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PREFACE

C'est, il faut l'avouer, un plaisir rare que de préfacer un volume de


Mélanges offert à Jacques Heurgon. Seules la communauté de nos intérêts
et l'étroitesse de nos relations expliquent que ce privilège puisse me revenir.
Comment ne pas en profiter et ne pas prendre, pour un temps, la liberté
d'analyser les sentiments de tous ceux qui se sentent aujourd'hui réunis
pour célébrer les mérites de l'ami et du savant?
On se plaît, à présent, à insister sur les rapports qui doivent unir
l'enseignement et la science. Où trouver, de cette liaison, en effet i
ndispensable, un exemple plus éclatant que dans la carrière de Jacques
Heurgon? Professeur et savant, il l'a été à titre égal et le bonheur de sa
vie résulte, à n'en pas douter, d'une réussite semblable en deux domaines
qui s'enrichissent l'un l'autre.
Jacques Heurgon a eu une haute idée de son métier d'enseignant. Il
est de cette lignée de grands professeurs qui, par la qualité de leur esprit,
l'ouverture de leur caractère, la richesse et la rigueur de leurs leçons, ont
suscité de nombreuses vocations et, loin d'abandonner après leur éveil leurs
jeunes étudiants, les ont suivis avec sollicitude jusqu'à ce qu'ils deviennent
des maîtres à leur tour. Heureux ceux qui, comme lui, peuvent en regardant
autour de soi, voir à l'œuvre toute une pléiade de jeunes chercheurs, recon
naissants pour les services reçus et soucieux de ne pas décevoir celui qui
leur a accordé sa confiance et ses soins!
Pour susciter de semblables vocations, une condition est naturel
lement indispensable, être soi-même un authentique savant. Nul ne con
testera à Jacques Heurgon cette qualité qui s'est exprimée tout au long
de son œuvre.
L'historien de l'Antiquité doit recourir, on le sait, à tous les registres
d'information dont il dispose, textes littéraires, inscriptions, documents
figurés, puis, s'il le peut, s'élever de l'analyse à la découverte. Tâche
délicate, mais exaltante, quand sur la route en apparence barrée, s'ouvre
XII PREFACE

enfin un passage et qu'au terme d'efforts patients et répétés la pénombre


se dissipe, laissant se dessiner l'image des hommes et des institutions du
passé. Jacques Heurgon, chercheur heureux, a souvent connu ces moments
exquis, récompense d'un long labeur, et d'une plume élégante il a su rendre,
trait par trait, tous les détails du tableau qui s'était imposé à lui.
Ainsi sont nés des livres, vite devenus classiques, et l'aisance du
conteur qui s'efface par discrétion derrière le cours de son récit ne doit
pas faire oublier les longues heures de réflexion, d'hésitation et de doute
qui ont précédé ces découvertes.
La curiosité de l'érudit ne se calme jamais et, aux différentes époques
de la vie, elle se dirige tour à tour vers les problèmes nouveaux que les
lieux eux-mêmes semblent lui présenter. En poste à Alger, Jacques Heurgon
s'est passionn ément intéressé à cette Afrique romaine dont ses maîtres l'avaient
souvent entretenu; en poste à Lille, aux Antiquités Nationales, il a entrepris
de fécondes recherches dans le domaine de l'archéologie gallo-romaine. Mais,
Romain de cœur, il n'a jamais perdu de vue le destin, compartimenté et complexe,
de l'Italie des premiers siècles ni la lente montée d'une Rome, située au
carrefour des routes et des influences. De la Campanie à l'Etrurie, de Capoue
à Cerveteri et Tarquinia, la marche était naturelle et la voie toute tracée.
Cette direction principale d'intérêt explique le choix qu'il a fallu faire,
à la naissance du projet qui arrive aujourd'hui à son terme. Pour éviter
que ces Mélanges ne présentent des dimensions trop vastes et peu con-
ciliables avec les nécessités de l'édition actuelle, décision a dû être prise
de centrer ce volume sur ce qui est aussi le centre de la vie scientifique
de Jacques Heurgon, l'Italie, l'Etrurie, la Rome des premiers siècles. En
écartant, dans leur ensemble, les grands thèmes auxquels j'ai fait allusion,
l'Afrique et la Gaule romaines, on n'oubliait pas l'importance qu'il leur
avait accordée. Mais on donnait à l'ouvrage une unité souhaitable, on en
faisait comme une étape dans ce qui avait été son champ de recherche
préféré.
Beaucoup de reconnaissance est due à Georges Vallet qui, à la tête
de l'Ecole française de Rome, a considéré comme un titre d'honneur pour
elle d'accueillir cet hommage à l'un de ses plus glorieux membres; à Pierre
Gros et Michel Gras qui auront été des maîtres d'œuvre attentifs et sans
reproche. Grâce à eux, les collections de l'Ecole s'enrichissent d'un beau
livre, portant le nom d'un savant, aussi connu en Italie et en d'autres pays
qu'en France même, et auquel une vague d'amitiés à tenu à offrir le plus
durable des présents.

Raymond BLOCH
BIBLIOGRAPHIE DES TRAVAUXDE JACQUES HEURGON
1929-1974
(Les titres pourvus d'un astérisque sont des livres)

I - LITTÉRATURE ET PHILOLOGIE LATINES

Un exemple peu connu de la « retractatio » virgilienne, Revue des Etudes


Latines, IX, 1931, p. 258-268.
Orphée et Eurydice avant Virgile, Mélanges de l'Ecole française de Rome,
XLVII, 1932, p. 6-60.
Le préteur P. Decius et Vimperium de Marius (Sail, Jug., 73, 7), Revue
des Etudes Latines, XVI, 1938, p. 161-168.
La date du « Peruigilium Veneris », Mélanges A. Ernout, 1940, p. 177-186.
« Octauo lanam Lunam »: traces de la semaine de sept jours chez Caton
et Varron, Revue des Etudes Latines, XXV, 1947, p. 236-249.
Salluste et le serment sacrificiel de Catilina, Mélanges Ch. Picard, 1949,
p. 438-447.
Note sur V« âme vaste » de Catilina, Bulletin de l'Association Guillaume
Budé, 1949, p. 29-31.
Sur un édile de Térence, Revue des Etudes Latines, XXVII, 1949, p. 106-108.
Un cliché métrique dans le « Peruigilium Veneris » Revue des Etudes
Latines, XXVII, 1949, p. 107-108.
L'effort de style de Varron dans les « Res Rusticae », Revue de Philologie,
XXIV, 1950, p. 57-71.
La lettre de Cicéron à P. Sittius (Fam., V, 17), Latomus, IX, 1950,
p. 369-377.
Au dossier des deux Paies (Van., R.R., II, 1, 9), Latomus, X, 1951,
p. 277-278.
La fixation des noms de lieux en latin d'après les itinéraires routiers,
Revue de Philologie, XXVI, 1952, p. 169-178.
Plaute, «Mercator», 16-17, Antidôron U. Paoli, Gênes, 1956, p. 163-167.
Le passage des Alpes par les Gaulois (Liv., V, 34, 8), Revue des Etudes
Latines, XXXIV, 1956, p. 85-88.
XIV BIBLIOGRAPHIE

- Fra Giocondo et l'édition du Xe livre de la Correspondance de Pline le


Jeune, Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1956,
p. 57-63.
- Virgile, la poésie et la vérité, L'Information Littéraire, X, 1958, p. 68-72.
*- Ennius: I. Les- Annales. - II. Fragments tragiques, Centre de Documentat
ion Universitaire, 1958: 2 vol. de 125 et 79 p.
*- Lucilius, Centre de Documentation Universitaire, 1959: 1 vol. de 173 p.
- « Muliebris audacia » chez Tite-Live (I, 46, 6), Revue des Etudes Latines,
XXXVIII, 1960, p. 38-40.
- Mécène, « De cultu suo » (Sén., Ad Luc, 114, 5), Revue des Etudes Latines,
XXXIX, 1961, p. 49-51.
*- Tite-Live, « Ab urbe condita liber primus », Collection Erasme, 1963, 1 vol.
in 16 jésus de 196 p.
- « Soli Fidei ». Notes critiques sur Tite-Live, livre I, Mélanges Herescu,
1964, p. 183-191.
- L'épizootie du Norique et l'Histoire, Revue des Etudes Latines, XLII, 1964,
p. 231-247.
- Les éléments italiques dans la Satire latine: Lucilius et Perse,
schaftliche Zeitschrift der Universität Rostock, XV, 1966, p. 431-439.
- Tityre, Alfenus Varus et les problèmes juridiques de la Iere Eglogue,
Cahiers de Tunisie, Mélanges Ch. Saumagne, XV, 1967, p. 39-45.
- Entre la nostalgie et l'espérance, dans « Rome au temps d'Auguste », 1967,
p. 149-189.
- Les sortilèges d'un avocat sous Trajan (PI. le /., VI, 2, 2), Hommages à
M. Renard I, 1968, p. 443-448.
- Pline le Jeune tenté par l'Histoire, Revue des Etudes Latines (Mélanges
M. Durry), 1970, p. 346-354.
- Le silence tragique de Didon (En. VI, 450-476), Mélanges P. Boyancé,
1974, p. 395-400.

II - ANTIQUITÉS ROMAINES, ITALIQUES ET ÉTRUSQUES

A) La Rome archaïque:
- L. Cincius et la loi du « clauus annalis », Athenaeum, XLII, 1964, p. 432-437.
- La guerre romaine aux 4e/3e siècles et la « Fides Romana », dans «
blèmes de la guerre à Rome », 1969, p. 23-32.
*- Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, 1 vol.
in-16 de 411p. La traduction italienne, // Mediterraneo occidentale dalla
preistoria a Roma arcaica, Bari, 1972, est revue et corrigée.
BIBLIOGRAPHIE XV

Β) Capoue et le monde osque:


- Les «magistri» des collèges et le relèvement de Capoue de 111 à 71,
Mélanges de l'Ecole francaise.de Rome, LVI, 1939, p. 5-27.
*- Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue pré-
romaine, des origines à la deuxième guerre punique, Paris, 1942, 1 vol.
in-8° de xiv + 483 p., 8 pi., 2 cartes. Thèse principale soutenue en 1945.
2e éd. 1970.
*- Etude sur les inscriptions osques de Capoue dites « iuvilas », Paris, 1942,
1 vol. in-8° de 96 p., 3 pi. Thèse complémentaire.
- D'Apollon Smintheus à P. Decius Mus: la survivance du dieu au rat,
« Sminth- », dans le monde étrusco-italique, Atti del I Congresso inte
rnazionale di Preistoria e Protostoria mediterranea, 1950, p. 483-488.
- Note sur Capoue et les villes campaniennes au IIe siècle de notre ère,
Studies D. M. Robinson, Saint-Louis, 1953, p. 931-937.
- Le « Ver sacrum » romain de 217, Latomus, XV, 1956, p. 137-158.
- Apollon chez les Mamertins, Mélanges de l'Ecole française de Rome,
LXVIII, 1956, p. 63-81.
*- Trois études sur le « Ver sacrum », Collection Latomus, 1956, 1 vol. in-8°
de 52 p.

C) Le monde ombrien:
- L'Ombrie à l'époque des Gracques et de Sylla, Atti del I Convegno di
Studi Umbri, Gubbio, 1963, p. 113-131.

D) Le monde étrusque:
- Le satyre et la mènade étrusques, Mélanges de l'Ecole française de Rome,
XLVI, 1929, p. 96-114.
- «Voltur», Revue des Etudes Latines, XIV, 1936, p. 109-118.
- L'« Elogium » d'un magistrat étrusque découvert à Tarquinia, Mélanges
de l'Ecole française de Rome, LXIII, 1951, p. 119-137. Texte d'une
communication présentée à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
cf. Comptes-rendus, 1950, p. 212-215.
- La vocation étruscologique de l'empereur Claude, Comptes rendus de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1953,p. 92-97,
- Tarquitius Priscus et l'organisation de l'ordre des haruspices sous
pereur Claude, Latomus, XII, 1953, p. 402-417.
- Tite-Live et les Tarquins, L'Information Littéraire, VII, 1955, p. 56-64.
- Le lemme de Festus sur Orcus (p. 222 L.), Hommages M. Niedermann,
1956, p. 168-173.
XVI BIBLIOGRAPHIE

- L'Etat étrusque, Historia, VI, 1957, p. 63-97.


- Influences grecques sur la religion étrusque: l'inscription de « laris pule-
nas », Revue des Etudes Latines, XXXV, 1957, p. 106-126.
- A propos du cognomen Violens et du tombeau des Volumnii, Archeologia
Classica, Χ, 1957, p. 151-159.
- Les pénestes étrusques chez Denys d'Halicarnasse (IX, 5, 4), Latomus,
XVIII, 1959, p. 713-723.
- The date of Vegoia's Prophecy, Journal of Roman Studies, 1959, p. 41-45.
- C. Mamilius Limetanus à Caere, Latomus, XIX, 1960, p. 221-229.
- Observations sur le livre de Zagreb, Bulletin de la Société Nationale des
Antiquaires de France, 1960, p. 133-139
- Les tribunes des spectateurs dans les peintures étrusques, ibid., 1961,
p. 179-183.
- Valeurs féminines et masculines dans la civilisation étrusque, Mélanges
de l'Ecole française de Rome, LXXIII, 1961, p. 139-160.
is- La vie quotidienne chez les Etrusques, 1961, 1 vol. in-16° de 351 p.
- Posidonius et les Etrusques, Hommages A. Grenier, 1962, p. 799-808.
- Un témoignage de Plaute sur la tragédie étrusque, Hommages J. Bayet,
1964, p. 260-263.
- Les inscriptions de Pyrgi et l'alliance étrusco-punique autour de 500
av. J.-C. Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
1965, p. 91-103.
- Note sur la lettre Λ dans les inscriptions étrusques, Mélanges L. Banti,
1965, p. 177-189.
- La coupe d'Aulus Vibenna, Mélanges J. Carcopino, 1966, p. 515-528.
- « Lars », « largus » et « Lare Aineia », Mélanges A. Piganiol, 1966, p. 655-664.
- The Inscriptions of Pyrgi, Journal of Roman Studies, 1966, p. 1-15.
- Magistratures romaines et magistratures étrusques, Entretiens de la
dation Hardt, XIII, 1967, p. 99-132.
- A propos des inscriptions de Pyrgi, Bulletin Archéologique du Comité des
Travaux Historiques, 1968, p. 247-251.
- Un addendum aux « Elogia Tarquiniensia », Archeologia Classica, XXI,
1969, p. 88-91.
- Oinarea-Volsinii, Festschrift F. Altheim, 1969, p. 273-279.
- Inscriptions étrusques de Tunisie, Comptes rendus de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 1969, p. 526-551.
- Les Dardaniens en Afrique, Revue des Etudes Latines, XLVII, 1970,
p. 234-294.
- Classes et ordres chez les Etrusques, dans « Recherches sur les structures
sociales dans l'Antiquité Classique », 1970, p. 29-41.
BIBLIOGRAPHIE XVII

- Recherches sur la fibule d'or inscrite de Chiusi: la plus ancienne


tion épigraphique du nom des Etrusques, Mélanges de l'Ecole française
de Rome, LXXXIII, 1971, p. 9-28.
- Les graffites d'Aléna, dans «La nécropole préromaine d'Aléria», par
J. et L. Jehasse, 1973, p. 547-576.
- La découverte des Etrusques au début du XIXe siècle, Comptes rendus
de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1973, p. 591-600.

E) La Grande Grèce:
- La Magna Grecia e i santuari del Lazio, Atti del Vili Convegno di Studi
sulla Magna Grecia, 1968, p. 9-31.
- / culti non greci della Magna Grecia, Atti del XI Convegno di Studi sulla
Magna Grecia, 1971, p. 55-75.
- Sur le manteau d'Alkisthène, Mélanges Michalowski, 1966, p. 445-450.

Ili - ANTIQUITÉS GALLO-ROMAINES

L'inscription de Tibère à Bavai, Mélanges H. Van De Weerd, L'Antiquité


Classique, XVII, 1948, p. 323-330.
Les problèmes de Boulogne, Revue des Etudes Anciennes, L, 1948, p. 101-111.
Encore un problème de Boulogne: le pont de Drusus, ibid., LI, 1949,
p. 324-326.
De Gesoriacum à Bononia: le changement de nom de Boulogne-sur-mer
au Bas-Empire, Hommages J. Bidez - F. Cumont, 1949, p. 127-133.
Découverte à Amiens d'une patere de bronze émaillée avec une inscrip
tion relative au Mur d'Hadrien, Comptes rendus de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 1949, p. 125-128.
La patere d'Amiens, Monuments Piot, XLI, 1950, p. 93-115.
Les Lassii pompéiens et l'importation des vins italiens en Gaule, La
Parola del Passato, XXIII, 1952, p. 113-118.
La date des gobelets de Vicarello, Revue des Etudes Anciennes, LIV, 1952,
p. 39-50.
Note sur un boutoir antique découvert à Amiens, Mélanges L. Jacob,
Revue du Nord, XXXVI, 1954, p. 147-149.
Informations sur les fouilles de Bavai, Boulogne, Amiens (Ière Circonscript
ion des Antiquités historiques), Gallia, V, 1947, p. 434-438; IX, 1951,
p. 72-81; XII, 1954, p. 129-142.
XVIII BIBLIOGRAPHIE

- Verbinum, article dans la Real-Encyklopädie de Pauly-Wissowa, VIII,


A, 1, 1955.
- Ulmanectes, Viromandui, Virouiacum, Vodgoriacum, articles dans la
Real-Encyklopädie de Pauly-Wissowa, IX, A, 1, 1961.
- Caton et la Gaule Cisalpine, Mélanges W. Seston, 1974, p. 231-247.

IV - ANTIQUITÉS DE L'AFRIQUE DU NORD

Nouvelles recherches à Tipasa, ville de la Maurétanie césarienne, Mélang


es de l'Ecole française de Rome, XL VII, 1930, p. 182-201.
L'œuvre archéologique française en Algérie, Bulletin de l'Association
Guillaume Budé, 1956, p. 3-26.
Les origines campaniennes de la Confédération cirtéenne, Libyca, V,
1957, p. 7-24.
Le Trésor de Ténès, Arts et Métiers graphiques, Paris, 1958, un vol. in-4°
de 80 p., 40 pi.
Fronton de Cirta, Recueil des Notices et Mémoires de la Société Archéolo
gique de Constantine, XIX, 1960, p. 3-15.
Plaques d'os du Musée d'Alger avec la représentation d'Hercule, Bulletin
de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1962, p. 87-93.
Fibel, article dans le Reallexikon für Antike und Christentum, 1958, p. 790-800.

V - NUMISMATIQUE

Le trésor monétaire gallo-romain du Hamel-Bouzancourt, Bulletin de la


Société des Antiquaires de Picardie, 1951, p. 14-21.
Le monnayage des Mamertins, Bulletin de la Société Française de Numism
atique, 1954, p. 298-99.
Traditions étrusco-italiques dans le monnayage de Trébonien Galle,
Studi Etruschi, XXIV, 1955-1956, p. 91-105.
Le monogramme de la fibule de Lengerich, Bulletin de la Société Française
de Numismatique, 1957, p. 99.
Statères de Poseidonia: le graveur (?) Dossenos, ibid., 1959, p. 276.
Monnaies de Constantin II et de Constance II découvertes lors des
fouilles de la nécropole de Bâle, ibid., 1959, p. 294-295.
« Reginon » et « Reginos » sur les drachmes et les tétradrachmes de
Rhégion, ibid., 1959, p. 320-321.
BIBLIOGRAPHIE XIX

Les inscriptions sur la vaisselle d'argent, ibid., 1959, p. 339-340.


Deux contributions récentes de la numismatique à l'étude des noms de
personnages de l'Atellane, Revue des Etudes Latines, XXXVIII, 1960,
p. 43-50.
Le « nouveau dupondius » des Tables Eugubines, Bulletin de la Société
Française de Numismatique, 1960, p. 374-375.
Valeurs comparées de monnaies romaines d'après Polybe (II, 5,6), ibid.,
1960, p. 382.
Sur un sou d'or attribué à Arcadius, ibid., 1960, p. 421.
« Dupondium » et « dupondius », ibid., 1960, p. 451.
Les contremarques sur les revers des didrachmes de Populonia, Atti del
Congresso internazionale di Numismatica, Rome, 1961, p. 159-166.
Un texte de Tite-Live sur la réduction semilibrale de l'as (XXII, 10,7),
Bulletin de la Société Française de Numismatique, 1961, p. 43-44.
Les « nummi » de l'inscription du bois sacré de Lucérie, ibid., 1963,
p. 178-179.

VI - COMPTES RENDUS

Dans diverses revues françaises et étrangères, entre autres:


- La Grande-Grèce d'après quelques travaux récents (J. Bérard, J. Penet,
P. Wuilleumier), Revue du Nord, 1946, p. 19-35.
- S. Mazzarino, Dalla Monarchia allo Stato repubblicano, 1946, Revue des
Etudes Latines, XXVI, 1943, p. 404-408.
- M. Pallottino, L'Arco degli Argentan, 1946, Revue Archéologique, XXVIII,
1947, 2, p. 52-53.
- G. Devoto, Le Tavole di Gubbio, 1948, Revue des Etudes Anciennes, LIV,
1952, p. 170-173.
- K. Schefold, Pompeianische Malerei, 1952, Journal des Savants, 1952,
p. 181-188.
- Les Antiquités du Musée de Mariemont, Revue des Etudes Latines, 1952,
p. 516-518.
- F. Altheim, Römische Geschichte, I, 1951, Latomus, XII, 1953, p. 226-230.
- F. Altheim, Römische Geschichte, Π, 1953, Latomus, XIII, 1954, p. 262-265.
- J. Gagé, Apollon Romain, 1956, Journal des Savants, 1956, p. 97-106.
- G. Vallet, Rhégion et Zancle, 1958, ibid., 1958, p. 154-168.
- P. de Francisci, Primordia Ciuitatis, 1959, Revue des Etudes Latines,
XXXVII, 1959, p. 363-366.
XX BIBLIOGRAPHIE

- R. Lambrechts, Essai sur les magistratures des républiques étrusques,


Latomus, XIX, 1960, p. 605-609.
- R. Thomsen, Early Roman Coinage, 1957-1961, Revue des Etudes Latines,
XL, 1962, p. 411-418.
- K. Latte, Römische Religionsgeschichte, 1960, Latomus, XXI, 1962,
p. 644-649.
- Etudes etrusco -italiques. Mélanges pour le vingt-cinquième anniversaire
de la chaire d'étruscologie de l'Université de Louvain, 1963, Revue
des Etudes Latines, XLII, 1964, p. 663-664.
- J. André, L'alimentation et la cuisine à Rome, 1961, Journal des Savants,
1963, p. 33-37.
- P. G. Gierow, The Iron Age Culture of Latium, II, 1, 1964, Latomus,
XXIV, 1965, p. 725-727.
- J. Willis, Macrobius, 1963, Revue des Etudes Latines, XLIII, 1965, p. 558-563.
- R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy, Books 1-5, 1965, Revue de
logie, XL, 1966, p. 171-175.
- A. Alfoldi, Early Rome and the Latins (1964), Historia, XVI, 1967,
p. 370-377.
- G. Dumézil, La religion romaine archaïque, 1966, Revue des Etudes
nes, LIV, 1966, p. 86-93.
- M. Cristofani, La tomba delle Iscrizioni a Cerveteri, 1965, Revue
gique, 1966, p. 176-177.
- A. Piganiol, La conquête romaine, 5e éd., 1967, Revue des Etudes Latines,
XLVI, 1968, p. 49-53.
- B. Neutsch et divers collaborateurs, Herakleiastudien, 1967, Revue
logique, 1969, p. 159-160.
- J. Poucet, Recherches sur la légende sabine des origines de Rome, 1967,
Revue des Etudes Latines, 1967, p. 574-577.
- H. Hencken, Tarquinia, Villanovans and early Etruscans, 1963, Revue
Archéologique, 1969, p. 153-157.
- P. G. Gierow, The Iron Age of Latium, I, 1966, ibid., p. 157-159.
- J. Mertens et divers collaborateurs, Ordona, I et II, 1965 et 1967, ibid.,
p. 160-161.
- J. Mertens, Alba Fucens, I et II, 1969, ibid., 197,0, p. 350-351.
- A. J. Pfiffig, Ein Opfergelübde an die etruskische Minerva. Studien und
M aterialen zur Interpretation des Bleistreifens von S. Marinella, 1968,
Revue des Etudes Anciennes, LXXI, 1969, p. 174-177.
- A. J. Pfiffig, Die Etruskische Sprache. Versuch einer Gesamtdarstellung,
1969, Latomus, XXX, 1971, p. 1194-1199.
BIBLIOGRAPHIE XXI

A. Momigliano, Quarto contributo' alla storia degli studi classici e del


mondo antico, 1969, Journal des Savants, 1970, p. 253-259.
P. Lavedan et }. Huguenet, Histoire de l'urbanisme, I, 1966, Journal des
Savants, 1970, p. 151-160.
A. H us, Vulci étrusque et étrusco-romaine, 1971, Revue des Etudes Lati
nes, L, 1972, p. 405-407.
Vladimir I. Georgiev, Etruskische Sprachwissenschaft; 1: Altetruskische
Inschriften, 1970; II: Jungetruskische Inschriften, 1971, Revue des
Etudes Anciennes, LXXIV, 1972, p. 278-283.
H. S. Versnel, « Triumphus »: an Inquiry into the Origin, Development
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LXXIV, 1972, p. 392-398.
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G. von Merhart, Hallstatt und Italien, Gesammelte Aufsätze zur frühen
Eisenzeit in Italien und Mitteleuropa, Revue Archéologique, 1973,
p. 149-151.
E. Colonna di Paolo et G. Colonna, Castel d'Asso: le necropoli rupestre
dell'Etruria meridionale, 1970, Revue Archéologique, 1974, p. 111-113.

VII - NOTICES ET VARIA

Notice sur la vie et les travaux de M. André Piganiol, Comptes rendus


de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1970, p. 573-586.
Une lettre inédite de Théodore Mommsen, Studi in onore di G. Grosso,
VI, 1972, p. 1-11.
Notice sur la vie et les travaux de M. Alfred Ernout, Comptes rendus
de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1975, p. 77-93.
TABULA GRATULATORIA

M. G. Achard, Lyon M. H. Chasline, Orléans


M. D. Adamesteanu, Potenza M. R. Chevallier, Antony
M. et Mme J. Ameye, Montpellier M. U. Ciotti, Rome
M. J.-M. André, Dijon Mme D. Cogny, Le Mans
M. P.-E. Arias, Pise M. R. Combes, Montpellier
Mme N. Barbe-Banvard, Paris Mme M. Corbier, Pans
Mme J. Bayet, Paris M. T. Cornell, Rome
Mme A. Beague, Villeneuve d'Ascq M. C. Costopoulos, Tours
M. J. Beaujeu, Paris M. M. H. Crawford, Cambridge
Mme G. Bermond Montanari, Ravenne M. et Mme M. Cristofani, Florence
M. D. Berthe, Nancy M. J. Daudé, Montpellier
M. J. Den Boeft, Leiderdorp (Pays-Bas) M. A. Daviault, Université Laval
Mme N. Boëls, Lambersart (Québec)
M. G. Bonfante, Γζ/rirc M. A. De Franciscis, Naples
Mlle L. Bonfante, New-York M. Y. De Kisch, Pithiviers
Mme M. Bonjour, Lyon Mme L. Delanoy, Le Mans
M. et Mme J.-P. Boucher, Saint-Cyr- M. P. Deletraz, Paris
au-Mont-d'Or M. J.-M. Dentzer, Paris
M. J. Bousquet, Pans M. L. Déroche, Vandoeuvre
M. G. Boussac, Paris M. F. De Ruyt, Kraainem (Belgique)
M. R. Braun, Nice M. J. Desanges, Pans
Mme E. Bréguet, Genève M. O. Desbordes, Landivisiau
M. D. Briquel, Pans M. A. Desmouliez, Montpellier
M. L. Callebat, Luc-sur-Mer Mme M. Desport, Bordeaux
M. J.-P. Callu, Paris M. G. Devallet, Montpellier
M. G. Caputo, Florence M. et Mme A. Di Vita, Rome
M. F. Carrata Thomes, Turin M. R. Dreyfus, Paris
Mme M. Cébeillac-Gervasoni, Naples Mme A. Dubourdieu, Paris
M. F. Chamoux, M. E. Dutoit, Fribourg
XXIV TABULA GRATULATORIA

M. P.-M. Duval, Paris M. G. Lenoir, Tours


M. M.-P. Fauchère, Saint-Bonnet de M. M. Lenoir, Rome
Rochefort M. R. Lequément, Marseille
M. J. Flamant, Venelles M. P. Leveque, Besançon
M. P. Flobert, Sceaux M. G. Leygue, Cerei
M. J. Fontaine, Antony M. et Mme B. Liou, Marseille
M. et Mme L. Forestier, Boulogne/ Seine M. Marache, Rennes
M. J.-C. Fredouille, Toulouse M. et Mme C. Margueron, Paris
Mlle M. Fruyt, Paris Mme F.-H. Massa-Pairault, Rome
M. E. Gabba, Pavie M. L.-R. Ménager, Aix-en-Provence
M. A. Gabillon, Grenoble M. P. Miniconi, Montpellier
M. J. Gagé, Sceaux M. M. Monbrun, L'Union
Mme S. Gély, Montpellier Mme J. Moraux-Hatinhais, Tours
M. R. Gentils, Saint-Etienne M. P. Moreau, Paris
M. J. Gérard, Pans M. J.-P. Morel, Besançon
M. Goujard, Sceaux M. M. Moretti, Rome
Mlle L. Greiner, Strasbourg M. J. Néraudau, Pans
M. C. Guittard, Rome Mlle A. Novara, Montluçon
M. P.-G. Guzzo, Rome M. J. Nussbaum, La Chaux-de-Fonds
M. M. Hano, Paris M. Fr.-J. Oroz, Salamanque
M. R. Hanoune, Lille M. P. Ourliac, Toulouse
M. J. Hellegouarc'h, Viroflay M. F. Panvini Rosati, Rome
M. G. Hentz, Strasbourg M. G. Pellegrini, Padoue
M. L. Holtz, Nß«ies M. J. Perret, Nogent-sur-Marne
M. M. Humbert, Paris M. P. Petitmengin, Pans
M. J.-R. Jannot, Vannes M. G.-Ch. Picard, Versailles
M. P. Jay, Mont-Saint-Aignan M. P. Pouthier, Limoges
M. et Mme J. Jehasse, Lyon M. J. Préaux, Bruxelles
M. P. Jouanique, Pans M. et Mme R. Rebuffat, Sceaux
M. R. Jullian, Vincennes M. M. Renard, Bruxelles
Mlle N. de La Blanchardière, Rome M. M. Reydellet, Rennes
M. R. Lambrechts, Bruxelles M. J.-Cl. Richard, Nantes
M. W. Lameere, Bruxelles M. F. Sartori, Padoue
M. J. Lassus, Aix-en-Provence M. R. Schilling, Strasbourg
M. A. Lauras, Pans M. W. Seston, Pans
M. H. Le Bonniec, Meudon M. R. Stuveras, Saint-Maur-des-
M. et Mme J. Le Gall, L'Hay-les- Fossés
Roses M. A. Tchernia, Aix-en-Provence
M. M. Le Glay, Senan M. J. Thirion, Le Bouscat
M. et Mme R. Le Goff, Fontenay- M. et Mme G. Tibiletti, Bologne
sous-Bois M. E. Tiffou, Montréal
TABULA GRATULATORIA XXV

M. H. Zehnacker, Strasbourg Ecole Normale Supérieure, Tunis


M. M. Zuffa, Urbino Ecole
IVe section,
PratiqueParis
des Hautes Etudes,
Accademia di Danimarca, Rome
Académie Royale de Belgique, Bruxelles Fondation Hardt pour l'Etude de
American Academy, Rome l'Antiquité Classique, Vandoeuvres
Associazione Nazionale per Aquileia, Groupe de Recherches d'Histoire Ro
Aquilée maine, Université, Strasbourg
Biblioteca dei Musei Vaticani, Rome Institut de Latin de l'Université,
Biblioteca dell'Istituto Olandese, Rome Clermont-Ferrand
Biblioteca della Scuola Normale Su Institut de Latin de l'Université de
periore, Pise Nancy II, Nancy
Bibliothèque d'Histoire des Religions, Institut de Latin de l'Université de
Université de Paris-IV, Paris Paris-Sorbonne, Paris
Bibliothèque de l'Ecole Normale Su Institut de Latin de l'Université, Rennes
périeure, Paris Institut de Latin de l'Université,
Bibliothèque de l'Institut d'Archéologie Strasbourg
Méditerranéenne, Aix-en-Provence Institut de Latin de l'Université, Tours
Bibliothèque de l'Université, Aix- Institut Français d'Etudes Anatoliennes,
Marseille Istanbul
Bibliothèque de l'Université, Nantes Institut für Alte Geschichte, Archäologie
Bibliothèque de l'Université, Pau und Epigraphik, Vienne
Bibliothèque de l'Université, Reims Institut Historique Belge, Rome
Bibliothèque de l'Université, Tours Istituto di Archeologia dell'Università,
Bibliothèque de la Sorbonne, Paris Catane
Bibliothèque des Musées Royaux Istituto di Archeologia dell'Università,
d'Art et d'Histoire, Bruxelles Pise
Bibliothèque du Centre de Recherches Istituto di Archeologia e Storia del
Etrusco-Italiques, Paris l'Arte Greca e Romana dell'Università,
Bibliothèque Municipale, Avignon Bari
Bibliothèque Municipale, Nancy Istituto di Civiltà Preclassiche, Bari
British School, Rome Istituto di Etruscologia e Antichità
Centre d'Etudes Romaines et Gallo- Italiche dell'Università, Rome
Romaines de l'Université de Lyon III, Istituto di Norvegia, Rome
Lyon Istituto di Storia Antica dell'Università,
Centre Jean-Bérard, Naples Bologne
Centre Pierre-Paris de l'Université de Istituto di Storia Antica dell'Università,
Bordeaux III, Talence Padoue
Deutsches Archäologisches Institut, Istituto di Storia Antica dell'Università,
Allemagne Fédérale Pavie
Deutsches Archäologisches Institut, Istituto Italiano per la Storia Antica,
Madrid Rome
XXVI TABULA GRATULATORIA

Istituto Svizzero, Rome Soprintendenza alle Antichità della


Jewish National and University Library, Basilicata, Potenza
Jerusalem Soprintendenza alle Antichità della
Librairie de la Sorbonne, Nice Calabria, Reggio
Librairie de l'Université, Dijon Soprintendenza alle Antichità della
Münzen und Medaillen AG, Bale Liguria, Gênes
Musée Romain, Avenches Soprintendenza alle Antichità delle
Office International de Documentat Marche, Ancóne
ion et Librairie, Paris Soprintendenza alle Antichità delle
Presses Universitaires de France, Provincie di Napoli e Caserta, Naples
Paris Soprintendenza alle Antichità delle
Römische-Germanische Kommission, Provincie di Salerno, Avellino e
Francfort Benevento, Salerne
Römisch-Germanisches Zentral-mu- Svenska Institutet I Rom, Rome
seums, May enee UER 5 de l'Université de Lille-III,
Section d'Histoire Ancienne, Université, Villeneuve d'Ascq
Besançon UER d'Art et d'Archéologie de l'Uni
Section de Latin de l'U.E.R. de Lettres, versité Paul-Valéry, Montpellier
Amiens UER d'Etudes Anciennes de l'Université
Section de Latin de l'Université de des Langues et Lettres, Grenoble
Bordeaux III, Talence UER Langages Classiques de l'Uni
Society for the Promotion of Roman versité Paul-Valéry, Montpellier
Studies, Londres UER Lettres Anciennes (Latin) de
Soprintendenza alle Antichità del Lazio, l'Université, Toulouse-Le-Mirail
Rome UER Lettres et Sciences Humaines
Soprintendenza alle Antichità del de l'Université, Saint-Etienne
l'Abruzzo, Chieti Università degli Studi, Sienne
Soprintendenza alle Antichità del Université, Nantes
l'Emilia e della Romagna, Parme University Booksellers, Göteborg
ANDRE BALLANO

SUR LA NUDITÉ DES NYMPHES

La matière de ce petit article, que nous aimerions offrir à Monsieur


Jacques Heurgon comme un hommage de gratitude et d'affection, déborde
en partie le cadre chronologique et géographique assigné aux contributions
de ce volume: nous tentons d'y confronter le texte d'une inscription africaine
d'époque impériale et trois vers de Catulle (carmen 64, 16-18).
E. Albertini publiait en 1928 1 le texte d'une inscription gravée sur
une stèle à fronton triangulaire découverte à Aquae Flavianae près de
Kenchela, au fond de la vallée de l'oued Rissane 2, dans une piscine thermale 3.
Un ancien primipile y dénombre en une sorte d'épigramme de cinq lignes

* Nous remercions de l'aide qu'ils nous ont apportée dans la conception ou la préparat
ion de cet article: M. le Doyen Durry, qui nous a signalé il y a quelques années l'intérêt
de l'inscription d'Aquae Flavianae, et que nous avons récemment consulté sur les études aux
quelles elle avait pu donner lieu; nos amis L. Maurin et P. Petitmengin; enfin et surtout
M. J. Perret, qui a bien voulu lire une première version de cet article, et qui nous a com
muniqué de nombreuses et substantielles annotations, que nous avons en plusieurs endroits
incorporées textuellement à la nouvelle rédaction que nous publions; nous lui devons non
seulement la rectification d'inexactitudes ou d'erreurs (ainsi sur le métrique du texte d'Aquae
Flavianae), nombre de rapprochements et de références, mais aussi d'importants remanie
mentsdans la composition et l'argumentation; nous le prions de bien vouloir trouver ici
l'expression de notre profonde gratitude.
1 BAC, 1928, p. 94; cf. RA, 1928 (2), p. 361, n° 37. Depuis lors, le texte n'a pas fait,
autant que nous sachions, l'objet de rééditions ou de commentaires; il est toutefois évoqué
par P. Petitmengin, Inscriptions de la région de Milev, MEFR, 79, 1967, 1, p. 202, qui note la
forte position des Nymphes en Numidie, spécialement à Aquae Flavianae « où un primipile
audacieux a la chance de les voir nues», et renvoie aux autres dédicaces aux Nymphes du site.
2 (Henchir Hammam; Fontaine Chaude). V. Atlas Arch, de l'Algérie, f. 28, n° 137;
S. Gsell et H. Graillot, Ruines Romaines au Nord de l'Aurès, MEFR, 13, 1893, p. 516-517
et carte de la pi. V; cf. également l'ouvrage de J. Birebent mentionné à la n. suiv.
3 Sur les installations de l'établissement d'Aquae Flavianae, voir J. Birebent, Aquae
Romanae. Recherches d'hydraulique romaine dans l'Est algérien, 1962, p. 237-243, avec
plan p. 239. Il comportait deux piscines, l'une circulaire, l'autre rectangulaire; la notice de
E. Albertini ne précise pas de laquelle a été retirée l'inscription qui nous occupe.
2 ANDRÉ BALLAND

assez fermement dessinées au point de vue syntaxique, et où l'on croit recon


naître l'intention de quasi-vers4 les vœux qu'il a formés au cours de son
existence, et qui ont été exaucés:
Optaui Dacos tenere caesos, tenui;
[optjaui in sella pacis residere (?)5, sedi;
optaui claros sequi triumphos, factum;
optaui primi commoda piena pili6, habfui];
optaui nudas uidere Nymphas, uidi.

4 On hésitera à parler, avec E. Albertini, de sénaires trochaïques, cette forme de vers


n'étant attestée semble-t-il que dans les répertoires des métriciens, cf. Marius Victorinus
(GLK 6, 84, 4), Atilius Fortunatianus (ibid., 288, 1). «Trochaicos trimetros neque tragoedia
neque comoedia unquam agnouit» écrit Bentley (cité par W. Christ, Metrik der Griechen und
Römer, Leipzig, 1874, p. 325).
5 E. Albertini précisait qu'il n'était pas sûr des mots sella pacis residere (lus sur
estampage); la formule, selon lui, ferait allusion à une magistrature municipale occupée par
l'aneien primipile (hypothèse en soi très plausible: voir l'étude de B. Dobson, The centurionate
and social mobility during the Principate, dans Recherches sur les structures sociales dans
l'antiquité classique, Caen 25-26 avril 1969, Paris, 1970, p. 111, sur la place du primipilaris
dans les municipalités: « it was very common for a primipilaris to hold the senior magistracy,
often in his home town, frequently twice or as quinquennalis »...); mais dans ce cas, ainsi
qu'il le remarquait lui-même, on s'attendrait à trouver ce vers après le vers 4. - Ne pourrait-on
plutôt envisager que le vers 2 fasse allusion à quelque fonction d'administration ou de juridiction
confiée au primipile après l'écrasement de l'ennemi Dace et avant la célébration du triomphe
auquel il a dû participer?
6 Commoda est d'usage courant pour désigner les émoluments des militaires de tous
rangs (cf. CLE 986,8: commoda militiae, et les nombreux exemples donnés par le TLL, III,
col. 1928-1929, § 2): son acception peut donc être large, et recouvrir à la fois stipendia et
proemia; mais il se spécialise volontiers dans le sens de proemia, en s'opposant à stipendia:
cf. Suétone, Ner., 32: stipendia... militum et commoda ueteranorum; Id., Aug., 24: alias
(se. legiones) immoderate missionem postulantes citra commoda emeritorum praemiorum
exauctorauit; surtout peut-être Id., Gaius 44, à propos précisément des primipiles: ceterorum
(se. primipilarium) increpita cupiditate commoda emeritae militiae ad sescentorum milium
summam recidit; sur ce texte essentiel mais discuté, cf. A. V. Domazewski, Die Rangordnung
des römischen Heeres, 2e éd. revue par B. Dobson, 1967, p. 117 sq. (et les compléments
de Dobson p. xxxv); P. A. Brunt, Pay and Superannuation in the Roman Army, PBSR,
XVIII, 1950, p. 68, av. n. 15, très réservé sur la somme de 600.000 sesterces; contra B. Dobson,
Legionary centurion or equestrian officer? A comparison of pay and prospects, dans Ancient
Society, III, 1972 (p. 193-207), p. 198. - Dans notre épigramme, commoda peut désigner la
forte solde du primipile (25.000 deniers / 100.000 sesterces, précisément à partir du règne de
Domitien: cf. P. A. Brunt, o.e., tableau p. 71; B. Dobson, o.e., p. 198), mais fait sans doute
plus encore allusion aux riches praemia que reçoit le primipilaire: 125.000 deniers / 600.000 ses
terces, à titre de commoda emeritae militiae: notre homme a sans doute utilisé la pre
mière des trois possibilités qui s'offrent au primipile après un an de service (cf. B. Dobson,
Social mobility, p. 105), à savoir le départ à la retraite avec un très substantiel capital. -
Comment enfin comprendre exactement plena? Par opposition aux soldes et praemia des autres
SUR LA NUDITÉ DES NYMPHES 3

Dans cette litanie des béatitudes assez matérielles d'un ancien officier
satisfait d'avoir fait la carrière qu'il ambitionnait - sous Trajan, sans doute 7,
ou sous Domitien, à en juger par la mention des Daces au vers 1 -, la
dernière rend un son un peu étrange, qui a provoqué l'étonnement de
l'éditeur. De fait, l'affirmation est surprenante - et calculée sans doute pour
surprendre; car, ainsi qu'il le relève, la nudité de Nymphes - comme celle
d'autres divinités - est traditionnellement un de ces spectacles redoutables
qui aveuglent le regard et la raison des hommes8. Il n'y a là d'ailleurs
qu'une expression particulière d'un interdit plus général9: Callimaque, dans
son Hymne Pour le Bain de Pallas, plaçait dans la bouche d'Athéna s'adres-
sant à Chariclô, mère de Tirésias, ce rappel de la «loi de Cronos»: «mais
c'est la loi antique, la loi de Cronos: qui verra quelqu'un des immortels
contre son vouloir paiera cette vue d'un prix lourd » 10. L'indiscret ou
l'imprudent qui aura surpris les Nymphes nues sera durement châtié: il
deviendra νυμφοληπτός Π. Sans doute les récits mythologiques laissent-ils
souvent percevoir l'ambivalence du « châtiment » 12: la cécité ou le délire

autres centurions légionnaires, ou même à ceux de tous les militaires d'une légion (cf. Juvénal,
XVI, 8: commoda communia militiae: mais là, l'expression est métaphorique)? Nous pensons
qu'il faut plutôt donner à piena une valeur active («qui remplit», «qui enrichit»), en songeant
à l'emploi que fait le même Juvénal, XIV, 197 de l'adjectif locuples pour qualifier précisément
le primipilat: ut locupletem aquilani tibi sexagimus annus adferat (on sait que le primipile
est responsable de l'aigle de la légion).
7 C'est la datation proposée par E. Albertini; mais le primipile a pu participer à la
guerre dacique de Domitien (cf. E. Köstlin, Die Donaukriege Domitians, Diss. Tübingen, 1910);
Domitien a célébré un triomphe en 86 à la suite des opérations de Mésie.
8 Cf. par exemple Roscher, Lexicon, s.v. Nymphen, col. 514 (Bloch). Folie et cécité
(ou seulement ophtalmie) demeureront traditionnellement, dans la mentalité populaire, des
châtiments divins: voir, exempli gratia, en Asie Mineure (particulièrement en Méonie) les
« stèles de confession et d'expiation » dressées après que la divinité les a châtiés, par des
dévots repentants: L. Robert, Nouvelles Inscriptions de Sardes, fase. 1er, Paris, 1964, p. 2ό sq
9 Tirésias perdit la vue pour avoir surpris le Bain de Pallas (Callimaque, Pour le Bain
de Pallas, v. 75 sq.); dans cet hymne, le poète invite les assistants à ne pas regarder la statue
de la déesse au moment où on la baigne (v. 51-52: ος κεν ΐδη γυμνάν...); sur le rapport qui
paraît exister entre les mythes du châtiment de mortels avant surpris le bain d'une divinité
et des rituels de bain de statues cultuelles, v. R. Ginouvès, Balaneutikè. Recherches sur le
bain dans l'antiquité grecque, Paris, 1962, p. 293-294.
10 Vers 100-102. Trad. E. Cahen.
11 Cf. M. Ninck, Die Bedeutung des Wassers im Kult und Leben der Alten. Ein
Symbolgeschichtliche Untersuchung, Philologus, Suppltbd XIV, Heft 2, Leipsig 1921, p. 48-49.
12 L'adjectif νυμφοληπτός peut être pris en deux sens fort différents: saisi de folie - ou
inpiré par les Nymphes; cf. P. Decharme, Les Muses. Etude de mythologie grecque, Paris, 1869,
p. 44 av. n. 1.
4 ANDRÉ BALLANO

ne sont parfois, lorsque le coupable n'a pas eu de responsabilité dans sa


faute 13, que l'envers humain de la possession divine et du don de vue
prophétique: la vision de l'interdit obscurcit à jamais les yeux du corps
mais, lorsqu'elle fut innocente, peut ouvrir ceux de l'esprit à la connaissance
des choses futures. Néanmoins, quiconque tient à conserver ses yeux de chair
et sa raison d'homme fuira de tels spectacles: aussi Ovide, qui racontait
dans ses Métamorphoses le châtiment d'Actéon coupable d'avoir aperçu Diane
et ses Nymphes nues u souhaite dans les Fastes, à l'inverse du primipilaire
d'Aquae Flavianae, de ne jamais voir les Dryades, le Bain de Diane, ni
Faunus, à l'heure, dangereuse entre toutes, de midi 15:
Nec Dryadas nec nos uideamus labra Dianae
nec Faunum, media cum premii arua die16.

Et la tradition se poursuivra jusqu'à la fin de l'antiquité païenne: Ausone,


après avoir évoqué dans sa Moselle les ébats aquatiques des Nymphes et des
Satyres, poursuit ainsi:
Sed non haec spedata ulli nec cognita uisu
fas mïhi sit pro parte loqui: secreta tegatur
et commissa suis lateat reuerentia riuis17.

Ainsi l'existence d'une tradition antique et constante, dont nous avons


seulement relevé les traits les plus saillants et les expressions littéraires
les plus célèbres, confère-t-elle au dernier vers de l'inscription d'Aquae
Flavianae un caractère paradoxal et provocant: comment peut-on souhaiter
de voir les Nymphes nues, quand ce spectacle entraîne de si redoutables
conséquences? et, les ayant vues, comment peut-on encore s'en féliciter?
A vrai dire, il se pourrait bien - nous y reviendrons - que ce souhait
paradoxal soit imaginé rétrospectivement afin de donner plus de piquant
à l'affirmation: « je les ai vues (et je m'en félicite) », et contrairement à

13 Tel Tirésias: ούκ έϋέλων δ' είδε τα μή υεμιτά (Callimaque, I.e., v. 78).
14 Metam. Ill, ν. 177 sq.: qui simul intrauit rorantia fontibus antra /sicut erant nudae
uiso sua pectora Nvmphae / percussere uiro subitisque ululatibus omne / inpleuere nemus...
15 C'est l'heure qui rend la nature aux dieux, et donc celle où les rencontres sont le
plus à redouter: c'est à midi que Tirésias aperçut Athéna (Call., I.e., ν. Ίο: μεσαμθριναί δ'εσαν
ώραι), à midi qu'Actéon pénétra dans la grotte où Diane et ses Nymphes se baignaient: iamque
dies médius rerum contraxerat umbras..., Ovide, Metam. III, v. 144; c'est à midi que les
Muses aiment à visiter les hommes: P. Decharme, ο e , p. 149
16 Fastes IV, ν. 761-762.
17 Ausone, Moselle, ν. 186 sq.
SUR LA NUDITÉ DES NYMPHES 5

ce qu'on pourrait croire, il est sans doute moins malaisé de comprendre


où et comment notre homme a vu les Nymphes nues que de concevoir
comment il a pu nourrir longtemps (s'il l'a vraiment fait) un tel désir;
de sorte qu'une hypothèse sur les circonstances de cette vision doit pré
céder la discussion relative à la nature du souhait dont témoignerait
optaui. E. Alberimi a supposé que la vision en question aurait pu être
celle d'un songe: « serait-ce dans un rêve, annonciateur d'une guérison, que
le dédicant a vu les Nymphes d'Aquae Flavianae? ». L'idée est assurément
ingénieuse; mais nous n'avons pas de document prouvant que ces Nymphes
aient été guérisseuses, et surtout l'auteur de l'inscription n'aurait-il pas
été plus explicite, si c'était bien d'une vision de cette sorte qu'il avait été
gratifié? Nous nous sommes pour notre part demandé un temps s'il ne
serait pas possible qu'on eût affaire ici à une sorte de jeu de mots et si
les Nymphes en question n'auraient pas été tout humaines: l'inscription
provient de la piscine d'un établissement thermal 18. Mais, en dépit du
caractère franchement erotique que prennent parfois les Nymphes à l'époque
romaine 19, et qui pouvait faciliter des équivoques de cette sorte, un tel
calembour serait tout à fait déplacé dans un établissement où ces divinités
recevaient un culte, ainsi que l'attestent plusieurs inscriptions20. La solu
tion est sans doute ailleurs. L'ensemble du texte révèle que son auteur,
cet ancien officier si satisfait de son sort, avait l'esprit positif et attaché
aux réalités concrètes; s'il dit avoir vu les Nymphes nues, c'est qu'il les
a vues, de ses yeux vues; et comme il n'a certainement pas conçu son
inscription comme une matière à exégèse savante et subtile, le sens de
son dernier vers, pour nous énigmatique, devait être immédiatement
saisissable pour qui lisait l'inscription dans son contexte antique, à la
place qu'elle était faite pour occuper. Tout s'éclaire, nous semble-t-il, si
l'on admet que l'établissement d'Aquae Flavienae comportait, en évidence
et dans la pièce même où fut placée l'inscription, une représentation quel-

18 Outre son sens classique de «jeune mariée», nympha peut signifier simplement «jeune
femme»: cf. Ovide, Her., IX, 103.
19 Cf. PW, RE, XVII (2), 1937, col. 1547 (qui cite à ce sujet l'inscription d'Aquae Flavianae);
les Nymphes sont dites salaces dans un fragment d'Ovide cité par Festus (p. 437 Lindsav:
«Salariant» dicebant deam aquae, quant putabant salum ciere (hoc est mare mouere. Onde
Ovidius « Nymphaeque salaces »)), improbae dans Sénèque {Phaedra, 780).
20 CIL Vili, supplì 2, n° 17722 et 17723 (dédicace du légat C. Prastina Messalinus);
L. Leschi, Etudes d'Epigraphie, d'Archéologie et d'Histoire africaines, Paris, 1958, p. 277-278.
L'établissement d'Aquae Flavianae comportait même apparemment un « temple » des Nymphes:
E. Albertini, dans BAC, 1928-1929, p. 9j; cf. L. Leschi, o.e., p. 278, n. 1; P. Petitmengin,
o.e., p. 202.
6 ANDRÉ BALLAND

conque (mosaïque, relief, groupe statuaire) de Nymphes21 - qui auraient


pu être celles du lieu. L'interdit religieux qui frappe la contemplation
de la nudité des Nymphes n'avait nullement empêché qu'elles fussent très
tôt représentées nues ou demi-nues22 et les figurations de ce genre sont,
dans tous les domaines des arts plastiques, très fréquentes dès la fin de
l'époque classique, en particulier pour des décors de fontaines. Si l'on
admet cette explication, l'inscription du primipilaire ne comporte plus de
mystère: il a bien vu, d'une certaine façon, les Nymphes nues, et ne s'en
est pas plus mal porté 23.
Nous donnerions donc - provisoirement - à ce uidi une tonalité de
gaillardise et d'humour un peu vulgaire, qui en tout état de cause ne
nous semble pas devoir être radicalement exclue, d'autant qu'elle est assez
dans l'esprit du genre de l'épigramme; uidi pourrait donc être expliqué
relativement à peu de frais; reste à savoir si nous sommes tout à fait quitte
à l'égard du optaui uidere.
On peut, nous l'avons dit, supposer que ce souhait n'est qu'un souhait
prétendu, destiné à aiguiser le dernier trait de l'épigramme (uidi); mais
peut-on assurer qu'il ne soit que cela, et l'exégèse ne risque-t-elle pas
d'être courte, qui réduirait ce dernier vers à la satisfaction un peu épaisse

21 Cf. l'épigramme AP IX, 616 qui suppose l'existence d'un groupe des Charités r
eprésentées nues dans un établissement de bains: L. Robert, Hellenica IV, p. 79-80.
22 Cf. R. Etienne, La mosaïque du «Bain des Nymphes» à Volubilis (Maroc), dans
Actas I. Congr. Arqueol. del Marruecos Esp. (Tetuan 1953), Tetuan, 1955, p. 345-357, qui
étudie une série de monuments représentant la surprise de Diane au bain par Actéon, devenue
sujet fréquent à l'époque impériale.
2j II y avait d'ailleurs, pour les contemporains de notre primipilaire, d'autres occasions
de contempler confortablement, et sans risque aucun, la nudité des Nymphes: à savoir les
spectacles aquatiques où figuraient en particulier des ballets de Néréides. Martial, Spect. XXVI,
évoque l'un d'eux, qui dut se dérouler à l'amphithéâtre flavien, peut-être en « lever de rideau »
d'une naumachie; le répertoire de ces spectales aquatiques paraît avoir été varié et comportait
d'autres sujets mythologiques, comme la légende de Léandre et Héro, également mentionnée
par Martial, Spect. XXV et XXVI; cf., pour quelques décenies plus tard, l'allusion de Fronton,
Epist. III, 13. Ce type de divertissement gagna le théâtre et y constitua une catégorie parti
culière de mimes; sa vogue entraîne, à partir de la fin du Ier siècle (et à commencer par la
partie orientale de l'empire), une singulière innovation dans l'architecture théâtrale: l'orchestra
se transforma en une piscine - la κολυμβήυρα qu'évoque Jean Chrysostome dans l'homélie où
il vitupère l'indécence de ces spectacles: texte cité et étudié par G. Traversari, Tetimimo e
Colimbètra, dans Dioniso XIII, 1950, pp. 18-35; sur ces faits et les textes antiques qui les
concernent, voir la série des articles de cet auteur (et particulièrement, pour la nudité des
actrices, «Foggia di vestire delle tetimime nella colimbètra teatrale», dans Mem. Ace. Patav.
SS.LL.AA LXIX, 1956-57, p. 5-17) repris et complétés dans Gli spettacoli in acqua nel teatro
tardo-antico, Rome, «L'Erma», 1960.
SUR LA NUDITÉ DES NYMPHES 7

d'un retraité qui, après une vie laborieuse, jouit des agréments de la civilisa
tion urbaine qui lui dispense, et sans péril, les plus rares félicités des temps
héroïques? Ne peut-on admettre que dans une civilisation comme celle du
Haut-Empire, nourrie de mythologie, de rêves d'âge d'or ranimés, entretenus
par les poètes et par les représentations figurées qu'ils inspirent, les nostalgies
permanentes de l'humanité puissent éveiller, dans des âmes simples et dans
des milieux peu cultivés, l'écho de formules et de formes qu'après vingt
siècles nous avons pris l'habitude de considérer comme le bien propre des
lettrés? Il est peut-être moins surprenant qu'il ne semble de prime abord
de constater qu'en chacun de ses mots le souhait singulier de notre primipile
répond matériellement au texte célèbre où Catulle évoque la familiarité
des dieux et des hommes au cours de l'âge d'or24: alors que pour la
première fois un navire fend les eaux de la mer, les Néréides stupéfaites
émergent du gouffre blanchissant pour contempler le prodige:
<atque> Ma atque alia uiderunt luce marinas25

24 Cf. L. Ferrerò, Interpretazione di Catullo, Turin, 1955, p. J89 sq.


25 La tradition mss., qui presque unanimement donne Ma atque alia (ilia alia Ο) est
fautive; nous adoptons la correction de Lenchantin de Gubernatis, de préférence à celle de
Vahlen (Ma, <alia> atque alia: Op. Acad., II, Leipzig, 1908; inspirée de c. 68, 152) que
C. J. Fordyce (Catullus, Oxford, 1961, p. 280) juge - trop sévèrement - «pointless and
obscure», et de préférence à celle de G. Lafaye (<hac>, Ma atque alia). La correction de
Bergk, Ma, atque <haud> alia, adoptée par la majorité des éditeurs et commentateurs du
texte de Catulle (ainsi par Schuster, Mynors, Bardon, Quinn) n'est pas, pour le sens, parfait
ement satisfaisante, comme le relèvent dans leurs commentaires C. J. Fordyce et Q. Quinn, et
il est un peu gênant d'attribuer à Catulle, surtout dans l'un de ses carmina docta, une ex
pres ion qui est bien près de contredire la donnée mythologique (cf. K. Quinn, Catullus. The
poems, Glasgow, 1970, p. 304). La correction de G. Friedrich, Ma, <ante haud> alia (Catulli
Veronensis Liber, erklärt von Gustav Friedrich, Leipzig-Berlin, 1908, p. 326 sq.) satisfait sans
doute pleinement aux exigences de la logique et s'autorise d'un rapprochement avec Virgile
En. II, 589-590; mais ce sont là ses seuls mérites, qui ne suffisent pas à emporter la conviction.
Nous ne retenons pas non plus l'hypothèse de P. Oksala (Adnotationes Criticae ad Catulli
Carmina, Helsinki, 1965, p. 66-67) qui propose de lire illa<c> atque alia, Mac et alia étant
à prendre advervialement («d'un côté et de l'autre», «à droite et à gauche»); la difficulté,
à nos yeux, est dans luce (qui vaudrait alors luci): ainsi employé seul, il nous paraît pouvoir
difficilement signifier « en pleine lumière » - comme un équivalent du traditionnel luci claw.
Ceci doit suffire à écarter une hypothèse au demeurant séduisante: car l'association entre œil
et lumière est si constante et traditionnelle (cf. sur cette liaison R. Bultmann, Zur Geschichte
der Lichtsvmbolik im Altertum, Philologus 97, 1948, p. 13 sq.) qu'il était de fait tentant de
donner à luce, rapproché comme il l'est de oculis, le sens de «lumière» plutôt que celui
- à vrai dire très catullien! - de «jour». - L'apparition d'une divinité aux yeux des mortels
est régulièrement baignée de lumière; émanant d'elle et la révélant, elle est également perceptible
dans les apparitions diurnes et chez Catulle même elle illumine l'épiphanie de la bien-aimée
8 ANDRE BALLAND

mortales oculis nudato corpore Nymphas


nutricum tenus exstantes e gurgite cano26.

Tout y est: uiderunt nudato corpore Nymphas, et cinq vers plus loin
YOptaui du primipile s'annonce dans Ο nimis optato saeclorum tempore
nati / Heroes . . .
La légère incertitude qui pèse sur la littéralité du texte de Catulle
au vers 16 n'obère heureusement pas gravement l'interprétation que l'on
peut donner de son tableau. Les commentateurs du carmen 64 ont
souligné à l'envi27 le nombre des souvenirs littéraires grecs qu'il met en
œuvre28; il est certain que cette «marine» témoigne d'abord de la
culture du poète latin et de sa sensibilité picturale et plastique29; mais
elle révèle aussi une pointe de sensualité très humaine dans le trait
ement mythique30 et elle n'est pas sans toucher même les fibres les plus
intimes de sa sensibilité affective et morale. Le génie de Catulle dans ce
passage est sans doute avant tout dans l'échange des regards émerveillés,
dans la découverte simultanée et mutuellement éblouie que font les uns

du c. 68, v. 70-72: quo mea se molli candida diua pede / intulit et trito fulgentem in limine
plantam I innixa arguta constitua solea; cf. G. Lieberg, Puella Divina, Amsterdam, 1962,
p. 187 sq. av. n. 106 sur la valeur de candida.
26 Carmen 64, v. 16-18.
27 Nous avons consulté les commentaires ou éditions commentées de Munro, Ellis,
Baehrens, Friedrich, Kroll, Lenchantin de Gubernatis, Fordyce et Quinn.
28 L'emploi de nutricum au vers 18 est particulièrement révélateur à cet égard: cf.
A. L. Wheeler, Catullus and the Tradition of Ancient Poetry; Sather Classical Lectures, vol. 9,
1964, p. 138.
29 Voir sur ce point E. de Saint-Denis, Le rôle de la mer dans la poésie latine, Lyon,
1935, p. 140-141.
30 L. Ferrerò, o.e., p. 390 et 392: cf. carmen 61, v. 101 sq.: Non tuus... uir... / a tuis
teneris uolet / secubare papillis; 66, v. 81: tradite nudantes reiecta ueste papillas. - J. Soubiran
a étudié de manière fort intéressante {Délie et Thétis: motifs erotiques dans la poésie latine,
Pallas, VII, 1971, p. 59-78) l'utilisation par les poètes latins de figures féminines mythologiques
- au premier rang desquelles celle de Thétis découverte par Pelée - dans l'évocation que
font les élégiaques du corps de leur maîtresse, selon le procédé du «portrait indirect», qui
« consiste à mentionner les seules parties du corps offertes à la vue de chacun, et, pour le
reste, à suggérer au moyen d'une comparaison» {o.e., p. 66); l'auteur commente, p. 71, les
vers de Catulle qui nous occupent (à propos de la comparaison qu'établit Tibulle entre Délie
et Thétis); v. p. 69 sq. sur les représentations figurées de Thétis et des Néréides; et p. 74 sq.
sur les échos qu'a eus dans la littérature de l'époque flavienne la légende de Thétis (que com
mence à concurrencer, avant de la supplanter, Vénus Anadyomène; pour le développement
de ce dernier motif en mosaïque, voir J. Lassus, Vénus marine, dans La mosaïque gréco-
romaine, Paris, 1965, p. 175-191): elle y apparaît intégrée à la thématique érotico-surnaturelle
décrite dans la Divina Puella de G. Lieberg.
SUR LA NUDITÉ DES NYMPHES 9

des autres héros et Néréides31; cette découverte réciproque, d'où naît


instantanément, de part et d'autre, la passion, doit s'interpréter en fonc
tion de l'ensemble du poème, et en particulier en fonction de l'épilogue32,
tout animé du sens de la chute, du sentiment d'une coupure irrémédiable
entre l'humanité pervertie et la divinité désormais lointaine et inaccessible;
la méditation de l'épilogue rejaillit sur la narration épique et lui confère
a posteriori la plénitude de son sens: Vepyllion était - pour une part -
une évasion dans le monde mythique où la rencontre était possible entre
l'homme héroïque et la divinité dévoilée, à la fois univers d'avant la chute
et monde réconcilié, où l'amour était médiateur33. Ces Nymphes marines
émergeant nues des flots - corps féminins dévoilés et divinités révélées34
- en exprimaient déjà, dès les premiers vers du poème, l'innocence et l'unité.
Il nous paraît significatif que Catulle se soit servi, pour qualifier ici les
Néréides, d'une périphrase qui leur donnait ce nom de Nymphes qu'elles
méritaient assurément, mais qui n'est pas, dans leur cas, banal: en mettant
face à face des hommes et des Nymphes nues - ces Nymphes dont la
vue allait devenir si périlleuse -, et en faisant assister à la naissance
immédiate d'un amour innocent qu'allait consacrer une union autorisée par
les dieux, Catulle pouvait-il mieux opposer le monde de l'epos et celui où
vivent les hommes d'aujourd'hui, et mieux faire sentir qu'une pareille rencontre
est l'expression de la parfaite béatitude?
Dépassons, pour finir, cette simple confrontation de deux textes
entre lesquels des concordances verbales très précises établissent un rap
port difficilement contestable, et tentons de préciser la nature de ce rap
port. C'est à dire vrai une enquête hasardeuse, où nous n'aurons guère

31 Voir L. C. Curran, Catullus 64 and the Heroic Age, dans YCS, Cambridge, 1969, p. 176.
J. Granarolo, L'œuvre de Catulle, Paris, 1967, p. 140 sq. précise fort bien les correspondances
entre donnée mythique et réalité intérieure.
32 Cf. R. Waltz, Caractère, sens et composition du poème LXIV de Catulle, dans REL
XXIII, 1945, p. 102 sq., et surtout F. Klingner, Catulls' Peleus-Epos, Munich, 1956; Römische
Geisteswelt, Munich, 1956, p. 219. Voir également Ch. S. Floratos, Über das 64. Gedicht Catulls,
Athènes, 1957, p. 55-56.
33 C'est sans doute le sens de la présence de Prométhée, aux plaies cicatrisées, aux Noces
de Thétis et de Pelée.
34 Au vers 17 du c. 64, nudato n'est pas équivalent à nudo: la divinité se dévoile.
F. Klingner, Römische Geisteswelt, p. 219, mettant en regard la rencontre des Argonautes et
des Néréides et la conclusion du poème, et renvoyant à deux passages de Pindare (IIIe Pythique,
v. 165-168; IVe Néméenne, v. 105-111) où Pelée est donné comme celui qui a vu les dieux,
dégage ainsi le sens symbolique de la vision béatifique du poème catullien: «der Liebesblick
des Menschen, dem sich göttliche Schönheit unverhüllt offenbart»; cf. J. Granarolo, o.e., p. 150.
10 ANDRÉ BALLAND

le choix qu'entre des hypothèses. Et d'abord il y aurait celle qui, arguant


de la différence des époques et des genres, et surtout de la distance con
sidérable, en matière de sensibilité et de spiritualité, qui sépare la vision
prosaïque du primipilaire d'Aquae Flavianae de la rencontre idyllique
des Argonautes et des Néréides de Catulle (même si l'on résiste à donner
à cette dernière un sens trop franchement symbolique), refuserait d'ac
cepter qu'une relation directe puisse exister entre les deux textes; les con
cordances verbales qu'ils présentent pouvant difficilement être mises sur
le compte d'une rencontre fortuite, il faudrait alors supposer que les vers
du poète et l'épigramme d'Aquae Flavianae renvoient, mais indépendamment,
à une conception commune, peut-être véhiculée par une formule de caractère
proverbial, qui aurait fait de la vue des Nymphes nues l'expression allégo
rique de la parfaite félicité; la difficulté est que nous n'avons aucun
indice qu'un tel proverbe ait réellement existé, du moins en latin35. A
l'opposé, sans enfermer pour autant notre primipile dans des souvenirs
exclusivement catulliens et argonautiques - tant son désir de voir les
Nymphes nues36, qu'il ait été réel ou supposé, éveille de souvenirs di
vers37 - on envisagera que le dernier vers de l'épigramme puisse être
un écho direct de ceux de Catulle; des «citations» de ce genre sont assez
fréquentes, on le sait, pour ce qui est de Virgile - et précisément parfois à
propos de Nymphes38. Sans doute l'œuvre de Catulle n'était-elle pas,

35 Nous n'en trouvons aucune trace dans A. Otto, Die Sprichwörter und sprichwörtlichen
Redensarten der Römer, Leipzig, 1890, ni dans les Nachträge zu A. Otto, Sprichwörter...,
Hildesheim, 1968.
36 Quelle est d'ailleurs, dans son épigramme, le sens de cette nudité? Chez Catulle, elle
se comprend parfaitement, puisque l'on a affaire à des nageuses, dont l'une doit d'ailleurs
enflammer le désir de Pelée, et elle exprime en même temps le paroxysme de la confiance
innocente et marque, au plan symbolique, le sommet de la rencontre; dans l'épigramme, elle
ne peut avoir la même signification que si l'auteur imite directement et consciemment Catulle;
et même dans cette hypothèse, il est vraisemblable que le (nudas) uidi - en rapport avec la
décoration de la pièce - a retenti sur le contenu du optaui uidere.
37 Depuis la rencontre du poète et des Muses nues dans le prologue des Αίτια de Calli-
maque, jusqu'aux faciles Nymphae du monde idyllique de la 3e Bucolique (v. 9) et aux danses
printanières qu'évoque Horace (Odes, IV, 7, v. 5-6).
38 L'évocation «homérique» (cf. Od. XIII, v. 10j-104) de la grotte des Nymphes dans
l'Enéide, I, 166-168 est textuellement copiée (mais tronquée) par une inscription africaine
(CIL VIII, 23 673: Intus aque dulces biboque sedilia saxo Numfarum), sans doute relative
à un nymphée-grotte; cf., à Cherchel, la description métrique d'une fontaine, d'inspiration
également virgilienne: CIL VIII, 21 081 (cf. P. Aupert, Le nymphée de Tipasa et les nymphées
et «septizonia» nord-africains, dans Coll. EFR, 16, 1974, p. 71-72); ou encore l'inscription, évidem
mentempruntée au passage de l'Enéide mentionné supra, que porte le bassin semi-circulaire
d'une maison de Nabeul fouillée et étudiée par J. P. Darmon (Neapolis, dans Africa II,
SUR LA NUDITÉ DES NYMPHES 11

comme la sienne, de nature à avoir une riche postérité populaire39; mais


doit-on pour autant tenir pour impossible que l'auteur de l'épigramme, qui
n'était tout de même pas le premier venu40, qui vivait à une époque où
le mythe des Argonautes venait de retrouver, grâce à Valerius Flaccus, le
lustre de l'actualité, et que sa carrière d'officier a conduit à voyager et
à guerroyer au loin dans le voisinage des contrées où s'était déroulée la
quête de la Toison d'or ait pu, sinon se prendre pour un nouveau Pelée
(il le dirait clairement!), du moins vouloir suggérer un rapprochement
entre le mythe et sa propre existence, et en tous cas citer les vers de
Catulle, qu'il devait connaître41. Notre préférence, après avoir hésité, se
porterait en définitive vers une explication de ce genre, parce qu'elle
rend mieux compte du rapprochement textuel que nous avons cru pouvoir
relever, et parce qu'elle sauvegarde, entre l'officier d'Afrique et le poète
des Noces, en dépit de toutes les différences qu'il n'est pas question de
nier ni de minimiser, la possibilité d'une continuité de culture (ou de
lecture) qu'il y aurait sans doute trop de pessimisme et de scepticisme à
vouloir écarter.

1967-1968, p. 271-283; nous avons pu lire en outre, grâce à L. Maurin, le mss. dactylographié
de la thèse de IIIe cycle consacrée par J. P. Darmon aux mosaïques de cette Nymfarum
dornus).
39 Particulièrement évidente dans l'influence qu'elle a exercée sur les Carmina latina
epigraphica (cf. R. P. Hoogma, Der Einfluss Vergils auf die Carmina Latina Epigraphica,
Amsterdam, 1959) et même sur l'onomastique (cf. L. Vidman, Héros virgiliens et inscriptions
latines, dans Ancient Society, 2, 1971, p. 162-173).
40 Un primipile est par définition chevalier romain: voir les articles de B. Dobson
mentionnés ci-dessus.
41 Serait-ce aller trop loin dans cette voie que d'envisager que la représentation des
Nymphes à laquelle fait, selon nous, allusion le dernier vers de l'épigramme ait pu être précis
émentun cortège de Néréides (motif banal de pavements de thermes), entourant peut-être la
nef Argo? Nous songeons à un tapis de mosaïque du genre de celui qui décorait la grande
rotonde centrale du frigidarium des thermes d'Henchir Thina (découvert en 1904; au musée
de Sfax): M. P. Gauckler, Inventaire des mosaïques de la Gaule et de l'Afrique, II, Paris,
1910, p. 11 sq. et pi. 18; R. Massigli, Musées de l'Algérie et de la Tunisie, Musée de Sfax,
Paris, 1912, pi. 1, IV et V, 1: on y voit apparaître, à côté de scènes familières, des sujets
mythologiques: Vénus Anadyomène, Léandre et Héro, le navire d'Ulysse, et des Tritons et
Néréides chevauchant des monstres marins. - Le motif des «Noces de Thétis et de Pelée»
apparaît sur une importante mosaïque de Cherchell (plus tardive que notre épigramme): voir.
J. Lapsus, Cherchel. La mosaïque de Thétis et de Pelée, B. Arch. Alg., I, 1962-1965, p. 75-105,
qui la compare à la mosaïque de Ziama-Mansouriah (A. Ballu, dans BAC 1913, p. 346-348,
pi. XXXI). - Rappelons cependant que nous avons dit plus haut (p. 5) que les Nymphes
qu'a vues le primipile pouvaient bien être celles d'Aquae Flavianae; il faut sans doute choisir
entre les deux hypothèses.
JEAN BEAUJEU

LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN

Les problèmes mineurs de l'histoire ne sont pas toujours ceux qui


suscitent les controverses les moins ardentes et les moins durables; celui
du décalage entre le calendrier romain officiel et le calendrier astronomique,
dans les vingt années qui ont précédé la réforme de César, en offre un exemple
bien connu: qu'importe, au fond, que les événements de cette période aient
eu lieu une vingtaine de jours plus tôt ou plus tard et que César ait eu à
corriger, en 708/46, un écart de 67 ou de 90 jours? Mais le débat con
cerne une période cruciale de l'histoire, il a mis aux prises et continue de
diviser les savants qui se sont donné pour tâche de l'étudier ou d'éditer les
textes qui permettent de la connaître, il intéresse également historiens, philo
logues, astronomes et spécialistes de la chronologie antique; à ce titre, on
nous pardonnera de dire notre mot sur ce problème agaçant et, par là-même,
excitant, sans oser prétendre que ce mot soit le dernier.
Les nombreux travaux qui, au siècle dernier, ont contribué à éclaircir
- parfois à obscurcir - la question, ont abouti à deux systèmes cohérents,
contradictoires et irréductibles l'un à l'autre: celui de l'astronome français
U. Le Verrier \ et celui de L. Holzapfel, vulgarisé par Groebe 2; depuis lors,
les érudits adoptent soit l'un soit l'autre, sans remettre en question les
méthodes de calcul3, et apportent occasionnellement un argument nouveau
à l'appui de l'un ou de l'autre; parmi les partisans du système Groebe, citons

1 Publié dans l'Histoire de Jules César, Guerre des Gaules, par Napoléon III (II, Paris
1866, p. 521-552) et dans l'Histoire de Jules César, Guerre civile, par C. Stoffel (II, Paris 1887,
p. 385-418).
2 L. Holzapfel, Römische Chronologie, Leipzig 1885; clairement présenté par P. Groebe
dans la Geschichte Roms in seinem Uebergang von der republikanischen zur monarchischen
Verfassung de W. Drumann (2e edit., Ill, Berlin 1906, p. 757-827).
3 Ces méthodes sont résolument balayées par un jeune professeur de l'Université d'Ottawa,
Pierre Brind'Amour, qui a eu la grande obligeance de nous communiquer, au moment où
le présent article allait être envoyé à l'impression, le manuscrit d'un ouvrage, à paraître pro-
14 JEAN BEAUJEU

T. Rice Holmes, St. Gsell, L. A. Constans, les auteurs de la Cambridge


ancient History, plus récemment E. J. Bickermann4 et A. E. Samuel5; entre
autres tenants du système Le Verrier, il faut mentionner C. Jullian, J. Car-
copino, dont le rayonnement lui a valu un regain de faveur en France,
A. Piganiol, converti par les raisons de J. Carcopino, J. Bayet, P. Fabre
(in edit. Caes. B.C., Paris 1947), J. Andrieu (in edit. Bell. Alex., Paris 1954),
A. Bouvet (in edit. Bell. Afr., Paris 1949), plus récemment P. Grimai, etc.
On peut admettre que les deux systèmes reposent sur des bases mathé
matiques solides et sont logiquement et minutieusement construits; en tout
cas, nous l'admettrons ici. Il n'y a pas d'autre raison de choisir entre l'un
et l'autre que leur aptitude à rendre compte de certaines données chronolo
giques concernant la période en question; ces données résultent de l'analyse
critique et de la confrontation judicieuse des textes que la sagacité des
chercheurs parvient à déceler et à exploiter. Mais il ne sera pas superflu
de rappeler d'abord les principales divergences entre les deux systèmes; les
tables de concordance dressées, pour chaque jour des années 691/63 à
709/45, par Le Verrier et par Groebe, font bien ressortir ces . . . discordances 6:
selon Le Verrier, Intercalation du Mercedonius eut lieu régulièrement, les
années paires, de 63 à 52 (+ 22 jours en 62, 58, 54; + 23 jours en 60,
56, 52); suivant Groebe, il y eut un mois intercalaire régulier, les années

chainement, sur Le Calendrier romain, des origines de la Ville à la rectification d'Auguste;


dans ce livre aux vues hardies, qui soulèvera sans doute de vigoureuses contestations, l'auteur
n'aborde pas de front la question traitée ici.
4 Chronology of the ancient World, Londres 1968, p. 47.
5 Greek and Roman Chronology. Calendars and years in classical Antiquity, in Handbuch
der klassischen Altertumswissenschaft fondé par I. von Mueller, I, 72, Munich 1972, p. 157.
6 Le Verrier, o.e. p. 524-552 (= 390-418); Drumann-Groebe, o.e. p. 780-825. On sait
que l'année du calendrier pré-julien comptait 355 jours: 7 mois de 29 jours + 4 mois de 31 jours
(mars, mai, juillet, octobre) + 1 mois de 28 jours (février) = 203 + 124 + 28; au bout de quatre
ans, le calendrier officiel prenait donc .10 1/4x4 = 41 jours d'avance sur le calendrier astrono
mique; comme dans la plupart des pays d'Orient et des cités grecques, les Romains recouraient
à l'intercalation périodique d'un mois supplémentaire: un an sur deux, en principe, on
substituait un mois, dit Mercedonius, aux quatre ou aux cinq derniers jours de février; ce mois
de 27 jours succédant, en principe, alternativement au 23 et au 24 février, cela revenait à
ajouter, tous les quatre ans, 22 + 23 = 45 jours aux 48 mois «réguliers»; c'était quatre
jours de trop! En réalité, l'intercalation n'obéissait pas à une règle stricte, et le collège des
pontifes, qui en avait la responsabilité, la maniait avec une certaine fantaisie, où les calculs
intéressés et les jeux d'influence jouaient un rôle non négligeable (cf. A. K. Michels, The
Calendar of the Roman Republic, Princeton 1967, p. 16 sq.; 147-172). - Pour simplifier, nous
emploierons l'expression «date réelle» pour désigner un jour donné de l'année astronomique,
converti en termes du calendrier julien.
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ -JULIEN 15

impaires, de 63 à 58 (+ 23 jours en 63 et 59; + 22 jours en 61) 7, mais


l'intercalation fut omise en 57 et ne reprit qu'en 54 et 52 7 bls. Ensuite, il est
certain que les années 51 à 47 ne comportèrent pas d'intercalation et que
l'année 46 fut celle de la remise en ordre.
En conséquence:
1) pendant la période de 63 à 58, l'intercalation tomba sur les années
paires pour Le Verrier, sur les années impaires pour Groebe;
2) si l'année 57 fut une année courte pour l'un et pour l'autre (à
un jour près, l'avance du calendrier officiel sur le calendrier astronomique
en 697/57 apparaît identique chez Le Verrier - Kai. Apr. = 17 mars
astron. - et chez Groebe - Kai. Apr. =18 mars -), l'année 698/56 com
porta une intercalation de 23 jours à en croire Le Verrier et en fut exempte
suivant Groebe; d'où une différence de 23-1 = 22 jours, à partir du XVI Kal.
Mart, qui équivaut au 12 févr. « réel » chez Le Verrier, au 21 janvier chez
Groebe;
3) comme les deux savants sont d'accord sur la longueur des
années 699/55 à 707/47, la discordance de 22 jours entre les deux systèmes

7 Groebe (o. c. p. 774) avoue cependant un doute pour les années 59 et 58: il admet
que l'intercalation a pu être omise en 59 et avoir lieu en 58. P. Grimai estime, non sans raison,
que l'insertion d'un mois intercalaire en 58 rend plus vraisemblable la suite des événements
des premiers mois, tout en reconnaissant que ce n'est pas nécessaire (Etudes de chronologie
cicéronienne, Paris 1967; en particulier, p. 24; 100 sq.; 138; 147). Dans ses recherches sur la
chronologie de l'année 59 (On the chronology of Caesar's first consulship, dans Amer. ]. of
Philol. LXXII, 1951, p. 254-268), L. R. Taylor n'a pas abordé le problème de l'intercalation;
ses conclusions n'infirment pas plus qu'elles ne recommandent l'insertion d'un mois supplé
mentaire cette année-là. De toute façon, le choix entre 59 et 58 n'engage pas l'adoption d'un
système plutôt que l'autre pour les années suivantes.
7bls Dans une communication présentée devant la Société des Etudes Latines, le 14 février
1976, alors que notre article était en cours d'impression, et destinée à être publiée dans la
REL, t. LIV, a. 1976, Michel Rambaud propose, contrairement à l'opinion communément
admise, d'avancer de 54 à 55 l'insertion d'un mois intercalaire; seules des considérations de
vraisemblance, manquant de solidité, avaient conduit Le Verrier aussi bien que Holzapfel et
Groebe à opter en faveur de 54, plutôt que 55; or M. Rambaud met en avant un passage de
la Correspondance de Cicéron qui exclut la possibilité d'une intercalation en février 54: Q. fr.
II 11,3 Comitialibus diebus qui Quirinalia sequuntur Appius interpretatur non impediri se
lege Pupia quo minus habeat senatum et, quod Gabinia sanctum sit, etiam cogi ex K. Febr.
usque ad Κ. Martias legatis senatum cotidie dare. Ita putantur detrudi contitia in mensem
Martium; en revanche, les consuls de 55, Crassus et Pompée, dont l'élection avait été retardée
jusqu'à la fin de janvier, avaient un bon argument à faire valoir en faveur de l'insertion d'un
mois supplémentaire. Cette hypothèse excellente porte un coup de plus au système de Le Verrier,
qui repose sur une intercalation de 23 jours en 56, car il est fort peu vraisemblable que les
pontifes aient pratiqué l'intercalation deux ans de suite.
16 JEAN BEAUJEU

persiste tout au long de ces neuf ans: d'après Le Verrier, l'avance du


calendrier officiel sur le calendrier astronomique a été inférieure de
22 jours à ce qu'elle a été suivant Groebe;
4) au bout du compte, en fin 46, cette avance allait atteindre 67 jours
selon Le Verrier, 89 jours à en croire Groebe, et la remise en ordre opérée
cette année-là par César porta sur 67 ou sur 90 jours, selon qu'on adopte
le premier ou le second système;
5) l'année 45 - la première du calendrier julien - commença le
2 janvier réel et fut normale suivant Groebe (févr. = 28 jours), tandis que,
pour Le Verrier, elle commença le 1er janvier et fut bissextile (févr. = 29 j.).
Tout le monde admet qu'en 44 la concordance entre calendrier officiel et
calendrier astronomique était rigoureuse; les Ides de mars coïncidèrent
exactement, cette année-là, avec le 15 mars « réel », comme l'avait voulu
César . . .
Nous ne nous proposons pas de départager Le Verrier et Groebe quant
au premier point (mois intercalaire en années paires ou en années impaires
de 63 à 58); et la dernière discordance (± 24 heures pour les deux pre
miers mois de 45) est insignifiante aux yeux de l'historien. En revanche,
il nous paraît possible de prouver que c'est Le Verrier qui a tort et le
système Holzapfel-Groebe qui est juste pour les années 56 à 46, où se sont
déroulées la Conquête des Gaules et la Guerre civile.
De quelles clefs disposons-nous pour déchiffrer l'énigme? En premier
lieu, plusieurs textes nous renseignent sur la mise en place du calendrier
julien, notamment sur la remise en ordre opérée en 46; si l'on pouvait
en tirer la certitude que le nombre de jours excédentaires résorbé cette
année-là fut soit de 67, soit de 90, la question serait tranchée; nous verrons
que, malheureusement, les divergences de nos documents n'autorisent que
des présomptions. Deuxième ressource: des témoignages directs, comme on
en possède pour l'intercalation de 52 (Asconius, In Milon. 30, 31) et pour
l'absence d'intercalation en 50 (Cass. D. XL 61 sq.); nous pensons en avoir
découvert un autre, d'une importance capitale, pour l'année 56. En troisième
lieu, les recoupements entre données du calendrier officiel et données du
calendrier astronomique ou de calendriers étrangers, quand cela est possible;
ces cas existent, mais ils sont rares et doivent être serrés de très pour
valoir preuve. Enfin les arguments de vraisemblance: tel système semble
convenir mieux à la datation ou à la durée de certains événements; ces
arguments - les plus faibles - sont aussi ceux qui ont été le plus fréquem
ment avancés, non sans quelque légèreté: car il est souvent facile de les
retourner et, de toute façon, qui ne sait que « le vrai peut quelquefois
n'être pas vraisemblable » ?
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN 17

C'est précisément à écarter une série d'arguments de cette nature et


quelques autres, non moins fragiles, que nous nous attacherons d'abord, pour
déblayer le terrain avant d'aborder l'examen des points essentiels. La plupart
sont dus à l'ingéniosité inventive de J. Carcopino, qui a déployé son talent
d'avocat, dans son beau livre sur César, pour confirmer le système de Le Verrier
et affaiblir celui de Groebe, mais n'a pas contrôlé d'assez près le détail de
ses démonstrations8.
P. 227 (= 736), a (cf. p. 291, n. 2 = 798, n. 159): le rapprochement de
Plut. Crass. 17,1 et de Cic. AU. IV 13,2 montrerait que «la mauvaise saison
du mare clausum était déjà survenue» (elle commençait le 11 nov.), lorsque
Crassus s'embarqua pour l'Orient, d'où il ne devait pas revenir; par consé
quent, le début de décembre pré-julien 55 coïncida avec le 13-16 nov. julien
(Le Verrier), non avec le 22-25 oct. (Groebe). Mais Cicéron, dans cette lettre,
écrite entre le 14 et le 17 nov., évoque le prochain départ de Crassus de Rome,
non son embarquement; en fait, Cicéron dîna en compagnie de Crassus chez
Crassipès après le 17 nov.; non seulement le triumvir n'est pas parti tout de
suite, mais il semble bien qu'il ne se soit embarqué, à Brindes, qu'en janvier
«réel», à la fin de la mauvaise saison, «quand la mer était encore agitée»9.
Ibid. b: en 55, César aurait rembarqué son corps expéditionnaire de
Bretagne juste avant l'équinoxe (= 26 sept.; B.G. V 23,5); la Pleine lune
précédant l'équinoxe, qui illumina une tempête où César perdit une partie
de ses troupes (B.G. IV 29,1), eut lieu le 31 août réel; en conséquence,
la lettre de César à Cicéron, mentionnée en AU. IV 17,3 (sic, Carcopino;
en réalité 18,5) et datée du VI Kal. Oct. (= 25 sept.), dans laquelle il lui
annonçait le rembarquement en cours, aurait été écrite le 9 sept. « réel »
(Le Verrier) et non le 18 août (Groebe). Toute la construction repose sur
une confusion singulière entre les faits de 55 - pleine lune et tempête de
B.G. IV 29,1 - et ceux de 54 - le rembarquement raconté en B.G. V 23,5
et la lettre de César à Cicéron du 25 septembre.
Ibid. c: au cours de l'hiver 52-51, César quitta Bibracte le dernier
jour de 52 (B.G. VIII 2,1), pour mener une dure campagne contre les
Bituriges brumalibus diebus, et regagna Bibracte 40 jours plus tard (29/12 et
10/2 officiel - non «8/2»); cela conviendrait moins bien à la période du 3/12
au 11/1 - non «9/1» - «réel» (Groebe) qu'à celle du 25/12 au 2/2 - et
non pas 31/1 (sic, Carcopino) -, suivant Le Verrier. C'est évidemment
l'inverse qui est vrai, le solstice d'hiver (bruma, 25/12) marquant le milieu
des 40 jours en question selon le système Groebe.
Ibid. d (cf. p. 403, n. 1 = 897, n. 125): la traversée de César, de
Brindes à Palaeste, eut lieu les 4 et 5 janv. 48 (B.C. 3, 6, 2-3); or, selon
Dion Cassius (XLI 44,2) et Florus (II 13, 36), c'était le milieu de l'hiver;

8 Nous citerons son Jules César dans la 5e édition, revue et augmentée avec la collabo
ration de P. Grimai (Paris 1968), en indiquant chaque fois entre parenthèses la référence
correspondante de la 4e édition (Hist. Générale fondée par G. Glotz, Hist. rom. II 2, Paris 1950).
9 Plut. Crass. 17,1 ετι δ'άστατούσης χειμώσι της θαλάσσης, ού περιέμεινεν; cf. L. Α. Constans
in edit. Cic. Ep., T. Ill, p. 19, n. 3.
18 JEAN BEAUJEU

l'hiver des Romains allant du 11 nov. au 7 févr., «cette indication cadre non
avec la concordance de Groebe (6-7 nov.) mais avec celle de Le Verrier-Stoffel
(28-29 nov.) »; c'est oublier que Dion Cassius et Florus ne tiennent pas compte
de la discordance entre calendrier officiel et calendrier astronomique10.
P. 305, n. 2 (= 912, n. 200): avec C. Jullian11, J. Carcopino suppose
que l'assemblée qui s'est tenue chez les Carnutes au cours de l'hiver 53-52 et
qui a préludé au soulèvement général des Gaules (B.G. VII 2,1) n'est autre
que l'assemblée qui réunissait chaque année les délégués des peuples gaulois,
à l'occasion de la grande fête de la cueillette du gui (cf. Plin. N.H. XVI 249
sq.). J. Carcopino va plus loin: cette fête avait lieu le 6e jour de la lune
(Plin. l. c); comme la célébration du gui est liée au solstice d'hiver, qui
tombait alors le 26 décembre (cf. Plin. XVIII 221: celui-ci parle en réalité
du 25), la lunaison en question «ne saurait être que la première après le
solstice d'hiver»; en cet hiver 53-52, la première nouvelle lune après le
solstice tomba le 18 janv. «réel», le 6e jour - où se serait tenue l'assemblée
chez les Carnutes - le 23. Or le soulèvement gaulois fut déclenché par le
bruit du meurtre de Clodius - 18 janv. officiel - et des émeutes qui
ensanglantèrent Rome le lendemain (B.G. VII .1,2); le 18 janv. officiel = le
8 décembre 53 «réel» selon Groebe, le 30 décembre (et non le 28, comme
le dit J. Carcopino) d'après Le Verrier; le délai de 23 jours entre l'émeute
romaine et la décision des Gaulois, tel qu'il ressort du système Le Verrier,
répond bien au temps nécessaire pour l'acheminement des nouvelles venues
de Rome et le développement de l'agitation, alors que l'intervalle de 46 jours
donné par le comput de Groebe serait nettement excessif. Cette argumentat
ion est aussi vulnérable qu'ingénieuse: d'une part, à supposer, ce qui n'est
qu'une hypothèse, que l'assemblée des Carnutes ait été liée à la fête annuelle
de la cueillette du gui, nous n'avons aucune preuve que cette fête ait été
célébrée le 6e jour de la première lunaison qui suit le solstice d'hiver; Pline
écrit seulement ceci: est autem id (= le gui de rouvre) rarum admodum
inuentu et repertum magna religione petitur et ante omnia sexta luna, quae
principia mensum annorumque his jacit et saeculi post tricesimum annum
(N.H. XVI 250) 12; d'autre part, si J. Carcopino a raison de situer vers le
6 du mois intercalaire de 52 le départ de César de Ravenne, cette date,
dans le système adopté par lui, ne serait séparée de la réunion chez les

10 Cf. Cass. D. XLI 39,1; XLII 56,1; même constatation pour Lucain (VIII 467, etc.),
Plutarque (Caes. 37,3; 52,1; Pomp. 65,4), Appien (B.C. II 7, 48); cf. Groebe, o.e., p. 812 sq.
n. 3; 813, n. 4 extr.; 815, n. 3.
11 C. Jullian, Hist, de la Gaule, II4 (Paris 1921), p. 412-417.
12 E. Linckenheld a confirmé, par des survivances constatées dans plusieurs régions ancien
nement celtiques, la valeur de l'information plinienne sur la fonction du 6e jour et rappelé
que le calendrier celtique pré-julien était un calendrier lunaire de 12 lunaisons (29,5 x 12 =
354 jours), avec intercalation d'un mois supplémentaire de 30 jours, le ciallos, tous les 30 mois
(d'après le fameux calendrier de Coligny; Pline et le calendrier gaulois, dans Rev. celt. XLVIII,
1931, p. 137-144; cf. P. M. Duval, La vie quotidienne en Gaule pendant la paix romaine,
Paris 1952, p. 82 sq.).
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN 19

Carnutes (13 févr. officiel, d'après Le Verrier) que par une quinzaine de jours:
ce délai est notoirement insuffisant pour l'action difficile et les multiples
déplacements de Vercingétorix et pour que leurs résultats soient portés à la
connaissance de César, à Ravenne (B.G. VII 3-5). On peut imaginer, en
s'en tenant à l'hypothèse plausible de C. Jullian sur la coïncidence de
l'assemblée chez les Carnutes avec la fête de la cueillette du gui13, une
variante chronologique plus vraisemblable que celle de J. Carcopino, et qui
donne raison à Groebe: l'exaltation du gui étant associée au solstice d'hiver
(cf. Virg. Aen. VI 205 brumali frigore... uirere), il est très probable que
la fête en question avait lieu la première sexta luna suivant le solstice,
même quand le jour de la nouvelle lune le précédait; or, à la fin de 53, le
solstice vrai tomba le 23 décembre «réel», la nouvelle lune venait d'avoir
lieu, le 19; le 6e jour de cette lunaison est donc survenu le 24 décembre,
lendemain du solstice. Si, comme nous le suggérons, la fête du gui eut lieu
ce jour-là, en pleine période de bruma (et non pas un mois plus tard,
quand la durée de la nuit avait déjà diminué d'une heure), le système de
concordance de Groebe fournit des données chronologiques cohérentes: délai
de 15 jours entre l'émeute romaine du 9 décembre (= 19 janv. officiel) et
l'assemblée chez les Carnutes du 24 déc. (= 5 févr. officiel), suffisant
pour la diffusion de l'information en Gaule et la campagne d'agitation, et
intervalle de 25 jours entre cette réunion et le départ de César de Ravenne
(vers le 6 du mois intercalaire, dont le premier jour succédait au 24 févr.,
= vers le 18 janvier «réel»), intervalle rempli par les démarches de Vercing
étorix, les débuts du soulèvement et la transmission des nouvelles à César.
Bien entendu, toute cette construction est des plus fragiles; il nous suffit
d'avoir montré qu'on ne peut tirer argument de l'assemblée chez les Carnutes
de cet hiver-là en faveur du système Le Verrier.
P. 361, n. 5 (= 858, n. 341): le passage du Rubicon eut lieu le 12 janv.
49 officiel; à en croire Lucain (I 217 sq. - non «277-278» -), turn uires
praebebat hiems atque auxerat undas / tertia iam grauido pluuialis Cynthia
cornu; or il y avait eu nouvelle lune le 17 décembre («le 16», dit Carco-
pino...) et le 17 novembre «réels»; donc le texte ne peut désigner «la
troisième lunaison» de l'hiver, qui commençait le 11 nov., que si le 12 janv.
officiel correspond au 17 décembre julien (Le Verrier) et non pas au 25 nov.
(Groebe). Mais, en réalité, tertia Cynthia désigne certainement «le 3e jour
de la lune», comme toujours l'expression tertia, quarta etc.. luna: c'était
un des jours de la lunaison qui donnaient des présages significatifs (cf. Plin.
N.H. XVIII 350); Lucain l'aura choisi pour cette raison, sans nullement se
soucier de la date exacte, officielle ou astronomique, de l'épisode ni de la
phase de la lune à cette date. A supposer que tertia... Cynthia signifiât ici
«le troisième mois», comme Lucain ne tenait pas compte du décalage entre
calendrier officiel et calendrier astronomique, il voudrait dire simplement

13 Linckenheld (Le), ne doute pas qu'après l'introduction du calendrier julien en Gaule,


la fête du gui ait été célébrée chaque année le 6 janvier, mais ne fait aucune référence à
l'assemblée de l'hiver 53-52.
20 JEAN BEAUJEU

qu'on était au troisième mois de l'hiver suivant le calendrier officiel, sans


qu'on pût en tirer argument dans un sens ou dans l'autre14.
P. 378, n. 2 (= 873, n. 50): pour l'embarquement de Pompée à Brindes
(17 mars officiel), la concordance de Le Verrier, 17 févr. julien, serait plus
vraisemblable que celle de Groebe, 26 janv., parce qu'elle donnerait une date
plus proche de la fin du mare clausum; l'argument est sans portée, étant
donné que Pompée n'a pas choisi librement la date de son départ, mais
qu'elle lui a été imposée par les circonstances.
P. 414, n. 1 (= 906, n. 150): la bataille de Pharsale a été livrée le
9 août officiel = 29 (non «28») juin pour Le Verrier, = 7 juin selon
Groebe; l'équivalence Le Verrier serait préférable, parce qu'au dire de César
(B.C. 3, 85, 2) la moisson était déjà terminée; en réalité, elle vient juste
de se faire: à l'arrivée de César dans la plaine de Pharsale, 6-7 jours avant

14 Cf. supra, n. 10: il est possible que Lucain imaginât le passage du Rubicon plus tard
même qu'en janvier, car au vers 219 il fait intervenir et madidis euri resolutae flatibus Alpes
(sid). - S'il n'était pas établi que Lucain prenait de grandes libertés avec la chronologie, on
pourrait être tenté de puiser dans un autre passage du poème une confirmation éclatante en
faveur du système Groebe: en IV 56-57, le moment où se préparent les pluies diluviennes,
qui vont mettre en péril l'armée de César devant Ilerda, est défini avec précision: postquam...
Titana recepii... portitor Helles ( pour les Anciens, le soleil séjournait dans le signe du
Bélier du 23 mars au 23 avril); un peu plus loin, il est dit que l'équinoxe vient juste d'être
dépassé (v. 58 sq.: aequatis... temporibus uicere dies); on est donc à la fin de mars ou au
début d'avril «réel»; or la crue du Sicoris se produisit vers le 20 juin officiel, 42 jours avant
la capitulation d'Afranius, qui date du 2 août officiel (cf. Fasti et B.C. 1, 41,1; 2, 32,5);
suivant Le Verrier, le 20 juin officiel 49 correspond au 21 mai julien, ce qui cadre mal avec
le texte de Lucain, tandis que, d'après Groebe, cette date fictive représente le 29 avril, ce
qui convient beaucoup mieux; et puisque, à en croire Lucain (IV 59 sq.), c'est au début d'une
lunaison que les vents humides auraient commencé à entrer en action {tune sole relicto /
Cynthia, quo primutn cornu dubitanda refulsit, / exclusit borean flammasque accepit in euro),
les tables astronomiques, qui nous enseignent que la lune était nouvelle le 13 avril, nous
fourniraient un repère précis et concordant. Mais il est très probable que Lucain a voulu
seulement évoquer le printemps, qui est la saison de l'équinoxe, et n'a fait mention des pre
miers jours de la lune que parce qu'ils passaient pour jouer un rôle déterminant dans les pluies
du mois, comme on l'a vu dans l'épisode du franchissement du Rubicon. On mesurera mieux
la part du flou et de la fantaisie dans les données chronologiques de Lucain, qui a fait œuvre
non d'historien, mais de poète brodant sur un canevas historique, si l'on se reporte aux vers
691 sq. du 1. II: iam coeperat ultima Virgo / Phoebum laturas ortu praecedere Chelas =
«déjà l'extrémité du signe de la Vierge avait commencé de précéder, au lever, le signe des
Pinces (alias la Balance) qui allait bientôt porter Phoebus»; formulation quelque peu pédantes-
que, pour dire que le soleil est sur le point de passer du signe de la Vierge dans celui de la
Balance et qu'on est, par conséquent, tout près de l'équinoxe d'automne. Or l'événement ainsi
daté n'est autre que la fuite de Pompée et de sa flotte hors du port de Brindes, où César
avait essayé de le bloquer; il eut lieu le 17 mars officiel 49 (Cic. AU. IX 15,6). Non seulement
le poète négligeait le décalage entre dates légales et réalités astronomiques, mais, en l'occurrence,
il a pris l'équinoxe d'automne pour celui de printemps!
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN 21

la bataille, les blés étaient presque mûrs (B.C. 3, 81, 3); après 3-4 jours de
repos et d'escarmouches, César peut se ravitailler en blé (B.C. 3, 84, 1 et
85, 2), avant de livrer bataille. Or, dans la région de Pharsale, la moisson
se fait d'ordinaire dans les premiers jours de juin: ceci ressort de l'étude
remarquablement documentée de Drumann-Groebe (o. c, III, p. 743 sq. et 748;
J. Carcopino s'y réfère d'ailleurs p. 412, n. 4...), confirmée par des enquêtes
plus récentes15. Quant à l'argument tiré de la Vie de Brutus, où il est dit
que la bataille eut lieu «au fort de l'été» (4,3), il suffit, pour l'écarter, de
se rappeler que Plutarque ne considérait que les dates du calendrier officiel
(supra, n. 10).
P. 442, n. 2 (= 932, n. 224): la bataille où Curion a été tué, en
Afrique du Nord, s'est déroulée aux environs du 20 août 49 officiel (Curion a
appris quelques jours plus tôt la capitulation d'Afranius, qui avait eu lieu le
2 août officiel; cf. B.C. 2, 37, 2); la concordance Le Verrier (20 juillet)
serait « vérifiée ici par la mention concomitante des blés bons à moissonner »
(B.C. 2, 37, 4); d'après Groebe, la mort de Curion est survenue vers le 28 juin:
or, précisément, en Afrique du Nord, au voisinage des côtes, la moisson
se fait à la fin de mai ou en juin16.
Enfin, p. 449, n. 5 (= 939, n. 246): l'insertion d'un mois intercalaire,
à la fin de février 46 (sic, Groebe), rendrait invraisemblable la durée du
«jeu de cache-cache» de César dans la région d'Uzitta; de fait, quand on
confronte les textes du Bellum Africum (37, 1; 41, 1; 42, 2; 75, 1), on
s'aperçoit que ce jeu a duré du 27 janv. officiel jusqu'à une date comprise
entre le 1er et le 10 mars officiel; sans mois intercalaire (sic, Le Verrier),
l'intervalle est de 30 à 40 jours; avec un mois intercalaire, il atteint 53 à
63 jours. Mais, nous verrons que l'intercalation d'un mois en février 46 s'impose
de façon incontestable; l'argument tiré de l'épisode d'Uzitta est un exemple
typique de ces raisons de vraisemblance, qui doivent s'effacer devant les
preuves que dégage l'analyse critique des textes.
Dans un brillant article de 1940 17, Jean Bayet s'est employé à chercher
dans un passage célèbre de Lucain une confirmation du système Le Verrier:
au chant VIII, v. 708-725, le poète nous montre le cadavre décapité du
Grand Pompée, ballotté par les vagues blanchissantes, tandis que le fidèle
Cordus s'efforce de le remener sur le rivage égyptien, afin de lui rendre les
derniers devoirs; pendant tout ce temps, lucis maestà parum per densas
Cynthia nubes / praebebat (v. 721 sq.). La date officielle du meurtre de
Pompée est bien attestée: 28 sept. 48; la nuit suivante, la lune brilla dans
son plein, si l'on admet, avec Le Verrier, la concordance du 16 au 17 août
julien, tandis que, si l'on suit Groebe, seul le dernier croissant monta cette
nuit-là (= 25 au 26 juillet) dans le ciel, après 2 heures du matin; comme,

15 Cf. G. Azzi, Le climat du blé dans le monde, Rome, 1927, p. 123.


16 Cf. G. Azzi, o.e., p. 921; 933; c'est seulement sur les Hauts Plateaux de l'intérieur
que la récolte est retardée jusqu'en juillet.
17 J. Bayet, 16 août 48, la date de la mort de Pompée d'après Lucain, dans Mélanges
A. Ernout, Paris, 1940, p. 5-10.
22 JEAN BEAUJEU

à en croire J. Bayet, la lumière de la lune, toute voilée, ne joue aucun rôle


dans l'éclairage de la scène, Lucain n'a mentionné la présence de l'astre
que parce qu'elle était attestée dans la documentation historique dont il
disposait. Mais, s'il est vrai que le poète n'a pas tiré d'effet pictural de la
clarté de la lune, les nuages qui la masquent sont là pour exprimer l'horreur
et le deuil de la nature devant cette scène atroce et lugubre, pour composer
un décor cosmique accordé au pathétique humain: même «la lune s'at
tristait».. - maestà... Cynthia -; on en trouve la confirmation dans la suite
du passage, lorsque Cordus s'adresse aux puissances célestes pour implorer
leur indulgence: ad superos obscuraque sidéra fatur (v. 728). La reprise du
motif souligne l'intention du poète; il n'avait pas besoin de l'autorité de ses
sources pour ajouter ce trait au tableau sinistre des funérailles de son héros.
Ne savons-nous pas d'ailleurs qu'il ne s'embarrassait guère de tels scrupules
(cf. supra, p. 20)?

Le problème reste donc entier; il nous faut maintenant reprendre,


ab integro, l'examen des textes relatifs à la remise en ordre effectuée par
César en 46. Les voici:
1. Suet. Caes. 40, 2: quo autem Pour qu'à l'avenir, à partir des
magis in posterum ex Kalendis Calendes de janvier suivantes, le ca
lanuariis nouis (nobis codd.) tem- lendrier fût accordé, il intercala
porum ratio congrueret, inter nouem- entre novembre et décembre deux au
brem ac decembrem mensem in- tres mois; et ainsi l'année où ces
teriecit duos alios; fuitque is annus, mesures étaient appliquées fut de
quo haec constituebantur, quin- quinze mois, y compris le mois inter
decim mensium cum intercalano qui calaire qui, conformément à l'usage,
ex consuetudine in eum annum était tombé cette année-là.
incider at.
2. Censor. De die nat. 20, 8: ... adeo Le décalage devint tel que Caius
aberratum est ut G. Caesar, pontifex César, grand pontife, l'année où il fut
maximus, suo III et M. Aemilii Lepidi consul pour la troisième fois avec
consulatu (= a. 46), quo retro de- Marcus Aemilius Lèpide, voulut cor
lictum corrigeret, duos menses inter- riger les errements antérieurs et inséra
calarios dierum LXVII (LXIIII DV) deux mois intercalaires, soit 67 jours,
in mensem nouembrem et entre les mois de novembre et de
brem interponeret, cum iam mense décembre, alors qu'il avait déjà inter
februario dies III et XX intercalas- calé 23 jours en février; et ainsi il
set, faceretque eum annum dierum fit de cette année-là une année de
CCCCXLV. . . 445 jours.
3. Cass. D. XLIH 26, 1-2: Après avoir pris ces mesures légis
Ταυτά τε ενομοϋετησε, καίτας ημέρας latives, comme les jours de l'année
των ετών ού πάντη όμολογούσας σφίσι étaient quelque peu en désordre (en
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN 23

(προς γαρ τας της σελήνης περιόδους effet, à cette époque encore on ali-
ετι και τότε τους μήνας ήγον) κατεστήσατο gnait les mois sur les révolutions de
ες τον νυν τρόπον, επτά και εξήκοντα la lune), il les fixa dans leur disposi-
ήμέρας εμβαλών, οσαιπερ ες την άπαρ- tion actuelle, en intercalant 67 jours,
τιλογίαν παρεφερον ■ ήδη μεν yap τίνες le nombre voulu pour que Pajuste-
και πλείους εφασαν εμβληϋήναι, το δ' ment fût exact. De fait, certains ont
άληύες ούτως έχει. prétendu qu'on en avait intercalé da
vantage, mais la vérité est bien celle-là.
4. Macrob. Sat. I 14, 3: ergo En conséquence, Caius César, avant
C. Caesar exordium nouae ordina- d'inaugurer le nouveau système, ré-
tionis initurus, dies omnes qui adhuc sorba tous les jours qui pouvaient
confusionem poterant facer e con- encore être cause de désordre et c'est
sumpsiteaquerefactumestutannus ce qui fit que la dernière année du
confusionis ultimus in quadrin- désordre se prolongea jusqu'à 443
gentos quadraginta très dies proten- jours.
deretur.

Résumons les données fournies par chaque auteur 18:


1. Suétone:
- 2 mois supplémentaires entre le 29 nov. et le 1er déc,
- 1 mois intercalaire traditionnel en févr.,
- 15 mois en tout.

2. Censorinus:
- 2 mois supplém. entre le 29/11 et le 1/12 = 67 jours,
- 1 mois intercalaire en févr. = 23 j.
[année ordinaire] + 355 j.
- total de l'année = 445 j.

3. Dion Cassius:
- intercalation de 67 jours supplémentaires.

4. Macrobe:
- total de l'année = 443 jours [= 355 + 88].

18 II n'y a pas à tenir compte de l'information aberrante qu'on trouve chez Solin, Coll.
rer. memor. I 45: dies uiginti unum et quadrantem simul intercalauit... Hie ergo annus solus
trecentos quadraginta quattuor dies habuit (trecentos par erreur pour quadringentos - CCCXLIV
pour CCCCXLIV -? les 21 jours en question représenteraient la seule intercalation tradition
nelle de février? On ne peut rien tirer d'un tel texte).
24 JEAN BEAUJEU

Mise à part la menue divergence numérique de Macrobe, qui s'explique


sans doute par une faute matérielle de transcription dans le texte des
Saturnales ou dans celui de sa source, on se trouve en présence de deux
versions: celle de Suétone, Censorinus et Macrobe d'une part (90 jours
ajoutés à l'année ordinaire de 355 jours, soit 1 mois intercalaire de 23 jours
en février, 2 mois supplémentaires faisant ensemble 67 jours, entre le 29 nov.
et le 1er déc), celle de Dion Cassius d'autre part (67 jours supplémentaires
en tout). L'accord entre les trois érudits a d'autant plus de poids qu'ils
étaient tous trois spécialistes de l'histoire du calendrier: le premier d'entre
eux, Suétone, a écrit un traité De anno populi Romani; il est à peu près
certain que Censorinus s'en est inspiré dans le passage précédemment cité,
car il mentionne l'auteur en tête de son chapitre sur le calendrier romain,
après Junius Gracchianus, Fulvius Nobilior et Varron (20, 2), et il donne des
précisions numériques qui ne figurent pas dans la Vie de César. Or, Suétone,
directeur du Secrétariat impérial {ab epistulis), était un bon érudit; on a
peine à croire qu'il ait inventé de toutes pièces l'intercalation traditionnelle
d'un mois en février 46 et que Censorinus et Macrobe lui aient emboîté
le pas sans broncher. Le témoignage de Dion Cassius inspire moins de con
fiance; certes, ce sénateur bithynien, deux fois consul et familier des Sévères,
avait accès aux Acta senatus et autres « sources authentiques » 19; mais les
fonctions de Suétone lui donnaient, sur ce point, au moins autant de droits
et le décret de César portant réforme du calendrier n'était certainement pas
classé dans un dossier ultra-secret, puisqu'il avait près soin de le divulguer
largement, edicto palam posito (Macr. Sat. I 14, 13)! D'autre part, l'historien
ne donne aucun détail sur cette remise en ordre et, ce qui est plus grave,
dans la suite de son texte, après avoir présenté le calendrier julien, avec
son jour intercalaire tous les quatre ans, il ajoute qu'en réalité l'année
astronomique dépasse légèrement 365 jours 1/4 et que cet excédent obligera
à intercaler un jour supplémentaire au bout de ... 1461 ans: en fait, c'est
l'année julienne qui est trop longue, de 11 minutes 13 secondes, soit un
jour en 128 ans - d'où la réforme de Grégoire XIII en 1582 -; quant au
cycle de 1461 ans (= 365 1/4 x 4), il correspond au temps qu'il fallait à
l'année légale égyptienne de 365 jours, qui avançait d'un jour tous les quatre
ans, pour coïncider de nouveau avec l'année astronomique; Censorinus ex
plique ceci fort clairement (D.N. 21; sans tenir compte, toutefois, des

19 Sic, Le Verrier, o.e., p. 523, n. 1 (= 389, n. 1); cette note contient une critique des
sources plutôt sommaire. En fait, les sénateurs n'avaient pas accès es qualités aux archives du
Palais, comme Junius Mauricus en fit l'humiliante expérience sous Domitien (Tac. Hist. IV 49,9).
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN 25

11 minutes 13 secondes), tandis que Dion Cassius, empêtré dans ses docu
ments égyptisants, a confondu excédent de l'année julienne et déficit de
l'année égyptienne. N'oublions pas, d'ailleurs, qu'au fil de sa narration Dion
Cassius ne tient jamais compte du décalage entre calendrier officiel et
calendrier astronomique (supra, n. 10).
Pour en revenir à l'année 46, les 67 jours de Dion Cassius pourraient
se répartir de deux façons:
a) un mois intercalaire de 22 ou 23 j. en févr., deux mois intercalaires
(22 + 22 ou 23 j.) entre nov. et déc;
b) les 67 jours entre nov. et déc, sans intercalation en février. C'est
la deuxième solution qui a été retenue par Le Verrier et ses partisans20;
mais elle est en contradiction formelle avec les textes concordants de
Suétone et de Censorinus, qui affirment avec la plus grande netteté
que l'année 46 comporta 15 mois, dont 2 entre nov. et déc. et 1 en
février21. Ainsi, seule la première solution est théoriquement possible;
elle a pour elle l'affirmation péremptoire de Dion Cassius: « certains ont
prétendu qu'on avait intercalé davantage de jours, mais la vérité est bien
celle-là» (= 67 j. en tout); il connaissait donc la version des 90 jours, mais
ses documents et ses réflexions, à défaut de sa compétence, l'ont amené
à la condamner. Qui s'est trompé, Suétone ou Dion Cassius? Si l'erreur
est chez Suétone, elle tient à la confusion entre deux données: d'une part
67 jours supplémentaires, d'autre part un mois intercalaire « normal » + deux
mois supplémentaires exceptionnels; il en aurait conclu à tort que les 67 jours
représentaient la somme des deux mois exceptionnels seulement. Si l'erreur
est le fait de Dion Cassius, elle provient de la confusion inverse: il a cru
que les 67 jours constituaient l'intercalation totale de l'année, sans voir
qu'ils s'étaient ajoutés aux 23 jours de l'intercalation de février.
A y regarder de plus près, on s'aperçoit que l'erreur s'explique beaucoup
mieux de la part de Dion Cassius, et non pas seulement en raison de sa
moindre compétence. Il est remarquable que, dans l'exposé de Suétone

20 Le Verrier divise ces 67 jours en deux mois intercalaires de 29 + 38 j. (o. c,


p. 551 = 417), J. Carcopino en trois mois de 22 + 23 + 22 j., parce que c'est la durée des mois
intercalaires traditionnels et que Suétone parle d'une année de 15 mois (o. c, p. 547, n. 3 =
1.030, n. 346; sic, A. Le Boeuffle-H. Le Bonniec, in edit. Plin. N.H. XVIII, Paris, 1972, p. 262,
n. 1 ad § 211). Il est certain qu'il n'y a eu que deux mois supplémentaires entre nov. et
déc, puisque le premier de ces mois s'est appelé Intercalaris prior (Cic. Fam. VI 14,2: Kalendas
Intercalares priores - ou prions -).
21 Quoiqu'en dise J. Carcopino, l. c, le texte de Suétone exclut que les trois mois supplé
mentaires se soient succédé entre le 29/11 et le 1/12; en outre, cf. la note précédente.
26 JEAN BEAUJEU

comme dans celui de Censorinus, mention est faite d'abord de l'insertion


des deux mois supplémentaires à la fin de l'année: l'anomalie exceptionnelle
destinée à la remise en ordre du calendrier a consisté dans cette mesure-là;
l'intercalation de février est signalée après coup, parce qu'elle ressortissait
à la tradition, à l'activité habituelle des pontifes; les deux auteurs en font
état, pour présenter au lecteur un bilan d'ensemble du calendrier de 46;
mais il apparaît clairement que l'opération de remise en ordre a été réalisée
en deux étapes, qui ont fait l'objet de deux mesures distinctes: la première
prescrivait une intercalation en février ex consuetudine, la deuxième décrétait
l'insertion extraordinaire de deux mois supplémentaires entre novembre et
décembre. César ayant quitté Rome au début de décembre (officiel) 47,
pour faire campagne en Afrique, et n'ayant regagné la capitale que le
25 juillet (officiel) 46, la première mesure a dû être prise avant son départ,
la deuxième rendue publique après son retour22. S'il en est bien ainsi, on
ne s'étonne plus de la relation de Dion Cassius, ni de son insistance: racon
tantles événements au fil des jours, il rapporte la promulgation du texte
législatif limitant la durée du mandat des proconsuls (XLIII 25, 3), contem
poraine du quadruple triomphe d'août-septembre23, puis celle du décret sur
l'intercalation exceptionnelle de nov.-déc. 46, qui contenait sans doute aussi
les prescriptions relatives au nouveau calendrier «julien»; il ignorait qu'un
mois eût déjà été intercalé en février et si, comme il est probable, rencont
rantchez certains auteurs aussi peu explicites que Macrobe la mention
de 90 jours intercalés cette année-là, il s'est reporté au texte du décret
d'août-septembre 46, il n'y a trouvé que la mention des 67 jours supplé
mentaires à insérer entre novembre et décembre24.
De notre analyse se dégage donc une forte présemption en faveur du
témoignage de Suétone et du système de Groebe; reste à la transformer en

22 On comprend, dans ces conditions, l'exclamation ironique de Cicéron, écrivant à


Atticus en mai-juin 46 (XII 3, 2): quando iste Metonis annusi (l'année dite «de Méton»
comptait 19 années ordinaires); à moins que cette lettre ne date de 45 et que l'interrogation
ne se réfère à un proverbe grec, sans allusion à la réforme du calendrier, comme le croit
D. R. Shackleton-Bailey (in edit. Ep. ad AU. T. V, Cambridge 1966, p. 300 sq.). J. Carcopino
(o. c, p. 547, n. 3 = 1.030, n. 346) conclut de cette lettre que la remise en ordre de l'année
n'avait pas encore commencé en juin (il précise même «le 11 juin» -? -) et qu'il n'y avait
donc pas eu d'intercalation en février.
23 Cf. Cass. D. XLIII 25, 1 ταϋτά τε (= le triomphe) άμα έπράττετο καί ένομοοετεϊτο πολλά.
24 A ceux qui estimeraient invraisemblable qu'on ait laissé le calendrier officiel prendre
90 jours d'avance sur le calendrier astronomique, rappelons que le décalage atteignit 2 mois
1/2 en 586/168 (l'éclipsé de lune du 21 juin «réel», avant la bataille de Pydna, eut lieu le
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN 27

certitude, si nous le pouvons, par des preuves tirées des faits de la période
56-46 et des textes qui s'y rapportent.
La première, découverte depuis longtemps, nous est fournie par l'entrée
de César à Antioche, en 47, au cours du long voyage qui le mena d'Egypte
jusqu'au Pont, à la rencontre de Pharnace; une lettre de Cicéron (AU.
XI 20, 1) contient une allusion au bref séjour que fit César dans cette
ville: XVII K. Sept, uenerat die XXVIII (= « après 27 jours de voyage »)
Seleucia Pieria (port situé à proximité d'Antioche) C. Treboni libertus, qui
se Antiochaeae diceret apud Caesarem uidisse Q. f ilium cum Hirtio; arrivé
le 14 août officiel à Brindes, l'affranchi a quitté Séleucie le 18 juillet; sa
rencontre avec le neveu de Cicéron, apud Caesarem, ne remonte certain
ement pas au-delà de quelques jours; autrement, Cicéron l'aurait précisé,
comme il l'a fait pour les dates de départ et d'arrivée. D'après Le Verrier,
le 18 juillet correspond au 28 mai « réel », selon Groebe au 6 mai. Or
nous savons par le chroniqueur byzantin Jean Malalas que César fit son
entrée à Antioche le 23 du mois Artémisios 25; l'enquête minutieuse de
W. Judeich, au siècle dernier, confirmée récemment par les travaux des
spécialistes de la chronologie antique, a montré que cette date est donnée
d'après le calendrier séleucide, en vigueur à Antioche jusqu'à l'introduction
du calendrier julien, et qu'elle correspond au 16 avril astronomique26; César

3 sept, officiel) et près de 4 mois en 564/190 (l'éclipsé de lune du 14 mars astronomique


tomba le 11 juill. légal); cf. E. J. Bickermann, Chronol. of the anc. World, Londres 1968, p. 163 sq.
25 Malal. IX (p. 216, 1. 17, éd. Dindorf, Corp. Script. Hist. Byz., Bonn 1831): Και είσήλυεν
ό αυτός 'Ιούλιος Καίσαρ ό δικτάτωρ έν Αντιόχεια τη κγ' τοΰ Αρτεμισίου μηνός (même donnée dans le
Chronicon Paschale, qui dépend de Malalas, p. 354 sq. Bonn); le chroniqueur croit que le
mois Artémisios coïncidait alors exactement avec le mois de mai romain, ce qui ne s'est produit
qu'après l'introduction à Antioche du calendrier julien (cf. note suivante).
26 W. Judeich, Caesar in Orient, Leipzig 1885, p. 106-110; sic, A. Schenk von Stauffenberg,
Die röm. Kaisergesch. bei Malalas, griech. Text der Bücher IX-XII und Untersuchgn, Stuttgart
1931, p. 107-112; G. Downey, A history of Antioch in Syria, from Seleucus to the Arab conquest,
Princeton 1961, p. 152; etc. Le calendrier séleucide, en vigueur depuis 245 av. J.-C. au plus
tard et très probablement avant la mort d'Alexandre (323), n'était autre que le calendrier
babylonien, dans lequel les noms des mois avaient été remplacés par les noms utilisés en
Macédoine; c'était un calendrier lunaire, où chaque mois correspondait à une lunaison (29 jours
1/2). Le mois Artémisios était le même que le mois babylonien Nisanu, qui coïncidait avec la
première lunaison suivant l'équinoxe de printemps; ce mois commençait avec la première appari
tiondu croissant, après la nouvelle lune (cf. A. E. Samuel, Greek and Roman Chronology,
Munich 1972, p. 140-144). Les Tables de la lune nous apprennent qu'en 47 av. J.-C. la nouvelle
lune se produisit le matin du 23 mars «réel» (cf., par ex., E. J. Bickermann, Chronol. of the anc.
Worl, Londres 1968, p. 130); le premier croissant devint visible pour la première fois le matin
du 25, qui fut le 1er Artémisios; donc le 23 Artémisios coïncida, cette année-là, avec le 16 avril
28 JEAN BEAUJEU

a donc séjourné à Antioche du 16 au 25 avril environ. La concordance de


Groebe, fixant au 6 mai l'embarquement de l'affranchi de Trébonius, ménage
un délai d'une dizaine de jours depuis sa rencontre avec le jeune Quintus,
la concordance de Le Verrier un intervalle d'au moins 33 jours, beaucoup
trop long27.
Quelques mois plus tard, César est en Afrique du Nord, où il mène
une campagne difficile contre les Pompéiens commandés par Quintus Métellus
Scipion. Dans la nuit du 25 {VI Kai. Febr.) au 26 janv. 46, il lève le camp
qu'il occupait depuis le 2 dans la presqu'île de Ruspina (B. Afr. 37); le
26 et le 27, il laisse sa cavalerie affronter, celle de Scipion devant Uzitta
(B. Afr. 38-42), mais refuse d'engager ses légions; c'est le début du « jeu
de cache-cache » qui devait se prolonger jusqu'en mars (cf. supra, p. 2.1).
Les chapitres suivants du Bellum Africum racontent deux épisodes contemp
orains, mais indépendants du précédent: l'abandon du siège d'Acylla par le
pompéien Considius (c. 43) et l'exécution par Scipion d'un groupe de vétérans,
qui faisait partie de renforts envoyés récemment de Sicile à César, mais dont la
trière, déportée par une tempête, était tombée entre les mains des Pompéiens
(c. 44 à 46). « A peu près à cette époque » - per id fere tempus -, l'armée
de César fut victime d'un phénomène météorologique exceptionnel: une averse
de grêle d'une violence inouïe (c. 47,1); l'adverbe fere et la mention, dans
la phrase suivante (47,2), des déplacements de camp auxquels César pro
cédait tous les deux ou trois jours depuis le départ de Ruspina suggèrent

julien (c'est bien l'équivalence indiquée par R. A. Parker-W. H. Dubberstein dans les tables
de leur Babylonian Chronology, Brown Univ. St. XIX, Providence 1956, p. 44). Groebe a
bien vu la portée de cette démonstration (o.e., p. 497, n. 4 et 777, n. 2; mais, p. 816, n. 1,
une malencontreuse erreur a tranformé Antiochia en Alexandria). J. Carcopino a cru pouvoir
s'appuyer sur les données d'un calendrier d'Antioche, reproduites par Bischoff (RE X, s. u.
Kalender, 1595), pour affirmer, contrairement à Judeich et à Groebe, que le 23 Artémisios
correspondait au 23 mai - donnant ainsi raison à Le Verrier - (Ces., p. ·430, η. 1 = 919,
n. 190); mais il lui a échappé que ce calendrier d'Antioche était postérieur à l'introduction
du calendrier julien, dont il reproduit exactement les données, en affectant les mois des noms
employés dans les calendriers macédonien et séleucide.
27 Cette donné s'accorde avec un autre renseignement fourni par la Correspondance
de Cicéron: le 19 juin 47 officiel, à Brindes, les informations les plus récentes en provenance
d'Alexandrie n'apportent aucun écho d'un embarquement de César (AU. XI 18,1); mais, 15 jours
plus tard, le 5 juillet officiel, la nouvelle de son départ est arrivée et a reçu ample confirmat
ion (AU. XI 25,2); compte tenu de la durée de la traversée Alexandrie-Brindes (une vingtaine
de jours en moyenne, exceptionnellement 8; cf. JR£ 2. R. II, s. u. Schiffarht, 411 Kroll), l'emba
rquement de César pour la Syrie se placerait entre le 10 et le 20 juin officiel (= 30 mars et
9 avril Groebe); 7 à 17 jours plus tard, César faisait son entrée à Antioche, cf. Drumann-
Groebe, o. c, p. 496, n. 3. On sait que la date du départ de César d'Egypte est controversée.
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN 29

une période comprise entre le 28 janvier et le 3 ou 4 février, c'est-à-dire,


d'après Le Verrier, entre le 2 et le 6 ou 7 décembre, suivant Groebe entre
le 10 et le 14 ou 15 novembre. Or l'auteur du Bellum Africum précise
le moment de cet incident, au moyen d'une donnée astronomique familière:
la constellation des Pléiades vient d'effectuer son premier coucher héliaque
du matin 28, et l'on sait que les Anciens attachaient une grande importance
à cet événement, qui marquait le début de l'hiver et s'accompagnait souvent,
selon eux, de graves intempéries29. Il est évident que cette conjoncture
astrale n'aurait pas été consignée dans le journal de marche de l'Etat-major,
si elle n'avait pas accompagné ou immédiatement précédé le phénomène
météologique qu'elle avait provoqué. Les astronomes ont établi qu'au Ier siècle
av. J.-C, sous la latitude d'Uzitta (+ 36°), le coucher matinal des Pléiades
avait lieu le 8 nov. « réel » 30, juste avant la fourchette chronologique définie
à l'aide du comput de Groebe.
Au printemps 49, Cicéron, torturé par l'angoisse et l'hésitation, attend
de s'embarquer pour rejoindre Pompée en Grèce; il écrit lettre sur lettre
à Atticus; le 16 mai, de sa propriété de Cumes, il lui affirme que « seul
l'équinoxe, qui a été extrêmement agité, me retient à l'heure qu'il est »
- nunc quidem aequino ctium nos moratur quod ualde perturbatimi erat
{AU. X 17,3) -. Le Verrier, pour qui cette date correspond au 16 avril
« réel », justifie cette . . . inexactitude par la gêne de Cicéron, désireux de
trouver une excuse, même mauvaise, à ses atermoiements31; mais comment
admettre que, dans une lettre confidentielle à son ami le plus intime, qu'il
tenait informé presque quotidiennement de sa perplexité et de ses tergir-
versations, le malheureux ait eu recours à une ficelle aussi grosse? La con
cordance de Groebe fournit, ici encore, la date « réelle », qui cadre parfait
ement avec le texte et avec la situation: 25 mars 49 32.

28 Vergiliarum signo confecto (47,1); A. Bouvet traduit à tort «bien qu'on eût passé
l'époque du coucher des Pléiades» (in edit., Paris 1949, p. 44; avec une remarque savoureuse
en note 72: «l'orage eût été moins étonnant en janvier 46 = novembre 47»: oui, certes; et
pour cause...), tandis que Groebe, mal informé, croit qu'il s'agit de la «Kulmination» des
étoiles (o. c, p. 816 sq. n. 3). Sur le sens du terme confici, dans cette acception, cf. A. Le Boeuffle,
Le vocabulaire latin de l'astronomie, Serv. de reprod. des thèses, Univ. de Lille III, 1973,
II, p. 805, n. 455.
29 Références innombrables; cf. RE XXI 2, s. u. Pleiades, H. Gundel, 2.512 sq.
30 Cf. H. Gundel, o. c, tableau col. 2.503 sq. D'après le calendrier de César et selon
Pline l'Ancien, qui en a transmis les données (XVIII 225; etc.), ce coucher avait lieu le 11 nov.,
date qui vaut pour la latitude de Rome, au IIP s. av. J.-C.
31 Le Verrier, o. c, p. 523 (= 389).
32 L'équinoxe de printemps tombait le 26 mars selon Ovide (F. III 877 sq.), les 24 et
25 d'après Columelle (XI 2, 31), le 25 suivant Pline l'Ancien (XVIII 246).
30 JEAN BEAUJEU

La supériorité du système de Groebe sur celui de Le Verrier implique,


nous l'avons vu, qu'il n'y ait pas eu de mois intercalaire en 698/56. La
chronique des trois premiers mois officiels de cette année ne révèle aucun
indice donnant à penser qu'une telle intercalation ait été réalisée: qu'on
relise la Correspondance de Cicéron ou une histoire détaillée de cette période,
remplie par les conflits et les bagarres politiques, par les procès de Milon,
de Bestia et de Sestius, par la fronde de Cicéron et du Sénat contre les
triumvirs, qui aboutira aux accords de Lucques, les événements se suivent
sans rupture ni entassement, des Ides de février aux Ides de mars.
Bien plus, une lettre de Cicéron nous fournit une preuve quasi décisive
qu'il n'y a pas eu d'intercalation: au milieu de février, Cicéron envoie à son
frère Quintus, légat de Pompée en Sardaigne, une gazette de l'actualité
romaine depuis le début du mois (Q. jr. II 3); au bout de quatre pages,
11 s'arrête sur ces mots: pridie Idus Febr. haec scripsi ante lucem. Eo die
apud Pomponium in eius nuptiis eram cenaturus (§ 7) - ce jour-là, le
12 févr., Atticus épousait Pilia -. Mais la lettre reprend: cetera sunt in rebus
nostris huiusmodi, ut tu mihi fere diffidenti praedicabas, plena dignitatis
et gratiae, et c'est l'occasion de remercier son frère pour son dévouement;
puis il lui parle de ses maisons, lui réclame des nouvelles et le met en
garde contre le climat de la Sardaigne, quanquam est hiems; pour finir,
la date: XV K. Martias (= 15 févr.). Ainsi, comme cela lui arrive plus
d'une fois, (cf. AU. III 22; Q. jr. Ill 1; etc.), Cicéron n'a pas envoyé sa
lettre du 12 au matin aussitôt après l'avoir rédigée, sans doute parce qu'il
n'avait pas de messager à sa disposition; trois jours après, il en a trouvé
un et ajoute un post-scriptum avant de lui confier le pli. Dans l'intervalle
est tombé le jour des Ides; quel est le prochain terminus ante quern? Les
Calendes de mars; s'il devait y avoir intercalation le lendemain du 24 févr.,
Cicéron le saurait, depuis les Nones au plus tard, et daterait son post-
scriptum ante Kai. Intercalares, comme il allait le faire quelques années
plus tard, le 26 nov. 46 (Fam. VI 14,2: V Kalendas Intercalares priores),
ou, à la rigueur, ante Terminalia (cf. AU. VI 1, 1).
L'argument paraît sans réplique; il ne l'est pas tout à fait, si
L. A. Constans a raison lorsqu'il suggère, dans une note de son édition33,
que les dernières lignes pourraient ne pas être un post-scriptum de la lettre
du 12 févr., mais la fin d'une autre lettre écrite le XV Kal. Mart, dont le

33 T. II, Paris 1941, p. 186 sq.; Constans reprend une hypothèse lancée par A. A. Koerner,
De epistulis a Cicerone post reditum usque ad finem anni A.V.C. 700 datis Quaestiones
chronologicae, Leipzig 1885, p. 15.
LES DERNIÈRES ANNÉES DU CALENDRIER PRÉ-JULIEN 31

début aurait disparu, et avoir été réunies à tort par les copistes à la lettre
du 12 - accident dont la Correspondance offre maints exemples (cf. en
particulier Q. fr. II 4 et 4 a, de mars 56) -. Du coup, il ne serait pas
impossible que cette fin de lettre eût été écrite le XV Kal. Mart, dans le
mois intercalaire, exactement le 14 de ce mois, qui aurait compté 27 jours;
ce serait même l'hypothèse la plus probable, les courriers entre Rome et la
Sardaigne étant trop rares pour que Cicéron ait expédié à son frère deux
lettres à trois jours d'intervalle. Mais la suggestion de Koerner et Constans
mérite-t-elle d'être retenue? Aucun des deux arguments avancés par Koerner
n'est solide: rupture entre le § 6 et le § 7 {cetera sunt . . .)? Elle s'explique
aisément par l'intervalle de trois jours; d'ailleurs, le mot cetera constitue
un « raccord » satisfaisant. Cicéron ne parle pas de la séance du Sénat tenue
le 15? Il a fort bien pu écrire son post-scriptum le matin, avant la séance,
comme il l'avait fait le 12 pour les §§ 1-6; au reste, l'ordre du jour - audience
des ambassadeurs étrangers - ne présentait sans doute pas d'intérêt parti
culier pour Quintus34. Inversement il serait très surprenant que Cicéron
eût terminé sa lettre du 12 sans exprimer à son frère, par une formule
finale, son affection et sa sollicitude, comme il l'a fait dans les autres lettres
qu'il lui a adressées en Sicile (II 1; 2; 4 a; 5; 6); c'est qu'il se réservait
d'ajouter quelques lignes au moment de l'expédition 35.

Ainsi, pour la période qui va de 698/56 à 708/46 inclus, le système


élaboré par Holzapfel, répandu par Groebe sort indemne des attaques qu'il
a subies et renforcé par des preuves convergentes et, nous l'espérons, con-

34 On peut en dire autant du mariage d'Atticus: Cicéron n'avait guère l'habitude de raconter,
dans ses lettres, des scènes de la vie privée.
35 Dans une autre lettre à Quintus, postérieure de quelques semaines à celle du 12-15 févr. 56
(II 4 a, 5 Constans = 4, 7), Cicéron écrit cette phrase: atque adhuc clausum mare fuisse scio;
le passage a été rédigé soit à la fin de mars, comme le pense Constans (o.e., p. 187; après
W. Sternkopf, dans Hermes, XXXIX, 1904, p. 405 sqq.), soit dans la deuxième quinzaine de ce
mois, comme le veulent R. Y. Tyrrell-L. C. Purser (in edit, comment., II2, Dublin 1906, p. 48;
à la suite de Th. Mommsen, in Ges. Schriften, VII, p. 19); dans les deux cas, l'affirmation
paraît difficilement compatible avec le système de Le Verrier, qui identifie le 25 mars officiel
au 23 mars «réel» et le 20 mars officiel au 18 mars «réel»; sans mois intercalaire, les dates
correspondantes proposées par Groebe sont le 1er mars et le 24 février. Or on sait que la
période théorique du mare clausum, à laquelle Cicéron se réfère ici, prenait fin dans les
premiers jours de mars; le terme ultime, indiqué par Végèce (IV 39), est le 10 mars. Mais
E. de Saint-Denis a montré que les limites du mare clausum étaient élastiques, d'autant plus
qu'elles n'avaient pas reçu de consécration officielle et que, dans la pratique, l'activité maritime
était ralentie, mais non pas interrompue (Mare clausum, dans REL, XXV, 1947, 196-214);
32 JEAN BEAUJEU

vaincantes 36; inversement, les arguments mis en avant, depuis un demi-siècle,


par d'éminents savants français pour réhabiliter le système de Le Verrier
ne résistent pas à une critique attentive et les difficultés qu'il soulève nous
ont paru insurmontables. En prenant parti, nous nous exposons au risque
d'être, à notre tour, pris à partie; sur de tels sujets plus encore que sur
d'autres, la controverse est souvent génératrice de progrès; puisse la vérité
historique y trouver son compte!

ajoutons qu'avant la réforme de -45, le flottement du calendrier officiel rendait impossible


la détermination de dates légales fixes, pour les activités saisonnières.
36 Dans sa reconstitution du calendrier des années 63 à 45, Groebe a intégré la succession
régulière des Nundinae, qui revenaient tous les huit jours, et l'a consignée dans ses tableaux
de concordance: scrupule remarquable, dont Le Verrier ne s'est pas encombré. Pour établir
cette grille, il est parti des deux seules données sûres que nous possédions: Nundinae du
21 nov. (X Kal. Dec.) 697/57 et des Kalendae Ianuariae de 702/52; pour les périodes antérieure
au 21 nov. 57 et postérieure au 1er janv. 52, il a procédé à une simple extrapolation, invéri
fiable; mais, entre ces deux dates, il fallait nécessairement que le compte fût rigoureusement
exact; or il l'est, sans mois intercalaire en 698/56 (la démonstration de Groebe a été résumée
et confirmée par A. W. Lintott, Nundinae and the chronology of the late Roman Republic,
dans Class. Quart. XVIII, 1968, p. 192 sq.). Si l'on faisait entrer en ligne de compte l'intercalation
de 23 jours admise par Le Verrier, il y aurait une discordance d'1 jour (23 = [8x3] - 1).
Sans doute a-t-il pu arriver, comme l'a indiqué A. K. Michels (The Calendar of the Rom. Rep.,
Princeton 1967, p. 78), que des Nundinae fussent reportées ou annulées: on sait que certaines
superstitions faisaient redouter la coïncidence entre Nundinae et Calendes de janvier ou Nones
de n'importe quel mois (Macr. Sat. I, 13, 16); mais, alors qu'en fait ces coïncidences étaient
fréquentes, le jeu des nombres veut qu'entre 696/58 et le 1er janvier 702/52 la périodicité des
Nundinae ne les ait pas fait tomber un 1er janvier. D'autre part, rien ne suggère qu'en cas
de report d'un jour de marché, le décalage se soit répercuté sur toute la suite des Nundinae;
le plus probable est que, dès le marché suivant, on revenait à l'échelonnement antérieur.
L'argument conserve donc toute sa valeur.
RAYMOND BLOCH

RELIGION ROMAINE ET RELIGION PUNIQUE


À L'ÉPOQUE D'HANNIBAL
« MINIME ROMANO SACRO »

II peut paraître ambitieux de vouloir apporter du nouveau sur les


rapports religieux entre Rome et Carthage aux différents siècles et, en parti
culier, à l'époque cruciale de la deuxième guerre punique. La voie a cependant
été ouverte par les découvertes fécondes de Pyrgi. Par l'intermédiaire étrusque,
nous le constatons aujourd'hui, la religion romaine et la religion punique
ont été en étroit contact sur le sol italien dès l'époque archaïque. Nos der
nières recherches semblent l'avoir mis en lumière, ces rapports subsisteront
plus ou moins consciemment par la suite et la crise de la deuxième guerre
punique les fait resurgir à nos yeux. A Jacques Heurgon, au savant et à
l'ami, sont dédiées les réflexions qui suivent et dont je l'ai souvent entretenu.
Il n'est pas facile pour nous, modernes, d'analyser en profondeur les
caractères du sentiment religieux chez les Anciens et en particulier, pour
ce qui nous intéresse aujourd'hui, chez les Romains. Peuple d'organisateurs,
de soldats, de conquérants, voilà comment ceux-ci nous apparaissent, mais
les données intimes de leur conscience religieuse sont moins aisées à saisir.
Pourtant, en quelques pages de son beau manuel, Jean Bayet parvient à les
définir et, s'attachant à deux expressions spécifiquement latines Pax deorum
et Religio, il écrit: « Les Romains désirent, à chaque instant de leur vie
publique, la " paix des dieux ", c'est-à-dire l'assurance qu'au-delà de leur
nature et de leur activité humaine, ils ne rencontrent pas, s'opposant à leur
vouloir, la réaction hostile des dieux, y compris (ceci est important) ceux de
l'adversaire et ceux dont la cause est douteuse » l.
Dieux de l'étranger, dieux de l'ennemi: il est vrai que tout au long
de son histoire, Rome n'a pas hésité à introduire sur son sol des divinités
étrangères, latines, italiques, grecques ou orientales, dont l'appui lui semblait

1 J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, Payot, 2e éd.,


1969, p. 58 sq.
34 RAYMOND BLOCH

hautement souhaitable et nulle civilisation ne s'est montrée plus ouverte


aux cultes du dehors, pourvu que ceux-ci soient reconnus officiellement et
adoptés par les plus hautes autorités religieuses de la cité. Pour les dieux de
l'ennemi, un tel accueil ne pouvait se faire qu'au terme de campagnes victo
rieuses, et juste avant que l'assaut final ne fût donné aux villes vaincues.
Nous connaissons quelques cas historiquement attestés du vieux rituel
de Yevocatio. Véies au début du IVe siècle av. J.-C, Carthage au milieu
du second siècle av. J.-C. se virent ainsi privées, au moment décisif, de
l'appui et de la présence de leur déesse poliade2. La première vint à Rome
sous le nom de Juno Regina, la seconde sous celui de Juno Caelestis.
La personnalité de Junon, la déesse de loin la plus importante de Rome
avait toujours été riche et multiforme, le nombre des épithètes qu'elle portait
et des fonctions qui étaient les siennes le prouve suffisamment3. Comme
Regina et comme Caelestis, elle vient à Rome représenter les déesses poliades
de ses plus farouches ennemis, les Etrusques et les Puniques. Mais une
telle identification ne date-t-elle, comme on le pense le plus souvent, que
du moment des assauts terminant des guerres inexpiables? A la réflexion,
la chose aurait été peu vraisemblable. Comment, au dernier moment, juste
avant de lancer ses soldats vers l'assaut, le pillage et la destruction, le génér
al romain aurait-il pu s'adresser à une divinité qui lui aurait été absolument
étrangère et à laquelle il aurait, arbitrairement et pour la première fois,
donné le nom de la Junon romaine4? En fait, le processus a été bien diffé
rent et il a fallu attendre les découvertes de Pyrgi pour que nous compre
nionscomment ces transferts de divinités ont pu réellement avoir lieu.
Déjà, vers 500 avant notre ère, tout près d'une Rome encore étrusquisée,
le Roi étrusque de Caere honorait sa grande déesse, Uni, sous ce nom qui
était le sien et aussi sous le nom d'Astarté, la grande déesse sémitique5.

2 Cf. Tite-Live, V, 21, pour l'evocatio par Camille de l'Uni de Véies et Macrobe, III, 9,
pour l'evocatio par Scipion Emilien de l'ensemble des dieux de Carthage et particulièrement
de sa déesse tutélaire. On peut toujours se référer à V. Basanoff, Etude d'un rituel militaire
romain, dans Bibl. de l'Ecole des Hautes Etudes, Sciences religieuses, LXI, 1947. Cf. aujourd'hui,
et dans le présent volume, p. 521, à propos de l'inscription concernant la prise, en Cilicie, de
la ville d'Isaura vêtus, par le proconsul P. Servilius Vatia (en 75 av. J.-C), l'article de J. Le Gall,
Evocatio.
3 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, Payot, 2e éd., 1974, p. 290 sq.
4 Car il s'agit ici d'un appel bien précis à une divinité connue, en face de l'invocation
générale si deus si dea est. . (Macrobe, III, 9).
.

5 Voir la publication initiale de M. Pallottino et coll. Scavi nel santuario etrusco di Pyrgi,
dans Archeologia Classica, XVI, 1964, p. 84. Sur le problème, on se référera à mes communi-
RELIGION ROMAINE ET RELIGION PUNIQUE 35

Pour Rome toute voisine il ne pouvait déjà s'agir, dans l'un et l'autre cas,
que de Junon elle-même dont le nom était tout voisin de celui de Uni. Une
telle interpretatio, reliant entre elles, de la façon la plus étroite, trois divi
nités qui, sous des appellations diverses, n'en faisaient en réalité qu'une,
dut rester bien vivante au cours des siècles suivants dans le cœur des
Romains. Sur le Capitole, Junon, prenant sa place aux côtés de Jupiter et
de Minerve dans le grand temple étrusque construit par les Tarquins, ne
pouvait complètement effacer le souvenir de l'Uni toscane.
Ainsi, Junon, Uni, Astarté, puis, certainement à la place de cette der
nière, Tanit, tous ces noms ne pouvaient manquer de désigner à Rome, une
même déesse, exerçant sa puissance redoutable sur trois peuples différents,
amis tout d'abord et alliés entre eux et devenus, bien plus tard seulement,
adversaires et ennemis mortels. Uevocatio romaine s'est ainsi exercée, en
quelque sorte, en terrain familier et les généraux qui ont fait tour à tour
entrer à Rome Junon Reine et Junon Caelestis, les grandes déesses d'Etrurie
et de Carthage, n'ont pas adressé leurs prières à des divinités qui leur
étaient étrangères. Ils avaient en face d'eux, sous des vocables différents,
la Junon protectrice de Rome et les exemples célèbres du rituel de Vevo-
catio romaine se sont adressés aux puissances bien familières qu'avait honor
éesdans sa double dédicace, gravée sur feuilles d'or, le souverain de Caere,
Thefarie Velianas.
Voici que se trouvent singulièrement enrichis le champ et la durée
d'une interpretatio jusqu'ici considérée en quelque sorte comme ponctuelle,
comme née au moment même de la disparition de la Véies étrusque et de
la Carthage punique ou bien peu auparavant. On comprend à présent pour
quoi, au moment où Hannibal faisait trembler Rome, tous les esprits se
tournèrent vers Junon, honorée par eux sous diverses épithètes, et surtout
vers Juno Regina, la vieille déesse étrusque venue de Véies sur l'Aventin6.
Une autre Junon, celle de Lanuvium, qui gardait tous les traits d'une
divinité guerrière et poliade étrusque, avec sa lance, son bouclier à double
échancrure et ses chaussures à la poulaine, ses calcei repandi7, reçut en
217 des honneurs exceptionnels qu'exigeaient des prodiges survenus en son
propre temple et traduisant son trouble et sans doute sa colère8. En même

cations Ilithye, Leucothée et Thesan, CRAI, 1968, p. 366-375 et Héra, Uni, Junon en Italie
centrale, Ibid., 1972, p. 384-396
6 Voir ma communication Hannibal et les dieux de Rome, CRAI, 1975, p. 14-25.
7 Cicéron, De natura deorum, I, 82.
8 Liv., XXI, 62.
36 RAYMOND BLOCH

temps, sans que l'annalistique signale aucun prodige la concernant, la Junon


Reine de l'Aventin se vit offrir par les matrones romaines une statue de
bronze, signum aeneum 9.
A l'approche du printemps, Hannibal ayant franchi l'Apennin, les
craintes s'avivèrent et les deux déesses reçoivent de nouveaux témoignages
d'une craintive dévotion 10. Dix ans après, lors de l'expédition d'Hasdrubal
en Italie et des craintes qui renaissent, c'est à nouveau la Junon Reine de
l'Aventin qui manifeste sa colère et dont le courroux, de toute urgence, doit
être apaisé. La foudre tombe au Mont Aventin sur son sanctuaire. Un bassin
d'or lui est offert alors par les matrones romaines qui lui sacrifient et une
procession est organisée dans laquelle lui sont apportées deux statues en
bois de cyprès qui certainement la représentent: « Duo signa cupressea
Junoni Reginae portabantur » n.
Statue de bronze en 217 et statues de cyprès dix ans après: en vérité
ces offrandes exceptionnelles d'images de culte ne peuvent pas ne pas évo
quer à nos yeux le rôle joué à Véies par la statue de la poliade Uni, que
seul, selon le rite étrusque, un prêtre d'une certaine famille pouvait toucher 12
et sur laquelle au moment de Yevocatio Camille osa porter la main,
απτό μεν ο ν της Θεοϋ 13.
Par la suite, les Romains ne cessèrent pas de ressentir, en quelque
sorte, la présence physique de la déesse dans son image de culte dont le
transfert à Rome restait dans leur mémoire et, s'il la redoutèrent tant au
moment du succès des armées de Carthage, c'est que depuis l'époque archaïque,
depuis trois siècles, les textes de Pyrgi en témoignent, cette présence se
doublait en quelque sorte de celle de la grande déesse des Puniques.
Ainsi s'expliquent le nombre et la gravité des prodiges survenus alors
dans le temple de Junon Reine et dans celui de Junon Lanuvienne. Tout se
passe comme si la vieille divinité étrusque, toute romanisée qu'elle fût depuis
plus d'un siècle et demi, était soulevée par la colère qui ne pouvait manquer
de s'emparer de son homologue sémitique contre les adversaires de son
armée et de son peuple. Tout devait être mis en œuvre par Rome pour
apaiser un tel courroux et, pour fléchir la déesse, présente en son signum,
on multiplia l'offrande de statues nouvelles. La statue de l'Uni de Véies

9 Ibidem.
10 Liv., XXII, I, 19.
11 Liv., XXVII, 37.
12 Liv., V, 22.
13 Plutarque, Camille VI, 2.
RELIGION ROMAINE ET RELIGION PUNIQUE 37

avait, par un signe manifeste, cédé à la prière de Camille u et était venue


de son plein gré dans son nouveau temple tibérin. Sans doute, en y transpor
tant avec solennité de nouveaux signa, cherchait-on à répéter en quelque
sorte, à plusieurs reprises, le geste initial et voulait-on installer plus solid
ement encore la déesse dans un sanctuaire où elle avait bien accepté de
venir mais où elle se sentait à présent comme mal à l'aise et qu'elle paraissait
toute prête à quitter pour rallier le camp de son homologue carthaginois.
Bien plus tard, Octave, lors du siège de Pérouse, fit transporter à Rome,
à la suite d'un rêve qui l'avait agité dans son sommeil, la statue de Junon
qui se trouvait encore dans la ville et qu'un hasard providentiel (mais
était-ce bien un hasard?), avait sauvée de la destruction. Nul doute qu'il
ne se soit agi, une fois encore, de l'ancienne Uni étrusque devenue Juno
Regina dans la Pérouse romanisée 15.
Ainsi la religion romaine avait beau évoluer avec les siècles, les vieux
souvenirs, les anciennes craintes ne disparaissaient pas des cœurs et c'est
toujours l'obstination aux mêmes gestes qui permet de calmer les inquiétudes
en restaurant les vieilles alliances. Le conservatisme rituel de Rome a été
souligné à plusieurs reprises 16. Les exemples que nous venons de rappeler
en présentent un aspect original et saisissant.
Il est rare qu'un processus religieux aussi original et complexe se
double d'un parallèle manifeste et probant. Le cas de Saturne offre pourtant,
à l'époque de la deuxième guerre punique, le second exemple du recours
de Rome à la protection d'un dieu romain, cachant derrière lui, depuis
l'époque étrusque, son homologue carthaginois. Ici aussi même dévotion
déguisée à une des grandes divinités protectrices de Carthage, même recours,
plus ou moins conscient, à une interpretatio etrusca d'époque ancienne.
Dans le court espace de temps séparant la défaite de la Trébie et le désastre
de Trasimène, figurent, à côté d'actes religieux divers et des honneurs excep
tionnels rendus aux Junons d'ascendance étrusque, des cérémonies tout
aussi rares offertes au principal dieu du mois de décembre, à Saturne. Le
culte de celui-ci est réorganisé et prend des dimensions imprévues. Au mois
de décembre, écrit Tite-Live 17, on fit un sacrifice à Rome dans le temple

14 Plutarque, loc. cit.


15 Dion Cassius, XLIII, 14, 5-6. Sur ces problèmes on se référera à Y. Roé d'Albert, Recherches
sur la prise de Véies et sur Juno Regina, Annuaire 1975-1976 de 1Έ.Ρ.Η.Ε., IVe section, sous
presse.
16 J. Bayet, Ouvrage cité, p. 42 sq.
17 Liv. XXII, I, 19: Postremo decembri jam mense ad aedem Saturni Romae immolatum
est lectisterniumque imperatum et eum lectum Senatores straveruni et convivium publicum*
38 RAYMOND BLOCH

de Saturne, un lectisterne fut commandé dans lequel ce furent les sénateurs


eux-mêmes qui dressèrent le lit du dieu et un repas public fut offert. Enfin
toute la ville répéta pendant un jour et une nuit le cri des Saturnales et
il fut décidé que le peuple conserverait à jamais ce jour parmi les jours
de fête.
C'est là une véritable révolution dans le culte d'un dieu agraire, d'origine
lointaine et d'ascendance complexe 18. Au-delà de toutes les hypothèses que
la nature de Saturne a suscitées, l'histoire de son culte comprend, à nos
yeux, trois moments décisifs qui nous sont bien connus par les données
transmises par les Anciens. Le premier est la construction de son temple
par les Tarquins et sa dédicace, en 497 av. J.-C, par le dictateur P. Larcius 19.
La popularité de Saturne chez les Etrusques ne fait ainsi aucun doute: il
se voit honoré par eux d'un temple important, situé en bonne place, au pied
du Capitole, et c'est là le témoignage certain d'une dévotion attentive.
Deuxième temps fort dans le destin de Saturne, celui-là même que nous
avons évoqué pour l'année 217 av. J.-C, lors de l'approche d'Hannibal.
Les Saturnales, vieilles réjouissances paysannes parmi d'autres, prennent
place subitement parmi les plus grandes fêtes du calendrier romain et elles
ne perdront jamais plus cette nouvelle importance.
Troisième moment décisif: la prise de Carthage, au milieu du second
siècle. Tandis que Tanit vient alors à Rome sous le nom de Junon Caelestis,
par un mouvement inverse mais dont l'explication est semblable, Saturne va
s'installer, sans attendre, dans l'Afrique tout récemment conquise et il va
remplacer, recouvrir, le dieu mâle qui, avec Tanit, forme le couple majeur
du panthéon carthaginois, Ba'al Hammon20.
Un tel processus, à la lumière de ce que nous avons pu constater pour
Junon, semble clair. Aux alentours de 500 av. J.-C. et peut-être même aupara
vant,Rome, qui était l'alliée des Puniques et devait le demeurer pendant
plus de deux siècles encore, avait dû interpréter le dieu majeur de la nation
amie, Ba'al Hammon, comme un Saturne, avide lui aussi de sang humain.
Les Grecs ne s'y trompèrent pas qui reconnurent à la fois dans le dieu
sémitique et dans le dieu romain, leur propre Cronos. Qui sait si cette

ac per Urbem Saturnalia diem ac noctem clamatum populusque eum dient festum habere ac
servare in perpetuum jussus.
18 Sur l'ensemble du problème cf. Ch. Guittard, Recherches sur la nature de Saturne, des
origines à la réforme de 217 avant J.-C. dans R. Bloch et coll., Recherches sur les religions
de l'Italie ancienne, Droz, Genève, sous presse.
19 G. Lugli, Roma antica. Il centro monumentale, Rome, 1946, p. 149 sq.
20 M. Le Glay, Saturne africain, Histoire, dans BEFAR, 255, Paris, 1966.
RELIGION ROMAINE ET RELIGION PUNIQUE 39

interprétation étrusco-punique ne fut pas, en partie, à l'origine de la


construction du temple de Saturne par les Tarquins?
La crise de la deuxième guerre punique remet Saturne au premier plan
des préoccupations. Le souvenir du parallélisme étrusco-punique est toujours
bien vivant et il faut apaiser à tout prix celui derrière lequel se profile
l'ombre menaçante de Ba'al Hammon. Rien n'est donc négligé pour écarter
les menaces que faisaient placer sur Rome le vieux Saturne et son homologue
carthaginois. De là l'instauration d'une fête à laquelle prend part le peuple
tout entier: ac per Urbem Saturnalia diem atque noctem clamatum.
Les textes classiques, peut-être parce qu'ils nous sont trop familiers
finissent parfois par perdre à nos yeux de leur force originelle. Ces cris,
répétés tout un jour et toute une nuit par la multitude, est le signe d'un
désordre intérieur profond. Ils ne pouvaient guère exprimer l'allégresse au
cœur de cette année terrible. Ils montaient, implorants, vers celui qui semb
lait guider le bras d'Hannibal et ils avaient pour but de lui faire oublier
ses terribles desseins.
Etrusques et Puniques, combattant côte à côte contre les Grecs, à
l'époque archaïque, sur les côtes de la mer Tyrrhénienne, avaient donc réuni
la force de leurs dieux. Il se trouve que les rituels des deux nations com
prenaient le sacrifice majeur, le sacrifice humain, familier à Ba'al Hammon
et à Saturne. Les récits des Anciens ne manquent pas qui en témoignent.
Nous savons aussi que très vite, à l'aube de son histoire, Rome s'en détourna
et recourut aux sacrifices de substitution, plus conformes au tempérament
latin. Déjà Numa avait réussi, par sa ruse, à convaincre Jupiter de renoncer
à ses exigences initiales. Et voici qu'en 216 av. J.-C, après la bataille de
Cannes, Rome semble faire machine arrière. Tandis qu'à la suite de son
crime d'impureté et du suicide d'une de ses compagnes, on enterre vivante
près de la porte Colline la malheureuse vestale Opimia, un couple de Grecs
et un couple de Gaulois sont murés dans une crypte souterraine sur le
Forum boarium 21. N'est-ce pas là, sur le plan des rituels, un processus
religieux analogue à celui que nous avons déjà observé? Tout se passe comme
si les autorités de Rome étaient allées chercher dans leur passé étrusque
l'équivalent, non plus des dieux, mais des sacrifices des Puniques.
Le ver sacrum 22, rituel de substitution d'origine italique, n'avait pas
suffi, l'année précédente à restaurer la Pax Deum. Il fallait donc rivaliser
avec Carthage en offrant aux dieux, au centre même de Rome, sur un

21 Liv. XXII, 57.


22 J. Heurgon, Trois études sur le ver sacrum, coll. Latomus, volume XXVI, 1957.
40 RAYMOND BLOCH

espace tout chargé de traditions et de souvenirs, des vies humaines23. Ici


encore le triangle se referme et la vieille religion toscane, si efficace aux
mains de techniciens éprouvés, offre à l'inquiétude toujours grandissante de
Rome, les moyens de sacrifier efficacement à des dieux qui pour la première
fois semblent l'abandonner. Et qui sait s'il ne faut pas comprendre le choix
du lieu du terrible sacrifice, bien autrement qu'ils n'a été fait jusqu'ici,
mais en raison de souvenirs réels remontant aux origines mêmes du culte
d'Hercule?
Le héros était, on le sait, vénéré depuis une date haute sur le Forum
boarium, et ses antiques lieux de culte y ont été clairement définis24. Suivant
une hypothèse séduisante qu'ont proposée simultanément deux érudits,
A. Piganiol et D. Van Berchem25, son premier autel aurait été, en réalité,
dédié à un Melqart-Hercule par des marchands phéniciens venus commercer
dans le premier port de Rome. R. Rebuffat a très finement étudié les modal
itésprobables de cette présence phénicienne sur les bords du Tibre26.
Comme semble devenir claire, dans ces conditions, la phrase livienne
qui a fait couler tant d'encre . . . Gallus et Galla, Graecus et Graeca in
Foro boario sub terra vivi demissi sunt, in locum saxo consaeptum jam
ante hostiis humanis, minime romano sacro, imbutum! Le sacrifice de 216
qui voulait rivaliser avec les sombres exigences du culte carthaginois paraît
à nos yeux prendre tout naturellement la suite, au même lieu et par-delà
les siècles, des offrandes de vies humaines qui étaient conformes au rituel
sémitique (minime romano sacro) et que demandait le dieu phénicien,
installé pour un temps et avec le plein accord des Etrusques, sur les bords
du Tibre. La part de la tradition étrusque réside ici dans le choix même des
victimes. Les Gaulois et les Grecs représentent en effet, selon toute probab
ilité, les deux nations qui, l'une au Nord, l'autre au Sud, ont menacé longue
mentle destin de l'Etrurie indépendante.

23 On trouvera, dans le présent volume, p. 65 sq. les réflexions originales de D. Briquel sur
«Les enterrés vivants de Brindes».
24 J. Bayet, Les Origines de l'Hercule romain, Paris, 1926 et Herclé. Etude critique des
principaux monuments relatifs à l'Hercule étrusque, Paris, 1926.
25 A. Piganiol, Les origines d'Hercule, dans Hommages à A. Grenier, coll. Latomus, LVIII,
Bruxelles-Berchem, 1962, p. 1261-1264, et D. Van Berchem, Hercule-Melqart à l'Ara Maxima,
dans RPAA, XXXII, 1959-1960, p. 61-68 et Sanctuaires d'Hercule Melqart. Contribution à
l'étude de l'expansion phénicienne en Méditerranée, dans Syria, XLV, 1967, p. 74-109 et 307-338.
26 R. Rebuffat, Les Phéniciens à Rome, dans MEFR, 78, 1966, p. 7-48. La royauté étrusque
a dû accueillir favorablement leur présence.
MARIA BONGHI JOVINO

BREVE NOTA IN MARGINE


AL PROBLEMA DELL'ELLENISMO ITALICO:

TIPI ELLENISTICI NELLA COROPLASTICA CAPUANA

II problema dell'ellenismo italico considerato nei suoi varii aspetti cultur


ali, cronologici e sociologici, è stato argomento assai dibattuto in questi
ultimi tempi e svariate, quando non contrastanti, sono apparse le opinioni
degli studiosi \ Tuttavia resta da osservare come, al momento attuale degli
studi, urtino contro l'esigenza di una più approfondita definizione di tale
problematica la indiscutibile discontinuità e le consistenti lacune del mat
eriale edito.
Per questa ragione mi è parso di qualche utilità presentare in questa
sede alcuni tipi ellenistici delle botteghe di Capua con raffigurazioni di
bambini oppure di eroti su animale.
Tale soggetto risulta essere, com'è largamente noto, uno dei temi più
cari alla coroplastica di età ellenistica ed uno dei più diffusi nel bacino
del Mediterraneo. Generalmente l'animale è un canarino2, un pavone3, un

1 Per una valutazione recente dell'ellenismo in Magna Grecia: La Magna Grecia nel
mondo ellenistico, IX Convegno di Studi sulla Magna Grecia, Taranto 1969, Napoli 1970
con relativa bibliografia. Sul rapporto dialettico tra cultura romana ed espressioni dell'ellenismo
italico: Incontro di studi su «Roma e l'Italia fra i Gracchi e Siila», Pontignano 1969, in
Dialoghi di Archeologia, IV-V, 1970-71.
2 In Beozia è attestato un esemplare con bambino su canarino; il bambino reca una
clamide sulle spalle ed appare databile alla seconda metà del III sec. a.C. (S. Besques, Cata
logue raisonné des figurines et reliefs en terre-cuite grecs, étrusques et romains, III, Paris
1972, abbr. Besques III; tav. 41 s., pp. 7 e 34 ss.). Altri esemplari sono presenti a Tarso. Uno
abbastanza frammentario mostra un erote assiso su un animale ormai scomparso; è coronato
di edera e reca la clamide. La sua cronologia è da fissare nell'ambito del I sec. a.C. (Besques III,
tav. 347 g, p. 278). Il secondo esemplare anch'esso assai frammentario mostra un bambino a
cavalcioni di un uccello (Besques III, tav. 348 e, pp. 278 e 269 ss.) con una cronologia all'età
ellenistica recente. La Besques (loc. cit.) fa rilevare come a suo tempo Heuzey avesse pensato
per questo esemplare che l'uccello potesse essere in realtà un'aquila per il tipo del piumaggio;
in tal caso si tratterebbe di Ganimede con l'aquila.
3 Un erote trainato da due pavoni è presente in Attica con una cronologia al III sec. a.C.
(J. Chesterman, Classical Terracotta Figures, London 1974, pp. 57-58, fig. 55).
42 MARIA BONGHI JOVINO

gallo 4, un cigno, un'oca 5, un delfino, un maialetto 6, un ariete 7, un caprone 8,


un toro, un cavallo. Nonostante la relativa assonanza dei temi, però, ogni
centro produttore compare sul mercato con alcuni tratti peculiari e caratte-
ristici che consentono di tracciarne un profilo.
Tra il materiale votivo venuto a luce nei santuarii dell'antica Capua,
nella maggior parte raccolto nel Museo Campano9, sono presenti cinque
pezzi tutti realizzati mediante stampi particolarmente consunti 10 e di fattura
abbastanza corrente tanto da far supporre una considerevole diffusione dei
tipi, anch'essa non priva di significato.
Il primo esemplare (Fig. 1) rappresenta un erote, con le ali aperte,
assiso di prospetto su un cigno n, con il braccio destro allungato lungo il
corpo ed il sinistro mosso a circondare il capo dell'animale, ignudo e con
i capelli ricadenti sulle spalle; il cigno ha il capo ritratto ed il piumaggio

4 N. Breitenstein, Danish National Museum, Catalogue of Terracottas Cypriote, Greek,


Etrusco -Italian, Copenhagen 1941 (abbr. Breitenstein) tav. 85, 701, p. 74, provenienza sconos
ciuta. M. M. Kobylina, Terrakotovye statuetki Panticapeja i Panagorii, Moskva 1961, tav. XV, 1.
5 II tipo è attestato a Myrina: un esemplare proveniente da Smyrne ma di fabbricazione
di Myrina è conservato al Louvre (Besques III, tav. 216, 4, p. 158); l'erote, di età ellenistica
recente, presenta la capigliatura con treccia centrale ed un piccolo " chignon ". Ma il tipo compar
e anche a Tarso; un esemplare è presente nelle collezioni del Louvre (Besques III, tav. 348 b,
p. 278) ove l'erote mostra la pettinatura di Arpocrate e regge con la mano destra una face.
Un bambino (o un erote?) su oca (o anitra) di provenienza sconosciuta e molto frammentario,
si trova a Copenhagen (Breitenstein, tav. 85, 700, p. 74). Altra terracotta con erote con ma
schera bacchica trainato su un carro da due oche è prodotto a Myrina (E. Pottier -
S. Reinach, La nécropole de Myrina, Paris 1887, tav. XXXIII, n. 2, p. 415) e risulta analogo
nell'impostazione ah" erote trainato dai due pavoni (V. nota 3).
6 Un esemplare di provenienza sconosciuta è al Louvre (Besques III, tav. 197 b, p. 359)
e mostra un bambino con clamide. Tre esemplari con bambino disteso su maialetto sono a
Copenhagen ma la loro provenienza è sfortunatamente ignota (Breitenstein, tav. 85, 696, p. 73,
697-698, p. 74). Un gruppetto con putto su maialetto è attestato a Egnazia (A. Levi, Le terre-
cotte figurate del Museo Nazionale di Napoli, Firenze 1926, p. 87, n. 372, fig. 71).
7 S. Mollard-Besques, Catalogue raisonné des figurines et reliefs en terre-cuite, II, Myrina,
Paris 1963 (abbr. Mollard-Besques II), tav. 164 d, p. 135.
8 Mollard-Besques II, tav. 164 a, p. 135.
9 M. Bonghi Jovino, Capua preromana, Terrecotte votive I, Firenze 1965, pp. 13 ss.
(abbr. CPTV I).
10 Ogni esemplare è stato ricavato da una sola matrice e poi completato a mano con la
sua base di appoggio. L'argilla è quella tipica delle botteghe capuane, di colore grigiastro
tendente talora al rosato con varie impurità. Sull'argilla impiegata nelle botteghe capuane:
CPTV I, pp. 13 ss.
11 N. inv. 4975; alt. mass, cm 10 ν. inv. 854.
PROBLEMA DELL'ELLENISMO ITALICO 43

reso piuttosto sommariamente. La parte inferiore è semplicemente indicata


da uno zoccolo che assolve alla sua funzione di stabilità.
I confronti con materiale analogo risultano alquanto generici. Un belli
ssimo esemplare, di fattura assai fine ed accurata, presente nella collezione
Loeb 12, mostra un cigno dal collo elegantemente proteso, cavalcato da un
erote visto di prospetto, con il capo rivolto verso destra ed il braccio corr
ispondente sollevato; un tipo dunque notevolmente diverso da quello capuano
nella sua pratica realizzazione. Più prossimi non risultano né una terrecotta
del Museo di Belgrado rinvenuta nel villaggio di Néhori (Amphipolis) 13 ove
l'erote accusa un forte movimento di torsione, né un esemplare di Myrina
con l'erote addirittura inginocchiato sull'animale mentre la base di appoggio
ha assunto forma tronco-conica 14. Completamente diverso appare poi l'esem
plare della collezione de Clercq di produzione tanagrina con bambino vestito
di clamide e di alto berretto conico 15.
II secondo esemplare capuano (Fig. 2) 16 raffigura un erote con le ali
dischiuse, con la clamide che ricade sulle spalle, assiso a cavalcioni di un
delfino, intento a suonare la cetra; la coda dell'animale chiude sulla sinistra
la scena che a destra risulta inquadrata dalla cetra. La tipologia dell'erote
su delfino, ricorrente anche in altre classi di materiale 17, nella coroplastica
è attestata a Tarso 18, a Phanagoria 19 e, nell'accezione specifica dell'erote ο
del bambino intento a suonare la cetra, almeno sulla base degli esemplari

12 J. Sieveking, Bronzen, Terrekotten, Vasen der Sammlung Loeb, München 1930.


13 M. Velickovic, Catalogue des terres cuites grecques et romaines, Beograd 1957, p. 101,
tav. XVIII, 48.
14 Mollard-Besques II, tav. 75 b, p. 60 F. Winter, Die Typen der Figürlichen Terrakotten II,
Berlin-Stuttgart 1903, p. 314, 9.
15 A. de Ridder, Collection de Clercq, VI, Les terres cuites et les verres, Paris 1909,
n. 7, tav. I.
16 N. inv. 4979; G. Patroni, Catalogo dei vasi e delle terrecotte del Museo Campano a
Capua, Caserta 1897-1899, n. 4755 (v. inv. 4061), p. 599; alt. mass, cm 8. Conservazione sca
dente; mancano la testa e la parte inferiore del delfino.
17 V. ad esempio, tra le gemme in pasta vitrea (E. Schmidt, Antike Gemmen in Deut
schen Sammlungen I, München 1970, η. 1181, pp. 102-3, tav. 126; inoltre G.M.A. Richter,
Catalogue of engraved Gems, Greek, Etruscan and Roman, Roma 1956, nn. 312-314, p. 317,
tav. XLII.
18 Tre esemplari al Louvre (Besques III, tav. 348 d, p. 279; tav. 348 c, p. 279; tav. 348 f,
p. 279; v. ancora: Winter, op. cit., p. 310, 4).
19 Kobylina, op. cit., tav. XIII, 4. G. Kleiner, Tanagrafiguren, Untersuchungen zur Helle
nistischen Kunst und Geschichte, Berlin 1942, p. 300.
44 MARIA BONGHI JOVINO

finora editi, in modo prevalente a Myrina20. I tre esemplari del Louvre


mostrano l'erote assiso sul delfino in una posizione che ricorda abbastanza
da vicino l'esemplare capuano. In essi la testa dell'erote è volta verso l'osser
vatore, il braccio sinistro sorregge lo strumento musicale, il destro è ripiegato
a suonarlo. La fattura di questi esemplari di Myrina è molto fine, il ritocco
accurato, l'insieme di una certa eleganza e scioltezza formale. Secondo la
Besques21 proverrebbero addirittura dalla stessa matrice; talune differenze,
tuttavia, che non sembrerebbero dovute a solo ritocco, mi pare facciano
piuttosto pensare a varianti da un unico prototipo22. Comunque sia, l'el
emento più importante che emerge è che senza dubbio alcuno la produzione
capuana fu influenzata dal modello di Myrina.
Alquanto isolata a livello di confronti appare invece una terrecotta
(Fig. 3) con un bambino con cornucopia nella mano sinistra seduto di pro
spetto su un cane23. Non sono riuscita a trovare comparanda pertinenti in
ambiente italico e confronti specifici in ambiente mediterraneo talché direi
che si tratti di una elaborazione indigena su modelli ellenistici.
Il quarto esemplare (Fig. 4) 24 mostra un bambino assiso di prospetto
su un toro; reca una face nella mano sinistra e presenta la capigliatura con
treccia centrale e boccoli laterali ricadenti sulle spalle, indossa una clamide
che ricopre il braccio destro e le ginocchia. Il pelame della bestia, ben
salda al suolo, è appena indicato ed in modo rozzo e superficiale. Il tipo è
attestato a Myrina con un esemplare tardo e firmato25 ma sostanzialmente
differente.
Ancora a Myrina riporta l'ultimo pezzo (Fig. 5) 26 che mostra un bam
bino assiso a cavalcioni su un cavallo mentre tira le redini con entrambe
le mani; indossa un mantello che ricade sul dorso della bestia. La testa
equina è resa sommariamente, la criniera accennata nei tratti salienti, la

20 Mollard-Besques II, tav. 76 d-f, p. 60. Pottier-Reinach, op. cit., tav. XVII, 5, pp. 339-340.
21 Mollard-Besques II, p. 60.
22 Le differenze consistono principalmente nei seguenti dati: il braccio destro del primo
esemplare (tav. 76 d) risulta più accosto alla testa rispetto agli altri due (tav. 76, e, f), la clamide
che compare tra le gambe dell'erote negli esemplari a tav. 76 d, e, non appare nel terzo (tav. 76 f),
le code dei delfini sono completamente diverse in due esemplari (tav. 76 d, f), la stessa cetra
nei tre pezzi mostra alcune sottili differenze.
23 N. inv. 4978; Patroni, op. cit., η. 4753 (ν. inv. 4056), p. 598; alt. mass, cm 9. L'esemplare
si presenta alquanto danneggiato; manca la zampa anteriore sinistra della bestia.
24 N. inv. 4877; alt. mass, cm 11.
25 Mollard-Besques II, tav. 158 e, p. 131.
26 N. inv. 4976; Patroni, op. cit., η. 4747 (ν. inv. 4059), p. 597; alt. mass, cm 10.
PROBLEMA DELL'ELLENISMO ITALICO 45

coda piegata ad angolo, le zampe risultano basse e tozze. Un esemplare di


Myrina, dalla fattura piuttosto delicata 27, mostra un erote assiso di prospetto,
con clamide, ed un cavallo agile ed elegante. Un altro dalla stessa località28
rappresenta un bambino assiso di prospetto con la gamba sinistra ripiegata
e vestito di tunica. L'animale ha orecchie puntute e folta criniera ottenuta
con piccoli tratti di stecca. Le zampe accuratamente rese appaiono in movi
mento.
Va rilevato tuttavia che l'erote su cavallo è un tema che ebbe molta
fortuna anche in ambiente apulo. Un esemplare attribuito a botteghe taran
tineè presente nel Museo di Legnano29; differisce da quello capuano, oltre
che per il diverso impianto dell'erote e per il differente modo di rendere
l'animale, soprattutto per la maggiore finezza della esecuzione. Un
altro esemplare viene da Ruvo30; in questo si osserva il bambino, con
mantello, seduto sulla bestia che alza la zampa anteriore sinistra. Il braccio
destro è allungato, la capigliatura ricade abbondante sulle spalle, acconciata
con la treccia centrale. Benché diverso dall'esemplare capuano, ha alcuni
elementi di dettaglio analoghi, come, ad esempio, il rendimento della coda
del cavallo. Altri due pezzi provengono assai probabilmente dalle stesse
botteghe31. Il primo mostra il bambino adorno di corona sul capo e sostan
zialmente diverso, il secondo più affine nell'inquadramento generale.
Alcuni schemi ed alcuni temi, dunque, come l'erote su cavallo, cont
inuano a legare il centro di Capua, come già è stato documentato per le
epoche precedenti, alla produzione di ambiente apulo e, più specificamente
tarantino32, per quel che concerne l'erote su delfino si può parlare invece
di un più stretto legame tra Capua e Myrina, gli altri due esemplari, l'erote
su cigno ed il bambino su toro ripetono in forma modesta soggetti generici
di età ellenistica, l'ultimo, il bambino su cagnolino appare un prodotto abba-

27 Mollard-Besques II, tav. 76 e, p. 60.


28 Nell'esemplare precedente come in questo il bambino è seduto su cavallo che avanza
verso destra (Mollard-Besques II, tav. 157 a, p. 131); altri tre esemplari più ο meno analoghi
sono conservati al Louvre, come quelli di cui è stato fatto cenno (Mollard-Besques II, tav. 157 e,
tav. 158 a, d, p. 131).
29 M. Bonghi Jovino, Documenti di coroplastica italiota, siceliota ed etrusco-laziale nel
Museo Civico di Legnano, Firenze 1972, tav. XXXIII, 121, p. 66.
30 Breitenstein, tav. 81, 664, p. 70.
31 Breitenstein, tav. 81, 665-666, p. 70.
32 M. Bonghi Jovino, Una tabella capuana con ratto di Ganimede ed i suoi rapporti con
l'arte tarantina, in Hommages à M. Renard, IH, Bruxelles 1969, pp. 66-78. M. Bedello, Capua
preromana, Terrecotte votive IH, Testine e Busti, Firenze 1975, p. 22 ss.
46 MARIA BONGHI JOVINO

stanza peculiare delle botteghe indigene come documenta la scarsezza dei


confronti.
Riportando queste poche annotazioni specifiche su un piano più gene
rale può dirsi che tutti e cinque i pezzi rientrino nell'ambito della prima
corrente stilistica capuana che vede una locale adesione ai prototipi del
l'el enismo mediterraneo 33. Affiora quindi l'ipotesi che i committenti
capuani abbiano voluto esprimersi mediante questo linguaggio che peraltro
ben si innestava sulla situazione culturale precedente.
Per concludere dirò infine che, come sovente accade, modesti dati fanno
riflettere su fenomeni di più ampio respiro. Vorrei pertanto, sulla scia del
dibattito di Pontignano 34, fare qualche scarna osservazione sul problema del
l'el enismo in Roma alla luce appunto di quel che viene lentamente emer
gendo dallo studio di Capua preromana. Ciò perché viene fatto di chiedersi
se il fenomeno dell'impegno « classicistico » di Roma non possa essere stato
determinato da molteplici elementi convergenti e non soltanto da un ben
preciso calcolo politico nell'ambito di una dialettica interna.
Tali elementi, a mio avviso, già fin d'ora possono essere indicati nella
esigenza di sfuggire alla morsa della koinè dell'ellenismo italico potenziato
da una città ancora viva all'epoca, come, ad esempio, Capua35, nel desiderio
di affermare una scelta culturale che si contrapponesse nello stesso tempo
a quella elaborata nelle grandi sedi dinastiche e terzo, ma non ultimo punto,
nella adesione ad un tipo di produzione come quella classicistica, dichiarat
amente sofisticata, perché congeniale ad alcuni settori dell'aristocrazia nel
rispetto e nell'ammirazione dell'arte attica che così attivamente aveva agito
nella formazione del gusto romano36.
Ma su questa problematica mi riprometto di ritornare molto più appro-
fonditamente in altra occasione.

33 M. Bonghi Jovino, Capua Preromana, Terrecotte votive II, Le statue, Firenze 1971,
p. 28 ss.; id., in XI Convegno di Studi sulla Magna Grecia, Taranto 1971, Napoli 1972, (Le genti
non greche della Magna Grecia), pp. 337 ss.
34 Dialoghi di Archeologia, R. Bianchi Bandinelli, pp. 173, 212 ss, le conclusioni di F. Coa-
relli, pp. 264-265, le osservazioni di M. Torelli, pp. 271 ss.
35 Dialoghi di Archeologia (v. a nota 1), W. Johannowsky, pp. 187 ss.
36 G. Becatti, Arte e gusto degli scrittori latini, Firenze 1951, pp. 22 ss.
PROBLEMA DELL'ELLENISMO ITALICO 47

Fig. 2.

Fig. 1.

Fig· 3.

Fig. 4. Fig. 5.
BERNARD BOULOUMIE

UN VASE ÉTRUSCO-CORINTHIENi?) TROUVÉ EN ALSACE?

Le Musée de Saint-Rémy, à Reims, possède un vase encore inédit, et


qui, à bien des égards, mérite l'attention des spécialistes 1. Il s'agit d'une
olpè de type étrusco-corinthien (inv. n. 948-10-2), à décor d'écaillés, en
parfait état, ou presque2, provenant d'une collection privée de Nancy (coll.
Payard). Sous la base, une étiquette collée porte la mention suivante:
« Trouvé à Haguenau. Bas-Rhin».
On manque, bien entendu, de précisions sur les circonstances de la
découverte, de même que sur l'époque où cette pièce est entrée dans la
collection Payard. Et pourtant, il est bien étrange que pareille trouvaille
n'ait été connue et remarquée en son temps3. L'excellent état de conserva
tion du vase, son caractère extraordinaire - insolite, même - sont autant
de points d'interrogation. S'agit-il d'un faux? L'étiquette provient-elle d'un
autre objet de la même collection, intentionnellement ou non? Faute d'él
éments de réponse, il convient d'examiner Volpè pour elle-même, avant de la
replacer dans son éventuel contexte de découverte.

1 J'ai plaisir à remercier ici Monsieur F. Pomarède, Conservateur des Musées de Reims,
qui m'a fourni, avec beaucoup d'amabilité, les renseignements nécessaires sur ce vase. Madame
Mollard-Besques (Louvre) m'en avait signalé l'existence, il y a quelques années.
2 Hauteur, anse comprise: 0,212 m. Hauteur sans l'anse: 0,197 m. Diamètre maximum:
0,135 m. Epaisseur moyenne de la paroi: 0,006 m. L'anse et une partie de l'ouverture ont été
recollées. Sur le flanc, on distingue une fente et un petit trou. Quelques éclats, en surface,
et l'usure de la panse, pourraient témoigner d'un nettoyage hâtif et négligent au moment de
la découverte.
3 Toutefois, issue du même territoire de Haguenau, une Schnabelkanne en bronze a eu
un sort identique (cf. B. Bouloumié, Les œnochoés en bronze du type Schnabelkanne en
France et en Belgique, dans Gallia 31, 1973, fase. 1, p. 3): le vase, retrouvé en fragments
dans le musée de Haguenau, a été restauré en 1952. Il portait, lui aussi, une étiquette: « Forêt
de Haguenau», et appartenait primitivement à la Collection Nessel. F. A. Schaeffer (Les tertres
funéraires préhistoriques de la Forêt de Haguenau, Haguenau 1930) ne fait aucune allusion
ni à l'œnochoé de bronze, ni à Volpe.
50 BERNARD BOULOUMIÉ

* * *

Bien qu'elle figure au Musée de Reims sous cette dénomination, il ne


s'agit pas d'une olpè en bucchero. D'un point de vue typologique, il est
aisé de marquer les distinctions: notre vase n'a pas le profil biconique
caractéristique, comporte des appendices latéraux de part et d'autre de l'anse,
présente un cordon situé exactement à la séparation du col et de la panse
(et non plus bas), repose sur une base presque inexistante, enfin est orné
d'un décor différent 4. Tout invite à éliminer, donc, cette attribution, d'autant
que la couleur et la qualité de la pâte (brun chamois) nous en éloignent
d'une façon imperative5.
Or, presque tous les critères qui nous ont fait refuser l'hypothèse du
bucchero - décor d'écaillés, appendices à la naissance de l'anse, cordon à
la base du col, pâte claire, forme pansue - nous orientent vers un autre
secteur des productions étrusques: les olpai étrusco-corinthiennes.
Les écailles apparaissent sur de nombreux vases, qu'on ne saurait énu-
mérer ici. J'en citerai quelques représentants, à titre de jalons chronologi
ques, ou pour marquer des ateliers de production.
On a considéré à tort6 comme corinthienne, du style de transition,
une olpè découverte au cours de sondages à la périphérie de Syracuse,
au-dessus de la tombe A7. Ici, les écailles, incisées selon la tradition, sont
rehaussées de petits points jaunes, et, sans parler des bandes peintes sur la
panse, et de la partie inférieure à motif rayonnant, on note que l'anse

4 Pour les olpai en bucchero, je renvoie à N. H. Ramage, Studies in Early Etruscan


Bucchero, dans PBSR XXXVIII, 1970, p. 31-32 et fig. 11 (2, 4, 5), fig. 21 (1, 2, 3). Pour la
décor, voir note 41.
5 II existe, à vrai dire, quelques exemplaires de bucchero dont la forme est très voisine.
Ainsi, dans la tombe VI du secteur Casalaccio, à Véies (cf. R. Vighi, Veio. Scavi nella necrop
oli, degli alunni dell'anno 1927-28 del Corso di Topografia dell'Italia Antica della R. Univers
ità di Roma, dans NSA 1935, p. 39-68), avec des dimensions comparables (H. = 0, 200 m
sans l'anse). Mais l'épaule est décorée d'éventails, et la panse, de lignes horizontales (pas
d'écaillés). L'anse ne remonte pas au-dessus du niveau de l'ouverture, et la petite base a une
plus grande autonomie (p. 56, fig. 6, et p. 57, s.n. 12), VIIe, VIe siècle av. J.-C. De toute façon,
cette olpè dérive en droite ligne du prototype corinthien. Elle en est même une reproduction
très fidèle.
6 G. Colonna (II ciclo etrusco-corinzio dei Rosoni, dans SE XXIX, 1961, p. 66-67)
l'attribue aux ateliers étrusco-corinthiens.
7 G. V. Gentili, Siracusa. Saggio di scavo a sud del Viale Paolo Orsi, in predio Salerno
Aletta, dans NSA 1954, p. 304-305, fig. 3, 1.
UN VASE ÉTRUSCO-CORINTHIENC?) TROUVÉ EN ALSACE? 51

- flanquée de deux appendices plus développés que sur le vase de Reims -


ne remonte pas au-dessus du niveau de l'anse.
Dans le même esprit, une « œnochoé » trouvée à Véies (Quattro Fontan
ili)présente des écailles, également incisées, mais qui sont peintes en
alternance en clair et en foncé8. Avec ses bandes peintes, son anse bifide
et sa partie inférieure à décor rayonnant (dents de loup), elle se rapproche
beaucoup de la précédente. J. Ward-Perkins en fait, d'ailleurs, un produit
étrusco-corinthien.
De ces productions étrusco-corinthiennes, on rencontre souvent des
olpai à corps orné de zones d'animaux de style orientalisant, caractéristique
de ces séries 9. On en retiendra surtout, comme point commun avec les
deux exemplaires qu'on vient d'examiner, la forme générale et le fond à
motif rayonnant. Ces frises d'animaux sont parfois associées à des motifs
incisés sur le fond noir de Volpè, dans sa partie supérieure, héritage de
techniques qui remontent au protocorinthien, et dont on trouve d'intéressants
documents à Véies même 10.
Or, c'est précisément à Véies qu'on situe le plus grand nombre de
décors en écailles. La Tombe Campana, en particulier n, contenait une olpè
caractérisée par des appendices de petites dimensions 12. L'épaule présente
quatre étages d'écaillés. Au-dessous, on distinguait des bandes peintes hori
zontales, jusqu'à la base 13. Il s'agirait d'un des plus anciens groupes de vases

8 J. Ward-Perkins, Veil The Historical Topography of the Ancient City, dans PBSR
XXIX 1961, p. 114 et pi. XXX.
9 J. Gy. Szilâgyi, Remarques sur les vases étrusco-corinthiens de l'Exposition Etrusque
de Vienne, dans AC XX, fase. 1, 1968, p. 1-23, et pi. I, 1; H, 2; V à IX; XIV, 2.
10 F. Zevi, Nuovi vasi del Pittore della Sfinge Barbuta, dans SE XXXVII, 1969, p. 43-44,
pi. XVI. Le rôle de l'incision sur ce type de vases, et l'influence des productions de bucchero
ou de bronze avaient déjà été bien mis en évidence par J. Gy. Szilâgyi, Italo-Corinthiaca,
dans SE XXVI, 1958, p. 277-278.
11 M. Cristofani, F. Zevi, La Tomba Campana di Veio. Il corredo, dans AC XVII, fase. 1,
1965, p. 31.
12 Ce qui serait un signe d'antiquité, ces appendices étant plus développés dans les
productions italo-corinthiennes tardives. Cf. M. Cristofani - F. Zevi, op. cit., p. 31, note 105.
13 En réalité, on ne connaît ce vase que par le dessin d'ensemble de Canina. M. Cristofani
et F. Zevi ont l'air de penser qu'en fait, les écailles n'étaient pas peintes: « Le squame sono rese
come fossero dipinte in chiaro su fondo scuro; ma, anche se esiste una classe di olpai squamate
di questo tipo, è molto probabile si tratti di un espediente del disegnatore per rendere evidente
la decorazione incisa». Je ne comprends pas bien, à dire vrai, sur quoi ce raisonnement
s'appuie, car cette catégorie d'olpai à écailles peintes en alternance est attestée à Véies même,
aux Quattro Fontanili. Cf. le vase cité plus haut, qui est, d'ailleurs, mentionné à la note 108
de la même page 31 (M. Cristofani - F. Zevi).
52 BERNARD BOULOUMIÉ

étrusco-corinthiens. Une autre tombe, celle des Quaranta Rubbie 14, en a


fourni huit, associées à des olpai protocorinthiennes. « II est probable, donc,
qu'il a existé à Véies un atelier à'olpai à écailles, et qu'il faille placer le
début de son activité à une époque assez ancienne; du reste, il est tout à
fait compréhensible que les premières imitations italo-corinthiennes se soient
rabattues sur ces types qui, en raison de la simplicité de la décoration et
du répertoire purement ornemental, ne comportaient pas la nécessité d'une
tradition figurative locale » 15.
Tout cela explique aussi que les olpai à écailles aient conservé la forme
typique de Volpe protocorinthienne, même beaucoup plus tard, dans les
premières décennies du VIe siècle, où l'on rencontre des olpai à écailles
incisées (graffite) associées, comme à Vulci, par exemple, à d'autres olpai
plus récentes en principe, dont les écailles sont peintes en clair, et même
plus tard encore, en foncé 16.

Reste à présent à trouver des éléments de comparaison tels qu'ils nous


permettent d'affirmer que Volpè du Musée de Reims correspond bien aux
olpai a squame graffite datées à Véies du dernier quart du VIIe siècle. Or,
c'est là que les difficultés apparaissent. Faut-il parler de l'anse, dont le profil
n'a pas un caractère typiquement étrusco-corinthien, loin de là? Conten
tons-nous de juger du décor. Il est limité, ici, aux seules incisions, très
maladroites et inégales. S'il y a eu des traces de peinture, elles ont toutes
disparu, rien n'en subsiste, pas plus sur les écailles que sur le reste du vase.
Tous ces détails 17 nous contraignent à un certain scepticisme devant
notre olpè. L'absence totale de pièces comparables, le style bâtard du vase
pourraient, à la rigueur, indiquer une production marginale (mais pas
nécessairement tardive), une imitation plutôt, réalisée quelque part en
Etrurie 18.

14 A. Adriani, Veto. Scavi nella necropoli degli alunni dell'anno 1926-27 del Corso di
Topografia dell'Italia antica della R. Università di Roma, dans NSA 1930, fase. 1-3, p. 57-66,
fig. 10 et pi. II.
15 Ibid., p. 32.
16 Ce paragraphe s'inspire directement de l'étude déjà citée de M. Cristofani - F. Zevi,
p. 32-33.
17 Cf. également ce que j'ai dit à la note 5.
18 Je n'ai pas l'impression que nous ayons affaire à un faux, bien que l'hypothèse ne soit
pas à exclure. Quand j'emploie le terme de «bâtard», je veux dire qu'il s'agit d'un mélange
UN VASE ÉTRUSCO-CORINTHIENC?) TROUVÉ EN ALSACE? 53

Le problème que pose la présence de cet objet en Alsace n'en est pas
pour autant résolu. Si l'on admet que Volpe a été réellement trouvée à
Haguenau 19, elle devra figurer parmi les plus prestigieuses des importations
méditerranéennes au voisinage du Rhin.
Les importations, on le sait, ne manquent pas dans cette région. C'est
même là qu'on rencontre la plus grande concentration de Schnabelkannen.
Sur la rive gauche du fleuve, on trouve un exemplaire à Hatten, un autre
à Haguenau, et, toujours pour le département du Bas-Rhin, les deux exemp
laires de Sesenheim et de Sufflenheim. J'y ajouterai deux autres vases pro
venant l'un de la Collection Morin-Jean, l'autre de la Collection Hunt20.
Dans le même secteur géographique, on doit leur associer la Schnabelkanne
du Luxembourg (Wasserbilig) et toutes celles qui ont été découvertes entre
Karlsruhe et Cologne, avec un groupement très marqué en Sarre21.
Les autres vases en bronze, d'origine méditerranéenne, découverts dans
l'Est de la France, sont tout aussi remarquables. Je citerai les deux stamnoi 22
de Basse-Yutz (Moselle), la pyxide23 et les deux coupes d'Appenwihr (Haut-
Rhin). On considère encore comme importation un rasoir en bronze24
provenant de la Forêt de la Hardt, près de Colmar (Haut-Rhin). Enfin, une

de styles (étrusco-corinthien, protocorinthien et bucchero) auxquels il faut ajouter l'étonnant


amalgame d'une anse qui reproduit un modèle métallique.
19 Qu'on ne voie pas là un excès de scepticisme, mais un simple souci de prudence. Puisque
nous ne savons rien sur les conditions de découverte du vase, nous sommes en droit d'émettre
des réserves - comme hypothèse de travail - sur sa provenance. Ce ne serait pas la première
fois qu'un objet acheté en Italie ou sur le marché de l'antiquariat, se retrouverait muni d'une
étiquette erronée, l'associant à des pièces de provenance locale.
20 B. Bouloumié, op. cit., cf. note 3.
21 Je les ai recensées dans Les œnochoés en bronze du type Schnabelkanne en Italie,
Collection de l'Ecole Française de Rome, 15, Rome 1973, Répertoire complémentaire, p. 166
et suiv.
22 Une place de choix leur est réservée dans l'étude que j'ai consacrée aux situles et
stamnoi trouvés en Gaule. A paraître prochainement dans Gallia.
23 J. J. Hatt, Appenwihr, dans Gallia 14, 1956, p. 294-297.
24 H. Zumstein, L'Age du Bronze dans le département du Haut-Rhin, II, dans RAE
XVI, 1965, 1-2-3, p. 11, fig. 44, η. 285. L'indication «tumulus de la Hardt» paraît peu sûre,
l'objet étant issu d'une collection privée, achetée en 1869 par le Musée de Colmar. De toute
façon, il me semble inutile de baptiser villanovien ce rasoir qui peut fort bien avoir été fabriqué
au nord des Alpes.
54 BERNARD BOULOUMIÉ

pointe de flèche « en feuille de saule », à soie nervée, a été signalée à


Xermaménil (Meurthe-et-Moselle): elle aurait une origine grecque25.
On admettra, je pense, qu'on puisse citer dans le même courant
d'importations une pièce aussi extraordinaire que l'hydrie de Graechwil26,
qui constitue, par ailleurs, un chaînon capital dans la chronologie des
rapports entre le monde celtique et l'Italie.
La datation de tous ces objets a, en effet, une importance considérable,
eu égard au problème que nous pose Volpe de Reims. Cette dernière, on
l'a vu, devrait se placer à la fin du VIIe siècle ou au début du VIe siècle
av. J.-C. Or, les Schnabelkannen ont été datées du Ve siècle, sauf pour
Hatten, dont le mobilier peut être situé aux alentours de 500 av. J.-C.27.
Les stamnoi de Basse-Yutz sont aussi du Ve siècle. Seul le matériel d'Appen-
wihr présente un aspect archaïque, qui nous entraîne au début du VF siècle,
et en fait, par conséquent, une importation - si importation il y a28 -
originaire d'Etrurie. Et, à la même époque, début VIe siècle, nous trouvons
donc aussi l'hydrie de Graechwil29.
Du côté allemand, les deux œnochoés fragmentaires de Vilsingen et
de Kappel am Rhein30 viennent, à leur tour, s'insérer dans le répertoire
des pièces les plus anciennes. Je ne crois guère qu'il s'agisse de vases grecs,

25 O. Kleeman, Notices sur le commerce grec. Pointes de flèches helléniques trouvées


en France, dans RAE VI, 2, 1955, p. 149.
26 H. -A. Cahn, Le vase de bronze de Graechwil, dans Actes du Colloque sur les influences
helléniques en Gaule. Dijon 1957, Dijon 1958, p. 21-29.
27 O. H. Frey, Die Zeitstellung des Fürstengrabes von Hatten im Eisass, dans Germania
35, 1957, t. 3-4, p. 229-249.
28 Ce qui n'a pas été prouvé encore. J. J. Hatt rapproche très justement la pyxide des
« incensieri » de Vetulonia, au Musée de Florence. Mais il en souligne lui-même les singularités
(motif végétal de la poignée, par exemple). L'inspiration vient en droite ligne d'Etrurie, peut-être
pas la mise en œuvre. Mais on manque, en réalité, d'éléments de comparaison plus précis
(J. J. Hatt, op. cit., note 21). En tout cas, je serais, pour ma part, assez favorable à la thèse
de G. Camporeale (/ commerci di Vetulonia in età orientalizzante, Florence, 1969, p. 33) pour
qui « la pyxide de Colmar pourrait avoir été fabriquée dans quelque atelier d'Europe Centrale,
en utilisant comme modèle un encensoir de Vetulonia». Pour les vases en bronze réputés
d'origine étrusque, mais provenant, en fait, du centre de l'Europe, je renvoie à mon étude sur
Les cistes à cordons trouvées en Gaule (Belgique, France, Suisse), dans Gallia 34, 1976, 1, p. 1-30.
29 La datation de H.A. Cahn - fin VIIe siècle - (op. cit., p. 24) me paraît trop haute.
Pour les pays au nord des Alpes, un vase ne se date pas selon des critères esthétiques, mais en
fonction des autres importations dans la région envisagée.
30 P. Jacobsthal, Rhodische Bronzekannen aus Hallstattgräbern, dans JDAI XLIV, 1929,
p. 198-223; O. H. Frey, Zu den «rhodischen» Bronzekannen aus Hallstattgräbern, dans Mar
burger Winckelmann-Programm, 1963, p. 18-46.
UN VASE ÉTRUSCO-CORINTHIENi?) TROUVÉ EN ALSACE? 55

encore moins rhodiens, et incline au contraire pour une fabrication en


Etrurie31. Leur datation ne remonte pas au-delà du VIe siècle, malgré ce
qu'on a pu en dire32. Ils se placent, en effet, dans le premier quart de ce
siècle.
Si, à présent, nous examinons les trouvailles de céramiques dans l'Est,
notre embarras ne fait qu'augmenter. En Alsace, à ma connaissance, un
seul site a fourni de l'attique à figures noires, Illfurth, dans le Haut-Rhin 33.
Pour la région orientale de la Gaule, je ne vois, par ailleurs, que Vix
(Côte-d'Or), nettement plus au sud, et le Camp de Château, à Château-
Salins (Jura), encore plus méridional34. C'est tout pour la France, mais, à
la même latitude, on n'hésitera pas à inclure le fragment de l'Uetliberg, à
Zurich35, et les deux de Würzburg36, les uns et les autres à figures noires,
mais de la fin du VIe siècle.
Il est inutile, ici, d'entrer dans le détail des importations de toute
espèce qui, justement à partir de la fin du VIe siècle, apparaissent en tant

31 L'œnochoé similaire, trouvée à Pertuis (Vaucluse) et conservée au Musée Borély, à


Marseille, vient d'être restaurée. J'en ai profité pour faire nettoyer aussi le matériel métallique
qu'elle contenait (Laboratoire du Centre de Documentation Archéologique de Draguignan, Var).
A cette occasion, je vais publier à nouveau l'ensemble du mobilier découvert dans le tumulus,
et je m'expliquerai alors sur les raisons qui me font considérer (à la suite de O. H. Frey) ces
trois œnochoés comme étrusques.
32 Fr. Villard (Vases de bronze grecs dans une tombe étrusque du VIIe siècle, dans
Mon. Piot, 48-11, 1956, p. 25-53) les situe plutôt dans la seconde moitié du VIIe siècle, en
raison du mobilier d'une tombe de Tarquinia, dans laquelle un bassin à rebord perlé se trouve
associé à des œnochoés de bucchero et à d'autres récipients de bronze. Sur les problèmes que
posent la chronologie et l'origine de ces bassins, v. mon article: Les bassins à rebord perlé de
Provence, à paraître à la suite de la communication que je présenterai au IVe Colloque Interna
tionalsur les Bronzes Antiques. Lyon, 17-20 Mai 1976.
33 Le Britzgvberg, dans Gallia 30, 2, 1972, p. 379, fig. 4 (1 à 5). Sur cet oppidum, ont
été trouvés « d'abondants fragments de céramique attique à figures noires - coupes de Droop,
vers 510-500 - », dans un niveau du Hallstatt Final.
34 Si les vases attiques de Vix, et les nombreux fragments du Mont-Lassois sont bien
connus, il me semble qu'on oublie trop volontiers l'étonnante quantité de tessons d'attique à
figures noires exhumés de ce haut-lieu celtique par M. Piroutet (La Citadelle hallstattienne,
à poteries helléniques, de Château sur Salins (Jura), dans 5e Congrès International d'Archéolog
ie. Alger [14-16 avril 1930, Alger 1933, p. 47-86]). Ce Camp de Château constitue, sans doute,
le plus riche gisement du Hallstatt Final en France, pour les bronzes comme pour les céramiques.
Or Piroutet, à le lire, n'en a fouillé qu'une infime partie.
35 P. Jacobsthal, Bodenfunde griechisches Vasen nördlich der Alpen, dans Germania 18,
1934, p. 17, pi. 3, fig. 2.
36 G. Mildenberger, Griechische Scherben vom Marienburg in Würzburg, dans Germania
41, 1, 1963, p. 103-104.
56 BERNARD BOULOUMIÉ

d'endroits, en France comme en Rhénanie ou en Suisse. Notre propos est


de nous limiter aux pièces qui, du point de vue chronologique, se rappro
chent de Volpe de Reims. On a vu qu'il y en a peu: Appenwihr, Vilsingen,
Kappen am Rhein et Graechwil. Aucun document céramique n'est parvenu
dans ce secteur avant la fin du VIe siècle, sauf notre olpè . . .
Il est bien entendu que tous ces bronzes n'ont pas transité par Mars
eille et la vallée du Rhône, pour des raisons bien simples de date. D'autre
part, tous ayant une origine très certainement étrusque, on admettra sans
difficulté que le trajet suivi ne fait qu'anticiper sur celui que prendront
plus tard les Schnabelkannen, c'est-à-dire Etrurie - Italie du Nord -
passage à travers les Alpes37 - plateau suisse - vallée du Rhin.
On a déjà fait remarquer que, même plus tard, la céramique fabriquée
en Etrurie reste cantonnée dans la Midi de la Gaule, et les autres pays
du bassin méditerranéen occidental. Le bucchero nero, par exemple, a été
largement diffusé sur les oppida qui bordent le Golfe du Lion, sans pénét
rer bien avant dans la vallée du Rhône38. Et pourtant, les fouilles se sont
multipliées, ces dernières années, le long de l'axe Rhône-Saône.
Quant aux productions étrusco-corinthiennes, même dans le Midi, elles
se rencontrent en très peu d'endroits, et dans des proportions infimes39.
Ailleurs, je n'en connais pas40. Aussi, me semble-t-il prudent d'accueillir
avec la plus grande circonspection l'éventualité qui nous est proposée ici,
de la découverte d'un vase - intact, de surcroît - au cœur de l'Alsace41.

37 C'est un point qui reste à préciser. Les cols possibles n'abondent pas, et on devrait
parvenir à identifier la voie préférentielle grâce aux catalogues systématiques et exhaustifs des
vases trouvés en Gaule, en Allemagne et en Suisse. Dans l'état actuel de nos connaissances,
je crois que le passage n'a pas été forcément le même au début et à la fin du VIe siècle.
38 Le point le plus septentrional où du bucchero ait été découvert se situe à la hauteur
de Valence (cf. Actes de la Table-Ronde sur le Bucchero étrusque et sa diffusion en Gaule
Méridionale, Aix-en-Provence, 21-23 Mai 1975, Collection Latomus, Bruxelles 1976). On a
parfois cru en avoir trouvé plus au Nord, mais, à ma connaissance, il s'agit de céramique noire
de La Tène tardive (la qualité de la pâte et la forme des vases restent des critères indiscutables).
J'en ai eu récemment la preuve, avec des tessons provenant de la Haute-Marne.
39 J'en dresserai la liste, en publiant, sous peu, les tessons provenant de Saint-Biaise.
40 P. Jacobsthal, Bodenfunde..., op. cit., p. 15, a fait, depuis longtemps, justice de la
prétendue découverte en Suisse (Musée de Baden) d'un aryballe italo-corinthien.
41 Le texte de cette note était déjà sous presse quand m'est parvenue l'excellente monog
raphie de M. Bonamici, / buccheri con figurazioni graffite, Florence 1974. Les seuls décors
en écailles (parfaitement régulières) apparaissent sur des œnochoés considérées par l'auteur
comme des faux.
UN VASE ÉTRUSCO-CORINTHIENi?) TROUVÉ EN ALSACE? 57

Fig. I - Volpe, inv. 948-10-2.


(Photo Musées de Reims)

Fig. 2 - Détail de l'ouverture.


(Photo Musées de Reims)
58 BERNARD BOULOUMIÉ

Fig. 3 - Volpe.
(Dessin Musées de Reims)

Fig. 4 - Détail de l'anse.


(Dessin Musées de Reims)
JEAN-PAUL BOUCHER

SUR L'INFLUENCE DES GRANDS TRAGIQUES LATINS

Les tragédies de l'époque républicaine nous sont connues, en dehors


des exemples retenus par les grammairiens, par des vers que Cicéron a
incorporés à sa prose, essentiellement à ses œuvres rhétoriques et philoso
phiques. Ces citations fournissent des exempta nécessaires à la démonstrat
ion et relèvent ainsi de la méthode que l'auteur revendique au livre I des
Tusculanes: auctoribus . . . uti optimis . . . , quod in omnibus causis et débet
et solet ualere plurimum (I, XII, 26). L'importance de cette culture tragique
de Cicéron qui le pousse à traduire des passages de poètes grecs en même
temps qu'à citer Ennius, Pacuvius et Accius, est à la fois un trait personnel
et un fait qui relève du milieu où vit l'orateur. Lorsqu'il nous dit: nec
quisquam est eorum qui, si iam sit ediscendum sibi aliquid, non Teucrum
Pacuui malit quant Manilianas uenalium uendendorum leges ediscere
(De Or., I, 246), il est probable qu'il généralise trop en nous montrant tous
les orateurs disposés à apprendre par cœur une tragédie, mais, outre le fait
que la culture de la mémoire et la connaissance des poètes sont caractéristi
ques de la civilisation gréco-latine, cette affirmation correspond à trop de
traits contemporains pour ne pas être véridique dans son fond.
Un premier point est que cette influence des tragédies s'est exercée
aussi bien sur le public populaire que sur les classes dirigeantes. De ce fait,
les preuves sont nombreuses, et d'abord la diffusion de la mythologie dans
d'innombrables secteurs: ainsi les plaisanteries dans la comédie, celles des
avocats, celles des satiriques. Pour se borner à quelques exemples typiques,
on rappellera que pour faire rire juges et public, Cicéron traite Clodia de
Medea Palatina (Pro Cael. 8,16) et Célius de Clytemnestra quadrantaria
(in Quint, 1.0. , VIII, 6, 53) que Plaute amuse ses spectateurs en traitant
un Grec de Calchas (Mere. 945), que Juvénal termine la satire VI en exploi
tantle répertoire tragique, mêlant l'indignation au sarcasme: Credamus
tragicis / Quidquid de Colchide torua dicitur et Procne... (643-644).
Le satirique évoque ensuite Alceste, les Danaïdes, Eriphyle (653 s.) avant
60 JEAN-PAUL BOUCHER

d'affirmer: Clytemnestram nullus non uicus habebit, « Clytemnestre, il


n'est pas de quartier qui n'en aura une! » (656).
A côté de cette utilisation du monde tragique pour constituer un lan
gage de la plaisanterie, on rappellera cette fusion de la culture tragique et
de la réflexion philosophique dont témoigne l'œuvre de Cicéron, et qui
apparaît encore chez Lucrèce. La tragédie occupe d'ailleurs dans la vie
romaine une place notable non seulement par les représentations lors des
jeux publics, mais encore par des utilisations secondaires qui sont la consé
quence de son succès. Ainsi, lors des funérailles de César, on fit chanter
des vers de Pacuvius (Armorum iudicium) et d'Atilius (Electra) qui mettaient
en relief l'odieux du meurtre 1.
Plus avant encore, les vers tragiques constituent un répertoire de maxi
mes où l'on puise pour définir une attitude, une politique: c'est VOderint
dum metuant, tiré de VAtrée d'Accius et prêté par Suétone à Tibère (LIX, 4)
et à Caligula (XXX, 3). On notera parallèlement que lors des dernières
générations de la république, écrire des tragédies est devenu une occupation
d'hommes politiques, de sénateurs: parmi les poètes tragiques de ce temps
apparaissent un César Strabon, un Quintus Cicéron, écrivant quatre tragé
diesen seize jours pendant le débarquement de Bretagne en 54, un Asinius
Pollion qui composa son œuvre tragique au plus fort de son activité poli
tique (cf. Verg., B. VIII, 10, Hor., Sat, I, 10, 42); César écrivit un Œdipe (Suet,
lui. LVI, 7) et Auguste (Suet., Aug. LXXXV, 2) un Ajax qu'il détruisit.
D'autres preuves de cette influence des tragiques sur la culture et
l'esprit de Róme au second siècle peuvent se déduire des jugements portés
sur la tragédie latine, et notamment de celui d'Horace.
Quand il esquisse une histoire de la poésie latine (Ep. Il, I, 164-166),
il en tire une idée du génie romain:

Temptauit quoque rem si digne uertere posset,


Et placuit sibi, natura sublimis et acer,
Nam spirai tragicum satis et féliciter audet.

Horace établit un lien entre le succès de la tragédie latine et une forme


de tempérament. La réussite est le fait des tout premiers poètes, et ce fut
un fait durable: leur renommée, et ce qui est plus important, la connaissance

1 Inter ludos cantata sunt quaedam ad miserationem et inuidiam caedis eius accpmmo-
data, ex Pacuui Armorum iudicio: «Men seruasse ut essent qui me perderent? » et ex Electra
Atili ad similem sententiam (Suet., lui, LXXXIV, 3).
SUR L'INFLUENCE DES GRANDS TRAGIQUES LATINS 61

de leurs œuvres sont toujours grandes à l'époque augustéenne, comme en


témoigne encore Horace: Naeuius in manibus non est et mentibus haeret /
paene recens? (Ep. II, 1, 53-54).
Les conséquences de ce succès initial comme de la permanence de la
représentation et de la lecture de ces œuvres ont été considérables: la mythol
ogietragique est devenue un moyen d'expression normal, un langage propre
non seulement à traduire des idées, à forger des plaisanteries, comme nous
l'avons vu, mais encore à exprimer des sentiments. C'est du succès des tragé
dies que dérive toute une part de l'expansion de la peinture romaine, celle
qui traite des sujets mythologiques. C'est toujours de lui que relève l'inco
rporation des exempla mythologiques dans la poésie latine, tout autant que
de l'influence des maîtres alexandrins. Dialogues et cantica tragiques four
nissent en effet un moyen d'expression des sentiments personnels tout en
les haussant à un ton plus général, en les incorporant au cadre de l'aven
ture, au monde sacré, esthétique, sublime, des personnages mythologiques.
On peut d'ailleurs trouver l'écho de quelques-unes des plus grandes
tragédies latines dans la poésie personnelle. Ainsi, le Teucer de Pacuvius,
dont Cicéron faisait une sorte de modèle de la tragédie latine et qu'il a
souvent cité, a fourni à Horace la fin de l'Ode à Plancus (C. I, 7 Lauda-
bunt alii claram Rhodon . . .), le discours de Teucer à ses hommes, quand,
chassé par Télamon, il doit repartir sur la mer: on voit bien comment le
texte lyrique peut reprendre et résumer un canticum tragique. Un lien unit
le mythe au sujet de l'Ode: Horace fait l'éloge de sa petite patrie d'adoption,
Tibur où il souhaite vivre dans le domaine donné par Mécène, - c'est un
des sujets des Odes -, mais le dedicatarie du poème, Munatius Plancus,
pour des raisons politiques certainement, a dû songer à l'exil; c'est pourquoi
Horace lui rappelle la maxime philosophique que le sage est chez lui
partout dans le monde.
C'est un vers du même canticum du Teucer de Pacuvius que Cicéron
semble avoir cité dans les Tusculanes (V, XXXVII, 108): Patria est ubi-
cumque est bene. Texte célèbre auquel Horace renvoie sans le citer, en
évoquant son contexte, puisqu'il se contente de rappeler l'exil de Teucer,
et ses encouragements à ses compagnons2.
Il est probable qu'il faut analyser de la même façon, comme une
expression de l'idée par un emprunt à la mythologie tragique, Yexemplum

2 O. Ribbeck: Die Römische Tragödie im Zeitalter der Republik, Leipzig 1875 p. 230 n. 1
rapproche le passage d'Horace de la citation de Cicéron; sur l'attribution à Pacuvius cf. p. 289.
62 JEAN-PAUL BOUCHER

de Nestor et d'Antiloque que Properce a incorporé à une méditation sur


la mort (II, 13 b, 46 s).

Nestoris est uisus post tria saecla cinis:


Cui si tarn longae minuisset fata seneetae
+ Gallicus + Iliacis miles in aggeribus,
Non ille Antilochi uidisset corpus humari,
Diceret aut: « Ο mors, cur mihi sera uenis? »

Le ton tragique de ce développement est évident: on imagine volontiers


un canticum de Nestor face au cadavre d'Antiloque sur son bûcher. Mais,
si l'on a la trace d'un Memnon d'Eschyle (Nauck p. 41) et d'un Memnon J
Aithiopes de Sophocle (Nauck p. 136), on ne connaît pas de tragédie latine
qui traite de ce sujet. On serait donc tenté de renvoyer ces vers à un modèle
épique, - une Ethiopide par exemple -, si un autre texte ne venait corro
borer l'interprétation et imposer l'idée d'une évocation tragique:

... Oro parumper


Attendas quantum de legibus ipse queratur
Fatorum et nimio de staminé, cum uidet acris
Antilochi barbam ardentem, cum quaerit ab omni
Quisquis adest socius, cur haec in tempora duret,
Quod facinus dignum tam longo admiserit aeuo. (Juu. X, 250 s.)

Juvénal 3 continue en évoquant les déplorations de Pelée sur la mort d'Achille,


de Laerte sur Ulysse, puis celle de Priam. Entre ce texte et celui de Pelé-
giaque, on peut noter l'équivalence de certaines formules: fata / fatorum,
Antilochi uidisset corpus humari / uidet... Antilochi barbam ardentem.
Juvénal, avec son réalisme satirique, cherche le détail grinçant, accusé, qui
fait de l'évocation une caricature tragique: barbam pour corpus. Mais il
décrit avec précision le jeu de l'acteur: quaerit ab omni quisquis adest
socius cur . . . , il nous fait voir le tragédien parcourant la scène, interpellant
les soldats figurants, et le rythme des interrogations au style indirect: « cur . . .
duret, quod facinus... admiserit» suggère le rythme des plaintes qui se
multiplient et s'amplifient. Juvénal a certainement vu jouer une tragédie
de Memnon où Nestor dans un canticum exprimait sa douleur. Etait-ce la

3 Aux vers 246-247, Juvénal a fait référence à Homère: Rex Pylius, magno si quicquam
credis Homero, exemplum uitae fuit a comice secundaa, c'est au personnage de l'Iliade et de
l'Odyssée, symbole de longévité et de sagesse, que le satirique oppose une autre version, celle
de l'Ethiopide et des poètes tragiques.
SUR L'INFLUENCE DES GRANDS TRAGIQUES LATINS 63

même œuvre que celle à laquelle se réfère l'élégie de Properce? Dans


l'ignorance où nous sommes, il est bien difficile de répondre: les mêmes
sujets ont été traités par d'innombrables poètes. Mais il est évident que
dans les deux cas la référence n'a de valeur que si l'allusion est claire pour
le lecteur de Properce comme pour celui de Juvénal, c'est-à-dire que le
modèle tragique est très connu.
Il est probable qu'une étude systématique de tous les exempta mythol
ogiques, aussi bien chez les prosateurs que chez les poètes, permettrait
d'allonger un peu la liste des tragédies célèbres que l'on a faite à partir
des documents traditionnellement exploités, et de se faire une idée un peu
plus précise des pièces les plus représentées, de celles qui ont exercé l'i
nfluence la plus profonde.
Aussi, faut-il reposer ici la question des mythes dans les Odes d'Horace?
L'exemplum de Teucer nous avertit, s'il en était besoin, que le poète des
Odes a une profonde connaissance de la tragédie, égale à l'intérêt qu'il lui
porte dans VEpître aux Pisons. Il faut donc comparer ces mythes avec les
sujets tragiques: ainsi le discours de Nérée à Paris (C. I, 15) offre une
parenté évidente avec le rêve d'Hécube au début de YAlexander d'Ennius.
Mais il s'agit de la prédiction d'un dieu4; pour la forme, il se rattache à
une tradition lyrique ancienne (Bacchylide, Pindare), mais aussi tragique:
ce discours de Nérée ressemble non pas à un canticum, mais à un prologue
ou à un épilogue: on songera au discours de Cypris au début de YHippolyte
porte-couronne d'Euripide, ou à celui de Thétis qui conclut VAndromaque
du même poète.
Mais, comme l'a déclaré Horace, (A.P., 285), les Romains ont osé
renouveler les sujets tragiques et porter à la scène des sujets nationaux.
Aussi d'autres développements des Odes méritent-ils une semblable analyse.
Dans l'Ode III, 3: ... gratum elocuta consiliantibus Iunone diuis . . . , le
discours de Junon peut difficilement être sans modèle: l'esthétique d'Horace
est fondée sur l'imitation. Comme source de la création horatienne, on peut
songer à un texte épique, par exemple aux Annales d'Ennius5, mais il faut
se garder d'oublier ce Romulus, tragédie prétexte de Naevius: dans une

4 Ce discours de Nérée conviendrait particulièrement à un «Enlèvement d'Hélène»; ce


sujet avait été traité par Sophocle (Nauck p. 171). Aucune des prophéties faites à Paris
(cf. Nisbet - Hubbard), Oxford 1970 ad loc.) n'est attribuée à Nérée par les poètes épiques
et lyriques.
5 Cf. les fragments d'un discours de Junon Enn. Poes. Rei. (Vahlen 1928-1967) XXXVIII-
XXXIX; E. H. Warmington, Remains of old Latin (Londres 1967) t. I, frg 62 et 63-64.
64 JEAN-PAUL BOUCHER

pièce de ce genre6, dans un prologue par exemple, on voit bien comment


Junon aurait pu dire: inuisum nepotem Troica quem peperit sacerdos Marti
redonabo. De la même façon, l'Ode III, 5 qui se termine sur ce discours
patriotique de Régulus partant pour la mort, pourrait bien être le dernier
vestige d'une tragédie prétexte qui aurait présenté l'histoire du malheureux
général - transformée et embellie -.
Ici encore, la tragédie aurait été l'expression de la pensée et de la
sensibilité romaines, cette fois dans le registre patriotique.

6 Le très petit nombre des titres conservés (9 d'après Ribbeck o.l. p. 685-686) est en
contradiction avec le témoignage d'Horace et la célébrité du genre. On est contraint d'admettre
que de nombreuses œuvres ont disparu sans laisser de traces, au moins directes.
DOMINIQUE BRIQUEL

LES ENTERRES VIVANTS DE BRINDES

La légende de Diomède en Apulie, telle que nous la font connaître


Lycophron et, plus clairement, ses scholiastes, se termine sur un épisode
dramatique, que rapporte également Justin 1. Après la disparition du héros
grec 2, ses compatriotes Etoliens seraient venus dans cette région d'Italie
afin d'y recueillir l'héritage de leur chef. Mais les indigènes, se saisissant
d'eux, les auraient enterrés vivants. Il s'agit donc, on le voit, d'une de ces
histoires où apparaît la fourberie et la cruauté des barbares, justement dans
une zone où les rapports entre colons et autochtones n'ont pas été de tout
reposé Mais s'il ne s'agissait que de cela, d'une simple anecdote librement
imaginée à des fins de propagande, elle ne présenterait qu'un intérêt assez
limité. Cependant il faut bien avouer que cette histoire est étrange, et qu'un
détail comme celui de l'ensevelissement de Grecs vivants apparaîtrait bien
inutile s'il s'agissait, sans plus, de tracer un portrait peu flatteur des barbares
apuliens. Pourquoi avoir été chercher un mode de mise à mort aussi sur
prenant, aussi exceptionnel? Depuis longtemps les commentateurs ont attiré
l'attention sur ce point, et ont supposé qu'il y avait une réalité locale à

1 Lyc, v. 1056 sq.; schol. ad Lyc, in Alex., 602, 1056; Just., XII, 2.
2 Diverses explications ont été données à cette disparition. Selon les uns Diomède aurait
été tué par le roi des Dauniens Daunos (schol. ad Lyc, in Alex. 592, 610 - d'après Mimnerme -,
630). Selon d'autres il serait mort dans les îles diomédiennes, où on montrait son tombeau
(Strab., 283-4, 3, 9; schol. in Iliad., IV, 412). Selon d'autres encore il serait mort de vieillesse
en Daunie (Anton. Liberalis, XXXVII, suivant sans doute Nicandre). Et Strabon (Le.) rapporte
encore deux autres versions suivant lesquelles il serait retourné en Grèce ou parti chez les
Vénètes où il aurait connu une apothéose.
3 Déjà l'oracle envoyant les Parthénies coloniser Tarente les présentait comme le fléau
des Iapyges (Antioch., apud Str., 278-9, 3, 2) et on connaît les appels successifs de la cité
à toute une série de chefs étrangers, justement pour la défendre contre l'attaque des indigènes
de l'arrière-pays.
66 DOMINIQUE BRIQUEL

chercher derrière cette peu réjouissante histoire4. Quelle que soit la mise
en forme légendaire donnée par les Grecs à cette effrayante coutume, il y
aurait eu des enterrés vivants bien réels.
Une telle démarche visant à retrouver derrière la fable hellénique une
réalité autochtone nous paraît en l'occurence parfaitement justifiée. On ne
voit guère comment une histoire quelconque sur la perversité des barbares
aurait pu prendre une forme aussi précise si l'enterrement d'hommes vivants
n'avait été justifié par l'existence d'une telle coutume en Apulie. Là comme
bien souvent la légende grecque doit recouvrir des realia locaux.

Mais, une fois cette idée admise, le travail ne fait que commencer.
Il importe de voir si nos textes permettent de donner une idée plus précise
de ce qu'il faut bien considérer comme un ensevelissement volontaire d'êtres
vivants. Et ici les choses se compliquent. Car il faut tenir compte de la
part de l'affabulation grecque: il n'est nullement certain que tel détail du
texte par lequel on penserait pouvoir expliquer cette coutume corresponde
à quoi que ce soit de réel au niveau du substrat indigène. Et surtout les
passages sur lesquels on peut se fonder présentent des divergences particulièr
ement sensibles quant à la justification de cet ensevelissement, dont il serait
dangereux de ne pas tenir compte.
On peut en effet distinguer deux versions sensiblement différentes de
la légende, chez Justin et les scholiastes de Lycophron, entre lesquelles le
texte de Lycophron lui-même semble occuper une position intermédiaire.
Dans le texte de Justin tout d'abord, la scène est bien située géographi-
quement. Il s'agit de Brindes, ville qui aurait été fondée par Diomède et
ses compagnons étoliens 5. L'auteur ne dit rien sur le sort ultérieur du héros,
mais précise que les Etoliens ont été par la suite chassés de la ville par
les indigènes. Cependant ces Grecs reçoivent bientôt d'un oracle l'assurance
de la possession perpétuelle du sol: en conséquence de quoi ils dépêchent
une ambassade pour faire connaître l'arrêt du destin aux Apuliens. Mais

4 L. R. Farnell, Greek hero cults and ideas of immortality, Oxford, 1921, p. 290,
O. Terrosi-Zanco, dans RAL, VIII, XV, 1960, p. 273, U. Fantasia, dans ASNP, III, II, 1972,
p. 116 sq.
5 Just., I.e.: Urbs Apulis Brundisium, quam Aetoli, secuti turn fama rerum in Troia
gestarum clarissimum ducem Diomedem condiderunt. Cf. aussi Isid., XIV, 4, 23.
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 67

ces derniers, tout comme les Grecs ont su le faire en d'autres circonstances,
trouvent le moyen de tourner l'oracle6. Ils enterrent les ambassadeurs dans
le sol de leur territoire, leur donnant ainsi effectivement en partage
leur terre 7.
Dans les scholies à Lycophron la scène est déplacée dans l'espace. La
mésaventure des Etoliens se déroule en Daunie, donc dans une région dont
Brindes ne fait pas partie8. Et cet épisode s'inscrit dans la légende, connue
depuis Mimnerme au VIIe s. 9, mettant en rapport Diomède et le souverain
local Daunos et aboutissant - autre exemple de perfidie barbare - au
meurtre du premier par le second. Le héros aurait en effet voué à la stérilité
cette terre tant qu'elle ne serait pas cultivée par des Etoliens de sa race.
Et c'est pour tourner cette malédiction qu'intervient dans cette version l'e
nterrement des Grecs: les Dauniens auraient été proposer l'héritage de leur
chef aux Etoliens, mais ceux d'entre eux qui se seraient laissé tenter par
ces promesses fallacieuses auraient été, une fois sur place, enterrés vivants 10.

6 II est fréquent que les oracles, par exemple ceux concernant la fondation d'une ville,
soient l'objet d'une interprétation inattendue, et souvent qu'un contenu apparemment effrayant
se révèle passible d'une interprétation anodine. La prédiction de la manducation des tables
faite à Enée se rattache ainsi à de nombreux précédents helléniques (voir p. ex. H. W. Parke,
A history of the Delphic oracle, Oxford, 1939, p. 59 sq.).
7 Just., I.e.: Aetoli... pulsi ab Apulis consulentes oraculum responsum acceperant,
locum qui repetissent perpetuo possessuros. Hoc igitur ex causa per legates cum belli com-
minatione restituì sibi ab Apulis urbem postulaverant; sed ubi Apulis oraculum innotuit,
interfectos legates in urbe sepelierant, perpetuam ibi sedem habituros. Atque ita defuncti
responso dei urbem possederunt. On remarquera qu'ici la mise à mort semble précéder l'enseve
lissement. Mais l'accord des autres sources sur la précision de l'enterrement de Grecs vivants
incite à voir là, sans plus, une modification apportée par Trogue-Pompée ou Justin lui-même
au récit. Il n'est guère pensable que cette spécification, exceptionnelle et qui au fond constitue
toute l'originalité de l'histoire, ait pu manquer au point de départ.
8 En dépit des variations dans l'emploi des termes grecs de Dauniens, Peucétiens, Iapyges,
Messapiens ou latins de Apuli, Poediculi, Sallentini, Calabri on peut dire que Brindes ne fait
nullement partie de la Daunie proprement dite. Sur ces termes géographiques, voir p. ex.
P. Wuilleumier, Tarente, Paris, 1940, p. 12 sq.
9 Ap. schol. in Alex., 610.
10 Schol. ad Lyc, in Alex., 1056: Διομήδης καταρασάμενος την των Δαυνίων χώραν μη
καταφορησαί ποτέ, ει μη παρ' Αιτωλών έργάζοιτο, οι Δαυνίοι παραγενόμενοι εις Αίτωλίαν έκήρυξαν
τους βουλομένους έλοεϊν καί άπολαβεΐν το Διομήδους μέρος της γης · έλθόντωυ δε των Αιτωλών εις
την των Δαυνίων χώραν καί απαιτούντων την γήν οι Δαυνιοι λαβόντες κατέχωσαν αυτούς ζώντας
λέγοντες · άπειλήφατε τον κλήρον της υμών öv αιτείτε παρ ' ημών, ού μόνον δε, άλλα καί του Διομήδους.
(cf. aussi schol. in 602).
68 DOMINIQUE BRIQUEL

Quant à Lycophron lui-même, on a l'impression que son récit, ou plutôt


les allusions obscures qu'il fait, en deux passages distincts de V Alexandra,
à cette histoire, se rattachent alternativement à l'une et à l'autre version.
Lorsqu'il parle des aventures de Diomède en Daunie, il mentionne effectiv
ement sa malédiction, qui est l'introduction directe du thème de l'enseveli
ssement dans les scholies n. Mais si ces dernières rapportent bien à ce propos
l'épisode, le poète lui-même n'en dit rien dans ce passage. Inversement il
est question en un tout autre endroit de Grecs enterrés vivants 12. Mais ce
sont des ambassadeurs venus réclamer cette terre apparemment sur leur
propre initiative et non des colons partis cultiver le sol sur l'invitation
des indigènes: on est donc ici plus proche du texte de Justin que de celui
des scholies.
Devant une telle situation deux types d'explication sont théoriquement
possibles. Ou le poète a puisé à deux sources distinctes le thème de la
malédiction et celui de l'ensevelissement, qui se serait présenté d'une manière
analogue à ce que l'on a chez Justin, et la version des scholies représenterait
une confusion secondaire de deux épisodes originellement séparés 13. Ou
il faudrait, en dépit des réserves de C. von Holzinger, maintenir le lien
entre les deux passages de VAlexandra, et accepter l'existence d'une
troisième version de la légende dans laquelle Diomède aurait bien voué
à la stérilité la terre et où cette malédiction aurait bien été levée par
l'ensevelissement des Etoliens, mais où ces derniers se seraient manifestés
d'eux-mêmes auprès des indigènes, envoyant des ambassadeurs réclamer
l'héritage du héros.
En fait cette seconde interprétation nous paraît préférable. Il faut déjà
noter des divergences sensibles entre la manière dont se manifeste l'ambas
sade chez Lycophron et chez Justin. Chez le poète il n'est nulle part question
d'un oracle, mais simplement de part d'héritage, comme dans les scholies.
Dans Y Alexandra, aux vers 1056 sq., on retrouve le même climat agricole14,
également sensible dans la version des scholiastes mais absent chez Justin.
Par ailleurs on peut dire que sans l'allusion à la mise à mort d'Etoliens la

11 V. 602 sq.
12 V. 1056 sq.
13 C'est l'opinion de C. von Holzinger, Lykophrons Alexandra, Leipzig, 1885, p. 263 sq.,
qui récuse l'existence de tout lien entre les deux passages.
14 Malheureusement l'obscurité des précisions géographiques du vers 1058 (Σαλάγγων
γαίαν Αγγαίσων ΰ'εδη), déjà incompréhensibles pour les scholiastes, ne permet pas de dire si
pour le poète la scène se passe en Daunie, comme dans les scholies, ou à Brindes, comme
chez Justin.
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 69

malédiction de Diomède ne se justifie aucunement. Elle apparaît comme un


récit étiologique privé de sa conclusion, pourtant indispensable puisqu'il est
bien évident que les Dauniens, que les Grecs connaissaient, cultivaient leur
terre, que donc la malédiction du héros ne jouait plus et que les indigènes
avaient trouvé le moyen d'y échapper. Certes on peut toujours imaginer
comme le fait. C. von Holzinger une conclusion différente, qu'un souverain
indigène, se prétendant descendant du Tydide, aurait ainsi rendu leur
fertilité aux champs des Dauniens. Mais à quoi bon inventer une autre
explication sans le moindre appui textuel, alors que le thème de l'enseveli
ssement fournit une conclusion chez les scholiastes et apparaît chez Lycophron
lui-même? Certes il reste une certaine incohérence puisqu'il paraît impliqué
par la malédiction que des Etoliens cultivent effectivement le sol, et que
les ambassadeurs dont il est question en 1056 sq. ne jouent évidemment
pas ce rôle Mais l'incohérence est, notons Je, du même ordre dans le
récit des scholies, car les colons n'arrivent en Italie que pour ν subir le
sort qui les attend et nulle part il n'est précisé qu'ils accomplissent effectiv
ement ce rôle d'agriculteurs exigé par les paroles de Diomède. On doit recon
naître qu'au fond seule la version de Justin est à peu près cohérente, et
l'illogisme supposé chez Lycophron ne doit pas nous gêner davantage que
l'illogisme effectivement attesté dans le récit des scholies.

* *

Ces distorsions entre les diverses sources ont leur importance, en ce


qui concerne l'analyse de la réalité locale sous-jacente, cet ensevelissement
dont auraient été victimes en Apulie des Grecs. Ainsi on peut tout d'abord
noter que la relation de cette mise à mort au personnage de Diomède est
plus ou moins proche selon les versions. Dans le récit de Justin le rapport
est assez lointain. Le héros ne joue aucun rôle dans l'épisode lui-même.
Seuls interviennent ses compatriotes etoliens. Et l'oracle qui leur est rendu
est totalement indépendant de Diomède. Ailleurs en revanche tout tourne
autour de la malédiction prononcée par le chef étolien. C'est elle que les
indigènes doivent éviter. C'est elle qui finalement justifie le retour d'Etoliens
en Italie, qu'il soit donné pour spontané ou provoqué. Dans le premier
cas donc, seul le fait d'être Etoliens lie ces Grecs à la légende de Diomède,
alors que dans le second l'épisode s'insère directement dans les aventures
du héros en Daunie. Le lien avec Diomède est beaucoup plus lâche dans
le premier cas que dans le second, et il faut d'autant plus tenir compte
70 DOMINIQUE BRIQUEL

de cette distinction qu'on a généralement considéré cet enterrement de


Grecs comme le souvenir de sacrifices humains offerts à un Diomède local 15
Par ailleurs la signification que le contexte invite à donner à cette
pratique varie également d'une fois à l'autre. Chez Lycophron et dans les
scholies ce contexte est nettement agraire. Dans les scholies en particulier
la mise à mort est clairement mise en rapport avec la fertilité du sol, qu'il
s'agit de promouvoir par ce moyen. On pourrait donc songer à un meurtre
rituel appartenant à un type connu dans l'histoire des religions, où la mise
à mort d'un être humain vise à régénérer les forces vives de la terre, à
renforcer la fertilité du sol par un apport nouveau 16. Dans un tel cadre
le recours à la forme de l'ensevelissement s'expliquerait au reste assez bien:
la victime serait par ce moyen vouée aux puissances infernales, maîtresses
des forces que recèle la terre. Mais dans la version de Justin une explication
de ce type n'est guère pensable. Il s'agirait de quelque chose de tout à
fait différent. Non pas un véritable sacrifice humain, pouvant être éventuel
lementrépété périodiquement, mais un événement exceptionnel, à signif
ication exclusivement militaire, dans le contexte général d'une menace grecque
sur Brindes, et visant à éviter un sort défavorable qui paraît inéluctable
en donnant au destin le moyen de s'accomplir sans danger pour la cité 17.
On se trouve donc, à travers ces récits, en présence de deux possibilités
d'interprétation totalement divergentes du phénomène sous-jacent. Phénomène
lié à Diomède, et éventuellement à un Diomède d'ordre agraire dans un cas 18,
événement probablement indépendant à l'origine et inséré secondairement
dans la tradition relative au héros dans l'autre. Sacrifice rituel à caractère
agricole dans un cas, mise à mort exceptionnelle pour prévenir un danger

15 Voir L. R. Farnell, /. c, O. Terrosi-Zanco, l. c. L'existence de Diomède comme héros


local en Daunie comme en Thrace, indépendamment de toute influence hellénique, paraît
probable (voir surtout O. Terrosi-Zanco, I.e.; contra p. ex. L. Braccesi, Grecita adriatica, Bologne,
1972, p. 4 sq.). Mais de cette existence il est dangereux de conclure que les mises à mort
que l'on devine ici concernent obligatoirement le culte de ce héros. Le caractère sanguinaire
du Diomède thrace, l'attestation de sacrifices humains en l'honneur du héros à Chypre ne
peuvent pas avoir valeur démonstrative ici.
16 Voir p. ex. Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, 1970, p. 289 sq.
17 Bien sûr la manière dont se manifestent ces conceptions à travers le récit légendaire,
avec des détails tels que la référence à un oracle pour exprimer ce destin ou l'envoi d'ambas
sadeurs par les Grecs, risque fort de résulter du travail de mise en forme qu'aura subi la
réalité sous-jacente. Mais nous n'avons d'autre moyen d'appréhender cette réalité que de partir
de sa transcription légendaire, donc de la manière dont elle était encore perçue, comme nous
le verrons, par les indigènes vers 330.
18 Pour une interprétation éventuellement agraire de Diomède, cf. U. Fantasia, art.
cité, p. 126.
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 71

d'invasion menaçant dans l'autre. On voit que les sources se rangent dans
deux catégories irréductibles - Justin d'une part, Lycophron et ses scholies
de l'autre - où la réalité locale dont on entrevoit l'existence peut avoir
des sens très différents.
Existe-t-il moyen de trancher la question et de savoir quelle est la
version la plus ancienne, celle donc qui a le plus de chances de présenter
la variante la plus conforme à la réalité locale? Le mieux serait assurément
de pouvoir juger des sources respectives de Justin et de Lycophron et ses
scholiastes. Mais malheureusement nous entrons par là dans un domaine
où on ne peut jusqu'à présent rien affirmer de précis. On sait combien
reste controversée la question des sources et même des dates du poète grec,
et une position prudente sur le problème paraît nécessaire. Au niveau des
scholies la question n'est pas plus claire, d'autant plus qu'il faut tenir compte
ici des divergences entre l'auteur lui-même et ses commentateurs. Il n'est
nullement certain que la référence à Timée et à Lycos donnée par le
scholiaste au vers 695 19 puisse s'appliquer à l'ensemble du récit des scholies,
ni à plus forte raison à tout ce que dit le poète, et non pas au seul
épisode dont il est explicitement question à se moment, l'histoire des statues
faites avec les pierres rapportées de Troie20. Certes, on peut toujours
admettre l'hypothèse traditionnelle que Lycophron ait composé son œuvre
vers le milieu du IIIe s., en puisant sa documentation dans les ouvrages
de Timée, rédigés vers le premier quart du siècle, mais on ne saurait en
faire une certitude, et tout rapporter de ce que l'on a chez le poète alexandrin
à l'historien de Tauroménion 21. Quant à Justin, si sa dépendance à l'égard
de Trogue-Pompée ne pose bien sûr aucun problème, la question se complique
dès que l'on veut remonter plus loin et dépasser l'époque augustéenne.
D'après l'étude la plus récente sur la question, celle de G. Forni22, il
semblerait que Trogue-Pompée ait utilisé des sources grecques du IVe s.,

19 Schol. in Alex., 695: ιστορεί δε τοΰτο Τίμαιος και Λύκος.


20 Voir à ce sujet les remarques prudentes de F. Jacoby, F. Gr. Hist, III B, 566, F 53.
21 Tout ce que l'on peut dire c'est que, si la mention du scholiaste s'applique bien au
contenu de l'ensemble de la scholie en question, Lycos et Timée mêlaient déjà les aspects
spécifiquement dauniens de la légende de Diomède, connue dès Mimnerme (ainsi l'allusion aux
statues que Daunos fait jeter à la mer) à des éléments d'origine différente (ainsi le combat
contre le dragon, motif lié à Corcyre et qui chez Héraclide Lembos, F. H. G., II, p. 220, précède
une attaque contre Br indes). Ce pourrait être une indication que Timée mêlait également à
la trame traditionnelle des aventures de Diomède en Daunie le thème des Grecs ensevelis
vivants, lui aussi, comme nous le verrons, plus lié à Brindes qu'à la Daunie au départ. Mais
il serait dangereux de prétendre dépasser le stade des hypothèses.
22 G. Forni, Valore storico e fonti di Pompeo Trogo, Urbino, 1958, en particulier p. 213 sq.
72 DOMINIQUE BRIQUEL

comme Ephore et Théopompe. Mais là encore il ne peut pas s'agir d'une


certitude absolue. Si bien que c'est finalement en se fondant principalement
sur une étude interne des versions en présence que l'on peut espérer trouver
une solution au problème.
Or sur ce point il faut bien avouer que la version de Justin semble,
en dépit de la date tardive de l'abréviateur latin, plus conforme au schéma
initial de la légende. Nous avons souligné les incohérences que révèlent
tant la version de Lycophron que celle des scholies, et vu que le récit
de Justin apparaît beaucoup plus satisfaisant sur ce plan. La justification
par l'oracle est bien meilleure que celle par la malédiction; et puisque la
malédiction renvoie à tout le contexte des aventures de Diomède en Daunie,
on a l'impression d'une tentative, pas parfaitement réussie, de liaison entre
des traditions originellement indépendantes. Car il faut tenir compte aussi
de la distorsion géographique. Chez Justin l'épisode est centré sur Brindes.
Mais ailleurs il se passe en Daunie, centre traditionnel de la geste de
Diomède dans cette région. Tout se passe comme si on avait voule rattacher
à une tradition bien connue un élément hétérogène.
Un tel souci harmonisant au niveau des sources de Lycophron et de
ses scholies n'aurait rien d'étonnant si on compare la manière dont l'histoire
apparaît chez eux et chez Justin. Car chez l'abréviateur latin l'épisode occupe
une place tout à fait marginale, lors du récit de l'expédition d'Alexandre
le Molosse, et on ne voit pas très bien ce qui aurait pu le pousser à modifier
volontairement un récit qui ne l'intéresse pas directement. Dans les autres
textes au contraire, l'intention est de raconter la geste du héros grec. Par
conséquent il est possible que l'on ait voulu regrouper tout ce que l'on
savait sur Diomède, sans nécessairement tenir bien compte des distorsions
géographiques. On a pu vouloir enrichir la trame, principalement daunienne,
de ses aventures par des éléments d'autres provenances. C'est au reste ce
que l'on voit à propos du thème, d'origine corcyréenne, du combat contre
le dragon. Il a pu fort bien en aller de même en ce qui concerne l'épisode
qui nous intéresse. Et par surcroît la sécheresse du récit de Justin inspire
beaucoup plus confiance que la mise en forme très littéraire que l'on a
dans les autres sources, où le motif de la malédiction, cher à la tragédie,
.et le thème de la mauvaise foi du barbare, encore plus sensible dans les
scholies que chez Lycophron lui-même23, semblent témoigner d'un travail
d'enrichissement progressif du schéma originel.

