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Théorie générale
de
L'INFORMATION
et de
LA COMMUNICATION
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LANGUE LINGUISTIQUE COMMUNICATION


Collection dirigée par Bernard Quemada

Théorie générale
de
L'INFORMATION
et de
LA COMMUNICATION

par
Robert ESCARPIT
Professeur à l'Université de
BORDEAUX 3

CLASSIQUES HACHETTE
79, boulevard Saint-Germain, Paris 6e
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DANS LA MÊME COLLECTION

J . - L . CHISS, J. FILLIOLET, D . MAINGUENEAU, L i n g u i s t i q u e f r a n ç a i s e - I n i t i a t i o n


à l a p r o b l é m a t i q u e s t r u c t u r a l e (1).
J. COURTES, I n t r o d u c t i o n à l a s é m i o t i q u e n a r r a t i v e e t d i s c u r s i v e .
C . FUCHS e t P . LE GOFFIC, I n i t i a t i o n a u x p r o b l è m e s d e s l i n g u i s t i q u e s c o n t e m -
poraines.

D . MAINGUENEAU, I n i t i a t i o n a u x m é t h o d e s d e l ' a n a l y s e d u d i s c o u r s - P r o b l è m e s
et perspectives.

R . MOREAU, I n t r o d u c t i o n à l a t h é o r i e d e s l a n g a g e s .
C h . MULLER, I n i t i a t i o n a u x m é t h o d e s d e l a s t a t i s t i q u e l i n g u i s t i q u e .

L a loi d u IL mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d ' u n e part, que les.
« copies o u r e p r o d u c t i o n s strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective », èt, d ' a u t r e part, que les analyses et les courtes citations dans u n but d'exemple et d'Ulustra.;
tion, « t o u t e représentation o u r e p r o d u c t i o n intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de
l ' a u t e u r o u de ses ayants droit o u ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article 40).
Cette représentation o u r e p r o d u c t i o n , p a r quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contre-
f a ç o n , sanctionnée p a r les articles 425 et suivants du C o d e pénal.

@ 1 9 7 6 LIBRAIRIE HACHETTE

T o u s droits d e t r a d u c t i o n , d e r e p r o d u c t i o n et d ' a d a p t a t i o n réservés p o u r t o u s pays.


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A Richard Hoggart
qui a puisé aux sources du peuple l'eau
vive que ce livre fait passer par les canaux
étroits de la théorie.
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DU MÊME AUTEUR

Sociologie de Ici littérature, Paris, P.U.F., 1958.


Japonais : Tokyo, Hakusuisha, 1959
Allemand : Cologne, Westdeutsche Verlag, 1961
Espagnol (lre éd.) : Buenos Aires, Fabril, 1962
Anglais (l rp éd.) : Painesville (Ohio), Lake Erie, 1965
Portugais : Lisbonne., Arcadia, 1969
Serbo-croate : Zagreb, Matica Hrvastska, 1970
Suédois : Stockholm, Wâhlstrom & Widstrand, 1970
Italien : Naples, Guida, 1970
Anglais (2P éd.) : Londres, F. Cass, 1971
Espagnol (2e éd.) : Barcelone, Edima, 1968
Catalan : Barcelone, Edima, 1968
Espagnol (3e éd.) : La Havane, Instituto del Libro, 1969
Norvégien : Oslo, Cappelens, 1971
Espagnol (4e éd.) : Barcelone, Oikos-Tau, 1971
Danois : Copenhague, Reizel, 1972
Hongrois (lre éd.) : Budapest, 1972
Hongrois (2e éd.) : Bucarest, Gondolât, 1973

La révolution du livre, Paris, P.U.F.-Unesco, 1965.


Anglais : Londres, Harrap-Unesco, 1966
Allemand : Gütersloh, Borstelmann, 1967
Japonais : Tokyo, K o d a n s h a , 1967
Espagnol : Madrid, Alianza, 1968
Italien : Padoue, Marsilio, 1968
Iranien : Téhéran, Unesco, 1970
Arabe : Beyrouth, Unesco, 1970
Serbo-croate : Zagreb, Prosvjeta, 1972
Russe : Moscou, Kniga, 1972
Hongrois : Bucarest, G o n d o l a t , 1972

Le Littéraire et le Social (collectif), Paris, Flammarion, 1970.


Italien : Bologne, Mulino, 1972
Roumain : Bucarest, Univers, 1974
Espagnol : Madrid, Edicusa, 1974

La f a i m de lire (avec R.E. Barker), Paris, P. U.F.-Unesco, 1973.


Anglais (lre éd.) : Londres, Harrap-Unesco, 1973
Anglais (2e éd.) : New-Delhi, Sangam, 1974
Espagnol : Barcelone, Peninsula, 1975
Portugais : Rio de Janeiro, Fond. G. Vargas, 1975
Italien : Rome, A r m a n d o , 1976

L'écrit et la communication, Paris, P.U.F., 1973.


