans il pourrait les a~
un obiterdict11m, elle a néanmoins statué que l'article 79 ai. 3 ne s'opposait pas à l'imroduction, par sachant que l'exi
voie de révision, du droit de voce des cicoyens européens dom on débaccait déjà à l'époque (BVerfGE de démocratie.
83, 37 [59]). Depuis, l' article 28 ai. 1 LF a accordé le droit de vote municipal aux ressortissants de 97. H. DREIER
l'Union européenne et la Cour ena admis la validité dans sa décision Maastricht (BVerfGE, 89, 155 98. Cf supra n· 1
[179]). La question d'une évemuelle participation des ressonissams européens, voire de cous les 99. C'est ce qui
étrangers, aux élections législatives régionales ou nationales reste coutefois posée. proces se targue
it et la jusúce constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 627

:1 les partis extrémistes som sous !e concept du Rechtsstaat. II s'agit tout d'abord de la séparation des pouvoirs
21 ai. 2 LF)s;, ainsi que dans qui bénéficie ainsi du statut de norme imangible. Encore faut-il préciser que !e
ecte. On en a déduit des res- régime juridique actuel de ce príncipe ne se trouve pas figé dans son ensemble. II
JÍe de révision, d'un systeme est ainsi possible de modifier ou de supprimer le régime parlememaire. De même,
énération actuelle tendem au si l'indépendance de la justice est protégée contre toute atteinte, l'évolution du
due à un passé encombram Rechtsstaat vers le Richtersstaat ne l' est pas 93. On pourrait retoucher le statut de la
:!e des démocraties étrangeres Cour constitutionnelle fédérale, voire la supprimer selon l' avis, contesté '", de
tte attitude plus décomplexée quelques-uns"5• Le príncipe de la séparation des pouvoirs garanti par l'article 79
cratie combative de la sphere ai. 3 suppose simplement l'existence de trois pouvoirs distincts, chacun jouissant
'égard d'éventuelles réformes d'un noyau dur de compétences. Sa signification se réduit alors à l'interdiction
plication du référendum. Ils d'une loi des pleins pouvoirs, à !'instar de celle votée en 1933. L'article 20 prévoit
iit au pouvoir de révision de également dans son alinéa 3 le príncipe de la suprématie de la constitution sur le
trouve brievement évoquée à pouvoir législatif, ce qui exclut par conséquent toute atteinte au caractere rigide
iiscorde a trait justement au de la Loi fondamemale')(,, ainsi que !e príncipe de la subordination de l'adminis-
:m à la limitation du droit de tration et de la justice« à la foi et au droit ». D'apres H. Dreier, ce dernier alinéa
ms estimem que la démocra- vise non seulement le príncipe de la primauté de la !oi mais encore ]e príncipe de
>ar conséquent toute révision la r~serve de la !oi, bien qu'il ne soit pas explicitement mentionné"'.
trangers 9 1, les autres nient un A partir de là les choses se compliquem. Une large partie de la doctrine estime
10craties étrangeres (Grande- en effet que, au-delà de ces différentes composantes du Rechtsstaat, l'article 20
:oit à des immigrés"2 • consacre un príncipe général du Rechtsstaat, et ce en dépit du fait que !e terme de
Rechtsstaat n'y figure nulle pare. La these d'une consécration implicite, qui a été
vivement critiquée par Philip Kunig"', pose plusieurs problemes. Premierement,
il faut définir le contenu exact du terme polysémique de Rechtsstaat. Selon la défi-
du Rechtsstaat par l'article 79 nition qu' on en retiendra, on dira soit que le Rechtsstaat implique obligatoirement
:trine. On sait que l'article 20 l'existence d'un contrôle juridictionnel pour tout acte étatique, soit qu'il autorise
'on range traditionnellement un contrôle d'une autre nature pourvu que celui-ci soit d'une efficacité équi-
valente "'. Deuxiemement, une fois ce comenu défini, il reste à savoir si, parmi

>ar H. DREIER, op. cit., Rn. 37.


1eidung für die Demokratie ", in 93. T. MAUNZ & G. DÜRIG, op. cit., Rn. 48.
42, p. 48. 94. R. HERZOG, ".. Artikel 20 VII : Artikel 20 und die Frage der Rechrssraatlichkeir ", in
;l., Rn. 15 in fine et 37. On retrouve T. MAUNZ & G. DURIG, Gmndgesetz Kommentar, t. 2, p. 273, Rn. 41.
~m le peu de place qu'om accordée 95. C'est ce que semble vouloir dire B.-O. BRYDE, op. cit., Rn. 45. D'apres !ui, !e pouvoir de révi-
\. ses yeux, la souveraineté du peuple sion pourrait instaurer un comrôle juridictionnel diffus à l'américaine ou un comrôle « politique »
se servem pour figer le statu quo. à l'image du ... Cansei! constitutionnel français. Néanmoins, B.-O. Bryde ne dit pas expressément
Verfassungsanderung im deutschen qu'il serait possible de supprimer tout comrôle juridictionnel de la constitutionnalité des !ois et
Volkssouveranitat », in R. BIEBER de revenir à la situation du XIX" siecle. De façon générale, on notera que les déclarations des uns et
Schulth<;~s, 1995, pp. 329-343. des autres restem assez imprécises en ce qui concerne la ponée exacte de ]' article 79 à ]' égard de la
& G. DURIG, op. cit., Rn. 47. justice constitutionnelle.
96. Voir B.-O. BRYDE, op. cit., Rn. 44; H. EHMKE, op. ciL, p. 127. II s'ensuit une immutabilité
ggebende ... », op. cit., p. 334 ss ou il partielle de l'article 79 ai. 2 qui exige une majorité des deux tiers dans les deux chambres pour route
!S juristes allemands qui se livrem, à révision. L'imangibilité qui en résulte n' est cependant que relative : le pouvoir de révision garde
iR, op. cit., Rn. 36. Dans sa décision une certaine liberté en ce qui concerne le chiffre des deux tiers. Selon B.-O. Bryde, il ne pourrait
une !oi ordinaire du Land de Schles- cerres pas alléger les contraintes procédurales, puisque ]'ai. 2 constitue déjà le srrict minimum, mais
unicipales à rous les érrangers. Dans il pourrait les aggraver. D'apres Ehmke, il faut également se poser la question d'une limite haute
s'opposair pas à ]'imroducrion, par sachant que l'exigence de l'unanimité pour toute révision serait difficilemem conciliable avec l'idée
1 débattait déjà à l'époque (BVerfGE de démocratie.
ute municipal aux ressonissams de 97. H. DREIER, op. cit., Rn. 43.
:ision Maastricht (BVerfGE, 89, 155 98. Cf supra n" 148.
ssams européens, voire de rous les 99. C'est ce qui arriva dans l'affaire des écoures téléphoniques, ou chacune des deux parties au
~ toutefois posée. processe targue de l'aurorité du Rechtsstaat pour faire avancer sa cause. Cf BVerfGE, 30, 1 (9, 15).
628 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites m,,

les éléments du Rechtsstaat autres que ceux déjà mentionnés expressis ·verbis à ainsi, de façc
l'article 20, il y ades« príncipes» au sens de l'article 79 al. 3 'ºº. On voit que, selon d' Allemagne,
les diverses hypotheses, on arrive à une multiplicité de solutions théoriques qui isolée, cette e
peuvent parfois aboutir au même résultat pratique'º'. Dans cet imbroglio, la Cour traité de Maa
constitutionnelle fédérale, quant à elle, a estimé, dans sa décision de principe de tale'ºº. À par
1970 sur les écoutes téléphoniques, que, d'une part, l'article 20 ne consacrait pas affirme unani
un príncipe général du Rechtsstaat- ce qui lui a permis d'esquiver ces redoutables ne peut se fai
problemes de définition - et que, d'autre part, le príncipe de la suprématie du la dissolution
droit n'impliquait pas nécessairement un contrôle juridictionnel 101 • exigerait l'int

Ó) Le fédéralisme et le Sozialstaat

651 Reste à évoquer les deux derniers príncipes énoncés par l'article 20, à savoir le
fédéralisme et l'Etat-providence. En ce qui concerne le premier, les auteurs qui 653 On a vu tout
insistem sur la nécessaire distinction entre le príncipe général du fédéralisme, qui plicite est tre
serait intangible par le biais de l'article 20, et ses deux sous-príncipes consacrés facilement de
directement par l'article 79, aboutissent à peu pres aux mêmes conclusions que honni, certai1
les auteurs qui estiment que le renvoi à l'article 20 est superflu 103 • Quant au prin- du texte de l',
cipe du Sozialstaat, son importance dans le contentieux de la constitutionnalité conception 1
des !ois ordinaires est déjà des plus réduites; cela vaut a fortiori pour le contrôle « immanenteJ
des !ois de révision constitutionnelle. De l'avis général, sa signification se limite du droit posi
à l'interdiction d'un « retour pur et simple à l'État gendarme» du XIX' siecle, autre- lité des droiti
ment dit la suppression totale de la sécurité sociale ,0-1 _ interna tio na!
certams pnn,
E) L'étaticité de Ia République fédérale d'Allemagne?

652 Le premier à mentionner, des 1987, cette nouvelle norme intangible fut Paul 106. Cf D. MU
Kirchhof, par ailleurs juge à la Cour de Karlsruhe 'º'. D'apres !ui, l'État précede sunggebenden G
la constitution, ce qui signifie qu'avant d'être un Rechtsstaat, un Sozialstaat et un FABIO, • Der n,
Verfassungsneus,
Bundestaat, l 'Allemagne est d' abord un É tat, un Staat. L' article 20 consacrerait op. cit., Rn. 49 a.
107. D'apres !ui
l'article 20, mais
dans les termes d
100. H. DREIER, op. cit., Rn. 44, estime ainsi que le príncipe du Rechtssta,1t est consacré par l'ar- de nacure. Selon
ticle 20 et que le príncipe de proportionnalité, dégagé par la Cour constitutionnelle à partir de celui- du reste souhaitt
ci, est intangible. On notera qu'en général les droits fondamentaux qui sont pourtant considérés bleme au regard
comme un élément essentiel du Rechtsstaat ne sont pas évoqués à cet endroit par la doctrine, et ce ne porterait null
pour des raison probablement pratiques {éviter des redites par rapport aux développements consa- 108. Ces flotten-
crés à l'article 1). Rien n'exclut cependant un te! raisonnement (cj par ex. H. MAURER, « Die incenicudes du e
Eigentumsregelung im Einigungsvertrag »,JZ, 1992, p. 186). de la RFA, qui
101. En ce sens: H. DREIER, op. cit., p. 1522 note 101 in fine; B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 42. d'auues y voien
102. Car, même si la Cour a réussi à se débarrasser du terme encombrant de Rechtsstaat, la problé- mais seulement
matique du juge reste posée. En effet, les principes de la suprématie des droits fondamentaux {art. 1), négligeable au rq
de la séparation des pouvoirs, de la suprématie de la Constitution et de la légalité (art. 20), qui fom par l'article 20 ,
indéniablemem pareie des principes intangibles au sens de l'article 79 ai. 3, posent chacun à sa façon consticutionnell,
la question du contrôle juridiccionncl. Cf BVerJGE, 30, 1 {27 s, 40 s). accuelle qu'une,
103. Cf. H. DREIER, op. cit., Rn. 39. 109. Cf H. EH;
104. T. MAUNZ & G. DÜRIG, op. cit., Rn. 49.AddeH. DREIER, op. cit., Rn. 38; B.-0. BRYDE; 110. Ibid., p. 10:
op. cit., Rn. 49. 111. !bid., p. 92.
105. P. KIRCHHOF, op. cit., Rn. 18, 51, 71. 112. !bid., p. W
t et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 629

nentionnés expressis verbis à ainsi, de façon implicite, le principe de l'étaticité de la République fédérale
79 al. 3 100 • On voit que, selon d'Allemagne, lequel serait par conséquent protégé par l'article 79 al. 3. D'abord
f de solutions théoriques qui isolée, cette opinion connut un large écho lors du débat sur la ratification du
. Dans cet imbroglio, la Cour traité de Maastricht qui supposait de profondes révisions de la Loi fondamen-
ns sa décision de principe de tale 10•. À part quelques voix critiques dom Brun-Otto Bryde 'º7, la doctrine
, l'article 20 ne consacrait pas affirme unanimement que l'adhésion de l'Allemagne à un État fédéral européen
nis d'esquiver ces redoutables ne peut se faire par la voie d'une simple révision. Un tel acte, aboutissant soit à
príncipe de la suprématie du la dissolution de l'État allemand, soit à une métamorphose desa qualité d'État 'º8 ,
uridictionnel 102 • exigerait l'intervemion du pouvoir constituam lui-même à travers l'article 146.

C. La question des limites implicites :


l'intangibilité de l'article 79, ai. 1, 2 et 3
fs par l'article 20, à savoir le
1e le premier, les auteurs qui 653 On a vu tout au long de cette analyse que la fromiere entre !'explicite et l'im-
>e général du fédéralisme, qui plicite est tres ténue. À partir d'une base textuelle parfois tres mince, on passe
eux sous-príncipes consacrés facilement de l'un à l'autre. Apres la guerre, à une époque ou le positivisme fut
aux mêmes conclusions que honni, certains auteurs som même allés plus loin en s'affranchissant totalement
st superflu 103 • Quam au prin- du texte de l'article 79 al. 3. C'est ainsi que Horst Ehmke a dégagé, à partir d'une
ieux de la constitutionnalité conception matérielle de la constitution, des limites « transcendantes » et
ut a fortiori pour le contrôle « immanentes » au pouvoir de révision en plus des restrictions existam en vertu
éral, sa signification se limite du droit positif'º'. Il lui est des lors beaucoup plus facile de justifier l'intangibi-
1danne » du XIX" siecle, autre- lité des droits fondamentaux "º et d'envisager d'autres limites telles que le droit
'º' international 111 , le principe du contrôle parlementaire de l'exécutif 112 ou encore
certains principes du droit budgétaire qui sauvegardent les droits des futures
1gne?

e norme intangible fut Paul 106. Cf D. MURSWIEK, « Maastricht und der pouvoir constituam. Zur Bedeutung der verfas-
,;_ D'apres lui, l'État précede sunggebenden Gewalt im Prozess der europaischen Integration », Der Staat, 1993, p. 162 ss; U. DI
chtsstaat, un Sozialstaat et un FABIO, « Der neue Art. 23 des Grundgesetzes. Positivierung vollzogenen Verfassungswandels oder
Verfassungsneuschõpfung? », Der Staat, 1993, p. 200 s; H. DREIER, op. cit., Rn. 46; B.-0. BRYDE,
aat. L'article 20 consacrerait op. cit., Rn. 49 a.
107. D'apres lui (op. cit., Rn. 49 a), le principe de l'étaticité de l'Allemagne est cerres consacré par
l'article 20, mais sa signification se résume en une interdictjon de tout état anarchique. Pour le dire
dans les termes de la théorie du contrat social, le concept d'Etat s'opppse seulemem au retour à l'état
du Rechtsstaat est consacré par l'ar- de nature. Selon B.-0. Bryde, l'intégration de l'Allemagne dans un Etat fédéral européen, qui était
r constitutionnelle à partir de celui- du reste souhaitée par les peres fondateurs de la Loi fondamentale, ne, poserait des lors <)UCun pro-
1taux qui sont pourtant considérés bleme au regard des articles 20 et 79. La transformation de la RFA d'Etat souverain en Etat fédéré
; à cet endroit par la doctrine, et ce ne porterait nullemem atteime à la nature étatique ainsi définie.
·apport aux développements consa- 108. Ces flottemems séma,ntiques que l'on constate chez les protagonistes de cette these révelem les
1t (cf par ex. H. MAURER, « Die incenitudes du conçept d'Etat. Si les uns vaiem dans le processus europ~en un changemem de nature
de la RFA, qui d'Etat (sous-emendu souverain) deviendrait un non-Etat (faute de souverainrté),
B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 42. d'autres y vaiem un,changemem de degré majeur puisque la RFA serait, cerres, toujours un Etat,
1combrant de Rechtsstaat, la problé- mais seulement un Etat fédéré. Pour B.-0. Bryde, il s'agit au co11traire d'une différence de degré
tie des droits fondamentaux (art. 1), négligeable au regard de l'article 79. Reste à savoir que! concept d'Etat a été implicitement consacré
m ct de la légalité (art. 20), qui fone par l'article 20 de la Loi fondamentale. Dans sa décision relative au traité de Maastricht, la Cour
le 79 ai. 3, posem chacun à sa façon constitutionnelle fédérale a esquiyé le débat en considftrant que l'Union européenne n'était à l'heure
40 s). actuelle qu'une confédération d'Etats et non pas un Etat fédéral.
109. Cf H. EHMKE, op. cit., p. 89 ss.
ER, op. cit., Rn. 38; B.-0. BRYDE; 110. Ibid., p. 103 ss.
111. Ibid., p. 92. L'un des premiers à évoquer cette limite dans le débat allemand fut Richard Thoma.
112. Ibid., p. 118.
630 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites mat,

générations '". Aujourd'hui, cette approche semble abandonnée "'. Pourtant, la lument soumis
doctrine amenée à se poser la question de limites non expressément mention- compétence. I
nées au sujet de l'intangibilité de l'article 79 lui-même. À l'opposé des constitu- constitution se
tions de certains Lander dom la clause d'éternité a proclamé sa propre immuta- quée au cas d1
bilité "5, la Loi fondamentale est muette sur ce point crucial. Divers auteurs ont absolue non se
d'ailleurs considéré que l'on pouvait réviser la clause de révision pour esquiver et 2 t10_ En reva
ainsi l' obstacle des limites matérielles "". C' est ce qui s' est passé en Sarre en 1955- conception ma
56. Face à une clause d'éternité qui reflétait davantage les vceux de l'ancien occu- voir de révisio
pant militaire français que du peuple sarrois, le parlement de la Sarre s'est éléments décla
appuyé sur l'autorité d'un référendum pour réviser la clause d'éternité 111 • dent 121 - , l' alir
654 Le statut juridique de la clause d'éternité '" ainsi quedes dispositions prévoyant du pouvoir de
les modalités formelles et procédurales de la révision 119 est rarement défini par le basse qui tradu
droit positif. De surcroit, même si on y trouve des éléments de réponse, on ne suprématie de
peut faire completement abstraction de certaines données métajuridiques. À cet 655 Sur ces divers ]
égard, il faut distinguer entre les deux modeles théoriques esquissés au début. voire fluctuant
Selon la théorie décisionniste de Carl Schmitt, le pouvoir de révision est abso- nos jours l'inal
sité logique, a
seule interprér
dépourvu de ~
113. Ibid._, p. 128 ss. sans influence
114. J. LUCKE, op. cit., Rn. 21. On notera toutefois que cette approche matérielle est encore cres néa 2, qui exit
présente chez K. HESSE, op. cit., p. 292 ss.
115. Cf art. 150 ai. 3 de la Constit. de la Hesse de 1946; art. 129 ai. 3 de la Constit. de Rhénanie-
Palatinat de 1947; an. 20 ai. 3 de la Const. Brême de 1947.
116. Cf la biblio. chez H.-U. EVERS, op. cit. Rn. 134. Sur toute la question, voir ibid., Rn. 133-148.
117. Selon l'art. 103 ai. 2 de la Const. sarroise de 1947, dans sa version originale, touce révision
comredisant « l'idée de base (Grundgedanke) de la constiwtion » était interdite. Selon l'interprétation 120. C. SCHMI'l
des autorités officielles, qui n'était cependant pas unanimemem reconnue, les deux principes de l'in- Schmitt excluc ai,
dépendance de la Sarre à l'égard de la RFA et de sa subordination économique et politique à la stituer à la majori
France, qui avaiem été inscrits dans la Constitution sarroise sous l'influence des autorités militaires 121. Il s'agit en e
françaises, étaient ainsi intangibles. Or, lors du référendum du 23.10.1955, le peuple sarrois a rejeté ment essentiel du
massivement le projet de statut internacional de la Sarre que !ui proposait le traité franco-allemand listes regrettent er
du 23.10.1954. Ce vote négatif fut interprété a contrario comme un vote favorable à l'adhésion à la déduisent pas poL
RFA. La commission constitucionnelle du parlement de la Sarre, qui était chargée de faire respecter limite constitutiY,
la suprématie de la Constitution en l'absence d'une véritable justice constitutionnelle (influence de demment en tern
la IV' République oblige... ), y a vu la manifestation du pouvoir constituam souverain qui aurait d'abolir le fédéral
rendu obsoletes toutes les disposirions de la Constitution de 1947. C'est pounam sur !e fondement de l'homme).
de la constitution telle que « revue » par le référendum que le parlement a adopté, en respectant les 122. H. EHMKF
regles pe forme prévues à cet effet, la loi constitutionnelle du 20.12.1956 qui a abrogé l'anicle 103 noch beliebig ãndL"
ai. 2. A cette occasion, le parlement a également substitué à la majorité qualifiée des trois quans, 123. Cf les renv,
requise pour toute révision, la regle de la majorité des deux tiers. Enfin, il a établi une nouvelle clause Rn. 47. Le seu! au
d'intangibilité dans !e nouvel anicle 103 ai. 1 qui garantir depuis lors le principe de« l'État de droit ruhe a également
démocratique el social». Cf W. THIEME, « Die Emwicklung des Verfassungsrechts im Saarland von décision du 23.4.1
1945 bis 1958 »,JõR, p. 434,446,452 s, 456. concerne plus par
118. Rares som les exemples de constitutions à avoir mentionné explicitement l'intangibilité de l'ar- que même une lo
ricle énoncant les limites matérielles (cf. supra note 115). Or, même en présence d'une telle interdic- ai. 3. Cf sa décisi,
tion, on doit se poser la question de savoir sur quoi repose, à son tour, l'interdiction de réviser la 124. H. EHMKl'
clause d'éternité. Autrement dit, serait-il possible de contourner l'obstacle par une tripie révision: Rn. 50. L'hypoth
d'abord une révision de l'imerdiction de réviser la clause d'éternité, suivie de la révision de la clause en obligeant la r
d'éternité et, enfin, la révision proprement dite? Tout dépend de la Gmndnonn que l'on présuppose. B.-0. BRYDE, O/
119. L'unique constitution en Allemagne à avoir explicitement proclamé l'inaltérabilité des condi- schmittienne.
tions formelles et procédurales de la révision est l'anicle 85 ai. 5 de la Constitution de l'ancien Lmd 125. Il existe dar
de Wunemberg-Bade de 1946 (cf. le texte chez P. HÃBERLE, op. cit., p. 85 s). Curieusemem, les revue Der Staat ,
constituants ont néanmoins omis de proclamer l'intangibilité de la clause d'éternité. H. DREIER, op.
et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 631

abandonnée 11 ' . Pourtant, la lumem soumis à la volomé du pouvoir constituam, des mains duquel il tiem sa
10n expressémem memion- compétence. Des lors, il ne saurait toucher aux diverses limites prévues par la
ne. À l'opposé des constitu- constitution sous peine de saborder le fondemem de sa propre autorité. Appli-
,roclamé sa propre immuta- quée au cas du Grundgesetz, la these schmittienne entra1nerait l'imangibilité
t crucial. Divers auteurs om absolue non seulement de l'alinéa 3 de l'article 79 mais également des alinéas 1
;e de révision pour esquiver et 2 12º. En revanche, les théoriciens jusnaturalistes ainsi que les défenseurs d'une
s'est passé en Sarre en 1955- conception matérielle de la constitution concedem une certaine liberté au pou-
;e les vceux de l'ancien occu- voir de révision. Si l'alinéa 3 est imangible dans son intégralité, à la fois dans ses
nrlemem de la Sarre s' est élémems déclaratifs - ce qui va de soi - et constitutifs - ce qui est moins évi-
la clause d'éternité 11 ' . dem 111 - , l'alinéa 2 n' est ni absolument imangible, ni totalement à la disposition
!des dispositions prévoyant du pouvoir de révision 122 • Celui-ci est encadré par une limite haute et une limite
L est rarement défini par le
1
"
basse qui traduisent l'attachement à l'idée de la rigidité et, par conséquent, de la
éléments de réponse, on ne suprématie de la constitution dans une démocratie.
nnées métajuridiques. À cet 655 Sur ces divers poims, la doctrine contemporaine adapte des positions nuancées,
·oriques esquissés au début. voire fluctuantes. À quelques rares exceptions pres, plus personne ne conteste de
ouvoir de révision est abso- nos jours l'inaltérabilité de l'alinéa 3 "'· Pour les uns, il s'agit à la fois d'une néces-
sité logique, au regard de la reconnaissance de normes suprapositives, et de la
seule interprétation utile possible sans laquelle l'alinéa 3 serait tout bonnement
dépourvu de sens 1" . À cela s'ajoute enfin l'argument schmittien qui n'est pas
sans influence dans la doctrine juridique d'outre-Rhin 115 • Pour ce qui est de l' ali-
,pproche macérielle est encare tres
néa 2, qui exige un vote à la majorité des deux tiers au sein du Bundestag et du
9 ai. 3 de la Constit. de Rhénanie-

a quescion, voir ibid., Rn. 133-148.


a version originale, tome révision
ait interdite. Selon l'interprétation 120. C. SCHMITT, Verfasstmgslehre, p. 103. Évoquant !'exemple de la Constitution de Weimar,
~connue, les Jeux principes de l'in- Schmitt exclut ainsi que l'on puisse utiliser l'arricle 76 pour modifier ce même article afin de sub-
:ion économique et politique à la stituer à la majorité qualifiée reguise pour tome révision une majorité simple.
l'influence Jes autoricés milicaires 121. II s'agit en effet d'un empiétement sur la libené des générations futures, qui constitue un élé-
3.10.1955, le peuple sarrois a rejeté ment essentiel du principe jusnaturaliste de la démocratie. On notera que si les auteurs jusnatura-
proposait le traité franco-allemand listes regrettent en général l'inclusion du fédéralisme dans l'arricle 79 ai. 3 (cf supra note 30), ils n'en
un vote favorable à l'adhésion à la déduisent pas pour autant qu'on puisse réviser l'anicle 79 ai. 3 sur ce point. La validité d'une telle
qui était chargée de faire respecter limite constirutive se fonde alars sur l' élément légaliste de leur doctrine. La question se pose évi-
:ice constitucionnelle (influence de demment en termes différents à l'égard du pouvoir constituam (originaire) : ce dernier est libre
r constituam souverain qui aurait d'abolir !e fédéralisme, alars qu'il est lié par des considérarions élémentaires de justice (ex. les droits
'. C'est pounant sur le fondement de l'homme).
rlement a adopté, en respectant les 122. H. EHMKE, op. cit., p. 127 : « Die Bestimmzmgen des Art. 79 Abs. II sind weder unabãnderbar
1.12.1956 qui a abrogé l'anicle 103 noch beliebig ãnderbar. »
majorité qualifiée des trois quarts, 123. Cf les renvois bibliographiques chez B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 27 et H. DREIER, op. cit.,
infin, il a écabli une nouvelle ela use Rn. 47. Le seu! auteur contemporain à contester cet avis est Christian Tomuschat. La Cour de Karls-
lors le príncipe Je « l'État de droit ruhe a égalemenr retenu la these de l'inrangibilité de l'al. 3 sans toutefois en indiquer la raison. Cf sa
Verfassungsrechts im Saarland von décision du 23.4.1991 (expropriations d'avant 1949 dans !'ex-RDA), BVerfGE, 84, 90 (120). En ce qui
concerne plus paniculieremenr l'hypothese d'un référendum (cf !'exemple de la Sarre), elle a estimé
·xplicitemenr l'inrangibilité de l'ar- que même une !oi de révision adoptée directement parle peuple ne saurait faire écran à l'anicle 79
íle en présence d'une telle inrerdic- ai. 3. Cf sa décision Ju 12.10.1993 (Maastricht), BVerfGE, 89, 155 (180).
,n tour, l'inrerdiction de réviser la 124. H. EHMKE, op. cit., p. 101; K. HESSE, op. cit., Rn. 707; T. MAUNZ & G. DÜRIG, op. cit.,
l'obstacle par une tripie révision: Rn. 50. L'hypothese que l'anicle 79 ai. 3 aurait pour seu! objeccif d'alourdir la procédure de révision
té, suivie Je la révision de la clause en obligeant la majorité politique à effecruer une double révision est envisagée un instam par
1 Grnndnon11 que l'on présuppose. B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 27 avant d'être rejetée au profit d'un raisonnement proche de la théorie
Jroclamé l'inaltérabilité des condi- schmittienne.
le la Constitution de l'ancien Lmd 125. II existe dans !a doctrine juridique allemande un courant schmittien tres importam, dom la
p. cit., p. 85 s). Curieusement, les revue Der Staat est la tribune. San représentant le plus en vue est E.-W. Bockenfõrde. Cf aussi
la ela use d' éternité. H. DREIER, op. cit., Rn. 47 qui reprend implicitement l'approche schmittienne.
r,
;

632 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites m,

1 Bundesrat, les opinions som plus nuancées. De façon générale, tous som d'ac-
cord pour dire que l'alinéa 2 ne fait pas partie tel quel des normes intangibles.
A. Unjug

On pourrait clone le réviser, mais, de l'avis de certains, le pouvoir discrétion-


naire du pouvoir de révision n'est pas_ total 12". On sait en effet que celui-ci doit 657 Les nouvelle
respecter les principes mentionnés à l'article 79 al. 3 dom le príncipe de la peine édictéc
suprématie de la Constitution et celui du concours des Lander à la législation. II l' époque, l' e:
s'ensuit que le pouvoir de révision n'a pas le droit de substituer à la majorité ren- d'intriguer lc
forcée une majorité simple 127 ni d' exclure les Lá'nder, présems à travers le Bun- sion constitu
desrat, de la procédure de révision 128 • Une fois de plus appara1t clone l'effet d'ir- non respect e
radiation de l'article 79 al. 3 qui s'applique ici aux éléments essentiels de concevmr u1
l'article 79 al. 2. Reste la question délicate de l'alinéa 1 qui, il est vrai, a déjà fait constituam (
l'objet d'une révision en 1954. Certains voiem ainsi dans la loi constitutionnelle normes mco
du 26 mars 1954 (BGBl., I, p. 45), qui a ajouté la seconde phrase de l'actuel ali- ra1sonnemen
néa 1, la confirmation de son caractere révisable 129 • D'autres estiment au du souverain
comraire qu'il s'agit là d'une révision inconstitutionnelle en raison de l'imangi- de l' Cl!uvre d
bilité de l'alinéa 1 dans sa version originale de 1949 "º. existe au seir
C'est dire que la définition exacte de la portée de l'intangibilité de l'ordre príncipes for
constitutionnel fondé par le Grundgesetz ne va pas sans quelques délicats pro- être conforrn
blemes d'interprétation, ce qui explique en grande partie les réticences du juge le droit de se
constitutionnel. radicale - il
régime juste
autocrauque
§ 2. LES PARADOXES DE LA JURJSPRUDENCE
plus ou moir
DE LA CouR CONSTITUTIONNELLE FÉDÉRALE
658 La notion n'
l' a du reste e!
656 La jurisprudence de la Cour de Karlsruhe sur les normes constitutionnelles fit Cl!uvre de
inconstitutionnelles para1t assez paradoxale. S'agissam de la question de leur fon- dée sur le dn
demem théorique, elle a développé une théorie de droit naturel tres ambitieuse, Constitutior
à tel poim qu'elle s'est estimée et s'estime toujours compéteme pour en sanc- pothese qu'm:
tionner le respect par le pouvoir constituant (A). À l'inverse, à l'égard de la déjà exclue d'
norme de droit positif qu'est l'article 79 al. 3, elle a fait preuve d'une grande réti- de la Constit,
cence en adoptam une lecture minimaliste (B). Au demeuram, dans les deux cas élémentaires ,
de figure, la Cour n'a jamais procédé à une invalidation. Elle a toutefois usé de tion qu'ils li
sa faculté d'énoncer des directives d'interprétation pour éviter une telle censure, d'autres dispc
tant il est vrai que les enjeux som considérables 131 • nulles si elleí
membre, Ai:
usurpé le po
126. Pour une libercé apparemment totale : T. MAUNZ, " Are. 79 I, II », in T. MAUNZ,
G. DÜRIG, R. HERZOG & R. SCHOLZ, op. cit., t. III, Rn. 18.
127. En ce sens: B.-0. BRYN, op. cit., Rn. 44 et K. HESSE, op. cit., Rn. 707 qui s'inspirent tous les
deux de la position de Ehmke; H. DREIER, op. cit., Rn. 19. 132. Cf O. BA
128. En ce sens: H. DREIER, op. cit., Rn. 19 (en se référant au príncipe du concours des Lãnder pas moins de m
à la législation ). bavaroise de 19;
129. T. MAUNZ, « Art. 79 1, II», in T. MAUNZ, G. DÜRIG, R. HERZOG & R. SCHOLZ, mentale. Cf am
op. cit., t. III, Rn. 5 et 18; H. DREIER, op. cit., Rn. 26. 133. Cf H.-J. I'
130: K. HESSE, op. cit., Rn. 699 et 707. D'apres !ui, affirmer le contra ire revient à vider de sens !'ai. 1 lichen Rechtspr
et à nier la suprématie de la Constitution. Cf aussi la biblio. citée par H. DREIER, op. cit., Rn. 26. 134. Bay. VerfC
131. Cf B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 29. H.-J. FALLER.
it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 633

