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CIVILISATIONS
AR THAUD
LES GRANDES CIVILISATIONS
COLLECTION DIRIGEE PAR RAYMOND BLOCH
Directeur d’Etudes a l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
Volume a paraitre
Paraitront ensuite
https://archive.org/details/lacivilisationdeQO0O0Opier
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LA CIVILISATION DE
L’EUROPE DES LUMIERES
DU MEME AUTEUR
ay i, .
COLLECTION LES GRANDES CIVILISATIONS
PIERRE CHAUNU
LA CIVILISATION DE
L°>EUROPE
DES LUMIERES
239 HELIOGRAVURES
8 PLANCHES EN COULEURS
53 CARTES ET PLANS
ARTHAUD
197I
REMERCIEMENTS
L= préfaces — nous avons noté — sont faites pour les regrets. Bien malheu-
reux ceux qui n’en ont pas. Cette Europe des Lumiéres est née d’un regret.
Entre la Révolution francaise d’Albert Soboul et I’Europe classique qui,
au-dela de 1680, se borne a explorer, fallait-il sacrifier le XVIII¢ siécle? « Le
premier XVIII stécle valait plus et mieux », nous l’'avons regretté, et pas seulement
le premier, mais toute une durée qui prend appui sur le temps fort des années 1680,
comme cet autre héritage sur le temps dur du miracle européen de la pensée entre
1620 et 1640. Cette insertion délicate entrainait des contraintes. Il fallait exclure,
entre autres, ce qui avait été abordé déja. L’ Europe des Lumiéres telle qu'elle s’in-
tégre dans la collection n’a pas de temps propre. Il lui faut s’insérer, s’insinuer
sur un terrain difficile, partiellement occupé. A Vheure ou le repentir n’est plus
possible, le remords subsiste.
Les sacrifices. De réductions en contractions, d’abandons en presque trahisons,
cet essai ne conserve plus qu’une partie de ce que nous avions, au départ, voulu
y mettre. Mats las! cette Europe des Lumiéres, aprés tant de bons livres qui nous
ont nourri, en vaut une autre. Elle est le fruit d’une expérience. Elle est née d’une
réflexion face a une crise de civilisation. Ce « monde que nous avons perdu », entendez
au présent, Daccélération du mouvement, rend plus nécessatre une réflexion sur
Vhéritage. A ’heure des machines a faire vite et mieux les opérations élémentaires
de la pensée, tout V’héritage nous vient par les canaux et les filtres des Lumieres.
A travers les partis pris, les replis, les parcimonies des Lumiéres, en dépit des
apparences, Tessentiel avait été préservé, la continuité, condition du progres.
LVhistoire s’écrit toujours au présent, tournée vers Pavenir, c’est un XVIII? siécle
partisan, un XVIII¢ siécle utile, donc, que nous avons proposé. La tdche est
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
difficile. Les recherches les plus neuves, les plus nombreuses, les plus hardies, depuis
cing ans portent sur le XVIII siécle, la ou le préstatistique dense permet les expé-
riences de histoire quantitative, nous disons sérielle, au moment ott informatique
devient la premiére de toutes les sciences auxiliaires de histoire. Nous arrivons
trop tot. Il nous a fallu anticiper. Nous serons vite dépassé. Cette certitude est
notre récompense.
Nombreux sont ceux qui nous ont aidé, amis aux visages connus et plus nom-
breux encore ceux que le miracle de la langue écrite nous a donnés a travers lespace
et le temps. Dialogues avec les présents et les absents. Nos maitres en XVIII? siécle,
de Cassirer 4 Paul Hazard, en passant par Alexandre Koyré. Tous ceux, et c est
justice, dont le nom revient souvent : Fernand Braudel, comme toujours le tout
premier, a qui tout est di, Ernest Labrousse, Victor-Lucien Tapié, Emmanuel
Le Roy Ladurie qui a tant innové, Alphonse Dupront, Roland Mousnier, Pierre
Léon, Pierre Goubert, Frangois Crouzet, Peter Laslett, E. A. Wrigley... le
Centre de recherches d’histoire quantitative, cette amitié, Pierre Gouhier, en téte,
gui en est, avec mot, le véritable fondateur, Anne et Fean-Marie Vallez, Fean-
Marie Gouesse, fean-Pierre Bardet, Hugues Neveux, Gabriel Désert... et les
étudiants avancés avec qui nous avons cherché, hésité, trébuché, de temps en temps
trouve.
Je tiens a dire, encore, ma gratitude a ceux qui mont permis de m’exprimer,
Raymond Bloch qui m’a appelé et soutenu, Guy Beaujouan, Sylvain Contou,
dont l’amitié m’est précieuse, et avec qui le dialogue est agréable et enrichissant.
Il m’a apporté une aide efficace dans la réalisation de l’index. Il sait animer une
équipe ot l’on a plaisir a travailler. Merci a Claire Hallouin, au tout premier
chef, elle a tout conduit, animé, coordonné inlassablement depuis le début, sans
jamais se décourager. Fe tiens a remercier ceux qui l’ont aidée : M™¢ Muriel Fan-
card, M'e Odile Desenfant, qui ont réuni les images, répondu aux questions,
cherché et trouvé. A M. Facques Roblin qui a guidé nos choix, composé la ma-
quette, avec laide de M™* Yvette Maamar, nous devons tous beaucoup. A tous,
a toutes, a Claire Hallouin d’abord, c’est plaisir et justice de dire merct.
Voila pour les mérites. Pour le reste et les défauts, je suis bien entendu seul
responsable. Cette Europe des Lumiéres, comme I’Europe classique dont elle est la
fille, ne prétend pas a Vobjectif. Dans la mesure ou cela signifie énumérer et non
choisir, mentir et se mentir. Elle est, je Vai dit, fruit d’une expérience et de notre
temps. Puisque j’y ai mis du mien, merci d’abord & tous les miens. A Huguette
a qui je dots tout, compagne des peines, des joies et des pensées, & tous ceux de cette
maison, 4 ma belle-mére qui déchiffre mes illisibles manuscrits, d mes enfants,
aux présents et aux absents, pour le temps et dans I’éternité.
AVERTISSEMENT
DE L’EDITEUR
| E nouveau livre de Pierre Chaunu vient s’insérer, dans notre collection, entre
celui qu'il a déja écrit sur Europe classique et le premier des deux ouvrages
quAlbert Soboul consacre a la Révolution frangaise. Traitement égal est
ainsi réservé aux deux grands versants culturels qui encadrent l’éclatement révo-
lutionnaire de 1789. L’ Europe classique était demeurée centrée sur le XVII siécle,
le premier tome paru de la Révolution francaise étudie dans ses causes profondes
la crise de ?Ancien Régime frangais. Il est apparu qwil fallait accorder a la civi-
lisation de l Europe des Lumiéres la place qu'elle méritait et que la succession des
précédents livres semblait bien injustement lui dénier. Pierre Chaunu a accepté de
combler cette lacune avec la fougue et le talent d’historien qui lui sont propres.
Owil en soit sincérement remercié. A lire ses pages brillantes, et entrainé par une
sorte de mouvement intérieur, on se prend a méditer sur une civilisation, une époque
que l’on sent au fond si proches de nous, non seulement dans le temps — moins
de deux siécles nous séparent de la mort de Voltaire —, mais aussi dans son esprit
et ses tendances profondes.
Les derniers apports de la recherche historique élargissent et renouvellent
notre vision de cette Europe des Lumiéres qui a généreusement tenté de dissiper,
au moins en partie, Iobscurité dans laquelle Pignorance et les préjugés continuatent
de maintenir la douloureuse humanité. Grace aux données chiffrées, patiemment
recueillies et confrontées, ’espace et les hommes de cet étonnant XVIII¢ siécle
nous apparaissent avec leurs traits fondamentaux, qu’il s’agisse des grandes éten-
dues maritimes et terrestres des empires ou de l’opposition entre le lourd peuplement
de l’Europe des cerveaux et les vastes zones périphériques, encore figées dans leur
attitude archaique d’autrefois. Les dimensions de ’homme se modifient rapidement,
If
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
en un peu plus d’un siécle la population européenne double et les récents apports
de la démographie historique, qui sait a présent utiliser enquétes, recensements
et dénombrements partiels et nationaux, sont ici situés a leur juste place. Avec
la victoire sur la mort que commencent a connaitre les pays les plus évolués et les
plus riches, ?’allongement de la vie humaine et la réduction de la mortalité infantile,
les psychologies et les perspectives se modifient, individus et familles attachent une
importance croissante a l’éducation et les traités qui lu sont consacrés se multi-
plient pour trouver leur couronnement dans V’Emile de }.-7. Rousseau. Ce « rabo-
tage de la courbe des morts » ne doit pas cependant masquer P’inégalité devant la
mort qui largement subsiste entre les pays et entre les classes soctales.
Léclat des Lumiéres grandissantes est di, sans nul doute, au cheminement
nouveau de la pensée du XVIII€ siécle. Elle ne cherche plus comme autrefois a
établir les principes généraux, les formes et les structures d’ou, par déduction, on
pourrait dégager la succession des phénoménes. Elle se donne pour régle de partir
des faits, soigneusement observés et catalogués, pour remonter aux principes et aux
lois. Par la est largement ouvert le chemin de la science et Pesprit de systéme est
de tous c6tés, en Angleterre, en France et ailleurs, battu en bréche. Aussi suis-je,
pour ma part, moins sévére que P. Chaunu a légard des erreurs et des naivetés
que l’on peut découvrir dans les écrits enthousiastes des philosophes des Lumiéres.
Quelle aube nouvelle ne comporte aucune tache? Le moment semble alors venu
@’arracher a la nature son secret. A lécart de tout dogmatisme, de tout systéme, la
recherche scientifique prend son essor. C’est ainsi que les régles de méthode propres
aux sciences humaines se dégagent enfin. L’histoire telle que la congoit et TPécri
Voltaire a une allure moderne, soucieuse enfin du détail sociologique, de l’obser-
vation technique et concrete. L’ histoire des batailles et des traités n’est plus souve-
raine. La réflexion politique s’impose a chacun, devient le souct majeur.
La foi en la raison subsiste, mais celle-ci déclare hautement qu’elle doit elle-
méme s’incliner devant les faits. L’Encyclopédie est née de cette avidité nouvelle
pour toutes les connaissances. Et certes les sciences physiques et surtout biologiques
sont encore balbutiantes. L’impulsion cependant est donnée et le mouvement ne
S'arrétera plus.
Nul doute que Diderot et les encyclopédistes auraient souscrit, si Pétat des
sciences avait été a leur époque plus avancé, aux réflexions profondes qui émaillent
les deux nouveaux livres que deux célébres biologistes viennent de publier coup
sur coup, ceux de Frangois Jacob, la Logique du vivant. Une histoire de l’héré-
dité et de Facques Monod le Hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie
naturelle de la biologie moderne. Diderot et ses amis pensaient déa lemoment
venu de découvrir le secret caché de la nature; en réalité un long et patient travail
I2
PREFACE
était encore nécessaire pour que ce secret piit commencer a étre percé. Cependant,
les premiers, ils avaient hautement déclaré qu’ils se refusaient @’ériger au rang
de dogme le premier concept venu, et, avec les moyens scientifiques dont ils dispo-
satent, ils s’attachatent aux seuls phénoménes pour laisser les concepts se former a
leur contact. Ce n’est done pas un hasard si le livre de Frangois Jacob reprodutt,
sur sa page de garde, la fameuse réflexion de Diderot : « Voyez-vous cet ceuf? C’est
avec cela qu’on renverse toutes les écoles de théologie et tous les temples de la terre. »
La position des philosophes des Lumiéres n’est-elle pas celle du savant d’au-
jour@’hut qui, évoquant « le sentiment de crainte, sinon de haine, et en tout cas
@alténation, qu’éprouvent tant d’hommes d’aujourd’hui a l’égard de la culture
scientifique », s’écrie : « C’est bien au message essentiel de la science que s’adresse
le refus. La peur est celle du sacrilége, de V’'attentat aux valeurs. Peur entiérement
justifiée. Il est bien vrai que la science attente aux valeurs. Non pas directement,
puisqu’elle n’en est pas juge et doit les ignorer, mais elle ruine toutes les ontogénies
mythiques ou philosophiques sur lesquelles la tradition animiste, des aborigénes
australiens aux dialecticiens matérialistes, faisait reposer les valeurs, la morale,
les devoirs, les droits, les interdits. » (facques Monod, p. 187.) Ainsi l’éthique de
la connaissance qui semble seule susceptible, une fois qu’elle est comprise et acceptée,
de guider I’évolution du monde est-elle issue, en dernier ressort, de ces longs efforts
entrepris au XVIII¢ siécle par ces pionmiers de la science moderne qui, bravant les
dangers et les peines, ont su détruire les faux échafaudages barrant la route du savoir.
Il faut relire les pages étonnantes du Réve de d’Alembert pour comprendre
combien les hommes des Lumiéres, a l’aube d’un mouvement scientifique qui devait
tout emporter, pressentaient déja, dans une sorte d’intuition grandiose, les théories
de l’évolution. « Qui sait, écrit Diderot, a quel instant de la succession de ces géné-
rations animales nous en sommes? Qui sait si ce bipéde déformé, qui n’a pas quatre
pieds de hauteur, qu’on appelle encore dans le voisinage du pole un homme et qui
ne tarderait pas a perdre ce nom en se déformant un peu davantage, n’est pas
image d’une espéce qui passe? Qui sait s°tl n’en est pas ainsi de toutes les espéces
d’animaux? [...] Laissez passer la race présente des animaux subsistants 5 laissez
agir le grand sédiment inerte quelques millions de stécles. Peut-étre faut-il, pour
renouveler les espéces, deux fois plus de temps qwil en est accordé a leur durée.
Attendez, et ne vous hdtez pas de prononcer sur le grand travail de la nature. »
Mais il est encore un autre domaine, capital lui aussi, qui nous rapproche,
et par T’intelligence et par le cceur, des philosophes du XVIII¢ stécle. Il S’agit de
la défense des droits de V’individu, de la condamnation de tout fanatisme, de | obli-
gation d’une veritable tolérance, et ces revendications qw’ils ont hautement proclamées
demeurent comme leur mérite supréme et leur honneur. On se prend a douter au-
13
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
jourd’hui que bien des dirigeants des grands pays modernes aient seulement lu, et,
ils les ont lus, qwils aient bien compris et ressenti au fond d’eux-mémes les appels
pathétiques a la simple équité et au pur respect du droit et de la hiberté que, voici
plus de huit générations d’ hommes, des penseurs, plus habitués au travail de cabinet
qua une vie d’incertitudes et de risques, ont osé lancer publiquement, au mépris
des dangers courus et courageusement affrontés. Pendant abominable affaire
Callas, Voltaire écrit, dans son admirable Traité de la tolérance : « On ne peut
empécher, a la vérité, que Jean Callas ne soit roué, mais on peut rendre les juges
exécrables et cest ce que je leur souhaite. » Ils le sont restés effectivement. Alors
que s’ouvre la révision du proces de linnocent condamné et exécuté sous la torture,
mais qui sera réhabilité, Pécrivain, tout pessimiste qwil soit, sécrie : « Il y a donc
de ’humanité et de la justice chez les hommes |...] fe séme un grain qui pourra un
jour produire une moisson. » Hélas! la moisson n’est pas miire et si, des quatre
coins du monde, s’élévent des cris d’appel qui font heureusement écho aux reven-
dications voltatriennes d’une véritable justice, des proces d’allure médiévale s’ouvrent
sans cesse et nous rappellent que les philosophes des Lumiéres, sils ont engagé le
juste combat, doivent étre relayés par leurs lointains héritiers. Ceux-ci, en bien
des cas, n’ont pas besoin de moins de courage pour défendre efficacement, en face
a hommes d’Etat, qui ne méritent pas le nom d’homme qu’ils portent, et de leurs
bourreaux, les imprescriptibles droits de Vindividu a expression de ses pensées,
de ses croyances, et a sa pleine et entiére liberté.
Etonnante actualité que ce XVIII° siécle qui nous améne ainsi & la méditation
sur les deux thémes essentiels de notre présent, la pensée scientifique d’une part,
le respect des droits du citoyen de l’autre. Pour le premier point, les veux qu’il
exprimait semblent réalisés, la marche de la science a, depuis l’Encyclopédie,
franchi les obstacles qui barraient sa route et la vérité objective est a présent en
vue. Mais, pour le second point, nous sommes encore bien loin de compte. Faut-il
pour autant désespérer? Ce serait faire injure a nos valeureux prédécesseurs et
faire injure a nous-mémes. Tdchons seulement d’obtenir que les enfants des diffé-
rents pays lisent attentivement Vhistoire véritable de Callas, de Sirven et du
chevalier de La Barre. Non pas que, depuis lors, histoire n’ait été ternie par d’in-
nombrables imquités du méme genre. Mais la pensée claire et la prose lumineuse
d’un Voltaire, luttant contre Phydre de l’injustice et de T’intolérance, demeurent
difficilement imitables et n’ont guére, 4 ma connaissance, été égalées.
RAYMOND BLocH
INTRODUCTION
POUR COMPRENDRE
LES LUMIERES
NTRE 1680 et 1770, voire 1780, dates rondes, une réalité s’impose, dense,
difficile 4 cerner, certes, pourtant irréfutable : Europe des Lumiéres. La
bien situer, d’abord, dans le temps et dans l’espace. Depuis la charniére
des x1I°- x1II® siécles, une mutation se produit, au niveau du vieil espace médi-
terranéen, basculé vers le nord, en chrétienté latine. On dira, bientét, l’Europe.
A partir du xvI® siécle, les mutations, au sein de l’espace-temps Méditerranée-
Europe, ont pris une dimension planétaire. Tout effort de découpage, toute pério-
disation, donc, n’en est que plus chanceuse, plus difficile, au fur et 4 mesure
que !’on descend le cours du temps. Moins justifiée ?Certes, non! Le temps
proche, c’est aussi le temps des réalités humaines plus denses, plus complexes,
donc plus inégales. Le temps, partant, des chevauchements.
L’Europe des Lumieéres a cessé de croitre que disparait 4 peine l’Europe
classique, les Lumiéres n’en finissent pas de s’éteindre ou de se transformer, a
la fin du xvuir® siécle. Elles subsistent au sein de la révolution industrielle, dont
elles sont largement responsables. Et ne sommes-nous pas tous, plus ou moins,
aujourd’hui encore, des Aufkidrer ?Du moins, l’étions-nous hier. Du point de
vue voltairien de Sirius, les structures les plus voyantes, celles qui s’en tiennent
a l’épiderme des choses, qui donnent leur nom 4 ces avatars d’une méme civili-
sation que l’on nomme, au gré des humeurs, Renaissance, Europe baroque,
Europe classique, Europe des Lumiéres, ont a peine le temps de se faire et de
se défaire. Elles se bousculent nécessairement. Elles se superposent. Le baroque,
on s’en souvient, recouvre Renaissance et classicisme, il déborde largement
sur le xvilI® siécle.
A la limite, la question est légitime, les Lumiéres ont-elles méme la
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
16
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
L’Europe des Lumiéres a ses temps forts. Dans l’ordre des pensées comme
dans l’ordre des choses.
1680-1715, d’abord. Paul Hazard a eu, jadis, une formule heureuse : la
crise de conscience européenne. Dans l’ordre des pensées, la crise de conscience
correspond, en gros, a la mise en cause d’une précaution essentielle, 4 la négation
de ce que j’ai proposé d’appeler le secteur réservé du Discours. Descartes, on s’en
souvient, avait laissé volontairement en dehors de la nouvelle méthodologie le
domaine de la politique et de la religion, la relation 4 Dieu et larelation
a ’homme
dans la cité. Prudence suivant les uns, juste conscience, je le crois, des étapes,
des limites, de la complexité. Descartes laissait donc subsister deux secteurs
réservés : celui de la Révélation, celui de la transmission traditionnelle de la
hiérarchie sociale et du pouvoir. Spinoza excepté, le partage n’a pas été mis en
cause par la premiére génération des philosophes mécanistes. A la hauteur des
années 1680, une barriére céde. Brusquement, les méthodes de l’exploration
mécaniste de la nature pénétrent dans les domaines réservés. 1680-1715, Voici
la religion naturelle, la premiére affirmation d’une science sociale, et au-dela la
revendication d’une action rationnelle a priori sur la politique. Dans l’ordre des
rapports de l’*homme avec l’espace, la génération de la crise de conscience est
celle de la mutation. La réinsertion de l’Europe danubienne marque le passage
de la petite 4 la grande Europe stoppée depuis un siécle ; la marche en avant
des Européens 4 l’intérieur du continent américain reprend.
Le second temps fort, c’est, de 1730 a 1770, la Vital Revolution. L’Europe
des Lumiéres invente des hommes, au rythme presque partout atteint du
doublement en deux générations. A l’intérieur de cette masse humaine, chaque
jour désormais plus généreuse, une mutation commence. La civilisation se
confond avec le maniement de la langue écrite. Deux frontiéres divisent la
société des hommes en trois couches trés inégales : ceux qui lisent en latin,
ceux qui lisent couramment en vulgaire et les neuf dixiémes, un peu moins a
Youest, beaucoup plus a l’est, pour qui la transmission du savoir, l’acquisition
de ce qui n’est plus la civilisation mais simplement la culture, se fait par les
moyens traditionnels, « voir-faire et oui-dire ». Le second temps fort, c’est aussi
la mise en mouvement de ces deux frontiéres. La premiére s’efface, le latin
perd son privilége, mais la seconde se renforce. Je serais tenté de parler de la
« nouvelle frontiére » de l’alphabétisation massive, mieux de l’acquisition d’un
niveau de lecture efficace, par une fraction, désormais non négligeable a l’ouest,
de la population. Cette « nouvelle frontiére » qui avance massivement en direc-
tion de la société traditionnelle annonce, 4 sa maniére, les fronts d’acculturation,
en Afrique et en Amérique latine, des anthropologues du xx® siécle. Le mou-
17
LA CIVILISATION “DE “L°EUROPE 9°DES LU MIERES
vement commencé en Europe et qui s’achéve sous nos yeux est passé, dés lors,
sur les autres continents ow il attire pour la premiére fois lattention d’une
science humaine fille des Lumiéres. Et voila que la civilisation écrite, la longue
mémoire dialectique d’une connaissance conquérante, puise dans l’immense
océan des traditionnels. Tout bien pesé, les Lumiéres, en Europe, ont opéré la
premiére multiplication par dix des cerveaux.
18
aye 4
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
Le xvilI® siécle que nous voulons atteindre a quelque chose a nous dire.
A travers les Lumiéres, mot commode, mot authentique pourtant, qui nous
vient de ce passé si proche et déja si lointain, ce n’est pas n’importe quel
xvure siécle que le lecteur attend, mais un XvIII° siécle utile, qui compte parmi
les deux ou trois legs les plus importants de notre héritage. C’est pourquoi, pour
mieux nous hater vers le cadre de la vie, la structure autonome de la pensée et
le fécond retour des pensées sur les étres et sur les choses, il parait utile de mar-
quer une pause, de proposer un guide, soit l’esquisse d’une théorie générale,
soit, plus naivement, les régles trés simples d’une grammaire historique pro-
pre a déchiffrer le xvumi® siécle le plus durable, le plus utile aussi a notre temps.
Le xvul® siécle ne se confond pas tout 4 fait avec les Lumiéres. Elles
débordent le siécle. Une partie du siécle leur échappe. Les Lumiéres, c’est
le xvuiIé siécle durable, celui qui fait partie de notre patrimoine. Un xvitlé siécle
qui s’inscrit d’abord dans les mots. Partir des mots, partir de lessentiel. Dans
toutes les langues de l’Europe, le méme radical sert 4 construire le mot clef. Les
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
20
ong
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
Cette rapide anticipation sur les résultats d’une recherche en cours fournit
de la réalité des Lumiéres une premiére approche, dans le temps et dans l’espace.
Les 120 millions d’hommes que I’on peut dénombrer 4 un moment donné,
mieux, les 500 millions qui se sont succédé en quatre-vingt-dix ans sur un sol
qu’on peut appeler, déja, Europe, au xvui® siécle, sont loin d’avoir vécu en-
semble et en méme temps. Les paysans de l’Auvergne (analphabétes 4 90 p. 100
encoré vers 1770), murés dans leur patois d’oc, ne sont pas les contemporains
des paysans-éleveurs du pays d’Auge en Normandie, alphabétisés a 80 p. I00,
qui entendent le frangais et que travaille Paction d’un catholicisme jansénisant
assez proche, jusque dans ses refus, de l’esprit des Lumiéres. Si la distance,
déja, est grande 4 ce niveau, quel rapport existe-t-il entre les quinze athées
dinant, un soir, a la table du baron d’Holbach, a la surprise quelque peu scanda-
lisée de David Hume, et l’atmosphére mystique des communautés juives hassi-
21
PA CIVILISATION “DE “SitEUROPET#SDEs LUMIERES
Peut-étre nous faudra-t-il, une fois encore, partir des années 1620-1630,
rappeler l’age classique, le demi-siécle qui précéde horizon tournant des
A
22
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
années 80. Au sein d’une économie maussade, dans un climat social sévére, le
miracle de la pensée. En cinquante ans, sur l’outil mathématique, un nouveau
systeme du monde se substitue, d’une maniére irréversible, 4 l’ordre scolas-
tique, réinterprétation d’une synthése deux fois millénaire. A partir de l’age
classique, plus que jamais, s’affirme la large autonomie de l’histoire des pensées.
Un exemple : les mathématiques. Voyez l’algébre qui joue, au point de départ
de la philosophie mécaniste, donc des réussites intellectuelles du xvue et de
la philosophie solidaire des xv11® et xviir® siécles, un réle capital. Au xv@ et au
XVI°, de tatonnements en tatonnements, une symbolique se dégage, l’abstraction
progresse, un calcul se pose que le génie de Viéte (1540-1603) conduit 4 un point
de cristallisation. De 1a, l’évolution indépendante de l’algébre constituée en
« discipline formée », donc autonome, avec ses régles, ses lois, sa logique propre,
est possible. Le papier, le pain, l’encre et les loisirs assurés, une histoire presque
pure, indépendante de tout environnement matériel, unit dans le temps, sur
deux siécles, les pensées de quelques centaines d’hommes. L’outil mathéma-
tique qui avait été nourri, jadis, des besoins de l’arpenteur, de l’hydraulique
italienne récemment et, peut-étre encore, des nécessités accrues de la mine et
du commerce, s’est, dés avant le miracle scientifique des années 1620-1650,
dégagé des contraintes externes, suivant les exigences d’une dialectique propre.
La mathématisation du monde aurait été impossible sans l’existence indé-
pendante de l’outil, en l’occurrence l’outil mathématique. Mais l’outil recoit
a son tour une prodigieuse impulsion des besoins de la nouvelle architecture
cosmique. A partir de 1a, pourtant, comme projetée en avant, aux XVIII® et
xIx® siécles notamment, la pensée mathématique, obéissant 4 la logique d’un dé-
veloppement interne, court bien en avant des besoins dela construction scien-
tifique. Les géométries pluridimensionnelles (Lobatchevski, Riemann) naissent
presque simultanément dans les années 1840, au terme d’une longue méditation
commencée par Wallis en 1685, poursuivie par d’Alembert et Lagrange,
J. F. Herbart et Grassmann ; au méme moment, George Boole (1815-1864)
crée l’algébre binaire. Bientét, l’unification progressive commence de la mathé-
matique et de la logique formelle intégrées dans un méme symbolisme. Vous cher-
cheriez en vain dans l’environnement une causalité : pas d’autre logique qu’in-
terne ; Lobatchevski, Riemann, Boole et les logiciens formels des mathématiques
n’en sont pas moins, un siécle avant, les prophétes de notre temps. Sans l’outil-
lage conceptuel qu’ils ont forgé, les sciences physiques des années 1910, la cyber-
nétique des années 1940 butaient sur I’impossible.
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LA CIVILISATION DE L°EUROPE DES LUMIERES
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POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
27
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
28
sniy RS
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
Progrés agricoles, d’abord ; tout en découle. Les récoltes sont mieux conser-
vées, on gagne un peu sur la semence, les rendements augmentent légérement :
le rendement par téte gagne I0 p. 100 ici, 20 p. 100 1a, il stagne ailleurs. Ce
gain modeste et décisif se répercute sur toute |’échelle de la production, car le
secteur agricole retenait, 4 la fin du xviI® encore, prés des neuf dixi¢mes des
travailleurs. Supposons, 4 l’ouest, un dixiéme d’hommes supplémentaires
libérés par le progrés de la production agricole, deux dixiémes au lieu d’un,
et qui peuvent se consacrer a l’industrie, au commerce, a l’administration, au
commandement, mieux encore, 4 la réflexion. Les gains plus substantiels dans
les autres secteurs prolongent l’effet. Ce qui compte sans doute le plus dans la
vie du XvIII®, ce ne sont pas les machines anglaises — elles sont l’avenir —, c’est
Poutil. L’outil parvenu au terme d’une longue évolution, parce que le matériau
utilisé est meilleur, la main qui le fagonne et lutilise plus habile, en un mot
29
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
parce que l’apprentissage a eu plus grande prise sur une génération artisans
qui lisent. Voyez Rousseau et le milieu de Geneve, songez a Angleterre lisante,
aux noyaux de Frances instruites. Parce qu’on est plus attentif a bien recevoir
Phéritage. Voir-faire et oui-dire, certes, dominent toujours le plan essentiel
de la transmission des techniques. A la base, du moins, car le xvi1I® siécle est
le siécle des gros traités, des livres, puis des écoles ot s’enseigne l’art de l’ingé-
nieur. Les planches de l’Encyclopédie marquent le point de départ timide d’une
dignité toute neuve. Des artisans lisent, qui pensent plus hardiment avec leurs
mains, des artisans qui entrent en communication avec les techniciens de la
pensée.
Reprenons 4 notre compte cette distinction fondamentale que Fernand
Braudel emprunte a l’anthropologie culturelle. Réservons l’usage du mot civi-
lisation aux cultures qui ont atteint le niveau de l’écrit, la civilisation se confon-
dant ainsi avec le secteur de la culture solidaire de l’immense héritage de la
transmission écrite. Au niveau de l’artisanat urbain, le xviII® siécle ébauche une
rencontre jamais réalisée de la culture et de la civilisation, au bénéfice de la
civilisation, certes, au bénéfice plus encore de la culture traditionnelle. Bénéfice
par le biais des hommes. L’acquisition trés tét des mécanismes psycho-
moteurs de la lecture et de lécriture, l’acquisition par lécrit de structures
intellectuelles complexes, loin d’entraver la transmission traditionnelle des
savoirs et des gestes de métier, par voir-faire et oui-dire, facilite l’acquisi-
tion. L’artisan qui lit, a intersection de la culture traditionnelle et de la
civilisation de l’écrit, acquiert plus vite, retient mieux un savoir-faire qu'il
va désormais modeler plus facilement. L’acquisition massive de l’écriture
et d’un degré de lecture utile par une fraction, par place majoritaire, de la
gent mécanique, cela est vrai pour l’Angleterre, contribue 4 la mise en mou-
vement rapide des procédés artisanaux de fabrication, des gestes et des tech-
niques manuelles qui impriment la pensée aux choses.
Le xvui° siécle perfectionne l’outil traditionnel. Et plus spécialement au
sein de quelques laboratoires de l’habileté, la fabrique de Phorloge, de la monte,
du chronomeétre, la. manufacture des instruments scientifiques, ces multipli-
cateurs sensoriels légués par le xviI® siécle aux Lumiéres qui les poussent a
un niveau incomparablement supérieur d’efficacité et de perfection, la facture
d’orgues, de clavecins et de violons. Dans la victoire tardive du télescope, il y a
Part de couler une matiére adéquate et de la polir en miroir, dans le progrés
isemicroscope, la qualité des lentilles. Voyez le verre, le cristal de table, les
glaces.
Le xvul° siécle se situe au point ultime d’évolution d’un outillage tradi-
30
eet in
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
tionnel, manié souvent par des lisants qui s’en servent mieux et lui font rendre
la totalité de ses possibilités insoupconnées. Le xvirr® siécle peut-il se définir
comme le siécle de l’outil parfait manié 4 la perfection, qui va bientét livrer
son grand combat a la machine? L’outil avant la machine, certes. La machine
contre loutil, non. Rien de moins contradictoire que l’outil du xvmé et la
machine anglaise. Une des conditions, et non des moindres, de la révolution
industrielle réside dans P’habileté d’artisans aptes 4 dominer la matiére de leurs
mains, a travailler le fer, 4 réaliser des roues dentées, des pignons, des axes,
a résoudre une infinité de petits problémes pratiques qui s’appellent courroies
de transmission, joints hermétiques et qui supposent des trésors diffusés d’habi-
leté et de savoir-faire.
Ces petits progrés ne se laissent pas facilement cerner. Rien dans l’histoire
sérielle des rémunérations et des prix ne laisse percevoir une amélioration sen-
sible du niveau de vie des classes nombreuses. On commence a peine a tourner
la difficulté, 4 inventer le document, 4 trouver un moyen adéquat d’utilisation.
Le cadre de la vie matérielle s’enrichit, se diversifie, s’améliore. La maison que
Pon construit est un peu plus grande, un peu mieux aérée, un peu moins fruste
que celle qu’elle remplace, cela n’est pas vrai seulement des riches. Un lit au
lieu d’une basse couche, une armoire au lieu d’un coffre, du linge, un peu de
vaisselle. Dans l’intervalle, la population s’est accrue. Qui s’est trompé ?L’éco-
nomie avec son salaire et le prix du pain? L’histoire sociale et l’enquéte sur
Phabitat qui a chiffré, cubé, mesuré la maison paysanne aisée telle qu’elle subsiste
de nos jours encore? Acceptons et dépassons l’apparente contradiction. Ce que
les séries des prix ne sont pas parvenues, jusqu’ici, 4 mesurer, c’est l’objet
nouveau, l’objet disponible, la qualité meilleure, le fruit indirectement saisi
d’une augmentation sensible de la production dans tous les domaines ; accep-
tons, en attendant mieux, sous réserve d’inventaire, l’inévitable proposition.
L’artisanat a réalisé, au xvIII° siécle, sans investissement direct, un gain appré-
ciable des rendements. Sans investissement autre que celui, indirect, d’une
meilleure transmission de la connaissance qui aboutit 4 des hommes plus nom-
breux et mieux instruits.
Presque sans investissement immédiat, 14 réside toute la différence avec
le x1x@ siécle. Par une attention renouvelée, par une valorisation de ’habitude
au détriment de la routine. A l’Age des ordinateurs, on serait tenté de risquer :
50 p. 100 de mieux d’un hardware amorti par l’amélioration sans frais du soft-
ware. Le gain modeste réalisé est immédiatement disponible pour ’homme.
Deux fois plus d’hommes, un peu mieux éduqués, vivent un peu plus vieux a
la fin du siécle. A Ja fin du xvuir¢ l’Europe compte cinq a six fois plus de lisants
31
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
qu’a la fin du xvur®, dix fois plus, peut-étre, qui ont franchi le seuil de la lecture
efficace, et qui lisent davantage et autre chose. Tout bien pesé, la capacite d’ab-
sorption par la lecture a décuplé, en l’espace a peine de deux générations.
32
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
33
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
34
egg. 4
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
une fraction de plus en plus large de ceux qui lisent, le siécle de la perception
généralisée d’une amélioration.
35
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
36
POUR COMPRENDRE LES’ LUMIERES
Si,
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
ee AiGiE.eHoE
LES DIMENSIONS
DE L°-HOMME
Li raisons qui conduisent l’historien a retenir, 4 partir de 1680, date ronde,
la durée de trois générations, un siécle en gros, sont évidemment dictées
par V’histoire intellectuelle de l’Angleterre et de la France, dont les réus-
sites se détachent et s’affirment depuis que tout s’est mis 4 bouger vite dans
Pordre des pensées. La périodisation a toujours intérét 4 coller a Vhistoire
intellectuelle, sans doute parce que l’esprit commande. 1680-1710 ou 1720;
Pentrée dans la parenthése cartésienne, les conséquences politiques, théolo-
giques, ontologiques follement développées de l’option mécaniste et dualiste
du début du siécle. Tout le xviir® siécle est 1a, il était déja en puissance dans le
Tractatus theologico-politicus, en 1670. Hier, on avait hésité 4 suivre Paul Hazard
dans ses démarches. Aujourd’hui plus d’hésitation possible. La fin du xviI® sié-
cle marque, tout bien pesé, au méme titre que le début du siécle, une grande
date de V’histoire globale. On peut faire partir de 1730-1750 l’explosion des
Lumiéres; en fait, la mise en mouvement commence bien vers 1680.
Que se passe-t-il d’important au cours des deux derniéres décennies du
Xvul® siécle? Attention! Les indicateurs traditionnels risquent d’induire en
erreur. Regardons, en effet, Europe nombreuse : la France, les Pays-Bas,
lAngleterre, l’axe rhénan, I’Italie du Nord, 900 000-1 000 000 de km’, 35 habi-
tants par km?, l’Europe dense, l’Europe des réussites. Cette Europe s’essoufile.
Tandis que la population continue de plafonner en Angleterre, elle a tendance
a baisser en France et en Belgique. De 1680 4 1720-1730, la France perd
IO p. 100, en moyenne, de sa population. Ce malaise n’est pas superficiel. Il
affecte la natalité qui baisse, la mortalité qui augmente, l’4ge au mariage qui
s’éléve, la transmission de la vie par l’introduction, au sein des relations conju-
41
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
gales, du coitus interruptus au niveau des lords anglais, des bourgeois de Geneve
et des ducs et pairs en France ;en méme temps, l’espérance de vie reflue dans
les ilots les plus privilégiés de Angleterre heureuse.
Que s’est-il donc passé? Embrassons l’ensemble de la vieille chrétienté.
Les Lumiéres révélent l’entrée en scene d’une Europe frontiére, jaillie a lest
et au nord. La population de lEurope, l’ensemble des deux chrétientés, la
latine et l’?orthodoxe, avait largement dépassé le cap des 100 millions, aux
alentours de 1620, au sommet d’une longue phase de récupération commencée
au xv® siécle. Rupture et reflux au début du xvue siécle, mais ce cataclysme
avait affecté presque exclusivement l’Europe périphérique. Dans son rapport
hommes/espace, l’Europe classique était une Europe étayée au centre, bloquée
sur ses marges. La prépondérance frangaise sortait renforcée d’un nouvel
équilibre. Le rapport de population France/Europe, vers 1660, est 4 peu de
chose prés le rapport de population France/chrétienté au début du xiv® siécle.
L’Europe merveilleusement préservée au centre, pour la grande mutation
des pensées, est traversée cinquante ans aprés par l’inévitable contrecoup d’une
croissance sur deux siécles de sa population. 1600-1630 avait marqué le point
de départ d’un mouvement en ciseaux. Tandis que l’Europe nombreuse conti-
nuait une croissance ralentie, Europe périphérique refluait en catastrophe.
Une partie du nouvel équilibre de la Renaissance cédait le pas. D’autant qu’au
début du xviré siécle, Europe outre-mer cessait, pour un temps, pratiquement
de croitre. L’Europe du début du xvu® siécle, encombrée d’espace, s’était
refermée sur un nouveau monde clos, incomparablement plus vaste que celui
du x111°. Dans la mesure ou l’invention d’espace, a l’intérieur de la société et
de l’économie traditionnelles, a tenu le rdle dans la croissance des pulsions du
progrés technique a notre époque, le blocage spatial du xvir® siécle joue une
partie capitale. Outre-mer bloqué, « frontiéres » de peuplement entravées 4
Pest, espace contrélé immense mais fermé, temps propice aux méditations
moroses et aux cheminements en profondeur, tel est bien le court et dense
xvul® siécle, de 1630 4 1680. La prospérité du vieux noyau dense central nous a
fait interpréter comme un long trait horizontal ce qui était le tragique reflux des
Europes périphériques. Un important équilibre est de nouveau modifié 4 la hau-
teur des années 1680. Curieuse coincidence? Une grande mutation de la pen-
sée rencontre le temps dur d’une vaste angoisse collective. L’affirmation des
Lumiéres sonne, au départ, comme un défi. Leur premier optimisme exprime
une démarche collective profonde. II fallait, certes, beaucoup de foi et beau-
coup d’orgueil pour préférer aux certitudes du ciel, l’eschatologie courte d’une
terrestre incertitude.
hay. .
GHAPLITRE «I
43
LA CIVILISATION DE L>EUROPE DES LUMIERES
44
Wee es, j 4
L’ESPACE DES LUMIERES
par son commerce, par sa navigation, par sa fertilité, par ses lumiéres et l’indus-
trie, par la connaissance des arts, des sciences, des métiers. »
L’Europe, espace culturel, c’est aussi le mouvement, le progrés. Hors d’elle,
tout est immobile, figé, barbare. « Tous les peuples qui ont négocié aux Indes
y ont porté toujours des métaux et en ont rapporté des marchandises [...] Les
auteurs anciens qui nous ont parlé des Indes nous les dépeignent telles que nous
les voyons aujourd’hui, quant a la police, aux maniéres et aux mceurs. Les
Indes ont été, les Indes seront ce qu’elles sont 4 présent [...] La plupart
des peuples des cétes de Il’Afrique sont sauvages ou barbares [...] »
(Montesquieu, /’Esprit des lois, XX, 21.) A Vintérieur de l’espace culturel
européen, vigoureusement affirmé, Montesquieu introduit une bipolarité fon-
damentale : « Il y a dans l’Europe une espéce de balancement entre les nations
du Midi et celles du Nord. Les premiéres ont toutes sortes de commodités pour
la vie et peu de besoins; les secondes ont beaucoup de besoins et peu
de commodités pour la vie. » L’Europe dilatée par la croissance vigoureuse de
ses marches se confond non seulement avec |’univers habité, mais elle se cons-
truit autour d’une polarité nord-sud qui se moque 4 juste titre des nations et
des Etats.
Cette dualité nord-sud — elle renferme une réalité objective de plus en
plus lourde — appartient vraiment 4 la représentation spatiale des Lumiéres.
L’Europe est, au départ, une Méditerranée basculée vers le nord. Cette struc-
ture, l’Europe, née dans les mots au xvul® siécle, l’emprunte 4 la chrétienté latine.
Le mouvement de bascule qui parvient 4 la conscience littéraire du xviil® siécle
s’enracine dans la trés longue durée. Du vile au xiv®, le Nord n’avait cessé
de gagner au détriment de l’espace méditerranéen cassé en deux par l’insertion
de l’Islam. La grande novation médiévale se joue entre Loire et Rhin. La peste
noire qui frappe plus au nord, l’invention, la conquéte et l’exploitation des
nouveaux mondes contribuent a4 la remontée de la Méditerranée. Cette création
de routes, de communications, d’espaces s’accompagne d’une puissante inven-
tion artistique et intellectuelle. Les prestiges reviennent sur la Méditerranée.
Dans l’ensemble, sur la lancée des xv®-xvi® siécles, le xv11® siécle continue de
surestimer le prestige de la mer Intérieure.
En 1680, conscience est prise d’un nouvel équilibre. Du Midi au Nord,
au niveau des représentations, le chapitre n’est plus 4 écrire. Paul Hazard I’a
publié au début de Ja Crise de conscience européenne. Effondrement de l’Espagne,
effacement de |’Italie, pleine maitrise de la France, rude concurrence de l’Angle-
terre, de la Hollande, de la moitié occidentale de l’Allemagne. « En 1697, a
Tiibingen, André Adam Hochstetter exalte dans un discours latin [le latin,
45
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
46
L’ESPACE DES LUMIERES
47
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
capitale d’un empire danubien tout neuf, ot il rencontre le prince Eugene qui
était alors président du conseil de guerre de I’Empire, héros de la « frontiere »
orientale de |’Europe, vainqueur des Turcs, reconquérant du Danube euro-
péen ; il en fera l’éloge dans son traité De la considération. Les notes du Voyage
d’ Autriche sont séches. Les habitants de ce pays trés catholique n’ont pas trouvé
grace. Deux seuls élans d’enthousiasme : les mines de cuivre de Hongrie, Krem-
nitz, Schemnitz, Neusohl (Montesquieu, de 1731 4 1751, tire de ses impressions
de voyageur cinq mémoires sur les mines et les routes), l’effort du gouver-
nement impérial pour ouvrir a la circulation des biens et des idées ce pays mon-
tagneux, forestier, sauvage. « Ce beau chemin n’a coaté au pays que 430 000
florins. On a couvert de pierres le dessous et le dessus est couvert de gravier [...]
L’Empereur a fait encore de trés beaux chemins pour communiquer 4 ses ports
d’Adriatique. On travaillait 4un chemin depuis Carlstadt jusqu’a Boucharitz[...]»
De Gratz 4 La Haye, s’insére un long crochet: le traditionnel voyage d’Italie,
dans une parenthése. Déception, férocité systématique. A Venise d’abord,
Montesquieu ne retient que décadence, paresse, débauche:: « Il y a, depuis vingt
ans, dix mille putains, 4 Venise, de moins ; ce qui ne vient pas d’une réformation
dans les mceurs, mais de |’affreuse diminution des étrangers. Autrefois, il venait,
au carnaval, trente 4 trente-cing mille étrangers 4 Venise. A présent il n’en vient
guére plus de cent cinquante. » Un reste de tendresse, pourtant, en raison d’une
longue tradition d’impiété. Venise fait partie de l’Italie du Nord que l’Europe
des Lumiéres retient dans les structures spatiales de ses représentations. « Il n’y
a que les fous qui soient mis 4 l’Inquisition 4 Venise. » « Le Milanais est assez
bien cultivé pour ce pays qui a été a l’Espagne. » Vertu du Nord. Par contraste :
«Il n’en est pas de méme du royaume de Naples : les gens de la Calabre ont un
manteau, avec lequel ils se tiennent sur une place tout le long du jour, ayant de
quoi vivre avec deux sols par jour. J’ai oui dire que depuis que Minorque
est aux Anglais, elle rapporte quatre fois plus qu’auparavant. » La Sardaigne :
«Il n’y a nieau ni vin. L’eau est presque toute saumatre. » « Je suis parti de Tu-
rin, c’est-a-dire d’une ville assez ennuyeuse. » Génes : « La République est trés
pauvre [...] Les Génois sont enti¢rement insociables ; ce caractére vient moins
dune humeur farouche, que de leur avarice supréme [...] Il y a toujours un
noble génois en chemin pour demander pardon a quelque souverain des sottises
que leur république fait. » « Les familles italiennes dépensent beaucoup en cano-
nisations. La famille Corsini, 4 Florence, a dépensé plus de 180 000 écus romains
dans la canonisation d’un saint Corsini. Le marquis Corsini disait : “« Mes en-
fants, soyez honnétes gens, mais ne soyez pas saints. ” Ils ont une chapelle ot
repose le saint. Peu de fripons ont tant cofité a leur famille que ce saint [...] Tout
48
L’ESPACE DES LUMIERES
Italien aime a étre flatté. » « Quand on entre dans l’Etat du Pape, on voit un
meilleur pays, mais plus misérable. II n’est pas si chargé d’impéts que le Pays de
Florence ; il Pest trés peu, mais comme il n’y a ni commerce, ni industrie, il
a autant de peine 4 acquitter ses charges que les Florentins mémes [...] » Dans
PEtat romain, l’impéritie engendre le paludisme et la superstition encourage
le banditisme : « Mettez Cartouche 4 Rome! [...] A présent, une simonie publi-
que régne 4 Rome. On n’a jamais vu dans le gouvernement de |’Eglise le crime
régner si ouvertement. » « Une des choses qui contribuent le plus a peupler
Naples, c’est la misére et la paresse des Napolitains. »
De retour d’Italie, Montesquieu traverse l’Allemagne catholique du Sud.
Regard sans aménité sur la Baviére et sur l’Allemagne luthérienne. La Prusse de
Montesquieu est encore un repoussoir de barbarie ; trente ans plus tard, tout
aura changé. Tout au plus, la vallée du Rhin constitue une sorte de havre. De
cette géographie sévére, un pdle d’attraction émerge : l’aristocratie anglaise
apparait partout sous un jour flatteur. Une surprise, la Hollande * : en 1729, elle
est déchue dans la géographie affective des Lumiéres au profit del’Angleterre.
Cette déception correspond 4 une réalité économique. La Hollande ne s’est
pas relevée de sa victoire de 1714 ; les charges que lui valent des responsabilités
démesurées laccablent. Passé le temps ot Daniel Huet proposait inlassable-
ment le modéle néerlandais. On comprend mal méme en France une activité
fondée essentiellement sur le négoce. « Le coeur des habitants qui vivent du com-
merce est entiérement corrompu. » Mais ce recul de la Hollande procéde de
la promotion d’un Nord plus lointain : « Il est certain que le commerce de Hol-
lande diminue considérablement. Une preuve de cela, c’est qu’Amsterdam
s’agrandit et batit sans cesse. On dte l’argent du commerce pour |’employer en
pierres et je vois qu’il en sera comme 4 Venise ou, au lieu de flottes et de
royaumes, il reste de beaux palais. Cela vient de ce que le Nord commence a né-
gocier par lui-méme dans le Midi. Hambourg, Altona, Dantzig vont plus qu’ils
ne faisaient dans la Méditerranée. » Le coup d’ceil de Montesquieu est confirmé
par les travaux récents des historiens quantitativistes. La Hollande, comme
l’Angleterre, est attaquée par les herbes orientales et beaucoup plus dangereuse-
ment par l’alcool. « Un homme m’a dit que le thé perdait la bourgeoisie de
Hollande [...] il se consomme beaucoup de sucre, le mari demeure 14 deux heures
et perd son temps. Les domestiques de méme. Ce thé relache les fibres de l’es-
tomac des femmes ; dont plusieurs, pour remédier, recourent a |’eau-de-vie. »
La déception de Montesquieu se nourrit d’une surprenante découverte :
Vintensité, partout, du sentiment religieux. A Utrecht, Montesquieu est plongé
en pleine Jérusalem janséniste : « Les jansénistes en France ont eu grand tort
49
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
590
L’ESPACE DES LUMIERES
Voltaire, dans l’Essai sur les meeurs, fait de la mise au pas de la Hongrie
impériale le prétexte sinon la cause de l’attaque de 1683. « De tous les peuples
qui ont passé sous nos yeux [...] il n’y en a point de plus malheureux que les
Hongrois. Leur pays dépeuplé, partagé entre la foi catholique et protestante
[...] Le jeune Emerik Tékélé, seigneur hongrois [...] souleva la partie de la
Hongrie qui obéissait 4 l’empereur Léopold [...] Le grand vizir Kara Mustapha,
successeur d’Achmet Cuprogli, fut chargé par Mahomet IV d’attaquer l’empe-
reur d’Allemagne, sous prétexte de venger Tékélé. Le sultan Mahomet vint
assembler son armée dans les plaines d’Andrinople. Jamais les Turcs n’en
levérent une plus nombreuse. » 140 000 réguliers, 30 000 Tartares de Crimée...
250 000 hommes en tout. La horde épuise la Hongrie. Cette masse dispropor-
tionnée a la faible densité de peuplement de la plaine hongroise est une cause de
fragilité. Rien cependant « ne mit obstacle 4 la marche de Kara Mustapha [...]
Sat
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Il avanca sans résistance jusqu’aux portes de Vienne (16 juillet 1683) et en forma
aussitot le siége. » La résistance héroique de la population permet l’arrivée des
secours. La croisade frappe 4 la porte de l'Europe des Lumiéres. L’aide proche
suffit. Elle fait éclater la décomposition interne de l’appareil de guerre ottoman.
Jean Sobieski de Pologne, Charles de Lorraine, l’armée de la croisade ne dépasse
pas 70 000 hommes. Elle est fournie par la Pologne proche, lest et le sud-est de
l’Allemagne : la victoire du Kahlenberg *, a la différence du Saint-Gothard, est
une victoire de la « frontiére » seule de l’Europe. Le Kahlenberg (12 septembre
1683), la plus grande date courte des xvII® et xvuI® siécles, marque le point
de départ du doublement territorial de l’Europe.
Dans la plaine du Danube, l’avance autrichienne a la sage lenteur d’une
marche derriére une « frontiére ». L’Autriche méne de front la mise au pas de
Paristocratie magyare et le refoulement des Turcs. Mohacs (1686), la victoire des
Vénitiens qui vengent la perte de la Créte (Candie tombée en 1669) par l’occu-
pation jusqu’en 1715 du Péloponnése, la prise d’Azov par Pierre le Grand (1696),
Zenta (1697), la grande victoire du prince Eugéne, scandent les étapes militaires
en direction de la paix de Carlovtsi (1699). Les Turcs perdent 4 jamais le contréle
de la plaine. Des noyaux de colons allemands en assurent la garde. La marche
en avant se poursuit avec des chances diverses.
En 1716, la « frontiére » danubienne passe par un point haut, confirmé au
traité de Passarowitz (21 juillet 1718), le banat de Temesvar, une partie de la
Moldavie et de la Valachie viennent s’ajouter 4 la Hongrie (turque) et a la
Transylvanie acquise au cours des quinze derniéres années du xvut® siécle.
De 1736 a 1739, au prix de sacrifices 4 l’est en faveur de la Perse dans la vieille
querelle des deux Islams, grace aux techniciens francais, les Turcs marquent des
points. Pour prés d’un siécle, la frontiére politique se stabilise. Les prélimi-
naires de Belgrade (1° septembre 1739) rendaient 4 l’Empire ottoman les
morceaux de Serbie, Bosnie, Valachie arrachés 4 Passarowitz. La frontiére sud-
orientale de l'Europe suivra longtemps le Danube, la Save et les hauteurs du
banat de Temesvar. Elle laisse 4 l’Autriche le soin d’organiser en profondeur
300 000 km? d’espace nouveau. Les Lumiéres abandonnent sans regret les Bal-
kans aux turqueries du réve exotique. C’est aussi la conclusion que Voltaire en
tire vers la fin de l’Essai sur les murs : « [...] Mustapha Cuprogli [...] reprit une
partie de la Hongrie et rétablit la réputation de l’Empire turc, mais depuis ce
temps, les limites de cet empire ne passérent jamais Belgrade ou Temesvar
[...] Les célébres batailles que le prince Eugéne a données contre les Turcs
ont fait voir qu’on pouvait les vaincre, mais non pas qu’on pit faire sur eux de
nombreuses conquétes. »
52
L’ESPACE DES LUMIERES
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Avant la grande mutation qui suivra le Kahlen- —miques travaillent et préparent en profondeur
berg (1683). C'est la petite Europe classique que pour la grande mutation de croissance du siécle
des forces démographiques, intellectuelles, écono- des Lumieéres.
a3
PA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Pour que soit reprise la marche en avant, il faut d’abord que le raccorde-
ment du peuplement se fasse, que les différences de rythme de croissance alignent
progressivement la nouvelle Europe marginale sur le noyau dense fédérateur.
Il y a Ja dans I’Europe « frontiére » de l’Est par rapport a celle de l'Ouest une
différence fondamentale que Voltaire, dés I’Histotre de empire de Russie sous
Pierre le Grand, avait entrevue : « Pour rendre la Russie aussi peuplée, aussi
abondante, aussi couverte de villes que nos pays méridionaux, il faudra encore
des siécles et des czars tels que Pierre le Grand. »
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L’ESPACE DES LUMIERES
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de Ryswick (1697) et de Carlovtst (1699), commencée.
55 59>
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS tfee Nea,
7. CROOME COURT, R. WILSON. et moldaves, une cassure profonde que
Ce paysage du Worcester révéle une le XIX¢ aura du mal a réduire. (Bucarest,
dimension nouvelle de la campagne anglaise: Musée historique.)
le parc, la verdure, eau et les arbres.
Une campagne aménagée pour la pro- II. LA JETEE DE YARMOUTH, J. CROME.
duction de la viande, certes, et ausst Crome (1768-1821) témoigne de l’explo-
pour le plaisir de [ceil. La belle demeure sion du paysage et du genre dans la peinture e
d’inspiration palladienne, au peéristyle anglaise, a la charmiére des Lumiéres et
antique, agressif, appartient, avec Vherbe du romantisme. Ses vrais ancétres sont
et les enclosures, a la réalité britannique en Hollande et d’un autre Gge : Hobbema, —
des Lumiéres. (The Trustees of the Croome Ruysdael, Cuyp ; il les a copiés sans quitter
Estate.) l’Angleterre. Le petit port de Yarmouth,
a quarante kilométres de Norwich, a
8. SNOWDON, R. WILSON. conservé la simple jetée de bois. Les
Apreté sauvage de ce trés vieil Ouest pécheurs de Yarmouth sont des humbles,
celtique. Lac et montagnes constituent la un peu des laissés-pour-compte de la
nouveauté, Tarbre et la scéne de genre mutation économique. (Norwich, Castle
sacrifient a la tradition. Tout au long Museum. )
du temps des Lumiéres, une sensibilité
tourmentée, un Sturm und Drang potentiel I2. LA PRAIRIE DE SAN ISIDRO, GOYA.
latent s’inscrit dans les profondeurs. Entre Le Goya gat, le Goya premiére maniére,
baroque et romantisme, plus d’une affi- avant le drame qui fait de lui, en 1792,
mité discrete. (Liverpool, Walker Art El Sordo. Madrid, cent cinquante mille
Gallery. ) habitants, isolée sur son plateau; on
apercoit la masse imposante du palais
9. PAYSAGE ITALIEN, F. ZUCCARELLI. royal sur Phorizon. Dans la vaste plaine
Les natures toscanes de Zuccarelli sont de San Isidro (patron de la cité), le
« soigneusement tenues en laisse, purifiées peuple de Madrid se délasse. Une gigan-
des aspérités de Rosa et de Magnasco, tesque scéne de genre, une féte galante.
diligemment protégées contre les effets Un premier plan savant et animé, dans
saisonniers de Marco Ricci » (M. Levey). la tradition de Cythére, avec des effets
Ses bergers et ses bergéres baignent dans de parasols en taches claires. Une compo-
la douceur d’une brume rose : Italie a sition en triangle inversé, l’axe clair du
Pusage du Nord, réve exotique de I’Europe Manzanares, la ville, barre sévére a
. sévére de la triste mutation de croissance. Phorizon. (Madrid, musée du Prado.)
(Londres, National Gallery.)
I3. LE MANOIR DE PARADIS, J.-B. HOUEL.
IO. MONASTERE DE MIHAI VODA, ROU- Ce tableau est d’abord un document :
MANIE. un grand domaine des pays de la Loire.
Cette gravure de Luigi Mayer date de Un jardin a la francaise ou s’affaire
1794. Europe turque, bien plus encore que un peuple de jardiniers. Les pays de la
Europe de DEst reconquise. Voyez le pont Loire ont été touchés, dés le XVIe siécle,
de bois qui entrave la navigation, les roues par une profonde révolution agricole. A
hydrauliques aux techniques archaiques. droite, le chateau Paradis qui, pour
Entre la Transylvanie cahotée par les Pessentiel, date du XVI°. La grosse tour,
Habsbourg et les principautés valaches symbole de la puissance seigneuriale, sert
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LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 7 A 23
de pigeonnier. Paradis nous est présenté sant contraste avec le bois des passerelles
ict aprés ses transformations. L’ensemble de la Roumanie turque. Au premier plan,
est harmonieux, dans la ligne encore de promeneurs, débardeurs, barques et péni-
la premiére Renaissance francaise. (Tours, ches, dans la tradition de la veduta. Au
musée des Beaux-Arts.) fond, les deux piéces maitresses du baroque
saxon. A gauche, la Frauenkirche cons-
I4. VIENNE VUE PAR BELLOTTO. truite de 1726 a 1738 par Georg Bahr.
Sur la route de Dresde et de la Pologne, Hauteur de la coupole, prodigieux élan-
Bellotto, le plus génial des canalettistes, cement de la lanterne, trois clochetons
Sest arrété ad Vienne. On lui doit ce visibles sur quatre : la Frauenkirche est
paysage minutieux, vue de Vienne depuis la tentative la plus hardie pour adapter
la terrasse du Belvédére. Trente ans le plan basilical a un culte ou la chaire
plus tard, Vienne n’a pas beaucoup prend la place de Il’autel. A droite, la
changé. Une ligne d’horizon de collines pimpante Hofkirche de Gaetano Chia-
verdoyantes, l’urbanisation s’arréte a un vert (1730-1751), destinée au culte
ou deux kilométres. Entre lordonnance catholique. Le clocher est en cours d’aché-
francaise des jardins et le baroque des églises vement. Remarquez les attiques couronnés
a coupoles, beau et vigoureux contraste. de statues. La tour clocher s’inspire de
(Vienne, Kunsthistorisches Museum.) Borromini. La coupole bulbeuse qui l’achéve
est sans doute un souvenir de Russie.
15. VENISE, LE GRAND CANAL, CANALETTO. Chiavert avait travaillé a Pétersbourg
Canaletto, védutiste de génie, voit ce avant de s’installer a Dresde. (Dresde,
que mille yeux ensemble ne pourraient Gemaldegalerie. )
voir. Son art fait penser a une miniature
qui connaitrait la perspective. Voici donc 17. LA FREYUNG A VIENNE, BELLOTTO.
Venise, le long de la voie triomphale Sortie solennelle de la procession du
au XV¢ et au XVI¢ encore; Venise cernée, saint sacrement. Les gestes de révérence
prisonniére de sa lagune, décline. Voyez et d’adoration de la foule sont pris sur
le jugement de Montesquieu (p. 48). le wif. L’adoration des espéces consacrées
Venise vend son image dans toute I’Europe fédére VEurope catholique. Elle exprime
du Nord et plus spécialement en Angle- une sensibilité plus encore qu’une opposi-
terre. Les mavires commerciaux ne re- tion dogmatique. L’énorme place est vide.
montent plus le grand canal de Canaletto, Vienne n’atteint pas la densité de pré-
mais seulement les barques de la vie quo- sence des plus vieilles cités, Venise, Londres,
tidienne. (Londres, National Gallery.) Paris. (Vienne, Kunsthistorisches Mu-
seum. )
16. DRESDE VUE PAR BELLOTTO.
Les canalettistes montent vers le nord et 18. BELLOTTO A VARSOVIE (VERS 1775).
meublent les intérieurs des riches familles Cette veduta représente la rue Miodowa
aristocratiques d’images précises des grands a Varsovie. L’animation de la rue est
ensembles de l’architecture baroque. Dresde, étonnante d’intensité. Varsovie constitue
cette capitale secondaire de IlEurope bien, a l’époque de Poniatowsk1, un bastion
baroque, avec son opéra et ses églises, avancé de I’Europe des Lumiéres. A gauche,
est vue ici de l’autre rive de l’Elbe, depuis a cété du palais baroque des évéques de
les nouveaux faubourgs. Solidité des Cracovie, la masse imposante du palais
infrastructures : le pont de pierre, puts- néo-classique du banquier Tejper, construit
wi
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 7 A_ 23
entre 1773 et 1775. En 1773, pour la 21. ROME, SAINTE - MARIE - MAJEURE,
haute finance, l’esthétique néo-classique PANNINI.
a chassé le baroque. Au milieu d’une Benoit XIV a été un grand pape, le pape
campagne médiévale, une ville baroque du tiers parti, de V’équilibre. Pannini a
qui, au sommet, adopte néo-classicisme et saisi, dans cette composition destinée aux
philosophie des Lumiéres. Mais la rue Mto- salles du Quirinal, entrée de Benoit XIV
dowa ne parle pas pour toute la Pologne. (1740-1758) a Santa Maria Maggiore
(Varsovie, Musée national.) gue Fuga (1699-1781) vient de doter
d’une facade flambante concave. La legon
de Borromini est conservée dans le jeu des
19. LA TAMISE A LONDRES, S. SCOTT. courbures. La statuaire fait vraiment
Dans le fond, le grand pont de pierre a la corps avec l’architecture. Rarement autant
hauteur de Westminster Abbey. L’ anima- de souplesse s'est alliée a autant d’élan.
tion est intense : petites voitures, barques, (Rome, palais du Quirinal. )
péniches prolongent vers ’'amont Vactivité
du plus grand port de l'Europe des Lu- 22. PALAIS ROYAL D’ARANJUEZ, CARMONA.
miéres. Scott se souvient des vedute Le role d’Aranjuez ne cesse de croitre
vénitiennes de Canaletto, mais, par un au XVIII¢ siécle. On y retrouve donc
point du moins, il est anglais. Canaletto les traces des divers moments de l’archi-
et méme Bellotto n’ont jamais su rendre tecture du XVIII* stécle en Espagne.
le ciel du Nord, qu’ils voient en tons Pedro Caro Idrugo domine de 1712
rosatres, bleus et verts trop soutenus. a@ 1733, suivi par Etienne Marchand
Le ciel que Scott peint au-dessus de et Léandre Brachelier. C’est a& partir
Westminster Abbey a bien, lui, le blafard
de 1750 seulement que le palais commence
incertain des ctels d’Angleterre. (Ment- a sécréter une ville. Sur cette gravure
more, coll. Lady Rosberg.) de 1773, le palais reste isolé de la ville.
La place est presque vide. On sera sensible
20. PARIS EN AMONT, PARIS-SUR-SEINE. au contraste entre le baroque latent du
Voici donc Notre-Dame avant Viollet- batiment central et le froid néo-classicisme
le-Duc. On mesure du méme coup lam- des ailes. L’ensemble est assez médiocre.
pleur des transformations subies au (Madrid, académie San Fernando.)
XIX¢ siécle. L’absence de berges en dehors
d’un chemin de halage mal pavé, P’inextri- 23. MARCHE AUX HERBES DE LA HAYE.
cable fouilis d’un trés vieux quartier, Cette vue tardive (1801) du petit marché
aujourd’hui disparu, sur la rive gauche, d’Amsterdam témoigne de la continuité
la Seine peu animée et l’archaique bateau- architecturale d’une vieille terre, tres
lavoir : le contraste est frappant avec la anciennement urbanisée. Le XVII¢ siécle
Tamise. Au premier plan, les personnages est pour la Hollande un siécle de faible
sont disposés suivant les régles du genre croissance et de difficultés. La Hollande
fixées par T’école italienne, mais la facture pate, a l’époque des Lumiéres, les insolentes
de Lallemand est plus moderne que celle réussites Siécle d’Or. (Paris, institut
de Canaletto. (Paris, musée Carnavalet.) @’ Art et d’Archéologie. )
58
L’ESPACE DES LUMIERES
pente est moindre au centre, elle est marquée par l’alternance de flux et de reflux.
Un long tassement marque, au niveau de la vieille Moscovie forestiére, le dernier
tiers du xvI° siécle. La catastrophe de 1601-1602 frappe un corps malade. La
Russie n’est pas épargnée par la peste : 1602, 1654, 1709-1710, au rythme d’une
chronologie européenne. Une partie des récupérations du xvir®¢ siécle aura été
dissipée a la fin du xvur® siécle et au début du xvuire siécle. Dans la seconde
moitié du xvil° siécle, la frontiére reprend son avance 4 un rythme plus rapide,
vers l’Oural, le long du trek sibérien, au sud de la taiga, vers les steppes du sud.
Elle répare quelques-unes des bréches du Pomorje*. Mais c’est au sud, sur la
steppe, que la Russie avant Pierre le Grand répare ses ruines. En glissant vers
le sud, la Russie, paradoxalement, achéve de se couper de l’Europe occidentale.
Le dépeuplement du Pomorje entrainait l’étouffement du commerce d’Arkhan-
gelsk. Pour remplacer ce port du xvI® siécle situé trop au nord, les solutions des
Lumieres s’appellent Pétersbourg et Odessa. Elles sont les portes de sortie d’un
espace russe dont le centre de gravité s’est déplacé vers le sud au cours de l’ano-
malie * thermique négative de la petite ére glaciaire des xvul® et xviII° siécles.
Ce que nous savons depuis peu des rythmes d’évolution de la population polo-
naise corrobore pleinement nos hypothéses. Croissance plus rapide des zones
« frontiéres », glissement relatif vers le sud.
L’hypothése que nous proposons de deux rythmes d’évolution du terri-
toire de peuplement slave est illustrée par l’exemple proche, relativement mieux
connu, de la Pologne. L’histoire de la Russie est commandée en profondeur
par le dépeuplement du Nord et le glissement des centres d’activité vers le sud.
En un mot, la mutation de la petite a la grande Europe ne peut plus se compren-
dre, désormais, sans cette constatation capitale. Ces faits ont totalement échappé,
jusqu’a ces années derniéres, parce qu’il manquait, pour les comprendre, une
histoire régressive du climat. Nous connaissons désormais l’ampleur de !’ano-
malie thermique négative des xvII® et xVIII° siécles, grace 4 l’effort d’un groupe
d@historiens, au premier rang desquels, en France, Emmanuel Le Roy Ladurie.
Cette anomalie thermique a peu d’influence sur histoire de l’Europe profonde,
elle commande toutefois des mouvements de grande amplitude sur les franges
extrémes d’extension des cultures. La Russie du Nord gagnée a l’agriculture
au XVI® est perdue au xviI® et au xviII® quand l’abaissement de 1 °C de la tem-
pérature entraine sans doute des replis de plusieurs centaines de kilométres des
limites extrémes de maturation des céréales. L’été vert donne le signal d’un
changement catastrophique durable.
Et pourtant, se garder d’un déterminisme naif. La modification climatique
surprend. Elle contribue aux difficultés russes et scandinaves de la charniere
<= 56 59
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
des XvI° et XVII®, aux épreuves du passage du xvIIe au xviir®. Elle tend a orienter
Pexpansion vers le sud et lest, au xvi®. Le xviI® a peiné, le xviIrI® s’est
adapté, il a trouvé ses réponses dans l’ordre, vraisemblablement, des techni-
ques agraires. La poussée de l'Europe « frontiére » se fait quand méme en
dépit de conditions défavorables. On apprécie a sa juste valeur la vague de fond
de la mutation spatiale du xvir®, en tenant compte du reflux général des iso-
thermes vers le sud.
60
ik tS
L’ ESPACE DES LUMIERES
4. LE DOUBLEMENT SECULAIRE.
(D’apreés les chiffres de E. A. Wrigley, a
Société et Population, 1969.) ANGLETERRE_| 1701-1801 [J]
A gauche les pays, >
a droite le pourcentage de Eg eases TEER,-
61
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
62
L’ESPACE DES LUMIERES
63
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
Dates de fondation
des villes
e avant 1200
o de 1201
o de 1251
e de 1301
© de I401
o de 1501
L’ ESPACE DES LUMIERES
La civilisation de l'Europe des Lumieéres est liée sensiblement la ligne de I’Oder et le coude panno-
a la ville. Le phénoméne urbain remonte al’ An- nique du Danube. Quelques points tout au plus,
tiquité sur le pourtour du bassin de la Médi- le long de la Vistule. Au début du XVIII¢ sié-
terranée; il est lié a@ la grande révolution cle, la Vistule marque encore une limite. A Vest,
démographique, agricole et technique des XI¢- plus qu’un réseau trés ldche de villes récentes.
XITI® siécles, qui peuple l’axe médian de la Elles sont presque toutes postérieures ad 1500. De
vieille chrétienté latine; il est beaucoup plus part et d’autre de ce grand axe du peuplement
récent a lest, dans cette Europe que nous inter- polonais, deux mondes continuent a s’opposer,
prétons comme une « frontiére ». Le réseau deux épaisseurs différentes du réseau des pré-
urbain médiéval (fin XIII¢) ne dépasse pas sences humaines.
65
iA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
66
L’ESPACE DES LUMIERES
grande Europe outre-mer qu’ils ont créée échappe aux Méditerranéens. L’ Amé-
rique reste ibérique a 98 p. 100 en 1700 ; quant aux espaces contrdélés écono-
miquement, elle est, dans le rapport de 3 a 1, exploitée au bénéfice de |’Angle-
terre, de la France et de la Hollande, voire méme de la Hanse.
Ce déclassement de la vieille Méditerranée est ancien ; il faut attendre
1680 pour qu’il passe au niveau des consciences. La stagnation des techniques
économiques en est cause. Dans l’Europe de la croissance, la Méditerranée
oscille, hésite, piétine. Voyez le compte grossier des hommes. L’Italie évolue
aimsi : 1550, 11,6 millions ; 1600, 13,3 millions ; 1650, 11,55 millions ; 1700,
13,4 millions ; 1750, 15,5 millions ; 1800, 18,1 millions. La péninsule Ibérique
passe de 9,5 vers 1600 a 7 vers 1700 et un peu plus de 13 4 la fin du xviite sié-
cle. Les deux péninsules ensemble donnent 22,8 millions en 1600, 20,8 millions
vers 1700 et 31 millions a la fin du xvuI®, soit une densité de 25 hab./km?
en 1600, 23 en 1700 et 34,4 en 1800. Mais I’Italie du Nord n’appartient pas
vraiment a la Méditerranée, elle est solidaire jusqu’a un certain point de l’Eu-
rope heureuse. Sur 810 000 km?, donc, les deux péninsules n’alignent plus que
17,4 (1600), 14,7 (1700), 23,9 (1800), autour de 20 hab./km? seulement.
Au début du xvure siécle, quand commence !’ge classique, la population
de lEurope méditerranéenne équilibre sensiblement |’Europe « frontiére »
de l’Est. En richesse, en prestige, elle l’écrase littéralement. A la fin du xviI® sié-
cle, un écart s’est creusé : 38 millions d’un cété, 15 de l'autre. On peut tenter
une comparaison plus précise. Séparer, 4 l’est, le noyau dense de diffusion de la
« nouvelle frontiére » (2 millions de km? et 30 millions d’hommes, 5 millions
de km? et 8 millions d’hommes). Restituer 4 la Méditerranée ses prolongements
outre-mer (800 000 km?, 15 millions d’4mes ; 3,3 millions de km?, 13 millions
d’4mes). On aura trouvé un meilleur équilibre. 7 millions de km?, 38 millions
d’4mes pour le Nord, 4 millions de km? et 28 millions pour la plus grande Médi-
terranée. Comparaison n’est pas raison. Ce qui compte, c’est la tendance. Le
creux, en outre, ne cesse de se préciser entre la Méditerranée et ses prolonge-
ments outre-mer. A preuve la rupture du début du xrxé siécle. La force qui
s’affirme 4 l’est s’exprime dans la continuité géographique qui soude les vieux
noyaux denses de peuplement aux nouvelles frontiéres. Il appartiendra 4 |’Eu-
rope dense de se souder un outre-mer. L’Amérique du Nord est la Sibérie de
PEurope occidentale. La construction d’une communauté atlantique, rivale
victorieuse dans la compétition, tantét belliqueuse, tantét pacifique, de l’Eu-
rope de Est, appartient 4 l’4ge industriel, non aux Lumieéres.
Si la Méditerranée en 1680 peut supporter encore, par vitesse acquise, la
comparaison avec I’Est, elle est totalement supplantée 4 la fin du xviir®. 24 mil-
67 70 —>
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 24
A 35
24. JAMES COOK EN 1776, N. DANCE. 27. LOUIS-ANTOINE DE BOUGAINVILLE.
Cook se prépare a quitter Tl’ Angleterre L’impact de Bougainville (1729-1811)
pour son dermer grand voyage : exploration est beaucoup plus grand. A certains égards,
du Pacifique Nord, des cétes de la Sibérie il égale presque Cook. La Pérouse était
et de l’Alaska, et, aux iles Hawaii, une d’épée, Cook self made man, Bougainville
mort tragique. Ce portrait de Natha- de robe et parisien. Homme cultivé, doué
niel Dance (1734-1811) témoigne de d’un incontestable talent d’écrivain, il
la trés solide qualité du portrait anglais publie a vingt ans un important traité de
dans le dernier tiers du XVIII*¢ siécle. calcul intégral. Homme de cur, il refusa
Qualité et autorité du regard, autorité toujours la violence lors de l’exploration
du geste, avec lexcellent trait psycholo- des archipels : « Nous étions trop forts
gique du gilet incomplétement boutonné. pour les punir ». Cette miniature anonyme
Cook, self made man, me sut jamais se dit la distinction d’esprit d’un homme
plier totalement aux bonnes manieres. sensible a qui la postérité a fini par rendre
(Greenwich, National Maritime Museum. ) justice. (Coll. privée.)
25. COOK DANS LA MER DU_ SUD, 28. UN INDIAMAN DANS LE VENT.
W. HODGES. Voila le géant des mers, la caraque au
Cook au cours du voyage, le deuxiéme, qui terme de son ultime mutation. Brooking
permit d’établir avec certitude l’inexistence (1723-1759), qui_a passé par différents
du continent austral. L’Adventure (336 services de l’arsenal maritime de Deptford
tonneaux) composait avec la Resolution a Londres, connait la mer et la marine.
(462 tonneaux), au second plan, l’esca- C’est pourquoi ses peintures ont une valeur
drille. La scéne se place le 4 janvier 1773, documentaire incontestable. (Greenwich,
par 61° sud; le 17, le cercle antarctique National Maritime Museum.)
est franchi et, un peu aprés, le point
extréme accessible, 67° 15’. Cook attein- 29. LE PALAIS D’ETE A PEKIN.
dra la baie Sombre (Dusky) avec la Cette belle gravure représente le palais
seule Resolution. William Hodges faisait d’été a Pékin, ceuvre des jésuites, dont
partie de l’expédition. Il a peint d’aprés Pinfluence fut considérable, en dépit de
des notes et un croquis. La scéne expose Pincompréhension manifestée en Europe
Vapprovisionnement en eau. On améne par un intégrisme a courte vue. Le gracieux
a bord un bloc de glace. On notera un batiment associe un équilibre, dans I’en-
ciel trés foncé, avec peut-étre une pointe semble classique, avec toute une décoration
déja de sensibilité préromantique. (Sydney, qui méle des motifs inspirés par le baroque
The Mitchell Library.) européen et toutes les traditions chinoises.
(Paris, Bibl. nationale, Cabinet des
26. J.-F. GALAUP DE LA PEROUSE, J. GOR- estampes. )
BITZ.
Né prés d’Albi en 1741, La Pérouse a 30. PLANTATION SUCRIERE A PERNAM-
été le véritable continuateur de Cook. BOUC.
Parti de Brest, le 1°" aottt 1785, il explore Ici se trouve représentée a la plume la dure
tout le nord du Pacifique. Sa derniére exploitation des dominés dans le systéme
lettre date du 7 février 1788. Ce lavis infernal de l’engenho. L’engin qui broie
de F. Gorbitz dit la bonté, la simplicité, la canne alimente I’économie sucriére,
Pintelligence de Phomme. (Coll. privée.) dominante aux Antilles et dans le nord-
68
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LEGENDES DES ILLUSTRATIONS RA ia 8 23'5
est du Brésil. Une exploitation de Per- de coutumes turques, tartares et mongoles.
nambouc que les Portugais ont récupéré La désorientalisation progressive de la
en 1653 sur les Hollandais. Le portage Transylvanie commence a la fin du
indien (les Indiens ignorent la roue), XVII siécle, celle de la Valachte et de
le dur labeur a l’engin, les roues grosstéres la Moldavie guére avant le milieu du
des chariots, le travail féminin harassant, XIX siécle. (Bucarest, Musée histo-
le travail rythmé en musique (en haut, rique. )
a@ gauche) et le maitre au balcon de la
Casa Grande avec l’esclave aux seins nus :
un curleux raccourci qui dit tout et bien. 34. LE QUAI DE BRISTOL AU DEBUT
(Londres, British Museum.) DU XVIII® SIECLE, P. MONOMAY.
La plus occidentale et la plus moderne des
Europes, l’Angleterre du port de Bristol,
31. JANISSAIRE POLONAIS. contraste avec les provinces orientales de
Ces lavis de Leprince (1771) soulignent Europe. Un large quai de pierre trés
Parchaisme dune Europe de TEst qu élevé, des grues, des plans inclinés, une
nest pas encore tout a fait l’Europe. forét de mats. Bristol est, avec Londres
Au niveau d’abord de la puissance de et Liverpool, le plus grand port d’An-
PEtat, cest-a-dire des armées, voici un gleterre. Peter Monomay a traité le sujet
janissaire au service de l’armée polonaise. avec la naiveté voulue d’une enluminure
Un fusil dépassé par les techniques en et un sens aigu du détail. (Bristol, City
vigueur a Douest, un vétement a la turque. Art Gallery.)
La Pologne ukrainienne demeure dans la
mouvance de I’Asie des steppes. (Paris,
institut d’Art et d’Archéologie.) 35. LES CHRONOMETRES ET LA DILATA-
TION PLANETAIRE.
Calculer la longitude par des procédés
32. DE LA POLOGNE A LA RUSSIE.
purement astronomiques n’est pratiquement
Ce kalmouk de Leprince est un supplétif pas fatsable en mer. Une seule possibilité
de Varmée russe. Le costume appartient commode, la comparaison des heures
a la steppe, ’armement est contemporain observées au soleil avec une heure d’un
de Gengis Khan. Ces auxiliaires dangereux méridien référence. Le gouvernement bri-
de la « frontiére » orientale sont maintenus tannique orienta la recherche sur ce
délibérément a un stade qui permettrait, terrain, offrant en 1713 une importante
le cas échéant, aux armées russes de les récompense a qui mettrait au point une
réduire. (Paris, institut d’Art et d’Ar- horloge marine efficace. Les prix furent
chéologie. ) gagnés par John Harrison. Le premier
modéle (au centre de l’image) qui répond
33. NEGOCIANTS ET BOYARDS. vraiment aux conditions date de 1735.
Lalbum d’August von Henikstein réunit Vingt-cing ans furent encore nécessaires
une masse impressionnante de documents pour obtenir la muiniaturisation. En bas
sur la Roumanie restée dans la mouvance au centre, le modéle de 1759 (12,7 cm
turque (Valachie, Moldavie, Bessarabie, de diamétre), parfaitement portatif, avec
Bukovine) a la fin du XVIII* siécle. deux variantes, est celui qui permit a
Notez le costume oriental, les bottes, les Cook l’exploration du Pacifique. (Green-
fourrures, le cafetan, les coiffures. Mélange wich, National Maritime Museum.)
69
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
< 67 70
L’ESPACE DES LUMIERES
75 §
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
grace aux nouvelles routes et a leur proximité, est beaucoup plus considérable.
Réduction des temps et des coiits réels, cette révolution silencieuse appartient
d’abord aux conditions préalables du take off. Montesquieu, dans son voyage a
travers l’Europe, constate avec satisfaction l’effort de Empereur : la route,
sommaire, a coups de sable et de gravier, entre Vienne et l’Adriatique, marque
dans le paysage le recul des Turcs. L’Autriche, entre 1720 et 1730, n’innove pas,
elle aligne péniblement ses nouveaux acquis sur les normes médiocres des
Etats patrimoniques. En 1780, on sent encore, au niveau du réseau routier, le
passage de la vieille frontiére. Un siécle n’a pas suffi. En 1680, l’Europe nom-
breuse était, par opposition aux marges orientales, |’Europe des routes. Aprés
un siécle le contraste sort renforcé. Aucune révolution ne se dessine a l’est, une
révolution capitale se prépare a l’ouest. Il en résulte que l’opposition spatiale
entre les trois Europes, dont les contours n’ont guére bougé, reste, en 1780
comme en 1680, une des clefs de l’explication historique. Le presque double-
ment de la densité de population (33 4 55) 4 l’intérieur de l’axe médian nom-
breux qui a favorisé l’amélioration des transports dans la seconde moitié du
XVIIIe superpose ses effets 4 l’amélioration des transports. Les deux facteurs
contribueront a4 une réduction sensible de l’espace-temps au centre, a un accrois-
sement sensible donc de la communicabilité. L’opposition des deux Europes,
centrale et marginale, n’aura cessé de s’accentuer au niveau de la dialectique
de homme et de l’espace. Une petite Europe dense au centre flotte au milieu
d’une immense Europe mesurée en distance-temps, trente fois plus vaste en
difficultés 4 communiquer, et irréelle, un peu comme une revanche planétaire
des autres mondes sur |’Europe qui les nie.
Se méfier donc de nos rapports : 40, 48 p. 100, avons-nous proposé compa-
rativement a l’ensemble. Cela suffisait, de toute maniére, pour placer cet axe
décisif en position de domination. Mais, en richesses créées, en richesses con-
sommeées, en communications échangées, l’axe médian signifie bien plus. On
peut estimer le revenu par téte de l’Angleterre, vers 1780, 4 130-140 p. 100 du
revenu francais. On peut estimer le revenu francais, au minimum, au double
du revenu poméranien ou mazovien, a la méme date. Entre le bassin de Londres
et le centre moscovite, le rapport est sans doute proche de 4 4 1. La Russie lit a
moins de 5 p. 100, l’Ecosse, I’Angleterre, la Hollande, la Normandie, Paris ou
Geneve 4 un taux qui oscille, vers 1780, entre 60 et 90 p. 100. Le nombre de
livres par habitant doit étre cent fois plus élevé, 4 cette époque, en Angleterre
qu’en Russie. Un beau champ de recherche pour I’histoire sérielle.
Ne nous y trompons pas, |’Europe est vaste, presque trop vaste, a la fin
72
L’ESPACE DES LUMIERES
73
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
wee,
e.+e
~—_— -
Per ~
Fomor
100
50 oeoaaals PN
nombre y
VAISSEAUX EUROPEENS
tonnage EXPEDIES A CANTON
7 Base : 1770-90 = 100
1760
Ces indices portuaires donnent une idée des déclinantes. A ces indices s’oppose le prodigieux
effets d’entrainement produits par intrusion élan du trafic européen. Tant par le nombre que
de la navigation et du commerce européens dans par le tonnage, la montée est rapide du trafic de
Pocéan Indien et la mer de Chine. Les jonques l’Europe en direction de la Chine: B (vaisseaux
chinoises a Ventrée du port de Nagasaki, au expédiés d’Europe en Asie), E (vatisseaux
Japon (A), le total des entrées a Manille (C), occidentaux entrés a Canton) et encadré. Mul-
le total des entrées des jonques chinoises a tiplication par dix, sur une durée de moins d’un
Manille (D) dessinent des horizontales plutét siécle,
74
L’ESPACE DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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I. TAHITI, LORS DU DEUXIEME VOYAGE DE
COOK.
William Hodges a accompagné Cook lors
du deuxiéme voyage. La Resolution et
l’Adventure ont jeté l’ancre dans la bate
de Matavai. La masse des deux voiliers
contraste avec les fréles embarcations poly-
nésiennes. La peinture de Hodges joint a la
beauté de la composition, a la richesse et a
la chaleur des tons, la vérité documentaire.
Au tout premier plan, une jeune femme au
torse nu joue avec un enfant sur l’embar-
cation indigéne, entre un cog et un ensemble
de régimes. Cette image a frappé Hodges.
Il la traitée avec une naiveté recherchée
de Paradis terrestre. Tahiti a fait pousser,
a nouveau, aux marins des Lumiéres le
«als sont nus » des compagnons de Colomb.
Les belles et faciles Polynésiennes ont
nourrt imagination érotique et bucolique
du XVIIIe siécle finissant. (Greenwich,
National Maritime Museum.)
L’>ESPACE DES LUMIERES
Ces empires sont des espaces maritimes, des espaces terrestres, des volumes
d’échanges et des hommes. Des espaces maritimes d’abord. Cette notion est
essentielle. C’est autour d’un Atlantique en forme de trapéze, autour d’un
Atlantique allongé le long des méridiens, autour d’un ensemble de deux trian-
gles dans l’océan Indien, et d’un trapéze dans le Pacifique, que les empires
ibériques se sont structurés au xVI° siécle. Tels au milieu du xvi®, tels 4 la fin
du xvu®. Rien ne bouge avant le milieu du xvue siécle. Les Hollandais ont
emprunté leurs legons aux Portugais. Leur Atlantique méridien, leur océan
Indien est un peu plus vaste, un peu plus sillonné au xvui® que ne I’était l’espace
portugais au xvi®, les Anglais ont inventé, entre l’Europe et l’Amérique, un
Atlantique trapézoidal, plus au nord et sensiblement plus vaste. L’Atlantique
qui unit Cadix a l’Amérique couvre 20 millions de km?, l’Atlantique méridien,
entre Lisbonne, |’Afrique et le Brésil : 15 millions de km*. L’Atlantique Nord
des Anglais et des Francais : 15 4 20 millions de km?. L’Atlantique parcouru a
la fin du xvi® siécle couvrait 30 millions de km?, ordre de grandeur raisonnable,
mais généreux. L’Atlantique sillonné entre 1680 et 1750, compte tenu des
superpositions, totalise, au maximum, 40 millions de km? (dix-huit Méditer-
ranées). A la charniére des xvI® et xvuI® siécles, les Ibériques avaient sillonné
35 4 40 millions de km?. Un siécle plus tard, l’arrivée des Hollandais et des
Anglais aura ajouté tout au plus 10 millions de km? aux plaines liquides connues,
en tenant compte du Pacifique et de Il’Indien. Deux siécles aprés les grandes
découvertes de la Renaissance, la géographie des mers connues n’a guére
varié. Les navires de l’Europe ne sont jamais sortis de quelques larges couloirs
de navigation, qui couvrent au trés grand maximum 60 a 70 millions de km’.
Nous avons calculé ce que représentait la navigation européenne sur ces
espaces maritimes fraichement annexés, au xvi® et dans la premiére moitié
du xvir® siécle. Au terme de longues recherches, voici les chiffres : 40 000 a
45 000 unités-voyage. Un voyage dure de 2 4 4 mois. Au total, 3 000 000 de
jours de navigation/navire, de 1500 4 1650. De 1650 a 1750, 80 000 unités-voyage,
6 000 000 de jours de navigation/navire. Un siécle : sur 80 millions de km’,
une moyenne de 180 navires en train de naviguer. Les espaces maritimes du
xvre et du début du xvu¢ siécle, quand dominaient les Ibériques, étaient essen-
é
a
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
78
L’ESPACE DES LUMIERES
orientale. Moins de 200 000 Européens hors d’Europe en 1600. En 1680, 600 000
a 700 000, un million entre 1710 et 1720. A partir de 1750, la population blanche
de Amérique du Nord dépasse la population créole des deux vieux empires
ibériques en Amérique.
Voila pour les empires. Du méme coup on voit bien ce qu’ils ajoutent a
PEurope. Vers 1680-1690 en accordant au « dominé » amérindien des Indes
occidentales le méme poids économique qu’a l’Européen (ce qui est excessif),
les empires ne dépassent pas 12 4 13 p. 100 de l’ensemble de |’Europe. Voltaire,
dans un sens, n’avait pas tort. Une relation que modifie, d’ailleurs, l’explosion
spatiale des Lumiéres aprés 1750. En valeur ajoutée, toutefois, cette petite
frange entrainante a pu peser beaucoup.
ao
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
SUEDE
Service Cour royale Roi = Duc Magnus
Ss
PAVIE
1613-14 1615-16 1617-18
Expédition espagnole
(mer) 1578
Flotte espagnole
pagn SS qo?
gnol
Expédition espagnole
(terre) 1578
ie)
L’ ESPACE DES LUMIERES
Le Nord, gros mangeur, a besoin de beaucoup de espagnol de 1641 constitue une exception).
calories que lui fournissent les céréales produites Beaucoup de calories, mais des calories bon
en abondance au sein d’un espace. forestier marché. L’urbanisation améne, a contre-courant
largement ouvert. Paris a la veille de la Révolu- de la « dépécoration » des campagnes, un progrés
tion est riche, voyez la part de la viande. L’Ita- substantiel dans la consommation des protéines
lie et la Méditerranée sont pauvres (le convoi animales.
au XVIII® sur des niveaux que l’on peut supposer étre ceux du xu¢). Par-dela
accident relatif, l’Europe puise une de ses forces biologiques dans |’éventail
trés ouvert de ses acides aminés facilement assimilables. Les Européens
« luxueusement » nourris s’opposent globalement, par-dela les nuances régionales,
aux autres hommes. Cela est vrai au xvilI® siécle. L’Europe carnivore recourt
massivement, en outre, au moteur musculaire animal. On constate non sans
surprise qu’au milieu du xvuI®, et cela sans aucun doute dés la fin duxvi® siécle,
chaque habitant posséde déja, dans lespace européen, en moyenne vingt-
cinq fois plus d’énergie que son appareil musculaire n’est susceptible de lui en
procurer. Il importe peu pour le moment, nous aurons 4 nous en souvenir
(et c’est ainsi que la croissance démographique du xviiI¢ a provoqué en Europe,
non en Chine, la solution technologique de la révolution industrielle), que,
pour cet avantage, homme européen ait a payer le prix fort d’une lourde
menace sur sa propre subsistance. Ce moteur d’avant la révolution industrielle
pése lourdement sur le « maximum théorique » de peuplement; il cumule ses
effets avec le luxe alimentaire dispendieux du recours aux protéines animales.
Quoi qu’il en soit une chose est 4 peu prés sire : homme européen posséde,
au début du xvuI®¢ siécle, un moteur par téte, en moyenne cinq fois plus puis-
sant que celui que posséde "homme chinois et dix ou quinze fois supérieur 4
celui dont disposent les hommes des autres civilisations et des cultures. L’Europe
posséde a elle seule un peu plus de moyens que le reste du monde. Le moins
surprenant de ce rapide survol n’est-il pas de nous montrer qu’au moment ott
commence le temps des Lumiéres, les structures monde développé-tiers
monde sont déja en place? Sans doute depuis le x111° siécle, et peut-étre avant.
L’inégalité que les Lumiéres vont faire éclater puise ses racines et ses raisons
dans la trés longue durée. L’émergence que les hommes du bassin de la Médi-
terranée réalisent en Egypte et en Mésopotamie, aux alentours des années 3500-
3000 avant J.-C., se situe en Chine quinze siécles plus tard. L’Inde, PAmérique,
le reste léger du monde viennent aprés. Ce qui manque le plus aux autres civi-
8I
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
lisations et a fortiori aux cultures, c’est le temps. Vieille Europe et jeune Chine
Vieille Europe et jeunes cultures. On ne rachéte pas le temps.
A la fin du XVIII¢ siécle, l’Europe contréle lions de kilométres carrés sont a peu prés contré-
toutes les mers, elle tient solidement une frac- lés de ce que nous appellerons plus tard
tion des cétes de l’Amérique, de I’Afrique, du P Amérique latine. La pénétration en profondeur
Dekkan et de l’Insulinde. La « frontiére » russe des continents, l’acculturation en profondeur des
s’avance le long du trek; la « frontiére » nord- autres civilisations et des cultures sont pour plus
américaine franchit les Appalaches, huit mil- tard : seconde moitié, pour l’essentiel, du XIX°.
82
L’ESPACE DES LUMIERES
POSSESSIONS ANGLAISES ,
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POSSESSIONS
FRANCAISES
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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85
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LU MIERES
Deux zones de production s’affirment (voir lution de la ratio (graphique du haut ) a Amster-
Soetbeer) : le Brésil pour l’or, environ I 000 ton- dam (Amsterdam pour l’Europe commergante
nes, le Mexique qui finit par assurer 80 p. 100 du Nord) et ad Canton (la porte de la Chine
de la production américaine d’argent. La pro- sur PEurope des Lumiéres). Au XVI® siécle,
duction augmente trés rapidement dans la pre- avant l’impact brutal de l’économie européenne,
miére moitié du XVIITI®¢ siecle. Le premier demi- la ratio en Chine était inférieure a 5 ; entendez
stécle est un demt-siécle de l’or, l’argent du que argent y avait alors une valeur double de
Mexique prend le relais de l’or brésilien défail- celle qu’il avait en Europe par rapport a2 Por.
lant dans la seconde moitié du XVIII¢ siécle. Ce dénivellement a été une source de profits fabu-
Cette substitution relative de l’argent a l’or est leux et une des causes des exportations massives
un facteur favorable pour la rapide croissance du métal blanc européen et américain en direc-
dans la seconde moitié du XVIII® siécle du trafic tion de l’Extréme-Orient chinois. Bien que trés
de l’Europe avec l’Extréme-Orient, et plus atténuée, cette différence subsiste jusqu’en 1750.
particuligrement la Chine. La corrélation est A Canton, aprés cette date, l’arrivée massive,
étroite entre la montée de la production des de Vargent du Mexique provoque un moment, de
mines du Mexique et la montée des exportations 1770 a@ 1785, la plus surprenantedes inversions :
de métal blanc 4 Canton. Voyez en effet l’évo- une prime delor par rapport a Amsterdam.
86
L’ESPACE DES LUMIERES
reprise de presque tous les trafics. Elle est partout évidente. Des ports anglais
jusqu’au lointain observatoire de Manille.
La deuxiéme mutation se situe 4 la hauteur du demi-siécle, soixante-dix
ans aprés. L’histoire traditionnelle a masqué l’essentiel derriére un accessoire,
le sommet de la rivalité franco-britannique. Cette rivalité découle elle-méme
du prodigieux bond en avant des « frontiéres », du recul, partout, des autres
civilisations et des cultures. 1750, la « frontiére » miniére du Mexique part 4
Passaut vers le nord du Mexique sec, en avant de l’isohyéte des 500 millimétres.
Entre 1740-1750 et 1780-1790, l’Amérique espagnole, sans bruit, double. Elle
atteint 8 millions de km? contrélés 4 l’époque de Humboldt (1799-1804). En Amé-
rique du Nord, la phase finale du conflit franco-anglais est la conséquence directe
de la marche en avant de la « frontiére » anglaise, en direction des Alleghanys,
et du Mississippi dans une perspective plus lointaine.
PARITE OR-ARGENT
MOUVEMENT DE L’ARGENT
ET PRODUCTION we L’OR
I :
—=—— Production d’argent au Mexique
~~~ Production d’or au Brésil
secerensst Exportation d’argent 4 Canton
87
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
1689-1697, 1702-1713, 1745-1748, 1754-1763, tels sont les temps des con-
flits : 29 années sur 74. Bien sfir, ces guerres sont des guerres impériales, dont
PAmeérique n’est qu’un secteur. Elles scandent, 4 leur maniére, les grands mo-
ments de la croissance. Elles vont par paire. 1689-1713; 1745-1763. Vous retrou-
vez deux temps fondamentaux de l’expansion. 1689-1715, le premier démarrage;
1745-1770, le grand coup d’épaule qui déclenche une marche en avant a peu
prés ininterrompue jusqu’a l’absorption par un pouvoir issu de l’Europe, entre
1885 et 1890, des derniers vides planétaires, le passage de l’espace ouvert a
un espace définitivement clos. Désormais, il n’y aura plus de « frontiere »
facile. A partir du processus enclenché entre 1745 et 1750, deux frontiéres, la
« frontiére » spatiale et la « frontiére » technologique, entrent en concurrence.
Depuis l’ére de l’espace planétaire clos 4 la fin du xIx® siécle, commence le
régne exclusif de la « nouvelle frontiére ». 1689-1713, 1745-1763, rythme essen-
tiel. Il ne doit pas masquer l’accessoire. Les guerres franco-anglaises vont par
deux : 1689-1697, 1745-1748. La France, malgrél’infériorité de ses positions,
marque plus de points qu’elle n’en perd. 1702-1713, 1754-1763, c’est la défaite
francaise, partielle en 1713, malgré la perte des postes de la baie d’Hudson et
de l’Acadie, point de départ d’une étrange odyssée ; totale en 1763.
Ces guerres atlantiques et européennes sont aussi pleinement américaines.
Elles découlent de la rencontre d’un front de colonisation et d’une zone de
parcours. La menace francaise sur les zones de parcours de la traite indienne
s’est lentement précisée. Elle est 4 long terme, puisqu’en organisant la Louisiane
(La Salle est a ’embouchure du Mississippi le 9 avril 1682) l’espoir de la Régence
apporte des compensations aux revers d’Utrecht (1713). Notez que la construc-
tion de la Louisiane * frangaise se situe 4 la hauteur de la premiére poussée exté-
rieure des Lumiéres, 1690-1720. En fait, cette esquisse encore floue d’Amérique
francaise interdisait 4 l’Amérique anglaise de regarder au-dela des Appalaches.
A partir de 1702, le danger se précise du fait de l’alliance franco-espagnole.
La Nouvelle-Espagne sert de point d’appui 4 une nouvelle conquéte, en avant
méme de la « frontiére » de la mine. Les premiers raids sérieux dans |’Arizona
se placent en 1696 et la création du préside de Peniscola (San Carlos de Austria).
En 1700, raid profond chez les Pueblos du Nouveau-Mexique. Danger a long
terme et danger immédiat dans la mesure ou les coureurs de bois sont souvent
tentés de fournir cadres et moyens 4 la résistance indienne. Cette guerre est la
guerre d’une « frontiére » prise 4 revers par une Conquista. En dehors de la vallée
du Saint-Laurent et de l’embouchure du Mississippi, les installations francaises,
faute d’hommes (parce que coupées du bénéfice d’un refuge), sont réduites
a l’encadrement pour la traite du monde indien. Le danger pour la « frontiére »
88
L’ESPACE DES LUMIERES
89
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Aprés Bouvet, Bougainville, Cook, Furneaux le lointain point de départ d’un nouveau monde
et La Pérouse, grdce au chronométre, le grand clos. Désormais, on peut mesurer avec précision
Océan livre ses secrets. C’est la premiére super- le chemin parcouru, cartographier, réduire a
position de l’aekouméene et de l’espace planétaire, néant le mythe du continent austral.
90
L’ESPACE DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
92
L’ESPACE DES LUMIERES
centaines de cas connus assez faciles 4 isoler, on tombe 4 25, 30 p. 100, moins
de la moitié. Sur l’axe Japon-Lisbonne, la situation est comparable. Dans ses
plus grands axes, l’univers de l’expansion européenne avait atteint, pour deux
siécles, au milieu du xvIe siécle, une sorte d’absolu comparable 4 la vitesse de
la lumiére dans lunivers scientifique du xx® siécle : cing années pour un aller
et retour, dans le plus grand axe, mais une chance sur deux, en moyenne, pour
chacun de ceux qui tentérent l’aventure, de revenir jamais vivre entre ses parents
le reste de son age. Le poids d’une distance, si faible soit-elle, ajoutée au-dela de
ces limites, est tel qu’il devient impossible d’aller plus loin. Au-dela du Japon et
des Philippines, l’espace de univers en expansion de !’explosion planétaire a
composante majeure ibérique des xv°-xvI® siécles avait atteint son point de flexion
et de courbure. Au cours de la seconde moitié du xvi® siecle, donc, un point
d’équilibre est atteint. Pour deux siécles, en gros, l’univers de l’expansion euro-
péenne a des dimensions absolues. I] n’est pas encore limité par la planéte ; il se
referme une derniére fois sur lui-méme. Ce n’est pas encore la terre quile borne,
c’est le pouvoir des moyens de ’homme. I] ne manquait pas grand-chose aux
caravelles, aux galions, aux naves et aux caraques pour enserrer vraiment toute
la terre. Mais il leur manquait encore quelque chose.
Voila fondamentalement ce qui change, avec les indiamen, les frégates,
les clippers, le chronométre de Harrison, de Le Roy et de Berthoud : un progrés de
20 p. 100 provoque la désescalade de la distance ajoutée. Le rayon de courbure
de l’espace s’allonge suffisamment pour qu’un au-dela devienne accessible et
relativement facile aprés les bouts du monde du xvI® siécle. Le monde s’ouvre,
entre 1760 et 1770, pour se refermer rapidement, non plus sur le pouvoir des
moyens de l’homme des Lumiéres, mais bien sur la terre enti¢re. La victoire
de la grande Europe débouche sur un univers clos, avant que se ferment les
derniéres « frontiéres », dans les derniéres décennies du xIx® siécle. Jusqu’au
20 juillet 1969.
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
96
LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
Provinces=* 3
Unie 2
la
FRANCE “SUISSE,”
Les trois Europes apparaissent clairement ici, sance frangaise et italienne, croissance ultra-
a@ Vheure du doublement continental séculaire. rapide de « frontiére » géographique ouverte a
Rapide croissance en Angleterre qui donne la_ Test (la Russie, l’Autriche, et principalement
médiane de la vraie réussite. Trop faible crois- la Hongrie).
97
LA CIVILISATION DE L’>EUROPE DES LUMIERES
du xvure siécle (celles surtout du second xvuI®) sont des pentes insolites.
Second trait qui accentue la spécificité du doublement des Lumicres, le point
de départ. La vague du long xvi° siécle part d’un creux profond. Elle est essen-
tiellement récupération. Les niveaux de 1600-1630, dans bien des cas, ne dépas-
sent pas sensiblement ceux de la fin du xuI® siécle. Pour l’Allemagne et l’Eu-
rope de l’Est, oui, pour la France, a peine. Troisiéme trait : la croissance du
xvule est plus périphérique que centrale, la montée du xvI® siécle essentielle-
ment centrale. Quatriéme trait : le doublement séculaire du xviII° est non seule-
ment plus rapide, mais il ne s’arréte pas au terme du doublement. II s’accélere
dans la premiére moitié du x1x° siécle et les premiers signes de ralentissement
ne sont sensibles qu’au-dela de 1880. Par un solde migratoire positif de 40 mil-
lions hors d’Europe par mer et de 10 millions en direction de l’Asie russe,
l'Europe, en outre, porte la croissance de Amérique. Compte tenu de l’Amé-
rique, l’Europe (et son prolongement) triple de 1800 4 1900. Elle approche
alors 40 p. 100 de la population mondiale. Le rythme se maintient jusque vers
1955 et ne commence a rétrocéder qu’a partir de cette date. L’européanisation
biologique du monde recule depuis lors, mais son européanisation culturelle
se poursuit 4 un rythme toujours plus rapide. Le doublement des Lumiéres
est au point de départ d’un décuplement (Europe et prolongements) trisécu-
laire sans précédent. Une étude détaillée des taux de croissance le montre. Trés
faibles au début du siécle, ils ne cessent de s’accélérer jusqu’au milieu du
x1x® siécle. Le caractére insolite du déroulement démographique européen n’ap-
parait qu’a la fin des Lumiéres. D’ow la publication, en 1798, del’ Essai de Mal-
thus, prophéte du passé, théoricien d’un monde que la « frontiére » technologique
vient d’éliminer.
L’originalité du doublement européen se détache en superposition avec
son seul homologue planétaire, le triplement chinois. De 1680 4 1750, le rythme
chinois est supérieur au rythme européen ; de 1750 4 1780, les divers courants
s’égalisent. A partir de 1780, alors que le rythme européen s’accélére, le rythme
chinois rétrocéde. Le check malthusien a joué : en Chine, les 320-330 millions
du début du xrx° siécle donnent une longue horizontale. La réponse chinoise a
la croissance d’un long xvIlII° siécle (1680-1850) n’est pas sans rappeler la réponse
européenne de 1630-1700 a un long xvi° siécle. Non plus I’effondrement catas-
trophique archaique, mais une horizontale presque séculaire ; jusqu’a une re-
prise qui se manifeste ici de 1680 4 1730, 1a A partir de 1930.
La seconde donnée, c’est la maniére tout aussi importante dont ce double-
ment est atteint, en un mot l’allongement de la vie humaine. Révolution capi-
tale qui se produit ici et la par microsecteurs géographiques, révolution qui
98
LES DIMENSIONS DE L>HOMME
oe
EUROPE
millions d’habitants
L’Europe puise sa force dans le nombre de ses révolution de l’éducation. Nous avons retenu
hommes ramassé sur un petit espace, dans la pour VTAfrique une hypothése que certains
croissance soutenue au rythme du doublement estimeront relativement basse : quatre-vingts
séculaire qui va de pair avec la fondamentale millions.
07
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
I0o
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
Les ordinateurs ont valorisé la vieille série des sources momentanées, trop
négligées dans la phase ascendante, vers 1960, de la démographie historique.