Espagnol : Madrid, Castalia, 1975
Italien : Milan, Garzanti, 1976
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AVERTISSEMENT

Il fallait qu'à un moment ou à un autre — et le plus tôt serait le


mieux — quelqu'un présentât en France une vue d'ensemble des sciences
de l'information et de la communication. Si l'auteur de ce livre a tenté
de le faire, c'est qu'il y a vu comme une dernière chance pour une synthèse
de ce genre. Les domaines du savoir deviennent trop nombreux, trop
spécialisés pour qu'un seul homme, même après de longues années de
réflexions et de lectures, souvent d'apprentissages difficiles, puisse en
appréhender ne fût-ce qu'une partie. Certains des exposés qui suivent
seront jugés trop élémentaires, voire contestables par les spécialistes.
D'autres seront trouvés difficiles par les non-initiés.
C'est dire — et rien n'est plus souhaitable — qu'il y a plusieurs
lectures possibles de ce livre. Au gré des chapitres et en s'attardant sur
tel ou tel passage, on trouvera des initiations, des descriptions d'expé-
riences, des références à des recherches plus ou moins connues et surtout
un certain nombre d'hypothèses théoriques dont bon nombre restent
à démontrer.
Pour un chercheur français qui a consacré presque tout le troisième
quart du xxe siècle à une interrogation obstinée des phénomènes de
l'information et de la communication, l'essentiel était dans son pays
de désenclaver une pensée qui n'a que trop tendance tantôt à s'enfermer
dans un verbalisme arrogant et quasi raciste, tantôt à se mettre à la traîne
de formulations étrangères tant par les stéréotypes qu'elles véhiculent
que par les arrière-pensées qu'elles dissimulent. Ce travail est l'image
historique d'une situation en un lieu et en un temps. Il ne prétend être
rien d'autre.
La bibliographie, conformément aux idées exprimées sur ce point
dans le corps du texte, est réduite au strict minimum des ouvrages ou des
articles qui peuvent servir de point de départ à des réflexions utiles.
C'est à chacun de solliciter selon ses besoins les textes qu'il aura l'occasion
de rencontrer. De toute façon la vie est trop courte pour qu'il ren-
contre plus qu'une minime partie de ceux qu'il lui faudrait connaître
pour réfléchir sans risques.
Une théorie n'est jamais qu'une façon de voir les choses. C'est une
expérience faite d'expériences et organisée en un système plus ou moins
fragile, plus ou moins résistant à l'usure de l'histoire. Elle n'a jamais
que la cohérence de celui qui la propose comme il l'a vécue.
Colorée de marxisme — pourquoi le cacher? —, la vision proposée
ici peut être déchiffrée de bien des manières, mais l'auteur voudrait que
chaque lecteur y apporte sa propre cohérence. C'est pourquoi la théorie
de l'information et de la communication est délibérément présentée
dans sa genèse historique comme une lutte de la conscience emportée
par le temps, de l'humanité emportée par l'histoire. Les théories, pour
être prises au sérieux, doivent avoir un nom de baptême. Nous bapti-
serons donc celle-ci, bien que ce ne soit qu'un de ses aspects, la théorie
diachronique de l'information et de la communication.
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TABLE DES M A T I È R E S

Chapitre premier : LA R E C H E R C H E DU R E N D E M E N T 7
Transport et communication, 7. — La télécommunication, 8. — Un
ensemble de réseaux, 11. — Rendement et rentabilité, 13.

Chapitre 2 : LE T E M P S D E S I N G É N I E U R S 15
T h e r m o d y n a m i q u e et entropie, 15. — Généralisation de l'entropie,
17. — Chaos et cosmos, 20. — Le modèle mécaniste, 23.

Chapitre 3 : LES L I M I T E S DU M O D È L E M É C A N I S T E 28
Code et langage, 28. — La redondance, 35. — H a r d w a r e et
software, 39.

Chapitre 4 : LA F A M I L L E F R A N K E N S T E I N 43
Du golem au robot, 43. — A u t o m a t i o n et programme, 47. — Les
systèmes de feedhack. 49. — La cumulation cyclique, 52. — La
cumulation didactique, 57.

Chapitre 5 : LE R Ê V E C Y B E R N É T I Q U E 61
Les tortues mécaniques, 61. — Maîtres et esclaves, 68. — Le modèle
de Pavlov, 73.

Chapitre 6 : L A N G A G E ET L A N G A G E S 78
Les ambiguïtés de la linguistique, 78. — Gestalt, forme et structure.
85. — L'engendrement du discours, 91.

Chapitre 7 : LA C O M M U N I C A T I O N ET L ' É V É N E M E N T 100


Machines à communiquer, 100. — Les systèmes de c o m m u n i c a t i o n ,
106. — Informer et s'informer, 109. — Langue véhiculaire et langue
vernaculaire, 113.

Chapitre 8 : L ' I N F O R M A T I O N ET LE D O C U M E N T 118


Le fixe et le mouvant, 118. — Lecture et analyse du texte, 124. —
Analyse et lecture de l'image, 128. — La perception du semi-
document, 137.

/ Chapitre 9 : LES P R O B L È M E S D O C U M E N T A I R E S 146


i L'oubli et l'évocation, 146. — La saisie de la donnée, 151. — Les
problèmes lexicaux, 157. — De la contraction à l'analyse, 161.
Chapitre 10 : LE T E M P S D E S S O C I O L O G U E S 165
Le million d ' h o m m e s et le choc du nombre, 165. — Critique des
groupes et groupes critiques, 170. — Hyperdimension et petite
dimension, 179.