23 Dans les scholies les barbares poussent la perfidie jusqu'à provoquer la venue des
Grecs, en les attirant par des promesses trompeuses. Chez l'auteur de Y Alexandra il semblerait
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 73

Et surtout il faut tenir compte de ce que, grâce au texte de Justin,


nous pouvons nous faire une idée assez exacte de la manière dont cette
histoire a été connue dans le monde grec. Bien sûr, nous l'avons dit, nous
ne sommes pas en mesure de savoir à quelle source précise Trogue-Pompée
a puisé. Mais on doit tenir compte du contexte dans lequel cette tradition
apparaît chez Justin: or ce contexte renvoie clairement au IVe s., à l'époque
de l'équipée italienne d'Alexandre le Molosse24 soit à une période bien
antérieure à celle à laquelle nous renvoient Lycophron et ses sources. Car
le récit de Justin permet de se représenter la façon dont les Grecs ont pris
connaissance de cette tradition indigène. L'abréviateur nous apprend en effet
que le roi d'Epire, appelé au secours de Tarente menacée par les populations
italiennes, avait commencé par conquérir plusieurs cités dauniennes, puis
s'était attaqué à Brindes. Mais en fait il devait conclure un traité avec cette
cité lorsque ses habitants lui eurent fait connaître l'histoire des Etoliens
enterrés afin d'accomplir, sans danger pour la ville, les prédictions de l'oracle,
et qu'il eut ainsi compris que l'arrêt du destin, tourné à leur profit par
les gens de Brindes, voulait que la cité restât aux mains des indigènes25.
C'est donc selon toute vraisemblance dans ces circonstances que cette
histoire, dont on n'a nulle trace auparavant, est venue à la connaissance
des Grecs. Ainsi Justin nous révèle fort vraisemblablement la voie par laquelle
cette tradition locale d'enterrés vivants s'est répandue dans le monde helléni
que: il ne peut y avoir de meilleur argument en faveur de l'ancienneté
de sa version.
Il est vrai que E. Pais qui faisait lui aussi remonter à l'expédition
d'Alexandre le relatif succès de cette légende dans la littérature grecque y
voyait, à la différence de l'interprétation par des realia locaux que nous
en avons proposée, une création artificielle du souverain épirote, désireux
de se justifier devant les Hellènes de sa politique d'alliance avec des indi
gènes - politique en réalité dictée par des considérations stratégiques, Brindes
lui permettant de garder des liaisons faciles avec son pays26. Mais il est
certainement préférable de penser, avec U. Fantasia, à une tradition locale
de Brindes bien réelle auquel on aurait eu recours dans cette circonstance

plutôt que les Etoliens envoient spontanément une ambassade. Un renchérissement sur le thème
de la mauvaise foi barbare est probable (se serait-il produit entre Timée et Lycos?).
24 Sur cette question voir E. Pais, Ricerche storiche e geografiche sull'Italia antica,
Turin, 1908, p. 190 sq., P. Wuilleumier, ο. α, ρ. 81 sq.
25 Just., I.e.: Primurn Uli bellum cum Apulis fuit, quorum, cognito urbis fato, brevi
post tempore pacem et amicitiam cum rege eorum fecit.
26 Ο. c, p. 119.
74 DOMINIQUE BRIQUEL

pour justifier historiquement le traité avec la cité barbare, en présentant


Brindes comme une fondation grecque et une ville protégée par les divinités
reconnues par les Grecs. Car malgré tout l'aspect hellénique de cette tradi
tion ne doit pas faire oublier ce qu'elle avait de profondément déplaisant
pour les Grecs - qui y voient des compatriotes jouer un rôle fort peu
reluisant - et tout aussi bien, au moment où ils étaient en train de s'allier
aux Grecs, pour les barbares - dont la perfidie et la cruauté sont ample
mentmises en valeur aux yeux de leurs partenaires. Aussi l'idée d'une création
ad hoc nous paraît-elle absolument exclue; cela aurait été une bien singulière
manière de célébrer le traité que de le justifier par une semblable invention!
Il est beaucoup plus indiqué de penser à une tradition locale préexistante
dont on se serait alors servi.
Ainsi, à l'origine, cette histoire d'enterrés vivants apparaît nettement liée
à Brindes et c'est selon toute probabilité la version de Justin qui peut le
mieux nous faire appréhender ce qu'ont pu être les événements réels qui
ont ou lui donner naissance. Etant donné ce que nous avons déjà dit à
ce sujet, on peut donc se représenter l'ensevelissement réel de Grecs qui
aurait pu avoir lieu non pas comme un sacrifice humain proprement dit,
mais comme un sorte de meurtre rituel, justifié par des circonstances précises
- menace militaire de la part de Grecs - et destiné à prévenir une invasion
qui apparaissait imminente, en permettant en quelque sorte au destin de
s'accomplir, mais sans qu'il en coûte rien à la cité. Bien entendu le fait
qu'il se soit agi, d'après Justin, d'Etoliens, donc de compatriotes de celui
qui passait pour le fondateur de la ville, tout comme la référence à un
oracle peuvent tenir, sans plus, à la mise en forme légendaire et témoigner
de la mise en rapport secondaire d'une pratique réelle dont des Grecs
auraient été effectivement victimes avec le cycle de Diomède, qui présente
par ailleurs des aspects indigènes indéniables - mise en rapport qui a très
bien pu s'effectuer dans le contexte d'une cité indigène touchée par les
influences helléniques.

Mais la mise à mort effective de Grecs par les Apuliens semble ne


plus être qu'un souvenir, et cette effrayante pratique ne plus corres
pondre dans cette zone à rien de réel lorsque nous pouvons en avoir
pour la première fois une indication, vers 330. Il n'en va malheureusement
pas de même pour d'autres histoires d'enterrés vivants beaucoup plus célèbres,
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 75

celles de Rome27. Ce qui était légende dans la Pouille vers 330 apparaît
sous les traits d'une triste réalité au Forum Boarium en 228 28, en 216 29
et peut-être en 114 30. A en croire Pline la coutume d'enterrer vivants des
êtres humains se serait même prolongée beaucoup plus tard, jusqu'à son
époque 31.
Mais la comparaison entre la pratique romaine bien connue et ce qu'il
nous a paru possible de supposer à partir de la tradition sur Dîjpmède en
Apulie n'est pas seulement d'ordre rhétorique. On ne peut manquer d'être
frappé par les analogies entre ce que l'on sait des faits romains, au moins
tels que les présentent certaines sources, et ce qui nous a semblé devoir
être la forme originale de la tradition apulienne. Les gens de Brindes, d'après
Justin, auraient enterré des Grecs afin de respecter la lettre d'un oracle
qui promettait à ces Hellènes la possession perpétuelle du sol de leur cité.
Or les événements de Rome de 228 sont justifiés d'une manière tout à fait
analogue dans le passage de Dion Cassius et dans le texte de Zonaras,
qui s'en inspire certainement directement32. Là également un oracle aurait

27 En nous limitant volontairement à quelques titres dans la vaste bibliographie consacrée


au sujet, nous pouvons citer: G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer2, Leipzig, 1912,
p. 60 et 241; Boehm, dans RE, s.v. Gallus et Galla, VII, 1912, col. 683 sq.; F. Schwenn,
Menschenopfer bei den Griechen und den Römern, dans Religionsgeschichtliche Versuche und
Vorarbeiten, XV, 1916, p. 152 sq.; C. Cichorius, Römische Studien, Leipzig, 1922, p. 7 sq.;
V. Groh, dans Athenaeum, XI, 1933, p. 210 sq.; F. Fabre, dans REA, XLII, 1940, p. 419 sq.;
R. Bloch, dans Mélanges A. Ernout, Paris, 1940, p. 20 sq.; J. Gagé, Apollon romain, Paris,
1955, p. 249 sq.; P. Arnould, dans Ogam, IX, 1957, p. 27 sq.; H. Le Bonniec, Le culte de
Cérès à Rome, Paris, 1958, p. 394 sq.; C. Bémont, dans MEFR, LXXII, 1960, p. 133 sq.; G. Dumézil,
Religion romaine archaïque, Paris, 1964, p. 436 sq.
28 Pour ce premier meurtre rituel, attesté par Plut., Marc, III, 4, Cass. Dio, fr. 47,
Zonar., VIII, 19, on hésite entre la date de 226 (cf. encore J. Gagé, le.) et celle de 228,
proposée par C. Cichorius. En fait cette question de dates n'importe guère à notre propos.
Qu'il nous suffise de noter que, même si on prend la date haute de 228 - qui nous paraîtrait
effectivement préférable - il ne semble pas y avoir de rapport direct avec le stuprum de la
Vestale Tuccia, qui remonte selon toute probabilité à 230 (voir E. Münzer, dans Philologus,
XCII, 1937, p. 207).
29 C'est aux événements de 216 que fait allusion le fameux texte de Tite-Live XXII, 57.
30 L'existence d'un ensevelissement en 114 est affirmée par le seul Plutarque (Q. R., 83);
elle est rendue douteuse par le silence des autres sources à son sujet: Julius Obsequens (35)
et Valére Maxime (XIV, 12) mentionnent bien une consultation des Livres sibyllins pour cette
date, mais lui donnent pour seule conclusion l'érection d'une statue de Vénus Verticordia.
31 PL, XXVIII, 12: Boario vero in foro Graecum Graecamque defossos aut aliarum gentium
cum quibus turn res esset etiamnunc nostra aetas vidit. Voir à ce propos F. Fabre, art. cité.
32 Dio Cass., fr. 47 (dans Tzetzès, schol. in Alex., 603): έπί Φαβίου γαρ Μαξίμου Βεροκόσσου
ήτοι άκροχορδονώδους 'Ρωμαίοι τοΰτο εποίησαν, Έλληνικον και Γαλατικον άνδρόγυνον κρύψαντες
76 DOMINIQUE BRIQUEL

affirmé que la ville devait être prise par des ennemis, Grecs et Gaulois
en l'occurence, et ce serait, à en croire les deux historiens grecs, afin de
trouver une interprétation tout à leur avantage de cet arrêt du destin que
les Romains auraient procédé aux ensevelissements du Forum Boarium. Il
paraît bien difficile de considérer comme fortuite une telle coïncidence . . .
Certes, il ne suffit pas de souligner cette ressemblance. Car le rappro
chement pose d'emblée, en ce qui concerne les faits romains, de graves
problèmes. La version de Dion Cassius n'est en effet pas la seule sur laquelle
on puisse se fonder. Et d'autres sources présentent les choses d'une manière
sensiblement différente. Ainsi cet oracle dont il est question chez Dion et
Zonaras et qui a un correspondant si net dans la tradition apulienne n'apparaît
pas dans les autres sources. Plutarque pour 228 et aussi pour 114, Tite-Live
pour 216 font intervenir les Livres sibyllins33. Par ailleurs parfois le rite
romain paraît bien lié à un but de défense contre l'ennemi extérieur, tout
comme l'a certainement été le parallèle apulien. Mais si telle est l'explication
que Plutarque aussi bien que Dion et Zonaras donnent pour les faits de 228,
si cela est affirmé expressément chez Pline et d'une manière moins nette
chez Orose34, les événements (dont l'existence n'est pas certaine) de 114 sont

έν μέση τη αγορά έκ χρησμού τινός δειματωυέντες, λέγοντος "Ελληνα και Γαλάτην καταλήψεσθαι το
άστυ. Sans aucun doute la mention d'androgynes au lieu de couples résulte d'une confusion
très tardive, peut-être opérée par Tzetzès lui-même (cf. Boehm, I.e.). Chez Orose aussi on
trouve une erreur manifeste sur l'identité des victimes (IV, 13, 3, 228): Decemviri... Gallum
virum et Gallam feminam cum muliere simul Graeca in Foro Boario vivos defoderunt. On
peut penser que la leçon exacte chez Dion lui-même est celle qui apparaît chez Zonaras
(VIII, 19): λογίου δε ποτέ τοις 'Ρωμαίοις έλοόντος και "Ελληνας και Γαλατάς το άστυ καταλήψεσυαι,
Γαλάται δύο και Έλληνες έτεροι έκ τε του άρρενος και του ΰήλεος γένους ζώντας έν τη άγορφ
ϊν'
κατωρύγησαν, οϋτως επιτελές το πεπρωμένον γενέσθαι δοκή, καί τι κατέχειν της πόλεως κατορωρυγμένοι
νομίζωνται. La désignation exacte des victimes ne fait aucun doute; elle est assurée par les
témoignages concordants de Tite Live, Pline, Plutarque (I.e.) et Minucius Felix (Oct., XXX, 4).
33 Cf. respectivement Plut., Marc, III, 4: τότε του πολέμου συμπεσόντος ήναγκάσ&ησαν ειξαι
λογίοις τισίν έκ των Σιβυλλείων καί δύο μεν Έλληνας, άνδρα καί γυναίκα, δύο δε Γαλατάς ομοίως
έν τη καλούμενη βοών αγορά κατορύξαι ζώντας; pour 114, après la découverte du stuprum des
Vestales, Q. R. 83: της δε πράξεως δεινής φανείσης εδοξεν άνεμ Jouai τα Σιβύλλεια τους ιερείς · εύρηοήναι
δέ φασι χρησμούς ταΰτά τε τάττοντας ώς έπί κακφ γενησόμενα καί προστάττοντας άλλοκότοις τισί
δαίμοσι καί ξένοις αποτροπής ένεκα τοϋ έπιόντος προέσοαι δύο μεν Έλληνας, δύο δε Γαλατάς ζώντας
αυτόθι κατορυγέντας; pour 216, après la faute des Vestales Opimia et Floronia, Liv. XXII, 57:
hoc nefas cum inter tot clades in prodigium versum esset, decemviri libros adire jussi sunt
sciscitatum quibus precibus suppliciisque deos possent placare et quaenam futura finis tantis
cladibus foret. Interim ex fatalibus libris sacrificia aliquot extraordinaria, inter quae Gallus
et Galla, Graecus et Graeca in Foro Boario sub terra vivi demissi sunt in locum saxo
consaeptum, jam ante hostiis humanis, minime romano sacro, imbutum.
34 Orose parie d'un obligamentum magicum.
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 77

dépourvus de tout contexte guerrier. Ce qui justifie le recours à ce rite


est le stuprum des trois vestales, et cette interprétation de l'ensevelissement
des Grecs et des Gaulois comme expiation d'un tel crime a permis à
C. Cichorius d'orienter la signification du rite dans de tout autres directions.
Au reste ce n'est pas la seule distorsion que l'on puisse noter entre le passage
de Plutarque et les autres témoignages: il présente nettement la chose comme
un sacrifice humain, dédié à des divinités précises même si elles sont qualifiées
d'étrangères et de peu connues, ce qui ne se retrouve nulle part ailleurs
et est en contradiction avec l'idée d'un simple moyen de tourner un destin
impersonnel ou de procurer un prodige.
Ainsi donc le parallèle avec les faits de Brindes, s'il est justifié, amène
en fait à remettre en question toute l'interprétation de la coutume romaine
et oblige à faire un choix entre les interprétations proposées, déjà par les
auteurs anciens. Il ne peut s'agir à Rome, si le rapprochement est exact,
que d'un rite à signification militaire, au moins à l'origine, destiné à prévenir
une menace de prise de la ville, et s'adressant plus à un fatum général
qu'à telle ou telle divinité nommément désignée.

Mais c'est, semble-t-il, justement vers des conclusions de cet ordre que
nous paraît devoir s'orienter l'étude des faits romains.
En ce qui, concerne le lien entre le faute des vestales et la mise à
mort des Gaulois et des Grecs, il n'est clair qu'à propos des événements
de 114, dont l'existence même est sujette à caution. Il paraît dangereux
de partir de là pour tirer une explication valable aussi bien pour les événe
ments de 228 et 216. Car si en 216 on recourt à ce rite après la découverte
du stuprum des vestales, c'est, il faut le souligner avec C. Bémont35, à
l'occasion d'une « crise prodigiale » qui dépasse de beaucoup cette faute,
dont cette dernière ne constitue que l'un des aspects même si c'est le plus
marquant36. Le stuprum n'est finalement que l'occasion de la consultation

35 Voir C. Bémont, art. cité, MEFR, surtout p. 143, dont nous partageons entièrement
les conclusions quant au caractère occasionnel et secondaire de la relation de ce type de meurtre
rituel et de la faute des Vestales.
36 On sera sensible à la formulation de Tite-Live qui insiste sur les désastres militaires
et laisse entendre que, sans eux, le crime des Vestales n'aurait pas été considéré comme
un prodige.
78 DOMINIQUE BRIQUEL

des Livres, occasion préparée par toute la série des défaites et des phéno
mènes alarmants. C'est en dernier ressort ce contexte, essentiellement mili
taire, qui fait, exceptionnellement, considérer ce stuprum comme un pro-
digium; ce qu'il n'a jamais été auparavant, puisque jamais, jusque là, faute
de Vestale n'avait provoqué le recours aux Libri. Quant aux événements
de 228, la liaison avec le crime de Tuccia, vraisemblablement antérieur de
deux ans, est bien douteux. Il est de bien meilleure méthode de s'en tenir
au témoignage des textes, tous concordant sur ce point, et de penser que
c'est l'imminence du péril gaulois (qu'il soit exprimé ou non par P« oracle »
dont parlent Dion et Zonaras) et uniquement cela qui a provoqué l'enseveli
ssement (par le biais, chez Plutarque, de la consultation des Livres37). Nulle
part il n'est fait allusion à la faute de Tuccia. Il vaut mieux ne pas l'i
ntroduire dans l'affaire et lui garder son aspect exclusivement militaire38.
Nous ne serions donc pas porté à penser qu'on puisse lier systémat
iquement stuprum de Vestales, consultation des Livres et ensevelissement de
Grecs et de Gaulois. Et même, plus généralement, nous ne penserions pas
qu'il faille nécessairement mettre en rapport le recours aux Libri, décidé
par le Sénat, et tel ou tel prodige particulier. Les causes de la consultation
peuvent être multiples et n'impliquent pas obligatoirement, on le voit pour
217 par exemple, l'annonce de taetra prodigia. Un danger extérieur peut
fort bien avoir été jugé suffisant, et au reste comme le note justement
R. Bloch, en période de crise, tout peut être considéré comme signe divin 39.
Bien sûr, une fois institué à l'occasion d'un danger militaire précis, ce rite
pouvait vivre de sa vie propre et se voir employé - comme cela a pu être
le cas en 114 - même en dehors de ce cadre, surtout si en 216 le rapport,
au fond occasionnel et fortuit, entre la faute des Vestales et ce mode de
meutre rituel avait établi une liaison entre les deux phénomènes 39 bls. Mais au
point de départ, et c'est cela seul qui nous importe ici, c'est uniquement
la menace d'invasion qui justifiait le rite.
De même c'est probablement par une évolution des idées concernant
ces mises à mort dont le souvenir devait d'autant plus rester présent à

37 On sait que les causes de la consultation des Livres peuvent être multiples et ne
nécessitent pas l'observation d'un prodige proprement dit. Ainsi en 217 (Liv., XIX, 8) il est
bien spécifié qu'il n'y a pas eu de taetra prodigia. Voir aussi, plus généralement, D.H., IV, 62, 1.
38 Pour la présence de Grecs à côté des Gaulois, voir infra.
39 Voir R. Bloch, Les prodiges, Paris, 1953.
39bls La mise en relation était en outre favorisée par le recours dans les deux cas à la même
forme, exceptionnelle, de mise à mort par ensevelissement.
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 79

l'esprit des Romains que, à en croire Plutarque, des cérémonies annuelles


venaient le leur rappeler qu'il convient d'expliquer la mention des génies
étrangers de l'écrivain grec et sa présentation du rite comme un véritable
sacrifice humain. Comme le souligne justement G. Dumézil 40, rien ne permet
de penser en dehors de cet unique témoignage (et pas même le passage
de Plutarque relatif aux événements de 228) qu'il se soit agi de sacrifices
humains à proprement parler, offerts à des divinités précises. Certes, par
cette pratique, les Romains devaient avoir le sentiment qu'il se conciliaient
les faveurs des dieux, et tout spécialement, vu la forme de l'ensevelissement,
celle des dieux infernaux. Mais à l'origine rien ne permet de penser à une
liaison avec des divinités spécifiques, et non pas plutôt à un fatum im
personnel et très général.
Au total c'est l'interprétation de type militaire et non celle comme
expiation du crime des Vestales, l'interprétation comme meurtre rituel et non
celle comme sacrifice humain qui nous paraît la plus probable Cependant
il reste encore un dernier problème qui doit nous arrêter Car il subsiste
une divergence importante entre les versions de Dion et de Zonaras dont
nous sommes parti et la manière dont Plutarque présente les mêmes événe
ments de 228. Il y aurait eu, selon les deux historiens grecs, un oracle qui
aurait appris aux Romains le danger d'invasion que courait leur cité et ils
auraient d'eux-mêmes imaginé le moyen de tourner cette prédiction. En
revanche Plutarque ne parle pas d'oracle, mais dit seulement que la menace
gauloise a proqué le recours aux Livres, où les Romains ont trouvé le rite
d'ensevelissement à appliquer en la circonstance.
En fait les deux leçons sont probablement moins contradictoires qu'il
ne le semblerait, et il n'est nullement exclu que le terme d'oracle utilisé par
Dion et Zonaras recouvre en réalité ces Livres dont parlent Plutarque pour
228 et Tite-Live pour 216. Boehm avait déjà noté que Dion utilise générale
ment le terme d'oracle à propos de ces Libri qui se présentent de toutes
manières comme un recueil d'oracles sibyllins41. Et on peut ajouter que
Plutarque lui-même emploie ce terme pour désigner l'indication trouvée dans
les Livres sibyllins lors de la consultation de 114. Il est donc parfaitement
possible que les deux présentations, celle, plus conforme à la tradition
grecque, d'un oracle et celle, plus conforme à la tradition romaine, d'une
consultation des Livres expriment en l'occurence la même démarche.

40 II est fort possible que, comme le dit cet auteur (l. c), les démons étrangers soient
:une invention du savant Plutarque».
41 Cf. p. ex. fr. 49: χρησμός τις της Σιβύλλης.
80 DOMINIQUE BRIQUEL

A vrai dire tout n'est pas expliqué pour autant. En effet les textes qui
parlent d'un oracle parlent d'une réponse concernant des événements à venir
- Rome risque d'être prise par les Grecs et les Gaulois - et ne précisent
pas que l'ensevelissement au Forum Boarium ait été prescrit par l'oracle
lui-même. Et, au contraire, les textes qui parlent d'une consultation des Livres
indiquent que les Romains y ont trouvé le moyen de se concilier les dieux,
mais non la spécification d'un danger de prise de leur cité. Mais, là non
plus, la contradiction n'est pas insurmontable.
Il ne faut pas, en effet, limiter les Livres à n'être qu'un recueil de
prescriptions à accomplir dans tel ou tel cas nommément désigné. Comme
le souligne à juste titre J. Gagé, à côté de cette forme simple de l'oracle,
il peut en exister une plus complexe qui, « partant de l'interprétation d'un
prodige » (ou de ce qui est reçu comme tel) « déroule en quelque sorte les
événements qu'il contient » 42. Il peut y avoir une explicitation du danger
qui menace la cité et qui reste encore indistinct, surtout s'il n'est exprimé
que très confusément, par un prodigium, l'annonce du remedium à appliquer
n'intervenant ainsi que dans un second temps. Par ce biais les Livres peuvent,
bien que ce ne soit évidemment pas là leur fonction propre, énoncer des
prophéties quant à l'avenir. En ce sens ils peuvent - et il n'y a aucune
raison de limiter ce rôle à une période postérieure à la seconde guerre
punique - avoir une certaine fonction prophétique. Mais on voit qu'on
ne peut pas parler d'une annonce gratuite de l'avenir. La consultation doit
être provoquée, ne serait-ce que par le danger extérieur et la prophétie
reste étroitement liée à ce contexte. Ce serait bien entendu à ce second
type qu'appartiendrait P« oracle » qui nous intéresse. La menace gauloise de
228 aurait justifié une consultation du recueil. Dans cette consultation les
Romains auraient trouvé à la fois Ρ « oracle » de Dion et Zonaras, soit la
précision concernant le risque couru, la prise de la ville, et la prescription
donnée selon Plutarque par les Livres, soit les moyens de faire face à ce
danger par l'ensevelissement. On trouverait au demeurant une confirmation
de ce processus en deux temps dans le texte de Plutarque relatif aux événe
ments de 114. Le contenu de l'oracle aurait en effet compris, selon cet
auteur, deux éléments distincts: tout d'abord une annonce de ce que la cité
est en danger (même si le danger n'est pas explicité ici) et en second lieu
la prescription du remède à appliquer43.

42 Apollon romain, p. 204.


43 Le contenu du χρησμός comporte tout d'abord l'énoncé d'un danger (ταΰτά τε τάττοντας
ώς έπί κακω γενησόμενα) et en second lieu seulement la prescription à suivre (και προστάττοντας
άλλοκότοις τισί δαιμόσι και ξενοις αποτροπής ένεκα...).
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 81

Dans ces conditions la parallélisme entre le récit relatif aux événements


apuliens et le déroulement des faits à Rome en 228 est net. Il ν a dans
les deux cas une menace militaire, des Grecs dans un cas, des Gaulois
dans l'autre, auxquels la volonté des dieux, exprimée dans l'oracle reçu par
les Etoliens dans un cas, celui qui a été lu dans les Livres sibyllins dans
l'autre, semble promettre la prise de la ville. Mais dans les deux cas le destin
menaçant est détourné par le même stratagème, cette prise de possession
sans danger aucun pour la cité que représente l'ensevelissement d'ennemis
vivants.
*
*

Serait-il possible de rendre compte de la similitude des faits apuliens


et romains par une ressemblance purement extérieure, tenant à l'existence
de conceptions analogues sur le destin et les possibilités qu'il laisse à l'homme
dans les deux cas? Un tel mode d'explication paraît, il faut bien le dire,
fort peu probable. L'ensevelissement d'hommes vivants reste une pratique
tout à fait exceptionnelle44. D'autre part il faudrait admettre que le paral
lélisme s'étende jusqu'aux détails, risque spécifiquement militaire, danger bien
précisé et donné pour inéluctable de voir les ennemis s'emparer de la ville.
Et surtout à Rome le rite apparaît avec un certain nombre de caractères
remarquables, tous convergents. Le premier exemple remonte à 228 seulement;
il a été établi après consultation des Livres sibyllins; on en a toujours senti
le lien avec le collège des decemviri; et il a constamment été présenté
par les auteurs comme d'origine étrangère45. Ainsi il est hors de doute
qu'il ne s'agit pas d'une pratique remontant au fond national le plus ancien.
Elle a été introduite à Rome, par ce puissant facteur de renouvellement
religieux qu'ont été les Livres.
En fait le caractère non-romain à l'origine de ce rite n'a jamais été
mis en doute. Mais pour rendre compte de son apparition on est générale
ment parti du fait qu'à Rome les victimes étaient grecques et gauloises. Or
si on cherche quel peuple a pu avoir pour ennemis à la fois les Grecs
et les Gaulois se présente naturellement à l'esprit46. Et il paraît d'autant

44 Le cas de l'ensevelissement des Vestales coupables, qui n'est au fond qu'un mode
d'exécution particulier, doit être tenu à part.
45 Cf. les expressions de Plutarque άλλοκότοις τισί δαίμογι και ξένοις et de Tite Live
minime romano sacro (mais voir sur ce dernier point F. Fabre, art. cité).
46 Voir C. Cichorius, art. cité, R. Bloch, art. cité.
82 DOMINIQUE BRIQUEL

plus indiqué d'invoquer un précédent étrusque dans la circonstance que


cette hypothèse s'inscrit dans toute le problématique des Livres sibyllins,
pour lesquels une origine au moins partiellement étrusque paraît difficilement
niable47. Cependant C. Bémont a justement souligné les difficultés auxquell
es se heurte cette explication48. On ne peut affirmer qu'il existe en Etrurie
des parallèles exacts d'un rite qui se présente avec des traits très spécifiques
- contexte guerrier au point de départ et surtout forme tout à fait parti
culière de mise à mort, par ensevelissement, et non par égorgement comme
dans la scène des funérailles de Patrocle représentée sur les parois de la
tombe François ou par lapidation comme dans le cas des prisonniers phocéens
d'Alalia49. L'hypothèse étrusque n'a donc pas, dans ce cas particulier, le
caractère de certitude qu'on a parfois été tenté de lui attribuer.
Il est vrai que si on recherche l'origine de cette pratique du côté de
l'autre source d'Inspiration des Livres sibyllins, la grecque50, on se heurte
immédiatement à la difficulté, mise en avant par tous les commentateurs
et apparemment insurmontable, de la mise à mort de Grecs, et non seul
ement de Gaulois, les ennemis du moment en 228 et encore, dans une certaine
mesure, en 216.
Néanmoins on doit noter que les sources grecques n'ont pas introduit
dans le recueil seulement des rites d'origine hellénique. Ainsi on sait qu'après
Trasimène les libri ont prescrit l'accomplissement d'une pratique qui n'appart
ient ni à l'Etrurie, ni à la Grèce, mais au monde italique: celle du ver
sacrum. Et J. Heurgon nous paraît avoir eu parfaitement raison de sup
poser que cette' coutume s'était introduite dans les oracles sibyllins par

47 Voir sur le sujet en particulier W. Hoffmann, Wandel und Herkunft der Sibyllinischen
Bücher, Leipzig, 1933, R. Bloch, art. cité, J. Gagé, ο. c.
48 Cf. C. Bémont, art. cité, MEFR, p. 139 sq.
49 Même le type de mise à mort particulier attribué à Mézence, consistant à laisser mourir
des vivants ligotés avec des morts (lequel a toutes chance de représenter la transposition
légendaire d'un événement réel, sorte de supplice infligé par des pirates étrusques à une
époque antérieure à Aristote, cf. Cic, fr. 40 Daiter) ne présente que de lointaines analogies
avec notre cas. Il n'est pas question d'ensevelissement à proprement parler dans le cas du
tyran. Et le trait essentiel de la liaison entre morts et vivants fait inversement défaut dans
le rite du Forum Boarium.
50 Même s'il convient sans aucun doute de faire une part importante, voire essentielle
à l'origine, aux influences étrusques, il est évident qu'on ne saurait réduire à néant l'influence
grecque dans ces Livres dont l'utilisation s'est traduite par l'introduction à Rome de tant de
divinités d'origine hellénique. Sans vouloir entrer ici dans une discussion de cette difficile question,
disons simplement que la thèse traditionnelle de l'origine grecque, au moins d'une part des
éléments du recueil et à partir d'une certaine époque, nous apparaît toujours admissible.
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 83

l'intermédiaire des Grecs51. L'exemple du ver sacrum des Mamertins prouve


que cette pratique typiquement italique avait elle-même subi une hellénisa-
tion au cours du IIIe s.: le grec Apollon se subsitue au Mamers osque
comme dieu de référence dès les troisième quart du IIIe s., ainsi que le
montre la numismatique. Mais l'influence n'a certainement été à sens unique.
Les Grecs qui avaient eu à subir tant de fois ces printemps sacrés s'étaient
intéressé à cette coutume, comme le prouve le fait que Myrsile de Lesbos,
au cours du IIIe s., explique par ce qui est, en fait, un ver sacrum le
départ des Pélasges d'Italie52. Dans ces conditions son apparition à Rome
en 217 à partir des prescriptions d'un recueil où l'influence hellénique est
certaine peut très bien s'être faite par l'intermédiaire des Grecs. En l'occu-
rence les libri auraient servi de véhicule à une coutume italique; mais cela
n'a dû se faire que dans la mesure où elle avait intéressé les Grecs.
Avec la pratique qui nous concerne il n'est pas impossible que nous
ayons affaire à un phénomène analogue. Il est absolument exclu, naturel
lement, qu'elle soit hellénique au point de départ. Mais il nous est apparu
qu'elle a dû exister dans le monde indigène d'Italie du Sud, à Brindes, au
sein de populations avec lesquelles les Grecs étaient directement en contact.
Ces derniers ont pu servir d'intermédiaires, même pour une coutume qui
leur était si manifestement hostile (ce qu'au reste avait été également pour
eux le ver sacrum), en ce sens que ce serait eux qui l'auraient fait con
naître aux Romains. Il convient en effet de se représenter bien concrètement
ce qu'étaient les fameux livres consultés par les decemviri en 228. Il s'agissait
d'un recueil d'oracles attribués, au moins à partir d'une certaine époque,
à la Sibylle de Cumes53. Ce recueil, qu'on peut imaginer d'après les listes
oraculaires qui nous sont effectivement parvenues, contenait certainement
des éléments d'origines très diverses. Pour rendre compte du ver sacrum
de 217 on peut songer qu'y était passée une histoire du genre de celle
qu'Alfius a narré à propos des origines des Mamertins de Messine54. Et
dans le cas de l'ensevelissement de 228 il est fort possible que le point
de départ n'ait été rien d'autre que l'histoire d'enterrés vivants que nous
avons rencontrée en Apulie.

51 Voir Trois études sur le ver sacrum, Bruxelles, 1956, p. 37; voir également J. Gagé,
Apollon romain, p. 239 sq.
52 Cf. D.H., I, 17 sq.; voir à ce sujet P. M. Martin, dans Latomus, XXXII, 1972, p. 28 sq.
Sur les Mamertins, cf. J. Heurgon, o. c, p. 20 sq.
53 Cf. Varr., ap. Lact, Div. Inst, I, 6, D.H., IV, 62, Gell., I, 19, Serv., ad Verg., in Aen.,
VI, 72, etc..
54 Apud Fest., 50 L; voir à ce sujet J. Heurgon, Trois études sur le ver sacrum, p. 20 sq.
84 DOMINIQUE BRIQUEL

Ainsi donc notre hypothèse serait que les livres auraient contenu une
notice analogue au récit des mésaventures des Etoliens consultant l'oracle au sujet
de leur établissement à Brindes et périssant victimes de son interprétation
littérale par les indigènes que nous a conservé l'abrégé de Justin. Le contexte
dans lequel cette histoire a été connue chez les Grecs d'Italie, lors d'un
événement tel que l'expédition d'Alexandre le Molosse, le nombre des auteurs
qui semblent s'être intéressé à elle, l'élaboration même, dont témoignent
{'Alexandra et ses scholies, qu'elle a subie dans le monde grec, tout prouve
que cette tradition, bien faite pour frapper les imaginations, était largement
connue dans le monde grec, et principalement dans le monde grec d'Italie,
lequel intéresse directement la question des Livres sibyllins. Que de là elle
soit passée dans les oracles rassemblés à Rome sous le nom de la Sibylle
de Cumes, cela nous paraît parfaitement concevable55. D'autant plus qu'il
faut tenir compte, comme le fait remarquer à juste titre H. Le Bonniec56,
du cadre dans lequel s'inscrit la première apparition de ce rituel à Rome.
Vers 228 les influences qui se manifestent dans le domaine religieux sont
principalement grecques et orientent tout spécialement vers Tarente, cette
cité justement qui avait jadis appelle à son aide le roi d'Epire et où le
souvenir de cette histoire avait dû se maintenir particulièrement vivant.
Pour nous en tenir au plan des faits religieux - qui n'est de toutes manières
qu'un des domaines dans lesquels la grande cité grecque exerce son influence
sur Rome qui découvre son théâtre, reçoit de sa région ses premiers écrivains
et importe sa céramique de qualité - c'est à Tarente que sont dus, intro
duits après consultation des Livres en 249, les ludi Tarentini avec l'appari
tion officielle de Proserpine et de Dis Pater, ainsi que les sacra graeca
de Cérès, peut-être, selon l'hypothèse de H. Le Bonniec, en cette même
année qui a vu le premier ensevelissement du Forum Boarium 57. Disons
même que, si on admet la transmission par l'intermédiaire des Grecs d'Italie,
le rite qui nous intéresse cesse de constituer l'exception aberrante qu'il

55 L'hypothèse d'une influence directe des indigènes de la Perniile sur le contenu des
Livres nous paraît avoir beaucoup moins de probabilité (même si on note que l'armée réunie
pour faire au danger gaulois et dont les effectifs ont été détaillés par Poybe, II, 22, comprenait
des contingents de cette région). Tout comme dans le cas du ver sacrum de 217 il semble
plutôt s'agir de faits isolés ne justifiant pas l'idée d'une source d'inspiration italique autonome
sur les Livres sibyllins, mais explicables par l'intermédiaire hellénique.
36 Voir Le culte de Cérès à Rome, p. 390 sq.
57 Sur l'influence multiforme de Tarente sur Rome à cette époque, voir par exemple
l'exposé de P. Wuilleumier dans Atti del decimo convegno di Studi sulla Magna Grecia,
Tarente, 1970, p. 17 sq.
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 85

constituait jusqu'à présent, au milieu de toutes les innovations de cette


période, si clairement helléniques58.
Nous penserions donc que le stratagème utilisé, selon la légende, par
les habitants de Brindes à l'encontre des compatriotes de Diomède, serait
passé par l'intermédiaire des Grecs dans le recueil des Livres sibyllins, et
aurait donné lieu à Rome, dans un moment où tout semblait effectivement
perdu et où les Romains pouvaient croire que les dieux s'étaient mis du
côté de leurs ennemis, leur promettant à brève échéance la possession du
sol de la cité, à une application littérale. Dans la consultation des Livres
les decemviri, y trouvant cette histoire, pouvaient voir à la fois une
confirmation de leur crainte - le destin exigeant en effet que les ennemis
deviennent maîtres du sol de Rome - et le moyen d'échapper à ce sort
fatal. Comme jadis les Apuliens, il suffisait qu'ils donnent bien une parcelle
de leur sol à leurs ennemis, mais, suivant un thème connu de tous les folklores,
dans des conditions telles que l'accomplissement de ce don se retourne
contre ceux à qui il aurait été fait.
Dans ces conditions la mise à mort de 228 ne serait pas foncièrement
différente de la plupart des nouveautés religieuses prescrites par les Livres
sibyllins, qui, elles aussi, répondaient à un besoin ressenti dans des circons
tances données de trouver un moyen inédit de se concilier les dieux à un
moment où les procédés traditionnels apparaissaient insuffisants. A cette
occasion les decemviri, devant l'imminence du péril gaulois, auront pu trouver
dans leur recueil (voire y introduire pour la circonstance) la description
d'une situation analogue, avec la menace des Grecs à l'encontre de Brindes,
et le procédé voulu pour y remédier. Et c'est ainsi que nous serions tenté
d'expliquer la juxtaposition de Grecs et de Gaulois. Les Gaulois étaient,
tous les commentateurs l'ont souligné avec raison, parfaitement justifiés par
la situation présente59. Mais comme le note J. Gagé il est peu probable
qu'ils aient été désignés en tant que tels dans le texte des libri. L'application
aux Gaulois résulte certainement de la prise en considération des circons
tances, de la nation qui représentait effectivement un danger d'invasion
pour Rome. Mais nous ne croyons pas pour autant que, si les Romains
ont trouvé dans leur recueil l'histoire des enterrés vivants de Brindes (et
à plus forte raison s'ils l'ont introduite à ce moment), l'allusion à l'approche

58 Ce côté aberrant du rite avait été noté par J. Gagé, Apollon romain, l. c, et J. Bayet,
Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 1957, p. 148.
59 En 216 il en allait encore de même dans une certaine mesure, Hannibal ayant incorporé
nombre de Gaulois dans son armée.
86 DOMINIQUE BRIQUEL

d'un envahisseur ait été anonyme. Il devait nécessairement être question,


comme chez Justin ou Lycophron, de Grecs. C'était donc, selon l'exemple
apulien, par l'ensevelissement de Grecs que le danger pouvait être évité.
Ainsi, si on admet notre hypothèse, le fait de joindre un couple de Grecs
au couple de Gaulois viendrait d'une fidélité littérale aux prescriptions du
texte, bien qu'à Rome le danger vînt des seconds, et nullement des premiers
comme à Brindes60.

On devrait donc considérer les ensevelissements romains du Forum


Boarium, s'ils sont la transposition à Rome de ceux qui avaient dû avoir
lieu, à une époque antérieure, à Brindes, comme étant au point de départ
un simple stratagème destiné à prémunir la ville d'un envahissement jugé
inéluctable, en 228 comme en 390. Mais cette signification originelle ne
préjuge nullement de la valeur qu'ils ont pu assumer par la suite.
Les mises à mort de Rome ne sont pas simplement, et cela dès 228, une
copie conforme de celles de Brindes (et pas seulement parce qu'elles asso
ciaient des Gaulois aux Grecs). Rien ne laisse supposer en effet que l'idée
d'enterrer vivant un couple et non un individu isolé ait eu un précédent
apulien. Or ce détail, dont F. Schwenn a bien mis en valeur la signification61,

60 Si on se refuse à admettre que les Romains aient pu d'eux-mêmes introduire des


Gaulois dans un contexte faisant référence aux seuls Grecs, on notera que l'hypothèse apulienne
permet aussi bien que l'étrusque, de rendre compte d'une éventuelle liaison originelle entre
Grecs et Gaulois. Les Gaulois ont joué le rôle de mercenaires au service de Syracuse en
Apulie. C'est en Iapygie qu'ils se rendent après la prise de Rome (Diod., XIV, 117,6), au
moment où débute la politique adriatique de Denys (Diod., XV, 13, 1) et où le tyran va conclure,
en Italie du Sud, une alliance formelle avec eux (Just, XX, 5, 4). On retrouve en 350/49
la liaison entre PApulie et les Gaulois au service de la politique syracusaine (Liv., VII, 26,9).
Y aurait-il alors eu, dans cette région, une pratique du genre de celle qui sera attestée plus
tard à Rome, et associant les deux ennemis des Apuliens, le Grec et le Gaulois son allié?
Cela pose le problème, sur lequel nous n'avons aucune prise, du fondement historique de ce
qui nous est perceptible uniquement sous une transposition légendaire. La réponse des gens
de Brindes au souverain épirote garderait-elle le souvenir d'une coutume effectivement pratiquée
dans la première moitié du siècle? C'est possible. Il faudrait alors supposer que le souvenir
des formes réelles de la mise à mort (associant les Gaulois aux Grecs) se soit maintenu vivant,
à côté de sa transposition légendaire, et que les Romains en aient eu directement connaissance.
61 Voir Menschenopfer bei der Griechen und der Römern, p. 151 sq. Un couple représente,
par transposition magique, la totalité du peuple auquel il appartient, cette extension valant
aussi bien dans l'espace que dans le temps (le peuple étant touché dans sa descendance).
LES ENTERRÉS VIVANTS DE BRINDES 87

semble conférer à un rite qui, en Apulie, a une portée strictement défensive,


une signification déjà plus vaste, une valeur déjà offensive. Cette pratique,
qui sera définie par Orose comme un obligamentum magicum et dont Pline
souligne le caractère militaire, indépendamment de tout danger couru par
la ville de Rome, devait être ressentie dès l'origine comme vouant le peuple
ennemi aux puissances infernales62. Car on ne peut guère penser que la
signification de défense devant un danger d'invasion ait épuisé, dans la
mentalité des Romains, et cela dès le début, la valeur du rite. Au fond ils
devaient déjà être aussi sensibles que le seront les auteurs postérieurs à
la gravité, à la cruauté de ce geste. Les Romains de 228 étaient déjà bien
frottés de culture grecque! Mais ce rituel devait justement valoir à leur
yeux du fait de son caractère inouï. Il devait leur apparaître comme un
recours ultime, effrayant et mystérieux, particulièrement propre à agir, du
fait de l'offrande souterraine d'êtres vivants, sur les puissances infernales.
Et c'est pourquoi on peut fort bien admettre que la signification en était
déjà altérée en 216, et qu'on se serait borné à répéter cette année là un
rite qui avait prouvé son efficacité quelques années plus tôt, quand bien
même l'effort d'adéquation à la réalité présente qui aurait introduit les
Gaulois à côté des Grecs en 228 aurait très bien pu se poursuivre, et justifier
cette fois l'adjonction d'un couple carthaginois63. Et surtout en 114, si un
ensevelissement a bien eu lieu cette année, il faut admettre qu'il ait pu
être senti comme une simple propitiation des puissances infernales, ind
épendamment de toute signification d'ordre militaire. Mais ces « déviations »
ne sont pas étonnantes si on admet que, finalement, déjà en 228, cette
pratique représentait pour les Romains un recours à un moyen insolite et
barbare, jugé comme tel, mais senti comme seul efficace dans une période
où, devant le danger de voir les Gaulois s'emparer de la Ville comme ils
l'avaient fait au siècle précédent, tout semblait perdu. Quand son existence
même est en jeu - et c'était bien de cela qu'il s'agissait lorsque la menace

62 De toutes manières le rite a pu fort bien avoir ce sens déjà dans ses lointaines
origines apuliennes. mais nous avons déjà souligné que nous ne pouvions le saisir, au IVe s.,
qu'à travers la transposition légendaire qui en avait été faite, laquelle peut en limiter la
portée réelle.
63 Bien sûr on peut trouver des justifications à la mise à mort de Gaulois et même de
Grecs, à un moment où la fidélité des Grecs d'Italie était chancelante (et encore, était-ce alors
de bonne politique que de les rejeter, par ce rite, dans le camp des ennemis?). Mais comme
le dit J. Gagé (o. c, p. 257) « la répétition du sacrifice des Gaulois et des Grecs n'est plus
qu'un expédient rapidement calculé et déjà presque routinier».
88 DOMINIQUE BRIQUEL

venait des Gaulois, ainsi que le ressentait encore Salluste près de deux
siècles après ces événements64 - qui cherche autre chose que l'efficacité?
Qui s'embarrasse de définitions religieuses précises?

TABLEAU DE COMPARAISON

Β RIND E S ROME
légende des Etoliens meurtre rituel de 228

Just.: Aetoli pulsi ab Apulis consulentes Dio: έκ χρησμού τινός δειματωΟέντες


oraculum responsum acceperant, locum λέγοντος Έλληνα καί Γαλάτην καταλήψεσ&αι
qui repetissent perpetuo possessuros. το άστυ . . .
Zon.: λογίου δε ποτέ τοις 'Ρωμαίοις
έλοόντος καί "Ελληνας καί Γαλατάς το άστυ
καταλήψεσυαι . . .
hac igitur de causa per legatos cum
belli comminatione restituì sibi ab Apulis danger gaulois
urbem postulaverunt.
sed ubi Apulis oraculum innotuit inter - Plut.: ήναγκάσοησαν είξαι λογίοις τισίν
fectos legatos in urbe sepelieverunt. έκ των Σιβυλλείων καί δύο μεν Έλληνας,
Schol. 1056: oi Δαΰνιοι λαβόντες κατέχωσαν άνδρα καί γυναίκα, δυο δε Γαλατάς ομοίως
αυτούς ζώντας. έν τη καλούμενη βοών άγορςί κατορύξαι
ζώντας.
λέγοντες · άπειλήφατε τον κλήρον της γης Zon.: ïv' οϋτως επιτελές το πεπρωμένον
υμών öv αιτείτε παρ' ημών. γενέσυαι δοκη καί τι κατέχειν της πόλεως
κατορωρυγμένοι νομίζωνται.

64 Voir Jug., CXIV: Inde ad nostram memoriam Romani sic habuere: alia omnia virtuti
suae prona esse; cum Gallis pro salute, non pro gloria certare.
JEAN-PIERRE CALLU

ELEPHANTS ET COCHONS:
SUR UNE REPRÉSENTATION MONÉTAIRE D'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE

Le très riche médaillier de la Banque de France vient d'acquérir un de


ces rares spécimens de lingots qui à Rome ont précédé la frappe de monnaies
proprement dites: il s'agit d'un poids rectangulaire de 1, 535 kg. où alternent
sur les deux faces un éléphant et une truie \ On a déjà beaucoup écrit
sur ces images insolites, si bien que nous aurions eu scrupule à y revenir
si, d'une part, deux livres récents n'avaient repris le problème2, si, d'autre
part, nous n'avions pas une pièce à joindre au dossier.
Les numismates 3 s'accordent à placer « peu avant 289 » l'apparition
de Vues signatum, sa disparition « vers le milieu du IIIe siècle ». De leur
côté, les spécialistes de l'iconographie animale n'hésitent pas à reconnaître
l'origine indienne de l'éléphant. Cela étant, une référence à Pyrrhus qui le
premier en 280 introduisit le pachyderme oriental en Italie ne pouvait
être esquivée.
Alors le cochon? Là encore consensus presque unanime pour rendre
compte de sa présence par un texte d'Elien, dans VHistoire des Animaux.
Voici le passage:

Όρρωδεΐ ό έλέφας κεράστην κριον και χοίρου βοήν · ούτω τοι, φασί, και
'Ρωμαίοι τους συν Πύρρω τω Ηπειρώτη έτρεψαντο ελέφαντας και ή νίκη συν
τοις 'Ρωμαίοις λαμπρώς έγένετο4.

1 Ch. Gastineau, Quelques représentations animales dans la numismatique grecque et


romaine, dans Le bestiaire des monnaies, des sceaux et des médailles, Paris, 1974, p. 35-61,
en particulier, p. 43, n. 2 et p. 46-47: «sanglier» sic, (fig. 1).
2 H. Zehnacker, Moneta, Recherches sur l'organisation et l'art des émissions monét
aires de la république romaine (289-31 av. J.-C), Rome, 1973, p. 204-222; H. H. Scullard,
The Elephant in the Greek and Roman World, Cambridge, 1974, p. 101-119, 270-272 et pi. XIV.
3 H. Zehnacker, op. cit., p. 207, qui s'appuie sur R. Thomsen, Early Roman Coinage,
Copenhague, III, 1969, p. 146, où est donnée la bibliographie antérieure.
4 Ael, Nat. anim., I. 38.
90 JEAN-PIERRE CALLU

Ainsi l'éléphant redouterait le cri du porc et c'est parce qu'usant de ce


stratagème les Romains l'avaient emporté sur Pyrrhus qu'ils auraient voulu
sur un outil monétaire rappeler les protagonistes de l'événement.
A priori les traditions numismatiques romaines ne s'opposent pas à une
telle interprétation. Il suffit de songer, par exemple, aux deniers portant
au revers les rois vaincus d'Afrique ou de Narbonnaise 5; par ailleurs, qu'il
y ait une liaison entre les deux faces du lingot est prouvé par d'autres
éléments de la même série: pour prendre le moins contestable, épée et four
reau sont couplés sur un de ces aes signata6.
Les historiens7, néanmoins, se montreront plus réservés. Etudiant les
trois affrontements de Pyrhus avec les Romains, Héraclée en 280, Ausculum
en 279, Bénévent en 275, ils remarqueront que les sources antiques: Denys
d'Halicarnasse, Zonaras et - ce qui est plus important encore, car il se
fonde sur des documents peut-être contemporains - Plutarque, ne disent
mot de l'épisode. Ce qu'ils notent, est que tant à Héraclée qu'à Ausculum
les charges des éléphants de l'Epirote emportent la décision8; à Bénévent,
au contraire, Pyrrhus perdit plusieurs bêtes qui, faites prisonnières, figurèrent,
selon une tradition attestée par Pline, Sénèque, Florus, Eutrope, dans le
triomphe de Manius Curius9. Muette par conséquent sur l'intervention des
cochons, l'histoire fournissait toutefois avec la troisième bataille une base
sur laquelle asseoir, le cas échéant, une anecdote avantageuse.
Dans quel contexte, celle-ci s'élabore-t-elle chez Elien, auteur d'époque
sévérienne 10? Pour le savoir, il convient de se référer à un autre passage
(XVI, 36) de la Nature des Animaux:

8765 V.g.
Syd.H.P.
H.
Plut., 519-524
Scullard,
Pyrrhus,
Leveque,
(Bituitus);
op.
16-17,
Pyrrhus,
cit., 21,
p.879-881
115.
Paris,
25 - Dion.,
(Jugurtha).
1957, XIX,
p. 371-373.
12; XX, 1-3 et 11-12; Zonar., VIII, 2; 3;

5, 1-7 et 6,6. Voir encore Plin., NH, VIII, 16; Elephantos Italia primum uidit Pyrrhi régis
bello et boues Lucas appellami in Lucanis uisos anno urbis CCCCLXXII, Roma autem in
triumpho VU annis ad superiorem numerum additis; Flor., I, 18: elephanti... quorum cum
magnitudine turn deformitate et nouo odore simul ac stridore consternati equi; lustin.,
XVIII, 1: sed Romanos uincentes iam inuisatata elephantorum forma stupere primo, mox cedere
proelio (Pyrrhus) coegit; déjà Lucrèce, V, 1301, emploie l'expression boues Lucas.
9 Supra, n. 8; Senec, Breu. uit, 10, 13, 3; Flor., I, 13, 13 et 28; Eutrop., II, 14, 3. -
Sur la foi de Pline, VII, 139, on a parfois affirmé qu'un triomphe avec des éléphants n'eut
pas lieu à Rome avant la Première Guerre Punique, mais le texte est controversé.
10 Ëlien, Italien de Préneste, a dû vivre entre 170 et 230 cf. P.W. 1, 1894, col. 486-487
(M. Wellmann).
UNE REPRÉSENTATION MONÉTAIRE D'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE 91

"Οτι δεδοικεν ΰν έλέφας ανωτέρω εΐπον11· το δε έν Μεγάροις γενόμενον,


Μεγαρέων ύπ' Αντιπάτρου πολιού ρκου μένων, έυέλω ειπείν, και μέντοι το είρησόμενον
τοϋτό έστι. Των Μακεδόνων βιαίως έγκειμένων, ΰς πίττη χρίσαντες ύγρφ και
ύποπρήσαντες αύτάς, άφήκαν εις τους πολεμίους. Έμπεσοΰσαι δε άρα έκεΐναι
οίστρημέναι ταΐς των ελεφάντων ΐλαις και βοώσαι, άτε έμπιμπράμεναι, έξέμαινον
τους ΰήρας και έτάραττον δεινώς. Οϋτε γοϋν εμενον έν τάξει, οϋτε ήσαν ετι πράοι
καίτοι και έκ νηπίων πεπωλευμένοι, είτε φύσει τινί oi ελέφαντες ιδία μισοΰντες
τας ύς και μυσαττόμενοι, εϊτε και της φωνής αυτών το όξύ και άπηχές πεφρικότες
εκείνοι. Συνιδόντες ούν έκ τούτου οι πωλοτρόφοι των ελεφάντων ύς παρατρέφουσιν
αύτοΐς, ως φασιν, ϊνα γε έκ της συνήθειας ήττον όρρωδώσιν αύτάς.

On le voit: les gens de Mégare repoussent les Macédoniens selon un


procédé analogue à celui que, d'après le même Elien, les Romains auraient
utilisé contre Pyrrhus: des truies enflammées jettent la panique parmi les
éléphants bouleversés par leurs cris. Cette page mérite de retenir l'attention.
N'est-il pas curieux, en effet, qu'Elien raconte deux fois une aventure
quasiment identique et cela - on ne l'avait pas assez remarqué avant
Scullard - à propos de faits contemporains? Mais si ce synchronisme ne
s'imposait pas toujours, la raison en était que, se fondant sur l'assertion
d'Elien, on faisait d'un Antipater, l'Ancien ou le Jeune, l'adversaire des
Mégariens 12. Pourtant, dès le milieu du XIXe s., Ph. Le Bas 13 avait observé
que la bonne lecture était Antigonos. Démonstration assurée par deux auteurs
antiques: d'abord Elien lui-même qui, en un autre chapitre du De Natura
Animalium, évoquait devant la cité de l'Isthme les éléphants de Gonatas.
Cadre et personnages y étaient rapidement esquissés, avant que ne fût contée
la fable de Victoire, le pachyderme femelle qui, avec l'affection d'une nourr
ice, berçait un petit enfant orphelin 14. Plus décisivement, Polyen dont les
Stratagèmes sont dédiés à Lucius Verus 15, associe, sans aucune ambiguïté,
Antigone Gonatas, le siège de Mégare et le lancer des truies contre les
éléphants, à la manière dont quelques décennies plus tard, Elien devait
composer son récit 16.

11 Autant qu'au texte indiqué supra n. 4, Elien pouvait se rapporter à Nat. anim.,
VIII, 28; φύσεως δε απόρρητα έλεγχειν ούκ έμόν, και είκώτος · έπει καί άλεκτρυόνα δέδοικε λέων,
και τον αυτόν βασιλίσκος καί μέντοι καί ΰν ό έλέφας.
12 Ainsi encore Ρ. Leveque, H. Zehnacker; antérieurement, Ο. Keller, Die antike Tierwelt,
Leipzig, 1909, p. 379.
13 Ph. Lebas dans P. Armandi, Histoire militaire des éléphants, Paris, 1843, p. 531-539.
14 Nat. anim. XI, 14. Le texte commence ainsi: "Οτε γοϋν Αντίγονος έπολιόρκει Μεγαρέας,
ένί των ελεφάντων τών πολεμικών συνετρέφετο καί ΰήλυς όνομα Νίκαια...
15 P.W. 21, 2, 1952, col. 1432-1436 (F. Lamment).
16 Polyaen., IV, 6, 3: Αντίγονος Μέγαρα πολιορκών τους ελέφαντας έπήγαγεν. Οι Μεγαρείς
συάς καταλείφοντες ύγρφ πίσση καί ύφάπτοντες ήφίεσαν · αϊ δε, ύπο του πυρός καιόμεναι, κεκραγυΐαι
92 JEAN-PIERRE CALLU

Reste à dater l'épisode grec. L'enquête n'a guère été faite ou du moins
elle n'a abouti qu'à des résultats approximatifs. Quelquefois on se contente
de poser des terminus: après 279 17, avant la guerre chrémonidienne 18. Au
siècle passé, Droysen, suivi par Melber 19, s'arrêtait à l'année 266. Depuis
Tarn20, il était proposé de reculer jusqu'aux environs de 270, mais voici
peu, P. Goukowsky a placé l'incident encore plus haut en 276, lors de la
première mainmise d'Antigone sur la Grèce21.
Admettons maintenant qu'à Bénévent comme à Mégare des cochons
aient couru sur des éléphants22. Scullard qui se ralliait à l'hypothèse de
Tarn, imagine qu'en l'occurrence le stratagème, inventé par les Romains, fut
vite connu et imité au delà de l'Adriatique. Mais si le rapport chronologique
peut être inversé, si priorité est envisageable pour la ruse des Mégariens,
n'est-on pas amené à reconsidérer la valeur probante de Yaes signatum
romain?
Elucider les images du lingot par un événement ponctuel, Elien nous y
invite, mais lui seul. A la vérité pourtant, mais en reprenant l'explication
circonstancielle sous un angle assez différent, les propositions du Prénestin

πολλφ δρόμω εις τους ελέφαντας έωέπιπτον · οι δε οίστρώντες και ταρασσόμενοι, άλλος άλλη διέφευγον ·
Αντίγονος του λόιποΰ προσέταξε τοις Ινδοΐς τρέφειν ύς μετά των ελεφάντων, ϊνα τήν όψιν αυτών και
την κραυγήν τα οηρία φερειν έοιζοιτο.
17 U. V. Wilamowitz-Moellendorf, Antigonus von Karystros, Berlin, 1881, p. 226, n. 50 -
E. Meyer, s.w. Megara, PW, 29, 1931, col. 195, écrit simplement: «Die Freiheit dauerte nicht
lange, denn im Zusammenhang mit der allgemeinen Wiederherstellung des griechischen Reiches
eroberte Antigonos auch Megara zurück ».L'affaire de Mégare n'a pas trouvé place dans L'Histoire
politique du monde hellénistique d'E. Will, Nancy, 1966.
18 FGH, II C, 81, p. 138, § 36 (F. Jacoby).
19 J. G. Droysen, Histoire de l'hellénisme, Paris, 1885, III, 1 p. 229; J. Melber, Ueber
die Quellen und den Wert der Strategemsammlung Polyäns, Jahrb. f. class. Phil., XIV, suppl.
1885, p. 627; Ph. Lebas cf. supra n. 13. «vers 265».
20 W. W. Tarn, Antigonus Gonatas, Oxford, 1913, p. 286, n. 29: «but in 270 he recovered
Euboea and again placed it under Krateros. It was perhaps at this time that he occupied
Megara, though this is uncertain» (date adoptée par A. F. Scholfield dans son édition d'Elien,
Loeb, II, 1959). - En fait, Antigonus disposait d'éléphants soit entre 277 et 274, soit après
la mort de Pyrrhus, en 272.
21 P. Goukowsky, Le roi Poros, son éléphant et quelques autres (en marge de Diodore, XVII,
88, 6), BCH, 96, 1972, p. 473-502, p. 483, n. 36; cf. Trog. Prol. 26,1: quibus in urbibus
Graeciae dominationem Antigonus Gonatas constituent.
22 Historiquement la décennie 280-270 est singulièrement riche pour qui s'intéresse aux
pachydermes: outre Mégare (276 ?) et Bénévent (275), en 275 Antiochus triomphe grâce à eux
des Galates et dans les années 270 Ptolemée II organise à Alexandrie une colossale procession
de 24 chars tirés par des éléphants.
UNE REPRÉSENTATION MONÉTAIRE D'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE 93

pourraient, à en croire G. Nenci23, recevoir l'appui d'un second témoignage


tiré de la littérature: pour le savant italien, des cochons ont bien mis les
éléphants en déroute, mais par l'effet d'un prodige, car ce sont les quadru
pèdesreprésentés sur les signa de la 5e légion qui brusquement auraient
été animés de cris effrayants. Un vers d'Ennius conserverait le souvenir
de cette intervention extraordinaire24.
Il est tout à fait exact qu'avant Marius25, le porc «bête sacrificielle
des origines romaines » 26 comptait au nombre des cinq signa militarla 27.
Mais dans cette bataille d'Ausculum, prise à tort par Nenci pour l'occasion
du stratagème quatre et non cinq légions prirent part au combat: la descrip
tion minutieuse de Denys d'Halicarnasse ne peut là dessus laisser le moindre
doute28. Dès lors, il devient difficile d'extrapoler à partir d'un vers isolé,
au demeurant d'une lecture ambiguë29.

23 G. Nenci, Un prodigio dei signa nella battaglia di Ausculum e le origini di un topos


fisiologico. Riv. di Filol. Istruz. Class., 34, 1956, p. 391-404; Id., Un leggendario episodio della
guerra di Pirro in un frammento enniano incerti loci (A.v. 459 Vahlen2), St. Class, e Or., 5,
1956, p. 117-125.
24 Varrò, De L.L. edd. G. Goetz-F. Schoell, Leipzig, 1910, VII, 46: Apud Ennium: «Iam
caia signa fere sonitum dare uoce parabant» Cata acuta: hoc enim uerbo dicunt Sauini;
quare «catus (A)elius sextus», non, ut aiunt, sapiens, sed acutus, et quod est «tunc c(o)epit
memorare simul cata dieta », accipienda acuta dieta. Nenci modifie fere en ferae et il a raison,
puisque l'archétype Laur. LI, 10, XIe s. l'y autorise. En deuxième lieu, comme dans la seconde
et troisième citation d'Ennius faites par Varron, catus est pris dans un sens figuré, il se croit
obligé de choisir la même acception dans le premier cas. Il traduira donc «Già i sagaci signa
si apprestavano ad emettere con la loro voce di animale un suono». - Par ailleurs, il est
assuré qu'Ennius a introduit dans ses Annales des éléphants indiens qui doivent être ceux
de Pyrrhus, A 607 Vahlen2: tetros elephantos, cf. Serv. ad Aen. IV, 404: hemistichium Ennii,
de elephantis dictum, quo Accius usus est de Indis.
25 Plin., NH, X, 5: Romanis earn (aquilam) legionibus C. Marius in secundo consulatu
suo proprie dedicauit. Erat et antea prima cum quattuor aliis: lupi, minotauri, equi aprique
singulos ordines anteibant. Paucis ante annis sola in aciem portari coepta erat, reliqua in
castris relinquebantur. Marius in totum ea abdicauit.
26 Varrò, R.R., II, 4, 9: At suillo genere pecoris immolandi initium primum sumptum
uidetur: cuius uestigia, quod initiis Cereris porci immolantur, et quod initiis pacis foedus
cum feritur, porcus occiditur; J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie, Paris, 1919, p. 692.
27 P. Fest. p. 267, 5, Lindsay: Porci effigies inter signa militaria quintum locum obtinebat,
quia confecto bello inter quos populos pax fiebat, caesa porca foedus firmari solebat.
28 L'ordre de bataille met en place seulement 4 légions; l'allusion d'Orose, IV, 3, à une
octava legio n'est pas recevable, le nombre de 6 n'étant attesté par Tite Live, XXI, 17, 3
qu'en 218.
29 Grammaticalement signa peut être nominatif ou accusatif, ferae génitif ou nominatif;
quant au sens, l'étude des parallèles ne sert à rien, puisque, comme le remarque Nenci, « in
94 JEAN-PIERRE CALLU

Aussi bien A. Alföldi et après lui H. Zehnacker30 ont-ils raison de se


demander si une interprétation plus générale ne serait pas préférable ou à
tout le moins aussi acceptable. De fait - et il faut y insister, car on l'a
parfois nié31 - l'éléphant est le totem des Epirotes. Autrement, on ne com
prendrait pas pourquoi, dans une émission monétaire, les Tarentins, alliés
de Pyrrhus, l'ont placé sous la figure de Taras, le héros de leur ville32.
Parallèlement, la truie peut être tenue pour l'emblème des Latins. L'Enéide
a popularisé la rencontre miraculeuse de la femelle aux trente gorets, mais
déjà le groupe huius suis ac porcorum se dressait sur l'antique forum de
Lavinium et depuis la fin du IIIe s., Fabius Pictór, par la suite Caton et
Lycophron en reconnaissaient la valeur symbolique33.
La signification donnée ainsi au lingot est à nos yeux beaucoup plus
satisfaisante, puisqu'elle se fonde sur des symboles dont l'un est sûrement
contemporain et l'autre déjà bien vivant quelque soixante ans plus tard.
L'objection par laquelle Scullard croit démolir cette thèse d'une lutte entre
deux puissances figurées par leur animal représentatif, la fortifie au contraire
à notre sens. La truie, dit-il, vaut pour les Latins, non pour Rome; au reste,
celle-ci durant la guerre sociale adoptera la louve. Mais, en réalité, face à
Pyrrhus et à ses alliés italiens, les Romains avaient tout intérêt à réaffirmer

Ennio non ricorre altrove signum, né col significato di segnale di tromba, né con quello di
insegna». La première acception n'est donc pas à écarter et qu'on retienne ferae ou fere, rien
n'empêche de traduire avec F. M. Brignoli, Gli Annali di Ennio, Rome, 1937, p. 161: «Già
le trombe squillanti a dare il segno / con la tremenda voce erano pronte» (cf. Α., 140: At
tuba terribili sonitu taratantara dixit). - On remarquera comme une coïncidence bizarre mais
sans signification que si dans les années antérieures au 2e consulat de Marius une 5e légion
arborait un sanglier comme signum, la legïo V depuis Thapsus portait l'éléphant de Juba sur
ses étendards (Appian., Bell, ciuil., II, 96).
30 Supra, n. 2; A. Alföldi, Timaios' Bericht über die Anfänge der Geldprägung in Rom,
MDAI(R), 68, 1961, p. 72.
31 G. Hafner, Schild oder Rad? Beobachtungen zum Bildschmuck des aes signatum,
JRGZ, 10, 1963, p. 34-43.
32 H. H. Scullard, op. cit., pi. XIV a; E. Ravel, Descriptive Catalogue of the Collection
of Tarentine Coins formed by M. P. Vlasto, Londres, 1947, pi. XXIII, n° 710-712 et XXIV,
n° 732-738; NC, 6, 10, 1950, p. 280. - Les monnaies étrusques avec éléphant à sonnette,
crues un temps contemporaines de Pyrrhus par E. Babelon, La grande encyclopédie, s.v.
Eléphant, t. 15, p. 814, datent, comme l'ont montré R. Pedani et J. Heurgon, des campagnes
d'Hannibal.
33 Verg., Aen., VIII, 41 sqq.; Lycophron, Alex., 1253-1256 (c. 196); Orig. gentis Rom.,
XII, 5; Varrò, R. R., II, 4, 18; J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome,
Paris, 1942, p. 281, 324-333, 350, 491-493.
UNE REPRÉSENTATION MONÉTAIRE D'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE 95

leur vieille alliance avec les cités latines. Ils agirent de même à l'époque
d'Hannibal. Contre les envahisseurs du dehors, Rome se veut le champion
d'une unité qui justement ne sera remise en cause que lorsque le taureau
samnite tentera de terrasser la lupa romaine34.
Inversement, nous croyons que l'affaire des cochons de Mégare a toutes
les apparences d'être authentique. Nos raisons tiennent à la fois à l'histoire
des sources et à la vraisemblance.
Nous évoquions naguère l'anecdote de l'éléphant Victoire. Elle nous est
parvenue par un autre canal que le De natura animalium. Athénée, il est
vrai sans préciser le contexte événementiel, la narre à son tour, en se référant
à Phylarque, dont le floruit correspond au second tiers du IIIe s. avant
notre ère35. Sans doute, le patronage de cet historien proche des faits - il
appartient à la génération suivante mais utilise vraisemblablement Hieronymos
de Cardia - n'est-il valable, en toute rigueur, que pour le conte de l'éléphant
berceur; cependant Melber qui a étudié l'origine de la documentation traitée
par Polyen36, admet que l'ensemble des récits extraordinaires liés au siège
de Mégare pouvait déjà être rapporté par Phylarque dans son livre XX.
Présomption d'ancienneté, mais aussi plus grande normalité de l'incident.
Quitte à introduire des cochons dans un combat, il y a moins d'étrangeté
à le faire dans une cité assiégée que lors d'une bataille en rase campagne.
Certes des convois de porcs sur pieds ont pu accompagner l'armée romaine
en marche contre Pyrrhus: Hannibal, ultérieurement, lancera contre ses
adversaires des bœufs porteurs de torches 37. Toutefois, lorsqu'à l'autre extrémité
des Annales de Rome, en 544, on aura à nouveau recours au stratagème
mégarien, ce sera dans Edesse investie par les Sassanides, l'animal étant
suspendu du haut d'une tour38. Argument supplémentaire: il était fort aisé

34 H. H. Scullard, op. cit., p. 107-272; H. Zehnacker, op. cit., p. 314 et 562; L. Cracco
Ruggini et G. Cracco, L'eredità di Roma, in Storia d'Italia, V, / documenti, Turin, 1973, p. 1-45.
35 Supra, η. 18; Athen., Deipnos., XIII, 606: Ό δε αυτός ιστορεί Φυλαρχος δια της
εικοστής οσην έλέφας το ζωον φιλοστοργίαν εσχεν εις παιδιόν ■ γράφει δ' οϋτως · τόυτω δε τω έλέφαντι
συνετρέφετο Οήλεια έλεφας ήν Νίκαιαν έκάλουν . . .
>6 Supra η. 19 - En schématisant, on a les enchaînements suivants: 1) Eléphant Victoire:
.

Phylarque, Athénée, Elien (XI, 14); 2) Eléphant Victoire - Antigone - siège de Mégare: Elien
(XI, 14); 3) Antigone - siège de Mégare - éléphants et cochons: Polyen; 4) Siège de Mégare
- éléphants et cochons - Antipater: Elien (XVI, 36).
37 Rapprochement institué par H. H. Scullard, op. cit., p. 114; Liv., XXII, 16: boum
quos domitos indomitosque multos inter ceteram agrestem praedam agebat.
38 Procop., Bell, goth., IV, 14, Β 533: άλλα 'Ρωμαίοι χοΐρον έκ του πύργου έπικρεμάσαντες
τον κίνδυνον τούτον διεφυγον ■ κραυγμον γαρ τίνα, ων ώς το εικός ήρτημενρς, ό χοίρος ένοένδε ήφίει,
96 JEAN-PIERRE CALLU

de trouver des porcs à l'intérieur de la ville grecque, car on y en faisait


trafic et depuis les Achéens d'Aristophane le marchand de cochons de Mégare
était personnage de comédie39.
La ruse a donc, semble-t-il, été inventée en 276 à Mégare. Les habitants
ont voulu arrêter les éléphants par une masse mouvante de feu, en se servant
des troupeaux qu'ils avaient à leur disposition. Il s'est trouvé que le cri40,
plus que le feu, effraya les pachydermes. Tous en furent surpris, aussi bien
les Mégariens qui n'avaient été instruits par aucun précédent qu'Antigone
qui dut prendre des mesures pour le dressage de ses bêtes. Né alors, le topos
éléphants - cochons entre dans la littérature.
Aristote avait longuement parlé des éléphants, sans rien dire, pourtant,
d'une phobie, qui, si elle s'était déjà manifestée, ne lui aurait certainement
pas échappé. Par contre, à la fin de la période hellénistique, par des relais
qui nous sont inconnus, il se pourrait que le thème ait été recueilli par le roi
Juba II dont l'œuvre sera lue par ceux qui à l'époque impériale s'intéressaient
à la zoologie41. De là, soit par tradition indépendante, soit par le biais
d'excerpta, dériveraient les remarques faites par Sénèque42, Pline43, Plutar-
que 44 et bien sûr Elien 45. Ce dernier, à son tour, devait donner un second
souffle à ce développement entretenu par plusieurs auteurs jusqu'aux pre
miers siècles de l'ère byzantine46.

ονπερ ό έλέφας άχυόμενος άνεχαίτιξε καί κατά βραχύ άναποδίζων οπίσω έχώρει. Récit transcrit à
peu près complètement par la Souda, s.u. κεκραγμόν.
39 Citons simplement ces quelques lignes où, Aristophane jouant sur le sens obscène
du terme χοίρος (cf. F. Chamoux, Mélanges P. Boyancé, Rome, 1975, p. 153-162), le Mégarien
métamorphose un instant de jeunes femmes en truies: «Vous aurez bien soin de grogner et de
faire coï et d'imiter la voix des cochons qu'on immole dans les mystères», éd. V. Coulon
et H. van Daele, Belles Lettres, 1934, v. 521, 739-741 et p. 43, n. 3.
40 Exemple postérieur d'éléphants terrifiés par le son des trompettes: Flor., II, 13, 67
(engagement contre Juba I).
41 M. Wellmann, Alexander von Myndos, Hermes, 26, 1891, p. 481-566; Id., Juba, Eine
Quelle des Aelian, ibid., 27, 1892, p. 389-406.
42 Senec, De ira, II, 11,5: elephantos porcina uox terrei.
43 Plin., NH, VIII, 27: iidem (elephanti) minimo suis stridore terrentur.
44 Plut., De soll. anim. 32: ή δ" αιτία δυσλόγιστος, εϊτε φεύγει τα οηρία τον άνυιάν, ώς
συν ελέφαντες, άλεκτρυονα δε λέοντες {cf. supra n. 11).
45 Avant Elien, au second siècle de notre ère, écrivent sur les éléphants Amyntianus
et le médicin Aretaeus cf. H. H. Scullard, op. cit., p. 219.
46 G. Nenci a révélé un texte des Hieroglyphica, § 86 d'Horapollon, datable du règne
de Zenon et qui procède d'Èlien: Βασιλέα φευγοντα φλυαρον ανορωπον βουλόμενοι σημήναι,
ελέφαντα ζωγραφδυσι μετά χοίρου · εκείνος γαρ, άκοΰων φωνής χοίρου, φεύγει. Il cite aussi un con-
UNE REPRÉSENTATION MONÉTAIRE D'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE 97

A quel moment a-t-on rétrojeté sur Vaes signatum l'anecdote du strat


agème? Peut-on en créditer Elien, de culture grecque mais de souche italienne?
Doit-on remonter vers le Haut-Empire, voire vers des temps plus anciens
où aux textes précités s'ajouteront deux témoignages supposant une diffusion
hors des milieu érudits, nous voulons parler d'une fable47 et d'une pierre
gravée48? Il est peu aisé de trancher49. En tout cas, le mécanisme était
toujours prêt à fonctionner. Nous souhaiterions en donner la preuve, en
produisant une pièce qui, à ce jour, ne l'a été que d'une manière indirecte.
En 1843, P. Armandi, dans son Histoire militaire des éléphants, renvoyait
à une étude parue peu d'années auparavant où J. Berger de Xivrey avait

temporain d'Héraclius, Georges Pisidès, Hexaemer., v. 975-976: και των ελεφάντων έκφοβοΰσι
το κράτος / τα μικρά γρυλλίζοντα τών χοίρων βρέφη. - Pour Procope et la Souda cf. supra
n. 38. - Enfin, mais à des siècles de distance, Man. Phil., Expos, de eleph., v. 178-180:
Πΰρ δε πτοείται και κριον κερασφόρον / και τών μονιών την βοήν την άοροάν; le roi des Hieroglyphica
identifié avec Pyrrhus par Nenci serait donc Antigone Gonatas.
47 B. E. Perry, Aesopica, Urbana, 1952, p. 407, n° 220: Κάμηλος, έλεφας και πίοηκος. Τών
αλόγων ζώων βουλομένων βασιλέα έλέσυαι, κάμηλος και έλεφας καταστάντες έφιλονείκουν, και δια
το μέγε&ος τοΰ σώματος και ôià τήν ίσχύν έλπίζοντες πάντων προκρίνεσυαι · πίθηκος δε αμφότερους
άνεπιτηδείους εφη είναι τήν μεν κάμηλον διότι χολήν ούκ έχει κατά τών άδικουντων, τον δε ελέφαντα
ότι δέος εστί μη αϋτοΰ βασιλεύοντος χοιρίδιον, <ö> δέδοικεν, ήμϊν έπιυήται.
Selon Perry (éd. Babrius and Phaedrius, Loeb. 1965, p. xvi), « the original compilation
was probably made in the second century, if not in the latter part of the first». Scullard
qui connaît ce texte, fait état d'un passage du Talmud, Baba Mezia, fol. 38b, où en Babylonie
l'éléphant remplace le chameau dans un proverbe juif, op. cit., p. 272.
48 F. Imhoof-Blumer et O. Keller, Tier und Pflanzenbilder auf Münzen und Gemmen
des klassischen Altertums, Leipzig, 1889, pl. XIX, 40: cochon aurige dans un char tiré par
un éléphant (fig. 2). Commentaire de cette sardoine du milieu du Ier s. av. J.-C. par
Scullard, op. cit., p. 271: «Such humourous little scenes seem to have been popular: another
gem shows an elephant emerging from a snail-shell and a third an elephant coming out of a
conch-shell and ridden by a rabbit. See H. B. Walters, Catalogue of the Engraved Gems and
Cameos, Greek, Etruscan and Roman in the British Museum, 1926, n° 2339, 2340, 2341»;
S. Reinach, DA, s.u. Eléphant, p. 536-544.
49 Secondairement, se développait une deuxième antinomie, cette fois entre l'éléphant et le
bélier. Attestée par Plutarque, Quaest. conu., II, 7, 3, elle l'est ensuite par Sextus Empiricus,
Pyrrh. hypot, I, 68, puis par Elien en I, 38, c'est-à-dire là où, à propos des cochons, référence
est faite à la victoire sur Pyrrhus. Là encore, au Ve s., les Hieroglyphica d'Horapollon repren
nentla tradition élienne; on en retrouvera la trace par la suite dans les Géoponiques, XV,
1, 3 (Xe s.) et chez Manuel Philes cf. supra, n. 46. Nenci ignore l'origine de cette deuxième
phobie. A titre d'hypothèse, on rappellera qu'Alexandre, vainqueur des éléphants de Porus,
fut affublé des deux cornes de la puissance. Voir encore le casque à cornes de bélier des
souverains sassanides.
98 JEAN-PIERRE CALLU

publié quelques fragments d'une Histoire d'Alexandre50. Au chapitre XXXI


de cette œuvre écrite avant 1448 51, Jean Wauquelin imaginait la harangue
du Conquérant devant une attaque de pachydermes; « Faites tos venir tous
les pors de l'ost, et les faites battre, si que ils s'escrient, et si faittes
declicqnier trompettes et clarons, et aveucq gettez chacun ung cry au plus
hault que faire se potrà, et j 'espoir que vous les verrez tantos tourner en
fuyes, si me sieuwez et faittes comme vous me verez faire ».
Nenci a recopié, sans commentaire, le renseignement donné par Armandi.
Il nous a semblé intéressant d'en savoir un peu plus long. Au reste, une
recherche récente nous ayant familiarisé avec la geste du Macédonien à la
fin de l'Antiquité, nous sommes, sans trop de peine, remonté de Jean Wauquelin
à VEpistula Alexandri ad Aristotelem de itinere suo et de situ Indiae.
Incorporée en grec sous une rédaction courte dans l'état sévérien du roman
du Pseudo-Callisthène, cette lettre a été l'objet, à la charnière des IVe et
Ve s., d'une version latine séparée et amplifiée 52. C'est là qu'il fallait chercher.
Et de fait, aux pages 205-106 de l'édition Kiibler on lit ce qui suit:
iuxta amnem Buebar coeperamus uelle soporari sub pura node hora diei
undecima, cum subito pabulatores lignatoresque exanimati omnes aduene-
runt, simul nuntiantes, ut celerius arma caperemus, uenire e siluis elephan-
torum immensos grèges ad expugnenda castra. Imperaui ego Thessalicis
equitibus, ut ascenderent equos secumque tollerent sues, quorum grunnitus
timere bestias noueram, et occurrere quam primum elephantis iussi. Deinde
alios cum hastis armatosque sequi équités et tubicines omnes in prima
adesse ade et equis insidentes praecedere; pedites omnes remanere in castris
iussi. Ipse cum Poro rege et equitatu praecedens uidi examina bestiarum
erectis in nos promuscidibus tendentia. Quorum terga et nigra et candida
et rubri coloris et uaria quaedam erant. Hos Porus capabiles mihi in usum
bellorum affirmabat facillimeque auerti posse, si ab equitibus uerberari
sues non désistèrent. Qui nihilominus + nec mora trépidantes elephanti
conuersi tam plures quam pugnae priores, saltus petiere; cessere bucinus
hominum et grunnionibus suum attoniti.

Un texte de plus dans une série? Oui, sans doute. Mais en même
temps un critère nouveau d'appréciation. Il est tout à fait certain que dans

50 P. Armandi, op. cit., p. 282; J. Berger de Xivrey, Traditions tératologiques, Paris, 1836,
p. 407 sq.
51 P. Meyer, Alexandre le Grand dans la littérature française du Moyen Age, Paris, 2,
1886, p. 313-329.
52 Athenaeum, 48, 1965, p. 17-18; texte en appendice aux Res Gestae Alexandri de Julius
Valere, Leipzig, 1888.
UNE REPRÉSENTATION MONÉTAIRE D'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE 99

VEpistula l'histoire, située au milieu des « merveilles » de l'Inde, est total


ement inventée. On a seulement voulu, par une sorte de logique, qu'Alexandre,
ayant été le premier à triompher des éléphants - ceux de Porus - fût
aussi le premier à avoir utilisé un stratagème devenu classique. Mais dès
lors, quand on considère que sur quatre batailles: Mégare, Bénévent, Edesse,
le Buebar, deux sont des sièges ayant de fortes chances d'avoir bien donné
lieu à la ruse, que la quatrième, au contraire, livrée en pleine nature, relève
de l'imagination avec ses cochons portés à cheval - secumque tollerent -,
n'est-il pas plus prudent de tenir pour aussi peu véridique le schéma parallèle,
c'est-à-dire, la charge salvatrice des porcins contre Pyrrhus?
L'aes signatum de Rome n'a donc rien à voir avec l'expédient employé
en Mégaride quelques années plus tôt. Les érudits, disons des temps de
l'Empire, aimaient mieux expliquer ses figures par une anecdote que par
un appel à la symbolique politique. Mais cette erreur, à elle-même, est signi
ficative. L'image de la truie, emblème de l'unité romano-latine, avait perdu
ses vertus. Une notion périmée ne se prêtait plus à de nouvelles illustra
tions,tandis que l'éléphant, l'animal des Epirotes, devenu serviteur des Dieux
et gage d'éternité 53, prenait une éclatante revanche dans le bestiaire romain.

53 J. Guey, Les éléphants de Caracolla, REA, 49, 1947, p. 248-273. Le dépérissement


des anciens partenaires de la confédération latine est patent dès 54 av. J.-C. cf. Cicer., Pro
Plancio, 23.
Pour l'aide qu'ils ont bien voulu m'apporter, j'exprime ma reconnaissance à Mmc Ch.
Gastincau, Mlle M. L. Vollenweider, M. P. Goukowsky et M. J. B. Giard.
100

(Banque de France)
Fig. la - Lingot monétaire, l'éléphant.

(Banque de France)
Fig. 1 b - Lingot monétaire, la truie.

Fig. 2 - Sardoine du British Museum.


(Milieu du Ier s. av. J.-C).
GIOVANNANGELO CAMPOREALE

SU ALCUNE FORME VASCOLARI DEL BUCCHERO CERETANO

Le forme vascolari note nella produzione ceretana di bucchero del


periodo orientalizzante sono varie e di varia origine. Alcune si rifanno a
modelli ceramici: protocorinzi e corinzi (kotyle, skyphos, aryballos ovoide
e piriforme, oinochoe, olpe ecc), ο ionici (coppa a uccelli e a labbro distinto),
ο locali (calice); altre si rifanno a modelli metallici: allotri (oinochoe di tipo
fenicio-cipriota), ο locali (kyathos). Per talune invece la questione dell'ori
gine è ancora aperta: si tratta per lo più di forme la cui attestazione è
limitata a pochissimi esemplari. A tre forme di quest'ultima categoria sono
dedicate le tre note seguenti. Dalla discussione relativa affioreranno per il
periodo in questione, da una parte, elementi che confermano l'alta qualità
della produzione ceretana di bucchero e, dall'altra, indizi su possibili aper
ture dell'ambiente ceretano verso altri ambienti culturali.

1 - Situla Villa Giulia 59473 (Fig. I). In un recente studio sulle


« situle orientalizzanti del VII secolo in Etruria » 1 l'interesse è stato concent
rato su un gruppo di esemplari di bucchero fine di fabbricazione ceretana,
i quali presentano corpo grosso modo cilindrico, pareti dall'andamento piutto
sto rigido, ansa mobile (mai conservata) probabilmente di materiale diverso 2,
decorazione a rilievo ο graffita con motivi del repertorio orientalizzante.

* N.B. Le fotografie che corredano l'articolo sono degli archivi fotografici delle Soprin
tendenze alle Antichità d'Etruria (Firenze), delPEtruria meridionale (Roma), alla Preistoria e
Etnografia (Roma), dei Musei Vaticani e dell'Archäologisches Institut di Tübingen: ai soprin
tendenti e ai direttori di questi enti esprimo il mio ringraziamento. Un grazie particolare ai
colleghi Otto-Wilhelm von Vacano e Francesco Roncalli, che mi hanno fornito molte notizie
sui pezzi di Tübingen e dei Musei Vaticani.
1 J.M.J. Gran Aymerich, in MEFRA LXXXIV, 1, 1972, p. 7 sgg.
2 In un solo esemplare (Monaco, Antikensammlungen 1582) l'ansa è di bucchero, fissa e
conservata.
102 GIOVANNANGELO CAMPOREALE

La forma ritorna anche in esemplari metallici3, che forse hanno rappresent


ato il modello per quelli di bucchero. Alle situle di questo gruppo è stata
accostata una di impasto buccheroide (Fig. 1), conservata al Museo di Villa
Giulia e proveniente dalla tomba 2 del tumulo ceretano di Montetosto.
Essa in verità si distingue dalle altre, sia di bucchero che di metallo, per le
pareti dall'andamento dolce e curvilineo, per il fondo decisamente più
stretto dell'imboccatura, per l'ansa fissa e dello stesso materiale del vaso,
per la decorazione con motivi del repertorio geometrico: aspetti, questi,
tutt'altro che irrilevanti ai fini di un possibile accostamento.
A Caere nella produzione di impasto dell'VIII secolo4 e nella ceramica
geometrica del VII secolo5 si hanno vasi sulla cui imboccatura è stata
impostata un'ansa semicircolare fissa, i quali possono aver avuto la stessa
funzione delle situle. Ma la forma vascolare di partenza è normalmente
un'oinochoe. Ciò porta ad escludere un rapporto di forma con la situla
Villa Giulia 59473.
Per questa il confronto più vicino mi sembra quello con alcune situle
di impasto con copertura bianca e decorazione geometrica dipinta in rosso
che provengono dall'agro falisco-capenate 6. La sagoma nei tratti generali è
simile, tranne in qualche particolare secondario (leggera rientranza delle
pareti verso l'alto, presenza di un labbro estroflesso). Un esemplare della
serie (Fig. 2), rinvenuto a Orvieto ma probabilmente importato dall'agro
falisco7, ha la stessa forma dell'esemplare ceretano della tomba di Monte-
tosto.
Le situle dell'agro falisco-capenate appartengono a contesti della prima
metà del VII secolo8. La situla di impasto buccheroide da Caere fa parte
di un corredo tuttora inedito, di cui fanno anche parte alcuni oggetti signi-

3 J.M.J. Gran Aymerich, in art. cit., p. 24 sgg.


4 I. Pohl, The Iron Age Necropolis of Sorbo at Cerveteri, Stockholm 1972, p. 161 sg.,
fig. 140,2.
5 Ad esempio necropoli di Bufolareccia: Materiali di Antichità Varia V, 1966, p. 35, n. 4,
tav. 33, tomba 182; necropoli di Laghetto: ibidem, p. 97, n. 1, tav. 14, tomba 73; p. 107, n. 1,
tav. 23, tomba 138; p. 210, n. 2, tav. 35, tomba 274; p. 223, n. 1, tav. 53, tomba 360.
6 Monumenti Antichi... dei Lincei IV, 1894, e. 269, fig. 128; ibidem, tav. VII, 22; E. Hall
Dohan, Italie Tomb-Groups in the University Museum, Philadelphia 1942, p. 64, η. 4, tav. XXXIV.
Su questa classe monumentale cfr. ultimamente G. Colonna, in Studi Etruschi XLI, 1973, p. 65;
G. Camporeale, in Atti del X convegno di studi etruschi e italici, Firenze 1977 (in corso di stampa).
7 G. Camporeale, in art. cit. (in corso di stampa).
8 L. Adams Holland, The Faliscans in Prehistoric Times, Rome 1925, pp. 77 e 80; E. Hall
Dohan, op. cit., p. 108.
SU ALCUNE FORME VASCOLARI DEL BUCCHERO CERETANO 103

ficativi per la datazione: un'oinochoe subgeometrica di tipo cumano, data


bile alla prima metà del VII secolo; un aryballos ovoide protocorinzio a
fasce di sagoma evoluta, databile al secondo quarto del VII secolo; una
kotyle di bucchero con decorazione a graffito e a rilievo, che recentemente
è stata inquadrata nell'orientalizzante maturo9: il limite cronologico infe
riore per il complesso dovrebbe aggirarsi negli anni intorno alla metà del
VII secolo. Viene così confermata la datazione agli stessi anni, proposta per
la situla 10. Ne consegue che la forma vascolare ha in ambiente falisco-cape-
nate una documentazione, oltre che più larga, anche più antica che in
ambiente ceretano.

2 - Ampolla con collo a doppia protome equina (Figg. 3-4). Il vaso,


rinvenuto nella necropoli ceretàna del Sorbo durante gli scavi Regolini-Galassi
e assegnato al corredo della tomba Calabresi n, è decisamente un pezzo di
alta qualità, in cui il ceramista ha dato prova di estro creativo e senso
decorativo 12. L'inquadramento nella produzione ceretàna è basato, oltre che
sul tipo di bucchero fine e a superficie lucente, su altri elementi: i tappi a
fiore sbocciato trovano confronto in esemplari consimili da Caere 13; la cr
iniera dei cavalli resa con linee a zig-zag trasversali si ritrova nel leone
eseguito a rilievo su una pisside di bucchero da Caere 14; l'ansa a nastro
segnata da striature longitudinali e al centro da un motivo a treccia è ana
loga a quelle di kyathoi di bucchero di provenienza ο di fabbricazione cere-
tana 15; il piede a tromba e con decorazione a listelli, se è pertinente 16, è lo

9 M. Bonamici, in Studi Etruschi XL, 1972, p. 96 sgg. (η. 11).


10 J.M.J. Gran Aymerich, in art. cit., p. 57.
11 L. Pareti, La tomba Regolini-Galassi, Città del Vaticano 1947, p. 367 sg., n. 400, tav. LIV.
12 Mostra dell'arte e della civiltà etrusca (a cura di M. Pallottino), Milano 1955, p. 19,
n. 58; L. Banti, II mondo degli Etruschi, Roma 19692, p. 291.
13 L. Pareti, op. cit., p. 376 sg., nn. 427-430, tav. LVIII.
14 Studi Etruschi XL, 1972, tav. XV b (M. Bonamici).
15 M. Bonamici, in art. cit., p. 95 sgg.
16 Da documenti di archivio sembra di poter dedurre che il nostro vaso, al momento della
scoperta, fosse privo di piede. Nella « nota degli oggetti dissotterrati in Cervetri, negli anni 1836,
e 1837 », firmata dall'arciprete Regolini e datata 30 agosto 1838, al n. 347 si parla di «frammento
di un vasetto senza piede, con due teste di cavallo, e suoi Turacci» (L. Pareti, op. cit., p. 162,
Doc. 38). Inoltre nella nota relativa al «restauro di vasi già appartenuti al Sig. Generale Galassi,
eseguito da Carlo Ruspi li 29 agosto 1838» al n. 3 si segnala «un Gutto singolare, coperto
di due teste di Cavalli ed un Orno che li frena» (L. Pareti, op. cit., p. 159, Doc. 36). In seguito
ad autopsia ho potuto accertare che il piede è sicuramente attaccato nel secolo scorso e, inoltre,
104 GIOVANNANGELO CAMPOREALE

stesso che si ritrova in pissidi di bucchero ceretane 17. I vasi citati a con
fronto appartengono tutti all'orientalizzante maturo 18.
Negli scavi Regolini-Galassi sono stati ricuperati alcuni frammenti di
bucchero - teste di cavallo (Figg. 5-6) e di ariete (Fig. 7), anse (Figg. 8-9) -,
quasi certamente appartenenti a vasi simili al nostro 19: da ciò si deduce
che la forma vascolare ha avuto una certa diffusione nell'ambiente ceretano.
Al di fuori della produzione ceretana un confronto istruttivo è rappresent
ato da un vaso di impasto rinvenuto a Colle Paglietta nelle vicinanze di
Civita Castellana e conservato all'Archäologisches Institut di Tübingen20,
vaso ricomposto da frammenti e integrato in diverse parti (Figg. 10-11). In
questo e in quelli ceretani di bucchero la forma base è l'oinochoe, il collo
è sostituito con due protomi animalesche generalmente equine, le fauci
fungono da bocca del vaso, la decorazione graffita sui colli equini si trova
solo sulla parte esterna.
Nell'esemplare di Caere meglio conservato (Figg. 3-4) è possibile cogliere
taluni sviluppi peculiari: il corpo del vaso è trasformato nel corpo di due
cigni, nell'ansa è stata inserita la figura di un auriga suggerita dalla presenza
dei cavalli, il cordone a rilievo all'inizio del collo ha assunto la forma di
un giogo, i tappi sono diventati fiori sbocciati con evidente allusione ai
pennacchi, « la linea di contorno scorre facile, armoniosa, ininterrotta » 21.
Tali particolari possono anche attribuirsi all'abilità del ceramista, ma nel
contempo indicano uno stadio tipologico più evoluto rispetto a quello del
l'esemplare falisco.
Oinochoai con la bocca foggiata a testa animalesca sono frequenti
nell'orientalizzante: nell'impasto falisco (Fig. 12) 22, nel bucchero ceretano 23,

che l'attacco, specialmente nella parte posteriore del vaso, copre per un buon tratto la decora
zione a listelli del corpo e diverse rosette stampate che delimitano in basso i listelli: il fatto
non deporrebbe a favore del ceramista che per altro verso ha dato un prodotto di notevole
eleganza, per cui la verifica della pertinenza del piede attuale in sede di restauro diventa utile
e necessaria.
17 Studi Etruschi XL, 1972, tav. XVI a (M. Bonamici).
18 M. Bonamici, in art. cit., p. 95 sgg.
19 L. Pareti, op. cit., p. 373 sg., nn. 414-418.
20 C. Watzinger, Griechische Vasen in Tübingen, Reutlingen 1924, p. 12 sg., Β 20; Ο. W.
ν. Vacano, Italische Antiken, Tübingen 1971, p. 13, η. 9.
21 L. Ban ti, op. cit., p. 291.
22 Già a Monaco, Antikensammlungen 1102 (nuovo numero 6073), distrutta durante
l'ultima guerra.
23 M. Bonamici, / buccheri con figurazioni graffite, Firenze 1974, p. 45, n. 55, tav. XXVI;
p. 122 sgg.
SU ALCUNE FORME VASCOLARI DEL BUCCHERO CERETANO 105

nella ceramica cipriota della serie « black-on-red II » 24, nella ceramica paria 25,
nella bronzistica iberica26. Ma normalmente si tratta di vasi che hanno
l'imboccatura a testa animalesca; anche quando - raramente - lo sviluppo
animalesco comprende il collo, l'imboccatura del vaso resta unica. Pertanto
l'esemplare di Colle Paglietta e quelli di Caere (Figg. 3-6, 10-11) costitu
isconoun sottogruppo omogeneo nell'ambito della serie. Caso mai non sarà
da trascurare il fatto che fra gli impasti dell'agro falisco-capenate si cono
scono altri esempi di accoppiamento di protomi equine, anche se in fun
zione diversa da quella dei nostri vasi27.
L'esemplare di Colle Paglietta è sporadico. La decorazione, graffita sul
corpo, a festoni di palmette è comunissima negli impasti dell'agro falisco-
capenate dell'orientalizzante maturo. La forma, stando almeno alle parti
autentiche (il fondo è moderno), sembrerebbe rifarsi alPoinochoe di tipo
protocorinzio28, che in Italia ha avuto molta fortuna nella produzione sub
geometrica cumana e etrusca e nel bucchero fine dell'Etruria meridionale.
Anche questa precisazione di ordine formale porterebbe a ritenere il vaso
di Colle Paglietta anteriore alle repliche ceretane.

3 - Coppa per succhiare (Figg. 13-14). Recentemente è stato preso in


esame un gruppo di coppe di bucchero, che presentano alcune peculiarità
struttive e funzionali: la vaschetta è divisa in due scomparti da un di
aframma, in ciascuno scomparto è un cannello - a volte conformato a pro
tome animalesca - che serviva per attingere il liquido che, passando attra
verso due condotti disposti lungo l'orlo, doveva essere succhiato per mezzo
di un beccuccio. Le coppe sono state attribuite a Caere e datate tra « gli
ultimi decenni del VII e gl'inizi del VI sec. a.C. » 29. A complemento di
questo discorso non sarà superfluo aggiungere che si conoscono esemplari

24 The Swedish Cyprus Expedition IV, 2, Stockholm 1948, Fig. XXXIX, 19 e 22 (E. Gjerstad).
25 P. Bocci, Ricerche sulla ceramica cicladica, Roma 1962, pp. 8 e 18 sgg., tav. XI, 1.
26 J. M. Blâzquez, Tartessos. y los origenes de la colonizacion fenicia en Occidente,
Salamanca 19752, p. 173 sgg.
27 CVA, Italia XXI, Museo Pigorini I, tav. 1002, 6.
28 Meno puntuale mi sembra il richiamo all'oinochoe di tipo fenicio-cipriota, proposto da
O. W. v. Vacano, Italische Antiken, p. 13. In questa il collo è sempre tronco-conico con ampia
svasatura nella parte inferiore, la spalla ο manca ο è molto ridotta, il profilo del corpo è
piuttosto dolce. Invece nell'esemplare di Tübingen il collo delle due bocche è cilindrico, la
spalla è alquanto ampia, il profilo del corpo - stando alla parte originale superstite - è teso.
29 M. Cristofani Martelli, in Archaeologica. Scrìtti in onore di Aldo Neppi Modona,
Firenze 1975, p. 205 sgg. (con bibliografia precedente).
106 GIOVANNANGELO CAMPOREALE

analoghi nella produzione di impasto del periodo orientalizzante: uno


(Fig. 15) dalla tomba a fossa V della necropoli di Vaccareccia di Veio30,
un secondo (Fig. 16) dalla tomba a camera LIV della necropoli di S. Martino
di Capena 31, un terzo dalla tomba a circolo III della necropoli di Tolentino 32.
Il richiamo si riferisce, oltre che all'aspetto generale, anche a qualche el
emento particolare: ad esempio la conformazione animalesca del cannello
con cui si attingeva il liquido all'interno della vaschetta33. Gli esemplari
ceretani, a loro volta, non solo si adeguano ai canoni della produzione
locale (fabbricazione in bucchero fine, sagoma della coppa analoga a quella
delle coppe ioniche largamente riprodotta nel bucchero fine), ma con la
divisione della vaschetta in due scomparti e il conseguente raddoppiamento
del condotto lungo l'orlo risultano tipologicamente più evoluti rispetto agli
esemplari di impasto.
La coppa di Veio appartiene a un contesto che è stato assegnato alla
fase locale III A, cioè all'orientalizzante iniziale34. Quella di Capena è stata
rinvenuta in un gruppo di oggetti35, che possono classificarsi tra l'orienta
lizzante iniziale e l'orientalizzante maturo. Quella di Tolentino proviene da
una tomba di bambino la cui suppellettile, piuttosto modesta e scarsa, non
offre orientamenti probanti per una datazione precisa: ad ogni modo la
presenza della coppa, per cui fra l'altro è stato supposto uno smistamento
dall'agro f alisco-capenate 36, consente una classificazione della tomba nello

30 J. Palm, in Opuscula Archaeologica VII, 1952, pp. 62 e 78; CVA, Italia XXI, Museo
Pigorini I, tav. 1017, 7.
31 R. Paribeni, in Monumenti Antichi... dei Lincei XVI, 1906, cc. 331 sg. e 442 sg., fig. 51;
CVA, Italia XXI, Museo Pigorini I, tav. 1002, 7.
32 A. Gentiloni-Silveri, in Notizie degli Scavi 1883, p. 333; V. Dumitrescu, L'età del ferro
nel Piceno, Bucarest 1929, p. 96, fig. 12, 12 (con diverso inquadramento cronologico).
33 Questo elemento è stato messo in rapporto con una figurina animale che si trova
all'interno di alcune tazze provenienti da diverse aree culturali del bacino orientale del Medi
terraneo e risalenti al II millennio a.C. e da aree centro-europee di cultura hallstattiana (R. Pari-
beni, in Bullettino di Paletnologia Italiana XXXII, 1906, p. 105 sgg.). Oggi forse si potrebbero
aggiungere alcune tazze di bucchero, provenienti da Castro Farnese, con all'interno un volatile
ο un quadrupede (Roma, Villa Giulia 64574: Μ. Τ. Falconi Amorelli, in Studi Etruschi XXXVI,
1968, p. 172, n. 13, tav. XXIX c-d; Grosseto, Museo Archeologico 1663, 2399, 2501).
34 J. Close-Brooks, in Notizie degli Scavi 1965, p. 56.
35 R. Paribeni, in Monumenti Antichi... dei Lincei XVI, 1906, e. 329 sgg. Molti sono
riprodotti in CVA, Italia XXI, Museo Pigorini I, tav. 999 sgg.
36 G. Colonna, in Archeologia Classica X, 1958, p. 77.
SU ALCUNE FORME VASCOLARI DEL BUCCHERO CERETANO 107

stesso orizzonte culturale delle due tombe di Veio e di Capena. In definitiva


l'argomentazione cronologica conferma il risultato dell'analisi tipologica.

L'esame delle tre forme vascolari in questione ha permesso di ipotizzare


un rapporto tra la produzione ceretana di bucchero e quella falisco-cape-
nate di impasto. È stato anche dedotto che gli esemplari di impasto prece
dono quelli di bucchero. Se debba trattarsi di influssi dei primi sui secondi
ο di semplici consonanze culturali è un fatto piuttosto difficile a definirsi,
anche se sostanzialmente il problema non cambia molto. Quelli delle tre
forme vascolari suddette non sono i soli casi di rapporto tra bucchero cere
tano e impasto falisco-capenate, in cui quest'ultima produzione rappresenta
il momento anteriore: ad esempio per alcuni animali eseguiti a rilievo ο a
graffito su vasi di bucchero ceretano sono stati proposti confronti con quelli
del repertorio decorativo degli impasti falisco-capenati 37. Anche per la cera
mica policroma del ciclo di Monte Abatone, una produzione peculiare
dell'ambiente ceretano, sono state prospettate aperture al repertorio degli
impasti falisco-capenati 38. Questo movimento dall'area falisco-capenate verso
Caere è bilanciato da uno in senso opposto: si pensi ai buccheri ceretarìi
arrivati nell'agro falisco-capenate39. E, almeno secondo le ultime proposte,
anche l'affermazione dell'anfora a spirale nell'agro falisco-capenate dovrebbe
considerarsi un apporto culturale dell'ambiente ceretano40.
L'irradiazione della cultura figurativa e materiale dell'area falisco-cape
nate in una molteplicità di direzioni durante l'orientalizzante è un fatto su
cui si è tornato spesso negli ultimi anni e che tuttavia ha ancora bisogno
di essere approfondito e studiato sistematicamente. Tanto per limitarsi ai
casi più significativi, si possono ricordare i rapporti con l'area salernitana41,

37 M. Bbnamici, in Studi Etruschi XL, 1972, p. 103; Ead., / buccheri con figurazioni
graffite, p. 134 sg.
38 J. G. Szilagyi, in Wissenschaftliche Zeitschrift der Universität Rostock XVI, 1967, p. 546.
39 M. Bonamici, / buccheri con figurazioni graffite, pp. 124 sg., 135.
40 T. Dohrn, in Studi in onore di Luìsa Banti, Roma 1965, p. 143 sgg.; G. Colonna, in
Mélanges d'Archéologie et d'Histoire LXXXII, 2, 1970, p. 641 sgg.; M. Verzâr, in Antike Kunst
XVI, 1, 1973, p. 45 sgg.
41 Β. D'Agostino, in Studi Etruschi XXXIII, 1965, p. 679 sg. (coppe a cavallini, coppe ad
alto bordo con fasce orizzontali rilevate).
108 GIOVANNANGELO CAMPOREALE

con il Piceno42, con la Sabina43, con l'area abruzzese44, con la valle del
Fiora45, con il territorio volsiniese 46, con Roma47, forse anche con il
Salento48. Il rapporto con Caere, come si è avuto occasione di accennare,
era stato già individuato: gli esempi discussi nelle presenti note lo allargano
e lo puntualizzano ulteriormente. Dal canto suo la produzione ceretana di
bucchero fine, con la segnalazione di aperture verso altre produzioni anche
se di livello qualitativo inferiore, acquista una connotazione più precisa e
storicamente più valida49.

42 G. Colonna, in Aspetti e problemi dell'Etruria interna (Atti dell'VIII convegno di studi


etruschi ed italici), Firenze 1974, p. 193 sgg. (dischi-corazza). Vanno tenuti presenti anche i
kantharoi di impasto di tipo falisco, di cui qualcuno con anse ornate da corna di ariete
(San Severino Marche. Nuove scoperte di antichità picene, San Severino Marche 1972, p. 15).
43 A. M. Sgubirìi Moretti, in Civiltà arcaica dei Sabini nella valle del Tevere I, Roma 1973,
p. 104 sgg.; G. Colonnare altri), in Civiltà arcaica dei Sabini nella valle del Tevere II, Roma
1974, p. 91 sgg.
44 G. Colonna, in Archeologia Classica X, 1958, p. 69 sgg. (placche di cinturone).
45 G. Colonna, in Studi Etruschi XLI, 1973, p. 64 sgg. (kantharoi di impasto di tipo
falisco, vasi di impasto con anse sormontate da coppette, situle dal corpo cilindrico ecc).
46 G. Colonna, in Studi Etruschi XLI, 1973, p. 53 sgg.
47 Mi riferisco in particolare ai tripodi bronzei: ad esempio un tipo con zampe a bastonc
elloa sezione circolare piegate in alto ad angolo retto, segnalato nell'agro falisco (A. Pasqui,
in Monumenti Antichi... dei Lincei IV, 1894, e. 511 sg., n. 22, tav. Vili, 15, da Narce, necro
polidi Monte Cerreto, tomba a camera 73; inoltre Roma, Villa Giulia 29190, da Capena, necro
polidi S. Martino, tomba a camera 21) e a Roma, Esquilino, sporadico (G. Pinza, in Monumenti
Antichi... dei Lincei XV, 1905, e. 229 d, fig. 96); ο a un altro tipo con zampe di lamina larga
piegate in alto ad angolo retto e leggermente curvate verso l'esterno in basso, segnalato anch'esso
nell'agro falisco (M. Cristofani, in Studi Etruschi XXXIX, 1971, p. 316, n. 22, fig. 4; p. 323) e
a Roma, Esquilino, tomba 99 (G. Pinza, in Monumenti Antichi... dei Lincei XV, 1905, e. 158,
fig. 66).
48 F. G. Lo Porto, in La Magna Grecia e Roma nell'età arcaica (Atti dell'VIII con
vegno di studi sulla Magna Grecia, Taranto 1968), Napoli 1969 [1971], p. 183 (olla di impasto).
49 Quando il presente articolo era già in corso di stampa, ho preso visione della recen
tissima pubblicazione di alcuni complessi tombali dell'area falisco-capenate da parte di
H. Salskov Roberts, in Acta Archaeologica XLV, 1974 [1975], p. 49 sgg., in cui si ritorna
spesso sulle aperture dell'area falisco-capenate verso altri centri e aree culturali dell'Italia antica.
SU ALCUNE FORME VASCOLARI DEL BUCCHERO CERETANO 109

Fig. 1 Fig. 2

Fig. 3 Fig. 4
110 GIOVANNANGELO CAMPOREALE

Fig. 5 Fig. 6 Fia. 7

Fig. 8

Fig- 9
SU ALCUNE FORME VASCOLARI DEL BUCCHERO CERETANO 111

Fig. 12
112 GIOVANNANGELO CAMPOREALE

Fig. 13

Fig. 14
SU ALCUNE FORME VASCOLARI DEL BUCCHERO CERETANO 113

Fig- 15

Fig. 16
GÉRARD CAPDEVILLE

« TAVRVS » ET « BOS MAS »

Dans son compte-rendu du livre de R. E. A. Palmer, The king and the


comitium, a study of Rome's oldest public document (Wiesbaden, 1969),
J. Heurgon (REL, 48, 1970, p. 605) reproche à l'auteur plusieurs « détails
aventureux »; il signale notamment que « le plus étonnant de ces paradoxes
(p. 1 1 sq.) est que taurus en latin signifierait le bœuf châtré » et il cite une
phrase caractéristique de l'ouvrage en question (p. 12): « The Latin taurus / a
and Umbrian turu- seem to describe animals incapable of reproduction
because they are eitheir sterile, castrated or perhaps, too young (lactentes) ».
Pour réfuter cette opinion, J. Heurgon « invite M. Palmer à relire, outre
Festus, 372 L, Solitaurilia \ le paragraphe des Res Rusticae de Varron
(2, 5, 12 sq.) 2 sur Yadmissura des bovins ».

En face d'affirmations aussi contradictoires et aussi péremptoirement


soutenues, on peut trouver assez étonnant que l'accord ne soit pas encore
fait sur des mots apparemment bien simples et concernant des réalités si
courantes pour un peuple de campagnards et de dévots comme l'étaient les
Romains, élevage et religion étant également intéressés à la qualification
sexuelle des animaux. Certes, les textes invoqués par J. Heurgon semblent
nets quant au sens de taurus: ainsi le mot est utilisé trois fois par Varron,
à l'exclusion de tout autre, pour désigner le mâle reproducteur, et on ne
comprendrait guère comment il pourrait dans un pareil contexte, s'appli
querà un animal châtré. Mais, après tout, rien n'empêcherait vraiment que
le mot désigne simplement un mâle, sans précision sur son intégrité: c'est

1 Solitaurilia hostiarum trium diuersi generis immolationem significant, tauri, arietis,


uerris; quod eae solidi integrique sint corporis.
2 Contra tauros duobus mensibus ante admissuram herba et palea ac faeno fado ple-
niores et a feminis secerno. Habeo tauros totidem, quod Atticus, ad matrices LXX duo, unum
anniculum, alterum bimum. Haec secundum astri exortum facio, quod Graeci uocant lyran,
fidem nostri. 13. Turn denique tauros in gregem redigo.
116 GÉRARD CAPDE VILLE

l'opinion à laquelle s'arrête par exemple, après une longue analyse, K. Krause
dans son article Hostia de la Real-Encyclopädie (Sup. V, 1931, e. 236-282,
spécialement e. 259-261) 3.

En fait, la détermination du sens de taurus ne peut se faire indépe


ndamment de celui de l'expression bos mas qui, au moins dans la langue
religieuse, semble être en relation d'opposition avec lui. C'est ainsi que, par
exemple, les Actes des Frères Arvales attribuent systématiquement un bos
mas à Jupiter comme victime sacrificielle, alors que le taurus est réservé à
Mars et Janus. Et cela paraît coïncider avec la prescription rituelle que nous
a transmise Macrobe (Sat, 3, 10, 3 et 7) d'après Ateius Capito (fg. 14 Huschke) 4:
Ioui tauro uerre ariete immolari non licet. Si quis forte tauro loui fecerit,
piaculum dato5.

Tout cela semble donc bien indiquer une différence entre les deux
termes. Mais quelle est-elle? Pour R. E. A. Palmer, on l'a vu, le taurus est
l'animal châtré, et, par conséquent, le bos mas l'animal non châtré: « In early
Latin the Romans distinguished the sex of generic bos by mas or femina »
(p. 11); mais on a déjà noté qu'il se trompe certainement en ce qui concerne
le taurus6. Pour la plupart des autres exégètes, notamment G. Wissowa

3 L'auteur avait précédemment soutenu, dans sa dissertation De Romanorum hostiis


quaestiones selectae, Marbourg, 1894, p. 9-10, l'opinion que l'on retrouve chez R. E. A. Palmer:
le taurus serait châtré, le bos mas non châtré.
4 Ce texte est invoqué par l'un des interlocuteurs des Saturnales. Evangelus, pour repro
cher à Virgile (Aen., 3, 19-48) d'avoir représenté Enée sacrifiant un taureau à Jupiter lors de
son arrivée en Thrace. Un autre interlocuteur, Pretextatus, répond que la faute rituelle est
intentionnelle, puisqu'il s'agit de justifier par avance le prodige qui va suivre - les larmes de
sang qui coulent des arbrisseaux qu'essaye d'arracher le héros - et que l'on peut interpréter
comme un signe de mécontentement du dieu: Ergo respiciens ad futura hostiam contrariam
fecit (cf. cependant infra, p. 122 et n. 24).
5 Des échos de cette règle se trouvent notamment chez Servius (Aen., 9, 624: Ioui de
tauro non immolabatur, 12, 120; cf. Breu. exp. in Verg. G., 1, 45) et Isidore (Or., 12, 1, 28).
6 On ne peut suivre R. E. A. Palmer lorsque, pour appuyer son interprétation, il évoque
taura, dont le sens de «vache stérile» ne fait aucun doute: quae sterilis est uacca, taura
appellata, indique par exemple Varron (R.R., 2, 5t 6); lorsque Festus (480 L) - que nous
citerons dans le texte de Paul (481 L), mieux conservé - enseigne: Ί auras uaccas steriles dici
existimatur hoc de causa, quod non magis pariant quam tauri, on ne doit pas comprendre
que, pour lui, les tauri sont stériles; ce qui, simplement, leur est nié, c'est la fonction propre
à la femelle dans la reproduction, exprimée par le verbe technique pariant.
«TAVRVS» ET «BOS MAS» 117

(Religion und Kultus der Römer2, p. 413), Κ. Latte (Römische Religions


geschichte, p. 381) et G. Dumézil (Jovi tauro verre ariete immolari non
licet, dans REL, 39, 1961, 242-250), c'est l'inverse, le taurus étant non
châtré - comme le confirme son association, dans la formule d'Ateius
Capito et chez Festus, avec le verrat (uerres) et le bélier (aries) -, le bos
mas étant donc, par opposition, châtré.
Mais, comme l'a remarqué Κ. Krause (op. cit., c. 260), il serait bien
étrange que l'on eût précisément appelé mas un animal à qui on aurait
enlevé sa virilité, surtout alors qu'il existe dans la langue le mot semimas7;
de même, la présence de ce qualificatif empêche de voir dans bos mas un
terme générique pour tout bovin mâle, châtré ou non, le taurus étant spé
cialement l'animal entier. Faut-il alors admettre, avec ce dernier auteur,
que c'est taurus qui est le terme générique, bos mas s'appliquant à l'animal
non châtré? Mais comment concilier alors l'interdiction d'offrir à Jupiter
un taurus et la possibilité de lui offrir un bos mas, si l'extension du premier
terme englobe le second8?
* *

Aucune des interprétations reposant sur l'opposition châtré / non châtré


n'est donc exempte de difficultés. Il faut par conséquent essayer d'élargir
notre enquête en étudiant l'emploi de ces mots dans la littérature.

Les auteurs de traités d'élevage nous sont, malheureusement, d'un bien


faible secours. Ainsi, lorsque Varron (R.R., 2, 7, 15), à propos de la castra
tiondes chevaux, donne le nom des mâles châtrés de plusieurs espèces, il
ne mentionne pas les bovins: H (se. equi castrati) cantherii appellati, ut in

7 La terme semble couramment utilisé, aussi bien dans les traités d'élevage (Varron,
R.R., 3, 9, 3; Columelle, Rust., 8, 2, 3), que dans la littérature religieuse (Ovide, F., 1, 588).
Considérer comme équivalentes, en ce qui concerne la castration, les expressions bos mas et
seminas ouis, ainsi que le fait notamment G. Dumézil (op. cit., p. 249), nous semble totalement
injustifié, lorsqu'on lit par exemple chez Varron (Le): ex quis tribus generibus proprio nomine
uoeantur feminae quae sunt uillaticae gallinae, mares galli, capi semimares, qui sunt castrati.
8 Notons au passage que, malgré l'opinion de K. Krause {op. cit., c. 260), il n'y aurait en
soi rien d'étrange à ce que l'on sacrifiât des animaux châtrés à Jupiter, dieu nourricier et
fécondateur par excellence; G. Dumézil (op. cit.) a montré, en invoquant des faits indiens,
que la stérilité de la victime pouvait correspondre à une sorte de fécondité supérieure, qui
appartient en propre au dieu souverain - et l'on retrouve par exemple cette même conception, dans un
contexte tout différent, chez Clément d'Alexandrie (Protr., 1, 9, 2-5) paraphrasant Isaïe (54, 1).
Mais cette absence d'invraisemblance ne saurait tenir lieu d'indication positive.
118 GÉRARD CAPDEVILLE

subus maiales, gallis gallinaceis capi 9; les bovins manquent de même dans
la liste analogue de Paul (40 L), qui ajoute les ovins aux espèces précé
dentes: Cantherius hoc distai ab equo, quo maialis a uene, capo a gallo,
berbix ab ariete. Est enim cantherius equus, cui testiculi amputantur.
On est donc en droit de penser qu'aucun terme particulier n'existe
pour désigner le bovin châtré 10. De fait, lorsqu'un auteur a besoin d'opposer
expressément l'animal châtré à l'animal entier, il n'a d'autre ressource que
d'utiliser l'adjectif castratus; ainsi fait Columelle (Rust, 6, 20): neque enim
alio distai bonus taurus a castrato n, nisi quod huic torua faciès est. . . 12.

En dehors de la littérature spécialisée, on remarque que taurus a ten


dance à perdre de sa spécificité, notamment chez les poètes, où il apparaît
bien souvent comme un simple doublet « noble » de bos au sens général,
permettant à l'écrivain des variations d'expression et lui donnant plus de
liberté dans la confection de son vers. L'usage de Virgile est très révélateur
à cet égard, et cet auteur pourrait fournir une foule d'exemples; on se limi
tera ici à en examiner deux particulièrement nets.

9 De même, lorsqu'il traite de la castration des diverses espèces, Varron indique chaque
fois le nom de l'animal châtré: (L.L., 5, 98, 4) si cui oui mari testiculi dempti et ideo ui
natura uersa, uerbex declinatur; (R.R., 2, 4, 21) castrantur uerres commodissime anni culi ...
quo facto nomen mutant atque e uerribus dicuntur maiales; (R.R., 3, 9, 3) gallos castrant,
ut sint capi; il n'y a que pour les bovins (R.R., 2, 5, 17) qu'aucun nom n'est précisé.
10 Trio est un terme rare, que l'on ne trouve guère, en dehors d'un vers de Naevius
(p. 200, fg. 10 Marmorale2) cité par Isidore (Or., 12, 1, 30) que chez des grammairiens et des
lexicographes: Varron (L.L., 7, 74), Aulu-Gelle (N.A., 2, 21, 8), Festus (454 L), toujours à propos
de la constellation Septentriones; il est donné comme un mot de « bouvier », désignant le bœuf
de labour; ainsi chez Varron: triones enim et boues appellantur a bubulcis etiam nunc,
maxime cum arant terram; même si le trait spécifique semble surtout destiné à justifier l'étymo-
logie proposée - omnes qui terram arabant a terra terriones, unde triones ut dicerentur E
detrito - on peut noter que rien n'est dit sur l'état de leur virilité.
11 Nous ne pensons pas qu'il faille comprendre a castrato <tauro>, en sous-entendant
le substantif qui précède, comme le veut K. Krause (op. cit., c. 261), qui en fait un argument
en faveur de l'ambivalence de taurus; Columelle veut simplement opposer le «castrat» au
« bon taureau », au taureau de bonne race.
12 C'est ce même terme, au pluriel castrati, que, pour notre part, nous rétablirions volont
iers,éventuellement accompagné de boues, dans la troisième phrase du texte de Festus (372, 26 L)
sur les Solitaurilia, qui énumère, en opposition aux noms des animaux entiers (cf. supra, p. 115,
n. 1), les noms des animaux châtrés, phrase corrompue dans le manuscrit et que Lindsay écrit:
contra t ad... t uerbices maialesque, en indiquant en apparat la correction proposée par Müller
- dans son apparat seulement -: contrari boues; nous lirions donc: contra castrati (boues?)
uerbices maialesque.
«TAVRVS» ET «BOS MAS» 119

Dans les Géorgiques, l'utilisation de taurus pour désigner l'animal


laboureur est fréquente 13; ainsi dans la description des premiers travaux
au début du printemps (1, 45-46):
depresso incipiat iam turn taurus aratro
ingemere, et sulco adtritus splendescere uomer

et Servius commente cet emploi comme il convient: et taurum bouem for-


tissimum accipimus; nam tauri difficile ad aratra iunguntur14.
On voit donc qu'il n'est guère possible de savoir si un animal que
Virgile appelle taurus est entier ou non; on ne s'étonnera donc pas que,
dans notre second exemple, le même animal soit désigné alternativement
par iuuencus, taurus et bos; il s'agit, au cinquième chant de l'Enéide, du
prix qu'Enée offre au vainqueur du combat de ceste et qui est ainsi évoqué
au fil du récit:
v. 367 uictori uelatum auro uittisque iuuencum
v. 382 turn laeua taurum cornu tenet...
ν. 472 . . . palmam Entello taurumque relinquont
v. 473 hic uictor superans animis tauroque superbus
v. 477 dixit, et aduersi contra stetit ora iuuenci
v. 481 sternitur exanimisque tremens procumbit humi bos

Servius, là encore, justifie très bien cette variation, dans son commentaire
au dernier vers, par des motifs uniquement stylistiques: Cur cum de uno
loquatur, hic bouem, alibi iuuencum, alibi taurum appellai? sed uidetur
pro tempore ac diuersitate usus ideoque iuuencum ait.

* *

Ces usages poétiques, sans remettre en cause le sens précis de taurus,


confirment donc ce que suggèrent les textes techniques, à savoir que le mot
n'a en face de lui aucun terme contraire qui s'appliquerait directement à
l'animal châtré 15. Et comme, de toute façon, bos mas ne peut pas, comme

13 Outre le passage cité, mentionnons: 1, 65; 1, 210; 3, 515; cf. aussi B., 4, 41; Aen., 8, 316.
14 En d'autres passages, il est frappant que Servius, sans se donner, comme il est comp
réhensible, la peine de relever chaque fois l'emploi anormal du mot par Virgile, répugne à
l'employer pour son propre compte dans son commentaire; ainsi, à propos de la description de
l'épizootie du Norique, l'expression de Virgile (G., 3, 515-516): Ecce autetn duro fumans sub
uomere taurus / concidit est ainsi expliquée: per hoc ostendit etiam fortes tauros repente
morbo concidere; nemo enim pestilentem ad aratra ducit iuuencum (cf. G., 3, 517).
15 C'est pourquoi les auteurs éprouvent toujours une certaine difficulté à le désigner. Il
semble que le plus souvent ils utilisent bos seul (et non bos mas), le terme général pouvant,
120 GÉRARD CAPDEVILLE

nous l'avons dit plus haut, avoir ce sens, il faut bien chercher ailleurs que
dans une telle opposition la différence entre ces deux désignations que
postule l'usage liturgique.

La solution nous semble devoir être dans la distinction que E. Benvé-


niste (Le vocabulaire des institutions indo-européennes, I, Paris, 1969,
p. 21-25) a établie, au niveau du vocabulaire indo^ropéen, entre « mâle »
et «reproducteur», notions auxquelles correspondent respectivement les thèmes
*ers- et *wers- qui, à l'origine, ne concernent pas une race particulière: « l'un
désigne " le mâle " opposé à la femelle; l'autre désigne une fonction, celle
de reproducteur du troupeau et non une espèce comme le premier » (p. 24).
Certes, la distinction n'a pas toujours été conservée, et les termes primit
ifsont souvent fini par désigner le « mâle reproducteur » d'une espèce
particulière: c'est ainsi que l'ancien nom du « mâle » aboutit en latin à
aries, « bélier », tandis que l'ancien nom du « reproducteur » devient uenes,
« verrat ». Mais des traces de l'ancien état subsistent ou se recréent, très
nettes par exemple pour les caprins où le mâle est appelé caper, en parfaite
structure d'opposition morphologique avec le féminin capra, alors que le
reproducteur est appelé hircus 16.

On peut donc admettre pour les bovins un système analogue de désignat


ion,
enrichi même d'un terme supplémentaire pour la «reproductrice»: du

faute de mieux, représenter le seul type qui n'ait pas de nom spécifique: ainsi, lorsqu'après
avoir évoqué les bœufs de labour, Columelle {Rust, 6, 20) passe aux animaux destinés à la
reproduction, il écrit: Quoniam de bubus satis praecepimus, opportune de tauris uaccisque
dicemus. On rencontre aussi iuuencus, comme dans le texte de Servius cité à la note précé
dente ou chez Columelle (Rust, 2, 2, 26); pourtant le mot signifie proprement «jeune bovin»,
sans idée de castration, puisque dans la liste que donne Varron (R.R., 2, 5, 6, cité p. 121, n. 18)
des termes qui désignent les bovins selon l'âge, iuuencus précède taurus.
16 C'est certainement parce qu'il ne comprenait plus la distinction entre « mâle » et « repro
ducteur», bien faible en regard de l'opposition «non châtré» / «châtré», que Varron (ap. Gell.,
Ν. Α., 9, 9, 10), ne sachant comment différencier caper de hircus, attribue au premier le sens
de «caprin mâle châtré»: is demum latine caper dicitur, qui excastratus est; mais, à part un
vers de Martial (3, 24, 14: dum iugulas hircum, factus es ipse caper), qui devait se souvenir
de l'opinion de Varron, tous les emplois du mot contredisent cette affirmation, à commencer
par le vers de Virgile (B., 9, 25) qu'Aulu-Gelle croit précisément pouvoir critiquer sous l'autorité
du grammairien (cf. les exemples du Thesaurus). Plutôt qu'une «différence de sens... d'origine
dialectale » que suggère bien gratuitement le Dictionnaire étymologique d'A. Ernout et A. Meillet
(s.u. caper, p. 94), il est préférable de voir dans l'erreur de Varron la marque de l'effacement
d'une opposition affaiblie en face d'une opposition plus forte.
«TAVRVS» ET «BOS MAS» 121

point de vue de la simple définition sexuelle, bos mas et bos femina 17,
du point de vue de la fonction de reproduction, taurus et uacca18. Mais,
dira-t-on, sur le plan pratique, à quoi correspond cette distinction? Un même
animal peut sans doute être appelé bos mas ou taurus selon qu'on envisage
sa nature ou sa fonction, mais ce sera toujours le même animal; comment
dès lors pourrait-il être licite de le sacrifier à Jupiter sous un nom et interdit
sous l'autre?
En fait, puisque taurus désigne une fonction et non un genre, c'est
uniquement par rapport à l'accomplissement de cette fonction que peut
s'appliquer l'interdit fixé par la loi religieuse; le bos mas qu'agrée le dieu
souverain doit être un animal pleinement adulte, et pleinement mâle, mas,
mais qui n'est pas taurus parce qu'il n'a jamais été utilisé pour la repro
duction. On peut penser qu'il s'agit d'animaux spécialement sélectionnés et
élevés pour les autels 19 ou encore de jeunes mâles sacrifiés juste avant
l'époque des saillies 20. N'est-ce pas là, justement, ce que veulent nous expli
quer, avec un vocabulaire approximatif, Servius (Aen., 3, 21) 21 et Isidore
(Or., 12, 1, 28) 22, dans deux textes voisins, où ils affirment qu'on ne sacri-

17 Le thème bos, comme ouis, ne se prêtant pas à la distinction morphologique d'un


masculin et d'un féminin, comme caper / capra ou equus / equa, il a fallu recourir aux adjectifs
mas et femina; mais dans chacun des quatre couples le rapport entre les termes est le même,
et le bos mas n'est pas plus châtré que le caper.
18 Cf. Varron (R.R., 2, 5, 6): Primum in bubulo genere aetatis gradus dicuntur quattuor,
prima uitulorum, secunda iuuencorum, tertia boum nouellorum, quarta uetulorum. Discernun-
tur in prima uitulus et uitula, in secunda iuuencus et iuuenca, in tertia et quarta taurus et
uacca. Dans les deux premiers âges de la vie, antérieurs à la période de reproduction, les
termes ne désignent que la nature des animaux et s'opposent simplement comme «masculins»
et «féminins»; dans les deux âges suivants, où les animaux sont aptes à la reproduction, leurs
noms les désignent spécifiquement comme reproducteurs et relèvent de formations différentes
(taura, féminin morphologique de taurus, est en dehors du système).
19 Selon Virgile (G., 3, 159-161), on doit répartir les veaux en trois catégories, reproducteurs,
victimes de sacrifice, laboureurs: et quos aut pecari malint submittere habendo / aut aris
servare sacros aut scindere terram / et campum horrentem fractis inuertere glaebis.
20 Varron (R.R., 2, 5, 17) et Columelle (Rust, 6, 26, 2) indiquent que les bovins sont
châtrés ordinairement à deux ans; le premier indique que les taureaux sont aptes à la repro
duction à partir d'un an, le second conseille d'attendre qu'ils aient quatre ans, afin qu'ils soient
plus robustes. Il y a donc normalement une période d'environ un an où tous les animaux sont
adultes et non encore châtrés: c'est parmi eux que l'on peut choisir les victimes pour Jupiter
en les écartant de la reproduction.
21 Vbique enim Ioui iuuencum legimus immolatum... Ν am in uictimis etiam aetas est
consideranda.
22 Iuuencus dictus... quia apud gentiles Ioui semper ubique iuuencus immolabatur,
numquam taurus. Nam in uictimis etiam aetas consider ab atur.
122 GÉRARD CAPDEVILLE

fie pas de tauri à Jupiter, mais seulement des irnienti, « car dans les victimes
l'âge aussi doit être pris en considération »?

L'interprétation que nous proposons nous paraît susceptible de résoudre


plusieurs difficultés qui résistent aux explications traditionnelles. Elle permet
tout d'abord de mieux comprendre le deuxième élément du règlement con
servé par Macrobe (Sat, 3, 10, 7): Si quis forte tauro Ioui fecerit, piaculum
dato. Bien sûr, nous n'oublions pas que le juridisme étroit des Romains a
toujours pris plaisir à prévoir toutes les situations possibles, même les plus
invraisemblables, et il est assez normal qu'à l'énoncé d'une interdiction
s'ajoute la mention de la conduite à observer en cas de transgression; il
reste que cette transgression est plus facile à envisager si le critère n'était
pas immédiatement visible - comme le serait la castration de l'animal -
et ce, même si la règle était connue du moindre gardien de temple23.

En outre, s'exprimant en un vocabulaire mal adapté et reposant sur


une distinction que la langue avait du mal à conserver, la prescription
rituelle qui interdisait un taurus à Jupiter mais autorisait un bos mas,
pouvait peut-être garder toute sa valeur pour des théologiens érudits comme
les interlocuteurs des Saturnales ou les prêtres et leurs acolytes, mais ri
squait bien de n'être plus perçue par les fidèles: c'est sans doute attribuer
à Virgile - dont on a noté plus haut la liberté avec laquelle il choisissait
ses mots en la matière - une subtilité imméritée, que de croire, avec le
Pretextatus de Macrobe, qu'il n'a fait sacrifier par Enée un taureau à Jupiter
que pour justifier par avance le prodige qui s'ensuit24. Et ne lit-on pas chez
Juvénal (12, 5-16), fêtant le retour d'un ami, le regret de n'être pas assez
riche pour offrir en cette occasion un taurus à Jupiter Tarpéien25?

23 Critiquant l'ignorance supposée de Virgile en la matière, Evangelus, l'un des interlocu


teurs des Saturnales de Macrobe (3, 10, 4), s'écrie: Ecce pontifex tuus quid apud quas aras
mactetur ignorât, cum uel aedituis haec nota sint et ueterum non tacuerit industria.
24 D'autant que ce prodige des larmes de sang s'explique indépendamment du sacrifice,
par le fait que les tiges qu'Enée cherche à arracher sont en fait les traits qui percent le cadavre
enseveli de Polydore.
25 II n'y a pas lieu non plus de supposer, comme on le fait parfois, que Jupiter Latiaris,
sur le mont Albain, fût le seul Jupiter à qui l'on sacrifiât des tauri, d'après un unique témoignage
d'Arnobe (Nat., 2, 68): In Albano antiquitus monte nullus alios licebat quam niuei tauros
immolare candoris: nonne istum morem religionemque mutastis atque, ut rufulos liceret dari,
senatus constitutum sanctiöne? Lorsqu'on lit ailleurs chez le même auteur (Nat., 7, 21), sans
référence à un culte particulier de Jupiter: quid adplicitum Iuppiter ad tauri habeat sanguinem,
ut ei debeat immolari, on se rend bien compte qu'on ne peut pas demander au polémiste
«TAVRVS» ET «BOS MAS» 123

II nous semble enfin que l'on peut faire disparaître une contradiction
qu'ont relevée tous les auteurs qui ont abordé ce problème. Tout ce que
nous avons dit pour les bovins vaut certainement pour les autres espèces,
et la règle d'Ateius Capito mentionne d'ailleurs expressément le bélier et le
verrat; or l'ingénieux Pretextatus qui la cite, indique plus haut (Macr., Sat,
1, 16, 30), sans gêne apparente, que, selon Granius Licinianus, la flaminica
sacrifie un bélier, aries, à Jupiter, le jour des nundines26: faut-il, avec par
exemple G. Dumézil (op. cit., p. 244), « admettre deux écoles de ritualistes »?
Ce serait bien étrange, la règle générale aussi bien que le sacrifice des nun
dines ayant tout l'air d'appartenir également au plus ancien fond de la rel
igion nationale. N'est-il pas plus simple de considérer que, évoquant le sacri
ficede la flaminica non pour lui-même mais simplement comme critère pour
savoir si les nundines sont ou non un véritable jour de fête, Granius Lici
nianus emploie le langage courant qui ne sait pas plus distinguer entre ouis
mas et aries qu'entre bos mas et taurus27?

* *
Le précepte bien connu concernant les victimes de Jupiter nous paraît
donc devoir être compris à partir d'une opposition différente de celle que
l'on admet couramment, opposition correspondant à un état archaïque de la
langue et des conceptions en matière d'élevage. Conservée, comme il est
naturel, dans l'enseignement religieux traditionnel par le biais d'une régl
ementation rituelle, cette opposition, non soutenue par une structure li
nguistique claire, a fini par échapper aux usagers et par ne plus se révéler,
en somme, que par quelques incohérences. Ce sont elles qui, par la résistance
qu'elles opposent aux exégèses habituelles, nous semblent légitimer une
hypothèse qui essaye de les surmonter.

chrétien d'être plus précis en la matière que ses devanciers païens; au reste, dans le premier
texte, c'est la couleur des animaux qui l'intéresse et non leur détermination sexuelle; dans
le second, c'est l'espèce.
26 Causant uero huius uarietatis [sur le caractère de fête des nundines] apud Granium
Licinianum libro secundo diligens lector inueniet. Ait enim nundinas louis ferias esse, siquidem
flaminica omnibus nundinis in regia Ioui arietem soleat immolare, sed lege Hortensia effectum
ut fastae essent, uti rustici, qui nundinandi causa in urbem ueniebant, Utes componerent.
27 Selon Columelle (Rust, 7, 4, 4), les agneaux sont châtrés à deux ans, avant qu'ils soient
propres à la reproduction: Prius quam feminas inire possint, mares castrati, cum bimatum
expleuerunt; on ne trouvait donc guère d'ovin mâle adulte non châtré en dehors de ceux qui
étaient réservés à la reproduction, au contraire de ce qui se passait pour les bovins (cf. supra,
p. 121, n. 20); c'est peut-être ce qui explique que l'on ne pouvait guère sacrifier à Jupiter
comme adultes non reproducteurs que des animaux châtrés, ainsi que l'indique Ovide (F., 1,
587-588) à propos du sacrifice des Ides de janvier: Idibus in magni castus louis aede sacer-
dos / semimaris flammis uiscera libat ouis.
ANDRÉ CHASTAGNOL

CONFECTURARII»

La sympathique corporation des charcutiers de Rome nous est connue


pour l'essentiel par une inscription qui fut découverte au Célius en 1561
dans les jardins du monastère de San Stefano Rotondo, à proximité de
l'ancienne église de San Erasmo. Il s'agit d'une base de statue dédiée - selon
la lecture retenue par W. Henzen et ses collaborateurs (au CIL, VI 1690) * -
par le corpus suariorum et confectuariorum, en l'an 340 de notre ère ou
peu après, en l'honneur d'un grand aristocrate de la Ville, L. Aradius Valerius
Proculus signo Populonius, qui, après avoir géré la préfecture de Rome
en 337-338, fut précisément consul ordinaire en 340 2. On a reconnu depuis
longtemps que le lieu de la trouvaille s'identifie, de manière assurée, à la
domus familiale de ce personnage, l'opulente maison des Valerli, celle même
qui fut mise en vente sans succès dans la première décennie du Ve siècle
par ceux qui la possédaient alors, Valerius Pinianus et son épouse Valeria
Melania (sainte Melanie la jeune), et fut finalement en partie brûlée lors
du passage des Wisigoths d'Alaric en 410, puis cédée à un acheteur « pour
moins que rien » 3. Le terrain, appelé « vigna di san Spirito », et ce qui
restait de la domus Valeriorum furent transformés et devinrent le monastère et
l'oratoire de San Erasmo dans le cours du VIe siècle4.

1 L'inscription est reproduite dans Dessau, ILS, 1240.


2 Sur le personnage, A. Chastagnol, Les Fastes de la Préfecture de Rome au Bas-Empire,
Paris, 1962, pp. 96-102; PLRE, I, pp. 747-748, Proculus 11.
3 Gerontius, Vie de sainte Melanie, 14 (Ed. D. Gorge, coll. «Sources chrétiennes», n. 90,
Paris, 1962, pp. 154-157).
4 Cf. G.-B. De Rossi, dans Bullettino di Archeologia Cristiana, VI, 1868, p. 34; du même
auteur, La casa dei Valerti e il monastero di San Erasmo, dans Studi e documenti di storia
e diritto, VII, 1886, pp. 235-243; G. Gatti, La casa caelimontana dei Valerli, dans Bullettino
Comunale, 1902, pp. 145-163.
126 ANDRÉ CHASTAGNOL

A la suite des noms et du cursus honorum de Valerius Proculus, la


dédicace de l'inscription se présente sur trois lignes, tout à fait à la fin
du texte, dans la forme suivante selon la transcription du Corpus:

Huic corpus suariorum et confectuariorum


auctoribus patronis ex affectu eidem jure debito
statuant patrono digno ponendam censuit.

A partir de là, le nom de cette corporation, sous la forme confectuarii,


est passé dans les dictionnaires courants, en dernier lieu le « Gaffiot », dans
le Thesaurus Linguae Latinae et, plus généralement, dans tous les ouvrages
qui se sont intéressés aux collèges professionnels romains, à commencer
par celui de Jean-Pierre Waltzing5, qui demeure l'étude fondamentale,
jusques et y compris . . . ma propre thèse sur la Préfecture urbaine 6.
Or la pierre est conservée. Elle est en effet exposée, à peu de distance
du lieu de la trouvaille, au fond du jardin public de la Villa Caelimontana.
C'est un calcaire blanc très dur sur lequel les lettres sont fort bien gravées,
et la lecture en est d'autant plus aisée qu'elles ont été soulignées par un
enduit peint au minium à date ancienne. La photographie de détail ci-jointe,
prise par moi-même, garantit sans la moindre hésitation qu'il faut lire le
nom de la corporation sous la forme confecturariorum et non pas confec
tuariorum.
Cette erreur, portant sur une seule lettre (un R oublié), est à mettre
au passif du seul Corpus et paraît être due à une inattention excusable
de Henzen. Car toutes les publications antérieures à 1876 avaient donné
la bonne lecture. J'ai pu le vérifier en particulier pour les textes fournis
par Juste-Lipse (en fait Martin De Smet, dit Smetius) en 1588 7, par Marquard
Gude (Gudius), qui précise: Nunc extat in hortis Caelimontanis Mat-
thaeorum ad portant, vidi et contuli, puis par Janus Gruter en 1707 8 et,
en dernier lieu, par le recueil de C. Orelli en 1828 9.

5 J.-P. Waltzing, Etude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains
depuis les origines jusqu'à la chute de l'Empire d'Occident, t. II, Louvain, 1896, pp. 94 et 370.
6 A. Chastagnol, La Préfecture urbaine à Rome sous le Bas-Empire, Paris, 1960, p. 462.
7 Juste-Lipse, Inscriptionum antiquarum quae passim per Europam liber, Leyde, 1588,
fol. 69, 9.
8 I. Gruter, Corpus inscriptionum, t. I, 2e partie, Amsterdam, 1707, p. 361, 1, avec
les notes de Gudius.
9 C. Orelli, Inscriptionum Latinarum Selectarum Amplissima Collectio, t. II, Turin, 1828,
n. 3672, p. 145.
« CONFECTURARII » 127

II est vrai que Gudius, dans une adnotatio reproduite par Gruter, avait
soupçonné une erreur de transcription et proposé de corriger le texte:
Confecturarii sive potius confectuarii videntur qui carnes suillas aliasque
sive muria condiebant sive fumo indurabant. Cette emendation se fondait
sur la pensée que le nom de la corporation était forgé sur le verbe conficere
et son supin confectum: Id enim conficere Latini auctores appellant; sont
alors invoqués des témoignages, incontestables pour ce qui est du verbe
conficere en ce sens: notamment Columelle (XII, 53, 1), Pline l'Ancien
(N.H., II, 9, 19; XI, 38; XII, 4, 5; 18, 4; 52, 1; XVIII, 32) et surtout
Palladius, qui l'emploie, au Ve siècle, pour le jambon et le lard (XIII, 6:
pernas et lardum conficimus) . Il se peut que Henzen ait été influencé
par cette observation. Toutefois, le lemme et le commentaire dans le Corpus
ne s'y réfèrent pas expressément, et l'éditeur n'a signalé nulle part que le
texte qu'il fournissait n'était pas conforme à celui qu'on lisait sur la pierre;
rien n'indique qu'il ait sciemment corrigé l'orthographe du mot qui était
effectivement gravé.
Il vaut donc la peine de se demander si la correction proposée par
Gudius et implicitement ou inconsciemment acceptée par Henzen est justifiée.
Il est hors de doute, à mon avis, qu'elle ne l'est pas, et cela pour deux raisons.
D'abord, le nom de la corporation est fourni par une seconde inscription
qui est l'épitaphe très simple placée sur un loculus du cimetière de Cyriaque,
pour marquer la tombe du charcutier Fortunatus: Locus Fortinati confectorari
{CIL VI 9278) 10. L'orthographe populaire confectorari au lieu de confecturari,
comme d'ailleurs Fortinati pour Fortunati, est ici inspirée de la prononciat
ion vulgaire de l'époque, mais ne doit pas nous faire douter que la forme
correcte était bien confecturari(i) et non pas confectuari(i). Le premier R
du mot se prononçait bel et bien et figurait incontestablement dans le nom
de la corporation. La seconde inscription confirme donc pleinement la
première sur ce point précis.
En second lieu, les noms de métiers, très nombreux, qui se terminaient
par la désinence -arius étaient presque tous formés sur un substantif, non
sur un verbe et son supin. Prenons quelques exemples.

10 O. Marucchi, / monumenti del Museo Cristiano Pio-Lateranense, Milan, 1910, pi. 55,
21; Diehl, ILCV, 625. L. A. Muratori, Novus thesaurus veterum inscriptionum, t. II, Milan,
1740, p. 954, 5, et Orelli, 4167, donnent à tort la leçon Fortunati. C'est en se fondant sur ce
texte que le nouvel Oxford Latin Dictionary, fase. II (1969), p. 397, présente son article
Confectorarius.
128 ANDRÉ CHASTAGNOL

- D'abord pour des substantifs féminins de la première déclinaison:


bastagarius (sur bastaga, un type de transport), coronarius (sur corona,
couronne), navicularius (sur navicula, petit bateau), serrarius (sur serra,
scie), tabernarius (sur taberna, auberge), vecturarius (sur vectura, transport,
voiture).
- Puis pour des substantifs masculins de la seconde déclinaison:
anularius (sur anulus, anneau), lupinarius (sur lupinus, lupin), nummularius
(sur nummulus, petite pièce de monnaie), pastillarius (sur pastillus, petit
gâteau).
- Pour des substantifs neutres de la seconde déclinaison: argentarius
(sur argentum, argent), carpentarius (sur carpentum, char), coriarius (sur
corium, cuir), dulciarius (sur dulcium, gâteau), ferrarius (sur ferrum, fer),
frumentarius (sur frumentum, blé), pavimentarius (sur pavimentum, dalle),
sagarius (sur sagum, saie), sandaliarius (sur sandalium, sandale), specularius
(sur speculum, miroir).
- Enfin pour des substantifs de la troisième déclinaison: aromatarius
(sur aroma, parfum), centonarius (sur cento, édredon), eburarius (sur eòwr,
ivoire), marmorarius (sur marmor, marbre), suarius (sur sws, porc).
Seuls font exception, à ma connaissance, un nom formé sur un adjectif:
magnarius, marchand en gros (sur magnus), - et un sur un verbe: col-
lectarius, changeur (sur le supin collectum de colligere). Par suite - et
surtout si l'on se réfère aux vecturarii, voituriers de la chaux, étant donné
que leur nom se termine aussi en -urarii et qu'ils n'apparaissent également
qu'au IVe siècle n - on ne peut échapper à la conclusion que nos charcutiers
du IVe siècle, les conjecturarii, tiraient leur nom, non pas - au moins de
façon directe - du verbe conficere et de son supin confectum, mais bien
plutôt du substantif féminin de la première déclinaison, conjectura. Les
conjecturarii sont ceux qui fabriquent et qui vendent la conjectura.
Le mot conjectura n'est nullement un inconnu en latin. Il est employé
à maintes reprises par Columelle et Pline l'Ancien pour désigner la « confec
tion » ou la « fabrication » du sel, du miel, du nitre, du bleu et du papier 12.
Ce terme vague, qui peut s'appliquer à n'importe quel produit faisant l'objet
d'une préparation ou d'un travail créateur, devait donc se référer au

11 C. Theod., XIV, 6, 1 en 359, et 3 en 365; Nov. Valent, 5, § 4 en 440, Sur tous


ces noms en -arius, M. Leumann, Lateinische Laut- und Formenlehre, Munich, 1963, pp. 211-
212, qui suggère d'ailleurs que magnarius pourrait dériver d'un magnalïarius.
12 Colum., IX, 4, 5 pour le miel; Pline, H.N., I, 31, 39 («Budé», I, p. 143) pour le sel;
I, 31, 46 (même page) pour le nitre; XIII, 23 (12), 75 (XIII, p. 42) pour le papier; XXXIII,
57, 161 pour le bleu.
«CONFECTURARII» 129

IVe siècle, de manière plus particulière, aux « cochonnailles » diverses, aux


préparations de charcuterie. Par ailleurs, un glossaire nous affirme qu'on
appelait confector<i>um le χοιροσφαγεΐον 13, c'est-à-dire l'abattoir des porcs;
aussi pouvons-nous admettre que le confecturarius abattait les bêtes, puis
fabriquait les produits de charcuterie, abattoir, salle de préparation et lieu
de vente étant sans doute réunis, normalement, dans un même local ou
en des locaux voisins. Non sélectif au départ, le mot conjectura en est
venu à désigner un ensemble de produits très précis, tels que saucisses,
boudin, jambon, lard, ... La même évolution sémantique s'est appliquée
au fond à des mots français de même origine: la « confection » n'est plus
que celle des vêtements, et la « confiture » (dérivé exact de conjectura,
mais par l'intermédiaire du verbe français « confire ») la préparation des seuls
fruits. A tout prendre, les conjecturarii sont très proches étymologiquement
de nos « confituriers ». Ils sont donc spécialisés dans la préparation et
l'aménagement de la viande de porc et des produits qui en viennent; très
logiquement, ils procèdent auparavant eux-mêmes à l'abattage, la mise à
mort des cochons.
L'inscription du Célius insiste à bon droit sur le lien qui unit les
conjecturarii aux suarii. Elle établit même, dans la pratique, que les uns
et les autres constituent une seule et unique corporation. Les suarii sont
plus particulièrement les acheteurs, importateurs et marchands de porcs, et,
parmi eux, les conjecturarii sont les abatteurs, les préparateurs de la charcut
erie et les détaillants. Le corps des suarii et conjecturarii a non seulement
les mêmes patrons protecteurs choisis dans l'aristocratie, ici Valerius
Proculus, qualifié de patronus dignus, mais aussi les mêmes chefs élus parmi
eux, les premiers membres de la corporation, également appelés patroni,
qui ont présidé, en tant qu'auctores, à la mise en place de la statue dans
la domus Valeriorum, exécutant ainsi la décision prise par l'ensemble du
collège.
La pierre de Valerius Proculus est remarquable en outre par plusieurs
de ses caractères externes, notamment par son ordinatio. En dehors du
signum Populonius, bien isolé au-dessus du champ épigraphique, les noms du
personnage occupent toute la première ligne, puis chaque fonction, quelle
que soit la longueur de sa dénomination, se voit réservée une ligne, sauf
le grand complexe africain qui occupe les lignes 15-20 14. Ensuite, le cursus

13 Corporus Glossariorum Latinorum, II, 477, 48 (Ed. G. Goetz, Thesaurus Glossarum


emendatarum, t. I, 1, Leipzig, 1899, p. 253).
14 Sur ce complexe administratif africain, A. Chastagnol, dans Revue des Etudes Anciennes,
LXX, 1968, pp. 344-345.
130 ANDRÉ CHASTAGNOL

honorum une fois achevé, un grand espace blanc est réservé avant qu'aient
été gravées les trois dernières lignes qui constituent la dédicace propre
mentdite.
Or, dans cet espace libre, la photographie de détail jointe à cet article
montre qu'on a beaucoup plus tard légèrement gravé ou plutôt dessiné et
peint une autre inscription qui a été ensuite grattée et effacée avec soin.
Le texte en apparaît avec netteté sur le cliché que je fournis; on lit sans
aucun doute: PORCO DEO. Cette ligne rajoutée ne se voit pratiquement
pas à l'œil nu, et c'est pourquoi elle a échappé jusqu'ici à tous les éditeurs.
Il s'agit, semble-t-il, d'un juron en latin ou plutôt déjà en italien médiéval
qui n'a certes rien à voir avec l'inscription antérieure, mais est adapté à
son texte dans la mesure où cette dernière concerne les marchands de porcs
et charcutiers, signalés immédiatement en-dessous de ce quasi-graffito. Les
lettres de la ligne ainsi rajoutée sont plus grandes et plus irrégulières que
les autres; elles vont en diminuant progressivement de hauteur et en des
cendant un peu vers la droite. M. Jean Mallon, que j'ai consulté sur ce
point, inclinerait à dater ce juron du VIe ou du VIIe siècle, d'après la forme
des lettres, surtout le C et le E, mais il n'est pas impossible que sa mise en
place ait été encore plus tardive; il ne croit cependant pas qu'il soit postérieur
à la redécouverte de la pierre au XVIe siècle encore que l'éventualité n'en
soit pas entièrement exclue 15. Quoi qu'il en soit, la perplexité et la prudence
s'imposent pour interpréter cette ligne qui s'est révélée à nous d'une façon
aussi inattendue.
C'est avec une très amicale déférence que je dédie ce modeste essai
à M. Jacques Heurgon. Il me pardonnera d'avoir porté mon attention vers
une époque plus tardive que celle à laquelle il a voué toute son énergie.
La présente contribution a du moins le mérite de mettre en jeu à la fois
l'histoire économique, l'épigraphie et la philologie latine, trois disciplines
que ce grand savant a si bien illustrées dans toute son œuvre, consacrée
avec tant de talent à l'évolution et à la civilisation des peuples italiques.
Après tout, j'ose croire que les charcutiers de Rome, même s'il s'agit seul
ement de la forme où ils sont attestés au IVe siècle de l'ère chrétienne, ne
sont pas tellement étrangers à ses goûts et ses préoccupations.

15 Mon collègue italianisant Cl. Margueron m'assure que ce type de juron est fréquent
en italien médiéval. En italien, deo alterne avec dio aux XHP-XVr siècles. Une inscription
de San Clemente de Rome porte, sur une fresque, au XIe siècle: Fili de le pute. Le juron
Porca la madonna existe encore de nos jours.
CONFECTURARII 131

Fig. 1 - L'inscription de Valerius Proculus, CIL VI 1690.

CONSVU-ORDINAMO ·

Fig. 2 - La même inscription (détail).


JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE

STRUCTURES PHONIQUES DOMINANTES


DANS LES «ARATEA» DE CICÉRON

On doit à J. Soubiran, dans sa belle édition des Aratea, une évaluation


précise des mérites de Cicéron poète \ Si la puissance du génie poétique
fut refusée au maître de la prose latine, comme versificateur, en revanche,
il manifeste, au prix d'automatismes d'écriture le conduisant à abuser des
répétitions et des schémas stéréotypés, une maîtrise, des exigences et une
rigueur techniques qui annoncent déjà Virgile.
Ses fins d'hexamètre paraissent, à cet égard, remarquables. Les combi
naisons étrangères aux trois types condere gentem, conde sepulcro, gente
tot annos sont reléguées, dès les Aratea, à un rôle mineur et constituent
moins de 8% de ses clausules2. Mais la présence, au dactyle cinquième,
de 48 exemples de lumine (-na, -nis), auxquels il faut ajouter un contingent
analogue de 42 corpore {-ra, -ris), est l'un des mécanismes d'écriture qui
permettent à Cicéron d'atteindre ce résultat.
Que deux mots interviennent, à eux seuls, dans 90 clausules des quelque
550 vers des Phaenomena ne saurait néanmoins, croyons-nous, s'expliquer
entièrement par la seule raideur d'un poète puriste, incapable de varier
les formules compatibles avec le cadre structurel sévère qu'il s'impose.
Une autre raison, plus profonde, peut aussi avoir joué. Ne serait-ce pas
que Cicéron a voulu faire de ces deux termes, situés en plein éclairage à
ce repère essentiel du vers, la source de correspondances phoniques
insistantes qui donneraient sa coloration majeure au poème? Telle est,
du moins, l'hypothèse que l'on voudrait examiner ici.

1 J. Soubiran, Cicéron. Aratea, Fragments poétiques, coll. des Universités de France,


1972. Voir p. 69 à 105 et, plus particulièrement, les dix dernières.
2 Voir J. Soubiran, o. c, p. 103.
134 JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE

Rappelons, tout d'abord, qu'en règle générale des répétitions de sons


ne forment une dominante phonique du vers qu'à trois conditions3. Elles
doivent:
1) Mettre en jeu un groupement d'au moins deux phonèmes: CV
(Ph. 81 corpore condit), VC (Ph. jr. XV, 2 corpore torto), CC (Ph. 265 corpore
cursus) qui soient la reproduction totale (Ph. 220 corpore Coruus) ou par
tielle (cf. les trois premiers exemples) de la structure d'une séquence mono -
ou plurisyllabique donnée.
2) Prendre place à une articulation structurale du mètre considéré
(temps fort; début d'hémistiche; clausule, etc.).
3) Dessiner une figure phonique précise4 ou être l'élément d'une
construction d'ensemble systématique et concertée.

Quant au niveau d'agencement auquel interviennent les figures phoniques,


il dépend de l'ambition du poète 5 et de la forme d'organisation qui a,
actuellement, sa préférence.

3 Cf. mon article Pour une étude de la structure phonique du vers: la clausule de
l'hexamètre, REA, LXXVI, 1974, p. 5-28 et, plus spécialement, p. 6-7.
4 Cf. ma « typologie » de la clausule {art. cité, p. 7-8), où j'ai dégagé, en suivant la ligne
du schéma métrique, deux jeux complémentaires de figures phoniques:
1) Figures dissyllabiques:
Deux phonèmes CV, VC ou CC reviennent ensemble d'une longue à une autre longue.
Rythmique k.r k.r cornua cerui
Encadrante .os .os poscere uentos
Conclusive ki. ki laude pacisci
2) Figures trisyllabiques:
Deux consonnes, chacune à l'attaque d'une syllabe brève différente, forment ensemble
l'armature consonantique d'une syllabe longue.
Fermante t. r. t.r peciore faiur
Liante m. n. m. η fragrarne raootis
Structurante t.k t. k. tecta columnis
5 Parmi les «modernes», Mallarmé et Valéry ont conçu et réalisé dans ce domaine des
constructions d'un raffinement inouï. Elles représentent un essai de transposition à la poésie
des savants agencements et des principales exigences de l'écriture musicale (voir à ce sujet
mes deux articles: L'architecture secrète de Γ «Ouverture ancienne» et Equilibres mallarméens,
dans Europe, Avril-Mai 1976). Mais on trouve déjà, chez Virgile, des organisations phoniques
très élaborées, assurant l'unité de tout un passage (cf. mon étude Echos et résonances au
début de la dixième bucolique, Mélanges P. Boyancé, Coll. Ecole Fr. de Rome, 22, 1974, p. 173-180).
STRUCTURES PHONIQUES DOMINANTES 135

Les unes, de portée limitée, ne sortent pas du cadre d'un vers unique
et peuvent même n'affecter qu'une partie de ce vers, par exemple, le deuxième
hémistiche, voire la seule clausule:
I - V Ph. 54 Fortis Equi propter pinnati corporis alam
III - V 441 Nam retinent Arctoe /wstrantes Zwmine summo
V - VI 37 Hae tenues paruo labentes lumine lucent

D'autres, au contraire, se donnant du champ, se distribuent sur deux


vers différents:
Ph. fr. VIII, 2-3 Toruu' Draco serpit supter superaque reuoluens
Sese, conficiensque sinus e corpore flexos

Parfois enfin, c'est sur une suite de trois ou quatre vers (et même
davantage: v. infra, p. 11-14) que se développe une même figure phonique:
Ph. 455-457 Iam caput et summum flexo de corpore lumen.
Hic ille exoritur conuerso corpore Nixus,
Aluum, crura, umeros simul et praecordia lustrans.

Ces points de méthode ainsi posés, il reste à établir qu'un nombre


appréciable des 90 occurrences au dactyle V des deux mots corpore et
lumine trouvent dans leur voisinage proche ou immédiat, aux divers niveaux
de mise en œuvre que nous venons de distinguer, un ou plusieurs autres
termes qui leur fassent écho et dessinent avec eux une figure ou un ensemble
phonique construit. Or, c'est effectivement le cas pour 34 emplois de corpore
(-ra, -ris) sur 42 et 25 exemples de lumine {-na, -nis) sur 48, soit une
proportion globale de près de 66% 6.

6 Le nombre moins élevé de lumine (-na, -nis) intégrés à une figure phonique tient
à la structure même de la première syllabe de ce mot. Réduite à deux phonèmes (lu), elle
ne pouvait entretenir de relations phoniques qu'avec une seule série de mots, ceux qui, aux
temps forts du vers, présentaient eux-mêmes ce couple CV (iwcent, colZucens, Zwcibus, il/wstria,
luna, fi/Zgens, Zwstrans, etc.). A l'inverse, corpore {-ra, -ris) devait aux trois phonèmes de sa
syllabe initiale d'entrer dans trois séries de correspondances possibles, selon la forme de r
eproduction partielle (CV.; .VC; C.C) dont cette syllabe était l'objet. Latitude que Cicéron ne
s'est pas fait faute d'exploiter:
CV Ph. 81 corpore condii
VC Ph. fr. XV, 2 corpore torto
CC Ph. 265 corpore cursus
Mais s'ils sont moins nombreux, les partenaires de lumine, dans la mesure où ils regrou
pent,pour la plupart, des mots exprimant eux-mêmes l'idée d'éclat, de lumière et de rayon-
136 JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE

FIGURES RÉALISÉES SUR UN SEUL VERS

Sur les 66 figures phoniques 7 auxquelles participent lumine et corpore,


43, soit environ les deux tiers, se réalisent dans les limites d'un vers unique.

1. V-VI: 23 ex.

Des quatre groupements de pieds (I-V; III-V; IV-V; V-VI) qu'opère


la distribution des récurrences (les phonèmes constitutifs de la figure
apparaissant dans un pied pour revenir dans un autre), l'un d'eux reven
dique à lui seul plus de la moitié des exemples (23 ex.). Il s'agit du
couple final de l'hexamètre. Ainsi l'usage de Cicéron confirme-t-il que la
clausule est bien, pour la mise en place de structures sonores, ce lieu
privilégié que son statut laissait attendre 8. Il n'est pas moins significatif
qu'une fois sur deux (dans 12 ex. sur 23) se soit imposée au poète, parmi
toutes les figures possibles à la clausule (cf. supra, p. 2, n. 4), celle qui,
attribuant le même groupe de sons aux deux temps forts (les longums V
et VI), donnait au rythme final du vers une insistance et un relief particuliers9:
Type rythmique: 12 ex.
Ph. 220 Extremam nitens piumato corpore Coruus
247 Nec pieno Stellas super ardet Zwmine luna
(autres ex.: Ph. fr. XV, 2 corpore torto; Ph. 81 corpore condit; 265 corpore

nement, forment avec lui dans le poème des figures organiquement plus riches, où paraîtra
se réaliser, par la vertu d'une double affinité sémantique et phonique, cet accord parfait du
son et du sens qui est la visée permanente de tout poète (v. là-dessus mon article de la
REA, p. 21-23).
7 Si le nombre des figures phoniques (66) est supérieur à celui des occurrences des deux
mots dont elles procèdent (59), c'est parce qu'un même emploi de l'un ou l'autre terme est
susceptible d'entrer simultanément dans deux figures de même niveau ou de niveau différent.
Au vers 332, par ex., lumine a deux partenaires phoniques, l'un au pied final du même vers
(/«strans), l'autre au dactyle V du vers précédent (/ucibus). Il appartient donc à deux figures
distinctes, la première réalisée dans la clausule, au niveau d'un vers unique, la seconde, asso
ciant deux vers différents, les v. 331 et 332:
Ph. 331-332 Et Gemini darum iactantes /wcibus ignem.
Haec sol aeterno conuestit Zumine /«strans
8 Cf. mon article de la REA, p. 5-6.
9 C'est, par exemple, de la présence finale d'une figure rythmique - s'ajoutant à l'écho
cedant-concedat - que le célèbre Cédant arma togae, concédât laurea laudi tire l'essentiel
de son éclat.
STRUCTURES PHONIQUES DOMINANTES 137

cursus; 365 corpore noctem; 87 corpore portât - 37 Zwmine Zwcent;


137 Zwmine fwZgens; 155 Zwmine mwZtae; 175 lumina fwZgent;
332 Zwmine Zwstrans)

Type encadrant: 5 ex.


Ph. 261 Austrum consequitur deuitans corpore Virgo 10
(autres ex.: Ph. fr. XVI, 6; Ph. 322; 391 - Ph. 135 Zwmine maZwm)

Type liant: 6 ex.


Ph. 21 Quos umeris retinet defixo corpore Perseus
(autres ex.: Ph. jr. XXXI corpore propter; Ph. 91 corpora propter;
87 corpore portât; 237 et 306 lumi«e muwdum)

2. III-V: 12 ex.
Loin derrière le couple de la clausule, un second groupement, qui
associe les pieds III et V, se détache nettement, avec ses 12 exemples,
des deux dernières combinaisons attestées: I-V (3 ex.), IV-V (5 ex.). Détail
remarquable: à la seule exception de Ph. 137, c'est toujours le début du
second hémistiche - et non le temps fort précédant la coupe - que
Cicéron met en rapport phonique avec l'attaque de la clausule. L'intention
du poète est claire: il veut marquer fortement, en soulignant, par la distribu
tion des récurrences, les deux articulations majeures du second hémistiche,
l'unité propre de la seconde partie du vers. Interprétation que confirme
l'ouverture de l'hémistiche par un mot molosse excluant toute coupe
hephtémimère. Enfin, comme 9 des 11 exemples mettent en jeu le mot
corpore faisant écho au préverbe con- d'un verbe composé, nous tenons
là un véritable cliché (ou stéréotype), à la fois structurel et phonique, que
son ascendant rythmique autant que sa commodité métrique dut imposer
à Cicéron. Après lui, on le retrouvera sous une forme plus souple chez
Lucrèce en 15 des quelque 320 passages où le mot corpore (-ra, -ris)
- aussi fréquent dans son œuvre que dans les Aratea - intervient au
dactyle V11:

10 A l'intérieur d'un «ordre» donné (labial, dental, palatal, etc.), la sonore est perçue
comme un écho de la sourde correspondante. De là, une équivalence globale, au niveau des
retours, entre ρ et b, t et d, k et g, etc.
11 N. I, 861, commixto corpore dicent; 384 concursu corpora lata; 678 conuertunt corpora
sese; 196 communia corpora rebus; II, 742 cognoscant corpora tactu; 906 consistere corpore
creta; autres ex.: Ill, 483; IV, 1056; 1065; 1193; V, 60; 65; 495; VI, 44; 102.
138 JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE

Ph. 433 Ille graui moriens constrauit corpora terram


435 Orion fugiens commendai corpora terris
441 Nam retinent Arctoe /«strantes /«mine summo
(autres ex.: Ph. fr. XXVII conixus corpore Taurus; Ph. 356 contectus
corpore cedit; 373 considens corpore Nixus; 437 conuerso corpore
Cepheus; 438 contingens corpore terras; 456 conuerso corpore Nixus;
322 conlucens corpore Virgo; 237 /«strantes /«mine mundum).

3. IV-V: 5 ex.
A l'inverse du groupement précédent, où se manifestait surtout corpore,
la solidarité phonique qui unit 5 fois les deux pieds IV et V est essen
tiellement le fait de lumine, dont la syllabe initiale reprend tout ou partie
de celle du mot qui tombe au longum IV. Figure rythmique suggestive
que renforce encore, à quatre reprises, la coïncidence, au longum IV, de
l'accent de mot et du temps fort:
Ph. 263 Magnu' Leo et claro con/« cens /«mine Cancer
380 Exoritur pandens in/«stria /«mina Virgo
(autres ex.: Ph. 374 depw/sus /«mine cedit; 452 sim«/ cum /«mine
pandit; 91 Capricorni corpora propter).

4. I-V: 3 ex.
Soulignant les deux repères rythmiques majeurs du vers, la dernière
combinaison, qui fait revenir, en figure rythmique, à l'attaque de la clausule
deux sons apparus à l'ouverture du vers, n'a été ici que peu exploitée par
Cicéron, qui en présente seulement 3 exemples, tous liés au mot corpore.
Mais l'un d'eux, par l'insistance du rappel, est, dans un vers pittoresque
et descriptif, d'une réalisation fort heureuse:
Ph. fr. XXVII Co rniger est ualido conixus corpore Taurus
Ph. 125 Curriculum numquam defesso corpore sedans
(autre ex.: Ph. 54: ν. supra, p. 135)

Quant au mot lumine, un vers du De consulatu suo réparera Γ« oubli »


dont il a été victime dans les Aratea:
Cons. s. 23-24 Aut cum terribili perculsus fulmine ciuis
L«ce serenanti uitalia /«mina liquit 12?

12 Au parfait équilibre interne du vers qu'assure la relation dominante luce... lumina


(partenaires phoniques et lexicaux), que préparait, dès le vers précédent, la figure rythmique
IV-V (percuZsus fulmine), s'ajoute l'étroite solidarité phonique des deux vers, dont les deux
STRUCTURES PHONIQUES DOMINANTES 139

Par souci de clarté dans l'exposé, on n'a pas fait état jusqu'ici de la
distribution sur un même vers de deux ou trois figures distinctes. Cette
mise en œuvre, dont la forme la plus insistante et la plus simple consiste
dans la présence d'un même groupe de sons à trois articulations différentes
du vers, intervient dans 7 passages que nous avons étudiés. Elle convient
aux évocations les plus suggestives et donne au vers qu'elle affecte une
efficacité rythmique accrue:
a) Ph. jr. XXVII Corniger est ualido conixus corpore Taurus 13
Ph. 322 Quem rutilo conlucens corpore Virgo 14
137 Inde gubernac/wm disperso /«mine fi/Zgens 15

b) Ph. 237 Quattuor aeterno lustrantes lumine munàum 16


91 Turn magni cursus Capricorni corpora propter 17
87 At propter se Aquila ardenti cum corpore portât 18
306 Terram cingentes ornantes hrniine munàum 19

dactyles V font entendre le même «chant» (fulmine I lumina). Bel exemple de la façon dont
peuvent composer, dans un couple de vers, des organisations sonores de deux niveaux.
13 Affecté à trois moments importants de l'hexamètre (le longum I, le début du deuxième
hémistische, l'attaque de la clausule), le couple ko dessine, dans le vers, trois figures phoniques
différentes:
1) I-III corniger... conixus (figure ouvrante d'hémistiche)
2) I-V corniger... corpore (figure rythmique, avec renfort d'un r)
3) III-V conixus... corpore (figure ouvrante de fin de vers).
14 Ici, le groupe récurrent ko est attribué au deuxième hémistiche dont il distingue les
trois articulations dominantes: début et fin d'hémistiche, ouverture de la clausule. En résultent
trois figures:
1) III-V conlucens corpore (figure ouvrante de fin de vers)
2) III-VI conlucens... Virgo (figure encadrante d'hémistiche)
3) V-VI corpore Virgo (figure encadrante de clausule).
15 En dotant le longum des pieds III, V et VI d'un même couple lu, Cicéron renforçait
tout ensemble la solidarité des deux hémistiches et le rythme propre de la clausule.
16 Une figure ouvrante de deuxième hémistiche (III-V), dessinée par le couple lu
(lustrantes lumine), se prolonge immédiatement de deux autres figures. La première, liante
(lumine mxxnàum), resserre l'unité de la clausule; la seconde, conclusive (munàum), souligne
le spondée final et termine ce deuxième hémistiche, phoniquement très construit, sur une manière
d'accord parfait. Illustration insistante du rythme, qui s'imposera une nouvelle fois à Cicéron
dans son De consulatu suo:
Cons. s. 2 Vertitur et totum conlustrat lumine munàum.
17 Deux figures successives: figure rythmique aux pieds IV-V (Capricorni corpora); figure
liante à la clausule (corpora propter).»
18 Superposition partielle, à la clausule, d'une figure rythmique (corpore portât) et d'une
figure liante (corpora portât).
19 Sur les deux figures de cette clausule, v. supra, n. 16.
140 JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE

Conclusion:

Entre le lumine {-na, -nis) et le corpore {-ra, -ris) d'un dactyle V


et les termes situés aux articulations majeures du même vers, c'est donc,
en définitive, un jeu varié de relations phoniques que Cicéron s'est attaché
à mettre en place. De là, dans son hexamètre, une dominante sonore per
ceptible que la diversité des structures lui servant de support (couples V-VI;
III-V; IV- VI; I-V) préservait d'une excessive monotonie.

Mais un poète soucieux d'organisation - comme l'était naturellement


un futur technicien de la phrase oratoire - se devait d'avoir des visées
plus hautes et d'étendre parfois les constructions dont lumine et corpore
étaient le centre à un niveau d'agencement supérieur. Le développement
d'une figure phonique sur deux vers, trois vers ou même davantage, offrait
à notre auteur un champ de manœuvre plus vaste où son goût de la
période le mettait parfaitement à l'aise. Aussi ne doit-on pas s'étonner
de trouver ici, dans les Aratea, quelques réalisations remarquables qu'il
faut maintenant étudier.

FIGURES SE DÉVELOPPANT SUR DEUX VERS ET DAVANTAGE

I. Sur deux vers:

Treize des vingt-trois structures qui se distribuent sur plusieurs hexa


mètres mettent en jeu deux vers successifs.

1. V/V: 8 ex.

Par le nombre de ses exemples (8 ex.), l'une des quatre combinaisons


représentées à ce niveau dans les Aratea (V/V; I/V; V/I; V/III) tranche
sur toutes les autres. C'est la figure qui fait du dactyle V du deuxième
vers la réplique phonique totale (3 ex.) ou partielle (5 ex.) de celui du
vers précédent. Doubler l'identité (rythmique et fonctionnelle) fondamentale
des deux dactyles V de liens phoniques (et sémantiques) insistants, c'était
créer entre les deux vers - ainsi associés en celui de leurs pieds où se
manifeste dans sa pureté le rythme dactylique - une solidarité privilégiée,
plus étroite et plus forte encore que celle des deux vers français unis par
la rime. Cicéron trouvait là, pour l'illustration sonore du rythme, l'équivalent,
au niveau d'un couple de vers, de ce qu'était, au sein d'un vers unique,
la correspondance phonique des deux pieds immuables de la clausule. Il
STRUCTURES PHONIQUES DOMINANTES 141

était donc naturel qu'il accordât aux deux combinaisons, à leur niveau
respectif, une extension comparable 20; chacune d'elles recouvre, à elle seule,
plus de la moitié des exemples considérés (V-VI: 23 ex. sur 43; V/V:
8 ex. sur 13):
Ph. 321-322 Hune subter fulgens cedit uis toma Leonis,
Quem rutilo sequitur conlucens corpore Virgo
Ph. 389-390 Et post ipse trahit claro cum lumine Puppim:
Insequitur labens per caeli lumina Nauis
(autres ex.: Ph. 143-144 corpore Pisces / corpore ripas; 328-329
ludere Pisces / lumine labens; 331-332 Zwcibus ignem / lumine
lustrans; 437-438 corpore Cepheus / corpore terras; 77-78 Scorpios
alte / corporis Arcum; 49-50 /i/minis expers / /wcibus ardet)

2. V/I ou I/V: 3 ex.


Les cinq autres figures (on avait annoncé treize exemples) se parta
gent en deux groupes. L'un associe phoniquement le dactyle V d'un vers
au longum I du vers qui le précède ou qui le suit. Disposition adoptée
trois fois par le jeune poète:
Ph. 276-277 FwZgentem Leporem, inde pedes Canis, et simul amplam
Argolicam retinet claro cum /«mine Nauem
(autre ex.: Ph. fr. VIII: ν. supra, p. 3)
Ph. 429-430 E quibus ingenti existit ui corpori' prae se
Scorpios infesta praeportans flebile acumen

3. V/III: 2 ex.

Dans le second groupe (de deux exemples), attaque de la clausule du


premier vers et début du deuxième hémistiche du second sont mis en rapport:
Ph. 399-400 Iam dextrum genus et decoratam lumine suram
Erigit ille uacans uwZgato nomine Nixus
(autre ex.: Ph. 365-366 corpore noctem / conuestit sidéra tellus)

II. Sur trois vers:

Au niveau immédiatement supérieur, les agencements développés sur


trois vers sont le fait de mots ou de séquences phoniques répétés deux

20 Elles sont, du reste, associées en deux passages des Phaenomena: 321-322 et 331-332,
cités supra.
142 JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE

fois. D'un point de vue structurel, ils constituent, en organisation verticale,


la réplique de la distribution horizontale, au sein d'un vers unique, d'un
même groupe de sons à trois articulations différentes du vers21. Là encore,
dans la moitié des exemples (deux fois sur quatre) la séquence récurrente
affectera le seul dactyle cinquième:
Ph. 305-307 Quam sunt in caelo diuino numine flexi,
Terram cingentes, ornantes \umine mundum,
Culmine transuerso retinentes sidéra fulta22

102-104 Exinde Orion obliquo corpore nitens


(déb. de mouv.) Inferiora tenet truculenti corpora Tauri.
Quem qui suspiciens in caelum nocte serena
(autres ex.: Ph. 455-457: ν. supra, p. 3; 259-261 corpore tergum /
conititur; ilia recedens / corpore Virgo; v. aussi Ph. 135-137)

III. Sur quatre vers:

Montons encore d'un degré. Une suite de quatre vers offre, pour la
mise en œuvre d'un ensemble construit de récurrences phoniques, d'inté
ressantes possibilités d'agencement dont les principales réalisent les trois
dispositions suivie {a ab b), croisée {ab ab) et embrassée (abb a) 23 qui
définissent en français le groupement des rimes. Or, deux des trois exemples
de Cicéron répondent précisément à une organisation de ce type. Ils mettent
en place, au dactyle cinquième, en distribution suivie ou croisée, un double
jeu de correspondances phoniques qui apporte le renfort d'une véritable
rime à ce repère, invariable et dominant, du rythme dactylique:

21 Sur une utilisation combinée (chez Virgile) des deux techniques en un même passage
- à l'intérieur d'une composition d'ensemble très élaborée - comme illustration sonore de
l'écho et jeu savant sur le nom de Gallus, v. Echos et résonances..., p. 177-178 et n. 1.
22 Mise en œuvre qui peut avoir inspiré l'arrangement comparable d'un des passages les
plus puissamment descriptifs de Aen. VI:
Ae. VI, 298-300 Portitor has horrendus aquas et ilumina seruat
Terribili squalore Charon, cui plurima mento
Canities inculta iacet, stani lumina flammae.
23 Les trois combinaisons se rencontrent au dactyle V de plusieurs hexamètres de Virgile.
Notamment en Aen. VII, 38-41 (invocation à Erato) a a b b; 601-604 (pour ouvrir un mouve
ment) a b a b: protinus urbes / maxima rerum / proelia Martern / lacrimabile bellow; et V,
734-737 (apparition d'Anchise à Enée) α b b a: amoena priorum / casta Sibylla / sanguine
ducet / moenia disces. Lucrèce connaît lui-même les deux types suivi (v. en particulier N. I,
STRUCTURES PHONIQUES DOMINANTES 143

Ph. 107-110 Namque pedes subter rutilo cum lumine claret a


(déb. de mouv.) Feruidus ille Canis stellarum luce refulgens. a
Hunc tegit obscurus subter praecordia uepres, b
Nee uero toto spirans de corpore flammam b

432-435 Mortiferum in uenas figens per uulnera uirus: a


Ille graui moriens constrauit corpore terram. b
Quare cum magnis sese Nepa lucibus effert, a
Orion fugiens commendai corpora terris.24 b

De conception autre, le dernier passage, qui réunit des figures de trois


niveaux différents25, dote chaque vers, en quatre articulations distinctes,
d'une même constante phonique et lexicale, les quatre termes en jeu (fulgens,
conZi/cens, lumine, lucens) exprimant tous l'idée de lumière et d'éclat
(v. supra, n. 6):
Ph. 321-324 Hunc subter fulgens cedit uis torua Leonis,
Quem rutilo sequitur conlucens corpore Virgo;
Exin proieetae claro cum lumine Chelae,
Ipsaque consequitur lucens uis magna Nepai;

IV. Sur cinq vers et davantage:


La présence, en quatre vers successifs, d'un même groupe de sons fait
régner un leit-motiv sonore sensible. Mais à l'intensité d'une telle concent
ration, le poète peut préférer l'effet, plus souple et rythmiquement supérieur,
du retour régulier, à intervalles moins proches, d'un mot occupant à chacune
de ses apparitions la même place essentielle du vers, par exemple, le dactyle
cinquième, lieu d'élection des agencements phoniques les plus insistants.

287-290) et croisé, dont un exemple, peut-être suggéré par Cicéron, a une netteté et une
insistance remarquables:
N. IV, 1020-1023 Multi mortem obeunt. Multi, de montibus altis
Vt qui praecipitent ad terram corpore toto,
Exterrentur, et ex somno quasi mentibu' capti
Vix ad se redeunt permoti corporis aestu.
24 La présence, aux vers «b », d'une même architecture sonore interne (constrauit corpore /
commendai corpora) et de deux clausules quasi identiques accentue encore le dessin de la structure.
25 Sur un vers: 322 conlucens corpore Virgo (ν. supra, p. 139, n. 14).
Sur deux vers: 321-322 torua Leonis / corpore Virgo (ν. supra, p. 141).
Sur quatre vers: 321-324 fulgens / conlucens / lumine / lucens.
144 JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE

Trois architectures cicéroniennes procèdent de ce principe. Elles mé


nagent l'intervalle d'un vers ou de deux vers entre les trois emplois de
lumine ou de corpore qui les constituent. De là, une structure qui se
déploie sur cinq ou sept vers:

Intervalle d'un vers:

Ph. 391-395 Et cum iam toto processit corpore Virgo,


Haec medium ostendit radiato stipite malum.

At cum procedunt obscuro corpore Chelae,


Existit pariter larga cum luce Boetes,
Cuius in aduerso est Arcturus corpore fixus 26

Intervalle de deux vers:

Ph. 295-301 Propter Equus capite et ceruicum lumine tangit.


Hosce aequo spatio deuinctos sustinet axis,
Per medios summo caeli de uertice tranans.

Ille autem claro quartus cum lumine circus


Partibus extremis extremos continet orbis
Et simula medio media de parte secatur,
Atque obliquus in his nitens cum lumine fertur;

Le dernier agencement se combine à d'autres organisations pour être


le « temps fort » et comme l'armature d'une construction d'ensemble dont
les diverses composantes (v. infra, n. 28), source d'une heureuse variatio,
forment dans une description pathétique, un mouvement rythmé d'un
grand effet:

Ph. 432-438 Mortiferum in uenas figens per uw/nera uirus:


Ille graui moriens constrauit corpore terram.
Quare cum magnis sese Nepa /i/cibus effert,
Orion fugiens commendai corpora terris.

26 La même technique se retrouve ensuite chez Lucrèce dont, au livre II, les trois formes
corpore, corpore, corporis interviennent successivement au dactyle V des v. 436, 438 et 440,
soit un vers sur deux.
STRUCTURES PHONIQUES DOMINANTES 145

Turn uero 27 fugit Andromeda et Nepiwnia Pistrix


Tota latet; cedit conuerso corpore Cepheus,
Extremas medio contingens corpore terras 28.

* *

Parti d'une observation statistique - la présence de 48 lumine et de


42 corpore au dactyle cinquième des 550 vers des Phaenomena -, on s'est
demandé si l'extrême fréquence de ces mots n'était interprétable qu'en
termes de commodité métrique. Les pages qui précèdent nous assurent que
la structure prosodique de lumine et corpore n'a pas été le seul facteur du
choix cicéronien ou, qu'en tout cas, notre poète a su faire de nécessité
vertu. Eminemment sensible au rythme et à son illustration par des sonorités
récurrentes, il fondit les mots élus - les mettant au centre d'un jeu de
reflets phoniques et sémantiques29 incessants, véritable leit-motiv du
poème - dans une trame sonore construite qui soutient, à divers niveaux
d'agencement (un vers; deux vers; trois vers; quatre vers; cinq vers et
davantage), un lot varié de structures dominantes, distribuées aux articu
lations principales de l'hexamètre. Excellent technicien du vers, Cicéron
avait donc aussi une bonne maîtrise de son organisation sonore. Les types
majeurs (figures à la clausule et prépondérance du type rythmique; solidar
itéphonique des dactyles cinquièmes et, notamment, agencements suivi
a a b b ou croisé a b a b sur quatre vers, etc.) sont en place dès les Aratea

27 Brillant moyen de présentation et de mise en scène (sur quoi, v. L'expression nar


rative chez les historiens latins, Paris, 1969, p. 520-521), turn uero, intégré du reste à une
figure phonique remarquable (cf. infra, n. 28), confirme la tonalité pathétique de tout le passage.
28 L'ensemble se construit autour du couple III-V con-... corpore (-ra), distribué, d'abord,
un vers sur deux (v. 433, 435, 437), puis, lorsque le mouvement s'achève et en manière d'accord
final, sur deux vers successifs (v. 437-438). L'agencement a b a b (v. 432-435: sur quoi,
v. supra, p. 144), auquel s'intègre les deux premiers corpore (-ra), forme une brillante ouverture.
Il est immédiatement suivi, au v. 436, d'une figure rythmique I-V (Turn... Nepiunia, dont la
voyelle u fait écho à celle des deux partenaires de corpore {-ra): 432 uulnera, 434 lwcibus,
- de sorte que se prolonge, au niveau vocalique, l'alternance a b a b des vers précédents).
Structure de transition, elle prélude au «finale» (v. 437-438), décrit ci-dessus. Au total, une
belle unité de conception et une réussite rythmique indéniable.
29 Cf. les liens étroits de lumine avec ses partenaires lexicaux; v. supra, n. 6.
146 JEAN-PIERRE CHAUSSERIE-LAPRÉE

et certaines de ces réalisations peuvent avoir inspiré directement Lucrèce


et Virgile (v. supra, n. 22, 23 et 26).
L'antiquité, décidément, se montra bien sévère pour PArpinate30.
Seule l'originalité d'inspiration aura manqué à notre poète pour égaler
les plus grands. Il le sentait sans doute confusément, mais ne renonça
jamais à l'art des vers qu'il pratiqua, jusqu'à l'âge mûr, avec prédilection31,
car - se disait-il peut-être - « neque illud ipsum quod est optimum des-
perandum est et in praestantibus rebus magna sunt ea quae sunt optimis
proxima32 ».

30 Cf. J. Soubiran, o. c, p. 69-72.


31 Id., ibid., p. 1-4.
32 Or. II, 6.
RAYMOND CHEVALLIER

GRECS, ÉTRUSQUES, CELTES ET COLS DES ALPES1

Ce n'est pas seulement en vue de l'exploitation de l'arrière-pays padan


que Grecs et Etrusques se sont installés en Italie du Nord, de façon concur
renteou, plutôt, coordonnée. Ils visaient l'immense marché de l'Europe
Centrale, comme le prouvent les trouvailles méditerranéennes faites au-delà
des Alpes.
Ici se pose le problème tant débattu de l'utilisation des cols au cours
de la protohistoire. Ce n'est d'ailleurs qu'un aspect d'une question plus
vaste: le rôle de la montagne dans la transmission ou le développement des
cultures, et cela depuis la plus lointaine préhistoire. Avant l'époque histo
rique, les documents à disposition sont de nature archéologique2 et donc
muets par eux-mêmes. Or, les hypothèses concernant les voies commerciales
ont été souvent commandées par des préférences subjectives3: pour un
Français la route de l'Italie passe par la Provence s'il travaille lui-même dans
le Midi, par les Cols des Alpes Occidentales s'il vit à Paris; pour un Allemand,

1 Cf. la bibliographie générale donnée dans Actes du colloque international sur les cols
des Alpes, Bourg (1969) (Orléans, 1971), 243-257. Sur les conditions de circulation dans les
Alpes, cf. la contribution de B. Janin, Ib., 7-24.
2 On trouvera de nouvelles données dans les Actes du Congrès de Varenna-Gargnano
(1974) Atti VII CESDIR, 1975-76, La comunità alpina nell'antichità.
3 U. Kahrstedt, naguère, n'envisageait que les cols alpins, à l'exclusion de la vallée du
Rhône, mise à son tour en vedette par les publications concernant Marseille et Vix. P. Jacobsthal
et R. Joffroy ont « découvert » les cols des Alpes Occidentales, W. Dehn et W. Kimmig ceux
des Alpes Orientales. Mais ce dernier savant lui-même a fait son auto-critique, à la suite
d'O. H. Frey, qui admet un très large éventail de possibilités et estime que même les cruches
rhodiennes ont pu transiter par les cols et non par Marseille.
Il n'est pas inutile de rappeler la juste sentence d'un savant suisse, D. Van Berchem
(M. H., XIII, 1956, 199): «A qui envisage le mouvement commercial dans son ensemble, chacune
des deux thèses en présence apparaîtra contestable dans la mesure où leurs tenants, pour faire
accepter la voie de leur choix, refusent toute importance à l'autre».
148 RAYMOND CHEVALLIER

le « Zug nach Süden » emprunte les Cols des Alpes Centrales, pour un Autri
chien ceux des Alpes Orientales. N'est-ce pas céder au prestige de Marseille
que de supposer que les influences méditerranéennes perçues à la Heune-
burg sont arrivées par là, au prix d'un tel détour4? Et les savants d'Europe
Occidentale ont tendance à oublier la voie du Danube5.
En fait, une trouvaille isolée considérée en elle-même ne peut donner
d'indication sûre6; c'est le jalonnement d'un ensemble de découvertes qui
seul indique une direction 7, à condition que les cartes de répartition tiennent
le plus grand compte de la chronologie et en particulier des décalages entre
séries d'objets qui peuvent se trouver réunies dans une même tombe et des
très longs délais de transmission pour certains objets8.
La recherche ne pourra progresser dans ce domaine fertile en hypothès
es que par la publication de nombreux mobiliers, de fouilles anciennes,
de réserves de musées, classés en séries génétiques et avec des analyses de
laboratoire. Mais les cartes de répartition, dont la valeur heuristique est

4 Cl W. Dehn, Actes du colloque sur les influences Helléniques en Gaule, Dijon, 1958:
« Auf welchem Wege die Kenntnis griech. Wehrbaues an die obere Donau gelangt sein kann

.
Mir scheint, dass die von der Natur vorgezeichnete Route von Massilia das Tal der Rhône und
der Saône aufwärts nach wie vor grosse Wahrscheinlichkeit für sich hat». Il est vrai que la
Heuneburg connaît la poterie grise de Marseille.
5 Cf. O. Klindt-Jensen, Influences italiennes et celtiques sur l'art scandinave, dans Actes
du Congrès intern, d'archéol, Paris, 1963(65) 217-220.
6 Cf. L. Lerat, L'amphore de bronze de Conîiège (Jura), dans Actes du Colloque de Dijon,
oc 98: «(ces trouvailles) attestent des relations commerciales, à la fin du IVe s., entre la
région salifere du Jura et le monde méditerranéen. A Salins convergeaient à l'époque romaine
une voie venue de Lyon et une autre venue des régions alpestres. Les sites jurassiens où ont
été faites ces trouvailles grecques ou étrusques ne donnent donc par eux-mêmes aucune indica
tionsur la voie suivie par ces importations».
7 La preuve décisive d'une fréquentation n'est fournie qu'en apparence par une décou
vertearchéologique datée au col lui-même (cf. les monnaies massaliotes et gauloises du Grand-
St-Bernard), qui peut être sporadique. L'identification d'une fosse votive est plus intéressante,
cf. C. F. Cappello, Una stipe votiva di età romana sul Monte Genevris (Alpi Cozie), dans Riv. Ingauna
VII, 1941, 96 (époque romaine, mais prolonge un culte précédent). L'existence du sanctuaire
du dieu celtique Poeninus est corroborée par la vénération d'I.O.M. en deux autres points de la
route qui prolonge le col: Tarnaiae-Massongex (Jupiter Taranis), Minnodunum-Moudon. Une
trouvaille faite au pied d'un col est non moins significative: cf. J. Prieur, Un habitat au pied
du col du Mont-Cenis, Lanslevillard, du néolithique à la fin de l'époque romaine, dans les
Actes du Congrès de Varenna-Gargnano, 1974 (o. c, 521-533).
8 Cf. O. Klindt-Jensen, o. c, et F. J. Keller, Zur Datierung des keltischen Fürstengrabes
von Reinheim (Saarland), VIIe Congrès Pré-Protoh. Prague, 1966, 796-798: fibules des environs
de 400: anneau de verre de 300; certains objets sont conservés pendant 2 ou 3 générations
avant d'être ensevelis.
GRECS, ÉTRUSQUES, CELTES ET COLS DES ALPES 149

bien connue9, doivent être complétées par l'étude topographique minutieuse


des cheminements possibles: chaque col, même peu utilisé aujourd'hui,
chaque vallée mérite sa monographie 10, qui doit être couplée avec celle de
la vallée opposée sur l'autre versant: tel passage, inutilisable par la route
moderne ou la voie ferrée, pouvait être commode jadis pour des bêtes de
somme ou des porteurs s'il raccourcissait les distances.
Certaines vraisemblances paraissent s'imposer: les objets étrusques et
grecs parvenus à Salzburg et en Bohême ont dû transiter par les cols des
Alpes Orientales. Mais en ce domaine des échanges commerciaux, nous
savons bien (cas de Suez . . .) que la logique ne règne pas n: tel obstacle
politique a pu imposer de longs détours, dont les négociants habiles savent,
un jour ou l'autre, tirer le meilleur parti.
Et, bien sûr, pour définir une route commerciale, il faut tenir compte
des caractéristiques stylistiques comparées des centres de production et de
consommation 12. Mais ces considérations esthétiques qui sont, dans la plupart
des publications, prépondérantes, ne devraient, à notre avis, intervenir que
dans la phase ultime des études. En ce sens, des programmes de recherches
internationaux coordonnant les travaux de part et d'autre des Alpes sont
hautement souhaitables 13.

9 Cf. H. A. Cahn, Actes... Dijon, o.e., 21-29: «Ce n'est pas par hasard que les lieux de
trouvaille (des importations préromaines en Suisse) se répartissent dans les deux vallées par
lesquelles, jusqu'à la fin du Moyen Age, passaient les routes principales conduisant le voyageur
vers le Sud, soit le Valais et les Grisons, d'autre part dans le «Mittelland», autour des lacs de
Bienne et de Neuchâtel, là où se trouvaient les grands habitats gaulois, jusqu'à la vallée de la
Limmat ».
10 Attentive aux données physiques (pentes, possibilités de ravitaillement en eau, pâturage
pour les bêtes de somme, abris pour les hommes). La paléogéographie doit aussi dire son mot:
une variation d'un ou deux degrés dans les moyennes thermiques peut bloquer ou ouvrir un
col de haute altitude.
11 A propos du bucchero trouvé en Provence, on pense a priori à des relations maritimes,
mais l'association avec des fibules du type Certosa indique que des rapports terrestres ne sont
pas exclus, cf. M. Renard, Les fragments de bucchero découverts en Gaule méridionale et leur
signification, dans Latomus, VI, 1947, 309-316.
12 Cf. O. Klindt-Jensen, o.e., qui souligne la place de l'Italie du Nord dans cette transmission,
en raison de la tradition archaïsante des motifs nordiques. E. Benoit (Mél Renard, Bruxelles,
1969, III, 16-18), à propos du casque de St-Laurent, définit ainsi les caractéristiques de la série:
« La décoration au burin, exécutée de façon rapide et parfois maladroite, sans symétrie rigoureuse
des motifs, est caractéristique d'ateliers travaillant pour l'exportation, toute différente de la déco
ration de tresses, de torsades, d'S, de triscèles et d'appliques émaillées des ateliers celtiques,
qui ont parfois enrichi les casques importés... cette importation s'inscrit dans l'ambiance
Nord-italique».
13 C'est ce qu'a esquissé le Congrès de Varenna-Gargnano (mai 1974).
150 RAYMOND CHEVALLIER

II faut de plus distinguer:


- producteurs et transporteurs, qui ne sont pas forcément les mêmes:
les sphinx du tumulus d'Aspern, peut-être la plus ancienne importation de
Tarente, ont dû être transmis par des marchands étrusques 14;
- typologies originales et réélaborations: certains ivoires orientali-
sants - c'est le cas encore de ceux d'Aspern - sont venus à l'origine de
Syrie, mais ont été réélaborés et imités par les Etrusques.
On a pu hésiter sur la provenance de telle série 15 et la chronologie
de telle autre est encore mouvante 16. Il peut être en tout cas dangereux,
dans un ensemble qui a pu se constituer progressivement au sein d'une
même famille ou dont les divers éléments ont pu connaître des cheminements
divers plus ou moins longs, de déduire de la présence d'une œuvre grecque
ou étrusque, bien datée dans un contexte méditerranéen, la date d'un élément
indigène.
Enfin les savants transalpins se chargent de rappeler à leurs collègues
méditerranéens qu'une voie commerciale est rarement à sens unique et que
les influences ont été réciproques: O. Klindt-Jensen 17 insiste sur les importat
ions en Italie, H. Zürn parle d'un « lebhafter Austausch von Handelsgütern » 48.

14 Cf. H. Zürn, H. V. Hermann, Germania, XLIV, 1966, 74-102; W. Kimmig (Actes du


colloque de Dijon, oc, 81) pense à juste titre que «Transporteure dürften weitgehend die
einheimischen Alpenvölker gewesen sein». Les producteurs méditerranéens eux-mêmes pouvaient
avoir accès à certains marchés, La Tène p. ex. (cf. C. Jullian, H. G., I, 171, n. 7, 224, n. 5, à
propos de la navigation des Argonautes: « Supposons à la Tène un grand marché celtique et
supposons que les Grecs aient eu le droit ou l'occasion d'y traverser, mais qu'il leur ait été
interdit d'aller au-delà, l'arrêt des Argonautes s'explique à merveille et Junon n'a fait que leur
rappeler les conventions imposées par les indigènes»). Mais d'ordinaire les objets devaient transi
ter de main en main; un même itinéraire, dont les deux extrémités s'ignoraient, était fractionné
par des points de rupture de charge (passage de la navigation au portage et inversement), ce
qui explique qu'on ait pu confondre point de départ - lieux de production - et point d'arrivée
(marché).
15 O. H. Frey, Zu den « rhodischen » Bronzekannen aus Hallstattgräbern, dans Marburger Win-
ckelmann Programm, 1963, 18, a montré qu'il s'agit en fait de produits étrusques.
16 Cas des coupes de Droop, cf. O. H. Frey, Germania, XXXV, 1957, 229-242, qui rend
vraisemblable l'existence de rapports entre la haute Italie et la Suisse - Est de la France à la
fin de Hallstatt. Il faudrait mieux distinguer mobilier d'usage courant (trouvés dans les habitats,
généralement mal connus), et pièces de luxe, souvent à signification religieuse, découvertes dans
les tombes.
17 Influences italiennes et celtiques sur l'art scandinave, Actes VIIIe congrès intern, archéol,
Paris, 1965, 217.
18 Germania, XLII, 1964, 30. Expression équivalente chez W. Kimmig, Actes..., Paris,
o.e., 98: «Handelsgut aller Art (hat) durch Vermittlung der Alpenvölker in beiden Richtungen
das Gebirge überquert».
GRECS, ÉTRUSQUES, CELTES ET COLS DES ALPES 151

L'apport nordique concerne aussi bien la typologie que le décor: G. von


Merhart a mis l'accent sur la direction Hallstatt-Italie, montrant en parti
culier que les casques italiques dérivaient d'un type nordique, que certaines
situles sont des imitations locales de modèles hallstattiens, tandis que
G. Camporeale 19 admet, dans le motif - un oiseau stylisé - qui orne l'anse
ajourée de coupes de bronze fabriquées à Vetulonia, un écho d'Europe Centrale.
A vrai dire, les auteurs raisonnent trop à partir d'exemples singuliers.
Des statistiques, quand elles sont possibles, sont plus convaincantes que des
impressions ou des hypothèses 20. Un trésor prestigieux comme celui de Vix 21
qui, dans la nécropole même du Mont-Lassois, n'est certainement pas uni
que22, ne doit pas faire oublier qu'il existe d'autres ensembles d'autant plus
significatifs sur le plan historique qu'ils entrent dans des séries plus nomb
reuses. Or les découvertes et les publications vont se multipliant.

Les relations espace-temps et les cols des Alpes

Que l'utilisation des diverses voies commerciales, fluviales (Rhône-


Danube) ou terrestres (cols des Alpes Occidentales, Centrales, Orientales)
ou mixtes le plus souvent (Pô-Tessin-col) ait été concurrente ou coordonnée
selon les époques, il semble que l'on puisse admettre l'existence de courants
majeurs23 qui se sont déplacés au gré des mouvements ethniques, des hégé
monies et des rivalités commerciales:
- la voie du Rhône semble importante dès la fondation de Mars
eille (VIe s.);
- le rôle des cols (avec peut-être une répartition selon la nationalité
des marchands et la nature des trafics) grandit avec l'installation des comp-

19 / commerci di Vetulonia, Florence, 1969.


20 Excellent exemple fourni par M. Primas, Zum eisenzeitlichen Depotfund von Arbedo
(Kt. Tessin), Germania, L, 1972, 76-93: à côté de fragments de vases étrusques, qui ont une
signification précise pour la chronologie et les relations culturelles, quelques fibules de Hallstatt
tardives sont venues par les cols, mais le matériel arrivé d'au-delà des Alpes ne représente
qu'1% du total, le mobilier étrusque 2%.
21 Cf. les travaux bien connus de R. Joffroy p. ex. le trésor de Vix, Paris, 1962.
22 Cf. R. Goguey, De l'avion à l'archéologie, Recherches aériennes sur les sites archéologi
ques de Bourgogne, Paris, 1968, et Revue de Photo-interprétation, 69, 2/2/.
23 Les cartes de répartition d'objets isolés ne suffisent pas à les définir. Il y faut, dans la
mesure du possible, des éléments statistiques, cf. le graphique comparé des trouvailles de Mars
eille, Adria et Spina procuré par J.H.F. Bloemers, Zur Henkelplatte eines attischen Kolonetten-
kraters vom Vetliberg (Zurich), dans Germania, XLVI,, 1968, 282.
152 RAYMOND CHEVALLIER

toirs d'Adria et de Spina et le « protectorat » étrusque sur la plaine du Pô 24


et, plus encore peut-être, avec l'occupation celtique, mais l'utilisation des
passages alpins est bien antérieure 25.

24 Cf. F. Benoit, Observations sur les routes du commerce gréco-étrusque, dans les Actes du collo
que de Dijon, 1957 (58), 15-20, à compléter par W. Kimmig, Ib., 75-87, plus nuancé, qui semble
admettre l'existence de deux courants rivaux: « einen griechischen über Massilia und einen
etruskischen mit Schwergewicht über die Ostalpen. Dabei habe der etruskische den weiten
Umweg zum Mittelrhein in Bogen um den nordwestalpinen Hallstattraum herum deshalb unte
rnehmen müssen, weil ihm der Zugang über Massilia verwehrt gewesen seie. Dies gehe klar aus
dem weitgehenden Fehlen etruskischen Handelsgute im Hallstattraum hervor und beweise
ausserdem, dass der Massalia-Handel noch in Aktion gewesen sein müsse, als der im ganzen
jüngere Etruskerhandel bereits begonnen hatte». L'auteur laisse finalement la problématique
ouverte (Ib., 81): «Es leuchtet ohne weiteres ein, dass diese, von den Einheimischen längst
erschlossenen Handelswege über praktisch alle Alpenpässe in dem Augenblick auch von den
Etruskern ausgenutzt worden sind, als diese die Po-Ebene in Besitz nahmen. Die im Norden
auftauchenden Südimporte haben also in breiter Front von Massalia im Westen bis hinüber
zum caput Adriae die Alpen überquert. Nutzniesser dieses Handels sind so wohl phokäische
Griechen wie Etrusker, vermutlich auch Veneto-Illyrer ». Les produits grecs du VIe s. «können
sehr wohl über Massilia gekommen sein, müssen es aber nicht» (p. 82), mais pour le pesant
cratère de Vix, l'auteur préfère la route fluviale. Germania, XLVI, 1968, o.e., 279, admet la voie
Rhône-Saône-Doubs pour la plus grande partie de la céramique à figures noires: « Die Verbreitung
der Weinamphoren, die echte Import oder zumindest massaliotische Nachbildungen darstellen,
bestätigt diesen Weg. Nimmt man hierzu noch die Verbreitung der grauen « phokäischen » Ware,
so wird dieser Eindruck noch verstärkt». Mais avec la fondation d'Adria, puis de Spina, il faut
admettre, dès la fin du VIe s. et le début du Ve s., une utilisation des Alpes centrales. L'auteur
la dit possible pour l'hydrie de Grächwill et le cratère de Vix, mais à la fin du VIe s., l'essentiel
des commerces passe par Marseille, puis, avec Adria et Spina (début du Ve s.), les vases à
figures rouges et les oenochoés à bec trilobé, «alle Alpenpässe in Frage kommen ». Il est probable
que cette problématique, que nous saisissons vers 600-500 a.C, reproduit des situations plus
anciennes renvoyant peut-être à la préhistoire et au trafic de l'ambre, cf. la mention d'ambre
ligure (chez Théophraste p. ex. ou chez le Ps. Ar., Mir. 81), parallèle à celle de l'ambre padan,
cf. ma contribution Les mythes ou le temps de la protohistoire, l'exemple de l'Italie du Nord
au volume collectif sur le temps à Rome (Paris, 1976).
25 Cf. W. Kimmig, Ber. R.G.K. 1962-63, 73: «Dass dieser Handel in beiden Richtungen längst
im Gange war hat Frey eindrucksvoll gezeigt. Auch die ersten etruskischen Güter, die noch aus
einer Zeit stammen, als die Etrusker die Po-Ebene nicht erreicht hatten, können nur auf
diesen Wegen nach Norden gelangt sein (exemple de la pyxide de Colmar, du VIIe s. a.C.,
accompagnée de céramique du Hallstatt C) ». L'auteur souligne le rôle du Tessin et de la culture
de Golasecca; n. 74: « es hat also sicher schon etwa ab 600 einen Etruskerhandel über die
mittleren und westlichen Alpenpässe gegeben »; n. 75: «enge Verbindungen seit der Frühbronzez
eit; rôle des cols de Bernhardnf-Splügen-Maloja». Des objets nord-alpins se trouvent dans les
terramares du Bronze tardif.
Cf. aussi L. Pauli, Die Golasecca-Kultur . . . , Hamburg, 1971; F. Fischer, Germania, 1973,
436. Nous n'avons pu utiliser Kimmig, Hamburger Beitr. z. Arch. IV, 1974, 33.
GRECS, ÉTRUSQUES, CELTES ET COLS DES ALPES 153

Typologie des mobiliers exportés

Quels sont les objets qui transitaient par les cols? Ceux d'abord dont
nous avons la trace archéologique:
- céramiques de divers types;
- métal: armes étrusques défensives, comme les casques26, vaisselle
de luxe, miroirs, chandeliers.
Mais ces séries attestées ne sont, elles mêmes, que le reflet27 d'un trafic
plus considérable. Il faut en effet y ajouter les marchandises périssables et
ici nous devons reprendre une enumeration proposée à propos du commerce
spinétique:
- produits alimentaires: sel28; vin et huile qui, s'ils empruntaient
les cols, ont dû voyager dans des outres plutôt que dans des amphores et
n'ont pu laisser aucun souvenir;
- bétail sur pied, viande salée ou fumée, peaux et fourrures;
- peut-être certains minerais (étain) 29, précieux même sous un faible
volume, ou des saumons de métal déjà fondu;
- esclaves (prisonniers que se faisaient entre elles les tribus en guerre) ;
- et, plus encore, des influences culturelles que nous ne saisissons
qu'indirectement. Nous y reviendrons.
Les relations entretenues par les deux versants des Alpes ont-elles
supposé des déplacements importants de personnes? Nous ne le saurons
sans doute jamais, mais cela paraît peu vraisemblable30. On peut penser que
certains marchands méditerranéens pouvaient pénétrer jusqu'à des marchés
bénéficiant de droits de franchise31 et il y a eu de tout temps des ambass
ades32.

26 Références dans F. Benoit, Mél. Renard, o.e.; M. Louis, Un casque du 2e âge du Fer à
Montpellier, Gallia XI, 1953, 306-307: la provenance est inconnue, mais le décor italique
(IVc-Iir s. a.C); St. Gabrovec, Die hallstättischen Helme des südostalpinen Kreises, dans Archeoloski
Vestnik, Ljubljana XIII-XIV, 1962-63, 293.
27 «Beifracht», fret complémentaire dit W. Kimmig.
28 Faut-il rappeler l'importance de centres comme Hallstatt et Salins dans le Jura?
29 Cf. le lien qui unit l'ambre et l'étain dans l'esprit d'Hérodote, IV, 33.
30 G. von Merhart, Hallstatt und Italien, Mayence, 1969, 105, envisage la migration de
groupes peu nombreux.
31 Cf. supra, p. 150, n. 14. Considérable dut être ici le rôle des sanctuaires, cf. la découverte
de monnaies grecques à Allmendingen près de Thun, B. Kapossy, Schw. Münz. XVII, 1967, 37-40.
32 Comme celles qu'échangent Romains et Gaulois Transalpins au moment de l'affaire
d'Aquilée, cf. Liv., XXXIX, 54, 11; 55, 4; Ep. LX.
154 RAYMOND CHEVALLIER

Des techniciens aussi ont voyagé: maîtrises itinérantes33 de métallurg


istes34, orfèvres35. Des indigènes sont venus se former au contact des
Méditerranéens36, des princes barbares ont engagé des spécialistes étrangers:
c'est un artiste venu du Midi qui, apparemment, a monté à Vix le fameux
cratère 37.
Certains cas cependant sont ambigus:
- les maçons et l'architecte qui ont construit la fortification de la
Heunebourg s'inspirent de l'art des places de Grande-Grèce, mais semblent
n'en pas comprendre l'esprit38;
- le moule d'une applique pour vase de bronze découvert sur le
même site pose un problème comparable dans le domaine des arts mineurs:
a-t-il été importé ou imité sur place 39? Il suppose en tout cas la connaissance
de l'art du bronze de Vulci aux alentours de 480-460.
Même si peu nombreux étaient les voyageurs qui franchissaient alors
les Alpes, ces relations ont exercé des influences culturelles considérables.
Elles ont concerné plusieurs domaines:
- les usages et les mœurs: utilisation de tel type de vaisselle, céra
mique ou métallique, modes de construire40;

33 Sur le rôle de ces migrations limitées, mais hautement spécialisés dans l'évolution et le
maintien de la communauté alpine, cf. la communication d'E. Bertolina, Ruolo delle migrazioni
di maestranze montanare specializzate dentro e fuori le Alpi, nell'evoluzione e nella conserva
zione della comunità alpina: osservazioni su una ricerca in corso, dans Convegno Varenna-
Gargnano (1974), non publié dans les Actes.
34 Cf. l'interprétation des dépôts de fondeur d'Arbedo, Parre, Obervintl, Dercolo, Romallo,
en des points névralgiques de la circulation alpine: M. Primas, Zum eisenzeitlichen Depotfund
von Arbedo (Kt. Tessin), dans Germania, L, 1972, 76-93.
35 Cf. l'hypothèse d'O. Klindt-Jensen, Actes VIIIe Congrès archéol, Paris, 1965, 217.
36 Cf. la version plinienne (XII, 5) de l'épisode d'Arruns de Clusium, devenu le forgeron
helvète Helicon, séjournant à Rome.
37 Cf. l'utilisation comme signes de repères de lettres grecques.
38 Cf. W. Dehn, Die Befestigung der Heuneburg (Per. IV) und die griechische Mittelmeerw
elt, Actes Colloque Dijon, 61: «Dass griechische Handwerker in fremdem Diensten gearbeitet
haben, ist bekannt. Dürfen wir Aehnliches für die barbarischen Heuneburgfürsten annehmen?
Mir scheint darauf ist keine eindeutige Antwort zu geben; man wird sich mit der Feststellung
begnügen müssen, dass dem Baumeister der Heuneburg IV griechischer Wehrbau nicht unbe
kannt war, mag er nun selbst im griechischen Einflussbereich gelernt oder einen Griechem am
Bau beteiligt haben. Cf. W. Kimmig, Ib., qui parle de «groteske Missverstehen des Bauplans».
39 Cf. W. Kimmig, V. Vacano, Zu einem Gussformfragment einer etruskischen Bronze
kanne von der Heuneburg an der oberen Donau, dans Germania, LI, 1973, 1, 72-85.
40 Exemple de la Heuneburg cité plus haut. Cf. Actes colloque de Dijon, o.e., 55: «Es
steht ausser Zweifel, dass neben dem erhaltenen Handelsgut, auch andere für uns nicht mehr
fassbare Dinge, vermutlich auch bestimmte Formen der Lebens - und vielleicht sogar der Denkw
eise eingedrungen sind, die nicht ohne, Einfluss auf die bodenständigen Kulturen bleiben
konnten ».
GRECS, ÉTRUSQUES, CELTES ET COLS DES ALPES 155

- les représentations religieuses41: croyance au banquet funéraire,


qui faisait vendre aux princes barbares de luxueux « services à boire »;
- l'art, par la diffusion de certains motifs 42 qui, réinterprétés, passent
dans le patrimoine décoratif indigène et, de façon plus remarquable encore,
par l'imitation et l'élaboration d'œuvres autochtones43: W. Kimmig insiste44
sur la capacité des Celtes à accueillir les suggestions étrangères, à les imiter,
puis à les transformer. Dans l'ensemble, les auteurs ont insuffisamment
distingué importations proprement dites et influences techniques ou artist
iquesdiffuses.
En conclusion, il y eut découverte réciproque à travers les cols des
Alpes et, à certains moments, réalisation, au moins à un certain niveau
social, d'une véritable Koinè, à la formation de laquelle ont concouru plu
sieurs filons45. Bien que sa chronologie soit trop haute, G. von Merhart
retrouve en Hongrie46 (dès le XIIP s.?) les traces d'une active métallurgie,
dont les productions et les formes culturelles se seraient diffusées aussi bien
vers l'Italie prévillanovienne que vers la Grèce mycénienne. Retenons au
moins la notion de patrimoine commun47 et une conclusion de W. Kimmig:
« Rome, dans sa poussée vers le Rhône, le Rhin et le Danube, suivit d'une
certaine façon des sentiers préparés: le mérite en revient, sans réserve, aux
anciens Celtes » 48.

41 H. Zurn, Germania, 1964, o.e., évoque le culte des morts.


42 Sur la provenance de certains de ces motifs, cf. O. H. Frey, Der Ostalpenraum und die
antike Welt in der frühen Eisenzeit, dans Germania, XLIV, 1966, 48-66.
43 Cf. H. Zurn, o.e., à propos du guerrier de Hirschlanden: «Anregungen aus den griech.
Kolonien und aus zweiter Hand wohl auch aus Etrurien scheinen nun da und dort bei den
angrenzenden barbarischen Völkern bereits im 6. vorchristlichen Jahrhundert zu ersten Ansätzen
vollplastischen Schaffens geführt zu haben», W. Kimmig (Actes, Dijon, o.e.) parlait de «ein
heimische Umdeutung».
44 Actes... Paris, o.e., 99.
45 Une meilleure connaissance de l'économie et de l'esprit de la « civilisation des princes »
pourrait expliquer la nature de certains trafics. W. Kimmig (Colloque de Dijon, o.e.) parle de
«folie des grandeurs» chez les Barbares, à propos des dimensions du cratère de Vix. Il est
certain que les astucieux négociants méditerranéens ont flatté les goûts de leur clientèle (ou les
ont suscités?). Il fallait du moins, conclut l'auteur, une certaine ouverture d'esprit de la part
des barbares.
46 Cf. Studien über einige Gattung von Bronzegefässen, Festschrift d. R.G.Z.M., Mainz,
1952, 1-71.
47 Cf. G. Kossack, Studien zum Symbolgut der Urnenfelder und der Hallstattzeit Mittel
europas, Berlin, 1954.
48 O.e., p. 87. Ce savant allemand recommande à juste titre une recherche coordonnée:
«Eine umfassende Bearbeitung der mit den Passwegen in Zusammenhang stehenden inneral
pinenFunde, die viel zahlreicher sind, als gemeinhin angenommen wird, gehört zu den grossen
Desideraten der Forschung».
FILIPPO COARELLI

UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA


AL MUSEO DI CREMONA*

Nell'esperienza si trova ciò di cui


si ha bisogno solo se si sa in
anticipo che cosa cercare (I. Kant).

L'impostazione idealistica che ha dominato gli studi di archeologia classica


in Italia (ma non solo in Italia) nel periodo tra le due guerre mondiali, pr
ivilegiando la ricerca storico-artistica, ha portato a trascurare interi settori di
studio, che possiamo sommariamente qualificare con l'etichetta di « cultura
materiale » \ Certamente giustificata era la reazione contro l'erudizione fine a
se stessa, e il rifiuto di ogni impostazione teorica generale, che avevano caratteriz
zato certa cultura positivistica italiana, specialmente nel campo degli studi
di antichità2. Tuttavia, come spesso avviene, insieme con l'acqua sporca si
gettò via anche il bambino, con risultati che sono davanti agli occhi di tutti. Si
sono così dovuti riconquistare, partendo da zero, metodi di ricerca perfettamente
elaborati e maturati fin dalla seconda metà del secolo scorso: e basti qui
ricordare la triste vicenda della tecnica dello scavo stratigrafico in Italia che,
utilizzata dal Boni in forme altamente perfezionate negli scavi del Foro, solo
di recente è tornata ad essere applicata in modo rigoroso (e non senza oppos
izioni) nell'ambito dell'archeologia classica3.

* Questa nota, con le altre che, nelle intenzioni dell'autore, dovrebbero seguire costi
tuisce il seguito ideale del catalogo della mostra Roma medio repubblicana (Roma 1973).
La scelta si orienterà in modo particolare suli'instrumentum iscritto, che è da annoverare tra
gli argomenti più fruttuosi, ma anche tra i più trascurati.
Le abbreviazioni utilizzate sono quelle de L'Année Philologique.
1 Cfr. A. Carandini, Archeologia e cultura materiale, Bari 1975.
2 B. Croce, Storia della storiografìa italiana nel secolo decimonono, 3a ed., Bari 1947,
II, pp. 35 ss., 107 ss. Ma si veda ad esempio, sull'ambiente dell'Università fiorentina, E. Garin,
La cultura italiana tra '800 e '900, Bari 1962, pp. 55 ss., 77 ss.
3 Per farsi un'idea del livello (invero piuttosto basso) della discussione in proposito, in
anni ancora vicini, si veda l'incredibile polemica di G. Lugli contro il Lamboglia in RAL
Vili, XIV, 1959, pp. 321-330, specialm. 326-328.
158 FILIPPO COARELLI

È per questo che chiunque si accinga a trattare classi di materiali del


periodo greco-romano, non appartenenti all'ambito della cultura figurativa
aulica, deve spesso rassegnarsi a constatare che gli ultimi studi di buon livello
su tali argomenti risalgono alla fine del secolo scorso e agli inizi del presente:
mancano per lo più anche strumenti di lavoro elementari, come ca
taloghi, raccolte tipologiche ecc, largamente disponibili invece in ambiti
di studio ancora considerati « marginali » dalla presunzione di alcuni classi
cisti in ritardo, come la preistoria ο le antichità provinciali.
È merito di Jacques Heurgon l'aver recentemente riportato l'attenzione
su una categoria di materiali, gli elmi a calotta, noti nella letteratura tedesca
come « Jockeykappen », e che una errata tradizione di studi definisce come
« gallici » 4. Vorremmo qui riprendere l'argomento a partire da un nuovo esemp
lare, reso noto solo di recente, e che permette di chiarire un particolare di
un certo interesse per la ricerca storica, e cioè l'aspetto dell'elmo utilizzato
dall'esercito romano nel periodo compreso tra le guerre sannitiche e le guerre
puniche.
Si tratta di un elmo, proveniente da Pizzighettone e conservato nel
Museo di Cremona5, costituito da una robusta calotta di bronzo fuso e poi
battuto, di forma notevolmente allungata, fino ad assumere nella parte su
periore un andamento conico (Fig. 1) (alt. cm. 25; diam. infer, max. 26;
min. 22), concluso da un bottone di forma approssimativamente tronco
conica, decorato da due file sovrapposte di semicerchi rilevati, sottolineati
da un orlo anch'esso in rilievo (quasi un doppio kyma ionico rovesciato).
Un doppio cordoncino rilevato limita il bottone in alto e in basso. Sulla
superficie superiore, piana, è inciso un cerchietto. Intorno alla base di
questa appendice è fissato un cordone di ferro, che scende per un breve
tratto sui due lati dell'elmo, e che in origine doveva essere più lungo6.
La calotta si conclude, posteriormente, con un brevissimo paranuca, ed è

4 J. Heurgon-Chr. Peyre, Un casque inscrit de Bologne: l'alliance des Ombriens et des


Gaulois contre Rome au début du IIP siècle, in REL L, 1972, pp. 6-8 (si veda qui la fig. 10).
Sull'attribuzione dell'elmo a fabbrica etrusca, si veda già E. Brizio, II sepolcreto gallico di
Montefortino, in Mon. Lincei IX, 1899, cc. 748 ss. Le descrizioni più complete del tipo sono
quelle di P. Couissin, Les armes romaines, Paris 1926, pp. 260-263 e di H. R. Robinson,
The Armour of Imperial Rome, London 1975, pp. 13-14.
5 Pubblicato per la prima volta in G. Pontiroli, Catalogo della sezione archeologica del
Museo Civico «Ala Ponzone» di Cremona, Milano 1974, p. 212, n. 317 (332), tav. CLXI.
Ringrazio il prof. C. Saletti per le informazioni fornitemi al riguardo, e la Direzione del Museo
di Cremona per le fotografie qui pubblicate.
6 Questa appendice, che appare in molti altri esemplari (ad esempio in quello, identico,
del Museo di Taranto) serviva evidentemente a reggere il cimiero, costituito in genere da tre
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 159

limitata inferiormente da un cordolo in rilievo, segnato da una serie di


linee oblique incise, tranne che nella parte frontale, dove le incisioni vengono
sostituite da larghe scanalature verticali: i brevi tratti in rilievo così deter
minati presentano tre cerchietti incisi sovrapposti, con un punto centrale.
Nelle due scanalature estreme è incisa una croce di Sant'Andrea, che de
termina quattro spazi, in ognuno dei quali è segnato un puntino. Al di
sopra del cordolo è un sottile listello, sul quale è incisa una teoria di
cerchietti, privi del punto centrale. Il tratto di raccordo tra l'orlo e la ca
lotta, piano sulla fronte, va assumendo un andamento concavo sui lati,
che si accentua progressivamente nella parte posteriore: qui lo spazio, più
ampio, è diviso in due da un breve risalto centrale. Seguono, al di sopra,
quattro solchi paralleli, che sottolineano tutta la circonferenza della calotta.
Le paragnatidi erano collegate a cerniere, ognuna delle quali è fissata
alla calotta con due grossi chiodi ribattuti. Di esse resta solo quella di sinistra,
ruotante intorno alla cerniera a mezzo di un tubulo, costituito dalla ribat
titura dell'orlo superiore, fissata con cinque chiodini. La paragnatide
è costituita da due grosse lamine sovrapposte, forse con un'anima
centrale di altro materiale; la lamina interna è fissata a quella esterna
mediante la ripiegatura dell'orlo, ribattuto tutt'intorno ai margini. Essa
è piuttosto grande (cm. 16x14); il lato posteriore ed inferiore descri
vono un'unica curva, mentre quello anteriore è sinuoso, costituito da due
piccoli incavi, più accentuati del semicerchio (specie quello inferiore); una
forma questa particolarmente adatta a proteggere le varie parti del volto
(zigomi, mento). Un chiodo a larga capocchia, fissato all'estremità inferiore,
serviva ovviamente a collegare e a fissare, a mezzo di una correggia passante
sotto il mento, le due paragnatidi. Al centro del paranuca è un piccolo
foro, destinato, come in altri esemplari simili, a fissare un anello semplice
ο doppio, al quale si collegava forse la correggia che fissava le paragnatidi,
oppure utilizzato per il trasporto dell'elmo.
Sul bordo interno del paranuca, a destra del foro, è incisa l'iscrizione
seguente (Fig. 2):
M(arco) Patolcio Ar. l. p. Vili.

La Ρ è costituita da tre tratti disposti ad angolo retto (più breve quello


di destra, come la corrispondente lettera greca) ; la A ha la traversa disar-

lunghe penne, come sappiamo da Polibio (VI 23, 12), e come appare nella pittura da una
tomba dell'Esquilino (cfr. Roma medio repubblicana, Catalogo, Roma 1973, p. 203, fig. 15,
tav. XLVII: qui Fig. II).
160 FILIPPO COARELLI

ticolata; la Ο è aperta inferiormente; la L ha una forma ad uncino abba


stanza accentuata; la C è a segmento di cerchio poco accentuato; la R ha
l'occhiello aperto in basso e la barra obliqua più breve di quella verticale.
Con la grafia, evidentemente arcaica, concordano gli elementi morfologici,
quali il nominativo in -o.
Se ne possono dedurre indicazioni cronologiche abbastanza precise:
la forma delle lettere (in particolare quella della L, della Ο e della jR)
non può scendere oltre i primi decenni del II secolo a.C. 7, mentre il no
minativo in -o precisa ulteriormente la data: prima della fine del III secolo 8.
Una datazione nell'ambito di questo secolo, probabilmente nella seconda metà
di esso, sembra la più probabile.
Il nome è evidentemente quello del proprietario dell'elmo, come si può
dedurre da altri casi simili9. La seconda parte dell'iscrizione dovrebbe, a
mio avviso, essere sciolta così: Ar(untis) l(iberto) p(ondo) (odo), anche
se non si può escludere una lettura quale a(e)r(is) l(ibrae) ρ (ondo) (odo) 10.

7 Importante soprattutto la forma della L. Si veda l'importante discussione di H. Solin,


Analecta Epigraphica II, in Arctos VII, 1972, pp. 185-186. Il Solin è per una cronologia non
posteriore al 150 a.C, e rifiuta giustamente alcune pretese eccezioni proposte dal Kolbe, che
non sono vere eccezioni (H. G. Kolbe, Epigraphische Studien 5, Düsseldorf 1968, pp. 173-174).
Lo stesso Solin tuttavia cita alcune iscrizioni in cui appare la L ad uncino, e che egli ritiene
più tarde. A ben guardare, nel caso di CIL I2 1581 = X, 3807 = ILLRP 165 = Imagines 82
si può escludere la data proposta, successiva al 133 a.C, che non posa in realtà su alcun
serio elemento. Il cippo miliario della via Caecilia (CIL I2 661 = IX 5953 = ILLRP 459),
attribuito al cos. del 117, L. Caecilius Metellus Diadematus, è a mio avviso da connettere
piuttosto con il cos. del 284, L. Caecilius Metellus Denter (su questo argomento, e sulla da
tazione conseguente della via Caecilia al 284, immediatamente successiva all'annessione della
Sabina del 290 - già proposta da T. P. Wiseman, in PBSR XXXVIII (n. s. XXV), 1970, p. 136 -
tornerò in altra occasione). Tutto il problema andrebbe riconsiderato su basi statistiche serie,
prendendo in esame tutta la documentazione. Cfr. per ora Roma medio repubblicana, op. cit.,
passim; inoltre, F. Coarelli, II sepolcro degli Scipioni, in DdA VI, 1972, pp. 36-106. Fonda
mentale G. Cencetti, Ricerche sulla scrittura latina di età arcaica, I, in BAPI, n. s. 2-3, 1956-57,
pp. 175-205.
8 Cfr., oltre alla bibl. cit. alla nota prec, H. Solin, in Arctos VII, 1972, p. 186; F. Stolz-
A. Debrunner-W. P. Schmid, Storia della lingua latina (trad, it.)3, Bologna 1973, p. 88.
9 Una serie di esempi, per lo più di età imperiale, sono raccolti in R. MacMullen, Inscrip
tionson Armor and the Supply of Arms in the Roman Empire, in A] A LXIV, 1960, pp. 23 ss.
Per esempi più antichi, si veda infra.
10 Lettura suggeritami da M. Torelli. Tuttavia, l'uso di indicare lo stato libertino con
l'abbreviazione del prenome del patrono, seguita da l(ibertus) è già diffuso a partire dal IV se
colo a.C. (si vedano gli esempi da Praeneste: Roma medio repubblicana, op. cit., pp. 261, 298 s.).
Quanto al peso, che in libbre romane di gr. 327,45 corrisponderebbe a kg. 2,620 circa, esso
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 161

Avremmo perciò a che fare con un liberto, cosa non priva di un certo
interesse, dal momento che l'elmo, come vedremo, appartenne a un legionario
romano, oppure a un soldato delle coorti ausiliarie.
Per quanto riguarda l'aspetto onomastico, è da notare che il gentilizio
Patulcius non è particolarmente diffuso. Lo si ritrova, oltre che a Roma n,
in Campania (a Neapolis, Puteolis e Misenum), a Tarracina, a Caralis 12.
Dalla Campania provengono probabilmente i Patulcii presenti in Asia Minore,
a Magnesia e a Priene 13. Anche in Etruria il gentilizio è testimoniato: a
Sutrium 14 e a Caere 15. In quest'ultimo caso si tratta di una testimonianza
particolarmente antica, della fine del II secolo a.C. 16. Non si può escludere
quindi che la gens sia di origine etrusca, come riteneva lo Schulze, che
collegava Patulcius con i patilna, patini, testimoniati a Tarquinia e a
Perugia17. Ciò potrebbe confermare Yorigo del nostro M. Patulcius, quale
sembra risultare dal prenome probabile del patrono, Arruns.
L'uso di indicare il nome sull'elmo da parte del proprietario appare in
Italia già in epoca notevolmente antica, almeno dalla fine del VI secolo a.C. 18,
e permane fino all'età imperiale 19. Sugli elmi del tipo che qui si esamina
appaiono iscrizioni in etrusco, messapico, osco-umbro e latino, sempre apparente-

sembra corrispondere a quello reale. L'elmo pesa attualmente kg. 1,350, la paragnatide kg. 0,425:
il peso complessivo - con le due paragnatidi - doveva essere di kg. 2,200 circa. La differenza
di peso (circa 420 gr.) è dovuta probabilmente alla scomparsa di gran parte dell'elemento
di ferro destinato a sostenere il cimiero, dell'anello fissato sul paranuca, e del rivestimento
di cuoio (ringrazio per queste informazioni il dott. G. Pontiroli e la signorina Anita Farina).
11 CIL VI 23856-23859. Cfr. W. Schulze, Zur Geschichte lateinischen Eigennamen,
Berlin 1904, p. 142 (cfr. pp. 86 e 188).
12 CIL X 1757, 1886, 2634, 2826 ss., 3334 (Neapolis, Puteolis - cfr. anche VI 2379b -
Misenum); 8397 (Tarracina - cfr. anche VI 2920 -); 7683 (Caralis).
13 O. Kern, Inschr. von Magnesia am M., Berlin 1900, 111; Η. ν. Gaertringen, Inschr.
von Priene, Berlin 1906, 313, 715; RE, Patulcius, c. 2307 s.
14 CIL XI 3261.
15 CIL I2 2765 = ILLRP 1148; NSA 1937, p. 400; MAL XLII, 1955, ce. 818-820; J. Heurgon,
in Latomus XIX, 1960, pp. 221-229. È interessante che in questa, che era finora la più antica
iscrizione in cui apparisse il gentilizio, esso sia espresso nella forma Patolcia, che ritorna anche
nell'elmo da Pizzighettone.
16 J. Heurgon, art. cit. alla nota precedente.
17 Schulze, op. cit., p. 142. L'etruscità del nome è accettata da Heurgon, art. cit.,
p. 223 e nota 7.
18 S. M. Goldstein, An Etruscan Helmet in the McDaniel Collection, in HSPh LXXII,
1967, pp. 383-390.
19 Cfr. nota 9.
162 FILIPPO COARELLI

mente con l'indicazione del nome del proprietario. Particolarmente interessante


è un esemplare scoperto nel secolo scorso a Forum Novum in Sabina (ora
al Museo di Monaco), di un tipo simile a quello da Pizzighettone, sul quale è
incisa l'iscrizione latina Q. Cossi Q. (f.) 20 (figg. 3-4). Si dovrebbe trattare, anche
in questo caso, di un legionario romano, ο appartenente alle coorti ausiliarie
latine: preziosa conferma che questo tipo di elmo era in dotazione all'esercito
romano nella seconda metà del III e nel II secolo a.C.
La presenza di un liberto nelle file dell'esercito romano nel corso del
III secolo non pone a mio avviso alcuna difficoltà. Già nel 296 Livio
(X 21, 4) ricorda che nec ingenui modo aut iuniores sacramento adacti sunt,
sed seniorum etìam cohortes factae libertinique centuriati. L'uso dovette
poi generalizzarsi nel corso delle guerre puniche: ricordiamo i celebri volones,
schiavi liberati e arruolati in una legione nel corso della guerra annibalica 2\
Non esiste ancora una trattazione approfondita su questo tipo di elmo,
così importante e diffuso. Per gli esemplari scoperti nel secolo scorso ο
nei primi decenni di questo disponiamo talvolta almeno di qualche relazione
ο nota di scavo, mentre quelli scoperti di recente sono spesso per lo più
inediti. Uno spoglio della bibliografia, e il sopraluogo in alcuni musei mi
hanno rapidamente convinto dell'imponenza del materiale, e dell'utilità che
avrebbe uno studio sistematico di esso. Si riportano qui di seguito i risultati
di questa prima ricognizione, senza pretesa di esaurire la materia, ma con
una documentazione già sufficiente per fissare con una certa sicurezza alcuni
caposaldi tipologici e cronologici.