1çon générale, tous som d' ac- A. Un juge qui s'arroge le droit de contrôler le pouvoir constituant
quel des normes intangibles. (originaire)
rtains, le pouvoir discrétion-
sait en effet que celui-ci doit 657 Les nouvelles constitutions des Liinder et de la République fédérale étaiem à
al. 3 dom le principe de la peine édictées que déjà des voix s'élevaient pour en contester la validité 132 • À
; des Liinder à la législation. II l'époque, l'expression de Veifassungswidrige Veifassungsnormen n'a pas manqué
le substituer à la majorité ren- d'intriguer les commentateurs. Si l'on peut, à la limite, concevoir qu'une révi-
ier, présents à travers le Bun- sion constitutionnelle soit déclarée a posteriori contraire à la constitution pour
>lus appara1t clone l'effet d'ir- non respect des conditions inscrites dans celle-ci, il est beaucoup plus difficile de
aux élémems essemiels de concevoir une inconstitutionnalité lorsqu'il s'agit de la volonté du pouvoir
éa 1 qui, il est vrai, a déjà fait constituam (originaire) lui-même. Commem le constituam pourrait-il poser des
i dans la !oi constitutionnelle normes inconstitutionnelles alars qu'il est l'auteur de la constitution? Un tel
econde phrase de l'actuel ali- raisonnement est inconciliable avec !e postulat positiviste de l'unité de la volomé
)!e 12'. D'autres estiment au du souverain. Si l' on tiem à conférer un sens à cette expression pour ce qui est
>nnelle en raison de l'imangi- de l'ceuvre du constituam lui-même, il faudrait supposer à tout le moins qu'il
~ 13□• existe au sein des normes posées par celui-ci une distinction entre, d'un côté, les
i de l'imangibilité de l'ordre principes fondamemaux et, de l'autre, les normes d'application, celles-ci devam
1s sans quelques délicats pro- être conformes à ceux-là. Cela présupposerait également que le souverain n'a pas
: partie les réticences du juge le droit de se comredire. À cet égard, il importe peu qu'il se contredise de façon
radicale - il énonce dans l'article 1 de la constitution sa volomé d'instaurer un
régime juste et démocratique alars que les articles suivants instaurem un régime
lSPRUDENCE autocratique et oppressif -, ou à titre exceptionnel - il prévoit une dérogation,
plus ou moins importante, à un príncipe proclamé par ailleurs.
'--E FÉDÉRALE
658 La notion n'a de sens, à vrai dire, qu'à l'aune de la théorie jusnaturaliste comme
l'a du reste clairemem admis la Cour constitutionnelle bavaroise qui, apres 1945,
s normes constitutionnelles fit ceuvre de pionnier dans l'élaboration d'une jurisprudence systématique fon-
mt de la question de leur fon- dée sur le droit naturel m_ Saisie de la question de la validité de l'article 184 de la
:lroit naturel tres ambitieuse, Constitution bavaroise, elle affirme dans sa décision du 10 juin 1950 que « l'hy-
:s ,compéteme pour en sane- pothese qu'zme disposition constitutionnelle soit elle-même nulle (nichtig} n'est pas
A l'inverse, à l'égard de la déjà exclue d'un point de vue conceptuel du simple fait qu'elle fait partie intégrante
fait preuve d'une grande réti- de la Constitution. Jl existe des príncipes constitutionnels fondamentaux qzú sont si
demeurant, dans les deux cas élémentaires et qui rejletent à un te! point un droit préexistant même à la Constitu-
ation. Elle a toutefois usé de tion qu'ils lient également le pouvoir constituant originaire. Par conséquent,
)Our éviter une telle censure, d'autres dispositions constitutionnelles, qui ne jouissent pas de ce rang, peuvent être
nulles si elles y portent atteinte. » '-" Face aux critiques acerbes de l'un de ses
membre, Apelt, la Cour se défend dans sa décision du 14 mars 1951 d'avoir
usurpé le pouvoir constituam souverain : « Même le pouvoir constituant - dira-
, Art. 79 I, II », in T. MAUNZ,
8.
cit., Rn. 707 qui s'inspirenr rous les
132. Cf O. BACHOF, Verfass1mgswidrige Verfassungsrzonnen ?, op. cit., p. 7 ss qui, en 1951, ne cite
u príncipe du concours des Lá"nder pas moins de trois dispositions dom la validité a été mise en doute : l'article 184 de la Constitution
bavaroise de 1946, l'article 41 de la Constitution de la Hesse de 1946 et l'article 131 de la Loi fonda-
G, R. HERZOG & R. SCHOLZ, menrale. Cf aussi O. JOUANJAN, « Révision ... », op. cit., p. 239 s.
133. Cf H.-J. FALLER, « Wiederkehr des Naturrechts? Die Naturrechtsidee in der hochstrichter-
rntraire revienr à vider de sens ]'ai. 1 lichen Rechtsprechung von 1945-1993 »,jõR, vol. 43, 1995, p. 3 ss.
ie par H. DREIER, op. cit., Rn. 26. 134. Bay. VerfGH, 3, 28 (aussi DÔV, 1950, p. 407) (cité d'apres O. BACHOF, op. cit., p. 15 et
H.-J. FALLER, op. cit., p. 4).
634 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites ma

t-elle - est lié parle droit dont la fonction essentielle est de servir les valeurs éthiques voir de révisi
de la dignité de l'être humain, de la justice et par conséquent de la liberté. Tout pou- constitution 1
voir étatique, y compris le pouvoir constituant originaire, est intrinsequement « est de l'essenc

limité par l'idée du droit. » m Toute critique de cette position équivaudrait à principes fanei
un retour à un « positivisme extrême » 136 selon leque! le constituam est l'unique la norme spéc;
créateur du droit dont il définit librement le contenu. Un telle position est jugée Or, de l'av
intenable au lendemain des horreurs nazies. La Cour réitere d'ailleurs sa posi- ne saurait vale
tion en 1958, ou elle estime qu'il « est excltt que le pouvoir constituant originaire ginaire peut t1
puisse revendiquer le droit d'édicter des normes selon son bon plaisir, de poser comme mentalité d'u,
"droit" un ordre de contrainte que! qu'en soit le contenu, sans tenir compte dans la scienc1
des valeurs suprêmes de la justice telles qu'elles ressortent notamment du principe aurait suffisa1
de la dignité humaine et du principe d'égalité au sens d'une prohibition de tout (Unrecht) » 14''.
arbitraire » 137 • pirent ici de 1
cipe de la séc
659 La Cour constitutionnelle fédérale s'appuie sur cette jurisprudence pour s'arro-
voir des limi 1
ger à son tour le droit de vérifier le respect parle constituam de 1949 de ces prín-
les articles 1
cipes supérieurs. Ainsi, dans l'une de ses premieres décisions, celle du 23 octobre
« limites ulti1
1951, elle reprend à son compte le considérant central de la décision du 10 juin
le constituan
1950 de la Cour bavaroise 138 • Selon la Cour de Karlsruhe, l'assemblée consti-
juges admett.
tuante « n 'est liée que parles principes fondamentaux du droit qui sont sttpérieurs et
a peu de chJ
antérieurs à tout droit écrit » m_ Pour le reste, le constituam est libre et indépen-
démocratiqm
dant et n'est soumis qu'aux normes qu'il s'est donné à lui-même "º. L'arrêt de
théorie qu'il e
príncipe en la matiere constitue sa décision du 18 décembre 1953 sur l' égalité des
constittttiomi
sexes ou était mis en cause, pour la premiere fois, un article de la Loi fonda-
mentale, à savoir l' article 117 al. l 1". Dans cette affaire, la Cour de Karlsruhe 660 Reste la ques1
affirme à la fois l'existence de normes de droit naturel supérieures au pouvoir par la doctri1
constituam et sa propre compétence pour en assurer le respect. Sur le premier la théorie d'
point, la Cour commence par écarter l'article 79 al. 3 qui, s'appliquant au pou-

142. L'inapplic
par la doctrine.
135. Bay. VerfGH, 4, 51 (cité d'apres H.-J. FALLER, op. cit., p. 4). 143. BVerfGE,
136. Ibid. On notera en passam que par le terme de « positivisme extrême » la Cour vise ce que nous 144. Ibid., p. 2:
avons appelé le légalisme. 145. Ibid.
137. Bay. VerfGH, 11, 127 !135) (cité d'apres H.-J. FALLER, op. cit., p. 5). 146. Ibid.
138. BVerfGE, 1, 14 {32) [Etat du sud-ouest]. 147. Ibid., p. 2
139. Ibid., p. 61. fondamentales,
140. Ibid. En l'espece, il s'agissait du pouvoir constituam d'un Land. Aussi la Cour ajoute-t-elle une l'article 20 LF},,
autre limite qu'est le droit fédéral, et plus précisémem l'article 28 de la Loi fondamemale. caractere spécifi(
141. L'article 117 ai. 1 dispose que mut le droit qui est comraire au príncipe d'égalité entre les sexes, tion de savoir "
consacré par l'article 3 ai. 2, reste en vigueur jusqu'au 31 mars 1953. Cette dérogation temporaire au dispose libreme1.
príncipe d'égalité et au príncipe de l'effet direct des droits fondamemaux (art. 1 ai. 3) était censée Einzelausgestalr
laisser le temps nécessaire au parlemem pour réformer le droit civil. Passé le délai, et face à !'inercie sie also zur freie
du législateur, certains juges om directemem appliqué l'article 3 ai. 2 LF en comblam le vide légis- keit selbst nich1
latif par des constructions prétoriennes. En revanche, d'autres juges, qui considéraiem en l'espece 148. Ibid., p. 2
que la solution d'invalider le droit civil existam revenait à une solution inique (paradoxalemem pour 149. Ibid., p. 2
les femmes), estimaiem que l'article 117 était inconstitutionnel dans la mesure ou son application 150. Cj le com
aboutissait à partir du 1" avril 1953 à reconna1tre au juge un pouvoir normatif qui devait revenir, cours constitui
selon le príncipe de la séparation des pouvoir, au législatif. II risquait, en outre, de provoquer un Voir la critiqué
chaos juridique en raison des divergences de jurisprudence. En d'autres termes, le constituant de das richterlich,
1949 n'aurait pas eu le droit de prévoir une telle date bumir précise à cause des príncipes de la sépa- richterlichen l'
« Erstreckt sid
ration des pouvoirs et de la sécurité juridique qui om mus deux valeur de droit naturel.
it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 635

~st de servir les valeurs éthiques voir de révision, ne saurait livrer la clé pour le cas d' espece '". Selon elle, la
,équent de la liberté. Tout pou- constitution doit a priori être considérée comme une unité " 3• li s'ensuit qu'il
iginaire, est intrinsequement « est de l 'essence du pouvoir constituant de pouvoir édicter des exceptions à ses propres

ette position équivaudrait à príncipes fondamentaux, lesquelles sont à observer suivant la regle de la primauté de
el le constituam est l'unique la norme spéciale sur la norme générale » '".
m. Un telle position est jugée Or, de l'avis de la Cour, cette solution connait nécessairement des limites et
our réitere d'ailleurs sa posi- ne saurait valoir de façon absolue. Accepter l'idée que le « pouvoir constituant ori-
)ouvoir constituant originaire ginaire peut tout régler selon sa volonté, équivaudrait en effet à une rechute dans la
on bon plaisir, de poser comme mentalité d'un positivisme axiologiquement neutre qui·est dépassé depuis longtemps
contenu, sans tenir compte dans la science et la pratique juridiques » ' 45 _ Suit une référence au régime nazi qui
rtent notamment du príncipe aurait suffisamment démomré que « même le législateur peut poser du non-droit
ms d'une prohibition de tout (Unrecht) »'"'.li y a clone des cas exceptionnels ou il faut, selon les juges qui s'ins-
pirem ici de la doctrine de Radbruch, faire prévaloir l'idée de justice sur le prin-
te jurisprudence pour s'arro- cipe de la sécurité juridique. Si le pouvoir constituam peut par conséquem pré-
nstituant de 1949 de ces prin- voir des limites aux principes métajuridiques qu'il a recueillis, notamment dans
:lécisions, celle du 23 octobre les articles 1 et 20, il ne saurait le faire qu'à condition de ne pas dépasser les
« limites ultimes de la justice» 147 • En théorie, rien n'exclut en effet de penser que
tral de la décision du 10 juin
arlsruhe, l'assemblée consti- le constituam originaire puisse lui aussi violer ces exigences minimales "'. Les
du droit qui sont sttpérieurs et juges admettent toutefois le caractere tres exceptionnel d'une telle hypothese qui
,.stituam est libre et indépen- a peu de chance de se réaliser en pratique : « La probabilité qu 'un constituant
tné à lui-même "º. L'arrêt de démocratique et libéral dépasse que/que part ces limites est néanmoins si réduite en
:cembre 1953 sur l' égalité des théorie qu'il est quasiment impossible en pratique d'envisager l'hypothese de "normes
, un article de la Loi fonda- constitutionnelles inconstitutionnelles" originaires. » '"
ffaire, la Cour de Karlsruhe 660 Reste la question de la compétence juridictionnelle. Sur ce point âprement discuté
turel supérieures au pouvoir par la doctrine"º, la Cour invoque toute une série d'arguments qui s'inspirent de
·er le respect. Sur le premier la théorie d'Otto Bachof. Tout d'abord, elle se réfere au texte de l'article 100
. 3 qui, s'appliquam au pou-

142. L'inapplicabilité de l'arcicle 79 ai. 3 au pouvoir constituam est un príncipe unanirnemenc admis
par la domine. Cf B.-O. BRYDE, op. cit., Rn. 3; H. DREIER, op. cit., Rn. 11.
4). 143. BVerfGE, 3,225 (231) [égalicé des sexes].
~ extrême » la Cour vise ce que naus 144. lbid., p. 232.
145. Jbid.
cit., p. 5). 146. lbid.
147. lbid., p. 233 : « Ce n'est pas parce que l'atltettr de la LJJi fondamentale a repris dans ses décisions
fondamentales, et dane positivé dans la LJJi fondamentale (par exemple dans l'article 1, mais aussi dans
and. Aussi la Cour ajouce-t-elle une l'article 20 LF), des nonnes que l'on considere sottvent être de nature sttpralégale, que celles-ci perdent leur
'.8 de la Loi fondamencale. caractere spécifiq11e. Pour ce qui est de leur mise en ceuvre, et particulierement en ce qui concerne la ques-
au príncipe d'égalité entre les sexes, tion de savoir dans quelle mesure des exceptions sont admissibles, !e pottvoir constitttant originaire ne
153. Cecce dérogation temporaire au dispose librement d'elles que dans la memre 011 il n 'empiete pas sur ces limites ultimes de la justice (ln ihrer
lamencaux (are. 1 ai. 3) était censée Einzela11sgesta!t1mg, namentlich in der Frage, inwieweit Attsnahmen von ihnen zuzulassen sind, stehen
ivil. Passé le délai, et face à ]'inercie sie also zttr freien Disposition des Verfassrmgsgebers nur insoweit, ais jene letzten Grenzen der Gerechtig-
, ai. 2 LF en comblanc le vide légis- keit selbst nicht riberschritten werden}. »
juges, qui considéraienc en ]' espece 148. lbid., p. 232.
ution inique (paradoxalemenc pour 149. lbid., p. 233.
dans la mesure ou son application 150. Cf le compte rendu du débat judiciaire et docrrinal par O. BACHOF, op. cit., p. 11 ss. Cercaines
ouvoir normatif qui devait revenir, cours constitutionnelles dans les Lãnder refusenc d'ailleurs d'exercer unte! concrôle (ex. en Hesse).
isquait, en outre, de provoquer un Voir la critique de la théorie de Bachof, favorable à un te! concrôle, par W. APELT, « Erstreckt sich
d'autres termes, le consriruanc de das richterliche Prüfungsrecht auf Verfassungsnormen? », N]W, 1952, pp. 1-3; O. BACHOF, « Zum
:ise à cause des principes de la sépa- richterlichen Prüfungsrecht gegenüber Verfassungsnormen », N]W, 1952, pp. 242-244; W. APELT,
valeur de droir naturel. « Erstreckt sich das richrerliche Prüfungsrecht auf Verfassungsnormen? », N]W, 1952, p. 733.
636 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constittttionnelle Les limites mai

al. 1, qui prévoit la possibilité d'un renvoi préjudiciel par une juridiction ordi- assimilée à un
naire pour toute question touchant à la constitutionnalité d'une « foi ». Non- classique de la
obstant le fait qu'il n'était jamais venu à l'esprit des constituants de 1949 que Le souverain ,
ledit article puisse servir de fondement à un contrôle de leur propre ceuvre, la contrôle exter
Cour estime que le terme loi est suffisamment vaste pour inclure également précise du drc
la Loi fondamentale 151 • La Cour reprend également l'argument selon leque! sus du pouvo
l'existence de normes supérieures entrarne logiquement la compétence du moins, arrogé
juge 152 • Face à ceux qui lui rétorquent que la Cour est elle-même le produit de la contrôle exter
constitution et qu'elle ne saurait par conséquent se hisser au-dessus de son créa- lorsqu'il s'agit
teur, elle répond que « l'autorité du pouvoir juridictionnel (...) est, de par son indispensable
essence,fondée dans une certaine mesure sur l'idée même du droit » "'. Elle se défend de l'homme, <
également d'usurper le pouvoir constituam en estimam qu' elle n' exerce qu'une Rechtsstaat et
fonction négative qui se distingue fondamentalement de la fonction législative nque son em1
du constituam 15'. Pour rassurer enfin ceux quine seraient toujours pas convain- veraineté du r
cus de la légitimité d'un tel contrôle, elle invoque deux arguments assez surpre- traite, que la
nants, car paradoxaux. D'une part, elle allume un contre-feu en brandissant l'apparente ti1
la menace d'un chaos juridique au cas ou elle-même s'abstiendrait d'un tel babilité d'um
contrôle. Les juridictions pourraient alors être tentées de se lancer dans un
contrôle diffus, ce qui ferait peser une menace encore plus grande sur l'ceuvre du B.
constituam 155. Or, à supposer que la Loi fondamentale interdise à la Cour consti-
tutionnelle fédérale d'exercer un tel contrôle, cette prohibition vaudrait égale-
ment, et à plus forte raison, pour les juridictions inférieures à l'égard desquelles 661 L'attitude de
il revient d'ailleurs à la Cour de Karlsruhe d'assurer la suprématie de la consti- n'est pas de n
tution. D'autre part, la Cour admet que de toute façon il n'y a rien à craindre nité. Brun-0
puisqu'il est peu probable que le constituam viole ces exigences suprêmes de la que l'article 7
justice. D'ailleurs, en l'espece, comme dans tous les cas suivants, la Cour n'a rien entre « le Scy,
trouvé à redire aux dispositions qui lui ont été déférées 156 • l'inejfectivité
Or, le dernier argument se laisse aisément retourner contre le juge. Si la pro-
babilité d'une erreur de la part du constituam est aussi infime, voire inexistante,
comme la Cour l'a estimé, on ne voit guere l'intérêt pratique d'un contrôle juri-
158. C'est poun
dictionnel. Au contraire, le risque d'erreur du juge, notamment lorsqu'il est la possibilité d'u
amené à interpréter les normes du droit naturel, plaide plutôt pour la solution Prüfungsrecht at
inverse. Compte tenu de l'enjeu, on ne peut que souscrire aux critiques d'Apelt comester la com
Voir aussi la crit i
selon leque! il revient aux citoyens et non pas aux juges de vérifier le respect de p. 717.
ces príncipes suprêmes 157 • Une telle solution institutionnelle, quine doit pas être 159. Cf sa décis
(121) : « Tout co
post11lats Jondam
160. Voir la dé
151. BVerfGE, 3, 225 {230). On retrouvera le m&me argumem dans le débat français. Mais, contrai- 20.12.1960, BVe,
remem à son homologue allemand, le Conseil constirutionnel a refusé sa compétence. décision du 26. ·
152. Ibid., p. 235. 23.4.1991 (expro
153. Ibid. 6.10.1992 (finan,
154. !bid., p. 236. tricht), BVerfGI
155. fhid., p. 231 et 235. BVerfGE, 94, 12
156. q: O. JOUANJAN, « Révision ... », op. cit., p. 240 qui cite la liste suivante: BVerfGE, 3,288 8.10.1996 (restit1
{350) [art. 131 LF]; BVerfGE, 4, 294 {296) [art. 132 LF]; BVerfGE, 5, 85 {137 ss) [art. 21 ai. 2]; 161. B.-0. BRY
BVerfGE, 15, 126 {143 ss) [art. 134 ai. 4 LF]. fois des conditio
157. Cf W. APELT, « Erstreckt sich das richterliche Prüfungsrecht auf Verfassungsnormen? », NJW, exigeames. Selo1
1952, pp. 1-3 et BVerfGE, 3,225 {234). tionnels plus dé·
't et la justice constittttionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 637

ciel par une juridiction ordi- assimilée à une négation du droit naturel 15', est du reste conforme à la définition
onnalité d'une « !oi ». Non- classique de la souveraineté - terme que la Cour se garde bien de mentionner.
les constituants de 1949 que Le souverain est certes soumis au droit naturel, mais il n'est pas soumis à un
ôle de leur propre reuvre, la contrôle externe. C'est à lui justement que revient, en dernier lieu, la définition
aste pour inclure également précise du droit naturel et sa transposition en droit positif. En se hissant au-des-
~nt l'argument selon lequel sus du pouvoir constituam (originaire), la Cour de Karlsruhe s'est, ni plus ni
iuement la compétence du moins, arrogé ce droit du dernier mot puisqu'elle-même n'est soumise à aucun
·st elle-même le produit de la contrôle externe. En assimilam ainsi le droit et sa propre compétence, y compris
hisser au-dessus de son créa- lorsqu'il s'agit du droit naturel, la Coura fait preuve d'une audace qui n'était ni
iictionnel (. ..) est, de par son indispensable en pratique, ni justifiée au regard de la théorie moderne des droits
ie du droit » "'. Elle se défend de l'homme, de la souveraineté et du rôle du juge. À travers !'amalgame entre le
nant qu'elle n'exerce qu'une Rechtsstaat et le Richterstaat, la Cour a en revanche consolidé sur le plan théo-
:nt de la fonction législative rique son emprise sur la sphere politique, en niant ce qui fait l'essence de la sou-
:ra1ent toujours pas convain- veraineté du peuple. Cette position jurisprudentielle tres osée, quoique tres abs-
leux arguments assez surpre- traite, que la Cour a d'ailleurs confirmée en 1991 1'", tranche nettement avec
n contre-feu en brandissant l'apparente timidité du juge lorsqu'il s'agit d'appliquer l'article 79 al. 3 ou la pro-
ême s'abstiendrait d'un tel babilité d'une norme constitutionnelle inconstitutionnelle est déjà plus élevée.
intées de se lancer dans un
·e plus grande sur l'reuvre du B. Un juge qui reste en retrait en ce qui concerne
tle interdise à la Cour consti- l'application de l'article 79 ai. 3
'. prohibition vaudrait égale-
férieures à l'égard desquelles 661 L'attitude de la Cour constitutionnelle fédérale à l'égard de l'article 79 al. 3 1"º
r la suprématie de la consti- n'est pas de nature à désarmer les doutes quant à l'effectivité des clauses d'éter-
açon il n'y a rien à craindre nité. Brun-Otto Bryde, l'un des commentateurs les plus critiques, estime ainsi
:es exigences suprêmes de la que l'article 79 al. 3, à force d'être trop exigeant, n'a pas su trouver son chemin
:as suivants, la Cour n'a rien entre « le Scylla de l'arrogance judiaaire à l'égard du parlement et le Charybde de
rées 156 • l'ineffectivité » 161 • La critique vise surtout la premiere décision de príncipe de
ner contre le juge. Si la pro-
ssi infime, voire inexistante,
pratique d'un contrôle juri-
158. C'est pourtam l'argumem qu'avance W. APELT dans son deuxieme article ou il nie carrémem
;e, notamment lorsqu'il est la possibilité d'une définition objective d'un te! droit métapositif (« Erstreckt sich das richterliche
aide plutôt pour la solution Prüfungsrecht aufVerfassungsnormen? », NJW, 1952, p. 733). Dans le premier, il s'était comemé de
1scrire aux critiques d' Apelt comester la compétence du juge sans nier l'existence de la norme (cf. op. cit., p. 1 et p. 3 note 19).
Voir aussi la critique du positiviste H. NAWIASKY, « Positives und überpositives Recht »,JZ, 1954,
1ges de vérifier le respect de p. 717.
lonnelle, quine doit pas être 159. Cf sa décision du 23 avril 1991 (expropriations d'avam 1949 dans !'ex-RDA), BVerfGE, 84, 90
(121) : « Tout comme !e pouvoir constituant originaire, !e pouvoir de révision ne sattrait négliger les
postulats fondamentaux de la justice. » ,
160. Voir la décision du 12.10.1951 (Etat du sud-ouest), BVerfGE, 1, 14 (47 s); décision du
ms le, débat fra~çais. Mais, comrai- 20.12.1960, BVerfGE, 12, 45 (50); décision du 15.12.1970 (écoutes téléphoniques), BVerfGE, 30, 1;
refuse sa competence. décision du 26. 7. 1972 (unification du régime des traitemems), BVerfGE, 34, 9 (19 s); décision du
23.4.1991 (expropriations d'avam 1949 dans !'ex-RDA), BVerfGE, 84, 90 (120 s, 125 ss); décision du
6.10.1992 (financemem de la radiodiffusion), BVerfGE, 87, 181 (196); décision du 12.10.1993 (Maas-
tricht), BVerfGE, 89, 155 (172, 179 s, 208); décision du 18.4.1996 (exclusion de tome restitution),
BVerfGE, 94, 12 (33 s); décision du 14.5.1996 (droit d'asile), BVerfGE, 94, 49 (85, 102 ss); décision du
la liste suivame : BVe,jGE, 3, 288 8.10.1996 (restitution), BVerfGE, 95, 18 (60 ss); décision du 31.3.1998, BVerfGE, 97,350 (368).
rcE, 5, 85 (137 ss) [art. 21 ai. 2]; 161. B.-O. BRYDE, op. cit., Rn. 53. A ses yeux l'article 79 cumule les handicaps en prévoyam à la
fois des conditions procédurales qui som trop faciles à remplir et des limites matérielles qui som trop
1t auf Verfassungsnormen? », NJW, exigeames. Selon !ui, la meilleure garamie de la Constitution réside dans des mécanismes institu-
tionnels plus démocratiques, à savoir !' exigence d'un référendum pour chaque révision.
638 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites ma1

1970 sur les écoutes téléphoniques, ou la Cour s'est livrée à une« lecture mini- par un pouvoi
maliste » 1(,2, mais également ses décisions plus récentes ou elle a pourtant adopté principes inta1
. une apprache théorique plus large. Or, l'écart entre l'audace des prémisses fondations de
abstraires et la timidité du contrôle effectif a fait dire à un observateur français dissidents, il i1
que« la montagne avait accouché d'une souris » 103 • La Cour re
662 Au tout début, lorsque la Cour a été amenée à vérifier à titre incidem la consti- ticle 79 al. 3 q
tutionnalité d'une révision sur laquelle repose une loi attaquée, elle a hésité sur se refuse à tou
l'attitude à adopter. Tantôt, elle a l'ceil rivé sur le texte de l'article 79 al. 3 1"', tan- par cas 171 • En:
tôt elle ne le cite même pas 105 • Dans le dernier cas, elle s' est ainsi lancée dans une draits fondam
définition matérielle du noyau dur de la constitution en y incluant des príncipes elle estime qu
non prévus dans l'article 79 tels que le príncipe de praportionnalité ou l'idéal de príncipe géné
la réunification 166. Lorsqu' en 1970, la Cour est pour la premiere fois saisie direc- par l'article 7\
tement de la question de la validité d'une loi de révision 167, elle adapte un prafil évaluer la rév
extrêmement bas suscitant ainsi de vives critiques de la part de la doctrine et des au juge, l'un <
trais juges dissidents 1º'. Selon l'avis majoritaire de la Cour, l'article 79 al. 3 a estiment que
pour seule fonction d'empêcher le suicide légal de la démocratie 1º". Les juges sont pas la signific.
D' apres la Cc
néanmoins conscients du peu d'efficacité d'une telle limite. L'article 79, ainsi
cipes énoncés
compris, est en effet incapable de s' opposer de facto à l' émergence d'un mouve-
que l'on déro:
ment totalitaire au sein de la société et, a fortiori, à une prise de pouvoir par la
des « raisons e
force. Sa seule fonction - à vrai dire plus symbolique que "réelle" - consiste
à empêcher qu'un parti extrémiste n'accede aux commandes de l'État avec la 663 En 1991, dan
bénédiction de la légalité. En aucun cas, un tyran ne doit pouvoir bénéficier en ex-RDA,
de la moindre légitimité à l' égard des fonctionnaires et des citoyens en arguant de ainsi que les L
l'origine légale de son pouvoir. 11 s'agit clone de lui refuser ce droit à l'obéissance pouvoir de n
de ses sujets que l'on reconnaí't a priori à un pouvoir élu démocratiquement. En d'un ordre qu
revanche, la Cour se refuse à élargir la fonction de l'article 79 al. 3 à un second sur le plan th
objectif avancé à la fois par la doctrine et les trais juges minoritaires. Selon ces cipe d' égalité
derniers, cet article vise non seulement à interdire une révolution dite légale, toutefois qu' e
à l'instar de la fameuse loi des pleins pouvoirs de 1933, mais aussi et surtout à
empêcher en amont, ab initio, un pracessus d'érasion des draits fondamentaux
170. BVerfGE, 3
p. 331; B.-0. B
Rn. 114 s.
162. B.-0. BRYDE, Verfassungsentwicklrmg. Stabilitãt rmd Dynamik im Verfassungsrecht der BRD, 171. BVerfGE, 3
1982, p. 239. Cf aussi K. STERN, op. cit., p. 329 qui, en 1985, déplore le traitemenc « marâtre » que qui s'opposent 11
la Cour réserve à l' article 79 ai. 3. sans être extensi
163. M. FROMONT, « RFA. La jurisprudence constitutionnelle en 1990 et 1991 », RDP, 1993, 172. Jbid, p. 25.
p. 1554 concernam la deuxieme décision de príncipe de la Cour du 23 avril 1991 (BVerfGE, 84, 90). 173. lbid., p. 24
164. BVerfGE, 1, 14 (47 s). sion sur les expr
165. BVerfGE, 12, 45 (50 ss). du pouvoir de r,
166. Ce dernier principe réapparaitra d'ailleurs dans l'affaires des expropriations en ex-RDA et de l'État social.
Cf infra. des Rechts- und
167. II s'agit de la loi de révision du 24.6.1968 (BGBI., I, p. 709) qui ajoute une deuxieme phrase à achten) ». Orce
l'anicle 10 ai. 2, selon laquelle une personne peut ne pas être avenie a posteriori des mesures de sur- se trou vem exp 1
veillancc dom elle a fait l'objet. II est par ailleurs instauré un organe parlemencaire de concrôle de en effet, aux « ,:,
ces mesures à l'exclusion de tout recours juridictionnel. (singulierl). Voi
168. Cf les références doctrinales chez K. STERN, op. cit., p. 330 note 4. C'est d'ailleurs la premiere 174. Cf par ex.
fois dans l'histoire de la Cour quedes juges fone usage de leurdroit de publier une opinion dissidente. " to11cher » inter
169. BVerfGE, 30, 1 (24). II s'agit là de l'intencion historique des rédacteurs de la Loi fondamencale. 175. BVerfGE, -
Cf H.-U. EVERS, op. cit., p. 4. 176. BVerfGE, i
it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 639

st livrée à une « lecture mini- par un pouvoir de révision mal guidé. À force de démultiplier les exceptions aux
Ltes ou elle a pourtant adopté principes imangibles, le pouvoir politique risque, en effet, de saper peu à peu les
intre l'audace des prémisses fondations de l'ordre libéral et démocratique. C'est pourquoi, selon les trais juges
lire à un observateur français dissidems, il importe de s' opposer à toute dérive « des le début » 17º.
La Cour retiem également une interprétation restrictive du contenu de l'ar-
Lfier à titre incidem la consti- ticle 79 al. 3 qu' elle qualifie d' ailleurs de « disposition d'exception » 171 • Ainsi, elle
loi attaquée, elle a hésité sur se refuse à toute définition abstraite de la dignité humaine, préférant agir au cas
xte de l'article 79 al. 3 1... , tan- par cas 172 • Ensuite, elle nie tout effet d'irradiation des articles 1 et 20 vers les
:lle s' est ainsi lancée dans une droits fondamentaux consacrés notammem dans les dispositions 2 à 19. De plus,
,n en y incluam des principes elle estime que, si l'article 20 consacre certains sous-principes du Rechtsstaat, le
>roportionnalité ou l'idéal de príncipe général du Rechtsstaat n'y est pas mentionné et n'est clone pas protégé
r la premiere fois saisie direc- par l'article 79 al. 3 173 • Cette lecture restrictive permet à la Cour de ne pas devoir
'ision 167, elle adapte un profil évaluer la révision constitutionnelle à l'aune de l'article 19 qui garantit le droit
le la part de la doctrine et des au juge, l'un des éléments essentiels du Rechtsstaat. Enfin, les juges majoritaires
: la Cour, l'article 79 al. 3 a estimem que le terme « toucher (berühren) » qui se trouve à l'article 79 al. 3 n'a
L démocratie
169
• Les juges som
pas la signification tres forte et absolue que souhaite lui conférer la doctrine "'.
lle limite. L'article 79, ainsi D'apres la Cour, ce terme n'exclut que la suppression pure et simple des prín-
'.J à l'émergence d'un mouve-
cipes énoncés - c'est l'hypothese d'une révolution -, mais ne s'oppose pas à ce
l une prise de pouvoir par la
que l'on déroge «pourune situationspéciale » au principe donné, si on le fait pour
ique que "réelle" - consiste des « raisons objectives évidentes » m_ La menace d'une érosion est des lors réelle.
:ommandes de l'État avec la 663 En 1991, dans sa deuxieme décision de principe portam sur les expropriations
1 ne doit pouvoir bénéficier en ex-RDA, la Cour revient en partie sur sa position précédente. Elle admet
et des citoyens en arguam de ainsi que les droits fondamentaux soient soustraits à toute atteinte de la part du
:efuser ce droit à l'obéissance pouvoir de révision « dans la mesure ou ils sont indispensables pour le maintien
.r élu démocratiquement. En d'un ordre qui soit conforme à l'article 1, ai. 1 et 2, de la Loi fondamentale » m_ Si,
l'article 79 al. 3 à un second sur le plan théorique, la Cour inclut l'essence du droit de propriété et du prín-
juges minoritaires. Selon ces cipe d'égalité dans la sphere des normes protégées par l'article 79 al. 3, elle estime
! une révolution dite légale, toutefois qu'en l'espece le contexte particulier des négociations avec la RDA et
1933, mais aussi et surtout à
.on des droits fondamentaux
170. BVerfGE, 30, 1 (47). Lire aussi p. 38 s. En ce qui concerne la doctrine, cf. K. STERN, op. cit.,
p. 331; B.-O. BRYDE, op. cit., Rn. 28; H. DREIER, op. cit., Rn. 12 s; H.-U. EVERS, op. cit.,
Rn. 114 s.
wnik im Verfassungsrecht der BRD, 171. BVerfGE, 30, 1 (25). Cette qualification n'est pas comestée parles trais juges minoritaires (p. 38)
fplore le traitement " mdrâtre » que qui s'opposent néanmoins à toute interprétation laxiste. Celle-ci doit être « stricte et intransigednte »
sans être extensive (p. 47).
!lle en 1990 et 1991 », RDP, 1993, 172. Ibid, p. 25.
du 23 avril 1991 (BVerfGE, 84, 90). 173. Ibid., p. 24 s. La Cour n'est pas revenue sur ce point dans ses décisions ultérieures. Dans sa déci-
sion sur les expropriations en ex-RDA (BVe,fGE, 84, 90 [121]), elle a considéré que parmi les limites
du pouyoir de révision figuraiem également les « éléments fondamenldux du príncipe de l'État de droit
es des expropriations en ex-RDA et de l'Etat social, qui se trouvent consacrés dans l'article 20 ai. I et 3 (Ebenso sind gnmdlegende Elemente
des Rechts- und Sozialstaatsprinzips, die in Art. 20 Abs. I und 3 GG zum Ausdruck kommen, zu
) qui ajoute une deuxieme phrase à dchten) ».Orce disant, elle énonce seulement J'immutabilité des sous-principes de l'État de droit qui
!rtie d posteriori des mesures de sur- se trouvent expressémem consacrés à l'article 20. La subordonnée (« qui se trouvent ... ») ~e rattache,
rgane parlementaire de contr8le de en effet, aux « éléments fondamentaux » et non pas au « príncipe de l'Etat de droit et de l'Etat socidl »
(singulier!). Voir aussi BVerfGE, 94, 49 (104).
J note 4. C'est d'ailleurs la premiere 174. Cf par ex. K. STERN, op. cit., p. 331; H. DREIER, op. cit., Rn. 15. D'apres eux, le terme
t de publier une opinion dissidente. « toucher » interdit toute dérogation, même exceptionnelle, au principe ainsi figé.
rédacteurs de la Loi fondamemale. 175. BVerfGE, 30, 1 (24). Ce poim est confirmé par BVerfGE, 84, 90 (121).
176. BVerfGE, 84, 90 (121).
640 Les liens entre la démocratie, !e droit et la justice constitutionnelle Les limites ma1