Conclusion : C O M M U N I C A T I O N ET C U L T U R E 189

Appendice terminologique 197


Indications bibliographiques 207
Index 213
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1. LA RECHERCHE DU RENDEMENT

TRANSPORT ET COMMUNICATION

Ce sont des raisons économiques qui ont suscité au cours de la


première moitié du xxe siècle la recherche d'une théorie mathématique
de l'information et de la communication. On attribue à Claude
E. Shannon, physicien américain spécialiste des télécommunica-
tions, le mérite d'avoir formulé en 1948 les éléments fondamentaux
d'une telle théorie (1). Nous devons beaucoup à Shannon, mais les
théorèmes qu'il a énoncés n'étaient que l'aboutissement d'une longue
recherche empirique qui s'est étendue sur plusieurs millénaires et s'est
systématisée progressivement depuis le début de l'âge industriel, c'est-à-
dire, pour l'Europe occidentale, depuis le xve siècle.
L'exigence d'une société économiquement développée est avant
tout l'existence d'un réseau de communications rapide et sûr aussi bien
à l'intérieur des structures de production qu'entre ces structures. Dans
la mesure où le développement économique tend à s'accompagner de
la constitution d'appareils politiques qui en garantissent la sécurité,
le gouvernement de grands ensembles territoriaux apparaît également
comme une des motivations primaires de la communication.
La communication est un cas particulier du transport; notre langage
courant emploie d'ailleurs le terme de « communications » pour désigner
les routes, les chemins de fer, les canaux ou les lignes aériennes. Afin
d'éviter lés ambiguïtés, nous emploierons le mot de transport pour
désigner le transfert de matière ou d'énergie, et nous réserverons celui
de communication au transfert d'une entité que nous appellerons Yinfot--
mation et que nous tenterons de définir plus loin.

1. Les deux articles fondamentaux de Shannon sont « A Mathematical Theory of


Communication » dans le Bell System Technical Journal, vol. 27, juillet-octobre 1948, et
« Communication in the Presence of Noise » dans Proceedings o f the Institute of Radio
Egineering, vol. 37, n° 10, 1949. Le premier article a été republié dans C.E. SHANNON et
et W. WEAVER, The Mathematical Theory of Communication, Urbana, University of Illinois
Press, 1962 (Trad. française avec préface d'A. MOLES, Théorie mathématique de la commu-
nication, Paris, C.E.P.L., 1976).
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Jusqu'à une date relativement récente, le moyen quasi exclusif de


communiquer l'information à quelque distance était de transporter un
objet ou une personne porteurs de messages, c'est-à-dire d'ensembles
de signes — traces, gestes, paroles — dans lesquels l'information est
contenue. C'est ce que nous faisons quand nous envoyons un messager
ou que nous expédions une lettre. Pour augmenter la rapidité de la
communication, il suffit d'augmenter la vitesse du vecteur chargé de
transporter le messager ou la lettre : cheval, automobile, avion, voire,
pour les courtes distances, tube pneumatique. La structure d'un réseau
de communication dépend des caractéristiques du vecteur employé et
elle se reflète parfois dans l'organisation administrative ou politique :
la Révolution française a découpé la France en départements de sorte
que le préfet pût atteindre tous les points de son ressort en moins d'une
journée de cheval.
Sur de courtes distances il a toujours été possible de communiquer
par la voix et par le geste. Ce qui est alors transporté est de l'énergie
— c'est-à-dire un état particulier de la matière — qui se manifeste par
des ondes acoustiques ou optiques perceptibles par l'organisme humain.
Cette énergie est modulable de diverses façons — fréquence ou amplitude
des ondes —, et ce sont ses modulations qui sont utilisées pour y inscrire
des messages. Elle devient alors porteuse d'information au même titre
qu'un objet qu'on transporte. C'est cette propriété que nous utilisons
toutes les fois que nous adressons la parole à quelqu'un ou que nous
faisons des gestes à son intention.
L'avantage de l'énergie comme vecteur est qu'elle se déplace très
rapidement. Sous sa forme acoustique elle atteint 300 mètres à la seconde,
vitesse que les moyens de transport mécaniques n'ont dépassé qu'à une
date relativement récente. Sous sa forme optique elle atteint 300 000 kilo-
mètres à la seconde.
Son inconvénient est que l'organisme humain ne dispose pas naturel-
lement de sources d'énergie très puissantes ni de dispositifs de réception
très efficaces. On peut augmenter le rendement grâce à des dispositifs
qui tous tendent à concentrer l'énergie sur un faisceau relativement
étroit ou même à l'asservir à un conducteur linéaire : porte-voix ou
tube acoustique pour le son, lunette d'approche pour la lumière. On peut
aussi utiliser des sources d'énergie plus puissantes comme le tambour
ou le feu. Mais tous ces artifices ont des limites assez vite atteintes.

LA TÉLÉCOMMUNICATION

Un progrès décisif n'a été accompli que lorsqu'on a pu assurer


le transport de l'énergie sur de grandes distances et obtenir ainsi une
communication lointaine ou télécommunication.
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La télécommunication a des formes primitives comme, par exemple,