Dans un premier temps, la démographie historique a été exclusivement
verticale. Dans un second temps, nous abordons la phase horizontale. Mais le
LOE
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
I02
LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
Povulation est stoppée dans 75 p. 100 des cas environ. Une autre variable inter-
vient en fonction de la nature et de l’abondance de l’alimentation. Wrigley,
totalisant toutes les variables, propose : « Elle [la durée de l’aménorrhée] varie
sans doute, pour des populations importantes, entre quatre et seize mois, avec
des cas individuels qui peuvent naturellement dépasser de beaucoup ces limites.
Le minimum est d’un mois. » Ajoutons que ces minima seront beaucoup plus
fréquents avec les alimentations plus riches en protéines et le remplacement
de Pallaitement naturel par l’allaitement artificiel dans les sociétés industrielles.
« Chez un petit nombre de femmes, l’intervalle peut excéder deux ans. »
L’ovulation reprise, un nouveau délai s’écoule avant une nouvelle concep-
tion. I] est statistiquement peu probable qu’une femme concoive pendant lepre-
mier cycle ovulaire. « La moyenne, sur une population importante, excéde un
mois, et dépend pour une part au moins de la fréquence des rapports sexuels.
Ici, comme en bien d’autres points concernant la fécondité, l'information est
insuffisante. I] se peut qu’une fréquence de dix par mois soit a peu pres la
moyenne pour les femmes de 20 a 30 ans, mais l’éventail de valeurs possibles
va probablement de 5 4 15. » Entrent en ligne de compte |’4ge du mari, la durée
du mariage, l’alimentation, la fatigue musculaire et nerveuse, la disponibilité
du couple. Ajoutons au modéle que certaines épidémies, de grippe notamment,
peuvent entrainer l’entrée en jeu d’une variable supplémentaire avec période
de stérilité masculine. Wrigley recourt aux legons du tiers monde, qu’il faut
manier avec prudence : « On a relevé, au Liban, parmi les campagnards musul-
mans sans instruction, une fréquence moyenne de 24,5 rapports par mois au cours
de la premiére année du mariage. » Deux certitudes se précisent de l’étude dela
fréquence de ces rapports : celle-ci varie selon les sociétés, au moins du simple
au quadruple. Nous verrons l’influence positive des facteurs religieux, des
environnements psycho-érotiques globaux. « Dans toutes les sociétés, elle décline
avec l’Age et diminue environ de moitié de 20 a 4o ans. L’intervalle entre nais-
sances peut ainsi différer de deux a quatre mois d’une population 4 l’autre. »
Tenir compte enfin de l’influence sur l’intervalle intergénésique des avor-
tements spontanés. Mort du fcetus, arrét de ovulation consécutif a la période
de grossesse et de rejet, délai avant une nouvelle conception. Le retard est de
lordre, en moyenne, de 5 4 8 mois. Sil’on suppose, hypothése raisonnable, sur-
tout dans une société ou les femmes accomplissent beaucoup de travaux péni-
bles, « qu’environ un tiers des conceptions se terminent par le décés du fcetus,
Pintervalle moyen entre naissances se trouvera augmenté approximativement
dans nos deux hypothéses extrémes d’un mois et demi et de deux mois et demi».
Il résulte de tous ces éléments une grande plasticité de l’intervalle statis-
103
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
tique moyen entre deux naissances. Le minimum théorique est de 16,5 mois, le
maximum de 31,5 mois. Le minimum « est presque certainement trop faible
pour toute population importante de n’importe quelle epoque, car il exige que
tous les éléments soient simultanément favorables, ce qui est trés improbable. »
Recours 4 Phistoire et 4 observation du présent. Les Canadiennes de Henripin,
dans un espace ouvert, extrémement favorable, au xviii siecle, avaient un
intervalle de 23 mois. La population urbaine artisanale de Villedieu-les-Poéles,
au XVIII® siécle, de 20 mois 4 peine, on approche d’un record absolu ; dans quel-
ques régions des Flandres au xvIII°, 20 et 23 mois; dans les communautés des
Etats-Unis qui refusent systématiquement tout contrdle des naissances, avec
des conditions d’alimentation du xx® siécle, 21 mois environ. Ces chiffres sont
les plus bas observés sur des séries importantes. Ils entrent parfaitement dans
les branches du modéle. E. A. Wrigley pense que « la valeur de la limite supé-
rieure, 31,5 mois, est également trop basse ». Voici son raisonnement. Le modeéle
de 16,5 4 31,5 mois s’applique pratiquement aux femmes les plus jeunes, ayant
de 20 4 25 ans, période de fécondité maximale. Dans les campagnes normandes
du xvulI® siécle, les trois quarts des femmes a cet age sont célibataires. Les
valeurs qui s’appliquent a cet échantillon « sont évidemment inférieures a l’in-
tervalle moyen de l’ensemble de la population considérée, puisque, sauf la
durée de grossesse, tous les éléments de l’intervalle entre naissances croissent
avec lage ».
Derniére précision. Exclure totalement, dans n’importe quelle société
traditionnelle, la volonté de dissocier, dans un certain nombre de cas, procréa-
tion et rapports sexuels dans le mariage, est une erreur grave. Or l’abstinence
volontaire, le coitus interruptus attesté dans la Bible et les pratiques abortives
sont de tout temps et de tous milieux. Une masse impressionnante de textes
existe. On en connait en France plus qu’ailleurs, et pour l’Angleterre. On en
trouve, denses et convaincants, pour I’Italie et l’Espagne. L’inversion est évi-
dente entre la France et l’Espagne. La contraception fait probléme en Espagne
au XVII®, en France au xVIIIrc.
Revenons au modéle de Wrigley : il doit, pour bien s’appliquer a la réalité
du xvili® siécle, faire intervenir la contraception préindustrielle. Tout y est donc
question de vouloir. Ces microvouloirs qui font ’histoire en profondeur. Cette
contraception de l’époque préindustrielle peut étre efficace. Dans l’Europe des
Lumieres, son recours est marginal. On devra donc ajouter au modéle de Wri-
gley un délai supplémentaire pour contraception d’étalement et contraception
d’arrét. I] ira, sil’on veut, de 0 A 20 ou 30 mois. A partir de ce moment, le modéle
couvre tous les possibles.
104
LES DIMENSIONS DE L> HOMME
L/histoire, suivant en cela une démarche qui est une démarche des
Lumicres, lie donc, de plus en plus résolument, dans une méme interrogation,
le passé au présent et le présent au passé. Une premiere certitude : l’extraor-
dinaire ouverture de l’éventail démographique des Lumiéres. L’Europe, au
XVIII® siécle, explose par morceaux successifs, elle bouge, elle est tout mouve-
ment, avec la révolution des moyens de transport, conséquence plus que cause.
Nous sommes préts a souscrire pour elle au jugement de Wrigley : « On dit
parfois que les sociétés postindustrielles convergent vers un modéle démogra-
phique, économique et sociologique commun. S’il en est ainsi, on peut opposer
a Puniformité du présent la diversité du passé préindustriel. »
105
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
106
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
==-=——=— Enterrements
—— Mariages
Baptémes
1720 1740
Une vallée fortement industrialisée. 1730-1740: trialisés, qui est de 4 avant 1740, s’éléve d 4,4
le tournant. Au-deld, c’est la croissance rapide puis a 4,8, libérant un excédent constant ; pour
et soutenue des hommes et de I’industrie. Le les villages agricoles, la croissance est moindre
graphique B oppose la croissance rapide des et les chiffres plus bas, de 3,3 a 3,7. La crots-
villages industrialisés a la démographie beau- sance démographique favorise la révolution
coup plus terne des villages agricoles. Le nombre industrielle qui, a son tour, relance l’expansion
d’enfants par mariage dans les villages indus- démographique.
107 Ti2)—>
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 369RA1656
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41. L’ENFANT AU GATEAU, R. CARRIERA. jin de siécle. Au centre, le chronométre
Encore l’enfance heureuse, au début du a échappement, symbole et cause de la
XAXVIII* siécle, dans un milieu aisé. L’ enfant fortune familiale. Toute la valeur du
choyé, richement vétu, s’appréte a porter tableau réside dans l’échange de regards
a sa bouche un croissant. Rosalba Car- heureux entre le pére et le fils. (Londres,
riera (1665-1757), belle-sceur de Pelle- The Science Museum.)
grini, sinitia d’abord a la miniature et
au pastel, art féminin. Elle fut admise 44. LE DEJEUNER, BOUCHER.
en 1705 @ VTacadémie de Saint-Luc a Cet autre classique du bonheur familial
Rome et vint a Paris en 1720, ott elle se est di d un peintre que l’on a quelquefois
lia d’amitié avec les Rigaud, Charles et le tort de réduire a la pure sensualité
Antoine Coypel, Watteau... Rosalba Car- érotique. Dans un coin du boudoir, avant
riera excelle a rendre le velouté et le le départ, un petit déjeuner hatif. Le pére,
satiné des étoffes raffinées et des peaux la mére, la gouvernante, deux jeunes
enfantines. Elle porte témoignage d’une enfants; Venfant a droite, que la jeune
précoce découverte de l’enfance en France femme regarde d’un ceil attentif, est riche-
et en Italie. (Venise, musée de I’Aca- ment pourvu de jouets divers. Notez le
démie.) vétement sexuellement indifférencié de la
petite enfance. Une chose est sire, dans
42. LE PARASOL, GOYA. ce riche cadre rococo, l’enfant est bien
Avec Penfant, avant l’enfant, le couple. a sa place. Sans lui, pas de bonheur
Voyez ce chef-d’ceuvre lumineux du jeune familial, pas de repli affectif sur le foyer
Goya. Tout est sacrifié, le fond qui se conjugal. (Paris, musée du Louvre.)
dérobe, le mystérieux décor ombreux,
pour mettre en valeur le beau visage 45. LA PRESENTATION DE L’HERITIER.
enfantin et le buste altier de cette trés Avec Moreau le Feune, sensibilité débor-
jeune femme qu'un jeune chevalier servant dante et déclamation. Rousseau est passé
protége du soleil. Parallélisme des lignes par Ia, qui ne préchait guére d’exemple.
(ombrelle, main a léventail, branche de Un jeune couple, une servante et un membre
Varbre a la perpendiculaire), extraordi- féminin du cercle familial. Au pied d’une
naire convergence autour du couple ou statuaire aT’ antique, dans un parc d’amour,
Phomme s’efface devant la jeune grace une présentation déclamatoire et pleu-
d’une pétillante beauté féminine. (Madrid, rarde empruntée a une tradition chrétienne
musée du Prado.) mal comprise et détournée. Cette procla-
mation tapageuse de la souveraineté de
43. LE COUPLE ET L’ENFANT. Penfant héritier annonce déja, dans Ihis-
Le célébre horloger anglais Fohn Arnold toire, le régne stérilisant de l’enfant unique.
(1736-1799), sa femme et son fils. (Paris, Bibl. nationale, Cabinet des
Arnold a été le réalisateur, avec Thomas estampes. )
Earnshaw, des premiers chronomeétres a
échappement. En 1782, iu fait breveter 46. LE TRANSPORT DE LA FAMILLE RUSSE.
la premiére ébauche des courbes terminales. Cette gravure appartient a la fameuse
Mrs. Arnold regarde le peintre anonyme, série russe de Leprince (1764). L’isba,
un livre de comptes a la main, signe de la au fond, rappelle l’Europe orientale qui
bonne maitresse de maison. Vétement est celle de I’habitat de bois. La jeune
simple, confortable et discret de l’extréme femme transporte sur un traineau trots
109
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 2002 Age5 0
petits enfants. On n’a pas oublié le traineau en un christianisme des bonnes cuvres,
jouet qui suit le traineau familial. La sincere et profonde. Dans les nouveaux
femme est jeune : sa famille, déja nom- batiments de Bedlam (Bethlehem Hospi-
breuse, rappelle l’Gge au mariage précoce tal), & Moorfields, au XVIII® siécle, le
de I’Europe « frontiére » a Test. (Paris, traitement des fous, celui décrit par
Bibl. nationale, Cabinet des estampes.) Foucault, du grand renfermement : enchai-
nés, gardés dans des piéces soigneusement
47. LA CORDE, G. DE SAINT-AUBIN. mumtes de barreaux ; les visiteurs peuvent
Lenfance a besoin de jeux. Saint-Aubin moyennant paiement circuler dans les
le rappelle. Ces enfants d’un milieu pauvre batiments. On va voir les insensés comme
sont habillés — signe d’archaisme — les animaux du zoo. (Londres, Sir John
comme de petits hommes. Saint-Aubin Soane’s Museum.)
aime-t-il réellement l’enfance? Le petit
bonhomme a droite, les visages en bas
permettent de s'interroger. La France, 50. LA MORT D'UNE FEMME AIMEE.
P. A. Wille le Feune nous vaut ce jolt
pays d’adultes, n'a pas a Végard de
morceau, caricature involontaire du pire
Venfance T’élan simple et naturel des
XVIIIe siécle larmoyant. Tout est faux
autres Europes des Lumiéres, ce qu
dans cette composition. jeune mére
contribue beaucoup a la mise en place
meurt comme on meurt au théatre. Le mart
d’un catastrophique malthusianisme ascé-
pense qu’on le regarde. Le vieux pére courbé
tique. (Paris, Bibl. nationale, Cabinet
des estampes.)
est sorti de Greuze. La grande fille verse
une larme bienséante en survetllant les
petits du coin de T’ceil. Mats la médiocrité
48. LE SABOT, SAINT-AUBIN. de Wille assure la valeur affective du
Entendez la toupie. Dans un décor de document. Le scandale de la mort adulte
féte foraine, Saint-Aubin place ses enfants mest pas accepté. Enfin cette mort est
courts sur pattes et habillés en petits une mort sans prétre, sans cierges, sans
hommes un peu grotesques. Vraiment non, crucifix ; une mort repliée sur le seul for
Saint-Aubin n’aime pas I’enfance. On familial. (Musée de Cambrai.)
a souvent fait rire, en France, au détriment
de l’enfant. Une cruauté archaique marque
la fausse aménité de Saint-Aubin. (Paris, 51. LA VIEILLE PAYSANNE.
Bibl. nationale, Cabinet des estampes.) Cet anonyme du XIX¢ siécle (1818)
représente une vieille paysanne du Lan-
49. L’ULTIME HEBETUDE, HOGARTH. guedoc, née vers 1743. Une de ces innom-
Au terme du Rake’s progress, dans brables sursitaires de la mort qui détiennent
Pattente déja de l’enfer qui guette le le secret du take off. La coiffe blanche et le
coquin, la Maison des fous, /’ultime stage vétement sont traditionnels dans ce coin
a Bedlam. Le libertin Tom Rakewell, de Languedoc. Les traits sont fermes,
nu et enchainé par terre, est l’objet de la creusés par Védge, la bouche édentée,
curtosité de deux mondaines et de la mais la vigueur et le sentiment d’une
commisération de la femme qu’il a dédai- réussite dominent. Avoir, pendant soixante-
gnée et qui lui est restée fidéle. Le grand, quinze ans, trompé la mort constitue encore
le génial Hogarth témoigne de l’archi- au XVIII stécle (au XVIII siécle seule-
tecture morale de son pays. Son moralisme ment?) une honnéte performance. (Paris,
est peut-étre un peu court, mais sa foi musée des Arts et Traditions populaires. )
IIo
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS Sosa 456
52. LE CIMETIERE BAROQUE DE SALZBOURG. gut ravage Londres vers 1730. La gin
Au centre, la chapelle dédiée a l’interces- drinking mania a fait plusieurs centaines
ston en faveur des dmes du purgatoire. de milliers de morts. La femme, qui laisse
L’intercession pour les morts devient, aprés tomber l’enfant, qui a perdu dans I’alcool
le tournant bien pris de la Contre-Réforme, instinct maternel et conscience de son
la grande affaire, la dimension religieuse corps, est une cliente potentielle de Bedlam.
fondamentale du repli de la sensibilité Une foule ivre, qui entonne I’alcool dans
au for du nucleus familial étroit. La une hébétude automatique, un pendu
chapelle et les murs rigoureusement clos dans une maison pédagogiquement ouverte
constituent une mesure de transition, apres a mos regards. Effet indirect du rac-
le rejet des morts hors de I’enceinte de courcissement eschatologique? Tarif de
Péghse paroissiale par mesure d’hygiéne, la croissance? Surprise des facilités
avec une exception en faveur des riches. offertes par le grand commerce colonial?
Les monuments funéraires extraordinai- (Paris, Bibl. nationale, Cabinet des
rement tassés témoignent d’une prodigieuse estampes. )
sensibilité baroque des crucifix, des
croix couvertes et toute une débauche 55. L’ARRACHEUR DE _ DENTS.
d’angelots, de symboles divers. Terre Cette gravure, par Le Bras d’aprés Téniers,
sacrée, le cimetiére est évidemment un développe le théme inépuisable des petites
heu privilégié d’activité pour les mendiants muiséres de la vie. Notez d&a le davier.
professionnels. (Salzbourg, Museum Caro- (Paris, Bibl. nationale, Cabinet des
lino Augusteum. ) estampes. )
Tebot
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
rai
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
II4
LES DIMENSIONS DE L>HOMME
115
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
I16
II. UNE FAMILLE PATRICIENNE.
Ce Pietro Longhi (1702-1785) nous intro-
duit dans ’intimité apprétée d’une grande
famille patricienne dans la Venise déca-
dente du XVIII¢ siécle. Pietro Longhi a
acclimaté le genre a Venise. Nous en avons
ict un bon exemple. La composition s étale
en largeur. Elle réunit toutes les générations
au sein de la grande famille patriarcale
méditerranéenne. Ce tableau est aussi la
fete de l'enfant. Il témoigne donc du méme
coup de Punité du XVIII¢ siécle. L’enfant
brandissant le petit sabre, l'enfant présenté
au peintre au centre de la composition, les
deux bambins en habits de cour ajustés au
centre. (Venise, Ca’ Rezzonico.)
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
Voyez Espagne 4 la fin du xv°, la Célestine n’a plus d’enfants dans l’Europe
des Lumiéres. Ses sceurs sont toujours a l’ceuvre dans I’Inde, en Afrique, en
Chine. L’entremetteuse, toujours un peu sorciére — il le faut bien, pour appa-
rier le yin et le yan —, appartient 4 l’autre mode de mariage : la Célestine
est en chémage dans Europe des Lumiéres. Le parlement de Paris ne lui
a-t-il pas refusé ses titres ?On ne brile plus les sorciéres * depuis 1670.
Nous connaissons le mariage grace a l’endogamie. Pour étudier les motifs,
approche devenue délicate, parce que personnelle, nous disposons d’une source
unique, les dispenses de mariage, plusieurs centaines de milliers de documents
rien que pour la France, un grand travail est en cours (Jean-Marie Gouesse).
Le droit canon a élaboré, au cours des siécles, un tissu complexe d’empéche-
ments au mariage par consanguinité et affinité. L’affinité est la parenté spiri-
tuelle créée par le parrainage autour du baptéme. A l’époque des Lumiéres,
quel que soit le désir de faire jouer les protections, qui se retrouve dans le choix
du parrain et de la marraine dans une catégorie sociale en moyenne supérieure,
le couple parrain-marraine a fini par calquer le modeéle binaire de la famille
conjugale : le droit canon, en outre, a adopté une définition trés extensive du
concept de parenté. L’extension de la parenté aux limites de la mémoire orale
est sans doute une invention de clerc, un raffinement d’en haut, de gens habi-
tués, avant l’enregistrement de toutes les naissances, aux savantes généalogies ;
elle vise, peut-étre, 4 assurer de nouveaux liens protecteurs qui ne fassent pas
double emploi, 4 étendre le réseau des « amis charnels », mais elle appartient
d’abord 4 un climat de méfiance 4 l’égard de la sexualité, 4 une trés haute visée
concernant le mariage, au désir implicite d’éviter la facile multiplication des
couples. Elle a peut-étre préparé dans les couches du subconscient la capitale
révolution du mariage qui commande, en Europe, I’avenement du nouvel age.
Nous voyons du méme coup, pour la premiére fois, jouer, au niveau de la
formation du couple, la frontiére précisée au XvI® entre une Europe protestante
au nord et catholique au sud. En effet, en rupture avec une tradition canonique
en évolution constante, l’Europe protestante a rapidement brisé avec l’extension
juridique excessive du lien familial. Cette rupture des réformateurs, sur ce
point précis, avec la notion canonique de la parenté empéchante, appartient
sans doute 4 un global qui aboutit trés progressivement, au nord, a une valori-
sation de la sexualité. C’est l’Angleterre qui est laxiste au xviI®, non la France.
Du méme coup, s’effacait, en pays protestant, la prime implicite du célibat au
niveau des représentations religieuses de la pureté. Cette attitude divergente
des Eglises sur l’empéchement est d’autant plus paradoxale que le Nord est
porté 4 Pexogamie, tandis que le vieux fonds méditerranéen est endogame.
Tay
LA CIVILISATION DE L*EUROPE)) DES LUMIERES
oa.)
LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
lement en associant deux miséres. Aprés une saison des morts, on invoque la
nécessité de remplacer au foyer l’aieul ou I’aieule qui veillait aux soins domesti-
ques. La mort, donc, en temps normal (sauf quand surviennent les crises d’apo-
calypse, 1693-1694, 1709... et encore, le xvut¢ les ignore), appelle le mariage;
cette structure dément, sur le général, la structure habituellement décrite et
observée, dans l’exceptionnel de la crise. Une affaire sérieuse qui n’isole jamais
la passion, |’attirance physique, mais n’exclut pas l’inclination, le choix indi-
viduel et les affinités électives. Oui, le mariage des humbles, dans les nouvelles
structures du couple, a l’époque des Lumiéres, est une affaire longuement mirie.
On y entre les yeux ouverts. Cela exclut le coup de téte. Les qualités recher-
chées ne sont pas d’apparence physique; la santé, l’absence d’infirmités sont
seules requises, les qualités demandées d’ordre moral et de caractére profes-
sionnel. La vie est longue ensemble, un peu plus au xviti® siécle qu’au xvII®, on
s’interroge donc sur le seuil. Une grande impression de sérieux et de dignité
se dégage, une promotion individualiste 4 deux.
En dominant progressivement les pulsions du sexe, la civilisation tradi-
tionnelle, en pays de chrétienté, a construit une société du mariage : un monde
d’adultes ot l’on entre adulte, 4 age égal. Il arrive souvent dans la société pay-
sanne que la femme compense largement sa faiblesse par un avantage de matu-
rité. En se mariant 4 25 ans, au lieu de 16, la femme, incontestablement, a
conquis une part dirigeante a l’intérieur de la communauté conjugale. Rien
qui ressemble a un patriarcat, rien non plus a un matriarcat : une société d’égaux
pour le meilleur et pour le pire. Ne nous hatons pas de conclure. Et surtout,
pour comprendre la société traditionnelle récente, celle, si lointaine et si proche,
des xviIe et xvuiI® siécles, ne pas oublier le reste du monde... Une possibilité
de comparaison subsiste, grace au Japon : on connait avec précision le sort de
la femme japonaise mariée 4 16 ans au XvIII® siécle et la structure du foyer.
Un monde, en dépit des apparences, sépare le couple nippon du couple euro-
péen. II n’est pas douteux que la promotion « féministe » et « familiale » des xv11°
et XVIII® siécles passe par la modification de l’age au mariage. Philippe Ariés a
montré jadis ce qu’il est commode d’appeler la promotion familiale des Lumiéres
ou, sil’on préfére, le grand transfert affectif, une nouvelle concentration affective,
dans le cadre de la famille conjugale. La famille lignagére était une cellule éco-
nomique, un milieu social protecteur et souvent sans doute un grand vide
affectif. On devine d’autres liens, d’autres structures, au niveau de la classe
d’age, des communautés de jeu, de travail, de défense, on sait la vie intense et
étrange des confréries. Agulhon nous a montré leur ultime avatar dans la Pro-
vence de la fin du xviir® siécle : des inhumations a la gastronomie, si !’on veut.
119
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Ces ex-pénitents primitivement chargés de rendre les devoirs aux trépass¢s ont
fini par former, au xvuiié siécle, des cellules de sociabilité et de folklore, voire
méme de banquets, de paillardise et d’irréligion. Pas d’erreur d’imputation, nous
sommes en Provence, dans une trés vieille civilisation de Pagora. Quelle que
soit Pintensité de chaleur sociale que conserve la confrérie provengale, en passe
de se muer en loge maconnique, c’est une bien petite flamme comparée aux
confréries du xiv siécle. La confrérie se vide, le pélerinage recule, la féte au
village perd un peu de son intensité et de sa truculence ; insensiblement, la vie
affective bascule sur le foyer réduit, le pére, la mére, les enfants, dans 15 p. 100
des cas, le simulateur et la statistique le montrent, l’aieule au coin du feu.
La promotion affective de la cellule familiale, Philippe Ariés l’a montrée
autour de I’enfant, il a montré qu’elle pouvait porter le cas échéant un commence-
ment de malthusianisme, qu’elle n’était pas contradictoire, du moins, avec la
réduction de la descendance. Philippe Ariés a renforcé la vigueur de sa démons-
tration avec la captation familiale de la mort.
La famille des Lumiéres se joue sur le couple. Elle suppose de longues
fiangailles. J’ai montré jadis leur réduction apparente. 98 p. 100 des fiancailles
sont célébrées en France le jour méme ou la veille du mariage. Alors changeons
de mot. Au plan social, les fiangailles laicisées sont devenues accordailles, elles
ont échappé a l’Eglise, au niveau de la vie quotidienne; ce sont les longues, les
timides, et le plus souvent, sauf vers la fin, les chastes fréquentations. Ouvrons
a nouveau les dispenses, relisons l’exposé des motifs : on s’est longtemps fré-
quenté, une amitié qui remonte a l’enfance. Mariage différé, mariage de longues
approches, école du refoulement? Méme quand il est polisson, le xvi1® siécle
participe a cette contrainte générale, son érotique est faite de frélements, elle
a perdu I’élan élémentaire de l’appel réciproque. Erotique de contact, non de
pénétration, elle peut, a la rigueur, se satisfaire du coitus interruptus. Tout passe,
on le voit sans peine, par la modification de l’4ge au mariage.
Deux questions demeurent : lendogamie, lillégitimité et les relations
sexuelles hors mariage. Les dispenses permettent d’apprécier surtout l’étude
du cercle sur lequel s’exerce le choix du conjoint. Le cercle 4 l’intérieur duquel
se constitue le couple s’élargit : de 5 kilométres, en gros, en moyenne, a
20 kilométres autour du clocher. La cassure se situe vers 1750. Et pourtant, sur
un trend multiséculaire qui tend a la réduction de la consanguinité, la fin du
XVIII® siécle et le début du xix¢ siécle ont vu une flambée a contre-courant des
mariages consanguins. Les autorités ecclésiastiques, en pays catholique, se
plaignent : ou sont les scrupules d’antan? Des mariages réhabilités aprés 15 ou
20 ans. Des démarches cofiteuses entreprises, une cérémonie en présence des
I20
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
I21I
LA CIVILISATION DE L°>EUROPE DES LUMIERES
80 a 100
au-dessus 100 a 150
de 150 au-dessus
Habitants au km?
i 22
LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
Dans les régles de son unité, elle ouvre un éventail presque infini de pos-
sibles. Mieux vaut, concrétement, nous efforcer de suivre la variété régionale.
La variété régionale est, elle aussi, paradoxalement un acquis des Lumiéres.
L’Europe classique offrait un éventail plus fermé. L’Europe classique a donné
aux pionniers de la démographie historique l’impression d’un relief en creux.
Crise modérée chez les riches et les puissants 4 l’ouest, rythme cataclysmique
en Allemagne et en Russie. A cette géographie en creux succéde, au-dela de
1730, une géographie humaine en bosses. Le xvuI® siécle, qui a associé la
croissance 4 la variété, qui sépare les cantons restés proches de l’horizontale des
secteurs partis en fléche, se situe au terme d’une période incertaine qui va de
1670 4 1730, la Vital Revolution des historiens anglais. La Vital Revolution
commence par un long temps difficile, la crise frangaise de 1693 est une moda-
lité francaise d’une crise européenne. L’ceil du cyclone se déplace : 1698 a pris,
en Scandinavie, le relais de notre 93. En Suéde, en 1698, la mortalité a atteint,
dans plusieurs districts, des niveaux de 9 a 16 p. 100. Dans la province finnoise
de Tavastland, les pertes au cours de la famine qui se place ici un peu plus
tét, 1696-1697, auraient atteint 30 4 35 p. 100. Chacun sait que les iles Britan-
124
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LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS STEAL TOS
ethnique social et religieux. Une pointe comporte généralement une incitation a la
discréte d’antisémitisme, sans doute, dans méditation et a la priére. On notera la
les traits du visage, le regard, la ldvre hallebarde, armement archaique quelque
charnue lourdement soulignée, et dans peu symbolique, la lampe, le vétement
le ttre allemand, Triédeljud. Ne pas dallure militaire. (Paris, Bibl. nationale,
dramatiser toutefois. Le XVIII« siécle Cabinet des estampes.)
a vu, dans tout l’Empire, une amélioration
sensible du sort des communautés juives,
66. EXOTIQUE RUSSIE.
dans l’ensemble assez bien acceptées au
sein d’une classe moyenne de petits com- Leprince souligne a la fois le caractére
mercants et d’artisans. (Paris, Bibl. exotique de la Russie pour Tl’OQuest des
nationale, Cabinet des estampes.) Lumiéres et la portée limitée des grandes
réformes de modernisation, par en haut,
de Pierre le Grand. Barbe hirsute, véte-
63. LE VENDEUR D’ESTAMPES. ments amples bordés de fourrure, bottes
La série des gravures les Cris de Vienne de feutre, propreté médiocre. On notera
date de 1775. Voici le vendeur ambulant surtout Vusage du traineau. La roue,
d’estampes. Le mouchoir sous le tricorne le jantage, l’essieu constituent un ensemble
pour protéger la nuque contre l’ardeur difficile de piéces a produire. Le développe-
du soleil. Se rappeler le réle des estampes. ment du traineau a pour conséquence la
Elles contribuent, sur les murs des humbles médiocrité des chemins pendant l’été et
demeures, a l’aménagement du cadre de le trés faible parc de chariots de l’Europe
la vie. Tenir compte aussi du réle du col- de Il’Est. Le traineau est, sans doute,
portage. Dans un monde qui reste rural une des causes du retard technologique
a 90 p. 100 en Autriche, a 80 p. 100 en de la Russie. (Paris, Bibl. nationale,
Europe occidentale, une partie des échanges Cabinet des estampes.)
continue d’emprunter cette forme de com-
merce. (Paris, Bibl. nationale, Cabinet
des estampes.) 67. LE MARCHAND DE GATEAUX.
Towours Leprince et la Russie. La par-
64. LA MORT AUX RATS. ticularité du costume est plus sensible
Voici, en Allemagne, tout larsenal de la pour Vhomme que pour la femme. Au
lutte contre le plus dangereux des rongeurs, fond, une tente. Notez lair matois du
vecteur de la peste et de beaucoup d’autres marchand; Jacheteur appartient sans
maux. Piéges a ressorts, brosses a dents doute a un meilleur miteu. (Paris,
métalliques, soufflets, etc. Tout un équipe- institut d’Art et d’Archéologie.)
ment qui ne progressera pas avant léquipe-
ment pastorien de la fin du XIX® siécle. 68. L’EVACUATION DES ORDURES A VENISE.
On sait le réle de cette lutie contre les Cette gravure tardive (1785) de Zompini
rats dans le recul de la peste. (Parts, Bibl. montre le dur labeur du balayeur qui
nationale, Cabinet des estampes.) évacue a dos d’homme les ordures en
direction d’une gondole. L’évacuation des
65. VOICI LE GUET. ordures pose de gros problémes aux villes
Cette trés vietlle institution assure la police du XVIIIe siécle. Les premiers véri-
de la ville pendant les heures dangereuses tables égouts n’apparaissent guére qu’au
de la nuit; le guet marque sa présence XIX siécle. (Paris, institut d’Art et
en annoncant les heures. Son invocation d’Archéologie. )
125
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
niques plafonnent de 1680 4 1710, que la France reflue lentement 4 partir d’un
point que Jacques Dup4quier place entre la crise de 1693-1694 et celle de 1709-
1710. La grande guerre du Nord (1699-1721), modalité baltique de notre Suc-
cession d’Espagne, aura contribué a la grisaille scandinave de ces années difficiles.
Se rappeler encore que l’histoire de la peste se joue sur des plans chrono-
logiques différents. La peste, depuis la grande flambée des années 1630-1640,
a reflué progressivement dans |’Europe médiane nombreuse, sous l’action
efficace de l’Etat. Les épidémies des années 1660 sont trés partielles ; en France,
Etat a gagné ; en France, pas en Espagne, ot le pouvoir est trop faible pour
obéir aux draconiennes exigences des médecins de peste. D’oti 1680-1685, troi-
siéme vague plus modeste, certes, que celles de 1599-1603 et 1649-1653, mais
qui tue encore 250 000 personnes. La peste de Marseille de 1720, due 4 un
instant durement payé d’inattention, ne change rien, fondamentalement, au
probléme. Progressivement chassée, au sud et a l’ouest d’une ligne Frise-Trieste,
la peste s’installe dans le Nord, ow elle alterne avec le typhus. La crise de subsis-
tance de 1709-1710 dans |’Europe du Nord a été suivie d’une épidémie de peste,
et c’est la la grande différence avec la modalité francaise; famine ici, avec épi-
démie, ‘disette la, sans peste. Elle éclate brusquement et assez mystérieusement
en 1708 en Silésie et en divers points de Pologne, elle couve en plusieurs foyers.
Les mouvements de troupes et la faiblesse des Etats nébuleuses ne permettent
guére de procéder au cloisonnement. La peste se répand et dévaste l’Europe
du Nord au paroxysme d’un grand conflit pour un équilibre difficile, le Brande-
bourg, la Poméranie, toute la céte baltique sont au palmarés de la grande peste
du Nord. La peste de Dantzig a tué 32 500 personnes de la ville et de la banlieue
immédiate, une série presque comparable au record marseillais de 1720. Copen-
hague perd le tiers de sa population en 1710-1711. Koenigsberg, Riga, Stockholm,
Uppsala et Helsinki ont beaucoup souffert. Helleiner rappelle encore que, de
source sire, II 000 exploitations agricoles étaient provisoirement abandonnées
en 1711, en Prusse-Orientale, au lendemain de l’épidémie. Bloquée dans son
essor a l’est par l’Epais systeme forestier et marécageux, la peste portée par les
armées se rabat 4 l’ouest. En 1712, la Bohéme et |’Autriche sont touchées;
en 1713, la grande peste du Nord pousse une pointe jusqu’au piémont alpestre
en Baviere.
Tout semble en place, en 1710, pour une catastrophe. Est-on au bord
d’un nouveau xiv siécle? Certainement pas. Qui ne pourrait raisonnablement
prévoir une résurgence du climat sévére des années 1630-1640? La crise de
1690-1710 est une crise biologique longue d’ancien type, réussie ici ou 1a, mais
avortée a l’échelle de Europe. De cet échec qui est une vraie victoire, car il
Taux brut de mortalité en Norvége de 1740 a montre comment se fait la victoire sur la
I850 (pour I 000 habitants). Nous avons mort, d’abord par Il’atténuation de I’accident
choisi la courbe norvégienne parce qu'elle est cyclique. Le 20 p. I 000 est atteint au milieu du
exceptionnellement longue et significative. Elle XVIII¢ siécle. Extraordinaire avance du Nord.
n’y a de victoire pour homme que sur la mort, l’épisode de Marseille nous
révélera tout 4 ’heure quelques-uns des mécanismes. La Vital Revolution du
XVIII® siécle, c’est d’abord la suppression des reliefs en creux de l’ancienne démo-
graphie, les accidents interdécennaux (xIV®, 1630-1650, 1690-1710), leur
amenuisement par paliers et l’effacement progressif de laccident cyclique
traditionnel. Wrigley a choisi pour le démontrer la belle courbe longue de la
Norvége. La mutation s’aligne peu a peu sur les bonnes années. Mais c’est bien
autre chose aussi.
12:7
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
B. Gille, synthétisant ce que l’on sait sur l’espace scandinave, peut écrire :
« Aprés la longue et épuisante grande guerre du Nord, les pays scandinaves
entrent dans une période pacifique et de reconstruction. Le taux de la morta-
lité en Suéde et en Finlande demeure 4 un niveau remarquablement constant
et trés bas [...] En moyenne, le taux de mortalité était de 21,2 en Suéde et de
20,8 en Finlande de 1721 A 1735, jamais il ne dépasse 24, jamais il ne tombe
en dessous de 18 [...] » Ce démarrage du Nord est d’abord une victoire sur la
mort. Les taux de 1720-1735, les plus bas de toute l’Europe, ne seront améliorés
durablement qu’un siécle plus tard. Cette étonnante conquéte ne sera pas enti¢-
rement consolidée au-dela de 1735. Il faut donc, comme le font Gille et Utter-
strém, les imputer partiellement 4 un concours heureux de circonstances. Par
dela la conjoncture, la Scandinavie permet de mesurer l’effet 4 long terme de
lalphabétisation. C’est le progrés de la culture écrite, avec une nourriture saine
et abondante, un regard plus intelligent et plus attentif sur la vie, qui permet
cette premiére percée européenne durable contre la mort.
Une Scandinavie rurale (« aux environs de 1800, 90 p. 100 de la population
vivaient 4 la campagne »), une Scandinavie inégalement croissante : la pente
s’accroit du centre vers la périphérie frontiére. Le vieux Danemark, enfermé
dans un espace clos, trés largement défriché, a un destin qui rappelle la Hol-
lande. En Norvége, les courbes annuelles assez nerveuses dénotent une pointe
d’archaisme, particuliérement sensible par comparaison avec la Suéde. La crois-
sance suédoise est un peu moins rapide (la Suéde, comme le Danemark, est le
vieux pays d’un ensemble Suéde-Finlande). La Finlande est la frontiére fores-
ti¢re de la Suéde, de la Scandinavie traditionnelle. La Finlande suédoise est un
Canada issu de la grande guerre du Nord, en 1720, avec une population amputée
d’un cinquiéme et bouleversée dans le rapport des sexes, marquée par une épi-
démie venue de Russie en 1729, une passe difficile de 1737 4 1743, due au pas-
sage a l’dge d’homme des classes creuses nées pendant l’occupation russe, et une
flambée épidémique que nous retrouvons curieusement un peu partout. A part
ces incidents, des conditions étonnamment bonnes : cette population de pion-
niers luthériens (la minorité orthodoxe convertie par des missionnaires russes
vit a l’écart) en est au triplement séculaire.
Plusieurs traits donnent a exemple finlandais sa pleine signification.
D’abord l’explosion de croissance finlandaise est due, plus encore qu’a l’augmen-
tation de la natalité, 4 la chute de la mortalité. La Finlande associe une natalité
scandinave améliorée (un enfant de plus par couple), en retrait toutefois par rap-
port au Canada ou 4 l’Amérique du Nord anglo-saxonne et germanique, 4 une
mortalité scandinave. Grace au froid, peu favorable pendant six mois a la propa-
128
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
TO
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
130
LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
131
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
drier des mariages est un compromis heurté entre les exigences de la vie profes-
sionnelle et les absolus du calendrier liturgique, plus scrupuleusement respectés
en pays catholique. Ces impératifs restent tres astreignants, nous pouvons le
vérifier, dans les paroisses anglicanes du Peel irlandais. D’importantes diffé-
rences apparaissent d’une paroisse a l’autre. Elles sont dues aux conditions de
la vie économique : céréaliers, éleveurs bocagers, artisans poéliers, colporteurs,
marins, premiers ouvriers de manufacture du Lancashire n’obeissent pas aux
mémes impératifs. Une chose est sire, le temps des noces ne dépasse jamais
deux cents jours, l’amplitude est toujours énorme; elle a tendance, pourtant, a
s’atténuer apres 1750.
Plus significative, la variation saisonniére des naissances, donc des concep-
tions. L’amplitude, en paroisse rurale, atteint ou approche le simple au double
(15 a 20 p. 100, de nos jours, dans les pays industriels). I] faut déduire de cette
indiscutable variation une importante oscillation dans les rapports sexuels et
dans les avortements spontanés dus 4 la fatigue; le folklore le sait, qui célébre
les miracles du printemps. Buffon avait constaté qu’a Paris les trois mois ow il
naissait le plus d’enfants étaient mars, janvier et février, soit un maximum de
conceptions en juin, avril et mai. Le creux en pays céréalier est toujours pro-
fond a la fin de l’été, pour deux raisons : le grand nombre des femmes enceintes,
aprés les rapports sexuels fréquents du printemps, la fatigue des corps en cette
période de travail intense. Jusque vers 1730-1740, en pays 4 dominante céréaliére,
on observe au méme moment, aout, début septembre, une pointe des décés
d’enfants en bas Age, pointe traditionnellement attribuée aux entérocolites
estivales. Elle disparait progressivement, au xvIII® siécle, avec le fléchissement
des conceptions. Les deux facteurs sont liés : la fatigue des femmes contraintes
au dur labeur des champs provoque et la baisse des conceptions et le décés des
enfants par ralentissement de la lactation et inattention. La modification des
courbes aprés 1750 est un signe de vie plus humaine. Le fléchissement d’aoiit
est d’autant plus intéressant qu’il contraste avec l’euphorie sexuelle des ven-
danges en pays de vignobles.
La variation saisonniére des conceptions ouvre un chapitre passionnant de
psychologie collective régressive des comportements. L’abstinence quadragé-
simale de caréme semble bien avoir appartenu 4 l’ascétique médiévale. Elle
s’observe statistiquement par l’ensellement de novembre. Elle était bien
marquée dans |’Angleterre des xiv® et xv° siécles. Quelques vestiges subsistent
encore en Bretagne et dans l’Anjou, dans la seconde moitié du xvut® siécle.
L’abstinence sexuelle de caréme semble bien avoir craqué, dans la contestation
générale, au xvI° siécle, des régles d’ascétique collective. Dans l’Allemagne
12
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
rhénane catholique du xvui° siécle, la pratique subsiste par son contraire, l’éton-
nant défoulement collectif du carnaval. Le carnaval qui, de tradition, commence
le II janvier et a tendance 4 durer, fin xv1m1®, jusqu’a la Mi-Caréme, se célébre
au sein des ménages par une féte sexuelle dont on note les effets neuf mois plus
tard. Etonnant armistice, dans cet axe joyeux de l’Europe rhénane, en terre
de la difficile paix d’Augsbourg, entre tenants d’andouille et de Caréme-Prenant.
Les courants ascétiques n’ont peut-étre pas aussi totalement renoncé
qu’on est tenté de le croire. Une anomalie a frappé : dans beaucoup de paroisses
du diocese de Lisieux, un effondrement des conceptions de mai, un contre-
printemps que ne justifie ni l’économie, ni l’éloignement des couples. Des échos
nous parviennent de comportements analogues dans d’autres lieux. Une seule
explication : la renaissance d’une abstention périodique liée au culte marial,
dans un climat de crypto-jansénisme latent, en fait d’arnaldisme pratique, dont
le plat pays de Lisieux offre un bon exemple.
Il faudra suivre attentivement dans toute |’Europe catholique le curieux
temps de mai : il ouvre une porte capitale. L’abstinence de mai ouvre la voie
au malthusianisme du coitus interruptus. Il appartient a un climat de méfiance
sexuelle exacerbée. Dans le diocése de Lisieux précisément, l’évéque traque la
vieille coutume du mariage dominical. En dépit du sacrement, en dépit de la
bénédiction cérémonielle du lit nuptial, le mariage, le coitus, est impur ; il est
une concession dangereuse. L’ascétique janséniste, qui a repris avec prédilec-
tion un vieux theme médiéval prenant racine aux sources grecques de la primi-
tive Eglise, s’oppose a la tradition hébraique vétéro-testamentaire, privilégiée
en terre protestante ot elle retrouve une tendance ancienne liée aux épanouisse-
ments solaires des longs jours du solstice d’été. L’impureté est inhérente a
l’acte, a la souillure interne. La souillure est liée au contact profond. La femme
regoit ’impureté de homme, elle en reste marquée a jamais, homme re¢oit
Pimpureté du contact interne avec l’organe qui sécréte le sang menstruel, !’im-
pur par excellence. La génération est 4 ce prix. La souffrance de lenfantement
purifie partiellement, mais le long écoulement menstruel rappelle le caractére
indélébile de l’impureté féminine. Dans cette sensibilité cathare, l’impureté
n’est pas effacée par la génération : la génération ne résulte-t-elle pas, au con-
traire, de l’acte total, avec le plaisir dans la souillure? Voila comment Pascese
sexuelle finit par ouvrir la porte aux pratiques de l’acte incomplet, voire aux
abstinences destinées a éviter la génération. Dans la mesure ow la matérialité
de l’acte est établie par la génération, l’absence de génération finit par effacer
Pimpureté de l’acte. Rien n’est, évidemment, plus contraire 4 toute théologie
chrétienne ;on comprend toutefois le mécanisme psychologique du glissement.
133
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
134
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
135
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
années 1680 et le creux relativement modéré d’un xvul® siécle tardif. Et pour-
tant, de 1730 4 1770, en dépit de ses micropays malthusiens, la France s’est
accrue 4 un rythme européen. Voyez |’Angleterre : elle a atteint 4 millions
habitants vers 1300 ; elle s’y maintient péniblement jusqu’au milieu du xIv° ;
elle est alors centrée sur le bassin de Londres ; elle s’effondre en 1350, tombe a
2 millions vers 1380-1390, n’arrive pas 4 décoller pendant cinquante ans, elle
triple presque d’un seul élan de 1430-1440 4 1630-1640. Une Angleterre a
6 millions d’habitants apparait quand éclate la premiére révolution, dont la
densité au centre ne dépasse pas la densité médiévale mais qui a conquis les
marges hercyniennes de |’Ouest et du Nord en direction des confins difficiles
de l’Ecosse. L’Angleterre ne paye pas son triplement d’un reflux, mais d’un
plateau séculaire. De 1640 a 1750, la population anglaise se maintient sur une
horizontale presque parfaite. C’est peut-étre au xvul® siécle que |’Angleterre
prépare le plus stirement I’explosion de croissance de la fin du xviir®. Le pla-
ee J 18. LA REVOLUTION
inferieur40 DEMOGRAPHIQUE
024.4 DANS L? ANGLETERRE
4552539 DU XVIII¢ SIECLE
647.4 ||
(D’aprés Ph. Deane et W. A. Cole,
735.494 8 British Economic Growth, 1964.)
136
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
Age au mariage
Nombre d’enfants Espérance
par ménage
1538-1624
1560-1646
1625-1699
1647-1719
1700-1774
1720-1769
1770-1837
137
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
19. LA POPULATION
DES ILES BRITANNIQUES
(D’aprés les chiffres de Ph. Deane
et W. A. Cole, ibid.)
Les iles Britanniques, Il’Angleterre d’abord,
appartiennent, au XVIII® siécle, a4 Europe
de la croissance, de la mutation, du développe-
ment, donc du doublement démographique sécu-
laire. L’Ecosse, pour laquelle d’ailleurs les don-
nées sont rares, S'accroit a un rythme assez
modeste et régulier ; elle fournit, il est vrai, un
trés grand nombre d’immigrants al Angleterre,
au nord de I’Irlande, al’Amérique. L’Irlande,
l’Angleterre-Galles et lensemble du royaume
changent de rythme au milieu du siécle. 1750-
1760 pour l’Angleterre, 1770 pour I’Irlande
sont le point de départ d’un décollage démo-
graphique. Les croissances démographiques
seffectuent d’ailleurs selon des modalités diffé-
rentes en Angleterre et en Irlande.La croissance
anglaise est une victoire sur la mort et une
multiplication d’ hommes éduqués, la croissance
irlandatse une simple multiplication sans pro-
grés. C’est elle qui inspire les condamnations
haineuses et les extrapolations fragiles de Mal-
thus, prophéte du passé.
138
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
proportions. La France s’est accrue d’une Angleterre et cela a frappé les imagi-
nations. « L’augmentation relative en go ans serait de l’ordre de 32 p. 100, ce
qui correspond a un taux de croissance annuelle de 3 p. 1 000 seulement. »De
1730 a 1770, la France a fait plus des trois quarts de son gain. Le taux, sur prés
de trente ans, se maintient 4 6 p. 1000. Tout se brise a la hauteur des années
1772-17735 1779-1783. La croissance de 1730 4 1770 est une croissance 4 |’an-
glaise, une croissance qui permet un gain qualitatif autant que quantitatif. Mais
le fléchissement trop tét de la natalité rend l’avantage fragile. Quand viennent
les mauvaises années 70 et 80, un accident banal, la fragilité de l’équilibre de
croissance francais éclate. La France n’a plus une marge suffisante de sécurité.
De 1750 4 1770, pour dix généralités, les taux ont oscillé de 7,8 4 10,7 p. 1000;
de 1779 4 1784, une natalité de 37,7 p. I 000 fait face 4 peine 4 une mortalité
—— Crulai (Normandie)
———— Thézels-St-Sernin
(Quercy)
139
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LES DIMENSIONS DE L’HOMME
141
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
nales sur les dialectes locaux, on aura la clef la plus sire des inégalités du démar-
rage et de la croissance. Dix ans de travail encore, au moins, sur registres
paroissiaux, livres de raison, journaux. On oublie parfois les livres de raison.
Celui de Pierre-Ignace Chavatte, qui meurt en 1693 4 Lille, la patrie de l’éton-
nante Antoinette Bourignon, nous apprend beaucoup, grace 4 André Lottin,
sur les débuts de l’alphabétisation des traditionnels. Chavatte est un pauvre,
un manuel sans horizon, et, dans son métier, un médiocre qui n’a pas percé.
La qualité de son écriture, sa maitrise du francais, malgré ses défaillances, sur-
prennent. Une partie du petit peuple de Lille depuis un siécle se met progres-
sivement 4 lire. Les premiéres écoles de Lille remontent 4 1554 ici, 1584 1a. Lille
a été talonnée par la proximité des pays protestants. Un texte de magistrat de
1664 le dit : « I] importe grandement que les enfants, de quelque qualité ou
condition qu’ils fussent, soient instruits soigneusement en leur tendre jeunesse
en tout ce qui touche et concerne la foy catholique apostolique et romaine pour
quoy avoit été principalement instituée ladite escolle. »
Chavatte lit, Chavatte écrit, mais ce contemporain de Bayle est un homme
du xvIi® siécle : sa culture, sa sensibilité s’apparentent un peu a celles qui éma-
nent de la Bibliotheque bleue de Troyes. L’alphabétisation constitue une étape
fondamentale; seule l’alphabétisation totale peut donner ses chances a la révo-
lution technique qui est d’abord révolution mentale. Et pourtant, cette condi-
tion nécessaire n’est pas suffisante : Chavatte donne l’exemple d’une superpo-
sition sans entrainement ou, si l’on préfére, d’une culture de réve et d’évasion.
Les humbles alphabétisés ne sont pas nécessairement en transit, hors du champ
de la culture traditionnelle qui continue 4 transmettre son héritage par oui-
dire et voir-faire ; cependant, c’est en leur sein seulement que les modifications
des gestes, l’amélioration des outils, la rationalisation des actes productifs sont
le plus susceptibles de se produire et de se propager.
Le processus d’alphabétisation explose au xvIII® siécle ; il était enclenché
depuis la fin du xv et le début du xvi°. La Réforme, pour faire tache d’huile,
suppose de larges plaques de liseurs potentiels, un ensemble de moyens pour
multiplier et diffuser l’écrit. Une fois consommeée, la scission entre les deux
chrétientés a tendance a accentuer une différence qui existait au départ. La
Réforme protestante, sous cet angle, est non une cause, maisun accélérateur de
déséquilibre. L’alphabétisation suppose d’abord un commencement d’unifor-
misation linguistique, qu’elle contribue ensuite 4 accélérer. Au service de
Puniformisation, nous trouvons bien stir l’Eglise et I’Etat.
En Italie le toscan, en France le dialecte d’entre Seine et Loire, l’allemand
moyen 4 l’est, l’anglais contre les gaéliques de l'Ouest profond et retardataire
143
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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LES DIMENSIONS DE L> HOMME
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
distingue cing degrés. Au niveau 1 on déchiffre. Crest celui que mesurent nos
paroissiaux. Il ne permet pas une acquisition autonome. Le niveau 2, difficile a
cerner, est celui de la véritable mutation, l’accession 4 une lecture utile, Pécri-
ture et le calcul. C’est le niveau que dispensent la plupart des écoles paroissiales de
lEglise presbytérienne d’Ecosse, le niveau @une partie du plat pays anglais.
Le niveau 3 permet la tenue d’une comptabilité. Le niveau 4, qui est plutét un
niveau 3 bis pour une autre catégorie sociale, comprend lacquisition de la
culture classique. Le niveau 5 est le niveau universitaire (universités et Inns of
Court). Nous ne mesurons que le niveau I avec certitude, mais une corrélation
existe entre celui-ci et les autres degrés. La véritable révolution culturelle s’est
faite en Angleterre au xviI® siécle. Comme le prouve la rapide montée du
niveau 1. En 1600, 25 p. 100 des hommes lisent et signent (15 p. 100 en Ecosse,
16 p. 100 en France, d’aprés Valmary et Fleury). En 1675, PAngleterre atteint
45 p. 100, la France, entre 1688 et 1720, 29 p. 100. L’Ecosse est partie plus tard,
mais monte plus rapidement; elle est en téte a partir de 1680. Le rythme de
Palphabétisation est le méme en France et en Angleterre au XVIII®, ce qui veut
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LES DIMENSIONS DE L> HOMME
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
150
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
Cette victoire est indissociable de la victoire sur la mort. Elle s’est faite
sans éclat. Les éclats viennent 4 l’aube du xIx® siécle, avec la vaccine de Jenner
(1798). De sursis en sursis, lEuropéen moyen du xvuI° a arraché prés de dix ans
sur la mort *; dix ans aprés vingt-cing ans, c’est beaucoup plus qu’un dou-
blement de la vie adulte. Au bénéfice de l’enfance. L’universelle passion du
XvilI® siécle pour l’éducation résulte en partie de cette constatation implicite,
presque toujours inconsciente. On n’investit pas sur la mort ; l’alphabétisation
générale n’est rentable qu’avec une espérance de vie suffisante. Les plus hauts
degrés d’alphabétisation (Angleterre, Ecosse, Scandinavie) sont concurrents
d’une réduction massive de la mortalité juvénile ; les plus bas niveaux accom-
pagnent des mortalités infantiles archaiques.
Les grandes victoires du xviII® siécle ont toujours été des victoires mo-
destes. La plus grande de toutes découle d’un ensemble presque impercep-
tible de succés modestes. La démographie cyclique l’avait noté. L’atténuation
de l’amplitude cyclique, c’est l’espacement, la réduction progressive des ren-
contres périodiques collectives avec la mort. La modification, dégagée récem-
ment par Philippe Ariés, de la sensibilité et des gestes collectifs devant la mort
découle pour une part appréciable de cette mutation. La mort se replie au for
familial. A la limite et dans un premier temps, la mort, au xvilI® siécle, pour
des générations qui ont connu les hécatombes de 1693 et de 1709, se fait dis-
créte. Voyez toutes les séries paroissiales, mieux, provinciales et nationales...
Le rabotage des courbes de mortalité est impressionnant sur la longue durée.
Voyez surtout les courbes nationales, 14 ot elles existent ; imaginons une courbe
européenne qui ne peut étre qu’hypothétique : les accidents cycliques ont,
au xvuir¢ siécle, tendance 4 s’éliminer. L’accident est local, il est bref, la mort
frappe 1a, puis s’arréte.
151
DE L’ EUROPE DES LU MIERES
LA CIVILISATION
LILLIL ILA
Se eoge
she, iG
a —_,
ROMAIN GERMANIQUE
| td
DEUX-SICILES
152
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
Cette carte montre le volume respectif des mondial, autour des cétes de la mer du Nord,
flottes marchandes européennes au moment du de la Manche et des prolongements atlantiques
take off anglais. L’ Atlantique et ses prolonge- immédiats. La flotte francaise en 1786-1787
ments (Manche, mer du Nord, Baltique) sur- talonne encore la flotte anglaise de trés pres.
classent définitivement et de loin la Méditerra- L’écart se creusera de 1790 a 1815. Tenir
née. Deux flottes dominent toutes les autres, compte cependant, pour bien marquer la distance,
Panglaise et la frangaise, qui se placent autour des rapports de population : Angleterre, Hol-
déja du million de tonnes. Immédiatement apres, lande, Hanse et Danemark-Norvége, dont la
la Hollande, le Danemark-Norvége, la Hanse. population dépasse de peu la moitié de la popu-
Ce qui donne une extraordinaire concentration, lation francaise, disposent de trois fois plus de
des deux tiers environ du potentiel maritime navires.
153
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
154
LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
rappelé dans /’Europe classique, aprés dix ans d’études passionnées de la crise
par toute une génération d’historiens, une mort sélective. Elle écourtait la vie
des vieillards, accessoirement elle élaguait quelque peu le tronc de la pyramide,
elle creusait surtout au niveau des nouveau-nés et des enfants. Le rabotage
séculaire de la courbe des morts est, d’abord et essentiellement, une réduction
de la mortalité infantile. Une chance supplémentaire pour les appelés 4 la vie,
donc un encouragement 4 leur consacrer le temps d’une éducation plus soignée,
cette €ducation qui confére a son tour une chance de vie supplémentaire.
155
LA CIVILISATION DE L’>EUROPE DES LUMIERES
156
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
T500-I599
1600-1699
1700-1799
1800-1849
1949-1951 (Blancs, U. S. A.)
Pour ceux qui survivent 4 50 ans, les chances d’atteindre 70 ans suivent
la méme é€volution. Gain substantiel au niveau aussi de |’4ge adulte : 4 50 ans,
Pespérance de vie qui était de 11,2 au XVI° siécle, 12,9 au XVII®, passe a 13,9 et
15,2 au XVIII® et pendant la premiére moitié du x1x® pour les hommes (12,5,
13, 14,5 et 15,2 pour les femmes). Aux différents ages de la vie, le calcul de
Peller situe de méme et sans conteste le progrés décisif. La transformation la
plus significative est celle qui se lit sur l’espérance de vie des hommes 4 15 ans.
Le gain est de 9 4 Io ans, un quart de vie adulte en plus. Les familles ducales
anglaises de Hollingsworth réagissent plus vite et plus clairement encore,
lAngleterre est bien au sommet, 4 la pointe de la révolution et de l’hygiéne :
1480-1679
1680-1729
1730-1779
1780-1829
1880-1954
La mortalité des enfants de moins de cinq ans était passée, dans le méme
temps, de 34,27 p. 100 a 20,18 p. 100 pour les garcons, de 29,28 p. 100 a
157
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
15,9 p. 100 pour les filles. Dans l’ordre de la mortalité infantile, Pavance an-
glaise du xvitr® siécle est énorme. Elle est acquise, simplement, sans découverte
médicale importante, par le respect scrupuleux des regles élémentaires de pro-
preté et de bon sens. On a observé que, dans la gentry britannique, au début
du x1x¢ siécle, la mortalité infantile était moindre que dans les quartiers pauvres
de New York en 1930. L”hygiéne de vie et le repos des méres pendant la gros-
sesse faisaient mieux que toute la science médicale du xx® siécle, avant la révo-
lution des sulfamides et des antibiotiques.
L’allongement de la vie humaine est bien, 4 la limite, la seule grande
affaire du xvute siécle. I] est di a un ensemble de petites causes multiples
qui ont formé, insensiblement, une masse critique de transformation. Le carac-
tére a la fois géographique et social de la mise en marche du front contre la mort
conduit 4 des solutions simples. Les conditions matérielles de la vie — l’Angle-
terre est en téte aussi des transformations économiques : une nourriture plus
abondante, moins carencée, plus équilibrée, un toit de tuiles a la place de la
« glue », le chaume qui protége mal contre le froid et ’humidité, et retient
parasites et bactéries ; une maison un peu mieux construite, le progrés de la
cheminée, des fenétres plus larges, ce luxe qui complique la construction des
murs et demande de la menuiserie et du verre (le papier huilé disparait méme
chez les pauvres au xvuit¢ siécle). Voila pour l’économique, |’Etat vient ensuite.
Il veille sur la circulation de modestes connaissances. Les intendants implantent
en France des écoles de sages-femmes. Ils bouclent Marseille, distribuent
des boites de quinquina, envoient les médecins de peste, ces dictateurs redoutés
de Phygiéne publique. De par le roi, la peste ne doit pas tuer hors de Marseille
et d’une mince tranche du Midi provengal et languedocien. De par le roi...
La vie des sujets fonde la richesse du prince.
Retenons, pour finir, un certain regard sur les choses de la vie, sur le corps,
sur les objets, les aliments, le cadre de la vie quotidienne. La premiére victoire
sur la mort est empirique. I n’est pas surprenant que cette victoire soit anglaise.
Tous ceux qui se sont penchés récemment sur cette importante question sont
unanimes dans leur diagnostic : séries statistiques péniblement élaborées, d’un
cété, grandes étapes de lhistoire médicale, de l’autre. Le grand bond en avant
de la frange pionniére de la vie sur la mort précéde largement les progrés de
la médecine. La connaissance médicale avance par paliers : le xmr1®, le xvr°, la
mutation du début du x1x° siécle, la mutation pastorienne, la mutation depuis
1942.
La révolution de l’allongement de la vie humaine précéde de cinquante ans
au moins la clinique de Laennec, de vingt ans l’invention de Jenner. Revenons
158
LES DIMENSIONS DE L’HOMME
159
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
et une ventilation généreuse des lieux. Les remarques de White vont loin,
elles constituent 4 elles seules une petite révolution médicale. Un long combat
sera nécessaire pour que soit admise dans le corps médical et dans le corps
social l’influence de l’environnement sur la santé et la maladie. Les idées de
White gagnent du terrain dans l’Angleterre préindustrielle, avec la possibilité
de les faire passer dans la pratique : le savon, le verre, la brique cuite a la houille,
les cheminées qui tirent, produits meilleurs, moins chers, plus abondants.
Dans la upper et dans la middle class, la maison anglaise s’ouvre a l’air et au
soleil ; le bilan reste 4 faire de ces micromodifications qui s’additionnent en
un grand progres.
Il est t6t pour aller plus avant. Les maladies obéissent a des cycles que nous
entrevoyons a peine : recul de la lépre, poussée de 1a syphilis, avances récurrentes
de la peste, poussées du typhus, avances du choléra que les communications
font sortir des bastions de l’Est ;poussée de la variole jusqu’a Jenner, malgré
la dangereuse variolisation, grandes avancées de la scarlatine au début du
xviuIe siécle, avancées des terrains typhiques ici et 14 dans les décennies 1770-
1780... Montée de la tuberculose, cette punition de l’urbanisation rapide au
nord de la Méditerranée, en dehors du bouclier des ultraviolets des ciels bleus
du 40° parallele.
Nous avons suivi, jadis, les derniéres convulsions de la peste. Traquée en
France, battue en Angleterre, elle reflue sur les bords, s’accroche longtemps en
Espagne ot. Cadix est menacée, au début du xix siécle;elle a poussé ses raids,
4 Paube du xvii® siécle, sur la Baltique. Sur son chemin, elle a trouvé les officiers
du roi, 14 ot la monarchie a donné naissance aux puissants rouages d’une machine
administrative. On cloisonne l’espace, on brie les hardes, on multiplie les
lazarets et la quarantaine en ces points faibles, par excés de communications,
que sont les ports.
Nous reviendrons sur la peste de Marseille, en hommage 4 |’étude de
Carriére, Courdurié et Rebuffat, parce que Marseille, en 1720, prouve au moins
deux choses : la peste est un archaisme ; la peste roule autour de l’axe médian de
PEurope nombreuse qui accumule les moyens et prépare les pensées de la
grande mutation. Marseille, en contact direct avec les Echelles, foyers endémi-
ques, et par elles avec l’Inde profonde, est en premiére ligne, tellement sur ses
gardes, tellement maitresse de ses moyens empiriques et sire, 4 force de jouer
victorieusement avec le feu, qu’elle se laisse surprendre, Marseille ne croit plus
a la peste. Mais devant le vieux danger proche aux mémoires, l’Europe des
Lumiéres fait bloc, oubliant guerres et frontiéres.
160
LES DIMENSIONS DE L> HOMME
I61
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
162
LES DIMENSIONS DE L>HOMME
G $ . wl 3
‘ Wy
? =
SS 1S
AVIS AU PUBLIC
Rien n'eftant plus neceffaire que de
faire enlever & enterrer les Cadavres »
Meffieurs les Echevins exhortent fes per-
fonnes zeléesqu'ily a dans la Ville, d'avoir
26. LA PESTE la bonté de fe prefenter & de monter a
A MARSEILLE, Cheval pour contribuer a l'enlevement & a
3 SEPTEMBRE 1720
Yenterrement des Cadavres , par leur prefence
(D’aprés C. Carriére,
M. Courdurié et F. Rebuffat, & par les ordres quiils donneront a ceux qui
Marseille ville morte,
la peste de 1720, 1968.)
semploient a des pareilles Fonétions , outre
Action meritoire quils feront, & la gloire
Ce beau texte peut-il se passer
de commentaires ? On notera quils acquerront de fervir leur Patrie dans
Pabsence de référence religieuse
précise. «L’ Action méritoire[...]
une occafion aufli effentielle , la Commu-
et la gloire qu’ils acquerront de nauté donnera des gratifications 4 ceux qui
servir leur Patrie [...]» Le rac-
courcissement eschatologique, le voudront en recevoir, & on rembourfera
grand repliement sur le for in-
térieur est commencé. Cette lai-
tout ce que ces perfonnes zelees donneront
cisation prise sur le vif est pour lenlevement & l’enterrement des Ca-
d@’autant plus symptomatique
que nous la saisissons lors de davres , tant dans la Ville qu’a la Cam-
la grande catastrophe « médié-
vale» de la peste de 1720, cette
pagne.
remontée des profondeurs. AL Marfeille le 3 Septembre, 1720,
163
DE L’ EUROPE DES LUMIERES
LA CIVILISATION
Prélude Apaisement
violets et jaunes, tous puants et crevés, laissant la trace du sang pourri. » Les
grandes fosses communes égalisatrices et la chaux...
Se dévouant sans relache, calmes, courageux, dérisoires, magnifiques et
tragiques : des échevins, le Pére Millet de la Compagnie, quelques religieux qui
contrastent avec le clergé paroissial, généralement terré ou enfoui, « Henri
Francois Xavier de Belsunce de Castelmoron, évéque de Marseille, abbé de
Notre-Dame des Chambons, conseiller du roi [...] Vétu d’une soutane de soie,
relevée “ trés haut” sur le bras, une éponge trempée dans le vinaigre sous
le nez, seul, parcourt la ville », distribuant auménes, réconfort, confessant les
mourants.
Crescendo, decrescendo. Le 15 octobre, il ne meurt plus que cent per-
somnes par jour; 18-20 octobre, 20 morts par jour... Du 6 au 15 novembre, la
mortalité remonte 4 50 ; légére rechute encore 4 la mi-décembre. Au début de
1721, avec la vie, on voit apparaitre le premier corbillard, de la décence dans la
mort. « [...] Il véhiculait au grand jour son cadavre inoffensif. Voiture rassurante,
elle était curieusement symbole d’espoir ; elle disait que le Moloch insatiable
était redevenu le commensal habituel et raisonnable de la vie des hommes. »
Marseille se retrouvait en 1721 avec 50 000 habitants. Une fringale de mariages
164
LES DIMENSIONS DE L> HOMME
et la montée des baptémes n’effacent pas d’un trait les effets durables de cette
grande et archaique saison des morts.
Marseille marque la fin de la peste dans l’Europe nombreuse. Par la surprise
au départ : Marseille ne se serait pas laissé prendre sans une fausse assurance,
fille d’une génération frangaise installée dans la sécurité. L’ampleur, l’efficace
de la réaction, au plan national et international, montre la possibilité d’une
action rationnelle délibérée, modeste mais utile, une prise non négligeable
sur les choses ; cette irruption du Moyen Age montre que pour !’étroite
Europe des Lumiéres vacillantes, le Moyen Age est révolu. La surprise,
le mécanisme en a été démonté. Place, donc, a l’événement. Qu’un coup de
dés, jamais, ni la science sociale ne sortiront, pas plus que le hasard, totale-
ment du champ de l’histoire. Le Grand Saint Antoine, capitaine Jean-Baptiste
ChAteau, de Marseille, aprés dix mois et trois jours d’absence, rentre le samedi
25 mars 1720 ; il avait fait escale 4aSmyrne, Mosconossy, Chypre, Seyde, Sour,
Tripoli, Chypre, Livourne. De la routine. Deux cent cinquante entrées compa-
rables chaque année, en provenance de terres ot la peste tranquille est simple-
ment endémique. Le Grand Saint Antoine a eu cing morts suspects en cours
de route, mais il a des patentes de santé en bonne forme et un certificat en régle
du médecin de santé de Livourne, un expert pourtant. Le 25 mai, le bateau
«s’ancra 4 lile de Pomégue, comme n’importe quel navire venant du Levant ou
de Barbarie », pour la purge traditionnelle. La peste est 4 Damas et dans ses
environs, en janvier 1720. Chateau a chargé, sans s’en douter, des marchandises
infestées, des balles de coton (brut), six portefaix mourront 4 Marseille pour les
avoir maniées. Un Turc embarqué était certainement pestiféré... Chateau, enfin,
grosse imprudence, l’enquéte le révéle, avait acheté 4 Tripoli des « cordages et
une méchante toile provenant d’un vaisseau anglais dont tout l’équipage, selon
la rumeur publique, était mort de la peste ». Marseille avait « toute confiance
en la solidité et ’herméticité de son complexe sanitaire ». Une série de petites
négligences l’ont rendu perméable. Ajoutez a cela, faute d’expérience, un
diagnostic mal ou tardivement fait, le linge des marins en quarantaine distribué
aux familles ; par le linge, les puces, et par les puces, la peste.
En symétrique inverse, l’ampleur des mesures qui bloquent le mal. Nous
avions signalé jadis le cas du Régent acceptant de bonne grace, contre la lettre
des traités, les mesures prises 4 Cadix. Marseille, ville morte et isolée, par mer
d’abord, et par terre, du reste du monde. Le parlement d’ Aix, le 30 juillet 1720,
interdit les communications aux muletiers et aux voituriers 4 peine de la vie.
La ville est ravitaillée par mer, au bout de la pique, sans aucun contact. L’inter-
dit de Marseille s’étend aux autres ports francais. La France, un an plus tard,
165
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
n’est pas libre de communiquer avec Marseille sous peine de subir le boycott
de l’Europe. Témoignage d’une grande peur, mélée d’un peu de malveillance.
Il faudra trois ans et deux mois pour que Cadix finisse par s’entrouvrir au com-
merce de Marseille avec mille réserves et restrictions. Une lettre du consul
Partyet, en date du 4 octobre 1723 (A. N.A.E., Br 228, f° 246) annonce la presque
incroyable nouvelle : le jeudi 30 septembre 1723, « on donna enfin l’entrée en _
cette baye a deux navires de la Nation venant de Marseille aprés quinze jours de
quarantaine, ils sont chargés de savon, d’alun et autres marchandises non suscep-
tibles de contagion. Deux tartanes venant de Céte en Languedoc eurent aussi
Ventrée le méme jour. » Et Partyet conclut son rapport en ces termes : « ’admis-
sion a fait grand plaisir 4 nos négociants puisque voila peu a peu la liberté de
nostre commerce en Espagne presque entiérement rétablie ». Presque seulement:
juillet 1720-octobre 1723, le temps d’une grande peur.
La derniére grande peste de l’Occident (4 Marseille, en Languedoc, en
Provence, on lui doit bien 100 000 morts, 50 000 siirs a Marseille) est une peste a
puces, sans rat. La peste, on le sait, se présente sous trois formes, elle se trans-
met du rat 4 ’homme, normalement par la puce du rat. La peste, maladie
endémique du rat noir, explose en épidémies périodiques, l’épicentre est dans
Inde, les relais en direction de la Méditerranée, aux Echelles du Levant.
Des populations de rats noirs sont atteintes par la peste ; ils meurent en grand
nombre ; les puces qu’ils portent les abandonnent massivement pour ’homme ;
quand les rats meurent en masse, ’homme est menacé.
La peste de Marseille n’appartient pas au cycle classique, mais au second,
plus rare, de la peste interhumaine, 4 un seul vecteur, la puce non plus du rat
mais de homme. « La simple addition des cas humains dus a la piqdre des puces
de rat ne peut donner, au plein feu de l’infection, qu’une morbidité ne dépassant
pas § p. 100 en un mois par exemple, alors que la multiplication des cas par
transmission interhumaine peut amener une morbidité de 80 p. roo dans le
méme laps de temps [...] » « En somme, la puce du rat additionne, celle de
Phomme multiplie. »
Peste bubosepticémique interhumaine : une épidémie a peine sur dix prend
cette forme. La peste de Marseille appartient a la famille des hécatombes his-
toriques, celles du xiv (1348, pulmonaire, exclusivement), du xvi° et, sans doute,
du début du xvie, non aux épidémies méditerranéennes classiques que |’on
connait au Moyen-Orient et au Levante espagnol (dans la décennie 1680). La
lente réaction des médecins y trouve son excuse. Bubosepticémique interhu-
maine : normalement, c’est par millions qu’on aurait, quelques siécles plus
tot, compté les victimes. De 100 000 au million, la différence est & porter au
166
LES DIMENSIONS DE L>HOMME
bénéfice des Etats. Le magistrat interdit a la peste de tuer les sujets du roi.
Du méme coup, on comprend les réactions un peu insolites et quelque peu
démesurées, en France, en Espagne, en Italie, au Portugal, dans Empire, en
Autriche, dans la Hanse, en Hollande, en Angleterre. Ne pas oublier, toutefois,
que dans son bon combat, Dieu a aidé le roi. Le rat noir reste le meilleur allié
de la peste. On ne peut juguler facilement le cycle de la peste. Depuis la fin du
XVII® siécle, le rat noir recule, chassé par un concurrent plus fruste et mieux doué,
le rat d’égout, ou surmulot, venu de Norvége. II atteint la France, 4 la fin du
premier tiers du xviI® siécle. Ce rustaud refuse le réle traditionnel de second
vecteur. Ce bienfait venu du nord s’ajoute 4 d’autres. I] n’y aura plus de peste de
Marseille.
3
167
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Pon jouait 4 celui qui va mourir. » Voltaire a excelle dans ce genre : il a répété
vingt fois, mais assez mal mimé, le dernier acte, en juillet 1778. « La mort
d’aujourd’hui est une comédie toujours dramatique ot on joue a celui qui ne sait
pas qu’il va mourir. » ;
Les trois premiéres étapes s’opposent globalement, certes, a la quatriéme.
Le passage de la seconde 4 la troisiéme demande un siécle environ. Le peuple
retarde de cent ans sur I’aristocratie. Ce tournant important permet d’approcher
un essentiel des Lumieéres.
Au xvulre siécle, comme au XVII®, depuis toujours « il était entendu comme
une chose normale, que l’>homme savait qu’il allait mourir, soit qu’il s’en aper¢ut
spontanément, soit qu’il efit fallu l’avertir [...] La mort était alors rarement
subite [...] et la mort subite était trés redoutée, non seulement parce qu’elle ne
permettait pas le repentir, mais parce qu’elle privait ’homme de sa mort. Il
fallait étre fol pour ne pas voir les signes, et moralistes et satiristes se chargeaient de
ridiculiser les extravagants qui refusaient l’évidence. » Le réle des proches, des
amis spirituels, c’est d’étre, quand il le faut, des nunci mortis. Le médecin de
don Quichotte, mécontent de son pouls, lui recommande « quoi qu’il en fut,
qu’il pensat a la santé de son 4me, parce que la santé de son corps connait un
grand péril ».
« Plus on avance dans le temps, plus on monte dans l’échelle sociale et
urbaine, et moins l’homme sent de lui-méme sa mort prochaine [...] » Le médecin
du xviir® siécle a renoncé au réle de nuncius mortis. Les amis n’ont plus a interve-
nir, le repliement sur le noyau familial s’est opéré. Progressivement. Dans les
milieux populaires, dans la premiére partie du xvulI® siécle, la mort, le plus
souvent, reste publique. « Le mourant ne devait pas étre privé de sa mort. »
Il fallait aussi qu’il la présidat... Dés que quelqu’un « gisait au lit, malade »,
sa chambre se remplissait de monde, parents, amis, voisins, membres de confré-
ries. Les fenétres et volets étaient fermés. On allumait les cierges. Quand, dans
la rue, les passants rencontraient le prétre qui portait le viatique, l’usage et la
dévotion voulaient qu’ils le suivissent dans la chambre du mourant, méme s’il
était inconnu. L’approche de la mort transformait cette chambre en une sorte de
lieu public. D’ow le sens de la phrase de Pascal, « on mourra seul », dont le
paradoxe voulu souligne, par contraste avec la foule des présents, la solitude
psychologique du mourant. Bien stir, les prétres avaient essayé de mettre un peu
d’ordre dans cette cohue, les médecins des Lumiéres, a la fin du xvure, veulent
éteindre les cierges et ouvrir les fenétres par hygiéne.
Chacun avait vu tant et tant de fois mourir qu’il répétait sans trop de mal
les paroles et les gestes qui, au moment de la mort, lui revenaient en mémoire.
168
LES DIMENSIONS DE L’>HOMME
Cette humble occupation des derniéres heures aidait les vivants et le moribond.
Le xvul® siécle a suivi lentement le repliement de l’élite. Restif * de la
Bretonne (Jes Nuits de Paris) fournit un témoignage sur un style de mort pari-
sien du second xvii® siécle. « Certain soir, comme il passait rue de l’Egyp-
tienne, aujourd’hui disparue, Restif fut attiré par un son de clochette : un
prétre accompagné d’un clerc portait le viatique. » (Pierre Gaxotte.) Alors le
pornographe, |’ami des philosophes, retrouve le beau geste de la tradition chré-
tienne : « Restif se souvient [...] il suivit, répondant avec le prétre au psaume
que le clerc récitait. En la petite rue Verdet, on monta au cinquiéme, chez un
pauvre scieur de bois a briler. » « Mon frére, lui dit le prétre, votre vie a été
innocente et pénible, espérez en la bonté de Dieu; vous n’avez eu que peines
dans votre vie ; les biens vous attendent dans l’autre ; quand on a été avec
résignation aussi malheureux... — Moi, interrompit le moribond, mais j’ai été
le plus heureux des hommes, j’ai eu la meilleure femme, de bons enfants, du
travail, de la santé... j’ai été des plus heureux. Le prétre pleura, l’embrassa et
prenant le viatique : — Mon Dieu! voici un temple digne de vous. Il communia
le malade, et s’agenouilla pour réciter le Te Deum. » (xvimi® siécle larmoyant!)
Interprétation limitée, mais, bien plutét, solidité de la tradition intacte, pro-
fondeur du mystére chrétien.
L’humble et noble scieur de Restif mourait a4 Paris a la veille de la Révolu-
tion comme un paysan du xvir® siécle. Au sommet, la modification était com-
mencée, la mort accaparée par le cercle familial. La captation familiale de la
mort au XVIII® siécle reléve de deux structures. Elle est un aspect de la promo-
tion familiale générale. L’enfant et le mourant appartiennent plus que jamais au
petit cercle des proches. La famille conjugale saisit une part sans cesse accrue
d’affectivité. Mais aussi, la société ne peut plus intégrer la mort. La pensée des
Lumiéres a, par commodité, largué, en France du moins, et en Angleterre —
mais |’Angleterre se repent — tout prolongement eschatologique. Devant la
stupidité du tombeau, elle est sans réponse ; au nom commode du distinguo
laiciste et du repli au for intérieur, l’élite des Lumiéres se décharge de la mort
et du mourant sur le cercle restreint de la famille conjugale.
Et pourtant, sur la lancée du christianisme épuré de la double Réforme,
dans un souci d’hygiéne, l’élite au xviirIe siécle (le confort des vivants d’abord)
m’hésite pas 4 perturber gravement les gestes essentiels de la société tradition-
nelle. On enterre vite au XVII° et au XVIII°. Jusqu’aux alentours des années 1720,
on enterre le lendemain, dans l’église. De-ci de-la, entre 1720-1750, un cruel
et sans doute nécessaire combat chasse la dépouille des humbles de léglise,
pour la terre bénite mais précaire du cimetiére. Au méme moment, l’évéque
169
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
AU SOMMET
DE LA PYRAMIDE SOCIALE
L°ETAT DES LUMIERES
70
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
des Lumiéres. La tentation irait plutét a ’inverse : accorder a PEtat une place
démesurée. A la limite, ’Etat des Lumiéres reste, pour lessentiel, le legs
brillant du passé.
Comment échapper aux rapports entre l’Etat et la pensée? Partie souvent
d’une méditation politique, il est fatal que la pensée des Lumiéres revienne
sur P’Etat et qu’elle influence ceux qui conduisent son destin. Un regard sur
les choses incite 4 discerner, au-dela de l’apparence, les grandes articulations
de l’espace. Au centre, sur l’axe médian, une forme d’Etat référence évolue peu,
dans la mesure ow la révolution pour lui est d’hier ; autour, sur les franges, le
véritable Etat des Lumiéres, un Etat aux prises avec une réalité qu'il s’efforce
de maitriser : Etat de la quéte passionnée du rattrapage.
172
L°’ETAT DES LUMIERES
173
LA CIVILISATION DE L°EUROPE DES LUMIERES
(D’aprés
DES
28. L’ EUROPE
TRAITES D’UTRECHT
le Grosser Historischer Weltatlas.)
ts
om Sil
L’équilibre atteint au début du XVIII¢ siécle
traverse sans modification radicale la totalité
au siécle des Lumiéres. France, Angleterre,
l ROYAUME
Espagne, les grands Etats 4 Pouest ont trouvé
leur point d’équilibre. L’ Angleterre tient dans
sa mouvance l’ensemble des iles Britanniques.
La France dense, riche en hommes, est presque
achevée, l’Espagne débarrassée de ses mouvances
encombrantes en Italie et aux Pays-Bas. Le
grand fait nouveau au début du XVIII®, c'est
P’Autriche. L’ Autriche qui vient de réintroduire
trois cent mille kilométres carrés de territoires
danubiens dans les circuits européens et qui
succéde al’ Espagne dans le réle de tuteur contesté
des Italies et des Pays-Bas morcelés. L’Empire
et V’Italie appartiennent a des titres divers a
l’Europe dense. Leur morcellement politique,
ROYAUME D’ESPAGNE=7
Pémiettement des petits Etats territoriaux se
prétent aux modifications. L’Empire voit déja
s’esquisser le réle fédérateur de ’Etat brande-
bourgeois prussien. Au-dela de l’Oder, avec la
Pologne et la Russie, commence le monde ar-
chaique des Etats nébuleuses, simples fédérations
‘de grands domaines, qui laissent en dehors des
courants d’échange des produits et des pensées
les neuf dixiémes de leur population.
I 74
L°’ETAT DES LUMIERES
) y
{9 Stockholm
Jet paae 2, Maison de Bourbon
en France TTT
ROYAUME (4 en oer =
Grande-Bretagne
Union en 1714
Hanovre
Gs ST
Bh ;BRANDEBOURG
es >
MOLDAVIE
m
VALACHIE
SLAVONIE’
BOSNIE
VipaLMATIE & BULGARIB
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°
7)
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ROY. DE SICILE =
) o
175
UA CIVILISATION® DE) LEUROPE Ss DES LUMIERES
trente ans de guerres, en 1648, est maintenu entre une Allemagne catholique
qui stagne et une Allemagne protestante qui bouge; suivant un stéréotype qui
flatte philosophes et protestants, au temps de P Aufklarung. Les Pays-Bas, les
Provinces-Unies et Liége ont eux aussi trouvé des limites stables. L’Espagne
n’a été affectée qu’en apparence par le traité d’Utrecht. Elle est allégée des
responsabilités impériales qu’elle avait cessé d’assumer et dont la tradition
lécrasait. La politique italienne des Farnése vise un nouvel équilibre en Médi-
terranée, elle donne satisfaction 4 Espagne catalane, valencienne, Paide a
accepter |’hégémonie politique centralisatrice renforcée de la Castille. A louest,
bon gré mal gré, l’Etat travaille en profondeur, car les places sont chéres.
France, Espagne, 500 000 km?, iles Britanniques, 315 000 km? d’unifi-
cation politique et de prise de conscience nationale a des degrés différents.
L’Europe médiane est aussi le domaine des Etats moyens : le Portugal,
90 000 km?, Naples, 70 000 sans la Sicile, un peu plus de 100 000 avec la Sicile;
Venise a reculé, son territoire italien couvre 31 400 km?, 4 la fin du xvi siécle,
les possessions extérieures en doublaient l’étendue ; depuis 1720, la Sérénissime,
avec l’Istrie, la céte dalmate et les iles Ioniennes, n’atteint pas tout 4 fait
50 000 km?. Grosso modo, c’est la taille du royaume de Sardaigne, 62 500 km?,
et des Etats de l’Eglise (44 000). Les Pays-Bas autrichiens et les Provinces-
Unies tombent 427 000 et 30000 km?. Le Milanais s’est vu ramené de
16 650 km? (1600) a 8 350 (a la fin du xvi). La Toscane est 4 20 000, Parme a
5 700, Génes, sans la Corse, 4 5 000. L’électorat de Mayence, le plus grand des
électorats ecclésiastiques, couvre 6 150 km? ; Hanovre, le plus petit des élec-
torats laics, 13 000 (son sort depuis 1714 est étroitement lié a |’Angleterre), la
Baviére (un million d’habitants) et la Saxe se tiennent sur la ligne des 30 000 km.
L’Europe occidentale a conservé aussi de petits Etats, grosses seigneuries
de l’Ouest allemand, républiques suisses groupées ou non a l’intérieur du lien
lache de la Confédération. Genéve a un caractére exemplaire : son exemple
implicite sous-tend les démonstrations politiques de Jean-Jacques Rousseau.
Tout lPespace a louest est partagé entre quatre grandes masses : iles Britan-
niques, France, Espagne, Portugal, les petits Etats et les Etats moyens occupent
le flanc est, dans l’axe Italie, Alpes, Rhénanie, entre Rhin et Elbe. Ils font
tampon entre l’Ouest et les nouvelles étoiles qui grandissent et hésitent a l’est.
L’est de Europe, pays en plein rattrapage de peuplement, avec ses franges
pionniéres 4 lintérieur et a l’extérieur, n’a pas trouvé son assiette territoriale.
La seulement, la géographie des Etats est en pleine évolution. Cela tient a
Péchec des vieux systémes territoriaux, les Etats nébuleuses, le Saint-Empire,
la Pologne. La Pologne (850 000 km?), confédération de diétines et républiques
176
L°ETAT DES LUMIERES
de magnats, entendez dix mille grands domaines, attend le partage (1772, 1793,
1795). La constitution ultérieure d’un Etat national polonais passe par la des-
truction préalable d’un systéme politique contemporain, a l’ouest, du x® siécle.
Aucun Etat territorial ne s’étant révélé capable d’étre I’Ile-de-France ou la
Prusse de ce grand espace incertain, l’intervention du dehors était fatale : elle
sera salutaire. L’Empire, par sa superficie et sa structure, s’apparente a la Po-
logne. A la différence toutefois de la Pologne, l’espace allemand voit émerger
de grosses unités territoriales : |’Autriche massive mais excentrée, la Prusse
plus modeste mais mieux placée, qui préparent une organisation spatiale plus
conforme aux besoins de la croissance économique.
L’Empire n’a cessé de se vider lentement du peu de substance politique
que lui avaient laissé la catastrophe démographique de 1630-1640 et la paix de
Westphalie (1648). La tension traditionnelle Nord-Sud, sur un critére religieux
(Allemagne protestante-Allemagne catholique) mis au goat des Lumiéres
(efficacité/lumiéres-obscurantisme/immoralité), ne facilite pas la survie du
mythe impérial. Lorsque Nicolai se livre 4 des jugements aussi sévéres qu’in-
justes sur la Baviére, il traduit un mépris du Nord pour le Sud : « Autant la
Baviére est encombrée de couvents et d’ecclésiastiques, autant elle est dépour-
vue d’écoles » ; jugement injuste, comme celui de Risbeck sept ans plus tard,
en 1788. L’Allemagne catholique du Sud se venge, 4 sa maniére et 4 ses dépens,
en refusant tout ce qui se fait en dehors d’elle. Gellert, Kleist, Klopstock,
Wieland, Lessing *, Kant et le jeune Fichte ne sont pas ses contemporains.
On est tenté d’évoquer deux espaces-temps non communicants au plan de la cul-
ture. Le Nord, que caressent les séductions prussiennes, ne pardonne pas aux
Etats catholiques du Sud de regarder en direction de !’Autriche.
Ce qui reste d’Empire achéve de craquer, au début du xvitr® siécle, sous
le poids d’une Autriche devenue démesurément danubienne. « Entre 1648 et
1707, il y a eu une véritable tentative de politique économique impériale. »
(F. Dreyfus.) Des textes publiés, de 1676 4 1689, sous l’aiguillon de la menace
francaise ont tenté d’établir des régles commerciales communes applicables a
ensemble des Etats territoriaux de l’Empire. Ingomar Bog risque aujourd’hui
Pimage osée d’une sorte de marché commun. Mais Leibniz? II est bien le
contemporain de Spinoza et de Locke. Spinoza a lancé le Tractatus au secours
de la cause perdue du parti républicain ; Locke est le théoricien des vainqueurs
de la Glorious Revolution et Leibniz, l’irénique, le conciliateur des contraires,
homme de la continuité infinitésimale, a livré un combat pour l’Empire, sa
pensée s’est modelée sur un défi politique. Leibniz est le plus grand, il n’est
pas seul : pendant longtemps, les juristes s’appliquent a parfaire une définition
177
LA CIVILISATION DE L°>EUROPE DES LUMIERES
ROYAUME
DE DANEMARK -®
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FRANCE SAXE
HUA en 1648 — en 1648
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AUTRICHIENNE HANOVRE
{en 1648 =] en 1648
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PRUSSE
BRANDEBOURG- DANEMARK
en 1648
en 1789
en 1789
MOLDAVIE
ROYAUME DE HONGRIE
VALACHIE
179
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
180
L’ETAT DES LUMIERES
Magyars Italiens
SAINT EMPIRE ROMAIN (UM Atlemands Serbo-Croates
GERMANIQUE = LUSACE Tchéques Ukrainiens
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(cédée en 1635) PAA Slovaques Slovénes
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Cette carte s’efforce de traduire le bariolage « recolonisation » allemande des territoires arra-
ethnique de I’Autriche, a la fin du XVIII* siécle, _chés @ la domination turque. C’est en Hongrie
a une époque ott il ne pose pas encore depro- que I’Europe au XVIII® siécle obtient les taux
bleme a V’Etat composite des Habsbourg. On de croissance démographique les plus élevés
voit un peu partout, vers lest, les traces dela (presque le quintuplement).
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LA CIVILISATION DE L°>EUROPE DES LUMIERES
OSTERBOTT.
niale. La mort de Charles XII, du moins, aura débarrassé la Suéde de cet en-
combrant héritage. Le traité de Nystad (1721) contribue a faire de la Suéde
182
Lee
T AT MIDES LUMIERES
rs en 1809
Paix de Frederickshamn
la quasi-totalité des cétes baltiques, secteur est sans grande conséquence; beaucoup plus
d’approvisionnement en bois et en céréales de grave, en 1809, l’annexton de la Finlande qui
Europe nombreuse a l’ouest. Le fragile empire dissocie un espace culturel depuis longtemps
transmaritime doit abandonner ses prolonge- constitué autour d’une langue de culture (le
ments baltiques a la pression conquérante du suédois littéraire) et d’une fot qui s’exprime
fort noyau de peuplement russe. La perte de la dans les structures originales d’une Eglise
Carélie, de I’Ingrie, de l’Estonie, de la Livonie, (luthérienne épiscopalienne).
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
184
L’ETAT DES LUMIERES
Depuis 1689, tout est dominé sur le continent par la querelle franco-anglaise,
dont l’enjeu est un ensemble de « frontiéres » lointaines. La France nombreuse
mais engagée, bon gré mal gré, sur le continent, dans le jeu de Péquilibre
européen, finit par perdre le terrain conquis. L’Angleterre reste maitresse, par
la mer, des nouvelles « frontiéres » ultramarines. 1776-1783 ne modifie pas en
substance le verdict prononcé, au terme de la guerre de Sept Ans, en 1762 et
1763. Le jeu a trois se joue a partir de cette donnée ; puis, 4 partir de 1740,
il se joue 4 quatre, la Prusse s’ajoutant 4 la France, I’Angleterre et |’Autriche,
et finalement, a partir de 1756, a cing avec la participation de la Russie.
Ce jeu est capital pour la Prusse, qui double sa mise de 1740 a 1786;
pour |’Autriche qui consolide les trois quarts de ses fantastiques conquétes de
1683 4 1719 ; pour la Russie qui va y gagner un morceau de Russie blanche
et une large porte sur Azov, la mer Noire et la Crimée. La France, protégée
par l’Europe médiane des Etats moyens, ne risque plus grand-chose. Personne
ne conteste plus sa définition territoriale aprés 1713, la monarchie administra-
tive n’a pas beaucoup de revendications extérieures ; quant a |’Angleterre, elle
cherche sécurité et richesse : protéger un équilibre politique contre le danger
jacobite, qui est, aussi, refus des extrémités, Ecosse, Irlande, nord de lAngle-
terre, contre l’hégémonie du bassin de Londres ; paralyser la France sur mer,
par la terre, et s’assurer ainsi le monopole des nouvelles frontiéres outre-mer.
En revenir, enfin, aux vraies questions — et d’abord les prix : que cotitent
ces inévitables frottements aux bords des Etats, les appétits bienfaisants des
jeunes rassembleurs de terre 4 lest? La question est légitime. Faute d’une
recherche conduite 4 temps, on ne peut encore répondre. Risquer une pesée
grossiére : les armées permanentes, 500 000 hommes au début de notre période,
800 000 un siécle plus tard. L’accroissement des armées est plus faible en
moyenne que celui dela population. Le soldat du xvi11¢ est un technicien entrainé;
son modéle, en Prusse : les grenadiers du roi de Prusse coiitent cher. La guerre
au XvVIIIe est savante, elle est intelligente, le coat du soldat entrainé protége
contre le massacre inutile. Les exceptions sont a4 lest : l’armée massive des
Hongrois et des Russes dans la guerre de Sept Ans exhale un fumet désagréable
4 la Wallenstein. Le dernier mot, pourtant, reste au dri// du roi de Prusse : les
victoires de Frédéric II sont des victoires de l’intelligence sur la barbarie.
Entre le xvur® et la période révolutionnaire, le xvuI®, domestiqué, police,
apparait comme le siécle ow le prix démographique de la guerre a été le moins
lourd. Sur l’autre plateau de la balance, faut-il placer ce que les armées appor-
tent? Elles sont un facteur de mobilité sociale, un front de diffusion des tech-
niques et du savoir ; fait évident pour la France, et bien plus pour la Prusse,
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
les armées y ont joué un réle capital dans la promotion sociale, culturelle et
intellectuelle d’une fraction non négligeable de la population. Elles ont détourné
vers l’extérieur des tensions, désarmé des troubles potentiels. A cété des san-
glantes explosions sociales de la premiére moitié du xvir*, le xvui°, en dépit
du motin de Esquilache (1766) ou des jacqueries de Bohéme et de Moravie
(1770-1771-1775...)) est un siécle de paix intérieure, payée au prix une
catharsis de guerre disciplinée aux frontiéres. Une recherche comparative ne
manquera pas d’établir que le xviiI° a réussi, 4 un prix relativement bas, une
canalisation presque parfaite des pulsions agressives. La Suéde est a peine
génée par la grande guerre du Nord, les records de la croissance sont contem-
porains, presque partout, des deux plus grands conflits du xvim1®, Succession
d’Autriche et guerre de Sept Ans. Au tribunal de l’histoire quantitative, l’Etat
des Lumiéres 4 la recherche d’un équilibre européen gagne a coup str son
procés : efficacité, rentabilité ; loin de géner la croissance, en outre, les rivalités
entre Etats auraient été, dans la seconde moitié du xvmre siécle, accordons-le a
David S. Landes, un facteur d’émulation, une condition préalableZau take off.
L’Etat, au xvili¢ siécle, a bien mérité des Lumiéres. La pensée du xvIII® sié-
cle est une pensée politique. La philosophie naturelle mécaniste est née d’une
extension analogique paradoxale : l’application a la nature créée par Dieu des
techniques, méthodes et recettes de l’art de l’ingénieur de la Renaissance.
Les sociétés humaines dans leurs rapports organiques complexes ne seraient-
elles pas, a leur tour, susceptibles de la méme analogie de |’étre ? Peut-on imagi-
ner que les bourgeois méthodiques et appliqués, libérés par la montée de la
rente et le retrait du profit, associés par l’office a la gestion de la chose publique,
promus au genre de vie aristocratique, résistent 4 la tentation de soumettre la
donnée sociale aux méthodes affirmées et affinées dans le secteur de la philo-
sophie naturelle? La division entre l’ordre social et l’ordre naturel est, A la
limite, insoutenable. La gestion de la cité échapperait-elle 4 l’imperium de la
raison? L’analogie ontologique par ou Dieu livre 4 l’homme I’emprise sur la
nature ne trouverait-elle pas son point d’insertion sur cette pointe du social,
le domaine de la cité, des institutions, les rapports d’ordre, la politique?
La crise de conscience européenne est, en premier lieu, le point d’appli-
cation au secteur jusque-la réservé 4 un comportement purement traditionnel,
malgré Machiavel et malgré Bodin, des démarches de la révolution scientifique ;
Pévidence rationnelle et la séduction des idées claires, la recherche de la léga-
186
L’ETAT DES LUMIERES
lité dans observation méthodique des apparences, la voie des fils de Descartes
et des fils de Bacon.
Le xviir® siécle a ses maitres 4 penser ; ils appartiennent tous a la géné-
ration du xvil® siécle finissant : Locke, universellement avoué, Spinoza, renié
et redouté, Leibniz, le maitre de la pensée allemande. Dans la mort, Spinoza
entre le premier, en 1677 ; Locke en 1704 ; Leibniz ferme la marche en 1716.
Ces hommes ont joué ou voulu jouer un réle politique. Leur pensée, de toute
maniére, est une pensée pratique, cela est 4 peine moins évident pour Spinoza.
Appartenant 4 une minorité ethnique et religieuse difficilement tolérée, sauf
dans le refuge d’Amsterdam *, minoritaire de la minorité, menacé 4 l’intérieur
de son groupe, Spinoza a profondément ressenti et apprécié le privilége de
vivre en Hollande, sous le gouvernement des fréres de Witt. On a pu discuter
sur lampleur, les modalités et la nature des interactions entre I’ceuvre et
Penvironnement. Une chose est siire : les deux traités politiques représentent
la moitié de la production du philosophe et le Tractatus theologico-politicus,
paru en 1670, est le seul ouvrage publié du vivant de l’auteur. Que le second
traité, le posthume Tractatus politicus, soit ou non directement influencé par
le drame de 1672, au point d’étre l’apologie passionnée des fréres de Witt,
comme le veut Gebhardt, est une question secondaire. Spinoza tire 4 sa maniére
la legon de Vhistoire telle qu’il la connait, au seuil du siécle de I’érudition, et
la legon des événements de Hollande tels qu’il les a intensément vécus. Le libre
exercice de la pensée constitue la fin supérieure de la cité; le sous-titre méme
du Tractatus de 1670, le traité des autorités théologiques et politiques, en pose
le principe : « ou plusieurs démonstrations sont données de cette thése : la
liberté de philosopher ne menace aucune ferveur véritable ni la paix au sein
de la communauté publique. Sa suppression, bien au contraire, entrainerait
la ruine de la paix et de toute ferveur. » L’admirable plaidoyer pro domo : ce
minoritaire, toujours un peu menacé, mais matériellement assuré grace au pro-
fit commercial accumulé par la génération précédente et devenu rente, en ce
siécle de la rente, Spinoza propose, pour la premiére fois, comme fin supréme
a la cité, cette forme exquise de bonheur individuel : la liberté absolue de
penser, de publier, de s’exprimer, de convaincre, d’écrire.
« Dans ses lignes les plus accentuées, la position de Spinoza est nette :
la démocratie, ou gouvernement du peuple, serait le régime le plus simple, le
plus naturel, le mieux fondé en raison. A l’appui de la démonstration théorique
s’oftre l’exemple de |’Etat des Hébreux [...] 4 défaut seront jugés acceptables
les régimes ow l’exercice du pouvoir est resté collectif, sans que, rigoureusement,
exercice du pouvoir s’y concoive selon les régles d’un gouvernement par le
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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L’ETAT DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
serait apercu que « les principes de la morale et de la religion révélée »(le quid,
déja, de la morale) ne pouvaient étre établis solidement avant d’ « examiner
notre propre capacité et de voir quels objets sont 4 notre portée ou au-dessus
de notre compréhension ». Kant, qui place les plus hautes spéculations de l’étre
dans le prolongement des évidences de la raison pratique, fondant une ontologie
aux ambitions réduites sur les certitudes de l’expérience morale, procéde de la
méme manicre.
C’est la philosophie politique de Locke qui commande I’Essaz sur Penten-
dement, et non l’Essai sur l’entendement qui commande son analyse politique.
« Locke a lutté [...] contre la théocratie anglicane [...] contre ces deux
théses solidaires : le pouvoir du roi est un pouvoir absolu et de droit divin ;
le pouvoir du roi est un pouvoir spirituel non moins que temporel et il a le
droit d’imposer 4 la nation une croyance et une forme de culte. » (Bréhier.)
Ce corollaire-la est particuligrement dangereux : manié sans retenue, il est
susceptible, une fois de plus, comme au temps de Laud, de faire sauter l’équi-
libre instable sur lequel repose la paix sociale anglaise. Il est, dans ces conditions,
d’intérét primordial de bloquer tét la logique infernale de l’absolutisme anglais
qui menace a chaque instant la paix publique et l’équilibre du corps social.
Le pouvoir royal apparait dans ce systeme « comme une donnée impénétrable
a Panalyse, un mystére ». Pour critiquer la théorie du pouvoir royal, Locke met
au point la méthode qui lui servira pour la rédaction, plus tard, de l’Enten-
dement : décomposer les idées complexes en facteurs simples. Avant de s’en
prendre aux idées innées dans leur ensemble, Locke s’est exercé sur le pouvoir
royal. A la différence de Spinoza, infiniment plus pénétrant, Locke ne recourt
pas a Vhistoire. L’idée du pacte social est courante 4 la fin du xvué siécle. L’Etat
social n’est pas naturel, le parti pris sous-tend et justifie la parenthése carté-
sienne. Etudier, d’abord, ce qu’est Phomme 4a |’état de nature. Locke tourne
résolument le dos 4 Hobbes (1588-1679). Le redoutable cynique n’a-t-il pas été
le théoricien du pouvoir absolu, d’un pouvoir absolu fondé sur une construction
rationnelle de la société, « d’ou se déduit cette conséquence que toute révolu-
tion est illégitime »? Décidément, la philosophie anglaise, au seuil du xviiIe sié-
cle, s’écrit en termes politiques. Locke, bien sir, penche du cété de la thése
du droit des gens ; une /ex insita rationi, une loi morale naturelle s’impose
avant le pacte. A titre de droit naturel, Locke admet le droit de propriété
(repris par Jefferson en 1776 dans la Déclaration d’indépendance) fondé sur
le travail, donc strictement limité 4 l’étendue du sol que peut couvrir le labeur
du pater familias. Locke refusant l’innéité, il lui faudra démontrer les régles de
justice : empiriste et chrétien, il s’appuie sur le Dieu de la Bible : « Tu ne déro-
190
L’ETAT DES LUMIERES
beras point [...] Tu honoreras ton pére et ta mére [...] afin que tes jours soient
prolongés [...] », le seul commandement 4a sanction immédiate. Le « pacte
social » de Locke est un contrat trés limité, il ne crée aucun droit nouveau,
«il est un accord entre des individus qui se réunissent pour employer leur force
collective 4 faire exécuter ces lois naturelles, en renoncant 4 les faire exécuter
par leur propre force ». Ainsi se trouve justifiée la pratique traditionnelle an-
glaise, que les Stuarts, aprés les Tudors, s’acharnent 4 combattre. La concep-
tion purement nominaliste et utilitaire de Locke limite rigoureusement le
pouvoir civil. Du moins fonde-t-elle parfaitement, en pays protestant, dans le
Bible Kingdom, un pouvoir d’autant plus solide qu’il est restreint. Le citoyen
ne doit obéissance au pouvoir que s’il agit selon les lois permanentes et non
selon des décrets improvisés. Il y a donc un pouvoir législatif. Le droit naturel
de propriété interdit au souverain de lever un impét qui ne serait pas consenti.
Voici, philosophiquement fondé, le rocher du contréle parlementaire que
Charles II et Jacques II, instruits par le sort réservé 4 Charles I, n’ont jamais
osé contourner. Entre le sujet et le roi, le pacte est bilatéral. Le droit a la révolte
est la sanction populaire a la violation par le souverain du pacte social.
Locke apporte la justification théorique de la Glorious Revolution compar-
timentée de 1688. Il apporte également un fondement théorique 4 cette pratique
anglaise commandeée par la complexe diversification du protestantisme anglais.
Il ne s’agit pas ici, comme en France, en Italie (ou plus tard dans l’Autriche de
Joseph II), de limiter les empiétements sur le pouvoir civil d’un pouvoir
spirituel autonome — Il’Eglise d’Angleterre s’intitule « Eglise protestante
d’Angleterre établie par la loi » —, mais bien de fixer les limites jusqu’ot peut
aller cette législation. Locke va donc chercher la justification théorique de la
tolérance doublement limitée dans la pratique whig, tolérance au sein du Bible
Kingdom. Le souverain n’a pas a intervenir dans les croyances de ses sujets,
« sinon dans le cas ou ces croyances s’expriment dans des actes contraires au
but de la société politique » : le papisme qui encourage, souvenir des Poudres,
Pintervention d’un gouvernement étranger, l’athéisme, entendez le refus du
Dieu de la Révélation biblique strictement ou largement interprétée (du fon-
damentalisme au libéralisme extrémiste, en passant par toutes les nuances de
Porthodoxie), puisque Dieu, et Dieu seul — avantage ou fragilité du rejet de
Vinnéisme —, fonde ces droits naturels que la société politique a pour but et
justification de préserver. Méme si, chez Locke, le refus de Vhistoire et l’artifice
du contrat l’opposent dans une certaine mesure 4 Spinoza, il n’est pas douteux
que la pensée de Locke découle de l’observation de la pratique anglaise, qu’elle
fournit au parti whig un corps systématique de doctrine.