!'URSS ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle de la réunification - qui que les limites
pourtant ne fait pas partie des principes énoncés à l'article 79 ai. 3 177 - justifient rappel de sa tb
que !e gouvernement de la RFA n'ait pas insisté pour obtenir de ses interlo- roger sur la na
cuteurs internationaux l'invalidation des confiscations effectuées en RDA avant la LF. S'il s'agi
1949, alars qu'il !'a obtenue pour celles ayant eu lieu apres cette date. Sur ce comme l' a afli
point, la Cour fait preuve d'un grand réalisme alars même qu'elle consacre sur Or, en l'espec
un plan abstrair l'immutabilité du droit de propriété et du principe d'égalité. Ce entre le droit <
dernier est même élevé au rang de principe de droit naturel s'imposant au pou- « à la dispositi1

voir constituam (originaire) 178 • primer en tant


664 Le même pragmatisme transpara1t aussi dans la décision concernam !e traité de à l'égard du p1
Maastricht. Elle reconna1t ainsi la validité du nouvel article 23 LF énonçant les 665 11 s' avere ains
bases constitutionnelles de la participation de l'Allemagne à l'Union euro- ailleurs que d
péenne. Selon les juges, !e principe de démocratie consacré par l'article 20 et clause d'éterr
garanti par l'article 79 ai. 3 ne s'oppose pas à l'adhésion de la RFA à une struc- reflete, renfon
ture supranationale, contrairement à ce qu'affirmaient les requérants qui défen- vie, ce n' est p;
daient une vision strictement nationale de la démocratie '". Encare faut-il que être la volont
cette institution internationale soit à son tour légitimée démocratiquement. Or, raison de l'ar·
de l'avis de la Cour, dans l'état actuel des choses, il n'y a pas d'atteinte au prin- consensus est
cipe démocratique nonobstant le discours récurrent sur !e déficit démocratique tion par le jug
des instances européennes. Cela risque toutefois de se produire dans l'avenir si s' engager dan:
jamais !e processus d'intégration neva pas de pair avec une démocratisation plus péril sa propn
poussée, grâce au renforcement du rôle soit des parlements nationaux, soit du hard cases - o
parlement européen 180 • La décision des juges de Karlsruhe, qui évacuent égale- intangible "º. 1
ment l'argument de l'atteinte à !' étaticité de la République fédérale d' Alle- tous les comn
magne "', vaut dane sim pie avertissement, cerres tres ferme, pour le futur. Mais, plus, valeur sy
les réticences de la Cour à affronter directement le pouvoir de révision appa- dra de toute
raissent surtout dans sa décision sur !e droit d'asile 181 • Celui-ci fut restreint par !e détient la fon
nouvel article 16 a de la LF, introduit par la révision du 28 juin 1993. D'apres la pour arrêter 1
Cour, !e pouvoir de révision dispose « d'zme large marge de mana:uvre » même d'une révolut
lorsqu'il s'agit d'une révision relative à un droit fondamental "3. Selon une for- d'éternité cor
mule qui n'est pas sans rappeler la décision du Conseil constitutionnel du 2 sep-
tembre 1992, !e pouvoir de révision « est libre d'un point de vue juridique pourvu
184. Ibid.
185. Jbid., p. 10.1
186. Ibid., p. 10:
Anschütz. En l lJ
177. Cf la critique de O. PFERSMANN, « La révision constitutionnelle en Autriche et en Alle- d'affirmer que tu
magne fédérale. Théorie, pratique, limites», La révision de la Constittttion,]oumée d11 20 mars 1992 187. Ibid., p. 101
organisée par l'Association française des comtit11tion11alistes, Paris, Aix-en-Provence, Economica, 188. Cf la concl
PUAM, 1993, p. 55. jurisprudences d,
178. BVerfGE, 84, 90 {121). 189. K. STERN
179. BVerfGE, 89, 15~ {184). D'apres les requérams, la souveraineté doit être exercée dans son inté- des clauses d'éte1
gralité au niveau de l'Etat nation, par des organes légitimés parles seuls citoyens nationaux et dans 190. Cf B.-0. B
le cadre d'un débat politique qui a lieu uniquement dans la langue ... nationale. 191. Cf B.-0. B
180. BVerfGE, 89, 155 (172, 181 ss). juge de donner 1,
181. De l'avis de la Cour, l'Union européenne ne constitue qu'une simple confédération d'États tution (« W.,rn· r
souverains et non pas un Etat fédéral. L'argument est clone inopérant. 192. L'exemple
182. Cf M. BRENNER, « Mêiglichkeiten und Grenzen grundrechtsbezogener Verfassungsande- instructif. Si, au
rungen dargestellt anhand der Neuregelung des Asylrechts », Der Staat, 1993, pp. 493-526. de l'armée qui, a
183. BVerfGE, 94, 49 (85). Cf supra n" 86.
it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 641

~lle de la réunification - qui que les limites fixées par l'article 79 al. 3 ne soient pas enfreintes » 1" . Suit alars un
l'article 79 al. 3 177 - justifient rappel desa these d'irradiation développée en 1991 qui amene la Cour à s'inter-
pour obtenir de ses interlo- roger sur la nature précise du droit d'asile garanti par l'ancien article 16 al. 2 de
.ons effectuées en RDA avant la LF. S'il s'agit d'un droit fondamental participam à la dignité de l'être humain,
lieu apres cette date. Sur ce comme l'a affirmé jadis la Cour 185 , la révision risque d'être inconstitutionnelle.
rs même qu'elle consacre sur Or, en l'espece, la Cour se rétracte de ses affirmations antérieures quant au lien
:é et du principe d'égalité. Ce entre le droit d'asile et l'article 1 et affirme que le droit fondamental d'asile est à
it naturel s'imposant au pou- « à la disposition du pouvoir de révision » • Celui-ci pourrait carrément le « sup-
186

primer en tant que te!» " . C'est dire que la protection des droits fondamentaux
1

:ision concernam le traité de à l'égard du pouvoir de révision connalt pour le moins des failles.
,e} article 23 LF énonçant les 665 II s'avere ainsi que la véritable garantie de l'article 79 al. 3 doit être cherchée
Allemagne à l'U nion euro- ailleurs que dans une protection juridictionnelle quelque peu aléatoire 188 • La
! consacré par l'article 20 et clause d'éternité puise en réalité ses forces dans un consensus social qu'elle
ésion de la RFA à une struc- reflete, renforce et rappelle si besoin 18". Si la démocratie libérale se maintient en
ient les requérants qui défen- vie, ce n' est pas tant grâce à l' attitude du juge - lequel n' aniles moyens ni peut-
ocratie 1" . Encare faut-il que être la volonté de s'opposer à un éventuel suicide de la démocratie -, qu'en
mée démocratiquement. Or, raison de l'attachement des citoyens et des élus aux institutions. Lorsque ce
n'y a pas d'atteinte au prin- consensus est rompu, soit sur un sujet précis soit dans son intégralité, sa protec-
t sur le déficit démocratique tion par !e juge s'avere délicate. Dans !e premier cas de figure, la Cour hésitera à
~ se produire dans l'avenir si s'engager dans un bras de fer avec le pouvoir majoritaire par peur de mettre en
,ec une démocratisation plus péril sa propre légitimité, et ce d'autant plus lorsqu'il s'agit de cas litigieux - les
.rlements nationaux, soit du hard cases - ou la solution dépendra entierement de l'interprétation de la norme
1rlsruhe, qui évacuent égale- intangible 1'°. Quant à l'hypothese d'une révolution paralégale ou pseudolégale,
:Zépublique fédérale d' Alle- tous les commentateurs sont d'accord pour dire que le veto du juge aura, tout au
:s ferme, pour le futur. Mais, plus, valeur symbolique ou morale m. L' exécution effective desa décision dépen-
e pouvoir de révision appa- dra de coute maniere des acteurs politiques, à commencer par l'exécutif qui
1. Celui-ci fut restreint parle détient la force publique. L'intervention du juge risque d'être déjà trop tardive
1 du 28 juin 1993. D'apres la pour arrêter la !ame de fond. Jusqu'à ce jour, l'histoire ne conna1t pas d'exemple
narge de manceuvre » même d'une révolution arrêtée par une simple décision de justice 191 • Ainsi les clauses
ndamental 18'. Selon une for- d'éternité contenues dans les constitutions d'apres-guerre des Lander de la zone
;eil constitutionnel du 2 sep-
10int de vue juridique pourvu
184. lbid.
185. Ibid., p. 103 ou la Cour cite elle-même sa jurisprudence amérieure.
186. lbid., p. 103. L'expression n'est pas anodine et rappelle la formule utilisée jadis par Gerhard
Anschütz. En 1933 encore, le célebre commemateur de la Constitution de Weimar ne craignait pas
urionnelle en Autriche et en Alle- d' affirmer que toute la constitution était « à la disposition » du pouvoir de révision.
nscit11tion, Jo11mée d11 20 mars 1992 187. Ibid., p. 104. ,
ris, Aix-en-Provence, Economica, 188. Cf la conclusion similaire de E. ZOLLER, Droit constitutionnel, op. cit., p. 88 et 92 au vu des
jurisprudences de la Cour suprême américaine et de la Cour constitutionnelle allemande.
189. K. STERN, op. cit., p. 3}0. Cf H.-U. EVERS, op. cit., Rn. 70. Sur la fone valeur symbolique
eté doit être exercée dans son imé- des clauses d'éternité, cf P. HABERLE, « Verfassungsrechtliche ... », op. cit., p. 103.
es seuls citoyens nationaux et dans 190. Cf B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 52 et la biblio. citée par H.-U. EVERS, op. cit., Rn. 71.
,e ... nationale. 191. Cf B.-0. BRYDE, op. cit., Rn. 28. Selon H. DREIER, op. cit., Rn. 12 il reviem simplemem au
juge de donner le signal d'alarme pour avertir les autres acteurs des menaces qui pesem sur la consti-
'une simple confédération d'États tution (« W.,rn- und Signa/fu,nktion »).
!ranr. 192. L'exemple du coup d'Etat fomemé parle prince-électeur de Hesse en 1850 est, !à encore, tres
lrechtsbezogener Verfassungsande- instructif. Si, au début, la Cour d'appel de Kassel a pu s'y opposer avec succes, c'est grâce au soutien
-Staat, 1993, pp. 493-526. de l'armée qui, arguam de son sermem sur la constitution, refusait de suivre les ordres du monarque.
Cf supra n" 86.
642 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites m

soviétique n'ont guere empêché l'instauration d'un régime communiste totali- ni même ler
taire "3. L'inscription d'une clause du type de l'article 79 al. 3 dans une consti- cation du tra
tution n'est toutefois pas dénuée de toute utilité pratique: elle sert à rappeler les lable, serait j
conditions a priori de toute démocratie, qui seules d'ailleurs devraient en faire ce noyau du1
partie. Mais ses véritables destinataires sont les citoyens et les élus. C'est en gar- nalité » - qt
dant à l'esprit ces leçons tirées de l'expérience allemande qu'il convient mainte- !e principe e
nant d'aborder le cas de la France. parfois confl
1992 (Maast1

Section II.
L'ÉBAUCHE D'UNE THÉORIE A. l
DE LA SUPRACONSTITUTIONNALITÉ EN FRANCE
667 Si une parti<:
nalité sans ét
On verra tout d'abord les conditions dans lesquelles le débat doctrinal sur la la doctrine jl
supraconstitutionnalité est né (§ 1) avant de procéder à l'analyse de la réponse tutionnalité
assez ambigue que le Conseil constitutionnel y a apportée (§ 2). « Cette prétt
Vedel, que ,,
§ 1. ORIGINE ET RESS0RTS D'UNE POLÉMIQUE dique » 1º'. C
natttrel sa co
d'une « peri,
666 À ]'instar de ce qui s'est passé en Allemagne, le débat sur le traité de Maastricht attentatoire ,
a fait resurgir, de façon abrupte, le theme de la supraconstitutionnalité en
-hypothesé
France. Si outre-Rhin, le processus d'intégration européenne a réactivé un
vide dans le
concept largement marqué par le passé nazi en lui insufflant un nouveau
s' agit tout at
contenu - le fameux principe de l'étaticité de la RFA -, du côté français, il a
dissiper 20'. I:
contribué à l'exhumation d'un sujet jusque-là ignoré par la majorité de la doc-
trine. La question n'est pas neuve : débattu sous la ill' République'", le theme 668 Le sujet tou
de la supraconstitutionnalité est repris en 1984 par Stéphane Rials 195 • Recon- vieilles quer
naissant lui-même qu'il ne s'agit là que « d'un avatar, partiel et tardifdans sa pro- terme à cet
blématique, du droit naturel » '"", ce dernier prêche cependant dans le désert face non néglige;
à une doctrine qui se veut majoritairement positiviste. Tout change avec le débat ment la supr
sur !e traité de Maastricht. L'idée de limites matérielles au pouvoir de révision d'aucuns cn
se trouve alors propulsé sur le devant de la scene juridique et politique, et ce frontieres pt
notamment à l'instigation de Léo Hamon 197 • Selon lui, il y aurait au sein du bloc viste. Si le e
de constitutionnalité des principes si fondamentaux que nul pouvoir politique,

198. Sur ]' évoc


193. P. HÃBERLE, op. cit., p. 103. tionnelle en vu
194. Cf supra n" 634. « La pratique i,

195. S. RIALS, « Les incenitudes de la notion de constitution sous la V" République », RDP, 1984, 199. O. BEAL;
pp. 587-606 et sunout « Supraconstitutionnalité et systématicité du droit », APD, t.31, 1986, pp. 57- nique de jurisp1
76. Dans un texte ultérieur, l'auteur a néanmoins révisé ses positions en ce qui concerne plus 200. C/D.G. l
spécialement le rôle du juge. Cf S. RIALS, « Entre anificialisme et idôlatrie », l.e déb,1t, 1991, n" 64 201. G. VEDF
(Le droit contre la poli tique?), p. 163-181. 202. G. VEDF
196. S. RIALS, « Supraconstitutionnalité ... », op. cit., p. 59. 203. G. VEDF
197. Cf son intervention lors du colloque La constittttion et l'Europe. ]011rnée d'étude au Sénat du 204. Cf B. M.
25 mars 1992, Paris, Montchrestien, 1992, p. 222 ainsi que la critique du doyen Vedei pp. 23-31. Voir quelques réalit,
aussi L. HAMON, « La souveraineté nationale, la Constitution et les négociations européennes en 205. G. VEDF
cours », Da/foz, 1991, chron. LV, p. 301 ss. 206. Cf supra 1
it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 643

n régime communiste totali- ni même le pouvoir constituam dérivé, ne pourrait y toucher. Des lors, la ratifi-
icle 79 al. 3 dans une consti- cation du traité de Maastricht, qui nécessite une révision constitutionnelle préa-
atique : elle sert à rappeler les lable, serait juridiquement impossible dans la mesure ou celle-ci empiéterait sur
; d'ailleurs devraient en faire ce noyau dur de príncipes constitutionnels intangibles - la « supraconstittttion-
,yens et les élus. C'est en gar- nalité » - qui inclut non seulement les droits de l'homme, mais aussi et surtout
nande qu'il conviem mainte- le príncipe de la souveraineté nationale. De là nart une polémique violente et
parfois confuse à laquelle la décision du Conseil constitutionnel du 2 septembre
1992 (Maastricht II) n'a pas véritablement mis un terme .

.J"E THÉORIE A. Le theme provocateur de la supraconstitutionnalité


ITÉ EN FRANCE
667 Si une partie de l'échiquier politique a utilisé le theme de la supraconstitution-
nalité sans états d'âme pour lutter contre le traité de Maastricht 198 , la majorité de
~lles le débat doctrinal sur la la doctrine juridique a été plutôt « agacée » 1"9, voire scandalisée 2ºº. La supraconsti-
:ler à l'analyse de la réponse tutionnalité dérange et suscite des réactions virulentes. Les mots se décharnent.
Jportée (§ 2). « Cette prétendue supraconstitutionnalité » ne serait, selon les dires du doyen
Vedel, que « l'un des avatars, mais l'avatar supérieur (proche du Nirvana) du juri-
:; POLÉMIQUE dique » 201 • Cette « mystérieuse "supra-constitutionnalité" qui empnmte au droit
naturel sa commode plasticité et au droit positif sa vertu de contrainte » releverait
d'une « perversion latente de la logique juridique » qui serait en fin de compre
at sur le traité de Maastricht
attentatoire à l'idéal démocratique 2º2• Elle laisserait le choix entre la foi en Dieu
supraconstitutionnalité en
- hypothese peu probable dans une société agnostique - et la sacralisation d'un
européenne a réactivé un
vide dans lequel viendrait s'incruster le gouvernement des juges 103. Bref, il ne
lui insufflant un nouveau
s'agit tout au plus que d'un « mythe »que« quelques réalités » ne tarderont pas de
~A -, du côté français, il a
dissiper 2 D'aucuns ne se privem d'ailleurs pas d'ironiser sur ce « super-droit » 20;.
1).\.
ré par la majorité de la doc-
ill" République"', le theme 668 Le sujet touche à deux cardes sensibles. 11 risque, d'une part, de réveiller les
1r Stéphane Rials 1•,;_ Recon- vieilles querelles d'écoles entre jusnaturalistes et juspositivistes, en mettant un
r, partiel et tardif dans sa pro- terme à cet indifférentisme méthodologique sur lequel repose, pour une part
ependant dans le désert face non négligeable, le succes du constitutionnalisme contemporain 20,,_ Non seule-
:e. Tout change avec le débat ment la supraconstitutionnalité pose à nouveau la question du droit naturel que
elles au pouvoir de révision d'aucuns croyaient déjà définitivement réglée, mais en outre elle brouille les
iuridique et politique, et ce frontieres puisqu'elle fait apparaí'tre des fissures au sein même du camp positi-
ui, il y aurait au sein du bloc viste. Si le courant d'auteurs emmenés par Georges Vedel s'oppose, au nom de
: que nul pouvoir politique,

198. Sur l'évocation du sujet dans les débats parlementaires, cf C. GREWE, « La révision constitu-
tionnelle en vue de la ratification du traité de Maastricht», RFDC, 1992, p. 421 et 426; D. MAUS,
« La pratique institutionnelle françajse », RFDC, 1992, p. 501 ss.
us la V' République », RDP, 1984, 199. O. BEAUD, La p11issance de l'Etat, Paris, PUF, 1994, p. 329. Voir aussi L. FAVOREU, « Chro-
lu droit », APD, t. 31, 1986, pp. 57- nique de jurisprudence du Conseil constitutionnel », RFDC, 1992, p. 735.
iositions en ce qui concerne plus 200. Cf D.G. LAVROFF, Le droit constit11tionnel de/,, V' Républiq11e, 2' éd., Paris, Dalloz, 1997, p. 124.
et idôlatrie », Ledéb,a, 1991, n" 64 201. G. VEDEL in La Constitution et l'E11rope, op. cit., p. 24.
202. G. VEDEL, « Schengen et Maastricht», RFDA, 1992, p. 179.
203. G. VEDEL, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, 1993, n" 67, p. 94 s.
'11rope. ]011rnée d'ét11de ,111 Sén,1t d11 204. Cf B. MATHIEU, « La supra-constitutionnalité existe-t-elle? Réflexions sur un mythe et
1ue du doyen Vedei pp. 23-31. Voir quelques réalités », LPA, n" 29 du 8 mars 1995, pp. 12-17.
!t les négociations européennes en 205. G. VEDEL in La Constit11tion et l'Europe, op. cit., p. 24.
206. Cf supra n" 420.
644 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites ma

leur idéal juspositiviste et démocratique, à l'idée des limites matérielles à la révi- deux des troi
sion, l'école d'Aix en admet, au contraire, la validité en s'inscrivant dans le 1949, George:
sillage des idées de Kelsen 2º7 • D'autre part, l'acceptation de la supraconstitution- ce qm concer
nalité ébranlerait la position du Conseil constitutionnel au sein du paysage ins- tionnelles de
titutionnel français. Nonobstant l'évolution des mentalités depuis 1971, la légi- G. Vedel est a
timité de la justice constitutionnelle en France reste fragile ainsi que le prouve le dant pas l'inv
discours récurrent sur le spectre du gouvernement des juges. Selon le discours ci qualifie la
dominant chez les constitutionnalistes français, qui est d'ailleurs spécifique à publics, y co1
l'hexagone'º', la légitimité du juge tient à ce qu'il n'a pas le dernier mot face au Constitution
pouvoir politique. « Si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, et derniere ac
le souverain, à la condition de paraítre en majesté comme constituant peut, dans une droit constitt
sorte de lit de justice, briser leurs arrêts. » 'º'' Dans la mesure ou le pouvoir de révi- interna tio na!
sion est libre de toute contrainte, il peut s'opposer à toute dérive du juge dont le 670 Même si l'on
pouvoir est ainsi jugulé. Or, en s'arrogeant le droit de contrôler les lois consti- vers un autre
tutionnelles, les neufs sages de la rue Montpensier scieraient la branche sur reste des plus
laquelle ils sont assis. On serait alors face à un gouvernement des juges, au sens 1. Ceux e
historique du terme"º. qu'un t
le doye
B. Quelques réflexions liminaires sur les mots et les "choses" toute l
constir·
669 Il n'est pas toujours aisé de cerner le débat français en raison de l'enchevêtrement 2. Le cas i
des questions et de l'ambigui"té des mots. Le désaccord au sein de la doctrine sur publici
l'usage du terme pouvoir constituant, et à plus forte raison de celui de supracons- d'Aqui
titutionnalité, semble total. Objet de toutes les railleries, ce dernier prête le flanc racmes
aux polémiques. Le préfixe supra indique un au-delà, un « amont de la constitu- ment l
tion »'", qui, de l'avis des auteurs positivistes, ne saurait résider que dans les limites
brumes d'un droit naturel honni, à moins de viser par là la supériorité du droit tent pc
internacional sur le droit constitutionnel. La supraconstitutionnalité ne serait 3. Ceux e
alors qu'une application du principe de la primauté du droit international au tutiorn
domaine spécifique des normes à valeur constitutionnelle 212 • On retrouve ainsi

teres de la supr.a
207. Sur la docrrine de Kelsen qui admettait la validité des limitations matérielles explicitement constitutionnel
contenues dans le droit positif, cf. C. KLEIN, op. cit., p. 11_2 ss et H. EHMKE, op. cit., p. 27 ss. Pour 213. G. VEDE
l'école d'Aix, cf. l'ouvrage collectif L. FAVOREU, P. GAIA, R. GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, p. 11~- C'est
A. ROUX, O. PFERSMANN & G'. SCOFFONI, Droit constitutionnel, 1"' éd., Paris, Dalloz, 1998. D. METAXA'
208. L'argument n'est guere évoqué dans la doctrine allemande ou il n'aurait d'ailleurs pas de sens 1970, 119 p., sr
au vu du droit positif. Cf H.-U. EVERS, op. cit., Rn. 99. 214. M. OUVI
209. G. VEpEL, « Schengen et Maastricht», op. cit., p. 180. constittttionnel
2)0. Selon Edouard LAMBERT (Le gouvemement des jttges et la lutte contre la législation sacia/e aux lemem employ
Etats-Unis. L 'expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitmionnalité des fois, Paris, Giard, 215. R. CHAI
1921) qui a inventé le terme français, le contrôle juridictionnel des révisions constitutionnelles Les cours de d
constitue le critere par excellence du gouvernemem des juges. Cf M.H. DAVIS,« A Governmem of interne au pou
Judges: An Historical Re-View », American }011rnal ofCompara tive Law, vol. 35, 1987, pp. 559-580. originaire, il le
211. S. RIALS, « Supraconstitutionnalité ... », op. cit., p. 59. Voir aussi A. BALDASSARRE, 216. C. K.LEF
« Aspects théoriques et historiques de la supraconstitutionnalité »,}SLC, vol. 15, 1993, pp. 325-336; 217. Voir aussi
G. ZAGREBELSKY, « La supraconstitutionnalité en tant que présupposition historico-culturelle de des droits fone
la constitution »,JSLC, vol. 15, 1993, pp. 451-459. souffre toutefo
212. Sur l'optique internationale de la supraconstitutionnalité, cf. les divers articles de L. FAVOREU; 218. Comme'
les contributions sur le droit européen in]SLC, vol. 15, 1993, pp. 359-44 I; G. GONDOUJN, « Des mys- ficialisme et id
t et la jmtice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 645

s limites matérielles à la révi- deux des trais acceptions historiques du terme de supraconstitutionnalité. En
idité en s'inscrivam dans le 1949, Georges Vedel désigne par ce terme les idées de Duguit et de Hauriou en
tion de la supraconstitution- ce qui concerne la supériorité des droits de l'homme sur les trais lois constitu-
mnel au sein du paysage ins- tionnelles de 1875, théorie que lui-même récuse au nom du juspositivismem. Si
emalités depuis 1971, la légi- G. Vedel est ainsi l'un des premiers à employer ce néologisme, il n'en est cepen-
: fragile ainsi que le prouve le dam pas l'inventeur. Des 1946, on trouve le mot chez Maurice Duverger: celui-
des juges. Selon le discours ci qualifie la loi du 2 novembre 1945, qui regle l'organisation des pouvoirs
ui est d'ailleurs spécifique à publics, y compris de l'Assemblée constituante, jusqu'à l'adoption de la future
'a pas le dernier mot face au Constitution de la IV' République, de « supraconstitutionnelle » 2". Une troisieme
'est parce que, à tout moment, et derniere acception se trouve ensuite chez René Chapus qui, dans son cours de
me constitttant peut, dans une droit constitutionnel de 1968-69, évoque sous ce terme la suprématie du droit
1esure ou le pouvoir de révi- international sur la constitution 215 •
L toute dérive du juge dont le 670 Même si l'on fait abstraction de cette derniere dimension qui naus emmenerait
de comrôler les lois consti- vers un autre sujet, l'usage du terme de supraconstitutionnalité dans le débat actuel
er scieraient la branche sur reste des plus complexes. À ce sujet, on peut identifier quatre catégories d'auteurs:
,ernemem des juges, au sens 1. Ceux qui récusent l'existence d'une supraconstitutionnalité qui n'est
qu'un énieme avatar du droit naturel; leur porte-parole emblématique est
le doyen Georges Vedel qui, au nom d'un « positivisme bon teint » 216 , nie
, mots et les "choses" toute limite juridique et juridictionnelle de droit interne au pouvoir
constituam originaire et dérivé, les deux étant assimilés.
1 raison de l'enchevêtrement 2. Le cas isolé 217 de Stéphane Rials qui, en s' appuyant à la fois sur la doctrine
,rd au sein de la doctrine sur publiciste classique de la Ill' République et sur les écrits de saint Thomas
raison de celui de supracons- d' Aquin, affirme l' existence de normes supraconstitutionnelles dont .les
ries, ce dernier prête le flanc racines puisent dans le droit naturel. 11 en déduit le caractere intrinseque-
à, un « amont de la constitu- mem limité du pouvoir constituam (originaire) ainsi que la validité des
saurait résider que dans les limites matérielles au pouvoir de révision. Le juge serait du reste compé-
nr là la supériorité du droit tem pour en imposer le respect aux acteurs politiques 118 •
1constitutionnalité ne serait 3. Ceux qui, à l'instar de Louis Favoreu, se servem du terme de supraconsti-
:é du droit imernational au tutionnalité pour désigner les limites matérielles, inscrites notammem
mnelle 212 • On retrouve ainsi

teres de la supra-constitutionnalité à la logique fédéraliste. Réflexions sur la jurisprudence du Cansei!