20 CIL I2 2389 = IX 6090, 9 = ILLRP 1254. L'elmo è ricordato per la prima volta,
con l'indicazione della provenienza, in Notice sur le Musée Dodwell, Rome 1837, pp. 23 s.,
η. 36. Si veda inoltre: J. v. Hefner, Das römische Bayern3, München 1852, p. 268, η. CCCLXXXVI;
Das Κ. Antiquarium zu München, München 1914, p. 45; P. Couissin, in RA XXXI, 1930,
fig. 1 a p. 94; P. Reinecke, in Germania XXIX, 1951, p. 42. (Non ho potuto vedere F. von
Lipperheide, Antike Helme, 1896, p. 252, η. 38, dal quale probabilmente è tratta l'illustrazione
del Couissin, l'unica finora disponibile, a mia conoscenza, di questo importante oggetto). Sul
gentilizio Cossius cfr. Schulze, op. cit., pp. 158 s. Testimonianze del nome a Lambaesis
(CIL Vili 3555) e a Catania (Χ 804522). L'uso del raddoppiamento delle consonanti farebbe
pensare in questo caso ad una data più tarda di quella dell'esemplare da Pizzighettone, c
omunque compresa entro la prima metà del II secolo, che conviene anche alla forma dell'elmo
(si veda la discussione infra. Ringrazio per le fotografie la Direzione del Museo di Monaco).
21 Sul problema si veda la voce libertus, in Diz. Ep. IV, 1949, p. 928 (G. Vitucci);
P. A. Brunt, Italian Manpower, Oxford 1971, p. 29, n. 5; p. 64; 395; S. Treggiari, Roman
Freedmen during the Late Republic, Oxford 1969, pp. 51, 67-68, con bibl. prec. È anche poss
ibile, come si è accennato, che il nostro M. Patulcius fosse arruolato tra gli alleati latini.
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 163

II luogo di fabbricazione, almeno nelle fasi più antiche, è da identificare


nell'Italia centrale, e in particolare nell'Etruria e nel Lazio (come conferma
il carattere delle iscrizioni incise su molti esemplari, etrusche, latine, osco-
umbre). L'adozione dell'elmo da parte dei Galli deriva dal commercio ο
dalle prede di guerra22. Più tardi si ebbe una fabbricazione anche in ter
ritorio celtico, che si prolungò fino al I secolo a.C, con forme derivate dai
modelli italici, ma da questi chiaramente distinguibili (anche se non sempre
distinte dagli editori del materiale) 23. Di questi ultimi tipi non ci occuperemo,
limitando la nostra ricerca a quelli più antichi, certamente di produzione
italica, come si è detto.
Per quanto riguarda la tipologia (e la cronologia) regna una notevole
confusione, poiché nessuno si è finora curato di collegare i vari esemplari
conosciuti con contesti databili (scarsi, ma pure esistenti). Le varie fasi di
sviluppo del tipo si possono seguire dall'inizio del IV secolo alla fine del
III con una certa sicurezza. Non è possibile, nell'ambito di un breve articolo,
entrare nel dettaglio di una dimostrazione minuta, che esigerebbe uno spazio
assai più ampio. Schematizzando, diremo che si possono distinguere quattro
sottotipi cronologicamente successivi (Fig. I).
Il più antico di essi (A) è caratterizzato da una forma piuttosto rastr
emata verso l'alto, con un puntale ricco e complesso, e paragnatidi formate
da tre elementi circolari, disposti a triangolo con il vertice in basso (schema

22 Prede di guerra sono probabilmente i due elmi da Berceto e da Todi (erroneamente


detto da Canne): sempreché le appendici a forma di corna fissate dai restauratori a quest'ultimo
gli appartengano (cfr. nota 34). Un importante commercio etrusco si dirigeva verso i paesi
celtici (cfr. la bibliogr. in A. Piganiol, Le conquiste dei romani, trad, ital., Milano 1967,
pp. 570 e 586). È noto l'episodio di Arruns, il mercante etrusco di vino che guidò i Galli
nell'invasione che si concluse con la presa di Roma (Liv. V 33, 3-5. Ringrazio il prof. G. Colonna
per questa indicazione).
23 Cfr., ad es., P. Coulon, Note sur un casque gaulois trouvé dans une tombe à char,
près Prunay (Marne), in Bull. Soc. Préhist. Franc. 1930, pp. 183-184; M. Louis, Le casque
gaulois de Montpellier, in Atti del I Congr. di Studi Liguri, 1950 (1952), pp. 132 ss.; Id., in
Gallia XI, 1953, pp. 306-307; R. Lantier, Note sur un casque italo-celtique, in CRAI 1955,
pp. 363-365; H. Hinz, Ein Bronzehelm der Latène-Zeit vom Niederrhein, in BJ CLX, 1960,
pp. 1-8; L. Armand-Calliat, Un casque antique en bronze au Musée de Chalon-sur-Saône,
in Gallia XXIII, 1965, pp. 261-266; G. Barruol-G. Sauzade, Une tombe de guerrier à Saint-
Laurent-des-Arbres (Gard), RSL XXXV, 1969, pp. 15 ss. Cfr. anche l'elmo raffigurato accanto
alla scultura del Gallo caduto, da Delo (recentemente ricomposto con la testa di Myconos:
J. Marcadé, in RA 1975, 1, fig. 3 a p. 153). Non ci occuperemo qui dello sviluppo dell'elmo
nel periodo successivo ai primi decenni del II secolo: una buona illustrazione se ne potrà
trovare nel volume cit. del Robinson, che tratta invece piuttosto affrettatamente i tipi più antichi.
164 FILIPPO COARELLI

Fig. I

probabilmente derivato dalle tipiche corazze sannitiche). Sui lati della calotta,
nella parte inferiore, è spesso fissato un elemento circolare, delle stesse dimensioni
di quelli che ornano le paragnatidi. Questi elmi, talvolta di ferro, presentano
spesso una ricca decorazione incisa, costituita in genere da trecce sovrap
poste(sulla calotta), e da scanalature verticali parallele nella parte superiore,
rastremata. Anche le paragnatidi sono in genere riccamente decorate con
palmette, globetti, ecc. Questo tipo di elmo, diffuso specialmente in Italia
centrale, ma conosciuto anche al di là delle Alpi 24, si può datare con relativa
sicurezza nella prima metà del IV secolo a.C. 25.

24 Come quello da Weisskirchen: J. Dechelette, Montefortino e Ornavasso, in RA 1902, 1,


p. 261, fig. 2; M. Much, Kunsthist. Atlas, tav. XC, fig. 1 (non vidi); Deschmann, in Mitth.
d. antrop. Gesellsch. in Wien XIII, 1883, p. 210 (non vidi). Cfr. l'esemplare da Giubiasco:
R. Ulrich, Die Gräberfelder in der Umgebung von Bellinzona, Zürich 1914, pp. 342, 618,
tav. LXXXI, figg. 2 e 2a.
25 Diamo qui di seguito un elenco (provvisorio, e certamente incompleto) degli esemplari
appartenenti a questo tipo (non sono citati, anche in seguito, gli esemplari ricordati nella biblio
grafia, dei quali non è stato possibile riconoscere il tipo).
Italia Settentrionale: Monteremo (esempi, in ferro): Museo di Bologna (NS 1882,
p. 432) (qui Fig. 5).
Italia Centrale: Montefortino (6 esemplari, più numerose varianti): Museo di Ancona
(E. Brizio, in Mon. Lincei IX, 1899, passim, tav. VI); Filottrano (due esemplari): Museo di
Ancona (L. Coutil, in Bull. Soc. Préhist. Franc. 1913, pp. 380-387; I. Dall'Osso, Guida illustrata
del Mus. Naz. di Ancona, Ancona 1915, p. 271, fig. a p. 268; E. Bäumgärtel, in Journal of
the Royal Anthrop. Inst. 1937 {non vidi); P. Jacobsthal, Early Celtic Art, Oxford 1944, p. 147);
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 165

Più recente è il tipo B, che è in pratica una semplificazione del pre


cedente: una calotta emisferica, terminata in alto da un bottone anch'esso
emisferico, decorato spesso con una rosetta dai petali in rilievo. L'orlo c
ilindrico è decorato con linee oblique incise, e altre incisioni orizzontali
parallele sottolineano lo spazio compreso tra l'orlo e l'inizio della calotta.
La breve tesa del paranuca ha talvolta un aspetto rigonfio, con una serie di
elementi rilevati sovrapposti, e l'orlo assume in genere un andamento sinuoso.
Al centro del paranuca, nella parte inferiore, è quasi invariabilmente fissata,
con un chiodo ribattuto entro un foro, una linguetta metallica terminante
ai lati con due cannoncini, entro i quali sono inseriti due anelimi di forma
ovale26. Come nel tipo più antico, le paragnatidi sono costituite da tre el
ementi circolari disposti a triangolo, ma quasi sempre privi di ogni elemento orna
mentale. Questo tipo di elmo è diffuso soprattutto in Etruria27, che ne dovette

Provincia di Roma: Berlino, Antiquarium (L. Coutil, Casques, Le Mans 1915, p. 207, fig. 64
a p. 206; 'F. von Lipperheide'sche Sammlung, s.l. e s.a., tav. XII; AA 1905, p. 29 tav. 19 L 78).
Altre zone: Weisskirchen (un esemplare); Giubiasco (un esemplare: per questi, cfr. nota 24).
Una paragnatide è conservata a Londra (B. M. Read, A Guide to the Early Iron Age in the
Dep. of Brit, and med. Antiq., London 1905, p. 22, fig. 14 a p. 21). I dati cronologici che si
possono ricavare dai contesti non sono troppo numerosi. Tra gli esemplari di Montefortino,
l'elmo di ferro a fig. VI, 4 (tomba II: Brizio, cc. 661 s.) fu rinvenuto con un guttus a figure
rosse sovradipinte e altra ceramica a vernice nera, ancora del IV sec. a.C. L'elmo a fig. VI, 1
(tomba IV: Brizio cc. 663 s.) era insieme ad un cratere a campana della metà circa del IV sec.
L'elmo a tav. VI, 2 (tomba XVIII: Brizio, cc. 676 s.) era insieme ad una kylix a figure rosse, di
fabbrica italica. Da ricordare è anche un altro elmo da Montefortino, identico al precedente,
scoperto casualmente e poi venduto, che reca un'iscrizione etrusca con il nome del proprietario,
mi spudal (Brizio, e. 643; Fabretti, Primo supplemento al CIE, p. 17, n. 106).
26 Cfr. F. Magi, La raccolta B. Guglielmi nel Museo Gregoriano Etrusco, II, Città del
Vaticano 1941, fig. Ill; Robinson, op. cit., fig. a p. 15, 7.
27 Elenco degli esemplari a me noti:
Italia Centrale: Talamone (scop. 1877) (figg. 7-8): Museo di Firenze, inv. 70840 (Lipperheide,
op. cit., p. 233, η. 17; R. Paribeni, in Ausonia II, 1907, p. 282, l'iscrizione etrusca aisiu himiu
è in M. Pallottino, Testimonia linguae etruscae2, Firenze 1968, n. 360 a p. 59); tra Acquaviva
e Montepulciano: Berlino, Antiquarium (A. Ancona, Le armi, Milano 1886, tav. I, 10, p. 7; F. von
Lipperheide'sche Sammlung, tav. XI, 70; F. von Lipperheide, Antike Helme, p. 235, η. 226
e p. 548; AA 1905, p. 28, tav. 18, L. 72); Orvieto: Museo di Firenze (G. Conestabile, Pitture
murali, Firenze 1865, pp. 120 ss., tav. XII; L. A. Milani, Museo Topografico dell'Etruria,
Firenze 1898, p. 48; A. Solari, Vita pubblica e privata degli Etruschi, Firenze 1931, tav. X; U. Tarchi,
L'arte nell'Umbria e nella Sabina, Milano 1936, tav. 25); Perugia: Museo di Perugia
(F. Messerschmidt, in SE VI, 1932, pp. 517-518, tav. 28, II, 1); -S. Gìnesìo: Mus. Civico di
Tolentino (NSA 1886, p. 44, tav. I, fig. 2); Norcia: Museo di Perugia (NSA 1880. p. 15, tav. II,
6 - solo una paragnatide -); Perugia, Tomba del Frontone: Museo di Perugia (MDA(R) I, 1886,
166 FILIPPO COARELLI

essere uno dei principali luoghi di fabbricazione 28. La datazione tra la metà
e il terzo quarto del IV secolo a.C. è confermata da alcune associazioni29.
Il tipo C è, almeno all'inizio del suo sviluppo, praticamente iden
tico al precedente, con la variante fondamentale delle paragnatidi di forma
« anatomica », con la parte anteriore ad andamento sinuoso. Gli esemplari
di questo tipo, che costituisce ovviamente il precedente diretto dell'elmo
di Cremona, sono piuttosto numerosi. All'interno di esso possiamo distinguere
varie fasi, cronologicamente successive. La calotta emisferica si va progres
sivamente allungando e assottigliando verso l'alto. Il bottone terminale, al-

pp. 225-226); Perugia, da una tomba a camera: Museo di Perugia (F. Messerschmidt, in SE
VI, 1932, pp. 517-518, tav. XXVIII, II, 1).
Un esemplare da Cerveteri, privo delle paragnatidi, potrebbe appartenere anche al
seguente tipo C: Collezione Castellani. (Lipperheide, Antike Helme, p. 234, η. 92; G. Q. Giglioli,
L'arte etrusco, Milano 1935, p. 305, tav. CCCV, 5 - con errata indicazione «Museo Gregoriano»,
derivata da una didascalia della foto Moscioni 11097, ivi pubblicata).
Italia Meridionale: Apulia (loc. imprecisata): già Coli. Pasinati (attuale luogo di
conservazione ignoto) (Bull. Paletti. It. XI, 1885, p. 32); Pietì abbondante: Napoli, Museo Na
zionale (G. Fiorelli, Catalogo Mus. Napoli, Armi, Napoli 1869, n. 64; A. Ruesch, Guida del Museo
Nazionale di Napoli, Napoli 1908, p. 417, n. 5744); località imprecisata: New York, Metropolitan
Museum (G. M. A. Richter, The Metrop. Mus., Greek, Etr. and Rom. Bronzes, New York 1915,
n. 1550, p. 417).
Provenienza ignota: Milano, Museo Poldi Pezzoli (11 Museo Poldi Pezzoli, Milano 1972,
fig. 151); Roma, Museo Artistico industriale (due paragnatidi) (E. von Mercklin, in MDAI (R)
XXXVIII-XXXIX, 1923-24, pp. 129-131, fig. 21); Roma, Museo di Villa Giulia, inv. 51240
(Heibig, Führer4, III, 1969, n. 2674); Bruxelles, Musée du Cinquantenaire, η. inv. A 2782
(inedito. Ringrazio la dottoressa F. De Ruyt per questa informazione).
28 Come mostra, oltre alla concentrazione degli esemplari in Etruria, l'iscrizione etrusca
sull'esemplare da Talamone.
29 Esemplare da S. Ginesio (Piceno), in una tomba con bronzi non posteriori alla prima
metà del IV sec. a.C. Esemplare dalla tomba del Frontone, a Perugia, scoperto insieme a falere
di bronzo non posteriori alla prima metà del IV sec. L'armatura di Orvieto viene in genere
attribuita alla tomba dipinta Golini II (ad es., EAA V, p. 778, voce Orvieto - M. Bizzarri),
insieme ad un gruppo di vasi dipinti - Milani, op. cit., pp. 48 s.). Tuttavia il Conestabile
(p. 120 s.), confermato esplicitamente dal Brunn, che potè assistere allo scavo (Bull. Inst.
1863, p. 53) afferma che l'armatura venne trovata «in uno dei minori sepolcri» dei 15 circa
scavati dal Golini. Anche i vasi dipinti, tranne uno, non provengono dalle tombe dipinte. La
datazione dell'armatura è tuttavia determinabile sulla base dei bronzi trovati insieme ad essa
(Conestabile, tav. XIII), non posteriori al IV secolo, e soprattutto per il fatto che si tratta
di una panoplia oplitica, con schinieri e scudo circolare (cfr. Roma medio repubblicana,
p. 295; P. Fraccaro, Opuscula IV, Pavia 1975, pp. 41-42; 59-60). È interessante notare che la
riforma manipolare, che coincide con l'introduzione dell'elmo metallico e dello scudo allungato,
è attribuita dalle fonti letterarie a Camillo. Essa comunque ebbe luogo non dopo la metà
del IV secolo a.C.
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 167

l'inizio emisferico e decorato da una rosetta, si va anch'esso allungando,


fino ad assumere una forma tronco-conica, ornata da due serie di archetti incisi
sovrapposti. Il paranuca, inizialmente corposo e rigonfio, tende ad assumere
forme più rigide e semplificate. Caratteristica soprattutto è l'evoluzione
della paragnatide, da una forma molto semplice, con la parte anteriore art
icolata da due leggeri archi di cerchio, verso una progressiva accentuazione
di queste sinuosità, e conseguentemente delle parti sporgenti a protezione
del viso. Contemporaneamente aumenta anche la sua larghezza. Queste carat
teristiche si sviluppano contemporaneamente, in modo omogeneo e continuo,
e possono fornire una base notevolmente sicura per la cronologia relativa
degli esemplari. Per quanto riguarda la cronologia assoluta, basterà ricordare
che il tipo, nella sua forma più antica, è rappresentato nella Tomba dei
Rilievi a Cerveteri (Fig. 6), databile all'ultimo quarto del IV secolo a.C. 30.
Un tipo più recente è quello rappresentato nel frammento di pittura storica
dalPEsquilino, dei primi decenni del III secolo31 (Fig. II). Tra gli esemplari

Fig. II

30 Sulla Tomba dei Rilievi, sostanzialmente tuttora inedita, cfr. G. Ricci, in Mon. Lincei
XLII, 1955, cc. 894 ss. Per la datazione, M. Cristofani, La Tomba delle iscrizioni a Cerveteri,
Roma 1965, p. 64.
31 Roma medio repubblicana, op. cit., p. 203, fig. 15, tav. XLVIII, 283.
168 FILIPPO COARELLI

databili sulla base del contesto archeologico, citiamo un esemplare da Todi,


conservato nel Museo di Villa Giulia, di un tipo già abbastanza evoluto,
che la ceramica trovata nel corredo della stessa tomba permette di attribuire
alla metà circa del IH secolo ο poco dopo 32. Lo sviluppo si può seguire ininterro
ttamentefino alla metà-terzo quarto del secolo, quando appare il tipo più avanzato,
al quale appartiene l'elmo da Pizzighettone. Il luogo di fabbricazione è pro
babilmente l'Italia centrale, e in particolare l'Etruria, anche se in questo
caso almeno una iscrizione non è etnisca33. La diffusione è però più ampia
che per il tipo precedente: ne troviamo per la prima volta esemplari in Magna
Grecia (Paestum, Locri), ciò che sembra da porre in rapporto con l'espan
sioneromana nel periodo che va dalle guerre sannitiche a Pirro34.
Il tipo D, come si è visto, non è altro che l'estrema propaggine del
precedente, le cui caratteristiche risultano ora particolarmente accentuate.

32 La ceramica a vernice nera (una coppa e una coppetta notevolmente carenate) appar
tengono alla seconda metà del III secolo (come mi conferma l'amico Jean-Paul Morel: cfr. G. Bendinelli,
iri Mon. Lincei XXIII, 1917, e. 656). L'elmo può essere naturalmente di qualche decennio
più antico.
33 Firenze, Museo Archeologico, sala V, piano II. N. inv. 1237 (figg. 11-12). Detto proveniente da
Canne, ma in realtà da Canosa (A. F. Gori, Museo Etrusco II, Firenze 1737, tav. CLXXVII; cfr. L. Lanzi,
Saggio di lingua etrusco, II, Firenze 1825, p. 424; A. Fabretti, GII, Torino 1867, n. 2925; M. Gervasio;
in Iapigia IX, 1938, p. 13). L'iscrizione in questo caso non è etrusca, ma probabilmente italico-
orientale (debbo queste informazioni, come altre relative agli esemplari al Museo di Firenze,
al prof. M. Cristofani, che qui ringrazio). Etrusca è invece l'iscrizione di un elmo al Museo
di Bologna, dalla necropoli Benacci (NSA 1889, p. 295). Per l'altro elmo della stessa necropoli
(fig. 9) si veda E. Brizio, Atti e mem. Deputaz. Romagna V, 1887, p. 474; Mostra dell'Etruria
Padana2, Bologna 1961, n. 716, p. 209; Peyre, in St. Romagnoli 1965, cit., pp. 81 ss. (Ringrazio
la dottoressa C. Morigi Govi per le informazioni e le fotografie relative agli esemplari del
Museo di Bologna).
34 Elenco degli esemplari a me noti:
Italia Settentrionale: Bologna, Necropoli Benacci (2 esemplari): Mus. di Bologna (cfr.
nota prec); Berceto: Mus. di Parma {FA XIII, 1958, n. 2255 (Mansuelli); Peyre, in Studi
Romagnoli 1965, p. 85, fig. 3; A. Frova-R. Scarani, Parma, Museo Naz. di Antichità, Parma
1965, pp. 120 s., tav. LXXI; Robinson, op. cit., tav. 4); La Spezia (A. Frova, in RSL XXXIV,
1968, pp. 289-304, tav. II, fig. 6); Istria (F. von Lipperheide'sche Sammlung, tav. X, 73).
Italia Centrale: Volterra: Museo Guarnacci, n. inv. 756; Talamone: Mus. di Firenze,
inv. 70841 (scoperto nel 1877; inedito); Orvieto (Ancona, Le armi, pp. 7 s., η. 13 a tav. II);
Potassa (Grosseto) (Ancona, Le armi, p. 8, n. 15 a tav. II); Montefiascone, 2 esempi. (NSA 1879,
p. 135; Messerschmidt, SE VI, 1932, p. 521, tav. XXIX, v. 1): Cerveteri (almeno 3 esemplari;
già coli. Campana): Parigi, Louvre (A. De Ridder, Les bronzes antiques du Louvre, II, Paris 1915,
nn. 1120-1121, 1123, p. 4); Vulci: Museo Gregoriano (Mus. Gregoriano I, tav. XXI, 1; Heibig, Fuhrer4 1,
η. 817); Vulci: Museo di Villa Giulia, inv. 63205; Todi (3 esemplari, uno dei quali al Museo
di Villa Giulia, un altro al Museo di Firenze) (NSA 1891, pp. 332 s.; G. Bendinelli, Mon. Lincei
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 169

Ad esso possiamo attribuire anche l'esemplare da Casa Pallotti, al Museo


di Bologna, recentemente studiato da Jacques Heurgon, che, per la decorazione
delle paragnatidi e per la calotta ancora non troppo allungata, va datato
all'inizio della diffusione del tipo, intorno alla metà del III secolo (Fig. 10).
Appartengono a questa fase, oltre a questo e all'altro da Pizzighettone, gli
esemplari seguenti:

ITALIA SETTENTRIONALE
Lodi (Museo di Lodi); Castelnuovo Bocca d'Adda (Museo di Cremona);
Sanzeno (Museo di Trento) 35.

ITALIA CENTRALE
Montefortino (Museo di Ancona); Bplsena (Museo dell'Ermitage, Lenin
grado); Forum Novum (Museo di Monaco) (figg. 3-4) 36.

XXIII, 1914, cc. 674 ss.; Firenze - erroneamente detto da Canne -: inv. 74699 - Coutil, Bull.
Soc. Préhist. Franc., cit., fig. 10: G. Becatti, in SE IX, 1935, p. 289); Ancona: Parigi, Louvre
(De Ridder II, p. 4, η. 1122, tav. 66).
Italia Meridionale: Pietrabbondante: Museo Nazionale di Napoli (Fiorelli, Catalogo,
nn. 64, 65 a p. 7); Benevento: Museo - privo di paragnatidi -; Paestum - privo di paragnatidi -
(J. Dechelette, Manuel IV, 3, p. 1158, fig. 486, 2); Gerace Marina (Locri) (NSA 1927, p. 359));
Canosa: Museo di Firenze (cfr. nota prec); Apulia: Mus. di Karlsruhe (K. Schumacher,
Beschreibung der Sammlung antiker Bronzen, Karlsruhe 1890, pp. 132 s., η. 696, tav. XIII,
5, 5a: privo di paragnatidi); Apulia: Mus. di Karlsruhe (Schumacher, op. cit., pp. 133 s., n. 698,
tav. XIII, 6: reca incisa una A); Sciacca?: New York, Metrop. Museum (Richter, op. cit.,
pp. 417 s., n. 1551); Sicilia?: New York, Metrop. Museum (Richter, pp. 416 s., n. 1549).
Provenienza ignota: Roma, Museo di Villa Giulia, Antiquarium, sala XIII (Heibig, Führer4,
III, n. 2674); Firenze, Museo Archeologico, inv. 1629 (inedito); Firenze, Museo Stibbert (para-
gnatide) (A. Lensi, II Museo Stibbert, Firenze 1918, II, p. 651, n. 3879; Robinson, op. cit.,
fig. 19); Milano, Museo Poldi Pezzoli, 3 esemplari (II Museo Poldi Pezzoli, Milano 1972,
nn. 2416, 2421, 2423, p. 97, fig. 150); Parigi, Cabinet des Médailles (E. Babelon-J. A. Blanchet,
Catal. des bronzes antiques de la Bibliothèque nat, Paris 1895, p. 660, η. 2019; Ε. Sprokhoff,
Reallex. d. Vorg. V, 1926, pp. 294 ss.); Parigi, Musée de l'armée (J.-P. Mohen, in RA 1970,
p. 224, fig. 12); Parigi, Musée de l'armée (J.-P. Mohen, ibid., p. 224, fig. 12); Strasburgo,
Museo (dall'Italia) (Ancona, Le armi, SuppL, Milano 1889, p. 6, η. 16); Londra, British Museum
(5 esemplari) (Walters, p. 342, nn. 2725-2728; p. 349, 2840; Robinson, figg. 2 ss., taw. 2-3).
35 Lodi: Bull. Paletn. Ital. IX, 1883, pp. 196-201, tav. VIII, fig. 16; Castelnuovo Bocca
d'Adda: NSA 1909, pp. 274-276, fig. lap. 275; Pontiroli, Catal. Museo di Cremona, op. cit.,
p. 212, n. 320, tav. CLXII (dove per errore è indicato come η. 322); Sanzeno: NSA 1931,
p. 427, fig. 25; G. Gerola, II Castello del Buonconsiglio e il Museo Nazionale di Trento,
Roma 1934, p. 143.
36 Montefortino: E. Brizio, in Mem. Lincei IX, 1899, e. 687, tomba 25, tav. VI, 22;
Bolsena: A. I. Kharsekin, in SE XXVII, 1959, pp. 151-153 (con l'iscrizione etrusca suûina
170 FILIPPO COARELLI

ITALIA MERIDIONALE

Taranto (Museo di Taranto) 37.


Fuori dall'Italia, va citato il gruppo importante scoperto in Spagna38.
Altri tre esemplari, varianti (più tarde?) dello stesso tipo, sono al Museo
di Villa Giulia, nella Collezione Sangiorgi e nel Museo di Castel S. Angelo,
a Roma. Una paragnatide è al Museo Stibbert di Firenze39.
Il tipo va attribuito agli ultimi decenni del III secolo, data che coin
cide con quella che si è potuta stabilire, sulla base dell'iscrizione, per
l'elmo da Pizzighettone. Questo, come molti degli altri (con l'eccezione di
quello da Bolsena, che reca un'iscrizione etrusca), appartenne probabilmente
a un legionario romano. Non è senza importanza, a questo proposito, anche
la provenienza di due esemplari del tipo precedente (C) da Talamone (Fig. 7 e 8)
e da Locri40. Bisognerà tener conto anche della possibilità che qualche
esemplare abbia servito per più di una generazione (ciò che può spostare
leggermente i termini cronologici) 41: tanto più che alcuni elmi, certamente

(= appartenente alla tomba). Questo elmo è probabilmente posteriore alla fondazione di Volsinii
Novi, del 264 a.C; Forum Novum: cfr. nota 20 (primi decenni del II secolo).
37 Esposto nella sala d'ingresso del Museo. Scoperto insieme ad una piccola anfora in
Contrada Lupoli, Γ1 1-5-1907 (probabilmente inedito).
38 Maiorca: J. Colominas Roca, in Ampurias XI, 1949, pp. 196 ss.; G. Lilliu, in SS XVIII,
1962-63, p. 36, tav. Vili, 1; G. Barruel-G. Sauzade, in RSL XXXV, 1969, cit., pp. 31-33; Ampurias:
Ibid., pp. 30-31; M. Almagro, Las necropolis de Ampurias, Barcelona 1955, p. 279, fig. 227, 5; 299 s.,
fig. 253, 1; 354, fig. 336, 1; altre località della Spagna: H. Sandars, The Weapons of the Iberians,
Oxford 1913, pp. 72 s., figg. 47 e 48; Robinson, op. cit., p. 13.
39 Villa Giulia, Antiquarium, sala XIII, vetrina 3 (inedito? Cfr. Heibig, Führer* III, η. 2674).
Esemplare di tipo molto allungato: paranuca decorato con incisioni a semicerchi - assai simile a
quelli da Forum Novum e della Coli. Sangiorgi (inizio del II secolo a.C.?). Per quest'ultimo,
cfr. L. Pollak, Collezione P. Sarti, Roma 1906, tav. IX, 78; A. v. Gerkan-F. Messerschmidt, in
RM LVII, 1942, fig. 14 a p. 183. Elmo al Museo di Castel S. Angelo: Robinson, op. cit.,
tav. 5. Paragnatide al Museo Stibbert di Firenze: Lensi, op. cit. a nota 34, p. 651, n. 3878.
Elmi di questo tipo (D) indossano i guerrieri rappresentati su alcune stele di Castiglioncello,
del III secolo a.C. (E. Galli, in NSA 1927 ', pp. 166 ss.). Si veda quello su una kelebe volterrana
della prima metà del III sec. a.C. (M. Montagna Pasquinucci, Le kelebai volterrane, Firenze
1968, p. 59, n. 39, fig. 52).
40 Cfr. nota 34. L'esemplare da Talamone tuttavia si può con più probabilità attribuire
ad una tomba precedente alla data della battaglia.
41 Per un'epoca più tarda, si veda l'elmo trovato presso Trieste, nella Grotta delle Mosche,
sul quale sono incisi i nomi di due soldati, evidentemente possessori successivi dell'oggetto
(Inscr. Hai X, 4, n. 338 = ILLRP 1255; P. Couissin, in RA 1930, 1, p. 93).
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 171

sottratti a soldati etruschi ο romani, furono riutilizzati da guerrieri galli.


È questo il caso, ad esempio, dell'elmo proveniente da Todi, al Museo
di Firenze, al quale furono forse aggiunte in un secondo tempo due
appendici a forma di corna rivolte verso il basso, in lamina di bronzo.
Simile il caso di un elmo, leggermente più antico (tipo C, fase finale) rinve
nuto recentemente a Berceto, e conservato al Museo di Parma42. Troviamo
qui la dimostrazione evidente che il tipo non è di origine celtica: i Galli lo
importarono dall'Italia, e poi lo imitarono ed utilizzarono fino ad epoca
assai più tarda43.
Se ci volgiamo ad esaminare con maggiore attenzione i luoghi di trova-
mento degli elmi del tipo D, risulterà ancora più evidente la cronologia
proposta ed il rapporto con l'esercito romano. La presenza di un esemplare
a Taranto, ad esempio, può essere spiegata con le varie vicende che si
svolsero intorno alla città, fino alla definitiva conquista romana del 209 a.C.
Assai più significativa, però, è la concentrazione di un numero notevole di
elmi di questo tipo nella zona compresa tra l'Adda e il Po. Siamo informati,
ad esempio, del ritrovamento di un secondo esemplare a Pizzighettone, in riva
all'Adda, del quale è ignoto l'attuale luogo di conservazione44. Oltre ai due
da Pizzighettone, va ricordato l'elmo scoperto non lungi dalla confluenza
dell'Adda col Po, presso Castelnuovo Bocca d'Adda45, e l'altro simile prove
niente da S. Martino in Strada, presso l'Adda, a sud di Lodi46. In uno spazio
abbastanza ristretto sono stati rinvenuti ben quattro esemplari del nostro
elmo, ciò che difficilmente potrà essere casuale. Trattandosi, come mostrano
gli elmi da Pizzighettone e da Castrum Novum, di un tipo in dotazione all'esercito
romano tra l'ultimo quarto del IH e il primo quarto del II secolo a.C, dovremo
ricollegare questa eccezionale frequenza con una campagna avvenuta nella zona
in questo periodo. È noto che l'esercito romano passò il Po per la prima volta
nel corso della guerra contro gli Insubri del 223-221 a.C, che si svolse

42 Cfr. nota 34.


43 Cfr. nota 22.
44 NSA 1908, pp. 306-307. Qui esso è confrontato con quello di Montefortino (Brizio,
Mon. Lincei 1899, tav. VI, 22): si dovrebbe quindi trattare di un esemplare identico a quello
col nome di M. Patulcius.
45 NSA 1909, pp. 274-276; Pontiroli, Museo di Cremona, op. cit., p. 212, η. 320,
tav. CLXII (qui indicato, per errore, con il η. 322).
46 Cfr. nota 35. Per la posizione di queste località, si veda la carta archeologica pub
blicata in G. Pontiroli, Cremona e il suo territorio in età romana, s. 1. e s. a. (ma 1970), tav. 3.
172 FILIPPO COARELLI

principalmente nella zona compresa tra Acerrae, Clastidium e Melpum 47.


In particolare le operazioni si concentrarono intorno ad Acerrae, che domi
nava il passaggio dell'Adda 48. L'importanza attribuita dai Galli a questo centro
risulta dal tentativo di diversione da essi portato su Clastidium, che fu causa
della battaglia decisiva. Mentre Marcello combatteva a Clastidium, Cn. Cor-
nelio Scipione, l'altro console, conquistata Acerrae, si dirigeva su Milano,
ma qui subì probabilmente uno scacco, e dovette battere in ritirata. Milano
fu presa solo grazie all'intervento di Marcello.
La posizione di Acerrae è nota dalla Tabula Peutingeriana: a 22 miglia
da Laus Pompeia (Lodi Vecchio) e a 13 da Cremona, cioè in corrispon
denza con Pizzighettone, con cui in genere viene identificata49. S. Martino
in Strada, a sud di Lodi, si colloca sul percorso tra Pizzighettone e Milano,
lungo il quale dovettero aver luogo vari scontri tra i Galli e Scipione.
Gli elmi trovati in queste località appartennero dunque a soldati romani
che parteciparono alla campagna del 221: a questo periodo dovremo dunque
attribuire questi esemplari, e in particolare quello di M. Patulcius da Piz
zighettone, la data del quale può essere di conseguenza fissata intorno al 225 a.C.
Altre conforme in questa direzione ci vengono da esemplari, come quello
scoperto a Forum Novum, in Sabina, con l'iscrizione di un Q. Cossius,
e quello da Sanzeno, nel Trentino, che si può forse collegare (almeno nel
senso di un terminus post quern) con la prima alleanza tra Veneti e Romani
del 225 a.C.50. Ricordiamo infine, come particolarmente significativa, la
presenza di un nutrito gruppo di q uesti elmi a Maiorca e in Spagna, che
mi sembra da ricollegare con le campagne della fine del III e del II se
colo a.C. 51.
Questa breve ricerca, i cui temi andrebbero approfonditi e ampliati,
contribuirà spero a mostrare l'importanza di tanti materiali che giacciono

47 G. De Sanctis, Storia dei Romani III, 1, Torino 1916, pp. 318-321; L. Pareti, Storia
di Roma II, Torino 1952, p. 256; F. Cassola, / gruppi politici romani nel HI secolo a.C,
Trieste 1962, pp. 224-225.
48 Fonti principali sono Polyb. II 34, 4; 10 (cfr. W. Walbanck, A Historical Commentary
on Polybius I, Oxford 1957, p. 210); Plut., Marc. 6, 4; 7, 5.
49 H. Nissen, Italische Landeskunde II, Berlin 1902, p. 192.
50 Si potrebbe anche pensare alle campagne degli anni 221-220 contro gli Istri, che si
spinsero «fino alle Alpi»: De Sanctis, op. cit., Ili, 1, pp. 319-320.
51 Cfr. nota 38. Sbarchi e tentativi di sbarco romani nelle Baleari dovettero aver luogo
nel corso della seconda guerra punica: cfr. Liv. XXII 20, 9; De Sanctis, op. cit., Ili, 2, p. 242.
Anche il Robinson (op. cit., p. 13) ricollega gli elmi trovati in Spagna con le campagne romane
del III e II secolo.
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 173

trascurati e inediti, nel limbo dove li ha relegati il duplice disprezzo degli


storici (intesi nel senso tradizionale di specialisti della storia politico-militare
fatta esclusivamente sulla base delle fonti letterarie) e degli archeologi
(intesi nel senso, altrettanto tradizionale, di storici dell'arte antica). È forse
giunto il momento di riprendere tante ricerche di antiquaria, bruscamente
interrotte all'inizio del secolo, ο lasciate alle cure meschine dei soliti « mi
serabili antiquariorum » di winckelmanniana memoria, inserendole in
un'ampia e articolata problematica storica. Sempreché si riesca a far cadere
certi storici steccati, che ormai giovano solo al piccolo cabotaggio
accademico 52.

52 Non ho potuto tener conto del lavoro di M. Princ (Helme der jüngeren Hallstattzeit
und der- Latènezeit in Mitteleuropa, in Pamätky Archeologické LXVI, 1975, pp. 344-375, con
riassunto in tedesco, pp. 375-382) che ho potuto vedere solo quando il presente articolo
era già in stampa.
174 FILIPPO COARELLI

μ 1 ■ Kliiioda Pi/ziiihettonc (museo di Cremona).


l'ufo \lincu.

Fig. 2 - Particolare della fig. 1 con l'iscrizione. Foto Museo.


UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 175

Fig. 3 - Elmo da Forum Ν ovum (Sabina). Monaco di


Baviera. Foto Museo.

Fig. 4 - Particolare delia fig. 3. L'iscrizione. Foto Museo.


176 FILIPPO COARELLI

Fig. 5 - Elmo da Monterenzo.


Museo di Bologna. Foto Museo.

Fig. 6 - Cerveteri. Tomba dei rilievi. Particolare.


UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 177

Fig. 7 - Elmo da Talamone con iscrizione


etnisca. Firenze. Museo archeologico.
Foto Museo.

Fig. 8 - Particolare della figura precedente. Foto Museo.


178 FILIPPO COARELLI

Fig. 9 - Elmo dalla necropoli Benacci.


Museo di Bologna. Foto Museo.

Fig. 10 - Elmo da casa Pallotti. Museo di Bologna.


Foto Museo.
UN ELMO CON ISCRIZIONE LATINA ARCAICA 179

Fig. 11 - Elmo da Canosa con iscrizione


messapica. Firenze. Museo archeologico.
Foto Museo.

Fig. 12 - Particolare della figura precedente. Foto Museo.


JEAN COLLART

QUELQUES OBSERVATIONS STATISTIQUES


SUR LE LIVRE I DE TITE-LIVE

Dans sa belle édition du Livre I de Tite-Live, J. Heurgon a consacré


tout un développement de son introduction au style de l'auteur. Ce développe
ment commence ainsi: « Ce premier livre est admirablement écrit, mais dans
un style qui, lui aussi, a ses caractère propres . . . Quintilien en a heureuse
ment vanté la lactea ubertas, l'abondance laiteuse » 1.
Dans la courte étude qui va suivre, on n'a pas cherché à présenter un
exposé, même très général, sur le style de Tite-Live. L'entreprise aurait été
beaucoup trop ambitieuse. On s'est simplement efforcé de grouper quelques
remarques statistiques sur l'emploi des parties du discours. Ces remarques
suggèrent souvent des rapprochements et des comparaisons. Voici, dans
leur brutalité arithmétique, les pourcentages établis sur les cinq cents pre
mières lignes du Livre 1 2. Ces pourcentages s'entendent par rapport à la
totalité des mots employés.

Substantifs 36,5%

Eléments qualifiants (adjectifs 9,8%


qualificatifs, adverbes de manière)

Eléments pronominaux 8,6%

Verbes 21,1%

Invariables 24,0%

1 J. Heurgon, Tite-Live, Ab urbe condita, Liber primus, Paris, Presses Universitaires de


France, 1963, p. 12.
2 Pour faciliter les comparaisons, tous les calculs présentés ici ont été établis sur les édi
tions parues dans la «Collection des Universités de France», Paris, Belles Lettres.
182 JEAN COLLART

Ce qui frappe d'abord, en face de calculs identiques établis sur d'autres


livres et d'autres auteurs3, c'est la proportion imposante des noms. Il y a
ici 36,5% de substantifs, nettement plus d'un mot sur trois, et voici un
tableau comparatif:

PL Lucr. Caes. Cic. Virg. Hor. Tac.


Substantifs
18,7 27,7 32,0 26,3 34,1 27,3 35,2

Les substantifs sont la matière première d'un récit ou d'un exposé. Ils
représentent des images ou des concepts, et ce sont eux qui font la richesse
et la précision du discours. Il est, à cet égard, curieux de constater que
Tite-Live, au moins dans son Livre I, dépasse en moyenne les moyennes
respectives des sept auteurs sur lesquels porte l'expérience; curieux aussi,
de constater que l'écrivain dont il se rapproche le plus est son confrère
historien Tacite. Ne dit-on pas que Tacite est l'homme de la brachylogie,
l'auteur qui, dans ses écrits, «enferme moins de mots que de sens»?
Certains passages privilégiés de ce Livre I offrent d'ailleurs une densité
de substantifs nettement supérieure à la moyenne constatée. Le fait est sensi
bledans ces fabulae poeticae sur lesquelles J. Heurgon attire l'attention du
lecteur4. La consultation des auspices par Romulus et Rémus, par exemple,
(6,4-7,3), compte 39,8% de substantifs. De même, ou à peu près, le passage
correspondant chez Ennius en comporte 38,0% 5. Chez l'un comme chez
l'autre écrivain, le procédé épique des mots-refrains est également remarquab
le. Chez Tite-Live, sur cent dix-huit mots, il y a trente éléments de répétition;
chez Ennius sur cent trente-trois mots, il y en a trente et un. Les mots
Romulus, Remus, auspicium, Imperium, regnum, entre autres, se font écho.

3 A titre de comparaison avec Tite-Live, I, on mettra ici en parallèle les cinq cents pre
mières lignes des textes suivants: Plaute, Mil; Lucrèce, I; César, Bell. Gali, VII; Cicéron, Pro
Mil; Virgile, En., II; Tacite, Ann., XIV et Horace, Sat., I, 5, 8, 9, 10 et II, 4 et 8. Cf. J. Collari,
Quelques observations statistiques sur les parties du discours, dans REL, 37 (1959), p. 215-229.
4 Op. cit., p. 12.
5 Cf. A. Ernout, Recueil des textes latins archaïques, Paris, Klincksieck, 1957, p. 149-150,
v. 43-62, et J. Heurgon, Ennius, «Les Cours de Sorbonne», Paris, CDU, 1958, p. 38-44.
LE LIVRE I DE TITE-LIVE 183

De même, l'intervention des Sabines entre les combattants (13, 1-5)


présente 37,8% de substantifs. Plus particulièrement, la harangue qu'elles
adressent à leurs pères et à leurs maris, harangue qui se veut intensément
persuasive, en comporte 41%. Il y a là un pourcentage exceptionnel.
Cette abondance des noms suppose que Tite-Live économise sur d'autres
catégories de mots. Il semble utiliser assez peu la catégorie des qualifiants
(adjectifs qualificatifs et adverbes de manière). On n'en trouve chez lui que
9,8%. Et en voici un tableau comparatif:

PL Lucr. Caes. Cic. Virg. Hor. Tac.


Qualifiants
7,9 13,2 10,0 10,2 15,0 16,8 10,9

Le qualifiant n'est jamais indispensable: il s'attarde, il engage le juge


ment de l'auteur; il peut séduire, mais il n'est pas, en principe, un gage
d'objectivité. Les historiens l'emploient modérément, même à travers leurs
récits pittoresques. De fait, dans les récits d'actions particulièrement graves
et qui engagent l'avenir de Rome, Tite-Live en présente un pourcentage très
faible: 7,6% dans la consultation des auspices par Romulus et Rémus, 6,7%
dans l'intervention des Sabines. Par contre, dans l'apothéose de Romulus
(16, 1-3) où il s'agit d'idéaliser un personnage et de créer un climat de
merveilleux, la proportion des adjectifs atteint 16,2%.
Ni les pronoms personnels, indispensables dans le dialogue, ni les pro
noms indéfinis, pronoms de généralisation, ne sont d'un grand usage chez
les historiens. Dans l'ensemble même, le pronom leur est peu utile. En face
de Plaute (21, 3%), Tite-Live, avec sa proportion de 8,6% en est encore
plus économe que César (10,7%) et, à une unité près, il rejoint Tacite (7,6%).
Le pronom le plus fréquent chez lui est le démonstratif, élément commode
d'annonce ou de reprise, il atteint 3,2% (Cicéron: 5,5%; César: 4,0%; Tacite:
2,5%). Toutefois, par contraste, dans la harangue des Sabines, un effet
saisissant est tiré du pronom personnel, qui, à lui seul, par une habile oppos
ition de uos et de nos atteint la proportion de 15,6%.
De toutes les parties du discours, le verbe est celle pour laquelle les
écrivains semblent présenter entre eux le moins d'écart dans les statistiques.
Cela tient sans doute à ce que le verbe est l'élément moteur à peu près
indispensable à toute phrase.
184 JEAN COLLART

Tite-Live PI. Lucr. Caes. Cic. Virg. Hor. Tac.

Verbes au total . 21,1 26,4 24,1 24,3 21,5 21,0 23,5 21,5

Verbes simples . 12,7 19,1 15,3 9,2 14,1 13,3 15,6 9,6

Verbes composés 8,4 7,3 8,8 15,1 7,4 7,7 7,9 11,9

Là où les différences apparaissent, c'est dans l'emploi, non pas du verbe


en général, mais dans l'emploi des verbes simples et des verbes composés.
Le verbe à préverbe est un gage de précision, le verbe simple est plus flou
sans sa signification et ses contours. Les rapports de César, concernant des
faits contemporains vécus par lui-même, sont destinés à des lecteurs qui
n'en ont pas été les témoins. Il convient de leur en donner une image très
nette. Le verbe composé est alors d'un grand secours. Chez César un mot
sur sept est verbe à préverbe. Tite-Live, dans son Livre I, n'a pas besoin
des mêmes ressources. Il doit plutôt, dans une certaine mesure, observer
une sorte de flou artistique: chez lui, un mot sur douze seulement est verbe
composé. Et c'est ainsi que dans l'intervention des Sabines, la proportion
des verbes à préverbe tombe même à 7,4% et dans l'apothéose de Romulus
à 7,6% (même pas un mot sur treize).
Reste maintenant la catégories des mots invariables:

Tite-Live PL Lucr. Caes. Cic. Virg. Hor. Tac.


Invariables
24,0 25,5 24,7 22,7 27,0 21,6 21,1 24,5

Mais il y a lieu, ici, d'établir des distinctions:

Conjonctions
Adverbes non
Prépositions Coordonnantes qualifiants
subordonnantes
Tite-Live banales - que

6,2 3,8 2,3 3,3 8,4


LE LIVRE I DE TITE-LIVE 185

La préposition dont un des rôles les plus importants est la localisation


précise dans le temps et dans l'espace, est relativement fréquente chez les
historiens: César: 8,0%; Tacite: 5,0%. Tite-Live se place en moyenne entre
ses deux confrères. Mais il peut être intéressant de constater que, dans les
fabulae, pour le récit des auspices pris par Romulus et Rémus, ce pourcent
age tombe à 4,2%, et pour le combat des Horaces et des Curiaces (25, 3-12)
à 3,3%.
Les conjonctions, elles, offrent des possibilités diverses. En face des
énoncés affectifs obtenus par asyndète, les conjonctions subordonnantes sont
les pivots d'une phrase chargée, mais sans mystère. Chose étrange, parmi
les auteurs mis en concurrence, c'est chez Tacite qu'elles atteignent leur
pourcentage maximum: 7,3%. La brachylogie de Tacite s'éclaire au moyen
de ces jalons lumineux. La phrase charpentée de Cicéron a également besoin
de pareilles étapes logiques; la proportion y est de 5,9%. Le Livre I de
Tite- Live fait nettement moins appel à la raison; il se contente d'une
proportion de 3,3%.
Les conjonctions coordonnantes, par contre, sont nettement plus nomb
reuses, les copulatives surtout, qui enchaînent sans imposer un type de
raisonnement, qui laissent le chemin ouvert à l'imagination du lecteur. Leur
pourcentage chez Tite-Live est de 6,1%. Parmi elles, l'enclitique - que, qui
répond à un type archaïque de formation bien propre à orner des fabulae,
atteint la proportion de 2,3%, un mot sur quarante-trois. Chez Virgile, qui
semble l'avoir remise à la mode, elle atteint 4,8%; mais c'est là une propor
tion tout à fait exceptionnelle. Elle ne se rencontre chez Cicéron (Pro Milone)
et chez Plaute (Miles) que dans la proportion de 0,6%. Elle semble avoir
pour effet de donner au style une sorte de caractère vieillot, de recul dans
le temps. Aussi son emploi a-t-il sans doute paru efficace dans l'épopée et
dans le récit des vieilles histoires.
La petite étude à laquelle on vient de se livrer est évidemment très
limitée. Néanmoins peut-être permet-elle d'entrevoir, sous un aspect particul
ier, ce style dont Quintilien vantait Vubertas.
GIOVANNI COLONNA

« SCRIBA CUM REGE SEDENS » *

Nel racconto liviano dell'impresa di Muzio Scevola un ruolo essenziale


compete allo scriba che, insediato sul tribunal accanto al re, sovrintende
al pagamento degli stipendia ai soldati che gli sì affollano davanti (II, 12, 7).
Muzio, penetrato nel campo di Porsenna, lo scambia per il re, anche perché
era abbigliato quasi con lo stesso decoro, pari fere ornatu. Pertanto lo uccide
e viene preso. Dionisio di Alicarnasso narra il fatto al solito con più parole,
ma con poche varianti: il grammateus è solo sul palco ma indossa la toga
purpurea, il che facilita l'equivoco del romano (V, 28,2). Tutto l'episodio si
impernia evidentemente sulla somiglianzà esteriore tra lo scriba ed il re:
questo punto capitale è apparso sospetto ai moderni, che hanno pensato in
proposito alla contaminazione di un motivo non romano, ma greco \ anzi
ellenistico2, credendo così di trovare una conferma alla convinzione che si
tratti di una favola etiologica (dai prata Muda d'oltre Tevere e dal cognome
Scaevola dei Mucii), da allineare alle storie di Orazio Coelite, Clelia, ecc. 3.
Nulla da obiettare se non esistesse un monumento figurato etrusco di
poco più recente dell'età di Porsenna, noto da oltre un secolo, che si può
dire la fotografia della situazione quale si sarebbe presentata, secondo gli
storici antichi, agli occhi di Muzio avventuratosi nel campo reale. Mi riferi-

* Sono lieto e onorato di poter partecipare all'omaggio, che il mondo scientifico interna
zionale tributa al Professor Jacques Heurgon, maestro di tutta una generazione di studiosi
dell'Italia antica.
1 Così J. Bayet nella sua edizione di Livio, II, p. 19, nota 1.
2 «The presence and dignity of the secretary in attendance on Porsenna is purely helle-
nistic» (R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy 1-5, Oxford, 1965, p. 262). Accetta invece il
racconto E. Peruzzi, in La parola del passato, XXIV, 1969, p. 184.
3 Per es. F. Münzer, in RE, s.v. Mucius, 10 (1933); R. Werner, Der Beginn der römische
Republik, München 1963, p. 378 sgg.; H. Tränkle, in Hermes 93, 1965, p. 330 sgg.; D. Musti,
in Quaderni urbinati, 10, 1970, p. 110 sgg.
188 GIOVANNI COLONNA

sco ad un cippo funerario da Chiusi, del secondo venticinquennio del V sec. 4,


sul quale è raffigurata a bassorilievo la cerimonia della premiazione dei
vincitori di ludi ginnici e musicali (Fig. 1). Domina la scena il tribunal,
alla cui base 5 sono addossati sei otri di vino destinati ai premiati. All'estre
mità destra del palco siede lo scriba, al quale si presentano in fila un pirri-
chista, una crotalista, una flautista, un atleta con disco e giavellotto, seguito
da un allenatore6. A fianco dello scriba siedono sul palco due personaggi
intenti a conversare familiarmente tra loro, abbigliati come lo scriba ma
forniti entrambi di un attributo, un lungo bastone ricurvo al sommo, sul
quale si appoggiano con la mano sinistra (uno tenendo il bastone in posi
zione diagonale, quasi in atto di alzarsi). Siano ο no dei semplici giudici
di gara, la loro formale equiparazione a magistrati cittadini è assicurata,
oltre ogni ragionevole dubbio, dalla presenza, alla sinistra del palco, di un
lictor che con la sinistra impugna alla base una coppia di verghe, mentre
con la destra addita, servendosi di un lungo ed appuntito bastone, gli otri
evidentemente affidati alla sua custodia. Il fascio è privo di scure ma questo
non ne inficia il riconoscimento, poiché i littori dei cortei magistratuali di
età ellenistica innalzano di norma fasci senza scure, pur essendo certamente
littori7. Se questo è un fascio, come non vi è ragione di dubitare, il sorve
gliante di cui si parla è un littore; se i due personaggi insediati sul palco
e forniti di attributo sono assistiti da un littore, come in realtà si verifica,
sono due magistrati ο comunque ne hanno temporaneamente le funzioni.

4 Al museo di Palermo. W. Heibig, in Ann. Inst. 1864, pp. 50-54; L. Malten, in RM 38-39,
1923-24, p. 321; E. Gabrici, in St. Etr. II, 1928, p. 72 sgg.; G. Q. Giglioli, Arte etrusco, Milano
1935, tav. CXLIX; E. Paribeni, in St. Etr. XII, 1938, p. 110, n. 118; Mostra dell'arte e della
civiltà etrusca, Milano, 1955, p. 72, n. 275, tav. 48; J. Heurgon, in Historia VI, 1957, p. 67,
nota 4; La vie quotidienne chez les Étrusques, Paris 1961, p. 260.
5 Strutturata a larghi elementi verticali, esattamente come la fascia di base di molti fregi
dipinti ceretani su lastre fittili: F. Roncalli, Le lastre dipinte da Cerveteri, Firenze 1965, p. 76 sg.
Cfr. anche la faccia interna del recinto dell'Ara Pacis, imitante anch'essa un modello ligneo:
G. Moretti, Ara Pacis Augustae, Roma 1948, p. 170 sgg. Del tutto diverso, invece, il tipo di
tribuna effigiato nella tomba delle Bighe a Tarquinia, in cui il piano inferiore è agibile.
6 Le due ultime figure, scolpite su un frammento separato, non sono riprodotte nella Fig. 1.
7 R. Lambrechts, Essai sur les magistratures des républiques étrusques, Bruxelles 1959,
p. 191 sg. La tomba della Bipenne, recentemente scoperta a Tarquinia e databile al II sec. a.C.
(M. Moretti, Pittura etrusca in Tarquinia, Milano 1974, p. 144, fig. 98 sgg.) prova che
anche in epoca recente sono possibili fasci con scure, smentendo l'ipotesi di una presunta
ingerenza romana in questo settore delle istituzioni delle città etrusche: di conseguenza non
sono giustificati i dubbi sull'esistenza di littori senza scure nel V sec. (o.e., p. 197, nota 1).
«SCRIBA CUM REGE SEDENS » 189

Non si tratta di ipotesi, ma di dati di fatto. Ipotetica rimane invece, per


l'assenza del littore e del tribunal, l'identificazione come magistrati dei per
sonaggi seduti nei fregi fittili del tipo Velletri e in un altro cippo chiusino
del museo di Palermo, secondo la nota proposta di S. Mazzarino, che trenta
anni fa ha avuto il grande merito di riaprire il problema dell'apporto delle
fonti figurate alla conoscenza delle istituzioni arcaiche dell'Italia tirrenica8.
Si è portati a pensare che i ludi, di cui assistiamo alla conclusione
sul cippo chiusino, siano di carattere gentilizio e non cittadino. La pres
idenza affidatane a magistrati non risulta incompatibile con questa opinione,
ove si tratti di defunti appartenenti alle « grandi famiglie », come è stato
sottolineato dal Mazzarino9 e da J. Heurgon, che ha ricordato in proposito
il ruolo dei meddices in simili cerimonie a Capua10. A Roma il dominus
funeris assumeva per l'occasione la veste di delegato del magistrato, avendo
diritto alla toga pretesta (di colore scuro), ai littori e allo scriba (!) n. Ma
non va trascurata nemmeno la possibilità che su monumenti come i cippi
chiusini, nella maggioranza almeno approntati in serie anziché su ordina
zione, si siano infiltrate figurazioni ispirate alle maggiori cerimonie cittadine
(penso ai ludi istituiti dalla comunità dei ceretani, su ordine dell'oracolo
delfico, ad espiazione della lapidazione dei focei) 12.
Per tornare al nostro argomento, se alla coppia di magistrati - ο dei
loro facenti funzione - sostituiamo il re, eccoci davanti il quadro tracciato
da Livio: lo scriba a fianco del re, vestito come lui e seduto su un seggio
uguale al suo, vero protagonista del momento con la piccola folla che gli si
assiepa davanti. La raffigurazione ritorna, con qualche variante, su un altro
cippo chiusino, purtroppo assai mutilo, ora al Louvre (Fig. 2) 13: il che docu-

8 Dalla monarchia allo stato repubblicano, Roma 1945.


9 O.e., p. 71.
10 A.c. a nota 3, Le. (lo scettro del personaggio di sinistra è in realtà un bastone ricurvo,
la cui estremità rimane seminascosta dalla mano).
11 Festo p. 272; CIC. de leg. II, 24, 61. Cfr. T. Mommsen, Le droit public romain, II,
Paris 1892, p. 24, nota 2; E. Cuq, in Daremberg et Saglio, s.v. Funus, p. 1400 sg.; B. Gladikow,
in ANRW I, 2, 1972, p. 301. Per la toga: L. Bonfante Warren, in Anrw I, 4, Berlin - New York
1973, p. 591, nota 23. Che i magistrati etruschi avessero diritto allo scriba è testimoniato
dalle tarde figurazioni di cortei (Lambrechts, o.e., p. 193 sg.).
12 Hérod. I, 167. Cfr. G. Colonna, in St. Etr. XXXI, 1963, p. 146 sg.
13 M. F. Briguet, in Mélanges P. Boyancé (Coll. de l'Ecole Fr. de Rome, 22), Rome 1974,
p. 133 sgg., fig. 19. La Briguet data sia il cippo del Louvre che quello di Palermo al 480-460 a.C.
(p. 138). Un terzo cippo, frammentario, al museo di Chiusi (inv. 2289) (Fig. 3), mostra, seduti
in primo piano, un magistrato che detta allo scriba, avente le tabulae aperte a leggìo sulle
190 GIOVANNI COLONNA

menta lo stabile ingresso del tema nel repertorio dei decoratori di cippi,
confermando che a Chiusi la premiazione dei ludi avveniva nel V sec. con
una cerimonia di questo tipo.
I due cippi chiusini passati in esame non esauriscono il loro apporto
conoscitivo nella conferma della attendibilità, ovviamente teorica, della gesta
di Muzio, quale è narrata dagli antichi w. Quello che in fondo è il loro
tema centrale - l'uomo che scrive - consacra in termini figurativi l'ingresso
dell'Etruria nel novero dei paesi di cultura superiore, dei paesi « letterati ».
Certo si scriveva in Etruria e nel Lazio da oltre due secoli, ma la rappre
sentazione dell'attività scrittoria denota una consapevolezza del significato
distintivo della scrittura, del suo apporto qualificante allo stile di vita citta
dino, che è degno della massima attenzione. Sui vasi attici del V sec. sono
frequenti i giovani che scrivono ο leggono ma, quando non sono figure
mitologiche, sono personaggi anonimi, presi dalla vita di ogni giorno 15. In
Etruria la rappresentazione assume, direi, un contenuto simbolico, puntualizza
un momento e una funzione caratteristica dell'attività del magistrato. Non
a caso in quello che si ritiene il più antico sarcofago etrusco di pietra a
noi giunto, il sarcofago ceretano del Vaticano, le tabulae accompagnano
sul cuscino l'ultimo sonno del magnate disteso sul letto funebre 16. I due
cippi chiusini non soltanto esaltano la dignità sociale dello scriba - assai
maggiore che non a Roma, a giudicare dall'episodio di Muzio - ma forn
iscono una prova dell'estensione allora raggiunta dagli usi giuridico-ammini-
strativi della scrittura. Lo scriba è infatti intento a registrare i nomi dei

ginocchia: alle spalle sono due personaggi stanti, il destro con fascio. Il cippo, mal compreso
da D. Levi, II museo civico di Chiusi, Roma 1935, p. 20, è stato ritenuto falso da E. Paribeni,
in St.Etr. XI, 1938, p. 138, tav. XXXVII, 1. Tuttavia la rarità del tema e la peculiarità del
l'iconografia fanno nascere qualche dubbio al riguardo: se falso, il cippo postula comunque
una fonte d'ispirazione diversa dal cippo di Palermo, confermando l'esistenza di una seconda
redazione del tema.
14 II gent. Mucius è indirettamente attestato nel V sec. a Chiusi attraverso la forma
etrusca muki (TLE 484: mi mukis papanaia), usata con valore di prenome, evidentemente in
luogo di muki (e): cfr. a Chiusi stessa uepri da Tiberius (C. De Simone, in St. Etr. XLIII, 1975,
p. 123 sgg.).
15 Da ultimo H. Widmann in Archiv für Geschichte des Buchwesens, LV, 1967, p. 64 sgg.;
H. R. Immerwahr, in Antike Kunst, 16, 1973, pp. 143-147.
16 Secondo l'ipotesi avanzata dubitativamente da R. Herbig, Die jiingeretruskischen
Steinsarkophage, Berlin 1952, p. 47 e sviluppata da F. Roncalli in una conferenza tenuta nella
primavera del 1975 presso la Pontificia accademia romana di archeologia. Il particolare è visibile
in Giglioli, o.e., tav. CCXLII, 3. Il sarcofago si data probabilmente nella prima metà del IV sec.
(sulla cronologia della tomba G. Colonna, in St. Etr. XLI, 1973, p. 335 sg.).
«SCRIBA CUM REGE SEDENS » 191

premiati su un piccolo codice di tabulae, squadernato a dittico sulle ginocchia


con la costola di traverso: tabulae destinate evidentemente ad essere conser
vate in archivio. Ne consegue che esistevano con assoluta certezza nella prima
metà del V sec. atti pubblici con i nomi dei vincitori dei ludi gestiti dalla
città ο comunque da essa patrocinati. I ludi ceretani già ricordati, che
Erodoto afferma essere stati ripetuti annualmente fino ai suoi tempi, avranno
avuto certamente le loro liste di vincitori e, forse, la loro « era ».
Ciò rende ozioso discutere ancora sulla esistenza in età tardo-arcaica,
per lo meno in Etruria, di liste di re, magistrati, sacerdoti, ecc, con tutte
le conseguenze per i computi cronologici degli antichi che se ne possono
trarre. Piuttosto è da rilevare che i monumenti figurati permettono di comp
iere un altro passo in questa prospettiva di ricerca. Il gruppo funerario di
Chianciano (Fig. 4), databile nell'ultimo trentennio del secolo 17, mostra la
dea Vanth assisa al banchetto del defunto, nell'atto di esibire un liber par
zialmente srotolato 18. Non si tratta di un fatto puramente esteriore, come
potrebbe essere l'imitazione di un modello greco, poiché l'iconografia rel
igiosa dei greci non conosce il tema della divinità con il rotolo 19. Qualunque
sia stato il contenuto specifico attribuito in questa figurazione al liber di
Vanth20, esso non può non richiamare alla mente la vasta letteratura rel
igiosa degli etruschi, di cui una parte rilevante sappiamo essere stata di
argomento funerario (libri Acherontici). Una testimonianza epigrafica indi
retta di questa letteratura, risalente ad un'età assai vicina a quella del
gruppo di Chianciano, è fornita, com'è noto, dalla tegola di Capua21, che

17 Secondo la cronologia proposta recentemente da M. Cristofani, Statue-cinerario chiu


sine di età classica, Roma 1975, p. 65 sgg. (n. 12).
18 T. Birt, Die Buchrolle in der Kunst, Leipzig 1907, p. 84 sg., seguito da G. Herbig, in CIE,
Suppl. I, 1921, p. 11, n. 15, ritiene che la dea porga il rotolo al defunto. Ma la forzatura del
gesto gli fa ipotizzare un errore nella ricomposizione del gruppo, che il recente restauro per
mette di escludere nel modo più assoluto (Cristofani, o.e., p. 34). Preferibile è l'esegesi proposta
da R. Herbig - E. Simon, Götter und Dämonen der Etrusker, Wiesbaden, 1965, p. 43.
19 Birt, o.e., pp. 69, 158.
20 Non credo infatti che esso sia assimilabile ad un semplice cartiglio, ο ad un epitaffio
sepolcrale del genere di quello esibito da Laris Pulena (così F. Messerschmidt, in Archiv für
Religionswissenschaft, XXIX, 1931, p. 60 sgg., in particolare p. 65, dove è avanzato il confronto
con la Vittoria romana che scrive sullo scudo). Questa estensione di significato al servizio del
defunto, indubbiamente c'è stata, ma in partenza il significato del rotolo, in quanto attributo
divino (monumenti in A. Rallo, Lasa, Firenze 1974, p. 51, nn. 3-5, cui è da aggiungere il bel
bronzetto da Orbetello in EAA V, fig. 864), non potè non essere diverso.
21 F. Ribezzo, in La parola del passato, I, 1946, p. 286 sgg.; M. Pallottino, in Si. Etr. XX,
1948, p. 194. Per la cronologia della Tegola: Id., in Arch. Class. XXV, 1973, p. 474, nota 10.
192 GIOVANNI COLONNA

pure va ricordata per la sottoscrizione finale da parte dello scriba, avente


quasi il valore di una firma. Il liber di Vanth accerta, se non erro, che
simili testi avevano già assunto in quell'epoca una forma letteraria, circo
lavano come libri, dando credito alla tradizione sui libri Sibyllini, che erano
custoditi in Roma nel tempio capitolino fin dai tempi della sua fondazione 22.
E vorrei aggiungere, tornando al gruppo di Chianciano, che l'attribuzione
del liber alla dea sul piano psicologico e culturale in genere significa, di
nuovo, una esaltazione del valore e del potere della scrittura, considerata
questa volta nelle sue implicazioni sacrali: segno della partecipazione della
classe sacerdotale alla utilizzazione e alla propagazione delle litterae.

K. Latte, Römische Religionsgeschichte, München 1960, p. 160 sg.


194 GIOVANNI COLONNA

Fig- 2.

Fig. 3.
SCRIBA CUM RKGH SÜDENS 195

Fig. 4.
MICHAEL H. CRAWFORD

THE EARLY ROMAN ECONOMY, 753-280 B.C.

My terminal date of 280 B.C. is the date at which, for all practical
purposes, Rome acquired a coinage *. At some time after the occupation
of Neapolis in 326 B.C., perhaps on that very occasion, a small issue of
bronzes was produced, with the legend ΡΩΜΑΙΩΝ and Neapolitan types2;
there is also an isolated example of an issue with the legend ROMANO
which perhaps precedes the main body of Republican coinage. But neither
issue seriously weakens the general proposition that down to 280 Rome is a
state without a coinage3.
What is more, there is no evidence that Romans made much use of the
coinage of other states. The archaelogical record of the city of Rome is
virtually devoid of evidence of coin finds before the third century B.C.; in
this respect Rome can now be seen to diverge from Etruria, whose own
coinage is also for the most part of relatively late date, but where coinage
of other states appears at any rate in some places from the fifth century
onwards 4. The absence of coinage from Rome before the third century B.C.
is of course only one aspect of the general isolation of Rome, amply attested
by the rest of the archaeological record and to a lesser extent by the literary
record 5.
Absence of coinage, however, does not mean absence of money and
much of what I have to say relates to the functions of money in the early

1 See my Roman Republican coinage [RRC], Cambridge, 1974, pp. 35-46.


2 RRC no. 1.
3 RRC no. 2. For the bullion from which the issues of 280 B.C. were produced note the
booty from Samnium and Etruria in 293 B.C., Livy x, 46, 5 and 14.
4 Inventory of Greek coin hoards, 1875 and 1905.
5 It will not in any case do to argue with E. S. Staveley, Historia 1959, 420, that the
adoption of coinage in the late fourth century increased the incidence of debt.
198 MICHAEL H. CRAWFORD

Republic. But any attempt to discuss this subject must face the problem
of the sources. Relentlessly modernising, they persistently discuss the early
Republic in terms of the monetary conventions of their own times, including,
of course, the use of coinage, and in terms of the economic thought, if that
is not too grand a name, of the late Republic and early Empire, heavily
influenced by Greek experience.
It is not simply that an obsession with etymology on the one hand
and a desire to make Rome as advanced as possible as early as possible
on the other hand combined to attribute coinage to the kings. As appears
in a number of ways, the whole apparatus of writing about the early Republic
presupposed the use of coinage in the same way as in the lifetime of the
writers.
To consider first the invention of coinage, Pliny reported Timaeus as
attributing bronze coinage to Servius Tullius6, while Varrò thought that
Servius Tullius produced a silver coinage 7. An alternative tradition, starting
from the similarity between Numa and nummus, attributed coinage to Numa
Pompilius, the second king of Rome8. A third tradition took the invention
of coinage back to Saturn 9.
None of this need detain us very long. More serious is the effect on
our sources of the assumption that coined money circulated in early Rome.
In 502 B.C., according to Livy, captives were auctioned; Livy clearly assumes
the monetary conventions of the late Republic 10. In 476 B.C., according to
the tradition, T. Menenius was fined 2,000 asses, with Dionysius of Halicar-
nassus carefully explaining that an as was at that date a bronze coin weighing
a pound n. For 456 B.C., a corn-distribution is recorded by Pliny, at a price
of one as per modius, with a coin, not a weight of metal, clearly in Pliny's
mind 12. Our sources also present us for the early and middle Republic

6 Pliny, NH xxxiii, 42-4; cf. xviii, 12; also Cassiodorus, Variae vii, 32, 4. See below, p. 202.
7 In Charisius, Inst. i, p. 105 Keil; so also Volusius Maecianus (F. Hultsch, MSR ii, 66).
8 Isidore xvi, 18, 10; Epiphanius (MSR ii, 105); John Lydus, de mens, i, 17; Suidas, s.v.
άσσάρια.
9 Tertullian, Apol. χ, 8; Isidore xvi, 18, 3; Plutarch, aR274e; Macrobius, Sat. i, 7, 21.
10 Livy ii, 17, 6; for a collection of the evidence for booty in the early Republic see
T. Frank, ESAR i, 24 and 43.
11 Livy ii, 52, 5; Dion. Hal. ix, 27, 3; for other evidence of anachronism see R. M. Ogilvie
ad loc.
12 Pliny, NH xviii, 15.
THE EARLY ROMAN ECONOMY, 753-280 B.C. 199

with a picture of an elaborate machinery of state loans to cope with indebtedn


ess; in doing so they are surely guilty of anachronism 13.
If the re-writing of Roman history to make it follow later patterns may
be suspected in the case of measures to deal with indebtedness, it is virtually
certain in the case of an extraordinary procedure attributed to Servius
Tullius by Dionysius of Halicarnassus. In order to count his population,
Servius Tullius compelled men, women and children to dedicate at a festival
a different kind of coin 14. An alternative version was taken over by Dionysius
from L. Piso Frugi, according to which births, deaths and comings of age
of male members of the population had to be registered by the dedication
of a coin at a different temple in each case 15. The latter version is redolent
of the concern with Roman military manpower of the Gracchan age 16, the
former, with its unparalleled attribution of an interest in women and children
to a Regal or Republican census, is perhaps the product of the Augustan
age, when the basis of the Roman census was changed to count the entire
population, not just adult males.
After this cautionary introduction, what I should like to do is to try
and trace the development of money in early Rome, then look very briefly at
what can be said of the early economy of Rome and finally consider the
developing use specifically of money by the Roman state.
It is as true for the Roman world as for the Greek that the most
important stage in the early history of money is the designation by the state
of a fixed metallic unit or scale of units, not the invention of coinage; the
expression of the unit or units in the form of coinage is relatively unimport
ant17. When did Rome reach the stage of designating a fixed metallic
monetary unit?
I mentioned earlier that Pliny reported Timaeus as attributing bronze
coinage to Servius Tullius; the passage is much discussed, without agreement

13 State loans are suggested at Dion. Hal. v, 69, put into effect at Livy vii, 21, 4-8; note
also the speeches at Livy xxii, 60, 4; Appian, BC iii, 64 and 73. State loans occur sporadically
under the Empire, see my article in Annales 1971, 1230 η. 5 and discussion in text.
14 Dion. Hal. iv, 15,4.
15 Dion. Hal. iv, 15, 5 = L. Piso Frugi fr. 14 Peter.
16 For empire-wide registration of all births see SHA, Marcus 9, 7-8. In view of the
registration of deaths and births by the dedication of, inter alia, a coin, attributed to Hippias
by [Aristotle], Oec. ii, 1347a 14-17, it is perhaps legitimate to suppose that Piso was filling out
his narrative with activities imported from Greek sources.
17 See in general the discussion in J. M. Keynes, A treatise on money, London, 1930, i, 11.
200 MICHAEL H. CRAWFORD

being reached. But it seems to me that Timaeus, a contemporary of the


first Roman coinage and an acute and diligent student of Roman affairs,
cannot have attributed bronze coinage to Servius Tullius. I believe on
balance that Timaeus attributed the designation of a metallic unit, the bronze
as, to Servius Tullius 18. For what it is worth, that is what the author of
the de vins illustrious attributes to Servius Tullius. Certainly the ' Servian '
census, which appears to be Timaeus' main concern, is perfectly compreh
ensible in terms of metallic units, weighed out without being produced in
coined form.
The problem is to decide whether Timaeus as thus understood (also
the author of the de vins illustribus) was right. I shall argue later that
the ' Servian ' census, at any rate in the form described by Timaeus and later
writers, is an institution dating from the fourth century, though the possible
existence of a structured organisation of the population in some form under
Servius Tullius makes the attribution of the developed form to him an
intelligible mistake.
As far as the designation of a fixed metallic monetary unit is concerned,
there is an alternative tradition, at first sight of considerable plausibility.
Romans of the late Republic and after believed that wealth in Rome in
early times consisted largely of cattle, whence the word pecunia. (The fact
that they went on falsely to assert that the earliest coinage commemorated
this fact by using a cow as its type is neither here nor there.) As a corollary,
it was believed that fines in early times were in cattle and sheep and that
two laws in the course of the fifth century provided for their conversion
into fines in bronze.
But the tradition is in some respects incoherent and self-contradictory.
There is no agreement about the content of the suprema multa - two cows
and thirty sheep according to Dionysius of Halicarnassus x, 50, 2, two sheep
and thirty cows according to Gellius xi, 1, 2; Festus 129L and 268-270L,
thirty cows only according to Festus 220 L. Furthermore, according to
Dionysius x, 50, 2 and (by implication) Cicero, de re publica ii, 60, the Lex
Aternia Tarpeia of 454 B.C. simply laid down what the multa suprema was
to be in cattle and sheep, while Gellius xi, 1, 2 and Festus 268-270 L regard
the Lex Aternia Tarpeia as laying down equivalents in bronze for sheep
and cattle 19. When we move on from the Lex Aternia Tarpeia, the situation

18 See the discussion in RRC i, pp. 35-7.


19 There is nothing of economic significance to be gleaned from the equivalences of
1 cow = 100 asses, 1 sheep = 10 asses (associated with 509 B.C. by Plutarch, Pob. 11!).
THE EARLY ROMAN ECONOMY, 753-280 B.C. 201

gets no better. Festus 268-270 L attributes the establishment of the suprema


multa to the year 452 B.C. The step from fines in kind to fines in bronze
seems to be attributed by some sources to the Lex Iulia Papiria of 430 B.C. 20.
Quite apart from all the incoherences, I find it incredible that fines
were ever levied in Rome in cattle and sheep. Just as in the Homeric world
the fact that wealth was thought of as consisting in part of cattle and
evaluated in terms of cattle does not mean that cattle were ever used as
money for purposes of payment, so for Rome it does not follow from the
existence of wealth in the form of cattle that cattle were levied as fines.
I regard the whole apparatus of fines in kind recorded by the sources as
so much learned speculation, starting from the etymology of the word
pecunia 21. A metallic unit is clearly implied by the Twelve Tables of 450 B.C.,
with a penalty of 25 units of bronze for iniuria22; there is also the fact
mentioned earlier, that fines in asses (thought of by the sources as coins,
to be taken by us as weights of bronze) are mentioned by Livy and Dionysius
of Halicarnassus for 476 B.C.23.
To return to Servius Tullius, it seems to me reasonable to regard him
as the originator of a metallic unit designated as a certain weight of bronze,
though the positive evidence for this belief is not strong. But I hope to
have eliminated the evidence that points in the opposite direction and find
it difficult to imagine Regal Rome without such a unit thoughout. The
metallic unit in question was of course a pound of bronze, an as; it remained
the Roman monetary unit, despite successive reductions in weight after its
appearance in the form of coin, down to c. 141 B.C.; in practice, it was
made up before its appearance in the form of coin in 280 B.C. of odd pieces
of aes rude, a practice vestigially perpetuated in the practice of manum
ission per aes et libram throughout the Republic; the placing of a piece
of bronze - any piece of bronze - in a pair of scales marked a notional
act of sale of the slave being manumitted. One may argue that sale as a
formal procedure and the extension of a purely symbolic version of the act
of sale to the procedure of manumission post-dated the designation by the
state of a fixed metallic monetary unit.

20 Cicero, de re pub. ii, 60; Festus 220 L; Livy iv, 30, 3 (the notes of R. M. Ogilvie there
and on iii, 31, 5 are confused).
21 E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, 1969, i, 47,
regards the derivation of pecunia from pecus as mistaken; but compare the word adgregare.
22 Gellius xvi, 10, 8 and xx, 1, 12 with Festus 508 L and Gaius iii, 223 = XII Tab. 8, 3-4.
23 See also the list of passages in note of R. M. Ogilvie on Livy ii, 52, 5.
202 MICHAEL H. CRAWFORD

If then we can accept that a state-designated metallic monetary unit


existed at Rome from soon after the emergence of Rome as an organised
community, what of the development of the early Roman economy? Here
much is inevitably supposition. The spectacular evidence of tomb-finds,
however, suggests a very striking concentration of wealth in mobile form
from the beginning of Period III in Latium onwards, say from about
750 B.C.24; this concentration of wealth seems much more striking than
that attested by hoards of aes rude in earlier periods. I take it that what
was happening was that certain dominant groups, whose dominance was
expressed in terms of control over extensive land-holdings, were stimulated
by the availability of status-defining and status-enhancing luxury imports
to demand from the lower orders an agricultural surplus which could be
exchanged for these imports; in other words the origin of the wealth of the
upper orders in early Latium - locupletes - was derived from the land25.
It is also clear for early Rome, late Regal or early Republican, that a
surplus was available to the community as well as to individuals and that
this surplus could be deployed for communal purposes in quite complex
ways. I see no reason to doubt the substantial accuracy of literary records
of building in Rome, confirmed by archaeological finds, nor to doubt that
in their construction more was involved than mere distraining on goods or
services. In other words, both materials and skills had to be bought for
the state and in some cases bought from abroad. I shall argue later that
taxation in Rome belongs with the introduction of pay for the army and
suspect that for an earlier period some form of liturgy system existed.
I see no way of deciding to what extent economic differentiation
corresponded to the various schémas of social differentiation that have been
proposed. Accepting provisionally Professor Momigliano's schema, whereby
an aristocracy of birth consisting of patres and conscripti formed with their

24 See C. Ampolo, Dial. d'Arch. 1970-71, 37, 'Su alcuni mutamenti sociali nel Lazio tra
l'VIII e il V secolo', esp. 46-9 for the tomb-finds, also the rather introverted discussion following
A.'s paper; D. R. Ridgway, JRS 1976, forthcoming, for the date of 750 B.C.
25 I am not persuaded by F. Tamburini, Ath 1930, 299 and 452, 'La vita economica nella
Roma degli ultimi re', that Etruscan influence made Rome a mercantile and manufacturing
centre in the sixth century B.C., in which trade guilds played their part. The new archaeological
evidence for the destruction of Castel di Decima as a result of expansion by Ancus Marcius
toward Ostia does nothing to encourage belief in commerce as a source of wealth in Regal
Rome. The first two treaties between Carthage and Rome are revealing only for the commerce
of Carthage.
THE EARLY ROMAN ECONOMY, 753-280 B.C. 203

clientes the classis and the sex suffragia, the populus or adsidui over
against the plèbes or proletarii2^, one may surmise that wealthy plebeians
were in no way more remarkable in the early Republic than wealthy
aristocrats 27; one may also gladey accept that clientes were not the same
as dependent peasants, an equation unsupported by any ancient text, not
even Dionysius of Halicarnassus ii, 9, 1-3 (one can hardly argue that depen
dentpeasants were by virtue of their dependence clientes); and one need
not argue with Beloch that since the patricians owned all the land, the new
plebeian nobility of the fourth century was necessarily rich from trade or
industry 28.
At all events, the record of temple-building and the archaeological
evidence of imports to Rome show that both individuals and the community
became poorer between the early fifth century and the fourth century, no
doubt largely as a result of continuous and not conspicuously successful
warfare. The indebtedness of some of the plèbes, presumably a result of
loans in kind, and the political ambitions of others combined and the
resulting confrontation now split the patricians from everyone else. The
ultimately peaceful resolution of the conflict clearly owed much to the
availability of land to all elements of Roman society as a result of the
increasingly successful wars of the fourth century and the consequent
enrichment of everyone relative to what each had possessed before29.
Meanwhile, over the fifth and fourth centuries, in the interests of deploying
the whole community to aid the process of conquest, there gradually evolved
the complex articulation of the entire citizen-body which characterised
Rome of the middle and late Republic.
As mentioned above, ancient authors from Timaeus onwards believed
that a division of the people into property classes defined in monetary

26 A. D. Momigliano, in C. S. Singleton, ed., Interpretation, 1.


27 I do not in any case share the touching faith of Tenney Frank, ES AR i, 23, in 'the
traditional stories of nobles like Cincinnatus . . . who farmed their own few acres between
magistracies'.
28 J. Beloch, Römische Geschichte, 337-8; I should perhaps add that I regard the Lex
Claudia of 220 B.C. simply as an attempt by the community as a whole to define its aristocracy
as a landed aristocracy, untained by worldly cares, an at tempt resisted by that aristocracy as
lèse-majesté.
29 The centrality of the land-problem in the political struggles of the early Republic emerges
clearly from the sequence of leges agrariae, culminating in the Lex Licinia Sextia of 367 B.C.
(on which see Ci? 1971, 253).
204 MICHAEL H. CRAWFORD

terms formed the basis of army recruitment and political organisation from
Servius Tullius onwards 30. I find this implausible, mainly because a division
of the Roman people in terms of wealth seems to me incompatible with
the existence of a rigid division between an aristocracy of birth and the
rest; at Athens the introduction of property qualifications within the citizen
body marked the end of the monopolisation of political power by a class
defined by birth. If this is right, one must ask when property qualifications
within the citizen body emerged at Rome.
The question is bound up with the problem of the emergence of money
taxation. The institution of tributum clearly supposes a knowledge of the
property held by the citizens of Rome; the imposition of tributum must in
turn clearly have come into existence no later than the adoption of pay for
the army; tributum and Stipendium are intimately linked in all our sources.
According to Roman tradition, the adoption of pay for the army took
place in connection with the siege of Veii in 406 B.C. The fact that the
information is preserved by Diodorus xiv, 16, 5 is perhaps encouraging,
since he probably used sources writing earlier than the large-scale invention
of Roman history between 500 and 300 B.C. that took place from the late
second century B.C. onwards31. It is in any case certain that the adoption
of pay antedates the adoption of coinage and also that the levels of pay
were a great deal lower than the three asses a day attested for the second
century B.C. 32.
The first point emerges from the word Stipendium, implying, as Roman
antiquarians saw, that pay was originally weighed out, not counted out33.
The second point emerges from a consideration of the early history of the

30 The classic texts are Livy i, 42-3; Dion. Hal. iv, 15-17. The Indian parallel to Servius
Tullius and the census alleged by G. Dumézil, Idées romaines, 103, seems to me neither con
vincing nor illuminating.
31 See also Livy iv, 59-60; Stipendium triplex for the cavalry appears in Livy vii, 41, 8
(342 B.C.); H. Hill, CP 1943, 132, argues plausibly that the cavalry got aes equestre and aes
hordeariutn before pay for the infantry was instituted, that they then got Stipendium triplex
as well and that aes hordearium was abolished in 342 B.C.
32 There is no way of telling whether the system of deductions from pay to cover food
and so on provided by the state goes back to the beginning or evolved later.
For three asses a day in the second century B.C. see RRC ii, pp. 622-4.
33 Pliny, NH xxxiii, 42-3; Isidore xvi, 18, 8; see also Varrò in Nonius 853 L, Stipendium
appellabatur quod aes militi semenstre aut annuum dabatur; for aes in military pay see also
Festus 2L, 61 L, 358-9 L and the word aerarius.
THE EARLY ROMAN ECONOMY, 753-280 B.C. 205

Roman coinage. Roman bronze coinage from 214 B.C. onwards had as by
far its commonest denomination the as, in multiples of which soldiers were
presumably by then paid. This was not true before 214 B.C., when the as
was relatively uncommon and fractions of the as far commoner. What
happened was this. Rome initially in reducing the weight of the as from
217 B.C. onwards aimed to make the reduced asses the notional equivalent
of the full-weight ones; this proved impossible and Rome was forced to
raise army pay in order to compensate for the declining real value of the as;
in 214 B.C. the as was only a quarter of a pound in weight, not a pound.
In consequence, fractions of the as - something between a semis and a
quadrans was perhaps the daily pay of a soldier before 214 B.C. - became
less useful denominations34.
If pay for the army was adopted in 406 B.C., we may expect the
institution of tributum, doubtless facilitated by the existence of the censor
shipfrom 443 B.C., to belong to the same period. Certainly the Livian
tradition on tributum and on indemnities levied on foreign peoples, clearly
to help fund Stipendium, is remarkably consistent with the date of 406 B.C.
for the adoption of pay35. Stipendium, to be financed from rent on public
land, is proposed in 424 B.C. (Livy iv, 36, 2), shortly before its actual
institution. The repercussions cf that act echo through the succeeding
pages of Livy, with Stipendium regularly linked with tributum 36. Tributum
is mentioned, in my view anachronistically, in 508 and 495 B.C. 3V, then in
378, 377 and 347 B.C. 38. Indemnities levied on foreign peoples are mentioned
once, in my view anachronistically, in 475 B.C. (Livy ii, 54, 1), then regularly
from 394 B.C. onwards39.
One may assume that the developed Roman census system with five
separate classes evolved gradually after 406 B.C., in order to graduate the
burden of contributing tributum according to the different levels of wealth

34 See RRC ii, pp. 626-8.


35 Livy casually assumes pay for Etruscan soldiers in 508 B.C. (ii, 12, 7), as he does for
Hernican in 362 B.C. (vii, 7, 5) and for Samnite in 296 B.C. (x, 16, 8).
36 iv, 60, 4-5; v, 4, 5-7; 5, 4; 10, 3-10; 11, 5; 12, 3-13; 20, 5-8; cf. x, 46, 6.
37 ii, 9, 6 (see R. M. Ogilvie ad loc); 23, 5.
38 vi, 31, 4; 32, 1; vii, 27, 4.
39 ν, 27, 15 (Falisci); 32, 5 (Volsinii); viii, 2, 4 (Samnites); 36, 12 (Samnites); ix, 41, 7
(Etruscans); 43, 6 (Hernici); x, 5, 12 (Etruscans); 46, 12 (Falisci). The levyng of indemnities
never displaced the mulcting of foreign peoples of some of their land (on which see E. Gabba
on Appian, EC i, 26).
206 MICHAEL H. CRAWFORD

in Roman society40. There is no way of telling just how the different


levels came to be fixed, but it is worth at least asking how the qualifying
level for the lowest classis came to be fixed. This involves the problem
of the heredium.
Two iugera were regarded by Varrò, RR i, 10, 2, as forming the standard
heredium of early Rome41 and the likelihood that the figure is not simply
imagined is enhanced by the fact that colonial allotments were sometimes
of two iugera down to relatively recent times. Now two iugera are quite
inadequate to support a family and one must therefore suppose that a Roman
peasant with two iugera had access to other land. In the late Republic
there was a category of common land and it is reasonable to suppose that
a farmer might supplement an income from his freehold by grazing on such
common land; nothing grand, one must emphasise, perhaps a few sheep,
goats or pigs; it is also possible that a peasantry dependent on rich aristocrats
or plebeians was dependent precisely because it paid (in kind) for the right
to use some of their land, in addition to its own42.
If, however, recruitment of peasants to the legions was to be based,
as it was, on the possession of the property qualification of the lowest
classis, it was necessary for this to be set at a level which included the
holders of two iugera allotments in colonies and elsewhere. I feel in need
of a great deal of persuasion that at this level the adoption of a qualifying
figure and the assessment of property was not a largely arbitrary process
and wonder how much the property qualification for serving in the legions
ever really meant.
As for the heredium, it seems to me also a rather arbitrary entity.
I suspect, though I cannot prove, that at some date before the adoption of
a system of five classes and perhaps during the reign of Servius Tullius,
freehold tenure of land, some land, was accepted as a necessary qualification
for service in the legions and the figure was arbitraruly fixed at two iugera,
the amount of land a man and an ox could plough in a day.

40 Note also the tax on orphans attributed to Camillus and 403 B.C. (Plutarch, Cam. 2)
and the vicesima libertatis, first attested for 357 B.C. (Livy vii, 16, 7).
41 For the word heredium note XII Tab. 7, 3.
42 I note in passing that the relative emancipation of the Roman peasantry during the
fifth and fourth centuries B.C. presumably led to the need for alternative dependent labour
and suspect that slavery is already more important in third century Rome than is normally
suspected.
THE EARLY ROMAN ECONOMY, 753-280 B.C. 207

When Rome adopted coined money, she moved with relative rapidity
to a use of it that was for the ancient world not unsophisticated. Although
we can only see very dimly what is happening in the period before the
adoption of coinage, we can see enough, I think, to be aware, of the
importance of it all. Building on the state enterprises of the Regal period
and the early Republic, Rome created a taxation system based on assessments
of property that at the top levels must have borne some relationship to
reality and went on to use that system to fund an army that eventually
conquered the Mediterranean.
MAURO CRISTOFANI

LA LEGGENDA DI UN TIPO MONETALE ETRUSCO

II convegno sulla monetazione etrusca svoltosi a Napoli nell'aprile del


1975 ha avuto la funzione non indifferente di riprendere ex novo una serie
di problemi caduti nel dimenticatoio sondandone le basi, filologicamente
assai fragili, per le quali appare ora ancor più necessaria un'attenta verifica.
Esemplare, a questo proposito, è il caso di quei sestanti populoniesi
nei quali è impressa la leggenda fufluna (o 'pufluna), vetalu e χα nella
quale si è riconosciuta in modo unanime un'alleanza monetaria fra le città
di Populonia, Vetulonia e Camars (Chiusi).
L'ipotesi, formulata per la prima volta dal Garrucci 1, seguita dal
Sambon2, è entrata nella letteratura senza ulteriori discussioni3, se si
eccettua l'ipotesi, a suo tempo adombrata dal Pallottino4, di riconoscere
nella sigla χα l'abbreviazione del nome di Caere (*Xaire), ipotesi che r
iprendeva un'idea espressa a suo tempo dal Deecke a proposito dell'analoga
sigla presente nella V serie della Ruota dell'aes grave5.
Il problema può essere ripreso verificando nuovamente il materiale
sul quale si è fondata finora la discussione, non senza avvertire che le
monete in questione sono solo parzialmente controllabili.
Anzitutto il tipo: sul dritto compare la testa di Vulcano dietro la quale
si intravede la prua di una nave (spesso confusa con il segno di valore
Χ ο addirittura sottaciuta nelle descrizioni del Sambon), con il segno del
valore; sul rovescio, gli attributi di Vulcano (tenaglie e martello) fra i quali
è il segno di valore e la leggenda: a destra pufluna, a sinistra vetalu.

1 R. Garrucci, Le monete dell'Italia antica, II, Roma 1885, p. 56, n. 10.


2 A. Sambon, Les monnaies antiques de l'Italie, Paris 1903, pp. 32, 73 η. 120.
3 Cfr. CIE II, I, 2 (Leipzig 1923), pp. 105, 116 con letteratura precedente. Si vedano
anche G. Buonamici, Epigrafia etrusca, Firenze 1932, p. 404 e A. Minto, Populonia, Firenze
1943, p. 224.
4 M. Pallottino, Nomi etruschi di città, in Scritti in onore di B. Nogara, Città del
Vaticano 1937, p. 350. Si veda pure J. Heurgon, L'état étrusque, in Historia VI, 1957, p. 87.
5 W. Deecke, Etruskische Forschungen II, Stuttgart 1876, p. 133 ss.
210 MAURO CRISTO FANI

II numero degli esemplari attualmente identificabili nella letteratura


è il seguente6:
1. Già nella Collezione Strozzi. R/ Tenaglie e martello entro i quali
il segno di valore. A d. la leggenda pufluna ο puflfuna]. Gr. 14,53.
Cfr. G. F. Gamurrini, Appendice al Corpus Inscriptionum Italicarum,
Firenze 1880, n. 55 con lett. precedente; Collection Strozzi, Médailles grecques
et romaines, Vente aux enchères publiques, Rome 1907, p. 45 n. 639; Head,
Historia numorum2, Oxford 1911, p. 16.

2. Firenze, Museo Archeologico. Collezione Mazzolini, η. 160. Da


Populonia. R/ Del tutto corroso. Gr. 14,30.

3. Firenze, Museo Archeologico. Collezione Mazzolini, n. 158. Da Po


pulonia. R/ Del tutto corroso. A s. è visibile la leggenda vetalu. Gr. 14,18.

4. Firenze, Museo Archeologico. Acquisto Mannelli, inv. 80054. R/


Tenaglie e martello entro i quali segno di valore. A d. pufluna, a s. vetalu.
Gr. 14,10.
Cfr. M. Buffa, Nuova raccolta di iscrizioni etrusche, Milano 1935,
n. 570 (lettura errata).
5. Copenhagen, Museo Nazionale. Già Collezione Rollin. R/ Tenaglie
e martello entro i quali il segno di valore. A s. vetalu. Gr. 13,46.
Cfr. SyllNumGraec, Danemark, Ι, ρ. Ι, η. 8, tav. I, 8.
6. Firenze, Museo Archeologico. Collezione Strozzi, inv. 83104.
R/ Tenaglie e martello entro i quali è il segno di valore. A d. [pjufluna,
a s. ve[t]alu. Gr. 13,34.
Cfr. Gamurrini, op. cit., η. 56; Collection Strozzi, cit., p. 46 η. 655;
Buffa, op. cit., η. 569 (lettura errata); TLE 378.

7. Firenze, Museo Archeologico. Collezione Mazzolini n. 159. Da Popul


onia. R/ Del tutto corroso. Gr. 12,95.

8. Già nella Collezione Maddalena. La scheda non riporta chiara


mente la leggenda, riferendosi solo al tipo del Sambon. Gr. 11,82.
Cfr. Collezione Maddalena, Catalogo di vendita, Roma 1903, p. 3 n. 35.

6 De visu ho potuto controllare solo le monete del Museo Archeologico di Firenze; la


dott. M. Calvani Marini, direttore del Museo Archeologico di Parma, mi comunica che la moneta
edita da Garrucci non è attualmente reperibile (manca infatti anche nello schedario depositato
presso il Centro Internazionale di Studi Numismatici di Napoli).
LA LEGGENDA DI UN TIPO MONETALE ETRUSCO 211

9. Museo di Parma (non rintracciata). R/ Tenaglie e martello entro


le quali è il segno di valore. A d. fufluna, a s. vetalu, in alto χα. Ribat
tuta (?). Manca il peso.
Cfr. Garrucci, op. cit., l. cit.; Sambon, op. cit., p. 73 η. 120; TLE 794.

10. Collezione Viczay (non rintracciata). Da Populonia (?). R/ Fuori


conio, a d. vetalu. Manca il peso.
Cfr. A. Fabretti, Corpus Inscriptionum Italicarum, Torino 1865, n. 293
tav. XXIV; Garrucci, op. cit., l. cit.

La serie in questione adotta immagini presenti sui trienti populoniesi


con la semplice leggenda pupluna, assai diversi, comunque, nel conio sia
per quanto concerne la posizione degli attributi sul rovescio, sia per quanto
concerne la realizzazione stilistica della testa di Vulcano al diritto, assai
più corsiva7. Mi pare possibile, infatti, distinguere nei tipi della monetaz
ionebronzea di Populonia una serie stilisticamente vicina ai prototipi elle
nistici 8 e una seconda che sembra collegata, come alcuni esemplari vetu-
loniesi, a una tradizione di stile con caratteri più marcatamente italici9.
Il peso delle monete in questione, trovando un punto medio in gr. 13,58,
può ricondurre la serie alla riduzione sestantaria, permettendo di collocarla
nella seconda metà del III secolo a.C.
L'esame del materiale che abbiamo condotto nuovamente ci permette
di affermare con certezza che la redazione pufluna supera largamente
l'unica attestazione di fufluna10. Il passaggio interno pl>fl è stato più
recentemente studiato dal de Simone: si tratta di un caso abbastanza dif
fuso nell'etrusco recente di neutralizzazione fra non aspirata e aspirata
(o spirante) a contatto di una liquida11. Il passaggio p>f in sede iniziale
può essere spiegato come successivo fenomeno di assimilazione 12.
Per quanto concerne vetalu, nome attestato solo in questa leggenda,
l'identificazione con il nome di Vetulonia appare tutta da dimostrare: il
cospicuo numero di monete vetuloniesi indica infatti che il nome etrusco

7 Sambon, op. cit., p. 72 η. 119; Minto, op. cit., tav. 67, 2a-b.
8 Cfr. ad es. Sambon, op. cit., p. 63 ss. nn. 114, 115, 116, 117.
9 Cfr. Sambon, p. 72 nn. 118, 119.
10 Dopo l'esame del materiale sembra da escludere che nell'esemplare n. 6 possa leggersi
fufluna, anche se integrando l'iniziale, come si suppone nel CIE II, I, 2, p. 105 nota 1
(O. A. Danielsson).
11 C. De Simone, Die griechischen Entlehungen im Etruskischen, II, Wiesbaden 1970,
p. 178 s.
12 De Simone, op. cit., p. 184 ss.
212 MAURO CRISTOFANI

della città era vati e la nota ipotesi di una ricostituzione *vatl(una), for-
malmente possibile, non poggia su alcuna base concreta13.
Il confronto con il nome latino (Vetulonia/Vetulonii) si limita infatti
alla sequenza delle consonanti, mentre la sola attestazione latina Vetlo
(CIL VI, 2832 al 6) ha qualche possibilità di confronto con un ipotetico
*vatlu, ma il mutamento a > e in sede iniziale interessa il nome quando
passa dall'etrusco al latino (fenomeno che andrebbe analizzato al pari di
quello che accade in altri nomi propri del tipo velùur: Voltur, velimna:
Volumnius; velaùri: Volaterrae; velzna: Volsinii etc.); un passaggio a> e
in etrusco è giustificabile in sillaba interna, non in sede tonica, e in periodi
più antichi, come ha dimostrato de Simone: cadono pertanto gli sforzi dei
redattori del CIE che per identificare in vetalu il nome di Vetulonia si
basavano su una documentazione di confronto non più utilizzabile.
La ricerca può essere diretta invece verso un'altra area dell'onomastica,
quella personale. Il suffisso -alu, notoriamente diffuso nell'onomastica etrusca
della Padania, trova una sua attestazione anche nell'Etruria propria
(Arezzo, Chiusi, Vulci) u. Questo suffisso viene per solito congiunto a nomi
propri, come è possibile vedere dalla documentazione che segue 15:
ceistalu (StEtr 33, 1966, 469)
velcialu (CIE 1668, 2092) velcie (CIE 560)
kraikalu (StEtr 23, 1956, 399) creice
sekstalu (TLE 713) *sekste (Sextus)
tetialu (StEtr 26, 1958, 165) tette
titalu (StEtr 26, 1958, 141) tite
titlalu (TLE 700) titele
trepalu (CIE 1892) trepi (da trepe)

Ne consegue che è possibile trovare fra vetalu e vete (gentilizio atte


stato assai frequentemente, del tipo « Vornamengen tilicium ») lo stesso rap
porto individuato nei nomi precedenti. C'è forse di più: il gentilizio recente
vetlna (CIE 1959, 3788) dovrebbe derivare da *vetalu-na, al pari forse di
titlni (CIE 432, 876, 2930) che discende da *titalu-na, essendo titulni
(CIE 315) una forma secondaria.
Ne consegue che l'ipotesi più verosimile è che vetalu sia un nome
personale.

13 Sul problema cfr. CIE II, I, 2, p. 114.


14 H. Rix, Das etruskische Cognomen, Wiesbaden 1963, p. 182; de Simone, op. cit.,
p. 222 s.
15 Per i nomi più noti non si fornisce la documentazione.
LA LEGGENDA DI UN TIPO MONETALE ETRUSCO 213

Rimane per ultima la sigla χα, sicuramente leggibile solo nell'esemplare


di Parma, confrontabile con quelle analoghe impresse nella V serie della
Ruota 16 dove compaiono anche altre lettere il cui riferimento a iniziali
di poleonimi è solo ipotetico 17. L'identificazione con Camars, il nome più
antico di Clusium restituitoci da Livio, ο con quello di Caere ci sembra
estremamente improbabile 18. Supponendo infatti l'etrusco ^amars ci do
vremmo attendere, per la nota realizzazione delle aspirate etrusche in sonore
latine, la redazione *Gamars (cfr. lautniùa: lautnìda; larùia: Lardia, Larthia,
ma anche Lartia; saùnal: Sadnal ο ti<pile: Tibile (Tifile) e *χηιηια:
gruma ecc.) 19.
Per quanto concerne il nome di Caere20 le fonti puniche (inizi del
V secolo a.C.) ci riportano il nome kysrs' (trascritto kaysraie ο kisrie), quelle
etrusche (II-I sec. a.C.) ceizra (da cui discende il gentilizio cezrtli21) donde
il latino Cisra di età imperiale (Verrio Fiacco). H. Rix22 ha proposto che
il gentilizio chiusino χβηίηβί (cfr. χεήίβ: Caerites) derivi dall'etnico di Caere,
mentre Pallottino e chi scrive hanno associato il gentilizio *χαπί (cfr.
χαπβαίε, TLE 321, da Vulci, metà del IV sec. a.C.) allo stesso nome23. Su
quest'ultima ipotesi mi sembra necessario tornare, dal momento che è
l'unica che potrebbe suffragare nella sigla χα l'abbreviazione del nome di un
ipotetico etrusco *Xaire (cfr. anche il nome greco Καϊρε, di cui si conosce
anche la redazione Χαίρε, dalla quale discende una falsa etimologia antica) 24.
Sia un'ipotetica (e formalmente possibile) forma etrusca antica del nome
di Caere *Kaisra da cui discendono le forme documentate kysrs' (punico),
ceizra (etrusco recente), Cisra (latino: « Agylla ab Etruscis . . . nominata est
Cisra »), sia le forme greca e latina (Καΐρε e Caere) riportano inequivoca
bilmente in prima sede la velare non aspirata. Non c'è pertanto alcuna pos
sibilità di spiegare il passaggio in posizione iniziale k > kh, data la nota

16 E. J. Häberlin, Aes grave, Frankfurt a. M., 1910, p. 253.


17 Pallottino, art. cit., p. 349 s.
18 La discussione è svolta in CI E II, I, 2, p. 106, soprattutto nota 2, dove è contenuta
la documentazione: la redazione Chamars, che appare talvolta nella letteratura, è inventata.
19 De Simone, p. 181 s. Si veda ora anche CIE II, 1, 4 (Firenze 1970), Indices, p. 15
con altri esempi.
20 La letteratura in CIE II, I, 4, p. 398 (M. Cristofani). Si aggiunga ora anche G. Bon-
fante, in Studi linguistici in onore di V. Pisani, Brescia 1969, p. 161 ss.
21 Cfr. CIE 1075-1076. Cfr. per la forma etrusco-latina Cezartle, Caezirtli; B. Liou, in
Studi Etruschi XXXVI, 1968, p. 257 s.
22 In op. cit., pp. 212, 234.
23 Pallottino, art. cit., p. 355; CIE II, I, 4, p. 398.
24 La documentazione è raccolta in CIE II, I, 4, p. 398.
214 MAURO CRISTOFANI

opposizione fra sorda e aspirata in etrusco, a meno di non supporre un


passaggio dal greco Χαίρε (forma comunque secondaria) all'etrusco *xaire,
fatto che stupisce comunque per un nome di città che in etrusco doveva
avere una sua stabile tradizione.
Il breve esame che abbiamo fin qui condotto porta dunque ai seguenti
risultati:
a) la leggenda maggiormente attestata in questa serie di monete
comporta esclusivamente pufluna e vetalu;
b) la redazione fufluna occorre solo in un esemplare, ribattuto, nel
quale compare anche la sigla χα;
e) Non esistono elementi per individuare in vetalu il nome di
Vetulonia;
d) la sigla χα, inspiegabile, non indica il nome di Camars ο di Caere.
Ne consegue quindi che l'ipotesi di una lega monetaria ο navale fra
tre città etrusche è frutto di mere congetture che affondano le loro radici
nelPerudizione ottocentesca. Alle osservazioni di natura strettamente lingui
stica aggiungiamo qui una considerazione di carattere storico: appare del
tutto improbabile, alla luce delle più recenti ricerche sulla romanizzazione
dell'Etruria, che Caere possa aver partecipato nella seconda metà del
III secolo a.C. a una lega monetaria etrusca, quando si trovava ormai ampia
mente nella sfera romana; meno improbabile appare un tale inserimento
da parte di Chiusi, per la quale permangono, però, oggettive difficoltà di
ordine epigrafico e linguistico.
Assume maggior consistenza l'ipotesi che si possa riconoscere in vetalu
un nome personale. A questo proposito la monetazione greca e romana ci
offre due possibilità di interpretazione: la prima, più labile, che si tratti
del nome di un autore di conio25; la seconda, più probabile, poiché inserita
nel quadro della monetazione romana di età repubblicana dove il monetiere
appone il proprio nome accanto a quello di Roma, che si tratti del nome
di un magistrato. Questa seconda ipotesi trova una conferma anche nella
monetazione etrusca se si accetta, come proposi al Convegno di Napoli,
che le leggende vercnas e peiùesa indichino nomi personali: rimane da spie
gare la posizione giuridica ο la funzione di questi personaggi che, nel caso
di Populonia, dove la monetazione ha uno sviluppo maggiore che in altre
città etrusche, può essere identificata con quella di magistrati addetti
alla monetazione.

M. Guarducci, Epigrafia greca III, Roma 1975, p. 530 ss.


MARINA CRISTOFANI MARTELLI

NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA

Nell'appena istituito Museo Archeologico « Ranuccio Bianchi Bandi-


nelli » di Colle Val d'Elsa 1, che è per massima parte formato dai materiali,
già appartenenti alla collezione Terrosi, provenienti dalla necropoli del
Casone presso Monteriggioni (Siena), sono esposte tre delle kelebai volterrane
rinvenute nella celebre tomba dei Calisna Sepu. Di esse, due sono affatto
inedite, ove si eccettui la descrizione fornitane a suo tempo dal Bianchi
Bandinelli2, mentre della terza3, che pure è il vaso eponimo del Pittore del
Pigmeo Trombettiere, era sin qui noto esclusivamente un lato (Fig. 1).
È con autentico piacere che presento nella miscellanea in onore del
prof. Heurgon, dotto e penetrante indagatore delle antichità e della storia
dell'Italia preromana, questi pezzi, i quali nondimeno offrono lo spunto ad
alcune brevi osservazioni relative all'articolazione interna del gruppo Vola-
terrae e alla produttività fittile dell'antica Velathri.
Nel lato finora mai riprodotto (Fig. 2; Figg. 3-4) del cratere su cui il
Dohrn4 impostò la sua individuazione del Pittore del Pigmeo Trombettiere
è raffigurato un « pigmeo », nudo e a capo scoperto, che regge in ciascuna
mano una tenia. Se il soggetto rientra compiutamente nel repertorio di
questa classe vascolare, della quale costituisce anzi un tema fra i più comuni,

1 Sui reperti che vi sono raccolti rimando alla presentazione che ne ho fatto nel Corpus
delle urne etnische di età ellenistica 1. Urne volterrane 1. I complessi tombali, Firenze 1975,
pp. 162 ss., 166 e in Prospettiva, 5, 1976, pp. 70-73.
2 Si tratta, rispettivamente, di R. Bianchi Bandinelli, La tomba dei Calini Sepus' presso
Monteriggioni, in SE, 2, 1928, pp. 150, η. 46 e 151 s., n. 73.
3 Ibidem, p. 149, η. 41, tav. XXIX (disegno); R. Bianchi Bandinelli, Un «pocolom» ane
pigrafe del Museo dì Tarquinia, in Scritti in onore di Bartolomeo Nogara, Città del Vaticano
1937, p. 17, nota 1, tav. II, 6 (fotografia); per altra bibl. ν. Μ. Montagna Pasquinucci, Le kelebai
volterrane (poi abbreviato Kelebai), Firenze 1968, p. 75 s., LIX.
4 T. Dohrn, Zur Geschichte des italisch-etruskischen Porträts (poi abbreviato Dohrn),
in Römische Mitteilungen, 52, 1937, pp. 121, η. 10, 129 s.
216 MARINA CRISTO FANI MARTELLI

connesso evidentemente alla simbologia funeraria, per quanto concerne lo


l'unica"
stile il confronto con altra opera la cui attribuzione a questa mano
è stata generalmente accettata, ossia il cratere Berlino 3991 5, ne fa ravvisare
talune, pur se non capillarmente perspicue, affinità nell'impianto generale
del corpo delle figure, nell'anatomia notata attraverso molteplici e minuti
segni a vernice diluita, nel tipo di capigliatura a contorno risparmiato.
Quest'ultimo particolare non è comunque esclusivo del pittore, dal momento
che inizia già nel Pittore di Hesione, anche nelle rappresentazioni con
pigmei6, e occorre pure in opere più tarde7.
Esaminando da vicino l'esiguo elenco di opere riunite dal Dohrn e
includente, oltre alle due di cui si è discusso, soltanto il cratere 3987 di
Berlino 8 come « verwandt » e quello 28 del Museo Guarnacci 9 come
« unsicher », io ho l'impressione che la base su cui è fondato questo sparuto
gruppo non sia sufficientemente salda e documentata e che non si ravvisino
tra i pezzi coincidenze puntuali e connotazioni salienti tali da consentire
l'enucleazione di una personalità ben precisa, con una fisionomia stilistica
nettamente definibile.
Mentre il Guarnacci 28 va decisamente espunto, come già aveva sugger
itoJ. D. Beazley 10, dalla lista di Dohrn e collocato invece nella produzione
del Pittore della Colonna Tuscanica, come dimostrerò più oltre, privo di
elementi caratteristici che permettano di accostarlo specificamente al cra
tere ora a Colle ο al Berlino 3991 risulta infatti il Berlino 3987, che a mio
avviso resta lavoro anonimo. Si potrà, se mai, segnalare che tutte le kelabai
con rappresentazione di pigmei armati, in corsa ο in lotta contro le gru n,
abbastanza antiche nella produzione volterrana, legate comunque alla bottega
del Pittore di Hesione ο alla sua influenza, paiono dipendere da un unico
modello, probabilmente più articolato e complesso, che è stato poi sezionato
nell'esecuzione pratica dei vasi.

5 Su di esso da ultimo v. Kelebai, p. 63, XLIII, figg. 61-62.


6 Cfr., ad es., ibidem, LXX, figg. 93-94 e LXXI, figg. 95-96.
7 Cfr., ad es., ibidem, III, figg. 5-6, LXXII, figg. 97-98, LXXX, fig. 108.
8 Dohrn, p. 122, n. 13; altra lett. è citata in Kelebai, p. 59, XXXIX, fig. 52.
9 Dohrn, p. 122, n. 12; per altra lett. v. Kelebai, p. 34, II, figg. 3-4.
10 Etruscan Vase-Painting (poi citato EVP), Oxford 1947, p. 128 («It is not clear to me
that the Volterra krater is connected with the Pigmy Trumpeter»).
11 Cfr. Kelebai, XXIX, XXX, XXXIX, LV, LXX, LXXI, LXXXIII; J. et L. Jehasse, La nécro
polepréromaine d'Aléna, Paris 1973, tav. 83, 843, p. 285 s.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 217

*
*

II secondo cratere (Figg. 5-8) è decorato sul piano della bocca, come di
norma, da una sequenza di triangoli con tratteggi interni, alternatamente
eretti e capovolti, e, sulle placchette delle anse, da una palmetta; sul labbro
presenta una teoria di punti e sul collo, dall'alto, una fila di segmenti verti
cali, la consueta ampia zona a reticolato di losanghe con punto centrale e
infine una serie di rosette a margine dentallato e cerchi concentrici interni
sia punteggiati sia a linea continua, alternate a segni a Τ contrapposti. Nel
lato A è una figura giovanile nuda recante sulla spalla destra un tirso dal
quale pende un ramo 12 e nella mano sinistra un oggetto non precisabile;
in Β è dipinta una testa di profilo a sinistra. Curiosamente, la realizzazione
della decorazione accessoria risulta più corsiva e frettolosa di quella figurata:
si osservino le palmette sotto le anse e il reticolato sul collo, che presenta
un tracciato piuttosto disordinato e addirittura una correzione. A pieno titolo
quest'opera può essere assegnata al Pittore della Colonna Tuscanica. Un
confronto assai stringente per la testa del lato Β è offerto infatti dall'esem
plare 3990 di Berlino e da uno di Arezzo 13: oltre al rendimento dei capelli
a ciocche curvilinee formanti bande ondulate sulla fronte e le tempie, ident
ici risultano il ductus del sopracciglio, alquanto allungato, e dell'occhio,
con il peculiare segno virgolato all'estremità esterna, il taglio della bocca,
la linea del mento e del collo e infine il profilo del naso, di lato al quale
si nota un altro caratteristico contrassegno del pittore, un minuscolo trattino
virgolato che indica la pinna.
Forti analogie si riscontrano inoltre nella trattazione delle palmette, con
petali delineati irregolarmente, piuttosto rigidi, fra i quali quello posto alla
sommità è bipartito, e perfino nella tettonica dei due vasi, in particolare nel
piede, che non è dei più frequenti in questa serie di fittili. Non v'è dubbio
che nel novero delle opere riferite al nostro pittore queste due siano da
ritenersi della stessa fase e che in esse, pur trattandosi di prodotti di quello
che Beazley ha definito « the poorest artist » fra i quattro decoratori di
crateri a colonnette operanti a Volterra allora individuati, il disegno risulta
più organico e sorvegliato che in altre. Negli altri crateri che gli sono stati

12 Così lo definisce Bianchi Bandinelli, art. cit. a nota 2, p. 150, ma potrebbe anche
trattarsi di un volatile.
13 Cfr., rispettivamente, Kelebai, p. 62, XLII, fig. 59, con bibl. prec. e P. Bocci, Crateri
volterrani inediti del Museo di Arezzo, in SE, 32, 1964, tav. XXII, fig. 1.
218 MARINA CRISTO FANI MARTELLI

assegnati infatti, pur ritornando i caratteristici motivi « morelliani » che


abbiamo indicato, la capigliatura è realizzata in maniera più sciatta: da una
fase nella quale ha eseguito il cratere Würzburg 804 e uno, forse disperso,
dalla tomba Sepu 14, si passa a un momento che direi successivo, document
ato da un novero di opere quantitativamente più cospicuo, in cui si possono
inserire un esemplare a Firenze 15, uno a Philadelphia 16 e gli esemplari 4000,
4002 e 4003 di Berlino 17. In questi i profili sono aguzzi e spigolosi, la capi
gliatura risulta semplificata, la decorazione accessoria muta, presentando
anche motivi nuovi, quali gli angoli contrapposti e le foglie bicolori con
ramoscelli. Per la figura del lato A i termini di riferimento più puntuali
sono forniti dal cratere Berlino 3999 18 e dal già citato 3990: si tratta di
figurette atticciate, a contorno sommariamente delineato e con indicazioni
anatomiche essenzialissime, caratterizzate fondamentalmente dalla distinzione
dello sterno, dal quale si diparte una linea che distingue il pettorale sinistro,
e da pochi, minuti trattini orizzontali ad esso affiancati. Il cratere 3999
esibisce un tipo di capigliatura simile a quello delle teste di profilo che
abbiamo rivendicato alla prima fase del pittore, che ritorna, unitamente alle
altre notazioni anatomiche testé descritte, nella kelebe 28 del Museo di
Volterra, la quale è a mio parere da connettere direttamente con l'attività
del Pittore in esame. In essa infatti, la figura femminile del lato A presenta
quello stesso modo di indicare il torace che abbiamo sopra descritto, analogie
nel profilo del viso e nell'occhio, nel trofeo di palmette e quella medesima
fascia con « patere » e rosette dentellate che compare anche nell'esemplare
di Colle, nonché, in B, il raro tema delle kelebe con la colonna, ossia con
l'elemento dal quale il ceramografo deriva la sua denominazione convenzion
ale. Conclusivamente, può essere proposta nell'attività del nostro pittore
una seriazione così distinta, che prende in esame i vasi qui richiamati:
Berlino 3999, Volterra 28, Arezzo 15462, Colle Val d'Elsa, Berlino 3990;
Würzburg 804, Kelebai LXI; Berlino 4000, 4002, 4003, Philadelphia L 29.58,
Kelebai LXXXVI.

14 Kelebai, p. 107, CXIV, fig. 141 e Bianchi Bandinelli, art. cit. a nota 2, tav. XXX, 57
(= Kelebai, p. 76, LXI, ove è infondatamente indicato come conservato nella collezione Terrosi
al Casone).
15 Ibidem, p. 91, LXXXVI, fig. 114.
16 Ibidem, p. 92, LXIX, fig. 92.
17 Ibidem, p. 70, LI, figg. 77-78, p. 71, LUI, figg. 79-80 e p. 72, LIX, figg. 81-82, con bibl. prec.
18 Ibidem, p. 69, L, figg. 75-76.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 219

*
*

II terzo pezzo che mi accingo ad illustrare (Figg. 9-12) è un documento


di considerevole interesse, giacché è, a quanto mi consta, l'unico cratere a
colonnette di tipo volterrano decorato nella tecnica a suddipintura (h. cm. 42,5).
Già sulla scorta della descrizione che ne dette Bianchi Bandinelli, il quale
non potè trovarlo e lo indicò come disperso, il Beazley 19 ne rilevò Γ« unusual
technique ».
Anche in questo caso, sul piano della bocca si snoda la solita catena
di triangoli alternati, con bisettrici interne, mentre sulle placchette delle
anse è una palmetta; sul labbro corre una fila di punti e sul collo si suss
eguono una serie di listelli e un reticolato di losanghe con croci interne;
sul corpo, in A, una figura maschile (Beazley: Dioniso), nuda, con collana a
due giri e calzari con lacci ritoccati in bianco ai piedi, solleva con la destra
una corona da cui pendono due nastri e nella sinistra, posata al fianco,
regge un tirso; sul braccio s. è piegato un mantello con il bordo listato
in nero; sul lato opposto, un demone femminile alato, nudo, con capelli
cinti da sottile tenia, adorno pure di collana a doppio giro e slmilmente
atteggiato, protende nella destra una lunga tenia svolazzante, avendo la
sinistra appoggiata al fianco; sotto le anse si sviluppa il canonico trofeo di
tre palmette, di cui la mediana ogivale, insistenti su doppie volute e i
nframmez ate da ramoscelli a fitte foglie oblique.
L'oggetto in sé rappresenta un unicum e si configura come l'esito di
una combinazione di tre diversi aspetti e filoni della produzione ceramistica
di Volterra. La sua morfologia richiama direttamente infatti la ceramica a
vernice nera, specificamente la forma 136 20: il confronto con essa appare
assai più stringente di quello che si potrebbe eventualmente proporre con
i crateri a figure rosse. Da questi deriva invece la sintassi decorativa e la
tradizione figurata, estesa non solo ai personaggi sui due lati, ma anche
alla parte accessoria. La tecnica a colori sovrapposti si inserisce infine, per
parte sua, in una tradizione locale cui faremo cenno in seguito.
Il tirsoforo del lato A e il demone femminile alato del lato Β rientrano
fra i soggetti spesso trattati nella ceramica etrusca a figure rosse. In un vaso

19 EVP, p. 132.
20 Cfr. M. Montagna Pasquinucci, La ceramica a vernice nera del Museo Guarnacci di
Volterra, in MEFRA, 84, 1972, p. 419, fig. 9, η. 289: segnalo che, oltre all'unico es. ivi in
dicato, uno è conservato nel Museo di Chiusi (inv. 1929).
220 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

con funzione di cinerario, come questo, tali figure esprimono evidente


menteun nesso, sia pure tenue, fra l'essere ultraterreno e il defunto, che
assai probabilmente partecipava a culti dionisiaci: combinazione questa che,
se pure non molto frequente nei vasi a f.r. di Volterra21, ritorna, con eguale
pregnanza semantica, ad esempio, in un cratere del Funnel Group, ove sono
rappresentati, in un lato, Charun e nell'altro una tirsofora22.
Dal punto di vista stilistico il vaso di Colle si inserisce pienamente
nell'ambito delle esperienze del gruppo « Clusium-Volaterrae »; lo schema
iconografico delle due figure deriva abbastanza chiaramente da quel reper
torio iterato che ricorre sui lati minori delle kylikes del Tondo Group23 e
che nei crateri volterrani viene assunto come protagonista della scena: si noti
in particolare come la rappresentazione dipinta nel lato Β dei crateri 43
e 49 24 del Museo Guarnacci ripeta un tema praticamente fisso nelle figura
zioni dei lati delle coppe del Tondo Group, nelle quali varia esclusivamente
il personaggio nudo (maschile ο femminile) che compare assieme a una figura
che indossa una veste particolarmente ricca e variegata, della quale sfugge
il significato25.
Non del tutto agevole, almeno per ora, è un riconoscimento puntuale
del ceramografo che ha dipinto il nostro cratere. Pur nella peculiarità della
tecnica, il pezzo si può stilisticamente accostare ad alcune kelebai riunite
dalla Pasquinucci 26 e riferite ad un'unica personalità, che risulta prossima
al Pittore di Hesione e da esso influenzata, ossia i crateri 34 del Museo
Guarnacci, 189 del Museo di Asciano (dalla tomba 3 di Poggio Pinci), L. 29.57
dell'University Museum di Philadelphia e uno da Toiano nel Museo Archeolog
ico di Firenze27. A questa lista di opere va a mio avviso aggiunto un esem
plare dalla tomba 64/10 della necropoli volterrana di Badia (Figg. 13-14),
edito recentemente senza attribuzioni di sorta28, il quale appare estrema-

21 In genere sulle scene dionisiache cfr., per i crateri, Kelebai, p. 15, note 87-88 e per altri
tipi di vasi SE, 26, 1958, pp. 253 ss., figg. 10-11.
22 M. A. Del Chiaro, The Etruscan Funnel Group (A Tarquinian Red-Figured Fabric),
Firenze 1974, p. 17, η. 1, taw. I-III.
23 Cfr., ad es., SE, 26, 1958, p. 246, fig. 4 (= EVP, p. 113, n. 2).
24 Kelebai, p. 45, XVI, fig. 29 e p. 49, XXII, fig. 39.
25 Per una proposta di interpretaziune v. E. Fiumi, art. cit. a nota 23, p. 245 e le fondate
riserve espresse da A. Stenico, Nuove pitture vascolari del gruppo « Clusium », in Studi in
onore di Luisa Banti, Roma 1965, p. 294, nota 4.
26 Kelebai, p. 9.
27 V. rispettivamente ibidem, p. 38, VII, figg. 13-14; p. 56, XXXV, fig. 46; p. 78, LXVIII,
figg. 90-91; p. 92, LXXXIX, figg. 116-117.
28 E. Fiumi, in NS, 1972, p. 118, figg. 84 a-b.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 221

mente vicino a quello di Philadelphia dianzi richiamato: i parallelismi nel


l'impostazione e nelle proporzioni delle figure, nel profilo dei volti, nel rend
imento dell'occhio e dei dettagli anatomici sono così palmari e rispondenti
che l'assegnazione alla stessa mano mi sembra sicura.
Tornando al pezzo di Colle, credo che si possa connetterlo al gruppo
di prodotti di questo pittore, che chiameremo convenzionalmente di Asciano,
e specialmente agli esemplari appunto di Asciano (Figg. 15-16) e di Badia,
in base soprattutto alle nutazioni del torace e dell'addome (si osservi in
particolare il pettorale s. con il relativo capezzolo decentrato), alle pettina
ture, all'organizzazione dello spazio metopale in cui sono collocate le figure.
Le quali peraltro, nel nostro cratere, presentano forme più ampie e dilatate,
soprattutto in corrispondenza del bacino, che sono forse in parte imputabili
alla diversa tecnica impiegata e che tuttavia trovano pure riscontro, ad
esempio, nelle figure maschili del cratere di Asciano. E se quest'ultimo è
anche il più simile al nostro nella morfologia, vorrei d'altro canto rilevare
che nell'esemplare di Badia il personaggio recante due tenie esibisce quella
stessa ombreggiatura a tratteggio minuto che compare anche in quello della
Sepu: particolare questo che, analogamente all'uso di bordare con bande
nere gli orli delle vesti, riscontrabile nel Guarnacci 34, in quello di Asciano
e in quello di Toiano, suggerisce e conferma come queste opere gravitino
nell'orbita del Pittore di Hesione. Sarei quindi propensa ad iscrive-re ad un
ceramografo operante nell'ambito della bottega del Pittore di Hesione, forse
un suo collaboratore meno dotato od un suo giovane allievo, il vaso « risco
perto » del Museo di Colle, nel quale il disegno dell'anatomia mostra un'inci
piente tendenza alla corsività e le forme, mancando loro il sostegno della
linea di contorno, risultano quasi sfatte. La tecnica di questo decoratore
segue comunque alcuni suggerimenti proposti in questa classe ceramica pro
prio dal Pittore di Hesione, che non ritornano univocamente nei prodotti
di altre personalità distinte nel gruppo Volaterrae: mi riferisco in particolare
all'impiego del tratteggio29.
Nell'ambito delle esperienze di ceramica suddipinta dell'Italia preromana
è stato già indicato 30 come i decoratori che adottavano la tecnica del colore
aggiunto lavorassero altresì in quella tradizionale a f.r. ο si applicassero
anche in attività pittoriche di maggior impegno.

29 Kelebai, nn. XV, XXIX, XXXVIII, LXX, LXXI, LXXVIII.


30 Da ultimo v. J. G. Szilägyi, A propos des vases à figures rouges en couleurs super
posées de l'Italie méridionale, in Bulletin du Musée Hongrois des Beaux-Arts, 44, 1975,
pp. 24 ss., con rifer.
222 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Non mi soffermerò quindi su questo aspetto da altri indagato. Desidero


invece appuntare la mia attenzione sul fatto che il nostro cratere, che, come
si è visto, si inserisce agevolmente nella classe volterrana, si ricollega, da un
punto di vista strettamente tecnico, ad un gruppo distinto dal Beazley31
sotto l'etichetta Ferrara Τ 585, sulla cui appartenenza alle officine volterrane
non mi pare possano sussistere dubbi. Accertato da scavi recenti il congruo
numero di esemplari scoperti nelle necropoli di Badia32 e del Portone33,
va notato che gli skyphoi con figura suddipinta in rosso di uccello fra girali,
come quelli a decorazione interamente fitomorfa, hanno una distribuzione
piuttosto ampia, che investe, da un lato, l'Italia oltreappenninica (Bologna,
Spina, Este, Rimini, Rocca s. Casciano) 34, dall'altro, Asciano35 (Figg. 17-18),
Casole d'Elsa36, Roselle37, Populonia38, Aleria39 e che questa area di diffu
sione è la medesima toccata da altri prodotti volterrani, quali i vasi a f.r. ο
la ceramica a vernice nera del tipo Malacena. Alla produzione degli skyphoi
con cigno ο con palmette e girali si ricollega anche un askos a forma di
anatra ο di più generico volatile, ricoperto da vernice nera ma ravvivato
da diffusi ritocchi in colore aggiunto di rosette e altri ornati vegetali, venuto
in luce ad Aleria 40, che non è peraltro isolato, riscontrandosene un esemplare
identico (framm.) nella tomba G della necropoli del Portone41, uno in col-

31 EVP, p. 208.
32 Fiumi, art. cit. a nota 28, pp. 84 s., fig. 38, 95, 112 (tombe 61/3, 61/5, 64/2).
33 M. Cristofani, in NS, 1973, Supplemento, p. 256, 1, fig. 166 (tomba B).
34 Per Bologna (tombe 18 e 41 Benacci - Caprara) e Spina (tombe 156, 369, 409), oltre
a EVP, I.e., v. i rifer. addotti da G. Riccioni, Antefatti della colonizzazione di Ariminum alla
luce delle nuove scoperte, in Studi sulla città antica. Atti del Convegno di studi sulla città
etrusca e italica preromana, Bologna 1970, p. 271, nota 3 e T. Poggio, Ceramica a vernice
nera di Spina. Le oinochoai trilobate, Milano 1974, p. 21 s. Per Este v. SE 33, 1965, tav. 65 a,
p. 292 (tomba Boldù-Dolfin 52-53); per Rimini (area del nuovo mercato coperto) e Rocca
s. Casciano (rinvenimento fortuito in tombe dette «galliche», ora nel Museo di Forlì, inv. 49 e 59)
v. Riccioni, art. cit., p. 264, 1-4, fig. 2, tav. 45 e p. 271, nota 3.
35 Nel locale Museo, inv. 231; proviene dalla tomba IV di Poggio Pinci. H. cm. 15,5;
diam. cm. 17.
36 Esemplare inedito nel Museo di Siena.
37 P. Bocci, in SÉ, 33, 1965, p. 127, inv. 1386, tav. 32.
38 NS, 1934, p. 417, 1.
39Jehasse, op. cit., tav. 106, nn. 290, 775, pp. 180, 273 (tombe 31, 53); nn. 824, 882,
pp. 282, 292 (t. 53); η. 2247, p. 533 s. (t. 104). Per exx. con palmette v. nn. 80, 133, 163, 291.
40 Ibidem, tav. 109, n. 1116, p. 331 (tomba 63): si noti che la vernice è indicata come
«bleuté ».
41 Cristofani, op. cit., p. 259, 18.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 223

lezione privata olandese42 e due altri, inediti, rispettivamente nel Museo


Archeologico di Firenze43 (Figg. 19-20) e nel Museo di Volterra44 (Fig. 21).
Si può quindi concludere che il cratere sovradipinto della tomba Sepu
documenta come nell'ambito delle officine ceramistiche volterrane venisse
praticata la contaminazione e l'interferenza delle diverse tradizioni tecniche.
Se le esperienze di ceramica suddipinta risultano necessariamente comple
mentari alla fabbricazione dei vasi a vernice nera, anche la tradizione dei
crateri funerari sembra ora integrarsi, sia pure episodicamente, nella produ
zione di ceramica a vernice nera.

42 Riprodotto in Klassieke Kunst uit particulier Bezit, Leiden 1975, fig. 234, cat. 563:
la provenienza non è indicata.
43 Inv. 4234: la provenienza fornita dall'inventario è Cortona.
44 Sala XXII, vetrina 3, n. 455. Le sovradipinture sono totalmente evanidi.
224 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig- 1.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 225

Fig. 2.
226 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 3.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 227

·* '

Fig. 4.
228 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 5.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 229

Fig. 6.
230 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 7.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 231

Fig. 8.
232 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 9.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 233

Fig. 10.
234 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 11.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 235

\
\

Fig. 12.
236 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 13.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 237

Fig. 14
238 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 15.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 239

Fig. 16.
240 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 17.

Fig. 18.
NOTE DI CERAMICA VOLTERRANA 241

Fig. 19.

Fig. 20.
242 MARINA CRISTOFANI MARTELLI

Fig. 21.
ALFONSO DE FRANCISCIS

NOTE SULL'ARCHITETTURA ARCAICA A POMPEI

Capisaldi per la conoscenza dell'architettura arcaica in Pompei sono


senza dubbio il tempio dorico del Foro Triangolare e la « colonna etrusca »,
l'uno e l'altra argomenti di studi e ricerche portanti finora a conclusioni
diverse e di diverso peso, l'uno e l'altra meritevoli ancora di attento esame.
Ma, nell'attesa di poter riprendere questi due temi così impegnativi, trattan
donesia sulla base degli elementi già noti, sia alla luce di quelli ancora
inediti che sono forniti da vecchie e nuove indagini sul terreno, sia lecito
portare qui un modesto contributo a quello che è tra i più oscuri ma anche
più interessanti capitoli della cultura artistica nell'antica Pompei.
Abbastanza noto agli studiosi è già, per esempio, un elemento archi
tettonico in tufo giallo trovato come reimpiego nelle strutture del podio
del tempio di Apollo, e certo appartenente a quell'area sacra nel suo periodo
arcaico. Esso è stato interpretato come capitello di una colonna che serviva
da sostegno di un donario *, ma bisogna ritenere, e con maggiore convinzione
di quanto non mostri la Shoe2, che della giustamente ipotizzata colonna
di donario sia questo invece la base, ed in tale funzione è stato da noi
recentemente esposto nelPAntiquarium pompeiano e qui ne diamo una
fotografia. Escludendo poi i raffronti che sono stati recati con modelli
orientali, una sua ambientazione etrusca è, d'accordo con il Polacco, da
accogliere (Tav. 1 e Fig. 1).
Interessante è anche un rocchio di colonna, trovato dal Maiuri nei
saggi stratigrafici da lui condotti nella «Casa del gallo» (Vili, 5, 2 e 5):

1 A. Sogliano, Pompei nel suo sviluppo storico, Roma 1937, nota a p. 92; G. Spano,
La Campania Felice nelle età remote, Napoli 1941, 189 s.; L. Polacco, Tuscanicae dispositiones,
Padova 1952, 53 s.; G. Colonna, Elementi architettonici in pietra dal santuario di Pyrgi,
in Archeol. class., XVIII, 1966, 275 nota 21; cfr. A. Maiuri, Greci ed Etruschi a Pompei,
in Mem. Lincei, 1943, 121 ss. (= Alla ricerca di Pompei preromana, Napoli 1973, 135 ss.).
2 L. T. Shoe, Etruscan and Republican Roman Mouldings, in Mem. Americ. Acad.
Rome, XXVIII 1965, 128.
244 ALFONSO DE FRANCISCIS

0.19

0.26

Fig. 1 - Blocco cilindrico. Esposto nell'antiquario.

eseguito in cruma di lava, materiale che si trova in abbondanza nella zona


il frammento è a fusto liscio ed a sezione ellittica. Secondo quello studioso3
si tratta del relitto « più arcaico dell'architettura pompeiana, anteriore cioè
all'uso delle colonne in pietra di Sarno ». Anche se oggi siamo meno inclini
a credere in una rigida sequenza cronologica dei vari materiali da costruzione

3 A. Maiuri, Saggi nella casa della Fontana grande e in altre case pompeiane, in Not.
scavi, 1944-45, 151 (= Alla ricerca di Pompei preromana, Napoli 1973, 176).
NOTE SULL'ARCHITETTURA ARCAICA A POMPEI 245

O.34-
OJO

10 IO 50 40

Fig. 2 - Pompei scavi. Reg. Vili INS V. Casa del Gallo n° 2. Tronco di colonna.

adoperati a Pompei, il giudizio autorevole del Maiuri sembra ancora valido.


Cogliamo quest'occasione per presentarne una documentazione grafica
(Tav. 2 e Fig. 2).
A questi si può ora aggiungere un pezzo, recentemente individuato
nelle strutture del Teatro grande come elemento di reimpiego.
I complessi e numerosi problemi che si sono di tempo in tempo pre
sentati nello studio del teatro di Pompei, in particolare delle sue fasi co
struttive, non hanno lasciato e non potevano lasciare grande spazio a
l 'esame di un suo elemento di dettaglio, la rampa cioè che dall'area sita
246 ALFONSO DE FRANCISCIS

dietro il teatro 4 e tra questo e la « Caserma dei gladiatori » permette


l'accesso all'interno dell'edificio scenico attraverso un ingresso che si apre
al centro del muro posteriore dell'edificio stesso. Comunque la rampa è
conosciuta sin dal tempo della scoperta del teatro, è delineata nella pianta,
se ne riconosce la funzione e se ne fa cenno più ο meno breve negli
scritti che si sono occupati dell'argomento5.
Ora, nell'estate del 1972, nel corso di saggi in profondità condotti per
l'appunto lungo il muro posteriore del teatro6 si sono messi a nudo anche
i due muretti in opera incerta che fanno da contenimento alla terra di cui
è costituito il piano inclinato della rampa. Si è così trovato che nel mu-
retto occidentale il suo punto più basso, cioè alla estremità sud, era inserito
come elemento di spigolo un frammento di pietra lavorato, evidentemente
di reimpiego, che ha attratto la nostra attenzione (Fig. 3). Il frammento
che è di lava basaltica piuttosto compatta, salvo una piccola zona a grossa
porosità, rappresenta circa la quarta parte di un manufatto circolare spesso
cm. 13 ed in origine del diametro di cm. 50. Esso è accuratamente lavorato
su una faccia e nello spessore che è a profilo ricurvo, meno accuratamente
sull'altra faccia; un foro a sezione quadrata ed in posizione non perfett
amentecentrale lo passa da parte a parte restringendosi però leggermente
a mezza strada (Tav. 3 e 4).
La prima impressione che da un manufatto simile è che si tratti della
parte superstite di una delle tante macine 7 che si incontrano in tutte le
zone di scavo, ma un esame più accurato porta ad escludere una tale ipotesi,
con la quale contrasta sia la materia adoperata, sia lo stato di conservazione
della sua superficie, sia il profilo del suo spessore che mal si adatta a fun
zioni molitorie.

4 È in quest'area, a mio avviso, che deve localizzarsi l'originaria «porticus post scaenam»,
ma di ciò converrà parlare in altra sede.
5 Questa parte del teatro venne scavata nel 1792, cfr. Fiorelli, P.A.H. ad loc; piante e
menzioni utili della rampa tra l'altro in F. Mazois, Ruines de Pompei, Paris 1838, IV 62 e tav. 31;
E. Bréton, Pompeia, Paris 1855, 177 e 181; J. Overbeck-A. Mau, Pompeji, Leipzig 1884, 157
e 162; A. Mau-F. W. Kelsey, Pompeji, its life, and art, New York 1899, 137 e 140; E. Paribeni
in Not. scavi, 1902, 513 sg.; A. Sogliano, in Not. scavi, 1906, 103; Α. Mau, Das grosse
Theater in Pompeji, in Rom. Mitt., 1906, 15; O. Puchstein, Das grosse Theater in Pompeji,
in «Arch. Anz. » 1906, 301 ss.; M. Bieber, Die Denkmäler zum Theaterwesen im Altertum,
Berlin 1920, 52 ss.; A. W. Byvanck, Das grosse Theater in Pompeji, in Rom. Mitt, 1925, 119.
6 All'esecuzione di questi saggi ha collaborato la dott. Assunta Ciaramella, cui ho affidato
la pubblicazione dei risultati ottenuti.
7 Sull'argomento cfr. L. A. Moritz, Grain-mills and flour in classical antiquity,
Oxford 1958.
PARTICOLARE PIETRA
TERMINALE DEL MUß 0
S GALA 1 : 5

Fig. 3 - Pompei. Teatro lato posteriore alla scena schizzo prospettico.


248 ALFONSO DE FRANCISCIS

Ma, prima di proporre una diversa interpretazione ed allo scopo di


eliminare ogni dubbio, pregai il dott. Josef Roder, che è oggi la massima
autorità in materia di antiche macine da mulino, di esaminare la pietra
e di darne un giudizio. Il dott. Roder, con la sua consueta cortesia e com
petenza8, dopo un esame diretto del frammento, mi scrisse il 23 novemb
re 1972 concludendo in tal modo: « Das Material, die Form, das exzentrische
viereckige Loch, sowie die Art der Glättung sprechen eindeutig gegen eine
Verwendung als Mühlstein. Auch als Kollerstein kann der Stein nicht gedient
haben, da Kollersteine mit halbrunden Laufflächen nicht vorkommen ».
Escluso dunque che si tratti di una macina, bisogna cercare confronti
altrove.
Ora, un manufatto che presenta analogie molte strette, stavo per dire
sorprendenti, con questo di Pompei è un frammento in pietra arenaria, spes
sore cm. 11, diametro originario cm. 44, eguale profilo ricurvo, eguale foro
centrale, che il Wotschitzky notò ad Olimpia, giacente tra i ruderi del
« portico di Eco » e che pubblicò nel corso di una sua ricerca intorno
alla genesi del capitello dorico9. Accogliendo l'ipotesi di un tipo primitivo
di colonna dorica che fosse in legno, ma con l'echino in pietra, lo studioso
propone che il frammento di Olimpia sia da considerarsi per l'appunto un
echino di tal genere, il quale nella sua metà superiore era inserito nel
l'abaco ligneo e d'altra parte era fissato al fusto anche esso ligneo: nel
foro centrale passava il perno di legno che collegava tra di loro i diversi
elementi. Il Wotschitzky, con l'onestà e l'obbiettività degna dello studioso,
non vuole sopravalutare la sua ipotesi, anzi non esclude l'eventualità che il
manufatto di Olimpia possa essere semplicemente un pezzo di macina.
Ma, con il frammento pompeiano, per il quale, come si è detto, è da
escludere questa seconda ipotesi, la supposizione che manufatti di tale tipo
debbano ritenersi elementi architettonici, in particolare echini, acquista a nostro
avviso maggiore credibilità, nel quadro di una più ampia problematica che
concerne sia il riconoscimento di un'architettura lignea che presenti parti
lapidee, sia l'identificazione di un tipo particolare di capitello dorico a
cuscino 10.

8 NelPesprimere la mia più viva gratitudine al dott. Roder, desidero ringraziare anche il
prof. F. Rakob, con il quale ho avuto preziosi scambi di idee sull'argomento.
9 A. Wotschitzky, Zur Urform des dorischen Kapitells, in Jahreshefte, XL 1953, 51 ss.;
per un pezzo simile a Delfi, ibid. 59 nota 28.
10 Si veda p. es. F. Matz, Geschichte der griechischen Kunst, Frankfurt a. M. 1950, I, 349;
H. Koch, Von ionischer Baukunst, Köln-Graz 1956, 6; A. K. Orlandos, Τα υλικά δομής των
αρχαίων 'Ελλήνων, Athenai 1958, Ι 7 ss.; R. Martin, Manuel d'architecture grecque, Paris 1965,
NOTE SULL'ARCHITETTURA ARCAICA A POMPEI 249

Tutt'al più si può avanzare qualche riserva sui dettagli della ricostru
zionedel Wotschitzky, e, nel caso particolare di Pompei, non ritenere i
ndispensabile una derivazione tipologica dalla Grecia. Direi anzi che una
recezione dall'Etruria appare per Pompei e per questo periodo, come vedremo,
arcaico, una cosa molto probabile.
Una cronologia, per il frammento pompeiano, che sia qualcosa di meglio
di una generica collocazione nell'arcaismo, non sembra possibile. Come è
ovvio, la posizione periferica di Pompei rispetto al mondo greco (ed in un
certo senso anche rispetto al mondo etrusco), ed il fatto che Pompei rece
pisce spesso da fuori, sono circostanze che non rendono indispensabile un'alta
arcaicità per un simile elemento architettonico, tuttavia occorre tener
presente che l'impiego di un materiale a portata di mano e facilmente
utilizzabile come è la pietra lavica può dar ragione di una datazione alta.
Invece il termine cronologico dato dal reimpiego non ha alcuna utilità poiché
con esso siamo già nella Pompei romana.
In quanto alla originaria provenienza e destinazione, noi ci troviamo,
con lo spiazzo dietro il teatro, ai piedi del Foro Triangolare, cioè di un'area
sacra la cui frequentazione e funzione è attestata almeno dalla fine del
VII sec. av. Cr. n. A qualche costruzione, ο meglio ancora a qualche colonna
innalzata ex voto, può benissimo essere appartenuto il nostro frammento.

I, 11 ss.; Id. in Atti Taranto, 1968, 124 sg., ove questo tipo di capitello è segnalato dal
l'arcaismo all'età ellenistica.
11 Per una cronologia del primo impianto di Pompei nella seconda metà del VII secolo a.C.
e per una presenza di un'area sacra al Foro Triangolare anche prima del VI secolo si veda
di recente H. Eschebach, Die städtbauliche Entwicklung des antiken Pompeji, Heidelberg
1970, 22; H. Riemann, Das vorsamnitische Pompeji, in Neue Forschungen in Pompeji,
Recklinghausen 1975, 225 ss.
250 ALFONSO DE FRANCISCIS

Tav. 1 - Elemento architettonico in tufo giallo proveniente dal


podio del tempio di Apollo. Antiquarium pompeiano.

Tav. 2 - Rocchio di colonna proveniente dai saggi nella


« Casa del gallo».
NOTE SULL'ARCHITETTURA ARCAICA A POMPEI 251

Tav. 3 a, b - Frammento di pietra lavorato (zona del muro posteriore del teatro).
252 ALFONSO DE FRANCISCIS

Tav. 4a,b - Frammento di pietra lavorato (zona del muro posteriore del teatro).
GEORGES DUMÉZIL

VIRGILE, MÉZENCE ET LES « VINALIA »

Quel qu'en fût l'âge, le « mythe des Vinalia » appartenait au répertoire


officiel de Rome avant le siècle d'Auguste 1. Des variantes coexistaient, mais
concordaient sur l'essentiel et, comme d'autres éléments du dossier de ces
deux fêtes - Vinalia priora d'avril, Vinalia rustica d'août - elles laissaient
volontiers dans l'indécision l'appartenance du mythe à l'une ou à l'autre.
Tel que nous le connaissons, le récit qui justifie la consécration des
prémices du vin à Jupiter se présente comme un morceau de la légende
latine d'Enée. Abstraction faite de toute autre cause, il explique pourquoi
Jupiter a donné au héros troyen la victoire décisive sur son plus redoutable
adversaire, l'Etrusque Mézence, lui assurant ainsi, près de l'embouchure du
Tibre, installation et royauté2.
La version la plus anciennement attestée - ce qui ne veut pas dire
qu'elle soit la plus ancienne -, celle des Origines de Caton (dans Macrobe,
Sat. 3, 5, 1), ne met pas en scène les Troyens et donne l'initiative à « tous
les Latins », compris certainement comme les alliés d'Enée contre Turnus;
en outre, elle ne spécifie pas le vin: Mézence commande aux Rutules de
Turnus de lui offrir « les prémices qu'ils offraient aux dieux » {imperasse
ut sibi offerrent quas dis primitias offerebant) 3; les Latins ripostent en
demandant à Jupiter de sauver son privilège divin en leur donnant la

1 Sur les Vinalia, v. R. Schilling, La religion romaine de Vénus depuis les origines jusqu'au
temps d'Auguste, 1954, ch. II, p. 91-155, La signification du culte des Vinalia. Sur les rapports
du vin et de la Souveraineté, v. aussi F. Borner, Juppiter und die römischen Weinfeste,
Rhein. Museum, N. F. 90, 1941, p. 30-58, et mes Fêtes romaines d'été et d'automne, 1975,
p. 87-97, 105-107.
2 Les variantes sont réunies dans Schilling, op. cit., p. 98-107.
3 II ne faut pas tirer de grandes conséquences de la généralité de cette expression: 1) il est
usuel, dans la littérature, que dii remplace le nom d'un dieu particulier (v. Idées romaines,
1969, p. 270-271, Les fêtes romaines, p. 92, n. 3); 2) de toutes façons la légende est attachée
aux fêtes du vin, non des produits de la terre en général.
254 GEORGES DUMÉZIL

victoire. Varron (dans Pline, Nat. Hist. 14, 88) n'oppose aussi que « les
Latins » à Mézence appelé en renfort par les Rutules, mais précise que
Mézence a demandé pour paiement « le vin qui se trouvait alors sur le
territoire latin». Festus (322 L; à propos des Vinalia d'été), une notice du
calendrier de Préneste {CIL I2, 236; à propos des Vinalia de printemps)
se réfèrent au même récit, avec un Mézence plus exigeant: il revendique
omnis uini oblationem, omnium annorum uini fructum.
L'autre version oppose directement Enée et Mézence. Elle est représentée
notamment par une vingtaine de vers du quatrième livre des Fastes (879-
900): pour prix de son concours, Mézence demande au roi Ru tuie Turnus
de lacubus proxima musta tuis. Enée riposte: « Le roi tyrrhénien s'est fait
attribuer la vendange; Jupiter, reçois le jus de la vigne latine! » Jupiter
n'hésite pas, uota ualent meliora.
Parallèlement les rites des Vinalia de printemps étaient certainement
constitués avant le siècle d'Auguste. Outre l'offrande du premier vin à
Jupiter, il s'agit de la scène décrite par la 45e Question Romaine où Plutarque
ne parle d'ailleurs pas de « Vinalia », mais, par un de ces glissements qu'il
se permet parfois, de « Veneralia » 4:

Pourquoi, à la fête des Veneralia, verse-t-on, du temple de Vénus, une


grande quantité de vin, πολύν οΐνον?
Est-ce, comme disent la plupart des auteurs, parce que Mézence, roi
des Etrusques, fit offrir la paix à Enée à condition de recevoir le vin de
l'année; que, sur le refus d'Enée, il promit aux Etrusques de leur abandon
ner ce vin, s'il était vainqueur; que, informé de cette promesse, Enée consacra
le vin aux dieux et que, après sa victoire, il rassembla tout le produit de la
vigne et le répandit devant le temple de Vénus?
Ou bien est-ce une façon figurée de signifier qu'il faut célébrer les
fêtes avec sobriété au lieu de s'enivrer, dans la pensée que les dieux pré
fèrent un grand gaspillage à une consommation excessive de vin pur?

En fait, cette effusion rituelle, équilibrant les prémices offertes à Jupiter,


se réfère à l'aspect mauvais du vin: bue raisonnablement, la liqueur rend
l'homme heureux et lui donne des forces; bue à l'excès, elle le dégrade
et le désarme. Le fait que cette condamnation symbolique de l'ivresse ait
lieu devant le temple de Vénus peut se comprendre, partiellement, par la
légende troyenne: une fois en possession du rite positif des Vinalia, Enée
aura introduit sa mère dans l'exécution du rite négatif, et l'entente générale

Schilling, op. cit., p. 108.


VIRGILE, MÉZENCE ET LES «VINALIA» 255

de Jupiter et de Vénus dans la protection de la troupe troyenne aura


facilité leur condomninium sur la fête. Mais à ces convenances épiques
a dû s'ajouter, plus ancien sans doute - des raisons comparatives orientent
en ce sens - le sentiment d'une solidarité entre l'ivresse du vin et les
autres formes d'ivresse, celle de l'amour physique en particulier: le parvis
où se faisait l'effusion était très probablement celui du premier temple de
Vénus Erycine, élevé sur le Capitole et dédié en 215, le jour des Vinalia
priora, et l'on sait comme le culte de cette Erycine capitoline avait été
soigneusement nettoyé, amputé des éléments les plus sensuels de l'original
sicilien 5.

Tel est le double tableau, cultuel et légendaire, dont disposait Virgile


quand il entreprit de peindre, dans la seconde partie de l'Enéide, la bataille
qu'Enée avait à soutenir contre la coalition des Latins de Latinus et d'Amata,
du Rutule Turnus et de l'Etrusque Mézence, et qui devait aboutir à
la bonne entente, à l'union même des Troyens et des Latins. Qu'a-t-il fait
de cette matière? Il l'a, pour l'essentiel, éliminée: Enée ne consacre pas à
Jupiter un vin que Mézence n'a pas réclamé de ses alliés et la victoire des
Troyens ne résulte pas de la défaite de Mézence, toute spectaculaire qu'elle
est, mais de celle de Turnus, à la fin du poème.

* *

Si le poète a ainsi renoncé à une donnée traditionnelle qui lui eût


permis d'annoncer dans son récit, comme il aime à le faire, un rite, une
fête de la religion publique, il avait certainement une grave raison qu'il
ne semble pas impossible de reconnaître.
La victoire des Troyens et ses suites heureuses sont, pour Virgile,
l'accomplissement d'un plan providentiel qu'il a imaginé d'après celui que
Pannalistique avait construit, quelques siècles plus tôt, pour les origines de
Rome 6. Trois fata convergents le soutiennent, concernant trois chefs et trois

5 REL. 39, 1961, p. 267-270; sur l'association - littéraire - des deux ivresses à Rome,
v. Schilling, op. cit., p. 135. L'autre culte de l'Erycine, fondé quelques décades plus tard à la
porte Colline, devait restaurer les éléments voluptuaires du culte sicilien, Schilling, p. 254-262.
6 Mythe et épopée I2 1973, p. 337-422.
256 GEORGES DUMÉZIL

peuples chargés de rôles ajustés, porteurs de caractères complémentaires:


le pieux Enée, sauveur des Pénates, a la promesse que Troie se perpétuera
en Italie; l'opulent Latinus a l'ordre de garder sa fille pour un époux qui
ne soit pas italien; les guerriers étrusques rassemblés autour de Tarchon
sont immobilisés dans l'attente d'un commandant étranger. Ces fata s'imposent
aux dieux mènes: Junon pourra en retarder la confluence, non en renverser
le cours, et s'il arrive à Jupiter, au début du dixième chant (96-117), par la
pesanteur du Zeus homérique qui parfois l'habite, de se déclarer neutre,
il en est pourtant le dépositaire et, dans sa sagesse de Souverain, un dé
positaire décidé à les prendre à son compte: dès l'ouverture du poème
(I, 254-296), ne les a-t-il pas révélés à sa fille Vénus avec un enthousiasme
sensible, et, dans le moment même où il se place au dessus de la mêlée,
ne leur fait-il pas confiance, s'abstenant seulement d'intervenir dans le détail
(X, 112-113: rex Juppiter omnibus idem, fata uiam inuenient)? Dans cette
perspective grandiose, qui donne à Rome, à travers Albe, Lavinium et Troie,
une valeur et une mission presque universelles, il n'y avait évidemment plus
de place pour un marchandage de dernière heure, pour le uota ualent
meliora d'Ovide. Nécessaire au monde, la victoire finale de l'ancêtre des
Romains était acquise d'avance et l'administrateur des prédestinations n'avait
pas à se laisser convaincre, encore moins acheter aux enchères par le fils
de Vénus.
De même que l'élévation que Virgile entendait donner à l'intrigue rendait
le vœu d'Enée inutile, voire déplacé, de même la provocation de Mézence
y perdait sa raison d'être: le débat sanglant auquel Jupiter préside sans avoir
à l'arbitrer n'est pas entre Enée et un Mézence toujours terrible, certes,
mais déchu, exilé, réduit à sa propre aventure; il est entre Enée et Turnus,
entre les deux prétendants à la main de Lavinie, entre les deux avenirs
possibles du Latium: sans Rome, avec Rome.

Et pourtant, comme l'a brièvement remarqué Richard Heinze dans son


étude si attentive Virgils epische Technik (3e éd. 1914 = 1928 = 1957),
p. 213, Virgile a trouvé le moyen, dans le rôle secondaire auquel il limitait
Mézence, de conserver l'opposition de deux uota, l'un detenus, l'autre
melius, qui était le ressort du récit traditionnel. Simplement, puisqu'elle
ne pouvait plus engager « l'histoire romaine », il l'a transportée sur les intérêts
personnels des deux adversaires, sur l'issue de leur combat singulier et les
conséquences qu'il devait avoir pour le survivant et pour le mort. L'enjeu
n'est plus la victoire collective d'une armée, la promotion d'un peuple, mais,
VIRGILE, MÉZENCE ET LES «VINALIA» 257

,
matériellement, les dépouilles d'un individu vaincu: si Enée succombe, à qui
Mézence destine-t-il son armure? Si le vaincu est Mézence, à qui Enée
dédiera-t-il le trophée? D'autre part les uota ne précèdent plus le combat;
ils se conforment à l'usage romain qui les fait prononcer dans le combat
même, au moment décisif.
Mais l'ordre des uota reste dans l'Enéide ce qu'il était dans la légende
d'origine des Vinalia. Celui de Mézence d'abord, quand Enée s'avance contre
lui pour le premier duel (X, 773-777):
«Dextra mihi deus et telum quod missile libro
nunc adsint! Voueo praedonis corpore raptis
indutum spoliis ipsum te, Lause, tropaeum
Aeneae!» Dixit stridentemque eminus hastam
iecit...

Celui d'Enée ensuite, et symétriquement, - mais la formulation du


vœu n'a pas été écrite, ou du moins conservée: seul un hexamètre incomplet
avertit du lieu où Virgile se réservait de le placer7. Lorsque, blessé, avide
de venger son fils Lausus, Mézence se précipite sur Enée pour un second
duel, le Troyen s'écrie, plein de joie (875-876):
« Sic pater Me deum faciat, sic altus Apollo,
incipias conferre manum!»
Tantum effatus, et infesta subit obuius hasta...

Mais nous sommes assurés qu'il devait bien y avoir, à cet endroit précis,
un uotum et que la matière en aurait été les spolia de l'adversaire, éléments
d'un tropaeus, puisque, Mézence ayant succombé à la fin du dixième chant,
le onzième s'ouvre par l'exécution immédiate de ce vœu mentionné comme
tel (2-11): Enée
uota deum primo uictor soluebat Eoo.
Ingentem quercum, decisis undique ramis
constitua tumulo, fulgentiaque induit arma,
Mezenti ducis exuuias tibi, magne, tropaeum
bellipotens; aptat rorantes sanguine cristas,
telaque trunca uiri et bis sex thoraca petitum
perfossumque locis; clipeumque ex aere sinistrae
subligat, atque ensem collo supendit eburnum.

7 La Cerda (1617, vol. III, p. 541) n'a pas tenu compte de ce «blanc» quand il a com
menté le v. 876: «Tantum effatus: ideo pauca, ut qui cupidus rei gerendae. Ο quoties in hac
re Homerus άτοπος et εύήυης! non vereor ita loqui. Plena Ilias his ante certamen inutilibus
iactantiis. Non haec certe natura irae, praesertim in bello». Les paroles d'Enée, complétées,
auraient sans doute été brèves, mais auraient contenu le uotum.
258 GEORGES DUMÉZIL

Est-il besoin de souligner l'évidence? Le récit traditionnel se lit sous


ce diptyque des consécrations: en trois vers, Mézence, contemptor deum,
réunit une parodie d'invocation et une caricature de vœu, attribuant d'avance
à son fils, à un destinataire dérisoirement mortel, ce qui revient aux dieux.
Et c'est aux dieux8 qu'Enée, dans sa riposte, voue la totalité des dépouilles
minutieusement énumérées, celles que les coups ont épargnées, celles qui
sont hors d'usage9.
A la lumière de cette intention reconnue, la harangue qu'Enée prononce
aussitôt après l'érection de l'énorme monument prend tout son sens. Certes
Mézence mourant n'a pas rendu le jugement des armes, Turnus demeure,
et Camille, qui vont renouveler dangereusement la bataille. Mais Enée affirme
que la décision est virtuellement acquise (14-16):
«Maxima res effecta, uiri; timor omnis abesto
quod superest: haec sunt spolia et de rege superbo
primitiae ...»

Par un retournement que souligne un puissant rejet, les prémices du


vin que la légende traditionnelle faisait offrir à Jupiter par Enée ont suggéré
au poète ces prémices inattendues, cette dégustation du triomphe offerte
à Enée par les dieux.

Le talent de Virgile a fait davantage. Dans ce discrimen sublimé par


ses soins, le vin que, suivant la vulgate, Mézence avait l'imprudence d'exiger
des Rutules et qui causaient leur défaite commune, le vin dont la profusion
rituelle du 23 avril, sur le parvis de Vénus, dénonçait le péril au moment

8 Le bellipotens qu'Enée choisit pour bénificiaire de ces spolia opima avant la lettre
(le mot n'est pas prononcé) est probablement Mars, encore que bellipotens ne soit pas
«armipotens»: si Mars seul préside au maniement des arma, la conduite générale d'un bellum
est plutôt l'affaire de Jupiter. En tout cas Virgile préfigure ici l'acte de Romulus fondant
le culte de Jupiter Feretrius par l'offrande des premiers spolia opima, de l'histoire romaine,
ceux qu'il a conquis sur le roi Acron, - dont le nom vient d'être utilisé par Virgile dans
le même ensemble, X, 719-731.
9 On a noté l'ampleur du trophée dont Enée revêt un chêne lui-même énorme; au cont
raire, le trophée que Mézence se flattait d'élever n'aurait eu que les dimensions de son sup
port, le jeune Lausus. La Cerda, ad p. 645: Quercus, cui undìque rami amputati, constituitur
in tumulo, et ea ingens, nam arma ingentia. Il y a sans doute ici une autre Umformung du
uota ualent meliora.
VIRGILE, MÉZENCE ET LES « VINALIA » 259

même où les prémices réservées à Jupiter en déclaraient la puissance, ce vin


n'a pas complètement disparu de l'affrontement des Troyens et des Rutules.
Il a simplement reçu, lui aussi, et dans le même ensemble, une affectation
épisodique.

Tandis qu'Enée est occupé à demander sur le Palatin le renfort des


Arcadiens d'Evandre, puis en un autre point de la vallée, celui de la troupe
de Tarchon, son camp des bouches du Tibre est assiégé. Deux courageux
garçons, Nisus et Euryale, s'offrent à traverser les lignes rutules: ils iront,
disent-ils, en amont, informer Enée du péril de l'armée ... Ils réussissent
presque. Avant de périr par une gaminerie de Vimmemor Euryale, ils font
un grand massacre dans le camp ennemi (IX, 176-449).
Virgile s'est inspiré ici, on le sait, de la Dolonie, de l'épisode du
dixième chant de l'Iliade où Ulysse et Diomède, sous les murs de Troie,
font une incursion hardie dans les lignes troyennes. En 1825, au tome III,
p. 137-148, de ses Etudes grecques sur Virgile, F. G. Eichhoff a développé
minutieusement la comparaison des deux textes. Mais cette comparaison fait
aussi ressortir quelques grandes différences, dont voici l'une: le coup de
main d'Ulysse et de Diomède prend bien au dépourvu les Troyens, leurs
alliés du moins, mais même les plus négligents de ceux-ci ne se trouvent
pas dans un de ces états d'ivresse qui, de nos jours, conduiraient les survivants
en cour martiale; Nisus et Euryale au contraire égorgent une armée rutule
paralysée par l'ivresse.
Dans les derniers vers du huitième chant de l'Iliade, la harangue
d'Hector a mis fin à une rude journée. Victorieuse, l'armée troyenne ne
rentre pas dans la ville, mais allume ses feux et campe dans la plaine. Les
vieillards s'installent en observateurs sur les murs. En bas, les guerriers
détachent les chevaux, chacun gardant près de lui son char et son attelage.
Le ravitaillement afflue, viande de bœuf et de mouton, avec du pain et du
vin (545-547):
έκ πολίος δ' αξοντο βόας και ϊφια μήλα
καρπαλίμως, οΐνον δε μελίφρονα οίνίζοντο
σιτόν τ' έκ μεγάρων . . .

L'armée passe ainsi la nuit « sur les ponts de la guerre ». Mille bûchers
brûlent, avec cinquante hommes près de chacun. Les chevaux mâchent leur
orge et leur avoine, - debout près des chars, répète le poète - en
attendant l'aurore.
Telle est encore la situation au début du dixième chant. Tandis que
l'armée grecque épuisée se repose, Agammemnon ne dort pas. Il observe
260 GEORGES DUMÉZIL

les feux ennemis en grand nombre sous les murs d'Ilion et réunit le conseil
des chefs. C'est alors que Diomède s'offre à partir avec Ulysse en recon
naissance. Ils interceptent l'espion adverse, Dolon, et le font parler avant
de le tuer. Ils apprennent ainsi que tout est bien gardé sur la ligne des
Troyens, moins bien chez leurs alliés. Dolon ne tarde pas à leur « donner »
le point faible du front: c'est chez les Thraces qu'ils doivent pénétrer, - et
il vante, comme un tentateur, le magnifique équipement du roi Rhésos.
Débarrassés de Dolon, les deux Grecs marchent droit vers le secteur tenu
par les Thraces, qu'ils trouvent endormis, mais avec leurs armes et leurs
chevaux près d'eux. Rhésos dort aussi et son char est attelé. En conséquence
Diomède massacre librement tandis qu'Ulysse, au fur et à mesure des meurtres,
jette les cadavres de côté, dégageant un chemin. Les deux compagnons
s'enfuient non moins librement sur les chevaux de Rhésos, ce qui ne laisse
pas de surprendre et qui a souvent été censuré comme une somnolence du
bonus Homerus: encore que, en matière de prouesses épiques, les frontières
du plausible soient évanescentes, comment des soldats normaux, simplement
endormis, ont-ils pu ne rien percevoir d'une telle performance - treize tués,
dont le roi - inévitablement accompagnée de hennissements et de ruades?
Il en est tout autrement dans Virgile. Sur le soir, Turnus a bien dit à
ses guerriers rutules (IX, 156-158):
nunc adeo, melior quoniatn pars acta diei,
quod superest, laeti bene gestis corpora rebus
procurate, uiri, et pugnam sperate parari.

L'ordre est sage. Il est d'ailleurs bien exécuté, selon l'usage de toute
infanterie en campagne: les feux sont allumés, les sentinelles, le détachement
de garde mis en place (160-162). Voici pourtant qui nous alerte quant à
la conscience professionnelle de cette custodia10 (164-165):
discurrunt uariantque uices fusique per herbam
indulgent uino et uertunt crateras aeneos .··. .

Indulgent uino?... Après tout, cette «faiblesse» pour le vin peut être
raisonnée: pris modérément, le vin excite le soldat, l'aide à veiller avant
d'attaquer. Mais nous comprenons vite qu'il ne s'agit pas de cela. Quand,
plus tard dans la nuit, le petit Nisus, qui est de garde près d'une porte de
« Troie », communique d'abord à Euryale, puis, s'étant fait relever, aux chefs

10 II n'y a rien que de normal dans le vers 164: dans l'intervalle des gardes, les sentinelles
se reposent sur l'herbe. Mais indulgent uino!
VIRGILE, MÉZENCE ET LES «VINALIA» 261

de l'armée son projet d'établir une liaison avec Enée à travers le camp
rutule, voici comment il décrit l'ennemi. A son camarade (188-189):
Cernis quae Rutulos habeat fiducia rerum:
lumina rara micant, somno uinoque soluti
procubuere, silent late loca...

A l'Etat-Major (236-240):
... Rutuli somno uinoque soluti
conticuere, locum insidiis conspeximus ipsi...

interrupti ignés aterque ad sidéra fumus


erigitur. . .

Défaillance grave pour ces quatorze chefs « choisis » et leurs quatorze


centaines d'hommes expressément chargés de surveiller les portes et de maint
enir dans la lumière les remparts du camp ennemi (159-163): ils laissent
dépérir les feux qui, au début de la nuit, avaient inquiété les Troyens (169).
De fait, Nisus et Euryale ont affaire à des hommes imbibés de boisson n.
Virgile insiste sur cette circonstance, propre pourtant à diminuer leur
mérite (315-320):
Egressi superant fossas noctisque per umbram
castra inimica petunt, multis tarnen ante futuri
exitìo. Passim somno uinoque per herbam
corpora fusa uident, arrectos littore currus,
inter lora rotasque uiros, simul arma iacere
uina simul.

Après Ramnès et Rémus, égorgés par Nisus (334-337):


... Nec non Lamyrumque Lamumque
et immensem Serranum, Ma qui plurima nocte
luserat, insigni facie, multoque iacebat
membra deo uictus, felix si protinus illum
aequasset noeti ludum in lucemque tulisset!

Parmi les victimes d'Euryale, un éveillé, futaille vivante, qui ne résiste


pas mieux que ses camarades endormis (345-350):
Rhoetum uigilantem et cuncta uidentem
sed magnum metuens se post cratera12 tegebat

11 V. A. Cartault, L'art de Virgile dans l'Enéide, 1926, p. 672.


12 Cartault, op. cit., p. 698: «Les dimensions du cratère sont en rapport avec les pro
portions de l'ivresse .décrite. » La Cerda, ad /oc: se post cratera tegebat; quippe ebrius.
262 GEORGES DUMÉZIL

pectore in aduerso totum cui comminus ensem


condidit adsurgenti et multa morte recepii:
purpuream uomit Me animam et cum sanguine mixta
uina refert moriens.

Deo uictus ... La victoire du « dieu » du vin sera fatale à ses vaincus,
comme elle l'a été deux fois déjà dans l'Enéide: au second chant (265),
quand les premiers Grecs sont sortis des flancs du Cheval:
inuadunt urbem somno uinoque sepultam:

au troisième (630), quand le Cyclope a abandonné son œil à l'ingéniosité


d'Ulysse,
expletus dapibus uinoque sepultus.

Cette faute des Rutules, militairement parlant, est sans excuse: ils
n'ont pas cédé à une extrême fatigue; c'est dans une folle fiducia rerum
qu'ils ont donné aux observateurs troyens le spectacle de leur orgie. Comme
ils se conduisent partout ailleurs, hommes et chefs, en bons guerriers,
l'exception de cette seule nuit est étonnante.
Elle n'a pourtant guère étonné les commentateurs. Richard Heinze, dans
Virgils epische Technik, p. 218; cf. p. 248, n. 2), est le seul, à ma connais
sance,qui ait cherché à expliquer cette différence entre Homère et Virgile.
Il l'a fait, comme toujours, ad maiorem Maronis gloriam. Dans Homère,
dit-il, la fuite des deux Grecs après le massacre des Thraces passe les pos
sibilités humaines; il y faudrait des dieux, et Homère ne dit pas que les
dieux soient intervenus, sinon Athéna par un conseil. Au contraire, la fuite
de Nisus et d'Euryale, qui les sauverait si Euryale n'avait la fâcheuse idée
de coiffer le casque trop brillant d'une de ses victimes, est admissible, na
turelle même, puisque leurs adversaires ne dorment pas d'un sommeil ordinaire,
mais ont livré leurs têtes et leurs membres au dérèglement du vin 13.
Si l'on accepte cette justification, Virgile n'a esquivé une invraisem
blance que pour s'exposer à une autre, au moins aussi grande, puisqu'il
montre, je le répète, les meilleurs guerriers rutules oublieux des règles

13 Heinze termine ce développement par une remarque contestable: « In der Dolonie hat der
Dichter grosse Not, einen plausiblen Grund für den Auszug der beiden zu erfinden, und zieht
sich übel genug aus der Sache: Virgil hat auch hier nicht gedankenlos nachgeahmt. Dass
während des Blutbades von den Thrakern des Rhesos keiner erwacht, kann verwundern: Virgil
beugt dem vor durch die Fiktion des wüsten Zechgelags 316. 335. 360 (vgl. 165), und dies
wieder ist vorbereitet durch Turnus' Worte 157 laeti bene gestis corpora rebus procurate uiril »
Par ce vers 157, Turnus n'incite évidemment pas ses troupes à s'enivrer.
VIRGILE, MÉZENCE ET LES « VINALIA » 263

élémentaires de leur art. En réalité, Virgile n'était pas réduit à choisir entre
deux invraisemblances. Outre qu'il avait assez d'invention pour susciter, s'il
l'avait voulu, une circonstance différente - brume soudaine, orage, con
fusion ... - qui favorisât Nisus et Euryale sans avilir les Rutules, on peut
faire valoir que, même si le sommeil de ceux-ci n'était pas d'intoxication,
la fuite des deux Troyens ne ferait pas autant de difficulté que, dans Homère,
la fuite des deux Grecs: Nisus et Euryale ne montent pas des chevaux pris
à l'ennemi, encore « craintifs » et « inaccoutumés aux cadavres » (II. X, 493),
mais, étant à pied, pénètrent bientôt dans un paysage boisé (silua fuit . . .
nigra, horrido) où ils disparaissent et qui, sans la puérile coquetterie de
l'un deux, les eût peut-être même abrités des trois cents hommes, bien éveil
léset sobrii, que conduit Volcens et qu'ils ont la malchance de rencontrer.
Bref l'invraisemblance n'est ni dans l'aisance avec laquelle les deux
jeunes gens attaquent et se retirent, ni dans le sommeil des Rutules qui
pouvaient, tout compte fait, se sachant maîtres de la situation, avoir mal
résisté à l'heure et à l'herbe tendre. Elle est dans la nature et dans la cause
itérativement déclarées de ce sommeil: somno uinoque soluti. Or cette singul
arité que n'imposait pas la matière a été délibérément introduite dans une
imitation homérique qui ne la suggérait pas. Pourquoi?
Etant donné le goût de Virgile pour de tels jeux14, ne devons-nous
pas reconnaître ici une allusion au second aspect des Vinalia? Empêché
par les fata d'Enee, de Tarchon et de Latinus de conserver, au moment
où le récit l'appelait, le mythe de fondation de la fête, le poète n'a-t-il pas
transposé, dans une action épisodique, et toujours au grand dam des Rutules,
la leçon que l'effusion du vin donnait chaque année, le même jour, sur le
parvis de la Sicilienne assagie, — ώς των ΰεών μάλλον τοις έκχεουσι χαιρόντων
τον πολύν ακρατον ή τοις πίνουσι?

14 Pour m'en tenir aux rites: le coup de javelot dans le Cheval de Troie (Aen. II, 50-53)
conforme au mode de mise à mort du Cheval d'Octobre [Latomus 114, 1970, p. 196-206];
le primum omen, quand Enée touche l'Italie (III, 537-538; cf. ouanies 544), annonçant les
quatre chevaux blancs du triomphe; le carrousel chez Aceste (V, 545-595) préfigurant le lusus
Troiae; le groupement de personnages dans l'incendie des vaisseaux (IX, 76, 108-117; X, 220,
229, 231, 234) reproduisant celui des dieux servis aux Volcanalia [Les fêtes romaines, p. 64-65];
l'appel de Cymodocée à Enée (X, 228) identique au Rex uigila! des Vestales . . .
PAUL-MARIE DUVAL

OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES


EN OR ATTRIBUÉES AUX « SALASSI » OU AUX « UBERI »

Le double intérêt de cette petite série de pièces originaires des Alpes


centrales est connu depuis longtemps: des légendes en caractères dérivés de
l'alphabet étrusque et dits aujourd'hui lettres «de Lugano»; la déformation
complète des deux types du droit et du revers à partir d'une imitation d'un
prototype macédonien identifiable et la composition d'images nouvelles, de
caractère en partie géométrique, entièrement différentes des deux modèles 1.
Ces monnaies ont parfois été présentées, dans diverses publications, dans
une position inexacte: en fait, comme l'a montré J.-B. Colbert de Beaulieu,
la tête, même transformée en décor géométrique, est toujours orientée de la
même façon, tandis que le revers, rendu méconnaissable, est déplacé de 90°
par rapport au modèle sur les pièces épigraphes, ce qui rend la légende
lisible horizontalement2. C'est la disposition de ces divers éléments et la
possibilité de distinguer une évolution stylistique et peut-être chronologique
qui font l'objet des pages qui suivent, offertes amicalement à un historien
de l'Antiquité qui, parmi toutes ses compétences, compte celle du numismate.

1 Publiées avec illustrations notamment par: A. de Longpérier, Monnaies des Salasses,


dans Revue numismatique, n.s., VI, 1861, p. 333-347, pi. XV, nos 1-10 (abrégé ici: RN); - H. de
La Tour, Atlas de monnaies gauloises, 1892, pi. XXXVII, nos XV, 1 à 8 (dessins refaits d'après
RN), 9270 et 9271 (abrégé ici: LT); - A. Pautasso, Le monete preromane dell'Italia settentrio
nale, Varese, 1966, p. 137-153, pi. CVII-CXII (Fig. 536-544) et un Corrigendum à la pi. CXII,
meilleure photo de la Fig. 543 (abrégé ici: Pautasso); - pour les légendes: J.-B. Colbert de
Beaulieu, Remarques sur des inscriptions monétaires nord-italiques, en Gaule cisalpine et en
Gaule transalpine, dans Congresso internazionale di Numismatica, Roma, settembre 1961,
II, 1965, p. 180; Notes d'épigraphie monétaire gauloise (IV), dans Etudes celtiques, XI, 1964-1965,
p. 59-64, pi. II-III; rétablit la position exacte des monnaies; - M. Lejeune, Lepontica, Paris,
1971, p. 128-130, n° 51 (alphabet dit de Lugano, légendes du groupe B).
2 J.-B. Colbert de Beaulieu (dans Etudes celtiques, o.e.), que je remercie de m'avoir ren
seigné sur la diversité intégrale des coins représentés par ces pièces.
266 PAUL-MARIE DUVAL

Quinze pièces sont connues, dont neuf portent des légendes diverses;
de plus, deux autres apparemment anépigraphes ont été signalées, dessinées
(l'une seulement au droit), puis perdues. Tous les exemplaires connus, dessi
nésou photographiés, sont de coins différents, de droit et de revers. Neuf
proviennent de Suisse, quatre d'Italie, une de France. Les poids varient de
6,59 g à 7,55 g. Il ne paraît pas s'imposer que deux pièces, aujourd'hui per
dues, dont l'histoire et les poids sont inconnus, aient été confondues avec
deux autres et que le nombre total doive être ainsi réduit à quinze, celui
des monnaies dessinées à treize3. Les dessins que nous possédons des pièces
en question et les provenances indiquées sont assez différents pour que
l'idée d'une confusion ne soit pas retenue.
Le droit et le revers, l'un convexe et l'autre concave, sont imités eux-
mêmes d'imitations connues en or (chez les Rètes?) d'une monnaie d'or
d'Alexandre le Grand, un demi-statère, dont il existe d'autres imitations en
argent. Au droit, une tête d'Athéna casquée, de profil à gauche; au revers,
une Victoire de face, avec, à droite, une légende inscrite sur une ligne verti
cale, à gauche, un différent (Fig. 1) 4. C'est, particulièrement, le revers qui
suggère cette dérivation: les lignes maîtresses du décor, si on les place vert
icalement, rappellent, malgré le manque de détails, les proportions de la
Victoire sur les exemplaires les moins déformés géométriquement (ce sont,
malheureusement, les plus frustes, par suite d'une frappe imparfaite: Fig. 1,
nos 9, 10, 11). Enfin, droit et revers sont, sur certaines pièces, entourés d'un
cercle périphérique: le droit, seulement dans la série épigraphe (Fig. 2, nos 3,
4, 15; Fig. 3, nos 1), le revers, dans les deux (Fig. 1, nos 9, 11, 12; Fig. 2,
nos 13, 14, 4, 15?). Il est possible que les exemplaires qui ne présentent pas
ce cercle n'offrent qu'une image incomplète par suite d'un flan trop petit
et que, d'autre part, certains dessinateurs n'aient pas tenu compte du dit
cercle.
La série anépigraphe est la plus lourde: de 7,55 g (Fig. 1, n° 11) à 7,10 g
(Fig. 2, n° 13) mais le poids du n° 9 est inconnu; dans la série épigraphe,
sauf le n° 4 (Fig. 2), de 7,10 g, toutes les pièces pèsent moins de 7 g
(extrêmes: n° 3, Fig. 2: 6,94; n° 9, Fig. 1: 6,65 mais les poids des nos 6 et 8,
2, 5 et 7, Fig. 3, sont inconnus). Il convient donc de considérer la première
série comme étant la plus ancienne. L'examen des variantes du type confirme
cette vue.

3 Ce seraient les nos 5 et 6, confondus respectivement avec 7 et 8: Pautasso, p. 142 et


n. 391. Voir les provenances sur le tableau, p. 268..
4 Pautasso, p. 399 et pi. CVII, n° 535, agrandi en 535 A: l'imitation en argent.
OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES 267

Dans cette première série, en effet, la tête du droit extrêmement schémat


isée,profil à gauche (n° 14, Fig. 2), reste reconnaissable à la ligne qui
sépare le visage de la partie crânienne, à l'oeil globulaire, aux trois petits
traits parallèles obliques qui représentent les trois boucles pendantes du
visage du prototype (nos 11, 10, 9, 12, Fig. 1; 14, 13, Fig. 2, dans l'ordre
descendant des poids). On a pris les lignes maîtresses de la tête: l'axe des
boucles de cheveux, le cimier rayonnant du casque, la forme curviligne de la
calotte, donnée par le bord de la monnaie. Un trait commun à tous les droits
est la stylisation du casque à cimier par des lignes entrecroisées obliques,
formant des triangles, des losanges, des rectangles. Le revers, lui, devient
vite méconnaissable: peut-être sur les trois premiers exemplaires (11, 10, 9,
Fig. 1) reconnaissait-on encore la Victoire, bras gauche plié, bras droit tendu,
du prototype, tout au moins sur les pièces bien frappées; sur celles qui nous
sont parvenues, le sens vertical est difficile à déterminer, au moins pour
9 et 10, bien qu'il s'agisse sans aucun doute de la Victoire. Sur les trois
autres (13, Fig. 2; 12, Fig. 1; 14, Fig. 2), le sujet n'a plus forme humaine:
de la ligne verticale de droite se détache comme une pointe triangulaire
ou linéaire (c'était le bras droit); du côté gauche, les plis verticaux de l'aile
se résolvent peu à peu en une sorte de trident, hampe en haut. Sur le n° 14
(Fig. 2), entre ses deux éléments verticaux s'intercale, un peu au-dessus du
milieu de la pièce, un cercle pointé pourvu d'un pédoncule en bas: l'ancienne
Victoire désarticulée recommence à prendre une autre forme, non figurative;
la déformation devient positive.
La série épigraphe est très différente, sauf pour le droit de la première
pièce (n° 3, Fig. 2) qui est du même type, quant à la « chevelure » à losanges,
que dans la première série. Sur toutes les autres pièces, le visage du droit
est devenu un profil géométrique formé d'un globule, d'une sorte de grille
triangulaire à compartiments quadrangulaires, de trois petits traits obliques
parallèles à la base de ce «triangle»: ce sont les éléments de la tête, dans
la même disposition que précédemment, mais elle n'est plus reconnaissable,
notamment parce que le casque ou la chevelure a pris la forme d'un triangle.
Dans la dernière pièce (n° 7, Fig. 3), l'œil et les trois traits obliques ont
même disparu.
Le revers subit deux modifications par rapport à celui de la série ané-
pigraphe: 1) l'image est soumise à une rotation de 90° vers le haut par la
droite, si bien que le motif dérivé du bras gauche de la Victoire se trouve
en haut, les grandes lignes verticales devenant horizontales et le « trident »
se trouvant désormais couché en bas, la hampe vers la gauche; 2) entre les
deux grandes lignes horizontales, qui forment une sorte de cartouche, est
inscrite une légende, en caractères lépontiques dits « de Lugano ». En allant
7* Fig. 3 7 RN XV. 7 •ρ ? Vétroz, Valais, Suisse
8* Fig. 3 8 RN XV. 8 ? ? Glacier de Sierre, Clarey, Valais,
Suisse
9 Fig. 1 9 ? ? près Aoste, Italie
10 Fig. 1 10 BN 9270 536 7.30 Paris, BN Lugrin, Haute-Savoie, France
11 Fig. 1 537 7.55 Lausanne St-Prex, canton de Vaud, Suisse
12 Fig. 1 BN 9271 538 7.12 Paris, BN ?
13 Fig. 2 539 7.10 Zurich Luchefin, lac de Neuchâtel, Suisse
14 Fig. 2 540 7.159 Zurich ?
15* Fig. 2 544 6.85 Aoste près Verres, val d'Aoste, Italie
16 Fig. 1 ? canton de Fribourg, Suisse
17 Fig. 2 6.59 ? Ibid., Suisse

* Avec légende.
OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES 269

des poids les plus lourds aux plus légers, du simple au complexe dans le
décor et du moins déformé au plus déformé, on peut distinguer les variantes
suivantes de l'image, sans pour cela affirmer une stricte succession de pièce
en pièce entre les deux extrémités de cette liste:
3 et 4 (6,94 et 7,11 g): pointe en haut, le trident souligne la légende
centrale (Fig. 2);
15 et 1 (6,85 et 6,65 g): la pointe supérieure est remplacée par un
cercle à pédoncule du genre de celui qui se trouve, dans une autre position,
sur le revers anépigraphe de 14 (Fig. 2); le trident, qui sert toujours de base
à la légende, a une hampe plus forte et une sorte de crochet en S (incomplet
en bas) à la base des dents (Fig. 2 et 3);
2 (poids inconnu): le cercle du haut est pointé; le crochet du trident
(qui n'a plus que deux dents) n'est qu'une sorte de virgule (Fig. 3);
6 et 8 (poids inconnus): le cercle supérieur est pointé, le pédoncule
est plus développé en 6 qu'en 8 (Fig. 3); la légende est dans un cartouche
complet en haut et en bas, le trident est au-dessous; en 6, il y a un ovale à
la base des dents avec un léger appendice vers le bas et le trident est plus
long qu'en 8;
5 et 7 (poids inconnus): c'est le terme de l'évolution stylistique (Fig. 3);
la légende a toujours son cartouche complet, le trident est au-dessous, le
cercle supérieur est remplacé par un grand triangle. Au droit, la «grille»
est devenue un grand triangle compartimenté, qui constitue en 7 la seule
image.

Trois points me paraissent certains:


1) La série anépigraphe est plus ancienne que la série épigraphe5;
2) La pièce n° 3 (Fig. 2) est la charnière des deux séries, avec le droit
encore à casque losange et le revers déjà à disposition horizontale et à
légende; donc pour une raison stylistique et non pas, comme on l'a dit, parce
que la légende rétrograde et mal écrite est une marque d'archaïsme épigra-
phique 6; en tout cas, les deux critères concordent;
3) les légendes à cartouche complet doivent marquer un progrès sur
les autres et, parmi elles, les nos 5 et 7 (Fig. 3) sont au terme de l'évolution
stylistique de l'ensemble de ces monnaies, anépigraphes et épigraphes. L'étude
et le redressement des images ici proposés ne sont pas indifférents à la lecture
des légendes. Si l'on admet que l'image du revers se présente toujours dans

5 Déjà vu par A. Pautasso, p. 146-147, 152.


6 Pautasso, p. 152, d'après Forrer, Keltische Numismatik der Rhein - und Donaulande,
1908, p. 278 et suivantes.
270 PAUL-MARIE DUVAL

le même sens, le trident horizontal en bas et sa hampe à gauche, toutes les


légendes sont en graphie dextroverse sauf une (3 b) et l'on lira cela même
qu'a lu M. Lejeune pour des raisons purement linguistiques et épigraphiques:
3 (Fig. 2). a) TIKOU, en graphie dextroverse, avec U renversé; b) en
dessous, avec graphie à la fois renversée et sinistroverse (retourner la pièce
de haut en bas et lire de droite à gauche): ANA, mot vraisemblablement
ajouté, d'une écriture moins régulière, en dehors du cartouche ménagé pour
la légende médiane. Si l'on veut lire, comme il avait été fait: ANA/TIKOU,
en un ou deux mots, il faut admettre que l'image est renversée de haut en
bas par rapport à celle de tous les autres revers épigraphes. La première
lecture a pour elle le sens correct de l'image; le U renversé n'est pas sans
exemples.
4 (Fig. 2). ΚΑΤ (non sinistroverse, comme il a été dit).
15 (Fig. 2) et 1 (Fig. 3). PRIKOU.
6 et 8 (Fig. 3) ULKOS, avec S sinistroverse en 6.
2 (Fig. 3). KASILOI (non -OS, comme il a été lu parfois).
5 et 7 (Fig. 3). ASES", avec S de deux formes différentes.

Au point de vue stylistique enfin, il est remarquable que la déformation


géométrisante outrancière du droit, unique dans tout le monnayage celtique,
appartienne à une région périphérique de la Gaule, et limitrophe de l'Italie
de peuplement celtique: le Haut-Valais, peut-être le territoire des Uberi,
branche des Lepontii, région du Rhône supérieur voisine des Rètes 7. Les
schématisations déformantes les plus fortes et les recompositions les plus
originales par rapport au modèle proviennent, en effet, des peuples frontières:
les Belges (Nervii, Treviri etc. et les monnaies des Belges émigrés en Bretagne),
les Aquitains (Sotiates et Elusates, notamment) et l'ensemble des « monnaies
à la croix » des Volcae. La raison de cette localisation géographique des
styles les plus linéaires, « abstraits » et originaux, reste à trouver. S'il s'agit,
comme il est vraisemblable, de peuples culturellement moins évolués que
ceux de l'intérieur et des côtes, la stylisation déformante à outrance et refo
rmante de façon non figurative, la tendance géométrisante en un mot, pourrait
être considérée plus certainement comme une marque de moindre développe
ment de la sensibilité esthétique. Pourtant, le monnayage ci-dessus décrit
appartient, d'après une opinion acceptée par le dernier numismate qui l'a

7 Pautasso, p. 151, à cause de la répartition des trouvailles, en majorité sur le territoire


helvétique, préfère cette région lépontique au Val d'Aoste, riche en or, des Salassi, proposé par
Mommsen. L'emploi de l'écriture lépontique des légendes confirme cette vue.
OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES 271

étudié 8, à la période la plus tardive du monnayage celtique: entre 100 (ce qui
parait une date encore bien haute) et 25 avant notre ère, semble-t-il.
Géométrisme outrancier et date tardive ne sont, au reste, nullement
contradictoires: après le grand style libre de l'art laténien, la symétrie géomét
rique a repris ses droits, favorisée aussi par l'emprise croissante de l'art
romain sur un monde celtique au déclin. On retrouve le même phénomène
dans l'art monétaire: le décor des monnaies bretonnes, par exemple, est de
plus en plus géométrisé et régulier dans la dernière période, et l'on abaisse
aujourd'hui jusqu'à la fin du IIe siècle le début du monnayage « à la croix »
des Volques du Languedoc. Région montagneuse périphérique d'une part,
basse époque gauloise d'autre part, rendent compte de façon satisfaisante
de la composition puissamment géométrique finalement créée par les auteurs
des monnaies ci-dessus étudiées. J'ai pris soin, pour les illustrer, de faire dessi
ner, soit les pièces conservées ou leur photographies, soit les dessins les
plus anciens, qui avaient parfois été légèrement déformés dans des publica
tions ultérieures.

Pautasso, p. 152, qui suit Forrer (o.e., p. 278 et suiv.).


272 PAUL-MARIE DUVAL

P. 635A 11

16

10 12

Fig 1 - D'après Pautasso, Fig. 535 A (photo), prototype vraisemblable (imitation en argent d'un
statère «rétique» en or imité lui-même d'un statère d'Alexandre le Grand).
11 D'après Pautasso, Fig. 537 (photo).
9 D'après Longpérier 9 (dessin, d'après X).
16 D'après H. Meyer, « Munzfunde », dans Anzeiger für Schweizerische Altertums-
Kunde, 1866, pi. I, 4 (dessin, du droit seulement, d'après X).
10 D'après la monnaie, BN 9270.
12 D'après la monnaie, BN 9271.
N.B. - Les dessins des Fig. 1, 2 et 3, dûs à André Marguet, sont un peu plus grands
que nature: le diamètre moyen des monnaies est de 2 cm., celui des dessins, de 2,5 cm.
OBSERVATIONS SUR LE STYLE DES MONNAIES GAULOISES 273

17 13

14

15

Fig. 2-17 D'après H. Meyer, Goldmünze der Salasser, dans Anzeiger für Schweizerische
Altertumskunde, 1870, pi. XIII, 14 (dessin, d'après X).
13 D'après Pautasso, Fig. 539 (photo).
14 D'après Pautasso, Fig. 540 (photo).
3 D'après Pautasso, Fig. 541 (photo).
4 D'après Pautasso, Fig. 542 (photo).
15 D'après Pautasso, Fig. 544 (photo).
274 PAUL-MARIE DUVAL

V /Κ Ο 2)

Fig. 3 - 2861 D'après


negli
la
de
dans
monnaie).
Gai).
Mitteilungen
ultimi
Pautasso,
Th.
F. Caronni,
Longpérier
Mommsen,
viaggi
Fig.der
8da
Ragguaglio
543
(dessin,
Die
un
Antiquarischer
(photo).
dilettante,
nordetruskischen
d'après
di alcuni
II,
unGesellschaft
Milan
manuscrit
monumenti
Alphabete
1806,anonyme
in
pi.auf
diZürich,
VI,
antichità
Inschriften
n.ou46VII,
d'après
(croquis,
ed1853,
und
artiun
Münzen,
raccolti
pi.
d'après
dessin
I, 2

(dessin, d'après un calque vu à la Société des antiquaires de Zurich).


5 D'après F. Caronni, o.e., pi. VI, 45 (croquis, d'après la monnaie).
7 D'après Longpérier 7 (dessin, d'après un manuscrit anonyme ou d'après un dessin
de Gai).
GERMAINE FAIDER-FEYTMANS

POIGNÉES DIONYSIAQUES DÉCOUVERTES


AUX ENVIRONS DE COURTRAI (BELGIQUE)

A Lauwe, agglomération de Flandre occidentale, située sur la rive droite


de la Lys, au sud-est de Courtrai et à proximité de la frontière française
(Carte 1), a été découverte, en 1936, une paire de somptueuses poignées
en bronze (Fig. 1).
Ces objets furent recueillis dans un puits, situé dans la S.A. parc. 639;
son cuvelage, qui affectait une forme quadrangulaire, s'était effondré jusqu'à
3 m de profondeur et avait recouvert les poignées. Au même niveau gisaient
deux minces lingots d'étain. C'est à l'architecte Jacques Vierin, que nous
devons de connaître les circonstances de la trouvaille \
Les deux poignées, identiques, en bronze coulé, à revers creux, présent
ent,en leur centre, un buste dénudé de Mènade, flanqué de cornes d'abon
dance à trois déclivités. Un épais godron, bordé de listels, les prolonge en
un large crochet recourbé se terminant par deux glands. Les crochets jouent
librement dans l'œillet d'épais tenons de fixation, quadrangulaires, perforés
à leur extrémité. Le buste se dresse sur la base d'une feuille de vigne inversée,
à sept palmes et nervures indiquées; les palmes inférieures, en un mouve
mentajouré, se rattachent aux cornes d'abondance. Les bustes de Mènade
sont juvéniles et potelés, leurs visages aux joues pleines, au nez droit, se
prolongeant par les arcades sourcilières, se dressent sur un cou court et fort;
les yeux levés et écartés, aux longues paupières ourlées, ont la pupille per
forée; la bouche est étroite, les lèvres légèrement entrouvertes sont charnues;
la chevelure épaisse, séparée par une raie centrale, est reprise en coques
sur les tempes et garnie de grappes de raisin; une chaîne ou cordelette
tressée barre le front large et bas: elle était peut-être destinée à soutenir les
grappes de raisin; au sommet de la tête figure un disque incisé d'une croix.

1 J. Viérin, Poignées de bronze gallo-romaines découvertes à Lauwe dans Mémoires du


Cercle royal historique et archéologique de Courtrai, t. XXXVII, 1970, pp. 243 à 248; Archéol
ogie,1971, 2, p. 135.
276 GERMAINE FAIDER-FEYTMANS

Les bustes laissent une impression de force et de majesté. Les poignées


mesurent 16,5 cm en largeur, 14 cm en hauteur et leur poids respectif,
considérable, est de 470 grs.
Une patine verte homogène recouvre ces objets, dont le revers, creux,
est oxydé. Seuls les tenons, les glands et les feuilles de vigne, rapportés,
sont en fonte pleine. La feuille d'une des poignées, très oxydée, est brisée
au niveau de sa fixation; la même poignée a souffert dune forte déchirure
à la corne droite, peut-être à la suite d'un choc récent.
Le disque figurant sur la tête des Ménades peut paraître, à première
vue, aberrant, mais il se retrouve, rarement il est vrai, sur la tête de cer
tains personnages bacchiques. Il en va ainsi de la coiffure d'un buste de
silène, conservé au Musée du Centenaire, à Mons et provenant probablement
du nord-ouest de l'actuelle province de Hainaut (Belgique), de bustes con
servés au Museum Kam, à Nijmegen, d'un buste de Bacchus découvert à
Xanten (Rhénanie) et d'un buste bacchique transformé en poids curseur
découvert en 1834 à Poulseur (prov. de Liège). Ce disque à incision cruci
fère est en fait l'extrême stylisation du fleuron sommant le front de certains
personnages bacchiques 2.
Il nous paraît difficile de dater, même approximativement, les poignées
de Lauwe, étant donné les circonstances de la trouvaille. Lauwe était situé
en région très romanisée au centre du triangle routier formé par les voies
de Tongres-Courtrai-Boulogne, de Bavai-Tournai-Courtrai et du diverticule
qui unissait ces deux routes, en passant par Wervicq3. Comme il en va des
sites voisins, Wervicq et environs de Courtrai, Lauwe semble avoir été occupé
partiellement du milieu du Ier au début du troisième tiers du IIIe siècle4.
A Courtrai même ont été décelées des traces de fossés de la première moitié
du Ier siècle. La ville semble avoir rempli le rôle d'un centre militaire jusqu'au

2 Mons, Musée du Centenaire, Inv. n° 28; Heinz Günter Horn, Eine Bacchusbüste aus
Xanten, Kreis Moers dans Bonner Jahrbücher, t. 172, 1972, pp. 164 à 174, fig. 18 à 21, p. 165;
A.-N. Zadoks-Josephus Jitta, W.-J.-T. Peters, Antoinette M. Witteveen, Description of the Collec
tionsin the Rijksmuseum Kam at Nijmegen, VII. The Figurai Bronzes, 1973, nos 109 à 112.
G. Faider-Feytmans, Poids curseurs d'époque romaine découverts en Belgique dans Feestbundel
Zadoks-Josephus Jitta, Amersfoort, 1976.
3 J. Mertens et A. Despy-Meyer, Cartes archéologiques de la Belgique, 1-2, Belgique à
l'époque romaine, 1968.
4 Wervicq: J. Carpentier, Wervicq, bourgade gallo-romaine dans Fédération historique
et archéologique de Belgique, Courtrai 1953, pp. 48 à 58; H. Goeminne, Opgravingen in de
romeinse vicus te Wervik, Archaeologia belgica, η. 117, 1970; Harelbeke-Stacegem: Archéologie,
1967, pp. 65-66; 1968, pp. 17-18; 1969, p. 16; 1970, p. 15.
POIGNÉES DIONYSIAQUES DE COURTRAI 277

début du Ve siècle5. Le style raffiné des poignées de Lauwe a pu inciter


leur inventeur à en fixer la création à l'époque flavienne - ce qui n'est
pas exclu - mais d'autres objets, tout aussi soignés, ont été recueillis dans
des niveaux nettement postérieurs6.
Les poignées dont le motif central est constitué par un buste dressé,
dont la base s'appuie sur des cornes d'abondance, ont été recueillies en
nombreux exemplaires, à Bavai même, dans le nord de la France et dans la
partie méridionale de la Belgique. Les plus répandues sont celles au buste
de Cybèle, flanqué de lions émergeant de cornes d'abondance aux extré
mités desquelles figure un crochet, terminé par un buste d'Attis enté sur
des pétales, fixés à une pomme de pin; le crochet, ainsi fermé formait
l'œillet permettant le glissement des tenons de fixation (Fig. 2). A Bavai
même deux exemplaires furent recueillis, l'un avant 1756, l'autre, au centre
de la ville romaine, en 1951, ainsi que deux fragments de plaques métroaques.
Une paire de même type fut mise au jour à Bousies, agglomération voisine
de Bavai (département du Nord) 7. En Belgique même, Gouy et Liberchies,
le long de la voie Bavai-Tongres-Cologne, Roisin et Elouges, près de la route
Bavai-Blicquy, livrèrent des poignées et des fragments de poignées métroaques 8.
Sur toutes celles-ci, le buste de la déesse est accosté de deux lions, dont
les pattes postérieures reposent sur ses épaules, alors que l'avant-train
s'appuie sur l'extrémité des cornes d'abondance, évoquant ainsi, semble-t-il,
l'attitude des fauves qui, traditionnellement, traînaient le char de Cybèle. Or
dans l'important établissement d'Anthée (prov. de Namur), situé à proximité
de la voie romaine Bavai -Dinant-Arlon, fut découverte en 1863, ou peu
après, une paire de poignées métroaques, dont les lions, inversés, par rapport
aux décors précédents, étaient tournés vers Cybèle9. Une paire présentant
les mêmes caractères typologiques gisait dans l'importante cachette du bron-

5 Ch. Leva, L'importance des récentes découvertes romaines de Courtrai dans Fédération
historique et archéologique de Belgique, Arlon, 1960, pp. 269-270; J. Viérin, Trouvailles gallo-
romaines à Courtrai (Cortoriacum), dans Id., Courtrai, 1953, fase. Ill, pp. 84 à 96.
6 On pourrait citer une des poignées delphiniformes de Waudrez (Prov. de Hainaut) vicus
situé sur la voie Bavai-Tongres, encore inédite; elle pourrait remonter à la fin du IIe ou même
au début du IIIe siècle.
7 G. Faider-Feytmans, Recueil des bronzes de Bavai, VIIIe supplément à « Gallia », 1957,
nos 195 et 196; 181 et 197, pi. XXXV et XXXIV.
8 F. Cumont, Poignées de bronze décorées de bustes de Cybèle et d'Attis dans Annales
de la Société archéologique de Bruxelles, XXII, 1908, pp. 219 à 228.
9 E. del Marmol, Villa d'Anthée (suite) dans Annales de la Société archéologique de
Namur, XV, 1881, pp. 7 à 9, pi. VI, fig. 1.
278 GERMAINE FAIDER-FEYTMANS

zier dont l'enfouissement semble dater du troisième quart du IIIe siècle,


découverte au centre romain de Bavai, en juillet 1969 10. Cette méconnaissance
du sens traditionnel du décor métroaque pourrait être considérée comme
une dégénérescence du type initial et dès lors être postérieur à ce dernier.
Il est à remarquer que toutes ces poignées ont été découvertes soit à
Bavai même, soit dans des sites reliés par un réseau routier au chef -lieu de la
civitas Newiorum, qui tous ont été fortement bouleversés au début du der
nier tiers du IIP siècle (Carte 2).
Parallèlement aux poignées métroaques, dont la conception locale et
originale a été soulignée plus d'une fois n, en figurent d'autres moins répan
dues peut-être, mais dont le principe décoratif est identique. Elles semblent
également provenir soit de Bavai, soit de sites en relation routière directe
avec cette ville. Il s'agit de poignées dionysiaques ou qui. à tout le moins,
illustrent des thèmes issus du thiase bacchique. C'est à cette série et non,
comme on a pu le suggérer, à la série métroaque que se rattachent les
belles poignées de Lauwe qui, elles aussi, ont été recueillies près d'un diver-
ticule se détachant d'une voie romaine, celle de Bavai-Tournai-Courtrai.
La poignée dionysiaque de type bavaisien la plus anciennement connue
est celle conservée au dépôt de fouilles de Bavai, Inv. 2291. Découverte
en mars 1924, à Bavai même, entre les chaussées antiques de Cambrai et
du Quesnoy, elle se rapproche étonnamment, par la disposition décorative de
ces thèmes, de celle des poignées métroaques 12: y figure, au centre, un buste
de Silène émergeant de cornes d'abondance se terminant en un griffon
adossé à un protomé d'oiseau, qui peut être un canard. Aucun élément
formant œillet n'y est décelable. Dès lors, il pourrait s'agir d'une simple
applique, mais la pièce est en très mauvais état. Toutefois, toujours dans
la cachette du bronzier découverte en 1969, à Bavai, figurent trois poignées
très apparentées à la pièce conservée au Musée de cette ville. Elles aussi
portent en leur centre une tête de Silène couronnée de pampres et l'extrémité
des cornes d'abondance s'y termine en tête de griffon adossé à un protomé

10 H. Biévelet, Bronzes de Bavai, Supplément au Catalogue Y Art de Rome et des provinces,


Lille, 1970; Id., La cachette du bronzier de Bavai (à paraître) nos 332-333. Nous remercions
M. le Chanoine Biévelet de nous avoir permis d'examiner ces poignées, dont plusieurs sont
inédites et font partie du dépôt dont il prépare la publication.
11 A. Graillot, Le culte de Cybèle à Rome et dans l'Empire romain, 1912, pp. 450 et 465;
F. Cumont, Comment la Belgique fut romanisée dans Annales de la Société archéologique
de Bruxelles, XXVIII, 1914, p. 147 [75].
12 Recueil des bronzes de Bavai, n° 199, p. 94, pi. XXXVI.
POIGNÉES DIONYSIAQUES DE COURTRAI 279

de canard, au col formant œillet et dont le bec, ouvert, tient une baie 13.
Enfin une poignée, de même provenance, présente en son centre, moins
proéminant il est vrai, une tête de Méduse, ailée, aux extrémités identiques
aux pièces précédentes, mais c'est un gland que maintient le bec de chacun,
des canards 14. Il y a connexion évidente entre le masque conjurateur de
Méduse et les décors prophylactiques dionysiaques.
Toutes ces poignées présentent un caractère identique: figure centrale
plus ou moins proéminante unie par des cornes d'abondance à un décor
figuré fixé au crochet de fixation ou formant œillet: Attis, d'une part,
groupes tête de griffon et protomé de canard ou glands de l'autre.
Certes, la divergence des poignées dionysiaques de Lauwe d'avec les
précédentes saute aux yeux: Mènade dont la base s'appuie sur une feuille
de vigne inversée et crochets terminés par un simple gland. Mais d'autres
poignées, à thème dionysiaque, plus simples, ont été recueillies à Bavai: il
s'agit de celles à buste de Silène, enté sur deux cornes d'abondance et se
terminant par un simple crochet, uni à chaque corne par un large godron
cerné de deux listels: l'un des deux, le plus complet, fut recueilli en 1969
dans la cachette du bronzier de Bavai (n° 335), l'autre dont une extrémité
est brisée, fut découverte à Bavai antérieurement à 1856 15. Une troisième
poignée, de même type, mais dont le centre est à ce point épaufré qu'il
paraît difficile de considérer le buste central comme un Silène (peut-être
peut-il s'agir d'un Attis), à été découverte à Ormeignies, près de Blicquy
(Hainaut occidental) à proximité d'une voie romaine 16.
Déjà, dans de précédents travaux, ont été soulignés l'importance et le
nombre de bustes de Silène ou d'images bacchiques décorant des plaques
de serrure 17. Une de ces plaques, sur laquelle étaient fixés deux bustes de
Silène a été découverte à Bavai avant 1860 (Fig. 3). Une applique circulaire
mobile, probablement de même décor, à moins qu'il ne s'agisse d'un médaillon
au masque de Méduse, recouvrait l'entrée de la serrure. Nombre de ces

13 H. Biévelet, Bronzes de Bavai, n° 293; Id., La cachette du bronzier de Bavai, n° 35.


14 Id., Bronzes de Bavai, n° 292; Id., La cachette du bronzier de Bavai, n° 334.
15 Recueil des bronzes de Bavai, n° 214, pi. XXXVII.
16 Musée gallo-romain de Blicquy, Inv. OR 69; Archéologie, 1968, p. 13, pi. XIV.
17 Recueil des bronzes de Bavai, n° 213, pi. XXXVII; G. Faider-Feystmans, Sur quelques
bronzes figurés provenant des ateliers de la région de Bavai (Bagacum) dans Revue archéolog
ique, 1964, t. I, pp. 119 à 128.
280 GERMAINE FAIDER-FEYTMANS

bustes ont été découverts à Bavai même 18 et en Belgique, dans des sites
reliés par route à Bavai 19.
Les poignées à buste de Mènade de Lauwe pourraient s'inscrire dans
le même contexte. Leurs dimensions tant en largeur qu'en hauteur sont
très supérieures à celles des objets apparentés, qu'ils soient métroaques ou
dionysiaques; d'autre part leur poids est considérable. Elles ne peuvent dès
lors avoir servi à ouvrir des coffrets ou de simples armoires. Il s'agit plutôt,
semble-t-il, de poignées de portes: le diamètre des crochets, celui des tenons
et la longueur de ces derniers peut faire supposer que ces poignées étaient
fixées à des ais ayant à tout le moins quatre cm d'épaisseur. Le fait est à
mettre en corrélation avec la plaque de serrure citée plus haut. En résumé,
il peut paraître très vraisemblable d'avancer qu'un ou plusieurs ateliers
bavaisiens se soient spécialisés dans la production de poignées et d'éléments
de portes à caractère dionysiaque ou métroaque.
Il nous plaît de rappeler ici que M. Jacques Heurgon, alors professeur
à l'Université de Lille et directeur de la première circonscription archéolo
gique de France, nous incita, à l'époque, à poursuivre l'étude des bronzes
d'origine bavaisienne et de leur aire de dispersion.

18 Recueil des bronzes de Bavai, nos 205 à 210, pi. XXXVII.


19 Tongres: A. de Loë, Belgique ancienne III, La période romaine, 1937, p. 166; Roisin:
ibid., p. 169, fig. 75; Blicquy: inédit; A. Matthys, La villa gallo-romaine de Jette dans
Archaeologia belgica, 152, 1973, pp. 20 et 22, fig. 9.
(Cliché Vercheval, échelle: 2/3)

Fig. 1 - Collection Vierin - Provenance: Lauwe.

(Cliché Vercheval, échelle: 2/3)


Fig. 2 - Musée royal de Mariemont - Provenance: Gouy.
282 GERMAINE FAIDER-FEYTMANS

(échelle: 2/3)
Fig. Ò - Musée de Lille - Provenance: Bavai.
POIGNÉES DIONYSIAQUES DE COURTRAI 283

Carte 1 - Localisation de Lauwe.

Carte 2 - Aire de dispersion des poignées dionysiaques et métroaques.


JEAN-LOUIS FERRARY

«A ROMAN NON-ENTITY»:
AURELIUS COTTA, TRIBUN DE LA PLÈBE EN 49 AV. J.-C.

Lorsque, passant par Rome en avril 49 après avoir chassé Pompée


d'Italie, César voulut disposer des fonds de Vaerarium sanctius pour financer
ses futures campagnes, il se heurta à l'opposition du tribun Lucius Metellus,
et cette résistance inattendue l'irrita au point qu'il s'en fallut de peu qu'il
le fît massacrer. Ce n'est pas la peur cependant qui fait céder Metellus dans
la Guerre Civile de Lucain, mais l'intervention, non mentionnée par les
autres sources, d'un nommé Cotta:

turn Cotta Metellum


compulit audaci nimium desistere coepto (III, 143-144).

Se fondant sur ce texte, E. Pais \ G. Niccolini 2 et T. R. S. Broughton 3


se sont crus en droit de compter un Aurelius Cotta au nombre des tribuns
de la plèbe de l'année 49; seul, à notre connaissance, E. S. Gruen s'est
montré plus réservé, sans proposer cependant une identification satisfaisante
du personnage mis en scène par Lucain4. Nous voudrions montrer que

1 E. Pais, / Fasti dei tribuni della plebe e lo svolgersi della tribunicia potestà sino
all'età dei Gracchi, Rome, 1918, p. 41.
2 G. Niccolini, / Fasti dei tribuni della plebe, Milan, 1934, p. 330.
3 T. R. S. Broughton, The Magistrates of the Roman Republic (cité désormais MRR),
New York, 1951-1952, t. 2, p. 258. Suivi par D. R. Shackleton-Bailey, The Roman Nobility
and the Second Civil War, dans Cl. Quart, 1960, p. 257.
4 E. S. Gruen, The Last Generation of the Roman Republic, Univ. of California Press,
1974, p. 183, note 74: «possibly he was a tribune like L. Metellus, but no more than possibly»;
mais ensuite, partant du principe (erroné selon nous) que «no Aurelius Cotta is ready at
hand with whom to identify him», E. S. Gruen s'engage dans une direction manifestement
fausse: «note Aurelius as an officer, perhaps a legate, in the Caesarian forces in 45; Cic,
ad Att, 14, 9, 3 ». Cet Aurelius servant sous Hirtius en Transalpine n'a bien évidemment rien
à voir avec le Cotta de Lucain.
286 JEAN-LOUIS FERRARY

l'hypothèse d'un Cotta tribun en 49 n'est pas fondée, et que le Cotta de la


Pharsale n'est autre que le consul de 65.
Il est vrai que les scholies les plus anciennes, les Commenta Bernensia
comme les Adnotationes super Lucanum, s'accordent à présenter Cotta
comme un collègue de Metellus5; mais elles ne sauraient avoir une autorité
décisive que lorsqu'elles se réfèrent expressément à une source digne de
foi, par exemple aux livres perdus de Tite-Live. Ce n'est pas le cas ici,
et rien ne permet de supposer que les scholiastes aient disposé, pour identifier
Cotta, d'informations autres que le texte même de Lucain: ils n'apportent
en effet aucun renseignement qui remonte manifestement à une autre source
que le poème, et ne précisent pas, par exemple, le prénom de ce prétendu
tribun. L'interprétation de Pais, Niccolini et Broughton était déjà celle d'un
ou plusieurs grammairiens de l'antiquité6: il ne s'ensuit pas nécessairement
qu'elle soit la bonne.
Ces historiens se sont en fait persuadés que Metellus n'avait pu céder
qu'à l'intercession d'un collègue7. Encore aurait-il fallu que la conduite du
tribun donnât matière à une intercession; or il nous semble que ce ne fut
pas le cas. La plupart des auteurs anciens (dont Plutarque et Lucain) ne
connaissent de l'opposition de Metellus à César que la scène dramatique
qui les mit aux prises devant Vaerarium 8. Plus complet, Dion Cassius nous

5 Commenta Bernensia (éd. Usener, p. 97): Cotta collega Metellum; Adnotationes super
Lucanum (éd. Endt, p. 88): et hic tribunus plebis fuit. Sur ces scholia vetera, voir V. Ussani,
II Testo Lucaneo e gli scolli Bernensi, dans SIFC 11, 1903, p. 29-83; M. Schanz, Gesch. Rom.
Lit., II, 2, (1913), p. 116-117; Β. M. Marti, Vacca in Lucanum, dans Speculum 25, 1950,
p. 198-214. Les Commenta Bernensia remonteraient au 4e siècle; les Adnotationes seraient
une compilation sensiblement plus tardive (bien qu'antérieure au 10e siècle), mais dérivant
largement du commentaire de Vacca, lui même plus ancien que les scholies de Berne qui
l'utilisent sans le nommer.
6 On pourrait peut-être penser à Vacca comme source commune des deux gloses.
7 E. Pais, I.e.: «stando a Lucano III, 143, un Aurelio Cotta intercedette contro L. Cecilio
Metello, suo collega, il quale si oppose acche, scoppiatta la guerra civile, Cesare si valesse
dell'erario». G. Niccolini, I.e.: Cotta «non può essere che un collega il quale, valendosi della
intercessio, distoglie Metello della impresa temeraria». T. R. S. Broughton se contente de ren
voyer à l'argumentation de Niccolini.
8 Nos deux sources principales sur l'action de Metellus en avril 49 sont, outre Lucain,
Plutarque (Caes., 35) et Dion Cassius (41, 17), dont les récits comportent d'assez nombreuses
divergences. Appien (BC, 2, 41, 164), très bref, est proche de Plutarque; tous deux remontent
à une même source, qui est vraisemblablement Asinius Pollion (cf. pour Plutarque les remar
quesde A. Garzetti dans son introduction à son édition de la Vie de César, Florence, 1954,
p. xxii-xxxiii, et pour Appien, E. Gabba, Appiano e la storia delle guerre civili, Florence, 1958,
AURELIUS COTTA, TRIBUN DE LA PLÈBE 287

précise que « le tribun L. Metellus s'opposa au projet de loi concernant


l'argent, et que, comme ses efforts étaient vains, il se rendit au trésor et
en garda les portes » 9. Metellus s'était donc manifesté déjà au moment où
l'on se préparait à autoriser César à s'emparer du trésor, et de cela nous
avons confirmation: dans une lettre à Cicéron, Caelius parle d'« intercessions »
qui avaient irrité César, et qui ne peuvent être attribuées qu'à Metellus 10.
Si, comme il aurait été normal n et comme semble bien le suggérer Lucain 12,
c'est par un sénatus-consulte que César reçut le droit de disposer de
Vaerarium sanctius 13, on peut penser que Metellus fit intercession et que

notamment p. 207-249). Deux autres textes de Plutarque {Pomp., 62 et Apopht. Caes., 8)


sont moins complets que celui de la Vie de César, encore utilisé par Zonaras (10, 8), avec
quelques coupures et quelques différences de détail dans l'expression. Florus (2, 13, 21) et
Orose (6, 15, 5) ne donnent aucun détail et ne permettent pas de préciser dans quelle mesure
Dion Cassius a pu nous transmettre la version livienne des faits. En revanche, de précieux
renseignements nous sont fournis par deux documents contemporains de l'événement: une
lettre de Cicéron à Atticus (10, 4 - du 4 avril 49) rapportant des propos de Curion, et une
lettre de Caelius à Cicéron (F am., 8, 16 - d'avril 49). Curion et Caelius étaient tous deux
à Rome, dans l'entourage de César; leur version des faits est sans doute quelque peu dramat
isée,destinée qu'elle était à effrayer Cicéron et à l'empêcher de s'engager ouvertement du côté
de Pompée, mais elle ne peut être foncièrement inexacte: ils savaient bien que Cicéron disposait
d'autres informateurs, dont Atticus resté à Rome. Quant à César lui-même, il a tu dans sa
Guerre Civile l'épisode de Vaerarium, dont il ne pouvait guère se flatter.
9 Dion Cassius, 41, 17, 2: άντείπε μεν οΰν προς την περί των χρημάτων έσήγησιν Λούκιός
τις Μέτελλος δήμαρχος, καί επειδή μηδέν έπέρανε προς τε τους ΰησαυρούς ήλθε καί τας θύρας
αύτων έν τηρήσει έποιήσατο.
10 Cael. αρ. Cic, Farn., 8, 16, 1: nihil nisi atrox et saeuum cogitât atque etiam loquitur
(se. César); iratus senatui exiit; his inter cessionibus plane incitatus est; non mehercules erit
deprecationi locus. Que l'auteur de ces intercessions soit Metellus apparaît clairement si l'on
rapproche le témoignage de Caelius de ce que dit César (BC, I, 33, 3): subicitur etiam
L. Metellus tribunus plebis ab inimicis Caesaris, qui hanc rem (se. le projet d'envoyer une
ambassade de conciliation auprès de Pompée) distrahat reliquasque res quascumque agere
instituent impediat. César a seulement « oublié » de préciser que dans un cas au moins (la
prise de possession du trésor, vitale pour son plan de campagne en Espagne) il passa outre
à l'opposition du tribun.
11 Cf. Th. Mommsen, Droit public romaiji, VII, p. 346-351.
12 Dans le récit de Lucain, César ne s'adresse qu'au sénat, et c'est de lui qu'il obtient
tout ce qu'il demande (III, 109-112). Il convient cependant d'être méfiant: le séjour de César
à Rome représente, dans l'économie du poème de Lucain, une préfiguration du régime impérial,
du regnum désormais inévitable; le poète était donc amené, de toute façon, à négliger le rôle
des comices et à privilégier les rapports entre le « tyran » et le sénat.
13 En ce sens, T. Rice Holmes, The Roman Republic and the Founder of the Empire,
Oxford, 1923, p. 43; F. E. Adcock, dans CAH IX (1932), p. 644; G. Niccolini, FTP, p. 333;
M. Gelzer, Caesar, der Politiker und Staatsmann, Wiesbaden, 1960, p. 192, note 81.
288 JEAN-LOUIS FERRARY

César n'en tint aucun compte. Dion Cassius cependant parle d'une rogatio
(έσήγησις), et, faute d'indication précise chez Plutarque et Appien, on ne
saurait a priori le taxer d'inexactitude: la lex Gabinia de 67 offrait d'ailleurs
le précédent d'un plébiscite disposant des deniers publics 14. On peut imaginer
dans ce cas que Metellus parla contre la rogatio, et annonça son intention
d'y opposer son veto. Une intercession ne pouvant être annulée par celle
d'un collègue, les tribuns césariens, Antoine et Cassius, n'auraient eu d'autre
solution juridique que de faire voter par le peuple la déposition de Metellus,
selon la procédure utilisée par Ti. Gracchus contre Opimius en 133, et
encore par Gabinius contre Trebellius en 67. Mais César, qui s'affichait
en défenseur de l'intercession tribunitienne 15, ne pouvait guère recourir à ce
moyen d'action: en dépit des précédents populäres dont il aurait pu se
réclamer, il risquait de compromettre son crédit auprès du peuple et
n'était peut-être pas sûr de réussir dans son entreprise. Il était plus simple,
par exemple, d'empêcher Metellus d'assister au vote ou de se faire entendre 16.
Quoi qu'il en soit, que le tribun ait été empêché d'user de son droit de
veto ou qu'il ait pu le faire sans que César en tînt compte, c'est à lui
que revenait l'initiative d'une nouvelle action. Recourir à la coercition en
faisant arrêter César ou ses agents l'aurait exposé, cette fois, à une interces
sion d'Antoine ou de Cassius, et n'avait aucun sens dans le rapport de forces
existant. Metellus ne s'y risqua pas, et se rendit devant le trésor pour y
renouveler sa protestation. Si l'on en croit Plutarque, dont le récit sur ce
point paraît plus exact, il affronta César en personne devant une foule
nombreuse 17. Il dénonça à nouveau l'illégalité de la mesure qui avait été

14 Plut, Pomp., 25; App., Mithr., 94. V. Mommsen, Droit Public, VII, p. 360-361. Dion
Cassius a été suivi par J. Carcopino, César, Paris, 1936, p. 836, et R. Paribeni, L'Età di Cesare
e di Augusto, Bologne, 1950, p. 150.
15 Cf. Caes., BC, I, 7, 2 (discours à ses soldats): nouum in re publica introductum
exemplum, ut tribunicia intercessio armis notaretur atque opprimer etur; 32, 6 (discours au
sénat): praedicat crudelitatem et insolentiam in circumscribendis tribunis plebis.
16 Cela pourrait expliquer pourquoi Dion Cassius ne dit pas vraiment que Metellus fit
intercession, mais seulement qu'il « parla contre » le projet de loi (άντειπεΐν).
17 Selon Dion (41, 17, 2), Metellus n'aurait eu en face de lui que des soldats indifférents
à sa présence. Mais on est tenté de croire que Dion exclut la présence de César devant
Yaerarium parce que selon· lui le général n'aurait pas franchi le pomerium: ne vient-il pas
de souligner que César s'est adressé au sénat et au peuple εξω τοΰ πωμηρίου (41, 15, 2 et
16, 1)? Or nous savons que César reçut Atticus dans la regia, donc à l'intérieur du pomerium
(cf. AU., 10, 3 a, du 7 avril 49). Il est probable que les difficultés qu'il rencontra, tant auprès
du sénat que du fait de Metellus, l'amenèrent assez vite à se débarrasser de ses scrupules
AURELIUS COTTA, TRIBUN DE LA PLÈBE 289

votée 18, et affirma peut-être qu'on ne pourrait ouvrir le trésor sans porter
la main sur lui, tribun inviolable 19. Il n'y avait toujours rien là qui pût
être l'objet d'une intercession de la part d'un collègue. Tant que Metellus
ne recourait pas à un acte positif comme la coercition, les autres tribuns
ne pouvaient rien contre lui: de même en 55 les collègues d'Ateius Capito
(dont Metellus se réclame dans le discours que lui prête Lucain: III, 125-127)
avaient-ils pu l'empêcher d'arrêter Crassus, mais non de se poster sur son
passage et de le couvrir de malédictions20.
Comment imaginer, d'ailleurs, si l'action de Metellus était tombée sous
le coup de l'intercession d'un collègue, que César n'eût pas aussitôt fait
appel à Antoine ou Cassius, avant de menacer de mort le tribun, et de
compromettre une réputation de modération et de clémence à laquelle il
tenait d'autant plus qu'il la savait populaire21? Comment croire aussi que le

constitutionnels. Le récit de Plutarque paraît confirmé par l'entretien de Curion avec Cicéron:
il y eut affrontement direct entre Metellus et César, qui faillit faire massacrer le tribun, en
présence d'une foule assez favorable à ce dernier (cf. AU., 10, 4, 8: plane iracundia elatum
uoluisse Caesarem occidi Metellum tribunum plebis, quod si esset factum caedem magnam
futuram fuisse. Permultos hortatores esse caedis, ipsum autem non uoluntate aut natura
non esse crudelem, sed quod <putaret> populärem esse clementiam. Quodsi populi Studium
amisisset, crudelem fore, eumque perturbatum quod intellegeret se apud ipsam plebem offen-
disse de aerano. Itaque ei cum certissimum fuisset antequam proficisceretur contionem
habere, ausum non esse uehementerque animo perturbato profectum).
18 Plut., Caes., 35, 3: του δε δημάρχου Μετεκκου κωλΰοντος αυτόν έκ των άποϋέτων χρήματα
λαμβάνειν και νόμους τινας προφεροντος ... (4) Αύοις δε ένισταμένου του Μετελλου καί τίνων έπαινούντων.
C'est par ses paroles que Metellus voulait empêcher César de s'emparer du trésor: le général
lui reproche sa παρρησία (§ 3); quant aux lois invoquées par le tribun, elles interdisaient de
toucher à Vaerarium sanctius sauf en cas de guerre contre les Gaulois (cf. App., BC, 2,
6, 41), ce qui n'avait sans doute pas empêché Sylla de le faire (cf. T. Frank, The Sacred
Treasure and the Rate of Manumission, dans AJP, 1932, p. 360-363).
19 Lucain, 3, 123-125: non nisi per nostrum uobis percussa patebunt I templa latus,
nullasque feres nisi sanguine sacro I sparsas, raptor, opes. Rien de tel chez Plutarque, mais
Dion Cassius souligne que Metellus «montait la garde» devant les portes (41, 17, 2: τας
ΰΰρας αυτών - se. των οησαυρών - έν τηρήσει έποιήσατο · σμικρόν δε δη καί της φυλακής αύτοΰ
ώσπερ που καί της παρρησίας οι στρατιώται φροντίσαντες...), ce qui semble indiquer que les vers
de Lucain ne sont pas pure invention: en se plaçant devant les portes, Metellus obligeait les
auteurs de l'effraction à doubler leur crime d'un attentat sur la personne sacrosainte d'un
tribun. Mais quelle intercession pouvait le contraindre à se retirer?
20 Sur Ateius Capito, cf. l'étude de J. Bayet, Les Malédictions du tribun Ateius Capito,
dans Mélanges G. Dumézil, coll. Latomus 45, Bruxelles 1960, p. 31-45. Même si, comme le
pense J. Bayet, l'épisode de la tentative d'arrestation de Crassus est inventé, le faussaire a
respecté les mécanismes de la « constitution » romaine.
21 Cf. Cic, Ait., 10, 4, 8, cité supra note 16; Att, 10, 8, 6: (Caesar) qui duarum rerum
simulationem tam cito amiserit, mansuetudinis in Metello... César n'a certainement ainsi
290 JEAN-LOUIS FERRARY

tribun qui, par son intercession, aurait contraint Metellus à se retirer, n'aurait
pas fait une brillante carrière dans les années de la dictature césarienne?
Or nous ne savons rien de ce que serait devenu le prétendu Cotta tribun
de la plèbe en 49. A cela s'ajoute encore un argument de poids: le discours
prêté par Lucain à Cotta n'est nullement celui d'un tribun opposant son
intercession à l'initiative d'un collègue. Il n'interdit rien à Metellus, mais
le dissuade seulement de persister dans son entêtement22. Surtout, nous
devons noter qu'il parle au nom des sénateurs qui, selon Lucain, viennent
d'accorder à César tout ce qu'il demandait. Il est dans le poème le représent
ant, le porte-parole d'un sénat déjà prêt à renoncer à la libertas pour
que reviennent la pax et Votium 23, et c'est ce qui nous permet de l'identifier,
dès lors que l'on renonce à l'hypothèse d'un tribun de la plèbe, que rien,
croyons-nous, ne justifie24.
Nous connaissons trois Aureli Cottae vivant en 49 av. J.-C. Un Marcus
Aurelius Cotta était cette année là gouverneur de la Sardaigne; partisan de
Pompée, il fut chassé de sa province et se réfugia en Afrique: sa présence
à Rome en avril 49 est exclue 25. Un second Marcus Cotta avait, pour venger

sacrifié la réputation de dementia et de mansuetudo acquise à Corfinium par son attitude


envers L. Domitius Ahenobarbus que faute de pouvoir agir autrement. Il en voudra assez
à Metellus pour lui interdire de rentrer en Italie après Pharsale (Cic, Ait, 11, 7, 8).
22 Compellere, au vers 144, doit être pris au sens de «amener à», «décider à» (comme
en VII, 799-801: non ilium - se. César - Poenus humator / consults et Libyca succensae
lampade Cannae / conpellunt hominum ritus ut seruet in hoste), et non de «contraindre».
La teneur du discours qui suit le montre bien, et pour une fois J. D. Duff (ed. Loeb: «Metellus
was forced by Cotta to renounce his too bold design») a été moins exact que A. Bourgery
(ed. CUF: «Cotta pousse Metellus à abandonner son entreprise téméraire») ou Arnulf d'Orléans
(Glosule super Lucanum, éd. B. M. Marti, p. 168: compulit: persuasit).
23 Luc, III, 147-150: tot rebus iniquìs / paruimus uicti; uenìa est haec sola pudoris /
degenerisque metus, nullam potuisse negari. / Ocius auertat diri mala semina belli. Si l'on
rapproche ces paroles des vers 109-112 {sedere patres censere parati / si regnum, si templa
sibi iugulumque senatus / exiliumque petat. Melius quod plura iubere / erubuit quam Roma
pati), il apparaît clairement que Cotta est l'un de ces sénateurs qui n'ont rien su refuser à
César (dans la version des faits, inexacte, de Lucain: cf. en réalité Caes., BC, 1, 33 et Cael.
ap. Cic, Fam., 8, 16).
24 Rappelons nos objections à cette interprétation: a) ce tribun serait par ailleurs inconnu -
b) Metellus n'a pu être contraint à renoncer à son opposition par l'intercession d'un collègue -
e) Cotta ne parle pas dans le poème de Lucain comme un tribun de la plèbe, mais comme
l'un des leaders du sénat.
25 Cf. Cic, AU., 10, 6, 3; Caes., BC, I, 30, 2-3. E. Klebs, dans RE, II (1896), s.v.
Aurelius nu 109, col. 2489.
AURELIUS COTTA, TRIBUN DE LA PLÈBE 291

son père, et le jour même où il revêtit la toge virile, accusé de concussion


C. Papirius Carbo. La propréture de Carbo étant datée de 61-59, le procès
ne peut être antérieur à 59; Marcus Cotta est donc né au plus tôt en 75:
âgé en 49 de vingt-six ans au plus, il n'avait pu encore exercer aucune
magistrature qui lui ouvrît l'accès au sénat26. Reste Lucius Aurelius Cotta27:
consul en 65, censeur en 64, il était en 49 l'un des sénateurs les plus
respectables, l'un des premiers dont le président de séance dût recueillir
l'avis sur une motion28, et pouvait donc se faire le porte-parole de la haute
assemblée auprès de Metellus. Nous ignorons s'il était à Rome en avril 49,
et à plus forte raison s'il y joua le rôle que lui prête Lucain. Sa présence
du moins n'aurait rien d'invraisemblable: les Pompéiens le suspectaient, en
raison de ses liens de parenté avec César29. Metellus céda-t-il devant les
menaces de César, ou devant les instances des sénateurs? Il est difficile de
se prononcer, mais nous inclinerions à croire que Lucain a travesti la
réalité, pour ennoblir la figure du tribun indomptable (pugnaxque Metellus
- III, 114) 30. Qui allait-il choisir pour faire pression sur Metellus? Lucius
Cotta s'imposait pour une autre raison encore que son auctoritas de censorius:
le bruit courut en 44 qu'il allait proposer, en tant qu'interprète des livres

26 Cf. Val. Max., 5, 4, 4; Dion Cassius, 36, 40. E. Klebs, dans RE, s. v. Aurelius n° 108,
col. 2489 (mais on ne saurait le suivre quand il n'exclut pas que les nos 108 et 109 aient
été une seule et même personne). Pour la date de la propréture de Carbo, v. T. R. S. Broughton,
MRR, II, p. 181 et 191.
27 Cf. E. Klebs, dans RE, s.v. Aurelius n° 102, col. 2485-2487.
28 L. Cotta devait être en 49 le plus ancien censorius survivant, après M. Perpenna
(cos. 92, cens. 86) qui mourut cette année-là âgé d'environ 98 ans. Déjà nous le voyons, le
1er janvier 57, être appelé le premier par le consul P. Lentulus Spinther à donner son avis
sur le rappel d'exil de Cicéron (Pro Sestio, 73).
29 Caes., BC, 1, 6, 5: prouinciae priuatis decernuntur, duae consulares, reliquae prae-
toriae... Philippus et Cotta priuato consilio praetereuntur neque eorum sortes deiciuntur.
30 Le récit de Plutarque n'est pas lui non plus au-dessus de tout soupçon, si la source
en est bien le césarien Pollion. Toutefois il nous paraît plus vraisemblable que celui de Lucain.
Une intervention d'un sénateur auprès de Metellus n'aurait de sens que si César avait été
autorisé à vider le trésor par un senatus-consulte, ce qui n'est pas certain, et nous savons
que les sénateurs présents à Rome en avril 49 ne furent pas aussi dociles que le prétend
Lucain. A cela s'ajoute le silence de Caelius et de Curion, et plus encore de Cicéron lui-même,
sur une intervention de Cotta. On ne saurait s'étonner que Lucain l'ait inventée, quand on
remarque qu'il n'a pas hésité à faire parler Cicéron au conseil de guerre précédant Pharsale,
alors qu'en réalité il n'y participa pas (VII, 62-85).
292 JEAN-LOUIS FERRARY

sibyllins, le rétablissement de la monarchie en faveur de César31. Le poète


pouvait-il trouver meilleur représentant d'un sénat déjà prêt selon lui à
tout concéder au tyran?

31 Suet, diu. lui., 79, 4: fama percrebuit proximo autem senatu L. Cottam quinde-

.
cimuirum sententiam dicturum ut quoniam fatalibus libris contineretur Parthus nisi a rege
non posse uinci, Caesar rex appellaretur. Cic. (diu., 2, 110) confirme ce que rapporte Suétone
sans nommer le quindecimuir en question; on comprend qu'il ait été gêné de s'en prendre
nommément à un homme qui l'avait beaucoup aidé lors de son retour d'exil, et dont il restait
l'ami (cf. Fam., 12, 2, 3 et Phil, 2, 13). Notons que le discours que Lucain prête à Cotta
convient bien à un homme politique qui semble avoir été désireux avant tout de préserver
la paix civile, s'illustrant en 70 par une loi judiciaire qui renforçait la concordia ordinum,
et accueillant l'assassinat de César comme l'amère promesse de nouveaux conflits (cf. Cic,
Fam., 12, 2, 3). Le Cotta de Lucain parle en nobilis sans illusion: il sait bien que la victoire
de César signifie une tyrannie (regnum) qui préservera tout au plus l'apparence de la liberté;
que du moins cet asservissement soit compensé par la paix: ocius auertat diri mala semina
belli (III, 150). L. Cotta n'aurait peut-être pas désavoué ce discours.
ROBERT FLACELIERE

CATON D'UTIQUE ET LES FEMMES

Voici une traduction des chapitres 24 et 25 de la Vie de Caton le


Jeune que nous a laissée Plutarque1:

24. 1 S'il convient de ne pas négliger les moindres traits de mœurs


quand on peint, pour ainsi dire, le portrait d'une âme2, disons qu'au plus
fort de la polémique et de la lutte entre Caton et César, au moment où
le Sénat tenait les yeux fixés sur eux3, on apporta du dehors un petit billet
à César. 2 Caton, trouvant cela suspect et prétendant que certaines gens
communiquaient ainsi avec lui, somma César de lire le contenu de ce bil
let4. 3 Alors César le passa à Caton, qui était placé auprès de lui, et
Caton lut un message d'amour adressé par sa sœur Servilia à César, qui
l'avait séduite et qu'elle aimait. Il le jeta à César en disant: « Garde-le,
ivrogne » 5. 4 // apparaît que Caton eut vraiment beaucoup de malchance
avec les femmes de sa maison 6. Cette Servilia était décriée pour ses rela-

1 Cette étude voudrait être un hommage de reconnaissance envers mon ami, collègue
et confrère Jacques Heurgon, qui souvent, à l'occasion des problèmes d'histoire romaine que
me posent les Vies de Plutarque, m'a apporté une aide généreuse et efficace.
2 Comparer ce qu'a écrit Plutarque dans la préface de la Vie d'Alexandre, 1, 2-3.
3 Cf. Cat. min., chap. 22-23, et Brut, 5, 3: il s'agit de la séance du Sénat où s'affron
tèrentCaton et César, lors du consulat de Cicéron, en décembre 63 avant notre ère, à propos
du sort à réserver aux complices de Catilina arrêtés à Rome; César opinait pour la clémence,
et Caton pour la rigueur.
4 Cf. Brut, 5, 3: «Caton s'écria que César se comportait de façon scandaleuse en recevant
des communications et des lettres des ennemis de l'Etat».
5 Servilia, mariée d'abord à M. Junius Brutus, dont elle avait eu Brutus, le futur
meurtrier de César, devenue veuve, s'était remariée avec un ami de son frère Caton, Julius
Silanus, à qui elle donna trois filles. Voir par exemple J. Carcopino, Profils de conquérants,
291-293.
6 Φαίνεται δ' όλως ατύχημα γενέσθαι τοϋ Κάτωνος ή γυναικωνΐτις.
294 ROBERT FLACELIÈRE

tions avec César, et l'autre Servilia, également sœur de Caton, ne se conduisit


pas mieux: 5 mariée à Lucullus, un des Romains les premiers en renommée,
et mère d'un fils, elle fut renvoyée de chez lui pour impudicité7. 6 Le
plus honteux, c'est que la femme même de Caton, Atilia, ne fut pas exempte
non plus de tels écarts, et qu'après avoir eu d'elle deux enfants, il fut
contraint de la chasser pour inconduite8.