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L°’ETAT DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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L’ETAT DES LUMIERES
de 1773, Denis Diderot déchantera. Fini le temps des beaux projets (les Mé-
moires pour Catherine IJ). Il lui arrivera de distiller un peu de fiel, de faire
preuve de clairvoyance et de laisser percer quelque désillusion. S’arréter 1a
serait rester 4 la surface des choses. Diderot est Diderot, mais l’alliance de
PEncyclopédie et du despotisme éclairé qu’il scelle par son mariage « mystique »
avec la Grande Catherine, comme I’alliance beaucoup plus digne de d’Alembert
avec Frédéric II, correspond 4 une réalité profonde. L’Etat existe, il est une des
grandes réalités de l’Europe, une des clefs de sa grandeur, de son efficacité. La
philosophie des Lumiéres est une philosophie de la nature sociale, elle tourne le
dos a une systématique impossible pour une action pratique immédiate. Le
personnel de Etat est, socialement, pour l’essentiel, gagné au « Parti ». Ou bien
il est réellement, comme en Angleterre et en France, acquis aux trois quarts
aux idées nouvelles, ou bien, comme Frédéric II et Catherine, il affecte, pour
une raison tactique d’efficacité, de compter au nombre des nouveaux reli-
gionnaires. Entre l’Etat tel qu’il est et le programme des Lumiéres, il y a,
pour l’essentiel et 4 court terme, coincidence d’objectifs. L’élite des philosophes
de l’Etat vit 4 l’ouest ; ils sont d’expression francaise ou anglaise. Les philo-
sophes qui parlent latin ou allemand sont de vrais philosophes. Avant Kant et
Fichte, la politique n’a jamais été au coeur de leurs méditations. Attendons la
systématique de Hegel. Les philosophes d’expression frangaise, s’ils se montrent
réservés parfois sur le modéle de la monarchie administrative francaise qu’ils
veulent amodier de pratiques anglaises, sont au service idéologique sans
réserve du despotisme éclairé : parce qu’il exerce son pouvoir ailleurs, sur
lEurope périphérique, Europe de la croissance, son service est de rattra-
page, sa visée plus économique que sociale, plus administrative que politique.
Mais de cela la pensée des Lumiéres n’a cure, elle se satisfait des apparences.
Pensée pragmatiste, réformiste, ]’alliance de la philosophie des Lumiéres et
du despotisme éclairé n’a rien qui puisse choquer : elle est dans la nature
profonde des choses.
e
195 198>
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 69 Ags
69. FREDERIC II (1712-1786). 1723 consacre la majorité légale du prince,
Ce Frédéric II anonyme est un tableau qui a treize ans. Four attendu avec une
de la maturité. Ce qui frappe, cest réelle impatience, le probléme de la
Vextréme simplicité : pas de perruque, une succession, avec la perspective d’une guerre
coiffure relativement courte, un soupgon civile et d’une guerre étrangére, ayant
de moustache, comme un quelconque officier assombri le début de la Régence. La
de l’armée royale de Prusse. Une capote majorité, c’est une toute premtére étape.
sombre, sanglée; on devine méme, a la Mais ce lit de justice, traditionnel en
manche, le drap élimé. Seule concession pareil cas, consacre aussi indtrectement
toute militaire : Vaigle de Prusse. Tel la remontée des responsabilités des cours
est, au sommet de ses moyens, le penseur souveraines. (Paris, musée du Louvre.)
politique et ’homme d’Etat que I’Europe
des Lumiéres a le plus admiré. (Heidelberg, 73. LA CHAMBRE DES COMMUNES.
musée du Palatinat.) Cette composition naive de Karl Anton
Hickel représente une séance mémorable de
70. POMBAL (1699-1782), VAN LOO. la Chambre des communes, qui détient,
Lhomme qui a dominé, pendant presque avec le cabinet, la réalité du pouvoir au
tout le régne de Joseph Ie" (1750-1777) début de 1793, a la veille de la guerre
la scéne politique du Portugal. La carrure avec la France. Addington, le speaker,
exceptionnelle du grand marquis s’affirme préside. A sa droite, la majorité; a sa
dans le cataclysme du tremblement de gauche, VTopposition. Le jeune orateur
terre du 1° novembre 1755. La recon- d’une sobre élégance qui s’adresse 4 l’assem-
naissance de l’Europe éclairée se fonde blée depuis son banc est William Pitt
ailleurs ; prétextant un conflit outre- (le second). En face de lui (le chapeau
mer, Pombal obtint le premier, dés 1759, noir), le leader de Vopposition, Charles
Pexpulsion des jésuites. Il se trouve James Fox. En ce jour, la Chambre est
ainsi a Porigine de la vague de persécutions au grand complet. On reconnait la dispo-
quit débarrassera le camp philosophique sition traditionnelle des deux travées :
de son principal adversaire. (O¢iras, face a face, majorité, opposition, de part
Hotel de ville.) et d’autre du speaker, le vide qu il faut
71. TURGOT (1727-1781). franchir quand on veut er de camp.
Sans doute le dermer trés grand ministre (Londres, National Portrait Gallery.)
de Pancienne monarchie, celui qui, mieux
écouté, aurait permis a la France [économie 74. GUSTAVE III DE SUEDE.
d’une révolution. On sait combien décisif Par Pasch le Feune, le despote éclairé du
fut son passage, de 1774 & 1776, au Nord (1771-1792) dans son jeune ge,
Contréle général des Finances. Ce por- peu de temps sans doute apres le coup
trait de l’école francaise doit étre légé- d’Etat du 19 avril 1772, qui lui donna
rement antérieur a 1761, date a laquelle la réalité du pouvoir. Ce prince de la
Turgot obtint la charge d’intendant a maison de Holstein, qui contribua a l’accé-
Limoges. (Versailles, Musée national.) lération du progrés en Suéde a la fin
du siécle, est tout imprégné de culture
72. LA MAJORITE DE LOUIS XV, N. LAN- frangaise. Finesse du trait, profil d’aigle
CRET. et, surtout, ces grands yeux immenses qui
Dans la grande salle du Parlement, toutes semblent allier le réve a la décision. (Coll.
cours réuntes, le lit de justice du 22 février Hallenereutz.)
196
patty
B
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 69
A 79
75. JOSEPH II (1741-1790). 77. FONTENOY, VAN BLARENBERGHE.
Le plus grand, aprés Frédéric, des despotes Ce tableau minutieux et grandiose de la
éclairés. Et pourtant les philosophes ne bataille de Fontenoy, le 11 mai 1745,
Pont pas aimé. En raison sans doute de a les qualités d’un document. Vaste
son cathohicisme sincére, tatillon, au service plaine vallonnée, champ de bataille clas-
des Lumiéres. Ce visage est un détail sigue des Pays-Bas. Entre deux masses
dun tableau de Pompeo Batoni repré- de réserve en colonnes, au second plan
sentant Joseph II et l’archiduc Léopold et a l’arriére-plan, les deux armées enne-
Toscane. Une téte de Habsbourg mies évoluent suivant les exigences de
sérieux, avec le maxillaire développé, Pordre mince. Fontenoy est le type de la
la bouche sensuelle, le grand nez droit bataille savante, entre des armées par-
et ces gros yeux oit se lisent Il’enthoustasme faitement disciplinées manceuvrant avec
et Papplication, sans réelle intelligence. une rigueur qui suppose des soldats long-
(Vienne, Kunsthistorisches Museum.) temps entrainés. Le cot élevé du soldat
conduit a un art de la guerre relativement
76. CATHERINE II, A. ROSLIN. er de la vie humaine. (Versailles,
Au soir de sa vie, aprés un long régne, par Musée national.)
Roslin, peintre de la Cour. On pense au
portrait d’Erichsen (1732-1782), de dix 78. LA CAMPAGNE DE HANOVRE.
ans antérieur. L’impératrice, déja vieillie, Elle ouvre en 1756 les opérations de la
apparaissait alors chargée de bijoux comme guerre de Sept Ans. La scéne est peinte
une icone. Ici la sobriété a gagné, cest la par Le Paon. Paysage du Nord, faible-
« petite mére » des peuples, dans un cadre ment vallonné. L’armée s’étire en minces
qui associe l’architecture néo-classique a la colonnes. A l’époque du drill et de l’ordre
mode au faste baroque des étoffes, aux mince, la guerre, dans I’Europe heureuse
symboles orientaux, « byzantins », du pou- et nombreuse, a louest et au centre,
votr. Est-elle encore l’amie des philosophes, a atteint un point presque de perfection
cette Sémiramis du Nord — mais que et de domestication. Son poids démogra-
reste-t-il de I’Europe des Lumiéres? — phique a été réduit au maximum. Le
qui gouverne durement et sans illusions contraste est grand avec la guerre baroque
son immense empire par I’intermédiaire au temps de Wallenstein et avec celle du
d’une noblesse confondue avec la fonction premier XX° siécle. (Mairie de Grasse.)
publique et d’une classe de grands pro-
priétaires fonciers, seigneurs d’immenses 79. LES RECRUES, WATTEAU.
domaines? On est loin de l’époque du La guerre de Succession d’Espagne est la
nakaz, « l’Instruction pour la commission premiére qui ait dressé face a face, au total,
chargée de dresser le projet d’un nouveau pres d’un million @hommes. L’effort fran-
code de lois ». Cette trés vietlle dame, ¢ais est énorme, qui doit faire face, pour
Roslin, comme déja Erichsen, en adoucit a la premiére fois, a PEurope coalisée. L’ar-
sa demande les traits; mats l’intelligence mée recrute, sans trop de peine, dans
se lit encore, a peu prés intacte, dans le petit peuple affamé des campagnes de
Pacuité du regard. C'est la gérante assurée 1709; la milice, souvent, est absorbée
d’un pouvoir que VTintelligentsia des par la ligne. Derriére le sergent recruteur a
Lumieéres, longtemps, par vitesse acquise, cheval, une théorie malhabile de jeunes
s'est obstinée a parer d’un brevet deréfor- soldats rejoint le gros du corps. (Nantes,
misme. (Leningrad, musée de l’Ermitage.) musée des Beaux-Arts.)
197
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
199
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
200
L’ETAT DES LUMIERES
sons ”’, disons [...] 6 000 ménages. Au coefficient 5 [...] 30 000 personnes. A
quoi s’ajoutent 5 000 personnes supplémentaires qui ont échappé a la réforma-
tion et, enfin, un minimum de 8 a 10 000 personnes déboutées ou désistées. »
Avant la réformation, 40 000 personnes, 2 p. 100 ; aprés, 30 000, 1,5 p. 100,
en conformité avec le modéle national. « La réformation de 1668 fait partie,
précise Jean Meyer, de tout un programme, lié a la politique fiscale de Colbert
dont elle est Pune des piéces essentielles [...] », elle découle d’une option de
politique sociale qui marque d’une maniére irréversible, pour plus d’un siécle,
Phistoire de la France. A la limite, l’explosion de la fin du xvure en découle.
La réformation fait partie d’un choix, la mise a |’écart de la noblesse d’une part
des responsabilités essentielles a l’intérieur de la monarchie administrative.
Le contraste est particuli¢rement évident avec la Prusse et |’Autriche. La
noblesse frangaise compense cette mise a l’écart par un renforcement de ses
priviléges, essentiellement fiscaux. Ce qui implique l’infléchissement de la
noblesse trés ouverte du xvi° a la noblesse relativement close de la fin du xvir°.
Cet infléchissement se retrouve au niveau de la répartition des richesses.
La noblesse frangaise représente un cas unique en Europe. Nulle part la frac-
tion de la terre qu’elle tient directement n’est aussi réduite. Les tentatives de
reconquéte du sol du xvi® siécle sont stoppées au xvul® ; Albert Soboul a dressé
la carte précise de la propriété nobiliaire. Dans toute l’Europe, la part de
Pexploitation noble d’Espagne en Angleterre, d’Angleterre en Allemagne,
d’Autriche en Russie, est supérieure. La noblesse francaise s’est réfugiée dans
une forme archaique de propriété. Elle tire, a la fin du xvmI®, presque autant
de la propriété proprement nobiliaire de ensemble de ses droits sur les tenures
paysannes que de son domaine propre. Cette structure freine les transformations
économiques; elle constitue un grave obstacle sur la route de |’extension
territoriale de la nouvelle agriculture. Elle est partie prenante d’une structure
sociale et mentale : la noblesse francaise, aprés les réformations, a misé massi-
vement sur la rente. Cette mentalité de rentier explique l’ancienneté des
comportements malthusiens au sommet. La crise passée, la noblesse anglaise,
aprés 1730, renonce 4a la limitation des naissances ; la noblesse francaise y
recourt par secteurs successifs et contribue 4 conférer 4 ces attitudes devant
la vie un prestige nobiliaire qu’elles n’ont nulle part ailleurs. Le climat écono-
mique de la fin du xviI* se prétait au repli seigneurial de la noblesse (masse
salariale stable, légérement en hausse, recul du profit, hausse rapide de la
rente). La conjoncture du xvilI® se renverse (masse salariale en hausse modérée,
hausse rapide du profit, chute de la rente). Prisonniére de la rente, la noblesse
francaise répond par une extension de ses prises : droits seigneuriaux, nouvelle
PRON |
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
|’Etat.
marche en avant des champarts sur la tenure paysanne, mainmise sur
Elle y cherche moins la puissance et la décision que la rente. La noblesse fran-
caise pratique la politique des emplois réservés — voyez la marine, Parmée,
Pépiscopat —, moyennant quoi elle laisse Necker au Contréle général. La poli-
tique des réformations a contribué 4 l’explosion sociale de la fin du xviir°.
Partout se renforce, 4 travers I?Europe, une conscience de /élite. Elle
prend des formes différentes. En Espagne, lélite tend a se confondre avec la
noblesse. Les ministres éclairés des Bourbons se sont inspirés de la politique
des réformations. Le corps, de toute maniére, en dépit de conditions trés diffé-
rentes, subit la séduction du modéle francais. En Angleterre, la conscience de
Lélite est vive ; elle rapproche propriétaires fonciers et maitres du grand com-
merce, de plus en plus brassés par une politique d’intermariages. En France,
une conscience de l’élite se constitue entre noblesse d’épée et haute robe,
elle tient 4 l’écart la haute bourgeoisie. La France est, avec Espagne (que son
archaisme protége contre une situation révolutionnaire), le pays d’Europe ou
la « castification » de la noblesse et son option sur toutes les formes de la rente
paralysent la formation d’une conscience de l’élite.
Le modéle anglais fond l’ancienne noblesse, qui s’est ouverte en aristo-
cratie, et la haute bourgeoisie en une classe dirigeante qui contréle l’Etat. La
classe dirigeante peut, par les enclosures, opter pour la new agriculture, c’est-a-
dire le progrés économique, et préparer par |’élimination d’une petite pro-
priété paysanne, facteur de retard technologique, les transferts de population
vers le secteur industriel. Il en va autrement en France, ow blocage social et
politique vont de pair. L’échec de la réforme fiscale a été souvent décrit, il
aboutit au coup d’Etat Maupeou de 1771, et 4 la reculade de 1774. La capi-
tulation de Louis XVI en 1774 devant les anciens parlements condamnait a
Péchec toute réforme politique importante. La monarchie administrative,
qui avait fait preuve de 1660 a 1680 d’une rare plasticité, achéve de se bloquer
en 1774. Repliée sur elle-méme, coupée du profit, condamnée A la spéculation
immobiliére, au formariage et 4 la rente, en période de reflux, la noblesse part,
a contretemps, dans un but défensif, A la conquéte de nouvelles positions
(quatre quartiers, regards sur les communaux par droits de triage, etc.). La
eee pce dans la mauvaise conjoncture des années 1770, menace
Etat et équilibre social. Cela ne doit pas masquer l’essentiel. A savoir, la
veritable dimension des grands Etats des Lumiéres et leur lent progres. La
France vient en téte, suivie d’assez loin par |’Angleterre.
L’Etat s’est accru, lentement, méthodiquement, tout au long du siécle,
pour le plus grand profit, tout bien pesé, de ’ensemble du corps social. Pour la
202
L°ETAT DES LUMIERES
France, deux prises trés simples. Roland Mousnier nous donne 1’état numérique
de la fonction publique. La grande mutation se situe aux XVI° et XvII° siécles.
Un office pour 10 km? et 380 habitants en 1665. Avec les familles, le service de
lEtat occupait, armées exclues, 230 000 personnes au début de notre période.
I] n’est pas beaucoup plus nombreux un siécle plus tard.
La masse globale de l’impét offre une autre prise. On peut toujours se
reporter a la vieille étude de Clamageran. En 1690, les rentrées d’impét attei-
gnent 110,8 millions (directs, 40,8 ; indirects, 70) de livres. En 1715, 175 mil-
lions ; 156 en 1733 ; 567 en 1786, soit, compte tenu de la dévaluation, 832 tonnes
d’équivalent argent en 1690 ; 2 541 tonnes en 1786. La population s’est accrue
d’un tiers, les prix ont doublé. En gros, la puissance financiére de l’Etat en
France, prix et population constants, s’est accrue de 1690 a 1788 de I0 p. 100
environ. La révolution, 4 l’ouest, est en arriére ; le xvuiI® siécle est un siécle
de consolidation.
203
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
dans l’histoire de Etat des Lumiéres, aura joué en fait le role de médiateur.
L’Etat brandebourgeois prussien 4 partir de 1740, Pimmense et diverse
Autriche de Marie-Thérése 4 partir de 1742, la Baviére de Maximilien III a
partir de 1745, le Portugal de Pombal depuis 1750, Bernardo Tanucci 4 Naples
(1755), Guillaume Dutillot, secrétaire des Finances 4 Parme (juin 1756),
Charles III en Espagne (1759), Kaunitz a Vienne en 1760 ; Catherine II monte
sur le tréne en Russie (1762), Pierre-Léopold en Toscane (1765), en 1770 le
Prussien Johann-Friedrich Struensee prend la direction des affaires 4 Copen-
hague aux cétés de Christian VII, pour peu de temps : le 19 aotit 1772, quelques
mois aprés la chute de Struensee, Gustave III en Suéde assure la direction
effective des affaires ; Joseph II enfin, de 1780 4 1790, soumet l’ensemble dis-
parate de ses Etats au rythme effréné de son réformisme tatillon. L’Europe
danubienne, Europe méditerranéenne, Est profond, tel est espace; il
correspond 4 la quasi-totalité de l’Europe attardée. La chronologie est claire.
1740 est le point de départ. Le mouvement fait tache a partir de 1750.
Quel lien entre toutes ces expériences, en dehors du modéle : France de
Louis XIV et relais prussien? Le despotisme éclairé, dans la seconde moitié
du xviu® siécle, 4 PEpoque du démarrage démographique, des « fronts pion-
niers », c’est l’Etat du rattrapage, une forme d’Etat adaptée aux espaces assez
faiblement exploités, 4 des structures économiques et sociales archaiques,
conduit par une élite de culture, de mentalité et souvent d’expression francaises
qui s’efforce de combler un retard inégal. Cette forme d’Etat s’adapte mieux
dans les espaces vides de Est que dans les vieux centres de peuplement de
PEurope centrale (Bohéme, Autriche, Baviére) et méditerranéenne, en chré-
tienté non catholique qu’en pays catholique. Bluche met en garde : « Ce régime
qui domine [...] les régions de l’Europe ot le retard économique et social s’était
longtemps opposé a la modernisation du gouvernement et de l’administration,
ne saurait étre confondu avec le triomphe des Lumiéres. » Oui, les structures
sociales, la tradition nationale y pésent plus lourd que les structures mentales
transposées depuis lEurope occidentale : « Le prince que lon dit éclairé »
n’est jamais un pur philosophe, ni tout a fait un physiocrate. Pourtant, sans le
courant rationaliste de la fin du xvir® siécle et sans les complicités philosophiques
de Page des Lumiéres, il est probable que le despotisme éclairé n’etit trouvé
ni sa doctrine, ni son style, ni les formes indispensables 4 un rayonnement
séculaire. Comme le despotisme des physiocrates, le régime cher aux princes
éclairés est une monarchie absolue, administrative, comme le systéme de
Louis XIV, soucieuse de développement économique, afin de combler un
retard préjudiciable 4 la force méme de l’Etat. « Son originalité tient a trois
204
Lughat rae ee es
III. LA GRANDE FACADE BAROQUE DE
TSARSKOIE SIELO.
C’est le chef-d’ceuvre de Rastrelli, exécuté
a la demande de Catherine II, alors que
l’Europe occidentale céde a la mode néo-
classique. Tsarskoié Siélo est polychrome,
un polychrome centré autour d’un bleu
clair, comme une icone. Grace a la prodi-
gieuse médiation de la couleur, la débauche
des ovales, Porgie des décorations plaquées
comme dans un mobilier Louis XIV, les
hautes colonnes aux chapiteaux agressifs
ne détonnent pas sous le ciel délavé de la
Neva. Aprés un demi-siécle de tatonne-
ments, Tsarskoié Siélo marque le point
haut de Vadaptation de _TVesthétique
baroque aux exigences au génie russe.
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LEGENDES DES ILLUSTRATIONS SO A_ 86
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
215
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
souvent, poursuit son ceuvre. Elle n’a pas rompu avec une option en profondeur,
esquissée au XVI°, renforcée au XvII° et au début du XVIII°, caricaturce sous son
régne. L’Etat russe des Lumiéres est une réalité, mais une réalité modeste.
Catherine gouverne une Russie légale, une Russie réelle de 2 4 3 millions de
sujets. Elle abandonne A 100 000 propriétaires et quelques dizaines de milliers
de fonctionnaires de 15 4 25 millions de paysans. Cette princesse allemande
gouverne un gros électorat « allemand », un Brandebourg-Prusse comparable a
celui que Frédéric II hérita du Roi-sergent et qu’elle n’a pu ni su porter a la
dimension objective de la Prusse du vieux Fritz. Mais la Prusse, aprés 1763, ne
vaut-elle pas presque une Autriche ? Nettement plus qu’une Russie... Non,
Catherine n’a rien fait pour intégrer la masse paysanne dans une nation qui ne
commence a s’élaborer qu’aprés les réformes, au xIx®, du tsar libérateur.
La Russie de Catherine nous rappelle seulement cette vérité : l'Europe des
Lumiéres compte a son service 180 millions d’étres a la fin du xvuI® siécle, sur
le territoire de "Europe strictement entendue, mais l’appartenance a l’Europe de
la meilleure partie de ces hommes est pour l’essentiel fictive. La véritable Europe
des Lumiéres, celle qui lit, qui pense et s’exprime dans un systéme de pensée
qu'il nous reste 4 essayer de définir, n’a jamais dépassé deux dizaines de millions
d’>hommes concentrés, pour les neuf dixiémes, sur l’axe médian nombreux que
nous avons proposé.
Reprocher a Catherine de n’avoir rien tenté pour annexer la Russie aux
Lumiéres, voire plus modestement a la civilisation de l’écrit... Procés dérisoire :
franchir cette étape dépassait son pouvoir. Le travail qui se poursuit, grace 4
lEtat, en Russie, a la fin du xvure siécle, n’est superficiel qu’en apparence :
la Russie — comme la Prusse avec le décalage chronologique de 1’épaisseur
dune génération — se dote, sous l’égide de l’Etat, d’un équipement culturel
limité 4 un petit nombre. Voila pourquoi, au tableau d’honneur de!’ intelligent-
sia occidentale, la Sémiramis du Nord,4 la hauteur des années 1770, remplace
PAthénes du Nord des années 1750 : l’engouement successif pour les deux
grands despotes (Frédéric, 1750 ; Catherine, 1770) correspond a un take off de
Péquipement intellectuel, culturel et scientifique. A la séduction intellectuelle
s’ajoute Tattraction des places. Les louanges de lintelligentsia marquent a
contrario le point de mise en place d’un équipement culturel de type européen
occidental et de classe internationale.
Non, on ne brile pas les étapes, et la premiére étape passe nécessairement
par la constitution d’une élite. En Russie, plus qu’en Prusse, le rapport au
nombre des élites, par référence aux normes de l’Ouest, est dérisoire : la supério-
rite numérique du vieil Ouest est écrasante. Cependant, les élites nordiques et
216
L°’ETAT DES LUMIERES
orientales, les élites du rattrapage ont bénéficié, dans la mise en place des
organes de la transmission, d’un choix fait par les meilleurs experts. En Russie, a
peine moins qu’en Prusse, ce choix a porté sur les parties les plus neuves, les
plus dynamiques de la nouvelle civilisation ; ce choix joue en faveur des sciences
et plus particuli¢érement des mathématiques.
En Pologne la commission de "Education de 1773, en Russie l’effort qui
suit la grande et vaine commission de 1767-1768, le take off intellectuel de
PEurope des Slaves du Nord aboutissent a la formation d’une élite restreinte
au niveau le plus élevé dans l’ordre de la science la plus abstraite. Gain modeste,
mais sans prix : entre 1770 et 1790, se préparent, au niveau de cette élite étroite,
les conditions du renfort scientifique du premier x1x® siécle. De l’Est, bientét,
les prophétes d’un nouvel age se léveront, de Nicolas Lobatchevski (1792-1856)
a Dimitri Mendeleiev (1834-1907). Le génie suppose d’abord l’honnéte
transmission de l’acquis. Dans ce secteur, et la seulement, le rattrapage a été
complet.
&
Moscovici disait hier : le xv111® siécle a été par excellence le siécle de la poli-
tique, donc le siécle de l’Etat. L’Etat est au cceur de ses pensées, mais il est
d’abord au cceur de son histoire. L’Etat est au coeur de l’histoire du xvure, dans la
mesure simplement ou il s’y accomplit de grandes choses. L’Etat, ce secteur ot
on lit et, infiniment plus encore, ow !’on écrit, Etat qui appartient presque tout
entier au domaine du voulu, du délibéré, Etat, pourtant, est au terme d’une
longue tradition. La plus belle des constitutions du xviir® siécle n’a jamais été
écrite et ne le sera jamais. L’Etat modéle par excellence, |’Etat qui a porté la
réflexion de Locke, est coutumier. L’Etat, au sommet de la civilisation écrite et
de la culture traditionnelle, appartiendrait-il, lui aussi, dans une certaine mesure,
au domaine du voir-faire et oui-dire ?Partiellement, il est le secteur des codes,
des ordonnances, le fabricant n° 1 des longues archives et leur conservateur,
mais il est aussi du ressort des tours de main, des habitudes de service, de révé-
rence et d’obéissance, qui font la puissance et la force, la durée qui assure le
succes et la croissance, générateurs de la grande mutation d’ordre et de puissance
de la fin du xvimr® au dernier tiers du xx siécle. On peut avoir renoncé a toute
eschatologie, tomber du déisme a un athéisme de fait, se mouvoir dans un néant
de pensées absurdes et, comme Frédéric II, croire a Etat. L’Etat a été légué au
XVIII¢ siecle. Les formes les plus élaborées datent des années 1660-1680 (France),
1689-1720 (Angleterre) ; c’est alors qu’elles ont cristallisé. Toutes les autres
sont des formes dérivées, plus frustes, qui s’acharnent 4 assurer le rattrapage.
217
LA CIVILISATION DE L’>EUROPE DES LU MIERES
eee Vieleit:
EN MARCHE
DES PENSEES
ANS je systéme que nous proposons pour une intelligence si possible
utile du xvim® siécle — la fin du xviir®¢ siécle nous porte tous —, les
Lumiéres sont a l’intersection de deux structures génératrices de mou-
vement. Deux structures en mouvement, mais 4 des rythmes différents : un
cadre de vie trés ancien, un systéme de pensée révolutionnaire hérité du siécle
précédent.
Au xvur® siécle, un cadre de vie et un systéme de pensée relativement
indépendants : la fondamentale modification des pensées, de 1620 4 1650, a été
le fait d’un tout petit nombre d’hommes, dans un espace réduit ; la petite Europe
scientifique se confond avec la petite Europe politique, moins la Méditerranée
qui, aprés Galilée, sort pratiquement du jeu. Jamais la civilisation du langage
écrit, renforcée, désormais, d’une civilisation du langage mathématique, n’avait
atteint un tel degré d’autonomie. Bien str, la philosophie grecque a besoin
de la cité. Aux constructeurs de l’univers infini du xvur®, l’Etat territorial
assure, avec la tranquillité de la rente, ce calme tragique, face aux exigences
d’ordre qu’ils ont recues de la Révélation et des méthodes comptables. Beau-
coup sont fils de bourgeois, sortis 4 une ou deux générations de l’échoppe d’un
vendeur de drap ou de quelques lointains et proches collecteurs de taille. Bien
sir, la pensée au départ se dégage lentement et difficilement des choses, des
environnements, du pratique donc du social, mais bientét elle atteint un degré
d’indépendance qu’il est commode d’exprimer par une structure. Cette large
autonomie de la pointe entrainante de la pensée découle d’une part d’un saut
irréversible dans l’abstraction, de l’autre de la sage parenthése cartésienne.
Sur cette sagesse, le développement des pensées s’effectue de 1630 4 1680,
221
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
ELARGISSEMENT DU CHAMP
DE LA CONNAISSANCE
NE révolution qui a cinquante ans est déja une vieille révolution. Et pour-
tant, méme au niveau des quelques dizaines de milliers d’hommes qui
Pont profondément vécue, elle n’a pas épuisé ses effets, elle n’a pas
achevé de remporter la victoire.
La réduction phénoménologique de la science aura été peut-étre le combat
le plus difficile 4 gagner ; Descartes, aprés l’avoir emporté, s’est empressé de
le perdre. Il pense que sa mécanique globale du monde atteint 4 une saisie véri-
table de l’étre. Descartes confond, de facto, physique et métaphysique. Enten-
dez que, jusque vers 1730, la confusion est courante sur tout le continent. Il
faudra s’en souvenir pour comprendre le dogmatisme de la réduction mécaniste
qui durcit le climat de la philosophie de la crise de conscience européenne.
Mersenne avait poussé trés loin le scrupule phénoménologique : « notre science
refait ’image des choses, mais les choses ont leur nature propre » ; quant a
Descartes, il savait qu’au-dela de sa physique quelque chose de la réalité échap-
pait encore. Lui, mais pas forcément les cartésiens forcenés des écuries de Fon-
tenelle dans les années 1700-1730. Le modeste Newton le sait mieux encore.
En restreignant son champ 4 celui des phénoménes, la philosophie mécaniste
dégageait la place d’une connaissance autonome de la science en cours de for-
mation, de la théologie, qui suppose la donnée objective de la Révélation, une
métaphysique, au sens précis du terme, une ontologie. Malebranche, dans
une formule heureuse — elle aura un long retentissement —, a dit approxima-
tivement : « Laissons 4 la métaphysique l’étude du mystérieux pouvoir “ effi-
cient ’’ des causes, la science doit se contenter de connaitre les lois. » Le
xvire siécle ne maintiendra pas facilement I’équilibre, la philosophie vulgaire
223
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
224
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
225
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
tésien des cartésiens attardés est présenté du méme coup par une apologétique
un peu courte comme un ferment d’athéisme. Et pourtant, ce qui était ridicule
du temps de Descartes n’est pas dépourvu de vérité 4 partir de 1680. En accep-
tant sans chercher 4 la matérialiser, aprés l’avoir enserrée dans un modeéle
mathématique, la force mystérieuse qui structure l’univers, Newton s’appro-
chait en tatonnant, sans I’atteindre, de l’aboutissement philosophique des
Lumiéres, « la distinction kantienne du réalisme empirique et de l’idéalisme
transcendantal ». Le passage se fait hardiment 4 la limite. Se méfier toutefois
des anticipations hatives.
Le progrés de l’astronomie et de la physique mathématique, 4 l’aurore
du deuxiéme jour de la révolution scientifique (les années 1680 donc), influence
le tournant philosophique des Lumiéres. La métaphysique comme systémati-
que et ontologie se dévalue aprés Malebranche et peut-étre a cause de lui. Sa
naiveté choque. Elle blesse les scrupules des croyants, Jurieu dénonce l’irré-
vérence inconsciente de l’oratorien. Plus nombreux sont ceux qui refusent de
soumettre la connaissance a |’autorité de la Révélation. Mais laissons Male-
branche. Le mystére du sié¢cle qui commence par refuser le mystére, c’est la
connaissance. Quel rapport entre le moi connaissant et l’ordre des apparences ?
Perception, raison, connaissance et connu, moi et univers. Son probléme est
la. Au ras des choses et de humaine condition. La réduction phénoménolo-
gique de la science libére, dans le premier temps, le secteur d’une philosophie
autonome. Elle entraine dans un second temps la réduction de la métaphysique
a une philosophie de la connaissance, tout un siécle passionné d’efforts contra-
dictoires.
En développement logique, au terme de la seconde révolution scientifique,
Phistorien des idées ne manquera pas d’entr’apercevoir déja la révolution philo-
sophique. Cette réponse tardive 4 une question clairement posée s’appelle la
Critique de la raison pure, 1781, un siécle plus tard.
226
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE _ LA CONNAISSANCE
garde l’ancienne acception, 4 savoir toutes les disciplines qui peuvent étre
objets d’enseignement. En 1723, Fontenelle prononcsant I’éloge funébre de
Leeuwenhoek retrouve Lamy. Mais, en 1751, Duclos *, dans ses Considérations
sur les maeurs de ce siécle, distingue expressément « les lettres, les sciences et les
arts ». Paradoxalement, la séparation de facto aura précédé l’évolution sémantique.
Voyez les académies *, ces académies qui forment une piéce de ce qu’il est
commode d’appeler le multiplicateur.
Une fois le processus enclenché, la nouvelle connaissance appelle la nou-
velle connaissance, le succés, le succés. Voila le multiplicateur, la boule de
neige. Le multiplicateur dépend d’abord du volume global des communica-
tions, entendez du nombre des hommes, qui double de 1680 4 1780 et, pour
lessentiel, de 1730 4 1780. La communicabilité est plus grande en milieu urbain.
La population urbaine s’accroit plus vite. Elle fait un peu mieux que tripler
de 1680 4 1780 avec quintuplement de ces centres privilégiés que sont les
métropoles de plus de 100 000 habitants. Du méme coup, le réseau augmente.
La mutation est sensible et bénéfique 4 l’est, ot des seuils sont franchis. Voyez le
Brandebourg et la Prusse. Les réseaux de communications mutent, en Angle-
terre a partir de 1740, en France a partir de 1760. Voila pour le multiplicateur
physique.
Mais la structure de la population se modifie aussi : plus d’adultes, donc
plus d’hommes doués de longue mémoire. Le frein le plus insurmontable a
la transmission du savoir est que tout se trouve chaque fois compromis par la
mort, l’acquisition recommence, avec chaque homme, de zéro ; voila pourquoi
effet d’un prolongement de dix ans de la vie humaine dans le secteur de la
vie adulte est, de toutes les piéces du multiplicateur, la plus efficace. Le
XVIII® siécle, qui se trouve au début du processus de l’allongement (un gain de vie
adulte est d’abord allongement, avant d’étre vieillissement), en recueille tous
les avantages, et seulement les avantages. Plus tard, avec la restriction des nais-
sances, qui creuse le pied de la pyramide, viennent les aspects négatifs. II est
difficile de chiffrer l’effet cumulatif de tous ces facteurs. Bout 4 bout, au
XvIII® siécle, ’avantage est énorme.
L’essentiel est di a la transformation et a la multiplication des moyens
consacrés 4 la transmission et a l’acquisition des connaissances. La carte de
alphabétisation commande tout, les chances du progrés scientifique sont en
corrélation, non avec la population totale, mais avec la population ayant libre
accés a la culture écrite, c’est-a-dire, en fait, avec le seuil de l’acquisition auto-
nome, beaucoup plus difficile 4 atteindre que celui de l’alphabétisation. Ce
seuil dépend beaucoup de la nature de l’instruction regue. Au tableau d’hon-
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LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS B77: CAD 95
fonds de propagande de Catherine II. Curteux Leibniz sceptique, qui n’exista
C’est le vieux Diderot, le Diderot glorieux jamais sans doute ailleurs que dans l’esprit
et malade, le Diderot sensible. Toute la du jeune Voltaire. (Paris, Bibl. nationale,
tension dramatique de Vhomme de la Cabinet des estampes.)
correspondance fleuve a travers Il’Europe,
qui prend la reléve de Il’Encyclopédie,
Diderot, surtout, tel que la postérité des 94. NEWTON (1642-1727) POPULARISE.
Lumiéres s'est plu a Pimaginer pour l’au- Le plus grand. Il a dominé le XVIII* et
dela génant de la mort. (Paris, Bibl. encore le XIX¢ siécle. Son systéme du
nationale, Cabinet des estampes.) monde tient jusqu’a Einstein. Quel contraste
entre cette gravure qui donne Il’image
92. JEAN-JACQUES ROUSSEAU (1712-1778). popularisée d’un Newton bonhomme et
Décidément, les héros sont fatigués. La légendaire et le saisissant portrait de
parenté est évidente entre le Diderot de Gottfrey Keller! Keller a saisi le vision-
Binet-Le Beau et ce fean-Facques d’Ingouf. naire, le théologien et le savant de la
Ce Rousseau vieillissant est un trés beau création. Le regard de son Newton est
Rousseau, vibrant de sensibilité. Ces por- toute tension, attention, volonté sans fiévre
traits des vieux sages, des grands pro- de ’homme qui a vu « comme a Teil »
phétes sensibles du second XVIII* stécle la manifestation dans l’ordre du monde
portent témoignage sur le tournant essentiel de la perfection invisible de Dieu. Le regard
de la sensibilité. Ce Rousseau est le grand de ce Newton anonyme et popularisé est
prétre d’un nouveau rationalisme piétiste, remph d’une merveilleuse naiveté. Il y a
Pinventeur du citoyen, le pére de l’affecti- une grande bonté dans ce visage, donc
beaucoup de vérité. Car ce chrétien véri-
vité de la France révolutionnaire. Derriére
table qui croyait et qui savait fut aussi
ce visage torturé et anxieux, on sent monter,
réellement bon qu’intelligent. (Paris, Bibl.
au déclin du siécle, les premiéres atteintes
nationale, Cabinet des estampes.)
du Sturm und Drang. (Paris, Bibl.
nationale, Cabinet des estampes. )
95. LA BIBLIOTHEQUE DE COIMBRE.
93. UN LEIBNIZ INSOLITE (1646-1716). Une trés vieille université, un décor du
Ce Leibniz jeune encore, le front haut, la XVIII siécle, et, pour Tessentiel, des
bouche épaisse, le bas du visage empaté, le livres du XVIII® siécle. Cette masse, du
regard étrange, brillant et peu fier sous la moins, rappelle la grande multiplication
lourde perruque louts-quatorziéme, est un du volume de Vécrit, la révolution de
Leibniz insolite, diffusé a Paris chez Dau- Vhistoire, la mutation de Il’érudition. L’ar-
- mont, rue Saint-Martin. Placer Letbmz chaique université de Coimbre participe,
sous Tinvocation d’un mauvais quatrain au moins par la bande, a la novation
de Voltaire qui finira par le détester — se intellectuelle des Lumiéres. Elle se rattache
rappeler Candide — ne manque pas de sel : un peu mieux au courant mauriste qua
« Il instruisit les Rois, il éclaire les sages, la philosophie mécaniste, elle est plus
Plus sage qu’eux, il sait douter. » facilement fille de Mabillon que de Newton.
229
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
a été favorisée par la création des chaires royales. De toute maniére, on assiste,
au niveau de la direction, a une prise de conscience de l’importance de la culture
scientifique au moment méme ow s’opére I’évolution sémantique que nous
avons retenue. « Les mathématiques doivent s’apprendre dés la jeunesse [...] »,
notait-on avec pertinence. Parmi ce personnel, beaucoup de gens estimables et,
a défaut de chercheurs originaux, toute une série de traducteurs et d’adaptateurs
des travaux de pointe parus en Angleterre. « [...] Le P. Pézenas publia [...] le
Traité des fluxions (1749) et le Traité d’algébre de Maclaurin (1750) [...] en
1767, le Principe de la montre de M. Harrison et le grand Cours d’optique de Smith,
enrichi de notes. Son éléve, le P. Rivoire [...] Michell et Canton (1752) [...]
Brook Taylor (1757). Les PP. Blanchard et Dumas donnaient une édition aug-
mentée des Tables de logarithnies de Gardiner, “ plus belle et plus correcte
que l’original anglais ”, déclare Lalande. » Tout aussi intéressante, l’évolution
des contenus. Pour ne pas rebuter les éléves, les bons péres ont une tendance a
enseigner, dans la ligne de Pluche, une physique plus descriptive et expérimen-
tale que mathématique ; les jeunes nobles ont pu, du moins, dans d’honnétes
embryons de laboratoire, contracter trés jeunes le gout des cabinets de physique.
Dimension nouvelle encore, la place faite 4 histoire de la science. Rien n’est
plus susceptible, en effet, de dégager concrétement la notion envahissante de
progrés, que limpact de la structure d’environnement contribuera a étayer
d’exemples, 4 condition de trouver pour l’accueillir un esprit formé. Grace a
ce type d’enseignement et aux courants littéraires, la condition sera de plus en
plus souvent réalisée. « Il n’est pas de cours, note le R. P. de Dainville, ot on
ne rencontre des exposés précis des conceptions d’Aristote, d’Epicure, de
Descartes, de Gassendi, ou des chimistes sur la matiére des divers systémes du
monde. »
Bien stir, les choses ne vont pas toujours sans tirage. La XV® Congrégation
générale avait rompu des lances pour un retour offensif de l’aristotélisme. Vain
combat d’arriére-garde. Soutenue par le parlement de Toulouse, notamment,
la science nouvelle continue sur son irrésistible lancée. Paradoxalement, le
ralliement cartésien des années 30 et 40 n’est pas pur d’arriére-pensées. II s’agit
pour beaucoup de contrer la vogue naissante du newtonisme. Le P. Castel
suspecte Newton, vers 1720, de ressusciter « les amitiés, les exigences, les appé-
tits, les appétences des philosophes nos aieux, dont Descartes avait débarrassé
la science [...] » (F. de Dainville), contrecoup des craintes formulées au sommet,
quarante ans plus tét, par Malebranche et Leibniz. Une querelle des nations,
mais aussi une opération technique. On assiste 4 de curieux retournements.
Contre Newton, propagé en France par Voltaire et Maupertuis vers 1730 et
224
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
les encyclopédistes au-dela de 1750, les jésuites ont pris appui sur le spiritua-
liste Descartes contre le camp newtonien taxé de matérialisme. La querelle de
attraction universelle avait du moins servi a purger des qualités la physique
des colléges. Le cap est bien doublé entre le premier et le deuxiéme tiers du
XVIIIe siécle, avec un siécle d’avance sur l’Espagne et un demi-siécle sur I’Italie.
C’est au niveau de l’enseignement des mathématiques que fut conduit le grand,
lascétique combat pour V’abstraction. Le tournant, 1a aussi, se place vers 1730-
1740.
Si le travail des jésuites l’emporte par la masse, il n’est pas isolé. La ligne
de l’Oratoire est paralléle. Par affinité, l’Oratoire est cartésien et scientifique.
Les liens se sont serrés au XVIII® siécle : « [...] grace 4 l’élan donné au xvul® siécle
par des savants comme le P. Malebranche, le P. Lamy, le P. Jaquemet, le
P. Prestet, l’Oratoire a pu connaitre une lignée de maitres comme le P. Reyneau,
le P. de Mercastel, le P. Maziéres, dont les éléves [...] ont assuré, jusqu’a la
Révolution, un véritable foyer de culture scientifique. Le P. Cotte, l’un des
créateurs de la météorologie, en est un des derniers témoins, a la veille » de la
Révolution. (Pierre Costabel.) L’Oratoire a compté parmi ses maitres Joseph-
Nicéphore Niepce (1765-1833), futur inventeur de la photographie, parmi ses
éléves, Cassini IV, Laennec, Monge et Bernard Lamy * (1640-1715) qui, entre
autres titres, a été l’auteur de bons manuels de mathématiques longtemps réé-
dités. Le mouvement est général puisque méme les bénédictins, mauristes sur-
tout, comprirent la nécessité de réduire le temps consacré aux langues mortes,
au profit des sciences.
Le point faible de l’enseignement scientifique, en France, découle du vieil
appareil universitaire, totalement incapable de se réformer. Il faut en sauter
Péchelon. Quel contraste avec l’Allemagne de l’Est (voyez Halle), l’Ecosse, et
méme |’Angleterre! Rien, ou presque, entre le collége qui donne les bases et
les nombreuses sociétés, foyers de transmission informelle du nouveau savoir.
232
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
I 800 plantes, il y en a déja 4 000 en 1665. En 1788, l’école compte 6 000 plantes.
Avec Bernard et Antoine de Jussieu *, on herborise de plus en plus en dehors de
Paris. La promotion de la chimie est symbolisée par la désignation de Four-
croy, en 1784. L’anatomie, science auxiliaire et paramédicale, avait fait son
entrée (désir toujours de tourner la Faculté) avec un personnage curieux de
Pentourage de Séguier, ami de mal-pensants, distillateurs et autres personnes
de mauvaise réputation, Marin Cureau de La Chambre, en 1636. Son fils Francois
lui succéde. Aprés lui, Dionis, qui préche Harvey, subit l’assaut du Parlement
et, dans un épilogue digne de Tartuffe, est sauvé par le roi. Aprés Dionis, plus
que des grands : Duverney, Hunauld, Winslow, Petit, Portal.
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LA CIVILISATION DE’ L’EUROPE DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
par créer une école d’ingénieurs qui lui fournit ses propres techniciens. Sans la
formation mathématique recue au collége, les problémes de recrutement, de
toute maniére difficiles, eussent été impossibles. Plus modeste, mais dans le
méme esprit, et dans la foulée physiocratique, voici l’Ecole de boulangerie
(1780), sur des idées lancées par Cadet de Vaux et Parmentier.
Le plus gros consommateur, la pépiniére de la formation, de la diffusion,
du progrés scientifique, fut l’armée. L’enseignement scientifique fait de rapides
progrés dans les écoles militaires et d’artillerie. Les grandes écoles d’artillerie
datent de 1720. L’émulation entre Etats joue son réle. Le modéle francais fuse
et diffuse. Autrichiens, Espagnols, Piémontais emboitent le pas les premiers ;
la balistique est consommatrice de mathématiques. A partir de 1758, le génie se
sépare. Le niveau scientifique s’éléve si vite qu’il faut bientét créer ces écoles
préparatoires et d’accompagnement que sont les écoles militaires élémentaires.
Comme pour les ingénieurs des ponts, nous voyons fonctionner un aspect
particulier du multiplicateur, le processus de remontée. On crée un enseigne-
ment technique supérieur, le niveau scientifique de compréhension s’éléve rapi-
dement qui rend obligatoire un enseignement technique préparatoire, 4 domi-
nante scientifique. On pourrait étendre encore la démonstration a l’enseignement
des gardes de la marine (les officiers du pont), ot l’ordonnance de 1764 établit,
avec le systéme des trois classes, le principe de l’avancement au mérite. Le privi-
lége de la naissance dans le plus aristocratique des corps ne dispense pas des
fourches caudines de la trigonométrie, de l’astronomie et de l’analyse. Il en va
de méme pour I’Ecole royale du génie de Méziéres.
L’Etat et l’intérét souvent désintéressé des particuliers contribuent au
multiplicateur. Voyez la physique expérimentale, non pas celle qui est au point
de départ des malheurs de Candide, mais celle de l’abbé Nollet : elle fut la
coqueluche des honnétes gens. Faut-il dire le « virtuose » a l’anglaise ?Ne soyons
pas trop sévére. Le xvuli® a entrepris la transformation décisive du godt, il a
créé un climat d’opinion qui porte la philosophie naturelle mécaniste en marche
vers la science.
Au départ de tout, court-circuitant la résistance aristotélicienne del’ Univer-
sité, les académies. Coexistence pacifique, en Angleterre, oti l'Université et la
Royal Society « ont bon nombre de membres en commun ». En Italie et en
France, les académies jouent pleinement le réle d’universités suppléantes et
souvent de contre-universités. L’Etat territorial moderne a prété sa caution.
La premiere, |’Académie florentine del Cimento (1657-1667). La Royal Society
suit 4 Londres en 1662 ; l’Académie des sciences, 4 Paris, en 1666.
La philosophie mécaniste est portée, au départ, comme un grand dessein :
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
240
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
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PRIVILEGES DE TREVOUX DES SAVANTS de TREVOUX
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de TREVOUX de TREVOUX
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Divers
Physique
athématiques Orateurs
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Grammaire
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Chirurgie et philologie
Pharmacie —— Dictionnairs ——Sjy——_«
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des SAVANTS de TREVOUX | des SAVANTS de TREVOUX
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
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LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 96 A 107
Lavoisier est incalculable. Esprit d’une de fourrure, William Herschel, le pére de
prodigieuse lucidité (il a débarrassé la Pastronomie au télescope, l’explorateur des
pensée des hypothéses écrans accumulées au limites du systéme solatre et de l’immensité
cours des siécles, a commencer par la des systémes stellaires. Sur ce portrait,
redoutable phlogistique), expérimentateur cest en tant que découvreur des confins
de génie, il crée vraiment une science sur du systéme solaire que Herschel, agé d’une
Phorizon 1770-1780. C'est l’expérimen- cinquantaine d’années, a voulu étre repré-
tateur que David a saisi, avec son appa- senté : il tient en effet une feuille sur laquelle
reillage simple et net, dans un salon aux figurent Uranus, découverte en 1781, et
pilastres néo-classiques, qui tourne le dos deux de ses satellites. En fait, ce choix est
au galetas moyendgeux de la tradition révélateur : Vastronomie aux yeux du
alchimique. C’est surtout le couple public cultivé se confond encore et pour
Lavoisier, dans son ceuvre de savant, est longtemps avec la mécanique du systéme
indissociable d’une épouse, compagne de mé- solaire. (Londres, The Science Museum.)
ditation, d’expérimentation, de recherche;
Péquipe scientifique confondue avec le 103. ANTONY VAN LEEUWENHOEK (1632-
nucleus fondamental de la famille conju- 1723).
gale, voila ce qui est beau, grand, lumineux, Au seuil des Lumiéres, deux grands obser-
prophétique. Marie Paulze a survécu qua- vateurs géniaux de I’infiniment petit :
rante-deux ans a ce sombre 8 mat 1794, ou Leeuwenhoek et Swammerdam (1637-
la bétise et le fanatisme ont marqué un point 1680), deux fils de la Hollande, des
sur Pesprit des Lumiéres. (Coll. privée.) verres de lunette et du merveilleux micros-
cope. Mais le plus grand est Leeuwenhoek.
IOI. CARL VON LINNE (1707-1778). Ce beau portrait de Verkolje date de 1686.
C'est le vieux Linné au sommet de la gloire Né a Delft, d’une famille de négociants,
dont Alexandre Roslin a conservé les Antoine de Leeuwenhoek n’a pas de forma-
traits dans ce beau portrait de 1775. Fils tion supérieure. Il tient ses comptes en
de pasteur, formé a Lund et Upsal, cest marchand de drap et il sait voir. C’est ce
le pére de la systématique (le systéme que nous dit le portrait bonhomme de cet
sexuel) des plantes. Homme du Nord, il étre simple et bon, au visage rond, au gros
publia son ceuvre immense en latin, le nez, aux yeux saillants, écartés et naifs.
latin qui reste en Scandinavie, jusqu’au Des yeux qui voient trés au-dela du visible
début du XIX*, la langue scientifique. Le habituel en direction de l’infiniment petit,
visage est doux, empreint de sérénité et de la vie et de ses mystéres. En 1677, pour
de bonté. La systématique se situe au terme la premiére fois, ces gros yeux avaient vu
d’une longue patience, elle suppose ce et cet esprit robuste correctement interprété
regard lucide, attentif, intelligent. Le un spermatozoide. (Leyde, National Mu-
vétement de velours d’apparat est recherché. seum for the History of Science.)
C’est Phabit de cour de l’académicien. La
simplicité de Linné se plieaVapparat social 104. PIERRE SIMON LAPLACE (1744-1827),
que nécessite la promotion de la science. OU LA PERFECTION GLACEE DE LA NOU-
(Stockholm, Académie des sciences. ) VELLE COSMOLOGIE.
Il n’y a pratiquement pas une branche des
102. WILLIAM HERSCHEL (1738-1822). mathématiques ou Laplace n’ait excellé,
Trés beau portrait de Ff. Russel, qut repré- mais c’est dans son systéme du monde
sente, couvert d’un riche manteau bordé qu’il a vraiment triomphé. La cosmologie
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LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 965% -107
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
peu, parmi les lisants déchiffrant, des lisants capables d’une utilisation diffi-
cile du langage écrit, dans la catégorie des lecteurs 4 haute voix, notamment a
la veillée collective au coin du feu, éclairée par les cosses de haricots, chandelle
du pauvre. Pour cela, il fallait un outil abondant, bon marché. Voyez les cotits.
L’étude, pour l’essentiel, reste a faire.
La presse du XxvI° est en bois, avec quelques revétements métalliques.
D’ou usure, fragilité et résistance par frottement. Les premiéres vis de pression
en métal apparaissent 4 Nuremberg vers 1550. La frisquette (fin xvr®) empéche
les taches sur la feuille : gain de qualité et maniement plus rapide. Mais l’acqui-
sition la plus importante est apparue 4 Amsterdam, chez W. Jansw Blaeu :
« [...] au barreau de pression, il adapta un contrepoids au moyen duquel la
platine était automatiquement relevée, sans que le pressier fit obligé de repous-
ser de la main le barreau de pression. » (Maurice Audin.) La presse hollandaise,
bientét améliorée, peu a peu diffuse du Nord.
Début xviii® siécle, un certain nombre d’améliorations du matériel d’im-
primerie font un instrument simple, de maniement facile, robuste, d’un prix
relativement abordable : les presses de cabinet. Le cabinet dérive du progres
de la culture et du goit de la collection. Bijoux, tableaux, porcelaines, chinoi-
series, herbiers, livres s’accumulent, et au début du xvmiI° les presses de cabinet.
Construites sur le modéle des presses d’imprimerie, elles permettent, sans
connaissances particuliéres de l’imprimerie, d’imprimer catalogues, piéces
ou écrits pour une diffusion restreinte 4 l’intérieur d’un public éclairé. « L’en-
gouement [...] pour ces machines fut grand : nous en trouvons |’écho dans de
petites livraisons mises 4 la disposition des “‘amateurs éclairés ”. Un manuel
bibliographique du xvii? siécle [...] propose une “machine typographique”
pouvant imprimer des “‘livres étendus en vers ou en prose”’, dans un meuble en
forme de secrétaire d’ “ environ 2 pieds 6 pouces quarrés de surface plane” ».
(M. Audin.) Le catalogue parle d’une diffusion de vingt-cing 4 cent machines et
annonce un prix, 6 000 livres. Réalité ou escroquerie? Cette mode marque le
franchissement d’un seuil dans la parfaite maitrise, sans découvertes techniques
révolutionnaires, d’un outil déja ancien. Les machines a imprimer de cabinet
illustrent une loi que nous avons déja formulée. Elle correspond au dévelop-
pement d’un besoin, un siécle et demi avant les premiéres machines 4 écrire.
L’imprimerie semble saisie, au milieu du xviiI° siécle, d’une sorte d’inquié-
tude fébrile, elle a joué sur les marges, tiré le maximum de ses possibilités. La
demande la pousse, elle piétine dans l’attente du moteur et de Pimpression
rotative. « On s’en prend donc, en attendant, 4 des problémes mineurs : faci-
lité du maniement des pages issues de la typographie — possibilité de
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE _ LA CONNAISSANCE
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
pagne antireligieuse conduite au sommet avant 1750 porte ses fruits aprés
1750, dans un secteur moyen. Avec le malthusianisme, l’implacable processus
de déspiritualisation est une spécificité francaise et cause profonde d’échec
relatif. Le reflux est grave : il porte sur les livres de la liturgie et de la dévotion
et ne laisse subsister qu’une apologétique (vérités chrétiennes « philosophi-
quement » démontrées) rationaliste médiocre.
Le secteur majoritaire : « les sciences et les arts », de 330 4 686 et 4 742,
de 25,6 p. 100 a 40 p. 100 ala fin du siécle. Ce « ne sont pas seulement les instru-
ments de la laicisation du monde. Ils apparaissent déja [...] non plus ornement,
ni méme simple savoir, mais moyens spécifiques de l’>homme, atouts de son aven-
ture. » (Furet.) Le livre est un outil, il appartient au multiplicateur, il met ses
forces accrues au service d’une nouvelle éthique du savoir. Un savoir quidécoule,
comme le veut la démarche des Lumieéres, de la raison et des sens.
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tage, technique de la fabrication des roues dentées et des vis, toute une micro-
technologie de pointe dont le périphérique micrométrique bénéficie.
Les progrés sont importants au cours de la décennie 1740-1750 : les deux
mouvements, platine dégagée d’accés facile, accessoires multiples et rationalisés.
Ces progrés sont dus a des constructeurs francais et anglais, et, fait nouveau,
signe de l’importance des besoins de l’information et du volume de 1’économie,
ils sont désormais rapidement diffusés et commercialisés. Deux noms : John
Cuff et, un peu plus tard, le duc de Chaulnes *.
A autre extrémité, méme probléme : le xvi1® a multiplié, rentabilisé, tiré
profit des multiplicateurs sensoriels du xvir® siécle. La fin du xvui® a légué,
en matiére de lunettes et de télescopes, des monstres qu’un siécle d’efforts
parvient, progressivement, 4 domestiquer. L’astronomie du premier xvuIIe
reste une astronomie du proche systéme solaire, une astronomie donc 4 la
lunette. Le télescope (comme le microscope 4 réflexion concu par Descartes)
bute sur le miroir. Pendant la premiére moitié du xvi siécle, on est réduit
donc aux télescopes de Gregory : ces petits objets de salon ne rendirent aucun
service 4 l’astronomie. La découverte du platine dans le Nouveau Monde, qui,
avec le laiton, donne un alliage facile 4 fondre et a polir, permet un pas, mais son
prix est un obstacle. La mise au point pratique se situe en 1786 seulement,
avec Carochez. « Vers le milieu du siécle, les télescopes de Short commencérent
a garnir les observatoires. Short en fabriqua pendant plus de vingt-cinq ans,
de 1732 4 1768. » Le télescope de Short est un Gregory grandi, répondant cette
fois aux besoins de l’observation scientifique.
On pourrait poursuivre. L’exploration de la nature suppose des moyens,
un souci de précision, le refus de l’4-peu-prés. Deux lecons éclairent le jeu du
multiplicateur sensoriel. Un palier a été atteint a la hauteur des années 1680.
Le xviI° n’innove pas, il domestique progressivement la fantastique machine
que le xvir® lui a léguée. Le xviii? est le siécle des équipements périphériques
des multiplicateurs sensoriels du xviI®, rien de fondamentalement nouveau
n’apparait avant le second quart du x1x® siécle. Ce ralentissement est plutét
bénéfique. La science du xvii° ne peut assimiler et traiter suivant les épures de
la philosophie mécaniste toutes les informations fournies par les multiplicateurs
sensoriels. Se rappeler que la quantité d’informations varie suivant le carré du
pouvoir séparateur du microscope. La loi des multiplicateurs sensoriels peut
donc s’écrire ainsi. Quand leur efficacité objective croit suivant une progression
arithmétique, la quantité d’informations procurées avance suivant une raison
géométrique. D’ou le vertige des années 1680 devant le microscope trop habi-
lement manié par Leeuwenhoek. Les difficultés des systemes optiques permettent
255
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
256
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Depuis vingt a trente ans, l’étude de la génération s’était placée sur le plan
rassurant de l’ovisme et de l’épigénése. L’ovisme est aristotélicien. Pour Aris-
tote, tout vient de l’ceuf, la machine formatrice du fcetus et la nourriture néces-
saire 4 son accroissement ; la semence mile n’intervient qu’en communiquant
Je mouvement. Le xvir° siécle, poussé par le principe d’unité et de simplicité,
avait été tenté d’étendre la théorie aux vivipares. Le premier préoccupé par ce
probléme fut Harvey. Harvey, le premier des ovoistes, n’avait pas vu les ovaires
(pour lui, P’ceuf, ovum, est produit par lutérus), pas plus qu’il n’avait vu le
liquide séminal pénétrer dans l’utérus. C’est 4 Nicolas Sténon (1638-1697)
qu’appartient, en 1667, 4 Florence, sur une femelle de chien de mer, la décou-
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA _ CONNAISSANCE
phes, au XvII° siécle, ont vu et figuré des cellules végétales [les plus lisibles] ou
tout au moins leurs membranes cellulosiques. » (Guyénot.) La premiére men-
tion en est faite par Robert Hooke * (1635-1703), en 1667. Examinant au micro-
scope une lamelle de liége, il « lui semble apercevoir des pores ». Intrigué, Hooke
fait une nouvelle préparation plus mince de la méme substance: « Je puis,
dit-il, me rendre compte qu’elle était perforée et poreuse comme un gateau de
miel [...] » « Il compta qu'il y avait soixante de ces cellules [le mot y est] placées,
bout a bout, dans un dix-huitiéme de pouce, ce qui en fait plus d’un million
(1 666 400) dans un pouce carré, c’est-a-dire un nombre 4 peine croyable. »
(Guyénot.) Hooke, dans les mois et les années qui suivent, ne s’arréte pas 1a,
il traque systématiquement et trouve partout dans le monde végétal cette
structure cellulaire entrevue sur le liége. Oui, il y a bien, en biologie aussi, un
merveilleux horizon 1680.
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
vingt fois, mille fois au-dela du pouvoir séparateur des microscopes ; pour
sortir utilement du systéme solaire, il faudrait mieux que la lunette et le téles-
cope de Short, l’outil mathématique lui-méme s’enferme dans une sorte de
perfection formelle, avant l’agression des hérétiques du xix° siécle.
C’est aussi ce qui rend la pensée plus exaltante 4 la fin du xvimI® siécle ; au
sommet du moins, voici enfin le trouble qui avait déserté un instant le siécle de
Voltaire et de M™e du ChAtelet. Bien sfir, l’angoisse des vraies interrogations
intellectuelles risque d’échapper 4 une histoire 4 grands traits. Fran¢ois Furet
note avec raison, au niveau d’une écriture de masse, la récitation des banalités,
l’encyclopédisme vulgaire 4 l’époque des éditions de Panckoucke. Nous n’en
aurons pas fini avec les fils des petits cétés de Voltaire. Toute coupe structurelle
dans le langage d’une époque est géologique. L’horizon qui affleure vers 1730,
au sommet, celui de I’exaltation agressive du nouveau savoir, peut étre recouvert,
déja, d’une mince pellicule en 1780, une coupe en révele la pénétration en
profondeur. L’esprit voltairien affecte plus de monde en 1780 qu’en 1730. Cela
dit, notre interrogation pour l’heure est au sommet. Or, au sommet des pen-
sées, sur le front de la recherche, on voit se constituer peu a peu, de 17604 1780,
les premiéres interrogations, les premiers éléments d’une masse de transforma-
tions qui conduit aux explosions scientifiques du xIx® siécle, 1825-1840...
1880-1910... plus loin encore 1940...
Le « Grand Siécle, c’est le xv1II® que je veux dire [...] » Michelet entendait
marquer ainsi sa préférence pour un siécle qui invente plutét que pour une
période qui illustre. Les perspectives doivent étre inversées. Le xviie et le x1x®
inventent, le xvui¢ illustre, accumule et prépare. Le milieu du siécle est lisse,
les sommets sont sur les bords.
Sur sa lancée du nouveau calcul, la fin du xvu® aboutit 4 une sorte de
classicisme de l’outil mathématique. Dés le milieu du xv°, Diderot, qui n’est
pas orfévre, traduit le sentiment qu’un sommet est atteint, un absolu qu’on ne
pourra plus dépasser. Son panpsychisme latent, qui le fait osciller du déisme a
un athéisme apparent, en restant toujours fidéle au panthéisme, le détourne
des mathématiques. Le xvii, qui a, dans la lignée sans portée des Helvétius,
d’Holbach et La Mettrie, poussé le mécanisme jusqu’a l’absurde, a failli renon-
cer 4 l’axiome méme de son succés, la nature écrite en langage mathématique
du Saggiatore.
Pour deux raisons au moins, la montée des sciences nouvelles : le xv1II® a
eu la passion de la vie ; les sciences de la nature prennent le pas ; l’histoire et
les sciences sociales balbutiantes font une entrée massive. La mécanique céleste,
la mathématique pure ont un siécle. Elles n’en sont plus au stade-des découvertes
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE_ LA CONNAISSANCE
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Paradoxe qui a failli briser le miracle scientifique au milieu du XVIII®, quand bio-
logie, sciences naturelles, physique anecdotico-expérimentale flottent, separees
du regard vigilant de la premiére en dignité de toutes les connaissances stricte-
ment humaines. Au début et 4 la fin des Lumiéres, une comparaison s’impose
entre les deux plus grands esprits du siécle.
Leibniz, le dernier des grands philosophes a systéme, est, plus que Newton,
le coinventeur du nouveau calcul. Newton, le mécanicien du ciel, est, en revan-
che, aussi un peu philosophe, au sens ow nous I’entendons. A l’autre bout, Kant
n’ignore rien de la science de son temps. On lui doit méme la premiére ébauche
de la théorie cosmologique que !’on préte d’ordinaire 4 Laplace, mais on n’ima-
gine pas Kant collaborant avec Laplace et Monge au perfectionnement de la
géométrie descriptive ou 4 la mécanique céleste. La philosophie mécaniste avait
établi un empire mathématique sur la connaissance ; le multiplicateur des
connaissances, la course 4 l’abstraction aboutissent a4une conséquence para-
doxale : la fermeture de la mathématique séparée de l’univers des connaissances
du langage commun, dans un premier cosmos clos de l’abstraction pure. R. Taton
a défini le xvi11® mathématique comme un monde interdit déja a ’amateurisme.
Le cloisonnement mathématique est exemplaire, d’autres suivront. Sur ce point
encore, le processus mathématique précéde et entraine. Le mathématicien est
le polytechnicien avant la lettre d’un monde qui reconnait son empire. Le mathé-
maticien du XVIII est un peu dans la position du théologien du xtmr° et du logi-
cien du xv®. « Euler s’intéresse aussi bien 4 la musique qu’a l’optique et a la
théorie de Newton. » (Taton.) D’Alembert, philosophe publiciste, traite de
musique et de mécanique appliquée. Laplace débouche sur la théorie de la
chaleur. Monge, Legendre, Meusnier et Laplace contresignent, en 1785, le
procés-verbal de la grande expérience de Lavoisier * sur la composition de I’eau,
Dans un premier temps, formalisation, développement, perfectionnement
du nouvel outil : grand feu sur l’analyse infinitésimale. Elle commande, il est
vrai, par-dela histoire des mathématiques, le progrés de toutes les connaissances.
La premitre volée est celle des analystes anglais, depuis C. Hayes (1704),
H. Ditton (1706), J. Hodgson (1736) ; la seconde est celle des Suisses et des
Frangais : Daniel Bernoulli (1700-1782), Euler (1707-1783), Clairaut * (1713-
1765), d’Alembert (1717-1783), suivis par Lagrange (1736-1813), Monge (1746-
1818), Laplace (1749-1827) et Legendre * (1752-1833). Calcul des variations,
approfondissement de la notion générale de fonction, avec Euler surtout,
puis Lagrange. Progrés massif de V’algébre qui occupe désormais la place
d’armes que la géométrie avait tenue dans la citadelle, avec les imaginaires, les
algorithmes illimités, la théorie des nombres. Parce que la bonne société du
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
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DE L’ EUROPE DES LUMIERES
LA CIVILISATION
ELEMEN S
DE LA
PHILOSOPHIE
DE NEUTON,
Mis 4 la portée de tout le monde.
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE _ LA CONNAISSANCE
267
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
étroit n’est pas dans la droite tradition théologique ; c’est une arme d’adver-
saires. Le long siécle des deux réformes de l’Eglise l’ignore. Les cieux de New-
ton chantent, bien plus que ceux d’Aristote, la gloire de Dieu. La théologie du
Deus absconditus est absolument libre d’identifications hAtives ; elle prépare le
repli au for intérieur. Voyez Th. Burnet, ce bon protestant un peu fondamenta-
liste : il publie 4 Londres, en latin, en 1681, sa Théorie sacrée de la Terre. Tout
y est scientifiquement expliqué, pas un iota de la Genése qui ne soit intégré.
La mode est anglaise. Elle rend compte, un siécle et demi a l’avance, du choc
de Darwin. Quinze ans aprés Burnet, Gregory King calcule la croissance de la
population de la Terre, de deux unités 4 500 millions en un peu moins de six
mille ans, chronologie biblique fondamentaliste. Voila pour l’Angleterre, les
apparences sont du cété de Guyénot. Mais passons sur le continent. Voyez la
réaction en France de Bossuet, le plus étroitement vétéro-testamentaire, attentif
a linterprétation littérale pourtant. A propos de Burnet, il juge : «C’es t
un roman
bien écrit, et un livre qu’on peut lire pour s’amuser, mais qu’on ne doit pas
consulter pour s’instruire. » L’obstacle a une histoire de la nature est profond.
Le concordisme n’intervient qu’aprés coup.
Et pourtant, Burnet est un bon témoin, avec le temps de la dimension
historique qui s’insére comme un coin dans l’ordre de la connaissance. Le
XVII¢ siécle qui s’achéve en 1680 avait établi une minéralogie plate, descriptive,
rigoureuse et précise. Avec Robert Hooke (1635-1703) surtout, « qui utilisa le
microscope pour |’étude des petits animaux fossiles » (R. Furon). Sa Micrographia
de 1665 est un chef-d’ceuvre tranquille d’observations minutieuses, judicieuse-
ment rendues. Or, en rapprochant la structure des images fossiles de celle des
plantes et des animaux connus, Hooke peut méme étre classé parmi les
lointains précurseurs inconscients du transformisme. Contemporain des
premiers travaux de Hooke, le monumental Mundus subterraneus (1664) du
R. P. Athanasius Kircher * (1601-1680) allie 4 la masse d’informations tirée de
la longue expérience des mineurs allemands, un peu du romantisme tellurique
de Europe germanique. Voila pour le passé.
Ce stratisme descriptif est révolu. Vient 1680. On passe a une histoire de
la Terre. Elle est, d’entrée de jeu, marquée par la polémique religieuse. Burnet
ouvre naturellement la marche de ceux que Guyénot appelle les diluviens. Les
diluviens sont naturellement fils du Bible Kingdom britannique. Aprés Burnet,
John ‘Woodward * publie en 1702 son Histoire de la Terre et toute une théorie
aussi ingénieuse que fragile de la liquéfaction universelle. Le déluge a totalement
dissous l’écorce terrestre, et la matiére ainsi brassée s’est ensuite déposée en
couches concentriques : « J’ai dit qu’a l’époque du déluge, tandis que les coquilles
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ELARGISSEMENT DU CHAMP DE _ LA CONNAISSANCE
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
pées bien loin dans les Indes » (ot elles sont, donc ot elles ont été... Voyez l’Ecclé-
siaste) ; des Indes, elles seront venues 4 Saint-Chamond sous I influence de
« révolutions prodigieuses et subites ». Comment ? La mer Tes aura arrachées
et transportées jusqu’en Europe pour les « déposer dans les lieux ou Peau n’était
plus qu’une petite quantité et pouvait s’évaporer ». *
Pour ébranler le fixisme, il aura fallu plus qu’un cataclysme, un siécle de
progressive avance de Vhistoricisme, le poids d’une structure sociale, d’un
environnement ou, le progrés ayant fait son ouvrage pratique, la plasticité des
choses, des étres et des structures devient peu 4 peu donnée d’expérience humaine
quotidienne, d’un vécu concret dans le laps d’une vie d’homme, statistiquement
prolongée de dix ans. Pour comprendre le saut logique de Jussieu, il faut remon-
ter au vieux bon sens de la société traditionnelle. Pas besoin de faire intervenir
le concordisme biblique. Ou alors, il faudrait annexer Voltaire aux concordistes
chrétiens. Dans une lettre de 1746, dans l’article « coquille » du Dictionnaire,
Voltaire a décoché maintes fléches a la paléontologie naissante : les poissons
pétrifiés ? des poissons rares, rejetés de la table des Romains parce qu’ils
n’étaient pas frais; les coquilles ? des pélerins de Syrie les ont rapportées,
dans le temps des croisades, etc. Voltaire refuse de voir les fossiles, sa sensibilité
se braque, méme devant les amoncellements des falaises de Touraine. Buffon,
plus tard, tire la conclusion : « Se peut-il que des personnes éclairées et qui se
piquent méme de philosophie, aient encore des idées aussi fausses 4 ce sujet ? »
Nous sommes tous du parti de Buffon. Comprendre pourtant le parti
de Voltaire. La dimension nouvelle de la création, une sorte de démesure
géologique, voila ce qui fait peur 4 Voltaire, 4 beaucoup de chrétiens et a la
majorité des hommes du xvui®. Aprés l’éclatement de l’espace, voici le temps
et son insupportable interrogation. Voltaire accepte bien de rire des six mille
ans de l’exégése fondamentaliste et anthropomorphique de la Genése, mais le
temps qu’il propose, le temps chargé de l’histoire, reste un temps méditerranéen,
a la taille du cosmos clos transposé de la cité grecque au Siécle de Louis XIV.
Voltaire hait la dimension religieuse du temps géologique, « car mille ans sont
4 tes yeux comme le jour d’hier quand il n’est plus » (Ps. 90), comme il hait la
dimension insolite de l’Ethique spinozienne. Peut-étre a-t-il peur pour lascience?
En ce sens, sa légéreté méme est raisonnable. Se garder de tout entreprendre en
méme temps. Voltaire, notez-le, retrouve par ce biais la parenthése cartésienne.
Bien plus, a-t-il peur pour l’option humaniste fondamentale des Lumiéres.
Dieu était au centre, cinquante ans plus tét, A l’époque de la théologie théo-
centrique du Deus absconditus, comme dans la vision augustinienneet pascalienne;
Phomme a pris sa place dans l’humanisme militant des Lumiéres. Cela implique
270
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
une sagesse de la science, nulle démesure n’est plus dangereuse que celle du
temps. Qu’aurait pensé Voltaire du mur des cing milliards d’années de nos
actuelles cosmogonies physico-relativistes et de l’univers de la fuite ?
Le refus de Voltaire de meubler le temps d’une histoire de la Terre indé-
pendante de l’homme traduit une démarche extrémement profonde de l’esprit.
Voltaire n’était pas un sot. Que ’homme qui a diffusé Newton, que l’auteur de
PEssai sur les meeurs ait eu ce haut-le-cceur devant la premiére esquisse de
transformisme, s’explique par l’influence de l’environnement traditionnel et
peut-étre aussi par une conception fixiste de l’espace, qui contamine le temps. Se
rappeler que l’univers de Voltaire, solidaire de l’espace de Leibniz, et encore
de l’espace et du temps de Kant, est un espace unifié, donc anthropomorphisé.
« Tous les conseils de prudence de l’esprit scientifique, note Jacques Merleau-
Ponty se référant a l’espace-temps du xviiI° et du xix® antérelativistes, ne pou-
vaient prévaloir contre des assertions fondamentalement audacieuses comme :
Pespace est partout euclidien, le temps partout uniforme ; une horloge cosmique
bat la seconde pour tout l’univers, une grande équerre marque !’angle droit 4
Péchelle des astres, géométriquement semblable a |’équerre infinitésimale qui
permet de repérer l’incidence du rayon lumineux sur la surface de la molécule :
une sorte de panthéisme de la mesure protégeait secrétement du vertige scep-
tique l’agnosticisme métaphysique du physicien [qui n’est pas encore celui
de Newton, mais qui est celui auquel tend incontestablement Voltaire]. Le
primum movens d’Aristote avait mal supporté la réforme de la dynamique ;
un primum metiens avait pris sa place. » L’espace a l’équerre et le temps uni-
forme exigent, par assimilation psychologique, au-dela de histoire humaine
jalonnée, un temps vide, un temps qui n’a pas le droit d’étre. Ne pas surestimer
les possibilités du xv111° si¢cle moyen. Son principal mérite, savoir garder raison,
savoir marquer donc le pas et les étapes. La vraie victoire du transformisme,
le triomphe pratique du darwinisme, est contemporaine de l’atomisme quantique.
Le xvulé siécle invente simultanément le fixisme qui est dans son génie, tandis
que certains esprits hétérodoxes, de Buffon a Maupertuis, en route vers Lamarck,
réunissent les éléments d’une révolution qui réalise, 4 la fin du xIxé siécle,
Pégalisation, en dignité dans la connaissance, du temps sur l’espace.
La notion d’espace était pour la biologie une conquéte capitale. Carl von
Linné (1707-1778) appartient 4 la Suéde de Ja connaissance. Fils d’un pasteur,
il fit ses études 4 Lund et Upsal, voyagea autour de la Baltique. Linné appartient
a l’Europe qui s’exprime en latin, et nous restons tributaires de sa systéma-
tique végétale. A ce stade, ce qui vaut, c’est Pacuité du regard. Sa méthode,
« basée sur la disposition des organes reproducteurs [...] et appelée fréquem-
291
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
ment systéme sexuel [repose en effet] sur le nombre des étamines, sur leur
soudure, ainsi que sur la sexualité des fleurs » (Adrien Davy de Virville).
Partie des hypothéses de Linné, la systématique se constitue 4 pas de géant.
C’est aussi A cette nécessaire étape intellectuelle que se heurtent les héré-
tiques de l’historicisme naturel. Dans la préhistoire du transformisme, Guyénot
fait un sort 42 De Maillet qui publia 4 Bale en 1749 un ouvrage curieux, plein
des idées les plus fécondes, avancées sans un commencement de preuve, et des
conceptions les plus folles, sous un titre dans le goiit de la mauvaise didactique
des Lumiéres : Telliamed ou Entretiens d’un philosophe indien avec un muission-
naire francais sur la diminution de la mer, la formation de la Terre, Vorigine de
Phomme, etc. La sagesse vient de loin, dans la tradition de l’Orient philosophi-
que. Tous les terrains sont sortis de la mer, a preuve les fossiles que l’on retrouve
jusqu’au sommet des montagnes.
Buffon (1707-1788) est sérieux. Leibniz faisait de la Terre et des planétes
autant d’anciens soleils fluides. Descartes avait eu, dans les météores, l’intui-
tion d’une Terre détachée du Soleil. Buffon admet plus clairement que
« toutes les planétes avaient fait partie d’un méme astre dont le Soleil représente
la partie centrale. La Terre allant en se refroidissant, il se formait un noyau
central encore trés chaud constitué par une matiére vitrifiée, et une écorce
solidifiée [...] » : en embryon, toute la théorie qui culmine au début du xx® siécle
chez Suess. Une ébauche des Ages de la vie, avec les seuls animaux actuels,
Papparition de ’homme en dernier, tout cela est esquissé dans |’Histoire de la
Terre, dés 1744, achevé dans les Epoques de la nature, 1778. Nous voila, dans
Phistoire de la nature, au seuil de ce que Serge Moscovici nomme joliment
« Punivers froid et ’univers chaud ».
L’évolution de Buffon est extrémement intéressante. Ce grand touche-
a-tout appartient presque a un autre Age, on pense aux chimistes hétérodoxes,
aux antimécanistes antiaristotéliciens du xviI®, aux hommes de l’univers chaud
hantés par le froid. Lui aussi a été hanté par la chaleur et le refroidissement de
la Terre, quwil essaie de saisir dans l’expérience puérile des boulets portés au
rouge, une gymnastique prétexte qui a aussi peu de portée scientifique et autant
de valeur psychologique que la langue de boeuf de Montesquieu. Buffon et les
préévolutionnistes échappent 4 la rigueur mécanicienne. Le seigneur de Mont-
bard, l’antimécanicien, avec son regard lourd sur les choses dela vie et du sexe, est
Pintroducteur de la durée dans une philosophie naturelle devenue histoire
naturelle. L’agression gu’il commet blesse, au-dela du concordisme biblique
fondamentaliste qui ne fait pas probléme, toute une structure de la pensée. II
force la parenthése du temps extra-humain. C’est pourquoi, a la limite, Buffon
272
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE_ LA CONNAISSANCE
est dangereux. Introduites trop tét, ses idées auraient risqué de géner l’achéve-
ment de l’édifice du mécanisme qui est pédagogie et propédeutique de la science.
Revenons aux Epoques de la nature et suivons la marche insidieuse du temps.
Le xvui¢ s’acheve. Nous sommes en 1778. La condamnation trés partielle de la
Sorbonne n’a pas géné le maitre de Montbard, nouveau patriarche d’un autre
Ferney. Il n’y aura plus de procés Galilée, seulement I’assassinat de Lavoisier.
La Sorbonne ne représente pas PEglise; en outre, la condamnation vise les
digressions plus que le fond méme. Le fond, c’est l’histoire ; P’histoire qui a
conquis péniblement le social et le politique, l’histoire qui a bousculé la paren-
thése cartésienne et que l’univers mécanique n’est pas encore tout a fait prét
a recevoir, parce qu’elle introduit une quatriéme dimension dans I|’épure, et
que cette complication soudaine risque de tout compromettre.
Buffon, le premier, « ose exprimer une opinion précise sur la durée des
temps géologiques : ° Les couches stratifiées [...] résultent d’une sédimentation
sous les eaux qui s’est prolongée pendant des millénaires et non pas seulement
pendant les quarante jours du déluge. ” Divisant, lui aussi, l’histoire dela Terre
en ses époques, il a l’extréme audace d’en fixer la durée minimum a 75 000 ans. »
(R. Furon.)
Est-ce 1a tant d’audace ? Descartes et Mersenne, cent cinquante ans plus
t6t, jouaient volontiers sur quelques dizaines de millénaires, en plus des six
mille de la chronologie biblique fondamentaliste. Mais, en réalité, ils n’avaient
que faire de ce temps inutile. Le monde d’Aristote, clos dans l’espace, est
temporellement infini (et non pas éternel comme on a coutume de le dire) :
saint Thomas d’Aquin s’en était fort bien accommodé. C’est aussi que le temps,
avant la double remontée historisante, naturelle et humaine du xvuI°® siécle,
est un temps creux, vide, sans conséquence. Le temps de histoire naturelle
de Buffon, comme le temps historique de |’Essaz sur les maeurs, auquel il s’appa-
rente en dépit de tout ce qui sépare les deux hommes, est un temps du xvIII®, un
temps concret, meublé, non pas le temps vide des philosophes. « Aux objections
qui lui sont faites, il répond en créant la méthode de calcul de la durée de sé-
dimentation. [L’application apparait dérisoire et inopérante.] Constatant la
minceur des feuillets des ardoises, il observe qu’une marée ne peut guére déposer
que 1/12 de ligne d’épaisseur de sédiments, ce qui [...] nécessite 14 000 ans pour
le dépét d’une colline argileuse de 1 000 toises [...] » (R. Furon.)
Une machine est mise en place, les mécanistes orthodoxes la craignent
confusément. On pourrait suivre les cheminements tatonnants d’une prégéolo-
gie, d’une prépaléontologie, d’une préhistoire dont les balbutiements, comme
les intuitions de Buffon elles-mémes, appartiennent 4 peine au XVIII® siécle.
273
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
L’espace abstrait de la mécanique céleste est limpide, compatible, par son acte
de baptéme, avec l’esprit des Lumieres; les epaisseurs encombrantes des
temps géologiques sont difficilement réductibles, preromantiques. C’est que
lesprit des Lumiéres est fragile, les Lumieres sont menacces par leur succes.
Le monde allait se clore, géographiquement, au XVIII®; mais le xvIII° a créé une
autre « frontiére », plus dévorante, qui n’a cessé de croitre : la « frontiére » de la
connaissance et de l’information. Le multiplicateur des Lumiéres a eu raison,
définitivement, de l’unité de la culture.
274
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
sensualisme anglais. Voltaire a franchi la Manche, il est 4 cheval sur deux empires.
René Pomeau a pu écrire avec finesse : « Entre les philosophes de Cirey, I’Essai
nait d’une reprise du dialogue de Leibniz avec Locke, poursuivi a travers tout
le siécle. A Vordre de la raison raisonnante, Voltaire oppose la réalité empirique
de Phistoire. Il veut faire comprendre 4 son amie [et 4 son siécle] que ’humanité
n’a d’existence qu’historique ; que métaphysique et mathématique apparaissent
seulement dans les sociétés ot les conditions favorables sont réunies. Il veut
convaincre Emilie qu’il vaut la peine de s’intéresser 4 Phistoire ainsi congue
comme étant celle de l’esprit humain. » L’Essai a mari pendant dix-sept ans ;
d’édition en réédition (1756, 1761, 1769, 1775), Voltaire I’a retouché. La publi-
cation de l’Histoire de Charles XII date de 1731-1732, le Siécle de Louis XIV
s’échelonne de 1739-1740 4 1751, les Remarques sur l’histoire sortent en 1741, les
Nouvelles Considérations sur histoire en 1744. Le Précis du régne de Louis XV
aconnu plusieurs éditions depuis 1751, l’Histotre de la guerre de 1741, 1755-1756,
PHistotre de l’Empire de Russie sous Pierre le Grand sort en 1763. C’est dire
assez la place de V/histoire au sommet de I’effort de toute une vie.
Le temps de Voltaire est un temps proche : Je Siécle de Louis XIV, dont il
a proposé l’exemple aux despotes éclairés, est pour lui, et pour toute l’Europe
des Lumiéres, le point de départ du nouvel age ; son temps historique est celui
des étapes de la civilisation. Sa chronologie est 4 mi-chemin entre la périodisa-
tion traditionnelle, qui est catastrophique, et le temps continu et cyclique de
Kant 4 Hegel. « Quatre 4ges heureux » sont retenus au début du Szécle de
Louis XIV, qui sont « ceux ow les arts ont été perfectionnés, et qui, servant
d’époque 4 la grandeur de l’esprit humain, sont l’exemple de la postérité ».
Siécle « de Philippe et d’Alexandre, et celui des Périclés, des Démosthéne, des
Aristote, des Platon, des Apelle, des Phillis, des Praxitéle [...] second Age [...]
celui de César et d’Auguste [...] Le troisiéme [...] celui qui suivit la prise de Cons-
tantinople, les Médicis, Florence, les Italies [...] Le quatriéme siécle est celui
qu’on nomme le siécle de Louis XIV [...] celui des quatre qui approche le plus
de la perfection. Enrichi des découvertes des trois autres, il a plus fait [...] que
les trois ensemble [...] La saine philosophie n’a été connue que dans ce temps
[il est clair que le siécle de Louis XIV englobe le temps présent] [...] il s’est fait
dans nos arts, dans nos esprits, dans nos mceurs, comme dans notre gouverne-
ment, une révolution générale qui doit servir de marque éternelle 4 la véritable
gloire de notre patrie. Cette heureuse influence [...] s’est étendue en Angleterre,
elle a excité l’émulation dont avait alors besoin cette nation spirituelle et hardie,
elle a porté le goat en Allemagne, les sciences en Russie elle-méme, ranimé
VItalie qui languissait [...] » Tout est 1a, le progrés, le choc en retour de l’envi-
275
4
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
276
IV. LE (CABINET PHYSIQUE) DE MONSIEUR
BONNIER DE LA MOSSON, J. DE LAJOUE.
Ce cabinet de physique rend compte d’une
des manies constructives des grands set-
gneurs et des riches bourgeois de I’Europe
éclairée. Bonnier de la Mosson est un
riche dilettante. Il a accumulé dans ce
cadre baroque toute une fortune d’instru-
ments scientifiques dont il tire plus de
prestige que de connaissances. On reconnait
dans un surprenant bric-a-brac : le dia-
gramme dune fortification, des instruments
d’optique et des lentilles, des récipients en
verre, des bocaux qui contiennent sans
doute de lalun aux multiples vertus. Ce
cabinet de physique des Lumiéres n’a pas
rompu totalement avec l’officine de I’alchi-
miste. Il fait relais avec les magnétiseurs
du temps de Mesmer. Le cadre baroque, la
forét des symboles, un monde ailé d’angelots
et dallégories... disent l’ambiguité d’une
sclence qui ne s'est pas encore totalement
dégagée d’un trés vieux passé. (Coll. Sir
Alfred Beit, Irlande. )
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CON NAISSANCE
277
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
278
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
fin du siécle, avec Du Cange et Richard Simon. Italienne au départ, elle tend a
devenir un attribut de la basse germanité. Leyde, l’Athénes philologique, accueille
les réfugiés de ’Allemagne protestante, Philipp Cliiver (Cluverius), créateur de la
géographie historique, Friedrich Gronow (Gronovius, 1611-1671), numismate
et orientaliste. Plus tard, Hadrien Relandus (1676-1718) y travaille ’hébreu,
le vieux persan, les langues de |’Inde et de la Malaisie. Leyde, proche de la
capitale, de la Compagnie des Indes orientales *, jette un pont entre l’Antiquité
classique et l’Est profond.
La philologie a aussi son horizon 80. La renaissance scientifique allemande,
au lendemain du trou noir démographique de la guerre de Trente Ans, a un axe
philologique. Voyez le réle de Christoph Keller (Cellarius, 1638-1707) dans
la constitution de Halle : professeur et bibliothécaire, il est associé par le Grand
Electeur 4 la création, en 1694, de l’université, que Christian Wolff * (1679-1754)
illustre au xvuI®. Cellarius est 4 peu prés contemporain de Du Cange (1610-
1688). Vers la fin du xvul® donc, la conquéte scientifique du Moyen Age. Cella-
rius publie en 1677 un manuel de basse latinité, Antibarbarus latinus sive de
latinitate mediae et infimae latinitatis ; son Historia medi aevi sort en 1688 ;
elle suit de quelques années le De re diplomatica de Mabillon dédié 4 Colbert.
Les branches diverses des disciplines « hors philosophie mécaniste » se
rapprochent, se pressent et s’entrainent pour une explosion de croissance,
de 1680 4 1730 : elles forment le socle de connaissances sur lequel Montesquieu
et Voltaire appuient les éléments de leurs synthéses.
Nous voyons naitre une linguistique préscientifique, mais déja rationnelle.
Le latin a perdu, en Espagne dés le xvi°, en France au xvir®, en dépit des appa-
rences, en Italie au xvu1I®. Ses derniers bastions, dans les deux premiers tiers du
XvVIII®, sont au nord. II se défend mieux dans les pays germaniques, mais l’alle-
mand balaie le latin 4 partir de 1770. Dans le domaine linguistique comme dans
tous les autres, ’horizon 80 des Lumiéres subit le choc de l’élargissement pla-
nétaire : « Les 72 langues de la Tradition [qui avaient puni Babel] ont fait place
a des estimations qui varient entre 1 500 et 6 000 idiomes. » (Gusdorf.)
Le xvir® a préparé le travail du multiplicateur des Lumieéres. L’étude
méthodique et systématique des langues européennes est champ privilégié
des Allemands, des Hollandais et des Anglais. Roth, missionnaire, s’attaque
au sanscrit en 1664 ; mais le gros morceau, c’est le chinois. A cété d’Athanasius
Kircher (1667) et de Christophe Mentzel (1685), les grands sinologues de la
Compagnie de l’horizon 1680 des Lumieres, les travaux pionniers de Bright au
vie sont des balbutiements de préhistoire. A Leibniz appartiennent les pre-
miéres intentions cohérentes d’une science linguistique comparatiste. « Leibniz
279
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
280
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA CONNAISSANCE
281
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
bourg, la catholicité post-tridentine avait jadis répondu par les Annales Eccle-
siastici de Baronius. La mutation historiographique est liée a une longue réponse
catholique. Le concile de Trente ayant posé la continuité de la Revelation dans
le déroulement temporel, en réponse au primat renforcé de YEcriture, ] érudi-
tion catholique est condamnée a4 histoire tout comme la science protestante a
Vherméneutique scripturaire.
Les bollandistes, d’abord Heribert Rosweyde. Comme il était logique, la
nouvelle dimension historiographique de l'Europe est née sur une fronti¢re
douloureuse, la Flandre déchirée, 4 quelques kilométres des terres réformées,
Anvers, 1607. Donner a la communion des saints une dimension historique.
Voici les Acta Sanctorum. Les deux premiers volumes sortent des presses d’An-
vers en 1643. De 1659 4 1714, la collection bénéficie de la direction de Pape-
broch (Daniel Van Papenbroek, 1629-1714). Pour cette construction exemplaire,
Papenbroek avait entretenu une correspondance avec une société européenne
de histoire érudite : Muratori, Mabillon, Baluze, Du Cange, Le Nain de Tille-
mont, Leibniz, et combien d’autres... « Tous les saints de partout, y compris
les saints orthodoxes, furent cités 4 comparaitre, le but avoué étant de “ désen-
combrer ” l’histoire du christianisme de tous les éléments légendaires qui, peu
4 peu, ont proliféré dans les siécles passés. » (Gusdorf.) Beau programme des
Lumiéres et point de départ de ce catholicisme éclairé qui forme, entre zélanti
et jansénistes, la charpente religieuse de l’Europe catholique au xvitte siécle.
Une seconde étape vise une histoire érudite, critique et savante de l’Eglise.
Y travaillent Jean de Lannoy, Du Cange et Adrien Bailet (1649-1706) qui trouve
grace aupres de l’Encyclopédie. Mais les vrais maitres de la révolution érudite,
que Jansénius et Saint-Cyran avaient entrevue dans leur retraite studieuse
du camp du Prat, ce sont évidemment les bénédictins de Saint-Maur. Ils sont
a la science historique ce que Viéte est a l’algébre, Newton 4 la mécanique céleste
et Lavoisier a la chimie. La réforme bénédictine au xvi¢ part de Lorraine. Toute
la France bénédictine se place, depuis 1618, sous le patronage de saint Maur.
Dom Grégoire Tarrisse, élu supérieur général en 1630, donne la nouvelle im-
pulsion, conseillé par Dom Luc d’Achery (1604-1685) qui rédige les directives
érudites de la nouvelle méthode critique.
La gigantesque machine mauriste construit sur des millions d’heures de
travail le matériau de base des synthéses historiques des siécles futurs. Elle fixe
les regles d’établissement du texte et du fait, suivant un processus rationnel que
Laurent Valla avait apergu et qui constitue aujourd’hui encore la charpente
de la critique historique. Il est difficile de discerner les auteurs de ce géant
collectif. Seuls les plus grands émergent : Jean Mabillon (1632-1707), bien
282
ELARGISSEMENT DU CHAMP DE LA’ CONNAISSANCE
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285
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
286
LA RELATION A _ DIEU
287
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
la Divinité a ses lois. Ceux qui ont dit qu’une “ fatalité aveugle a produit tous
les effets que nous voyons dans le monde ” ont dit une grande absurdité, car
quelle plus grande absurdité qu’une fatalite aveugle qui aurait produit des
étres intelligents?Il y a donc une raison primitive ; et les lois sont les rapports
qui se trouvent entre elle et les différents étres et les rapports de ces divers
étres entre eux. Dieu a du rapport avec l’univers, comme créateur et comme
conservateur : les lois selon lesquelles il a créé sont celles selon lesquelles
il conserve. Il agit selon les régles, parce qu’il les connait ; il connait les régles
parce qu'il les a faites, parce qu’elles sont en rapport avec sa sagesse et sa puls-
sance.
« Ainsi la Création, qui parait étre un acte arbitraire, suppose des régles
aussi invariables que la fatalité des athées. Il serait absurde de dire que le
Créateur, sans ces régles, pourrait régler le monde, puisque le monde ne sub-
sisterait pas sans elles. »
Manifeste des Lumiéres? I] affirme la totale intelligibilité. Le monde et
son principe, Dieu (Dieu ou Nature naturante), sont totalement intelligibles.
L’homme n’en percgoit qu’une part infime. Le mystére subsiste, comme un
momentanément ou un définitivement irréductible, non en raison d’une diffé-
rence de nature, mais de dimension, entre l’intelligence du monde et ce faible
reflet qu’est ’intelligence humaine. « Dieu créa homme 4 son image, il le créa
a Pimage de Dieu » (Genése, I, 27) ; il n’y a pas dans cette perspective différence
de nature, mais de taille. Les lois que nous atteignons sont vraies, comme la
loi de l’attraction de M. Newton, mais elles sont partielles. Cette affirmation
est un acte de foi qui s’apparente au pari de Pascal. La premiére génération de
philosophes mécanistes l’avait formulée 4 peine moins clairement. Sans I’hypo-
thése préalable de l’intelligibilité, entendez de la réduction de la nature aux lois
de esprit, tout effort d’exploration mécaniste du monde est voué a |’échec.
Le Dieu qui se Révéle dans l’Ecriture et a I’Eglise a été le garant d’ordre des
constructeurs de lunivers mécaniste, sur l’horizon 1630. Dans la pensée de
Montesquieu, le garant d’ordre subsiste, mais il n’est plus le méme: « [...] la
création, qui parait un acte arbitraire, suppose des régles aussi invariables que
la fatalité des athées [...] La Divinité a ses lois [...] Il serait absurde de dire que
le Créateur, sans ces régles, pourrait régler le monde [...] » Le garant d’ordre
de Montesquieu est plus proche de la Natura naturans de Spinoza que du Dieu
de PExode, qui se définit 4 la fois par la relation ontologique « Je suis celui qui
Suis [...] », mais surtout par la relation personnelle qu’Il choisit d’établir avec
Phomme : « Je suis le Dieu de ton Pére [...] J’ai vu la souffrance de mon
peuple [...] » Le garant d’ordre de Montesquieu est indifférent, sans doute « im-
288
LA RELATION A_ DIEU
personnel », mais cet aspect est secondaire. L’affirmation centrale des Lumiéres
est celle de la légalité et de l’intelligibilité. Elle n’est pas contradictoire avec le
contenu de la Révélation, qu’elle relégue au for intérieur. Ce qui peut étre un
moyen de lui restituer son contenu et de |’épurer.
Paradoxalement, !’affirmation de totale intelligibilité conduit 4 un agnos-
ticisme pratique, 4 un retrait modeste. Le multiplicateur de la connaissance
révéle a la fois la solidité de l’hypothése et la différence du contenant et du
contenu. La vérité ne peut s’atteindre que partiellement, fragmentairement,
non sur une intuition globale, mais sur une conquéte piéce 4 piéce du domaine
naturel. Du méme coup, dans une deuxiéme phase, la philosophie mécaniste
aboutit 4 un scepticisme quant a la possibilité de lier la totalité de la nature et
de l’entendement dans une explication globale. Le multiplicateur de la con-
naissance, en montrant un moyen efficace d’atteindre une approche partielle de
la réalité, en dégageant la notion de phénoméne, achemine la philosophie natu-
relle mécaniste vers une phénoménologie : il conduit donc au scepticisme face
aux systémes, dont la succession méme indique la vanité ; il tend, vers 1680
et encore vers 1710-1720, a une double attitude. D’une part la griserie du sapere
aude. Rien ne doit résister. Jamais tout ne sera atteint, mais tout peut étre
atteint. Au départ, question de choix... A la limite, question de temps. Mais
toute autre recherche de la vérité est vaine. On ne peut prendre la corde d’un
arc. La méthode de la philosophie mécaniste, qui ordonne les apparences selon
la logique des modeéles mathématiques, est la corde. Les autres chemins éloignent,
ils égarent. D’ow un certain nombre de corollaires plus ou moins nécessaires.
Tout est intelligible, méme la relation a |’étre... Y aura-t-il place pour la
religion? La parenthése s’arréte-t-elle sur la Révélation de Dieu? Dieu a-t-il
droit, avec l’homme, et l’homme avec Dieu, 4 une relation particuliére qui, sans
exclure la loi, déborderait la loi? « Il agit selon les régles [...] parce qu’elles
ont un rapport avec Sa Sagesse et Sa Puissance [...] » Non seulement ce monde,
mais tous les mondes possibles, suivant une réminiscence leibnizienne, nous dit
Montesquieu, ne peuvent se maintenir a |’étre qu’au prix de régles constantes.
Montesquieu interdit 4 Dieu d’établir la relation particuliére que la Bible affirme:
4 Je suis le Dieu de ton Pére [...] je t'ai appelé par ton nom. »
Ce choix est possible, il n’est pas nécessaire. L’ Aufkiarung ne l’a pas fait,
tout en acceptant la légalité. Quand Montesquieu interdit 4 Dieu d’établir une
relation particuliére débordant la relation générale, il s’engage personnelle-
ment au for intérieur. Une Europe des Lumiéres chrétienne témoigne qu’ils sont
des possibles non nécessaires de la philosophie mécaniste. Voyez Leibniz.
Voyez Malebranche, conciliant légalité et particularité, la loi pour lui c’est
289
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Pordre : la loi découle d’une nécessité qui est en Dieu. Et cela dés 1678. Nous
lisons en effet, dans Ja Recherche de la vérité (Robinet) : « Il y a contradiction
que Dieu n’agisse point par les voies les plus simples [...] Dieune peut employer
plus de volonté qu’il n’en faut pour exécuter ses desseins, de sorte que Dieu agit
toujours par les voies les plus simples par rapport a ses desseins. » La légalite,
dans la philosophie mécaniste, a été au départ une projection intuitive décou-
lant d’un besoin d’ordre placé en Dieu, mais qui devient un sujet d’expérience :
elle découle du champ de la connaissance mécaniste constitué comme terrain
épistémologique du savoir. Cette légalité donnée du multiplicateur peut étre
placée comme en dehors et au-dessus du primum movens. C’est la position de
Montesquieu. Et c’est pourquoi son Dieu est si proche de celui de Spinoza.
Il est lié du dehors. Dieu, c’est la légalité froide. Dieu n’est autre que la Nature
naturante, position 4 laquelle Diderot arrive par des voies différentes. Mais la
légalité peut étre incorporée au vouloir de Dieu. Leibniz ici, Malebranche 1a
le prouvent.
Au moment — vers 1730 — ou les premieres difficultés surgissent, le multi-
plicateur de l’environnement vient au secours du multiplicateur des connais-
sances, avec la prise de conscience du progrés dans les choses. La croissance du
domaine de la légalité, les succés remportés entrainent en pratique des réduc-
tions par compensation. Le temps est valorisé. L’espérance s’y reporte, elle
devient espoir ; voila la réduction eschatologique des Lumiéres. La tentation
existe d’un transfert. L’expérience allemande et, 4 moindre titre, anglaise,
montre qu’elle n’est pas fatale.
Les Lumiéres, en fait, appellent de nouveaux équilibres 4 partir des
nouveaux acquis. La réinsertion dépend dela tradition théologique. Elle différe
beaucoup d’une province a l’autre. La ov elle s’appuie sur une puissante cons-
truction scolastique (l’Europe catholique), le rééquilibre est plus difficile. En
compromettant les bases philosophiques de la construction théologique, les
Lumiéres semblent mettre en cause le contenu de la Révélation. Avec des
constructions théologiques plus indépendantes du support philosophique, l’?Eu-
rope protestante soutient mieux le choc, en apparence et au départ. Le tassement
religieux au for intérieur s’y fait plus facilement, sans drame. D’ou I’élan des
grandes mystiques du Nord, a partir de 1770-1780.
290
LA RELATION A_ DIEU
d’un échec. Kant, soixante ans aprés Leibniz, tire un trait sur une longue his-
toire de la pensée. Aprés lui, il n’y aura plus d’ontologie. L’ontologie échappe a
Yhomme. Elle est activité vaine. Du méme coup, le rationalisme criticiste fonde
en raison la légitimité du for intérieur, de la relation particuliére 4 Dieu, la
possibilité, sinon la nécessité d’une Révélation. Dans la conception kantienne,
il y a place pour une activité religieuse, le rationalisme total et modeste de Kant
laisse tout son champ 4 un christianisme refusant ce qui n’est pas l’essentiel : le
rapport 4 Dieu, dans l’ordre du salut. Le rationalisme kantien tolére, mieux il
appelle, une conception piétiste de la religion.
Mais Kant vient au terme d’un drame : la rupture du discours philoso-
phique, en philosophie naturelle et en philosophie de l’entendement. Cette
scission est latente depuis le xvir¢ siécle. La connaissance de la nature, depuis le
succés mécaniste, cesse d’étre philosophique au sens courant : elle fait place a
une philosophie mécaniste qui glisse de l’étre aux apparences. La philosophie
naturelle ne peut plus prétendre a une explication globale : elle ne peut progresser
qwhistoriquement. L’Essai sur les meurs le dit, sans cesse la connaissance a
besoin de la dimension historique. Elle est un Auman progress. « Les progrés de
Pesprit humain sont si lents, il a fallu chez nos nations modernes des dix ou
douze siécles pour s’instruire un peu de la géométrie [...]» (Remarques sur
Phistoire.) Du temps pour un peu de géométrie. Voltaire découvre une durée
que !’on ne soupconnait pas; le multiplicateur mauriste de ’historiographie
la restitue, non pas d’une maniére abstraite mais toute jalonnée concréte-
ment de réalité historique, pour arriver au vrai savoir, qui est un peu de géo-
métrie. La grande systématique tirée de l’enchainement des idées claires doit
faire place 4 la construction, pas 4 pas, de la science mécaniste. Méme quand
la philosophie mécaniste de la nature mute avec la prodigieuse intuition, la
géniale induction de Newton, il faut un siécle de vérifications et le voyage de
Laponie au Pérou, viseurs 4 l’ceil et attirail de trigonométrie au dos, pour
mesurer. La philosophie naturelle 4 l’époque des Lumiéres se sépare de la phi-
losophie; elle se résout en une science qui ne s’écrit plus, a partir des effets
accumulés du multiplicateur sur Phorizon 1770, qu’au pluriel.
Les Lumiéres, de méme, font raison de ceux qui ne représentent qu’une
caricature des pensées du xvul® siécle. Ainsi le matérialisme vulgaire n’est
qu’une excroissance sans portée. Ni Helvétius, ni d’Holbach, ni La Mettrie :
le premier publie De l’esprit (Amsterdam, Paris, 1758) ; Pintarissable baron
d’Holbach (Paul Henri Dietrich) son Systéme de la nature ou des lois du monde
physique et du monde moral (Londres, 1770, 2 vol.), toute la litanie vulgaire des
pamphlets antireligieux; le gros La Mettrie, qui mourut d’apoplexie, médecin
291 296—>
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS ToS Aas
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LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS HOSS a eacrs
churchman, trés attaché donc a la suc- tion du prétre dont l’auréole souligne la
cession apostolique, aux signes particuliers sainteté, humilité de la reine qui prend
du sacerdoce, Wesley se présente dans le son tour, tandis que le vieil homme infirme,
strict vétement ecclésiastique de I’Eglise en priére, attend de l’autre cété. (Turin,
d’ Angleterre. Dans la main gauche, un Galleria Sabauda. )
livre : la taille incite a écarter ’hypothése
d’une bible, sans doute le Prayer Book. II2. ASCETIQUE ET BAROQUE. LE REFEC-
De la main droite, Wesley bénit sous un TOIRE DES FRERES.
ciel o& ombres et lumiéres se heurtent, Ce grand, ce spectaculaire Réfectoire des
comme dans le déroulement historique du Fréres se place entre 1730 et 1740, dans
Salut. Sur le visage au grand front la derniére partie de la vie de Magnasco
éclairé, a la chevelure abondante et sage, (1667-1749). Alessandro Magnasco, dit
quelque chose qui rappelle l’iconographie Lessandrino, le « petit Alexandre », est
traditionnelle du Christ. Le fond est le maitre, dans la premiére moitié du
romantique, il évoque les grandes cam- XVITII* siécle, de V’école genevoise. Ce
pagnes d’évangélisation du Réveil dans le réfectoire hyperbaroque est presque intem-
pays de Galles. Cette belle composition porel. Baroque par le mouvement effréné
rassemble quelques-uns des fruits du wes- — voyez la gymnastique le long des murs —,
leyisme : fidélité a T’Eglise, lumiére d’en par Peffet de perspective (le tableau ou le
haut, primauté de la Parole, de la relation paysage du fond contribue a donner de
verticale mise au service des hommes. la profondeur), par Vlallongement des
Quelques modalités passagéres de l’essentiel visages et des corps : deux moines du pre-
éternel et immuable au siécle des Lumiéres mier plan, sur les marches, ont quelque
et au seuil du préromantisme. (Londres, chose qui fait penser au Greco. Dans
National Portrait Gallery.) Pordre des droits du fantastique, ce
Magnasco insolite jette un pont entre le
III. LA CONFESSION DE LA REINE DE Callot des Caprices et le vrat Goya. Dans
BOHEME. le luxe ostentatoire et inconfortable de ce
Extraordinaire Crespi, ce saint Jean Népo- réfectoire, des moines nombreux, jeunes,
mucene cher a la piété de la Contre- tourmentés, prennent un repas assez sobre
Réforme, ce saint Jean Népomuceéne confes- dans le désordre et le bruit. Ostentation,
sant la reine de Bohéme est un des chefs- agitation... force et sincérité quand méme,
d’ceuvre de la peinture religieuse 1talienne marquent les traits pactfiques d’une vivante
au début du XVIII: siécle. Giuseppe Maria Itahe catholique, a l’époque des Lumieéres.