1itations matérielles explicitement constitutionnel », Mélanges G. Peiser, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1995, p. 305 ss.
H. EHMKE, op. cit., p. 27 ss. Pour 213. G. VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitlltionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 120 s. Voir aussi
GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, p. li~. C'est dans ce sens que le terme est utilisé, avec approbation, par Anastase-Jean
tionnel, 1"' éd., Paris, Dalloz, 1998. D. METAXAS, Constit11tion et légitimité existentielle, Aix-en-Provence, Librairie de l'université,
ou il n' aurait d' ailleurs pas de sens 1970, 119 p., spéc. p. 20 note 1, p. 76, p. 78, et plus récemmem par S. Riais.
214. M. DUVERGER, Cottrs de droit constittttionnel, 3' éd., Paris, Sirey, 1946, p. 240; id., Droit
constit11tionnel et institutions politiques, 1"' éd., Paris, PUF, 195~, p. 452. Par la suite, le terme est éga-
lutte contre la législation sacia/e a11x lement employée au sujet de la !oi du 3 juin 1958. Cf A.-J. METAXAS, op. cit., p. 64.
,tittttionnalité des /ois, Paris, Giard, 215. R. CHAPUS, Cozm de droit constit11tionnel et d'instit11tions politiq11es (Licence), 1968-69, Paris,
,1 des révisions constitutionnelles Les cours de droit, pp. 248-260. L'auteur évoque aussi la question d'éventuelles limites de droit
M.H. DAVIS,« A Government of interne au pouvoir constituam: s'il récuse avec fermeté de telles limites pour le pouvoir constituam
•ve Law, vol. 35, 1987, pp. 559-580. originaire, il le fait avec beaucoup moins de conviction pour ce qui est du pouvoir constituam dérivé.
Voir aussi A. BALDASSARRE, 216. C. KLEIN, op. cit.,,p. 167.
»,}SLC, vol. 15, 1993, pp. 325-336; 217. Voir aussi S. ARNE, « Existe-t-il des normes supra-constitutionnelles? Contribution à l'étude
:supposition historico-culturelle de des droits fondamentaux et de la constitutionnalité », RDP, 1993, pp. 459-512 dom la démarche
souffre toutefois d'un certain éclectisme.
les divers articles de L. FAVOREU; 218. Comme on l'a dit, S. Riais est revenu sur ce dernier point dans un article ultérieur (« Entre arti-
'-441; G. GONDOUIN, « Des mys- ficialisme et idolâtrie », op. cit. ).
646 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites m~

dans le texte de la constitution, que le pouvoir constituam dérivé ne sau- de révision, ii


rait transgresser sous peine d'être sanctionné parle juge 21 ". aux périodes a
4. Ceux qui récusent le terme de supraconstitutionnalité en raison de sa gée ou poursu
connotation jusnaturaliste 22 º. Sur ce point sémantique, ils se séparent du tionnel et, d',
doyen Favoreu avec qui ils som néanmoins d' accord pour dire que le pou- ticle 89 en 'V,
voir de révision est limité par la Constitution de 1958 et est susceptible révision •: !e J
d'être censuré par le Conseil constitutionnel. Ces auteurs se fondent en modifier ou d,
général soit sur la théorie de Schmitt (ex. Olivier Beaud) soit sur la théo- qu'il estime aJ
rie de Kelsen (ex. Otto Pfersmann). Sur le plan sémantique, cela se traduit 672 Face à l'ambii
par une multitude de formules de substitution 221 • doute et hésit
On voit dane que divers courams théoriques s'emremêlem dans ce débat, minologie en
chacun véhiculant ses propres termes et concepts. Quant au Conseil constitu- cise. Ainsi il
tionnel, il a rendu une décision sibylline dont les ambigui"tés n'ont fait que s' agit en l' esp
rebondir la querelle doctrinale. dérivé21'. La lc
soit le pouvo
§ 2. LES « MYSTERES »m DE LA JURISPRUDENCE MAASTRICHT II alars il ne sau
le ma1tre; soi
DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
susmentionrn
à la fois, sauf (
671 Le Conseil constitutionnel a été confromé à la question des limites du pouvoir tion de l' épid
de révision dans sa décision du 2 septembre 1992 (Maastricht II). À l'époque, le sion qui reste
Congres venait de réviser la Constitution par la loi constitutionnelle du 25 juin Est-ce dire qt
1992 afin d'éliminer tous les obstacles à la ratification du traité de Maastricht, supposer qu'i
que le Conseil constitutionnel avait idemifiés dans sa décision Maastricht I du s'appliquent 1
9 avril 1992 223 • C'est dane au lendemain de cette révision que plus de soixante de l'article li
sénateurs saisissent le Conseil en vertu du nouvel article 54. Ils estiment que ledit limites et qm
traité reste incompatible avec la Constitution de 1958 puisque le pouvoir consti- que n'évoque
tuam dérivé ne pouvait, en aucune façon, toucher au principe à valeur supra- tent pour en
constitutionnelle de la souveraineté nationale. Dans leur décision du 2 sep- confirmé ni i1
tembre 1992, les neufs sages du Palais Royal estimem au contraire qu'en l'espece La décisior
il ne subsiste aucune incompatibilité. En ce qui concerne l'étendue du pouvoir Le Conseil pi
succinctes; il
auditoire 22 '. S
219. Cf L. FAVOREU, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Po11voirs, 1993, nº 67 (La sou-
veraineté), pp. 71-77; id, « Révision de la constitution ct justice constitutionnelle. La France », AJJC,
t. X, 1994, pp. 105-118. Cf aussi G. DRAGO, Contentiettx constiwtionnel /rançais, op. cit., 1998,
p. 270 ss et 358 s. 224. e.e. 92-31.
220. En ce sens: O. Pfersmagn in L. FAVOREU et alii, Droit constiwtionnel, p. 112 et 137; 225. Si certains
O. BEAUD, La puissance de l'Etat, op. cit., p. 348 s et 491; O. JOUANJAN, « La forme républi- DOUIN, op. cit.
caine ... », op. cit., p. 271 ss. Le terme est également récusé par C. KLEIN, op. cit., p. 162- constitutionnali r
163 et D. ROUSSEAU, Droit d11 contentie11x constit11tionnel, 5° éd., Paris, Momchrestien, 1999, parée, vol. 15, 19'
p. 208 ss. vérifier la consrn
221. O. Pfersmann parle d'une « constitutiomialité supérie11re » (in L. FAVOREU et alii, Droit consti- nel, op. cit., 1998
t11tionnel, p. 112) ou encare de la distinction hiérarchique au sein même de la constitution entre le 226. D. ROUSS
« droit consti1111iunnel simple » et le « druil constitutionnel jimdamental » (p. 137). O. Beaud oppose
227. D. ROUSL
surtout « l'acte constiwant »à« l'acte de ré-vision » (cf. par ex. op. cit., p. 474). II lui arrive toutefois de constittttionnel, 1
distinguer la« constittttion » et les « fois constiwtionnelles » (p. 351) ou les « dispositions constiwtion- (2' pareie), op. cú
nelles intangibles » par opposition aux « dispositions constitutionnelles ré-visables » (p. 349). 228. Pour une a1
222. G. GONDOUIN, op. cit. droit positif, cf. '
223. C.C. 92-308 DC, R., p. 55. 229. D. ROUSS
>it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 647

oir constituam dérivé ne sau- de révision, ils considerem « que sous réserve, d'une part, des limitations touchant
: parle juge 2". aux périodes au cours desquelles une révision de la constitution ne peut pas être enga-
itutionnalité en raison de sa gée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitu-
émantique, ils se séparent du tionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquieme alinéa de l'ar-
l'accord pour dire que le pou- ticle 89 en vertu desquelles "la forme républicaine ne peut faire l'objet d'une
.on de 1958 et est susceptible révision': le pouvoir constituant est souverain; qu'il !ui est loisible d'abroger, de
el. Ces auteurs se fondem en modifier ou de compléter les dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme
1
livier Beaud) soit sur la théo- qu 'il estime appropriée » 1".
an sémantique, cela se traduit 672 Face à l'ambigu"ité de ce propos, certains membres de la doctrine furem pris d'un
)Il 221.
doute et hésiterent sur la portée exacte de ce considérant 225 • II faut dire que la ter-
s'emremêlem dans ce débat, minologie employée par le Conseil constitutionnel est particulieremem impré-
:. Quant au Conseil constitu- cise. Ainsi il parle du « pouvoir constituant », sans autre qualificatif, alars qu'il
es ambigu:ités n'om fait que s' agit en l' espece sinon du pouvoir de révision, au moins du pouvoir constituam
dérivé 21". La logique n'est pas non plus au rendez-vous, carde deux choses l'une:
soit le pouvoir en question (quelle que soit sa dénomination) est souverain et
DENCE MAASTRICHT II alars il ne saurait être lié par des limites de droit positif dom il est par définition
ONNEL
le maí'tre; soit il est limité par celles-ci, mais alars il n' est pas souverain au sens
susmentionné 227 • Le soi-disant « pouvoir constituant » ne peut être les deux tout
à la fois, sauf à penser que le Copseil constitutionnel a retenu ici une autre accep-
estion des limites du pouvoir tion de l' épithete souverain 228 • A ces ambigu"ités s' ajoutent les lacunes d'une déci-
Maastricht II). À l'époque, le sion qui reste emierement muette sur la procédure à suivre pour une révision.
,i constitutionnelle du 25 juin Est-ce dire que l'usage de l'article 11 pour réviser la Constitution est licite? À
ttion du traité de Maastricht, supposer qu'il le soit, faut-il conclure que les limites évoquées par le Conseil
1s sa décision Maastricht I du s'appliquent non seulement à la procédure de l'article 89, mais également à celle
révision que plus de soixame de l'article 11? Enfin, à supposer que les limites évoquées soient de véritables
·ticle 54. Ils estimem que ledit limites et que l'on sache sur quel fondement théorique elles reposem - point
158 puisque le pouvoir consti- que n'évoque guere le Cansei!-, il reste à savoir si ce dernier s'estime compé-
ir au principe à valeur supra- tem pour en vérifier le respect. Dans sa décision Maastricht II, le Conseil n'a ni
)ans leur décision du 2 sep- confirmé ni infirmé sa compétence juridictionnelle.
nt au contraire qu'en l'espece La décision du Conseil constitutionnel peche ainsi par une certaine obscurité.
mcerne l'étendue du pouvoir Le Conseil procede par vóie d'autorité en se limitam à une motivation des plus
succinctes; il n' essaie ni d' expliquer ni de justifier sa démarche à l' égard de son
auditoire 22•. S'il ne s'est pas contenté de retranscrire tel que! le texte de la Consti-
lité », Po11voirs, 1993, n" 67 (La sou-
constitutionnelle. La France », AJJC,
mstit11tionnel /rançais, op. cit., 1998,
224. C.C. 92-312 DC, 2 septembre 1992 (Maastricht II), R., p. 76 (considérant 19).
>roit constitutionnel, p. 112 et 137; 225. Si certains s'abstiennent de choisir entre les deux lectures possibles (cf. par ex. G. GON-
. JOUANJAN, « La forme républi- DOUIN, op. cit., p. 297), d'autres changent d'avis. Cf par ex. G. DRAGO qui en 1993 (« La supra-
:é par C. KLEIN, op. cit., p. 162- constitutionnalité. Présentation et problématique générales »,]ottmées de la société de législation com·
5' éd., Paris, Montchrestien, 1999, parée, vol. 15, 1993, p. 318) estimait que le Conseil constitutionnel s'était déclaré incompétent pour
vérifier la constitutionnalité des !ois constitutionnelles. Dans son manuel (Contentie11x constit11tion·
:in L. FAVOREU et alii, Droit consti· nel, op. cit., 1998, p. 270 s et 359), il opte plurôt pour la these de la compétence du Conseil.
:in même de la constitution entre le 226. D. ROUSSEAU, op cit., p. 209.
,mental,, (p. 137). O. Beaud oppose 227. D. ROUSEAU, op. cit., p. 210; L. FAVOREU & L. PHILIP, Les grandes décisions d11 Cansei!
cit., p. 474). II !ui arrive toutefois de constitutionnel, 10' éd., Paris, Dalloz, 1999, p. 841 et 84+; O. BEAUD, « Maastricht et la théorie ... »
151) ou les « dispositions constit11tion· (2' pareie), op. cit., p. 9; C. KLEIN, op. cit., p. 165.
melles révisables ,, (p. 349). 228. Pour une autre signification du terme souverain qui serait compatible avec l'idée de limites de
droit positif, cJ. mpra n" 367.
229. D. ROUSSEAU, op cit., p. 209.
648 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites 171'1

tution 230 , puisqu'il y ajoute ou en retranche des éléments, sa contribution au en 1958 23\ et,
débat reste assez maigre. Face à l' ambigu"ité de la décision Maastricht II, chaque cratie. li s'agi
camp de la doctrine a cru pouvoir y déceler la con:firmation desa propre these: ment le rôle e
les uns retiennent surtout la fin du considérant alars que les autres insistem, au et les droits ,
contraire, sur le début de la phrase. Or, il s'avere que la lecture proposée par s' autodétruiré
G. Vede! doit être rejetée en raison de ses apories (A). II faut clone retenir la lec- tance. Car da
ture minoritaire, défendue par L. Favoreu, O. Beaud et d'autres, qui semble la ceuvre qu'est 1
seule solution valable en l'espece (B). populaire : d
volonté, ce qt
A. Les apories de la lecture vedélienne portée de ma:
et du pouvoir
1º Le refus d'une limitation de la souveraineté de la génération actuelle G. Vede! défe
l'article 28 d,
673 De l'avis de la majorité de la doctrine qui se range à la these du doyen Vedel, leur défendue par
cause a été entendue par la Conseil puisque celui-ci a déclaré que « le pouvoir place à sa cré
constituant est souverain » 23 '. La présence de l'adjectif souverain, qui ne se trouve dessus de ce r
point dans le texte de l'article 89 de la Constitution - pas plus que celui de pou- de cet ordre d,
voir constituant -, semble devoir emporter la conviction : en se ralliant ainsi à puisque le s01
la sémantique de G. Vedel, le Conseil constitutionnel en aurait également repris intervenir qu,
les présupposés théoriques 232 • En effet, selon le doyen, « le pouvoir constituant l'optique de (
dérivé n'est pas un pouvoir d'une autre nature que le pouvoir constituant initial: la légalité, sans 1
Constitution !ui donne sa procédure (qtti, d'ailleurs, peut faire l'objet elle-même doit être visil:
d'une révision comme le prouve la foi constittttionnelle du 3 juin 1958) elle ne bome étatique pour
point son étendue (car même la prohibition concemant la forme républicaine du celui-ci était e
Gouvernement portée à l'article 89, demier alinéa, serait tenue en échec par une
révision de ce même demier alinéa) » m.
Cette these de l'assimilation de ces deux pouvoirs, que l'on qualifie faussement
235. II s'agit toul
de positiviste 234 , s'inspire, d'une part, de l'histoire constitutionnelle française, qui Congres abandor
a connu à deux reprises la révision de la clause de révision, d'abord en 1940 puis sion du 3 juin 19'
constituant au gi:
p. 153-158; B. GI
é/émentaire de dn
230. Contra G. GONDOUIN, op. cit., p. 301. 1940, alors que e,
231. Cf G. VEDEL, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p. 86 s, 90; J. GICQUEL, blissement de la i
Droit constitutionnel et institrttions politiq11es, 12' éd., Paris, Momchrestien, 1993, p. 180 et p. 519; 236. Cf R. BAD
M. TROPER, op. cit.; B. MATHIEU, op. cit., p. 12 ss; B. GENEVOIS, « Les limites d'ordre juri- placer la Rép11blú1
dique à l'imervemion du pouvoir constituam», RFDA, 1998, pp. 909-921; R. BADINTER, « Le ment, tottt est pen
Conseil constitutionnel et le pouvoir constituam », in Libertés. Mélanges]. Robert, Paris, Mom- La pttissance de l'l
chrestien, 1998, pp. 217-225; G. GONDOUIN, op. cit., p. 301; D.G. LAVROFF, Le droit constit11- 237. Cf G. VED
tionnel de la V Rép11bliq11e, 2' éd., Paris, Dalloz, 1997, p. 124 ss. Plus ambigu : G. BURDEAU, fois à la théorie s,
E HAMON & M. TROPER, Droit constit11tionnel, 25' éd., Paris, LGDJ, 1997, p. 52 s et p. 454 s. de souverain une
232. On pourrait y ajouter le fait que dans un article ultérieur à la décision Maastricht II, Robert 238. Comme ie ,
Badimcr, qui présidait le Conseil constitutionnel en 1992, a confirmé - à titre personnel bien jours présent. Q11.
emendu - l'interprétation de G. Vedei. parole d11 cré,lleto
233. G. VEDEL, « Schengen et Maastricht», op. cit., p. 179. repose po11r laisser
234. Cf la critique de O. PFERSMANN, « La révision constitutionnelle en Autriche et en Alle- (cité d'apres G. J\
magne fédérale ... », op. cit., p. 52: « On imp11te ici à 11ne approche positiviste d'introduire 11ne hypothese que le débat sous
additionnelle d'interprétation, selon laqttelle 10111 ce qui n 'est pas défendtt est permis. Or 11ne telle 239. On verra pi
démarche n'est pas positiviste, mais idéaliste, p11isq11 'elle projette ainsi dans 11n ordre j11ridiq11e donné 11ne d'accéder, à pani
regie qtti fui est de prcmier abord exté1-ie11re, c,,r il se po11rrait j11stement q11e le droit positif en dispose légalité.
a11trenzent. » 240. G. VEDEI.
et la justiée constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constittttionnelle 649

émems, sa contribution au en 1958 21 5, et, d'autre part, d'une conception dynamique et fluide de la démo-
:ision Maastricht II, chaque cratie. li s'agit d'une théorie formaliste de la démocratie qui n'integre aucune-
:mation de sa propre these : mem le rôle constitutif de certains principes a priori comme le suffrage universel
; que les autres insistem, au et les droits de l'homme. Le souverain démocratique peut tout faire, même
1ue la lecture proposée par s'autodétruire 23 6, et ce à tout moment. Ce dernier point n'est pas sans impor-
). Il faut clone retenir la lec- tance. Car dans le modele vedélien le souverain subsiste au sein même de son
d et d'autres, qui semble la reuvre qu'est la constitution. Ainsi serait garamie la continuité de la souveraineté
populaire : chaque génération doit pouvoir imposer, à tout moment, sa propre
volomé, ce qui n'est possible que si le pouvoir souverain est immédiatement à sa
:délienne portée de mainm. D'ou la these de l'identité du pouvoir constituant originaire
et du pouvoir constituam dérivé - un seul et même pouvoir souverain - que
la génération actuelle G. Vedel défend au nom d'un idéal démocratique qui doit beaucoup à l'esprit de
l'article 28 de la Déclaration des droits de 1793. Il écarte ainsi l'hypothese,
a these du doyen Vedel, leur défendue par certains auteurs 2", selon laquelle le pouvoir constituam cede la
i a déclaré que « le pouvoir place à sa création, une fois celle-ci établie, et ne subsiste qu'en dehors ou au-
f souverain, qui ne se trouve dessus de ce réseau de pouvoirs constitués. Le souverain est alors absent au sein
- pas plus que celui de pou- de cet ordre de compétences réglées parle droit positif- ce qui n'est que logique
lction : en se ralliam ainsi à puisque le souverain est au-dessus du droit positif - et dans lequel il ne peut
:1 en aurait égalemem repris imervenir que de l'extérieur, par la voie d'une révolution. En revanche, dans
ren, « le pouvoir constituant l'optique de G. Vedel, le peuple doit pouvoir exercer sa souveraineté en toute
Juvoir constituant initial: la légalité, sans être obligé de commettre un acte révolutionnaire 219 • Le souverain
peut faire l'objet elle-même doit être visible. Il doit être présent à tout moment au sein de l'organigramme
'du 3 juin 1958} elle ne bome étatique pour qu'il puisse notamment censurer le juge constitutionnel si jamais
nt la forme républicaine du celui-ci était entraí'né dans une dérive vers un gouvernemem des juges''°.
erait tenue en échec par une

que l'on qualifie faussement


235. II s'agit tour d'abord de la loi de révision du 10 juillet 1940 par laquelle le parlement réuni en
1stitutionnelle française, qui Congres abandonne le pouvoir constituam au Maréchal Pérain. Le deuxieme cas vise la loi de révi-
,ision, d' abord en 1940 puis sion du 3 juin 1958 qui, par dérogation à l'article 90 de la Consritution de 1946, attribue le pouvoir
constituant au gouvernement du Général de Gaulle. Cf l'exposé de C. KLEIN, op. cit., p. 72-83 et
p. 153-158; B. GENEVOIS, op. cit., p. 913 ss. Apres la guerre, G. VEDEL confirme dans son Manuel
élémentaire de droit constillltionnel de 1949 (p. 277), la validité de la loi constitutionnelle du 1O juillet
1940, alors que cet acre a éré jugé nul et non avenu par l'ordonnance du 9 aoíit 1944 relarive au réta-
op. cit., p. 86 s, 90; J. GICQUEL, blissement de la légalité républicaine.
1tchrestien, 1993, p. 180 et p. 519; 236. Cf R. BADINTER, op. cit., p. 223 : « Si !e pettple est souverain, rien ne pettt !ui interdire derem-
EVOIS, « Les limites d'ordre juri- placer la République par tm autre régime, même odie11x »; J. GICQUEL, op. cit., p. 519: « Politiq11e·
,p. 909-921; R. BADINTER, « Le ment, tout est pem;is au pouvoir constituam. » Lire aussi le propos de G. Vedei cité par O. BEAUD,
,. Mélanges}. Robert, Paris, Mom- La puissance de l'Etat, op. cit., p. 333.
D.G. LAVROFF, Le droit constilll· 237. Cf G. VEDEL, « Souveraineté et supraconstiturionnaliré », op. cit., p. 91 sou il s'oppose à la
:s. Plus ambigu : G. BURDEAU, fois à la rhéorie selon laquelle il n'y a jamais eu de souverain et à la rhéorie selon laquelle il n'y a plus
is, LGDJ, 1997, p. 52 s et p. 454 s. de souverain une fois la constitution érablie.
\ la décision Maastricht II, Robert 238. Comme le disait d'aman PORTALIS : « On parle du pouvoir constituam comme s'il était tott·
onfirmé - à titre personnel bien jours présent. Quand la constitt<tion d',m peuple est établie, le pouvoir constit11ant disparaít; c'est la
parole du cré,llettr qui com mande une fois pour go11vemer to11jo11rs; c'est sa main toute puissame qui se
repose pour laisser agir les causes secondes, apres avoir donné le mouvement et la vie à tora ce q11i existe»
utionnelle en Autriche et en Alle- (ciré d'apres G. BURDEAU, Essai ... , op. cit., p. XIII). Cf aussi les idées de Sieyes et de Schmitt ainsi
1ositiviste d'imroduire tme hypothese que le débat sous la Charte de 1830 (C. ROY, op. cic., p. 104).
,s défendu est permis. Or une telle 239. On verra plus rard que cette these pose quelques problemes logiques, car il est impossible
i dans rm ordre jttridique donné une d'accéder, à partir de la légalité, à un pouvoir souverain qui, par définirion, se situe au-dessus de la
went que le droit positif en dispose légaliré.
240. G. VEDEL, « Souveraineté et supraconstitutionnaliré », op. cit., p. 92 ss.
650 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constittttionnelle Les limites mt1

674 Or, la these de la souveraineté du pouvoir de révision se trauve contredite à pre- À ce premi
miere vue parle drait positif, à savoir la Constitution de 1958 qui prévoit trais métajuridiqm
catégories de limites à l'égard de celui-ci : 1) des limites pracédurales qui !ui existem certc
donnent sa forme et sa structure (art. 89, voire l'article 11); 2) des limites ratione condition de
temporis qui sont au nombre de trais (art. 7, 16"', 89 ai. 4); 3) une limite maté- pouvoir limit
rielle qui garantit le caractere républicain du gouvernement. I1 semble des lors pouvmr souv1
impossible de faire émerger de cette compétence strictement encadrée et limitée se tirant par !1
- par des limites de drait positif - un pouvoir souverain qui, par définition, ne légale, tous 1(
saurait être lié par des limitations de drait positif. À cela la doctrine dominante inséré. À l'ap
rétorque que ces soi-disant limites n' en sont pas véritablement; du moins, elles la clause de r
ne sont pas des limites« intangibles » 242 • Deux arguments radicalement différents blique. La do
s'imbriquent dans cette réponse. Selon un premier discours ouvertement prôné diverses limir
par G. Vedel, mais récusé par une partie des auteurs de ce premier groupe, ces général négli
limites sont inexistantes puisqu'elles sont dénuées de tout fondement. Selon le démontre dai
doyen, il n'existe ni une hétéralimitation du souverain - est visé par là !e drait de la lecture r
naturel -, ni même une autolimitation 241 • Or, à tout prendre, cet argument pra-
prement nihiliste interdit de concevoir aucune limite juridique, même simple- 2° Critique
ment formelle. I1 n'y a plus de drait. À partir de cette prémisse, il est parfaite-
ment vain de vouloir construire une norme juridique, puisqu'à tout moment le 675 La validité de
souverain - dont on suppose qu'il n'a pas besoin du dróit pour exister""- peut, défaire, à toui
selon son bon plaisir, faire primer sa volonté sur le drait. En tout cas, il n'est s'ériger lui-mi
guere besoin de recourir à une double révision pour supprimer la limite maté- le pouvoir de
rielle car, comme l'a dit Olivier Jouanjan, « nu! n'a à contoumer un obstacle de la souverai
inexistant » 245 • tant, par hyp
révision. On
constiwé, su p
mêmetempo
voyant la pm
241. La limite temporelle de l'anicle 16 est le résultat d'une imerprétation prétorienne du Cansei! pourrait égale
qui n'allait pas de sai. La doctrine n'était pas unanime sur ce point. Cf D. ROUSSEAU, op. cit., introduit qu' t
p. 206-207; L. FAVOREU, « Chronique de jurisprudence du Cansei! constitutionnel », RFDC, 1992,
dement de l' a
p. 737.
242. B. GENEVOIS, op. cit., p. 913. , conditions d,
243. G. VEDEL, Man11el..., op. cit., p. 117 (« Le po11voir constilllant étant /e po11voir mprêmede l'Etat auteurs vont
ne pertt être lié, même par /11i-même »); id., « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p. 90;
«Schengen ... », op. cit., p. 178 ou il récuse la regle patere legem quam ipse fecisti. Dans le même sens:
P. AVRIL & J. GICQUEL, Droit pariementa ire, Paris, Momchrestien, 1988, p. 192-193; J. GIC-
QUEL, Droit constit11tiom1el el instit11tions politiques, 11< éd., p. 198. Se situam à équidistance à la
fois des définitions postivisites du droit que des théories du droit naturel, G. Vede! doit des lors
avouer son incapacité de définir ce qu'est !e droit. Cf G. VEDEL, « Indéfinissable mais présent », 246. Cf par ex.
Droits, n" 11, 1990, pp. 67-71. ipse fecisti; R. Bi
244. On pense évidemment à un roí qui existe, physiquemem, avant et en dehors du droit. Encare dérivée d'une rh·1
faudrait-il relativiser ce propos car sa qualité de souverain découle en príncipe de la !oi de succession l'ordre constit11ti1.
royale. Quoi qu'il en soit, une telle vision devient absurde lorsqu'il s'agit d'un souverain démocra- son exercice, et q11
tique (parlement, peuple). Celui-ci est nécessairement un organe complexe et abstrair qui a besoin de voir constituam
normes pour exister "réellement". Cf s11pr<1 n" 276 ss (Latham) et Il" 606. ruralistes de la t
245. O. JOUANJAN, « La forme républicaine ... », op. cit., p. 275. De même J. BARTHÉLEMY droit, cf. s11pra n
& P. DUEZ, op. cit., p. 231, apres avoir nié la validité juridique des limitations marérielles quine 247. C'est d'aill,
som que« de simplesvceux, sansforce juridiq11e obligatoire », affirmaiem qu~ « tortt dli p/11s » on devrait la révision du 1O
effectuer une double révision « po11r respecter les fonnes et la procédure ». A travers ce bour de phrase pris la peine de '
« tottl a11 p/11s » se joue le sonde la these de l'autolimitation. sion de 1884, de
it et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 651

on se trouve contredite à pre- À ce premier argument s'ajoute un second qui admet, au contraire, le postular
ion de 1958 qui prévoit trais métajuridique d'une autolimitation formelle"''. Des lors, les limites matérielles
limites procédurales qui lui existent certes, mais elles sont amovibles. Le pouvoir de révision pourrait, à
ide 11); 2) des limites ratione condition de respecter les formes prévues, s'en débarrasser à tout instant. De
89 al. 4); 3) une limite maté- pouvoir limité, le pouvoir constituam dérivé se hisserait lui-même au rang de
ernement. Il semble des lors pouvoir souverain, à l'instar du Baron Münchhausen qui s'extrait d'un marais en
rictement encadrée et limitée se tirant parles cheveux ... Il suffit au pouvoir de révision d'éliminer, par la voie
;'erain qui, par définition, ne légale, tous les obstacles légaux pour se libérer de ce carcan dans lequel il est
'\ cela la doctrine dominante inséré. À l'appui desa these, G. Vedel cite la tradition française des révisions de
ritablement; du moins, elles la clause de révision dont les origines remontent à la doctrine de la III' Répu-
nents radicalement différents blique. La double révision permettrait ainsi de changer, voire de supprimer les
discours ouvertement prôné diverses limites formelles et matérielles. Le cas des limites temporelles est en
rs de ce premier groupe, ces général négligé. Or, e' est justement cette derniere catégorie de limites qui
de tout fondement. Selon le démontre clairement les apories de la these vedélienne et qui confirme la justesse
rain - est visé par là le droit de la lecture minoritaire de la décision Maastricht II.
1t prendre, cet argument pro-
1ite juridique, même simple- 2° Critique
ette prémisse, il est parfaite-
ue, puisqu'à tout moment le 675 La validité de la these vedélienne tient à ce que le pouvoir de révision puisse se
1droit pour exister 2H - peut, défaire, à tout moment, de toutes les limites prévues par la constitution, a:6.n de
le droit. En tout cas, il n'est s'ériger lui-même en souverain. Il suffit clone qu'il existe une seule hypothese ou
1r supprimer la limite maté- le pouvoir de révision s'avere incapable de contourner la barriere qui le sépare
n 'a à contoumer un obstacle de la souveraineté pour que la théorie s'effondre d'elle-même. Admettons un ins-
tant, par hypothese, le príncipe de la validité de coute révision de la clause de
révision. On doit alors admettre que le pouvoir de révision pourrait, une fois
constiwé, supprimer selon son bon plaisir les limites procédurales, matérielles et
même temporelles. Il pourrait ainsi contredire le Conseil constitutionnel en pré-
voyant la possibilité d'une révision en période d'application de l'article 16. Il
erprétation prérorienne du Conseil pourrait également abroger le dernier alinéa de l'article 7 qui, d'ailleurs, n'a été
JOim. Cf D. ROUSSEAU, op. cit., introduit qu'en 1962 parle fameux référendum décidé par de Gaulle sur le fon-
1seil constitutionnel », RFDC, 1992,
dement de l'article 11. Mais, tant que le pouvoir de révision n'a pas modi:6.é les
conditions de la révision, celles-ci s'imposent intégralement à lui 247 • Certains
mt étant !e po11voir s11prême de l'État auteurs vont même jusqu'à dire que dans ce cas de :figure spéci:6.que le Conseil
1eonstitutionnalité », op. cit., p. 90;
1am ipse fecisti. Dans le même sens :
1restien, 1988, p. 192-193; J. GIC-
198. Se situam à équidistance à la
uit naturel, G. Vedei doit des lors
:L, « lndéfinissable mais présem ", 246. Cf par ex. B. GENEVOIS, op. cit., p. 909 qui admet la validité de la regle patere legem quam
ipsefecisti; R. BADINTER, op. cit., p. 219 : « Le pouvoir constitu,mt, lorsqu'il s'exerce sous la fom1e
1vam et en dchors du droit. Encore dérivée d'une révision, est souverain. Mais il n 'est pas pour a11tant discrétionnaire. S'il pettt tottt faire dans
e en príncipe de la !oi de succession l'ordre constitutiormel, il est ten11 de !e faire en respectant les dispositions mêmes qq'il s'est assignées pour
:u'il s'agit d'un souverain démocra- son exercice, et que, sa11f révision préalable, il s'est obligé à respecter. » Dans un « Et,tt de droit », le pou-
:omplexe et abstrait qui a besoin de voir constituam « petlt torlt faire, mais pas n 'importe comment " (p. 220). Sur les présupposés jusna-
t n'' 606. turalistes de la these d'aurolimitation, dissimulés en l'occurrence derriere la référence à l'Etat de
275. De même J. BARTHÉLEMY droit, cf supra n" 517 ss.
i des limitations matérielles qui ne 247. C'est d'ailleurs ce qui a permis à G. Berlia et J. Laferriere de justifier l'inconstitutionnalité de
1aiem que « tortt ,m plus ,, on devrait la révision du 10 juillet 1940. Avant d'accorder les pleins pouvoirs à Pétain, le Congres n'avait pas
;dure ». À travers ce bout de phrase pris la peine de supprimer préalablemem l'anicle 8 de la !oi de 1875 qui imerdisait, depuis la révi-
sion de 1884, de roucher à la forme républicaine du gouvememem.
652 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constittttionnelle
1 Les limites n;

constitutionnel serait compétent pour censurer une révision effectuée en dehors mot clé ne ~
des formes prévues 248 • le dit avec
Or, supposons maintenam que le pouvoir de révision ait laissé en vigueur ces réserve" - lc
limites temporelles et que, tout à coup, l'un des cas qu'elles prévoyaiem se réa- et précise, en
lise. On pourrait ainsi imaginer que, du jour au lendemain, le territoire français ter. » m Si le '
soit envahi par des forces étrangeres, que le présidem de la République applique de révision)
l'article 16, ou encare que le chef de l'Etat décede ouvram ainsi une période d'in- fait, que celt
térim de la présidence. Dans chacune de ces trois situations, le pouvoir de révi- voir discrét
sion est incapable de naí'tre en raison des limites ratione temporis. A fortiori, il ne manreuvre 1
saurait non plus se libérer des contraintes que lui im pose la Constitution de 1958. diques et jur
Le pouvoir souverain ne pourrait alors émerger que par un acte révolutionnaire, consacre le
au mépris des regles légales. C' est justemem cette hypothese pré cise - que l' on le respect de
a évité par pur hasard en 1958 m - qui démomre de façon non équivoque que le deux aspect
pouvoir de révision est limité par le droit positif. S'il s'arroge la souveraineté, nécessairem
il transgresse la barriere qui sépare logiquement une compétence du pouvoir chant au fo1
souverain, les pouvoirs constitués du pouvoir constituam. 11 commet un coup
d'État ou une révolution. ll est donc impossible, sous peine de commettre une 1° Lefondl
« fattte de logique » 'ª, de ranger dans une même catégorie deux instances d'une
2

nature aussi différente que le pouvoir constituam, qui en tant que souverain est 677 Ce premier
au-dessus du droit positif, et le pouvoir de révision, qui en tam que pouvoir normes à l'
constitué, est soumis au droit positif. Reste maimenam à clarifier dans quelle concevoir d,
mesure il l'est. sion 255 • Leu1
seule limite
B. La subordination du pouvoir de révision à la Constitution deuxieme g1
renforcée d,
676 Une minorité tres active d'auteurs a toujours comesté la lecture vedélienne. Elle vedélien d\
défend une interprétation dissidente de la jurisprudence Maastricht II dom le sion - pou
d'une inten
limites de d
de ce dernit
248. En ce sens : B. CHANTEBOUT, Droit constitmionnel et science politiq11e, 15" éd., Paris,
A. Colin, p. 46 (il y admet la these de la double révision, qui, d'apres !ui, n'est exclue que si la clause a été étayée
d'éternicé se déclare elle-même imangible ce qui n'est pas le cas en l'espece) et p. 604 note 1 (ou il un imérêt c
estime que le Conseil s'est déclaré compétent pour vérifier le respect de l'article 89 ai. 5); français cor
F. LUCHAIRE, « L'Union européeenne et la Constitution », RDP, 1992, p. 1591 s; M. TROPER,
« La notion de principes constitutionnels », op. cit., p. 343. Ainsi, au sein de ce que l'on pourrait
s' en fait éga
appeler la mouvance vedelienne, il n'existe pas moins de trois courants différents. Selon le premier, changerde (
il n' existe ni une hétérolimitation ni une aucolimitation du souverain : aussi le pouvoir constituam constitutio11
peut-il faire tout et n'impone commem. Selon une deuxieme approche, le pouvoir constituam se
doit de respecter les regles formelles prévues pour coute révision. Ainsi l'abolition de la République
serait inconstitutionnelle en l'absence d'une révision préalable de l'art. 89 ai. 5. Selon une premiere
variante de ce modele (R. Badimer, B. Genevois), cet acte aussi inconstitutionnel soit-il ne pourrait
néanmoins être déféré au Conseil constitutionnel, alors que pour les défenseurs de la seconde 251. Cf O. Bl
variante (B. Chamebout, M. Troper) le juge constitutionnel est cout à fait compétent pour censurer 252. D.ROU
unte! acre. 253. e.e. 92-.
249. On se rappelle en efiet que l'anicle 90 de la Constitution de 1946 prévoyait un délai minimum 254. 0.BEAl
de trois mois entre le vote de la résolution de l'Assemblée nationale qui définit les anicles de la P· 9.
constitution à réviser et l' élaboration de la révision. En 1958, cet obstacle a pu êcre évité grâce au 255. En ce sei
fait que l'Assemblée nationale avait déjà adopté en 1955 une résolution statuam qu'il y avait lieu de tion du pouv,
réviser l'article 90. Cf C. KLEIN, op. cit., p. 88-89. 256. Voir son
250. O. BEAUD, « Maastricht ... », op. cit., p. 15. p. 320 ss (Cari
t et la jusúce constittttionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 653