25. 1 II épousa ensuite Marcia, fille de Philippus, qui passait pour


une honnête femme9. On parle beaucoup d'elle, car cette partie de la vie
de Caton comporte, comme dans un drame, un point embarrassant et qui
prête à la controverse 10. 2 Voici le fait, tel que le rapporte Thrasea,
sur la foi de Munatius, ami et familier de Caton n. 3 Parmi les nombreux
admirateurs fanatiques de Caton, certains étaient plus en vue et plus
marquants que d'autres; c'était le cas de Quintus Hortensius, homme d'une
réputation brillante et d'un noble caractère 12. 4 Désireux de n'être pas
seulement l'ami et l'intime de Caton, mais de mêler en quelque sorte et
d'unir par une alliance leur sang et toute leur famille 13, il entreprit de le

7 Cf. Luc, 38, 1, où Plutarque dit aussi que Lucullus avait épousé la sœur de Caton.
Mais, en réalité, Servilia, femme de Lucullus, était la nièce de Caton, fille de Q. Servilius
Caepio, lui-même demi-frère de Caton: voir J. van Ooteghem, Lucullus, 168.
8 Voir Cat. min., 7, 1-3: Caton, encore très jeune, avait projeté d'épouser Lepida, mais
Metellus Scipion, après avoir rompu ses fiançailles avec elle, l'avait reprise, et Caton, furieux, « exhala son
dépit dans des iambes où il accablait d'injures Scipion avec l'amertume d'Archiloque, sans aller
toutefois jusqu'à l'obscénité et à la puérilité». - Atilia était la fille de Sextus Atilius Serranus
Gavianus. Elle donna à Caton les deux enfants dont il est question, Cat. min., 73, 2-3: Marcus
Porcius Cato, et Porcia.
9 Ce mariage dut avoir lieu vers l'année 62 ou 61. Le père de Marcia était L. Marcius
Philippus, consul en 56, à qui J. van Ooteghem a consacré une monographie: voir à cet endroit,
p. 183-185. Cf. ci-dessous la note 23.
10 Καυάπερ έν δράματι τφ βίφ τούτο το μέρος προβληματώδες γεγονε και απορον.
11 Le stoïcien P. Clodius Thrasea Paetus, que Néron fit mourir en l'an 66 de l'ère chrétienne,
avait écrit une biographie de Caton le Jeune dans laquelle il se référait à un livre de souvenirs
écrit par Munatius Rufus; cette biographie de Thrasea est sans doute la source principale de
celle de Plutarque, qui, d'ailleurs, quoi qu'on en ait dit, a consulté aussi beaucoup d'autres
ouvrages.
12 Q. Hortensius Hortalus (114-50), fut longtemps l'émule de Cicéron, qui fit l'éloge de
ce grand orateur, notamment Brut, 301-303.
13 Michel Humbert, Le remariage à Rome, 98, note 25, a rapproché de ces mots un
passage de la Laudatio uxoris, dite Laudatio Turiae (M. Durry, Eloge funèbre d'une matrone
romaine, C.U.F.), II, 35-36: ac futures liberos te communes proque tuis habituram adfirmares.
On sait que «Turia», ne pouvant pas avoir d'enfants, proposa à son mari de divorcer pour
la remplacer par une femme jeune et féconde.
CATON D'UTIQUE ET LES FEMMES 295

persuader de lui accorder à lui-même sa fille Porcia, mariée à Bibulus 14


à qui elle avait donné deux enfants, comme un champ fertile pour y semer
à nouveau une descendance. 5 Dans l'opinion des hommes, c'était là,
disait-il, une proposition étrange, mais, suivant la nature, elle était belle
et politique 15: une femme dans la fleur et la vigueur de l'âge ne devait
pas rester inutile et laisser éteindre sa fécondité ni procurer plus d'enfants
qu'il ne convenait à une maison qui n'en avait plus besoin et s'en trouverait
gênée et appauvrie, 6 mais, en se donnant successivement à des hommes
méritants, elle rendrait la vertu abondante, la propagerait dans les familles
et fondrait la ville elle-même en un seul corps par ces unions. 7 Que
si Bibulus tenait absolument à sa femme, il la lui rendrait quand elle
aurait enfanté, et lui-même se trouverait plus étroitement lié à Bibulus et
à Caton par la communauté des enfants. 8 Caton répondit qu'il aimait
Hortensius et appréciait son alliance, mais qu'il trouvait étrange de l'entendre
parler d'épouser une femme mariée à un autre homme. 9 Alors Hortensius,
changeant de projet, n'hésita pas à dévoiler toute sa pensée et à demander
la femme de Caton lui-même, qui était encore assez jeune pour enfanter,
alléguant que la succession de Caton était assurée16. 10 Et l'on ne peut
dire qu'il présentait cette demande parce qu'il pensait que Caton négligeait
sa femme, 11 car on affirme qu'elle se trouvait alors enceinte. Caton,
voyant le désir et la passion d'Hortensius, n'y fit point d'opposition, mais
déclara qu'il fallait avoir l'approbation de Philippus, père de Marcia.
12 Philippus, consulté, consentit au mariage et fiança Marcia en présence
de Caton lui-même, qui donna aussi son accord. 13 Au reste, cela
n'arriva que plus tard, mais, comme je parlais des femmes de Caton, j'ai
cru pouvoir anticiper.
Plutarque anticipe en effet, puisqu'il fait cette digression à propos de
l'incident survenu entre Caton et César lors d'une séance du Sénat en
décembre 63, et que la « cession » de Marcia à Hortensius doit dater environ
de l'année 56: Hortensius était alors âgé de cinquante-huit ans et Marcia
avait sans doute une trentaine d'années de moins.
Hortensius mourut en l'année 50, après avoir eu, comme il le souhaitait,
un fils de Marcia, à laquelle il légua de grands biens. Lorsqu'éclata la guerre

14 M. Calpurnius Bibulus, consul en 59 avec César.


15 L'opposition entre δόξα et φύσις est un thème constant de la doctrine stoïcienne: ou
bien Hortensius était lui-même stoïcien, ou (ce qui semble plus probable) il choisissait des
arguments propres à convaincre Caton, dont il connaissait les convictions stoïciennes.
16 Outre les deux enfants que Caton avait eus d'Atilia (voir ci-dessus la note 8), Marcia
lui en donna trois autres (cf. Lucain, Pharsale, 2, 329-331) avant d'aller habiter chez Hortensius.
296 ROBERT FLACELIÈRE

civile entre César et Pompée en janvier 49, Caton voulut suivre Pompée,
qui abandonnait Rome. Alors, « comme sa maison et ses filles avaient besoin
d'une tutelle, il reprit Marcia»17. César, dans son Anti-Caton, pamphlet
écrit après le suicide de Caton à Utique, osa insinuer que Caton avait
aimé l'argent au point de vendre sa femme, « car, dit-il, s'il avait besoin
d'elle, pourquoi la cédait-il, et, s'il n'en avait pas besoin, pourquoi la re
prenait-il, à moins que cette malheureuse n'eût été dès l'abord qu'un appât
offert à Hortensius, à qui il la prêta jeune pour la reprendre riche? » 18
Mais Plutarque s'élève avec indignation contre une telle calomnie, allant
jusqu'à citer les vers 174 sq. de V Héraclès d'Euripide, pour conclure: « C'est
tout un de reprocher à Héraclès d'être lâche et d'accuser Caton d'être
cupide. » 19
En une autre circonstance, qui doit se placer vers l'année 60 20, Caton
avait refusé pour des jeunes filles de sa maison une alliance plus presti
gieuse que celle d'Hortensius. Pompée le Grand fit demander en mariage
par l'intermédiaire de Munatius Rufus deux nièces de Caton alors nubiles,
la plus âgée pour lui-même, la plus jeune pour son propre fils21.
Mais Caton, à cette date, suspectait l'honnêteté de Pompée et considérait
son ambition comme dangereuse pour la république. Il refusa donc, au grand
désappointement des femmes de sa maison, éblouies par la perspective
d'alliances si flatteuses, et Plutarque nous fait presque assister aux discus
sions qui eurent lieu alors au sein de la famille. Mais Caton demeura
inflexible et dit à Munatius: « Va répondre à Pompée que l'on ne peut
prendre Caton par les femmes ». Toutes les femmes de la maison furent
fâchées de ce refus, et les amis de Caton blâmèrent une attitude « si dure

17 Cat. min., 52, 5.


18 Ibid., 52, 6-7.
19 Ibid., 52, 8. Pourtant J. Carcopino, dont l'admiration pour César paraît s'étendre jusqu'à
Y Anti-Caton, n'a pas craint d'écrire, Hist. Rom., 2, 594: «Le vertueux Caton le Jeune, après
avoir divorcé d'avec Marcia, ne rougit point de la reprendre lorsque, à la fortune qu'elle pos
sédait en propre, s'ajouta celle d'Hortensius qu'elle avait épousé et perdu dans l'intervalle; et
nous verrons de reste que la probité de sa gestion financière à Chypre éveilla plus d'un
soupçon ».
20 Cette date se déduit approximativement de celle du mariage de Pompée avec Julie,
fille de César, en 59, puisque Pompée contracta cette alliance après avoir été repoussé par Caton.
21 Cat. min., 30, 3, où Plutarque ajoute: «Certains prétendent qu'il ne s'agissait pas
de nièces, mais de filles de Caton». Cf. Pomp., 44, 2-3, et voir M. Gelzer, Pompeius, 130 sq.,
selon qui ces deux jeunes personnes étaient filles de D. Junius Silanus et de Servilia, demi-
sœur de Caton.
CATON D'UTIQUE ET LES FEMMES 297

et si hautaine. » 22 La demande de Pompée était pourtant plus naturelle


que celle d'Hortensius, et Pompée avait assurément plus de prestige et de
pouvoir que l'orateur, mais Caton était ainsi fait.

Pourquoi Caton, capable de refuser si sèchement de fiancer ses nièces


à Pompée et au fils de celui-ci, accepta-t-il, trois ou quatre ans plus tard, de céder
à Hortensius sa propre femme? C'est la seule question que nous poserons.
Plutarque remarque, nous l'avons vu, que cette affaire fit beaucoup
parler de Marcia et, effectivement, de nombreux auteurs attestent la célébrité
de l'héroïne de ce « transfert » 23.
Une question préalable se pose: Hortensius et Caton se conformaient-
ils à un usage en vigueur à Rome ? C'est du moins ce que prétend Strabon,
qui écrit en 11, 9, 515: «Les historiens nous donnent sur les Tapyres24
un renseignement curieux: il existe chez eux un usage (νόμιμον) qui autorise
le mari à céder à autrui sa femme, après qu'elle lui a donné deux ou trois
enfants, tout comme on a vu de nos jours Caton, sur les instances d'Hortensius,
lui céder son épouse Marcia, en vertu d'une antique coutume des Romains
(κατά παλαιον 'Ρωμαίων εϋος) ».
Cette « antique coutume romaine » est mal attestée, en ce sens que
l'on ne connaît aucun cas précis qui soit analogue à celui de Caton cédant
sa femme à Hortensius. Mais ce silence de nos sources ne permet pas de
conclure trop vite que l'indication de Strabon est inexacte ou forgée de
toute pièce25.
A Rome, à époque ancienne, un mari ne pouvait répudier sa femme
que si elle avait commis une des trois fautes graves énumérées par Plutarque,
Rom., 22, 1 26. Mais, vers 230 avant notre ère, Carvilius Spurius Ruga fut

22 Cat min., 30, 4-6. Toute la suite (30, 7-10) serait aussi à citer.
23 J. van Ooteghem, Lucius Marcius Philippus et sa famille, 185, note 1 donne une liste
de références, qui n'est sans doute pas exhaustive: Lucain, Pharsale, 2, 326-391; Quintilien,
Inst. oral, 3, 5, 11, 10, 5, 13; Appien, B. Civ. 2, 99; Strabon, 11, p. 515; Tertullien, Apolog., 39, 12.
24 Peuple d'Hyrcanie, près de la côte sud-est de la mer Caspienne.
25 Enrica Malcovati, Quaderni di Studi Romani, Donne di Roma antica, 1 (1945), p. 5,
suggère que cette assertion de Strabon pourrait provenir de Stoïciens qui, voulant justifier la
conduite de Caton dans cette affaire, auraient eu recours à des «parallèles ethnographiques».
26 Voir P. Noailles, Fas et Jus, 7 sqq.
298 ROBERT FLACELIÈRE

le premier à renvoyer sa femme pour cause de stérilité 27. « II fut ainsi


l'auteur, non pas du premier divorce, mais de la première répudiation, non
sanctionnée, d'une épouse innocente. » 28 En tout cas, à partir de cette date,
divorces et remariages se multiplièrent.
L'assertion de Strabon me paraît confirmée par un texte capital de
Plutarque: « A Rome, un mari qui avait assez d'enfants pouvait céder aux
prières d'un homme désireux d'en avoir et se séparer de sa femme, mais
il restait maître de la laisser à ce second mari ou de la reprendre.»29 On
doit convenir que ces lignes s'appliquent assez bien au cas de Caton et
d'Hortensius.
A Sparte aussi, dans la législation attribuée à Lycurgue, et orientée
entièrement vers l'eugénisme, « il était permis à un homme de mérite, s'il
admirait une femme féconde et sage mariée à un autre homme, de la lui
demander pour y semer comme dans un terrain fertile et avoir d'elle de
bons enfants, nés d'un bon sang et d'une bonne race. » 30 Cependant Plutarque
signale à cet égard une différence entre Sparte et Rome: à Lacedèmone
le principe de la communauté des femmes était très largement répandu,
« tandis qu'à Rome, par une sorte de retenue, on se couvrait pudiquement
du contrat (την έγγύην) comme d'un voile, reconnaissant ainsi ce que cette
communauté avait de difficilement supportable. » 31 Effectivement, nous lisons
dans la Vie de Caton d'Utique, 25, 12: ένεγγύησε . . . συνεγγυώντος.
Notons enfin qu'Hortensius, en présentant sa proposition comme
« belle et politique » 32, c'est-à-dire conforme au bien commun de l'Etat, se
trouvait en parfait accord avec les intentions de Numa et aussi de Lycurgue,
lorsqu'ils légiféraient (ou étaient censés légiférer) sur le mariage.

* * *

Nous croyons donc que la « vieille coutume des Romains » dont parle
Strabon existait réellement, en dépit du manque d'exemples concrets autres

27 Sur la date erronée que donne Plutarque, Rom., 35, 4, voir ce que j'ai écrit Rev. Et. Gr.,
61, 1948, 102 sq.
28 Michel Humbert, Le remariage à Rome, 132 sq.
29 Plut., Numa, 25, 2 (Compar. de Lyc. et de Numa, 3). Ce passage de Plutarque est
lui-même confirmé par quelques lignes de Saint Augustin (De bono conjug., 15 = P. L. 40, 385)
que cite M. Humbert, Le remariage à Rome, 98 sq., note 26.
30 Plut, Lyc, 15, 13; comparer l'histoire racontée par Hérodote, 6, 61-63.
31 Plut., Numa, 25 (Συγκρ., 3), 4.
32 Plut., Cat. min., 25, 5.
CATON D'UTIQUE ET LES FEMMES 299

que celui de Marcia33. Pourtant cette coutume n'était pas contraignante,


et l'on doit naturellement chercher les motifs de l'acceptation de Caton à la
requête d'Hortensius dans ses idées et son caractère.
Le poète Lucain, neveu de Sénèque le Philosophe, élève de Cornutus,
fut un adepte fervent du stoïcisme; par là il était apte à bien comprendre
les mobiles de Caton, qu'il admirait d'ailleurs éperdument. Or il s'est longue
mentétendu au chant II de la Pharsale, v. 326-391, sur l'histoire de Marcia.
Il nous montre la veuve d'Hortensius revenant en costume de deuil du
bûcher funèbre, et allant trouver Caton pour lui dire: «J'ai accompli tes
ordres, Caton, et j'ai donné une postérité à deux maris. Epuisée par l'e
nfantement, je reviens pour n'être plus livrée à aucun homme. Accorde-moi,
sans cesser d'être chaste, de renouveler les engagements d'autrefois, donne-
moi seulement le titre sans les liens de l'épouse. Que je puisse faire inscrire
sur mon tombeau: « Marcia, femme de Caton », et que l'avenir n'agite pas
longuement cette question: a-t-elle quitté les premiers flambeaux expulsée
ou livrée? » Puis Marcia propose à Caton de le suivre au camp dans la
guerre civile; Caton consent à la reprendre, et ils renouvellent leurs premiers
engagements sans aucune pompe, sans autres témoins que les dieux. Et
Lucain enfin ajoute: « II ne tenta pas de resserrer les liens de l'ancienne
union; sa force d'âme résista à un amour même légitime. C'étaient là les
mœurs et la doctrine de l'austère Caton: garder la mesure, observer les
limites, suivre la nature, sacrifier sa vie à la patrie, se croire né non pour
soi, mais pour tout l'univers. Pour lui, la vraie fin de Vénus, c'est une
postérité; c'est pour Rome qu'il est père, pour Rome qu'il est époux; ado
rateur de la justice, observateur d'une honnêteté rigide, vertueux dans
l'intérêt de tous, jamais dans ses actes ne s'est insinuée et fait place une
égoïste volupté. » 34
Ce récit et ce portrait de Caton sont parfaitement conformes à ceux
que présente Plutarque. On ne relève qu'une divergence minime dans le
récit: chez Plutarque, c'est Caton qui semble avoir lui-même sollicité Marcia
de reprendre place à son foyer, parce que « sa maison et ses filles avaient
besoin d'une tutelle»; chez Lucain, c'est Marcia qui, fidèle à son premier
amour et à son admiration pour le grand homme, prend l'initiative du retour,
version qui donnait au poète l'occasion de plus beaux accents que ne
l'aurait fait cette histoire de tutelle et de ménage.

33 Je ne puis donc souscrire à ces lignes de Pierre Grimai, L'amour à Rome, 263: «Que
Caton ait été séduit par la bizarrerie, le caractère unique de l'aventure, n'en doutons pas».
34 Traduction de A. Bourgery dans la C.U.F.
300 ROBERT FLACELIÈRE

Les principes de Caton, énumérés par Lucain, en ce qui concerne le


mariage, sont assurément conformes à la vieille mentalité romaine, bien avant
la fondation du Portique: l'union conjugale a pour but essentiel la procréation
des enfants dans l'intérêt de la famille et, surtout, de l'Etat. Comme on l'a
écrit, « les convictions stoïciennes de Caton s'accordaient ici avec ses
maximes de vieux Romain. Le serment prêté au censeur lui imposait seul
ement de se marier « pour avoir des enfants ». Ce but atteint, il était libre
de renoncer à une union qui avait été féconde. » 35
Caton n'avait-il pas d'affection et d'amour pour Marcia, qui semble
en avoir eu tant pour lui? Aux yeux d'un Stoïcien, c'est là, quand il s'agit
de prendre une décision, une considération tout-à-fait secondaire, et même,
à la limite, inexistante, en raison de la fameuse règle de 1'άπάϋεια. Pourtant
Caton était capable de sentiments tendres: il avait beaucoup aimé son demi-
frère Caepio, et, à la mort de celui-ci, sa douleur fut immense. Plutarque,
pour sa part, est loin de l'en blâmer: « II se comporta, écrit-il, avec plus
de sensibilité que de philosophie. » 36 Cela signifie en clair, je crois, que
Caton, pour une fois, ne réussit pas à pratiquer cette rigide impassibilité
stoïcienne, que Plutarque sans doute admire, mais juge certainement
inhumaine. En ce qui concerne la séparation d'avec Marcia, on comprend
donc que Caton, même s'il l'aimait, ait sacrifié ce sentiment à une fin
supérieure.
En accédant à la demande d'Hortensius, devait-il craindre de choquer
l'opinion publique? Ce n'est pas sûr, et, de toute manière, la δόξα était
méprisée par les Stoïciens: le sage doit obéir à la nature (φύσις) sans tenir
aucun compte des préjugés ou des murmures de la foule. Caton prenait
d'ailleurs ostensiblement le contre-pied des habitudes et des modes courantes,
par exemple dans sa manière de s'habiller37.
Le sage stoïcien agit selon des principes immuables, et l'on ne doit pas
le juger d'après les conséquences de ses actes (προς τα συμβάντα κρίνειν),
'
conséquences qui ne dépendent pas de sa volonté (τα ούκ έφ ήμΐν) 38. Que

35 Ρ. Grimal, L'amour à Rome, 263. P. Grimal observe aussi avec raison que la cession
de Marcia à Hortensius était bien différente des nombreux divorces que les mœurs admettaient
et constituait pour Caton «un sacrifice délibéré au bien de la cité».
36 Plut., Cat. min., 3, 8-9, et 1.1, 3.
37 Voir notamment Cat. min., 6, 5-6, où Plutarque affirme cependant que Caton «ne
désirait pas se faire remarquer par ses singularités et bizarreries, mais seulement s'accoutumer
à n'avoir honte que de ce qui est vraiment honteux et à mépriser le reste de ce que condamne
l'opinion ».
38 Voir D. Babut, Plut, et le Stoïcisme, 174, et les références données dans la note 6
de cette page.
CATON D'UTIQUE ET LES FEMMES 301

Marcia dût souffrir, chez Hortensius, de sa séparation d'avec Caton, c'était


secondaire, du moment que cette séparation était accomplie en vue d'un
intérêt supérieur. Plutarque ne semble pas avoir été de cet avis, puisqu'il
pense que la conduite de Caton fut peut-être blâmable ou que, du moins,
l'on en peut discuter39.
De même, après avoir rapporté la demande matrimoniale de Pompée
et le refus qu'y opposa Caton, Plutarque opine que, de cette manière, Caton
rejeta Pompée vers César, dont il épousa bientôt la fille, « mariage qui, en
réunissant la puissance de Pompée à celle de César, faillit renverser l'empire
romain et perdit la république; rien de tout cela peut-être ne serait arrivé
si Caton, par crainte des fautes légères de Pompée, ne l'eût laissé commettre
la plus grave. » 40 En somme, Plutarque reproche ici à Caton d'avoir obéi
à deux points de la doctrine stoïcienne qu'il est loin d'admettre lui-même:
l'indifférence pour les conséquences désastreuses d'un acte vertueux, et
l'égalité de toutes les fautes, graves ou légères.
D. Babut a écrit: « Le raisonnement sur lequel Hortensius fonde son
étrange demande sans s'attirer d'objection de la part de Caton, est évidemment
rejeté par Plutarque. Or ce raisonnement, fondé sur l'idée que seule l'opinion
(δόξα), c'est-à-dire les préjugés des hommes, s'oppose à un acte que la nature
(φύσις) autorise parfaitement, est pratiquement identique à celui par lequel
les maîtres du stoïcisme justifiaient l'inceste ou d'autres actes interdits par les
traditions morales et religieuses, ou préconisaient, tout aussi bien, la mise
en commun des femmes et des enfants. Il est donc clair qu'à travers la
conduite de son personnage, ce sont les fameux precepts « cyniques » de
l'éthique stoïcienne que Plutarque blâme ici discrètement, mais fermement. » 41
Caton eut-il finalement autant de « malchance avec les femmes » que
le dit Plutarque? Avec sa première épouse, Atilia, assurément, mais il attira
et conserva l'amour de Marcia, qu'il mit pourtant à rude épreuve. L'applica
tion stricte des principes de la morale stoïcienne, telle que la pratiquait
Caton, n'était pas faite pour favoriser les rapports entre les sexes dans une
société évoluée comme l'était celle de Rome au Ier siècle avant notre ère,
et Plutarque, en dépit de sa vive admiration pour Caton, en était bien persuadé.
Il avait lu d'ailleurs le Pro Murena de Cicéron42, qui mêle à la sympathie

39 Cat. min., 25, 1 et 52, 8.


40 Cat. min., 30, 9-10.
41 D. Babut, Plut, et le Stoïc, 173 sq., avec les références données dans les notes 2 et 3
de la p. 174. Particulièrement significatif est le passage de Plutarque, De Stoïc. repugnantiis,
22, 1044 F (= H. von Arnim, Stoic. Vet. Frag., 3, n° 753).
42 Cela apparaît nettement par exemple Cat. min., 21, 7.
302 ROBERT FLACELIÈRE

élogieuse une ironie assez cruelle à l'égard de Caton. Or les convictions


philosophiques de Plutarque étaient certainement beaucoup plus proches de
celles de Cicéron que de celles de Caton.
Mais ce qui suscite les réserves de Plutarque en ce qui concerne la
conduite de Caton à l'égard de Marcia, ce n'est pas seulement la divergence
des opinions éthiques entre l'Académie et le Portique; c'est aussi et, peut-
être, surtout l'idéal du mariage et de l'amour conjugal que le Chéronéen
professe dans YAmatorius et qui transparaît même dans un passage de la
Vie de Caton d'Utique43. Or cet idéal, qui fait la plus grande place, non
pas à la procréation des enfants ni à l'intérêt de l'Etat, mais à la bonne
entente et à l'amour fidèle des époux, est fort éloigné de celui des vieux
Romains et aussi de celui de l'ancien Stoïcisme44.

43 C'est en 7, 3, où Plutarque regrette que Caton n'ait pas eu le bonheur de Laelius,


l'ami de Scipion, « qui, au cours de sa longue vie, n'approcha qu'une seule femme, sa première
et son unique épouse». Un traducteur des Vies, Bernard Latzarus, juge que c'est là «une
digression absolument inutile»; il n'a pas vu que Plutarque prépare ainsi ce qu'il dira plus
loin de la répudiation d'Atilia, et qu'il manifeste là, de façon très spontanée, l'attachement qu'il
éprouve pour la fidélité du mariage et de l'amour conjugal.
44 «Autres temps, autres mœurs», et aussi autres idées: un philosophe comme Antipatros
de Tarse, qui appartient au moyen Stoïcisme, professera sur le mariage des théories bien di
fférentes de celles des anciens stoïciens et qui semblent avoir été admises par Plutarque: voir
mon édition du Dialogue sur l'amour (Annales de l'Université de Lyon, lettres, 1952), Intro
duction, 23-24.
PIERRE FLOBERT

CAMILLE ET GANYMEDE

La phonétique de l'étrusque offre aux etymologies - on ne le sait


que trop - de dangereuses facilités, tout en posant par elle-même de
redoutables problèmes. Ainsi, personne (ou presque, cf. note 23) ne doute
de l'équivalence de Γανυμήδης et de Catmite, qui se lit sur un miroir de
Tarquinia de la fin du IVe siècle, conservé aujourd'hui au Musée de la
Villa Giulia: même si l'on n'avait pas le latin Catamitus, la scène représentée
enlèverait toute hésitation. Ce qui est difficile, c'est le détail des correspon
dances1; en particulier, pourquoi ce début Cat-? On a imaginé bien des
hypothèses. E. Fiesel2 cite une explication de Herbig: le groupe insolite
-nm- consécutif à la syncope de -u- aurait été assimilé en -mm- puis,
pour mieux marquer la frontière syllabique, dissimile en -tm- sous l'influence
de la dentale suivante. Pour d'autres, au contraire, l'étrusque, loin d'avoir
innové, a préservé l'original grec: *ΓαΟυμήδης pour Jordan3, Ταδυμήδης
pour Benveniste 4 qui voit dans la forme usuelle le produit d'une dissimilation
(δ>ν), favorisée par l'étymologie populaire: γάνυμαι «être joyeux», γάνος
« éclat, aspect pimpant ». Il est certes indéniable que nous avons affaire
à l'arrangement grec, attesté depuis l'Iliade, d'un nom étranger; au demeurant,
la présence d'une forme verbale infixée est exclue dans le premier terme
d'un composé nominal; mais faute de connaître la langue asianique d'origine
(phrygien?), on ne peut rien affirmer de certain sur la forme authentique
et rappelons-nous que d'ordinaire l'étrusque ne pèche pas par excès de
fidélité... Le mieux est donc de nous en tenir, faute de mieux (cf. note 23),

1 Comparer, pour prendre un exemple voisin, Alumento qui, chez Accius, Trag. 6534,
désigne Laomédon (cf. Paul-Fest. 16, 28); le mot a dû passer par le canal étrusque.
2 Namen des griechischen Mythos im Etruskischen, KZ. Ergänzungsheft 5, 1928, p. 68.
3 Ibid., p. 67.
4 RPh. 1930, 73 (dans sa critique du livre de E. Fiesel).
304 PIERRE FLOBERT

au grec et à l'étrusque; l'hypothèse de Herbig, un peu simplifiée, reste


plausible: après la syncope, le groupe difficile -nm- a été dénasalisé 5 en
-tm-, puisque l'étrusque ne possède pas d'occlusive dentale sonore; le deuxième
-t-, qui a pu d'ailleurs favoriser la production du premier, est donc parfait
ement normal (cf. Atmite< Άδμητος et lat. cotôneum, sporta)6; quant au
-i-, produit de -η-, il doit être long, si l'on en croit le latin.
Il est remarquable en effet que Ganymède se présente normalement
en latin sous la forme Catamitus, visiblement d'origine étrusque, sans avoir
été refait sur le grec 7. Deux particularités sont à noter: l'anaptyxe de -a-,
entre t et m 8, et la flexion thématique. Outre le nom propre, attesté depuis
Plaute, Men. 144 et Accius, Trag. 6532 (c'est aussi le titre d'une Ménippée
de Varron) jusqu'aux Chrétiens: Arnobe, Lactance, Jérôme, Prudence, etc.,
il existe un nom commun, issu d'une métonymie: « giton, mignon », appliqué
notamment par Cicéron à Antoine9. Le beau Ganymède, favori de Zeus et
échanson des Olympiens, est donc devenu le type méprisable du garçon
équivoque . . .
Aucune nuance défavorable au contraire pour camillus « enfant de
naissance libre », puer ingenuus (Paul. -Fest. 38, 8), « de père et de mère
vivants », patrimes et matrimes (sic; ibid. 82, 16-17), « servant », minister
(1. 18), du flamine de Jupiter, mais aussi employé, à l'occasion, au sens
général de « garçon » (1. 19) 10. Mot technique, religieux, vieillot, qui se
prête complaisamment aux commentaires des grammairiens et des antiquaires:
Varron, Festus, Quintilien, Servius, Macrobe, entre autres. Un seul emploi

5 Cf. en latin hibernus en face de hiems.


6 Cf. C. De Simone, Die Griechischen Entlehnungen im Etruskischen, Wiesbaden,
Harrassowitz, 1968-1970: II 278. De même à Préneste Casenta (-tra?) (CIL, I2 566), nom de
Cassandre; etc.
La relation avec le grec est reconnue par les grammairiens: Paul-Fest. 7, 8-9; 16, 29-jO,
Servius, etc. La transcription grecque existe aussi, naturellement: Ganymëdës, depuis Cicéron
et Virgile; citons aussi Canumede sur une coupe à figures rouges de Faléries, CIL, I2 454.
Catamitus est archaïque et méprisant à cause de son emploi métonymique.
8 C. De Simone, le. 72, cite des faits étrusques: El%sntre> Elaxsntre; on peut aussi
penser à un phénomène de type osque: aragetud «argento», etc.
9 Phil 2, 77; à dire vrai le sens de «bellâtre, godelureau, séducteur», conviendrait mieux
à la situation: le retour précipité d'Antoine à Rome pour se réconcilier avec sa femme, Fulvia,
après sa rupture avec Cytheris. Second exemple, hors contexte: Or at. fragm. Β 20 (Puccioni).
Plus tard: Servius, qui le glose, .4c? Ecl. 8, 29, par meritorius puer, Ps.-Aurelius Victor, Augustin.
10 Ainsi le proverbe: hiberna puluere, uerno luto, grandia farra, Camille, metës « pouss
ière d'hiver, boue de printemps, tu feras une grosse moisson de blé (littér. «amidonnier »),
mon garçon»; Paul-Fest. 82, 21-22."
CAMILLE ET GANYMÈDE 305

littéraire, au féminin, dans le style noble de la tragédie, chez Pacuvius,


Trag. 232: caelitum Camilla, expectâta aduenls, salué hospita « servante
des habitants du ciel, tu es la bienvenue, salut, étrangère ». Le sens fonda
mental est donc « jeune desservant » d'un culte divin mis au service d'un
prêtre n.
L'origine étrusque de camillus, admise dès l'antiquité (cf. Denys
d'Halicarnasse, ci-dessous), a été développée par W. Schulze 12. Etrusque,
mais aussi pélasgique: Dion.-Hal. Antiq. 2, 22, 2, à cause d'une parenté
ethnique et linguistique généralement reconnue. Varron, renvoyant à
Callimaque (Fgt. 723 Pfeiffer), va plus loin et y voit un mot grec, LL 7, 34:
uerbum esse Graecum arbitror. En effet on mentionne dans les mystères de
Samothrace un dieu Καδμΐλος (ou Κασμΐλος; le mot est aussi proparoxyton)
qui passe soit pour le père des Cabires 13, soit, plus communément, pour
l'un d'eux14; c'est à lui que, pour des raisons formelles, Varron rattache
camillus. Mais étant donné que Samothrace, comme Lemnos, autre lieu de
célébration, baigne dans une ambiance pélasgique (le témoignage d'Hérodote
est formel) 15, il est facile de passer à volonté des Grecs aux Tyrrhenes.
Ce quatrième Cabire est identifié, à cause de sa fonction subalterne, soit
à Hermès16 (Juba, GRF. p. 453; Dion.-Halic. Antiq. 2, 22, 2), soit au Mercure
étrusque (Schol. Lycophron 162; Macr. Sat. 3, 8, 6; Serv. Ad Aen. 11, 558);
voilà un argument étymologique supplémentaire: le servant du flamine est
assimilé au dieu messager, d'un rang inférieur.
Cette comparaison, bien entendu, ne va pas de soi. Le Cadmilos étrusque
doit être le fruit d'une équivalence génétique avec les Pélasges et il ne
semble pas épigraphiquement attesté sur place; du coup la relation de
camillus avec Samothrace ne repose que sur de vagues analogies et se heurte
dès l'abord à un obstacle géographique, peut-être même chronologique, car
la diffusion des mystères ne semble pas très ancienne. La phonétique apporte

11 Cf. les gloses par minister (Paul.-Fest. I.e.), avec les variantes administer (Varron),
praeminister (Servius) et famulus (Virgile).
12 Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Berlin, Weidmann, 1904 (reprod. 1966): p. 290
(anthroponymes Camellus, Camillius en territoire étrusque), 322 (ton initial de camillus
d'après Quintilien, 1, 5, 23).
13 Acousilaos ap. Strab. 10, 3, 21 (= C 472).
14 Varron, LL. 5, 58, fait déjà une allusion précise aux dieux de Samothrace. Sur le
nombre exact des Cabires et leurs noms, question très emmêlée, voir la récente mise au point
de F. Vian, Les origines de Thèbes, Klincksieck 1963, p. 154-157 (avec la bibliographie).
15 2, 51.
16 Cf. déjà Hérodote, ibid.
306 PIERRE FLOBERT

de nouveaux embarras. Quelle est au juste la forme exacte du prétendu


étymon: Καδμϊλος ou Κασμΐλος? On suppose en général, sur la foi des formes
attiques observables sur des vases que le -σ- est secondaire comme dans
Κασσμος pour Κάδμος 17; en tout cas les grammairiens anciens ou modernes
partent, en principe, de la seconde forme. Si Varron n'y voit pas malice,
Virgile, Aen. 11, 539-560, dans un curieux morceau de philologie a bien
senti la difficulté et se montre plus scrupuleux que son maître en antiquités
italiques. Racontant la fuite de Metabus, chassé par ses sujets, en compagnie
de Camilla encore bébé, il explique ce nom par celui de sa mère, Casmilla,
au prix d'un changement partiel: mutata parte (pratique inouïe!). Voilà pour
la forme. Le sens, quant à lui, est justifié, mais après coup, puisque l'enfant
doit déjà porter ce nom! Arrêté par l'Amasenus en crue, le père attache
sa fille à un javelot, puis la vouant à Diane, il lance le tout sur l'autre
rive; Virgile, par la bouche de Diane qui narre la scène, glose soigneusement
le nom par famula « servante » (ipse pater famulam uoueô) et par tua
« ta créature » (accipe tuam). Les modernes ne font guère mieux et se
débarrassent tant bien que mal du -s- du modèle supposé (hélas, le -a-
est bref!): on imagine la production d'une géminée -mm-, par le biais d'une
problématique assimilation, qu'il est ensuite facile de simplifier soit par
dissimilation de géminées (cf. mamilla 18) soit par sa position devant une
syllabe intonée (cf. curülis) 19. Quant au -II- personne n'en parle; il est
vrai que l'on ne fait jamais appel en vain à la gemination expressive . . .
Le recours au Cabire de Samothrace n'apporte pas au problème étymologique
le moindre début de solution; il ne se justifie ni dans l'espace ni dans le
temps, et repose sur de grossières analogies phonétique ou fonctionnelles:
les noms n'arrivent pas à coïncider sans violence et un dieu, même subal
terne, même jeune (il est surnommé παις à Thèbes), ne s'identifie pas facil
ement à un enfant de chœur. Laissons notre Cabire aux prises avec ses
propres problèmes20!

17 Sur une amphore attique à figures noires du Louvre, cf. F. Vian, l. c, p. 36, n° 2;
pour la phonétique, voir Schwyzer, Griechische Grammatik, I 208, München, Beck, 1934.
Le cas de οσμή n'est pas comparable, car le suffixe peut aussi comporter une sifflante initiale
(originale ou analogique).
18 Ainsi Ph. Berger, MSL. 6, 1889, 144 dans son étude sur camillus, p. 140-149; la
suggestion vient d'ailleurs de Saussure, l. c, p. 144.
19 Walde/Hofmann, Lat. etym. Wörterb., I 147, Heidelberg, Winter, 1937.
20 Le rattachement à Κάδμος lui-même peu susceptible de dépendre de κέκασμαι « briller »
n'explique rien, et en particulier le suffixe. Il reste bien sûr le recours à d'autres langues, le
sémitique par exemple; on l'a fait: après Gesenius, Ph. Berger, MSL. 6, 1889, 144, propose
CAMILLE ET GANYMÈDE 307

Si le mot est étrusque, autant chercher sur place. Un nom propre


apporte alors un précieux chaînon: Marce Camitlnas21. Le -t- permet en
effet de joindre Catamitus et camillus sans trop malmener la phonétique.
On posera donc devant le suffixe -nas22: *Catmit-l-, avec dissimilation
du premier -t- dont il restait d'ailleurs peut-être des traces, sinon les gram
mairiens romains n'auraient sans doute pas imaginé ces fantastiques rela
tions étymologiques avec le Cabire. L'avantage du groupe -tl- consiste à
rendre compte de la géminée latine; certes -*tl- aboutit normalement à
-cl- en latin, avec production d'une voyelle d'anaptyxe: *pôtlo-m > pdculu-m.
Mais sans évoquer un trait de phonétique non-latin (ce qui simplifierait
tout) ou le traitement initial: *tl->l- (peut-être long au départ): *tläto-s>
latus, on peut au moins tirer parti du traitement de la sonore correspondante
(qui manque justement en étrusque): ainsi Pollux remonte à Πολυδεύκης
(on connaît la curieuse forme de datif Podlouquei sur l'inscription de
Lanuvium, Degrassi 1271 a) et l'assimilation est de règle en latin {sella,
grallae et, dans l'ordre inverse, pellô, etc.). Or, c'est le moment de se
souvenir du -δ- de Ganymède: notre forme n'est donc que parallèle à
Catamitus, mais n'en provient pas directement, du moins en latin. Quant
au suffixe il marque une relation de dépendance, soit assimilation, soit
diminutif (cf. -l- dans les anthroponymes: Marcellus, Quintilius, etc.); le
camillus serait donc un « petit » Ganymède, une « sorte de » Ganymède 23.

un modèle phénicien: qadm El «celui qui se tient devant Dieu», «serviteur de Dieu»; cer
tains se sont laissé tenter (v. Walde/Hofmann, I.e.), mais comment prouver la moindre influence
sémitique, voire phénicienne, sur les cultes de Samothrace? Aucune étymologie ne s'impose.
21 Cité par Thurneysen dans le Thesaurus, sous camillus. Marce Camitlnas est peint
sur une fresque de Vulci (Tombe François) auprès d'un personnage qui égorge son adversaire
nommé Cneve Tarchu(nies) Rumach; cette scène, si importante pour l'histoire de Rome
archaïque (un Camille tuant un Tarquin?), a été abondamment commentée; voir l'exposé très
riche de A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1963, p. 212-231 et planche XII.
Il faut renoncer (ne serait-ce que pour des raisons phonétiques) à l'interprétation séduisante
proposée par J. Heurgon, Recherches sur... Capoue Préromaine, De Boccard, 1942, p. 68-69:
Marcus de Camars (Clusium); v. A. Hus, Vulci étrusque et étrusco-romaine, Klincksieck, 1971,
p. 103, n. 4 (cf. aussi notre note 22).
22 Le suffixe -nas est abondamment représenté sur ces fresques: Laris Papathnas (de
Volsinii), Pesna Arcmsnas (de Sovana); on voit qu'il ne sert pas à constituer des ethniques,
à la différence de -ach, mais bien plutôt des gentilices.
23 Signalons, pour être honnête, que le rattachement de camillus à Catamitus (ou plutôt
Catmite) n'est pas entièrement inédit. En effet M. Mayer, cité par P. Kretschmer, KZ. 55,
1928, p. 85 n. 1, a eu l'idée de tout tirer du Καδμΐλος de Samothrace. Dans cette perspective,
Catmite ne dérive plus de « Ganymède », mais en constitue seulement un Ersatzname. Au fond,
cette hypothèse fait penser à celle, plus récente et moins explicite, de Benveniste (cf. notre
308 PIERRE FLOBERT

Le beau Ganymède, transporté dans l'Olympe après son enlèvement,


y était devenu l'échanson des dieux. Quoi de plus naturel que d'appliquer
son nom à l'enfant qui aide le flamine de Jupiter dans les cérémonies du
culte? Âge et fonction sont les mêmes: un jeune servant des dieux. Il était
en outre très facile - sans la moindre allusion aux mœurs du modèle, pouvons-
nous croire -, de donner à camillus un féminin Camilla, apte à devenir
lui aussi un nom propre, illustré par l'imagination de Virgile et, beaucoup
plus tard, par celle de Corneille; il est piquant que chaque fois (le premier
nom commande le second) nous ayons affaire à une jeune fille particulièr
ement virile, bref, à un « garçon manqué » (on pense, malgré soi, à la
transposition d'Albert en Albertine chez Proust) . . .

note 4). En dehors de toute considération de vraisemblance phonétique, ce rayonnement


précoce des Cabires, que son contexte soit égéen ou étrusque, semble gratuit. On pourrait, à
force d'imagination, tout concilier, en supposant que Καδμϊλος, dieu subalterne identifié plus
tard à Hermès, aurait été d'abord hellénisé en Γανυμήδης et ce dernier aurait à son tour donné
le Catmite étrusque responsable de Catamitus et de camillus... Il paraît en tout cas indi
spensable de faire appel à l'intermédiaire grec; mais les partisans de l'origine orientale des
Étrusques seront toujours trop contents de dériver la forme étrusque directement d'un proto
type égéen ou asianique!
JEAN GAGÉ

LES AUTELS DE TITUS TATIUS


UNE VARIANTE SABINE DES RITES D'INTÉGRATION DANS LES CURIES?

Ces autels n'étaient point des temples. Visiblement dressés en plein air
comme des cippes, dans un espace assez limité entre l'esplanade du futur
sanctuaire capitolin et les abords du Forum, les Romains de l'époque classique
n'arrivaient guère à les identifier matériellement, sauf peut-être pour la déesse
(Vénus) Cloacina, parce que, là, une tradition insistante avait fixé un moment
décisif de l'accord entre les Sabins de Titus Tatius et les compagnons de
Romulus.
Dans ses récentes Recherches sur la légende sabine des origines de
Rome, M. J. Poucet a noté les diverses incertitudes qui pèsent sur ce sujet;
car, sur le fond d'une tradition commune, qui traitait ces arae Tatiae comme
un ensemble et croyait en posséder une liste, les Anciens ne pouvaient
sans embarras expliquer l'origine: ils se rendaient compte, d'une part que
ces fondations d'autels ne ressemblaient pas aux dédicaces officielles du
culte romain (T. Tatius n'en aurait conçu que le votum), d'autre part que
les divinités invoquées - sabines, pensait-on - l'avaient été en pleine action
guerrière, et par une sorte de « recours » religieux adressé sur place. Exacte
réplique, en ce sens, à la fondation du culte et du temple de Jupiter Stator,
que la même tradition attribuait à une suprême prière de Romulus durant
la même mêlée.
Pour ce culte, M.-J. Poucet a donné l'exemple d'une enquête systéma
tique qui l'a conduit à cette conclusion: le sanctuaire de Jupiter Stator,
au sens du dieu qui avait, par sa brusque intervention, « stabilisé » une
armée menacée de déroute, ne remonte qu'à un épisode religieux de la
bataille de Luceria, en 294 av. J.-C.1. Sans prétendre arriver pour les autels
de Titus Tatius à un résultat aussi précis, ni même à un abaissement de

1 Poucet, op. cit., surtout p. 205 ss.


310 JEAN GAGÉ

leur « date », nous croyons possible d'établir leur authenticité de fond, en


les identifiant, sur le plan de l'archéologie religieuse, comme des cippes d'une
forme particulière, connus chez les peuples sabelliques, et sur le plan propre
mentrituel, comme en étroite relation avec des opérations relatives à l'entrée
des jeunes gens dans les curiae primitives.

1 - Du « votum » à /'« exauguratio »; les rites purificateurs et la présence


probable de Lua dans la liste de saint Augustin.

Dans Yaition accepté par la Rome classique de la chapelle de Cloacina,


dans les rites qu'on y pratiquait, où était notoirement employé le myrte,
est manifestement présente l'idée d'une purification. Celle-ci est inhérente
au vocabulaire lui-même, duo, cluilia (fossa), etc., lequel hésite entre la
phonétique latine et des formes sabines - ou volsques. Cette notion se
vulgarise, d'une façon presque surprenante pour les modernes, dans le sens
édilitaire qu'a pris le mot cloaca: canal destiné à drainer des impuretés,
égoût; mais l'unité initiale du concept est incontestable.
(Vénus) Cloacina est censée avoir purifié les Romains (et les Sabins)
des violences perpétrées entre 1'« enlèvement » des Sabinae et la mêlée
fratricide à laquelle ces jeunes femmes auraient mis fin par leur intervent
ion. Et nous avons pu nous demander, dans une recherche antérieure, si
le sacellum voisin du Forum n'avait point abrité, à l'origine, un « rite de
nubilité », de toute façon de tendance plus sabine que latine 2. L'on ne peut
faire directement la preuve de ce caractère « lustratoire » pour les autres
divinités auxquelles étaient voués les autels dits de Tatius. Mais l'on aurait
un indice équivalent si l'on rétablissait dans la liste une déesse qui, à notre
avis, était nommée dans un passage que la Cité de Dieu nous a conservé
altéré. Il s'agit de l'allusion sarcastique de saint Augustin à l'absence, en
cette liste, de Félicitas: puisque cette déesse, aux yeux des païens, a été si
essentielle à la grandeur de l'Etat romain, que n'a-t-elle eu sa place dans
cette liste des autels voués par Tatius, et où du moins figurait Cloacina3!
Dans ce passage figurent les mêmes noms que dans celle de Varron et de

2 Cf. nos Matronalia (vol. LX de la collection «Latomus»), p. 91-92.


3 Aug., Civ. Dei, IV, 23 (cf. Poucet, p. 321): Ut quid Tatius addidit Saturnum, Opem,
Soient, Lunam, Vulcanum, Lucent et quoscunque alios addidit, inter quos etiam deam
Cloacinam, Felicitate neglecta?
LES AUTELS DE TITUS TATIUS 311

Denys d'Halicarnasse, ou des équivalents4; l'un toutefois reste à part, géné


ralement non expliqué: le texte des manuscrits de la Civ. Dei place Lucem
entre Vulcanus et les « quelques autres divinités » incertaines.
Ce passage semble avoir été neutralisé, plutôt que critiqué, par les éru-
dits récents5. Une lecture Luam (à la rigueur Luem) serait, à notre avis,
la correction vraisemblable. Sur le plan paléographique, le passage à Lucem
s'expliquerait aisément. Sur le plan religieux, ce que nous savons des formes
primitives par lesquelles on avait adoré cette redoutable Lua Mater s'accor
deraitparfaitement avec la nature des autres dieux mentionnés: Lua, associée
dans les plus anciennes formules à Saturnus, comme sa puissance spécifique
ou - en termes semi-mythologiques - sa compagne (sur l'exemple d'une
Nerio Martis), était proche aussi de Volkanus par les attributions: ne
brûlait-on pas en son honneur les armes prises aux vaincus dans la bataille 6?
Comme l'a remarqué M. Poucet, Tite-Live, omettant le détail dans son
récit du conflit, puis du pacte entre Romulus et Titus Tatius, a évoqué
ceux de ces autels qui se trouvaient au Capitole même à propos des travaux
entrepris là par Tarquin le Superbe pour la construction du grand temple
de Jupiter (et de ses parèdres): il est remarquable qu'il se les représente
comme seulement «voués» par Titus Tatius, et consacrés* en forme dans
la suite, « postea » 7. Aussi bien ces monuments religieux étaient-ils supposés
avoir eu forte valeur superstitieuse, puisque leur exauguratio en règle,
dirigée par Tarquin, avait donné lieu à un incident de la plus grande gravité:
l'un de ces autels avait, à coup de signes (on avait naturellement interrogé
les auspices), à ce point refusé de céder la place (entendons par là un refus
du dieu) qu'il avait fallu le conserver à l'intérieur de la cella bientôt
construite; les Romains expliquaient volontiers par là la particularité archi
tecturale respectée en ce sanctuaire: son toit en partie ouvert8.

4 Chez Varron, L. L, V, 74 (avec le commentaire de J. Collari dans son édition du 1. V);


Denys d'Haï., II, 50; cf. Poucet, loc. cit.
5 P. ex. Poucet, op. cit., p. 321, qui note la «correspondance... fort étroite» entre les
deux listes (de Denys et de saint Augustin, - «si on laisse de côté la question apparemment
insoluble«de Lux...» - Rappelons que le nom de Luae (au lieu de la leçon du ms., Lunae, a
été depuis longtemps rétabli par Preller dans la scholie de Serv., ad Aen., III, 139.
6 Sur ce culte obscur, voir les notices de Wissowa dans le Röscher Lexikon (II, col. 2146),
de Kock dans la jR£, s.v. Lua, col. 1534; cf. les remarques de S. Reinach dans son étude sur
Tarpéia: Cultes, mythes et relig., III, p. 229-231.
7 I, 55, 2: ... exaugurare fana sacellaque statuii, quae aliquot ibi, a Tatio rege primum
in ipso discrimine adversus Romulum pugnae vota, consecrata inaugurataque postea fuerant.
8 I, 55, 3-4.
312 JEAN GAGÉ

II est vrai que l'autel en cause était celui de Terminus, et que 1'« autel »
de ce dieu, borne magique plutôt que table d'offrandes, avait dû être soumis
à des interdits spéciaux. Terminus avait-il été amené au Capitole par les
« Sabins » de Titus Tatius? On aurait le droit d'en douter; mais le récit
romain de cet essai d'exauguratio nous paraît s'accorder avec la valeur qui
avait été donnée primitivement à toutes les arae Tatiae: cippes fichés direct
ementdans le sol et restant « à ciel ouvert » - sub divo, non pas seulement
par règle de sobriété, comme dans les cultes attribués à Numa, mais en
vertu d'une relation superstitieuse établie entre eux et les régions célestes.

2 - Autels de T. Tatius et rites d'« armilustrium »; le sens de la querelle


avec les Lavinates?

Nous avons lieu de croire que, parmi les autels de culte romain, un
petit nombre seulement pouvaient être touchés par des armes de guerre,
approchés - en vue d'une opération de culte, sacrifice ou autre - par des
guerriers en armes!
Il se trouve qu'un rite au calendrier officiel, inscrit au 19 octobre,
V armilustrium, impliquait ce contact exceptionnel, et il se trouvait aussi
que, pour les Romains, ce rite voisinait avec le souvenir du roi Titus Tatius;
il se pratiquait dans un portique (à ciel ouvert) sur l'Aventin, quartier just
ement dit vicus Armilustri, à peu de distance du lieu, le lauretum, où l'on
situait la tombe du même chef sabin 9. Ces faits pourraient être quasi-fortuits;
et ce quartier de l'Aventin est de toute façon éloigné de la région Capitole-
Forum où l'on situait les arae Tatiae! Ce qui nous oblige à les considérer
avec un minimum de curiosité, c'est la nature de l'incident qui avait provo
quéla mort de Titus Tatius et inspiré des controverses sur sa sépulture:
le roi sabin, racontait-on, avait eu des démêlés avec les Laurentes de Lavi-
nium, dont les legati (ambassadeurs, ou peut-être oratores du type des
fetiales?) se plaignaient d'avoir été insultés, non exactement par Titus Tatius,
mais par certains Titinii latrones rapprochés de lui. Tatius, n'ayant pas cru
devoir offrir les réparations demandées, les Laurentes en cause l'avaient

9 Textes principaux de Varron, L.I., V, 153 et VII, 22, pour V armilustrium; du même, L.I.,
V, 152, et Festus, p. 496 Lindsay, sur le lauretum et la sépulture de T. Tatius. - Remarques
utiles de W.' Crous, dans les Rom. Mitteil, 48, 1933, p. 1-73, sur le local de l'Aventin appelé
Armilustrium, à propos de piliers ornés d'armes conservés aux «Uffizi» de Florence, et qui
paraissent provenir de là.
LES AUTELS DE TITUS TATIUS 313

guetté: alors que les deux rois devenus collègues étaient allés à Lavinium
faire un sacrifice solennel (visiblement archétype de celui que les magistrats
romains célébraient régulièrement à partir de 338 av. J.-C), Tatius aurait été
brusquement égorgé: près des autels, et - détail frappant - avec les « broches
sacrificielles » d'ordinaire employées en ce lieu . . . 10.
Peu de récits romains sur l'époque royale présentent, à première vue,
autant d'invraisemblances ou d'extravagances; en particulier, le rôle interméd
iaireattribué aux Titinii latrones a de quoi lasser tout enquêteur11. Et
pourtant! N'avons-nous pas affaire à une querelle rituelle, entre deux façons
opposées d'approcher d'un autel? Entre deux conceptions même de la
valeur de l'autel et de sa forme? Si l'image des arae Tatiae plantées à Rome
nous reste encore indécise, du moins pouvons-nous aujourd'hui nous repré
senter mieux qu'autrefois les autels de Lavinium près desquels ce drame
était censé s'être produit. De belles découvertes des archéologues italiens
ont mis au jour, on le sait, hors de l'enceinte de l'antique capitale des
Laurentes (auj. Pratica di mare), une rangée de 12 autels alignés, plus un 13e
qui a dû être construit séparément 12. Culte de ces « Pénates » qui peu à peu
allaient passer là pour apportés par Enée? Culte de Castor et Pollux, tel
que des découvertes antérieures l'avaient garanti? Aucune inscription n'est
venue aider à une identification; mais les monuments paraissant remonter
au Ve, voire au VIe siècle, nous avons le droit de les tenir pour lieux du
culte que l'ensemble des Latins célébraient - avant toute mainmise romaine -
aux portes de la quasi-métropole de Lavinium.
Que ces autels aient, dès le début, porté des symboles « troyens », nous
en doutons, malgré la séduction des suggestions faites à ce propos par
A. Alföldi; et nous ne croyons pas sûr non plus que, à quelque distance
de là, un monument apparemment du IVe siècle ait été Vhéroon d'Enée
lui-même, comme le voudrait un des archéologues responsables des fouilles 13.

10 Récit principal chez Denys, II, 52; court résumé chez Liv., I, 14, 3: nam Lavini, cum
ad sotterrine sacrificium eo venisset, concursu facto interficitur (sic). - Denys, loc. cit., signale
la version différente (de Licinius Macer): T. Tatius aurait été mis à mort par «lapidation».
11 Dans une étude sur « les Tarquins au Capitole et l'élimination des rituels sabins du
cycle «pétronien», à paraître dans YAntiq. Classique en 1976, nous suggérons qu'il a pu
s'agir d'une catégorie de danseurs rituels comparés à des chiens aboyant à la lune.
12 Ces découvertes ont été exploitées et interprétées par A. Alföldi dans son ouvrage
Early Rome and the Latins, p. 265 ss. Ajoutons qu'une étude sur le même sujet est annoncée
dans les Mélanges J. Carcopino préparés par la Société archéologique de l'Aube, du savant
que nous honorons dans le présent recueil.
13 L'attribution à un culte d'Enée comme « héros » a été défendue par Sommella, dans
Archeol. Class., XXI, 1969, p. 18 ss., cf. F. Castagnoli, dans la même revue, XIX, 1967, p. 235 ss.
314 JEAN GAGÉ

II reste des recherches à faire pour replacer cette catégorie de grands autels
(construits sur soubassement) dans l'ensemble varié des formes employées
dans l'Italie antique: à Lavinium, l'influence des cultes grecs est sans doute
déjà perceptible au Ve siècle. A travers les prescriptions rituelles des Tables
Eugubines, un archéologue comme F. Castagnoli a pu comparer un autre
type d'autel, plus indigène, et soumis à des prescriptions superstitieuses14;
l'incertitude du vocabulaire ombrien limite aujourd'hui encore les possibilités
d'une comparaison, que nous essaierons bientôt d'étendre aux cippes de
Bantia, découverts il y a quelques années.
Le détail archéologique qui nous paraît digne d'une réflexion appro
fondie, voire capable de conduire à une relative historicisation de ces vieux
récits, c'est l'existence, dans la Lavinium du IVe siècle, d'objets « en fer et
en bronze », que Timée de Tauroménion appelle des « caducées » (grec:
κηρύκεια): ils étaient conservés - avec un vase de céramique dit « troyen »
- κεραμον Τρωϊκόν - justement dans le temple des «grands Dieux», ou
Pénates. L'historien sicilien assure tenir ses renseignements des Lavinates
eux-mêmes. Laissons le κεραμον, sur lequel l'érudition archéologique de
A. Alfoldi a travaillé avec une grande ingéniosité. A quoi avaient servi ces
« caducées »? N'étaient-ils pas identiques, au point de départ, à ces βούποροι
όβελοί, ces « broches à transpercer les bœufs », dont, aux dires de Denys
d'Halicarnasse, les ennemis de Tatius (des Laurentes) auraient égorgé le roi
sabin, par représailles, ainsi qu'avec de simples couteaux de boucherie!
L'image est atroce, mais d'une atrocité volontaire: les meurtriers prétendaient
venger une insulte (nous ne savons laquelle) que Tatius avait laissé commettre
contre leurs « ambassadeurs ». Une querelle de « droit public » est donc
jointe à celle du sacrifice proprement dit. Rien ne ressemble plus à une
« broche » - lame longue entourée ou terminée de spirales - que le symbole
du « caducée », tel que, à partir du culte d'Hermès-Mercure, l'ont porté les
« hérauts », les praecones romains comme les κήρυκες du monde grec. Insigne
d'autorité (à l'origine, sans doute de l'action magique d'une présence divine),
il garantissait une loyale négociation de paix; plus généralement, sous l'Empire
romain, il allait signifier une attente de bonheur, de félicitas 15.

14 Voir les remarques de ce savant (F. Castagnoli) sur la « tipologia » des autels de Lavi
nium, dans le Bull. Corn, de 1959 (t. 77), p. 189 ss.
15 Noter la ressemblance de forme avec les objets de fer connus dans l'archéologie celtique
comme des «broches» utilisées en certaines pesées (cf. le Manuel Déchelette, II, 2, p. 797),
et dont nous paraissent avoir été proches les symboles, d'abord fulguratoires, appelés primitive
ment manubiae dans une tradition capitoline.
LES AUTELS DE TITUS TATIUS 315

Nous doutons que les objets très anciens ainsi montrés à Timée aient
eu la forme de ces caducées classiques; mais cette équivalence devait corre
spondre et à leur apparence, et au rôle qu'ils avaient joué dans des usages
cultuels archaïques: rappelons que la querelle entre les Laurentes et les
Sabins de Titus Tatius avait commencé, apparemment, sur les formes d'une
négociation entre « légats » (refus par les Sabins de quelque règle de protoc
ole); de cette rencontre de mots, d'ailleurs - que Tatius, victime de cette
querelle avec des Laurentes, ait eu sa tombe, à Rome, dans le quartier de
l'Aventin appelé le lauretum - la plupart des critiques modernes ont conclu
à un malentendu 16; cependant, l'opposition rituelle entre ces groupes sur
les formes d'une « lustration », des manières peut-être différentes d'employer
le laurier à cet usage, n'ont rien non plus d'invraisemblable.
Le caractère sauvage de l'assassinat, près des autels où Titus Tatius allait
« sacrifier », et avec des instruments de sacrifice pris au même endroit, ce
récit affabule nécessairement, à notre avis, une querelle rituelle portant part
iculièrement sur la façon de sacrifier, de s'approcher des autels, éventuelle
ment d'y faire couler ou non le sang des victimes animales.
Par-dessus tout, les autels lavinates ont dû chercher à se défendre de
la prétention de les aborder « en armes »; or, toutes les images que la tradi
tion romaine nous a laissées du roi Titus Tatius et de ses compagnons
évoque comme le cliquetis d'un armilustrium permanent. Dans le culte
romain officiel, cette opération n'est marquée que pour un ou deux jours
au calendrier; alors seuls les danseurs spécialisés que sont les « Saliens »
procèdent à cette lustration des armes. Que le lieu d'une de ces purifications,
sur l'Aventin, ait été tout proche de ce qu'on appelait la tombe du roi sabin,
c'est là le résultat d'une contamination de thèmes comme inévitable. En
fait, dans l'épisode même de Tarpéia, il y a les éléments d'un armilustrium,
de type rare et violent 17.
Le mélange de clans sabins avec le rameau latin des Laurentes, sur la
rive gauche du Tibre et près de son embouchure, pour une époque ancienne
(VIIe au Ve siècle?), n'est pas impossible à concevoir, sans aller, comme
quelques érudits, jusqu'à supposer qu'une catégorie exista chez les Laurentes,

16 P. ex. J. Poucet, op. cit., p. 287-288: «La raison du choix de l'endroit semble claire:
c'est vraisemblablement parce que Tatius avait été tué par les Laurentes que l'on imagina de
placer sa tombe in Laureto».
17 Nous avons été amené à souligner les affinités avec V armilustrium dans le récit sur
Tarpéia, par une interprétation un peu différente de celle de Mme S. Gansinieö (culte «hoplo-
latrique»?), en l'étude ci-dessus annoncée de L'Antiq. Classique.
316 JEAN GAGÉ

qui aurait correspondu, par exemple, à celle des Titienses. Mais le plus
probable est que la population de Lavinium resta hostile aux modes « sabins »
de l'organisation militaire et religieuse. La distance qui, sans doute pour une
même époque, sépare le style des autels solennels de Lavinium des arae
sommaires attribuées à Titus Tatius donne, croyons-nous, une signification
presque historique au récit de leur conflit violent avec le légendaire roi
sabin. Un peu partout dans le Latium, les traditions « troyennes » se sont
développées autour d'usages précis auxquels les Latins étaient attachés, et
que leurs voisins moins évolués - le plus souvent les Rutules - méprisaient
ou menaçaient. Ce sont les armes trop bruyantes de quelques groupes sabins,
leur approche indiscrète des lieux réservés aux rites, qui ont transformé
sans doute en reliques d'Enée, dans un sanctuaire de Lavinium, ces curieux
objets archaïques, pareils à des caducées, que les Laurentes avaient dû
brandir, en les croyant inviolables, et dans les négociations de trêve, et dans
les préparatifs sacrificiels.

3 - Des autels de Tatius aux cippes de Bantia: leur rapport probable avec
V intégration dans les curies; les rites possibles de « Caenina »?

Ces autels votifs que l'on supposait fondés par Titus Tatius à Rome, il
va de soi qu'ils ne se confondent pas directement avec les tables d'offrande
intérieures aux curies, et que Festus appelle mensae curiales 18. Mais un
rapport indirect est vraisemblable de principe: il nous est dit que l'on voyait
en chacun de ces locaux consacrés une table-autel que justement Tatius y
avait fait dresser en l'honneur d'une Junon Curitis 19. Le nom donné à cette
sorte d'Héra ne peut être séparé du vocabulaire des curiae elles-mêmes;
toutes les tentatives faites par des modernes pour les dissocier sont aujour
d'huicaduques ou inefficaces; et le plus probable est qu'un vocable concret,
sabin ou non, tel que *quiri(s), *quiru, avait réellement désigné une lance
sacrée, celle qui peut-être avait donné le nom initial à cette unité primitive
que les Romains appelaient une curia20.

18 Festus (d'après Paul), p. 56 L.; cf. les remarques de Robert E. A. Palmer, The archaic
community of the Romans, 1970, p. 102 et 120.
19 Denys, II, 50; cf. R. Palmer, op. cit. p. 168 ss.; Poucet, op. cit., p. 322.
20 Information très « à jour » dans l'article Quiris-Curis, par W. Eisenhut, publié dans la
RE, 47° Hbd, en 1963, col. 1324-1333. L'A. rappelle la suggestion faite en 1901 par Reitzenstein,
de lire le nom de la même lance, curi, à la place de curru, dans la prière à la Iuno Curitis
de Tibur, conservée par Serv., ad Aen., I, 17. Voir aussi infra, à propos des vernulae.
LES AUTELS DE TITUS TATIUS 317

Enlèvement des Sabines, motif de la guerre entre Romulus et Titus


Tatius; puis, le jour de la réconciliation venue, désignation des 30 curiae
régulières par le nom des principales « Sabines » enlevées! Le motif est insis
tant, et celui qui enquête sur le sujet a le droit, assurément, de raisonner
de cette façon: le thème de l'enlèvement des Sabines, la figure même du roi
sabin venu d'abord les venger, toutes ces versions, qui devaient constituer
un jour la « légende sabine des origines de Rome », se sont développées à
partir de quelques détails que l'on observait dans le fonctionnement des
anciennes curies et dans leurs symboles religieux.
Le vocabulaire même de 1'« enlèvement » a dû s'encourager de vieux
noms ainsi conservés: l'on sait, par exemple, qu'une des curiae veteres
s'était appelée Rapta; si l'on prenait Vaition à la lettre, pourquoi cette curie
aurait-elle porté cette qualification générique, alors que la plupart des autres
passaient pour avoir eu pour éponyme une Sabine personnalisée? Et le
problème se compliquerait encore si nous admettions -, comme nous serions
tenté de le faire après avoir lu M. R. Palmer21, - que la curia Hostilia,
destinée à se détacher des autres comme lieu de réunion du Sénat, et long
temps réservée aux négociations de guerre, ne s'était pas distinguée, à l'ori
gine, d'une curia Hersilia, c'est-à-dire de celle qui semblait porter le nom
de la Sabine ambiguë, comme complice du rapt, par ailleurs hypostase pro
bable de la Nerio Martis22.
Tout ce que nous savons de l'ancienne organisation des curies suppose
que, sur le fond d'une institution essentielle et en quelque sorte donnée
d'avance au classement des citoyens romains, il y avait eu des variantes en
ce qui concerne le mode d'inscription en ces unités, et les rites exacts à y
accomplir. Dans une recherche récente, il nous semblait justement que le
récit du conflit entre le « roi » Tullus Hostilius et le dictateur albain appelé
Mettius Fufétius, plus particulièrement le rapport que ce récit suppose entre
ce Fufétius et les trois champions appelés Curiata, affabulaient une ancienne
concurrence entre un type d'intégration curiate considéré comme « albain »,
et un autre, plus violent, représenté par Hostilius23. Si celui-ci n'est pas

21 Cf. Palmer, op. cit., p. 76 ss.


22 Cf. Palmer, op. cit., p. 77. Nous avions déjà suggéré le rapprochement dans une note
sur «Hersilia et les Hostilii», dans L'Antiq. Class., 28, 1959, p. 255-272; voir aussi les remarques
de J. Poucet, op. cit., passim.
23 Présentée en communication à l'Institut de Droit romain de l'Université de Paris, en
février 1973, cette étude a paru dans la Rh. droit franc, et étr., 1975, 2, sous le titre «Mettius
Fufétius: un nom ou un double titre? Remarques sur les structures de l'ancienne société albaine».
318 JEAN GAGÉ

donné comme un « Sabin », du moins est-il proche de Titus Tatius, au point


que, dans les curies romaines, ces deux influences ont été presque confondues.
Notons surtout ce détail au passage: le rôle du tigillum sororium dans
l'épisode d'Horace, surtout le nom de Ianus Curiatius donné à un des autels
où s'était effectuée cette « purification », nous font remonter à un état primit
if en lequel l'intégration de jeunes gens dans les curies se faisait à travers
des « épreuves » de type guerrier, et moyennant l'accomplissement de rites
précis, sur des autels déterminés, spécialisés, et cependant extérieurs aux
curiae proprement dites24.
C'est la destination que nous supposons la plus probable pour les autels
romains de Titus Tatius. En trouverions-nous des équivalents en dehors de
Rome?
Des enclos réunissant plusieurs autels à ciel ouvert, nous en connaissons
plusieurs, notamment celui qui a été depuis longtemps retrouvé à Pisaurum:
les divinités honorées sont des déesses, et elles le sont par des matronae25.
Les autels de Tatius ne forment pas un enclos comparable; mais l'on peut
dire qu'ils forment cycle. Il se trouve qu'une découverte a été faite récemment
dans le sud de l'Italie, sur le territoire de l'antique Bantia, qui, à plusieurs
égards, offre les points de comparaison les plus suggestifs: six cippes retrouvés
(il devait y en avoir neuf), en un espace quasi-carré de 7,50 m de côté. Les
cippes, fichés dans le sol, ont une hauteur de 0,40 m à 0,44 m, leur sommet
a la forme arrondie, et porte quelques lettres gravées.
M. Torelli, en publiant ces cippes26, les a définis comme les vestiges
d'un templum augurale, c'est-à-dire comme marquant, par leur orientation,
les limites précises d'un templum in terra, à partir duquel devait se faire
l'observation des signes auguraux dans le templum céleste. Et M. A. Magde-
lain a comparé cet espace consacré (secondairement un enclos semblable
retrouvé à Cosa, en Toscane) à ce qu'avait dû représenter, dans la Rome
ancienne, Vauguraculum de Varx capitoline: lieu où Numa, d'après la tradi
tion, avait été l'objet d'une exemplaire inauguratio comme rex 21 . Des usages
analogues ont pu être appliqués en d'autres régions d'Italie; il semble y en
avoir des traces dans le vocabulaire des Tables Eugubines.

24 Voir la note de K. Latte, dans sa Rom. Religionsgesch., p. 133, qui signale la probable
ressemblance avec l'entrée des jeunes gens grecs dans les «phratries».
25 Voir nos Matronalia, p. 202.
26 Dans les Rendiconti dell'Accad. dei Lincei (classe Se. mor.), XXI, 1966, p. 293-315.
27 « L'auguraculum » de l'«arx» à Rome et en d'autres villes», dans la REL, XLVII, 1969,
p. 253-269.
LES AUTELS DE TITUS TATIUS 319

Les cippes de Bantia datent apparemment des derniers siècles av. J.-C.
La forme des noms est presque latine, avec des restes de dialecte osque
(ainsi Flus.). Plusieurs de ces noms sont divins, et le datif, à ce qu'il semble,
implique une consécration de chacun de ces cippes-autels à une divinité:
Solei, Ioui . . . L'éditeur a cependant dû admettre des abréviations, et chercher
à les développer: pour SINAV, avec raison sans doute, il propose le déve
loppement sin(istrae) au(es), qui correspond très bien à une définition
augurale. Nous excusera-t-on de mettre en doute la lecture qu'il propose
pour un autre cippe (le 1er de la série): les lettres CAEN lui ont paru être
l'abréviation de Cge(lus) n(octurnus)?
Certes, on ne peut s'attendre à rencontrer directement en cette région
de l'Italie, très éloignée de Rome, le nom de la bourgade avec laquelle Romul
us avait eu démêlés et guerre: Caenina. Mais nous chercherions une divi
nité - pour le moins un « génie » - capable d'être invoqué, dont le nom
serait apparenté avec ce toponyme, pour nous obscur.
Point de raison de mettre en doute l'existence de la localité, et sa rela
tive importance à une époque ancienne (VIIe siècle environ?), si difficile
qu'il reste pour nous d'identifier son emplacement sur une carte du Latium.
Un fait atteste l'importance qu'elle avait eue, la situation d'héritière où
Rome se trouvait à son égard: des cultes provenant de Caenina étaient
assumés au nom de Rome en pleine époque impériale, par des sacerdotes
Caeninenses (p. ê. qualifiés de maximi, ou summï) 28, de la même façon
qu'étaient servis les cultes des anciens Cabenses, sans parler des sacerdotes
Laurentes Lavinates, de plus haut prestige.
Tite-Live ne connaît que les conflits entre Romulus et le chef des
Caeninenses: ce roi Acro(n), dont les dépouilles allaient finalement assurer
au fondateur de Rome les premières spolia opima à offrir à Jupiter Fere-
trius. La personne de ce roi paraît peu consistante, et absente de la tradition
la plus ancienne29. Mais Denys d'Halicarnasse a conservé un détail curieux:
Romulus, alors qu'il allait fonder VUrbs, aurait voulu se rendre à Caenina
« pour y célébrer un sacrifice » 30. Lequel? - C'est en cette circonstance que

28 Cf. Palmer, op. cit., p. 134-135 et notes; nous pensons comme l'auteur que la réunion
du titre de sac. Cabensis et de curio dans la carrière de Nonius Iustinus (Dessau, ILS 5009)
a de la signification: il devait y avoir particulière affinité entre ces anciens cultes et les primitives
structures des curiae de Rome.
29 Voir la notice Acron de la RE. Le nom n'évoque rien d'original; tout au plus pourrait-on
penser, à partir des vocabulaires grecs, à une désignation de la «pointe de lance», ce qu'exprime
en général le mot cuspis.
30 Denys, I, 79: Romulus serait allé là « pour accomplir les rites indigèmes (Πάτρια) au nom
de la communauté».
320 JEAN GAGÉ

des bergers rivaux auraient fait prisonnier son frère Rémus . . . Comme l'ont
noté quelques critiques, cette version vaut sans doute comme aition pour
les opérations cultuelles dont les sacerdotes Caeninenses avaient la charge
en pleine époque historique.
Sur ce plan religieux, nous ne disposons d'aucune donnée précise.
Mais Caenina joue surtout un rôle - d'une certaine manière le premier -
dans les violences des compagnons de Romulus: les jeunes filles de cette
ville sont parmi les premières « Sabinae » du rapt. Il s'ensuit, pour toute
la tradition antique, que, le jour de la fusion entre la troupe de Romulus
et celle de Titus Tatius, des « Sabins » (?) de Caenina, comme d'Antemnae
et de Crustumerium, entrèrent dans la cité romaine, doublant presque ses
effectifs. Un auteur, rappelant la création de nouveaux Patres à cette occas
ion, les fait choisir « par les curies ». Et comment aurait-on nommé ces
unités avant de disposer des noms des Sabines31?
Il reste peu de choses à dire, après les minutieuses analyses de
M. J. Poucet, sur les mécanismes qui, à un moment donné, ont dû faire
entrer dans le récit, élaboré pour l'essentiel, du combat entre Romulus et
Titus Tatius, l'appel à quelques bizarres divinités, censées capables d'imméd
iate intervention. Ainsi le votum adressé par Romulus à Jupiter Stator...
Nous aimerions pouvoir appeler un tel culte « momentiel ». Rappelons
d'ailleurs que, si le recours à une divinité pendant une bataille, avec pro
messe en cas de victoire, a fait partie des usages courants des magistrats
chefs d'armée romains dans les derniers siècles encore de la République,
l'invocation de Romulus s'apparente surtout à la brusque initiative que
Tullus Hostilius avait prise, d'après la tradition, durant la dure bataille
devant Fidènes; avec la création d'un culte - disons au moins d'un « rite » -
en l'honneur de Pavor et Pallor, la victoire avait été retrouvée de justesse.
Mais ce culte, avec ses « Saliens » spéciaux (?), n'a laissé pour nous aucune
trace, alors que nous voyons naître, à une date historique (294 av. J.-C), le
culte de Jupiter Stator, que nous savons que son temple fut construit ensuite,
sur un emplacement connu, et que le seul problème, en ce cas, est de savoir
comment ce vœu verifiable fut attribué par la tradition ultérieure à Romulus
(on se tirait d'affaire, semble-t-il, en supposant un fanum réservé par le
Conditor, le templum ou aedes ne datant que des lendemains de Lucérie) 32.

31 Ce problème se posait déjà pour Varron, qui n'admettait pas que les curies fondées
par Romulus aient pu porter dès le début les noms de femmes sabines: cf. Poucet, op. cit., p. 100.
32 Sur tous ces problèmes, voir Poucet, op. cit., surtout p. 318 ss.
LES AUTELS DE TITUS TATIUS 321

Dans ces conditions, l'épisode du guerrier sabin Mettius Curtius, tombé


un moment dans un endroit marécageux (la future Cloaca), ne laisse pas
de mériter autant de réflexion. M. Poucet a bien montré que, dans l'agenc
ement général du récit du combat entre les deux groupes, l'épisode est arti
culé de moins près que les autres, plus « librement » 33. Il est évident, par
ailleurs, que l'accident du Sabin n'était pas pour les Romains une explica
tion suffisante du nom du lacus Curtius, puisqu'un Romain de ce nom, au
IVe siècle, passait pour s'y être engouffré héroïquement, sur son cheval; et
que le vocable correspondait à un mot superstitieux étrusque, curce, curieuse
ment retranscrit par les Fabii sous la forme Gurges34.
Nous retiendrons la superstition quasi-tellurique du péril d'une « fon
drière », et d'un génie régnant là, auquel il fallait parfois payer tribut. Mais
ne sommes-nous pas proches, ici, justement d'une superstition de Caenina?
M. Robert Palmer35, récemment, ayant à évoquer le rôle de cette bourgade,
supposait que son nom était dérivé de celui qui, en latin, désigné la boue,
le limon: caenum. La superstition du lacus Curtius ne venait-elle pas de là?
Et le génie qui y présidait, comme Lua mater, n'exgeait-il pas des « armes »
comme tribut (le chevalier Curtius, nous dit-on, s'était précipité dans le
gouffre «tout armé»)?
Qu'on nous pardonne, pour finir, de proposer un nom religieux de
cette sorte comme développement du CAEN gravé sur un des cippes de
Bantia. Dans le cas de Mettius Curtius comme de quelques autres, l'aspect
« sabin » était assez conventionnel. De même de plusieurs des divinités
auxquelles Tatius passait pour avoir voué ses autels, et dont Varron, avec
trop de confiance peut-être, croyait sentir la saveur sabine. De toute façon,
nous avons affaire à des notions religieuses italiques, probablement connues
en d'autres régions de la péninsule que les environs de Rome.
Il est devenu facile aux critiques modernes de reconnaître en des récits
comme ceux-là le schéma d'un aition: un épisode précis a été supposé, avec
des acteurs humains, souvent fictifs, pour expliquer la continuation ou la
survivance d'un usage; parce que, à l'époque classique, la plupart des tem-

33 Cf. Poucet, op. cit., p. 241-260 (analyse particulièrement méthodique des versions).
34 Cette équivalence a justement été montrée par J. Heurgon (à la suite de W. Schulze):
voir sa Vie quotid. chez les Etrusques, p. 311-312: «Le surnom que (ce Fabius) portait, et
dans lequel les Latins se plurent à reconnaître le nom qui signifie chez eux "gouffre ou abîme",
n'était en réalité que la transcription d'un nom propre, Curce(s), deux fois attesté à Chiusi».
35 Op. cit., p. 106, n. 3. Un fondateur, Caenis ou Caenites, était supposé: nom certaine
ment fabriqué.
322 JEAN GAGÉ

pies avaient une date de fondation, un personnage historique pour fondateur.


S'attendrait-on à ce que les usages romains de recrutement et de classement
des citoyens dans les « curies », le peu que la Rome classique en conservait
(p. ex. la fête des Fornacalia, un jour par an) aient eu réellement des fonda
teurs historiques, dont les noms aient eu chance d'être authentiquement
conservés? Ce qui nous frappe dans l'étude des arae Tatiae, après avoir
relu les analyses de M. Poucet, c'est le rapport qu'elles ont, moins avec des
exploits guerriers d'un chef sabin plutôt que latin, qu'avec d'anciennes opéra
tions cultuelles relatives à l'intégration des jeunes gens dans les curies. Aussi
sommes-nous tenté de définir ces récits, évidemment fabriqués, moins comme
de simples « légendes », élaborées progressivement, ingénieusement mais
arbitrairement par des « mythographes », que comme les « affabulations »
singulièrement exactes de très anciennes structures. A aucun moment, en
aucun siècle, si haut qu'on remonte, l'espace assez étroit allant du Capitole
au Forum n'a assisté à un combat réel entre un groupe de Romains déjà
installés, dont le chef serait Romulus, et un groupe de Sabins prétendant
venger une injure, exiger une place sur le même site. Mais longtemps sans
doute, l'entrée des jeunes Romains dans les curies respectives, avec les privi
lèges qui s'ensuivaient (le droit à une « lance » sacrée), avait donné lieu,
une ou plusieurs fois au calendrier de l'année, à des épreuves guerrières au
moins simulées. De la même façon que ni les divertissements des femmes
aux Nones Caprotines, ni les mouvements des Poplifugia, en juillet, ne
pouvaient plus être compris des Romains des derniers siècles de la République
que comme les « commémorations » d'un épisode de guerre, de siège, alors
qu'ils étaient le résidu de très anciens usages rythmant les rapports entre
la société des Quirites et l'élan d'une pubes entraînée hors du pomerium 36,
le détail des combats entre la troupe de Romulus et celle de Titus Tatius
traduisait, à notre avis, le souvenir précis de courtes violences par lesquelles,
jadis, vernulae (nous employons à dessein une expression, gardée dans une
prière tiburtine37) et candidats du dehors, se disputaient l'entrée dans les
respectives curiae *

36 Voir nos remarques, dans la Rh. droit franc, étr. de 1970, p. 4, à propos de la «ligne
pomériale», et dans L'Antiq. Class de 1972, p. 49, 77, au sujet de la disparition de Romulus
dans la nuit des Nones Caprotines.
37 Voir sur le mot les remarques de R. Palmer, op. cit., p. 61-62.
* Le lecteur voudra bien rectifier l'indication bibliographique donnée dans les notes 11
et 17: l'étude à laquelle il est renvoyé est en fait le premier chapitre d'un ouvrage sur La
chute des Tarquins et les débuts de la République romaine, Paris, edit. Payot, 1976.
ANTONIO GIULIANO

UNA ANFORA ETRUSCA POLICROMA

Si trova in una collezione privata di Torino: alta cm. 35,5; dipinta in


nero, rosso e bianco; graffita; presenta nel punto di massima espansione un
fregio di figure mostruose (Fig. 1-4). Nella testa, frontale, di un felino si
innestano, araldici, i corpi di due animali; dai posteriori di uno di essi si
distacca il corpo di una sfinge. Riempitivi animali e vegetali invadono il
campo. La tensione delle figure, costrette in un campo troppo basso, si
conclude nella testa del mostro, centro della composizione. La sicurezza e
la perentorietà dell'impianto dei mostri e dei riempitivi, l'uso di una intensa
policromia, fanno dell'anfora uno degli esemplari più notevoli di un gruppo
che J. G. Szilâgyi ha definitivamente articolato \ Si tratta dei vasi apparte
nenti al cosiddetto Gruppo Policromo, ricco di più di 60 esemplari. In esso
risaltano in particolare le anfore del Ciclo di Monte Abbatone, dipinte con
ogni probabilità a Cerveteri sullo scorcio del VII secolo, da cinque pittori,
alcuni dei quali strettamente interdipendenti. Una di esse [6], già sul mercato
antiquario a Roma, è identica per forma e campitura decorativa all'esemplare
di Torino: attribuita al Gruppo di Monte Abbatone e, nell'ambito di quello,
al Maestro di Marsiliana. Il motivo della testa sulla quale si innestano i corpi
araldici di due felini compare identico in un'anfora da Tarquinia [17] presso
la Fondazione Lerici, ora nel Museo di Villa Giulia, del Ciclo di Monte
Abbatone opera del Maestro dei Cappi (dal motivo che compare sul muso
dell'animale). A quest'ultimo, il più dotato, può, con ogni probabilità, essere
attribuita l'anfora di Torino.

1 Circonferenza cm. 86,6; alt. collo 10; diam. bocca 18,5; diam. pancia 28. Photostudio 2.
Sul Gruppo Policromo, da ultimo, con bibl. prec: J. G. Szilâgyi, Etrusko-korinthische polychrome
Vasen, Wissenschaftliche Zeitschrift der Universität Rostock, 16. Jahrgang, 1967. Gesellschafts-
uns Sprachwissenschaftliche Reihe, Heft 7/8, p. 543 ss.; H. Hoffmann, Ten Centuries that shaped
the West-Greek and Roman Art in Texas Collections, Mainz 1970, p. 320, n. 154 (Dallas Museum
of Fine Arts); G. Bartoloni, he tombe da Poggio Buco nel Museo Archeologico di Firenze
Firenze 1972, p. 108, n. ò, fig. 51, tav. LXIII a, e; Nuove scoperte e acquisizioni nell'Etruria
meridionale (presentazione di Mario Moretti), Roma 1975, p. 55, n. 1-2: anfore della Fonda
zioneLerici (A. Emiliozzi Morandi) - p. 203 s., n. 13-14, tav. 50: olpe e anfora della collezione
Pesciotti (G. Bartoloni); A. C. Brown, Recent Acquisitions by the Ashmolean Museum, Oxford,
Archaeological Reports for 1974-75, p. 37, n. 69, fig. 18; sul Gruppo, ora: J. G. Szilâgyi,
Etrusko-Korinthosi Vazafestészet, Budapest 1975.
324 ANTONIO GIULIANO

Fig. 1. Fig. 2.

Fig. 3. Fig. 4.
CHRISTIAN GOUDINEAU

SUR UN MOT DE CICÉRON OU


AVIGNON ET LE DOMAINE DE MARSEILLE

Dans son ouvrage Rome et la Méditerranée Occidentale, J. Heurgon


dressait un tableau de P« expansion massaliète » depuis la fondation de la
cité phocéenne jusqu'aux guerres puniques *. S'appuyant sur les travaux
antérieurs de F. Benoît, Fr. Villard, H. Gallet de Santerre, et sur l'excellente
mise au point de J.-P.Morel 2, il nous a donné quelques pages dont, six
ou sept années après leur rédaction, aucun mot ne demande à être changé.
Tous s'accordent aujourd'hui pour penser avec lui que, du VIe au IVe siècle,
abstraction faite des comptoirs et « colonies », le territoire de Marseille
« était réduit à une mince bande de terre qui, au Sud de l'étang de Berre,
aboutissait à Saint-Biaise, et à l'Est ne dépassait guère une quinzaine de
kilomètres le long de la vallée de l'Huveaune ». Aussi bien n'est-ce pas dans
ce cadre chronologique que va se situer notre étude, mais à une époque
pour laquelle le consensus n'est pas réalisé - tant s'en faut: la période
hellénistique.
Encore une fois!, pourrait s'exclamer le spécialiste d'histoire et d'archéol
ogie provençales, qui sait bien qu'une très longue bibliographie a présenté
depuis un siècle les documents, à vrai dire peu nombreux, de la tradition
littéraire3, et qui, d'autre part, n'ignore pas l'ambiguïté fondamentale des
données archéologiques. On nous permettra cependant de récapituler très

1 Paris, 1969, p. 186-191.


2 F. Benoît, Recherches sur l'hellénisation du Midi de la Gaule, Aix-en-Provence, 1965;
Fr. Villard, La céramique grecque de Marseille, Paris, 1960; H. Gallet de Santerre, A propos
de la céramique grecque de Marseille, questions d'archéologie languedocienne, dans REA, 1962,
p. 378-403; J.-P. Morel, Les Phocéens en Occident: certitudes et hypothèses, dans La Parola del
Passato, 1966, p. 378-420.
3 On en trouvera les références dans G. Barruol, Les peuples préromains du Sud-Est
de la Gaule, Paris, 1969, p. xxi-xxn (bibliographie: Domaine de Marseille) et p. 221-230.
326 CHRISTIAN GOUDINEAU

brièvement celles-ci comme ceux-là, ne serait-ce que pour tenter de cerner


le nœud du problème - trop souvent méconnu -, en nous limitant à la
zone géographique définie par le delta et la basse vallée du Rhône, d'Avignon
à la mer.
La datation controversée du Περί Θαυμάσιων ακουσμάτων du Pseudo-
Aristote nous invite à demeurer réservé à l'égard de la mention d'une
χώρα των Μασσαλιωτών, au voisinage de la Ligurie, où se serait trouvé un
certain étang - forcément, à l'Ouest4. En revanche, outre d'autres localités
encore non identifiées5, Etienne de Byzance, se référant aux Géographiques
d'Artémidore, cite Cavaillon comme πόλις Μασσαλίας 6; la même qualification,
attribuée à Avignon, laisse supposer la même source, généralement datée de
l'extrême fin du IIe siècle avant J.-C. 7. Quant au sens de l'expression πόλεις
Μασσαλίας, l'étude philologique poussée de J. Brunei 8 suggère de voir en
elle non pas une simple localisation géographique (« en Massalie, dans la
région de Marseille ») mais le signe d'une appartenance politique 9. Par
malheur, Strabon ne confirme pas, malgré l'ancienneté de sa documentation,
une présence massaliote excédant, vers le Nord, la région du delta 10, pas
plus qu'il n'éclaire la phrase si controversée de César attestant l'attribution
à Marseille de territoires confisqués aux Volques Arécomiques et aux
Helviens n, à moins qu'on n'accepte le passage signalant qu'au IIe siècle

4 Le traité est daté de la seconde moitié du ΙΓ siècle avant J.-C. par P. Moraux, Les
listes anciennes des ouvrages d'Aristote, Louvain, 1951, p. 261 (cité par G. Barruol, ibid.,
p. 63), mais du ΙΓ siècle après J.-C. par son éditeur le plus récent A. Giannini, Paradoxogra-
phorum graecorum reliquiae, Milan, 1966 et Studi sulla paradossografia greca da Callimaco
all'età imperiale, dans Acme, 1964, p. 133-135.
5 Alônis, généralement considérée comme identique à l'espagnole Allo de Pomponius
Mela (II, 93) et de Ptolémée (II, 6, 14) mais revendiquée par F. Benoît {Recherches..., p. 105)
pour la Gaule: ce serait Port d'Alon, dans le Var; Mastramélè, identifiée à Saint-Biaise par
H. Rolland, Un problème de topographie antique: les fouilles de Saint-Biaise et la toponymie
antique, dans Latomus, 1948, p. 169-183; et d'autres, de localisation encore plus conjecturale.
6 Etienne de Byzance, Ethniques, s. v.
7 Cf. références dans P.-M. Duval, La Gaule jusqu'au milieu du Ve siècle, Sources de
l'Histoire de France, Paris, 1971, 1, p. 239. Et J. Brunei, Etienne de Byzance et le domaine
marseillais, dans REA, 1945, p. 130-131.
8 Ibid., p. 122-133.
9 Ibid., p. 124: «l'emploi de ce substantif Μασσαλία pour désigner la région, non la ville,
n'est pas conforme à la valeur première du mot».
10 IV, 1, 8, confirme, en revanche, l'appartenance du delta.
11 César, BC, I, 35, 4. Sur les difficultés du texte, F. Pomponi, Rome et les Volques,
38e Congrès de la Fédération du Languedoc-Roussillon, 1966, p. 109-116. En dernier lieu,
AVIGNON ET LE DOMAINE DE MARSEILLE 327

avant J.-C. l'empire averne s'étendait jusqu'à Narbonne et jusqu'aux fron


tières de la « Massaliotide » comme l'indice d'une expansion massaliote, dès
cette époque, sur la rive droite du Rhône, expansion que Rome eût par la
suite renforcée - hypothèse à tout le moins risquée 12.
On le voit donc, c'est sur Etienne de Byzance et, à travers lui, sur
Artémidore - pour Cavaillon - et sur une conjecture (vraisemblable) - pour
Avignon - que se fonde la conception d'un domaine massaliote « atteignant
la Durance » et comportant même « deux têtes de pont de l'autre côté de cette
rivière: Avignon et Cavaillon » 13. L'unicité du témoignage incitait M. Clerc
à le rejeter et à refuser de voir en ces deux villes, de même qu'en celles
(non localisées) mentionnées par Etienne, des parties constituantes de l'Etat
massaliote 14. Reconnaissons que, si certains auteurs modernes prennent
franchement parti en sens inverse 15, la plupart préfèrent utiliser des formules
prudentes 16, voire considérer le problème comme désespéré 17.
De fait, l'archéologie n'apporte pas les lumières qu'en pareille circons
tance, un peu naïvement, on espère d'elle. Si le cas de Glanum-Glanon

l'hypothèse ingénieuse mais peu vraisemblable de J.-J. Hatt, Le commerce de Marseille pendant
la guerre des Gaules, dans Hommages F. Benoît, 1972, III, p. 149-151.
12 IV, 2, 3. Cette interprétation, qui est celle de G. Barruol {op. cit., p. 227) et que
J. Brunei (loc. cit., p. 133) proposait également avec prudence, semble devoir être accueillie
avec réserve: quelque traduction que l'on donne du texte de César, les confiscations de terri
toires volques et helviens ne sauraient remonter à une époque antérieure aux campagnes de
Pompée contre Sertorius. Quant aux limites de l'empire arverne selon Strabon, elles sont
présentées en termes très vagues («jusqu'à l'Océan, jusqu'au Rhin»): la source, quelle qu'elle
fût, cherchait à donner l'impression d'une puissance contrôlant l'ensemble de la Gaule de l'Est
(le Rhin) à l'Ouest (l'Océan), du Nord au Sud (Narbonne) et menaçant même Marseille, l'alliée
de Rome; les développements concernant les rois arvernes, Luern et Bituit, ces barbares fastueux
aux armées impressionnantes, allaient dans le même sens.
13 J. Brunei, ibid., p. 129.
14 M. Clerc, Massalia, Marseille, 1927, I, p. 242: «le lexicographe a compté parmi les
"villes" marseillaises des villes simplement fréquentées par les marchands marseillais, qui y
avaient sans doute des établissements plus ou moins permanents, des factoreries».
15 Fr. Villard, op. cit., p. 109; G. Barruol, p. 228.
16 F. Benoît, Recherches..., p. 133: «sans doute» à propos d'Avignon; S. Gagnière,
J. Granier, Avignon de la Préhistoire à la Papauté, Avignon, 1970, p. 67, emploient le terme
vague de «domination de Marseille»; Fr. Salviat, dans Histoire de Marseille, Toulouse, 1973,
p. 26, écrit que Marseille « s'efforce de tenir les terres proches du delta du Rhône, jusqu'à
Avignon».
17 J.-P. Morel, loc. cit., p. 411: «étant donné l'insuffisance de la tradition antique (...)
il est pratiquement impossible d'arriver sur ce point à quelque certitude».
328 CHRISTIAN GOUDINEAU

paraît relativement net 18 malgré bien des incertitudes chronologiques 19,


les fouilles de Cavaillon et d'Avignon n'ont mis au jour aucun de ces monu
ments hellénistiques qui amèneraient à voir en ces « villes » plus que des
habitats indigènes. Ce n'est pas à l'abondance du matériel céramique importé
ou des monnaies de Marseille dans les niveaux archéologiques que l'on se
fiera: l'intensité des courants commerciaux ne prouve en rien, évidemment,
une appartenance politique20. Les inscriptions gallo-grecques, dont la
publication d'ensemble est attendue avec impatience21, peuvent attester
une influence culturelle profonde quoique circonscrite22 mais non établir
à elles seules la réalité d'un lien administratif.
En définitive, c'est la numismatique qui fournit les arguments les
plus forts: « alors que, dans les oppida celto-ligures, circulaient d'affreuses
imitations des bronzes massaliotes, seuls Avignon et Cavaillon, Glanon
et le chef -lieu non encore localisé des Καινικητών (...) frappaient des
monnaies d'argent et de bronze de bon style, d'un type autonome et à légen-

18 Des maisons à la grecque, des monuments publics de style hellénistique - un portique,


un nymphée, un bouleuterion -, une porte fortifiée évoquant celles de Marseille, de Saint-
Biaise et, au-delà, de Sicile, voilà qui ne laisse guère de doute. La présence des « héros
accroupis » ou la taille" d'une alvéole céphaliforme dans un des blocs de couronnement
de ce qu'on appelle improprement le rempart ne témoignent pas forcément d'un épisode de
reconquête celto-ligure mais attesteraient aussi bien l'existence (normale) d'une population mixte.
19 Les datations fournies par H. Rolland paraissent de plus en plus sujettes à caution.
Signalons une des rares données nouvelles qui ne soient pas inédites: A. Barbet, étudiant
les peintures murales de Glanum (Recueil général des peintures murales de la Gaule, I, dans
XXVIIe Suppl. à Gallia, 1974), a montré l'identité stylistique des fresques (attribuées à la
même main) recouvrant certains murs de la « Maison aux deux alcôves » et de celles qui ornent
le portique dorique XXXIII; H. Rolland attribuait ces deux édifices à deux périodes différentes,
la seconde étant précisément caractérisée par la destruction des monuments de la précédente.
A quand remontent les monuments «grecs», notamment portique et maisons? Nul ne le sait
aujourd'hui, et une date postérieure à la conquête romaine n'a rien d'impossible, comme l'a
prouvé la controverse autour du fameux graffito de Teucer: H. Rolland, Fouilles de Glanum,
dans ΧΓ Suppl. à Gallia, 1958, p. 123-124.
20 Sur les fouilles d'Avignon correspondant à la période hellénistique, S. Gagnière,
J. Granier, op. cit., p. 65-68. Aucune bonne synthèse n'existe concernant Cavaillon: on se
reportera aux Informations archéologiques de Gallia. Pour la « sur-interprétation » du matériel
céramique, cf. J. de Wever, La χώρα massaliote d'après les fouilles récentes, dans L'Antiquité
Classique, 1966, p. 71-117.
21 L'étude la plus récente demeure la communication de P.-M. Duval dans les Actes du
Colloque sur les influences helléniques en Gaule, Dijon, 1958, p. 63-69.
22 Cf. G. Barruol, op. cit., p. 226.
AVIGNON ET LE DOMAINE DE MARSEILLE 329

des grecques correctes » 23. La coïncidence entre ces données et le texte


d'Etienne de Byzance ne laisse guère, apparemment, de justification au
scepticisme. Il n'en demeure pas moins une question fondamentale: quels
liens précis unissaient Avignon et Cavaillon (pour nous en tenir à la rive
gauche du Rhône) à Marseille? Des rapports de sujétion, comme le laisserait
entendre un passage équivoque de Strabon 24? Mais alors pourquoi ces monn
aies « de type autonome »? Une simple alliance entre Cavares et Massaliotes?
Alors pourquoi parler de πόλεις Μασσαλίας? Une réelle «intégration»? Tel
est le nœud du problème: non pas l'extension géographique d'un « domaine »
dont la réalité, selon nous, n'est pas douteuse et qui englobait, au Nord,
Avignon, mais la nature du lien qui en faisait l'unité.

En juillet ou en août 56 avant J.-C, se tient à Rome un étrange


procès. Un chevalier romain, L. Cornelius Balbus, voit sa citoyenneté mise
en cause par un accusateur inconnu, dont nous savons seulement qu'il a
perdu naguère ses droits civils et qu'il espère sa réhabilitation du gain de
l'action qu'il a introduite25. L'accusation tient en ceci: en conférant la
cité à Balbus, lors des campagnes contre Sertorius, et malgré la caution
de la lex Gelila Cornelia, Pompée a violé les droits de Gadès, cité fédérée,
dont Balbus était originaire: pour que cet acte fût valide, l'acquiescement
du populus gaditain était nécessaire; Balbus n'est donc pas citoyen romain,
sa naturalisation n'ayant pas respecté le fœdus passé entre Rome et sa patrie
d'origine. En faveur du défendeur, Crassus, Pompée et Cicéron prennent
la parole. De la plaidoirie de ce dernier, le Pro Ealbo, un seul point nous
intéresse. Recherchant des précédents, il énumère une liste d'hommes d'Etat
romains ayant accordé la citoyenneté en récompense de services exceptionnels:
Marius, Cn. Pompée (le père), P. Crassus, Sylla, Q. Metellus Pius, et il
ajoute: hic qui adest (...), M. Crassus, non Avenniensem fœderatum
civitate donavit26? Laissons Balbus écouter la suite des débats, dont il sait
déjà qu'il n'a rien à craindre, et occupons-nous de cet Avignonnais.

23 H. Rolland. A propos des fouilles de Saint-Biaise, dans REA, 1949, p. 97, avec références.
24 IV, 1, 5: υπήκοοι.
25 Cf. l'édition, avec une longue introduction, du plaidoyer de Cicéron par J. Cousin,
Les Belles Lettres, 1962 (Cicéron, Discours, t. XV), p. 213-282.
26 § 50.
330 CHRISTIAN GOUDINEAU

Qu'il s'agissse d'un homme d'Avignon ne se peut, en effet, contester27.


Voilà donc Avignon placée sur le même pied que d'illustres cités, rangées par
Cicéron, explicitement ou implicitement, parmi les civitates fœderatae2*:
Camerinum, Ravenne, Héraclée, Marseille, Gadès, Sagonte, etc. Il n'est pas
sûr pourtant que le tribunal et l'assistance aient été bien au courant de
ce fœdus puisque l'orateur s'est senti tenu de préciser: « Crassus n'a-t-il
pas fait don de la citoyenneté romaine à un Avignonnais - un fédéré? ».
A quelle occasion Crassus accorda-t-il cette cité? Si, comme le
dit Cicéron, Pompée a suivi son exemple, l'acte est antérieur à la fin de
la guerre contre Sertorius (hiver 72 - printemps 71). Si, d'autre part, la
liste des généraux respecte, comme c'est probable, l'ordre chronologique
(le secrétariat de Cicéron a sans doute constitué des fiches d'après les
documents officiels), la citation de Q. Metellus Pius se réfère sûrement à
son gouvernement d'Espagne en 79-78. En conséquence, pour Crassus, la seule
occasion possible, entre 78 et 71, c'est la guerre de Spartacus. L'antérior
ité par rapport à Pompée est donc faible, voire nulle29, mais qui irait
vérifier dans les archives les dires de Cicéron? Au demeurant, nous ne som
mes pas à un mois près. Le contexte est donc clair: en 72 ou 71, Crassus
accorde, virtutis causa, la citoyenneté à un soldat Avignonnais enrôlé sous
ses ordres30. Et cet Avignonnais est fœderatus.
Or, en Gaule Transalpine - la future Narbonnaise -, deux peuples
seulement ont bénéficié du statut de civitas fœderata: Marseille et les
Voconces31. En 72-71, ces derniers viennent à peine de déposer les armes
après une révolte que Fontéius a réprimée avec une cruauté qui constituera,

27 L'ethnique Avenniensis est bien attesté: CIL, XII, 3169 et 3275: Q. Soilio T. fil.
Vol. Valeriano (...) curatori Cabell. Avenniens. Foroiuliens. Aptenses patrono. Cf. aussi Grégoire
de Tours, Franc, 6, 9: Avenniensis civitatis pontifice. La leçon des manuscrits du Pro Ealbo
est Avennensem (PGEH) ou Avenniensem (HV). On ne voit d'ailleurs pas ce que pourrait
être une éventuelle correction.
28 Notons que le Pro Balbo est notre seule source pour attester un fœdus passé entre
Rome et Ravenne.
29 Au point que J. Carcopino, Histoire romaine, César, Paris, 1950, suppose p. 553, note 121,
que la lex Gellia Cornelia valait tant pour Pompée que pour Crassus «et les soldats qu'il
avait levés contre Spartacus».
30 Le cas n'est pas unique, de Transalpin enrôlé dans les armées romaines. Le grand-père
de Trogue-Pompée, un Voconce, reçut la citoyenneté de Pompée durant la guerre contre Sertorius
- vraisemblablement en même temps que Balbus (Justin, XLIII, 5, 11).
31 Concernant Marseille, toute référence est inutile. Pour les Voconces, Pline, N. H., III,
4, 37: Vocontiorum civitatis fœderatae.
AVIGNON ET LE DOMAINE DE MARSEILLE 331

trois ans plus tard, l'un des chefs de l'accusation portée contre lui par
une délégation gauloise. Au moment des faits relatés par Cicéron32, la
seule cité fédérée de Gaule, c'est Marseille. Celle-ci, à lire Strabon, a
reçu de Rome en 122 un accroissement territorial consistant en une bande
côtière peu profonde qui la relie à Monaco33, et Marius lui a remis l'e
xploitation des fossae qui portent son nom34. En revanche, aucun texte
ne signale une quelconque attribution de terres dans la vallée du Rhône:
les confiscations opérées au détriment des Volques Arécomiques et des
Helviens, auxquelles nous avons fait allusion, sont (au plus tôt) contem
poraines des événements qui nous intéressent - les campagnes contre Sertorius
et Spartacus. En conséquence, dans la vallée du Rhône, la situation demeure
celle de la fin du IIe siècle, à ceci près que Rome l'a reconnue et sans
doute fortifiée.
Notre Avignonnais ne peut donc être « fédéré » que par son apparte
nanceà la civitas fœderata de Marseille. En ce sens, la mention (fugitive,
au point d'être passée inaperçue) de Cicéron confirmerait de manière décisive,
s'il en était besoin, les dires d'Etienne de Byzance et les données de la
numismatique. Mais on peut sans doute en tirer davantage. De même que
Balbus était citoyen à part entière de Gadès, de même, au regard du droit
international consacré par le fœdus, notre inconnu est citoyen de la civitas
fœderata à laquelle il appartient, c'est-à-dire qu'il possède (aux yeux
de Rome) le rang et la qualité d'un homme libre de Massalia. On précise
cependant qu'il est Avignonnais, au lieu de dire simplement massaliote comme
pour cet Ariston qui, toujours d'après le Pro Ealbo, reçut la cité romaine
de Sylla35. Accordons assez de confiance au sens juridique de l'adminis
trationromaine pour penser que cette distinction recouvre une situation
de droit bien précise.
Laquelle? Il n'est qu'une possibilité: celle d'un Etat fédéral
regroupant autour de Marseille un certain nombre de cités (Avignon, Cavail-
lon, Glanon, les Kainikétai) conservant leur individualité propre, leur corps
de citoyens (dont les représentants se réunissent dans le bouleuterion local,
comme à Glanum), frappant selon les normes massaliotes leur propre numé-

32 Mais non au moment où il prononce le Pro Ealbo: cf. § 61: etenim quaedam fœdera
exstant (...) ex Gallia barbarorum.
33 IV, 1, 5.
34 Strabon, IV, 1, 8.
35 Ibidem, § 50: Massiliensem Aristonem L. Sulla (civitate nonne donavit)?
332 CHRISTIAN GOUDINEAU

raire - à moins que la Monnaie de Marseille ne s'en charge -, mais unies


à la cité phocéenne par un lien assez fort pour que l'ensemble constitue un
tout, jouissant, dans le cadre d'un fœdus avec une puissance extérieure, des
mêmes clauses et des mêmes droits. Il ne s'agit donc pas d'un simple traité
d'alliance - sinon un Avignonnais ne bénéficierait pas d'un fœdus passé
entre Rome et Marseille -, il ne s'agit pas non plus d'un domaine dont les Mars
eillais seraient les maîtres et les populations indigènes les sujets36, mais
bel et bien d'une « Massalie » au sein de laquelle, au moins dans certains
cas, se sont instaurés des rapports d'égalité dont le détail nous échappe
mais dont l'esprit - loué soit Cicéron! - nous a sans doute été conservé
par un mot: fœderatum.

36 Strabon, IV, 1, 5 (υπήκοοι) peut s'expliquer soit par la méconnaissance de rapports


juridiques complexes, dépassés de son temps, soit - c'est notre sentiment - par le fait qu'à
l'intérieur du domaine marseillais se distinguent des «sujets» (peut-être à proximité même de
Marseille) et les cités fédérées.
JEAN GRANAROLO

CATULLE LU: SIMPLE FRONDE OU PESSIMISME SANS MERCI?

Si connu que nous puissions le supposer du lecteur, rappelons le texte


de cet impitoyable quatrain iambique de Catulle, en y joignant une traduc
tion personnelle que nous nous efforcerons de justifier:
Quid est, Catulle? quid moraris emori?
Sella in curulei * struma Nonius sedet,
per consulatum perierat2 Vatinius:
quid est, Catulle? quid moraris emori?

« Où as-tu donc la tête 3, Catulle? pourquoi diffères-tu de quitter cette


vie? Sur une chaise curule trône Nonius la strume, cependant que Vatinius
se parjure par son consulat: où as-tu donc la tête, Catulle? pourquoi dif
fères-tu de quitter cette vie? ».
« A brief, sardonic comment on the contemporary political scene. One
suspects that Pompey and Caesar, the supporters of these worthless, gro
tesque creatures4, are the real objectives of C's abuse (cf. Poems 29 and

1 Curulu O: curuli cett. La leçon, évidemment erronée, de YOxoniensis, a suggéré curulei


à Ellis, imité par Lafaye, Dolç et Bardon. Cf. V. Cremona, Problemi di ortografia catulliana in
Aevum 32, 1958, 401-443.
2 C'est la leçon de G, Ο et R, adoptée par Ellis, Riese, Schwabe, Lafaye, Dolç, Pöschl
et plus récemment par G. A. Cornacchia, in Boll, di St. hat. Ill, 1973, 90, qui se réfère
à V. Cremona (voir η. 1, supra) et qui écrit à juste titre: «i codici recentiores hanno peierat,
ma l'arcaismo testimoniato da V si confa alla "gravita ironica" del contesto».
3 Quid est? n'est point l'équivalent d'un simple Quid? Il ne faut pas le traduire par
«Quoi donc?» (Lafaye) ni par «Eh bien» (Bardon). G. Mazzoni, Catullo - Poesie, Bologne,
1945, l'a mieux saisi: «Che fai Catullo?». Ce Quid est?, qui precède toujours une autre inter
rogation plus explicite, et qui, le plus souvent, marque un mouvement d'incrédulité (e.g. PL,
Amph. 566, Capt. 578, Rud. 676), signifie littéralement: «Qu'est-ce qui arrive?». Il a pour
équivalents, dans la langue française, les tours familiers: «Tu n'y es plus!», «Où as-tu la tête?».
4 Pour les actes de favoritisme éhonté auxquels fait allusion Catulle, contentons-nous
de renvoyer le lecteur aux abondants éclaircissements des édition commentées d'Ellis, Kroll,
334 JEAN GRANAROLO

54). », écrit l'auteur de la plus recente édition commentée de Catulle, Kenneth


Quinn, Catullus - The Poems, Londres, 1970, p. 246.
On ne saurait mieux définir « this outburst of disgust at the good
fortune of the triumvirs' protégés », pour reprendre les mots de C. J. Fordyce,
Catullus - A Commentary, Oxford, 1961, p. 221. Nous-même avions eu
l'occasion jadis d'écrire que dans ces iambes « le désespoir le dispute à la
rosserie, l'indignation au pessimisme » 5, en souscrivant sans réserve à ce
jugement de M. Lenchantin de Gubernatis: « Catullo sembra quasi conscio
che, davanti alla malvagità trionfante, la opposizione di un uomo non sia
sufficiente» (// Libro di Catullo, Turin, 19332, p. XL).
A coup sûr, toujours comme Lenchantin, nous voulons bien admettre
qu'à l'origine tout au moins des diatribes catulliennes contre les césariens
et pompéiens, des rancunes d'ordre personnel ou des motifs de basse jalousie
aient pu jouer un certain rôle; et qu'on s'égarerait à vouloir tenter un
rapprochement avec les mobiles, d'une toute autre noblesse, qui dictèrent
à un Caton d'Utique ses courageuses prises de position publiques contre
la démagogie et les abus de pouvoir des triumvirs. Mais comment, aussi,
ne pas donner raison à C. Deroux d'avoir écrit qu'après tout, Catulle aurait
pu profiter lui-même, pour peu qu'il l'eût voulu, de la sinistra lïberalitas
(Cat. XXIX, 15) de César6? ce César, hôte attitré à Vérone du père du
poète! ce César qui ne cessa de faire montre de tant de mansuétude à
l'égard de son détracteur! (Suétone, Diu. lui, LXXIII, 4). Non! Catulle
n'avait pas une âme vénale.

L'ASPECT FRONDEUR

Cet aspect est indéniable et serait seul en cause si Catulle s'était con
tenté d'écrire les vers 2 et 3, seil, un distique ne prenant pour cibles que
Nonius et Vatinius et ne comportant pas d'apostrophe adressée par le poète

Fordyce, ainsi qu'à F. Della Corte, Due Studi Catulliani, Gênes, 1951, pp. 193-195. On trouvera
une biographie précise de Vatinius pp. 225-233 de l'éd.-trad. de Vin Vatinium aux Belles
Lettres, 1965, par J. Cousin, qui ne dissimule point sa dette à l'ébard de H. Gundel, RE
VIII A 1, 495-520, mais a le mérite d'avoir fait un effort d'équité dans ses jugements sur le
protégé de César.
5 J. Granarolo, L'Œuvre de Catulle - Aspects religieux, éthiques et stylistiques, Paris,
Belles Lettres, 1967, p. 180.
6 C. Deroux, A propos de l'attitude politique de Catulle, dans Latomus, XXIX, 1970,608-631.
CATULLE LU: SIMPLE FRONDE OU PESSIMISME SANS MERCI? 335

à lui-même. Auquel cas, il est vrai, Catulle aurait sans doute fait choix non point
du trimeter iambicus Archilochius (voir éd. Schuster, Leipzig, 19583, p. 110),
mais du distichon elegiacum (cf. ce. LXXXV, XCIII, XCIV, CV, CVI, CXII,
excellemment étudiés par O. Weinreich, Die Distichen des Catull, Tübingen,
1926), puisqu'il n'a écrit que dans ce dernier mètre - disons plutôt: couple
de mètres - les épigrammes qu'il a expressément voulu réduire à deux vers.
Ce faisant, Catulle aurait eu, au surplus, l'avantage de disposer, pour évoquer
ses deux personnages, d'une forme métrique un peu moins condensée et
contraignante.
Il faut précisément le reconnaître, Catulle a accompli un tour de force
artistique, utilisant avec une rare maîtrise les ressources combinées de la
poésie populaire (pour la phraséologie notamment: voir plus loin) et de
l'alexandrinisme épigrammatique. Et sous ce rapport, Giuseppe Antonio
Cornacchia, {Bollettino di Studi Latini III, 1973, 89-91), a dit tout ce
qu'il fallait dire, et avec autant d'élégante concision que de goût pénétrant.
Il serait oiseaux d'y revenir.
Observons simplement qu'il serait difficile de faire tenir en moins de
mots un énoncé satirique aussi cinglant, lequel pourrait s'expliciter de la sorte:
« un monstre hideux et ridicule a été choisi pour Pédilité et s'y pavane,
ce qui est déjà lamentable! Mais il y a bien pis: un arriviste se sait tellement
sûr, grâce au patronage des triumvirs, d'accéder prochainement au consulat
qu'il ose faire déjà des serments par ce consulat: inconscience? ou cynisme? ».
Et si Catulle a su faire coup double, c'est évidemment qu'il s'est empressé
de tirer parti d'une aubaine. Chacun sait que Vatinius était scrofuleux (on
disait autrefois « strumeux »). Or le hasard a voulu que Nonius7, comme nous
l'apprend Pline l'Ancien, N.H. XXXVII, 81, appartenait à une famille qui
portait elle-même le surnom de Struma: le vocable même que Cicéron avait

7 Pour pouvoir apprécier à sa juste valeur cet art de la caricature où Catulle est passé
maître, il importe assez peu de déterminer l'identité exacte de ce Nonius. H. Bardon, Catulli
Carmina, coll. Latomus, vol. 112, Bruxelles, 1970, note à juste titre, p. 96: «Pour Nonius,
on hésite entre L. Nonius Asprenas, légat de César en Espagne et en Afrique, proconsul
d'Afrique en 46, et le partisan de Pompée M. Nonius Sufenas (cf. C. L. Neudling, A Proso-
pography to Catullus, Oxford, 1955, p. 133-134) ». Mais Bardon s'aventure en ajoutant (et en
citant, à l'appui de ce dire, le texte de Pline l'Ancien): «II faut cependant opter pour ce dernier».
Comme l'observe avec raison C. J. Fordyce, op. laud., p. 222, « unfortunately Pliny gives non
cognomen». G. Β. Pighi, Prolegomeni al Catullo Veronese, Vérone, 1961, p. 12, opte au con
traire pour « L. Nonio Aspenate» (sic). Voir Fordyce pour les arguments qui semblent faire
pencher légèrement la balance en faveur de M. Nonius Sufenas.
336 JEAN GRANAROLO

employé en 59 d'abord, dans une lettre à Atticus, II, ix, 28, puis en 56,
dans le Pro Sestio, 135 9, pour désigner le goitre horrible de Vatinius.
D'où l'idée d'apparier les deux personnages! et par le plus simple et drasti
quedes procédés: faire du sobriquet de Nonius un nom commun apposé:
« cette strume de Nonius », ou « Nonius la strume ». Une sorte d'expressif
raccourci (de ton délibérément populaire et trivial) qui, en fait, étend mé-
tonymiquement, par jeu, au corps entier de Nonius la prétendue tumeur,
laquelle, en principe, ne devrait déformer et rendre hideux que son cou!

L'ENIGME O'EMORl

Ce quatrain LU ne présente de trimètres iambiques archilochéens" à


proprement parler, c'est-à-dire de vers admettant la substitution de spondées
aux iambes aux 1er et 3e pieds, que dans son distique central (Sella in . . .
-lëi strü- / Per con- . . . -turn per . . .). Le refrain d'encadrement (vv. 1 et
4) est un trimètre iambique pur. Est-ce donc seulement pour obéir à des
scrupules métriques, est-ce uniquement pour éviter un spondée au 5e pied
que Catulle n'a pas voulu utiliser la formule plus usuelle quid morì cessas?
(qu'Horace par exemple mettra dans la bouche de son Europe désespérée,
Carm. III, xxvii, 58)? Pour ne rien dire du fait que deux syllabes eussent
manqué à son trimètre - il eût pu suppléer, à vrai dire, quelque iam nunc
ou iam turn -, observons effectivement que le pourcentage des iambiques
catulliens dont la clausule est formée par un mot crétique (c'est le cas
dimori) est considérable: 36%, selon le relevé de Julia W. Loomis, Studies
in Catullan Verse, Mnemosyne Suppl. XXIV, 1972, p. 101: c'est même, com
parativement, le pourcentage le plus élevé pour l'ensemble des trimètres
iambiques qui subsistent de Catulle (33% de clausules étant formées de
dissyllabes iambiques, 20% de quadrisyllabes, et 7% seulement de mots de
5 syllabes, toujours selon le même relevé).

8 Etiam Vatini strumam sacerdotii διβάφφ uestiant, « qu'ils aillent jusqu'à habiller le
goitre de Vatinius du dibaphe (seil, une robe plongée dans deux bains colorants de pourpre)
de l'augurât».
9 li medentur rei publicae, qui exsecant pestent aliquant tanquam strumam ciuitatis,
«Ceux-là guérissent l'Etat, qui le désinfectent comme on fait l'ablation d'une tumeur». Cf.
l'emploi du mot au pluriel dans In Vatinium, 39: si... strumae denique ab ore improbo demi-
grarunt et aliis iam se locis conlocarunt, «si... les scrofules ont enfin déguerpi de ta sale
figure et se sont dorénavant installées en d'autres endroits de ton corps ».
CATULLE LU: SIMPLE FRONDE OU PESSIMISME SANS MERCI? 337

Néanmoins, ce serait, à n'en pas douter, esquiver la difficulté que de


nous en tenir à une explication en quelque sorte purement mécanique pour
rendre compte du choix d'emori. G. A. Cornacchia, art. laud, (voir supra,
n. 2), croit discerner un oxymoron: « un contrasto tra la lentezza espressa
da moror e la velocità che a morior e conferita dal preverbio espletivo:
qualcosa come: "cos'è che vai così piano a sparire dalla terra?"».
Analyse sans conteste ingénieuse, mais qui n'emporterait la convic
tion que si l'on pouvait acquérir la certitude que le verbe composé emorior
a bien ici le sens de « mourir brusquement ». Au reste, qu'a voulu dire au
juste G. A. Cornacchia en parlant de « velocità conferita dal preverbio
espletivo » ? Si ce préverbe est réellement explétif, il faudrait voir dans
ëmorï un équivalent pur et simple de morì, sans compter qu'à l'oreille un
mot crétique ne saurait apparaître plus rapide qu'un mot iambique (ou qu'un
mot amphibraque comme morarïs). Loin d'être explétif, le préverbe e- efface
dans une certaine mesure la réalité désagréable suggérée par le verbe simple
morì, en concentrant l'attention à la fois sur l'idée d'éloignement (de toutes
ces turpitudes dont le spectacle est devenu intolérable à Catulle) et sur
celle d'heureuse conséquence de l'action décisive marquée par le verbe simple:
une délivrance. La démonstration en a été récemment apportée par J.-F. Maiso-
nobe, Le Vocabulaire de la mort dans la poésie latine au ΙΓ siècle avant J.-C.
(Thèse de Doctorat de troisième Cycle soutenue le 18-1-74 devant l'Uni
versité de Nice), pp. 130-139. Procédant à un examen complet des occurrences
d'emori chez Plaute et Térence, l'auteur commence par prouver qu'on ne
peut retenir pour ce verbe composé le sens de « mourir complètement »,
« achever de mourir », que lui confère le Dictionnaire d'Ernout-Meillet et,
ajouterons-nous, que semble bien lui avoir donné ce même A. Ernout dans
sa traduction de Catulle, Belles Lettres, 1964, quand il écrit, p. 173:
« Cette invective serait proche de la mort de Catulle, et le verbe emori
a toute sa force ». Dans bien des cas, montre J.-F. Maisonobe, les deux
verbes emori et mori sont pratiquement interchangeables. Mais, poursuivant
son travail de vérification, notre collègue est amené à mettre en valeur,
mieux qu'on ne l'avait fait avant lui 10, le passage des Tusculanes, I, 8, 15,
où Cicéron se donne comme le traducteur d'Epicharme:
Emorì nolo, sed me esse mortuum nihil aestimo.

10 J.-F. Maisonobe a passé au crible avec le plus grand soin les recherches antérieures
de L. Döderlein, Lateinische Synonyme und Etymologieen, Leipzig, 1826-1838, p. 183, et de
D. Barbelenet, De l'aspect verbal en latin ancien et particulièrement dans Térence, Paris, 1913,
p. 293 sq. Il rappelle que les vues de Döderlein avaient déjà été combattues par J. H. Schmidt,
338 JEAN GRANAROLO

« Cicéron, estime-t-il à juste titre, distingue avec vigueur ce que nous


appellerions « le passage » (comme dans notre verbe français « trépasser »)
de l'état post mortem. Là où le français se contente de l'opposition du
présent et du passé, un préfixe discret permet à l'auteur latin d'insister sur
le changement d'état (...) Ainsi Salluste en Catilina, 20, 8 nonne emori
per uirtutem praestat quam uitam miseram atque inhonestam . . . per
dedecus amittere? « Ne vaut-il pas mieux quitter héroïquement l'existence
que de perdre ignominieusement (...) une vie misérable et sans honneur? ».
En fugurtha, 14, 24, le mot « trépas », qui convient au style soutenu de la
péroraison rend parfaitement l'idée indiquée par le préverbe latin. La question
pressante que Catulle, écœuré par la dégradation de la vie politique romaine,
s'adresse à lui-même dans la pièce LU pourrait s'entendre de même:
« qu'attends-tu pour quitter cette vie? ». De même encore les vers 242-243
des Ménechmes: « Aussi veux-je trouver un homme qui puisse m'affirmer
d'une façon certaine qu'il (seil. Ménechme I) n'est plus de ce monde »(...) Il
faudrait admettre qu'emori est plus euphémique que mori, parce qu'il réduit
la durée, et donc la dureté de la mort, tant pour celui qui envisage de se
la donner à lui-même que pour celui qui considère celle des autres. »
En définitive, il nous apparaît impossible de voir dans Catulle LU
l'expression d'une simple fronde contre de détestables parvenus, et nous som
mes enclin à faire entièrement nôtre - tout au moins en qui concerne le
moment où Catulle a écrit ce quatrain n - le judicieux rapprochement établi
par H. Bardon, Propositions sur Catulle, coll. Latomus, vol. 118, Bruxelles,

Handbuch der Lateinischen und Griechischen Synonymik, Leipzig, 1889, pp. 335-337, qui rap
proche emori du grec άπουνήσκω et de l'allemand absterben, mais non de έκυνήσκω, «s'évanouir».
Enfin, Maisonobe souligne, op. laud., n. 150, p. 150, que trois des occurrences attestées chez
Térence - qui en compte, en tout, quatre - expriment le désir de mourir, et que, dans deux
cas, il s'agit de jeunes gens. Pour notre part, celle de VHeautontimoroumenos, 971, où le fils
de Chrêmes, Clitiphon, désespéré de se voir déshérité, s'écrie emori cupio, nous semble part
iculièrement révélatrice, et nous la traduirions volontiers par: «j'en ai assez de la vie!»: même
soif d'évasion que chez Catulle.
11 Rappelons qu'une incertitude continue à planer sur la date exacte de la mort de
Catulle. H. Bardon a tendance à la situer en 52 plutôt qu'en 54 (il semble même tenté par la
datation basse de 47: Propos, sur Cat, Introd., pp. 5-6). Nul donc, à notre avis, ne saurait,
sans faire preuve d'une certaine témérité, se porter garant que le poète ne se soit plus dé
parti, jusqu'à sa mort, de ce pessimisme sans merci. Il faut dire que, dans l'optique de H. Bardon,
Catulle aurait toujours souffert d'une anxiété presque morbide et d'une hantise constante de
son irrémédiable solitude. Comment l'affirmer, alors que nous ne disposons pas d'autre
témoignage sur la psychologie de Catulle, en définitive, que celui de son œuvre poétique, si
contrastée, si élaborée pour complaire au goût du jour?
CATULLE LU: SIMPLE FRONDE OU PESSIMISME SANS MERCI? 339

1970, p. 125 sq., entre ce refrain désespéré de LU et la non moins pessimiste


strophe finale de LI:
Otium, Catulle, tibi molestum est;
otio exultas nimiumque gestis.
Otium et reges prius et beatas
perdidit urbes.

pour laquelle nous proposons la traduction suivante:


« L'oisiveté, Catulle, ne te vaut rien; l'oisiveté te jette dans trop de
transports et d'exaltations! L'oisiveté n'a-t-elle pas, avant toi, perdu jusqu'à
des rois? jusqu'à de florissantes cités? ».
Comme l'a finement perçu H. Bardon, la leçon du forum a rejoint
celle de la vie sentimentale: le negotium ne vaut pas mieux que Votium.
Nous irons même, en un sens, plus loin que Bardon quand il déclare:
« Entre l'avilissement par la vie active et la douleur personnelle, Catulle
a choisi la douleur, c'est-à-dire l'emmurement » (op. laud., p. 126). Nous
croyons que, du moins quand il écrivit le c. LU, Catulle ne choisit plus
et qu'il était alors - cela dura-t-il? nul ne saurait le dire - doublement
déçu par son expérience de l'amour et par le spectacle d'une vie politique
à laquelle il ne fut, semble-t-il, jamais tenté de participer d'une autre manière
que par un engagement - lui-même si décevant! - dans la cohors bithynienne
de Memmius. Il n'apercevait plus d'autre solution que de quitter cette vie,
et le destin ne devait point trop tarder à l'exaucer.
MICHEL GRAS

LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE:


MYTHE OU RÉALITÉ?*

Devant le dossier de la question des Tyrrhéniens de l'Egée, on a un


peu l'impression de se trouver devant la boîte de Pandore. C'est dire que
l'on hésite à l'ouvrir de crainte d'en faire sortir de vieux démons mal exorcisés.
Disons-le tout net: le thème a été « empoisonné » par toute une série
de préoccupations qui ont eu les faveurs de la recherche pendant longtemps.
Lorsqu'on parlait du problème tyrrhénien, c'était pour l'utiliser dans une
démonstration relative à l'origine des Etrusques. Non pas que les deux
domaines soient complètement étrangers l'un à l'autre: mais les mêler syst
ématiquement c'était dénier à la question tyrrhénienne son importance histori
que propre et, par là même, se condamner à ne pas la saisir dans toute
son ampleur.
L'ambition de cette étude est pourtant limitée: il ne s'agit pas de tenter
d'appréhender le phénomène dans toutes ses dimensions; en particulier, le
problème de la tradition pélasgique ne sera pratiquement pas abordé. Le
lecteur sera de même déçu s'il cherche, au terme de ce travail, conclusions
et certitudes car il n'y trouvera qu'hypothèses et suggestions. Mais il a semblé
utile de tenter de donner un éclairage nouveau à de vieilles questions et
de poser de nouvelles interrogations. La démarche est fort simple: refaire
d'abord le bilan de ce que l'archéologie et les textes nous apprennent sur
la question, avant d'essayer d'analyser les problèmes qui en surgissent. Mais
ceci suppose une intention délibérée dès le départ: étudier ensemble des
sources archéologiques relatives aux Etrusques et des témoignages littéraires
parlant des « Tyrrhéniens ». Non pas que, a priori, nous considérions qu'il
s'agit là d'une seule et même réalité historique. Mais, en refusant d'étudier
ensemble ces deux types de sources on a, selon nous, établi un a priori
en sens inverse.

* Les abréviations sont celles de l'Année Philologique.


342 MICHEL GRAS

Je voudrais d'abord revenir, après beaucoup d'autres, sur deux épisodes


qui mettent en scène les pirates tyrrhéniens de l'Egée.
Commençons par le récit de l'enlèvement de Dionysos: les principaux
renseignements proviennent de trois textes: une allusion d'Euripide et deux
longs passages de l'Hymne homérique à Dionysos et d'Ovide1. La scène
se passe à proximité de Chios et le dieu désire se rendre à Naxos. On
connaît la suite: enlevé par les pirates, le dieu manifeste sa puissance en
se déliant de ses entraves et en enveloppant le mât et les rames du navire
de pampres et de lierres; finalement, pour échapper à la colère de Dionysos
qui s'est transformé en lion, les Tyrrhéniens se jettent à la mer où ils sont
changés en dauphins.
Le thème était célèbre dès l'Antiquité: il était représenté souvent sur
des monuments, des bijoux ou des vases 2. Il devait également être à l'origine
de la cérémonie qui se déroulait à Smyrne en l'honneur du dieu: on pro
menait une trirème pour commémorer une victoire navale sur les gens de
Chios remportée grâce à l'aide de Dionysos3.
La seconde scène se situe à Samos et concerne la statue d'Héra: c'est
l'histoire bien connue que rapporte Athénée4: les pirates tyrrhéniens sont
soudoyés par les Argiens pour enlever le βρέτας d'Héra. Mais la déesse
empêche le navire de repartir jusqu'à ce que sa statue soit déposée sur le

1 Euripide, Le Cyclope, v. 11-14; Hymne à Dionysos, v. 1-59; Ovide, Métamorphoses,


v. 564-691, cf. aussi Apollod, III, 5, 3; Hyg. Fab., 134; Servius ad Aen., I, 67; Nonnus, Dionys.,
XLV, 105 sq. Sur l'Hymne cf. G. Patroni, L'inno omerico VI a Dioniso, Athenaeum, η. s. 26,
1-2, 1948, p. 65-75 et L. Pareti, Le origini etnische, 1926, p. 41-46. Je ne développerai pas
ici la question de la localisation du rapt au cap Malée, ayant l'intention d'y consacrer une
étude particulière.
2 Sur la frise du monument de Lysicrate à Athènes, cf. Lenormant, s.v. Bacchus in
Daremberg-Saglio, p. 611; sur une plaque d'or: cf. J. de Witte, Dionysus et Silène, Gazette
archéologique, 1875, p. 5-13; sur un lécythe attique: cf. C. H. E. Haspels, Attic Black Figured
Lekythoi, p. 173 et pi. 150 pour ne citer que ces trois exemples. Sur la métamorphose en
dauphins, cf. J. Dumont, Les dauphins d'Apollon, dans Quaderni di storia, I, 1, 1975, p. 57-86:
le dauphin est ami de l'homme car c'est un pirate repenti. On sait par ailleurs que les écrivains
qualifient parfois le dauphin de tyrrhenus piscus: Senèque, Agam., 449; Stace, Achilléide,
I, 56; Val. Flacc, Argon., 130.
3 Lenormant, op. cit., p. 612.
4 Athénée, Deipn. XV, 672, b-e, d'après la tradition recueillie par Ménodotos de Samos
(IIIe siècle av. J.-C). Sur cet épisode, cf. R. Bloch, Héra, Uni, Junon en Italie centrale, dans CRAI,
avril-juin 1972, part. p. 386-389 (et les observations de J. Heurgon, ibid., p. 395-396).
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 343

rivage où elle sera retrouvée et fêtée par les barbares cariens puis par
la prêtresse du sanctuaire.
Avant d'aller plus loin, il semble nécessaire de faire un certain nombre
de remarques sur ces deux épisodes:
- à l'arrière-plan du récit d'Athénée se profile une rivalité de
sanctuaires: Argos et Samos étaient les deux principaux endroits où se
célébrait le culte d'Héra. Ce sont les Argiens qui organisent le rapt de la
statue de Samos et les Tyrrhéniens ne sont que des mercenaires; mais, selon
Pausanias5, PHéraion de Samos avait été fondé par les Argonautes qui y
avaient amené la statue d'Argos: il s'agit là, manifestement, d'une version
argienne des rapports entre les deux sanctuaires qui s'oppose à la version
samienne de Ménodotos, laquelle rappelait en outre qu'Admète s'était enfuie
d'Argos pour se réfugier à Samos6;
- entre le thème de l'enlèvement de Dionysos et celui du rapt de
la statue d'Héra, il y a des imbrications évidentes. Les deux divinités con
cernées sont traditionnellement opposées dans le panthéon grec et Euripide
dit nettement que c'est Héra qui pousse les Tyrrhéniens à enlever Dionysos 7.
A Chios comme à Samos, les pirates tyrrhéniens apparaissent donc comme
étant à la solde de PHéra argienne;
- par ailleurs, la structure des deux récits est très voisine: une
déesse suscite un enlèvement qui échoue; l'échec se traduit dans les deux
cas par la victoire de l'immobilisme sur le mouvement: le navire qui emmène
Dionysos ne peut plus avancer, de même que celui qui emporte la statue
d'Héra: les rames sont, ici et là, neutralisées. Enfin, la victoire de la divinité
se marque par la prolifération de liens: liens autour du mât et des rames
(lierres et pampres) pour Dionysos, liens autour du βρέτας délivré par les
Cariens (branches de gattilier) et célébration des Toneia.

Faire à présent le bilan des témoignages archéologiques étrusques en


Méditerranée orientale et, plus particulièrement, en mer Egée, n'est apparem
ment pas chose nouvelle. Jacobsthal et Neuffer en 1933, P. Courbin en 1953,
Shefton puis F. Villard en 1962 ont déjà dressé des listes des tessons de
céramique étrusque 8. Il est ici question, non seulement de faire un aggiorna-

5 Pausanias, VII, 4-4.


6 M. P. Nilsson, Griechische feste, Leipzig, 1906, p. 30, signale que la mention d'Argos
est surtout le fait du plus grand renom du culte argien d'Héra.
7 Euripide, op. cit.
8 P. Jacobsthal-J. Neuffer, Gallia Graeca. Recherches sur l'hellénisation de la Provence,
Préhistoire, II, 1, 1933, p. 44-48; B. B. Shefton, Perachora, The Sanctuaries of Hera Akraia
344 MICHEL GRAS

mento de ces listes mais de ne pas se limiter à la céramique et d'envisager


très rapidement la question des bronzes et des ivoires, tout en se cantonnant
strictement dans la période archaïque 9. Par ailleurs, il paraît nécessaire de
s'attarder sur le commentaire de ce bilan étant donné que les études
antérieures étaient conçues comme des excursus par leurs auteurs.

La céramique

De l'Ouest vers l'Est, les régions et les sites où l'on a recueilli du


bucchero étrusque sont les suivants:

Dalmatie: un canthare provient de Vis (Lissa) où il est conservé dans


la collection municipale. H = 9 cm (14 avec les anses), diamètre
(bord) = 15,6 cm. Il est en bucchero déjà « pesante », d'un type classique,
sans décor, avec un ressaut à dentelures. La datation doit se situer vers
550 avant J.-C. 10.

Corfou: un canthare de type classique avec un ressaut à dentelures


et sans décor n.
Ithaque: quatre fragments d'anses d'un canthare 12.
Tocra: une anse de canthare du début VIe 13.

and Limenia. Excavations of the British School at Athens 1930-1933, II. Pottery, ivories,
scarabs and other objects from the votive deposit of Hera Limenia, Oxford, 1962, p. 386,
note 1; F. Villard, Les canthares de bucchero et la chronologie du commerce étrusque
d'exportation, dans Hommages A. Grenier, III, 1962, p. 1626 note 1; P. Courbin, Les origines du
canthare attique archaïque, dans BCH, 1953, p. 342. Dans notre article comme dans les études
précédentes, les listes sont établies d'après les publications en attendant un contrôle direct du
matériel que nous espérons pouvoir faire prochainement.
9 On n'envisagera absolument pas, par exemple, la question des trouvailles de bronzes
étrusques en mer Noire, aux Ve et IVe siècles, car le contexte historique est alors tout autre.
Sur ce fait, on renverra surtout à l'étude de St. Boucher, Trajets terrestres du commerce
étrusque aux Ve et IVe siècles av. J.-C, dans RA, 1973/1, p. 79-96.
10 M. Nikolanci, Importations archaïques (grecques) en Dalmatie, Vjesnik... (Bulletin
d'archéologie et d'histoire dalmates), 68, 1966, p. 117, n° 12 (et pi. XVIII-3).
11 AD, Chronika, 23, 1968, p. 314 (et pi. 255).
12 V. A. Heurtley-M. Robertson, Excavations in Ithaca, V: The geometric and later finds
from Aetos, dans ABSA, 43, 1948, p. 103, n° 601 (et pi. 45).
13 J. Boardman-J. Hayes, Excavations at Tocra, 1963-1965, The archaic deposits II and
later deposits, Oxford, 1973, n° 2246 (et pi. 31).
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 345

Corinthe: une trentaine de fragments, dont vingt-huit appartenant à


des canthares 14. Deux tessons posent des problèmes en raison de leur
forme (bol? plat?), de leur technique (impasto ou bucchero?) et de leur
datation (VIIe siècle?). L'ensemble des trouvailles est à situer entre 600
et 560/550. Certains tessons portent des graffiti 15.

Pérachora: environ vingt fragments d'anses de canthares, neuf fra


gments de pied. A signaler un bord fragmentaire de canthare (en deux
morceaux) avec deux lignes incisées sous le bord et portant une inscription
rétrograde: Νέαρ[χος άν]έΰεκε (η° 4126). Un autre fragment présente quatre lignes
incisées sous le bord et une frise d'éventails horizontaux à demi fermés (il s'agit
peut-être d'un calice) (n° 4122). Le n° 4123 est semblable mais de plus petite
taille et avec seulement deux lignes incisées. Le n° 4127 est un bord de
kylix avec un éventail horizontal et fermé. Le n° 4129 est un pied d'œnochoè
et le n° 4130 un col d'œnochoè ou d'olpè 16.

Athènes: peu de choses, certaines confusions avec le bucchero gris


d'Asie Mineure ayant été démasquées. En plus d'un tesson à décor d'éventail
provenant de l'Acropole et d'un fragment de canthare de l'Agora 17,
on signalera une identification douteuse dans une publication récente:
les nos 97 et 98 publiés par Sparkes-Talcott dans Agora XII ressem
blentfort, au premier coup d'œil, à des œnochoès étrusques du VIe siècle
en bucchero pesante. Mais il faudrait une vérification précise. Les indications
données dans le texte confirment les doutes 18.

14 L'ensemble a été récemment publié: J. Macintosh, Etruscan Bucchero Pottery Imports


in Corinth, Hesperia, 43, 1974, 34-45 avec référence aux anciennes études de C. G. Boulter,
AJ A, 41, 1937, p. 235, nos 54-55 (et fig. 38) et de S. S. Weinberg, Corinth VII, 1, 1943, p. 71,
nos 310 et 311 (et pi. 37) et Hesperia, 17, 1948, p. 227, n° D 68 (et pi. 83).
15 J. Macintosh, op. cit., p. 42.
16 B. B. Shefton, op. cit., p. 385-6 (nos 4118 à 4130) et pi. 150, 160, 161. Pour les
commentaires et les comparaisons, cf. infra.; cf. aussi H. G. G. Payne, JHS, 1931, p. 191 et
1932, p. 242.
17 Pour le tesson de l'Acropole, cf. Boehlau, JDAI, XV, 1900, p. 183 note 74 - E. Pfuhl,
Malerei und Zeichnung der Griechen, 1923, I, p. 154 - J. Jacobsthal-E. Neuffer, op. cit., p. 45 -
B. B. Shefton, op. cit., p. 386 note I. Pour le tesson de l'Agora (P23454), cf. Β. Β. Shefton,
op. cit. et E. T. H. Brann, The Athenian Agora Vili: Late Geometrie and Protoattic Pottery,
1962, n° 659, p. 106 et pi. 41 (carène fragmentaire d'un canthare avec ressaut à encoches).
18 B. A. Sparkes et L. Talcott, The Athenian Agora XII, Black and plain pottery of the
6th, 5th and 4th centuries BC, 1970, p. 59 nos 97 et 98 (et pi. 5). Les deux œnochoès pro-
346 MICHEL GRAS

Naxos: un seul tesson déjà signalé par Shefton d'après la publication


de Buschor19. Il s'agit d'un fragment de panse de calice (ou de canthare)
avec deux éventails verticaux et à demi fermés. Comme l'a fait remarquer
Shefton, il est publié à l'envers. Ce même tesson a été récemment associé
à des tessons mycéniens, sans indication particulière, par F. Schachermeyr 20.
Délos: un canthare de type classique. Trois lignes incisées près du bord.
Ressaut à dentelures. On ne tiendra pas compte du pied qui provient d'une
restauration mal faite (le pied originel devait être plus bas). Il y a également
d'autres fragments de canthares identiques21.
Rhénée(?): canthares (renseignement de Kunze transmis par Jacobsthal
et Neuffer) 22.

Chios: un canthare dont les anses manquent. H = 8,8 cm, diamètre =


14 cm. Boardman l'indique comme datant de la période IV du site (630-
600 av. J.-C). Mais il signale aussi une imitation de canthare de bucchero
étrusque dont il définit ainsi les caractéristiques techniques: « poorer foreign
ware », « brown paint over slip, inside and outside »; cela ne l'étonné pas car
« it appears that the bucchero kantharos shape was imitated in others parts
of the Greek world also in the sixth century » 23. La photographie ne permet
pas de discuter ce jugement: néanmoins, il semble que nous soyons en présence
d'un type de céramique proche de celle que F. Villard a appelé « bucchero
ionien », que l'on retrouve à Rhodes et à Mégara Hyblaea en particulier;
la forme du canthare y est très représentée 24.

viennent du même dépôt et « may share a single non-Attic origin . . . the glaze is firm, but
thick and dull by comparison with Attic». Les auteurs avancent prudemment une possible
origine laconienne. On notera que le n° 98 a le pied et le bas de la panse gris et non noir.
S'agit-il d'une négligence comme le disent Sparkes et Talcott? Est-on sûr que le vernis est
antique? (ne serait-ce pas un repeint récent sur l'épiderme gris de certaines œnochoés de
bucchero?).
19 E. Buschor, Kykladisches, dans MDAI (A), 54, 1929, p. 155-156 (et fig. 8 au milieu à droite).
20 F. Schachermeyr, Forschungsbericht zur ägäischen Frühzeit, AA, 1974-1, p. 27-28
(et fig. 47).
21 Ch. Dugas, Délos XVII, Les vases orientalisants de style non mélien, 1935, p. 75
(et pi. L n° 1).
22 P. Jacobsthal-J. Neuffer, op. cit., p. 48. Objets se trouvant à Mykonos. Mais ne s'agit-il
pas d'une confusion avec les canthares de Délos cités supra? (cf. F. Villard, op. cit.).
23 J. Boardman, Excavations in Chios 1952-1955. Greek Emporio, Oxford, 1967, p. 119,
n° 216, pi. 32 et p. 137, n° 480, pi. 43.
24 Sur cette question, je renvoie aux observations que j'ai faites ailleurs: MEFRA, 1974,
1, p. 94-96. Je me propose de revenir prochainement sur ce problème.
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 347

Samos: les fouilles anciennes avaient permis de recueillir la partie


inférieure d'un canthare (pied « en trompette » et ressaut décoré de dente
lures) 25. Mais les recherches de 1963-1964 ont fourni un matériel plus
abondant: vingt trois fragments publiés par H. P. Isler 26: il y a des canthares
surtout, parfois à anses bilobées, mais aussi des kyathoi et des ky likes;
le décor existe: lignes incisées, droites ou brisées, frises d'éventails.
Rhodes (?): il faut être ici particulièrement prudent dans l'attente d'un
contrôle direct du matériel. On trouvera de nombreuses références dans
Shefton: mais les confusions avec le bucchero ionien à pâte rougeâtre sont
toujours possibles. On prendra un seul exemple: le canthare publié par Jacopi
en 1929 27 est-il de fabrication étrusque (sa couleur rougeâtre est-elle due à
l'action d'un feu secondaire?)? Il semble toutefois que Rhodes ait fourni du
bucchero étrusque28.
Naucratis(?): la situation est encore plus confuse que pour Rhodes
et la forme du canthare ne semble pas représentée29.

25 W. Technau, Griechische Keramik im Samischen Heraion, dans MDAI (A), 54, 1929, p. 26-27
(fig. 20, n° 2). Il semble qu'il y ait eu d'autres fragments de bucchero étrusque, difficiles à identifier.
Mais je ne suis pas totalement la critique de Jacobsthal et Neuffer {op. cit. p. 48) sur les
confusions de Technau (cf. la pi. 28 de son article par exemple).
26 H. P. Isler, Etruskischer Bucchero aus dem Heraion von Samos, dans MDAI (A), 82, 1967,
p. 77-88 et pl. 39-42, avec le compte-rendu de H. Metzger, REG, 1970-1, p. 127 n° 95. Le
n° 1 de Isler est republié par G. Kopeke, Heraion von Samos. Die Kampagne 1961-1965
im Südtemenos (8-6 fahr.), dans MDAI (A), 83, 1968, p. 281, n° 91 (et pl. 110-1).
27 Pour l'ensemble des références sur Rhodes, cf. Β. Β. Shefton, op. eit, p. 386, note 1.
Pour le canthare, cf. G. Jacopi, Clara Rhodos III. Scavi nella necropoli di Ialisso, 1929, p. 24,
n° 6 (et fig. 6). Shefton (op. cit.) exprime des réserves sur le matériel du British Museum
signalé par Chr. Blinkenberg, Lindos, Fouilles de l'acropole, 1931, p. 276 (note). Les confusions
avec le bucchero grec sont certainement très fréquentes: ainsi K. F. Kinch, Vroulia, 1914, p. 152,
donne des détails techniques qui pourraient convenir aux canthares étrusques (surface mate
sous les anses).
28 En tout cas, on ne retiendra pas le calice signalé par Ed. Pottier, Vases antiques du
Louvre, 1897, A 396 (1) pl. 13. La provenance n'est pas sûre et l'origine étrusque encore
moins. Les poteries que signale encore Ed. Pottier, Les vases archaïques à reliefs dans les
pays grecs, dans BCH, 1888, p. 501, restent à identifier avec précision et certitude.
29 H. Prinz, Funde aus Naukratis. Beiträge zur Archäologie und Wirtschaftsgeschichte
des VII und VI Jahrunderts v. Chr. Geb., Leipzig, 1908, p. 57-63, fait uniquement allusion
à un bucchero de type grec. Cf. aussi E. A. Gardner, Naukratis, II, The Egypt Exploration
Fund VI, Londres, 1888, p. 38-53 passim.
348 MICHEL GRAS

Tarse (?): cette mention est également douteuse. H. Goldman a publié


huit tessons de bucchero (qu'il ne qualifie pas d'étrusque), appartenant à
une olpè ou à une œnochoè, et dont il se demande s'ils sont locaux ou
non. Tous ces fragments portent des lignes incisées verticales. On sera
prudent dans l'attente d'une vérification directe31.

Ras-el-Bassit (Syrie): en 1972, P. Courbin a recueilli le premier canthare


étrusque du Proche-Orient. Il était associé à une coupe rhodienne de la
fin du VIIe et à des fragments d'amphores rhodienne et laconienne. Il s'agit
du type classique, sans décor et à ressaut portant des encoches32.

Smyrne: selon un renseignement de Cook transmis par Shefton, un


canthare de bucchero étrusque a été recueilli à Vieille-Smyrne dans un
contexte du milieu du VIe33. Le Prof. Akurgal m'a récemment confirmé
la présence de deux canthares étrusques à Smyrne, ce dont je le remercie
vivement.

Daskyleion: sur ce site, près de Cyzique et au SE du lac de Manyas,


le Prof. Akurgal me signale quatre tessons d'une œnochoè étrusque (anse
bifide, embouchure trilobée, décor de lignes incisées sur le bas du col et
sur l'épaule).

Histria: Lambrino relève « un très beau fragment de bucchero noir


étrusque » et des « fragments de vases en bucchero grossier » provenant
du dépôt a situé « dans l'enceinte du temple Β à quelque distance d'une
chapelle votive ». Dans ce dépôt se trouvaient des amphores à la brosse,
des coupes ioniennes (à filets rouges et à bandes), des aryballes corinthiens
et des coupes de Droop34. On demeurera sceptique devant la faiblesse des
trouvailles de céramique étrusque en Mer Noire, en songeant que les diff
icultés d'approche de la bibliographie expliquent en partie, peut-être,
cette situation.

31 H. Goldman, Excavations at Gözlü Kule, Tarsus, III, the Iron Age, Princeton, 1963,
•p. 270 (n° 1269) et pi. 89; mention également de bucchero ρ 222, η° 757.
32 Ρ. Courbin, Ras-el-Bassit. Rapport sur la campagne de 1972, dans Les Annales Archéologi
ques Arabes Syriennes. Revue d'archéologie et d'histoire, 23, 1-2, 1973, p. 27 (et p. 32, fig. 7).
La fouille de 1974 a permis de recueillir un autre fragment de canthare (aimable renseignement
P. Courbin).
33 B. B. Shefton, op. cit., p. 386, note 1.
34 S. Lambrino, Les vases archaïques d'Histria, p. 360.
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 349

Les ivoires

Rhodes: trois petites plaques provenant de la tombe LXVIII de la


nécropole de Ialissos; elles devaient servir de revêtement pour un coffret
de bois. Elles sont décorées de motifs d'animaux: oiseaux, daim au repos et
Sirène 35.

Chypre: trois plaques également, proches des précédentes et de


dimensions comparables: 6,2 cm x 2,5 cm - 7,4 cm x 2,2 cm - 8,2 cm x 2,2 cm.
La première porte au revers un graffito (A) ainsi que la troisième (U )·
Motifs animaliers comme à Rhodes (quadrupèdes: lièvres et chiens). Elles
appartiennent peut-être toutes trois au même coffret. Y. Huis reconnaît que
le prototype des coffrets en ivoire polychrome est originaire de Chypre mais
elle n'hésite pas, néanmoins, à faire de ces trois plaquettes des importations
d'Etrurie 36.

Les bronzes

Le problème est ici particulièrement complexe dans la mesure où les


questions d'attribution et de datation sont encore confuses. A. Hus vient
de rappeler à quel point il était parfois difficile, pour l'archaïsme, de ne pas
confrondre certaines pièces étrusques avec des objets grecs37, ce qui l'a
amené à écrire: «On pourra refuser le qualificatif d'étrusque à tout bronze

35 L'attribution à l'Etrurie de ces plaquettes est confirmée par Y. Huis, Ivoires d'Etrurie,
1957, p. 193. Leur publication est due à A. Maiuri, Ialissos, dans ASAA, 6-7, 1926, p. 322-323,
n° 9 (et fig. 216a,b,c). Mesures maximales du coffret: 6,3 cm x 2,3 cm.
36 Y. Huis, op. cit. d'après la publication (sans photographies malheureusement) de
L. Pollak, Archaische Elfenbeinreliefs, dans MUAI (R), 21, 1906, p. 318 (n05 XII, XIII, XIV). On
commence également à prendre conscience de l'importance de la diffusion d'objets étrusques
en os ou ivoire dans l'Occident méditerranéen: ainsi à Ruvo di Puglia (Y. Huis, op. cit.,
p. 193), à Carthage (fameuse plaquette avec inscription: cf. surtout E. Benveniste, SE, VII,
1933, p. 245-249), à Ibiza, Baléares (cf. M. E. Aubet, Rivista di Studi Fenici, I, 1973, p. 59-68),
à Tharros (cf. M. L. Uberti et S. Moscati in Anecdota Tharrica, Rome, 1975, p. 102 n° D6,
pi. XXXV et p. 132), à Nora (cf. G. Patroni, Mon. Ant, XIV, 1904, col. 202-204, fig. 19 et
M. E. Aubet, Studi Sardi, XXIII, 1974, p. 3-8 du tiré à part). Il ressort que cette exportation
se place aux VIe et Ve siècles (fin VIe pour l'objet de Carthage, début Ve pour celui d'Ibiza
et seconde moitié du Ve pour ceux de Nora). Il s'agit donc d'une phase commerciale postérieure
à celle représentée par le bucchero.
37 A. Hus, Les bronzes étrusques, 1975, part. p. 150.
350 MICHEL GRAS

trouvé en Yougoslavie, en Grèce ou en Orient » 38. Renvoyant pour l'ensemble


de la question à l'étude de Karo39 je me contenterai de signaler deux objets
dignes d'attirer l'attention.
Athènes: un fragment de trépied. Il s'agit de la partie supérieure à
l'endroit où les contreforts partis de deux pieds différents s'unissent par une
courbe. Le décor est constitué par quatre personnages dont l'identification
pose des problèmes: Hermès et une joueuse de flûte avec Dionysos et
Héphaïstos selon Savignoni, Héraclès et Iole selon De Ridder. M. Guarducci
penche pour la seconde hypothèse. S'agit-il d'une œuvre grecque ou étrusque?
Savignoni et Ducati étaient pour l'origine grecque, ce dernier considérant
même qu'il s'agissait d'une œuvre ionienne, inspiratrice des artistes de Vulci.
Pourtant l'attribution à l'Etrurie semble admise depuis Furtwängler ainsi
qu'une datation vers la fin du VIe siècle 40. A ce fragment est parfois rattaché
un autre, plus petit, représentant un Silène 41.
Delphes: j'attire à présent l'attention sur un petit bronze publié naguère
par Cl. Rolley. Il s'agit d'une femme debout, la tête recouverte d'un polos
proche du type rhodo-ionien. Le personnage, très rigide, est vêtu d'une longue
robe qui moule entièrement le corps. Les bras sont en position horizontale
et forment un demi-cercle ouvert vers l'avant; les mains sont tendues. A juste

38 A. Hus, op. cit., p. 152. Il reconnaît lui-même que «quelques bronzes étrusques ont
été exportés dans ces régions». Mais «ils se comptent sur les doigts de la main et une telle
rencontre serait exceptionnelle».
39 G. Karo, Etruskisches in Griechenland, dans AE, 1937, p. 316-320.
40 Ce bronze a été souvent étudié ou signalé: A. Furtwängler, Olympia, IV, 1890, p. 127;
A. De Ridder, Catalogue de bronzes trouvés sur l'Acropole d'Athènes, dans BEFAR, n° 74, 1896,
n° 760; Id., Un bronze chalcidien sur l'Acropole, dans BCH, 1896, p. 401-422; L. Savignoni, Di
un bronzetto arcaico dell'Acropoli di Atene e di una classe di triposi di tipo greco-orientali, dans
Monumenti Antichi, VII, 1897, p. 277-376 (part. 278-279); S. Reinach, Répertoire de la statuaire
grecque et romaine II, 1, 1897, p. 518, 7 (qui, à tort, le dit recueilli à Olympie); K. A. Neugebauer,
Die Bronzeindustrie von Vulci, dans JDA1 (AA), 38-39, 1923-1924, p. 302 et p. 310; P. Ducati,
Matrice per placchetta metallica di Vulci, dans Historia. Studi storici per l'antichità classica
(Milano), 1930, p. 466; G. Q. Giglioli, L'Arte Etrusco, 1935, p. 21-22 (pi. CII-2); M. Guarducci,
I bronzi di Vulci, dans SE, X, 1936, p. 16, p. 24-25, p. 49 note 5 et pi. VII-3; K. A. Neugebauer,
Archaische Vulcenter Bronzen, dans JO AI, 58, 1943, p. 231 (et fig. 20); G. Fischetti, / tripodi di
Vulci, dans SE, 18, 1944, p. 20, p. 24, p. 26 et pi. 1 (2); F. G. Lo Porto, VIIIe Convegno Toronto (1968),
:

1969, p. 189; A. Hus, Vulci étrusque et étrusco-romaine, 1971, p. 80.


41 Le rapprochement est dû à G. Fischetti, op. cit., p. 20-21. C'est le n° 763 de A. de Ridder,
Catalogue. Outre les études de Savignoni et Neugebauer (1923-24) cités supra, cf. P. J. Riis,
Acta Archeologia, X, 1939, p. 22, n° 2; A. G. Bather, The Bronze fragments of the Acropolis,
dans JHS, 1892, p. 239-240, le rattachait à Egine.
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 351

titre, Rolley a remarqué l'étrangeté de cet objet dans la production de


l'archaïsme grec. Il le date « objectivement » de la première moitié du
VIIe siècle 42.
Or, ce petit bronze me semble avoir quelque rapport avec le type des
« porteuses d'offrandes » défini et étudié par Balty 43. Le groupe se caractérise
par une rigidité et un immobilisme qui ne sont pas sans rappeler la tradition
de la statue-pilier. Quant à la position des bras, elle est proche de celle
qui invite à la prière funéraire. Par contre, le polos n'est pas représenté
dans les statuettes de ce groupe44.
Il ne serait pas étonnant de retrouver un de ces objets à Delphes car
leur diffusion a été importante, si l'on en juge par la découverte de deux
« porteuses d'offrandes » en Gaule 45. La datation proposée par Balty est
assez conciliable avec celle de Rolley et ferait songer à assigner à cette statue
une fabrication vers le milieu ou le troisième quart du VIIe siècle. Pourtant,
on ne perdra pas de vue que certains détails donnent à la statuette de
Delphes une originalité certaine par rapport au groupe de Balty (polos,
élargissement des hanches au niveau du bassin) 46.

42 Cl. Rolley, Fouilles de Delphes V, 1969, n° 174 (= Perdrizet n° 5) à qui je renvoie


pour une description précise de l'objet. Je remercie Cl. Rolley d'avoir lui-même attiré mon
attention sur cette figurine.
43 J.-Ch. Balty, Un centre de production de bronzes figurés de l'Etrurie septentrionale
(deuxième moitié du VIF - première moitié du VIe av. J.-C). Volterra ou Arezzo? dans BIBR,
33, 1961, p. 5 sq.; Id., Un centre de production de bronzes figurés de l'Etrurie septentrionale
Note additionnelle, dans BIBR, 37, 1965, p. 5-16.
44 Sur le geste de la prière funéraire en Grèce, et en Etrurie, cf. Ch. Picard, RHR, 1936,
p. 137-157; sur le polos, cf. les remarques de P. Demargne, Terres-cuites archaïques de Lato, dans
BCH, 1929, p. 390, note 2 et de S. Mollard Besques, Musée national du Louvre. Catalogue
raisonné des figurines et reliefs en terre-cuite grecs, étrusques et romains, Ι, Β 202, 203, 204.
45 A Thorigné-en-Charnie (Mayenne): cf. P. Terouanne-R. Boissel, Annales de Bretagne,
1, 1966, p. 187-190 et St. Boucher, Une aire de culture italo-celtique aux VIF-VF siècles av. J.-C, dans
MEFR, 1969, p. 38. Pour un objet de Volterra, cf. ead., Bronzes grecs, hellénistiques et étrusques
des Musées de Lyon, 1970, p. 71, n° 49.
46 Dans ce rappel du problème des bronzes étrusques en Grèce, je me limite aux deux
objets d'Athènes et de Delphes; je rappelle pourtant que l'on a parlé de fabrication étrusque
à propos d'une petite agrafe de Dodone représentant un dieu marin (Achéloos? Achéron?
Triton?); cf. C. Carapanos, Dodone et ses ruines, 1878, p. 32, n° 12 (et pi 13-2); T. J. Dunbabin,
The Western Greeks, 1948, p. 253, note 6; F. G. Lo Porto, op. cit., p. 189. Sur les petites
appliques représentant Achéloos, cf. M. Guarducci, op. cit., p. 25-26. L'origine étrusque ne me
semble pourtant pas décisive, non plus que celle du satyre ithyphallique dansant, également de
Dodone; J. de Witte, Satyre, bronze trouvé à Dodone, dans Gazette archéologique, 1877, p. 124-127
et pi. XX; C. Carapanos, p. 31, n° 1 et pi. 9). Sur le type du satyre dans les bronzes étrusques,
352 MICHEL GRAS

Au terme de cette raccolta de renseignements sur les Tyrrhéniens et


les Etrusques de l'Egée, arrêtons-nous sur le cas de Lemnos, qui est comme
le noyau de toutes les traditions relatives aux Tyrrhéniens. Dans le cadre
de cet article, il est bien entendu interdit de faire un état de la question:
la bibliographie est imposante et alourdirait inutilement le propos. On
s'efforcera également de ne pas déborder sur les questions des origines étrus
ques et des Pélasges, à l'inverse de la plupart de nos prédécesseurs: ce
faisant, on ne pense pas mutiler le sujet mais plutôt rendre le débat plus
clair et l'argumentation plus incisive. D'ailleurs, l'étude d'ensemble des tradi
tions sur les Tyrrhenes de Lemnos et des problèmes qui s'y rattachent a
permis la publication de travaux qui font date, tels ceux de Myres, Brandenstein,
Bérard, Pallottino, Hencken et Heurgon pour ne citer que les principaux
et les plus récents47. Les remarques qui vont suivre - et qui sont, dans

cf. A. Hus, Les bronzes étrusques, 1975, p. Ili et pi. 48. De toute façon cet objet n'est pas
antérieur au IVe siècle. Egalement tardif est, à coup sûr, le miroir étrusque qui semble provenir du Pélo
ponnèse, cf. K. D. Mylonas, AE, 1833, p. 249-254 et pi. 13 avec la classique scène de groupe à quatre
personnages (deux jeunes gens en tunique - les Dioscures? - encadrant une femme habillée
et une femme nue); cf. D. Rebuffat-Emmanuel, Le miroir étrusque, 1973, n° 35 et autres.
On remarquera que la place des bronzes n'est pas proportionnelle à la réputation dont
les bronzes étrusques jouissaient dans la Grèce classique, cf. Athénée, Deipn., XV, p. 700 et
I, 28b; Sophocle, Ajax, 17. Le trône d'Arimnestos offert au Zeus d'Olympie était également
célèbre (Pausanias, V, 12, 5). Pour Olympie, on rappellera simplement l'existence de quelques
boucliers en bronze (et d'un diadème d'argent) considérés comme étrusques: cf. en dernier
lieu I. Strom, Problems concerning the origin and early development of the Etruscan Orien
talizing Style, 1971, p. 40-41 (n° 81-84) et p. 75 et 202 avec bibliographie antérieure (remontant
à A. Furtwängler). Par ailleurs, H. Hencken, Syracuse, Etruria and the North: some comparisons,
AJA, 62, 1958, p. 266 rapproche deux plats publiés par A. Furtwängler (Olympia, IV, p. 94)
du type à rebord perlé dont l'origine est parfois étrusque (très nombreux exemplaires en Etrurie).
Un autre objet semblable est noté au Musée de Corfou.
On verra infra dans quel esprit je privilégie ici l'étude de la céramique par rapport à
celle des bronzes.
47 J. L. Myres, A history of the Pelasgian theory, dans JHS, XXVII, 1907, p. 170-225 (et en
part. p. 214 sq.); W. Brandenstein, s.v. Tyrrhener, dans RE VII A 2, 1909-1920 et VII A 3, 1921-1938;
J. Bérard, La question des origines étrusques, dans REA, LI, 1949, p. 201-245 (en part, l'appendice II:
Tyrrhenes de Lemnos, Tyrrhenes d'Etrurie et l'expédition de Miltiade, p. 224-245); id., Le mur
pélasgique de V Acropole et la date de la descente dorienne, Studies presented to D. M. Robinson,
1951, p. 135-159 (développement de CRAI, 1950, p. 117-121); Id., Philistins et Préhellènes,
dans RA, 37, 1951, p. 129-142; M. Pallottino, Nuovi studi sul problema delle origini etrusche
(Bilancio critico), dans SE, XXIX, 1961, p. 3-30 et Etruscologia, 6e édit. amplifiée, 1975, passim;
H. Hencken, The ancient traditions in Tarquinia, Villanovans and Early Etruscans, 1968,
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 353

un premier temps, surtout archéologiques - sont faites par rapport à ces


travaux qui seront supposés connus, ainsi que les sources qu'ils utilisent.
On sait que les Tyrrhenes ont été assimilés, dès l'Antiquité, avec les
Pélasges et que ces peuples ont, en particulier, occupé Lemnos jusqu'à
l'époque de la conquête de l'île par Miltiade à la fin du VIe siècle av. J.-C.
Ces Tyrrhènes-Pélasges ont eu, pendant plusieurs siècles, une existence
mouvementée, faisant des séjours, plus ou moins brefs, à Athènes (cons
truction du mur de l'Acropole, rapt des femmes de Brauron) et dans l'Italie
centrale (problème des relations avec les Aborigènes et question de la
fondation de Cortone). Mais leur domaine de prédilection est le bassin
septentrional de l'Egée (Lemnos, Imbros, Samothrace) ainsi que les terres
voisines de la Thessalie et enfin de la Thrace où ils se réfugient après
l'expédition de Miltiade.
Dès l'Antiquité, on s'est posé des questions sur l'origine et la nature
de ce peuple, sur les rapports Pélasges-Tyrrhéniens, sur l'existence et la
datation des migrations en Occident. On verra bientôt ce que l'on peut
penser de l'origine de la tradition littéraire relative à ces populations. Mais
on voudrait sans plus tarder émettre une série d'observations archéologiques
sur l'île de Lemnos.
Cette île, si souvent citée par les sources littéraires, se devait d'attirer
les archéologues qui pouvaient espérer retrouver ainsi l'explication de toutes
ses obscures traditions. Et ceci d'autant plus qu'en 1885, deux chercheurs
avaient découvert près du village de Kaminia une stèle représentant un
guerrier et portant deux inscriptions qui furent rapidement qualifiés
d'« étruscoïdes » 48. Au début du siècle l'allemand Fredrich réalisait une
série de sondages49; mais les recherches les plus importantes devaient être
conduites à partir de 1926 par l'Ecole Archéologique Italienne d'Athènes50.

II, p. 603-618; J. Heurgon, Le problème de l'origine des Etrusques in Rome et la Méditer


ranéeOccidentale jusqu'aux guerres puniques, 1969, p. 363-371. Récemment, synthèse de
L. Aigner Foresti, Tesi, ipotesi e considerazioni sull'origine degli Etruschi, Vienne. 1974.
48 G. Cousin-F. Durrbach, Bas-relief de Lemnos avec inscriptions, dans BCH, 1886, p. 1-6.
49 C. Fredrich, Lemnos, dans MDAI (A), 31, 1906, p. 60-86 et p. 241-255. Ce chercheur est
en outre l'auteur de l'article Lemnos dans RE XII, (1925), 1928-1930.
50 L. Bernabò Brea, s.v. Lemno, Enciclopedia dell'Arte Antica, p. 542-545. Sur les
fouilles italiennes, cf. les rapports dans JDAI (AA), 1927, p. 393-396; 1935, p. 234; 1936,
p. 154; 1937, p. 167; 1940, p. 288 et surtout le volume spécial de VASAA, 15-16, 1932-1933
rédigé par D. Mustilli, G. Caputo et M. Segre. Cf. aussi D. Mustilli, La necropoli dei «Pelasgi-
Tirreni» di Ef estia (Lemno), dans BPI, 43, 1933, p. 132-139; Id., L'occupazione ateniese di Lemno
e gli scavi di Hephaistia, Studi Ciaceri, 1940, p. ;149-159; Id., s.v. Efestia, dans EAA, p. 230-231;
A. Della Seta, Arte tirrenica di Lemno, dans AE,\ 1937, p. 629-654.
354 MICHEL GRAS

Evidemment, le problème qui se posait était de savoir si l'on allait trouver


à Lemnos du matériel comparable à celui connu en Etrurie, ce qui permett
rait de résoudre, pensaient certains, à la fois le problème de la stèle et
celui des origines étrusques.
Sur ce point, la déception fut grande mais la riche moisson d'objets
recueillis révélait une civilisation et un art originaux où l'on retrouvait à la
fois la tradition du géométrique grec et de l'art créto-mycénien 51. En utilisant
les comptes-rendus de fouilles on se rend bien compte que l'attention des
fouilleurs était en éveil dès qu'un élément présentait des affinités techniques
ou typologiques avec le matériel de l'Italie centrale. Mais cette attention a
été souvent mal utilisée dans la mesure où les chercheurs n'ont pas échappé
au piège qui s'offrait à eux: celui de se borner à distinguer le bucchero
étrusque du bucchero grec (éolien, lesbien, etc.). Ils ont effectivement bien
réussi à éviter la confusion et plusieurs pages de Mustilli sont pleines de
remarques fines et précises à ce sujet.
Mais ce faisant, Mustilli, comme Pettazzoni avant lui, oubliait l'essentiel,
à savoir le cadre chronologique. Certes, il n'y avait pas de bucchero étrusque
dans la nécropole d'Efestia. mais il ne pouvait pas y en avoir pour la
bonne raison que la nécropole était datable des VIIIe et VIIe siècles et que le
bucchero n'a jamais été diffusé avant le dernier tiers (et encore) du
VIIe siècle. Dans les recherches allemandes puis italiennes, le VIe siècle
n'était absolument pas représenté (mais la stèle de Kaminia précédemment
trouvée, était, elle, du VIe siècle, nous y reviendrons) sinon dans son extrême
fin, au moment de la conquête athénienne52. Pourtant, dira-t-on, il y avait
dans cette nécropole du bucchero grec qui, en Occident, est toujours re
cueilli dans des niveaux du VIe siècle avec parfois, en contexte, du bucchero
étrusque: on se souviendra que l'on est à Lemnos, donc à proximité des
centres de fabrication de cette céramique grise qui n'a été exportée qu'au
VIe siècle dans le cadre de la colonisation « phocéenne » mais qui semble
bien être en usage pendant tout le VIIe siècle à Lesbos53 (pour ne citer
qu'un exemple).

51 R. Pettazzoni, Zerona. Contributo alla questione degli Etruschi, dans RAL, 17, 1908, p. 658,
avait déjà exprimé sa déception après les fouilles de Fredrich: ni inscriptions ni céramiques
étrusques!
52 On objectera que les fouilles italiennes ont permis de recueillir d'autres inscriptions
fragmentaires proches de celle de Lemnos, cf. A. Della Seta, Iscrizioni tirreniche di Lemno, dans
Scritti in onore di B.- Nogara, 1937, p. 119-145. Mais elles ont été retrouvées non dans la
nécropole, mais dans une des rares structures d'habitat fouillées à Efestia.
53 W. Lamb, Grey wares from Lesbos, dans JHS, 52, 1932, p. 1-12. Cette céramique a même
une longue tradition derrière elle, depuis l'âge du bronze (cf. les fouilles américaines à Troie).
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 355

D'ailleurs, l'étude du matériel importé aurait dû mettre les fouilleurs


sur la voie: il n'y a que des vases protocorinthiens subgéométriques (entre
autres des aryballes pirif ormes) et de type corinthien ancien: rien, à lire
les publications, qui descende au-delà de 620-600 54. Or, il est aujourd'hui
bien connu qu'en Occident le bucchero étrusque se retrouve le plus souvent
avec du corinthien moyen (voire récent), du laconien, des coupes ioniennes,
toutes catégories qui sont absolument absentes, et pour cause, de la nécropole
d'Efestia. Il ne faut donc pas dire ni écrire comme on l'a fait parfois, que
Lemnos est à l'écart du monde grec au VIIe siècle: la présence de la céramique
de Corinthe est là pour infirmer une semblable thèse. Mieux, il se peut
même que l'on ait retrouvé une imitation locale d'aryballe corinthien ancien
(forme 66 de Mustilli).
C'est dans ces conditions qu'il faut, à notre avis, reposer le problème
de la stèle de Lemnos. Notre ambition, dans ce domaine, sera extrêmement
modeste. Il n'est pas question d'étudier l'écriture et la langue de ces inscrip
tionsmais de faire simplement quelques observations d'ordre externe sur
cette stèle pour laquelle a déjà coulé beaucoup d'encre55.

Rappelons tout d'abord deux faits aujourd'hui bien établis:


- les inscriptions de la stèle de Kaminia ont été gravées sur place.
Les découvreurs ont tout de suite fait remarquer que le lieu de la découverte
« est situé à une heure et demie du rivage le plus proche; cet éloignement
et le poids de la pierre empêchent de supposer qu'elle ait été transportée
d'un autre point en cet endroit » 56;
- certaines des inscriptions sur vase retrouvées en 1928 à Ef estia
ont été gravées avant cuisson ce qui confirme que la langue de ces inscrip
tionsétait celle qui était parlée dans l'île au VIe siècle.

Ceci dit, l'élément essentiel nous semble être le suivant: on connaît


mal, pour l'instant, le contexte archéologique de la stèle de Kaminia.

54 Cf. D. Mustilli, ASAA, 15-16, 1932-1933, tombes CXIV, CCII, B/XLVI nos 12, 28, 31,
32, 33; tombe B/XLVII, nos 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53. Cependant il n'y a pas non plus
de céramique étrusque à Troie où les importations grecques du VIe existent: cf. Troy IV,
1958 (settlement VIII).
55 Sans revenir sur les travaux de A. Trombetti (1928), G. Buonamici (1932), P. Ducati
(1938) et U. Coli (1947), je renvoie aux deux titres les plus récents: H. Rix, Eine morpho-
syntaktische Übereinstimmung zwischen Etruskisch und Lemnisch: die Datierungsformel, dans
Gedenkschrift für W. Brandenstein, Innsbruck 1968, p. 213-222, et M. Cristofani, Introduzione
allo studio dell'etrusco, 1973, p. 103-106.
56 BCH, 1886, p. 2.
356 MICHEL GRAS

Par ailleurs, en liant de façon trop exclusive la question de la stèle à celle


des origines étrusques, on se condamne à ne pas pouvoir comprendre par
qui cette inscription a été gravée au cours du VIe siècle; la parenté linguisti
que entre le lemnien et l'étrusque, même si elle existe, n'enrichit pas notre
connaissance de la Lemnos archaïque (qui, seule, nous concerne dans le cadre
de ce travail).
Délaissant à présent le problème du VIe siècle à Lemnos, essayons de
poser pour le matériel du VIIIe et du VIIe siècle les questions que Mustilli
posait pour le bucchero étrusque. En d'autres termes, est-ce que la céramique
recueillie dans la nécropole d'Efestia a quelque chose à faire avec les pro
ductions contemporaines de l'Italie centrale? Disons tout de suite que les
résultats de notre recherche sont minces mais quelques éléments doivent
être soulignés:
1. Les formes 68 et 69 de Mustilli, c'est-à-dire les vases doubles ou
triples, parfois vulgairement appelés «salières», sont, comme l'avait noté
l'archéologue italien, « molto frequenti in Italia » 57. Ceux de Lemnos sont
en argile grossière grise ou rouge. Mais comme ce type de vase a eu une
très grande diffusion, il serait imprudent d'attacher trop d'importance à ce
qui n'est peut-être qu'une coïncidence.
2. Le problème du canthare: deux types de canthares sont publiés par
Mustilli. Quelques exemples:
- tombe B/XXXVI n° 1 et tombe B/XXXIX n° 1; fond plat ou
annulaire semble-t-il; ressaut sensible entre le haut et le bas de la vasque;
décoration de tradition géométrique;
- tombe B/X n° 27: pied intermédiaire entre le type « à tige » et
le type «en trompette»; vasque régulièrement convexe; décor de points et
de méandres.
Si nous mentionnons ces canthares c'est afin de montrer clairement
qu'il ne saurait y avoir une dérivation quelconque entre ces types de
canthares et le canthare étrusque. Nous avons, à Lemnos, d'une part le type
mycénien ou de tradition mycénienne (B/X n° 27 est dérivé du type 262
de Furumark) 58 et d'autre part le type géométrique grec qui n'a jamais de
pied évasé. Or P. Courbin a bien montré comment le canthare géométrique

57 ASAA, 15-16, 1932-1933, p. 169 et pi. XI.


58 A. Furumark, The Mycenaean Pottery. Analysis and classification, Stockolm,
1941 (1972).
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 357

et le canthare étrusque étaient deux formes totalement indépendantes l'une


de l'autre, la « révolution » causée par l'apparition du canthare attique
archaïque s'expliquant par la substitution de l'influence étrusque à une tradi
tion géométrique qui aurait semblé plus logique 59.
Mais deux autres points apportent une contribution plus positive à
notre enquête:
3. Les urnes biconiques: la forme 4 de Mustilli est extrêmement fr
équente dans la nécropole d'Efestia. Evidemment, on songe spontanément aux
urnes villanoviennes. Cependant Mustilli a souligné qu'il s'agit ici de vases
faits au tour et que donc l'aspect biconique est beaucoup plus volontaire
que pour les premiers vases villanoviens. L'argile des vases de Lemnos est
fine et de couleur rouge.
4. La forme 14 de Mustilli ne laisse, par contre, aucun doute: il s'agit
d'un calice sur un pied en trompette légèrement surélevé. Je me sépare
nettement sur ce point des explications fournies par Mustilli. L'Orient et les
coupes ioniennes n'ont que peu de choses à faire avec ce calice. Bien sûr,
Mustilli a évoqué la parenté avec les calices de bucchero étrusque mais
il a cherché à l'expliquer par des intermédiaires orientaux en métal ou
en ivoire (et leurs dérivés étrusques). En ce qui concerne cette forme 14,
il me semble beaucoup plus probant de faire un rapprochement avec les
calides Rimpasto du monde italique et particulièrement du Latium, forme
qui appartient à la période IV de Gierow et qui peut donc remonter au
troisième quart du VIIe siècle au moins60.
Par conséquent, bien que le géométrique phrygien et lydien et la
céramique caractéristique de la Lemnos archaïque n'aient rien à voir avec
les productions italiques, on ne peut pas dire qu'il n'y ait rien à Lemnos
qui ne rappelle l'Occident et, plus particulièrement, le monde villanovien.

59 P. Courbin, Les origines du canthare attique archaïque, dans BCH, 1953, p. 322-345. On
rapprochera les deux canthares de tradition géométrique cités des exemplaires étudiés par
J. N. Coldstream, Greek geometric pottery, Londres, 1968, pi. 15/0 (Kerameikos 320) et pi. 61/h
(Oxford), celui-ci rhodien, celui-là attique et tous deux datables autour de 700. Sur l'importance
de la tradition mycénienne dans la céramique de Lemnos, cf. les études citées supra. Le même
phénomène a récemment été observé à Samos, cf. H. Walter, Santos V. Frühe samische Gefässe,
Bonn, 1968.
60 P. G. Gierow, The iron age culture of Latium, Lund, 1966, II 1, p. 175, fig. 102,
n° 2. Type également fréquent à Rome: E. Gerstadt, Early Rome, III, p. 152, fig. 97, etc.
Un calice de forme voisine provient de Lesbos où il est, également, totalement isolé: W. Lamb,
Excavations at Thermi in Lesbos, 1936, pi. XVIII.
358 MICHEL GRAS

Mais dans la mesure où de rares objets d'influence, de tradition ou, plutôt,


de type villanovien sont présents à Lemnos, c'est en terme d'influences
commerciales et non d'origine commune que se pose le problème. Une telle
idée, naguère, aurait pu faire sourire: mais on commence aujourd'hui à ne
plus considérer le monde villanovien comme un milieu fermé, vivant en
autarcie et absolument étranger au commerce maritime. Ce fut le mérite
de M. Pallottino que d'insister sur le dynamisme de l'Italie villanovienne et
les recherches les plus récentes, notamment en Sicile, semblent vouloir lui
donner raison 61. En sens contraire, on a parfois tenté de montrer que les
influences orientales ne sont pas complètement absentes du répertoire
villanovien, en particulier dans le domaine de la sculpture des stèles62.
Or, on sait maintenant que des contacts ont eu lieu au VIIIe siècle
entre le monde égéen et l'Occident. D'abord, bien sûr, au moment des
premiers arrivages de colons grecs à Pithécusses, mais aussi auparavant:
c'est tout le problème de la « précolonisation » que les recherches récentes
remettent à l'ordre du jour63. Surtout, on n'a jamais suffisamment souligné
que le « choc en retour » existait: il y a en Eubée un bouclier villanovien
du VIIIe siècle et aussi une tasse d'origine italique qui remonte au

61 Par exemple M. Pallottino, Etruscologia, op. cit., p. 124-125 ou Vili" Convegno


Taranto (1968), 1969, p. 43. Mais le contraste entre le troc villanovien et le commerce étrusque
est encore souligné par A. Hus, Les bronzes étrusques, 1975, p. 65.
62 L. Polacco, Rapporti artistici di tre sculture villanoviane di Bologna, dans SE, 21, 1950-
1951, p. 59-105 est particulièrement sensible aux «confronti che tutte le tre pietre bolognesi
trovano in monumenti dell'arte siro-ittita» (p. 95).
63 Depuis la position sceptique de G. Vallet, Rhégion et Zancle, 1958, part. p. 44 (et
p. 15-46), nouvelles trouvailles en Etrurie (Veies), Campanie (Cumes, Capoue); cf. les remarques
de J. N. Coldstream, Greek geometric pottery, p. 355 et p. 371 sq. et les études de W. Johan-
nowsky, Dialoghi di Archeologìa, I, 1967, p. 159-185 et D. Ridgway, SE, 35, 1967, p. 311-321
et le n° III, 1969 des Dialoghi. Récemment, découvertes en Sicile (Marcellino) : G. Voza,
Villasmundo in Archeologia nella Sicilia Sud-Orientale, Centre Jean-Bérard, Napoli, 1973,
p. 57-63 et SE, 42, 1974, p. 544; à Rome (Esquilin), E. La Rocca, Dialoghi di Archeologia,
Vili, 1, 1974-75, p. 86-103 réexamine d'anciennes trouvailles (cf. aussi Civiltà del Lazio primitivo,
Roma, 1976, p. 126).
Par ailleurs, les témoignages de contacts entre le monde mycénien et l'Occident se
multiplient dans toutes les régions de la péninsule italienne (mais nous n'entrerons pas dans le
débat sur l'existence d'une éventuelle continuité, en Occident, entre l'époque des contacts avec
le monde mycénien et celle de la «précolonisation»).
A côté de la céramique, il y a les bronzes, tel le trépied de Piediluco en Sabine, cf.
Cl. Rolley, Bull, de la Soc. Franc. d'Archéo. Class., 8, 1973-1974, p. 158, note 1, ainsi que les
remarques de J. P. Morel, ibid., p. 155 et de L. Vagnetti, MEFRA, 1974, 2, p. 558 note 3
avec bibliographie.
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 359

XIIe siècle64. Dans ce contexte, cette observation du fouilleur d'Ef estia, bon
connaisseur par ailleurs du monde italique, ne manque pas d'intérêt:
« l'aspetto generale della necropoli di Lemno ricorda quello delle necropoli
italiche dette " villanoviane " » 65.
Ainsi se dégage un « facies » de Lemnos sur lequel les recherches
insistent généralement assez peu. Lemnos est, bien entendu, l'île des « crimes
lemniens » et de Philoctète, la « fumeuse » qui a parfois été appelée Aethalia
en raison de son activité métallurgique. Une île à part, terre de la mauvaise
odeur, des plantes fétides et des eaux contaminées. Mais cette île, si riche
en légendes et en mythes, dotée d'une si forte personnalité dans la tradi
tion littéraire grecque, n'était pas pour cela un monde replié sur lui-
même 66. On a trop souvent considéré qu'avant l'arrivée de Miltiade, Lemnos
et ses « Pélasges-Tyrrhéniens » sont une enclave dans une Egée hellénisée,
un monde barbare farouchement attaché à ses traditions. L'archéologie
permet de nuancer ce jugement: les importations grecques existent durant
le VIIe siècle. On a souvent remarqué qu'au moment de la conquête athé
nienne l'inhumation est seule représentée dans les nécropoles et on en déduit
que la population non-grecque a disparu. Peut-être. Mais comme la nécropole
du VIe reste à découvrir il est imprudent d'être aussi catégorique: on ne peut
pour le moment exclure l'hypothèse d'une ouverture progressive de l'île des
« Pélasges-Tyrrhéniens » à l'hellénisme et au reste du monde méditerranéen,
ce qui expliquerait que, à la fin du VIe, les tombes à incinération caractéristi
ques des νΐΐΓ-νΐΓ, ne soient plus représentées.

■*
*

Si l'on veut passer de l'analyse à l'explication, les difficultés surgissent


de tous côtés. En d'autres termes, tenter de rattacher le phénomène tyrrhénien
à un moment et un contexte historiques donnés n'est pas chose facile. Pour

64 J. Close-Brooks, A Villanovan Belt from Euboea, dans BICS, 14, 1967, p. 22-24; L. H. Sackett-
M. R. Popham, Lefkandi. A Euboean town of the Bronze Age and the early Iron Age (2100-
700 B.C.), Archaeology, 25, 1972, p. 15; A. H. S. Megaw, Archaeology in Greece 1965-1966,
dans AR, 1966, p. 11-12 (fig. 17) et les remarques de J. de La Genière, Bull, de la Soc. Franc.
d'Archéo. Class., 1973-74, p. 155.
65 D. Mustilli, ASAA, 15-16, 1932-1933, p. 277. Par ailleurs, à propos de la forme 13,
il soulignait la parenté avec les céramiques énéolithiques italiennes (p. 145).
66 Sur les confusions Lemnos-Aethalia, cf. E. Pais, Storia della Sicilia e della Magna Grecia,
1894, p. 472-473, note 3. Cf. Polybe, XXXIV, 11, 4 (apud Steph. Byz.) et Tite-Live, XXXII, 13.
Ephore appelait Aethalia l'île de Chios (cf. Pline, N.H., V, 38, 1). Cet aspect de «monde à
360 MICHEL GRAS

rendre le débat plus clair, il importe tout d'abord d'être nettement renseigné
sur le rôle que peuvent jouer les inscriptions étruscoïdes de Lemnos dans
une telle tentative.
Soyons bref: il nous semble important de ne pas oublier que ces inscrip
tionssont du VIe siècle mais nous devons reconnaître que rien, pour le
moment, ne permet d'utiliser ces textes dans le cadre des relations com
merciales qui ont pu unir Lemnos à la Toscane durant l'époque archaïque.
Naguère quelques tentatives d'explication ont été ébauchées dans ce sens;
mais elles ont toujours été présentées comme conjecturales. Aucun élément
ne permet de dire de façon décisive que la parenté linguistique entre le
lemnien et l'étrusque est le résultat d'un essaimage de Toscane en Egée,
ou inversement, à l'époque historique67. En aucune façon donc, l'inscription
étruscoïde de Lemnos ne peut, pour le moment, être présentée comme un
témoignage d'un commerce étrusque à Lemnos au VIe siècle.
Ceci dit, les textes littéraires et les témoignages archéologiques relatifs
aux Tyrrhéniens et aux Etrusques demeurent. Pour tenter d'en tirer parti
nous allons nous placer successivement sur des plans différents: celui de la
chronologie et celui des espaces géographiques.
Pour ce qui est du premier point, la question se pose de la façon
suivante: de quand date la tradition sur la piraterie tyrrhénienne en Egée
et d'où provient-elle? Le débat est important pour qui veut savoir si ces
Tyrrhéniens sont des Pélasges ou des Etrusques. Mais la réponse n'est pas
aisée; on sait pourtant que le récit de l'enlèvement de Dionysos était connu
dès le Ve siècle av. J.-C. à Athènes puisque nous avons l'allusion d'Euripide
dans le Cyclope. La datation de l'Hymne homérique à Dionysos est plus
délicate à fixer: pour Jeanmaire si une haute époque est à exclure, on ne
peut y voir une création de l'époque alexandrine. Bref, il semble que le

part » que les textes donnent à Lemnos n'est pas sans rappeler celui qui est assigné à la
Sardaigne (cf. M. Gras, Les «Montes Insani» de la Sardaigne, dans Hommages à R. Dion, 1974,
part. p. 364-366).
67 R. Bloch avait nettement posé la question et répondu de façon négative (Etrusques
et Romains. Problèmes et histoire de l'écriture dans L'Ecriture et la Psychologie des Peuples,
XXIIe Semaine de Synthèse, 1963, p. 187); M. Lejeune, Observations sur l'alphabet étrusque, dans
Tyrrhenica, 1957, p. 158-169, considérait alors qu'il était «vraisemblable» qu'un alphabet de
type étrusque ait été apporté de Toscane et remanié à Lemnos. Dix ans plus tard, il était
beaucoup plus sceptique sur un rôle éventuel de « contacts récents entre scribes lemniens et
scribes étrusques vers le milieu du VIe siècle» (A propos du problème des Pélasges, dans Atti del
Primo Simposio internazionale di Protostoria italiana (Orvieto 1967), Roma, 1969, p. 214).
Il l'est encore plus aujourd'hui. Je dois vivement remercier le Professeur Lejeune pour les
conseils qu'il m'a donnés.
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 361

récit soit à situer à l'époque classique68. L'histoire de la statue de l'Héra


samienne ne saurait être antérieure puisque Ménodotos de Samos est du
IIIe siècle av. J.-C. Quant aux Tyrrhéniens de Lemnos, comment dater
l'apparition de la tradition les concernant? C'est par rapport à Athènes
que le problème se pose: on a vu les imbrications entre l'histoire des
Pélasges-Tyrrhéniens et celle d'Athènes: les grandes étapes des rapports entre
les deux populations étant la construction du mur de l'Acropole, le rapt
des femmes de Brauron et la conquête de l'île par Miltiade. Dans ces rapports,
l'antagonisme éclate clairement et il est tentant de songer que toute la
tradition littéraire relative à Lemnos a été influencée par le désir des
Athéniens de légitimer la conquête brutale de l'île.
J. Bérard s'est opposé à une telle vision des choses en montrant que
la tradition n'avait jamais été contestée par les Lemniens et, qu'au demeurant,
Hécatée la connaissait déjà. Le vocable « Tyrrhenes » était donc déjà utilisé
au VIe siècle pour désigner les Lemniens.
C'est donc au VIe siècle, on le soupçonne, que tout s'est mis en place:
l'identification des Tyrrhéniens avec les Pélasges, leur localisation à Lemnos
sont des thèmes probablement dus à l'élaboration erudite des historiens de
l'Ionie69. Il se peut, écrit en outre J. Heurgon 70 « que la fable par laquelle
la Lydie revendiquait des liens de parenté avec les Etrusques est née à
l'époque de l'apogée de ceux-ci », c'est-à-dire au VIe siècle.
Il y aurait donc coïncidence chronologique entre la naissance de la
tradition relative aux Tyrrhenes de Lemnos et la période de dynamisme
commercial des Etrusques. Mais a-t-on seulement un indice qui permette
de songer que le lien entre Etrusques et Tyrrhenes n'est pas seulement
chronologique? Rien de décisif n'a jusqu'ici été avancé; c'est pourquoi je
voudrais m'appuyer sur un exemple qui a été peu utilisé pour le moment
dans ce débat.
D'après une inscription grecque retrouvée au Pirée 71 les Athéniens pour
protéger leur commerce et leurs commerçants contre les Etrusques décident

68 H. Jeanmaire, Dionysos, 1951, p. 227.


69 Sur ces problèmes, cf. J. Bérard, Studies Robinson, op. cit., p. 151, et M. Pallottino,
Etniscologia, op. cit., p. 94; J. Bérard, REA, LI, 1949, p. 227, rappelle que l'un des frères
de Pythagore, dont le père était venu de Lemnos s'installer à Samos, s'appelait Tyrsenos.
70 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale, p. 370.
71 Dittenberger, Sylloge3 305; IG2 II 1629 (Kirchner); Tod, II, p. 200. Les plus récents
commentaires sont ceux de G. Vallet, Athènes et l'Adriatique, dans MEFR, 1950, p. 39-40; de
A. G itti,. La colonia ateniese in Adriatico del 325-324 a. C, dans PP, IX, 1954, p. 16-24 et de
L. Braccesi, Grecita adriatica, 197.1, p. 170-188. L'inscription est en marbre du Pentélique;
362 MICHEL GRAS

d'envoyer des colons dans l'Adriatique en 325-324 av. J.-C. 72. Jusqu'à présent,
rien que de très normal: les périls de l'Adriatique étaient bien connus si
l'on en croit Lysias73 et les Athéniens de l'époque savaient à quoi s'en
tenir sur la piraterie étrusque puisque ce thème venait d'inspirer deux discours,
l'un d'Hypéride 74, l'autre de Dinarque; de plus, contrairement à ce que l'on
a dit parfois, le qualificatif d'« étrusque » n'était pas gratuit et l'expression
« piraterie étrusque » n'avait pas un caractère pléonastique: une inscription
de la première moitié du IIIe siècle fait la distinction entre « pirates » et
« pirates étrusques » 75. En outre, en 299 av. J.-C. les Déliens se font prêter
par le Temple plusieurs milliers de drachmes pour organiser la défense contre
les pirates étrusques 76.
Il semble clair qu'il n'y a à ce moment-là aucune équivoque possible:
l'expression « pirates tyrrhéniens » est totalement synonyme de « pirates
étrusques » 77. Or, que voyons-nous mentionner dans l'inscription du Pirée?
Les Athéniens disent explicitement qu'ils souhaitent mettre à la tête du
groupe de colons un œciste appartenant à la famille des Miltiade. Pourquoi
ce désir? Pais a bien vu qu'il y avait là un lien, non pas avec le vainqueur
de Marathon, mais avec l'homme qui avait chassé les « Pélasges - Tyrrhenes »
de Lemnos et avait ainsi permis l'installation athénienne à la fin du
VIe siècle. Il a insisté sur le fait qu'il n'y avait pas là qu'un motif religieux
comme on l'avait dit avant lui mais que les Athéniens du IVe siècle considé
raientque Tyrrhenes d'Italie et Tyrrhenes de Lemnos étaient des rameaux
d'un même peuple 78.

trouvée au Pirée elle est aujourd'hui au Musée national d'Athènes. Le texte est disposé sur
quatre colonnes sur la face antérieure, une cinquième étant gravée sur le côté droit. Le passage
étudié se trouve au bas de la première colonne.
72 εις Αδρίαν: il s'agit de la mer (ό Αδρίας) et non de la colonie d'Adria (ή Αδρία). Sur
ce point A. Gitti, op. cit., p. 22 et L. Braccesi, op. cit., p. 181, ont rectifié l'interprétation
de G. Vallet, op. cit., p. 39.
73 Lysias, Fragments. Contre Eschine le Socratique, 4, 5.
74 Hypéride meurt en 322 av. J.-C.
75 Sylloge3 1225. Cf., H. H. Schmitt, Rom und Rhodes, 1957, p. 43 sq.; L. Braccesi,
op. cit., p. 173. Il s'agit d'une inscription funéraire de Rhodes, cf. en dernier lieu G. Manganaro,
Kokalos, XVIII-XIX, 1972-1973, p. 75.
76 εις την φυλακήν των Τυρρήνων. IG XI, 2, 148, 73. Cf. le commentaire de Th. Homolle,
Les archives de l'intendance sacrée à Délos (315-166 av. J.-C), dans BEFAR, n° 49, 1887, p. 68.
77 II se peut même que nous ayons, dans les années 330-310 av. J.-C. un Etrusque
installé à Athènes: cf. D. M. Lewis, Hesperia, 1959, p. 229 (et compte-rendu de J. et L. Robert,
Bull, épigr., 1960, n° 137).
78 E. Pais, Storia della Sicilia e della Magna Grecia, 1894, p. 472.
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 363

Ne peut-on préciser et approfondir le débat? Si les Athéniens admett


aient qu'un parallèle était évident entre l'expédition de la fin du VIe et
celle de 325-324 av. J.-C, ne serait-ce pas parce que le but des deux
interventions était identique? Est-il invraisemblable de penser, pour parler
clairement, que la conquête de Lemnos était, au départ, une opération pour
réprimer la piraterie des « Pélasges-Tyrrhéniens » de l'île? 79. Les pirates
tyrrhéniens qui enlèvent Dionysos près de Chios et la statue d'Héra à Samos
ne pourraient-ils pas être tout simplement les Tyrrhéniens installés à Lemnos? 79 bls
Pour me résumer, l'inscription du Pirée nous fait comprendre que les
Athéniens du IVe siècle avaient, deux siècles après l'événement, le souvenir
d'un des hauts faits de l'histoire athénienne: pour eux, Miltiade, à la fin
du VIe, avait entrepris la conquête de Lemnos pour réprimer la piraterie
« tyrrhénienne » et, toujours pour les Athéniens du IVe siècle, ces Tyrrhéniens-
là étaient des Etrusques.

A ce point du raisonnement, revenons aux données archéologiques en


examinant la carte de répartition des trouvailles d'objets étrusques en
Méditerranée orientale. Elle est particulièrement instructive et l'on peut
rassembler les remarques qu'elle inspire autour des points suivants:
- continuité totale entre la péninsule italienne et le monde égéen:
les trouvailles de Dalmatie, Corfou et Ithaque sont autant de jalons à cet
égard;
- mis à part le cas de Tocra, un peu excentrique par rapport à nos
préoccupations, les témoignages respectent une distribution géographique
qui s'organise suivant deux axes et délimite deux aires (cf. carte en fin d'article).

79 Hérodote VI, 136 dit nettement que Miltiade après la prise de l'île châtia les Pélasges
(και τεισάμενος τους Πελασγούς). S'agit-il d'une référence aux « crimes lemniens » ou plus simple
mentà une concurrence économique qui aurait provoqué l'expédition? De plus les «crimes
lemniens » ne seraient-ils pas la traduction littéraire de cette concurrence? Le rapt des femmes
de Brauron peut également être interprété comme l'habillage littéraire de la razzia, laquelle
n'est qu'un aspect de la piraterie. Mentionnons enfin que Denys d'Halicarnasse (I, 25) signale
que le fait de vivre avec les Tyrrhéniens permit aux Pélasges de parvenir à une très grande
habileté dans l'art de la navigation (της κατά τα ναντικα επιστήμης δια την μετά Τυρρηνών οϊκησιν
έπί πλείστον έληλακότες).
79bis On remarquera d'ailleurs que, pour Philochore d'Athènes (IVe siècle av. J.-C), les
Tyrrhéniens installés à Lemnos et attaquant les femmes de Brauron étaient des pirates (frag. 5
in C. Müller, FHG, I, p. 384-385). Cette tradition se retrouve dans Eustathe (Comment. 591 in
C. Müller, GGM, II, p. 331).
364 MICHEL GRAS

D'abord la zone du Sud de l'Egée et des rivages de l'Asie Mineure


méridionale: une « traînée » de matériel recueilli de Corinthe à la Syrie en
passant par les Cyclades (Naxos-Délos), Rhodes et Chypre (?).
Ensuite une aire vraiment égéenne matérialisée par les découvertes de
l'Egée centrale d'une part (Samos, Chios, Smyrne) de la Propontide
(Daskyleion) et de la Mer Noire (Histria) d'autre part.
Il me semble que de telles remarques permettent d'aboutir aux con
clusions suivantes:
1. La « traînée » méridionale conduit vers les côtes de Cilicie et de Syrie
septentrionale, c'est-à-dire vers la région qui était, à l'époque orientalisante,
la porte maritime de l'Ourartou à la suite des défaites subies par les souve
rains assyriens. C'est là que passait le principal courant économique qui
fut à la base du phénomène orientalisant 80.
2. Les découvertes de céramique étrusque à Samos ont précisément
eu lieu dans l'île qui semble avoir été un relais essentiel dans la diffusion
des bronzes de l'Ourartou81. Plus de deux cent cinquante chaudrons à pro
tomes de griffon y ont été recueillis. Or, au cours du VIIe siècle, ce type
de chaudron a été diffusé jusqu'en Etrurie où on le retrouve dans les
grandes tombes orientalisantes de Préneste, Cerveteri et Vetulonia82. Certes,
on s'est posé de nombreuses questions - qui demeurent encore en suspens
pour la plupart - sur l'origine et la diffusion de ces chaudrons. Quoiqu'il
en soit, il n'est pas sans intérêt de noter une certaine reprise, à l'époque de
la diffusion du bucchero, des routes maritimes utilisées à l'époque des
chaudrons.

80 M. Pallottino, Etruscologia, op. cit., p. 96. On pourrait aussi noter l'importance des
rapports entre Pithécusses et cette région (en raison de la présence d'une autre colonie eubéenne,
c'est-à-dire Al Mina). On sait que de nombreux sceaux retrouvés à Pithécusses proviennent
de la zone côtière située entre la Cilicie et la Syrie (cf. G. Büchner -J. Boardman, Seals from
Ischia and the Lyre-Player Group, dans JDAI, LXXXI, 1966, p. 1 sq.). Beaucoup de ces objets
appartiennent au troisième quart du VIIIe siècle, cf. D. Ridgway, Rapporti dell'Etruria meridionale
con la Campania, dans Vili" Convegno Nazionale di Studi Etruschi ed Italici, (1972), 1974, p. 289:
« con Pithecusa in mezzo, la strada che porta dall'Oriente all'Etruria, già aperta, è più che
mai battuta».
81 Sur l'exportation des bronzes de l'Ourartou, le point de départ est l'ouvrage de
U. Jantzen, Griechische Greifenkessel, 1955 auquel ont succédé de nombreuses études, notam
mentde P. Amandry, (cf. par exemple, Syria, 1958, p. 73-109).
82 Sur les chaudrons orientalisants en Etrurie, cf. surtout les travaux de M. Pallottino
(Arch. Class., 1955, p. 109-123 et 9, 1957, p. 88-96) et de A. Hus (MEFR, 1959, p. 7-42 et
Les bronzes étrusques, 1975, p. 33-37). Notations récentes et précises de I. Strém, Problems
concerning the origin and early development on the Etruscan Orientalizing Style, 1971,
p. 131-134.
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 365

3. Une « traînée » septentrionale existe aussi, qui, par l'Egée centrale


et les Détroits, atteint la Mer Noire. Les repères de Daskyleion et d'Histria
sont de toute première importance bien qu'il soit prématuré peut-être de
parler de route étrusque vers la Mer Noire. Mais, en tout cas, Lemnos n'est
plus isolée dans le Nord de l'Egée bien que le bucchero étrusque n'y soit
pas encore attesté.
4. Car c'est un problème de routes et de circuits qui se dégage de
l'observation de la carte. On a trop souvent dit que le bucchero étrusque
se trouvait un peu partout, comme si la diffusion, totalement anarchique
ne respectait aucune règle. On a aussi prétendu qu'il se trouvait uniquement
dans les sanctuaires grecs: cela n'est pas vrai. Les grands sanctuaires de
Grèce continentale, par exemple, Olympie, Delphes, Dodone n'ont jamais
fourni du bucchero malgré l'intensité des recherches. Certes, ils ont des
bronzes: ici doit être rappelé la différence fondamentale entre ces deux
types d'objets: le bronze ne jalonne pas toujours une route économique
mais suggère des contacts privilégiés sous forme de cadeaux ou d'offrandes.
Les modestes tessons indiquent souvent un circuit économique. Rien d'éton
nant, dans ces conditions, que Delphes et Olympie aient reçu des bronzes
étrusques. Mais le bucchero ne se trouve dans un sanctuaire qu'à condition
que celui-ci soit situé sur une route économique, sur un axe d'échanges.
Tel est le cas de Délos et de Samos.
5. De ce fait, il est difficile de soutenir que ce sont les marins grecs
qui ont apporté en Méditerranée orientale la céramique étrusque que l'on
y a recueilli83. Le bucchero n'a pas été une pacotille jouant le rôle de
souvenir mais plutôt, osons-le dire, un « gadget » accompagnant la diffusion
de produits étrusques. Le mythe de l'intermédiaire grec est dur à extirper:
il y a un quart de siècle il bloquait tout le problème des contacts entre
PEtrurie d'une part, la Gaule méridionale et la Sicile de l'autre. Depuis la
découverte de l'épave étrusque du cap d'Antibes, personne ne songe plus
à nier la présence et l'action de commerçants étrusques sur les rivages de la
Provence. Par ailleurs, pourrait-on expliquer pourquoi on retrouve exacte
mentles mêmes vases de bucchero en Egée et en Provence?
Mais, objectera-t-on, deux fragments de Pérachora portent un graffite
en grec, attestant que le vase a été dédié par un Grec dans le sanctuaire.
Je rappellerai simplement que le même argument a jadis poussé les archéolo
gues siciliens à s'interroger sur l'origine étrusque - ou grecque (!) - du

83 Cf. H. P. Isler, MAAI (A), 82, 1967, p. 88, et REG, 1, 1970, p. 127 (compte-rendu
par H. Metzger). Je n'aborde pas ici, volontairement, la question des cités étrusques exportat
rices;ce serait d'ailleurs trop hypothétique étant donné la minceur de notre documentation.
366 MICHEL GRAS

bucchero nero. Pourquoi vouloir que celui qui a fait la dédicace ait été
celui qui avait apporté le vase d'Etrurie? Ce serait comme vouloir que ce
fut le fabricant84. En réalité, n'est-il pas plus vraisemblable de penser que
c'est l'acheteur et non le marchand qui a offert ce vase au dieu?
Ainsi apparaît en filigrane la réalité d'un commerce étrusque comparable
à celui qui s'est développé en Méditerranée Occidentale. Il y a autant de
raison de penser à une « présence » économique étrusque à Samos qu'à
Syracuse. Dès lors peut-on établir un lien entre la piraterie « tyrrhénienne »
et ce commerce étrusque?
On a vu comment nos témoignages littéraires permettaient de localiser
dans l'Egée centrale (Chios, Samos) les « exploits » des pirates tyrrhéniens.
Nous avons aussi tenté de montrer comment la conquête athénienne de
Lemnos n'était finalement qu'une opération destinée à mater les Tyrrhéniens
de l'île. Avant de conclure, nous voudrions avancer un dernier argument
en faveur d'une identification Tyrrhéniens-Etrusques. Il nous est en grande
partie inspiré par une excellente étude de J. Brunschwig, trop négligée par
les historiens85. L'auteur a rapproché l'épisode de l'enlèvement de Dionysos
de toute la tradition relative au tyran de Cerveteri, Mézence 86, qui appliquait
à ses prisonniers le supplice préféré des pirates étrusques: les lier étroit
ementà des cadavres jusqu'à ce que mort s'ensuive. Brunschwig a remar
quablement montré comment ce thème de Yentrave se trouve également
chez les pirates opérant dans l'Egée. Or, nous avons déjà signalé comment
on peut établir un parallèle entre les enlèvements de Dionysos et de la statue
d'Héra, parallèle dont un des éléments essentiels est le thème du lien:
Dionysos lié se délie avant de lier les rames et le mât du navire, le βρέτας
d'Héra est lié par les Cariens puis délié par la prêtresse. Pirates tyrrhéniens
et pirates étrusques sont des Heurs. Dionysos est un dieu dénoueur, délieur,
l'anti-pirate par excellence 87.

84 Sur le graffite de Pérachora,. cf. supra. Pour les hésitations des archéologues sur
l'origine grecque ou étrusque du bucchero portant des graffites en grec, cf. NSA, 1893, p. 456;
BPI, 1900, p. 281. Sur les buccheri inscrits de Sélinonte, cf. Kokalos, 1966, p. 241 note 3.
85 J. Brunschwig, Aristote et les pirates tyrrhéniens, dans Revue Philosophique de là France
et de l'étranger, 152, 1963, p. 171-190. Malheureusement l'auteur ne tient pas compte de
l'enlèvement de la statue d'Héra à Samos.
86 Pourtant Cerveteri ne faisait pas de piraterie (cf. Strabon, V, 2, 3). C'est du moins
le souvenir que la tradition a conservé, peut-être en raison des bons rapports avec Rome.
Mais Mézence est toujours présenté comme une parenthèse dans l'histoire de Cerveteri et
comme un tyran haï.
87 On pourrait aussi mettre en avant le thème de la putréfaction, commun aux crimes
de Mézence et à ceux des Lemniens. Cf. J. Gagé, Recherches sur quelques problèmes de l'Italie
préromaine (1), dans BFS, 27, 5, 1949, p. 160-173.
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 367

Le pirate tyrrhénien est donc l'équivalent du pirate étrusque, Lemnos


porte des Détroits peut facilement être considérée comme une « Lipari
égéenne » 88, toute la tradition sur l'assimilation des Tyrrhenes aux Pélasges
de Lemnos pouvant s'expliquer par l'installation dans l'île, à l'époque du
dynamisme commercial étrusque, d'un groupe d'étrangers faisant de la pira
terie. Un vers d'Ovide fait la synthèse de toutes ces explications en évoquant,
lors de l'enlèvement de Dionysos, l'activité d'un certain Lycabas « qui, chassé
d'une ville toscane, expiait par l'exil un meurtre abominable » 89.
Mais surtout, et c'est, à notre sens, la conclusion historiquement la plus
importante, piraterie tyrrhénienne et commerce étrusque se superposent et se
confondent. On ne trouvera pas cela étonnant si l'on songe que les deux
activités sont inséparables dans l'Antiquité. La piraterie est née avec l'histoire
de la Méditerranée; dans une société où les structures étatiques ne sont
pas très développées elle profite d'une situation permanente d'anarchie
larvée et de guerre endémique.
Que les commerçants étrusques soient devenus, dans la tradition li
ttéraire, des pirates s'explique donc facilement. La géographie de la mer Egée
n'est-elle pas un facteur favorable? Criques, côtes découpées, passes et
détroits facilitent les coups de main et les embuscades. Car un pirate est
avait tout un marin expérimenté et quelqu'un qui travaille vite90. C'est aussi
un homme attiré par les sanctuaires, en raison de leur richesse et de leur
isolement: Samos et Délos en sont des exemples.
On voit donc s'esquisser un chapitre de l'histoire économique étrusque.
Le manque de sources nous empêche d'avoir de ces marins-pirates une image
socialement précise, comme pour leurs compères grecs 91. Mais les « pirates »
étrusques installés dans l'Egée devaient aussi être des gens « sans feu ni
lieu », des exilés comme Lycabas, des marginaux et des déclassés à la recherche

88 Sur les pirates étrusques et leur activité en mer Tyrrhénienne méridionale, cf. J. Heurgon,
L'«elogium» d'un magistrat étrusque découvert à Tarquinia, dans MEFR, 1951, p. 119-137. Zancle,
sur le Détroit de Messine, avait été fondée par des pirates (Thucydide, VI, 4, 5).
89 Ovide, Métamorphoses, III, v. 624-625: qui Tusca pulsus ab urbe I exilium dira
poenam pro caede luebat: s'agirait-il d'un de ces pirates étrusques inspirateurs des crimes
de Mézence?
90 Le rôle des conditions naturelles dans la conquête de Lemnos, cf. Hérodote, VI, 139,
donne à cet événement un côté d'opération stratégique, liée à la domination de la Chersonese
de Thrace qui renforce ce que nous avons dit précédemment à ce sujet.
91 F. Bourriot, La considération accordée aux marins dans l'Antiquité grecque. Epoques
archaïque et classique, dans Revue d'histoire économique et sociale, 50, 1972, p. 7-41.
368 MICHEL GRAS

d'aventures lucratives, offrant leurs services aux Argiens pour enlever une
statue de culte à Samos, percevant des doits de péage et d'octroi comme le
fit plus tard Polycrate de Samos. Pourquoi ont-ils fait de la piraterie? Par
manque de terre et de richesse, comme les colons grecs partant vers
l'Occident. Travaillaient-ils seuls? Plutôt par petits groupes: ils sont vingt
à assaillir Dionysos93. On est loin de la guerre de course organisée et des
grands convois de corsaires94.
La piraterie tyrrhénienne apparaît donc comme l'habillage littéraire
d'une réalité économique, celle du commerce étrusque. Il est révélateur de
constater que toute la tradition littéraire sur les assimilations Tyrrhènes-
Pélasges, sur leur retour dans le monde grec après la migration en Italie
ait été élaborée au VIe siècle, c'est-à-dire à une époque où l'essor com
mercial étrusque vient d'avoir lieu. La confusion quasi permanente entre la
réalité du VIe siècle et les traditions sur l'origine des Etrusques a fini
d'embrouiller la situation95. Les données archéologiques permettent au
jourd'hui de ne plus confondre les différentes phases de la question tyrrhénien
ne et d'individualier la plus récente: après la reprise des contacts au
VIIIe siècle entre le monde italique (villanovien en particulier) et le monde
grec, l'expansion commerciale étrusque se développe, de 620 à 550 av. J.-C.
environ dans tout le monde méditerranéen, d'Ampurias à Histria et à la Syrie
septentrionale. Que les échanges aient été plus intenses avec les régions
les plus proches comme la Sicile ou le Languedoc, cela n'étonnera personne.
Mais les contacts noués à la période orientalisante grâce aux échanges dans
un sens Est-Ouest véhiculés par les colons grecs ont rendu possible un
« choc en retour » beaucoup plus tard (à la fin du VIIe siècle) qui a utilisé
les routes économiques de l'époque précédente.

92 Les raisons du tyrrhénien Acétès sont clairement exposées: Ovide, Métamorphoses,


III, v. 582-586: absence de patrimoine et désir d'aventure.
93 Ovide, op. cit., v. 687. Un passage fort intéressant de Strabon (XI, 2, 12) décrivant
l'activité des pirates sur la côte orientale de la Mer Noire indique que les embarcations
pouvaient accueillir au maximum vingt-cinq à trente hommes.
94 Sur la distinction course-piraterie, difficile à faire pour l'époque archaïque, cf. récemment
M. Mollai, Nuova rivista storica, 58, 1974, p. 182-186 et MEFRM, 1, 1975, p. 7-25. La -distinction
est possible à partir du XIVe siècle et de la naissance des grands Etats. Sur la piraterie dans
l'Antiquité, analyses générales de Sestier (1880), H. A. Ormerod (1924) et Ziebarth (1929).
Notions précises de terminologie dans P. Ducrey, Le traitement des prisonniers de guerre dans
la Grèce antique, des origines à la conquête romaine, 1968, p. 171-193.
95 La situation se clarifie à partir du VIe siècle: pour l'activité des pirates étrusques en
Egée à partir du IVe siècle, je renvoie à l'étude détaillée et nuancée de M. R. Torelli, TYPPANOÌ,
LA PIRATERIE TYRRHÉNIENNE EN MER EGÉE 369

ADDENDUM

Une publication récente (M. Chollot, Perspectives d'archéologie sous-


marine au Liban, Cahiers d'archéologie subaquatique, II, 1973, p. 152)
signale un dépotoir d'amphores près de Tripoli. Le lot n'est pas homogène
et contient des amphores tardives, mais une amphore (n° 8, photo 18) retient
notre attention: «la panse est épanouie, un fond rond, un col très court
rehaussé d'une saillie. Les anses, haut placées, s'élèvent au niveau de l'embou
chure.La pâte, de couleur rouge brun, est bien cuite. La confection est
assez grossière et l'on note de légères stries, à peine marquées, sur la panse ».
Sans entrer ici dans des remarques de détail sur la typologie et l'origine
des amphores dites « étrusques », on notera simplement qu'il y a de fortes
présomptions pour que l'amphore de Tripoli en fasse partie.
Dans le contexte de cet article, on ne s'étonnera pas de rencontrer
une amphore étrusque sur les côtes libanaises. Mais on sera plutôt surpris
que ce soit la première à avoir été identifiée dans le bassin oriental de la
Méditerranée. La surprise sera moindre si l'on se souvient qu'il est encore
plus difficile de repérer une amphore qu'un vase de bucchero et que la
« découverte » des amphores étrusques dans l'Occident méditerranéen (où
pourtant elles sont nombreuses) est un phénomène récent.
Tout ceci nous conforte donc dans les idées exprimées au cours de
l'article (idées qui ne sont encore que des hypothèses de travail et non
des certitudes). Que l'on ne s'y trompe point: en parlant de « commerce »
étrusque dans le monde égéen, nous ne présumons ens rien de la nature
et de l'importance d'un tel commerce. Peut-être ne s'agit-il que d'infiltrations
commerciales. L'essentiel pour nous était de tenter de démontrer que le
matériel étrusque recueilli dans le bassin oriental a eu une fonction écono
mique et n'a pas été simplement transporté dans les bagages des marins grecs96.

M. G.

dans PP, 165, 1975, p. 417-433; je n'ai pris connaissance de ce travail qu'après la rédaction
de l'article; il sera intéressant de confronter nos résultats dans la mesure où la perspective
des deux recherches est très différente.
96 Ceci ne veut pas dire que le bucchero ait eu, par lui-même, une valeur économique:
nous admettons volontiers, avec Ed. Will (XII0 Convegno di Studi sulla Magna Grecia, Taranto
(1972) 1975, p. 34 note 25) que les vases étrusques aient été «des curiosités rapportées en
plus de marchandises disparues».
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Deficit: La maison de Simon et celle de Théopropidès dans la Mostellaria
- Pierre Grimal (pp. 371-386)
PIERRE GROS

LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS


D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME

...le palais ducal qui considérait la


mer avec la pensée que lui avait confiée
son architecte, et qu'il gardait fidèlement
dans la muette attente des doges disparus.
Marcel Proust, A la recherche du
temps perdu. La fugitive.

La belle monographie de F. Rakob et W.-D. Heilmeyer sur la tholos


du Forum Boarium est venue à point nommé enrichir le dossier de
l'architecture présyllanienne ': à un moment où historiens et archéologues
semblent prêter une attention renouvelée à la période qui va de la prise
de Corinthe à la Guerre Sociale2, il est important de disposer d'une étude
aussi précise sur celui des temples de marbre d'époque républicaine qui
demeure le mieux conservé. La richesse des données qu'elle apporte, mais
aussi l'acuité des problèmes qu'elle aborde, du point de vue de la chronologie

1 F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, Der Rundtempel am Tiber in Rom, DAI, Sonderschriften 2,


Mainz am Rhein, 1973.
2 Rappelons, sans prétendre être exhaustif, les travaux de D. C. Earl, Tiberius Gracchus.
A Study in Politics, Collect. Latomus, 56, 1963; de F. W. Walbank, A Historical Commentary
on Polybius, 1, Oxford, 1953; Political Morality and the Friends of Scipio, dans JRS, 55,
1965, p. 1 seq.; de Α. Ε. Astin, Scipio Aemilianus, Oxford, 1967; de G. Garbarino, Roma e la
filosofia greca dalle origini alla fine del II secolo A. C. (I, Introduzione e testi; II, Commento
e indici), Turin, 1973. Plus directement orientées vers l'activité artistique et les problèmes
liés à l'hellénisation, les études fondamentales de F. Coarelli, L'ara di Domizio Enobarbo e la
cultura artistica in Roma nel II sec. av. C, dans Dialoghi di Archeologia, 1968, p. 302 seq.;
celles, de divers auteurs, réunies dans Dialoghi di Archeologia, 1971, sur le thème: Roma e
l'Italia fra i Gracchi e Siila, et celle de L. Crema, L'architettura romana nell'età della
repubblica, dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, Berlin - New- York, 1973, I, 4,
p. 633 seq., et partie, p. 636-639 (i templi). Une place importante doit être faite également
aux recherches de M. Gwyn Morgan, The Portico of Metellus, a Reconsideration, dans Hermes,
99, 1971, p. 480 seq.; Lucius Cotta and Metellus, dans Athenaeum, 49, 1971, p. 271 seq.;
Villa Publica and Magna Mater, dans Klio, 55, 1973, p. 23 seq. (The Metelli and the Magna Mater).
On consultera enfin la synthèse de L. Castiglione, Die Bedeutung des 2. Jahrhunderts v.u.Z. in
der Geschichte der römischen Kunst, dans Mitt. Arch. Inst. Ungar. Akadem. Wissensch. 4,
1973, p. 38 seq.
388 PIERRE GROS

particulièrement, incitent à un nouvel examen de la première architecture


« grecque » à Rome. Le dialogue avec l'hellénisme, instauré avec éclat par
les vainqueurs de Pydna et de Corinthe, connaît dans la seconde moitié du
IIe s. des éclipses et des reprises, dont les raisons n'apparaissent pas toutes
clairement.
Le tableau ci-contre regroupe les édifices de cette période - en majorité
d'ailleurs des temples - pour lesquels nous possédons autre chose qu'une
simple mention, et dont il est possible d'imaginer, au moins de façon hypot
hétique, soit à partir des textes, soit à partir des vestiges, l'aspect et
l'ordonnance générale. La date portée dans la colonne de gauche indique
seulement un terminus post quern, c'est-à-dire l'année du triomphe ou du
consulat à la suite duquel la construction, souvent « vouée » lorsqu'il s'agit
d'un temple au cours d'une guerre précédente, a été entreprise. Quand cette
donnée historique fait défaut, nous nous bornons à indiquer la fourchette
chronologique la plus vraisemblable. Il ressort d'une première lecture de ce
tableau que l'élan donné par la génération des imperatores des deuxième
et troisième quarts du siècle aux constructions de type grec semble un
moment brisé par la génération qui suit immédiatement la crise des Gracques,
pour retrouver quelque force, mais selon des modalités différentes, à la
charnière du IIe et du Ier siècle. Qu'en est-il plus précisément?
Dès 167 av. J.-C, Cn. Octavius avait donc fait construire, non loin
de l'endroit où s'élèverait plus tard le théâtre de Pompée 3, avec les manubiae
de son triomphe sur Persée, une porticus définie comme duplex par Pline
l'Ancien, qui nous apprend en outre qu'on la disait corinthienne parce que
ses colonnes portaient des chapiteaux en bronze 4. Ces deux particularités,
réexaminées récemment par B. Olinder5, ne se situent pas sur un même

3 Festus, 188 L: Octaviae porticus duae appellantur, quorum altérant, theatro Marcelli
propiorem, Octavia soror Augusti fecit; alteram theatro Pompei proximam Cn. Octavius
Cn. filius, qui fuit aedilis curulis, praetor, consul, decemvirum sacris faciendis, triumphavitque
de rege Perseo navali triumpho. Il est clair que Festus reproduit, pour le second portique,
une source qui donnait une lecture complète de l'inscription dédicatoire, sans doute conservée,
ou du moins restituée lors de la réfection augustéenne.
4 Pline, HN, 34, 13: invento et a Cn. Octavio, qui de Perseo rege navalem triumphum
egit, factam porticum duplicem ad circum Flaminium, quae Corinthia sit appellata a capitulis
aereis columnarum.
5 B. Olinder, Porticus Octavia in circo Flaminio, topographical Studies in the Campus
Region of Rome, AIRRS, sér. in 8°, 11, Stockholm, 1974, p. 83 seq. On ne saurait retenir
la thèse de cet auteur qui, en dépit de données textuelles aussi précises que celles de Festus,
188 et de Velleius Paterculus, II, 1, 1-2, tient pour une identité entre la porticus Octavia
110-100 Temple d'Hercules M. Octavius Construction. Vœu. ? tholos marbre du corinthien
Victor ou Invictus Hersennus périptère Pentélique
ad Portam Trigemi- à crépis
nam (tholos du
rum Boarium)
101 Temple d'Honos et C. Marius, cos. Construction. Manubiae C. Mucius périptère tuf -travertin ionique
Virtus 107 des Cimbres et des sans
Teutons. posticum
101 Temple de la Fortuna Q. Lutatius Construction. Manubiae tholos tuf-travertin corinthien
huiusce diei (B du Catulus, cos. 106 des Cimbres. périptère
Largo Argentina) à podium
100-90 Temple sous S. M. Antonius? Restauration. Hermodoros périptère marbre du ionique ?
vatore in Campo de Salamine? à crépis Pentélique
(= Temple de Neptune
in circo flaminio)
100-90 Temple de Janus (?) Restauration. périptère pépérin et ionique
(Nord du Forum sans travertin
Holitorium) posticum
à podium
390 PIERRE GROS

plan: la première, qui concerne l'ordonnance du portique, semble le désigner


comme une œuvre directement dérivée des grandes compositions contem
poraines de l'Asie hellénistique, telle la ιερά στοά de Priène, qui comportait
aussi deux travées séparées par une colonnade interne6. L'expression latine
ne peut être en effet que la transcription pure et simple de l'expression
technique grecque διπλή στοά, qui désigne, dans la majorité de ses emplois
littéraires ou épigraphiques, un portique dont l'auvent, deux fois plus large
que celui des portiques simples, est soutenu par deux files de colonnes7.
Vitruve donne d'ailleurs de ce genre d'édifice une description précise, dont
la base théorique ne remonte certainement pas au-delà du début du IIe s.8.
Nous serions donc en présence d'une transposition, au cœur du quartier
dit in circo flaminio, qui offrait alors un champ libre aux constructions
monumentales9, de ce qui se faisait de plus récent en matière d'architecture
urbaine à Priène, à Pergame, à Halicarnasse 10. Sans postuler la présence à
Rome d'un praticien originaire de ces régions, dont le nom nous aurait
peut-être été conservé par la tradition, relativement prolixe sur ce singulier
édifice, on peut au moins supposer que le plan, Vichnographia n, en avait
été rapporté dans les bagages d'Octavius, dont on connaît le long voyage
de propagande en 170-169, aux côtés de G. Popilius Laenas, dans le
Péloponnèse et en Epire 12. La mise en place de cette double rangée de
colonnes aux rythmes et aux dimensions différents impliquait en tout cas
une sérieuse familiarité avec les constructions hypostyles à grande portée,

et la porticus Octaviae, la porticus Metelli n'étant selon lui qu'une étape transitoire du même
édifice, due à l'action du Macédonique.
6 Cf. en dernier lieu M. Schede, Die Ruinen von Priène, Berlin, 1964, p. 49 seq.
7 J. J. Coulton, dans sa note Διπλή στοά (AJA, 75, 1971, p. 183-184) a repris l'ensemble
des données épigraphiques et archéologiques. Des trois possibilités théoriquement impliquées
dans l'expression (portique à deux étages, à deux façades, à deux travées), seule la dernière
est normalement utilisée, sauf indication explicite différente.
8 Vitruve, V, 9, 2. Voir aussi V, 11, 1, et V, 11, 2, où l'expression porticus duplex
désigne toujours un portique à deux travées. Cf. B. Olinder, op. cit., p. 89 seq. Sur l'origine
du schéma, voir A. Birnbaum, Vitruvius und die griechische Architektur, Denkschrift Kais.
Akadem. der Wissenschaften in Wien, 57, 4, 1914, p. 36 seq.
9 Cf. F. Coarelli, loc. cit., dans Dialoghi di Archeologia, 1968, p. 305 seq.
10 Cf. J. J. Coulton, loc. cit.
11 Vitruve, I, 2, 2: ichnographia est circini regulaeque modice continens usus, e qua
capiuntur formarum in solis arearum descriptiones (texte de Fensterbusch).
12 Polybe, 28, 2-5; Tite-Live, 43, 17, 2-10. Cf. P. Charneux, Rome et la confédération
achéenne, dans BCH, 81, 1957, p. 181 seq. Octavius effectua aussi en 163-162, un voyage en
Orient, au cours duquel il devait être assassiné.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 391

et constituait pour la Rome de l'époque une manière de prouesse, qui valut


sans doute au portique de conserver, fait rarissime, une dénomination dictée
par son plan 13.
Les chapiteaux de bronze - entendons les feuilles de métal, qui r
ecouvraient les chapiteaux de pierre laissés en épannelage 14 - devaient être
corinthiens. Certes l'épithète corinthia, appliquée au portique tout entier,
semble se référer, dans la notice de Pline, à l'origine géographique du bronze,
mais il s'agit sans doute d'un adjectif d'excellence, comme pour les candé
labres du paragraphe précédent15, et le mot latin ne désigne pas davantage
une provenance que le mot grec κορίνθιου ργεΐς employé au IIe s. av. J.-C.
par Callixénos de Rhodes pour désigner les chapiteaux du palais flottant
de Ptolémée IV 16. Pline, ne l'oublions pas, parle ici de ce qu'il n'a jamais vu
(invenio . . .) et F. Münzer a bien montré quelles difficultés il rencontrait,
dans ce passage précisément, pour illustrer avec des exemples romains le
canevas qu'il trouve dans sa source 17.
De fait ce type de décor semble avoir été plaqué essentiellement sur
les chapiteaux à feuilles d'acanthes, et son aire d'extension paraît être
l'Orient hellénistique, où les métaux précieux ou semi-précieux jouent dans
l'architecture un rôle beaucoup plus important qu'en Grèce propre 18. Si
l'on songe que, selon Pline encore, l'usage des meubles en bronze ne se
répandit à Rome qu'après la victoire sur l'Asie et le triomphe, en 187, de

13 II est remarquable qu'aucun des autres portiques ou quadriportiques de Rome ne soit


défini dans les textes par une de ses caractéristiques architecturales. Sur la signification du
singulier et du pluriel dans les emplois de porticus, cf. B. Olinder, op. cit., p. 91. En fait,
il est impossible de déterminer, dans l'état actuel de la documentation, si la porticus Octavia
était composée d'une seule aile, ou s'il s'agissait d'un quadriportique, comparable en cela à la
porticus Metelli. On peut envisager aussi, à titre d'hypothèse, que le portique à double travée
n'était qu'une partie - la plus importante par sa largeur - de ces peristylia quadrata dont
Vitruve rappelle que seule l'aile méridionale doit être duplex. Cf. V, 11, 1: peristylia quadrata...
ex quibus très porticus simplices disponantur, quarta, quae ad meridianas regiones est conversa,
duplex. Cette structure, présentée par le théoricien comme caractéristique des palestres, pouvait
très bien être transposée dans un contexte urbain.
14 Cf. R. Vallois, L'architecture hellénique et hellénistique à Délos I, Paris, 1944,
p. 307 seq.; Ph. W. Lehmann, Roman Wall Paintings from Boscoreale, 1953, p. 85-86.
15 Pline, HN, 34, 12: sed cum esse nulla Corinthia candelabra constet, nomen id praecipue
in his celebratur.
16 Cf. G. Roux, L'architecture de l'Argolide aux IVe et IIIe s. av. J.-C, Paris, 1961,
p. 360 seq.
17 F. Münzer, dans Hermes, 30, 1895, p. 501.
18 Cf. H. Drerup, Zum Austattungsluxus in der römischen Architektur, Münster, 1957,
p. 15 seq. et R. Vallois, op. cit., ibid.
392 PIERRE GROS

Cn. Manlius19, que, selon Vitruve, les vasa aerea saisis par L. Mummius
dans le théâtre de Corinthe constituaient encore une telle curiosité qu'on
les dédia comme des objets votifs dans le temple de Luna20, l'industrie locale
ne devait être guère en mesure, en cette première moitié du IIe s., d'élaborer
dans ce métal des éléments aussi complexes que des revêtements architec-
toniques: tout laisse à penser que les lames « corinthiennes » étaient des
spolia dont les Romains s'étaient saisis à Pydna ou à Samothrace, parmi
l'immense butin du roi Persée, et qu'elles constituaient à ce titre la curiosité
majeure du nouveau portique. On ne comprendrait pas, autrement, que
l'édifice entier fût désigné par un détail décoratif qui, si l'on s'en tient aux
données vitruviennes sur la porticus duplex, concernait seulement la colon
nade interne, peu visible de l'extérieur puisqu'elle s'élevait plus haut que la
colonnade de façade, laquelle, dorique, aurait dû, en bonne logique, donner
son nom à l'ensemble21.
Il s'agit donc d'une composition hybride, où l'utilisation intelligente
d'un schéma gréco-oriental n'excluait pas la pratique des spolia, cette
dernière s'expliquant sans doute par le triomphalisme du commanditaire,
et la difficulté pour les lapidarii disponibles à Rome de ciseler jusque dans
ses détails un type de chapiteau qu'ils pratiquaient encore peu. Il est clair
qu'Octavius voulut introduire ainsi un élément nouveau dans la trame
urbaine, qui tranchât résolument, par sa « modernité », avec ce qui avait
pu jusqu'alors être construit dans le même genre. La tentative réussit, semble-t-il,
puisque Velleius Paterculus, se faisant l'écho d'une tradition sans doute
ancienne, désigne son portique comme le plus agréable (amoenissima) de
tous ceux qui, au IIe s., furent édifiés par des imper atores22.

19 HN, 34, 14.


20 Vitruve, V, 5, 8: etiamque auctorem habemus Lucium Mummium, qui diruto theatro
Corinthiorum, ea aenea Romam deportava et de manubiis ad aedem Lunae dedicava.
21 Vitruve, V, 9, 2: quae videntur ita oportere conlocari, uti duplices sint habeantque
exteriores columnas doricas... Medianae autem columnae quinta parte altiores sint quant
exteriores, sed aut ionico aut corinthio genere deformentur. Sur ce genre d'ordonnance, voir
par exemple R. Tölle-Kastenbein, Das Kastro Tigani, Samos XIV, Bonn, 1974, p. 40 seq. et
croquis n° 59; S. Stucchi, Architettura Cirenaica, Rome, 1975 (= Monografie di archeologia libica,
IX), p. 118 seq. et fig. 103, p. 122 (portiques O2 et B5 de l'agora de Cyrène. Fin IIIe, début
IIe s. av. J.-C).
22 Velleius Paterculus, II, 1, 2. G. Marchetti Longhi considère que l'adjectif s'applique
à la situation du portique (Capitolium, 31, 1956, p. 136). En fait il semble bien que le plan
et les chapiteaux de bronze aient joué le même rôle, dans l'agrément de cette construction,
que les colonnes en marbre phrygien (c'est-à-dire à veines colorées) utilisées à la basilica
Aemilia, peut-être lors de. sa restauration de 78 av. J.-C. (cf. Pline, HN, 36, 102).
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 393

Les textes concernant le portique de Metellus et le temple de Juppiter


Stator ont connu un destin curieux: ils ont fréquemment été l'objet, soit
d'analyses réductrices tendant à leur refuser toute authenticité ou à les vider
de leur substance, soit d'interprétations qui en gauchissent la teneur23.
C'est qu'ils font état du recours à un architecte et de l'emploi d'un matériau
grecs, ce qui, à date aussi haute, heurte un certain nombre de théories
admises sur l'hellénisation relativement tardive de l'architecture publique
à Rome24. Le précédent du portique d'Octavius devrait pourtant en réduire
la singularité, et un simple regard sur le contexte historique suffit à leur
rendre cette vraisemblance qu'on leur dénie si souvent: l'usage du marbre
du Pentélique après la prise de Corinthe et la réduction de la Grèce en
province est en soi aussi naturel que l'afflux à Rome des minerais d'Espagne
au début du IIe s., ou de ceux de la Macédoine, dont les ressources furent
remises en coupe réglée dès 158 av. J.-C. 25. Il n'y a là qu'un signe parmi
d'autres de la conquête, le plus spectaculaire peut-être, sinon le plus import
ant.S'il est difficile de dire ce qui fut premier dans l'intention des comm
anditaires, de l'exploitation des prestigieuses carrières ou de l'appel aux
maîtres d'œuvre grecs, on conviendra que, en toute hypothèse, ceci était le
corollaire inévitable de cela, car dans une Rome encore vouée au tuf et

23 C'est évidemment le texte de Velleius Pater culus (I, 11, 3-5), et dans ce texte le passage
concernant Yaedem ex marmore, qui a suscité les commentaires les plus nombreux, et parfois
les plus inattendus. Plusieurs archéologues, dans la lignée de H. Drerup, op. cit., n. 66,
lui opposent volontiers le texte de Pline (HN, 17, 6; voir aussi 36, 7) concernant l'atrium
de L. Licinius Crassus (censeur en 92): cum in publico nondum essent ullae marmoreae
(se. columnae). Cf. en dernier lieu F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, op. cit., p. 27, et p. 38 seq.
D'autres exégètes se sont efforcés de donner du mot aedem une interprétation différente de
celle qu'on attend: M. J. Boyd dans PBSR, 21, 1953, p. 152 seq., le considère comme un
équivalent de porticus, et M. Gwyn Morgan, dans Hermes, 99, 1971, p. 486 seq., lui fait désigner
les deux temples contenus dans le portique, et non la seule aedes Jovis Statoris. Pour l'examen
de cette question, cf. MEFRA, 85, 1973, p. 138 seq. Β. Olinder, op. cit., p. 94 seq., reprend
la discussion sous un angle qui n'en accroît pas la clarté, tout le problème étant pour lui
de savoir quand et comment la porticus Metelli fut substituée à la porticus Octavia. Cf. notre
compte-rendu, à paraître dans RA, et la mise au point, claire, de T. P. Wiseman, dans PBSR,
42, 1974, p. 18-19 et p. 20.
24 L'idée fondamentale est qu'avant 100 av. J.-C. le marbre ne saurait être employé à
Rome, et qu'avant la période « syllanienne » (désignation qui recouvre souvent, étrangement,
le deuxième quart du Ier s.) l'influence grecque n'est pas décelable. Cf. H. Drerup, op. cit.
et W.-D. Heilmeyer, Korintische Normalkapitelle, Heidelberg, 1970, p. 33 seq.
25 Cf. sur ces questions en dernier lieu I. Shatzman, Senatorial Wealth and Roman Politics,
Coll. Latomus, 142, 1975, p. 167 seq. et p. 197 seq.
394 PIERRE GROS

au bois, il était exclu que les équipes locales pussent résoudre seules les
problèmes posés par le nouveau matériau.
Sans reprendre le détail du débat qui opposa entre autres M. Gwyn
Morgan à M. J. Boyd26, on peut retenir des notices succinctes mais précises
de Vitruve, Velleius Paterculus et Pline l'Ancien, en en suivant fidèlement
la lettre, que Metellus Macedonicus construisit un quadriportique ou un
portique en Π, qui devait porter son nom, dans la même zone in circo
que celui d'Octavius, réservée apparemment aux tentatives les plus novatrices
de l'oligarchie sénatoriale27. A l'intérieur de ce portique, qui englobait le
temple préexistant de Junon Regina, il édifia celui de Juppiter Stator,
« voué » probablement au moment où la situation en Macédoine était critique,
c'est-à-dire en 148 28. C'est ce dernier temple, Yaedes Metelli de Pline qui,
bâti en marbre - en crustae marmoris comme, après lui, la tholos du Forum
Boarium, plutôt qu'en marmor solidus - est l'œuvre d'Hermodoros, architecte
dont Cornelius Nepos citant Priscien nous apprend qu'il était originaire
de Salamine - sans doute Salamine de Chypre29.
La date de la construction du temple reste difficile à préciser, mais
les analyses de Gwyn Morgan sur la situation politique et juridique de
Metellus ont établi de façon convaincante qu'il avait dû attendre, pour en
décider la locatio, son consulat de 143, ce qui entraîne, sans mettre en
cause l'unité du projet d'ensemble, un léger décalage dans sa réalisation30:
dès son retour à Rome en 146, Metellus avait sans doute passé les contrats
nécessaires à la construction du portique, considéré peut-être comme un
complexe privé; il lui fallait en effet offrir le plus rapidement possible un

26 Supra, n. 21.
27 Cf. F. Coarelli, loc. cit., p. 307 seq.
28 Cf. M. Gwyn Morgan, loc. cit., p. 499.
29 Priscien, Inst, 8, 4, 17: aedis Martis est in circo Flaminio architectata ab Hermodoro
Salaminio. Cf. F. W. Schlikker, Hellenistische Vorstellungen von der Schönheit des Bauwerks
nach Vitruv, Berlin, 1940, p. 29 seq; P. Gros, loc. cit., p. 150 seq. On constate en fait que
la Salamine du golfe Saronique disparaît à partir du début du IIe s. des listes olympioniques,
sans doute parce qu'on considère qu'elle fait un tout avec Athènes. Du même coup la mention
de Salamine sans spécification ne peut s'appliquer qu'à la cité chypriote, cf. L. Moretti,
Olympionicai, dans Mem. Accad. Naz. dei Lincei, Rome, 1957, p. 144, n° 611.
30 M. Gwyn Morgan, loc. cit., p. 500 seq., montre que Metellus avait toutes les raisons,
électorales et administratives, pour prendre les mesures nécessaires à la réalisation de son
«voeu» dans les premiers mois de 143. Seul en effet un magistrat pourvu de Yintperium
peut s'acquitter de ces opérations, et les exemples antérieurs attestent que les imperatores
ont toujours su remarquablement situer aux points forts de leur carrière le votum, la locatio
et la dedicatio des temples qu'ils faisaient construire.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 395

abri et un cadre aux œuvres splendides qu'il avait rapportées, parmi le


squelles la célèbre turma Alexandri51. Qu'il ait en revanche laissé passer
quelques années avant la mise en chantier du temple, cela paraît d'autant
plus probable que, indépendamment des arguments présentés par Gwyn
Morgan, il convient d'admettre un certain délai entre la chute de Corinthe
et l'exploitation, au profit des imperatores, des carrières du Pentélique, dont
Metellus aurait été le premier à user pour un édifice romain. On comprend
d'autant mieux dans ces conditions que l'architecte Hermodoros n'ait été
responsable, selon les textes, que de Vaedes: il peut avoir été recruté nett
ement après le commencement, voire l'achèvement de la porticus, et il n'est
pas interdit de poser, à titre d'hypothèse, qu'il vint à Rome à la suite de
l'ambassade de 140 en Méditerranée orientale, à laquelle L. Caecilius
Metellus Calvus, le jeune frère du Macédonique, avait pris part32.
On devine en tout cas le soin apporté par Metellus à la construction
de ce temple: outre l'importance attachée par le commanditaire à la réussite
de l'opération, essentielle pour la suite de sa carrière33, il faut mesurer
les difficultés impliquées dans l'élaboration de ce qui allait devenir à Rome
le premier téménos grec. Il est permis de s'interroger sur l'opportunité
d'implanter dans un site de vallée comme la dépression du circus Flaminius
une structure mise au point par les Attalides pour les architectures en ter
rasses où les perspectives ascendantes jouent le rôle essentiel34; mais dans
la mesure où ces projets participaient moins d'une visée urbanistique
cohérente que du souci de présenter, dans ce nouveau quartier, un échantil-
lonage aussi luxueux que possible des diverses formules qui faisaient, aux
yeux des Romains, le prestige des cités hellénistiques, peu importait au
fond que l'adaptation en fût plus ou moins heureuse, pourvu que l'allusion,
pour les connaisseurs, fût sans ambiguïté. En cela, la présence d'un périptère
ionique, construit selon les normes les plus nouvelles, avec le matériau le
plus éclatant, ne pouvait être que positive.
Ce n'est sans doute pas le fait du hasard, si, parmi les quelques temples
périptères que comptait Rome à la fin de la République, Vitruve choisit

31 Elle était, d'après Velleius Paterculus, I, 11, 3, placée de telle sorte que les cavaliers
de Lysippe fissent face aux temples, frontem aedium spectant. Cf. Pline, HN, 34, 64.
32 A. E. Astin, op. cit., p. 127. Voir aussi, id., daas Class. Phil., 54, 1959, p. 221 seq.
33 M. Gwyn Morgan a bien mis en évidence le lien étroit qui existe entre l'exécution
d'un « manubial building » et la progression de la carrière pour les principaux membres de la
nobilitas de la fin du ΙΙΓ et du IIe s. avant J.-C. Cf. loc. cit., dans Klio, 55, 1973, p. 223 seq.
34 Cf. R. Martin, L'urbanisme dans la Grèce antique, 2e edit, Paris, 1974, p. 145 seq.
et p. 218 seq.
396 PIERRE GROS

celui de Juppiter Stator pour illustrer sa définition35: il devait apparaître


aux yeux du théoricien comme l'un des rares édifices de VUrbs relevant
de la stricte orthodoxie ionique. Formé au cours des années 170-150, c'est-à-dire,
si l'on s'en tient à la chronologie traditionnelle, pratiquement contemporain
d'Hermogénès d'Alabanda36, Hermodoros venait de cette île de Chypre où
la présence des Lagides entretenait depuis plus d'un siècle un goût persistant
pour les modèles architecturaux élaborés dans l'Asie hellénistique 37. En cette
première moitié du IIe s., sous le règne de Ptolémée VI Philomètor, Chypre
semblait, d'ailleurs, malgré les luttes incessantes dont elle restait l'enjeu38,
s'ouvrir encore plus largement qu'auparavant aux influences grecques39.
Nul doute qu'Hermodoros n'ait été en son temps l'un des représentants
les plus autorisés de la tradition qui, de Pythéos et Satyros jusqu'à Hermo-
génès, avait conduit l'ordre ionique à sa perfection; dépositaire de cet
esthétisme un peu sec récemment étudié par W. Hoepfner, dont Vitruve
sera, sur le plan théorique, le dernier héritier40, il dut élever à Rome, sans

35 Dans
36 Vitruve,une
III, remarquable
2, 5. Sur les problèmes
synthèse, posés
E. Akurgal
par ce reprend
texte, cf. MEFRA
les opinions
85, 1973,
les p.
plus137com
seq.
munément admises sur la période d'activité d'Hermogénès: 2e et 3e quarts du IIe s. {Ancient
Civilizations and Ruins of Turkey, 2e edit., Istanbul, 1970, p. 21-25. Voir aussi G. Gruben,
Die Tempel der Griechen, Munich, 1966, p. 368). Cependant les partisans de la chronologie
haute (par ex. W. Hahland, dans JÖAI 38, 1950, p. 91 seq.) ont retrouvé des arguments depuis
la découverte de la fameuse inscription de Téos, qui semble prouver que la construction du
temple de Dionysos était achevée en 204-203 av. J.-C. (cf. P. Hermann, dans Anatolia, 9,
1965, p. 33 seq.). Le dernier état du problème est donné par W. Alzinger, Augsteische
Architektur in Ephesos, Vienne, 1974, p. 95 seq., n. 333.
37 Cf. W. Hoepfner, Zwei Ptlolemaierbauten, AM, Beiheft 1, Berlin, 1971, p. 87 seq.
(sur la diffusion de l'ionisme oriental par les architectes ptolémaïques).
38 M. Hofmann, dans RE, 23, 2, 1959, col. 1702-1720 (sur le règne de Ptolémée VI,
Philomètor).
39 Notons par exemple la construction d'un gymnase à Salamine, dès la fin du IIIe s.
(J. Delorme, Gymnasium, Paris, 1960, p. 198; J. Pouilloux, dans RA, 1966, p. 337 seq. et
RA, 1971, p. 291 seq.). D'autre part la présence de Salaminiens de Chypre, commerçants ou
banquiers à Délos, à Athènes et en Italie méridionale, la facilité avec laquelle ces Grecs
d'Orient échangent, au IIe s., leur nationalité d'origine contre la citoyenneté de villes de Grande
Grèce sont autant d'indices d'une véritable «marche vers l'Ouest» dont J. Pouilloux a récem
ment souligné l'importance {Salaminiens de Chypre à Délos, dans Etudes déliennes, Supplé
mentI au BCH, Paris, 1973, p. 399 seq.). Il est possible que la venue d'Hermodoros à Rome
s'inscrive dans cette dynamique, où les hommes d'affaires n'étaient pas seuls à être impliqués,
même s'ils en étaient les éléments moteurs.
40 W. Hoepfner, Zum ionischen Kapitell bei Hermogenes und Vitruv, dans AM, 83,
1968, p. 213 seq.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 397

doute avec l'aide d'une équipe gréco-orientale de marmorarii 41, un sanctuaire


impeccable, qui était appelé à constituer le centre monumental et religieux
de l'aire circonscrite par les portiques. Il n'est pas inutile de rappeler qu'à
l'époque de Varron certains érudits définissaient comme le type même du
delubrum Vaedes Jovis et l'espace qui l'entourait: delubrum . . . alios
existimare, in quo praeter aedem sit area assumta deum causa ut est in
circo Flaminio Jovis Statoris42. C'est là semble-t-il la preuve de la prédo
minance du temple grec, qui avait transformé en une simple annexe cultuelle
le portique métellien tout entier.
Bien qu'on ne dispose sur le temple de Mars d'aucune donnée parti
culière, il est légitime d'admettre que Hermodoros avait construit pour
D. Junius Brutus Callaicus un édifice du même type43; l'opération s'avéra
peut-être d'autant plus digne d'intérêt que le matériau n'était plus le marbre,
mais les tufs et le travertin locaux: elle impliquait alors de la part de
l'architecte et de son équipe un effort de transcription, dont les bâtisseurs
romains pouvaient ensuite faire leur profit. Mais ce n'est qu'une hypothèse
invérifiable, et rien ne prouve que Vaedes Martis n'était pas, elle aussi,
construite en marbre du Pentélique 44.
Ce qui reste important, et doit être noté, c'est la liberté d'action de cet
Hermodoros qui, apparemment, n'était pas lié à une « clientèle » ou à un
« cercle » déterminés 45; il pouvait accueillir et sans doute aussi librement

41 Le déplacement d'équipes de tailleurs de pierres accompagnant un architecte est


attesté pour le monument votif d'Olympie et pour la restauration du colosse des Rhodiens à
Delphes. Cf. W. Hoepfner Zwei Ptolemaierbauten, op. cit., p. 50 seq. On sait d'autre part
que les chapiteaux du temple rond du Forum Boariutn furent taillés sur place par des marmorarii
grecs. Cf. F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, op. cit., p. 9 et p. 20 seq.
42 D'après Macrobe, Saturn., Ill, 4, 2. Voir aussi Servius, Ad. Aen. II, 225 (cf. B. Olinder,
op. cit., p. 40).
43 Nous reprenons, pour le début de la construction de ce temple, la date de 132, qui
s'accorde avec celle du triomphe sur la Lusitanie, telle que A. Degrassi l'a définie (133). Cf.
Inscriptiones Italiae, XII, Fasti et Elogia, 1, Rome, 1947, p. 558; F. Coarelli, loc. cit., p. 313;
B. Olinder, op. cit., p. 96, n. 50; I. Shatzman, op. cit., p. 253.
44 II nous paraît difficile de suivre F. Coarelli lorsqu'il propose d'attribuer les éléments
de fronton en terre cuite retrouvés dans la via San Gregorio, à ce temple construit par un
architecte gréco-oriental, dont on sait par ailleurs qu'il était orné d'œuvres d'art helléniques
(cf. Polycles, Studi Miscellanei, 15, 1970, p. 85 seq.).
45 Quelles que soient les réserves qu'on puisse faire sur cette notion de « cercle » (cf.
A. E. Astin, op. cit., p. 294 seq.; G. Garbarino, op. cit., I, p. 13 seq. et p. 47 seq.; et
M. A. Momigliano, Polibio, Posidonio e l'imperialismo romano dans Actes du Congrès de
l'Ass. G. Budé, Paris, 1975, p. 190 seq.), on conviendra que Hermodoros n'était pas intégré
au personnel technique ou artistique attaché à la personne d'un grand personnage, à la façon
398 PIERRE GROS

solliciter les commandes des représentants les plus brillants de la nobilitas.