la chaîne de relais acoustiques, quand on « fait passer » un message
à la voix, au cri ou par tout autre moyen sonore, le tam-tam africain
par exemple. La métaphore populaire du « téléphone arabe » est à cet
égard révélatrice.
Plus efficace encore est le « télégraphe optique » utilisé par les
Romains avec leur réseau de « tours à feu » ou les Indiens d'Amérique
avec leurs signaux de fumée de montagne à montagne. Le procédé fut
repris, perfectionné et systématisé en 1794 par Claude Chappe, inventeur
de la « télégraphie aérienne ». Grâce au télégraphe de Chappe le délai
d'acheminement d'une dépêche de Paris à Toulon fut réduit de plusieurs
jours à vingt minutes (2).
L'inconvénient de ces systèmes de télégraphie visuelle est qu'ils
doivent recourir à des relais humains dès que la limite de perception
et surtout d'identification des signaux est atteinte. La ligne Paris-Toulon
de Chappe avait 116 relais qui étaient autant de cause d'erreurs, son
débit était lent, sa capacité faible et le temps d'utilisation effective, en
raison de l'obscurité et des intempéries, était réduit à six heures par jour
en moyenne. Compte tenu de l'infrastructure au sol et du personnel
nécessaire à sa manœuvre, les adversaires de Chappe — rares, il est
vrai — pouvaient reprocher à son télégraphe un certain manque de
rendement. Chaque dépêche allait plus vite, certes, mais sur plusieurs
jours, un seul messager à cheval pouvait transporter davantage de
dépêches que le télégraphe n'en pouvait débiter.
Le transport d'énergie à de grandes distances n'est devenu possible
que grâce à l'utilisation de Yénergie électrique qui est très vite apparue
comme un vecteur idéal pour l'information. Un demi-siècle après sa
mise en service, le télégraphe de Chappe était détrôné en 1844 par le
télégraphe électrique de l'Américain Samuel Morse (3). Il ne faut pas
confondre le télégraphe lui-même avec le célèbre « alphabet » de points
et de traits qui, bien qu'il porte le nom de Morse, est la géniale invention
de son assistant Alfred Vail. L'avantage du vecteur électrique est la
facilité de transformation de ce type d'énergie. Les messages peuvent
à volonté être traduits en signaux optiques, acoustiques ou mécaniques.
Cette dernière propriété implique la possibilité de recevoir des messages
écrits. A partir de 1874 les perfectionnements apportés par Émile Baudot

2. Claude Chappe (1763-1805) appartenait à une famille d'ingénieurs et de savants.


La première ligne Chappe fut installée en 1794 entre Paris et Lille. Le télégraphe de Chappe
transmettait les signaux au moyen d'un sémaphore comportant un bras mobile terminé par
deux indicateurs également mobiles. En 1844, le réseau couvrait 5 000 km et desservait
29 villes. Le délai de vingt minutes était le temps d'acheminement moyen d'//« signaI de
Paris à Toulon.
3. Samuel Finley Breeze Morse (1791-1872) eut, dit-on, l'idée de son télégraphe en
1832 sur le navire qui le ramenait d'Europe aux Etats-Unis. La France fut un des derniers
pays européens à 1 adopter en 1856, lui préférant le système Foy-Bréguet qui était une version
électrique du Chappe.
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au système breveté par David E. Hughes en 1855, permettent d'échanger


des textes composés sur un clavier à l'aide de l'alphabet normal, le
télétype actuel étant le dernier stade de cette évolution. Deux ans plus
tard, en 1876, le téléphone de Graham Bell permet l'échange direct
de conversations vocales. Enfin en 1907, Édouard Belin invente le
« bélinographe » qui permet la transmission télégraphique d'images
complexes.
Quelque cinquante ans après ses débuts, la télécommunication
électrique offrait un système d'une souplesse et d'une efficacité remar-
quables. Son rendement était cependant limité par l'asservissement
du courant électrique à un conducteur linéaire sensible aux pertur-
bations extérieures, rapidement saturé et surtout, du fait de sa résistance,
consommateur d'énergie. Au cours du xxe siècle, on a limité les pertes
d'énergie (et donc d'information) et augmenté la capacité des conducteurs
par l'utilisation de relais amplificateurs, de câbles coaxiaux et de systèmes
de commutation qui permettent de faire passer plusieurs centaines de
voies par un seul conducteur.
Un dernier progrès a été accompli quand est apparue avec les ondes
hertziennes la possibilité d'affranchir l'énergie de la servitude du
conducteur linéaire. Mettant à profit les recherches de Heinrich Hertz,
d'Edouard Branly, d'Alexandrei Popov, Guglielmo Marconi mit en
service en 1897 le premier télégraphe sans fil (4). En 1906 l'invention
de lampe amplificatrice par De Forest permit de lui appliquer la télé-
phonie avec une telle efficacité que, dès 1913, la transmission de musique
devint possible (5). Entre-temps de longues recherches entreprises depuis
1873 aboutissaient en 1934 à l'adaptation par Vladimir K. Zworykin
du tube cathodique au système de transmission radio-électrique, qui
donna naissance à la télévision (6).
Du fait des progrès rapides de l'électronique et notamment de la
miniaturisation des composants (transistors, diodes, circuits intégrés),
la radiotélécommunication devait atteindre en un quart de siècle un
rendement informationnel supérieur à celui de n'importe quel autre
moyen de communication.
4.. Les apports de chacun furent les suivants : l'Allemand Hertz (1857-1894) produit
en 1887 des ondes électromagnétiques grâce à son oscillateur, le Français Branly ( 1844-1940)
découvre en 1890 le cohéreur à limaille qui permet la réception, le Russe Popov (1859-1906)
réalise en 1896 le premier récepteur à antenne, l'Italien Marconi (1874-1937) établit en
1897 la première liaison sans fil sur 15 km.
5. L'Américain Lee De Forest inventa en 1906 la triode en ajoutant une grille à la
diode, inventée l'année précédente par l'Anglais Sir John Ambrose Fleming.
6. Les origines de la télévision remontent à la découverte en 1873 par l'Américain
G.R. Carey des propriétés photo-électriques du sélénium. Entre 1879 et 1885, les Français
Sentecq et Leblanc et l'Allemand Nipkow perfectionnèrent des procédés d'analyse de l'image.
En 1926 l'Écossais John Baird mit au point un appareil rudimentaire qui permit en 1929
les premières liaisons télévisées à partir de Daventry. Mais c'est l'iconoscope de Vladimir
Kosma Zworykin qui, en 1934, permit dès 1935 des émissions régulières notamment en
France à partir de la T o u r Eiffel.
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UN ENSEMBLE DE RÉSEAUX