'. révision effectuée en dehors mot clé ne serait pas celui de« souverain », mais celui de« limites » 251 • Comme
le dit avec assurance Dominique Rousseau : « Par deux petits mots - "sous
'ision ait laissé en vigueur ces réserve" - !e Cansei! pose !e príncipe desa compétence sur les lois constitutionnelles
s qu'elles prévoyaient se réa- et précise, ensuite, les points sur lesquels son contrôle pourrait, le cas échéant, por-
tdemain, le territoire français ter. » 152 Si le Conseil acertes qualifié le pouvoir constituam (en réalité le pouvoir
nt de la République applique de révision) de souverain, il ne l'a fait que dans un sens impropre pour dire, en
1vrant ainsi une période d'in- fait, que celui-ci dispose d'un certain « pouvoir d'appréciation » 253 , bref d'un pou-
ituations, le pouvoir de révi- voir discrétionnaire sur leque! personne ne peut revenir's-i. Mais sa marge de
ione temporis. A fortiori, il ne manreuvre n'est que relative puisqu'elle est encadrée par certaines limites juri-
pose la Constitution de 1958. diques et juridictionnelles. Car, aux yeux de ces auteurs, la décision Maastricht II
: par un acte révolutionnaire, consacre le principe de la compétence du Conseil constitutionnel pour assurer
1ypothese précise - que l' on le respect des limites constitutionnelles parle pouvoir de révision. Toutefois, ces
: façon non équivoque que le deux aspects méritent d'être traités séparément, puisque l'un ne découle pas
S'il s'arroge la souveraineté, nécessairement de l'autre. On abordera clone ici les trois questions suivantes tou-
me compétence du pouvoir chant au fondement, au contenu et à la sanction juridictionnelle de ces limites.
stituant. 11 commet un coup
ous peine de commettre une 1º Le fondement des limites juridiques au pouvoir de révision
tégorie deux instances d'une
qui en tant que souverain est 677 Ce premier point est crucial pour comprendre le degré d'impérativité de ces
)n, qui en tant que pouvoir normes à l'égard du pouvoir de révision. Comme on l'a vu, il est possible de
:enant à clarifier dans quelle concevoir des limites au pouvoir de révision à partir de la these de la double révi-
sion 255 • Leur portée est simplement des plus réduites et se résume en fait en une
seule limite, à savoir l'exigence de la regle de la double révision. Les auteurs du
,ion à la Constitution deuxieme groupe, qui est tres hétéroclite, affirment au contraire une normativité
renforcée de la clause de révision à l'égard du pouvoir de révision. Au modele
sté la lecture vedélienne. Elle vedélien d'une liberté totale du pouvoir de révision à l'égard de la clause de révi-
1dence Maastricht II dom le sion - pourvu que tout se passe dans les formes prévues -, ils opposent l'idée
d'une interdiction plus ou moins absolue d'y toucher. Ils fondent la validité des
limites de droit positif au pouvoir de révision sur le príncipe de la subordination
de ce dernier au pouvoir constituam (originaire) qui seul est souverain. La these
'et science politiq11e, 15" éd., Paris,
1pres !ui, n'est exclue que si la clause a été étayée par Olivier Beaud à l'aide de la théorie de Carl Schmitt, qui suscite
s en l'espece) et p. 604 note 1 (ou il un intérêt croissant en France dans les années 1990, mais aussi grâce à des auteurs
,r le respect de l'article 89 ai. 5); français comme Sieyes, Carré de Malberg et Burdeau ' 5". Dominique Rousseau
WP, 1992, p. 1591 s; M. TROPER,
msi, au sein de ce que ]' on pourrait s' en fait également l' écho lorsqu'il affirme que « modifier la Constitution n 'est pas
ourams différems. Selon le premier, changer de Constitution; c'est procéder à des aménagements qui respectent !e travai!
verain : aussi le pouvoir constituam constitutionnel des peres fondateurs, adapter !e texte aux évoltttions politiques sans
approche, le pouvoir constituam se
1. Ainsi l'abolition de la République
de l'art. 89 ai. 5. Selon une premiere
inconstitutionnel soit-il ne pourrait
pour les défenseurs de la seconde 251. Cf O. BEAUD, L1 puissance de l'État, op. cit., p. 473.
tout à fait compétem pour censurer 252. D. ROUSSEAU, op. cit., p. 206.
253. C.C. 92-312 DC, 2 septembre 1992 (Maastricht II), R., p. 76 (considéram 39).
le 1946 prévoyait un délai minimum 254. O. BEAUD, op. cit., p. 474 et « Maastricht et la théorie constitutionnelle ... » (2' partie), op. cit.,
,tionale qui définit les articles de la p. 9.
cet obstacle a pu être évité grâce au 255. En ce sens l'imitulé de l'article de B. GENEVOIS (« Les limites d'ordre juridique à l'imerven-
:olution statuam qu'il y avait lieu de tion du pouvoir constituam ») n'est pas dfonué de sens.
256. Voir son ouvrage La p11issance de l'Etat, op. cit., p. 323 et 340 ss (Schmitt), p. 316 ss (Sieyes),
p. 320 ss (Carré de Malberg), p. 322 et 324 (Burdeau).
654 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constittttionnelle Les limites m.i

remettre en cause le schéma initial » "'. L'infhience de la théorie kelsenienne est ride 89 ai. 5.
aussi perceptible chez des auteurs comme Louis Favoreu et Otto Pfersmann. De procédure de
l'avis du premier, la référence aux événements de 1958 - et cela vaut à plus forte contenu du n
raison pour l'acte dit loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 - n'est pas perti-
nente en raison du caractere exceptionnel des circonstancesm. À ses yeux, révi- 2º La délimi
ser l'al. 5 de l'article 89 avant de réviser le caractere républicain du régime revien- de la V J;
drait à un « détournement de procédure » 259 • O. Pfersmann arrive à la même
conclusion à partir d'un raisonnement logique qui s'inspire du paradoxe de 679 Sur ce point,
Ross"'º. Donc, les limites matérielles au pouvoir de révision contenues dans la demment !'ar
Constitution som absolument inaltérables, et ce même en l'absence de toute vernement ».
prescription explicite en ce sens. mettent tous
678 Reste à savoir cependant si !e pouvoir de révision pourrait, à sa guise, modifier strict point e
la procédure de révision, autrement dit si les conditions formelles et temporelles ment la «/01
de révision font à leur tour partie des limites matérielles. Cette question n'est pourrait en e
évoquée ni parles uns ni parles autres. Dans le modele schmittien, ces deux der- concept glob
nieres catégories de limites bénéficient également de l'immutabilité dans la ration des po
mesure ou elles som l'expression de la volonté du pouvoir constituant. Or, en lité, la Ja·icit
l'espece, l'application de la théorie schmittienne pose quelques difficultés pour s'interroger ~
les deux limites ratione temporis de l'article 16 et de l'article 7 ai. 11, qui, à pre- nement»: so
miere vue, ne sont guere l'reuvre du constituam (originaire). La premiere résulte elle ne vise q
d'une interprétation du juge, qui ne découle pas de façon évidente du texte de mode de dés
1958. La deuxieme n'a été introduite que parle référendum de 1962. O. Beaud derniere hyp
voit toutefois dans la votation populaire de 1962 non pas un acte de révision, 1884. Or, un
adopté par la procédure irréguliere de l'article 11, mais un véritable acte du pou- la seule valai:
voir constituam souverain 261 • À suivre ce raisonnement, il faudrait clone l'espece pui~
admettre que l'article 7 ai. 11 est inaltérable au même titre que les alinéas 1 à 5 peuple) lom
de l'article 89. Quant à l'article 16, son statut reste en suspens. On peut néan- ticle 89 ai. 5
moins considérer un autre schéma théorique qui est celui de la théorie de question gén
Ehmke. De ce point de vue, on peut considérer que le príncipe intangible de la 680 Dans ce déb;
République, consacré à l'article 89 ai. 5, déploie un effet d'irradiation qui affecte l' article 89 a
également les autres alinéas de l'article 89. En supprimant l'essence républicaine tels les droit
de la procédure de révision, on porterait ainsi indirectement atteinte à l'ar- tir d'une !e(
d'autres sou1
français s'ini
étrangeres, '
257. D. ROUSSEAU, op. cit., p. 207. Voir aussi p. 205.
258. L. FAVOREU, « Souverainecé ec supraconscicucionnalicé,», op. cit., p. 76.
259. Ibid. Dans !e m&me sens: O. BEAUD, La puissancedel'Etat, op. cit., p. 340 et 471 qui se réfere
à Burdeau; P. PACTET, lnstitutions politiques et droit constittttionnel, 11' éd., Paris, Masson, 1992, 262. CfJ.-M. 1
p. 78 qui parle d'une crahison de l'espric du texce. Voir aussi BVerfGE, 84, 90 (120) ec la jurisprudence 263. Cf M. R
Minerv,1 Mills v. Union ofIndia de la Cour supr&me de l'Inde qui, en 1980, a censuré la !oi conscicu- « La forme rép1
cionnelle qui visaic à supprimer coutes les limites macérielles au pouvoir de révision. Cf M. TRO- 264. C'esc cem
PER, « La notion de príncipes supraconsticucionnels ", op. cit., p. 354 s. 265. Contra B.
260. Cf O. PFERSMANN, « La révision conscicucionnelle en ... ", op. cit., p. 53 note 130; L. FAVO- parmi les réda,
REU et alii, Droit constitutionnel, op. cit;, p. 138. Conscicucion e1
261. Cf O. BEAUD, La puissance de l'Etat, op. cit., p. 383 s. De m&me la soi-disant !oi de révision idée formulée ,
de 1884 esc en réalicé un acce conscicuanr, ce qui interdic par conséquenr au pouvoir de révision d'y 266. Cf par. ,·
coucher par la suice (ibid., p. 381 s). op. cit., p. 207 •
'. et la justice constitutionnelle Les limites matérielles au powuoir de révision constitutionnelle 655

ie la théorie kelsenienne est ticle 89 al. 5. Reste toutefois à définir quels sont précisément les éléments de la
oreu et Otto Pfersmann. De procédure de révision qui seraient intangibles. Par !à, on aborde la question du
58 - et cela vaut à plus forte contenu du noyau dur de la Constitution de 1958.
Lillet 1940 - n' est pas perti-
nstances m. À ses yeux, révi- 2º La délimitation du noyau dur du bloc de constitutionnalité
épublicain du régime revien- de la V République
fersmann arrive à la même
ui s'inspire du paradoxe de 679 Sur ce point, les réponses sont des plus variées. Au creur du débat se trouve évi-
! révision contenues dans la demment l' article 89 dont l' alinéa dernier protege « la forme républicaine du gou-
nême en l'absence de toute vernement ». La formule n'est pas sans receler quelques ambigui"tés comme l'ad-
mettent tous les exégetes. À cet égard, il importe tout d'abord de noter que, d'un
>0urrait, à sa guise, modifier strict point de vue littéral, l'al. 5 consacre non pas la République, mais seule-
.ons formelles et temporelles ment la « forme républicaine » ce qui n'est pas tout à fait la même chose. On
\rielles. Cette question n'est pourrait en effet estimer que, même à supposer que la République constitue un
1.ele schmittien, ces deux der- concept global se référant à la fois à la démocratie, au suffrage universel, à la sépa-
t de l'immutabilité dans la ration des pouvoirs ainsi qu'à des valeurs substantielles telles que la liberté, l'éga-
pouvoir constituant. Or, en lité, la la"icité, etc. 162 , l'al. 5 n'en consacre que l'aspect formel. II faut alors
)Se quelques difficultés pour s'interroger sur ce que recouvre l'expression de « fomie républicaine de gouver-
! l'article 7 al. 11, qui, à pre- nement » : soit il s' agit d'un synonyme du mot démocratie, au sens formel2"3, soit
iginaire). La premiere résulte elle ne vise qu'un aspect particulier de la démocratie (au sens formel), à savoir le
! façon évidente du texte de mode de désignation du chef de l'État par voie d'élection 264 • À l'appui de cette
érendum de 1962. O. Beaud derniere hypothese, on pourrait citer les intentions du pouvoir de révision de
10n pas un acte de révision, 1884. Or, une telle méthode d'interprétation historique, à supposer qu'elle soit
1ais un véritable acte du pou- la seule valable en droit - ce qui est loin d'être admis -, n'est d'aucune aide en
nnement, il faudrait clone l'espece puisqu'on ignore tout de la volonté du constituant de 1958 (i.e. le
me titre que les alinéas 1 à 5 peuple) lorsqu'il a adopté l'article 89 al. 5'''\ On voit par conséquent que l'ar-
'. en suspens. On peut néan- ticle 89 al. 5 pose de redoutables problemes d'interprétation qui renvoient à la
i est celui de la théorie de question générale de la définition du droit.
~ le príncipe intangible de la 680 Dans ce débat, la plupart des auteurs dépassent d'ailleurs le strict cadre littéral de
effet d'irradiation qui affecte l'article 89 al. 5. Ils integrent d'autres éléments dans la supraconstitutionnalité,
·imant l'essence républicaine tels les droits de l'homme, la séparation des pouvoirs, la démocratie, soit à par-
Ldirectement atteinte à !'ar- tir d'une lecture extensive de cet alinéa '"', soit en recourant ouvertement à
d'autres sources. En témoigne l'attitude de L. Favoreu qui voudrait que le juge
français s'inspire des jurisprudences concordantes des cours constitutionnelles
étrangeres, autrement dit de ce fond commun de valeurs occidentales qu'il

op. cit., p. 76.


op. cit., p. 340 et 471 qui se réfere
11,
onnel, 11' éd., Paris, Masson, 1992, 262. Cf J.-M. PONTIER, « La République », Dalloz, chron. XLVIII, 1992, pp. 239-246.
(GE, 84, 90 (120) et la jurisprudence 263. Cf M. HAURIOU, op. cit., p. 343; J. GICQUEL, op. cit., 12' éd., p. 519; O. JOUANJAN,
i, en 1980, a censuré la !oi constitu- « La forme républicaine ... », op. cit., p. 286.
pouvoir de révision. Cf M. TRO- 264. C'est cette lecture littérale tres stricte que reriem par ex. B. GENEVOIS, op. cit., p. 912 s.
J. 354 s. 265. Contra B. GENEVOIS, op. cit., p. 912 qui se réfere à l'absence de tout débat sur cette question
», op. cit., p. 53 note 130; L. FAVO- parmi les rédacteurs du texte de 1958. Or, d'une part, les rédacteurs ne som pas les auteurs de la
Constitution et, d'autre part, on ne peut pas déduire d'un silence gardé en 1958 l'approbation d'une
~ même la soi-disanr !oi de révision idée formulée en 1884.
1séquenr au pouvoir de révision d'y 266. Cf par. ex. L. FAVOREU et alii, Droit constitmionnel, op. cit., p. 138-9; D. ROUSSEAU,
op. cit., p. 207; D. MAUS,« Sur la forme républicaine du gouvernemenr », RFDC, 1992, p. 412.
656 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites ma

appelle « les normes transnationales supraconstitutionnelles » w, pour eombler 3º L'incomp


d'éventuelles laeunes. Sans aller jusque-là, on peut justifier l'incorporation des
droits de l'homme parmi les limites matérielles en se fondant à la fois sur un 682 La question d
argument théorique et sur le texte du droit positif. Le concept imrinsequement jet d'interpré1
libéral de la démocratie s'oppose à ee que le pouvoir de révision puisse saborder déclaré comp
les bases même de la démoeratie. Ainsi que le disait Emer de Vattel : « C'est de la livré à un con
constitution que les législateurs vont tenir leurs pouvoirs, comment pourraient-ils la été saisis d'un
changer sans détruire le fondement de leur autorité? » 1"' Si au lieu d'améliorer et reu qui, au lei
d'adapter la constitution au temps, le pouvoir de révision se met à anéantir ce d' énumérer te
qui en fait l'essence même, il se met en contradiction avec lui-même. II ne sau- fier le respect
rait quérir obéissance de la part des citoyens et fonctionnaires au titre d'une ont tendanee
constitution qui n'existe plus. Supprimer les droits de l'homme et la séparation sur eet aspect
des pouvoirs revient, en effet, selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 2''", à matif, dans la
supprimer la constitution. Si l'inaltérabilité des droits de l'homme n'est dane peee, le Con
pas eonsacrée expressis verbis par l'article 89 al. 5, elle résulte en revanche d'un sa compétenc
autre texte de droit positif qu'est la Déclaration de 1789. Selon la Déclaration, « l'expression

les « droits natttrels, inaliénables et sacrés de l'homme » constituent le but de toute révisions ado
assoeiation politique et s'imposent, par eonséquent, à tous les pouvoirs, ee qui ticle 11, écha
inclut logiquement le pouvoir de révision. Le príncipe de leur intangibilité est plus fréquent
dane implicite dans la Constitution de la V' République. vertu de l'art
leeture restric
681 Une partie de la doctrine a encare évoqué d'autres limites sans toutefois ren-
ticle 61 al. 2.
contrer un grand écho. D. Rousseau suggere ainsi au Conseil constitutionnel de
niques - cas
vérifier le respect « des limites inhérentes à l'exercice du droit de révision constitu-
aucunement
tionnelle » à !'instar du contrôle des limites inhérentes au droit d'amendement
juste apressa
législatif 270 • Lors du débat sur le traité de Maastricht, O. Beaud a repris à son
de toute con
compte les théories formulées outre-Rhin sur l'intangibilité du prineipe de l'éta-
solution refü
ticité de la RFA. II affir1:1e ainsi qu' « en drpit constitutionnel, la République est
compétence 1
d'abord logiquement un Etat avant d'être l'Etat républicain » 17 '. L'argument qui
San attitude
est similaire à eelui de Léo Hamon sur le caractere inaliénable de la souveraineté
dont l'étend1
nationale n'a toutefois pas été repris parle Conseil eonstitutionnel27'.
tion du mot
Or, les juges
!ois de révisi

273. O. BEAUI
267. L. FAVOREU, « Souveraineté et supraconstirutionnalité », op. cit., p. 74; id., « Supraconstitu- 274. L. FAVOR
tionnalité et jurisprudence de la juridiction constirutionnelle en droit privé et en droit public fran- SEAU, op. cit., F
çais »,]oumées de la société de législation comparée, vol. 15, 1993, p. 467. L'aureur ne précise rourefois p. 7.
pas de quelles lacunes il s'agit. 275. e.e. 92-31
268. Cité par O. BEAUD, i.A p11issancede l'État, op. cit., p. 326. avaienr saisi le <
269. Cf are. 16 de la Déclaration de 1789: « To11te société dans laq11elle la gar_qmie des droits n 'est ass11- traité de Maast,·
rée, ni l,1 séparation des po11voirs déterminée, na point de constitraion. » P. HABERLE, « Verfassungs- 276. e.e. 61-2:
rechrliche Ewigkeitsklauseln ... », op. cit., p. 88 insiste sur cet arricle dans leque! il voit une premiere 277. En ce sen
ébauche de l'idée de supraconstitutionnalité. O.JOUANJAl
270. D. ROUSSEAU, op. cit., p. 2or 278. Cf le com
271. O. BEAUD, i.A p11issance de l'Etat, op. cit., p. 481. L'argument est repris par O. JOUANJAN, tionnel ne sa11r,1,
« La forme républicaine ... », op. cit., p. 286 s. sémen/ prév11es f
272. C.C. 92-312 DC, 2 septembre 1992 (Maastricht II), R., p. 76 (considéranrs 44 et 45). constirutionnel
t et la justice constitutionnelle Les limites matérielles att powuoir de révision constittttionnelle 657

ionnelles » 2'' 7 , pour combler 3° L 'incompétence du Conseil constitutionnel


justifier l'incorporation des
1 se fondant à la fois sur un 682 La question de la garantie institutionnelle de la supraconstitutionnalité fait l'ob-
Le concept intrinsequement jet d'interprétations fort diverses. Si les uns sont convaincus que le Conseil s'est
r de révision puisse saborder déclaré compétent dans sa décision du 2 septembre 1992, et qu'il s'est même
Emer de Vattel : « C'est de la livré à un contrôle implicite de la loi de révision du 25 juin 1992 27 3, d'autres ont
irs, comment pourraient-ils la été saisis d'un doute apres une premiere réaction affirmative. L'avis de L. Favo-
21 8
» ' Si au lieu d'améliorer et reu qui, au lendemain de la décision, estime que le juge n'aurait pas pris la peine
·évision se met à anéantir ce d'énumérer toutes ces limites, s'il ne s'était pas reconnu compétent pour en véri-
on avec lui-même. I1 ne sau- fier le respect, traduit l'esprit général des adversaires de la lecture vedélienne qui
)nctionnaires au titre d'une ont tendance à assimiler le droit et le juge 274 • Or, si le juge ne s'est pas prononcé
de l'homme et la séparation sur cet aspect dans sa décision Maastricht II, il l'a fait, et ce dans un sens infir-
la Déclaration de 1789 21·9, à matif, dans la décision suivante du 23 septembre 1992 (Maastricht III) m_ En l'es-
oits de l'homme n'est donc pece, le Conseil confirme sa jurisprudence de 1962 selon laquelle il décline
:lle résulte en revanche d'un sa compétence en tant que juge à l'égard des lois référendaires qui constituem
1789. Selon la Déclaration, « l'expression directe de la sottveraineté nationale » 276 • l1 s'ensuit que toutes les
» constituem le but de toute révisions adoptées parle peuple, que ce soit en vertu de l'article 89 ou de l'ar-
:, à tous les pouvoirs, ce qui ticle 11, échappent clairement à la censure du juge. Reste alors l'hypothese, la
cipe de leur intangibilité est plus fréquente en pratique, d'une révision opérée par la voie parlementaire en
lique. vertu de l'article 89. Or, daris la décision Maastricht III, le Conseil a donné une
s limites sans toutefois ren- lecture restrictive de la notion de« loi » dom il peut être saisie en vertu de l'ar-
1Conseil constitutionnel de ticle 61 al. 2. Parmi ses chefs de compétence, il n'a en effet cité que les lois orga-
du droit de réuision constitu- niques - cas visé par l'article 61 al. 1" - et les lois ordinaires, sans mentionner
1tes au droit d'amendement aucunement les lois constitutionnelles. Ce silence significatif, qui intervient
h.t, O. Beaud a repris à son juste apressa décision du 2 septembre 1992, vaut par conséquent refus implicite
1gibilité du príncipe de l'éta- de toute compétence pour le cas des lois de révision parlementaires 277 • Cette
:ittttionnel, la République est solution reflete le respect scrupuleux par le Conseil des limites de sa propre
blicain » 271 • L'argument qui compétence qu'il n'admet qu'en la présence d'un fondement textuel explicite 278.
1aliénable de la souveraineté Son attitude tranche avec celle de la Cour constitutionnelle fédérale allemande
:onstitutionnel 272 • dont l'étendue de la compétence était également conditionnée par la significa-
tion du mot loi (Gesetz} mentionné à l'article 100 al. 1 de la Loi fondamentale.
Or, les juges de Karlsruhe n'ont pas hésité à s'arroger le droit de contrôler les
!ois de révision, voire la Loi fondamentale elle-même. I1 n'est pas de meilleur

173. O. BEAUD, La puissance de l'État, p. 400 s et 472.


op. cit., p. 74; id., « Supracansriru- 274. L FAVOREU, « Maastricht II. Premier cammemaire », RFDC, 1991, p. 410-11. Cf D. ROUS-
droit privé er en droir public fran- SEAU, op. cit., p. 206; O. BEAUD, « Maastricht et la théorie canstitutiannelle ... ,, (2' pareie), op. cit.,
. 467. L'aureur ne précise tautefois p. 7.
175. C.C. 91-313 DC, 13 sept. 1992, R, p. 94. En l'espece, plus de saixame députés de l'appasitian
avaiem saisi le Cansei! afin de camrôler la canstitutiannalité de la lai aurorisam la ratificatian du
rielle la g,1rantie des droits n 'est ass11- trair é de Maastricht, adaptée par référendum le 10 septembre 1992.
m. » P. HÃBERLE, « Vcrfassungs- 276. C.C. 61-20 DC, 6 navembre 1962, R., p. 27.
:le dans leque! il vair une premiere 277. En ce sens, cf par ex. R. BADINTER, op. cit., p. 225 ;, B. GENEVOIS, op. cit., p. 917 s;
0.JOUANJAN, « La forme républicaine ... », op. cit., p. 284; E. ZOLLER, op. cit., p. 95.
278. Cf le cansidéram 1 de la décisian du 23 septembre 1992 (« considérant que le Cansei! constitu-
nt est repris par O. JOUANJAN, tionnel ne sa11rait être appelé à se prononcer a11 titre d'a11tres chefs de compétence q11e ce11x q11i sont expres-
sément prév11es par la Constit11tio11 011 la !oi organiq11e ») et les renvais à d'autres décisians du Cansei!
(cansidérams 44 er 45). cansriruriannel chez R. BADINTER, op. cit., p. 223.
658 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle Les limites me,

exemple pour illustr~r !e fossé culturel qui sépare encare !e modele allemand de
la justice constitutionnelle du modele français 1".
683 Faut-il se plaindre de cet état du droit positif français et envisager une réforme
de la Constitution ainsi que !e préconise Robert Badinter au nom de « l'État de
droit » 1'º? II nous semble que non. Le concept du droit et, a fortiori, celui de 685 Ce chapitre ;
l'État de droit ne !'exigem point, caril peut y avoir un droit sans juge. Pour l'ins- voir de révisi
tant, les diverses instances politiques qui garantissem !e respect des conditions tionnel. À ce
procédurales, temporelles et matérielles par !e pouvoir de révision, c'est-à-dire !e métajuridiqu
président de la République, les deux chambresm, sans oublier !e rôle plus diffus tions de l'aut
de l'opinion publique, ne semblent pas avoir démérité à un point te! qu'il soit possibilité th
nécessaire de les remplacer par !e juge. De toute façon, il ne faut pas se faire droi t posi tif
d'illusions sur l'effectivité d'un te! contrôle juridictionnel. Ainsi que !e montre sitif. On ne 1
!'exemple allemand, ce n'est guere !e juge qui arrêtera un coup d'État ou qui rel1". La nég
osera s'opposer à la majorité politique en temps normal. Donner unte! droit du à un vérital::
dernier mot au juge n'est en effet pas sans cout politique et sans risque pour la il existe tout
démocratie: s'il est certain que !e pouvoir de révision n'est pas immunisé contre catégories :
une éventuelle dérive, !e juge quant à !ui ne l'est pas non plus 1' 1 • Que! est alors 1. la thes1
!e risque !e plus importam : celui d'un despotisme de la majorité ou celui d'un se don
gouvernement des juges? En d'autres termes, qui a !e « droit à l'en-eur » 283 : la autoris
majorité élue, voire éventuellement !e peuple, ou !e juge? Ou faut-il situer la der- voie d'
niere garantie, nécessairement éthique, de la suprématie de la Constitution: dans B. Ger
l'image quelque peu tutélaire, mais rassurante d'un juge quine serait soumis qu'à 2. la thes
un vague autocontrôle et au regard de l'opinion publique, ou, au contraire, dans sont v;
]' esprit républicain de ]' élu et du citoyen? cées e.,
clause
684 C'est !à que se situe !e véritable probleme. Contrairement à ce que suggere la
retoml
théorie de Montesquieu, il est logiquement impossible d'ériger un contre-pou-
3. la thes
voir au-dessus de chaque pouvoir sous peine d'aboutir à une regressio ad infini-
rielles
turn. Au sein de l'organigramme étatique, il existe nécessairement un organe qui
dans !,
décide en dernier lieu et qui, de ce fait, clôt !e systeme. Toute la question est alors
d'éten
de savoir à qui l'on fait le plus confiance: à l'élu, au juge ou au citoyen? Si l'on
kelsén
suit ce que dit Kant dans son fameux texte Qu 'est-ce que les Lumieres ?, le bénéfi-
4. la the~
cie du doute doit revenir au peuple. Ainsi que !'a dit Richard Thoma, la démo-
chaqu,
cratie, c'est-à-dire l'idée d'un gouvernement du peuple, pour !e peuple mais aussi
saurau
parle peuple, reste un perpétuel défi à ]'humanité.
lui a ci
s. la the~
cipe k
279. On notera toutefois qu'une partie de la doctrine française prône une définition large du terme crat1q1
de !oi. Cf par ex. D. TURPIN, Contentieux constitutionnel, 2' éd., Paris, PUF, 1994, p. 152. Ceux-
280. R. BADINTER, op. cit., p. 225. Contre une relle réforme: B. GENEVOIS, op. cit., p. 920.
28). Cf B. GENEVOIS, op. cit., p. 917. L'auteur insiste également sur ]e rôle consultatif du Conseil
d'Etat.
282. C'est la prise de conscience du pouvoir d'interprétation du juge qui amene ainsi S. RIALS 284. Contra (
( « Entre artificialisme et idolâtrie », op. cit.) à abandonner ses posirions antérieures sur la supracons-
dité des limita
titutionnalité. c'est-à-dire au
283. Pour un droit à l'erreur du peuple : Z. GIACOMETTI, Die Demokratie ais Hiiterin der 285. Cf supn1
286. Cf supr,1
Menschenrechte, op. cit., p. 5 et 15; A. HUTCHINSON & P. MONAHAN, « Democracy and Rule
of Law », op. cit., p. 111. 287. Cf supr"
: et la justÍce constitutionnelle Les limites matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle 659

1core le modele allemand de

ais et envisager une réforme *


dimer au nom de « l'État de
droit et, a fortiori, celui de 685 Ce chapitre a mis en lumiere, grâce à l'exemple des limites matérielles au pou-
m droit sans juge. Pour l' ins- voir de r{vision, les liens existam entre la démocratie, le droit et le juge constitu-
m le respect des conditions tionnel. A ce titre, il a permis de souligner l'importance cruciale de cette donnée
)ir de révision, c'est-à-dire le métajuridique qu'est la norme fondamemale définissant le príncipe et les condi-
ns oublier le rôle plus diffus tions de l'autolimitation. Ce débat dogmatique prouve, de façon concrete, l'im-
rité à un point tel qu'il soit possibilité théorique de concevoir le droit grâce au seuls données fournies par le
açon, il ne faut pas se faire droit positif: celui n'existe et ne prend forme que grâce à des données suprapo-
:ionnel. Ainsi que le montre sitif. On ne peut, en tam juriste, faire l'économie d'un minimum de droit natu-
:tera un coup d'État ou qui rel '8'. La négation par G. Vedel de la these de l'autolimitation aboutit, en effet,
mal. Donner un tel droit du à un véritable nihilisme juridique. Sur ce qu'est cette norme fondamemale,
itique et sans risque pour la il existe toutefois une multitude d'opinions que l'on peut ranger dans diverses
n n'est pas immunisé comre catégories :
1s non plus"'. Que! est alors 1. la these d'une autolimitation strictemem formelle : le souverain ne saurait
de la majorité ou celui d'un se donner que des limites procédurales. Aussi le pouvoir de révision est-il
t le « droit à l'en-eur »" 3 : la autorisé à se défaire des limites matérielles; il doit toutefois emprumer la
ruge? Ou faut-il situer la der- voie d'une double révision afin de respecter les formes (ex. R. Badinter,
atie de la Constitution : dans B. Genevo1s, . etc. -'8') .
uge quine serait soumis qu'à 2. la these d'une autolimitation explicitement posée : les limites matérielles
,lique, ou, au comraire, dans som valides à l'égard du pouvoir de révision si, d'une part, elles som énon-
cées expressis verbis dans le texte de la constitution et si, d'autre part, la
.irement à ce que suggere la clause d'éternité proclame sa propre intangibilité, faute de quoi on
ible d'ériger un comre-pou- retombe dans la these no 1 (B. Chamebout"").
utir à une regressio ad infini- 3. la these d'une autolimitation explicite simple : la validité des limites maté-
écessairemem un organe qui rielles à l'égard du pouvoir de révision est fondée sur leur consécration
dans le texte même de la constitution, sans qu'il soit besoin que la clause
1e. Toute la question est alors
d'éternité se déclare elle-même immuable (tous les disciples de l'approche
1 juge ou au citoyen? Si l' on
~ que les Lumieres ?, le bénéfi-
kelsénienne '").
4. la these d'une autolimitation implicite : il existe de façon implicite dans
it Richard Thoma, la démo-
chaque constitution des limites imangibles que le pouvoir de révision ne
1le, pour le peuple mais aussi
saurait violer sous peine de méconna1tre les limites de sa compétence que
lui a conférée le pouvoir constituam (les disciples de l'école schmittienne).
5. la these des fondemems objectifs de l'autolimitation : le droit na1t du prín-
cipe kantien d'autonomie, autrement dit de la volomé du souverain démo-
,r6ne une définicion large du cerme cratique qui est, imrinsequement, limité par certains principes a priori.
d., Paris, PUF, 1994, p. 152. Ceux-ci valent à la fois à l'égard du pouvoir constituam et du pouvoir de
: : B. GENEVOIS, op. cit., p. 920.
nc sur le r6le consultatif du Conseil

du juge qui amene ainsi S. RIALS 284. Contra O.JOUANJAN, « La forme républicaine ... », op. cit., p. 269 qui veuc conscruire la vali-
,icions ancérieures sur la supracons- dité des limitations macérielles sans devoir recourir à aucun momenc à la supraconstitutionnalicé,
c'est-à-dire au droic nacurel.
I, Die Demokratie ais Htiterin der 285. Cf supra note 246.
)NAHAN, « Democracy and Rule 286. Cf mpra note 248.
287. Cf mpra note 207.
660 Les liens entre la démocratie, le droit et la justice constitutionnelle

révision (école de droit naturel moderne, jurisprudence de la Cour consti-


tutionnelle fédérale allemande).
Chacune de ces définitions opere à sa façon, en s'inspirant d'une certaine
ontologie du droit, qui est plus ou moins lourde, la transsubstantiation d'un fait
288
en droit , d'un Sein en Sollen : un texte couvert designes, qui jusque-là n'était
qu'un chiffon de papier, devient une norme juridique. À la source du caractere
obligatoire de la constitution, et ce notamment à l'égard du pouvoir de révision,
se situe ainsi un présupposé de droit naturel qui en définit le príncipe et les effets.