On imagine le praticien proposant plans et maquettes aux riches com
manditaires: ceteri . . . ambiunt ut architectent, comme dira plus tard Vitruve,
non sans amertume46. Il est possible en outre, comme nous l'avons rappelé
ailleurs, qu'Hermodoros ait laissé des écrits théoriques, cédant à ce goût
de la codification qui est propre aux bâtisseurs de l'hellénisme tardif.
Le problème qu'on ne peut manquer de se poser à ce point de notre
réflexion est celui de l'influence réellement exercée par ces essais de trans
plantation directe d'une architecture gréco-orientale sur les rives du Tibre.
Les équipes qui sont venues travailler à Rome à cette occasion ont-elles
formé école, et leurs travaux ont-ils servi de modèles?
A en juger par les édifices bâtis par la génération du dernier quart
du siècle, il est permis d'en douter. Pour la période qui suit immédiatement
la crise des Gracques, les textes ne font état d'aucune tentative comparable,
et les vestiges des trois temples majeurs construits ou reconstruits par les
Optimates - aedes Concordiae, aedes Castoris et aedes Magnae Matris -
ne semblent pas, pour autant qu'on puisse les déchiffrer, avoir présenté
beaucoup d'éléments ioniques47. Pour le matériau d'abord, on constate
l'abandon du marbre: on pouvait cependant attendre des nouveaux maîtres
de Rome, et particulièrement de ces Metelli qui s'assurent alors un quasi
monopole du consulat et de la censure, qu'ils veuillent suivre sur ce point
l'exemple de leurs père et oncle48; les ressources tirées de leurs manubiae

par exemple de ces spécialistes dont Aemilius Paulus avait peuplé sa maison (Plutarque, Aem.,
IV, 9). Sur l'hostilité politique qui sépara longtemps les Metelli du «cercle» des Scipions, cf.
R. Syme, dans JRS, 34, 1944, p. 105 seq. (critique de W. Schur, Das Zeitalter des Marius
und Sylla, Klio, Beiheft 46, Leipzig, 1942). Sur le cercle de Brutus Callaicus, patron d'Accius,
cf. A. La Penna, dans Dialoghi di Archeologia, 1971, p. 205 seq. et A. E. Astin, op. cit., p. 296.
46 VI, praef. 5.
47 Pour les phases pré-augustéennes de ces temples, cf. H. F. Rebert, H. Marceau, The
Temple of Concord in the Roman Forum, dans MAAR, 5, 1925, p. 53 seq.; Tenney Frank,
The First and Second Temples of Castor at Rome, ibid., p. 79 seq.; P. Romanelli, dans
Mon. Ant, 46, 1963, p. 201 seq. (pour le temple de la Magna Mater; les résultats de la
fouille du site ont été résumés dans Hommages à Jean Bayet, Bruxelles, 1964, p. 619 seq.).
48 Le pouvoir des Metelli atteint en effet son apogée entre 120 et 115. Cf. M. Gwyn
Morgan, loc. cit., dans Athenaeum, 49, 1971, p. 298. Sur L. Metellus Dalmaticus, fils aîné
du Calvus, neveu du Macédonique, consul en 119, triomphateur de la Dalmatie en 118, cf.
J. van Ooteghem, Les Caecilii Metelli de la République, Bruxelles, 1967, p. 106 seq. et
M. Gwyn Morgan, ibid., p. 289 seq. Sur l'auteur de la restauration de la Magna Mater, identifié
en dernier lieu à C. Metellus Caprarius, consul en 113, triomphateur de la Thrace en 111,
cf. M. Gwyn Morgan, loc. cit., dans Klio 55, 1973, p. 235 seq. Les vers d'Ovide (Fastes, IV,
247-48: templi non perstitit auctorl Augustus nunc est, ante Metellus erat) laissent en fait
le champ libre à plusieurs hypothèses. Cf. Van Ooteghem, op. cit., p. 104.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 399

devaient leur assurer des possibilités comparables à celles du Macédonique, et


l'insécurité de la mer, parfois invoquée pour expliquer ce reflux, ne se fera
sentir que plus tard: c'est seulement en 102 que M. Antonius sera dépêché,
comme préteur, contre les pirates de Cilicie49, et les luttes navales, qui se
poursuivront jusqu'au milieu du Ier s. av. J.-C, n'empêcheront d'ailleurs pas
le recours au marbre du Pentélique, comme le prouvent la tholos du Forum
Boarium et le temple de S. Salvatore in Campo 50. En l'occurrence l'impor
tancepolitique et religieuse des édifices restaurés sur le Forum et le Palatin
pouvait justifier une dépense du même genre, d'autant plus qu'Hermodoros
était toujours présent à Rome, si l'on admet qu'il devait, à l'extrême fin
du siècle, construire les navalia51.
Pour le plan, il faut noter en premier lieu le retour en force du podium,
qui cependant ne devait pas exister dans les périptères « grecs » construits
au cours des années 140, pourvus seulement d'une crépis, comme plus tard
la tholos du Forum Boarium 52. Le podium des Dioscures du Forum était
même exceptionnellement élevé, par rapport aux dimensions d'ensemble de
l'édifice, puisqu'il dépassait 6 mètres53. L'état des vestiges de ces temples,
qui allaient tous trois être reconstruits à l'époque augustéenne, ne permet
pas de savoir quelles étaient à la fin du IIe s. les moulures de base et de
couronnement de leurs puissants massifs d'opws caementicium, sans doute
revêtus de travertin. Et c'est dommage car ils nous eussent permis de mesurer,
à cette date, le degré de pénétration des modénatures ioniques dans l'archi
tecture romaine.
Un passage de Vitruve, sans permettre de restituer des moulures
précises, garde cependant la trace du travail de transposition effectué, selon
toute vraisemblance par les architectes locaux, au cours de cette période
où l'on commençait à tirer les leçons d'un premier contact avec les
profils gréco-orientaux: s/w autem circa aedem ex tribus lateribus podium
faciendum erit, [ad] id constituatur, uti quadrae, spirae, trunci, coronae,
lysis ad ipsum stylobatum, qui erit sub columnarum spiris, conveniant54.

49 Cf. F. Tannen Hinrichs, Die lateinische Tafel von Bantia und die «lex de Piratis»,
dans Hermes, 98, 1970, p. 494 seq. Sur la réduction du commerce en Méditerranée orientale
au début du ΓΓ s. av. J.-C, voir par ex. P. Baldacci, dans Recherches sur les amphores romaines,
Collection de l'Ecole Française, 10, Rome, 1972, p. 18.
50 Sur le temple de S. Salvatore in Campo, construit en marbre du Pentélique, cf.
MEFRA, 85, 1973, p. 150 seq.
51 Cicéron, De Oratore, I, 62; cf. F. Coarelli, loc. cit., p. 340.
52 Pour la tholos du Forum Boarium, cf. F. Rakob, op. cit., p. 2 seq., planches 5 seq.
et Beilage 6. Pour le temple de S. Salvatore in Campo, cf. MEFRA, 85, 1973, p. 151.
53 Tenney Frank, loc. cit., p. 100.
54 Vitruve III, 4, 5 (texte de Fensterbusch).
400 PIERRE GROS

Si le théoricien recourt ici, au prix d'impropriétés qui rendent presque in


traduisible son texte, au vocabulaire des ordres grecs pour nommer les dif
férentes parties du podium, c'est qu'il suit fidèlement la démarche de ceux
qui les premiers ont voulu « habiller » selon les nouvelles normes un
élément dont l'architecture hellénistique n'offrait que peu d'exemples, et qui
en étaient réduits à reprendre sur un registre mineur les diverses composantes
des colonnes et des entablements. La tradition ionique les y invitait d'ailleurs,
puisque la mouluration de la base des murs - assise convexe sous baguette
au pied des orthostates, couronnement d'arasés ou καταλοβεύς taillé comme
une petite corniche -, maintenue pour les grands temples d'Asie Mineure,
tendait elle aussi à reproduire certains profils des ordres55. Il est clair qu'ici
quadrae est l'équivalent de plinthe, et désigne en fait l'assise quadrangulaire
sur laquelle reposent les plaques de revêtement du noyau de caementicium 56;
le mot spira qui, dans la terminologie vitruvienne, désigne la partie ondée
de la base attique (tores et scotie) 57, s'applique aux moulures inférieures
du podium, qui, dans leurs premières versions hellénisées, offraient effective
ment, sous la doucine, un tore imité de l'élément inférieur de l'ordre ionique,
à savoir la base des colonnes58; truncus, que l'on trouve plus souvent avec
le sens de fût59, évoque maladroitement la partie verticale des orthostates
et équivaut ici au mot français «dé»; quant à corona, il comporte une
allusion claire au larmier des corniches d'entablement, dont on retrouve le
souvenir sur les couronnements de podium dès la fin du IIe s. 60; l'emploi de
lysis semble seul indiquer une certaine réticence à assimiler ces modé-
natures secondaires à celles des corniches: le mot ne peut désigner ici qu'un

55 Cf. R. Martin, Manuel d'architecture grecque, I, Paris, 1965, p. 361 seq.


56 Le mot désigne en fait, dans les autres passages du livre III où il apparaît, une
baguette quadrangulaire (baguettes d'encadrement de la scotie de la base attique, en III, 5, 2:
altera pars cum suis quadris scotia; bordure de l'abaque du chapiteau ionique en III, 5, 5
et III, 5, 7: abaci quadrarti).
57 La spira est la base praeter plinthum. Voir pas ex. III, 5, 3-4.
58 Cf. L. T. Shoe, Etruscan and Republican Roman Mouldings, MAAR, 25, 1965, p. 24
et p. 182 seq., pi. 58 (un bon exemple est fourni par le temple d'Hercule à Ostie).
59 Cf. IV, 1, 7.
60 III, 5, 11: corona cum suo cymatio, praeter simam, quantum media fascia epistylii.
Corona désigne chez Vitruve la partie antérieure du larmier ionique. Sur l'introduction des
éléments de corniche dans la modénature des couronnements de podium, cf. L. T. Shoe,
op. cit., p. 173 seq. La présence de la doucine droite, moulure de cimaise par excellence, a
entraîné, dans beaucoup de couronnements complexes, une référence plus ou moins explicite
à la corona.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 401

équivalent non monumental de la sima, moulure en doucine ou en congé,


qui permet le passage d'un plan vertical à un plan horizontal61.
Il est instructif de constater que l'une des meilleures transcriptions
plastiques du texte vitruvien est offerte par la modénature du socle des
murs de la tholos du Forum Boarium 62: nul doute qu'elle n'ait joué, comme
avant elle les temples d'Hermodoros, un rôle décisif dans la mise au point
de l'ornementation des podiums; aussi bien les architectes romains n'avaient
qu'à transposer, à un niveau inférieur, des profils dont le rôle à la base
du τοίχος des temples à crépis, comme sur le podium des temples à escalier
frontal, consistait à amorcer et à clore une plate-forme distincte du reste
de l'édifice.
Cependant, quelle qu'ait pu être la « modernité » de ses profils, le
podium enlevait une partie de sa raison d'être au plan périptère en excluant
toute possibilité réelle â'ambulatio63. Aussi, pour les trois temples de cette
fin du IIe s., ne semble-t-il pas avoir été retenu: si l'on ne peut restituer
avec sûreté le plan du temple opimien de la Concorde, dans l'ignorance où
nous sommes de ses rapports exacts avec la basilique qui le jouxtait64, il
est sûr en revanche que les deux autres sanctuaires, Dioscures du Forum
et Magna Mater du Palatin, étaient prostyles hexastyles, ce qui permettait
de conserver à la cella l'importance relative qu'elle avait toujours eue dans
les édifices religieux italiques. Quant à l'ordre, il est difficile d'affirmer avec
assurance qu'il était, pour ces trois temples, corinthien. Les chapiteaux

61 Cf. V, 7, 6: description du couronnement du podium des colonnes du mur de scène


dans le théâtre.
62 F. Rakob, W.-D. Heilmeyer, op. cit., Beilage 13.
63 Dans la seconde moitié du Ier s. av. J.-C. et à l'époque augustéenne le plan périptère
trouvera, en dépit du podium, une significcation plus plastique que structurelle, quand les
temples deviendront les points forts d'une architecture processionnelle. Cf. P. Gros, Aurea
Templa, Recherches sur l'architecture religieuse de Rome à l'époque d'Auguste, Thèse lettres,
Paris, 1974, p. 201 seq. (exempl. dactylographié).
64 Les deux édifices sont réunis par Cicéron dans la même locution (Pro Sestio, 140):
celeberrimum monumentum Opimii. Les tentatives de reconstruction de A. von Gerkan restent
en ce domaine hypothétiques (cf. Il sito del Sacello di Giano Gemino a Roma, dans Rendic.
della Reale Accad. di Archeologia, Naples, 21, 1944, repris dans Von antiker Architektur
und Topographie, p. 57 seq.). J'avoue ne pas saisir ce que veut dire A. M. Colini, dans BC,
1940, p. 53-54, n. 55, quand il parle, pour le temple pré-augustéen de la Concorde, d'un
«plan normal allongé avec dix colonnes de façade». H. F. Rebert, dans MAAR, 5, 1925, p. 62 seq.,
évoque seulement des superstructures en tuf, pépérin et travertin. Des doutes ont été émis
sur la présence d'un temple antérieur (celui de Camille) au même endroit, cf. A. Momigliano,
dans Cl. Qu. 36, 1942, p. 115 seq.
402 PIERRE GROS

actuels de la Magna Mater n'ont pas seulement été restuqués lors de la


restauration d'Auguste: leur forme et leurs proportions les désignent comme
des créations influencées par l'exemple prestigieux de ceux du temple de
Mars Ultor65. Pour les deux autres temples, peu de traces ont été retrouvées
de leur colonnade et de leur entablement, dans leur version de la fin du
IIe s. Un indice seulement pour Vaedes Castoris: l'architrave de travertin
ne présentait que deux fasciae, selon les habitudes héritées de la « Tuffar-
chitektur » 66. La description que Cicéron donne de cet édifice dans les
Verrines confirme ce que nous pouvions tirer de l'examen des vestiges, à
savoir que ses colonnes étaient en pépérin stuqué, mais n'apporte aucun
indice sur la nature des chapiteaux 67. Pour le temple opimien de la Concorde,
G. Lugli mentionne les restes d'une base de colonne, et d'un « grand chapiteau
d'ante en travertin », découverts apparemment pendant la dernière guerre;
aucun cliché n'a, sauf erreur, été publié de ce dernier, mais il est probable
qu'il était corinthien - ce qui ne permet pas d'ailleurs de conclure avec
sûreté que les colonnes libres l'étaient aussi68.
Quoi qu'il en soit, l'aspect d'ensemble de ces temples devait rester très
italique; il ne conservait sans doute plus grand chose, sauf peut-être dans
certains détails de modénature, de l'arrogante volonté de rupture avec la
tradition, qui avait marqué quelques-unes des plus importantes créations
des imperatores de la période précédente. A cela deux raisons, croyons-nous.
L'une, politique, pourrait se formuler ainsi: après la crise gracquienne,
la classe dirigeante fait du respect du mos maiorum le fondement idéologique
de l'abolition des réformes; l'on comprend qu'elle n'estime plus opportun
de créer, dans la trame urbaine d'une Rome où le tuf, le bois et les terres
cuites continuent de modeler le visage des principaux édifices, des îlots
« hellénistiques » qui présenteraient à ses yeux le double inconvénient de ne
pas se situer dans la ligne générale de son action, et de heurter, à la façon
d'une comédie de Térence trop directement inspirée des modèles grecs, les
habitudes et les goûts des populäres69. L'opération, dans le cas des trois
temples majeurs que nous avons évoqués, eût été d'autant plus imprudente

65 Cf. W.-D. Heilmeyer, Korintische Normalkapitelle, Heidelberg, 1970, p. 122.


66 Tenney Frank, loc. cit., p. 90 et p. 100.
67 Cicéron, In Verrem, II, 1, 129, 133, 145.
68 G. Lugli, Roma antica, II centro monumentale, Rome, 1946, p. 112.
69 II est remarquable que l'arrogance impliquée dans la reconstruction du temple de la
Concorde par le chef du Optimates, après la mort de C. Gracchus et le massacre de 3.000
de ses partisans, ne se soit pas traduite, pour autant qu'on puisse en juger, par une archi-
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 403

qu'elle eût affecté quelques-uns des lieux les plus fréquentés et les plus
vénérés de Rome70. La faction modérée de la nobilitar, qui garde en mains
la situation, reprend en fait à son compte l'attitude pragmatique et discrète
qui avait toujours été d'ailleurs celle des nobles les plus intelligents de la
période antérieure, soucieux surtout de filtrer ce qui, dans la culture grecque,
pouvait être utile aux techniques du pouvoir et de la conquête 71. L'austérité
de la censure de Scipion Emilien en 142 avait déjà su marquer avec fermeté,
face à un Mummius enivré par le nombre et la splendeur des spolia de
Corinthe, la nécessité d'un retour urgent aux maiorum instituta 72. Et depuis
l'aventure des Gracques, tout philhellénisme accusé était devenu ambigu sinon
suspect. Le stoïcisme de Panétius n'avait pas nourri seulement la pensée
des cercles aristocratiques, mais fourni à Ti. Gracchus et à son eminent
conseiller Blossius de Cumes la base doctrinale d'une réforme agraire!73
L'autre raison n'est en somme que le corollaire technique de celle-là:
ce qui faisait, aux yeux d'un Brutus Callaicus, le prix d'une construction
signée par l'un des maîtres de l'ionisme oriental, devait entraîner aussi sa
relative stérilité, car cette architecture importée restait extérieure aux
préoccupations réelles des bâtisseurs locaux, même si elle proposait des solu
tions élégantes à divers problèmes de détail. En ce domaine comme dans tous
les autres, l'hellénisation ne pouvait être que le résultat d'une longue osmose,
d'un long travail d'assimilation et de contamination 74: plus efficace que ces

tecture en rupture trop ostensible avec la tradition (cf. Plutarque, C. Gracchus, 17). Sur
Térence et le public populaire, voir P. Grimai, Le siècle des Scipions, Paris, 1953, p. 152 seq.
Cf. aussi G. Garbarino, op. cit., II, p. 560 seq.
70 Dans le cas de Vaedes Matris Magnae, il est probable que le clergé très traditionaliste
de cette divinité joua un rôle déterminant dans le choix du plan et du matériau. Cf. P. Hommel,
Studien zu den Figurengiebeln der Kaiserzeit, Berlin, 1954, p. 30 seq.
71 Cf. A. La Penna, dans Dialoghi di Archeologia, 1971, p. 193 seq. Voir aussi P. Grimal,
op. cit., p. 115 seq.; G. Garbarino, op. cit., II, p. 349 seq. (notamment sur le problème de
l'expulsion des philosophes, en 161 et en 154).
72 A. E. Astin, op, cit., p. 115 seq.
73 Cf. D. R. Dudley, dans JRS, 31, 1941, p. 94 seq.; M. Pohlenz, Die Stoa, Geschichte
einer geistigen Bewegung, Göttingen 2e edit., 1959, p. 205 seq.; Α. Ε. Astin, op. cit., p. 195 seq.;
G. Garbarino, op. cit., II, p. 445 seq.
74 L'exemple de l'art oratoire est significatif: lorsque Polybe assure le jeune Scipion qu'il
trouvera toute l'aide souhaitable auprès de ceux de ses compatriotes qui maîtrisent les techniques
intellectuelles auxquelles celui-ci veut avoir accès (Polybe, 31, 24, 6: ... τα μαΰήματα περί â
νυν όρώ σπουδάζοντας ύμας...) il est bien entendu pour le maître comme pour l'élève qu'il s'agit
essentiellement d'acquérir ou d'affiner, dans la langue latine, des outils conceptuels et rhétoriques
qui sont encore déficients. Même si l'on apprend le grec, on se garde bien de devenir un
Grec dans ses mœurs et ses modes d'expression. On connaît les sarcasmes dont Polybe accable
404 PIERRE GROS

modèles imposés de façon autoritaire et sans lien avec les recherches anté
rieures, la diffusion des cartons, le choix parmi ceux-ci de ce qui s'adaptait
le plus facilement aux conditions d'emploi et de taille des matériaux couramment
utilisés, aux plans et aux ordonnances les plus familières, devaient pro
mouvoir des solutions fécondes, surtout après 129, date de la pacification
et de l'organisation de la province d'Asie.
Les années de transition entre le second et le premier siècle en ad
ministrent la preuve. Entre 110 et 90 av. J.-C. s'élèvent à Rome deux séries de
temples « hellénistiques », dont il faut bien convenir qu'elles demeurent
presque étrangères l'une à l'autre. D'un côté réapparaissent, créations de ce
que R. Delbrueck appelait déjà « der römische Kapitalismus » de l'époque
tardo-républicaine 75, des objets monumentaux de marbre, isolés et figés dans
leur impeccable étrangeté: la tholos du Forum Boarium, dont F. Rakob a
montré les imperfections de détail dues à l'inexpérience d'une main-d'œuvre
partiellement locale, mais dont le plan ainsi que les éléments majeurs de
l'ordre, quoique taillés sur place, s'affirment comme des œuvres grecques76;
le temple périptère à crépis de San Salvatore in Campo, dont nous avons
souligné dans une étude précédente le caractère singulier, et, à certains
égards, unique, dans l'architecture religieuse urbaine77.
De l'autre, des constructions qui, contemporaines, ou très légèrement
postérieures à ces nouveaux temples marmoréens, présentent, avec l'emploi

Aulus Albinus Postumius (39, 1, 3 seq. et 31, 25, 4) qui compose des œuvres en Grec. Polybe
le fait, sans aucun doute, avec l'accord et les encouragements de Scipion (cf. M. A. Momigliano,
loc. cit., p. 191). Au contraire Cicéron (Brutus, 25) désigne avec satisfaction en M. Aemilius
Lepidus Porcina (cos. 137) le premier orateur romain qui ait su assimiler les principales figures
de la rhétorique grecque et les transposer dans un moule latin. Sur Polybe et Scipion, voir
les pages capitales de P. Grimai, op. cit., p. 138 seq. et G. Garbarino, op. cit., II, p. 392 seq.
75 R. Delbrueck, Hellenistische Bauten in Latium, II, p. 180. On sait que la tholos du
Forum Boarium a été récemment identifiée à Yaedes Herculis Victoris seu Invicti, ce qui
désignerait comme son commanditaire un mercator du nom de M. Octavius Hersennus. Cf.
F. Coarelli, dans Dialoghi di Archeologia, 1971, p. 263 seq. L'hypothèse est reprise par F. Rakob,
W.-D. Heilmeyer, op. cit., p. 37. Sur Octavius Hersennus, cf. Macrobe, Saturn., Ill, 6, 11;
Servius, Ad Aen., VIII, 363 (voir G. Lugli, Fontes ad topographiam veteris Urbis Romae
pertinentes, 8, n° 357-358, p. 355).
76 W.-D. Heilmeyer, dans Der Rundtempel am Tiber in Rom, p. 19 seq. Le temple date
certainement encore de la fin du IIe s., bien que cet auteur et F. Rakob hésitent à la situer
avant les années 90, en raison de la trop fameuse notice de Pline (HN, 17, 6) sur l'absence
de colonnes de marbre dans les édifices publics de Rome au temps de la censure de L. Licinius
Crassus. Cf. supra, n. 23, et notre c/r dans Latomus, 34, 1975, p. 823 seq.
77 MEFRA, 85, 1973, p. 150 seq.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 405

des matériaux traditionnels, une interprétation bien différente des plans,


des modénatures et des ordres.
Ainsi le temple rond du Largo Argentina, que son identification à
Vaedes Fortunae huiusce diei empêche de faire descendre au-delà de la
première décennie du Ier s. av. J.-C. 78: son podium, dont le couronnement
reproduit le type complet de la corniche, avec denticules et cimaise en
doucine droite79, l'éloigné des types définis par Vitruve80, et de la tholos
du Forum Boarium; non seulement le sanctuaire s'en trouve placé en position
dominante, mais il se voit doté d'un axe, par l'ouverture d'un escalier devant
le podium circulaire, et la mise en place d'une colossale statue cultuelle
contre le mur de fond de la cella. Ajoutons que les rapports planimétriques
entre sanctuaire et péristasis ne participent plus d'une organisation essentie
llementrythmique, où les éléments construits doivent composer avec des
espaces vides harmonieusement répartis, mais révèlent l'écrasante primauté
des premiers sur les seconds81: le schéma hellénistique est ici adapté aux
exigences d'une architecture où la spécificité des partis s'estompe au profit
de la pesanteur plastique et de la frontalité.
Qui veut retrouver ce que Proust appelait la « pensée de l'architecte »,
dans une construction hellénistique ou romaine, doit s'employer à la décrypter
au niveau du plan82: c'est là en effet que transparaissent encore avec une
relative netteté, à travers des rapports simples, les recherches théoriques
qui ont étayé les intentions réelles du bâtisseur; ensuite, au cours de la

78 Sur l'identification de ce temple, cf. P. Boyancé, dans MEFR, 57, 1940, p. 64 seq. et
F. Coarelli, dans Palatino, 12, 4, 1968, p. 369. Sur le délai, toujours relativement court, qui
sépare un triomphe de l'achèvement des constructions payées avec les manubiae, voir M. Gwyn
Morgan, dans Klio, 55, 1973, p. 223 seq. Si l'argent n'est pas utilisé dans les années qui
suivent immédiatement, il reste inexploité, du moins dans le domaine des constructions
publiques. L'exemple en est donné par M. Livius Drusus, cos. 112, qui triomphe en 110 [de
Scordistjeis Macedonibusque; il meurt en 109, et son fils, tribun en 91, n'utilise plus à des
fins édilitaires l'argent disponible. Sur le triomphe de Catulus en 101, et sa lutte contre les
Cimbres, cf. Plutarque,. Marius, 23-26. Voir en dernier lieu R. G. Lewis, dans Hermes, 102,
1974, p. 90 seq.
79 L. T. Shoe, op. cit., p. 178, pi. 56, 1.
80 Vitruve, IV, 8, 1, ne connaît, on le sait, que les tholoi monoptères à podium (tribunal)
et les tholoi périptères à crépis. Sur la typologie des temples ronds, cf. en dernier lieu
W. Binder, Der Roma-Augustus Monopteros auf der Akropolis in Athen und sein typologischer
Ort, Stuttgart, 1969.
81 On notera en particulier la densité de la colonnade et l'étroitesse du déambulatoire.
Cf. La publication prochaine de l'édifice, à paraître dans les Studi Romani.
82 Voir à ce sujet les remarquables analyses de W. Alzinger, op. cit., p. 137 seq.
406 PIERRE GROS

longue aventure de l'élévation, dans un monde où la séparation des tâches


et la spécialisation s'accroissent83, ces intentions peuvent se trouver altérées.
Or il est clair, pour qui examine de ce point de vue le temple rond du
Largo Argentina, que son architecte entendait créer autre chose qu'une
tholosx périptère, et qu'il s'est comporté, dans l'organisation des masses,
comme un précurseur de ceux qui, à l'époque de Pompée et de César,
mettront au point cette pesante architecture urbaine de représentation, dont
l'Empire recueillera l'héritage.
Mais le plus remarquable reste le traitement de l'ordre corinthien: on
a peine à concevoir, devant ces chapiteaux aux acanthes vigoureuses, qu'il
s'agit d'œuvres d'imitation, reproduisant avec soin des modèles hellénistiques
dont certains sont beaucoup plus anciens84; aucun aspect rétrospectif, aucun
pédantisme dans ce travail plein de sève, qui ne se laisse pas davantage
situer dans la série des chapiteaux « italo-corinthiens » de Palestrina, de
Terracine ou de Cori, que dans la lignée plus orthodoxe des chapiteaux
de l'autre tholos romaine. Si W.-D. Heilmeyer tient à en placer la confection
dans le 2e quart du Ier siècle, en arguant essentiellement de leur parenté
avec les chapiteaux de l'agora de Messene 85 - lesquels peuvent dater encore
de la fin du IIe s.86 - c'est qu'il éprouve une certaine réticence à admettre
la vitalité des échanges artistiques, dans cette Rome présyllanienne, ouverte

83 Le temps des architectes-sculpteurs, qui suivaient la construction depuis les fondations


jusqu'à la finition des ornamenta, et parfois y participaient eux-mêmes, un peu à la façon
dont plus tard un Borromini guidera, en leur donnant l'exemple, ses artisans maçons et stuca-
teurs, n'a pas survécu, semble-t-il, à la période tardo-classique. Significative est à cet égard
l'attitude de Vitruve, qui juge excessive la position « maximaliste » de Pythéos (De architectura,
I, 1, 12), lequel exigeait d'un architecte une connaissance non seulement théorique mais pra
tique de toutes les techniques du bâtiment et de la décoration. Cf. P. Gros, Aurea Templa,
op. cit., p. 104.
A cet égard l'étude récente de J. J. Coulton (Towards Understanding Doric Design:
the Stylobate and Intercolumniations, dans Ann. of the British School at Athens, 69, 1974,
p. 61 seq.) est précieuse, en ce qu'elle montre, à partir de mensurations précises relevées sur
un grand nombre de temples, que même des édifices doriques fort élaborés présentent seul
ement des dimensions de stylobate bien définies, et que le reste paraît avoir été « ajusté » en
fonction de réglages successifs qui ne reposent pas sur des bases théoriques mais sur un savoir-
faire empirique (particulièrement p. 66 seq. et p. 84 seq.). Voir aussi, dû même auteur, Second
Temple of Hera at Paestum and the pronaos problems, dans JHS, 95, 1975, p. 15 et p. 23 seq.
84 W.-D. Heilmeyer, Korintische Normalkapitelle, p. 36; Der Rundtempel, p. 28 seq.;
Ch. Leon, Die Bauornamentik des Traiansforum, Vienne, 1971, p. 156 seq.
85 Korintische Normalkapitelle, p. 53.
86 Cf. Α. Κ. Orlandos, Έργον, 1959, p. 112 seq., fig. 117; G. Daux, BCH, 84, 1960, p. 697,
fig. 3; Έργον, 1972, p. 157, fig. 193.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 407

dès lors à tous les courants d'influence venus de Méditerranée orientale.


Le redoublement des caulicoles en est un indice précieux (Fig. 1): sur ce
chapiteau de travertin, taillé par un atelier romain, nous trouvons l'abouti
ssementd'un schéma décoratif dont les premiers exemples attestés se rencont
rentà Milet et à Diocésarée dans la première moitié du IIIe s. av. J.-C. 87,
mais dont l'Asie du second siècle offrait sans doute d'autres jalons, qui nous
échappent à ce jour. Cependant, ce qui était une fantaisie décorative un
peu grêle dans les précédents hellénistiques, contribue ici à renforcer la
métaphore tectonique du décor d'acanthes88: non seulement en effet la
structure « normale » du chapiteau n'est pas altérée, puisque les deux gaines,
celle de la volute et celle de l'hélice, restent accolées, mais leur rigoureuse
verticalité, soulignée par de profondes cannelures, accuse leur fonction
« portante » .
Deux autres édifices, exactement contemporains, appartiennent à
cette même série, c'est le temple d'Honos et Virtus, dont Vitruve fait le
plus grand éloge, bien qu'il soit sans posticum 90, et le temple Nord du
Forum Holitorium. Le second nous aide à imaginer le premier, dont aucun
vestige ne subsiste, mais dont nous savons qu'il fut construit par un maître-
d'œuvre romain du nom de C. Mucius 91. Il est peut-être hasardeux de penser
que le choix de Marius fut, en partie au moins, dicté par le souci politique
de prendre ses distances par rapport aux habitudes des imperatore^, et
particulièrement de ce Metellus qui, quelques décennies plus tôt, avait fait
appel à un maître grec92; mais l'hypothèse semble confortée par le fait que,

87 Milet, monument de Laodicée; temple de Zeus à Diocésarée. Cf. G. Roux, op. cit.,
p. 378 seq.
88 Comme le souligne d'ailleurs, à juste titre, W.-D. Heilmeyer.
89 La même particularité se retrouvera, plus tard, au temple d'Apollon Palatin, cf. H. Bauer,
dans RM, 79, 1969, p. 183 seq.
90 Vitruve, III, 2, 5 et VII, praef. 17. Sur la nécessité de maintenir la leçon des manusc
ritsdans le premier passage: et, ad Mariana, Honoris et Virtutis sine postico a Mudo facta . . .,
cf. en dernier lieu MEFRA, 85, 1, p. 137 seq.
91 II est dommage que ce personnage, cité deux fois par Vitruve (cf. note précédente),
nous reste inconnu par ailleurs. Nous avons avec lui, et avec ce Cossutius qui travailla à
lOlympéion d'Athènes (cf. P. Bernard, dans Syria, 45, 1968, p. 148 seq.), le premier exemple
d'un architecte romain de quelque renom. Sur Valerius d'Ostie dans le deuxième quart du
Ier s. av. J.-C, cf. Pline, HN, 36, 103. Sur L. Cornelius, architectus Catulli, cf. G. Molisani,
dans Atti Ace. Naz. Lincei, Rendiconti, 26, 1971, p. 41 seq.
92 Sur l'aversion de Marius à l'égard des raffinements hellénisants, cf. par ex. A. La Penna,
loc. cit., p. 210 seq.
408 PIERRE GROS

sans renoncer aux normes des périptères de tradition ionique, Mucius les
adapta à un vieux plan italique. Vitruve n'émet qu'un regret/lorsqu'il évoque
son œuvre, c'est qu'elle n'ait pas été bâtie en marbre95. Appréciation superf
icielle, qui cache sans doute un malaise plus profond: entre le temple
métellien de Juppiter Stator et celui de Marius, il y a toute la distance qui
sépare une architecture où les recherches modulaires définissent une entité
autonome, et dont les proportions répondent essentiellement à des principes
esthétiques, d'une architecture de la continuité où les schémas traditionnels
sont volontiers altérés pour permettre l'insertion du temple dans une
suite monumentale.
Le temple Nord du Forum Holitorium, intégré à une série de trois
sanctuaires, en offre un bon exemple94. Lui aussi dépourvu de colonnade
postérieure, il présente une façade hexastyle, ionique. Et, comparable en cela
au temple rond du Largo Argentina, il compte un nombre appréciable
d'éléments de dérivation asiatique, à tous les niveaux de sa modénature:
sa base à double scotie, au profil plus souple et aux moulures plus élaborées
que celle de la dite tholos, est, à cette date, la variante la plus habile d'un
prototype gréco-oriental encore peu diffusé en Occident 95. Il est peu pro
bable qu'aucun des temples de marbre alors construits à Rome ait comporté
des bases de ce genre %: un mode de dérivation par circulation des « cartons »,
analogue à celui que nous postulions pour les chapiteaux du temple du
Largo Argentina doit rendre compte de cet emprunt. D'autres « citations »
semblables, quoique plus maladroites, ont été relevées par L. T. Shoe au
couronnement de la frise et à la corniche97. La même indépendance se
trouve donc ici proclamée, par rapport aux périptères marmoréens de VUrbs,
antérieurs ou contemporains: un souci constant d'animation du décor archi-
tectonique, le goût, parfois abusivement qualifié de « baroque » 98, pour
des profils plus riches et des modénatures plus accentuées, où le stucage
ajoutait un mouvement et une couleur dont il nous est difficile d'imaginer

93 VII, praef. 17: id vero si marmoreum fuisset...


94 Cf. R. Delbrueck, Die drei Tempel am Forum Holitorium, Berlin 1903; G. Lugli,
Roma antica, p. 548; F. Coarelli, Guida archeologica di Roma, 2e edit., 1975, p. 284 seq.
95 L. T. Shoe, op. cit., p. 198, pi. 62, 4.
96 Les deux seules que nous connaissions (temple rond du Forum Boarium, (F. Rakob,
op. cit., pi. 20-21), temple sous San Salvatore in Campo (MEFRA, 85, 1973, p. 152)) appartien
nent à d'autres séries. Dans ses constructions des années 140, Hermodoros avait sans doute
adopté la base attique, peut-être avec plinthe, récemment annexée à l'ordre ionique par
Hermogénès. Cf. E. Akurgal, op. cit., p. 178 seq.
97 Op. cit., p. 202-204.
98 W.-D. Heilmeyer, Der Rundtempel, p. 28.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS D'ARCHITECTES HELLÉNISTIQUES À ROME 409

les effets, orientaient les recherches des architectes romains de ce début


du Ier s. vers des sources moins « classiques » que celles dont procédaient
les créations d'Hermodoros et de ses collègues ou épigones; celles-ci devront
attendre la période triumvirale et proto-augustéenne pour accéder à la dignité
de modèles ".
Les trois moments que nous essayons ainsi de dégager ne nous appa
raissent sans doute distincts qu'en raison de la schématisation, inhérente
au caractère lacunaire des données qui nous sont accessibles. Dans la
trame historique de ce demi-siècle si dense, ils se chevauchèrent souvent:
les mêmes hommes ont pu adopter, en ce domaine, plusieurs attitudes
différentes 10°.
Il reste que la constitution progressive d'un style hellénistique occidental,
phénomène décisif pour l'histoire de l'architecture, ne semble pas exclusive
ment liée à la venue d'architectes et à l'emploi de matériaux grecs: ces
opérations attestent surtout de la part de quelques membres de la nobilitas
la volonté de mettre à profit le retard stylistique et technique de Rome
pour manifester la puissance de ceux qui ont désormais accès aux ressources
de l'Orient hellénisé. Sans sous-estimer l'importance, pour les équipes locales,
d'une présence aussi active et aussi longue que celle d'Hermodoros, par
exemple, il faut admettre cependant que cette architecture grecque importée,
soucieuse surtout de rupture avec une tradition italique dépourvue de prestige
aux yeux des imperatores du milieu du second siècle, a été sans doute une
source moins féconde, et a joué dans la diffusion des plans, des décors et
des profils un rôle moins important que ce qu'on pourrait appeler la franc-
maçonnerie des ateliers, qui assurait, d'un bout à l'autre d'une Méditerranée
de plus en plus centrée sur Rome, la circulation des modes, des schémas, des images.

99 W.-D. Heilmeyer, Korintische Normalkapitelle, p. 40 seq.


100 Rappelons par exemple, pour mesurer les lacunes de notre documentation, que nous
ne savons rien de précis des temples construits par les autres vainqueurs de 146: Vaedes
Aemiliana Herculis de Scipion Emilien (Festus, 282 L = G. Lugli, Fontes ad Topographiam
veteris Urbis Romae pertinentes, 8, 1962, p. 351, n°328), et Yaedes Herculis Victoris de
Mummius (A. E. Astin, op. cit., p. 115). La première doit sans doute être assimilée à
Vaedes Herculis Invicti in Foro Boario, mentionnée par Macrobe, Saturn., Ill, 6, 10;
dans ce cas il s'agirait d'un temple rond (aedes rotunda, d'après Tite-Live, X, 23, 3) et un
dessin de Baldassare Peruzzi nous en conserverait l'image: tholos à crépis, d'ordre dorico-
toscan (?); mais de quand datent les vestiges ainsi représentés, et quel crédit peut-on faire
à ce dessin rapide, non coté? (cf. E. Nash, Pictorial Dictionary of Ancient Rome, 2e edit,
Londres, 1968, p. 473, fig. 580).
410 PIERRE GROS

Fig. 1 - Les doubles caulicoles du chapiteau du temple Β (Largo Argentina),


tels qu'ils apparaissent au lit d'attente du bloc inférieur.
MARGHERITA GUARDUCCI

NUOVE OSSERVAZIONI
SULLA LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO

A Jacques Heurgon, insigne studioso di Roma e dell'Italia antica,


desidero di offrire - insieme all'espressione della mia simpatia ed all'augurio
di ancor lunga e fervida attività - alcune nuove considerazioni sulPormai
celebre lamina bronzea col nome di Cerere rinvenuta a Lavinio (fig. 1).
Proprio a me toccò la ventura di pubblicare per la prima volta, nel
1951, il pregevole documento 1. Ne dovevo la conoscenza alla premurosa e
intelligente iniziativa del compianto amico Pietro de Francisci, il quale,
avendo osservato quella caratteristica lamina iscritta nella casa di donna
Maria Borghese, castellana di Pratica di Mare e proprietaria del terreno
donde l'oggetto era tornato in luce, volle presentarmi alla principessa
Borghese e chiederle di affidare a me la pubblicazione di quel suo cimelio.
Come si ricorderà, la lamina bronzea ha forma rettangolare, è larga
cm 29, alta cm 5,2, e doveva essere fissata ad una superficie verticale,
come dimostrano, di qua e di là, due chiodi dei quali restano tuttora le
capocchie. Su due righe corre, chiarissima, un'epigrafe incisa con lettere
dell'alfabeto latino arcaico che sembrano databili al III secolo av. Cr., forse
ancora alla sua prima metà. L'epigrafe suona così:

CERERE · AVLIQVOQVIBVS
VESPERNAM · PORO

L'inizio della seconda riga fu spostato verso destra, certamente per


evitare lo spazio destinato al primo dei due chiodi: ο che la lamina venisse
applicata alla pietra ancora prima di essere iscritta ο che, come ritengo più
probabile, l'epigrafe sia precedente all'applicazione. In tal caso, era ovvio
che i fori destinati ai chiodi fossero subito calcolati ed eseguiti. La seconda

1 M. Guarducci, in Archeologia Classica, 3, 1951, pp. 99-103, tav. 21.


412 MARGHERITA GUARDUCCI

riga dell'epigrafe venne, comunque, a trovarsi fra i due chiodi, in posizione


simmetrica rispetto alla prima riga. I punti che nelle due righe separano
la prima parola dalla seconda sono, ovviamente, segni d'interpunzione.
Dopo la mia prima pubblicazione del 1951 molta acqua è passata
sotto i ponti. Vari altri studi e varie altre interpretazioni hanno visto la luce
in Italia e fuori. Contemporaneamente, gli scavi eseguiti nella località dove la
lamina era stata rinvenuta, cioè, come sempre più chiaramente veniva con
fermato, nel grande santuario dell'antica Lavinio, hanno determinato nuove e
importanti scoperte che nella interpretazione della lamina di Cerere assumono
senza dubbio il loro peso. Fra l'altro, una nuova lamina del medesimo tipo
si è aggiunta alla prima: l'ormai notissima lamina col nome dei Dioscuri,
la quale peraltro è di rame (non di bronzo) ed appartiene ad età notevol
mentepiù antica, cioè, come non a torto l'ha datata il suo editore Ferdinando
Castagnoli, alla fine del VI secolo2.
Dei nuovi giudizi via via espressi intorno alla lamina di Cerere dal
1951 in poi tenni conto in un mio successivo studio del 1959 3. Dopo
d'allora la nostra lamina ha seguitato ad attirare l'interesse degli studiosi
e nuove spiegazioni (era da prevederlo) sono state proposte. Di pari passo
sono proseguite le indagini nel santuario di Lavinio, ora concretate già in
due volumi (Lavinium, I, 1972 e Lavinium, II, 1975) che fanno onore a
Ferdinando Castagnoli e alla sua scuola. Da tali indagini appunto risultano,
oggi, alcuni dati di fatto che bisogna tener presenti prima di riprendere in
esame il molto tormentato testo della nostra epigrafe.
Occorrerà dire, dunque, che ambedue le lamine - quella dei Dioscuri
e quella di Cerere - furono rinvenute nella zona degli spettacolosi tredici
altari rimessi in luce dagli scavi. Esse però non erano in situ, ma si trova
vano, evidentemente, fra materiale di scarico. Nella medesima zona, e sempre
fra materiale di scarico, furono individuati frammenti di tre blocchi di tufo
con incassi destinati ad accogliere lamine metalliche e con avanzi di chiodi.
Nessuna delle tre impronte, riconosciute dagli acuti occhi di Lucos Cozza,
si accorda - per numero e posizione dei chiodi - alle lamine dei Dioscuri
e di Cerere. Se ne deduce perciò che almeno cinque blocchi con lamine
metalliche applicate esistevano nel santuario4.

2 F. Castagnoli, in Studi e materiali di storia delle religioni, 30, 1959, pp. 1-9. Per questa
epigrafe, che vanta ormai una ricca bibliografia, cf. P. Sommella, in Gymnasium, 81, 1974,
pp. 281-283 e, ultimamente, lo stesso F. Castagnoli, in Lavinium, II, Roma, 1975, pp. 441-
443, fig. 507.
3 M. Guarducci, in Archeologia Classica, 11, 1959, pp. 204-210, tav. 67.
4 L. Cozza, in Lavinium, II, cit., pp. 168-171.
LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO 413

Le dimensioni delle tre impronte e delle due lamine superstiti sono


quasi uguali tra loro: larghezza cm 29, cioè circa un piede romano, altezza
fra cm 4,5 e cm 5,3. Se si pensa che la lamina dei Dioscuri appartiene alla
fine del VI secolo e quella di Cerere al III, bisogna dedurne che le dimens
ioni dovevano essere tradizionalmente prescritte e che la tradizione si
dimostrava molto tenace. Di fronte all'uguaglianza delle misure passa in
seconda linea la diversità nel numero dei chiodi: cinque nella lamina dei
Dioscuri e nelle tre impronte ( '. ■ '. ), due, come si è visto, nella lamina
di Cerere ( · ·).
Un'accurata osservazione dei blocchi frammentari recanti le tre im
pronte di lamine permette di affermare ch'essi non erano altari. Che cosa
allora? Gli scavatori del santuario hanno finito per ammettere che si tratti
di basi sostenenti un tempo doni votivi, essi pure metallici. Motivi di questa
opinione sono stati da una parte il dativo con cui viene espresso - nella
rispettiva lamina - il nome dei Dioscuri (Castorei Podlouqueique / qurois),
dall'altra il rivenimento nel medesimo santuario di una squisita statuetta
bronzea di kore arcaica (forse una Venere) che sembra appunto un ex voto
e che doveva essere fissata sopra una base di pietra5.
Ma la definizione come basi votive delle pietre cui erano applicate
le lamine suscita in me qualche dubbio. Soprattutto il secondo argomento,
quello della kore bronzea, mi sembra contestabile. Pur ammettendo che la
kore sorgesse anticamente sopra una base di pietra, è impossibile stabilire
se la rispettiva dedica sia stata espressa in una lamina metallica applicata
alla base ο non piuttosto addirittura nella pietra della base stessa. Quanto
poi al primo argomento, quello del dativo usato per indicare il nome dei
Dioscuri, è verissimo che il dativo è, di per sé, il caso più comune (ed è
ovvio) nelle dediche votive. V'è però, qui, una difficoltà. La lamina di Cerere,
che appartiene, come si è visto, alla medesima serie di monumenti, dovrebbe
a rigore essere anch'essa un testo votivo; e invece non lo è. Si tratta infatti,
come tutti riconoscono, di una legge sacra. Per affermare che anche la base
cui fu applicata la lamina di Cerere fosse stata una base votiva, bisogne
rebbeammettere che sulla medesima fosse anticamente esistita, al di sopra
della lamina a noi pervenuta, un'altra lamina avente uguali dimensioni e conte
nente una dedica. Ma, come ognuno vede, si tratterebbe di una ipotesi
puramente gratuita. Che non si debba pensare a monumenti votivi sembra
poi confermato dall'assenza - nella lamina dei Dioscuri - di un verbo ο di

F. Castagnoli, ibid., pp. 341-347, taw. 3-4.


414 MARGHERITA GUARDUCCI

un sostantivo di dedica e di qualsiasi accenno all'offerente. Fra le dediche


latine di età repubblicana sono infatti rarissime quelle che consistono nel
puro e semplice nome della divinità espresso in dativo6. La difficoltà di
pensare, nel nostro caso, a dediche votive non è sfuggita, del resto, nemmeno
al Castagnoli. Mentre infatti egli si dichiara sostanzialmente favorevole a
quella tesi, usa d'altra parte, circa le due lamine iscritte, espressioni un po'
confuse che rivelano incertezza 7.
La tradizionale analogia, certamente voluta, sia fra le basi sia fra le
rispettive lamine metalliche farebbe piuttosto credere - io penso - che si
trattasse di mensae ufficialmente apprestate per gli dei, con l'indicazione
delle rispettive divinità, ed eventualmente dei cibi per ciascuna di esse
prescritti. Con tale ipotesi non sarebbe inconciliabile il dativo esprimente
il nome dei Dioscuri, in quanto anche in una mensa sacra essi rimanevano
destinatari dell'offerta. D'altra parte, nel testo della legge sacra (la lamina
di Cerere) l'atto di offerta è implicito nel ricordo stesso dei cibi rituali. Ma
sulla ipotesi delle mensae tornerò in seguito.
Vengo ora alPinterpretazione del nostro testo. Esso è brevissimo e di
lettura certa. Ma quelle quattro chiarissime parole, girate e rigirate in tutti
i sensi dagli studiosi, hanno dato luogo ad una lunga fila di spiegazioni

6 Un esempio se ne trova in uno dei cippi di Tor Tignosa databili fra il IV e il III se
colo av. Cr.; gli altri coevi cippi della medesima località presentano però l'apposizione dono ο
d(ono): cf. M. Guarducci, in Bull. Cornuti., 72, 1946-1948, pp. 3-10, tav. 1; Id., ibid., 76, 1956-
1958, pp. 3-13 (Append.); Id., in Rom. Mitt., 78, 1971, p. 75. Nel mondo greco si trovano
talvolta dediche consistenti nel semplice nome della divinità in dativo, ma soltanto quando
si tratta di doni di scarso rilievo. Altrimenti non mancano i nomi dei donatori, i quali (è ovvio)
desiderano lasciare anche un ricordo di se stessi (cf. M. Guarducci, Epigrafia greca, III, Roma,
1975, p. 8 sèq.).
7 F. Castagnoli, in Lavinium, II, cit., p. 441. Dopo aver affermato che l'epigrafe dei
Dioscuri è votiva, egli aggiunge: « La seconda [cioè quella di Cerere], per analogia, si dovrebbe
considerare anch'essa una dedica (seguita in questo caso da una prescrizione rituale)»; e poco
dopo, avendo negato che i blocchi con le impronte ed i chiodi siano altari, prosegue: «si
deve perciò pensare a basi di donari, forse con statuette analoghe a quella della kore; anche
le lamine conservate dovranno probabilmente spiegarsi in tal senso». In verità, la lamina di
Cerere non contiene affatto una dedica, bensì una legge sacra. A questa allude anche il Castag
noli, parlando di «prescrizione rituale». Egli scrive però, inesattamente, «seguita in questo
caso da una prescrizione rituale»; la lamina contiene infatti essa stessa soltanto la prescrizione
rituale. Il Castagnoli pensa forse, confusamente, alla ipotesi da me prospettata or ora come
assai poco verosimile, che cioè la legge sacra sia stata preceduta sulla medesima base da un iden
tica lamina contenente una dedica. Le sue frasi un po' incerte dimostrano, comunque, ch'egli
sente difficoltà nel sostenere la tesi delle basi votive.
LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO 415

diverse. Più che spiegazioni, alcune di esse potrebbero, veramente, esser


chiamate « fantasie ». Comunque sia, una prima serie di codeste opinioni
venne enumerata e discussa da me nel mio secondo studio sull'argomento
(1959) 8; un'altra lista collettiva fino al 1963 figura nell'articolo pubblicato
in quell'anno da Ugo Scamuzzi9; un'altra ancora, dall'inizio fino al 1975,
è stata succintamente redatta, ma senza alcuna presa di posizione, da Ferdi-
nando Castagnoli in Lavinium, II10.
La parola meno tormentata è lo auliquoquibus della prima riga.
In essa tutti riconoscono un ablativo di auliquoquia (= aulicocta), termine
significante viscere (probabilmente di porco) bollite in pentola. Ho detto
« tutti », ma per esattezza dovrei dire « quasi tutti », perché Paolino Mingaz-
zini preferisce, egli solo, sottitendere ad auliquoquia non già exta, ma
sacra n. In altri termini, egli ci vede il primo ricordo di una nuova festa:
gli * Auliquoquia, così detti appunto dalle viscere porcine lessate in pentola
che i fedeli avrebbero offerte a Cerere.
Le rimanenti tre parole sono state più ο meno ampiamente discusse.
CERERE è stato interpretato ora come accusativo (Cerere(m)) ora come
dativo (Cerere(i)). Come accusativo, esso ha preso talvolta anche il significato
di nome comune (= «pasto meridiano», contrapposto a vespernam = «pas
toserale »).. VESPERNAM, evidente accusativo, è stato inteso ora come nome
comune (= « pasto serale ») ora come nome di divinità. PORO, il più tor
mentato di tutti, la vera vittima degli studiosi, ha assunto via via i più
diversi valori: ora di nome comune in ablativo, ora di avverbio di tempo,
ora di avverbio di luogo, ora di preposizione, ora di verbo storpiato, ora
di sostantivo storpiato, ora di nome proprio di divinità al dativo.
Fin da quando, nel 1951, pubblicai il testo della lamina bronzea, mi
ero convinta che l'epigrafe consistesse in due accusativi seguiti rispettiv
amente da un ablativo. Poiché vesperna era noto come nome comune
(= « pasto serale »), cercai, sempre per mantenere il parallelismo fra
CERERE(M) e VESPERNAM, d'intendere come nome comune anche
cerere(m); e lo intesi nel senso di «pasto meridiano». Nel secondo scritto
invece (1959), aderendo alla tesi di Stefan Weinstock che interpretava

8 M. Guarducci, in Archeologia Classica, 11, 1959, p. 205 seq.


9 U. Scamuzzi, in Rivista di studi classici, 11, 1963, pp. 280-285.
10 F. Castagnoli, in Lavinium, II, cit., p. 443 seq.
11 P. Mingazzini, in Festschrift Gottfried von Lücken, Rostock 1968, p. 712.
416 MARGHERITA GUARDUCCI

VESPERNAM come nome proprio di divinità da accostarsi a CERERE(M) 12,


detti anch'io ai due accusativi il valore di nomi divini (Cerere e Vesperna),
pur commentando Vesperna in maniera molto diversa rispetto alla spiega
zione del Weinstock. Ma sul significato di Vesperna parlerò più diffusamente
in seguito 13.
Le parole auliquoquibus e poro {= porro, collettivo) restavano per
me (così le aveva intese anche il Weinstock) nomi di cibi (viscere bollite
e porri) da offrirsi rispettivamente a Cerere e a Vesperna. C'era naturalmente,
sottinteso (così pensavo), un verbo all'infinito con valore d'imperativo:
« onorare », « placare », ο simili. Un'altra più persuasiva possibilità mi r
iservo d'indicare fra poco.
Dopo il mio secondo scritto, altro inchiostro è stato versato sulla
innocente laminetta. Vorrei qui passare rapidamente in rassegna, comment
andole via via con qualche osservazione, le più significative opinioni
sull'argomento:
K. Latte (1960) 14. Interpretando poro come por<ricit>o, egli intende: «Si offra
a Cerere un pasto (daps) serale con viscere bollite». Basta il por<ricif>o per su
scitare legittimi dubbi. È una violenza fatta al testo, e tanto più grave in quanto
si tratta di un testo molto accuratamente inciso.
H. Wagcnvoort (1961) 15, il quale ha successivamente ribadito la sua opinione
nel 1972 16. Ecco come egli stesso la formula nel suo secondo scritto: «Cerere auliquo
quibus (se. facito), vespernam poplo (se. dato), d.h.: man sollte der Ceres das
gekochte Eingeweide opfern, nachher das übrige Fleisch nach griechischem Ritus
dem Volk zum Abendessen preisgeben». Dunque, alla dea le interiora, al popolo la
carne. Anche qui si maltratta, come si vede, il disgraziato poro, che diventa poplo
(= populo). Inoltre si sottintendono due verbi, dei quali il primo sarebbe intransitivo,
il secondo invece transitivo. Infine si aggiunge, gratuitamente, un concetto che il
testo non esprime (la distribuzione della carne al popolo, secondo il rito greco); pre
scindendo poi dal problema che la suddetta distribuzione solleverebbe. È infatti
evidente che per saziare di carne suina il popolo (e nel frequentatissimo santuario
di Lavinio si trattava certamente di un popolo numeroso), parecchi porci avrebbero
dovuto essere sacrificati. Se no, la vesperna sarebbe stata, per la verità, un po'
troppo magra.

12 S. Weinstock, in Journ. Rom. Stud., 42, 1952, pp. 34-36.


13 V. sotto, pp. 421-425.
14 Κ. Latte, Römische Religionsgeschichte, München, 1960, p. 69 seq. e p. 70, nota 1.
15 Η. Wagenvoort, in Mnemosyne, 14, 1961, pp. 217-223.
16 Id., in Aufstieg und Niedergang der römischen Welt (= Miscellanea J. Vogt), I, 2,
Berlin -New York, 1972, p. 349, nota 1.
LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO 417

U. Scamuzzi (1963) 17. Egli interpreta: «da ultimo (si presenti) a Cerere un'of
ferta serale a base di interiora lessate». Il poro acquista l'insolito significato di
postea e, per conseguenza, l'autore è costretto ad ammettere l'esistenza di una lamina
precedente nella cui epigrafe il poro equivalente a postea trovi la sua giustificazione.
Ma ciò è insostenibile, come dimostrano i blocchi rinvenuti a Lavinio con le loro
impronte di una singola lamina.
G. Pugliese Carratelli (1968) 18. Pensando che la lamina fosse applicata ad un
altare, egli intende: «Cerere(i) auliquoquibus vespernam <facito> poro », vale a dire
« con viscere bollite <fa> il pasto (sacrificale) della sera qui irinanzi ». Ma la spiegazione
cade per due principali motivi: anzitutto non si tratta di un altare e, in secondo
luogo, è impossibile attribuire a poro il significato di «qui innanzi».
P. Mingazzini (1968) 19. La novità della sua interpretazione consiste nel rav
visare in auliquoquibus il primo (presunto) ricordo di una festa detta Auliquoquia.
Egli parafrasa pertanto: « (chi intenda partecipare alla festa in onore di) Cerere, detta
delle "interiora in pentola", contribuisca con almeno un porro». Precisando il suo
pensiero, l'autore ammette che i frequentatori del santuario avessero preso il malvezzo
di cenare a sbafo con le vittime macellate a spese del santuario e che perciò i
responsabili del santuario stesso, seccati, avessero imposto agli indiscreti ospiti
l'obbligo di portarsi dietro, come «contorno», almeno un porro. La spiegazione è
troppo divertente per essere accettabile. E in realtà, sebbene il poro sia stato - questa
volta - lodevolmente rispettato, si fa dire anche qui al testo ciò che francamente
esso non dice, mettendo a contributo una dotta, sì, ma un po' rischiosa immaginaz
ione. Mi sia inoltre permesso di rettificare un'affermazione del Mingazzini. Rifiutando
la ipotesi del Weinstock e mia che si tratti di due nomi divini in accusativo (Cerere(m)
e Vespernam), egli giustifica il suo rifiuto osservando che di una dea Vesperna
« nessuno ha mai sentito parlare » e dichiarando di non capire « per quale ragione
Cerere avrebbe perduto la emme finale, mentre vespernam l'avrebbe mantenuta»20.
Quanto alla ignota dea Vesperna, è facile rispondere che non pochi nomi di divinità,
sia presso i Greci sia presso i Latini, ci sono pervenuti da una sola fonte21 e che,
nel nostro caso, l'esistenza di una Vesperna è resa probabile, come già ho
spiegato e meglio spiegherò in seguito, da considerazioni di vario genere. Quanto
poi alla mancanza della m finale dopo Cerere, mentre in Vespernam la m c'è, è
quasi superfluo rilevare che Cerere è seguito da vocale, Vespernam da consonante,
e che l'elisione della m finale, mentre non è ammessa davanti a consonante, lo è
invece, e con estrema facilità, davanti a vocale 22. Cerere per Cererem è perciò, in
questo caso, pienamente legittimo.

17 U. Scamuzzi, op. cit., pp. 286-290.


18 G. Pugliese Carratelli, in Parola del Passato, 23, 1968, p. 340.
19 P. Mingazzini, op. cit., pp. 711-713.
20 Id., op. cit., p. 712.
21 Allo stesso modo, si potrebbe obiettare al Mingazzini che «nessuno ha mai sentito
parlare » di una festa di nome Auliquoquia.
22 Ciò è provato dal comportamento della m finale davanti a vocale nella poesia.
418 MARGHERITA GUARDUCCI

R. Arena (1972) 23. Egli propone due soluzioni: 1) «a Cerere (si sacrifichi) con
viscere bollite, a Por (si offra) un pasto serale » ; 2) (subordinatamente) « a Cerere
(si offra) una cena a base di viscere di porco». Nel primo caso, il verbo sottinteso
sarebbe facito, intransitivo nella prima riga, transitivo nella seconda, e Poro dovrebbe
essere inteso come variante di Puero, cioè del dio Libero, associato nel culto a
Cerere. Nel secondo caso, invece, por assumerebbe il significato nuovo di porcus
al genitivo. Anche qui, come si vede, la dotta immaginazione ha largamente contribuito.
R. Schilling (1972) 24. Osservando che la divinità di Vesperna è, a suo giudizio,
sospetta, egli preferisce intendere «présente à Cérès une offrande du soir, une fres
sure bouillie en marmite ». L'autore non spiega donde risulti quell'imperativo « présente »,
ma ci vuoi poco a capire ch'esso deriva dall'indebita spiegazione di poro come forma
del verbo porrigere. Basta questo a rendere sospetta la spiegazione che lo Schilling
escogita per evitare Vesperna, da lui (non esito ad affermarlo) ingiustamente sospettata25.

Una iscrizione latina del III secolo av. Cr., e per di più rinvenuta
in un santuario notevole quale quello di Lavinio, non è cosa tanto comune
da potersi prendere con una certa disinvoltura. Ecco perché ho voluto passare
in rassegna, vagliandole criticamente, le diverse opinioni degli studiosi.
Le quattro parole dell'epigrafe hanno dato l'avvìo, come si è constatato,
a molti e disparati pensieri. Nell'ansia di giungere ad una soluzione loro,
alcuni studiosi poi hanno fatto al testo più ο meno gravi violenze, quasi
tutte imperniate sul molto dibattuto poro. D'altra parte, è assai strano
che in nessuna delle opinioni da me prese in esame sia stato sentito l'evidente
parallelismo fra i due accusativi e i due ablativi. Calcolando anche gli
scritti anteriori al 1959, bisogna riconoscere che nel corso di più di venti anni
soltanto il Weinstock ed io lo abbiamo avvertito26. Eppure quel parallelismo
richiama subito alla memoria una formula ripetuta costantemente, almeno
nell'antica Grecia, da leggi sacre e da calendari: nomi di divinità seguiti dal
ricordo delle rispettive offerte. Di solito, è vero, i nomi divini sono in dativo,
i nomi delle offerte in accusativo, con un verbo - espresso ο sottinteso -
significante il concetto di «dare», «sacrificare», ο simili. Qui, invece, i nomi
divini sono in accusativo, i nomi delle offerte in ablativo. Ma la difficoltà è

23 R. Arena, in Rendiconti 1st. Lombardo, 106, 1972, pp. 448-450.


24 R. Schilling, in Aufstieg und Niedergang, cit., p. 319 e nota 9.
25 Lo Schilling dimostra di non conoscere il mio secondo articolo sull'argomento.
26 La tesi del Weinstock venne accettata, come ipotesi probabile, da Β. Μ. Thomasson, in
Opuscula Romana, III (= Acta Instituti Romani regni Sueciae, series in 4°, XXI), Lund 1961,
pp. 133-135. Essa però non approfondì lo studio del testo, tanto è vero che seguitò ad am
mettere come possibile l'errata etimologia proposta dal Weinstock per il nome Vesperna
(p. 134, nota 4). Per questa etimologia, v. sotto, pp. 421-425.
LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO 419

superabile, perché si può benissimo sottindere un altro verbo. Finora avevo


pensato ad Honorare, placare, piare, ο simili. Ora però, ammettendo che le
basi cui erano applicate le lamine iscritte possano essere state mensae sacre,
non escluderei che il verbo sottinteso sia un epulari, retto dai soggetti
Cerere(m) e Vespernam (= « Cerere banchetti con viscere bollite, Vesperna
con porri»); il che equivale, naturalmente, ad un invito rivolto ai fedeli
di offrire alle due divinità quei determinati cibi e non altri. Quanto poi al
verbo epulari, si sa ch'esso veniva normalmente usato dai Latini per indicare
i banchetti (epula) consumati sia dai mortali sia e specialmente dagli dei27.
Entrando in quest'ordine d'idee, troveremo - io penso - una conferma
all'opinione che nell'epigrafe debbano veramente riconoscersi due dèe:
Cerere e Vesperna.
Secondo un uso molto antico, sia i Greci sia i Latini offrivano banchetti
agli dei per placarne la collera ο per ottenerne i favori. Tali celebrazioni
venivano chiamate dai Greci ΰεοξένια, dai Latini lectisternia ο sellistemia.
Quest'ultimo termine riguarda le dee che, secondo la norma osservata dalle
donne greche e romane, partecipavano ai banchetti non sdraiate ma sedute.
Già nel mio secondo articolo, interpretando auliquoquibus e poro, come i
cibi offerti rispettivamente a Cerere e a Vesperna, ebbi occasione di alludere
ai lectisternia. A quanto allora osservai aggiungerò adesso che l'uso d'im
bandire mense agli dei, praticato nel Lazio fin da tempi antichissimi, si
estese - presso i Latini - anche a divinità desunte dalla religione dei Greci 28.
Ma, nel nostro caso, acquista particolare importanza il ricordo che nel ban
chetto sacro le divinità venivano, almeno nel Lazio, abitualmente accoppiate 29.
Ciò confermerebbe, appunto, l'accoppiamento di Cerere con Vesperna. Si
osservi altresì che i Dioscuri, menzionati dalla lamina più antica, sono
anch'essi una coppia. Poiché, come ho detto, i blocchi di tufo con lamine
metalliche sono con estrema probabilità mensae, sarebbe attraente immag
inare una serie di mensae stabilmente collocate, per iniziativa dei responsab
ili del santuario, davanti alle immagini di divinità accoppiate, e pensare che
su quelle mensae venissero deposti i cibi spettanti, secondo le regole tra
dizionali, a ciascuno dei numi.

27 Sallustius, Hist, fragm., II 87 D (parlando del santuario della Magna Mater ad


Isaura: ...et in eo credebatur epulari diebus certis dea, ecc).
28 Cf. G. De Sanctis, Storia dei Romani, IV, 2, 1, Firenze, 1953, p. 316.
29 Livius, V, 13, 5 seq. Cfr. A. Bouché-Leclercq, in Diet, des ant. grecques et romaines,
s.v. Lectisternium, p. 1008 seq.
420 MARGHERITA GUARDUCCI

Riguardo poi ai Dioscuri, è opportuno ricordare ch'essi erano dai Greci


presi in speciale considerazione per i Theoxenia. Già Pindaro tramanda,
nella terza Olimpica, che i banchetti ad essi offerti erano eccezionalmente
frequenti30, e da un passo di Ateneo contenente la testimonianza del poeta
comico Chionides risulta che nel Pritaneo di Atene s'imbandivano ai Dioscuri
mense cariche di formaggio, olive e porri31. Anche un'epigrafe di Paro
(databile al II secolo av. Cr.) menziona Theoxenia in onore dei Dioscuri,
accompagnati da conviti pubblici32.
Voglio inoltre rilevare che i Theoxenia erano oggetto di rappresenta
zioni figurate. Tipico, a questo proposito, è il noto pinax marmoreo a rilievo
offerto circa la metà del IV secolo av. Cr. dal devoto Lysimachides nel
santuario di Eleusi, un pinax con due coppie di divinità davanti a mense
imbandite: a destra Θεός sdraiato e Θεά seduta, a sinistra le due Dèe del
santuario, Demetra e Cora, ambedue sedute33. A proposito di rappresen
tazioni figurate, non voglio poi dimenticare che proprio nel santuario di
Lavinio, fra le molte statuette fittili votive rinvenute in mezzo a materiale
di scarico nella zona dei tredici altari, non mancano figurine di divinità
sedute a coppia. Per quanto la corrosione dei pezzi permette di giudicare,
uno almeno sembrerebbe composto di due divinità femminili34. Ho voluto
ricordare questo gruppetto fittile, pur non osando - ben s'intende - dare
un nome alle due figure35.
Un'ultima osservazione è opportuno fare riguardo ai Theoxenia,
un'osservazione che implica altresì l'offerta dei porri e perciò anche, sia
pure indirettamente, il tanto maltrattato poro dell'epigrafe di Lavinio. Ho
già parlato dei porri sulle mense imbandite ai Dioscuri ateniesi36. Ricordo
ora un passo di Ateneo, risalente al periegeta del II secolo av. Cr. Polemon
di Ilio, in cui si afferma che a Delfi, in occasione delle feste Theoxenia,
si gareggiava nell'offrire a Latona il porro più bello. Chi ci riusciva aveva

30 Pindarus, 01, 3, 71 seq.


31 Athenaeus, 4, 137 E.
32 IG, XII, 5, 129, 11. 56-61.
33 J. N. Svoronos, Das Athener Nationalmuseum, I, Athen, 1908, tav. 88, η. 1519 (cf.
pp. 554-561); Rh. N. Thönges-Stringaris, in Ath. Miti, 80, 1965, p. 91, n. 156, Beil. 14, 2
(dove si cita altra bibliografia).
34 M. Mazzolani, in Lavinium, II, cit., p. 309 seq., fig. 380.
35 Per un altro tipo di statuina fittile rappresentante due dèe sedute in trono, cfr. F. Winter,
Die Typen der figürlichen Terrakotten, I, Berlin-Stuttgart, 1903, p. 134, fig. 7.
36 V. sopra.
LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO 421

il diritto di prendersi una porzione dalla mensa37. Prescindendo dalla spi


egazione etiologica che Polemon da di questa usanza (Latona, incinta di
Apollo, avrebbe sentito la « voglia » dei porri), sembra necessario ammettere
che, secondo un'antica tradizione, anche a Delfi il porro aveva un suo posto
d'onore sulle mense dei sacri conviti38.
A Lavinio, il porro costituiva, diciamo così, il menu di Vesperna. Ma
chi era, precisamente, costei?
Già nel 1959, scrivendo il mio secondo articolo, mi opposi alla ipotesi
del Weinstock, respinta del resto - ad eccezione della Thomasson - da
tutti gli altri studiosi, che Vesperna potesse intendersi quale personificazione
del pasto serale {vesperna) e che i due nomi, proprio e comune, derivassero
dal tema del verbo vescor attraverso una forma %vesqu-erna. Proposi invece
di ravvisare in Vesperna una formazione aggettivale da vesper (attraverso
*vesperinus, parallelo allo εσπερινός dei Greci) e d'interpretare Vesperna
come dea dell'Occidente e perciò come regina dei morti: in sostanza, come
una Cora - Proserpina, che sarebbe stata assai bene accanto a Cerere, la
Demetra dei Greci. A sostegno di questa tesi addussi varie attestazioni del
l'uso greco di considerare l'Occidente, cioè la regione dove il sole tramonta,
come regno del dio infero e citai, fra l'altro, l'espressione sofoclea έσπερος
οεός per indicare Ade 39. La presenza di una dea « occidentale » accanto a
Cerere (Demetra) nel santuario di Lavinio, notevolmente imbevuto di elementi
greci, mi sembrava plausibile. Agli elementi da me allora addotti si potrebbe
anche aggiungere la tradizione attestata, sia pure per la prima ed unica
volta, da Callimaco nel III secolo av. Cr., secondo la quale Demetra, assistita
da Hesperos, si sarebbe recata essa stessa nell'Occidente (έπί δυυμάς) per
cercare la figlia rapita40.
Anche oggi l'idea di una Vesperna - Cora accanto a Cerere mi sembra
accettabile. Oggi però vado pensando se la vera e prima origine della Vesperna
di Lavinio non sia forse un'altra; pur ammettendo che la Vesperna originaria
abbia assunto, in secondo momento, anche quel carattere di regina infera
che la rendeva particolarmente idonea all'associazione con Cerere.

37 Athenaeus, 9, 372 A.
38 In un passo del poeta comico Xenarchos, Athenaeus, 2, 63 F, tramanda che il βολβός,
praticamente affine al porro, aveva la sua parte nel culto di Demetra. Cfr. J. Murr, Die
Pflanzenwelt in der griechischen Mythologie, Innsbruck 1890, p. 178 seq.
39 Sophocles, Oedipus rex, 178, e scolio relativo: έσπερου tìeoC του Άιδου φησί.
40 Callimachus, Hymn., 6, νν. 8-11.
422 MARGHERITA GUARDUCCI

La nuova idea, imperniata essa pure sul concetto di ' Occidente ',
mi si è affacciata per la prima volta mentre leggevo la bella prolusione con
cui nel 1969 Jacques Heurgon dette inizio - a Taranto - all'ottavo Convegno
di Studi sulla Magna Grecia.
Parlando intorno alle relazioni fra la Magna Grecia e i santuari del
Lazio, lo Heurgon propone la ragionevole ipotesi che Stesicoro, antico
poeta dell'ambiente locrese, abbia scelto quale argomento principale della
sua Ιλίου πέρσις la venuta di Enea in Occidente col fatidico scopo di fondare
una nuova Troia sulle rive del Lazio41. A tale proposito, egli cita la famosa
Tabula Iliaca Capitolina, dove si ricorda, fra le altre fonti, la 'Ιλίου πέρσις /
κατά Στησίχορον. Proprio a questo poema si riferirebbero, secondo lo studioso
francese, le tre scene in cui figura Enea: l'eroe riceve dal sacerdote gli
ιερά che l'accompagneranno nell'avventuroso viaggio; l'eroe esce dalla città
guidato da Ermete avendo il vecchio Anchise sulle spalle e il piccolo Ascanio
per mano (la scena riprodotta, com'è noto, dalle celebri statuette di Veio
della fine del VI secolo ο dell'inizio del V secolo av. Cr.); l'eroe s'imbarca
sulla nave che lo porterà in Occidente. Ed ecco la didascalia: Αίνήας συν /
τοις ιδίοις / άπαί[ρ]ων / εις την Έσπε/ρίαν (= «Enea coi suoi nell'atto di
salpare verso l'Occidente ») 42. Ho tradotto « Occidente », ma sarebbe anche
lecito tradurre « Italia ». I Greci infatti, e specialmente i poeti, solevano
applicare all'Italia il nome più vasto di Εσπερία. Questo nome poi venne
costantemente pronunciato dai Greci e successivamente dai Latini (Hesperia)
quando si trattava di Enea e della mèta cui, per volere del fato, egli tendeva.
Così Agathyllos, poeta elegiaco vissuto nell'Arcadia dell'età ellenistica, parlando
delle peregrinazioni di Enea, racconta che, dopo un soggiorno in Arcadia,
l'eroe giunse alla terra Esperia e vi generò il figlio Romolo (αυτός δ' Έσπερίην
εσυτο χϋόνα, γείνατο δ'υΐα / 'Ρωμύλον) 43. Non c'è poi bisogno di ricordare i
notissimi versi di Virgilio nei quali si racconta di Enea venuto alla terra
Hesperia 44. In questo contesto s'inserisce bene anche la tradizione riportata
da Varrone, secondo cui la stella Veneris, cioè Vesper, avrebbe guidato Enea
dalle mura di Troia alla riva di Laurento45. Tale tradizione fu ricordata

41 J. Heurgon, in Atti dell'ottavo Convegno di studi sulla Magna Grecia, Napoli, 1969,
p. 22-27.
42 A. Sadurska, Les tables Iliaques, Warszawa, 1964, p. 30 f, tav. 1. Per le tabulae Iliacae,
cf. le mie recentissime pagine (M. Guarducci, Epigrafia greca, III, Roma, 1975, pp. 425-433).
43 Agathyllus, presso Dionysius Halic, 1, 49, 2. Cf. Id., l, 35, 3, donde risulta che il
nome Εσπερία veniva applicato all'Italia non soltanto dai poeti.
44 Vergilius, Aen., 1, 569; 2, 781, ecc.
45 Servius, ad Aen., 1, 382.
LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO 423

da me nel mio secondo articolo 46. Allora però la considerai come una elabo
razione erudita di età non troppo antica. Se infatti nel mondo greco si co
nosce già nel III secolo av. Cr. l'associazione tra Afrodite e Hesperos, l'astro
della sera, nel mondo latino l'analoga associazione fra Venere e Vesper
compare per la prima volta appunto nel I secolo av. Cr., nel suddetto passo
di Varrone e in alcuni di Cicerone. Oggi invece, prescindendo dal ricordo
della stella Venerìs, sono costretta a riconoscere che nella tradizione riportata
da Varrone si ribadisce ancora una volta la relazione molto più anticamente
stabilita fra Enea e l'Occidente.
Lo stretto legame con cui da molti secoli i Greci univano Enea a
l 'Oc idente, e precisamente all'Italia, non può non avere avuto la sua im
portanza nel santuario di Lavinio. La figura dell'eroe troiano, il ricordo
delle sue gesta e dei miracoli che accompagnarono il suo approdo alle coste
del Lazio, diffusi in Etruria già nel VI secolo e nel mondo romano almeno
nel V, ebbero eccezionale importanza nel santuario lavinate, sede della
lega dei Latini e luogo dove ufficialmente e solennemente si veneravano i
sacra principia populi Romani Quiritium47. A Lavinio esisteva anche un
heroon di Enea, che nel I secolo av. Cr. Dionigi d'Alicarnasso descrisse,
attestando parimente l'avvenuta identificazione dell'eroe con un dio locale,
Pater Indiges, legato al fiume Numicio48. Gli scavi eseguiti a Lavinio dal
Castagnoli e dalla sua scuola hanno poi confermato brillantemente le notizie
della tradizione letteraria. Mentre la forma degli altari e l'abbondante mat
eriale fittile e metallico denotano stretti contatti col mondo greco, si è
potuto anche identificare Vheroon di Enea cui allude Dionigi d'Alicarnasso;
un piccolo edificio risalente alla seconda metà del IV secolo av. Cr., ma
racchiudente in sé un'antica e veneranda tomba del VII49. Paolo Sommella,
cui si deve la suggestiva identificazione, è riuscito altresì a stabilire che
quella tomba fu incorporata nel grande santuario circa la metà del VI secolo 50.
Prescindendo dall'appassionante problema circa la vera identità del
personaggio deposto nella tomba, non si può escludere che già nel VI secolo gli si

46 M. Guarducci, in Archeologia Classica, 11, 1959, p. 210.


47 Asconius, nel suo commento a Cicero, pro Scauro, 1, 1; Valerius Maximus, l, 6, 7;
Servius, ad Aen., 2, 296; 3, 12; 8, 664, ecc. Cf. M. Guarducci, in Rom. Mitt, 78, 1971,
pp. 82 e nota 42, 85.
48 Dionysius Halic, 1, 64, 4-5.
49 P. Sommella, in Rend. Pont. Acc, 44, 1971-1972, pp. 47-74; Id., in Gymnasium, 81,
1974, pp. 287-292.
50 Id., in Gymnasium, cit., p. 288.
424 MARGHERITA GUARDUCCI

attribuisse quel nome di Enea che probabilmente gli si dava nel IV, quando
fu costruito il piccolo edificio i cui resti sono stati rimessi in luce dagli
scavi. Alla fine del secolo poi il prestigio di Enea e della sua tradizione
dovevano essere, nel santuario di Lavinio, in pieno fiore.
Stando così le cose, la presenza in quel santuario, nella prima metà
del III secolo, di una personificazione dell'Occidente, cioè della terra italica
ricca di splendide promesse verso la quale i fati avevano sospinto Enea, non
desterebbe meraviglia. Direi anzi che proprio in quel sacro ambiente, e forse
soltanto in esso, una siffatta personificazione potrebbe essere giustificata.
I Romani dell'età repubblicana sembra non abbiano conosciuto - tranne la dea
Roma - personificazioni di città e di regioni. I Greci però, dall'età di Esiodo
in poi e specialmente nel periodo ellenistico, ne conobbero molte e alcune di
esse fecero oggetto di culto51. Non sarebbe dunque strano che quest'uso
greco fosse stato trasmesso, fra tanti altri elementi di cultura e di religione,
all'ambiente fortemente grecizzato di Lavinio. In altri termini, non ci si
potrebbe stupire che, sulla scia di Enea e forse per impulso della tradizione
dotta, una Εσπερία fosse penetrata nel santuario lavinate, assumendo qui
il nome latino di Vesperna. Si noti, a questo proposito, che Vesperna è
l'esatto equivalente di 'Εσπερία. Come infatti 'Εσπερία è forma aggettivale
di Έσπερος, così Vesperna lo è di Vesper, che a sua volta può assumere
anch'esso il significato di « regione occidentale » 52. Si osservi infine che una
personificazione della forma aggettivale εσπερία è attestata nel mondo greco,
sia pure in altro contesto, dalla figura della eroina troiana (anche qui,
Troia!) 'Εσπερία, amata da Aisakos figlio di Priamo53.
Ammessa l'esistenza - nel santuario di Lavinio - di una Vesperna
come personificazione della Hesperia tellus che tanta importanza assume
nella leggenda di Enea, non sarebbe difficile spiegarsi come codesta Vesperna
fosse stata attribuita quale compagna di mensa a Cerere. Da una parte infatti
anche Cerere era legata alla terra, dall'altra una dea dell'Occidente poteva
essere concepita altresì quale regina del mondo infero, assumendo perciò
l'aspetto di quella dea che i Greci consideravano Cora figlia di Demetra e i

51 Per l'età pre-ellenistica, cf. F. W. Hamdorf, Griechische Kultpersonifikationen der


vorhellenistischen Zeit, Mainz, 1964, pp. 25-30.
52 Vergilius, Aen., 5, 19; Ovidius, Tristia, 1, 2, 28.
53 Ovidius, Met, 11, 769; Apollodorus, 3, 147, 149 (per Aisakos). Cf. Ο. Gruppe, Griechische
Mythologie und Religionsgeschichte, II, München, 1906, p. 1243, nota 1.
LAMINA BRONZEA DI CERERE A LAVINIO 425

Latini Proserpina (o Libera) figlia per l'appunto di Cerere. Voglio inoltre


osservare che, se la divinità somma del santuario di Lavinio fu, come ad
alcuni studiosi ed anche a me sembra assai probabile, l'antichissima Venere
Frutis54, i culti di Cerere e di Vesperna si accorderebbero bene alla fisi
onomia di una dea protettrice dei campi, che da un certo momento in poi
potè anche venir considerata la Venere madre di Enea.

Solinus, 2, 14.

'■ · τ . ' ·: ■

Fig. 1 - Lavinio, La lamina bronzea di Cerere.


AUGUSTE HAURY

UNE « ANNÉE DE LA FEMME » À ROME, 195 AVANTJ.C.?

Aucune joute oratoire n'est plus célèbre dans l'œuvre de Tite-Live que
celle où s'affrontèrent cette année-là Caton l'Ancien, consul, âgé de moins
de quarante ans 1, et deux tribuns de la plèbe, L. Valerius et M. Fundanius,
l'un pour maintenir la loi Oppia, les autres pour en obtenir l'abrogation.
Comme l'historien ne la mentionne qu'à cette date tardive2, laissons-lui la
parole: « Tulerat earn C. Oppius tribunus plebis Q. Fabio, Ti. Sempronio
consulibus, in medio ardore Punici belli, ne qua mulier plus semunciam auri
haberet neu uestimento uersicolori uteretur neu iuncto uehiculo in urbe
oppidoue aut propius inde mille passus nisi sacrorum publicorum causa
ueheretur » 3. Passons sur les manifestations tumultueuses des matrones, les
prouesses oratoires du consul et de L. Valerius, son antagoniste. Tout cela,
Tite-Live l'évoque ou le reconstitue de façon si pittoresque, disons même
si actuelle, que le charme de sa relation en oblitère la substance historique.
De ce point de vue en effet tout est loin d'être clair, et d'abord la date.
Tite-Live paraît catégorique: « Q. Fabio, Ti. Sempronio consulibus »
nous reporte à l'année 215, car L. Postumius Albinus, élu pour la troisième
fois fin 216 (?), s'étant laissé surprendre avec toute son armée par les Boïens

1 234-149. Son collègue, L. Valerius Flaccus, le sera aussi à la censure en 184. Il ne parti
cipe pas, semble-t-il, au vif du débat. Aux tribuns hostiles à la loi s'opposent deux de leurs
pairs, M. et P. Junius Brutus.
2 Liv. XXXIV, 1-8, 3.
3 Ibid. 1, 3. Tacite, auquel on renvoie d'ordinaire, évoque à deux reprises (A. III, 33, 4 et
34, 6) en un débat contradictoire les « Oppiae leges » dans un contexte beaucoup plus général
- les épouses des gouverneurs les accompagneront-elles? - où l'avarice et l'ambition tiennent
une place notable, au demeurant élogieux pour nombre d'épouses. A retenir en particulier
(34,7): «Nam uiri in eo culpam si f emina modum excédât» - définition même de la luxuria.
L'auctor de la proposition repoussée est A. Caecina Seuerus, le valeureux « second » de Germa-
nicus, au ménage uni, six fois père - et de souche étrusque.
428 AUGUSTE HAURY

en Cisalpine avant son entrée en charge4, son suppléant C. Marcellus avait


été invalidé à la suite d'un coup de tonnerre le jour même de son entrée
immédiate en charge et finalement remplacé par Q. Fabius le « Tempori-
seur » 5, péripéties qui ne vont pas sans délais. En outre l'historien conclut
son récit par: « (Lex) uiginti annis post abrogata est quam lata ». Toutefois
l'antagoniste de Caton est moins précis et s'il répète « uiginti ante annis
lata(m) » (XXXIV, 6, 9) 6, il mentionne la « possession » par Hannibal de
Tarente (XXXIV, 6, 11) que l'historien situe en 212, encore que sa fidélité
chancelât depuis longtemps (XXV, 7 et suiv.). D'ailleurs nous relevons dans
les deux discours assez d'anachronismes - Caton parle de la guerre contre
Antiochus, de trois ans postérieure (192-190) comme d'un fait actuel - pour
ne pas condamner sans examen une datation plus récente, 213, que retien
nent chez nous deux Maîtres éminents, MM. Heurgon et de Saint-Denis.
La « Vie quotidienne chez les Etrusques » (Hachette 1961) indique cette
date p. 163: « En 213, aux plus sombres jours de la seconde guerre punique,
une lex Oppia était revenue là-dessus, interdisant aux femmes l'usage des
voitures attelées à Rome et dans les autres villes, et dans un rayon de mille
pas alentour, sauf pour des motifs religieux. La paix revenue, en 195, Caton
s'était déchaîné etc. ». Les « Essais sur le rire et le sourire des Latins » (Belles
Lettres 1965), dans un remarquable chapitre III consacré à « Caton l'Ancien
et ses boutades», proposent eux aussi cette date (p. 76). Si aucun de ces
Maîtres ne la justifie, les Fastes consulaires permettent de le tenter, qui
mentionnent en 213 Q. Fabius Q. F. Q. N. Maximus, fils du consul de 215,
et Ti. Sempronius Gracchus, déjà consul en 215. L'arrondissement du nombre
18 en 20 n'a rien d'impossible, surtout dans le feu de l'action oratoire,
comme le prouve Cicéron, Catil. I, 47, et l'on peut généraliser l'observation
d'Asconius (In Pisonianam, début): «Hoc... oratorio more, non historico,
uidetur posuisse ».
Ce sont donc d'autres critères qui permettront de choisir entre ces deux
dates. D'abord que contient exactement cette loi, d'après ce que nous en
connaissons? Elle interdit aux femmes de posséder plus d'une demi-once

4 Liv. XXIII, 24 et 25. Polybe (III, 118): «... μετ' ολίγας ημέρας». Que vaut cette préci
sion chronologique? Le Grec ne mentionne pas plus les répercussions électorales du nouveau
désastre qu'il n'énumère les résolutions énergiques prises par le Sénat.
5 Ibid. 31, 12-14.
6 Valére Maxime, IX, 1, 3: «lus per continuos uiginti annos seruatum».
7 «At uero nos uicesimum iam diem patimur hebescere aciem horum auctoritatis». Asco-
nius précise dix-huitième.
UNE «ANNÉE DE LA FEMME» À ROME, 195 AVANTJ.-C? 429

d'or, soit environ 13 gr. 5 - approximativement notre pièce de 40 F.8 -, de


porter des vêtements multicolores (sic), de circuler en véhicule attelé dans
la capitale, dans une ville municipale ou à moins de mille pas alentour sauf
pour cérémonie religieuse officielle. Par or, entendons des bijoux; par multi
colores 9, notamment des vêtements rehaussés de pourpre, « ut auro et pur
pura fulgeamus », fait dire Caton à ses matrones (XXXIV, 3, 9); par iunctum
uehiculum, probablement le carpentum, où Tanaquil était entrée à Rome
aux côtés de son époux10.
Peut-être cette dernière interdiction est-elle la plus obscure, comme
l'est l'autorisation d'user du carpentum, voire les jours fériés du pilentum
accordée par Camille en 391 aux matrones dont le sacrifice des bijoux
permit à l'Etat de s'acquitter envers Apollon delphique de la dîme promise
au cours du siège de Véies n. Pourtant, à y regarder de plus près, les deux
autres interdictions n'échappent pas à l'équivoque. Elles réduisent les achats
de parures coûteuses, mais à quelle fin? Est-ce le luxe féminin, « il lusso
delle donne » 12, que visait le tribun, ou la dépense? Les matrones ou leurs
fournisseurs? Un peu de philologie devrait nous éclairer.
Si nous considérons, bien que le mot ne soit prononcé ni par Tite-Live
ni par Valère-Maxime, cette loi comme « somptuaire », que signifie sumptus?
Comment ce mot s'emploie-t-il notamment à cette date, où nous disposons
du riche vocabulaire de Plaute 13, orfèvre en la matière? Un coup d'œil
sur le Lexique de Lodge montre qu'il en use au sens de « dépense »: « restim
sumpti facere » (Cas. 425) = « faire la dépense d'une corde » etc. Il l'emploie

8 Erreur de Rotondi, Leges publicae populi Romani, rééd. Olms 1962: «... vieto di por
tare... ornamenti d'oro d'oltre mezza libra di peso».
9 Valere Maxime, IX, 1, 3: «... nec ueste uarii coloris uti».
10 Liv. I, 34, 8 et Heurgon, op. laud. p. 162-163.
11 Liv. V, 25, 8-9; cf. Heurgon, op. laud. p. 163. J. Bayet paraît renoncer à expliquer ce
point; mais signale que Romulus leur aurait, d'après Ovide (Fastes, I, 617 et suiv.), déjà accordé
cet honneur par gratitude envers les Sabines. De Caton censeur Tite-Live écrit (XXXIX, 44, 2):
« Ornamenta et uestem muliebrem et uehicula quae pluris quam quindecim milium aeris essent,
deciens tanto pluris quam quanti essent iuratores (répartiteurs assermentés) iussi». Cf. Plutarque,
CM. 18, 2. Textes cités par Madame Malcovati, Oratorum Romanorum fragmenta, I, 39 (De
uestitu et uehiculis). Outre le prix, considérable, souvenons-nous que plus de dix ans séparent
consulat et censure, pendant lesquels la victoire sur Antiochus (192-190) a précipité l'invasion
du luxe. Mais ici encore Caton songe au Trésor, comme le dit expressément Plutarque.
12 Rotondi, op. laud.
13 La chronologie très incertaine de ses pièces ne permet guère d'en tirer ici parti. D'après
Lejay (Plaute, p. 3) l'Aululaire serait antérieure, YEpidicus postérieur à l'abrogation de la loi
Oppia, que paraît déplorer (225 et suiv.) l'esclave Epidique, meneur du jeu.
430 AUGUSTE HAURY

même dans le contexte le plus élogieux par la bouche de Philocalès (Mostel-


laria 120 et suiv.), qui compare les parents à des bâtisseurs:
«primumdum parentes fabri liberum sunt».
Car pour les bien élever (125-127)
«nec sumptus sibi sumptui ducunt esse.
Expoliunt: docent litteras, iura, leges
suo sumptu et labore».
Plaute ignore sumptuarius et n'use qu'une fois de sumptuosus, au sens de
« dépensier » (Mere. 693), sens que connaît Cicéron (De orat. II, 135) à côté
de « coûteux » (Q. jr. Ill, 8, 6), mais dans AU. XIII, 47, 1 rationes sump-
tuariae ne signifie que « comptes de dépenses » et c'est « De sumptu suo »,
sur sa dépense, et non son luxe, comme le prouve la conclusion, que s'expl
ique Caton dans un discours cinglant14.
Par ailleurs Plaute encore n'use pas de luxus, peut-être de luxuriari
(Pseudolus 1107), deux fois seulement de luxuria, mais au sens de «débau
che », si nous en croyons notre Maître Ernout, dans le Prologue du Tri-
nummus (8), que prononce la Luxuria personnifiée, et dans VAsinaria, où
nous lisons:
«Luxuriae sumptus suppeditare ut possies» (819).
Quand le Caton livien use de ce mot au sens de « luxe » (XXXIV, 3, 9;
4, 1 et 7), c'est le moment de nous méfier. Quel est alors la portée historique
de cet éloge: «Nulla erat luxuria quae coerceretur » (ibid. 4, 8), dont il
honore la génération de son arrière grand'mère 15 pour stigmatiser ses con
temporaines 16?
Au demeurant quels sumptus réglementent les lois dites ou non somp-
tuaires 17? Les XII Tables réduisent les dépenses funéraires, tant des obsè
ques que du tombeau, disposition solonienne déjà, note Cicéron (Leg. II, 59).
La lex Metilia de fullonibus, 217, concerne les dépenses vestimentaires
(Pline XXXV, 17, 197), la lex Publicia de cereis (209?) les frais de luminaire,

14 Notre
15
16 Malcovati,
Cinéas,Caton
le séducteur,
op.(De
laud.
agricultura,
LXIV,
échouefragment
également
143) ordonne
traduit
auprès
que
pardesJ.la matrones,
Bayet,
uilica Littérature
« neibid.
luxuriosa
4,6latine.
et siet
suiv.» - dépens

ière, traduit J. Bayet, ajoutons, de son temps comme de son argent.


17 Cette glane puise surtout dans Rotondi (op. laud.), dont elle ne discute pas les dates,
ainsi que dans l'Index legum des Œuvres complètes de Cicéron d'Orelli-Baiter. Les références
et commentaires de ces derniers sont instructifs: ainsi Caton aurait-il d'abord repoussé, puis
défendu la loi Orchia.
UNE «ANNÉE DE LA FEMME» À ROME, 195 AVANTJ.-C? 431

la lex Orchia de cenis (181) le nombre des convives, la lex Fannia cibaria (161)
les aliments, la boisson et la vaisselle, la lex Aemilia (115) le genre de mets.
Je passerais sous silence la lex Licinia de 103 (?), car elle reprend pour
l'essentiel la lex Fannia, si elle n'eût été abolie par la lex Duronia dès 98.
Derechef la lex Cornelia (81) réduit la dépense et taxe certaines denrées;
la lex Antia (71), outre la dépense, toujours elle, règle les invitations à
magistrats; après Pompée (55) César aussi s'en mêle (46). De ce régime
végétarien est victime Cicéron, qu'intoxiquent des champignons (Fam. VII,
26, à Fadius Gallus), mais le si galant dictateur n'épargne pas les dames:
« Lecticarum usum, item conchyliatae uestis et margaritarum nisi certis per-
sonis et aetatibus perque certos dies ademit », ajoute Suétone (Caes. 43),
et Saint Jérôme (Chron. ol. 1, 3, 4): « Prohibitae lecticis margaritisque uti
quae nec uiros nec liberos haberent et minores essent annis XLV ». D'où ce
commentaire de Jérôme Carcopino (César, 4e éd. P.U.F. 1950, p. 997, n. 187):
« Sous le législateur perce le pince-sans-rire, qui plaçait les femmes dans la
nécessité de choisir entre l'aveu de leur âge et leurs colliers de perles ».
Ce trait d'esprit ne doit pas nous détourner de consulter sa source
principale. Or Suétone commence par ces mots: « Peregrinarum mercium
portoria instituit », qui eux aussi ont des précédents. Ainsi la lex Fannia (161)
édicte-t-elle que les notables se régalant entre eux aux fêtes de Cybèle suivant
un rite antique sont tenus de jurer entre autres choses « neque uino alieni-
gena, sed patrio usuros » (Gell. II, 24, 2) 18. Ainsi ne serait pas visée toute
dépense excessive, mais celle qui eût entraîné ce que nous appelons une
«sortie de devises». Mesure économique et financière plus que morale,
surtout à haute époque. N'était-ce pas déjà le but de la lex Oppia? Nous
y voyons en effet condamner le port de vêtements multicolores, de bijoux
d'or excédant une demi-once. Or d'où viennent surtout ces objets? M. Heur-
gon nous le suggère. Comparant la gaucherie de la statuaire étrusque à la
perfection des bijoux il écrit (op. laud. p. 228): «Nous n'écarterons donc
pas tout à fait une hypothèse. C'est l'attrait du cuivre et du fer étrusques,
on l'a vu, qui a déterminé la colonisation grecque en Italie et la fondation
chalcidienne de Cumes au VIIIe siècle. « Mais qu'apportaient donc en échange
les Grecs? » se demande-t-on. La réponse ne serait-elle pas: de l'or, des
bijoux d'or ». Au IIIe siècle ne serait-ce pas le cas pour Rome - et ne

18 Aulu-Gelle (II, 24, De uetere parsimonia deque antiquis legibus sumptuariis) cite et
commente librement les lois Fannia, Licinia, Antia, Iulia, qui «ad populum peruenit Caesare
Augusto imperante » d'après les Conjectures d'Atéius Capiton.
432 AUGUSTE HAURY

disons rien des tissus de luxe 19 - surtout depuis son expansion maritime de
l'entre-deux-guerres?
Cette hypothèse posée, quelles considérations permettent d'opter entre
215 et 213? La seconde date paraît a priori moins sûre puisqu'elle se
heurte aux « vingt ans » du texte livien, mais son contexte historique plaide
aussi contre elle. M. Heurgon, qui tient pour 213, parle (op. laud. p. 163)
des « plus sombres jours de la seconde guerre punique ». Certes cette année
voit les Carthaginois reprendre pied en Sicile grâce au renversement de
l'alliance syracusaine et l'on redoute que leur allié Philippe V après son
échec illyrien devant Apollonie en 214 (Liv. XXIV, 40) n'opère par mer la
jonction de son armée avec celle d'Hannibal. Rome néanmoins tient tête
et même remporte des succès en Espagne, ce fief des Barcides 20. Au contraire
215 voit se développer les conséquences des désastres apulien et cisalpin:
au printemps l'alliance de Philippe et d'Hannibal, puis la mort du fidèle
Hiéron21, qu'avait dès 216 menacé une conspiration familiale. Virtuellement
la défection est consommée qui permettra aux Carthaginois d'ouvrir un
nouveau front en Sicile comme ils le vont tenter en Sardaigne22, réparation
aux mânes d'Hamilcar 23. Aussi bien l'année 215 occupe-t-elle chez Tite-Live
27 chapitres24, l'année 213 moins de 925.
Cette même année 215 nous montre Rome aux prises de surcroît avec
une crise économique et financière. Dans la seconde moitié de 216 le tribun
Minucius a fait voter la création de « tresuiri mensarii » 26, auxquels Tite-
Live se réfère explicitement à tout le moins deux autres fois27, la première
en 214 « ob inopiam aerarli », la seconde en 210, « cum pecunia in aerario
non esset » 28. A l'en croire, ces commissaires encaissent en 214 les contri-

19 Relire la tirade d'Epidique mentionnée n. 13.


20 Liv. ibid. 48, 1: «Cum in Hispania res prosperae essent».
21 Liv. XXIV, 4-7.
22 Ibid. XXIII, 34, 10-16.
23 «Angebant ingentis spiritus uirum Sicilia Sardiniaque amissae» (ibid. XXI, 1, 5).
24 19 1. XXIII, plus de 8 1. XXIV.
25 XXIV, 43-49.
26 Ibid. XXIII, 21, 6: «Et Romae quoque propter penuriam argenti, tresuiri mensarii roga-
tione M. Minuci, tribuni plebis, facti, L. Aemilius Papus, qui consul censorque fuerat, et M. Atilius
Regulus, qui bis consul fuerat, et L. Scribonius Libo, qui turn tribunus plebis erat». Précédent,
les quinqueuiri mensarii de 351 (Liv. VII, 22, 5 et suiv.). Personnages eminente eux aussi, ils
avaient réglé à la satisfaction générale une affaire de dettes grâce à une sorte d'avance du
Trésor. La « province » des triumvirs paraît plus vaste.
27 XXIV, 18, 12 et XXVI, 36, 8, textes capitaux.
28 Ibid. 35, 9.
UNE «ANNÉE DE LA FEMME» À ROME, 195 AVANT J.-C? 433

butions volontaires des mineurs et des veuves (XXIV, 18, 13), en 210 celles
des magistrats et sénateurs, puis, à leur exemple, des chevaliers et de la
plèbe. Ce n'est là qu'un indice parmi d'autres. Aussi bien la vie économique
ne reprit-elle véritablement qu'après la victoire du Métaure29.
Or si l'année 216 a été désastreuse, l'année 217 l'avait été à peine
moins et, comme « guerre faite sans bonne provision d'argent n'a qu'un
soupirail de vigueur », que « les nerfs des batailles sont les pécunes » 30, la
tradition y place une nouvelle dévaluation 31. Elle aurait réduit l'as du dixième
au seizième du denier, le sesterce passant malgré son nom de deux as et
demi à quatre. Il en serait résulté un allégement des dettes, notamment de
celles du Trésor, comptabilisées en as. A dire vrai nous ne connaissons
exactement ni l'intitulé de la loi, ni sa date. D'ordinaire on restitue dans
la note de Festus sur « graue aes » (p. 87 L) [lege Fla] minia minus soluendi,
intitulé qui placerait le vote de la loi avant le départ du consul pour Tras
imène et son application sous la dictature de Fabius. C'est la solution pru
dente adoptée par M. Vallet dans son édition du livre XXII (P.U.F. 1966),
note à 10, 7, conciliant ainsi une restitution probable avec l'indication de
Pline l'Ancien: « Q. Fabio Maximo dictatore » 32. Tite-Live dit bien qu'après
son élection Flaminius ne demeura qu'un jour à Rome, mais il a pu se
tromper (note de M. Vallet à XXII, 1, 5).
Mais si la dévaluation peut soulager le Trésor en tant que débiteur
envers ses nationaux, elle ne le soulage pas en tant qu'acheteur à l'étranger:
le jeu des changes accroît en général le coût des importations. D'où la
nécessité de les restreindre au strict nécessaire et de contrôler ce que nous
appelons les sorties de devises. Sans doute le denier serait-il demeuré stable,
la dévaluation de l'as n'affectant que le marché intérieur. Il n'en demeure
pas moins certain que si la loi Oppia fut votée sous le troisième consulat
du prodictateur de 217, elle s'insère, sinon dans un plan, du moins dans
une série de mesures cohérentes imposées par les malheurs sans précédent
de 216 à des magistrats dont l'un au moins n'avait pas la mémoire courte.

29 Liv. XXVII, 51, 10, cf. H. Zehnacker cité plus loin.


30 Paroles du moine Jean des Entomeures refusant à Grandgousier un don de soixante-deux
mille saluts tant que durerait la guerre picrocholine (Rabelais, Gargantua, XLVI).
31 La précédente dévaluation du denier tombant du 1/72 au 1/84 de la livre, pratique
ment l'équivalent de la drachme attique (3 gr. 90 d'argent) daterait de la première guerre punique
d'après la chronologie traditionnelle. Que dut coûter en effet la construction de 100 quinqué-
rèmes et 20 trirèmes rien que pour l'année 260, celle de la victoire de Duilius?
32 XXXIII, 44-45: « Postea Hannibale urguente Q. Fabio Maximo dictatore asses unciales
facti placuitque denarium XVI assibus permutari... Ita res publica dimidium lucrata est».
434 AUGUSTE HAURY

Cet enseignement traditionnel, que mes camarades historiens et moi


reçûmes, je crois bien, à l'École Normale Supérieure de Jérôme Carcopino
sur la foi de Mommsen, Marquardt 33 et Ernest Babelon34, a été depuis
contesté grâce au progrès de la numismatique. Ainsi dans sa thèse magistrale
sur Moneta notre collègue strasbourgeois H. Zehnacker, ancien «Romain»
lui-même, écrit-il (p. 446): «Vers le dernier tiers du deuxième siècle le
denier, qui valait jusque-là par définition dix as, fut réévalué à seize as
sans subir pour autant le moindre changement de poids, de type ni même
de nom. Pline l'Ancien croit cette opération contemporaine de la réforme
onciale et les date toutes deux au temps de la deuxième guerre punique ».
Cette refonte de l'histoire monétaire n'infirme pas la démonstration
ici tentée. En effet, nous confirme l'auteur, « les victoires d'Hannibal à
Trasimène en 217 et à Cannes en 216, la révolte de Syracuse en 215 et
encore la chute de Tarente en 213 mettent Rome au bord du désastre tant
militaire qu'économique . . . Après la détresse des années 217-213 la situation
ne s'améliorera qu'en 207, après la bataille du Métaure ... En 210 encore
l'Etat avait lancé un grand emprunt, qui avait absorbé l'épargne des parti
culiers et que l'on ne commença à rembourser qu'en 204 » 35. Ne lit-on pas
dans le même ouvrage (p. 3-4) qu'«en 63 le Sénat romain essaya de s'opposer
à l'exportation hors d'Italie de l'or et de l'argent (et qu')en 58 une lex Gabi-
nia de uersura interdit les prêts aux villes de province » 36? A fortiori en
215 fallait-il protéger le Trésor contre toute « hémorragie » de métal précieux.
Voici donc, à mon sens, et je voudrais que ce fût le bon, la véritable
portée d'une loi dont Tite-Live attendra vingt ans pour nous parler. Oserai-je
insinuer - et ceci découle de cela - que « l'affaire » de 195 a été grossie à

33 Mommsen et Marquardt, Manuel des antiquités romaines, trad. G. Humbert, Paris


Thorin 1888, p. 16 et surtout 17 et notes jointes (Pline, Festus etc.).
34 Traité des monnaies grecques et romaines, Paris Leroux 1901.
35 Op. laud. p. 327-328.
36 II faudrait, mais ceci sort du cadre de cet article et requiert une compétence de spécial
iste,situer le problème des métaux précieux dans son cadre économique, qui dépasse les fron
tières de l'Italie: surproduction monétaire du début de la deuxième guerre punique et trimé-
tallisme éphémère (ibid. p. 308), émission d'aurei, dont «aurei au serment» pour compléter le
système du quadrigat en 219, crise suraiguë, puis abandon du quadrigat et création du denier
(213-211) et dévaluation sextantaire du bronze. Problèmes et solutions somme toute actuels.
A noter, en rapport sans doute avec la «ponction» opérée par les tresuiri mensarii en 210 et
signalée plus haut, la décision sénatoriale de monnayer en 209 les 4000 livres d'or qui restaient
dans Vaerarium sanctius (ibid. 349). Fondamental Cic. Flacc. 67, pour l'an 63.
UNE «ANNÉE DE LA FEMME» À ROME, 195 AVANT J.-C? 435

dessein pour provoquer un affrontement oratoire exceptionnel. Le problème


ne me paraît se poser avec cette acuité prophétique sur le plan moral que
grâce à un anachronisme à incidences contemporaines37, autrement dit
l'historien disserte de l'actualité augustéenne 38 sous le couvert d'une anti
quité prestigieuse et sous la forme apparemment impartiale d'un débat
contradictoire: Aristote revu par Cicéron. Tite-Live, ne l'oublions pas, possé
daitégalement une bonne culture philosophique39.
Au demeurant, est-il vraisemblable que les matrones romaines n'aimas
sent pas elles aussi bijoux et somptueux atours? Tite-Live, nous l'avons vu,
exalte le sacrifice volontaire qu'elles firent des premiers après la prise de
Véies, antérieure de plus de 180 ans40, disons deux siècles, à la loi Oppia.
Au surplus, bien avant que se développassent les relations avec des nations
lointaines de culture raffinée et de mœurs relâchées, elles n'avaient jamais
cessé d'être étroites avec l'Etrurie, où les jeunes Romains venaient parfois
prendre femme. La « vertu » ne condamne pas toute parure et ce n'est pas
en raison de ses mœurs, mais de sa stérilité qu'en 227 Sp. Carvilius Ruga
répudia son épouse « inuitus inuitam » 41. Il y aurait fort à parier que la
seconde épouse du vieux Caton, cette fille d'un client qui devint la grand'
mère du Sage, possédait plus d'une demi-once de bijoux. Aussi bien Polybe

37 C'est ainsi que Sir Ronald Syme interprète les Annales de Tacite. La critique de Tibère
dissimule celle d'Hadrien. Beau «montage» aussi que ce débat contradictoire entre l'opposition
sénatoriale et Claude à propos de l'admission de sénateurs gaulois (A. XI, 23-24).
38 Interprétation déjà de Ferrerò, Repubblica d'Augusto p. 281 - qui croit néanmoins à
l'authenticité du discours de Caton, dont M. de Saint- Denis écrit (op. laud. p. 77): «Nous ne
possédons pas le discours réellement prononcé de Caton, mais cet arrangement de Tite-Live,
mélange de boutades et de sarcasmes, de raillerie et d'indignation, paraît être, dans l'ensemble,
un excellent - à-la-manière-de-Caton». MM.J.M. André et A. Hus, L'Histoire à Rome, P.U.F.
1974, vont plus loin (p. 88): «II est même presque certain... qu'ayant à faire parler Caton contre
l'abrogation de la loi Oppia (Tite-Live) n'a pas consulté l'original». Des mêmes, p. 96: «C'est
son rêve de Rome que Tite-Live transcrit, et son œuvre doit aussi être appréciée de ce point
de vue». Thèse extrême que celle que soutient H. Tränkle, Cato in der vierten und fünften
Dekade des Livius, Verlag der Akademie der Wissenschaften und der Literatur, Mayence 1971.
Il affirme que le discours authentique n'existait plus au temps de Tite-Live et nie de surcroît que
le style doive rien au Censeur.
39 «Scripsit... et dialogos quos non magis philosophiae annumerare possis quam historiae
et ex professo philosophiam continentes libros» (Sénèque, Ludi. 100, 9).
40 396 (Tite-Live) ou 391 (Bayet).
41 Aulu-Gelle, IV, 3, 2 (éd. Marache). Il avait été contraint par les censeurs de jurer de
« prendre femme pour avoir des enfants » et préféra la religion du serment à son inclination
et à son amour.
436 AUGUSTE HAURY

admirera-t-il encore l'intégrité des magistrats romains42 pourtant si contestée


par l'âpre Censeur dans tel discours43.
Mais cette mise au point vise plus loin qu'à rétablir un fait historique
dans sa pureté. A force de célébrer une vertu plus spartiate que romaine,
les écrivains impériaux, car c'est d'eux qu'il s'agit, ont rendu à la gloire de
Rome un dangereux service. A une austérité de bon aloi ils ont abouti à
substituer dans la pensée des hommes, surtout depuis l'explosion des natio
nalismes, une réputation de brutalité bornée. Ouvrant ces jours-ci par le
hasard d'un rangement une brochure illustrée sur L'Art antique rédigée par
un défunt membre de l'Institut je lis: « Le génie positif et utilitaire (des
Romains) ... ». Combien de mes élèves de lycée dans la bibliothèque desquels
j'avais placé cet album ont lu, cru et croiront encore ce commentaire désuet!
Et combien, à la lecture de cette défense de la loi Oppia, tiendront encore
Caton l'Ancien pour . . . Mais laissons la parole à M. de Saint-Denis 44: « Cet
antiféministe n'était pas misogyne: il y a tant de féministes qui sont miso
gynes et d'antiféministes qui aiment trop les femmes »! Ne fut-ce pas le cas
du Censeur, puisque Plutarque lui reproche précisément sa, disons, muliéro-
sité 45? Aux lectrices et lecteurs à qui cette réhabilitation paraîtrait incongrue
je conseille de relire la loi somptuaire de celui que ses légionnaires auraient
proclamé avec toute la capitale « semper amicum omnium potius quam
cuiusquam inimicum » 46, si la chambrée ne les eût accoutumés à des lazzi
moins civils47.

42 VI, 56, 15. Effet notamment de leur Πίστις (= fides). Intéressant commentaire de M. Hein
rich Dörrie, Polybios über «Pietas, religio» und «Fides», dans les «Mélanges. .. offerts à
P. Boyancé», 1974, p. 251-272.
43 V. n. 14.
44 Op. laud. p. 74.
45 CM., notamment ch. 24, à propos des relations du veuf avec une jeune esclave, puis de
son remariage avec la fille de son ancien secrétaire. «Et comme l'on apprêtait les noces,
Caton le fils, prenant quelques-uns de ses parents et amis avec lui, alla devers son père,
lui demander s'il avait commis aucune faute envers lui, ou s'il lui avait point fait quelque
déplaisir, pour dépit duquel on lui amenât une marâtre. Et lors le père s'écria: «Oh! Ne dis
jamais cela mon fils; je trouve bon tout ce que tu fais, et ne m'en saurais plaindre en sorte
que ce soit; mais je le fais pour autant que je désire avoir plusieurs enfants, et laisser plusieurs
citoyens tels que tu es à la chose publique». (Trad. J. Amyot, La Pléiade, N.R.F. 1959).
46 En inversant les genres du trait de Cicéron contre Clodia, Cael. 32. Curion le Père
(Suétone, César, 52, 6) est plus caustique encore.
47 «Vrbani, seruate uxores: moechum caluom adducimus.
Aurum in Gallia effutuisti, hic sumpsisti mutuum» (ibid. 51).
Le chapitre suivant énumère ses bonnes fortunes royales, « Eunoen Mauram Bogudis
uxorem . . sed maxime Cleopatram ...».
.
ALAIN HUS

STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES

Nous nous proposons d'examiner un problème que M. Jacques Heurgon


avait effleuré en 1973: la découverte par Stendhal des Étrusques et de leur
civilisation 1. Cette découverte par les Romantiques, contemporaine de celle
de l'Egypte antique, avait été utilisée dans les domaines esthétique, politique
et littéraire. Dans le premier cas, elle étayait la réaction contre les idées de
Winckelmann qui, tout en « reconnaissant » aux Étrusques une priorité
chronologique, les avait bien vite éliminés pour ne glorifier qu'un classicisme
grec idéal. Dans le second, il s'agissait de les utiliser dans la querelle qui
opposait Florence à Rome ou de dresser une Étrurie « libre » face au centra
lismeromain antique ou pontifical. Quant au succès littéraire - et mondain -
que les Étrusques rencontrèrent, il est bien connu; pour nous en tenir à la
littérature française, il n'est pas un prosateur, de Chateaubriand à Flaubert,
qui ne les évoque à plusieurs reprises.
De tous ces auteurs, Stendhal est celui qui leur a consacré la plus
grande attention. Mais ainsi que l'a remarqué M. J. Heurgon2, il y eut deux

1 J. Heurgon, La découverte des Étrusques au début du XIXe siècle, lecture faite dans
la séance publique annuelle du 30 novembre 1973, et paru dans les publications de l'Institut
de France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1973. Dans le cours de cet exposé
et dans les notes, nous utiliserons les abréviations suivantes: RNF: Rome, Naples et Florence,
lère édition, 1817, 2e édition, 1826; Promenades: Promenades dans Rome, Paris, 1829; Mélanges:
Mélanges d'art, articles de Stendhal réunis et publiés à Paris, éditions du Divan, 1931; Tom
beaux: Les tombeaux de Corneto, écrits pour la Revue des Deux Mondes, probablement en
1837, et réédités dans Mélanges, III, pp. 201-221. Pour la commodité du lecteur, nous ren
verrons: pour la Correspondance, à l'édition de H. Martineau et V. del Litto, parue à la N.R.F.,
coll. de la Pléiade (I - 1800-1821 - 1968; II - 1821-1834 - 1967; III - 1835-1842 - 1968); pour
les Voyages, à l'édition de M. V. del Litto, même collection, 1973; pour le reste de l'œuvre
de Stendhal, aux Œuvres complètes publiées de 1927 à 1933 aux éditions du Divan. Pour la
pagination, P. renverra aux éditions de la Pléiade, D. aux éditions du Divan.
2 O.e., pp. 5 sq.
438 ALAIN HUS

rencontres entre Stendhal et les Étrusques, nous dirions plutôt deux périodes
au cours desquelles l'auteur de La Chartreuse de Parme les considère de
façon différente: de 1817 à 1829-1830, il en parle presque uniquement de
façon livresque et émet à leur sujet des considérations théoriques; de 1831
à 1840, période de son consulat à Civitavecchia (interrompu du 11 mai 1836
au 10 août 1839) il en traite en fouilleur, en chroniqueur, en pourvoyeur
d'antiques ou en fonctionnaire, bref d'une façon beaucoup plus pragmatique 3.
Cet intérêt pour les Étrusques doit être replacé dans la « philosophie »
de Stendhal et estimé d'après ses méthodes de travail. Il faut également
tenir compte de son attitude face à l'étude de l'antiquité4, aux savants et
aux mondains de son temps. Nous terminerons en nous interrogeant sur
les sources qui ont fourni à Stendhal ses connaissances livresques.

Les premières mentions des Étrusques par notre auteur sont au nombre
de trois pour la seule année 1817. Elles affirment que la civilisation étrusque,
antérieure à celle des Grecs, dans le domaine des arts, des sciences et de
la sagesse, fut la première civilisation italienne.
Les nations les plus célèbres ont une époque brillante.
L'Italie en a trois . . . (Elle) a la gloire de l'antique Étrurie qui, avant la
Grèce, cultiva les arts et la sagesse, l'âge d'Auguste et le siècle de Léon X5.

3 Ce qui n'exclut pas quelques vues théoriques, qui répètent on précisent, généralement,
les opinions de la première période. Les plus longs textes de Stendhal consacrés aux Étrusques
datent de cette seconde période, ou de la courte période intermédiaire séparant la parution des
Promenades du consulat: annotation manuscrite sur l'exemplaire Serge André (1830?) des
Promenades; lettre à Sophie Duvaucel (1834); fragment inédit Walks in Rome (1835); Les
tombeaux de Corneto (probablement 1837) repris et résumé par Abraham Constantin dans
Idées italiennes (1840), approuvées et corrigées par Stendhal pour la seconde édition; le
Rapport au Maréchal Soult (1840).
4 Assez curieusement, l'activité archéologique de Stendhal s'ouvre et se clôt sur deux
rapports administratifs. Le premier, adressé au duc de Cadore les 3 juin et 7 juillet 1812,
concerne l'état d'avancement de l'inventaire du Musée du Louvre (P. I, pp. 642 sqq. et 645 sqq.,
lettres 450 et 454); le second est adressé au Maréchal Soult, le 29 janvier 1840 (P. III, pp. 327 sqq.,
lettre 1679). Il va de soi que le vrai Stendhal est ailleurs.
5 Histoire de la peinture en Italie (1817), D. I, p. 70. Mêmes termes dans RNF, lère éd.
(1817), P. II, p. 140, en note par Stendhal lui-même:
Après la chute de ce grand peuple inconnu dont nous ne savons autre chose
sinon qu'il exista [Stendhal ne le caractérise pas autrement] l'Étrurie, la première,
cultiva les arts et la sagesse. L'Italie, de plus, a l'âge d'Auguste et le siècle de Léon X.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 439

Les premiers pas que l'on fit vers une manière moins imparfaite d'imiter
la nature fut de perfectionner les bas-reliefs.
La gloire en est aux Toscans, à ce peuple qui, déjà une fois, dans les
siècles reculés de l'antique Étrurie, avait répandu dans la péninsule les arts
et les sciences6.

L'idée sera reprise trois fois en 1823, dans Racine et Shakespeare7,


avec un élargissement notable: l'un des textes affirme que « l'Italie a éclairé
et civilisé l'Europe du temps de la docte et sage Etrurie et sous Léon dix »,
alors qu'elle l'a « dominé sous les Romains et sous Grégoire VII » 8; un autre
proclame que l'Italie a « trois fois déjà civilisé le monde » aux périodes
précitées. L'Étrurie se trouve donc exaltée parce qu'Italienne et plus discr
ètement parce que Toscane (opposition entre « éclairé » « civilisé » et
« dominé ») 9, màis rien ne donne encore à penser que Stendhal en ait une
opinion précise 10.
Il en aura deux, apparemment contradictoires, à partir de 1824; il les
reprendra jusqu'en 1837.
Dans un article de 1824 n, il écrit en effet:
(En Angleterre) sept à huit cents familles jouissent d'une opulence dont
on n'a pas d'idée sur le continent. Semblables aux prêtres de l'ancienne
Egypte et de l'Étrurie, elles sont même parvenues à se faire respecter et
presque aimer par les pauvres diables qu'elles condamnent à un travail aussi
opiniâtre.

L'idée est reprise trois fois en 1829, dans les Promenades 12, la seconde
fois en opposant lucumons et prêtres, les seconds dominant les premiers:
La peur que Luther fit aux papes du seizième siècle a été si forte que,
si les États de l'Église formaient une île éloignée de tout continent, nous y
verrions le peuple réduit à cet état de vasselage moral dont l'antique Egypte

6 O.e., p. 75.
7 D., pp. 203, 212, 270.
8 D., p. 212.
9 Les Promenades reprennent en 1829 l'idée d'une civilisation étrusque plus avancée que
celle de Rome: P., p. 665. Sur le parallèle entre Rome et l'Étrurie, v. plus bas.
10 L'Italie en 1818 comporte une allusion à Volterra (P., p. 271):
Les tyrans d'Italie . . . écrasèrent l'industrie et le commerce. Volterra, qui comptait
cent mille habitants (A v[érifier], ajoute Stendhal), n'en a plus que quatre mille.
11 s'agit sans doute de la Volterra Étrusque, que Stendhal ne connaissait pas encore,
puisqu'il n'y séjournera que du 3 au 10 juin 1819 (voir plus bas).
11 Repris dans les Mélanges, D., III, p. 246.
12 P., pp. 602, 665, 920.
440 ALAIN HUS

et l'Étrurie ont laissé le souvenir et que, de nos jours, on peut observer en


Autriche.
Ancus Martius... construisit une citadelle sur le Janicule... car les villes
d'Étrurie, dominées par les prêtres, gouvernées sous eux par des rois et
jouissant d'un degré de civilisation fort avancé, commençaient à être jalouses
de Rome. Les rois d'Étrurie ou Lucumons, contrariés par les prêtres, n'att
aquèrent pas Rome d'assez bonne heure...
(Dans la Rome primitive) le centre de la puissance des prêtres était
dans cette Étrurie, maintenant si vide de passions. Ils y jouaient le rôle que
les jésuites voudraient se donner; ils désignaient les petits rois du pays, qui
ne pouvaient rien faire sans leur assentiment. Je ne puis m'empêcher de voir
le premier pas de l'esprit humain dans ce triomphe remporté par l'esprit
sur la force brutale13.

La même conception sera reprise en mars 1835 14 ainsi que dans un


fragment publié en 1853 et dont une partie se trouve dans l'exemplaire
Serge André15, et dans l'article sur les tombeaux de Corneto16 sans doute
écrit en 1837. Elle tenait fort au cœur de notre auteur.
Le parallélisme entre l'Egypte et l'Étrurie ne se limitera pas à la toute-
puissance des prêtres et à l'exploitation matérielle et morale des masses par
une caste sacerdotale, mais ne sera repris que postérieurement à 1829, soit
pour reprendre le même thème, soit pour affirmer l'originalité des Étrusques
par rapport aux Égyptiens en architecture n, soit pour s'interroger sur la

13 C'est nous qui soulignons. Même assimilation avec les jésuites en 1835: Walks in Rome,
P., p. 1194.
14 Ibid.
15 P., pp. 1643 et 1644, intéressant aussi à d'autres points de vue:
Probablement il y avait en Étrurie une caste qui faisait travailler les nigauds à
son avantage (profit). Elle avait des secrets magiques. On trouve celle de ses formules
magiques qui guérissaient les animaux dans l'ouvrage de Caton le Censeur intitulé
De re rustica . . . Figurez-vous un président de collège électoral chargé par M. de Villèle
d'escamoter les votes. Au moment où il voit entrer une douzaine d'électeurs libéraux,
il déclare qu'il aperçoit des hirondelles qui volent dans un sens singulier et de mauvais
augure. Là-dessus, il lève la séance, et les électeurs ennemis eux-mêmes se retirent
tout pantois.
. Tels furent les augures tirés de l'Étrurie pour les Romains contemporains de
Fabius Maximus.
Il n'y a pas certitude absolue que la première partie de ce texte soit de Stendhal: elle
figure dans l'édition Romain Colomb de 1853, mais on n'en n'a pas retrouvé trace dans les
exemplaires annotés (V. del Litto, éd. des Voyages, P., p. 1644).
16 Mélanges, D., pp. 212 sq.: reprend à peu près le texte des Promenades, P., p. 665.
17 Ex. Serge André, P., p. 1643. Tout en admettant, avec Frédéric (v. plus bas), que «les
Étrusques furent les élèves de l'Egypte», Stendhal suggère qu'ils inventèrent la pyramide
(tombeau de Porsenna) en s'inspirant des «tas de pierres formés au coin des champs dans
les pays de montagne comme la Toscane».
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 441

possibilité d'une influence égyptienne dans la « coutume » de « cacher les


tombeaux » en Étrurie alors qu'à Rome on les exhibait 18.
Bien entendu, Stendhal n'évite pas l'inévitable parallèle entre Rome et
l'Étrurie, qu'il aborde en 1826 dans une optique résolument favorable aux
Etrusques 19.
Comme toutes les villes de cette ancienne Étrurie dont Rome naissante
détruisit la civilisation vraiment libérale pour l'époque, Volterra est placée
au point le plus élevé d'une haute colline...

et plus loin:
... je fais à mon lecteur cet aveu ridicule, je me sens indigné contre les
Romains qui vinrent troubler, sans autre titre que le courage féroce, ces
républiques d'Étrurie qui leur étaient si supérieures par les beaux arts, par
les richesses et par l'art d'être heureux...20. C'est comme si vingt régiments
de cosaques venaient saccager le boulevard et détruire Paris; ce serait un
malheur même pour les hommes qui naîtront dans deux siècles: le genre
humain et l'art d'être heureux auraient fait un pas en arrière.

Contradiction - au moins apparente - avec les propos tenus en 1824


sur le gouvernement clérical de l'Étrurie. Mais, de toute évidence, il s'agit
ici des happy few! Sur les Romains, Stendhal s'explique au reste quelques
pages plus loin:
Les Romains ont été un grand mal pour l'humanité, une maladie funeste
qui a retardé la civilisation du monde: sans eux, nous en serions peut être
déjà en France au Gouvernement des États-Unis d'Amérique. Ils ont détruit
les aimables républiques de l'Étrurie. Chez nous, dans les Gaules, ils sont
venus déranger nos ancêtres; nous ne pouvions être appelés des barbares,
car enfin nous avions la liberté. Les Romains ont construit la machine
compliquée nommée monarchie et tout cela pour préparer le règne infâme
d'un Néron, d'un Caligula, et les folles discussions du Bas-Empire sur la
lumière incréée du Thabor.

Mais il poursuit:
Malgré tant de griefs, mon cœur bat pour les Romains. Je ne vois pas
ces républiques d'Étrurie, ces usages des Gaulois qui assuraient la liberté;
je vois au contraire dans toutes les histoires agir et vivre le peuple romain
et l'on a besoin de voir pour aimer. Voilà comment je m'explique ma passion
pour la grandeur romaine, pour les ruines, pour les inscriptions...

18 Tombeaux, D., p. 214. Cf. Idées italiennes (1840), D., p. 294. C'était ignorer les tumuli,
en particulier ceux de Tarquinia, que Stendhal connaissait bien à cette époque.
19 RNF, 2e éd., P., pp. 497, 503 sq., 508.
20 C'est nous qui soulignons, les deux fois, et plus bas: aimables.
442 ALAIN HUS

Pourtant alors, Stendhal connaissait Volterra, il avait lu Pignotti et


Micali, entendu parler de Niebuhr (v. plus bas); il était informé dans les
grandes lignes de l'histoire étrusque, au moins dans ses rapports avec
Rome21. Si les Étrusques ont peu d'histoire, si l'on ignore leur constitution
politique, la faute en est aux savants, en particulier aux savants français22.
Ce sont au reste les Étrusques, écrit Stendhal en 1829, qui léguèrent
aux Romains le dangereux pouvoir qu'était chez eux la religion23.
Ils furent les élèves des Égyptiens et les maîtres des Romains. Mais les
Romains qui, avant tout, songeaient à la guerre, ne leur prirent d'abord que
leur religion et longtemps repoussèrent les arts. Les patriciens voulurent la
loi du serment: c'était la loi du recrutement à Rome24.

Sur ce point, la pensée de Stendhal se précisera plus tard, en 1835 et


en 1837, tout à l'avantage de Rome.
Rome conquérante était sage et ne cherchait pas à choquer inutilement
ses sujets qu'elle décorait du nom d'alliés. Elle leur laissait leur religion.
Elle dut la laisser surtout à l'Étrurie, pays entièrement dominé par des p[rêtres]
adroits. Si, avant la conquête, des gens comme il faut avaient l'habitude de
se faire cacher après leur mort dans les petites caves peintes dont nous avons
parlé et même, de se faire mettre, après brûlure, dans des vases peints, les
Romains ne durent pas prescrire cet usage. Ce genre de sottise était réservé
aux temps modernes. Les Romains avaient l'esprit de n'avoir pas de pfrêtres] 25.
Je pars de cette idée: les Romains cherchaient à montrer leurs tombeaux,
les Étrusques à les cacher. Un tombeau chez les Romains était une affaire
. de gloire mondaine; chez les Étrusques, c'était peut-être l'accomplissement
d'un rite prescrit par une religion sombre et jalouse de son empire... un
tombeau romain vise toujours à être un édifice remarquable; on y mettait
une inscription indiquant les choses honorables qu'avait faites, pour l'utilité
de sa patrie, le personnage qui y était déposé. Probablement les prêtres
étrusques n'admettaient point cette idée mondaine et basse d'utilité; il fallait
obéir aux dieux avant tout26.

21 RNF, 2e éd., P., p. 503; Promenades (1829), P., p. 665.


22 Voir l'article du New Monthly Magazine de janvier 1826, dont le texte figure dans la
lettre du 18-12-1825, à propos de Micali et de Niebuhr (v. plus bas).
23 Promenades, P., p. 665.
24 Texte de l'ex. Serge André, P., p. 1643.
25 Walks in Rome, P., p. 1194.
26 Tombeaux (1837), D., pp. 212 sq. Les Idées italiennes d'Abraham Constantin ne repren
nentpas le parallèle religieux, mais s'interrogent sur le caractère systématiquement caché des
tombes étrusques (D., p. 295):
Mais le prétendu tombeau des Horaces ou de Porsenna, à dix minutes d'Albano,
que depuis vingt ans l'on suppose étrusque, se trouve hors de terre et fort en évidence.
Peut-être est-ce le tombeau d'un roi étrusque et y avait-il exception pour les Rois?
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 443

Ici encore, la pensée de Stendhal est en apparente contradiction avec


elle-même: tout en possédant une classe cléricale oppressive, les Étrusques
avaient l'art d'être heureux; Rome, tout en ayant emprunté à l'Étrurie sa
religion et même ses prêtres, avait su se passer de prêtres et se montrer
tolérante en matière religieuse: ce qui ne l'empêche pas d'avoir été « un
grand mal pour l'humanité, une maladie funeste » pour lesquels Stendhal
n'éprouve pas moins une grande tendresse parce qu'il les voit. Il était grand
temps que des archéologues sérieux vinssent réveiller l'Étrurie endormie!
Pourtant, dès sa première période, Stendhal ne manque pas de connais
sances« erudites », assez éparses et fragmentaires il est vrai, et n'apparaissant
guère qu'en 1826: sur la chronologie et l'histoire de l'Italie centrale avant la
domination romaine27, sur les vases dits étrusques28, sur l'architecture29
(connaissance de la voûte, construction de canaux, pyramide, bref une
« architecture très avancée » indépendante de l'architecture égyptienne), sur
l'alphabet et la langue 30. Pourtant il n'a encore vu qu'une seule ville étrusque,
Volterra, dont il avait parlé brièvement par ouï-dire dans l'Italie en 181831.
Il y séjourna du 3 au 10 juin 1819 pour tenter de fléchir Métilde, dont
il essuya un refus. Sur le moment, sa correspondance ne retient de la ville
que « ces superbes murs étrusques » 32 autour desquels il se figurait « le
bonheur de (se) promener » avec Métilde . . . Ces murs « cyclopéens » l'ont
beaucoup frappé, car il les évoquera de nouveau en 1826 33 et dans le fra
gment de l'exemplaire Serge André34. Le site le frappera aussi beaucoup:
il l'évoquera en 1826 35 et, dans sa correspondance de 1832, à propos de

27 Article du New Monthly Magazine (d'après Micali, voir plus bas); RNF, 2e éd., 1826,
P., p. 503.
28 Dans une satire contre un savant français: RNF, 2e éd., 1826, P., p. 563.
29 Promenades, P., p. 916; ex. Serge André, P., p. 1643.
30 O.e., p. 1644:
L'alphabet des Étrusques dérivait, comme les autres, de celui des Phéniciens, ce
peuple d'industriels. Les Étrusques n'avaient pas reçu leurs lettres des Grecs, puisqu'ils
écrivaient de droite à gauche et supprimaient les voyelles brèves, comme les Hébreux.
L'étrange aspiration que l'on retrouve dans l'Italien de Florence vient de l'Étrusque.
Le texte figure dans une note manuscrite de l'ex. Serge André, avec cette introduction:
Par prudence [v. plus bas] je viens de m'ennuyer toute une soirée, quoique je ne
sois amoureux que des ruines de Rome. Je n'ai appris de bon que ceci: [citation].
31 V. plus haut, p. 439, note 10.
32 Lettre à Matilde Dembowsky, n. 678, du 30-6-1819, P., I, p. 976.
33 RNF, 2e éd., 1826, P., p. 497.
34 P., p. 1643: «Les Étrusques avaient une architecture très avancée: voyez Volterra».
35 RNF, 2e éd., ibid.
444 ALAIN HUS

Chieti 36; il examine « une grande quantité de petits tombeaux d'albâtre »,


c'est-à-dire d'urnes cinéraires des IIP- Ier siècles37.

*
* *

A l'exception de Volterra et de quelques vases probablement grecs,


Stendhal ne vit rien d'étrusque jusqu'en 1831, date de son arrivée à Civita
vecchia38. Tout change après cette date et, s'il reprend parfois quelques
considérations théoriques abordées durant la première période, il parlera
surtout de choses et de personnes qu'il aura vues ou dont il aura entendu
parler et de son action sur les lieux. Chroniqueur mondain et curieux, il
tient sa place dans le courant qui porte alors gens du monde et savants
vers les Étrusques, jugeant les uns et les autres, vulgarisant les seconds à
sa manière, fournissant d'utiles compléments aux rapports officiels qui
paraissent dans les Annali et le Bollettino di Corrispondenza archeologica.
Il ignorera le livre de Mrs Hamilton Gray, Tour to the sepulchres of Etruria
in 1839, paru à Londres en 1840 et, bien entendu, la première édition des
Cities and Cemeteries of Etruria de George Dennis, publiée seulement en
1848, qui confirmeront néanmoins certaines de ses anecdotes. Presque
toutes les informations proviennent alors de la Correspondance ou de
l'article Les tombeaux de Corneto, cité p. 438 note 3 et conçu comme un
véritable guide39.

36 Lettres 1159, du 29-10-1832, et 1160, du 3-11-1832, P. III, pp. 482 et 484.


37 RNF, 2e éd., ibid.
38 Notons, par curiosité, ces propos tirés de RNF, 2e éd., p. 475:
Je vais presque tous les matins à Casalecchio, promenade pittoresque à la cascade
du Reno: c'est le Bois de Boulogne de Bologne.
39 II nous paraît utile de donner ici le plan de deux des textes fondamentaux datant de
cette période: Les tombeaux de Corneto (1837) et la Lettre à Sophie Duvaucel (1834), qui
sont de petites sommes:
Les tombeaux de Corneto: 1. On n'est nulle part mieux qu'à Paris; 2. Voyages et tourisme
à Corneto; 3. Fouilles de Lucien Bonaparte à Vulci et le début de la vogue pour les vases
«étrusques»; 4. Français, Anglais et Allemands face aux Antiquités; 5. Activités du roi de
Bavière; 6. Les peintures; 7. Les vases de Corneto et les ventes de Durand; 8. Les tombeaux;
9. Étrusques et Romains: leur attitude à l'égard des tombeaux; gouvernement de l'Étrurie;
10. Description de la nécropole de Tarquinies (souvent orthographié Tarquinie); 11. Chronologie,
méthodes de datation, discussion des théories.
Lettre à Sophie Duvaucel: 1. Positions esthétique et scientifique de l'auteur; 2. Il fouille à
Corneto; description; 3. Les tombeaux; 4. Les vases; 5. Méthodes de fouilles; 6. Un sarcophage;
7. Les savants.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 445

Ses pas l'ont porté à Tarquinia (Corneto), Vulci, Cerveteri, pour y


assister à des fouilles, y fouiller lui-même ou acheter vases et pierres gravées.
Mais il ne donne de détail que sur les deux premières40.
Voyons d'abord la description qu'il donne de Corneto-Tarquinia pour
le public, dans les Tombeaux de Corneto41.
Le cimetière antique de Tarquinies est celui que les étrangers visitent
le plus ordinairement pour la raison que l'on peut y aller de Rome en neuf
heures42. Cette nécropole est à un mille de Corneto, jolie petite ville remar
quable par des édifices remplis de caractère et située elle-même à dix-neuf
lieues de Rome. La nécropole de Tarquinies était vingt fois grande comme
la ville, ce qui est fort naturel quand on bâtit des cimetières éternels... Ce
cimetière a une lieue et demi de long sur trois quarts de lieue de large43.
A l'exception de quelques petits monticules, rien ne paraît à l'extérieur;
on ne voit qu'une plaine nue, garnie de broussailles et presque de niveau
avec le coteau sur lequel Corneto est bâtie; on domine la mer qui n'est qu'à
une petite heure de distance.

La correspondance est plus familière et Stendhal s'y livre plus volontiers.


Il écrit, dans la lettre à Sophie Duvaucel44:
A côté (de Corneto) se trouve une colline nue, abominable, sans arbre
ni élévation quelconque. C'est la Nécropole, le Père Lachaise de Tarquinies,
d'où venait Tarquin qui eut un fils si célèbre dans l'histoire de la vertu
féminine.

Dans les autres lettres, la description est absente ou très courte mais,
presque toujours, revient la comparaison avec le Père Lachaise, employée

40 La lettre 1615, du 19-3-1838 (P. III, p. 258) évoque seulement les découvertes effectuées
à Santa Marinella par la duchesse Caetani.
41 Mélanges, pp. 214 sq.
42 La notice des Idées italiennes (1840), D., p. 293, situe Corneto à 12 heures de Rome
et Tarquinia à 10 minutes de Corneto. Le fragment Walks in Rome (P., p. 1194) place Corneto
à 20 lieues de Rome. La lettre à Sophie Duvaucel la situe à 2 heures de Civitavecchia (P. II,
p. 712); celles du 24-3-35 (n. 1439, P. III, p. 26) la situe «à trois heures de mon trou»; celle
du 25-12-1831 (n. 1060, P. II, p. 375) «à trois heures de chez moi».
43 II écrit dans Walks in Rome, ibid.:
Cette nécropole, pour parler le langage gratuitement pédantesque de MM. les
pédants savants, a deux lieues de longueur et une et demi de large.
Apparemment, Stendhal écrivait de mémoire en 1837 et se fiait à son impression, non
aux calculs des «pédants savants».
44 Ibid.
446 ALAIN HUS

pour « faire voir » la nécropole de Tarquinia à ses correspondants parisiens


mais qui, visiblement, enchantait l'auteur45.
Outre les objets - qu'on trouve aussi ailleurs - tels que vases, bijoux
et pierres gravées, Stendhal s'intéresse beaucoup aux tombeaux et aux pein
tures. Les premiers surtout excitent sa curiosité et son badinage. La descrip
tion la plus complète (et la plus « officielle ») se trouve, bien entendu, dans
les Tombeaux de Corneto, où sont distingués hypogées simples, tumuli et
tombes rupestres46:
Comme les tombeaux étrusques sont de petites caves soigneusement
recouvertes de trois ou quatre pieds de terre, rien ne paraît à l'extérieur;
il faut aller [pour les fouiller] à la découverte...
Un tombeau étrusque est une petite chambre de douze à quinze pieds
de long sur huit ou dix de large, haute de huit pieds et revêtue ordinaire
ment de peintures à fresque, fort bien conservées et fort brillantes au moment
où l'on ouvre le tombeau. Ces tombeaux, tous également recouverts de
quelques pieds de terre, sont, pour la plupart, creusés dans le nenfro, pierre
tendre du pays.
Dans des niches creusées ou construites tout autour du tombeau,
comme les étagères d'une armoire, sont déposés les corps, dans des caisses
basses de nenfro. Quelquefois, au lieu de squelettes, on ne trouve que des
débris d'os brûlés. Il paraît que, le tombeau terminé, on comblait le trou,
où il avait été construit; du moins aujourd'hui, rien absolument n'indique à
l'extérieur l'existence d'un tombeau. En général, trois ou quatre pieds de
terre recouvrent la partie supérieure, et, pour parvenir à la très petite porte,
il faut descendre à douze et même quinze pieds au-dessous du niveau général
du plateau élevé où se trouve la nécropole de Tarquinies.
Je me hâte d'ajouter qu'il y a des tombeaux, peut-être d'une autre
époque, qui sont annoncés par un monticule en terre de quinze à vingt pieds
d'élévation. On trouve dans les pentes très adoucies de la suite de collines
désertes qui avoisinent la côte, de Montalto à Cerveteri, des cassures de
rocher de quinze à vingt pieds de haut. On a souvent creusé des tombeaux
dans ces rochers, en général fort tendres; mais je ne les crois pas de la même
époque ou peut-être du même peuple que les tombeaux de Corneto, qui
consistent dans une petite cave recouverte de trois pieds de terre.

Les descriptions fournies par la correspondance sont ici encore plus


brèves et plus enjouées mais montrent que celle des Tombeaux résultait

45 N. 1439, du 24-3-1835, P. III, p. 26. La forme est plus explicite dans la lettre au
directeur du Moniteur (fin novembre 1836, n. 1575, P. III, p. 224):
Figurez-vous un cimetière ou nécropole grand comme le Père Lachaise.
Cf. encore Walks in Rome, P., p. 1194: «Les tombeaux du Père Lachaise de Tarquinies».
46 Pp. 208 sqq.; 211 sqq.; cf. le texte d'Abraham Constantin des Idées italiennes, D., p. 293.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 447

d'une vision directe et non de lectures erudites47, comme le montrent égal


ement ses récits de fouille (voir plus bas).
C'est également par vision directe que Stendhal prend connaissance
des peintures tarquiniennes:
Les hommes peints ont trois pieds de haut. On distingue l'expression
des traits pendant six mois, l'air ensuite gâte un peu. Cela semble fait par un
élève du Dominicain et cela a 3000 ans au moins, peut-être 3005 (sic) 48.

Il n'écrit guère plus dans le fragment des Walks in Rome (1831):


Les parois de cette petite chambrette (le tombeau-type) sont peintes.
Quelques-unes de ces peintures (à fresque bien entendu) sont contemporaines
des premiers temps historiques de la guerre de Troie ([blanc] avant J.-C.)49.

Son jugement reste aussi superficiel dans les Tombeaux de Corneto où


il parle surtout des vingt-deux copies faites par Ruspi sur l'ordre du roi
de Bavière.
La manière dont les torses sont dessinés rappelle ce qu'il y a de plus
beau dans les figures du Parthenon, mais ce qui est fort singulier, les mains
ont à peine la forme humaine (sur les copies).
Nous avons eu occasion, il y a trois ans, de voir M. Ruspi travailler
à de nouvelles copies de ces peintures singulières: elles représentent en
général des cérémonies funèbres et des combats. Ces figures ont de deux à
quatre pieds de proportion. Nous nous sommes assuré que M. Ruspi n'ajoutait
rien au dessin vraiment sublime et aux brillantes couleurs des originaux. Jamais,
par exemple, il n'a voulu corriger les mains qui ressemblent tout à fait à des
pattes de renoncules. Mais nous apprenons que, depuis trois ans, les couleurs
de ces fresques ont bien changé. Un chien lupo, placé au pied d'une des
tables, dans un des tombeaux représentant une cérémonie funèbre et dont
on admirait la vérité et l'esprit, a disparu entièrement50.

47 Lettre à Sophie Duvaucel, P. II, p. 712, avec croquis (annonce Tombeaux D., p. 210).
Cf. la description des Walks in Rome, P., p. 1194:
Un tombeau est une petite cave de dix pieds sur huit recouverte de trois ou
quatre pieds de terre et parfaitement cachée. Les parois de cette petite chambre sont
peintes.
48 Lettre 1182, du 25-2-1833, P. II, p. 501.
49 P., p. 1194.
50 Tombeaux, D., p. 208; cf. la lettre 1575, au directeur du Moniteur, P. III, p. 225. Les
Idées italiennes, D., p. 293, parlent également des vingt-deux copies faites par Ruspi, avec cette
curieuse mention: «Chercher à les voir». Inattention d'A. Constantin et de Stendhal lui-même?
Ou bien Stendhal s'était-il vanté dans les Tombeaux?
448 ALAIN HUS

Ce texte est ainsi revu dans les Idées italiennes.

Ces tombeaux remplis de vases sont garnis de fresques bien étonnantes;


on dirait les corps dessinés par l'École de Raphaël; les torses surtout sont
admirables et toutes les mains semblent dessinées pour des gamins. Les yeux
des figures de profil sont vus de face, signe de haute antiquité.

Sur Vulci, Stendhal est un peu moins explicite mais il a visité le site
et recueilli de précieux renseignements « de coulisse » sur Lucien Bonaparte
et sa famille51. Il nous fait part dans une lettre du 24 mars 1835, de sa
visite à Musignano, château où résidait le frère de Napoléon, devenu prince
(papal) de Canino52. Dans le fragment Walks in Rome (28-3-1835) 53, il
donne une description qui révèle un voyage encore tout récent, certain
ement celui que nous venons de mentionner.

De Corneto, en traversant des chemins abominables ou, plutôt, une


plaine couverte de boue, nous sommes arrivés à la Cucumella... Une petite
rivière, ou plutôt fleuve car elle va se jeter dans la mer à sept milles d'ici,
la Fiora, sépare la Cucumella (vaste domaine en plaine non bâtie et d'un
aspect désolé)54 d'un plateau élevé où l'on suppose avec assez de probabilité
que fut la vieille ville étrusque de Vulci. Un homme de sens profond,
M. le pr[ince] M[assimo], pense que Vulci elle-même dont à peine on trouve
des vestiges aujourd'hui et qui, il y a quinze cents ans, était à peine un
village, avait été bâtie sur les ruines d'une ville tout à fait contemporaine
de Rome, si ce n'est antérieure.

51 Nous ne nous étendrons pas sur ce dernier point. Stendhal s'intéresse beaucoup à
Lucien Bonaparte, qualifié de fou, à sa femme, «Madame Jouberton», à ses «deux vauriens
de fils cadets » et à leurs aventures, qui intéressent Thiers, à ses problèmes d'argent, à sa mort,
à ses propriétés et à leur valeur au moment de sa mort, à sa veuve: lettres 1353 (7-9-1834),
P. II, p. 690; 1561 (6-5-1836), P. III, pp. 209-212; 1724 (1-7-1840), P. III, p. 372; 1806 (19-11-1841),
P. III, p. 510-512. Cf. aussi les Tombeaux, pp. 204 sq.
52 Lettre 1440, du 24-3-1835, à J.-J. Ampère, P. III, p. 27. Une lettre antérieure (P. II,
pp. 591-593) montre qu'il connaissait déjà, en 1834, la région de Montalto di Castro. Cf. les
Walks in Rome, note suivante.
53 P., pp. 1194 sq.
54 Selon l'usage local de l'époque, Stendhal parle ici du domaine, non du tumulus (néan
moins, voir plus bas). C'est ce dernier qui est ainsi désigné par les savants, au moins depuis
Lenoir, Annali dell'Istituto, V, 1832, pp. 272 sqq. Cet « aspect désolé » est bien celui qui frappait
les voyageurs de l'époque, notamment G. Dennis (o.e., 2e éd., 1878, pp. 437 sqq.). Stendhal
ignore également la discussion concernant la ville qui occupait le Pian di Voce (Vétulonia ou
Vulci): c'est qu'il se fiait uniquement à Micali ou à Raoul-Rochette (v. plus bas): cf. aussi
Annali... I, 1829, pp. 187 sqq.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 449

L'effroyable antiquité de certains vases trouvés dans des tombeaux à


Vulci ou à son faubourg la Cucumella a suggéré cette idée.
J'écris assis dans une cabane en paille, élevée sur les ruines d'une
chapelle chrétienne de l'an 400... 55.

Il reprend cette description, plus brève et plus « scientifique » (sur le


nom de la Cucumella) dans les Tombeaux de Corneto (1837) 56.
Les principales découvertes (du prince de Canino) eurent lieu sur les
bords de la Fiora, petit fleuve en miniature qui sépare l'état romain de la
Toscane et qui, après avoir coulé dans un lit de rochers calcaires, va se
jeter à la mer sous Montalto. On trouva surtout beaucoup de vases et de
bronzes dans une colline factice nommée la Cucumella par les gens du pays
et dans l'espace situé entre la Cucumella et la Fiora. En 1835, on fouilla
dans la ville même de l'ancienne Vulci, sur la rive droite de la Fiora et on
y trouva, entre autres objets précieux, une magnifique statue de bronze qui
fut achetée par le roi de Bavière.

Rien de plus en somme que des souvenirs personnels enrichis de docu


ments puisés à des sources orales. Il en va de même pour Cerveteri qui
intéresse surtout notre auteur par les bijoux, statues et pierres qu'on y
trouve57, mais il ne nous en a guère laissé de description. Située à quatre
heures de Rome58, à deux milles de Monterone 59, elle est en outre l'objet
de trois remarques erudites dont une au moins - et probablement les trois -
sont tirées de Nibby, l'une des sources certainement consultées par Stendhal
(voir plus bas): «ville grecque antérieure aux Romains», «ville grecque qui
avait un traité avec Carthage » 60.
La ville étrusque de Caere est connue par le traité qu'elle conclut avec
Carthage... quelques savants placent la ville de Caere quatre milles plus au
nord au lieu où se trouve le village de Ceri61.

55 Cette église existe encore.


56 P. 205. Aux pp. 203 sq., il avait rappelé le célèbre épisode du bœuf tombé dans une
tombe et des poursuites engagées par Lucien Bonaparte contre son fermier. L'anecdote est
racontée par G. Dennis, et Stendhal lui-même en fera part à Thiers par la lettre 1724 du 1-7-1840
(P. III, p. 372) en lui annonçant la mort de Lucien.
57 Walks in Rome, P., p. 1193 (bijoux); Tombeaux, D., pp. 216 sq. (bijoux); Rapport au
Maréchal Soult, avec lettre 1679 du 29-1-1840, P. III, pp. 327 sq. (statues romaines); lettres
citées à la note 60.
58 Walks in Rome, ibid.
59 Lettre à Ampère, n. 1440, P. III, pp. 27-30.
60 Lettres 1665 du 5-12-1839, et 1678 (signée Jacques Durand) du 28-1-1840, P. III,
pp. 313 et 325.
61 Rapport au Maréchal Soult, in fine. Ces renseignements sont explicitement empruntés
à «feu le professeur Nibby».
450 ALAIN HUS

Mais il intercale une impression personnelle:


Rien de plus triste que le village qui porte le nom de Cerveteri; encore
est-il désolé par la fièvre.

Si le voyageur se complaît parfois à quelques impressions de voyage


en concédant - rarement - un hommage à l'érudition, l'esthète, le « mond
ain », le chroniqueur et le fonctionnaire ne s'intéressent - comme toute
son époque - qu'à quatre catégories d'objets: les vases, les bijoux, les pierres
gravées et les statues. Encore celles-ci sont-elles romaines et les laisserons-
nous de côté62. Ici encore l'aspect scientifique de la question n'est abordé
que dans les écrits destinés au public - ou à l'administration - la Corre
spondance ne traitant que d'impressions esthétiques ou de la valeur mar
chande des objets.
Les vases, qu'il n'avait évoqués qu'en passant en 1826 63, l'occupent
beaucoup en tant qu'amateur, qu'acheteur et pourvoyeur entre 1834 et 1837.
Ils occupent aussi l'esthète et nettement moins l'érudit, alors pourtant qu'était
paru en 1831, l'admirable Rapporto volcente de Gerhard64 ainsi que de
multiples études sur les vases de Vulci et de Tarquinia. Comme tous ses
contemporains, il est frappé du fait que toutes les tombes, même violées,
contiennent de nombreux vases 65, mais il ne s'intéresse guère qu'à leur prix,
à la façon dont ils ont été trouvés et achetés66. Tout au plus distingue-t-il
entre vases noirs (bucchero) qui n'ont aucune valeur et vases peints ou
« oranges » (= à figures noires ou rouges) 67.
Les bijoux font eux aussi partie du matériel précieux que l'on recherche
en priorité, mais ils n'éveillent chez lui que l'étonnement du connaisseur
et des sensations tactiles ou ne suscitent que des considérations commerciales.
Un [blanc] et sa femme fermière de son état fait faire des fouilles et
nous a montré un collier en filigrane d'or d'un travail fort délicat. Ce collier
d'or sans alliage pèse deux onces (175 g. je crois) et elle en demande deux

62 V. plus haut, p. 448, note 54.


63 RNF, 2e éd., 1826, P., pp. 562 sq.
64 Annali dell'Istituto, III, 1831, pp. 5-218 et 221-270, avec les planches dans les Monum
enti correspondants.
65 P. ex. lettre à Sophie Duvaucel, P. II, p. 712, ou au directeur du Moniteur, P. III,
pp. 224 sq., ou encore au directeur du Mémorial bordelais, n. 1615, du 19-2-1838, P. III, p. 258.
Le fouilleur en a vu dans les tombes, mais surtout au magasin d'antiquités de Donato Bucci.
66 Notamment dans Tombeaux, pp. 204-206, 208, 215-217.
67 Lettre à Sophie Duvaucel, p. 713, et Tombeaux, p. 204; lettre 1575 de fin novembre 1836
au directeur du Moniteur.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 451

mille francs. On offre mille francs. Nous avons essayé des bagues d'or élast
iques qui vont également bien à tous les doigts; élastiques après deux mille
ans68! (à Cerveteri).
Si l'on rencontre un tombeau non encore exploré, on trouve des sièges,
des flambeaux de bronze, souvent des pendants d'oreille, des diadèmes et des
bracelets élastiques fort légers mais admirablement travaillés et de l'or le plus
pur... (Les ouvriers du Prince Torlonia) ont trouvé dans un seul tombeau
des bracelets et des bagues qui, après tant de siècles, avaient encore conservé
une élasticité parfaite. Un seul de ces bracelets, qui pouvait ainsi s'adapter
également à tous les bras et qui s'est trouvé en or beaucoup plus pur que
celui des napoléons, pesait quatre vingt quatre napoléons d'or69.

Quant aux pierres gravées, Stendhal en distingue deux catégories: les


romaines 70, et les étrusques qu'il juge « horriblement laides » et « d'une
liberté de main bien singulière » 71.
Un seul monument de sculpture, enfin, attire son attention: un sarco
phage trouvé par la société de fouilles dont il fait partie, à Tarquinia.
L'an passé (= en 1833), l'un de nous a trouvé une statue couchée sur
son tombeau exécutée sans gêne avant le genre raide et soigné de l'École
d'Égine72.
(... Avez-vous lu ce déclamateur sans idées, mais non pas froid, nommé
Winckelmann, premier baron de Steindhal?). Ce sans-gêne prouve qu'il a au
moins 2700 ans, lui et ses quatre bas-reliefs. Ces quatre bas-reliefs repré
sentent fort bien le cas tragique d'une pauvre jeune fille que l'on tue et que
l'on pleure ensuite73.
Le fait représenté se passait au temps d'Homère. Les figures des bas-
reliefs ont l'air faites d'hier; elles ont huit pouces de haut et de petites
blouses serrées par une ceinture. Elles se démènent très bien. Ce tombeau
sera célèbre en 1850 74.
Terminons ce tour des « connaissances » de Stendhal relatives aux
Étrusques en examinant sa chronologie. Notons d'abord qu'il ne tente guère
de dresser une chronologie évolutive que pourtant il avait connue durant
la première période 75 et qu'il pressent encore durant celle-ci, au moins pour

68 Walks in Rome, P., p. 1193.


69 Tombeaux, pp. 216 et 217. Le Napoléon pèse 5 g. 806.
70 Les pierres gravées apparaissent tard dans la correspondance. Romaines: lettre 1673
du 12-1-1840, P. III, p. 321 (et réponse de P. E. Fargues, p. 572 (cf. la lettre au même du 5-12-1839).
71 Lettre 1665 du 5-12-1839, P. III, p. 313; Idées italiennes, D., p. 294.
72 Contre-sens historique évident.
73 Sans doute le meurtre de Cassandre.
74 Lettre à Sophie Duvaucel, P. II, pp. 713-714.
75 V. plus haut.
452 ALAIN HUS

la peinture, puisque selon lui (en 1835) certaines fresques tarquiniennes


sont contemporaines de la guerre de Troie et d'autres de l'empire romain,
la plupart étant « contemporaines de Tarquin » 76.
Son attitude en la matière se fixe en 1837 dans un texte assez long,
mais dont nous présenterons les extraits les plus significatifs, car il illustre
bien la position scientifique de Stendhal dont il sera question plus bas77.
J'ai remarqué que lorsqu'on va visiter une fouille... la curiosité humaine
se trahit constamment par une dernière discussion: on se demande toujours:
dans quel temps ces tombeaux ont-ils été construits?

Après avoir mis le lecteur en garde contre les modes qui consistent à
imiter telle époque du passé, il poursuit:
Pour être admis dans le Corps d'ailleurs si respectable des archéologues,
il faut savoir par cœur Diodore de Sicile, Pline et une douzaine d'autres
historiens: de plus il faut avoir abjuré tout respect pour la logique. Cet art
importun est l'ennemi acharné de tous les systèmes: or, comment un livre
d'archéologie peut-il attirer l'attention du monde, même légèrement, sans le
secours d'un système un peu singulier?
Je connais onze systèmes sur l'origine des vases peints et des tombeaux
étrusques... Le plus absurde est, ce me semble, celui qui suppose que tout
cela a été fait sous Constantin et ses successeurs. Le système que j'adopterais
volontiers et que je proposerais au lecteur, tout en convenant qu'il est
malheureusement dénué de preuves suffisantes, est celui qui m'a été enseigné
par le vénérable père Maurice (homme de terrain, aimable, fort érudit, qui...)
pense que les tombeaux que nous déterrons appartiennent à un peuple fort
antérieur aux Étrusques, peut-être contemporain des premiers Égyptiens et
que... chez ce peuple primitif on plaçait des vases ou au moins des coupes
dans le tombeau de ceux qu'on voulait honorer.

Il faut remarquer ici que, toujours selon Stendhal, le prince Massimo


pensait que la Vulci étrusque « avait été bâtie sur les ruines d'une ville tout
à fait contemporaine de la guerre de Troie si ce n'est antérieure » 78.

76 Walks in Rome, P., p. 1194. Cf. Tombeaux, p. 218: «une peinture évidemment romaine».
Relevons ici une curieuse phrase du même passage des Walks: «... l'Étrurie... ne fut entièrement
conquise que quarante-cinq ans après la fondation de cette terrible voisine ». Cette voisine n'est
pas mentionnée, mais il ne peut s'agir que de Rome. Or Stendhal fixait la conquête de l'Étrurie
à 280, date à laquelle Ti. Coruncanius triomphe des Vulciens et des Volsiniens. De quelque
façon qu'on envisage le chiffre 45 (45, 450, 445, 545, etc..) la phrase de Stendhal demeure
absurde. Seul 475 approcherait de l'exactitude telle que la concevait la science de l'époque.
77 Tombeaux, D., pp. 217-221.
78 Walks in Rome, p. 1195.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 453

Après avoir violemment critiqué les savants allemands, Stendhal poursuit:


Je n'ai retenu que deux faits suffisamment prouvés de tous ces ouvrages
allemands. Les vases découverts dans les tombeaux de Tarquinies . . . n'ont
pas été connus des Romains et leur sont antérieurs. Pline, qui fut un homme
exact... (et patriote)... aurait-il négligé de parler des figures admirablement
dessinées et des vases que l'on trouvait enfouis sous terre?
(Le second fait est que les vases de Tarquinia diffèrent de ceux que,
d'après Cicéron, des vétérans de César retrouvèrent à Capoue).

Le scepticisme de Stendhal est donc presque total et sa prudence métho


dologique remarquable! Il avait dû fixer sa position en 1836 car c'est celle
qu'il mentionne dans la lettre de fin novembre 1836 au Moniteur79 et dans
une lettre du 12 janvier 1840 80.
En revanche, avant cette époque, en accord avec la science du temps
qui s'appuyait sur des auteurs comme Virgile ou Denys d'Halicarnasse, il
place régulièrement les tombeaux, vases et peintures de Tarquinia à l'époque
homérique: « cela a 3000 ans » 81 « 3000 ans au moins, peut-être 3005 (sic) » 82.
Les plus anciennes peintures sont « contemporaines des premiers temps histo
riques de la guerre de Troie » (voir plus haut). Dans la lettre à Sophie
Duvaucel, de 1834 83, il tient pour 2700 ans («tenez ferme à 2700 ans»)
sans raison aucune. Mais même après avoir défini sa position de prudence,
il en revient à des datations chiffrées, plus vagues il est vrai: « il y a 2000
ou 3000 ans » en 1838 84 et, au début de ce même article sur les Tombeaux
de Corneto à la fin duquel il prend si nettement parti: « 2000 ans au moins,
peut-être 4000 » 85, qui concilie sa propre conviction et les « enseignements »
du Père Maurice.
Nous sortirions de notre propos en évoquant les activités archéologiques
et la chronique que tient Stendhal sur les fouilles, le commerce antiquaire
etc dont Tarquinia et sa région sont le centre. Ce serait pourtant la partie
la plus vivante et la plus pittoresque de cet exposé. Les chroniques des
fouilles, exécutées tant par lui-même et la société dont il fait partie que par
les propriétaires, les antiquaires et les savants, occupent une partie non

79 P. III, p. 225: tombeaux, vases et peintures de Tarquinia sont «antérieurs aux Romains».
80 P. III, pp. 321 sq. (n. 1673): «antérieurs à Pline».
81 Lettre 1439 du 24-3-1835, P. III, p. 27.
82 Lettre 1182, du 25-2-1833, P. II, p. 501.
83 P., pp. 712 et 713. En décembre 1825, il datait d'après Niebuhr l'Étrurie préromaine
d'«il y a 2400 ans»: au New Monthly Magazine, P. II, p. 414.
84 Lettre 1615, du 19-3-1838, P. III, p. 258.
85 Tombeaux, D., p. 202.
454 ALAIN HUS

négligeable de sa Correspondance916 et des Tombeaux de Corneto entre 1831


et 1838 87. On y apprend le pourquoi et le comment des fouilles, on y voit
appliquées les déplorables méthodes qui sont alors universellement pratiquées,
le tout raconté avec beaucoup de piquant et souvent de pittoresque88. On
y fait connaissance avec divers fouilleurs et marchands d'antiquités, tels le
chevalier Manzi et surtout le cher Donato Bucci pour lequel il n'hésite pas
à faire de la publicité 89. On y assiste sur le vif au commerce effréné des
antiquités étrusques pour lequel Stendhal se fait rabatteur au bénéfice de
ses amis quand il n'achète pas pour son propre compte90. Stendhal insiste
aussi sur le caractère mondain (tourisme et collections) de la vogue des
Étrusques, dont il avait déjà pris conscience en 1825-1826 et qu'il rapportait
à l'influence de Niebuhr91. Il ne résiste pas au plaisir de juger le caractère

86 Et non seulement la lettre à Sophie Duvaucel et les Tombeaux, comme l'écrit M. Yves
du Parc dans le Stendhal Club, 6, 1960, pp. 190 sq. L'article paru dans le Moniteur du 8-12-1836,
cité par M. du Parc, est la lettre déjà citée, n. 1575, de fin novembre 1836.
87 1831: lettre 1060, P. II, p. 375; 1834: lettre à Sophie Duvaucel; 1835: Walks in Rome,
lettre 1439, P. III, pp. 26 sq.; lettre 1440, P. III, pp. 27-30; 1836: lettre au directeur du Moniteur
et l'article; Tombeaux, passim, notamment pp. 215 sqq.; 1838: lettre 1615, P. III, p. 258; 1840:
Rapport au Maréchal Soult. Sans parler des textes mineurs ou se rapportant à des découvertes
romaines.
88 Ainsi la scène, analogue à celle qui est rapportée par Noël des Vergers dans VÉtrurie
et les Étrusques, II, Paris, 1864 et retranscrite dans A. Hus, Les Étrusques, peuple secret, Paris,
1957, pp. 27 sq. Elle est décrite dans la lettre 1439, du 24-3-1835, P. III, pp. 26 sq.:
Quand on trouve un tombeau intact... on jouit pendant une heure de la vue
d'un grand homme, revêtu de tous ses ornements, une couronne d'or sur le crâne;
les feuilles de laurier en or sont plus légères que du papier. Bientôt tout tombe en
poussière très humide, presque en boue, et l'on est réduit à pêcher, avec une épingle,
les feuilles de laurier dans cette boue.
Le ton diffère beaucoup de celui - plus romantique - de Noël des Vergers.
89 Y. du Parc, art. cité, pp. 189-192. Nombreux textes, entre autres: Walks in Rome, P.,
p. 1194; lettre au directeur du Moniteur; Tombeaux, pp. 209 sqq, 214 sq; lettres de 1838, P. III,
p. 258 (n. 1615) et pp. 267 sq (n. 1626); Idées italiennes, D., pp. 293 sq.
90 1834: lettre à Sophie Duvaucel et lettre 1261, P. II, p. 925; 1835: lettre 1439, P. III,
pp. 26 sq; 1440, P. III, pp. 27-30; 1836: lettre au directeur du Moniteur; 1837: lettre du 12-2,
P. III, p. 539 Tombeaux, pp. 204 sq, 208 sq, 216; 1839: lettre 1665, P. III, p. 313; 1840: P. III,
p. 372, etc.... Les achats et les visites du roi de Bavière, les copies qu'il fait faire des peintures
de Tarquinia (v. plus haut) sont mentionnées à plusieurs reprises en 1834, 1836 et 1840, ainsi
que dans Tombeaux, p. 205.
91 Au New Monthly Magazine, écrit le 18-12-1825, P. II, pp. 413 sq. Il déplorait alors que
les savants français aient négligé les Étrusques, alors qu'Italiens (Micali) et Allemands (Niebuhr)
s'en occupaient activement. Sur ce caractère mondain de l'étruscologie et des antiquités, entre
autres: lettre à Sophie Duvaucel; lettre 1439, P. III, p. 26 (1835); Tombeaux, pp. 205 sq et 208 sq;
lettre 1665, P. III, p. 313 (1839). Ce caractère mondain (qui n'exclut pas l'érudition apportée
par les «savants») sera bien illustré par le Tour de Mrs Gray (ν. plus haut), qui paraîtra en 1840.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 455

français comparé à ceux des Anglais et des Allemands du point de vue qui
nous occupe; il s'agit de la vente des vases de Vulci effectuée par Lucien
Bonaparte 92:
Mais pour en revenir aux sept cent mille francs reçus par le prince
en échange de ses vases, ce furent l'Angleterre et l'Allemagne qui payèrent
cette somme énorme; la France n'y participa que pour cinq mille francs,
tant le goût des arts est encore incertain chez nous lorsqu'il n'est pas fortifié
par la mode. Or, comment les pauvres vases de Corneto auraient-ils été à
la mode? Ils n'étaient protégés par personne. Un savant étranger m'a appris
que le numéro du Moniteur du 28 juillet 1830, le dernier Moniteur du règne
de Charles X... contient une longue lettre qui explique assez bien ce que
c'est que les vases de Corneto93... J'ai scandalisé ce savant étranger en lui
disant qu'on ne lit jamais dans le Moniteur que les ordonnances qui nomment
les ministres; que, quant aux articles littéraires, on leur trouve je ne sais
quoi d'officiel et d'illisible. J'ai ajouté que les antiquités ne seront jamais à
la mode en France, pour la raison que certains charlatans trop connus s'en
sont emparés comme de leur domaine. En France, pays du charlatanisme et
de la camaraderie, personne ne veut être dupe des charlatans trop connus.

Stendhal, à l'évidence, n'a jamais parlé des Étrusques pour eux-mêmes.


Durant la première période, ils lui servent constamment de point de réfé
rence pour exercer sa satire contre les prêtres ou critiquer la société de son
temps, ce qui explique ses contradictions: tantôt esclaves des « jésuites »,
tantôt possédant P« art d'être heureux », ils illustrent en partie sa conception
du voyage et des livres qui s'y consacrent:
L'auteur a passé dix ans en Italie; au lieu de décrire des tableaux ou
des statues, il décrit des mœurs, des habitudes morales, l'art d'aller à la
chasse au bonheur en Italie9*.

et c'est un aspect de cette conception qu'il illustre pendant sa seconde période.


Je ne prétends pas dire ce que sont les choses; je raconte la sensation
qu'elles me firent95.

S'il refuse d'écrire dans la première période pour « les gens à argent
et à cordons » 96, c'est bien pour eux que souvent il agit et écrit dans la
seconde, tout en conservant son indépendance d'esprit et de jugement.

92 Tombeaux, pp. 205 sq.


93 Sur ce savant et cet article: Y. du Parc, Stendhal Club, 6, 1960, pp. 189 sqq.
94 Lettre du 20-3-1827, passage cité par V. del Litto dans son édition des Voyages de
Stendhal, P., p. XXXVIII.
95 RNF, cité ibid.
96 Ibid.
456 ALAIN HUS

D'où lui vient donc son souci d'érudition? A n'en pas douter de l'article
de VEdimburg News qui, rendant compte de la première édition de Rome,
Naples et Florence, en novembre 1817, le taxait de frivolité, ce dont Stendhal
fut piqué au vif 97. Dès lors, tout en avouant lui-même: « ce n'est pas un
voyage sérieux » 98, il entreprend de se documenter sur les antiquités en vue
de la seconde édition de l'ouvrage ", et encore après la parution des Promen
ades, dans les annotations manuscrites de l'exemplaire Serge André. Mais,
si son « cœur » (voir plus haut) le porte vers les vestiges romains, les Étrusques
l'ennuient 10°.
Par prudence (pour donner du sérieux à son ouvrage) je viens de
m'ennuyer toute une soirée quoique je ne sois amoureux que des ruines de
Rome.
Frédéric aime les Étrusques et leur influence sur les Romains... (il) dit
du mal de Cimarosa ou du Corrège quand je refuse de croire aux grandes
actions des Étrusques.

L'intérêt sera beaucoup plus vif pendant la seconde période, mais les
vues théoriques beaucoup plus réduites: c'est que les villes, les tombeaux,
les objets étrusques sont matière à sensations.
Il n'en demeure pas moins que si ces sensations et une partie des
jugements qu'il porte lui sont personnels, une autre partie de ces jugements
et toutes ses connaissances théoriques proviennent des chercheurs et érudits
contemporains, de ceux qu'il appelle « les savants ». Nous devons donc
chercher à savoir quelle était son attitude à l'égard des antiquités et des
« savants » et quelle était sa position scientifique.
A l'égard des antiquités, il agit deux fois en fonctionnaire consciencieux
qui fait rapport à ses supérieurs 101. Mais le plus souvent il en parle à titre
personnel. C'est, en 1826, une admiration respectueuse et instinctive encore
que rationnelle 102 qui n'interdit pas de « rêver » 103 et qui procure plus de

97 Voir, sur ce point, V. del Litto, o.e., P., pp. 1430-1451.


98 Lettre n. 801 bis du 22-12-1825, P. II, pp. 77 sq. Il y demande à Martial Daru «une
notice de trois pages sur les services que l'Intendant de Rome a rendus à l'antiquité et aux arts».
Réponse de Daru le 26-12-1825, contenant un exposé des fouilles en cours à Rome, ainsi que
des travaux de l'Accademia S. Luca et de l'Institut d'archéologie.
99 Ibid.
100 Ex. Serge André, P., pp. 1643 sq, et Promenades, D. pp. 140-142.
101 En 1812 et en 1840, v. plus haut, p. 438, note 4.
102 RNF, 2e éd., 1826, P., pp. 507 et 535.
103 O.e., pp. 503 sq.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 457

connaissances que celles d'un « savant », puisées dans les livres. Plus tard,
quand il aura manipulé ou vu des milliers d'objets, il recherchera en eux
« le beau antique » 104. Son érudition sera beaucoup plus pratique que livres
que,mais il restera toujours un « paysan du Danube » 105.
Cette attitude d'honnête homme et d'amateur plus éclairé qu'il ne veut
l'avouer, mais partial et finalement peu ouvert à l'art antique 106, trouve son
complément dans les jugements qu'il porte de 1825 à 1837 sur les savants.
D'abord sur les savants en général, sots 107, incompétents 108, crédules 109,
pédants n0, vaniteux et ridicules m, ennuyeux 112 doctrinaires et imbus de
l'esprit de système113, détestables érudits dépourvus de logique et de sens
commun 1U. Viennent ensuite les savants par nationalités. En France, Caylus
est « sévère et brusque » 115, et nos « prétendus historiens » se voient reprocher
de ne rien avoir publié sur les Étrusques 116; mais c'est l'Académie des
Inscriptions et Belles Lettres (horresco referens) qui est sa cible favorite.
Dans la lettre à Sophie Duvaucel (1834) 117, garantissant l'authenticité des
vases qu'il envoie, il écrit:
Quant au local, j'y conduisis jadis... MM. Adrien de Jussieu et Ampère118;
quoique tenant à l'Institut, j'espère qu'ils ne mentiront pas quant aux faits
bruts.

104 Grec et romain, non étrusque: lettre n. 1181, du 14-2-1838, P. II, p. 500; cf. lettre 1665,
du 5-12-1839, P. III, p. 313.
105 Lettre 1678, du 29-1-1840, P. III, p. 325.
106 Cf. RNF, 2e éd., 1826, P., p. 541:
II faut être un sot ou un savant pour prétendre que cela (les peintures de
Pompei) est supérieur au XVe siècle: ça n'est qu'extrêmement curieux».
107 RNF, 2e éd., 1826, p. 541.
108 O.e., pp. 562 sq; Walks in Rome, P., p. 1194.
109 Ex. Serge André, P., p. 1644 (archéologues).
110 Walks in Rome, P., p. 1194.
111 RNF, 2e éd., 1826, P., pp. 562 sq.
112 Walks in Rome, ibid.
113 Lettre à Sophie Duvaucel, P. II, p. 713 («vos savants qui nient tout ce qu'ils n'expl
iquent pas»); Tombeaux, D., p. 218.
114 Tombeaux, ibid.
115 Lettre 1060, du 25-12-1831, P. II, p. 375.
116 Au New Monthly Magazine, décembre 1825, P. II, p. 413 sq.
117 P., pp. 713 et 714.
118 Cf. la lettre à la même, n. 1380, du 3-11-1834, P. III, pp. 722 sq et, plus loin, la lettre
1393. Longue lettre archéologique à J.-J. Ampère (père d'Adrien), n. 1440, du 24-3-1835, P. III,
pp. 27-30.
458 ALAIN HUS

et il termine sa lettre par ces propos:

Les antiquaires romains ont la tête encore plus étroite qu'un membre
de l'Académie des Belles Lettres. Figurez-vous quelque chose de plus étroit
que M. Silvestre de Sacy et de plus hypocrite que M. Saint Martin119.

Les savants italiens pris dans leur ensemble ne sont égratignés qu'une
fois en 1826:

Ce qui manque le plus aux savants italiens, après la clarté, c'est l'art
de ne pas regarder comme prouvés les faits dont ils ont besoin; leur manière
de raisonner, en ce genre, est incroyable120.

Mais c'est surtout la science allemande que Stendhal déchire à belles


dents en 1826, 1829 et 1837, avec une constance remarquable. En 1826,
il reproche aux savants allemands de considérer l'Histoire - et l'Antiquité -
avec un esprit abscons:

M. Niebuhr serait bien supérieur à tout ceci (Micali), si la malheureuse


philosophie allemande ne venait jeter du louche et du vague sur les idées
du docte Berlinois... A Paris, on sert à part le turbot et la sauce piquante.
Je voudrais que les historiens allemands se pénétrassent de ce bel usage;
ils donneraient séparément au public les faits qu'ils ont mis au jour et leurs
réflexions philosophiques. On pourrait alors profiter de l'histoire et renvoyer
à un temps meilleur la lecture des idées sur l'absolu121.
Je ne comprends rien au ton mystique avec lequel M. Schlegel vient
nous parler des théâtres anciens; mais j'oubliais qu'il est Allemand et appa
remment moi, malheureux Français, je manque de sens intérieur122.

Plus tard, sur l'exemplaire Serge André, il reproche à Frédéric qui a


« le caractère allemand » et « qui parle avec éloge des ouvrages de MM. Dorow
et Ottfried Müller sur l'ancienne Étrurie » 123 de « rêver à l'histoire » et de
« croire aux grandes actions des Étrusques » 124. En 1837, enfin, il est beau-

119 Tombeaux, p. 213: le même reproche y est adressé de ne pas travailler sur pièces à
« un jeune savant français » qui a émis un jugement erroné sur une inscription du Vatican; « il est
vrai que ce jeune savant, qui sera de l'Institut, n'a jamais vu le Vatican ».
120 RNF, 2e éd., 1826, P., pp. 497 sq.
121 O.e., p. 498.
122 O.e., p. 535.
123 Promenades, P., pp. 607 et 716.
124 P.f p. 1643.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 459

coup plus dur. Parlant des ouvrages allemands 125, il écrit 126:
Tous se moquent fort de la logique et admettent comme preuve irréfra
gable de belles phrases pompeuses ou bien, comme Niebuhr, prouvent une
certaine chose, ajoutent une supposition à la chose prouvée et, deux pages
après, partent de la supposition comme d'un fait incontestable; c'est ainsi que
l'on est un grand homme outre-Rhin. Tout ce que l'on peut accorder à ces
messieurs, qui se moquent de notre légèreté, c'est qu'ils savent par cœur
quinze historiens ou poètes anciens. Ce n'est pas peu, une tête qui contient
cela peut elle contenir autre chose?

Stendhal n'est pas plus tendre pour les grands noms de l'archéologie
et de l'étruscologie récents et contemporains. Caylus (voir plus haut) est à
peine égratigné, mais Winckelmann, « premier baron de Steindhal » est qual
ifié de « déclamateur sans idées mais non pas froid » 127.
G. Micali, auteur à succès en 1810 de l'Italia avanti il dominio dei
Romani1291, déjà qualifié «pédant d'idées» en 1817 (voir plus haut), est
ainsi caractérisé dans le New Monthly Magazine 129:
M. Micali de Florence qui, malgré toute son érudition est assez charlatan
et qui a souvent des idées fausses sur les monuments qu'il décrit (par exemple
la porte cyclopéenne de Volterra) . . .

En 1826, Niebuhr lui est reconnu « bien supérieur » pour les faits et
Stendhal revient sur « bon nombre de mensonges et d'exagérations » dans
les planches consacrées par Micali à Volterra. En somme, Stendhal s'appuie
sur le seul cas où il puisse juger de visu pour ratifier les jugements critiques
de Niebuhr (qu'il n'a sans doute pas lus) et des spécialistes.

125 Au nombre desquels, apparemment, il range un certain M. Dempstev, « savant archéolo


gue de Florence» qui aurait publié, «il y a plusieurs années, en dix volumes in-folio, l'histoire
des systèmes inventés de son temps». Nous n'avons pas retrouvé trace de ce M. Dempstev.
Ne s'agirait-il pas de Thomas Dempster, Écossais, qui vivait au XVIIe siècle et dont furent
publiés, longtemps après sa mort, en 1724 et à Florence, les deux tomes de son De Etruria
regali libri VII? Cela serait bien dans la manière de Stendhal.
126 Tombeaux, pp. 219 sq.
127 Lettre à Sophie Duvacel, P. II, p. 713.
128 Sur G. Micali: P. Trêves, Lo studio dell'antichità classica nell'Ottocento, Milan-Naples,
1962, pp. 293-311. La critique spécialisée se montra très réservée, mais l'ouvrage fut admiré,
notamment en France, par Fauriel (qui sera l'un de ses co-traducteurs), Lamennais et surtout
Sismondi. Niebuhr porte sur lui des jugements contradictoires ou, pour le moins, nuancés.
Micali publiera, en 1832, une Storia degli antichi popoli italiani. Probablement Stendhal la
lira-t-il comme il avait lu l'Italia-..., mais il ne porte plus de jugement après 1826.
129 De janvier 1826; lettre de Stendhal du 28-12-1825, P. II, pp. 413 sq.
460 ALAIN HUS

Mais B. G. Niebuhr 130, nous l'avons déjà vu, n'est pas épargné à cause
de sa « philosophie allemande ». Pour les faits il est encensé dans l'article
du New Monthly Magazine (« seul M. Niebuhr de Berlin a rempli heureuse
ment la tâche entreprise par M. Micali ») dans lequel Stendhal feint d'em
prunter directement à son livre le tableau qu'il brosse de l'Italie des VIIe-VF
siècles avant notre ère. Mais, en 1837, cette belle confiance a disparu: outre
la diatribe citée ci-dessus, il avait déjà écrit, quelques pages auparavant,
qu'on ne saurait « ajouter foi à toutes les imaginations données comme
preuves du célèbre Niebuhr » m.
F. Inghirami 132 est rapidement expédié, en 1835 133. Stendhal lui reproche,
nous l'avons vu plus haut, d'avoir fait « sur les vases étrusques, des romans
qui ne sont pas même amusants »; plus loin, il écrit: (Philippe) « a lu les
dix volumes in 4° de M. Inghirami, prétendu savant de Florence, lequel a
le mérite d'exposer tout ce que d'autres ont dit sur les vases ».
Quant à Raoul-Rochette 134, il est seulement mentionné dans le New
Monthly Magazine comme « académicien et ultra », (qui) a fait une traduction
française de cet ouvrage romantique {V Italie... de Micali). Mais Stendhal
va plus loin en 1829 135: « M. Raoul-Rochette a gâté cet ouvrage en le mettant
en Français ».
Cette longue suite de critiques et de jugements sans appel suffirait à
nous informer de la position «scientifique» de Stendhal. Il la définit plus
positivement dans quelques textes échelonnés de 1829 à 1834, qui se ramè
nent à l'énoncé de quelques principes:
Dans l'étude de ces antiquités reculées (époque de S. Tullius et pro
blèmes des remparts de Rome), l'essentiel est d'admettre pour probable ce
qui est probable, de ne croire que ce qui est prouvé; je ne parle pas de
preuves mathématiques car chaque science a un degré de certitude différent 136.

130 II avait publié en 1811 et 1812 les deux premiers tomes de sa Römische Geschichte.
Il ne sera traduit qu'en 1840. Il est plus que probable que Stendhal - qui se serait profondément
ennuyé à le lire en français - ne s'est pas donné le désagrément de le lire en allemand. Raoul-
Rochette en traite brièvement dans l'Introduction de son édition de Micali, I, p. XII.
131 Tombeaux, p. 212.
132 Monumenti etruschi e di etrusco nome, 10 volumes, Florence, 1820-1826. Il semble
que Stendhal ait au moins feuilleté cet ouvrege. Du moins ne se trompe-t-il pas sur le nombre
des volumes. Raoul-Rochette en dit grand bien, o.e., p. XIII.
133 Walks in Rome, P., pp. 1193, 1194, 1195.
134 Sur Raoul-Rochette, G. Perrot, CRAI, 1906, p. 638 sqq, et J. Heurgon, o.e., p. 4. Ses
notes et ses « éclaircissements » prennent constamment le contre-pied de Micali. En revanche,
il ne l'a pas traduit, la traduction étant due à Joly et Fauriel (Raoul-Rochette, o.e., p. V).
135 Promenades, P., p. 666.
136 Promenades, P., p. 666.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 461

Sur l'exemplaire Serge André, il condamne l'imagination dans les scien


ceshistoriques:
Au lieu de rêver à l'histoire, j'aime mieux employer mon imagination
à la musique ou à la peinture137.

En 1833, il écrit:
Je deviens antiquaire en diable. Cependant, il me reste encore un peu
de logique; je ne regarde pas pour vrai ce qui convient à mon système138.

En 1834, autre précision 139:


J'aime le beau et non le rare; ensuite, je ne crois que ce qui est prouvé.

Nous sommes donc prévenus du médiocre intérêt scientifique que


Stendhal portait aux antiquités étrusques et des opinions qu'il nourrissait
à l'égard des savants et des archéologues, singulièrement à l'égard de ceux
qui s'occupaient des Étrusques, au nom d'un idéal certes sain mais superficiel.
Reste à voir quelles sources il prétendait avoir consultées («pour faire
sérieux »), celles qu'il a effectivement utilisées, et à nous demander quel a
été le rôle de ces dernières dans les vues parfois aberrantes qu'il a exposées.
Il faudra se garder de sous-estimer son apport personnel, qu'il s'agisse de ses
idées, si constantes, ou de ce qu'il avait personnellement vu.
Parmi les sources écrites, il y a d'abord celles qu'il prête à « d'autres »,
c'est à dire à ses personnages des Promenades. Cela prouve qu'il en connaissait
l'existence - voire qu'il les avait vues ou qu'il en avait entendu parler -,
mais rien n'indique qu'il les ait effectivement lues: ce sont G. Dorow 140 et
Karl Ottfried Müller 141 (prêtés à Frédéric, « esprit allemand ») et F. Inghi-
rami142 (prêté à Philippe).

137 P., p. 643.


138 Lettre 1182, du 25-2-1833, P. II, p. 501. Cf. plus haut les reproches adressés aux
« savants » sur leur manque de logique et leur esprit de système.
139 Lettre à Sophie Duvaucel, P. II, p. 712. Cf. la lettre du 11-1-1834, antérieure de dix
mois: «l'histoire probable des tombeaux de Corneto». Le genre de «preuve» dont il se con
tente, et qu'il produit à plusieurs reprises, consiste à affirmer que les vases et les tombeaux
étrusques sont antérieurs aux Romains parce que Pline, «ce vantard», «dont l'amour -propre
tient à montrer que l'Italie n'a pas l'unique mérite d'avoir conquis le monde et a fait aussi
d'assez jolies choses dans les arts», n'en parle pas. V. plus haut, p. 453.
140 Auteur d'un Voyage en Étrurie, paru en 1829.
141 Auteur de Die Etrusker, Breslau, 1828. Les deux ouvrages venaient donc à peine de
paraître quand Stendhal publiait les Promenades.
142 Voir plus haut, p. 460, note 132. L'ouvrage (1820-1826) était encore récent.
462 ALAIN HUS

II y a ensuite celles que Stendhal revendique explicitement ou dont il


parle si péremptoirement que cela revient à les revendiquer143.
Rien ne donne à penser qu'il ait vraiment lu les deux « géants » du
XVIIIe siècle, Caylus et Winckelmann, sur lesquels il ne porte d'ailleurs que
des jugements génériques. Mais il les connaissait certainement de façon ou
d'autre, comme le montre, pour Winckelmann au moins, la lettre à Sophie
Duvaucel 144. En revanche, il en est cinq dont il se réclame formellement
et un sixième qu'il ne mentionne pas à propos des Étrusques mais qu'il a
beaucoup pratiqué et pillé145: de cinq d'entre eux (voir plus haut) il a dit
pis que pendre 146.
Ce sont:
G. Micali, dont l'Italia avanti il dominio dei Romani paraît en 1810 147.
B. G. Niebuhr, dont la Römische Geschichte I et II paraît en 1811 et 1812 148.
L. Pignotti, dont la Storia della Toscana sino al principato paraît en
1813 149.

143 Bien entendu, nous nous limitons à celles qu'il invoque à propos des Étrusques. Il y
en a d'autres - nombreuses - pour Rome, que M. A. Caraccio énumère dans son édition crit
ique des Promenades, Paris, Champion, 1938, pp. XXXVIII-XLI. L'étude de M. Caraccio, déce
vante pour notre propos, reste fondamentale pour l'étude des sources romaines des Promenades.
144 P., p. 713.
145 Les cinq premiers sont Micali, Raoul-Rochette, Niebuhr, Pignotti et Nibby; le sixième
est Sismondi.
146 Pour Micali (qui, pourtant, partageait son horreur de l'esprit de système et des savants
«conjecturants»), Raoul-Rochette et Niebuhr, voir plus haut. En ce qui concerne Nibby, bien
qu'il le pille sans cesse pour ses descriptions de Rome, et qu'il l'estime en 1825 «le moins bête
des savants romains», et en 1829 «l'un des antiquaires les plus raisonnables de Rome»
(Promenades, P., p. 892), il l'égratigne sérieusement vers la même époque (P., p. 1270) et le
méprise cordialement parce qu'il est archéologue. Quant à Sismondi, il ne cesse de porter sur
lui des jugements acerbes, bien qu'il l'utilise sans cesse en 1817 et 1818: voir V. del Litto,
éd. des Voyages, P., pp. 1444 sq et 1623 notamment.
147 II s'en réclame formellement en 1829 dans Promenades, P., p. 665, ainsi que de Niebuhr
et surtout de Pignotti. Dès 1825 et 1826, il portait sur lui des jugements péremptoires. Mais il
l'a lu, comme le montre la réflexion qu'il fait sur les erreurs que commet Micali à propos de
la Porta all'arco de Volterra. Raoul-Rochette, dans son Introduction, loue fort, avec Niebuhr,
la qualité des planches de Micali.
148 II s'en réclame en Promenades, ibid., ν. note précédente. Nous avons rapporté plus
haut ses jugements, également péremptoires. Il est douteux qu'il l'ait vraiment lu.
149 II s'en réclame comme source directe en Promenades, ibid. (à propos des prêtres
étrusques, qui auraient empêché les lucumons de prendre Rome plus tôt: « Pignotti raconte
fort bien tout ceci sans emphase, et sans chercher à se donner de l'importance»). L'ironie, le
scepticisme de Pignotti, son érudition un peu superficielle mais déjà «digérée» plaisaient à
Stendhal, qui l'utilise fréquemment.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 463

J. C. de Sismondi, dont l'Histoire des Républiques italiennes du Moyen-


Age (16 volumes) paraît entre 1807 et janvier 1818 15°.
Raoul-Rochette, dont la traduction annotée de Micali paraît en 1824
(la traduction est en fait de Joly et Fauriel, v. plus haut, p. 460, note 134).
A. Nibby, dont Stendhal ne se réclame qu'une seule fois sur un point
précis (voir plus haut), qu'il utilise en fait deux fois. Son Viaggo antiquario
ne' contorni di Roma paraît en 1819, ses Elementi di Archeologìa en 1828
et son Itinerario di Roma en 1830 151.
Stendhal enfin, mais exclusivement durant la deuxième période, cite un
grand nombre de sources orales auxquelles il fut certainement redevable de
nombreux renseignements pratiques ou érudits. Ce sont: D. Bucci, antiquaire
à Civitavecchia et ami de Stendhal 152, le chevalier Manzi, qui fouillait à
Tarquinia et à Rome et publiait des dissertations sur l'origine des tombeaux
tarquiniens 153, Durand, collectionneur 154, « le savant M. Acolti de Corneto 155,
le Père Maurice 156, le Prince Massimo 157 », « un savant étranger » 158, P. Cala
bresi, collectionneur d'antiquités étrusques 159 et, par son canal, Q. Visconti 160
que Stendhal cite plus souvent à propos d'antiquités romaines. Cette informa
tion orale suffit presque à Stendhal durant la période 1831-1840 161. Reste

150 Également pillé par Stendhal qui, malgré ses jugements péjoratifs, partage beaucoup de
ses idées. Une partie de l'Introduction est consacrée aux Étrusques. Nous savons qu'en mai 1818,
Stendhal s'occupa à extraire du dernier tome de longs extraits.
151 Stendhal ne le cite, mais expressément, que pour l'histoire de Cerveteri, à la fin de la
lettre au Maréchal Soult. Il l'utilise pourtant une autre fois sans le dire (v. plus bas).
152 Sur Donato Bucci: Walks in Rome, P., p. 1194; Tombeaux, Ό., pp. 209 sqq et 214 sq
(cf. Idées italiennes, D., p. 294); lettre de novembre 1836 au directeur du Moniteur (et l'article),
n. 1575, P. III, p. 224 («Donato Bucci, ancien négociant en draps qui est devenu passionné
pour les vases antiques, et qui a laissé là les draps pour ne plus s'occuper que d'antiquités»;
cf. lettre 1626, P. III, p. 268); lettre du 19-3-1839, n. 1615, P. III, p. 258, etc.
153 Lettre 1182, du 25-2-1833, P. II, p. 501 (cf. celle du 11-1-1834, P. II, p. 575); Tomb
eaux, pp. 207, 214 sq.
154 Tombeaux, pp. 208 sq.
155 O.e., p. 207.
156 O.e., pp. 218 sq.
157 Walks in Rome, P., p. 1195. L'opinion du prince Massimo sur Vulci coïncide avec la
remarque que Stendhal faisait dès 1817 sur l'existence d'un «grand peuple inconnu» avant les
Étrusques (v. plus haut, p. 438, note 5).
158 Tombeaux, p. 206.
159 Lettre au Maréchal Soult, n. 1679, du 29-1-1840, P. III, p. 327.
160 Ibid. Antiquaire et commissaire des antiquités à Rome.
161 A l'exception du renvoi à Nibby, pour l'histoire de Cerveteri, dans la lettre au Maréc
halSoult.
464 ALAIN HUS

donc à voir où celui-ci a puisé son information pour les idées qu'il émet
durant la première période. Nous examinerons successivement chacun de
ses thèmes.
Le thème des trois âges de l'Italie se trouve dans Sismondi 162 et
Pignotti 163.
Celui des Étrusques, première civilisation de l'Italie, antérieure aux
Romains est également dans Sismondi 164 et Pignotti 165, mais se trouve
surtout à mainte reprise dans Micali 166, avec mention des arts, des
sciences, de la pensée et de la sagesse; Pignotti 167 et Micali 168 situent leur
floraison à l'époque de la guerre de Troie et soulignent leur antériorité par
rapport à Rome 169. La civilisation étrusque s'est même développée antérieure
ment à celle de tous les autres peuples de l'Europe et notamment à celle
des Grecs, affirment Sismondi et Pignotti 170.
Le thème suivant, commun à l'Egypte et à l'Etrurie et selon lequel
le clergé - véritable caste - aurait réduit le peuple en esclavage mat
ériel et surtout moral, dominé les lucumons (ou « petits rois ») et exercé
le pouvoir par leur intermédiaire, est également présent à des degrés divers,
chez les trois auteurs. Il n'est pas jusqu'aux « sept cents ou huit cents
familles d'Angleterre », ni même la comparaison avec le catholicisme romain
et les jésuites, qui ne se trouvent chez deux d'entre eux.
L'anticléricalisme de Stendhal est bien connu; mais c'est certainement
les pages que Sismondi consacre au rôle de l'église catholique en Italie m
qui lui fournissent l'idée de sa comparaison. Sismondi y développe en effet
la thèse selon laquelle la religion catholique a dominé l'Italie, « parce qu'au
cune n'est plus fortement organisée, aucune ne s'est plus complètement
subordonné la philosophie morale, aucune n'a plus entièrement asservi les
consciences...». Par leur alliance avec les princes temporels, les Papes

162 Introduction (1807), p. XI.


163 Pp. 111-123.
164 Introduction, p. VI.
165 Pp. 4, 66 sq.
166 Micali, L'Italia..., I, p. 135; II, pp. 96, 182-188, 215, 218; 222 sq; III, p. 15.
167 Pp. 92 sq.
168 II, p. 188.
169 Pignotti, ibid.; Micali, passim.
170 Sismondi, Introduction, p. VII; Pignotti, pp. 78, 92, 109 sq (d'après Winckelmann et
Caylus). Cette vue est alors unanimement acceptée, témoin, par exemple, le Résumé complet
d'archéologie, par Champollion-Figeac (frère de l'égyptologue), Paris, I, 1825, p. 184.
171 Tome XVI, 1818, pp. 409-422 et (sur l'éducation, confiée aux jésuites) 422-431.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 465

« ne s'occupèrent que de courber les consciences et d'asservir l'esprit humain,


et en effet ils lui imposèrent un joug que jamais les hommes n'avaient
encore porté ». L'Église s'est emparée de la morale qui s'est entièrement
dénaturée entre les mains des casuistes. Quant au résultat de l'éducation
des jésuites, il a été de « façonner au joug » leurs élèves et d'en faire des
sujets obéissants. « Conduits en aveugles dans leur éducation, obéissant en
aveugles à leurs prêtres, ils ont été tout prêts à offrir la même obéissance
à leurs princes ».
Sismondi soulignait d'ailleurs dans le même volume 172 que la liberté
antique n'était que celle de « certaines familles ». Or, Micali offrait de son
côté, l'image d'une Étrurie « féodale » 173 dans laquelle une puissante aristo
cratie possédait une influence dominante qu'elle devait au fait qu'elle « riuniva
in se gli onori del sacerdozio e dell'impero » m. L'idée n'est pas exactement
celle de Stendhal sur ce point précis, mais nous trouvons dans Micali et
Pignotti, sinon un jugement, du moins une description de la religion et du
clergé étrusques qui sont certainement à l'origine des propos de Stendhal.
Pignotti 175 reste assez générique, parlant des Étrusques comme des hommes
« les plus superstitieux de la terre » après les Égyptiens, décrivant leur clergé
comme lié « alla primaria autorità » et suggérant la soumission des « puissants »
aux prêtres; il approuve d'ailleurs comme sage cette utilisation de la religion
à des fins politiques. Micali va beaucoup plus loin dans la description et
dans l'analyse. La religion étrusque, telle qu'il la voit, assure le bonheur de
l'État; elle est saine et son influence positive 176. Quant au clergé, c'est un
corps de prêtres discipliné 177, recruté dans la classe dirigeante et détenant
tous les pouvoirs politiques parce qu'il possédait la science, surtout celle
d'interpréter la volonté des dieux178. Le résultat (comme en Egypte) fut
d'établir l'ordre social sur deux classes distinctes, l'une faite pour enseigner,

172 O.e., p. 360.


173 I, p. 134.
174 II, p. 31.
175 Pp. 125-129.
176 II, pp. 56-57.
176 II, p. 56.
178 II, p. 65 sqq:
In tanta forza di religione, adunque, si videro stabilite famiglie sacerdotali, i cui
membri mediante un ascoso commercio con le nature divine, si arrogarono la prero
gativa d'essere gli interpreti del cielo ed i soli autorevoli membri della teologia politica.
Questa classe d'uomini, interponendo ad arbitrio l'augusta voce dei Numi, si appropriò
esclusivamente le poche salutari cognizioni allora esistenti in fisica, astronomia, medic
ina, ed altre cose naturali, in guisa che si rendette non solo custode degli arcani di
religione, ma ancora dei segreti delle scienze ed arti ... Né con minor destrezza gli
466 ALAIN HUS

l'autre pour croire 179. Les buts de la première furent « d'accumuler » à son
profit de nouvelles connaissances et de se prévaloir de celles qu'elle possédait
déjà, pour régner sur les esprits 180; elle tendra à « troubler, sinon à opprimer
les faibles facultés de l'esprit humain » 181.
Pourtant, le jugement de Micali sur cette caste sacerdotale est largement
positif. Non seulement, elle est une nécessité universelle, mais, par sa réfle
xion, elle conduit au progrès des sciences et des arts (cf. la réflexion de
Stendhal sur « les premiers pas de l'esprit humain dans ce triomphe remporté
par l'esprit sur la force brutale » p. 440); elle est même garante du bonheur
et de la fermeté de l'État 182.
Quant à l'assimilation ou au parallélisme de l'Étrurie et de l'Egypte,
ils sont alors, dans une perspective résolument hostile à Winckelmann,
largement répandus 183 et trouvent un écho certain dans Pignotti 184 et dans
Micali 185.
Le thème de la prospérité étrusque est bien illustré par Sismondi 186,
Pignotti 187 et Micali 188. Mais Stendhal ne se préoccupe pas du problème de

astuti indovini Toscani abusarono del sacro ministero, vantandosi alcuni d'intendere
il linguaggio auguroso delle aquile... (cf., p. 440, note 15, le texte sur M. de Villèle).
Ces idées sont reprises et amplifiées en II, pp. 224 sqq.
179 II, p. 224. La science étant fondée sur le secret (arcano), on aboutit à:
La creazione cioè d'un corpo di primati custodi della religione, ed insieme delle
scienze e delle arti. Su questa base, i saggi del mondo civile inalzarono quell'ardito
sistema, che stabilì l'ordine sociale su due distinte classi: l'una fatta per insegnare,
l'altra per credere.
180 II, p. 225. C'est nous qui soulignons. Micali poursuit:
II grande scopo di ogni civile ο religiosa corporazione è il potere, ed un potere
fondato sulla credulità umana trae seco ogni altra sorta di dominio.
On remarquera la conformité de la pensée de Micali avec celle de Stendhal, et jusqu'à
l'emprunt par celui-ci de plusieurs mots.
181 II, pp. 231 sq.
182 II, p. 71.
183 Voir par exemple le bel article de S. Donadoni, Or ÏEtruria a se t'appella, qui traite
précisément de l'année 1826, dans La parola del passato, 147, 1972, pp. 397-406: Champollion
lui-même, à titre privé il est vrai, donnait fort dans ces comparaisons. Cf. également le Résumé
complet d'archéologie de son frère, dont les deux tomes paraissent en 1825 et 1826, où Egypte
et Étrurie sont fréquemment rapprochées, par leur antiquité et leur esprit, contre la Grèce
et Rome.
184 P. 4 et 78 notamment.
185 Outre les passages cités, II, pp. 137 sq (confédération), 190 (sculpture), 229 (croyances
d'outre-tombe).
186 Introduction, pp. VII, cf. VIII et IX.
187 Pp. 4 sq.
188 I, pp. 137 sq; III, pp. 4 sq et passim.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 467

la décadence, expliqué par ces deux derniers auteurs - à la suite des Anciens
et notamment de Diodore de Sicile - par les excès de cette prospérité.
Beaucoup plus étonnantes sont les affirmations de Beyle sur le libéra
lisme des « aimables républiques d'Étrurie » et sur leur art d'être heureux.
Ils le sont moins quand on sait que ces deux thèmes sont énoncés et déve
loppés par Sismondi et Micali 189. Sismondi est catégorique 190: « Le gouverne
ment des Étrusques était celui du bonheur et de la liberté; c'était le gouver
nement fédératif ». Micali qui voit, dans un second temps, dans le gouverne
ment fédératif une cause de décadence 191, chante à plusieurs reprises la
libéralité des Étrusques à l'égard des autres peuples 192, mais aussi leur haine
de la tyrannie et la liberté dont ils jouissaient à l'intérieur de leurs états 193.
Quant au bonheur, outre qu'il ressort, pour la vie quotidienne, de tableaux
tels que ceux qu'il décrit en II pp. 96-110, il est à plusieurs reprises réaffirmé
et expliqué par la législation, les mœurs, la nature des dieux et même le
système clérical 194.
Le parallélisme avec Rome n'est pas loin, mais ce n'est guère chez
Micali (à mainte reprise favorable aux Romains) qu'il faut le chercher à
moins de lire subtilement entre les lignes. Sismondi 195 fournit à Stendhal
l'opposition entre la liberté étrusque et la gloire que Rome tira de ses con
quêtes, l'idée (répandue) que la conquête romaine a chassé la liberté et le
bonheur d'Italie, et celle (plus répandue encore) selon laquelle la décadence
de Rome s'explique par la perte de la liberté et des vertus. Mais c'est
Pignotti 196 qui souligne que Rome ne connaissait que la guerre (et l'agr
iculture). C'est encore lui, au reste, qui souligne la libéralité de Rome à
l'égard des Étrusques et la tolérance romaine pour les cultes étrangers197.
Voilà pour les grands thèmes. En ce qui concerne ce que nous appelle
rons la petite érudition, il est parfois possible de la localiser. La chronologie
(notamment celle de la monarchie et la date de 280 comme terme de l'indé-

189 Pignotti demeure beaucoup plus prudent. S'il reconnaît la sagesse de la classe dirigeante
(p. 129), il avoue son ignorance des institutions (pp. 14 sqq).
190 Introduction, pp. VII sq.
191 I, pp. 141 sq; cf. II, p. 9 (d'après Strabon).
192 I, p. 136.
193 II, pp. 12 sqq; II, p. 28. La pensée de Micali tourne constamment autour de la notion
de modération politique des Étrusques.
194 I, p. 136; II, pp. 28, 56, 71; III, p. 1.
195 Introduction, pp. VII-IX et X-XI.
196 P. 66.
197 Pp. 67 sq et 125.
468 ALAIN HUS

pendance étrusque) peut s'inférer de Micali mais est plus claire encore dans
Pignotti 198. Le nom de lucumon apparaît souvent dans Micali 199. La con
naissance que Stendhal a de Pline l'Ancien provient de Micali dans son
chapitre sur l'art200. Cependant les propos de Stendhal concernant l'his
toire de Caere et l'architecture étrusque proviennent de Nibby, bien que
Pignotti et Micali en parlent201. En revanche, nous n'avons pu localiser la
source précise de Stendhal sur l'alphabet et la langue202.
Toute la documentation de Stendhal - si l'on excepte quelques points
d'érudition - provient donc de Sismondi, de Micali et de Pignotti; notre
auteur l'utilise souvent de mémoire, soit pour illustrer ses propres idées
(anticléricalisme, libéralisme, art d'être heureux, etc) qu'il partage souvent
avec Sismondi, soit pour éviter d'encourir le reproche de frivolité. Sauf sur
un point, nos conclusions rejoignent celles qu'A. Caraccio a dégagées dans
l'Introduction de son édition des Promenades et qui concernent la document
ation romaine de Stendhal.
1 - Sa documentation de la première période est - sauf pour Volterra -
exclusivement livresque et entièrement (Sismondi, Pignotti) ou partiellement
(Micali) de seconde main. Il la feuillette plus qu'il ne la lit, néglige beaucoup
de problèmes et bien des détails; il la déforme volontiers et se livre à des
rapprochements ou à des digressions personnelles. « Tous ces éléments
inertes rassemblés par des archéologues sont vus par des yeux exercés, jugés
par un esprit plein de curiosité et de parti pris, sentis par une âme subtile
douée à l'extrême du pouvoir de sympathie et d'antipathie » 203.
2 - A cette documentation de base, il ajoute parfois des détails emprunt
és
à Nibby ou ailleurs. Il se répète souvent lui-même204.
3 - Alors que tous ses livres, à partir de 1818, se piquent d'archéologie,
l'histoire ancienne l'intéresse médiocrement. Il se contente (sans esprit vrai-

198 Pp. 21-65. Stendhal s'y réfère expressément pour la période royale: Promenades, P.,
p. 665, et A. Caraccio, éd. des Promenades, Paris, 1938, p. 290.
199 Notamment II, p. 10.
200 II, pp. 182-220.
201 Sur Caere: lettre au Maréchal Soult, in fine; sur l'architecture: A. Caraccio, o.e., p. 451.
Pour l'architecture, Micali, II, pp. 182-188 n'est pourtant pas éloigné de Stendhal. Pignotti
(pp. 107 sq) et Champollion-Figeac (I, p. 69) font, en particulier, un sort au tombeau de Porsenna.
202 Pignotti, pp. 69 sqq, et Micali, II, pp. 263 sqq, demeurent très dubitatifs. Toutefois,
Micali exprime l'idée d'un emprunt aux Phéniciens en II, p. 270.
203 A. Caraccio, o.e., p. XXXVIII.
204 O.e., pp. XL sq.
STENDHAL ET LES ÉTRUSQUES 469

ment critique, contrairement à ses principes) de ce que lui fournissent ses


sources et « bâtit sans esprit de système, une théorie sceptique de l'histoire
qu'il laisse au lecteur le soin de reconstituer » 205. « II se contente de ce qui
est strictement indispensable à la compréhension des monuments et des
sites. A peine quelques traits du caractère antique (ici: étrusque) sont-ils
mis en lumière... ce climat antique est bien indépendant de l'histoire206».
4 - En conséquence, «sa science n'est qu'une science frelatée». Il
utilise, non les originaux, mais de « solides synthèses », « conservant les réfé
rences qui peuvent laisser croire à une documentation sérieuse dont il ne
s'est jamais soucié, passant généreusement sous silence des auteurs qu'il
méprise effrontément au moment même où il les pille, et qui avaient souvent
un autre tort, en 1829 - le tort d'être bien vivants ». Toutefois, la mise
en œuvre est bien de lui207.
5 - C'est seulement à partir de 1831 qu'il devient «étrusque» et qu'il
voit208. Mais, contrairement à ce qui se passe pour sa documentation
romaine209, il cherche peu à accroître son érudition étrusque par les livres,
répétant volontiers ses propos antérieurs, laissant croire qu'il a lu divers
auteurs mais en réalité se contentant le plus souvent de renseignements
oraux. C'est que ce bel effort de documentation « pour les sots » avait pour
but une seconde édition des Promenades, dans lesquelles les Étrusques
n'avaient qu'une part bien mince.
Stendhal reste donc semblable à lui-même: heureusement!

205 Cf. Caraccio, o.e., p. XLII.


206 Cf. o.e., p. XLIV.
207 Cf. o.e., pp. LXXVI sqq.
208 O.e., p. XCV.
209 O.e., p. CXLI.
Monsieur Jean-René Jannot

Les danseurs aux haches ou le ballet de Phinée. A propos d'un


relief de Chiusi
In: L'Italie préromaine et la Rome républicaine. I. Mélanges offerts à Jacques Heurgon. Rome : École Française de
Rome, 1976. pp. 471-485. (Publications de l'École française de Rome, 27)

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Jannot Jean-René. Les danseurs aux haches ou le ballet de Phinée. A propos d'un relief de Chiusi. In: L'Italie préromaine et la
Rome républicaine. I. Mélanges offerts à Jacques Heurgon. Rome : École Française de Rome, 1976. pp. 471-485. (Publications
de l'École française de Rome, 27)

http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1976_ant_27_1_2004
JEAN-RENÉ JANNOT

LES DANSEURS AUX HACHES OU LE BALLET DE PHINÉE


À PROPOS D'UN RELIEF DE CHIUSI

Κάλαις δε και Ζήτης τας Αρπυίας Φινέος άπελαύνουσιν


Pausanias, III, 18, 15

Un curieux monument clusinien est conservé au NY-Carlsberg Museum


de Copenhague; insuffisamment étudié, peu publié, il est mal connu et mérite
pourtant, ne serait-ce qu'en raison de son aspect atypique, une étude de
détail \
Par le style des reliefs autant que par la forme des moulures, cette
base quadrangulaire 2 évoque, en plus évolué, l'urne de Florence 5501 3 ou
tel petit fragment également de Florence4. Elle semble se rattacher à un
groupe de reliefs qui nous semblent, sinon les plus anciens, du moins parmi
les premiers de la grande production des reliefs de Chiusi 5. Il nous semble
malheureusement impossible de donner, dans l'état actuel de nos connaissanc
es, une datation précise de ce monument, mais, en dépit d'un vocabulaire
de formes encore très « ionique » il ne nous semble pas pouvoir être anté
rieur aux années 520-510. Considérant l'évolution notable du reste de la
production clusinienne, nous ne pensons pas qu'il puisse être postérieur à
480. On y relève des schémas simples, sans superpositions, qui sont assez
originaux et qui nous semblent le fruit d'une création locale, et d'autres

1 Bibliographie: F. Poulsen, Das Heibig Museum, p. 101/102, n. H 204. E. Paribeni, /


rilievi chiusini arcaici, SE, 12, 1938, p. 93, n. 73. Etruscan Places Lands and Peoples,
Fig. 357 (Fig. 1).
2 Pietra fetida. Dimensions: H: 0,37, L: 0,62 1: 0,59. En haut et en bas moulure en demi-rond,
les scènes sont bordées d'un méplat.
3 Bibliographie, E. Paribeni, op. cit., p. 124 n. 175, qui en donne la dernière étude comp
lète. Kunst und Leben der Etrusker, Köln 1956, pi. 15.
4 Paribeni, op. cit., p. 92 n. 72. Tav. 17,3.
5 L'auteur travaille à une édition des reliefs de Chiusi, et à une étude de l'ensemble du
matériel. Il proposera dans ce travail une datation relative et une tentative de chronologie
absolue.
472 JEAN-RENÉ JANNOT

schémas, plus complexes, dérivant de constructions attiques de la fin du style


sévère, auxquelles ils se réfèrent en dépit des persistances ionisantes du dessin.
La face A, ornée d'un banquet, évoque, par la superposition des plans
déjà complexe, des influences de la fin de l'archaïsme, qui contredisent la
raideur des attitudes et la disposition isocéphalique des personnages. Sur
deux Klinai que précèdent deux Trapézai, sont étendus deux couples mascul
ins, le personnage de gauche étant barbu et celui de droite, imberbe, sans
doute un éphèbe. Les hommes barbus à gauche sur les Klinai, tiennent
chacun par l'anse une coupe à pied, et les jeunes gens à leur droite se
contentent d'exécuter des gestes de leur main droite ouverte. Entre les deux
Klinai, tourné vers celle de droite, un petit échanson nu tend le « simpulum »
et la bouche à servir.
La face Β a été rapprochée6 des scènes de la Tombe du Baron; elle
est construite symétriquement et, de part et d'autre d'un axe central imagi
naire, on voit deux jeunes gens debout, face à face, puis deux couples de
chevaux de main à l'encolure arquée et levant conventionnellement un
antérieur, tenus en bride par deux palefreniers, enfin, à l'arrière plan, deux
arbres-fuseaux. Les superpositions sont médiocres, mais les chevaux dérivent
nettement d'un modèle attique, plus avancé que celui des chevaux de la
Tombe du Baron. On pense à la tombe Stackelberg 7, à certains ivoires
surtout 8.
La face C est, elle, fort déroutante: quatre personnages courent à grands
pas vers la droite. De gauche à droite, deux hommes barbus semblent pour
suivre deux femmes. Les hommes, qui sont vêtus d'une courte tunique aux
pans arrondis sur les cuisses, ont endossé un manteau long qu'il est fréquent
de voir porté par des femmes, et dont deux pans plissés tombent sur le
devant de la poitrine. Il se peut qu'ils soient coiffés d'une étroite calotte
conique; leur main gauche est levée, paume ouverte devant eux, et déborde
même sur le « cadre » de la scène; le poing gauche est également levé et
brandit vers l'avant une hache au talon terminé par une pointe, que le
sculpteur s'est contenté d'inciser sur la marge supérieure du panneau. De
petites ailes partent de leurs mollets. Peut-être ont-ils chaussé des endro-
mides ailées, car la jambe droite du premier personnage semble serrée dans
la haute tige d'une de ces bottes. Les deux hommes sont pratiquement

6 F. Poulsen, op. cit., p. 102.


7 F. Weege, Etruskische Malerei, Beilage II.
8 Y. Huis, Ivoires d'Etrurie, pi. 37 et 38,3.
LES DANSEURS AUX HACHES 473

identiques, et ne se superposent pas. Devant eux courent vers la droite deux


femmes « immobiles à grands pas ». Vêtues du long et large chitôn ionien
à pli central, elles portent sur les épaules un manteau semblable à celui
des deux hommes, mais beaucoup moins plissé, et que le mouvement de
leur course ouvre davantage encore. La première regarde vers la droite,
tandis que la seconde se retourne comme pour évaluer la distance qui la
sépare des poursuivants. Au-dessus, de sa tête, la première tient de ses deux
bras levés un plateau de grande dimension, où l'on reconnaît les mets d'un
repas ou d'un banquet: galettes ou gâteaux, semblables à ceux que l'on voit
d'ordinaire étalés sur les Trapezai des repas attiques et que le sculpteur a
simplement ici incisés sur la bordure supérieure. La seconde tient à deux
mains, au niveau de sa taille, une large coupe, ou une grande phiale qu'elle
s'applique, en dépit de sa course, à maintenir bien horizontale.
La dernière face (D) représente enfin cinq personnages qui dansent
d'un mouvement très animé. Les quatre premiers sont des hommes, vêtus
d'une tunique courte et largement plissée, qui, groupés deux à deux, dansent
l'un en face de l'autre; le premier, toutefois, se dirigeant vers la gauche.
Le cinquième personnage qui danse à grands pas vers la gauche est une
femme portant un long chitôn et un manteau. Le mouvement très vif des
quatre hommes est proche de celui du couple célèbre de la Tombe des
Lionnes 9, ou des danseurs de la Tombe des Inscriptions 10.
Les scènes, entourées d'un encadrement plat, ne semblent pas liées les
unes aux autres en une frise continue, ou en une composition articulée;
elles nous semblent tout à fait indépendantes les unes des autres, et les
seules qui pourraient se trouver liées thématiquement sont celles des faces
A et D, encore que la chose ne nous semble nullement nécessaire.
Si la scène de banquet est extrêment fréquente n, et sur les reliefs et
dans les peintures funéraires, dont elle suit d'ailleurs les schémas, si la danse,
quoiqu'elle soit ici plus animée qu'à l'ordinaire, est le thème le plus souvent
représenté à Chiusi 12, le thème des jeunes gens aux chevaux est déjà plus
rare, mais on le rencontre dans la peinture pariétale; nous le connaissons

9 M. Pallottino, La peinture étrusque, p. 47.


10 F. Weege, op. cit., pgg. 74-75. F. Poulsen, Etruscan Tomb Paintings, fig. 12.
11 S. De Marinis, Tipologia del Banchetto..., passim.
12 R. Bianchi Bandinelli, Clusium, in Mon Ant, 30, 1925, p. 484, 24 sur les cippes, 3 sur
des urnes. Paribeni, op. cit., SE, 13, 1939, p. 187 sq. M. A. Johnstone, The Dance in Etruria,
p. 54 sq. C'est sans aucun doute la représentation la plus fréquente.
474 JEAN-RENÉ JANNOT

sur quelques urnes peintes 13 ainsi que sur des reliefs clusiniens 14 et des
plaquettes d'os et d'ivoire 15. Par contre, la scène représentant les deux
femmes porteuses de mets poursuivies par des hommes aux pieds ailés
brandissant des haches est un « unicum »: non seulement nous ne connaissons
aucune scène approchante dans tout le répertoire clusinien, mais encore dans
tout l'art archaïque ou archaïsant étrusque 16. Les figures sont relativement
conventionnelles; les femmes, en particulier, ne diffèrent guère des danseuses
des autres reliefs clusiniens ou des peintures pariétales: on croirait voir la
grande ballerine au manteau volant de la Tombe des Lionnes. Ce sont les
attributs qui constituent toute l'originalité des scènes représentées et nous
pensons qu'il faut y attacher une grande importance: haches brandies, ailes
talonnières, plateau de service de banquet ou de repas, grande coupe tenue
horizontalement, nous semblent des détails significatifs et le désir de repré
senter une poursuite nous paraît manifeste. C'est à l'étude de ces détails
que nous consacrerons les pages qui suivent.

Les haches brandies

Les danseurs brandissant des haches sont, à notre connaissance, repré


sentés exclusivement sur les grands vases d'impasto ornés de reliefs aux
cylindres. Nous en connaissons qui voisinent avec la représentation d'un
taureau, sur un fragment provenant de la Via Sacra17 et que pour cette
raison, qui nous semble un peu mince, on estime être une scène de sacri
fice18 le danseur étant supposé, sur le point d'immoler l'animal. Nous en
connaissons un autre, associé à une scène de banquet en plein air, sur un

13 Urne inédite du Museo dell'opera del Duomo, Orviéto. Urne de Tarquinia: Kunst und
Leben der Etrusker, Köln 1956 pi. 33.
14 Londres: Pryce, Catalogue of sculpture... I, 2, p. 168, D, 11. D, 12. Paribeni op. cit.,
p. 130, n. 188/189.
15 Y. Huis, op. cit., pi. 37, 38, a etc.
16 On pourrait en tirer argument pour y découvrir une falsification. Nous pensons au
contraire que les faussaires, quand ils sont babiles, se contentent de pasticher des œuvres
connues. On ne peut mettre en doute la qualité de la sculpture; aussi son originalité même
nous semble-t-elle un argument d'authenticité. La ressemblance avec une œuvre céramique atti-
que, comme la coupe de Würzbourg nous semblerait plutôt l'indice d'une dépendance de
l'artisan antique à l'égard de l'art attique, qu'un argument permettant de suspecter une copie
moderne.
17 Antiquarium Forense. Cf. M. Grant, Le Forum Romain, p. 38 (Fig. 3).
LES DANSEURS AUX HACHES 475

pithos d'impasto de la Villa Giulia 19: l'homme qui brandit la hache semble
tourner en une danse rapide, autour d'un cratère que surmonte une œnochoé.
Ces danseurs aux haches sont, dans l'un et l'autre cas, représentés dans une
attitude de « course agenouillée » qui traduit dans le domaine des conventions
archaïques, le mouvement rapide aussi bien que le tournoiement ou la danse
animée; ils sont accompagnés de plus ou moins près par des danseurs exécu
tantdes gestes traditionnels. Aussi serions-nous tentés d'y reconnaître des
« acrobates-danseurs » « aux armes » - et non « en armes » - comparables
{mutatis mutandis) à ceux qui pratiquent les danses aux épées ou aux sabres
de l'Ecosse ou du Turkestan contemporains. Comment ne pas penser égal
ement aux danses acrobatiques « aux épées » que nous décrit Xénophon 20 à
plusieurs reprises et dans des circonstances diverses, ou aux acrobates
« aux épées » que nous représente la céramique grecque? Ce qui nous semble
certain c'est que l'Etrurie du VIe siècle connaissait, sans doute sous forme
de divertissement de banquet, peut-être sous forme de danse rituelle, une
danse « aux haches ». Nos deux hommes barbus seraient-ils deux de ces
danseurs? Faudrait-il y reconnaître les acteurs d'un divertissement de ban
quet? Peut-être, mais nous avons noté une autre particularité qu'il convient
d'étudier, et qui ne peut manquer de modifier la nature des personnages.

Les ailes talonnières

A dire vrai, comme nous l'avons signalé, ces ailes partent non du talon
mais du milieu du mollet de nos personnages; nous remarquerons qu'elles
présentent un léger retournement vers le haut ce qui les rapproche de la
catégorie décrite par N. Gialouris21 comme étant de type ionique. Elles ne
semblent pas être doublées d'une aile vers l'avant (du moins l'état de conser
vation du relief dans la zone qui comprend le pied gauche du premier
homme et le pied droit du second ne permet pas de décider s'il se trouvait

18 L'attitude du sacrificateur maniant la hache sur les plaques de bronze de Bomarzo


(Vatican 12268) est absolument différente, et l'homme à la hache du fragment de la Via Sacra
est accompagné d'un danseur qui exécute des sortes de «marteaux».
19 Mingazzini, / vasi della collezione Castellani, n. 266. en dernier lieu Ant Class, 43,
1974, PL I, 7 (Fig. 2).
20 Banquet, II, 15 sq.
21 N. Gialouris, ΠΤΕΡΟΕΝΤΑ ΠΕϋΙΛΑ, in BCH, 1953, 2, p. 296 sq.
476 JEAN-RENÉ JANNOT

là une aile fixée à l'avant de l'endromide). De même, l'érosion avancée de


la partie basse du relief ne permet pas de savoir si les deux femmes qui
fuient avaient, ou non, elles aussi, des ailes talonnières. Or nous savons
bien peu de chose de la fonction de ces chaussures ailées dans l'icono
graphie étrusque archaïque! Une simple allusion dans un ouvrage très géné
ral22 suppose que ces ailes peuvent être une convention destinée à exprimer
la vitesse ou l'aptitude à la vitesse de ceux qui les portent. Pourtant nous
ne les avons rencontrées exclusivement qu'employées par des « démons »
ravisseurs d'âmes, par des divinités chthoniennes 23, par des personnages
divins24, par des animaux fabuleux25 jouant un rôle dans des apothéoses
ou des déplacements de dieux ou de héros 26, au point que nous sommes
tenté d'estimer que cet attribut est surhumain, héroïque ou divin. Ceci
rejoint d'ailleurs les usages grecs et est confirmé par ce que nous savons
de l'iconographie hellénique de ces attributs27. A nos yeux, le port d'ailes
talonnières situe donc les deux manieurs de haches en dehors de l'étroit
domaine des simples danseurs que nous avons précédemment rencontrés,
et leur confère un caractère suprahumain ou héroïque.
Il serait assez logique d'imaginer que les femmes qui fuient sont, elles
aussi, chaussées de ces ailes: nous ne connaissons pas en effet de scène de
poursuite où les seuls poursuivants soient munis de cet attribut, et dans le
domaine de l'iconographie étrusque, seules les scènes de rapt par des démons
ravisseurs nous montrent des personnages démunis de ces ailes, puisqu'il
s'agit d'hommes ou d'âmes qu'enlèvent des génies psychopompes 28. Pourtant,
nous avons dit qu'il nous était impossible de le prouver, et nous nous

22 Y. Huis, op. cit., p. 180 note 4.


23 Ainsi sur la célèbre plaque Campana, F. Roncalli, Le Lastre dipinte da Cerveteri, p. 20
et pi. IV. Sur un vase du groupe de la Tolfa, Genève, Musée Fol, Beazley EVP, p. 11. Sur un
vase Pontique de Paris, Bib Nat. De Luynes p. 4, pi. 6. R. Hampe Simon, Griechische Sagen...,
p. 33, pi. 7.
24 Trépied de Vulci BN Paris, groupe des «Dioscures»; de même trépied semblable à Rome
(Vatican) et à Londres, ainsi qu'à Budapest. Cf. J. R. Jannot, A propos d'un trépied de Vulci,
dans RA 1977.
25 Chevaux des ivoires de Tarquinia, Y. Huis, pi. 32, 1.
26 Chevaux d'une amazonomachie, Bronze de Pérouse, Hampe Simon, Grieschiche Sagen
Tafel 20.
27 Ν. Gialouris, op. cit., p. 315.
28 Ainsi en est-il de la plaque Campana citée note 23, ou de l'acrotère de Berlin, A. Andren,
Architectural Terracottas, II, 16, p. 36, pi. 11, 40.
LES DANSEURS AUX HACHES 477

contenterons de noter que la chose est non seulement plausible, mais même
assez probable, et qu'une très légère surépaisseur sur la jambe gauche du
second homme peut être interprétée comme la trace d'une aile talonnière
de la première femme. Cependant, ce qui plus encore les distingue est le
fait qu'elles portent les apprêts d'un repas.

Le plateau garni de mets et la coupe pleine

Nous n'avons jamais rencontré aucune représentation semblable d'un


plateau chargé, et cela nous apparaît comme un curieux témoignage de la
manière dont étaient servies les Trapezai de banquets: on se contentait,
semble-t-il, comme sur certaines de nos modernes tables dessertes, de dépos
erun plateau dont les dimensions étaient celles de la table elle-même, ce
qui facilitait le service et la desserte de la table. F. Poulsen a cru reconnaître
en ces deux femmes un cortège allant servir un repas ;mais dans ce cas,
pourquoi les serveuses se croiraient-elles obligées de courir, pourquoi des
hommes aux pieds ailés les poursuivraient-ils? Pourquoi la menace des
haches brandies?

La poursuite

La poursuite est en effet le caractère dominant de la scène, tous les


détails concourent à en donner l'impression, l'envol des manteaux et des
robes, le pas tendu des protagonistes, la position des haches, le coup d'œil
en arrière de la seconde femme, et jusqu'à l'attitude de la main gauche des
hommes, qu'on retrouve invariablement dans les représentations de courses,
et qui est destinée à traduire l'effort et la vitesse, en stylisant le balance
ment des bras29.
L'ensemble de ces divers caractères, de ces détails significatifs, de ces
attributs, ne nous semble pouvoir correspondre qu à un seul récit antique

29 On remarquera le même mouvement dans les scènes de courses de la tombe des


Olympiades, M. Moretti Nuovi Monumenti della pittura Etrusca, p. 112, du maître des Olymp
iades, p. 125; et sur de beaux reliefs de Chiusi à Palerme NI 8398, par exemple, ou, sous une
forme plus archaïque NI 8387 (Paribeni n. 120).
478 JEAN-RENÉ JANNOT

le mythe de Phinée. Pausanias, Hésiode, Apollonios de Rhodes surtout, nous


ont livré l'essentiel de ce mythe. On sait que :

« Phinée, fils d'Agénor avait sa demeure près de la mer, Phinée,


qui plus que tout autre mortel avait enduré des années de peine ...»
Apoll. Rhodes, Arg, II, 181 sq.

du fait des Harpyes, qui dérobaient ou souillaient de leurs excréments tous


les repas du vieillard. Le même auteur nous rapporte que les Argonautes,
sur le point de partir pour la Colchide, s'en furent demander à Phinée,
dont les qualités de devin étaient bien connues, le chemin à suivre. Pour
le prix de ses conseils, il demanda aux fils de Borée, Zétès et Kalaïs de le
débarrasser des importunes Harpyes.

« Tous deux eurent bientôt préparé le repas du vieillard, dernière


proie des Harpyes . . . Tout près se postèrent les deux Boréades, pour
les chasser avec leur épée dès la première attaque. A peine le vieillard
venait-il de toucher aux aliments que, soudain, comme de sinistres
ouragans, ou des éclairs, elles fondirent des nues à l'improviste, et
s'élançaient avec des cris aigus, avides de nourriture ...»
Apoll. Rhodes, Arg, II 262.

Alors s'engagea la poursuite:

« Dans leur dos les fils de Borée pointant leur épée couraient
derrière elles . . . Zeus leur avait envoyé une ardeur inépuisable: sans
lui, ils n'auraient pu les suivre au loin, car leur vol était rapide
comme les tempêtes ...»
Apoll. Rhodes, Arg, II, 274.

La poursuite se termine diversement, suivant que l'on suit Apollonios,


Hésiode ou Diodore de Sicile (IV, 44, 2), soit par des promesses de paix
auxquelles les Harpyes sont contraintes, soit par la mort de ces monstres
divins. La chose nous importe peu; ce qu'il nous faut remarquer c'est la
remarquable identité entre le récit mythique et la représentation de Chiusi.
Le mythe a d'ailleurs inspiré diverses œuvres, et nous en connaissons
plusieurs représentations. On sait ainsi par Pausanias, qu'au milieu de nomb
reuses autres représentations, la poursuite ornait le trône d'Amyclées:

« Kalaïs et Zétès éloignent les Harpyes de Phinée ...»


Pausanias, III, 18, 15.
LES DANSEURS AUX HACHES 479

On en connaît une représentation sur un vase de Würzbourg30, et une


autre sur un vase du Vatican 31.
Chaque fois, on retrouve, avec une remarquable insistance, la scène
de la poursuite, en un schéma qui ne diffère de la représentation clusinienne
que sur deux points:
- Sur les représentations grecques, les Harpyes n'emportent pas les
mets en fuyant.

- Les Boréades, conformément au récit, brandissent des épées et non


des haches.

La première différence peut facilement s'expliquer par le fait que, la


scène du repas de Phinée n'apparaissant pas sur le relief de Chiusi, il a
semblé nécessaire au sculpteur de préciser la situation en adjoignant le
plateau et la coupe dans les mains des ravisseuses. Il semble qu'on ait ainsi
voulu insister sur le vol des nourritures nécessaires à la vie.
La seconde différence semble par contre inexplicable autrement que par
une contamination avec les représentations de danseurs aux haches, seule
illustration voisine, seule scène vécue ayant pu inspirer l'artisan. Les hommes
courant en brandissant des haches ont fort bien pu se substituer aux repré
sentations d'hommes brandissant des épées. Nous nous permettrons d'évoquer
in fine une hypothèse qui pourrait faire justice de cette différence, mais,
en tout état de cause, la substitution des armes ne nous semble pas diminuer
la vraisemblance de l'interprétation.
L'identification de la scène ne fait donc pas de doute à nos yeux: les
deux Boréades, Zétès et Kalaïs poursuivent en menaçant de leurs haches
les deux Harpyes Aello et Ocypèté qui viennent de ravir la nourriture et la
boisson du malheureux Phinée.
Mais cette identification pose plus de problèmes qu'elle ne résoud
d'énigmes! Pourquoi cette représentation sur une base? Pourquoi le choix
de ce mythe médiocrement connu? Cette représentation a-t-elle une fonction
ou est-ce une « banalisation » gratuite?