Crespi (1665-1747) dit Lo Spagnuolo (Bassano, Musée civique.)
appartient a la grande tradition bolo-
gnaise. Son cuvre religieuse exalte le 113. LES CONVULSIONNAIRES.
pouvoir médiateur de l’Eglise, V’ex opera Aux antipodes théologiques du catholi-
operato rappelé par la formule inscrite cisme méditerranéen, et pourtant dans un
au fronton du confessionnal : « Quorum climat psychologique assez proche de la
remiseritis peccata remittentur eis, » Ce sensibilité baroque, cette scéne, souvent re-
pouvoir, l’Eglise exerce dans la confession. prise par la gravure du temps. Autour
Confessional classique (le meuble se géné- de la tombe du diacre janséniste a Paris,
ralise au XVI¢ siécle). On a retiré le voile de nombreuses manifestations individuelles
de la porte centrale pour montrer Jean et collectives, qu’il est commode et pour-
Népomucéne. Remarquez l’extréme atten- tant simpliste de liquider d’un jugement
293
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS TOSt oA Ses
294
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS DOcw tA e113
mais il suffit d’un fait divers pour que les lectives des divers fondamentalismes et,
barrages se dressent et que s’esquisse un sans doute, premiéres manifestations du
phénoméne classique de rejet. Difficile com- Réveil (la gravure est tardive, 1762)
bat des Lumiéres. (Paris, Bibl. nationale. ) sont volontairement confondues, suivant le
procédé classique de Tlamalgame. Sans
II7. HOGARTH POURFEND FANATISME ET oublier la luxure des prétres, voyez le
SUPERSTITION. premier plan a droite. Est-ce bien la fin
Hogarth a eu le génie de la gravure. La des sorciers? (Paris, Bibl. nationale,
gravure au XVIII* stécle a été une arme Cabinet des estampes.)
efficace de diffusion au niveau des anal-
phabétes, des faiblement alphabétisés, des 118. L’ASSOMPTION DE ROHR.
« déchiffreurs et des signeurs du niveau I», Et pourtant, le catholicisme baroque est
et des autres; cette piéce dénonce, avec une grande réalité authentique. Une dé-
une verve incroyable et un mouvement bauche de moyens humains, mis au service
étonnant, dans le prolongement d’une double dune religion résolument tournée vers la
tradition concordante (celle de la Réforme relation verticale et l’au-dela. L’abbatiale
humaniste, calvino-zwinglienne et celle des de Rohr, dont l’intérieur est richement
Lumieéres), toutes les manifestations d’irra- décoré, est due aux fréres Asam (1686-
tionalisme infra et parareligieux : papisme 1739 et 1692-1750). Cette Assomption
tel que la Law Church l’imagine, catho- du maitre-autel est une étonnante réussite,
licisme baroque tel que l’Angleterre éclairée une surprenante virtuosité technique. Elle
Pinvente, diableries persistantes dans lOuest allie ’étonnement de la terre (en bas) et
profond, au Nord, en Ecosse et en Irlande, la triomphale et verticale montée de la
au pays de Galles; manifestations col- Vierge vers le ciel (en haut).
295
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
goisse des Lumiéres. C’est 1a, 4 ce niveau central de l’activité humaine, que le
XVIII siécle a besoin de certitude.
Il fallait bien partir de l’effet du multiplicateur sur ce qui est quand méme
pensée des Lumiéres. La démarche est abstraite. Alors, venons-en aux étres et
aux ceuvres. Recourons aux classiques de l’érudition littéraire :Mornet, Hazard.
Les Origines intellectuelles de la Révolution francaise restent un livre utile. Mornet
a eu Pintuition d’une histoire littéraire quantitative, construite sur la répétition
des thémes et faisant large place, 4 cété des grands, aux muinores. Il partait —
quoique assurément persuadé du contraire — d’une caricature : « L’idéal catho-
lique et absolutiste ». Méme grossiére, une caricature retient toujours un frag-
ment de réalité. « [...] L’homme a été créé par Dieu pour obéir 4 Dieu. » Mornet
ignore le Pur Amour. « La volonté de Dieu lui est transmise par des intermé-
diaires qu’il ne doit pas discuter, auxquels il n’a pas le droit de résister [...]
L’homme ne doit donc avoir qu’une pensée : gagner la vie éternelle [...] » (Gagner
la grace !) Mais cet ordre souléve les résistances de l’intelligence et de I’instinct.
D’ow la mise en cause de la parenthése cartésienne, c’est-a-dire du partage
accepté entre un domaine de la connaissance empirique et rationnelle, d’une
part, et celui de la Révélation. Crise de conscience européenne, écrit Paul
Hazard, choc sur horizon 80, dirons-nous, du « multiplicateur » mécaniste et
historique de la connaissance. Avec Paul Hazard (1935) une dimension nouvelle
pour histoire : la psychologie collective. En vingt-cing ans, quels « grands
changements psychologiques », quels contrastes, quels brusques passages : « De la
stabilité au mouvement... De l’ancien au moderne... Du Midi au Nord... Hétéro-
doxie... Pierre Bayle. » Soit, en raccourci, entre 1680 et 1715, tout le jeu subtil,
par avance, des pensées du xvill® siécle. En téte de l’attaque contre les croyances
traditionnelles, les rationaux, une vieille famille, la queue, nous le savons désor-
mais, du vieil averroisme. Car le christianisme a toujours été rejeté. Seulement
les vieux rationaux de tous les temps, qui sont aussi les fréres et les fils des
Libertins érudits de René Pintard, trouvent, entre 1670 et 1680, de nouveaux
alliés et des raisons supplémentaires de douter contre le large consensus social
qui pousse encore, pour peu de temps, a l’acceptation du pacte de chrétienté.
Van Dale, Bekker et «la négation [disons l’incompréhension] du miracle, Richard
Simon et ’exégése, Bossuet et ses combats, Leibniz et la faillite de union des
Fglises »; face a cette négation, Hazard apercoit, déja, les deux voies du
XVIII siécle : l’empirisme de Locke, le déisme et la religion naturelle, ledroit na-
turel, la morale sociale, le bonheur sur la terre, Ja réduction eschatologique sensi-
ble, en Angleterre d’abord et, plus durablement, en France, la science et le pro-
297
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
pres. Et puis, déja, en réserve, les valeurs imaginatives et sensibles qui, cultivées
au nord, reviendront en masse pour triompher partout, quand le sensible Jean-
Jacques commence a supplanter le roi Voltaire. Voici, avec Hazard, le pitto-
resque de la vie, le rire et les larmes, l’instinct, Pinquiétude et le sentiment, puis
ces ferveurs qui, de M™e Guyon au piétisme allemand, en passant par les car-
mélites de Compiégne, prouvent que le Saint-Esprit continue 4 rassembler de
jour en jour ses élus dans I’attente de la parousie, sous Voltaire comme sous
Néron.
1680-1715, la répétition générale. 1715 : le xviII® siécle s’ouvre, aprés une
période de tension, 1690 en Angleterre, 1713-1715 en France, sur l’ére de
la critique universelle. Télémaque travesti, l’Iiade bafouée, les Persans de
Montesquieu, le Chinois de Goldsmith, Swift et Gulliver, en 1726. « Asmodée
s’était libéré [...] il entrait dans les églises pour s’enquérir du credo des fidéles [...]
il ne s’exprimait plus avec la lourdeur [...] avec la cruauté triste de Pierre Bayle,
il gambadait, il folatrait, démon rieur. » (P. Hazard.) Mais Swift a Phumour
triste qui convient 4 la grande manie du gin.
En méme temps, sous l’effet de la réduction eschatologique et du multi-
plicateur de l’environnement, le bonheur. L’appel de Pope, « Oh Happiness !
Our Being’s End and Aim! Good. Pleasure. Ease. Content! Wate’er thy Name! »,
a été entendu, Mauzi le prouve pour la France. Et Jefferson le fixe, pour tou-
jours, dans le texte de la Déclaration d’indépendance. Les chrétiens eux-mémes
se résignent et l’apologétique recourt au bonheur. « Dans ce mélange, on faisait
entrer la santé. » Le gain de santé et l’allongement de la vie sont sensibles a la
upper middle class 4 partir des premiéres années du xvuiI°, « non plus une priére
pour le bon usage des maladies, mais des précautions pour que la maladie ne
vint point [...] ». De bonnes recettes prosaiques, en téte celle du marquis d’Ar-
gens, ce pédagogue en platitude qui fait fortune : plus de trente volumes et les
romans. « Les Lettres juives ont eu au moins 10 éditions, les Lettres cabalistiques 7,
la Philosophie du bon sens 13, les Lettres chinoises 8, sans compter une édition
générale des ceuvres en 23 volumes (1768). »
Plus encore que le bonheur, la raison est signe de ralliement. Une raison
qui renonce a l’ontologie et se met, du méme coup, a l’abri du doute. « Le
pyrrhonisme, éternel ennemi, venait d’une ambition démesurée [...] Grace
a une modération qui est sagesse, le pyrrhonisme est vaincu. » Kant, en 1784,
a lancé la meilleure formule : sapere aude. L’ Aufkldrung, c’est Yexigence et
Pautonomie affirmées de la pensée rationnelle, mais le rationalisme allemand
est rarement allé au-dela d’un protestantisme trés libéral. Le maitre A penser
de l’Allemagne, dans l’interrégne de Leibniz 4 Kant, Christian Wolff, est le
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LA RELATION A_ DIEU
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LA RELATION A _ DIEU
Le cogito est une tautologie, la pensée coupée des sens une orgueilleuse
entreprise qui conduit au repliement et 4 la folie. « Vaine est la distinction
entre le monde spirituel et le monde matériel [...] Rien n’existe proprement
que des personnes », des moi pensants, plus simplement « des choses cons-
cientes ». L’immatérialisme de Berkeley s’enracine dans sa théorie de la vision.
Nous ne voyons pas les distances, nous les interprétons. Pris au pied de la
lettre, Berkeley eft été dangereux, puisqu’il ébranlait la philosophie mécaniste
et la valeur normative des mathématiques ; son immatérialisme, du moins,
fait un pas décisif sur la voie nécessaire de la phénoménologisation de la con-
naissance.
Etienne Bonnot de Condillac (1715-1780) : une famille parlementaire,
une entrée discrete dans les ordres, une longue hésitation... Condillac, 4 la
fin de sa vie, était peut-étre chrétien. L’Essai sur l’origine des connaissances
humaines est de 1746. Il n’y a point d’idée qui ne soit acquise et ne vienne,
soit immédiatement des sens, soit de l’expérience. Aucune proposition mentale
ne saurait se passer de signe. On lui doit, peut-étre, la redécouverte de l’impor-
tance du langage comme outil de la pensée et médiateur de la connaissance.
Le Traité des systémes (1749) fait un sort 4 Vhistoire. Une théorie sensua-
liste de la connaissance, li¢e 4 une valorisation du langage et insérée dans le
processus historique du développement de la connaissance. L’ceuvre culmine
dans le Traité des sensations de 1754. La fameuse hypothése de la statue, arti-
fice pédagogique qui a frappé la postérité, est da 4 M'¢ Ferrand. Condillac
modernise et radicalise Locke. Au sensualisme de Locke, Condillac ajoute
la notion d’une éducation progressive des sens. Nous apprenons a voir, a goiter,
4 sentir, 4 toucher...
Le Traité des sensations est un livre écrit sur commande dans un contexte
ou il faut replacer Berkeley et les premiéres opérations de la cataracte. Prouver
expérimentalement la réalité du sensualisme est une grande pensée du xVIII® sié-
cle. L’aveugle de naissance, habitué 4 une appréhension purement tactile
du monde extérieur, reconnaitrait-il le cube placé devant ses yeux tout a coup
ouverts? « Il ne le pourrait pas, répondait Molyneux, il ne le pourrait pas,
répondait Locke, il ne le pourrait pas, répondait Berkeley. » (Hazard.) Or,
voici que le chirurgien Cheseldon opére, pour la premiere fois, un aveugle de
naissance par cataracte, en 1728. On se passionne, on multiplie les expériences,
Diderot s’enflamme (Lettre sur les aveugles 4 usage de ceux qui voient, 1749).
Le sensualisme allait triompher. La technique de Cheseldon donnait raison
4 Locke contre les innéistes, mais il donnait raison plus encore a Philonous,
entendez 4 Berkeley, l’auteur d’un « systéme qui, 4 la honte de l’esprit humain
a°7
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
308
V. L’ABBAYE D’OTTOBEUREN.
L’abbatiale d’Ottobeuren est TPaeuvre de
Johann Michaél Fischer (1691 environ-
1766). Commencée en 1736 — sa cons-
truction se poursuit sur trente ans jusqua
la mort de Fischer — , elle sera suivie de
Zwiefalten (1738-1765) et de Rott-am-
Inn (1759-1763). Comme toutes les
églises de 7. M. Fischer, Ottobeuren est
concue sur un plan longitudinal avec des
éléments centraux et une coupole sur la
croisée. A 660 m d’altitude, elle couronne
un ensemble de constructions conventuelles
qui furent commencées en 1710 sous la
direction du pére abbé Rupert Ness de
Wangen. L’église a deux tours de 87 m,
la nef mesure 90 m de long et le transept
sétend sur 60 m. Le toit a coupoles appelle
une décoration picturale. Elle ouvre les
avenues de? Eglise triomphante. Le baroque
d’Ottobeuren s’accommode du partage laic
et du repli au for intérieur. Il souvre sur
une religion de la Relation verticale qui
est la religion de lessentiel, et plaide pour
la Verité.
LA RELATION A_ DIEU
309
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Kant a cherché dans son Traité de 1793 une forme de christianisme réduit
a Pessentiel, susceptible d’une démonstration rationnelle qui correspond a une
aspiration profonde du xvmr°. En fait, Desaguliers, au début du xvii’, et le
premier groupe des macons anglais, persuadés de la fin des religions révélées,
s’étaient lancés dans une entreprise analogue. Cette tentative, Kant ne I’entre-
prend pas pour lui-méme. Le piétisme allemand lui suffit. Sa religion purement
rationnelle est une pure alternative. Tentative vouée a l’échec, mais révélatrice
d'un besoin que le xvmre légue, insatisfait, au xrxe. Les religions révélées sont
en crise, mais Desaguliers et Voltaire en ont prédit trop vite la fin. Ce que le
XVIII® siecle découvre a partir de 1760, c’est, un peu, la densité et ’autonomie
310
LA RELATION A_ DIEU
du fait religieux : Voltaire était prét 4 concéder la nécessité sociale d’une reli-
gion pour le peuple; Rousseau distingue la religion de ’homme (le théisme)
et la religion de la cité (Du contrat social).
« Reste donc la religion de ’homme ou le christianisme, non pas celui
d’aujourd’hui, mais celui de l’Evangile, qui est tout a fait différent [...] » Rous-
Seal ne réussit pas a sortir totalement des contradictions qu’il a posées et qui
correspondent a une aspiration profonde. Le modéle de Rousseau est un modéle
de Europe protestante. Si Kant, philosophe de l’entendement, est dans la
ligne de Locke, Berkeley, Hume, Condillac et Leibniz, il est, dans sa construc-
tion religieuse, dans la ligne de Rousseau. Le modéle est un modéle du Nord.
Un christianisme national (religion protestante établie par la loi), avec sa hié-
rarchie, son organisation, ses fétes, qui enseigne la morale, assez souple pour
ne géner personne (la Church of England mieux que |’Evangelische Kirche), qui
conserve l’essentiel de « la religion de ’homme, ou le christianisme [...] de
PEvangile », et, pour I’élite, le théisme, peut-étre le Credo du vicaire savoyard,
avec les possibilités ouvertes par la franc-maconnerie mystique, les communau-
tés piétistes ou bien la ight within et Vactivisme pratique du méthodisme
wesleyien.
Alignement sur le Nord. Surestimant la force du jansénisme presbytérien
de la fin du xvuir®, les Constituants ont révé d’un catholicisme gallican qui serait
Eglise multitudiniste et populaire établie par la loi. Des Etats généraux trans-
formés en Assemblée nationale ne peuvent refaire d’un coup lhistoire sanglante
d’un xvI° siécle gonflé de forces et de violence.
L’histoire religieuse obéit 4 un rythme qui lui est propre, certes en liaison
constante avec Vhistoire intellectuelle et Phistoire affective, mais pourtant
autonome. Le xvIi° et le xviI® correspondent a une phase longue de richesse et
de bouillonnement. Les eaux du Nord sont montées les premiéres, la retombée
se produit plus tét. Dés 1650 ici, dés 1660 1a. L’Europe méditerranéenne, qui
est aussi l’Europe catholique, reflue un peu plus tard. Mais, sur horizon 1680,
la piété bat en retraite, le creux se dessine, le xviII® siécle se place normalement
en retrait. Premier point. Le second point, un rythme trés largement séculaire
ne saurait masquer de profondes différences régionales et sociales. Régionales,
suivant un axe est-ouest. Le retrait des eaux est plus sensible dans l’Europe
catholique et plus particuliérement en France. Mais le creux francais est aussi
relatif. Les eaux sont exceptionnellement basses dans la France du xvitI°
en raison aussi du sommet atteint au XvII®.
Notre appréciation du reflux, au xviI®, est liée a Pobservation d une
couche étroite. Elle affecte, en France et en Angleterre, une élite qui oscille
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LA RELATION A_ DIEU
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
physique mécaniste. Elle ne génait pas le pieux Newton qui discernait dans la
lecture quotidienne de la Bible la Parole de Dieu attestée par Esprit, de la
gangue humaine évolutive. L’affaire Galilée est vite dépassée. Un probleme
nouveau se pose avec l’intrusion de la dimension historique. Une étude critique
de la Bible laisse apparaitre une juxtaposition de récits, parfois divergents,
du moins complémentaires, formés 4 des époques différentes. Le miracle de
attestation est d’autant plus grand qu’il s’appuie sur une inspiration diffuse
et progressivement mirie au cours de l’histoire, cette longue pédagogie de
Dieu. Le comprendre implique une réinvention comparable a la formulation
dogmatique des IVv® et v® siécles, a la scolastique thomiste au x11I®. La crise de
Pherméneutique, a la fin du xvui°, c’est Paffaire Richard Simon.
L’idée de lhistoricité apparait au milieu du xvire dans les ceuvres de Gro-
tius et de Louis Cappelle. Cappelle et Grotius écrivent en latin et leurs idées sont
débattues sans émoi entre spécialistes.
Le Léviathan de Hobbes (1588-1679), paru en anglais en 1651, est plus
troublant parce qu’en anglais. Hobbes, cavalier anglican, absolutiste et anti-
romain, se heurte a l’absolutisme biblique des partisans du Commonwealth.
La religion étant une affaire d’Etat, ’interprétation de la Bible doit étre, en
dernier ressort, une affaire d’Etat. « La Parole de Dieu doit étre autant que
possible identifiée avec les commandements de la raison et de la justice (dictates
of reason and equity) » (d’aprés G. Gusdorf), dont il est dit également dans
PEcriture quwils « sont inscrits dans le coeur de ’homme ». Hobbes a, en face
de la Bible, une attitude qui annonce celle de Locke, mais plus nettement de
Lessing (1729-1781), forme accomplie du mysticisme rationaliste allemand
des Lumiéres. La lumiére intérieure identifiée avec la raison invite 4 un choix
rationnel dans le contenu du message biblique. La position de Hobbes, 4 la
limite, aboutit 4 vider la Bible du message divin ; dans la pratique du Léviathan,
Hobbes s’arréte 4 des positions de bon-sens au départ d’une saine critique. Le
Pentateuque ne peut étre entiérement de Moise. Hobbes, partisan de la philo-
sophie mécaniste, hésite devant le miracle. Il n’est peut-étre pas loin de la théo-
logie du miracle, signe privilégié. Hobbes est, avec Isaac La Peyrére, l’inventeur
des préadamites. La Peyrére, un siécle avant Jean Astruc (1684-1766), flaire
que le Pentateuque est issu de la juxtaposition de récits différents et accolés.
Spinoza, a cété de cela, se distingue moins par sa science philologique et histo-
rique des textes bibliques que par son refus d’accepter la Révélation particuliére.
Spinoza ne peut admettre d’autre révélation qu’universelle et rationnelle, donc
son herméneutique découle d’un présupposé différent du présupposé judéo-
chrétien, mais de nature analogue. Le maniement, par Spinoza, d’une hermé-
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LA RELATION A_ DIEU
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Est-ce 4 dire que tout est rompu avec le mystére? C’est précisément au
moment ov la civilisation coupe les ponts avec le vieux fond magique et parfois
satanique des champs, que 1’on voit, venant du Nord, d’étonnantes résurgences
qui rappellent que rien ne s’achéve totalement.
Swedenborg* (1688-1772) propose a la Suéde, lassée d’une Eglise luthé-
rienne touchée par le rationalisme de I’Aufklarung, les moyens de communiquer
avec le monde invisible. Swedenborg, dont l’influence est grande en Allemagne,
se situe dans les rangs du piétisme qui suscite dans toute l’Allemagne une
obsession du démon. Congu par Spener, a la fin du xvi1®, comme un mouvement
de foi typiquement allemand, sans formulations, organisations ni barriéres, le
piétisme, fondamentalement un Réveil, s’éparpille dans les nuances les plus
surprenantes ; il englobe mystiques et réveillés, catholiques aberrants, quakers,
aventuriers. Avec Francke *, il est a Halle. Il pénétre dans le Sud ; dans le Wiir-
temberg, le comte de Zinzendorf (1700-1760) le transplante parmiles persécutés
moraves. Avec Hamann™ (1730-1788), il polémique contre Kant et prend de
plus en plus, vers la fin du siécle, des formes paramystiques et théosophiques.
316
LA RELATION A_ DIEU
Sule,
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
PE RE. LOR
DE LA PENSEE
SiecRe lene VoL EEE
SUR LES CHOSES
Te. pensée des Lumiéres est née, nous avons dit comment, 4 |’intersection
de deux structures. Elle est issue de la révolution mécaniste. Son dévelop-
pement est accéléré et infléchi par le jeu des multiplicateurs. Le multipli-
cateur de la vie humaine, vers 1730, vient relayer le multiplicateur de la connais-
sance, qui entre en action plus tét, 4 partir de 1680. Dans la mesure ow elle se
résigne volontiers a la diminutio capitis d’une radicale réduction eschatologique,
ou elle combine rationalisme pratique et empirisme de la précision, la pensée
des Lumiéres a tout naturellement prise sur les choses et sur la vie. On a évoqué
avec raison le pragmatisme des Lumiéres. La philosophie mécaniste est née
d’une assimilation générale de la structure de l’univers aux architectures arti-
ficielles de l’art de l’ingénieur. Comment, en retour, ne servirait-elle pas cet
art de lingénieur de toute la maitrise acquise, de l’assurance et de l’exaltation
gagnées dans les concordances de la mécanique céleste ?La philosophie méca-
niste est une invitation 4 inventer des machines. Entre la représentation du
monde et l’outil, un dialogue s’instaure qui profite 4 l’outil. L’ingénieur a pour
lui cette habileté du savant mécaniste qui forge et perfectionne, chaque jour,
pour rien, un instrument apte, indifféremment, a la représentation et a l’action.
L’Europe des Lumiéres est armée pour un réaménagement de I’espace et du
milieu. L’>homme s’est poussé au centre. Et pas seulement l’homme, mais le
corps ; pas seulement le corps, mais les sens ; pas seulement les sens, mais le
plaisir.
Le retour de la pensée sur les choses constitue 4 lui seul beaucoup plus que
la matiére d’un livre. Honnétement, il en faudrait trois. Retour de la pensée sur
Péconomie. Et, au coeur, l’énorme question des conditions préalables 4 l’explo-
oat
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
milliers de quarters
PRODUCTION BRUTE
(en quarters) a
CONSOMMATION
INTERIEURE
POPULATION
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ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
Pour comprendre la portée de ce doublement séculaire sans précédent
et sans €quivalent, tenir compte du fait qu’ la fin du xvule A peine plus du
tiers de la population active est occupée dans le secteur agricole. L’Angleterre
d’alors se nourrit, avec une densité, vers 1780, de 50 hab./km®. Pour la premiére
fois, un homme nourrit trois hommes au travail, un homme travaillant la terre
parvient a fournir la nourriture 4 douze ou quinze de ses semblables! Mais le
grain n’est qu’un aspect du probléme, les progrés de I’élevage sont plus rapides
encore et plus significatifs. La production de la viande de mouton et de la laine
s’est accrue plus vite que la production des grains, la production de la viande
de beeuf plus lentement. Pour la laine, par exemple, owt les choses sont relati-
vement mieux cernées, la croissance s’inscrit dans le rapport 40 millions de
livres en 1695, 57 en 1741 et 94 millions en 1805. Etonnante Angleterre! Un
mur a été franchi. A partir de 1a, la croissance soutenue, l’explosion démogra-
phique, donc la seule vraie richesse, celle de la multiplication des Ames, des
consciences, des intelligences, et le progrés sont possibles. Comment le miracle
s’est-il produit?
Beaucoup mieux méme que novation au sens strict, tout semble d’abord
probléme de diffusion, de transmission. Voyez les raves. Leur utilisation a été
inspirée aux agronomes et aux grands propriétaires anglais par l’exemple
flamand. Mais il a fallu un siécle et demi environ de féconds tatonnements :
« Ni Googe (1571), ni Richard Weston (aprés 1645), qui préconisaient leur
culture dans les champs, leur association avec le tréfle et les fourrages artifi-
ciels, n’avaient eu le moindre succés. Ce n’est que longtemps aprés eux qu’on
les a considérés comme des initiateurs. » (D. Faucher.) Arthur Young™* s’est
amusé a dire que Richard Weston « avait été un plus grand bienfaiteur que New-
ton ». La grande révolution, si on en retient lidée, doit étre cherchée au niveau
de la prairie artificielle, ce fournisseur d’azote au sol et de nourriture des ani-
maux, ce double producteur donc de protéines. La nouvelle technique a che-
miné lentement, dans |’Angleterre du xv® siécle, sans parvenir a s’imposer,
puis, dans un systeme irréversible d’entrainement, elle explose au xviII°.
Si Angleterre est le moteur de l’Europe agricole des Lumiéres, le Norfolk
en est le modéle, Arthur Young I’a assez dit. En 1794, le Norfolk exportait
plus de blé que tout le reste de l’Angleterre. Au milieu du xvi° siécle, le conti-
nent, aprés l’Angleterre, découvre le Norfolk. La premiére description enthou-
du pays de Malthus, est le graphique anti- Europe et dans ses prolongements outre-mer,
Malthus par excellence. Les subsistances aug- beaucoup plus vite que le nombre des hommes
mentent au méme rythme que la population et éduqués. Ce graphique illustre par la méme occa~
la richesse s’accrott depuis le XVIIIé siecle, en sion le grand miracle de Pagriculture al’anglaise.
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LA CIVILISATION DE L’> EUROPE DES LUMIERES
328
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
at
|
Y
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2, RS
On reconnait les trots soles, legs de la grande quement anglais : grands champs géométriques
novation du Moyen Age, en Angleterre, a soigneusement enclos, admirables laboratoires
Barton, comme sur le continent. Barton reste de la novation agricole qui permet de multiplier
4 ouverte » jusqu’a la fin du XVIII®¢ siécle. Au des hommes robustes et instrutts, condition de la
paysage traditionnel succéde un paysage typi- révolution des moyens et des pensées.
329
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
330
ECONOMIE, DEPART DE LA _ CROISSANCE
ses idées dans un livre paru 4 Londres en 1731 (rééd. 1733, 1751) : The horse-
hoeing husbandry or an essay on the principles of tillage and vegetation wherein is
shown a method introducing a sort of vineyard culture into the corn fields, in order
to increase their product and diminish the common expense by the use of instruments
described in cuts. Ce Locke de l’agronomie allait rencontrer son Coste en la
personne du plus grand agronome du continent, Duhamel du Monceau, qui
contribua a son succés européen en publiant son grand traité avec un titre qui
est un hommage : Traité de la culture des terres suivant les principes de M. Tull,
Anglais, Paris, 1750-1756, 6 vol. (nombreuses rééd.). « Né en 1680 [? d’autres
sources donnent 1674], c’est en 1699 que, selon Marshall, il commenga ses
expériences d’agriculture. Comme les jeunes gens distingués, ses contempo-
rains, il fit “le grand tour” et étudia la culture et les différentes productions
du sol des pays qu'il visita. » (A. J. Bourde.) Son regard est méditerranéen,
ce qui explique son succés en France et sur le continent. Il connait bien I’Italie,
il a vécu trois ans en Languedoc autour de 1709, tragique expérience. Cet
Anglais a été frappé par l’arboriculture vinicole ; il cherche a introduire « a sort
of vineyard culture into the corn fields ». Townshend était un pur expérimental,
Tull cherche, a l’aide de la philosophie mécaniste, 4 comprendre « l’anatomie
et la physiologie des racines et des feuilles et [...] leur fagon de se nourrir ». I
insiste sur l’importance du blé et des plantes nouvelles, raves, navets, sainfoin,
luzerne. I] écarte le fumier, dont il ne comprend pas le réle, tout pour lui dépend
de l’eau que les plantes vont chercher dans le sol, donc la clef de la nouvelle
agriculture réside dans les labours profonds et répétés. Conséquence logique
d’une science qui est celle, malheureusement incomplete, des meilleurs travaux
de botanique et de physiologie végétale, a la fin du xvir® siécle, des Grew,
Bradley, Woodward. II] vise et obtient une occupation permanente du sol et
préconise la mécanisation maximale des travaux, contemporain passionné des
toutes premiéres machines qui commencent 4 s’insérer dans le procés de la
production industrielle de son temps en Angleterre. Deux éléments ont manqué
4 Tull, une biologie physico-chimique des jplantes et du sol, le machinisme
poussé des xIX® et xx® siécles.
La véritable solution réside dans l’association en dépassement des méthodes
faussement opposées du Norfolk et de Tull, entendez l’association de l’empi-
risme et de la science, de ’induction et de la déduction, de l’assolement et de
la machine. La véritable solution est en avant, au xIx® siécle, mais tous les
éléments sont rassemblés dans l’Angleterre du xvuir® siécle. Elle a réussi beau-
coup plus que le doublement de la production, le doublement a surface égale
et A main-d’ceuvre égale, donc le premier doublement séculaire de la produc-
331
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
332
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
(A. J. Bourde). Etudes au collége d’Harcourt, intérét pour les sciences de la
nature, célibat qui donne liberté d’esprit, une étroite collaboration avec son
frére, Alexandre Duhamel de Denainvilliers, célibataire comme lui, et avec tous
les savants de son temps. « L’ambition de Duhamel [dit Condorcet, fut de]
se rendre l’interpréte des sciences auprés du peuple. »(A. J. Bourde.) Sous sa
plume, un mot obsession : humanité. « Il est hors de doute que Duhamel,
qui d’ailleurs fut conservateur en matiére sociale et politique, eut toujours a
ceeur de promouvoir les individus les plus actifs, les plus travailleurs, les plus
intelligents des ouvriers, des artisans et des artistes. C’est ce que Condorcet
déclare expressément quand il décrit son activité dans les établissements arti-
sanaux qu’il contribua a fonder. » II entra a l’Académie des sciences en 1728.
Ses travaux (plus de cent volumes) furent traduits dans toutes les langues;
il était membre correspondant de presque toutes les sociétés savantes d’Europe.
On songera un instant a lui a la téte du Jardin du roi, en 1739. Buffon lui fut
préféré, hésitation honorable. En compensation, Maurepas le nomme inspecteur
général de la Marine. Parmi les découvertes nombreuses d’une vie consacrée a la
recherche, une, d’apparence modeste, est capitale : elle a trait 4 la conservation
des grains. On voit, dés 1734 et 1748, apparaitre ses premiéres notes sur l’étude
de la ventilation. Ce savant modeste et utile plaide bien la cause du pragma-
tisme des Lumiéres. Maillon essentiel dans la transmission du progrés technique.
Plus qu’un probléme purement scientifique, voire méme technique, la
lente préparation de la révolution clef, la révolution agricole est affaire de
diffusion, de décloisonnement. Entre l’apparition des innovations agricoles
du vii? siécle et la diffusion au xmII°, il a fallu quatre siécles. Un si¢cle seulement,
au XVIII°, entre les premiéres expériences sérieuses et leur diffusion. Ce rythme
de l’entrainement est la conséquence heureuse du multiplicateur des Lumiéres.
La mutation industrielle est 4 bien plus forte raison encore la conséquence
du multiplicateur. De son intelligence dépend, en partie, une saine apprécia-
tion des politiques 4 appliquer de notre temps aux problémes du rattrapage et
de la croissance harmonisée. Tout se joue en Angleterre et rayonne, de 1a,
sur le continent. Le tableau construit par Deane et Cole (voir page 334),
condensé d’années d’efforts, de milliers d’épuisants calculs, plaide en faveur de
la précocité statistique de l’Angleterre. she
Rien de comparable dans le passé. L’Angleterre de la seconde moitié du
xviue siécle appartient déja au futur. A partir de 1780 surtout, les chiffres
désignent le take off sans phrase. Presque doublement de la population, peu-
plement des frontiéres lointaines, et pourtant une multiplication du produit
par 2,5 et du revenu par téte par 1,6. Tous les temoignages sont concordants
333
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
Industrie d’exportation
Industrie (marché intérieur)
Industrie et Commerce 37. LA CROISSANCE
Agriculture
Routes et Services
DE L’7ECONOMIE ANGLAISE
Etat et Défense (D’apres les chiffres
Produit national brut 4 de Ph. Deane et W. A. Cole, op. cit.)
Produit par téte
Deux séries totalisatrices illustrent le take off
de la fin du siécle : de 1700 a 1800, passage du
produit national brut et du produit par téte
des indices 100 @ 25I et 100 & 160. Famais rien
de comparable avant et ailleurs. Se rappeler
que rien n’eitt été possible sans la sage montéa
de l’agriculture de 100 @ 143. Mais on voit
sans peine les vrais secteurs entrainants : in-
dustrie et commerce, moins le marché intérieur
— qui monte au rythme a peine de la popula-
tion — que le marché extérieur dont témoignent
les industries d’exportation (de 100 a@ 544).
Chaotique au rythme de la guerre (le grand
conflit franco-anglais et la domination des
océans et des nouveaux marchés), le secteur
Etat-défense. Il est évident, pourtant, que les
besoins accrus des Etats territoriaux en conflit
ont été un facteur entrainant de progrés tech-
1700 1720 1740 1760 1780 1800
nologique et de transformation économique.
334
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
vie insolite, quinze ans de mieux que le continent 4 la fin du xvi®, si Colyton
parle bien au nom de |’Angleterre. La démographie confirme ce que les longs
cheminements des économistes nous ont appris. L’écart continue de se creuser,
F. Crouzet l’a bien montré, au cours du xvii° siécle, entre |’Angleterre et les
secteurs favorisés du continent, principalement la France. En un mot, a la
révolution industrielle du xvim® siécle nous avons substitué une vision plus
GAINS
JOURNALIERS
en 1770
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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© moins de Io navires
336
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
complexe. Une trés lente progression relative de 1550 4 1780 place l’Angleterre
a 15 Ou 20 p. 100 au-dessus des secteurs les plus avancés du continent ; la vraie
révolution explose de 1780 4 1830.
®
337
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
On a retenu les principaux secteurs (agricul- 1740-1750. Les toiles montent allégrement,
ture exclue) des exportations. L’orientation le coton décolle. Entre les deux : le cuivre tra-
a la hausse est générale. Face a l’exportation, vaillé, le fer et Vacier, la houille qui fait volant.
les économies de branche anglaise se répartissent En 1790 encore, les lainages continuent a l’em-
entre deux péles : les vieilles activités presque porter sur le coton dans la balance des expor-
a Vhorizontale (la laine, la soie, l’étain) ; les tations. Au coton pourtant Il’avenir, comme
nouvelles activités qui décrochent a partir de Vorientation du graphique le montre bien.
25 000
10 000 NORVEGE,
yey & DANEMARK a 7
gamit de | FZ EO e ww
vres tournois
a atbe 3 HOLLANDE
-3 BRETAGNE
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ETATS-UNIS ALLEMAGNE,
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hanséatiques
ALLEMAGNE, FLANDRE
see SUISSE, Genéve
ANTILLES Milan, Toscane, Lucques
EMPIRE OTTOMAN
@
PORTUGAL \
LEVANT
Etats dew’Eglise
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Etats sard Sicile
YG
H@@E «Exportations totales
SENEGAL.GUINEE BARBARIE Wii, -Exportations industrielles
339 343
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS LIQGAnsa34
II9. RAPPORTS SOCIAUX EN HOLLANDE. sur le continent, del’ agriculture al anglaise.
Jan Yosef Horemans le Jeune (171 4- Clef de toute novation, la rupture avec
apres 1790) nous fait pénétrer dans le Popenfield, dans l’enclos. Deux types de
riche intérieur d’un manoir néerlandais. cléture sont présentés ici : en haut, la haie
Voyez le tableau au fond, la hauteur du vive, en bas, l’enclos en carreaux de terre.
plafond, la qualité des vitres, la richesse (Paris, Bibl. nationale.)
et la finesse de la tapisserie ; mats le mobilier
est réduit, dans un espace intérieur amé- 122. INTERIEUR DE FONDERIE, DEFRANCE.
nagé avec une pointe d’archaisme et une La technologie du fer n’a pas muté partout
sévérité toute nordique. La distance sociale au méme rythme. Ici, un procédé ancien,
est soulignée par la composition. Le fermier encore en usage a la fin du XVIII* :
se tient, le chapeau a la main, dans une les lentilles de métal en fusion sont sorties
attitude respectueuse, mais tout, dans le du four a Vextrémité de longues tiges et de
vétement et dans les traits du visage, dénote ringards. Les ouvriers du fer sont protégés
une aisance, modeste certes, et une grande par d’énormes tabliers de cuir. Mais, fait
dignité. Horemans plaide pour Vinsensible nouveau, ce travail pénible, qui s’effectue
transformation des rapports sociaux dans dans des locaux sales, a éveillé la curiosité
TPEurope de l’Ouest. (New York, The des gens du monde : a gauche, deux visiteurs
Metropolitan Museum.) de marque. (Bruxelles, Musées royaux
des Beaux-Arts.)
120. MARNAGE ET AMENDEMENTS.
Le XVIII siécle a vu se multiplier les 123. LE FER SUEDOIS.
efforts pour modifier l’agriculture et amé- Il est paré au XVIII de tous les prestiges.
horer les rendements. Au fond d’un puits Voici Pintérieur relativement net d’une
profond d’une vingtaine de meétres, dans fonderie suédoise. Le martelage se fait
la région de Liége, un homme travaille a la main et en cadence. L’appareillage
dangereusement. Des femmes manient le de manutention et de levage est considé-
treuil et répartissent la marne dans les rable. Méme si, au point de vue de la
champs voisins. Noter la représentation mutation technique, la meétallurgie sué-
assez maladroite des couches : tellurisme, doise (au bois et en partant de minerais
surréalisme, réminiscence de balbutiements riches) est en retard sur les secteurs de
anciens. Le marnage s’inscrit dans un pointe de la métallurgie anglaise (voyez
ensemble de progrés techniques, mais son la métallurgie du coke a Coalbrookdale
utilisation excessive et pas toujours judi-_ dans le Shropshire), elle reste, jusqu’au
cieuse meut pas que des conséquences début des années 1780, la premiere du
heureuses. (Paris, Bibl. nationale, Cabinet monde en qualité et quantité. Tout bascule
des estampes.) au milieu du siécle avec le rattrapage
anglais. Ce tableau de Pehr Hillestrém
I2I. AGRICULTURE A L’ANGLAISE. (1781) se situe au moment du deéclin,
Ces gravures sont extraites de Dupuy- déja, du fer suédois. (Stockholm, National-
Demportes : le Gentihomme cultivateur museum. )
tiré de langlais et de tous les auteurs
qui ont le mieux écrit sur cet art, paru 124. COALBROOKDALE.
a Paris en quatre volumes de 1761 4 1769. Dans le Shropshire, Pentreprise pilote de
Le titre est clair. Dupuy-Demportes ap- la nouvelle métallurgie au coke et, du
partient a la longue cohorte des diffuseurs, méme coup, une des toutes premiéres pro-
340
lQUuree: 10°
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132
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133
HYDRAULIQUI , LIVRE Iv
ARCHITECTURE
341
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS L19fAa 154
342
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
Pobservation, a la volonté d’obtenir un mieux modeste, précis, concret, 4 une
certaine aisance, a l’intérét des capitaux pour cette nouvelle frontiére. Progrés
scientifique a l’Epoque de la philosophie mécaniste et progrés technique parti-
cipent peut-étre 4 un méme climat mental collectif, mais le progrés technique,
jusqu’en 1830, ne doit pratiquement rien 4 la science, la science doit plus a la
technique que la technique a la science. Daumas le pense, qui met en cause une
accélération du processus traditionnel. Voyez l’industrie textile : « Si l’on re-
prend l’histoire des inventions auxquelles elle doit sa mécanisation, on voit qu’il
s'est écoulé, parfois, un siécle et demi entre les premiers tatonnements pour la
réalisation des machines et l’utilisation industrielle de celles-ci. »
Le textile. Tout vient de la. L’histoire en a été écrite par Mantoux en 1906.
Le point de départ remonte aux derniéres années du xvi° siécle, 4 ce métier a
tricoter des bas (stocking-frame) inventé par un gradué de |’université de Cam-
bridge, William Lee, en 1598. Le xvui¢ siécle n’en a rien fait, il a cherché assez
vainement dans le domaine de la soie. Ce qui manque, ce sont les structures
capitalistes et le climat mental créé par la lente descente sociale de la philoso-
phie mécaniste. Tout se joue, on s’en souvient, autour du coton. L’intérét
lainier veille, il obtient du Parlement l’interdiction des indiennes. De ce fait
découle tout un ensemble de réponses, dont laine et coton bénéficient tous deux.
La mise en branle du processus qui aboutit a la masse critique de transformation:
1733, John Kay™*, la navette volante (fly-shuttle). L’invention « qui doit étre
regardée comme l’origine de toutes les autres est un simple perfectionnement
de l’ancien métier a4 tisser » (P. Mantoux). Comment faire des piéces plus
larges ? Le gain de productivité était considérable mais il n’était pas recherché.
Désormais on manque de fil. Voila entamé le processus de la rupture d’équi-
libre motrice. John Wyatt et Lewis Paul s’attaquent au probléme du fil. Un
brevet, notez-le, est enregistré le 24 juin 1738. La solution c’est la spinning-
jenny de Hargreaves *, une petite machine facile a faire et qui correspond bien
au stade intermédiaire du processus de concentration, l’étape du marchand
manufacturier qui conserve les vieilles structures du systtme domestique,
tout en réalisant un minimum de concentration au niveau de la répartition de
la matiére premiére, de l’achat et de la construction des machines, et de la
vente du produit fini. La jenny est de 1765, le water-frame d’Arkwright de 1767.
Or c’est Arkwright qui a frappé l’esprit des contemporains, peut-étre parce
qu’il a fait fortune mais surtout parce que sa grosse machine, technologiquement
moins réussie que celle de Hargreaves, annonce le dernier stade de la concen-
tration, le systéme manufacturier. A partir de 1a, tout est possible : de 17754
1785 le rythme s’affole, la révolution technique dans le textile est commencée.
344
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
musculaire, animal, bois, roues hydrauliques, force éolienne, moulins et voiles,
on constate non sans surprise qu’au milieu du xvii1® siécle, chaque habitant
possede déja, en Europe, en moyenne, vingt-cing fois plus d’énergie que son
appareil musculaire n’est susceptible de lui en procurer. L’Européen dispose
déja d’un moteur cinq fois plus puissant que le Chinois — l’homme des autres
civilisations — et dix fois supérieur 4 celui des hommes des cultures. Mais ce
moteur est insuffisant. Surtout, il entre en concurrence avec la vie humaine.
Moteur musculaire animal et bois (4 85-90 p. 100) disputent le sol 4 la
nourriture de homme. En cela, le recours au charbon de terre est capital.
Liége et Newcastle, grace 4 la mer qui résout le probléme de transport :
« 30 000 tonnes annuelles en 1503-1564, 500 000 tonnes en 1658-1659. » Depuis
1700, en dehors de l’énergie calorifique, l’énergie fossile donne, grace a la
machine a feu atmosphérique de Newcomen, avec une déperdition extraordinaire
et des rendements infimes (1 p. 100), un tout petit appoint d’énergie noble,
mécanique. « La production [de Newcastle] vers 1800 est sans doute au voisi-
nage de 2 millions. » La production anglaise atteint alors 11 millions de tonnes.
Depuis 1780, la vraie mutation du moteur est en train de s’opérer dans le
laboratoire anglais.
Mais avant d’arriver 4 Watt, la mutation du moteur porte d’abord sur
l’amélioration des outils traditionnels, 20 millions de chevaux imputables a des
sources musculaires et végétales directement empruntées aux cycles de l’oxy-
gene et de l’azote, un moteur biologique concurrent et dangereux. L’appoint
de la houille apporte un premier et modeste desserrement. En face, roues hy-
drauliques et moulins 4 vent esquissent, depuis des siécles, la percée technolo-
gique. Le probléme capital est celui du matériau. Le moulin 4 vent, jusqu’au
milieu du xvuIe siécle, a une transmission intégralement en bois : une amélio-
ration sensible se produit vers 1750 ; elle est due a l’introduction du métal.
« John Smeaton fut peut-étre le premier a faire employer la fonte pour consolider
et renforcer les charpentes classiques de bois. » (M. Daumas et B. Gille.) Le
métal réduit les frottements : le rendement d’un moulin, au milieu du xvulI®,
avec engrenage en bois, ne dépassait pas 39 p. I00 ; Edmund Lee, encoreun
Anglais, « introduit le gouvernail » qui permet @’utiliser toujours au maximum
la force du vent. La diffusion du gouvernail fut freinée, toutefois, par la
difficulté A réaliser industriellement un mécanisme métallique robuste et
bon marché. wo ;
Le moteur hydraulique est beaucoup plus important. C’est lui quia procure
énergie nécessaire, lors de sa premiére phase, aux manufactures anglaises.
Jusqu’en 1830 en Angleterre, 1860 en France, le moteur hydraulique reste en
345
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
téte. Les machines a feu atmosphériques sont méme, dans certains cas, curieu-
sement associées comme régulateurs et comme appoints : « lorsque la hauteur
de chute était insuffisante, on employa des machines Newcomen 4 relever l’eau
du niveau inférieur au niveau supérieur du coursier ». Dans ces conditions,
’amélioration de la coupe des pales et de la transmission est capitale. Un léger
gain de productivité étant multiplié par l’ampleur de l’implantation. Mariotte,
Newton et surtout Daniel Bernoulli, en 1727, s’intéressérent au probléme des
pales. La principale amélioration n’est pas due aux travaux théoriques des
savants, mais aux tatonnements systématiques, 4 des expériences sur modéles
réduits : John Smeaton, 4 nouveau, en 1762 et 1763, et Borda, pour la France,
en 1767. C’est 4 Smeaton, en Angleterre — parmi beaucoup d’améliorateurs restés
anonymes —, que 1’on doit la montée réguliére des rendements des moteurs hy-
drauliques entre 1750 et 1780 ; elle permet et elle commande, tout ensemble, le
passage du «marchand manufacturier » au factory system. En Allemagne, au milieu
du siécle, avec la collaboration d’un savant cette fois, le grand Euler, apparaissent
les turbines 4 eau, dont le progrés est géné par des difficultés concrétes de
résistance des matériaux. L’amélioration du moulin a vent et de la roue hydrau-
lique libére 4 court terme beaucoup plus d’énergie. La percée technologique se
situe, toutefois, au niveau de la machine 4 vapeur. Cette réalité anglaise avait
frappé Marx et Engels.
Il a fallu pour cela un siécle de tatonnements et l’obstination d’hommes
au génie de réalisateurs, au premier chef Newcomen — aprés Worcester,
Denis Papin et Savery ; c’est 4 son nom que la premiére étape est liée. Il naquit
a Darmouth, dans le Devon, en 1663 et mourut 4 Londres en 1729. Bien stir,
il eut connaissance du brevet de Savery déposé en 1698 ; sans doute a-t-il été
en relation avec Robert Hooke, le secrétaire de la Royal Society. Méme 4a ce
stade, la science, disons plus simplement la philosophie mécaniste, n’est pas
totalement 4 lécart. Mais Newcomen est presque 4 I00 p. 100 un manuel —
un manuel qui sait lire, qui a appris 4 compter, un acculturé de l’alphabétisation
systématique de l’Europe protestante. Quand il commence, avec succés, ses
premicres manipulations en 1703, il exerce la profession de « quincaillier et
marchand d’outils, ou mieux, de forgeron, dans sa ville natale ». Le principe est
simple : la force extensive de la vapeur est communiquée a un piston vertical.
« Le refroidissement de la vapeur et sa condensation laissaient a la pression
atmosphérique s’exercant par l’ouverture supérieure du tube la charge de
repousser le piston vers le bas. » On ne cesse, au cours de trois quarts de siécle,
d’améliorer la premiére Newcomen (fermeture automatique des robinets qui
remplace l’enfant préposé a ce travail, etc.), mais le principe reste le méme et
346
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
le rendement trés faible, de ordre de 1 p. 100. Watt, c’est quand méme un peu
autre chose. James Watt (1736-1819) est un empiriste, presque un manuel (il
€tait préparateur d’appareils scientifiques 4 l’université de Glasgow), qui a été
élevé et qui a vécu dans un milieu intellectuel ; disons que son sens de l’observa-
tion, que son empirisme se nourrissent au contact de la science théorique.
«Il ne fait aucun doute que Watt était un homme cultivé. [Le progrés est sen-
sible de Newcomen 4 Watt.] On peut se demander s’il ne l’est pas devenu A cause
du succés de sa premiére machine a vapeur, grace auquel il a acquis une position
sociale qui l’a mis en relation avec ses amis de Birmingham, toujours cités,
mais succés qui n’a pu étre la seule conséquence des connaissances acquises au
contact des professeurs de l’université de Glasgow. » (M. Daumas.)
Et pourtant, une atmosphére mentale est un tout. La philosophie mécaniste
n’intervient pas directement, mais indirectement, par les habitudes de pensée
qu’elle faconne. « James Watt était le petit-fils d’un mathématicien et le fils d’un
notaire de Greenock, en Ecosse [un dissident aussi, presbytérien]. D’une santé
délicate, il recut une premieére instruction dans sa famille et apprit 4 exécuter
des travaux de menuiserie qui lui firent acquérir une grande habileté manuelle.
[Cette association de la main a lesprit est un trait des milieux de tradition
puritaine.] Il avait repris ses études non sans succés, lorsque les difficultés
éprouvées par sa famille l’obligérent 4 chercher un métier. » De ses mains il
travailla d’abord 4 Londres, chez un fabricant d’instruments de navigation,
avant d’étre préparateur 4 l’université. Cette initiation 4 la technologie de pointe
parascientifique de son temps a son prix. L’ambiance dans laquelle il a vécu
« a pu l’aider a acquérir des habitudes intellectuelles rigoureuses, des méthodes
de jugement pragmatiques ; ces qualités l’ont profondément servi ». Si l’on
regarde, en revanche, les connaissances scientifiques de horizon 1750-1770,
rien qui pit servir. « On peut se demander quelles sont celles qui l’auraient
aidé 4 surmonter les insuffisances de son génie inventif. A l’égard de la science,
il se trouvait 4 peu prés dans la méme situation que Papin, Savery ou Newcomen,
aprés les travaux d’Otto de Guericke et la découverte du vide. » Mais il a une
autre aptitude liée 4 une ambiance de rigueur et favorisée par la disponibilité
des capitaux, une prodigieuse force de concentration : « Watt a été Phomme d’un
seul probléme »; quinze a vingt-cing ans d’une vie sur un seul probleme.
Quelle voie plus économique que ce luxe prodigieux? C’est ce qui sépare
Smeaton de Watt. « Si les connaissances scientifiques avaient été en mesure
d’aider a cette création, peut-étre Smeaton aurait été l’homme de la machine a
condensateur. » Comme pour le moteur 4 explosion, la découverte de Watt
s’est faite grace 4 des qualités mentales dont la philosophie mécaniste a bénéficié
347
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LU MIERES
348
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
les qualités supérieures, et de l’Oural russe pour les bas prix. A partir de 1760,
Ja solution technique est en vue, la croissance commence. I0 000 tonnes en
plus. De 1757 41788, le taux de croissance par décennie est de l’ordre de 40 p. 100.
Il dépasse 100 p. 100 de 1788 4 1806 : 68 000 tonnes en 1788, 125 400 en 1796,
250 000 en 1806, 325 000 en 1818, 678 000 en 1830. Le démarrage du fer marque
bien le démarrage de l’industrie britannique, avec ses deux seuils :1760, premier
ébranlement, 1780, bond en avant. C’est pendant la Révolution et dans les
quelques années qui la précédent que la France, malgré les efforts de Calonne,a
perdu la partie. La croissance de l’économie britannique est alors irrésistible. Le
charbon, simple accompagnement, suit le mouvement : 5 millions de tonnes
en 1760, 10 millions par an ala fin de 1780, 11 millions au moins en 1800. En 1805,
la production du fer a méme atteint 5,9 p. 100 du produit national brut, un
pourcentage du xx® siécle. La production court tant bien que mal derriére les
besoins. Faut-il rappeler que les premiers rails sont en bois, puis en bois revétu
de métal, puis en fonte, bien avant l’acier?
Nulle part, sans doute, les difficultés 4 vaincre n’auront été plus considé-
rables. C’est aussi que des échappatoires et des recours géographiques se sont
offerts. Le fer, de 1680 4 1760, aura été une production des lointaines « marges
pionniéres » forestiéres. « Le fer étranger était arrivé a représenter environ
60 p. 100 de la consommation anglaise. » (B. Gille.) Entre les premiéres recher-
ches effectuées pour obtenir un meétal a partir du charbon de terre, substitut
bon marché du bois (seconde moitié du xvi® siécle), et les efforts couronnés de
succés d’Abraham Darby I® (1678-1711), un siécle et demi; cinquante ans pour
se perfectionner et s’*implanter. Le procédé est révolutionnaire seulement sur
Phorizon anglais de la décennie 1780. Méme processus, méme démarche, celui
d’un empirisme trés indirectement influencé par l’atmosphére mentale de la
philosophie mécaniste. Le métal permet de fabriquer vis, roues dentées, engre-
nages, dont la demande ne cesse de s’accroitre. C’est peut-étre 14 que l’esprit
scientifique mécaniste fait en premier irruption, en raison aussi de l’écrasante
avance de la géométrie et de la mécanique mathématique. La mécanique indus-
trielle constitue le premier secteur de la technologie porté au bénéfice de la
science ; il est vrai qu’il commande tous les autres. « Les difficultés, constate
M. Daumas, que les créateurs de la machine 4 vapeur et des premiéres machines-
outils eurent 4 surmonter, leur firent prendre conscience que seule I’élaboration
d’une théorie des machines, alors inexistante, serait susceptible de leur suggérer
des solutions générales. La notion de machine était encore extrémement confuse.
L’art de les inventer, de les construire et de les perfectionner était un véritable
art au sens ancien du terme, imprégné d’empirisme. Aucune étude analytique et
349
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Il FRANCE
milliers de livres sterling
50
25
Rd7390 1740
Entrées
Commerce total
Sorties Sorties
350
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
Nous avons superposé les évolutions respectives par 3 en monnaie de pouvoir d’achat constant) ;
du commerce extérieur anglais (jusqu’en multiplication par 2,5 et 1,75 (en pouvoir
1772) et britannique (a partir de 1772) en d’achat constant) pour la Grande-Bretagne.
haut, frangais en bas. En haut, importa- Les séries exagérent une distorsion réelle mais
tions d’abord, exportations ensuite, dans légére. Les séries frangaises sont beaucoup moins
deux secteurs fondamentaux : commerce colo- stires au début du XVIII que les séries anglaises,
nial (obtenu en totalisant Indes occtdentales, plus complétes. La situation du commerce an-
Indes orientales et Afrique), commerce avec glais est exceptionnellement bonne au début
Pétranger (Europe et reste des iles Britanniques, du XVIII¢ (c'est au XVII® plus qvau XVIUIe,
Ecosse et Irlande, avant 1772; Irlande, Sund, voir F. Crouzet, que l’Angleterre prend son
apres). Pour les exportations, un choix délicat. avance sur la France), la situation de la France
Fallait-il éliminer ou ajouter les réexportations exceptionnellement mauvaise. A la fin du
particuliérement importantes pour I’économie XVII®, a Tinverse, Il’Angleterre commer-
britannique? En les éliminant, nous aurions ciale sort atteinte momentanément de sa dé-
souligné le phénoméne bien connu du déséqui- faite dans la guerre de l’Indépendance des colo-
libre apparent de la balance du commerce an- nies d’ Amérique, la France passagérement gon-
glais et britannique au XVIII¢ siécle. Mais il flée de sa victoire. Impossible toutefois d’écarter
faut tenir compte de la valeur ajoutée sur les Vidée d’un rattrapage frangais que viennent
marchandises réexportées. Nous avons choisi compromettre les conséquences catastrophiques
d’additionner exportations et réexportations. sur le plan économique dela Révolution francaise.
Ce choix présente l’inconvéntent de grossir exa- On sera sensible a la croissance rapide des années
gérément T’écart favorable entre exportations 1750-1755 et a la prospérité des années 1764-
et importations, mais il rend compte d’une réalité 1770. Les creux des années 1745-1748, 1756-
incontestable de l’économie anglaise au XVIII¢: 1763 sont dus évidemment a la guerre. Le com-
le bilan positif de la balance des comptes et l’en- merce étranger fait volant, les amplitudes les
richissement de l’Angleterre par le commerce plus grandes se lisent sur la courbe du commerce
extérieur. La balance du commerce extérieur colonial. En valeur, le commerce francais et le
est aussi un des points forts de la statistique commerce anglais sont sensiblement équivalents.
économique francaise au XVIII® siécle. En gros, Cette apparente égalité cache de profondes
la conjoncture est identique. La croissance du divergences. Le commerce anglais est constitué
commerce extérieur a été une des conditions pour plus de moitié par le commerce colonial.
préalables les plus décisives du take off des éco- C'est le commerce colonial qui alimente une
nomies de l’Europe heureuse. Notez que la sta- partie des exportations britanniques vers I’Eu-
bilité de la livre sterling est acquise a partir de rope. Le commerce frangais est beaucoup plus
la fin du XVII*, celle de la livre tournois en européen. Mais la population de I’Angleterre
1726 seulement; le rapport a partir de cette ne dépasse pas, au milieu du XVIII® siécle,
date ne varie plus : une livre sterling = 25 livres le quart de la population francaise. Le commerce
tournois. En valeur nominale, la croissance du extérieur par téte en Angleterre est donc quatre
commerce extérieur de la France est plus rapide fois supérieur au commerce francais. D’ou le
encore que la croissance britannique (.multiph- réle du commerce extérieur et plus particuliére-
cation par 5 de 1730 a 1790, multiplication ment colonial dans le take off britannique.
351
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
302
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
("Huddersfield
=x Manchester,
iusqu’a la rupture provoquée par les guerres en 1815, la restriciction trop précoce et trop pro-
Fee eetopines de la Révolution et del’Empire. fonde des naissances achéve de comprometire
La France a vingt ans de retard en 1790, trente Vindustrialisation frangaise au XIX® siecle.
=de
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
= 7D
i, m=
Ly
ao
fl
354
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
355 ERIESe
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 135 A 143
135. LORD CAMPBELL OF CAWDOR. Nouvelle Espagne, vers 1520, sous forme
Lord Campbell of Cawdor and Stackpole, de pains et de tablettes. » On commence
par Francis Cote (1763). Magnifique a le consommer comme boisson, en Espagne,
portrait d’apparat de ce grand seigneur a partir de la fin du XVI* siécle. Son
écossais. Le vétement traditionnel est celut succes reste grand dans toute la Méditer-
d’un puissant chef de clan. Cette concession ranée, en Espagne et en Italie. Comme
faite au passé, tout rattache ce bel artsto- le café et le thé, le chocolat est ausst un
crate racé a la société cosmopolite des liant social. (Venise, Ca’ Rezzonico.)
Lumieéres. Notez le port altier du visage, la
figure en lame de rasoir, mais aussi la 138. LA TOILETTE.
lévre forte et le sourcil fourni, signe vrat- Ce tableau est de Pietro Longhi. La
semblable du large éventail des alliances Toilette, deux servantes, dames d’atour,
aristocratiques. Le paysage entrevu a aident la maitresse de maison a s*habiller.
gauche, au fond, est une concession a la Une servante apporte une boisson chaude,
nouvelle sensibilité qui se manifeste avec café ou chocolat sans doute. On aura noté
force particuliére et précocité sur les la richesse du vétement, le luxe de la
franges nord de l’Europe. (Coll. lord tapisserie, le tableau, les tentures, mais,
Cawdor.) signe d’archaisme méditerranéen, D’espace
est a peu prés vide de mobilter, a Pexception
136. L’ASSEMBLEE AU SALON. d’une table et d’une glace présentée de
Lafrensen (dit Lavreince), Suédois de biais. (Venise, galerie de l’Académie.)
Paris (il y passa vingt ans de sa vie),
aura été le témoin plein de talent, mais 139. UN INTERIEUR DE HOGARTH.
sans génie (ce qui est une garantie d’authen- La différence est sensible avec la toilette
ticité), des genres de vie de ce que Veblen de Pietro Longhi. Cet espace intérieur
appellera plus tard la « classe de loisir ». d’une riche demeure anglaise est beaucoup
Dans ce salon, dont la décoration (pilas- plus chargé que l’espace italien de Longhi.
tres, ordres corinthiens) est postérieure La encore, les fameuses boissons exotiques,
vraisemblablement ad 1760, des groupes du thé sans doute, voyez la bouilloire
devisent, conversent, s'adonnent aux jeux qu’apporte le petit négrillon enturbanné.
de société ; une femme lit dans embrasure Le singe renforce la note d’exotisme. La
dune fenétre; un petit chien, seul, au scéne, tirée du Harlot’s Progress, est
milieu de la piéce. Lafrensen est un bon violente : Phéroine, en conflit avec son
peintre de genre et d’atmosphére. (Coll. tuteur, fait valser d’un coup de pied une
privée. ) table de marqueterie, tandis que le corsage
s’entrouvre sous la pression de la colére
137. LE CHOCOLAT DU MATIN. et laisse percer une gorge généreuse.
Pietro Longhi (1702-1785) est un tres bon Hogarth, comme toujours, moralise. En
peintre de genre. Il excelle 4 rendre compte, cela ausst, tl exprime le génie de son temps.
souvent avec humour, des saisons et des (Coll. A. Rothschild.)
heures de la vie de la classe de loisir. Au
lever d’une grande dame, entourée d’un 140. LE DEJEUNER AU JAMBON.
gentilhomme et d’un abbé de cour, la Ce Lancret est souvent rapproché du
tasse de chocolat. Au nombre des boissons Déjeuner d’huitres de J.-F. De Troy,
exotiques, le chocolat relativement ancien : mais il a beaucoup plus de truculence.
« I] est venu en Espagne du Mexique, de la Hymne, dans la tradition flamande,
356
PPT ET I SS
tier: taer
nd
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS ey STALE 1.43
aux platsirs simples et un peu grossiers nous introduit en Italie du Nord dans
de la vie. On fait bombance et les aguiche- un milieu de paysans aisés. Une heureuse
ries d’une jeune femme bien en chair composition de genre qui oppose, dans une
laissent a penser que les plaisirs de la structure triangulatire, la tache blanche des
table auront leurs prolongements sexuels. femmes, de la nappe, aux vétements noirs
Charcuterie, bon vin, beaucoup d’agitation des hommes, sur le fond sombre de la
et d’excitation. Le plaisir de manger grande cuisine paysanne italienne du
ensemble et de converser est de toutes les Nord. Autour d’un mets simple, une féte
sociétés. La féte que conte Lancret est des humbles. Le mais est sorti, au XVI sié-
la féte d’une société proche de la vie rurale. cle, « de l’immense prison d’ Amérique ».
Le déjeuner au jambon précéde ou pro- Vers 1600, il est ad Udine, en Vénétie,
longe la partie de chasse. (Chantilly, « coté réguliérement sur les marchés ».
musée Condé.) Au XVIII« siécle, la bouillie de mais,
la polenta, constitue un élément de base
I4I. MUSIQUE DE CHAMBRE. de la nourriture populaire. C'est cette
Un billard, les herbes exotiques, ces nou- promotion de la polenta que Longhi
veaux breuvages, une gamme étendue consacre dans ce charmant tableau, une
d’instruments de musique, épinette, violons, polenta que lon sappréte ad manger
violoncelles, une fenétre largement ouverte joyeusement ensemble, précédée de quelques
sur un paysage ott fument deux cheminées gais accords. (Venise, Ca’ Rezzonico.)
d’usine, a droite. Tous les raffinements
143. ELISABETH, LADY TAYLOR.
de la nouvelle société a la fin du XVIII: sié-
Ce Reynolds est un des plus beaux.
cle. Et cette passion pour la musique qui
Lady Taylor est trés jeune, le visage
est un trait bien allemand. Notez les
a conservé quelque chose de naif et de
contours dessinés des visages et des corps,
presque enfantin. L’étoffe, trés riche, est
suivant une tradition du Nord qui emprunte claire, le port droit, la raideur du buste
a la miniature. Cette peinture (1776) confirme la timidité, la douceur un peu
de Fanuarius Zick (1732-1797), d'une hésitante du visage. Par la baie grande
famille de peintres de l’Allemagne du Sud, ouverte, un paysage typique de la sensibi-
influencée par Tiepolo, représente la lité anglaise a la fin du XVIII* siécle,
famille Remy a Bendorf, prés de Coblence. plein de graces mouillées. Le contraste
(Nuremberg, Germanisches National- entre la richesse du vétement, le luxe de
museum. ) la draperie, la délicatesse ciselée du visage
et le plan d’un paysage romantique,
142. LA POLENTA. contribue au charme de cette exquise
Du nord au sud de la classe de loisir, aux composition. (New York, The Frick
strates intermédiaires de la société, Longht Collection. )
Ds,
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 144 A 154
144. STUBBS : LE CHATEAU DE WINDSOR. 147. LA PROMENADE.
Stubbs (1724-1806) est le peintre des The Mall in St. James’s Park, Ja plus
chevaux, dans une Angleterre qui a créé célébre promenade de Londres, la grande
le cheval de notre temps, animal de luxe, foire aux vanités, par Thomas Gains-
plus, ici d&ja, pour le plaisir de Tal et borough. Le portraitiste raffiné de Daris-
des sens, que pour une fonction économique tocratie nous donne ici une remarquable
précise. Nous sommes dans le parc de composition. Sous une allée ombreuse
Windsor : entre deux célébres pur-sang dont le plan impressionniste est anglais,
du prince de Galles, un petit homme court belles dames et dandys... la conversation,
au gilet clair reléve par contraste la robe la promenade, l’ostentation vestimentatre
notre des chevaux. Le cheval est indisso- soumise aux fluctuations de la mode, ou
ciable du genre de vie aristocratique de Fernand Braudel a su reconnaitre un
cette Angleterre heureuse. (Coll. royale, moteur de la mutation économique, appar-
chateau de Windsor.) tiennent au genre de vie de la classe de
loisir. (New York, The Frick Collection.)
145. LE PARFAIT DANDY.
On n’attend pas toujours cela de Wright of 148. LA PETITE CUREE.
Derby (1734-1797). Ce portrait de Ce carton pour la tenture des Petites
str Brooke Boothby semble presque cari- Chasses de Louis XV appartient a la
catural, Il est le héros romantique avant série célébre des chasses de Fean-Baptiste
la lettre. Le raffinement du vétement, la Oudry. Oudry est un remarquable ant-
main gantée de cuir, le livre de prix a la malier. La scéne rappelle la curée des
couverture de parchemin archaique et jeunes chiens. Il s’agit, en fait, d’un
précieux, le port du visage... la forét exercice de dressage. Le mouvement des
ombreuse, la source au premier plan..., chiens, au premier plan, est rendu avec
jusqu’au sourire brumeux et au vague un exceptionnel bonheur. Au fond, la
du regard a travers deux gros yeux qui masse architecturale du fort Hu. (Chateau
font saillie : la rupture avec la premiére de Fontainebleau. )
sensibilité des Lumiéres est totale. Sir
Brooke Boothby, de Wright of Derby,
nage en plein romantisme. L’ Angleterre 149. LE PORTEUR DE FAUCONS.
précéde et appuie le préromantisme rous- L’auxiliaire de chasse porte un vétement
seauiste des Réveries du promeneur d’allure militaire. La chasse au faucon
solitaire. (Londres, Tate Gallery.) est un sport noble par excellence, d’ou
Passimilation. Au second plan, a gauche,
146. LA FETE NOCTURNE. un noble en uniforme d’officier. La chasse
Ce tableau de Claude-Louis Chdatelet au faucon est une trés vieille technique de
(1753-1794) représente le Belvédére chasse qui recule partout au XVIII siécle,
dans les yardins du Petit Trianon, embrasé sauf & Test, dans une archaique et nobi-
au milieu d’un immense feu d’artifice. liatre Allemagne. Le tableau est de Fohann
La grande féte nocturne, la feéerie, Heinrich Tischbein. (Chateau de Frie-
appartient a la_ tradition baroque. Le drichshof. )
XVIIT* siécle se place dans le prolon-
gement du XVII siécle. Ce tableau, 150. LES FOLIES DE LA CHASSE.
riche en jeux d’ombres et de lumiéres, se La chasse au XVIII¢ siécle est bien au
situe dans la tradition de la féte galante. centre d’un genre de vie aristocratique.
(Versailles, Musée national.) Cette folie baroque, l’attelage de cerfs
360
153 154
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS I44 A 154
du prince dauphin de Hesse-Darmstadt. alimentaires pauvres, a base de mais.
Cet attelage de cerfs, ce char rocaille (Venise, coll. Stampalia.)
invraisemblable, Penfant a cheval, toute
cette mascarade illustre la vanité, le vide 152. LE PARC DU CHATEAU D’ARCUEIL.
d’un genre de vie d’une aristocratie qut, Trés beau dessin d’Oudry. Oudry, lani-
elle ne s’adapte pas aux nouveaux malier, est ausst Vhomme de la nature.
besoins de Il’économie, de la vie intellec- Voyez les frondaisons, Pallée profonde
tuelle et de l’Etat, tend a devenir parasi- et ombreuse. Le chateau d’Arcueil allie
taire. Ce curieux tableau va au-dela : une terrasse et un parc a la francaise
entre la féte galante et le marquis de Sade, avec, a gauche, un parc a@ Ilanglaise.
il dévoile une des nombreuses voies de (Chateau de Sceaux, musée de I’Ile-de-
Pimaginaire. Il y a un genre de la chasse France.)
baroque qui appartient a TIAllemagne
moyenne et a I’Allemagne du Sud, en 153. LES CHINOISERIES : LE PARASOL.
corrélation étroite avec la grande tache La Chine, lautre quart de l’humanité,
géographique allemande de_ sensibilité reste ,bien, au XVIII¢ siécle, la grande
baroque. (Kranichstein, Jagdmuseum affaire. Le choc, au niveau des pensées
Schloss.) et des choses, est considérable. Motifs
architecturaux, décorations de tous ordres
I5I. LA CHASSE AU CANARD. et, bien stir, les jardins. Ce parasol chinots
Avec la chasse au canard de Pietro Lon- est un projet suédois, de F. M. Piper.
ghi, sans quitter l'Europe de sensibilité L’inspiration est évidente, mais Tinter-
baroque, nous passons de la forét aux prétation assez lache. (Stockholm, Natio-
étendues incertaines de terre et d’eau nalmuseum. )
de la plaine lombarde-vénitienne. Pirogue
en bec de canard et l’archaique tir a Parc 154. LE PARASOL CHINOIS.
qui tue sans bruit, sans effrayer le gibier Autre parasol chinois de Piper, dans les
d’eau. La chasse ici n’est plus, comme jardins de Vaillinge, prés de Stockholm.
pour le prince dauphin de Hesse-Darm- Le contraste est frappant entre l’olyet exo-
stadt, refuge dans l’imaginaire, mais elle ique d’inspiration assez libre et le paysage
retrouve sa fonction économique de pour- du Nord, fond de bouleaux et de mélézes.
woyeuse de protéines dans des systémes (Stockholm, Nationalmuseum. )
361
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
363
LA CIVILISATION DE L> EUROPE DES LUMIERES
cienne vaut, sans doute, pour presque toute l’Europe dense et nombreuse.
Bienfait de la communication et retour sur les choses du pragmatisme actif
des Lumiéres. Mais, comme toujours, pas de révolution, une accentuation de
toutes les plasticités potentielles de trés vieilles structures. Les Lumitres, ce
sont bien toutes les virtualités d’un trés vieux monde, enfin mises en valeur
avant la tourmente qui, depuis la petite Angleterre de horizon 1780, emporte,
révolutionne, bouscule un horizon 1780 qui s’écrit 1830 ici, 1840 1a, 1860
presque partout sur le continent conservateur de la longue durée.
Mais revenons aux études quantitatives de l’alimentation. Elles commen-
cent. Venons au cas parisien. Un calcul sérieux et global, en partant de la sta-
tistique un peu sous-estimante et parcimonieuse des entrées. Ne pas trop se
laisser influencer par le bilan énergétique 4 la fois confortable et modeste, au
niveau de 2 000 calories. Hommes, femmes, enfants, pauvres et riches. La seule
erreur possible est de sous-estimation. Un minimum dont on déduit a coup
sir 3 500 calories pour le travailleur manuel masculin. Or, ce qui frappe, c’est
la qualité, déja, de Valimentation, avec l’excés de vin, heureusement un vin
léger, et surtout la richesse en protéines animales. « A Paris [...], vers 1780 [...]
les céréales n’interviennent que pour 50 p. 100 du total. » (Fernand Braudel.)
L’Inde et la Chine ont encore beaucoup de chemin a parcourir pour rattraper
le niveau alimentaire des Parisiens les plus pauvres de la fin de ’Ancien Régime.
Le pain continue de se consommer massivement a lacampagne ; mais cette nourri-
ture riche par rapport aux anciennes bouillies, pauvre par rapport aux nouveaux
raffinements, a perdu son monopole a la ville. A Londres, sauvée de sa tenta-
tive de suicide collectif au gin (1730-1740), 4 Paris, mais pas encore a Berlin.
A Berlin, d’aprés W. Abel (cité par Braudel), le pain représente, pour une
famille de macon de cinq personnes, beaucoup plus de 50 p. 100 de la dépense
alimentaire (alimentation 72,7 p. 100, 44,2 p. 100 du total pour le pain) contre
17 p. 100 seulement dans le budget-parisien. Et quel pain! gris d’un cété,
blanc de l’autre ; on comprend |’étonnement des grenadiers poméraniens en
1792, dont Goethe nous a laissé la relation amusée.
L’homme est parti, en Occident, au xviii¢ siécle, 4 la conquéte du superflu.
Le luxe est le grand promoteur. « L’homme est une créature de désir et non
pas de besoin. » Une véritable révolution, pour une fois le mot n’est pas trop
fort, se produit sur la table et dans l’ordonnance de la table des riches, mais
aussi des aisés, dans l'Europe heureuse ; vers 1720-1730 ici, vers 1740-1750 a.
En France, d’abord, « la grande cuisine francaise ne s’affirme que plus tard,
aprés le désarmement de “ l’artillerie de gueule ” que signifient la Régence et
le bon godt actif du Régent » (F. Braudel). 1750, une seconde étape, sociale
364
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
cette fois : « on mesure plus tard encore, en 1746, quand parut enfin la Cuis7-
mere bourgeoise de Menon » (Fernand Braudel). « On ne saitmanger délicatement,
soutient méme un Parisien en 1782, que depuis un demi-siécle. » 1730, donc, la
méme etape, qui se marque par une attention aux charmes modestes de la vie
quotidienne. 1730 : voici les divines tisanes. Le thé de terre, le thé de caravane
a précedeé. En Russie, le thé est connu peut-étre depuis 1567, mais sa généra-
lisation suppose la route maritime, les indiamen anglais sur Phorizon 1730.
Ne pas se laisser impressionner par la civilisation du samovar : entre la Russie
et Angleterre, il y a différence de taille qui joue au profit de la mer et de la
longue, de la séculaire éducation de la liberté. « A la fin du xvure siécle, la
Russie n’importe pas 500 tonnes de thé. Nous sommes loin des 7 000 tonnes
que consomme |’Occident. » Il est introduit épisodiquement et sans succés dans
Pentourage de Séguier (1635-1636), 4 la recherche de l’élixir de longue vie.
« Samuel Pepys en but pour la premiére fois chez lui le 28 mai 1667. » 1720-
1730, 1a aussi est le tournant. Dans la victoire contre la mort, le thé est une arme
importante, par le canal involontaire de l’eau bouillie. Le café est plus ancien,
mais sa diffusion contemporaine de la mutation du thé. La montée du café a été
un stimulant de la prise en main par l’Europe de l’espace extra-européen. «Si, a
partir du milieu du xviué¢ siécle, la consommation a tellement augmenté, et pas
seulement a Paris et en France, c’est que l’Europea organisé elle-méme sa produc-
tion. Tant que le marché mondial avait dépendu des seuls caféiers des environs de
Moka, en Arabie, les importations européennes avaient été facilement limitées.
Or, dés 1713, des caféiers étaient plantés 4 Java ; dés 1716 dans l’ile Bourbon
(la Réunion) ; en 1722 dans l’ile de Cayenne (il a donc traversé |’Atlantique);
en 1723-1730 a la Martinique ; en 1730 4 la Jamaique ; en 1731 a Saint-Do-
mingue. Ces dates ne sont pas celles de la production car il a fallu que les caféiers
grandissent, se multiplient. » (F. Braudel.)
Pour le vétement, l’Europe du xvuiI® siécle continue de vivre sur deux
étages : un monde populaire aux fluctuations lentes, un monde riche, qui est
celui de la mode. La loi que F. Braudel a établie, de deux rythmes sociaux du
vétement, continue 4 s’appliquer 4 l’Europe des Lumiéres. Mais avec une diffé-
rence : la mode est au sommet plus rapide, plus nerveuse, la couche populaire,
4 Pouest, dans l’Europe nombreuse et heureuse, du moins riche, cesse d’étre
totalement immobile. Le peuple de Londres et de Paris commence méme a
obéir 4 une mode courte. L’évolution est générale vers un vétement plus souple,
moins lourd, qui laisse plus de liberté au corps ; un vétement transformé par
les indiennes. Les merveilleuses dénudées du Directoire poussent seulement
a la limite, et peut-étre 4 l’absurde, la tendance dessinée par l’arrivée des
365
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
366
ECONOMIE, DEPART DE LA _ CROISSANCE
367
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
368
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
de l'Europe occidentale la solution de la maison lourde. Les motifs sont psy-
chologiques. La solution a des avantages et des inconvénients, elle est la solu-
tion d’un espace prématurément clos. Les grandes poussées du progres matériel,
le xvule siécle donc, éprouvent une difficulté a investir. Deux investissements
sont alors possibles. Des hommes et des maisons... Remplacer la taniére de ’an
mille par la maison classique traditionnelle, c’est encore la solution idéale
pour conserver dans un énorme volant de pierre le surplus fragile des grandes
périodes de croissance ; la solution de la maison lourde répond peut-étre a la
difficulté de capitaliser les surplus de production. La maison lourde permet
un gain permanent d’entretien et de chauffage. Elle cofite plus au départ,
dix fois plus, mais moins a entretenir. L’isba vit trente, quarante ans en moyenne.
Il n’est pas sir que la maison traditionnelle de pierre constitue une solution
plus coiiteuse sur le long terme ; elle est peut-étre plus économique. Le gain
principal résulte sans doute du volant thermique : les murs font volant en
proportion de leur masse. Le mur restitue la chaleur l’hiver, la fraicheur 1’été ;
il combat l’effet contrastant de l’aération. Le mur épais s’est répandu dans le
bassin de la Méditerranée comme une protection de la chaleur, dans une zone
qui manque de bois. Au nord, c’est le bois qui protége contre le froid. Mais la
maison lourde ne va pas sans inconvénient. Elle entretient des solutions de
paresse. Le volant thermique aura bloqué longtemps le progrés technique dans
Pordre des moyens de chauffage. La maison lourde fige les situations anciennes.
Elle protege contre la dilapidation du capital, mais elle procure a grands frais
un outil qui freine la mobilité. Au xviu° siécle pourtant, la multiplication des
granges de pierre assure une meilleure conservation des récoltes. Mais sa trop
longue durée est son principal défaut. En période de faible plasticité technique,
le poids du bati agit comme frein, il est une entrave aux mobilités indispensables
au progrés. ;
Il faudra bien s’attaquer, un jour, d’une maniére systématique, au probleme
des progrés techniques dans le batiment. La ou elles ont été étudiées, les ameélio-
rations du xvuI¢ vont dans le sens de I’étanchéité, de la durée, d’une meilleure
protection thermique et d’un moindre codt d’entretien ; elles testent la marche
de lenrichissement, renforcent la caractéristique de choix, en faveur de la
durée, qu’implique l’habitat lourd traditionnel, le choix en faveur de la capi-
talisation au départ, de la permanence. Un choix qui correspond a la famille
conjugale exceptionnellement stable de la chrétienté latine. Mais, ce qui est
plus important, c’est le gain de productivité. Tout, dans Ja maison tradition-
nelle, peut se ramener au transport : un grand progrés est li¢ al amelioration
fondamentale des chemins dans la seconde moitié du xvut® siécle. L’habitat
369
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
au xville siécle gagne en qualité. Les maisons du xvmi® siecle sont encore
debout et dans ’ensemble se portent bien. La construction du xviit® siécle a
bénéficié de l’amélioration des transports, du niveau élevé de la construction.
On construit plus et mieux. La maison de pierre fait reculer jusqu’aux extre-
mités des écarts les plus pauvres l’infra-habitat de l’an mille. La frontiére de
la maison lourde se déplace vers le nord. Voyez Saint-Pétersbourg : une ville
de pierre se substitue au nord 4 la ville de bois, dans le domaine de l’isba et de
archétype scandinave de la lodge cabin nord-américaine. Dans les campagnes
de l'Europe occidentale, un bel habitat destiné a |’élite de la paysannerie se
développe, avec de larges fenétres, un étage, deux piéces 4 feu au moins sur
quatre, un modéle rectangulaire, sensible 4 une harmonie d’équilibre a base
d’esthétique classique. Progrés du matériau : la brique mélée a la pierre ; recul
du chaume devant la tuile et l’ardoise ; substitution a la brique crue et au simple
torchis d’une brique plus cuite ou de la pierre ; progrés des mortiers 4 chaux
et a sable sur les mortiers de paille et de glaise ; progrés de ’horizontalité et de
la verticalité, donc progrés de l’équilibre ; diminution des flexions, cause
d’usure ; du méme coup, la maison plus haute est plus largement ouverte,
mieux éclairée. Le xvil® siécle n’innove pas, mais il diffuse dans la masse des
solutions qui sont intellectuellement possibles, effectivement désirées et écono-
miquement réalisables dans des couches sociales qui n’y pouvaient prétendre.
Le xvii siécle donne l’impression, en outre, de s’étre trouvé au rendez-vous
d’un grand renouvellement de l’habitat existant. Une partie d’un habitat som-
maire et de mauvaise qualité, qui datait de la reconstruction du xvI® siécle, est
arrivé 4 bout de souffle ; deux siécles plus tard, au milieu du xvmr®, un habitat
brusquement vétuste a cessé, plus brusquement encore, de correspondre aux
besoins et au gout de la société traditionnelle, maitresse enfin de tous ses moyens;
la construction s’uniformise, elle referme l’éventail d’une gamme désormais
un peu moins largement ouverte.
Faut-il essayer de déchiffrer Pinfluence de cette robe de pierre neuve
dont l’Europe s’est vétue au xvilI® siécle? II n’est pas déraisonnable de penser
que 60 a 70 p. 100 des maisons qui couvraient |’Europe a la fin du xvure siécle,
sous l’action de tous les facteurs évoqués, accroissement de la population,
diffusion des modéles depuis le sommet de la pyramide sociale, améliorations
techniques, vétusté du lot dense des xv° et xvi°, progrés économique..., avaient
moins de cinquante ans. Un habitat renouvelé quand s’achévent les Lumieéres,
bien adapté aux genres de vie faiblement évolutifs du xvure siécle, un habitat
mieux fait pour durer que celui qu’il remplace, un habitat construit pour trois
si¢cles et plus. L’Europe occidentale s’est dotée, au xvimi®, d’un trés riche capi-
379°
ECONOMIE, DEPART DE LA CROISSANCE
tal immobilier. Quelle peut étre l’influence de l’héritage sur les conditions
préalables au take off du x1x® siécle? Un niveau élevé de l’activité du batiment
et des travaux publics au sens le plus large. Si le batiment a pu jouer, a un
moment, un rdle d’entrainement, c’est au xvmI° siécle. Une partie des capitaux
formés au XvIII® siécle, en proportion supérieure a celle jamais atteinte, s’est
investie sous cette forme. Le haut niveau d’activité du batiment, sur prés d’un
siécle, a préparé l’économie a d’autres efforts tout en permettant, sous une forme
archaique, une premiére accumulation de capital. Au début du x1x® siécle,
d’autres secteurs de l’économie prennent le relais. Le batiment s’accroit plus
lentement. Le démarrage nécessite une masse plus élevée de capitaux. On a pu
entasser les ouvriers de Lille et d’ailleurs dans les caves et les greniers d’im-
meubles construits pour |’essentiel au xviir® siécle. Les gros investissements
immobiliers du xvir1® siécle ont permis, au début du x1x°, un moindre effort
relatif dans l’ordre de la construction. Le xvi® a légué au premier xIx° siécle
une avance utile. Les maisons du xvulI® ont permis d’utiliser ailleurs, et mieux,
la masse toujours insuffisante des capitaux nécessaires aux besoins sans cesse
accrus de la croissance accélérée. Une aide qui est bien plus qu’une aide. La
belle maison du xviiI® siécle, habitat traditionnel parvenu a son point d’équi-
libre et de perfection, s’impose partout ot la pierre donne pour longtemps un
cadre a la vie. Le xviiI® siécle nous a légué les structures matérielles de nos
foyers, un modéle durable que la révolution industrielle ne transforme qu’insen-
siblement. Par-dela les structures matérielles, c’est un style de vie familial, une
sensibilité des attitudes et des gestes qui se conservent. Le legs immobilier
du xvume siécle, aprés avoir fourni une condition favorable 4 la mutation de
croissance, a contribué 4 atténuer partout ot domine l’habitat de pierre, 4
étaler dans le temps, une partie des ondes affectives de la trépidante révolution
économique, technique et mentale du x1x° siécle. La génération de la révolution
industrielle a vécu une partie de sa vie dans un cadre du xvir® siécle. Le legs
immobilier du xvu®¢ a établi un pont concret entre un avant et un aprés diffi-
cilement conciliables, préservé un peu de continuité au moment de la mutation.
La maison du xviII® que nous cétoyons reste la meilleure ambassadrice de la
civilisation traditionnelle qui achéve de mourir en Europe, au niveau des
années 60 du xx® siécle.
C’est en ville que l’Europe des Lumiéres a tenu son laboratoire privilégié.
La croissance de la ville est donc un élément capital. Le fait urbain apparait
au xviir°, au-dessus du seuil des 2 000 habitants. La Flandre et le Brabant ont
franchi le cap inoui des 50 p. 100 de peuplement urbain au xviii® siecle. Pour
371
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
373
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
La petite Europe des années 1680 occupe un espace immense, dans |’ordre
du beau, un espace fractionné. Parce que l’esthétique du xvir® siécle finissant
est, moins qu’on ne se plait a le dire, une esthétique du petit nombre. Dans
Pordre du beau, l’Europe, en 1680, s’écrit au pluriel. Et nous laissons, bien sir,
la grande question neuve de l’Europe des « cultures traditionnelles ».
Beauté du vétement, beauté du chant choral, aménagement de I’espace villa-
geois dans la maison et hors de la maison, tout un domaine infiniment multiple
ot: le xviI® réalise souvent sans innovation fondamentale, avec le matériau
traditionnel légué du passé, un nombre impressionnant de chefs-d’ceuvre. La
plupart des maisons de bois de Transylvanie démontées et reconstituées au
musée de la maison paysanne 4 Bucarest sont contemporaines des Lumiéres.
Lui appartiennent-elles vraiment? On peut en douter. L’ethnographie de l’Eu-
rope traditionnelle est en partie encore a construire. Nous laisserons donc pour
le moment la couche inférieure des deux cents (?) cultures paysannes qui sont
masquées par la civilisation une en cours d’édification au xviir® siécle. L’his-
374
FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
toire de l’art les ignore. I] nous faudra renoncer momentanément a les intégrer
dans une synthése impossible d’histoire vraiment totale. Méme au niveau de
Pélite de ceux qui lisent couramment, au niveau donc des bonnes histoires de
Part, Pespace esthétique de l'Europe vers 1680 est un espace fractionné. Plus
sans doute qu’a la fin du Moyen Age, plus peut-étre méme qu’a la fin de la
Renaissance. Voyez |’architecture.
L’Italie, au milieu du xvi®, a porté le baroque 4 un point de réussite qu'il
est difficile de dépasser ; un double sommet : le Bernin, Borromini. Dans l’église
Santa-Maria-della-Vittoria 4 Rome, la chapelle Sainte-Thérése. Tout a été
dit sur la Transverbération. Elle date de 1646. Vingt ans plus tard, le chevalier
Bernin achéve les colonnades de Saint-Pierre. Elles font converger sur la facade
de Maderna, vers la loggia des bénédictions, les milliers d’yeux des grandes
foules pérégrines aux années jubilaires. La Scala Regia, sur un espace resserré
entre la basilique Saint-Pierre et le palais pontifical, reste un des chefs-d’ceuvre
du trompe-l’ceil. Borromini réalise en 1667 la facade aux frontons incurvés de
Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines qui a hanté, un siécle durant, l’imagina-
tion architecturale de |’Allemagne catholique et de l’Europe danubienne.
L’Italie commande vers le nord un espace baroque que la victoire du
Kahlenberg étend a travers la plaine pannonique jusqu’a la Transylvanie.
L’horizon 1680 est pour toute l’Allemagne du Sud celui de la reléve des archi-
tectes italiens par une génération d’architectes allemands qui vont aller au-dela,
si possible encore, des positions du Bernin et de Borromini. Le premier baroque
sud-allemand danubien a été dominé par des Italiens, voyez Guarino Guarini.
Cet oratorien, mathématicien et philosophe, est aussi un théoricien. II était
né 4 Modéne en 1624. II a construit et concu en Italie (on lui doit 4 Turin le
palais Carignano et Saint-Laurent), au Portugal, en France, mais surtout dans
PAllemagne du Sud, en Autriche et en Bohéme ot il a proposé plus que réalisé.
Voyez Santino Solari (il commence en 1614 la cathédrale de Salzbourg), Barelli
et Zuccalli* (ils commencent en 1663 4 Munich l’église des Théatins), Lurago
(la cathédrale de Passau a partir de 1668), Petrini 4 Wurtzbourg (la Haug
Kirche commencée en 1670). Carlo Canevale avait congu le plan de léglise des
Servites 4 Vienne (1651-1677), Francesco Caratti la fagade du palais Czernin
a Prague, aux trente-deux colonnes colossales engagées, qui jouent mieux que de
simples pilastres avec la lumiére plus rare du Nord, et c’est encore a un Italien,
Domenico Martinelli, que l’on doit, entre 1692 et 1705, au Liechtenstein, a
Vienne, l’avant-corps central du palais plus élevé que les ailes, une solution
hardie qui fera fortune dans |’espace austro-allemand.
Or, voici que commencent a produire successivement la pléiade des géants,
375
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
376
FIN] DU -BAROQQUE;* EMPIRE” DE® °LA MUSIQUE
Se)
LA CIVILISATION . DE L’EUROPE DES LUMIERES
est de l’espace musical européen date du début du xvil° siécle. Elle est li¢e au
triomphe progressif de la musique instrumentale du style concertant et du
contrepoint, a l’explosion de ce compromis génial et multiple, l’opéra italien.
Au XVIF siécle il n’en allait pas de méme. « L’histoire de la musique de la Renais-
sance, c’est Phistoire de la suprématie de ’hégémonie glorieuse du géniefranco-
belge sur tous les autres centres artistiques de I’Italie, de Espagne et des
Etats germaniques. » (M. Expert.)
Mais cette tension est simplifiante. Une analyse plus fine permet 4 Norbert
Dufourcq, dans son Jean-Sébastien Bach, le maitre de Vorgue, de distinguer
aux sources du génie du maitre les principales traditions dont la fusion s’opére
lentement tout au long du xvii® siécle. Une tradition espagnole, anglaise et
néerlandaise, une tradition francaise, une italienne ; une Allemagne méridionale
et danubienne sous I’emprise des maitres italiens en passe de relayer en musique
comme elle le fait en architecture I’Italie en perte de vitesse, un Nord immense
qui s’articule sur les Provinces-Unies et s’étend sur toute |’Allemagne protes-
tante des plaines, la Scandinavie et la Baltique ; cinq Europes musicales, donc,
au moins trois au prix d’un regroupement au sein des grandes articulations
habituelles, l’Italie et son prolongement sur |’Allemagne alpestre, la France
avec proche une Angleterre écartelée, le Nord. Une géographie qui n’est pas
commandée seulement par des traditions d’écriture mais plus encore, sans
doute, par des traditions de facture. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
378
FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
Revolution, son dernier combat, n’est pas pour surprendre : on y verra la simple
liquidation dun archaisme. Dans |’Allemagne moyenne et dans |’Allemagne
du Nord, le fait essentiel pour l’avenir réside dans la construction de l’infrastruc-
ture matérielle de grandes orgues nouveau style : le phénoméne Jean-Sébastien
Bach serait, sans ces modestes prolégoménes, en partie impossible. On sait
que la géographie de la facture fait jouer une des grandes failles culturelles de
PEurope traditionnelle. L’orgue est né au nord dans l’espace médiéval privilégié
de la France septentrionale et des Pays-Bas. Le roi de la musique instrumentale
met en ceuvre un ensemble complexe de techniques difficiles 4 maitriser. L’ Italie,
qui a créé lopéra, popularisé ce spectacle de Cour, reste fidéle 4 une forme
musicale somme toute archaique, qui recourt encore largement au support de
la voix humaine. L’orgue italien, jusqu’a la fin du xviI® siécle, est un instrument
modeste, latéral, tout de finesse. L’Allemagne catholique lui reste pour I’essen-
tiel fidéle. « En Allemagne du Sud au xvil® siécle, un orgue tout de qualité,
réputé pour la douceur de ses timbres, pour la luminosité de ses voix, la poésie
de ses pleins jeux, un orgue italien au pédalier réduit doté de quelques jeux
au clavier simple ou double mais rarement triple. » (Norbert Dufourcq.) L’orgue
du Nord qui couvre l’Allemagne protestante, de la mer du Nord 4 la Baltique,
s’apparente aux orgues frangaises, néerlandaises, voire méme espagnoles,
«un imposant instrument aux manuels multipliés, au pédalier nanti de dix ou
quinze registres — aux jeux nombreux, colorés, vivants, sources d’oppositions
constantes ». L’espace privilégié de l’Allemagne moyenne : Westphalie, Thu-
ringe, Saxe, Silésie, le temps privilégié du dernier quart du xviI® siécle vont
voir se réaliser l’indispensable et tardive synthése entre les deux techniques et
par-dela la technique entre deux mondes de musique. « Comme Il’organiste,
le facteur d’orgues voyage et ses déplacements contribu a l’évolution
ent de son
art. Partout ot il séjourne, il impose ses méthodes, ses gotits, mais il doit égale-
ment satisfaire son client et s’'adapter aux coutumes locales. Au brassage d’idées
et de techniques l’orgue profite. » Deux grands noms résument assez bien cette
mutation : André et Gottfried Silbermann. Ils commencent 4 travailler 4 la fin
du xvué siécle. On leur doit l’instrument de l’empire musical de l’Allemagne
moyenne sur |’Europe des Lumiéres.
Mais pour saisir le trouble esthétique de Phorizon 1680-1690, c’est en
France qu’il faut se placer. Rien 1a qui puisse surprendre. Le glissement sui-
vant le modéle que nous avons proposé du systéme mécaniste en ce systéme
bis qui, par la traditionnelle crise de conscience européenne, conduit a la philo-
sophie des Lumiéres s’est produit en France. En France et en Angleterre. sg
est naturel que les premiéres répercussions esthétiques — méme si les interac-
BS
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
tions d’un plan 4 l’autre sont difficiles 4 cerner — en soient d’abord per¢gues
sur l’espace frangais. .
On est tenté d’interroger d’abord l’architecture, l’art par excellence parce
qu’il totalise et résume tous les autres, parce qu’il a trait a habitat, parce qu'il
organise l’espace privilégié du foyer ou Pethnographe — Marcel Mauss aimait
a le rappeler — nous apprend a découvrir le ressort secret d’une civilisation.
Sa réponse est discréte et pourtant sans équivoque. Louis Hautecceur Pavait
déja noté. Le tournant architectural en France ne correspond pas a celui du
régne mais aux deux derniéres décennies du xvul® siécle, horizon 80 de la
crise de conscience. Trahard, lui, plagait jadis au niveau de l’expression litté-
raire, vers 1720 environ, l’explosion, le déferlement de la nouvelle sensibilité,
la manifestation littéraire du sensualisme lockien. Mais les premiers signes
avant-coureurs sont antérieurs. En cherchant bien, on les trouverait sans aucun
doute au rendez-vous fatidique. « Dés 1680-1690 sont nés des types inédits
hotels et de chateaux. » Ils sont l’ceuvre de la nombreuse équipe Jules Har-
douin-Mansart. Cetarchitecte est un pluriel, un pluriel libéré par ’achévement du
gros-ceuvre dans le complexe versaillais. Le Grand Trianon ne saurait masquer le
reflux des commandes du prince accaparé par le grand affrontement militaire
de la Succession d’Espagne.
Coté Cour ou cété jardin, peu de chose distingue ces réalisations de celles
plus rares du temps de Colbert. Peu de chose. Et pourtant. La premiére muta-
tion est celle du nombre. Les derniéres années du xvii® annoncent les Lumiéres,
ce phénomene urbain, par une décisive valorisation de l’espace urbain. Les der-
niers beaux jours de l’aristocratie aux champs se situent peut-étre entre 1620 et
1650 ; une robe rouge et blanc dont le tout jeune Mansart a dressé l’archétype a
Balleroy porte temoignage de la promotion aristocratique de la nouvelle noblesse
issue, au XVI° siécle, de la marchandise détournée par TEtat et figée, au
Xvul® siécle, dans l’office par la robe. On a relativement peu construit en dehors
des grandes commandes officielles, de 1660 4 1680, quand l’élite de la noblesse
prend le chemin de la Cour. On construit paradoxalement beaucoup dans
les derniéres décennies du xvir® siécle. Ce mouvement de la construction
de luxe se situe, et ceci est révélateur, 4 contre-courant de la conjoncture des
campagnes, en corrélation positive il est vrai avec les indices du commerce
extérieur.
Au cours des derniéres années de Jules Hardouin-Mansart (+1708) a la
Direction des batiments, puis sous Antin qui y demeure jusqu’en 1736, la
construction civile de luxe pivote. Aprés les belles demeures aux champs de la
premicre moitié du xvi°, les constructions somptueuses de Versailles, l’ére des
380
FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
381
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
382
FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE: LA MUSIQUE
1755), Le Moine (1688-1737) et, bien sir, Jean Antoine Watteau (1684-1721).
L’alignement pictural francais passe curieusement par une orientation en direc-
tion du nord, par une redécouverte de Rubens. Le tournant pictural francais
se situe bien 4 la hauteur de la génération de Largilliére et non a la hauteur de
celle de Watteau : en un mot, la victoire des rubénistes sur les poussinistes.
« C’est du Nord que vient le gofit d’une palette vibrante comme la recherche
@une traduction des qualités tactiles de la matiére qui s’affirment alors. De 1a,
également une faveur nouvelle pour les sujets de genre. » (J. Thuillier, A. Cha-
telet.) Mais un changement de la thématique suppose surtout une modification
au niveau de la commande. De la mythologie héroique, l’aristocratie de la nais-
sance, de la charge et de la finance passe « aux amours des dieux et aux scénes
galantes ». Le marché se modifie. L’Etat, son implantation versaillaise achevée,
absorbé par d’autres taches, s’efface. « Les grandes entreprises décoratives
deviennent rares. » L’hétel urbain, sur un espace cher, a tendance a sacrifier les
galeries somptueuses aux appartements intimes.
L’infléchissement social de la commande, !’évolution du goat, la promotion
du corps, le raccourcissement eschatologique qui s’amorce — retour des pensées
sur les choses —, la réduction et le morcellement des surfaces 4 couvrir con-
tribuent 4 l’importante modification des thémes. Des thémes qui appellent
le coloris frais de la chair féminine adolescente. La modification s’insinue 1a
méme ov on ne l’attend guére. Quand Louis XIV vieillissant donne 4 travailler
pour ses petits-enfants, l’art né dans le laboratoire trouble des nouveaux hétels
parisiens s’infiltre dans la commande officielle. Voyez les aménagements de la
Ménagerie de Versailles pour la toute jeune duchesse de Bourgogne, en 1699,
bient6ét suivis par les transformations du chateau de Meudon destiné au Grand
Dauphin. C’est au méme moment que le mobilier 4 son tour esquisse une évo-
lution. Il faut meubler les nouveaux hétels. Le meuble devient un peu moins
encombrant, il sera un peu plus nombreux. Le fauteuil et la chaise, « qu’un
dossier moins volumineux et plus confortable rend plus mobiles, qu’une sculp-
ture dorée et fouillée rend précieux par leur bois méme et non plus seulement
par leur garniture » (P. Verlet), font place a la courbe. Voyez le pied Régence:
il apparait peu avant 1700, il esquisse par la base la courbure Louis XV. Le
corps prend ses aises. Le lit de repos et la chaise longue sont les auxiliaires d’un
art plus détendu de la conversation, ils apparaissent dans les intérieurs privi-
légiés sur horizon 1700. Le lit allége ses superstructures, les tentures reculent,
le grand lit 4 colonnes s’efface dans une piéce mieux chauffée. Les accessoires
se multiplient : la banquette a billard, qui est née a la fin du xvir*, s’affirme;
le pied de table, le guéridon, la « chaise d’affaires », d’une facture raffinée et
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LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 155 “Aaa
155. LA CHAPELLE DE VERSAILLES. espace et une autre sensibilité. L’éghse
Au tout début du siécle, ce chef-d’ceuvre s’éléve, isolée, dans une prairie des Pré-
un peu froid de l’architecture classique, alpes de Baviére. Pour le pélerin, la
vu de Vintérieur. La chapelle de Versailles récompense est a Vintérieur. L’église,
est Pouvre, pour Vessentiel, de fules on le voit sur cette photo, est construite
Hardouin-Mansart. Le plan fut arrété sur un ovale central avec une coupole
en 1691, les fondations avaient été jetées reposant sur des colonnes jumelées. Hyper-
en 1689. La guerre, de la Ligue d’ Augs- baroque dans sa structure d’ensemble,
bourg d’abord, de la Succession d’Espagne Wies l’est encore par la décoration plaquée
ensuite, en ralentit Tédification. Pour sur des surfaces d’une blancheur éclatante.
ne pas insulter a la misére, Louis XIV La décoration, le plafond, les fresques
renonca au marbre, et ausst parce que le sont dus, pour TPessentiel, a Fohann Baptist
matériau passait de mode. Le luxe réside Zimmermann (1680-1758), le frére de
dans le choix d’une pierre d’un grain Parchitecte. Au-dessus du maitre-autel
trés fin et d’une blancheur exceptionnelle. se trouvent le tableau de Balthasar
Le gros auvre est achevé en 1703. On Albrecht et la statue du Christ flagellé,
commenga immédiatement a sculpter les qui est a Tl’origine du pélerinage.
chapiteaux corinthiens. De 1704 a 1708,
les ornementistes travaillent aux décora- 157. PETROPAVLOVSK.
tions en ronde bosse du rez-de-chaussée. Le mausolée des Romanov, piéce imposante
Lédifice est achevé de 1708 a 1710, d’un baroque qui met la Russie, avec
sous la direction de Robert de Cotte, son génie propre, a Vheure européenne.
successeur de JF. Hardouin-Mansart, Au centre, cette énorme construction allie
mort en 1708. Le rezg-de-chaussée est la technique occidentale du baldaquin
réservé aux courtisans, la partie noble au génie oriental de Ticonostase.
est le premier étage, l’étage du rot. On y
accéde par le fameux vestibule que Robert 158. LE TRASPARENTE DE TOLEDE.
de Cotte dessina en 1707. Rectangle sans Tout a été dit sur le Trasparente de
transept, que termine une courte abside Toléde, le plus étonnant hymne de pierre,
semi-circulaire et qui se divise en une nef de marbre, de stuc, de bronze doré et de
et deux bas-cétés que prolonge le déambu- lumiére jamais édifié a Texaltation du
latoire. On aura noté la simplicité voulue mystére eucharistique. Entourer Thostie,
de la décoration intérieure. Elle n’exclut édifier autour de ce point de rencontre
pas le faste : les balustrades des tribunes,— du temps et de Téternité, du Créateur et
les bas-reliefs de la Gloire du grand autel, du créé, de ’humanité de Dieu et de la
les bronzes des autels du saint sacrement. divinité de homme, ce gigantesque osten-
Décoration symbolique dédiée a Saint Louis. soir vers lequel converge la lumiére. La
Mais exubérance discréte. On est loin lumiére pénétre massivement depuis Tar-
du baroque. riére a travers les votttains ajourés d’une
demi-travée. Ce haut point du baroque
de tous les lieux et de tous les temps, est
156. L’EGLISE DE WIES. Peuvre, achevée en 1723, de Narciso Tomé.
Le contraste est total. Cinquante ans de
distance. L’église de pélerinage de Wies, 159. LE GRAND ESCALIER DE POMMERS-
dédiée au Christ flagellé, a été bdtie FELDEN.
de 1746 4 1759 par Dominikus Zimmer- Pommersfelden est Vceuvre de Hilde-
mann; mais Wies, c’est surtout un autre brandt (1668-1745), aux confluences
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LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 155 eo) Amel
164. ABBAYE DE SAINT-FLORIAN, AU- 167. WILHELMSTHAL.
TRICHE. QGuvre de Cuvilliés en Baviére (1747-
Bel ensemble XVIII*¢ siécle. Notez les 1755). La marque du baroque allemand
clochers a bulbe, typiques de lVEurope est particuliérement nette ict. Nous retrou-
danubienne, les toits a pentes rapides, vons la forme pyramidale de la facade,
le bel et sévére alignement des facades. les toits et les fenétres dans une tradition
Sur le corps central, visible a gauche, des gui est celle du Belvédére. Parc, ptéce
pilastres corinthiens d’une seule venue d’eau et forét fournissent a cette belle
(ordre colossal). Sévérité, rigueur, sérieux demeure équilibrée un cadre digne d’elle.
et puissance. Saint-Florian montre dans Le paysage forestier est un atout parfai-
la_ pierre la puissance civilisatrice de tement saisi par l’architecture de l’Alle-
PEglise dans cette partie de Il’Europe magne baroque au sommet de son expres-
au XVIII* siécle. sion, au début d’un long stécle des Lumiéres.