686 L'Étatde dm
mêm~ temps
de l'Etat de e
là même son
au mveau eu
un État (fédé
n'est pas en
du moins le]
nationales ne
qui est l'équi
de droit, sans
à toutes les si
jusqu'aux im
d'un dénomi
nationales.
687 Sur le fond,
11 s' agit de 1
gouvernemer
« despotisme ,
les deux idée:
cipe de la sé
s'inserent da
« Recht » est,
mettant en e
tique du néc
brouiller la J
juridique me
XIX' siecle. L

288. Cf C. KLEIN, op. cit., p. 192 s. 1. Cf O. BEAl


t et la justice constitutionnelle

,prudence de la Cour consti-

n s'inspirant d'une certaine


transsubstantiation d'un fait
! signes, qui jusque-là n'était
1ue. À la source du caractere
gard du pouvoir de révision,
éfinit le príncipe et les effets.

, ,
CONCLUSION GENERALE

686 L'État de droit scelle les retrouvailles de la théorie du droit avec l'État'. Or, en
même temps, il est à l'origine d'associations paradoxales. Volatil, le discours
de l'État de droit se soustrait à toutes les tentatives de fixation, illustrant par
là même son caractere plus programmatique que technique. En se transportam
au l}Íveau européen - ce qui peut signifier soit que l'Union euro,Péenne est
un Etat (fédéral) quine dit pas, ou pas encore son nom, soit que l'Etat de droit
n' est pas en fin de compre rivé à l'État -, il brouille toutes les pistes. C' est
du moins le point de vue du juriste continental; il est vrai que les perspectives
nationales ne convergem pas totalement puisque le terme anglais de rufe oflaw,
qui est l'équivalent à la fois de regne du droit, d'État de droit, de Communauté
de droit, sans oublier le principe de prééminence du droit, s' adapte parfaitement
à toutes les structures politiques, depuis celles du monde féodal dom il est issu
jusqu'aux institutions supranationales de l'Europe d'aujourd'hui. En l'absence
d'un dénominateur sémantique commun, on jongle clone avec les expressions
nationales.
687 Sur le fond, on voit toutefois se cristalliser un noyau dur de significations.
Il s'agit de l'idée ancienne du gouvernement des lois dom l'antithese est le
gouvernement des hommes, le bon plaisir du roi, que Montesquieu qualifie de
« despotisme » et Rousseau de« dépendance personnelle ». L'idée prend corps avec
les deux idées ma1tresses des Lumieres que som les droits de l'homme et le prín-
cipe de la séparation des pouvoirs. Sur le continent, ces éléments théoriques
s'inserent dans une théorie de l'État, appelé encare le Rechtsstaat. Le préfixe
« Recht » est, en "réalité", surabondant, comme il ressort des multiples critiques
mettant en exergue, de façon soit explicite soit implicite, le caractere pléonas-
tique du néologisme créé en 1798 par Placidus. Inutile, il risque en outre de
brouiller la perception du concept d' État, de Staat, concept clé de la doctrine
juridique moderne que les juristes anglais ont toutefois abandonné au cours du
XIX" siecle. L'identification de l'État et de l'État de droit, du Staat et du Rechts-

1. Cf O. BEAUD, « Ouverture: l'honneur perdu de l'État? », Droits, n" 15, 1992, p. 7 ss.
662 Conclttsion générale Conclusion gé~

staat, s'impose en toute logique: loin d'être l'apanage de l'école normativiste de Du reste les foi
Vienne, qui affirme l'identité du droit, de l'État et, partam, de l'État de droit, la boussole de con
célebre critique de Kelsen a rencontré des échos tant chez les représentants des 690 Derriere la pn
autres écoles positivistes que chez les avocats du jusnaturalisme. Une fois débar- mier ordre; ce
rassé de cette scorie sémantique, le juriste est mieux à même de cerner la spéci- lien entre la d
ficité de l'État parmi les diverses formes de pouvoir politique. Armé d'un dilemme. D'u
outillage théorique plus pertinent, car plus économe, il peut décrypter plus aisé- impossible de
ment les enjeux théoriques sous-jacents à l'expérience du ili' Reich : celui-ci cratique sans !1
inaugure un déclin tant du droit que de l'État. définition du
688 S'il est à !'origine d'un regain d'intérêt de la théorie juridique pour l'État et, de d'ombre, ne p
maniere générale, pour le pouvoir, le vocable d'État de droit amene également instance légiti1
son lot de tares, d'apories et de lieux communs. Sa faiblesse majeure - d'aucuns de la souverai.
y verront au contraire son point fort - tient au lien postulé entre le droit et le pierre d'achop
juge. La légitimation du pouvoir des juges, qui ne va pas de soi - car, initiale- des principes (
ment, les trois concepts fondent, avec plus ou moins de force, la suprématie du nition même e
législateur - s'opere selon deux modes. 11 y a, d'une part, le raisonnement de tance élue veri
Montesquieu, selon lequel tout pouvoir appelle un contre-pouvoir : si la modé- 691 Sur le plan de
ration du pouvoir est, dans un premier temps, assurée par la subdivision du par- ment engendn
lement en trois parties, en référence à l'idéal du régime mixte, le déreglement de travai! présup:
cet équilibre parle fait majoritaire appelle inévitablement l'intervention du pou- analyse histori
voir juridictionnel, le seul pouvoir qui puisse être actionné dans un mécanisme visme fait ªPF
institutionnel qui n'en compte que trois. Il y a, d'autre part, l'argumentation positivisme s'i
classique de Sieyes, Bahr, Austin, Dicey, Kelsen, Carré de Malberg et tant caractérise pa
d'autres, selon laquelle seul un juge est à même de faire "vivre" le droit, de lui domaine du d1
insuff!er à la fois la précision, la certitude, voire la justice et l'équité, sans oublier à un échec : !1
surtout la force coercitive. L'existence de la sanction juridictionnelle devient avatar du jusn
ainsi un élément constitutif du droit. Toute norme qui en est dépourvue est inadaptée à I' e
condamnée à être de la simple "morale", quand bien même elle serait inscrite damentalemer
dans un texte de droit positif. Ce double discours, auquel les juristes contribuem vistes contem]
de façon éminente, se met progressivement en place : il se développe d'abord sciences empi1
dans la sphere du droit et du contentieux administratifs; de là, il s' étend pour tus entre la m,
s' attaquer au droit constitutionnel, voire au droit international. sons épistémo
689 Le phénomene de juridictionnalisation de la sphere politique, qui s'observe nonn qui cor
à divers degrés dans les trois pays, ainsi qu'à l'échelon supérieur de l'Europe, toutefois insat
n'est pas sans poser de sérieuses difficultés théoriques. Sans revenir sur tous les définition du <
aspects de la critique qu'il suscite, on mentionnera seulement le probleme juridiques quJ
du pouvoir d'interprétation. Derriere les doures concernant l'étendue exacte du 692 À la lumiere e
pouvoir discrétionnaire des juges se dresse l'ancienne crainte d'un gouvernement ralisme, on cc
des hommes. La dichotomie entre gouvernement des lois et gouvernement des nelle entre les
hommes n'est, en effet, que relative: le regne du droit va nécessairement de pair tinction occul
avec un certain pouvoir discrétionnaire, sous peine de sclérose, comme l'a pré- inspirée du pr
cisé Jennings dans sa critique de Dicey. Déjà Pufendorf n'avait admis la maxime,
selon laquelle il faut confier le gouvernement de l'État aux lois, qu'au sens ou
« il vaut mieux astreindre les souverains à gouvemer suivant certaines fois prescrites, 2. 5. PUFENpO
que de leur laisser une entiere liberté de se conduire comme ils le jugeront à propos. démocratie. A pn
·Conclttsion générale Conclttsion générale 663

1ge de l'école normativiste de Du reste les !ois totttes seules ne sont pas plzts capables de gottvemer l'État, qu'une
partam, de l'État de droit, la boussole de conduire le vaisseau, sans le secours d'un pilote » 2•
tnt chez les représentants des 690 Derriere la prérogative de définir les termes de la loi se cache un enjeu de pre-
snaturalisme. Une fois débar- mier ordre; cela explique les allures virulentes que prend parfois le débat sur le
1x à même de cerner la spéci- lien entre la démocratie et l' État de droit. Celui-ci fait, en effet, apparaitre un
uvoir politique. Armé d'un dilemme. D'un côté, il n'est de démocratie que la démocratie libérale : il est
1e, il peut décrypter plus aisé- impossible de concevoir le bon fonctionnement des élections et du débat démo-
ience du III' Reich : celui-ci cratique sans le respect préalable des droits de l'homme. Mais, de l'autre côté, la
définition du régime juridique des droits de l'homme, et surtout de ses zones
:e juridique pour l'État et, de d'ombre, ne peut relever, dans un régime qui se veut démocratique, que d'une
,at de droit amene également instance légitimée parles citoyens. Dans ce lien circulaire entre les deux concepts
faiblesse majeure - d'aucuns de la souveraineté et de la liberté, le pouvoir d'interprétation est la véritable
~n postulé entre le droit et le pierre d'achoppement: si la volonté d'imposer, parle biais d'un juge, le respect
va pas de soi - car, initiale- des principes constitutionnels à la majorité élue est légitime au regard de la défi-
ns de force, la suprématie du nition même de la démocratie, le transfere du pouvoir d'interprétation d'une ins-
me part, le raisonnement de tance élue vers le juge l'est beaucoup moins.
. contre-pouvoir : si la modé- 691 Sur le plan de la théorie générale de l'État, le discours de l'État de d~oit a égale-
rée par la subdivision du par- ment engendré une réflexion sur les fondements de la juridicité de l'Etat. Un tel
ime mixte, le déreglement de travail présuppose une clarification des différentes méthodes juridiques. Une
ement l'intervention du pou- analyse historique et comparative des multiples courants se réclamant du positi-
actionné dans un mécanisme visme fait apparaitre l'indétermination radicale de ce terme : pour les uns, le
l'autre part, l'argumentation positivisme s'identifie à l'étude du droit positif, alors que pour les autres il se
, Carré de Malberg et tant caractérise par la transposition de la méthode positiviste, ou empirique, au
! faire "vivre" le droit, de lui domaine du droit. Or, quelle que soit la voie choisie, on aboutit inéluctablement
1stice et l'équité, sans oublier à un échec : les premiers pratiquem, sans le dire, un légalisme qui n'est qu'un
tion juridictionnelle devient avatar du jusnaturalisme; les seconds sont conduits à appliquer une méthode
ne qui en est dépourvue est inadaptée à l'objet dont ils sont censés décrypter la nature. Or, le droit est fon-
ien même elle serait inscrite damentalement un Sollen, comme l'admettent du reste la plupart des juspositi-
uquel les juristes contribuem vistes contemporains, alors que la méthode positiviste, calquée sur le modele des
ice : il se développe d'abord sciences empiriques, ne peut logiquement saisir qu'un Sein. Il y a clone un hia-
tratifs; de là, il s' étend pour tus entre la méthode positiviste et son objet qui est le droit positif. Pour ces rai-
nternational. sons épistémologiques, Kelsen est concluir à introduire le concept de la Grund-
ere politique, qui s'observe nonn qui constitue la clé de voute de sa théorie du droit. Sa réponse reste
1elon supérieur de l'Europe, toutefois insatisfaisante à plus d'un titre. Aussi est-il indispensable d'adopter une
ues. Sans revenir sur tous les définition du droit qui tienne compre de la nécessaire présence d'éléments méta-
1era seulement le probleme juridiques qualifiés, à tour de rôle, de droit naturel, de valeurs, de morale, etc.
ncernant l'étendue exacte du 692 À la lumiere de cette dérive inéluctable du positivisme vers un crypto-jusnatu-
e crainte d'un gouvernement ralisme, on comprend mieux le caractere réducteur de l'opposition tradition-
:les lois et gouvernement des nelle entre les deux modeles de l'autolimitation et de l'hétérolimitation. La dis-
oit va nécessairement de pair tinction occulte, en effet, les postulats jusnaturalistes du premier. Directement
: de sclérose, comme l'a pré- inspirée du principe kantien de l'autonomie, la théorie de la Selbstbindung éla-
lorf n'avait admis la maxime,
'État aux lois, qu'au sens ou
rtivant certaines fois prescrites, 2. S. PUFENDORF, ]11s nat11rae et gentium, VII, VI, 11; cité par P. PASQUINO, « État de droit et
~mme ils le jugeront à propos. démocratie. À propos de la Verfassunglehre de Carl Schmitt », CPP], n" 24, 1993, p. 99 note 22.
664 Conclusion générale

borée par Ihering et Jellinek repose surdes prémisses objectivistes qui encadrent
et limitent le volontarisme pour leque! leurs écrits sont réputés. Ces vestiges de
droit naturel ont la fonction d'une norme fondamentale sur laquelle repose tout
l'édifice de la personnalité juridique de l'État : elles définissent !e principe, les
conditions et la portée de l'autolimitation de la volonté étatique. Son impor-
1. Ouvrages
tance cruciale transpara1t dans !e débat français sur la validité des limites maté-
rielles, implicites ou explicites, au pouvoir de révision. On a pu voir ainsi qu'il AHRENS (l-
existait au moins cinq conceptions différentes de la norme fondamentale. dans les pr.
693 Protéiforme, !e discours de l'État de droit souleve encare une foule d'interroga- 6' éd., Lei1
tions à laquelle on n'a pas pu répondre ici. Certains de ses confins, te! notam- ALEXY(Rol
ment le pouvoir constituant (originaire), dont on n'a fait qu 'esquisser les grandes 215 p.
lignes, restent à explorer. De même, le rôle du droit international des droits de ALLAN(Tré
l'homme mérite une attention particuliere en raison desa position en quelque Constituti1
sorte médiane : de par sa positivité, il est à ranger dans !e droit positif; de par sa AMOS (Shel
position supra-étatique, il fait figure de succédané du droit naturel. Son poten- & Co, 18~
tiel normatif, spécialement à l'égard du pouvoir constituant, est encare trop sou- - The Sei
vem ignoré. Enfin, il faut mentionner les derniers rebondissemems qu'a connus &Co,
la thématique de l'État de droit avec !e projet récent de la Charte des droits fon- ANDERBRl
damentaux de l'Union européenne. Les divers ingrédients de notre probléma- des Natio11
tique s'y trouvem résumés et enrichis. ll en est ainsi de la question de l'utilité de ANSCHÜT
la memion du terme État de droit qui figure dans le deuxieme alinéa du préam- Tübingen,
bule de la Charte. Des à présent, on peut s'interroger sur sa future utilisation par - Die Jk;
la Cour de justice des Communautés européennes à titre de réservoir normatif. für Wi,
À supposer que la Cour s'empare de la notion, ce qu'elle a pour l'instant évité, - Die Ve
ainsi qu'on l'a vu, il faudra clarifier l'articulation entre les trois termes de 14' éd.
Communauté, de Communauté de droit et d'État de droit.
ANSCHÜT
694 ll sera également intéressant d'analyser l'impact de la Charte en droit anglais, au Staatsrechi
moment ou le Human Rights Act de 1998 vient à peine d'entrer en vigueur. Les 1998, t. l1

différences entre les deux régimes ne sont pas négligeables : d'une part, la Charte ARDANT(
de l'U nion européenne comient, en son chapitre N consacré au principe de « soli- Paris, LGI
darité » ', divers droits socio-économiques qu'ignore completement la Convention ARNOULT
européenne des droits de l'homme et, partant, le Human Rights Act; d' autre part, des consti1
on sait qu'en vertu de la jurisprudence Factortame, le juge britannique dispose these droi
désormais du droit de censurer une loi du Parlement de Westminster, même pos- ATIYAH(P.
térieure, alors qu'il n'a que le droit "d'imerpréter" les statutes dans le cadre de 189 p.
l'article 3 du Human Rights Act. Sachant que, dans l'esprit de certains juges et
AUSTINQc
juristes anglais, les frontieres entre la sphere d'application du droit communau-
theStudy(
taire, auquel se limite a priori la Charte', et le domaine du droit anglais qui n'en
andNicol
releve pas, ne sont pas d'une étanchéité absolue, on peut s'attendre à des influences
- Laphú
et des croisements riches en conséquences. Mais, cela releve déjà d'une autre these.
1894, ~
AUTEXIEB
3. Cf les anicles 27 à 38 de la Chane. 1997, 379
4. Selon l'anicle 51 ai. 1 de la Chane, « les dispositions de la présente Charte s;adressent ,111x insti111tions BACHOF (
et organes de l'Union dans !e respect d11 príncipe de mbsidiarité, ainsi q11'a11x Etat membres 1miq11ement 1951, 61 F
lorsq11'ils mettent en ce11vre !e droit de l'Union (. ..) ».
Conclusion générale

~s objectivistes qui encadrent BIBLIOGRAPHIE


sont réputés. Ces vestiges de
ntale sur laquelle repose tout
:s définissent le príncipe, les
olonté étatique. Son impor-
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Agulhon, Mau1
Ahrens, Heinri
Albrechc, W.E.
Alemberc : 348
Allan, Trevor 1
293 ss, 298
Allen, C.K. : 2
Amos, Sheldor
Amselek, Paul
Anschücz, Ger
125 ss, 137,
533, 566, 61
Apele, Williba
Ardam, Philir
Arecin, Johan1
Ariscoce : 42,
586, 590, 5'J
Austin, John
247, 253, 2
452 ss, 460.
Aylmer, John

Bachof, Occo
Backes, Uwe
Bacon, Sir Fr.
Badincer, Rol
Bagehoc: 24'J
Bahr, Ono : ·
129 ss, 146
412, 421, 4
Barchélemy, .
Beaud, Olivi
Beaucé, Jean
Beccaria, Ce,
Bencham, JL
216,217s,
266, 267,
450, 451, ·
Bergasse, N i
Bergbohrn, !
481, 494,
Besc, Werne
Bilfinger, C.
Bismarck, L
Blackburn:
INDEX DES NOMS
(Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphes)

-A- Blackburn, R.W.: 269


Blackstone, William : 164 ss, 169 ss, 193,
Agulhon, Maurice: 416 200, 206 ss, 216, 217 ss, 221 ss, 236, 248,
Ahrens, Heinrich: 67,333,351,352 250, 256, 262, 264, 265, 266, 282, 374,
Albrecht, W.E. : 513 452,453
Alembert : 348 Blair, Tony : 323, 325
Allan, Trevor R.S. : 269, 270, 289, 290 ss, Biandei, André : 388
293 ss, 298 Bluntschli, Johann Kaspar : 46, 67, 333,
Allen, C.K. : 268 385
Amos, Sheldon : 452, 456 Bobbio, Norberto: 442, 443, 455, 477, 479,
Amselek, Paul : 449 480,483,492,522,595
Anschütz, Gerhard: 70, 105, 107 ss, 112 ss,
Bõckenfõrde, Ernst-Wolfgang : 6, 36, 66,
125 ss, 137, 471, 474, 494, 499, 506, 531,
89,332,603,609
533, 566, 613
Bodin, Jean : 36, 183, 348, 349, 353, 360,
Apelt, Willibalt : 658, 660
366,367,419,427,519
Ardam, Philippe: 392,419
Boistel, A. : 387
Aretin, Johann Christoph von : 34, 47
Bolingbroke : 207
Aristote : 42, 166, 344, 362, 491, 531, 552,
Bonnard, Roger : 389
586,590,591
Bonnecase, Julien : 342
Austin, John : 4, 161, 214 ss, 217 ss, 246,
Bornhak, Conrad : 73
247, 253, 254, 259, 298, 448, 450, 451,
Boulouis, Jean : 390
452ss,460,468,470,498,523, 688
Bourdonnaie, de la : 632
Aylmer, John : 163
Bracton, Henry : 162
Bradley, Anthony W. : 303
B
Brater, Karl : 67
Bachof, Ütto : 660 Bridge, Lord : 322
Backes, Uwe : 35 Bromley : 204
Bacon, Sir Francis : 168, 220, 282 Brunner, Ütto : 22, 425
Badinter, Robert : 683, 685 Bryce, James : 284
Bagehot : 249 Bryde, Brun-Otto : 652, 661
Bahr, Otto: 19, 67 ss, 75 ss, 89 ss, 101, 109, Burdeau, Georges: 390,392,419,427,428,
129 ss, 146, 149, 169, 215,229,297, 380, 430,677
412,421,433,552,624,688 Burke: 248
Barthélemy, Joseph : 384, 389 Burlamaqui, Jean-Jacques : 206, 360, 367
Beaud, Olivier : 670, 677 ss
Beauté, Jean : 191 -C-
Beccaria, Cesare : 225
Bentham, Jeremy : 4, 27, 161, 205, 214, Caenegem, R.C. van: 12, 179, 382
216, 217 ss, 246, 247, 248, 255, 256, 264, Campbell, Lord : 262, 280
266, 267, 274, 330, 343, 344, 403, 448, Capitant, René : 4
450, 451, 452 ss, 462, 468, 470, 484, 593 Cappelletti, Mauro : 420
Bergasse, Nicolas : 377 Carré de Malberg, Raymond : 5, 98, 331,
Bergbohm, Karl : 457, 466, 468, 470, 474, 368, 383, 384, 385, 388, 389, 394, 398,
481,494,499 402 ss, 417,421,428,429,430,494,512,
Best, Werner : 583 516,560,677,688
Bilfinger, Carl : 124 Chantebout, Bernard: 391, 392, 417, 419,
Bismarck, Otto von : 6, 469, 557 685
Blackburn : 262 Chapus, René : 669
720 Index des noms l
i
Index des non

Hart, Herbert
Chevallier, Jacques: 391, 392 Forsthoff, Ernst : 557, 564, 566, 577
Cockburn : 262 Foucart, E.V. : 343 280, 441, 45
Cohen, Hermann : 89 Fraenkel, Ernst : 539, 560, 561, 574, 588 498,511, 626
Coke, Sir Edward : 13, 36, 164 ss, 169 ss, Frank, Hans: 6, 535,557,570, 573 Harrington, J a1
176 ss, 182, 188, 191 s, 193 ss, 200, 201, Frédéric II de Prusse : 39, 55, 57, 346, 513, Hartmann, Ni,
205, 206, 252, 253, 255 ss, 291, 330, 425 514, 557 Hauriou, Andr
Comte, Auguste : 395, 448, 466, 478 Frédéric-Guillaume d'Hesse électorale : 86 Hauriou, Maur
Condorcet : 379 Frédéric-Guillaume III de Prusse : 55 389, 390, 40:
Constam, Benjamin : 46, 343, 344, 346, Frédéric-Guillaume IV de Prusse : 75 Hayek, Friedr
351,366,590,617,632 Fredman, Sandra: 297 168, 180, 27
Cosmas, Georges: 314 Freisler, Roland: 547, 570 Hearn, W.E. : .
Cotta, Sergio : 449 Frick : 556, 570 Hegel, Georg \
Cromwell, Oliver: 211 Friedmann, Walter: 216 491,586
Fromont, Michel : 106 Helfritz, Hans
-D- Fuller, Lon : 549, 588 Heller, Herma
425,427,54
Dahlmann, Christoph : 35 Hello, C.-G. :
Darmstadter, Friedrich: 107 G
Helvétius, Cla
Darwin: 572 Gareis, Carl : 73 Henry, J.-P. : :,
Davies, Sir John : 171, 173 Geiger, Willi: 153 Herzog, Rom-.1
De! Vecchio, Georges : 490 Gentz, Friedrich : 61 Hesse, Konrad
Descartes, René: 168, 615 Gény, François : 338, 503 Heuston, R.F.'
Dicey, Albert Venn : 2, 13, 23, 161, 165, Gerber, Carl Friedrich von: 7, 30, 68, 69, 73, Hewart, Lord
167, 174, 214 ss, 245 ss, 268, 269, 275, 99,384,428,465,469,471,472,494,513 Hippel, Ernsr
280, 282, 284, 291, 292, 297, 298, 323, Gerstenberg, Oliver: 610 Hitler, Adolf
324,329,330,593,688,689 Gicquel, Jean : 392 498, 506, 5.
Diderot : 348 Gierke, Otto: 67, 78, 146,384, 426 548,554,55
Digeon, Claude : 384 Giscard d'Estaing, Valéry: 391
Dreier, Horst : 494, 645, 650 585 55
Gneist, Rudolf: 67 ss, 75 ss, 88, 89 ss, 109, Hobarr, Sir H
Duelos, Pierre : 388 149,215 Hobbes, Tho1
Duez, Paul : 389 Goebbels, Joseph : 528 168, 182 ss,
Duguit, Léon : 7, 73, 331, 333, 383, 384, Gõring, Hermann : 535, 557
385, 387, 388, 389, 394, 395 ss, 408, 425, 492,496, 51
Gough,J.W.: 201 Hoersrer, No1
430,433,466,517,519,634,669 Grewe, Constance : 392
Durckheim, Émile : 395, 466 Hohn, Reinh:
Griffith, J.A. : 268 Holland, Thu
Dürig, Günter : 643, 644 Grimm, Dieter : 66, 67
Duverger, Maurice: 391, 669 484
Grotius, Hugo : 36, 46, 108, 173, 237, 343 Holmes, Oli,
Dworkin, Ronald: 270,289,290, 291, 298, Guizot, François: 61, 351, 367, 368, 370,
623,625 Holr, Lord : 2
371,594 Hood Phillip,
Gumbel, Emil : 129 Huber, Ernst
-E- Gumplowicz, Ludwig: 93 Humboldr, \\
Ehmke, Horst : 653, 678 Gurian, Waldemar : 563 Hume, David
Eisenmann, Charles : 15, 395, 421
Esmein, Adhémar: 331, 386, 389, 427, 428 -H-
Ernst August d'Hanovre : 62
Habermas,Jürgen: 610,625 Ihering, Rud,
Ewing, K.D.: 303
Hagerstrõm, Axel : 466 439, 521, 6'
Hailsham, Lord : 273 Irvine of Lair
F- Hale, Sir Marthew: 13, 164 ss, 169 ss, 180
Favoreu, Louis : 392, 417, 420, 670, 677, Hallam: 248
680,682 Haller, Carl Ludwig : 53
Ferguson, Robert : 166 Hallsrein, Walter : 307 Jacobi, Erwin
Fichte, Johann Gottlieb: 34, 51,632 Hamon, Francis : 392 Jacques l": li
Filmer, Sir Robert : 207 Hamon, Léo: 666, 681 Jacquemin, L
Finnis, John : 510 Harlow, Carol : 327 Jancourt : 34
Index des noms Index des noms 721

f, Ernst : 557, 564, 566, 577 Hart, Herbert LA. : 216, 232, 233, 272, Jeanneney, Jules: 495
E.V.: 343 280, 441, 451, 452, 459, 460, 462, 494, Jellinek, Georg : 7, 16, 62, 67 ss, 88, 96 ss,
, Ernst : 539, 560, 561, 574, 588 498, 511, 626 237, 238, 333, 360, 384, 385, 387, 406 ss,
Ians : 6, 535, 557, 570, 573 Harrington, James: 166, 632 428, 430, 439, 471, 473, 494, 504, 512 ss,
II de Prusse: 39, 55, 57, 346, 513, Hartmann, Nicolai: 108 517 ss, 531, 560, 692
;7 Hauriou, André : 390 Jellinek, Walter: 109, 117, 129, 471, 531,
-Guillaume d'Hesse électorale : 86 Hauriou, Maurice: 331,383,384,387,388, 613
-Guillaume III de Prusse : 55 389,390,403,434,586,634,669 Jennings, Sir William Ivor: 161, 214, 252,
Guillaume IV de Prusse : 75 Hayek, Friedrich August von : 64, 163, 253,268,276ss,286,287,689
, Sandra : 297 168, 180, 270, 272, 274, 290, 339, 425 Jeze, Gaston: 402
Roland : 547, 570 Hearn, W.E.: 214, 249 Jordan, Silvester : 34
;6, 570 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich : 95, 108, Joseph II : 39
rn, Walter: 216 491,586 Jouanjan, Olivier: 674
, Michel : 106 Helfritz, Hans : 538, 552, 575 Jowell,Jeffrey: 6
Jn: 549, 588 Heller, Hermann : 107 ss, 111, 118 ss, 129, Juillé, Eugene : 387
425,427,541,566 Jurieu, Pierre : 360, 367
G Hello, C.-G. : 343, 353 Justi, Johann Heinrich Gottlob von : 44
:ar!: 73 Helvétius, Claude Adrien : 217, 358
7illi : 153 Henry, J.-P. : 391 -K-
riedrich : 61 Herzog, Roman: 106, 141
Kagi, Werner : 136, 607
rnçois : 338, 503 Hesse, Konrad : 140, 146, 147
Kant, Immanuel: 16, 30, 31, 32, 35, 36, 37,
:ar! Friedrich von: 7, 30, 68, 69, 73, Heuston, R.F.V. : 276 ss
38, 41, 42, 44, 46, 47, 48, 50, 52, 54, 55,
, 428, 465, 469, 471, 472, 494, 513 Hewart, Lord : 268, 273
56, 58, 62, 63, 64, 65, 73, 97, 108, 186,
erg, Oliver: 610 Hippel, Ernst von: 131
237, 238, 336, 343, 344, 346, 349, 351,
fean : 392 Hitler, Adolf : 6, 105, 106, 136, 152, 268,
352, 375, 408, 424, 427, 439, 467, 491,
)no: 67, 78, 146,384,426 498, 506, 529, 530, 532, 535, 539, 542,
492, 496, 504, 513, 518, 520, 592, 612,
'Estaing, Valéry : 391 548, 554, 558 ss, 565 ss, 572, 580, 581 ss,
615,632,684,692
udolf: 67 ss, 75 ss, 88, 89 ss, 109, 585 55
Kaufmann, Erich: 107 ss, 111, 118 ss, 125,
5 Hobart, Sir Henry : 198
134
, Joseph : 528 Hobbes, Thomas : 16, 36, 41, 46, 164 ss,
Keble: 198
-lermann : 535, 557 168, 182 ss, 211, 240, 375, 427, 428, 448,
Kelsen, Hans : 7, 8, 26, 45, 68, 69, 73, 89,
W. :201 492,496,513,514,615
96 ss, 100 s, 107 ss, 111 ss, 118, 131 ss,
onstance : 392 Hoerster, Norbert : 494
137, 231, 234, 248, 271, 393, 395, 417,
.A.: 268 Hêihn, Reinhard : 546, 564, 567, 569
422, 424, 426, 429, 430, 441, 443, 451,
)ieter : 66, 67 Holland, Thomas Erskine : 457, 458, 461,
457, 464, 465, 468, 471, 472, 473, 481,
-Jugo : 36, 46, 108, 173, 237, 343 484
482,486, 487, 490, 494,502,504 ss, 518,
'ranço is : 61, 351, 367, 368, 370, Holmes, Oliver Wendell: 7, 511
526, 531, 533, 547, 584, 609, 613, 624,
4 Holt, Lord : 200
668,685,687,688,691
Emil: 129 Hood Phillips, Owen : 258
Kenyon, Lord : 200
•icz, Ludwig : 93 Huber, Ernst Rudolf : 586
Kirchhof, Paul : 652
í'aldemar : 563 Humboldt, Wilhelm von : 31, 37, 44, 55
Kierkegaard, Sêiren : 536
Hume, David : 227, 344, 467, 504
Knolles, Richard : 353
-H- -1-
Koellreutter, Otto: 6, 440, 538, 539, 540 ss,
, Jürgen : 610, 625 575,588
m, Axel: 466 Ihering, Rudolf von : 73, 75, 333, 385, 387, Krauss, G. : 564
Lord: 273 439,521,692 Kriele, Martin: 510
V!atthew : 13, 164 ss, 169 ss, 180 Irvine of Lairg, Lord : 325, 327 Krüger, Herbert : 585, 587
'.48 Kunig, Philip: 8, 10, 17, 148,422,650
ri Ludwig : 53 -J-
Walter: 307 Jacobi, Erwin: 124
-L-
rancis: 392 Jacques l" : 168, 180, 192 Laband, Paul : 7, 30, 68, 69, 73, 97, 107,
éo: 666, 681 Jacquemin, Didier : 1, 694 111, 234, 248, 333, 384, 385, 465, 469,
aro! : 327 Jancourt : 341 471,472,473,474,494,513,531
722 Index des noms 1 Jndex des nom