30 Mon Insi, 10, 8 a. Röscher, Lexikon, s.v. Horai, col. 2724. Les Boréades, désignés par
leur nom, sont vêtus comme les hommes de notre relief, mais sont dotés d'une double paire
d'ailes, et brandissent une épée: ils portent une courte barbe, et leur coiffure est assez proche
de celle des hommes de notre relief (Fig. 4).
31 Mus. Gregoriano Etrusco II, 31, 2 et 2 a.
480 JEAN-RENÉ JANNOT

Les questions qu'on ne peut manquer de se poser sont de deux ordres:


- celles qui tiennent, en général, au rôle des représentations sur
les bases.
- celles qui touchent à la représentation de cette scène précise.
Nous pensons pouvoir, après une longue étude, affirmer que les repré
sentations des bases sont en général d'une nature comparable à celles des
peintures pariétales: nous y retrouvons, souvent dans le même ordre de
succession, les mêmes cycles représentatifs, comme s'il s'agissait d'un doublage
ou d'un substitut des peintures pariétales. Mêmes banquets, mêmes scènes
de jeux et de danses funéraires, mêmes courses de chars et mêmes concours
gymniques. Pourtant, une autre base, stylistiquement fort proche de notre
exemplaire de Copenhague, présente des scènes qu'aucune peinture n'a, à
notre connaissance, représentées32, et qui peuvent être en rapport avec un
mythe grec plus ou moins étrusquisé: il s'agit de la scène du rapt d'une
jeune fille par un guerrier qui semble se diriger vers une assemblée d'hommes
assis. On est alors en droit de se demander si la production de l'atelier
dont provient le relief de Copenhague, si originale par rapport au répertoire
pictural, n'a pas aussi une fonction et une signification différentes. Les pein
tures et les reliefs sont en général destinés à perpétuer le souvenir de cér
émonies funéraires, à en assurer la permanence, à en prolonger l'efficacité;
banquets, concours et danses en constituent pour cette raison le répertoire
de base. En adoptant des représentations de mythes, elles changeraient de
rôle, se chargeant d'une fonction symbolique; l'embuscade contre Troïlos,
à la fameuse Tombe dès Taureaux, ne saurait, à nos yeux, avoir la même
fonction qu'une banale représentation de banquet ou de danse, dont le rôle
est seulement d'assurer une permanence des rites, et nous serions tenté d'y
voir quelque transcription symbolique de la mort guettant l'homme sans
méfiance, sans qu'il sache ni le jour ni l'heure! Dès lors, les rares représen
tationsmythiques des parois des tombes ou des panneaux des bases pourraient
avoir une signification symbolique. Les rôle de notre relief serait alors propre
mentreligieux.
Au-delà du pittoresque du récit d'Apollonios, la poursuite des Harpyes
et leur mise hors d'état de nuire au pauvre Phinée par les Boréades est
un de ces actes d'épuration, de lutte contre les divinités nuisibles, qu'accomp
lissentd'ordinaire les héros libérateurs: Héraklès, Persée ou Thésée. Nous

32 C'est la fameuse base de Palerme NI 8382. (ex 152), Paribeni op. cit., p. 93, n. 74,
illustrée en dernier lieu par L. Banti, II Mondo degli Etruschi, p. 331, Fig. 79.
LES DANSEURS AUX HACHES 481

savons que, faisant écho à une longue tradition, Virgile situait les Harpyes
dans le vestibule des Enfers33, qu'elles apparaissent comme des ravisseuses
d'enfants34 ou d'âmes, et qu'il n'était pas rare des les représenter sur les
tombeaux emportant l'âme du mort dans leurs serres. Il serait tentant de
voir ici, dans la scène où les Boréades les poursuivent et les chassent, un
acte apotropaïque, et comme un geste de garantie contre l'irrémédiable de
la mort. N'emportent-elles pas ici le pain et le vin, la nourriture et la boisson,
symboles alimentaires de la vie dont elles s'emparent? Le sens de la scène
serait-il alors eschatologique?
Il reste pourtant une contradiction. Comment admettre que la même
base présente un banquet des plus banals, une parade de cavaliers qui l'est
à peine moins, et une danse funéraire animée, scènes manifestement liées
aux cérémonies funéraires, que leur représentation vise simplement et
modestement à rendre permanentes à l'intérieur de la chambre funéraire,
et qu'au voisinage de ces trois scènes courantes se développe un mythe à
fonction probablement eschatologique? Trois faces représenteraient, en les
« actualisant », des actes rituels, alors que la quatrième aurait un rôle symbol
ique? Cette disparité est choquante, et on nous permettra de suggérer, avec
la prudence qui s'impose, une hypothèse qui ne nous semble nullement
invraisemblable, et qui, si elle devait se justifier par d'autres exemples, pré
senterait un certain intérêt.
On sait que les peintures pariétales tarquiniennes nous présentent des
scènes que l'on peut déjà qualifier de théâtrales. Le jeu de Phersu, la « fuite
du masque » ne sont rien d'autre que des spectacles prenant place dans
des cérémonies funéraires. Les reliefs de Chiusi, quant à eux, nous montrent
de véritables troupes de ballets: danseurs déguisés en Silènes, danseuses
vêtues en Ménades dansent de véritables chorégraphies35; faut-il rappeler
que l'on connaît des hommes masqués et travestis36? Est-il aussi besoin de
rappeler que les débuts du théâtre romain sont étrusques37 et que ces

33 Enéide II, 252.


34 Rohde, Psyche, p. 66.
35 Fragment Dorow, Paribeni n. 143. Fragment 2290 de Chiusi, Paribeni n. 141 et surtout
Florence, sans n., Paribeni, op. cit., n. 116, pi. 23, 5, qui montre un véritable ballet de Silènes
et de Ménades sous la direction d'un aulète. En dernier lieu, Ant Class, 43, 1974, η. 56, pi. II, 7.
36 Ainsi sur l'une des faces du relief de Palerme NI 8387 déjà cité note 29.
37 J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 268. Et les fameux passages de
Tite Live, VII, 2, 6. et d'Ovide A.A., I, 111. qui pour évoquer des danseurs nous conduisent
au seuil d'un véritable théâtre dansé.
482 JEAN-RENÉ JANNOT

spectacles ne devaient guère différer d'un ballet à argument? Faut-il insister


sur le fait que ces représentations sont liées à des cérémonies funéraires,
qu'elles prennent place au milieu des jeux en l'honneur du défunt, et qu'elles
doivent être réputées de quelque utilité pour la survie du mort?
La scène représentée ne serait-elle pas un ballet mythologique, dont
le sens symbolique et le rôle apotropaïque conviendraient bien à l'une de ces
représentations funéraires? Les danseurs aux haches n'auraient eu qu'à
chausser des sandales ailées pour devenir les Boréades, les danseuses qu'à
emporter coupe et plateau pour évoquer la fuite des Harpyes, et l'artisan
clusinien se serait contenté, sans doute à la demande expresse de ses clients,
de perpétuer dans la pietra fetida le souvenir de ce ballet comme il gardait
celui des banquets et des jeux, sur les faces adjacentes. Il faudrait alors
reconnaître dans la scène qui nous occupe, non point le mythe de Phinée,
mais bien le ballet de Phinée.
S'il fallait retenir cette hypothèse, les origines du théâtre étrusque s'en
trouveraient singulièrement éclairées. Même en nous en tenant à la simple
identification du mythe, il nous faut admettre que dans la cité de Chiusi,
vers la fin du VIe ou les débuts du Ve s., un mythe grec assez marginal était
assez connu pour avoir donné lieu à une représentation précise, et sans
doute à une interprétation religieuse.
Représentation graphique du mythe de Phinée ou illustration d'une
représentation chorégraphique de ce même mythe, la scène de Copenhague
apparaît comme un précieux témoignage de l'utilisation d'un mythe grec
par la pensée religieuse étrusque archaïque.
LES DANSEURS AUX HACHES 483

Fig. 1 - Copenhague, Ny-Carlsberg Mus. H. 204, Face C.

wm^m^^äM^

Fig. 2 - Rome, Antiquarium Forense. Fragment de col de pithos.


484 JEAN-RENÉ JANNOT

Fig. 3 - Rome, Musée de Villa Giulia, Pithos Castellani. Impasto.

Fig. 4 - Coupe de Würzbourg.


LES DANSEURS AUX HACHES 485

Fig. 5 - Pithos Castellani.


JEAN JEHASSE

UN LION ETRUSCO -ROMAIN D'ALÉRIA *

Les pluies torrentielles du printemps de 1975 ont entraîné de véritables


nappes de charriage, au long des pentes de la butte principale où s'est
édifiée Alalia-Aléria. En contrebas d'un replat situé à mi-hauteur, - une
trentaine de mètres d'altitude au-dessus de la plaine, au sud-ouest -, un
fragment sculpté attira l'attention d'un villageois qui d'aventure cherchait
des escargots: c'était la crinière d'un lion sculpté en tuf volcanique dont
nous retrouvâmes groupés presque en surface cinq importants fragments
qu'avait emportés dans une coulée d'une trentaine de mètres une nappe
d'argile pliocène (18 août 1975). Sans doute la fouille reste-t-elle à faire.
Mais sans attendre des précisions sur l'emplacement primitif et sur l'exact
contexte archéologique, je serais heureux d'offrir à M. Jacques Heurgon
ce témoignage d'outre-Tyrrhénienne du génie étrusque auquel il s'est si
heureusement consacré.
Lion couché en pierre volcanique importée (nenfro), d'un brun jaunâtre
violacé à l'humidité. Manquent des fragments de la base antérieure et posté
rieure, la cuisse gauche, les pattes de devant, le mufle, et des éclats plus
superficiels au bord de l'œil et de l'oreille gauches, ainsi que sur la colle
rette formée par la crinière. Rongé sur 1 centimètre de profondeur le flanc
droit semble être resté longtemps exposé aux intempéries.
Base: 0m90 (originellement environ lm20) x 0m39 x OmlO.
Tête: 0m50 de hauteur x 0m40 de largeur avec la crinière; et sans la
crinière: 0m33 x 0m25.
Œil: 0m50 x 0m03; oreille: 0m08 x 0m06.
Crinière: 5 ondes de boucles au sommet de la tête.
Pattes arrière: Omll de hauteur x 0m34 de longueur.
Départ de la patte droite levée: 0m28 de hauteur.

* Je remercie l'Institut Germanique pour les deux photographies des lions d'Aquila; la
mission américaine pour la photographie des fragments de Cosa; et j'exprime à Michel Gras
mes remerciements les plus amicaux pour son aimable et efficace intervention.
488 JEAN JEHASSE

Haute et large, la tête est imposante, mais proportionnée au reste du


corps. Le front est séparé par un pli profond que soulignent deux bosses
de part et d'autre de l'arête nasale, et qui amorce la séparation médiane
de la crinière. Sous le bourrelet régulier de la paupière, les grands yeux
ovales bien écartés de part et d'autre du large nez paraissent à fleur de tête.
On distingue le pli arrondi de la commissure des lèvres et le départ de la
gueule, sans doute ouverte, langue pendante, et gonflant les joues. Les
oreilles courtes, en coquille, s'insèrent dans les plis de la crinière qui descend
derrière la nuque en cinq ondes de boucles, généralement faites de trois
mèches en bourrelet, mieux ordonnées à droite, et en désordre du côté
gauche. Le corps est mince, mais plein, bien modelé, sans détails anatomiques
ni jeu des muscles. Les pattes arrière, massives, présentent quatre doigt
schématisés évoquant trois phalanges et une griffe. La queue passe entre
les jambes et remonte sur le dos par devant la cuisse droite. (Fig. 1, 2, 3).

Au premier coup d'œil on note le contraste entre l'expression vivante


et majestueuse de la tête et l'allure conventionnelle du reste du corps1;
et ce contraste semble d'autant plus voulu que la statue est mise en valeur
des deux côtés: à droite par le mouvement de la queue, et à gauche par la
tête qui se redresse2. La patte antérieure droite, relevée, prenait sans doute
appui sur un protomé animal, et peut-être humain comme c'est le cas d'une
statue de Vulci3. Mais la gueule ouverte à demi ne devait pas bouleverser
la majesté tranquille de la tête que souligne le traitement stylisé de Parrière-
train.
Par sa matière, - un tuf volcanique importé en Corse, sans doute de
Vulci -, et par l'allure d'ensemble, ce lion se range dans la grande tradition

1 W. L. Brown, The Etruscan Lion, 1960, p. 153, sur cette sculpture répondant à un
goût archaïsant authentique et non à une froide copie; cf. A. Hus, Recherches sur la statuaire
en pierre étrusque archaïque, 1961, p. 538 sq. sur les lions funéraires; Id. Réflexions sur la
statuaire en pierre de Vulci après l'époque archaïque, Mélanges offerts à André Piganiol,
1960, II, p. 162-172; Id. Vulci Etrusque et Etrusco-romaine, 1971, p. 129 sq.
2 A. Hus, Recherches, p. 46, et p. 135 sq. Cf. M. Yon, Les Lions archaïques, Anthologie
salaminienne, IV, 1973, p. 29. Il faut noter que le lion découvert à Val Vidone (Brown, p. 151-153,
et pi. 53) est représenté tournant la tête vers sa droite tandis que la queue remonte devant sa
cuisse gauche: c'est le contraire du lion d'Aléria, mais les deux faces sont également privilégiées.
3 Aujourd'hui à Florence, 75964, Brown, pi. 54 bl et b2, et p. 152-153; A. Hus, Vulci,
pi. 21b. En cours d'analyse, ce nenfro semble indiquer la région de Vulci. Il ne comporte
pas les gros grains blancs du tuf de Cerveteri, que m'a fait remarquer M. Cristofani. Voir note 10.
UN LION ÉTRUSCO-ROMAIN D'ALÉRIA 489

des lions vulciens. Mais il comporte trois particularités qui peuvent marquer
sa place dans l'évolution de la statuaire étrusco-romaine des IVe-P siècles:
la crinière ne se prolonge pas au long de l'arête dorsale4; et surtout le lion
apparaît dans la position couchée habituelle à l'époque archaïque, alors que
les lions hellénistiques semblent tous se dresser sur les pattes arrière5; et
aucun souci de la musculature ne marque la surface lisse du ventre et de
l'arrière-train6. Ces particularités poussent à l'extrême l'opposition familière
à la sculpture étrusco-romaine entre l'expressionisme hellénistique, le style
dramatique de la sculpture grecque, et la tradition archaïsante. Le contraste
atteint ici un réel équilibre entre un art animalier et cette évolution vers
le symbolisme et le décoratif qui sont caractéristiques de Vulci 7. Aussi ce
lion qui s'inscrit dans la même tradition que l'urne funéraire de Sienne8
nous paraît à mi-distance des lions de Val Vidone, de Tuscania (Fig. 4), et
de Vulci 9, et d'autre part des lions probablement datés de la fin de la
République découverts à Aquila (Fig. 6, 7) et à Santa Maria di Falleri (Fig. 5) 10.
Nous le rapprocherions volontiers du lion découvert à Cesi, aujourd'hui à
Terni (Fig. 8) n, et surtout d'un autre lion de Santa Maria di Falleri dont

4 Cette crinière prolongée sur l'échiné apparaît sur le lion de Val Vidone, Florence 13922,
le lion de Vulci précédemment cité, Florence 75964; un autre lion de Vulci, Florence 75965
(Brown, pi. 55 b); le lion de Cosa (Brown, p. 153-154); le lion de Cèsi aujourd'hui à Terni
(E. Galli, SE, 17, 1943, tav. 14 b). Elle manque en général sur les lions attiques et béotiens
d'époque classique et hellénistique (C. Vermeule, Greek Funerary Animals, AJA, 76, 1972,
p. 49-59), ainsi que sur les lions d'Aquila (Deutsch Inst. 3027 et 3028).
5 Sur ces lions couchés, A. Hus, Recherches, p. 198-199; M. Yon, art. cit. insiste sur
l'influence égyptienne, p. 38-39. Les lions étrusco-romains sont malheureusement souvent mutilés,
mais les pattes brisées semblent ne pas avoir fait corps avec un socle.
6 Cette musculature apparaît nettement sur les lions d'Aquila, un lion de Santa Maria di
Falleri d'après A. Pasqui, NSA, 1903, p. 18, fig. 3; c'est une caractéristique de l'expressionisme
dérivé de Skopas, dont l'absence est un trait nettement archaïsant.
7 A. Hus, Recherches, p. 547.
8 Sienne, Musée archéologique 726 (Brown, pi. 55 a): autant que permet d'en juger la face
mutilée du lion d'Aléria, c'est du type d'expression de ce lion à large face et à haut front
qu'elle se rapproche le plus.
9 Val Vidone (Florence 13922); Bolsena (Brown, p. 152-153, pi. 54a) en réalité Tuscania,
cf. n. 10; Vulci (Florence 75964, 75965). Le symbolisme ici l'emporte.
10 Aquila (Deutsch Inst. 3027, 3028); Santa Maria di Falleri, d'après A. Pasqui, NSA, 1903,
p. 18, Fig. 3. Un certain réalisme animalier apparaît ici grossièrement rendu. Cf. M. Cristofani,
/ Leoni funerari della Tomba «dei Rilievi» di Cerveteri, Archeologia Classica, XX, 1968,
qui en donne une photographie, Tav. CXXXIV.
11 Cesi (E. Galli, SE, 17, 1943, pi. 14 b). C'est à l'équilibre entre l'expression et la signi
fication du lion de Faléries que fait penser le lion d'Aléria.
490 JEAN JEHASSE

W. L. Brown a conservé une photographie (pi. 55, e) (Fig. 9): ce sont des
lions monumentaux symbolisant la vigilance et la force dans un même
expressionisme retenu et dominé. Peut-être pourrait-on leur assigner une
datation avoisinant la fin du IVe siècle, - une époque où toute l'Etrurie
est commercialement représentée en masse dans la nécropole d'aléria, et insister
sur le rôle joué à Aléria par l'Etrurie méridionale, et sur l'importance de Cosa.
Il semble en effet difficile de croire qu'une telle sculpture, - près d'une
tonne -, ait pu être importée en Corse après 259 et la conquête romaine
de Cornelius Scipio, fils de Barbatus, notamment au cours des longues
vicissitudes des Guerres Puniques. Mais quelle était au juste sa destination?
Même les tombes les plus riches n'ont jamais rien livré de comparable, et
seuls des cippes anépigraphes marquent aux IVe-IIF siècles l'entrée des
tombes à chambre12. Celles-ci, creusées dans l'argile tendre, n'offrent préc
isément à cette époque aucun caractère monumental, et l'on ne voit pas
comment un lion de cette taille pourrait occuper un dromos qui tend alors
à se réduire à un simple couloir étroit, à un « terrier ». De plus nous n'avons
jamais encore repéré de tombes préromaines sur les pentes de la Butte
d' Aléria, - la nécropole s'étendant au sud à Casabianda. Aussi serions-nous
tenté de faire un rapprochement avec les fragments d'un lion en nenfro
découverts à Cosa (Fig. 10), dans les fouilles menées à la porte de Yarx,
et qu'on pense y avoir été apporté de son emplacement originel 13. Ne
pourrait-on pas rappeler le rôle primitif de gardiens des portes attribué aux
lions depuis l'époque néo-hittite? La laïcisation de la statue funéraire, notée
par Alain Hus, expliquerait l'utilisation - ou si l'on veut à Cosa, la réutilisa
tion, dans une perspective monumentale de ces imposantes sculptures 14. S'il
est possible de concevoir que des familles étrusques installées à Aléria, ou
des familles d'Alerini étroitement liées à des Etrusques, se soient résolues à
importer un lion funéraire, il nous semble en l'état actuel de nos connais
sances plus vraisemblable d'imaginer qu'une telle statue jouait un rôle près
d'une porte de la ville, - et précisément sur l'accès à cette « porte préto
rienne » inscrite dans la topographie, ultérieurement attestée par une
inscription aujourd'hui perdue 15.

12 J. et L. Jehasse, La nécropole préromaine d' Aléria, 25e Supplément à Gallia, 1973,


p. 81 sq.
13 W. L. Brown, p. 153.
14 A. Hus, Recherches, p. 538.
15 Espérandieu, Inscriptions antiques de la Corse, 1893, p. 39.
UN LION ÉTRUSCO-ROMAIN D'ALÉRIA 491

Fig. 1 - Aléria. Lion vu de face.

Fig. 2 - Aléria. Lion vu du côté gauche.


492 JEAN JEHASSE

Fig. 3 - Aléria. Noter le départ de la patte droite,


et l'enroulement de la queue sur le dos,
par devant la cuisse droite.

Fig. 4 - Bolsena, d'après W. L. Brown, pi. 54 a, en réalité Tuscania.


UN LION ÉTRUSCO-ROMAIN D'ALÉRIA 493

Fig. 5 - Santa Maria di Falleri, NSA, 1903, p. 18, fig. 3.

Fig. 6 - Aquila. Photo Inst. Allemand 3027.


494 JEAN JEHASSE

Fig. 7 - Aquila. Photo Inst. Allemand 3028.

Fig. 8 - Cesi (Terni), SE, 17, 1943, pi. XIV.


UN LION ÉTRUSCO-ROMAIN D'ALÉRIA 495

Fig. 9 - Santa Maria di Fallen, d'après Brown,


pi. 55 c.

Fig. 10 - Cosa, arrière-train d'un lion de nenfro. Dessin


aimablement concédé par F. E. Brown.
LAURENCE JEHASSE

AUTOUR DU PEINTRE D'HÉSIONE

La Tombe 168, fouillée en Août 1974, dans la Nécropole d'Aléria appart


ient à la catégorie des tombes à chambre. Très complexe, elle était signalée
par trois petits cippes de calcaire, dont l'un surmontait encore la porte, les
deux autres ayant glissé à l'intérieur. Trois squelettes avaient été réunis en
tas dans un angle à droite de la porte, le dernier corps inhumé s'allongeait
à l'entrée, dans la chambre, et tenait en main deux monnaies puniques.
Le mobilier funéraire comptait cent vingt objets, et comprenait des vases de
provenance campanienne, latiale, étrusque et punique, datables des années
325 à 260 avant J.-C. Parmi les trouvailles les plus caractéristiques figuraient
un cratérisque cantharoïde à vernis noir et panse godronnée, portant sur le
col une consécration à Demeter en caractères grecs, une coupe et un cratère
falisque à figures rouges du Fluid Group, et notamment un stamnos qui
venait s'ajouter à la collection des vases Volterrans d'Aléria \
Je suis heureuse de pouvoir dédier la publication de ce stamnos à
Monsieur Jacques Heurgon, en témoignage de respectueuse gratitude.

STAMNOS VOLTERRAN. Inv. 74/38. Fig. 1, 2, 3.


Hauteur: 32,8 cm. Diamètre d'ouverture: 21 cm. x 17,8 cm.
Hauteur du col: 8 cm. Diamètre du col: 15,3 cm.
Diamètre de la panse: 20 cm. Diamètre du pied: 11,8 cm.
Pâte rose orangé, bien épurée, de texture poudreuse. Embouchure
légèrement gauchie, à large lèvre tombante; col cylindrique à peine cintré;
épaule peu marquée; panse ovoïde; pied composite formé de quatre éléments
superposés: un anneau, une gorge resserrée, une coupole hémisphérique
reposant sur un bourrelet qui sert de plan de pose. Anses en boudin, à départ
horizontal et se redressant verticalement. Vernis noir mat, régulier. Le fond

1 Musée J. Carcopino, Inv. 74/38. Les autres vases cités portent leur numéro de publication,
J. et L. Jehasse, La nécropole préromaine d'Aléria, 25e Supplément à Gallia, 1973.
498 LAURENCE JEHASSE

externe du vase, et la face interne des anses sont réservés. Décor en figures
rouges et rehauts blancs, sans contours en relief. Sur la lèvre, grille noire,
régulière, en barres verticales. Sur le col, deux frises parallèles, dont la pre
mière porte une série de T, alternativement inversés; la seconde, une guirlande
horizontale de laurier, à feuilles tournées vers la droite, et garnie de baies.
FACE A, sur la panse: Combat d'un Pygmée contre une grue.
A gauche, un guerrier pygmée, nu, le front bombé, le nez retroussé,
le cou épais, le ventre proéminent, les muscles bien dessinés, le sexe dé
mesuré, fait face à une grue. Le mouvement du corps est marqué par la
position des jambes, en fente avant, demi fléchies, jambe droite ramenée
en arrière. Le personnage est coiffé d'un pétase à larges bords, qui laisse
échapper, sur le front, une frange de cheveux traitée en petites stries
parallèles. Il tient dans la main droite une lance qu'il pointe vers la grue,
et dans la gauche un bouclier ovale, orné d'un umbo en losange, prolongé
de part et d'autre, longitudinalement, par une droite surmontée de trois
points. Le dessin est très fouillé, la narine, le nez, les articulations sont
soulignés de touches légères et expressives.
De nombreux détails sont surpeints en blanc: grands rubans flottant
sur le chapeau, ou croisés sur la poitrine, noués sur la hanche, et pendant
dans le dos; large collier à bulles, bracelet à trois rangs, hautes sandales à
lanières.
En face de lui, la grue, ailes ouvertes, tient le genou du Pygmée dans
sa patte droite; le long bec, le long cou ployé, le détail des plumes et des
rémiges, la queue en éventail sont finement rendus. Un long ruban surpeint
en blanc se noue autour du cou de l'oiseau, en formant de larges boucles.
Entre les deux combattants se dresse une plante fleurie, qui jaillit du
sol entre deux petites feuilles.

FACE B:
Moins bien conservée que la face A, la scène figurée occupe une sur
face moindre. Même scène de combat d'un Pygmée contre une grue. Ici, la
grue est à gauche, ailes déployées, cou enrubanné. Le guerrier tient une
grosse pierre (?) dans la main gauche, et un sabre courbe, de type « machaira »
dans la main droite, bras levé au-dessus de la tête, prêt à frapper. Le Pygmée
ne porte plus de chapeau, il est nu, et chaussé de sandales à lanières. Des
rubans flottent au-dessus de sa tête, se croisent sur sa poitrine, et pendent
jusqu'à terre. Derrière la grue, ondule la longue tige d'une plante fleurie.

SOUS LES ANSES se développe un motif décoratif qui encadre les


deux scènes figurées: une palmette à cœur ovale, inscrite dans un triangle,
AUTOUR DU PEINTRE D'HÉSIONE 499

et posée sur deux volutes en spirale serrée, est flanquée de deux palmettes
obliques inscrites dans une ogive. Entre ces palmettes s'épanouit une demi-
palmette « en dents de peigne ». Tous les vides sont comblés par des campan
ules striées, affrontées, inversées, des rouelles pointées. On devine sur le
vernis noir, les traces effacées des rehauts de peinture blanche.

LE STYLE DE CLUSIUM-VOLATERRA

Ce motif latéral est la caractéristique essentielle du style de Clusium-


Volaterra 2; il permet de rattacher notre stamnos à ce groupe. Ce style homo
gène du IVe siècle avant J.-C. se retrouve sur des coupes, des skyphoi, des
askoi, des stamnoi, et notamment des kelebai. L'argile passe du jaune chamois,
au rose orangé; le vernis, compact et d'un beau noir, devient plus mat, et
plus dilué dans les exemplaires les plus récents. A l'unité décorative de la
panse répond une assez grande variété de la décoration de la lèvre et du col,
où se combinent des motifs géométriques, - grilles, lignes brisées, vagues,
oves, roues dentées, réticulé garni de croix, et, plus rarement des motifs
végétaux stylisés, comme les rosettes, ou les guirlandes de laurier ou de
vigne.
Vers le troisième quart du IVe siècle, ce style se simplifie, et le décor
devient plus relâché, les formes des vases se réduisent au stamnos, et surtout
à la kelebè. Albizzati 3, et après lui, Beazley et Trendall 4 assignaient à Chiusi
le début de cette production, et particulièrement les skyphoi et coupes à
médaillon de très belle facture. Pourtant, le flanc de ces coupes est générale
ment peint d'une main plus lourde et gauche, et les personnages ont une
apparence grotesque. Sensible à l'unité fondamentale plus qu'à l'évolution,

2 C. Albizzati, Due fabbriche etnische di vasi a figure rosse « Clusium-Volaterrae »,


MDAI (R), 30, 1915; P. Ducati, Storia dell'arte etrusco, 1927; Id., Uno stamnos etrusco del
sepolcreto della Certosa (Bologna), SE, 8, 1934; T. Dohrn, MDAI (R), 52, 1937, Zur Geschichte
des italisch- etruskischen Porträts; J. D. Beazley, Etruscan Vase-Painting, 1947; E. Fiumi,
Gli scavi della necropoli del Portone degli anni 1873-1874, SE, 25, 1957; id., Intorno alle
ceramiche del IV sec. a.C. di fabbrica erroneamente chiamata chiusina, SE, 26, 1958; P. Bocci,
Guida ai vasi etruschi, 1959; Id., Crateri volterrani inediti del Museo di Arezzo, SE, 32, 1964;
A. Stenico, Nuove pitture vascolari del gruppo «Clusium», Studi in onore di Luisa Banti,
1965; M. Montagna-Pasquinucci, Le kelebai volterrane, 1968.
3 Art. cité, p. 129 sq.
4 EVP, p. 10, 113, 123; Α. D. Trendall, Vasi antichi dipinti del Vaticano, I, p. 223, avec
des réserves.
500 LAURENCE JEHASSE

E. Fiumi5 a proposé de situer à Volterra la production de toute la série.


Mais tous s'accordent à placer à la charnière, le Peintre d'Hésione6.

Le Peintre d'Hésione à Aléna.


L'œuvre du Peintre d'Hésione est en effet caractérisée par de grands
sujets dans la tradition mythologique grecque, représentés sur des vases
particulièrement élaborés, mais aussi par une production plus simple, dont
les thèmes se rapportent plus directement à l'esprit étrusque. Or ce peintre,
et son école, semblent bien attestés à Aléria, sur des vases de formes diver
ses:askoi, stamnoi, et kelebai.
Ainsi, dans les cent cinq premières tombes de la nécropole avons-nous
déjà trouvé six vases:
Le fragment n. 598 (stamnos, ou kelebè?) dont le dessin soigné, l'ha
rmonie et l'élégance, les détails de la draperie traitée en fines hachures, les
articulations soulignées d'un demi-cercle et d'un point, l'emploi des rehauts
blancs, et le traitement du thyrse enrubanné, sont caractéristiques de la
manière de ce Peintre7.
La kelebè n. 740, appelle immédiatement la rapprochement avec la
kelebè, inv. 44, du Musée étrusque de Volterra: les faces B, de chaque vase
sont identiques et d'une même main8.
Le stamnos n. 741, présente sur la face A, deux personnages chevau
chantdes dauphins: or les détails du dessin, et le traitement des animaux
marins se retrouvent exactement sur la kelebè inv. 42 de Volterra, où un
dauphin porte une Lasa 9. La face B, s'orne de deux personnages: une Mènad
e tenant un thyrse, un satyre portant une corne à boire. (Fig. 4). Tous les
détails sont propres au Peintre d'Hésione, jusqu'à cette fleur à la tige con
tournée qui se retrouve sur le col de la kelebè, du Musée de Pérouse
inv. 796 10.
Pour le stamnos n. 742, nous avions noté déjà l'étroite parenté stylist
ique qu'il entretient avec le stamnos précédent, n. 741. Les attitudes déhan
chées des personnages sont fort proches. Or, ces mêmes personnages sont à

5 SE, 26, 1958, p. 243-258.


6 Défini en premier par Dohrn, art. cité, p. 120-124, 135, et complété par Beazley, P. Bocci,
M. Montagna-Pasquinucci.
7 Comparer au fragt, de Volterra, Museo Guarnacci inv. 97 = M. Montagna, p. 51, n. 24;
et à la kelebè de Pérouse, inv. 796 = M. Montagna, p. 98, n. 99.
8 Montagna, p. 46, n. 17.
9 M. Montagna, p. 44, n. 15.
10 M. Montagna, p. 98, n. 99.
AUTOUR DU PEINTRE D'HÉSIONE 501

comparer avec la kelebè, inv. n. 46 de Volterra11, qui fait partie d'un


nouveau groupe stylistique, voisin du Peintre d'Hésione, et que A. Stenico
a ajouté aux quatre groupes primitifs définis par Dorhn, pour le groupe de
Clusium-Volaterra 12.
La kelebè n. 843 offre la même reproduction d'un Pygmée dansant
avec des bandelettes qu'une kelebè de Florence, inv. 4122, dont le col s'orne
des mêmes palmettes inversées qu'à Aléria 13.
Enfin, l'askos en forme de canard n. 2309, appartient à une série bien
étudiée par G. Gualandi 14: si le décor, très soigné, des plumes traitées dans
un esprit géométrique, rappelle un semblable askos du Musée du Louvre,
H 100, attribué par C. Albizzati et Beazley au groupe de Clusium 15, la tête
féminine, par ses cheveux en bandeau formant des crans en demi-cercle,
ainsi que par le décolleté en forme de cœur du corsage entrerait fort bien
dans le groupe le plus ancien du Peintre d'Hésione, où figure par exemple
la kelebè du Staatliche Museen de Berlin, inv. 3986, et la kelebè du Musée
de Prague, inv. 2470, qui présentent ces deux particularités 16.
A ces six vases nous pouvons ajouter une kelebè d'Aléna, provenant
de fouilles clandestines, et dont nous ne possédons qu'une seule photogra
phie (Fig. 5): d'un très beau dessin, le profil féminin, qui tranche nettement
par sa technique, sur les autres portraits des Peintres volterrane, porte une
coiffure en bandeaux festonnés, retenue par un diadème et un serre-chignon
évoquant à la fois notre askos n. 2309, et la Lasa au dauphin du Musée de
Volterra, inv. 42.
C'est dans cette production que s'insère notre stamnos inv. 74/38.

LE STAMNOS 74/38.
Notre stamnos présente une certaine originalité dans sa forme au long
col, si on le compare aux deux autres stamnoi d'Aléria, n. 741, 742; mais
aussi par sa décoration accessoire: la frise de Τ inversés est rare, et se
rencontre plus fréquemment associée à des rosettes, comme sur la kelebè du
Musée de Prague inv. 2470 17. La guirlande de laurier n'est pas non plus très

11 M. Montagna, p. 47, n. 19
12 A. Stenico, art. cité.
13 M. Montagna, p. 86, n. 78.
14 C. Gualandi, Askoi in forma di anitra, Arte antica e moderna, 8, 1959.
15 EVP, p. 119.
16 M. Montagna, p. 58, n. 38; et p. 101, n. 102.
17 M. Montagna, p. 101, n. 102.
502 LAURENCE JEHASSE

courante 18. Cependant les palmettes latérales, particulièrement soignées, sont


comparables aux plus réussies du groupe. Quand à la scène figurée, on doit
la rapprocher d'une scène analogue représentée sur une kelebè du Musée
de Florence, inv. 4035 19 de la main du Peintre d'Hésione. Les ressemblances
sont en effet nombreuses, si l'on compare l'anatomie du Pygmée, le dessin
des muscles, le traitement des articulations, la position des jambes; en outre,
le profil, et la chevelure « en coup de vent » sont identiques sur l'un des
personnages chevauchant un dauphin du stamnos n. 741. La lance et le
bouclier ovale à umbo rhombique garni de trois points se répètent sur les
deux vases, comme aussi sur le cratère du Musée de Milan, inv. 8/1957 20;
et c'est un même geste qui fait brandir au Pygmée, ici une machaira, et là
une massue. Les grues sont fort proches, par le traitement des ailes, la queue
en éventail, et l'expression cruelle. Traitée par un autre peintre volterran,
Florence inv. 4084 21, la scène bien plus gauche souligne par contraste la
parenté étroite des deux premiers vases, et la double réussite qu'ils repré
sentent. Mais quelle en peut être la signification?

VALEUR ANECDOTIQUE OU SYMBOLIQUE DE LA REPRÉSENTATION


Le combat des Pygmées et des grues apparaît déjà chez Homère
(Iliade, III, v. 6), et on retrouve ce thème célèbre représenté sur le Vase
François; une Hydrie de Caere évoque le thème voisin d'Héraklès combatt
ant de petits Egyptiens. La céramique à figures rouges le traite avec faveur,
surtout à la fin du Ve siècle; il est aussi représenté sur des intailles22. On
le rencontre même sur un vase chypriote archaïque, avec déjà cette allure
amusée, voire grotesque et ridicule qui a frappé les céramologues 23. Il ne
faut donc pas s'étonner si très tôt les Anciens ont tenté d'expliquer et de
rationaliser ce mythe: l'épouse d'un Pygmée, Oinoe, provoque la colère d'Héra
qui la change en grue, la rendant ainsi odieuse aux Pygmées qui la pour
chassent et l'empêchent de rejoindre son fils; selon d'autres, la reine des
Pygmées, Gerana, aurait subi le châtiment de son orgueil d'une même

18 M. Montagna, p. 50, n. 23 (Musée de Volterra); et p. 99, n. 100 (Pérouse).


19 M. Montagna, p. 81, n. 70 = R. Bianchi Bandinelli - A. Giuliano, Les Etrusques et l'Italie
avant Rome, 1973, p. 275.
20 CVA, Milan, IV B, pi. 1.
22 Daremberg et Saglio, s.v. Pygmées; RA, 23 (2), 1959, p. 2064 sq; Roscher, Lexicon der
Mythologie, s.v. Pygmaien; Et G. Becatti, EAA, 6, 1965, p. 169 sq.
23 V. Karageorghis, Une représentation de Pygmée et de grue sur un vase chypriote du
VIIe siècle avant J.-C, RA, 1972, p. 47-52.
AUTOUR DU PEINTRE D'HÉSIONE 503

manière. Le combat d'adversaires si surprenants offrait donc matière à de


véritables tableaux de genre, qui triompheront à époque hellénistique et
romaine dans les scènes « Nilotiques ». Ainsi a-t-on traditionnellement inter
prété dans le sens de l'anecdote et du comique cette représentation.
Cependant E. Montagna-Pasquinucci, dans son étude d'ensemble sur les
kelebai volterranes 24 insiste, contrairement à Herbig et Beazley, sur le
symbolisme funéraire de la majorité des thèmes de la série25. La colonne,
le vase, les personnages drapés et voilés, les protomes chevalins ou humains,
les Lasa ailées, les animaux marins, les scènes dionysiaques, et même le
chien et le centaure lui semblent convenir à des vases propres à un usage
sépulcral; il y aurait concordance entre les thèmes décoratifs et l'utilisation
fréquemment attestée en Etrurie de ces stamnoi ou kelebai comme urnes
cinéraires. Comment alors expliquer que seul le combat des Pygmées et des
grues échappe à ce symbolisme chthonien?
Si l'on considère la production du Peintre d'Hésione telle que la révèle
la nécropole d'Aléria, on est frappé du caractère symbolique sinon religieux
des représentations. Les nombreuses scènes de danse, définies par Beazley
comme « danses à l'étrusque », par la position retournée de la main, ont une
allure nettement rituelle, hiératique; la Mènade ressortit à l'esprit diony
siaque, les dauphins présentent d'abord un caractère sotériologique; la Lasa,
et sans doute le portrait féminin ne peuvent guère avoir d'autre signification
que funéraire. Restent donc les Pygmées. Or l'antique thème homérique prend
aisément une coloration symbolique: les migrations des grues ont frappé
tous les peuples, jusqu'à l'Inde et la Chine, et cet animal réputé intelligent
et cruel, joue un rôle important dans les mythologies orientales et occident
ales, qu'on retrouve jusque dans les représentations médiévales26; et d'autre
part, le Pygmée avec son casque, son bouclier rectangulaire ou ovale, son
épée courbe, harpe ou machaira, est curieusement affublé d'un armement
italo-celtique. L'aspect ridicule n'est nullement évident. N'a-t-on pas récem
ment interprété les guerriers gaulois des statuettes votives de Caere comme
des représentations de Mars Italicus?27.
Même si des détails nous échappent encore, nous croyons que le
caractère symbolique constant de cette série de vases invite à chercher ici

24 Op. cit. p. 11-16.


25 EVP, p. 132; et R. Herbig, Giebel, Stallfenster und Himmelsbogen, MDAI (R), 42, 1927.
26 L. Réau, Iconographie de l'Art Chrétien, 1956, T. Ill, 3, p. 1515.
27 Ch. Peyre, Problèmes actuels de la recherche sur la divinisation celtique dans la
Cispadane, Bull. SFAC, II, 1967-1968, p. 176, n. 4; et p. 177, n. 1.
504 LAURENCE JEHASSE

encore un même esprit. Il nous semble que les Etrusques ont été seuls à
conserver selon leurs perspectives eschatologiques personnelles le sens primit
if et sauvage de la légende telle qu'Homère la connaissait quand il écrivait:
« On croirait entendre le cri qui s'élève devant le ciel, lorsque les grues
fuyant l'hiver et ses averses de déluge, à grands cris prennent leur vol vers
le cours de l'Océan. Elles vont porter aux Pygmées le massacre et le trépas,
et leur offrir à l'aube un combat sans merci » 28.
Ce caractère cyclique et fatal, cette atmosphère de cruauté tragique,
nous placent aux antipodes du grotesque et de la dérision. La soif de sang
dont parlera encore Ovide29 se rapporte plus à un Charun ou Tuchulcha,
et ressortit à cette atmosphère religieuse que de bons juges reconnaissent
à toute la production céramique et picturale de l'art étrusco-romain 30.

La présence d'un tel vase dans une tombe d'Aléria, pose d'emblée de
multiples problèmes: rapports commerciaux reliant les deux bords de la mer
Tyrrhénienne, et entretenus avec les Etrusques, les Campaniens, les Puniques.
Problèmes politiques concernant ou non des Etrusques installés à Aléria.
Problèmes religieux portant sur la signification du thème de ce vase, et son
sens sépulcral.
Mais il nous invite aussi à examiner dans son ensemble l'œuvre du
Peintre d'Hésione.
D'après notre étude, huit vases d'Aléria appartiendraient à ce groupe
dont on ne connaissait jusqu'ici que dix-sept kelebai, auxquelles Aléria ajoute
deux formes nouvelles avec le stamnos et l'askos. Or il s'agit d'une série
homogène qui nous semble toute d'inspiration funéraire, d'un art où l'emporte
la valeur symbolique malgré une saveur réaliste indéniable, d'un art enfin
qui semble évoluer pendant un quart de siècle, et qui, par une filiation
continue permet de relier des formes dégradées, simplifiées, à ces prototypes
de haute valeur artistique qui d'après R. Bianchi Bandinelli appartenaient
à « une civilisation bien plus complexe que celle de l'Etrurie ou de l'Italie » 31.
Quand on parle du Peintre d'Hésione, on n'envisage pas un seul artiste,

28 Ed. Belles-Lettres, trad. Mazon.


29 Pygmaeo sanguine gaudet avis, Fastes, II, 176.
30 M. Pallottino, La peinture étrusque, p. 111 sq.; J. Heurgon, La vie quotidienne chez les
Etrusques, p. 40-41; A. Hus, Vulci étrusque et etrusco -romaine, p. 158-159.
31 R. Bianchi Bandinelli, op. cit. p. 274.
AUTOUR DU PEINTRE D'HÉSIONE 505

mais un atelier, uni, homogène, qui produit pendant près de trente ans, dans
la deuxième moitié du IVe siècle, des œuvres que l'on peut ranger selon le
tableau suivant:

ÉTRURIE ALÉRIA

Premier Groupe112
1 Herakles et Hésione
2. Dionysos et Ariane
3. Herakles et Apollon (?)

Deuxième Groupe33
4. Pygmée contre grue, Florence 4035
5. Pygmée contre grue, Inghirami, pi. 357
6. Pygmée contre grue, inv 74/38
7. Lasa sur un dauphin
8. Jeunes gens sur dauphins, n. 741
9. Eros sur un cygne
10. Danseurs étrusques
11. Danseurs étrusques, n. 740
12. Pygmée aux bandelettes
13. Pygmée aux bandelettes, n. 843
14. Pygmée au bouclier
15. Profil de jeune homme
16. Tête de femme voilée, fragt.
17. Fragments de Cortone
18. Mènade au thyrse, n. 598
19. Profil de femme
20. Askos à profil, n. 2309

Troisième Groupe34
21. Pygmée armé
22. Centaure
23. Guerrier
24. Profil de Satyre
25. Stamnos, n. 742

32 Premier Groupe:
1. Pérouse, Museo del Palazzone
2. Pérouse, Museo Archeologico, inv. 796.
3. Dessins à l'Institut Allemand de Rome. (XXIII, 41).
33 Deuxième Groupe:
4. Florence, Museo Archeologico, inv. 4035.
5. Reproduction, Inghirami, pi. 357.
6. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria, inv. 74/38.
7. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 42.
8. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria, n. 741.
9. Berlin, Staatliche Museen. V, I, 3986.
506 LAURENCE JEHASSE

Un premier groupe comprendrait des vases traitant de grands sujets


mythologiques, dans un style très élaboré. Aucun des exemplaires d'Aléria
ne se rattache à cet ensemble.
Le deuxième groupe, où se range en majeure partie l'apport d'Aléria,
contient des vases d'une saveur et d'une symbolique plus typiquement étrus
ques. Cette série s'ouvrirait avec un vase célèbre: le combat d'un Pygmée
contre une grue, qui pourrait servir de transition.
Le troisième groupe, plus hétérogène comporte des vases où l'on
reconnaît la manière du Peintre d'Hésione, mais qui ne sont sûrement pas
de sa main.

Nous pouvons noter à quel point l'apport d'Aléria renforce la cohésion


de l'œuvre du Peintre d'Hésione. Ces vases permettent de pénétrer plus
avant dans l'élaboration de l'imagerie étrusque, qui acquiert son accent
original et une saveur particulière à partir de thèmes primitivement importés.
De cette synthèse l'atelier du Peintre d'Hésione est assurément le meilleur
représentant.

10. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 44.


11. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 740.
12. Florence, Museo Archeologico, inv. 4122.
13. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 843.
14. Arezzo, Museo Archeologico, inv. 15460.
15. Prague, Musée National, inv. 2470.
16. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 97.
17. Fragments de Cortone, EVP, p. 126.
18. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 598.
19. Aléria, trouvaille clandestine.
20. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 2309.
Troisième Groupe:
21. Bologne, Museo Civico, inv. 410.
22. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 49.
23. Milan, Museo Civico Archeologico* inv. 8/1957.
24. Volterra, Museo Guarnacci, inv. 30.
25. Musée Jérôme Carcopino d'Aléria. N. 742.
AUTOUR DU PEINTRE D'HÉSIONE 507

m. ê

Fig. 1 - Musée d'Aléria. Fig. 2 - Musée d'Aléria.


Stamnos. Inv. 74/38. Face A. Photo Tornasi. Stamnos. Inv. 74/38. Face B.

Fig. 3 - Musée d'Aléria.


Stamnos. Inv. 74/38. Décor latéral.
508 LAURENCE JEHASSE

"«Ν

Fig. 4 - Musée d'Aléria. Fig. 5 - Kelebè au profil de femme,


Stamnos. N. 741. Face B. Photo Tornasi. trouvée à Aléria. N. 19. Face A.
HENRI LE BONNIEC

AU DOSSIER DE LA « LEX SACRA » TROUVÉE A LAVINIUM

Une inscription en latin archaïque, gravée sur une tablette de bronze,


fut trouvée en 1949 sur le site de l'antique Lavinium, dans les ruines d'un
sanctuaire. Longue de 29 cm. et large de 5, cette tablette est percée, à ses
extrémités, de deux trous, par où passaient des clous qui, selon les archéolog
ues, devaient servir à la fixer à une table d'offrandes. Le document est
datable du IIIe siècle av. J.-C, d'après la forme des lettres et la morphologie
archaïque. Il se lit sans difficulté et se présente ainsi:

CERERE . AVLIQVOQVIBVS
VESPERNAM . PORO

Malgré les efforts de plusieurs philologues, ce texte reste partiellement


énigmatique. Etudiant le culte de Cérès à Rome, j'avais eu l'occasion de
m'y intéresser, il y a près de vingt ans; depuis, des interprétations nouvelles
ont été proposées, qui autorisent un essai de mise au point. Pour la commod
ité de la discussion, nous renverrons par le seul nom des auteurs aux
études suivantes qui constituent la bibliographie (complète, me semble-t-il)
de notre sujet.

M. Guarducci, Legge sacra da un antico santuario di Lavinio, dans


Archeologia Classica, III, 1951, p. 99-103.
St. Weinstock, A lex sacra from Lavinium, dans Journ. of Rom. Studies,
XLII, 1952, p. 34-36.
R. Bloch, Une lex sacra de Lavinium et les origines de la trìade agraire
de VAventin, CRAI, 1954, p. 203-212.
H. Le Bonniec, La lex sacra de Lavinium, dans Le culte de Cérès à Rome,
Paris, 1958 (Appendice, p. 463-466).
M. Guarducci, Ancora sulla legge sacra di Lavinio, dans Archeologia
Classica, XI, 1959, p. 204-221.
510 HENRI LE BONNIEC

E. Peruzzi, Un problema etimologico latino, dans Maia, XI, 1959, p. 212-223.


Κ. Latte, Römische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 70, note 1.
H. Wagenvoort, De lege sacra Livinia nuper reperta, dans Mnemosyne,
XIV, 1961, p. 217-223.

Un seul mot sur les quatre, le plus surprenant à première vue, ne pose
pas de problème: AVLIQVOQVIBVS désigne les entrailles de certaines
victimes sacrificielles, qu'on faisait bouillir dans une marmite, au lieu de
les rôtir à la broche; c'est ce que nous apprennent de précieuses définitions
de Verrius Flaccus et de Varron. On notera que ce dernier cite le porc
parmi les animaux dont on cuit les exta dans une marmite; on ajoute à
cette offrande d'entrailles ainsi rituellement apprêtées du blé prélevé sur la
mola salsa \ Si, comme nous le pensons, il s'agit d'un sacrifice offert à
Cérès, les entrailles devaient être celles d'une truie, hostia propria de la
déesse, selon le rite romain tout au moins, - mais on peut supposer sans
témérité qu'il en allait de même à Lavinium, ville fondée par Enée et, à
certains égards, métropole religieuse de Rome.
Le nom divin CERERE pose deux problèmes, d'ailleurs étroitement liés:
le premier est de morphologie, le second d'interprétation. Et d'abord, le mot
est-il à l'accusatif, comme le pensent M. Guarducci (qui a maintenu ce point
de vue dans son deuxième article), St. Weinstock et, en dernier lieu, E. Peruzzi?
est-il au datif, comme le soutiennent R. Bloch, H. Le Bonniec, et enfin
H. Wagenvoort? Dans le premier cas, I'm final n'est pas noté; dans le second,
on est en présence d'un datif en -ë; la philologie, à elle seule, ne peut
trancher, car les deux solutions sont admissibles en elles-mêmes dans une
inscription archaïque 2. Si Cerere = Cererem, le mot est sur le même plan et
joue le même rôle que uespemam; on pourrait dans ce cas s'étonner de la
différence de traitement entre les deux mots, puisque I'm final de uespemam
n'a pas disparu, et on serait tenté d'en tirer argument en faveur de Cerere =

1 Paulus-Festus, p. 21 L.: Aulas antiqui dicebant, quas nos dicimus ollas, quia nullam
litteram geminabant. Itaque aulicocia exta quae in ollis coquebantur dicebant, id est elixa. -
Varron, L. L., 5, 98 (édit. et trad. J. Collari, Paris, 1954): Haec sunt quorum in sacruficiis
exta in olla, non in ueru coquuntur. « Ce sont les bêtes » (énumérées dans le contexte, au
parag. 97, parmi lesquelles le porc) «dont, dans les sacrifices, les entrailles sont mises dans
une marmite et non à la broche». - Ibid., 104: frumentum... ad exta ollicoqua solet addi
ex mola, id est ex sale et jarre molito. L'expression aulam extarem « marmite pour cuire les
entrailles sacrificielles» se lit chez Plaute, Rud., 135.
2 Voir les exemples fournis par M. Guarducci et E. Peruzzi en faveur de l'accusatif; par
R. Bloch en faveur du datif.
AU DOSSIER DE LA «LEX SACRA» TROUVÉE A LAVINIUM 511

= Cereri. En fait, cette inconséquence ne prouve rien; on en trouve de


comparables dans les épitaphes des Scipions3. Seule une interprétation de
l'ensemble du texte permettra d'opter pour l'accusatif ou pour le datif.
Le moment est venu de nous interroger sur le sens de VESPERNAM.
Or, semble-t-il, la réponse est facile; de nouveau elle est fournie par Verrius
Flaccus: « Les anciens appelaient uesperna ce qu'aujourd'hui nous appelons
cena ». Ainsi, le mot est un synonyme, sorti de l'usage, du mot désignant
le principal repas des Romains, le repas du soir4. Mais alors, si on consi
dère, comme il est naturel, que Cerere désigne la déesse, on ne comprend
pas comment le nom divin et le repas du soir, tous deux à l'accusatif,
pourraient être les deux compléments directs d'un même verbe (sous-entendu)
qui les régirait; on ne voit pas quel pourrait être le sens de ce verbe. Pour
sortir de l'impasse, si on tient à conserver le parallélisme, il n'y a que deux
solutions, symétriques et opposées: pour supprimer la différence de nature
entre les deux mots, on considérera, si étonnant que cela paraisse, ou bien
que cerere désigne ici un repas autre que la uesperna, ou bien que uesper-
nam, tout comme cerere, est un nom de divinité. La première solution est
celle de M. Guarducci (premier article); plus de déesse, mais deux repas,
dont à vrai dire nous ne savons que faire. Au contraire, St. Weinstock
supprime le repas du soir, ou plutôt le métamorphose en une divinité par
faitement inconnue, compagne inattendue de la grande Cérès.
En 1951, M. Guarducci admettait que Cerere(m) désignait, par méto
nymie, le blé, donc le pain, donc, par extension, le repas de midi, par oppos
ition à celui du soir. Cette conception, critiquée à bon droit par St. Weinstock,
puis par R. Bloch, a été abandonnée par son auteur, dans le deuxième
article. Il est donc inutile de s'y attarder. Signalons toutefois que, dans un
esprit différent, E. Peruzzi a repris la thèse qui fait de cerere(m) et de
uespernam deux noms communs. Son intention n'est pas au premier chef
de donner une nouvelle interprétation d'ensemble du texte, mais de résoudre
« un problème étymologique »: quelle est l'origine du latin cena? Dans
l'inscription, cerere(m) aurait le sens de « pasto diurno », formant couple
avec uesperna = « pasto serale»; ceres (non commun) serait devenu cena,

3 Cf. les observations d'A. Ernout, dans Recueil de textes latins archaïques, nouvelle éd.,
Paris, 1957, p. 13 sqq.
4 Paulus-Festus, p. 47 L.: cena apud antiquos dicebatur quod nunc est prandium;
uesperna, quam nunc cenam appellamus; p. 505 uesperna apud Plautum cena intellegitur.
Cf. ibid., p. 457, où cet usage ancien est rapporté aux Sabins: scensas Sabini cenas dicebant.
Quae autem nunc prandia sunt, cenas habebant, et pro cenis uespernas appellabant.
512 HENRI LE BONNIEC

en passant par un intermédiaire (hypothétique) ceres-na. Selon lui, ce n'est


pas le nom divin qui a été utilisé comme nom commun, comme le suggérait
M. Guarducci; c'est exactement l'inverse qui s'est produit: ceres « pasto
diurno » est devenu Cérès. Au plan linguistique, je laisse à plus compétent
le soin de critiquer la démonstration de E. Peruzzi, qui, je l'avoue, ne m'a
pas convaincu. Du point de vue religieux, il va de soi que les objections
faites à M. Guarducci gardent dans le cas présent toute leur valeur; il suffit
donc d'y renvoyer. Ajoutons que tout ce qu'on sait de Cérès et de son
culte interdit de l'expliquer comme une personnification du repas de midi
divinisé!
Pour St. Weinstock, au contraire, CERERE(M) est bien la divinité, mais
VESPERNAM devient une déesse, inconnue jusqu'ici. Il n'est pas exclu
qu'il s'agisse d'une déesse gentilice étrusque; c'est plus probablement « an
Italie goddess of food », qu'on ne s'étonnera pas de trouver honorée en
même temps que Cérès nourricière. Son nom ne s'expliquerait pas comme
un adjectif formé sur uesper, mais se rattacherait à la racine de uescor.
Et l'inscription se traduirait à peu près: « II faut se rendre propices » (verbe
sous-entendu à l'infinitif: placare, ou un autre de sens voisin) « Cérès par
une offrande d'entrailles bouillies, Vesperna par une offrande de poireaux »
(nous reviendrons sur ce sens donné à PORO). Cette interprétation a fait
l'objet de critiques qui me paraissent n'avoir rien perdu de leur valeur, et
que je me permets de reproduire, car, depuis, M. Guarducci a repris à son
compte, en la modifiant, l'hypothèse de St. Weinstock. R. Bloch écrivait en
1954: « Créer de toutes pièces un personnage divin en partant d'un mot
déjà connu par ailleurs est un acte bien hardi auquel il ne faudrait se
résoudre qu'en désespoir de cause. D'autant que le terme archaïque de
uesperna s'insère parfaitement dans une inscription du IIIe siècle avant
notre ère et que sa signification de repas s'accorde très bien avec la rédaction
d'une loi sacrée énonçant des prescriptions relatives à un repas divin ». A
ces remarques, nous ajoutions, en 1958, qu'il serait gênant d'admettre l'homo
nymie, fortuite, de deux mots n'ayant rien de commun: le repas du soir
uesperna (de uesper) et la prétendue déesse Vesperna (de uescor), jugeant
«étrange » cette déesse « Nourriture » qui n'est comparable à aucune autre
divinité. Même refus de la part de H. Wagenvoort (1961): « deam illam
Vespernam non agnoscemus nisi dura necessitate coacti ».
En 1959, M. Guarducci se déclare « d'accord avec Weinstock pour
interpréter l'accusatif Vespernam comme le nom d'une déesse ». Elle donne
cette traduction, conforme à celle du savant anglais: « (Si onori, o si plachi)
Cerere con viscere bollite, Vesperna con porri ». Mais cette déesse et celle
de Weinstock n'ont de commun que le nom. Car la nouvelle Vesperna n'est
AU DOSSIER DE LA «LEX SACRA» TROUVÉE A LAVINIUM 513

pas la déesse de la nourriture; son nom ne s'explique pas par uescor, mais
se rattache à uesper. Toutefois, « si les noms uesperna et Vesperna dérivent
de la même racine et se sont formés de la même manière, il n'est nullement
nécessaire d'admettre que le nom de la déesse est indissolublement lié au
nom commun. En d'autres termes, Vesperna et uesperna peuvent être deux
formes parallèles, mais indépendantes ». A partir des trois sens de uesper:
« étoile du soir », « soir » et « occident », que peut signifier le nom divin
Vesperna? « Dea astrale, ο dea della sera, o dea dell'Occidente? ». En
raison de l'association à Lavinium de Cérès et de Vesperna, les deux pre
mières hypothèses doivent être écartées. Mais Vesperna pourrait être consi
dérée comme « déesse de l'Occident et par conséquent comme reine des
morts, selon la conception très répandue dans l'Antiquité qui se représente
le royaume des trépassés dans la région mystérieuse où le soleil se couche ».
Ne peut-on retrouver dans les deux déesses honorées ensemble « le couple
de la Mère et de la Fille, de ces deux divinités grecques - Demeter et
Koré - qui, parvenues dans le Latium par l'intermédiaire de la Sicile et de
Cumes, avaient été superposées par les Latins aux antiques figures indigènes
de Cérès et de Libéra ». - Ces spéculations semblent aussi ingénieuses
qu'arbitraires. Même s'il existe, comme on nous le dit, dans les cultes de
Lavinium d' « innegabili elementi di grecita», c'est aller vite en besogne que
de faire une Demeter de notre Cérès, et surtout d'identifier à Koré une
Vesperna fantomatique!
Si nous admettons que CERERE est un datif, et que VESPERNAM
n'est autre que le repas du soir, nous obtenons pour les trois premiers mots
le sens suivant: «A Cérès un repas du soir (fait d') entrailles bouillies à la
marmite ». Mais que faire de PORO? M. Guarducci, St. Weinstock, R. Bloch,
E. Peruzzi y voient l'ablatif de porrum, ou porrus, pris au sens collectif:
« poireau(x) », la graphie par un seul r étant antérieure à la gemination des
consonnes. Mais R. Bloch se trouve devant une difficulté particulière, puisque,
à la différence des autres exégètes de ce groupe, il ne dispose plus que
d'une divinité au lieu de deux: c'est à la seule Cérès que vont les deux
offrandes: les exta bouillis et les poireaux. Il reconnaît que « la disjonction
des deux termes fait difficulté », mais pense qu'elle n'est pas inadmissible
dans un texte de haute époque, obéissant peut-être à certaines préoccupations
d'ordre rythmique ». Je ne crois pas possible d'admettre une asyndète entre
auliquoquibus et poro, considérés comme deux ablatifs jouant le même rôle
grammatical et séparés par uespernam. C'est un fait que R. Bloch n'a pas
été suivi sur ce point. Il propose une autre solution: « Si l'on sépare les deux
lignes, il s'agit d'offrandes distinctes suivant les moments du jour. Un verbe
tel que facere serait sous-entendu: on sacrifie (en règle générale) à Cérès
514 HENRI LE BONNIEC

avec des auliquoquia, on lui offre une uesperna faite de poireaux ». Mais
il est impossible qu'un seul verbe sous-entendu régisse à la fois l'ablatif
auliquoquibus et l'accusatif uespernam (cette critique a reçu en 1961
l'approbation de H. Wagen voort).
Autre difficulté: on a beau nous vanter la qualité exceptionnelle des
poireaux d'Aricie, ville voisine de Lavinium, il n'en est pas moins vrai que
cette offrande est tout à fait insolite dans le culte romain ancien, non seul
ement dans celui de Cérès, mais d'une manière générale. On peut toujours
dire avec M. Guarducci que nous sommes loin de connaître tous les rites
de la religion romaine, et que d'autre part l'offrande de poireaux n'est pas
inconnue dans la religion grecque, mais je doute que ces arguments suffisent
à lever la suspicion.
A mon sens, il faut renoncer aux poireaux. D'autres aussi l'ont pensé.
Mentionnons, pour mémoire, une hypothèse que je ne connais que par
M. Guarducci. Incidemment, F. Castagnoli5 suggère, avec une réserve bien
compréhensible, « la possibilité que le mot en discussion PORO fût une
préposition (= pro) », dont dépendrait par anastrophe, l'accusatif uespernam,
et que ce dernier eût le sens de «soir»: «A Cérès (on sacrifie) avec des
aliments cuits à la marmite avant le repas du soir (ou avant le soir) ».
Comme le dit M. Guarducci, « il est difficile d'admettre un poro employé
comme le serait pro et, de plus, postposé à uespernam ». Ajoutons que pro
construit avec un accusatif nous obligerait à admettre une faute du graveur.
Au cours de la discussion qui suivit la communication de R. Bloch à
l'Institut, J. Vendryès avait proposé une interprétation beaucoup plus plausi
ble: poro, c'est à dire porro, pourrait être l'adverbe, à prendre au sens tem
porel de « désormais », l'inscription ne formant qu'une phrase: (on offrira)
« désormais à Cérès un repas du soir fait d'entrailles bouillies ». En 1958,
je m'étais rallié, en désespoir de cause, à cette solution, si du moins on ne
consentait pas à corriger le texte. En faisant tout de même cette réserve:
« on ne comprend pas pourquoi, à partir d'un certain moment, cette obliga
tions'imposerait aux fidèles ». Depuis, H. Wagenvoort a nettement rejeté
cette interprétation: « Fateor equidem ita interpretando sensum praeberi mea
opinione a lege sacra alienissimum ». Je crois qu'il a vu juste et qu'il faut
renoncer à l'ingénieuse hypothèse de J. Vendryès.
Si on n'arrive pas à trouver un sens satisfaisant à l'énigmatique poro,
si d'autre part on se refuse à le tenir pour un locus desperatus, il ne reste
qu'une solution, que j'avais proposée timidement en 1958: supposer une faute

Dans Studi e materiali di storia delle religioni, 30, 1959, pp. 1, 8.


AU DOSSIER DE LA «LEX SACRA» TROUVÉE A LAVINIUM 515

du graveur et corriger le texte. K. Latte, deux ans plus tard, n'a pas manqué
d'audace en proposant de lire, au lieu de poro, por<ricit>o. L'arbitraire et
l'invraisemblance de cette correction sautent aux yeux: comme le note
H. Wagenvoort avec bon sens, on omet de nous expliquer comment le
graveur aurait pu omettre cinq caractères.
L'hypothèse d'une faute commise par le graveur n'est pas en elle-même
à rejeter, mais il convient d'éviter toute conjecture qui ne présente pas un
minimum de crédibilité. Alors que personne n'hésite à admettre la nécessité
de corriger parfois le texte d'un auteur qui s'est corrompu au cours des
siècles, parce qu'il ne nous est parvenu qu'après avoir été copié et recopié,
on se montre beaucoup plus réticent, non sans raison, lorsqu'il s'agit de
modifier le texte d'une inscription, qui constitue l'original, parvenu jusqu'à
nous sans intermédiaire. Pourtant, le grand épigraphiste Dessau (cité par
Wagenvoort) nous avertit opportunément que de nombreuses inscriptions, sur
pierre ou sur métal, même lorsqu'il s'agit de textes officiels (lois, rescrits
impériaux), ne sont pas beaucoup moins fautifs que-. le texte de bien des
manuscrits du Haut Moyen Age6.
H. Wagenvoort propose donc de corriger poro en poplo (forme syncopée
pour populo, bien attestée en latin archaïque). La faute s'expliquerait par
une confusion entre PL et R: le graveur aurait mal lu son modèle; acceptable
si le texte à copier était en capitales, cette erreur serait encore plus facile
à admettre si l'écriture était cursive. Il faudrait comprendre ainsi l'inscription,
en sous-entendant deux verbes: Cerere auliquoquibus (facito), uespernam
poplo (dato). C'est à dire: « Sacrifie à Cérès en lui offrant des entrailles
cuites à la marmite; offre au peuple un repas du soir ». Deux lignes d'inscrip
tion, deux phrases indépendantes. Après le sacrifice des exta à la divinité,
le reste des viandes, les uiscera, devenus « profanes », seraient servis au
public comme repas du soir. Cet usage est attesté pour le culte d'Hercule à
VAra Maxima (Servius, Aen., 8, 269; cf. Macrobe, Sat., 3, 12, 3). H. Wagenv
oortcite Wissowa (Religion und Kultus, p. 278 sq.): «Diese Zehntengabe
(= la decima Herculis) wurde als Ganzes dem Hercules geweiht . . . aber
nur ein geringer Teil davon blieb im Tempel, das Meiste wurde am Abend
dem Volke preisgegeben (profanare) und zu dessen Bewirtung verwendet ».
Et de s'écrier: « Ecce uesperna nostra! ». - Cette nouvelle interprétation,
je l'avoue, ne me semble nullement convaincante. Il est difficile d'admettre
que les quatre mots du texte constituent deux phrases dont les deux verbes

6 Latein. Epigraphie, dans ['Einleitung i. d. Altertumswissenschaft de Gercke-Norden,


tome I, fase. 1, p. 10.
516 HENRI LE BONNIEC

différents ne sont pas exprimés. On ne nous dit pas à qui s'adressent les
deux impératifs: facito et dato; s'agit-il de la même personne? est-ce un
prêtre, ou plutôt un magistrat, puisque H. Wagenvoort pense à un rite du
culte public? Enfin la comparaison avec le culte hellénique d'Hercule à
Y Ara Maxima n'a de sens que si on admet un postulat difficilement accept
able: « Si existimamus saeculo tertio a.C.n. Cererem Lauinii graeco ritu
cultam esse - nec uideo quid tali sententiae obstet - quaestio soluta esse
mihi uidetur ». Rien n'indique que nous ayons affaire à un culte importé;
au contraire, le rituel des exta cuits à la marmite est purement romain,
ou plutôt latin, et la Cérès de notre inscription doit être la déesse agraire
indigène. Détail significatif, nous avons vu qu'on ajoutait aux entrailles
cuites un peu de cette mola salsa caractéristique du sacrifice romain. Si le
repas sacré est offert seulement le soir, ou en fin d'après-midi, c'est que la
« cuisine » rituelle exige un assez long délai: une fois l'animal immolé, il
faut couper en morceaux les exta et les faire cuire dans la marmite; c'est
pourquoi le calendrier liturgique connaît des jours intercisi (« entrecoupés »),
pendant lesquels les activités profanes ne sont permises qu'entre le moment
où la bête est sacrifiée et celui où les exta sont offerts, autrement dit entre
le matin et le soir: Intercisi dies sunt per quos mane et uesperi est nefas,
medio tempore inter hostiam caesam et exta porrecta fas 7.
Revenons-en à PORO. La séquence: datif d'attribution, ablatif instru
mental, accusatif complément d'objet direct, fait attendre une forme verbale.
En 1958, j'avais proposé PORGO, forme ancienne de PORRIGO, qui est
bien attestée8. C'est la table d'offrandes qui est censée parler: «A Cérès
j'offre le repas du soir fait d'entrailles bouillies à la marmite ». Il me semble
que ce verbe qui veut dire « tendre, présenter, offrir » convient assez bien
à une mensa sur laquelle le repas rituel est déposé. M. Guarducci objecte
que « è durissimo il poro nel valore di porgo », mais je crois avoir été mal
compris: il ne s'agit pas de donner à poro la valeur de porgo; j'admets que
le graveur a fait une faute, explicable par la ressemblance entre le G et PO;
c'est en quelque sorte une haplographie (bien que ce terme soit impropre,
les deux lettres étant différentes). Il faudrait restituer POR<G>O. M. Guar
ducci fait aussi remarquer que « senza esempio è il motivo della mensa

7 Varron, L. L., 6, 31; cf. Ovide, Fastes, 1, 49-52; Macrobe, Sat, 1, 16, 3.
8 Festus, p. 244 L.: PORIGAM dixisse antiqui uidentur pro porrigam, propter morem non
geminandarum litterarum, ducto uerbo a porro regam... Antiqui etiam porgam dixerunt pro
porrigam. - Dans un texte poétique Cicéron emploie cette forme syncopée: Nat. deor., 2, 114;
voir les exemples réunis par A. S. Peace, ad loc.
AU DOSSIER DE LA «LEX SACRA» TROUVÉE A LAVINIUM 517

parlante ». C'est exact, à ma connaissance, mais on pourrait répondre qu'il


y a un commencement à tout. Disons que ce serait un « hapax » archéolog
ique. En tout cas on peut faire valoir quelques analogies: la fameuse fibule
de Préneste prend la parole pour nommer l'artisan qui l'a fabriquée. « Ce
tour est primitif, commente P. Lejay. A Chypre, dans des inscriptions très
anciennes, l'objet votif se déclare la propriété du dieu; les scarabées et les
vases nomment leur maître . . . Parmi les plus anciennes inscriptions grecques,
se trouvent des ex-voto offerts aux dieux . . . L'objet proclame à qui il appart
ient, à qui on l'a consacré » 9. Aux archéologues de dire ce qu'ils en pensent.
Ce n'est pas sans inquiétude que je soumets ces quelques pages au
jugement pénétrant du savant que nous voulons honorer; puissent-elles
n'être pas trop indignes de lui!

P. Lejay, Histoire de la littérature latine des origines à Flaute, Paris, s.d. (1920).
JOËL LE GALL

« EVOCATIO »

La découverte en Cilicie d'une inscription relative à la prise de la ville


â'Isaura Vêtus par le proconsul P. Servilius Vatia l en 75 av. J.-C. ne semble
pas avoir attiré l'attention des historiens de la religion romaine, bien que son
inventeur, le Professeur Alan Hall2, ait fait remarquer, sans s'y attacher
lui-même, qu'elle obligeait à reprendre l'examen des questions relatives à
Yevocatio. Ce rite est célèbre parce qu'il a quelque chose d'archaïque et
d'étrange pour la mentalité moderne et parce que les seuls exemples qui
nous étaient connus jusqu'à présent de façon assurée concernaient deux des
sièges les plus fameux de l'histoire romaine, celui de Veies en 396 av. J.-C.
et celui de Carthage en 146 av. J.-C, mais en réalité le dossier sur lequel
on pouvait s'appuyer pour l'étudier était très mince, si l'on mettait à part
les textes qui concernent le secret dont auraient été environnés l'identité
de la principale divinité poliade de Rome et le véritable nom de VUrbs
elle-même afin d'empêcher une evocatio par l'ennemi3, et ceux qui ne font
que répéter partiellement l'apport des sources principales4. Celles-ci compren
aient seulement le récit par Tite-Live de Vevocatio de la Junon de Veies
et des miracles par lesquels elle avait manifesté son accord au transport

1 P. Servilius Vatia «Isauricus».


2 A. Hall, New light on the capture of Isaura Vêtus by P. Servilius Vatia, dans Akten des
VI Internationalen Kongresses für Griechische und Lateinische Epigraphik, München, 1972,
Vestigia, 17, p. 568-571.
3 Macrob., Sat, III, 9; PL, H.N., XXVIII, 18, 3-4; III, 65; Serv. Ad Aen., II, 351; I, 277;
Plut., Quaest. Rom., 61; Solin., I, 4. Les historiens modernes de la religion romaine ont souvent
relevé ce secret, par ex.: V. Basanoff, Evocatio, p. 17-31. - J. Bayet, Histoire politique et
psychologique de la religion romaine, p. 122-3. - Dumézil, La religion romaine archaïque,
p. 301; 412-214; 453-4; 489, n. 3; 531-2. Je n'ai pu prendre connaissance avant d'achever cet
article de l'ouvrage de Thomas Köves-Zulauf, Reden und Schweigen, Römische Religion bei
Plinius Maior, Studia et testimonia antiqua, XII, Munich, 1972.
4 Val. Max., I, vili, 3; Dion Halic, XIII, 3; Plut, C amili, VII.
520 JOËL LE GALL

de sa statue sur l'Aventin après la prise de la ville par le dictateur Camille 5,


une longue note de Macrobe6 donnant le texte du carmen utilisé pour
« évoquer » les dieux de Carthage et de celui qui avait servi ensuite pour
« dévouer » la ville aux divinités infernales romaines, de brefs commentaires
de Servius également à propos de Carthage7, enfin une courte note de
Pline l'Ancien 8 et une allusion de Festus 9 sur Yevocatio en général. L'inscrip
tion découverte par le professeur A. Hall n'est pas très bien rédigée, mais
elle a sur ces sources littéraires de valeur inégale l'immense avantage d'être
un témoignage direct et bien daté.
En voici le texte:

«Servilius C(aii) f(ilius) imperator, / hostibus victeis, Isaura vetere /


capta, captiveis venum dateis, / sei deus seive deast, quoius in / tutela
oppidum vêtus Isaura / fuit, [...] votum solvit».

Les termes de l'invocation reproduite aux lignes 4, 5 et 6 (« sei deus. . .


fuit») sont les mêmes que ceux du carmen employé à Carthage soixante
et onize ans auparavant (Si deus si dea est, cui populus civitasque Cartha-
giniensis est in tutela); Pline l'Ancien les a reproduits partiellement d'après
Verrius Flaccus (deum cuius in tutela id oppidum esset) en ajoutant
que le rite figurait encore de son temps dans la science pontificale (« et
durât in pontificum disciplina id sacrum »), or Servilius Vatia était pontife:
dans ces conditions il semble légitime d'admettre que l'opération à laquelle
il a procédé devant Isaura Vêtus a bien été une evocatio et pas simplement
un rite analogue («similar») comme l'a suggéré le Professeur A. Hall. Cette
hypothèse conduit à une conception de Vevocatio et de son importance
beaucoup plus satisfaisante que celle qui avait été reçue jusqu'à présent et
fait disparaître les difficultés auxquelles on se heurtait à son sujet.
Du seul fait qu'elle ait été pratiquée à l'encontre d'une ville barbare
d'Asie Mineure qualifiée d'oppidum, il résulte que Yevocatio n'était pas
réservée aux divinités poliades des villes italiennes et pas davantage à celles
des villes fondées etrusco ritu, seules dignes d'être qualifiées d'urbes,

5 Liv., V, xxi, 2-5; xxii, 3-7.


6 Macrob., loc. laud.
7 Serv., Ad Aen., II, 244; 351; XII, 841.
8 PL, H.N., XXVIII, 18.
9 Fest, s.v. «Sacra peregrina», p. 237 M = 268 L.
«EVOCATIO» 521

selon une théorie moderne qui a longtemps prédominé 10. En conséquence


il n'y a plus aucune raison de rejeter les indications fournies par Macrobe à
propos du siège de Carthage, en particulier les textes des deux carmina qu'il
a recueillis; on doit admettre au contraire la loyauté de son témoignage
lorsqu'il affirme avoir fait une enquête sérieuse pour retrouver le souvenir
des « dévotions » de villes auxquelles on avait procédé autrefois (in anti-
quatibus) et avoir découvert les textes de ces carmina dans un livre d'un
érudit de l'époque sévérienne, Sammonicus Severus, qui les avait copiés
lui-même dans un ouvrage beaucoup plus ancien « d'un certain Furius »
que Macrobe n'a pas identifié mais dans lequel on reconnaît aujourd'hui
L. Furius Philus, consul en 136 av. J.-C, un ami de Scipion Emilien qui a
peut-être participé au siège de Carthage.
D'après l'inscription Vevocatio était un votum, dont il fallait accomplir
les promesses une fois satisfaction obtenue, c'est-à-dire une fois la ville prise.
On ne songe plus maintenant à faire du votum une opération magique,
obligeant la divinité à obtempérer à la condition d'avoir été bien faite; le
carmen de 146 demande au contraire aux divinités évoquées de faire con
naître leur accord (ut sciamus intellegamusque). par l'aspect des entrailles
des victimes offertes au moment "même où l'on prononçait le vœu: In
eadem verba hostias fieri oportet auctoritatemque videri extorum, ut ea
promittant futura.
Dans le carmen de Carthage après la formule générale sive deus,
sive dea... in tutela fuit, on trouve: teque, maxime, Me qui urbis huius
populique tutelam recepisti, pourtant nous avons rappelé la tradition
selon laquelle le nom de la principale divinité protectrice de Rome était
caché pour empêcher qu'elle ne fût l'objet d'une evocatio. Il n'y a pas là
de contradiction, simplement les divinités auxquelles on s'adressait devaient
être invoquées avec le plus de précision possible, mais il ne fallait les
nommer que si l'on était certain qu'elles pouvaient être invoquées pour
cette opération-là, sous le nom qu'on leur connaissait; en cas de doute il
était préférable de s'en abstenir n. Vevocatio s'adressait à tous les dieux
de la ville, nécessairement englobés dans l'expression générale sive deus,

10 J'ai exposé ma conception à cet égard en dernier lieu dans mon article Les Romains
et l'orientation solaire, dans MEFRA, 1975, 1, p. 287-320.
11 II fallait se montrer prudent à cet égard même vis-à-vis des dieux romains, comme le
rappelle le texte du carmen utilisé pour la devotio de Carthage (Macrob., loc. laud.): «Dis
Pater, Veiovis, Manes, sive quo alio nomine fas est nominare... ».
522 JOËL LE GALL

sive dea . . . 12, mais si l'on savait, de façon certaine, qu'elle était plus part
iculièrement sous la protection d'une de ces divinités, il était sage d'invoquer
plus spécialement cette divinité dans le cadre de la prière: tel fut évidem
mentle rôle du teque, maxime ... de 146 av. J.-C.
Il existait donc une formule générale qu'il fallait adapter à chaque cas
d'après ce qu'on savait du panthéon de l'ennemi. Ce sont les pontifes qui
procédaient à ces ajustements puisque la formule générale se trouvait dans
les libri pontificales 13. Le carmen de Carthage montre qu'ils le faisaient
d'après leurs archives: en effet son complément, visiblement rédigé en
démarquant la formule générale n'est pas adressé à Tanit, la principale
protectrice de la ville en 146 av. J.-C, dont l'identification avec Junon
était déjà très ancienne alors, il invoque, au contraire, un dieu masculin,
qui ne peut être que Baal Hammon, dieu suprême du panthéon punique
jusqu'à l'époque où sa parèdre l'avait supplanté, sans doute au début du
IVe s. av. J.-C. 14, tout en lui laissant la seconde place; déjà les cérémonies
célébrées à l'occasion des crises religieuses qui avaient secoué Rome au
cours de la Seconde Guerre Punique, s'étaient souvent adressées à son
équivalent romain, Saturne, en même temps qu'à la Junon reine de l'Aventin 15.
L'examen des entrailles des victimes ayant montré que les dieux avaient
accepté d'abandonner leurs adorateurs et de devenir les protecteurs des
Romains et de leur ville, les temples, les idoles et les objets sacrés de l'ennemi
se trouvaient désacralisés aux yeux des assaillants: en 146 Scipion Emilien
punit pour désobéissance des soldats qui avaient pillé durant l'assaut le
temple d'« Apollon» dans les bas quartiers de Carthage et s'étaient partagés
l'or du naos et de la statue 16, mais il n'y eut pas de cérémonie expiatoire.

12 Le carmen de 146 après avoir invoqué spécialement le principal protecteur de Carthage,


revient au pluriel: «... a vobis peto,... ut vos... voveo vobis...».
13 PL, loc. laud.
14 G. et C. Picard, Vie et mort de Carthage, p. 144-151.
15 Cf. R. Bloch, Hannibal et les dieux de Rome, CRAI, 1975 p. 14-25, V. aussi M. Le Glay,
Saturne Africain, en partie, p. 468-478. Le Saturne Africain héritera de l'épithète de magnus
ou de deus magnus, voire de maximus, qui avait très probablement appartenu au Baal Hammon
punique {ibid., p. 126-127). Est-ce un simple hasard si le carmen de 146 invoque le principal
protecteur de Carthage par la même épiclèse: «teque, maxime... »?
16 App., VIII, 127-133: «Apollon» était le dieu punique Resheb (G. et C. Picard, op. laud.,
p. 177). Cette désacralisation explique que les Romains aient pu transporter à Rome les statues
de culte elles-mêmes, quitte peut-être à les reconsacrer ensuite par leurs propres rites: ainsi
« EVOCATIO » 523

Les indications fournies par les sources sur les promesses faites par le
votum sont peu précises. On croit généralement qu'il s'agissait d'un culte
et d'un temple à Rome où l'on aurait donc dû élever d'innombrables temples
aux dieux évoqués, pourtant nous n'arrivons à établir qu'une liste extr
êmement restreinte et souvent contestable de ces temples: celui de la Junon
de Veies sur l'Aventin est le seul cas certain, peut être un temple au Vol-
tumna, Vertumne de Volsinii évoqué en 265 sur l'Aventin également, au
Champ de Mars un temple à la Junon Curitis de Falerii et un à la Minerve
de la même ville sur le Celius (Minerva capta); il est possible qu'un culte
ait été rendu parfois à une divinité évoquée dans un temple dédié à une
divinité qui lui avait été assimilée, par exemple on peut supposer que la
Tanit/Junon de Carthage a reçu un culte dans le temple de l'Uni/Junon
(de Veies) sur l'Aventin, pourtant l'empereur Elagabal amènera à Rome la
Junon Calelestis de la Carthage romaine 17: pouvait-il ignorer qu'il s'agissait de
la « Junon » punique?
Mieux encore: le carmen de 146 avait promis aux dieux évoqués des
temples et des jeux: Si ita feceritìs, voveo vobis templa ludosque facturum
sans préciser où le vœu serait accompli, or tous les jeux qui ont été célébrés
à Rome après une victoire l'ont toujours été à notre connaissance en l'hon
neur des divinités romaines dont l'aide avait été spécialement sollicitée en
vue de cette victoire. On doit donc se demander si les promesses de Vevo-
catio n'étaient pas tenues dans le pays même, devenu romain par la conquête.
L'inscription d'Isaura Vêtus apporte un sérieux argument en ce sens.
Elle est gravée sur une dalle haute de 0,58 m, longue de 1,03 m, épaisse
de 0,30 m, qui n'avait pas été polie à l'arrière, préparée par conséquent
pour être enchâssée dans la maçonnerie d'une assez grande construction;
la dernière ligne a été écrite assez loin du bord inférieur de la pierre, ce
qui suggère que l'inscription était destinée à être vue de bas en haut au-dessus
d'un rebord; on est ainsi conduit à penser que cette construction était un
temple. Les dieux évoqués auraient donc reçu généralement sur place le

pourrait s'expliquer sans soulever de difficulté l'épithète de la « Minerva capta » du Celius; la


déesse ayant été évoquée en même temps que les autres divinités de la ville, en particulier
Juno Curitis, sa statue, désacralisée, aurait été transportée à Rome avec le butin mais reconsacrée
ritu romano dans le sanctuaire du Celius.
17 Elagabale et non Septime Sévère, comme l'a démontré J. Mundle, Dea Caelestis in der
Religionspolitik des Septimius Severus und der Iulia Domna, dans Historia, X, 1961, p. 228-237.
524 JOËL LE GALL

culte qui leur avait été promis 18; d'après Ovide, le char et les armes de
Junon étaient d'ailleurs restés en Afrique 19.
Toute devotio d'une ville était nécessairement précédée par Vevocatio
de ses dieux, comme le rappelle Macrobe. La liste de dévotions anciennes
qu'il fournit, sans avoir la prétention d'être exhaustive, est donc en même
temps une liste d'évocations. Il énumère: «Stonii (?), Frégelles, Gabies, Veies,
Fidènes en Italie, Carthage et Corinthe, bien d'autres armées et oppida des
ennemis de Rome en Gaule, en Espagne, en Afrique chez les Maures et
chez d'autres peuples dont parlent les anciennes annales ». Nous n'avons
plus de motifs pour mettre en doute cette enumeration, même pour la
Gaule, l'Espagne et l'Afrique: on peut songer à Numance (133 av. J.-C),
à Entremont (123-122 av. J.-C), à la guerre de Jugurtha. Comme le peu
d'importance attaché à l'exécution des vœux, cette longue énumérération
montre que Vevocatio 'n'était pas un rite exceptionnel; c'était, bien au cont
raire, un rite banal du vieil arsenal religieux romain de la guerre, si banal
que les auteurs n'y ont même pas fait allusion sauf dans les cas célèbres
de Veies et de Carthage 20, pas plus qu'à d'autres, tout aussi courants, telle
la lustration de l'armée au moment de l'entrée en campagne dont Tacite
nous apprend incidemment qu'on la pratiquait encore en 37 ap. J.-C.21.

18 Les honneurs qui leur auraient été rendus auraient donc été bien moindres que ceux
rendus aux divinités transplantées à Rome pour en devenir de nouvelles protectrices alors que
leur cité d'origine était en paix avec elle, dont les exemples les mieux connus sont ceux d'Asklépios,
de Vénus Erycine et de Cybèle. On remarquera cependant que ces cultes et ceux des dieux
évoqués étaient réunis sous la dénomination commune de sacra peregrina (Festus, loc. laud.),
et que ces divinités continuaient de recevoir leur culte traditionnel dans leur sanctuaire d'ori
gine - et certainement dans d'autres:' les Romains n'ont jamais pensé qu'une divinité ne pouvait
être présente que dans un seul sanctuaire. Selon Arnobe (AUv. pag., III, 38) tous les dieux
évoqués étaient invoqués comme dei novensiles et leurs cultes confiés à des gentes ou
célébrés comme sacra publica: il est évidemment difficile de mesurer la confiance qui peut
être accordée à ces affirmations.
19 Ovid., Fast., VI. 45-46: « Paeniteat, quod non foveo Carthaginis arces, / cum mea sint
ilio currus et arnia loco»; Virgile (Aen. I, 12-17) avait déjà écrit: «Urbs antiqua fuit...
Karthago... hic illius arma, hic currus fuit». Certes les Puniques n'ont pas évité de donner
à leurs divinités l'apparence humaine, mais ils les représentaient également par des symboles,
si bien qu'il est permis de se demander si la question du transfert de «la statue» de Junon
à Rome, souvent posée par les historiens modernes sans qu'ils puissent y répondre, n'est pas
en réalité un faux problème.
20 Malheureusement trop bref, le texte de Festus, cité supra, conduit à la même conclusion.
21 Par l'offrande des suovetaurilia à Mars, (Tac, Ann., VI, xliii, 2).
MARCEL LE GLAY

MAGIE ET SORCELLERIE À ROME


AU DERNIER SIÈCLE DE LA RÉPUBLIQUE

On a maintes fois, semble-t-il, souligné l'importance de l'époque impér


iale dans l'histoire de la magie à Rome. « Ce qu'il pouvait y avoir d'original
dans la pratique de la magie en Italie disparut sous l'Empire », notait déjà
Marquardt 1. Et ce jugement est confirmé par H. Hubert qui, dans l'excellent
article Magia du Dictionnaire des Antiquités2, retrace le passage d'une
« sorcellerie populaire » et d'une « magie de paysans » (à l'origine) à une
magie (celle de l'Empire) tantôt plus savante et comme « sécularisée », tantôt
plus liée à la religion, du fait des influences étrusques et étrangères. Quant
aux ouvrages les plus récents, c'est sur la période augustéenne qu'ils mettent
l'accent, qu'il s'agisse de l'étude de la répression de la magie 3 ou de réflexion
sur l'action magique4.
En reconnaissance pour l'inlassable bienveillance du directeur d'une
trop longue thèse complémentaire et en hommage au savant, aussi attentif
aux « sortilèges » d'un avocat contemporain de Pline le Jeune qu'aux magis
tratures étrusques, on souhaite montrer ici que le dernier siècle de la Répu-

1 Le culte chez les Romains, t. II, p. 133.


2 Daremberg-Saglio-Pottier, Diet, des Ant. gr. et rom., t. III, 2 (1904), p. 1494-1521.
Excellentes réflexions sur les rapports entre magie et religion d'une part, entre magie et science
d'autre part dans le livre de S. Viarre, L'image et la pensée dans les «Métamorphoses » d'Ovide,
Paris, 1964, p. 153 ss.
3 E. Massonneau, La magie dans l'Antiquité romaine, Paris, 1934, p. 122 ss., 169 ss.
De même pour R. Mac Mullen, Enemies of the Roman Order. Treason, Unrest and Alienation
in the Empire, Cambridge, Harv. Univ. Press, 1966.
4 J. Annequin, Recherches sur l'action magique et ses représentations (F1 et IIe siècles
après J.-C), Paris, 1973, livre riche de renseignements, mais partiel, et qui repousse résolument
(p. 10) toute tentative d'essai chronologique au nom de la lente évolution des structures ment
ales. Cette dernière observation n'est pas inexacte; mais il faut tenir compte des apports plus
ou moins enrichissants, ou déformants, venus de l'extérieur, ainsi que des glissements sociolo
giques... ce qui s'est produit, croyons-nous, au Ier s. av. J.-C.
526 MARCEL LE GLAY

blique fut pour l'évolution de la magie à Rome une période décisive, marquée
à la fois par un notable renouveau d'intérêt pour les pratiques des magiciens
et des sorciers et par l'élaboration d'une nouvelle magie, plus séduisante
pour les milieux cultivés et mondains de la capitale. C'est précisément le
succès de cette science noire, nouvelle ou du moins renouvelée, qui expli
quera mieux le scepticisme inquiet de Cicéron, les attaques des poètes, la
condamnation et la répression d'Auguste.
Alors que, comme l'a bien montré A. Alföldi 5, la puissance d'attraction
de la mantique tend à diminuer à partir de Marius et de Sylla, non sans
garder cependant la faveur des masses, où n'ont pas encore pénétré les
idées nouvelles sur le monde et le sort de l'homme, seules capables d'enta
merles vieilles croyances dans les forces obscures, dans les pouvoirs des
astres, dans les présages, ceux-ci ont dû contribuer à impressionner une
opinion préoccupée, lassée et bientôt horrifiée par les guerres civiles. Jamais
depuis l'époque de la deuxième guerre punique, si fertile en prodigia, Rome
n'en a connu autant qu'au Ier av. J.-C, tous exploités, bien sûr, le prodige
étant devenu une « arme de choix dans les luttes politiques » 6. R. Bloch,
qui les a fort bien étudiés, en a mentionné plusieurs, à titre d'exemples. En
complétant sa liste, mais sans prétendre la rendre exhaustive, on voit signalés
les cas suivants:

- En 90, pendant la campagne militaire de Sylla en Italie, une flamme


s'élève de la terre entr'ouverte (Plut., Sylla, VI, 9).
- Un peu plus tard, une couronne de laurier, symbole de victoire, appar
aîtsur le foie d'une victime qu'il est en train de sacrifier (Ibid., XXVII, 16).
- En 88, sous le consulat de Sylla, un coup de trompette retentit dans
un ciel serein (Ibid., VII) 7.
- En 87, sous le consulat de Cn. Octavius, apparaît une comète (Cicéron,
De nat. deor., II, 5, 14); c'est l'année de la comète de Halley8. C'est
aussi l'année de la fulmination de Pompeius Strabo. On entend des
bruits d'armes qui s'entrechoquent dans le ciel; des gouffres s'ouvrent

5 Voir notamment dans Chiron, 5, 1975, p. 165-192: Redeunt Saturnia regna, IV, Apollo
und die Sibylle in der Epoche der Bürgerkriege. Déjà J. Gagé, Apollon romain, Paris, 1955,
p. 424 ss.
6 R. Bloch, Les prodiges dans l'Antiquité classique, Paris, 1963, p. 139.
7 Les devins étrusques l'interprétèrent comme le signe d'un changement de saeculum et
le début d'un âge nouveau, une metakosmesis: cf. J. Gagé, op. cit., p. 431.
8 Cf. F. S. Archenbold, Weltuntergang und der Halleysche Komete, Berlin, 1910, p. 54.
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 527

dans la terre, d'où jaillissent des flammes, etc. La tête de la statue


d'Apollon tombe par terre et s'y fixe (lui. Obs., 56 ss. [116]; Appien,
B.c., I, 325 ss.) 9.
Le 6 juillet 83, pendant la dictature de Sylla, le recueil des Livres
sibyllins brûle dans l'incendie du Capitole. L'empressement mis à le
reconstituer (ce qui fut fait en 76) prouve l'intérêt que beaucoup lui
attachaient; le nombre de ses « gardiens » - les decemuiri sacris faciun-
dis - est à cette occasion porté à quinze (Den. Hal., IV, 62, 6). La
même année, on entend, entre Capoue et le Volturne, un fracas d'armes
et d'étendards, accompagné d'une effrayante clameur (lui. Obs., 57 [118]).
A partir de 65, on attend un « kosmische Zeitwende » 10. Par l'interméd
iaire de la muse Uranie, sont énumérés et décrits les phénomènes célestes
(comètes, bolides) et terrestres (apparitions nocturnes de spectres),
annonciateurs des graves événements de 63 (De consulatu suo, dans
Cic, De diuin., I, 17, 11 ss.; lui. Obs., 61 [122]).
En 57, une colonne de Jupiter sur le mont Albain est frappée par la
foudre (Cass. Dio, XXXIX, 3).
En 56, un grondement souterrain est perçu dans VAger latiniensis
(Cic, De harusp. resp., 20 ss.).
Fin 50, un graue ostentum est annoncé sur le territoire cumain (un
arbre avec trop peu de branches), ce qui d'après les Livres sibyllins
signifie un carnage prochain (Pline, H.N., XVII, 243); et le 12 janvier
49, lors du passage du Rubicon apparaît un homme d'une taille et d'une
beauté extraordinaires (Suét, Diu. lui, 32).
En 48, l'année de Pharsale, les phénomènes célestes se multiplient:
superique minaces
prodigiis terras implerunt, aethera, pontum:
comète, éclairs dans un ciel serein, foudre sur le « sommet latial »(
étoiles en plein jour, dérèglement du système solaire et lunaire, éruption
de l'iïtna, embrasement de l'autel albain de Vesta, etc., Lucain a décrit
avec complaisance ces « gages sûrs d'une pire destinée » (Phars., I, 524 ss.;
lui. Obs., 65 125).
En 44, des prodiges nombreux accompagnent la mort de César: trom
pettes et bruits d'armes dans le ciel, le soleil est privé de sa lumière,
les statues des dieux pleurent, des bœufs parlent (Tib., II, 5, 71 ss;

9 Sur cette série de prodiges, « la plus étonnante et la plus grave » depuis 114, voir
J. Gagé, op. cit., p. 430.
10 A. Alföldi, art. cit., p. 182 ss.
528 MARCEL LE GLAY

lui. Obs., 68 [128]). Et surtout en juillet 44, pendant les jeux de la


Victoire de César, entre le 20 et le 30, c'est l'apparition dans le ciel
de Rome de la fameuse comète - le sidus Iulium - dont Octave-
Auguste sut tirer tout le parti que l'on sait pour étayer de croyances
astrales l'apothéose de Yimperator défunt et la fondation du culte
imperial n.
- En 43, un « bolide » se manifeste lors de la bataille de Modène (Pline,
H.N., II, 96). Mais c'est la fondation du second Triumvirat et ses pre
mières décisions qui sont accompagnées surtout de signes effrayants:
des loups sont vus sur le Forum, des bœufs parlent, des statues pleurent,
des bruits d'armes et de courses de chevaux sont perçus; le soleil a un
aspect étrange; la foudre tombe sur des temples et des statues (Appien,
Ce, IV, 4, 14; lui. Obs., 69 [129]).
- En 42, l'année de Philippes, de nouveaux prodiges sont signalés: on voit
trois soleils; la statue de Jupiter sur le mont Albain suinte, etc. (lui.
Obs., 70 [130]).
Après quoi le Liber prodigiorum reste muet jusqu'en 17/16 pour ment
ionner alors l'apparition d'une comète 12. Que Cicéron, Pline et d'autres,
qui ont rapporté ces prodiges, aient montré quelque scepticisme sur leur
interprétation comme « signes astrologiques » 13, peu importe. Seul compte le

11 Sur cet astre de grande taille, apparu du côté du Nord: Hör., Od., I, 12, 46-48; Virg.,
Bue, IX, 46-49; Aen., VIII, 681 (et Servius); Prop., EL, IV, 6, 59 ss.; Ovid., Met, XV, 840-851;
Sén., Nat. quaest, VII, 17, 2; Suét, Diu. lui, 88; Plut., Caes., 69, 3; Cass. Dio, XLV, 7, 1-2.
Seuls font état d'un culte rendu à cette comète dans le temple de Vénus à Rome: Plin., H.N.,
II, 93-94 et lui. Obs., 67. Une comète fut réellement visible à Rome, pour Halley: cf. Archenb
old,op. cit.; cette comète serait la même qui apparut de nouveau en 530, 1106 et 1680.
Sur les implications religieuses, voir F. Cumont, L'éternité des empereurs romains, dans Rev. Hist.
Litt. Rei, 1896, p. 435-452; A. Alföldi, Der neue Weltherrscher, dans Hermes, LXV, 1930, p. 369-384
(interprète l'apparition de la comète comme l'annonce d'un nouvel âge d'or); K. Scott, The
Sidus Iulium and the Apotheosis of Caesar, dans Class. Phil, XXXVI, 1941, p. 257-272 (sur la
comète, signe de l'apothéose de César obtenue en récompense de ses vertus); L. Ross Taylor,
The Divinity of the Roman Emperor, p. 90 ss.; J. Gagé, Apollon romain, p. 585 ss.; et plus
récemment G. Radke, Augustus und das Göttliche, dans Antike und Universalgeschichte,
Festschrift H. E. Stier, Münster, 1972, p. 273-274.
12 lui. Obs., 71 [131] la mentionne en 17; Dion Cassius, LIV, 19, 7, en 16; elle est mise
en relation avec la défaite de Lollius (clades Lolliana: LIV, 20, 5) et n'a rien à voir avec le
sidus Iulium, comme le note justement G. Radke, art. cit., p. 273-274. ;
13 Sur le scepticisme de Cicéron à l'égard des phénomènes célestes interprétés comme
signes astrologiques, cf. De diuin., passim, par ex. I, 17 ss.; II, 81; il y ajoute de l'ironie dans
Pro Murena, 25, quand il parle des anciens juristes, a quibus etiam dies tanquam a Chaldaeis
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 529

fait qu'ils les ont relevés, ce qui suffit à attester l'intérêt que leur portaient
et l'opinion publique et certainement les milieux politiques intéressés à les
lui faire connaître. L'attention prêtée à ces « signes » dans une période aussi
troublée que le dernier siècle de la République participe évidemment de
celle qu'on prêtait alors à l'astrologie en général.
L'ouvrage récent qu'ont consacré à la littérature astrologique et à son
histoire W. et H. G. Gundel 14 dispense d'insister sur cette question. Rappel
ons seulement que la génération de Cicéron a été fortement marquée, non
seulement par l'enseignement de Posidonius et sa théorie de la « sympathie »
universelle 15, mais aussi par d'autres fervents de l'astrologie hellénistique,

petebantur; voir M. Van den Bruwaene, La théologie de Cicéron, Louvain, 1937, p. 183 ss.:
« Le scepticisme de Cicéron » - Quant à Pline, ennemi de la crédulité et attaché au déterminisme
stoïcien, il « croit que tous les événements sont commandés par des lois naturelles, qu'il faut
s'efforcer de découvrir» (J. Beaujeu, éd. de Pline, H.N., II, p. 182), d'où sa réflexion: quippe
ingentium malorum fuere praenuntia; sed ea accidisse non quia haec facta sunt arbitror,
uerum haec ideo facta quia incasura erant Ma - «Les malheurs n'arrivèrent pas, je crois,
parce que les météores étaient apparus; au contraire ceux-ci apparurent parce que les catastrophes
étaient imminentes». - Sur les prodiges, comme manifestations «d'un sacré le plus souvent
maléfique» et comme «signes d'une volonté supérieure», voir les excellentes remarques de
M. Meslin, Le merveilleux comme langage politique chez Ammien Marcellin, dans Mél. W. Seston,
Paris, 1974, p. 353-363.
14 W. Gundel et H. G. Gundel, Astrologumena. Die astrologische Literatur in der Antike
und ihre Geschichte (Sudhoffs Archiv, Vierteljahrsschrift für Geschichte der Medizin und der
Naturwissenschaften der Pharmazie und der Mathematik, Beiheft 6), Wiesbaden, 1966, 382 pp.
Voir, à propos de ce livre, R. Turcan, Littérature astrologique et astrologie littéraire dans
l'Antiquité classique, dans Latomus, 27, 1968, p. 392405. Ce livre fondamental est à ajouter à la
bibliographie donnée par A. J. Festugière. La révélation d'Hermès Trismégiste, I: L'astrologie
et les sciences occultes, Paris, 1944, p. 89. Sur les rapports entre astrologie et magie, ou mieux
sorcellerie, cf. H. G. Gundel, Weltbild und Astrologie in der griechischen Zauberpapyri,
Munich, 1968.
15 Sur la doctrine de l'unité du kosmos et de la sympathie qui en lie tous les membres,
doctrine qui est à la base de l'astrologie, de la magie, de l'alchimie et de la médecine populaire
depuis l'époque hellénistique jusqu'à la Renaissance, voir les fortes pages de A. J. Festugière,
op. cit., p. 90 ss. qui montre que cette doctrine n'est pas propre à Posidonius, mais est alors
prônée par presque toutes les écoles philosophiques. Toutefois sur l'influence de Posidonius,
voir infra, p. 531, n. 24. Autant peut-être que la philosophie de Posidonius, celle de son maître
Panétius de Rhodes avait exercé une influence sur la pensée de Cicéron; lui aussi croyait à
la «sympathie» universelle, même si, à la difference des stoïciens, il rejetait une sympathie
directe entre le macrocosme et le microcosme: cf. M. Van den Bruwaene, op. cit., p. 19 ss. et
surtout M. Van Straaten, Panétius, sa vie, ses écrits et sa doctrine, avec une édition des
fragments, Amsterdam-Paris, 1946.
530 MARCEL LE GLAY

tels que Géminos de Rhodes et probablement Antiochos d'Ascalon 16. Il est


clair que, si Auguste et après lui, Tibère, les poètes augustéens et leurs
successeurs directs ont été si férus d'astrologie, c'est à la génération anté
rieure, celle de César, de Cicéron et de Varron que revient la responsabilité
de cette passion nouvelle 17 pour une nouvelle conception du monde et de
son organisation. A cet égard, trois traits importants méritent, me semble-t-il,
d'être particulièrement soulignés. C'est d'abord que telle qu'elle a été élaborée
à l'âge hellénistique, l'astrologie, que le Père Festugière définit comme
« l'amalgame d'une doctrine philosophique séduisante, d'une mythologie
absurde et de méthodes savantes employées à contre-temps » 18, se présente
au dernier siècle de la République, plus encore peut-être que par le passé,
liée à l'astronomie et solidaire de celle-ci, si bien que l'art divinatoire - et
en particulier l'art de tirer « l'horoscope » - apparaît vraiment comme une
science. Qu'il s'agisse d'apotélesmatique, d'iatromathématique ou de bota
nique astrologique, qui, toutes, exigent une connaissance précise des rapports
entre les planètes elles-mêmes, puis entre celles-ci et les signes zodiacaux,
les parties du corps humain et les plantes, mais toujours au départ une
connaissance de la géométrie cosmique, le Ier siècle av. J.-C. voit paraître
(vers 70) l'Introduction à l'étude des phénomènes de Géminos de Rhodes,
« das älteste uns erhaltene astronomische Werk der Antike », selon W. et
H. G. Gundel 19. Son contemporain, Antiochos d'Athènes, spécialiste de
l'astrologie mathématique, travaille sur des traités hermétiques, écrit des
Εισαγωγικά ou « Introductions à l'astrologie », publie un calendrier et proba
blement un traité d'astrobotanique 20. Quelques décennies plus tard, Mani-
lius21, poète savant et philosophe moraliste, compose ses Astronomica.

16 Sur Géminos de Rhodes, infra, η. 19. Pour l'influence d'Antiochos d'Ascalon (peut-être
à identifier avec l'astrologue Antiochos d'Athènes) sur Cicéron, cf. P. Boyancé, Cicéron et les
semailles d'âmes du Timée {De legibus, I, 24), CRAI, 1960, p. 283-289, en part. p. 288.
17 Dont en trouve déjà trace dans Plaute (cf. W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 122) et
chez Ennius (239-169) qui se moque des gens plus attentifs aux astrologorum signa dans le
ciel qu'à ce qui se passe devant leurs pieds: quod est ante pedes nemo spectat, caeli scrutantur
piagas (Ibid., p. 122).
18 Op. cit., p. 89.
19 P. 103. Il y expose les connaissances élémentaires de l'astrologie hellénistique.
20 Cf. F. Cumont, Antiochos d'Athènes et Porphyre, dans Mèi. J. Bidez, Bruxelles, 1933,
p. 135 ss. et W. et G. H. Gundel, op. cit., p. 115 ss. Voir supra, n. 16.
21 Les livres I et II ont été publiés entre 9 et 14 apr. J.-C, les autres livres sous Tibère:
J. Van Wageningen, RE, XIV, 1 (1928), col. 1115-1133. Cf. W. et H. G. Gundel, op. cit.,
p. 141 ss.
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 531

Autant peut-être que sa solidarité avec l'astronomie, s'affirme au Ier s.


av. J.-C. la solidarité de l'astrologie avec la théologie astrale. Depuis que
Platon lui a donné en quelque sorte ses lettres de noblesse, elle s'est singu
lièrement développée. Rappelons simplement que Cicéron lui-même traduit
les Phainomena d'Aratos, qu'utilise et commente par ailleurs Varron
d'Atax22. Grâce à quoi les dieux et la mythologie s'installent dans le ciel et
bientôt les horoscopes vont recourir à une terminologie divine (Kronos-
Saturne, Zeus-Jupiter, Arès-Mars, etc.) pour désigner les planètes23. Plus
décisif encore pour le succès de l'astrologie paraît l'appui que lui apportent
les écoles philosophiques alors les plus actives: l'école stoïcienne qui, avec
Panétius de Rhodes (185-109), veut fonder en raison le fatalisme sidéral,
tandis que son élève, Posidonius d'Apamée (135-51), plus proche du pythago-
risme et de l'astronomie pythagoricienne, le pare d'un caractère peut-être
plus mystique24; l'école néo-pythagoricienne d'autre part, qui trouve dans
le sénateur P. Nigidius Figulus (vers 99-45) un défenseur aussi prestigieux25
de l'astrologie que de la magie.
Ces solidarités, hautement proclamées au dernier siècle de la République
entre astrologie et science, astrologie et théologie, astrologie et philosophie,
expliquent l'extraordinaire faveur dont elle jouit alors, aussi bien dans les

22 Voir P. Boyancé, La religion astrale de Platon à Cicéron, dans REG, LXV, 1952, p. 312 ss.
Sur Aratos, cf. W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 94 ss. Sur la tradition de Cicéron, sa méthode
et sa valeur, voir A. S. Pease, dans l'éd. commentée du De diuin., Univ. of Illinois Studies in
Language and Literature, VI, 1920, p. 78-79. Sur Varron d'Atax, infra, p. 547, n. 94.
23 Les plus anciens horoscopes utilisant ces appellations divines paraissent être Pap. Oxyr.,
IV, 804 (de 4 apr. J.-C.) et II, 235 (de 14 apr. J.-C.) selon F. Cumont, Les noms des planètes et
l'astrolatrie chez les Grecs, dans L'Ant. class., IV, 1935, p. 36 et n. 3.
24 Sur Panétius, cf. supra, p. 529, n. 15. - Sur Posidonius d'Apamée, dont on sait l'i
nfluence sur Cicéron et toute sa génération, sur Strabon, etc., apprécié par ses contemporains
et après sa mort (cf. les jugements de Galien, de s. Augustin, De du. Dei, V, 2: philosophus
astrologus, multum astrologiae deditus, fatalium siderum assertor; V, 5: magnus astrologus
idemque philosophus), voir M. Laffranque, Poseidonios d'Apamée. Essai de mise au point,
Paris, 1964, qui insiste surtout sur Posidonius savant (géographe, mathématicien, physicien)
plus que sur le philosophe; W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 102-103. Posidonius est souvent
annexé par les historiens du néopythagorisme: cf. J. Carcopino, La basilique pythagoricienne
de la Porte Majeure, Paris, 1944, p. 188 ss. et surtout L. Ferrerò, Storia del Pitagorismo nel
mondo romano (dalle origini alla fine della Repubblica), Torino, 1955, p. 268, qui
toutefois parle à son propos de syncrétisme stoïco-pythagoricien.
25 Cf. W. et H. G. Gundel, op. cit., p. 137 ss. et infra, p. 542 et n. 73. Sur son prestige,
voir Aulu Gelle, XIX, 14, 3; IV, 9, 1: Nigidius Figulus, homo, ut ego arbitror, iuxta M. Varronem,
doctissimus; cf. Serv., Ad Aen., X, 175.
532 MARCEL LE GLAY

milieux cultivés de Rome que dans le peuple. Le livre de W. et H. G. Gundel


révèle combien la littérature du temps, depuis les « grands » auteurs, Cicéron,
Varron, César, Catulle et tous les poètes augustéens, jusqu'aux écrivains
presque inconnus (ou méconnus), est pénétrée d'idées astrologiques. Qu'on
songe seulement au Songe de Scipion 26. Quant "à la faveur populaire pour
l'astrologie, les épigrammes dont on sait combien elles sont un précieux
révélateur des croyances et des préoccupations des petites gens27, en témoi
gnent de manière vigoureuse, sinon toujours claire. Lucillius et Nicarque,
au Ier s. apr. J.-C, ont volontiers exercé leur verve satirique aux dépens des
astrologues. Ils n'ont certainement pas été les premiers.
La magie et sa forme dégradée, la sorcellerie ont bénéficié de la même
faveur et du même mouvement de curiosité. On a, me semble-t-il, trop
tendance à considérer que dans l'histoire de la magie à Rome, c'est l'époque
augustéenne qui a marqué le début d'un nouvel âge28. C'est vrai pour
l'histoire de la répression de la magie et de la sorcellerie. Mais la nécessité
de la répression ne s'est fait sentir qu'à la lumière du regain de faveur des

26 Op. cit., p. 121 ss. Sans oublier l'art du dernier siècle de la République (p. 133 ss.):
citons seulement le Panthéon d' Agrippa (25 av. J.-C.) et parmi les arts dits mineurs, le disque
de Brindisi (cf. P. Boyancé, Le disque de Brindisi et l'apothéose de Sémélé, dans REL, LXIV,
1942, p. 191 ss.).
27 Voir R. Waltz, Anthol. grecque, fre partie, Anthol. Pal., t. III 9 livre VI), coll. Univ. de
France, 1931, p. 15 ss.
28 Sans vouloir donner ici une bibliographie de la question (qu'on trouvera d'ailleurs dans
les ouvrages cités ci-après), je note que ni le vieil et remarquable art. de H. Hubert, Magia du
Daremberg-Saglio-Pottier, Diet, des Ant, p. 1494-1521 (mise à part la remarque citée supra, p. 525, n. 2)
ni les deux derniers ouvrages français sur la magie ne posent vraiment la question de son
évolution, de ses transformations: E. Massonneau, op. cit., souligne seulement (p. 123 ss.)
l'intérêt du Ier s. apr. J.-C. «parce que les princes se montrent aussi soucieux de prohiber et de
poursuivre la magie et l'astrologie que de s'en réserver un usage personnel, public ou clandestin».
Et plus récemment, J. Annequin, op. cit., s'en tient - on le voit par le titre - à l'époque
impériale et d'ailleurs repousse explicitement (supra, p. 525, n. 4) toute considération chronolog
ique. Les derniers ouvrages étrangers s'en tiennent, eux aussi, à l'époque impériale, par ex.
F. A. Cramer, Astrology in Roman Law and Politics (Amer. Phil. Soc, Memoirs, 37), Philadelphie,
1954; R. Mac Mullen, Enemies of the Roman Order, Cambridge, 1966. Seul, S. Eitrem, La magie
comme motif littéraire chez les Grecs et les Romains, dans Symb. Osloenses, XXI, 1941, p. 39-83,
traite globalement (p. 63 ss.) son sujet dans la Rome du Ier s. av. et de l'époque augustéenne,
mais en insistant surtout sur l'évolution de la « technique » littéraire depuis l'époque hellénistique.
De même, le livre de S. Viarre, op. cit., qui présente une excellente mise au point sur la magie
dans ses rapports avec la religion et avec la science (p. 153 ss.); s'il a le grand mérite de
rassembler presque tous les éléments du problème de l'évolution subie par la magie au dernier
siècle de la République, il ne le pose pas ... Ce n'était pas, il est vrai, le sujet du livre.
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 533

magiciens, des sorciers et de leurs pratiques, et plus encore peut-être du fait


d'une évolution dans les conceptions mêmes de la théorie et de l'action
magiques, assez importante pour opérer, en même temps qu'un considérable
élargissement d'audience, un glissement social vers les classes supérieures.
Et c'est cela qui précisément a inquiété le nouveau pouvoir romain. Telles
sont les mutations qui paraissent avoir affecté la magie et la sorcellerie au
dernier siècle de la République et qu'on voudrait étudier maintenant de
plus près.
A examiner les textes 29, il apparaît que jusque vers la fin du IPs. av. J.-C,
la magie et la sorcellerie, souvent difficiles à distinguer d'ailleurs, sont affaire
de paysans, et sévissent surtout dans les campagnes, comme l'avait déjà
noté H. Hubert. Il s'agit de maléfices sur les champs, consistant à faire
passer les récoltes d'un champ dans un autre, ce que condamne déjà la loi
des XII Tables30, ou a contrario à faire passer les rats d'un champ dans
celui du voisin31. Ou bien de pratiques destinées à attirer ou à écarter les
pluies32 et les sécheresses désastreuses qui avec leur cortège de maux (mortalité
animale, maladies, épidémies) provoquent à plusieurs reprises le recours aux
« pratiques superstitieuses » dont Tite Live s'est fait l'écho 33. Il s'agit aussi,
bien sûr, de recettes de médecine, vétérinaire et humaine, dont le caractère
magico-sorcier est évident, par exemple quand Caton, après avoir livré un
remède pour purger, déjà étonnant par la variété des composants (pied de
porc, moules, poisson, scorpion, escargots, lentilles, chou, etc.), recommande
une réduction par cuisson à « trois » setiers de bouillon, à prendre en « trois »
fois 34. Les quelques vers conservés de Laevius: « On va, fouillant partout

29 La plupart ont été de manière très commode rassemblés par V. Ciaffi, La magia nella
litteratura e nella vita di Roma antica, Univ. di Torino, 1962, malheureusement sans
commentaire.
30 Voir Sénèque, Quaest, IV, 6, 2 et 3, qui évoque la loi des XII Tables: ne quis aliènes
fructus excantassit. Sur cette disposition législative, Plin., H.N., XXVIII, 17. Sur Yexcantatio,
Plin., H.N., XXVIII, 29; Serv., Ad Bue, VIII, 69; s. Aug., De du. Dei, Vili, 19.
31 Exorcisme pratiqué par les Galles, cité par H. Graillot, Le culte de Cybèle à Rome
et dans l'Empire romain, Paris, 1912, p. 311. Cf. J. Marquardt, Le culte chez les Romains
Paris, 1889, p. 133, n. 6 et E. Massonneau, op. cit., p. 69.
32 Sén., Quaest. nat, IV, 6, 3, qui évoque l'antiquité qui «dans son ignorance... croyait
que des incantations attiraient et écartaient les pluies».
33 Par ex. IV, 30, après la bataille de l'Algide (première moitié du Ve s.).
34 Caton, De agr., 158. Sur la valeur sacrée et magique du nombre trois, la bibliographie
est énorme: voir dans J. Annequin, op. cit., p. 163 un tableau qui montre la fréquence de
son emploi dans la littérature latine des deux premiers siècles, et p. 164 dans les papyrus;
534 MARCEL LE GLAY

pour découvrir des philtres, antipathes, petites roues, rognures d'ongles,


bandelettes, racines, herbes, tendres pousses, lézards à double queue au pouvoir
séducteur, et charmes d'amour des hennissantes cavales » 35 ne démentent pas
cette impression. Le lien entre magie et médecine va d'ailleurs rester si étroit
que Pline36 dans son Histoire naturelle mêlera constamment les vertus
médicales et les vertus magiques des plantes, et est-il sûr qu'aux yeux de
tous celles-ci soient aujourd'hui complètement dissociées de celles-là? Natu
rellement les amulettes jouent leur rôle préservateur37 à la fois contre les
méfaits et contre les hommes. Car les malédictions contre les personnes
occupent une grande place dans les pratiques anciennes. Pour les connaître,
les tabellae defixionum s'ajoutent utilement aux textes littéraires et four
nissent un précieux répertoire de formules et de faits magiques. Mais on n'a
pas, à ma connaissance, suffisamment remarqué que, rares avant le 1er siècle

quelques réflexions, p. 30 et notes, p. 43. C'est un sujet qui a intéressé les Anciens; voir par ex.
Ausone, qui lui consacre un jeu poétique: XXII, Griphus ternarii numeri, éd. A. Pastorini,
Turin, 1971, p. 614 ss. Voir E. T. Bell, La magie des nombres, trad, fr., Paris, 1953. - Dans son
De agr., 160, Caton livre un remède pour guérir les luxations par des incantations (allusion à
ce remède dans Pline, H.N., XXVIII, 21); on a cru qu'il s'agissait d'une opération chirurgicale;
le processus et les formules relèvent bien plutôt de la magie, comme l'a montré E. Laughton,
Cato's charm for dislocations, Class. Rev., 52, 1938, p. 52-54, dont l'interprétation est adoptée
par R. Goujard, éd. de Caton, De agr., coll. Univ. de France, 1975, p. 319-320. - Pour d'autres
textes de Caton, de Varron, de Columelle, voir V. Ciaffi, op. cit., p. 10 (veterinaria e medicina).
35 Conservés par Apulée, Apol, XXX. Le sens d'antipathes est incertain. Il s'agit sans
doute d'un philtre contre les enchantements (le mot est ici au neutre; deux exemples au féminin
dans Pline, H.N., XXXVII, 145; Diosc, V, 148). Quant aux charmes d'amour des cavales, c'est
certainement une allusion à Vhippomanes, une humeur sécrétée par les juments; c'est ainsi
qu'on désigne aussi l'excroissance charnue que les poulains ont sur le front en naissant et que
leur mère dévore, si l'on ne s'en empare pas; cf. Virg., Aen., IV, 516; Ed., VIII, 64 ss.; Prop.
El, IV, 18; Tib., II, 4, 55 ss. Sur Laevius et les croyances populaires de son temps: J. Granarolo,
D'Ennius à Catulle. Rech, sur les antécédents romains de la «poésie nouvelle», Paris, 1971,
p. 90, 315; H. Bardon, La littérature latine inconnue, I, 1952, p. 189-195.
36 Dont on retiendra d'ailleurs la formule sur la formation de la magie (H.N., XXX, 1, 2):
«La magie est née de la médecine, elle y a joint le ressort de la religion, puis s'est incorporé
l'art astrologique. Ainsi elle tient les esprits enchaînés par un triple lien». Pour quelques remar
quessur la médecine et la magie, voir E. Massonneau, op. cit., p. 72 ss. et J. Annequin, op. cit.,
p. 49-54. Mais il y a beaucoup plus à dire: cf. déjà A. J. Festugière, Rév. Herrn. Trism., I, p. 123 ss.
Sur la tradition magique en médecine grecque, von L. Bourgey, dans R. Taton, Hist. gén. des
Sciences, I, La science ant. et médiévale, Paris, 1957, p. 279-281.
37 Caton, De agr., 159, par ex. donne ce remède contre les excoriations: « Quand vous
irez en route, portez sous votre anneau un brin d'absinthe du Pont». Formules d'exorcisme:
V. Ciaffi, op. cit., p. 14 ss.
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 535

- on n'en compte que quatre dans le recueil d'A. Audollent38 -, elles se


multiplient à partir de Sylla, et visent des personnes de toutes catégories
sociales, dans leur vie affective comme dans leurs activités professionnelles 39,
pour atteindre leur plus grande extension à partir de l'époque augustéenne.
On observe qu'avant Sylla, toutes proviennent de Campanie, alors qu'au
Ier s., à côté de Capoue, de Cumes et de Pouzzoles, Rome figure aussi comme
lieu d'origine, avant que l'Empire ne les disperse dans toute l'Italie et dans
toutes les provinces; mais peut-être ne faut-il pas attacher trop d'importance
à cette origine campanienne, étant donné le petit nombre de documents de
haute époque. Il paraît plus significatif de trouver chez Caton, dans une
incantation destinée à guérir une luxation 40, le recours répété à des formules
magiques, dont l'efficience devait tenir pour une part au mystère qui entour
ait les mots étranges qui les composaient41. Or ces Έφέσια γράμματα - qui
apparaissent ici mentionnés pour la première fois par un auteur latin, avant
de s'infiltrer sur les tablettes de défixion42 et sur les amulettes43 - intri-

38 A. Audollent, Defixionum tabellae, Paris, 1904 η 136 192-194 Sur le η 193 (tabella
de Capoue, commençant par une invocation Keri arentikai = Cereri ultrici), voir E Vetter,
Handbuch der italischen Dialekte, I, 1953, p. 37 ss., Nr 6; V. Pisani, Le lingue dell'Italia
antica oltre il latino, 1953, p. 82 ss., n. 28; H Le Bonniec, Le eulte de Cérès à Rome, Paris,
1958, p. 44.
39 A. Audollent, op. cit., η. 137-139 (de Rome), 196 (de Cumes): malédictions de haine
contre des personnes - n, 192 (de Capoue), 209 (de Pouzzoles): iudiciariae defixiones pour
empêcher l'adversaire de parler - η 197, 199 (de Cumes): phylactères provenant de tombeaux.
40 De agr, 160, éd. Goujard, p. 108-109, 320, n. 6 Voir supra, n. 34.
41 Incipe cantare: «Motas uaeta daries dardares astataries dissunapiter » Et tarnen
cotidie cantato et luxato uel hoc modo: «Huât haut haut istasis tarsis ardannabou damnaustra »:
De agr , 160 = Ciaffi, op. cit., p. 20. Le mot important - le Nom de puissance - qui en général
se cache dans ces formules (cf. J Annequin, op. cit., p. 28, qui se réfère aux papyrus magiques)
est probablement ici le dernier, damnaustra, qui se rapproche de damnameneus, un des mots
fréquemment employés, sous cette forme ou sous une forme approchante, dans les textes magi
ques, par ex dans les tabellae defixionum: Audollent, n. 172, 241, 267; voir p. 499 ss (index VII):
Ephesia grammata cum papvris maxime collata. Damnameneus figure aussi sur des amulettes:
Fröhner, Philologus, 22, 1865, p. 544 ss.
42 Audollent, op. cit., p. LXVII ss. et 499 ss. Voir Kühnert, R E , V, 2, s.v. Έφέσια
γράμματα, col 2771-2773. Hésychius, s.v. (éd. Κ. Latte, II, 1966, p. 243, η. 7401) et Clément
d'Alexandrie, Strom , I, XV, 73, 1 et V, VIII, 45, 2 (éd. Stählin, p. 356) donnent sous ce nom
une liste de six mots (dont δαμναμενεύς) qu'Hésychius qualifie de ιερά και αγία. Mais ces mots
n'étaient pas les seuls Ephesia grammata; voir Audollent, op. cit., p. lxvii ss. Une citation du
Paidion, comédie de Ménandre, qui se trouve dans Suidas (άλεξιφάρμακα), montre que les
Έφέσια γράμματα étaient employés dans les noces pour conjurer les influences magiques néfastes
(frg. 371).
43 Voir supra, n. 41.
536 MARCEL LE GLAY

guaient déjà les Anciens qui ont cherché à en percer le sens (en vain,
puisqu'il est mystérieux et donc secret). Et il semble bien que Caton n'a pu
connaître ces formules que d'un auteur grec, tel que le pythagoricien Andro-
cyde, dont on sait par Clément d'Alexandrie qu'il tenta une explication de
ces mots magiques44. Une pièce de plus à verser au dossier de la culture
hellénisante du vieux Caton et peut-être au dossier de son « pythagorisme ».
Parmi les maléfices dirigés contre les personnes, il en est un qui, à la
lumière des textes, paraît avoir pris au cours des siècles anciens une place
de plus en plus grande, c'est l'empoisonnement, le ueneficium, mot qui en
vient d'ailleurs très vite à désigner à la fois l'empoisonnement et les pratiques
de sorcellerie45. Le recours au poison a dû bénéficier - si j'ose dire - des
progrès importants acquis à l'époque hellénistique dans la connaissance des
poisons, notamment dans la distinction de mieux en mieux établie entre
plantes médicinales et plantes vénéneuses46, ainsi que dans les dosages dont
les variations font de certaines plantes tantôt un remède, tantôt un poison -
comme c'était le cas aussi, pensait-on, pour le lait de femme, le lait de
chèvre et le lait d'ânesse par exemple. On voit ce que pouvaient tirer de là
les malintentionnés . . .
La plus ancienne « affaire des poisons » connue remonte à 361 av. J.-C.
On aurait alors, dixit Tite Live47, attribué au uenenum une énorme mortal
ité, résultat probable d'une épidémie48, ce qui aurait entraîné la condamna-

44 Clém. Alex., Strom, V, VIII, 45, 2 (Stahlin, p. 356) qui qualifie Ανδροκύδης de ό Πυθα-
γορικος, lui attribue l'explication suivante: Δαμναμενευς δε ό ήλιος ό δαμάζων. C'est sans doute
sur ces textes que se fonde P. Huvelin, Les tablettes magiques et le droit romain (extrait des
Annales intern d'Histoire, Mâcon, 1901), p. 36 ss., pour attribuer aux Pythagoriciens la diffusion
en Italie des Ephesia grammata (je n'ai pas pu consulter cette étude, signalée par E. Massonneau,
:

op. cit., p. 34, n. 4). - Sur Androcyde, voir Freudenthal, s.v. Androkydes, dans RE, I, 2 (1894)
col. 2149-2150.
45 Venenum a, comme φάρμακον en grec, la triple signification de remède, de poison et de
drogue magique ou abortive. Voir Ch. Lécrivain, s.v., dans Daremberg-Saglio-Pottier, Diet, des
Ant, V, p. 714-715.
46 Voir la liste des poisons ou produits considérés comme tels dans Pline, H.N., XX, XXI,
XXV, XXVIII-XXIX. Sur les progrès de la science des plantes à l'époque hellénistique, cf. J. Beaujeu,
dans R. Taton, Hist. gén. des sciences, I, La science ant. et médiévale, Paris, 1957, p. 381-382.
Sur Théophraste et son Histoire des plantes, cf. A. Rey, La science dans l'Antiquité, IV,
L'apogée de la se. technique grecque, Paris, 1946, p. 165 ss.; L. Thorndike, A History of Magic
and Experimental Science, I, New York, 1923; 4e éd., 1947, p. 27 ss., 236 ss.
47 Vili, 18 (avec enquête sous forme d'ordalie); Val. Max., II, 5, 3; Orose, III, 10.
48 Sur le sens de pestilentia dans l'ancienne Rome (où les pestilentiae occupent une
place importante dans l'histoire des Ve et IVe s. surtout) pour désigner peut-être parfois la vraie
MAGIE ET SORCELLERIE Λ ROME 537

tion à mort de 170 matrones. En 186, dans l'affaire des Bacchanales, les
empoisonnements figurent parmi les crimes reprochés aux initiés, mais ici
uenena a sans doute un sens plus large que « poisons ». Mais en 180, et de
nouveau à la suite d'une pestilentia, des enquêtes extraordinaires sont
menées à Rome et en Italie sur de prétendus empoisonnements, dont celui
d'un consul imputé à sa femme; selon Tite Live49, trois mille personnes
auraient été condamnées en Italie. En 154, ce sont encore deux femmes
qui sont accusées d'avoir empoisonné leurs maris, des consulares, et pour
ce crime strangulatae sunt 50. D'après Polybe (VI, 13, 4) les empoisonnements
font partie des crimes graves que le Sénat fait poursuivre en Italie. Bien que
les détails manquent, et qu'en dehors des récits de Tite Live on ne puisse
se reporter qu'aux comédies de Plaute, où ueneficus et uenefica sont des
insultes courantes 51, et à l'appréciation de Caton pour qui « il n'y a pas une
adultère, qui ne soit une empoisonneuse » 52, il semble que les recours aux
poisons se soient multipliés aux deux derniers siècles de la République.
C'est du moins ce qui paraît justifier l'adoption au début du Ier s. d'une
législation répressive nouvelle. En 81, Sylla promulgue la lex Cornelia de
sicariis et ueneficiis 53, qui ne crée pas, comme on l'a dit, une quaestio
spéciale pour les ueneficia, puisqu'en 98 déjà est attesté un iudex q(uaestio-
nis) ueneficis 54, mais qui, sans toucher aux quaestiones (qui restent, semble-
t-il, séparées) réorganise les procédures existantes et jusque là indépendantes,

peste, mais le plus souvent là malaria, due aux crues du Tibre, cf. P. Fraccaro, La malaria e la
storia degli antichi popoli classici, Atene e Roma, 1912, p. 57-88; J. Gagé, op. cit., p. 71 ss.;
en dernier lieu P. A. Brunt, Malaria in Ancient Italy, dans Italian Manpower 225 BC - A.D. 14
(App. 18), Oxford, 1971, p. 611-624.
49 XL, 37, 43, 44.
50 Tite Live, Ep., 48; Val. Max., VI, 3, 8.
51 Par ex. Truc, 762.
52 Quintil., V, 11, 39; cf. Plut, Cato maior, 9, 11.
53 Connue par Cicéron, Cluent, LIV, 147-148 et par Dig., XLVIII, 8, 1, 3, 5 et 16. Voir
E. Massonneau, op. cit., p. 159 ss.; A. W. Lintott, Violence in Republican Rom, Oxford, 1968,
p. 119 ss. et surtout E. S. Gruen, Roman Politics and the Criminal Courts, 1968, p. 261-262.
54 Dans Yelogium de C. Claudius Pulcher, cos. en 92, est mentionnée, après l'édilité, la
charge de iudex q(uaestionis) ueneficis, qu'il dut exercer en 98 (CIL, I2, p. 200 = Inscr. Ital,
XIII, 3 (Elogia, 70); cf. T.R.S. Broughton, The Magistrates of the Roman Republic, II, 1952,
p. 4. Ce qui prouve l'existence d'un tribunal chargé de juger les empoisonnements avant Sylla.
Ch. Lécrivain, dans le Diet, des Ant, s.v. Venenum, t. V, p. 715, s'est trompé en indiquant que
la lex Cornelia avait institué une quaestio spéciale appelée ueneficis. Sur ces questions, voir
en dernier lieu A. W. Lintott, Provocatio, dans Aufstieg und Niedergang der Rom. Welt, I, 2,
1972, p. 253-262.
538 MARCEL LE GLAY

en les réunissant dans une seule et même loi. Ainsi, tout en distinguant
l'empoisonnement du meurtre ordinaire, la loi associe désormais ces deux
crimes dans une même mesure de répression, assortie sans doute d'une même
peine, au minimum l'interdiction de l'eau et du feu, c'est-à-dire l'exil, au pis
la mort 55. Il ne semble pas que la sévérité de la répression ait suffi à stopper
la vague d'empoisonnements à Rome. Les ueneficia restent nombreux au
dernier siècle de la République et sous l'Empire56.
Mais revenons à la magie et à la sorcellerie, pour constater les change
mentsprofonds intervenus au Ier s. av. J.-C. Le premier - le plus important
peut-être - c'est que la magie, comme l'astrologie, s'est rapprochée de la
science. Pour Cicéron, c'est une science: Nec quisquam rex Persarum potest
esse qui non ante magorum disciplinam scientiamque perceperit (De diuin.,
1,41). Et tout ce passage du De diuinatione montre qu'avec Cicéron la
question de la magie est devenue un sujet de recherche. Le mot même de
magus, qui - on l'a remarqué déjà - apparaît pour la première fois dans
les textes latins avec Cicéron, en même temps que magia, ars magica, herba

55 Comme l'indique Cic, Cluent., LIV, 148, qui précise en outre que la loi, d'abord appli
cable aux seuls magistrats, l'a été ensuite à tout le monde (omnes mortales) et il ajoute: qui
uenenum malum fecit, fecerit. Et ailleurs: quicumque fecerit, uendiderit, emerit, habuerit,
dederit. Il précise encore: omnes uiri, mulieres, liberi, serui in iudicium uocantur; tous sont
appelés à comparaître. Il ne semble pas que, lorsque le Dig., XLVIII, 8, 3, 5 indique la deportatio
comme legis Corneliae de sicariis et ueneficis poena, il s'agisse - comme on l'a cru - d'une
confusion de termes, résultant d'une interprétation tardive; la deportatio in insulam est par
faitement attestée à haute époque. Enfin il paraît que très vite après la promulgation de la
lex Cornelia, le parricide y a été incorporé, comme le prouve le procès de Roscius d'Amérie
en 80 (cf. E.S., Gruen, op. cit., p. 262). D'après Mommsen, Droit pénal, II, p. 343 ss., suivi
par E. Massonneau, op. cit., p. 159 ss., la loi de Sylla distinguerait parmi les «meurtres» cinq
délits: la mort violente, le vol de grand chemin, l'abus de la procédure capitale, l'incendie
malveillant, le crime commis à l'occasion d'un naufrage. On voit à quoi était assimilé l'e
mpoisonnement. Sur la deportatio, à différencier de la relegatio, voir J: Carcopino, L'exil d'Ovide,
dans Rencontres de l'hist. et de la litt., 1963, p. 94 ss.
56 A titre d'exemples seulement, l'apulien Domitius, ami de Marc Antoine, accusé d'avoir
empoisonné son neveu (Cic, Phil, XI, 6, 13); Germanicus dont la mort, entourée de mystère,
est attribuée à un empoisonnement par incantatio: «On avait trouvé dans le palais, sur la terre
et autour des murs, des formules d'enchantements et d'imprécations, des lames de plomb sur
lesquelles était gravé le nom de Germanicus, des débris humains à demi-brulés et souillés par
du sang noir, et d'autres maléfices, au moyen desquels on croit que les âmes sont vouées aux
divinités infernales» (Tac, Ann., II, 69; Dion Cass., LVII, 18). Sous Néron, l'empoisonnement
est courant. Et l'on citera, pour clore une liste qui est naturellement loin d'être exhaustive,
Martial, IX, 15: «Sur les tombeaux de ses sept maris, cette scélérate de Chloé a inscrit ces mots:
«C'est mon travail (se fecisse) ». Où trouver aveu plus naïf?» L'empoisonneuse entend «le monu
ment»; le poète comprend «les décès répétés»!
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 539

magica, magices, etc., est par lui utilisé précisément dans un contexte de
recherche57. On s'interroge sur cette magie, sur son origine. Elle vient
d'Orient, mais encore? de Perse? de Thrace? Ovide se réfère plutôt à la
Thrace et à la Thessalie, comme on verra. Et Pline, à la fin du Ier s., se
livre à une véritable enquête d'historien sur sa provenance (H.N., XXX, 1, 6):
il rappelle la tradition qui la fait venir de Perse et plus particulièrement
de Zoroastre, puis cite Eudoxe, Aristote, Hermippos, Pythagore, Empédocle,
Démocrite et Platon. Déjà, avant lui, à propos de l'eau et du feu considérés
comme éléments premiers, Vitruve avait cité les mages à côté de Thaïes et
d'Heraclite (VIII, Praef. 1). C'est donc bien à la fois comme disciplina scien-
tiaque qu'est considérée la magie au Ier s. av. J.-C. (au prix d'une confusion
entre mages traditionnels et magiciens), mais une « discipline » qui n'a rien
à voir avec la disciplina etrusca admise à Rome, et une « science » d'origine
étrangère, qui en fait quelque chose de différent de la divination officielle.
C'est pourquoi Cicéron, qui personnellement ne croit pas à la mantique
- il n'accepte l'haruspicine que pour des motifs politiques ou, si l'on veut,
par raison d'Etat, « à cause de la république et de la religion civique » 58,
et pour la même raison l'art augurai59 - se méfie bien davantage encore
de la magie. A plusieurs titres, semble-t-il, qu'il n'explicite pas dans le détail,
mais qui sont assez clairs. D'abord parce que, du fait du déclin incontestable
de l'art augurai, déclin qu'il attribue à l'ancienneté et à la négligence 60, la magie,

57 Outre De diuin., I, 23 (ei magos dixisse, quod genus sapientium et doctorum habebatur
in Persis) et 41 (éd. A. S., Pease, p. 174-175 et 178, avec commentaires importants sur le mot
magus, qui au Ve s. est employé par les Grecs dans le sens de « trickster » et ensuite par Platon
et Euripide dans le sens de «magician»), voir De leg., II, 10: ... nec sequor magos Persarum.
58 Ego... qui diuinationem esse nego (De diuin., II, 8); Vt ordiar ab Haruspicina, quam
ego reipublicae causa communisque religionis colendam censeo (II, 28).
59 De leg., II, 31-33. On sait que Cicéron était augure; il se défend d'ailleurs de partialité
(II, 28). Sur la contradiction entre De diuin., II, 8 et le non video cur esse diuinationem
negem, il y a une abondante bibliographie; voir notamment l'excellente introduction de
A. S. Pease, M. Tulli Ciceronis De diuinatione, rééd. Darmstadt, 1963, p. 10 ss. et M. Van den
Bruwaene, La théologie de Cicéron, 1937, p. 183 ss.
60 Sed dubium non est quin haec disciplina et ars augurum euanuerit iam et uetustate
et neglegentia (De leg., II, 33). Haruspices et augures faisaient depuis longtemps déjà l'objet de
critiques et de railleries: Pomponius, au début du Ier s. a composé des atellanes intitulées
L'Augure et L'Haruspice; Laberius un mime intitulé L'Augure; Plaute, dans Asinaria a contref
ait une prise d'augures; et Afranius a écrit une togata intitulée L'Augure: voir J.-P. Cèbe,
La caricature et la parodie dans le monde romain antique des origines à Juvénal, Paris, 1966,
p. 73 ss., pour qui le «vers d'atellane», auquel fait allusion Cic, De diuin., II, 10, 25, pour
ridiculiser la notion de destin et par là ruiner le fondement même des prédictions, proviendrait
d'une des œuvres de Pomponius.
540 MARCEL LE GLAY

bien qu'essentiellement différente de la divination, a gagné sur le terrain


perdu par la mantique; la pratique de la nécromancie le montre61. Ensuite,
parce que le recours aux magi et à leurs procédés relève du culte privé et
qu'en cette matière tout doit être contrôlé, donc contrôlable, par les prêtres
de l'Etat (De leg., II, 30), seuls étant autorisés « ceux qui disent les destins
et les devins reconnus par le Sénat et par le peuple» (Ibid., II, 20); or ce
n'est pas le cas des magi62. Enfin, parce que la magie, en se présentant
comme une science, devient plus apte à séduire les esprits et par là redou
table. . . d'autant que dans le même temps, comme l'astrologie, elle se rappro
che de la religion et de la philosophie.
En fait, comme on l'a plus d'une fois noté 63, « magie et religion font
dans l'Antiquité bon ménage ». Sans se confondre avec elle, la magie co-existe
toujours plus ou moins avec la religion, quand elle ne s'y mêle pas. Les
pratiques magiques des « vagants », porteurs de « superstitions . . . presque
toutes étrangères » 64, inquiétaient déjà les Romains de la haute époque
républicaine dans la mesure où elles affectaient le mos maiorum et risquaient
de troubler la pax deorum. Caton et Columelle associent haruspices, augures,
chaldéens et sorcières (sagae) dans la même interdiction, quand ils fixent
les devoirs du fermier65. De toute façon, il entre souvent - et pas seule-

61 Voir infra. Sur la distinction fondamentale entre la divination et la magie, bonnes


remarques de E. Massonneau, op. cit., p. 17 ss.
62 Le ton solennel qu'adopte Cicéron (De leg., II, 19 ss.) pour énoncer «les lois des lois»,
c'est-à-dire les lois sacrées, s'explique à la fois par la crise religieuse du temps, qui affecte la
religion traditionnelle, par l'influence de Platon et la pratique de Vimitatio (Platon n'était pas
seul à avoir écrit des Lois), et aussi sans nul doute par la montée des religions et des pratiques
étrangères; la règle fixée et qui définit la position officielle romaine est claire: separatim nemo
habessit deos neue nouos neue aduenas nisi publiée adscitos; priuatim colunto quos rite a
patribus acceperint Ritus familiae patrumque seruanto (De leg., II, 19). Or, on va le voir,
.

la magie, devenue une «science», se rapproche en même temps de la religion.


63 Cf. notamment F. Chapouthier, Amulettes d'autrefois et d'aujourd'hui, dans Mél. Ο et
M. Merlier, Athènes, 1956, I, p. 113-117 (à qui est empruntée la citation); cf. aussi G. Van der
Leeuw, La religion dans son essence et ses manifestations, Paris, trad, fr., 1948, p. 531; «Là où
il y a religion, il y a magie... Là où il y a magie, il y a religion»; et plus récemment la juste
mise au point de S. Viarre, L'image et la pensée dans les «Métamorphoses» d'Ovide, Paris,
1964, p. 153 ss.
64 Tite Live, IV, 30; XXV, 1.
65 «Qu'il ne s'avise de consulter ni haruspice, ni augure, ni devin (hariolum), ni chaldéen
(chaldaeum) »: Caton, De agr., 5, 4; sur le sens de chaldaeus = mathematicus (A. Gell., I, 9, 6),
astrologue (Cic, De diuin., I, 41; II, 42; Diod. Sic, II, 29, 4) dans la réprobation et la répression
confondu avec magicien, sorcier, ueneficus, plus tard maleficus, etc., cf. E. Massonneau, op. cit.,
p. 49 ss. Le premier edit officiel contre les Chaldaei date de 139 av. J.-C; il émane du préteur
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 541

ment dans la pensé populaire - une part de magie dans la divination, en


particulier dans la divination associée aux prodiges, étant donné que la magie
est dans son principe même66 liée étroitement à la croyance au fatalisme
astral. Cicéron le sait bien. Et c'est pourquoi il s'élève contre ceux qui con
fondent la cause cur quid eueniat et le « signe » lui-même 67.
Toutefois il semble que, par rapport aux conceptions et aux pratiques
de l'époque antérieure, le caractère sacré de la magie ait été renforcé, au
cours du dernier siècle de la République, au même titre que son approche
scientifique d'ailleurs. Et il ne paraît pas douteux que dans le resserrement
des liens entre religion, magie et science les néo-pythagoriciens aient joué
un rôle déterminant. Dans la « renaissance » pythagoricienne, dont Cicéron
s'est fait l'écho 68 et dont J. Carcopino et L. Ferrerò ont tour à tour reconsti-

pérégrin Cn. Cornelius Hispanus et les expulse dans les dix jours de Rome et d'Italie (Val. Max.,
I, 3, 3; cf. E. Massonneau, op. cit., p. 158 ss.; F. Cramer, Expulsion of astrologers from
Ancient Rom, Class, e Med., XII, 1951, p. 14 ss.; Astrology in Roman Law and Politics (Amer.
Phil. Soc, Memoirs, 37), Philadelphie, 1954, p. 58). - De Col, XI, 1, 22: Haruspicum sagamque
sua sponte non nouerit, quae utraque genera uana superstitione rudes animos infestant; sur
le sens de saga, cf. Cic, De diuin., I, 31; Hör., Od., I, 22, 21; Epit, II, 2, 208; Tib., I, 2, 42;
Apulée, Met, I, p. 206. On notera l'emploi par Columelle du féminin pour désigner la sorcière
(voir infra). Sur le uilicus, «tel qu'il devrait être» et plus généralement sur l'exploitation
agricole selon Caton et selon Columelle, voir R. Martini, Rech, sur les agronomes latins et
leurs conceptions économiques et sociales, Paris, 1971, en part. p. 81 ss. et 343 ss., qui n'exa
mine pas les devoirs «religieux» du uilicus; mais ce n'était pas son sujet...
66 Sur les «principes magiques», voir notamment S. Viarre, op. cit., p. 189 ss. et J. Anne-
quin, op. cit., p. 17 ss. et 134 ss. Ce qui ne veut pas dire que les mages ne connaissent pas
les formules propres à briser la force de Vheimarmené et l'influence des astres: cf. W. Gundel,
RE, VII, 2 (1912), s.v. Heimarmene, col. 2640 ss. La sorcellerie se situe à un autre niveau,
v. infra.
67 De diuin., I, 16. Sur les rapports de la divination et de la magie, voir Halliday, Greek
Divination, 1913, ch. IV; Tavenner, Studies in Magic from Latin Literature, 1916, p. 10;
E. Massonneau, op. cit., ch. II: Divination et magie, qui appelle parfois des rectifications.
6STusc, IV, 1, 2 ss.; De fin., V, 2, 4; De leg., I, 12, 33; De off., I, 17, 56, et surtout le
De Repubi, où «Platon apparaît comme le saint Paul de l'évangile pythagoricien», selon la
formule de J. Carcopino, ouv. cit., p. 191. M. Van den Bruwaene, La théologie de Cicéron,
p. 210 conjecture qu'à partir de 50 (d'après Tim., I, 2) Cicéron, entré en rapport avec les
Pythagoriciens, aurait été influencé dans ses écrits par leur doctrine; il ne tient pas compte
du caractère et de la date de la composition du De Rep., alors achevé et connu {Ad AU.,
V, 12, 2; Ad fam., VIII, 1, 4); sur Cicéron et Pythagore, voir L. Ferrerò, op. cit., p. 334 ss.
P. Boyancé, Etude sur le Songe de Scipion, 1936, a pour sa part montré tout ce que le mythe
final du De Rep. doit à la pensée pythagoricienne du temps, et non, comme on l'avait généra
lement cru, à Posidonius d'Apamée.
542 MARCEL LE GLAY

tué l'histoire69, l'aspect le plus frappant est sans doute celui qui touche le
pythagorisme lui-même, qui de simple tendance culturelle, d'objet de curios
itéretenant surtout l'attention, voire l'intérêt de quelques intellectuels parti-
culiètement éclairés, prend dans de Ier s. av. J.-C. un nouvel aspect, celui
que lui confère la constitution de cénacles, de groupes ayant une certaine
orientation philosophique et religieuse certes, mais aussi politique et sociale.
Mais non moins remarquable apparaît chez les néo-pythagoriciens de ce
Ier siècle l'association étroite, qui se manifeste dans leurs préoccupations
intellectuelles et spirituelles et sur laquelle insistent contemporains et succes
seurs, entre leur érudition, leur passion de la théologie et leur attrait pour
le spiritisme. Alexandre Polyhistor, affranchi par Sylla et encore en pleine
activité en 40, peut-être le meilleur représentant du syncrétisme (triomphant
au Ier s.) entre la tradition pythagoricienne et le stoïcisme, à cet égard très
représentatif du néo-pythagorisme renaissant 70, révèle dans ses « Symboles
pythagoriciens », conservés en abrégé par Diogene Laerce (VIII, 24 ss.), une
érudition très éclectique et un goût très poussé pour le surnaturel et le
merveilleux71. Avec lui le néo-pythagorisme s'affirme déjà à la fois dogmat
iqueet ésotérique. Son contemporain, Posidonius d'Apamée (140/130-59/40),
dont l'appartenance stoïcienne n'est pas douteuse, mais dont les attaches
pythagoriciennes restent discutées72, est en même temps naturaliste, géographe
et historien, théologien mystique et adonné aux sciences occultes 73. Quant

69 J. Carcopino, La basilique pythagoricienne de la Porte Majeure, Paris, 1944, p. 187 ss.;


L. Ferrerò, Storia del Pitagorismo nel mondo romano (dalle origini alla fine della Repubblica),
Torino, 1955, p. 265 ss.
70 Voir L. Ferrerò, op. cit., p. 280 ss. Selon Zeller, Die Philosophie der Griechen, 5" éd.
Ill, 2, p. 107, l'œuvre d'Alexandre Polyhistor est tout à fait caractéristique des débuts du néo-
pythagorisme et témoigne des différences que révèle celui-ci par rapport au pythagorisme originel;
à la différence de celle de Posidonius qui, élève de Panétius, se présente, lui, comme stoïcien.
71 II a rassemblé d'ailleurs, toute une collection de faits extraordinaires et merveilleux:
Θαυμάσιων συναγωγή, qui atteste l'intérêt porté par l'érudition contemporaine au surnaturel. Sur
ce point et sur la place d'Alexandre Polyhistor dans l'histoire du néo-pythagorisme, cf. L. Ferrerò,
op. cit., p. 286-287.
2 M. Laffranque, Posidonius d'Apamée. Essai de mise au point, Paris, 1964, a fait
l'historiographie du personnage. Pour sa part, elle récuse l'interprétation «orientaliste» de
F. Cumont et l'idée d'une «théologie posidonienne mystique». Il est difficile de distinguer ce qui
relève du vrai pythagorisme et du «posidonisme»; mais peu importe pour notre sujet; c'est
l'esprit du temps, la mentalité collective qui nous intéresse surtout ici.
73 Sur tout cela, voir M. Laffranque, op. cit., C'est, à mon avis, A. D. Nock, JRS, 1959,
p. 1-16, qui dans une brève et forte analyse a le mieux dégagé l'originalité et la place de Posi-
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 543

à P. Nigidius Figulus, de Cicéron à s. Augustin, en passant par Aulu-Gelle 74,


on s'est plu à vanter son immense savoir et son intégrité morale autant que
ses connaissances théologiques et son attrait pour ces choses, quae a natura
inuolutae uidentur75. Mort en exil en 45, cet ami de Pompée, dont César
redouta le secret d'une activité mystérieuse 76, est la figure la plus marquante
d'un pythagorisme tellement imprégné de magie77 que le penchant à l'éso-
térisme et à l'occultisme peut être considéré comme l'aspect le plus caracté-

donius, dont le mérite serait d'avoir élargi l'idée que l'homme se fait du divin dans le monde
et en lui-même, et peut-être d'avoir acheminé le monde gréco-romain vers un mysticisme qui
n'était d'ailleurs pas le sien.
74 Cicéron, Tim., I, 1; Aulu Gelle, Na.A., XIX, 14,3; IV, 9, 1: Nigidius Figulus, homo,
ut ego arbitror, iuxta M. Varronem, doctissimus; d'où sans doute Servius, Ad Aen., X, 175:
Nigidius solus est post Varronem, licet Varrò praecellat in theologia, hic in communibus
litteris. S. Jérôme, Chron. Euseb., ad a. 45 a.C, le qualifie de pythagoricus et magus; et S. Aug.,
De du. Dei, V, 3, de mathematicus. Voir Gianola, Nigidio Figulo astrologo e mago, Milano,
1907, repris dans La fortuna di Pitagora presso i Romani, Catania, 1921, p. 49 ss.; L. Legrand,
P. Nigidius Figulus, philosophe pythagoricien et orphique, Paris, 1931.
75 Acer inuestigator et diligens earum rerum, quae a natura inuolutatae uidentur (Cic,
Tint., I, 1). Dans Apot, 42, 7, Apulée rapporte une scène d'incantations, dont Nigidius Figulus
apparaît comme le héros chargé de retrouver par des procédés magiques 500 deniers perdus.
Et Suet, Aug., 94, 6 n'est pas loin d'attribuer à la magie la découverte par Nigidius Figulus
de la future gloire d'Auguste, fondée sur l'heure de sa naissance. Selon F. Cumont, Mon. Piot,
XXV, p. 81, n. 2, «le spiritisme des néopythagoriciens tel qu'il fut pratiqué à Rome par Nigidius
Figulus et ses émules (Cic, Tusc, I, 37; De diuin., I, 132) se rattache directement à la nécyomancie
égyptienne». Dans la scène rapportée par Apulée, le, on notera l'emploi d'enfants comme
mediums (pueri instincti carmine): voir infra, p. 548, n. 100. Et dans le cercle de Nigidius
Figulus, on pratiquait l'hydromancie et la lécanomancie, procédés évoqués dans les représenta
tions de la basilique pythagoricienne de la Porte Majeure (cf. J. Carcopino, op. cit., p. 261 ss.).
76 Selon Dion Cass., XLV, 1, 3 ss, Nigidius Figulus fut accusé de tenir des réunions secrèt
es;César l'a pour cela jugé politiquement dangereux: cf. J. Carcopino, op. cit., p. 198. Sur les
serments et le secret dans les sectes pythagoriciennes, voir A. Delatte, Etudes sur la littérature
pythagoricienne, Paris, 1915, p. 15; Tannery, Sur le secret dans l'école de Pythagore, Arch. f.
Gesch. der Philos., 1888, p. 28 ss. Sur la valeur du secret dans la magie, J. Annequin, op. cit.,
p. 135. Noter qu'un de ses compagnons d'exil, ami de Cicéron, Aulus Caecina, était un parfait
connaisseur de Vetrusca disciplina (Cic, Ad fam., VI, 6, 3; Pline, H.N., II, 1; Suét, Diu. lui, 75, 5).
77 Voir L. Ferrerò, op. cit., p. 265 ss. et S. Viarre, op. cit. p. 209 ss. (excellentes pages
sur les relations du néo-pythagorisme et de la magie). Imprégné de magie et de scientisme philo
sophique: cf. l'exemple de la basilique pythagoricienne de la Porte Majeure (construite sous
Claude, selon J. Carcopino), où J.: Bousquet, Les confrères de la Porte Majeure et l'arithmologie
pythagoricienne, dans REG, 1951, p. 466-471, a montré que le nombre de membres de la secte
- 28, produit de 7x4 - rappelle le «nombre parfait» platonicien, appliqué à «l'engendré
divin » et prouve que « dans le néopythagorisme d'époque hellénistique et romaine on a certain
ement assimilé à la doctrine de la secte les résultats arithmologiques acquis depuis le IVe s. et
codifiés dans les Eléments d'Euclide».
544 MARCEL LE GLAY

ristique de sa renaissance au Ier siècle av. J.-C. D'Appius Claudius Pulcher,


collègue dans l'augurât et ami de Cicéron, on ne peut dire s'il fut en rapport
avec la secte de Nigidius Figulus, mais on sait78 que, non content de croire
aux fondements objectifs et scientifiques de la divination, il tirait les horos
copes, pratiquait les sortilèges et la nécromancie, c'est-à-dire des formes de
divination très proches parentes de la magie et de la sorcellerie, sinon propre
mentmagiques.
Enfin, si l'on peut, avec Cicéron toujours 79, croire que Vatinius, magistrat
romain et pythagoricien, s'adonnait, vers le milieu du siècle, à des pratiques
magiques comportant notamment l'évocation des esprits des morts et la con
sultation des entrailles d'enfants (ce qui n'implique pas nécessairement,
comme on l'a cru, le meurtre direct), on est plus réticent sur l'appartenance
pythagoricienne de Varron. Du moins peut-on dire, avec J. Carcopino 80, que,
s'il n'a pas « vécu dans l'église pythagoricienne » - encore qu'on puisse,
semble-t-il, déceler dans son œuvre des éléments pythagoriciens81 - du
moins avons-nous la preuve que « le plus grand théologien du paganisme
romain . . . voulut y mourir », puisque Pline nous a transmis ses exigences
testamentaires: être enseveli, selon le rite pythagoricien, dans un sarcophage
en terre cuite, sur un lit de feuilles de myrte, d'olivier et de peuplier noir82.
Autant d'exemples, d'où l'on peut, me semble-t-il, tirer deux leçons. La
première, c'est qu'au dernier siècle de la République, science, religion et
magie non seulement « font bon ménage », mais se confortent mutuellement,
en communion dans le néo-pythagorisme. Ce qui a eu pour effet - et cela
n'est paradoxal qu'en apparence - de dissocier davantage dans leur principe
la magie (plus que jamais étroitement liée à la croyance au fatalisme astral

78 Par Cicéron, Tusc, I, 16, 37; De diuin., I, 10, 30; 58, 132. Voir V. L. Constans, Un
correspondant de Cicéron, Ap. Claudius Pulcher, Paris, 1921; L. Ferrerò, op. cit., p. 307 ss.
79 Cicéron, In Vatinium, VI, 14 (en 56, interrogatoire que lui fait subir Cicéron, dans
l'affaire de Sestius), l'accuse de inferorum animas elicere et cum puerorum extis deos mânes
mactare. Sur la divination nécroman tique, cf. E. Massonneau, op. cit., p. 39 ss.; J. Annequin,
op. cit., p. 58.
80 Bas. pyth. Porte Majeure, p. 203.
81 L. Ferrerò, op. cit., p. 319 ss., qui insiste en particulier sur l'arithmologie varronienne,
qui paraît orientée par les conceptions pythagoriciennes. Mais l'inspiration stoïcienne paraît
prédominer: cf. P. Boyancé, Quelques remarques sur la théologie de Varron, dans REL, XXXI,
1953, p. 39-40, pour qui Varron dans sa théologie s'inspirait, non de Posidonius, mais d'Antio-
chus d'Ascalon, dont les vues sur l'âme du monde sont apparentées au stoïcisme, tout en
restant personnelles; pour J. Pépin, La «théologie tripartite» de Varron, dans R. Et. August,
Mél. Bardy, II, 3-4, 1956, p. 265-295, les sources de Varron sont plus précisément stoïciennes.
82 Pline, H.N., XXXV, 160.
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 545

et à la loi de sympathie) de la sorcellerie (liée, elle, à l'idée que les hommes


- en général, plutôt les femmes - peuvent intervenir pour rompre l'ordre
cosmique, créer des anomalies et forcer les puissances surnaturelles à inter
venir, bref briser Vheimarmené), et cependant de les rapprocher dans les
pratiques: la frontière est mince et imprécise entre les procédés magiques
et ceux de la sorcellerie, qui apparaît de plus en plus comme une forme
dégradée de la magie.
La seconde leçon à tirer, c'est que, grâce au néo-pythagorisme surtout,
ou plutôt à la personnalité des néopythagoriciens du Ier siècle, la magie
- et même la sorcellerie, on va le voir - se sont introduites dans les milieux
aristocratiques et cultivés et plus encore peut-être dans le demi-monde où
nous font pénétrer les poètes d'avant-garde de la République finissante.
Après tous les travaux récents - et excellents - qui leur ont été consacrés,
il n'est évidemment pas question de reprendre ici une inutile démonstration.
On voudrait simplement et brièvement souligner, après d'autres83, la valeur
de témoignage sur son temps de l'œuvre d'Ovide, pour s'en tenir à un poète
qui fut certes - et il ne faut jamais l'oublier - un mondain érudit et spiri
tuel, auteur à succès dans les salons et cercles littéraires de Rome 84, mais qui
savait aussi retrouver son sérieux pour traiter de sujets sérieux85. Or pour
le sujet qui nous occupe, le témoignage d'Ovide est particulièrement import
antà trois points de vue.
D'abord, comme illustration de la faveur dont jouissent magie et sor
cellerie dans le dernier demi-siècle de la République et du rôle des néo
pythagoriciens 86 . . . et des femmes dans leur diffusion. Que la Canidie

83 En particulier pour ce qui concerne Ovide, S. Viarre, op. cit., et à titre d'exemple,
P. Grimai, Les Métamorphoses d'Ovide et la peinture, paysagiste à l'époque d'Auguste, dans REL,
1938, p. 145-161, qui montre que la conception du poète, qui mêle dans son œuvre illusion
et réalité, s'accorde parfaitement au 2e style tardif de la peinture pompéienne.
84 Voir J. M. Frécaut, L'esprit et l'humour chez Ovide, Grenoble, 1972.
85 De même qu'il peut être « un excellent philologue » (H. Le Bonniec, éd. Fastes, I, p. 99,
à propos de augere, augurium, augustus), il est aussi un bon «interprète de la religion romaine»
(R. Schilling, REL, 46, 1968, p. 223-227).
86 Dans S. Viarre, op. cit., p. 209 ss., et 216 ss., des pages très suggestives sur les liens
qui unissent le pythagorisme à la poésie en général, à Ovide en particulier, sur quoi, bien sûr,
on renverra à J. Carcopino, L'exil d'Ovide, poète néopythagoricien, dans Rencontres de l'histoire
et de la littérature, Paris, 1963, p. 59-170. La discussion n'est pas achevée, loin de là, sur la
vraie raison de la condamnation à l'exil d'Ovide (appartenance pythagoricienne ou non?), voir
en dernier lieu L. Hermann, Ovide, la Bona dea et Livie, dans L'Ant. class., XLIV, 1975, p. 126-140.
Mais de nouveaux arguments, de plus en plus nombreux (et il y en aura d'autres) semblent
plaider en faveur de la thèse du néo-pythagorisme ovidien.
546 MARCEL LE GLAY

d'Horace soit un personnage réel ou imaginaire, peu importe. Comme Locuste


et Martine après elle, elle représente un type de magicienne - conforme à
la tradition hellénistique et à la conception italienne87 - dont Ovide a
brossé le portrait avec Circé88, héritière tout à la fois des célèbres sorcières
thessaliennes, d'Hécate et autres enfants de la Nuit89, et de la vieille saga
des campagnes de la péninsule90.
Ensuite, comme répertoire des influences diverses qui ont modifié
l'aspect de la magie traditionnelle et marqué les pratiques magiques du temps
à Rome. La scène décrite dans Metam., VII, 179 ss. est à cet égard très
instructive. Elle emprunte à la Grèce bien sûr (et à la Thessalie en parti
culier), à l'Orient, à l'Egypte, à l'Afrique, qui avec l'Etrurie ont le plus con
tribué à enrichir le rituel en usage en Italie, chez les Marses par exemple,
ou les Pélignes91. Maintenant l'opération magique est - comme on l'a

87 On a noté avec raison le rôle des femmes dans la pratique de la magie et de la sor
cellerie (S. Viarre, op. cit., p. 178) et aussi le fait que, tandis que chez les Grecs (ainsi Apollo
nius de Rhodes, Argonautica) Médée est la magicienne par excellence, pour Ovide, c'est Circé
qui occupe le devant de la scène, présentée comme «la magicienne de l'Italie». Ceci est con
forme à une tradition, peut-être assez ancienne (IIP-IP s., selon J. Bayet, p. 64), sur la pénétration
de la légende de Circé dans les montagnes d'Italie centrale, légende dont Solin s'est fait l'écho
(II, 27 = Pline, H.N., VII, 15; cf. Pline, XXV, 11; A. Gell., N.A., XVI, 11). Sur cette légende,
cf. J. Bayet, Les origines de l'arcadisme romain, repr. dans Idéologie et Plastique, Rome, 1974,
p. 62 ss. Sur les Marses et la sorcellerie, voir infra, n. 91. Quand Cicéron, édictant ses
lois religieuses (De leg., II, 21) dit: «Qu'il n'y ait point de sacrifices nocturnes célébrés par
les femmes, hormis ceux qui se font régulièrement au nom du peuple (quae pro populo rite
fient), il pense évidemment aux supplications nocturnes des matrones et aux veillées secrètes
du culte de Bona dea, mais peut-être aussi aux rites de sorcellerie qui se déroulent essentiell
ement la nuit; sur l'importance de la nuit, Ον., Met, VII, 179 ss.; outre Cl. Ramnoux, citée
infra, η. 89, cf. A. Delatte, Herbarius, p. 26 ss., 36 ss.
88 Voir, sur « les faits magiques dans les Métamorphoses », S. Viarre, op. cit., ch. II,
p. 173 ss. - Accessoirement aussi avec Médée (Her., VI, 83 ss.; Met, VII, 179 ss.) qui «connaît
les formules magiques (carmina), d'une faux enchantée moissonne des plantes redoutables, et
tout ce que j'aime mieux ignorer»; ou avec Dipsas (une vieille ivrognesse, une lena; en latin
dipsade = une sorte de vipère), «savante dans les arts magiques et dans les incantations d'Ea,
elle fait par son art remonter les fleuves vers leur source. Elle connaît bien les vertus des herbes,
celles des fils qui s'enroulent au rhombe (rouet magique) . . . Elle n'a qu'à vouloir, et le ciel
dans toute son étendue se voile de nuages épais, qu'à vouloir, et la voûte céleste resplendit d'un
jour clair, etc.» (Amores, I, 8).
89 Cf. C. Ramnoux, La Nuit et les enfants de la Nuit dans la tradition grecque, Paris,
1959, livre qui semble avoir échappé à S. Viarre; et c'est dommage: cette tradition éclaire
certains aspects des magiciennes d'Ovide.
90 Voir supra, p. 540, n. 65.
91 Ovide, Fastes, VI, 142; Ars am., II, 202. Les Marses - chez qui a pénétré la légende
de Circé (supra, n. 87) - ont la réputation de charmer les serpents, de conjurer l'effet des
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 547

observé 92 - menée selon des règles, dont beaucoup me semblent héritées de


la Grèce93. L'évocation par Ovide des sorcières thessaliennes, thème em
prunté sans doute aux Argonautiques d'Apollonius de Rhodes (par l'intermé
diaire de Varron d'Atax?) 94 et qui va devenir chez tous les poètes de la
fin de la République et du début de l'Empire un lieu commun, n'est peut-être
pas au départ un simple emprunt littéraire.
Enfin, comme analyse descriptive des divers champs d'action où s'exer
centalors la magie et la sorcellerie. A savoir la nature, l'amour et la mort,
trois domaines où les pratiques magiques « ovidiennes » se trouvent dans

blessures: cf. A. Gell. XV, 11, 1; Lucilius, 575 ss. (Marx): Marsus colubras disrumpit cantu;
cf. Pline, H.N., XXVIII, 30. Ils peuvent changer les hommes en oiseaux, forcer l'amour des
hommes. Dans Horace, Ep., V, 76, Canidie veut opérer un contresort pour vaincre les « formules
marses», qui ont été plus fortes que ses uenena; Horace parle de ces formules (Marsis uocibus)
avec un certain mépris, comme de formules de magie vulgaire. Dans le catalogue des troupes
romaines qu'il dresse avant la bataille de Cannes, Sii. Ital., Punica, Vili, 495 ss. loue la
«jeunesse marse», comme apte à la guerre et rompue à l'art magique. - Les Pélignes, voisins
des Marses, fournissent à Rome devineresses et sorcières (Hor., Ep., XVII, 60). De même la
Sabine (Hor., Sat, I, 9, 29 ss.; Ep., XVII, 28, qui évoque les Sabella carmina à côté des formules
magiques marses). Sur la magie indigène (italienne), opposée à la magie étrangère («barbare»),
cf. S. Eitrem, Symb: Osi, XII, 1933, p. 34, n. 2.
92 S. Viarre, op. cit., p. 181 ss.
93 Voir Röscher, s.v. Mondgöttin (Zauberei, Magie), dans le Lexikon de Roscher, II, 2,
col. 3163-3167; M. P. Nilsson, Geschichte der griech. Religion, 2. Bd.: Die hellenistische und
röm. Zeit, München, 1950, p. 498-520.
94 Sur les sorcières thessaliennes, il y aurait beaucoup à dire; on y reviendra ailleurs.
Voir Roscher, art. cit., col. 3165-3166 et note. Ovide, «le plus hellénisé des poètes latins»,
a-t-il été, dans sa description des opérations magiques de Médée et l'évocation de son pouvoir
d'« attirer la lune» sur la terre, influencé plutôt par Théocrite? ou par Apollonius de Rhodes,
dont « les Argonautiques, comme Jason, doivent la vie à Médée » (G. Roux, Commentaires sur
Théocrite, Apollonios et quelques épigrammes de l'Anthologie, dans R. Phil, 37, 1963, p. 84)? Il est
difficile de le dire: S. Viarre, op. cit., p. 133 souligne l'influence d'Apollonius, mais note (p. 171)
qu'Ovide ne tient pas de lui ses renseignements magiques, qu'il tire plutôt de la vie de ses
contemporains. L'un n'exclut pas l'autre; on peut penser qu'au moins l'évocation des «sorcières
thessaliennes» porte la marque d'Apollonius. Sur Apollonius, voir Knaack, RE, II, 1 (1895),
s.v. Apollonios, Nr. 71, col. 126 ss. et H. Herter, Der Kl. Pauly, I (1964), col. 449-451. Pour son
influence sur Catulle: R. Avallone, Catullo e Apollonio Rodio, Antìquitas, 8, 3-4, 1953, p. 8-75.
On sait que son poème fut traduit en latin par Varron d'Atax au Ier s. av. J.-C, (Fragments
réunis par W. Morel, Fragm. Poet, lat., 1927, p. 93-96) et fut une des sources principales des
Argonautiques de Valerius Flaccus, à la fin du Ier s. apr. J.-C. Sur Varron d'Atax, voir M. Gayraud,
Un Narbonnais du Ier s. av. J.-C. , le poète Varron de l'Aude, dans Bull. Ass. G. Budé, 1971,
p. 647-665; J. Granarolo, L'époque néotérique ou la poésie romaine d'avant-garde au dernier
siècle de la République (Catulle excepté), dans Aufstieg und Niedergang der Röm. Welt,
I, 3 (1972), p. 307-311, avec 11 fragments dans les Testimonia, p. 351-355.
548 MARCEL LE GLAY

leur réalité confirmées par les defixionum tabellae, les textes des papyrus
et les figurations des intailles magiques95. La nature, avec les cueillettes
d'herbes96 et le venin des serpents, le renouvellement de sa vigueur (celui
de la nature humaine aussi, assuré par d'étranges mixtures), les fleuves qui
« entre leurs rives étonnées remontent vers leurs sources », la mer dont les
flots s'apaisent ou s'agitent sous l'effet des incantations, les vents qui arr
ivent ou s'éloignent, les roches et les forêts qui sont mis en mouvement,
les astres qui descendent du ciel sur la terre97 à l'appel des carmina.
L'amour, avec les incantations qui « font céder les battants et triompher
du verrou enfoncé dans la porte, même si celle-ci est de chêne » 98, avec
les philtres magiques et les charmes qui, face à Corinne « engourdissent la
vigueur » du poète et sont rendus responsables de son « impuissance »
(après . . . neuf prouesses, il est vrai) ". La mort enfin, avec la nécromancie
et le meurtre magique, rares chez Ovide 10°, mais dont l'horrible réalité
prend corps - si j'ose dire - dans les pratiques d'Appius Claudius Pulcher
et de Vatinius et trouvent un écho dans la scène de meurtre d'enfant décrite
par Horace 101. Du même principe - mais il ne s'agit plus que de meurtre

95 Sur les papyrus magiques, recueillis par K. Preisendanz, voir H. G. Gundel, Weltbild
und Astrologie in den griech. Zauberpapyri (Münch. Beitr. zur Papyrusforsch, und ant. Rechts-
gesch., 53), München, 1968. Sur ceux qui contiennent des horoscopes, cf. O. Neugebauer,
Greek horoscopes (Amer. Phil. Soc, Memoirs, 48), Philadelphie, 1959. Sur les intailles magiques,
voir C. Bonner, Studies in Magical Amulets, Ann Arbor, 1950, avec le er. par A. J. Festugière,
Amulettes magiques à propos d'un livre récent, Cl. Phil, 46, 1951, p. 84 ss.; et A. Delatte,
Ph. Derchain, Les intailles magiques gréco-égyptiennes, Paris, 1964, avec les c.r. sévères et
rectificatifs de H. Seyrig, Syria, 42, 1965, p. 409-412 et M. Smith, A.J.A., 71, 1967, p. 417-419.
96 Par ex. Ovide, Her., VI, 83 ss. Voir F. Pfister, s.v. Pflanzenaberglaube, RE, XIX, 2
(1938), col. 1446 ss. et A. Delatte, Herbarius, 2e éd., Liège-Paris, 1938.
97 Outre Met, VII, 207, cf. 263 ss.; Am., II, 1, 23. Après Ovide, c'est un des lieux com
muns de la littérature magique à Rome. Sur l'origine et l'évolution du sens de l'expression
καυαιρεΐν την σελήνην, cf. Ch. Mugler, REA, 61, 1959, p. 48-56.
98 Am., II, 1, 23.
99 Am., Ill, 7, 27 ss.
100 Am., I, 8 par ex. Voir S. Viarre, ouv, cit., p. 173 ss.
101 Hor., Ep., V. Sur le rôle des enfants dans la magie, enfants vierges de toute souillure
(παις αφυορος), y compris de la souillure que représente la mort des parents (puer patrimus et
matrimus), ce que n'a pas bien montré A. Oepke, Άμφιϋαλεϊς in gr. und hellen. Kult, dans Arch. f.
Religionswiss., XXXI, 1934, p. 42 ss., voir W. R. Halliday, Greek Divination, London, 1913,
p. 160-162; Th. Hopfner, Griech. -Aegypt. Offenbarungszauber (Stud, zur Palaegr. und Papy
ruskunde, XXI et XXIII), Leipzig, 1921 et 1924; Id., Die Kindermedien in den gr.-ägypt. Zaüber-
papyri, dans Ree. Kondakov, Prague, 1926, p. 165-76; Ganszyniec, s.v. Λεκανομαντεία, RE, XII (1925),
col. 1882 (diuìnatio per puerum); A. Delatte, Anecdota Atheniensia, I, Liege, 1927, Index, s.v.
MAGIE ET SORCELLERIE À ROME 549

symbolique - participent les métamorphoses et les envoûtements, de l'homme


attiré malgré lui par l'effet du rouet magique 102 à l'avocat (auquel fait allusion
Cicéron dans le Brutus, 217) rendu muet au cours du procès qu'il doit
plaider contre la sorcière Titinia103.
Ainsi - on n'en peut douter - c'est bien au dernier siècle de la Répu
blique que la magie, sans pour autant acquérir droit de cité à Rome, s'est
infiltrée dans les mœurs de la nouvelle classe dirigeante et du demi-monde
en formation, tandis que la sorcellerie, toujours cantonnée dans les cimetières
et le quartier mal famé de Subure 104, excitait de plus en plus la « curiosité »
et l'intérêt des Romains de toutes les catégories sociales. Question de mode?
Peut-être. Il est souvent difficile de faire la part de la mode et celle des
réalités psychologiques profondes. Fronde? Ou déjà désir d'aller au-delà des
limites de la connaissance permise? Un peu de tout cela sans doute. Mais
dans une période - qui à plus d'un égard ressemble à la nôtre par le besoin
d'évasion qui anime les hommes - où le goût du merveilleux et du surna
turel se manifeste dans la littérature 105, où l'illusionisme triomphe dans
l'art106, où le déclin des dieux traditionnels, que ne compense pas encore

παιδίον; F. Cumont, RHR, CHI, 1931, p. 72; A. J. Festugière, L'idéal religieux des Grecs et
l'Evangile, Paris, 1932, p. 288, n. 2; Rev. Herrn. Trism., I, L'astrologie et les se. occultes,
1944, p. 294. Trace encore d'utilisation d'enfant dans un procès de sorcellerie engagé en 449
apr. J.-C. contre l'évêque Sophronius de Tellâ = Constantina, en Osrhoène: E. Honigmann,
A Trial for Sorcery on August 22, A.D. 449, dans Isis, XXV, 1944, p. 281-284.
102 Am., I, 8. C'est aussi devenu un lieu commun.
103 Cette allusion de Cicéron est signalée par J. Heurgon, art. cit., Hommages à M. Renard,
I, p. 447-448. La même idée dans PGM, XXX, a, e, f; dans les iudiciariae defixiones (Audollent,
Tab. def., n. 192 par ex.); dans une tablette datée du IP s. apr. J.-C, publiée par F. K. Dörner,
Eine neue Fluchtafel, dans JOEI, XXXII, 1940, Beibl, p. 65-72; dans une épigramme de VAnthol.
Pal, XI, 138 (de Lucillius, deuxième moitié du Ier s. apr. J.-C).
104 Par ex. Hor., Ep., V; Sat., I, 8. Sur cette scène de magie, cf. R. Desmed, Ludus magis-
tralis, 1966 et 1967.
105 Voir E. Rohde, Der griech. Roman, Leipzig, 1876, p. 251 ss.; L. Ferrerò, op. cit.,
p. 91 ss., qui met en rapport avec le pythagorisme; p. 294 ss. aussi; contra, P. Boyancé, Etude
sur le Songe de Scipion, p. 174. Toutefois aucun roman de cette époque n'est connu: R. Merkel-
bach, Roman und Mysterium in der Antike, München, 1962, en part. p. 333 ss. Sur l'évolution
du goût et de la mode littéraire dans la littérature du Ier s., voir les remarques de J. André,
Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, 1949, p. 399; S. Viarre, op. cit.,
p. 69 ss.; J. Granarolo, art. cit., ANRW, I, 3, p. 278-360.
106 Voir K. Schefold, Pompeianische Malerei. Sinn and Ideengeschichte, Bale, 1952, trad,
fr. par J. M. Croisille dans une éd. revue et augmentée, La peinture pompéienne. Essai sur
l'évolution de sa signification, coll. Latomus, 108, Bruxelles, 1972, en part. p. 236 ss.; Id.,
Vergessenes Pompeji, Berne-Munich, 1962; Id., Caesars Epoche als goldene Zeit röm. Kunst,
550 MARCEL LE GLAY

l'afflux des religions orientales, crée un certain « vide des âmes », sinon des
esprits, on peut comprendre que la magie et la sorcellerie aient trouvé leur
place. L'attrait nouveau qu'elles provoquent constitue pour cette époque ce
qu'on appelle aujourd'hui un fait de mentalité collective. Du même coup,
le 1er siècle avant notre ère prend dans l'histoire de la magie et de la sor
cellerie une importance nouvelle au point de vue sociologique, mais aussi
au point de vue proprement historique: fidèle encore à la tradition hellé
nistique, il voit s'amorcer le grand effort de renouvellement de la « science
noire » qui va triompher à l'époque impériale.

ANRW, I, 4 (1973), p. 945-969, voir en part. p. 946-949: Die Schöpfung der illusionistischen
abendlandischen Wanddekoration (le deuxième style apparaît au plus tard sous Sylla, vers 80);
voir G. Ch. Picard, La peinture romaine jusqu'à la destruction de Pompéi, dans REL, 41, 1963,
p. 378-391, et en dernier lieu R. Winkes, Zum Illusionismus röm. Wandmalerei dei Republik,
ANRW, I, 4 (1973), p. 927-944, avec bibliographie, p. 938-944.
MICHEL LEJEUNE

NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX, DES SOURCES ET DES FONTAINES

ABREVIATIONS

Manuels:
AIW = Fr. Muller Jzn, Altitalisches Wörterbuch, 1926.
Bu2 = CD. Buck, A grammar of oscan and umbrian, 2nd ed., 1928.
IEW = J. Pokorny, Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, 1959.
PI = C. von Planta, Grammatik der oskich-umbrischen Dialekte, 1897.

Textes (outre Bu2 et PI):


Bo = G. Bottiglioni, Manuale dei dialetti italici, 1954.
Co = R. S. Conway, The italic dialects, 1897.
LIA2 = V. Pisani, Le lingue dell'Italia antica, 2e éd., 1964.
LR = A. La Regina, Le iscrizioni osche di Pietrabbondante, dans Rh. Mus.
CIX, 1966, 260 sq.
RV - = M. Lejeune, Inscriptions de Rossano dì Vaglio, dans: Mem. Lìncei XVI2,
1971, 47 sq. [incluant, 69 : sq., RV - 19]; Rendic. Lincei XXVI, 1972,
663 sq.; ibid. XXVII, 1973, 399 sq.; à suivre.
Si = C. de Simone, Contributi peligni dans: Ann. Ist. Or. Napoli IV, 1962, 63 sq.
Ve = E. Vetter, Handbuch der italischen Dialekte, I, 1953.

La venue au jour de données nouvelles au cours des années récentes


(notamment LR 3, 4, 5 en 1966; RV-19 en 1971) est l'occasion du réexamen,
ici proposé, du lexique des eaux en osco-ombrien.
Dossier, bien entendu, lacunaire, constitué de témoignages isolés,
excluant toute argumentation ex silentio (à la différence de ce qui est
légitime pour le latin), et impropre à nous faire connaître, à l'intérieur de
l'ensemble osco-ombrien, l'aire géographique réelle des termes qui s'y
trouvent sporadiquement attestés.
La comparaison de dialecte à dialecte ou de langue à langue est
d'ailleurs, il faut aussi le rappeler, inévitablement gauchie par la diversité
552 MICHEL LEJEUNE

des distributions du signifié. Selon qu'il s'agit de l'eau en tant que substance,
de l'eau qui sourd ou qui s'écoule, de l'eau qui s'étend en nappes naturelles,
etc., le nombre des unités lexicales, et leur compréhension varient d'idiome
à idiome. Et, diachroniquement, un même signifiant a plus d'une fois glissé
d'une notion à une autre à l'intérieur de ce champ sémantique.
C'est pourquoi le lecteur ne devra pas s'attendre à trouver ici, dans le
domaine lexical que nous envisageons, une reprise d'ensemble de la classique
confrontation entre osco-ombrien et latin (UTUR - aqua, etc.). Nous ne lui
proposons pas plus qu'une collection critique des matériaux présentement
utilisables.

* WED -
I)

De la racine * wed - / * ud -, largement attestée en indo-européen 1,


l'ombrien conserve un nom neutre nomin. ace. * ud-or / autres cas: * ud-n -
dont le plus proche correspondant formel est en grec (ΰδωρ / ύδατος). Il
figure, à l'accusatif UTUR et à l'ablatif UNE, respectivement, dans deux
passages du rituel eugubin, à propos d'une triple offrande d'une boisson
(de nature discutée), de vin et d'eau.
A (lib 14-15): SVISEVE FERTU PUNE, ETRE SVISEVE VINU FERTU,
TERTIE SVISEVE UTUR FERTU («gutto ferto potionem, altero gutto
uinum ferto, tertio gutto aquam ferto»).
Β (lib 20): PUNI PESNIMU, VINU PESNIMU, UNE PESNIMU
(« potione supplicato, uino supplicato, aqua supplicato»).

C'est donc l'eau en tant que substance que désigne ici ce neutre,
signification portée en latin par le féminin aqua 2.

1 Cf. IEW 78.


2 Sous le lemme (IEW 23) «akua- (richtiger dk-ä): ek~», Pokorny réunit trois groupes de
données dont il est incertain qu'ils soient apparentés. - 1°) Un verbe «boire» du hittite et
du tokharien (en distribution complémentaire, dans le lexique i.e., avec *pô-: IEW 839). Hitt.
3e sg. ekuzi/y pi. akuanzi (avec même alternance que dans eszi/asanzi de *d\es - être»,
etc.; sur l'occlusive, cf. F. O. Lindeman, RHAS, XXIII, 1965, p. 29 sq.). Tokh. yoktsi (sur
l'initiale, cf. J. A. Kerns et Β. Schwartz, JAOS. LXXXIII, 1963, p. 361 sq.). Racine à poser
comme dieK" - ou (plutôt?) * 9iegv(h) -. - 2°) Un nom féminin de l'eau (en latin: aqua) ou
du «cours d'eau» (en germanique: got. ahva, «ποταμός», etc.), reposant sur *32ekw-. - 3°) Un
nom de la «mer» impliqué par v. isl. aegir, v.a. eagor, ayant chance de reposer sur *9ieaigft-.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 553

Le latin n'ignore pas, pour autant, la racine * wed -, mais l'a seulement
dans unda, formation de genre animé (fém. en -a) désignant P« eau en
mouvement», le «flot», probablement 3 dérivée de *ud-n- avec inter
version - dn- > - nd- entre voyelles (comme dans fundus en regard de
skr. bhudnâh). Inversement on a voulu retrouver en osque (AAPA-) un
un nom de l'eau apparenté à lat. aqua, mais probablement à tort (ci-après, II).

II) *AP-

Un nom osque des eaux courantes avait été pressenti à partir d'une
inscription frentanienne, ambiguë et difficile, connue depuis un siècle et
demi (ci -dessous, F), et, par ceux qui en reconnaissaient l'existence, il avait
été diversement interprété. Les inscriptions samnites C, D, E, publiées en
1966, sont venues clarifier le problème; la signification a été confirmée par
la nature même des supports (vasques) de C et D; la constance de la graphie
initiale AA - en C,D,E, confirmant la graphie AA - de F, a elle-même
des implications étymologiques (voir plus loin) qui ont, semble-t-il, échappé
à LR.
On rappellera et discutera d'abord les quatre textes.

C: LR 4 (Pietrabbondante)
1 PAK. STAÎIS. L [ . ] M [ . ] T. AAPAM [ . E]KAK . [ ] M
2 KELLAKED. ÎNÎM. KÜRASS. EKASK[ . A]MANAFED
3 ESÎDUM . PRUFATTED

L'inscription 4 est traduite par LR: « P(acius) Staius L(uci f.) m(eddix)
t(uticus) aquam hanc [caeleste]m (?) | collegit (?) et ...as has locavit5,
idem probavit ». Son formulaire la classe dans les procès-verbaux officiels

3 A. Meillet et son école tiennent pour une autre explication: reflet, dans un nom post
verbal, de l'infixé nasal du présent *u-n-ed/ *u-n-d- (skr. 3e sg. unatti/3e pi. undatï). Sur les
deux interprétations, cf. Leumann-Hofmann, Lat. Gr., p. 155.
4 P. 264 sq. (avec photo, pi. III, et dessin, pi. VII). Provenance: lieu-dit Arco, près la
colline de S. Scolastica, au S.-E. de Pietrabbondante. Inscription sinistroverse, en lettres de 3 cm.
environ. Sur la paroi frontale, courbe, d'une vasque en calcaire semi-cylindrique haute de 80 cm.
environ, et de dimensions horizontales 137 x 105 cm.
5 Le parfait préverbe AA-MANAFFED (Pompei: Ve 12, 14, 15, 17, 18) correspond étymolo-
giquement à mandare, et «locavit», dans la traduction LR, est, bien entendu, au sens de «a
mis en adjudication».
554 MICHEL LEJEUNE

de construction publiques, dont l'osque nous offre nombre d'exemples. Le


support de la gravure est une fontaine. L'emploi du démonstratif rapproché
« hic » à la fois pour AAPAM et pour KÛRASS marque que ces deux
éléments étaient sous les yeux de qui lisait l'inscription. Le second terme
est de signification inconnue. Pour le premier, cette situation laisse a priori
possibles et une signification « aquam » et une signification « fontanam »,
entre lesquelles ne permettent de choisir ni l'adjectif en accord avec AAPAM,
à cause de sa mutilation 6, ni le verbe 7 régissant AAPAM, à cause de son
obscurité8. Il est vrai que la structure générale du texte ne spécifie que
pour KÛRASS la procédure d'adjudication initiale et d'approbation terminale
qui est de règle dans les travaux publics; ceci indiquerait que AAPAM n'est
pas, à proprement parler, objet de travaux, et favoriserait « aquam ».
Il faudrait alors que KÛRASS désignât l'ensemble des installations ici
dues à cette intervention du meddix. C'est un terme obscur. Le nomin.
sg. KÛRU s'en rencontre apparemment dans l'inscription de Saepinum Ve 161;
mais ce document, longuement discuté sans conclusions décisives9, demeure
lui-même énigmatique. LR se borne à noter que la confrontation de Ve 161
avec C circonscrit désormais le problème, sans le résoudre. Elle écarte, en

6 A priori: ou bien adjectif verbal en [...NNA]M, avec signification «curavit» uel sim.
pour KELLAKED; ou bien (c'est à quoi a songé LR), adjectif proprement dit spécifiant la
nature ou la qualité de l'eau.
7 Encore que cette observation morphologique ne touche pas aux questions ici discutées,
on notera l'importance (bien vue par LR) de... AKED qui, pour les verbes osques de 1CR conju
gaison, nous apporte un nouveau type de formation du parfait, à côté de ... AFED (qui est
rare) et de... A(T)TED (qui est fréquent). - II est vrai (LR le note) que l'existence d'une
telle formation avait été, auparavant, enseignée par V. Pisani et O. Parlangeli, mais à partir
d'exemples qui étaient, et qui demeurent, de valeur douteuse. En particulier, dans une inscrip
tion bruttienne du sanctuaire d'Apollon Alaos à Crimisa (n° 2 de Franciscis-Parlangèli) Gli
Italici del Bruzio, 1960), gravée en scriptio continua (σακαρακιδι μαιπακτη ιςερουντης πακ/ιης)
|

le génitif anthroppnymique Πακτηις Ερουντη<ι>ς Πακ,Ριη<ι>ς est précédé d'une séquence


σακαρακιδιμαι où l'on a voulu isoler une forme verbale σακαρακιδ, qui serait une 3e sg. de subj.
parfait actif, mais sans justifier syntaxiquement une telle 3e sg. active dépourvue de sujet;
par ailleurs, on attend a priori que les finales -A(T)TED, -AFED, -AKED soient distribuées
entre les verbes en -a-, chacun ne connaissant qu'une d'elles: or, pour sakrâ -, nous avons
- AFED (Ve 86 et 87; 3e sg. subj. parfait passif SAKRAFIR).
8 LR invoque (sans justifier la formation en -a-) la racine *kel- (IEW 548) «mettre
en mouvement rapide». Dans la même hypothèse d'un sens «aquam» pour AAPAM, tout aussi
admissible serait un verbe signifiant « capter », p. ex. dérivé d'un nom de contenant correspondant,
pour la forme du mot, à lat. cella.
9 Cf. Rev. Et. Lat. XLVI, 1968, p. 115 sq.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 555

effet, toute désignation qui ne serait pas, de quelque façon, celle d'un objet.
Mais deux voies s Ouvrent alors; ou bien (plutôt?) terme général: « opus »
à Saepinum 10, « opera » à Pietrabbondante; ou bien (plus difficilement)
terme particulier qui se trouverait applicable à la fois à la pierre de Saepinum
et à la fontaine de Pietrabbondante. Dans aucune des deux directions, on
ne rejoint plausiblement une des racine *(s)ker- jusqu'ici répertoriées11; ce
qui donne à penser que l'osque * korâ- a chance de rester sans étymologie.

D: LR 3 (Pietrabbondante)
1 P[ M.] T. ΑΑΡ A [M. ]ED
2 []R[ ]UD[ ]AI[AMA]NAFED
3 ESÏDUM PRUFATTED

Inscription 12 de même nature, de même type de support, et sans doute


de même date que C. Malgré les lacunes du texte, il apparaît deux proposit
ions;AAPA[M] est régi par le verbe mutilé qui termine la 1. 1; ensuite
seulement intervient (avec [AMAJNAFED et PRUFATTED) la clause d'adjudi
cationdont l'objet à l'accusatif n'est malheureusement plus reconnaissable
dans les débris de la 1. 2. Texte donc qui ne peut rien nous apprendre de
plus que C.

E: LR 5 (Pietrabbondante) 13

[ ]
1? [ ]KULU [ ]
2? [ ]AAPÂ [ ]
3? [ ]NAMU[ ]

10 On s'est demandé s'il s'agit d'une pierre de fronde ou d'un petit objet votif, ou d'un
petit monument funéraire, hypothèses dont aucune ne rend compte du caractère tout à fait
insolite du travail graphique: lettres ressortant en relief, par évidement de la pierre autour
d'elles. Ne s'agirait-il pas d'un « morceau de bravoure » de quelque lapicide professionnel, d'une
sorte de «chef-d'œuvre» technique (au sens qu'avait ce terme dans notre artisanat d'autrefois)?
Et n'est-ce pas en tant qu'«opus» que l'inscription définit l'objet lui-même, avant de donner
le nom de son auteur?
11 IEW 567-578 et 933-947.
12 P. 264 (sans illustration).
13 Les vestiges Ρ [ ] Τ sont conciliables avec la désignation PAK. STAIIS. L. M. T. de C,
il s'agirait alors d'un ensemble de travaux d'adduction d'eau dus à un même magistrat.
556 MICHEL LEJEUNE

Bribes d'une inscription 14 dont le support lui-même n'est pas caracté


ristique, et dont les vestiges ne permettent pas de définir le type rédactionnel.
Aussi bien qu'à C ou à D, le texte pouvait ressembler à Ve. 149, et énumérer,
par exemple, une série d'installations offertes à un sanctuaire par la largesse
d'un donateur. Rien de sûr et rien qui éclaire AAPA-.

F: Ve 173
1 VEREIAS: LUVKANATEÎS
2 AAPAS : KAÎ AS : PALANUD

Document 15 gravé sur une plaquette de bronze 16 « de forme insolite » 17,


avec trous de fixation 18, sans que l'objet auquel il était affixé puisse être
déterminé autrement que par l'interprétation du texte (une fontaine, uel sim.,
si AAPAS est un nom de l'eau). Origine inconnue. La conservation initiale19
au Musée de Lanciano oriente, en gros, vers le domaine des Frentânî (mais
la mention « Anxanum? » des éditions de textes est d'une précision fa
l acieuse). Mommsen a, dès 1850, proposé de reconnaître deux noms propres:
l'ethnique (gén. sg.) LUVKANATEÎS, et le toponyme (abl. sg.) PALANUD,
qui, l'un et l'autre, orienteraient, entre les vallées du Sangro et du Trigno,
vers le massif montagneux d'où sort l'Osento20. La première identification

14 P. 266 sq. (avec photo, pi. II et dessin, pi. VII).


15 Signalé pour la première fois en 1831 par R. Guarini (Excursus alter epigraphicus
lib. comm. XIII, p. 21). Bibliographie jusqu'en 1850 chez Mommsen, Unterit. Dial, p. 169,
n° I. Bibliographie jusqu'en 1897 chez Co 193 et PI 209. Ensuite: Bu2 61, Ve 173, Bo 1, LIA2 42.
16 Dimensions env. 14x4 cm.
17 C'est la description que se contentent d'en donner les lemmes de Buck, Vetter, Pisani;
«token or label», Conway; «Marke?», Vetter. Description de Bottiglioni: «a forma di gladio»;
plus probablement, schématique silhouette anthropomorphe avec tête et amorce des bras. Mais
ce que personne ne paraît s'être demandé, c'est la raison d'être de cette représentation (sans
rapport avec le contenu inscrit, à tout le moins avec celui de la 1. 2). On suggérera que les
vereias avaient chacune leur emblème, lequel était probablement apposé sur les installations
leur appartenant, et que le hasard nous a ici conservé un exemplaire de l'emblème de la
vereio Loucanas.
18 En fait, un seul trou réellement percé (du côté de la tête), l'autre simplement esquissé,
sous forme de cercle gravé (du côté des pieds, après la fin de la 1. 1), soit que l'objet n'ait
pas, en définitive, été utilisé, soit qu'on se soit contenté de la suspendre verticalement.
19 Depuis, passé au Musée National de Naples.
20 Discussion historique et géographique détaillée chez G. Colonna, Arch. Class. VII, 1955,
p. 164 sq.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 557

n'a jamais été contestée. La seconde ne l'a été que par Planta, qui préfère
chercher dans PALANUD un mot du lexique21.
Le texte se présente d'abord comme une énonciation de propriété
(1. 1: «propriété du groupement de jeunes22 de L. »), et on en rapprochera,
à cet égard, l'inscription de fontaine H (1. 1: « cette fontaine est propriété
de Cupra Mater»). Suit (1. 2) une mention complémentaire, d'interprétation
incertaine 23, le seul point désormais acquis (grâce à C et D) étant la significa
tion « eau » de AAPA - (ici, soit au gén.sg., soit au nomin. pi.) ; on y a
notamment cherché (avec AAPAS au nomin pi.) une description (adj. KAIAS)
et une indication de provenance (abl. PALANUD) de ces eaux; mais une
autre voie est possible. Il pourrait s'agir d'une clause qui serait une consé
quence de la propriété énoncée 1. 1: prescription soit interdisant soit auto
risant conditionnellement l'usage de l'eau par des étrangers à la vereio.
Dans cette hypothèse, la recherche pourrait s'orienter comme suit: proposi
tion verbale avec subj. 2e sg. KAÎAS à valeur permissive « on peut prendre » 24;

21 II, p. 644: etwas «edicto», zu 1. palam; es ist die Möglichkeit zu beachten, dass das
Wort = "palandoci (Gerund oder aus *palam-do-) wäre, da auf dieser Inschrift die Cons. -
gemination gefehlt haben kann; als Bedeutung käme auch «de publico», «publico sumptu»
od. dgl. in Betracht.
22 Que ces groupements, dans les cités osques, aient été dotés d'installations et de
locaux propres, ressort, p. ex., de Ve 11 (Pompéï): construction d'une maison (TRÎÎBLJM) sur
fonds légués à la vereio.
23 Dans la mesure où le dernier mot est accepté comme toponyme, ablatif d'origine pour
Bu2, Bo, Ve, ablatif-locatif [?] pour LIA2; mais ceci ne mène à rien sans une vue d'ensemble
sur la 1. 2, dont seuls, en fait, suggèrent une traduction Müller et Pisani - AIW 40: «zu (A-)
den heissen (KAÎAS) Quellen (-APAS) [geht hier der Weg] von Pallanum»; ce serait un
indicateur de direction, à mi-route de P. et de sources thermales; on notera l'invraisemblance
morphologique de A - (au lieu de AZ) pour la préposition «ad», et de - AS (au lieu de
- ASS) comme finale d'ace, pi.; Müller fait venir kayo- «chaud» de *halyo- (ce qui est.,
phonétiquement, invraisemblable; il eût dû songer plutôt à kai- (3), IEW 519). - LIA2: «aquae
(nomin. pi. AAPAS) fontanae (gén. sg. KAIAS) Pallani (sens locatif de l'abl. en -UD)»; il fait
du second mot un dérivé en *-yâ (proprement «captâtiô») de la racine «prendre» de KAHAD
etc. (voir note 24).
24 Les langues i.e. occidentales (italiques, celtiques, germaniques) présentent une
série de termes, groupés IEW 518 sous un lemme *kagh-/*kogh-, avec des incertitudes de
détail sur le vocalisme radical, et avec un consonantisme qui surprend (l'i.e. excluant en prin
cipe sourde . . . sonore aspirée, aussi bien que sonore aspirée . . . sourde, comme couples de
consonnes radicales); sens général supposé: «prendre». On se borne ici aux données osco-
ombriennes: formes verbales « prendre » à thème de présent kâh- (osque) et à thème de parfait kéh-
(ombrien). En osque, n'est connu jusqu'ici qu'un subj. présent kàha- (2e sg. καίιας, Ve 184;
3e sg. KAHAD, Ve 6). Nous proposons de voir, dans KAIAS, un plus ancien '"kahyâs (sur
-hy->-y-, cf. PI. § 218), et de poser le verbe osco-ombrien comme *kâh-yo-/*këh- (type
558 MICHEL LEJEUNE

gén. sg. partitif AAPAS « de l'eau », faisant fonction d'objet; abl. instr
umental en - UD marquant la modalité de prise d'eau qui est seule autorisée 25.
Il existe une sorte de réflexe par laquel l'exégèse osco-ombrienne se
tourne, de premier abord, vers le latin comme terme de référence. En présence
du AAPAS de F, si l'on a, correctement, songé 26 à une signification « eau »,
c'est par une référence, probablement incorrecte, à aqua21, à quoi l'on se
tenait même si l'on apercevait28 la difficulté que fait la longue AA -,
parfois en s'efforçant, sans grand bonheur, de l'écarter29.
Entrevue par Pisani30, la solution probable est le recours à la racine
* di ep - 31, qui fournit un nom-racine féminin dont la flexion est bâtie sur
les thèmes * âp- (allongement morphologique aux cas forts) / * âp- (degré
normal aux autres cas), le degré zéro *p-32 ayant été éliminé de la dé
clinaison parce qu'il rendait le thème méconnaissable, et ne survivant plus33
qu'au second terme de quelques composés devenus inanalysables. Telle est
la situation conservée par le sanskrit (nomin. pi. ap-ah, gén. pi. àp-am)
et une partie de l'iranien (av. nomin. sg. af-s, instr. sg. ap-a-). Mais ailleurs
le vieux nom-racine *âp - / * âp - a été remplacé par des dérivés. Ils peuvent
être formés sur * âp - (peut-être, à partir d'un paradigme du nom-racine
dans lequel la longue des cas forts aurait été généralisée); ainsi en

de lat. fäcio/ßcl, cäpio/cepi, etc.); le subj. en -a- peut être formé soit (archaïquement) sur la
racine (kah-â-), soit (régulièrement) sur le thème d'indicatif (kahya-), de même qu'on a
p. ex. en latin (Leumann-Hofmann, Lat. Gr. § 235a) aduenat à côté de ueniat, etc.).
25 Nous rejoignons ici, non le détail, mais le principe des vues de Planta sur le dernier
mot (cf. n. 21). Sur la signification de PALANUD, sur la structure du mot (le premier a est-il
ou non anaptyctique?), sur sa nature grammaticale (adverbe? substantif? gérondif?), on ne
peut faire que des hypothèses en l'air. De toute façon, il semble qu'il s'agisse d'une condition
restrictive quant à l'utilisation de l'eau par des étrangers à la vereio.
26 Depuis Mommsen (UD, p. 244: «Die Bedeutung ist unsicher; vielleicht = aquas»).
27 Ainsi Co (I p. 210): «if AAPAS were to be compared with lat. aqua (the AA- is a
serious difficulty) ,...»; PI (II p. 644): «AAPAS ist von âqua durch den Vocal getrennt».
28 Muller analyse en A - (préposition) et - APAS (régime): voir n. 23 - Pisani allègue
gratuitement un allongement sous l'accent {LIA2 p. 101 sq. «AA- è casomai la lunga prodotta
sotto Paccente»), sans y croire beaucoup, puisqu'il indique ensuite une solution de rechange
(«Oppure abbiamo qui il tema '"äp-Zsp- di scr. apes--·»)-
29 Cf. η. 2.
30 Voir η. 28.
31 IEW 51.
32 C'est-à-dire ""dip-, sans survivance de la laryngale initiale devant occlusive.
33 Avec traces de la laryngale, alors intérieure, quand le premier terme finissait par une
voyelle brève, laquelle s'allonge: ... î- dip ...>... ìp ... (ainsi skr. antarïpa-), ... ü- dip ...>... üp ...
(ainsi skr. anüpa-), etc.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 559

vieux perse (ap-î-) ou en osque (äp-ä-). Ou bien ils sont formés sur ap-/ab-
(cette dernière variante étant la forme prise par àp - devant sonore34 à
certains cas faibles de la déclinaison du nom-racine); p. ex. gaélique àb-n-35
« cours d'eau » (cf., avec élargissement -i-, lat. amnis).
Si ρ osco-ombrien est d'origine ambiguë (i.e. * ρ ou * kw) le choix
entre deux etymologies (référence soit à skr. apah soit à lat. àqua) est
orienté par la quantité longue de osq. AA -: nous ne connaissons, de la
racine de lat. aqua, got. ahva (voir n. 2), aucune forme à a- initial, et
nous n'avons aucune trace d'un nom-racine * äkw- dont la flexion aurait
pu présenter * âkw- aux cas forts. Par ailleurs, l'existence en italique de
*äp-/*äp- est indirectement confortée par lat. amnis (voir plus haut). Il
y a donc probabilité pour que osque AAPA - soit à mettre en parallèle
avec v. p. api- etc.

III) *PID-

Le sanctuaire lucanien de Rossano di Vaglio (Potenza) est un grand


sanctuaire de source, dédié à Méfitis, déesse chtonienne, à côté de qui
apparaissent accessoirement, dans les ex-voto, Jupiter et Mars; Mars y est
qualifié de « résidant chez Méfitis » (RV-33: μαμερτει με^τανοι); Jupiter, lorsqu'il
est invoqué, l'est conjointement avec Méfitis, dans le cadre d'un couple
Souverain/Souveraine, comme il ressort notamment des dédicaces jumelles
du grand autel double (RV-17: αιωρηις/ RV-1 8: ôioofuccç διομανα[ς] «souver
ainejovienne »). C'est ce qui nous a incité à rechercher de quelque façon
ce couple Jupiter-Méfitis dans un autre ex-voto 36 comportant, sur deux lignes,
deux datifs en asyndète:

G) RV-19 (Rossano di Vaglio)


1 (cofr|i
2 πιζηι

34 Mais le sanskrit dissimile -b-bh- en -d-bh- (p. ex. instr. pi. âdbhih du nom des
«eaux»).
35 Cf. R. Thurneysen, A grammar of old irish, 1946, § 233-1.
36 Texte tardif (assignable à la fin du IIe s.), présentant un état évolué du phonétisme.
Le groupe initial [dy-], encore attesté en RV-17 (ôuofr|iç), y est passé à [dz-], et a reçu la
même notation ζ que la séquence intérieure [-dz-] résultant de *-d( )s- après syncope d'une
560 MICHEL LEJEUNE

La solution qui nous est parue plausible a été d'identifier πιζηι à la


Source divinisée37. Dans la mesure où cette interprétation sera acceptée,
il en résultera l'attribution à l'osque d'un nom de la « source », différent
de la désignation latine (fans, qui est sans correspondant connu hors du
latin), mais ayant des attaches au moins avec le grec.
En effet le datif πιζηι admet l'interprétation * pid(ë)s-ei (avec syncope
de la brève intérieure); la graphie ι de l'osque méridional, à cette époque,
renvoie à un i fermé 38 c'est-à-dire à un * 7 originel; l'occlusive initiale peut
être issue soit de * p- soit de * kw-.
En revanche c'est * p- seul (*/jw - eût abouti39 à τ) qu'implique
l'initiale de hom. πΐδ- αξ, πϊδ-ήεσσα et de formes ultérieures, nominales (πίδ-
υλίς) ou verbales (πϊδ-άω, πΐδ-ύω), diversement suffixées, issues de πΐδ-; à ce
mot, réputé sans étymologie, le rapprochement de l'osque donnerait un
début d'étymologie 40; le thème * pid-es- qu'il suppose est (avec un * pid-â-
que conforterait, il est vrai, πϊδάω), un des deux points de départ possibles
pour la dérivation de πϊδήεσσα.

IV) *GV/ÎWA -

Un nom féminin de thème bia- (avec variante bea-) apparaît dans


quatre textes osco-ombriens en écriture latine, qui semblent s'échelonner
dans le IIe s. - Deux sont ombriens et proviennent respectivement du Nord
et du centre du domaine: l'un (H), des environs de Fossato di Vico (Heluillum),
à une quinzaine de km. au Sud-Est de Gubbio (Iguvium); l'autre (J), des
environs de Foligno (Fulginia), à une quarantaine de km. au Sud de Gubbio. -
II y a, d'autre part, deux textes péligniens; l'un (K), des environs de Pratola
Peligna, à quelque 5 km. au Sud-Est de Corfinio (Corfinium); l'autre (L),
des environs de Tocco Casauria (Interpromium) à une quinzaine de km.

voyelle brève (πιζηι, voir plus bas); cette affriquée sonore [dz] se simplifiera d'ailleurs rapidement
en [z] et, dès lors, la notation pourra être étendue (ainsi dans RV-28, p. ex. ειζιδομ «idem»)
à l'ancien *-s- intervocalique sonorisé.
37 On se rappellera d'autres exemples de dédicaces conjointes à Jupiter et à une source
divinisée, dans le monde ancien, p. ex. à Nîmes IO VI ET NEMAVSO (CIL. XII 3070).
38 Alors que i ouvert (impliquant soit * î soit * ë) s'écrit ει.
39 Cf. M. Lejeune, Phonétique historique..., 1972, § 37
40 Un emprunt de l'osque au grec est exclu, le grec historique ignorant tout substantif
sigmatique de cette racine.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 561

au Nord-Est de Corfinio - Documents découverts: H, en 1868; K, en 1873;


L, en 1900; J en 1926.
Aucun des supports de ces inscriptions41 n'est parlant par lui-même
(comme c'est le cas pour AAPA - en C et D); mais le contexte archéolo
gique de H manifeste des installations hydrauliques (fontaines, citernes) à
quoi le texte (p. ex. cisterno) fait référence. - D'autre part, les contextes
littéraux donnent un certain nombre d'indications. La bio de H est donnée
comme appartenant à Bona Mater et relevant donc d'un lieu de culte; mais
ce n'est certainement qu'une utilisation, entre autres, de la bio; car s'il
s'agissait organiquement d'un sanctuaire ou élément de sanctuaire (certains
ont proposé d'entendre « sacellum »), on attendrait que les divinités con
cernées fussent nommées en J, K, L. - Par ailleurs, une bio est une chose
qu'on fabrique (bia opset[a] en J, bea(m) . . . fec( ) en L, avec verbes
« faire »), ce qui exclut qu'il s'agisse d'une désignation de P« eau ». - Au
confluent de ces diverses indications se situe une signification « fontaine »
(uel sim.), qui est celle à laquelle se tiennent les plus récents éditeurs.

H: Ve 233 (Fossato di Vico)


1 CVBRAR. MATRER. BIO. ESO
2 OSETO . CISTERNO .N.C.LV
3 SV.MARONATO IIII
4 V.L. VARIE.T.C. FVLONIE

L'inscription42 est gravée sur une plaquette de bronze43. Pour le con


texte archéologique, les indications, incomplètes et parfois inexactes ou

41 Pierres J, K (face inscrite: 44 x 34 cm), L (face inscrite: 25x18 cm.) qui peuvent
avoir supporté des fontaines (K est décrit comme «socle») ou appartenu à une paroi voisine,
mais dont aucune n'est une vasque. Plaquette de bronze de 15x6 cm. pour J; mais affixée
à une poterie qui, elle, est significative (embouchure de déversoir).
42 Première publication par A. Fabretti, Atti Ace. Se. Torino, IV, 1868, p. 785 sq. (bio:
«pium»). - Bibliographie jusqu'en 1897 chez Ço 354 (bio non traduit; II p. 604: «cisterna
uel sim.») et PI 295 (bio non traduit; I 413 et II 6: «Gabe?»). - Ensuite: Bu2 83 (bio:
«sacellum»); Th. von Grienberger, KZ 56, 1929, p. 23-26 (bio: adjectif «uiua»); Ve 233 (bio:
«fontana»), repris par Ernout, Dial, ombr., 1961, p. 49, n° 4; LIA2 62 A (Mo: adjectif «uiua»);
Bo 112 (bio: «uiua»).
43 Faute de place, les derniers chiffres de CLVIIII («159») ont été reportés à la fin
de la ligne inférieure, dans le blanc qui suit maronato. - Un point probablement erroné,
après C dans C LV/IIII. Certains ont entendu « n(ummis) c(ollectis) », ce qui ramènerait
.

de 159 à 59 unités monétaires le coût d'établissement de la citerne. - Voir fac-similé de


Stefani (cf. n. 46); dimensions: 14,5x5,5 cm (épaisseur: 3 mm.).
562 MICHEL LEJEUNE

imprécises, données par ex. par W. Corssen 44 et Th. von Grienberger 45 d'après
les notes de Marco Micheletti (inventeur du site en 1868), sont désormais
à remplacer par la description qu'a procurée E. Stefani46 après un nouvel
examen du site et du matériel. Il y avait, sur cette colline voisine de
Fossato di Vico, un ensemble d'installations cultuelles. En sous-sol, une citerne
(de plus de 12 m3) creusée dans la roche 47. Au sol, des constructions diverses
(bâtiment à pavement de mosaïque, construction à colonnettes, etc. . .), notam
ment deux très grandes vasques de fontaines48. Lors de la destruction du
sanctuaire, un certain nombre d'éléments de ces installations du niveau
supérieur sont tombés dans la citerne. Entre autres, un large conduit de
terre-cuite 49 à l'embouchure duquel était affixée 50 la tablette. Celle-ci figurait
donc au-dessus d'une des deux fontaines. L'inscription rappelait l'appa
rtenance de la fontaine à Bona Mater51, et mentionnait l'adjonction, aux
installations préexistantes, d'une citerne, avec datation par les noms des
marones en exercice, et indication du coût des travaux52.
Certains tenants de l'explication de bio par « uîua », tels von Grienberger
ou Pisani, lisent le texte comme un énoncé unique, dans lequel un adjectif
bio déterminerait un substantif cisterno. Cette vue est doublement impro
bable: et du fait de la syntaxe (disjonction non justifiable en prose); et du
fait des realia (une citerne creusée dans la roche n'est pas un contenant
d'« eau vive »). La ligne 1 et les lignes 2-4 constituent deux phrases distinctes.
Dans la seconde, l'ordre: verbe (initial) + sujet est peut-être une modalité
de coordination de la proposition à celle qui précède (ordre normal: bia
opseta dans la proposition unique de J). Sur la forme oseto, voir n. 63 et 64.
On observera que le verbe « faire » qui s'applique ici à une citerne s'applique

44 KZ 20, 1872, p. 81-95.


45 KZ 56, 1929, p. 23-26.
46 Not. Se. 1940, p. 171-179.
47 Ibid., p. 174-175 et fig. 5. «La buca... cilindrica... misurava esattamente m. 3 di pro
fondità e m. 2,30 di diametro. In fondo ad essa era stata praticata una cavità imbutiforme
di m. 1,64 di diametro e profonda cm. 55.
48 Ibid., p. 175. « In prossimità della cisterna, si poterano individuare i resti di due grandi
vasche contigue..., l'una, la più prossima alla cisterna, m. 5,60 di larghezza, l'altra m. 4,30».
49 Cylindrique, ou plus exactement légèrement tronconique, avec diamètre variant, dans la
portion reconstituable, de 54,5 à 56,5 cm. (Ibid., p. 175 et fig. 6).
50 A l'aide de plomb (détails: ibid., p. 172 n. 2 et fig. 2).
51 A considérer donc comme divinité chtonienne, volontiers associée (comme la
Méfitis osque) à un culte des sources.
52 Le libellé ne précise pas si (comme il est cependant probable) les travaux avaient
été décidés par les autorités municipales et payés sur des fonds publics.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 563

ailleurs (J) à une fontaine. - Le terme cisterno est vraisemblablement un


emprunt au latin. On enseigne souvent que lat. cisterna est lui-même un
emprunt à l'étrusque, mais sans raisons décisives (aussi longtemps que le
terme demeurera, en étrusque même, imaginaire); H. Rix m'indique qu'il y
voit un développement proprement latin de cista (emprunt au gr. κιστή)
avec le suffixe de cauerna.

J: VE 234 (Foligno)
1 ΒΙΑ : OPSET [
2 MARONE [
3 T. FOLTONIO [
4 SE.PTRONIO [
Cette inscription sur pierre53 a été donnée comme complète à droite
par Ribezzo (et, à sa suite, par les éditeurs ultérieurs du texte) alors que la
pierre est brisée à droite, la fracture passant au ras de Τ (1. 1), ne laissant
subsister de E54 (1. 2), après la première haste verticale, que le bas de la
seconde55, entamant le Ο de la 1. 3, et ne laissant après Ο de la 1. 4 qu'un
blanc de peu de largeur: voir la photographie illustrant l'editio princeps.
Cette affirmation de l'intégrité du texte, qui n'a aucun fondement épigraphi-
que, tient seulement à l'interprétation que donne Ribezzo: à la 1. 1, 3e pi. en
-(n)t; à la 1. 2, nomin. pi. en -e(s); à la 1. 3 et à la 1. 4, nomin. sg. en
-o(s); il enseigne gratuitement, à propos des trois dernières lignes, que le
scribe de Foligno ne notait pas le sifflantes finales. Nous avons, ci-dessus,
inscrit à la fin de chaque ligne, un crochet droit 56.

53 Découverte en 1926 près de Foligno et publiée en 1928 (avec photo) par F. Ribezzo,
RIGI. 12, p. 225 sq, («sacellum condunt marones...»). Ensuite, Ve 234 («fontanam fecerunt
marones... »), que reproduit A. Ernout, Dial, ombr., 1961, p. 60, n° 5; LIA2 62 Β («uiuam
fecerunt marones...»); Bo 114 («uiuam opérant marones...»).
54 II s'agit, dans ce texte, du e épigraphique latin républicain constitué de deux hastes
verticales.
55 Ce qui laisse le choix entre marone[et maroni[... suivi d'une des lettres e, f, i, m,
n. p, r, t; les lectures avec maroni[... ne conduisent à aucune forme ici plausible; on notera
que (le dat. abl. pi. des thèmes consonan tiques eût-il à Foligno -ï- comme voyelle de liaison:
voir plus bas), une désinence *-fs non encore assimilée en -s serait très improbable à la
date de notre texte.
56 En fait (voir plus bas), nous ne considérons comme incomplets que (sûrement) opsetfa]
ou opsetfast] à la 1. 1, et (peut-être) marone[s] à la 1. 2.
564 MICHEL LEJEUNE

Toutes les éditions, depuis Ribezzo, analysent: objet bia(m) à l'ace,


sg. + verbe actif 3e pi. opse(n)t + groupe de sujets au nominatif (lignes 2-4).
C'est là (sans jamais, d'ailleurs, le déclarer expressément) lire en latin les
trois dernières lignes. Car marorië(s) ou maronë[s] n'est pas un nomin. pi.
ombrien, lequel serait * marons 57 ; et les gentilices en -io(s) ou -io[s] ne sont
pas des nomin. sg. ombriens, lesquels seraient soit en -is > -ir, soit en
-ies > -ier 58. D'autre part une 3e pi. opse(n)t 59 soulève des difficultés sérieuses.
Ou bien (Vetter, Pisani) on y voit un parfait; mais la finale primaire -ent
au lieu de la finale secondaire -ens60 est malaisément justifiable61. Ou bien
(Ribezzo, Bottiglioni) on y voit un présent62: mais le présent connu de ce
verbe est de première conjugaison en ombrien comme en osque 63 et il faudrait,
ad hoc, supposer ici un remodèlement analogique64. Par surcroît, dans un
procès-verbal municipal de travaux, c'est le parfait qu'on trouve toujours,
non le présent.

57 On n'a pas d'exemples ombriens de nomin. pi. animé pour les thèmes à nasale. Mais
on sait d'une part (ainsi, par frater< *frâter(ë)s) qu'en ombrien (comme en osque) le nomin.
pi. des thèmes consonantiques continue *-ës, avec syncope de ë (PI § 284-1; Bu2 § 178-10).
On sait d'autre part (ainsi par IKUVINS< *-in(ö)s) qu'en ombrien (comme en osque) se
conservait en fin de mot une séquence secondaire -n( )s après syncope (PI § 236-5; Bu2 § 110-6).
58 Cf. PI § 276-1; Bu2 § 91.
59 La non-notation de η devant / est banale: PI § 154, Bu2 108.
60 Sur la constance de l'opposition -nt primaire / -ns secondaire, cf. PI § 302 («Ausnahmen
gibt es nicht»), Bu2 §§ 203-204. Du verbe ici allégué, on a d'ailleurs le parfait 3e pi. en Ve 196
(ουπσενς), Ve 8 et 10 (UUPSENS), Ve 16 (UPSENS).
61 Pisani: extension (exceptionnelle) de la finale primaire aux dépens de la finale secon
daire [??], ou hybridation de -ns ombrien par -nt latin [??].
62 A en juger au moins par le futur en -se/o-, la 3e pi. thématique de l'osco-ombrien
est en -ent, non en -ont (cf. Bu2 § 204-3).
63 Dénominatif en -a- tiré d'un neutre de thème '"opes- (cf. lat. opus/ operarî). Le thème
verbal de présent est donc (après syncope de la brève intérieure) opsa-. Il est directement
attesté en ombrien (3e sg. impér. osatu, VI b 24) et en pélignien (3e sg. passive subj. imparf.
upsaseter, Ve 216). Il est, de plus, impliqué en osque par le gérondif de thème opsanno -
(Ve 11, 13, 18, 152, 153, 154) et le part, passé de thème opsato - (Ve 124).
64 Du dénominatif opsà-, on attendrait un parfait secondaire (osque et ombrien -afed,
osq. -a(t)ted, ombr. -anse), mais on a en osque (et il a sans doute existé aussi en ombrien)
un parfait fort analogique (du type radical à voyelle allongée) *ôps 7o - (cf. Bu2 § 225):
UPSED (Ve 142, 177; pour la 3e pi., voir n. 60). - Cette ambiguïté paradigmatique a amené
à côté du participe öpsa-to- (osque: Ve 124), la création d'un participe «fort» öps-eto-
(ombrien: H, J). - La même ambiguïté aurait pu conduire à doubler le présent öpsä- d'un
présent fort *öpse/o-; l'hypothèse n'est donc pas invraisemblable a priori; mais elle ne peut
prendre appui, jusqu'ici, sur aucune donnée connue.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 565

Sans modifier la signification du texte, on en proposera ici une construc


tiondifférente, en même temps qu'une lecture proprement ombrienne:
bia: opsetfa] « fontana facta
marone marone
t. foltonio T. Fultonio
se. ptrnio Se. Petronio »

avec alternatives, à la 1. 1 :
bia: opset[ast] « fontana facta est »

et à la 1. 2:
marone [s] « maronibus »

D'abord, au nomin. sg. (ici, en - A) de Γ dèci.65, phrase nominale


(cf. oseto cisterno en H), qu'on y restitue ou non la copule -(e)st. Ensuite,
ablatif absolu de datation. Ou bien marone au sg. (en accord en nombre,
avec le premier seul des deux noms propres); finales ombriennes d'abl. sg.
en -E pour la IIIe décl. 66, en -O pour la IIe décl. 67. Ou bien maronefs]
à l'abl. pi., en supposant (faute de tout exemple de cas oblique pi. de IIIe décl.
hors d'Iguvium) que la voyelle de liaison pouvait être * -ï- à Foligno (comme
en osque), non * -ü- (comme dans l'ombrien des Tables), *-?- (de
*maron-i-f(o)s) étant ici noté e (comme il arrive sporadiquement à Iguvium).
En dépit de ces difficultés de syntaxe (pour marone) ou de forme (pour
maronefs]), nous pensons que cette lecture est préférable à l'interprétation
traditionnelle. Dans cette perspective, on notera que J (qui est d'un autre
site ombrien que H, et qui est probablement antérieur) se signale, par
opposition à H, par deux traits de relatif archaïsme: notation -A, non encore
-O, de l'ancien * -â final; entre voyelles, conservation du groupe secondaire
intervocalique -p( )s-, non encore assimilé en -(s)s-68.

65 En osco-ombrien -a en finale absolue (PI § 29; Bu2 § 34) tend à se fermer en se


vélarisant, mais les témoignages graphiques indiquent une évolution inégalement avancée selon
le$ lieux et les époques; pélignien: -A (sauf -V en Ve 213); T.E. en écriture locale: flottement
-A/-U; T.E. en écriture latine: -O; osque: -U, -O, -o ou -ω. Nous admettons que l'ombrien
en écriture latine pouvait avoir soit -A (J: Foligno) soit -O (H: Fossato di Vico; Iguvium).
66 PI § 283-8; Bu2 § 178-5.
67 L'aboutissement ombrien de "'-öd (Bu2 § 171-6) est, dans les Tables Eugubines, écrit
-U en alphabet indigène, -V (très exceptionnellement, -O) en alphabet latin. Mais, hors
d'Iguvium, nous avons au moins un exemple assuré de -O dans maronato (H), qui est un
substantif thématique (Bu2 § 259-2).
68 PI § 208; Bu2 § 122.
566 MICHEL LEJEUNE

Κ: Ve 212 (Pratola Peligna)

[ ? ]
1? MEDIX.ATICVS
2? BIAM.LOCATIN
3? P.SADRIES.T
4? V.POPDIS.T

Cette inscription sur pierre69, dont il est incertain si nous avons le


début ou non, est en tout cas complète70 à gauche, en bas et à droite
(avec, notamment, blanc de la largeur des deux lettres à la fin de la 1. 2,
ce qui intéresse la discussion de -ATIN). Elle mentionne l'intervention de
deux magistrats dans l'établissement d'une fontaine: « [ . . . ? . . . ] meddices
* actici fontanam locauerunt P. Satrius T.f., V. Popidius T.f. ». Le second
mot est un hapax; si, comme on le pense généralement, on a ici at- < * aht- <
* akt-, les deux magistrats sont désignés comme «ad acta (ou: ad actus)
pertinentes»; mais on ignore la nature (religieuse? politique? technique?)
de cette spécification71.
La principale difficulté concerne le mot en -atin, dont la finale n'est
ni mutilée sur la pierre, ni (si elle était abrégée d'une ou deux lettres)
abrégée faute de place. - On ne connaît d'autre -n authentiquement final
en osco-ombrien que celui de la postposition -en. Au prix d'une haplographie
locat<in>in « in locatione », la forme du mot se laisserait justifier sans

69 Première publication: Dressel, Bull. Inst. 1877, p. 182-184 (biam non traduit). Biblio
graphie 1877-1897 chez Conway (n° 219; biam non traduit; II p. 604: «cisterna uel sim.»)
et Planta (n° 251; biam non traduit; I p. 413 sv. et II p. 6: «Gabe?»). Puis Ve 212 (biam
«fontanam»); LIA2 49 (biam «uiuam», glosé par «fonte ο sim.»); Bo 126 (biam «uiuam»:
«si sottintende aquam ο cisternam»).
70 Voir par ex. fac-similé chez J. Zvetaieff, HMD. tab., 1885, VI-2. Si une ligne supérieure
manquait (?), elle aurait pu contenir quelque mention du type « iussu senatus » uel sim., mais
c'est une hypothèse non nécessaire. Est en tout cas exclue toute restitution supposant une
lacune en bas (ainsi C. Pauli, Altit. St. V, 1887, p. 46, imaginant un texte de [2] + 4 + [4] lignes,
terminé par une formule verbale, laquelle à distance régirait l'accusatif biam... atim [sic],
avec nom *ati- de la «fontaine» d'où dériverait aticus: «magistratus *fontanarii»).
71 Cf. PI. § 175, Bu2 § 142. L'évolution est, à date historique, plus avancée en ombrien
(-at-, sous diverses graphies) qu'en osque (-aht-), le pélignien présentant le même stade que
l'ombrien: cf. pél. SATO (Ve 204) en regard de l'ombrien [sät-] diversement écrit (SAHT-,
SAT-, SAHAT-) et de l'osque (SAAHT-).
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 567

difficulté72; mais, dans cette hypothèse73, c'est la construction que l'absence


de verbe rendrait difficile74. - Alternative: mot en -atin( ) incomplète
ment écrit. C'est ce qu'implique l'interprétation, généralement reçue75, de
locatin comme 3e pi. d'un parfait de Γ conj. (« locauerunt »). En regard du
-a(t)tens attendu, il faut alors à la fois justifier l'absence de -s et le
timbre -i- de la voyelle désinentielle. Il est exact que le pélignien, à la
différence de l'osque, néglige souvent d'écrire -s final 76; tous les exemples
sauf un concernent, il est vrai, -s postvocalique (lequel est, les trois fois,
noté dans notre texte); mais on pourra alléguer l'épitaphe de Corfinium
Ve 228 h qui présente tout ensemble -s noté après voyelle et -s non noté
après nasale77. Il est exact aussi que des flottements sporadiques entre
é et î apparaissent dans le domaine osco-ombrien 78; mais, du moins jusqu'ici,
on n'en connaît pas d'exemple dans ce contexte précis (devant -ns). - Au
total, l'hypothèse « locaverunt » est la moins coûteuse.
Mais, ce verbe, en quel sens? Lorsque les éditeurs précisent leur inter
prétation 79, c'est toujours en faveur de « mettre en adjudication ». Ce second
sens, technique, de lat. locare, n'a guère chance de se retrouver en pélignien
que par emprunt de sens (calque) ou emprunt de mot. En fait, il semble
qu'on ait toujours songé à un emprunt de mot. On y voit un des nombreux

72 Nous tenons pour probable (les exemples font défaut) que le loc. sg. osque des thèmes
consonantiques était en -ei (comme celui de la IIe décl., à laquelle ces mêmes thèmes ont
d'ailleurs emprunté les finales d'ace, sg. et d'abl. sg.). Pour la IIe décl., nous avons un exemple
de loc. sg. + postposition *-en dans HURTÎN (Ve 147), dont la finale - IN est expliquée
comme continuant *-e(y)-en (PI § 33, Bu2 § 41a). Aux thèmes à nasale en -ätiö / -ation-
du latin correspondent des thèmes en -ATIUF/-ATIN- (PI § 283 c; Bu2 § 181). Le locatif ici
supposé serait (sans postposition) en *-ATIN-EÎ; avec postposition en -ATINÎN.
73 Dont l'amorce est déjà chez Planta II p. 658.
74 A supposer qu'une ligne supérieure ait disparu (voir n. 70), ce n'est en tout cas pas
là qu'aurait pu se loger le verbe. Un verbe initial (cf. commentaire de oseto cisterno en H)
ne serait admissible que comme marque de coordination à une proposition antécédente. Il
faut donc, si locatin n'est pas un verbe, que le verbe soit sous-entendu: «meddices fontanam
in locatione (scilicet: dederunt, vel sim.) », ce qui ne satisfait guère.
75 Elle remonte à Bücheier, Bull. Inst. 1877, p. 236.
76 Cf. PL § 256.
77 V. ANIAES. V. CALAVAN, où le dernier élément a chance d'être le nomin. sg. en
-an(s) d'un ethnique à suffixe -ano-. Ici encore, ce n'est pas faute de place que la sifflante
a été omise (voir p. ex. le fac-similé de J. Zvetaieff, HMD. tab. IV-8).
78 Cf. PI § 31; Bu2 §§ 38-39.
79 En dernier lieu, V. Pisani («appaltarono»).
568 MICHEL LEJEUNE

termes administratifs que le lexique de la vie municipale italique a reçus


de Rome. - A dire vrai, les procès-verbaux que nous avons pour l'osque,
mentionnant adjudication de travaux à un entrepreneur 80, ne manquent jamais
de mentionner ensuite la réception des travaux terminés, et leur conformité
constatée avec les clauses du marché81. Ce que nous n'avons pas ici. Mais
l'objection n'est pas décisive; le formulaire administratif pélignien a pu,
occasionnellement, différer du formulaire osque (ainsi, on n'a pas de co
rrespondant osque de la formule fesn(u) upsaseter coisatens de Ve 216,
« templum (ut) exstrueretur curauerunt »). - Néanmoins, reste à nos yeux
aussi probable, pour locatin, une signification « mettre en place ». A condit
ion, bien entendu, que le mot puisse être originellement osque, car on ne
voit pas, pour un terme aussi banal, la justification d'un emprunt.
Ceci mène au problème de l'initiale. Si lat. locus est sans étymologie,
du moins savons-nous, à travers Festus, que la forme avait comporté, dans
un stade antérieur dont le souvenir n'était pas complètement perdu, un
groupe initial stl-; on en infère, pour les premiers siècles du latin historique,
une évolution stl- > * si- > 1-. Or, l'osque connaissant encore, à l'époque
de nos textes, un groupe initial si-, on en conclut qu'un * stloko- osque
eût dû, à cette même époque, se présenter comme * sloko-; d'où la né
cessité que le thème de locatins soit un emprunt au latin (et,. par récurrence,
qu'il faille prendre le mot dans l'acception technique qu'il peut avoir dans
la langue juridique de Rome). - Mais l'argumentation n'est pas assez serrée
pour être contraignante. On n'a, d'osque si-82, que deux exemples cam-
paniens, dont l'un (appellata0 SLAAGI- «territoire» à Abella, Ve 1; mot
sans étymologie) et l'autre (nom propre SLAABIS à Herculanum, Ve 107)
ont d'ailleurs chance d'être de plus haute date que K. Si rien ne le prouve,
rien n'exclut non plus qu'en une autre région (pays pélignien) et à date
plus basse, si- soit passé à 1-. Il y a donc, à côté de l'hypothèse d'un
emprunt au latin, avec des chances égales, celle d'un * stloko- commun au
latin et à (tout ou partie de) l'osco-ombrien, les deux langues en ayant
parallèlement tiré un dénominatif de Ière conjugaison « mettre en place ».

Généralement, par UPSANNUM (-AM) DEDED (-ENS) «donner à faire:


Généralement, par PRUFA(T)TED (-ENS) «approuver».
Cf. PI § 230; Bu2 § 114.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 569

M: Si 1 (Tocco Casauria)
1 Ρ A . PETRONI
2 POM. F. BEA
3 ECAN. F EC
4 MEDIX

Ce texte 83 « Pa. Petronius Pom. f. fontanam hanc fecit meddix » apporte


un doublet bea - de biä - que de Simone compare au peai « piae » de Ve 218
et explique par une ouverture de i en hiatus. Sauf le dernier, tout les mots
sont abrégés, ainsi petroni(s), bea(m), ecan(c). Derrière l'abréviation fec(ed),
de Simone ne dit pas s'il voit un mot latin ou une forme proprement dialectale 84;
cette dernière éventualité accorderait à l'ensemble: osque85 - pélignien la
même dualité de parfait fefäk-/ßk- qui se constate dans l'ensemble: latin
de Préneste86 - latin de Rome.
Des interprétations proposées, au long d'un siècle, pour bio (« pius »,
Corssen; « corpus », Hunschke; « uia », Bréal; « ara », Bücheier; « saeptum » 87,
Bugge; « thesaurus », Deecke; « donum », Planta; etc. . .) et des etymologies
qui y ont été associées ou qui y ont conduit, il n'y a à retenir ici que
l'interprétation « fontana » 88 seule compatible avec l'ensemble du dossier
tel qu'il se présente aujourd'hui, et la seule étymologie qui ait été, pour
« fontana », avancée et qui remonte à Pauli 89: * gwiwâ- « (eau) vive » > « fon
taine », avec même application de l'adjectif aux eaux qu'un latin (fontes

83 Première publication en 1900 par P. L. Calore (Atti della Reale Acc. di... Napoli 21,
p. 182, n° 11; et p. 174). L'existence du texte est passée inaperçue de Buck, Vetter, Pisani,
Bottiglioni. La pierre n'a pu être retrouvée en 1962 par C. de Simone, qui la republie (Ann.
Ist. Or. Napoli IV, 1962, p. 63-67 et pi. 1-1) d'après la copie et la photographie de Calore.
84 On a d'autres exemples, dans les parlers centraux d'un *ë étymologique noté E (ainsi
pour la première voyelle de REGEN[AI] «rëglnae » en Ve 218; etc.).
85 A Bantia (Ve 2), fefacid, fefacust.
86 Ve 365: VHEVHAKED.
87 Pendant la première moitié du XIXe s. a prévalu cette interprétation d'« enclos» (sacré),
se référant à un terme du vieil islandais: fém. kvi (pluriel kviar) « enclos où les brebis sont
rassemblées pour la traite». Buck (encore qu'avec hésitation: Bu2, 1928, n° 83) et Ribezzo
(RIGI 12, 1928, p. 225) traduisent «sacellum». Cette étymologie italico-scandinave figure,
chez Müller (AIW, 1926, p. 210) et chez Walde-Pokorny (Vergi. Wb. der idg. Spr. I, 1929,
p. 666), d'où elle est passée en 1959 chez Pokorny (IEW 467).
88 Proposée par Pauli (voir n. 89), reprise en 1928 par von Grienberger (KZ LVI, p. 23-28)
et en 1932 par Vetter (Glotta XX, p. 19), c'est celle qui prévaut depuis le milieu de ce siècle
(Ve, Bo, LIA2).
89 Altit. Forsch. V, 1887, p. 42 sq.
570 MICHEL LEJEUNE

uiuï, etc.) et métonymie banale (cf. ital. sorgente: « (eau) surgissante » >
« source »).
Si cette étymologie est valable, il en résulterait une conséquence qui
n'a pas été signalée, malgré son intérêt: bia- alors, étant originellement
adjectif, implique un nom féminin pour P« eau »; or bia- appartient non
seulement au pélignien (pour lequel on peut supposer, avec vraisemblance,
le même nom âpâ- qu'en osque), mais aussi à l'ombrien (qui ne nous a
jusqu'ici fourni que le neutre UTUR). L'ombrien dès lors (et peut-être l'osco-
ombrien dans son ensemble?) aurait connu pour l'eau (comme le fait, par
ex. le sanskrit) à la fois un nom neutre de Peau-substance et un nom
animé de l'eau vive; seul le hasard des textes nous priverait du nom neutre
en osque et du nom féminin en ombrien; l'opposition, ici, entre latin et
osco-ombrien, se réduirait à l'élimination par le latin de l'élément neutre
du couple.
Malheureusement, cette étymologie ne va pas sans difficultés phonétiques:
elle implique, pour le pélignien et l'osque, amuïssement possible de -w-
entre deux voyelles (de timbres différents). Pauli allègue pél. suois (Ve 203;
cf. sua, Ve 213) en regard de osq. SUV-, SUV-, acca (nom de femme,
Ve 215 f; supposé doublet de accaua), des<* deues lat. «dives» (Ve 214); il
allègue aussi ombr. bue lat. « boue » (VI a 25, etc.) - Planta, qui reprend le
problème d'ensemble90, enseigne que -w- intervocalique se conserve régu
lièrement entre voyelles dans tous les parlers du groupe; il y a bien un petit
nombre de formes embarrassantes, mais où l'étymologie a plus de chances
d'être en question que la régularité de l'évolution phonétique; à en juger
par l'osque (nomin. pi. BIVUS, Ve 6) on attend conservation de -w- dans
les formes issues de * gwïwo- 91; la position de Pauli est « sehr zweifelhaft » 92.
En cette incertitude, et en l'absence de solutions de rechange tant à
partir de cette même racine * gwey(d)- 93 que d'autres racines connues, ou
l'on acceptera en même temps que l'étymologie de Pauli les difficultés qui
la grèvent, ou l'on se résignera (peut-être sagement) à laisser le mot, jusqu'à
nouvel ordre, sans étymologie.