En raison de l'importance qu'elle a prise dans notre vie quotidienne,


nous avons parfois l'impression que la radiotélécommunication — et en
particulier la télévision — a détrôné tous les autres moyens de commu-
nication.
C'est une erreur grossière. Il est vrai que pour des raisons surtout
économiques, l'apparition d'une nouvelle technologie — et cela dans
tous les domaines — provoque des perturbations parfois spectaculaires
dans le développement des technologies antérieures. Ces dernières
ont souvent été sollicitées au-delà de leurs possibilités pour répondre
aux exigences économiques et sociales qui précisément suscitent la mise
en œuvre systématique de la nouvelle technologie. A l'apparition de
cette dernière, il se produit des transferts d'investissements qui peuvent
être la cause de crises graves. Mais tôt ou tard l'équilibre se rétablit
et les anciennes technologies retrouvent leur rythme normal de dévelop-
pement à l'intérieur d'un nouveau système. Il y a cumulation, non
substitution.
C'est ce qui se produit dans le domaine de la communication depuis
quelque deux cents ans. A mesure qu'ils apparaissent, les nouveaux
réseaux de communication se superposent aux anciens, se connectent
avec eux, mais ils ne les mettent pas hors service.
La fin du xxe siècle connaît une crise due au développement rapide
de ce qu'on appelle, d'une expression à peu près dépourvue de sens, les
« media audio-visuels ». Comme nous venons de le voir, ce qu'ont de
nouveau les technologies modernes de la communication, c'est moins
d'être audio-visuelles que de faire intervenir la médiation de l'énergie
électrique. Faut-il en conclure, comme a semblé le prétendre Marshall
McLuhan (7), que la « galaxie Gutenberg » est en passe d'être éclipsée
par la « galaxie Marconi »?
Ce serait nier l'évidence. La communication par transport de
personnes ou d'objets porteurs de messages continue à se développer.
Les voyageurs des chemins de fer et des lignes aériennes sont de plus en
plus nombreux. Quant aux administrations des Postes, qui ont à trans-
porter chaque année un nombre croissant de lettres, elles demandent
à l'aéronautique, à l'électronique, voire à l'informatique, des moyens
plus efficaces et plus rapides pour trier et acheminer le courrier. Ce mode
de communication, aussi vieux que l'écriture, ne renonce pas à la
recherche du rendement.

7. Marshall McLuhan, né au C a n a d a en 1911, a enseigné la littérature anglaise en


Grande-Bretagne et aux États-Unis avant de se découvrir à 44 ans une vocation de prophète .
sibyllin de l'audio-visuel dans une série de livres qui ont popularisé dans le monde le « mac-
luhanisme », sorte de mystique de l'audio-visuel caractérisée par une idéologie néo-surréaliste
fortement teintée d'antimarxisme.
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Ajoutons que la communication imprimée ne donne pas de signes


de faiblesse, bien au contraire. La consommation de livres dans le monde
croît plus vite que la population lisante et, dans chaque pays, une fois
passée la période de mise en place des réseaux de radiotélécommunication
(qui dure à peine quelques années), elle croît à un rythme plus rapide
que la réception radiophonique ou télévisuelle. Le journal quotidien
connaît, il est vrai, une crise dans les pays industrialisés à économie
capitaliste, mais c'est une crise conjoncturelle dont la cause principale,
purement économique, est que le journal a été sollicité au-delà de ses
moyens (ainsi que nous l'indiquions plus haut) pendant la première
moitié du xxe siècle, alors que le rendement de la radiotélécommunication
n'était pas encore suffisant pour attirer vers elle les investissements (8).
Autre procédé très ancien, la communication optique à vue directe
est encore employée dans une infinité de domaines, d'autant que l'élec-
tronique lui a fourni des dispositifs de réception d'une extrême sensi-
bilité comme la cellule photoélectrique. Elle a connu un renouveau avec
l'invention du laser, faisceau de lumière cohérente qui a notamment
permis des liaisons optiques de la Terre à la Lune. Il faut ajouter que la
radiotélécommunication tend à se rapprocher de la communication
optique dans la mesure où les ondes hertziennes à très haute fréquence
sont soumises à des conditions de propagation analogues à celles des
ondes lumineuses du spectre visible. Le radar peut être assimilé à une
forme de liaison optique aidée par des instruments, tandis que d'autres
instruments permettent de dépasser les limites du spectre visible vers les
ultra-violets et les infra-rouges.
Une des contraintes communes aux ondes à très haute fréquence
et à la lumière visible est la propagation rectiligne qui impose l'emploi
de relais. La structure d'un réseau de télévision ressemble étonnamment
à celle du réseau du télégraphe Chappe. La seule différence est dans
le rendement.
La communication acoustique directe, elle non plus, n'a pas disparu,
mais elle a également bénéficié des perfectionnements de l'électronique
et de l'électrotechnique. Grâce à l'amplificateur, le haut-parleur multiplie
plusieurs dizaines de fois les dimensions du groupe maximal auquel un
orateur peut s'adresser directement. D'autre part, certains dispositifs
permettent de dépasser le spectre auditif de l'oreille humaine et d'émettre
ou de recevoir sur la bande des ultra-sons. On peut également citer le
sonar, équivalent acoustique du radar, qui sert non seulement à détecter
les sous-marins, mais aussi à échanger des messages avec eux.
Enfin il ne faudrait pas croire que la radiotélécommunication ait
tendance à éliminer le conducteur linéaire. Un des avantages les plus
8. Nous avons publié sur ces divers points de très nombreux textes, voir, dans la
bibliographie, La révolution du livre ( 1965), La faim de lire ( 1973), L'écrit et la communication
(1974). Voir aussi « Communication et développement » dans Systèmes partiels de commu-
nication (1972).
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évidents et les plus spectaculaires que la radiotélécommunication ait