386
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS iis eeAwe 17,1
courant que l’on retrouve un peu partout, Labbatiale domine le rocher, elle est
que Hildebrandt a porté a son point de prolongée par la masse imposante des
perfection dans le Belvédeére. batiments conventuels. Clochetons chargés,
et au centre, massive et pourtant élancée,
I7I. ABBAYE DE MELK, AUTRICHE. tournée vers le ciel, solide et stire comme
Melk occupe un sommet. Par la masse, la foi qui méne a Dieu, l’énorme coupole.
par le site, en complicité active avec le La construction de Melk fut entreprise
paysage, sur un promontoire rocheux qui en 1702 par facob Prandtauer (1660-
domine le Danube, par le faste, la richesse 1726). L’intérieur revétu de marbre,
de T’invention, Melk plaide, avec Wein- le maitre-autel orné d’un énorme retable
garten, Klosterneuburg et Saint-Florian, a colonnes, toute la décoration intérieure
pour le prestige, la vitalité et la puissance, confirment Tl’impression de richesse, de
au début du XVIII*, dans toute IAlle- luxuriance, de puissance et dénotent Tin-
magne baroque, d’une religion monastique. fluence de I’Italie proche.
387
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
389
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
390
FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
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Paris A Fischer .
Versailles 27 Hildebrandt !
Hardou in-Mansart | Prandtauer if
Delamaire
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Zone de production artistique
= importante
E Zone de production artistique
‘ significative
Bologne
O10§ > a Zone de propagation
Galht da Bibbiena ke architecture baroque
Ry ae
Churriguera iN <2 4 Zone de rayonnement
anque(@) Rodriguez m—>— Direction d’influence
Madrid )
@Nwie Héré Nom d’architecte
L’axe de diffusion des formes baroques s'est isole et encercle l’empire italo-allemand des
déplacé vers le nord. Il couvre désormais toute formes. Une chose est sttre, l’Europe des Lumiéres
la zone alpestre, Allemagne du Sud, Allemagne sur le plan de l’esthétique est moins uniformé-
rhénane, Autriche, Bohéme, Baviére. Paris ment francaise qu’on ne s’est plu trop souvent
diffuse une esthétique classique qui a beaucoup a laffirmer. Elle se partage sensiblement en
concédé au décor, a V’intimité des intérieurs. deux secteurs d’importance a peu prés équi-
Londres est partagée. Dans l’ensemble, Paris valente.
391
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
en une série de discours appelés 4 une large diffusion, Reynolds exposera avec
autorité cette doctrine « académique » : Reynolds, comme tous les artistes et
tous les amateurs de l’époque des Lumiéres, croit a l’étude systématique des
maitres de la Renaissance italienne ; de I’étude de I’antique a travers I’Italie du
XVI¢ siécle se dégage un ensemble de régles dont l’application est, avec beaucoup
de métier, un des secrets de l’art.
Le modéle italien est une des clefs de l’esthétique des Lumiéres jusqu’au
tournant du milieu du siécle, cette demi-rupture qui en appelle, du modeéle
antique trahi au xvi¢ siécle au modéle antique restitué par les jeunes sciences
auxiliaires de l’histoire, de Vitruve et de Palladio, 4 la vigueur archaisante du
dorique monumental de la Grande Gréce. De part et d’autre de 1750 pourtant,
le beau des Lumiéres reste étroitement solidaire des choix de la Renaissance.
Solidaire conscient des choix de la Renaissance italienne, le xvi1I® siécle lest
aussi sans le savoir des tensions tragiques de l’art européen, au tournant des
XVI°-xvil siécles. L’esthétique des Lumieéres, par-dela le choix global des
moyens du xvI¢ siécle, continue de vivre la tension tragique du tournant fonda-
mental du début du xvir®e siécle. Contemporaine de la mathématisation et de la
physique galiléenne, la tension au sein d’un méme systéme des aspirations
classiques et baroques appartient a l’héritage intégré a l’esthétique des Lumieéres.
H. Wolfflin qui, depuis son Renaissance et Baroque jusqu’a ses Principes
fondamentaux de histoire de Part, s'est appliqué a dessiner le tournant décisif,
a la fin du xvié siécle en Italie, au début du xvii hors d’Italie, de la Renaissance
au baroque a posé d’une maniére toujours valable ce qui peut étre considéré
comme les deux péles antithétiques et indissociables du systéme esthétique
commun au classicisme et au baroque, d’un systéme qui appartient au xvIIe
et au xviule siécle. Entre ces deux pdles, le xvuir® siécle oscille, comme I’avait
fait la période antérieure de 1621 4 1680, dont le xvur¢ est solidaire. D’une part
une option linéaire et plastique, de l’autre une option picturale. La figure arré-
tée en ses contours dans l’option classique se dissout en image mouvante dans
la vision baroque ; l’étre n’est plus concu comme immuable essence mais comme
perpétuel devenir;l’absolu n’est plus le parfait mais l’infini. La vision classique,
répéte-t-on, projette le spectacle, coupe les rayons de la « pyramide visuelle ».
« La vision baroque pénétre l’espace en profondeur. » « Le classique procéde
par analyse [...] le baroque fait de la synthése. » « Le classique exige l’absolue
clarté ; le baroque préserve une obscurité relative. » Bernard Teyssédre rap-
pelle enfin avec raison qu’aucun de ces cing concepts n’a de consistance auto-
nome, de position absolue. Ne pas oublier l’intime cohérence des choix essen-
tiels qui gravitent autour de deux péles principaux, « la plénitude de l’étre et
392
FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
BOS
LA CIVILISATION DE L> EUROPE DES LUMIERES
public, une scéne d’illusion qui permet d’affirmer 4 sa maniere Pexistence d’une
réalité distincte. Donner des preuves presque matérielles de lexistence d’un
milieu divin nettement séparé, c’est ce a quoi tend l’Eglise baroque depuis le
Bernin et Borromini, c’est ce que fait 4 la perfection le baroque allemand en plein
siecle des Lumiéres. Affirmer l’existence de l’au-dela que déistes et athées
rejettent, affirmer l’existence d’un au-dela qui est un refuge, c’est a la limite la
seule maniére acceptable, pour les secteurs les plus rationalistes de l’opinion
éclairée, de concevoir la religion. Deux mondes peuvent coexister ainsi qui ne
risquent pas de se rencontrer. La basilique du xvuI° siécle peut étre interprétée
comme Il’affirmation d’une église triomphante, dans un premier mouvement ;
elle est tout aussi bien l’expression du partage laic, de la vie autonome du monde
rationnel et de l’au-dela. A certains égards rien de plus significatif que Saint-
Jean-Népomucéne. Egid Quirin Asam * « possédait une maison 4 Munich et,
vers l’Age de quarante ans, il commenga a se préoccuper de sa gloire posthume.
En 1731, il décida donc de construire 4 cété de sa propre maison une église dont
il serait le propre donateur. Dédié 4 saint Jean Népomucéne, l’édifice fut
bati entre 1733 et 1750. C’est une trés petite église qui a moins de dix métres
de large ; relativement haute et étroite, munie sur tout son pourtour d’une tri-
bune peu profonde, elle comporte deux autels, l’un au rez-de-chaussée, |’autre
au-dessus, dans la tribune. Cette derniére repose sur les doigts de termes pirouet-
tant ou d’anges-cariatides penchés plus ou moins en avant. La corniche supérieure
s’éléve puis s’abaisse, les couleurs sont des ors sourds, des bruns, des rouges
sombres qui brillent soudain dans l’ombre quand la lumiére les effleure [...]
La fenétre haute, a l’est, est placée de telle sorte qu’un groupe de la Sainte
Trinité se détache 4 contre-jour : Dieu le Pére tenant le crucifix est surmonté
par l’Esprit Saint. Ils sont entourés d’anges et donnent une impression 4 la fois
de fantastique et de merveilleuse réalité. » Pevsner, 4 qui nous empruntons ces
considérations, n’hésite pas 4 placer Saint-Jean-Népomucéne 4 la pointe
de la perfection du baroque religieux, avant méme ces sommets que sont
Péglise de Rohr, de Weltenburg ou le Trasparente de la cathédrale de Toléde,
dans la mesure ou il est sensible 4 la coordination parfaite « d’une composition
strictement architecturale avec de simples trompe-!’ceil, le tout produisant une
extraordinaire sensation de surprise qui peut se muer, sans effort, en ferveur
mystique ».
Cette impression d’indéniable réalité de l’au-dela, d’un inaccessible promis
aux hommes par le sacrifice unique et parfait offert sur la croix et perpétuelle-
ment actualisé sur l’autel, on la retrouve dans toutes les églises des années
1670-1750, en Allemagne du Sud, en Autriche, en Espagne. Voyez les Théa-
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FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
seb)
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
convergence des regards et de tous les éclairages, centre focal de toutes les
trajectoires elliptiques qui enserrent l’espace sacré de la basilique, met en valeur
physiquement le mystére de linexprimable. La transsubstantiation, réponse
catholique a I’éloignement infini dans espace mathématique indéfini de Dieu,
Deus absconditus, est enserrée dans la pédagogie naive, réaliste et efficace de
architecture baroque. C’est au service de la transsubstantiation que le baroque
religieux s’est placé: la transsubstantiation que la Céne protestante refuse,
Incarnation que rejette la pensée philosophique, le Dieu impersonnel (Deus
sive Natura) de Spinoza n’en a cure, puisque immanent du monde, le Grand
Architecte de l’univers se désintéresse de son ceuvre de plus en plus autonome
chez les successeurs de Newton. L’architecture religieuse du premier XvIII® sié-
cle, solidaire du Bernin et de Borromini, est une architecture de combat,
de Contre-Réforme au xvir®, elle s’adapte sans difficulté a l’apologétique anti-
philosophique du xviure. Elle est démonstration de la Réelle Présence. L’Europe
protestante a les mémes problémes, a quelques nuances prés. Le protestantisme
a tendance piétiste qui prend corps 4 la fin du xviI®, en réponse au dess¢chement
rationaliste, est aussi religion de l’au-dela et, plus encore que la Réforme catho-
lique, au service du Deus absconditus, donc de l’Incarnation, une incarnation
réalisée dans le sacrifice unique et parfait, donc inactualisable. L’architecture
de pierre et de stuc est impuissante 4 exprimer ce qui est d’éternité. Le miracle
que le contrepoint architectural est incapable d’évoquer ici, le contrepoint
musical, la cathédrale de sons et d’accords des grandes orgues de Silbermann
au service de Bach, s’efforce de lobtenir. Et c’est dans cet esprit que Pevsner
a pu dire, 4 propos de Vierzehnheiligen : « Ce style est a architecture ce que la
fugue est 4 la musique. »
Le baroque civil a mis au service de l’Etat, dans une société d’ordres, des
moyens con¢us au départ pour la démonstration du surnaturel. Les paysans,
qui sont admis, certains jours de l’année, 4 contempler les décorations des palais
princiers de l’Allemagne alpestre et de l’Europe danubienne, recoivent commu-
nication de l’insurmontable distance qui les sépare de I’univers des ordres
supérieurs qui est aussi celui du prince. Mais, du méme coup, ce monde supé-
rieur se donne 4 connaitre. Le palais baroque est au service d’une communica-
tion, au méme titre que la basilique. Pour la féte qui marque couronnement,
mariage, baptéme princier, "Etat princier réduit de l’Europe médiane se donne
a connaitre, a aimer et 4 servir dans un élan affectif qui a sa valeur et son efficace.
En un mot, lesthétique du xviir® siécle est largement solidaire de celle de
la Renaissance et, étroitement, du baroque du xvir® siécle. Mais il convient de
se rappeler que le baroque est issu, historiquement, au moment du tournant
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VI. L’ ANGLETERRE AUSSI. NOSTELL
PRIORY.
Nous nous sommes élevé contre le nationa-
lisme naif qui accorde a la France le
monopole du mobilier de luxe. La France
partage avec I’Angleterre la domination
du continent. Et Ile, sauf a de rares
moments, se défend bien contre l’invasion
gallicane. Voyez, précisément, Nostell
Priory. Chateau de style Renaissance
construit en 1733, tl a été achevé par
Robert Adam a qui l’on doit les aménage-
ments intérieurs. Ce trés beau mobilier,
comme tout le mobilier anglais, prématu-
rément et délibérément néo-classique, est
Peeuvre de Thomas Chippendale. On
admirera les motifs incrustés, la concession
baroque dans lencadrement des glaces,
Péquilibre et la légéreté de l'ensemble, et
plus encore la stireté et ’harmonie des tons.
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
« L’Italie a trouvé une des formes d’expression les plus originales de son
génie plastique dans la scénographie, cet art d’illusion optique dont la nais-
sance et les avatars sont intimement liés aux avatars de la perspective [...] »
C’est au xvil® que la scénographie devient l’art du décor de théatre en perspec-
tive. Les premiéres bases en avaient été jetées par Sebastiano Serlio dont le
Second Livre de perspective parait 4 Paris en 1545. A partir de la Pratica della
perspettiva de Daniele Barbaro, parue 4 Venise en 1568, le rythme des publica-
tions et de la recherche se précipite. Au mathématicien Guido Ubaldus le
meérite de poser (dans le De Scenis paru en 1600) « les bases mathématiques de
la scénographie en élaborant la théorie des points de fuite de la perspective ».
Une machinerie complexe se développe parallélement et l’architecture entre en
ligne. Nicola Sabbattini, dont la Pratica di fabricar scene e macchine né teatri,
publiée 4 Pesaro en 1637-1638, est appelée 4 un succés durable, est architecte de
formation. Aprés les décors a glissiéres, voici la lourde mécanique des prismes
tournants (/a scena versatilis). Inigo Jones se fera en Angleterre le défenseur de
la solution déja moderne de la scéne en coulisses qui associe la théorie des points
en fuite 4 une machinerie relativement légére, donc efficace. Mais, a partir du
milieu du xvii siécle, c’est dans la scéne picturale en mouvement tournant que
les progrés les plus rapides sont alors accomplis, sous l’égide de Giacomo Torelli
de Fano, qu’on surnomma le sorcier. Torelli recourait encore largement aux
machines. Les derniéres décennies du xvi1® comptent sur les progrés de ce que
400
FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
Von est convenu d’appeler l’illusionnisme pictural. Deux grands noms dominent,
dans ce domaine faussement modeste, toute l’Europe des Lumiéres : le jésuite
Andrea Pozzo, la dynastie des Galli Bibiena. La Prospettiva di pittori e architetti,
publice en italien de 1693 a 1700, sera traduite dans presque toutes les langues.
Elle va de pair avec les « théatres sacrés » du Bon Pére pour les fétes religieuses.
« Pozzo insiste sur l’obliquité des coulisses qui rend plus délicat ]’établissement
du point de vue mais augmente l’illusion optique en adoucissant le dessin des
lignes. Les six coulisses qu’il préconise de chaque cété allaient en décroissant vers
le fond [...] » Pozzo, toutefois, reste fidéle au décor symétrique ; il ne décentre
pas encore le point de vue. Aux Galli Bibiena cet ultime raffinement. « Ces prodi-
gieux décorateurs et architectes de théatre princier propagérent en Italie, en
Allemagne et en Autriche [toujours l’espace privilégié du baroque tardif ita-
lien] les derniers feux d’un art de Cour » parvenu a son apogée. Les grands
traités se succédent : 1711, 1731. On ne voit plus les architectures de face mais
d’angle, alors que la scéne prend un aspect fantastique d’immensité. Pour loger
cette scéne dévorante d’espace, une architecture s’impose. Le plus grand succés
posthume de Palladio est un théatre, le théatre Olympique de Vicence, amphi-
théatre semi-elliptique inauguré en 1585. Le monument s’inspire trop étroite-
ment de réminiscences antiques. Une partie des constructions du xvi siécle
continueront 4 dépendre du modéle classique de Palladio. L’Angleterre paie
tribut par les relais prestigieux d’Inigo Jones et de Christopher Wren : Drury
Lane, Covent Garden, Haymarket portent l’empreinte. Le progrés passait pour-
tant par une mise a |’écart des solutions trop peu théatrales, trop uniquement
architecturales de Palladio. Les théatres du xviur® siécle s’inscrivent dans un
rectangle de plus en plus allongé dans le sens de la profondeur qui donne tou-
jours plus de champ 4 l’espace scénique.
Cété spectateurs, le xvi11¢ siécle multiplie les loges. Elles sont la conséquence
de l’ouverture au public payant 4 Venise en 1637. L’éclairage, lampes a huile
ou chandelles de cire blanche, a fait des progrés. Au xviiI¢ la coutume s’impose
d’obscurcir la salle avant le commencement de la représentation. Quelques
privilégiés pallient l’obscurité au moyen de petites bougies (cerinz) : elles per-
mettent de suivre le texte des livrets vendus 4 |’entrée ; conservés dans nos
bibliothéques, ils portent aujourd’hui encore marques de cire et traces de
bralures. Le xvii® siécle finissant a été séduit surtout par les processus méca-
niques des machinistes décorateurs. L’Italie, au xviir° siecle, répand a travers
Europe la rage du bel canto lorsque Naples prend Jatéte de lopéra italien,
Naples qui reste la plus grande ville italienne et la troisieme d’Europe. Comme
le gotit des Lumiéres valorise les hauts registres et que la coutume longtemps
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LA CIVILISATION
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PINY eDU iBAROQUES 2 VEMPIREY DELo LA MUSIQUE
grand succés, l’opéra bouffe, dont les intrigues puisent dans le répertoire de la
commedia dell’arte, dont les types et les mimes ont amusé le petit peuple des fau-
bourgs dans toute l’Europe au xvir® et sous d’infinies variantes jusqu’a la
fin du xvilI®, peut-étre méme au-dela. L’école vénitienne aprés 1660 prend
la releve de Rome €puisée, mais c’est Naples qui est, au xvimi® siécle, la capi-
tale de l’opéra.
Alessandro Scarlatti, le pére du maitre du clavecin, naquit en Sicile vers
1659. Il étudia 4 Rome puis dans le nord de I’Italie, vint 4 Naples en 1684, il
fut maitre de la chapelle royale jusqu’en 1702. On le considére en général comme
le maitre de l’opéra napolitain. Pendant toute la période napolitaine, de 1684 a
1702, il écrit en moyenne deux opéras par an. II quitte Naples en 1702, séjourne
a Rome et 4 Florence jusqu’en 1707 et retourne 4 Naples ow il meurt en 1725.
La plus grande partie de son ceuvre (115 opéras) est aujourd’hui perdue :
abondance ou négligence qui dénote une certaine spontanéité d’un art devenu
de plus en plus un art populaire. Sur ce point, au moins, |’influence d’ Alessandro
Scarlatti aura été décisive. Nul plus que lui ne contribuera 4 l’évolution de
Porchestre. Nous avons retrouvé tout a Pheure dans |’évolution de la salle
qui sacrifie toujours plus la vue a l’ouie. L’orchestre, dans ses derniéres ceuvres,
Tigrane (1715), Telemaco (1718) et Griselda (1721), croit en dimensions et en
importance. « Aprés 1700 dans l’accompagnement du recitativo strumentato, qui
consiste en solos dans le style arioso placés aux moments de violente tension
dramatique et de conflits intérieurs [l’orchestre acquiert toujours plus
d’importance]. Le chanteur est interrompu par les éclats de l’orchestre qui
souligne ainsi les changements rapides des états d’ame et suggére des profondeurs
d’émotion que la voix seule ne pourrait exprimer. » (Donald J. Grout.)
Les Italiens auront été aussi les grands pourvoyeurs de livrets : Apostolo
Zeno * (1668-1750) d’abord, et surtout Métastase * (Pietro Antonio Trapassi,
1698-1782), la plus grande gloire de l’Arcadie, le librettiste universellement
sollicité ; son melodramma s’inspire formellement du drame grec pour lui tour-
ner le dos quant au fond. Homme adulé, compare par ses contemporains a
Homére et 4 Dante, on lui doit du moins I’ « opéra aria » sous sa forme définitive,
celle d’un drame raccourci condensé en trois actes, « basé sur des épisodes de
Phistoire antique traités de fagon 4 donner des exemples de vertu et des legons
de morale rationnelles. Une scéne caractéristique d’un opéra de ce genre se
divise en deux parties : un dialogue utile a l’action, en récitatif ; l’expression
des sentiments ou des réflexions, en aria. »
La France a eu Lully (1632-1687) qui fut paradoxalement contre la musique
italienne le rempart de la tradition frangaise. On lui doit Pintroduction du
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FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
deux intermezzi. Les premiers intermezzi écrits en dialecte napolitain emprun-
taient thémes et personnages 4 l’inépuisable répertoire de la commedia dell’arte.
Au départ, ces intermezzi étaient l’ceuvre d’obscurs compositeurs. Aprés
Alessandro Scarlatti, Leo, Vinci, Hasse, Rinaldo da Capua et, au premier plan,
Pergolése dont la Serva padrona, représentée pour la premiére fois 4 Naples
en 1733, déclenche en 1752 4 Paris la querelle des Bouffons.
L’opéra-comique aura contribué, du moins, a briser quelques préjugés
indissociables de la tradition de l’opera seria : une réhabilitation des basses.
On sait le coit humain atroce de la folle prisée du tenor soprano, la place
dévorante du solo. Grace a l’opéra bouffe, la place des ensembles va aller
croissant au xviiI® siécle. Servi d’abord par des talents modestes, puis par le
dieu Nicola Logroscino 4 Naples a partir de 1738, Piccinni, Anfossi, Guglielmi,
Paisiello, il est appelé a un prodigieux succés populaire. La promotion
s’affirme vers 1760. Elle est due, en partie du moins, aux excellents livrets
de Goldoni* et s’achévera sur l’apothéose mozartienne, des Noces de Figaro a
Cosi fan tutte en passant par Don Giovanni.
Mais l’attente parisienne, Gluck la comblera au terme de ce qui n’est plus
tout a fait le temps des Lumiéres, au début d’un régne qui porte déja les germes
d’un tragique destin. Ce fils d’un ancien soldat du prince Eugéne, garde forestier
d’un prince tchéque, sujet de la maison de Habsbourg, Christoph Willibald
Gluck, né 4 Erasbach en 1714, au fond de la forét bavaroise proche de la Bohéme,
témoigne 4 sa maniére du glissement vers |’Allemagne du Sud du centre musical
de l’Europe, la fin de l’empire universel de la Thuringe et de la Saxe. Il a été
formé 4 Vienne dans un milieu italianisant. Comme Rameau, Gluck n’est pas
un précoce. C’est 4 Vienne, au contact de Ranieri Calzabigi, « poéte, dramaturge,
esthéticien, homme de finance » (Georges Favre), qu’il congoit le nouvel opéra,
cristallisant plus qu’il ne crée la ligne du drame lyrique, 4 Pheure du néo-
classicisme, de l’antiquomanie archaisante. De la collaboration Gluck-Cal-
zabigi naissent, de 1762 a 1769, Orfeo, Alceste, Paride ed Elena, « ot la préoccu-
pation du drame et la recherche de lignes nobles et simples passent au premier
plan », réplique dramatique du dorique archaisant des fagades Louis XVI.
La carriére parisienne de Gluck est liée 4 la Dauphine, bientét reine en
1774. Le premier triomphe de Gluck, le 19 avril 1774, précéde de peu la mort
de Louis XV. Les échos des succés viennois du nouveau drame musical sont
venus jusqu’a Paris. « Le bailli Du Roullet attaché 4 l’ambassade de Vienne »
fournit un livret, une [phigénie en Aulide d’aprés Racine. « Dans l’enthousiasme,
il brosse une partition d’une unité et d’une largeur de ton encore jamais at-
teintes. » Le directeur de l’Opéra, Dauvergne, accepte l’ceuvre proposée, mais il
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
sent bien qu’un pareil drame « tue tous ceux qui ont existé jusqu’a présent ».
De 1774 4 1779, Gluck exerce un empire tyrannique depuis Paris sur Europe
musicale : Iphigénie en Aulide, Orphée (2 aotit 1774), Alceste (1776), Armide
(1777), Iphigénie en Tauride (1779) jusqu’a l’échec imprévu, le 11 septembre
1779, de son Echo et Narcisse qui rompt le charme. Gluck, riche et honoré,
termine sa vie en publiant des études théoriques dont l’influence est durable.
Resserrement de |’action lyrique, choix exclusif « des passions fortes », langage
direct, dépouillé, constituent quelques-uns des thémes de ce néo-classicisme
de la forme qui se place, en fait, sous l’empire de la passion héroique, au seuil
d’une époque ow les tensions sociales ébranlent déja en profondeur les subtils
équilibres des Lumieres.
L’opéra, art de compromis de l’équilibre, au destin constamment remis en
cause, fournit quelques-uns des exemples les plus typiques du génie des
Lumiéres. Art populaire, mais de simple participation — le public applaudit,
fredonne, assiste passif, loin de la scéne d’illusion pourvoyeuse de réves mélodi-
ques —, l’opéra, ce batard, est trop profondément intégré a une liturgie sociale
pour atteindre aux sommets de Il’art. C’est 4 la musique instrumentale pure
que ce privilége incombe.
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LEGENDES DES ILLUSTRATIONS i722 _Aase
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3 eae, I
4 Filial :
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS P72 AL DS3
ans). 1775, le choc s'est produit. La 178. LA ROTONDE DU RANELAGH.
création a Paris, en avril 1774, d’Iphi- Elle a frappé Canaletto qui nous livre
génie en Aulide marque au plan musical ce document vrai et précis, comme une
le début du régne, le triomphe, d’une centaine d’images fidéles juxtaposées selon
nouvelle esthétique de la musique et du sa maniére. La Rotonde du Ranelagh
spectacle d’opéra. Gluck prépare Alceste appartient a un nouveau type d’architec-
dont le succés confirme pour quelques ture des lieux de divertissement, qui diffuse
années encore Vemprise du compositeur depuis des modéles anglais : les vauxhalls,
sur la société parisienne. Fusqu’au dernier les colisées, les rotondes... La rotonde est
succés d’Iphigénie en Tauride (18 mai un temple d’un genre nouveau dédié au
1779) et & P’échec d’Echo et Narcisse gout de la musique. Il permet de souper
(septembre 1779) qui provoque le retour en écoutant le concert. « A la mort de
définitif a Vienne de ce curieux révélateur. lord Ranelagh, une compagnie avait
Duplessis a donné au modéle le regard perdu acheté son parc de Chelsea et donné des
au-dessus de Vhorizon du _ visionnaire. fétes dans la rotonde quil avait fait
Le contraste est voulu entre le prestige construire; elle avait engagé deux arti-
de Tlhomme et le modeste instrument, ficiers francais. L’un d’eux, Morison,
Pépinette, ce petit clavecin que taquinent, qui était garde de la porte de Passy, au
habituellement, les jeunes filles de la trés bois de Boulogne, obtint l’autorisation d’y
bonne société. (Vienne, Kunsthistorisches créer un Ranelagh. » (L. Hauteceur.)
Museum. ) Au centre, une rotonde a colonnes abrite
les musiciens. Tout autour, des kiosques
177. HAYDN CHEZ LES ESTERHAZY. ouverts d’un seul coté recoivent les sou-
Retour en arriére. Nous voila vingt ans peurs. (Londres, National Gallery.)
plus tot, vers 1755 : a foseph Haydn
(1732-1809); faut-il redire le pére, 179. L’ASSEMBLEE AU CONCERT.
avec Mozart, du classicisme viennots? Retour a la musique de chambre avec
Mais avant d’apparaitre comme le pére Lafrensen (1737-1807), témoin fideéle
la symphonie, Haydn, beaucoup plus de la haute société parisienne. Dans ce
modestement, aura été le pourvoyeur de boudoir en forme de rotonde (pour l’acous-
musique d’opéra d’une grande famille tique), a la décoration néo-classique,
viennotse d’origine hongroise, les Esterhazy. treize personnages se livrent aux jotes
Lopéra, ici, retourne a ses sources. de la musique et de la conversation. On
Divertissement aristocratique, spectacle de vocalise, on instrumentalise. Au centre,
cour. La scéne est modeste, Llorchestre signe des temps, le cadre néo-classique
réduit a vingt musiciens, un décor de ber- et les costumes permettent de dater (décen-
gerie. Le divertissement est conduit par nie 80); le clavecin a cédé la place au
un jeune homme, le protégé des Esterhazy, pianoforte. (Coll. Veil-Picard. ie
qui n’a pas atteint encore ses dimensions
européennes. Il fallait conserver par une 180. LES MASQUES.
image, en style de miniature presque naive, Pietro Longhi (1702-1785) est le meilleur
le souvenir de ces brillantes et cottteuses représentant la peinture de genre
festivités. Méme dans larchaique Europe vénitienne au XVIII. La Sala del
danubienne, le temps des princes se désa- ridotto, Ja salle des masques, montre un
grége lentement devant V’Etat. (Munich, aspect de la vie de plaisir et de dissipation
Theater-Museum. ) de la société vénitienne; le cercle est un
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LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 17277 AGS
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FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
Pharmonie l’emportera sur son adversaire. L’Europe musicale [ce qui n’est pas
forcément un gain] délaissera le parallélisme des plans et des traits. » Ainsi,
Ja premiére moitié du xvii réalise le miracle de retenir tout le passé, de conte-
nir déja toutes les promesses de I’avenir.
Fran¢ois Couperin, né a Paris en 1668, issu d’une famille de musiciens,
est le fils de Charles (1638-1679), le neveu de Louis (1626 ?-1661) et de Francois
(1630-1700 ?), il se forme a l’orgue. « II est en 1685 nommé organiste de Saint-
Gervais, organiste de la Chapelle royale en 1693, maitre de clavecin des enfants
de France » en 1694. Il donne des lecons en ville et contribue a |’éducation
musicale de futurs amateurs parmi les enfants de la Ferme générale montante
sur l’horizon social. Presque toute sa vie, en effet, il trouve sur son chemin
Michel-Richard de La Lande (1657-1726), de onze ans son ainé ; la France
n’est pas Allemagne mélomane des Cours. Ses quatre livres de clavecin
paraissent en 1713, 1717, 1722, 1730. De santé fragile, mari et pére heureux,
Francois Couperin aime retrouver la Champagne de son pére et de ses oncles.
Elle lui inspire un amour délicat et exceptionnel, alors, de la nature, qu il
exprime dans ses piéces champétres « parmi lesquelles ces Bergeries que copia
Bach » (P. Citron). Dans ses deux premiers livres, le spécialiste dénote une pro-
fonde admiration et une nette filiation avec l’art de Corelli qui meurt en 1713,
aprés avoir porté 4 son sommet la tradition vénitienne, lorsque parait, préci-
sément, le premier livre de Couperin. II s’en détache a la hauteur du troisiéme
livre, plonge dans la tradition et accentue encore ses tendances linéaires dans
le quatriéme livre. « On ne discutera pas le cété descriptif et pittoresque chez
Couperin; champenois, il pétille comme le vin [...] » (N. Dufourcgq.) II est
homme de transition en période de transition. « Ses portraits ont parfois » une
grandeur louis-quatorziéme qui en impose. « Un Watteau de la musique? II
est possible, mais aussi un Lebrun, un Rigaud, un Largilli¢re. La force ne
manque pas 4 ce “ petit maitre ’’. Autoritaire et puissant, précis et tourmenteé,
il passe le front haut [...] Relisez sa Passacaille en si mineur. »
Couperin s’éteint en 1733, Jean-Philippe Rameau a cinquante ans. Son
Premier Livre de piéces de clavecin date de 1706. Vingt piéces publiées en 1724.
Entre 1727 et 1733, il livre au public ses Nouvelles Suites de piéces de clavecin.
Rameau est beaucoup plus dépouillé que Couperin, il est aussi plus organi-
sateur : « Les deux se complétent, comme se complétent Watteau et Chardin. »
(N. Dufourcq.) :
Mais le plus grand est encore Bach ; ce ruisseau est un fleuve, bien que
le clavecin ne couvre qu’une petite part de son ceuvre gigantesque. C’est a
Coethen, dans cette terre calviniste qu’il n’a jamais aimée, que Jean-Sébastien
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FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
Bach, le cantor de Leipzig, « parle un idiome qui représente une valeur univer-
selle » alors qu’il n’a jamais quitté la Saxe, Haendel, |’enfant prodige de Halle,
« apparait au contraire comme le musicien ambulant par excellence. Jean-Sébas-
tien assimile en lisant, Georg Friedrich en écoutant. » Haendel visite, au cours
d’une vie toute de réussite, les hauts lieux de l'Europe musicale, a l’exception
de la France, « tantét l’Allemagne du Nord [Hambourg, |’Electorat de Hanovre],
tantét Allemagne du Sud, parfois I’Italie. Finalement I’Angleterre », sa
seconde patrie. I] témoigne de l’heureuse compénétration, sous la dynastie
hanovrienne, de l’espace culturel anglais et de l’espace culturel de l’Allemagne
du Nord protestante. Chrétien d’une foi ardente — elle s’exprime dans les pages
inoubliables du Messie (1741) —, il assure presque 4 lui seul le financement
de plusieurs fondations, le Secours aux veuves et orphelins, le Foundling Hos-
pital, gestes qui, sur le piétisme allemand, portent la marque de l’activisme
anglo-saxon au siécle de la bienfaisance.
En dehors de ses morceaux pour clavecin, Haendel (il survit neuf ans 4
Bach, il meurt en 1759, a soixante-quatorze ans) laisse une ceuvre colossale :
40 opéras, 166 duos, airs ou cantates, des psaumes et motets, 5 Te Deum,
18 Anthems, une Funeral Anthem, 12 concertos d’orgue, 18 Concerti grosst,
un répertoire de musique populaire, 2 Passions et le cycle des 32 oratorios. Ce
qu’il faut admirer, sans doute, c’est que ce grand esprit théologique ait trouvé
le temps de se consacrer aussi a la corde pincée. Un recueil pour clavecin
parait en 1720 ; Walsh édite 4 Amsterdam, en 1732 et 1733, deux cahiers des
ceuvres de jeunesse du maitre, sans sa participation ; en 1735, 4 Londres, parais-
sent six fugues ou voluntaries pour orgue ou harpsichord, en 1750 une sonate
en ut majeur. Dans cet ensemble dominent les ceuvres de jeunesse ; l’essentiel
a été écrit entre douze et vingt ans. Lorsque meurt, en 1759, le maitre saxon
devenu anglais, le clavecin, au vrai, est sur son déclin.
Reste Scarlatti. Plus que Haendel et Bach, Domenico Scarlatti délaisse le
passé. Sur le clavecin « prét a disparaitre, il prépare l’avenir de la sonate pour for-
tepiano (1685-1757) ». Ce Napolitain, fils d’un des maitres de l’opéra, vient trop
tard dans une Italie qui décline. Il est comme Haendel, mais pour des raisons
différentes, condamné au voyage. Du méme coup, il travaillera avec lui a la
réunification de l’espace musical européen. II a travaillé 4 Venise ou il a ren-
contré l’Anglais Th. Roseingrave, comme Haendel 4 Rome; il voyage en
Angleterre, 4 Lisbonne, il se fixe 4 Madrid en 1729, ot l'une des princesses de la
famille de Bragance a épousé le futur Ferdinand VI, protecteur du castrat
Farinelli. C’est 4 Madrid que Domenico Scarlatti compose les six cents numéros
d’opus qu’il a consacrés au clavecin ; il y meurt en 1757. Sa gloire, de son vivant,
417
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
est énorme ; elle éclipse celle de Bach qui n’a guére dépasse le milieu restreint
de I’Allemagne moyenne et du Nord : « ses manuscrits circulent dans toute
PEurope et son nom figure dans tout recueil, dans toute collection de musi-
que ». Cela compte aussi pour Ja juste appréciation du gott des Lumieéres. La
gloire de son pére, la passion universelle pour l’opéra y est pour quelque chose,
peut-étre aussi le prestige persistant de I’Italie : il explique l’attitude outrée de
Jean-Jacques Rousseau en 1752. « Chez Couperin, Rameau, Bach et Haendel,
le génie a été le résultat d’une longue patience. Chez Scarlatti il éclate, il s’im-
pose, il se maintient. » (N. Dufourcq.) De la suite, Scarlatti garde lesrythmes,
la coupe binaire des mouvements de danse. II lui faut dans ses Essercizt, disons
ses études, mieux ses ingénieux badinages, réveiller les hidalgos un peu tristes
des Cours endormies de Portugal et d’Espagne. De ce séjour dans la péninsule
Ibérique et de ses origines, des themes émergent, visiblement empruntés aux
accents populaires napolitains, au folklore de Espagne « quelques rythmes pris
aux guitaristes [...] une écriture permanente 4 deux voix mais qu’il pimente 4 plai-
sir d’agaceries, de brusqueries [...] I] connait le fort et le faible du clavecin [...],
les trous, les “‘ manques ” entre deux notes pincées, le peu d’expression [...]
il s’efforcera de les dissimuler. » Quelques-uns de ses accents annoncent déja
Haydn *. Et pourtant, dans cette ceuvre de bonne humeur, dans cette cuvre de
gaieté, Scarlatti a la légéreté aristocratique de la premiére moitié de son siécle.
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FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
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CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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Deux Europes musicales, le premier et le second sions de Il’Europe heureuse. Le miracle Bach
XVIII® siécle, elles sont toutes deux allemandes. - est lié a la culture musicale traditionnelle de
La premiére, celle de Bach, est plus réduite, plus _ tout le petit peuple de la Thuringe, de la Saxe,
orientale, plus nordique : Lusace, Thuringe et de la Lusace et de la Silésie. L’espace que par-
Saxe. L’ Europe de Mozart longe le rebord au- court et qu’enchante Mozart se confond, lui,
trichien des Alpes. Mais elle explose aux dimen- _avec la totalité de l’Europe des Lumiéres.
420
FIN, vyDU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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FIN DU BAROQUE, EMPIRE DE LA MUSIQUE
et mieux encore du violoncelle, sont 4 mettre en relation avec la modification
de la sensibilité au milieu du siécle, un préromantisme qui n’en finit pas de se
manifester sous la carapace des formes anciennes.
Le nouvel age — le sommet ou la fin des Lumiéres — est dominé par le
phénomeéne Mozart, Mozart qui n’appartient finalement a aucun temps. Plus
modestement, nous assistons, entre 1750 et 1770, 4 une décisive translation
du centre de gravité de l’Europe musicale. L’Europe a été dominée jusqu’en
1750 par univers des petites Cours des cantors, des maitres d’école et des
maitres de chapelle de l’Allemagne moyenne, |’Allemagne luthérienne et catho-
licisante du Hanovre, de la Thuringe, de la Hesse, de la Saxe 4 la Silésie. Gluck,
Haydn, Mozart marquent la revanche esthétique de la Méditerranée. L’Europe
musicale, au terme des Lumiéres, est dominée par |’Allemagne catholique
alpestre, viennoise, italianisante et italianisée. Wolfgang Amadeus Mozart
est né 4 Salzbourg le 21 janvier 1756, comme Bach et plus encore dans un mi-
lieu tout entier consacré a la musique. De l’age de six ans a l’ge de vingt et un
ans, il aura composé la moitié d’une ceuvre qui compte parmi les plus abondantes,
dans un voyage sans fin qui le conduit dans l’orbite de l’Europe autrichienne,
de place en place, de Cour en Cour et de ville en ville. De 1769 41771, Venise,
Turin, Milan et Naples. L’ Allemagne de Salzbourg et de Vienne est résolument
italienne. En décembre 1771, retour précipité 4 Salzbourg, en raison de la
maladie du prince archevéque von Schrattenbach. Le jeune Mozart tient l’orgue
pour ses funérailles ; le nouvel archevéque, point d’ancrage social, en fait son
Konzertmeister. De Salzbourg, il continue de rayonner vers Milan, Vérone,
Vienne et Munich, 4 travers |’Allemagne italienne. De cette période date le
Concerto en mi bémol pour piano (notez l’apparition du nouvel instrument).
En 1777, il a vingt et un ans : voyage décisif 4 Mannheim et 4 Paris. A Mann-
heim, double et fructueuse rencontre avec le « fameux orchestre qui fut un
des facteurs déterminants de la création du style symphonique classique », avec
Aloysia et Constance Weber ; faute d’avoir pu épouser Aloysia, il devra se
contenter de Constance. La Messe en ut mineur : Europe se donne, Versailles,
Strasbourg... Les offres se multiplient. 1777-1778, une bouffée romantique
de Sturm und Drang ; 1781, la rupture avec Salzbourg. Une date, en fait, dans
Phistoire sociale de la musique. Pour la premiére fois, fi des Cours et des tri-
bunes d’orgue, Mozart « vivra comme créateur indépendant a Vienne, tout en
continuant de rayonner 4 travers l’Europe, généralement pour monter un opéra
ou interpréter une de ses ceuvres ». Car malgré l’immensité du chemin parcouru
depuis Bach, le lien subsiste, que le x1x° siécle détruira, entre le compositeur
et Pinterpréte. L’Enlévement au sérail et la symphonie Haffner (1782) mar-
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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LA - CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
Mais se rappeler surtout que deux des plus grands noms du premier XVIII® sié-
cle francais sont issus de l’atelier J. Hardouin-Mansart. Robert de Cotte est ne
en 1656; fils et petit-fils d’architectes, il apparait comme entrepreneur a la machine
de Marly. Il fait son entrée a trente ans, en 1685, dans l’agence de Mansart dont
il épouse la belle-sceur Catherine Bodin. A partir de ce moment, sa carri¢re
est faite : le 10 janvier 1687, il est admis 4 l’Académie d’architecture, cet extra-
ordinaire instrument de continuité. Louis Hautecceur note que le meilleur de
son ceuvre, la partie la plus brillante (la chapelle de Versailles, le chceur de
Notre-Dame, I’hétel de ville de Lyon) est celle qu’il a accomplie avant 1708,
sous l’autorité et la suprématie de Jules Hardouin-Mansart. On sait le réle que
Robert de Cotte a joué dans le Paris des grands hétels, ’hétel Tubeuf de la rue
des Petits-Champs, l’hétel de la duchesse d’Estrées, l’hétel du Lude, l’hétel de
Toulouse, de la Grenouillére... Mais le plus brillant produit de la dynastie
Mansart est Boffrand : fils d’architecte et de sculpteur lui aussi, neveu par sa
mére de Quinault, il a double insertion au monde des arts et des lettres.
Germain Boffrand est né 4 Nantes en 1667. Il entre chez Jules Hardouin
peu aprés Robert de Cotte, plus jeune donc plus malléable, 4 vingt ans
en 1687, comme dessinateur aux gages honnétes de 600 livres par an dans
Pintimité d’une vie a feu et 4 pot. Dans l’atelier Mansart on peut lui attribuer
une participation originale aux travaux effectués 4 Dijon. Boffrand non seu-
lement a beaucoup produit 4 partir de 1695, mais il a publié un gros livre
d’architecture, en 1743 chez Guillaume Cavelier a Paris : Pierre Patte *, le publi-
ciste de l’architecture francaise, lui fait un sort en 1753. Académicien assidu,
averti de l’art de l’ingénieur, il construit les ponts de Sens et de Montereau ; ce
qui reste de son ceuvre est impressionnant : ’hétel Le Brun 4 Paris, ’hétel
Amelot ; on sait son réle en Lorraine, Boffrand a rebati 4 partir de 1703,
a la demande du duc, le chateau de Lunéville qui datait du milieu du xvre.
Quinze ans de travail en perspective. On lui doit surtout la Malgrange, le
Versailles nancéien et le palais ducal, disons le Louvre de Léopold. Mais reve-
nons a Paris, avec ’’hétel d’Argenson, le chateau de Saint-Ouen, l’hétel de
Torcy, Phétel de Seignelay, ’hétel de Duras, celui de M™® Julliet... Dernier
fleuron encore de I’atelier Mansart, Jacques III Gabriel. Né en 1667, mort en
1742, il domine, avec Cotte et Boffrand, les premiéres décennies de |’architec-
ture francaise des Lumiéres. 1708 ne constitue pas, enfin, une solution méme
légere de continuité dans la mesure ow, nous l’avons montré, les transformations
qui marquent le passage du siécle se sont préparées, en fait, a l’intérieur de
Patelier Jules Hardouin-Mansart, trés tot, presque imperceptibiement, dans les
fissures discrétes du style Louis XIV.
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
épargnent des meubles dans des piéces d’une moyenne grandeur et les plus
fréquentées, car si elles sont boisées, il ne faut pour les meubler que quelques
miroirs et tableaux qu’on attache sur les panneaux. Les lambris de bois servent
encore a corriger les défauts dans les piéces comme un biais ou une enclave
causée par quelque tuyau de cheminée, a cdté duquel on pratique des armoires
dont les guichets conservent la méme symétrie que le reste. » Voila donc le
mobilier incorporé 4 la construction, partie intégrante de |’architecture inté-
rieure. J. Hardouin-Mansart multiplie les lambris de bois, use plus généreuse-
ment du platre, matériau pauvre du temps de crise, des glaces que la technologie
des années 1690 livre 4 moins cher sur de plus grandes surfaces. Les moulures
qui gardent de 1680 a4 1690 le gras du temps de Le Vau s’affinent sur l’horizon
1690-1700. L’or systématiquement recule devant le gris et le blanc. J. Hardouin-
Mansart enfin introduit dans la décoration intérieure une innovation appelée a
un durable succés a travers toute l’Europe. II se souvient qu'il est architecte, il
multiplie donc les ordres dans les salons. Voyez le cabinet ovale du petit appar-
tement du roi, les salons du Trianon.
L’invention des conduites dévoyées a permis la construction de cheminées
plus efficaces et moins volumineuses. La modification se situe toujours au
méme niveau 1680-1690. La cheminée nouveau style, signe obligatoire du
confort dans habitat de luxe, se préte 4 une grande débauche d’invention.
On passe a la cheminée 4 la mansarde ou a la cheminée 4 la royale. Pierre Le
Pautre et J. Hardouin-Mansart lui-méme en ont fixé un type qui dure jusqu’a
la fin du xvuiI® siécle. Il est employé déja dans l’hétel de Lorge que J. Hardouin-
Mansart décore avant 1695. A la fin du xvir®, la cheminée a perdu son attique,
et la glace, piéce maitresse du nouveau confort, occupe tout le panneau ; bordée
d’un cadre rectangulaire, elle est terminée par une courbe ou un plein cintre.
Sur les surfaces de bois et de platre que le nouveau mode de construire
multiplie, la palette baisse de plusieurs tons. Laissons les raisons économiques,
elles ont eu leur réle, mais l’ostentation, la démonstration sociale, le cede au
plaisir intime de I’ceil. L’influence des Flamands contribue a contrebattre Le
Brun. Les bleus et les jaunes précédent de peu les gris et les blancs. L’équipe
des réformateurs autour du duc de Bourgogne : Beauvillier, Saint-Aignan,
Fénelon, justifient la nouvelle palette au nom d’une éthique de simplicité.
La morale politique vient au secours du repos délicat des sens. Les transfor-
mations s’opérent prudemment, par étapes. Mansart, dans ses intérieurs,
ordonne les grandes masses de la décoration interne suivant la régle de symétrie
de l’architecture classique et c’est 4 l’intérieur des panneaux — des panneaux
dessinés au tire-ligne — que l’imagination cette fois authentiquement baroque
433
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
434
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
premier rang des décorateurs des Lumiéres. Avec eux, une certaine lourdeur
revient a la charge. Plus de plein, moins de délié, disons moins de vide.
On est tenté de placer un peu plus tard, dans le deuxiéme quart du siécle,
le sommet de la décoration. Avec Herpin, 4 ’hétel de Soubise, Oppenord,
peut-étre Nicolas Pineau et pourquoi pas Meissonnier ? Né 4 Turin en 1693
ou en 1695, Juste-Auréle Meissonnier est d’ascendance francaise. Meissonnier
est d’abord orfévre ; a trente ans, il est orfévre du roi et jusqu’A sa mort, en
1750, dessinateur du Cabinet. Il était en cette qualité « dessinateur pour les
pompes funébres, les fétes galantes, les feux d’artifice », le théatre. Qu’il
dessine un autel, un tombeau, la décoration d’un intérieur d’hétel, une
tonnelle ou un chandelier, Meissonnier appose sa griffe. Meissonnier
ignore la pesanteur, confond volontairement verticale et horizontale. Avec lui
« toutes les matiéres deviennent plastiques, s’enroulent, se déroulent, se gonflent
de protubérances, se creusent de cavités ». Meissonnier, c’est la décoration dévo-
rante, le décor qui achéve de manger I’architecture, la fin de l’hypocrisie des
deux mondes, les continuités externes masquant les débordements intérieurs.
Meissonnier, c’est 4 la fois une sorte de transposition érotique dans le décor,
ou, si l’on suit Louis Hautecoeur dans sa démonstration, une transposition des
régnes : « Lorsqu’on regarde son Livre de légumes, ses carottes, ses choux, ses
oignons, on découvre l’origine de ses conceptions : il a voulu donner a l’archi-
tecture, comme le feront en 1900 les créateurs du modern style, toute la flexibilité,
toute la souplesse vivante de la flore. Ses lucarnes ressemblent a ses tabatiéres
en coquilles, ses clochers a ses bougeoirs, ses fontaines a ses saliéres, ses candé-
labres 4 des arbustes, des palmiers, des madrépores. Son ceuvre est une perpé-
tuelle transposition des “ régnes ” et des matiéres. »
Meissonnier agit en Europe comme un révélateur de tendances et d’aspi-
rations profondes, Meissonnier n’est pas le pére 4 proprement parler du rococo.
Les prestiges de sa carriére parisienne auront haté une ultime explosion du .
baroque sauvage, détourné de la relation ontologique et de son rdéle de fédéra-
teur de l’architecture sociale. Le succés de Meissonnier est énorme au Portugal
ot: il libére les tendances refoulées depuis deux siécles de lart manuélin.
Meissonnier est l’alibi privilégié de l'Europe centrale. Il permet 4 l’aristocratie
anglaise de secouer un instant le carcan palladien. Le prince Czartoriski, faut-
il s’en étonner, et le comte Bielinski lui demandent le dessin de leurs salons.
« En 1724, il exécute pour le duc de Mortemart un cadran qui est un symbole :
tous les souffles gonflent ses décors, entrainent ses formes, sans laisser jamais
une ligne en repos. » Le véritable continuateur de Meissonnier, le révelateur
d’une complicité profonde entre le décor élaboré pour satisfaire les aspirations
435
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
436
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
cours de sa vie (il meurt en 1771), il aura vécu la fin du décor rococo qu’il asu
illustrer mieux que quiconque.
Le décor est central, au coeur de toute réflexion sur une civilisation dans
la mesure ow il apparait comme I|’épiderme faconné de la main de ’homme au
contact de la vie, dans la mesure ou il emporte quelques lambeaux de l’intimité,
du secret des étres. La maison renferme d’autres secrets dans ses murs, dans
son agencement, dans son plan, dans ses finalités pratiques. Tout d’abord,
Parchitecture du xvuI® siécle, méme quand elle se situe sur le registre noble,
n’est jamais totalement coupée des modalités régionales de la civilisation
traditionnelle, ot elle s’insére. Cela a sa valeur, dans la perspective que nous
avons défendue, d’un siécle des Lumiéres au sommet, en continuité, non en
rupture avec un type de civilisation né cinq 4 six siécles plus tét sur ’horizon
de l’Europe médiévale nombreuse.
Voyez le matériau : le xvimr® siécle a connu, grace 4 la qualité de ses arti-
sans formés sur le chantier urbain, 4 la prodigieuse école du compagnonnage,
une virtuosité stéréotomique jamais égalée. La pierre noble est devant, en facade,
mais a l’intérieur, 1a ou on ne voit pas, d’autres matériaux : 4 Rouen, a Lisieux,
méme 4 Versailles * et a Paris, il arrive que le bois se venge, le bois et le platre.
A Rouen, troisiéme ville du royaume, la maison au XVIII® siécle est construite
sur le modéle traditionnel, bois et platre. Paris * et Versailles ont leurs parois de
bois bourrées de gravats et de moellons liés avec de l’argile. La noblesse de la
pierre n’a pas réussi partout 4 éliminer la brique, que l’on s’efforce par-
fois de rendre plus légére par l’incorporation de tourbe ou de tan. C’est peut-étre
parce que le xv11I® se résigne a ces concessions qu’il arrive 4 construire vite et bien.
Une aisance plus générale dans l’art difficile de la taille permet de multi-
plier les vofites comme protection contre le danger d’incendie qui recule, certes,
mais reste sérieux 4 l’intérieur de l’espace urbain. On voit parfois réapparaitre
de trés vieilles techniques quel’on croyait abandonnées, telle, 41a mairie de Cassel
ou en Bourgogne, au milieu du siécle, la voiite 4 arétes saillantes. Généralisation
aussi d’une technique beaucoup plus hardie, témoin d’une grande maitrise dans
art de construire : les vodtes plates. Les premiéres en briques apparaissent 4
Castelnaudary, aux alentours de 1710, mais le procédé ne fait tache d’huile
qu’au niveau des années 1750, a partir de la publication, en 1754, de l’ouvrage
du comte d’Espie : fréquent dans le Midi, il gagne du terrain dans le Nord
ow l’on emploie la pierre. A Paris, Courtonne construit, sur le vestibule de
l’hétel Matignon, une voite plate de 7,80 m dont la fléche ne dépasse pas 0,43 m.
La maison de prestige urbaine oscille entre deux plans : la maison sur rue
437
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
438
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
employé. On multiplie les couloirs qui assurent l’intimité des piéces et permettent
une meilleure utilisation de l’espace. Se rappeler que la croissance urbaine
valorise la place. Les architectes aiment aussi 4 rompre avec les traditions.
Boffrand, par exemple, 4 Wurtzbourg, combine un plan en II avec un plan
massé, adopte un plan en X a la Malgrange. Boffrand mais encore Héré *, Pigage,
La Guépiére font assaut d’imagination.
Un peu partout, on note un certain recul du grand escalier de pure ostenta-
tion dévoreur d’espace et coupant les communications. Des trésors d’imagina-
tion sont dépensés pour pallier ces inconvénients. En régle générale, la symé-
trie recule dans l’ordonnance intérieure. Une nouvelle organisation se précise,
en outre, dans la répartition des piéces, dans l’ensemble plus petites et plus
nombreuses, pour répondre a un besoin d’intimité croissant. Ce besoin corres-
pond, nous l’avons vu, au grand repli de l’affectivité sur le for familial. Pour
mener de front le besoin d’une vie sociale tournée vers |’extérieur, pour concilier
le déploiement de faste d’une part, la promotion de !’affectivité familiale d’autre
part, voire les replis complexes qu’exige une érotique beaucoup plus raffinée,
de sensation et non plus seulement de pulsion, la répartition des appartements
se fait traditionnellement sur trois plans.
Trés t6t au xvir®, la distinction est devenue traditionnelle (voyez Patte,
voyez Blondel) entre les appartements de parade destinés a la représentation,
les appartements de société destinés 4 recevoir journellement famille et connais-
sances pour le plaisir de la conversation portée a un point de perfection dans
la haute société, et les appartements de commodité, refuge ultime de l’inti-
mité familiale ou du plaisir sensuel.
Traditionnellement, « on accéde aux appartements de parade par les ves-
tibules ou se tenaient les gens et les visiteurs, les antichambres ow les valets
attendaient les ordres et l’on parvient au salon, salle d’assemblée, chambre
de parade, galerie ». Cette tradition va se modifier insensiblement. Les chambres
de parade furent les premiéres sacrifiées dans les nouvelles constructions
urbaines du deuxiéme tiers du siécle, les galeries perdent de l’ampleur. Elles
deviennent grands salons, elles occuperont toute la profondeur du logis et se
déploieront alors cété cour et cété jardin. L’hétel Crozat dessiné par J. S. Car-
taud (1675-1758) fait exception, mais le financier est collectionneur et la galerie
dans ce cas prend son acception moderne. Les antichambres acquiérent une fonc-
tion nouvelle : elles servent de salle 4 manger comme en témoignent des buffets
dans les enfoncements ou des fontaines (en marbre souvent qui recoivent |’eau de
dauphins de bronze). L’antichambre devenue salle 4 manger évolue trés vite.
Il arrive qu’elle se dédouble : salle 4 manger d’été en sous-sol, salle 4 manger a
439
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Lécart ; elle peut, dans les hétels des financiers, etre atteinte par des tables
volantes qui montent toutes servies, 4 Pabri du regard indiscret des domestiques,
lors des soupers trés intimes ou trop galants; exceptionnellement, une tabagie.
Briseux, en 1743, dans /’Art de bdtir les maisons de campagne, évoque, un peu
géné, la chapelle : « L’usage [...] est différent en beaucoup de diocéses. Il est
permis dans les uns de la renfermer dans le corps de logis et meme dans les
armoires [...] 4 ’'architecte de se faire instruire de la régle du pays. »
Les appartements privés se composent ordinairement « d’une antichambre,
d’une chambre, d’une garde-robe, d’un cabinet et de petits lieux ». A cété dela
chambre se multiplient les cabinets, pour loger un domestique, faire attendre les
gens d’affaires ; que le cabinet soit muni d’un lit de repos, le voila boudoir.
Robert de Cotte tire une sorte de philosophie du boudoir, ot « le maitre et
sa famille puissent se retirer dans les jours ow il ne se trouve pas de compa-
gnie. On se plait a habiter de petits lieux quand on est peu de monde. »
Les architectes ont di répondre aux besoins accrus du confort : confort
des petites piéces parfaitement indépendantes, confort de lintimité gardée,
du silence et de l’isolement, par le jeu des couloirs prolongés par des corridors,
souci de l’orientation. D’ot une sorte de dévalorisation des vieilles maisons
construites en dehors des nouvelles normes. Le xvmr®, en habitation comme en
mobilier, est résolument moderne ; il ne respecte pas l’ancien, il le rejette et
le méprise. M™® de Graffigny, par exemple, se plaint qu’a Cirey, sa chambre
est ouverte a tous les vents et qu’elle y géle. De telles notations sont presque
impensables un siécle plus tot. Le triomphe des petites piéces, faut-il le
rappeler, n’est pas lié uniquement au besoin d’intimité, mais aussi au progrés
des cheminées et des moyens de chauffage, cheminées coudées, poéles de I’Est,
que l’Allemagne diffuse a travers habitat de luxe européen.
Fernand Braudel l’a bien vu, dans ce domaine tout change autour de
1720, Phorizon, selon Trahard, de la nouvelle sensibilité, le profond impact
— le temps (vingt ans) de la pénétration d’une pensée de la spéculation a
Phorizon pratique — du sensualisme, promoteur de l’épiderme, des sens et du
corps, foyer de la perception. « Depuis le Régent, on a la prétention, en effet,
de se tenir au chaud pendant Vhiver [comme le font les Allemands], et l’on y
parviendra grace aux progrés de la “caminologie ” dus aux ramoneurs et aux
fumistes. » Le foyer de la cheminée est rétréci, approfondi, le manteau s’abaisse,
la cheminée proprement dite (le tuyau) se courbe. Des cheminées 4 foyers
multiples (au moins doubles, dites 4 la Popeliniére, toujours le financier) « vont
méme permettre de chauffer jusqu’aux chambres des domestiques ».
La France, obstinément, jusqu’a la fin du xvmr®, s’accroche a la cheminée.
440
VII. LE SALON CHINOIS D’ARANJUEZ.
Le Salon chinots d’ Aranjuez atteimt un
sommet proche de Vlabsurde. Il révéle
jusqwa la caricature la fascination dune
Chine de pacotille sur ?Europe aristocra-
tique et l’Europe des pensées. Charles LIT,
quand il était encore a Naples, avait fondé
a Capodimonte une fabrique de porcelaine,
qui avait exécuté le décor du palais de
Portict. Devenu rot d’Espagne, il fut tenté
de rééditer Portici. Modeéles et artisans
furent transplantés dans les jardins, a
Madrid, du Buen Retiro. C’est la manu-
facture de Retiro qui exécuta par ptéces
détachées de 1763 a 1765 le cabinet de
porcelaine d’ Aranjuez dont on vott ici une
face. Les motifs sont de Giuseppe Gricct.
Apres Portici et Aranjuez, le jeu fut réitéré
au palais royal de Madrid.
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA _ VIE
441
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
demeure seigneuriale mise a part, reste figé dans des moules traditionnels cing et
six fois séculaires, ce qui n’exclut pas une certaine plasticité, nous Pavons vu.
Mais l’urbanisme est une préoccupation du xvil® siécle. Une volonté politique
vise une méta-architecture qui passe de la demeure 4 l’ensemble de l’espace
urbain. L’incendie de Londres ici, le tremblement de terre de Lisbonne * 1a,
mais surtout le quadruplement par rapport au point de départ ont permis
cette conquéte de la ville, le plus souvent grace 4 l’Etat, par une architecture
d’ensemble. Cette promotion, retour des pensées sur les choses au niveau le
plus élevé, correspond 4 un besoin que Voltaire exprime en France dans le
Dialogue sur les embellissements du Cachemire — lisez Paris — et le président de
Brosses, dans ses Lettres familiéres écrites d’Italie, pour V’Italie, un besoin qui
a donné naissance a toute une littérature technique ; retenons seulement dans
la ligne de Palladio qui a inspiré tant d’architectes anglais au xviiI® siécle depuis
Colen Campbell, lord Burlington *, jusqu’aux John Wood *, William Adam *
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA _ VIE
49. LISBONNE
(D’aprés Fodo Pedro Ribeiro.)
Complétement détruite par Vincendie qui suit avenues et au ceur de la ville, prés du bras
le tremblement de terre du 1¢* novembre 1755, de mer, cette magnifique place royale, au nom
Cest une ville neuve que l’on doit a Ténergie hautement symbolique, la place du Commerce,
de Pombal et au génie de Manuel da Maia. et les énormes dégagements plantés d’arbres
Mesures de protection, grands axes, larges du Passeio Publico.
443
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
de l’architecture du xvuir® siécle. En téte de ses Mémoires sur les olyets les plus
importants de l’architecture qui sortent en 1769, quatre ans a peine apres les M onu-
ments érigés en France a la gloire de Louis XV, il écrit dans la dédicace a Mari-
gny ce beau passage cité par Pierre Lavedan : « Si !’on considére l’architecture
dans le grand, on s’apergoit que [...] l’on a vu sans cesse les objets en magon
tandis qu’il eft fallu les envisager en philosophe. Voila pourquoi les villes
n’ont jamais été distribuées convenablement pour le bien-étre de leurs habi-
tants ; perpétuellement, on y est la victime des mémes fléaux, de la malpropreté,
du mauvais air et d’une infinité d’accidents que I’entente d’un plan judicieuse-
ment combiné eit fait disparaitre. »
Le réseau urbain est en place dans l’Europe nombreuse médiane et dans
la vieille Europe urbaine méditerranéenne. Ces Europes-la sont celles des
agrandissements, les derniéres créations y datent du xvu® siécle. Voyez Brest,
Rochefort, Séte. A Versailles le damier et ]’étoile sont a cheval entre |’age clas-
sique et les Lumiéres. L’Espagne, pourtant, a eu son Versailles, création ex
nthilo du second xvuiI® siécle. Aranjuez atteint 20 ooo habitants a l’aube du
x1x®, elle est l’ceuvre d’un architecte italien, Bonavia. En Angleterre, qui a
construit 4 Londres deux fois et demie plus que la France a Paris, on pensea
Tremadoc, petite ville 4 ’ouest du pays de Galles, création de l’extréme fin
du xvu°, pour renforcer, face au danger frangais, les liaisons avec l’Irlande.
La Scandinavie connait, 4 la fin du xvir® siécle, un épaississement substantiel
de son réseau urbain, l’Allemagne a des reconstructions qui ressemblent a des
créations. Les créations, les vraies, se situent a l’est, dans l'Europe frontiére.
A la limite, ’énorme creux de la guerre de Trente Ans aidant, l’Europe de
Est commence dans |’Empire. L’Allemagne n’est-elle pas la terre de la colo-
nisation intérieure ?Voyez Erlangen a 20 kilométres de Nuremberg, qui double
entre 1686 et 1700, grace a l’afflux des huguenots. Erlangen, damier évidé au
centre, pour laisser place au parc du chateau, est une création presque ex nihilo
de horizon de la crise de conscience. Ludwigsbourg, le « Potsdam souabe »,
pres de Stuttgart, est construit comme Versailles autour d’une résidence prin-
ciére. La premiére pierre du chateau a été posée en 1704, la ville s’étend en
damiers 4 partir de 1709. Mannheim, intégralement refaite aprés les destruc-
tions de la guerre en 1699, damier coincé dans un systéme complexe de forti-
fications. Karlsruhe apparait 4 beaucoup comme la plus typique des villes
résidences. Elle sort, en 1715, de la volonté d’un petit prince aux ambitions
dévorantes, Karl Wilhelm de Bade Durlach. Cette indéniable réussite qui a
hanté l’imagination de |’Allemagne frontiére ouverte... des sables, de la tourbe et
des foréts 4 lest : Neustrelitz, en Mecklembourg, premiére imitation, en 1726,
444
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
Vienne a beaucoup grandi au XVIII¢ siecle. du second Etat du continent et des avantages
On est loin du petit polygone tassé qu’assiégent de la sécurité, conséquence de la colonisation
les Turcs en 1683. Vienne s’étend sur les deux de la plaine hongroise et de la puissance mili-
rives, en damier, comme toutes les villesneuves. taire de la monarchie des Habsbourg.
Elle bénéficte dans sa croissance de la puissance
modeste, 4 100 kilométres au nord de Berlin, du fait aussi d’un prince : Neu-
strelitz se présente sous la forme d’une étoile 4 huit branches avec au centre le
chateau. Un peu plus tard, le Karlsruhe silésien, du fait d’un grand prince,
cette fois, en 1743. Nouvelle édition modeste, tardive mais charmante, cette
Ludwigslust au nom engageant, aprés 1765, 4 170 kilométres au nord-ouest de
Berlin, du bon vouloir des ducs de Mecklembourg-Swerin. Mais rien ne peut
étre comparé aux créations de PEst profond. Un nom, Saint-Pétersbourg *,
véritable symbole de la volonté déterminée sur un siécle d’un despotisme de
rattrapage. La premiére pierre, on s’en souvient, fut posée le 29 juin 1703.
On sait dans quelles conditions atroces les travaux furent conduits 4 portée des
canons suédois, dans les marais parsemés d’iles de l’Ingermanland. Saint-Péters-
bourg a d’abord été une ville insulaire 4 ’embouchure de la Neva. Le premier
445
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
447
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
Le véritable urbanisme des Lumieres est celui qui doit tenir compte d’un
tissu ancien. La maison urbaine vit en moyenne trois siécles, on s’en souvient,
dans la vieille Europe des villes, Europe de la pierre et de la brique. La place
royale donne le ton : dans l’Europe du xvilI®, « on nomme ainsi une place des-
tinée a servir de cadre a la statue d’un souverain ». La France en a procuré les
premiers modéles ; la date initiale : 1614, la statue d’Henri IV et autour la
place Dauphine. Les artistes francais se sont bornés a associer deux éléments
fournis par larchétype universel de la Renaissance italienne : une belle place
réguliére 4 arcades ov l’élévation des facades doit obéir 4 des régles communes,
la place 4 programme, la statue du prince généralement bien en vue. Dans la
place royale a la francaise, imitée inlassablement par l?Europe des Lumiéres,
nous arrivons a cette inversion significative : une place, piéce maitresse d’ « ar-
chitecture dans le grand », envisagée en « philosophe », « créée pour servir de
cadre » 4 Ja statue du prince, pour mettre en valeur une ceuvre de sculpteur au
service de l’exaltation de l’Etat civilisateur.
Les archétypes francais datent de la premiére moitié du xvir° siécle : la place
Dauphine et la place Royale (aujourd’hui place des Vosges) ont été imitées
par Jules Hardouin-Mansart, auteur de la place des Victoires et de la place
Vendéme a Paris, de la place Royale (de la Liberté) 4 Dijon. La vague est lan-
cée. A partir de 1686-1690, presque toutes les grandes villes de province vou-
dront avoir, sur le modéle de Mansart, leur place 4 programme, servant de
cadre a la statue royale d’un artiste en renom. Tours et Lyon appartiennent a
448
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR’ DE LA _ VIE
la premiére vague. A Lyon, les travaux commencés par Mansart en 1686, qui
passa immédiatement la main a Robert de Cotte, ne seront achevés qu’en 1731.
Caen, Rennes et Montpellier suivent de trés prés.
La mode lancée, c’est a la gloire de Louis XV que furent consacrées la
plupart des places royales frangaises :Bouchardon, J.-B. Lemoyne, Guibal,
Cyfilé, Pigalle *, entre autres, furent mis 4 contribution pour la statuaire. A
Rennes d’abord, Robelin et Gabriel dirigent la reconstruction aprés l’incendie
de décembre 1720 qui ravage le centre et fait de la place. La grande pensée :
deux places communiquant par la diagonale, celle de Louis XIV associée au
palais du Parlement de Bretagne, celle de Louis XV 4 l’hétel de ville. La seconde,
plus vaste — dans lintervalle la visée s’est accrue —, dessinant un rectangle
irrégulier de 100 métres sur 120 ; J.-B. Lemoyne a placé de propos délibéré la
Statue en position excentrée au bas de la tour de l’Horloge. Bordeaux s’agite
autour des premiers projets en 1726 et 1728. Un second projet de Gabriel * est
choisi en 1730, le plan définitif arrété en 1733. La place Royale de Bordeaux,
aujourd’hui place de la Bourse, est, comme la plupart des places royales, un
peu a l’écart des grands axes de communication ; elle a la forme d’un rectangle
court (I20 m xX 100 m) a pans coupés ; l’hétel de la Bourse a droite, l’hétel
des Fermes a gauche, sur les petits cétés ; les grands cétés sont laissés aux parti-
culiers. La statue de Lemoyne, qui fut préféré 4 Coustou, est mise en place
en 1743.
Paris ne pouvait étre en reste. Soixante-quinze ans séparent la place Louis-
le-Grand de la place Louis-XV (la Concorde), dont Phistoire a été écrite dans
le menu par Patte avec pas mal d’inexactitudes. Louis XV avait retenu Boffrand :
sa mort, le 18 mars 1754, laisse le champ libre 4 Gabriel. L’ampleur du projet,
le lent déroulement des travaux en changeront progressivement l’esprit. Les
travaux commencérent en 1757, ils durérent une vingtaine d’années. Gabriel
reste fidéle a « ’ordonnance traditionnelle de soubassement et 4 l’ordre colossal,
mais il y manifesta un goiit nouveau et son ceuvre annonce la transformation
qui s’opére alors dans l’architecture. La statue de Bouchardon terminée par
Pigalle fut inaugurée le 20 juin 1763. » La place Royale était, dans sa conception
premiére, conforme 4 la tradition de la place royale, un lieu de promenade
a lextrémité ouest et champétre d’une ville en extension rapide.
La place Royale de Nancy (place Stanislas) avait eu primitivement une
fonction modeste de trait d’union entre un vieux Nancy dérisoire dans ses
remparts ruinés par décision du traité de Ryswick et une ville nouvelle témoin
d’une prospérité montante et construite sur un espace vide. Ellen’en reprend pas
moins le plan de Bordeaux, soit le rectangle faiblement allongé de 120m x Ioom.
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Reims clét la série des places Louis-XV : créée de 1755 4 1760, elle est ’ceuvre
de l’ingénieur Legendre et du grand Soufflot.
A cette époque, le remodelage urbain par cette architecture de statuaire
au service de l’Etat a largement fait tache d’huile hors de France, marquant
d’une touche francaise et monarchique l’espace urbain au temps des Lumiéres.
La place Royale de Bruxelles, longtemps méditée, est commencée en 1776,
ceuvre collective ot s’illustrent Fisco, Barnabé Guimard et surtout Barré;
congue comme une place fermée de 115 m X 80 m (peut-étre vieille réminis-
cence espagnole), elle s’affirme par la lourdeur de ses contraintes autrichiennes
et par la dignité de ses huit pavillons rigoureusement identiques. L’Amalien-
borg de Copenhague * s’encastre dans un complexe de plusieurs places et palais,
Elle s’inspire, certes, de ’exemple de Nancy ; la place orthogonale toutefois
lui confére son originalité. Bordée de quatre palais exactement identiques,
destinés en principe aux quatre grandes familles des Moltke, Schaek, Brockdorff,
Levetzau, Amalienborg est la place royale d’une monarchie aristocratique a
structure d’ « Etats ». A l’autre extrémité de l’Europe, sur l’espace libéré par le
tremblement de terre, Pombal édifiait 4 Lisbonne a la gloire de son souverain
Joseph Ie" l’énorme rectangle de la Praca do Commercio (177 m X II9 m) qui,
a la différence des autres places royales, se situe en raison des démolitions,
d’entrée de jeu, comme son nom le rappelle, au centre commercial d’un port
gonflé par la montée irrésistible de économie brésilienne dans la phase ascen-
dante du cycle de l’or.
450
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
et de Coysevox. De Coustou a Falconet, la sculpture se laisse emporter par la
sensibilité néo-baroque dominante, un baroque de divertissement et de gra-
cieux art de vivre « dans un crescendo de lignes zigzagantes », d’attitudes de
plus en plus pathétiques. Un moyen commode pour suivre une ligne d’évo-
lution : prendre sur un demi-siécle les morceaux de réception a l’Académie des
principaux acteurs de la statuaire frangaise en ce premier xvitI¢ siécle. On par-
tirait d’ Apollon montrant a la France le buste de Louis XIV de Nicolas Coustou
en 1693, on retiendrait, onze ans plus tard, Ja Mort d’Hercule de Guillaume
Coustou, puis successivement, dans une montée presque linéaire de pathétique
et de tension, la Mort de Didon de Cayot (1711), le Titan foudroyé de Dumont
(1712), le Saint Sébastien de Coudray (1713), Ja Mort d’Hippolyte de J.-B. Le-
moyne (1715), Ulysse tendant son arc de Bousseau, le Neptune calmant les
flots (1737) de L. S. Adam. Enfin, avec la Chute d’Icare de P. A. Slodtz (1743),
le Prométhée de N. S. Adam et le Milon de Crotone de Falconet, on atteint le
sommet dans la tension du baroque sculptural rococo.
Les fréres Coustou ont été d’honnétes artisans de la masse et du ciseau,
solidement enracinés dans le milieu lyonnais, qui font la transition entre les
deux siécles. Leur talent triomphe dans la chair mince et flexible des nymphes,
dans la robuste santé aux formes pleines et harmonieuses de la statuaire des
fleuves, Je Rhéne, la Garonne et peut-étre plus encore cette Sadéne ot Nicolas
Coustou a mis tout l’amour de la terre généreuse de ses ancétres. Incontestable
point haut, la Marie Leczinska de Guillaume Coustou au Louvre et ses Chevaux
de Marly. Robert Le Lorrain (1666-1743), voyez les Chevaux du soleil de Photel
Rohan, dont une partie est malheureusement perdue, retrouve un art de la
ronde-bosse étroitement associé au mur, replacé, donc, dans le mouvement
architectural. Avec les Lemoyne et les Slodtz, le pathétique triomphe ; Bou-
chardon a de la noblesse et le sens de la composition dont témoigne la fontaine
de Grenelle.
Le grand moment de la sculpture francaise commence 4a la moitié du siécle
avec le retour a l’antique et l’esthétique néo-classique. La sculpture est appelée
de nouveau 4 collaborer 4 la décoration intérieure de la demeure de prestige.
Voyez les arabesques sculptées des hétels parisiens des années 1760. Avec les
ordres, la ronde-bosse s’impose de plus en plus dans la décoration des belles
demeures urbaines : « ’hétel d’Hocqueville, 4 Rouen, contenait une admirable
décoration qu’on a pu attribuer 4 Clodion » qui travaille dans le méme temps
au jubé de la cathédrale, a l’hétel de Salm « les arabesques en stuc de la rotonde
contiennent, 4 cdté de rinceaux et de vases antiquisants, des violons et des
palettes. A P’hétel de Gallifet, des femmes dévétues soutiennent des urnes et se
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
tiennent en équilibre sur des lyres [...] ». On pourrait multiplier les exemples a
linfini. Cette mutation du goat correspond 4 une mutation de la demande et a
une mutation de la vision dans l’espace. Le second xviil® a les sculpteurs de ses
besoins, la sculpture qu’il mérite.
J.-B. Pigalle (1714-1785), honnéte et génial artisan issu du milieu parisien
du meuble, a fait le voyage de Rome. II s’impose brusquement 4 vingt-six ans
avec son Mercure attachant ses talonniéres. Pigalle est a la fois le portraitiste
spirituel de M™e de Pompadour et homme des grands et nobles ensembles
qui culminent dans le mausolée du maréchal de Saxe, de l’église Saint-Thomas
4 Strasbourg, c’est aussi homme des belles fontaines. Etienne Maurice Fal-
conet (1716-1791) sort du méme milieu parisien, cette espéce d’aristocratie
de l’artisanat du meuble, ot lon est intelligent, et cultivé avec les mains.
Falconet associe le gofit de Boucher dans ses biscuits de Sévres (voyez la Léda,
la Baigneuse, le Pygmalion) 4 une sculpture d’idée qui témoigne d’une connais-
sance approfondie du legs classique de l’Antiquité. Pajou (1753-1809) est
volontiers larmoyant (Psyché abandonnée). Au sommet, Jean Antoine Houdon
(1741-1824), issu d’un milieu trés humble : son pére était domestique, mais a
Versailles. Le voyage 4 Rome nous vaut sa Vestale, son Ecorché et son étonnant
Saint Bruno de Péglise Santa Maria degli Angeli alle Terme 4 Rome. II atteint
a une sorte de perfection classique dans sa Diane du musée de |’Ermitage,
qui est l’ceuvre d’un homme de trente-six ans, au sommet de ses moyens, en
1777. L’année suivante, au milieu d’une production abondante, émerge l’inou-
bliable Voltaire.
L'Italie part du baroque sculptural qui est une abondante monnaie du
Bernin, rempli de fontaines en grottes foisonnantes, de saints pudiquement
drapés, de tombeaux un peu miévres avec Serpotta, Le Gros, Parodi, Cametti,
Schiaffino, Marchiori, Valle auquel on doit la trés belle Annonciation de l’église
Saint-Ignace 4 Rome, Calegari, Queirolo, Slodtz, a cheval sur toutes les Europes
baroques, Spinazzi, Angelini, pour culminer avec Canova *, dans un néo-classi-
cisme agressif contemporain de Houdon. L’Allemagne catholique reste dans la
mouvance italienne. Le palais et l’église baroques, les grandes fontaines du plan
@urbanisme sont l’ceuvre soit d’Italiens soit d’artistes formés a ’école italienne.
Balthasar Permoser * (1651-1732), qui travailla quatorze ans 4 Florence, marque
la liaison et la dépendance.
La sculpture, au départ, est méditerranéenne. Elle s’acclimate lentement
au nord. La sculpture anglaise, par exemple, est plus tardive que sa peinture.
Et pourtant, Parchitecture palladienne appelle par imitation un complément
sculptural ;Bird et Cibber sont d’honnétes tacherons du ciseau. Pierre Scheema-
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
sociales du milieu sont bouleversées. Regardez les peintres du xvilI® : ils sortent
massivement de milieux relativement modestes, ils appartiennent souvent
4 la couche supérieure de l’artisanat. Elargissement de la demande, élargisse-
ment du recrutement, descente dans des secteurs moins cultivés dont la diffusion
du livre ne comble pas nécessairement toujours et partout le retard. Voila qui
tend encore a primer le genre par rapport a la peinture mythologique, a la
peinture d’histoire et au grand genre.
Derniére caractéristique enfin : les nouvelles liaisons de la peinture, par
le jeu des salons, avec la littérature. En France, voyez le réle de Diderot. Para-
doxalement, dans l’esprit du fondateur de l’Encyclopédie, les arts plastiques
dérivent une partie de leur éminente dignité des arts, au sens le plus large,
entendez les techniques. Il y a donc sur ce point inversion del’ordre traditionnel
des valeurs. Il fallait faire oublier jadis l’aspect matériel du travail de l’artiste
pour lui conférer une dignité proche d’un art libéral. Dans la perspective de
Diderot il en va tout autrement. La peinture, c’est aussi une technique, un
support matériel 4 un ensemble de sensations qui s’organise en idées. Qu’on
se reporte au prospectus de l’Encyclopédie publié en octobre 1750, au témoi-
gnage du fidéle Naigeon sur la maniére de travailler de Diderot. A la limite,
on peut légitimement se le demander, le salon, la critique d’art, ce pont jeté
entre la peinture et la littérature, s’apparente au type d’enquéte qu’il avait
jadis pratiqué auprés de tous les métiers, avide de savoir et comprendre,
pénétré de I’éminente dignité de la main qui communique l’idée a la matiére
par un jeu subtil d’aller-retour : « Diderot, écrit Naigeon (d’aprés J. Proust),
passait des jours entiers dans les ateliers des plus habiles artistes et ne négli-
geant pas méme les simples manouvriers qui sans avoir jamais réfléchi sur
leur art, en connaissent trés bien certaines parties et sont méme parvenus par
une pratique habituelle et par une longue expérience a laquelle la théorie ne
peut jamais suppléer 4 perfectionner les méthodes connues [...] » Admettons que
le travail de Diderot ait été beaucoup plus que Naigeon ne le prétend et que le
prospectus ne le promet, un travail de seconde main. L’intention compte plus
que lacte. I y a un certain désir de comprendre, un ceil de technicien, de pra-
ticien sur la toile qui marque mieux qu’une étape. La peinture s’est intégrée
plus que par le passé a l’univers des mots.
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
« Mais le décor et la féte, note Jacques Thuillier, prennent le pas sur le ta-
bleau. »
« La protestation suit de prés. La “‘ querelle des Coloris” qui, dés 1671,
agite l’Académie semble n’opposer que “ poussinistes”’ et “ rubénistes ” sur
d’étroites questions de doctrine : elle traduit en fait l’immédiate revendication
des “‘ amateurs ”, disons plus clairement, la montée, 4 horizon de la nouvelle
commande, d’une nouvelle couche sociale dans le public, pour un autre usage,
au service d’une autre vision du monde des amateurs qui entendent maintenir
dans tous les droits la“‘ délectation ”’, qui ne renoncent pas a réclamer au peintre
des accords de couleurs raffinés, une touche ressentie, le charme de invention
poétique. » Jean-Baptiste Monnoyer (1634-1699), dans quelques-unes de ses
natures mortes, Pierre Mignard (1612-1695), dans la Fillette aux bulles de savon,
annoncent les préparatifs d’une féte de la couleur.
Rubens ou Poussin, le débat est ouvert en 1671. « Une conférence de Cham-
paigne [...] donna le signal des hostilités. » Derriére Philippe de Champaigne,
les tenants de la ligne et de la pensée, en face les tenants du coloris. Les discours
succédent aux discours sur les mérites de la couleur. Un amateur éclairé,
Roger de Piles, décide, procédure insolite, de porter le débat devant le public.
«Son Dialogue sur le coloris, paru en 1673, eut un retentissement considérable. »
En 1676, nouveaux écrits, nouveaux débats. La belle collection de Carraches et
de Poussins du duc de Richelieu ayant été dispersée dix ans plus tét, Roger de
Piles le coloriste est chargé par le puissant mécéne de décrire la collection
perdue et de réunir, faute de mieux, une collection de Rubens disponibles ;
Popération est menée vite et bien. Assez pour permettre 4 Roger de Piles de
publier, en 1681, une apologie de Rubens qui a, au départ, partie gagnée. Au
niveau du public éclairé de la ville, les rubénistes ont gagné en 1681. En 1699,
les derniers bastions de l’Académie s’inclinent : Roger de Piles est appelé a
siéger dans ses rangs comme conseiller honoraire. La cause est entendue :
de 1690 a 1780, de Watteau a David, les coloristes, pour un siécle, triomphent.
Sur la premiére ligne de la couleur, on est tenté de placer Charles de La
Fosse (1636-1716), pour son Moise sauvé des eaux, pour le coloris des carnations
de la fille de Pharaon et de sa suivante ; Joseph Parrocel (1648-1704) pour sa
Halte de cavahers du musée de Lyon, tout de rouge et de mouvement, d’un style
presque impressionniste, auprés de Rigaud, de Largilliére et de Coypel.
Largilliére est un grand peintre, un homme modeste qui a travaillé long-
temps (né a Paris en 1656, il meurt en 1746) pour le nouveau public de la pein-
ture. Dans sa clientéle, point de roi (a l’exception de Jacques II en exil), ni de
princes du sang : «Il aimait mieux travailler pour le public, dit non sans humour
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
partie de l’alimentation. Le décor animalier dans la peinture est lié A une
commande urbaine et bourgeoise. Faut-il s’étonner, dans ces conditions, que
Parchétype vienne de la trés bourgeoise et trés urbaine Hollande?
Pour répondre 4 une demande pour laquelle la peinture francaise n’a pas
d’offre 4 présenter, le marché francais a dd recourir d’abord a la peinture
flamande. Louis XIV, le premier, a donné l’exemple de l’intérét pour la pein-
ture flamande hollandaise. En 1671, il acquiert l’Autoportrait au chevalet de
Rembrandt et la Vierge aux Innocents de Rubens. En 1737 une des collections
parisiennes les plus célébres, celle de la comtesse de La Verrue, comptait
trente Teniers et treize Wouwermans. Devant une telle évolution du godt et
une attitude aussi nette de la demande, il était fatal qu’une réponse francaise
s’organisat. Deux noms prestigieux plus qu’une véritable école : Francois Des-
portes (1661-1743) et Jean-Baptiste Oudry (1686-1757).
Frangois Desportes — et ceci correspond parfaitement au modéle que
nous avons proposé — est d’origine modeste. Ce fils de paysan ardennais a eu
la chance d’étre formé a Paris par un Flamand, Nicasius Bernaerts. Aprés
avoir voyagé, remporté d’honorables succés 4 la Cour de Pologne, il revient en
France, ot: il présume que les places de portraitistes sont prises. Mais la mort
de Bernaerts lui ouvre une carriére de peintre animalier. En 1699, l’Académie
le recoit a ce titre. II est le seul et dés 1702 les commandes royales se multiplient,
assurant son succés. Le meilleur de son ceuvre reste la décoration des nouveaux
hétels, au service de la nouvelle couche dirigeante qui nourrit a Paris sa nostal-
gie des champs. Les grandes scénes de chasse de Desportes alimentent les
aspirations nobiliaires de la finance, elles lui promettent sur les murs la consé-
cration seigneuriale de son ascension sociale, qu’elle va chercher aux champs.
Le génie, c’est Oudry qui I’a recu. Sa carri¢re ressemble a celle de son
maitre Desportes. Desportes est un portraitiste qui a bifurqué pour faire face
a une demande plus abondante, donc plus facile ; Oudry, un peintre religieux —
PAcadémie royale Vagrée en 1719 sur une Adoration des Mages destinée a
Saint-Martin-des-Champs — qui s’oriente dans la voie que Desportes est
impuissant 4 occuper seul. De la chasse active, Oudry glisse 4 cette forme de
chasse passive qu’est la nature morte. Les Chasses de Louis XV consacrent sa
gloire et le Canard blanc (1753) est au nombre des quatre ou cinq plus parfaits
chefs-d’ceuvre de la nature morte. L’ceuvre d’Oudry a été congue en fonction
des grandes surfaces de tapisserie qui font partie du luxe croissant du décor
au XVIIIe siécle. « La conception picturale de la tapisserie du xviiI° siécle répon-
dait au gotit du temps. Le développement du décor des boiseries, Pinvention
fantaisiste de ses lignes ont peut-étre concouru au désir de retrouver une imi-
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
tation du réel, une ouverture sur l’espace dans les tentures. » (A. Chatelet.)
La peinture de la chasse est, pour une aristocratie urbaine venue de la finance
et des offices de l’imp6t, une forme d’évasion vers un réel chargé de symbolique
sociale et difficilement accessible.
Jean Antoine Watteau (1684-1721) va beaucoup plus loin. Sa peinture
est toute de réve : un réve d’enfance sensuel, tout de caresse et d’hésitation.
L’Académie, avec une extraordinaire présence d’esprit, lui avait ouvert ses
portes en 1712, alors qu'il n’avait que vingt-huit ans. Embarrassée pourtant
par cet irréductible, l’Académie forgea un mot, créa une catégorie que Watteau
pour un temps remplit a lui seul, « peintre de fétes galantes ». Watteau est un
homme modeste. II s’apparente au milieu social des peintres animaliers, tourne
le dos au grand godt. Son pére était couvreur, il le confia comme apprenti a
un petit maitre de Valenciennes, sa ville, Jacques Albert Gérin. Par son Hai-
naut natal, par Jacques Albert Gérin, par Nicolas Vleughels et Jean-Jacques
Spoede qui l’accueillent 4 Paris, Watteau se rattache a l’école flamande néerlan-
daise. Rencontre décisive, Claude III Audran le prend 4a son service. II connaitra
Berain : le voila engagé, nous l’avons vu, dans la grande aventure de la déco-
ration avant-Régence des nouveaux hétels parisiens.
Soucieux de monter d’un cran dans l’échelle sociale, il se présente aux
jeux d’Académie. Un second prix le décoit en 1709. A vingt-cinq ans, il retourne
a Valenciennes. Décisif repentir. I] voit la guerre, il en tire Ja Recrue. Le mar-
chand de tableaux Sirois le remarque. Sa fortune est faite, son génie reconnu.
L’agrément par l’Académie précéde la présentation a Crozat. Le peintre de la
féte galante devient le pourvoyeur du réve sensuel de la finance. Voici Jes Sai-
sons, le Pélerinage a Cythére, Pour garder ?honneur d’une belle, Belles n’écoutez
rien... Il se souvient du théatre, cette autre forme de réve, de ses origines modestes
au soir d’une vie courte que ronge la phtisie, dans ses derniéres scénes de genre.
Voila donc l Amour paisible (toujours), ?Amour au thédtre frangais, ?Amour au
théatre italien. Le théatre italien d’ou sort le Gilles, un état d’4me sous un masque,
la Danse et, avec une pointe d’érotisme un peu plus appuyée, Jupiter et Antiope,
la Totlette, la Toilette intime, esquisse pour ce Fugement de Paris qui invente
ingénument une Vénus en soubrette étant sa chemise.
Watteau, le symbole d’une époque, celui qui a fixé le réve d’une civilisa-
tion, le réve de la conscience européenne en crise ; aprés lui la féte galante conti-
nue avec un peu moins de légéreté, un rien de trop appuyé, une note de vulga-
rité. Voici donc la monnaie de Watteau, une belle collection de réels talents.
Lancret (1690-1743) est le meilleur imitateur. Comme Watteau, de milieu
modeste mais parisien, il exploite une veine qui est riche. Avec talent, certes,
466
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
mais il appuie. Les galants du Moulinet (a Berlin) courtisent avec les mains.
A fortiori, pour Jean-Baptiste Pater (1695-1736). Francois Octavien (1740)
descend d’un cran : la féte galante a quitté le réve, elle est devenue la représen-
tation concréte des préparatifs. Une peinture de boudoir pour mettre en appétit.
Avec Boucher, on quitte les préparatifs. Le crescendo vient d’en haut.
L’art ne transforme pas les meeurs, il correspond aux transformations des
meeurs. En 1736-1737, Louis XV songe a la décoration des petits appartements.
A Paris, Soubise s’occupe de la décoration intérieure de l’hétel que lui a cons-
truit Boffrand. D’un cété, nous relevons Carle Van Loo, Charles Natoire et
Francois Boucher, de l’autre Parrocel, Pater, et A nouveau Carle Van Loo
et Boucher.
La peinture polissonne qui correspond 4 une évolution des mceurs aristo-
cratiques, donc ala décoration des palais et des grands hétels, découle non dela
féte galante — elle est restée méme, au terme de son évolution, avec le Déjeuner
au jambon de Lancret, réponse au Déjeuner aux huitres de Troy, 4 un niveau
bon enfant qui fait penser 4 la truculence des Flamands ou 4 Hogarth — mais
du grand gout. La porte est ouverte aux thémes galants de la mythologie et
aux aspects érotiques de la pastorale.
Frangois Boucher, chef de file de ce grand gotit dégradé, fait presque
mentir la regle. Certes — et la loi s’applique —, il est 4 la seconde génération,
mais 4 une toute petite seconde génération. Parisien de naissance, il est né en
1703 ; son pére était un tout petit peintre en modéles de broderie. Successi-
vement éléve de Lemoine et employé chez le graveur Jean-Francois Cars, il
remporte son grand prix a vingt ans sur un sujet d’histoire, Evilmérodach déh-
vrant Joachim emprisonné par Nabuchodonosor, mais il manque de peu Rome.
Le voila donc revenu 4 la gravure : 4 la gravure des oeuvres de Watteau aupres
de Jean de Julienne ; il y gagne bien sa vie, il fera donc a ses frais le voyage
d’Italie. En 1733, rencontre et mariage avec Marie-Jeanne Busseau, alors agée
de dix-sept ans, le modéle dont il ne se lasse pas. 1736-1737, il est introduit 4
la Cour. Apprécié du roi, aimé de M™¢ de Pompadour, sa fortune faite, il n’a
plus qu’a se laisser aller 4 sa facilité. Du Triomphe de Vénus aux délicieuses
chinoiseries du Festin de l’empereur de Chine (1742) en passant par Je Pigeonnier
(1750) qui révéle un étonnant paysagiste en verts, l’ceuvre de Boucher est plus
variée qu’on ne le croit généralement. Boucher nous offre un étonnant récital
de tout ce qu’aime le xvimr® siécle riche, frivole, sensuel et futile, entendez la
fraction minoritaire mais le plus souvent étalée du Siécle des Lumiéres. D’ot
son succés. Avec le portrait de Victoire O’Murphy peinte nue en odalisque
sur un sofa ov elle offre a la vue les rondeurs du dos et une fort belle descente
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
leur qui peint le monde travailleur, apre et sérieux, qui contribue a la grandeur
du xvi siécle.
Jean-Marc Nattier (1685-1766) a été plus favorisé par le sort. Son talent
est plus éclatant. Quentin de La Tour peintl’aristocratie clinquante des parvenus,
Perronneau le monde sérieux de la manufacture et de la robe, Nattier l’aristo-
cratie de la naissance et de la politique. Ruiné par la banqueroute de Law * —
mimétisme de milieu —, il lui faut batailler durement. Jean-Marc Nattier
pourtant était déja 4 la deuxiéme génération, d’ot son succés aristocratique.
Son pére Marc était un talent reconnu et son frére ainé, qui se suicide en 1725.
I] a vécu dans la proximité des grands. I] est appelé par Pierre le Grand, on lui
doit un Portrait du maréchal de Saxe qui le consacre, une Mademoiselle de
Clermont prenant les eaux. Son chef-d’ceuvre, qui est peut-étre le chef-d’ceuvre
insuffisamment reconnu du portrait au xvim®, en 1740, l’inoubliable portrait
symphonie dans tous les verts de la Marquise de La Ferté Imbault. Cette mar-
quise en tenue de bal qui tient 4 la main un masque noir — « derriére elle, un
drapé bleu léger et futile isole l’éclat de son visage et sa belle gorge décou-
verte » —, en dépit de sa minceur psychologique, est digne de plaider avec
Watteau pour l’insaisissable génie du siécle de l’art du laisser-vivre.
Mais il faudrait y joindre Chardin. La réalité qu’il saisit est bien plus
sérieuse. I] est le vrai peintre du xvim®, celui du repli au for familial, de ’édu-
cation, de l’ascétisme puritain du travail, de l’intelligence, de la main en prise
directe sur les choses, d’une piété vraie familiale, celle du Bénédicité qui pour-
rait étre dans ce cadre une priére 4 la genevoise. Chardin (1699-1779) nous
dévoile le vrai xvim®, celui qui compte, celui qui prépare les conditions du
take off. La plus grande partie de sa vie nous échappe. Fils d’artisan, destiné 4
Partisanat, il témoigne de l’intelligence de la main comme une planche de
lEncyclopédie. Sa morale est intransigeante, elle appartient a l’impératif caté-
gorique avant sa formulation. Lui qui sait la valeur de l’argent et qui l’aime
pour la dignité et la sécurité dans le travail qu’il confére, il épouse sa fiancée
ruinée et malade. Elle lui donne un fils unique en 1731 et meurt. Un fils auquel
il consacre toute sa tendresse. I] se remariera plus tard parce qu’il le faut. Le
Buffet, la Raie, le Panier de fraises... 11 est le peintre des choses qui ont une dme,
parce qu’elles sont la récompense de !’effort intelligent de homme, du travail,
parce qu’elles sont saisies dans le réseau de l’affectivité dense du foyer ; il est le
peintre génial de Phomme au foyer, le peintre de enfant éduqueé (la Gouver-
nante), le peintre de la transmission du savoir. Ce modeste génial est le peintre
de la civilisation.
De la civilisation et de la retenue : Chardin est né en 1699. Greuze, né en
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LU MIERES
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
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192. VICTOIRE O’MURPHY. gui a fim par étre totalement assimilé
Ce Boucher est inévitable. Victoire O’ Mur- par le milieu parisien. Il meurt a Paris
phy, belle piéce du Parc aux cerfs, oit le en 1766. La rage de l’Antique, la mutation
vieux Louis XV mhésite pas a puiser, historisante du XVIII*, la conquéte du
présente, sans pudeur, un visage vide et temps, donc de la durée, sont a l’origine du
enfantin, ainsi qu’une des plus belles tournant de l’esthétique néo-classique. Mais
descentes de reins de la traditions picturale. les ruines de Servandoni ne participent
Ce Boucher vaut surtout par les teintes, guére a cette mutation. Cet tonique
richesse des étoffes, doux incarnat de la romain, rendu plus ancien quil ne Test
chair. Ce tableau de boudoir est a peine dans la réalité, n’a pas la rigueur archai-
érotique, a peine du XVIII siécle, il est sante des temples doriques de Sicile. Les
presque sain, et se place assez simplement ruines toniques de Servandoni jettent, a
et sans plus de complexe dans la ligne des leur maniére, un pont entre la vision
grands Flamands. Les chairs de Victoire italianisante renaissante de I’Antique et
O’ Murphy ne sont pas indignes des chairs le regard neuf, qui est un regard archéolo-
de Rubens. (Munich, Alte Pinakotheq.) gique au départ, de la mutation esthétique
du fe VIII: siecle. (Paris, Ecole des beaux-
193. LA FETE CHAMPETRE DE WATTEAU. arts.
La féte galante est issue de la féte baroque
et les jeux subtils de l'amour se perdent 195. LA TEMPETE, J. VERNET.
avec délices dans les méandres infinis des Joseph Vernet (1714-1789) est Phomme
plus lointaines approches. L’amour de la des marines. On lui doit le dessin minu-
féte champétre est Pamour cérébral de la tieux de tous nos ports. La tempéte date
conversation, au code subtil, a la symbo- de 1777. Le navire s’est fracassé sur les
lique délicate. Il y a tout cela et un peu rochers au pied du phare. On organise
plus dans la féte champétre. Watteau, les secours. Une femme est portée a bout
Vhomme du Nord, découvre la nature avec de bras. Il y a du mouvement, de la vérité
une passion toute « flamande ». Cette passion quant a@ la mer et au ciel. Un climat
de la nature, ce gotit du bosquet qui allie romantique (homme qui prie face au
le vert sombre de la forét aux verts plus ressac), un climat a la Bernardin de
tendres des prairies, est née, dit-on, dans Saint-Pierre. Se rappeler que Pinvraisem-
les allées du jardin du Luxembourg. Elle blable Orage en mer de Marco Ricct
Saffirmera & Montmorency chez Crozat, avait enchanté, cinquante ans plus tot,
puis a Nogent. L’artifice de la féte galante les amateurs anglais, témoignant del’ avance
se nourrit, par contraste, de la chaleur psychologique de l’Angleterre. (Avignon,
d’un cadre naturel, d’une nature aménagée. musée Calvet.)
Voyez au premier rang a droite, la sta-
tuaire suspecte d’une source qui ressemble 196. CAPTAIN CORAM.
plus au beau modele d’une jeune femme nue Fai dit pourquoi (p. 480) cet Hogarth
qua la statue. Nature aménagée, amour, constitue, a mon sens, un des sommets
réve et civilisation. (Londres, Wallace objectifs de la peinture au XVIII* siécle.
Collection.) Hogarth le grand retient et exprime un
essentiel. Ne jamais perdre de vue l’essentiel.
194. LES RUINES DE SERVANDONI. _ (Londres, Thomas Coram Foundation for
Servandoni (1695-1766) est un Italien Children. )
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
476
LARBCOULEUR SS) LES PPORMES, LE DECOR» DE LA VIE
terre les Canaletto : vedute et caprices seront achetés massivement, plus tard,
par George III ; ils appartiennent aujourd’hui aux collections du chateau de
Windsor. Non content de travailler pour les Anglais, il fait en sens inverse le
voyage. Il arrive en 1746 en Grande-Bretagne muni des lettres de recomman-
dation de Smith. Mais l’Angleterre rurale l’inspire peu. Peintre de la ville, le
meilleur de son séjour anglais est donné par ses vues de Londres qu’il peint
avec une minutie mieux que hollandaise, brique par brique. Aprés un long séjour
dans la ville, il retourne vieillir et mourir 4 Venise.
Bernardo Bellotto (1720-1780) est proche de Canaletto mais ne le vaut pas;
Marieschi (1710-1743) meurt jeune ; le vrai, le seul successeur de Canaletto
est Francesco Guardi qui vit, lui aussi, de la commande anglaise : Vue a vol
d’oiseau de tout Venise. Composée et peinte pour Mr. Slade. A la fin de sa
vie, il est aidé par son fils Giacomo Guardi (1764-1835), mais l’Angleterre se
lasse.
La commande anglaise a contribué a soutenir aussi la peinture de genre.
Le premier nom quis’impose est celui dePietro Longhi (1702-1785). Ilest proche
par plus d’un point de Crespi (Giuseppe Maria Crespi, 1665-1747), voire
méme de Giacomo Ceruti. Longhi et Crespi se sont plu a la description d’une
misére trouble, dans une tradition picaresque adaptée 4a |’érotisme malsain de
certaines couches de l’aristocratie du xviiI® siécle. Cet étalage de la misére
appartient 4 un aspect du réve érotique septentrional. II n’est pas douteux que
cette forme de genre a été soutenue par la commande du Nord. Le Nord aime
par contraste 4 marquer sa propre réussite économique et sociale. Il y a dans la
ligne Crespi-Longhi une bonne dose de nostalgie de boue. Les Deux Pauvres
de Ceruti sont justement célebres ; peints sans la moindre sympathie, sans la
touche de romantisme de Murillo, sans le réalisme humain des Hollandais,
ces personnages haves et rabougris évoquent une déchéance morale autant que
physique. Avec un avant-goit d’érotisme sadien. « Quelquefois Crespi avait
pris pour motif un seul personnage rustique, une jeune fille se cherchant les
puces, par exemple, sur un arriére-plan sombre, et ces tableaux font réellement
penser aux premiéres ceuvres de Longhi, telle la Jeune Paysanne [-..] » La jeune
fille de Longhi est rien moins que repoussante. « Elle est méme saine et sédui-
sante au moins en intention » et l’on imagine sans peine les pensionnaires plus
ou moins consentantes du trés réel chateau provengal du marquis de Sade sous
les traits des jeunes filles dénudées sous leurs loques, la chair offerte aux mor-
sures préparatoires aux coups, peut-étre méme la féte sadienne s’est-elle nourrie
des images de Crespi et de Longhi. Le Nord a besoin de la trouble chaleur
méditerranéenne pour nourrir ses phantasmes.
477
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
Giambattista Tiepolo (1696-1770) est le seul Vénitien que I’Italie ait voulu
se garder, le seul qui ait pu se passer de |’Angleterre. Pendant toute la période
active de son existence, de 1716 4 1770, «il ne peut jamais réussir 4 se faire un
nom en Angleterre et on ne l’apprécie pas beaucoup plus en France ». Prié
d’orner de fresques le palais royal 4 Madrid, en 1762, ce Méditerranéen choisit
de finir ses jours en Espagne. Tiepolo n’est pas vraiment du xvItI® siécle, ses
ressemblances avec Véronése surprennent, il est homme a la fois du baroque et
de la Renaissance. II illustre dans le plus pur baroque les pages pittoresques de
YEcriture sainte, il chante, aprés deux siécles de décadence, la gloire morte de
Venise. Génie précoce — Levey, emporté par son sujet, écrit «comme Meétastase
et comme Mozart », la comparaison est hardie —, sa production, comme celle de
Bach, est immense, aux dimensions d’une vie longue et d’un prodigieux labeur.
Surtout, il reste fidéle 4 des techniques du passé. II peint le plus souvent 4 la
fresque. Le génie de Tiepolo est de tous les temps mais sa gloire, au XVIII® sié-
cle, étroitement méditerranéenne. L’Angleterre est, depuis le milieu du xvIr®,
grosse consommatrice de peinture. La consommation ne cesse de monter avec
Pessor de la upper middle class du commerce, de la manufacture, de la mer,
avec urbanisation qui fait de Londres, et de beaucoup, la plus grande cité du
monde. Au départ, l’Angleterre est cliente : elle recourt 4 I’Italie, 4 la Flandre,
a la Hollande, accessoirement a la France.
Van Dyck était devenu anglais, sir Peter Lely, ce Hollandais, gravit 4
l’époque des Stuarts les mémes échelons. Lely, avec James Thornhill, Godfrey
Kneller, William Van de Velde et Francis Barlow, apparait sur l’horizon des
années 1700 sans que l’on puisse parler, méme avec des éléments d’importation,
d’une école anglaise.
Hogarth n’a pas usurpé son titre de pére de la peinture anglaise. Au début
du xvi, le statut social du peintre reste au niveau des arts mécaniques, une
profession tout a fait indigne d’un gentleman. L’ Angleterre du xvitr® siécle aura
beaucoup de mal a rompre avec ses anciens préjugés.
I] appartient 4 Jonathan Richardson de plaider la promotion de la peinture,
avec des arguments qui tournent le dos 4 ceux que Diderot emploie quarante
ans plus tard. Richardson affirme que Raphaél est supérieur 4 Virgile, car le
peintre (sous-entendu, le peintre d’histoire) doit avoir les mémes connaissances
que l’écrivain dans tous les domaines, plus le maniement d’un ensemble de
techniques que l’écrivain ne posséde pas. Cette réhabilitation assez théorique
ne s’applique qu’a un genre limité et traditionnel et ne correspond pas a la
demande bourgeoise et urbaine en pleine croissance.