90 PI § 106.
91 IEW 468.
92 A demi-mot, Pisani, p. ex. suggère pour « vivant » une forme à suffixe *-yo-, non
*-wo- (ad 62 A: «bio, da *griiâ, cf. gr. βίος»). Mais βίος (dont nous ignorons s'il a comp
orté: IEW 468, ou non, un -f-), n'est, en tout cas, pas un adjectif.
43 Compte tenu du fait que b- peut continuer soit *b-, soit *gw- soit un groupe *dw-.
NOMS OSCO-OMBRIENS DES EAUX 571

POST-SCRIPTUM

Cet article était sous presse quand a paru (A. La Regina, Parola del
Passato, fase. CLXI, 1975, 167 sv.) l'inscription d'une troisième vasque de
Pietrabbondante (cf. ci-dessus C, D,), nouveau témoin des travaux édilitaires
du même P. Staius L. f.; forme verbale EMANAFED: restituer donc, en C
et D, le préverbe [E-], non [A-]. Texte:

1 PA . STAIIS . L . M . AAPAM . KELLAKED


2 ÎNÎM . KURASS . EKASK . EMANAFED
3 ESÎDUM . PRLJFATTED
ETTORE LEPORE

TIMEO IN STRABONE V, 4,3 C 242-243 E LE ORIGINI CAMPANE

La prospettiva ionica di Ecateo di Mileto deve avere influito a lungo


sulla storiografia greca, se ancora alla metà del V secolo a. C. Antioco
di Siracusa parla per « il paese intorno al Cratere » (che è il nome più
antico di quella che fu detta Campania, solo dopo l'occupazione dei Campani,
alla fine del secolo) di Ausoni (555 F 7 Jacoby), riprendendo la tradizione
etnica nota ad Ecateo \ anche avendo a disposizione altre notizie e cono
scendo certamente gli Opici2 che egli, tuttavia, riteneva una semplice
variante onomastica rispetto agli Ausoni3.
Una più completa e precisa individuazione degli strati etnici in Cam
pania affiora tuttavia soprattutto in fonti più tarde, la cui tradizione risale
probabilmente all'altro celebre storico siceliota, vissuto tra il quarto e il
terzo secolo a. C, interessato a etnografia e geografia, Timeo di Tauro-
menio. A lui attinse Polibio, pur criticandolo violentemente, e attraverso
costui e altre fonti - ma forse anche direttamente - prese materiali e
giudizi Strabone. Sarà, perciò, utile partire dal passo dell'opera geografica
di quest'ultimo sulla Campania che sembra contenere elementi timaici sulla
successione dei vari popoli nella regione.
« Prima di tutto bisogna che si parli della Campania. Si apre a partire
da Sinuessa lungo il litorale che segue un ampio golfo fino a Miseno, e di
là un altro golfo molto più grande del precedente; lo chiamano Cratere e si
estende dal Miseno fino all'Ateneo, i due promotori. L'intera Campania si
trova al di là di queste coste, pianura la più fertile di tutte; la circon-

1 P. es. per Noia, «città degli Ausoni», 1 F 61 Jacoby.


2 Ibid., e F 4; oltre che Tue. VI 4,6 su Cuma che ha per fonte probabile proprio Antioco.
3 Arisi., Polit, VII, 9,3, 1329 b 18-20 ripete la spiegazione, con espressione non chiara,
attingendola forse alla stessa fonte, data la conoscenza che ha della storiografia locale: ibid.
1329b 8.
574 ETTORE LEPORE

dano colline che danno frutti abbondanti e monti, quelli dei Sanniti e quelli
degli Osci. Antioco dice che questo paese era abitato dagli Opici e che
questi si chiamavno anche Ausoni. Polibio invece mostra che si tratta di
due popoli tramandando queste notizie; infatti dice che il paese intorno al
Cratere abitano gli Opici e gli Ausoni » (Strab. V, 4,3 = C 242). Fin qui il
passo di Strabone non pone problemi e sottolinea il contrasto di opinioni
tra la più antica storiografia locale (che abbiamo visto essere probabilmente
ancora sotto l'influenza di Ecateo) e il giudizio di Polibio che conosce
Ausoni e Opici come due popoli distinti.
Tutto il contesto straboniano, anche precedente, sembra risalire a Polibio,
il cui libro XXXIV conteneva una descrizione geografica dell'Italia4. I
riferimenti di V, 4,2 (in fine) - 3 (inizi), a Frentani e Dauni, concordano
con i dati polibiani (v. p. es. Ili, 88,3; X, 1,3), specie con l'importanza che
quest'ultimo popolo ha in essi5; così la netta distinzione della Campania
(in senso stretto e proprio), come un hinterland con le sue famose risorse,
rispetto alle coste - distinzione che torna in tutto lo schema di Strabone,
con le πόλεις δ'έπί μεν τη οαλάττη (di V, 4,4 ss = C 242-43), ed έν δε τη
μεσογοά^ Καπύη (di V, 4,10 = C 249) con le altre città di Cales e Teano
Sidicina da una parte, Nuceria e quelle interne come Noia, dall'altra - cor
risponde alla breve descrizione della Campania in Polibio (III, 91, spec. 4-6),
che è a sua volta sintesi aggiornata all'epoca annibalica e insieme forse
anticipazione del più ampio excursus geografico già citato (XXXIV, 11,7 ed.
cit.). Anche in questa si dice che « quanto alla pianura intorno a Capua
essa è la più rinomata d'Italia ... in essa si trovano pure le più belle e
famose città della penisola. Sono situate sulla costa le città di Sinuessa,
Cuma, Dicearchia, quindi Neapolis, ultimo il popolo dei Nucerini. Nell'entro-
terra sono situate verso nord Cales e Teano, verso oriente e mezzogiorno
i Dauni e Noia. Proprio al centro della pianura si trovava la città di
Capua, che era allora la più fiorente di tutte ». Dopo aver identificato la
pianura campana con quella Flegrea (con un riferimento che è anch'esso in
Timeo, 566 F 89 Jacoby, e che ritroveremo in Strab. V, 4,4 = C 243 e
V, 4,6 = C 246, a proposito di Cuma e del suo territorio), Polibio aggiunge
anche che « essa è limitata . . . per lo più da monti alti e ininterrotti ». Questi

4 Da esso deriva probabilmente anche questa citazione: cfr. ed. Biittner-Wobst, voi. IV,
pp. 421-22.
3 Come forse già in Timeo, cfr. Geffken, Timaìos' Geographie des Westens, Berlin
1892, pp. 5 ss.
TIMEO IN STRABONE V, 4,3 C 242-243 E LE ORIGINI CAMPANE 575

sono probabilmente quelli che Strabone chiama monti dei Sanniti e degli Osci,
senza che si riesca a precisare meglio; infatti il seguito del passo polibiano
che ci aiuterebbe a una identificazione, elencandoci gli accessi alla Camp
ania attraverso quei monti dall'interno, è lacunoso e non menziona che il
Sannio (άπο της Σαυνίτιδος) e, dopo le parole perdute per la corruzione,
il territorio irpino (άπο των κατά τους Ίρπίνους τόπους). A meno che la
lacuna non contenesse una terza menzione etnica è difficile dire che cosa
Strabone intendesse con monti degli Osci, specie se il passo deriva da
Polibio.
Polibio, che nella breve descrizione della Campania non nomina i popoli
che la abitavano, in nessun contesto giuntoci direttamente conosce il te
rmine "Οσκοι; anche nella citazione esplicita, contenuta nel nostro passo,
egli menziona Ausoni e Opici. Evidentemente egli usa il termine Όπικοί
proprio nel significato di Osci; lo proverebbe anche il frammento di Stefano
Bizantino, attribuito al libro IX, 9,10 a (ed. Büttner- Wobst), se quel che
segue al lemma Άτελλα, πόλις Όπικών Ιταλίας μεταξύ Καπύης και Νεαπόλεως
è come la citazione finale sull'etnico Ατελλανός sicuramente derivato dal
testo polibiano. Il passo del libro XXXIV, citato da Strabone, distingue dunque
gli Ausoni dagli Opici, riferendosi a due momenti culturali (e forse cronol
ogici) - oltre che a due elementi etnici - diversi; esso rispecchia la s
ituazione campana dopo l'arrivo delle genti osche e loro gruppi minori
(Campani, Nucerini, Sanniti, ecc).
A veder bene gli si accosta strettamente per concezione un altro brano
di Strabone, nella parte precedente dello stesso libro riguardante il Lazio
meridionale: V, 3,6 = C 232-233. Ivi si dice infatti: « Al di là del litorale
nelPentroterra si stende la pianura Pomentina e la regione contigua ad essa
abitavano precedentemente gli Ausoni, che possedevano anche la Campania.
Dopo di questi invece gli Osci; ed anch'essi avevano parte della Campania.
Ora però il territorio è tutto dei Latini fino a Sinuessa, come ho detto ». A
prescindere dai confini geografici del Lazio, di cui Strabone ha già parlato
(in V, 2,1 = C 219 e in V, 3,4 = C 231) accettando la stessa frontiera, secondo
una tradizione che risponde alla situazione tra IV e II secolo a. C, anche i
dati etnici di questo passo sono polibiani6. Essi, tuttavia, se accettati
alla lettera, sarebbero l'unica evidenza in Polibio dell'uso del termine
"Οσκοι (cui contraddice, invece, tutto il resto della sua opera storica, come

6 Così sostiene anche F. Lasserre, nella sua edizione di Strabone: Geographie, t. Ill,
Paris 1967, nota 4 di p. 85 a p. 207.
576 ETTORE LEPORE

si è visto). In questo caso, dunque, bisogna pensare - contrariamente a


quanto accade di solito per la tradizione polibiana in Strabone, attinta quasi
sempre direttamente7 - ch'essa è stata filtrata, e aggiornata nella te
rminologia, da una fonte intermedia, probabilmente Artemidoro, cui risale lo
schema generale di tutto V, 3,6 e che anche in altre citazioni di Polibio
lascia intravedere la sua presenza8. Qui se l'uso di notizie leggendarie
da Timeo può confermare l'attività di Artemidoro anche in margine ai suc
cessivi dati polibiani9, le osservazioni seguenti sulla scomparsa degli Osci
(των μεν γαρ "Οσκων έκλελοιπότων) e la loro eredità dialettale e culturale
a Roma, anche se valgono per l'epoca di Polibio 10, fanno supporre media
zione attraverso Posidonio, che è certamente fonte delle ultime righe di
V, 3,6 sul vino Cecubo e che, in altri luoghi, V, 4,11 = C 249-250 e VI 1,2 =
C 254, contiene analoga riflessione a proposito della sparizione delle popola
zionisabelliche d'Italia meridionale, anche lessicalmente vicina a questo
passo in esame (p. es.: ενιαι δ'έκλελοίπασι τελεως - τα τε ευη . . . έκλέλοιπεν) e
tipica dell'analisi etnografica posidoniana n. Posidonio sembra essere
ancora la fonte in V, 3,9 = C 237-238, dove per il territorio dei Sidicini si
dice appunto che sono "Οσκοι, Καμπάνων ευνος έκλελοιπός.
Noi dobbiamo, in conclusione, ritenere che Polibio parlasse soltanto di
Ausoni e Opici (nel senso di tutti gli Osci di Campania) e che il termine
Osci sia appunto modifica chiarificatrice e interpretazione già antica (della
fonte médiatrice) del corrispondente termine polibiano. Nell'età dello
storico (II secolo a. C), del resto, il vocabolo Opici ha assunto un senso
anche più lato, né etnico né geografico, oltre a designare una stirpe sia
pure in senso più generico: ne fornisce evidenza la tradizione di Catone
(presso Plin., N. H., XXIX, 14) sull'uso greco in quell'epoca (« nos quoque
dictitant barbaros et spurcius nos quam alios Όπικών appellatone foedant »),
seguito a modo suo da Giovanni Lido (De mens. I, 13: όππικίζειν και (ως
το πλήυος) όφφικίζειν το βαρβαρίζειν Ιταλοί λέγουσιν). Riferito dunque all'epoca
di Polibio - ο a quella un po' anteriore di qualcuna delle sue fonti - il
commento del Beloch (Campanien, Berlin 1879, p. 3) che « per un greco è
Όπικος ogni italico, che non sia né un messapo, né un tirreno » è valido.

7 Cfr. F. Lasserre, Notice, dell'ed. cit., pp. 11-14.


8 Cfr. F. Lasserre, loc. cit., pp. Il, 14 ss., spec. 16.
9 Cfr. F. Lasserre, loc. cit., p. 15.
10 Cfr. F. Lasserre, p. 207 cit.
11 Cfr. F. Lasserre, loc. cit., pp. 18-20, che non elenca V, 3,6 sugli Osci ma gli altri
due confronti; v. pure ivi il commento a n. 3 di p. 87 e a n. 1 di p. 128.
TIMEO IN STRABONE V, 4,3 C 242-243 E LE ORIGINI CAMPANE 577

La mancata precisazione cronologica e storica di questo uso ha però


indotto i moderni, dopo gli antichi, a identificare gli Opici, ο con gli Ausoni
(seguendo Antioco e facendone una stirpe affine del più antico strato indo
europeo venuto in Italia), ο con i sopraggiunti italici, cioè con gli Osci
(e considerandoli il nome più antico di questa stessa gente, quello noto
soprattutto alla tradizione greca). Antioco e Polibio hanno lasciato dunque
un'impronta profonda nella storiografia antica, ma anche nella ricerca più
recente, e hanno - sia pur fuori della chiara coscienza moderna - contribuito
a consolidare la dottrina sulle due ondate in cui si sarebbe verificato il
popolamento indo-europeo e la stratificazione etno-linguistica e culturale in
Campania. Se, infatti, da una parte per Ausoni e Opici si afferma che « le
due denominazioni corrispondono almeno a due fasi successive della storia
di uno stesso popolo », ma si considerano gli Opici tutt'uno con i più tardi
Osci, il loro nome come nome che « i Greci non hanno potuto prendere a
prestito che agli Osci stessi » 12, dall'altra l'esperienza critica in campo storico,
archeologico e linguistico specialmente degli studi italiani, dal Pareti al
Pallottino e al Devoto, veniva da quest'ultimo sintetizzata: « La civiltà più
antica è attribuita dalla tradizione agli Ausoni . . . Attraverso i territori
da loro occupati si era sviluppata la più antica civiltà del ferro, a mezzo
giorno del Lazio, quella delle tombe a fossa . . . Chi conosce il grande atta
ccamento che i nomi di popolo hanno al suolo, non può sorprendersi che
l'antico nome di Opici appartenesse allo strato più antico di Indo-europei e
la forma Osci rappresenti l'adattamento dello stesso nome agli Italici soprag
giunti sicché ' opico ' può continuare a significare un popolo affine agli
Ausoni, ' osco ' un popolo italico, con le rispettive lingue, la ' opica ' protol
atina, la ' osca ' italica ...» 13.
Il rapporto che intercorre tra Ausoni, Opici e Osci è molto importante
per definire lo sfondo etnico e culturale locale, su cui si svolsero le prin
cipali vicende storiche campane in età arcaica: « si tratta del problema più
importante della storia della Campania » riconosce il Devoto 14. Egli stesso,
ammettendo due « invasioni » indo-europee in Italia 15 avverte, tuttavia,

12 J. Heurgon, Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue pré-


romaine, Paris 1942, pp. 41 ss., spec. 49-50; anche per E. Wikèn, Die Kunde der Hellenen
von dem Lande und der Völkern der Appenninenhalbinsel bis 300 v. Chr., Lund 1937, pp. 109 ss.,
119 ss. secondo cui gli Opici sono Sanniti e quindi Osci; v. contra già F. Ribezzo, recensione
in RIGI, XXI, 1937, p. 113.
13 G. Devoto, Gli antichi italici, 3 ed. riv. Firenze 1967, pp. 119-120.
14 Cfr. op. cit., p. 120.
15 Cfr. op. cit., spec. pp. 65-66, 103.
578 ETTORE LEPORE

che « l'espansione indo-europea non è il risultato di episodi violenti, imprese


guerresche, ο invasioni improvvise che avrebbero lasciato ricordo in una
materia epica; ma un flusso, ora rapido, ora lento, ininterrotto e si può
dire inavvertito » 16. Con la sua acuta sensibilità per i fatti storici,
loro concretezza e dinamismo, il linguista mentre sa che la diffusione di
lingue « implica una solidità di organizzazione sociale, una compattezza di
nuclei familiari che non si giustifica con inconsistenti 'fermenti' ma con
la presenza effettiva di uomini, sia pure poveri e pochi, ma organizzati »,
mentre quindi dichiara che « inevitabile è l'accettazione da parte degli ar
cheologi di singole correnti artistiche ο tecniche ο culturali » 17, ha co
scienza del pericolo di rigidi schemi e astrazioni sulla genesi di questi
movimenti etnico-culturali nell'Italia più antica. Perciò si può ripetere
con lui che « la opposizione di due (o tre ο più) correnti non significa
che queste si siano distaccate dall'unità primitiva come due (o tre ο più)
rami di un albero, ben visibili e distinti. Presuppone piuttosto che l'espan
sione (di cui nessuna traccia leggendaria è sopravvissuta) sia stata uno
stillicidio invisibile che solo in Italia ha finito per trovare un assestamento
e un raggruppamento » 18.
È con questa coscienza metodica che bisogna proseguire l'esame della
tradizione etnica in Campania e tornare al passo di Strabone su di essa.
Vedremo subito che quella testimonianza contiene un filone tradizionale
(senza chiara attribuzione) su cui non si è forse insistito abbastanza e del
quale non si è chiarita la paternità, ma che può rinnovare la nostra pro
spettiva. Lo schema dualistico, accettato comunemente dalla moderna storio
grafia (Ausoni-Opici e Osci oppure Ausoni e Opici-Osci), si rivelerà ad attenta
analisi ormai insufficiente, e del termine medio, gli Opici, andrà chiarita
la posizione storica e il significato culturale (se non quello linguistico).
Se l'evidenza documentaria non è in Campania ancora sufficiente a fornire
« caratteri distintivi decisivi » per definire tutti gli elementi culturali e
specialmente linguistici, presenti nella regione, anche il Devoto - pur non
andando al di là delle soluzioni che gli sono proprie - dovrebbe ammettere
che « parlare di due stratificazioni non vuoi dire perciò che siano state le
sole, né che la feconda e più recente, quella degli Italici, sia stata l'ultima » 19.

Ibid., p. 86.
Cfr. G. Devoto, op. cit., p. 65.
Cfr. ibid., pp. 47-48.
Cfr., op. cit., p. 48.
TIMEO IN STRABONE V, 4,3 C 242-243 E LE ORIGINI CAMPANE 579

La tradizione antica serba forse ancora traccia di questo più complicato


processo, di cui appunto la Campania sembra forse sempre più rappresentare
un notevole esempio.
E torniamo a Strabone (V, 4,3 = C 242-243), nell'ulteriore sua test
imonianza, dopo l'esposizione del conflitto di opinioni tra Antioco e Polibio:
« Altri ancora dicono che (la Campania), abitandola dapprima Opici ed
Ausoni, fosse occupata poi da un popolo degli Osci, e che questi fossero
scacciati dai Cumani, ed essi a loro volta dai Tirreni; per la sua fertilità
la pianura infatti era divenuta assai contesa e avendovi impiantato dodici
città questi ultimi chiamarono quella che ne era stata la testa Capua.
Indotti dal loro lusso in mollezze, come dovettero ritirarsi dalla regione
intorno al Po, così abbandonarono questa ai Sanniti, e costoro poi furono
costretti a rinunziarvi da parte dei Romani ».
La interpretazione che qui si da del passo deve superare due moderni
emendamenti, il primo dei quali largamente accettato e diffuso nelle più
recenti edizioni, deriva dal tentativo di comprendere il testo certamente
guasto, correggendolo tuttavia in maniera arbitraria e poco coerente con il
tipo di tradizione cui qui ci si trova davanti. Fermiamoci dunque un mo
mento sul testo.

1) Dopo il genitivo assoluto οίκούντων Όπικών πρότερον και Αύσόνων


segue nei codici οί δ* εκείνους veramente intraducibile se lasciato nel cont
esto. Perciò i moderni, fin da una proposta del Madvig20, hanno supposto
trattarsi di una corruzione da Σιδικινούς, correggendo perciò in tal senso.
Così essi intendono che la Campania « abitandola dapprima Opici ed Ausoni,
occuparono poi i Sidicini, un popolo osco ». La corruzione sarebbe paleo
graficamente possibile (specie pensando ad uso di sigma lunato e a lettura
itacistica in un esemplare onciale) e ad alcuni è sembrato tanto più sicuro
l'emendamento in quanto Strabone altrove conosce i Sidicini e li classifica
come "Οσκοι21; anche a V, 4,10 = C249 torna accanto alla menzione di
Capua, « testa » delle città campane (come nel nostro passo), un confronto
con Teano Sidicina, unica importante tra le altre, che ha potuto far pensare
ad una presenza dei Sidicini anche nel nostro caso. In realtà questi due
passi si inseriscono in contesti diversi: il primo con la menzione dei Sidicini

20 Poi seguita dal Nissen, in «Rh. Mus.», 38, pp. 575 ss., e accettata dallo Jacoby, 555 F 7,
e dagli editori di Strabone più recenti, lo Aly e il Lasserre.
21 Cfr. V, 3,9 = C 237-238, e p.es. J. Bérard, La Magna Grecia, trad, it., Torino 1963,
p. 453 en. 121 a p. 476.
580 ETTORE LEPORE

è in un lungo elenco di città sulla via Latina - anche questa volta a pro
posito di Teano, di cui si rileva l'importanza come centro urbano campano -
e in esso i Sidicini sono Osci, ma questi sono poi considerati « un popolo
estinto dei Campani », con una inversione di rapporto e una riflessione
tipica, che abbiamo già vista anche altrove riferirsi a epoca recente e a
tradizione derivante da Posidonio; il secondo, anche se per l'assurda etimo
logia si riallaccia al nostro passo e alla sua fonte (che vedremo quasi cert
amente essere Timeo), è anch'esso frutto di osservazioni sul sistema stradale
romano, ora sulla via Appia, e risale forse ad Artemidoro se non allo stesso
Strabone. Nessuno dei due passi, comunque, può veramente avvicinarsi al
nostro, dove si parla della stratificazione etnica in Campania in epoca
protostorica e storica, e le genti citate appartengono ai grandi gruppi ben
noti alla tradizione greca. La menzione dei Sidicini - che ben si spiega
in un contesto topografico come V, 3,9 che segue i vari centri abitati -
non ha nulla a che fare con questa storia delle « origini » in Campania;
questa tribù, di interesse strettamente locale, non rientra nel largo quadro
che il nostro passo traccia: del resto nell'altro capitolo la qualificazione
dei Sidicini è quanto mai vaga e confusa, con quello strano concetto degli
Osci quale popolo dei Campani, che dimostra come poco e male fossero
noti nella tradizione che fa capo a Strabone, sì da non poter rappresentare
assolutamente uno dei principali popoli succedutisi nel dominio della
pianura campana.
Sembra dunque che la presenza del oi δ' εκείνους nei codici debba spiegarsi
in modo diverso, senza introdurre nella successione etnica i Sidicini. Il
Wikén già pensava ad una glossa (probabilmente riferita al rapporto tra
Opici e Ausoni, gli uni seguiti agli altri, ο a quello tra questi due e gli
Osci, più tardi occupanti), che dal margine era poi entrata nel testo, come
di frequente suole accadere. In tal caso l'espressione è da espungere dal
testo come estranea, e non bisogna tenerne alcun conto ai fini dell'inte
lligenzadi esso, come noi abbiamo finito per fare22.

2) L'altro emendamento, non accettato dagli editori, ma che per l'au


torità dello studioso che lo ha proposto non si può evitare almeno di
discutere, anche se si deve respingere, è la correzione nel testo, dove appare
il genitivo assoluto οίκούντων Όπικών πρότερον και Αύσόνων, che G. Beloch,
in una sua celebre memoria su Le fonti di Strabone nella descrizione della

22 Appunto con simile procedimento lo Sbordone nell'edizione critica di Strabone


espugne come glossa oi δ' εκείνους e ne respinge ogni emendamento. Cfr. Strabonis Geographica,
ree. F. Sbordone, voi. II, Romae 1970, p. 255, r. 23 = 12 dell'apparato critico.
TIMEO IN STRABONE V, 4,3 C 242-243 E LE ORIGINI CAMPANE 581

Campania 23 considerava legittima, dopo aver giustamente presupposto Arte-


midoro quale fonte comune a Strabone e Plinio per quella regione, e volendo,
meno esattamente, estendere al primo, anche dove non ce n'è evidenza, la
tradizione (talvolta di carattere diverso) conservataci dal secondo. Mettendo
dunque a confronto con il passo straboniano quello di Plinio (NH, III 60:
« tenuere Osci, Graeci, Umbri, Tusci, Campani »), che elenca semplicemente
e in strano ordine i popoli abitatori e dominatori della Campania, il Beloch
riteneva che « non sarebbe troppo ardito lo scrivere Όμβρικών invece di
Όπικών, lezione che darebbe un senso molto migliore24.
È facile vedere quanto arbitrario sia questo procedimento, nonostante
l'acutezza del grande storico in fatto di critica testuale, e quanto poco
valga a migliorare il senso del testo. Il paragrafo, così come ci è tramand
ato,s'inquadra infatti perfettamente nell'antica tradizione degli Ausoni
ed Opici, e il resto con la menzione degli Osci, dei Cumani e degli Etruschi
10 completa con notizie di provenienza non tanto diversa da quella tradi
zione, da Antioco a Polibio. La versione pliniana che parla solo di Osci e
introduce l'elemento nuovo, Umbri, resta ancora da precisare nelle sue fonti:
11 Beloch stesso d'altronde consente in una notevole differenza d'informa
zioni e di metodo tra Plinio e Strabone, e al carattere più propriamente
storico delle fonti straboniane 25. La differenza qui non può, tuttavia, dipendere
soltanto da una esagerata abbreviazione pliniana delle notizie storiche con
servatesi in Strabone26. Altrove il geografo non ha il minimo accenno ad
estensione degli Umbri diversa da quella di età storica, divenuta canonica
nella formula di Stefano Bizantino27, e le sue fonti sono più ο meno le
stesse, soprattutto Polibio, e poi Artemidoro e Posidonio. Se i due passi
di Plinio e Strabone, messi a confronto dal Beloch, risalgono veramente
entrambi ad Artemidoro, è chiaro che il primo integra i dati comuni con
aggiunte per le quali non fornisce nel nudo elenco alcuna giustificazione,
mentre Strabone a sua volta sembra scendere a maggiori particolari, di origine
storiografica, che solo fino ad un certo punto possono ammettersi come
derivati, indirettamente, attraverso il geografo che gli è fonte principale.

23 In Mem. della R. Accad. dei Lincei, 10, 1882, p. 424 ss.


24 Art. cit., p. 432.
25 Cfr. art. cit., pp. 437 ss.
26 Cfr. F. Lasserre, éd. cit., p. 15, nota 1 contro G. Hagenow, Untersuchungen zu
Artemidors Geographie des Westens, Göttingen 1932 che svaluta i paralleli tra Strabone
e Plinio.
27 Cfr. V, 1, 7 = C 214; V, 1,10 = C 216; e spec. V, 2,10 = C 227; e Steph. Byz. s.v.
Όμβρικοί: παρά τον Αδριακον κόλπον, μέσον του Πάδου και Πικεντικου.
582 ETTORE LEPORE

Respinti, dunque, i due emendamenti e accettato il testo nella forma


sopra riprodotta, resta da vedere a quale autore allude qui Strabone, con
l'espressione « altri ancora dicono », cioè altri storici, accanto a quelli citati
subito prima. L'etimologia per il nome di Capua (fondata sul latino caput, pro
babilmente), il tema della successione dei conquistatori della contesa pia
nura (esso richiama il passo su quella Flegrea a V, 4,4 = C 243, sicur
amente di derivazione timaica, cfr. 566 F 89 Jacoby = Diod. IV, 21,5, come
del resto V, 4,6 = C 245-46; si noti tra il nostro passo e il primo degli
altri due la quasi identica espressione: δια γαρ την άρετήν περιμάχητον
γενεσυαι το πεδίον - άλλ'έκ του περιμάχητον την γήν είναι δι' άρετήν), la decadenza
per τρυφή e μαλακία, hanno fatto pensare a Timeo28. Lo conferma soprat
tuttol'allusione finale del passo al dominio etrusco e alla sua rovina, tanto
nella pianura Padana che in Campania, la quale29 rimanda a Polibio (II, 17,1)
e quindi ancora una volta alla fonte principale di quel capitolo che è Timeo.
Polibio, infatti, dopo aver descritto la valle e pianura del Po, avanza alla
fine del capitolo (16, 15) una critica a Timeo (« soprattutto a causa del
l'ignoranza che Timeo dimostra sulle località suddette »), rendendo evidente
che quello storico ne parlava e vi si soffermava, e poi - continuando a
sfruttar la fonte, al di là di ogni polemica, com'è suo costume - inizia
l'esposizione dei fatti storici di quel territorio: « Questa pianura (Padana)
era anticamente abitata dai Tirreni, che occupavano pure in quei tempi
gli allora cosiddetti Campi Flegrei intorno a Capua e Noia; questi sia per
l'essere frequentati sia per l'esser conosciuti da molti acquistarono grande
fama per la loro fertilità (έπ ' αρετή). Perciò chi vuoi comprendere la storia
della potenza dei Tirreni non deve riferirsi al territorio ora occupato da
essi, ma alle pianure sopra ricordate e alle risorse che ne derivano ». Segue
poi il racconto sulla invasione dei Celti in Padana e la nuova sua occupa
zioneda parte loro, cacciatine gli Etruschi.
Il passo di Strabone sulla Campania e i suoi dati etnici sono dunque
da attribuirsi a Timeo: la menzione degli Osci accanto agli Opici e Ausoni
mostra come la visione dello storico siceliota arrivasse a distinzioni più
precise di quelle polibiane; d'altronde la netta separazione tra Opici e Ausoni
che abbiamo trovato in Polibio contro Antioco risale probabilmente anch'essa

28 Cfr. F. Lasserre, ed. cit., p. 15 e note 2 e 3 di p. 104 a p. 213, oltre quelle agli
altri luoghi citati; naturalmente il Lasserre pensa a mediazione di Artemidoro, ritenendo d
imostrato dal Däbritz, De Artemidoro Strabonis auctore capita tria, Diss. Leipzig 1905, pp. 8-11
che Strabone non ha letto Timeo.
29 Come ricorda anche il Lasserre, p. 213.
TIMEO IN STRABONE V, 4,3 C 242-243 E LE ORIGINI CAMPANE 583

già a Timeo (che è fonte del libro XXXIV per l'Italia e la Campania come
per la rimanente Europa: cfr. XXXIV, 10,5 e le osservazioni su Timeo in
XII, 26 d, 2 ss.; 28 a, 3). Il rapporto tra i due popoli non è chiaramente un
rapporto di successione cronologica e potrebbe sembrare conferma della
moderna teoria, cui già si è accennato, che ne fa genti della stessa ondata
indo-europea. Tuttavia, anche la tradizione anteriore a Timeo che li identifica
lascia trapelare una certa confusione e il tentativo erudito di avvicinare e
mettere insieme elementi distinti30. A noi che non abbiamo più il testo
di Timeo viene il sospetto che Strabone leggesse nello storico siceliota molto

30 Per precisare la posizione che nella suddetta triade hanno gli Opici sarà forse bene
tornare alla tradizione di Antioco di Siracusa e affiancare al frammento (555 F 7 Jacoby), che
abbiamo già veduto citato da Strabone e secondo cui gli Opici erano identici agli Ausoni,
niente altro che un loro diverso nome, un altro frammento dello storico siceliota in cui ritorna
in contesto diverso la menzione del popolo. Parlando del popolamento primitivo dell'Italia
meridionale e Sicilia, e dopo aver cercato di spiegare il legame tra gli Enotri e le altre minori
tribù enotriche con una supposta serie di re enotrii, eponimi dei vari gruppi, tra cui i Siculi
(che devono essere il residuo di quella gente rimasto nel Bruzio e noto ancora in età storica
nel retroterra di Locri: Tue. VI, 2,4), Antioco - secondo la citazione di Dionigi di Alicarnasso
(I, 22,5 = 555 F 4 Jacoby) — Σικελούς δε τους μεταναστάντας άποφαίνει, βιασυεντας ύπο τε
Οίνώτρων και Όπικών; con questo « passaggio » di Siculi (ch'erano in fondo gli stessi Enotri,
quando ebbero mutato nome) in Sicilia, sotto la spinta di altri Enotri «e Opici», che ne sarebbe
stata la causa, lo storico siceliota spiegava l'origine di uno dei principali elementi etnici del
l'isola. Da questa tradizione accoglieva probabilmente Tucidide (VI, 2, 4-5; e cfr. Dion. Hal.
I, 22 cit.) la sua più sommaria affermazione che «i Siculi dall'Italia (dove infatti abitavano)
passarono in Sicilia, φεΰγοντες Όπικούς», fuggendo dinanzi agli Opici, semplicemente. C'è insomma
nella tradizione cui faceva capo Antioco una contrapposizione (e quasi rapporto di successione
cronologica e culturale) tra Enotri-Siculi ed Enotri-Opici (più precisamente Enotri e Opici).
In essa il rapporto tra Enotri e Opici finisce per essere molto simile a quello, concisamente
espresso, su Ausoni e Opici, dalla fonte di Strabone e ripetuto più confusamente, da Aristotele
nel passo citato della Politica.
Vien dunque da chiedersi (specie per l'oscurità della citazione aristotelica paragonata
a quella della fonte di Strabone) se veramente Antioco abbia mai detto « che questi (gli Opici)
si chiamavano anche Ausoni» ο se li abbia menzionati insieme agli Ausoni, con una espres
sione «Ausoni e Opici», simile a quella «Enotri e Opici», essa stessa certamente approssi
mativae frutto di scarse conoscenze ο di poco chiara comprensione dei rapporti tra i due
elementi etnici (come in genere accade in questa erudizione antica), ma neppur perspicua
affermazione di un'identità, che potrebbe esser derivata da più tardo e altrui fraintendimento.
Quel che qui conta è: a) che gli Opici (già nella tradizione di Antioco) sembrano essere
un elemento non affine agli Enotri, ma che qualificano i popoli nella zona occupata già dagli
Enotri a partire da un certo momento (e da un certo mutamento culturale); b) che anche
per gli Ausoni la tradizione antica che fa capo ad Antioco poteva contenere analoga quali
ficazione diversificante gli Ausoni veri e propri dai popoli più tardi presenti nella zona già
da loro occupata (da un dato momento e mutamento culturale) ο anche più semplicemente
584 ETTORE LEPORE

di più di quanto appaia dalla breve sintesi e sentisse perciò il bisogno di


citarne le concezioni sulla etnografia campana, accanto a quelle di Antioco
e di Polibio.
L'ampio uso di citazioni timaiche nel contesto straboniano per la Camp
ania31 fa anzi pensare che non tutto questo materiale possa provenire solo
per via indiretta da Artemidoro, ma che invece - con buona pace del
Däbritz e di una critica meccanicistica delle fonti - Strabone attingesse
talvolta direttamente a Timeo, integrando i dati già contenuti in Artemidoro
e aggiungendovi altro materiale 32. In favore di tale tesi 33 va notato p. es.
che in VI, 2, 4 come in V, 4, 9 la citazione di Timeo è preceduta da citazione
di versi di Pindaro, abituali allo storico siceliota (566 F 92; 142 Jacoby): è
difficile che Strabone trovasse in Artemidoro non solo lunghi brani timaici,
ma anche le citazioni pindariche pertinenti, a parte il fatto che a volte
di Artemidoro nel relativo contesto straboniano non" vi è traccia rilevante.
Meno chiara è la relazione che viene stabilita in Timeo tra gli Osci e i
Cumani e poi tra questi e gli Etruschi: qui essa sembra proprio di succes
sione cronologica, mentre i tre elementi sono coevi ad un certo momento
ed è, caso mai, più antico l'ultimo, quello etrusco. È evidente che lo storico
obbedisce qui ad uno schema delle dominazioni in Campania che cala una
realtà molteplice e contemporanea in un ordine astratto e convenzionale.
Non potremo certo pretendere da lui conoscenze linguistiche e culturali
quali quelle raggiunte dalla moderna indagine scientifica; il concetto di
Osci, distinto rispetto ai Sanniti, oltre che rispetto agli Opici, è perspicuo
in questa tradizione solo fino a un certo punto. Tra Greci di Cuma ed

i loro discendenti evoluti, cronologicamente e culturalmente ormai diversi, per l'epoca più tarda
e la presenza di nuovi elementi di differenziazione. Cfr. già E. Lepore, in Le genti non greche
della Magna Grecia. Atti dell'XI Conv. di Studi sulla M. Gr., Napoli 1972, p. 85.
31 Oltre i luoghi già citati si vedano: V, 4,4 = C 243 con l'etimologia del nome Κύμη da
κύματα, preceduta da un ενιοι φασί; V, 4,5 = C 244 sulPAverno; V, 4,6 = C 245 con il mito
di Eracle e il golfo Lucrino, e forse con la notizia su Dicearchia, porto di Cuma; V, 4, 7 =
C 246 sulla sirena Partenope a Neapolis, l'agone in suo onore e l'uso di fonte locale sulle
liste degli eponimi; V, 4,8 = C 247 sulla piana vesuviana e, certamente, sulle isole Sirenusse;
V, 4, 9 = C 248 sulla fondazione di Pithecussai, presidio siracusano e occupazione neapolitana,
nonché sui fenomeni vulcanici dell'isola; V, 4, 12 = C 249 sulle leggi sannitiche e sulla versione
tarentina delle origini dei Sanniti; e cfr. F. Lasserre, pp. 108, n. 5; 112, p. 2; 114 n. 2;
118 n. 3 e 214 n. 7; 215 n. 4; 215-216, n. 3 e 5; 218 n. 2; ed E. Lepore, La vita politica
e sociale, in Storia di Napoli, voi. I: L'età classica, Napoli 1967, pp. 142, 152, 158, 161 e passim.
32 Così sosteneva già G. Hunrath, Die Quellen Strabo's im sechsten Buche, Cassel 1879
per il libro VI: spec. VI, 2,4 = C 270-271.
33 Contra F. Lasserre, p. 15, n. 1.
TIMEO IN STRABONE V, 4,3 C 242-243 E LE ORIGINI CAMPANE 585

Etruschi Timeo sembra assegnare ai primi la più alta antichità - conforme


a una visione che fino a poco tempo fa era anche quella della moderna
dottrina -; difficilmente riuscirebbe, però, anche a chi ancora seguisse
questa dottrina, di accettare una sparizione di Cuma dinanzi agli Etruschi.
Lo schema di maniera va spiegato in Timeo tenendo presente, da una parte,
quella serie di lotte tra Greci ed Etruschi in Campania, che se non terminò
con la vittoria dei secondi (anzi vide sempre loro sconfitte tra VI e V se
colo a. C), provocò il declino di Cuma e l'eclisse della sua potenza a van
taggio di altre formazioni politiche, anche alleate; dall'altra esso deve col
legarsi ad una tradizione, presente forse già in Timeo, oltre che in altre più
note fonti, che considera piuttosto tarda la presenza etrusca nella regione
anche se non l'abbassa addirittura al secondo quarto del V secolo a. C.
come una delle notizie sulla data della fondazione di Capua 34.
Entro questi ben definiti limiti, il quadro e la impostazione dei problemi
storici della Campania arcaica, quali affiorano in questi relitti dell'opera
di Timeo sono un punto di partenza quanto mai interessante, sia per gli
indizi positivi che possono fornire, sia anche per gli aspetti tendenziosi e
negativi, che aiutano a penetrare e dunque a dissipare false prospettive
antiche.
Questa tradizione, insomma, attesta un processo di evoluzione culturale
in Campania - oltre che di contrasti etnici, politici e sociali - cui parte
cipano, accanto ai Calcidesi di Cuma e agli Etruschi di Capua, queste po
polazioni proto-italiche e italiche fino alla formazione di « popoli osci » e
all'invasione dei Sanniti. La vicenda è complessa e si riflette solo parzia
lmente nello schema tradizionale. Un lungo fermentare di elementi di origine
« italica », ma distinti nel tempo, e soprattutto nella realtà culturale - in
cui gli Opici devono probabilmente trovare un posto più preciso e nuovo -
dovette portare alla oscizzazione (come fatto di civiltà) della regione. Il
culmine di questo processo fu rappresentato dalla penetrazione etnica e
linguistica, e dalla conquista da parte delle avanguardie sannitiche, che
riuscirono attraverso assimilazione e sopraffazione a creare quell'organico
ambiente unitario, pur nelle sue diverse componenti e articolazioni, che
chiamiamo Campania.

34 Cfr. Cat. fr. 69 Peter, HRR, p. 70 in Veli. Pat. I, 7, 3-4 su cui contiamo di tornare
in altra sede.
ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU

CÉRAMIQUE ÉTRUSCO-CAMPANIENNE ET CÉRAMIQUE ARETINE,


À PROPOS D'UNE NOUVELLE ÉPAVE DE MARSEILLE

Le hasard des découvertes sous-marines a voulu que dans cette note


dont nous faisons ici hommage à M. Jacques Heurgon nous abordions un
secteur de recherche qu'ont illustré, ces dernières années, les beaux travaux
de deux de ses plus brillants élèves: ceux de nos amis Jean-Paul Morel, pour
la céramique étrusco-campanienne à vernis noir 1, et Christian Goudineau,
pour la céramique aretine2.
Nous devons cette rencontre heureuse à une épave située dans l'archipel
qui ferme vers le Sud-Est la rade de Marseille, entre l'île Plane (ou Calse-
ragne) et l'île Riou, par fond de 20 m. Déclarée au début d'août 1975 par
MM. J. Gélindo et P. Vogel, elle a été très vite mise au pillage par les
amateurs d'amphores. Le souci de ne pas laisser disparaître une cargaison
dont le grand intérêt était immédiatement apparu a poussé la Direction des
Recherches archéologiques sous-marines à intervenir sans tarder pour un
sondage qui a occupé, avec des interruptions, les périodes du 15 au 24
septembre, puis du 13 au 16 octobre3. Le hasard a voulu que ce sondage
se fît dans la partie centrale du navire: nous avons en effet travaillé à
l'intérieur du trou que les pillards avaient entamé dans l'herbier de posido-
nies et nous y avons trouvé la pièce d'emplanture avec la cavité du mât;

1 Nous ne mentionnerons ici que ses Notes sur la céramique étrusco-campanienne. Vases
à vernis noir de Sardaigne et d'Arezzo, dans MEFR, LXXV, 1963, p. 7-58 (en abrégé: Morel,
Notes...), et Céramique à vernis noir du Forum romain et du Palatin, dans Suppl. 3 aux MEFR,
Paris, 1965 (en abrégé: Morel, Forum-Palatin) .
2 Fouilles de l'Ecole française de Rome à Bolsena (Poggio Moscini) 1962-1967, tome IV:
La céramique aretine lisse, suppl. 6 aux MEFR, Paris, 1968 (abrégé par le seul nom de l'auteur).
3 Outre les auteurs de ces lignes, l'équipe de la D.R.A.S.M., embarquée sur Y Archéonaute,
commandé par le Maître principal A. Magania, comprenait Melles E. Jarry et M. -P. Pujol,
MM. D. Colis, P. Grandjean, J.-C. Le Boulch; Melles H. Garde et C. Troche, MM. J. Gélindo,
J.-C. Négrel et M. Ouvrieu ont également prêté leur concours.
588 ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU

celle-ci contenait la traditionnelle monnaie votive 4, qui est très concrétionnée


et dont nous ne savons encore si elle sera lisible.
Le matériel issu de ce sondage et des premières prospections des inven
teurs comprend des amphores vinaires Dressel 1 B: trois exemplaires intacts
(Fig. 1), 42 cols ou lèvres, 24 panses. La plupart de ces amphores paraissent
avoir été estampillées: 41 cols sur un total de 44, portent sur la lèvre une
marque imprimée dans un cartouche rectangulaire: ARTE (3 ex.); HERAC
(6 ex.); METRON (2 ex.); NVN (8 ex.); PHILOX (4 ex.); un timbre toujours
très mal imprimé, dont les deux premières lettres seulement sont nettes: SE,
et qui doit se lire, probablement, SELEV, avec le second E ligaturé dans le
sens rétrograde: S L 3/ (12 exemplaires); sur six cols, la marque est complè
tement effacée5. Bon nombre de ces cols ont conservé, au-dessus du bouchon de
liège, un opercule de pouzzolane sur lequel est inscrit, deux fois, un nom
- le même pour tous les exemplaires - difficilement lisible: probablement
AP. ATTI. Un col, différent, appartenait sans doute à une amphore de type
Lamboglia 2. Sept lampes entières et des fragments d'au moins huit autres
ont été découvertes; elles se rattachent au type des lampes à grénetis
(Warzenlampen), encore qu'elles présentent des caractéristiques individuelles
intéressantes (Fig. 2). Leur vernis est noir, ou marron, ou rouge. Deux d'entre
elles ont à la base du bec un décor en relief figurant une grenouille, sem
blable à celui d'une lampe trouvée par Claude Santamaria sur l'épave A du
cap Drammoni6; deux autres ont sur le fond une marque Ν identique à
celle que porte la même lampe du Drammoni. Les fragments de céramique

4 Cette découverte devient banale: épaves A de La Chrétienne, à Saint-Raphaël (F. Dumas,,


1962), de Blackfriars dans la Tamise (P.R.V. Marsden, 1963), de l'anse Gerbal à Port-Vendres
(Y. Chevalier, 1963), A de la pointe de la Luque à Marseille (J.-C. Négrel, 1973), de la baie de
Cavalière au Lavandou (R. Lequément, 1974), de la Madrague de Giens à Hyères (A. Tchernia, 1974).
5 II ne nous semble pas que ces marques soient connues par ailleurs (mais nous n'avons
pas fait de recherche approfondie); on ose à peine signaler ARTEMO, sur une amphore d'Alésia
(M. H. Callender, Roman Amphorae, Londres, 1965, n. 129), ou ARTI, sur une amphore
Dressel 1 de Villaricos (M. Beltran Lloris, Las anforas romanas en Espana, Saragosse, 1970,
p. 120, n. 30 et fig. 45, 17); on rapprochera, en revanche, étant donné la grande similitude
du matériel des deux épaves, la marque HERACLI sur des amphores Dressel 1 Β de l'épave A
du cap Drammoni (cf. C. Santamaria, Travaux et découvertes sur l'épave " A " du cap Drammoni
à Saint-Raphaël (Var), dans Actes du IIe congrès intern, d'archéologie sous-marine (Albenga,
1958), Bordighera, 1961, p. 170-171, ou encore F. Benoît, L'épave du Grand-Congloué à Mars
eille, Paris, 1961, p. 61, fig. 58).
6 C. Santamaria, L'épave A du Cap Drammoni (Saint-Raphaël): fouilles 1971-1974,
dans Revue archéologique de Narbonnaise, 8, 1975, p. 188 et fig. 3 et 4.
CÉRAMIQUE ÉTRUSCO-CAMPANIENNE ET CÉRAMIQUE ARETINE 589

commune sont nombreux, en particulier ceux de plats à vernis intérieur


rouge. Le chargement comprend enfin la céramique étrusco-campanienne
qui fait l'objet de cette note. L'ensemble du matériel, qui présente de grandes
analogies avec celui de l'épave A du Drammoni, celui aussi des épaves de
la Madrague de Giens 7 ou de Planier 3 8, suggère une date proche de
50 av. J.-C.
Nous n'avons jusqu'ici récupéré aucune pièce intacte de céramique à
vernis noir: une centaine de tessons, qui se recollent peu à peu, jusqu à
reconstituer des formes complètes, et qui n'appartiennent pas à plus de
douze exemplaires. Mis à part un bol de forme Lamboglia Β 1 A 9 et un petit
vase fermé Lamb. Β 10, il s'agit uniquement de patères Lamb. Β 7, de grandes,
et même de très grandes dimensions (jusqu'à 54 cm de diamètre). On
distingue à coup sûr huit pièces, que nous décrirons comme suit 10:

1 (Fig. 3)
Fond de patere; forme complète non reconstituable. Diamètre du pied
130 mm.
Surface satinée; vernis noir mat, absolument uniforme à l'intérieur; à
l'extérieur, quelques taches brun clair près du pied. Fond externe réservé
avec quelques coulées de vernis.
Pâte dure, très épurée, chamois.
Ressaut sur la face interne du pied.
Petit cercle tracé à main levée au centre, avec, dans un cartouche
rectangulaire (8,5 x 7 mm environ), l'estampille Q.AF. Six timbres radiaux
géométriques (variante du motif des deux " C " opposés). Deux séries de deux
sillons concentriques (plus grand diamètre 116 mm), entre lesquels deux
rangs de fines guillochures.

7 Cf. B. Liou, Informations archéologiques: recherches sous-marines, dans Gallia, 33, 1975,
p. 585-589, et le volume d'A. Tchernia et coll., à paraître comme supplément à Gallia.
8 A. Tchernia, Premiers résultats des fouilles de juin 1968 sur l'épave 3 de Planier, dans
Etudes classiques, III, 1968-1970, p. 51-82. On comparera surtout le profil des céramiques que
nous présentons ci-dessous avec ceux du plat étrusco-campanien à vernis noir (Lamboglia 7)
et du plat «préarétin» à vernis rouge (Goudineau 1), p. 70, fig. 16, 3 et 1.
9 N. Lamboglia, Per una classificazione preliminare della ceramica campana, dans Atti
del I Congresso internazionale di Studi Liguri (1950), Bordighera, 1952, p. 139-206.
10 Nous nous inspirons aussi fidèlement que possible, pour cette description, des principes
définis par J.-P. Morel, Forum-Palatin, p. 12-15.
590 ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU

2 (Fig. 4)
Patere dont la forme complète est reconstituable, avec toutefois une
légère marge d'incertitude. Diamètre du bord un peu supérieur à 520 mm;
diamètre du pied 145 mm.
Surface lisse; vernis noir à reflets bleutés, uniforme à l'intérieur, très
endommagé à l'extérieur où l'on distingue les traces de tournassage et quel
ques taches brun clair près du pied. Fond externe réservé avec quelques
coulées.
Pâte dure, légèrement granuleuse, chamois.
Ressaut sur la face interne du pied.
Deux petits cercles accolés au centre (diam. ext. 36 mm), au milieu
desquels a été imprimé, dans un cartouche rectangulaire de 8x6 mm envi
ron, l'estampille Q.A. Deux groupes de deux cercles concentriques (diam.
ext. 157 mm) enserrent quatre rangs de stries. A l'extérieur du cercle le plus
éloigné du centre, huit estampilles radiales: il s'agit du même timbre Q.A.

3 (Fig. 5)
Fond de patere, conservé jusqu'à l'amorce de la paroi: la forme comp
lète est pratiquement reconstituable. Le diamètre du bord est légèrement
supérieur à 530 mm; diamètre du pied 153 mm.
Surface satinée; vernis intérieur noir mat nuancé de brun-rouge près
du centre (disque d'empilement); usé à l'extérieur, avec traces de tournassage
et taches claires près du pied. Fond externe réservé avec des coulées de
vernis.
Pâte dure, légèrement granuleuse, chamois.
Ressaut sur la face interne du pied.
Même décor que la patere n. 2; diamètre du cercle le plus éloigné du
centre 164 mm; cinq estampilles radiales sur huit sont conservées.

4 (Fig. 4)
Patere dont la forme complète est reconstituable. Diamètre du bord
540 mm; diamètre du pied 156 mm.
Surface satinée; vernis noir mat-luisant à l'intérieur, sauf près du centre
où le disque d'empilement est franchement brun-rouge; usé ou craquelé à
l'extérieur. Fond externe réservé avec des coulées de vernis.
Pâte dure, un peu granuleuse, nettement plus rose que dans les exemp
laires précédents.
Ressaut sur la face interne du pied.
CÉRAMIQUE ÉTRUSCO-CAMPANIENNE ET CÉRAMIQUE ARETINE 591

Même décor; diamètre du plus grand cercle 178 mm. Les huit estamp
illes radiales sont conservées.

5 (Fig. 4)
Fond de patere, forme complète non reconstituable. Diamètre du pied
152 mm.
Surface lisse; vernis noir brillant uniforme. Fond externe réservé.
Pâte dure, épurée, chamois légèrement rosé.
Ressaut sur la face interne du pied.
Même décor; diamètre du plus grand cercle 162 mm. Trois estampilles
radiales conservées.

6 (Fig. 5)
Fragment du fond d'une patere analogue, sans trace du pied. Dimens
ionsnon précisables, du même ordre que pour les exemplaires précédents.
Surface satinée, vernis noir mat très usé.
Pâte dure, un peu granuleuse, chamois.
Décor réduit à un arc de la paire de cercles la plus éloignée du centre
et à deux estampilles radiales Q.A.
La disposition des estampilles radiales de ces patères n. 2 à 6, à l'exté
rieur du cercle le plus éloigné du centre, est insolite. J.-P. Morel, qui a réper
torié à ce jour 280 types de disposition du décor imprimé sur céramique
campanienne, nous dit n'en connaître aucun qui ressemble à celui-ci n.

7 (Fig. 6)
Patere dont la forme complète est reconstituable. Diamètre du bord
430 mm; diamètre du pied 134 mm.
Surface lisse; vernis homogène noir à reflets bleutés. Fond externe
réservé avec quelques coulées de vernis.
Pâte dure, très épurée, chamois clair.
Ressaut sur la face interne du pied.
La partie centrale du fond manque; ne subsiste que l'amorce d'un petit
cercle. Six timbres radiaux; l'estampille constitue une curieuse variation sur

11 Remerciements amicaux à J.-P.M. pour les renseignements qu'il a bien voulu nous
communiquer.
592 ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU

le thème des " C " opposés: deux arcs de cercle décrivent une boucle à leurs
extrémités et sont traversés par une sorte de ruban sinueux. Deux séries de
deux sillons concentriques (diamètre du plus grand cercle 143 mm), entre
lesquels quatre rangs de stries.

8 (Fig. 7)
Fond de patere, forme complète non reconstituable. Diamètre du pied
126 mm.
Surface lisse, vernis homogène d'un beau noir ni mat ni brillant.
Fond externe réservé.
Pâte dure, épurée, chamois clair.
Ressaut sur la face interne du pied.
Le centre est mutilé; on y aperçoit cependant l'amorce d'un petit
cartouche carré ou rectangulaire au milieu d'un cercle. Quatre estampilles
radiales (trois seulement sont conservées), disposées en croix, dont le motif
se retrouve fréquemment12: quatre points symétriques, à l'intérieur et à
l'extérieur des deux "C" opposés. Plage de hachures larges et hautes entre
deux paires de cercles accolés (diam. ext. 98 mm).

Cette céramique à vernis noir de l'épave de l'île Plane nous situe au


cœur d'un problème longtemps controversé, à la solution définitive duquel
elle apporte sa contribution: celui des origines de la céramique aretine à
vernis rouge, ou, si l'on préfère cette formulation plus précise, de la filiation
entre céramique à vernis noir et céramique à vernis rouge d'Arezzo.
L'estampille Q.AF est en effet connue depuis longtemps, sur céramique
à vernis rouge, à Arezzo même, et a été trouvée depuis à diverses reprises
en d'autres lieux 13. En 1880, H. Dressel publiait, avec le matériel de la nécro
pole de PEsquilin, la même estampille sur céramique à vernis noir 14 et

12 Par exemple, Lamboglia, Classificazione..., p. 155, n. 8 et p. 153, note 58; Morel,


Forum-Palatin, n. 157, p. 81 et pi. 12; Goudineau, p. 331 (tesson étrusco-campanien Bolsena
66-91-7).
13 Arezzo: A. Fabroni, Storia degli antichi vasi fittili aretini, Arezzo, 1841, pi. IX, 86.
Bolsena: a) A. Balland - A. Tchernia, Scavi della Scuola francese di Roma: Pavimenti tardo-
repubblicani ο proto-augustei, dans N. S. Α., 1966, p. 55, fig. 3 et p. 66; b) Goudineau, p. 105,
106 et 109. Rome: CIL, XV, 4937, c. Minturnes: H. Comfort, Terra sigillata from Minturnae,
dans Am. Journ. of Archaelogy, 47, 1943, n. 48. Narbonne: A. Oxé - H. Comfort, Corpus Vaso-
rum Arretinorum, Bonn, 1968, n. 28, n. Tarragone: ibid., η. 28, k.
14 E. Dressel, La suppellettile dell'antichissima necropoli esquìlina, dans Bull. dell'Inst.
di Corrispondenza archeologica, 52, 1880, η. 80, p. 294 et pi. 17.
CÉRAMIQUE ÉTRUSCO-CAMPANIENNE ET CÉRAMIQUE ARETINE 593

concluait à une filiation, à Arezzo même, et dans les mêmes ateliers entre
la céramique à vernis noir et la poterie à vernis rouge à laquelle nous réser
vons le nom d'arétine 15. Il reprenait, ce faisant, une thèse qu'avaient soutenue
avant lui A. Fabroni et G. -F. Gamurrini et que défendraient à leur tour,
entre autres, H. Dragendorff et A. del Vita 16. Elle devait toutefois se trouver
battue en brèche, notamment par les travaux d'A. Oxé 17, ou, à tout le moins,
rencontrer le scepticisme. Lorsque J.-P. Morel, dans son article de 1963,
fait le point de la question, il se montre très sensible à des erreurs d'inter
prétation incontestables de certains tenants de cette thèse, à la difficulté
qu'on éprouve à distinguer, sur « de petits morceaux de fonds », des vases à
vernis noir ou des vases à vernis rouge « ratés » ; peu convaincu par les vases
à vernis noir portant l'estampille Q.AF ou Q.A qu'il a eu personnellement
l'occasion d'examiner 18, il pousse le doute méthodique jusqu'à récuser le
témoignage qu'elle semblait fournir et il conclut, sur l'ensemble du problème,
que le « dossier » est « trop mince pour qu'on puisse défendre l'idée d'un
passage progressif, à Arezzo même, de la céramique étrusco-campanienne à
la céramique aretine rouge ». Chr. Goudineau, que son étude de l'aretine de
Bolsena a persuadé du bien-fondé de cette idée, a fort clairement énoncé,
d'après Morel, « les pièces à fournir pour que le " dossier ", étoffé, emporte
l'adhésion: il s'agirait de présenter des formes contemporaines des débuts de
l'arétine - donc, plus exactement, de notre préarétine - identiques où, à

15 Ibid., p. 329-331.
16 Références dans Morel, Notes..., p. 55 sq. et dans Goudineau, p. 322, n. 2.
17 Pour qui le vernis rouge aurait été introduit, vers 30 av. J.-C, par des potiers venus
d'Orient: thèse qui trouve son expression achevée dans Arretinische Reliefgefässe vom Rhein,
dans Materialen zu römisch-germanischen Keramik, 6, Francfort, 1933.
18 Cf. Morel, Notes..., p. 57 et n. 1. La liste des timbres Q.AF et Q.A sur vernis noir que
nous connaissons à ce jour s'établit comme suit: Arezzo: cf. CIL, XI, 6700, 12 et Oxé-Comfort,
n. 28 a, c. Morel, Notes..., p. 53, n. 24, ne connaît, au musée d'Arezzo, qu'un exemplaire, de
lecture incertaine: Q.Â*F ou (plutôt) Q.A. Vulci: Morel, ibid.: Q.A. Rome: CIL, XV, 4937, a
(le tesson de PEsquilin), b (rive ou lit du Tibre) et Oxé-Comfort, n. 28, h (musée de Dresde);
Q.AF. Paestum,, au musée (renseignement de J.:P. Morel): Q.AF. Ampurias: Oxé-Comfort, n. 28, m;
J.-P. Morel, qui le donnait pour disparu (Notes..., p. 57, n. 1), nous signale qu'il a été retrouvé,
au musée de Gérone, par E. Sanmarti: il se lit Q.A (cf. N. Lamboglia, Bolli ampuritani su
«Campana C », dans R.E.Lig., XXI, 1955, p. 51). Tarragone :CIL, II, 4970, 11; lu Q.Â"È, c'est
à dire sans doute Q.AF. La Alcudia de Elche; A. Ramos Folqués, Ceramica presigillata de la
Alcudia de Elche, dans VII Congreso nacional de Arquelogia, Barcelona 1960, Saragosse, 1962,
p. 365 et fig. 1 (Cf. également Evolución de la ceràmica campaniense a la sigillata en la Alcudia
de Elche, dans Rei Cretariae Romanae Fautorum Acta XI/XII, 1969-1970, p. 19 et p. 27,
fig. 11 et 12): Q.AF.
594 ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU

tout le moins, fort semblables, les unes appartenant à des vases incontesta
blementétrusco-campaniens, à vernis noir, les autres à des vases à vernis
rouge; il faudrait, d'autre part, exhiber des timbres identiques ou fort sem
blables » 19. Sur le premier point, il a donné une démonstration tout à fait
neuve et convaincante20; sur le second, il a, certes, avancé des présomptions
très fortes, mais s'est, par prudence, privé des arguments qu'avaient jadis
fournis à H. Dressel l'estampille Q.ÂP et le timbre C.V., qui figure lui aussi
sur vernis noir et sur vernis rouge21.
Les patères trouvées sur l'épave de l'île Plane ont le grand mérite de ne
plus laisser place à aucun doute. La marque Q.AF en particulier - la seule
qui soit jusqu'ici attestée sur vases arétins à vernis rouge - figure sur un
plat qui est du plus beau noir, absolument uniforme, sans même la moindre
trace rouge ou brune d'un disque d'empilement. Aucun doute, d'autre part,
que Q.AF et Q.A ne soient deux timbres distincts: nous avons une fois le
timbre Q.Â~F, central, entouré de six estampilles radiales géométriques22, et,
sur cinq plats, le timbre Q.A central huit fois répété sous forme d'estamp
illes radiales 23. En revanche, il n'est sans doute pas trop imprudent d'induire
de la présence de ces deux timbres sur des plats de même forme apparte
nant au même chargement et rangés dans le même coin de la cale, qu'il
s'agit de deux variantes de la signature d'un même atelier.
En ce qui concerne la forme de ces plats, qui est celle-là même de la
patere que N. Lamboglia donnait comme modèle de sa forme 7 de « campa-
nienne Β » 24, la comparaison du profil de leurs bords et de leurs pieds avec
ceux de la forme d'arétine à vernis rouge que Chr. Goudineau appelle
« précurseur » 25, ou encore avec celui du plat, déjà évoqué, issu de l'épave 3
de Planier 26, confirme très largement ce que nous disaient les estampilles

19 Goudineau, p. 323-324.
20 Ibid., p. 324-331.
21 Ibid., p. 331-334. Cf. E. Dressel, art. cit., p. 331 et Morel, Forum-Palatin, p. 159, n. 387.
22 Pour autant que nous puissions en juger, les descriptions étant parfois incomplètes,
la seule disposition analogue attestée doit être celle du plat de la nécropole de l'Esquilin décrit
par Dressel, p. 294: «Nel centro è impresso con bollo quadrangolare (mill. 12x8,5) Q.AF a
lettere rilevate. Intorno sono alcuni bolli ad ornato». Ailleurs, il ne s'agit que de Q.AF, central
et radial, ou radial seulement (cf. Oxé-Comfort, η. 28).
23 Voir ce que nous disions plus haut de la singularité du décor.
24 N. Lamboglia, Classificazione..., p. 148.
25 Goudineau, p. 252.
26 Supra, note 8.
CÉRAMIQUE ÉTRUSCO-CAMPANIENNE ET CÉRAMIQUE ARETINE 595

de l'origine aretine de ces pièces de vaiselle étrusco-campanienne et sur la


filiation directe, dans les mêmes ateliers d'Arezzo, dont celui de Q.Af(ranius?),
entre les productions à vernis noir et celles à vernis rouge.
Une dernière vérification s'impose, que nous n'avons pas faite encore,
la découverte de l'épave étant trop récente: une analyse chimique de l'argile
de ces tessons, que M. Picon comparerait avec celles qu'il a faites déjà des
argiles de vases d'Arezzo 27; on pourrait même sans doute analyser conjointe
ment l'argile de notre plat signé Q.AF et celle dûn tesson à vernis rouge
(de Bolsena, par exemple), portant la même estampille.
Au total, les pièces que nous avons présentées n'apportent certes pas
de révélation fondamentale, mais une très précieuse confirmation. Il s'agit
aussi du premier témoignage assuré de l'exportation maritime de céramique
d'Arezzo28; ce qui ne laisse pas de poser le problème de son acheminement
et de l'escale (Pise?) où l'a embarquée un navire chargé par ailleurs de vin
campanien 29 .

27 Cf. notamment M. Picon, M. Vichy et E. Meille, Composition of the Lezoux, Lyons and
Arezzo Samian ware, dans Archaeometry, 13, 1971, 2, p. 191-208.
28 Le plat (unique) de l'épave Planier 3 appartenait sans doute à la vaisselle de bord, non à
la cargaison. Il en est de même des pièces d'arétine tardive trouvées sur les épaves Drammoni D
(J.-P. Joncheray, dans Revue archéologique de Narbonnaise, VI, 1973, p. 275-284), Port-Vendres 2
(D. Colis, C. Domergue, F. Laubenheimer et B. Liou, dans Gallia, 33, 1975, p. 62), ou encore
Cavallo 1 et Lavezzi 2 (W. Bebko, Les épaves antiques du Sud de la Corse, Bastia, 1971,
p. 17 et 33).
29 Les dessins qui illustrent cette note sont dus à Denis Fontaine, les photographies à
Patrick Grandjean (Direction des Recherches archéologiques sous-marines).
596 ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU

Fig. 1 - Amphore Dressel 1 B, estampillée NVN (hauteur: 1,155 m .)


CÉRAMIQUE ÉTRUSCO-CAMPANIENNE ET CÉRAMIQUE ARETINE 597

Fig. 2 - Lampes.
598 ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU

Fig. 3 - N. 1, décor (éch. 1 : 1) et profil (éch. 1:3).


Μ
G
W
ΖΗ

Fig. 5 - Ν. 3, décor (éch. 2:3) et profil (éch. 1:3).


ill
Λ υ
602 ROBERT LEQUÉMENT ET BERNARD LIOU

Fig. 7 - N. 8, décor (éch. 2:3) et profil (éch. 1:3).


CÉRAMIQUE ÉTRUSCO-CAMPANIENNE ET CÉRAMIQUE ARETINE 603

Fig. 8 - Estampilles.
A et B: n. 1; C: n. 2 à 6; D: n. 7; E: n.
EUGENIO MANNI

SU ALCUNE RECENTI PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE


DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA

Alcuni studi di diversa ampiezza e di diverso valore, comparsi recen


tissimamente, rientrano nella sfera di interesse di un lavoro al quale sto
attendendo e nel quale mi propongo di riesaminare tutte le testimonianze
antiche che riguardano l'ubicazione, ο almeno il nome, degli antichi centri
abitati siciliani di età greca e romana.
G. Uggeri ha riesaminato con molta cura il settore siciliano della
Tabula Peutingeriana nel VI volume di Studi Vichiani (1969, pp. 127-171),
prendendo in considerazione le tre vie che vanno rispettivamente dal
Traiectum a Lilibeo lungo la costa settentrionale, da Lilibeo a Siracusa
ed a Messina e, infine, dall'odierna Termini Imerese a Catania. La sua è
una ricerca assai utile anche perché corredata da una notevole bibliografia.
Da questo studio è partito anche un giovane studioso di Pisa, Giorgio
Bejor, che ha pubblicato negli Annali della Scuola Normale Superiore un
articolo dal titolo Tucidide 7, 32 e la via δια Σικελών nel settentrione della
Sicilia (1973, pp. 741-765).
Domenico Seminerio, inoltre, ha pubblicato un opuscolo dal lungo titolo
Morgantina a Caltagirone e altre ipotesi di identificazione degli antichi
abitati dei Margi (Catania 1975).
Vittorio Giustolisi prosegue intanto la sua serie di volumetti dedicati
a singole zone archeologiche della Sicilia occidentale: Cronia, Paropo,
Solunto (1972), Hykkara (1973), Le navi romane di Terrasini e l'avventura
di Amilcare sul monte Heirkte (1975).
Per di più Giuseppe Navarra, già noto per le sue appassionate ricerche
precedenti, quanto mai ricche di informazioni, ma anche di scarso valore
scientifico, ha pubblicato nelle Mitteilungen dell'Istituto Archeologico
Germanico di Roma, un grosso articolo intitolato E Gela e Katagela (1975,
pp. 21-82).
Non va infine dimenticato Giacomo Manganaro, che nel I volume di
Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt (1972, pp. 442-461) dedicato
606 EUGENIO MANNI

a Joseph Vogt, ha scritto alcune pagine Per una storia della Sicilia
romana, nelle quali accenna anche ad una serie di problemi di identif
icazione di alcuni centri.
Mi pare quindi opportuno presentare in breve una panoramica della
attuale situazione dopo che le ricerche, soprattutto archeologiche, del
l'ultimo ventennio hanno reso possibile una revisione di tanti dati che
ci erano offerti soprattutto dall'interpretazione di fonti prevalentemente
letterarie.
Conviene forse partire dal breve cenno di G. Manganaro, ripetendo
con lui che « quale introduzione alla storia della Sicilia . . . riesce indi
spensabile un prospetto documentato, anche per quanto riguarda gli aspetti
urbanistici, delle città » (p. 447). « Alcune di queste - egli aggiunge -
pongono ο hanno posto problemi di identificazione ». Egli ha intanto
annunciato una serie di identificazioni fondate soprattutto su reperti
numismatici e considera « indubitabile » quella di Morgantina a Serra
Orlando, di cui riparleremo. Dubita invece delle proposte relative a Aitna-
Inessa, Maktorion e « altri centri interni », avanzate da Rizza, Tusa ed
Adamesteanu e promette di proporre l'identificazione di Herbessos a Mont
agna di Marzo, Herbita a Monte Alburchia presso Gangi, Mytistraton fra
Capodarso e Marianopoli (nelle Madonie), Kimissa presso Raffi Rossi (Agri-
gento), Petra fra Resuttano e Casteltermini, Hippana (sic) fra Drepanum
e Mazara. Il centro dei Sileraioi, inoltre, dovrebbe trovarsi fra Agrigento
e Caltanissetta e quello dei Tyrrhenoi ad Alimena.
Il Manganaro conferma infine la sua opinione che Amestratos fosse
nei pressi dell'attuale Mistretta ed Engyon a Troina.
Non possiamo certo discutere le identificazioni da lui promesse ma
non ancora dimostrate. Dobbiamo invece soffermarci per un istante su quelle
di Amestratos e di Engyon. E per quest'ultima la dimostrazione offerta dal
Manganaro nel 1964 (Siculorum Gymnasium, Ν. S. XVII 2, p. 251 s.) non
dimostra alcunché perché è fondata sulla lettura dell'iscrizione che compare
su alcune ghiande missili: φαεκγυ. Secondo Manganaro la lettura ne è senza
dubbio φα(τρία) Έκγυ(ίνων). Mi limito ad osservare che, anche ammettendo
questa lettura, il tirarne delle conseguenze è per lo meno troppo rischioso:
il nome della città ci è trasmesso dalla storiografia come Έγγυον (Diod.
IV 79, 5; XVI 72, 3), quello dei suoi abitanti suona in dativo Έγγυίνοις
(Diod. XVI 72,3). Già per questa differenza di scrittura, e verosimilmente
di pronuncia, l'identificazione mi pare alquanto dubbia. Ma v'è di più perché,
secondo Manganaro, gli abitanti di Engyon dovrebbero costituire una
φρατρία appartenente ad Enna, che « in epoca ellenistica deve (nostra
PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA 607

spaziatura!) aver costituito il centro politico di diversi villaggi ο distretti


territoriali, quali si rivelano essere state le phatriai ». A smentire l'ipotesi
di Manganaro basta il passo di Diodoro citato da lui stesso: Timoleonte
restituisce Veleutheria agli Engiini cacciandone il tiranno Leptines. Come
si può pensare che il tiranno dominasse su una phatria di Enna e non
su Enna stessa, se Engyon - in quanto sua sede - ne era il capoluogo
politico?
Sulla base di argomentazioni così solide si può fare qualsiasi ipotesi.
Ma si tenga presente la carta geografica: per controllare il territorio di
Troina, Enna avrebbe dovuto controllare almeno il territorio di Assoro e
di Agirio e Diodoro d'Agirio sarebbe stato . . . Diodoro di Enna.
Questa identificazione va dunque probabilmente esclusa, e probabil
mentesi deve respingere anche la lettura dell'iscrizione su cui si fonda
il Manganaro, nella quale non sarà invece da escludere la presenza della
preposizione έκ in un contesto φα( . . . ) έκ Γυ (...) che resta da integrare.
Quanto ad Amestratos, il Manganaro rinvia ad un suo articolo (Città
di Sicilia e santuari panellenici nel III e II sec. a. C.) edito in Historìa
XIII (1964), p. 420 ss., del quale ho già avuto occasione di occuparmi
(cfr. Kokalos XII, 1966, p. 171 ss.). Non starò qui a riparlare del comp
lesso di problemi derivanti dalla lettura di SGDI 2580 = BCH 1921,
p. 24 ss. So bene che la mia datazione del verosimile archetipo è stata
contestata, ma ora il problema da affrontare è quello dell'identificazione
di Amestratos, affrontato anche dalla Piraino in Kokalos V (1959), p. 186 s.
Amestratos, sostiene il Manganaro, è da cercare a Nissoria, dove altri
hanno creduto di collocare Imachara. Posso essere d'accordo con Manganaro
sull'osservazione che la presenza di un caduceo con l'iscrizione Ίμαχοφαίον
δαμόσιον (IG XIV 589) non prova l'identità Imachara-Nissoria; ma la s
equenza Enna-Mestraton-Agurion-Prachara-Malistrata-Erbita del Geografo
Ravennate non prova affatto che Mestraton (ossia Amestraton) debba essere
Nissoria piuttosto che, p. es., Leonforte. Come Nissoria anche Leonforte è
proprio sulla strada ancor oggi in uso da Enna ad Agira, e da Agira si
arriva ad Erbita (se Erbita, come vedremo, è la città di Serra Orlando)
lungo una strada che attraversa il Dittaino-Chrysas e lungo la quale non
pare impossibile cercare Prachara e Malistrata. Imachara, comunque, deve
essere fra Assoro ed Agirio (Agira), se almeno si presta fede all'itinerario
ciceroniano contro l'opinione del Manganaro stesso.
Nella noterella del 1964 Manganaro prometteva di identificare Herbita
presso Monte Alburchia, promessa ripetuta nel 1972, « essendovi state ri
nvenute monete di Alaisa, del Symmachikon e del Kainon ». La ragione per
608 EUGENIO MANNI

cui si dovrebbe identificare con Herbita un centro in cui si trovano mo


nete di Alaisa resta dunque un mistero; ma noi sappiamo già che con ogni
verosimiglianza Herbita era la città di Serra Orlando.
Quanto ad Aitna-Inessa, Manganaro ne prometteva l'identificazione al
monte Mendolito presso Adrano; ma non ce l'ha ancora data. È invece
F. P. Rizzo lo studioso che ci ha offerto la soluzione migliore nel suo
volume dedicato a La repubblica di Siracusa nel momento di Ducezio
(Palermo 1970, p. 38 ss.) collocando Inessa nell'odierna contrada Civiti (o
Civita) confinante con Paterno (che è una delle Ible). Tucidide VI 93,4
giustifica pienamente l'ipotesi anche da un punto di vista storico, associando
Inessa ed Ibla nell'incendio del grano che gli Ateniesi provocarono nel 414.
Ancora una volta le identificazioni fondate su reperti numismatici
si rivelano illusone.
Quanto all'opuscolo del Seminerio, occorre dire che l'autore è
uno studioso locale, appassionato ricercatore delle antiche memorie della
sua valle, che rende conto appunto anche delle sue indagini personali
nella valle dei Margi, ossia del fiume che viene detto anche fiume di
Caltagirone. Le critiche al suo lavoro sarebbero facili poiché, fra l'altro,
molto avventurose sono le sue considerazioni linguistiche; ma va attent
amente letto ciò che egli ha scritto nel tentativo di dare un senso coerente
alle notizie che le fonti storiche ci hanno tramandate. Conviene comunque
partire dalle sue conclusioni per seguirne anche il ragionamento. Nella
valle, dunque, il Seminerio colloca tutta una serie di centri antichi col
legati fra di loro: Morgantina, Makeila (ovviamente l'orientale), Menai,
Menainon, Palike, Neai, Trinakie, Triocala, Maktorion. Si tratta, come
ciascuno sa, di nomi di località di cui si è a lungo discusso e la cui
ubicazione è di importanza fondamentale per la ricostruzione di numerosi
episodi storici di grande interesse.
Punto focale di tutto il discorso è certamente la collocazione di
Morgantina nell'attuale Caltagirone, il cui nome di chiara origine araba
non ci può offrire alcun indizio per l'identificazione: esso significa soltanto
che gli Arabi vi videro un « castello delle grotte » ο un « castello dei geni »
che presuppongono uno stanziamento più antico. Da Caltagirone, del resto,
sono ben visibili, ci dice il Seminerio, le grotticelle della necropoli della
Montagna. Quanto ai possibili « geni », possiamo aggiungere, nulla ci prova
che si tratti, eventualmente, dei Palici.
L'ubicazione di Morgantina a Caltagirone riprende un'ipotesi avan
zata da M. T. Manni Piraino (in Kokalos V, 1959, pp. 174-189), ma il
Seminerio la integra elencando materiali inediti di età romana che confe
rmano la persistenza del centro abitato anche per la fase per la quale non si
PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA 609

avevano elementi sufficienti. Il rifiuto della teoria di Erim e di Sjòqvist,


già fatto proprio anche da me e da F. P. Rizzo, è dunque accolto ora
anche dal Seminerio; ma quest'ultimo va sicuramente oltre il limite del
giusto quando pretende, come Erim e Sjòqvist, che sia fuori discussione
l'identità Morgantina-M urgentia. Non è vero infatti che Yager Murgentinus
ricordato da Cicerone possa essere collocato intorno a Caltagirone perché
doveva trovarsi fra l'agro di Enna e quello di Assoro, nettamente più a
nord di Aidone, ad est-nord-est rispetto ad Enna. Ma sull'identificazione
del centro siculo-greco di Serra Orlando torneremo fra poco. Per ora c'in
teressa invece questa valle dei Margi, nell'ambito della quale bisognerebbe
identificare, sempre secondo il Seminerio, Makella con Occhiolà, Menainon
al Monte Catalfaro, Neai al Piano Casazza, Trinakie in località Altobrando,
ferme restando le identificazioni di Menai con l'attuale Mineo e di Palike
con l'attuale Rocchicella.
Per giungere a queste conclusioni il Seminerio (p. 56) rifiuta, fra
l'altro, l'opinione di Santo Mazzarino che faceva di Trinakie e di Piakos una
stessa località e quella di Dinu Adamesteanu che accomunava Trinakie
con Palike. Le considerazioni che egli fa a questo proposito derivano
dalle sue esplorazioni nel territorio di una collina che egli chiama di
Altobrando per motivi politici: in realtà sulle carte il nome della col
lina è Monte Balchino. Qui, comunque, egli ha trovato tracce di un centro
abitato e fortificato, distrutto e abbandonato « verso la metà del V se
colo » e qui è incline a vedere Trinakie, ultimo baluardo della resistenza
indigena antisiracusana.
Con Trinakie il Seminerio collega Triocala, la cui esistenza è atte
stata soltanto in età romana. Egli l'identifica col castello di Altobrando
come logico corollario delle identificazioni di Morgantina con Caltagirone
e di Makella con Occhiolà. È dunque su quest'ultima che converrebbe
soffermarsi un istante per valutarne le ragioni, ma a questo proposito il
Seminerio si fonda quasi esclusivamente sulla vicinanza di Makella a Mor-
gantina, accogliendo in sostanza il punto di vista del Fazello e del Pais,
da lui citati, per collocare Makella nella valle dei Margi.
Per l'identificazione, in particolare, con Occhiolà, occorreva re
spingere nell'ambito delle ipotesi gratuite quella di Occhiolà stessa con
Echetla, e le ragioni addotte in proposito mi paiono pertinenti.
Così il quadro proposto dal Seminerio presenta una sua organicità non
trascurabile che, nonostante certe ingenuità, possono servire di base a nuove
ricerche.
Abbiamo già accennato poco sopra al problema della città che sorgeva
a Serra Orlando ed alla posizione assunta a questo proposito dalla Piraino
610 EUGENIO MANNI

e dal Rizzo. Non intendiamo ricordare qui i particolari delle argomentaz


ioni storico-topografiche addotte da quegli studiosi; ma non possiamo
passare sotto silenzio il fatto che il Rizzo ha potuto portare a riprova
della validità del rifiuto di identificare Morgantina in questa località anche
un documento ecclesiastico di notevole valore. Si tratta dell'iscrizione
D. Leoni PP II civi et patrono populus Aidonensis basilicam hanc erexit,
riportata da R. Pirro {Sicilia sacra, Palermo 1733, citata dal Rizzo, op. cit.,
p. 162, nota). Il dedicatario, Leone II, era precisamente « erbitense ».
L'iscrizione risale all'anno 1090, data alla quale è inimmaginabile una
falsificazione di tipo umanistico.
Soltanto la presenza di numerose monete Hispanorum ha fatto identi
ficare la pretesa Morgantina con la città di Serra Orlando nella presun
zione che Morgantina appunto fosse la città concessa dai Romani agli
Ispani. Ma già la Piraino aveva rilevato che nemmeno Murgentia, la città
ricordata da Livio, può essere collocata a Serra Orlando poiché con ogni
verosimiglianza essa va posta fra Enna ed Assoro, come si deduce da quanto
ne dice Cicerone. Le monete Hispanorum non sono dunque un indizio
sufficiente per l'identificazione di Murgentia, lo sono ancor meno per
l'identificazione di Morgantina.
Aggiungiamo soltanto che l'apparente omonimia di più centri è un
fenomeno abbastanza diffuso in Sicilia, dove basterà ricordare i casi di
Motye-Motyon-Motyke, Herbessos I e II, le varie Hyblai, forse le due
Erbite, se una di queste è identificabile con Alaisa (v. Piraino, art. cit.,
p. 187).
Dopo questa prima serie di precisazioni possiamo ormai passare allo
scritto del Bejor. In esso abbondano osservazioni di una certa acutezza
che, partendo dall'esame di un passo di Tucidide, gli consentono di trac
ciare le linee essenziali di una strada interna di grande importanza militare.
D'altra parte, non varrebbe forse la pena di tentare l'identificazione
di centri minori dell'antica Sicilia, se questo sforzo non promettesse almeno
di darci un più sicuro mezzo di valutazione dei rapporti fra l'uno e l'altro
di questi centri. Nel caso particolare Bejor parte dalla menzione che
Tucidide fa di Halikyai accanto a Centuripe (ό Νικίας . . . πέμπει ές των
Σικελών τους την δίοδον έχοντας και σφίσι συμμάχους, Κεντόριπάς τε και
Αλικυαίους και άλλους κ.τ.λ.). È noto che questo passo ha dato luogo a diverse
interpretazioni. Fra queste Bejor ritiene preferibile quella di Raubitschek
(TAPhA 1940, p. 13), secondo il quale Tucidide avrebbe semplicemente
voluto indicare nominativamente soltanto le due città alleate più importanti
anche « per la loro posizione chiave nell'ambito della viabilità dell'interno
dell'isola » (p. 743). In altri termini Tucidide avrebbe indicato il punto di
PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA 611

partenza ed il punto d'arrivo di una strada interna che attraversava il ter


ritorio dei Siculi, e credo che a supporto di questa teoria si potrebbe
addurre anche la stessa parola δίοδος collegata con l'insieme dei Σικελοί.
Bisogna tuttavia aggiungere subito che, nonostante l'opinione di Bejor, non
si può credere che la Halikyai esistente nella Sicilia occidentale fosse
«sieula». Contrariamente a quanto asserisce il giovane studioso, Diodoro
(XIV 48,4) ci da un elenco di cinque città che non sono certamente sicule:
Halikyai, Solus, Aigesta, Panormos, Entella. Quanto poi a Diod. XIV 55, 7,
il nome degli Άλικυαΐοι vi compare soltanto in connessione con quello dei
Sicani, non dei Siculi. Non si può dunque forzare il senso del passo di
Tucidide fino ad includere Alicie fra le città dei Siculi. Occorrerà ammettere
che il passo di Tucidide è corrotto oppure che di Halikyai ne esistessero
effettivamente due: una in Occidente, ben collocabile fra Entella e Lilibeo,
e l'altra in Oriente. Ancora una volta ricordiamo che le omonimie in Sicilia
non ci spaventano affatto.
Merito di Bejor, comunque, resta il fatto di aver identificato la strada
che attraversava la Sicilia da est ad ovest permettendo di raggiungere
Panormo e l'Occidente dell'isola senza la necessità di attraversare il ter
ritorio controllato da Agrigento. Questa strada, pur lasciando in disparte
Enna, doveva corrispondere grosso modo all'odierna nazionale Catania-
Palermo almeno fino a Vicari. Di qui, attraverso l'odierna Corleone ed
Entella, si poteva giungere nella zona di Poggioreale (p. 754), S. Ninfa e
Salemi, la zona appunto in cui è da cercare anche Halikyai.
Giustamente Bejor precisa che « per la discussione fra un tronco viario
ed un altro solo una più puntuale ricerca archeologica potrà giovare (ed
è probabile che potessero esistere due ο più tronchi paralleli parimenti
frequentati) » (p. 754). Ma la linea essenziale c'è già ed è sufficiente a
spiegare l'itinerario dei mercenari campani nel 404, quello di Magone nel
392 e forse quello dei Geloi nel 413 per unirsi a Gilippo presso il Chrysas
e quello di Agatocle nel 307 da Terme a Centuripe. Ma qui non ci so
ffermeremo ad esaminare i singoli casi, né le singole identificazioni proposte
da Bejor: alcune di queste sono fuori discussione, altre - proprio per le
incertezze indicate dallo stesso Bejor - restano sub iudice.
Può essere interessante, invece, prendere in considerazione i risultati
dell'indagine svolta da V. Giustolisi anche con l'ausilio della fotografia
aerea. Della Solunto punica e di Hykkara e della loro possibile ubicazione
ho già detto qualcosa ad un Convegno tenutosi a Strasburgo nel 1971.
Non starò dunque qui a ripetermi, tanto più che non ci sono in questo
campo grandi novità. Ma proprio le ricerche di Giustolisi nel territorio di
Hykkara-Carini si sono allargate a quasi tutta la zona compresa fra Palermo
612 EUGENIO MANNI

e Partinico e l'indagine ha condotto ad alcuni risultati che meritano di


essere ricordati.
Vorrei cominciare dall'identificazione del Heirkte, generalmente
riconosciuto nel monte Pellegrino proprio a nord di Palermo. Sulla base
della traduzione di un grecista insigne quale Bruno Lavagnini (p. 47 s.),
il Giustolisi (Le navi romane cit.) ha dato una nuova interpretazione di un
passo di Polibio (I 56 s.). Ecco dunque la traduzione nei suoi passi essenz
iali: « Amilcare . . . occupò la località denominata Eircte la quale è situata
a mezza strada fra Palermo ed Erice in prossimità del mare ... La località
ha sotto il suo controllo anche un porto opportunamente situato nei r
iguardi della rotta marittima da Lilibeo e da Trapani verso l'Italia ... La
predetta località possiede in tutto tre sole vie d'accesso, due dall'interno
e una dalla parte del mare ... In un secondo tempo, essendosi schierati
di contro a lui i Romani a guardia della città di Palermo, a circa cinque
stadii di distanza, impegnò con loro molti e movimentati scontri per terra
per quasi tre anni ... ».
Coloro che conoscono la zona di monte Pellegrino sanno benissimo
che questo monte non può in alcun modo essere definito « a mezza strada
fra Palermo ed Erice », né alle falde del Pellegrino può porsi altro porto
che non sia quello di Palermo. Né infine si può dire che al monte Pel
legrino arrivino tre strade - di cui due interne - perché nessun'altra
potrebbe giungervi se non quella che oggi conosciamo e che, inserita ora
nella cosiddetta « panoramica », raggiungeva il santuario di Santa Rosalia
per un erto sentiero. Soltanto lungo la parete occidentale del monte,
praticamente inaccessibile da quel lato, corre la via che congiunge Palermo
a Mondello. Scontri in pianura sarebbero dunque potuti avvenire soltanto
lungo questa via.
Fin troppo facile è per il Giustolisi la confutazione di questa iden
tificazione e di altre che pur si avvicinavano maggiormente al vero, come
quella di J. Kromayer. Un punto può così dirsi acquisito con la ovvia
conseguenza che l'Eircte potrà essere ubicato, come suggerisce il Giustolisi
stesso, al monte Pecoraro ad est di Cinisi. Così pure può dirsi acquisito il
quadro della viabilità della zona.
Forse anche l'ubicazione della Macella occidentale sul Monte d'Oro
(Montelepre) (p. 9 s.) ha buone probabilità di consistenza, ma qui il problema
si complica perché implica anche la documentazione « elima » di quel centro.
Non occorre, del resto, riprendere qui il grave problema dei rapporti elimo-
sicani, dei quali mi sono interessato, sia pure marginalmente, nella relazione
che ho presentata al Congresso F.I.E.C. di Madrid su Indigeni e colo-
nizzatori nella Sicilia preromana.
PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA 613

Occorre invece un cenno almeno al sorprendente articolo comparso


recentissimamente nelle Mitteilungen romane a firma di G. Navarra.
Questo studioso era già noto soprattutto per un suo libro intitolato Città
sicane sicule e greche nella zona di Gela (Palermo 1964). Nel suo libro
egli sosteneva la vecchia tesi che l'antica Gela fosse da identificare nel
l'attuale Licata, tesi sostenuta anche da G. Uggeri (in P. d. P. 1968, pp. 120-131)
e da G. Carità {La topografia di Gela antica etc., Bologna 1972). Sulla
base delle fonti letterarie la tesi è insostenibile: la mia opinione, del resto,
è pubblicata (in Kokalos XVII, 1971, pp. 124-130). Gela è la medievale
Terranova, alla quale è stato ridato da qualche decennio l'antico nome;
Licata è sul luogo dell'antica Finziade.
Archeologicamente, le ricerche di Orlandini, Adamesteanu e Griffo
non sembrano lasciare adito a dubbio alcuno; ma è proprio in questo
campo che il Navarra si arrischia a sferrare il suo attacco, avvalendosi
questa volta di una sede così prestigiosa come il vecchio e glorioso Istituto
Archeologico Germanico. Proprio questa sede, così illustre, ci induce a
tornare sul tema.
Soffermiamoci dunque su qualcuno dei diciotto punti (elencati a p: 23
dell'articolo) che il Navarra riprende dalle «fonti storiche ». Uno di essi,
il n° 15 (p. 33), è fondato sulla distanza fra Gela e Morgantina, ed a questo
proposito il Navarra non esita a porre Morgantina a Serra Orlando. Ora,
scrive il Navarra, « Morgantina è equidistante da Licata e da Camarina;
ma è molto più vicina all'odierna Gela, e da essa facilmente accessibile
lungo la vallata del Maroglio ». Fin qui egli ha ragione e più ancora ne
avrebbe se accettasse l'identificazione di Morgantina nella zona di Calta-
girone; ma non si capisce perché poi il Navarra escluda che, ove non fosse
identificabile con Licata, Gela potesse accettare « a conclusione del con
gresso da essa promosso, che Morgantina fosse pagata ai Siracusani e ceduta
ai Camarinesi ». Su tali illazioni è inutile indugiare.
Giustamente, poi, il Navarra rileva una inesattezza filologica di Piero
Orlandini a proposito di Herodot. VII 153, dove si legge di Maktorion
ύπερ (non έπΐ της) Γέλης οίκημένην; ma vuole ricavarne che la città fosse
« immediatamente sopra l'abitato », il che è assolutamente inverosimile.
Risibile addirittura l'affermazione che è « chiaro che l'uso moderno di i
ntendere sopra per settentrione deriva dalla non millenaria abitudine di
appendere (sic\) le carte geografiche con il nord in alto ». Ma proprio per
l'uso di ύπερ nel senso geografico di « above, farther inland » il dizionario
facilmente accessibile di Liddell-Scott cita Erodoto (I 175), Tucidide (II 48),
Senofonte (Anab. II 6, 2), ecc. ecc.
614 EUGENIO MANNI

II diciottesimo punto di Navarra riguarda la distanza fra Gela ed


« Eruke » ; ma, se può essere dubbio che Eryke - sita a « 90 stadi da
Gela » - sia da identificare « presso Mene ed il Simeto », non è però dubbio
che il testo di Callia ripreso dal Navarra parla non di Gela ma της . . . Γελώας
ed hanno quindi ragione coloro che si riferiscono non già a Gela, ma al
territorio di Gela, di cui la medievale e moderna Terranova faceva sic
uramente parte qualunque sia l'identificazione che se ne propone.
Faremo grazia di altre piacevolezze filologiche; ma non possiamo
esimerci dal ricordare la troppo brillante ipotesi che fa di un Βώτακος
un Buterese (p. 38. L'iscrizione è in Kokalos III, 1957, p. 96)! Ed a questo
punto ci arresteremo: troppo piacevole ed istruttiva è la lettura dell'articolo
per privarne gli intenditori.
Resta invece l'aspetto archeologico della questione. Non voglio entrare
nel gioco delle datazioni di singoli monumenti. Mi chiedo soltanto se, i
ndipendentemente da singoli casi, sia possibile stabilire una continuità di
vita in Gela ο in Licata posteriormente alla data di fondazione di Finziade.
Non i silenzi sono prove, ma i monumenti.
Di Gela-Terranova ci si dice che nulla può essere datato dopo i
primi anni del III secolo a. C; di Licata ci si presentano alcune iscrizioni
che, se autentiche, vanno datate al II-I secolo a. C. Ma i Geloi del II secolo
risiedono a Finziade e dunque Finziade è l'attuale Licata. Se invece le
iscrizioni sono false - come è stato più volte ripetuto - non valgono a
dimostrare che in antico Licata si fosse chiamata Gela, ma soltanto che i
Licatesi si fondano su di un falso per rivendicare a se stessi le glorie geloe.
Un ultimo punto vorrei toccare in questa rapida rassegna. Più volte
si è dovuta discutere, da quando si studia storia dell'antica Sicilia, la
questione dell'esistenza di più Ible. Io stesso ho ripreso il discorso recen
tissimamente, dedicando qualche pagina al tema Quante Ible? (in Kokalos
XX, 1974, in corso di stampa). Mi sia quindi permesso di accennarvi, spe
cialmente in rapporto a quanto si è scritto da altri negli ultimi anni. Come
punto di partenza mi riferirò ad un articolo del 1966, che ebbi occasione
di scrivere per riprendere in esame dopo Manganaro l'itinerario dei
thearodokoi delfici in Sicilia {Kokalos XII, 1966, pp. 171-178).
L'itinerario ricostruito da Manganaro era questo: Messana, Abaceno,
Tindari, Tauromenio, Etna-Inessa, Centuripe, Catania, Siracusa, Eloro,
Tiracio, Camarina, Ibla, Ergezio, Noe, Assoro, M [lustrato], Κ [ale Aktè],
[Alonzio], Alesa, Terme, Lipari. Si trattava di un itinerario che mi aveva
lasciato alquanto perplesso; e proponevo già allora di leggere il nome greco
corrispondente al latino Murgentia in luogo di quello di Mytistraton, quello
di Kephaloidion in luogo di Kalè Akté, ed infine suggerivo l'ipotesi che non
PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA 615

il nome di Alonzio, ma eventualmente quello di Apollonia (p. 172) andasse


integrato nella lacuna successiva. Su quelle mie proposte, però, non intendo
tornare prima di aver ripreso la questione della sede di Ibla.
Cominciamo quindi col ricordare che una Ibla è collocata nell'it
inerario dei thearodokoi fra Camarina ed Ergezio-Noe-Assoro. Abbiamo così
due punti di riferimento sicuri: Camarina ed Assoro, ma non conosciamo
con certezza né l'ubicazione di Ergezio, né quella di Noe.
Di Ergetion sappiamo soltanto che, distrutta da Ippocrate, giaceva
nella pianura dei Lestrigoni - ossia nella piana di Catania - ad una notte
di marcia dal mare (Polyaen. V 6). La si può supporre non lontana dal
l'Etna (cfr. ΙΆϊτνη Έργετίνη ricordata da Steph. Byz. s.v. Έργετιον), come
già, p. es., faceva il Dunbabin (The Western Greeks, p. 403), a preferenza
che altrove: forse a Ramacca fra il Gornalunga ed il fiume Caltagirone?
Di Noai si è discusso molto sulla possibilità che sia la stessa città
altre volte indicata come Neai ο Nomai (cfr. Manganaro in Historia XIII,
1964, p. 434, n. 122). Non entriamo nel merito. Ma la collocazione fra
Ergezio ed Assoro ci fa pensare a Castel di Iudica come alla sede più
probabile.
Le identificazioni proposte da Manganaro mi paiono d'altronde diff
icilmente sostenibili: per lui Ergetion è identificabile a Feria nella zona
di Pantalica, a nord di Akrai (Palazzolo Acreide), e Noai «sulla via interna
verso Assoros » (p. 434). Ma la sequenza da lui citata - Σεργέντιον, Ύβλα,
Λεόντιον - dimostra, se qualcosa può dimostrare (ma è dubbio il nome
di "Υβλα, Σεργέντιον è considerato identico ad Έργετιον), che provenendo
da sud si incontrava prima Ibla e poi Leontini e che quindi Ibla dovrebbe
collocarsi tra Feria (per lui sede di Ergetion) e Leontini. O, dunque, è
errata l'identificazione di Ergetion, ο è errata quella di Hybla, ο sono
errate entrambe.
Ricordiamo che Georges Vallet (in Kokalos Vili, 1962, p. 47) ha messo
in evidenza il fatto che, a partire dal secondo quarto del VI secolo si
constata la presenza di « noyaux grecs installés en milieu indigène » e
che « Grecs et indigènes sont étroitement mêlés ». I luoghi da lui citati
sono Grammichele, Serra Orlando, probabilmente Monte Iudica, forse Li-
codia. Sarà fuori luogo cercare in questa zona le città che ci interessano?
Ma torniamo ad Ibla. Pausania registrava una sola città di questo
nome ancora attiva, una seconda era distrutta. Una terza, inoltre, è ricor
data da Stefano di Bisanzio che cita Filisto, ed anche questa poteva esi
stere ancora nel III-II secolo a. C. A proposito di quest'ultima - l'unica
che non sia esplicitamente indicata come appartenente al territorio « ca-
tanese » - ho altrove proposto una diversa interpretazione del passo -
616 EUGENIO M ANNI

sicuramente corrotto - da cui si era derivata la sola testimonianza di


una Hybla Heraia. Sarebbe stata questa, a mio parere, Tibia di Iblone che,
secondo una interessante proposta di L. Bernabò Brea (// crepuscolo del re
Hyblon, in P.d.P. 1968, p. 161 ss.), andrebbe ubicata a Pantalica, press'a
poco là dove Manganaro pensa di trovare Ergetion.
Ammettendo l'identificazione di Bernabò Brea, la serie Camarina-Ibla-
Ergezio-Noai ci indurrebbe a cercare Ergetion, non necessariamente iden
tica a Sergention, alquanto più a nord di Pantalica sempre in direzione
di Noai e di Assoro. Così, come già s'è detto, possiamo pensare per que
sto centro a Ramacca, mentre per Noai si può pensare a Castel di Iudica.
In questo modo si avrebbe un itinerario abbastanza semplice da Cama-
rina ad Ibla, Ergezio, Noe, Assoro, che non ci costringerebbe ad ipotizzare
una puntata verso Ibla prima dello spostamento del thearodokoi ad Ergezio.
Va però anche notato che una Hible è indicata nella Tabula Peutinge-
riana ed in altri itinerari (v. B. Pace, A.C. S.A. I2, p. 475 ss.) fra Calvi-
siana ed Agris (= Acre). Tenendo fermo alle identificazioni Akrai-Palazzolo
Acreide e Calvisiana-Niscemi, se ne deduce che questa Hible doveva tro
varsi ad occidente di Palazzolo, forse a nord di Ragusa, ma non a Ragusa
stessa. Di questa Hible, dunque, non si può tenere alcun conto per rico
struire l'itinerario dei thearodokoi se non giungendo a risultati analoghi a
quelli ottenuti dal Manganaro ed a proposito dei quali abbiamo indicato
le difficoltà che si oppongono alla ricostruzione del viaggio. Da questo
punto di vista non ci interessa nemmeno, in questa sede, una discussione
'sul valore storico-filologico della testimonianza di itinerari che po
trebbero rispecchiare una diversa situazione: si potrebbe addirittura ipo
tizzare che la Tabula Peutingeriana, p. es. avesse qui un nome fuori posto
ο un nome corrotto, o, anche, che esistesse un'Ibla non ricordata da
Pausania e che, proprio per questa ragione, ne compaiano tre anziché due
in Stefano di Bisanzio. Ma il problema può restare aperto.
V'è infine da considerare la possibilità che l'Ibla dell'itinerario dei
thearodokoi sia la sola che è attestata come vivente da Pausania e che,
senza dubbio, va cercata nel Catanese. Proprio cercandola nel Catanese è
possibile collocarla a Paterno. Da qui ad Ergetion-Ramacca il tratto è breve
per raggiungere Castel di Iudica (Noai?) ed Assoro.
Attraversati i monti Erei, dunque, i thearodokoi sarebbero rientrati
nella piana di Leontini dopo il tragitto costiero che li aveva portati da
Catania a Camarina.
Fondarsi sull'itinerario dei thearodokoi delfici per giungere all'iden
tificazione dei singoli centri da loro toccati è dunque possibile soltanto
tenendo conto di alcuni punti di riferimento ben precisi e tenendo presenti
PROPOSTE DI IDENTIFICAZIONE DI CENTRI ANTICHI DELLA SICILIA 617

questi punti da cui i thearodokoi dovettero partire per un numero di


diramazioni che resta da precisare.
La prima di queste diramazioni la si constata dalla sequenza Abakainon-
Tindari-Tauromenio: da Abakainon l'itinerario risale verso Tindari prima
di proseguire per Tauromenion.
Una seconda diramazione si ha fra Aitna e Catana con la puntata su
Centuripe. La terza può essere quella verso Ibla, se si identifica Tibia del
l'itinerario con Paterno. Avremmo così, eliminando queste diramazioni,
una linea Messana-Abakainon-Tauromenion-Aitna-Catana-Siracusa-Eloro-
Tyrakion-Camarina-Ibla e poi, da Ibla appunto, Ergetion-Noai-Assoro-
M[urgentia?]. Da questo punto in poi, secondo l'ipotesi da me avanzata
(in Kokalos XII, 1966, p. 174), si può pensare ad una puntata verso
Kephaloidion, donde, raggiunta la costa, il viaggio poteva proseguire
verso la vicina Alesa (Castel di Tusa) attraverso l'odierna Pollina, dove è
stata più volte identificata Apollonia (cfr. Uggeri, in Vichiana cit., p. 133 s.;
Bejor, art. cit., p. 759).
Chiudiamo così queste note nel nome di Apollo, signore delle Muse,
con la speranza che Clio non ci abbia tradito.
GUIDO A. MANSUELLI

IL MONUMENTO DI PORSINA DI CHIUSI

Un passo di Varrone, recepito letteralmente nella Naturalis historia di


Plinio l, si diffonde sui particolari costruttivi e formali del monumento fune
rario del re chiusino Porsina, monumento che Plinio cita come esempio di
inutile e colpevole megalomania. La descrizione varroniana, con dettagli non
del tutto inspiegabili dal punto di vista tipologico, è indicativa di due fatti:
l'eccezionaiità della dimensione sia in pianta che in alzato e il fine personal
mente celebrativo. I dati restano problematici, per l'impossibilità di risalire
alle fonti informative di Varrone e per la citazione che Plinio aggiunge di
tradizioni etrusche, fabulae Etruscae2. Il monumento comunque era scom
parso al tempo di Plinio3 e forse già a quello di Varrone, ma, come spesso
avviene, è difficile potere accantonare il problema con la semplicistica esclu
sione di tutto ciò che sa di leggendario. Cercheremo quindi, senza porre
in via prioritaria il quesito della veridicità della notizia, di enucleare dal-

1 Plin., N.H., XXXVI, 91: namque et Italicum dici convertit quern fecit sibi Porsina
rex Etruriae sepulcri causa, simul ut externorum regum vanitas quoque Italis superetur. sed
cum excédât omnia fabulositas, utemur ipsis M. Varronis in expositione eius verbis: «sepultus
est sub urbe Clusio in quo loco monumentum reliquit lapide quadrato quadratum, singula
latera pedum tricenum, alta quinquagenum, in qua basi quadrata intus labyrinthum inextri-
cabile, quo si quis introierit sine glomere lini exitum invenire nequeat. 92 supra id quadratum
pyramides stani quinque, quattuor in angulis et in medio una, imae latae pedum quinque
septuagenum, altae centenum quinquagenum, ita fastigatae ut in summo orbis aeneus et peta-
sus unus omnibus sit impositus, ex quo pendeant exapta catenis tintinnabula, quae vento
agitata longe sonitus référant, ut Dodonae olim factum. 93 supra quern orbem quattuor
pyramides insuper singulae stani, altae pedum centenum. supra quas uno solo quinque pyra
mides » quarum altitudinem Varronem puduit adicere; fabulae Etruscae tradunt eandem fuisse
quam totius operis ad eas. vesana dementia quaesìsse gloriam impendio nulli profuturo,
praeterea fatigasse regni vires ut tarnen laus maior artificis esset.
2 XXXVI, 93.
3 XXXVI, 90.
620 GUIDO A. MANSUELLI

l'esame del passo gli elementi utilizzabili per qualche ricupero circa la cono
scenza dell'architettura etrusca.
Il motivo che ha portato Plinio a diffondersi ampiamente, nella citazione
e nelle aggiunte proprie, è sostanzialmente moralistico. Egli infatti introduce
il discorso4 su taluni famosi esempi di macrotettonica, unificati nella cate
goria dei labyrinthi, portentosissimum humanì impendii opus e distinti per
la loro complessità. Plinio abbozza anche una storia dei labyrinthi, ponendo
come più antico quello egizio di Herakleopolis, da cui fa dipendere senza
dubbio, direttamente quello di Creta, opera di Dedalo5. In modo speciale
Plinio si impegna in un confronto di fonti e di soluzioni interpretative6,
propendendo per il riconoscimento ai labyrinthi di una funzione sacrale,
per lo meno per gli egizi.
Non è tuttavia del problema generale dei labyrinthi, d'altronde oggetto
di ricerche recenti 7 che intenderei qui occuparmi. I dati di Varrone e Plinio
sono interessanti per più di un motivo: in primo luogo l'orizzonte cronologico,
che è quello del tardo arcaismo etrusco in via di sfociare nel subarcaismo,
più ο meno lo stesso cui risale l'esempio di macrotettonica templare del
tempio capitolino a Roma, poi perché si conferma il privilegio della pr
ogrammazione funeraria. Il monumento è detto esplicitamente costruito
sepulcri causa, in più si tratta dell'unico monumento etrusco precisamente
riferito ad un personaggio storico, anzi ad uno dei pochissimi protagonisti
conosciuti della storia etrusca, un sovrano noto per la sua potenza. È facile
per noi sottolineare quello che Plinio, nella sua preponderante preoccupa
zione moralistica, appena adombra, cioè il rapporto fra il personaggio e il
monumento, in termini di equazione fra la dimensione storica attribuitasi

4 XXXVI, 64.
5 XXXVI, 85.
6 XXXVI, 84: dicamus et labyrinthos vel portentosissimum humani impendii opus, sed
non, ut existimari potest, falsum. durât etiamnum in Aegypto Heracleopolite nomo qui primus
factus est ante annos, ut tradunt, MMMDC a Petesucho rege sìve Tithoe, quamquam Herodotus
totum opus XII regum esse dicit novissimumque Psammeticum. causas faciendi variae interpre-
tantur: Demoteles regiam Hotesidis fuisse, Lyceas sepulcrum Moeridis, plures Solis sacrum id
extructum, quod maxime creditur. Il riferimento ad Erodoto è II, 147.
7 G. Pugliese Carratelli, Labranda e labyrinthos, in Rendic. Accad. Napoli, XIX, 1939,
pp. 5-20; Κ. Kerényi, Labyrinthstudien2, Zürich 1952; G. Becatti, La leggenda di Dedalo, in
La parola del Passato, XIV, 1957, pp. 161-76; C. Gallavotti, Labyrinthos, ibid., pp. 176;
M. Cagiano de Azevedo, Saggio sul Labirinto, Milano 1958; P. E. Pecorella, art. Labirinto,
in Enc. arte ant., IV, 1961, pp. 436-40. Inoltre: Humborg e Karo, art. Labyrinthus, in Pauly-
Wissowa, RE, XII, 1, 1924, coi. 312-23; A. W. Van Buren, in Anthemon Anti, 1945, p. 85.
IL MONUMENTO DI PORSINA DI CHIUSI 621

da Porsina e la dimensione fisica della costruzione, la complessità enfatizzata


fino a diventare una sorta di complicata « macchina » architettonica, assurda
e senza confronti nel mondo classico. È ciò che si ricava dal vesana dementia
quaesisse gloriam delle ultime righe del passo, non senza riserve, perché,
alla lettera, Porsina avrebbe cercato di rendersi famoso con il monumento
in sé, e il monumento sarebbe diventato fine a se stesso, non strumento
per comunicare il nome e le gesta del re. Il quale da Plinio è messo in
rapporto con potentati stranieri, specialmente dell'Oriente, ed anche questo
è un dettaglio da non trascurare. Lo scopo funerario-celebrativo, comunque,
mi pare interpretativo dell'intenzione, mentre quanto è detto in principio,
dopo l'esplicito sepulcri causa, cioè simul ut externorum regum vanitas
quoque Italis superetur, anche per l'uso del verbo al presente, mi pare
piuttosto consecutivo che finale 8, mi pare in altri termini che Plinio dichiari
in sostanza una conseguenza di fatto, piuttosto che un'intenzione di Porsina
di gareggiare in inutile macrotettonica con reges externi. Così mi pare anche
dell'ultimo inciso del passo, relativo alla conseguenza che ad aver meritato
rinomanza da quell'inutile dispendio sia stato in definitiva l'artista che aveva
realizzato l'opera: ut tarnen laus maior artificis esset, dove è contenuto un
riconoscimento significativo a vantaggio dello stesso artista, e quindi una
dichiarazione, tutto sommato, della positività dell'operare artistico, esente
dalla deplorazione moralistica che ricade soltanto sul committente. La ripren
sione deWimpendium nulli profuturum rientra nel biasimo frequente in
Plinio per programmi non di pubblica utilità, massime se, come questo, ave
vano prosciugato le risorse di uno stato, praeterea fatigasse regni vires,
dove è chiaro che lo scrittore, come non ha mancato l'equazione fra perso
naggio e monumento, non ha trascurato un rapporto in negativo fra dispendio
e inutilità, con ciò cogliendo l'aspetto economico del problema, il peso sulla
bilancia del regno chiusino di una siffatta enfatica autocelebrazione.

8 Per l'espressione di cui a 93 ... praeterea fatigasse ... ut tarnen laus ... si tratta di
consecutiva retorica.
Circa il tono del passo di cui nel testo, non è da escludere un affioramento del naziona-
liSmo italico: in fondo par di cogliere un sottaciuto compiacimento perché gli Itali avevano
raggiunto un primato anche in questo campo di intraprese inutili. Ringrazio vivamente l'amico
Prof. Elio Pasoli per la consulenza che mi ha cortesemente prestato circa problemi filologici
e grammaticali del testo.
622 GUIDO A. MANSUELLI

*
*

Plinio non è stato esente dal dubbio sulla credibilità di quanto stava
per esporre, su un oggetto di meraviglia eccedente qualsiasi norma, ed ha
sentito il bisogno di riportare puntualmente la sua fonte, l'indiscussa autorità
scientifica di M. Terenzio Varrone: sed cum excédât οπιηία fabulositas,
utemur ipsis M. Varronis in exposìtione eius verbis 9, tanto più che il monu
mento era scomparso 10. Una posizione di incertezza resta dove lo scrittore,
per supplire ad un dato mancante in Varrone, cita le fabulae Etruscae. Ma
ciò, non significa che Plinio dubitasse dell'esistenza reale del monumento di
Porsina n. Un elemento da prendere ad ogni modo in considerazione è costi
tuito dalla puntualità delle misure che Varrone riferisce, con esplicito li
nguaggio tecnico. Il monumento, per Varrone, era costituito da un basamento
di trecento piedi di lato, alto cinquanta, con un rapporto quindi di 6:1 fra
pianta ed alzato. Si aggiunga che entrambe le misure sono multipli di cinque,
come tutte le altre indicate per l'altezza e la larghezza delle piramidi.
Quelle insistenti sul nasamento sono indicate come alte centocinquanta piedi,
larghe alla base settantacinque, cioè la metà dell'altezza; di cento piedi è
l'altezza delle piramidi del secondo ordine, due terzi di quella del primo.
La lunghezza di cinque piedi sembra dunque da assumersi come modulo
della complessa costruzione. Tale modulo entra sessanta volte nella lunghezza
dei lati del basamento, dieci nell'altezza di questo, quindici nel lato di base
e trenta nell'altezza delle piramidi del primo ordine, pertanto tre volte
l'altezza del basamento, venti volte nell'altezza delle piramidi del secondo
ordine 12. La somma delle altezza date è pari alla larghezza del lato di base,
ma questa corrispondenza non tiene conto delle membrature orizzontali. La
corrispondenza fra tale altezza totale e l'altezza delle piramidi del terzo
ordine, tramandata dalle fabulae Etruscae, non ha, in teoria, carattere di
inverosimiglianza e di illogicità. Plinio attribuisce a ritegno il silenzio di
Varrone su questo terzo ordine, in realtà probabilmente il silenzio dipendeva
da difetto d'informazione ο da perdita, già ab antico, della parte più alta.
Certo è che fra il primo e il secondo ordine di piramidi è dato come inter-

9 XXXVI, 91.
10 V. nota 3.
11 XXXVI, 84, cit. a nota 6, all'inizio.
12 Nella valutazione di tali rapporti mi è stato, come spesso, di grande aiuto l'amico
Arch. F. Bergonzoni, che ringrazio sentitamente. Egli mi ha fatto rilevare in particolare il carattere
ritmico delle corrispondenze, inseribili in una scala musicale.
IL MONUMENTO DI PORSINA DI CHIUSI 623

corrente un rapporto decrescente, di 1,5:1. Il discorso sui rapporti, anche


confrontato con quello vitruviano sul tempio tuscanico 13 come rapporti fra
grandezze derivate, con possibilità di riconoscere un modulo, è da assumere
come una acquisizione per la conoscenza dell'architettura etrusca, per lo
meno in quanto ripensata da trattatisti romani. Anche ammesso 14 che tutta
la notizia sul monumento di Porsina fosse fantastica ο enfatizzata, ο frutto
di tradizioni ibride, rapporti, corrispondenze e modulo non possono ritenersi
inventati, ma corrispondenti a qualcosa di conosciuto ed accertato. Si può
aggiungere una ulteriore constatazione: il lato di base delle piramidi del
primo ordine corrisponde ad un quarto del lato del basamento. La partizione
del piano superiore di questo, considerando quattro piramidi in angulis ed
una al centro, in medio, la disposizione di queste comporterebbe la riparti
zione del piano stesso in un reticolo di sessantaquattro quadrati, ciascuno
con lato corrispondente alla metà del lato di base delle piramidi, trentasette
piedi e mezzo, e una distanza fra le piramidi di ciascuna fronte corrispon
dente al doppio del lato di base, centocinquanta piedi, pari alla metà della
larghezza totale del basamento. Sicché al rapporto metrico lineare risulta
combinato, presupponendo il reticolo, un rapporto di grandezza di superficie,
aventi come unità modulare il quadrato di trentasette piedi e mezzo di lato.
Tutto questo sembra ricavabile senza difficoltà dal testo varroniano, ma
dovrà essere approfondito anche attraverso verifiche monumentali.
Varrone ha raccolto soprattutto i dati dimensionali e volumetrici gener
ali, riferendo anche un dato costruttivo importante, cioè che il monumento
era ex lapide quadrato. Non vi è dubbio che, secondo la descrizione varro-
niana il monumento sia da considerarsi fuori terra, poiché egli precisa che
il labirinto era ricavato, ovviamente in costruzione, nel basamento: . . . in qua
basi quadrata intus labyrinthum inextricabile . . . , per cui i percorsi interni
debbono supporsi rettilinei. È da escludere quindi qualsiasi supposizione
relativa a vani ipogei 15. A parte la mole, non altrimenti documentata in
Etruria, la forma della costruzione, con un basamento quadrato sormontato
da piramidi non pone difficoltà. Fra l'altro l'associazione fra prisma quadrato
e piramide si ritrova in numerosi segnacoli sepolcrali, specialmente proprio

13 De arch. IV, 7 e segg. Il passo è notissimo; va rilevato che i rapporti vitruviani sono
geometrici e non numerici, dal che si potrebbe indurre la coesistenza dei due sistemi modulari
nell'architettura etrusca ο due modi di vedere la stessa architettura da parte della scienza antica.
14 Karo, cit. a nota 7.
15 Per il tentativo di riconoscimento nel complesso di Poggio Gaiella, si v. dapprima
E. Braun, II sepolcro di Porsena illustrato e descritto dai suoi scopritori, Roma 1840; per il
problema R. Bianchi Bandinelli, Clusium, nei Mon. ant. Lincei, XXX, 1925, col. 223 e 370.
624 GUIDO A. MANSUELLI

chiusini 16. Difficile da spiegare è invece quanto segue: . . . ita fastigatae


(le piramidi) ut in summo orbis aeneus et petasus unus omnibus sit
impositus . . ., dove grammaticalmente la sovrimposizione dell' orbis et petasus
è dichiarata come conseguenza della fastigatio delle piramidi, espressione
interessante per la sua congruità alla consequenzialità architettonica. Le
interpretazioni sono state diverse e contrastanti 17, non sempre sufficient
emente meditate, soprattutto circa l'uso del termine petasus, letteralmente
« cappello », in accezione particolare architettonica 18. È utile intanto soffer
marsi sul fatto che il monumento è indicato come polimaterico, con parti
bronzee nella struttura lapidea e che Yorbis aeneus, letteralmente, è da
intendersi come un corpo metallico con funzione strutturale e portante, se
su di esso si impostavano le piramidi del secondo ordine: supra quern orbem
quattuor pyramides insuper singulae stani . . . Un problema contestuale alla
funzione di questo elemento metallico è di risolvere la dizione ut in summo
(delle piramidi) orbis aeneus et petasus unus omnibus sit impositus, come
espressione congiuntiva oppure endiadica. Questa seconda a me pare più
persuasiva: identificando orbis e petasus, nel senso di « cappello circolare »
la componente petasus starebbe a significare la forma dell'elemento, legger-
mente concoide. Poiché mancano riscontri monumentali, il problema è desti
nato a rimanere tale, ma è certamente indicativo che all'Etruria subarcaica
si attribuisse una tecnica metallurgica tale da consentire la realizzazione di
un simile colossale elemento. Non è indicata da Varrone la misura, ma cert
amente il diametro àeìVorbis deve essere inteso circa equivalente alla dimens
ione segnata dagli interassi fra le piramidi. È l'unico dato che possediamo
sull'esistenza di parti metalliche strutturali di tale entità. Una possibile
spiegazione potrebbe trovarsi supponendo che si trattasse in realtà del riv
estimento metallico applicato ad elementi strutturali in pietra, ipotesi che

16 Sempre fondamentale lo studio di E. Paribeni, in St. Etr., XII, 1938, pp. 57 e segg.
e XIII, 1939, pp. 179 e segg. Per diverse tipologie si v. ora E. e G. Colonna, Castel d'Asso,
Roma 1970, II, tav. CCCCIX. L'analisi dei segnacoli funerari etruschi dal punto di vista archi
tettonico resta un campo aperto di ricerca.
17 S. Ferri traduce «un disco (o palla) e un petaso...»; precedentemente G. Buonamici,
(Fonti di st. etr. Firenze 1939, p. 375) aveva tradotto «un cerchio di bronzo e un cappello».
G. Karo rende pyramides con «Türme».
18 E. Schuppe, art. Πέτασος, in Pauly-Wissoxa, RE, 19, 1, 1937, col. 1123, 60: nel caso
specifico lo dice usato come termine caratteristico, «Kuppeldach». Altri„esempi analoghi solo
in lingua greca: Or. Gr. Inscr. Sei., 510, 4 (Odeion di Efeso) ; .C/G, 3422, 17 (Philadelphia);
cfr. inoltre Leid. mag. Papyri, Leipzig 1891, 3, 11. Lidder-Scott, 1966, «awning, baldacchino»;
Lewis Short, s.v. II, «caps, cupola». Sull'impiego dei metalli nell'edilizia antica, da ultimo:
R. Martin, Manuel d'architecture grecque, I, Paris 1965, pp. 155-162.
IL MONUMENTO DI PORSINA DI CHIUSI 625

tuttavia urta contro la difficoltà di pensare a membri lapidei di tale lun


ghezza da coprire gli interassi fra le piramidi, senza peraltro trascurare la
possibilità che petasus indichi una struttura cupolare. L'altro, particolare
su cui si sofferma Varrone, dei sonagli appesi a catene pendenti d&ÌVorbis
aeneus è interessante perché i sonagli introducono nel contesto architetto
nico una serie di elementi articolati, meccanici, suscettibili di movimento e
quindi di mutare aspetto sotto l'azione del vento. Si tratta di elementi di
estrazione artigianale e significano pur sempre una riduzione dell'architettura
a livello di oggetto strumentale. Essi rientrano ad ogni modo nel carattere
dell'architettura etrusca, poco sensibile alla coerente esclusività della defini
zione delle masse e dei volumi, portata alla dissoluzione della forma geomet
ricaattraverso la frammentazione delle linee.
La figura del monumento comportava una serie di stadi sovrapposti,
basamento, primo ordine di piramidi, orbis aeneus, secondo ordine di pira
midi, infine il terzo ordine, impostato uno solo, cioè su di un piano unitario,
retto dalle piramidi dell'ordine medio, specie di piattaforma orizzontale 19
quindi, che non è detto di quale materia fosse costruita. L'insieme sarebbe
risultato quindi di una articolazione di vuoti e di pieni, con un sensibile
sviluppo nel senso dell'altezza, quindi da intendersi anche come elemento di
centralizzazione dello spazio, alle falde del colle di Chiusi20.

* * *

Inutile tentare ο anche discutere una ricostruzione21, destinata ad


aumentare il numero delle ipotesi. Più importante mi sembra - e più impor
tante anche, come accennato, delle stesse conclusioni sulla verosimiglianza
e autenticità dell'informazione - ricuperare quei dati che si è venuti ril
evando dall'esame del passo, sempre valido come informazione-interpretazione
antica sull'architettura etrusca. Innanzi tutto l'attribuzione di un eccezionale
complesso macrotettonico all'architettura etrusca dello scorcio del VI secolo,
poi, ma non in secondo piano, la precisazione di relazioni dimensionali da
cui è possibile ricavare un modulo e l'applicazione di esso in una scala di
rapporti fra grandezze derivate di ordine aritmetico, infine il ricorso alla
associazione polimaterica con l'introduzione di elementi di bronzo, materia

19 36, 94: ... uno solo


20 36, 91: sepultus est sub urbe Clusio ...
21 Ricostruzioni: De Luyne, Quatremère de Quincy, Mon. Inst., I, 1829-33, tav. XIII
(Ann. Inst, 1829, p. 204); L. Canina, Architett. antica, 159; Ferguson, in /HS, 6, 1885,
p. 267, tav. 60.
626 GUIDO A. MANSUELLI

nobile e durevole per eccellenza nella scala gerarchica dei valori di materiali
presso tutto il mondo classico. Tutto questo non può essere relegato faci
lmente fra le invenzioni, trascurando le suggestioni che possono derivarne.
Altri rilievi riguardano il significato del monumento: già si è detto della
priorità dei programmi funerari rispetto agli altri programmi monumentali
etruschi, specialmente in ordine al requisito della durabilità, estraneo al
tempio ed all'edilizia pubblica e privata. In questo ambito è chiaro che nel
patrimonio architettonico etrusco del tardo arcaismo il monumento fune
rario rappresentava l'unica tipologia suscettibile di andare oltre il senso
commemorativo implicito nella sua assenza e destinazione, per diventare
mezzo di affermazione della personalità di un personaggio attraverso il tempo.
L'enorme dispendio necessario, citato da Plinio come paradigma negativo,
dimostra la contrarietà della società nobiliare etrusca ad impegnarsi finanzia
riamente in altro genere di programmi che non riflettessero appunto questa
esigenza di perpetuazione monumentale. Ma nel caso di Porsina sembra di
ricavare dal testo pliniano che il programma monumentale del re non coin
volgesse, come d'ordinario, la famiglia, quanto esclusivamente ο prioritari
amente la sua persona, che apparisce quindi in una situazione storica parti
colarissima, con le conseguenze facili a ricavarsi: il monumento di Porsina
è visto da Plinio nell'accezione di monumento politico, in cui l'eccezionaiità
dimensionale è indicativa dell'autorità del personaggio, non senza motivo
indicato come rex Etruriae; l'accenno alle risorse esaurite del regno, fatigasse
regni vires, conferma il carattere emblematico del monumento anche nei
confronti dello stato chiusino, che da più elementi appare avere svolto un
ruolo politico di primo piano nell'Etruria e nell'Italia intorno al 500. Ma si
deve anche aggiungere che al valore funerario, commemorativo ed emblemat
ico del monumento si univa un valore - con la funzione - sacrale, per la
presenza dei sonagli appesi, di cui già Varrone ha riconosciuto il rapporto
con il rituale mantico di Dodona. Ed anche l'individuazione di questa plural
itàdi componenti (è palese che si tace di altre, epigrafica e figurale) e di
motivazioni induce a porre il passo di Varrone-Plinio fra le fonti importanti
per la conoscenza del mondo etrusco *.

* Nota aggiuntiva. - Avevo già inviato questo testo per la stampa quando per la cortesia
dell'amico Dott. D. Vitali, che vivamente ringrazio, ho potuto conoscere uno scrittore inedito
sull'argomento, accompagnato da disegni, dello studioso bolognese Giovanni Gozzadini, al quale
il tema interessò per ricerche comparative sui monumenti funerari di Marzabotto (Bologna,
Bibl. Comunale dell'Archiginnasio, Arch. Gozzadini, Cart. Ill, N. 430). Senza entrare nel merito
della trattazione, mi è parso utile profittare dell'occasione per segnalare il documento.
HENRI METZGER

CRÉATION CONSCIENTE OU IMAGE GREFFÉE?


À PROPOS D'UNE FIGURE DE JEUNE DIEU CHTHONIEN
DES ARTS DE L'ITALIE MÉRIDIONALE

Les archéologues du monde grec connaissent depuis longtemps un


cratère en cloche attique du second quart du IVe siècle (Fig. 1 a et b) qui,
après avoir fait partie des collections Hamilton et Hope, a été acquis voilà
une soixantaine d'années par le British Museum 1. En raison du caractère
très particulier de l'image reproduite je crois nécessaire de répéter l'essentiel
de la description que j'en donnais dans mes Représentations2.
« A l'intérieur d'une grotte en forme de dôme aux parois spongieuses,
un personnage masculin, accueilli par une petite Niké, sort de terre jusqu'à
mi-jambes. Il est imberbe et sa chevelure, ceinte d'une couronne de feuilles
de lierre maintenue par un bandeau, flotte sur ses épaules; le bas de son
corps est pris dans une draperie; le bras droit replié maintient un sceptre
contre la poitrine; la main gauche, ramenée le long du corps, semble faire un
■geste de salut. Ä l'extérieur du monticule quatre figures sont rassemblées. A
droite une mènade, debout sur un socle à degrés, tient d'une main un thyrse,
de l'autre un plateau chargé d'offrandes ... A gauche un silène nu et barbu . . .
est accoudé à la paroi de la grotte et tient un thyrse de la main gauche; der
rière ce silène et au même niveau que lui une mènade contemple la scène . . .
Au dessous de la mènade Dionysos nu est assis; sa chevelure est ceinte d'une
mitre et d'une couronne ... un thyrse repose sur son épaule droite et, des
deux mains, il tient un bandeau et une couronne ».

Μην. 1917.7-25.1; cf. Tischbein, Coll. of engrav., I, pi. 32; Harrison, Prolegomena2,
fig. 128; Themis, p. 421 sq.; Tillyard, Hope vases, n° 163, pi. 26; Metzger, BCH, 68-69, 1944-45,
p. 296 et 297, fig. 1; Représentations, p. 262/16 et pi. 35; Nilsson, Opuscula selecta, II, p. 616/3;
Zancani-Montuoro, Essays K. Lehmann (1964), p. 391, n. 30; Muthmann, Ant. Kunst, 11,
1968, p. 34; Jobst, Die Höhle in gr. Theater (1970) p. 104 sq.; Zunst, Persephone (1971),
p. 409 sq.; Cl. Bérard, Anodoi (1974), p. 104 sq.
2 Voir la note précédente.
628 HENRI METZGER

Les avis se sont partagés sur l'identité de la figure jaillissant du sol


à l'intérieur de la grotte. Certains ont parlé de Dionysos chthonien3,
d'autres de Iakchos4, d'autres, sans plus de précision, d'un jeune dieu
chthonien5. La première explication ne saurait nous satisfaire, la présence,
à l'extérieur de la grotte, d'un incontestable Dionysos, doté de ses attributs
caractéristiques (thyrse, bandeau, mitre et couronne) paraissant devoir inter
dire d'interpréter aussi comme un Dionysos le personnage assez différent qui
sort de terre. La céramique athénienne ne saurait guère admettre entre deux
images correspondant à la même figure, entre deux signifiants d'un même
signifié, d'aussi fortes dissonnances et l'on ne voit pas du tout qu'on puisse,
pour résoudre un pareil dilemne, parler, comme le voudrait Cl. Bérard 6, d'un
jeu initiatique plutôt que d'un mythe. Il apparaît d'emblée que l'énigmatique
figure du cratère Hope s'apparente aux divinités chthoniennes, en grande
majorité féminines, que connaissent les vases d'Athènes, mais que rien ici
ne désigne expressément Dionysos, auquel ne conviendrait assurément
pas le sceptre.
Dans mes premières études j'avais écarté l'hypothèse d'une représentation
de Iakchos, avancée jadis par Furtwängler, à laquelle semblait se rallier
Beazley. J'invoquais essentiellement, pour repousser cette explication la
grande différence entre le jeune dieu sortant du sol et le personnage vêtu
d'une somptueuse tunique courte, chaussé de bottes, tenant une ou deux
torches qui apparaît sur bon nombre de vases éleusiniens et sur le pinax de
Niinnion 7. Certes il ne viendrait aujourd'hui à la pensée de personne de
confondre la figure du cratère Hope avec le Iakchos des images éleusiniennes,
mais des travaux récents 8 nous ont rappelé que la religion athénienne, sous
le nom de Iakchos, désignait deux entités différentes, le génie des proces
sions éleusiniennes auquel fait allusion entre autres un chœur des Gre
nouilles 9 et le Iakchos-Dionysos invoqué aux Lénéennes 10, ce dieu que

3 Cf. Harrison, Prolegomena2, p. 406 et Tillyard, loc. cit.


4 Cf. Furtwängler, fahrbuch, 6, 1891, p. 120.
5 Cf. Buschor, S. B. München, 1937, I, p. 31.
6 Anodoi, p. 105.
7 Cf. Représentations, p. 257 sq.; Recherches, p. 42 sq. Sur la distinction entre Iakchos
et Eumolpos cf. Mélanges Collari, p. 299.
8 Cf. en dernier lieu J. Roux, Euripide, Les Bacchantes, p. 472 sq.
9 Cf. Aristophane, Grenouilles, p. 323 sq.; G. Roux, REG, 80, 1967, p. 167.
10 Cf. Schol. Aristophane, Grenouilles, 479; Nilsson, De Dionysiis Atticis, p. 112 sq.;
Deubner, Attische Feste, p. 125.
CRÉATION CONSCIENTE OU IMAGE GREFFÉE? 629

célèbrent Y Antigone de Sophocle n et les Bacchantes d'Euripide 12. Il


serait donc assez tentant de reconnaître sur le cratère Hope une figura
tionde Iakchos-Dionysos, le terme convenant à cette divinité dépourvue
du thyrse, mais vêtue, comme l'est parfois Dionysos 13? Cependant on pourrait
s'étonner que l'imagerie athénienne n'offre pas d'autres exemples de ce
personnage si clairement attesté dans les textes et nous ne saurions fonder
une démonstration sur un document isolé. Tout bien pesé la formule de
Buschor qui s'en tenait au « jeune dieu chthonien » nous paraît la plus
satisfaisante. Encore faudrait-il qu'elle réponde à quelque conception un peu
précise, que nous ne pouvons pas tirer du seul examen des vases athéniens.
Fort heureusement l'imagerie de Grande Grèce nous fournit peut-être
les éléments de comparaison qui jusqu'à présent nous ont fait défaut. Dans
le groupe assez peu nombreux des grands vases apuliens à représentations
infernales 14 un cratère à volutes de l'ancienne collection Santangelo au
musée de Naples (Fig. 2) joue un rôle à part15: le compagnon de Persephone
n'est pas ici le dieu âgé et barbu qui sur le cratère de Munich 16 occupe
un trône magnifique face à la déesse debout ou se tient debout face à
Persephone assise sur le cratère à volutes de Karlsruhe 17. C'est un éphèbe
aux formes graciles dont un manteau ou une draperie, découvrant largement
le torse et le flanc gauche, enveloppent les jambes, le bas du corps et le

11 Vers 1146 sq.


12 Vers 725. Cf. J. Roux, op. cit., p. 471 sq.
13 Voir par exemples le cratère en calice d'Athènes 15072 (Schefold, UKV, pi. 45/2), le
cratère Pourtalès du British Museum F 68 (Schefold, UKV, n° 94; Représentations, p. 126/36,
pi. 17), le cratère en cloche du British Museum F 69 (Schefold, UKV, n° 95, pi. 26/1).
14 La seule étude d'ensemble consacrée à ces vases demeure celle de Winckler, Die
Darstellungen der Unterwelt auf unteritalischen Vasen, Breslauer philologische Abhandlungen,
3/5, 1888. Aux documents réunis dans cette publication on ajoutera un fragment de la collection
Fenicia à Ruvo (cf. Jatta, Mon.ant., 16, 1906, p. 517 sq., fig. 8; Harrison, Themis, p. 521,
fig. 146; Séchan, Études sur la tragédie dans ses rapports avec la céramique, p. 560 sq.,
fig. 16; Heurgon, Mél. Rome, 49, 1932, p. 18, fig. 1; Will, Bull Beyrouth, 8, 1946-48, p. 124:
Orphée parvenant au Palais d'Hadès), les fragments d'un cratère à volutes de l'Institut d'archéologie
de Mayence (cf. Hampe et Simon, Griechisches Leben im Spiegel der Kunst, p. 39 et fig. 0:
Ajax dans le Palais d'Hadès) et un cratère à volutes du Musée de Bâle rattaché au cycle du
Peintre de Baltimore (cf. Art of ancient Italy, André Emmerich Gallery, 4-29, avril 1970).
15 N° 11; cf. Jahn, AZ, 1867, pi. 221; Bull, nap., N.S., Vili, pi. 6-8; Winckler, ibid.,
p. 50, n° VI; Schauenburg, Jahrbuch, 73, 1958, p. 66, fig. 11.
16 Inv. 3297; cf. Winckler, ibid., p. 4, n° I; FR, pi. 10; Harrison, Prolegomena2, p. 602,
fig. 162; Themis, p. 521, fig. 145; Guthrie, Orpheus, fig. 16; Cook, Zeus, III, pi. 37.
17 Inv. Β 4; cf. Mon. II, pi. 49; Winckler, ibid., p. 13, n° 11; Heurgon, Mél. Rome, 49,
1932, p. 21, fig. 2; CVA, 2, pi. 62-64.
630 HENRI METZGER

dos. Il tient un sceptre de la main droite et porte une couronne de laurier;


une peau de panthère recouvre le klismos, très différent du trône d'Hadès
ou de Persephone que nous observons sur les autres vases 18. Ces diverses
indications vont dans le même sens. Le peintre du cratère Santangelo, qui
témoigne aussi de son originalité dans la présentation d'un Orphée de type
apollinien 19, a cherché à différencier aussi clairement que possible le person
nage,auquel il accorde la première place, de la figure traditionnelle d'Hadès.
Le partenaire de Persephone n'est pas le souverain des Enfers engoncé dans
ses vêtements de théâtre. En dépit de la peau de panthère qui recouvre
son siège ce n'est pas non plus un Dionysos, puisqu'il ignore le thyrse, le
canthare, la couronne de lierre et la mitre, attributs que l'imagerie de Grande
Grèce et de Sicile, comme l'imagerie athénienne, prête couramment au
Maître du thiase. Néanmoins ses liens avec Persephone sont évidents.
N'aurions-nous que le cratère apulien de Naples nous n'hésiterions pas
à parler d'un Hadès jeune. La parenté qu'offre cette figure avec le dieu
chthonien du cratère Hope nous incite néanmoins à nuancer une pareille
affirmation. On serait tenté de croire que nous avons affaire, sur le vase
attique et sur le vase apulien, à la même figure, traitée sous deux aspects
différents. Le cratère Santangelo ne quitte pas le cadre conventionnel des
représentations italiotes de caractère infernal; le jeune dieu est affronté à
Persephone sous le naiskos ionique correspondant au « palais d'Hadès ».
Au registre inférieur Héraclès domptant Cerbère, une Erinye abaissant une
torche et faisant un signe à Héraclès sont autant de souvenirs de la figuration
courante, si même la présence d'un Hermès et celle d'un Orphée de type
apollinien nous éloignent quelque peu du milieu habituel de ce genre de
tableau. Le cratère Hope nous place en revanche dans la perspective d'une
anodos et nous n'avons aucune difficulté à suivre nos devanciers et à rap
procher cette anodos de celle qui décorait un autre cratère en cloche attique,
trouvé dans une tombe de Capoue, qui jusqu'à la dernière guerre a fait

18 Voir entre autres les cratères de Munich ou de Karlsruhe cités plus haut ou le cratère
à volutes de l'Ermitage St. 424 (Gerhard, AZ, 1844, p. 225, pi. 13; Winckler, p. 65, n° XII).
19 Le torse nu, la cithare et la couronne de laurier ne conviennent apparemment pas à
Orphée qui, sur les autres vases, porte le costume asiatique de théâtre. Cet accoutrement et ces
attributs désigneraient normalement Apollon. Cependant selon Schauenburg {Jahrbuch, 73, 1958,
p. 72, n° 88): «Apollon könnte nur durch eine selbst für unteritalische Vasenmaler ungewöhnliche
Gedankenlosigkeit in den Hades versetzt sein ». Nous aurions, dans une pareille figure, un exemple
d'emprunt formel aboutissant à une homonymie. Cf. Moret, L'Ilioupersis dans la céramique
italiote, p. 298.
CRÉATION CONSCIENTE OU IMAGE GREFFÉE? 631

partie des collections de Berlin 20. J'emprunterai une partie de ma description


à Froehner: « Au milieu une grotte ceusée dans le roc, aux parois spongieuses
crevassées, tapissées de plantes grimpantes. Une jeune femme s'y montre à
mi- corps». A gauche Dionysos, Eros jouant de Vaulos et Pan qui se penche
sur la voûte; à droite deux satyres qui font de grands gestes de surprise.
Le même schéma se retrouve dans ses lignes essentielles sur un cratère en
cloche de La Vallette21 - Yanodos de la divinité féminine se déroule à
l'intérieur d'une grotte en forme d'ogive; à l'extérieur de la grotte Hermès
et trois satyres s'apprêtent à accueillir la déesse - et peut-être aussi sur un
cratère en calice de Dresde22, encore que sur ce vase le tracé de la grotte
ne soit pas absolument certain.
Toujours est-il que l'imagerie athénienne a mis l'accent sur l'aspect
chthonien de la divinité, l'imagerie apulienne sur son aspect infernal. Dans
tous les cas l'image du jeune dieu qui s'apparente à Dionysos, mais ne se con
fond pas avec lui, n'est plus isolée. On peut au surplus espérer que de
nouvelles publications et, en premier lieu, l'ouvrage attendu de Trendall sur les
céramiques apuliennes nous feront connaître d'autres documents similaires ou
approchants. Sans attendre cependant la révélation de documents inédits nous
pouvons dès à présent étendre notre enquête à un autre domaine, plus ancien
il est vrai que celui des vases apuliens, le domaine des plaquettes de Locres
et porter notre attention sur les scènes de rapt qu'illustrent ces plaquett
es23.Les tableaux de ce type se répartissent en trois groupes. Sur bon
nombre de reliefs on reconnaît Hadès clairement désigné par son âge, qui
ravit Coré en l'entraînant au galop d'un quadrige. Priickner24 a supposé

20 F 2646. Cf. Froehner, Annali, 1884, p. 206 sq.; Mon. II, pi. 4; C. Robert, Archäol.
Märchen, pi. 4; Harrison, Prolegomena2, p. 278, fig. 69; Nilsson, Opuscula selecta, II, p. 612,
n° 2; Représentations, p. 75 sq., pi. V/5; Bérard, Anodoi, p. 103 sq., pi. 10/35 a et b.
21 Cf. Cambitoglou, JHS, 75, 1955, pi. 3a et p. 8, fig. 1 et 3; ARV, 2, p. 1436/7 .Recherches,
p. 13, n. 2; Bérard, ibid., p. 135, pi. 16/55.
22 Cf. Noël des Vergers, L'Étrurie et les Etrusques, pi. 10; Harrison, Prolegomena, p. 277,
fig. 68; Nilsson, Geschichte, I3, pi. 39/1; ARV2, p. 1056/95; Recherches, p. 13/15; Bérard,
Anodoi, p. 131 sq., pl. 16/53.
23 Sur ces pinakes on se reportera essentiellement à Quagliati, Ausonia, III, 1908, p. 136 sq.;
Orsi, Bollett. d'arte, 3, 1909, p. 410 sq.; P. Zancani-Montuoro, Arch. Stor. Calabria, 5, 1935,
p. 195 sq.; Rendiconti Acc. Napoli, 29, 1954, p. 79 sq.; Atti Magna Grecia, n.s., 1, 1954,
p. 71 sq., Arch. Stor. Calabria, 24, 1955, p. 284 sq.; Archeol. class., 12, 1960, p. 37 sq.;
Essays Karl Lehmann (1964), p. 386 sq.; Priickner, Die lokrischen Tonreliefs (1908); Zuntz,
Persephone, (1971), p. 164 sq.
24 Op. cit., p. 73.
632 HENRI METZGER

que le motif s'inspirait de l'Hymne homérique à Demeter. Il semble toute


foisqu'aucun détail ne rappelle ici la plaine rarienne, où fut ravie la fille
de Demeter, ni non plus le χάσμα γης, que nous devinons sur le skyphos
fragmentaire d'Eleusis25. La même imprécision, ou mieux, la même indif
férence au cadre se retrouve sur un fragment de cratère apulien de l'a
ncienne collection Hope26: ce serait la formule italiote du rapt, qui igno
rerait en somme les traits proprement éleusiniens.
Cette indépendance vis-à-vis de l'imagerie proprement éleusinienne,
les pinakes de Locres du Ve siècle et les vases apuliens du IVe l'affirment
aussi dans le choix d'une formule inconnue des arts d'Athènes, celle du
cortège paisible d'Hadès et de Coré dressés sur leur char27. Le schéma est
ici emprunté à un canevas bien connu des peintres athéniens depuis l'époque
des figures noires, celui des cortèges nuptiaux28.
Cependant les pinakes de Locres connaissent aussi une troisième formule
qui retiendra spécialement notre attention. Le ravisseur de Coré est figuré
comme un homme jeune qui s'approche du char ou s'apprête à y monter
pour entraîner sa captive29. Les modernes en ont fait un substitut d'Hadès
ou un Hadès rajeuni jusqu'au jour où P. Zancani-Montuoro a publié une
plaquette de musée de Reggio30 rassemblant en un même tableau le jeune
ravisseur qui enlève la captive dans ses bras et un personnage plus âgé se
présentant sous les traits qui sont habituels à Hadès (Fig. 3). Selon l'hypothèse
de P. Zancani-Montuoro31 le ravisseur agirait ici pour le compte d'Hadès. Il
faudrait voir dans cette scène à trois personnages l'illustration d'un mythe

25 Cf. Hartwig, AM, 21, 1896, p. 377 sq., pi. 12; ARV, 2, p. 116-117; Recherches, p. 11/6.
26 Cf. Tischbein, Collection..., III, pi. I; Förster, Raub une Rückkehr der Persephone,
p. 237 sq.; Tillyard, Hope vases, n° 233, pi. 33.
27 Voir par exemple dans le domaine des pinakes le fragment du British Museum Β 489
(cf. Higgins, Catal. of Terracottas, n° 1215), dans celui des vases apuliens le cratère à volutes
du British Museum F 77 (cf. Schauenburg, Jahrbuch, 73, 1958, p. 58, fig. 5) ou l'amphore
de Genève 15043 (cf. Schauenburg, ibid., fig. 6).
28 Voir par exemple le lécythe du Peintre d'Amasis au Metropolitan Museum 56.11.1: cf.
von Bothmer, Antike Kunst, 3, 1960, p. 73, pi. 7/1-3; Paralipomena, p. 66.
29 Cf. Priickner, op. cit., p. 70 sq.
30 // rapitore di Core nel mito locrese, Rendiconti della Acc. Napoli, 29, 1954, p. 79 sq.,
pi. Vili; Atti Società Magna Grecia, 1, 1954, p. 75 sq. Je remercie vivement Madame Zancani-
Montuoro de m'avoir procuré cette photographie.
31 Cf. P. Zancani-Montuoro, Rendiconti Napoli, 29, 1954, p. 85: «non Plouton ma un suo
delegato secondo una versione mitica trasmessa dai testi, probabilmente locale».
CRÉATION CONSCIENTE OU IMAGE GREFFÉE? 633

local où le rapt serait le fait d'un mandataire du dieu des Enfers 32. Pouvons-
nous identifier ce mandataire? Schauenburg 33 qui ne connaissait pas encore
la plaquette de Reggio avait suggéré d'assimiler le ravisseur imberbe des
plaquettes locriennes au partenaire de Persephone du cratère Santangelo. Il
retrouvait par ailleurs le même dieu imberbe sur une peinture tombale de la
Russie Méridionale34 et sur deux reliefs de l'Agora d'Athènes35. Il va sans
dire que le nouveau document de Reggio donne encore plus de piquant à
cette recherche, mais nous insisterons surtout sur la dualité des figures
mêlées au rapt de Coré. Si elle paraît se retrouver sur les vases apuliens
où le dieu ravisseur se voit fréquemment secondé par un cocher, une pareille
dualité semble étrangère à la plupart des enlèvements grecs qui sont le fait
d'un ravisseur unique36.
Dans quelle mesure l'association du jeune dieu et du dieu âgé sur le
pinax de Reggio traduit-elle une croyance propre aux peuples de l'Italie
Méridionale? On pourrait être tenté, pour répondre à pareille question,
d'invoquer le témoignage des lamelles « orphiques » de Thourioi. Trois d'entre
elles mentionnent à la fois Euklès et Eubouleus37 et les associent à la
χϋονίων βασίλεια. Si l'identification de cette déesse ne soulève pas de dif
ficulté nous ne pouvons malheureusement pas nous faire d'opinion précise
sur les divinités masculines nommées dans ces textes. D'après Hésychius38
Euklès désignerait Hadès, et, dans cette perspective, le jeune dieu serait
Eubouleus39. Une telle indication serait en contradiction avec la con
ception éleusinienne qui fait d'Eubouleus une divinité majeure40. Une
pareille incertitude nous donne donc à penser que l'on ne peut sans doute
rien tirer de précis des indications fournies par les lamelles « orphiques »,
sinon la mention d'une triade qui explique peut-être le pinax de Reggio.

32 II semble en revanche que Priickner (op. cit., p. 73) se soit inscrit en faux contre
cette thèse.
35 Jahrbuch, 68, 1953, p. 57.
34 Cf. Rostovtzew, Ancienne peinture décorative dans la Russie Méridionale, pi. 89.
35 Voir les reliefs S 1251 (Thompson, Hesperia, 17, 1948, p. 177 sq., pi. 54/2; Nilsson,
Opuscula selecta, II, p. 565; Recherches, p. 38/23) et S 1646 (Schauenburg, ibid., p. 57, fig. 11;
Recherches, p. 41/40 et pi. 26.4).
36 Voir les exemples que j'ai réunis dans Collection Stathatos, III, p. 176.
37 Cf. Kern, Orphicorum Fragmenta, p. 106/32 a, b et c = Zuntz, Persephone, p. 299 sq.,
A, 1, 2, et 3.
38 Εύκλής · ό Αϊδης.
39 Sur le personnage d'Eubouleus à Eleusis cf. à présent Richardson, The Homeric Hymn
to Demeter, p. 81 sq.
40 Cf. Rohde, Psyché (trad, française), p. 233; Nilsson, Opuscula selecta, Ιί, ρ. 551.
634 HENRI METZGER

Peut-être doit-on chercher dans une autre direction et imaginer une


façon de parallélisme entre l'opposition dieu infernal âgé-dieu jeune des
monuments italiotes (pinakes de Locres ou vases apuliens) et l'opposition
Ploutos-Plouton des documents athéniens. Rappelons brièvement comment
se présente le problème dans l'art d'Athènes. Nous commençons par ren
contrer un Ploutos nouveau-né sur une hydrie du musée d'Istanbul41,
puis un Ploutos enfant sur un couvercle de lékanis de Tübingen42, sur un
fragment de vase de même forme à Athènes 43 et sur une péliké de l'ancienne
collection Sandford Graham44 et, quittant le monde éleusinien, un Ploutos
éphèbe, commensal de Dionysos, au revers du cratère Pourtalès du British
Museum45. A ce Ploutos enfant ou éphèbe correspond un Ploutos dans la
force de l'âge poursuivant Coré sur une amphore à col du musée de Naples 46,
associé à Demeter et Coré dans divers tableaux éleusiniens 47, banquetant
avec Phéréphatta au médaillon de la coupe du Peintre de Codros au British
Museum48 et c'est un Plouton à chevelure et barbe blanches que nous
voyons s'affirmer sur le lécythe d'Athènes 1301 49 et, en dehors d'Athènes,
sur le relief fragmentaire de Chalcis50 et sur le skyphos falisque de
Heidelberg51. L'imagerie de Grande Grèce ne connaît certes pas une gamme
de situations aussi riche: le choix se limite entre un dieu jeune et un dieu
âgé, sans qu'on puise prétendre que la formule simplifiée adoptée par les
imagiers italiotes dérive en droite ligne de modèles athéniens. Le doute
est ici d'autant plus justifié que l'art italiote, à côté des figures d'Hadès,

41 Style de Kertch. Cf. S. Reinach, RA, 1900, I, p. 93; Schefold, UKV, n° 152, pi. L;
Nilsson, Geschichte, I3, p. 317, pi. 44/1; BCH, 68-69, 1944-45, p. 330 et 333, fig. 13; Représent
ations,p. 244/12, pi. 32; Mélanges Paul Collari, p. 299, fig. 4.
42 E 83. Style de Kertch. Cf. Watzinger, Gr. Vasen Tübingen, p. 57, pi. 40; Schefold,
UKV, n° 46, Nilsson, Geschichte, I, 3, p. 318, pi. 45/1; Représentations, p. 245/14, pi. 34/1.
43 Coll. de Fethiye Djami 1961 Vak. 790. Style de Kertch. Cf. Dontas, Deltion, 17,
1961-1962, p. 101 sq., pi. 35; Recherches, p. 37/17, pi. 16/2.
44 Style de Kertch. Cf. Recherches, p. 34/2, pi. 14/1.
45 Style de Kertch. Cf. Panofka, Cabinet Pourtalès, pi. 17; Schefold, UKV, n° 94; Représent
ations,p. 126/36, pi. 17; ARV2, p. 1446/1.
46 Inv. 3091. Cf. Förtster, Raub und Rückkehr, pi. 2; Schauenburg, fahrbuch, 73, 1958,
p. 49; fig. 1; ARV2, p. 647/21: Peintre d'Oionoklès; Recherches, p. 10/5.
47 Voir les exemples que j'ai rassemblés dans Recherches, p. 18 sq.
48 E 82; cf. Mon. 5, pi. 49; BCH, 68-69, 1944-45, p. 318; ARV2, p. 1269/3.
49 Cf. Schauenburg, Jahrbuch, 68, 1953, p. 51, n. 68; Recherches, p. 23/56, pi. 11/1.
50 Cf. en dernier lieu Daux, BCH, 88, 1964, p. 483 sq., pl. 19 et 20.
51 Cf. Schauenburg, ibid., p. 38, fig. 1 et 2.
CRÉATION CONSCIENTE OU IMAGE GREFFÉE? 635

qui lui semblent propres, connaît aussi, avec le cratère campanien d'Eton
college 52, une représentation incontestable de Plouton à la corne d'abondance.
En somme le problème que soulèvent les images du dieu âgé et du dieu
jeune demeure celui de savoir si une pareille distinction correspond à la
croyance des peuples hellénisés de l'Italie Méridionale, pour autant qu'on
puisse parler d'une croyance commune aux Locriens du Ve siècle et aux
Tarentins du IVe, ou si cette distinction ne traduit pas plutôt la greffe de
quelque modèle athénien. Les peintres apuliens et les modeleurs de Locres se
font-ils les interprètes de légendes propres à leurs milieux ou transposent-
ils les thèmes que leur ont enseignés les vases d'Athènes importés sur leur
sol? On sait le rôle qu'a exercée la céramique d'Athènes dans la diffusion
de certaines images parmi les peuples du monde périphérique. J'ai eu voilà
quelques années l'occasion de le souligner à propos des scènes de banquet
reproduites sur les sarcophages lyciens des Ve et IVe siècles53. Les
magnifiques découvertes de Karaburun 54 en Lycie montagneuse ont permis
de vérifier sur un point précis l'action exercée par les vases exportés
d'Athènes. Le banquet du dynaste figuré sur la paroi centrale de la tombe
lycienne s'inspire directement de la formule grecque du banquet et, par
exemple, de celle qu'avait adoptée, pour le festin d'Héraclès, le Peintre
d'Andokidès sur les deux faces de l'amphore « bilingue » du musée de
Munich55. Il est permis de parler de véritables homonymes, chacune des
images, la grecque comme la lycienne, conservant son caractère spécifique.
Est-il besoin de rappeler que le monde étrusque a connu, lui aussi, l'influence
dominante des céramiques grecques 56?
C'est une pénétration culturelle du même ordre que l'on serait tenté
d'imaginer dans le cas de notre doublet italiote, pénétration qui serait
d'autant plus naturelle que des artistes athéniens avaient très probable
ment émigré en Grande Grèce vers le milieu du Ve siècle 57. Un cratère

52 Cf. Tischbein, Coll. of engravings, IV, pi. 25; Tillyard, Hope vases, n° 305, pi. 41;
Trendall, LCS, p. 262/237 et pi. 104/1 et 2.
33 Cf. L'Antiquité classique, 40, 1971, p. 521.
54 Voir en particulier Mellink, A JA, 77, 1973, p. 297 sq., pl. 44.
55 Inv. 2301; cf. FR, pl. 4; Pfuhl, fig. 315; Lullies et Hirmer, Griech. Vasen d. reifarch.
Zeit, pi. 1-7; CVA, 4, pi. 155/1 et 2; ARV2, p. 4/9.
56 Je me rallierai sans réserve à la thèse défendue par Camporeale d'une tradition figurée
indépendante de la tradition littéraire (La Parola del Passato, 19, 1964, p. 428 sq.; Studi
etruschi, 26, 1958, p. 3 sq.; 36, 1968, p. 21 sq.; 37, 1969, p. 59 sq.; Studi Luisa Banti,
p. Ill sq., p. 262 sq., 302 sq.
57 Cf. Trendall, LCS, p. 3.
636 HENRI METZGER

en cloche de Pisticci58 nous donne l'occasion de constater qu'un atelier


proto-lucanien avait, pour sa part, emprunté aux ateliers d'Athènes le motif
de la divinité féminine sortant du sol. Il ne serait donc pas impossible
que l'on découvre un jour parmi ces mêmes vases lucaniens une peinture
correspondant à Vanodos d'une divinité masculine. Implanté en Italie le thème
aurait été ensuite adapté par un peintre apulien au cadre infernal des
grands cratères à volutes du IVe sècle. On peut aussi imaginer qu'un peintre
apulien se soit directement inspiré de vases attiques contemporains importés
sur le sol italien comme le cratère Hope provenant de Sant'Agata de Goti59
ou le cratère de berlin F 2646 trouvé à Capoue 60, et, ici encore, ait procédé
à la transposition du thème chthonien vers le thème infernal. Dans l'ignorance
où nous sommes des croyances propres à l'Italie du Sud, à l'époque pré
romaine, c'est l'explication que nous retiendrons pour l'énigmatique figure
du jeune dieu infernal des pinakes de Locres et du cratère apulien de Naples.

58
59 Cf. Trendall,
Tillyard, Hope
ibid., vases,
p. 14/1;
p. 99.pi. 1/1 et 2.
60 Cf. Furtwängler, Vasensammlung Berlin, p. 756.
CRÉATION CONSCIENTE OU IMAGE GREFFÉE? 637

Fig. 1 a - Cratère Hope au Musée britannique.


638 HENRI METZGER

Fig. lb - Cratère Hope au Musée britannique.


CRÉATION CONSCIENTE OU IMAGE GREFFÉE? 639

Fig. 2 - Cratère à volutes au Musée de Naples, Santangelo, n. 11.


640 HENRI METZGER

Fig. 3 - Plaquette de Locres au Musée de Reggio.


ALAIN MICHEL

ENTRE THUCYDIDE ET PLATON:


ÉLOQUENCE ET MORALE CHEZ SALLUSTE

La pensée politique de Salluste a suscité pendant les dernières décennies


des travaux nombreux et excellents x. Je ne voudrais ici insister que sur deux
aspects. 1) Cette recherche sur l'idéologie de l'historien ne tire pas parti,
jusqu'à nouvel ordre, des intentions philosophiques de sa rhétorique2. Au
contraire, cette dernière inspire de la méfiance; les « lieux communs » qu'elle
favorise paraissent propres à affadir la pensée. Ce genre d'objections est
bien souvent adressé à Salluste. Or, nous croyons qu'on peut appliquer à
cet auteur la méthode que nous avons utilisée à propos de Cicéron. Les
procédés oratoires ou littéraires dont il fait usage relèvent de traditions
bien déterminées, dont on peut dans une large mesure définir la signification
idéologique. Nous essayerons de le montrer. 2) Du même coup, nous serons
conduits à interpréter cette réflexion politique dans une perspective parti
culière. La rhétorique, dans la mesure où elle s'appuie sur la philosophie,
fait la part grande à l'éthique et à la psychologie, si proches, l'une et l'autre,
de la psychagogie. Par ce biais, nous nous trouverons amenés à poser une
question fort importante quand il s'agit de cette œuvre et de cet écrivain:
y a-|-il une morale de Salluste? se réduit-elle aux lieux communs ou, simple
ment, au doute? On pourrait le croire. Mais cela n'est pas si sûr. Pour s'en
aviser, il suffit de réfléchir sur les faits suivants: Salluste a subi, sans doute,
et dépassé l'influence de Cicéron: à travers elle, il a rejoint à la fois Thucyd
ide et Platon.

1 Nous renvoyons en particulier à la thèse d'E. Tiffou, Essai sur la pensée morale de
Salluste à la lumière de ses prologues, Paris, 1974, où l'on trouvera une bibl. développée.
2 Certes, on a analysé de manière détaillée la technique des discours ou la composition
(v. en particulier les nombreuses indications de K. Buechner). Mais on n'a pas étudié dans
cette rhétorique la médiatrice de la philosophie.
642 ALAIN MICHEL

Je ne prétends pas donner ici une étude exhaustive de l'éloquence prat


iquée par Salluste. Je choisirai seulement quelques exemples frappants, et
surtout, j'essayerai de confronter les œuvres de l'historien avec la doctrine
des rhéteurs qui vivent en son temps. Les deux principaux noms qui nous
viennent aux lèvres sont ceux de Cicéron et de Denys d'Halicarnasse. Par
le premier, nous connaissons les débats littéraires qui se sont développés
autour de l'éloquence et de l'histoire pendant la jeunesse de Salluste, dans
le moment précisément où celui-ci avait avec Cicéron des rapports quelque
peu agités. L'Arpinate a connu entre 55 et 45, entre le De oratore et YOrator
des oppositions qui allaient contre sa conception éclectique de l'éloquence.
Il a dû se défendre contre les Néo-attiques. Ceux-ci s'inspiraient de deux
modèles assez différents: d'une part certains, comme César, suivaient surtout
la limpidité de Lysias et de Xénophon; d'autres mettaient en avant Thucyd
ide,et l'on sait que Salluste est l'un d'entre eux. Cicéron, tout en recon
naissant l'élévation, la force et la profondeur de Thucydide, lui reproche
son obscurité, qui nuit à la persuasion. De Xénophon, il ne parle guère; à
Lysias, il reconnaît la clarté, la pureté, mais il le trouve souvent privé
d'élévation ou de pathétique. Je ne parlerai pas ici d'Isocrate, qui n'est pas
en cause, et qui apparaissait souvent aussi proche de l'Asianisme que de
l'Atticisme, et je rappellerai seulement que Cicéron opte pour un modèle
qui lui paraît tout concilier: Démosthène.
Ces indications nous permettent de définir les grandes lignes du débat
littéraire qui se développe au temps de Salluste. Elles nous font connaître
les termes de la problématique: l'Atticisme vise la clarté, la pureté, la simplic
ité,parfois la grandeur. Il ne pratique guère le pathétique et se défie de
l'enflure. Les observations de Denys d'Halicarnasse dans son Thucydide ont
cet intérêt qu'elles nous présentent un éloge en forme de cet écrivain, suivi
d'ailleurs d'une critique non moins vive de son style. Denys félicite d'abord
Thucydide de ce qu'il ne cherche que la vérité (8). Il souligne à ce propos
que ce jugement est autant celui des philosophes que des rhéteurs. Il présente
ensuite des objections relatives au plan, qui ne nous importent pas ici. Puis
il passe à l'expression; et voici comment il expose les qualités de Thucydide
à cet égard (24): «Thucydide examina le style d'Hérodote et des autres
écrivains dont j'ai fait mention; il distingua les qualités de chacun, et il
s'efforça d'introduire dans la pratique historique un caractère qui lui était
propre et qu'aucun autre n'avait su discerner: dans le choix des mots il
préféra les expressions en forme de tropes, obscures, archaïques à celles
qu'autorisait l'usage commun de son temps; dans l'agencement des parties
ENTRE THUCYDIDE ET PLATON 643

plus ou moins longues du discours, il préféra ce qui avait de la dignité,


de l'austérité, de la fermeté, de la rudesse dans les rencontres de lettres à ce
qui était mélodieux, doux et coulant, sans aucun heurt...». Ces remarques
permettent de définir les quatre qualités du style de Thucydide: caractère
poétique du choix des mots (et de leur arrangement), variété des figures,
rudesse de l'harmonie, concision du sens. Elles annoncent aussi les critiques
qui suivront chez un péripatéticien épris de mesure, comme Denys: cette
passion du style figuré, que manifeste Thucydide, et qui fait de lui l'héritier
de Gorgias et des sophistes, le conduit à négliger à la fois l'agréable et l'utile,
à s'éloigner du bon usage, de la clarté vraisemblable, du naturel et de la
convenance. Nous retrouvons ici sous une forme plus développée les objec
tions de Cicéron.
Mais revenons sur les éloges, qui constituent la partie positive de
cette description. Ils doivent nous intéresser d'une manière toute particulière,
puisque nous savons que Salluste était favorable à Thucydide et cherchait à
l'imiter. Du même coup, nous soupçonnons déjà que notre historien prend
ses distances avec la tradition péripatéticienne que Denys représente et dont
Cicéron était plus proche3. Cela nous indique d'emblée que la rhétorique
peut apporter des indications qui dépassent le domaine de l'esthétique littéraire.
Sans y insister pour l'instant, cherchons la véritable portée des compli
ments que Denys adresse à Thucydide. Pour la mesurer, il faut d'abord se
référer à une tradition qui est ancienne dans la littérature critique de langue
grecque. C'est depuis les Grenouilles d'Aristophane qu'on a pris l'habitude
de distinguer deux styles, qui appartiennent l'un et l'autre à la poésie tra
gique, mais qui s'opposent: l'un, celui d'Eschyle, se distingue par sa grandeur
mais aussi par sa ruguosité, par la difficulté de sa grammaire, par l'archaïsme
ou la rareté de son vocabulaire, par la dureté des rencontres de lettres et de
sons; le style d'Euripide est au contraire coulant; il cherche une familiarité
réaliste qui va souvent jusqu'au prosaïsme. On voit que les Grecs lient
depuis longtemps la grandeur et la dureté de l'expression. Cette tendance
trouve son accomplissement chez Denys, dans l'œuvre la plus originale
peut-être qu'il ait composée, son traité de l'arrangement des mots, dont les
principales thèses figurent aussi dans le Démosthène (37 sqq.). Il existe,
dans l'art, de juxtaposer les termes, plusieurs types d'harmonie, l'une basse
et facile, l'autre moyenne, la troisième « austère ». Cette dernière caractérise

3 Sur Denys, v. par exemple les travaux de P. Costil; G. Kennedy, The Art of Rhetoric
in the Roman World, p. 342 sqq. (bibl).
644 ALAIN MICHEL

Thucydide: c'est elle que l'auteur étudie d'abord. Elle se distingue par la
recherche de la noblesse dans les figures, par la défiance à l'égard du style
périodique (il faut affecter une négligence antique qui laisse à l'esprit un
certain champ de liberté), par le goût des rencontres de sons, entre con
sonnes et même entre voyelles.
Nous avons décrit cette doctrine avec un certain détail parce que nous
voulions faire apparaître ses sources idéologiques. Elle se situe dans une
tradition littéraire et philosophique où l'on voit intervenir d'une part les
Péripatéticiens (souci de la mesure, du naturel et de la convenance qui leur
est liée), et aussi l'influence de la poésie tragique et celle des sophistes. Or,
ayant établi cela, nous pouvons maintenant, de manière très aisée, faire un
rapprochement avec Salluste.
Nous savons que celui-ci prétend imiter Thucydide. Dès lors, nous avons
à nous demander ce qu'il veut imiter dans ce modèle. La chose ne va pas
de soi. L'histoire de l'art ou de la littérature nous apprend que des époques
différentes ou des hommes divers ne trouvent pas dans les mêmes exemples
la même inspiration. Il est donc utile de savoir ce que les contemporains
de Salluste trouvaient d'original chez Thucydide. Les œuvres de Cicéron et
de Denys nous l'enseignent: Salluste connaissait bien le premier; le second
atteste l'existence d'une tradition de critique littéraire, à dominante péri
patéticienne, qui lui est certainement antérieure, que Cicéron connaissait
aussi et que notre historien n'a guère pu ignorer, alors même qu'il s'y
opposait.
Dès lors, nous pouvons comparer les textes de Salluste non pas direct
ementavec Thucydide mais avec l'idée que Denys nous en propose. Si nous
apercevons des concordances, il y aura de fortes chances qu'elles ne soient
pas dues au hasard. De fait, il apparaît tout de suite de manière très claire,
et sans qu'on ait besoin d'entrer dans le détail, que le style de notre histo
rien répond largement au modèle de 1'« harmonie austère»: défiance à
l'égard du discours périodique, recherche de l'archaïsme qui va jusqu'à
l'affectation, tension vers une certaine noblesse mêlée à la simplicité, goût
de la rupture et parfois de l'asyndète, rencontres de voyelles relativement
fréquentes, volonté d'élévation « poétique »: ce n'est point un hasard si
Salluste recourt volontiers à la clausule héroïque ou à des accumulations
de longues et de brèves à la fin de ses membres de phrases. Tout cela
répond à l'image qu'il se fait de Thucydide ou, plus largement, d'un certain
style austère.
Si nous cherchons un exemple précis, nous le trouverons par exemple
dans le Jugurtha, 85, 31. Il s'agit du discours de Marius. Jusqu'à 38, en
dix-sept lignes, nous trouvons vingt-six verbes, pour quinze propositions
ENTRE THUCYDIDE ET PLATON 645

indépendantes: c'est dire la brièveté des phrases et le rejet du style pério


dique. En 33, on observe une accumulation solennelle de quatre infinitifs,
qui s'achève par une clausule héroïque: laborem tolerare. Les particules de
liaison sont absentes, sauf un namque. Enfin, dans les sept premières lignes,
on trouve quatre rencontres de voyelles semblables: parui id facio; artificio
opus est; multo optuma; praesidia agitare; ajoutons quatre autres hiatus:
quae ad, facta oratione, neque illos, me opulenter.
Tout cela répond exactement aux descriptions que Denys donnera du
style austère. Il n'est pas nécessaire d'insister davantage. Chacun voit qu'il
serait aisé de trouver d'autres exemples. D'autre part, nous connaissons
l'intention de Salluste quand il compose ce discours. Dans ce passage même
(31 sq.), Marius explique qu'on l'accuse d'inculture et qu'effectivement il ne
s'est pas formé à l'art des rhéteurs: non sunt composita uerba mea: parui id
facio. Ipsa se uirtus satis ostendit; Ulis artificio opus est, ut turpia facta
oratione tegant. Neque litter as Graecas didici; parum placebat eas discere,
quippe quae ad uirtutem doctoribus nihil profuerunt. Un peu plus loin,
en 39, l'orateur décrira de la manière suivante son comportement moral:
Sordidum me et incultis moribus aiunt, quia parum scite conuiuium
exorno . . . Marius est sordidus, il n'aime pas les lettres grecques, dont
l'excès d'ornement lui déplaît sans doute autant que leur excès de ruse.
Le passage est célèbre4. Il nous semble significatif qu'il coïncide exactement
avec l'accumulation des rencontres de voyelles et des procédés que décrira
Denys. Il n'est pas si facile qu'on croit de se délivrer de la rhétorique.
Quand on affecte de se détourner de cette éloquence habile et fleurie que
pratiquent les rhéteurs, on rejoint, pour peu qu'on ait quelque grandeur
d'âme, la négligence austère où Thucydide excelle dans ses meilleurs moments.
Marius a peut-être voulu l'ignorer, mais Salluste le sait et fonde là-dessus
son idéal littéraire.
Du même coup, il nous devient possible de distinguer la signification
politique et morale du style ainsi choisi. Nous connaissons les arguments
auxquels recourt Marius dans ce texte célèbre; ils font de lui un modèle
exemplaire pour l'action et pour l'éthique. Marius est un homo nouus qui
échappe à la corruption de la nobilitas et rénove de ce fait l'antique tradi
tion de la uirtus romaine. Il est un chef populaire, qui s'adresse à la plèbe.
Il est aussi un soldat qui se prépare à l'engagement total en faveur du
peuple romain. Il serait sans doute possible de montrer que son discours

4 Nous laissons ici de côté les rapprochements avec les rhetores latini etc.
646 ALAIN MICHEL

réunit ainsi et combine tous les types d'éloquence qu'on trouve dans le
Jugurtha. Comme le tribun Memmius, il use de Veloquentia popularis et
parle au peuple pour en stimuler l'activité; comme Sylla (que nous enten
drons s'exprimer à la fin du livre), il manifeste à la fois le courage et la
sobriété du véritable imperator. De ce fait, il égale le dynamisme de Jugurtha.
En revanche, il ne se laisse aucune occasion de tomber dans le pathétique
et on se rend compte que la miseratio n'est pas son fort; c'est dans la
bouche d'Adherbal, en 14, que cette forme d'éloquence se manifeste.
A partir de ces quelques suggestions, que nous limitons au Jugurtha,
nous pouvons vraisemblablement situer Salluste parmi ses contemporains.
Nous voyons comment il se sépare de Cicéron: il n'aime guère les misera-
tiones, il ne veut pas avoir à demander pitié. Cependant, il lui arrive de
rejoindre, comme l'Arpinate, la tradition démosthénienne: c'est lorsqu'il fait
parler des tribuns ou des chefs populaires, qui appellent le peuple à éviter
toute mollesse, toute passivité. En tant que populaire épris d'action, Salluste
est proche de César. Mais, précisément, ce n'est pas ce dernier qu'il imite,
ou du moins pas lui seul. Le Catilina vient ici confirmer nos observations:
Caton aussi est éloquent, et il semble bien que Salluste a voulu combiner
les deux types d'éloquence qu'il a présentés dans le texte célèbre (50 sqq.).
C'est pourquoi, cherchant un modèle littéraire, il s'adresse à Thucydide
plutôt qu'à Xénophon: il ne veut pas sacrifier la grandeur d'âme à la clarté
ou à l'élégance; il se tient à mi-chemin entre Démosthène et Xénophon,
entre Cicéron et César.

Au point où nous en sommes, la rhétorique nous conduit à la morale,


ainsi que nous l'avions annoncé. Nous constatons que Thucydide permet à
Salluste d'établir une synthèse entre l'idéal de Cicéron et celui des Néo-
attiques et de poser du même coup un idéal complexe de simplicité popul
aire et de rigueur traditionnelle. Nous sommes libres maintenant d'examiner
en la prenant au sérieux cette éthique que la rhétorique définit et accentue
au lieu de l'estomper. Et ici, à côté de Thucydide, un autre modèle va
paraître: il s'agit de Platon. Là encore, l'usage que Salluste fait de cette
tradition marque en même temps ses liens et ses distances avec Cicéron.
Puisque nous parlons de morale, il faut revenir aux prologues de Salluste.
Ceux-ci ont été récemment fort bien étudiés. On a mis en lumière leur
importance: ils commandent toute l'œuvre, ils ne doivent pas être pris à la
légère, il est possible d'analyser leur évolution vers un pessimisme gran-
ENTRE THUCYDIDE ET PLATON 647

dissant5. Nous voudrions seulement nous interroger sur leurs sources6:


Salluste affirme le primat de l'âme sur le corps, de la contemplation sur
l'action. Tout cela peut nous renvoyer à n'importe quelle philosophie anti
que. On peut y voir un simple recours aux lieux communs de la rhétorique,
tels qu'ils ont été proposés par Isocrate (2,37). Mais, précisément, nous
venons de constater que Salluste, dans sa réflexion stylistique, s'oppose
radicalement à l'Isocratisme. Avant d'admettre une inconséquence (qui n'est
pas impossible, bien sûr), il faut donc chercher s'il n'existe pas d'autres
sources qui préservent mieux la cohérence de cette pensée.
Or un grand nombre de faits permettent de penser à une référence
au Platonisme. Nous en avons indiqué certains dans une précédente étude.
Nous voudrions ici insister sur quelques points, qui se rattachent au problè
me de la morale de Salluste. En particulier, il convient d'interpréter dans
ce sens le texte célèbre du Catilina, 3, 2 sqq., où l'historien décrit son
renoncement à la politique: « Pour moi, tout jeune encore, mon goût me
porta, comme tant d'autres, vers la politique, et j'y trouvai bien des déboires.
Au lieu de l'honneur, du désintéressement, du mérite, c'était l'audace, la
corruption, la cupidité qui régnaient. Malgré l'aversion qu'inspiraient ces
vices à mon âme ignorante du mal, ma faible jeunesse, gâtée par l'ambition,
se trouvait retenue parmi de si grands vices; et, tout en me refusant à suivre
l'immoralité générale, j'étais tourmenté de la même soif d'honneur qui me
livrait comme les autres aux attaques de la médisance et de l'envie ...»
(d'ap. trad. Ernout). On a vu dans ce textes biographique un aveu fait par
Salluste de ses errements de jeunesse; il laisserait entendre par ces mots
qu'il a participé aux crimes politiques que beaucoup d'hommes ont commis
pendant cette période agitée et que le procès qui lui fut intenté n'était pas
si dépourvu de fondement. En réalité, Salluste n'avoue rien de tel; s'il pré
sente une autocritique, c'est au point de vue philosophique et il le fait de
telle façon qu'il augmente sa gloire plutôt que de l'altérer: en effet, ce texte
constitue la paraphrase du début de la lettre VII de Platon (324 b sqq.) 7.
Le philosophe commence ainsi: « Au temps lointain de ma jeunesse, j'ai

5 Cf. Tiffou, op. cit. En particulier, nous ne reviendrons pas sur ses excellentes remarques
relatives aux Histoires. Nous nous en tiendrons ici aux textes de Salluste qui nous sont parvenus
complets. De même, d'une manière générale, nous éviterons de parler des Lettres à César.
6 Cf. Tiffou, chap. VI et VII (en ce qui concerne Thucydide, on trouvera chez lui la
comparaison de prologue à prologues, p. 27 sqq.; nous ne nous occupons ici que du style).
7 Cf. Tiffou, p. 207 sqq., qui se réfère à: F. Egermann, Die Proömien zu den Werken des
Sallust, Sitzungsberichte der Akad. der Wiss., Wien, CCXIV, 3, 1932, et à: Κ. Vretska, Sallusts
Selbstbekenntnis (Bell. Cat. 3, 3-4, 2), Eranos, LUI, 1955, p. 41 sq. Le premier établit le rappro-
648 ALAIN MICHEL

éprouvé certes un sentiment pareil à celui de tant d'autres: j'avais l'idée,


aussitôt que je serais devenu mon maître, de m'orienter sans plus attendre
vers les affaires publiques... » (trad. Robin, Pléiade). Sous les Trente comme
après le retour des bannis, Platon a constaté l'extrême difficulté que les
philosophes éprouvent à intervenir dans les affaires publiques: pendant ces
deux périodes, cela fut symbolisé par les malheurs de Socrate. Aussi notre
auteur a-t-il décidé de se tenir à l'écart: «... Finalement, au sujet de tous
les États existant à l'heure actuelle, je me dis que tous, sans exception,
ont un mauvais régime; car tout ce qui concerne les lois s'y comporte de
façon quasi incurable, faute d'avoir été extraordinairement bien préparé
sous de favorables auspices; comme aussi force me fut de dire, à l'éloge
de la droite philosophie, que c'est elle qui donne le moyen d'observer, d'une
façon générale, en quoi consiste la justice tant dans les affaires publiques
que dans celles des particuliers. Or les races humaines ne verront pas leurs
maux cesser avant que, ou bien ait accédé aux charges de l'État la race de
ceux qui pratiquent la philosophie droitement, ou bien que, en vertu de
quelque dispensation divine, la philosophie soit réellement pratiquée par
ceux qui ont le pouvoir dans les États... » (326 a-b).
Certes, Salluste ne reprend pas directement à son compte toute cette
analyse. Mais elle est sous-jacente à son propos, dont elle infléchit le sens.
Il ne s'accuse pas lui-même, si ce n'est d'avoir aimé l'honneur, et c'est des
Romains qu'il dénonce la corruption. Il proclame, dans cette préface comme
dans les autres, et notamment dans les Lettres à César, qu'il va se détacher
de l'action pour mieux analyser la ratio de l'histoire. Il ne sera plus lui-même
un homme de gouvernement, un chef politique, mais un conseiller philoso
phique pour de plus grands que lui. Enfin cette conception de l'histoire et
du rôle dévolu à l'historien suppose un très grand pessimisme quant à
l'état des institutions.
Bien loin d'être un aveu d'immoralité, la première préface de Salluste
affirme que son activité d'historien naît pour lui d'une exigence morale
qu'il n'a pu satisfaire dans l'action. Dès lors nous pouvons trouver plus de
cohérence et de valeur à certains passages, auxquels on a reproché de brasser
des lieux communs. Je pense principalement au grand excursus relatif à
l'histoire de Rome qui ouvre le Catilina. On y voit la nobilitas peu à peu

chement dont nous faisons état ici, le second insiste sur les différences entre les deux textes,
qui sont bien évidentes, mais qui, à nos yeux, ne doivent pas dissimuler le fait fondamental
que cette référence implique: il ne s'agit pas ici d'une confession portant sur les fautes généra
lement reprochées à Salluste (concussion etc.). Pour notre étude citée plus haut, cf. note suiv.
ENTRE THUCYDIDE ET PLATON 649

dépravée par l'ambition, le lucre, le luxe. L'ambition conduit à la conquête,


la conquête au règne de l'argent (auaritia), et enfin Rome sombre dans la
libido et la luxuria: ce monde corrompu est mûr pour un tyran; Catilina
se présente. S'agit-il seulement ici d'un moralisme banal? Non, sans doute.
En fait, Salluste applique ici à l'histoire de Rome la schéma que Platon
avait mis au point dans les livres VIII et IX de sa République: le philosophe
avait comparé l'évolution (et les révolutions) des cités aux changements qui
interviennent chez les individus de génération en génération: il avait montré
comment à la sagesse philosophique, qui seule peut assurer un bon gouver
nement fondé sur l'aristocratie véritable, succèdent tour à tour la timocratie
(où le désir de l'honneur se substitue à celui du bien), l'oligarchie plouto-
cratique, la démocratie anarchique fondée non sur la liberté authentique
mais sur la licence du plaisir, enfin la tyrannie, dans laquelle un monarque
injuste et cruel profite de sa force de caractère et de sa grandeur dans le
mal pour asservir le peuple avili par le régime précédent8. Les analogies
avec les vues de Salluste sur le destin de Rome sont très nombreuses. Nous
avons constaté d'autre part qu'il a des affinités avec le Platonisme. Par
exemple, à propos de sa vie même, nous avons vu qu'il évoque ce désir
de l'honneur qu'il place très près de la vertu.
D'autres nuances peuvent apparaître à la fois comme des conséquences
et des vérifications. Par exemple, certaines contradictions apparentes s'effa
cent si nous admettrons cette interprétation. C'est le cas en ce qui concerne
la personnalité de Catilina. A partir de son célèbre portrait, on a voulu
trouver chez Salluste une complaisance romantique pour les révoltés. En
fait, Catilina n'est rien d'autre que le prototype du tyran. Il en a la force,
la grandeur; il exerce comme lui sa séduction sur une jeunesse dépravée
par la démocratie; de même que lui, il apparaît comme le destructeur de
la piété filiale, celui qui favorise le meurtre des pères par les enfants, afin
de mettre ces derniers à sa merci. Il n'y a pas ici de complaisance romanti
que, mais une réflexion platonicienne sur la tyrannie, qui implique dans
un seul homme rencontre de l'injustice et de la grandeur. D'autre part,
cette lecture platonicienne de Salluste permet de résoudre les problèmes
posés par ses conceptions religieuses: tantôt, il ne paraît croire qu'en la
fortune, par exemple à propos de Sylla en Jugurtha, 95, 4: Atque felicissimo
omnium ante ciuilem uictoriam numquam super industriam fortuna fuit;

8 Sur tout ceci, cf. pour plus de détail notre article: Entre Cicéron et Tacite: aspects
idéologiques du Catilina de Salluste, Acta classica Universitatis scientiarum Debreceniensis,
V, 1969, p. 83-92. Sur le tyran, cf. République, VIII, 565 e sq (v. Egermann, p. 47).
650 ALAIN MICHEL

multique dubitauere fortior an felicior esset Ce texte pourrait apporter des


arguments à ceux qui tiennent pour l'épicurisme de Salluste. Mais, au chap. 63,
l'historien nous a rapporté qu'un aruspice, à l'issue d'un sacrifice, a prédit
son destin à Marius. Sans doute le récit de cet événement commence par le
mot forte. Cependant l'auteur ne paraît pas avoir de doute sur la réalité
du fait. Nous pouvons donc admettre qu'il se rattache à une philosophie
qui croit dans la possibilité de la divination. La rareté des références à des
faits de cet ordre, la prudence de leur mise en œuvre convient mieux au
doute de l'Académie qu'à la certitude du Portique.
Dans tous ces domaines importants, qu'il s'agisse des probabilités de la
religion, des inquiétudes de la morale individuelle ou des révolutions poli
tiques, Salluste paraît proche de Platon. Naturellement, il l'atteint sans
doute par des intermédiaires; je ne chercherai pas ici qui peut être chacun
d'entre eux. Mais le premier auquel nous pensons, celui qui se prête le
mieux à la vérification, est le principal représentant de la tradition platoni
cienne dans la Rome de Salluste et tout près de lui: Cicéron. Notre auteur a
fréquenté très intimement ce personnage. Nous avons suggéré, après d'autres,
qu'il avait pu exercer une influence sur la création de certaines œuvres
importantes comme le De oratore, le De republica, le De legibus9. Il n'a
pu manquer de connaître en particulier le deuxième de ces traités. Or, dans
le livre I, on trouve un résumé de la République platonicienne, VIII-IX.
Cela constitue une présomption supplémentaire pour justifier notre interpré
tationde Salluste.
Faut-il donc penser qu'ici l'historien se tient plus proche de l'orateur
qu'il ne l'était dans la pratique de son style? Je ne le crois pas. Je considère
plutôt que ce rapprochement, qui est incontestable, nous permet aussitôt
de déceler, en même temps que les ressemblances, les différences. Salluste
n'imite point Platon dans le même esprit que Cicéron; les points de diver
gence sont très significatifs.
Disons sommairement que, presque toujours, l'historien élimine dans
les interprétations cicéroniennes ce qui relève de l'Aristotélisme ou de la
tradition polybienne. Cela est manifeste sur trois sujets: 1) Salluste montre
une sévérité extrême à l'égard de Vauaritia. Il voit expressément un mal
dans la richesse {Ad Caesarem, II, 7); cette attitude radicale, qui ne se
contente pas de renvoyer à la mesure ou à l'indifférence, n'appartient dans
l'Antiquité qu'au Platonisme. On sait qu'Aristote s'est opposé à cet aspect

9 Cf. Rev. des études latines, 44, 1966, p. 237 sqq. En ce qui concerne les intermédiaires,
je laisse complètement de côté dans cet article les problèmes relatifs aux influences stoïciennes
(Posidonius etc.).
ENTRE THUCYDIDE ET PLATON 651

de la pensée de son maître. Cicéron lui aussi se montrait nuancé. Salluste


est péremptoire. 2) L'historien ne reprend pas à son compte la théorie cicé-
ronienne et polybienne de la constitution mixte triple. Là encore, il y avait
débat entre Platon et Aristote: le second optait pour une constitution triple
et dénonçait chez Platon l'idée d'une tyrannie démocratique, d'une monarchie
appuyée sur le peuple. 3) Enfin, du même coup, Salluste montre beaucoup
moins de défiance que Cicéron pour le pouvoir personnel. Au début de
l'excursus du Catilina (6,6), on trouve la formule: Imperium legitumum,
nomen imperi regium habebant. Salluste semble disposé à accepter la
monarchie si elle s'appuie authentiquement sur la loi. Cicéron, sans doute,
a fait l'éloge des bons rois comme Romulus. Ses contemporains le lui ont
d'ailleurs reproché. Salluste n'encourt-il pas le même reproche, avec d'autant
plus de raisons qu'il n'utilise pas les contrepoids de la constitution mixte?
Nous ne voulons ici que poser la question. On sent bien que la démar
chede l'historien est sensiblement différente de celle de Cicéron. Elle
s'inspire pourtant du Platonisme, comme il le fait lui-même. Mais elle pro
cède à sa façon; or, ici, nous touchons un aspect de cette pensée qui va
confirmer la première partie de notre étude. Lorsque Salluste rejoint Platon,
il le fait en retrouvant l'esprit de Thucydide.
Reprenons ces trois thèmes que nous venons d'évoquer: le détache
ment à l'égard de l'argent, le refus de la constitution mixte, la réflexion sur
le pouvoir personnel. Ils figurent tous trois dans un texte qui a une impor
tance fondamentale dans l'Histoire de la guerre du Péloponnèse (II, 65, 8):
il s'agit du célèbre portrait de Périclès: « La raison (de son pouvoir) était
la suivante: c'est qu'il avait, lui, de l'autorité grâce à la considération dont
il jouissait et à ses qualités d'esprit, et que, de plus, pour l'argent, il montrait
une éclatante intégrité: aussi tenait-il la foule, quoique libre, bien en main,
et au lieu de se laisser diriger par elle, il la dirigeait (...). Sous le nom de
démocratie, c'était en fait le premier citoyen qui gouvernait ...» (trad, de
Romilly) 10. Ce texte célèbre semble bien constituer la principale source de
la théorie cicéronienne du «principat»; il se trouve de ce fait au cœur du
débat sur les constitutions politiques, mais il ne fait nullement intervenir
la constitution mixte triple: on sait que Thucydide se bornait à opposer
démocratie et oligarchie, sans prétendre les mélanger. D'autre part, Thucyd
idemet très fortement l'accent sur l'intégrité de Périclès: celui-ci ne cède
jamais à la soif de l'argent, et c'est à cela qu'il doit son autorité. Ce thème

10 Sur ce texte et le passage du Ménexène que nous citons ensuite, cf. notre communicat
ion: Cyrus et Périclès: impérialisme et principat chez Cicéron et quelques autres, dans L'idéo
logiede l'impérialisme romain, colloque de Dijon, les 18 et 19 octobre 1972, Paris, 1974, p. 8 sqq.
652 ALAIN MICHEL

s'atténue fortement quand Cicéron nous parle du princeps: il garde au con


traire une importance majeure dans les écrits de Salluste.
Toute la première partie de cette étude a souligné l'influence que
Thucydide exerce sur Salluste en ce qui concerne le style et marqué aussi
que cette influence n'est pas seulement littéraire mais morale. Cela nous
pousse à considérer comme probant le rapprochement que nous venons de
faire. Mais alors ne faut-il pas négliger la référence à la source platonicienne?
Celle-ci paraît avoir moins d'intérêt puisque, sur les points fondamentaux,
il suffit de penser à Thucydide. Nous répondrons que cela n'est pas absolu
mentvrai: qu'on songe seulement aux réflexions sur la décadence de Rome,
qui n'ont pas d'équivalent chez l'historien grec. Il faut surtout se rendre
compte que l'existence d'une pluralité de sources est tout à fait possible.
Les textes que nous citons ici ont une grande célébrité: chacun les connaît;
il ne s'agit pas chez Salluste de références erudites; il prend plutôt position
sur des aspects majeurs de l'idéologie antique. Or le portrait d'Athènes
avait été tracé par un autre grand penseur, qui employait précisément des
termes très proches de ceux de Thucydide: il s'agissait de Platon, dans le
Ménexène (238 c-d): «C'est le gouvernement des meilleurs qui a été généra
lement notre régime politique constant. Tel le nomme gouvernement du
peuple, tel lui donne à sa fantaisie un autre nom; mais la vérité est qu'il
est, avec l'assentiment de la foule, le gouvernement des meilleurs ». Dans ce
passage tout à fait fondamental, Platon propose l'idée d'une aristocratie à
tendance monarchique et appuyée sur le consentement démocratique. Nous
avons tenté ailleurs de montrer que l'Empire romain, d'Auguste à Marc
Aurèle, s'est appuyé sur cette doctrine pour assurer sa propre justification.
D'autre part, en insistant, comme l'avait déjà fait Thucydide, sur son indiffé
rence, ou sa défiance, à l'égard du « nom » porté par le régime, Platon
ouvre la voie à toute une série de formules célèbres: nomen imperi, chez
Salluste, nomen principis, chez Tacite. Le premier, comme son modèle,
tourne la chose en un sens optimiste, le second, pensant aux savants men
songes d'Auguste et de ses successeurs, en un sens pessimiste . . .
Nous pouvons nous arrêter ici et conclure cette partie de notre exposé.
Quand il s'agit de morale politique, Thucydide est encore le maître à penser
de Salluste, comme il était son maître d'éloquence. Dans les deux cas, il
s'agit de prendre des distances par rapport à Cicéron. Mais, dans les deux
cas aussi, on voit s'affirmer l'influence de ce dernier, par les questions
posées, sinon par les réponses. En matière de morale politique, il s'agit avant
tout de méditer sur l'autorité du prince, en quelque régime qu'elle se manif
este (mais Cicéron croit sans doute plus que Salluste ou Platon que le
régime n'est pas indifférent). En tout cas, ces penseurs se rencontrent autour
ENTRE THUCYDIDE ET PLATON 653

de deux ou trois textes fondamentaux; ils ne s'imitent pas mutuellement:


ils dialoguent, ils s'interrogent, ils s'inquiètent. Cicéron et Salluste se rejoignent
et se séparent à la fois en Platon et en Thucydide. Cicéron lit parfois Platon
avec les yeux d'Aristote; Salluste l'aborde selon la tradition de Thucydide,
que Cicéron, au demeurant, n'ignorait pas. Les mêmes nuances apparaîtront
au temps d'Auguste et plus tard dans l'historiographie. Denys d'Halicarnasse
se rapprochera d'Aristote et de sa constitution triple n; Tite Live et Tacite,
qui rejetteront cette dernière notion, se tiendront plus proches de Salluste.
Nous pourrions nous arrêter ici. Nous avons proposé deux suggestions:
1) II existe un lien entre le style de Salluste et sa pensée morale. La rhéto
rique, chez lui comme chez d'autres, possède une signification philosophique.
S'il choisit d'imiter Thucydide, c'est pour prendre ses distances à l'égard de
Cicéron tout en conservant ce qui fait l'essentiel de sa leçon, la grandeur
(granditas); il s'agit de concilier les styles de César et de Caton: le discours
de Marius y parvient. 2) César, Caton, Marius, tous ces hommes, chacun à
sa manière ont exercé un principal La méditation morale de Salluste tourne
tout entière autour du principat, dont elle montre dans l'histoire les diverses
faces. Cela est bien naturel à l'époque de César et de Cicéron. Auguste va
réaliser plus ou moins la synthèse de ces deux hommes. Il semble que
Salluste a pu l'y encourager. Pour cela il était revenu aux principes histori
queset philosophiques de la réflexion sur l'autorité personnelle et sur la
liberté: à partir de la pensée même de Cicéron, il s'était aperçu qu'on
pouvait rapprocher Platon et Thucydide 12.

11 Dans l'image qu'il nous donne de la «constitution de Romulus».


12 Insistons sur deux points: 1) Nous ne prétendons nullement arriver ici à une vue
systématique des choses. Nous reconnaissons comme tous les commentateurs que Salluste,
même s'il s'inspire de Platon, est fort différent de lui et d'abord qu'il n'est pas un philosophe
mais un historien. Il reste que la philosophie tient une certaine place dans sa vision de l'histoire
et dans cette philosophie nous avons voulu souligner une nuance dominante. Il s'agit bien d'une
nuance qui ajoute à la complexité du personnage au lieu de le simplifier. La suite de cet article
le montrera. 2) En insistant sur les aspects platoniciens de la pensée de Salluste et sur leurs
prolongements politiques, nous faisons apparaître d'une manière objective la plausibilité de
certaines interprétations: par exemple, nous trouvons dans cette manière de voir des raisons
d'accepter l'authenticité des Lettres à César qui s'inscrivent exactement dans la même idéolog
ie, qui montrent à l'égard du cicéronisme le même mélange d'attention et de distance. Ajoutons
enfin que nous avons laissé de côté les problèmes politiques proprement dits (cf. Earl, La Penna).
Ici encore, notre interprétation philosophique va dans le sens de ces commentateurs: Tacite
veut rendre aux optimates le consentement des populäres par l'établissement d'une aristocrat
ie véritable, à la tête de laquelle figure un chef éclairé, héritier à la fois du catonisme et du
césarisme et capable s'il le faut de tromper un peu le peuple sur le sens des mots pour obtenir
son consentement. On pourrait interpréter de même l'illustration et la critique de l'impérialisme,
654 ALAIN MICHEL

Cela nous inspirera nos ultimes remarques. Car enfin, il s'agit de morale.
Or, sur ce point, est-il si facile de juxtaposer Thucydide et Platon? Certes,
le Ménexène se rapproche de YOraison funèbre. Cependant, la morale du
Gorgias ne semble pas coïncider toujours avec celle qui s'exprime par
exemple dans le dialogue des Athéniens et des Méliens. Du côté de Thucyd
ide,on trouve un pessimisme historique assez marqué, qu'inspirent les
passions humaines et la puissance de la fortune. On a l'impression d'assister
chez lui au règne du hasard, de la force ou de la nécessité, exploités tantôt
par l'intelligence des hommes et tantôt par leur sottise. Chez Platon demeure
un grand espoir dans le triomphe de la philosophie et dans le succès de la
justice. Il est vrai que les choses ne sont pas si simples: Platon a écrit,
dans sa lettre VII, les lignes tristes que nous avons citées; Thucydide semble
avoir distingué très nettement la fatalité impérialiste qui entraîne les Athé
niens à détruire Mélos et la lucidité pieuse et sage qui permet à Périclès
de protéger sa cité. La rencontre des deux écrivains tient dans cette nuance:
comment le réalisme peut-il éviter de tourner au cynisme, comment la
conscience que nous prenons du pouvoir des vices peut-elle nous dispenser
du désir de les imiter?
Toute l'œuvre de Salluste tend à suggérer l'importance de cette question
et à lui donner une réponse qui puisse convenir à la fois à Thucydide et
à Platon.
D'abord, il reconnaît en diverses occasions que la cruauté, la violence
peuvent être utiles. Par exemple, Marius prend Capsa par ruse et la détruit
(91,7): Id facinus contra ius belli, non auaritia neque scelere consults
admissum, sed quia locus Iugurthae opportunus, nobis aditu difficilis,
genus hominum mobile, infidum, ante neque beneficio neque metu coerci-
tum. Je laisse à Salluste la responsabilité de ce petit dialogue qu'il esquisse
d'une manière si brève mais si méthodique avec des gens qui ressemblent
un peu aux Méliens. Lui aussi admet qu'on peut violer le droit; il précise
à quelles conditions: il faut surveiller ses motifs et s'assurer que Vauaritia
ne figure point parmi eux; on ne commet pas de crime (non scelere), dès
lors qu'on se trouve obligé par les circonstances matérielles et les passions
ou les habitudes des peuples, qui interdisent de leur faire confiance. Dès ce
texte, nous voyons s'ébaucher une sorte de compromis entre le réalisme et
la vertu. Cela plairait peut-être à Machiavel, mais irait-il jusqu'à partager

qui ne doit être ni prédateur et nourri par Vauaritia, ni dépourvu de mesure et fondé sur le
désir infini de l'agrandissement. Platon redoutait l'excès de grandeur pour les états; il détestait
l'esprit de lucre. Naturellement, nous ne prétendons pas que tout vient de Platon. Mais celui-ci
a pu contribuer à confirmer Salluste dans ces idées; cela peut nous encourager dans cette
interprétation de sa pensée.
ENTRE THUCYDIDE ET PLATON 655

ce pessimisme profond à l'égard des hommes qu'on sent chez Salluste? Je


pense en particulier à fugurtha, 61,4: Métellus cherche un traître pour
livrer le roi: il choisit Bomilcar, quod ei per maxumam amicitiam maxuma
copia fallendi erat: « comme il avait avec lui la plus grande amitié, il avait
les plus grands moyens de le tromper ». Encore une fois, l'historien moraliste
analyse implacablement une situation: d'une part, on ne peut pas se fier
aux hommes, d'autre part les amis sont les mieux placés pour trahir.
Mais ce refus des illusions ne doit pas conduire à l'illusion cynique.
C'est ici l'erreur de Jugurtha. Il ne cessait de répéter: «A Rome, tout se
vend». Il a fondé là-dessus sa politique de révolte. Il a eu tort de compter
ainsi sur les vices. Scipion pourtant, au camp de Numance, l'avait prévenu:
« S'il persévérait dans sa belle conduite, et la gloire et le trône lui vien
draient spontanément; s'il voulait aller trop vite, son argent même le préci
piterait à sa ruine ». Pour paraphraser un proverbe que Claudel cite dans
le Soulier de satin, le vice n'est pas toujours sûr. Jugurtha n'a pas su le
comprendre. C'est de cette manière prudente que Salluste rejoint Platon.
Il sait douter. Il s'aperçoit que les plus grands hommes ne sont point par
faits (Marius, par exemple . . .), qu'il y a de l'élévation et de l'héroïsme dans
les plus grands criminels (sans cela un Catilina ne pourrait aspirer à la
tyrannie); il découvre dans beaucoup de personnages et d'événements cette
ambiguïté dont Tacite jouera plus tard si tristement. Enfin, il ne se fait pas
d'illusions sur les avantages de l'action violente: il l'indique dans la préface
du Jugurtha, 3, 2: Nam ui quidem regere patriam aut parentes, quamquam
et possis et delicta corrigas, tarnen inportunum est (ici encore, on devine
une allusion à Platon, à VEuthyphron), cum praesertim omnes rerum muta-
tiones caedem, fugam aliaque hostilia portendant. Frustra autem niti neque
aliud se fatigando nisi odium quaerere, extremae dementiae est: nisi forte
quern inhonesta et perniciosa lubido tenet potentiae paucorum decus atque
libertatem suam gratificari. Seuls peuvent chercher la violence ceux qui ne
travaillent pas pour eux mais qui se font les mercenaires de quelque oligarchie.
Salluste est persuadé que le véritable réalisme rejoint l'esprit moralisa
teur soit dans Votium, soit dans le désir de paix. Mais il sait aussi qu'on
ne peut se fier aux hommes, et c'est pour cette raison que le discours
d'Adherbal, dans le Jugurtha, est un peu dérisoire. Salluste, nous l'avons
dit, ne veut pas compter sur la pitié, il ne se fie pas à la supplication.
Tel est le sens de cette éloquence dure qu'il prête à Marius, de cet éloigne-
ment qu'il témoigne à Cicéron, de ces affinités dans le pessimisme qu'il
choisit de découvrir entre Thucydide et Platon. Le chemin qu'il ouvre n'est
même pas celui de Machiavel, à la fois plus hardi et plus gai. On songe
plutôt pour le lendemain à Auguste et à Tacite pour les temps qui suivront.
ARNALDO MOMIGLIANO

THE DATE OF THE FIRST BOOK OF MACCABEES

/ Maccabees was originally written in Hebrew - rather than in Aramaic.


Flavius Josephus already used the Greek translation 1. But the original
Semitic text was known, at least indirectly, to Origen and St. Jerome and
may have been used by learned Jews even later than the fourth century2.
We do not know when and how the Hebrew text disappeared. Retransla-
tions from Greek or Latin into Hebrew of course exist. The oldest known
to me is by an anonymous Jew who apparently translated the text of the
Vulgate into Hebrew at Worms or Mainz about 1160-1180. This text was
discovered by D. A. Chwolson in the Bibliothèque Nationale of Paris and
taken by some scholars to be the original Hebrew. The truth soon became
obvious3. Modern translations by S. I. Fraenkel (1830), A. Kahana (1931,

1 Josephus, as is well known, did not use chapters 14-16, but this does not justify S. Zeitlin's
theory that chapters 14-16 "do not belong to this book, but were written later, perhaps as part
of another book" (The First Book of Maccabees, 1950, p. 32). Whether Josephus used /
Maccabees indirectly, through an anti-Samaritan source, as suggested by B. Motzo, Saggi di
storia e letteratura giudeo-ellenistica, Firenze 1925, 207-214, is another question. See H. W.
Ettelson, "The Integrity of I Maccabees", Trans. Connecticut Acad. 27, 1925, 249-384.
2 About the Hebrew title the latest paper so far is J. A. Goldstein, Haw. Theol. Rev.
68, 1975, 53-57.
3 Against A. Schweizer, Untersuchungen über die Reste eines hebräischen Textes vom
ersten Makkabäerbuch, Berlin 1901 see I. Levi, Rev. Étud. Juives 43, 1901, 215-221; C. Torrey,
Journ. Bibl. Lit. 22, 1903, 51-59. According to D. Flusser the so-called Josippon composed by
a Southern Italian Jew in the tenth century used a Latin translation of /-// Maccabees: Encycl.
Judaica, s.v. Josippon (1971). The whole matter of the Jewish medieval tradition about the
Maccabees deserves new investigation (I gave an outline in Prime linee di storia della tradi
zione maccabaica, Torino 1931, reprint Amsterdam 1968, 48-65; 129-139). I shall here call
attention to one point only. The Megillath Antiochos ('Antiochus' Scroll') - on which see
658 ARNALDO MOMIGLIANO

2nd ed. 1956) and A. S. Hartom (1958) are intended to render the book
accessible to Hebrew readers and do not claim to be reconstructions of the
original text.
Consequently nobody has so far rigorously distinguished between what
is Hebrew and what is Greek in / Maccabees. The most recent scientific
contribution in this direction known to me is Günter Ο. Neuhaus, Studien
zu den poetischen Stücken im I. Makkabäerbuch (Würzburg 1973), which
is a retranslation of, and commentary on, the poetic passages in the book.
The poetic passages are a good example of the questions involved in the
convergence of the two historiographie traditions. / Maccabees contains a
series of passages which even in the Greek translation reveal all the peculiari
ties of Hebrew poetical style, including the best known, parallelismus
membrorum. Sudden transition from prose to poetry can be found in other
biblical texts. The nearest in time is Ecclesiasticus. But verse is mixed
with prose also in Seneca's Apocolocyntosis, Petronius' Satyricon, Ps.-Cal-
listhenes' Life of Alexander (III cent. A. D.?), and the Historia Apollonii
Regis Tyri (V cent.?). A recent addition to the Greco-Latin series is Pap.
Oxyrh. XLII, 3010 (II cent. A. D.). We know very little about the origins
and conventions of this mixed form4.
Another example of such questions is the introduction of documents.
Documents are to be found in both biblical and Greek historiography. But
at least the exchange of letters with the Spartans in / Maccabees seems
to be dictated by Hellenistic conventions: it is meant to establish a genealogical
relation between two nations5.
Finally, the excursus about the Romans in ch. 8, though formulated
in good Hebrew terminology, is an encomium for which Hellenistic literature
provides the ingredients and the contours. The Bible contains implicit or

M. Z. Kaddari, The Aramic Antiochus Scroll, Bar Ilan Annuals I-II, 1963-4 - connects
Antiochus Epiphanes and his general Bagris (= Bacchides) with the names of Antiochia and its
outpost Pagrae (Strabo 16, 2, 8). This seems to reflect Antiochene Jewish lore, that is to point
to an Antiochene origin of the Antiochus Scroll. Antiochia was the centre of the Christian
cult of the " Maccabean " Brothers (E. Bickerman, Byzantion 21, 1951, 63-83). Does the scroll
represent the Jewish answer?
4 P. Parsons, Bull Inst. Class. Studies 18, 1971, 53-68; R. Merkelbach, Zeitschr. Papyr.
Epigr. 11, 1973, 81-127. In general F. Dornseiff, Antike und Alter Orient, Leipzig 1956, 244;
R. Merkelbach, Roman und Mysterium, Berlin 1962, 323-324; M. Hengel, Judentum und
Hellenismus, 2nd ed., Tübingen 1973, 154.
5 E. Bickerman, Sur une inscription grecque de Sidon, Mél. Syriens R. Dussaud I,
Paris 1939, 91-99.
THE DATE OF THE FIRST BOOK OF MACCABEES 659

explicit descriptions of cities and states, such as the lamentation over Tyre
in Ezechiel or the curious description of Ecbatana in Judith, but each of
the compliments to Rome in / Mace. 8 has a parallel in Greco-Latin
historiography. Thus the attitude to her allies (Polyb. 24, 10, 11), the dislike
of monarchy (Polyb. 10, 40), the internal concord (Dionys. 7, 66, 4-5 with
reference to patricians and plebeians), not to speak of the interest in natural
resources or mines (Aristeas 119; Plin. n.h. 3, 138) 6. Similarly, the treatment
of Corinth (and Carthage) is registered in a comparable tone in Diod. 32, 4, 5 7.
There is, however, no indication of a written source. Indeed the
mistakes in the description (the Senate meeting every day, the yearly one-man
rule, Antiochus III taken prisoner by the Romans, the Romans giving to King
Eumenes of Pergamum " the country of India, Media and Lydia and parts
of the best lands of King Antiochus ") presuppose accounts by badly informed
travellers. The character of the whole chapter is that of a distant acquaintance
with the Roman State. The author does not deceive when he reports about
the "fame of the Romans". The question is only whether what he repre
sents is the state of knowledge of Judas Maccabaeus and his companions
about 161 B.C. or rather a reflection of his own knowledge some decades
later. There are clear indications that the latter alternative is the correct one.
First, the author himself says in v. 10 that the enslavement of the
Greeks (or part of them) lasts " to this day ", that is, to the time in which
the book was written. Secondly, the whole of vv. 9-10 makes sense only
if they are taken to refer to the defeat of the Achaean League and the
destruction of Corinth in 146 B.C.

II

We may therefore ask whether there are any pointers to the time in
which the author wrote ch. 8, as the chapter itself contains anachronisms
in relation to the situation of 161 B.C. I would suggest that the whole
atmosphere of the chapter is that of the years c. 146-130. If the author

6 W. Gernentz, Laudes Romae, diss. Rostock 1918; E. M. Sanford, Am. Journ. Philol.
58, 1937, 437-456; B. Forte, Rome and the Romans as the Greeks saw Them, Rome 1972;
J. Touloumakos, Zum Geschichtsbewusstsein der Griechen in der Zeit der römischen Herrs
chaft, Göttingen 1971. But the essential is in H. Fuchs, Der geistige Widerstand gegen Rom
in der antiken Welt, Berlin 1938. On the "topos" of mines, my Quarto Contributo, Roma
1969, 514.
7 On this J. Touloumakos quoted (n. 6), p. 28 n. 22.
660 ARNALDO MOMIGLIANO

presupposes the destruction of Corinth, he makes no reference to the


transformation of the kingdom of Pergamum into a Roman province. Indeed
it is difficult to believe that any author writing in Palestine after 129 B.C.
could commit the geographical howler of attributing to the kingdom of
Pergamum, and therefore the Roman province of Asia, a territory extending
to India and Media. Like the notions of the Roman Senate meeting every
day and of Rome ruled by one consul each year, the fantasy about Pergamum
is the result of remoteness which seems unbelievable after the Roman
take-over in 129 B.C. More generally, the whole image of the Roman
State is that of a distant organization which has not yet established itself
in Asia Minor, not very far from Palestine.
None of the historical facts mentioned in the chapter seems to contradict
a date between 146 and 129 B.C. The Romans had been exploiting the
silver and gold mines of Spain since the beginning of the second century:
a fact which must have early attracted the attention of the Jews as neigh
bours of the Phoenicians8. The allusion to the Gauls paying tribute can be
interpreted in various ways, but it is preferable to take it as a reference
to Northern Italy, Gallia Cisalpina. It has been acutely suggested to me by
my friend Professor E. Gabba that there may be an allusion to the episode
of Tiberius Gracchus and the ambassador of Pergamum in v. 14, " not even
one of them put on a diadem or donned purple for self-aggrandizement".
Gracchus was accused, as we know from Plutarch (Ti. Gracchus ch. 14),
of regal ambitions because allegedly he had taken into his house the diadem
and the purple brought to Rome by the ambassador of Pergamum 9. / Maccab
ees might allude to what after all must have been the real situation - that
Tiberius impounded the insignia and confirmed the traditional hostility of
the Romans to the " regnum ". I do not exclude the possibility that some
echo of the episode of 133 B.C. reached the author of / Maccabees in a

8 Cf. L. Garcia Iglesias, "Los Judios en la Espana Romana", Hispania Antiqua 3, 1973,
338 and bibl. there quoted. More in general J. M. Blazquez, "Fuentes literarias griegas y
romanas referentes a las explotaciones mineras de la Hispania Romana" in La Mineria Hispana
e Ih ero americana I, Leon 1970, 117-150. The Jews of course were to learn better. Cf. the
curious passage on the dual government in Rome in Genesis Rabbah 49, 9, translated by
M. Hadas in "Roman Allusions in Rabbinic Literature", Philol. Quart. 8, 1929, 369-387, which
seems to be suggested by somebody's reflections on the Roman Republic (S. Krauss, Monu
menta Talmudica V, 1, Wien, 1914, p. 10 η. 18).
9 Cf. E. Rawson, Journ. Rom. St. 65, 1975, 150-159. [See now M. Sordi, Storiografia e
propaganda, Milano 1975 (but 1976), 95-104. I am not convinced by her terminus ante quern
of 152 B.C. for ch. 8].
THE DATE OF THE FIRST BOOK OF MACCABEES 661

sense favourable to Tiberius Gracchus, but I do not consider it likely. What


he knows is that no Roman wants to be a king. Famous stories about the
Scipiones were enough to confirm this attitude in the eyes of a second-
century writer without having to turn to Tiberius Gracchus.
If the atmosphere of the chapter is what we can expect from a person
writing between the destruction of Corinth and the incorporation of the
kingdom of Pergamum in the Roman State, we may conclude that this
chapter was written not later than 129 B.C.
As it is difficult to believe that a later author would take over a short
eulogy of Rome written between 146 and 129 B.C., there is a prima facie
case for extending the date of ch. 8 to the whole book and concluding
that / Maccabees, which was clearly written after the death of Simon in
135 B.C., is not later than 129 B.C. This conclusion seems to me very
probable, but there are two interconnected difficulties which must be taken
into consideration:
1) / Maccabees uses the biblical formulaic statement that the enslave
mentof the Greeks and the tomb erected by Simon to his parents and
brothers in 143 B.C. exist "until our days" (8, 10; 13, 30).
2) / Maccabees also uses another biblical formula about John Hyrca-
nus (16, 23-24): "the rest of the story of John, his wars and the deeds of
value he performed . . . are written in the annals of his high-priesthood ".
It can be argued that a date about 129 B.C. is not remote enough
from 146 or 143 B.C. to justify the formula " until our days ". It can
similarly be argued - and has been argued - that the formula in 16, 23-24
presupposes the death of John Hyrcanus.
Everyone is entitled to his own impression in such matters. My
impression is that in undated and anonymous books like / Maccabees these
formulas were written with future readers in mind and therefore included a
vague prophetic element. Formulas which belong to the biblical historical
style cannot be used to date a late imitation of the biblical style, whereas
the substance of ch. 8 is, at least to my mind, a clear clue to the date
of the whole book.
JEAN-PAUL MOREL

SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME

«Toute ma vie j'ai entendu parler de la jeunesse. Toute


ma vie ce sujet m'a ennuyé. Non que ce soit un sujet plus
ennuyeux qu'un autre, mais il me semble qu'il inspire surtout
les imbéciles » 1.
« Un travail d'érudition prend, au moins pour celui qui
l'exécute, un intérêt singulier, s'il le peut rattacher à un
problème qui, étudié dans une époque déterminée, avec les
caractères propres à cette époque, trouve encore un écho
dans la conscience contemporaine»2.

Une affirmation péremptoire de polémiste excédé, une constatation tran


quille d'enquêteur saisi par son sujet: tels sont les jugements extrêmes que
peut susciter une étude sur la jeunesse. A tort ou à raison, nous sommes
tenté de récuser le premier, dont l'auteur devrait craindre qu'il ne fît boomer
ang:ce n'est pas parce qu'un sujet est perpétuellement actuel qu'il faut
en nier l'intérêt.
Serait-on agacé par un certain engouement de notre époque pour les
problèmes de la jeunesse, que l'étude de la jeunesse romaine n'en mériterait
pas moins d'échapper à ce discrédit. En effet, au-delà des raisons très génér
ales qui concourent à faire de la jeunesse, dans la plupart des sociétés,
une classe d'âge plus soudée que les autres, et plus apte à être considérée
isolément en tant que telle (raisons qui tiennent notamment à une autonomie
déjà acquise au sortir de l'enfance, mais pas encore obérée par la responsab
ilité d'une famille ou par le déclin physique et la dépendance qui en résulte),
ce champ d'études voit s'affronter de façon particulièrement significative
certaines contradictions propres à la société romaine: société complexe et
souvent déroutante derrière une façade faussement familière, société à la

1 J. Dutourd, Un sujet ennuyeux, dans La Revue de Paris, septembre 1969, p. 11.


2 P. Roussel, Etude sur le principe d'ancienneté dans le monde hellénique du Ve siècle
avant J.-C. à l'époque romaine, dans Mémoires de l'Institut National de France, Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XLIII, 2e partie, 1951, p. 132.
664 JEAN-PAUL MOREL

fois « froide » et « chaude », à histoire à la fois « stationnaire » et « cumulat


ive » - pour reprendre des expressions de Cl. Lévi-Strauss 3 - selon le
domaine que l'on considère ou, mieux, selon le point de vue que l'on adopte.
Les problèmes de la jeunesse n'y apparaissent pas avec l'évidence qu'ils
présenteraient, soit dans une société très primitive (ou des classes d'âge
figées se perpétuent clairement au cours des siècles), soit dans une société à
évolution très rapide comme celle où nous vivons (où les antagonismes
entre générations renaissent d'année en année sous des traits changeants).
Chercher à les dégager de la gangue des situations ambiguës sous lesquelles
on les entrevoit, du réseau des interprétations erronées ou tendancieuses
qu'en présentent les Anciens eux-mêmes, est une entreprise passionnante
mais ardue.
Est-ce la difficulté de l'enquête? Est-ce le manque d'évidence d'une
problématique de la jeunesse à Rome? Toujours est-il que la désaffection
de la recherche historique a longtemps été si profonde que, malgré les
efforts de quelques pionniers, J. Gagé a pu parler à cet égard d'une « indiffé
rence presque complète » 4. Mais ce sont les mêmes raisons qui avaient
conduit M. Jacques Heurgon à attirer notre attention sur l'intérêt d'une
telle étude. Ce thème ne pouvait que séduire un esprit aussi sensible que
le sien à la diversité des aspects du génie latin et italique, à la combinaison
des documents et des indices les plus variés, aux échos que le monde
moderne et le monde antique se renvoient mutuellement. Si nous n'avons
pas noué la gerbe, du moins avons-nous pu constater la réalité des problèmes,
la richesse des aperçus possibles, l'enchevêtrement des voies qui s'offrent
au chercheur: et ce sont quelques lignes de force, parmi d'autres, que nous
aimerions dégager ici en hommage d'admiration et de gratitude au savant
et au maître.

Une enquête totale sur la jeunesse romaine devrait s'engager dans des
directions très diverses, et s'intéresser par exemple aux institutions politiques
comme aux composantes religieuses, à l'éducation comme aux rites de passage,

3 Le champ de l'anthropologie, Leçon inaugurale au Collège de France, Paris, 1960 =


Anthropologie structurale deux, Paris, 1973, p. 40-41; Race et histoire, Paris, 1952 (rééd. 1961),
p. 41 sq. = Anthropologie structurale deux, p. 395-401.
4 Classes d'âge, rites et vêtements de passage dans l'ancien Latium. A propos de la
garde-robe du roi Servius Tullius et de la déesse Fortuna, dans Cahiers internationaux de
sociologie, XXIV (n.s., 5e année), 1958, p. 34.
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 665

à la démographie comme à l'idéologie, à la linguistique comme à l'icono


graphie. Nous nous bornerons à évoquer ici - non pour les étudier de
façon approfondie, mais pour souligner leurs différences et leur inégale
fécondité en l'état actuel de la recherche - trois thèmes possibles: aspects
politico-littéraires, aspects institutionnels, aspects « archaïques » ou « primit
ifs ». Nous ne nous interdirons pas de recourir ici ou là à des parallèles
modernes, voire contemporains. Nous sommes en effet de plus en plus per
suadé que des textes anciens, parfois obscurs ou pris à la légère, peuvent
être éclairés par des observations incontestables effectuées près de nous,
sans la moindre référence au monde romain: échappant ainsi au reproche
de vouloir trop prouver, ces observations apportent par là même aux auteurs
antiques une caution qui n'est pas négligeable.

I - LITTÉRATURE, POLITIQUE ET PSYCHOLOGIE

Nous serions tenté d'évoquer cet aspect par prétention. Si toutes les
périodes de la littérature latine, des adulescentes de Plaute jusqu'à l'exalta
tion juvénile de saint Augustin, se prêtent à une étude psychologique, morale
ou politique de la jeunesse romaine, l'époque de Catilina, de la Correspon
dance de Cicéron, des poetae noui est manifestement cruciale à cet égard.
Le « mal du siècle » de ces jeunes gens, ou leur arrivisme, ont longtemps
constitué, et constituent encore, les thèmes de prédilection d'une certaine
forme de l'histoire littéraire, et souvent de l'histoire tout court. Ils ont donné
lieu à des observations pénétrantes, justes et stimulantes. Toutefois, nous ne
pensons pas que l'on puisse parvenir à une compréhension spécifique de la
jeunesse romaine en se contentant de poser ses pas dans ceux de Gaston
Boissier5. Affirmer, après s'être interrogé sur les causes du comportement
de la jeunesse au siècle de César, que « tous ces jeunes gens étaient simple
mentfous d'amour et de poésie », ajouter « qu'il n'y a pas, en définitive,
de bien grandes différences entre cette jeunesse du siècle de César et la
jeunesse de tous les temps » 6, c'est tenir sur ce qu'il est convenu d'appeler la
jeunesse éternelle, considérée du reste exclusivement sous ses dehors « révo-

5 Voir notamment Caelius et la jeunesse romaine au temps de César, dans Revue des
Deux-Mondes, 1864, p. 41-74; Cicéron et ses amis, Paris, 1865.
6 J. Granarolo, La jeunesse au siècle de César d'après Catulle et Cicéron, dans Actes du
Congrès de l'Association Guillaume Budé (Lyon, 1958), Paris, 1960, p. 494 et 515.
666 JEAN-PAUL MOREL

lutionnaires » ou « romantiques », des propos qui, si intéressants soient-ils,


risquent de fourvoyer la réflexion ou de la faire tourner court.
Non que tout soit dit en ce domaine. Mais l'étude politico-littéraire et
psychologique de la jeunesse à Rome gagnerait à renouveler et à diversifier
ses méthodes, quitte à renoncer aux dissertations élégantes, et notamment à
s'inspirer de l'actualité la plus crue, et au besoin la plus journalistique.
Peut-être les faits romains prendraient-ils alors une autre signification, un
autre relief. Par exemple, il serait intéressant d'étudier - mais en se demand
antce qu'il entre en eux de conflits de générations d'une part, et d'autre
part de vestiges d'une division de la société par groupes d'âge - certains
passages de la Correspondance de Cicéron: Cicéron qui flatte éperdument
les adulescentuli nobiles 7, mais reçoit en retour d'un Caelius une lettre où
perce l'irrévérence, sinon un soupçon d'hostilité, contre la génération précé
dente et nantie, uos senes diuites . . . 8. Il serait plus intéressant encore de
relire à la lumière d'événements récents, et par conséquent bien observables, le
passage de la Conjuration de Catilina dans lequel Salluste nous montre la iuuenfus
italienne quittant pour une Rome où l'attirait l'espoir d'une vie facile et
subventionnée d'hommes de main des campagnes où son travail ne lui assu
rait plus la subsistance9: phénomène qui de nos jours encore, dans les pays
et sous les régimes les plus divers, assure ou est censé assurer à certains
ambitieux ou à certains partis des masses de manœuvre prêtes à tout, et
qui peut faire de la lecture d'un quotidien le meilleur commentaire à l'histo
rien romain 10. De fait, Catilina ne fut-il pas, aux dires de Cicéron, le séducteur

7 Adulescentuli nobiles et autres expressions analogues: voir par exemple la Correspon


dance de Cicéron, lettres XII, 1, 6; 8, 33; 13, 50; XXII, 5; XXVII, 3; CXXIX; CLXXV, 3;
CCXXVII, 4; CCLXXIII, 4.
8 Quidnam rei publicae futurum sit si senatum non curet, uos senes diuites uideritis
(Cic, Corresp., lettre CCLXII, 2). Le rapprochement senatus-senes serait intéressant si senatus
n'était pas une conjecture de L. Mendelssohn, Analecta tulliana, dans Neue Jahrbücher für
Philologie und Pedagogik, 37, 1891, p. 67-80, acceptée notamment par L.-A. Constans et J. Bayet
dans leur édition de la Collection des Universités de France, t. IV, Paris, 1950. Pour des études
psychologiques sur Caelius comme représentant typique de la jeunesse romaine au temps de César,
cf. supra, note 5.
9 Salluste, De coniur. Catil, XXXVII, 7: praeterea iuuentus, quae in agris manuum mer
cede inopiam tolerauerat, priuatis atque publicis largitionibus excita, urbanum otium ingrato
labori praetulerat.
10 On en trouvera dans les numéros du Monde en date des 3-4 décembre 1972 et du
25 février 1970, respectivement, des exemples concernant des pays aussi différents que Madag
ascar et la Chine populaire. Ainsi, pour le premier cas, ces lignes: « Dans les centres urbains
de Madagascar s'entassait depuis de longues années un prolétariat misérable: venus de la
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 667

de cette jeunesse et comme son miroir aux alouettes, iuuentutis illecebra n?


On s'exposerait en outre à méconnaître la portée de tels textes si l'on n'évo
quait à leur propos le problème des rapports entre société rurale et société
urbaine, et du rôle respectif des jeunes dans ces deux types de société:
jeunes mieux intégrés à leur famille dans une société rurale, ou si l'on
veut mieux neutralisés par ce milieu familial qui reste prépondérant et qui
compense largement l'antagonisme entre les générations par leur solidarité
ressentie à tous les instants; jeunes plus enclins, dans une société urbaine,
à s'unir selon le critère de l'âge et à former des bandes. En devenant l'Urbs
par excellence, Rome n'a pas manqué de connaître cette évolution, et d'en
subir les conséquences 12.

II - INSTITUTIONS

Très tôt, la société romaine a minutieusement codifié les aspects admin


istratifs de la répartition par âges. Dans sa monumentale étude sur le prin
cipe d'ancienneté dans le monde hellénique, P. Roussel a reconnu que Rome
s'est montrée sous ce rapport plus précise, plus formaliste que la Grèce
elle-même 13. Pour ne pas parler des leges annales qui scandent rigoureuse-

campagne ou rejetés par le système scolaire, ces déshérités végétaient au jour le jour ... Ils
revendiquaient leur filiation paysanne . . . On les mit en garde contre les manipulateurs qui
cherchaient à se servir d'eux comme templin pour leurs ambitions personnelles »; ils fondèrent
le parti des «Jeunes gens sans travail de Madagascar», etc. - Quant à la Chine de 1970, à
propos des « formations illégales et ultra-gauchistes de jeunes et de gardes rouges » qui « ont
surgi à Pékin et dans d'autres grandes villes chinoises après le retour de la masse des jeunes
qui ont quitté les zones rurales sans autorisation», l'agence Tass, selon Le Monde, affirme que
« tout au début de la révolution culturelle, les maoïstes se sont servi de la jeunesse en tant que
force de choc».
11 CatiL, II, 4, 8. - Intéressantes remarques sur l'attitude politique de Catilina, César et
Cicéron envers les jeunes gens dans W. Allen, Jr., On the importance of young men in Cicero
nianpolitics, dans CJ, XXXIII, 1937, p. 357-359.
12 Dans les textes que nous avons cités précédemment, l'opposition ville-campagne est
fortement marquée, aussi bien chez Salluste (urbanum otium Φ in agris) que dans les documents
contemporains («centres urbains » Φ « venus de la campagne», «filiation paysanne»; «grandes
villes» Φ «zones rurales»). Cette opposition comporte aussi à Rome des implications littéraires,
que nous avons tenté de signaler (J.-P. Morel, ha «iuuentus» et les origines du théâtre romain
(Tite-Live, VII, 2; Valére Maxime, Π, 4, 4), dans REL, XLVII, 1969 [1970], p. 230-231), et des
implications cultuelles, sur lesquelles cf. C. Gallini, Protesta e integrazione nella Roma antica,
Bari, 1970, p. 30-31.
13 Etude sur le principe d'ancienneté, op. cit., p. 125-126.
668 JEAN-PAUL MOREL

ment les cursus sénatoriaux, on voit une division en deux classes d'âge
- iuniores et seniores - structurer, selon des modalités qui, il faut bien le
reconnaître, nous échappent le plus souvent, toute une série d'assemblées,
de magistratures ou d'institutions centrales ou municipales - Sénat peut-
être 14, equitatus 15, sévirat 16, turmae 17, curies 18, tribus 19 - et, d'abord et
surtout, les centuries. A propos de ces dernières, Mommsen, tout en affirmant
l'origine purement militaire de cette division, a reconnu qu'elle avait aussi,
en fin de compte, des implications politiques, puisqu'elle conférait aux voix
des plus âgés une prépondérance de fait20: exemple typique de l'ambiguïté
de Rome, où fonctions primitives et rôles politiques se juxtaposent, puis se
superposent, les seconds tendant de plus en plus à supplanter les premières
sans toutefois en effacer complètement le souvenir.
Trois institutions sont particulièrement représentatives de cette ambig
uïté, qui ne résulte pas uniquement des lacunes de notre information: les
collegia iuuenum, le principat de la jeunesse, le lusus Troiae.
Les collegia iuuenum, ou les divers groupements analogues, résument
en eux les paradoxes des institutions officielles consacrées à la jeunesse:
ces associations sont abondamment attestées par des textes et surtout par
des inscriptions, et ont été - une fois n'est pas coutume - attentivement
étudiées; mais elles n'en restent pas moins fort mal connues. L'abondante
littérature qui leur est consacrée21 fait ressortir non seulement la perplexité

14 Cf. B. G. Niebuhr, Römische Geschichte, I, 5e éd., Berlin, 1853, p. 185-186; G. Bloch,


Les origines du Sénat romain, Paris, 1883, p. 279-284; A. Piganiol, Essai sur les origines de
Rome, Paris, 1917, p. 253-254.
15 Cf. W. Seston, Les chevaliers romains et le «justitium de Germanicus », dans Rev. Hist,
de Droit Français et Etr., 4e s., XXX, 1952, p. 169 sq.
16 Cf. L. R. Taylor, Seviri equitum Romanorum and municipal seviri: a study in pre-mili-
tary training among the Romans, dans JRS, XIV, 1924, p. 158-171; A. Calderini, Milano romana,
fino al trionfo del Cristianesimo, dans Storia di Milano, I, Milan, 1953, p. 271-276.
17 J. Toutain, s.v. Troja, Trojae ludus, dans Diet, des Ant, V (1912-1919), p. 493-496.
18 Cf. R. Cagnat, Chronique d'épigraphie africaine, dans BCTH, 1895, p. 69-70; St. Gsell,
ILAlg., I, Paris, 1922, p. 301, n. 3080; G. Charles-Picard, Civitas Mactaritana (= Karthago, VIII),
Paris, 1957, p. 80-81.
19 Cf. A. Rosenberg, s.v. Iuniores, dans RE, X, 1 (1917), col. 950-960; G. Charles-Picard,
op. cit., p. 81.
20 Th. Mommsen, Le droit public romain, VI, 1, Paris, 1889, p. 297.
21 Parmi les études les plus importantes et les plus récentes, il faut mentionner G. Charles-
Picard, Civitas Mactaritana, op. cit., passim; H. W. Pleket, Collegium iuvenum Nemesiorum:
a note on ancient youth-organisations, dans Mnemosyne, ser. IV, XXII, 1969, 3, p. 281-298;
J. Gagé, Les organisations de «iuvenes» en Italie et en Afrique du début du IIIe siècle au
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 669

de la recherche actuelle, mais aussi la diversité des situations réelles, en ce


qui concerne le nom de ces collèges (collegia iuuenum, iuuenes, iuuen-
tutes . . .); leur origine (qu'il s'agisse de leurs antécédents lointains ou de leur
date d'apparition); l'âge de leurs membres (limites d'âge supérieure et infé
rieure, légales ou de fait) et leur condition sociale; les magistrats ou les
responsables chargés de les animer, de les encadrer, de les administrer; et
leur finalité, pour laquelle les auteurs modernes ont mis l'accent, tour à tour,
sur les buts culturels22, la formation militaire23, la constitution de milices
locales24, l'entraînement sportif25, la participation à des jeux et à des specta
cles 26, la célébration du culte impérial 27, l'accomplissement de rites religieux

«bellum aquileiense» (238 ap. J.-C), dans Historia, XIX, 1970, 2, p. 232-258; et surtout les
nombreux travaux de M. Jaczynowska, et notamment Collegia iuuenum; le rôle et l'activité
des associations de la jeunesse romaine au temps du Haut Empire (en polonais avec un résumé
en français), Torun, 1964 (avec un catalogue de 201 inscriptions); L'organisation des iuvenes à
Trebula Mutuesca, dans Eos, 57, 1967-1968, 2, p. 296-306; Les collegia iuuenum et leurs
liaisons avec les cultes religieux au temps du Haut Empire romain, dans Zeszyty Naukowe,
Nauki Humanistyczno-spoleczne Zeszyt 32, Historia IV, Torun, 1968. p. 23-42; L'organisation
intérieure des « collegia iuvenum » au temps du Haut-Empire romain, dans Gesellschaft und
Recht im griechisch-römischen Altertum, Teil 2, Berlin, 1969, p. 95-119; Les organisations des
iuvenes et l'aristocratie municipale au temps de l'Empire romain, dans Recherches sur les
structures sociales dans l'Antiquité classique, Paris, 1970, p. 265-274.
22 S. L. Mohler, The iuuenes and the Roman education, dans TPAPhA, LXVIII, 1937,
p. 442-479.
23 C. Jullian, s.v. Juvenes, Juventus, dans Diet, des Ant. (1900); M. Rostowzew, Pinnirapus
iuvenum, dans MDAI(R), XV, 1900, p. 223-228; M. Della Corte, Iuventus, Arpino, 1924, p. 11;
Id., La iuventus e l'organizzazione della gioventù, dans Atti del V Congr. Naz. di Studi Romani,
II, Rome, 1940, p. 350-356.
24 C. Jullian, art. cité, p. 784; M. Della Corte, Iuventus, op. cit., p. 16; L. Leschi, les
«Juvenes» de Saldae d'après une inscription métrique, dans Etudes d'épigraphie, d'archéologie
et d'histoire africaines, Paris, 1957, p. 349-360 (réimpr. de Rev. Ap.,. LXVIII, n. 333, 1927,
p. 393-419); G. Picard, Mactar, dans Bull. écon. et social de la Tunisie, n. 90, juillet 1954,
p. 18; Id., La civilisation de l'Afrique romaine, Paris, 1959, p. 36.
25 A. Galieti, Intorno al culto di «Iuno Sispita Mater Regina» in Lanuvium, dans BCAR,
XLIV, 1916, p. 9; L. Leschi, art. cité, p. 360; A. Marzullo, II «collegium juvenum» e le bene
merenze dei Tulli a Paestum, dans Atti del III Congr. Naz. di Studi Romani, Bologne, 1934,
p. 601; E. Magaldi, Lucania romana, I, Rome, 1948, p. 251-253; M. Jaczynowska, Collegia
iuvenum, op. cit., p. 87; H. W. Pleket, art. cité, p. 286 et 291.
26 L. Mariani, dans NSA, 1897, p. 419-420; C. Jullian, art. cité, p. 783; M. Rostowzew,
Römische Bleitesserae, Leipzig, 1905, p. 68-71; A. Galieti, art. cité, p. 9; G. Charles-Picard,
Civitas Mactaritana, op. cit., p. 79; M. Jaczynowska, ibid.
27 R. Egger, Eine Darstellung des Lusus Juvenalis, dans JÖAI, XVIII, 1915, p. 115-129;
G. C. Susini, Nuove prospettive storiche: a proposito di alcune scoperte romane in Emilia,
dans Atti del III Congr. Intern, di Epigr. greca e latina (Roma, 1957), Rome, 1959, p. 324.
670 JEAN-PAUL MOREL

ou funéraires28, l'influence politique29, les tâches civiles d'utilité publique


(annone30, cursus publicus51), toutes ces hypothèses pouvant du reste s'avé
rerexactes selon le cas considéré. Cette diversité, qui contraste avec la
tendance à la centralisation et à l'uniformisation de l'administration impériale,
ne s'explique peut-être que si ces collèges reflétaient des ascendances très
variées, que nous pouvons parfois entrevoir sans être sûrs de les interpréter
correctement. Il en est ainsi des groupements municipaux de jeunes en
Sabine, que semble impliquer, si controversée qu'en soit l'origine, la présence
parmi les octouiri de Trebula Mutuesca de deux magistri iuuentutis32, ou
des iouie des Tables Eugubines33, ou des classes d'âge des tribus celtes ou
ligures d'Italie du Nord 34, ou, enfin, de la vereiia osque 35: mais la nature de
cette dernière est elle-même ambiguë, puisqu'on y trouve, comme dans une
auberge espagnole, ce qu'on y apporte ou ce qu'on veut y voir - selon les
cas iuuentus, assemblée des uiri ou milice veillant sur les portes - et que
le rôle joué plus d'un siècle plus tard à Pompéi par des iuuenes mêlés, en
tant que tels, aux joutes électorales, peut résulter aussi bien d'une lointaine
filiation depuis la vereiia pompéienne que du hasard qui nous a conservé
ici graffiti et inscriptions peintes.

28 H. Demoulin, Les collegia juvenum dans l'Empire romain, dans Musée belge, I, 1897,
p. 114-136 et p. 200-217; C. Jullian, art. cité, p. 782; G.-Charles Picard, Civitas Mactaritana, op. cit.,
p. 133; H.W. Pieket, art. cité, p. 286.
29 M. Della Corte, Juventus, op. cit., p. 23-27; C. Nicolet, Appius Claudius et le double
Forum de Capoue, dans Latomus, XX, 1961, 4, p. 707.
30 G. Picard, Mactar, art. cité, p. 18; Id., Civitas Mactaritana, op. cit., p. 88 et 144.
31 H. G. Pflaum, essai sur le Cursus Publicus sous le Haut-Empire romain, dans Mémoires
présentés par divers savants à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de l'Institut de
France, t. XIV, lère partie, Paris, 1940, p. 214 sq.
32 Sur ce problème, cf. M. Torelli, Trebula Mutuesca. Iscrizioni corrette ed inedite, dans
Rend. Lincei, s. 8, XVIII, 1963, 3-4, p. 240-241; M. Jaczynowska, L'organisation des iuvenes à
Trebula Mutuesca, art. cité.
33 Cf. G. Devoto, Gli antichi Italici, 3e éd., Florence, 1967, p. 223.
34 Cf. A. Passerini, II territorio insubre nell'età romana, dans Storia di Milano, I, Le
origini e l'età romana, Milan, 1953, p. 166; E. Sereni, Comunità rurali nell'Italia antica, Rome,
1955, p. 210-214.
35 C'est ce que réaffirme en dernier lieu G. Devoto, Tre aspetti della romanità arcaica,
dans Riv. Stor. Italiana, LXXX, 1968, 3, p. 661-662, en insistant sur l'importance des classes
d'âge dans la tradition italique qu'il oppose sous ce rapport, de façon sans doute excessive,
à la «romanité», où l'aurait emporté, au lieu de «la distinction entre anciens et jeunes» mainte
nue chez les Italiques, «la lutte de classes entre patriciens et plébéiens».
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 671

II reste que ces collèges, dont la nature et les fonctions ont été si
ardemment débattues, semblent n'avoir joué dans le monde romain qu'un
rôle somme toute très secondaire. C'est à notre sens le type même de sujet
qui, compte tenu de son importance réelle, a excessivement détourné l'atten
tiondes historiens de Rome de recherches touchant à des aspects plus
fondamentaux.
Les principes iuuentutis poseraient des problèmes tout à fait analo
gues36. Là aussi, il s'agit d'une institution amplement attestée par la littéra
tureet par l'épigraphie d'époque impériale; là aussi, il s'agit d'un titre dont
la signification exacte, dont les conditions d'attribution, dont la date de créa
tion sont loin d'avoir été complètement élucidées; là aussi il s'agit d'une
fonction dont les racines plongent de toute évidence dans un passé très
lointain, où elle avait sans doute une autre nature, plus spontanée, et une
autre extension, puisqu'elle concernait non pas un individu, ou quelques
individus, mais tout un groupe prééminent au sein de la iuuentus. Cela, les
textes antiques nous le laissent entrevoir37; mais ils ne nous aident guère,
après avoir éveillé notre curiosité, à pousser l'enquête plus avant.
Le lusus troiae offre un autre exemple de coutume moribonde ressusci-
tée par un pouvoir fort. Ce très ancien et très mystérieux carrousel de la
jeunesse, derrière lequel on entrevoit des lointains d'un archaïsme et d'une
continuité passionnants, fut repris par Sylla38, puis par César39, puis par
Auguste40 pour la propagande de leur régime et l'exaltation de la race et

36 Voir notamment L. G. Koch, De principe iuventutis, Leipzig, 1883; L. Cesano, Di un


nuovo medaglione aureo di Costantino I e del «princeps iuventutis»: studio numismatico-
epigrafico, dans Rassegna Numismatica, Vili, 1911, 3-6, p. 32-92; J.P.D.V. Baldson, Gaius and
the Grand Cameo of Paris, dans JRS, XXVI, 1936, p. 152-160 (en particulier p. 155-157);
W. Beringer, s.o. Princeps juventutis, dans RE, XXII, 2 (1954), col. 2296-2311; et en dernier
lieu J. Gagé, Programme d' « italicité » et nostalgies d'hellénisme autour de Gallien et Salonine.
Quelques problèmes de «paideia» impériale au IIIe siècle, dans Aufstieg und Niedergang der
römischen Welt, II, 2, Berlin -New York, 1975, p. 828-852 et en particulier p. 844-847 (s'inspi-
rant, pour ce qui est du « charisme » apollinien dont se réclamait Volusien, de deux études de
J. Heurgon, Tarquitius Priscus et l'organisation de l'ordre des haruspices sous l'empereur
Claude, dans Latomus, XII, 1953, p. 402, et Traditions étrusco-italiques dans le monnayage de
Trébonien Galle, dans SE, XXIV, 1955-56, p. 91-105.
37 Voir, par exemple, Tite-Live, II, 12, 15: trecenti coniurauimus principes iuuentutis
Romanae . . .
38 Plutarque, Cato Minor, 3: on suppose généralement (mais sans indice probant) qu'il
s'agit d'une reprise d'une ancienne tradition par Sylla après une longue interruption.
39 Suétone, Diu. lui, XXXIX, 4.
40 Suétone, Aug., XLIII, 5.
672 JEAN-PAUL MOREL

notamment de sa jeunesse, mais de façon si artificielle, si peu « sentie »,


qu'Auguste devait y mettre fin, sur les réclamations des sénateurs, à la suite
d'un très banal accident - une jambe cassée - survenu à l'un des partici
pants41!
Les institutions que nous venons d'évoquer nous laissent en fin de
compte une double impression de fossilisation et de récupération:
- fossilisation, dans la mesure où, par un processus connu aussi en
Grèce42, on voit se restreindre à des groupes peu nombreux, voire, dans le
cas du princeps iuuentutis, à un individu parfois unique, des caractéristiques,
des obligations, ou des droits qui ont dû primitivement être le fait de toute
une classe d'âge, ou d'une partie notable de cette classe d'âge43; fossilisation
aussi quand ce qui primitivement allait de soi et naissait spontanément
fait désormais l'objet d'une création volontaire et d'une réglementation.
- récupération d'autre part, si l'on peut risquer ici ce terme moderne,
dans la mesure où ces institutions parfois maintenues artificiellement en vie
sont mobilisées au service d'une propagande44. Un exemple frappant de
cette utilisation idéologique et politique est offert par ce document eminent
de la propagande impériale qu'est le Grand Camée de France, si l'on accepte
d'y voir, avec Ludwig Curtius, Caligula en princeps iuuentutis, recevant un
casque après un lusus troiae, tandis que Tiberius Gemellus s'appuie sur des
armes de schola iuuentutis, le tout en présence de la déesse Juventas
accompagnée des divinités typiques de la jeunesse que sont Honos et

41 Sur le lusus troiae, voir surtout H. von Petrikovits, Troiae lusus, dans Klio, XXXII,
1939, p. 209-220; L. Herrmann, Remarques sur le ludus Troiae, dans RBPhH, XVIII, 1939,
2-3, p. 487-492 (qui insiste sur le caractère politique que ce «jeu» prit à partir de l'époque
de Sylla). Sur l'«étymologie complaisante» qui sous Auguste permit de conforter la légende
des origines troyennes de Rome, cf. J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, Paris,
1961, p. 249-251.
42 Voir par exemple H. Jeanmaire, Couroi et Courètes, Lille, 1939, p. 443: «il est probable
qu'[en Crète], comme à Athènes, les rites auxquels avait participé autrefois toute la jeunesse
s'étaient restreints au cercle de quelques familles».
43 Une étape intermédiaire semble être distinguée par P. Vidal-Naquet lorsqu'il évoque les
«sociétés secrètes», «petits groupes accomplissant une tâche d'intérêt public et pour lesquels un
degré particulier d'initiation est prévu » (Les jeunes: le cru, l'enfant grec et le cuit, dans Faire
de l'histoire, sous la direction de J. Le Goff et P. Nora, III, Paris, 1974, p. 155): on pense par
exemple, pour Rome, aux Luperques.
44 Voir notamment P. L. Lambrechts, Het begrip «jeugd» in de politieke en godsdienstige
hervormingen van Augustus, dans Ant Class., XVII, 1948, p. 355-371.
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 673

Virtus (cette dernière absente sur la gemme, mais restituée par Curtius sur
un original supposé) 45.
Exemple privilégié, mais non pas isolé. Ainsi, quelques décennies aupa
ravant, d'anciens compagnons de César, conduits par P. Sittius, avaient
fondé en Numidie la Colonia Iulia Iuuenalis Honoris et Virtutis Cirta,
dont le nom étonnant exaltait manifestement l'idéologie de la jeunesse,
particulièrement ancrée, semble-t-il, dans les milieux campaniens (ou, mieux,
pompéiens et nucériens) dont Sittius était originaire46. On peut observer ici
une étape intermédiaire du gauchissement progressif des institutions se
rapportant à la jeunesse, étape au cours de laquelle l'utilisation de symboles
de la classe d'âge des jeunes, idéologique déjà, mais encore relativement
spontanée, est encore le fait d'un groupe marginal47, et non pas déjà celui
du pouvoir central.
Tous les exemples invoqués invitent donc à chercher, derrière la façade
officielle et artificielle qu'à nos yeux présentent souvent ces institutions à
partir du dernier siècle de la République, les manifestations plus spontanées
de la jeunesse en tant que groupe d'âge, dans une Rome plus archaïque
ou, serait-on tenté de dire, plus primitive.