apportés est la diffusion multidirectionnelle, mais celle-ci, comme on le
verra, peut comporter des inconvénients, quand cela ne serait, du point
de vue du rendement, que l'encombrement des ondes. C'est pourquoi
le radiotéléphone utilise comme conducteurs linéaires des faisceaux
hertziens très étroits qu'on appelle d'ailleurs parfois des « câbles
hertziens ». Mais la plus grande partie des communications téléphoniques
et télégraphiques à longue distance, internationales et intercontinentales,
continue à passer par des câbles métalliques coaxiaux qui admettent un
nombre de voies supérieur à celui qu'admettent les faisceaux et ne sont
pas asservis comme eux à la propagation rectiligne des ondes.
Le satellite de télécommunication, apport de la technologie spatiale,
offre aux faisceaux hertziens des relais permettant de constituer un
réseau de télécommunications à l'échelle planétaire. Les investissements
demandés par un tel réseau sont évidemment eux aussi à l'échelle plané-
taire. Ils sont certainement disproportionnés aux besoins de la commu-
nication rapprochée qui, dans notre monde de l'hyperdimension, est une
nécessité dont nous aurons l'occasion de montrer le caractère inéluctable.
Alors qu'un secteur de la télévision envisage des échanges mondiaux de
programmes par satellite, tout un autre secteur, et non le moins important,
s'oriente, pour les courtes et moyennes distances, vers la diffusion par
réseaux câblés.
A ce niveau qui est celui des gouvernements et des grandes puissances
financières, l'évolution des structures de la communication, qui dépendent
de technologies de plus en plus coûteuses, implique avant tout des
décisions d'investissements à long terme et donc en fait des décisions
politiques.

RENDEMENT ET RENTABILITÉ

Le souci de la rentabilité immédiate a dominé toute la partie du


développement technologique de la communication qui s'est déroulée
dans des systèmes économiques où le profit conditionnait sinon la totalité
de la recherche scientifique, du moins la mise en œuvre pratique de la
plupart de ses découvertes. D'autres soucis ont évidemment joué et en
particulier l'efficacité militaire. De tous temps les armées ont été par
nécessité de grandes usagères de la communication et même de la télé-
communication à partir du moment où la dimension du combat a obligé
le tacticien à s'effacer devant le stratège, c'est-à-dire depuis les guerres
de la Révolution française. La première dépêche transmise de Lille par
le télégraphe de Chappe a été une nouvelle militaire (9). La première

9. La prise de Landrecies et de Condé-sur-Escaut sur les Autrichiens, le 19 juillet 1794.


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ligne européenne à grande distance de télégraphe électrique a été posée


à l'occasion de la guerre de Crimée. La première ligne américaine l'a été
à l'occasion de la guerre de Sécession. La deuxième guerre mondiale,
puis la course aux armements de la guerre froide ont été de puissants
moteurs de progrès pour la radiotélécommunication.
Cela, certes, contribue à expliquer la soudaine et rapide expansion
de la radiodiffusion et de la télévision dans le monde à partir de 1950.
Mais il est probable que l'expansion aurait été moins soudaine et moins
rapide si ces technologies, indispensables en temps de guerre, ne s'étaient
révélées éminemment rentables en temps de paix.
Les choix budgétaires qui ont été faits n'ont pas toujours été très
raisonnables. Des considérations politiques, des raisons de prestige ont
parfois joué, mais ce sont le plus souvent de grandes industries qui ont
fait pression directement ou indirectement sur les autorités de décision
pour ouvrir à leurs produits des marchés profitables. La deuxième
moitié du xxe siècle a connu une mystique de 1'« audio-visuel » dont les
origines sont pour le moins intéressées.
Il n'en reste pas moins que, pour l'utilisateur, la rentabilité a un
autre aspect : celui du rendement. Le désir d'utilisation optimale est
proportionnel à la lourdeur des investissements ou du moins il devrait
l'être dans le cas des administrations publiques. Aux États-Unis où
l'essentiel des télécommunications est entre les mains de compagnies
privées, il n'est pas surprenant que ces compagnies aient eu pour souci
constant de tirer de leur matériel le meilleur rendement possible. Cela
explique qu'elles aient consacré de très gros investissements à la recherche
dans ce domaine.
La Bell Telephone Company est une des plus puissantes. Depuis
de longues années elle dispose à New York d'immenses laboratoires
de recherche où travaillent des centaines de physiciens et d'ingénieurs.
Une partie importante d'entre eux se consacrent à l'amélioration du
rendement des systèmes de télécommunication.
C'est précisément dans le Bell System Technical Journal que Claude
E. Shannon a publié en 1948 l'article où il expose sa théorie mathé-
matique de l'information qui est avant tout une théorie du rendement
informationnel.
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2. LE TEMPS DES INGÉNIEURS