478
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
Elle explique cependant, dans une certaine mesure, |’attitude de Hogarth
(1697-1764). William Hogarth, sa vie durant, a visé au grand genre ; rien de plus
révélateur que l’autoportrait de 1745. Reynolds, en toute modestie, s’était
representé avec, au fond, le buste de Michel-Ange (1733), Hogarth s’est
peint avec un chien, les objets de l’art, la palette et une référence littéraire :
sur la table, trois livres, Shakespeare, Milton et Swift, tradition et présent.
Diderot annexe Greuze, Hogarth annexe la littérature et la philosophie au
sommet, oN pense au portrait traditionnel, au xvur°, de l’élite cultivée,
Locke en main. Hogarth, lui aussi 4 la deuxiéme génération — n’est-il pas
le gendre de sir James Thornhill, le grand maitre du décor baroque, du colossal
pictural anglais ?—, se place dans la ligne du grand genre.
Hogarth, homme cultivé — ila publié une Analysis of Beauty —, trés tot en
réaction contre le baroque rococo — il sera célébré par l’école de Burlington —,
attaché a des régles strictes de composition, symétrie en surface, symétrie
en profondeur, double symétrie newtonienne qui se compose dans la fameuse
ligne S (développé dans son Analyse de la beauté), Hogarth est le peintre au
service de lidée.
Au service d’une structure sociale et d’une éthique sociale, il fustige la
décomposition morale d’une petite fraction de l’élite a l’époque de Walpole, au
moment ou la gin drinking mania ravage des secteurs importants de |’Angleterre
urbaine, au moment du desséchement rationaliste de l’Eglise anglicane, juste
avant les grands Réveils du milieu du siécle. Hogarth critique mais il propose.
Il critique et ce sont les fameux Harlot’s Progress de 1731, malheureusement
détruits dans un incendie en 1735 ; plus célébres encore, les Rake’s Progress,
terminés en 1735, dirons-nous la plus fameuse et l’une des plus anciennes
bandes dessinées? Un art engagé, une réflexion, une interprétation et un
commentaire de la condition sociale du temps.
Le Rake’s Progress, comme toutes les séries hogarthiennes, a été con¢gu en
vue d’une diffusion par le multiplicateur de la gravure. Pour des raisons commer-
ciales, certes, mais en vue d’une forme nouvelle de prédication dans les perspec-
tives d’un activisme chrétien-social propre au protestantisme anglo-saxon.
Premiére scene : Tom Rakewell hérite ; second carton : le lever. La suite de
Phistoire, c’est la déchéance du libertin par l’ivrognerie et la galanterie. Le
voila saoul, dépouillé par un troupeau de filles au bordel. Premiére visite 4
la prison pour dettes. Le héros, un moment, est sauvé par un mariage contre
nature avec une vieille femme ravagée et hideuse. Nouvelle chute, le jeu :
de nouveau la Prison pour dettes, la sinistre Fleet Prison et, pour finir, la grande
hébétude a Bedlam, chez les fous, 4 l’époque du grand renfermement. La tech-
479
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
nique est reprise, poussée 4 son point de perfection, dans l’inoubliable série
du mariage a la mode. : Ga
Mais Hogarth propose une morale de la probité, de Pélection par effort,
de la puissance qui refuse le luxe, qui dignifie l’argent, signe puritain de l’élec-
tion, par la bienfaisance, célébration des males vertus. Voyez Lord George
Graham in his cabin (1745), 1a puissance de l’Angleterre est sur l’eau. Mais rien
n’est plus beau, plus grand, plus digne de la véritable grandeur du xvui° siécle,
celui dont le meilleur de ce qui suit est ’héritier, que le gigantesque portrait
(2,36 m X 1,45 m) du capitaine Thomas Coram, aujourd’hui encore 4 la Thomas
Coram Foundation for Children, a laquelle le vieux loup de mer avait dédié sa
fortune. Ce portrait, Hogarth I’a aimé et il l’a dit (le portrait que j’ai peint avec
le plus de plaisir). Le petit homme assis, digne, simple et bon, avec tous les
attributs du métier de la mer, le globe et le sextant, est le capitaine marchand
Coram, vieux loup de mer au visage rouge brique qui a consacré sa fortune,
gagnée en une vie de travail et d’aventures, aux enfants — cette noble et grande
passion du xviiIe siécle —, une fortune réalisée dans le grand commerce mari-
time, consacrée a l’aide sociale de l’enfance, pour la santé de jeunes hommes
éduqués. Ce portrait, mieux que le prospectus de l’Encyclopédie, contient le
programme des Lumieres, les vraies. Pour cette ceuvre au service du grand plan
économique, social, moral et métaphysique du siécle, Hogarth s’est surpassé :
il a mobilisé toute la science de l’Europe picturale.
La taille : il ne recule pas devant une pointe de gigantisme, toutes les régles
du portrait du grand godt, dans la tradition de Rigaud que Hogarth connait et
admire, la colonne d’un ordre antique, les draperies, les attributs symboliques
de l’état du fondateur-donateur, la pose, évidemment prise pour le temps et
Péternité, ce petit homme vaut bien tout a la fois Alexandre et Louis XIV,
Hogarth le pense et il a raison. Il est bien 1a, ce petit homme rond, de soixante-
dix ans, heureux du bonheur du devoir accompli, heureux jusqu’au bout, dans
la pose emphatique qu’on lui demande, dans l’attirail aristocratique humaniste
a Pitalienne dont on l’entoure, car il importe que son acte ait valeur de prédi-
cation. Une attitude de grand roi pour affirmer une foi modeste, précise et
concréte dans le progrés, par le respect de la loi morale et un regard intelligent
et déférent sur les choses qui sont faites 4 la gloire de Dieu.
Un peu plus tard, Johann Zoffany, dans la représentation de la famille
du quatorziéme baron Willoughby de Broke (vers 1770), plaidera aussi pour
Péducation.
L’Angleterre urbaine, naturellement, aura ses paysagistes — I’échec de
Canaletto est révélateur — qui seuls peuvent lui procurer 4 la ville le plaisir
480
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
de sa campagne. Sur lhorizon des années 50, toute une génération : Samuel
Scott qui affectionne les marines, le Gallois Richard Wilson et Thomas
Gainsborough qui a bien d’autres titres de gloire. Elle a des témoins de toutes
ses activités. Un des tableaux les plus éclairants, digne presque du portrait
du capitaine Coram, est le chef-d’ceuvre de Joseph Wright of Derby, témoi-
gnage de la passion pour l’expérimentation, au siécle de l’abbé Nollet, de Watt
et de Lavoisier. Experiment on a bird in the Air Pump date de 1768. Les
pompes a air sont fabriquées alors dans les Midlands pour d’autres fins que
lexpérimentation scientifique. L’oiseau dans le globe va mourir, une étrange
lumiere illumine le centre de la scéne ot va se jouer ce drame, ot s’exerce la
nouvelle magie de l’exploration scientifique de l’ordre naturel des choses :
la grande fille, 4 droite, qui ne peut en supporter la pensée ni la vue, se voile
la face, tandis que la petite fille tend vers l’objet et l’oiseau un visage ot la
curiosité l’emporte, finalement, sur la crainte et la pitié. Voila pour la science et
lexpérience, retombée évidente de la pensée sur I’art et sur les choses.
L’ Angleterre de Phorizon 1750 et au-dela peut aligner encore un des plus
grands animaliers de tous les temps, George Stubbs, témoin de la passion
urbaine pour la course et l’élevage d’un cheval fagonné pour l’art, temoin du
nouvel élevage, c’est-a-dire de la révolution agricole Jato sensu qui commande
en profondeur une des conditions essentielles du take off. La consécration de
Ja peinture anglaise, c’est la présence simultanée de sir Joshua Reynolds * (1723-
1792) et de Thomas Gainsborough * (1727-1788). Avec Reynolds, premier pré-
sident de la nouvelle Royal Academy, anobli en 1769, la peinture a gagné
en Angleterre. Reynolds propose par I’art et la littérature. Comme Hogarth,
il est auteur : ses Discourses ont un énorme retentissement. I] a peint toutes les
couches de la classe dirigeante. Comme Zoffany et mieux que lui, il est le peintre
de l’éducation, du resserrement affectif au sein du mucleus familial, le peintre
de l’enfance saisie dans sa véritable dimension, le peintre de l’enfance dignifiée.
Ce que Reynolds réussit avec tant de bonheur, Gainsborough l’obtient avec
un peu plus d’effort peut-étre. Reynolds explique, Gainsborough suggere. Le
visage de la comtesse Howe surtout et Ja Promenade matinale, en dépit d’un peu
trop d’apprét, approchent, avec Lady Cockburn et ses trois ainés et Lord Heath-
field de Reynolds, des sommets de l’art pictural de la modernite.
481
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
société d’ordres ; la peinture des Lumiéres fait partie intégrante du décor quoti-
dien de la vie, elle participe 4 un art de vivre. Avec le mobilier, nous entrons
plus avant encore dans l’intimité de la vie quotidienne.
La multiplication du mobilier est générale au xvirI® siécle 4 tous les éche-
lons de la société. Le traitement sériel des inventaires aprés décés permet
d’affirmer, méme dans les milieux les plus pauvres, une multiplication peut-étre
par quatre, sur un siécle, en France, du contenu de la maison. Rien de plus
éloquent, 4 l’appui d’une élévation modeste et pourtant sensible du niveau de vie.
Cette multiplication par quatre, nous laretrouvons au niveau del’habitat de pres-
tige, hotel urbain, manoir de campagne. Entre le milieu du grand régne et le milieu
de la période de Louis XV, il y a doublement, a peu prés, du contenu d’une
piéce; a taille égale, sans doute, un autre doublement de 1750 a 1790. « Les
ensembles les plus importants se composent d’une dizaine de piéces sous
Louis XV et quinze a vingt, peut-étre, sous Louis XVI, rarement plus [...] Le mo-
bilier n’est pas encore trop nombreux : l’encombrement des siéges surviendra avec
le xIx¢ siécle. » (P. Verlet.) Cette concordance des évolutions paralléles de ’inté-
rieur de la maison populaire et de la maison de prestige a son prix : elle montre
qu’on ne peut l’attribuer uniquement a des facteurs économiques, méme si
ces facteurs sont décisifs. La multiplication des piéces 4 lintérieur de l’espace
d’habitation correspond a une évolution de l’affectivité. I] convient de placer ce
phénomene en relation avec la concentration affective sur le nucleus familial, avec
le besoin de chaleur et d’intimité. Retenons pour l’ensemble du siécle une
multiplication en moyenne par trois au moins, quatre au plus, du coefficient de
remplissage des piéces qui s’ajoute au doublement moyen de la population.
Partout ot cela est possible, le xvimi® a le gotit passionné du neuf. « Il semble que
Pon observe une sorte de hiérarchie des meubles, comme des demeures ou des
personnes. Les chateaux royaux nous le montrent, ou les meubles les plus
nouveaux sont généralement réservés'a Versailles et a la famille royale ; ceux
qui sont déja démodés peuvent étre dirigés sur Fontainebleau, Marly, Compiégne
ou servent 4 meubler des appartements secondaires. » Méme mouvement dans
toutes les couches supérieures de la société. Tous ces facteurs conjugués entrai-
nent un développement considérable de la capacité productrice dans l’artisanat
du meuble au xvilr°.
Un artisanat diffus, dans les petits bourgs et les campagnes, qui établit,
avec un décalage chronologique plus ou moins important, une série de compro-
mis entre les traditions locales et un certain air du temps venant surtout des
Lumiéres de Paris. Si, quantitativement, la France vient en téte, ne pas imagi-
ner une domination francaise sans partage ; il y a aussi l’Angleterre. Le meuble
482
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
anglais dans l’ensemble est moins chargé, sous l’influence sans doute des courants
palladiens, plus classique, plus fonctionnel. Ne pas perdre de vue le poids
d’entrainement du modéle anglais au xviI® sur tout ce qui touche l’art de la
vie (4 commencer par le petit lieu 4 l’anglaise et en régle générale tout ce qui
concerne une hygiéne plus efficace et plus rationnelle). Si l’influence du mobilier
frangais s’exerce presque sans partage sur l’7Europe méditerranéenne, sur
l Allemagne méridionale et centrale, elle est contrebattue par l’influence anglaise
en Hollande et parfois dans Allemagne du Nord et en Scandinavie. Ce qui
n’empéche des remontées constantes d’influence francaise sur |’Angleterre et
ses dépendances, une teinte d’anglomanie en France, décisive, notamment,
dans la seconde moitié du xvim® ot elle hate la mise en place du Louis XVI.
On est tenté d’établir avec Verlet une chronologie de la francomanie dans
le domaine du mobilier en Angleterre : elle correspond aux années 1730, elle
dure vingt a trente ans, « Hogarth ou Zoffany représentent non sans une inten-
tion ironique des siéges purement francais ». Les ambassadeurs anglais a
Versailles ont été les relais constants de cette action. On voit passer outre-
Manche force Delanois, Gourdin, Lebas. Choc en retour, 4 ’heure néo-clas-
sique, le continent anglomanise dans les années 1770. Une chose est sire, Paris
constitue un centre unique en importance, de beaucoup le premier de toute
Europe des Lumiéres. Son rayonnement comme diffuseur de mode et de type
s’exerce sur 60 4 80 p. 100 environ, suivant les périodes, de l’espace européen.
On a vu l’importance de ce milieu du meuble : prés de la moitié des peintres
francais, la majorité des peintres de genre, des paysagistes et des animaliers
en sortent ; on ne peut marquer plus clairement l’unité profonde du meuble
et de la peinture dans |’art de l’aménagement et de la décoration du cadre de la
vie.
Au début du xviiié siécle encore, la distance est grande entre menuisiers et
ébénistes. Entre eux, une étroite collaboration, certes, mais souvent des origines
ethniques différentes et pas d’intermariage. « Etymologiquement, le menuisier
est celui qui débite et assemble 4 menu bois des ouvrages [...] destinés surtout
au mobilier. L’ébéniste plaque du bois généralement exotique dont le plus
employé fut d’abord |’ébéne [...] » Au cours des temps, les deux branches
longtemps rivales se rapprochent. Voyez toujours la France: «[...] des lettres de
Louis XV données 4 Versailles au mois de mars 1744, enregistrées au Parlement
le 20 aot 1751, confirment les Statuts privilégiés de la Communauté des maitres
menuisiers et ébénistes de la ville fauxbourg et banlieue de Paris ». (P. Verlet.) Maison
commune et confréries assurent la cohésion affective du corps ; une jurande que
l’on appelle bureau, a partir de 1776, représente la garde du métier. Apprentissage,
483
LA CIVILISATION DE L’>EUROPE DES LUMIERES
484
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
a la veille de explosion de croissance qu’elle prépare : scies a refendre, a débiter
ou a tenon, égoines, scies 4 chevilles et 4 araser, quelques rabots, varlopes, ciseaux,
gouges, bédanes, limes, une équerre, un compas, un maillet, un marteau et un
établi trés simple. On est frappé de l’économie des moyens. Le menuisier
n’utilise que les bois indigénes, hétre et noyer de préférence au chéne suspect,
alisier, poirier, merisier — quelques exceptions régionales —, séchés longtemps,
habilement préparés ; tout le secret, selon Roubo, dépend de la maniére de
refendre; la technique du xvu°, solidaire du passé, reste fidéle au vieil
assemblage a tenons et mortaises. Pour la finition, décor, sculpture, peinture
et dorure, garnitures, le menuisier fait appel 4 la gamme proche des métiers
complémentaires dont les relais expliquent le passage fréquent, de pére en fils,
de l’établi a ’atelier, de la mortaise a la cimaise.
L’attirail de l’ébéniste est un peu plus complexe, il lui faut en plus des
guimbardes, un couteau de taille, des compas 4 verge, un tire-filet, des marteaux
a plaquer et a chauffer, un ensemble de presses, grandes presses ou petites
presses, dites vis 4 main. La gamme des matériaux, par contre, est trés largement
ouverte : elle va du bois de rose a l’amarante, du bois violet — violet palissandre
— au Cayenne, bois de Chine, bois d’Inde, bois aurore, olivier, acajou, citron-
nier, amboine, ébene. Le placage et plus encore la marqueterie, dont le but est
d’imiter la peinture, requiérent une grande habileté. Pour la finition, si le
bronze recule, de la fin du xvur® au milieu du xviue, pour reprendre 4 la fin,
art des laques et vernis est poussé trés loin, sous l’influence des modéles de
Chine et du Japon apportés par les Compagnies des Indes.
La gamme du mobilier s’est beaucoup ouverte au XVIII°, par rapport a la
relative simplicité des xv1° et encore xviI® siécles. Toute la gamme des siéges,
tabourets, pliants, ixes, banquettes, chaises ou fauteuils a la reine, en cabriolet,
meublants ou courants, suivant la hiérarchie des piéces auxquelles on les destine.
Les siéges plus larges se prétent davantage aux commodités de la conversation
ou aux approches de galanterie, voici donc le confident ou téte-a-téte.
Mais le xvuI® triomphe dans les canapés : plus de dix modéles; le lit a
colonnes recule — il se maintient dans les manoirs mal chauffés de la petite
noblesse rétrograde des lointaines provinces —, avec le progrés du chauffage,
devant les lits a la duchesse, a la polonaise, 4 la turque. Quant 4 l’armoire, qui
chasse le coffre dans les campagnes reculées a partir de 1770-1780, on peut dire
qu’elle correspond a une mutation des mentalités. L’armoire dans les campagnes
ou I’on range désormais, c’est le triomphe de l’espace géométrique sur la confu-
sion, du rangement méthodique sur le vrac de l’espace sombre et indifférenci¢
du coffre.
485
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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A. Pieds de fauteuil 21. Régence. —2.LouisXV. _B. Bras de fauteuil : 1. Régence. — 2. Louis XV.
— 3. Transition. — 4. Louis XVI. — 3. Transition. — 4. Louis XVI.
486
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
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487
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
étroite avec la construction des grands hétels urbains, et par une évolution des
formes. « La forme méme des meubles se trouveen pleine évolution. Elle demeura
jusqu’au début du régne de Louis XIV dans la tradition médiévale rectiligne
et concue selon des assemblages séculaires. Les audaces qu’avaient permises les
meubles d’argent et que reprendront ceux de bois doré, les pieds “ de biche”’ ou
“en console ”, les galbes, que commencent 4a suivre certains meubles commela
commode, sont certainement dus pour une large part a l’influence des dessins
de meubles composés par Berain et vont étre largement exploités par le xvIII° si¢-
cle. » (P. Verlet.) En un mot, le meuble répercute et amplifie le grand tournant
des formes sur l’horizon de la crise de conscience. Les décennies 1690-1700
nous sont apparues exceptionnellement importantes au niveau de l’aména-
gement intérieur de Phabitat urbain de prestige. Nous avons interprété ce
mouvement comme une annexion au baroque, dominant sur la plus grande part
de l’espace européen, d’un des secteurs qui longtemps lui avait échappé. Deux
facteurs du moins avaient contribué 4 maintenir, jusque vers 1660-1680, le
mobilier dans un cadre rigide d’apparence classique : les difficultés de l’assem-
blage —le poids donc d’une trés vieille technologie —, lerdle dela France comme
fournisseur de modéles rayonnants, la France, dernier réduit avec l’Angleterre
des formes classiques, dans locéan déferlant de la plastique baroque. Le
Louis XV, c’est donc un double alignement : alignement du mobilier sur le
décor et sur les formes de l’architecture interne de habitat de prestige, aligne-
ment de la France et de l’Angleterre sur le secteur géographique majeur de
l'Europe continentale et méditerranéenne baroque.
C’est pourquoi rien n’est plus probant que le mouvement (on ose peinele
qualifier d’inverse) quiest le passage par la transitiondu Louis XV au Louis XVI.
L’évolution des styles est lente, elle se fait A des rythmes différents suivant les
niveaux. L’ébénisterie réagit plus vite, la menuiserie fait volant. Le rococo a
conquis le décor de l’hotel dés 1720, il n’est pas maitre du meuble avant 1740,
en raison de la résistance des habitudes, des exigences inéluctables du travail
traditionnel du bois. « Il faut attendre, précise Verlet, les abords de 1740 pour
voir la ceinture des meubles s’arrondir délibérément, les pieds s’élancent et
s’amincissent avec hardiesse encore qu’avec prudence. Que I’on compare les
dessins donnés par les Slodtz en 1738-1739 pour des meubles destinés 4 Louis XV
a lexécution méme de ces meubles et l’on constatera combien les servitudes et
peut-étre aussi les traditions de métier ont sérieusement alourdi l’audacieuse
sveltesse souhaitée par le dessinateur. » Le Louis XV, entendez le rococo au
niveau du mobilier, a demandé trop d’efforts, trop d’habileté supplémentaire
pour ne pas durer l’épaisseur d’une génération. L’Angleterre moins profon-
488
a
Fenn
+
VIII. PORCELAINES DE MEISSEN.
Les porcelaines de Meissen datent de la
premiére moitié du XVIIIe siécle. La Saxe
nest pas seulement la capitale de la
musique. Elle est aussi celle d’un art raffiné
de la figurine. Ces deux petits bonshommes
chantent et dansent. Ils expriment le
bonheur insouciant de la féte galante. Ils
témoignent de T’invasion de la gracieuse
futilité, cette capitale futihté qui est, a
tout prendre, comme Fernand Braudel
sest plu a le montrer, une des vrates
préconditions du take off. (Dresde, musée
de la Porcelaine. )
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA _ VIE
dément convertie — en fait elle a importé pendant la rage baroque dont Ho-
garth rend ironiquement compte — réagira plus vite et passera plus rapidement
au mobilier néo-classique.
De 1760 a 1780, les deux formes ont cohabité. Le Louis XVI, méme a
Paris, n’a chassé qu’insensiblement la facture Louis XV. Alors que dire de la
province? Que dire surtout de l’Allemagne du Sud, de l’Autriche, de l’Europe
danubienne, de la plaine du Pé, attachées au mobilier baroque jusqu’aux alen-
tours de 1785-1790 ? « Un ébéniste de premier plan comme Carlin demeure fidéle,
dans ses petits meubles des environs de 1780, aux pieds galbés hérités de
Louis XV. Riesener exécute, en 1784, pour le chateau de Fontainebleau, un
grand secrétaire a cylindre que I’on a longtemps considéré, 4 ne juger que ses
formes, comme un ouvrage Louis XV; et Salverte a noté qu’en 1789 plus du
dixiéme du stock qui se trouve chez le menuisier Forget comporte encore des
pieds-de-biche. » (P. Verlet.)
C’est sur Phorizon de la décennie 1765-1775 que s’opére la transition. A
Paris, ben et Georges Jacob* jouent un réle décisif. « Georges Jacob invente des
pieds en “‘ console ” qui, partant d’une ceinture rectiligne, abandonnentles cour-
bes continues des cabriolets Louis XV ; Louis Delanois pour les chaises qu’il crée
pour M™e du Barry, adopte les pieds 4 gaine effilés et droits qui ont fini par
caractériser le style Louis XVI. » L’architecte Delafosse aurait pesé sur Delanois
et Gourdin et fini par les convertir. A partir de 1775, l’évolution se précipite.
Les accoudoirs se redressent, les pieds parcourent le chemin inverse des années
1690-1710. Ils prennent désormais naissance dans la ceinture méme, sont de
nouveau presque droits. Voici les pieds en gaines formant balustre, ou en forme
de balustre. En 1763-1764, Foliot et Babel emploient des cartels, des agrafes,
des palmettes ; en 1769, des fleurons et des perles accompagnent des couronnes
de fleurs ; 1770, au niveau de la Cour, feuilles de refente, fleurons a l’antique,
jasmins et giroflées ; 1771 : « Pour Trianon rais de coeur, feuilles d’eau, perles
et rubans tournants », tandis que la polychromie diminue. La ligne droite
triomphe avec le Louis XVI — qui n’est guére plus qu’une transition prolongée
vers le vrai, dur et massif néo-classique des années 1800-1810 —, la ligne droite
s’impose raisonnablement en maintenant une volonté de mouvement, de légéreté
et d’agilité qui prouve qu’une unité de style de vie de l’élite urbaine subsiste de
1730 en gros a 1790.
®
489
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
490
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA _ VIE
le poids d’une tradition. Les formes du rococo découlent du baroque, mais elles
sont vidées de leur signification premiére. Elles sont un jeu, une invitation a la
distraction, 4 la jouissance sensuelle d’un monde de lapparence. La rocaille,
entendez le baroque vidé de sa médiation ontologique, le baroque désacralisé,
profane, s’adapte parfaitement a la vulgate continentale du sensualisme lockien.
Il est méme doucement sacrilége, sacrilége 4 la mythologie paienne réduite a
la seule dimension galante, sacrilége 4 l’égard des formes qui furent chargées
d’exprimer I’élan vers Dieu et le mystére de la Rencontre. Le baroque au service
d’un cadre d’évasion de fantaisie, de rupture avec la tradition, le baroque profane
du décor de l’habitat de prestige correspond 4 la crise de conscience, tant qu’il est
senti comme une nouveauté. Cinquante ans, c’est trop pour une nouveauté.
Le rococo n’est plus compris, au milieu du xvu1r°, il n’est plus compris comme
refus de la rigueur classique imposée par la théologie janséniste et l’Etat monar-
chique du début du régne de Louis XIV, dans sa réaction anti-Fronde, anti-
espagnole, anti-italienne; le baroque religieux, a fortiori, est rejeté comme
esthétique de médiation, et s’il était compris, il serait a fortiori rejeté comme
esthétique d’une médiation que les courants rationalistes et sensualistes sont
unanimes a rejeter, a l’époque de Jean-Jacques Rousseau.
D’ot impression qui commence a se faire jour, en Angleterre d’abord,
vers 1740, en France ensuite, vers 1750, d’un univers de beauté totalement
désaccordé avec l’univers des pensées, avec ces contradictoires non senties
comme contradictoires, la raison, la nature et l’Antiquité. Cette prise de cons-
cience sera hatée par les progrés des sciences auxiliaires de l’histoire, la diffusion
des planches archéologiques et le progrés des communications, particuliérement
en Angleterre et en France, c’est-a-dire dans les secteurs de l’espace européen
les plus profondément et prématurément touchés par les progrés des techniques
et des rendements.
Le tournant est particuliérement sensible au niveau de l’architecture et
du décor, il se produit en deux temps. Sur la décennie 1755-1765, un ensemble
de signes discrets affectent la France et l’alignent sur les positions anglaises
légérement en fléche. Sur l’horizon 1780, tandis que la France et l’Angleterre
évoluent vers un néo-classicisme agressif, l’unité de l’espace européen se réta-
blit. L’Europe baroque, a son tour, rejoint : une sorte d’unite est retrouvée. La
premiére moitié du xvimt® aimait affirmer sa solidarité avec le xviI*, une sorte
d’impatience se fait jour au milieu du siécle. On sait que toutes les pentes des
courbes se modifient sur l’horizon des années 1750, 4 commencer par le plus
important, entendez la démographie. Une situation propre, sans doute, 4 une
certaine impatience a l’égard du passé.
491
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
génération d’artistes voit l’Italie sous une lumiére insolite, en rupture avec la
tradition ; la découverte puis la diffusion d’un antique architectural, archaisant,
le dorique de la Grande Gréce, fait choc. Cette espéce de révélation primitive,
ce retour a la source depuis la Renaissance italienne, proclamée, permet de
mesurer le degré d’évolution ou de perversion d’une tradition récente ; voici
enclenché le processus classique de l’appel de la tradition récente, présente,
oppressive, a4 la tradition ancienne. Mutatis mutandis, le recours a l’écriture
contre la tradition, l’appel a l’esprit contre |’institution.
Abel Poisson, le jeune frére de la Pompadour, qui ala survivance, a vingt-
quatre ans, de la direction des Batiments qu’Antin jadis occupa, aprés avoir
re¢u une initiation aux Beaux-Arts de la main de Leblanc, auteur d’une Lettre
sur les salons de 1747, flanqué de mentors, Poisson est envoyé en 1749 en solen-
nelle mission 4 Rome. Un commando de choix accompagne le jeune homme :
Cochin, l’auteur, précisément, neuf ans plus tard, du fameux Voyage d’Italie,
et Soufflot. Cette visite va provoquer I’évolution des maitres du godt en France.
La France qui s’appréte a rallier |’Angleterre, c’est le ralliement 4 moyen terme
de l'Europe des Lumiéres.
Le séjour de M. de Vandiéres 4 Rome dura un an a peine (du 17 mars 1750
au 3 mars 1751), une partie de la mission reste plus longtemps et va plus au
sud. Le choc ébranle un terrain largement et profondément préparé. Tout au
long du premier xvu1I®, l’érudition historique, dont on a vu le modeste et signi-
ficatif essor sur ’horizon 1680-1700, fournit les éléments d’une version plus
objective de l’Antiquité. L’ Antiquité expliquée de Montfaucon a, malheureuse-
ment, de fort mauvaises planches, recopiées des ouvrages antérieurs de Spon,
Bartoli et Bellori; le comte de Caylus, qui visita en 1716 l’Asie Mineure,
imprime a partir de 1752 son Recueil d’ Antiquités égyptiennes, étrusques, grecques
et romaines. L’influence de Caylus est considérable comme en témoigne la polé-
mique dirigée contre lui par les tenants de la « chicorée » rocaille. De Rome, une
avalanche de dessins, sanguines traitées par les procédés perfectionnés de la
gravure, s’accroit d’année en année. On trouve sans peine, en 1750, une bonne
cinquantaine de titres en librairie depuis les gros in-folio jusqu’aux multiples
guides de voyageurs et itinéraires instructifs de Rome, en faveur des ¢trangers.
L’ceuvre la plus importante semble encore celle de Piranése, relayé par Bouchard
et Gravier. On a eu trop tendance a grossir l’influence de Pompéi et d’Hercu-
lanum. Par ordre du roi des Deux-Siciles, les ruines, en effet, furent longtemps
inaccessibles. La grande collection scientifique des Antichita d’Ercolano s’éche-
lonne entre 1757 et 1792 et les volumes sont de valeur inégale. Les Lettres sur
les peintures d’Herculanum, de Cochin en 1751, les gravures de Bellicard et
493
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
il se trouve que l’écran turc se fait moins épais, grace au remarquable réseau
des consuls francais, grace a la redoutable puissance maritime anglaise en Méditer-
ranée, et 4 la pression autrichienne dans la plaine danubienne. La premicre
publication importante est anglaise. Richard Dalton donne en 1749 ses Anti-
quities and views of Grece and Egypt et en 1751-1752 ses Series of engravings
representing views in Sicily, Grece, Asia minor and Egypt. A partir de 1a, une
heureuse émulation s’établit entre Londres et Paris, les publications alternent,
d’une année sur J’autre, en anglais et en francais, A raison, presque, d’une
publication par an a partir du milieu du siécle. Aprés Dalton, Stuart et Revett,
Le Roy, Chandlers, Pars, Worsley. Autour de planches et de relevés, d’intenses
polémiques se poursuivent sur les mérites respectifs des deux antiquités,
Europe proclame unanimement, contre Piranése, la supériorité des Grecs.
Mais la grande affaire est celle des ordres. Le probléme, la difficulté, celui
de l’acclimatement aux formes archaiques du dorique et de l’ionique, le dorique
surtout. Robert Wood, en 1753, constate, pour le regretter, que le dorique du
Parthénon ne coincide pas avec les normes de Vitruve. Soufflot et Goethe,
encore en 1787, auront bien du mal a admettre le dorique court, sans base,
de Paestum. A David Le Roy le mérite d’une classification historique qui finira
par s’imposer. Le Roy distingue trois ordres qui correspondent a trois périodes :
«la premiére, ot la colonne mesure quatre diamétres, par exemple au temple
de Corinthe ; la seconde, ou les proportions sont plus élancées (temple de
Thésée, Parthénon) ; enfin la troisiéme, ot les colonnes atteignent six diamétres
(temple d’Augustea Athénes) ». La classification de Le Roy ayant été adoptée par
Winckelmann en 1760 fait désormais autorité. Méme remarque pour l’ionique.
Voila que circule 4 travers les planches archéologiques un ionique fort différent
de celui codifié par la Renaissance italienne, différent de celui de Vignole, de
Scamozzi et de Michel-Ange. Sur le chemin de la connaissance a la pratique se
trouve l’Angleterre. Préparée par la tradition palladienne, en téte de la découverte
archéologique du bassin oriental de la Méditerranée, la premicre, elle saute le
pas. Le dorique archaique sans base apparait pour la premiere fois, en Angleterre,
en 1759, au temple rond de Stowe. L’Italie s’y refuse, mais la France se laisse
fléchir. J. D. Antoine (1733-1801), le premier, avec le portail de P’hépital de
la Charité, 4 Paris, Brongniart, au cloitre des Capucins de la chauss¢e d’Antin,
Chalgrin aux loges du théatre de Brunoy. Ni Antoine, ni Brongniart ne sont
prix de Rome, et ces tentatives fran¢aises sont de vingt 4 trente ans posterieures
aux expériences anglaises. ;
L’Egypte fournit appoint de ses formes. Une égyptologie balbutiante
est née dans les années 1680 de la crise de conscience, les publications s’échelon-
495
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
496
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
deux mots, peut-étre, « hantérent les esprits : philosophes, esthéticiens, litté-
rateurs, moralistes, €conomistes préchérent en méme temps le retour a la raison
et le retour a la nature ». Ces deux revendications, dont les tenants du discours
esthétique ne mesurent pas les contradictions, sont en réalité portées par les
courants de pensée les plus opposés du xviire siécle, contradictoires comme la
pensée des Lumiéres elle-méme. Un des traits les plus profonds du xvmi® siécle
n’est-il pas précisément de réunir les contradictions dans un plan d’action
pratique? C’est ce qui se passe pour l’art du tournant du siécle. Le courant
de retour a la raison appartient au rationalisme, dans la ligne du xvire siécle, un
rationalisme qui, au fur et 4 mesure qu’on avance dans le cours du xvitre siécle,
livre de plus en plus un combat sur un double front. Le courant de retour
a la nature réunit toutes les formes du sensualisme. I] a pour lui Diderot,
une bonne partie de l’Encyclopédie ; Rousseau, avec son postulat de la bonne
nature, réussit 4 réunir les deux courants. Aunom dela raison, on pourra condam-
ner la fantaisie des plans d’élévation, la courbe architecturale, et, au nom de la
nature, primer le jardin a l’anglaise et a la chinoise sur le rigide modéle du
jardin a la francaise.
497
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
498
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
ville, accrochait des fleurs peintes sur un treillage simulé. Certaines piéces sont
décorées en trompe |’ceil et offrent 4 ces dévots de la nature V’illusion de n’étre
pas des citadins : la chambre de Beaujon, en sa “‘ Chartreuse” du Roule, repré-
sentait un bosquet; sur les murs étaient peints des arbres dont les ramures
s’étendaient sur le plafond bleu de ciel. » (L. Hautecceur.) Un peu partout,
des fleurs, des troncs, des treillages. La rupture en vertu d’un modéle de retour
cyclique, voire de l’appel contre la génération en place 4 la génération antérieure,
devait se marquer d’abord par une réhabilitation du style Louis XIV. Le style
Régence, Vhorizon 1700, avait fait appel contre l’ostentation, la rigueur du
devoir de représentation du style Louis XIV et ce qui lui restait d’ascétisme
de la tradition chrétienne; lestyle Louis XVI, l’horizon 1760, fait appel contre «la
maniére dépravée de leurs contemporains au grand goiit du xviie siécle ». Un
phénoméne, si l’on veut, de « belle époque ». Quand les Lafont de Saint-Yenne,
les Caylus, les J. F. Blondel se mettent 4 vanter les mérites de Mansart, de
Perrault et de Jules Hardouin-Mansart, on est en face, certes, d’un phénoméne
de ce type, mais ily a plus. La nouvelle rigueur du décor Louis XVI, une rigueur
bien tempérée, correspond jusqu’a un certain point 4 une prise de conscience
du devoir social. Le seul plaisir des sens — la fantaisie sans plus — auquel
la naissance donne droit, ou la réussite, les traditionnels devoirs d’état et la
hantise du salut écartés, ne suffisent plus. Le décor de l’habitat de prestige,
par-dela le mystére du for intérieur de l’affectivité familiale ou de la complicité
érotique du partenaire dans I’exercice du plaisir, va retrouver un devoir de
cohésion sociale et de représentation. Le décor Louis XV est siir de son intimité,
le décor Louis XVI, lui, prend des garanties contre une éventuelle irruption
d’intrus.
La mode archaisante a aidé 4 marquer le passage, mais il y a beaucoup
plus et mieux dans le Louis XVI qu’un cyclique retour au grand goiit des
années 1670-1680. Comme toujours, l’exemple, pour s’imposer dans les formes,
a besoin de I’écriture. Au début de la nouvelle vague, sur l’horizon des nova-
tions archaisantes, voici Jean-Francois de Neufforge, voici Delafosse. Les mou-
lures perdent le gréle et retrouvent le gras et l’épaisseur, un instant méme on
verra reparaitre le stuc et le brocart. Sans lendemain. On se rappelle que le
Louis XV avait été une révolte de l’intérieur, qui avait fini par troubler la ri-
gueur classique des facades. En 1760, on a souvent le sentiment d’un mouve-
ment inverse, un peu comme si la rigueur hellénique des facades — voyez
Phétel de Salm — pesait tout a coup sur la disposition intérieure. C’est sans
doute ce que veut dire Grimm quand il s’écrie, en 1763 : « Tout a Paris est ala
grecque. » L’escalier, élément de démonstration sociale et d’ostentation, ici
499
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
et 1a, reprend une partie de l’importance que le premier xVIII® lui avait refusée.
Mais les deux traits les plus caractéristiques de la modification du décor des
années 1755-1775, c'est l’introduction systématique des ordres et le triomphe
déja signalé de la ronde-bosse sur la peinture.
Distance prise 4 l’égard du décor théatral, congu comme une scéne d’illu-
sion, revendication subconsciente d’une réunification de la vie. Le premier
XVIII opposait la facade et l’intérieur, et pour lui, seul comptait vraiment
Pintérieur. Les ordres, colonnes et pilastres (voyez le corinthien foisonnant
de la salle 4Amanger du chateau de Maisons, due a Bellangé, l’ionique intérieur
de l’hétel de Gallifet, le pavillon Saint-Vigor a Viroflay), plaident, du moins
en intention, en faveur de l’unité de la vie. Que la facade dévore l’intérieur
n’est pas non plus dépourvu de sens. Serait-ce la revanche de lutilité sociale
sur le for intérieur ? Ne pas aller trop loin, nous n’avons pas de textes et les
mouvements du subconscient collectif sont trop mystérieux encore pour que
lon se risque a les interpréter sur un trop petit nombre d’apparences. Le
Louis XVI a de délicieuses hypocrisies. Il autorise la fantaisie mais la préfére sa-
vante. L’exotisme du second xviII® a quelque chose de plus guindé, une pointe
de pédantisme. Ses mandarins n’ont plus la fantaisie échevelée des Chinois du
premier xviie. La fantaisie, surtout, est antique.
ARome, les artistes francais avaient étudié, comme les fréres Adam l’avaient
fait du cété britannique, « les grotesques du Vatican et les stucs antiques »,
Clérisseau et Lhuillier emboitent de leur propre chef le pas des artistes anglo-
écossais. Piranése fournit les modéles récemment découverts de Torre
de’Schiavi. En 1769, paraissent ses Diverse maniere d’adornare i camini ed igni.
« Griffons, femmes ailées se terminant en fleuron, palmettes, dauphins, ani-
maux divers [...] » partent de Piranése 4 la conquéte du décor intérieur de I’ha-
bitat de prestige de l’Europe des Lumiéres déclinante. L’arabesque systéma-
tiquement sort du mur. Elle prend du relief, nous l’avons déja signalé 4 Rouen.
Aprés Piranése, les recueils se multiplient, ils contribuent a la diffusion. On
copie en province, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Hollande, dans le Nord
et PEst profond. Une réunification du décor s’achéve sur ces bases a travers
toute l'Europe, vers 1780 : G.-P. Cauvet, Camporesi, Volpato, Pietro Colom-
bani qui édite 4 Londres un New Book of ornaments en 1775, G. Richardson
et Pergolesi qui diffusent aussi de Londres.
Et partout, dans la pierre, le marbre, le fer des escaliers monumentaux
et des grilles, l’art, redevenu envahissant, du sculpteur prend le relais du peintre,
au service d’un décor qui cherche un difficile équilibre entre un art sensuel de
vivre et les exigences d’une éthique sociale.
500
LA COULEUR, LES FORMES, LE DECOR DE LA VIE
501
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
est plus généreuse 4 la fin qu’au début. Art aristocratique, les arts plastiques au
XVIII® restent au service d’une aristocratie, chaque décennie plus large, de la
naissance et de l’argent, de la réussite et du talent. Ce sont des arts de style
de vie, c’est pourquoi leur production compte aujourd’hui encore parmi les
documents qui donnent le mieux accés 4 la civilisation des Lumiéres.
CONCLUSION
2°53
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
qui commandent notre présent, le legs du xviiI® siécle est un des plus impor-
tants. C’est, au vrai, que tout ce qui nous vient d’un trés lointain passé nous
vient a travers l’optique, les choix, les parcimonies des Lumiéres. Le sapere
aude, la philosophie mécaniste transformée en culture scientifique, mathéma-
tique, phénoménologique et opérationnelle nous viennent d’un xvul® profondé-
ment remodelé a l’époque des Lumiéres. Mais le xviir® siécle nous a légué aussi
d’autres sagesses discrétes, disons les parcimonies des Lumiéres.
Impossible de tout embrasser, donc fractionnement. Repli affectif sur le
foyer, repli ontologique au for intérieur. On ne rompt pas facilement avec les
parcimonies des Lumiéres. Elles sont choquantes pour la raison, pour le cceur,
et pour la vérité, mais elles sont aussi la punition d’un succés. Elles permettent
de combiner la croissance la plus rapide avec le maximum de liberté et laissent
le choix sur l’essentiel : progrés, liberté et, par la liberté, le droit a l’espé-
rance.
leeBE EAU X
CHRONOLOGIQUES
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
eSSS eee ee
1676 Mort d’Ahmed Koeprili, grand 1676-1685. Troisitme grande épi- Mort de Shabatai Zevi (1625
vizir en Turquie. démie de peste en Espagne : 1676), fondateur du sabbatia
Constitution du parti whig en 250000 morts. nisme, hérésie mystique juive
Angleterre. La « Caisse des conversions » e1
France.
1676-1689. Innocent XI.
Traité polono-impérial.
1679 Paix de Nimégue (5 février), de Bill de Habeas Corpus en Angle- ee te des chambres d
Saint-Germain (29 juin, 25 sep- terre. VEdit. Fin des protections judi
tembre), de Fontainebleau (2 sep- Juillet. Les révoltés écossais ciaires dont jouissaient les pro
tembre), de Lund (26 sep- battus 4 Bothwell Bridge. testants en France.
tembre). Pacification générale.
Sommet de l’hégémonie fran-
gaise sur l’Europe.
1680 Politique des « réunions ». Soulévement des paysans tchéques. Interdiction des synodes, débu
Durcissement antijanséniste : dis- 1680-1683. Frédéric-Guillaume des dragonnades.
grace de Pomponne. impose laccise aux nobles en
Brandebourg.
506
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1675-1680)
SSS eee Se ee eee
Découverte 4 peu prés simultanée 1675-1755. Saint-Simon. 1675-1677. Grande attaque in- 1675
par Newton et Leibniz du calcul 1675-1679. Mathey le Bourgui- dienne ffrontale contre la
infinitésimal (Newton plus clair, gnon: le palais des Archevéques Nouvelle-Angleterre.
Leibniz plus d’avenir). de Prague.
22 nevembre. R6mer : mesure de 1675-1710. Reconstruction de la
la vitesse de la lumiére. cathédrale Saint-Paul 4 Londres
Newton formule la théorie lumiére par Christopher Wren, qui en
et couleurs. 1674 a établi les plans de Drury
Lane Theater a Londres.
J. Hardouin-Mansart architecte du
roi.
Lully : Thésée.
“Tuygens : Traité de l’aimant. Purcell : Dido and Aeneas. — Recopilacidn de leyes de Indias pro- 1680
Malebranche : Traité de la nature Lully et Quinault : Proserpine. mulguée.
|
de la grace. J. Hardouin-Mansart : construc-
tion du chateau de Dampierre.
Fondation de la Comédie-Frangaise.
Les Italiens occupent l’hétel de
: Bourgogne 4 Paris.
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
ee EE
28-30 septembre. La France occupe Ordonnance de la marine mar- Assemblée du clergé en France.
Strasbourg. chande (France). Enlévement des enfants des protes-
tants en France.
1682 Préparatifs de la grande offensive Ecole de cadets en France. Exécution d’Avakum, pére du
turque. L’édit de juillet 1682 sur la Justice, Raskol.
Décembre. Rupture empereur/ en France, assimile sorcellerie a I9 mars. Déclaration des Quatre
Turquie. illusionnisme et escroquerie. Articles, condamnée par le pape
Mort du tsar Fedor. Pierre empe- le 11 avril.
reur de Russie. Sophie régente.
1685 Mort de Charles II. Avénement du L’édit de Potsdam organise en 18 octobre. Edit de Fontainebleat
toi catholique Jacques II en Brandebourg-Prusse Paccueil révoquant l’édit de Nantes,
Angleterre. des huguenots.
Révolte d’Argyll et Monmouth.
Les impériaux prennent Neuhau-
sel aux Turcs.
1686 9 juillet. Prise de Bude par les im- Soulévement bulgare contre les 1686-1689. Jurieu : Lettres pasto
périaux. Turcs. rales,
Formation de la Ligue d’Augsbourg. Vallées .vaudoises ravagées su
Pordre de Louis XIV.
Fondation de Saint-Cyr.
Débandade turque: les Vénitiens 1687-1692. Grand pont de pierre Mort de Jean Claude, pasteu
prennent Corinthe. sur la Moscova. (1619-1687).
12 aotit. Impériaux vainqueurs a Déclaration d’Indulgence d
Mohacs. Jacques II.
—— SSS SSS SSS SASS
508
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1681-1687)
a ie ee
-E INTELLECTUELLE — SCIENCE ARTS — LETTRES L’EUROPE ET LE MONDE
Newton découvre la loi de la gravi- Puget: Milon de Crotone. Cavelier de La Salle en Louisiane. 1682
tation universelle. 1682-1692. Wren construit le
icta Eruditorum, 4 Leipzig. Royal Hospital a Chelsea.
683-1757. Réaumur. 1683-1764. J.-Ph. Rameau. Penn : General description of Penn- 1683
Purcell : Sonates a trois parties. sylvania.
eibniz: Nova Methodus... Médi- M.-A. Charpentier, maitre de mu- Révolte du Massachusetts écrasée. 1684
tations sur la connatssance... sique au collége Louis-le-Grand.
684-1753. Berkeley. 1684-1721. Watteau.
1684-1686. La colonnade de Ver-
sailles.
Mort de Corneille.
8 novembre. Leibniz, dans une 1686-1688. Santa Maria della Vita Fondation de Chandernagor. 1686
lettre a Arnauld, déclenche la construite 4 Bologne par Ber-
querelle des forces vives (1686- gonzoni.
1716). Domenico Guidi achéve de sculp-
‘ontenelle : Entretiens sur la plu- ter la Renommée du roi pour Ver-
ralité des mondes. sailles.
509
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
ee
22 février. Déclaration des Droits Organisation définitive de l’inscrip- Jurieu : les Soupirs de la Franc
en Angleterre. tion maritime en France. esclave.
20 juin. Guillaume III et Marie II. Révolte de l’Irlande. Le Tolerance Act soude le fron
Guerre de la Ligue d’Augsbourg. anglicanisme Dissent.
Le Palatinat est ravagé par les
troupes de Louvois.
Pierre le Grand prend le pouvoir
en Russie.
1690 Jacques II perd lIrlande. Emigration massive des Serbes vers 1680-1700. Grand reflux de la mys
la Hongrie. tique dans toute l’Europe catho
1690-1720. Fléchissement démo- lique.
graphique a peu prés général en
Europe.
29 mai-3 juin. Bataille de La Rétablissement de la Land tax en 1685-1715. Grande crise de cons
Hougue. La France perd le con- Angleterre. cience européenne.
tréle de la haute mer.
Batailles du cap Saint-Vincent, de 1693-1694. Crise catastrophique Louis XIV désavoue la déclaratio
Neerwinden, de La Marsaille. de l’économie frangaise. des Quatre Articles. Tout dange
de schisme est écarté.
La Banque d’Angleterre.
Gregory King : Observations.
Pourparlers entre Louis XIV et 18 janvier. La capitation en France. Mort de Voratorien Louis The
les Pays-Bas. massin (1619-1695).
Locke : Reasonableness of Chri
tianity.
Conférence d’Issy sur le quiétism
LS
510
(1687-1695) TABLEAUX CHRONOLOGIQUES
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IE INTELLECTUELLE — SCIENCE ARTS — LETTRES L’EUROPE ET LE MONDE
Racine : Athalie.
Purcell : King Arthur.
Pachelbel : chorals.
Lorenzani : motets.
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coreg
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Sr nn nn ne ee ttt Ett SSS
Mort de Jean Sobieski, roi de Mai. Panique financiére en Angle- Toland : Christianity not myste-
Pologne. terre. rious.
Pierre le Grand prend Azov et y
crée une flotte.
1700 2 octobre. Testament de Charles II Premitre rue pavée A Moscou. Suppression du patriarcat 4 Mos-
d’Espagne en faveur du duc John Law : Considérations sur le cou. Réforme du _ calendrier.
d’Anjou. commerce. 1700-1721. Clément XI.
1€T novembre. Mort de Charles II.
16 novembre. Acceptation de
Louis XIV.
Philippe d’Anjou, roi d’Espagne.
Pierre le Grand obtient Azov et
attaque la Suéde.
1701 Louis XIV durcit ses positions. Les machines a feu de Savery, Fondation de la Society for promo-
Vers la guerre de Succession. puis de Newcomen. ting christian knowledge.
7 septembre. La Grande Alliance.
Frédéric Ie" couronné roi de Prusse.
512
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1696-1702)
SS ee ee
alebranche : nouvelle formula- 1699-1779. Chardin. 1699-1705. Progrés aux Indes de la 1699
tion de la théorie des cou- Fénelon : Télémaque. puissance mahratte.
leurs. Jules Hardouin-Mansart super-
homunculus de Francois de Plan- intendant des batiments.
tade.
adémie des sciences de Berlin. Publication en Angleterre des 1700-1800. Presque triplement, en 1700
00-1782. Daniel Bernoulli. cuvres de Corelli. L’opéra ita- un sitcle, de la population chi-
lien en Espagne. noise.
Domenico ‘Trezzini, l’architecte, 1700-1715. Deuxiéme apogée du
appelé en Russie. commerce de Manille.
Kang-hi reconnait la concordance
entre les religions chrétienne et
chinoise.
but du Journal de Trévoux. 1701-1707. Construction du cha- Fondation de l’université de Yale. 1701
teau de Champ par Bullet de 1700-1715. Le commerce entre les
Chamblain. Philippines, la Chine et l’Amé-
Pavillon de Greenwich par Van- rique se maintient 4 un niveau
brugh. élevé.
L’Asiento est donné a la Compa-
gnie frangaise de Guinée.
513
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
a nnn cee EEE EIIIIIIEEIIEIEISIE ESET
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514
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1703-1709)
erent. eee nN s—‘“‘CSC:isSCSCSCitS
= INTELLECTUELLE — SCIENCE ARTS — LETTRES L’EUROPE ET LE MONDE
515
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
i ee
I7II Retournement de lAngleterre et Pierre le Grand crée le Sénat. Occasional Conformity Act cont
disgrace de Marlborough. les Dissidents.
8 mai. Préliminaires de Londres.
Avance de Pierre le Grand stoppée
en Roumanie.
1712 Congrés d’Utrecht. Epidémie de variole en France. Guerre religieuse en Suisse, trai
27 juillet. Denain. d’Aarau (11 aot).
Mort de Richard Simon.
1714 6 mars. Rastadt. Le Parlement anglais rejette le Mort de Gottfried Arnold (166
Mort de la reine Anne. traité de commerce franco- 1714), artisan du Réveil dans kh
George Ie", la succession protes- anglais. pays luthériens.
tante en Angleterre. Premiers rudiments d’une ins-
Pierre le Grand conquiert la Fin- truction publique en Russie.
lande, qui finira pourtant par La France entame le doublement
rester suédoise. séculaire des lisants.
Les Turcs réoccupentl Pélopon- L’Ecosse prend la téte devant
nése. PAngleterre de Europe alpha-
bétisée.
1715 1°F septembre. Mort de Louis XIV. Polysynodie : réaction aristocra- Mort de loratorien Bernard Lan
tique en France. (1640-1715).
Troubles en Grande-Bretagne.
Act for preventing tumults (juillet).
Révolte de I’Ecosse, échec des
Stuarts.
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——
516
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (7 TO=1 715)
BS AS rr a
11-1778. David Hume. I711I-1714. Steele et Addison : The Aoititt. Echec de la tentative anglaise 1711
ne : Essay on criticism. Spectator. d’invasion du Canada.
aftesbury : Philosophical Wri- Watteau : PEmbarquement pour
“Ings. Cythere.
Vivaldi : Concertos.
1711-1722. Péppelmann: le Zwin-
ger, Dresde.
517
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LU MIERES
NN
1719 Guerre franco-espagnole. Défaite Premier recensement en Russie. Mort de Pasquier Quesnel.
de l’Espagne. Fiévre des affaires. Croissance spé-
Renvoi d’Alberoni. culative et désordonnée en
Europe occidentale.
Faillite de la Compagnie de la
mer du Sud 4 Londres.
Abolition du servage en Prusse.
518
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1716-1721)
pa
7-1783. D’Alembert. Couperin : Second livre de clavecin. Compagnie francaise d’Occident. 1717
miére inoculation en Angle- Colen Campbell transforme Bur-
erre: lutte contre Ja variole lington House 4 Londres. Appa-
tusqu’a la réussite de Jenner le rition du style palladien.
[4 mai 1796. 1717-1732. Juvara commence la
Superga a Turin.
Egid Quirin Asam : décor de
Péglise de Rohr.
keley : Traité du mouvement. Montesquieu : les Lettres persanes. ° Lenoir directeur des établisse- 1721
Scarlatti : Griselda. ments francais aux Indes.
Mort de Watteau.
Hildebrandt : le Belvédeére.
ne LEE EEE
519
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
ea a SO oa a
1724 Io janvier-31 aot. Abdication et Enquéte du contréleur général La Bible d’Ostervald (premi
retour au pouvoir de Philippe V. des Finances Dodun. édition) (1663-1747).
Fondation de la Bourse de Paris. 1724-1803. F. G. Klopstock.
18 juillet. Ordonnance sur la 14 mai. Déclaration contre
mendicité. protestants (France).
1724-1730. Benoit XIII.
520
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1722-1727)
a
icroscope binoculaire (sur les | Rameau Traité de V’harmonie. | Le Parlement anglais interdit le 1722
indications du P. Chérubin). J.-S. Bach : le Clavecin bien tem- commerce entre les colonies
péré (premier livre). d’Amérique et le Canada : ébau-
H6tel de Bourbon par Giardini et che du Pacte colonial.
Pierre Lassurance. Fondation du comptoir de Mahé.
Trezzini : palais des Ministéres a
Pétersbourg.
23-1790. Adam Smith. J.-S. Bach : Passion selon saint | Les Russes prennent Bakou. 1723
23-1789. D’Holbach. Jean. Reconstitution de la Compagnie
ort de Leeuwenhoek. 1723-1792. Joshua Reynolds. francaise des Indes.
Bach : le Magnificat. Début de la période des porce-
laines Young-Tchin.
sadémie de Saint-Pétersbourg. | J.-S. Bach: Passion selon saint fean. | Guerre turco-persane. 1724
24-1804. Emmanuel Kant. Permoser : Apothéose du Prince | Fondation de l’Académie brési-
Eugéne. lienne de Bahia.
Fondation du Club de 1|’Entresol.
Construction du palais Correr a
Venise.
26-1729. Voltaire en Angleterre. | Swift : Voyages de Gulliver. 1726-1727. Expédition de Behring 1726
an Bernoulli : Traité des lois de | Vivaldi : les Saisons. au Kamtchatka.
la communication du mouvement. | Mort de Vanbrugh. Fondation de Montevideo.
ico : Scienza nuova. Premiéres fresques de G. Tiepolo
a Udine.
1726-1729. Effmer décore la Rési-
dence a Munich.
1726-1738. La Frauenkirche de
Dresde par Baehr.
521
LA CIVILISATION DE L°>EUROPE DES LUMIERES
ee
e ee
DATES HISTOIRE POLITIQUE ECONOMIE — SOCIETE RELIGION — SPIRITUALITE
5122
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1728-1733)
ls
28-1734. Feijoo : Thédtre cri- 1728-1778. Opéra de Bayreuth Premiére croisiére de Behring. 1728
tique. par les Bibiena. Fondation de Djaipur.
Parliament House a Dublin.
1728-1733. Remaniement du ché-
teau de Brithl par Cuvilliés et
Neumann.
ray : transmission de Ilélec- J.-S. Bach : Passion selon saint Gisements de diamants au Brésil.
tricité. Matthieu.
1729
Fondation des colonies anglaises
puguer : la photométrie. 1729-1781. Lessing. des Carolines.
aller : les Alpes. 1729-1733. Plaza Mayor de Sala- Soulévement des Natchez en Loui-
manque par Churriguera. siane,
La mode des jardins anglais gagne
en France.
ébut de la célébrité du salon de Marivaux : le Feu de l’amour et du Traité sino-russe de Kiakhta. 1730
Mme du Deffand. hasard.
Sbut de l’emploi du sextant pour Goldoni : Don Juan.
la navigation. Métastase : Alexandre.
_ Clairaut : Recherches sur les Hogarth : A Harlot’s Progress. Xvill® siécle au Brésil : sculpture 1731
courbes a double courbure. Progrés Maitre-autel d’Osterhufen par populaire.
décisif de la géométrie analy- Egid Quirin Asam. Au Mexique, essor des azuleros.
tique. Reprise de la guerre turco-per-
31-1816. Henry Cavendish. sane.
ispersion du Club de 1’Entresol. 1731-1742. Dupleix gouverneur de
yndation de l’Académie de chi- Chandernagor.
rurgie.
523
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
a
1738 Quatri¢me traité de Vienne. Fin Révoltes ouvriéres dans lAngle- 24 mai. Conversion de Wesle
de la guerre de Succession de terre du Sud. Premiéres prédications de Whit
Pologne. En France, ordonnance régulari- field.
sant la corvée royale.
1739 Guerre anglo-espagnole. Troubles dans le Yorkshire. Point de départ du Réveil méth
Si¢ge de Belgrade par les Turcs. diste.
Traités de Belgrade.
1740 Succession d’Autriche ouverte. Premier journal paru en Gréce. 1740-1760. Les écoles pies
Rupture franco-anglaise. Pologne.
Frédéric II (1740-1788) succéde Mort de Jean Cavalier (168
au Roi-sergent. I] envahit la 1740), chef des Camisards.
Silésie. 1740-1758. Benoit XIV.
OC
—$———— ee
524
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1734-1740)
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INTELLECTUELLE — SCIENCE ARTS — LETTRES L’EUROPE ET LE MONDE
35-1736. Mesure du méridien. Rameau : les Indes galantes. Du Halde : Description de l’empire
om Calmet : Histoire universelle. Juvara 4 Madrid, pour recons- de Chine.
1735
truire le Palais impérial.
Hogarth : Ja Carriére d’un roué.
40-1786. Age d’or de l’académie Chardin : le Bénédicité. 1740-1744. Succes de [lamiral 1740
de Berlin avec Maupertuis, Coustou : les Chevaux de Marly. Anson dans le Pacifique.
Euler, Lagrange, Lambert.
525
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
eee eee
La France s’engage dans la guerre 1741-1742. Derniére des grandes Nouveaux débats sur la bul
allemande. crises cycliques de 1’économie Unigenitus.
Guerre russo-suédoise. francaise.
1744 1744-1747. Le marquis d’Argenson Propriété du sous-sol a l’Etat en Premiere conférence générale m
aux Affaires étrangéres. France. thodiste.
Louis XV déclare la guerre a
Angleterre et a l’Autriche.
1745 Menace jacobite sur |’Angleterre. Grande enquéte économique Swedenborg : Du culte et de l’amo
II mai. Fontenoy. d’Orry en France. de Dieu.
Début de Ja faveur de la Pompa- Machault d’Arnouville contréleur
dour. général des Finances.
526
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (i74t=17'47)
| oe ee
“avid Hume : Essais moraux et 1741-1743. Opéra de Berlin, par Les Mahrattes menacent Pondi-
politiques. Knobelsdorff. chéry et Madras.
1741-1828. Houdon. Attaque anglaise sur Carthagéne
Haendel : le Messie. des Indes.
iondillac : Essai sur l’origine des 1746-1750. Canaletto a Londres. Fondation de l’université de Prin- 1746
connaissances humaines. 1746-1828. Goya. ceton.
‘auvenargues : Maximes. 2I septembre. La Bourdonnais
Miderot : Pensées philosophiques. s’empare de Madras qu’il rend
bbé Prévost : Histoire générale de aux Anglais.
voyages.
527
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
a
1750 1750-1777. Pombal ministre de Chute de la production d’or au 1750-1760. Apogée du Réveil dar
Joseph Ie™ au Portugal. Brésil. Relais de Vargent du Pouest des colonies anglais
Dissolution des Etats de Langue- Mexique. d’Amérique.
doc. Machault contre les privilégiés.
Emeutes a Paris. 1750-1755. Reprise en Europe des
Machault garde des Sceaux. activités et des prix.
1750-1760. Premiers signes du
tournant malthusien dans les
campagnes frangaises.
1751 Bernstorf principal ministre 4 Co- Fondation du Journal économique. Edit suspendant l’application ¢
penhague. vingtiéme au clergé.
Le gouvernement portugais interd
les autodafés.
Jean-Albert Bengel artisan ¢
piétisme allemand (1687-1751
1753 « Grandes Remontrances ». Résistance aux débuts du machi- A. de Liguori: Théologie morale.
Exil (mai) et rappel (oct.) du nisme : émeute contre la maison
Parlement (en France). de John Kay, inventeur en 1733
de la navette volante.
528
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1748-1753)
Se ed
ffon : la Théorie de la Terre, J.-S. Bach: T’Art de la fugue. Révolte au Venezuela. Les Noti- 1749
Histoire naturelle de l’homme. 1749-1750. Voyage de Marigny en cias secretas de Jorge Juan et
49-1827. Laplace. Italie, avec Soufflot, Cochin et Antonio de Ulloa.
derot : Lettre sur les aveugles. Le Blanc. Episode capital aux Politique territoriale de Dupleix
surnefort : étude d’anatomie origines du tournant néo-clas- aux Indes.
comparée. sique.
49-1832. Goethe.
J. Rousseau : Discours sur les Mort de J.-S. Bach. Le Tibet se souléve contre la Chine. 1750
lettres et les arts. Palais Radziwill a Nieswicz par
stribution du _ prospectus de Pedetti.
’ Encyclopédie. Soufflot et Cochin visitent Paestum.
50-1760. Carlyle Spedding met
au point les volets d’aération
dans les mines.
“ux premiers volumes de /’Ency- Haendel : Fephté. , Accord provisoire franco-anglais 1751
clopédie dont Discours préliminaire 1751-1773. Construction de I’Ecole sur l’Acadie.
de d’Alembert. militaire 4 Paris par J.-A. Gabriel. Clive s’empare d’Ariot.
vid Hume: Enguéte sur les prin- Bussy impose un Soubab a Auren-
cipes de la morale. gabad.
Itaire : le Siécle de Louis XIV.
mte de Caylus: Recueil d’anti- 1752-1777. Construction de la Les Canadiens détruisent le fort 1752
quités... place Stanislas 4 Nancy. Pickawillany.
aumur : la Digestion des otseaux. Rousseau : le Devin de village. Lutte d’influence franco-anglaise
52-1833. Le Gendre. au Deccan.
art de Berkeley. Gabriel commence l’opéra de Ver- Conférence de Londres pour le 1753
oisitme volume de /’Encyclo- sailles. réglement des affaires indiennes.
pédie. Buffon : Discours sur le style. Hostilités entre Canadiens et
Brouille de Frédéric II et de Anglo-Américains. Les Cana-
Voltaire. diens se rendent maitres de la
La porte de Potsdam 4 Berlin et le vallée de l’Ohio.
palais de l’Académie de Vienne Succés de Clive qui prend Trichi-
de Jean Nicolas Jadot. nopoli.
529
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
i ee
France Machault quitte le Wilkinson fonde sa _ premiére Expulsion des jésuites du Brés
Contréle général pour la Marine. fabrique 4 Bradley.
En France, privilégiés vainqueurs
de la tentative de réforme pro-
fonde.
Rupture diplomatique franco- Tremblement de terre de Lis- Expulsion des jésuites du Parague
1755
anglaise. bonne et reconstruction de la
ville.
1755-1660/1775-1780. Explosion
de croissance de _ Il’économie
européenne.
1756 Renversement des alliances. France : création d’un nouveau Rousseau : Lettre sur la Provideni
Début de la guerre de Sept Ans. vingtiéme. Encyclique met fin 4 la querelle d
Agitation parlementaire en Troubles en Dauphiné. billets de confession.
France.
1758 Choiseul aux Affaires étrangéres. Quesnay : le Tableau économique. 1758-1769. Clément VIII.
Swedenborg : De caelo et infer
1759 Charles III d’Espagne (1759-1788) Publication du premier Almanach Deuxiéme condamnation de l’Ene¢
succéde a Ferdinand VI. de Gotha. clopédie.
Expulsion des jésuites du Portug
1759-1833. Wilberforce.
530°
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1754-1760)
Sree ee
ondillac : Traité sur les sensations. J.-A. Gabriel entreprend la cons- Congres d’Albany. Renforts an-
iderot : Pensées sur Vlinterpré- truction de la place Louis-XV. glais en Amérique.
tation de la nature. Ch. N. Cochin et Bellicard : Obser- Fondation du King’s College de
Jusseau : Discours sur Lorigine vations sur les antiquités et la ville New York.
et les fondements de l’inégalité. d@’Herculanum. Aott. Dupleix quitte 1’Inde.
aupertuis : Essai sur la formation Bibliothéque de Strawberry Hill Traité Godeheu. Recul de Ilin-
des corps organisés, premiére affir- en style gothique par John fluence francaise aux Indes.
mation philosophique d’un Chute.
transformisme intégral.
ondation de l’université de Mos- Greuze: le Pére de famille. Occupation anglaise de l’Acadie 1755
cou. Premiére grammaire russe. 1754-1755. G. Tiepolo achéve le |, et déportation des Acadiens.
ack découvre le gaz carbonique. plafond de la Pieta de Venise. 1755-1783. Eglise (churrigue-
ler : Institutiones calculi diffe- Haydn : premier quatuor a cordes. resque) de Santa ‘Trinidad
rentialis. a Mexico.
sItaire : Essai sur les meeurs. 1756-1791. Mozart. Résistance contre les Anglais aux 1756
"56-1825. Lacépéde. Transfert de la manufacture de Indes : le massacre du « Trou
raduction des Principia de New- Vincennes a Sévres. noir ».
ton par la marquise du Chatelet. Montcalm arrive au Canada.
elvétius : De I’esprit. Diderot : le Fils naturel. Victoire décisive de Clive a Plassey. 1757
icolai fonde a Berlin l’Académie Ph. E. Bach: Essai sur la véritable Burke : Jes Etablissements euro-
des beaux-arts et des sciences. maniére de toucher du clavier. péens en Amérique.
Premiers plans de Soufflot pour
Véglise Sainte-Geneviéve.
Chambers : Designs for Chinese
Buildings.
*‘Alembert quitte l’Encyclopédie. Fondation de l’Académie russe des Victoires anglaises au Sénégal. 1758
iderot : Lettre a d’Alembert. beaux-arts par Louis Tocqué. Lally-Tollendal aux Indes.
yItaire s’installe 4 Ferney. Macpherson : poemes d’Ossian. 8 septembre. Chute de Montréal. 1760
allanzani : Nouvelles recherches. 1760-1842. Cherubini. Perte du Canada.
60-1825. Saint-Simon. Lally-Tollendal assi¢égé a Pondi-
Alembert : Equations diffé- chéry.
rentielles.
531
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
nnn EEEEEEEESEEEEEEEEEE
Choiseul secrétaire d’Etat a la Arrét du Conseil du roi encoura- Grande attaque contre les jésuite
Guerre (27-1) et 4 la Marine geant les défrichements en en France. Procés du P. L
(15-10). France. Valette. Le Parlement incrimin
Bute supplante Pitt a la téte du Conjoncture économique et démo- les jésuites.
cabinet britannique. graphique favorable.
Propositions francaises de paix 4 Turgot intendant du Limousin.
lAngleterre (31-3). Charles III commence une poli-
Réorganisation de administration tique d’amélioration des rentes
portugaise. en Espagne.
1762 2 janvier. Guerre anglo-espagnole. Abolition des droits féodaux en Procés et exécution de Calas.
Le Portugal est envahi en février. Savoie. Le Parlement ordonne la suppres
Poursuite des négociations France- sion des jésuites en Franc
Angleterre.
La Russie fait la paix avec la Prusse.
Mort d’Elisabeth. Court régne de
Pierre III. Avenement de Cathe-
rine II (28-6).
1763 Fin de la guerre de Sept Ans. Arrét sur la libre circulation des Febronius : De statu ecclesiae |
Traité de Paris (10-2) et de grains en France. legitima protestate romani pont
Hubertsbourg (15-2). Gazette de commerce, tribune du ficis liber singularis.
Démission de Bute. Grenville 4 la mouvement physiocratique. Voltaire : Traité sur la tolérane
téte du cabinet. Début de l’affaire Statut des écoles élémentaires en
Wilkes. Prusse. Point de départ de I’al-
Mort d’Auguste III de Pologne. phabétisation massive de la
Les Russes envahissent la Litua- Prusse.
nie. Commission pour définir le statut
de la noblesse russe.
1764 29 mars. France : condamnation de Liberté du commerce des grains Novembre. Fermeture des établi
Sirven. en Espagne. sements des jésuites en France.
Mort de M™¢ de Pompadour, pro- « Instruction » de Catherine II
tectrice des philosophes. pour un programme de réformes.
Début des affaires de Bretagne :
La Chalotais contre d’Aiguillon.
Ig janvier. Wilkes exclu des Com-
munes.
Stanislas Poniatowski élu roi de
Pologne. Invasion russe,
532
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1761-1764)
SS
scaria : Des délits et des peines. Winckelmann : Histoire de l’art Anglais vainqueurs du Grand
ltaire : Dictionnaire philoso- chez les anciens. Mogol a Buxad.
rhique. Soufflot publie ses dessins de Palais gouvernemental de La Anti-
usseau : Lettres écrites de la Paestum. gua (Guatemala).
nontagne. 1764-1790. Soufflot : Sainte-Gene-
vieve.
Premiers travaux 4 la Madeleine.
Houdon : Saint Bruno.
Construction du premier Ermitage
a Saint-Pétersbourg par Vallin
de La Mothe.
Philidor : le Sorcier.
DiS
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
NN —— eee
Réhabilitation de Calas. Troubles Fondation des Ephémérides du Campomanes : Traité sur l’amo
de Bretagne. Arrestation de La citoyen (s’ouvriront aux physio- tissement ecclésiastique, dénot
Chalotais. crates en 1767). ciation discréte de Taccumul:
Jacques II empereur et corégent. Gribeauval débute la réforme de tion paralysante de la riches:
Léopold grand-duc de Toscane. lartillerie. par le clergé.
Ferdinand duc de Parme. Frédéric II fonde la Banque de Interdiction en Espagne des Aut
Berlin. sacramentales.
Catherine II confirme les privi-
léges de la noblesse russe.
Hargreaves invente la spinning-
jenny.
1766 Rattachement de la Lorraine ducale Turgot : Réflexions sur la forma- Juin. Condamnation des jésuit
a la France. tion et la distribution des richesses. en Espagne.
Le parlement de Paris soutient La
Chalotais.
Condamnation du chevalier de
La Barre.
Aranda ministre de Charles III.
Le Motin de Esquilache.
1767 Mainmise du Danemark sur le Apparition du water- frame d’Ark- Jésuites expulsés d’Espagne (27-
Slesvig et le Holstein. wright. et bannis de France (mai).
France ; révision du procés Sirven. Débuts du commerce des grains Joseph II exige le contréle préalak
Catherine II réunit la Grande Com- en Espagne. des textes pontificaux.
mission. Catherine II s’arroge la protectic
des orthodoxes en Pologne.
D’Holbach : le Christianisme a
voilé marque un premier p
roxysme de la haine antire
gieuse.
1768 Maupeou 4 la chancellerie. Utilisation effective de la spinning- Expulsion des jésuites de Parn
Traité de Versailles : la France jenny de Hargreaves et du water- Conflit de Clément XIII avec |
acquiert la Corse (15-5). frame d’Arkwright. Bourbons.
Mme du Barry, favorite. Quesnay : Physiocratie ou consti- 1768-1834. Schleiermacher,
1768-1774. Guerre russo-turque. tution... plus grand théologien prot
Confédération de Bar en Pologne. Mai. Emeutes a Londres. tant libéral.
Renvoi de la Grande Commission Charles III ordonne le partage
en Russie. des communaux en Espagne.
———————————————
534
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES (1765-1768)
isseau. commence /es Confes- Diderot rédige l’Essai sur la pein- Début de l’agitation dans les colo-
‘ons. ture (publié en 1796). nies anglaises d’Amérique. Ten-
dsmith : Vicar of Wakefield. Piranése, la villa des chevaliers de tative pour imposer le droit de
vendish : étude de ’hydrogéne. Malte (Rome). timbre.
Boucher premier peintre du roi. Clive gouverneur du _ Bengale.
1765-1771. Palais Tchernigov et Politique de force au profit de la
Razoumovski par Vallin de La Compagnie des Indes.
Mothe. La facade de la Valenciana de Gua-
1765-1768. Facade des Théatins najuato (Mexique) fait revivre
par Cuvilli¢s 4 Munich. le gothique flamboyant en Amé-
rique (1765-1788).
ndation de Ecole vétérinaire 1766-1786. Travaux de Guimard L’acte du timbre supprimé. 1766
?Alfort. a Bruxelles. 1766-1769. Voyage de Bougain-
6-1834. Malthus. Luton Hoo, prés de Bedford, par ville ; exploration du Pacifique.
sing : Laokoon. les freres Adam. 1766-1794. Cathédrale de Santa
Statue équestre de Pierre le Grand Marta (Nouvelle-Grenade), bel
par Falconet a Saint-Péters- exemple de baroque vertical.
bourg.
astley : Histoire de I’électricité. Lessing : Minna von Barnhelm. Février. Clive quitte l’Inde. Temps 1767
7-1835. Guillaume de Hum- Winckelmann : les Monuments d’arrét dans la conquéte.
ioldt. inédits de Rome. Le Parlement anglais revient a la
Fuga restaure la cathédrale de charge : textes douaniers et
Palerme. boycott dans les treize colonies
Le Royal Crescent de Bath par anglaises d’Amérique.
John II Wood. Effets catastrophiques de l’expul-
Gluck : Alceste. sion des jésuites de toute l’Amé-
Mozart : An die Freude. rique espagnole.
J.-J. Rousseau : Dictionnaire de Facade du Carmo de Récife;
musique. fronton a volutes.
Blainville : Histoire générale cri-
tique et philosophique de la mu-
sique.
‘er : Institutiones calculi integralis. 1768-1775. Gabriel achéve la place Pétition du Massachusetts : « Bos-
re : le Voyage sentimental. Louis-XV. ton Convention ».
-caria inaugure la chaire d’écono- Fondation de la Royal Academy 1768-1771. Premier voyage de
aie politique de Milan. de Londres. Cook. Exploration du Pacifique.
1768-1785. Palais de Marbre du Premiers intendants dans l’Amé-
prince Orlov a Saint-Péters- rique espagnole; tentative de
bourg par Rinaldi. modernisation de Jladminis-
tration.
I
ale,
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
nn ——— eee
1770 Juin-décembre. Conflit entre le Crise économique sérieuse en D’Holbach : Systéme de la natu
roi et le Parlement 4 propos du France. Essai sur les préjugés, violent
procés d’Aiguillon. 1770-1790. Croissance démogra- attaques contre la religion chi
24 décembre. Disgrace de Choiseul. phique ralentie en France, accé- tienne révélée.
Septembre. Entrevue Joseph II- lérée en Angleterre.
Frédéric IT. Grande jacquerie en Bohéme.
Lord North, ?homme de la préro- Publication du code pénal thé-
gative royale, premier ministre. résien.
Struensee ministre de Christian VII
de Danemark.
1773 Procés et acquittement de Clive. Début de la construction du pre- Clément XIV dissout la Compag:
1773-1774. Affaire Goezman en mier pont de fer de Coalbrook- de Jésus. '
France. dale.
ae
536
CHRONOLOGIQUES TABLEAUX
(1769-1773)
ee
eee| eS |
INTELLECTUELLE — SCIENCE ARTS — LETTRES L’EUROPE ET LE MONDE
derot : le Réve de d’Alembert. Chandler : Jonian Antiquities. L’emploi des azuleros se généra-
59-1859. Alexandre de Hum- Piranése Diverse maniere di lise 4 Mexico dans la décoration
Soldt. adornare 1 camini. des maisons.
1769-1771. Mozart en Italie.
1769-1770. Préface d’Alceste de
Gluck.
Francisco Sabattini édifie le palais
de la Douane 4 Madrid.
‘bé Galiani : Dialogue sur le Goldsmith : The deserted village. Massacre de Boston et reculade 1770
commerce des bles, 1770-1827. Beethoven. douaniére de l’Angleterre, sauf
‘bé Raynal : Histoire philoso- Catherine II achéte une partie de pour le thé.
Shique et politique des établis- la collection Crozat (premier 1770-1771. Conflit anglo-espagnol
‘ements et du commerce des Euro- fonds de lErmitage). pour Vlarchipel des Falkland.
gens dans les deux Indes. Inauguration de lopéra de Ver-
7o-1831. Hegel. sailles (Gabriel).
1770-1772. Pavillon de Louve-
ciennes par Ledoux.
Johann Bouman : Sainte-Hedwige
de Berlin.
ynge invente la géométrie ana- 1771-1783. Ecole de droit de Paris 1771-1773. Kerguélen dans les ae
ytique. par Soufflot. mers du Sud.
voisier analyse la composition Houdon : buste de Diderot. Palais gouvernemental de La
i> Var. 1771-1773. Clérisseau 4 Londres Havane.
71-1802. Bichat. multiplie les tableaux de ruines Santo-Domingo 4 Santiago du
antiques. Chili, trois nefs sans votte.
1771-1791. L’église de Poczajow
par Hoffman.
Mozart : premiére messe.
hévement de la publication de Goethe : Goetz von Berlichingen. Warren Hastings gouverneur du 1772
"Encyclopédie. Fresques de Mengs a la Biblio- Bengale : la conquéte de l’Inde
grange : Additions a Ialgébre théque vaticane. repart.
l’Euler. 1772-1775. Ledoux aménage la 1772-1775. Deuxiéme voyage de
estley : Observations sur Vair. saline de Chaux prés d’Arc et Cook dans le Pacifique.
derot : Supplément au voyage de Senans. 1772-1801. La Guadalupe de San
3ougainville. Haydn : Salve Regina et Stabat Luis Potosi, facade néo-clas-
Mater. sique.
derot auprés de Catherine II. 1773-1779. Robert et James Adam : Début du soulévement des treize 1773
nardin de Saint-Pierre : Voyage Works in Architecture. colonies Boston Tea Party
1 Pile de France. (16-12).
SSS
537
DA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
a
Disgrace d’Aranda en_ Espagne. 1773-1779. Début de la révolte de Formation du Grand Orient «
Echec russe en Moldavie. Pougatchev en Russie. France, orientation violemme
antichrétienne de la franc-m
connerie frangaise.
Mort de Louis XV (10-5). Louis 13 septembre. Turgot : libre cir- Tolérance envers les non-cath
1774 XVI. Maurepas conseiller. Ver- culation des grains en France. liques en Hongrie.
gennes aux Affaires étrangéres. Il réduit la Ferme générale.
Turgot 4 la Marine (20-7) puis Autriche : réglement général des
au Contréle (24-8). Retour des écoles allemandes.
parlements (1I2-I1). Campomanes Discours sur les
Défaite de Pougatchev. sources de I’industrie.
La Russie céde la Bukovine 4 Disette a Paris. La guerre des 1775-1799. Pie VI.
1775 farines. Début de la récession
l’Autriche.
Ordonnance des gouvernements intercyclique des prix agricoles
en Russie. en France.
Malesherbes 4 la Maison du roi. Patente de Marie-Thérése sur les
Saint-Germain a la Guerre. corvées en Bohéme et dans les
pays autrichiens.
Catherine II réforme l’adminis-
tration. Liberté du commerce
et de l’industrie.
1776 12 mai. Disgrace de Turgot. Suppression puis rétablissement de D’Holbach : la Morale universe
Septembre. Franklin a Paris. la corvée et des corporations en ou les Devoirs de ’honime fone
Octobre. Necker adjoint au contré- France (5-1 et II-8). sur la nature, violentes attaqu
leur général. Premier syndicat ouvrier en Angle- contre la religion.
Florida Blanca principal ministre terre.
de Charles III. Premiers rails fabriqués en France.
Jouffroy fait naviguer un bateau
a vapeur sur le Doubs.
538
CLgg317.78) TABLEAUX CHRONOLOGIQUES
ee
(2 ee
INTELLECTUELLE — SCIENCE ARTS — LETTRES L’EUROPE ET LE MONDE
stley : études sur loxygéne. David premier prix de Rome. Congrés de Philadelphie : le Oue-
schel : le grand télescope. Mozart : Messe en fa majeur.
1774
bec Act.
Geethe : Werther.
im Smith : Recherches sur la 1776-1780. Le théatre de la Cour 4 juillet. Déclaration d’indépen- 1776
ature et les causes de la richesse a Stockholm par Jean-Louis dance.
es nations. Desprez. Thomas Paine : The Common
lerot : Entretien d’un philosophe 1776-1780. Somerset House 4a Sense.
vec la maréchale de... Londres par William Chambers. Fondation de Guatemala Nueva,
6-1778. Gibbon : Decline and 1776-1796. Les Quatre Cours de nouveau baroque américain.
all of the Roman Empire. Dublin par Thomas Cooley. 1776-1779. Dernier voyage de
bly : Principes des lots. Mozart : Sérénade dite Haffner. Cook.
rt de Voltaire, de Linné, de Mozart a Paris : Jes Petits Riens. Début de VPintervention francaise 1778
ousseau. Inauguration de la Scala de Milan. en Amérique.
fon : les Epoques de la nature. Peyre commence |’Opéra de Paris. Fin du monopole de Cadix. Ou-
B-1795. Lamarck : Ja Flore Tiepolo décore le Déme de Padoue. verture officielle de l’Empire
ancaise. espagnol, sauf le Mexique, au
wn— ———$<$<—
239.
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIER ES
ae
a ieee re
1781 Février. Compte rendu au roi de France: édit des quatre quartiers, Autriche : tolérance, réforme
Necker. étape capitale de la réaction nobi- clergé, laicisation de la cen:
19 mai. Démission de Necker. liaire. Tolérance en Suéde.
Frédéric II rejoint la ligue des Fondation de l’usine du Creusot. Fondation de _ 1l’Association
Neutres. Abolition du servage en Autriche. écoles du dimanche en Ar
Réforme de la procédure en Prusse. terre.
1782 12 avril. Bataille des Saintes. Joseph II établit la liberté du Joseph II sécularise les couv
Chute du ministére North. travail. Abolition du Saint Office en |
Le second Pitt réclame la réforme Rétablissement du troisitme ving- cane et en Sicile.
du Parlement. titme en France.
Echec franco-espagnol devant Gi-
braltar.
Novembre. Préliminaires de paix
anglo-américains.
cadémie de Berlin met au| Ch. de Laclos : les Liaisons dange- | Suffren aux Indes. 1782
ncours la question de l’univer- reuses. ; Siége de Madras.
ité de la langue francaise. | Mozart : six quatuors dédiés 4 | Tipou-Sahib.
mte de Choiseul-Gouffier Hay : : 3
Voyage pittoresque de la Gréce. | Giacomo Quarenghi : théatre de
VErmitage de Saint-Pétersbourg.
;
avoisier : analyse de l’eau. Beaumarchais : Je Mariage de| Indépendance des Etats-Unis. 1783
ant : Prolégoménes a toute méta- Figaro. Capitainerie générale de Cuba.
1783-1804. Cathédrale néo-clas-
physique future. : Mozart : symphonie de Linz.
1783-1784. Roland de Moitte sique de Montevideo.
ably : De la maniére d’écrire
Phistoire. décor de Phétel de Salm.
Goya : premier autoportrait.
————————
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ara, Poa j
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INDEX
DOCUMENTAIRE
Cet index n’a aucune prétention encyclopédique. Son unique objet est
de faciliter au lecteur la consultation de Pouvrage. On y trouvera donc la plu-
part des mots importants qui figurent dans le texte, accompagnés de renvois
au texte, aux illustrations et aux cartes et plans. En outre, conformément au
programme de la collection, certaines rubriques ont été développées pour
permettre soit de rassembler commodément des notions dispersées, soit de
fournir quelques renseignements complémentaires d’ordre biographique, topo-
graphique ou technique.
Principales abréviations utilisées :
P. 00 : renvoi au texte concernant une phrase ou !’ensemble d’une rubrique
ill, oo : renvoi aux illustrations en noir.
pl. coul. X : renvoi aux planches en couleurs.
Mots en PETITES CAPITALES : renvoi a une autre rubrique.
BIBL. : références bibliographiques.
545
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
ALEMBERT, d’ AMSTERDAM
Jean le Rond, du nom de l’église Saint-Jean- Elle semble bien avoir atteint 100 000 habi-
le-Rond sur les marches de laquelle il fut tants vers la fin du xvi®. Roger Mols la place
déposé par sa mére (M™e de Tencin), dit au huititme rang des villes européennes
d’Alembert, 1717-1783. Membre de l’Acadé- (Russie exclue) vers 1600, au quatriéme rang
mie des sciences en 1741 et de l’Académie vers 1700 et au cinquitme rang vers 1800.
francaise en 1754. Cofondateur avec DIDE- Le DENOMBREMENT de 1795 lui accorde
ROT de VENCYCLOPEDIE dont il compose le 221 000 habitants, plus du quadruple de
Discours préliminaire (1751). Un des grands Rotterdam qui vient en deuxiéme position
mathématiciens du xvulI® sitcle (Traité de avec 53 000, trés avant La Haye (38 500),
Utrecht (32 300) et Leyde (31 000). Mais il
dynamique, 1743). (P. 264.) ne faudrait pas se laisser prendre aux appa-
rences : le rdle d’Amsterdam a beaucoup
ALLEMAGNE changé au XVIII®. MONTESQUIEU, 4 qui rien
Le mot ne s’*imposera qu’a la fin du xvuI® sié-
n’échappe, compare Amsterdam au début
cle, pour désigner l’ensemble des pays de
du xvure 4 Venise au xvi®. Le recul relatif
LANGUE allemande. Politiquement, |’Allema-
du grand commerce est masqué par une fiévre
gne est un puzzle que |’EMPIRE, entité plutét
immobiliére. Amsterdam, ville de rentiers,
que réalité, est plus que jamais hors d’état
d’imprimeurs, d’artistes, ville industrielle,
d’ordonner. Sur le plan culturel, deux Alle-
est désormais battue en bréche par le triomphe
magnes, dominées réciproquement par une
insolent de LONDRES devenue capitale du
AUTRICHE qui regarde ailleurs et une PRUSSE
grand commerce colonial. Le ccur d’Am-
en expansion, se différencient par la religion
sterdam date des xvVI® et XVII®, il est construit
et les traditions, celle du Nord née de la
Réforme, celle du Sud encore imprégnée
sur pilotis. Jamais peut-étre Part du pilotis,
de la digue, du pont et du canal n’a été poussé
d’influences romaines et italiennes (p. 177).
L’Allemagne catholique du Sud est le domaine plus loin. L’élément liquide est ici emprisonné
par excellence de la sensibilité et de lart dans un réseau de petits canaux disposés géo-
BAROQUES (il, 16, 150, 167, I70, I7I, 182, métriquement « comme pour mieux imposer
183, pl. coul. V). (Ill. 60, 62, 64.) a Peau la marque de la volonté humaine ».
Essor de la MUSIQUE instrumentale (p. 409, Les fameux demi-cercles concentriques
carte 47, pp. 420-421, ill. 141). d’Amsterdam qui dessinent « un des plus
beaux plans de villes connues » datent du
milieu du xvirI® siécle seulement. Aucune
ALPHABETISATION trace sur les cartes de Cornelis Anthonisz
Ses progrés accompagnent presque partout ou de Pieter Bost (1544 et 1597), ferme
la révolution démographique et en multi- dessin par contre sur le plan de 1667. Des
plient les effets, avec des nuances régionales raisons évidentes de sécurité ont commandé
(p. 144). Atteint sa densité maximale dans la construction d’une enceinte fortifiée de
la « petite Europe » nombreuse et heureuse vingt-six bastions, ceuvre de Tlingénieur
du Nord-Ouest (graph. 22, p. 146, 23, p. 147, Cohorn. Le modéle urbain d’Amsterdam
24, p. 147). (Pp. 142 a 151, ill. 36, 38.) s’est imposé dans de nombreuses villes du
Nord : COPENHAGUE fagonnée par des ingé-
AMERIQUE nieurs hollandais. Géteborg et BERLIN sur la
Le mot, peu usité au xvire siécle (on dit alors Sprée comptent au nombre des remontées les
plus volontiers les Indes, voire les Indes plus incontestables du modéle vers le Nord
5 46
INDEX DOCUMENTAIRE
547
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
du versant pacifique des Rocheuses offrent tiques. Nous en connaissons les articulations.
une série de bandes enregistreuses de 500 4 L’adoucissement des hivers a précédé, 4 la
I 500 ans dont les lecons ont une portée qui fin du x1x®, le réchauffement des étés dans la
dépasse T’espace géographique américain. premiére moitié du xx® siécle ; ’hémisphére
Mais le totalisateur de mesures le plus efficace Nord a été plus touché que ’hémisphére Sud,
reste encore l’appareil glaciaire. Les avances le réchauffement a été particulitrement sen-
et les reculs des glaciers sur les zones habitées sible dans toute l'Europe du Nord, beaucoup
des Alpes, de la Scandinavie, de lIslande, plus faible dans la zone méditerranéenne. En
voire du Groenland, et, plus récemment, de Islande, l’écart atteint 1,5 °C pour le réchauffe-
PAlaska, ont fait objet d’une masse impres- ment hivernal. Aux Etats-Unis, « entre la
sionnante de notations. Ces sources se com- décennie la plus froide (celle qui prend fin en
plétent, se contrélent et se confirment. II y a, 1875-1876) et la décennie la plus chaude,
en outre, partage des taches. Le cumulateur Pécart thermique atteint 2 °C », Ce réchauf-
glaciaire constitue, et de loin, le meilleur ins- fement séculaire de l’ére statistique fournit
trument des variations significatives, entendez un modéle. Les corrélations multiples, que
dune certaine durée. Le séquoia est une météorologistes et climatologistes ont pu
excellente bande enregistreuse de l’accident calculer dans ces limites chronologiques,
a court terme sur un laps de temps permettent de traduire en degrés centigrades
qui peut, exceptionnellement, couvrir douze et en millimétres de pluie telle avance ou
4 quinze siécles. Les Alpes orientales tel recul des fronts glaciaires, tel écart a la
offrent, pour la variation pluridécennale et moyenne des anneaux de croissance des arbres.
multiséculaire, ce merveilleux outil naturel, Le réchauffement séculaire récent a permis
la tourbiére de Fernau. L’alternance des sables d’étalonner nos bandes enregistreuses natu-
et de la tourbe donne la lecture que contrdéle le relles des variables climatiques. Le petit age
carbone 14. Fernau procure, sur 8 4 9 000 ans, glaciaire, qui va de 1570, en gros, a 1850 et
la tendance séculaire, toute Pépaisseur de qui constitue le symétrique inverse du réchauf-
Vhistoire. Le rapprochement et Putilisation fement séculaire contemporain, peut étre,
systématique des instruments ont relégué au grace a létalonnage des séries, exactement
second plan un certain nombre de voies cerné, assez exactement mesuré avec une
explorées hier. Et notamment les grandes précision qu’on n’aurait pas osé imaginer
séries événementielles, que nos collégues voici quinze ou vingt ans a peine. On arrive
médiévistes ont cherché a établir, au prix a cerner, avec une plus grande marge d’incer-
de grands efforts, L’entreprise reste valable, titude, le réchauffement du haut Moyen Age,
mais, dans l'état actuel de la recherche, elle le rafraichissement de 1200-1350, le réchauf-
est de moindre rendement. L’originalité de fement des xv® et xvi®, de 1400 4 1550-1560.
la nouvelle climatologie historique, sa belle On a calculé qu’entre le x1® siécle chaud et
assurance scientifique résident dans l’utilisa- le xime froid, la fin xv°-début xvie chaud,
tion systématique d’une méthode régressive le xvur®-xvi1I® froid, le xx® chaud, les écarts
qui permet de raccorder les données moins planétaires sont de lordre du degré, ils
précises du proto et du préstatistique, le n’atteignent qu’exceptionnellement, sur des
temps des Lumiéres, aux certitudes de la espaces bien circonscrits et étroitement
période statistique. Une fluctuation clima- limités, 1,5 °C. Faut-il parler, aprés cela, du
tique bien cernée, tout entitre bien campée paramétre climatique du temps lourd de
dans le champ de séries incontestables, cor- Phistoire des civilisations, et, du méme coup,
respond aux 90 ans qui vont de 1860-1870 dépasser la querelle, de toute maniére dé-
4 1950-1960. Pour elle, aucun doute, le recul passée, entre historiens fixistes et évolution-
spectaculaire des glaciers depuis un siécle nistes ? On aura pu superficiellement observer
correspond a un réchauffement planétaire que deux des plus importantes révolutions
d’un peu moins de 1 °C, Ce réchauffement de Vhistoire européenne, la révolution du
séculaire du climat, sous nos yeux, en pleine xre et la double révolution mentale et tech-
période statistique, a fait objet d’une série nique des XvVII°-XvIII®-premier XIX®, s’ins-
décisive de travaux plus ou moins synthé- crivent dans le temps difficile d’une variation
548
INDEX DOCUMENTAIRE
climatique négative. Bien se garder, naturel- des baptémes, Anvers passe de quelque
lement, d’un déterminisme rigide et univoque. 67 coo habitants en 1699 4 un peu plus de
La notion d’un optimum confondu avec l’ano- 42 000 en 1755. Ce recul — de 37 p. 100 —
malie thermique positive est a écarter, pour est sans doute exagéré, mais il est incontes-
faire place 4 des optima complexes construits table. Ce reflux démographique s’explique,
sur le modéle de celui que Slicher von Batha entre autres, par la renaissance de |’industrie
procuré pour la culture du blé en Hollande rurale flamande, le retour des réfugiés a la
et en Angleterre. La composante climatique campagne, la diminution de l’immigration
affecte peu l’Europe méditerranéenne et l’?Eu- en provenance des plats pays. Le renforce-
rope dense de l’axe des 40 hab./km?*. Tout au ment des places de la Barriére a porté un autre
plus aura-t-elle, 4 partir de la fin du xvire sié- coup sévére a la prospérité d’Anvers qui ne
cle, quand ses effets cumulés se marquent se reléve pas vraiment avant le début du
par une série de graves accidents rapprochés, XIX® siecle. (P. 436.)
handicapé les plaines limoneuses céréaliéres
largement ouvertes aux masses d’air froid ARCHITECTURE
au profit des zones de cultures plus variées.
Sur le plan esthétique : le BAROQUE, originaire
Nous l’avions noté pour |’Ouest frangais et le A@ITALIE (XVI, XVII®), tend 4 se propager
Bassin parisien, Wrigley nous apporte un dans le reste de |’Europe (carte 45, p. 391),
témoignage concordant pour |’Angleterre sinon toujours dans les structures, du moins
des XVII® et XvIII® siécles. La composante cli- dans le décor intérieur (pp. 375-376). Sur le
matique agit peu et 4 quelques moments rela- plan social : plus encore que les grands chan-
tivement limités. Au départ, quand elle sur- tiers (palais, monastéres, URBANISME) fréquents
prend. Au bout d’un long temps, quand ses surtout dans le Centre et l’Est (p. 444), ce
effets s’accumulent. Pour l’Europe nombreuse, sont les constructions d’hétels et de MAISONS
deux moments possibles: vers 1570-1580, qui se multiplient dans toutes les villes
quand la tendance se renverse, autour de (pp. 366 a 372), gagnent en solidité (emploi
1640 et de 1690-1710, quand des poussées de la pierre) et en confort (agencement et
de sévérité se manifestent. On peut en discuter. ameublement) (pp. 437 4 440). (il. 29.)
Par contre, aucun doute possible pour la — en Angleterre (ill. 1, 2, 165).
RUSSIE. Le recul persistant de 1l’économie — en Allemagne (ill. 16, 80, 81, 156, 159,
agricole dans le POMORJE dés la fin du xvI®°, 160, 167, 170, pl. coul. V).
la poussée de la Russie du Sud au détriment en Autriche (ill. 82, 161, 164, 171).
du Nord, l’exceptionnelle sévérité des diffi- en Espagne (ill. 22, 83, 158).
cultés du Temps des Troubles ne peuvent en France (ill. 155, 168, 169).
ignorer ce qui est bien, 4 cette latitude, et a en Italie (ill. 5, 21, 84, 163).
cette latitude seulement, une profonde dété- au Portugal (ill. 86, 162).
rioration climatique. Se garder pourtant en Prusse (ill. 3).
d’un déterminisme naif. La modification en Russie (ill. 85, 157, 166, pl. coul. III).
climatique surprend. Elle contribue aux diffi-
cultés russes et scandinaves de la charniére
des xvi°-xvil® 4 la charniére des XVII°-XVIII°. ARKWRIGHT, sir Richard
Elle pése lourd sur Europe du Nord, assez Preston, 1732-Cromford, 1792. Le water-
peu finalement sur le destin de Europe frame, machine hydraulique 4 filer, qui fut
nombreuse. (Pp. 59-60.) brevetée en 1769, et qui fut fabriquée en série
aprés 1775, permit la filature en continu du
coton et augmenta ainsi considérablement
ANVERS
Cette grande capitale du xvi® siécle, bloquée la production anglaise. (P. 343, ill. 127.)
par la malveillance hollandaise au fond de
YEscaut, fournit l’exemple le plus typique ASAM
peut-étre d’une évolution 4 contre-courant. Les fréres Asam ont joué un réle important
Si on suit Blockmans et son extrapolation, dans ]’évolution du BAROQUE bavarois. Kosmas
sans doute un peu simpliste, d’aprés le nombre Damian, lainé (1686-1739), était peintre,
549
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
aaj)
INDEX DOCUMENTAIRE
druplement en cent vingt-cing ans. Modeste tique : six hautes colonnes doriques flanquées
Residenzstadt au xvit®, le Berlin du xvue de piétres batiments 4 colonnes et frontons.
prépare les bases de la Weltstadt qu'il A noter, toutefois, que Berlin romanise quand
sera au XIX® siécle : de toute maniére, il est Paris et Londres bellivisent. Le dorique du
la capitale intellectuelle de l’Europe orientale. Brandebourg a une base, l’attique est romain
On I’a vu acquérir, vingt a trente ans a peine et sur le modéle latin le tout est couronné par
aprés LONDRES et PARIS, toutes les institutions le quadrige de la Victoire. (P. 205.)
du rayonnement intellectuel des Lumiéres.
Le trés vieux Berlin a été d’abord une ville BERNIN
hollandaise construite sur une grande plaine Gian Lorenzo Bernini, dit le Bernin, Naples,
glaciaire marécageuse sur les bords imprécis 1598-Rome, 1680. Son ceuvre de peintre,
de la Sprée, par des techniciens hollandais. de sculpteur et d’architecte influencera tous
La dynastie des Hohenzollern, calviniste en les artistes BAROQUES. Biographie dans l’index
terre luthérienne, se rattache intellectuelle- de la Civilisation de l’Europe classique.
ment 4 Leyde od le Grand Electeur a fait ses La Transverbération de sainte Thérése, arché-
études. L’eau est partout et la rudesse du type baroque (p. 395).
climat commande un habitat robuste, clos
et bien chauffé. Unter den Linden est ?euvre BERNOULLI, Daniel
du Grand Electeur. Elle marque le point de Groningue (Hollande), 1700-Bale, 1782. Un
départ de l’influence frangaise. Artistes hollan- des maitres, avec EULER, de 1’école de mathé-
dais et frangais partagent, a la fin du xvulr°, la maticiens bdloise (p. 264). Sa famille, origi-
responsabilité des transformations de Berlin. naire de HOLLANDE, avait compté déja deux
Le xvuIe siécle commence a Berlin en 1688 remarquables mathématiciens, au temps de
avec Tunification de lespace urbain, 4 la NEWTON et de LEIBNIZ : son oncle, Jacques
mort du Grand Electeur. Deux tendances (1654-1705), et son frére, Jean (1667-1748).
dominent : lunification de la ville, l’édifi-
cation d’une parure monumentale digne du BERTHOUD, Ferdinand
puissant Etat brandebourgeois prussien. Ber- 1727-1807. Horloger suisse, coinventeur de
lin vers 1700 reste la juxtaposition de plu- l « horloge marine ». (P. 252.)
sieurs cités : le vieux noyau Kéln-Berlin que
le Grand Electeur avait enfermé dans un ro- BIBLE
buste rempart ; 4 l’ouest, la Dorotheenstadt Développement des études critiques, en
qui a trois murailles et la Friedrichswerden ; rapport avec le progrés des sciences natu-
au nord, Spandau; 4 lest, Kénigsstadt; a relles, de l’HISTOIRE et de la PHILOLOGIE
Pouest, la ville de Frédéric I¢t, la Friedrichs- (pp. 312 4 315). Une nouvelle herméneutique
stadt prés de Dorotheenstadt. Avec Frédéric I** s’impose plus facilement — paradoxalement
(1688-1713) prédomine la construction en — dans l’Europe du Nord protestante que
damiers. Une rive en damiers, la rive gauche dans |’Europe du Sud catholique.
de la Sprée, s’oppose 4 la disposition radio-
concentrique de la rive droite. La commission BIOLOGIE
de construction créée en 1721 et la politique Progrés tributaires de Jlexpérimentation
de subvention de FREDERIC II aboutissent (SPALLANZANI) et du MICROSCOPE (LEEUWEN-
A Pédification d’un habitat solide, uniforme et HOEK) (pp. 258 a 260, dessin 33, p. 260, ill. 99,
monotone. Le régne de Frédéric Ie est 107).
marqué par le génie d’Andreas Schliiter :
le temps et les moyens lui manquent pour BLONDEL, Jacques-Fran¢ois
édifier ?ensemble architectural dont il réve, 1705-1774. Professeur d’ARCHITECTURE. Par-
sur un modéle parisien et des réminiscences tisan du retour au classicisme et auteur d’un
romaines. L’esthétique de l’alignement mul- traité sur l’architecture francaise (1752-1756)
tiplie statues, ponts, places et portes. La plus ou il fait ceuvre de novateur en matiére
réussie reste la tardive porte du Brandebourg d’URBANISME. Architecte de l’hétel de ville
(1788-1791). J. G. Langhaus céde 4 l’an- de Metz. (P. 443.)
551
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
552
INDEX DOCUMENTAIRE
murs. Le gothique tardif des Lumiéres qui de Morveau, Pabbé Bexon, etc.). Cette His-
caractérise le centre de Bruxelles découle toire naturelle, 36 volumes, est publiée entre
d’une décision d’URBANISME. Une ordonnance 1749 et 1788 par les soins de I’Imprimerie
du Magistrat, du 24 avril 1697, « considérant royale. (Pp. 272-273.)
qu’il importe de ne pas laisser déformer la
place par des édifices ou pignons trop diffé- BURLINGTON
rents », soumet les places a l’acceptation préa- Richard Boyle, comte de Burlington (1694-
lable de ce dernier. La reconstruction dela 1753), riche esthéte, intelligent, amateur
ville basse, au début du xvirr®, respecte le dart, marque profondément l’évolution es-
tracé des petites rues tortueuses et étroites : thétique de ANGLETERRE (p. 390) dans la
fidélité 4 histoire. La plus grande modifi- premiére moitié du xvuir®, et du continent
cation accomplie dans la ville basse au xv1II® aprés le tournant NEO-CLASSIQUE. Burlington
fut la création au nord de la Grand-Place, préconise trés tét un retour aux normes clas-
reconstruite en gothique tardif, « de la place siques. Il fut gagné aux idées de Palladio par
Saint-Michel, aujourd’hui place des Martyrs, Colen Campbell, l’architecte écossais (f 1729),
ensemble régulier aux constructions uniformes auteur d’une célébre villa palladienne aux
a qui manque seulement une statue pour étre environs de LONDRES (Wanstead). Burlington
comptée parmi les places royales ». La place dessine lui-méme « pour ses jardins de Chis-
Saint-Michel fait partie d’un plan d’urbanisme wick, pres de Londres, un bagno palladien ».
qui tend a faire de Bruxelles l’égale de Vienne. De retour d’Italie, il financa une somptueuse
L’effort principal porte sur la ville haute... édition des ceuvres de Palladio et aida William
L’incendie, en 1731, du palais et du couvent Kent a publier Inigo Jones, cet autre relais
de Conchenberg libére le terrain qui, nivelé anglais des courants néo-classiques. La
en 1769, servira d’emplacement pour la cons- maison qu’il se fit construire 4 Londres fit,
truction de la place royale. A Guimard revient a son heure, scandale, comme Blenheim
le mérite de l’ensemble place et jardin, le quelques années avant. Aux origines du
parc fut dessiné par le Viennois Joachim tournant néo-classique, on ne saurait sures-
Zinner, qui avait travaillé au Belvédére, soit timer, donc, le réle tout 4 fait décisif de ce
un ensemble énorme de 450 X 320 m, en- grand seigneur dilettante.
touré de rues sur ses quatre faces. Tilleuls,
ormes, hétres, une forét de statues. JOSEPH II
refuse lobélisque que Godecharle aurait C
voulu exécuter en!’honneur de MARIE-THERESE.