Laferriere, Firmin : 343, 371 Postema, Gerald


Michelet, Jules: 338
Laferriere, J ulien : 390 Michoud, Léon : 384, 385, 387, 403, 428 Powys, Sir Tho1
Laignel, André : 357 Prélot, Marcel :
Mill,James: 241
Lally-Tollendal: 374 Mill, John Stuart : 265, 593 Preuss, Hugo : t
Lambarde, William : 163 Mirkine-Guetzévitch, Boris : 388 Pufendorf, Samt
Lammers : 570 Mohl, Robert von: 6, 34, 37, 38, 39, 40, 42,
Langdale, Lord : 262 43, 45, 46,48,52, 53,54,65,67,332
Lange, Heinrich: 531,568, 580 Montesquieu: 36, 38, 46, 54, 63, 65, 81, 82, Quesnay, Fran~,
Lanjuinais, Jean Denis: 343,350, 351, 353, 84, 297, 336, 339 ss, 344, 346, 348, 351,
367 356, 369 ss, 373, 374, 375, 376, 380, 403,
Larenz, Karl: 531 492, 568, 580, 582, 600, 616, 621, 626,
Laski, Harold: 268 Radbruch, Gu,
684, 687, 688
127 ss, 148.
Latham, Richard T.E. : 276 ss Moreau, Félix : 386, 389
530 ss, 613, 6
Laws, Sir John: 297 Morris, Lord : 275
Le Fur: 403 Rawls, John : 2
Mounier: 374
Le Mercier de la Riviere: 341,354 Muhrhard, Friedrich : 35 Raz, Joseph: 2:
Rehm, Hermar
Lederc, Claude : 391 Müller, Adam : 33, 53, 69
Reid, Lord : 27'.
Leisner, W. : 391 Müller, Friedrich : 503
Riais, StéphaDé
Lilburne, John : 198 Münch, Ingo von : 558
Rivéro,Jean: 2
Lirr, Theodor : 121 Mussolini: 607
Robespierre, :ti'.
Locke, John : 13, 36, 41, 46, 164 ss, 168,
377
173, 193,199,206 ss, 216,217, 252, 270, N- Robson, Willi,1
290,330,375,427,492
Napoléon : 350, 366, 377 Ross, Alf : 468
Lolme, Jean-Louis de: 260, 374
Napoléon III : 593 Rossi, Pellegri,
Loughlin, Martin : 270
Nawiasky, Hans : 471 Rorreck, Carl 1
Louis XIV: 168
Newton: 344 38, 42, 48, :
Louis XVIII : 60
Nézard, Henry : 386, 389 Rousseau, Dor
Loyseau : 419
Nietzsche, Friedrich : 450, 572 Rousseau,Jean-
Lubbe: 537
Novalis: 23 108, 136, 33
353, 357 ss,
-M- -0- 380, 408, 42;
Macciavelli, Niccolo : 48, 425 572, 594, 6C:
Oertzen, Peter von : 94
MacCormick, Neil D.: 459,462,511,523, Royer-Collard
Olivecrona, Karl : 480
524 Ruiz-Fabri, H
Oliver, Dawn : 2, 297
Maihofer, Werner: 106 Rüthers, Bem
Oppermann, Thomas: 315
Maine, Sir Henry : 265 Ryffel, H. : 6C
Oppetit, Bruno: 421
Mairland, Frederic William : 177, 577
Ortolan, Joseph-Elzear : 343
Malouet: 374
Ott, Walter: 451, 479
Mangoldt : 140
Saint-Just, Lo',
Mann, Thomas: 1, 36 p Saint Augusti
Mareie, René : 155
Saint-Pierre, <
Markby, Sir William : 456 Pactet, Pierre : 390
Saint Thoma,
Marshall, Geoffrey : 269, 276 ss, 312, 327, Pétain : 495, 506
491,525, s:
422 Petersen, Johann Wilhelm : 1, 32, 36
Salmond, Sir
Marx, Karl : 465, 548 Pfersmann, Orro: 419,670,677,687
Savigny, Frie,
Maunz, Theodor: 586, 643 Pfizer, Paul : 34, 46
Scarman, Lor
Mayer, Otro : 4, 19, 67 ss, 77 ss, 107, 109, Picard, Étienne: 23, 418, 420
129 ss, 149,333,385,411,412,471,494,
Scarpelli, Ub
Pinheiro-Ferreira, Sylvestre: 343, 353, 371
512 ss
Scheler, Max
Pinto, Roger : 390
Mazzini : 604 Scheuner, Ul
Placidus : voir Petersen
McAuslan, Patrick : 268 Schild, W. : 5
Plaron : 344, 491, 576, 590
Schlegel, Fri,
Mcllwain, Charles Howard: 195, 197 Plucknett, F. : 177, 199
Megarry, Sir Robert : 292 Schmidr, Jor:
Pocock, J. : 170
Metternich: 43, 61 Schmidt, Ric
Portalis, Jean : 342,450
Index des noms Index des noms
723

Jules: 338 Postema, Gerald : 193, 202 Schmidt-Assmann, Eberhard : i'47


Léon : 384, 385, 387, 403, 428 Powys, Sir Thomas : 200 Schmitt, Carl : 6, 77, 107 ss, l17, 118 55
:s: 241 Prélot, Marcel : 390 123 ss, 130, 136, 152, 420, 440, 469, 497'
, Stuart : 265, 593 Preuss, Hugo : 67 529, 531, 538, 539, 540, 547, 563 ss, 604:
;uetzévitch, Boris : 388 Pufendorf, Samuel: 16, 36, 48,428,513,689 609,637,654,677,678,685
Jert von : 6, 34, 37, 38, 39, 40, 42, Schweinichen, Otto von : 568
46, 48, 52, 53, 54, 65, 67, 332 -Q- Serrigny, Denis : 343, 351, 366, 367, 368
ieu : 36, 38, 46, 54, 63, 65, 81, 82, Seve, René: 216
Quesnay, François : 341
, 336, 339 ss, 344, 346, 348, 351, Seydel, Max von : 73
1 ss, 373, 374, 375, 376, 380, 403, Sidgwick : 456
8, 580, 582, 600, 616, 621, 626,
-R- Sieyes, Emmanuel: 63, 136, 360, 367, 370,
1,688 Radbruch, Gustav : 16, 30, 112 ss, 117, 373,380,421,615,677,688
:élix : 386, 389 127 ss, 148, 150, 471, 494, 495, 497, Smend, Rudolf : 105, 106, 107 ss, 111,
)rd: 275 530 ss, 613, 659 118s~ 129,541,649
374 Rawls, John: 270,290 Smith, Thomas : 164
, Friedrich : 35 Raz, Joseph: 271, 272, 459 Sabota, Katharina: 10, 147
fam : 33, 53, 69 Rehm, Hermann : 73 Sommer, Walther : 576
·iedrich : 503 Reid, Lord : 275, 301 Spinoza, Baruch : 615
1go von: 558 Riais, Stéphane: 338,419, 666, 670 Stahl, Friedrich Julius: 30, 35, 68 ss, 75 ss,
: 607 Rivéro, Jean : 390, 421 89 ss, 546
Robespierre, Maximilien de : 93, 350, 366, Stein, Karl von : 557
N- 377 Stein, Lorenz von : 44
Robson, William: 161, 252, 268 Stephen : 257
: 350, 366, 377
Ross, Alf: 468, 479, 494, 524, 6Tl Stephen, Leslie : 264
III: 593
Rossi, Pellegrino : 343, 351 Stern, Klaus: 147
, Hans: 471
Rotteck, Carl Rodecker von: 7, 33, 35, 37, Stolleis, Michael: 74, 97, 539
344
38, 42, 48, 50, 58, 63, 64, 65, 336, 615
[enry : 386, 389
, Friedrich : 450, 572
Rousseau, Dominique : 676 ss -T-
!3
Rousseau,Jean-Jacques: 16, 36, 41, 46, 63, 93,
Tammelo, Ilmar : 533
108, 136, 332, 339 ss, 345, 349, 351, 352,
Thatcher, Margaret : 289
353, 357 ss, 366, 367, 368, 373, 375, 377,
-0- 380,408,427,428,430,448,492,496,513,
Thibeaudeau : 380
leter von : 94 Thoma, Richard : 67, 69, 83, 89, 98, 105,
572,594,600,601,602,609,612,615,687
107 ss, 111 ss, 125 ss, 137, 468, 472 ss,
a, Karl : 480 Royer-Collard, Pierre : 368, 632
499,531,533,613,624,684
1wn: 2,297 Ruiz-Fabri, Hélene : 392
Thomasius, Christian : 48
rn, Thomas: 315 Rüthers, Bernd : 532, 580
Timsit, Gérard : 476
lruno: 421 Ryffel, H. : 607
Tite-Live : 163, 166
oseph-Elzear : 343
Toqueville, Alexis de : 632
,r: 451, 479 S- Tourreil, Jacques de : 225
Saint-Just, Louis Antoine: 154 Triepel, Heinrich: 107, 124, 134
P- Saint Augustin : 492 Troper, Michel: 392, 410, 417, 418, 419,
rre: 390 Saint-Pierre, Castel de: 377 422, 479, 480, 487, 494, 502, 507, 622
'5,506 Saint Thomas d'Aquin: 42, 108, 344, 397, Turpin, Dominique : 392
ohann Wilhelm: 1, 32, 36 491,525,586
,, Otto: 419,670,677,687 Salmond, Sir John : 205, 458 -U-
l: 34, 46 Savigny, Friedrich Karl : 64
Unruh, Georg-Christoph von: 48
enne: 23,418, 420 Scarman, Lord : 275
úreira, Sylvestre : 343, 353, 371 Scarpelli, Uberto : 14, 478
:er: 390 Scheler, Max: 108
-V-
uoir Petersen Scheuner, Ulrich : 89 Vattel, Emer de : 680
4, 491, 576, 590 Schild, W. : 534 Varam, Jean-Marc : 336
F.: 177, 199 Schlegel, Friedrich : 51 Vedei, Georges : 4, 375, 390, 391, 419,
: 170 Schmidt, Jêirg: 545 423, 428, 435, 667, 668, 669, 670, 673 ss,
-an: 342,450 Schmidt, Richard : 73 685
724 Index des noms

Verdross, Alfred : 490 42, 45, 48, 52, 53, 54, 57, 58, 59, 61, 62,
Virally, Michel: 431 67,336
Voltaire: 168, 339, 343, 377 Wemworrh, Peter: 163
Wernicke: 644
-W- Werrenbruch, Wilhelm: 146
Wilk, Kurr : 158
Wade, H.W.R.: 268,282 ss, 320
Willes: 262
Waldron, Jeremy: 299 ss, 615
Wilson, Harold : 324
Waline, Marcel : 398, 479 A nalytical J11risi
Wolff, Christian : 36, 48
Walter, Robert: 471, 509 Aurolimitation
Weber, Max : 98, 108, 112, 231, 339, 395, - théorie d,
406, 450, 467, 472, 473, 502, 504, 566 -Z-
- etautono,
Welcker, Carl Theodor : 7, 33, 35, 37, 40, Zoller, Élisabeth : 392, 417, 419 - norme fo
517 ss, 674, e
Autonomie : 41
616
voir aussi lib

Balance des p,,


pouvoirs, régir
B11ndesveifass11.
- jurispru,
142 ss, 144, 1
- jurisprud
ruam: 152,
- jurisprUL
661 55

Charte des dn
309
Ciroyen : 43,
244, 606
Codification :
Cognitivisme
Commonlaw
- théorie,
- rhéorie~
- rôle du
- et statul
- et eq11it_1
Commonweal
Communaut,
314 ss
Concept:
- nationa
- disrinct
- distinct
14, 21, 25
- concep1
66, 68 ss, 7
- concep
Index des noms

48, 52, 53, 54, 57, 58, 59, 61, 62, '
INDEX DES MATIERES
h, Peter : 163 (Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphes)
: 644
1ch, Wilhelm : 146
,: : 158
,2 -A- 68 ss, 71 ss, 89, 96, 125, 149 ss, 270 ss,
larold: 324 305, 551 ss, 570 55
ristian : 36, 48 A nalytical fztrisprudence : 216, 217 ss - concept doctrinal/ de droit positif: 3,
Autolimitation: 73,237, 276 ss, 431 8 ss, 15, 17, 138, 139 ss, 417, 650
-2- - théorie de Jellinek : 16, 97 ss, 517 ss - criteres de scienrificité : 25, 334, 382,
- et autonomie kanrienne: 42,439,518 423
isabeth: 392,417,419 - norme fondatrice : 61, 62, 72, 415, - usage anachronique : 336
517 ss, 674, 685 voir aussi mots, droit comparé
Autonomie: 41 ss, 172, 183, 362,431,615, Concret:
616 - pensée des ordres et créations
voir aussi liberré(s), souveraineté concretes : 579 55
Cansei! constitutionnel :
-B- - et État de droit: 6, 417
- jurisprudence Maastricht II : 671 ss
Balance des pouvoirs : voir séparation des
Conseil de l'Europe: 316 ss
pouvoirs, régime mixte Constitutionnalisme :
B1mdesveifass11ngsgericht: 16, 153
- common law : 196 ss, 255 ss, 290 ss
- jurisprudence sur le Rechtsstaat - écrit: 60 ss, 211, 268, 273, 274 ss
142 ss, 144, 662 - contemporain: 420
- jurisprudence sur le pouvoir consti- Contrôle de constitutionnalité des !ois :
tuam : 152, 657 ss - émergence historique : 65, 87, 88,
- jurisprudence sur l'art. 79 ai. 3 LF : 125 ss, 153 ss, 196 ss, 262 ss, 289 ss,
661 55 324 ss, 378 ss, 422
- légitimité : 619 ss (voir aussi démo-
-C- cratie, droit)
Charte des droits fondamentaux de !'UE : voir aussi Bundesverfassungsgericht,
309 Cansei! constitutionnel, Convenrion
Citoyen : 43, 63 ss, 94, 95, 104, 105, 241, européenne des droits de l'homme
Convenrion européenne des droits de
244,606
Codification : 64, 240 l'homme: 316 ss
Convention sur la sécurité et la coopéra-
Cognitivisme éthique : 498
tion en Europe : 3, 617
Commonlaw:
Conventions de la constitution : 249, 254,
- théorie classique : 169 ss, 182
- théories contemporaines : 290 ss 265
- rôle du juge: 176 ss, 301, 293 ss
- et statute law : 193 ss, 293 ss -D-
- et equity : 192 Démocratie :
Commonwealth: 13,164,214 - définition formelle ou matérielle :
Communauté de droit : 1, 2, 12, 17, 307, 112 ss, 119 ss, 136 ss, 289, 602, 603,
314 55 609 ss, 633, 648
Concept: - et libéralisme/État de droit: 16, 19,
- nationalité: 31, 36 30, 54 ss, 114 ss, 120, 136 ss, 297, 299,
- distinction mor/discours: 21 357 ss, 413, 414, 590 55
- distinction mot/concept/chose : 11, - démocratie totalitaire : 136, 598, 618
1~ 21, 25, 31,331,333, 38~ 53~ 576 - démocratie et juge: 19, 106,137,293,
- concept normatif!descriptif: 16, 25, 297,597,619 ss, 690
66, 68 ss, 71 s, 96, 270 ss, 393 Dépendance personnelle : 351, 430, 687
- concept formel/matériel : 16, 39, 66, Despotisme : 32, 38, 44, 47, 59, 70, 166,
726 lndex des matieres Jndex des ma;

- crmque5
268, 336, 339, 357, 432, 529, 566, 567, 584, -E- Guerre de5 die1
588,687
- de5poti5me oriental : 339 Économie (principe épiscémologique
- gouvernement de5 homme5 : 163, d'~): 25
166,339,689 Écac : 13, 48, 82, 121, 129, 339, 351, 352, Hiérarchie de5
voir au55i dépendance per50nnelle, Écac 399 H11ma11 Rights
de5potique, Etat de police - et droic: 12, 13, 16, 19, 426,427,429
De5poti5me édairé : 43, 54 55, 182 55, - et État de droit (Rechtsstaat) : 2, 5, 7
153 55, 187 55, 354 13, 19, 26, 27, 31, 32, 33, 38, 45 ss, 73,
Is et 011ght : vo.
De5poti5me légal : 341 98 ss, 100, 101,146,271,335,347 ss, 352,
Indifférentism
Dignité humaine : 644 394, 398 ss, 410 ss, 424 ss, 686, 687
668
Droit: - personnalicé juridique de l'Écat : 5, 7,
- et 5anction: 77, 218 55,229, 254, 396, 16, 73, 98, 351,428,430,512 ss, 567
400,404,405,431,432,522 - garantie conscicucionnelle de l' écaci-
cicé : 652, 681 Juge:
- et juge: 77 55, 80, 101, 109, 125, 130 55, - indépen,
147, 215, 229, 253 55, 280, 281, 297 55, voir aussi State, Staat
- juge adn
314, 317, 380, 414, 421, 431 S5, 660, 688 Écat civilisé (K11lt11rstaat) : 3, 48
252
voir au5si droit naturel, droir po5itif, Écac d' exception : 558 ss
- iuge COI
garantie5, obligarion, Sein et Sollen Écac de droit (avec e minuscule) : 46, 352,
125 55, 378:
Droir communaucaire : 307 55 387,390 - bouche·
Droit comparé : *tat de la raison (Vermmftstaat) : 33, 35 - confu5i1
- rran5po5ition de concept5 écranger5 : Ecac de non-droit: 13, 559 droit ( ~ et
4, 23, 333, 382 55 Écac de police (Polizeistaat) : 13, 32, 34, 44, - juge dan
- méchodologie : 4, 23, 24 70, 77, 411 - dans la
- fonccion cognirive rnterne ou Écac de puissance (Machtsstaat) : 13 - inrerpré
externe: 24 État despocique: 7, 13, 33, 47, 49 ss, 351, 201 S5, 243.
Droit du plu5 fon : 345, 572 411,427 - pouvo1r
Droir gouvernement : 13, 36, 353 Écac légal: 5, 410 ss - confianc
Droit internacional et européen : 304 55 Écac nazi : 13, 529, 539, 558 ss, 578, 588, 128 55, 301.
Droir nacurel : 687 - et démo
- école cla55ique du droir naturel : 42, Écac-providence: 19, 32, 34, 44, 251, 268, J uridiccionna
91,344 651 305, 306, 385,
- école moderne : 41, 42, 185 ss, 208 ss, Écac chéocratique : 7, 33, 52 Jurie con5titu
340 ss Écac total : 13 J u5naturali5m
- Analytical ]11rispr11dence : 216, 236, Écac cocalicaire : 13 - lien5av,
343,452 Êcre et devoir êcre : voir Sein et Sollen 448 S5, 451
- philosophie de5 valeurs : 108, 121, - définici,
123 -F- voir au55i
- droit nacurel nazi: 16, 30, 498, 531, moni5me,,
Führer: 554, 566, 567, 568, 581 55, 585 55 J u5po5ÍtÍ vÍ5m
533, 579 ss, 585 ss
- renaissance du droit naturel : 30, 108, - origine
150
-G- - Aliem~
- légalisme : 494 ss Garanties du droit : 463 55
- garanties policique5 : 79 55, 83, 88, - Anglec,
- suprémacie sur le droit posicif :
126 ss, 131, 299 S5, 325, 361 55, 369 5S, - France
208 55, 233 ss, 345, 360, 492
380,619 5S, 683,684 - Réalisn
- nécessité du droit nacurel : 27, 499 ss
- définici
Droit privé: 77, 78, 82, 129, 317, 380, 431 - garamie5 juridiccionnelles : voir droic
- criciqu
Droic po5itif : ( ~ et juge)
530 55, 54:
- origine du moe : 450 Gardien de la con5titucion : 125 55, 380
- droit posicif comme Sollen : 501 ss, Gesetzesstaat : 5
511,522 ss Gouvernement de5 juge5 : 129, 589, 668
Droics de l'homme : voir libené(s) voir au5si Richterstaat Lacunes:
Dualisme méchudologique : 97 ss, 216 s5, Grimdnorm: - 5i]ence
403 ss, 442, 452 ss, 472 ss, 490 ss - définition : 504 ss 127,474, 1
Index des matieres Index des matieres 727

-E- - critiques : 506 ss Lawfit! govemment : 13, 36, 166


Guerre des dieux : voir relativisme éthique Légalisme: 409, 494 ss, 506, 530 ss
(príncipe épiseémologique Légalité/légitimité : 543 ss, 563 ss
-H- voir aussi moralité interne de la légalité
:, 82, 121, 129, 339, 351, 352, Libéralisme :
Hiérarchie des normes: 132, 581 ss
H11man RightsAct 1998: 16, 324 ss - et démocratie : 54 ss, 103 ss, 114 ss,
: : 12, 13, 16, 19,426, 427, 429 136 ss, 151, 299, 357 ss, 413, 414, 590 55
de droit (Rechtsstaat) : 2, 5, 7 -I- Libené(s) : 41, 43, 116, 123, 147, 252, 270,
, 27, 31, 32, 33, 38, 45 ss, 73, 289 ss, 309, 310, 342, 343, 358, 360, 569,
101,146,271,335,347 ss, 352, 1s et 01,ght : voir Sein et Sollen
608 ss, 614 ss, 64 3 55
,, 410 ss, 424 ss, 686,687 Indifférentisme méthodologique : 418 ss,
- concept négarif/positif: 604
nalité juridique de l'État : 5, 7, 668
Loi
351, 428, 430, 512 ss, 567 - regne des !ois : 38, 45, 70, 163, 166,
e constitutionnelle de l'étati- -J- 338, 339, 353, 377, 566, 576, 577, 582,
681 Juge: 687
State, Staat - indépendance: 191 ss, 580, 582 - justice des !ois parlementaires : 64,
:K1dt11rstaat) : 3, 48 - juge administratif : 67, 71 ss, 75 ss, 211,212,241,265,359,362
cion: 558 ss 252 - !ois injusees : 346, 526, 529
: (avec e minuscule) : 46, 352, - juge constitutionnel : 65, 87, 88,
125 ss, 378 55 -M-
1ison (Vermmftstaat) : 33, 35 - bouche de la !oi : 65, 176, 376, 580
- confusion entre juge et droit : voir Monarchie conseimtionnelle : 66
droir : 13, 559
droie ( ~ et juge) Monisme méehodologique : 247, 429, 442,
e (Polizeistaat) : 13, 32, 34, 44,
- juge dans la common law: 176 ss 455,465,507
- dans la pensée moderne : 65, 375 ss voir aussi droit namrel, droie posirif,
ance (Machtsstaat) : 13
- interprétation de la !oi : 65, 133, 186, dualisme méehodologique, jusnatura-
1ue: 7, 13, 33, 47, 49 ss, 351,
201 ss, 243, 294, 327, 376, 377, 580, 626 lisme, juspositivisme
- pouvoir créateur: 133, 134, 156, 157 Moralité interne de la légalité : 542, 547,
' 410 55 - confiance dans !e juge: 81, 84 ss, 106, 549, 550 ss, 573, 576, 577, 588
3, 529, 539, 558 ss, 578, 588, Moes:
128 ss, 301, 302
- et démocratie : voir démocratie - méfiance : 4, 217, 269, 311 ss, 315,
nce: 19, 32, 34, 44, 251, 268, Juridictionnalisation : 16, 67, 75, 215, 273, 392, 393, 403, 417, 423, 445, 446, 564,
305, 306, 385, 391, 620 55 565
:ique : 7, 33, 52 Jurie constieutionnaire : 380 - source de confusions : 5 ss, 217, 403
3 Jusnaturalisme: - polysémie: 6, 7, 21, 573
re: 13 - liens avec juspositivisme: 441 ss, 447, - fragilité des moes: 21, 29
r être : voir Sein et Sollen 448 ss, 451 ss, 463 ss, 506, 508 - usage anachronique: 21, 335
- définition : 25, 489 ss - traductions : 5
-F- voir aussi droit naturel, juspositivisme, - propagande : 538, 569, 570 ss, 576
566, 567, 568, 581 ss, 585 55
monisme, dualisme méthodologique - combat des moes : 564, 571
Juspositivisme : - ee droit : 14, 15 ss, 564, 565
- origine étymologique du mor : 478 - normaeiviré variable : 5, 682
-G- - Allemagne : 89, 96 ss, 111, 112 ss, - traieement docerinal variable : 1O, 21
droir: 463 55 - approche sémantique en droit : 21
es politiques : 79 ss, 83, 88, - Angleterre: 216 ss, 246,247 ss, 452 ss voir aussi concepe
1, 299 ss, 325, 361 ss, 369 ss, - France: 342, 402 ss, 419
;, 683, 684 - Réalisme américain: 511 -N
,s juridictionnelles : voir droit - définition: 247,419, 476 ss
) - critiques : 111, 118 ss, 494, 499 ss, National-socialisme : 528 ss
1 constitution: 125 ss, 380 530 ss, 543, 547 Noncognitivisme érhique : 407, 459, 465
:5 Non-État : 559
:nt des juges : 129, 589, 668 L-
Richterstaat Lacunes:
-0-
- silence de la constitution : 88, 125, Obéissance :
on: 504 ss 127, 474, 624 - obligaeion morale d'obéissance au
728 lndex des matieres

droit : 43, 66, 92, 186, 225 346 408 Résistance :


468 ss, 494 ss, 512, 567 , , , - droit de résistance : 58, 186, 213, 346,
Obligation : 363,408,496
- droit et obligation : 345 396 397 voir aussi obéissance
400, 404, 427, 509, 522 ss ' ' ' Ressemblance de familie : 477
- in foro externolin foro interno : 21, Richterstaat: 129, 154, 155
185,210,238,244,345,524,525 voir aussi gouvernemem des juges
Organicisme : 33, 78
Sommaire
-S- Liste des p1
-P Sécurité juridique: 70, 144, 163, 252, 272,
Parlemem: 549, 554 ss, 577 Préface
- débat parlememaire : 372 Sein et Sollen lntroducti<
- suprématie : 63 ss, 188 ss, 206 ss, 355, - distinction logique : 220, 224, 226,
§ 1.
356 ss, 365 ss 227, 343, 344, 395, 460, 467, 482, 504,
505,510,516,527 A.
Philosophia negativa : 528, 536
- droit comme Sollen : 27, 500 ss B.
Peuple: 606
Positivisme : Séparation des pouvoirs : 1O, 58, 63 ss, 81, e
- positivisme philosophique : 466, 147,212,373,374,568,569,616,684 §2
478 Souveraineté : 60, 61, 82, 99, 183 ss, 207, A
- positivisme sociologique : 395 ss 228, 237, 259, 264, 274, 275 ss, 282 ss,
B
-:- positivisme juridique : voir juspositi- 332, 348, 359, 360, 361, 366 ss, 518,
612, 673 ss §3
v1sme
- absolue : 359, 366 A
Pouvoir constituam originaire : 60, 637,
638 - souveraineté du peuple : 599 ss B
- comrôle juridictionnel : 152, 657 ss - souveraineté du droit, de la raison :
Pouvoir constituam dérivé : voir pouvoir 61,368
de révision constitutionnelle - et constitution : 60 ss, 212, 274,
Pouvoir de révision constitutionnelle: 629 275 ss, 355, 361, 367
- limites procédurales : 631 - souveraineté du parlemem : 200,
- limites ratione temporis : 631, 635 206 ss, 259 ss, 273, 275 ss, 320 ss, 325, 355
Staat : 13, 45 ss, 146
- limites matérielles : 117, 124, 141,
State: 13, 164, 165, 214
143, 152, 632 ss, 637 ss, 666 ss
- Law State : 2
Prééminence du droit (príncipe de la ~) :
- State ofLaw : 2
2, 17,317,318
- Rufe ofLaw State : 2
Prévisibilité : 252, 272
Suffrage restreim : 371
Supraconstitutionnalité : 628 ss, 666 ss
-R Titre
Rationalisme constructiviste: 64, 168, 274, -U Chapitre
339
Rationalisme évolutionniste: 168,274 Union de droit: 1, 12
Réalisme américain : 511 Unrechtsstaat : 13
Réductionnisme : Uti!itarisme: 230, 266, 274
- réductionnisme empirique : 501 ss
- réductionnisme rétrospectif: 510 -V-
Régime mixte: 64, 212, 373, 374 Valeurs (philosophie des ~): 108, 121, 123, Section
Relativisme éthique : 111 ss, 395, 497 152 §
Représemation : 56, 61, 63 ss, 370, 625 Verfass1mgswidrige Verfasszmgsnormen :
Rep11blik: 13, 38, 45 ss, 105, 647 628 ss
République : 13, 348, 349, 350, 416, 427 Volk (racial) : 544 ss
Index des matieres