THERMODYNAMIQUE ET ENTROPIE

Les théoriciens de la télécommunication se sont servis d outils


mathématiques déjà existants, en l'occurrence ceux de la thermody-
namique et de la mécanique statistique.
Première source artificielle d'énergie applicable à l'industrie, la
machine à vapeur avait déjà posé des problèmes de rendement aux
chercheurs. En 1824, le physicien Sadi Carnot publia une petite brochure
intitulée : Réflexions sur la puissance motrice du feu et les machines
propres à développer cette puissance (1). Comme plus tard celle de
Shannon, cette mise au point était l'aboutissement d'un grand nombre
de recherches et de tâtonnements antérieurs. On y trouve formulé, outre
le principe de l'équivalence du travail et de la chaleur, ce qui est appelé
le « principe de Carnot » et qui s'énonce maintenant de la manière
suivante : « Une machine thermique ne peut fonctionner sans qu'il
passe de la chaleur d'une source chaude sur une source froide. »
En 1850 le physicien allemand Rudolf Emmanuel Clausius (2)
donna de ce principe la formulation suivante : « La chaleur ne peut
passer d'elle-même d'un corps froid à un corps chaud. » De là il tira en
1876 la notion d'entropie. C'est une quantité qui s'exprime par l'intégrale
f dQ
T où dQ est la quantité de chaleur cédée par une source chaude à
un système mécanique et T la température absolue à laquelle
s'effectue l'opération. Dans le cas d'une machine parfaite fonctionnant
en cycle fermé, cette quantité reste constante : le gaz contenu dans le
cylindre d'une machine perd de la chaleur à mesure qu'il fournit du
travail en poussant le piston, mais si l'on restitue ce travail en repoussant
le piston en sens inverse, il récupère la même quantité de chaleur.
Si la chaleur est cédée sans l'interposition d'un système mécanique
qui la transforme en travail, l'entropie augmente. C'est ce qui se passe,
par exemple, quand le gaz cède aux parois du cylindre une partie de sa

1. Sadi Carnot (1796-1832), fils du « G r a n d Carnot » et oncle du futur Président de


la République, ancien polytechnicien, a participé comme officier du génie aux derniers
combats de l'Empire. Sa brochure, tirée à 200 exemplaires, a longtemps été ignorée et sa
portée n'en fut comprise que bien des années plus tard par les physiciens Kelvin et Clapeyron.
2. C'est dans son ouvrage Über die bewegende Kraft der Wiïrme (1850) que Clausius,
alors professeur de physique à l'école d'artillerie de Berlin, a reformulé le principe de Carnot.
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chaleur qui est rayonnée vers l'extérieur et devient irrécupérable, puis-


qu'elle ne peut revenir d'elle-même de la source froide constituée par
l'air ambiant vers la source chaude constituée par le cylindre.
En aucun cas l'entropie ne peut diminuer, ce qui revient à dire que
si l'énergie se conserve, elle prend des formes de moins en moins utili-
sables. La chaleur par exemple n'est jamais entièrement transformable
en énergie mécanique. C'est ce qu'on appelle la dégradation de l'énergie.
On voit immédiatement le parti qui peut être tiré de la notion d'en-
tropie pour la recherche d'un meilleur rendement des machines ther-
miques. Il est remarquable qu'une telle théorie n'ait été formulée.que
deux siècles après l'apparition des premières machines à vapeur et un
siècle après que James Watt (3), pressentant par la pratique ce qui devait
devenir le principe de Carnot, eut donné à ce type de machine un
rendement assez acceptable pour que des applications industrielles
puissent être mises en œuvre.
On peut d'ailleurs noter par parenthèse que le perfectionnement le
plus important apporté par Watt à la machine à vapeur est le tiroir.
C'est un dispositif mécanique que l'on peut décrire comme un système
de communication et plus précisément de feedback, c'est-à-dire de réin-
jection de l'information. Pièce coulissante commandée par le mouvement
du piston, le tiroir commande alternativement l'admission de la vapeur
de part et d'autre du piston, produisant ainsi ce qu'on appelle le « double
effet ». En d'autres termes, on peut dire que le tiroir, utilisant un vecteur
mécanique pour transmettre l'information, « fait savoir » à la machine
que, le piston ayant achevé sa course, un état d'équilibre est atteint et
lui « donne l'ordre » d'injecter la vapeur sur l'autre face, ce qui replace
le système en état de déséquilibre et amorce un nouveau cycle.
L'ingénieur a donc très largement précédé le théoricien. Il y a là
un schéma sur lequel il est utile d'insister car nous le retrouvons dans
le cas de la technologie de l'information. L'invention proprement dite
vient souvent d'une idée fortuite comme la marmite de Denis Papin,
idée qui est parfois le sous-produit d'un bricolage scientifique comme le
cohéreur de Branly. Puis vient le technicien, l'ingénieur, le praticien
— Watt pour la machine à vapeur, Edison pour l'électricité, Marconi
pour les ondes hertziennes — qui invente le dispositif capable de donner
à l'idée initiale un rendement acceptable et donc susceptible d'appeler
l'investissement des capitaux. Notons que Gutenberg se situe très
exactement à ce stade dans le développement de l'imprimerie.
Dès lors, c'est l'investissement qui commande, exigeant une rému-
nération — et donc un rendement — toujours accrue. A partir de la
découverte de l'énergie artificielle — et l'invention de Gutenberg a
stagné plus de deux siècles jusqu'à ce moment —, la technologie devient
3. L'Écossais James Watt (1736-1819) était avant tout un ingénieur praticien. C est
en 1767 qu'il réalisa la première machine à vapeur opérationnelle et en 1776 la machine à
double effet grâce, notamment, au dispositif du tiroir.
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suffisamment raffinée et complexe pour justifier des investissements


spéciaux consacrés à la recherche systématique du rendement.
C'est alors qu'entrent en scène les théoriciens et que peut vraiment
se développer une recherche fondamentale utilisant l'outil mathématique.