Rue Royale, rue Ducale, rue de la Loi, les CABINETS SCIENTIFIQUES
deux places, le parc font de Bruxelles, a la Presses de — (p. 247).
fin du xvIIr®, une petite capitale, « une des plus Savants de — (p. 254).
jolies villes de Europe », qui rivalise un
instant avec PARIS. (Pp. 144, 450.) CACOUACS
Nom de tribu imaginaire, inspiré par la yogue
BUFFON des récits de VOYAGE et sous lequel l’avocat
Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, J. N. MorgAU désigne les PHILOSOPHES dans
1707-1788. Eléve des JéSUITES 4 Dijon, tra- son pamphlet Nouveau Mémoire pour servir
ducteur aprés un voyage en Angleterre de a Vhistoire des Cacouacs (1757) (p. 300).
la Méthode des fluxions de NEWTON, membre
de l’Académie des sciences dés 1733, inten- CALCUL INFINITESIMAL
dant du JARDIN DU ROI en 1739, élu 4 l’Aca- La définition contemporaine la plus simple est
démie francaise en 1753. Elabore aprés 1740 donnée par VOLTAIRE dans ses Lettres philoso-
un vaste ouvrage descriptif et théorique sur phiques (1734) : « méthode de soumettte par-
la nature, ses origines et son « histoire » tout Vinfini au calcul algébrique ». LEIBNIZ
(voir surtout le cinqui¢me supplément, Traité est plus précis dans les titres qu’il donne aux
des époques de la nature) avec la collaboration deux mémoires ot il a exposé sa méthode:
d’un groupe de savants (DAUBENTON, Guyton « Nova methodus pro maximis et minimis
555
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
itemque tangentibus, quae nec fractas nec plupart de ses ceuvres, ou la présence antique
irrationales quantitates moratur, et singulare parait ressentie dans une sorte d’extase.
pro illis calculi genus » (Acta eruditorum, 1684) (P. 452.)
et « De Geometria recondita et analysi indi-
visibilium atque infinitorum » (Acta, 1686). CARLOVTSI
NEWTON a rédigé son premier essai en 1669: Ville sur le Danube (Yougoslavie), ou fut
De analysis per aequationes numero ter- signé, en 1699, un traité entre l’Empire otto-
minorum infinitas. Leibniz, qui n’est encore man et la Sainte Ligue (carte 2, p. 55). Il
en 1672 — avant ses entretiens avec Huygens marque le début du recul ture en Europe
— qu’un « géométre autodidacte [...] peu centrale, au profit des puissances chrétiennes.
expérimenté », rattrape Newton, qui n’a pas (P. §2.)
encore publié son essai, en quelques années
(1671-1675). On doit donc les considérer CARTESIANISME
comme les deux coinventeurs — avec cer- Rallie, en France, de 1637 4 1738, tous les
taines nuances de méthode — de l’analyse opposants a la tradition aristotélicienne figée
infinitésimale. Mais ’un et Pautre ont béné- dans la scolastique universitaire. Plus que le
ficié des travaux d’approche élaborés par les physicien — assez t6t contesté (par Huygens
savants de la premiére moitié du xvure siécle, lui-méme, dés 1650, et par LEIBNIZ a travers
de Viétte & Descartes, Fermat, Cavalieri, Rohault) —, c’est le mathématicien et plus
Roberval, Huygens, Gregory, Barrow, etc. encore le théoricien de la mathématisation
(Pp. 225, 257-258.) des connaissances qui exercera son influence
sur le monde savant. Cette influence contribue
CANALETTO au XVIII® siécle 4 la modernisation de |’ensei-
Antonio Canale, dit Canaletto (1697-1768). gnement, tant en FRANCE (JESUITES, Orato-
Le grand maitre de la peinture de vedute, ces riens [p. 231]), qu’em ANGLETERRE (dans le
tableaux souvenirs qu’achetaient en ITALIB Cambridge de NEWTON) et en HOLLANDE
les voyageurs et particulitrement les voyageurs (Leyde). A partir du milieu du xvimre siécle,
anglais. Son introducteur auprés de la clien- Newton, dont les ¢ lois » (principia) recoivent
téle londonienne fut le consul Joseph Smith, d’éclatantes confirmations expérimentales,
grand collectionneur, dont George III devait apporte dans l’explication des phénoménes
acheter en 1762 la bibliothéque et les gravures. un esprit de rigueur et de prudence (hypo-
Canaletto fit trois longs séjours 4 LONDRES, theses non fingo) qu’on opposera — un peu
pendant lesquels il peignit de trés belles vues hativement — A VT apriorisme idéaliste du
de White Hall et de la Tamise. Peintre de cartésianisme. (P. 223.)
paysages urbains, il dessina avec une minutie
presque séche a force de netteté les formes CASSINI
architecturales. Il a mieux qu’aucun peintre Sur cette famille célébre d’ASTRONOMES
rendu les couleurs légtres et plombées des et de topographes francais voir 1l’index
ciels vénitiens. (Pp. 476-477, ill. 15, 178.) de la Civilisation de VlEurope classique.
Jean-Baptiste Cassini, organisateur de
POBSERVATOIRE de Paris (p. 253).
CANAUX
¢ Révolution » des — (p. 153, carte 43, p. 353). CATHERINE II DE RUSSIE
1729-1796. Catherine d’Anhalt-Zerbst (Alle-
CANOVA, Antonio magne) épouse en 1762 le tsar Pierre III,
1757-1822. Le principal représentant en héritier d’Elisabeth de Russie. Estimant le
sculpture du NEO-CLASSICISME italien et euro- tsar incapable de régner, elle s’empare du
péen. Le réalisme élégant des premiéres pouvoir l’année suivante et poursuit pendant
cuvres vénitiennes (1770-1780) évolue aprés trente ans l’ceuvre de Pierre le Grand dont
un voyage a ROME, Naples et Pompéi, vers elle se proclame la véritable héritiére : ceuvre
un art d’esthéte 4 la recherche d’une Antiquité de centralisation administrative et de rattra-
modéle. Une grace baroque subsiste dans la page économique. (Pp. 214 4 217, ill. 76, 166.)
554
INDEX DOCUMENTAIRE
5p
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
COOK, James
COKE
Dit Coke of Norfolk. 1754-? Sel f-made-man Né en 1727, dans une ferme du Yorkshire,
créateur d’un immense domaine agricole mort en 1779 aux iles Hawaii, a la suite d’une
considéré comme le modéle de la nouvelle rixe avec les indigénes. Marin, cartographe,
AGRICULTURE. Membre du parti whig et astronome. Un des grands pionniers des
opposant a George III. (P. 330.) VOYAGES d’exploration scientifique (carte rz,
P. 91, ill. 24, 25, pl. coul. I). (Pp. 90 a 92.)
COLLEGE ROYAL COPENHAGUE
L’actuel Collége de France, ancien Collége 66 ooo habitants au début du xvmie ; la PESTE
du Roi, fondé en 1530 par Francois I*', en des années 1709-1713, la peste de la Baltique,
dehors de l'Université. Son enseignement y fait 22500 morts. Copenhague récupére
limité d’abord aux « trois langues » : latin, et atteint 100 000 habitants 4 la fin du siécle.,
grec, hébreu, se diversifia beaucoup avec le Au XvII° encore, du point de vue architectural,
temps. Vingt chaires au début du xviI° siécle. une annexe de la HOLLANDE. L’influence artis-
(P. 234.) tique de la FRANCE se manifeste sous le régne
556
INDEX DOCUMENTAIRE
SY
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
558
INDEX DOCUMENTAIRE
du royaume. Puis on perd sa trace. Sa mort, péi). Il est une des manifestations du retour
en 1793 vraisemblablement, est passée inaper- a antique a partir des années 1760. (P. 248.)
gue. Ce laborieux, ce tacheron de Vhistoire
topographique et d’une géographie érudite a DUCLOS
accumulé des milliers de pages. Son grand Charles Pinot, dit Duclos. Dinan, 1704-Pa-
ceuvre est le Dictionnaire géographique, his- ris, 1772. Secrétaire perpétuel de l’Académie
torique et politique des Gaules et de la France, frangaise en 1755. Auteur de romans licen-
malheureusement inachevé, six volumes in- Cieux et d’intéressantes Considérations sur
folio, Paris, 1762-1770. Travail inégal, et pour- les meeurs de ce siécle (1751). (P. 227.)
tant sérieux, minutieusement critiqué par
Esmonin. Parmi les travaux d’approche, des DUHAMEL DU MONCEAU
comptages de baptémes, mariages et sépul- Henri Louis, 1700-1782. Ingénieur et agro-
tures de 1690 4 1701, d’une part, de 1752 a nome. Membre de l’Académie des sciences
1763, d’autre part, dans plus de 15 000 pa- a vingt-huit ans, inspecteur général de la
roisses frangaises, opérés 4 son initiative (sur Marine. Esprit encyclopédique, il s’est inté-
42 000 environ) et publiés en appendice des ressé 4 la botanique, 4 la technique agricole,
tomes III et IV du Dictionnaire. (P. 100.) a PECONOMIE, a la construction navale (Elé-
ments de Varchitecture navale, 1752). Son
DESPORTES, Francois premier ouvrage, un Traité de culture des
1661-1743. Peintre animalier francais. Peintre terres (1750-1756), est un hommage 4a Jethro
de la Verrerie du roi qui lui commanda de TULL. (Pp. 331, 333-)
nombreux tableaux, exécutés d’aprés nature,
pour la Ménagerie de Versailles et les rési- DUPLEIX
dences de Marly et de la Muette. (P. 465.) Joseph-Fransois, marquis de Dupleix, 1697-
1763. Gouverneur des établissements fran-
DESPOTISME ECLAIRE gais de VINDE (1741-1754). Successeur et
Voir pp. 195, 204 a 217 et aussi : FREDERIC II disciple de Dumas, le créateur des « cipayes ».
(ill. 69) ; CATHERINE U (ill. 76) ; MARIE- Diplomate et homme de guerre, Dupleix
THERESE et JOSEPH II (ill. 75) ; Charles III cherche a devancer les Anglais dans la colo-
(AUTRICHB), etc. (III. 74.) nisation qu’il prévoit aprés Vinstallation en
Inde des COMPAGNIES commerciales. Prend
DIDEROT, Denis Madras aux Anglais avec l’aide de la flotte de
1713-1784. Connu surtout de ses contempo- Mahé de La Bourdonnais (gouverneur de
rains comme codirecteur (avec d’ALEMBERT) Pile de France) et repousse la contre-offensive
de PENCYCLOPEDIE, et comme auteur de pit- de l’amiral Boscawen 4 Pondichéry (1748).
ces de thédtre. Ses principales ceuvres n’ont Contesté et critiqué en France, il doit rendre
été publiées qu’aprés sa mort : le Réve de Madras aux Anglais (traité d’Aix-la-Chapelle,
d’Alembert (1830), le Supplément au voyage 1748) et finit par succomber devant 1’effort
de Bougainville (1796), le Neveu de Rameau militaire de Robert Clive (1752). Rappelé a
(publié d’abord en allemand, par Goethe, Paris en 1754. (P. 89.)
1805), les Salons (1795-1857), etc. Mais a
travers l’Encyclopédie son influence a forte-
ment marqué le troisitme quart du XVIII® sié- E
cle. (Pp. 194-195, 261, 290, 460, ill. 91.)
ECONOMIE
DIDOT, Frangois-Ambroise : Une lente amélioration des TECHNIQUES, le
1730-1804. Fils de Vimprimeur Fran¢ois développement des ENCLOSURES (en ANGLE-
Didot (1689-1759) et pére de Firmin Didot, TERRE), l’action un peu partout — moindre
éditeur des premiers classiques 4 bon marché. dans l’Europe méditerranéenne — de l’Etat
Le caractére Didot, créé par Frangois-Am- favorisent l’accroissement des ressources, au
broise, s’inspirait des lettres des inscriptions moment méme ou s’accroit la population.
romaines (fouilles d’HERCULANUM et de Pom- D’ot une élévation du niveau de vie (pp. 363
5359
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
a 372) — malgré la persistance d’écarts sai- alors soutenue par 3 500 souscripteurs —
sonniers ou régionaux (pp. 358 4 362) — et jusqu’a Pincident provoqué par la publica-
le recul de la mort (fin des grandes famines tion de De l’esprit d’Helvétius —, dix volu-
et diminution des épidémies). Voir l’ensemble mes sortent en bloc en 1765 et les planches
du chapitre VI (pp. 323 4 372) et les ru- en 1772. L’influence de l’Encyclopédie ne
briques relatives aux différents pays. (Carte cesse de croitre avec les ans. Elle atteint l’im-
39 Pp. 336.) pact maximal au cours des années 1780, avec
Angleterre (graph. 37, PD. 334 38; Pp. 335. la réédition de Panckouke qui couvre litté-
40, p. 338; 42, p. 350). ralement toute l’Europe éclairée. L’Encyclo-
France (cartes 41, p. 339s 425 P. 350). pédie, c’est d’abord une équipe ; « les aver-
tissements des volumes de discours ou des
ECOSSE volumes de planches livrent 142 noms »
Union 4 l’Angleterre (p. 173). (Jacques Proust). Sur 17 d’entre eux, nous
Alphabétisation précoce (pp. 149-150, graph. ne savons rien et sur beaucoup d’autres restés
21, p. 145). anonymes : 200, 250 travailleurs, peut-étre,
au total. Les collaborateurs de Il’Encyclopédie
EDUCATION appartiennent 4 la gamme la plus étendue et
Réle accru des parents dans l’éducation des
la plus ouverte de la bourgeoisie frangaise.
enfants. (Pp. 115-116, ill. 39, 43 a 45, pl. Beaucoup, de condition modeste au départ,
coul. II.) partant ou non de ce tremplin, se sont élevés
EMPIRE dans l’échelle sociale. C’est le cas de Diderot
Le titre d’empereur, traditionnellement attri- lui-méme, écrivain besogneux en 1745 quand
bué (depuis 1437) aux Habsbourg d’AUTRI- il s’entend avec Le Breton, nanti, vingt ans
CHE, n’est plus guére qu’un titre honorifique. plus tard, d’un nom, de titres et de quelques
La Diéte, en partageant le pouvoir impérial rentes. Desmarets, ancien répétiteur de MA-
avec l’empereur qu’elle élit, l’a rendu ineffi- THEMATIQUES, chargé dans l’équipe, en 1757;
cace et illusoire par ses divisions. Le pouvoir de visiter les fabriques de drap, poussé par
réel et souverain s’exerce au sein des trois Trudaine et Turgot, fait une belle carriére
cent cinquante Etats qui composent I’Empire, dans linspection des manufactures et finira
avec des nuances diverses. L’essor de la en 1786 par accéder 4 la direction des manu-
PRUSSE et l’expansion autrichienne, l’opposi- factures de France. Simodestesoit-il au départ,
tion des deux ALLEMAGNES, catholique et pro- le collaborateur de l’Encyclopédie, en raison
testante, allemande et cosmopolite, contri- des conditions mémes de l’accession 4 la
buent encore 4 l’éclatement de lEmpire. haute culture, est propriétaire foncier. Cela
(Pp. 177 4 180, cartes 28, pp. 174-175, 29; va de la condition modeste de Diderot qui
pp. 178-179.) posséde quelques terres 4 Langres aprés
1759, aux belles, voire émormes fortunes de
ENCLOSURES MONTESQUIEU, BUFFON, d’Holbach, QUESNAY,
Extension générale au xvuire siécle, en AN= Véron de Forbonnais, VOLTAIRE. Pierre La
GLETERRE (p. 328). Voir sur le début de ce Salette appartient au commerce, 4 la manu-
phénoméne l’index de Ja Civilisation de l’Eu- facture, a la finance, mais il est surtout « sei-
rope classique, (Plan 36, p. 329.) gneur engagiste » d’un domaine appartenant
au duc d’Orléans. La noblesse n’est pas ab-
ENCYCLOPEDIE sente, mais elle est trés minoritaire, généra-
Simple adaptation, au départ, de la Cyclo- lement de fraiche date et, de propos délibéré,
paedia or Universal dictionary of the arts and ne revendique pas ses titres. « Le nom méme
sciences d@’Ephraim Chambers (1728), l’en- des princes et des grands n’a droit de se trou-
treprise prend, sous l’impulsion de DIDEROT, ver dans l’Encyclopédie que par le bien qu’ils
grace 4 Le Breton et & MALESHERBES (p. 180), ont fait aux sciences. » (D’ALEMBERT.) Aunom-
une dimension continentale. La publication bre des exceptions donc, d’Hérouville de
s’effectue sans encombre de 1751 (le Prospec- Claye (comte), d’Holbach (baron), JAUCOURT
tus est d’octobre 1750) 4 1759. L’entreprise est (chevalier), Montesquieu (baron), Tressan
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ou il est fété par la Cour. Il meurt 4 Vienne, Pinfluence des modéles fran¢ais (par exemple
pendant l’occupation francaise. Un des maitres au Belvédére). Sa marque : l’escalier colossal
au XvIIIe siécle de l’ars nova, musique instru- (ill. 159), aux voutes portées par des piliers
mentale et du spectacle, qui l’emporte désor- en forme d’atlantes, autour duquel s’ordonne
mais sur la traditionnelle polyphonie religieuse. le palais, tels le Belvédére (ill. 185), le palais
(P. 425.) Mirabell de Salzbourg, le palais Kinsky a
Vienne. (P. 376.)
HERCULANUM et POMPEI
Sur influence des fouilles, sur l’évolution de HISTOIRE
Part européen (pp. 493-494). Comprendre le mot dans son acception la
plus générale : il s’agit de l’insertion du TEMPS
HERE, Emmanuel au XVIII® siécle dans l’analyse mécaniste des
Nancy, 1705-1763. Architecte de Stanislas phénoménes. Apparition éclatante et lon-
Leczinski. L’ensemble constitué par la place guement préparée de histoire, élargie dans
Stanislas et la place de la Carriére 4 Nancy, Vespace (voir l’apport des JESUITES [p. 276] et
qui amorcait la restructuration de la ville en autres voyageurs) et dans le temps (voir les dé-
direction des faubourgs en extension, est veloppements de l’érudition mauriste [p.282],
une des belles réussites de l?URBANISME au de la PHILOLOGIE, del’herméneutique[p. 280]),
siecle des Lumiéres. (P. 449.) élargie enfin chez MONTESQUIEU et VOLTAIRE
aux mceurs et aux lois. Apparition plus timide,
HERPIN, Jacques plus troublante, du temps comme nouvelle
?-1748. Décorateur des grands appartements dimension du monde, a cété de l’espace, et
de I’hétel de Soubise, il participe plus tard a pour commencer comme nouvelle dimension
la décoration intérieure de Versailles et de de la géologie : voir les « visionnaires » Maillet
Marly. Contemporain de BOFFRAND qu'il et KIRCHER (pp. 268, 272) et essentiellement
n’égale pas. (P. 435.) le BUFFON, infiniment plus solide et sérieux,
des Epogues de la nature (pp. 272-273). Il est
HERSCHEL, William encore trop t6ét pour une histoire de la vie:
1738-1822. Astronome anglais d’origine hano- Pévolution selon Buffon et Maupertuis reste
vrienne. Type du savant amateur suscité par la modification en surface d’un fixisme fonda-
la diffusion des connaissances au XVIII® sié¢- mental, ce n’est qu’avec Lamarck, au tournant
cle. Musicien et chef d’orchestre, passionné du siécle, qu’elle se lira dans les structures
d’ASTRONOMIE, il se voue a la construction méme du vivant.
de TELESCOPES et & l’exploration systématique
du ciel (ill. 97, 102). Découvre le 13 mars 1781 HOGARTH, William
la planéte Uranus, qu’il prend d’abord pour 1697-1764. On I’a souvent comparé & GREUZE
une cométe. Observe la Voie lactée et les qu’il aurait contribué 4 orienter vers la
nébuleuses a l’aide de télescopes géants. Son peinture moralisante (Greuze, venant de
plus grand réflecteur atteindra 122 cm (soit Lyon, arrive & PARIS en 1743, Vannée ow
la taille du télescope Schmidt du mont Hogarth découvre CHARDIN a Paris), mais sa
Palomar). Emet l’hypothése de I’état fluide palette crue, sa verve satirique, son dessin
des nébuleuses qu’il distingue des groupes puissamment caricatural donnent 4a ses
d’étoiles du syst¢me solaire. (Pp. 253, 265, célébres suites de tableaux, les Harlot’s
all. 88.) progress (tll. 139) et Rake’s progress (ill. 49)
ou son Martage ad la mode une dimension
HILDEBRANDT quasi épique (on se souviendra de cet auto-
1668-1745. Contemporain et rival de FISCHER portrait ou figurent sur la table proche les
VON ERLACH, a Vienne. Eléve de Fontana et trois volumes révélateurs des ceuvres de
de Borromini qui lui inspire )’immense cou- Shakespeare, Milton et Swift). Fils d’un
pole ovale de Saint-Pierre de VIENNE. Moins trés modeste artisan, promu grand peintre
composite que celle de Fischer, son ARCHI- national, Hogarth ne s’est jamais mieux
TECTURE baroque se tempére parfois sous dépeint peut-étre que dans le portrait de cet
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INDEX DOCUMENTAIRE
autre pionnier, de cet autre modeste promu de de Fontainebleau. Son extréme souci de la
la grande ANGLETERRE laborieuse, puritaine vérité dans la représentation des corps, dans
et conquérante : le capitaine Thomas Coram. Pexpression des visages, sa technique parfaite
C’est ici l’envers de la satire et cette image de du modelé donnent 4 ses sculptures une
salut, ce portrait si cher au peintre, fait enfin étonnante intensité de vie. Parmi ses ceuvres :
et a elle seule contrepoids 4 toute une ceuvre le Saint Bruno colossal de Santa Maria degli
vouée, ne disons pas 4 la satire, mais 4 Angeli, inspiré de l’Ecorché, la Diane (acquise
Pexorcisme (ill. 54, 117). (Pp. 479-480, par CATHERINE II), l’Apollon de la collection
ill, 128, 129, 196.) Gulbenkian, le Voltaire assis de la Comédie-
Frangaise, les bustes de ROUSSEAU, BUFFON,
HOLLANDE FRANKLIN, etc., celui de M™& Houdon (Louvre)
A Porigine, Pune des sept provinces des et de remarquables natures mortes. (P. 452.)
PAYS-BAS du Nord, qui s’étaient libérées de
la domination espagnole (Union d’Utrecht, HUME, David
1579). Par extension, l’ensemble des PRO- 1711-1776. Chef de file de l’école écossaise
VINCES-UNIES. (P. 49, carte 39, p. 336, ill. 23, de psychologie (Stuart Mill, Bain, etc.).
IT9.) Reprenant l’idée fondamentale de LOCKE sur
la formation de l’esprit (entendement) par
HONGRIE Vexpérience, il la compléte par la théorie de
Reconquise sur les Turcs (pp. §1-§2) grace Passociation, sorte d’attraction qui organi-
aux victoires de Jean Sobieski (KAHLENBERG) serait la connaissance a partir d’éléments
et du Prince EUGENE (ZENTA, 1797). Une simples et isolés, d’ou le nom d’atomisme
des zones pionniéres des « frontitres » de psychologique donné parfois a cette doctrine.
Europe des Lumiéres. Le taux de croissance (P. 308, ill. 90.)
démographique le plus élevé du xvull® siécle
(p. 62). (P. 48.)
HOOKE, Robert
1635-1703. Contemporain de NEWTON, avec IMPRIMERIE
lequel il entretient une vive polémique au Peu de progrés techniques avant la presse en
sujet de la nature de la lumiére. Publie dés FER de lord Stanhope (1800), mais une multi-
1665 des observations faites au MICROSCOPE plication des imprimeurs et des publications
(Micrographia) dont Vintérét considérable en rapport avec la révolution démographique
favorisera le perfectionnement deécisif de et l’augmentation massive des lisants (pp. 247-
Pinstrument (i/l. 106). (P. 261.) 248). L’essor de la bibliophilie (Lavalliére,
Harley, von Biinau) incite imprimeurs et re-
HOUDON, Jean-Antoine lieurs 4 soigner le décor des LIVRES (vignettes,
1741-1824. Eléve du sculpteur Michel- décors aux fers, etc.), tandis que l’effort de
Ange SLODTZ a travers lequel il subit d’abord vulgarisation augmente le nombre et les tirages
Pinfluence du Bernin : il en gardera le goit des collections 4 bon marché. La fonderie
et le sens d’une animation que PIGALLE lui voit naitre de nouveaux caracttres avec la
enseignera 4 maintenir harmonieuse. Grand réaction classique de la seconde moitié du
prix de sculpture en 1661. Passe quatre ans a siécle : DIDOT en France, Bodoni en Italie,
Rome ou il s’intéresse plus aux lecons d’ana- Baskerville et Caslon en Angleterre.
tomie des amphithéatres médicaux qu’ celles
des théoriciens du NEO-CLASSICISME. Son art INDES
réaliste et sensible échappe 4 la froideur de Indes occidentales, on dira bientét l’AME-
l’académisme et apparait souvent plus proche RIQUE. Indes orientales, empire décadent du
de celui de la Renaissance que de l’Antiquité Grand Mogol. Aux conflits anglo-espagnols
romaine ou grecque. G. Bazin a fortement ou anglo-hollandais succéde la rivalité fran-
rapproché « le nu lisse et élégant » de sa co-anglaise : au Canada (p. 88), dans l’Inde
Diane (1776) des modéles frangais de l’école (p. 89). (Carte 9, pp. 84-85.)
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sions, Natural and Political upon the State teur enfin que Phyllis Deane et W. A. Cole,
and Condition of England (1696), qui marquent en téte de leur monumental British Economic
un tournant fondamental, on serait presque Growth, 1688-1959, en 1964, puissent
tenté d’écrire l’acte de naissance d’une science partir du tableau du revenu social de ’Angle-
humaine. Intimement mélé 4 la vie politique terre et du pays de Galles, dressé pour 1688
de l’ANGLETERRE, au lendemain de la Glorious par King}? Il ne serait pas juste cependant
Revolution, il est lauteur aussi d’ouvrages d’isoler King de ses contemporains et de
polémiques. Il arrive en effet que King soit Tavance globale de Jl’Angleterre dans le
emporté par la passion. Emmanuel Le Roy domaine de la statistique sociale. L’Angle-
Ladurie l’a souligné dans un article au titre terre, en 1694-1695, a tenté le premier
révélateur : « les Comptes fantastiques de véritable recensement sur une grande
Gregory King ». Quand on lit par exemple échelle, cette véritable révolution mentale,
dans sa Political Arithmetic que « les peuples cette premiére mathématisation du social
et les territoires du roi d’Angleterre sont des glorieuses années 1695-1696 préparée
naturellement presque aussi considérables que en Angleterre par la génération de la Restau-
ceux de la France, quant a la richesse et quant ration. « Du coup, on vit naitre, écrit Marcel
a la force », on comprend que Louis XIV Reinhard, la race des arithméticiens poli-
en ait été offensé. Dans un autre ouvrage écrit tiques. » En 1662, John Graunt avait ouvert
pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, la voie avec ses Observations naturelles et
en 1696, An estimate of the comparative politiques sur les bulletins de mortalité.
strength of Great Britain and France, il admet- D. V. G. Glass n’hésite pas a écrire }: «la dé-
tait que le revenu de la FRANCE fit double de mographie comme champ de recherche prend
celui de l’Angleterre, mais encourageait son naissance en 1662 avec la publication des
pays 4 poursuivre la lutte en tentant de prouver Observations de John Graunt». Coup sur coup,
(par la statistique, jeune science britannique) en 1683 et en 1687, William Petty donnait
que « la guerre de la Ligue d’Augsbourg ses Observations sur les bulletins de mortalité
était plus nuisible 4 la France qu’elle ne de Dublin et ses Essats d’arithmétique politique.
Pétait 4 l’Angleterre et 4 la Hollande » : « de Charles Davenant s’inscrit dans le prolonge-
1688 & 1695, écrivait-il, l’Angleterre a perdu ment de Graunt et Petty avec ses publications
50 000 habitants, la France 500000 et la de 1695 et 1699, sur ce qu’il faut bien appeler
Hollande en a gagné 40 ooo. L’Angleterre a PECONOMIE britannique. Le prérecensement
perdu un million de revenu, et la France, de 1694-1695 est lié aux nécessités de l’Econo-
dix millions, mais la Hollande est augmentée mie de guerre, 4 la fructueuse recherche d’un
d@’un million », Ce pére de la science sociale systéme plus efficace d’impéts. Roger Mols
est le pére d’une science engagée dans la poli- écrit : « Peu aprés la suppression des Hearth
tique. Et pourtant, E. Le Roy Ladurie a Taxes en 1689, le premier relevé concernant
bien raison de noter : « Le caractére hypo- Phistoire de la population — si I’on ne tient
thétique de ces conclusions ne diminue pas pas compte de la Poll Tax de 1692 — fut
Pintérét des travaux de King. » Bien au celui entrepris en vertu de l’Act of Indemnity
contraire ; son analyse statistique des effets de de 1694. Sous les apparences d’une Poll Tax
la guerre sur une économie du xvi® siécle habituelle, cette mesure visait en réalité un
demeure un modéle de pénétration intellec- but plus démographique que fiscal. » Relevé
tuelle. M. O. Piquet Marchal le montre fort nominatif, pointages minutieux de maison
bien, qui traduit les calculs de King dans le en maison (« Gregory King intervient lui-
langage contemporain de la comptabilité méme dans le relevé 4 Harefield [Middlesex]
nationale. Sans nul doute, King combat et a Lichfield [Staff.] »). Tout est désormais
d’avance les historiens qui sous-estimeront en place. Autre mesure symptomatique de
Pinfluence de la guerre... La guerre, comme 1695, prise sans doute 4 l’instigation de Gre-
il le suggére par ses chiffres, « restreint gory King, l’obligation faite aux dissidents de
Pépargne nationale, publique et privée, freine déclarer leurs actes aux vicars, fonctionnant,
les investissements et compromet |’expansion en quelque sorte, comme officiers d’état
a long terme du pays ». N’est-il pas révéla- civil. La création de la Banque d’Angleterre se
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INDEX DOCUMENTAIRE
situe dans cette foulée prodigieuse de l’Angle- PARIS, a la requéte de Louis XVI. Nommé
terre mutante des Lumiéres. Tout était en sénateur et comte par Napoléon. Auteur d’une
place et pourtant le vrai recensement total, en Mécanique analytique (1788), d’une Théorie
Angleterre comme en France, devra attendre des fonctions analytiques (1797) et de nombreux
plus d’un siécle encore, 1801. « Il semble, ouvrages originaux. (P. 264.)
conclut Mols, que le résultat ne répondait
pas aux espoirs. Le fait est que l’adminis- LA HIRE, Philippe de
tration ne réitére plus cet essai et que les 1640-1718. Géométre et astronome, fils du
histoires de la population du xvu® siécle peintre Laurent de La Hire (1606-1656),
préférent avoir recours aux données courantes continuateur de Descartes dans sa Nouvelle
comme moyen de déterminer la population Méthode de géométrie pour les sections des
globale. » (P. 100.) superficies coniques et cylindriques (1672).
Professeur au Collége de France et collabo-
KIRCHER, Athanasius rateur de Picard 4 l’OBSERVATOIRE de Paris.
1602-1680. JESUITE allemand, voyageur et (P. 234.)
collectionneur, auteur d’un traité visionnaire
du monde souterrain, Mundus subterraneus LAMY, Bernard
(1664). Il semble que sa curiosité ait été 1640-1715. Professeur et érudit, membre de la
éveillée par une éruption du Vésuve 4 laquelle Congrégation de 1l’Oratoire. Exilé d’Angers
il avait assisté en 1638. Derriére l’imagerie et ou il enseignait, en raison de son cartésia-
imagination encore naives, une idée d’ave- nisme. (P. 232.)
nir : celle que la Terre a une histoire décelable
par Pobservation de la nature. (P. 225.) LANCRET
1690-1743. Un des petits maitres disciples de
KOEPRILI WATTEAU, auquel il emprunte ses thémes
Nom d’une dynastie de grands vizirs, origi- champétres et galants. Son chef-d’ceuvre :
naire d’Albanie (VOLTAIRE écrit, dans 1’Essaz, «la délicieuse esquisse du'Déjeuner'au jambon}»
Cuprogli). Le redressement turc amorcé (ill. 140) (PR. Jamot). Ajoutons encore la
par Ahmed Koeprili en 1656 (reprise de Legon de musique, la Conversation galante...
Candie sur Venise en 1669) fut définitivement (Pp. 466-467, il. 72, 191.)
compromis aprés l’échec de Kara-Mustapha
Koeprili devant VIENNE et la défaite turque du LANGUES
KAHLENBERG (1683). (Pp. 51-52.) Recul du latin au profit du francais, devenu
langue de culture universelle (p. 203), mais aussi
au profit des langues nationales (pp. 143 4 145)
L dont l’usage se développe 4 tous les niveaux.
D’ot la nécessité et le nombre croissant des
LA ENSENADA traductions, l’apprentissage plus fréquent des
Homme d’Etat espagnol, inspirateur du grand langues étrangéres (exemple de VOLTAIRE,
cadastre qui couvre la majeure partie du BUFFON, etc.).
territoire espagnol au milieu du xXvIII® siécle.
Source fabuleuse pour Vhistoire quantita- LA PEROUSE
tive, en cours d’exploitation systématique, 1741-1788. Jean-Francois de Galaup, comte
grace a l’école historique francaise (travail en de La Pérouse. Eléve de l’Ecole de marine, se
cours de M. Amalric). (P. 210.) distingue comme officier lors de la guerre
d’Indépendance américaine. L’expédition
LAGRANGE, Joseph-Louis scientifique dont il prend la téte en 1785
1736-1813. Sans doute le plus grand génie s’insére dans la série dense des explorations
MATHEMATIQUE du siécle avec EULER. Origi- du Pacifique (1770-1788), facilitées par le
naire de Turin, succéde 4 Euler a l’Académie CHRONOMETRE (carte II, p. 91). Avec COOK
des sciences de BERLIN (1766) ow il séjourne (et BOUGAINVILLE) achéve d’étre mise au point
jusqu’a la mort de FREDERIC Il. Se fixe alors a la technique préparatoire des expéditions a
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LA CIVILISATION DE L’>EUROPE DES LUMIERES
but scientifique. Bateaux-laboratoires dotés de témoigne des besoins finsatisfaits par le rac-
salle de cartes, de bibliothéque, d’instruments courcissement eschatologique des Lumiéres.
d’observation. Equipages spécialisés (autour (P. 317.)
de La Pérouse : Louis MONGE, Lamann, La
Martiniére, Lesseps, etc.). La Pérouse parti de LAVOISIER, Antoine-Laurent
Brest relévera les cétes nord du Pacifique : de 1743-1794. Ce grand administrateur, ce grand
Monterey au mont Saint-Elie (Amérique), puis savant est un des esprits les plus vastes et les
de Manille au Kamchatka (Asie). Jetés par plus brillants du second xvuiI® siécle. Issu d’une
la tempéte sur des bancs de corail la Boussole riche famille de robins, il recoit une éducation
et LAstrolabe de La Pérouse sont perdus soignée au collége des Quatre-Nations, au
corps et biens aprés trente mois de navigation, JARDIN DU ROI, au cours de chimie de Rouelle.
au voisinage de Vanikoro, dans les Hébrides. Entre presque au méme moment a l’Académie
Epaves retrouvées en 1829 par Dumont des sciences et a la Ferme générale (1768).
d@’Urville. (P. 92, ill. 26.) Nommé en 1776 régisseur des Poudres et
Salpétres a l’Arsenal. Il est lié avec Turgot
LAPLACE et Necker, participe a leurs efforts de rénova-
1744-1817. Pierre Simon, marquis de Laplace. tion économique. Mais son grand ceuvre est
Mathématicien et astronome. Membre de d’un autre ordre : il crée la science de la
l’Académie des sciences en 1795. Auteur de CHIMIE. Adversaire de la phlogistique, il
Mémoires relatifs au calcul des probabilités consacre dix années a l’étude de Voxygéne
et Aa ses applications. Son ceuvre, aboutisse- isolé par PRIESTLEY (1774), de ses propriétés
ment de celle du xvil® siécle, résume la et de son réle dans la respiration. Développe
science de son temps. (P. 264, ill. 104.) a partir de l’expérience un ensemble théorique
dont le principe se rattache a la mécanique
LARGILLIERE corpusculaire de NEWTON. Ses théories s’ex-
Nicolas de Largillitre, 1656-1746. Etudes a primeront dans sa classification nouvelle des
ANVERS et 4 LONDRES (auprés de Peter Lely). corps chimiques, inspirée de la nomenclature
Un des portraitistes du premier xvimre siécle, linnéenne et fondée sur l’analyse quantita-
excellent coloriste. Portrait du peintre, de sa tive substituée au qualitativisme alchimique.
femme et de sa fille. (Pp. 462-463.) D’abord vivement contestées, ses théories
s’imposeront aprés sa fameuse expérience
LA TOUR publique sur la composition de l’eau, le
Maurice Quentin de La Tour, 1704-1788. 7 mars 1785, et seront dés lors enseignées
Peintre de pastels (ill. 173, 174), dessinateur grace a son Traité élémentaire de chimie.
plus encore que peintre. Nul n’a su mieux Arrété en novembre 1793 avec les fermiers
que lui saisir sur un visage les jeux de la généraux, il est guillotiné le 8 mai 1794.
lumiére et de lesprit. (P. 468, ill. 40.) (P2675 sll ez oon)
572
INDEX DOCUMENTAIRE
dans les nombreuses démarches qu’il fait, suivies de la trés irréaliste déflation de 1713-
a Turin d’abord, puis 4 PARIS, en vue de la 1715, la livre tournois passant de 6,93 g
création d’une banque d’émission. Law est (30 livres de marc) d’argent 4 5,31 g (42 livres
Phomme d’une conjoncture difficile. Au début de marc), puis remontant a 6,93 g pour s’ef-
du xvi siécle, les prix-argent sont 4 peu fondrer par paliers successifs 4 3 g en 1717,
prés partout 4 40 ou 50 p. 100 du_ niveau avant la stabilisation du duc de Bourbon qui
atteint au début du xvii®. Méme les prix Pétablit définitivement 4 5 g d’argent (métal
nominaux sont orientés vers la baisse. A monétaire 4,5 g de fin). L’avantage de la
partir de 1605-1610 ici (Méditerranée), tefonte, c’est qu’elle permet une émission
1630-1635, 1630-1650 ici et la (Europe de papier monnaie, sous la forme la plus
médiane et Europe de l’Est), « pendant 70 contestable des billets de monnaie. Expédient
a 80 ans, on n/’assistera plus désormais qu’a en 1701, les billets deviennent une constante
des hausses de courte durée, sortes de fiévres a partir de 1704. Peu aprés la refonte de 1704,
cycliques résorbées assez vite [...] » (E. La- le volume s’éléve 4 7 millions, puis, au rythme
brousse). Les ajustements monétaires qui sont dune émission de 4 4 8 millions par mois,
commandés par l’insuffisance de la production on atteint 100 millions en janvier 1706, 140 en
des métaux précieux et par les besoins aout, 180 en avril 1707. Pour maintenir la
croissants de l’Etat tendent a pallier une valeur de cette monnaie fiduciaire, on avait
partie des effets de la dépression des prix, a eu recours d’abord a l’expédient d’un intérét
savoir l’accroissement de la rente, le recul du qui fut supprimé en 1706. Le roi avait da
profit, augmentation du cofit du capital. recourir au cours forcé, accepter le paiement
Mais ces palliatifs sont tout a fait insuffisants. partiel seulement (ce qui était contradictoire)
Le marasme atteint le continent et le secteur de limpét en billets. Les billets perdirent
agricole le plus profondément, l’ANGLETERRE rapidement 80 p. 100 de leur valeur sur les
et les puissances maritimes sont, dans |’en- marchés extérieurs, et 4 l’intérieur méme,
semble, moins touchées et aussi mieux armées quoique beaucoup plus lIentement, jusqu’a
pour se défendre. La FRANCE est durement 62 p. 100 en 1710. Des édits de 1710-1712
atteinte en raison du poids du secteur agri- convertissent les billets en rente, accroissant
cole (moindre que dans |’Europe de I’Est, mais du méme coup la charge pesant sur les rentes
supérieur 4 ce qu’il est en Angleterre ou en de l’Etat. Pour bien comprendre I’offre du
HOLLANDE), en raison de la densité spécifique systeme de Law, tenir compte d’abord de ces
de l’Etat au terme d’une guerre qui a opposé deux conditions : un assez large recours
le royaume, pendant prés de trente ans pendant la guerre de Succession 4 un papier
(1689-1697 et 1701-1714), 4 ’Europe coalisée. monnaie, le poids effroyable de la dette
Les dépenses de l’Etat en valeur nominale publique. Face 4 cette situation, Law a un
avaient doublé de 1689 4 1697. Elles doublé- programme que |’on peut reconstituer et qui
rent une deuxiéme fois de 1701 4 1714 ou s’applique plus particuli¢rement 4 la FRANCE:
les seules charges militaires viennent 4 tripler. relever le crédit de Etat a l’aide d’une
« Les dépenses publiques qui se situaient institution publique de crédit en s’inspirant
autour de 120 4 150 millions en 1700-1701 de la Banque d’Angleterre fondée en 1691
montérent jusqu’aé 264 millions en 1711 pour ou de exemple suédois. Bienfait attendu :
se tenir encore au-dela de 200 millions fin de la pénurie monétaire (politique Desma-
jusqu’en 1714. » La création en 1694-1695 de rets) grace 4 un papier solide, résorption et
la capitation assura au maximum une rentrée consolidation de la dette publique. Avec les
de 20 4 22 millions en partie absorbée par le moyens monétaires et les ressources de
recul, di a Ja misére, des impdéts indirects. PEtat ainsi dégagées, politique de développe-
L’accroissement des dépenses ne peut étre ment 4 l’intérieur et 4 l’extérieur, ROUTES et
couvert que par un ensemble d’expédients grand commerce colonial. Le systtme de
plus ou moins dommageables 4 l’ECONOMIE et Law apparait comme l’agencement ingénieux
les recours a l’emprunt. Une série de refontes et original de recettes et de solutions déja
des espéces monétaires (la premitre date de éprouvées. Il repose sur Vhypothése d’un
1707) permet toute une série de dévaluations sous-emploi de Yappareil de production
573
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
574
INDEX DOCUMENTAIRE
Pinflation (larrét du 31 juillet améne la livre Law, Bruxelles, 1952; Herbert Luthy, Ja
brusquement de 30 4 120 au marc) ne par- Banque protestante en France, 2 vol., SEVPEN,
vient pas a stopper durablement le décri du Paris, 1959-1961.)
billet. Les décrets du 10 octobre et du 26 dé-
cembre 1720 marquent l’acte de décés du LEEUWENHOEK, Antony Van
billet et de la banque. Le vieux personnel des 1632-1723. Exemple illustre d’expérimenta-
financiers de la fin du régne de Louis XIV teur en avance sur la science. Une grande
a repris depuis octobre 1720 les avenues du part des révélations sur le monde des infini-
pouvoir, les Paris, Samuel Bernard, Crozat ment petits (infusoires, globules rouges du
évincés par Law qui guitte la France ruiné, sang, spermatozoides [p. 259, dessin 33, p. 260])
et mourra en exil en 1729. Le bilan du resteront au stade de « curiosités », sans portée
systeme reste difficile 4 faire. Comment se scientifique immédiate, faute d’étre éclairées,
dégager de limage littéraire de la spéculation chez cet autodidacte, par un génie théorique.
débordante ? Elle conserve une part, mais une (P. 254, ill. 103.)
part seulement, de la réalité : les bousculades
de la rue Quincampoix, l’agiotage qui gagne LEGENDRE, Adrien Mario
tous les milieux, les ascensions brutales et 1752-1833. Géométre frangais, auteur d’études
les ruines spectaculaires. Elles ont choqué remarquables sur la théorie des nombres.
profondément une société qui reste trés (P. 264.)
attachée 4 la notion d’ordre et de statut, ot
la mobilité sociale ne se con¢oit qu’au rythme LEIBNIZ
lent de plusieurs générations. Un élan a été
Voir Vindex de la Civilisation de Il’Europe
classique. QZuvre philosophique et scienti-
donné 4 la colonisation de la Louisiane,
fique (p. 192). (Ill. 93.)
malheureusement, faute de durée, sans grand
lendemain. Médecine de cheval, le systéme
Coinventeur avec Newton du calcul} infinité-
simal (pp. 257-258).
et sa liquidation ont contribué 4 une premiére
simplification fiscale, 4 une relance des affaires, LESSING, Karl Gottheld Ephraim
aux conditions préalables 4 la stabilisation 1729-1781. Auteur dramatique (Minna von
monétaire remarquablement réussie en 1726 Barnhelm, Nathan le Sage) et critique théa-
par le duc de Bourbon. La dette sort allégée, tral (Dramaturgie de Hambourg), Lessing
au détriment, bien sir, d’un certain nombre s’est intéressé, comme Leibniz, dont il se
de débiteurs ruinés de 1’Etat. II est difficile de voulait le disciple, 4 tous les problémes
mesurer, par contre, les dégats psycholo- « philosophiques » de son temps. Son ratio-
giques. Le systeme de Law appliqué sans nalisme religieux parait avoir évolué, dans ses
ménagement 4 une société dans ensemble derniéres années, en partie sous 1’influence
mal préparée, pour avoir voulu briler les de la connaissance de la pensée religieuse
étapes aura compromis pour longtemps le hindoue, vers un nouvel avatar du SPINO-
crédit et le papier monnaie, conditions pourtant ZISME, Deus sive Natura. Plus qu’un homme
de progrés, dans une fraction importante dela des Lumiéres, il est un représentant de ce
société francaise. Négative a4 trés court terme, néo-humanisme qui apparait en ALLEMAGNE
positive 4 moyen terme, application sans — avant un classicisme et un romantisme
ménagement au modeéle francais des idées du presque synchroniques — comme une sorte
génial Ecossais aura été vraisemblablement de bréve Renaissance aprés la Réforme.
dommageable 4 long terme. @. 317.)
(BIBL. : Etude de Paul Harsin in Histoire
économique et sociale de laFrance de Labrousse, LINNE
Léon, Goubert, t. II, P. U. F., 1970 5 John 1707-1778. Carl von Linné. Naturaliste
Law, CGiuvres, édition Paul Harsin, 3 vol., suédois, auteur d’une classification des.
Louvain-Paris, 1934; Paul Harsin, Contribution plantes fondée non plus sur la disposition
a Pétude du systéme de Law, Paris, 19273 des corolles (Tournefort) mais sur celle des
Crédit public et banque d’Etat en France, organes reproducteurs des fleurs. Sa facon
Louvain-Paris, 1933 3 Ja Modernité de ohn de désigner les plantes par un substantif et
5a
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
un adjectif (ex. : Rosa Gallica) indiquant 1670-1680 que Londres a pour longtemps
Pun le genre, l’autre l’espéce, a été conservée rattrapé PARIS. Elle a joué, tant dans la
jusqu’a nos jours. Son Systéme de la nature, croissance de l’KCONOMIE britannique que dans
critiqué par BUFFON, fut adopté par la majeure le développement du grand commerce colo-
partie des naturalistes. (Pp. 271-272, ill. ror.) nial, un réle capital a partir du milieu du
XVII siécle. Le décollage de Londres se situe,
LISBONNE en fait, au début du xvii® siécle, bien avant le
Elle émeut par ses malheurs : la PESTE de grand incendie de septembre 1666 qui déblaie
1723 et le trés philosophique tremblement le terrain pour une grande ceuvre d’URBA-
de terre de 1755. Mauvais coup porté aux NISME. Jacques I" en avait eu parfaite cons-
efforts de POMBAL. Lisbonne, qui avait dépassé cience, 4 qui l’on préte la prophétie : « Bientdét
100 000 habitants (130 000 sans doute) 4 Londres sera toute l’Angleterre. » En 1600,
la fin du xvié siécle, avait cédé comme Séville Londres, avec 200000 habitants, vient en
4 la conjoncture maussade du xviié siécle. Elle troisiéme position, loin derriére Paris (400 000
n’a plus guére que 70 000 a 75 000 habitants environ) et Naples (280 000). L’évaluation de
sur Vhorizon 1680-1690 des lLumiéres. N. G. Brett James, 250000 en 1603, est
Malgré les ponctions subies (on a attribué vraisemblablement un peu généreuse. Elle
jusqu’a 80 000 victimes au désastre de 1755), aurait atteint 320 000 en 1625 et 460 000 en
elle obéit a la régle du doublement séculaire 1660. A la fin du xvire siécle, avec plus de
avec 180000 habitants dans les derniéres 500 000, Londres a sensiblement dépassé
années du xvulI°¢ siécle. Elle est alors trés loin Paris (un peu moins du demi-million). Sir
derriére Naples (426 000), un peu devant William Petty, le célébre arithméticien poli-
MADRID et ROME (160000-165 000), Palerme tique, lui attribue 670 000 habitants en 1682,
(138 000), Milan, Venise (135 000), Mar- c’est trop. Le calcul de Gregory KING, beau-
seille et Barcelone (100 000), la deuxiéme ville coup plus stir d’aprés le nombre de foyers,
de l’Europe « méditerranéenne ». Lisbonne est mais sans doute un peu trop timide, donne
favorisée par son site. L’estuaire du Tage a §27 000 en 1695. Contre les estimations trop
5 ou 6 km de large en aval, 2 km encore en généreuses de Mrs. M. D. George, E. A.
amont, la ville est construite sur un amphi- Wrigley adopte 575 000 en 1700, 675 000 en
théAtre naturel percé de collines, qui domine I750 et 900 000 en 1800. Le recensement de
la baie d’environ 100 métres. Un espace 1801 donne 745 000 seulement, mais pour un
urbain brillant, donc, mais difficile. Sa recons- territoire qui me recouvre pas l’ensemble de
truction a été exemplaire (plan 49, p. 443). Pagglomération. Paris n’occupe plus qu’une
Elle fait de Lisbonne, avec SAINT-PETERS- lointaine deuxiéme place avec 550000.
BOURG, la masse architecturale la plus origi- Premier trait original, la part insolite occupée
nale du XVIII siécle. (Pp. 442, 450.) par Londres dans l’ensemble de la population
LIVRE de ANGLETERRE (carte I5, p. 122). Paris de
Instrument essentiel au XVIII® siécle de la diffu- 1650 4 1800 ne dépasse jamais 2,5 p. 100 de la
sion des connaissances (pp. 243, 247). Voir aussi population du royaume. AMSTERDAM, certes, a
IMPRIMERIE. (Graph. 32, p. 241, ill. 58, 95.) pu osciller entre 8 et 9 p. 100 de l’ensemble
des PROVINCES-UNIES ; Londres, qui atteignait
LOCKE, John déja 7 p. roo de l’Angleterre en 1650, s’éléve
1632-1704. Voir sa biographie dans l’index de a II p. 100 en 1750 et 4 9,5 et IO p. 100
la Civilisation de l’Europe classique. (Ill. 89.) encore en 1800. Ce poids insolite de la ville de
Sur les origines politiques de sa philosophie Londres est loin d’avoir un effet bénéfique
(pp. 189 a I91). sur la croissance d’ensemble de la population
Sur lEssai (€me et matiére) (p. 301). britannique. Londres, particulitrement pen-
Sur son influence (VOLTAIRE) (pp. 301 4 306). dant la gin drinking mania (p. 115, ill. 54) des
années 1725-1730, est un vaste mouroir,
LONDRES mais de 1650 4 1750, la population de Londres
La premiere ville, et de loin, de Europe des s’est accrue de 275 000 Ames. L’excédent des
Lumieres. C’est aux alentours des années décés sur les naissances pouvant étre évalué au
576
INDEX DOCU MENTAIRE
moins a I0 p. I 000 par an, c’est donc un solde @conomicus des économistes libéraux du début
migratoire net de 8 ooo par an sur un siécle du xIx® siécle. Ajoutez a cela que Londres a
quwil faut supposer 4 Londres, pour assurer des niveaux d’ALPHABETISATION, et partant
un croit annuel de 2 750 habitants par an. Ce de lecture utile, beaucoup plus élevés que
solde migratoire est, pour l’essentiel, le fait ceux du reste du royaume. En 1838-1839, par
de jeunes gens, la relative mobilité de la exemple, 88 p. 100 des hommes et 76 p. 100
population avant le mariage contrastant avec des femmes signent les registres au moment
Vextréme stabilité une fois le foyer fondé. du mariage, contre 67 et 5I p. 100 pour les
Un rapide calcul permet d’établir que Londres moyennes nationales. Cela signifie, compte
a absorbé, épongé et dilapidé 50 p. 100 au tenu du solde migratoire, que les enfants
moins du croit naturel de l’Angleterre de élevés a Londres sont, depuis la fin du
1650 a 1750. On peut déduire de méme des XVIII®, alphabétisés pratiquement 4 100 p. 100.
taux comparés des naissances et des décés a Performance réalisée depuis 1750, il est vrai,
Londres et dans le reste de ]’Angleterre (v. E. sur le continent par bon nombre de villages
A. Wrigley, Past and Present, 1967, n° 37, normands. Le « zoning » socioprofessionnel
Pp. 49) qu’un sixiéme de la population adulte reste jusqu’a la fin du xviII® nettement pré-
du royaume Angleterre-pays de Galles vit a industriel. Les quartiers riches sont au centre,
Londres. Un étonnant creuset ot se retrouvent la périphérie plus pauvre (l’inverse se produit
des immigrants de tous les comtés, mais aussi au XIX® et surtout au xx® siécle). Le centre de
de jeunes Ecossais, des Gallois, des Irlandais la ville est donc peuplé par ce que A. Everitt
et en outre des Hollandais, des Frangais (Past and Present, 1966, n° 33, p. 71) a proposé
(principalement huguenots) et des Allemands. d’appeler récemment la « pseudo-gentry »,
Premiére certitude, ce creuset aura contribué entendez « cette classe de familles oisives a
a désagréger rapidement coutumes, préjugés, prédominance urbaine qui, par son genre de
modes de vie, de penser et de sentir de l|’An- vie, est communément assimilée a la gentry,
gleterre rurale traditionnelle. Comme une bien que leur revenu ne découle pas pour
partie des immigrants sont des résidents Vessentiel de la propriété du sol ». La présence
temporaires, Londres fagonne ainsi par choc d’une fraction trés importante du sommet de
en retour l’ensemble du royaume. Paris la classe dirigeante entraine une concentra-
joue sensiblement le méme rdéle en FRANCE, tion importante des revenus, donc du pou-
mais a une échelle beaucoup plus restreinte; voir d’achat, 4 Londres. I] n’est pas irration-
le rapport est en gros de quatre ou cing a nel de supposer que Londres a concentré, au
un. E. A. Wrigley observe que le brassage milieu du xvuiIe, entre le quart et le tiers du
urbain, suivant le modéle de Max Weber qui pouvoir d’achat de l’Angleterre. La demande
s’applique parfaitement ici, renforce les londonienne a donc contribué aux transfor-
comportements « rationnels » par opposition mations de économie britannique. La révo-
aux modes de faire « traditionnels ». Londres lution agricole est née (p. 325) des besoins
a créé, en outre, la plus importante société alimentaires du marché de Londres. Kent et
de consommateurs. Le mode de vie urbain East Anglia sont touchés vers 1650, et beau-
crée une incitation beaucoup plus grande a coup plus profondément, le Norfolk au
consommer. Sucre, tabac, thé, alcool y sont, xvii®. L’influence du marché londonien a
beaucoup plus tét quailleurs, dans IAn- agi non seulement dans le sens d’un accrois-
gleterre rurale et sur le continent, des pro- sement, mais plus encore d’une spécialisation
duits de consommation courante intégrés au de la production agricole. Entre 1650 et 1750,
niveau de vie populaire. D. C. Coleman a suivant un calcul qui apparait assez sar, la po-
donc bien observé (Econ. hist. Review, t. VIII, pulation agricole del’Angleterre est restée Apeu
1955-1956), quand il note que le genre de vie prés stable : 3 060 000 (1650), 3 150 000 (1750),
londonien contribue a faire passer la recherche compte tenu de l’accroissement de la popu-
des hauts salaires (graph. 38, p. 335) avant lation de Londres, du recul des importations
celle des loisirs. Londres fagonne, par oppo- et de l’augmentation des exportations, c’est
sition aux sages équilibres de la société un gain de productivité de 13 p. 100 qu'il
traditionnelle, la psychologie de lHomo faut supposer durant cette période. Ce gain, qui
Die),
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
4 lui seul suffirait a déclencher le take off, est fallu construire de 1667 4 1800, en un peu
pour l’essentiel imputable, depuis les comtés plus d’un siécle, ’habitat de prés d’un mil-
du marché de Londres, au pdle de transfor- lion d’hommes. Se rappeler qu’en 1700 la
mation de la grande cité. Méme action pour la population urbaine de l’Europe ne dépasse pas
production du charbon de terre. De 1650 a 748 millions. Londres, entendez 10 p. 100 de
1750, les exportations de houille du Tyneside Europe urbaine préindustrielle. Londres est
et du Wearside vers le sud en direction de née sur la rive gauche de la Tamise (ill. 19)
Londres ont doublé pour atteindre 650 000 au point de passage du fleuve jusqu’ot' remonte
tonnes par an vers 1750. On a pu calculer la marée. La Cité et Westminster a trois kilo-
Veffet d’entrainement dans tous les secteurs. métres l’un de I’autre, la cathédrale et ’hétel
Dans presque tous les domaines, Londres de ville. Au début du xvir®, la ville tient dans
pése autant que le reste de l’Angleterre. Le un rectangle qui occupe 2 kilométres au
passage du systéme domestique au factory maximum sur le fleuve. Westminster sur le
system s’est donc opéré dans l’ouest de |’An- territoire d’une ABBAYE, lieu de résidence du
gleterre pour lessentiel et paradoxalement roi et du Parlement, est un peu le Versailles
en fonction des besoins du marché lon- avant la lettre de la Cité commergante. Entre
donien et grace a des capitaux constitués les deux court le Strand bordé de maisons,
par accumulation des bénéfices réalisés sur au nom caractéristique (rivage). L’incendie
le marché de Londres. En un mot, le handicap de septembre 1666 offrait une opportunité
représenté pour ce petit pays qu’est l’Angle- unique. Mais ce que POMBAL obtient 4 LIS-
terre par la constitution de la Mégalopolis de la BONNE aprés 1755 au bénéfice des plans de
trop vaste cité de Londres aura été un facteur Manuel da Maia, Charles II ne peut l’obtenir
permanent de déséquilibre, donc de fuite en pour WREN, architecte frustré dans sa voca-
avant et de transformation, une des causes tion d’urbaniste. La reconstruction de la Cité
principales de la masse critique de transfor- 4 la fin du xv n’a pu se libérer du legs du
mation qui prépare la révolution industrielle. passé. Elle a été rapide et fonctionnelle.
On peut, entre autres avec Wrigley, attribuer I3 200 maisons détruites, 400 rues, 87 églises
a la croissance de Londres (la plus rapide dont la cathédrale, 6 chapelles, de nombreux
croissance urbaine des XVII® et XVUI® siécles monuments, méme ce qui parait debout
réunis [p. 444]) et a linitiative londonienne : est irrémédiablement perdu. C’est le cas de
la fusion des marchés régionaux en une pre- Saint-Paul (p. 389, idl. r) dont la pierre
miére ébauche de marché national, la révolu- est altérée. Deux projets ont été confrontés :
tion agricole, apparition de nouvelles sour- celui de Wren et celui d’Evelyn. Celui de Wren,
ces de matiéres premiéres, l’accroissement des alors Deputy Surveyor of his Majesty’s Works,
échanges et l’extension du marché financier, Pemporte, mais la hate et la résistance du
la. création d’un réseau plus efficace de com- corps ne permettent pas de le réaliser entiére-
munications, une croissance soutenue a un ment. Ne pas minimiser pourtant l’effort de
rythme jamais encore égalé du revenu natio- rénovation. Londres est une ville neuve,
nal. En dépit de la ponction exercée sur lé c’est sa chance, et sans rupture avec le passé,
croit naturel, le mouroir londonien a empé- donc sa force. L’ancien plan est conservé dans
ché la formation du blocage malthusien dans ses grandes lignes. La continuité voulue est
les campagnes anglaises. Londres a donc ainsi gardée au-dela du cataclysme, Londres
maintenu lAngleterre dans une situation a conservé ses racines. Cependant Wren a
favorable de « FRONTIERE » ouverte. Londres préservé 40 pieds le long du fleuve pour un
enfin a contribué dans des proportions nulle quai, Fleet Street est élargie, portée A 45 pieds
part égalées aux modifications des mentalités jusqu’a Saint-Paul. 40, 30 pieds et, pour
économiques qui commandent en profondeur beaucoup de rues, 10 pieds seulement. Le
les conditions préalables de la mutation de passé avec quelques amodiations. La
croissance. Complétement détruite en 1666, novation s’impose au niveau de l’habitat,
Londres aura été aussi le plus grand chantier dans une sorte d’urbanisme a rebours des
de construction urbaine (plan 48, p. 442) premiers plans de masse du _ continent.
antérieur a la révolution industrielle. Il a Quatre types de MAISONS, 2, 3, et 4 étages
578
INDEX DOCUMENTAIRE
suivant la largeur de la rue avec garantie de de Charles II et Golden Square (1700) suivi de
sécurité, une épaisseur minimale pour les St. James Square (début xvuie), Hannover
murs. Plusieurs maisons de Wren ont tenu Square, Berkeley Square, en passant par Gros-
jusqu’aux bombardements de 1940. « Aprés venor Square, Leicester Square, Bloomsbury
Pincendie qui a purgé la Cité, les maisons, Square, Cavendish Square... Un urbanisme
précise l Angliae Metropolis, sont infiniment sans excessive rigueur laisse 4 la Mégalopolis
plus belles, plus commodes, plus solides des Lumiéres une touche d’imprévu. Aucune
qu’avant [...] » « Les facades, de hautes et des nombreuses places qui agrémentent le
pointues qu’elles apparaissent dans la gravure damier du nouveau Londres « ne parait avoir
de Hollar (1647), sont devenues larges et comporté, méme a l’origine, un programme
plates : petits cubes de briques tracés de de constructions uniformes, sauf peut-étre
fenétres carrées géométrie rigoureuse; St. James Square ». Les fréres ADAM sont de
dédain complet non seulement des effets, bons architectes, mais John Nash, seul, est
mais de toute saillie [...] » (Lavedan.) A la doué d’un véritable génie d’urbaniste; les
Cité intégralement reconstruite aprés l’incen- grandes pensées de Nash ne prennent corps
die, le xvi1I® ne devait apporter que des trans- qu’a Vextréme fin du xvuIé¢ siécle et au début
formations de détail: Fleet Ditch comblé en du xrx®. Londres du moins, et c’est une
1737; les maisons du port de Londres détruites supériorité sur Paris, a su prendre souffle sur
en 1739, un certain nombre de portes et de grands jardins : Green Park, St. James
lenceinte rasées en 1760-1762. Mais Londres Park (ill. 147), Hyde Park... sont sans réel
s’étend désormais sur la rive sud. Southwork équivalent sur le continent.
tend a remplir la haute bande du fleuve. (BIBL. : E. A. Wrigley, « A simple model of
Deux nouveaux ponts : Westminster Bridge London’s importance in changing english
(1756) et Blackfriars Bridge (1760) débouchent society and economy-1650-1750 », Past and
sur deux grands axes, New Road et Great Present, juillet 1967, n° 37, pp. 44-70 ; N. G.
Surrey Street, qui se rencontrent sur une Brett James, The Growth of Stuart London,
grande place ronde décorée d’un obélisque Londres, 1935 ; M. D. George, London Life
et qui marque au sud Il’entrée de la ville. in the Eighteenth Century, Londres, 1930;
A fest, un quartier industriel s’accroit Pierre Lavedan, Histoire de Il’urbanisme,
lentement autour de Spitalfields, le quartier Paris, 1941.)
des huguenots. Comme toutes les grandes
capitales au xvi1I®°, Londres pousse 4a l’ouest. LONGHI
Tout avait commencé, au milieu du XvIr°, Pietro Falca, dit Longhi, 1702-1785. Fils d’un
avec le lotissement de Covent Garden : une fondeur d’argent. Eléve de Crespi 4 Bologne.
PLACE ROYALE centrée non sur une statue mais Peint 4 Venise depuis 1730 de trés nombreux
sur une église. Dans un des axes de cette tableaux de genre (ill. 137, 138, 142, 180,
Covent Garden Piazza qui porte la marque pl. coul. IT) et des portraits, qui forment,
d’Inigo Jones, viennent encore Lincolns comme les piéces de GOLDONI, une sorte de
Innfield et Red Leon Square. Guillaume III chronique des moeurs vénitiennes. (P. 459,
donne le signal de la marche vers louest, il, 151.)
lorsqu’en 1691 il abandonne Westminster,
aprés l’incendie de Whitehall, pour Kensing- LOUISIANE
ton, plusieurs kilométres 4 l’ouest. Un but, Explorée par Cavelier de La Salle, la Louisiane
désormais, rattraper Kensington. Un tracé formait en 1713 le sud des territoires occupés
en échiquier. Le gigantisme de Londres par les Francais depuis les Grands Lacs jus-
commande le recours aux voitures, donc de qu’au golfe du Mexique. La Nouvelle-Orléans
larges avenues. Cela, Nash (1752-1835) Va est fondée en 1718. La Louisiane ne compte
compris. Les squares sont une des carac- guére au xvitré siécle plus de dix mille colons.
téristiques de Tlurbanisme londonien au L’ANGLETERRE obtient en 1763 la partie orien-
xvuie siécle. Toutes les formes géométriques tale (rive gauche du Mississippi). La Loui-
viennent s’inscrire 4 |’intérieur d’un vaste rec- siane occidentale cédée 4 JTESPAGNE est
tangle. Depuis Soho Square qui date du régne restituée 4 la FRANCE par le traité de Versailles
Sv
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
(3 septembre 1783) contre Minorque et la la moitié de sa population, eile est 4 peu prés
Floride, en attendant d’étre vendue par a égalité avec LISBONNE, qui atteint 180 000 ha-
Napoléon aux Etats-Unis. (P. 88.) bitants 4 la fin du siécle, peut-étre méme
légérement en téte. On lui attribue 130 000 ha-
LUMIERES bitants environ en 1727. On dénombre alors
Le mot (pp. 19-20). dans la Corte 95 473 ames de communion,
L’esprit des — (pp. 287 4 290). « sin religiosos, monjas, soldatos ni hospicio ».
En 1797, on compte 170 000 4mes environ.
M La croissance est modeste. Elle suffit pourtant
a assurer une bonne premiére place 4 Madrid
MABLY devant Barcelone qui a triplé, de 37 000 ha-
Gabriel Bonnot de Mably, dit ’abbé Mably. bitants 4 la fin du siége en 1714 4 I00 000 en
1709-1785. Frére ainé de CONDILLAC, familier 1797, Walence 95 000, Séville 80 000, Cadix
du salon de M™e de Tencin dont le frére, 70 000, Porto 64000, Grenade 60000,
le cardinal-ministre Pierre de Tencin, le Saragosse 55 000 et Malaga 50 000. Madrid
prend comme secrétaire et compagnon de ses doit trop au xvile siécle pour que le xv1IIe
voyages (1741-1746). Auteur de plusieurs Pait aussi profondément marqué. Malgré la
ouvrages sur les rapports de la morale et de dynastie et le personnel francais amené en
la politique : Entretiens de Phocion... (1763) masse par les Bourbons, Madrid résiste
et la Législation ou Princtpes des lois (1776). beaucoup mieux que les VILLES du Nord 4ala
(P. 194.) séduction des modéles francais. Madrid
appartient avec lESPAGNE 4 Jlunivers des
MAC ADAM
formes baroques persistantes. On s’en aper-
1756-1836. Ingénieur anglais de la voirie, il
goit dans les constructions de Rivera, la
systématisa et perfectionna la technique de
Caserne des gardes et ses nombreuses fon-
construction des ROUTES préconisée en FRANCE
taines. Le pont de Toléde (1719-1731) avec
par lingénieur des ponts et chaussées Pierre
ses fontaines, ses tourelles, ses oratoires,
Trésaguet. (P. 355.)
participe a un univers des formes quicomprend
MACHINES, MACHINISME PALLEMAGNE catholique, ]’AUTRICHE danu-
Le machinisme est lié 4 l’automatisme et donc bienne et VITALIE du Nord. Sacchetti et
a la découverte et a l’utilisation mécanique Rodriguez reconstruisent le Palais royal
d’énergies capables de se substituer a l’énergie détruit par incendie de 1734, en respectant
motrice primitive de homme et de l’animal le plan de masse de JUVARA. Le xvII® avait
domestique. Aprés avoir d’abord exploité multiplié les PLACES 4 programme, l’effort
énergie « naturelle » du vent et de |’eau d’URBANISME de Charles III (1759-1788) porte
(moulins, turbines) ou de la gravité (pendules), sur les jardins et les promenades, suivant le
on va apprendre au cours du XvVIII® siécle a modéle de LONDRES, de PARIS et des villes
« fabriquer » des énergies nouvelles. Celle de du Nord : au nord, le long du Manzanares,
la vapeur (ill. 133, 134) actionne dés 1700 les allées de la Florida, au sud, les Delicias.
le piston du forgeron Newcomen. Mais il La promenade du Prado a été commencée
faudra attendre les progrés de la production plus tét, dés 1745, sous ’impulsion deHermo-
du FER (liée a celle du charbon), des TECHNI- silla et de Ventura Rodriguez. Madrid, sur son
QUES métallurgiques et mécaniques, l’accu- plateau aride, recoit eau de la Sierra. Elle
mulation des capitaux et la multiplication des a le gotit méditerranéen des fontaines. Dans la
hommes éduqués au moment du take off, grande perspective du Prado, trois d’entre elles
enfin d’une « théorie » de la machine, pour placées au milieu de la chaussée contribuent
déclencher la deuxiéme révolution industrielle, au dessin d’une voie triomphale : la fontaine
au début du x1x® siécle. (Pp. 343 4 348.) d’Apollon ou des Quatre-Saisons, la fontaine
de Neptune et l’imposante masse de la fontaine
MADRID de Cybéle qui est due au ciseau du Frangais
Devenue la plus grande ville espagnole depuis Robert Michel. Madrid s’étend au-dela des
la catastrophe qui a coaté a Séville, en 1649, jardins du Prado. C’est 1a qu’elle place
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efforts entrepris dés le xvu® sitcle par les Michel Vovelle une sensibilité baroque devant
pionniers de la géométrie projective (Desar- la mort. En Provence, l’apogée de cette piété
gues, 1639), appartient au début du x1x° siécle. baroque semble bien se placer entre 1680 et
Mais les débuts de sa carriére — sa formation 1710. La fin du xvul® siécle correspondrait
a Ecole royale du génie 4 Méziéres— illus- donc 4 une sorte de sommet d’un style de mort
trent importance du réle joué, face a la défi- qui s’est substitué (p. 167), a la fin du Moyen
cience de l’enseignement universitaire, par les Age et au début des temps modernes, 4 un
grandes écoles d’application militaires et style plus ancien, plus dépouillé et qui aurait
techniques. (P. 264.) survécu dans l’Europe orientale orthodoxe
pendant toute la période moderne. Ce style
de mort — nous l’avions déja signalé — peut
MONTESQUIEU
se caractériser par une hypersocialisation, un
Charles de Secondat, baron de La Bréde et de
goat du spectacle ou de la prédication qui
Montesquieu. 1689-1755. Etudes chez les
subsiste dans les milieux populaires jusqu’a la
oratoriens. Conseiller, puis président au
fin du xviiI® siécle. Il se caractérise encore, en
PARLEMENT de Bordeaux (1714-1726). Accom-
Provence, par un ensemble de traits que l’on
plit un long VOYAGE d’études 4 travers l’Europe
(pp. 47 a 50). Lettres persanes, 1721. En 1748,
peut résumer de la maniére suivante, a travers
son ouvrage fondamental : /’Esprit des lois les témoignages des testaments retrouvés et
analysés par Gabrielle et Michel Vovelle.
(pp. 193, 278). Une relative homogénéité d’abord. Il y a un
style uniforme au départ, 4 80, 90 p. I00,
MOREAU, Jacob Nicolas qui ne tolére que de faibles variations. La
Avocat, auteur d’un pamphlet dirigé contre crainte de la mort subite est 4 mettre en re-
les encyclopédistes : le Nouveau mémoire pour lation avec la dramatisation dans l’architecture
servir @ Vhistoire des Cacouacs (1757). A du salut du dernier instant. Cette crainte
rapprocher de la comédie satirique de Palissot appartient 4 une dramatisation générale :
(les Philosophes, 1760). (P. 300.) dramatique, la sensibilité BAROQUE oppose a
une conception tragique de la vie une drama-
MORT tisation du dernier moment du temps, avant
Le recul de la mort qui permet a4 l’Europe de Pirréversible engagement dans _ |’éternité.
doubler sa population au cours du xvilII® siécle Il importe donc que toute la communauté
se manifeste tant au niveau de Jlenfant entre en priére au moment de I’agonie. On se
(diminution de la mortalité infantile) qu’a préoccupe de son vivant de l’organisation « au
celui des adultes (augmentation de l’espérance moment et 4 ’heure de la mort » des secours
de vie [pp. 151 4 167]). Les causes de ce recul spirituels. « Ainsi le testateur », note Michel
tiennent 4 un ensemble de progrés modestes Vovelle avec beaucoup de finesse dans sa thése,
plus qu’a une véritable mutation : améliora- «entend-il se prémunir a l’égard des surprises
tion de l’hygiéne et surtout de l’alimentation, de la mort [...] tout n’est peut-étre pas joué [...]
mieux et partout plus régulitrement assurée. dans le jugement individuel qui suit la mort,
Les attitudes devant la mort changent elles il importe cependant de faire vite [...] tel
aussi. Ce qui n’est pas surprenant. On com- notable marseillais met 4 la tache les églises
mence seulement 4 s’en rendre compte, conventuelles aussi bien que paroissiales
grace 4 utilisation sérielle de sources nouvel- pour célébrer au jour de son décés 500 messes
les. Au premier chef, les testaments et, en pays de mortuis, quitte [...] A terminer le lendemain
catholique, les représentations picturales si elles n’y peuvent suffire dans la journée.
incorporées a la décoration des autels consa- Désormais [...] me du défunt ne peut plus
crés a la dévotion des Ames du purgatoire étre aidée que par les intercessions des vivants :
(Xve-xIxe siécle). Dans toute l’Europe catho- du “* cantat ” a la neuvaine au bout de I’an et
lique et vraisemblablement méme dans une aux anniversaires, un rituel se déploie [...] »
bonne partie de l’Europe protestante (les pays Rien 1a qui ne soit déja de longue tradition.
ou lEglise évangélique luthérienne est ma- Une modification pourtant assez importante
joritaire) domine ce que l’on peut appeler avec et qui va se préciser dans les premiéres
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LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
OPPENORD
Gilles-Marie Op den Oordt, dit Oppenord, :
1672-1742, fils de l’ébéniste Oppenhordt,
originaire de Hollande. Eléve de J. HARDOUIN- PALEONTOLOGIE
MANSART qui l’envoie 4 ROME ow il passera La paléontologie ne s’impose que lentement.
sept ans « 4 faire des études sur |’Antique et Elle suppose, elle aussi, une révolution des es-
sur le Moderne », entendez le BAROQUE: prits qu’un VOLTAIRE méme ne parviendra pas &
A son retour (1709), il devient l’architecte accomplir, que BUFFON patiemment imposera.
et le décorateur préféré du Régent qui lui La paléontologie, née de la stratigraphie, res-
fait aménager le Palais-Royal. Son style tera liée a la géologie autant qu’a I’étude des
fait transition entre celui d’AUDRAN et celui de fossiles et 4 l’anatomie comparée. (Pp. 270 a
MEISSONNIER. Un peu plus jeune que Claude III 274, wl. 105.)
Audran et Robert de coTTE, il est le contempo-
rain de BOFFRAND, qu’il n’égale pas comme PALLADIANISME
architecte. C’est essentiellement un décora- A travers Pcuvre du Maitre de Vicence,
teur ; en tant que tel, il contribuera par ses PAntiquité a servi de modéle a plusieurs
dessins a répandre a Ilétranger le style générations d’architectes, du xvi® au XVIII®
rocaille frangais des années 1720-1730. siécle. Palladien, notamment, le classicisme
Parmi ses ceuvres, en dehors du Palais-Royal : anglais, celui du « renaissant » Inigo Jones et
les boiseries de l’hétel de Pomponne (1713- dés le seuil du xvimt® siécle, celui de lord
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INDEX DOCUMENTAIRE
BURLINGTON, de Kent et de Campbell, aprés lieutenant de police fut créée en 1667 pour
la tentation baroque du mi-xvi° siécle, sous Nicolas de La Reynie qui l’occupa trente ans.
Charles Iet et Charles II. (Pp. 389-390, ill. 7.) Rattaché a la Maison du roi, le préfet de police
se substitue progressivement 4a la téte de la
PARIS ville au prévét des marchands. Mais Paris
Faut-il accorder 400 ooo habitants a Paris au doit plus encore, au xVIII® siécle, a l’initiative
début du xvire siécle ? Le chiffre de 500 000 privée, et plus encore 4 la spéculation fonciére.
vers 1700 est plausible, 550 000 en 1801 est L’enceinte de Louis XIII n’aura eu qu’une
sir. Admettons prés de 600 000 habitants a durée éphémére. La défense reportée aux
la veille de la Révolution. Si les 400 000 au frontitres sur la ceinture de fer de VAUBAN
départ du xviie ne sont pas trop généreux — permet a Louis XIV de renoncer, dés 1670, a
mais ce point est sans doute a revoir —, la ce mythe génant. Louis XIV autorise la trans-
croissance de Paris a été lente au xvII® et au formation des fortifications en boulevards,
xvie. Au xvilI® plus encore qu’au XvVII°. de la porte Saint-Denis 4 la Bastille. La
Le contraste avec LONDRES est frappant. construction des portes a partir de 1670,
Presque quintuplement d’une part, une Saint-Antoine appelé a disparaitre, Saint-
croissance de §0 p. 100 d’autre part. Paris n’en Denis et Saint-Martin toujours debout,
est pas moins la capitale intellectuelle et marque d’une maniére évidente la fin des
artistique de l’Europe, plus que Londres qui fortifications : le mur des Fermiers-Généraux,
est un pdle de croissance incomparable de a la veille de la Révolution, est plus fiscal que
PECONOMIE anglaise et mondiale. Dans le militaire. Il est déja dépassé au moment ou il
domaine scientifique, les deux capitales sont s’éléve. Paris, au xviI® siécle, juxtaposait, 4
sensiblement 4 égalité. Paris, bien sir, dés Pintérieur de Venceinte de Louis XIII, des
1670 a souffert de VERSAILLES. Versailles, 4 la espaces libres cultivés et un incroyable
différence de Schénbrunn ou de Westminster entassement entre les mailles trop minces des
et Kensington, est trop éloigné pour étre tuelles. L’ceuvre d’aménagement du xvIirI®
rapidement absorbé par lespace urbain tend a4 une certaine égalisation : disparition des
principal. En toute justice, ce sont les 650 000 espaces libres, mais aussi détassement du plus
habitants de l’ensemble Paris-Versailles, vers vieux bati. Un réglement de 1783, par souci
1785, qu'il faut comparer, alors, aux 800 000 d’air et de lumiére, fixera une largeur minimale
de Londres. La distance subsiste, mais elle aux rues nouvelles (30 pieds), une hauteur
apparait plus tolérable. Second contraste : maximale aux facades des maisons (60 pieds).
si la population a évolué lentement, l’espace Mais l’ceuvre du XvIII®, c’est aussi les nou-
construit s’est rapidement multiplié. Gain, veaux quartiers : la chaussée d’Antin, le
donc, de prospérité, preuve d’une concentra- faubourg Montmartre, etc. On multiplie les lo-
tion de puissance, de pouvoir et d’un gain tissements (voyez Choiseul, le duc d’Orléans...).
substantiel de productivité. L’hétel parisien 4 Depuis trente ans, écrit Mercier en 1788, on
est un laboratoire privilégié de l’esthétique a bati 4 Paris 10 000 maisons nouvelles ; la
des Lumiéres (p. 436). Paris a souffert ee maconnerie a recomposé un tiers de Paris;
logiquement de l’éloignement de l’Etat. La on a spéculé sur les terrains ; on a appelé des
plainte s’en est exhalée souvent et particuli¢- régiments de Limousins. » La place est un
rement dans un pamphlet intitulé /?Ombre élément important du xvuie. On a vu les
du grand Colbert (1749, 2° éd. 1750) da a La PLACES ROYALES (p. 448). Le débordement du
Font de Saint-Yenne. La MONARCHIE pourtaht vieil espace urbain entraine la naissance de
n’a jamais négligé Paris et elle a travaillé en places de portes. Un dessin en éventail vers la
collaboration avec la municipalité. Parmi les porte ; le modéle est romain. Le projet Aleau-
grands prévéts, on peut retenir aprés Pelletier me (XviI°) a l’est n’ayant pas abouti, la place
(1668-1676), Trudaine (1716-1720) et Turgot Louis-XV — telle que l’impose enfin GABRIEL
(1729-1740), le pére dugrand Turgot. Assurer — est un exemple mixte : place royale par
la police et d’abord la sécurité sur l’espace la statue, place de porte par sa topographie.
urbain a nécessité une prise en charge de SOUFFLOT établit devant la colonnade du
responsabilité par le roi. La fonction de Louvre son projet de place de palais. Le
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
travail de dégagement s’opére aussi devant les collectif que Roland Mousnier dans une
églises : places de parvis. Et comme tout est étude récente (Je Conseil du roi de Louis XII
heureusement prétexte 4 dégagement, voici a4 a la Révolution, P. U. F., Paris, 1970) a pu
la fin du siécle les places de théatre : place évaluer avec beaucoup de précision, en 1665,
de l’Odéon (1782) en face du monument de au début du ministére de Colbert, grace 4 un
Peyre et Wailly construit de 1779 4 1782. document : Etat général de la valeur et prix
Moins généreusement qu’a Londres, l’espace courant de tous les offices du Royaume,
élargi de Paris s’agrémente également de contenuz és tables et Estatz faitz pour
promenades et de jardins. Dans la série des chacune des Générallitez cy aprés sur les
jardins clos, le Palais-Royal commencé par proces verbaux et advis de Messieurs les
Parchitecte Louis, 4 VTinitiative du duc Trésoriers de France, 4 « 46047 oOfficiers
d’Orléans en 1780, dans la ligne des réussites royaux, soit 8 648 magistrats de judicature,
du xviié (Luxembourg et JARDIN DU ROI). 4.968 magistrats de finance, 4 245 receveurs
Particularité de Paris par rapport 4 Londres : payeurs et leurs contréleurs, 27 327 officiers
a coté des jardins, espaces plantés, soustraits ministériels (huissiers, sergents, notaires),
a la circulation, les grandes avenues prome- I 059 officiers domaniaux et de police [...] »
nades. L’initiateur en est Louis XIV qui a Au xvure siécle 60000 officiers environ
transformé les fortifications en boulevards. constituent la charpente de |’Etat. D’ou l’im-
Le xvmI® poursuit. D’Antin reprend l’ceuvre portance du Parlement de Paris au sommet
de Le Notre, du Rond-Point (édifié en 1670) du corps des officiers, et d’ou l’importance
4 la Butte de l’Etoile (1724) et Marigny de Vopposition parlementaire (v. Jean Egret,
jusqu’A la porte de Neuilly (1770-1772). Louis XIV et Vopposition parlementaire,
En 1788 commence l’aménagement de la 1715-1774, A. Colin, Paris, 1970). Tradi-
ligne des Fermiers-Généraux. L’URBANISME tionnel au xvIe et au xvir®, le droit de remon-
de la capitale, son aménagement deviennent trance avait été pratiquement aboli dans la
de plus en plus affaire d’Etat : l?Académie pratique du régne de Louis XIV. La déclara-
royale d’architecture, depuis Colbert, le tion du 24 février 1673 avait enjoint aux cours
corps, puis ’Ecole des ponts et chaussées souveraines d’enregister immédiatement tous
aprés 1715 et 1741, le service topographique les actes royaux « sans aucune modification,
(plan régulateur de Verniquet) en 1785 restriction ni autres clauses qui en fassent
contrélent et déja planifient. Le xviire siécle surseoir ou empécher la pleine et entiére
a construit peut-étre plus que tout autre, on exécution ». Une des premiétres conséquences
la vu. Non seulement des maisons et des de la réaction aristocratique de la Régence
hétels (Soubise, Rohan, Biron, Bourbon, est le retour 4 la pratique des remontrances.
Matignon...), mais des écoles. Datent de cette Par la déclaration du 15 septembre 1715, le
époque |’Ecole militaire (Gabriel, 1752-1769), Régent admet qu’avant d’enregistrer, les
la Monnaie (Antoine, 1768-1775), l’Odéon cours souveraines « puissent nous représenter
(Wailly et Peyre), l’Ecole de chirurgie (Gon- ce qu’elles jugeraient 4 propos et ce [...] dans
douin, 1769-1785), l’Ecole de droit (Soufflot, la huitaine au plus tard [...] » Les cours
1771). Une telle masse architecturale suppose souveraines, parlement de PARIS en téte,
une concentration de richesses. Sur une étaient réintroduites dans la discussion des
échelle beaucoup plus modeste, Paris exerce affaires publiques : douze parlements et deux
sur Vespace frangais du xviI® un role conseils souverains (Perpignan et Colmar),
d’entrainement qui rappelle de trés loin celui le parlement de Paris les dépasse toutes par le
de Londres dans la transformation de |’écono- nombre, le pouvoir et le prestige. Les ducs
mie et de la société anglaises. (Ill. 20.) et pairs peuvent siéger 4 la Grand’Chambre et
aux chambres assemblées. La Grand’Chambre
PARLEMENT est composée d’environ quarante magistrats a
(Opposition parlementaire en France au quoi s’ajoutent les cinq chambres des enquétes
XVIII® siécle.) La MONARCHIE absolue en FRANCE et deux des requétes. Certains parlements de
est d’abord une monarchie administrative. province — les plus importants, Toulouse,
Le roi, entendez |’Etat, c’est aussi ce corps RENNES, Rouen, Metz, Bordeaux — comptent
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INDEX DOCUMENTAIRE
environ une centaine de magistrats, les cours a Vencontre des appelants, le milieu parle-
moyennes 60 a 70, les petites 20 4 30. Le ressort mentaire occupe une position apparemment
du parlement de Paris couvre le tiers du centriste. Apparemment seulement. Certes,
royaume. Paris, Besancon, Douai, Grenoble il s’inquiéte du richérisme des éléments les
annoblissent au premier degré, les autres plus en fléche du bas clergé, mais dans
parlements ne donnent qu’une noblesse Pensemble, il géne Rome et les évéques
graduelle. Mais au xviml® siécle, ce privilége constitutionnaires. « Plusieurs parlements
— F. Bluche l’a montré — a beaucoup perdu mhésitent pas 4 frapper les mandements des
de son intérét : 80 p. 100 environ de ceux qui prélats trop fidélement dévoués a Rome. »
accédent a cette magistrature supréme sont Presque partout ou un conflit surgit entre
nobles ou annoblis. Cette structure nouvelle Pévéque constitutionnaire et un corps inter-
contribue 4 la dévaluation réguliére des médiaire d’Eglise appelant, le parlement prend
offices de judicature. Un office de conseiller parti contre l’évéque, entendez contre Rome
de Paris qui valait 100 000 livres en 1715 n’en et le feu roi. Le Régent qui veut la paix a
valait plus, malgré la dévaluation de la livre obtenu par transaction entre les évéques et
et le commencement de la hausse des prix, les deux partis un corps de doctrine qui
que 34 000 en 1751. Le premier conflit qui précise le sens des propositions condamnées
oppose les cours souveraines au pouvoir et qui est susceptible d’étre accepté par les
des ministres et des conseils se situe autour de modérés des deux camps. Une déclaration
Penregistrement de la constitution Unigenitus. royale du 4 aotit 1720 ordonne |’observation
La bulle Unigenitus qui a été signée le 8 sep- de la bulle éclairée par les commentaires de
tembre 1713 par Clément XI, sur les instances 1714 et de 1720. Une longue bataille va
de Louis XIV soucieux d’en finir avec l’oppo- s’engager autour de l’enregistrement de cette
sition janséniste du monde de la robe, con- nouvelle formule de paix. A Paris, le combat
damne cent une propositions contenues dans est conduit par un conseiller — clerc de la
un livre qui a nourri pendant quarante ans la Grand’Chambre —, René Pucelle. On ne peut
piété de la classe moyenne cultivée, dans les arracher 4 ce parlement de Paris qu’un enre-
pays de langue frangaise et de sensibilité gistrement restrictif et du bout des lévres
augustinienne, les Réflexions morales sur le le 4 décembre 1720. Fleury, aprés la mort du
Nouveau Testament du pére Pasquier Quesnel Régent, s’attaque a ce travail de Pénélope. La
de l’Oratoire. Le milieu parlementaire s’était déclaration du 24 mars 1730 réclame 4 nou-
soumis par crainte. La constitution accompa- veau et cette fois avec moins de précautions
gnée d’une instruction pastorale commune Tacceptation de la constitution Unigenitus
rédigée par une commission de prélats fran- comme loi de l’Eglise et du royaume. Nou-
Gais avait été acceptée par une assemblée veau combat, long, multiple et harassant. Le
réduite d’évéques (40 voix contre 9) qui s’était combat de Topposition projanséniste du
tenue du 16 octobre 1713 au § février 1714. milieu parlementaire se prolonge sous des
Le parlement de Paris, par crainte et sur formes diverses jusqu’au milieu du siécle.
ordre exprés du roi, avait enregistré le C’est alors que le conflit prend une violence
15 février 1715. Cette acceptation contrainte, extréme dans |’affaire des sacrements. Chris-
dans les facultés de théologie, le bas clergé, tophe de Beaumont devient en 1746 archevéque
les communautés réguliéres, une fraction de Paris. Sous son ministére, les refus des sacre-
importante de la robe, était une acceptation ments aux jansénistes notoires se multiplient
du bout des lévres. La réaction contre la a partir de 1749. On sait les trés graves
bulle constitue un des aspects les plus conséquences civiles qu’une telle décision est
populaires de la réaction de la Régence. La susceptible d’entrainer. Le combat parle-
résistance commence aprés la mort du grand mentaire soutenu par le parti philosophique
roi (1° septembre 1715), elle culmine le 5 mars glisse donc insensiblement et plus ou moins
1717 dans l’appel des quatre évéques au pape consciemment du plan purement théologique
mal informé du futur concile. Dans la guerre au plan de la défense des libertés individuelles.
des appels et des mandements qui se déchaine Aprés plusieurs refus dont sont victimes
de 1717 4 1720 et les condamnations romaines quelques membres notoires de la robe jansé-
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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INDEX DOCUMENTAIRE
Vénitiens harcelés évacuérent la Morée. Mais tique, retentissent sur le nombre, la taille, lana-
PAUTRICHE intervint et le Prince Eugéne ture des commandes. Mais presque partout les
infligea aux Turcs une seconde série de grands sujets, les grandes surfaces — sauf dans
défaites, a Peterwardein et a Belgrade. Le PAllemagne catholique — sont abandonnés.
traité de Passarowitz (21 juillet 1718) marquait La grandeur ne se survit que dans l’imaginaire,
le deuxiéme recul turc en Europe : la Turquie jusqu’au réveil passager de la Gréce et de
abandonnait 4 l’Autriche le banat de Temes- Rome. Le portrait, le décor de boudoir
var, Belgrade et la vallée de la Morava, qui réduisent les toiles. La peinture s’accorde aux
couvrent désormais ]’EMPIRE, dans ce secteur dimensions nouvelles de la vie sociale repliée
clef des Balkans. (P. 52.) sur la famille ou... la féte galante. Pour la
FRANCE : WATTEAU, BOUCHER, CHARDIN,
PATTE, Pierre GREUZE, FRAGONARD. Pour l’ANGLETERRE :
1723-1814. Architecte, décorateur, théoricien HOGARTH, REYNOLDS, GAINSBOROUGH. Pour
d’un URBANISME inspiré de BLONDEL et de VItalie : TIEPOLO, Guardi, CANALETTO, Véni-
considérations nouvelles sur I’hygiéne, l’aéra- tiens. (Pp. 382-383, 453 a 482, ill. 7a 9,114
tion, etc. dans les villes. Il achéve entre 1774 ne 36 & 45, 135 & 143, 190 4 196, pl. coul. I,
et 1777 le Cours d’architecture que Blondel
n’a pas terminé. Publie des Mémotres sur les
objets les plus importants de l’architecture en PELLEGRINI, Giovanni Antonio
1765 et, quatre ans plus tard, son recueil des 1675-1741. Eléve de S. Ricci. Peintre mondain
Monuments a la gloire de Louis XV. (Pp. 443- de tableaux religieux. (Pp. 457-458.)
444.)
PERGOLESE
PAYS-BAS MERIDIONAUX Giovanni Battista Pergolesi, 1710-1736. Pre-
Les Pays-Bas méridionaux, séparés des Pays- miéres études au conservatoire des Pauvres
Bas du Nord (PROVINCES-UNIES 0U HOLLANDE), de NAPLES. Son ceuvre tient tout entiére dans
amputés de plusieurs provinces par Louis XIV, les cinq derniéres années d’une vie tdt
passent en 1713 sous la domination autri- interrompue par la maladie : trois opéras
chienne (1713-1790). Le xvuI® siécle est un bouffes dont la fameuse Servante maitresse,
siécle de développement et de paix relative qui fut a l’origine de la querelle des Bouffons
(occupation frangaise de 1745 4 1748, aprés en 1752, unm OPERA seria (l’Olympiade),
Fontenoy) comparativement au XvII®, « le quelques belles pi¢ces de musique religieuse
siécle du malheur » des historiens belges. dont un Stabat Mater. (P. 407.)
(Ps 1723
PERMOSER, Balthasar
PEINTURE 1651-1732. Sculpteur allemand né en haute
L’évolution qui méne grosso modo le siécle AUTRICHE. Auteur de la STATUAIRE qui orne
(aprés 1680) du BAROQUE au. NEO-CLASSICISME 4 Dresde le Zwinger de lParchitecte POPPEL-
ne va pas sans ruptures, sans exceptions,
ni MANN. Exemple significatif de linfluence
variations. Aussi bien faudrait-il mettre au italienne prédominante dans la premiére
pluriel classicisme, baroque, néo-classicisme. moitié du xvure siécle allemand, avant la
ROCAILLE francaise des menus décors, baroque diffusion du style ROCAILLE par les gravures
des grands édifices religieux et royaux de d’Augsbourg. (P. 452.)
YEurope médiane, néo-classicisme antifran-
gais de l’ALLEMAGNE de Winckelmann, retour PESTE
a Pantique des enfants prodigues de la latinité, Disparait au cours du siécle. Entre 1708 et
classicisme intimiste et romantisant anglais. 1713, la longue guerre du Nord (1699-1721)
Des déclins : la HOLLANDE, l’ESPAGNE (avant et la crise de subsistances la fit réapparaitre
GOYA), PITALIE (Venise exceptée), une conti- en plusieurs pays : en POLOGNE, en PRUSSE-
nuité francaise, une renaissance anglaise... Ici Orientale, en Scandinavie (p. 126). Dans l’Eu-
et la des écarts économiques, des différences rope du Nord-Ouest, elle céde aux rigoureuses
dans [état des sociétés influencent l’esthé- mesures de prévention prises par les Etats :
593
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
la peste de Marseille est un accident (pp. 160 dans leur lien avec la position de chacun dans
A 167, dessin 26, p. 163, graph. 27, p. 164). la chaine des échanges. Cependant, l’attribu-
tion a la seule AGRICULTURE et aux seuls
PHILOLOGIE paysans de la capacité de « produire » (le
L’horizon 1680 s’ouvre, comme en d’autres « revenu net » des physiocrates), en contraste
domaines, sur des perspectives nouvelles en avec les autres catégories économiques, facteurs
matiére de linguistique. Le comparatisme de transformation (industriels, commergants),
avait pris son premier essor avec LEIBNIZ, apparait 4 la veille de la premitre révolution
l’étude des langues anciennes reprend, aprés industrielle comme une thése partielle et
un XVII siécle assez terne, un développement dépassée. (P. 332.)
qui rayonne depuis Leyde et la jeune univer-
sité de Halle (p. 279). Principaux artisans PIANOFORTE
de ce nouveau départ philologique : Keller Les premiéres piéces pour piano — les sonates
et WOLFF 4 Halle, les Francais Du Cange et de HAYDN — datent de 1763. Elles marquent le
Richard SIMON. (Pp. 278-279.) début de ce que I’on a appelé l’ére du piano,
c’est-a-dire de sa diffusion généralisée et de
PHILOSOPHES, PHILOSOPHIE sa substitution au CLAVECIN. Le piano dérive
Philosophes : pour DIDEROT comme pour non du clavecin, instrument a cordes pincées,
Palissot et beaucoup de leurs contemporains mais du clavicorde, 4 cordes frappées, lui-
francais, les « encyclopédistes ». Dans un sens méme issu de l’ancien « cymbalum », et dont
plus général, tous ceux qui osent, selon la Pusage s’était développé a partir du xv® siécle.
définition kantienne de l’Aufkidrung, penser Le premier FACTEUR de pianos semble avoir
par eux-mémes en dehors de toute tutelle été Bartolomeo Cristofori 4 Florence qui
autoritaire. L’impératif kantien suggére désigne encore son instrument du nom de
Vaspect moralisant, souvent militant, des cymbalum : gravicembalo col piano et forte,
diffuseurs des LUMIERES. Quant a la philosophie d’ou l’on tirera par réduction le nom de piano.
— mot moins fréquent dans les textes de Silbermann, le fameux facteur de clavecins,
Vépoque —, son objet varie de Descartes a fut le premier grand diffuseur du nouvel
LOCKE et a4 KANT, les uns distinguant formel- instrument (J.-S. BACH l’utilisera avec quelque
lement son champ d’application des domaines réticence). Mais c’est au Francais Erard qu’on
réservés de la foi et du for intérieur, les autres doit, au début du xix® siécle, la mise au point
l’étendant a tout le domaine de la connaissance définitive de la mécanique « 4 double échappe-
et de l’étre (Nature) — il faut l’entendre ici ment » qui assurera la victoire du piano sur
au sens de Cassirer, de tout ce qui concourt les instruments traditionnels 4 cordes pin-
4 définir Pesprit de l’époque. cées ou frappées. (Pp. 409, 424, ill. 179, 206.)
Sur les Lumiéres (pp. 287 4 296).
Sur la — et la religion (pp. 289-290). PIAZZETTA, Giambattista
Sur Popposition aux systémes (pp. 290-291). Venise, 1683-1754. Eléve du peintre bolonais
Sur PTinfluence de Locke (pp. 304-305): Crespi, comme Pietro LONGHI, il subit aussi
Sur le probléme fondamental au xvittI® siécle Pinfluence des Carrache. Compose sur
de la théorie de la connaissance (p. 296). commande de nombreux tableaux a sujets
religieux (la Gloire de saint Dominique,
PHYSIOCRATIE l’Assomption, Eliézer et Rébecca). Ses toiles,
C’est plus qu’une doctrine, une véritable assez sombres et contrastées avant 1740,
philosophie économique, fondée sur le postulat s’éclairent de tons légers dans le style véni-
d’un « ordre naturel » : Constitution naturelle tien caractéristique de I’époque. Piazzetta est
du gouvernement, précise le sous-titre de aussi Villustrateur de plusieurs ouvrages
QUESNAY (Physiocratie), maitre 4 penser de dont une férusalem délivrée (1745). (P. 458.)
la nouvelle école. Le Tableau économique, de
Quesnay encore, contient sur le plan technique PIGALLE, Jean-Baptiste
une analyse pour la premiére fois précise des 1714-1785. Eléve a Paris de Robert Le Lorrain,
circuits économiques, des relations sociales Pauteur des Chevaux du soleil, et de J.-B.
594
INDEX DOCUMENTAIRE
596
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
596
INDEX DOCUMENTAIRE
pow
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
ville doit plusieurs de ses plus beaux monu- voutées, facades et murs de refend en pierre
ments baroques : le Palais d’hiver, le pavillon de taille. Il fallut, pour venir 4 bout des résis-
du parc de Tsarskoié Siélo (pl. coul. III). tances, faire quelques concessions. Places
. 447.) publiques, perspectives monumentales, lignes
droites et grands dégagements. Rennes subit
REAUMUR une transformation compléte. Mignot de
René Antoine Ferchault de Réaumur. 1683- Montigny, en 1752, la décrit comme « une
1757. Physicien, ingénieur, naturaliste. Bio- des plus jolies capitales que nous ayons dans
graphie détaillée dans l’index de la Civilisa- nos provinces ». (P. 449.)
tion de l’Europe classique. L’échelle dite de
Réaumur, pour la mesure des températures, RESTIF DE LA BRETONNE
compte quatre-vingts divisions; le zéro, Nicolas Restif, dit de la Bretonne, 1734-
degré correspondant a la température de la 1806. Fils de paysans de l’Auxerrois, ouvrier
glace fondante, 80 correspondant a celle typographe 4 Paris, auteur 4 partir de 1767
de l’eau bouillante. (P. 266.) de nombreux romans de meeurs, largement
autobiographiques (la Vie de mon pére, 1779,
REGISTRES PAROISSIAUX le Paysan perverti, 1776). La tentation pari-
Une des sources essentielles depuis 1950 sienne, comme la critique parisienne, la veine
de la DEMOGRAPHIE historique. picaresque comme Ja prétention moralisante
Evolution des recherches et des méthodes témoignent de linfluence du milieu provin-
(pp. I00-I0T). cial — la tension est déja sensible entre
PARIS et province — et d’un rousseauisme
RELIGION de pensée et de style (Monsieur Nicolas ou le
Voir chapitre V en entier (pp. 285 4 318). Coeur humain dévoilé, 1794-1797). (P. 169.)
Raison, nature, transcendance (pp. 285 a 297).
REYNOLDS
Attaque et défense de la religion révélée
1723-1792. Héritier de Van Dyck et de Ru-
(pp. 299 et suiv.).
bens, ces peintres 4 demi anglais « qui ont
Religion naturelle, déisme (pp. 301 et suiv.).
réveillé Angleterre de son sommeil » artisti-
Crédibilité et autorité de la Bible (pp. 312 a
que, Reynolds est aussi tributaire des grands
315). Italiens de la Renaissance, de Raphaél, du
Les mouvements antirationalistes (pp. 316 a
Titien (pp. 390, 392). C’est un esprit cultivé,
318).
raffiné, et son art est savant. Mais cette
Religion et mariage (pp. II7, 133 4 135).
Peinture religieuse (pp. 454 4 457, ill. 108 a science cosmopolite n’est chez lui qu’un
II2, 190). moyen de porter 4 leur perfection les dons
Musique religieuse (pp. 411 4 416, 418 a 424). d’un génie purement anglais. (Jl. 143.)
Architecture religieuse (pp. 393 a 396, 429, RIESENER, Jean-Henri
al. 118, 155, 156, 158, 161 a 164, 168, I7T, 1743-1806. Ebéniste francais d’origine alle-
pl. coul. V). mande, éléve d’Oeben auquel il succéde
et dont il épouse la veuve en 1767. II est,
RENNES avec son maitre, le plus remarquable repré-
Ville moyenne qui double — de 18000 4 sentant de ce qu’on appelle le « style de tran-
35 000/40 000 habitants environ — au cours sition », ot les courbes se maintiennent mais
du siécle. Détruite par un grand incendie qui s’épurent, dégagées des complications et de
dura du 20 au 25 décembre 1720 (800 maisons la surcharge ornementale. (P. 484.)
détruites, 5 000 sans-abri). L’intendant en
profita pour imposer un grand plan d’URBA- ROCAILLE, ROCOCO
NISME dont Vingénieur architecte Robelin Style décoratif plus qu’architectural, carac-
est auteur. Jacques GABRIEL vint en étudier téristique du premier xviII® siécle européen.
Vexécution sur place, en 1725. Parmi les Sa durée a été trés variable selon les pays,
mesures de sécurité imposées : la substitu- son domaine aussi. La rocaille francaise,
tion générale de la pierre au bois, caves issue de BERAIN et d’AUDRAN, culmine sous
598
INDEX DOCUMENTAIRE
la Régence et au début du régne de Louis XV, (215 000), déchue du rdéle de premiére ville
avec OPPENORD et surtout MEISSONNIER. d’Europe qu’elle avait au xvi® siécle, devant
BOFFRAND |’avait introduite dans les lambris Milan (124 000), Venise (132 000), Palerme
de Phétel de Soubise. En France, ce style (100 000), Florence (78 000), Génes (65 000)
affecte peu l’ARCHITECTURE (facade de l’hétel et Bologne (63 000). Une croissance modérée
de ville de Nancy, par HERE), mais il réap- mais réguliére maintient Rome en deuxiéme
paraitra curieusement dans les parcs et les position (153 000 en 1750, 163000 vers
jardins « 4 anglaise », voire dans certaines 1790) tout au long du xvirre siécle, derriére
fabriques au moment méme du retour a Naples qui accentue son avance (plus de
Pantique, dans la seconde moitié du siécle. 300 000 en 1750, 426 000 en 1790), devant
La SCULPTURE est relativement peu touchée, Milan (134 000) et Venise (134 000), Palerme
mais si le génie de WATTEAU lui échappe, celui (130 000), Génes (90 000), Florence (81 000)
de BOUCHER s’y abandonne volontiers. En et Bologne (71 000) aux alentours de 1800.
revanche, la rocaille apparait dans tous les L’influence de Rome a sensiblement reculé
arts mineurs : orfévrerie, ferronnerie, MOBI- au xvuI®. Son rayonnement décline avec
LIER (voir surtout Meissonnier et Caffieri). celui de lEglise catholique. Rome reste un
Le rococo domine dans la plupart des arts centre de rayonnement plastique et musical
d’Europe centrale et d’Espagne, ot il succéde (p. 375). Surtout pendant la premiére moitié
au BAROQUE de Borromini et de Guarini. du siécle. Elle continue 4 dominer avec
Architectes et stucateurs y ont collaboré pour Venise et Naples le spectacle d’opérA. On
réaliser les ceuvres les plus imposantes et les a vu le regain de vigueur des modéles romains
plus originales de l’époque. ROME, patrie du du début du tournant NEO-CLASSIQUE (pp. 492
baroque, n’aura guére qu’un architecte rococo, a 494). Sur Rome méme, I’esprit de la grande
le Sardi de Sainte-Marie-Madeleine-du- ombre du Bernin continue de s’étendre.
Champ-de-Mars, et le retour a l’antique y Rome ne recoit guére d’influence esthétique
sera précoce. Noter cependant les fontaines que de son passé. La construction du port
(celle de Trevi, par Sardi : 1733-1765), l’esca- de Repetta sur le Tibre débute en 1704, sous
lier de la Trinité-des-Monts (1728), et sur- le pontificat de Clément XI. Les travaux sont
tout en Sicile l’étonnant Noto et le fameux loeuvre d’Alexandre Specchi, de G. Fontana.
« chateau de l’absurde » de Baghiera. En Le xvill® a multiplié les places 4 Rome, on
PEINTURE, c’est Venise qui, avec Guardi notera les places Saint-Ignace, d’Espagne, de
et le grand TIEPOLO, se rapprochera pour Tuvi, des Chevaliers-de-Malte. (Jil. 21.)
un temps de J’art du Nord. Protagonistes
donc du rococo : I’Italie encore, la France, ROMER, Olaus
en matiére de décoration, les pays germa- 1644-1710. C’est en 1675 qu’Olaus Rémer,
niques, dans tous les arts, souvent réunis astronome et mathématicien danois, calcule
pour une sorte de dramaturgie monumen- 4 Paris la vitesse exacte de la lumiére en uti-
tale, l’Espagne de Narciso TOME. (Pp. 490-491.) lisant des observations sur les variations du
temps de révolution apparent des satellites
ROME de Jupiter. (P. 225.)