'
TABLE DES MATIERES
e de résiseance : 58, 186, 213, 346,
8,496
,si obéissance
mce de familie: 477
at: 129, 154, 155
,si gouvernement des juges
Sommaire V
-S- Liste des principales abréviations VII
uridique: 70, 144, 163, 252, 272,
s, 577 Préface XI
1/en
Introduction 1
nceion logique : 220, 224, 226,
3, 344, 395, 460, 467, 482, 504, § 1. Les moes, sources de brouillage concepeuel 5
:i, 516, 527 A. Des expressions polysémiques 6
r comme Sollen : 27, 500 ss B. Le Rechtsstaat : une expression pléonaseique 7
1 des pouvoirs: 10, 58, 63 ss, 81, C. Des expressions synthéeiques, eiraillées entre le vide ee le erop plein 9
373,374,568,569,616,684 § 2. L' État de droit entre moe ee concepe, entre ehéorie ee dogmaeique 11
eeé : 60, 61, 82, 99, 183 ss, 207,
A. De la diseinceion entre moe, concepe ee chose en droit 11
37, 259, 264, 274, 275 ss, 282 ss,
148, 359, 360, 361, 366 ss, 518, B. De la distinction entre concept docerinal et concept de droie posicif 14
73 ss § 3. En quêee d'un sens ee enquêee sur le non-sens d'un moe 17
lue : 359, 366 A. L'objee de la recherche 17
'eraineeé du peuple : 599 ss B. La méehode de la recherche 19
'eraineeé du droie, de la raison : l" Une approche sémantico-analytique 19
onseieueion : 60 ss, 212, 274,
2" Une approche comparative 22
355, 361, 367 3" Une approche critique 25
reraineeé du parlement : 200,
!59 ss, 273, 275 ss, 320 ss, 325, 355
45 ss, 146
164, 165,214
State: 2 Partie I
·o/Law: 2
· ofLaw Sta te : 2
Du Rechtsstaat à l'État de droit ?
:sereint : 371 Archéologie des mots et des concepts
,eieueionnalieé : 628 ss, 666 ss
Titre 1. À la recherche du sens d'un néologisme : le Rechtsstaat 31
-U
Chapitre 1. L'invention du Rechtsstaat ou le regne de la Loi
droie : 1, 12 et de la Raison 35
aat: 13 a) L'origine du moe 36
ne: 230, 266, 274
~) L'origine de l'idée 40
-V- y) La définieion maeérielle ee formelle du Rechtsstaat 42

nilosophie des ~): 108, 121, 123, Section 1. La Libercé, fin suprême du Rechtsstaat, du Vemzmftsstaat ee du Staat 44
§ 1. Le regne de la loi, de la libercé ee de la raison 44
:swidrige Verfasszmgsnormen : A. La révolueion copernicienne du droie naturel : le príncipe d'auconomie 44
B. Les diverses facettes du principe d'autonomie 46
il): 544 ss
l" Le noyau dur: la liberté individuelle 46
2" La pomme de discorde de l'État-providence 48
§ 2. De la sémantique des Lumieres ee des libéraux allemands :
un essai de clarificaeion 49
730 Table des matieres Tabledes m

A. La szmzma divisio entre le Staat (ou la Republik) et le Despotismus 51 Section


B. Une nomenclature empirique: de l'État despotique à l'État de droit 54
l" Théorie et pmtique de l'État chez Kant et Rotteck 54 §
2" La distinction welckérienne entre !e despotischer Staat,
!e theokratischer Staat et !e Rechsstaat 56
Section II. La forme institutionnelle du Rechtsstaat: de l'absolutisme éclairé
vers la monarchie consritutionnelle 58
§ 1. Le premier modele insrirutionnel du Rechtsstaat: le despotisme éclairé 60
A. La légitimarion par Kant du desporisme éclairé 61
B. Le nécessaire dépassement du despotisme éclairé :
« é--uol11tion, au lieu de révol11tion " 62
§ 2. Le second modele insritutionnel du Rechtsstaat :
la monarchie consritutionnelle 64
A. Le principe du constiturionnalisme écrir 64
B. Le régime représentatif ou les premiers déburs de la démocrarie 67
Chapitre 2. Les quiproquos du processus de formalisation
du Rechtsstaat (1848-1919) 73
a) La redéfinition du Rechtsstaat dans le sillage de Srahl 74
13) Déplacement et disparirion du rerme de Rechtsstaat 78
Section I. L'émergence d'un nouveau gardien du Rechtsstaat: !e juge 81
§ 1. Le double discours de légitimarion du pouvoir des juges 82 Sectio1
A. Le premier discours : le paradigme de l'assimilation du droir er du juge 83
l" Exposé 83
2" Critique 84
B. Le second discours : l'inefficacité des garamies poliriques
du droit public 85
1" L 'existence de garanties politiq11es et éthiques 86
2" La spécificité de l'État et d11 droit p11blic 87
§ 2. La dynamique de la juridictionnalisarion du Rechtsstaat 89
A. Ses ressorrs : le postular de la confiance dans les juges 89
1" Les enje11x de la q11estion 89
2" La réponse apportée par Bãhr 011 !e prestige d11 juge allemand 91
B. Ses répercussions : les premiers débars docrrinaux
sur la justice consritutiunnelle 93
Section II. La « dépolitisation » du Rechtsstaat : mythe ou réalité? 95
§ 1. La forme comme objet d'une démarche jusnaturalisre 96
A. Srahl ou l'apologie du statll q110 insriturionnel 97
B. L'ardeur réformiste libérale de Bahr er de Gneisr 100
Tit
§ 2. La forme comme objet d'une démarche posiriviste 102
A. Le modele jellinekien de l'aurolimitarion de l'État 102 Chapi
B. Le modele kelsénien de l'identité du droir, de l'État et de l'État de droit 106

Chapitre 3. Le défi de la démocratisation du Rechtsstaat


(1919-1933 et depuis 1949) 109
a) La portée de la démocratisarion 109 Sec
13) Les grands axes de la réflexion 113
Table des matieres Table des matieres
731

•lik) et le Despotismus 51 Section I. La République de Weimar, laboratoire d'idées


ootiq11e à l'État de dmit 54 du « demokratischer Rechtsstaat »
1otteck
117
54 § 1. Le débat sur ses prémisses philosophiques : relativisme éthique
tischer Staat, vustts philosophie des valeurs 117
56 A. Les positivistes : d'une vision procédurale et relativiste
de l'absolutisme éclairé de la démocratie vers un concept légaliste du Rechtsstaat 119
58 l" Relativisme des valeurs et démocratie 119
taat : le despotisme éclairé 60 2" Le concept formei de la démocratie et les déb11ts d'zme matérialisation 121
iiré 61 3" Une vision légaliste et restrictive d11 Rechtsstaat 123
lairé: B. Les aptipositivistes ou l'apologie d'une vision éthique du droit,
62 de l'Etat de droit et de la démocratie 126
wt: l" L 'esq11isse d'zme méthodologie j11ridiq11e pl11s large 126
64 2" Une dogmatique j11ridiq11e resso11rcée a11x vale11rs 130
64 § 2. Le nouvel enjeu institutionnel ou !e débat
1ts de la démocratie 67 sur !e « Hiitu der Veifasszmg » 131
A. À la recherche d'un « gardien de la constitution » autre que le juge 132
alisation
l" La Jiabilité des mécanismes politiques de protection de la constittttion 132
73 2" Le manq11e de confiance dans les juges 135
de Stahl 74 B. L'apologie du juge au titre du Rechtsstaat 138
btsstaat 78 l" L'imbrication des de11x logiques de Bãhr 139
~htsstaat : le juge 81 2" La question d11 pouvoir créate11r d11 juge 141
iir des juges 82 Section II. Le sacre du Rechtsstaat au lendemain de la barbarie nazie 144
1ilation du droit et du juge 83 § 1. La consécration en droit constitutionnel positif du néologisme
83 de Placidus 146
84 A. Le débat sur le sedes materiae du príncipe du Rechtsstaat 146
es politiques 1" L 'attitude de la doctrine dominante{« herrschende Lehre ») 146
85 2" L 'attit11de de la Cour constitutionnelle fédérale 149
es 86 B. L'existence et le comenu du príncipe général du Rechtsstaat 152
87 l" La définition d11 Rechtsstaat comme zm État juridiquement constitué 153
Rechtsstaat 89 2" L 'inflation de significations ou le « crépuscule du Rechtsstaat » 154
les juges 89 § 2. Le modele institutionnel de l'État de droit démocratique de 1949 156
89 A. Le Rechtsstaat comme « Gerechtigkeitsstaat {État juste) » 157
d11 juge allemand 91 B. Le Rechtsstaat comme « Richterstaat (État des juges) » 159
naux
93
l" L 'aboutissement de la logiq11e de Btihr: Rechtsstaat = Richterstaat 160
2·' La q11estion lancinante d11 po11voir normatifdes j11ges:
i ou réalité? 95 le « Richterrecht (droit prétorien) » 162
aturaliste 96
!I 97
1e1st 100 Titre 2. De la Rule ofLaw ou les particularismes
tiviste 102 de l'esprit juridique anglais 165
l'État 102 Chapitre 1. Le xvn< siecle ou l'âge d'or des droits et libertés des Anglais 169
e l'État et de l'État de droit 106 a) L'origine du terme de rnle oflaw 170
sstaat P) Les termes clés de Commonwealth et de State 171
109 y) Diverses formules proches du Rechtsstaat 173
109 Section I. La lutte de la théorie classique de la common law
113 comre l'absolutisme royal 175
732 Table des matieres Table des mati

§ 1. L'apologie du juge par la chéorie classique de la common law 176


A. La common law ou la ficcion d'un droit populaire, raisonnable
ec immuable 177 Section II. ·
l" Un droit populaire car co11t11mier 177
2 · Un droit libéral car raisonnable 179
§ 1.
3" Un droit into11chable car imm11able 181
A.
B. Laplace du juge au ca!ur de la common law 182
B.
l" L 'image mystificatrice d11 j11ge « lex loquens » 182
2" Le j11ge, gardien excf115ifde la« raison arcificielle » du droit 185
§ 2. La soumission du roí à la statllte law ec à la common law 187
§ 2.
A. Le modele hobbien d'un despocisme éclairé 187
A.
l ' Le concept modeme de s011veraineté 187
2·' La so11mission de la s011veraineté à la foi nat11relle 190
B. L'insercion du roi dans la hiérarchie des fonccions normacives de l'Écac 192
B.
1" En ce qtti conceme !e po11voir législatif 19 3
2" En ce q11i conceme !e po11voir j11diciaire 194
Section II. Du D1: Bonham's Case à l'érnergence du príncipe
de Ia souveraineré du parlernent 196
§ 1. L'apologie parles juges de la suprémacie de la common law 197
A. L'ébauche d'un contrôle de conscicucionnalicé prémoderne des !ois 199 Chapitre 3.
l" Le précédent d11 Dr. Bonham's Case (1610) 199
2" Les répermssions dans la jurispmdence postérie11re 201 o:)
B. Le nébuleux pouvoir d'interprécacion des juges de la common law 203 p:
§ 2. L'apologie de la souverainecé du parlemenc dans le sillage des idées
de Locke 206
A. La suprémacie des !ois nacurelles 208 Section 1
B. Les garancies de la justice des !ois adopcées par !e parlemenc :
le régime mixce 210 §1

Chapitre 2. La Rufe ofLaw, Dicey et l'école de l'Analytical Jurispmdence 213 A


Section I. Une nouvelle donne rnérhodologique: l'école analyrique
fondée par Bemharn er Ausrin 216
§ 1. De la discincrion logique entre le droic rei qu'il esr E
ec le droir rei qu'il devrait êrre 220
A. Le péché de "Blacksrone" ou la confusion entre is er 011ght 221
B. Un "nouveau" départ ou la discinccion logique entre is er 011ght 224
l" La foi positive, ou !e droit te! q11'il est 225
2" Le príncipe d'milité, 011 le droit te! q11 'il devrait être 227
§ 2. De l'arciculacion du droic rei qu'il est er du droir rei qu'il devraic êcre 230
A. Le príncipe d'une hiérarchie entre is et 011ght 230
1" L 'artirnlation des de11x méthodes d11 droit:
/e príncipe de la pl11ridisciplinarité 231
2" L 'articulation des de11x objets d11 droit :
un j11snat11ralisme q11i s'igno1·e 232 Section 1
3'' Des limites j11ridiq11es et morales de la so11veraineté 234
B. Les vecteurs de la suprémacie du 011ght sur le is 236 §
1" Le rôle primordial d11 législate11r él11 démocratiq11ement 236
Table des matieres Table des matieres 733

a common law 176 2" Le rôle secondaire du j11ge : le powuoir d'inte1prétation 238
aire, raisonnable 3" Le citoyen, ultime rempart d11 príncipe d'11tilité 239
177
177 Section II. Dicey, fondateur d'une nouvelle dogmatique du droit
179 constitutionnel anglais 240
181 § 1. La rnle oflaw ou le regne du juge dans la sphere du droit 246
182 A. Le substrat libéral de la mie oflaw 246
182 B. Le volec institutionnel de la mie of law : le juge 247
elle » du droit 185 1" L 'éq11ation d'Austin : droit = sanction = juge 248
nmon law 187 2" L 'éq11ation de Coke: droit = liberté = common law = juge 249
187 § 2. L'arciculacion de la souverainecé du parlemenc et de la role oflaw 252
187 A. L'inexiscence de limites juridiques à la souveraineté du parlemenc 252
irelle 190 1'' Un concept logique 252
ons normacives de l'Écac 192 2" Un fait jurídique 253
193 B. L' existence de limites poliriques ec érhiques à la souveraineté 257
194 1" La S11prématie du souverain politique Sllr le souverain jurídique 257
2" Les conventions de la constiwtion :
rrc1pe
la défense d11 príncipe démocratique 258
196 3" Le regne de l'opinion p11bliq11e: le príncipe d'11tilité 260
common law 197
prémoderne des !ois 199 Chapitre 3. L'ascension de la Rufe ofLaw sous le signe
199 des droits de l'homme et du juge 262
ze11re 201
a) La querelle autour du príncipe de l'État-providence 262
s de la common law 203
~) Le renouveau du concept de la rnle oflaw dans le sillage
ns le sillage des idées
du liberal normativism 265
206
208 Section I. Penser l'impensable: l'idée d'une constitution écrite
le parlemenc : pour !e Royaume-Uni 268
210 § 1. L'esquisse d'une distinccion chéorique entre pouvoir constituam
et pou voir législacif 269
ialytical Jurispmdence 213 A. L' école de la « selfembracing sovereignty (souveraineté s'a11tolimitant} » 271
)!e analytique 1·' L 'existence de« regles (rules) » constitutives d11 so11verain 272
216 2" La q11alité de « rules of law » ou l'appel au juge 275
1esc B. L'école de la« continuing sovereignty (souveraineté continue}» 277
220 1" Le príncipe d'1me souveraineté immuable et inaliénable 277
·e is et ought 221 2" Les incertitudes quant au rôle d11 juge 280
! entre is et 011ght 224 § 2. La redécouverte du concept des droits de l'homme 282
225 A. L'apologie concemporaine du « common law constiwtionalism » 283
út être 227 1" La liberté au cceur de la common law? 284
)Ít rei qu 'il devraic être 230 2" Le rôle croissant du juge 286
230 B. L'émergence d'un forc mouvement réformiste 289
1" L 'apologie d11 juge az, nom des droits de l'homme 290
231 2" L'apologie des organes démocratiq11es au nom des droits de l'homme 292
232 Section II. Le droit positif : ]' enracinement de la rnle oflaw
aineté 234 dans !e droit internacional et européen 296
236 § 1. Le discours de la mie oflaw, de l'État de droit, etc.
'.tiq11ement 236 dans le droit de la perice et de la grande Europe 299
734 Table des matieres Table des matii

A. De la liberté, du juge et du rôle des mots en droit communautaire 299


1" L11xembo11rg 011 la saz,vegarde des droits fondamentaux 299
2" Babel 011 les pieges de la sémantique 301 § 2. I
B. De 1'État de droit et de la prééminence d11 droit dans l'ordre juridique A. I
du Conseil de l'Europe 308 B. 1

l" Son apport s11r le fond: la défense des droits de l'homme parle j11ge 308
2" Le príncipe de la « prééminence du droit » 309 Chapitre 2.
§ 2. L'influence décisive du droit européen sur le modele anglais
de la mie of law 311 a)
A. L'Europe, la souveraineté du Parlement de Westminster et les juges 311 ~)
1" Le crép11sct1le de la souveraineté traditionnelle d11 parlement 312 y)
2" Le nouveau concept d'zme « souveraineté ultime » 314
B. Le Human Rights Act de 1998 et le mythe de la souveraineté Section I.
du parlement 316
l" Le dogme de la s011veraineté: le refi,s d'im droit de cenmre § 1.
du juge britanniq11e 316 A.
2" Le systeme de protection inventé parle Human Rights Act 317

B.
Titre 3. L'État de droit ou les apories d'un nouveau discours
doctrinal 323
Chapitre 1. Les príncipes de 1789 ou l'État (de droit)
d'avant l'Etat de droit 329 § 2.

Section I. Un pouvoir fait à l'imape de ]'homme, ou les fondemems A


anthropologiques de l'Etat (de droit) 331 B
§ 1. Le regne de la Loi, de la Liberté et de la Raison 332
A. Le culte de la loi, générale et abstraite, et le spectre du « despotisme » 333 Section II
B. La légitimité de la Loi, acre de Raison et gage de Liberté 335 §1
1·• Le leitmotiv d11 droit nattlrel dans la science du droit public frança is A
d'avant 1870 335
2·' La suprématie d11 droit nattlrel 011 le fondement
et les limites d11 devoir d'obéissance a11x fois positives 340
§ 2. Les noms ?e la Cité ou la sémantique du droit public français
d' avant l'Etat de droit 343
A. La Républiq11e, synonyme d'État et d'État de droit 343
B. L'ascension progressive du mot État 347
e. Quelques variations sémantiques autour du theme du pouvoir
et du droit 349
Section II. La mécanique institutionnelle de l'État (de droit) §
issu des príncipes de 1789 351
§ 1. La prééminence de l' organe législatif, gardien de la constitution
et des droits de l'homme 352
A. Le démocrate Rousseau, le príncipe d'autonomie et la« volonté générale » 352
l" Volonté et raison dans l're11vre de Rousseau 353
2' Statique et dynamiq11e de la démocratie rousseauiste 358
B. Le libéral Montesquieu, la balance des pouvoirs et le régime mixte 361
Table des matieres Table des matieres 735

oit communautaire 299 1" D'tme s011veraineté populaire limitée vers la sottveraineté de la Raison 361
~mentaux 299 2" Les « régulateurs » att sein du po11voir législatif 365
301 § 2. La méfiance des révolutionnaires vis-à-vis du pouvoir des juges 369
dans l'ordre juridique A. La récusation de tout pouvoir d'interprétation de la !oi 370
308 B. La récusation d'un contrôle juridictionnel de la loi 372
~ l'homme par !e jttge 308
309 Chapitre 2. Le discours français de I'État de droit:
10dele anglais aléas, fonctions et critiques 375
311 a) Le premier cycle de la rhétorique de l'État de droit (1907-1929) 376
itminster et les juges 311 ~) La traversée du désert (spécialement de 1930 à 1977) 381
~ du parlement 312 y) La renaissance du discours de !' État de droit depuis 1977 383
me» 314
souveraineté Section I. Un état des li~ux. Le message normatif véhiculé à travers
316 l'expression Etat de droit 385
,ir de cens11re § 1. La III· République ou l'âge d'or de la conceptualisation de l'État de droit 386
316 A. L'ceuvre de Duguit, premier théoricien de l'État de droit 387
n Rights Act 317 1" Un esprit idéaliste sous les apparences d'tm positivisme sociologiq11e 388
2" ljne logique dich9tomiq11e a priori implacable:
Etat + droit = Etat de droit 391
Juveau discours B. Le legs imellectuel ambigu de Carré de Malberg 395
323 1" Un appon méconmt: !e dualisme méthodologique de Carré de Malberg 396
2·· Un apport d'une valeur scientifique do11te11se:
la trilogie État de police, État légal, État de droit 403
329 § 2. Le discours de l'État de droit dans la science constitutionnelle
s fondements
depuis 1977 409
331
A. Un stattt q110 méthodologique mal défini 411
B. Le rôle jusnaturaliste caché du discours de l'État de droit 415
332
ctre du « despotisme » 333 Section II. Une évaluation critique. Pour une théorie juridique de l'État 418
e Liberté 335 § 1. Une expression inutile ou le caractere pléonastique de l'État de droit 418
'11 droit pttblic frança is A. D'un point de vue jusnaturaliste 419
335 l" L 'État, tm prod11it de la modernité 419
~t 2" L 'inadfq11ation de la q11estion traditionnelle rela tive a11 lien
,sitives 340 entre Etat et droit 420
public français 3" La these de la consubstantialité de l'État et d11 droit 421
343 B. D'un point de vue positiviste 423
oit 343 1" La nature épistémologique dtt concept de personnalité mora/e de l'État 423
347 2" L 'inadfquation de la q11estion traditionnelle relative au lien
me du pouvoir entre Etat et droit 423
349 3" L 'id~tité entre /'État, défini comme personne juridique,
et /'Etat de droit 424
roit) § 2. Une théorie infondée ou les apories de la confusion entre droit et juge 426
351 A. Une définition dévastatrice ou l'impossibilité de lier l'État parle droit 426
e la constitution B. Une définition fondée surdes présupposés erronés
352 quant au statut du juge 428
e et la « volonté générale » 352 e. Une définition contradictoire ou l'impossibilité logique
353 de soumettre le juge au droit 429
a11iste 358
; et le régime mixte 361
736 Table des mat;
Table des matieres

Chapitre 2.
Partie II
L'État, le droit et le juge ,
Contribution à une théorie juridique de l' Etat
Titre 1. Les enjeux rhéoriques de la fondarion juridique Section I.
de l'Érat : le droit naturel 435
§ 1.
Chapitre 1. Le concept juridique de l'État au creur de la querelle
A.
méthodologique entre positivistes et jusnaturalistes 437 B.
a) Le caractere asymétrique des définitions du jusnamralisme
et du juspositivisme 438 § 2.
13) Les sources de l'antagonisme: le rôle crucial du langage 440
y) Vers une vision plus consensuelle 443 A
Section I. Une définition nuancée et asymétrique B
du binôme positivisme - jusnaturalisme 444
§ 1. Émergence du juspositivisme et déconstruction du jusnaturalisme 447
A. Le modele anglais axé sur la distinction entre is et 011ght 448
l" Le process11s de déconstr11ction en A ngleterre 448 Section Il
2" Les caractéristiq11es fondamentales du modele anglais d11 positivisme 455
B. Le modele allemand fondé sur le noncognitivisme éthique 458 §1
I·• Le post11lat d11 noncognitivisme 460 J,
2· Le process11s de purification de la science d11 droit 463
§ 2. Essai de définition des archérypes du positivisme juridique
et du jusnamralisme 472
A. Le casse-tête de la définition du positivisme juridique 472
I · Une méthode empiriq11e: décrire des faits 474
2" Une méthode siwée dans !e temps: une science a posteriori §
d11 droit te! q11 'il a été 476
3" L 'objet scientifique: !e droit positif de la science d11 droit 478
4·· Les destinataires de la science d11 droit: !e monde académiq11e 480
B. La structure logique du jusnaturalisme 480
l" Une définition générale 481
2·· Une classification sommaire 483
Section II. Une évaluation critique ou !e nécessaire dépassement
de la mérhode positiviste 489
§ 1. L'inadéquation entre l'objet qu'est le droit et la méthode positiviste 490
A. Le droit n'est pas un fait, un Sein, mais un Sollen 490 Titre
t· Un réductionnisme empiriq11e 490
2" L 'esq11isse d'zme esquive: la théorie kelsénienne de la Grundnorm 492
B. Le droit n'est pas un fait historique, mais un Sollen qui vise l'avenir 500 Chapitn
l" Le réd11ctionnisme rétrospectif 500
2' Le s11bterfi1ge de la prévisibilité 501
§ 2. Le substrat de droit namrel du contept juridique de l'État 502 Sectio
A. Le fondement de droit naturel de la personnalité juridique de l'État 502
B. La nécessaire présence d'une norme métajuridique fondant
l'aurolimitation de l'État 506
C. Le fondement et les limites du caractere obligatoire du droit positif 511
Table des matieres Table des matieres 737

Chapitre 2. « L 'État de droit allemand d'Adolf Hitler»


~e ou le rôle déconstructif du droit naturel sous le III' Reich 516
que de l'État a) Les erreurs et aléas empiriques de la these de Radbruch 518
~) L'intérêt scientifique du débat nazi sur !e Rechtsstaat 523
m juridique Section I. « Légalité et légitimité ». Les vains efforts de Koellreutter
435 pour préserver le príncipe formei du Rechtsstaat 526
de la querelle § 1. Une vision dualiste du droit alliant légalité et légitimité 528
maturalistes 437 A. Les éléments cryptolibéraux d'un modele social võlkisch 529
naturalisme B. Les deux p8les de son « concept politiq11e d11 droit » :
la race et la sécurité juridique 532
438
§ 2. Une pensée de l'ordre ou la moralité interne de l'élément formei
J langage 440 du Rechtsstaat 534
443 A. Les deux volets, matériel et formei, du Rechtsstaat 535
B. Le glissement vers une apologie du príncipe de sécurité juridique 537
444 1º L 'évoltition desa position théoriq11e sur le Rechtsstaat 537
1 du jusnaturalisme 447 2" Le fossé croissant avec la réalité du 1/l' Reich :
; et 011ght 448 l'état d'exception permanent 540
448 Section II. «Légitimité contre légalité ». La critique dévastatrice
anglais d11 positivisme 455 du Rechtsstaat par Carl Schmitt 545
me éthique 458 § 1. Le premier temps ou la récusation radicale du mot et du concept 547
460 A. Le rejet catégorique de l'héritage libéral du XIX' siecle,
oit 463 une « époque vieille et malade » 547
1e juridique
B. Le substrat intrinsequemem libéral du mot et du concept de Rechtsstaat 549
472 1° La s11bstittttion d11 Führerstaat à l'idéal du gouvernement des fois 549
idique 472 2" Le mythe de l'unité du Führer et d11 Volk
474 contre l'esprit libéral de méfiance 551
· a posteriori
§ 2. Une reconnaissance du bout des levres du concept formei de Rechtsstaat 553
476 A. L'acceptation factice du Rechtsstaat au sens formei 554
·ed11 droit 478
,de académiq11e
l" Les deux causes de ce revirement tactique 554
480 2" Un re-uirement relati[ 011 l'antinomie entre le Rechtsstaat
480 et le Gerechtigkeitsstaat 557
481 B. Les ressorts théoriques de la subversion du Rechtsstaat:
483 le « konkretes Ordmmgs· zmd Gestaltungsdenken » 560
tssement l" Les trais leviers permettant de faire sa11ter l'obstacle de la légalité 560
489 2" Un droit natttrel • concret » et malléable selon la volonté d11 Führer 566
méthode positiviste 490
n 490 Titre 2. Les liens entre la démocratie, le droit et la justice
490 constitutionnelle 571
~dela Grundnorm 492
llen qui vise l'avenir 500 Chapitre 1. De la démocratie et de l'État de droit. Une étude théorique 573
500 a) Un bref aperçu historique 573
501 ~) Les termes de la problématique 578
e de l'État 502
é juridique de l'État 502 Section I. L'inscription de la démocratie dans le concept humaniste du droit 581
1ue fondant § 1. La these de l'antagonisme entre la souveraineté populaire
506 et les droits de l'homme 582
iire du droit positif 511 A. Les différences censées opposer le libéralisme et la démocratie 582
738 Table des matieres Table des matii

B. Une mise en perspective critique 584 § 2. 1


1" Q11ant à la dístinctíon entre la fonne et la s11bstance 585
2" Q11ant à la dístinctíon entre !e concept positifet !e concept négatif A. I
de la liberté 586
3" Q11ant à la dístínctíon entre le pe11ple et l'índívid11,
entre le cítoyen et l'homme 588 B. 1

§ 2. La chese de la consubstantialicé entre liberté individuelle


et liberté policique 589
A. Les droits de l'homme, condítío sine q11a non de la démocracie 590
l" Les conditions de fonctionnement de la démocratie att sens formei 590
2" Les critiques fornmlées à !'encontre d'1me telle these 594
B. La démocracie, gardienne et aboucissemem logique
des droits de l'homme 596 Conclusion
1· Le potentiel démocratíque de la philosophie líbérale 597
2" La reconnaissance d11 droit à la démocratíe 599 Bibliograpl

Section II. La légitimité de la justice constitutionnelle dans la démocratie 601 Index des r.
§ 1. Le phénomene comemporain de la juridiccionnalisacion Index des r
de !'espace policique 602
§ 2. Pour une théorie du bilan en ce qui concerne
la justice constitucionnelle 604

Chapitre 2. Les limites matérielles au pouvoir de révision


constitutionnelle. Une analyse dogmatique comparative 609
a) Les termes de la problématique 609
P) Les origines modernes des « cla11Ses d'étemité (Ewígkeítskla11seln) » 612
y) L'évolution du débat en Aliemagne et en France 616
Section I. La théorie et la pratique allemandes des « Verfassungswidrige
Verfassungsnonnen » 618
§ 1. L'analyse doctrinale de l'arcicle 79 ai. 3 LF 620
A. Les deux élémems conscicucifs du fédéralisme memionnés
dans l'arcicle 79 ai. 3 621
l" « L'organisacion de la Fédération en Lander » 621
2' « Le principe du concours des Lander à la législacion » 621
B. « Les príncipes énoncés aux articles 1 et 20 » 622
l" Les príncipes énoncés à l'article 1 622
2" Les príncipes énoncés à l'article 20 62 4
C. La question des limites implicites: l'imangibilicé de l'arcicle 79,
ai. 1, 2 et 3 629
§ 2. Les paradoxes de la jurisprudence de la Cour conscitucionnelle fédérale 632
A. Un juge qui s'arroge le droit de comrôler le pouvoir constituam
(originaire) 633
B. Un juge qui reste en retrair en ce qui concerne l'application
de l'arcicie 79 ai. 3 637
Section II. L'ébauche d'une théorie de la supraconstitutionnalité en France 642
§ 1. Origine et ressares d'une polémique 642
A. Le theme provocateur de la supraconscicucionnalicé 643
B. Quelques rétlexions liminaires sur les moes et les "choses" 644
Table des matieres l
j
Table des matieres 739

584 § 2. Les « mysteres » de la jurisprudence Maastricht II


>stance 585 du Conseil constitutionnel 646
et /e concept négatif A. Les apories de la lecture vedélienne 648
586 1" Le ref11s d'11ne limitation de la so11veraineté de la génération act11elle 648
:vid11, 2" Critique 651
588 B. La subordination du pouvoir de révision à la Constitution 652
dividuelle 1" Le fondement des limites j11ridiq11es a11 pouvoir de révision 653
589 2" La délimitation d11 noyau d11r d11 bloc de constitutionnalité
! la démocratie 590 de la V Rép11bliq11e 655
:ratie a11 sens formei 590 3" L 'incompétence d11 Conseil constitutionnel 657
these 594
1que
596 Conclusion générale 661
,érale 597
599 Bibliographie 665
Ians la démocratie 601 Index des noms 719
1alisation Index des matieres 725
602

604
TISIOil
1ue comparative 609
609
wigkeitskla11seln) » 612
:e 616
rfass1mgswidrige
618
620
1emionnés
621
621
gislation » 621
622
622
624
:é de l'article 79,
629
,nstitutionnelle fédérale 632
1vo1r consntuant
633
'application
637
ionnalité en France 642
642
1lité 643
!S "choses" 644
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vol. 1 CAI
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vol. 17 ;

vol. 18 1
vol. 19 1

vol. 20
1
Collection Nouvelle Bibliotheque de Theses

vol. 1 CALMES Sylvia, Du príncipe de protection de la confiance légitime en droits


allemand, communautaire et /rançais
vol. 2 CLAY Thomas, L'arbitre
vol. 3 DAMAREY Stéphanie, Le juge administratif, juge financier
vol. 4 DuB0S Olivier, Les juridictions nationales, juge communautaire
vol. 5 JALUZ0T Béatrice, La bonne foi dans les contrats. Étude comparative
l de droit /rançais, allemand et japonais
1
1 vol. 6 ÜRTSCHEIDT Jérôme, La réparation du dommage dans l'arbitrage
commercial international
1
vol. 7 PAYET Marie-Stéphane, Droit de la concurrence et droit de la consom-
i mation
1
vol. 8 PÉLISSIER Anne, Possession et meubles incorporeis
1
vol. 9 Russo Chantal, De l'assurance de responsabilité à l'assttrance directe.
Contribution à l'étude d'une mtttation de la couvertttre des risques
vol. 10 SERAGLINI Christophe, Lois de police et jttstice arbitra/e internationale
vol. 11 AMRANI-MEKKI Soraya, Le temps et le proces civil
vol. 12 B0UGRAB Jeannette, Attx origines de la Constittttion de la IV' Répttblique
vol. 13 B0USSARD Sabine, L'étendue du contrôle de cassation devant le Conseil
d'État. Un contrôle tributaire de l'exces de pouvoir
vol. 14 CASSIA Paul, L 'acces des personnes physiques ou morales att juge de la
légalité des actes commzmautaires
vol. 15 DEBET Anne, L 'injluence de la Convention européenne des droits de
l'homme sur le droit civil
vol. 16 HEUSCHLING Luc, État de droit, Rechtsstaat, Rufe ofLaw
vol. 17 MIGN0T Marc, Les obligations solidaires et les obligations in solidum
en droit privé/rançais
vol. 18 NAG0UAS-GUÉRIN Marie-Cécile, Le doute en matiere pénale
vol. 19 ÜUERDANE-AUBERT DE VINCELLES Carole, Altération du consentement
et efficacité des sanctions contractuelles
vol. 20 RACLET Arnaud, Droit communautaire des affaires et prérogatives de
puissance publique nationales

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