GÉNÉRALISATION DE L'ENTROPIE

Le souci principal des théoriciens mathématiques est la généra-


lisation, c'est-à-dire le processus par lequel la formule descriptive d'un
phénomène particulier (comme l'intégrale de Clausius) peut être ramenée
à un modèle plus général, rendant compte d'un plus grand nombre de
phénomènes.
La notion d'entropie a été généralisée dès la fin du xixe siècle par
la mécanique statistique et notamment par le physicien autrichien
Ludwig Boltzmann (4). Considérant que chaque état macroscopique
d'un gaz peut être réalisé par un certain nombre de « complexions »
microscopiques dépendant de la position et de la vélocité des molécules
qui le composent, Boltzmann en a déduit que cet état est d'autant plus
probable que le nombre des complexions qui peuvent le réaliser est
grand. L'entropie est proportionnelle à la probabilité, d'où la formule
qu'on a gravée sur son tombeau :
S = k log W
où S est l'entropie, W la probabilité de l'état thermodynamique d'un
gaz et k une constante dite « constante de Boltzmann » (1,381 x 10-16
C.G.S.).
Nous citons ici la formule de Boltzmann parce que sa structure
logarithmique et probabiliste a servi plus tard de modèle aux théoriciens
de l'information.
Mouvement irréversible, l'augmentation de l'entropie apparaît
donc comme l'évolution d'un ordre différencié vers un désordre indiffé-
rencié ou, si l'on préfère, d'une prévisibilité quantifiable vers une imprévi-
sibilité aléatoire. Par exemple nous savons que la température d'un gaz
est liée à l'énergie cinétique de translation des molécules qui le composent.
Si une certaine quantité de ce gaz est répartie entre un espace « chaud »
et un espace « froid », il est possible de calculer la vélocité et la position
des molécules, c'est-à-dire qu'on peut définir là un système et évaluer
son énergie disponible. On peut récupérer celle-ci en faisant passer les
molécules de l'espace « chaud » dans l'espace « froid », ce qui produit
un travail utilisable moyennant un dispositif mécanique, mais aboutit
à une situation d'équilibre où les molécules sont distribuées de manière

4. Ludwig Boltzmann (1844-1906) est à l'origine de nombreuses théories mathéma-


. tiques qui ont joué un rôle décisif dans l'évolution de la physique nucléaire et atomique,
notamment la théorie des quanta.
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aléatoire. Bien que leur énergie cinétique totale reste la même, il devient
impossible, en vertu du principe de Carnot, de tirer d'elles du travail.
On ne peut le faire qu'à condition de considérer chaque molécule
comme un système organisé à l'intérieur duquel la distribution des atomes
'n'est pas aléatoire. Pour récupérer l'énergie intra-moléculaire d'un tel
système, il faut « faire craquer » les molécules. C'est ce qui se produit
dans une réaction chimique, une combustion par exemple — ce qui
explique qu'un moteur à combustion interne ait un rendement supérieur
à celui d'une machine à vapeur.
On peut aller encore au-delà et « faire craquer » l'organisation
interne de l'atome, voire du noyau de l'atome. C'est le principe de l'énergie
atomique, puis nucléaire, qui, après récupération du travail (malheureu-
sement jusqu'ici par une méthode à faible rendement de réchauffement
de fluides), aboutit à un état stable de la matière et, à la limite, à une
répartition aléatoire des particules d'énergie.
Dans la mesure où l'univers connu peut être considéré comme une
gigantesque machine nucléaire, cette notion sous-tend la plupart des
grandes théories cosmogoniques modernes, notamment celles qui
supposent une expansion de l'univers à partir d'un noyau initial à l'en-
tropie minimale. Certaines de ces théories, pour fuir la fatalité de cette
évolution à sens unique, envisagent une alternance cyclique d'expansions
et de contractions, auquel cas on pourrait dire que l'univers fonctionne
comme une machine de Carnot parfaite à entropie constante à la fin
de chacun de ses cycles. D'autres théories, comme celle du physicien
anglais Frederick Hoyle, envisagent la création permanente d'atomes
dans l'univers et donc une diminution compensative de l'entropie. Les
unes et les autres de ces théories font apparaître la notion d'une anti-
entropie à laquelle on a donné le nom de nég-entropie.
La biologie a été attirée par la notion d'entropie, puis plus récemment
par celle de nég-entropie dans la mesure où elles permettent de rendre
compte du processus de l'évolution. En effet une des lois fondamentales
de ce processus semble être l'accroissement de la complexité morpho-
logique des espèces, c'est-à-dire l'accroissement de la différenciation,
de la spécialisation, de l'organisation, en un mot d'un certain ordre. ;
Le mouvement de la vie serait donc inverse de celui de la matière et
correspondrait à une diminution constante de l'entropie. L'évolution
darwinienne est en fait nég-entropique (5). ^ ]
Il est tentant d'aller plus loin. Un philosophe français, André j
Lalande, l'a fait dès 1899 dans sa thèse de doctorat (6), mettant en oppo- j
5. On trouvera une excellente discussion de ce problème dans 1 article « 1ne c o n c e p t
of Evolution » du chapitre « Evolution » (par R.C. Lewontin) de YInternational Encyclopedia <
o f the Social Sciences, vol. 5, pp. 202-210. j
6. Le titre en est L'idée directrice de dissolution opposée à celle d évolution dans la j
méthode des sciences physiques et morales. Lalande est célèbre pour son Vocabulaire philo- ,
sophique (1902-1923).
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