L’ITALIE est l’espace le plus anciennement
urbanisé de l’Europe. NAPLES, Venise et ROUSSEAU, Jean-Jacques
Milan avaient franchi le cap des 100 000 au 1712-1778. Rousseau commence son ceuvre
xve siécle. Rome oscille longtemps, avec a trente-huit ans, au milieu du siécle; ses
Florence, entre la quatri¢me et la cinquitme ceuvres fondamentales se pressent, aprés une
place. Le xvir¢ siécle a été pour la population vie vagabonde et méditative : 1761, la Nou-
urbaine italienne un siécle de relative sta- velle Heéloise; 1762, Du contrat social et
gnation. Mais il y a sensible croissance de VEmile. Toutes trois auront sur ses contem-
tout l’espace urbain au xvui°. L’Italie ne fait porains une influence considérable : en fait,
pas exception. En 1700, Rome a retrouvé une elles reflétent, en les précisant et les appro-
deuxiéme place depuis longtemps perdue. Avec fondissant, des idées et des sentiments latents
135 000 habitants, elle se place derriére Naples dans cette société du second xvuI® siécle,
599
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
travaillée d’inquiétudes et d’ambitions nou- teurs. A history of the Royal Society, New
velles, conséquences de la diffusion et de la York, 1948, la vingt-quatriéme lettre philo-
multiplication rapide des connaissances. Face sophique de VOLTAIRE : ¢ Les Anglais ont
4 PENCYCLOPEDIE, Rousseau fait figure d’ar- eu longtemps avant nous une Académie des
chaisant : Genéve est une sorte de Rome pro- sciences (dés 1662-1668), car si elle avait été
testante. Son déisme, fondé sur lintuition formée aprés l’Académie de Paris, elle aurait
pure et l’expérience personnelle, s’oppose adopté quelques sages lois et en aurait per-
au déisme rationaliste et pratique de VOL- fectionné d’autres [...] La Société Royale
TAIRE. Sa politique, fondée sur les idées nou- de Londres manque des deux choses les plus
velles de droit naturel et de volonté générale, nécessaires aux hommes, de récompenses
principes transcendants aux « faits » de et de régles [...] L’Académie des sciences
PHISTOIRE, s’oppose 4 l’empirisme raisonné est sagement bornée a |’étude de la nature [...]
d’un MONTESQUIEU. On se souvient de l’étude Celle de Londres méle indifféremment la
consacrée par Jean Fabre 4 l’utopisme rous- littérature et la physique. Puisque la Société
seauiste. L’analyse du modéle genevois a, de Londres a peu d’ordre et nul encourage-
de fait, précédé chez Rousseau |’élaboration ment, et que celle de Paris est sur un pied
de son systéme. Celui-ci annonce, 4 certains tout opposé, il n’est pas étonnant que les
égards, l’idéalisme transcendantal de KANT. Mémoires de notre Académie soient supé-
« De méme qu’a l’avis de Rousseau, la volonté rieurs aux leurs [...] Il est vrai que la Société
générale est pour les volontés particuliéres Royale a eu un Newton [...] » (P. 259, ill. 88.)
une maniére d’idéal en quoi elles sont des- Voir aussi SOCIETES SAVANTES.
tinées 4 se renoncer, la loi pratique univer-
selle de Kant va se présenter comme imma- RUSSIE
nentisant en celui qui obéit quelque chose A partir du vieux noyau forestier de peuple-
dont la source inconditionnée doit nous étre Ment (pp. 43, 58), la Russie invente sous
insaisissable parce qu’elle nous est transcen- Pierre I** et CATHERINE II de nouveaux espaces :
dante. » (Le Senne.) On s’explique ainsi croissance et ouverture en direction de
importance attribuée par un Cassirer a POccident (Baltique), puis en direction de
Rousseau, « personnage central » des Lumiéres. la Méditerranée (acquisition d’Azov, 1774,
(Pp. 194, 302-303, ill. 92.) mainmise sur la Crimée et les rives de la
mer Noire, création en 1794 d’Odessa [p. 59]).
ROUTES A la conquéte militaire succédent l’occupa-
L’Etat des Lumiéres a été un grand construc- tion et lexploitation méthodiques du sol :
teur de routes, terrestres, fluviales et mari- urbanisation du Nord-Ouest (SAINT-PETERS-
times. En ANGLETERRE d’abord (p. 355), BOURG [p. 445]) puis du Sud sous Catherine
en FRANCE (carte 44, p. 354) ot le pavé du (Ekaterinenbourg), développement des mines
roi (pp. 71-72) modifie la carte économique, dans |’Oural (pp. 218, 348-349), colonisation
en PRUSSE, en RUSSIE, la « révolution du pavé de la steppe. La Russie devient la nouvelle
et du canal » réduit les distances et active frontitre (p. 50), la grande pourvoyeuse
les échanges. L’extension des réseaux de d@espace de l’Europe et, comme la PRUSSE
communications est favorisée par le progrés et VAUTRICHE, s’efforce par une politique
technique (p. 352), dai pour une grande part autoritaire et réformiste de « rattrapage »
a la création de corps d’ingénieurs spécia- de s’aligner intellectuellement et économi-
lisés (pp. 238-239). En matiére de NAVIGA- quement sur lEurope dense de l’Ouest
TION, la grande innovation est le CHRONO- (p. 215). L’entreprise est conduite de haut
METRE qui permet de faire le point exact, de par les deux « Grands » du xyue siécle :
rectifier les cartes et d’assurer la sécurité des Pierre jusqu’en 1725, Catherine de 1762 a
navires (pp. 77-78). (Jil. 132.) 1796. L’ALLEMAGNE proche, l’ANGLETERRE
méme fournissent, a l’appel des tsars, colons
ROYAL SOCIETY et techniciens. A la FRANCE est réservée la
On relira, & défaut de Pouvrage nouveau meilleure et la plus large part. L’art fran-
et capital de D. Stimson : Scientists and Ama- gais, la culture frangaise, la langue francaise
600
INDEX DOCUMENTAIRE
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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INDEX DOCU MENTAIRE
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
604
INDEX DOCUMENTAIRE
TELESCOPE THEATRE
Le télescope, lunette astronomique 4 ré- Une des grandes passions au XvIrIe siécle,
flexion, n’a été mis au point qu’en 1670-1672 avec lopERA. La comédie se survit allégre-
par NEWTON et Cassegrain. Le pére Mersenne ment (en France, avec Marivaux et Beau-
en avait eu lidée quelque trente-six ans marchais, en Italie avec GOLDONI), mais la
plus tét, mais le dispositif qu’il avait imaginé tragédie, qui évolue vers le drame et le mélo-
était malaisément utilisable. La lunette de drame, est en déclin aprés les chefs-d’ceuvre
Galilée, on le sait, était un appareil 4 réfrac- du théatre élisabéthain, du Siécle d’or espa-
tion : la lumiére traversait l’objectif et l’ocu- gnol, et du siécle de Louis XIV. VOLTAIRE
laire, mais le verre ne réfractant pas les cou- s’efforcera de le mettre 4 la mode du jour en
leurs de la méme facon, la vision était génée adoptant un répertoire cosmopolite (Chine,
par cette « aberration chromatique ». D’ou Pérou, Orient, etc.). Quelques grands ac-
VPidée de Mersenne d’utiliser des miroirs qui teurs : Garrick, Le Kain, M"®¢ Clairon (ill.
« recueilleraient la Iumiére en concentrant 172 4 174). La mise en scéne, contrairement
les rayons de couleurs différentes émanant 4 celle de l’opéra, tend a se simplifier (voyez
d’un méme objet sur Je méme foyer » (Fred Voltaire encore, veillant 4 exactitude et a
Hoyle). Les « réflecteurs » cependant pré- la sobriété, aprés Adrienne Lecouvreur et
sentent eux aussi des inconvénients et la avant Talma). Si le répertoire reste en grande
premiére difficulté fut de réaliser des miroirs partie celui du siécle dernier — Racine,
plus réfléchissants que ceux que I’on obtenait Moliére, Shakespeare et les Espagnols —,
avec le verre. Malheureusement, les métaux les salles nouvelles (plan 46, p. 404) se mul-
utilisés présentaient un autre inconvénient, tiplient dans les villes et les résidences prin-
celui de se déformer par suite des variations ciéres : théatre de Voltaire 4 Ferney, de
de température. Quand, vers 1730, Chester Mme de Pompadour 4 Bellevue, des Ester-
Moor Hall, un amateur londonien, réussit hazy a Einsiedeln, des Electeurs de Baviére
a Paide d’un double oculaire 4 réduire l’aber- a Nymphenburg (voir CUVILLIiS). (Pp. 397-
ration chromatique provoquée par la réfrac- 398.)
tion, le télescope 4 réfraction, perfectionne-
ment de la lunette de Galilée, devint d’un TIEPOLO, Giambattista
usage fréquent. Sa supériorité se maintiendra 1696-1770. Le dernier des grands peintres
prés d’un siécle, jusqu’a la découverte par vénitiens. Si «la France [...] envoie ses peintres
Foucault de l’argenture du verre. (P. 255, et ses architectes dans toute l’Europe [...]
ill. 97.) Venise colonise [...] l’Angleterre, s’étend en
(Bibl. : Fred Hoyle, Astronomy, Londres, Pologne et jusqu’en Russie. Plus officielle-
1962; trad. frangaise, Paris, 1963.) ment, elle s’introduit en Autriche et en
605
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
Baviére [...] » (Michel Florisoone.) A Wurtz- par les premiéres traductions de Shakespeare
bourg, Tiepolo et son fils (Giandomenico, par Le Tourneur. Une étude sérielle des
1727-1804) décorent les vastes salles et les traductions est a entreprendre. Elle consti-
plafonds de la Résidence construite par Bal- tuera une contribution capitale 4 l’étude de
thasar NEUMANN. Venise, par eux, marque la communication, donc de la croissance et
de nouveau l’Espagne, aux plafonds du pa- du développement.
lais royal de Charles III. Peinture lumineuse,
aérienne, toute chargée en Baviére et en TREZZINI, Domenico
Espagne des souvenirs d’une Venise que son 1670-1734. Architecte de Pierre le Grand,
déclin semble n’avoir fait que rendre plus auteur des premiers monuments de SAINT-
chére a ses artistes, de GOLDONI 4 CANALETTO PETERSBOURG (forteresse Pierre-et-Paul).
et aux Guardi, comme a Tiepolo. (P. 478, (P. 446.)
ill. 108.)
TULL, Jethro
TOME, Narciso 1674-1740. Agronome anglais, un des théo-
Architecte et décorateur espagnol, contem-
riciens de AGRICULTURE nouvelle. Introduc-
porain des CHURRIGUERA. Son chef-d’ceuvre
teur du semoir et de la houe 4 cheval. Il
est admirable et baroque Trasparente de
recommandait, conformément 4 sa théorie
la cathédrale gothique de Toléde (ill. 158).
de la nutrition des plantes (qui absorbaient
L’accord parfait établi entre les deux arts
les substances du sol sous forme de parti-
et les deux « monuments », exaltés et non
cules infinitésimales), de fractionner la terre
génés l'un par l’autre — la lumiére tenant
par des sarclages fréquents. Au cours d’un
ici le rdle de la musique d’orgue —, est l’un
voyage en France, il avait été frappé par la
des témoignages les plus impressionnants
maniére dont les vignerons aménageaient
de mise en scéne et d’adaptation BAROQUES.
et cultivaient les vignobles. (Pp. 330-331.)
®. 395.)
TOWNSHEND, Charles
1674-1738. Homme politique originaire du U
Norfolk. Grand propriétaire, favorable 4
VENCLOSURE et partisan actif de l’AGRICUL- URBANISME
TURE nouvelle, il sera un des introducteurs Il se borne le plus souvent dans l’Europe
en Angleterre dela culture du turnip. Jethro anciennement urbanisée (France, Angleterre,
TULL bénéficiera de son soutien. (P. 330.) Pays-Bas, Italie, etc.) & des remodelages.
Voyez les PLACES ROYALES, puis les places
TRADUCTIONS aménagées au voisinage des portes, des
Elles se multiplient au xvurr® siécle, du fait ponts, des grands monuments (pp. 448 4 450).
notamment de abandon du latin au profit Dans les villes, partout en expansion, les
des LANGUES nationales (le francais parlé dans quartiers neufs, plus aérés, mieux construits,
toutes les Cours d’Europe ne le remplace sont reliés au noyau ancien par la prolon-
pas complétement comme langue écrite, en gation des avenues palatiales, par des places
dépit de quelques exemples illustres). L’in- en enfilade (Nancy), par ouverture de bou-
ventaire général de ces traductions reste a levards 4 emplacement des enceintes anté-
faire. Elles concernent, en France, un grand rieures, A lest et au nord, dans l’Europe de
nombre d’ouvrages latins, italiens, anglais, la « frontiére », Russie, Prusse, Autriche, etc.,
voire, a la fin du siécle, allemands : ouvrages se développe par contre un urbanisme de
scientifiques (p. 231), religieux ou littéraires. villes neuves, villes en damier (Erlangen,
La plupart des traducteurs sont des exilés ou Mannheim), villes en étoile (Neustrelitz),
des voyageurs comme MONTESQUIEU, BUFFON, villes 4 plan rayonnant, etc. (pp. 444 4 448).
VOLTAIRE, Prévost. On sait le réle joué sur Parmi les théoriciens de lurbanisme nais-
Pévolution de la littérature francaise par les sant, D’Aviler, BLONDEL, PATTE et Le Blond
préromantiques anglais et allemands, et (Pp. 439, 443-444). Voir LONDRES, PARIS,
606
INDEX DOCUMENTAIRE
607
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
608
INDEX DOCUMENTAIRE
sinés par Jean Trebit. L’Etat A Vienne doit italienne : Corelli, VIVALDI, puis SCARLATTI,
compter avec l’aristocratie. Au palais Schwar- en feront leur instrument favori. C’est a la
zenberg succédérent les palais Schénborn fin du xvi® siécle que paraissent les grands
et Trantsen, l’hétel du PRINCE EUGENE, la ateliers de lutherie pour violon : 4 l’origine
chancellerie de Bohéme. Le rez-de-chaussée deux Italiens, Salo 4 Brescia, Amati 4 Cré-
en ordre rustique forme soubassement et mone. Parmi les luthiers célébres : Maggini,
sert de socle 4 un ordre colossal de pilastres. successeur de Salo, et le grand Antonio Stra-
Schénbrunn, esquissé par Johann Bernhard divarius (1644-1737), Jacob Stainer (xvu1®)
Fischer von Erlach, sera continué par en Autriche, Nicolas Lupot (xviie). (P. 424,
son fils, Josef Emmanuel (1695-1742), a ill. 202.)
qui l’on doit également l’église votive Saint-
Charles-Borromée. Johann Lukas von Hilde- VIVALDI, Antonio
brandt (1688-1745) construisit le palais 1678-1741. Un des maitres, avec Corelli et
Kinsky (1709-1713) et bien sir le Belvédére Tartini, de l’école italienne des grands violo-
(1694-1724), palais d’été du Prince Eugéne, nistes compositeurs de sonates et de concertos.
en dehors de la vieille ville et en surplomb Ordonné prétre en 1703, il doit renoncer a
sur le Danube. Claude Lefort du Plessy, son ministére pour raison de santé. Maitre
Dorigny et Ignace Parrocel participent 4 de musique de Il’hospice-orphelinat de la
la décoration. MARIE-THERESE termine Schén- Piété 4 Venise, ot il forme de jeunes exécu-
brunn. Jean Nicolas Sadot donne le palais tantes, et maitre de chapelle 4 la Cour de
des Sciences (1753-1755), chef-d’ccuvre du Mantoue. Impresario d’OPERAS 4 ROME ou
baroque tardif. (Pp. 30, 52, 70, 204, 208, il fait jouer plusieurs de ses ceuvres. Célébre
3752 398; 417; 495, ill. 14, 17, plan 50, p. 445.) a quarante ans, oublié dix ans plus tard,
meurt 4 VIENNE misérable. Auteur des Saisons
VILLES et de nombreux concertos pour VIOLONS
Importance du phénoméne urbain au xvuIIe et instruments a vent. (P. 377.)
siécle (pp. 371-372). Les villes du « tour
d@’Europe culturel » (pp. 47-48). Villes de VOLTAIRE
pierre et villes de bois (pp. 63, 366-367, 437). 1694-1778. Représente plus que tout autre
Les chantiers de PARIS remplacent ceux de le got classique et l’esprit francais au XVIII®
VERSAILLES (pp. 380-381). Un exemple de siécle. Sa philosophie restera toutefois, aprés
concentration urbaine : LONDRES (p. 136). un long séjour 4 LONDRES (p. 47), tributaire
Alimentation des villes (p. 363). Voir aussi de NEWTON (p. 265, dessin 34, p. 266) et de
URBANISME, PLACES ROYALES et les rubriques LOCKE (pp. 193, 301-302), auxquels il consacre
consacrées aux grandes villes européennes. cing de ses Lettres sur les Anglais. Mais il
n’adopte ni Shakespeare — malgré léloge
VIOLON tempéré de la dix-huiti¢me lettre — ni LEIB-
L’instrument, jusqu’a la fin du xXvI® siécle, NIZ (Candide, 1759). Il achévera en PRUSSE,
passe pour vulgaire. C’est celui des musi- auprés de FREDERIC II, son Siécle de Louis XIV
ciens ambulants et des noces villageoises. (1751). Sa collaboration 4 lENCYCLOPEDIE est
Monteverdi lui donne ses lettres de noblesse modeste (il traite de l’éloquence, de lesprit,
en lutilisant largement dans son Orfeo, de l’élégance, laisse 4 MONTESQUIEU le goiit).
dont lorchestration comporte une des pre- En 1764, il publiera sous le nom de Dic-
miéres partitions spécialement écrites pour tionnaire philosophique sa propre encyclo-
violons ; violino piccolo dit « 4 la francaise », pédie. On ne retiendra pas trop aujourd’hui
violino da braccio (le violon « a bras », par sa défiance 4 l’égard des fossiles (p. 270),
opposition 4 Vancienne viole de gambe), mais bien plutét les observations sagaces
etc. Le violon prend dés lors une place émi- qu’il fait sur son temps dans |’Essat sur les
nente dans lorchestre de l’oPERA, dans les meurs (1756) et dans l’Histoire de la Russie
petits ensembles de musique de chambre, sous Pierre le Grand (1763) (p. 54). Sym-
plus tard dans les grands ensembles sympho- bole de la France des Lumiéres, son nom
niques. Les grands compositeurs de lécole déchainera longtemps les passions : « C’est
609
LA CIVILISATION DE L°>EUROPE DES LUMIERES
la faute a Rousseau, c’est la faute a Vol- voyage de Cook : la reconnaissance des iles
taire [...] » En dépit de ses limites, il reste qui jalonnent les abords du « continent »
dans trois secteurs au moins le maitre inégalé, austral. Parti de Plymouth avec trois navires,
le plus grand « journaliste » de son temps. ayant comme seconds Carteret et Furneaux,
Sa correspondance refléte tout un siécle Wallis passe le détroit de Magellan, perd
d’événements et de pensées. Il est l’écho de vue Carteret et sa corvette 4 la suite d’une
conservé de toutes les querelles, de toutes tempéte, débarque en Patagonie, aborde a
les hésitations, de tous les progrés. II est le Tahiti — qui deviendra un centre important
plus grand styliste de la langue francaise d’acclimatation de plantes et d’animaux —,
arrivé 4 son point vrai de perfection, celui puis par Batavia, Le Cap et Sainte-Héléne
qui a fait muter le discours historique. Avant regagne l’ANGLETERRE en mai 1768. Carteret,
Michelet, il annonce, au niveau de I’Essai que l’on pensait perdu, rentrera 4 bon port
sur les meurs, Yambition d’une histoire lui aussi aprés une traversée du Pacifique
totale (pp. 274 et suiv.). fertile en découvertes. (P. 90, carte II, p. 91.)
610
INDEX DOCUMENTAIRE
61T
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
plan enfin accepté par le Chapitre et qui est (1780), une encyclopédie en quarante-cing
un compromis entre le monument 4 rotonde volumes, les Annals of Agriculture, ceuvre
et ddme qu’il a imaginé, en s’inspirant du collective 4 laquelle collabore le roi George III
Panthéon romain et de certains projets du (sous la signature de Ralph Robinson), enfin
Bernin, et l’aménagement pur et simple et surtout le célébre Voyage en France qui
de Véglise gothique souhaité par le Chapitre. parait en deux volumes en 1792. (P. 330.)
La nouvelle cathédrale, commencée en 1675,
est achevée en 1710. Wren établit ensuite, a
la demande du roi, un plan de remodelage Z
et de reconstruction de Londres qu’il avait
ébauché dés avant l’incendie. Mais des obs- ZAMOYSKI
tacles juridiques et financiers empéchent de Chancelier de POLOGNE sous le régne de
le réaliser. Wren a reconstruit un grand Stanislas-Auguste Poniatowski. Les réformes
nombre d’églises, Saint Michael, Saint Bride, qu'il avait entreprises ne furent que partielle-
Saint Mary-le-Bow, Saint Stephen, etc., ainsi ment réalisées mais servirent en 1788 de
que de nombreux hdétels — aujourd’hui modéle aux partisans d’une monarchie libé-
détruits pour la plupart —, Ashmolean rale, 4 Stanislas Staszic notamment, qui en
Museum, la Tom Tower de Christ Church, exposa lessentiel dans ses Remarques sur la
la chapelle de Queens’ College a Oxford, vie de F. Zamoyski (1787). (P. 214.)
la bibliothéque de Trinity College 4 Cam-
bridge. Député de Plymton, contrdéleur des ZENO, Apostolo
batiments royaux, il était depuis 1681 prési- 1668-1750. Originaire de Venise, Zeno fut
dent de la ROYAL SOCIETY. (Pp. 376, 389, 4 VIENNE, entre I7I8 et 1729, le poéte officiel
all. 2:) de la Cour. Ecrivain chatié mais froid, sou-
vent lourd, il a écrit de trés nombreux mélo-
WRIGHT OF DERBY drames et composé plusieurs livrets d’OPERA.
Joseph Wright, dit Wright of Derby, 1734- (P. 405.)
1797. Peintre de paysages et de sujets scien-
tifiques. Trés li¢é avec les amis anglais de ZENTA
Jean-Jacques ROUSSEAU et de l’ENCYCLOPEDIE, Ville de Hongrie aux abords de laquelle le
il s’apparente par son moralisme 4 GREUZE, PRINCE EUGENE anéantit l’armée ottomane
par son style 4 Vernet. Son Miravan forgant en 1697. (P. 53.)
la tombe de ses ancétres et son Soldat mort
sont déja presque romantiques. (P. 481, ZIMMERMANN
all. 127, 145.) Des deux fréres Zimmermann, Dominique
(1685-1766) est architecte et stucateur, Jean-
Baptiste, décorateur et peintre. Ils travaillent
ry ensemble au grand chantier d’Ottobeuren
(1714-1717) (pl. coul. V), puis a Péglise de
YOUNG, Arthur Steinhausen dont Jean-Baptiste peint les
1741-1820. Journaliste, écrivain, voyageur, votites (l’Assomption de la Vierge, les Habi-
Young est un homme d’enquétes, de repor- tants des quatre parties du monde). Zimmer-
tages, de compilations, mais c’est un bon mann est aussi l’architecte de l’église de Wies,
observateur de l’état social et économique construite comme la précédente sur plan
de la FRANCE et de l’ANGLETERRE 8 la veille du elliptique et de nombreuses églises de moin-
grand démarrage de la société préindustrielle. dres dimensions, aux stucs parfois envahis-
Principales ceuvres : les Lettres d’un fermier sants mais que rendent plus légers les
au peuple anglais (1768), un Voyage en Irlande teintes claires des peintures. (Jil. 156.)
ILLUSTRATIONS
DEealL*ENDEX
LE MOBILIER
LA MUSIQUE INSTRUMENTALE
FAiENCES ET PORCELAINES
L’ART DE LA TABLE. L’ARGENTERIE
LE VETEMENT
LA MONNAIE
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 197 Al @z00
LE MOBILIER
Le XVIII: siécle a poussé & son point de perfection art du meuble. Art du reph au
for familial, technique de l’art de vivre. On y mesure, et cela est naturel, la toute-puissance
du condominium franco-anglais sur l’Europe des Lumeéres.
614
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LEGENDES DES ILLUSTRATIONS ZOmecAGT 206
LA MUSIQUE INSTRUMENTALE
La facture fournit a la voix humaine ses multiplicateurs, qui sont le pendant un peu
des multiplicateurs sensoriels de la vue au service de l’exploration de la nature. Tradition
et nouveauté s’affrontent dans la tension corde pincée, corde frappée.
615
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS 207 —Aaesat
FAIENCES
ET PORCELAINES
207. LES PORCELAINES DE L’ACCULTURA- ment plus large, un peu plus de fonction-
TION. nelle beauté. (Paris, coll. Vandermeersch.)
Ces porcelaines de Chine, dites de la
Compagnie des Indes, étaient fabriquées
en Chine pour le marché occidental. D’ot 210. POELE DE FAIENCE ALLEMAND.
ces personnages en costumes européens. Descartes avait découvert, un stécle plus
Mais le parasol (et Venfant qui le porte) tot, ce luxe de l'Europe germanique qui
est oriental. Ces Européens dus au pin- sait se chauffer. Ce grand poéle « alle-
ceau chinois sont Vhonnéte pendant des mand » revétu de faience sort de la fabrique
théories de Chinois aux chapeaux d’Emmanuel Frutting a Berne. C'est une
pointus et des mandarins bedonnants qui piéce imposante et beaucoup plus efficace
cheminent inlassablement le long des murs que les cheminées a la francaise, méme
intérieurs d’ Amalienburg a Caserte et de tres améliorées. Il a deux corps rec-
Caserte & Aranjuez. (Paris, musée des tangulaires montés sur cing balustres en
Arts décoratifs.) pierre. Corniche et soubassement qui sacri-
fient au gottt du jour sont décorés de
rocailles. Les carreaux représentent des
208. CHINOISERIE EUROPEENNE. paysages. Toujours le fond champétre
C’est, au vrai, que l'on mesure mal, en iu décor urbain aux prétentions aristo-
Chine, V'ampleur de la sinomanie occi- cratiques. En violet de manganése. (Hau-
dentale. Ces faiences de Francfort — teur 2,25 m, largeur a la base 1,25 m,
elles datent des années 1680: Thorizon au sommet 0,88 m.) (Paris, musée des Arts
de la crise de conscience sur lequel se décoratifs.)
profile, dans le lointain, le sourire philo-
sophique du sage chinois — ont adopté,
résolument, en dragons, monstres ailés 2II. UN SERVICE DE MEISSEN.
et végétaux aux arétes carnivores, le Pour le plaisir de la table, le XVIIT® siécle
décor pseudo-chinois du réve exotique a créé un code subtil. Vers 1720 le céré-
au seuil des Lumiéres. (Francfort, Histo- monial s’est fixé. Ce service de Meissen
risches Museum. ) (Saxe), capitale orientale de la porcelaine
de table, comprend quinze piéces, avec
deux pots, un rince-doigts, six tasses sans
209. ASSIETTE A LA CORNE, ROUEN. anse, six soucoupes. On peut le dater des
Cette assiette a la corne, belle, legs a environs de 1740-1745. Le décor ani-
Rouen dune technique ancienne parfai- malier d’une grande finesse est aussi d’une
tement maitrisée, plaide pour le siécle grande richesse, avec incrustations de
de Poutil, de lartisan intelligent qui lit petits diamants. Il est Poeuvre d’ August
et qui pense avec la main, pour le siécle Otto Ernst von dem Busch. (Hambourg,
qui a su introduire, dans un cadre sociale- Museum fiir Kunst und Gewerbe.)
616
LEGENDES DES ILLUSTRATIONS £79 NAS eeee
Art de vie, art de la sociabilité au sein du foyer, il a atteint, avec le mobilier quil
prolonge et qu’il compléte, un sommet au XVIII* siécle.
617
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 222° s(Aeo ao
LE VETEMENT
618
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LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS Fede TNE ae Be
dans de vastes atours susceptibles de mas- tionnel (genouilléres en cuivre) avec des
quer longtemps un commencement de insignes de dignité, car le porion a charge
grossesse. Le décolleté découvre hardiment de commander a une dizaine d’hommes.
la gorge. L’érotique des Lumiéres fixe (Dresde, Deutsche Fotothek.)
Pattention, nous l’avons dit, sur ce point
essentiel — pour sa sensibilité — de l’ar- 230. LE CHARBONNIER (VERS 1780).
chitecture féminine. (Paris, Bibl. nationale, Plus aucune dignité; le travail est sans
Cabinet des estampes.) prestige, tout en bas de I’échelle. Notez
Parchaisme. L’Est germanique retarde
225. L’EUROPE DE L’EST A LA FIN DU sur la France et lAngleterre. (Wir, Musée
XVIII® SIECLE. historique régional. )
Ce vétement peut étre daté avec précision,
1778-1779. L’habit est dit a la Polonaise. 23I. LE MARCHAND DE COCO DE BOU-
Le vétement est allégé par rapport aux CHARDON.
références du début du siécle (voyez Bon- Cap a Ouest, Bouchardon nous introduit
nard). Les manches ne sont plus ouvertes. dans ’univers des petits métiers. Ce mar-
Le vétement s’est moulé sur le corps qwil chand de coco a prés d’un siécle, mais son
laisse cependant libre dans ses mouve- vétement a évolué. Il est celui des paysans
ments. L’Europe, au niveau du vétement francais et des gens du peuple des villes
de homme de qualité, est un espace tota- au XVIII¢ siécle. (Orléans, musée des
lement homogénéisé. (Paris, Bibl. natio- Beaux-Arts. )
nale.)
226-227. MAGASIN DES MODES NOUVELLES 232. LA PAYSANNE D’ENGELBRECHT.
FRANCAISES ET ANGLAISES. Le dessin des instruments est précis, mais
En France et en Angleterre, le vent souffle il y en a trop et le geste n’est pas naturel.
a Pantique. Le buste est dégagé, la jupe Tout dans cette gravure qui s’adresse a
plus proche du corps a perdu de son volume. une clientéle des Lumiéres (le texte est
Le corps prend ses droits et la coiffure bilingue, francais et allemand) et qu
monte. Méme simplification, cété mascu- célébre la richesse des champs (voyez les
lin. Dés 1786 se dessine une ligne qui épis d’une fabuleuse motsson par-derriére )
culmine du Directoire a l’Empire, avant flatte la sensibilité agreste du second
les retours pudiques des années 1820. XVIII¢ siécle. Au moment ou lV’Europe
(Paris, Bibl. nationale.) se tourne vers la ville et vers un prédé-
collage économique, elle valorise, brusque-
228. LES VETEMENTS DES TRAVAILLEURS. ment, un traditionnel champétre réinter-
Cet inspecteur des Mines allemandes (vers prété. Cette paysanne de comédie a la
1719) est engoncé dans la dignité lourde gorge accorte et la taille trop fine. Mais
d’un vétement dont le dessin et la concep- le corset, bastion apparent, appartient
tion remontent, sans doute, au début du au costume de féte des paysannes de l’Eu-
XVII*. (Dresde, Deutsche Fotothek.) rope germanique moyenne. (Paris, musée
des Arts décoratifs.)
229. LE PORION.
A l’échelon au-dessous, le porion, toujours 233. LA MARCHANDE D’HUITRES.
dans cette Allemagne qui, depuis le bas La gravure dite les hustres a lécaille
Moyen Age, se place en téte des techniques de Bouchardon est mille fois plus authen-
de Vextraction miniére. Vétement fonc- tique et sincere. Ici nulle recherche esthé-
619
LEGENDES' DES ILLUSTRATIONS 234 A 239
tique. Cette jeune femme fatiguée qui la démarche lourde, le trait tiré, ne cherche
reprend son souffle, aux formes masquées pas @ plaider la cause perdue d’un impos-
sous les plis grossters d’un vétement pudique, sible bucolique. (Paris, musée Carnavalet. )
LA MONNAIE
La base, le substrat matériel de I’économie d’échanges. La machine améhore la frappe
au début du XVII® siécle. Plus nombreuses, plus variées, les monnaies du XVIIT¢ siécle
restent étroitement solidaires des monnates du XVII siécle. La mutation révolutionnaire
se situe avant et apres.
Pas plus que dans notre précédent ouvrage, il ne saurait étre question
de fournir une bibliographie qui nécessiterait plusieurs volumes, mais tout
au plus une orientation sur les thémes que nous nous sommes fixés. En raison,
en outre, des superpositions chronologiques entre ce volume et ceux qui l’en-
cadrent dans la collection les Grandes Civilisations, nous renvoyons une fois
pour toutes a la bibliographie de Ja Civilisation de l’Europe classique (P. CHAUNU,
2° éd., 1970, pp. 663-685) et de Ja Civilisation et la Révolution frangaise,
I, la Crise de l’Ancien Régime (A. SOBOUL, 17¢ éd. 1970, pp. 589-615).
Au point de départ d’une liste nécessaire- Ernest CassIRER, la Philosophie des Lumieéres,
ment longue, partant égalisatrice, il convient mre éd, Tubingen, 1932; Fayard, l’Histoire
de bien détacher les quelques ouvrages qui sans fronti¢res, 351 p., Paris, 1966. Paul
ont plus spécialement nourri notre réflexion, HazarD, Ja Crise de la conscience européenne,
fourni l’occasion d’un constant et fructueux X-474 p., Boivin, Paris, 1935 ; Ja Pensée euro-
dialogue. péenne au XVIII siécle. De Montesquieu a
621
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Lessing, 469 p., Fayard, Paris, 1963 et 1968. University Press, Cambridge, 1964. Louis
Alexandre Koyri, Du monde clos a l’univers Hauteceur, Histoire de Vlarchitecture clas-
infint, 278 p., P. U. F., Paris, 1962. Georges sigue en France, gr. in-4°, Picard, Paris ; t. 2,
GusporF, les Sciences humaines et la pensée le Régne de Louis XIV (2° partie), pp. §28-939,
occidentale, 4 vol., Payot, Paris, 1966-1969. 1948 ;t. 3, la Premiére Moitié du XVIII¢ siécle,
Francois FureT et coll., Livre et Société le style Louis XV, IX-673 p., 19503 t. 4,
dans la France du XVIII® siécle, 2 vol., la Deuxiéme Moitié du XVIII stécle, le style
Mouton, Paris, La Haye, 1965 et 1970. Louis XVI, VI-577 p., 1952. Peter LASLETT,
René TAaTON et collaborateurs, Histoire géné- Un monde que nous avons perdu, éd. anglaise,
rale des sciences, P. U. F., Paris, tome 2, VII- Methuen, Londres, 1965 et 1968 ; éd. fran-
800 p., 1958 ; tome 3, I, VIII-756 p., 1961. Gaise, 297 p., Flammarion, 1969. E. A. WRI-
Maurice DauMAS et collaborateurs, Histoire GLEY, Société et Population, 255 p., Hachette,
générale des techniques, tome 2, XIX-750 Pp., PUnivers des Connaissances, Paris, 1969.
et tome 3, XXIV-864 p., P. U. F., Paris, 1965 Faire un sort 4 part 4 quelques revues et
et 1968. Fernand BRAUDEL, Civilisation particuliérement : pour les problémes de la
matérielle et Capitalisme, 463 p. + planches, société traditionnelle, 4 Past and Present,
Armand Colin, Paris, 1967. Emmanuel Lz 49 n°S parus en 1970, Corpus Christi College,
Roy Lapurigz, les Paysans de Languedoc, Oxford ; pour [histoire économique, tout
2 vol., 1 066 p., SEVPEN, Paris, 1966 ; His- a fait irremplagable, The Economic History
toire du climat depuis l’an mil, 379 p., Flam- Review, Broadwater Press Ltd., Welwyn
marion, Paris, 1967. Fernand BRAUDEL et Garden City (Hertfordshire), G.-B.; le
C. E. Lasrovusse, Histoire économique et AVIT¢ Siécle, revue de la Société d’histoitre du
sociale de la France, t. Il, Des derniers temps XVII siécle; le Dix-Huitiéme Siécle, 1 vol.
de l’dge seigneurial aux préludes de I’dge indus- par an chez Garnier depuis 1969 ; les Annales
triel (1660-1789), (plus particulitrement la de démographie historique, Sirey, r vol. par an
collaboration capitale de Pierre Léon sur depuis 1964 ; Population, I. N. E. D., 6 vol.
Pindustrie), XvI-779 p. + planches, P. U. F., par an depuis 1946; Population Studies,
Paris, 1970. Phyllis DEANE et W. A. COLE, London School of Economics, 3 n° par an
British Economic Growth, 1688-1759, Trends depuis 1946; et naturellement les Annales
and Structure, XVI-348 p. + graph., At the E. S. C. et la Revue historique.
I. CADRE HISTORIQUE
La bibliographie est commune avec /’Europe 384 p., et Eighteenth Century Europe, 5
classique. On se reportera donc aux manuels dana lea Well @Modech: Fiswey Seeke
éprouvés déja cités, depuis les LAVISSE et The New Cambridge Modern History, on
RAMBAUD, les Clio d’E. PRECLIN et V. L. verra le vol. VI, The Rise of Great Britain
Tapif£, pour la période 1680-1788, les HAL- and Russia (1688-1715/25) €édité sous la
PHEN et SAGNAC ot le tome XI de Pierre responsabilité de J. S. BROMLEY (collabora-
Moret (1715-1763) est difficilement rem- teurs), XXXIV-947 p., 1970; le vol. VII, The
placable pour Phistoire politique de la période. Old Regime, 1713-1763, éd. par J. O. Lrnp-
Le succés mérité des tomes 4 et 5 de l’Histotre SAY (coll.), xx-625 p., 1957 et 19633; le
générale des civilisations de Maurice CROUZET, vol. VIII, The American and French Revo-
dus 4 Roland Mousntgr et 4 Roland Mous- lutions, 1763-1793, XXII-748 p., éd. par
NIER et Ernest LABROUSSE (avec collab. de A. Goodwin, 1965 et 1968.
M. BOvuLoIsgzavu), entraine de nombreuses En cours de publication, « la Nouvelle Clio,
rééditions (8° éd.) toujours soigneusement Phistoire et ses problémes » des P. U. F.
mises 4 jour. Rappelons encore de Leonard sous la direction de Robert BoUTRUCHE et
W. Cowie, Seventeenth Century Europe, de Paul LEMERLE. Pour la période qui nous
622
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
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ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
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LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
L’histoire politique, aprés une longue traver- grace 4 Dimpulsion donnée a ces études,
sée du désert, arrive 4 déboucher sur une entre autres par Roland Mousnier au Centre
étude des structures de la décision, sur une de recherches d’histoire de la civilisation
étude sociale de I’Etat. On se bornera a moderne de la Sorbonne. Voyez d’abord les
Pexemple francais, complétement renouvelé ouvrages cités dans la bibliographie procurée
628
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
par A. SOBOUL (0p cit., pp. 610-613) : notam- Inventaire analytique des procés-verbaux du
ment A. ESMEIN, Fr. Olivier MARTIN, J. Conseil du Commerce et du Bureau du Commerce
ELLUL, les volumes de la collection Thémis, (1700-1791), Paris, 1900.
le dictionnaire de M. Marion, G. Pacis, Les correspondances : Correspondance des
J. Ecret, L. VILLAIN. On partira des études contréleurs généraux avec les intendants (1613-
de Roland Mousnizr, la Vénalité des offices 1715), éd. A. de BOISLISLE, 3 vol., Paris, 1878-
sous Henri IV et Louis XIII, xx1x-618 p., 1898 ; Correspondance administrative [...]
Rouen, 1945; le Conseil du Roi de la mort (ne dépasse pas 1715), éd. G. B. DEPPING,
de Henri IV au gouvernement personnel de 4 vol., Paris, 1850-1855 ; Correspondance
Louis XIV, Paris, 1947 ; Lettres et Mémoires politique et administrative de Miromesnil,
adressés au chancelier Séguier (fondamental éd. P. LEVERDIER, 5 vol., Rouen-Paris, 1900-
au plan de la méthode), 1277 p., P. U.F., 1902 ; le Recueil général des anciennes lois
Paris, 1964. R. Mousnikr, J. P. LABATUT et frangaises, t. XX-XXII, 1687-1774, par
Y. DURAND, Problémes de stratification sociale. ISAMBERT, JOURDAN, DEcrRusy et TAILLANDIER,
Deux cahiers de la noblesse, Problémes de 3 vol., Paris, 1830. Le recueil pour histoire
stratification sociale, Actes du Congrés interna- de ’impét de Dionis Du SE£jour, Mémoires
tional (1966) publiés par R. MOUuSNIER, pour servir a& Vhistoire du droit public [...] en
283 p., P. U. F., Paris, 1968; les Hiérarchies matiére d’impéts [...] depuis 1756 jusqu’au
sociales de 1450 a nos jours, 196 p.,P. U. F., mois de juin 1775, Bruxelles, 1779.
Paris, 1969 ; R. MOUSNIER (et collaborateurs), Les journaux : le Journal de l’abbé de Véri,
le Conseil du Roi de Louis XII a la Révolution, éd. J. DE WITTE, 2 vol., Paris, 1928-1930 ;
378 p., P. U. F., Paris, 1970 ; enfin, recueil le Journal de la Régence (1715-1723) par
trés commode d’articles jusqu’alors dispersés, Jean Buvat, éd. E. CAMPARDON, 2 vol.,
R. Movusnier, la Plume, la Faucille et le Paris, 1865; le Journal de l’abbé Dorsanne
Marteau. Institutions et Sociétés en France (pour l’affaire de 1’ Unigenitus), 2 vol., Rome,
du Moyen Age a la Révolution, 404 p., 1753; le Fournal d’Olivier Lefévre d’Ormes-
P..U. F., Paris, 1970. son, éd. A. CHERUEL, 2 vol., Paris, 1860-1861 ;
Jean EGRET couronne une ceuvre consacrée le Journal du marquis de Dangeau, éd. L.
aux résistances 4 la monarchie administra- Dussizux, E. SOULIE, etc., 19 vol., Paris, 1849-
tive au xvuIe® siécle par son Louis XV et 1860 ; Journal et Mémoires de Mathieu Marais,
Popposition parlementaire, 1715-1774, 253 P.> éd, M. DE LESCuURE, 4 vol., Paris, 1863-1868 ;
A. Colin, Paris, 1970, qui suit l’étude sur le Journal et Mémoires du marquis d’Argenson,
Parlement du Dauphiné et les affaires publiques éd. E. J. B. RATHERY, 9 vol., Paris, 1859-
dans la deuxiéme moitié du XVIII* siécle, 1867 ; Journal historique et anecdotique du
2 vol., Arthaud, Grenoble, Paris, 1942; les régne de Louis XV par E. $. F. Barbier, éd.
Derniers Etats du Dauphiné, ibid., 1942 ; la A. DE LA VILLEGILLE, 4 vol., Paris, 1847-
Révolution des notables, 1789, A. Colin, 18563; Fournal inédit du duc de Croy, 1718-1784,
Paris, 1950 et la Pré-Révolution frangaise. éd. vicomte de Groucny et P. CoTTIN, 4 vol.,
1787-1788, P. U. F., Paris, 1962. Paris, 1906-1907. Les éditions des lettres :
La meilleure étude structurelle d’une institu- Lettres de Louis XV a son petit-fils, Vinfant
tion est celle d’un éléve de R. Mousnier, Ferdinand de Parme, éd. Ph. AMIGUET, Paris,
Michel ANTOINE., Je Conseil du Roi sous le 1938; Lettres inédites du chancelier d’Aguesseau,
régne de Louis XV, XXx-666 p., Droz, Genéve, éd. D. B. Rives, Paris, 1823 ; Mémoires de
1970, qui s’ajoute a une série d’études remar- Louis XIV pour instruction du Dauphin,
quées sur les Fonds du Conseil d’Etat, 1954 éd. Ch. Dreyss, 2 vol., Paris, 1860; Mé-
et 1955, Henry Desmarest (1661-1741), et moires de*Saint-Simon, éd. A. DE BOISLISLE et
VInventaire des arréts du Conseil du Roi L. LECESTRE, 43 vol., Paris, 1879-1930 (plus
(1715-1720), SEVPEN, Paris, 1968. Ecrits inédits de Saint-Simon, éd. P. FAUGERE,
Rappelons rapidement quelques-unes des Paris, 1880-1893) ; Mémoires du duc de Luynes
sources imprimées essentielles pour une sur la cour de Louis XV, éd. L. DussIEux,
histoire de Etat en France a ]’époque des E. SouLIE, 17 vol., Paris, 1860-1865 ; Mémoires
Lumiéres : P. BONNASSIEUX et E. LELONG, du maréchal de Villars, éd. DE VOGUE, 6 vol.,
629
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
631
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
632
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
633
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
a compléter par Pierre CHAUNU, Elisabeth Pinc-T1-Ho pour la Chine (Harvard, Cam-
CARPENTIER, BOULOISEAU..., WOVELLE, Ch. bridge, 1959), M. F. Dosyns, S. F. Coox,
PETOURAUD. Les enquétes en cours au W. Boran..., les travaux del’ Ecolede Berkeley,
C. R. H. Q. a Caen sur Rouen (J.-P. BARDET) P. CHAUNU (R. H., n° 4, 1960 et R. H., n° 3,
et sur P’élection de Pont-l’Evéque (P. Gou- 1964), pour PAmérique espagnole.
HIER, P. CHAUNU) ont été préparées par les A cette bibliographie, il convient d’ajouter
monographies publiées de Pierre GOUHIER, limportante contribution sur la peste de
1962, M. CAILLARD, M. DuvaL, Ph. GUILLOT, Ch. CARRIERE, M. CouRDURIE, F. REBUFFAT,
M. C. GricourT, P. CHAUNU, 1963; M. Marseille, ville morte, la peste de 1720, 354 P.5
BouveT, M. C. BourDiIn, P. CHAUNU, A M. Garcon éditeur, Marseille, 1968; B
travers la Normandie des XVII¢ et XVIII¢ BENNASSAR, Recherches sur les grandes épidé-
(II), 525 p., Cahiers Annales de Normandie, mies dans le nord de l’Espagne [...] a la fin du
Caen, 1968 ; les articles cités des Annales de XVI¢, problémes de documentation et de
Normandie. On ajoutera les études publiées de méthode, 194 p., SEVPEN, Paris, 1969;
P. CHaunu, M. H. Jouan, « les Originalités Valladolid au siécle d’or, 634 p., Mouton,
démographiques d’un bourg artisanal nor- Paris, La Haye, 1967 ; les études en cours de
mand au xvull® siécle : Villedieu-les-Poéles J. M. BrraBEN, articles dans les Annales
(1711-1790) », J. LELONG, « Saint-Pierre-Eglise E. S. C., le Concours médical, Population ;
(1657-1790) », Ph. WieL, « Une grosse pa- E. CARPENTIER ; cf. encore R. POLLITZER, la
roisse du Cotentin aux XVII® et XVIII® siécles, Peste, Organisation mondiale de la santé,
Tamerville », Annales de démographie histo- Genéve, 1954.
rique, 1969, pp. 85-189. Pour une mise au Une place dans la nouvelle démographie
point rapide, les monographies normandes historique doit étre faite, pour finir, a4
encore inédites, cf. J.-P. BARDET, P. CHAUNU, Emmanuel LE Roy Lapuriz, Paysans de
J.-M. GovugsszE, P. GOUHTER, A. et J.-M. Languedoc, op. cit.; aux enquétes en cours de
VALLEZ, collaboration 4 Histoire de Normandie, publication de PI. N. E. D. (Population... et
Toulouse, Privat, 1970, pp. 255-389, et plus Annales de démographie historique), de
particuli¢rement, pp. 319-346, bibliographie, PE. P. H. E., du C. R. H. Q. de Caen et du
PP. 344-346. Deux grandes études en cours Cambridge Group for the History of Popula-
d’achévement recourent aux possibilités of- tion and Social Structure. Voyez donc
fertes par Ilutilisation sérielle des sources Population in History, Londres, 1965, déja
momentanées 4 Vheure de linformatique : cité; Peter Lastetr, D.E.C. Evsrsiey,
Pierre GOuHIER, la Population de Normandie W. A. ARMSTRONG, An introduction to English
du XIII¢ au XIX siécle, bénéficie de la grille Historical Demography, xt1-283 p., Weiden-
spatiale de l’Atlas historique de Normandie, feld and Nicolson, Londres, 1966; les articles
dont il est le principal inventeur; Jacques des membres du Cambridge Group, dans le
DupAqutgr achéve une thése trés importante bulletin du groupe, dans Economic History
sur la Population du Bassin parisien. De ses Review, Population Studies de la London
nombreux articles tant factuels que de méthode School of Economies..., les Annales de démo-
on retiendra d’abord « Sur la population graphie historique, cf. notamment les articles
francaise au XVII® et au XviII® siécle », R. H., de P. E.H. Harr, « Bridal Pregnancy in
fasc. 485, janv.-mars 1968, pp. 43-79. On Rural England in earlier centuries » et
reprendra les Actes, déja cités, du Colloque de « Bridal Pregnancy in earlier Rural England
Liege sur la mortalité, 535 p., éd. par P. further examinated », Population Studies,
HarsIn et E, HELIN, Paris, Genéve, 1965; t. 20, 1966, pp. 233-243 et Population Studies,
Pétude d’Antonio MEIJIDE PARDO sur l’immi- t. 24, 1970, pp. 59-70, et les ouvrages fonda-
gration intrapéninsulaire au xvuir® siécle en mentaux de Th. HoLLIncswortu, Historical
Espagne, le travail novateur d’Aksel LassEN Demography, Londres, 1969 ;Peter LasLETT,
au Danemark et les trés classiques K. J. The World we have lost, 1965, 1968 et Un
BgLocu pour I’Italie. On s’appuiera pour monde que nous avons perdu, op. cit., Flamma-
des comparaisons avec d’autres continents rion, Paris, 1969 et E. A. WRIGLEY, Société
sur A, OKASAKI, A. HAYAMI pour le Japon, et Population, op. cit., Hachette, Paris, 1969.
634
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
V. HISTOIRE SOCIALE
La production est considérable. Elle ne cesse décisifs. Aux ouvrages déja cités (p. 629),
de s’accroitre. L*histoire sociale a beaucoup ajouter Fureurs paysannes. Les paysans dans
gagné au fructueux débat qui a opposé les les révoltes du XVII® siecle (France, Russie,
tenants de l’analyse marxiste, aux possibilités Chine), 354 p., Calmann-Lévy, Paris, 1967 et
trés étendues, aux partisans d’une stratification a ce propos P. CHAUNU, la Quinzaine littéraire,
plus complexe et mieux adaptée 4 la réalité février 1968. Nous renvoyons aux ouvrages
et aux représentations de la société tradition- cités dans l’Europe classique (pp. 670-672) :
nelle. Se reporter, donc, au débat désormais aux articles de Pierre GOUBERT, Georges
historique entre Boris Porchnev et Roland LivET, Jean MEvvRET, Roland MOovusniIER,
Mousnier, commencé en 1958 par la publica- Victor L. Tapré dans le Bulletin de la Société
tion d’un article appelé 4 un grand retentisse- d’étude du XVII¢ siécle, on ajoutera le Dix-
ment, R. MOousSNIER, « Recherches sur les Huitiéme Siécle, dont la publication est reprise
soulévements populaires en France avant la chez Garnier; aux livres et articles d’Ed.
Fronde », Revue d’histoire moderne et contem- ESMONIN, Henri Hauser, Georges MONT-
poraine, V, n° 2, 1958, pp. 81-113, repris GREDIEN, Georges Packs. Pour EsMoNIN,
dans R. MovusnizrR, la Plume, la Faucille et Pessentiel, outre Ja Taille en Normandie,
le Marteau, op. cit., pp. 335-368. L7histoire 560 p., Paris, 1913, et l’édition du Mémoire
sociale hésite devant les possibilités offertes de Voysin de la Noiraye, 183 p., 1913, se
par les machines de la troisitme et de la trouve dans le recueil publié dans la collec-
quatri¢éme génération. Marcel Couturier, tion des publications de la faculté des lettres
inventeur d’une méthode qui permet un gain de Grenoble, intitulé Etudes sur la France des
considérable de productivité au niveau de la XVITe et XVIII siécles, 540 p., P. U. F.,
collecte de l’information, ouvre des possibilités Paris, 19643; on joindra Michel ANTOINE
qu’on n’a pas encore parfaitement maitrisées. (et plus particuli¢rement, Je Conseil du roi
Voyez Marcel CouTuRIER, « Vers une nouvelle sous Louis XV, op. cit., Genéve, 1970, 4 ce
méthodologie mécanographique. La prépara- niveau, JThistoire institutionnelle rejoint
tion des données », Annales E. S. C., juillet- Phistoire sociale), Francois BLUCHE, Jes
aout 1966, pp. 769-778 ; le Langage Forcod, Magistrats au parlement de Paris au XVIII*
30 p. multigraphiées, E. P. H. E., VI section, siécle (fondamental), 460 p., Les Belles-
juillet 19675; Recherches sur les structures Lettres, Paris, 1960, l’Origine des magistrats
sociales de Chdteaudun, 1525-1789, 284 p., de Paris au XVIII¢ siécle, 413 p., Klincksieck,
SEVPEN, Paris, 1969. L’article de 1966 est Paris, 1956, les Honneurs de la Cour, 2 vol., 195735
repris et explicité au chapitre premier de les Magistrats du Grand Conseil au XVIII?
cette thése, « Esquisse de méthodologie siecle, les Pages de la Grande Ecurie, les Magis-
mécanographique », pp. 15-46. trats de la Cour des monnaies de Paris au
Nous avons dit les chevauchements inévitables XVIII¢ siécle, en collaboration avec Pierre
entre ce chapitre d’histoire sociale et le Dourye, [’Anoblissement par charge avant
chapitre sur |’Etat et les institutions. 1789, et un excellent essai de Frangois
Toute l’ceuvre de Roland Mousnier est a Biucue, Je Despotisme éclairé (important),
replacer ici. C’est sous son impulsion, en effet, 380 p., les Grandes Etudes historiques,
que Phistoire sociale du xv1II¢ siécle a marqué Fayard, 1968 ; les études déja citées d’Adeline
en France, depuis dix ans, quelques points DAUMARD et Francois FurReT, Paris, 1961,
635
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
d’Herbert Lutuy, Paris, 1959-1961, sur la lité, 315 p., Calmann-Lévy, Paris, 1968.
banque protestante, et de V. L. Tapiz. L’histoire sociale s’est beaucoup écrite au
Pour un certain nombre de catégories sociales, niveau de la monographie régionale. Partir
groupements professionnels et groupes d’exis- de trois chefs-d’ceuvre récents de l’historio-
tence, plusieurs grandes théses viennent graphie francaise : Pierre GOUBERT, le Beau-
d’aboutir. On a déja signalé Michel ANTOINE vaisis, op. cit., 1960 (on y joindra les Danse et
ajoutons Yves DURAND, les Fermiers généraux les Motte, Paris, 1959, pour la ville de
au XVIII¢ siécle, thése multigraphiée, Beauvais; Louis XIV et 20 millions de Fran-
4 vol., 1 269 folios, Paris, 1969 ; Jean-Pierre ¢ais, 252 p., Fayard, Paris, 1966) ; Emmanuel
Lapatut, les Ducs et pairs de France au Le Roy Lapurig, les Paysans de Languedoc,
XVII¢ siécle, thése multigraphiée, LVII-740 2 vol., 1966 (a leur propos, P. CHAUNU,
folios, Paris, 1970; voyez encore l’article Annales de Normandie, 1960, n° 4, pp. 337-
annonciateur d’une thése 4 paraitre de Marc 365 et R. H., 1967, t. CCXXXVII, fasc. 2,
PERRICHET, « Plume ou Epée : Problémes de Pp. 359-380) et Jean MeyeER, la Noblesse
carriére dans quelques familles d’officiers bretonne au XVIII® siécle, 2 vol., CVI-I 292 p. +
d’administration de la MarineauxviI® siécle », cartes, SEVPEN, Paris, 1966. On retiendra
Actes du g1® Congrés national des sociétés encore les monographies citées (Europe
savantes, Rennes, 1966, Paris, 1969, pp. 145- classique, p. 671) de René BAEHREL (voir mise
181 + nombreux tableaux généalogiques au pointde P. CHAUNUin Mélanges Antony Ba-
hors texte. Sur Paris on ajoutera : Pierre bel, Genéve, 1963,t. I, pp. 337-356), de Henri
GaxoTTE, Paris au XVIII® siécle, 377 p., At- FREVILLE, Georges LEFEBVRE (fondamental),
thaud, Paris, Grenoble, 1968 ; Alphonse Marie Georges LiveT (fondamental), André PLAISSE
MsBwakl, les Structures sociales des quartiers (voir mise au point de P. CHAUNU, Annales
du Marais (ou du Temple), de Saint-Antoine, E. S. C., 1962, n° 6, pp. 1152-1168), Abel
de Saint-Avoye et de Gréve de la Ville de POITRINEAU, B. PORCHNEV, Pierre DE SAINT-
Paris, de 1783 a4 1788 (sur une base notariale Jacos, Marcel Couturier. A ces études, on
et d’aprés les méthodes Mousnier), thése peut encore ajouter Pierre DEYON, Amiens,
multigraphiée, 792 p., Paris, 1970; et on capitale provinciale, étude sur la société urbaine
mordra, pour mieux comprendre, sur le au XVII® siécle (important), X-610 p., Mouton,
xixe, avec L. CHEVALIER, Classes laborieuses, Paris, La Haye, 1967 ; M. GARDEN, Lyon et
classes dangereuses, XXVIII-560 p., Plon, Paris, les Lyonnais au XVIII® siécle (important), Les
1958, 2° éd. 1970; la Formation de la popula- Belles-Lettres, Paris, 1971 ; M. Et Korpi,
tion parisienne au XLX*, I. N. E. D., Paris, Bayeux, op. cit., 1970, pour la ville ;pour les
1950 et Adeline DAUMARD, Ja Bourgeoisie campagnes, H. Sk, les Classes rurales en
parisienne de 1815 a 1848, 670 p., SEVPEN, Bretagne au XVI° et la Révolution, Paris, 1906 ;
Paris, 1963 ; Maisons de Paris et propriétaires R. H. ANDREWS, les Paysans des Mauges au
parisiens au XIX® siécle, 296 p., Cujas, Paris ; XVIII¢, Tours, 1935 ; G. DEBIEN, En haut
Jean VIDALENG, Ja Société francaise de 1815 a Poitou. Défricheurs au travail, Paris, 1952 3
1848, I, le Peuple des campagnes, 401 p., Louis MERLE, la Métairie et l’évolution de la
Marcel Riviére, Paris, 1969. Pour le tableau gdtine poitevine de la fin du Moyen Age a la
social de la France 4 la veille de la Révolution, Révolution, Paris, 1958; Paul Bors, Paysans
on fera une large place au lumineux essai, si de l’OQuest. Des structures économiques et
original, de Francois FuRET et Denis RICHET, Sociales aux options politiques depuis l’époque
la Révolution, 2 vol., les Grandes Heures de révolutionnaire, Le Mans, 1960 ; J. CaRco-
Phistoire de France, Paris, 1965. Et, tout PINO, Une terre normande a la veille de la
récemment, Régine RoBIN, Ja Société fran- Révolution Verneuil, Paris, 1967; Pierre
¢aise en 1789. Semur-en-Auxots, 522 p., Plon, LEON et collaborateurs, Structures économiques
Paris, 1970. S’inspirer d’un renouveau di a et problémes sociaux du monde rural dans la
Phistoriographie anglo-saxonne, notamment France du Sud-Est (fin du XVII°-1835),
R. R. PALMER, The Age of the Democratic 383 p., Les Belles-Lettres, Paris, 1966 ;
Revolution, 2 vol., Princeton, 1959-1964 et Michel VovELLE, « Etat présent des études
1789, les Révolutions de la liberté et de l’éga- de structure agraire en Provence 4 la fin de
636
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
PAncien Régime », Provence historique, n° 74, OrTIZ (trés commode, ajouter du méme
1968, sans oublier la legon des géographes, auteur la Sociedad espafiola en el siglo XVII,
Roger Dion, A. DEMANGEON, M. PHILIPON- II, El estamento eclesiastico, 273 p., XIV,
NEAU, Pierre BRUNET, Jules SIoN, René C. S.1I. C., Madrid, 1970) et Pierre CHAUNU,
MusstT, Etienne JumLLarD, P. DEFFONTAINES, Bulletin hispanique, tome LCVIII, 1966,
M. CHEVALIER, P. Bozon, R. LIvet. n° I et 2, pp. 104-115; J. H. ELLIoT, Richard
Hors de France, nous renvoyons en priorité Herr, Hermann K&LLENBENZ, Henri LAPEYRE,
aux ouvrages déja cités (Europe classique, John LyncH, Mercédés MAULEON Isza,
pp. 671-672) de Pierre ViLar, la Catalogne, Albert SILBERT, l’impressionnante série des
3 vol., 1 800 p., SEVPEN, Paris; deP. CHAUNU, Estudios de Historia Social de Espanta, 4 tomes,
R. H. E. S., 1963, pp. 145 8182, Jaime VI- 5 volumes, sous la direction de Carmelo
CENS VIVES (Historia social y econémica + ViINas Y May, poursuivie, depuis 1968, par
100 titres), Miguel ARTOLA; Annie BERTRAND PAnuario de Historia Econémica y Social
et P. CHAUNU; DESDEVISES DU Dk#sERT, (r&™ numéro, 963 p., Facultad de Filosofia y
Espagne de Ancien Régime jamais remplacé; Letras de la Universidad de Madrid), Madrid,
M. DEFOURNEAUX, la série de José DELEITO Y janv.-déc. 1968; J. DELUMEAU.
PINUELA, G. DEMERSON, Antonio DOMINGUEZ
L’histoire économique s’inscrit dans la longue reste a paraitre et le début du tome VI apporte
durée. La bibliographie est, pour l’essentiel, beaucoup, The Industrial Revolution and
commune aux deux périodes. Toutes les After, 2 vol., éd. par H. J. HABBAKUK et M.
études importantes ont donc été citées dans M. POSTAN, XII-602 ; XII-603-1040 p., Cam-
la bibliographie de Europe classique (op. cit., bridge, 1965. David S. LANDES a développé
pp. 672-675). Au premier plan, les deux sa participation au tome VI de la Cambridge
grandes études de C. E. LABROUSSE : Esquisse dans un livre trés important intitulé The
du mouvement des prix et des revenus en France Unbound Prometheus : Technological Change
au XVIII¢ siécle, 2 vol., XXIX-306 p. et 307- and Industrial Development in Western
697 p., Dalloz, Paris, 1933 ; la Crise de l’écono- Europe from 1750 to the Present, 1X-566 p.,
mie francaise a la fin de Ancien Régime et Cambridge University Press, 1969 ; synthése
au début de la Révolution, 1, Apergus généraux, commode, Amintore FANFANI, Storia Eco-
sources, méthode, objectifs, la crise de la viticul- nomica, XI-683 et XVI-528 p., Turin, 2° éd.,
ture, LXXXv-664 p., P. U.F., Paris, 19443 1965-1970 et, modéle de Vhistoire quanti-
le tome 2, déja cité, de l’Histoire économique tative, la fondamentale étude de Ph. DEANE
et sociale de la France (1660-1789), sous la et W. A. Coe, British economic growth,
direction de F. BRAUDEL et C. E. LABROUSSE, 1688-1959, XVI-348 p., Cambridge Univer-
XVI-779 p., P. U. F., Paris, 1970 ot ont colla- sity Press, 1962 (2° éd. 1964) et Elizabeth
boré Ernest LABROUSSE, Pierre LEON, Pierre Boody ScHUMPETER, English Overseas Trade
GOUBERT, Jean Bouvier, Charles CARRIERE, Statistics 1697-1808, At the Clarendon Press,
Paul Harsin. Tout 4 fait fondamental, la Oxford, 1960. Les prix ont joué en histoire
Cambridge Economic History : le tome IV, économique un réle pionnier. Nous renvoyons
The Economy of Expanding Europe in the donc aux études déja citées dans Europe
Sixteenth an Seventeenth Centuries, éd. par classique (op. cit., pp. 672-673). Voyez a nou-
E. E. Ricu et C. H. WILSON, XXXII-642 p. veau N. DB WAILLY, D’AVENEL, G. WIEBE,
(particulitrement remarquable et débordant Th. RoGers, MAYOEDI E FABRI, BARTO-
la période, le chapitre VII par Fernand LINI, Amintore FANFANI, Johann FALKE,
BRAUDEL et C. SPOONER, Prices in Europe BAHLMANN, G. VON BELOW, DITTMANN,
from 1450 to 1750, pp. 375-486 et pp. 605-614) ; FRIDERESBERG, HELFERICH, HILDEBRAND, KEL-
le tome V, qui nous intéresse plus directement, LER, Kins, UNGgR, le fondamental ELsas,
637
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
638
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
tera, en outre, Marc BLocu, Michel Drvizz, Huguette et Pierre CHAUNU, P. CHAUNU,
G. Dusy, Jean Jacquart, Société et vie I, CRAEYBECKX, Mauro, LAURENT,
rurales dans le sud de la région parisienne du DELUMEAU, DARDEL, DERMIGNY (important),
milieu du XVI¢ au milieu du XVII siécle Michel Moat, V. M. GopinHo, Ch. R.
(trés important), thése multigraphiée, 3 vol., Boxer (important). On ajoutera l’étude trés
I 100 folios, Paris, 1971, A. MEYNIER ; importante de Jean Meyer, Ll’?Armement
B. H. SLICHER VAN Batu, The Agrarian His- nantais dans la deuxiéme moitié du XVIII siécle,
tory of Western Europe, Londres, 1963, et 468 p., SEVPEN, Paris, 1969, et la thése de
toute la collection des A. A. G. Bijdragen, Ch. CARRIERE sur « le Négoce de Marseille
Wageningen (Nederland) qu’il dirige. au XvVIII® siécle », Paris, B. S., 2 000 folios,
Restent les industries et le commerce. 1970, E.P. H. E. VI°e Section, 1971, 4 paraitre.
Avant tout, Paul MANToux, la Révolution Pour une étude de croissance, les 11 volumes
industrielle au XVIII¢ siécle (sans une ride), parus de l’Histoire quantitative de l’économie
573 P., Paris, 1906, 2° éd. 1947. frangaise sont irremplacables ; L’article de
Pour le batiment, J.-P. BARDET, P. CHAUNU, Francois CrouzeT, « Angleterre et France
G. DEsERT, P. GounteR, H. NEvEux, le Bati- au Xvure siécle. Essai d’analyse comparée »
ment dans la société traditionnelle. Enquéte (fondamental), Annales E. S. C., 1966, n° 2,
@ histoire économique, XIV°-X1X¢® siecle, 550p., Pp. 254-291, ainsi que Ph. DEANE et W. A.
Mouton, Paris, 1971. COLE souvent cités. On retiendra encore
Pour la métallurgie, on reprendra G. et H. B. GILLE et SLICHER VAN BATH. Pour les
Bourain, B. G1ILie (fondamental), P. LEON recherches du C. R. H. Q. de Caen et les
(fondamental) et Jean VIDALENC. développements de VThistoire quantitative
Pour le textile et les autres secteurs de 1’éco- et de Phistoire sérielle, cf. Pierre CHAUNU,
nomie, on aura recours aux ouvrages cités « [Histoire sérielle. Bilan et perspectives »,
(Europe classique, p. 673) de Pierre BALLOT, R. H., 1970, n° 2, fasc. 494, pp. 297-320
Introduction du machinisme dans Il’tndustrie (abondante bibliographie).
frangaise, Paris, 1920. Pierre BELON, P. Bols- Sur les prodromes de la révolution indus-
SONNADE, Francois DorNic, Germain Mar- trielle, outre Paul Manroux (fondamental),
TIN et Ch. Srncer, E. J. Ho“~myarp, A. R. T. S. ASHTON, le tome VI de la Cambridge
Hatt, Trevor I. Wittiams, A history of Economic History ; David S. LANDES, The
technology, t. III et t. IV, Oxford, 1957-1958 Unbound Prometheus (capital), op. cit. ; Fran-
et les deux volumes déja cités de l’Histoire cois Crouzet, l’Economie britannique et le
générale des techniques de Maurice DAUMAS. blocus continental (fondamental), 2 vol., 953 Pe.»
Pour les principaux secteurs régionaux, P. U. F., Paris, 1958; B. GILLE et Maurice
nous renvoyons aux ouvrages cités (Europe Livy-LeEBoYER, les Banques européennes et
classique, pp. 673-674). Voyez JorgeDEMACEDO Vindustrialisation [...] (trés important), 813 p.,
et Albert Smpert, le Portugal méditerranéen P. U. F., Paris, 1964; on ajoutera encore
a la fin del’ Ancien Régime (important), 2 vol., Paul BarrocH, Révolution industrielle et sous-
SEVPEN, Paris, 1966; J. CARRERA PUJAL, développement, Sedes, 3° éd., Paris, 19693
Manuel CoLmetro (éd. G. ANES ALVARES), R. M. Hartwe.x, The Causes of the Industrial
les Actes des Conférences internationales d’his- Revolution in England, xu1-177 p., Methuen,
toire économique de Stockholm, Aix-en-Pro- Londres, 1967, 3° éd. 1970, et les travaux
vence, Munich, Bloomington et Leningrad ; de Rondo CAMERON.
Nina BANG et Knud KorstT, CHRISTENSEN,
Toutes les études citées (Europe classique, et collaborateurs, Michel Foucautt, L. TRE-
pp. 675-676) seront évidemment retenues, NARD, J. QuENIART, M. AGULHON, CHAUNU,
voyez A. DupPRONT, H. J. MARTIN, F. FUuRET BouTELeET, GEGOT, CREPILLON, J. IMBERT.
639
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
Peu de domaines ont autant muté. L*histoire RENOUARD) a paru (début de la lettre B)
quantitative devenue histoire sérielle gagne en 1969 également. Mais pour le xviuI¢ siécle,
par pans successifs des secteurs nouveaux a létude fondamentale sur le contenu de l’im-
une connaissance précise. Quelques noms primé est celle réalisée sous limpulsion
émergent : Alphonse DuPRONT pour !’explo- d’Alphonse Dupront par Fran¢gois Furet et
ration scientifique du mental collectif, Fran- Péquipe qu’il anime, Livre et Société dans la
cois FURET, qui conduit les enquétes de la France du XVIII*, t. 1, 238 p., Mouton, Paris,
VIe section de E. P. H. E. sur tous les élé- La Haye, 1965, par G. BOLLEME, A. DUPRONT,
ments mesurables de la culture, Maurice F. Furet, D. RocHE, J. ROGER, et plus parti-
AGULHON, Michel VOVELLE, pour une thése culitrement l’article de F. FurRgT, « la Librai-
sur la mort, 4 paraitre, E. P. H. E. VI¢ section, rie du royaume de France au xvIttr® siécle »,
Mouton, 1972, qui fera date, Piété baroque (pp. 3-32) , t. II par M. T. Bouyssy, J. BRAN-
et déchristianisation : attitudes provengales COLINI, J. L. FLANDRIN, A. FONTANA, F. Fu-
devant la mort au siécle des Lumiéres. Voir RET et D. ROCHE, 228 p., Mouton, Paris, La
encore Gaby et Michel VOvELLE, Vision Haye, 1970; on ajoutera l’important article
de la mort et de l’au-dela en Provence d’aprés de Daniel Rocug, « la Diffusion des Lumiéres,
les autels des dmes du purgatoire XV°-XX® sié- un exemple : l’académie de Chdalons-sur-
cle, 100 p., A. Colin, Paris, 1970. Marne», Annales E. S. C., 1964, n° §, pp. 867-
922 ; un travail paralléle a été fait pour l’aca-
V. L. Tapi# a promu au tout premier plan démie de Caen sous la direction de P. Chaunu
l’analyse sérielle de l’image dans sa grande en- par Jean-Pierre MARTIN. Dans la ligne tracée
quéte sur les retables, V. L. TApi# et colla- par Robert MANDROU dans De Ia culture popu-
borateurs, Jes Retables, Paris, 1971, P. U. F., laire aux XVII¢ et XVIII® siécles. La biblio-
Centre de recherches sur la Civilisation théque bleue de Troyes, 222 p., Stock, Paris,
moderne, 2 vol. (a paraitre). Une place de 1964, Geneviéve BoLLEME, de l’équipe de
premier plan doit étre faite 4 léquipe qui F. Furet, a sorti les Almanachs populaires
anime, 4 Oxford Corpus Christi College, la aux XVII¢ et XVIII® siécles. Essai d’histoire
trés remarquable revue Past and Present. sociale, 149 p., Mouton, Paris, La Haye, 1969,
On doit 4 Past and Present toute une série qui fait suite 4 la monographie languedocienne
de travaux sur les niveaux d’éducation. Voir de Madeleine VENTRE, [’Imprimerie et la
a ce propos M. FLEuRY et P. VALMARY, <« les librairie en Languedoc au dernier siécle de
Progrés de [instruction élémentaire de PAncien Régime (1700-1795), 290 p., Mou-
Louis XIV 4 Napoléon III, d’aprés l’enquéte ton, Paris, La Haye, 1958, et a importante
de Louis Maggiolo » (fondamental), Popu- recherche de Robert Estrvats, la Statistique
lation, 1957, n° 1; W. M. MATHEW, bibliographique de la France sous la monarchie
« Glasgow Students 1740-1839 », Past and au XVIII® siécle, 460 p., Mouton, Paris, La
Present, avril 1966, n° 33, pp. 74-943 deux Haye, 1965. Secteur privilégié de la diffusion
études capitales de L. SToNkE, « The Educa- de l’écrit, le journal ; on partira de I’Histoire
tional Revolution in England, 1560-1640 »; générale de la Presse francaise (sous la direc-
Past and Present, juillet 1964, n° 28, tion de Claude BELLANGER, Jacques GODE-
pp. 41-80 et « Literacy and Education CHOT, Pierre GUIRAL et Fernand TERROU,
in England, 1640-1900 », Past and Pre- préface de Pierre RENOUvIN), t. I, Des ori-
sent, février 1969, n° 42, pp. 69-139. La gines @ 1814, par Louis CHARLET, Jacques
production des livres est fonction du GODECHOT, Robert RANC et, pour l’essentiel,
nombre des lisants. Une série d’études Pexcellent travail de Louis TRENARD (pp. 27-
récentes, MARTIN, QUENIART, TRENARD, et 402), XV-633 p., P. U. F., Paris, 1969.
particulitrement la grande thése de Henri On prend la mesure d’une partie du matériau
Jean Martin, Livre, pouvoir et société a Paris a dominer dans le Catalogue collectif des
au XVII* (1598-1701), 2 vol., 1091 p. + Périodiques conservés dans les bibliothéques
cartes et graphiques, Droz, Genéve, 1969; de Paris et les bibliothégues universitaires,
Libraires parisiens au XVI® siacle (ouvrage 43 vol., B. N., Paris, 1940-1962. Les travaux
publié d’aprés les manuscrits de Philippe anciens ne sont pas tous dépassés. On a réé-
640
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
dité récemment une des études pionniéres, la fin de l’Ancien Régime, 360 p., A. Colin,
€n son temps, d’Eugéne Hatin, Bibliographie 2° éd., Paris, 1967; tome VIII, Je Frangais
historique et critique de la presse périodique hors de France au XVIII*, XLvi-768 p., A.
frangaise, Cxx-660 p., Didot, Paris, 1866, Colin, 2° éd., Paris, 1967 ; tome VIII,2¢ et
rééd., Anthropos, Paris, 1965. A plus forte 3° partie, l’Universalité en Europe et le fran-
raison, Claude SAUGRAIN, Code de Ia librairie gais hors d’Europe, pp. 769-1209, 2° éd.,
et de Vimprimerie de Paris, 1550-1744, Paris, Paris, 1967.
1744, demeure irremplacable. Sur les occa- L’attitude devant l’enfant fait partie des
sionnels et les canards, les nombreuses études mentalités. Voyez donc Philippe Arts, 1960,
d’Elise et Jean-Pierre SEGUIN. Au niveau et Ivy PINCHBECK et Margaret HEWITT, 1969,
de Lessentiel, se rappeler que la collection op. cit. Capitales pour la diffusion des connais-
du fournal des savants représente III gros sances, les publications du R. P. Francois
volumes de 1665 4 1792, les Mémoires de DE DAINVILLE, S. J., « Colléges et fréquenta-
Trévoux, 265 volumes de 1701 a 1767 et les tion scolaire au xviI® », Population, 1957,
collections du Mercure (Mercure galant, PP. 473 sqq. ; « Effectifs des colléges et scola-
Nouveau Mercure galant, Nouveau Mercure, rité aux XVII® et xviml® dans le nord-est de la
Mercure, Mercure de France), 1 577 volumes France », id., pp. 455-488, 1955; « l’Enseigne-
de 1677 4 1791. Pour la proche et complé- ment des mathématiques dans les colléges
mentaire Hollande, l’Histoire des ouvrages de France des xvi et xvir® siécles », Revue
des savants de BASNAGE DE BEAUVAL, 24 vol. @histoire des sciences, t. VII, 1954 ; « l’Ensei-
de 1687 4 1709; la Bibliothéque ancienne et gnement des mathématiques au XVvII¢ siécle »,
moderne, 29 vol. de 1686 4 1727; la Biblio- AVIT¢ Siécle, n° 34, 1956, pp. 62-68... et sa
théque raisonnée des ouvrages des savants de participation 4 excellent recueil Enseigne-
Europe par Armand DE LA CHAPELLE..., ment et diffusion des sciences en France au
50 vol., Amsterdam, 1728-1753. L’Angle- AVIII¢ siécle, Ed. René TaTon, 780 p., Her-
terre, seule, dans Europe du xviii siécle, mann, Paris, 1964, et le colloque Niveaux
est susceptible d’aligner une masse presque de culture et groupes sociaux (7-9 mai 1966 a
comparable a la masse d’expression frangaise VEcole normale supérieure), 289 p., Mouton,
qui, de France, des Pays-Bas et de la Hollande, Paris, La Haye, 1967. Georges SNYDERS, la
surtout, domine l’Europe continentale. Pédagogie enFrance aux XVII¢ et XVIII¢ siécles,
459 p., P. U. F., Paris, 1965. Robert MAN-
La langue et son histoire nous introduit au DROU, Magistrats et sorciers en France au
ceeur des strates de la culture. Elle permet XVII¢ siécle, 583 p., Plon, Paris, 1968 (cf.
de suivre les avances du front d’acculturation Pierre CHAUNU, « Sur la fin des sorciers au
de la civilisation écrite. Pour chacune des xvire siécle », Annales E. S. C., 1969, n° 4,
grandes langues de l’Europe, voir donc les juillet-aoit, pp. 895-911) éclaire un point
équivalents approximatifs de notre fonda- capital de Vhistoire des mentalités. Marc
mental Ferdinand BruNoT. Voyez le tome SORIANO, les Contes de Perrault, culture savante
IV, la Langue classique (1660-1715) en et traditions populaires, 525 p., Gallimard,
2 volumes ; le tome V, le Frangais en France et Paris, 1968, renouvelle le probléme des
hors de France au XVII¢ siécle ; mais surtout, contacts entre littérature parlée et littérature
pour notre sujet, les tomes VI, VII, Vu, écrite. Alain LoTTIN, Vie et mentalité d’un
récemment réédités avec des bibliographies Lillois sous Louis XIV (fondamental), 443 p.
mises 4 jour par Frédéric DELOFFRE pour + cartes, Emile Raoust, Lille, 1968, éclaive
le tome VI, Frédéric DELOFFRE et Jacqueline le probléme de la culture populaire au début
HELLEGOUARC’H pour les tomes VII et VIII; de lalphabétisation.
tome VI, Je XVIII¢ Siécle, 1° partie, XXXIV- Maurice AGULHON fait la liaison XvVIIIe-
519 p., A. Colin, 2° éd., 1966; tome VI, xix¢ dans Pénitents et Francs-Magons de l’an-
1? partie (2), pp. 520-824 ; tome VI, 2° par- cienne Provence, 452 p., Fayard, Paris, 1968,
tie (1), XVI-pp. 860-1408, ibid. ; tome VI, et la République au village, 543 p., Plon,
2¢ partie (2), pp. 1410-2191, ibid. ; tome vu, Paris, 1970.
la Propagation du frangais en France jusqua Aux études déja citées (Europe classique,
641
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
pp. 675-676) sur ’histoire sérielle de la crimi- cours 4 Caen et les articles 4 paraitre dans les
nalité, on ajoutera la suite de l’enquéte en Annales de Normandie, 1971.
642
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
metaphysics of [...] Newton, 1x-349 p., Londres, portant), R. MousNnigr, P. Mouy, Raymond
1925, et J. B. Bury, The idea of progress, Xv1- NavEs, le Gott de Voltaire, 566 p., Paris, 1930 3
377 p., Londres, 1921 ; Maurice D. Bus- Pierre NAVILLE ; Jean Orreux, Voltaire (trés
NELLI, Diderot et I’Italie, Paris, 1925 ; abbé important), 824 p., Flammarion, Paris, 1966 ;
J. CANDEL, Georges CANGUILHEM, Henri R. R. PALMER ; Virgile Prnot, la Chine et
Carré, J. R. Carré, Pierre CHEVALLIER (un la formation de esprit philosophique en France
2° ouvrage sur la franc-maconnerie, paru, (1640-1740), 480 p., Paris, 1932; René
Vrin, 1968, prend la suite des Ducs sous PINTARD, Raymond Poin, René PoMEAU,
Acacia), G. CHINARD, A. J. DEDIEU ; on a la Religion de Voltaire et aux nombreuses
ajoutera Frédéric DELoFFRE, Une préciosité études voltairiennes, on ajoutera (trés im-
nouvelle : Marivaux et le marivaudage. Etude portant) : l’Europe des lumiéres. Cosmopoli-
de langue et de style, 603 p., Les Belles-Lettres, tisme et unité européenne, 240 p., Stock, Paris,
Paris, 19553 J. DELVAILLE, J. DEvOLVE, 1966 ; Jean PoMMiER, E. H. Price ; G. voN
J. DENIKER, Robert DERATHE, A. R. DESAU- PROSCHWITZ, Introduction a I’étude du voca-
TELS, les Mémoires de Trévoux et le mouvement bulaire de Beaumarchais, Stockholm, Paris,
des idées au XVIII* (1701-1734), XXVU- 1956 ; Joseph PRosT, Jacques Proust, maitre
256 p., I. H. S. J., Rome, 1956 ; M. DREANO ; des études consacrées 4 Diderot, Hippolyte
Joseph Drourt, l’Abbé de Saint-Pierre, RIGAULT, C. DE ROCHEMONTEIX, Daniel
Phomme et Peuvre, VIII-399 p., Champion, RocHe, Henri RoppiER, Jacques Roce,
Paris, 1912; René Ducas, R. ETIEMBLE, M. W. ROMBOUT, L. C. ROSENFIELD, Raymond
Jean Fasre, W. Foixkisrski, Entre le clas- RuyeErR ; Dorothy SCHLEGEL, Shaftesbury and
sicisme et le romantisme. Etude sur l’esthétique the French Deists, Vi1-143 p., Un. North Caro-
et les esthéticiens au XVIII*, 504 p., Cham- lina Press, 1956 ; Robert SHACKLETON, René
pion, Paris, 1925 ;Maurice FoucauttT, H. Gin- Simon, Pierre TRAHARD, Paul VAN TIEGHEN 3
LOT, R. GONNARD, J. L. Gor, B. GROE- Ch. E. VAUGHAN, Studies in the history of
THUYSEN, Pierre GROSCLAUDE, Gaston GRUA 3 political philosophy before and after Rousseau,
Ch. Guyot, Diderot par lui-méme, 191 p., 2 vol., 2® éd., Manchester, 1939; Franco
Paris, 1953 ; H. Hastrncs, Man and beast VENTURA, Paul VERNIERE (trés important),
in French thought of the eighteenth century, Fernand ViaL ; Auguste VIATTE, les Sources
297 p., Baltimore, 1936 ; Paul HAZARD (capi- occultes du romantisme. Illuminisme-théosophie,
tal), Pierre HERMAND, René HuBERT (impor- 1770-1820, 2 vol., Champion, Paris, 1928;
tant), R. P. JAMESON, Elsie JOHNSON, Ch. G. WEULERSEE, et Basil WILLEY.
JouRDAIN ; Werner Krauss, Cartaud de La Pour l’Espagne, voir encore Luis ASTRANA
Villate, 2 vol., Berlin, 1960 ; Jacqueline DE Marin, Jean Baruzi, A. A. VAN BEYSTER-
La Harps, A. LALANDE, G. LANSON, Albert VELDT, Répercussion du souci de pureté de
LANTOINE, G. LARROUMET, G. LEROY, A. sang sur la conception de Vhonneur dans la
LomsarD, 1’Abbé Dubois (1670-1742), VUI- « comedia nueva » espagnole, 239 p., E. J. Brill,
616 p., Paris, 1913 ; Louis MAIGRON, Fonte- Leyde, 1966; P. W. Bomii, P. CHAUNU,
nelle, 405 p., Paris, 1906 ; J. P. MARTIN (et Maxime CHEVALIER, l’Arioste en Espagne,
P. CHAUNU), Pierre MARTINO, P. H. MAsson, 539 p., Bordeaux, 1966; Edmond Cros,
Georges MatTor#, Robert Mauzi (fondamen- Protée et les gueux, 506 p., Paris, Didier, 1967;
tal), Jean MAYER ; Roger MeErcigR, la Réha- G. Detpy, Jean KRYNEN, le Cantique spiri-
bilitation de la nature humaine (1700-1750), tuel de saint Fean de la Croix refondu au XVIIé
491 p., Villemomble, 1960 ; Héléne METZGER, siecle, 337 p. + 157 p., Salamanque, 1948;
les Doctrines chimiques, 496 p., Paris, 1923 ; MENENDEZ Y PELAYO, Manuel NuNEz DE
Newton, Stahl, Boerhaave, Paris, 19303 la Argnas, I’Espagne, des Lumiéres au romantisme,
Notion de la loi morale, Oxford, 1955; K. H. 430 p., Paris, 1964; RODRIGUEZ MARIN, Noé,
Monpjian, la Philosophie d’Helvétius, 440 p., SALOMON (Pierre CHAUNU, «Structures socialel
Moscou, 1959 ; Albert Monop, Frances K. et représentation littéraire », Revue d’histoirs
Montcomery, Ja Vie et l’auvre du P. Buf- économique et sociale, vol. XLV, 1967, n° 2e
fier, 230 p., Paris, 1930 ; A. R. MOREHOUSE, Pp. 153-174), Jean SARRAILH.
André Morize, Daniel MorRNET (trés im-
643
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
X. HISTOIRE DE L’ART
Signalons tout d’abord les ouvrages dont caise de Le Nain a Fragonard, gr. in-4°, 277 P.;
nous nous sommes le plus directement et le Skira, Genéve, 1964. Pierre VERLET, /’Art
plus constamment inspiré : Jean BABELON du meuble ad Paris au XVIII¢ siécle, 128 p.,
et collaborateurs, Michel FLORISOONE, Jacques P. U. F., Paris, 1958 ; les Meubles du XVIII*
VANUXEM, I, ANDRE-VINCENT, Histoire de Vart siécle, t. I., Menuiserie, VIII-125 p. + XXXII
de l’Encyclopédie de la Pléiade, t. III, 1684 p., planches, P. U. F., Paris, 1956 ; t. II, Ebé-
Paris, 1965; Norbert Durourca, Fean- nisterie, VIII-133. p. + XXXII _planches,
Sébastien Bach, le maitre de Vorgue, 431 p.; P. U. F., Paris, 1956; Heinrich WOLFFLIN,
Librairie Floury, Paris, 1948 ; le Clavecin, Renaissance et Baroque, 1961, trad. francaise,
128 p., P. U. F., Paris, 1949, 2© éd., 1967 ; 348 p., Paris, 1967.
Guy Dumor et coll., Histoire des spectacles
de l’Encyclopédie de la Pléiade, xx-2 040 p.,
Paris, 1965; Paul GuINaRD, les Peintres
espagnols, 403 p., Librairie générale frangaise, Peut-étre faut-il rappeler les sources? L’Eu-
Paris, 1967. E. H. GomBRICH, /’Art et son rope des Lumiéres a beaucoup produit. Elle
histoire, t. 2, 380 p., trad. Julliard, Paris, s’est interrogée aussi sur le beau. Peintres et
1967 ; Louis Hauteccur, Histoire de V’archi- architectes se sont appuyés sur le livre. Voyez
tecture classique en France, tome II, le Régne les peintres. Et rien que pour la France :
de Louis XIV, 2® partie, gr. in-4°, 525-939 P., Abraham Bossz, Sentiments sur la distinction
A. et J. Picard, Paris, 1948 ; tome III, Pre- des diverses maniéres de peinture, Paris, 1649 ;
miére Moitié du XVIII siécle. Le style Louis le Peintre converti aux précises et universelles
XV, gr. in-4°, I1X-673 p., ibid., Paris, 1950 ; régles de son art, Paris, 1667. Roland FREART
tome IV, Seconde Moitié du XVIII® siécle. DE CHAMBRAY, Idée de la perfection de la pein-
Le style Louis XVI. 1750-1792, gr. in-4°, VII- ture, Le Mans, 1662. André FELIBIEN, Entre-
577 p., ibid., Paris, 1952. Pierre LAVEDAN, tiens sur les vies et les ouvrages des plus excel-
Histoire de Purbanisme. Renaissance et Temps lents peintres, Paris, 1666-1688. Roger DE
modernes, in-4°, 504 p., Henri Laurens, Pries, Dialogue sur le coloris, Paris, 1673;
Paris, 1941 ; Héléne Lecierc, les Origines Conversations sur la connaissance de la pein-
italiennes de Varchitecture thédtrale moderne, ture, Paris, 1677; Dissertation sur les ouvrages
E. P. H. E., Paris, 1946. Michaél Levey, la des plus fameux peintres, Paris, 1681 ; Abrégé
Peinture a Venise au XVIII¢ siécle, 1959, trad. de la vie des peintres, Paris, 1699. Jacques
francaise, 1964, 383 p., Julliard, 2° éd., Paris, ResTout, Ja Réforme de la peinture, Caen,
1967. André MICHEL, Histoire de l’art, t. VII, 168x. Antoine CoyPEL, Discours prononcés
Art en Europe au XVIII® siécle, 1*° partie, dans les conférences de I’Académie royale, Paris,
in-4°, 448 p., A. Colin, Paris, 1923 ; 2° partie, 1721. PIGANIOL DE LA Force, Description
in-4°, 449-902 p., A. Colin, Paris, 1925. de Paris, de Versailles [...] et de toutes les
Nikolaus PEVSNER, Génie de Iarchitecture autres belles maisons et chdteaux des environs
européenne, 2° partie, 17 éd., 1943, trad. de Paris, Paris, 1742, 8 volumes. A. J. DEZAL-
frangaise, 319 p., Julliard, Paris, 1970. David LIER D’ARGENVILLE, Abrégé de la vie des
Piper, Painting in England, 1500-1880, 177 p.5 plus fameux peintres de Paris, 3 vol., Paris,
Pelican Book, A 708, 2° éd., Londres, 1965 1745-1752. LAFONT DE SAINT-YENNE, Ré-
Roland MANUEL (et coll.), Histoire de la flexions sur la peinture, Paris, 1746. Charles
musique de l’Encyclopédie de la Pléiade, t. I, Nicolas CocHIN, Recueil de quelques piéces
Des origines a Fean-Sébastien Bach, xiu- concernant les arts, Paris, 1757. Comte de
2 238 p., Gallimard, Paris, 1960; t. II, Du CayLus, Nouveaux sujets de peinture et de
XVIII¢ siécle & nos jours, X1-1 878 p., Galli- sculpture, Paris, 1755 sqq., Vies d’artistes au
mard, Paris, 1963. V. L. Tapié, Barogue et XVIIIe siécle, éd. André FONTAINE, Paris,
Classicisme, 385 p., Plon,Paris, 1957. J. THUIL- 1910. Denis DipzroT, les Salons (1759-1781),
LIER et Albert CHATELET, Ja Peinture fran- éd. ASSERAT, Paris, 1876 ; éd. Jean SEZNEC
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ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
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tal). BACHAUMONT, Lettres sur les peintures Paris, Neuchatel, 1950. A. T. BOLTON, Adam,
exposées au Louvre (1767-1774), Londres, 2 vol., Londres, 1922. Michel BRENET, Haydn,
1780 ; Mémoires secrets, éd. Paris, 1859. Paris, 1909. André CuastTEL, /’Art italien,
Du c6té de Varchitecture, on retiendra : 2 vol., Paris, 1956; éd. Actes du Colloque;
MARIETTE, Il’Architecture frangaise, 4 vol. Nicolas Poussin, 2 vol., Paris, 1960. E. CROFT-
in-folio, Paris, 1727-1738, rééd. L. HauTe- Murray, Decorative Painting in England,
CUR, 3 vol., Paris, 1927. J. F. BLONDEL, 2 vol., Londres, 1962-1964. Emile DACIER
LP’Architecture francaise, 4 vol. in-folio, Paris, et A. VUAFLART, Fean de Fullienne et les gra-
1752-1756. J. F. BLONDEL puis PATTE, Cours veurs de Watteau au XVIII‘, Paris, 1922-1929.
d@architecture, 8 vol. in-8°, Paris, 1771-1779. G. DeEHIO, Geschichte der deutschen Kunst,
J. Ch. Krarrt, Recueil d’architecture civile 6 vol., 2 éd., Berlin, 1921-1931. J. von
contenant les plans, coupes et élévations des DERSCHAU, Sebastiano Ricci, Heidelberg,
chateaux et maisons de campagne situées aux 1922. Carlo DONZELLI, Pittort Veneziani del
environs de Paris, in-folio, Paris, 1806-1807. Settecento, Florence, 1957. Giuseppe FIocco,
J. Ch. Krarrr et N. RANSONNETTE, Plans, Francesco Guardi, Florence, 1923 ; Venetian
coupes et élévations des plus belles maisons Painting of the Seicento and the Settecento,
et hétels construits ad Paris et dans les environs Londres, 1929. Karl GEIRINGER, Joseph
(1771-1802), in-folio, Paris, an IX et X. Haydn, Potsdam, 1932; Haydn a creative
Procés-Verbaux de Il’?Académie royale d’archi- life in music, Londres, 1947. Karl GBIRINGER,
tecture, Paris, 1911-1929; éd. H. LEMON- la Famille Bach, Paris, 1954. Jules et Edmond
NIER, 10 vol. in-8°. THIERY, Guide des voya- DE GoncouRT, ]’Art du XVIII siécle, 3° éd.,
geurs et des étrangers voyageurs a Paris, 2 vol. Paris, 1882 ; Portraits intimes du XVIII¢ stécle,
in-12, Paris, 1787. Paris, 1878. J. A. GOTCH, Inigo Fones, Londres,
On ne saurait éviter non plus les classiques 1928. Edmund HILDEBRANDT, Malerei und
du retour 4 l’antique : MONTFAUCON, 1’Anti- Plastik des 18. Jahrhunderts in Frankreich,
quité expliquée, Paris, 1719. Ch. Nic. COCHIN, Wildpark-Potsdam, 1924. J. V. Hocquarp,
Lettres sur les peintures d’Herculanum, 1751 ; la Pensée musicale de Mozart, Paris, 1958.
Observations sur les antiquités d’Herculanum, René HuyGueE, l’Art et ’homme, t. III, Paris,
1754 ; Lettres d’Italie, 1758. Richard DALTON, 1960; la Peinture frangaise des XVII¢ et
Antiquities and views of Grece and Egypt, XVIII¢, Paris-Bergame, 1962. René HuyGHE
Londres, 1749; Series of engravings repre- (et A. ADHEMAR), Watteau, sa vie, son a@uvre,
senting views in Sicily, Grece, Asia minor and Punivers de Watteau, Paris, 1950. H. KINDER-
Egypt, Londres, 1751-1752. Comte de Cay- MANN, Theater Geschichte Europas, t. III,
Lus, Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, Barockzeit, Salzbourg, 1959. Marques DE
grecques et romaines, Paris, 1752 sqq. WINCKEL- Lozoya, Historia del Arte hispdnico, § vol.,
MANN, Observazione sull’ Architecture degli in-4°, Barcelone, 1931-1949. V. MOSCHINI,
antichi, 1760. Fr. PIRANESE, Magnificenza ed Guardi, Milan, 1952; Canaletto, Milan, 1954;
architettura de’ Romani, Rome, 1761. QUA- Pietro Longhi, Milan, 1956. A. NICHOLL, The
TREMERE DE QUINCY, l’Architecture égyptienne development of the Theater, 4° éd., Londres,
considérée dans son origine, ses principes et 1957. Pierre DE NoLHac, Boucher, Paris,
son gotit et comparée sous les mémes rapports 1907 ; Boucher, premier peintre du rot, Paris,
a larchitecture grecque, Paris, 1803. 1925 ; Nattier, peintre de la Cour de Louis XV,
Paris, 1905, 2° éd. 19253 Elisabeth Vigée-
Lebrun, Paris, 1911 ; Versailles et la Cour de
France, Paris, 1925-1930. A. OULIBICHEFF,
On ajoutera : M. APPoLoNio, Storia dell’ Nouvelle biographie de Mozart, Moscou, 3 vol.,
Arte, Rome, Milan, 1930; Storia del teatro 1843. P. PatTe, Essai sur Varchitecture théd-
italiano, 4 vol., Florence, 1938-1950 3; Ars trale, Paris, 1782. Nikolaus PEVSNER, The
Hispaniae (14 vol. jusqu’a la fin du xvInie 5 buildings of England, Londres, 1951 sqq.,
tome 14, important par G. KuBLER), Madrid, 8 vol. parus en 1970. Louis REAU, Histoire
1947-1957. G. ATTINGER, l’Esprit de com- de la peinture francaise au XVIII*, Paris,
645
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
646
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
Les grands instruments sont communs au que nous connaissons, sont ceux-l4 qui em-
XVII® et au XVIII® siécle, on se reportera donc portent Il’Europe du take off vers la folle
4 TEurope classique (op. cit., p. 675). Entre croissance, la croissance pour la croissance,
le xvire et le xvirr® siécle, la masse des docu- la croissance 4 vide. Ne pas oublier pourtant
ments conservés a, en gros, décuplé sous le destin de ceux qui restent enfermés pour
Peffet du multiplicateur de la civilisation un temps encore dans la transmission tradi-
de l’écrit. C’est dire que tout est a la fois plus tionnelle par voir-faire et oui-dire. Pour
simple et infiniment plus complexe. ceux-la, l’image et l’objet n’ont livré qu’une
Plus que la glose, donc, préférer le texte, les part infime de leurs possibilités, L’histoire
milliers de volumes, 4 travers l’Europe, des sérielle doit avoir aujourd’hui pour ambition
grandes éditions. L’érudition littéraire ne d’atteindre, au-dela de la frontiére fonda-
cesse de nous procurer de nouveaux moyens. mentale de l’écrit, les sourds et muets de
Voyez la belle Correspondance de Diderot Phistoire. L’armée de réserve de l’Europe
publiée par Georges ROTH et Jean VARLOOT des Lumiéres vaut la peine d’un long et
(Editions de Minuit, 14 vol. parus en 1968). patient labeur. Elle attend la constitution
Ceux qui écrivent, cing et six fois plus nom- d’une ethnohistoire 4 inventer.
breux 4 la fin du siécle qu’au début, ceux donc
SBC E DES
ILLUSTRATIONS
TEMOINS, AU¥OURD’HUI, :
DU GENIE ARCHITECTURAL DES LUMIERES
Dep
MA PTaDeR STI OHONSEIO O07 Ure soe nce toe te tease ee
. Saint-Paul, Londres (1675-1710). (Ph. Aerofilms limited, Londres. )
Au service de l’armée navale. (Ph. Aerofilms limited, Londres.)
. Sans-souci (1745). (Ph. Hansa-Luftbild, Miinster.)
. Entrevaux. (Ph. Alain Perceval, Paris.)
Turin, la Superga (1711-1731). (Ph. E. N.I. T., Rome.) ;
eH Copenhague, place Amalienborg (1749-1760). (Ph. Royal Danish Ministry,
AAPWN
Copenhague. )
649
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
650
TABLE DES ILLUSTRATIONS
LE SECTEUR TERTIAIRE
DANS LA VIE QUOTIDIENNE
Dee MR URI ATIONS 157 OO Fa.5 Jee oils occ a div’ 0000 be 0630 se eet 5 124
. Le marché de la laine a Breslau. (Ph. Bildarchiv Foto, Marbourg.)
. Auteur-éditeur. (Ph. J. Hyde, exclusivité Arthaud. )
. Homme de loi, homme d’affaires. (Ph. Germanisches National Museum,
Nuremberg.)
La tenue des livres. (Ph. Museum fiir Kunst und Gewerbe, Hambourg.)
. Paret y Alcazar, 1772. (Ph. Ampliaciones y Reproductiones Mas, Barcelone.)
. Juif qui trafique. (Ph. F. Hyde, exclusivité Arthaud.)
. Le vendeur d’estampes. (Ph. 7. Hyde, exclusivité Arthaud.)
. La mort aux rats. (Ph. J. Hyde, exclusivité Arthaud.)
. Voici le guet. (Ph. 7. Hyde, exclusivité Arthaud.)
66. Exotique Russie. (Ph. ¥. Hyde, exclusivité Arthaud. )
. Le marchand de gateaux. (Ph. Richard-Blin, exclusivité Arthaud.)
. L’évacuation des ordures 4 Venise. (Ph. Richard-Blin, exclusivité
Arthaud.)
651
LA CIVILISATION DE L’ EUROPE DES LUMIERES
Légendes. des sllustrations 80 0°86 235 ves sae tannin = 5 oe eee ees eee 212
80. Schleissheim. (Ph. H. Paillasson, exclusivité Arthaud. )
81. Amalienburg. (Ph. H. Paillasson, exclusivité Arthaud.)
82. Le palais d’été de Schénbrunn, cété cour, d’aprés Bellotto. (Ph. Kunst-
historisches Museum, Vienne. )
83. Le Palacio Real. (Ph. Yan, Toulouse.)
84. Caserte. (Ph. Boudot-Lamotte, Paris.)
85. Peterhof. (Ph. Boudot-Lamotte, Paris.)
86. La Mafra. (Ph. Yan, Toulouse.)
AU SERVICE DE L’ESPRIT :
DES LIVRES ET DES HOMMES
Légendes des: tilustrations 87 G05. siscccse seas ures eek ee eee - 226
87. Emmanuel Kant (1724-1804). (Ph. Roger Viollet, Paris.)
88. Une réunion de l’Académie royale d’Angleterre (Royal Society). (Ph.
British Museum, Londres. )
89. John Locke (1632-1704). (Ph. archives Arthaud.)
90. David Hume (1711-1776). (Ph. Richard-Blin, exclusivité Arthaud.)
91. Diderot (1713-1784). (Ph. Bulloz, Paris.)
92. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). (Ph. Bulloz, Paris.)
93. Un Leibniz insolite (1646-1716). (Ph. Roger Viollet, Paris.)
94. Newton (1642-1727) popularisé. (Ph. Giraudon, Paris.)
95 La bibliothéque de Coimbre. (Ph. Yan, Toulouse.)
DE LA PHILOSOPHIE MECANISTE
. A L,AUTONOMIE DE LA SCIENCE
652
TABLE DES ILLUSTRATIONS
LA RELATION A DIEU
653
CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
Légendes des slhtstrations -135 «0-143 .0c+.0. Ges. Oe eas os oe wae eae 356
. Lord Campbell of Cawdor. (Ph. Cawdor Estate, Carmarthenshire.)
. L’assemblée au salon. (Ph. Bulloz, Paris.)
. Le chocolat du matin. (Ph. Ca’ Rezzonico, Venise.)
. La Toilette. (Ph. Galleria dell’ Accademia, Venise.)
. Un intérieur de Hogarth. (Ph. Courtauld Institute of Art, Londres.)
. Le Déjeuner au jambon. (Ph. Bulloz, Paris.)
. Musique de chambre. (Ph. Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg.)
. LaPolenta. (Ph. Ca’ Rezzonico, Venise.
. Elisabeth, lady Taylor. (Ph. Frick Collection, New York.)
654
TABLE DES ILLUSTRATIONS
655
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
LA DECORATION INTERIEURE
DU VICE A LA VERTU,
LEROTIOUE DES LUMIERES
Légendes des tllustrations 188 0-196 2c. cccseeccatvactcsesesne
ewan 472
188. Aline et Valcour. (Ph. Bibliothéque nationale, Paris.)
189. Abandonner la vertu 4 de si grands tourments. (Ph. Bibliothéque Natio-
nale, Paris. )
190. Repentir équivoque. (Ph. Giraudon, Paris.)
191. Les lunettes. (Ph. Réunion des Musées nationaux, Paris.)
192. Victoire O’Murphy. (Ph. Alte Pinakothek, Munich.)
193. La Féte champétre de Watteau. (Ph. Wallace Collection, Londres.)
194. Les ruines de Servandoni. (Ph. Bulloz, Paris.)
195. La Tempéte, J. Vernet. (Ph. Giraudon, Paris.)
196. Captain Coram. (Ph. Thomas Coram Foundation for Children, Londres.)
LE MOBILIER
LA MUSIQUE INSTRUMENTALE
656
TABLE DES ILLUSTRATIONS
FAIENCES ET PORCELAINES
LAQEndES AES SHUSITOGORE: BOTA DIT? os Se ne ee sete S088 88 BES Se tes 616
207. Les porcelaines de l’acculturation. (Ph. musée des Arts décoratifs, Paris.)
208. Chinoiserie européenne. (Ph. Historisches Museum, Francfort.)
209. Assiette 4 la corne, Rouen. (Ph. 7. Guillot, Connaissance des Arts, Paris.)
210. Un poéle de faience allemand. (Ph. musée des Arts décoratifs, Paris.)
211. Un service de Meissen. (Ph. Museum fiir Kunst und Gewerbe, Hambourg.)
Leposdes des tUstratins (292° O 2216 ss sos anak cnet ese sees sectes : 617
212-213. Cafetiéres en argent. (Ph. F. Hewicker, Altonaer Museum,
Hambourg.)
214. Couverts en argent. (Ph. #. Schnapp, Connaissance des Arts, Paris.)
215. Plat ciselé. (Ph. M. Nahmias, Connaissance des Arts, Parts.)
216. La soupiére du prince Dolgoranki. (Ph. Kremlin Museum, Moscou.)
217. L’écuelle du Dauphin. (Ph. A. Boitier, Connaissance des Arts, Paris.)
218. Terrine. (Ph. Kunstgewerbemuseum, Berlin.) ;
219. Fontaine. (Ph. 7. Schnapp, Connaissance des Arts, Paris.)
220. Mieux cerner le temps. (Ph. Kunstgewerbemuseum, Berlin.)
221° Vase a couvercle. (Ph. Museum fiir Kunst und Gewerbe, Hambourg.)
LE VETEMENT
657
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
LA MONNAIE
COUVERTURE
661
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
662
TABLE DES MATIERES
663
LA CIVILISATION DE L’EUROPE DES LUMIERES
664
TABLE DES MATIERES
Au verso de la _ couverture
escalier de l’abbaye bénédictine de
Melk, sur le Danube (Autriche).