45 Cf. L. Curtius, Neue Erklärung des grossen Panser Carneo mit der Familie des Tiberius,
dans MDAI(R), XLIX, 1934, p. 119-156. D'autres interprétations sont proposées notamment
par J.P.V.D. Baldson, art. cité; et par J. Charbonneaux, Le Grand Camée de France, dans
Mélanges Charles Picard (= RA, 1948), p. 170-186, qui insiste beaucoup, lui aussi, sur les
éléments qui dans ce relief se rapportent à la jeunesse.
46 Cf. J. Heurgon, Les origines campaniennes de la confédération cirtéenne, dans Libyca,
V, 1957, 1, p. 7-24, et notamment p. 20: «...Iuuenalis, parce que Sittius avait donné à ses
bandes l'allure et les mots d'ordre de ces associations de iuuenes qui, avant d'être encouragées
à Rome par Auguste, étaient nées et s'étaient développées dans tout le monde osque, notamment
à Pompéi». A. Berthier, Colonia Cirta Sittianorum, dans Recueil de notices et mémoires...
de Constantine, LXX, 1957-1959, p. 91-118, préférerait attribuer cette fondation à Auguste
(l'idéologie serait alors la même, mais elle s'insérerait dans l'ensemble de la propagande augus-
téenne); les arguments développés par J. Heurgon à l'appui d'une fondation unitaire, et d'une
ascendance campanienne, des quatre colonies de la Confédération cirtéenne, nous paraissent
toutefois emporter l'adhésion. Voir aussi, à propos de cette «Nouvelle-Campanie», J. Heurgon,
La lettre de Cicéron à P. Sittius (Ad Fam., V, 17), dans Latomus, IX, 1950, p. 369-377 (p. 369).
47 Sinon même de marginaux: très significativement J. Heurgon décrit P. Sittius comme un
«fuoruscito» (Les origines campaniennes..., art. cité, p. 10). On se rappellera à ce sujet les
réflexions de G. Dumézil sur le mot sodalis « qui désigne le membre d'un petit groupe auto
nome contenu dans la société et qui parfois s'oppose à elle»: la sodalitas «ne s'ajuste pas
complètement à l'ensemble social » (Aspects de la fonction guerrière chez les Indo-Européens,
Paris, 1956, p. 13).
674 JEAN-PAUL MOREL

III - ASPECTS PRIMITIFS

Nous abordons ici un domaine où l'érudition moderne n'aime guère


s'aventurer trop avant, quand elle ne s'en écarte pas avec méfiance. La
désaffection pour ce type de recherches s'explique doublement:
- la première raison est une étrange indifférence de nos contempor
ains à cet égard dès lors qu'il s'agit de Rome: soit parce que l'on est obscu
rément convaincu que les Romains n'ont rien pu posséder en propre et qu'ils
n'ont fait, ici comme ailleurs, qu'emprunter à d'autres civilisations et notam
mentà la Grèce; soit parce que l'on est persuadé que Rome n'a jamais pu
présenter les traits d'une société primitive et que l'on préfère en retenir
les aspects formalistes, juridiques, « classiques ». Or, s'il importe de prêter atten
tion à certaines mises en garde contre les tentations du « primitivisme » ou
d'une « ethnologie sans histoire » 48, il serait également dommageable de s'en
tenir ici à une histoire sans ethnologie;
- l'autre raison tient au fait que les Romains qui, au fond, les siècles
s'écoulant, en sont venus à se faire d'eux-mêmes une idée assez analogue à
celle que nous en avons communément, se sont comme plu à brouiller les
pistes. G. Dumézil a montré, par exemple, qu'ont disparu du latin les noms
de la « fonction guerrière », du « héros fort », du « jeune homme excessif »,
et que cette langue a créé pour les notions militaires un vocabulaire nouveau,
impliquant la substitution d'un patriotisme unitaire et discipliné à la « moral
e de classe » du guerrier 49. Il est hors de doute que cette évolution du
vocabulaire est très significative. Mais cette morale de classe elle-même, le
furor, le goût de la uis, ont-ils disparu pour autant? N'ont-ils joué aucun
rôle dans l'histoire de Rome, dans la conscience romaine? On l'a parfois
prétendu; nous sommes quant à nous persuadé du contraire50.

48 Cf. J. Heurgon, La religion romaine archaïque, dans REL XLIV, 1966 (1967), p. 86-93
(sur les dangers du «primitivisme» impénitent, p. 87-88); P. Vidal-Naquet, Les jeunes: le cru...,
art. cité, p. 161-162.
49 G. Dumézil, Ner- et viro- dans les langues italiques, dans REL, XXXI, 1953 (1954),
p. 175-190.
50 A. Varagnac, Civilisation traditionnelle et genres de vie, Paris, 1948, p. 267, soutient
- non sans exagération - qu'avant l'invention du canon seules les armées romaines ont su
échapper à l'alternative action prodigieuse du héros-action massive des foules armées (mais le
livre I de Tite-Live, comme son livre VII, abondent en exemples d'« actions prodigieuses de
héros»). L. Gerschel, de son côté, oppose la «morale héroïque» du guerrier ou du champion
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 675

II faut toutefois reconnaître que les indices d'une Rome à classes d'âge
du type primitif sont épars et peu évidents, et qu'il est aisé de refuser d'en
tenir compte si l'on ne veut voir dans les Romains qu'un peuple de soldats
disciplinés, de politiciens formalistes ou retors et de juristes tatillons. Mais
ces indices s'éclairent s'ils sont examinés à la lumière combinée d'une analyse
interne poussée et d'un comparatisme diversifié.
Idée banale, certes. Mais sa mise en œuvre - et peut-être faut-il parler
ici de nouveauté - devrait être désormais singulièrement facilitée par l'appa
rition récente de nouvelles stimulations, grâce au développement des études
dans d'autres domaines favorisés à cet égard par l'abondance et le caractère
explicite des documents. L'historien de Rome, s'il s'intéresse à ces problèmes,
n'est plus réduit à chercher dans l'ethnologie - qu'elle considère les peuples
« primitifs » 51 ou les coutumes de nos sociétés « traditionnelles » 52 - des
parallèles qui risquent de lui être reprochés comme des amusements, ou de
le laisser sur sa faim, si éclairants, si légitimes qu'ils soient. Les idées, les
confirmations et les explications peuvent être puisées aussi:
- dans le monde grec, qui bénéficie à cet égard d'études bien plus
avancées que le mode romain. Si ce dernier a G. Dumézil et J. Gagé, il n'a
pas eu son Jeanmaire et son Brelich, son Forbes et son Pélékidis, son Vidal-
Naquet et son Détienne53;

indo-européen, en quelque façon du « chevalier -brigand » - celle d'un Coriolan - à « la morale


traditionnelle du Romain attaché à sa terre», du «soldat-laboureur» (Coriolan, dans Hommage à
Lucien Febvre, II, Paris, 1953, p. 40): mais, là encore, on objectera que la légende de Coriolan
(lequel, du reste, fait partie des primores iuuenum, Tite-Live, II, 35, 5) atteste précisément la
coexistence, et le conflit, des deux morales à Rome même.
51 Cf. F. R. Chaumartin, M. Chiappore et M. Woronoff, La pédagogie des langues anciennes
à Dakar, dans Actes du 6e Congrès de l'Association des Professeurs de Langues Anciennes
de l'Enseignement Supérieur, Rennes, 1973, p. 49-55: un «groupe de travail et de recherche
sur les structures comparées des sociétés africaine et grecque» a reconnu dans les classes d'âge
et les rites de passage le thème le plus fécond d'une étude comparative. Voir aussi infra, note 73.
52 Voir par exemple A. Van Gennep, Les rites de passage, Paris, 1909; Id., Quelques rites
de passage en Savoie, dans RHR, XXXI, 1910, p. 37-55; A. Varagnac, Civilisation traditionnelle...,
op. cit.; Id., L 'archéocivilisation. Notion et méthodes, dans Etudes archéologiques (P. Courbin,
éd.), Paris, 1963, p. 219-230; R. Christinger et W. Borgeaud, Mythologie de la Suisse ancienne,
2 vol., Genève, 1963-1965.
53 Outre diverses études mentionnées supra ou infra, nous pensons notamment à C. A.
Forbes, Neoi. A contribution to the study of Greek associations, Middletown, 1933; A. Brelich,
Paides e Parthenoi, Rome, 1961; C. Pélékidis, Histoire de l'éphébie attique des origines à 31
av. J.-C, Paris, 1962. - M. J.-P. Néraudau soutiendra prochainement une thèse sur la jeunesse
romaine.
676 JEAN-PAUL MOREL

- dans d'autres sociétés de l'Italie primitive - sabelliques, celtiques,


ligures ... - de mieux en mieux connues grâce aux progrès de l'archéologie,
de la linguistique et de l'histoire;
- dans le Moyen Age européen, à propos duquel les travaux de G. Duby
sur les structures familiales, ou sur les jeunes, ouvrent par exemple des
perspectives très enrichissantes54;
- dans la société contemporaine, enfin, dût-on s'exposer - surtout
depuis mai 1968 - au reproche de s'embarquer sur le dernier bateau. Déjà
le fascisme et le nazisme, et leurs adversaires, avaient vu le parti qu'ils
pouvaient tirer de l'histoire de notre temps pour éclairer et comprendre les
réalités romaines, et le cas échéant en recevoir en retour un semblant de
justification55. Et il est difficile de lire un journal, à notre époque, sans y
trouver quelque indication propre à nous faire réfléchir sur Rome: « contre-
culture », « groupes marginaux », « bandes de jeunes », « frustration », sont
des notions que l'on peut appliquer, souvent en les nuançant, parfois telles
quelles, à la jeunesse romaine. C'est précisément à propos du livre de Clara
Gallini sur « Protesta e integrazione nella Roma antica », livre qui fait la
part belle au problème de l'insertion des jeunes dans la société, que l'on a
récemment rappelé qu'il ne faut pas craindre en ce domaine de poser des
questions anachroniques, pourvu que les réponses ne le soient pas56.
Certes, comparaison ne doit être ni raison, ni assimilation. Mais les
rapprochements entre cultures diverses aident à tout le moins à mettre en
relief les particularités de Rome. Ainsi J. Heurgon a-t-il pu opposer « une

54 Voir par exemple G. Duby, Les «jeunes» dans la société aristocratique dans la France
du Nord-Ouest au XIV siècle, dans Annales ESC, 19, 1964, 5, p. 835-846, et Structures de
parenté et noblesse dans la France du Nord aux XIe et XIIe siècles, dans Miscellanea mediaevalia
in memoriam Jan Frederik Niermeyer, Groningue, 1967, p. 149-165 (ces articles sont l'un et
l'autre réédités dans le recueil Hommes et structures du moyen âge, Paris -La Haye, 1973,
p. 213-225 et 267-285). Voir aussi infra, p. 679.
55 Parallèles avec l'Italie fasciste, critique (L. R. Taylor, Seviri equitum Romanorum...,
art. cité) ou élogieux et généralement sans nuances (F. Ribezzo, Studi e scoperte di epigrafia
osco-lucana nell'ultimo decennio, dans Riv. Indo-Gr eco-Germanica, 8, 1924, p. 83 sq.; M. Della
Corte, Iuventus, op. cit., p. 11; Id., NSA, 1939, p. 262; S. Puglisi, Le associazioni giovanili
[= Civiltà Romana, 6], Rome, 1938). Parallèles avec l'Allemagne nazie: P. Wuilleumier, Tarente,
des origines à la conquête romaine, Paris, 1939, p. 184; A. Varagnac, Civilisation traditionnelle...,
op. cit., p. 317; J. Marabini, Les hommes du futur, Paris, 1965, p. 19-20.
56 W. Kula, Alcuni aspetti della collaborazione tra storici ed economisti, dans A. Caraccio-
lo, éd., Problemi storici dell'industrializzazione e dello sviluppo, Urbin, 1965, p. 52-53, cité par
M. Mazza dans son compte rendu de C. Gallini, Protesta e integrazione nella Roma antica,
op. cit., dans Ima, XXII, 1971, p. 179.
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 677

mystique du uer sacrum, au nom duquel les populations sabelliennes, et


osques en particulier, justifiaient traditionnellement leurs migrations et leurs
violences comme si c'était une offrande religieuse de leur jeunesse au dieu
Mars », à la « prudence de paysan conservateur et rebelle aux aventures »
qui avait pendant longtemps guidé le peuple romain 57. De même, la remarque
de M. Détienne selon laquelle, dans les sociétés grecques archaïques ou
archaïsantes, « l'assemblée de l'armée est le substitut permanent du peuple » 58,
amène à s'interroger sur Rome et à y reconnaître, tout bien pesé et quoi
qu'on en ait dit, une situation opposée. Sans vouloir revenir sur les conclu
sionsd'une étude antérieure59, nous souhaiterions, ici, souligner combien les
faits grecs, mieux explicités, plus propices à l'observation, font ressortir
- fût-ce a contrario - les traits de la société romaine. Admet-on, toujours
avec M. Détienne, que la voix au chapitre est « un des privilèges de l'homme
de guerre » dans cette Grèce archaïque où règne la « solidarité entre la
fonction guerrière et le droit de parole » 60? On n'en sera que plus sensible
à la distinction que les Latins ont pris soin d'établir entre la fonction militaire,
qui revient aux jeunes, et la fonction deliberative, qui est l'apanage des
seniores. Ovide et Florus opposent à cet égard arma (ou bella) et consilium 61,
aussi clairement que Tite-Live oppose manus et uox 62, voire, dans un contexte
différent, Horace bracchia et consilium 63. En Grèce, le couple parole-action
peut avoir été, dans certaines cités et à certaines époques, le propre de la
classe guerrière64. A Rome, l'action et la parole sont conçues, du moins

57 J. Heurgon, La guerre aux 4e-3e siècles et la «fides romana», dans Problèmes de la


guerre à Rome, sous la direction de J.-P. Brisson, Paris -La Haye, 1969, p. 23-32 (p. 26-27); sur
le ver sacrum, voir surtout J. Heurgon, Trois études sur le « Ver sacrum », Bruxelles, 1957.
58 Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, 1967, p. 92.
59 J.-P. Morel, «Pube praesenti in contiene, omni poplo» (Piaute, «Pseudolus», v. 126):
pubes et contio d'après Plaute et Tite-Live, dans REL XLII, 1964 (1965), p. 377-388.
60 M. Détienne, ibid.
61 Ovide, Fastes, V, 59-62: Martis opus iuuenes animosaque bella gerebant, / Et pro dis
aderant in statione suis; / Viribus Ma minor nec habendis utilis armis / Consilio patriae
saepe ferebat opem; Florus, I, 1: iuuentus diuisa per tribus in equis et in armis ad subita
belli excubaret; consilium rei publicae penes senes esset.
62 Tite-Live, III, 71, 8: Non potuisse se tarnen inducere in anìmum quin, quem agrum
miles pro parte uirili manu cepisset, eum senex quoque uoce, qua una posset, uindicaret.
63 Horace, Odes, III, 4, 41-50, avec l'opposition lene consilium-iuuentus horrida bracchiis
(et encore v. 65-70, où l'abus de la uis est symbolisé entre autres par un centimanus gigas).
64 Cette affirmation doit toutefois être atténuée à la lumière de textes comme les vers de
Pindare cités par Plutarque, Lycurgue, 21, 6: «Là se distinguent en leurs conseils les vieillards,
et sous leurs armes les jeunes gens»: "Evûa βουλαί γερόντων / Kai νέων ανδρών άριστεύουσιν
αίχμαί . . .
678 JEAN-PAUL MOREL

idéalement, comme le lot de deux classes d'âge différentes. On ne saurait


mieux symboliser, avec la tendance gérontocratique de Rome, l'importance
que revêtent dans cette société la notion de groupe d'âge et celle de fonction
propre à chaque âge.
Fonction politique, mais aussi fonction culturelle. Nous avons eu na
guère l'occasion de souligner quelle lumière, et quelle caution, recevaient
de l'observation des sociétés primitives ou pré-modernes, en Europe ou hors
d'Europe, les fameux textes de Tite-Live et de Valére Maxime relatant les
origines du théâtre romain: textes fort malmenés par les exégètes et dont
pourtant la vraisemblance et la cohérence sont, en ce qui concerne la nature
de la jeunesse et son rôle « ludique », culturel, voire cultuel, tout à fait
éclatantes65. Là aussi, nous nous bornerons à deux observations complé
mentaires suscitées par des faits plus proches de nous. Le comportement
de la iuuentus, tel que le décrivent ces récits, rappelle en effet cette con
tre-culture de plus en plus souvent évoquée à propos de la jeunesse de
notre époque: contre-culture qui se caractérise entre autres, pour reprendre
une de ses définitions, par « le débat entre Dionysos et Apollon, le refus
des valeurs techniques, l'attention portée à la qualité des relations interindi
viduelles » 66: ce sont là, mutatis mutandis, un conflit, un refus et un choix
que Tite-Live laisse transparaître clairement. Et par ailleurs, tout récemment, nous
avons eu la surprise de lire sous la plume d'un journaliste qui assurément
ne pensait pas à Tite-Live la meilleure illustration des problèmes posés par
le passage d'un théâtre d'amateurs à un théâtre de professionnels, tels que
les décrit le Padouan67!

65 J.-P. Morel, La « iuuentus » et les origines du théâtre romain, art. cité, p. 208-252.
66 Cf. F. Gaussen, La jeunesse est-elle la dernière chance de la société? dans Le Monde
du 26 mars 1971, citant notamment Th. Roszak, Vers une contre-culture, Paris, 1971 (traduction de
The making of a Counter Culture; reflections on the technocratie society and its youthful
opposition, Londres, 1970). Voir aussi le parallèle établi entre Rome et l'époque contemporaine,
en ce qui concerne entre autres la contre-culture, par M. Lancelot, Le jeune lion dort avec
ses dents, Paris, 1974, p. 119-128.
67 S. Piscitello, dans La Gazzetta del Mezzogiorno du 4 juillet 1975, à propos d'un spectac
le théâtral populaire traditionnellement donné par des amateurs à Sordevolo (Vercelli): «forse
occorrerebbe... dare al Teatro popolare di Sordevolo ed alla sua sacra rappresentazione una
struttura meno dilettantistica [lege hac fabularum a risu ac soluto ioco res auocabatur, dit
Tite-Live en VII, 2] ed una frequenza più riavvicinata [saepiusque usurpando] ... Il rischio
[pollui] di una simile decisione è però quello di far perdere a questa manifestazione il suo
carattere spontaneo e popolare e di « professionalizzare » attori e comparse che vivono, più
che recitare, la loro parte» [ludus in artem paulatim uerterat].
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 679

Convaincu qu'un recours moins timide au comparatisme éclairerait


maint aspect de la jeunesse romaine, nous emprunterons deux derniers
exemples à notre Moyen Age et à la Grèce archaïque.
G. Duby a montré que dans la société française des Xe-XIF siècles,
les iuuenes, voués à l'errance et entretenant souvent des relations d'hostilité
avec leur père, tendaient à s'agréger au lignage de leur mère et à nouer
des liens privilégiés avec leur oncle maternel68. Comment ne penserait-on
pas aux analyses conduites indépendamment et antérieurement par J. Gagé
- et qui ont suscité, il faut bien le dire, trop peu d'échos -, sur l'hostilité
qui dans la Rome archaïque opposa souvent pères et fils (hostilité symbol
iséepar l'attitude de Brutus et de Manlius Torquatus faisant mettre leurs
fils à mort), et surtout sur le rôle que dans cette société des oncles matern
els, des auunculi, ont sans doute joué dans l'encadrement de bandes de
jeunes ayant échappé à l'autorité paternelle69? On accordera aux sceptiques
qu'il s'agit d'un terrain semé d'embûches: mais pourquoi devrait-on négliger
des indices qui à Rome sont faibles et sporadiques, lorsque les documents
que nous ont transmis en abondance d'autres sociétés plus heureuses à cet
égard invitent à leur restituer, ne serait-ce qu'à titre d'hypothèse, force et
cohérence?
Ce rôle de révélateurs de faits romains devenus flous et evanescente,
nous l'attribuerons maintenant à un corpus de textes se rapportant à la
Grèce archaïque et classique, et qui a permis récemment à P. Vidal-Naquet
d'analyser le rôle des eschatiai, des zones marginales, dans l'éducation et
les fonctions de la jeunesse grecque 70. Dans des postes-frontières, oureia,
phrouria, les jeunes gens sont confinés pendant de longues périodes en un
isolement qui leur interdit d'être considérés comme des membres à part
entière de la cité. Nous avons été frappé d'emblée par les rapprochements
qu'il est aisé d'établir entre cette « sauvagerie provisoire du crypte » 71 et les
conditions de vie de la iuuentus romaine lors d'un épisode où son rôle est

68 Nous nous référons aux articles mentionnés supra, note 54, et surtout à une conférence
sur « Les structures familiales dans la société française aux Xe-XIF siècles » prononcée à l'Ecole
Française de Rome le 25 mars 1970.
69 Cf. J. Gagé, Les traditions des Papirii et quelques-unes des origines de V « equitatus »
romain et latin, dans Rev. Hist, de Droit Franc, et Etr., 4e s., XXXIII, 1955, 1, p. 20-50; Id.,
Matronalia, Bruxelles, 1963, p. 233-235 et 268-269.
70 Le chasseur noir et l'origine de l'éphébie attique, dans Annales ESC, XXIII, 1968, 5,
p. 947-964.
71 P. Vidal-Naquet, Les jeunes: le cru..., art. cité, p. 157.
680 JEAN-PAUL MOREL

eminent: le siège de Véies72. Nous avons alors examiné le récit livien à la


lumière, non plus seulement des remarques de P. Vidal-Naquet, ou de telle
autre recherche comparatiste où l'apport des sociétés traditionnelles actuel
lement observables s'avère particulièrement précieux73, mais aussi des textes
anciens qui nous décrivent la formation des jeunes gens dans diverses cités
grecques, et notamment la cryptie; et nous nous sommes aperçu qu'il n'était
guère de particularités du récit de Tite-Live - récit déconcertant à plus
d'un égard - auxquelles on ne pût trouver des répondants en Grèce, qu'il
s'agît de l'aspect formateur de cette épreuve d'endurance ou de l'éloignement
des affaires publiques, des hivers supportés ou de l'importance des frontières,
du rôle de Vapaté ou des travaux entrepris par la troupe, et de maintes
autres coïncidences dont l'énumération et l'analyse excéderaient le cadre de
ces remarques et exigeront un discours plus démonstratif. Coïncidences?
Voire . . . Tite-Live a-t-il recouru à des modèles grecs qu'il aurait transposés,
en Romain, sur le mode historique? Ne fait-il pas plutôt ici un « pèlerinage
aux sources » 74, avec cette intuition géniale qui le caractérise lorsqu'il réflé
chit aux aspects archaïques de la iuuentus?
Il est de fait que ce livre V de Tite-Live - « l'admirable livre V » 75 -
est avec le livre I et le livre VII celui où les fonctions et les valeurs de la
iuuentus sont le plus passionnément exaltées. On se rappelle le coup de
main par lequel un jeune Romain enlève le vieil haruspice étrusque
- praeualens iuuenis Romanus senem infirmum ad suos transtulit -,
symbole transparent, et dont l'évidence s'impose particulièrement chez
Tite-Live, de la force neuve de Rome terrassant d'antiques cités76; ou l'épi-

72 Tite-Live, V, 2-22.
73 Voir notamment M. Woronoff - F. Fouet, Parallélismes et convergences des structures
initiatiques dans les civilisations de l'Afrique noire et de la Grèce antique, dans Etudes afr
icaines (Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Dakar),
4, 1974, p. 19-43; Id., Préliminaires à une étude comparative des initiations (Documents péda
gogiques du Département de langues anciennes, Faculté des Lettres, Université de Dakar),
Dakar, 1975.
74 C'est ainsi que la tentative de Tite-Live est qualifiée par J. Heurgon, Entre la nostalgie
et l'espérance, dans Rome au temps d'Auguste, Paris, 1967, p. 163-189 (p. 172). Pour d'autres
réflexions de J. Heurgon sur la valeur des documents liviens, voir son Introduction à l'édition
de Tite-Live, I (collection Erasme), Paris, 1963, p. 4; son compte rendu de Matronalia de J. Gagé,
dans Gnomon, 1964, p. 284-286 (286); et Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux
guerres puniques, Paris, 1969, p. 381.
75 J. Heurgon, Entre la nostalgie et l'espérance..., art. cité, p. 172.
76 Tite-Live, V, 15, 7. Sur cet épisode, voir les remarques de J. Hubaux, Rome et Véies,
Paris, 1958, p. 189-190, qui établit en outre un parallèle entre l'opposition iuuenis Romanus-
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 681

sode final du siège de Véies, marqué par la licentia juvénile qui amène
un des jeunes Romains, delecti ex omni exercitu iuuenes, désignés pour
transférer à Rome la statue de Junon, à s'adresser à la déesse en des termes
d'une familiarité dont on ne sait si elle est irreverente ou sacrée: Tite-Live,
en tout cas, prend un malin plaisir à nous laisser le choix, ou se fait un
scrupule de trancher (seu spiritu diuino tactus, seu iuuenali ioco), car la
faveur divine pouvait faire des iuuenes, comme des pueri, à coup de plaisant
eriesou d'affirmations aussi innocentes que chargées de sens, des porteurs
à'omina 77. Mais c'est, au-delà du siège de Véies, tout le livre V qu'il faudrait
citer sous ce rapport, depuis la conduite exemplaire de Camille envers les
enfants confiés au maître d'école de Faléries 78 jusqu'au uer sacrum des
Bituriges sous la conduite des impigrì iuuenes Bellovèse et Ségovèse79 (le
projet plébéien d'essaimage à Véies n'est-il pas du reste conçu lui-même
comme un uer sacrum™?); depuis le choix que les Romains font du Sénat
et de la iuuentus militaris lorsqu'il s'agit de sauver l'essentiel à l'approche
des Gaulois81, jusqu'au tranquille héroïsme par lequel C. Fabius Dorsuo,
iuuenis Romanus, egregius adulescens, unit dans l'admiration de son geste
ses concitoyens et ses ennemis 82; il faudrait enfin citer l'apparition de
Juventas83 dans les dernières lignes d'un livre tout entier dominé par la
figure de ce Camille dont le cognomen est à lui seul tout un programme84.

senex infirmus et l'opposition noua urbs-veterrimi populi en V, 54, 5. De son côté, R. M. Ogilvie
observe: « other sources do not distinguish so dramatically the ages of the two characters »
(A commentary on Livy, Books 1-5, Oxford, 1965, p. 662).
77 Sur cet épisode (Tite-Live, V, 22, 4-5), cf. J. Gagé, Apollon romain, Paris, 1955, p. 187;
J.-P. Morel, La «iuuentus» et les origines du théâtre..., art. cité, p. 224-225.
78 Tite-Live, V, 27.
79 Tite-Live, V, 34.
80 Tite-Live, V, 24, 5-8. On y trouve, comme lors du récit de l'émigration gauloise, la notion
d'un trop-plein de population, très explicite ici (abundans multitudo, V, 34, 2; quod abundabant,
V, 34, 5), implicite là (ager Veientanus uberior ampliorque Romano agro); mais il y manque
l'idée d'une «mission sacrée», essentielle dans le uer sacrum (J. Heurgon, Trois études sur le
■ « Ver sacrum », op. cit., p. 5) et que Tite-Live ne manque pas d'évoquer dans le cas des Insubres:
Bellouesum ac Segouesum, sororis filios, impigros iuuenes, missurum se esse in quas dii
dédissent auguriis sedes. On notera, ici encore, une relation iuuenes-auunculus (voir supra, p. 679).
81 Tite-Live, V, 39, 9 et 12; 40, 1.
82 Tite-Live, V, 46, 1 et 52, 3.
83 Tite-Live, V, 54, 7.
84 Sur ce «surnom ominal», voir l'Appendice de l'édition du livre V par J. Bayet et G. Baillet,
dans la Collection des Universités de France, Paris, 1954, p. 143.
682 JEAN-PAUL MOREL

*
*

De ces considérations un peu pointillistes nous semble se dégager une


idée directrice qui rend compte aussi bien de l'existence de certains faits
que de leur caractère peu apparent. S'il est vrai que la plupart des sociétés
combinent en elles des types divers de stratification sociale85, ce phénomène
est à Rome porté à un degré extrême, puisque l'on voit s'y superposer et
s'y entrecroiser des plans de clivage particulièrement nombreux: gentilice,
familial, politique, juridique, économique, sans oublier la répartition par
sexes et par âges. Certes, d'autres types de division ont assez vite pris le
pas sur la division par classes d'âge, et en cela on s'explique par exemple
que H.-I. Marrou ait pu définir la famille comme le milieu naturel où se
formait le jeune Romain, beaucoup plus que le jeune Grec, dans l'éducation
duquel le club d'hommes aurait joué un rôle primordial 86. Mais en fait ces
autres types de division n'ont jamais totalement aboli à Rome - et c'est
particulièrement net sous la République - la division par classes d'âge, et
tous ses corollaires en ce qui concerne notamment les fonctions de la
jeunesse. Il reste que l'image traditionnelle du « Romain » a souvent empêché
les Modernes d'admettre ces états anciens, et leurs survivances.
A vrai dire, la coexistence de divers types de sériation sociale n'allait
pas sans poser des problèmes aux Romains eux-mêmes: d'où, sous l'Empire,
les contradictions des acteurs de l'Histoire, et les incompréhensions de ses
spectateurs 87. Mais on rencontre déjà ce type d'ambiguïté sous la République,
quand on voit par exemple tel magistrat prétexter une levée de troupes,
c'est-à-dire la ségrégation des jeunes en tant que classe d'âge, pour amputer
le corps civique d'un élément politiquement défavorable ou, ce qui est

85 Voir par exemple, pour certaines sociétés «primitives», G. Balandier, Anthropologie poli
tique, Paris, 1967, p. 70, 98-99, 111-112; pour les sociétés ligures antiques, E. Sereni, Comunità
rurali nell'Italia antica, op. cit., p. 214; pour la Grèce, H. Jeanmaire, La cryptie lacédémonienne,
dans REG, XXVI, 1913, p. 121-150; pour les sociétés médiévales, G. Duby, Leçon inaugurale au
Collège de France, Paris, 1971, p. 67-70 et 343-344.
86 Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, 6e édition, Paris, 1965, p. 67-70 et 343-344.
s7 Cf. J.-P. Morel, « Pantomimus allectus inter iuuenes», dans Hommages à Marcel Renard,
II, Bruxelles, 1969, p. 525-535.
SUR QUELQUES ASPECTS DE LA JEUNESSE À ROME 683

tout aussi significatif, les plébéiens se persuader qu'ils sont victimes d'une
machination de ce genre88.
Il ne faut donc pas s'étonner que la tradition romaine soit, sur les
problèmes de la jeunesse, peu sincère, peu lucide ou peu déchiffrable. C'est
pourquoi il faut beaucoup espérer du comparatisme pour assembler en un
tout cohérent les bribes d'information qui nous sont parvenues: car si Rome
nous renseigne relativement peu sur la jeunesse, ce que nous pouvons savoir
par ailleurs de la jeunesse doit en revanche nous aider à comprendre quel
ques aspects essentiels de la pensée, de l'histoire et de la société romaines.

88 Ainsi en Tite-Live, V, 2, 5; 11, 9; VI, 38, 8; 39, 7. On peut rappeler à ce sujet une réflexion
de J.-F. Revel dans sa critique de l'Anthropologie politique de G. Balandier (L'Express du 22-28
janvier 1968), selon laquelle les sociétés archaïques ont dû cacher déjà sous leurs structures appa
remment figées des formes « de manipulations, de triturations et de combinaisons qu'il faut bien se
résoudre à qualifier de politiques».
JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

L'EXPLOIT DE TITUS MANLIUS TORQUATUS


(TITE-LIVE, VII, 9, 6-10)
(RÉFLEXION SUR LA «IUUENTUS» ARCHAÏQUE CHEZ TITE-LIVE)

En 361 1, Titus Manlius gagna son surnom de Torquatus à l'issue d'un


combat singulier qui l'opposa, sur un pont de l'Anio, à un Gaulois qu'il
dépouilla, après l'avoir tué, de son collier (torques). Nous avons la chance
de pouvoir lire, grâce à Aulu-Gelle qui l'a conservé, le récit que fit de
l'événement Claudius Quadrigarius 2, et qui inspira directement Tite-Live3.
S'il est probable que ce dernier a utilisé d'autres sources, que nous ne
pouvons préciser4, du moins pouvons-nous juger du résultat, et, par l'étude
des différences entre les deux textes, comprendre quelle signification il a
voulu donner à son récit.
Tite-Live, lui-même, fait référence au récit de son prédécesseur5, et la
comparaison entre eux s'impose si naturellement qu'elle a déjà été faite et
commentée. Nous n'insisterons pas sur les résultats qu'elle a donnés6, et
nous la reprenons ici, car il nous semble qu'on n'a pas assez insisté sur
quelques détails ajoutés par Tite-Live à la description de Claudius Quadrig
arius, et qui nous semblent se justifier par une conception précise de la
iuuentus archaïque.

1 C'est la date de Tite-Live, mais Claudius Quadrigarius plaçait le combat au moins dix ans
plus tôt (Tite-Live, VI, 42, 5).
2 Aulu-Gelle, N.A. IX, 13; cf. Peter: Vet. hist. Rom. frag. Leipzig, 1870; 2e éd. 1906-1914,
fg. 10 b.
3 Tite-Live le mentionne et le résume (VI, 42, 5).
4 Peut-être Valerius Antias (cf. J. Bayet, Appendice 3, Tite-Live VII, col. Budé p. 104).
5 Cf. note 3.
6 Le thème du furor subit, chez Tite-Live, un traitement particulier: le héros romain par
vient à concilier l'ardeur guerrière et le respect de la discipline (cf. R. Bloch, Appendice 4,
Tite-Live VII, qui reprend l'exposé de G. Dumézil: Horace et les Curiaces, Paris, 1942, pp. 10-34
que celui-ci enrichira encore dans Heur et malheur du guerrier, Paris, 1969).
686 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

Alors qu'on pourrait penser que le progrès du genre historique à Rome


tendait vers plus de rationalisme, c'est, curieusement, le texte de Tite-Live
qui paraît, au premier abord, le plus épique. Il est vrai que le combat singul
ierest un morceau de bravoure de toute épopée7, mais Claudius Quadri-
garius l'a traité avec une sobriété qui en estompe les caractéristiques et qui
crée l'impression d'exceptionnel plus par ses réticences que par ses descript
ions.Il n'insiste pas, comme le fait Tite-Live, sur l'armure éclatante et
exotique du Gaulois, il suggère avec discrétion l'inégalité physique des
combattants, qui, clairement indiquée par Tite-Live, transforme le combat
en un affrontement quasi-mythique entre un Romain-David et un Gaulois-
Goliath. Claudius Quadrigarius, qui cherchait à « animer l'histoire, non à la
romancer » 8, parvient, par la concision de son style, par la lourdeur du
silence qui pèse sur son récit, à suggérer, sans la décrire, l'angoisse qui
entoure les deux champions. Sans doute est-ce une belle réussite et un
grand progrès sur le pittoresque abusif, parfois naïf, d'autres annalistes9.
Pour Tite-Live, l'ampleur des moyens qu'il met en œuvre a pour fin d'enri
chirle récit, mais aussi - et surtout - d'y introduire de grands thèmes qui
le font échapper à l'anecdote, lui donnent une orientation historique plus
vaste et l'intègrent à l'ensemble de son œuvre. C'est à la lumière de ces
remarques que nous allons réfléchir sur trois détails qui ne sont pas emprunt
és par Tite-Live à Claudius Quadrigarius.

Au défi lancé par le Gaulois à l'armée romaine 10, un grand silence


répond d'abord:
1 Claudius Quadrigarius 2 Tite-Live
Nemo audebat propter magnitudinem Diu inter primores iuuenum Roma-
atque immanitatem faciès. Deinde Gallus norum silentium fuit, cum et abnuere
inrìdere coepit atque linguam exertare. certamen uererentur et praecipuam sor-
Id subito perdolitum est cuidam Tito tem periculi petere nouent. Turn Titus
Manlio... Manlius...

7 Pour l'évolution des récits de bataille de l'épopée homérique à la tragédie grecque et à


l'histoire, cf. J. de Romilly: Histoire et raison chez Thucydide, ch. 2, pp. 107 sqq.
8 J. Bayet, Littérature latine, Paris 1934, rééd. col. U, 1965, p. 116.
9 Claudius Quadrigarius, qui écrivait à l'époque de Sylla, représente une tendance ratio
naliste de l'histoire, opposée à la tradition de Fabius Pictor (J. Bayet, ibid.).
10 Sobrement exprimé chez Claudius Quadrigarius, il prend, chez Tite-Live une allure
rhétorique (VII, 9, 8).
L'EXPLOIT DE TITUS MANLIUS TORQUATOS 687

La première différence est d'ordre psychologique. Dans le premier texte,


Titus Manlius se décide à relever le défi après la mimique du Gaulois qu'il
prend pour une moquerie outrageante n; il est soudain (subito) envahi
par la douleur, dans un état d'âme d'abord passif (perdolitum est). Dans le
second texte, le héros se décide après réflexion et son nom n'est plus exprimé
au datif, complément de l'impersonnel, mais au nominatif: il est sujet d'un
verbe actif. Mais la différence essentielle pour nous, c'est le développement
de nemo (1er texte) par inter primores iuuenum. Cette expression désigne
régulièrement chez Tite-Live les équités qui - à tort ou à raison 12 - lui
semblent représenter l'élite sociale de l'armée, l'expression la plus parfaite
de la valeur guerrière de Rome. Ainsi, pour s'en tenir au livre VII, lorsqu'après
l'ouverture, en plein forum, d'un gouffre que rien ne pouvait combler, les
dieux firent savoir qu'il fallait consacrer « ce qui faisait la principale force
du peuple romain ... si on voulait la perpétuité de l'Etat romain » 13, c'est
un chevalier, Marcus Curtius, iuuenis bello egregius, qui s'y précipita, à
cheval. Cette deuotio mit fin au prodige, ce qui montre que le jeune honne
correspondait parfaitement, lui un soldat et un cavalier, à la définition un peu
énigmatique des devins 14.
L'addition de Tite-Live vise donc à engager le récit dans une conception
sociologique de l'armée, qui le rattache à la réalité et participe à sa crédib
ilité. C'est un des aspects aussi du second détail que nous allons analyser.
L'impatience soudaine du héros de Claudius Quadrigarius est devenue chez
Tite-Live un acte contrôlé: Titus Manlius, avant de répondre au défi va
demander l'avis du dictateur. Quand Claudius Quadrigarius écrit:
cuidam Tito Manlio, summo genere gnato...

Tite-Live développe:

Turn Titus Manlius L. filius, qui patrem a uexatione tribunicia uindicauerat,


ex statione ad dictatorem pergit.
et prête au jeune homme un discours où sont exaltés les fastes de sa famille,
et au dictateur une réponse où est évoquée la pietas du futur héros. Tout

11 Cette mimique exprime la prise de possession du guerrier par le furor (cf. R. Bloch,
op. cit. p. 112).
12 Tite-Live assimile les équités aux patriciens; cette question oppose aujourd'hui A. Alföldi:
Procum patricium, in Historia, XVII, oct. 1968, qui défend l'assimilation, et A. Momigliano:
Procum patricium, in JRS, 1966, 56, pp. 16-24, qui la nie. Dans le même sens qu'A. Momigliano,
cf. A. Magdelain: Remarques sur la société romaine archaïque, in REL, XLIX; 1972, pp. 103-127.
13 Tite-Live, VII, 6, 2-3.
14 Id., VII, 6, 6.
688 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

se passe comme si Claudius Quadrigarius voulait, à la manière de Caton,


éviter de trop parler des individus et des gentes patriciennes, et feignait
d'ignorer la geste des Manlii 15. Tite-Live, au contraire, inclut le combat
singulier dans la carrière déjà connue de Titus Manlius, et, même, comme
nous allons le voir, dans sa carrière future. Sa pietas s'est manifestée dans
le livre VII 16 et lui a valu d'être élu tribun militaire; il était alors iuuenis. . .
et stolide ferox uiribus suis 17. Nous voici loin du cuidam Tito Manlio;
le personnage de Tite-Live est bien connu et son exploit guerrier se place
dans la continuité d'un autre épisode de sa vie.
Le thème, clairement développé, des rapports de la pietas, de la disci
plina et du furor, évoque irrésistiblement un autre épisode dont le même
Titus Manlius est un protagoniste: c'est, au livre VIII, la dramatique histoire
de son fils. Celui-ci, turmarum praefectus 18, servait sous les ordres de son
père, alors consul, dans une guerre contre les Latins. Malgré l'interdiction
faite par les consuls de combattre hors des rangs, le jeune Manlius ne résiste
pas au défi que lance à l'armée un cavalier tusculan: voici que recommence
l'histoire du père, mais le fils a la réaction que son père avait dans le récit
de Claudius Quadrigarius, « son sang ne fait qu'un tour » 19, il engage le
combat - à cheval - et tue l'audacieux. Cette concession au furor lui vaut
d'être condamné à mort par son père, et exécuté. Sa mort renforce la disci
pline mais suscite un réflexe de classe d'âge: la iuuentus se détourne de
Manlius Torquatus et ne lui pardonne pas sa sévérité20.
On retrouve dans cet épisode le rôle de la cavalerie qui délègue contre
un cavalier ennemi un de ses membres les plus représentatifs. On y voit
se manifester la cohésion d'une classe d'âge unie dans sa réprobation contre
un père trop intransigeant, qui, en même temps, est un consul trop sévère.
On peut développer cette réaction de la iuuentus de plusieurs manières
complémentaires: soit simplement, c'est le réflexe naturel de la jeunesse
contre l'autorité, soit plus abstraitement, c'est le refus de la disciplina par
des jeunes hommes habités par le furor, ou, en termes plus politiques, c'est
l'opposition à une conception du pouvoir dont le consul est le représentant.

15 Caton, ap. Pline, N.H. VIII, 5, II.


16 Tite-Live, VII, 4-5.
17 Id., VII, 4, 6.
18 Id., Vili, 7, 1.
19 Id., Vili, 8, 1: mouet ferocem animum iuuenis.
20 Id., VIII, 12, 1: Cui uenienti seniores tantum obuiam exisse constat, iuuentutem et tunc
et omni uita deinde auersatam eum exsecratamque.
L'EXPLOIT DE TITUS MANLIUS TORQUATOS 689

Cette interprétation politique est suggérée par Tite-Live qui met en


rapport la désobéissance du jeune Manlius avec celle de Q. Fabius21. Mais
ce dernier est magister equitum et c'est à Papirius Cursor, dictateur qu'il
désobéit en combattant, malgré les ordres qu'il avait reçus, tandis que son
supérieur était parti à Rome prendre les auspices22. Q. Fabius, ferox adu-
lescens23 gagne la bataille qu'il a engagée; mais le dictateur, furieux, veut
le châtier et invoque l'exemple récent des imperia Manliana24 et celui, plus
ancien, de Brutus, juge inflexible de ses fils25. L'analogie entre Q. Fabius
et Titus Manlius, le jeune, invite à supposer une opposition plus vaste qu'un
conflit de générations et plus précis qu'une rencontre entre deux entités
- la disciplina et le furor -, une opposition qui pourrait être une rivalité
sociologique entre la cavalerie et les pouvoirs de l'Etat26. Le refus d'une
certaine légitimité du pouvoir soude étroitement les jeunes hommes qui
semblent liés par des pratiques de compagnonnage27.
Nous allons pouvoir préciser les liens qui unissent les iuuenes en
commentant une troisième addition de Tite-Live au récit de Claudius Quadrig
arius. C'est à la fin du combat; le vainqueur se pare du collier de son
adversaire 28:

1 Claudius Quadrigarius 2 Tite-Live


Quo ex facto ipse posterique eius Inter carmina prope modo incondita
Torquati cognominati. quaedam militanter ioculantes, Torquati
cognomen auditum...

Le sens de cet apport est de tous le plus clair et le plus significatif du


travail et des intentions de Tite-Live. On y retrouve les mêmes mots, qui,

21 Tite-Live, VIII, 30, 3-35, 8.


22 Id., VIII, 30, 2.
23 Id., Vili, 30, 4.
24 Id., VIII, 34, 2.
25 Id., Vili, 34, 3, rappel du livre II, 3-5, sp. 5, 6.
26 Cette rivalité a été étudiée par V. Basanoff: Le conflit entre pater et eques chez Tite-Live,
in Annuaire de l'Ecole pratique des H.E.; section des sciences religieuses, 1947-48, pp. 3 sqq.
27 C'est peut-être le sens d'un détail qu'ajoute Tite-Live au texte de Claudius Quadrigarius:
juste avant le récit du combat: armant inde aequales iuuenem. Les fils de Brutus sont aequales
sodalesque adulescentium Tarquiniorum (II, 3, 2).
28 Le héros de Claudius Quadrigarius coupe la tête de son adversaire (geste ressortissant
au furor), celui de Tite-Live n'inflige aucun outrage au Gaulois tué.
690 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

au début du livre VII, dans l'excursus consacré à l'histoire de théâtre romain,


définissent la réaction de la iuuentus au spectacle que donnaient des
histrions étrusques appelés pour conjurer une épidémie29:

imitari deinde eos iuuentus, simul inconditis inter se iocularia fundentes


uersibus coepere30.

C'est une première forme de jeu théâtral; le vocabulaire le met en rapport


avec l'attribution de surnoms, glorieux ou ridicules31, que se permet la
jeunesse. On pense aussi aux plaisanteries que les soldats risquent, en toute
impunité, sur le parcours des triomphateurs32, dans un brouhaha joyeux
comme celui qui entoure la victoire de Titus Manlius33. Il y a une cohé
rence manifeste dans le rôle de la jeunesse qui est chargée de parodier le
réel par le théâtre ou le rire et de le soustraire ainsi aux influences malé
fiques qui guettent le vainqueur ou le triomphateur. Là, Tite-Live ne fait
que corroborer un fait qui est une réalité historique34.
Tite-Live n'est ni le seul, ni même le premier35, à avoir signalé la pré
sence dans le monde archaïque d'une classe d'âge, que nous saisissons ici
dans ses activités militaires mais dont il a analysé souvent le comportement

29 Tite-Live, VII, 2.
30 Id., VII, 2, 5.
31 L'attitude de la jeunesse se retrouve dans deux passages de Plaute:
Captiui, 69-70: Iuuentus nomen indidit scorto mihi eo quia inuocatus soleo
esse in conuiuiis.
Menaechmi, 76-77: Iuuentus nomen fecit Peniculo mihi ideo quia mensam, quando
edo, detergeo.
Cf. J.-P. Cèbe, La caricature et la parodie dans le monde romain antique des origines à
Juvénal, Paris, 1966, et J.-P. Morel: La iuuentus et les origines du théâtre romain, in REL,
XLVII, 1970, pp. 208-252, sp. p. 232.
32 Cf. M. Schanz: Geschichte der römischen Litteratur, I3, Munich, 1907, p. 23.
33 Le surnom de Torquatus est entendu parmi les chants divers.
34 La fonction du rire est bien connue dans le rite des Luperques, qui, au début de la
fête, sont tenus d'éclater de rire après avoir été souillés du sang sacrificiel puis purifiés
(Plutarque, Rom. 21); cf. J.-P. Cèbe, op. cit. p. 19.
35 Varron, pour interpréter le vieux proverbe sexagenarii de ponte in Tiberim deicere,
expliquait que les iuniores refusaient de laisser voter aux comices les vieillards qui ne participaient
plus à la guerre (Varron, de Vita populi Romani, ap. Nonius, p. 523). Cette explication, dans
le détail est erronée (il n'y a aucun rapport entre le Tibre et les ponts des suffrages), mais elle
postule l'existence d'une classe d'âge imbue de ses privilèges et prête à les défendre par la
violence.
L'EXPLOIT DE TITUS MANLIUS TORQUATOS 691

politique36. Virgile, qui, dans les Géorgiques, décrit les jeux de la pubes37,
présente dans l'Enéide un type de société bien proche de celle que nous
voyons décrite par Tite-Live38. En face de Titus Manlius, de son fils, de
Q. Fabius et de tous les autres iuuenes qui s'illustrent dans l'œuvre livienne,
VEnéide nous offre Turnus, Pallas, Nisus et Euryale et Ascagne 39. L'histoire
et l'épopée ont depuis leurs origines des rapports assez étroits - et toujours
affirmés40 - pour que nous ne nous étonnions pas que se rencontrent
Virgile et Tite-Live. »

La question essentielle qui se pose est évidemment celle-ci: quelles


traces d'une vérité historique peuvent subsister en filigrane dans des récits
dont la mise en forme littéraire est manifeste? Question trop vaste pour
que nous puissions y répondre ici41. Nous souhaitons seulement amener le
lecteur à juger plausible la conception de Tite-Live en admettant que le
travail littéraire n'est pas une fin en soi mais une manière de servir l'histoire.
« L'économie du livre VII », écrit J. Bayet, « laisse à désirer. Sur vingt-
cinq ans d'histoire, vingt-trois ne couvrent que les deux tiers du récit ...»
et il incrimine le manque de réflexion historique sur bien des événements
politiques et militaires42. Ces reproches sont sans doute fondés, mais il faut

36 Cf. en particulier, III, 11, 6, l'histoire de Kaeso Quinctius et de ses compagnons (sodales)
au moment des troubles causés par la rogatio Terentilia.
37 Virgile, Géorg. I, 343 sqq et II, 385 sqq, sp. 386: uersibus incomptis ludunt risuque
soluto, qui rejoint tout à fait les remarques de Tite-Live.
38 Virgile, Enéide, VIII, 102 sqq, sp. 105: Una omnes ìuuenum primi pauperque senatus,
où la cité d'Evandre est organisée en deux classes d'âge.
39 Le dialogue entre le furor et la disciplina se retrouve dans l'épisode de Nisus et
Euryale (IX, 176 sqq) perdus par leur ardeur dévastatrice et vaine, dans le personnage de
Turnus, héros du furor, iuuenis par excellence; le thème de la pietas éclaire les relations
d'Evandre avec son père, puis avec Enée, celles d'Ascagne avec son père, lui-même lié à Anchise
par une profonde déférence, celles aussi de Turnus avec son père (cf. XII, 932-933).
40 Quintilien définit l'histoire comme un poème en prose (Inst. orat. X, 1, 31).
41 La question a été abordée par J.-P. Morel, La iuuentus... et Pube praesenti in con-
tione, otnni poplo, in REL, XLII, 1965, pp. 381 sqq; nous lui avons consacré dans notre thèse
intitulée: La jeunesse dans la littérature et les institutions de la Rome républicaine une part
importante.
42 J. Bayet, Appendice, Tite-Live VII, p. 79.
692 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

noter qu'il y a dans ce livre au moins un thème qui, par ses retours, lui
donne une manière d'unité, c'est précisément le thème de la jeunesse.
Annoncé au livre VI par la critique de Claudius Quadrigarius 43, et continué
au livre VIII par la suite de l'histoire de Titus Manlius, il sert d'ouverture
au livre VII, réapparaît lié à de jeunes héros Marcus Curtius, Titus Manlius,
dont l'exemple inspire le combat de Valerius Corvus44; celui-ci, élu consul
à vingt-trois ans 45, achève presque le livre par un long discours 46 qui réintro
duit le thème. «
Cette présence de la jeunesse s'explique par les relations diverses de
Rome avec d'autres peuples; dans le livre VII, des histrions étrusques vien
nent à Rome et provoquent une réaction de la iuuentus; ensuite l'arrivée
des Gaulois suscite des héroïsmes et le retour à des pratiques guerrières
fondées sur le furor et la magie. Déjà au livre V le rôle de la jeunesse
s'était accru au cours de la guerre contre Véies - ce sont des iuuenes
romains qui emportent à Rome la statue de Junon47 -, et lors de la prise
de Rome par les Gaulois: la ville se reforme dans la citadelle sur une structure
en classes d'âge48 et admire l'héroïsme de C. Fabius, iuuenis Romanus49.
La seconde guerre punique suscitera encore dans l'œuvre de Tite-Live de
grands moments consacrés à l'exaltation de la jeunesse50. Ainsi Tite-Live
suggère que l'influence des peuples étrangers suscite de la part de la jeunesse
des réactions d'imitation ou de refus qui renforcent sa cohésion et son
originalité 51.
Le passage du furor, en particulier, éveille celui qui sommeille en tout
guerrier, fût-il Romain. Virgile l'avait magnifiquement suggéré dans la dernière
scène de YEnéide quand Enée renonce à épargner Turnus et sacrifie, lui
aussi, à la fureur52; et, Salluste aussi l'avait dit en montrant à la fin de la

43 Tite-Live, VI, 42, 5.


44 Tite-Live, VII, 26: récit symétrique du combat de Manlius Torquatus, mais avec le
thème du prodige qui vient au secours du héros.
45 Tite-Live, VII, 40, 8.
46 Id., VII, 40.
47 Id., V, 22, 4-7.
48 Id., V, 39, 9: Nam, cum defendi urbem posse tarn parua relieta manu spes nulla esset,
placuit cum coniugibus ac liberis iuuentutem militarem senatusque robur in arcem Capito-
liumque concedere...
49 Tite-Live, V, 46, 1.
50 La jeunesse sera incarnée par Scipion l'Africain, cf. XXVI, 16; XXVIII, 40-45.
51 Le problème de la jeunesse guerrière est de se mettre à l'unisson des pratiques magiques
des adversaires.
52 Enéide, XII, 939 sqq.
L'EXPLOIT DE TITUS MANLIUS TORQUATUS 693

Conjuration de Catilina les vainqueurs souillés par la violence guerrière53.


Chez Tite-Live l'idée s'exprime de façon optimiste ou pessimiste, selon les
récits54, mais c'est toujours la même idée. Elle devient un commentaire
historique quand elle est accompagnée de notations exactes sur la nature
de la iuuentus, classe guerrière, dotée de la difficile mission d'assumer les
nécessités de la violence, et de la fonction, plus religieuse, d'assurer la
pérennité de la société par la conjuration des forces maléfiques du monde 55.
La cohérence des textes où Tite-Live définit cette classe d'âge, leur accord
avec le portrait que tracent d'elle d'autres auteurs, la justesse, rapidement
verifiable, de quelques indications qu'ils donnent, tout nous invite à les traiter
en documents historiques.
Il faut naturellement, pour parvenir au fait brut, dépouiller les textes
des multiples apports qui leur donnent leur forme définitive. Mais une fois
ce travail accompli, nous trouvons un fait simple - ici l'existence d'une
classe de jeunes gens dans la société archaïque - qui n'a rien de scandaleux
ni de fantaisiste. Nous savons, en effet, que Sparte et Athènes, pour la
Grèce 56, que les Osques et d'autres peuples italiens 57 ont connu des classes
d'âge. Rome eut très tôt des relations avec la Grèce58; ses rencontres avec
les peuples d'Italie furent diverses et incessantes59. Nous ne pensons pas
que l'exemple des autres peuples ait suscité la création d'une structure
fondée sur les classes d'âge, car la plupart des sociétés archaïques pratiquent
ce système, mais il a pu - c'est ce que Tite-Live laisse entendre - influencer
l'attitude de la jeunesse, la raidir, par exemple, dans ses attitudes, et amener
le pouvoir politique à prendre à son égard des positions diverses. Il n'y a
rien là que de très plausible et de très vraisemblable.

53 Conjuration de Catilina, LXI, 8; sur le rapprochement avec le dénouement de l'Enéide,


cf. W. Kühn: Götterszenen bei Vergil, Heidelberg, 1971, p. 167.
54 D'une façon générale, le furor est châtié (comme le sont, chez Virgile, Nisus et Euryale),
mais Q. Fabius est finalement épargné; Tite-Live, pour exprimer cette infraction à l'habitude,
recourt aux thèmes de l'indulgence que méritent la jeunesse et ses faiblesses.
55 C'est la fonction des Luperques, celle du théâtre à ses origines (il est introduit à Rome
au cours d'une épidémie), celle, aussi, du rire.
56 Pour Sparte, cf. surtout H. Jeanmaire: Couroi et courètes, Lille, 1939; pour Athènes,
cf. C. Pélékidis: L'histoire de l'éphébie attique des origines à 31 av. J.-C. Paris, 1962.
57 La vereiia osque est la mieux connue des classes de jeunes gens dans l'Italie pré-romaine
(cf. M. Della Corte: Iuuentus, Arpinum, 1924), mais on a des indices de structure analogue chez
d'autres peuples (cf. E. Sereni: Communità rurali nell'Italia antica, Rome, 1955).
58 Cf. D. Van Berchem: Rome et le monde grec au VIe siècle avant notre ère, in Mél.
Piganiol, Paris, 1966, II, pp. 739-748.
59 On a pu parler d'une koinè institutionnelle en Italie (cf. S. Mazzarino: Dalla monarchia
allo stato repubblicano, Catane, 1946, pp. 5 sqq; 10; 69; 76; 85 et passim).
694 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

*
*

C'est au service d'une histoire sociologique de l'époque archaïque que


Tite-Live a mis en œuvre, dans ses premiers livres, les multiples ressources
de son art. Nous venons de constater l'étonnante cristallisation d'éléments
divers sur un récit légué par la tradition sous une forme dépouillée60. Le
récit, impressionnant chez Claudius Quadrigarius à force de brièveté, devient,
chez Tite-Live, une page vivante d'histoire où se mêlent le présent et le
passé - mais l'historien n'est-il pas le maître du temps que domine son
regard? -, la narration et le commentaire, où les personnages ne sont pas
seulement des noms mais des caractères, à la fois stylisés et réalistes. La
part de Tite-Live dans cette métamorphose fut sans doute essentielle. Ce
qui, de toutes façons, doit lui revenir, c'est l'économie interne de son œuvre,
c'est la composition qui domine les contraintes de la présentation annalistique
et la monotonie qui pourrait en résulter61. Le thème de la jeunesse nous
est apparu à plusieurs reprises, traité par un jeu subtil de correspondances,
d'une manière à la fois toujours semblable et différente, sur des tonalités
variées. Cette diversité acquiert son unité une fois qu'ont été rapprochés
les récits consacrés à des iuuenes. L'œuvre de Tite-Live - et même la pre
mière décade - fera toujours mentir le personnage morose d'Anatole France,
Monsieur Bergeret, maître de conférences à l'Université et spécialiste de
latin, qui disait, en réponse à des commentaires qu'on lui faisait sur elle:
«Ce n'est pas la première fois que le commentaire des Décades vaut mieux
que le texte»62.

60 Tite-Live a fait appel à toutes les ressources de la rhétorique et aux événements de


l'histoire contemporaine (les rapports entre l'ordre équestre et le patriciat sont sans doute
une modernisation fautive des faits archaïques). Cependant, il est invraisemblable que sa con
ception de la iuuentus doive tout à la réorganisation par Auguste de la iuuentus Romana.
Tout s'oppose à cette supposition: la présence d'une classe de jeunes hommes dans les sociétés
antiques, les détails archaïques authentiques que donne Tite-Live (rôle en particulier de la
jeunesse dans la mystique de la durée romaine), enfin la volonté affirmée par Auguste de
retrouver le passé et non d'innover (Res Gestae, 8, 5).
61 Au temps de Cicéron, aucun historien ne semble avoir réussi à créer une œuvre digne
d'admiration (cf. De legibus, 1, 2-3); le premier historien digne de ce nom, Salluste, s'est dégagé
de la tradition annalistique; Tite-Live, qui y revient, doit avoir inventé sa méthode de composition
thématique.
62 Anatole France, Le mannequin d'osier (volume 2 de l'Histoire contemporaine, Livre de
poche, p. 24).
CLAUDE NICOLET

TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE

La publication récente d'une série de papyrus d'Oxyrhynchos * relatifs


aux distributions fumentaires à la fin du IIIe s. apr. J.-C, oblige à rouvrir le
dossier difficile des « tessères » utilisées à cette occasion. La question, comme
on sait, avait été longuement étudiée par M. Rostovtzeff à l'extrême fin du
siècle dernier2, lorsqu'il publiait ces petits documents qu'il appelait, à tort
sans doute, des « tessères » de plomb, et dont une importante série avait bien
évidemment un lien, par les représentations et les inscriptions qu'elles por
taient, avec les distributions furmentaires 3. Les conclusions de Rostovtzeff
avaient été mises en doute par D. Van Berchem, d'abord dans un article de

1 J. R. Rea, The Oxyrhynchos Papyri, vol. XL, 1972, avec en particulier une très utile
introduction, p. 1-15. Il s'agit de cinquante documents, datés de 269 à 272, provenant sans
doute des archives de l'administration locale des distributions. Trente et un de ces documents
sont des actes de candidature de la part, en général, de jeunes gens ayant les qualifications
nécessaires et qui postulent la place laissée vacante par un mort. Les « tessere » (τάβλαι) sont
mentionnées dans le n° 2924. Cf. le c.r. de D. Van Berchem, JRS 1974, 243.
2 Cf. successivement: M. Rostovtzeff, Etude sur les plombs antiques, dans Rev. Num. 1897,
462; 1898, 77; cf. surtout 256-271; M. Rostovtzeff et M. Prou, Catal. des plombs de l'Ant., du
M. A , conservés au Ct des Méd. de la B.N., Paris 1900; M. Rostovtzeff, Tesserarum urbis
Romae et suburbi plumbearum Sylloge, St. Petersbourg, 1903; et Römische Bleitesserae, ein
Beitrag zur Sozial-und Wirtschaftsgeschichte der röm. Kaiserzeit, dans Klio, Beihefte 3, 1905, p. 1-131,
spec. p. 10-22; du même, art. Frumentum, dans RE (1910), col. 126-187.
3 Les tessères dont le type ou la devise ont trait aux frumentations sont les nos 336 à 512
de la Sylloge, p. 45-62. La plus typique est sans doute le n° 336 (au Musée des Thermes) qui
porte au droit la légende DELIBIFOR/IV, et au revers MINVCIA, ce que Rostovtzeff interprète:
d(i)e lib(eralitatis) I, for(o) IV, où forum équivaudrait à ostium, mot qui, dans les inscriptions
de Rome et dans le Chronographe de 354 (p. 144, éd. Mommsen, dans les MGH IX) désigne
les 45 guichets de la Porticus Minucia Frumentaria. Mais on n'a pas de parallèle pour cette
interprétation. Ne pourrait-on lire sur le tout petit document Por(ticus) / Minucia? Une remarque
sur la forme Minucia: elle prouve que la tessere est de haute époque: les inscriptions (ainsi
696 CLAUDE NICOLET

la Revue Numismatique en 1936, ensuite dans sa Thèse en 1939 4. Il se


refusait à voir dans des petits objets de plomb, par définition fragiles et
faciles à contrefaire, de véritables bons, même valables pour une seule distr
ibution, et proposait d'y reconnaître des jetons de compte ou calculi, souvent
d'origine privée. Malgré ces réserves, il n'en maintenait pas moins l'essentiel
de la théorie de Rostovtzeff; sous l'Empire, les citoyens de la plèbe frumen-
taire auraient disposé en fait de deux sortes de « tessères »: l'une nominale
et permanente, qui témoignait de leur droit viager aux distributions, et qui
d'ailleurs était le seule à mériter vraiment le nom de « tessere », puisqu'il
s'agissait d'un document assez important, en forme de tablette, sans doute
en bois. L'autre, sur laquelle D. Van Berchem ne se prononce pas nette
ment, devait être en effet un « jeton », mais non pas en plomb, que l'intéressé
échangeait, au guichet du Portique de Minucius, contre les cinq modii
mensuels 5.
Je voudrais ici examiner brièvement à nouveau certains aspects de ce
problème, en versant au débat un témoignage parallèle d'époque républicaine
et quelques documents figurés qu'on n'a sans doute pas regardés d'assez près.
La difficulté fondamentale provient du fait suivant: les témoignages
textuels qui nous renseignent sur les tessères frumentaires (à partir d'Auguste
seulement) ne précisent pas la nature de ces objets, qui allait de soi pour
les contemporains. Mais des textes juridiques cités au Digeste, ainsi qu'un
texte de Juvénal, font intervenir la tessere frumentaire (ou, comme on verra,

que tout récemment le Plan de Marbre sévérien) montrent qu'au IIe et au IIIe s., on dit Minicia.
Le n° 337: au droit MINVCIAF^ au revers une statue d'Hercule (cf. SHA, Vita Comm. 16: Herculis
signum aeneum sudavit in Minucia per plures dies). Voir aussi n° 338 (N. MOD. I / AA.P.P.);
341: M(odius) f/ru(menti).
4 D. Van Berchem, Tessères ou Calculi? Rev. Numism., 1936 p. 297; du même, Les distr
ibutions de blé et d'argent à la plèbe romaine sous l'Empire, Genève, 1939; la question est
reprise assez longuement, avec une copieuse bibliographie par F. Fabbrini, Tesserae Frumentariae,
dans NDI, 1973, 266-273, qui me dispense de citer les travauz antérieurs. [Je n'ai pu prendre
connaissance à temps de la grosse étude de J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires dans
les cités de l'Empire romain tardif, dans MEFRA, 1975, 2, 995-1101].
5 La théorie des «doubles tessères», introduite par Rostovtzeff, est admise généralement,
par ex. par G. Cardinali, Frumentatio, dans Diz. Ep., III (1922), p. 10 et suiv. Sur les procédures
de la distribution, en particulier les listes de noms « gravés » (incisi) au Portique de Minucius,
cf. CIL VI 220 (ILS, 2163) concernant les Vigiles: ii qui frument(o) publ(ico) incisi sunt,
etc. . . Sur l'emplacement des deux porticus Minucia (la vêtus et la frumentaria) , voir désormais
.

F. Coarelli, L'identificazione dell'area sacra di Largo Argentina, Palatino, 1968, 365-373, et


C. Nicolet, Le temple des Nymphes et les distributions frumentaires à Rome à l'époque
républicaine d'après des découvertes récentes, dans CRAI, 1976, p. 29-51.
TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 697

quelque chose qui en est très proche) dans des causes testamentaires, de
telle sorte qu'on a bien l'impression qu'un tel document, même s'il était
nominal, pouvait être acquis et légué par testament. Ce qui lui donne bien
évidemment une physionomie particulière, assez proche, en réalité, d'un titre
de rente perpétuel ou du moins viager. Le dossier est assez mince, voyons
ces textes.
La plus ancienne mention de la tessere se rencontre dans Suétone, à
propos d'Auguste. L'expression revient deux fois :
Populi recensititi vicatim egit, ac ne plebs frumentationum causa
frequentius ab negotiis auocaretur, ter in annum quaternum mensuum
tesseras dare destinavit; sed desideranti consuetudinem veterem concessit
rursus, ut sui cuiusque mensis acciperet (Div. Aug. 40, 3)6.

Si l'on prend ce texte à la lettre, il paraît bien que les tessères étaient
distribuées pour chaque frumentation, c'est-à-dire une fois par mois habi
tuellement, et qu'Auguste tenta un moment d'introduire des « tessères valables
pour (des rations de) quatre mois ». Il n'y a pas de raison de confondre ce
renseignement avec celui que donne Dion pour l'année 28 av. J.-C: και τω
πλήΟει τεραπλάσιον τον σΐτον ενειμε 7, qui marque sans doute un quadruplement
exceptionnel, cette année là, de la quantité distribuée.
Autre mention des tessères - beaucoup plus délicate - dans le chapitre
consacré par Suétone aux libéralités d'Auguste 8:
Frumentum quoque in annonae difficultatibus saepe levissime, interdum
nullo pretio uiritim admensus est, tesserasque nummarias duplicavit
{Div. Aug. 41,5).

La phrase de Suétone, très dense, fait allusion à des faits différents.


D'une part de nombreuses distributions aux frais du Prince, donc supplé
mentaires par rapport à celles qui dérivaient de la loi, à prix réduit. D'autre
part, « quelquefois » (interdum), des distributions gratuites toujours supplé-

6 Sur le sens exact de recensus (cf. aussi Suétone, Div. Jul., 41,5) et de recensio (ibidem,
ainsi que Cic, Pro Milone, 73), cf. notre communication citée note 5. Il s'agit de la révision
des listes frumentaires, non du recensement complet. La première eut lieu en 57/56 à l'inst
igation de Pompée (Dion 39,24, I, parle d'une απογραφή, qui veut dire exactement professio;
le résultat est le même); la seconde en 46, sur l'ordre de César (Suet. Div. Jul, 41,5; App., EC,
Π, 102, avec une confusion: Plut, César, 55,3, même chose; Dion 43, 21,4, qui parle à juste
titre d'une έξετασις. La troisième eut lieu sous Auguste (avant 2 av. J.-C, Dion, 55, 10, I).
7 Dion 53, 2, I.
8 Sur ces questions, cf. P. A. Brunt et J. M. Moore, Res G esiae Divi Augusti, Oxford,
1967,57-61.
698 CLAUDE NICOLET

mentaires. Par recoupement, nous connaissons deux de ces occasions. La


première mentionnée par les Res Gestae, 15, I, pour l'année 23:
et consul undecimum duodecim frumentationes frumento privatim
coempto emensus sum (l'absence de prix montre qu'il s'agit d'une chose
gratuite et cela aboutit bien à un doublement de la ration d'Etat )

La seconde mentionnée par Dion pour 6 ap. J.-C. (LV, 26,3): έπέδωκε
μεν γαρ και προίκα . . . τοις σιτοδοτουμενοις τοσούτον έτερον όσον αεί έλάμβανον.
« II donna aussi gratuitement, à ceux qui recevaient ordinairement le blé,
la même quantité en plus qu'ils recevaient habituellement ». Il est très pro
bable que c'est à un fait de ce genre que fait allusion l'expression curieuse
employée par Suétone à la fin de sa phrase:
tesserasque nummarias duplicava.

On a beaucoup discuté de ces mots. Quel est le sens de nummaria?


En gros, deux solutions possibles: « qui donne droit à de la monnaie »
(comme frumentaria signifie « qui donne droit à du blé »), ou bien « en forme
de monnaie ». Que signifie d'autre part « duplicavit »? « II doubla le nombre »
ou bien « il doubla la valeur » des tessères? Le mot numarios, suivant immé
diatement frumentarios, revient une autre fois dans les Res Gestae9, dans
un passage malheureusement mutilé. Mais le texte grec retrouvé porte σειτικάς
και άργυρικας συντάξεις, et, comme l'admettent désormais les éditeurs (8),
il est très difficile de traduire suntaxeis par tesseras. Le texte latin doit
avoir comporté un mot général, du genre tributus - qui ne nous donne
aucun renseignement concret. Retenons pour l'instant l'interprétation de
D. Van Berchem et admettons que nummarias tesseras signifie « les tessères
en forme de pièces », les jetons. Le mot serait placé ici par Suétone pour
faite comprendre à ses lecteurs, qui ne connaissent qu'une autre forme de
tessere (le document permanent), qu'il s'agissait alors, sous Auguste, de
jetons. Mais pourquoi le mot est-il absent du passage 40,3?
La dernière allusion littéraire est celle que nous trouvons chez Juvénal:
il s'agit du malheureux professeur de rhétorique qui, s'il en croit le poète,
sibi dabit ipse rudem... / summula ne pereat qua uilis tessera uenit fr
umenti (VII, 171-174). On traduit: «la misérable somme dont il s'achète un
bon de blé au rabais » (frumenti est mis pour frumentaria). Le texte prouve
seulement qu'une tessere pouvait s'acheter. Mais une tessere de quelle sorte?
Valable une seule fois ou permanente? Le contexte, si dérisoire qu'il montre

Cf. J. Gagé, Res Gestae Divi Augusti, 1935, p. 105-107.


TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 699

le salaire d'un professeur, doit pourtant nous faire penser à une tessere qui
donne droit à plusieurs frumentations. Car l'équivalent de cinq modii de blé
(à deux ou trois sesterces le modius) 10 serait sans doute beaucoup trop bas.
C'est ce qui explique que ce texte ait été si souvent utilisé par ceux qui
admettent l'aliénabilité, à une certaine époque du moins, de la « tessere »
devenue document permanent assimilé à un titre de rente.
Cependant les textes les plus déterminants sont de toute autre portée:
ce sont des commentaires du Digeste.
A) Dig. V, I, 52, I (Ulpien, lib. VI fideicommisorum) : Si libertis suis
tesseras frumentarias emi voluerit, quamvis major pars hereditatis in pro
vincia sit, tarnen Romae debere fideicommissum solvi dicendum est, cum
apparet id testatorem sensisse ex genere comparatìonìs.
B) Dig. XXXI, 49, 1 (Paul, Hb. V ad legem luliam et Papiam): Si Titio
frumentaria tessera legata sit et is decesserit, quidam putant exstingui
legatum, sed hoc non est verum, nam cui tessera vel militia legatur, aesti-
matio videtur legata.
C) Dig. XXX, 87, pr. (Paul, lib. XIV resp.): Titia Seio tesseram fru-
mentariam comparari voluit post diem trigesimum a morte ipsius: quaero,
cum Seius viva testatrice tesseram frumentariam ex causa lucrativa habere
coepit, nee possit id quo habet petere, an ei actio competat. Paulus respon-
dit ei de quo quaeritur, pretium tesserae praestandum quoniam tale
fideicommissum magis in quantitate quam in corpore consistit.
D) Dig. XXXII, 35, pr. (Scaevola, lib. XVII Digest.): Patronus liberto
tribum emi petierat: libertus diu moram ab herede patroni passus est et
decedens heredem reliquit clarissimum virum: quaesitum est, an tribus
aestimatio heredi eius debeatur, respondit deberi; idem quaesiit, an et
commoda et principales liberalitates quas libertus ex eadem tribu usque in
diem mortis suae consecuturus fuisset, si ei ea tribus seeundum voluntatem
patroni sui tunc comparata esset, an vero usurae aestimationis heredi eius
debeantur, respondit, quidquid ipse consecuturus esset, id ad heredem
suum transmittere.

On a beaucoup discuté de ces textes, car l'idée d'une mise en vente


des tessères semble incompatible avec la règle du nombre fixe des bénéfi-

10 Pour le prix du blé à l'époque impériale, je renvoie à l'enquête utile de S. Mrozek,


Prix et rémunérations dans l'Occident romain, Gdansk 1975, p. 10-15.
700 CLAUDE NICOLET

ciaires imposée par César et Auguste n. On a donc supposé, en particulier,


que l'achat des tessères était réservé et limité aux affranchis 12; mais les
textes Β et C envisagent un héritier de n'importe quelle condition. Ensuite,
il est certain que le legs d'une tessere frumentaire (ou l'ordre donné au
fideicommis d'en acheter une pour l'héritier) est un peu équivalent d'un
titre de rente: il représente une valeur argent mesurable (cf. le mot
quantitas, dans le texte C, le mot aestimatio dans les textes Β et C, le mot
pretium, texte C) tant en capital (pretium, aestimatio) qu'en rentes annuelles
(désignées dans le texte D par les mots commoda et principales liberali-
tates) 13, le tout étant susceptible de rapporter des intérêts (usurae) en cas
de retard de versement. Tout se passe comme si la tessere était en effet
un document permanent, ouvrant certains droits, auquel une certaine valeur
est reconnue, et qu'on peut acquérir et transmettre par héritage. Les textes
sont malheureusement muets sur les personnes ou les organismes auprès
desquels on peut se procurer un tel docuement. Mais, en même temps,
apparaissent de singulières limitations à l'usage et à la possessions de ces
tessères.
Le texte A prouve d'abord qu'elles n'avaient cours, si j'ose dire, qu'à
Rome - qu'elles n'étaient donc pas valables pour les autres cités où des
distributions - impériales ou locales - sont attestées. Cela est confirmé par

11 F. Fabbrini, Tesserae frutti., NDI, 1973, p. 268-269. On allègue souvent, pour le droit
des affranchis à la frumentation, deux vers de Perse, V, 72-73: liberiate opus est; non hac ut
quisque Velina / Publius etneruit scabiosum tesserula far / possidet. Cartault traduit (éd. Budé):
«II nous faut la liberté»: ce n'est pas celle-ci: «tous les Publius inscrits, leur service terminé,
dans la Velina, sont, de par une méchante tessere, propriétaires de blé galeux». Rea voudrait
corriger Velina(tn) etneruit, et entendre emerere comme «servir dans l'administration»; mais
etnerere signifie «terminer un service», n'importe lequel, et Velina avec un nom est normalement
construit à l'ablatif. Il ne faut pas pousser trop loin le parallèle entre les liturgistes d'Oxvrhvnchos
et les Romains. Cf. pourtant le sens de militia cité ci-dessous note 17.
12 Mommsen, Droit Public, VI, 2, p. 18-34. On sait que Mommsen prétendait - à tort -
que les affranchis, quoique citoyens, avaient été exclus des tribus, même urbaines, par Auguste
(p. 26-27, où il cite de nombreuses exceptions épigraphiques). Il était donc obligé, pour justifier
la participation évidente des affranchis aux frumentations, de supposer, dans chaque tribu, des
« collèges » frumentaires distincts de la liste des membres de la tribu. En réalité, il ne faut pas
oublier le numerus clausus instaure par César et ressuscité par Auguste: il n'y avait que 200.000
bénéficiaires, quelque soit le nombre des citoyens (ingénus ou affranchis) habitant Rome. D'où
la nécessité d'attendre une vacance, ou d'en acheter une, avant de pouvoir se dire membre de
la plèbe frumentaire. Cf. D. Van Berchem, Distributions, p. 49-53 (mon hypothèse est un peu
différente); cf. Suétone, Aug. 101.
13 Principales liberalitates veut dire «les libéralités impériales», ce que n'a pas vu J. Rea,
Oxyrh. Ρ αρ., XL, p. 11.
TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 701

le texte D, où le mot tessera n'apparaît pas, mais où il est question de la


place dans une tribu (tribuni emere) 14, qui certainement incluait le droit
aux frumentations (commoda) et aux congiaires (principales lib er alitâtes):
il s'agit donc d'une place dans la « plèbe urbaine des 35 tribus », expression
bien connus et localisée à Rome 15. Ensuite, il apparaît clairement que,
quoique négociable, ce document restait cependant personnel et nominal.
On ne peut, par exemple, en posséder plus d'un, comme il ressort du texte C:
l'affranchi couché sur le testament d'une matrone pour une tessere en a
reçu une autre à titre gratuit (ex causa lucrativa) 16 avant la mort de la
testatrice: « II ne peut donc réclamer ce qu'il possède déjà », dit le texte,
comme si le document était nominal. Dans ce cas, répond Paul, on ne lui
donnera certes pas une seconde tessere, mais on lui donnera sa valeur en
argent, car c'est la valeur qui compte (quantitas), plus que la matérialité de
l'objet (corpus). Le texte D d'ailleurs prouve qu'un clarissime ne pouvait pas
hériter de la tessere elle-même - réservée aux plébéiens. C'est pourquoi,
là encore, aura lieu une aestimatio. Nous sommes donc, je crois, forcés
d'admettre qu'il s'agit à la fois de documents nominaux, donc soumis à un
contrôle par les autorités (certaines catégories sociales ne pouvaient en
bénéficier et personne ne pouvait en posséder plusieurs), et de documents
qui pourtant, dans certaines limites, pouvaient être achetés, vendus, légués.
Or, nous connaissons d'autres documents tout à fait comparables: ce
sont les places dans les décuries de scribes, d'appariteurs ou de crieurs 17. La
procédure est attestée très clairement dès l'époque républicaine (Cic, 2 Ver.
III, 184). Elle s'explique très bien si l'on se rappelle comment était organisé
le recrutement de ces officiers publics: ceux qui étaient reconnus aptes à
en exercer les fonctions constituaient un ordo, comme l'atteste déjà la lex
Cornelia de XX quaestoribus (I, 32), comme le confirment de très nombreux

14 Mommsen, D.P., VI, 2, p. 33-34.


15 CIL, VI 910 = ILS 168; CIL, VI 909 = ILS 176; cf. CIL, VI 955 = ILS 286: Tribus XXXV
quod liberalitate optimi principis commoda earum etiam locorum adjectione ampliata sunt;
je ne suis pas sûr que les loca soient les places au cirque (Dessau), mais plutôt des places
dans les distributions: Pline, Paneg. 51; 25; Mommsen, D.P., VI, 32, n. 7. L'inscription CIL, VI,
1021 = ILS 6046, malheureusement très lacunaire, donne des chiffres de tribules pour les quatre
tribus urbaines et deux rustiques. Le total ne saurait excéder 13 à 15000, et Mommsen a donc
raison de supposer qu'il s'agit d'une liste de nouveaux bénéficiaires.
16 Sur le sens de cette expression, Heumann-Seckel, Hand-Lexikon, 823; A Berger, Encycl.
Diet. Rom. Law, 383: mode d'acquisition sans dépense réciproque (legs, héritage etc....); Rea a
tort de traduire: «by paying for it».
17 Pour l'organisation de Vordo des scribes et des appariteurs, voir désormais B. Cohen,
The Roman Ordines, Thèse Tel-Aviv, 1972.
702 CLAUDE NICOLET

témoignages. Mais il était permis à un membre de cet ordo de se substituer


un vicarius (vicarium dare subdere); non pas sans doute n'importe qui,
car la loi exigeait des qualifications (ibidem, II, 17: cuius in locum per
leges plebisvescita viatorem praeconem leget sublegei non licebit). La loi
n'explique pas pour quelle raison se faisait cette « subrogation »: mais
l'expression parfaitement courante decuriam emere 18 prouve qu'il s'agissait
tout simplement d'une vente, de ce qu'on a appelé, à juste titre, « la vénalité »
des offices. Très souvent ce sont des affranchis qui « achètent » ainsi la
place devenue vacante par le retrait volontaire d'un titulaire, espérant en
retirer moins de profit (substantiel pourtant) que d'honneur, car ces char
gesdonnent une « vocation » à l'ordre équestre. Ce n'est donc pas l'Etat qui
vend directement une charge; il se contente de tolérer, de contrôler et
d'enrégister une aliénation privée. A mon avis, c'est d'une procédure exacte
ment parallèle qu'il s'agit pour la tessere frumentaire. La preuve en existe
d'ailleurs : un rescrit de Philippe, de 249 apr. J.-C. 19, concernant les rapports
des patrons et des affranchis, précise:
Fundus autem quem ais Agilìo liberto donasse te, tribus et decuria,
quae ipsius nomine comparatae sunt . . .

Les deux choses sont donc parfois compatibles: l'affranchi Agilius a


reçu à la fois une place dans une tribu (donc une tessere frumentaire) et
une place dans une décurie de scribes ou d'appariteurs. C'est d'ailleurs ainsi
qu'il faut expliquer à mon avis l'expression tessera vel militia20 qui figure
dans le texte B.
Quoiqu'il en soit, il semble hors de doute que les tessères frumentaires
mentionnées dans les textes juridiques sont des documents officiels nomi
naux, portant mention exacte de la tribu. Lorsqu'ils étaient achetés, très

18 Sur l'expression decuriam entere, Mommsen, DP., I, 389, n. 3; L. Ross Taylor, Horace's
equestrian career, dans Am. Journ. Phil., 1925 161-169; C. Nicolet, Les finitores ex equestri
loco, dans Latomus, 1960, 102-103; on peut consulter encore Louis Lucas, Etude sur la vénalité
des charges..., Paris 1883, et A. H. Jones, The Roman Civil Service..., dans JRS 1949 38-55 =
Stud. Rom. Gov. Law, 151-175. Le texte le plus topique, outre la lex Cornelia de XX quaesto-
ribus, est Cicéron, 2 Verr. Ill, 184; cf. aussi Suétone, Vita Hor., p. 44 Reiff: scriptum quaestorium
comparavit; Schol. ad Juven., V, 3: decuriam quoque quaestoriam compararet; Porphyrion,
ad Hor. II, 6, 86; CIL, VI, 1820; 1822; IX, 2454, etc....
19 Fragmenta Vaticana 272 (FIRA2, II, p. 522).
20 Militia, au IVes., désigne couramment le service comme fonctionnaire dans les bureaux
(TLL, s.v. militia, col. 962, 31; 963, 16; cf. Paul, Sent. V, 25, 12; pour l'achat et la vente, Celse,
Dig. 31, 32; Scaev. Dig. 19, 252, 2; 34, I, 18, 2, etc.); on peut se demander si, dans des textes
du IIe ou IIIe s., le mot n'est pas interpolé.
TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 703

certainement à ceux qui, pour une raison ou une autre, voulaient s'en défaire,
on devait y reporter très exactement le nom du nouveau bénéficiaire. Nous
pouvons avoir une idée des mentions que comportaient ces tessères grâce
aux inscriptions qui donnent précisément - le plus souvent comme preuve
d'appartenance à la plèbe frumentaire - tous les renseignements désirables:
le jour du mois et le guichet du portique de Minucius. La plus ancienne
est celle de Ti. Claudius Ianuarius:
Ti. Claudius Aug. lib. curator de Minucia die XIIII ostio XLII (CIL VI,
10223 = I.L.S. 6071);

et celle ci, très explicité:


C. Sergius C. fil. Alcimus vix. ann. III mensib. III diebus tribus fru-
mentum accepit die X ostio XXXIX etc.... {CIL VI, 10224b = I.L.S. 6069).

Je laisse de côté pour l'instant le problème que pose la présence de cet


enfant sur la liste des bénéficiaires (alors qu'évidemment son père n'en faisait
pas partie) 21, pour ne retenir que les précisions concernant la distribution
du blé: il me semble évident qu'elles devaient aussi figurer sur la tessere.
Que nous apportent, pour notre propos, les papyrus d'Oxyrhynchos
récemment publiés par J. Rea? Ils mentionnent justement le document
essentiel qui est nommé τάβλα 22, mot qui apparaissait déjà dans un fragment
d'Hermopolis. Il est intéressant de noter que ce mot est la transcription
grecque du latin tabula ou tabella - non tessera. Le mot figure dans un
document qui est très certainement un avis publié par les magistrats annuels
qui, à Oxyrhynchos, sont chargés de la distribution, sur désignation du
conseil23. Ils délivrent aux ayants droit des tablai qui ne sont valables que
pour la durée de leur magistrature. Rea traduit le mot par « token », mais
des documents qui devaient porter au moins le nom du bénéficiaire et la

21 Cf. ci-dessus note 12.


22 J. Rea, Oxyr. Pap., XL, n.° 2924: άναγκαϊον ένομίσαμεν ύπομνήσαι τους παρ' ημών τάβλας
μεν έσχηκότας, έν τη διαδόσει μηδεπω δε τον σεΐτον είληφότας καν νυν ταύτας π[. ..]; cf. un papyrus
de Leipzig provenant d'Hermopolis (Sammelbuch, I, 4514): εστίν ώστε τους λαμβ[ά]νουντας τάβλας
και τον σϊτον λαμβάνειν, cité par Mitteis et Wilcken, Grundzuge u. Chrestomatie I, 1912, n° 425
(un autre papyrus d'Hermopolis qui est une déclaration, απογραφή, datée de 261 ap. J.-C).
Ailleurs dans les papyrus le mot a le sens de tabula (tableau). Cf. Rea, p. 13 qui cite les jetons
et tessères trouvés ici ou là en Egypte (d'après Num. Chron. 1908, 287; 1930, 300). Pas d'autres
mentions de ces τάβλαι dans S. Daris, // Lessico latino nel greco d'Egitto, Barcelone, 1971.
23 Le n° 2918 mentionne τοις κίρεΰΐϊσι ύπο της κρατίστης [βουλής] δ[ι]άδοσιν ποιήσασθαι τοϋ
σειτηρε[σίου].
704 CLAUDE NICOLET

marque, sinon le nom, du responsable de la distribution, sont plus que des


jetons, comme le mot tabla le prouve d'ailleurs. L'existence de tels documents
va de pair, à Oxyrhynchos, avec d'autres moyens de contrôle. Les phylarques
devaient dresser les listes des bénéficiaires dans leur tribu, listes séparées
pour les trois catégories de bénéficiaires, les epikritentes, les homologoi et les
remboi24. Ils le faisaient en consultant les archives, mais les papyrus con
servés montrent que les individus avaient le droit de présenter leur candi
dature par écrit, en particulier pour remplacer les morts, puisque, comme à
Rome, le nombre maximum des bénéficiaires est fixé d'avance et qu'on pro
cède à une subsortitio.
Des certificats de toutes sortes devaient être joints à ces actes de
candidatures. Les candidatures étaient examinées par une commission de
diacritai. Mais il y avait en outre un appel nominal auquel devaient répondre
les bénéficiaires et Rea suppose très raisonnablement que c'est à cette
réunion que devaient être distribuées les tablai. Il est frappant de constater
combien, dans ses grandes lignes, cette procédure des distributions à la fin
du IIIe s. en Egypte rappelle celle de Rome: nombre limité, entrée de nouveaux
membres par tirage au sort, et même révision périodique des listes. Mais
rien ne dit que, dans sa matérialité, la tabla reproduise exactement la tessere
romaine - de quelle époque d'ailleurs -? Une différence au moins devait
exister: à Rome ce ne sont pas des magistrats annuels qui la distribuent;
rien n'oblige donc qu'elle ait eu, comme à Oxyrhynchos, une validité limitée
à un an. Les textes juridiques que j'ai cités n'indiquent rien de tel. Mais,
en revanche, l'emploi du mot tabla confirme l'hypothèse de D. Van Berchem
selon laquelle, à partir d'une certaine époque, la tessere a pris, en réalité,
la forme d'une tabella, sans doute en bois, suffisamment grande en tout
cas pour avoir comporté les indications d'état civil (nomen) et sans doute
les précisions concernant le guichet de la Minucia et le jour du mois.
A l'appui de cette conclusion - qui me paraît sûre - Van Berchem
allègue quelques représentations figurées de tessères, qu'il commente, à un
détail près, de façon excellente 25. Il faut incontestablement partir d'un

14 Sur ces catégories, Rea, p. 2-5; les έπικριυέντες sont les citoyens qui ont subi victorieus
ement l'examen, les ρεμβοί sont essentiellement ceux qui ont accompli une liturgie, y compris les
affranchis; enfin les ομόλογοι, qui sont peut-être des citoyens de naissance illégitime, des
«assimilés». Chaque catégorie a un numerus clausus, comme à Rome: respectivement 3000, 900,
100 (la population totale d'Ox. devait être de 25000 habitants). Cf. par exemple pour la procé
durele n° 2894.
25 D. Van Berchem, Les distributions, p. 92 et suiv.
TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 705

sesterce d'Antonin du British Museum26 qui représente au revers Annona


(Fig. 1 et 2). Elle porte dans le bras gauche la rame qui symbolise les
convois d'Alexandrie et d'Afrique, et brandit dans la main droite un objet
qui, à l'échelle de la figure, mesurerait au moins 20 ou 30 cm de longueur
et se présente comme une tablette rectangulaire terminée vers le haut par
un anneau ou un globule. Deux autres monuments très abîmés, une pein
ture27 et une base au Musée Vatican28, représentent de la même façon
Annona. Mais elle apparaît surtout avec une grande netteté sur un sarco
phage d'Ostie29, actuellement' au Musée des Thermes, datant du milieu du
IIIe s., qui, plutôt qu'un simple negotiator, figure un employé de l'Annone
avec son épouse le jour du mariage (Fig. 3 et 4). A gauche et à droite du groupe
central, quatre figures symboliques: à l'extrême gauche, Portus (Ostie), tenant
dans sa main droite le phare, une proue de bateau à ses pieds. A l'extrême
droite, Africa, très reconnaissable à sa coiffure en tête d'éléphant; à ses
pieds un modïus plein d'épis; elle porte elle-même un épi dans la main droite.
Les deux autres figures doivent être interprétées autrement que ne le
font Rostovtzeff et Van Berchem. A droite, Liberalitas ou Fortuna 30, peut-
être Abundantia, avec la corne d'abondance dans le bras gauche, les fruits
et les épis dans son giron. A gauche, non pas Liberalitas ou Frumentatio,
mais, exactement comme sur la monnaie, Annona portant dans son bras

26 H. Mattingly, Coins of the Rom. Emp. Br. Mus., IV, p. 267, n° 1655, (PL 40, 1) = Mattingly -
Sydenham, Rom. Imp. Coin., III, p. 123, n° 757 = PL V, 112. Annona debout à gauche; à ses pieds
à gauche deux proues de navires, l'une chargée d'un modius; à droite le phare d'Alexandrie.
Cf. une autre monnaie de Lucius Verus, Mattingly, CREBM, IV, p. 609, n° 1357 (PL 81, 3).
Annona debout brandissant la tessere; il ne faut pas confondre cette tessere avec l'objet à
manche, rectangulaire, que brandit souvent Liberalitas: ce n'est pas un abacus, mais un plateau
à monnaie, d'après D. Van Berchem.
27 Une peinture d'Ostie, G. Calza, Not. Scavi, 1915, p. 247, fig. 6.
28 Dite «base de Sorrente»: A. Degrassi, Bull. Corn., 1932, 1-109 (Rom. Mitt, X, 1889,
Tab. X, b, p. 1013).
29 Sarcophage «Aquari» (cf. Aquari, Bull. Corn., 1877, p. 156; Not. Scav., 1877, 60);
au Musée des Thermes, Inv. n° 40799 (R. Paribeni, Le terme di Dioclez. e il Museo Naz. Rom.,
1932, n° 102, p. 77; Id., Bol. d'Arte, 1909, 291), reproduit et commenté par Rostovtzeff, S.E.H.R.E.,
2a ed., 1957, pi. XXVII d'après Paribeni; CIL VI, 29809, (à cause des mots Port(us) à gauche
et [A]f[ric]a, à droite.
30 Annona comme Liberalitas, sont souvent représentées avec la corne d'abondance
(comme Félicitas, Hilaritas, Fortuna); mais Liberalitas, qui fait plutôt allusion aux congiaires,
est représentée (plus de 40 fois sur les monnaies des Antonnins) avec la corne et le plateau à
monnaie. Abundantia apparaît sous les Sévères (H. Mattingly, C.R.E.B.M., VI, 591-594 PL 20,
593), très proche de la figure représentée sur le bas-relief.
706 CLAUDE NICOLET

gauche non pas le rutellum 31 (petite pelle à égaliser le blé dans le modius),
mais la rame, et brandissant dans la main droite un objet similaire à celui
de la monnaie; la taille du relief permet cependant de mieux le lire: c'est
une tabella presque rectangulaire, avec au sommet un anneau. Le rebord
accentué marque, me semble-t-il, qu'il s'agit d'un support d'écriture (Fig. 5).
La juste attribution à la figure de gauche du nom d'Annona permet
donc d'avoir une représentation exacte d'une tessere frumentaire du IIIe s.
ap. J.-C. qui convient parfaitement à un document permanent. Le problème
est de savoir à quand remonte l'origine des documents de ce genre. Si notre
raisonnement est juste et si la mention du guichet de la Minucia et du
jour du mois devait y figurer, il est tentant de les faire remonter au moment
de l'aménagement de la seconde Porticus Minucia, sous Claude peut-être,
après l'incendie des (Horrea) Aemiliana52. La plus ancienne inscription
portant ce type de renseignements est de l'époque de Claude ou de Néron.
Précisément Suétone, énumérant les missilia dont Néron gratifia le peuple
lors de ses « Grands Jeux », mentionne des « tessères frumentaires »:
Sparsa et populo missilia omnium rerum per omnes dies: singula
cotidie milia auium cuiusque generis, multiplex penus, tesserae frumentariae,
uestis, aurum, argentum, gemmae, margaritae, tabulae pictae, mancipia,
iumenta, atque etiam mansuetae ferae, nouissime naues, insulae, agri
{Nero, 11,4).

31 Le commentaire du CIL VI, 29089, comprend comme moi: «mulier corona turrita
insignis d. tabellam sin. remum gerens». On attend Annona avec la rame-gouvernail; il est
vrai que l'engin représenté dans son bras gauche, ici, n'a pas exactement la même forme que
sur la monnaie d'Antonin, citée n. 23. En revanche, l'objet planté dans le modius de blé, aux
pieds à'Abundantia, avec un manche court, ne peut être une rame, mais doit être le rutellum
(sur lequel, voir le commentaire et les renvois de Rostovtzeff, S.E.H.R.E. pi. XXVII); c'est de
toute façon de peu d'importance.
38 Selon l'hypothèse récente, et encore inédite, de F. Coarelli. Les Aemiliana attestés par
Varron, R.R. III, 2, 6 et Cicéron, De Rep. I, 9, étaient-ils un «quartier», comme on le pense
communément (d'ailleurs difficile à localiser) ou, plus précisément, des horrea? Cette dernière
hypothèse semble confirmée par le passage bien connu de Suétone, Div. Claud., 18, qui, dans
un chapitre entièrement consacré à l'annone, montre la façon dont l'empereur Claude dirigea,
du Diribitorium, la lutte contre leur incendie. Cet incendie des Aemiliana, que le texte de
Suétone oblige à dater pendant son règne, doit être différent de celui mentionné par un fragment
des Fasti Ostienses (R. Paribeni, dans Bull. Comm., 1916, 208-227; W. Groh, Bull. Corn., 1918,
246-249; A. Degrassi, Inscr. Hal, XIII, 1, p. 191 et 220), qui est de 38 ap. J.-C, sous Caligula.
E. Rodriguez a mis en place, près de la rive du Tibre dite «inter duos pontes», un fragment
du Plan de Marbre portant AEMILI[ana?] (Bull. Comm., 1970-71 [1975], p. 112-113).
TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 707

II est difficile de dire de quelles sortes de tessères il s'agissait. Il y a


gradation dans l'énumération de Suétone, et les derniers cadeaux (esclaves,
bêtes apprivoisées, navires, maisons et terres) n'ont pu être distribués que
sous forme de « bons ». L'or, l'argent, les perles pouvaient en revanche pleu
voir directement. A-t-on jeté à la foule des tessères-jetons, valables pour une
seule distribution? mince cadeau. Comme dans le texte de Juvénal, il me
semble qu'ici « tessere » doit s'entendre du document permanent en forme
de tablette: c'est malgré tout une chose qu'on peut lancer à la volée dans
un théâtre.
Mais on peut aller plus loin et remonter plus haut. Une représentation
sur une monnaie me paraît offrir, avec les tessères que brandit Annona,
une similitude frappante. Il s'agit de l'objet mystérieux représenté sur un
sesterce d'argent de (Lollius) Palikanus, daté par M. Crawford de 45 av.
J.-C. 33. Au droit, une jarre (plutôt qu'une urne) (Fig. 5), au revers une tablette
rectangulaire, plus ou moins allongée selon les exemplaires, surmontée en
haut d'un anneau ou d'un globule (Fig. 6). On hésite beaucoup sur l'interpré
tation, symbolique ou non, de ces objets. J'ai d'abord pensé, avec d'autres
dont Lily Ross Taylor34, qu'il s'agissait d'une tabella de vote: mais d'autres
représentations sûres (Fig. 7, 8, 9) de tels objets ne montrent pas d'anneau
- ce qui s'explique, comme on verra, car le bulletin de vote ne reste que
peu de temps entre les mains de l'électeur. J'ai proposé ensuite, me fiant à
une ressemblance tout compte fait superficielle35, d'y voir la représentation
d'une « tessere nummulaire » (Fig. 10). Mais la représentation d'une tessere
nummulaire (document privé autant que nous le sachions) sur une monnaie
s'explique mal. Or, comme le remarque M. Crawford, la plupart des types
de l'émission de Palikanus ont un rapport avec la situation ou les activités

33 Babelon, II p. 149; Grueber, I, 4017 (P.L., 21) Sydenham, 963; M. Crawford, RRC, 473, 4
(p. 482-483).
34 L. Ross Taylor, Rom. Voting Assemblies, p. 37 (et pi. VI, 1) qui pense que la «voting
tablet» et l'urne (électorale) font allusion, comme les Rostra et Libertas des autres types de
la même émission, à l'activité du tribun M. Lollius Palikanus, père du monétaire présumé.
Mais les urnes de vote représentées sur les monnaies de sa planche V ne ressemblent en rien
à celle de Palikanus. Et les autres tabellae n'ont pas d'anneau.
35 J'avais pourtant soutenu le même point de vue dans «Confusio suffragiorum » , Mél.
Arch. Hist, 1959 p. 208-210 mais j'ai ensuite pensé à une tessere nummulaire (Rev. Et. hat.
1967, p. 105) d'abord parce qu'une tessere de la collection Fröhner, au Cabinet des Médailles,
plus courte que les autres, présente à peu près le profil de certains coins de Palikanus; et
surtout à cause de la tessere de 62 av. J.-C, CIL I2, 910: Heraclida Lolli / sp. Κ Febr. /
D. Sii. L. Mur. Mais rien ne dit que Lollius soit de la famille du monétaire.
708 CLAUDE NICOLET

de César en 46, après Munda. Le n° 473, 2a36, en particulier, avec la chaise


curule entourée d'épis, comporte une allusion frumentaire évidente. Les
devises Libertatis, Honoris, Felicitatis ont également toutes trois une réson-
nance césarienne. Je me demande donc s'il ne faut pas revenir à une hypo
thèse d'A. Blanchet37, rejetée par Crawford, et si la tablette n'est pas une
tessera frumentaria. Elle ressemble plus à celle du sarcophage d'Ostie qu'à
toute autre chose.L'urne du droit ferait elle aussi allusion à des distributions
contemporaines d'huile ou de vin38 (Suétone, Caes. 38). Si ce rapprochement
est pertinent, je me demande s'il ne faudrait pas attribuer l'introduction d'un
document personnel et permanent pour les frumentations à César. C'est lui
qui réalisa en ce domaine, précisément en 46, une réforme définitive, en
révisant la liste des bénéficiaires, en lui fixant le chiffre maximum de 150.000,
et en instituant la procédure du tirage au sort pour remplacer les vacances 39.
Palikanus aurait célébré à sa manière cette mise en ordre en représentant
sur son sesterce la nouvelle tessere.
Cette hypothèse me paraît d'autant plus probable, que l'usage de tessères
et de tesserulae pour le contrôle des activités civiques40 me paraît avoir
existé sous la République. En particulier pour une opération très proche
dans son principe de l'exercice du droit au frumentum publicum, je veux

36 A. Alföldi, Les Praefecti Urbi de César, Mèi. W. Seston, Paris 1974, p. 1-23, sp. p. 6,
donne une tout autre interprétation de ces monnaies. Il les intègre dans des séries de 15 monét
aires, Praefecti Urbi et aediles Ceriales, dont les types font tous allusion à ces fonctions. Il est
exact que le type de Crawford 473, 2 a, est exactement semblable à ceux de C. Considius. Ceux
de L. Livineius Regulus montrent le modius et les épis. Liberias se retrouve aussi sur les
monnaies de cette époque. J'espère avoir montré ailleurs (art. cité n. 5) que la recensio de César
eut lieu en 46 av. J.-C.
37 A. Blanchet, Le congiarum de César et les monnaies signées Palikanus, Atti. Congr.
Int. Se. Stor., Rome 1903 (1904), VI, 101-105, interprète de façon convaincante le «vase»
comme un congius (cf. T.L., XXV, 2) et fait le rapprochement avec les textes de Suétone et de
Dion cités n. 34. Il rappelle le sanctuaire de la Liberté consacré par César en 46 (Dion, 43, 44, I),
mais il fait de Palikanus un édile de la plèbe (cf. l'article de A. Alföldi cité n. 32). Crawford
rejette trop rapidement l'argumentation d'A. Blanchet.
38 Suétone, César, 38; Dion, 43, 21, 3.
39 Suétone, César, 41,5; Dion, 43, 21, 4 (Tite-Live, Per. 115; Appien, BC, II, 102, et
Plutarque, César, 55, 3 se trompent). J'ai ajouté à ces témoignages celui de Cicéron, Phil, II, 83,
(et 64) dans la communication citée à la n. 5 (CRAI, 1976, p. 29 sq.).
40 J'ai insisté sur les liens entre les divers domaines de la vie civique dans Le métier de
citoyen, Paris Gallimard 1976, p. 368-370. Pour le droit de vote et son exercice, cf. récemment
L. Ross. Taylor, Roman Voting Assemblies, 1967, et E. S. Staveley, Greek and Roman Voting
and Elections, Londres, 1972, qui, p. 162-164, pose le problème du contrôle de l'identité, mais
sans le résondre. Il n'a pas vu le lien avec les tesserulae de Varron.
TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 709

dire le droit de vote. Du temps du vote oral, le contrôle des individus qui
se présentaient dans leur tribu et leur centurie était effectué par le rogator
qui interrogeait à haute voix chaque électeur, entouré sans doute des respon
sables de l'unité, curatores tribuum et centurions de centurie électorale41.
Ils devaient disposer de la liste des tribules et vérifier visuellement l'identité
des votants. Avec le vote écrit, la procédure se complique. Comment s'effec
tuaitle contrôle, qui existait sûrement, comme le prouve une anecdote con
cernant la vie de Marius42? Un passage du Livre III des Res Rusticae de
Varron43 - que j'aurais du noter plus tôt - me paraît fournir un élément
de réponse. La scène se passe, comme on sait, un jour de comices édiliciens,
en 55 av. J.-C. Les protagonistes devisent à la Villa Publica pendant que le
dépouillement se fait au Diribitorium. Une grande rumeur leur parvient du
Champ-de-Mars et bientôt quelqu'un vient la leur expliquer:

Narrât ad tabulant, cum diriberent, quemdam deprensum tesserulas


conjicientem in loculum, eum ad consulem tractum a fautoribus competito-
rum. Pavo surgit, quod eius candidati custos dicebatur deprensus (III, 5, 18).

J'ai, après bien d'autres, trop vite considéré que tesserulas était synonyme
de tabellas et désignait des bulletins de vote, qu'un fraudeur essayait d'intro
duiredans l'urne. Mais loculus ne désigne pas une urne de vote, qui se dit
cista. Tesserula, c'est une « petite tessere », c'est-à-dire quelque chose d'équi
valent, si l'on suit notre reconstitution des frumentations, aux « jetons »
échangés, chaque mois, contre les cinq modii. Ici, ces tesserulae ont été
échangées, à mon avis, contre le bulletin de vote (tabella) que l'électeur
reçoit avant de voter, au moment de pénétrer sur le pons, comme attestent
à la fois un texte de Cicéron44 et une monnaie45 (Fig. 11). Elles servaient
ensuite au contrôle du nombre des votants; autant de tesserulae, autant

41 J'ai analysé de près les procédures concrètes du vote dans deux articles: Platon, Cicéron
et le vote secret, dans Historia, XIX, 1970, 39-66, et Le livre III des R.R. de Varron et les
allusions au déroulement des comices tributes, Rev. Et. Ane, 1970, 113-137.
42 Plutarque, Marius, V, 3-5: un esclave d'un ami de Marius surpris mêlé aux citoyens
dans les Saepta.
43 J'ai trop hâtivement, comme tout le monde, traduit tesserula par « bulletin de vote »,
dans mon art. REA, 1970, p. 132, n. I.
44 Cicéron, Ait., I, 14, 5: operae clodianae pontes occuparant; tabellae ministrabantur
ita ut nulla daretur « uti rogas ».
45 Monnaie de P. (Licinius) Nerva, Crawford, RRC, 292, I, p. 306-307, qui a bien vu,
(contrairement à L. Ross. Taylor, RVA, 39) que le citoyen qui s'apprête à voter est sur le pont
et que celui qui lui tend quelque chose d'en bas est un custos ou un rogator; cf. mes articles
cités n. 37 et 41.
710 CLAUDE NICOLET

d'électeurs qui avaient reçu leur bulletin. En cas de fraude, il fallait intro
duire à la fois' faux bulletins et fausses tessères pour que les chiffres
coïncident.
Il faut supposer peut-être (mais pour cela je ne connais aucun témoi
gnage) que le citoyen possédait aussi une tessere permanente qui lui per
mettait de recevoir à chaque occasion ces tesserulae. A moins qu'on se soit
passé de ce document en matière électorale, les rogatores et custodes se
contentant de consulter une liste. Cela aurait été possible du fait de Paffluence
relativement restreinte aux comices à cette époque, alors que pour les
distributions frumentaires, qui mettaient en mouvement 150.000 ou 200.000
citoyens chaque mois, le document permanent a dû devenir indispensable
assez tôt.
On peut dès lors, me semble-t-il, revenir à l'expression de Suétone,
fesseras nummarias, qui faisait difficulté. Il ne s'agit pas de tessères donnant
droit à de l'argent - le contexte est exclusivement frumentaire. Il s'agit du
« jeton », non du document permanent: pour les années de disette, mais
exceptionnellement, Auguste s'est contenté de doubler la valeur des douze
jetons remis aux citoyens au vu de leur tessere permanente et des listes.
C'est pour expliquer cela que Suétone emploie une expression imagée, et
nous traduirons donc tesserae nummarias par « les jetons des distributions ».
TESSERES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 711

Fig. 1 - Monnaie d'Antonin, Mattingly, CREBM, IV,


n. 1655.

Fig. 2 - Monnaie de Septime Sévère.


TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 713

Fig. 4 - Sarcophage d'Ostie (détail: Annona).


714 CLAUDE NICOLET

rig. 5 - Sesterce de (Lollius) Palikanus: droit.

Fig. 6 - Sesterce de (Lollius) Palikanus: revers


TESSÈRES FRUMENTAIRES ET TESSÈRES DE VOTE 715

Fig. 7 - Denier de Q. Cassius Longinus (55 av. J.-C.)


(M. Crawford, RRC n. 428).

Fig. 8 - Denier de C. Coelius Caldus (51 av. J.-C.)


(M. Crawford, RRC, n. 437, la).
716 CLAUDE NICOLET

Rg. 9 - Denier de L. Cassius Longinus


K->3 av. J.-C.)(M. Crawford, RRC, n. 413).

Fig. 10 - Tessere nummulaire


(CIL, I2, 938 = ILLRP, 1056).

Fig. 11 - Denier de P. Licinius Nerva


(vors 113 ou 112 av. J.-C.) (M. Crawford, RRC, η. 292).
ANTOINETTE NOVARA

SUR LE POUVOIR: UN CHAPITRE POLYBIEN DE SALLUSTE

(À PROPOS DE CAT., 2, 1-6)

Le deuxième chapitre de la Conjuration de Catilina comporte une


esquisse de l'histoire du pouvoir dans les Etats, un aperçu historique sur
l'impérialisme et une réflexion générale sur les transferts du pouvoir.
« 1. Igitur initio reges - nam in terris nomen imperi id primum fuit -
diuorsi pars ingenium, alii corpus exercebant; etiam turn uita hominum
sine cupiditate agitabatur, sua cuique satis placebant. 2. Postea uero quam
in Asia Cyrus, in Graecia Lacedaemonii et Athenienses coepere urbis atque
nationes subigere, lubidinem dominandi causam belli habere, maxumam
gloriam in maxumo imperio putare, turn demum periculo atque negotiis
compertum est in bello plurumum imgenium posse. 3. Quod si regum
atque imperatorum animi uirtus in pace ita ut in bello ualeret, aequabilius
atque constantius sese res humanae haberent, neque aliud alio ferri neque
mutari ac misceri omnia cerneres. 4. Nam Imperium facile is artibus retinetur
quibus initio partum est. 5. Verum ubi pro labore desidia pro continentia
et aequitate lubido atque superbia inuasere, fortuna simul cum moribus
immutatur. 6. Ita Imperium semper ad optumum quemque a minus bono
transfertur. « Donc, au début les rois, car ce fut là en premier le nom
du pouvoir dans le monde, déployaient, diversement, une partie leurs
qualités intellectuelles, les autres leurs forces physiques; alors encore la
vie des hommes se passait sans ambition, chacun se contentait de ce
qu'il avait. Mais, après qu'en Asie Cyrus, en Grèce les Lacédémoniens
et les Athéniens ont commencé à soumettre les villes et les nations, à
trouver dans leur goût de la domination une cause de guerre, à penser
que la plus grande gloire réside dans le plus grand empire, alors seulement
l'expérience et la pratique firent reconnaître que c'est l'esprit qui, dans
la guerre, a le plus grand rôle. Et si la valeur de l'âme x des rois et des

1 Salluste a usé de l'expression animi uirtus dans le premier chapitre (§ 5): «sed diu
magnum inter mortalis certamen fuit uine corporis an uirtute animi res mütaris magis
718 ANTOINETTE NO VARA

gouvernants se manifestait autant dans la paix que dans la guerre, le cours


des affaires humaines se montrerait plus régulier et plus constant, et l'on
ne verrait pas tout aller à la dérive, ni tous ces changements et boule
versements. Car le pouvoir se conserve facilement par les vertus grâce
auxquelles il a été acquis au début. Mais quand ont fait irruption, à la place
de l'effort, l'indolence, à la place de la maîtrise de soi et de l'esprit
d'équité, la débauche et l'arrogance, la fortune change en même temps que
les mœurs. Ainsi le pouvoir passe toujours du moins bon au meilleur » 2.
Le thème du pouvoir a été introduit et abordé par la théorie de la gloire
avec laquelle commence l'ouvrage. La gloire ne se conquiert que grâce à
l'esprit exerçant, comme il le doit, le pouvoir sur le corps. Mais la gloire
militaire est-elle obtenue grâce à l'esprit? Comme les exploits guerriers cons
tituent l'un des principaux titres de gloire d'un citoyen, sinon le premier3,
la question s'est imposée à Salluste. Pour lui, la démonstration que « c'est
l'esprit qui, dans la guerre, a le plus grand rôle » a été réalisée par les
conquérants et maîtres d'empires. Avant de répondre ainsi à la question
qu'il a soulevée à propos de la force physique et de la valeur de l'esprit
dans l'art militaire 4, Salluste a jugé bon de remonter aux origines du pouvoir
dans l'Etat; il s'en est procuré l'occasion en évoquant la période où l'impé
rialisme n'existait pas encore et où n'avait pas été faite la démonstration

procederei». Karl Büchner (Salitisi, Heidelberg, 1960, ρ: 96) établit simplement au sujet de la
«Geisteskraft» l'équivalence: animi uirtus = ingenium. Avec subtilité A. D. Leeman (Sallusts
Prolog und seine Auffassung von der Historiographie. I. Das Catilina proömium, Mnemosyne,
ser. IV, VII, 1954, p. 325) avait écrit que «l'esprit est comme intellectualisé en ingenium,
tandis que uirtus à travers l'association avec animus est spiritualisée». Dans l'édition qu'il a
procurée de la Conjuration, Alfred Ernout (Paris, Belles Lettres, 5e éd. 1962) traduisait
«animi uirtus» en I, 5 par «la vigueur de l'esprit» et en II, 3 par «qualités morales».
Dans l'un et l'autre passages l'expression est très proche d'ingenium, mais paradoxalement,
puisqu'elle associe deux termes abstraits, elle tend à rendre de manière plus sensible la manif
estation et le dynamisme de l'animus.
2 Pour le traducteur, la vieille édition de F. Antoine et R. Lallier (Paris, Hachette 1888)
reste souvent très utile. A propos du sens de «aliud alio Ferri», cf. η. 32.
3 Cf. Cat, III, 1; Cic, De Off., II, 45.
Les théories de la gloire présentées par Salluste et Cicéron doivent être rapprochées,
cf. Alain Michel, Entre Cicéron et Tacite: aspects idéologiques du « Catilina » de Salluste,
Acta Classica Uniuersitatis Scientiarum Debreceniensis, V, 1969, p. 84; Etienne Tiffou, Essai
sur la pensée morale de Salluste à la lumière de ses prologues, Paris, 1975, p. 42-43, 61-65,
75-117 (chapitre IV: la gloria, rétrospective. Etude comparée chez Salluste et Cicéron).
4 Cf. I, 5, cité au début de la n. 1.
SUR LE POUVOIR: UN CHAPITRE POLYBIEN DE SALLUSTE 719

que l'esprit joue dans la guerre le rôle prédominant. Puis Salluste déplore,
dans un raisonnement par contraste, que l'esprit qui a donné des preuves
semblables de sa valeur dans la guerre, n'ait pas réussi à en fournir autant
dans la paix; ainsi s'expliquent dans les Etats, comme dans les empires, la
corruption, puis le transfert du pouvoir. Pour la stabilité du pouvoir, il suffit
que le gouvernant conserve les qualités du conquérant. Mais la conquête
d'un empire, la prise du pouvoir dans la cité suscitent des vertus que la
possession du pouvoir altère d'ordinaire. Alors le pouvoir passe aux mains
de plus vertueux qui chassent les mauvais maîtres.
Les trois maximes sur le pouvoir en général, qui sont groupées de
façon à démontrer que le pouvoir va de pair avec la supériorité intel
lectuelle et morale, sont unies aux aperçus historiques sur les débuts du
pouvoir dans l'Etat et de l'impérialisme par une phrase de transition, où
sont comparées les manifestations de la valeur de l'âme dans la paix et
dans la guerre. L'expression animi uirtus constitue la liaison entre l'esprit
de la guerre et les vertus de la paix. En effet, après avoir mis en lumière
l'esprit, ingenium, Salluste passe à la valeur de l'âme, animi uirtus, puis
il lui substitue les vertus, artes, dont la sentence sur les changements
conjoints des mœurs et de la fortune laisse entendre qu'elles sont morales.
L'enchaînement complexe des idées dans le chapitre laisse supposer
qu'il n'y a pas là une rédaction de premier jet, mais une construction
appliquée, dont les matériaux premiers et essentiels sont d'une part l'histoire
de l'impérialisme, sa définition, la démonstration qu'il a accomplie de la
valeur prépondérante de l'esprit dans les guerres, et de l'autre la maxime
sur le pouvoir qui se conserve facilement grâce aux vertus par lesquelles
on l'acquiert.
Cette mise en œuvre dont on sent qu'elle résulte d'un effort particulier
de Salluste excite la curiosité: on est amené à se demander si les idées
présentées par l'historien, au lieu de lui appartenir en propre, ne sont pas
autant de références à un auteur ou des auteurs, dont Salluste voudrait
fournir à son lecteur le plaisir intellectuel de retrouver la trace. Ce qui
était un jeu pour le Romain cultivé de l'époque devient pour les modernes
une recherche des sources capitale pour la bonne compréhension du texte.
Dans son article sur II significato dei proemi sallustiani, Antonio La
Penna5 a jugé l'entreprise désespérée à propos de l'aperçu historique sur

Cf. p. 99 de cet article paru dans Maia en 1959.


720 ANTOINETTE NOVARA

l'impérialisme et son avis n'était sans doute pas différent pour les lignes
qui le précèdent et le suivent immédiatement.
Toutefois, la source de la maxime sur le pouvoir qui se conserve grâce
aux vertus mêmes de la conquête a été déjà identifiée6: Salluste emprunte
ici à Polybe (X, 36,5); celui-ci tirait une leçon générale des difficultés
qu'après leur victoire sur Publius et Cnaeus Scipion, les Carthaginois con
nurent en Espagne, pour avoir traité leurs sujets υπερηφάνως, cum superbia,
dirait le latin.
A. La Penna doute qu'il y ait « une trace sûre » de Polybe chez
Salluste 7 et les parallèles relevés par Wilhelm Avenarius ne l'ont pas con
vaincu. Mais au seul rapprochement précis que W. Avenarius avait signalé
au sujet de ce deuxième chapitre du Catilina et qui a été cité ci-dessus,
d'autres peuvent être ajoutés; nous les versons au dossier de l'inspiration
polybienne de Salluste. A notre connaissance du moins, ils n'ont pas été
faits jusqu'ici.
Pour continuer l'examen des maximes sur le pouvoir, il apparaît que
Salluste, quand il traite des changements dans les mœurs, qui entraînent
les transferts du pouvoir, se souvient du livre VI de Polybe.
L'idée est courante que la fortune varie avec les mœurs8. L'« anacy-
closis » de Polybe a paru à Salluste en fournir une démonstration remar
quable. En lisant l'analyse de l'historien grec sur les facteurs dont dépendent
les changements de régimes, Salluste a retenu les éléments communs à la
dégénérescence de la royauté en tyrannie, de l'aristocratie en oligarchie,
de la démocratie en ochlocratie: desidia, lubido, superbia. L'indolence, la
débauche, l'arrogance succèdent à l'effort, labor, à la maîtrise de soi,
continentia, à l'esprit d'équité, aequitas. Ainsi Polybe avait montré les rois
à titre héréditaire qui, soucieux d'avoir un train de vie inimitable, s'adonnent
à tous les luxes, assouvissent tous leurs désirs amoureux sans scrupule9

6 Cf. Wilhelm Avenarius: Die griechischen Vorbilder des Sallust, Symbolae Osloenses,
XXXIII, 1957, p. 65.
7 Antonio La Penna, L'interpretazione sallustiana della Congiura di Catilina, Studi
Italiani di Filologia Classica, XXXI, 1959, p. 162, n. 3; Sallustio e la rivoluzione romana,
Milan, 1968, p. 155, n. 270.
8 Elle rejoint les formules proverbiales, selon lesquelles ce sont les mœurs de chacun
qui lui façonnent son sort, cf. A. Otto, Die Sprichtwörter und sprichtw örtlicher Redensarten
der Römer, Hildesheim, (1890), reprod. 1962, Fortuna 8°, p. 143.
9 Cf. VI, 7, 7. Pour illustrer d'un exemple ces considérations F. W. Walbank renvoie
à X, 26, 3, qui concerne Philippe V.
SUR LE POUVOIR: UN CHAPITRE POLYBIEN DE SALLUSTE 721

... Et l'ochlocratie lui avait donné l'occasion de brosser une peinture du


peuple qui vit et s'amuse grâce aux biens d'autrui, tente d'établir la dictature
de la violence 10. Le facteur de l'amour de l'argent, plus particulier à la
dégénérescence de l'aristocratie en oligarchie, a été laissé de côté par
l'historien latin n. La manière dont Salluste s'exprime emporte la conviction
qu'il écrit une synthèse d'après le texte de Polybe, et d'après nul autre,
bien qu'il n'ignore pas assurément les spéculations de Platon sur les dif
férentes constitutions et les hommes qui les incarnent, sur la corruption
des unes et des autres 12.
Pro labore desidia . . . 13. Les parents ont combattu un régime corrompu,
pour en instituer un meilleur conforme aux valeurs que le précédent
bafouait. Les héritiers n'ont plus à lutter pour les conquérir, et ils perdent,
dans l'habitude, le sentiment qu'elles doivent être défendues. Desiderii:
Polybe a insisté avec force sur ce facteur premier de la dégénérescence des
régimes: « Quand ils recevaient par succession héréditaire le pouvoir, et
trouvaient déjà tout prêt ce qu'il fallait pour leur sécurité et tout prêt
plus que le nécessaire pour leur subsistance, alors ...» (VI, 7, 6) ... « A nouveau,
quand les enfants héritaient de leurs pères une telle position d'autorité,
comme ils n'avaient pas l'expérience des malheurs, ni absolument aucune
expérience de l'égalité politique et de la liberté d'expression, et comme ils
avaient, dès le début de leur vie, été élevés au sein de l'autorité et des
hautes fonctions paternelles ...» (VI, 8,4) ... « Mais à nouveau, quand est
survenue une jeune génération et que la démocratie a été transmise aux
fils des fils, alors à ceux-ci l'égalité politique et la liberté d'expression,
parce qu'ils en avaient l'habitude, n'apparurent plus du tout d'une grande
valeur...» (VI, 9,5). Salluste a pris soin de respecter l'ordre constant dans

10 Cf. VI, 9, 8.
11 Cf. Pol., VI, 8, 5. Platon a particulièrement insisté sur la cupidité qui corrompt l'aristo
cratie en oligarchie (cf. Rep, VIII, 551 Α.), mais il n'avait pas dégagé avec la rigueur et la
fermeté de Polybe la culpabilité des «héritiers». L'auaritia que Salluste poursuit si souvent
de ses blâmes n'est pas citée ici. L'auaritia de l'Ep. ad Caes., 2, 7, 3 est inspirée de Pol.,
VI, 46, 6-9, cf. W. Avenarius, loc. laud, p. 65.
12 Cf. le relevé des rapprochements entre passages de Salluste et textes de Platon dans
l'article de W. Avenarius, p. 81 sq.
13 La desidia correspond à la volonté de ne rien faire; Yotium consiste dans la situation
où l'on n'a rien à faire d'obligatoire, et dans tout ce que l'on peut donc faire à son gré.
Sur le rôle de Votium dans l'histoire selon Salluste, cf. Jean-Marie Andre, L'otium dans la
vie morale et intellectuelle romaine, Paris, 1966, p. 335 sq., en particulier p. 369.
722 ANTOINETTE NO VARA

lequel Polybe avait énoncé les facteurs qui altèrent la royauté, l'aristocratie,
la démocratie: l'indolence, le débauche, la tyrannie auxquelles s'adonnent
les héritiers w.
Pour l'historique du pouvoir et de l'impérialisme, comme pour ses
sentences sur le pouvoir, Salluste se réfère à Polybe. C'est un lieu commun
d'affirmer que le pouvoir sur les groupes humains fut d'abord assumé par
des hommes qui exerçaient seuls la charge du gouvernement. Mais, comme,
le mot latin reges n'a pas la précision des termes grecs μονάρχοι, βασιλείς
et qu'il peut équivaloir à l'un ou à l'autre - et même à τύραννοι, mais
la tyrannie est une corruption de la royauté; elle ne saurait exister au début
des temps - Salluste a ajouté (§ 1): diuorsi, pars ingenium, alii corpus
exercebant; il opère ainsi la synthèse des passages où Polybe, dans son
livre VI, insiste sur la différence existant entre le monarque qui exerce
le pouvoir par la force, a été choisi à cause de sa force physique, et le
roi, à qui ses qualités d'esprit donnent la prééminence et qui gouverne en
faisant appel à la raison. Avec le monarque régnent ίσχύ ς (VI, 5, 9; 6, 12),
la force, σωματικαΐ και ϋυμικαΐ δυνάμεις (VI, 7, 3), les qualités physiques et
celles de l'énergie, dont les moyens de gouvernement sont φόβος, βία (VI, 4, 2),
la peur, la violence; avec le roi l'emportent γνώμη (VI, 4,2), le jugement,
λογισμός (VI, 5, 12), la réflexion, της γνώμης και του λογισμού διαφοραί (VI,
7, 3), la supériorité du jugement et de la réflexion. « Diversement, une partie
déployaient leurs qualités intellectuelles, les autres leurs forces physiques » 15.
Salluste ne fait pas allusion aux passe-temps intellectuels ou sportifs des
premiers gouvernants, mais distingue à la façon de Polybe les βασιλείς
et les μονάρχοι, satisfait de trouver pour différencier les reges le critère
qui correspond au dualisme de la chair et de l'esprit, sur lequel le début

14 Cf. VI, 7, 6-8; 8, 4-6; 9, 5-9.


15 Salluste paraît avoir une prédilection pour le verbe «exercere», sa valeur concrète
et active. Il l'emploie dans toutes ses acceptions (cf. Cat., VIII, 5; XI, I; XXXVIII, 4). La phrase
ici (II, 1) est proche de celle qui, en VIII, 5, montre les Romains agissant de tout leur être,
corps et esprit.
La distinction qu'a faite Polybe, suivi par Salluste, entre la monarchie et la royauté,
est liée à l'affirmation des sophistes que c'est d'abord le plus fort qui a exercé le pouvoir
et à l'idée stoïcienne que la royauté est contemporaine du surgissement de valeurs éthiques
et sociales, cf. F. W. Walbank, A historical commentary of Polybius, vol. I, Oxford, 2nd ed.,
1970 p. 653. - Κ. Büchner qui interprète avec raison la phrase de Salluste en écrivant que
parmi les rois, « les uns régnaient par leurs forces physiques, les autres par l'autorité de
l'esprit » (op. cit., p. 96) n'est pas remonté à la source.
SUR LE POUVOIR: UN CHAPITRE POLYBIEN DE SALLUSTE 723

de son ouvrage est bâti. Au lieu de suivre l'ordre chronologique de Polybe,


Salluste accorde la première place hiérarchique à ceux qui « ïngenium
exercebant ».
Ni ces premiers gouvernants ni leurs sujets n'éprouvaient d'ambition
ou de convoitise territoriale: sua cuique satis placebant. Quelle est la raison
de ce contentement? Il n'est pas sûr que ce soit la sagesse, ni que Salluste
laisse ici percevoir la nostalgie d'un début pacifique des temps, d'un âge
d'or 16. Il a visiblement cherché avant tout, dans un chapitre sur le pouvoir,
sur l'impérialisme et l'esprit, à composer une phrase qui relie l'organisation
des premières sociétés humaines, le commencement du pouvoir dans les
communautés des hommes à la montée de la volonté impérialiste. Ces royautés
primitives que Salluste prétend sine cupiditate ne sont pas nécessairement
l'objet de son approbation et pourraient à tout le moins manquer d'un certain
sens de la gloire. Polybe n'avait pas hésité à affirmer le désir d'étendre
sa domination plus beau et plus glorieux pour un pays que le simple souci
de conserver son territoire et sa liberté 17.
Il avait formulé cette remarque dans une critique de la constitution
de Lycurque au cours du livre VI. Polybe avait commencé par concéder
que si le but d'une constitution est d'assumer la conservation d'un territoire
et le maintien de son indépendance, la constitution de Lycurgue était par
faite; puis il ajoutait que « si l'on vise un but plus élevé et si l'on pense
plus beau et plus magnifique que cela d'exercer l'hégémonie (ήγεΐσΰαι) sur
beaucoup, de commander (έπικρατεϊν) à beaucoup, de devenir leur maître
(δεσπόζειν) et de concentrer tous les regards sur soi ... » 18, alors les faiblesses
de la constitution de Sparte par rapport à celle de Rome apparaissent net
tement. Et Polybe ne manquait pas d'appuyer son raisonnement d'exemples 19.
Il paraît vraisemblable que ce passage ait laissé dans l'esprit de Salluste
une trace telle que l'historien latin en est venu à conserver, tout en le
transposant dans le temps, le contraste entre l'absence regrettable d'ambi-

16 Cf. E. Tiffou, op. cit., p. 46.


17 Cf. VI, 50, 3. Pour dépeindre l'époque primitive qu'il juge ignorante et sans agrément,
cet âge lointain où l'horizon de chacun était borné au coin de terre où il était né, Manilius
écrira une formule qui est proche de celle de Salluste et désigne une regrettable absence de
curiosité: se quisque satis nouisse putabant (Astr., I, v. 78), «chacun pensait qu'il en savait
suffisamment».
18 VI, 50, 3. La comparaison entre Lacedèmone et Rome vient ensuite (4-6).
19 Cf. VI, 49 et VI, 50, 5-6.
724 ANTOINETTE NO VARA

tion chez certains peuples et la lubido dominandi (δεσπό(ειν) des autres.


L'expression ne semble pas péjorative, et c'est là un fait exceptionnel
qu'explique l'influence du texte de Polybe 20. Le contexte invite bien à penser
que la lubido dominandi n'est pas condamnée, et le regret que l'esprit
ne sache pas garder dans l'exercice du pouvoir les qualités que suscitait
le désir de commander, le souligne.
La série des grands conquérants et possesseurs d'empires que cite
Salluste débute par Cyrus et aligne après lui les Spartiates avec les Athéniens.
Le lecteur s'étonne un peu que les Macédoniens n'aient pas été ajoutés à
cette liste, ou que le nom d'Alexandre ne soit venu y figurer, cet Alexandre
qui fut le modèle favori des généraux de Rome, d'un Scipion l'Africain
ou d'un César21. Il se trouve que les raisons d'écarter les Macédoniens du
nombre de ceux qui s'approprièrent et possédèrent les empires les plus
importants, avaient été indiquées par Polybe, lorsque celui-ci, pour bien
souligner l'intérêt de sa recherche historique, avait établi, à la gloire de
Rome, une comparaison entre l'empire romain et ceux qui l'avaient précédé 22.
Dans le deuxième chapitre de sa préface (I, 1, 2), l'historien grec avait
écrit, vers la moitié du 2e siècle avant J.-C. 23: «on saisira d'un coup d'œil
l'originalité et la grandeur de mon sujet, si l'on compare et met en paral
lèleles plus célèbres puissances du passé, celles sur lesquelles les historiens
se sont le plus longuement étendus, avec l'empire romain. Voici celles qui
sont dignes de la comparaison et du parallèle: les Perses, à une certaine

20 Salluste a une prédilection pour le terme lubido sans doute à cause de sa valeur
dynamique, de l'incitation à agir qu'il comporte. Ce mot est employé par Salluste dans toutes
ses significations. Ainsi il désigne la débauche au § 5 et en Cat, VII, 4, il n'implique aucun
jugement péjoratif. Quand Salluste parle de politique intérieure, il indique combien il abomine la
dominatio d'un clan ou d'un individu sur la cité: la volonté dominatrice se rend coupable
alors d'asservir des citoyens dont la nature est de posséder la libertas. Lorsque dans le Bel.
Jug., 81, 1, Jugurtha se prononce sur la lubido imperitandi qui anime les Romains, le contexte
ne laisse aucun doute sur le blâme exprimé par l'ennemi des Romains! N'omettons pas de
signaler qu'A. La Penna (II significato..., loc. laud., p. 97-98), E. Tiffou {op. cit., p. 51)
trouvent à l'expression lubido dominandi en Cat, II, 2 une valeur péjorative.
21 Cf. Liv., XXV, 14; Suet, Diu. lui, VII; D. Michel, Alexander als Vorbild für Pompeius,
Caesar und Marcus Antonius, Archäologische Untersuchungen, Bruxelle, 1968, (Latomus 94).
22 Sur l'habileté et la rigueur avec lesquelles Polybe a mené l'éloge obligatoire de son
sujet, cf. Paul Pedech, La méthode historique de Polybe, Paris, 1964, p. 409 particulièrement.
23 Pour C. O. Brink et F. W. Walbank, (The construction of the 6th book of Polybius,
Class. Quart. 1954, p. 98), Polybe avait écrit avant 146 au moins les livres I à XV. F. W. Walbank
a traité à nouveau des difficiles problèmes de la datation des Histoires dans A historical
commentary on Polybius, vol. I, op. cit., p. 294 sq. entre autres.
SUR LE POUVOIR: UN CHAPITRE POLYBIEN DE SALLUSTE 725

époque, ont acquis un grand empire et une grande puissance; mais chaque
fois qu'ils ont osé franchir les limites de l'Asie, ils ont compromis non
seulement leur empire, mais leur existence même; les Lacédémoniens qui
avaient pendant longtemps disputé l'hégémonie de la Grèce, une fois vain
queurs, l'ont conservée à peine douze ans incontestée. Les Macédoniens ont
dominé l'Europe des rives de l'Adriatique au Danube, ce qui n'est en somme
qu'une faible partie de ce contient; ensuite ils ont conquis l'empire de
l'Asie après avoir anéanti la puissance perse. Pourtant, bien qu'ils soient
devenus aux yeux du monde les maîtres de la plupart des terres et des
Etats, ils ont laissé une grande partie du monde habité complètement en
dehors de leur conquête: ils n'ont même pas songé une seule fois à
s'emparer de la Sicile, de la Sardaigne et de l'Afrique, et ils ne connaissaient
même pas, pour parler net, les peuplades si batailleuses des pays occidentaux.
Mais les Romains, en soumettant non pas quelques parties, mais la totalité
du monde habité, ont laissé une puissance si étendue qu'il est impossible
à nos contemporains de lui résister ni à nos descendants de la surpasser.
Mon livre permettra de comprendre pour quelle raison ils ont conquis la
domination universelle et par la même occasion combien et à quel point
est profitable à ceux qui aiment s'instruire la science politique » 24.
Pour Paul Pédech, qui a repris récemment25 la conclusion à laquelle
était parvenu Georg Kaibel en 1885 26, ces considérations de Polybe sont
le premier exemple connu de ce qui deviendra un lieu commun. G. Kaibel
présentait comme premier texte grec inspiré par le chapitre de Polybe une
partie de la préface de Denys d'Halicarnasse à ses Antiquités romaines
(c. II-IV). Salluste, auquel G. Kaibel ne fait pas allusion, a précédé Denys,
du moins en tant qu'utilisateur latin du thème développé par Polybe.
Chez Salluste, la comparaison avec Rome reste implicite; sans doute
l'auteur la croit-il naturelle et spontanée pour le lecteur romain, car personne

24 Traduction de Paul Pedech (dans l'édition du livre I des Histoires de Polybe, Paris,
Belles Lettres, 1969). En commentant le premier chapitre de Polybe (I, 1, 5), F. W. Walbank
(op. cit., p. 40) a présenté des suggestions sur la genèse de la pensée de Polybe. Quand
l'historien grec a insisté sur la cinquantaine d'années qui furent seulement nécessaires à Rome
pour conquérir presque tout le monde habité, il a été « sans aucun doute impressionné par les
propos de Démétrios de Phalère sur la chute de la Perse et l'ascension de la Macédoine,
imprévisibles cinquante ans auparavant (XXIX, 21, 4) et par le parallèle de ces événements
dans la défaite infligée à la Macédoine par Rome».
25 Cf. La méthode historique, op. cit., p. 409, et Polybe, Histoires (Livres I), op. cit.,
p. 19, n. 2.
26 Cf. Dionysios von Halikarnass und die Sophistik, Hermes, 20, 1885, p. 501.
726 ANTOINETTE NOVARA

ne lit sans faire d'application, de rapprochement avec ce qui est connu


et intéresse. Le sujet de la conquête romaine va être touché dans
P« archéologie » qui introduit à la Rome de Catilina, et, s'il est fier des
hauts faits romains à la guerre, Salluste ne cesse toutefois aussi de se
demander jusqu'à quelles limites l'extension de l'empire est profitable à la
cité et en particulier si les acquisitions sur le continent asiatique ne com
portent pas plus de danger qu'elles ne sont fructueuses. Les préoccupations
du lecteur contemporain ne ρομν3ΐεηί que rejoindre celles de l'écrivain,
et il était inutile de souligner qu'après Cyrus, les Athéniens et les Lacédé-
moniens, les Romains recueillaient la gloire de posséder un très vaste empire.
Tandis que Denys d'Halicarnasse 27 fera se succéder les Assyriens et
les Mèdes, avant d'en venir aux Perses, Salluste, à l'imitation de Polybe,
commence sa série par l'empire perse: toutefois il a préféré nommer le
fondateur de l'empire plutôt que d'indiquer de façon générale, comme son

27 Cf. Ant. Rom., I, II, 2. Denys d'Halicarnasse, tout en prenant modèle sur la préface
de Polybe et en lui empruntant «un matériau qui était... le bienvenu» (G. Kaibel, loc. laud.,
p. 507) pour un amateur d'effets rhétoriques, s'est souvenu d'une autre succession d'empires
et a voulu, pour ouvrir sa liste, citer les Assyriens et les Mèdes, dont les noms intervenaient
dans une réflexion d'origine vraisemblablement orientale sur la suite de quatre grands empires
dépassés par un cinquième. Polybe lui-même avait rappelé comment Scipion Emilien, alors qu'il
contemplait la destruction de Carthage, avait médité sur la chute des empires, Assyrie, Mèdie,
Perse, Macédoine (cf. XXXVIII, 22, 2). Joseph Ward Swain (The theory of the four monarchies,
Class. Phil., 35, 1940, p. 2 sq.) a soutenu que ce thème oriental, avec lequel les soldats
romains se seraient familiarisés lors de la campagne de Magnésie, avait été introduit dans
la littérature latine par un certain Aemilius Sura, qui est cité dans une glose du chapitre VI,
de Velleius Paterculus. On y lit: «Aemilius Sura de annis populi Romani: Assyrii principes
omnium gentium rerum potiti sunt, deinde Medi, postea Persae, deinde Macedones; exinde
duobus regibus Philippo et Antiocho, qui a Macedonibus oriundi erant, haud multo post
Carthaginem subactam deuictis summa imperii ad populum Romanum peruenìt. Inter hoc
tempus et initium regis Nini Assyriorum, qui princeps rerum potitus est, intersunt anni
MDCCCCXCV». (Cf. Hermannus Peter, Historicorum Romanorum Reliquiae, vol. alt.,
Leipzig, 1906, p. 161). Pour J. W. Swain, Aemilius Sura a dû écrire entre 189 et 171 avant J.-C.
Cette datation demeure une hypothèse. Santo Mazzarino, // pensiero storico classico, II, I,
Bari, 1966, p. 490) situe à l'époque républicaine, sans préciser davantage, l'historien qu'il
préfère appeler Mamilius Sura au lieu d'Aemilius Sura, contrairement à H. Peter (H.R.R.,
II, p. ccx), qui critiquait Reiff erscheid d'avoir hasardé cette correction. Sans doute faut-il rester
sur une prudente réserve et, comme H. Peter, ranger Aemilius Sura parmi les auteurs d'époque
tout à fait incertaine (cf., p. ccvii). On ne saurait donc prétendre qu'Aemilius Sura a été une
source commune pour Polybe, Salluste et Denys. Salluste a-t-il pensé à Démétrios de Phalère,
qui a sans doute influencé Polybe (cf. n. 24)? Toujours est-il qu'il voyait, au premier plan
sur l'écran de sa mémoire, les lignes de Polybe.
SUR LE POUVOIR: UN CHAPITRE POLYBIEN DE SALLUSTE 727

prédécesseur l'avait voulu, l'hégémonie perse. Il a agi ainsi, c'est probable,


dans un hommage à Xénophon qui avait vanté les mérites de Cyrus le
Grand, et avec le souci de préciser une origine, le moment à partir duquel
la démonstration du rôle prépondérant de l'esprit dans la guerre a été
accomplie28. Salluste ne retient du texte de Polybe que la désignation des
conquérants et ne reprend pas les commentaires sur l'extension et la durée
des empires: il abrège; il précise aussi; alors que Polybe ne nommait pas les
Athéniens et les dissimulait dans son allusion aux peuples à qui les Lacédé-
moniens ont disputé l'hégémonie sur la Grèce, Salluste tient à les mentionner,
ne serait-ce qu'en l'honneur de Thucydide, mais l'ordre qu'il adopte se
ressent apparemment de la tournure choisie par Polybe: in Graecia Lace-
daemonii et Athenienses. . .2Ç>. Puis, étant donné qu'il approuve les raisons
de Polybe qui voulait rayer de la liste des grands conquérants et possesseurs
d'empires les Macédoniens, Salluste ne souffle mot de ceux-ci; il a mis en
pratique les suggestions polybiennes. Denys d'Halicarnasse n'observera pas
un pareil silence, que ne rompt aucun mot de précaution à l'égard du lecteur,
et il reprendra, lui, avec soin, comme l'a souligné G. Kaibel, le raisonnement
de Polybe sur l'extension de l'empire macédonien30.
Ainsi ce chapitre de Salluste sur le pouvoir ne peut être expliqué que
si l'on retrace sa genèse. La reconstitution de celle-ci révèle non seulement
la connaissance trop souvent sous-estimée 31 que Salluste avait de son Polybe,
mais le travail de l'écrivain. Tout se passe comme si Salluste utilisait une
sorte de carnet de citations et de notes prises au cours de sa lecture des
livres I, VI et X des Histoires, comme si, après avoir éprouvé le désir
de chercher un modèle pour sa préface chez Polybe, il avait été entraîné à

28 Salluste aime marquer les «origines». Le début du chapitre VI du Catilina en est


un exemple: origine de la première cité, origine de Rome.
29 II est aussi plausible, mais à un degré moindre en raison de la subtilité de l'explica
tion, que Salluste ne songe plus alors à la succession des grandes hégémonies et donne, à
propos de la domination grecque en général sur le monde méditerranéen, la chronologie des
manifestations de convoitise territoriale en Grèce, conformément aux remarques de Polybe dans
le livre VI (49, 1). Il citerait ainsi la domination perse, puis la domination grecque, en apportant
à ce sujet des précisions sur les désirs de conquête: ce nouvel ordre chronologique brouillerait
quelque peu la perspective chronologique générale.
30 Cf. Ani. Rom., II, 3-4, cité par G. Kaibel, loc. laud., p. 502.
31 Ainsi Paul Perrochat (Les modèles grecs de Salluste, Paris, 1949) avait eu le tort de
ne pas tenir compte de Polybe dans son recensement des inspirateurs hellènes de Salluste.
Les doutes d'A. La Penna à propos de l'influence de Polybe sur Salluste ont été signalés n. 7.
728 ANTOINETTE NOVARA

revoir aussi le livre VI des Histoires pour stimuler ses réflexions sur le
thème du pouvoir et s'était souvenu d'un épisode du livre X qui l'avait frappé.
Entre ses réminiscences de Polybe, Salluste a inséré, en manière de
transition, l'idée qui lui est chère de la plus grande difficulté que présente
pour Variimi uirtus l'existence en temps de paix32. Et la conclusion de
son chapitre sur le pouvoir est celle qu'il a tirée des diverses méditations
de Polybe sur Γάρχή: «Ita Imperium semper ad optumum quemque a minus
bono transfertur ».
On pourrait déduire de cette loi optimiste la croyance à un progrès
politique, entrecoupé de ces mauvais moments nécessaires où se corrompt
un régime pour laisser place à un meilleur; la phrase imprime dans l'esprit
du lecteur la conviction que la possession du plus grand empire correspond
aux plus grands mérites. D'une pareille loi sur les transferts du pouvoir, il est
possible de tirer des consolations dans les pires crises de politique intérieure
ou extérieure, puisqu'un mauvais pouvoir ne saurait durer, et une exaltante
morale de la conquête et de l'exercice du pouvoir: sur le conquérant et le
maître du pouvoir pèse la menace de céder le pouvoir à un meilleur; il
y a l'obligation d'être le meilleur pour qui veut exercer durablement le
pouvoir. Mieux vaut ne pas insister sur la mauvaise utilisation qui peut
être faite de la pensée de Salluste.
Plus subtilement l'analyse de la genèse de ce chapitre permet de dissiper
cette sorte de malaise qu'on éprouve à le parcourir, et elle invite à secouer
les habitudes de lecture.
Salluste a d'abord exprimé en latin la quintessence des extraits qu'il
avait accumulés des Histoires polybiennes. Si par son choix et par sa fo
rmulation il a fait siennes les idées de Polybe, il les a aussi liées de façon
originale. Il a inséré entre elles une transition qui paraît toute personnelle
et a conclu à sa manière propre.
L'ordonnance de ces pensées sur le pouvoir est caractérisée par de
fortes articulations logiques qui confèrent au chapitre ses vertus de mouve
ment. Mais si, trop docile aux apparences, le lecteur ne freine son élan,
il trouve que Salluste se joue de lui: ne lui faudrait-il pas admettre, en
définitive, que toute guerre de domination est une entreprise morale?

32 Le parallèle que signale Avenarius entre l'Epitre VII de Platon, 325 e et Cat. II, 3
ne concerne que «aliud alio ferri» (φερόμενα... πάντη πάντως). Il s'agit d'expressions quasi
proverbiales.
SUR LE POUVOIR: UN CHAPITRE POLYBIEN DE SALLUSTE 729

Mais Salluste ne dit rien de tel, et la théorie de la guerre aux justes


causes33 est trop ancrée dans la mentalité romaine pour qu'il en soit arrivé
à cet excès. Il est de fait que Salluste ne s'est pas soucié d'indiquer, à la
façon de Polybe, comme facteurs du dynamisme impérialiste les lois qui
qui organisent les Etats, et l'on peut regretter qu'il n'ait pas la rigueur de
l'historien grec dans ses démonstrations.
Chaque phrase de Salluste ici, taillée pour elle-même, doit être lue
comme une maxime. Il conviendrait de séparer l'une de l'autre par un
silence ces pensées sur le pouvoir et l'impérialisme. Ce contraste entre un
mouvement apparent dû aux articulations logiques et l'immobilité des
œuvres sculpturales que sont les maximes donne au lecteur pressé quelque
malaise. La liaison logique ne sert qu'à imposer au regard un ordre qui
fait valoir chaque phrase, à la méditation un ordre suggestif qui la rendra
plus profonde.
Cet ordre, que Salluste a conçu pour attirer une égale attention sur
chaque formule, assure également le progrès de la pensée entre deux notions
sur lesquelles Camèade avait joué dans son fameux exposé double, pour
et contre la justice. Ce sont la sapientia en tant que sagesse avisée, et la
iustitia. Dans le troisième livre du De Republica, Cicéron avait rapporté
les propos de Camèade sur l'impérialisme, le pouvoir, la justice et la sagesse
(c. 12-15). Et Salluste a montré d'abord des manifestations de la sapientia
dont les exemples sont multiples dans l'histoire du pouvoir. Ensuite on
passe à la iustitia qui domine la grande loi régissant tout pouvoir.
A retrouver chez Polybe l'inspiration principale de Salluste pour ce
chapitre sur le pouvoir, on surprend l'historien latin à son ouvrage même,
ce qui contribue à faire apprécier l'œuvre achevée à sa juste valeur.

33 Les conditions de la guerre juste sont rappelées par Cicéron dans le De Republica
(III, 34), dans le De Legibus (III, 8), dans le De Officiis (I, 36), où l'auteur traite {id. 38)
des caractéristiques de la guerre de imperio. La conception cicéronienne de l'impérialisme
romain et de la guerre a été résumée par Alain Michel, dans Les lois de la guerre et les
problèmes de l'impérialisme romain, p. 181 des Problèmes de la guerre à Rome, sous la
direction de Jean-Paul Brisson, Paris-La Haye, 1969.
JEAN-MARIE PAILLER

«RAPTOS A DUS HOMINES DICI...» (TITE-LIVE, XXXIX, 13):


LES BACCHANALES ET LA POSSESSION PAR LES NYMPHES

Nul ne le conteste plus: la relation par Tite-Live de l'affaire des


Bacchanales contient un fond de vérité. En premier lieu, l'étude minutieuse
du Senatus-consultum de Bacchanalibus a permis d'authentifier dans ses
grandes lignes le récit de la répression 1; d'autre part, l'époque semble égal
ement révolue où détails romanesques, exagérations polémiques et déformat
ions calomnieuses2 disqualifiaient purement et simplement aux yeux de
l'historien les renseignements d'ordre religieux fournis par ce passage, « le
premier, et même à vrai dire le seul document littéraire que nous ait
livré l'antiquité sur les mystères dionysiaques au sens propre » 3. On est
enclin à admettre aujourd'hui qu'en plusieurs endroits Tite-Live - ou du
moins la ou les sources dont il s'inspire4 - s'appuie sur le procès-verbal
établi en vue de la quaestio: en particulier, le morceau (13, 8-14) qui
transcrit la confession d'Hispala constitue, une fois supprimées les gloses,
« un rapport véridique » 5 dont l'analyse a pu fonder des conclusions 6 géné-

1 Voir notamment la série d'articles publiés dans Hermes de 1932 à 1936 par E. Fraenkel
et M. Gelzer, ainsi que l'étude d'Y. Béquignon, Observations sur l'Affaire des Bacchanales,
dans RA, 1941, I, p. 184-198.
2 Comme dans tous les cas de répression de « déviants » au cours de l'histoire, il est
difficile de faire la part de la malveillance et de l'incompréhension, qui se nourrissent et se
renforcent mutuellement.
3 A. J. Festugière, Ce que Tite-Live nous apprend sur les mystères de Dionysos, dans
MEFR, LXVI, 1954, p. 79 (= Etudes de religion grecque et hellénistique, Paris, 1972, p. 89).
Cf. déjà G. Méautis, Les aspects religieux de l'Affaire des Bacchanales, dans REA, XLII,
1940 {Mélanges Radet), p. 476-485, en particulier p. 480.
4 Voir notamment sur ce point G. Tarditi, La questione dei Baccanali a Roma nel
186 a.C, dans La Parola del Passato, XXXVII, 1954, p. 265-287, spécialement p. 265-267
et 286-287.
5 Festugière, art. cité, p. 91 = Etudes, p. 101.
6 Ibid., p. 98-99 = p. 108-109.
732 JEAN-MARIE PAILLER

ralement acceptées sur la composition du thiase, la cérémonie de l'initiation,


les actes de culte des initiés.
Le nouveau crédit accordé au récit de « l'affaire » s'est révélé fécond:
divers ouvrages ou articles récents7 ont mis en évidence les réalités à la
fois masquées et dévoilées par une affabulation romanesque autant que
répressive. On peut citer en ce sens les observations de C. Gallini, pro
longées et rectifiées par R. Turcan8, sur les noms théophores que portent
ici les « dignitaires » bachiques la suggestion de P. Boyancé 9 concernant
la qualité de Mater soulignée chez la prêtresse Paculla Annia, ou l'étude plus
générale du même auteur sur les antres bachiques 10. On retiendra encore
les remarques concluantes de J. Heurgon n sur le succès du culte de
Dionysos en Etrurie à la fin du IIIe s. et au début du IIe s. av. J.-C.
Ces découvertes éparses mériteraient sans doute d'être rassemblées
pour enrichir le tableau de « ce que Tite-Live nous apprend sur les mystères
de Dionysos ». C'est sur un point déjà abordé dans l'article qui porte ce
titre que je voudrais maintenant revenir.
Tite-Live fait dire à Hispala: Raptos a dus homines dici quos machinae
illigatos ex conspectu in abditos specus abripiant . . . On comprend en
général 12 que des hommes (homines) qu'on attachait à des machines pour

7 En fait, en 1891 déjà, Dieterich {De hymnis orphicis, Marburg, p. 39) avait reconnu
dans les pastores révoltés qu'évoque Tite-Live des βουκόλοι dionysiaques. Thème repris et
développe par P. Wuilleumier, Tarente des origines à la conquête romaine, dans BEFAR, 148,
Paris, 1939, p. 498. De même, la correction de lucus Similae (Tite-Live, XXXIX, 12) en
lucus Semelae (de Sémélè, mère de Dionysos) a-t-elle été proposée de longue date par maint
éditeur et commentateur.
8 Cf. C. Gallini, Protesta e integrazione nella Roma antica, Bari, 1970, p. 14-15, 34, 38;
et surtout le compte-rendu de ce livre par R. Turcan, Religion et politique dans l'affaire
des Bacchanales, dans RHR, 181, 1972, p. 3-28, en particulier p. 15, n. 3; p. 18-19.
9 Dionysos et Sémélé, dans Rendiconti della Pontificia Accademia di Archeologia,
XXXVIII, 1967, p. 97.
10 L'antre dans les mystères de Dionysos, dans Rendiconti della Pontificia Accademia
di Archeologìa, XXXIII, 1962, p. 107-127.
11 Le culte de Dionysos en Italie primitive, dans REL, 35, 1957, p. 106-112. Voir aussi
A. Bruhl, Liber Pater: origine et expansion du culte dionysiaque à Rome et dans le monde
romain, dans BEFAR, 175, Paris, 1953, p. 49 sq., 70 sq. et pi. II et IV: remarques sur Dionysos
en Etrurie complétées par M. Pallottino, dans SE, XXV, 1957, p. 604-607. Une des versions
auxquelles se réfère Tite-Live (celle de Valerius Antias selon G. Tarditi, art. cité, p. 287)
plaçait un Graeculus uates, charlatan installé en Etrurie, à l'origine de la contagion dionysiaque
à Rome (Tite-Live, XXXIX, 8, 5). Voir infra, p. 738-740.
12 Ainsi D. Nisard (Tite-Live, XXXIX, éd. Firmin-Didot, Paris 1856, rééd. Paris. Belles-
Lettres, 1970) traduit: «les dieux étaient supposés enlever des malheureux, qu'on attachait
LES BACCHANALES ET LA POSSESSION PAR LES NYMPHES 733

les jeter dans des antres souterrains (abditos specus) passaient pour (dici)
avoir été ravis par les dieux (raptos a dus). En fait, la construction person
nelledu passif de dico au sens de « on dit que ...» est plausible, mais rien
n'interdit ici de donner à ce verbe son sens de « appeler », usuel avec un
attribut 13. Dans cette hypothèse, on pourrait conserver la même construc
tion (homines sujet, raptos a dus attribut) ou en adopter une autre, légèr
ement différente, avec [eos] antécédent non exprimé de la relative quos
machinae . . ., et le groupe raptos a dus homines en position d'attribut.
Cette seconde possibilité est sans doute linguistiquement préférable 14. Cela

à une machine et qu'on faisait disparaître en les précipitant dans de sombres cavernes»;
E. Lasserre (Paris, Garnier, 1936): «On attribuait aux dieux la disparition des malheureux...»;
E. T. Sage (éd. Loeb, Londres, 1965): «Men were alleged to have been carried off by the
gods...»; et encore A. J. Festugière (art. cité p. 90 = p. 100): «Certains hommes ... passaient
pour avoir été enlevés par les dieux».
13 Voir les nombreux exemples donnés par le Thesaurus linguae latinae, V, 1, Leipzig,
1934, col. 981-982. Noter en particulier que ce verbe est souvent employé pour désigner une
traduction, ou une transposition, du grec au latin.
14 Dans l'autre hypothèse, l'emploi du mot homines comme antécédent de la relative
fait problème. Ou bien, en effet, l'auteur veut désigner par là «les gens qui, ceux qui...»,
sans distinction de sexe ni de catégorie, mais dans cet emploi généralisant c'est l'anaphorique
eos - le plus souvent omis devant un relatif au même cas - qui semblerait s'imposer. Ou
bien il s'agit d'une catégorie particulière de personnes: des hommes par opposition aux femmes,
et l'on attendrait uiros; de certains hommes par opposition aux autres participants aux bac
chanales, et il faudrait quosdam, ou nonnullos. Festugière a bien senti la difficulté, qui inter
roge: «cet homines - non uirosl - peut-il comporter la signification α'ανυρωποι, c'est-à-dire
désigner des «personnes», hommes ou femmes, sans que l'auteur veuille préciser?» (art. cité,
p. 90, n. 1 = p. 100, n. 1). Interprétation qui pourrait s'autoriser du contexte (uiri et feminae
y sont soigneusement distingués), mais aussi d'un passage du sénatus-consulte des Bacchanales
lui-même (1. 19 sq.), où le terme homines concerne explicitement des «personnes» des deux
sexes: homines plous V oinuorsei uirei atque mulieres {CIL I, 196 = Dessau, ILS I, 18).
Telle est bien, certainement, la valeur d'homines dans notre texte. Mais cette indétermination
délibérée serait tout aussi bien rendue par l'antécédent eos, exprimé ou non - et si Hispala
avait voulu insister sur une certaine «promiscuité», comme elle le fait maintes fois, elle aurait
eu recours, elle aussi, à l'expression homines, uiri atque mulieres... On voit qu'il est difficile
de justifier la présence dans le texte du mot homines, si l'on retient la construction couram
ment reçue. Dans l'autre hypothèse, au contraire, qui fait de raptos a dus homines un attribut,
l'expression du substantif homines, à défaut d'être absolument nécessaire à la correction gramm
aticale, s'explique simplement: le mot sert d'appui au groupe raptos a dus. Il serait évidem
mentinutile si l'attribut consistait en un simple adjectif, ou en un participe sans détermination
complétive. Notons enfin que la construction ici proposée met en valeur le rapprochement
expressif diis-homines, et la perspective de quasi-divinisation qu'il suggère (cf. Festugière,
art. cité, p. 95-96 = p. 105-106).
734 JEAN-MARIE PAILLER

n'importe guère pour le sens: avec cette nouvelle interprétation de dici,


au lieu de « on disait qu'avaient été ravies par les dieux les personnes qu'on
attachait pour les jeter ... », il faut comprendre: « on désignait du nom de
'personnes ravies par les dieux' celles que...».
Si nul traducteur n'a envisagé cette hypothèse (dici au sens de « être
appelé »), c'est qu'elle implique pour l'expression raptos a dus (homines)
une valeur religieuse précise et quasi-technique, qui n'a pas été reconnue,
mais qui semble tout à fait à sa place dans un « procès-verbal ». On serait
en présence d'une des nombreuses révélations faites par Hispala. De même
qu'elle livre les noms des principaux responsables d'une coniuratio dont
elle trahit aussi les secrets rituels, elle fournirait ici une indication précise
sur certains termes employés par les « bacchants » eux-mêmes pour désigner
les diverses catégories de participants aux mystères, et sur les états psycho
logiques et religieux qu'ils connaissent au cours des cérémonies.
Or, les termes raptos a dus, qu'on peut rendre par « ravis », « enlevés »,
« transportés par les dieux », c'est-à-dire « en proie aux dieux », comme écrit
André Gide 15, plutôt que « proie des dieux », - ces termes rendent assez
exactement le mot grec bien attesté ϋεόληπτος (littéralement: « saisi par le
dieu »), dont ils sont probablement la traduction 16. Non seulement, en effet,
Paculla Annia et ses « fils » 17, les Campaniens Minius et Herennius Cerrinius,
devaient parler le grec, mais surtout la langue sacrée des mystères était à
l'origine et, jusque sous l'Empire, est demeurée la langue grecque 18.
Cette expression imagée désigne en fait la « possession » par la divinité,
et caractérise P« inspiré », celui par la bouche de qui parlent les dieux.
Dans le texte livien, il faut en ce sens rapprocher raptos a dus homines
de la description donnée un peu plus haut des transports des bacchants:
viros velut mente capta cum iactatione fanatica corporis vaticinari, « les

15 Journal, 1939-1949 (1940), Paris, 1960, p. 49.


16 Le rapprochement est signalé, sans autre commentaire, par C. Gallini, op. cit., p. 59
et p. 92, n. 21.
17 J'écris le mot entre guillemets, car Paculla Annia, selon toute vraisemblance, n'est
«mère» qu'au sens religieux du terme: celle qui patronne le thiase et donne l'initiation, - à
moins qu'elle ne soit à la fois mater nata (naturelle) et facta (cultuelle), comme la dedicante
d'une inscription de Trêves (Greek Inscriptions in the British Museum, IV, 2, 600). Cf. supra,
p. 732, n. 9; et le commentaire de P. Boyancé, art. cité ad loc, p. 96-97.
18 Cf. par exemple, au IIe s. ap. J.-C, l'inscription de Torre Nova, avec les remarques
de F. Cumont, The Bacchic inscription in the Metropolitan Museum, dans A] A, XXXVII, 1933,
p. 259-261.
LES BACCHANALES ET LA POSSESSION PAR LES NYMPHES 735

hommes, comme hors d'eux-mêmes, prophétisaient en s'abandonnant à des


contorsions frénétiques ». C'est bien le même bouleversement spirituel qui
est décrit, à quelques lignes d'intervalle, avec des mots différents 19. A
l'espèce de « démence rituelle » propre aux mystères dionysiaques s'ajouterait,
si l'on s'en réfère à l'emploi du verbe vaticinari, ce que E. R. Dodds nomme
une « démence oraculaire » 20. Quoi qu'il en soit, l'idée centrale est que
l'individu touché par la ϋεολήψια ne s'appartient plus, qu'il est tout entier
« en proie aux dieux », et comme tel nanti de certains pouvoirs divins.
Le rôle joué dans cette transfiguration par l'antre sacré - abditus specus -
reste à préciser 21, mais pour le bien entendre, on interrogera encore une fois
la formule sacrée: raptos a dus homines. . .: qui s'emparait au juste de l'âme
des bacchants?
La réponse serait évidente (Dionysos, Bacchus, Liber, quelque nom que
l'on donne au dieu), n'était le pluriel dus22. Ce point n'a guère inquiété
les commentateurs: attribuant à dici le sens de « on rappportait que », ils
reconnaissent ici une affabulation vague et méprisante, un « conte de bonne
femme » mettant en scène des dieux nombreux et indéterminés, ou plus
simplement «les dieux». On est aux antipodes des claires nomenclatures
de la religion romaine, et l'on conçoit que Tite-Live, esprit sceptique et
traditionnel à la fois23, ait ainsi compris, ou plutôt déformé, le fragment de

19 On notera pourtant la parenté sémantique des participes capta et raptos... En tout


cas, ces redites, et le manque de cohérence de la composition, ne doivent pas surprendre:
on en a plusieurs autres exemples dans le récit de l'affaire, et particulièrement dans la « con
fession d'Hispala». Cela résulte de l'alternance déjà notée de fragments du rapport officiel
- sinon les ipsissima uerba d'Hispala, du moins un condensé de ses propos - et de com
mentaires malveillants. Il serait tentant, mais sans doute vain, de regrouper les fragments
apparentés et de supprimer les «doublets» (par exemple XXXIX, 11, début - 13, fin).
20 Voir le chapitre III de son livre, Les Grecs et l'irrationnel, éd. fr., Paris, 1965: Les
bienfaits de la folie (p. 75-82). Dodds se réfère là à la classification de Platon (Phèdre, 265 a).
Sur Γέπίληψις comme «mal sacré», ibid., p. 73. Cf. également H. Jeanmaire, Dionysos, Histoire
du culte de Bacchus, Paris, 1951, p. 190-191, sur les nymphes Thriai, divinités prophétiques
qui précédèrent au Parnasse Apollon et la Pythie, tout en préfigurant les Thyiades par leur
comportement de bacchantes. Jeanmaire souligne {ibid., p. 194) que cet aspect oraculaire reste
flou, quoique souvent suggéré.
21 Cf. Festugière, art. cité, passim et p. 94-95 = p. 104-105.
22 A rapprocher du même pluriel employé quelques lignes plus haut dans l'expression
tamquam deum monitu, à propos de l'action de Paculla Annia. Mais la formule monitus
deorum est stéréotypée; introduite par tamquam, elle prend une couleur ironique: l'auteur
prend ses distances par rapport à la source d'inspiration supposée de la prêtresse de Bacchus.
23 Voir notamment W. Liebeschuetz, The religious position of Livy's History, dans JRS,
LVII, 1967, p. 45-55.
736 JEAN-MARIE PAILLER

procès-verbal inséré dans sa relation. Mais on ne voit pas en quoi ce contre


sensl'eût conduit à modifier le détail des propos d'Hispala: c'est bien à
cette dernière, donc à la langue même des mystères, que remonte cette
formulation à première vue surprenante.
Un premier rapprochement s'impose avec le pluriel Bacchis de l'e
xpression initiare (ou initiarï) Bacchis, elle aussi très curieuse et attestée
seulement dans le récit livien des Bacchanales. On ne peut guère traduire
que par « initier aux mystères de Bacchus », mais le sens littéral est à peu
près « faire entrer par initiation chez les Bacchant(e)s ». Double caracté
ristique de ces mystères: on y conçoit l'initiation comme introduction dans
un groupe au moyen d'une cérémonie communautaire, et non d'une « promot
ion » individuelle; en second lieu, ce groupe, fondamentalement féminin 24,
se compose d'êtres semi-divins habités par le dieu: les Bacchae sont l'équi
valent exact des « Ménades » grecques. Autant le nom des premières (comme
le verbe bacchor) indique une assimilation à la divinité 25, autant celui des
secondes en fait des « possédées ». Le P. Festugière peut ainsi établir un
parallèle éclairant, tant du point de vue du vocabulaire que de la construc
tion (avec le datif), entre Bacchis initiare et la formule de VIon: έΰιάσευσ[ε] . . .
μαινάσιν . . . Βακχίου 26.
Le pluriel diis se référerait-il à ce groupe de personnages qui entraîne
{rapit) en son sein le nouvel initié, et lui communique le furor bachique?
En fait, les Bacchantes ou Ménades, même inspirées, ne sont pas à propre
mentparler des divinités; mais très tôt, les Anciens les ont assimilées à
d'autres campagnes de Dionysos 27, réellement divines, celles-là 28: les Nymphes.
Or, la notion de « rapt par les nymphes » est couramment attestée, et peut
être rapprochée du texte de Tite-Live à un double titre: c'est un délire
bachique qui s'empare du νυμφόληπτος; Dionysos a été nourri et éduqué
par une ou des nymphes, et cela dans leur antre.

24 Cf. Jeanmaire, op. cit., p. 90 et passim.


25 On a souvent remarqué dans l'iconographie dionysiaque, et par exemple à la Villa des
Mystères, l'intime mélange de l'élément humain et de l'élément divin.
26 Euripide, Ion, v. 550-553.
27 Cf. H. Jeanmaire, op. cit., p. 61-62, p. 275-278: «la Mènade (...) a son correspondant
mythique dans les nymphes nourrices du dieu» (p. 278): on retrouve l'équivalence humano-
divine signalée plus haut, n. 25. De même, E. Coche de la Ferté note une «tendance à la
confusion entre les Ménades et les nymphes de Nysa» sur les vases grecs, notamment à
proximité de grottes rocheuses (Les Ménades et le contenu réel des représentations de scènes
bachiques autour de l'idole de Dionysos, dans RA, XXXVII, 1951, 2, p. 21).
28 L'expression deae Nymphae se rencontre ainsi dans plus d'une inscription: par exemple
ILS 7075, 9262; cf. 3847.
LES BACCHANALES ET LA POSSESSION PAR LES NYMPHES 737

Νυμφόληπτος: le terme spécifie θεόληπτος; c'est même le seul composé


de la même famille. Aussi les deux mots conjoints peuvent-ils désigner une
même catégorie de personnes: οί νυμφόληπτοι και θεόληπτοι των άνϋρώπων,
έπιπνοία δαιμονίου τινός ώσπερ ένϋουσιάζοντες écrit Aristote 29, et Platon use
de la même expression pour qualifier un « enthousiasme » bachique 30.
Raptus a dus pourrait donc traduire νυμφόληπτος plus exactement que
θεόληπτος, ou du moins un θεόληπτος incluant un νυμφόληπτος: ceci dans
une langue beaucoup moins apte que le grec, surtout au début du IIe s. av. J.-C,
à rendre les concepts « mystiques ». Interprétation d'autant plus vra
isemblable que la même phrase de Tite-Live désigne comme « ravis par
les dieux » ceux qui « descendent dans des antres souterrains ». Antres
« bachiques » 31, ces cavernes sont à identifier avec la demeure des nymphes,
lieu de l'éducation-initiation de l'enfant Dionysos32. Les individus mention-

29 Eud. Eth., 1214 a, 5.


30 Phèdre, 238 c-d: «le lieu m'a l'air d'être réellement divin (ϋεΐος), au point que si j'en
viens, dans le cours de mes propos, à être un possédé des nymphes (νυμφόληπτος), ne t'étonne
pas: ce que je dis en ce moment n'est plus si loin du dithyrambe». V. encore Hesychius,
qui définit les νυμφόληπτοι (s.v.) comme oi κατεχόμενοι νΰμφαις - traduisons rapii a nymphis -,
lesquels sont μάντεις και έπιυειαστικοί (sur l'emploi de ces derniers termes, cf. supra, p. 735
et n. 20).
31 «Antre bachique»: la formule est consacrée, mais ne doit pas induire en erreur: ces
sortes de cavernes ne sont en aucune façon le « séjour » de Dionysos. Il faut plutôt y voir
un lieu d'accueil provisoire, où se déroulent et le mythe fondateur (l'éducation de Dionysos)
et le rite qui périodiquement l'actualise (l'initiation des bacchants). Le contenu même du mythe
et du rite explique que Dionysos ne soit pas le titulaire, le « propriétaire » du sanctuaire
souterrain, mais, au même titre que ses fidèles, l'hôte en ces lieux, et en somme l'obligé des
nymphes. Sur cet exemple précis, on saisit le caractère essentiellement errant, mobile, de ce
dieu migrateur et «accapareur», si bien analysé par H. Jeanmaire, op. cit., p. 192-193 (com
paraison avec Apollon): «on le rencontre partout et ... pourtant il n'est nulle part chez lui»
(p. 193) et p. 273-275: parallèle (p. 273) avec Hadès, souverain permanent d'un séjour infernal
exactement localisé: «la géographie mythique de Dionysos», elle, «n'a guère plus de localisation
dans l'espace mythique que dans l'espace réel», - et plus loin: «La mythique Nysa... est le
lieu de son enfance et de son éducation... ce n'est pas son séjour de prédilection ni... la
terre promise à ses fidèles». J. Bayet (Le phénomène religieux dionysiaque, dans Critique,
80, 1954, p. 20 sq.) définit en ce sens F« accapareur » Dionysos comme une «pensée religieuse
qui rayonne et annexe » plutôt que comme une personne divine. Voir également C. Gallini,
op. cit., p. 64-65. Par là, peut-être, entrevoit-on comment les Graeculi uates itinérants que
dénonce Tite-Live (XXXIX, 8, 1-2) ont pu implanter le culte de leur dieu, en le «greffant»
sur tel ou tel culte rendu localement aux nymphes (voir infra, p. 740).
32 Cf. A. J. Festugière, Les Mystères de Dionysos, dans Revue Biblique, XLIV, 1935
(appendice, p. 382-396), article réédité dans Etudes de religion..., op. cit., p. 48-62; P. Boyancé,
L'antre dans les mystères de Dionysos, dans l'article déjà cité des Rendiconti della Pontificia
738 JEAN-MARIE PAILLER

nés par Hispala apparaissent donc comme ceux qu'une inscription33 nomme
les symmystai de Dionysos: ceux qui, après le dieu et avec lui, rejoignent
les nymphes dans leur sanctuaire et sont grâce à elles pénétrés du délire sacré.
Reste une dernière difficulté: pourquoi, s'il s'agit bien des nymphes,
lit-on dus et non nymphis ou, au féminin, deabus 34? Deux types de raisons
peuvent être avancées: l'une serait que l'on est en présence d'une traduction
très générale du grec θεόληπτος. Cette explication n'est pas exclusive d'une
seconde35: les nymphes, par essence même, sont des déesses, non seulement
groupées entre elles, mais qui se joignent facilement à d'autres divinités;
le dieu Pan, entre autres, est fréquemment représenté sur des reliefs figurant
l'antre des nymphes, en train de mener leur cortège dansant. Sans exclure
Dionysos lui-même, dont Pan est d'ailleurs un des fidèles suivants. Aussi
n'est-il pas possible de préciser davantage, mais dus paraît désigner global
ementles éléments du thiase bachique qui ont, d'une façon ou d'une autre,
partie liée avec le ζάοεον άντρον 36.

Accademia..., p. 111-113, 118-123, 126. Sur la Nymphe Mystis, au nom évocateur, cf. Nonnos,
Dionysiaques, IX, 101 sq. et P. Boyancé, Dionysiaca, dans REA, LXVIII, 1966, p. 53. Voir
encore, pour l'iconographie, G. E. Rizzo, Dionysos Mystes, dans Atti dell'accademia di
Archeologia di Napoli, 1918, p. 39 sq. et surtout Cl. Bérard, Art alexandrin et mystères
dionysiaques, Le «vase bachique» d'Avenches, dans le Bulletin de l'Association Pro Aventico,
19, 1967, p. 67 sq. Sur des représentations d'un Polyphème «dionysiaque» dans des «grottes-
nymphées», cf. H. Lavagne, Le Nymphée au Polyphème de la Domus Aurea, dans MEFR,
82, 1970, p. 712-719.
33 Publiée par J. Bousquet dans BCH, LXII, 1938, p. 51 sq.; cf. BCH, L, 1926, p. 242.
34 Le mot deae, en principe, n'est employé seul pour désigner les nymphes que si le
contexte ne laisse pas place à l'équivoque; cf. ILS, 3847 (inscription dédiée à Esculape, à
Hygie et aux nymphes): dii deaeque huiusque loci salutar es, où, comme on voit, la distinc
tion entre divinités masculine et féminines est explicite.
35 Noter d'autre part que dans le cas présent l'expression raptus a nymphis aurait créé
une ambiguïté, par les résonances funéraires qu'elle a acquises, en relation avec plusieurs
épisodes mythologiques (Daphnis, Hylas surtout...) et qu'on retrouve dans des inscriptions,
par exemple ILS 8482 = CIL 29195 (Rome); cf. la formule abuit ad Nymfas sur un relief
de Grossetto (voir les remarques de A. Carnoy, dans Muséon, LXIX, 1956, p. 187 sq.).
36 « Un endroit est appelé ζάΰεον quand il est comme rempli d'un souffle divin »
(W. Vollgraff, dans BCH, LI, 1927, p. 454: commentaire des lignes 140-141 du péan de
Philodamos à Delphes (strophe XI). Vollgraff examinait là une lecture possible de ces deux
lignes: (...) ζάΰέον τε [τεδ]/ξαι ΰεφ πρέπον αντρον. Lecture à mon sens préférable à celle, bien
pléonastique, qu'il retient finalement (ζαΰέωι... / ΰεφ; cf. Euripide, Phéniciennes, 232: ζάϋεά
τ' άντρα δράκοντος). Quoi qu'il en soit, l'idée est nettement exprimée d'un lieu rempli, par
essence même, de la présence divine, et remplissant, « saisissant » de cette présence ceux qui
le visitent. On peut rapprocher de cette formule, non seulement le passage de Platon cité
LES BACCHANALES ET LA POSSESSION PAR LES NYMPHES 739

On le voit: les nuances que ces pages, qui trouvent leur point de
départ dans l'article fondamental du P. Festugière, ont voulu introduire dans
la traduction de Tite-Live et dans la compréhension de certains termes
religieux conduisent à une interprétation un peu différente de celle pro
posée, sur ce point précis, par le même auteur 57. J'y vois cet avantage qu'on
est ainsi dispensé de chercher hors des mythes, des rites et des lieux saints
dionysiaques la raison d'être d'un langage au premier abord déconcertant.
Une récente découverte archéologique confirme cette hypothèse et
permet d'éclairer à son tour certains aspects du récit de Tite-Live. Une
salle souterraine carrée à vqûte tronconique et oculus central trouvée à
Bolsena - la Volsinii romaine 38 - se rattache à un sanctuaire bachique aménagé
entre 220 et 200 av. J.-C, et détruit par le feu 30 à 60 ans plus tard.
D'évidence, il s'agit d'une de ces cavernes dites « dionysiaques », plus souvent
décrites dans des textes, évoquées dans des inscriptions ou même illustrées
par des représentations figurées qu'attestées dans la réalité 39. De cet ensemble,

supra, p. 737, n. 30 (θείος... ό τόπος), mais d'autres textes ou inscriptions qui mentionnent
plus précisément des «antres»: notamment celui de Vari, qu'un certain Archidémos de Théra
fit aménager sous l'inspiration de nymphes: νυμφόληπτος φραδαΐσι Νυμφών ταντρον έξηργάξατο
(C. Inscr. Att, I, 423-425), et le « Sphragidion » où, selon Pausanias (IX, 3, 9) et Plutarque
{Vit. Arist. XI, 3-4) les nymphes du Cithéron prononçaient jadis des oracles: το των
Σφραγιτίδων νυμφών αντρον (...) έν ω και μαντείον ήν πρότερον, ως φασι, και πολλοί κατείχοντο
τών έπιχωρίων, ους νυμφολήπτους προσηγόρευον (Plutarque, loc. cit.). Antre de nymphes plus
ou moins «bachiques», lieu privilégié de la possession oraculaire des νυμφόληπτοι: il semble
que l'on rejoigne ici une notion assez commune dans l'Antiquité, et rattachée à d'anciennes
légendes (à πρότερον ως φασι chez Plutarque correspond το άρχαΐον . . . έχει λόγος, selon Pausanias,
loc. cit.); cf. sur ce point J. Toutain, Les cavernes sacrées dans l'Antiquité grecque, dans
Annales du Musée Guimet, XXXIX, 1912, p. 167-168. - On peut songer, en milieu étrusque,
aux enseignements de Végoia, elle aussi nymphe et prophétesse, (enseignements sans doute plus
récents qu'on n'avait cru; cf. J. Heurgon, The date of Vegoia's Prophecy, dans JRS, XLIX,
1959, p. 41 sq.). Sur un «antre des nymphes» en Etrurie, voir infra, p. 740.
37 Art. cité, p. 94-96 = p. 104-106.
38 Voir J.-M. Pailler, Bolsena 1970. La maison aux peintures, les niveaux inférieurs et
le complexe souterrain, dans MEFRA, 83, 1971, 2, p. 384-392 et fig. 8 à 16.
39 P. Boyancé, L'antre dans les mystères..., art. cité, ne signale, pour «une trentaine»
de documents figurés (p. 108), qu'un seul édifice «venu jusqu'à nous»: la crypte du sanctuaire
de Liber Pater à Mactar {ibid., p. 119, et la référence, n. 1, à G. Ch. Picard, Ciuitas
Mactaritana, dans Karthago, VIII, 1957, p. 50-52). On peut y ajouter, avec Ch. Picard, la
crypte bachique du sanôtuaire lié au théâtre d'Orange {Sur le sanctuaire d'Orange (Arausio)
dans le Vaucluse, adjacent au théâtre, dans CRAI, 1958, p. 84-85; cf. la remarque du même
auteur dans /S, 1961, p. 66 et n. 39 bis et dans RAC, 13, 1965, p. 10) et avec A. Audin
{Le théâtre antique de Lyon et la relinon dionysiaque, dans Latomus, XXXII λ, 1973,
740 JEAN-MARIE PAILLER

seules ou presque ont subsisté les parties souterraines, épargnées par l'i
ncendie et par l'érosion, ainsi qu'un nombre important de terres-cuites
décoratives préservées, après la destruction, par un scrupule religieux dont,
à époque un peu plus tardive, le même site offre un autre exemple caracté
ristique40. Le seul vestige notable en surface à proximité de l'antre, qui
appartenait sans doute au même ensemble cultuel, est un vaste bassin
disposé en L et revêtu d'un enduit hydraulique.
Plus fondamentalement, l'eau joue un rôle essentiel dans le complexe
cultuel volsinien. Non seulement la salle souterraine est liée à une citerne,
mais elle est revêtue du même enduit hydraulique que celle-ci. L'antre lui-
même ne servait pas à la conservation de l'eau, mais la présence d'un
dispositif d'écoulement montre que les cérémonies qui s'y déroulaient faisaient
régulièrement usage de l'eau puisée à la citerne. De plus, les deux salles
ont été aménagées au débouché d'un important souterrain de drainage dont
on a simultanément détourné le cours: il faut en conclure que le cadre
des mystères dionysiaques célébrés à Volsinii à la fin du IIIe et au début du
IIe s. av. J.-C. s'identifie à un « antre des Nymphes », ou plus précisément
se greffe41 sur un culte local des eaux42 maintes fois repérable au cours
de l'histoire de la ville et de sa région 43.
Il y a plus: le remarquable décor en terre-cuite qui a permis de
caractériser le sanctuaire comme dionysiaque représente une panthère
assise, chevauchée et entourée de Bacchoi AA tantôt ailés, tantôt aptères;

p. 560-566) la grotte proche du théâtre de Fourvière à Lyon: grotte à peu près contemporaine,
dans son premier état, de la construction du théâtre sous Auguste; à noter l'existence près
de l'entrée de cette grotte d'un bassin alimenté continuellement et se déversant en source
«des nymphes» (ibid., p. 562-563); également, dans le deuxième état de l'antre - sévérien -
la présence, parmi d'autres statues «bachiques», d'une nymphe sur un dauphin (p. 564). Ces
trois monuments, il faut le remarquer, sont d'époque impériale.
40 Cf. A. Balland, dans l'ouvrage d'A. Balland, A. Barbet, P. Gros, G. Hallier, Bolsena II,
les Architectures (1962-1967), dans les Suppléments aux MEFR, 6, Paris, 1971, p. 295-300.
41 Sur la vraisemblance d'une telle «greffe», cf. supra, p. 737, n. 31. Dans le même
sens, H. Jeanmaire (op. cit., p. 214) mentionne «bien des choses... que le dionysisme aurait
déplacées ou confisquées - à son profit - par un phénomène de substitution dont rend compte
le caractère envahissant de ce mouvement religieux».
42 Cf. A. Balland, op. cit., p. 276-279; 293-295.
43 Cf. D. M. Taylor, Local cuits in Etruria, Rome, 1923, p. 147-164 (passim), 245-246.
Plus généralement, sur le culte des eaux en Etrurie, voir P. Aebischer, Notes et suggestions
concernant l'étude du culte des eaux en Etrurie, dans SE, VI, 1952, p. 123-144.
44 Ch. Picard a consacré plusieurs études à ces bacchoi; voir notamment Les statues
ptolémaïques du Sarapieion de Memphis, Paris, 1955, p. 183, n. 3 et p. 190, n. 3; Sur le relief
LES BACCHANALES ET LA POSSESSION PAR LES NYMPHES 741

l'ensemble s'agrémente de la guirlande de lierre caractéristique. La scène


aux putti, dont il existe d'autres exemples45, évoque très précisément les
enfances de Bacchus, donc son éducation par les nymphes46: les θεόληπτοι
volsiniens sont bien des νυμφόληπτοι. Enfin, le lieu et l'époque de leur
initiation donnent une dernière fois raison à Tite-Live: naturellement, il
n'est pas question d'établir l'existence du Graeculus uates d'où serait venu
tout le mal47, et encore moins de résoudre la question si disputée de
Γ « origine » des Bacchanales en Italie48. Mais une étude rapide49 du sanc
tuaire et de l'antre de Volsinii démontre que le cas de Laris Pulenas,
élucidé par M. Heurgon, n'était pas isolé, et prouve la vitalité en Etrurie
Méridionale, des dernières décennies du IIIe siècle aux premières années
du second, de mystères bachiques assez conformes à l'image qu'en donne
l'auteur latin50. Et rien n'interdit d'attribuer la destruction soudaine de
l'édifice sacré, que la stratigraphie permet de situer entre 190 et 160 av. J.-C,
à l'application chez les foederati Vulsinienses 51 des décisions prises en 186
par le Sénat: « les consuls furent chargés de détruire d'abord à Rome, puis

hellénistique de Capri (Musée de Naples), dit «la chevauchée nocturne», dans Atti del
VII Congresso Internazionale di Archeologia Classica, I, Rome, 1961, p. 407-425.
45 Voir en particulier D. Costa, Dionysos enfant, les Bacchoi et les lions, dans RA,
XXXIX, 1952, 1, p. 170-179.
46 Cf. H. Seyrig, La triade héliopolitaine et les temples de Baalbek, dans Syria, X, 1929,
p. 319-325. Voir également Ch. Picard, Les frises historiées autour de la cella et devant
Vadyton, dans le temple de Bacchus à Baalbek, dans Mélanges Dussaud, I, Paris, 1939,
p. 322, p. 333-335, et L. Leschi, Mosaïques à scènes dionysiaques de Djemila-Cuicul (Algérie).
Comparer P. Boyancé, L'antre..., art. cité, p. 108-109.
47 Cf. supra, p. 732.
48 Cf. la mise au point d'A. Bruhl, op. cit., p. 70 sq.; sur une inscription bachique du
IIIe s. av. J.-C, à Veii, voir St. Weinstock, Weihinschriften aus Veii, dans Gioita, XXXIII,
1954, p. 309 et n. 6.
49 La publication archéologique définitive est à paraître prochainement dans la Collection
de l'Ecole Française de Rome (ouvrage rédigé en collaboration avec J. Andreau, A. Barbet,
G. Hallier, H. Lavagne, P. Pomey). Sur les terres cuites, étude de J.-M. Pailler et F. -H. Pairault-
Massa à paraître dans la même collection.
50 Selon J. Heurgon, art. cité de la REL, p. 112, les inscriptions de Tarquinia et de
Tuscania sur lesquelles il s'appuie révèlent que «les mystères bachiques dans cette partie de
l'Etrurie... avaient fait l'objet d'une organisation officielle». A Bolsena aussi, on est bien en
présence d'un vaste ensemble public qui tranche sur les îlots environnants et dont les dimensions,
l'emplacement à la limite de deux terrasses, l'architecture et les relations avec le système
hydraulique du quartier sont significatifs.
51 Aucun document ne nous est parvenu attestant formellement que Volsinii soit à cette
époque une ciuitas foederata. Mais cela se déduit aisément d'indices concordants, antérieurs
742 JEAN-MARIE PAILLER

dans toute l'Italie, toutes les installations servant aux Bacchanales, ne


respectant que les autels ou les statues consacrés de longue date » 52.
S'il en est bien ainsi, on conçoit que d'un sanctuaire édifié au maximum
30 à 40 ans avant « les événements », il ne soit pas resté pierre sur pierre53.
A ce sujet, il faut insister sur le fait que la table de bronze de Vager
Teuranus n'évoque pas explicitement, elle, la destruction des bâtiments du
culte. Revenant au propos initial de cet article, on conviendra que la version
livienne des événements, et notamment de la répression, sort décidément
grandie des confrontations avec les autres sources: le sénatus-consulte des
Bacchanales la confirmait à peu près de bout en bout; la voici corroborée
par l'archéologie sur un des points, rares mais essentiels, où l'épigraphie
nous laissait incertains de la décision du Sénat.

même à 265-264: cf. A. J. Pfiffig, Die Ausbreitung des Römischen Städtewesens in Etrurien,
Florence, 1966, p. 88-89, et surtout W. V. Harris, Roman foedera in Etruria, dans Historia,
XIV, 3, 1965, p. 282-292, notamment p. 286-288.
52 Tite-Live, XXXIX, 18.
53 Aussitôt après la destruction du sanctuaire, une domus à atrium toscan est édifiée
sur les ruines. Même en tenant compte des précautions rituelles signalées plus haut, (conservat
ion des terres cuites dans le cadre de la maison), cette réoccupation immédiate d'un locus
sacer (cf. Digeste, I, 8, 6) par une construction privée implique, surtout dans la très conservat
rice Etrurie, que la « sacralité » de l'endroit ait été annihilée par quelque décision officielle
(cf. Digeste, I, 8, 9). Sur ces problèmes, voir P. Gros et A. Balland, op. cit., respectivement
p. 109-110 et 295-299. Sur l'intervention du Sénat, à cette occasion, dans les «affaires rel
igieuses» des cités italiennes, cf. A. H. McDonald, Rome and the Italian Confederation
(200-186 B.C.), dans JRS, XXXIV, 1944, p. 11-33, en particulier p. 26 sq.
FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA)

Les stèles figurées archaïques de Volterra et de son territoire 1 com


prennent un monument du Musée Guarnacci peu étudié2, mais particulièr
ement digne d'intérêt: il s'agit de la stèle CIE 50 qui aurait été retrouvée
vers 1865 au fond des « Balze » 3 et qui fut récupérée en 1872 par Gamurrini
chez un antiquaire de Volterra4. La stèle - le détail a son importance -
proviendrait selon toute vraisemblance de la nécropole de Badia et serait
un des rares témoignages de l'époque archaïque dans un cimetière où,
comme l'ont montré les dernières fouilles du Professeur Fiumi, il existerait
un énorme hiatus entre l'époque villanovienne, faiblement représentée, et
l'époque hellénistique à laquelle appartiennent la plupart des tombes5.

1 Nous renvoyons à la bibliographie citée à la note 1, p. 147, de l'article de M. Pallottino,


Uno schema iconografico greco-anatolico in Etruria, dans Etudes etrusco -italiques (Univ. de
Louvain, fase. 31), Louvain, 1963. Aux quelques monuments figurés cités dans cet article pour
la période archaïque (quatre en tout) s'ajoute maintenant la stèle de Montaione (cf. SE, 35, 1967,
p. 516 sq. et pi. 89a; 90, a, b, c).
2 L'édition du monument avant celle du Corpus est due à F. Gamurrini, append, n. 49,
p. 9, pi. III dans Suppl. au Cil, Florence, 1880. Cf. Fig. 1.
Cette stèle n'est pas examinée dans l'étude de A. Minto, Le stele arcatene volterrane dans
Scritti in onore di B. Nogara, Rome, 1937, p. 305-315. Elle est mentionnée et brièvement
décrite dans le livre de P. J. Riis, Tyrrhenika, Copenhague, 1941, p. 140, η. 4, dans l'article
«Volaterrae» de la RE, IX, A, 1, col. 730 (G. Radke) et dans l'article de E. Fiumi, La fades
arcaica del territorio volterrano dans SE, 29, 1961, p. 276 et note 66 ibid.
La stèle n'a pas été photographiée en dehors de l'ouvrage de P. L. Consortini, Volterra
nell'Antichità, Volterra, 1940, p. 38 (assignée au commencement du Ve siècle par l'auteur, ibid.
p. 96 et n. 1, datation suivie par G. Radke, art. cité. Aucune référence à la stèle chez A. Hus
dans MEFR, 71, 1959, p. 26 sq. et chez C. Laviosa, Guida alle stele arcaiche e al materiale
volterrano, Florence, 1962 (Va settimana dei Musei Italiani, 25 Marzo - 1 Aprile).
3 Cf. SE, 8, 1934, p. 359 et SE, 29, 1961, p. 276 (art. cité de E. Fiumi).
4 CIE I, 50, p. 16, CII (Gamurrini), loc. cit., supra note 2.
5 Cf. E. Fiumi, Gli scavi degli anni 1960-1965 nell'area della necropoli di Badia, dans
NSc. 26, 1972, p. 132 (sur le problème de la stèle CIE 50 dans le contexte des nécropoles
de Volterra liées à l'histoire du développement urbain de la cité).
744 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

Sans doute, l'état fragmentaire du monument, la platitude du relief et


la nature même de la pierre, - un travertin poreux et criblé de trous -,
empêchent-ils une lecture parfaite, tant de l'image que de l'inscription, mais
l'originalité de la représentation, qui ne se rattache pas à la typologie cou
rante des figures de guerriers6, est indéniable, même si nous devons ra
isonner seulement sur la partie inférieure de la stèle.
Cette dernière comprend d'abord, de bas en haut, une partie grossièr
ement épannelée terminée par un léger rentrant - on ne peut dire une
moulure - en plan oblique qui se raccorde selon une horizontale à la partie
figurée proprement dite. Cette partie inférieure de la stèle était très certaine
ment destinée à être au moins partiellement fichée en terre, à proximité ou
au-dessus du tombeau. La stèle d'Avile Tite ne comporte pas de zone épan
nelée de ce type tandis que la stèle de Pomarance (Larth Tharnie) présente
deux zones (épannelée et figurée) mais très grossièrement raccordées entre
elles, sans plan oblique de séparation. L'exemplaire du territoire de Roselle7
est plus proche de la stèle de Volterra, dans la mesure où il présente le
même plan oblique de séparation des deux zones, mais il s'en détache aussi
tôtpuisque l'encadrement de la représentation manque totalement. L'image
de CIE 50 est située en revanche dans un cadre constitué de bords plats,
l'un, horizontal, sur lequel reposent les pieds des personnages, les deux
autres légèrement obliques et formant avec le premier une base de trapèze
isocèle. La disparition du couronnement ne permet pas de conclure de façon
décisive sur l'aspect formel de la stèle. On entre dans le domaine des hypo
thèses en imaginant, avec Radke, l'arrondi supérieur caractéristique des
stèles courantes de Volterra et de son territoire8. On pourrait aussi bien
imaginer un cadre trapézoïdal surmonté ou non d'un anthemion, comme sur
certaines stèles de Fiesole et de sa région9.

6 Typologie étudiée à propos des stèles de Fiesole par F. Magi, Stele e cippi fiesolani
dans S£, 6, 1932, p. 41. Cf. aussi Id., Nuova stele fiesolana dans ACl, 10, 1958, p. 201-207;
P. Bocci, Una nuova stele fiesolana, Boll. Arte, ser. 4, 48, 1963, p. 207-211; F. Nicosia dans
SE, 34, 1966, p. 149-164. Sur Fiesole, en dernier, G. Caputo dans Rend. Lincei, 26, 1971 (5-6),
p. 325 sq.
7 Ce monument, pratiquement inédit (cf. A. Mazzolai, Rosselle e il suo territorio, Grosseto,
1960, p. 115, fig. 38 = face antérieure et p. 175) se trouverait au Musée de Grosseto. Nous
n'avons pas noté sa présence lors de l'inauguration du nouveau Musée de Grosseto (Mai 1975,
X Convegno di Studi Etruschi) dans les salles splendides consacrées à Rusellae.
8 G. Radke, art. cité, col. 730.
9 F. Magi, art. cité, pi. VIII, X, XI.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 745

Le détail de la représentation n'est pas moins original: de part et d'autre


d'un élément végétal central, qui semble cependant à l'arrière-plan, deux
personnages se font face. L'aspect du végétal suffirait à lui seul à écarter
des datations trop hautes: il ne peut s'agir en aucun cas d'un élément du
répertoire orientalisant ancien servant d'axe de symétrie entre deux figures
opposées 10. Il s'agit d'un arbuste élancé, aux feuilles de forme allongée,
opposées deux à deux: cet arbuste fait songer exactement à des motifs
similaires très fréquents sur les fresques des tombes de Tarquinia. En parti
culier, la tombe « du Baron » présente de ces ramures qui forment le décor
de hiératiques oppositions de personnages (mur Ouest) n, comme sur notre
stèle.
Le personnage à gauche (pour le spectateur) avance légèrement la
jambe gauche et le personnage qui lui fait face amorce un mouvement
exactement symétrique de la jambe droite. Le mouvement n'est pas aussi
accentué que sur la stèle d'Avile Tite où le guerrier esquisse une plus
grande enjambée. La raison de ce hiératisme plus accentué ne tient pas
seulement à la nécessité de loger deux personnages dans un cadre étroit.
L'économie et la conception du mouvement se justifient par d'autres raisons
liées au souvenir d'un certain style, que nous tenterons de définir plus loin.
Plusieurs traits communs caractérisent encore le vêtement et les chaus
sures des personnages. Ils portent des calcei repandi dont la pointe recour
bée est très lisible sur la pierre. Leur tunique, visible jusqu'aux genoux
- voire un peu au-dessus dans la partie centrale plissée - est de même
facture: il s'agit d'une tunique longue ou mi-longue se terminant au-dessous
du mollet et relativement adhérente aux jambes dont on devine les princ
ipaux volumes (genoux, mollets). Un faisceau de quatre plis retombe au
centre de la tunique entre les jambes de sorte que le bord inférieur du
vêtement présente une ondulation « a fiamma ». Le détail se retrouve,

10 Comme, par exemple, des fleurs de lotus ou des arbres séparant des personnages dans
les motifs de Γ orientalisant ancien. Entre autres exemples cf. une corne d'ivoire de Populonia,
A. Minto, Populonia, Florence, 1943, p. 119 (tumulus des chars).
11 M. Pallottino, La peinture étrusque, Genève, 1952, p. 57. On trouve des analogies
frappantes entre le dessin de l'arbuste sur la stèle de Volterra et celui des arbres derrière
lesquels se dissimule Achille pour surprendre Troïlos (Tombe des Taureaux). Ce motif de l'arbuste
se retrouve sur des bagues de marque ionienne, cf. A. Furtwängler, Die antike Gemmen, Leipzig,
1900, I, pi. VII, 8, 9, 10; III, p. 83 sq. en part. p. 86.
746 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

notons-le au passage avec Consortini et Radke12, pour la tunique de Larth


Tharnie.
Pour le reste du costume, au-dessus de la tunique précédemment
décrite, les personnages présentent un schéma vestimentaire légèrement
différent. Le personnage le mieux conservé, à gauche, porte un manteau
sillonné par des plis obliques parallèles indiqués par des incisions (quatre)
clairement visibles 13 qui, partant du bord inférieur du manteau, devaient
se prolonger au-delà du bord supérieur conservé de la stèle, en direction de
l'épaule gauche. En effet, le dernier sillon conservé vers la droite du per
sonnage semble se prolonger en partie à l'aplomb de la jambe gauche
avancée, en partie au-dessus de la zone des plis centraux de la tunique.
Au-dessus de la jambe gauche, on note un pan de vêtement vertical déli
mité entre un sillon de même direction et le contour externe du personnage.
Le dessin du bord inférieur du manteau, dont la lecture est rendue difficile
par l'aspect criblé de la pierre, paraît suivre une courbe légère au départ
et progressivement plus marquée jusqu'au sillon vertical en question. Le pan
d'étoffe vertical retombe ainsi légèrement au-dessous de la courbe suivie par
le bord inférieur du manteau, à son point le plus haut. Ces précisions
pourraient démontrer que nous avons affaire à une seule pièce d'habillement
(manteau) dont les plis obliques suivraient le mouvement du corps en avant
et dont un pan vertical retomberait de l'épaule gauche. Au contraire, le
personnage à droite présente apparemment trois éléments différents: anté
rieurement, on voit une sorte de kolpos, qui recouvre la jambe droite
avancée. La courbe, particulièrement accentuée, tend à rejoindre la verticale
à l'endroit où elle s'articule avec l'élément suivant: ce dernier paraît un
bandeau plat taillé en pointe à l'extrémité et constitue une sorte d'axe de
symétrie, correspondant à l'espace au-dessus du faisceau des plis centraux
de la tunique. Au-delà de cet axe se situe le troisième élément, un autre

12 G. Radke, art. cité, col. 730, reprend une observation très juste de P. L. Consortini,
o.e., p. 96, n. 1 (cf. supra note 2).
13 Les traces d'une cinquième incision légèrement divergente, à gauche, dans la zone du
relief la plus densément criblée de trous (trois dépressions principales en alignement) est douteuse
en raison de l'état de la pierre. Cependant il est probable que si la figuration des plis existe
dans cette zone, les incisions correspondantes tendent à épouser la forme du corps. Le premier
indice de l'existence d'une telle figuration pourrait être précisément constitué par la ligne
divergente soupçonnée à laquelle pourrait s'ajouter quatre autres sillons ou dépressions parallè
les dont on verrait le départ sur la ligne de contour gauche du personnage.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 747

kolpos, qui recouvre la jambe gauche et se termine au listel d'encadrement


de la stèle.
Notre description s'est gardée jusqu'à présent, dans la mesure du possi
ble, de toute interprétation. Nous voudrions maintenant faire quelques
propositions en ce sens et tenter de déterminer à quel horizon culturel
pourrait se rattacher la stèle.
La stèle CIE 50, comme nous l'avons vu, n'est guère comparable aux
autres stèles d'Etrurie pour la typologie vestimentaire. Elle ne représente pas
le guerrier -kouros, nu ou avec un équipement de guerre, mais deux per
sonnages opposés dont l'habit, plus civil que militaire 14, n'a pas d'équivalent,
même dans le vêtement de certains personnages « civils » (?) des stèles de
Fiesole 15. A fortiori, ces vêtements ne se retrouvent pas sur les stèles figu
rées du monde grec de la période archaïque 16.
Les kouroi et les korai de la petite statuaire étrusque en bronze ne
fournissent généralement pas de meilleurs points de comparaison 17. Pour

14 Sur la stèle de Larth Tharnie, on peut observer un compromis assez bâtard entre le
vêtement civil (cf. infra, p. 755) et les attributs militaires (épée). Cet aspect avait déjà frappé
A. Minto (art. cité, p. 308) qui se demandait si Larth Tharnie n'était pas plutôt un prêtre
«qu'un guerrier». Ce qui nous reste de la stèle CIE 50 ne fait en revanche pas penser que
des attributs militaires aient pu compléter l'équipement de tel ou tel personnage (cf. infra p. 753)
l'opposition pourrait être marquée uniquement dans les gestes.
15 F. Magi art. cité, pi. V, 1 (cippe Inghirami); VIII, 3; p. 43.
16 Dans l'immense bibliographie concernant les stèles grecques, nous nous bornons à citer
l'article stèle de la RE, III A, 1929, col. 2313 sq. (A. Möbius). Pour la période archaïque dans
les diverses régions de la Grèce: K. Friis Iohansen, The Attic Grave-Reliefs, Copenhague, 1951;
G. N. Richter, Archaic attic gravestones, Londres, 1961; V. Jantzen dans Arch. Anz., 1963,
p. 431-439; J. Frei dans Arch. Anz., 1973, p. 193-200; V. Kuigge, dans Arch. Anz., 1972, p. 584-629;
E. Akurgal, ^Zwei Grabstelen Vorklassischer Zeit aus Sinope, Berlin Winckelmansprogramm,
111, Berlin 1955; Id., Griechische Reliefs des VI Jahrundertß aus Lykien, Berlin, 1942; P. De-
margne, Fouilles de Xanthos, les piliers funéraires, Paris, 1,958; H. Biesantz, Die Thessalischen
Grabreliefs, Mayence, 1965, Id., dans Festschrift Matz, 1962, p. 63 sq.; G. Despinis, Kykladische
Grabstelen des 5/4 jh. v. ehr., dans Antike Plastik, VII, 1967, p. 77-78; H. Hiller, Ionische
Grabreliefs der ersten Hälfte des 5 Jahrhunderts v. ehr,, Göttingen, 1968 et maintenant Ist. Mitt.,
Beiheft, 12, 1975.
Pour Sparte, Ath. Mitt, 2, 1877, p. 28 (H. Dressel, A. Milchhoef er) ; P. Jacobsthal, Die
Melischen Reliefs (Berlin, 1931); E. Buschor, Altsamische Grabstelen, I, dans Ath. Mitt, 58,
1933, p. 24 sq., Altsamische Grabstelen, II, dans Ath. Mitt, 74, 1959, p. 6-9.
17 En l'absence d'un véritable Corpus des petits bronzes, il est actuellement vain de donner
ici une bibliographie complète. En dehors des catalogues des principaux musées et des Tyrrhenika
748 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

autant que les séries étudiées jusqu'à présent permettent la comparaison,


nous trouvons seulement quelques concordances de détail, et non de types.
En voici quelques exemples: le groupe terminal d'un candélabre de Bologne 18
comprend un personnage féminin dont le chiton présente un groupe de plis
centraux droits, comme les personnages des stèles. C'est là un trait qui est
bien attesté en particulier à la fin de la période archaïque (dernier quart
du VIe, début du Ve siècle). Il est symptomatique cependant que le bronze
(et, plus généralement les statuettes portant un chiton comparable) ne com
porte pas l'autre pièce du vêtement, l'himation à plis obliques. Si nous
prenons au contraire des statuettes, rattachables à des séries d'inspiration
ionienne 19, dont le manteau présente les caractéristiques plis obliques, nous
ne trouvons pas la tunique à faisceau de plis centraux, que l'on considère
des personnages masculins en court manteau ou des personnages féminins.
C'est encore la danseuse d'un candélabre du British Museum 20 qui fournirait
l'un des meilleurs points de comparaison pour la tunique se terminant a
fiamma avec plis centraux et pour la courte « chemise » dont les blousants
forment deux kolpoi peut-être comparables à ceux du personnage à droite
de notre stèle.
Ainsi certains détails pris séparément pourraient être attribuables à des
personnages féminins, mais cette solution est pour le moins douteuse, en ce
qui concerne la stèle21. Un indice, néanmoins, nous semble plus sûr: la

(cité) de P. J. Riis, nous renvoyons à l'article récent de G. Gualandi, dans SE, 42, 1975, p. 37 sq.
pour les bronzes récents de Bologne (Villa Cassarmi); P. Monti dans Studi Romagnoli, 15,
1965, p. 59-80; H. Jucker, Etruscan votive bronzes from Populonia, dans Art and Technology.
A symposium on classical bronzes (S. Doeringer, P. G. Mitten, A. Steinberg, Cambridge Massa-
chussets) Massachussets, 1970, p. 195 sq.; G. Colonna, Bronzi votivi umbrosabellici, I, Florence,
1970, ainsi qu'aux numéros suivants des SE: 10, 1936, p. 381 sq. (Catania); 12, 1938, p. 267;
15, 1941, p. 231-236; 21, 1947, p. 343 sq. (Verona); 22, 1948, p. 59 sq. (Modène); 23, 1949,
p. 383 sq. (Verona); 25, 1951, p. 489 sq. (Chiusi); 26, 1952, p. 193 sq. (Grosseto) et aux
numéros suivants de Y Arch. Anz.: 1966, p. 367-378; 1967, p. 619 sq.; 1973, p. 652-658.
18 Reproduit dans A. Hus, Les bronzes étrusques, Bruxelles, 1975 (coll. Latomus, 139), p. 26.
19 Par exemple le bronze de l'île d'Elbe, cf. SE, 2, 1928, p. 49-54. Cf. aussi types de togati:
E. Hill Richardson, The Etruscan origins of Early Roman sculpture, dans Mem. Ac. Am., 21,
1953, p. 114 sq., fig. 2, p. 26; G. Hafner, Etruskische Togati, (Antike Plastik, IX) Munich, 1969,
p. 40 sq.
20 A. Hus, o.e., pi. 23 (candélabre n. 598 du British Museum).
21 Cf. discussion infra p. 753.
Leasies ne peut-être qu'un masculin (qu'il s'agisse d'un nomen ou d'un praenomen), à suffixe
- ie décalqué sur les suffixes indo-européens en - ios pour les noms de personnes.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 749

plupart des détails vestimentaires feraient songer qu'elle se situe dans un


contexte d'art ionien ou au plus tard d'art attique de la fin du VIe ou du
début du Ve siècle.
Or l'art grec offre effectivement certains modèles ioniens susceptibles
d'expliquer la typologie vestimentaire des personnages de la stèle. Tout part
iculièrement, la statuaire ionienne orientale, que de nouvelles découvertes
et de nouvelles études contribuent à faire connaître toujours mieux, fournit
des types différents des habituels kouroi22. Il s'agit en réalité, comme le
souligne M. Devambez23 à propos d'une statuette du Louvre, bien plus que
de kouroi, de personnages d'un certain âge, représentés avec l'habit et la
dignité de leur fonction. Ces personnages sont encore différents des kouroi
par leur dynamique: représentés en train de marcher, ils avancent légèrement
la jambe gauche, imprimant au vêtement un mouvement discet, mais sensible,
aHncessus plein de noblesse24. Nous nous référons à une série de statues
qui comprend, entre autres, le jeune homme du Cap Phoneas (Samos), celui
de Pitane (Pergame) 25, celui de Myous (Berlin), le Dionyshermos du Louvre,
un grand nombre de fragments ou de statues entières à Samos, Didyme26,
Apollonia Pontos27, pour ne citer que la statuaire en pierre, mais qui
compte aussi un certain nombre de terres cuites à Samos ou à Chypre28.
Comme le soulignent de récentes recherches, le type de ces statues remont
erait assez haut, mais connaîtrait un réel développement dans la grande
statuaire vers 550 environ29. Ainsi, pour ne citer que deux exemples, le
jeune homme du Cap Phoneas pourrait être daté vers 540-530 30, et le
Dionyshermos du Louvre pourrait appartenir aux environs de 520 av. J.-C.31.

22 G. M. Richter, Kouroi, New York, 1970, p. 155, 124 a-c. K. Blümel, Die archaischen
griechischen Skulpturen der Staatlichen Museen zu Berlin, Berlin, 1964, n. 69, p. 64, fig. 217-219.
23 P. Devambez, Une nouvelle statue archaïque du Louvre, dans RA, 1966, 2, p. 195 sq.
(et bibl.).
24 P. Devambez, art. cité, p. 203. Cf. Fig. 2 et 3.
25 E. Akurgal, Die Kunst Anatoliens, Berlin, 1961, p. 231, fig. 195.
26 Κ. Tuchelt, Die archaischen Skulpturen von Didyma (Ist. Forsch, 21) Istambul, 1970,
p. 61 sq.
27 Cf. Bull, de la Soc. arch, bulgare, 18, 1952, p. 93 sq. (Galabov).
28 Sur ces statues nous renvoyons à la récente publication de B. Freyer - Schauenburg,
Bildwerke der archaischen Zeit und des strengen Stils (Samos, 11), Bonn, 1974, p. 150-152.
29 B. Freyer - Schauenburg, o.e., p. 152.
30 Ibid., p. 152 («nicht nach 540»); E. Akurgal, o.e., p. 231 «um 540-530».
31 P. Devambez, art. cité, p. 215.
750 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

Le dernier quart du VIe siècle a. J.-C, ou le dernier tiers de ce siècle,


semble donc correspondre à la période du plus grand développement de ces
statues qui sont produites, semble-t-il, encore au début du Ve siècle 32. Or les
ateliers créateurs du type sont très certainement d'Asie Mineure, peut-être
de Milet 33.
Il reste à déterminer, d'abord sur le plan figuratif; ensuite sur le plan
historique pourquoi et comment la stèle de Volterra se rattacherait à ces
types 34.
Dans la forme générale, ces statues unissent deux pièces du vêtement
qui se retrouvent à Volterra: le chiton à faisceau de quatre plis centraux
dont le nombre se retrouve à Samos ou encore à Didyme35 et l'himation
court qui retombe au-dessus des genoux, devant, et, au milieu du mollet,
derrière. Dans le détail, les larges plis obliques du manteau (personnage à
gauche) sont indiqués à Volterra comme à Samos par des sillons à peu près
équidistants. Le pan vertical du vêtement qui descend de l'épaule gauche
correspondrait au pan du manteau droit36, terminé de façon savante en

32 Avec des développements différents du drapé de l'himation = statue d'Apollonia, cf.


Bull, de la Soc. arch, bulgare, fig. 56, p. 97 (en particulier pour le profil). Cf. aussi style
local de Chypre, M. Yon, Un dépôt de sculptures archaïques (Salamine de Chypre V), Paris,
1974, pi. 3, 1-7, p. 22-23.
33 B. Freyer - Schauenburg, o.e., p. 151 (et bibl. antérieure).
34 S'il ne pesait des doutes très lourds sur l'authenticité du kouros H 215 de la Glypto-
thèque Ny Carlsberg provenant d'Orvieto (cf. A. Andren dans Studi in onore di Luisa Banti,
Florence, 1965, p. 20, note 12) nous pourrions dire que ce kouros est une imitation étrusque
des Kouroi d'Asie Mineure examinés ici et une preuve de la transmission d'un certain modèle
en Etrurie.
35 K. Tuchelt, o.e. (Katalog): Κ. 29, p. 64; pi. 30, 1-2; K. 31, p. 65, pi. 31 (1-2); K. 33 bis,
p. 66, pi. 34, 1-4 (datés respectivement pour les deux premiers du dernier quart du VIe siècle
av. J.-C, et pour le troisième de la fin du VIe siècle av. J.-C). Cf. Fig. 3.
36 L'interprétation du pan d'étoffe droit est d'autant plus compliquée que le mode de
représentation des personnages de la stèle est intermédiaire entre la vue de profil et la vue de
trois-quarts. Sous la ceinture les plis centraux sont vus de face tandis que les jambes sont de
profil. De même pour le haut du corps on peut supposer un passage subtil vers une repré
sentation oblique par rapport au spectateur au mieux vers un raccourci de trois-quarts. Les
vases attiques à figures noires, les peintures de Tarquinia, les hydries de Caeré offrent quantité
d'exemples de ce type.
Ainsi le pan droit peut provenir de l'épaule (passage du manteau) comme sur les
fresques de Tarquinia (mais on remarque que le pan est collé au corps tandis que sur la
fresque de la tombe des Augures, il retombe un peu en avant du corps). On peut épiloguer
sur le geste des personnages. Nous serions assez enclin à penser effectivement à une sorte de
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50» (VOLTERRA) 751

zig-zag à Samos. Entre les deux représentations, au-delà des analogies, il faut
en effet souligner deux différences: l'une, irréductible, qui concerne la longueur
de la tunique plus courte sur Fa stèle (mais les comparaisons les plus
frappantes restent du domaine d'influence ionien: peintures de Tarquinia et
hydries de Caere37); l'autre différence a trait évidemment à la qualité artist
iqueinférieure de la stèle et aux difficultés d'une représentation de profil.
La maladresse est évidente comparée aux ondes harmonieuses de l'himation
samien et le traitement du pan de l'himation révèle la même pauvreté rudi-
mentaire. Mais, au niveau purement typologique, la comparaison nous paraît
justifiée et même en vérité confirmée si nous considérons le personnage à
droite de la stèle. En effet le détail des trois éléments (cf. supra) n'est pas
moins significatif. Riis avait bien noté les deux sortes de kolpoi formés par
le vêtement mais n'en tirait aucune conclusion: elle nous semble assez claire
si nous nous référons aux mêmes types grecs. Le bord arrondi du vêtement
dans la pierre correspondrait justement à l'arrondi de l'himation et la « bande
taillée en pointe » entre les deux kolpoi pourrait aussi correspondre à un
pan d'himation descendant de l'épaule gauche, comme sur le personnage à
gauche. Mais c'est en réalité un principe d'explication minimum qui ne
donnerait pas de raisons suffisantes pour rendre compte de la présence du
second kolpos, vers le dos du personnage. Celui-ci ne s'explique pas, puisque

salut funèbre comme on le voit justement pour la tombe des Augures et sur des reliefs en pierre
fétide de Chiusi. La main gauche était donc peut-être posée sur la tête, tandis que le bras
droit légèrement plié devait descendre en oblique le long du corps, ou (autre solution) s'arrêter
un peu au-dessus de l'extrémité de l'élément végétal, comme on voit pour la Tombe du Baron.
37 Sur la terminaison a fiamma de certains vêtements dans l'art étrusque, cf. G. Patroni,
II taglio a fiamma nel panneggio delle figure etrusche, dans Rend. Ist. lombardo Scienze e
Lettere, 69, 1936, fase. 6-10, p. 375 sq. Quant à la tunique en elle-même, il s'agit d'une adaptation
des longs chitons ioniens à un type de vêtement moins long, peut-être étrusque, dont on possède
certains exemples sur les fresques de Tarquinia. Cf. en particulier l'agonothète (combat de
lutteurs, Tombe des Augures) qui est vêtu d'un vêtement long terminé a fiamma et possédant
un faisceau de plis au centre. Cf. F. Magi - G. Becatti, Le pitture delle tombe degli Auguri
e del pulcinella (Monumenti della pittura antica, sez. I, III-V, Rome, 1955, fig. 13 p. 25 et
fig. 11). On comparera également avec la tunique (comportant au centre quatre plis droits) du
petit bronze de Fossombrone (Isola di Fano). Cf. E. G. Giglioli, AE, Milan, 1935, pi. LXXXV, 4
(daté du dernier quart du VIe siècle). Pour la comparaison entre le style des vêtements sur
les hydries de Caere et les vêtements de notre stèle, nous nous bornons à citer l'hydrie E. 702
du Louvre cf. Fig. 4 (personnage derrière Hermès enfant allongé comme mort) et l'hydrie du
Vatican n. 229, pi. 19 (Albizzati), cf. Fig, 5 (personnage d'Hermès dans la lutte d'Héraclès et
Alkyoneus).
752 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

le personnage est représenté de profil, comme certaines formes de « chemises »


blousant au-dessus de la tunique longue38. D'autre part, un court himation
retombant librement derrière le dos ne forme pas un arrondi aussi marqué.
Le principe d'explication véritable vient encore, selon nous, d'une attentive
considération des profils des statues ioniennes en question. Ainsi le jeune
homme du Cap Phoneas soulève légèrement l'himation, d'un geste qui n'est
peut-être pas tellement féminin39, mais qui participe sans aucun doute de la
noblesse et de la distinction aristocratique reflétée par la statue40. Ce geste
imprime à l'himation deux arrondis de part et d'autre de la main. Ce profil
du bas du manteau est très comparable à celui du personnage de Volterra
et forme effectivement deux sortes de kolpoi devant et derrière la main. On
peut comparer encore avec des fragments de Didyme publiés par Tuchelt41
pour se convaincre que nous avons affaire à un type bien établi: à part
le retour des quatre plis centraux du chiton (comme sur notre stèle) au des
sous de l'himation, on reconnaît encore sur ces fragments la place du bras
collé au corps et de la main qui soulevait l'himation. A la lumière de ces
exemples on arriverait à une solution bien plus satisfaisante pour le per
sonnage de Volterra. L'élément terminé en pointe entre les deux kolpoi
serait une figuration très schématique de la main tenant le vêtement. Ce
détail ne doit pas nous étonner si nous comparons, par exemple, avec la
stèle de Larth Tharnie42: le bras droit et la main sont figurés de façon
rudimentaire et « rabougrie » et nous pouvons être sûrs que l'artisan ne
savait ou ne voulait pas faire une main dans le style naturaliste. Nous
aurions pour CIE 50 une figuration du même ordre et, notons-le, d'une main
repliée faisant un geste de préhension43. L'interprétation ainsi suggérée de

38 Comme pour les pièces du vêtement de certaines korai (vues de face). Par exemple:
G. M. Richter, Korai (cité), n. 441-444 (dernier tiers du VIe siècle). On peut également songer
à ce détail du costume sur certaines hydries de Caeré; il appartient à des personnages soit
féminins (Gè dans le châtiment de Tityos, cf. P. Devambez, dans Mon. Piot, 41, 1946, p. 47, fig. 9)
soit masculins (Ulysse, ibid., fig. 16).
39 E. Akurgal, Die Kunst Anatoliens (cité), p. 229. Cf. Fig. 7.
40 P. Devambez, art. cité, p. 203.
41 K. Tuchelt, o.e., cf. supra note 35. Cf. Fig. 6.
42 Cf. G. Buonamici, Epigrafia etrusca, Florence, 1932, pi. XVIII, fig. 26; TLE 407, et
M. Pallottino art. cité dans Etudes étrusco-italiques, pi. XVII, 1; G. Giglioli, AE, pi. LXIX, 1.
43 Le fait que, dans l'hypothèse défendue, la main soit repliée explique même l'extrémité
anguleuse figurée sur la stèle. La statuaire ionienne de référence, comme on peut s'en rendre
compte par le jeune homme de Myous, celui du Louvre, ou celui de Samos, n'atteint pas non
plus la perfection dans la représentation de la main et l'on conçoit même qu'une transposition
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 753

la main soulevant l'himation permettrait d'expliquer la légère dissymétrie


entre les deux courbes de l'himation, marquée aussi sur les statues ioniennes 44.
En outre nous expliquerions ainsi par une différence gestuelle (et probable
ment pas sexuelle), la différence apparente entre le vêtement du personnage
à gauche et celui du personnage à droite. Les deux personnages seraient
vêtus de façon analogue mais le personnage à gauche aurait les bras levés
au moins à la hauteur de la taille, dans la partie disparue de la stèle. Le
personnage de droite, en revanche, se présenterait à l'autre avec une solennité
aristocratique qui fait penser à un type d'héroïsation ou peut-être d'adieu
funèbre 45.
En effet les considérations typologiques présentées jusqu'ici n'expliquent
pas seules la conception de la représentation. C'est une des rares stèles
étrusques connues avec deux personnages opposés. Dans la typologie des
stèles grecques archaïques le mort est le plus souvent isolé, ou, si une figure
lui fait face, elle est dans l'attitude de l'adorant devant le défunt assis sur
un trône comme une divinité. Il faut attendre les développements du Ve siècle
pour voir des représentations du défunt debout, prenant congé d'un compag
non,d'un enfant ou de sa famille 46. L'héroïsation s'humanise dans la figura
tionde l'adieu funèbre. Les stèles étrusques représentent une catégorie moins
nombreuse que les stèles grecques, et surtout, dont l'évolution à travers le
temps ne se laisse pas suivre dans un processus continu 47. Néanmoins, malgré

quelconque de cette particularité dans le bas-relief conduise certainement au schématisme. Un


autre fait prouve l'imitation (et le provincialisme): ce sont les profils droits des statues grecques
qui présentent le geste imprimant à l'himation les deux kolpoi. A Volterra, nous avons au
contraire un profil gauche (cf. Fig. 7a qui fait voir encore l'arrondi du manteau).
44 K. Tuchelt, ibid., nos Κ 29, Κ 31.
45 L'inscription avec le génitif Leasies (praenomen ou nomen?) de la personne à qui la
stèle est dédiée est placée du côté droit de la stèle, à côté du personnage qu'elle désigne. La
lettre qui suit le s du génitif lue comme un E dans le Corpus est peut-être en réalité un h ^ .
L'hypothèse d'un s EB nous paraît à exclure cf. infra note 72 sur l'alphabet de Colle. Il nous
semble en effet d'après un examen attentif de la pierre que la trace longitudinale médiane est
discontinue, tandis qu'on peut observer une certaine continuité de la barre transversale, malgré
l'existence d'une légère dépression naturelle contre la haste gauche de ce qui serait un H ^ .
Notons en tout cas que les traits transversaux des autres E de l'inscription possèdent une
inclinaison différente de ceux qui appartiendraient à un E après leasies, selon la lecture du CIE 50.
46 Sur la typologie des stèles grecques, cf. E. Akurgal, Zwei Grabstelen vorklassischer
zeit aus Sinope (cité), p. 18 sq. en particulier p. 21-22.
47 Sur la progression entre l'Ombrone et l'Arno, cf. M. Pallottino, art. cité (Etudes étrusco-
italiques), p. 147, n. 1.
754 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

tout son provincialisme, la stèle CIE 50 pourrait marquer un moment de


transition figurative qui ne correspond peut-être pas à un gros écart chronolo
gique avec les autres stèles de Volterra: le passage de la représentation du
héros-mort isolé à la représentation du héros devant le personnage qui lui
rend l'hommage funèbre est selon nous un effort pour rendre par l'image
ce que les inscriptions des stèles de héros seuls proclamaient déjà, l'offrande
de la stèle par un autre personnage (indiqué au nominatif) que le défunt48.
Les seules stèles comparables à la stèle de Volterra sont deux stèles de la
région de Fiesole (n. 11 et surtout n. 17) 49 où l'on voit deux personnages
debout en opposition (deux guerriers ou deux personnages en habit civil) dans
des scènes de congé ou d'adieu funèbre. Ces deux stèles ne sont pas parmi
les plus anciennes de la série fiésolane, comme CIE 50 par analogie avec

48 Cf. par exemple CIE 105 (Avile Tite) et TLE 407 (Larth Tharnie). M. Cristofani (SE, 41,
1973, p. 282-284, en part. p. 284) pense que la personne qui dédie la stèle, sans rapport de
parenté avec le défunt (comme l'enseigne, semble-t-il, l'onomastique des inscriptions), pourrait
avoir été son remplaçant à sa mort. Elle aurait ainsi ajouté ensuite le nomen du défunt à son
propre nom. Sans imaginer des structures de parenté archaïques formant une réalité en soi et
susceptibles de rendre compte d'un tel phénomène (cf. CIE 11, Fiesole, Mi larus ananas anasnies
klan, H. Rix, Das Etruskische cognomen, 1963, p. 305) nous pensons que les motivations et
la forme des adoptions antiques permettent d'expliquer une assomption de parenté justifiée par
la nécessité d'accomplissement du rite funèbre. D'autres usages sociaux (camaraderie militaire,
εταιρεία, à ce sujet J. Heurgon dans Historia, VI, 1957, p. 96) peuvent avoir joué aussi bien.
De même il n'est pas toujours certain, pour les stèles attiques archaïques que le dédicant soit
le plus proche parent (cf. n. 55, p. 143, G. H. Jeffery, The inscribed gravestones of archaic
Attica, dans Ann. BSA, 57, 1962, p. 115 sq.; G.M.A. Richter, The archaic gravestones of Attica,
Londres, 1961, η. 35, p. 157, fig. 202 (Epigraphical index de M. Guarducci) voir aussi
M. Guarducci, Epigrafia greca, III, Rome, 1974, p. 177 sq. La formule avec mi muluvanike
constitue, au demeurant, une transposition des formules grecques du type μ'άνέ&ηκεν cf. A. J. Pfiffig,
Die Etruskische Sprache, Graz, 1969, p. 234, pour l'équivalence mla[X] donum votivum (racine
mulu) et grec άνάοημα.
49 F. Magi, art. cité, p. 18, n. 17 (stèle de S. Ansano), p. 44, 70. A propos de cet unicum
dans les représentations des stèles de Fiesole, l'auteur rappelle la stèle archaïque de Sparte
(cf. Ath. Mitt, 2, 1877, p. 301) représentant deux personnages opposés se rendant hommage.
L'un des deux personnages de la stèle n. 17 (F. Magi, ibid.) de Fiesole tient un canthare. On
peut comparer avec la stèle attique de Lyseas (G.M.A. Richter, The archaic gravestones of Attica,
(cité) n. 70, p. 48, fig. 159) pour ce détail. Nous serions moins portés à y voir l'indice de la
fonction sociale du défunt (prêtre de Dionysos, etc.) qu'une signification plus générale liée au
rite funéraire et à Phéroïsation du défunt (cf. stèle de Chrysaphà à Sparte, l'un des deux défunts
trônant tient un canthare). De même l'autre stèle de Fiesole (SE, 6, 1932, p. 69), cf. F. Magi,
dans / Convegno di Studi Umbri (cité), p. 179, interprétée comme un adieu funèbre entre
deux guerriers.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 755

ces stèles n'est probablement pas la plus ancienne stèle de Volterra, en


admettant que ces dernières puissent remonter au-delà de 550 a.C, ce qui
n'est guère pensable.

Notre interprétation du monument suppose la présence ou la réception


de certaines formes ioniennes orientales à Volterra. Mais sous quelle forme
et pour quelle «clientèle»? L'apport n'est certainement pas aussi bien
représenté et aussi brillant que sur les côtes d'Etrurie Méridionale. Rien de
comparable, sans doute, à cette floraison artistico-commerciale dont témoi
gnent, entre autres, les hydries de Caere. Dans le cas de la stèle CIE 50,
il est trop évident que l'artisan adapte tant bien que mal une technique
pauvre à la reproduction de types artistiques savants. Certains traits locaux
demeurent comme les calcei repandi et, peut-être la tunique mi-longue
terminée a fiamma, qui se retrouve cependant, comme nous l'avons vu, dans
des peintures tombales de Tarquinia influencées par le style ionien. On
retrouve la même mode mais exprimée de façon encore plus barbare sur
le personnage de Pomarance où entrent très certainement aussi un certain
nombre de traits ioniens50. La réception de modèles ioniens à Volterra et

50 Ainsi il n'est pas sûr que Larth Tharnie porte une pièce de vêtement unique (sorte de
longue tunique, cf. A. Minto, art. cité). La pierre conserve peut-être encore, mais nous voulons
le vérifier sur l'original, soit la trace d'une sorte de camisole portée par -dessus le chiton long,
peut-être comparable avec le vêtement du joueur de flûte (Tombe de la chasse et de la pêche),
cf. P. Romanelli, Le Pitture della tomba della caccia e pesca (Monumenti della pittura antica
scoperti in Italia), Rome, 1940, fig. 12), soit encore la trace d'un manteau semblable à celui
du personnage à gauche de la stèle CIE 50. En tout cas, le profil (dessin de la ligne de front,
des yeux, léger saillant des lèvres est comparable à quantité d'œuvres suivant les canons de la
représentation ionienne; voir le détail dans C. Lavk)sa, Guida..., p. 12-13, fig. 4, et cf. E. Langlotz,
Die Kulturelle und künstlerische Hellenisierung der Küsten des Mittlemeers durch die Stadt
Phokaia, Cologne, 1966, fig. 54 (profil de Myous); cf. aussi le petit bronze de Populonia,
H. Jucker, dans Art and technology, cité, fig. 2a et 2b; cf. aussi le profil ionien de Iasos,
C. Laviosa, dans Ann. Scuola Arch. Atene, 50-51, 1975 (1972-73), fig. 9, 10 12 (datation haute,
avant 550). Quant au détail qui a été interprété tantôt comme un casque, tantôt comme une
coiffure, nous sommes plutôt portés à croire qu'il s'agit d'une coiffure, puisque l'oreille est
visible. Le traitement en deux zones distinctes de la coiffure se retrouve sur de nombreux
kouroi, mais le schéma particulier d'une zone lisse au-dessus d'une zone bouclée se retrouve
sur des vases provenant de l'Ionie du Nord et datables aux environs de 540-530 (en particulier
756 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

Pomarance indique la voie de la côte et en particulier la route qui, passant


par Pomarance pouvait soit emprunter la vallée de la Cecina soit rejoindre
Populonia par Lustignano et la vallée de la Cornia51. En effet, c'est à Popu-
lonia que semblent bien se situer la plupart des éléments aidant à la réso
lution du problème historique posé par la stèle CIE 50. Nous n'en citerons
que deux: la présence de stèles à anthemion de type samien52 qui, si l'on
se réfère à la typologie de Buschor53, seraient comparables à des stèles de
Samos datées entre la période de Polycrates et le « tournant » du Ve siècle
et les témoignages de la plastique, en particulier celui constitué par une
petite tête en terre cuite retrouvée dans les scories près du port antique.
Cette tête publiée par Minto en 1934 54, porte, comme on disait alors, une
perruque à étage de type crétois. En réalité, ce qui reste de la tête s'inscrit
stylistiquement dans la même production ionienne-orientale évoquée à propos
de la stèle de Volterra. On comparera en particulier avec la tête K. 6 de
Tuchelt au British Museum55. La chronologie nous reporte à des dates

une série de dinoi étudiés par F. Villard dans Mon. Piot, 43, 1949, p. 33 sq., et récemment par
F. Hölscher dans CVA, Würzburg Bd 1, Munich, 1975, fig. 17, taf. 26 à 28), deux zones bien
distinctes de la coiffure sont séparées par une double incision (par exemple sous la nuque
de Dionysos, F. Villard, o.e., p. 35, fig. 5). Comme d'autre part les cheveux tendent à cacher
une partie du front, le dessin supérieur de la coiffure peut avoir inspiré les schémas grossiers
de Volterra. A propos de ce traitement de la coiffure en deux zones, nous voulons ajouter
un parallèle de l'art étrusque qui ne nous semble pas avoir été signalé jusqu'ici: il s'agit du
dessin de la coiffure des Sirènes et autres personnages chez le peintre de Micali (vers la fin
du VIe s.). Nous citons un seul exemple celui de CVA Leipzig Τ 3309, taf. 49, 6 et 50, 2-3,
où la Sirène semble porter le même « bonnet » que Larth Tharnie ou le personnage anonyme
de Laiatico.
La même remarque s'applique à la stèle de Laiatico pour laquelle on notera que les mèches
de cheveux semblent se terminer par des boucles arrondies. Ce détail est comparable à la coiffure
du guerrier sur la stèle de l'hoplitodrome. Cf. J. Charbonneaux, R. Martin, François Villard,
La Grèce archaïque, Paris, 1968 fig. 301; on peut rapprocher encore la coiffure d'Avile Tite
(boucles sur le front et perruque à étages) de celle d'un kouros de Paros, La Grèce archaïque,
cité, fig. 151, p. 132, sans quitter la sphère ionienne orientale (en particulier l'influence de Milet).
51 Sur les trouvailles de bronzes archaïques à Lustignano, cf. E. Fiumi, La faciès arcaica
(cité), p. 273.
52 A. Minto, Populonia, Florence, 1943, p. 164, pi. XLI, 3-4, en particulier 3.
53 E. Buschor, Altsamische Grabstelen, I, dans Ath. Mût., 58, 1933, p. 22 sq., en part,
p. 31-36; Id. Altsamische Grabstelen II, dans Ath. Mitt, 74, 1959, p. 6-9; Β. Freyer - Schauen-
burg, o.e., p. 274 sq., pl. 72, 73, 74, 75.
54 A. Minto dans N. Se, 1934, p. 406, fig. 62.
55 Κ. Tuchelt, art. cité, p. 53-54, pl. 10-11 (1-3), datée vers 550 av. J.-C.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 757

sensiblement comparables à celles avancées plus haut, soit le dernier tiers


du VIe siècle. Elargissant l'enquête à d'autres catégories de matériel à Popu-
lonia, on trouverait nécessairement un matériel plus varié et plus riche qu'à
Volterra56 pour illustrer des produits artistiques imités ou importés d'Ionie
ou des îles orientales de la Mer Egée. Ce n'est pas notre propos. Cependant,
parmi les membra disiecta des tombes archaïques de Volterra, on ne saurait
passer sous silence certains petits bronzes57, en particulier le petit bronze
de Munich n. 3678 qui appartient selon toute vraisemblance à la production
ionienne58. Ce bronze représente une figurine féminine coiffée du tutulus
et vêtue d'un chiton long, bouffant latéralement de part et d'autre de la
ceinture. Elle tient de la main gauche la paryphé et de la main droite
esquisse un geste de salut (?). Les plis du chiton forment un dessin à
ondes parallèles dégradées en amplitude et qui tendent à rejoindre la tan
gente à la paryphé formant une courbe au-dessus de la jambe gauche. En
dehors de certains traits particuliers, comme le traitement du visage, et le
maniérisme précieux des plis en zig-zag de la paryphé et du chiton, le dessin
des plis du chiton a des parallèles typologiques très précis qui se situent,
de nouveau, dans la statuaire gréco-orientale. Une koré de Samos, une autre
de Didyme sont, pour le dessin des plis du chiton, sous la ceinture, les
exemples les plus voisins de la petite Koré en bronze de Munich59 que la
vivacité de l'expression, le tutulus, permettent de rapprocher encore de
séries intéressantes de l'art ionien auxquelles appartiennent le bronze n. 226

56 Pour l'analyse des bronzes de Populonia et leur appartenance au courant ionien, cf.
H. Jucker, dans Arch. Anz., 1967, p. 619 sq. et Id. dans Art and Technology (cité), cf. note 17.
57 Dans le cadre restreint de cet article nous n'examinerons pas la totalité des petits
bronzes archaïques de Volterra qui méritent également une mention dans le cadre de l'art ionien.
Pour certains d'entre eux, nous renvoyons à E. Fiumi, La faciès arcaica, cité, p. 285 sq.
58 Münch. Jahrb.; 1912, p. 72, fig. 2; Arch. Anz., 1913, p. 17, n. 2, fig. 2; P. J. Riis, Tyrrhenika,
Copenhague, 1941, p. 142; E. Fiumi, La fades arcaica... (art. cité), fig. 16, p. 291, 292; Mostra
etr. Mil. n. 256 (entre 550 et 500); H. Busch et G. Edelmann, Etruskische Kunst, Francfort,
1969, p. 119. Cf. Fig. 8.
59 En particulier pour le schéma des plis du chiton, tendant à rejoindre la paryphé en
ondes progressivement tangentes à cette dernière, cf. G.M.A. Richter, Korai (cité), n. 516 (Koré de
Didyme au Musée de Berlin); ibid., n. 491-494 (Korè provenant du temple d'Héra à Samos.
Pour le schéma des deux kolpoi de part et d'autre de la ceinture, ibid., n. 441-444 (Grèce
continentale, vers 530-520) et surtout, ce détail, dans la série ionienne, cf. C. Blümel, o.e.,
p. 52 n. 49, fig. 135 (Milet); p. 44 n. 37 fig. 106 (Samos). Cf. Fig. 9.
758 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

du Musée du Louvre60, on encore des produits comparables trouvés en


Espagne 61.
Si les influences ioniennes à Volterra ont été convoyées par Populonia,
l'origine ou l'intermédiaire maritime de ces contacts se déduit (quand nous
n'aurions pas d'autre indice) de la sphère artistique et de la chronologie
des œuvres grecques de référence. Ces dernières se situent en majorité dans
le dernier tiers du VIe siècle. La stèle et le petit bronze sont à dater de la
même période, peut-être plutôt de la fin du VIe ou du début du Ve siècle.
Or nous savons qu'en 545 la bataille d'Alalia n'a été qu'un épisode signi
ficatif de l'intensité des rivalités commerciales et de la piraterie dans une
zone de la mer tyrrhénienne comprise entre l'Archipel Toscan, la Sardaigne,
Populonia, l'Elbe et la Corse. La victoire « à la cadméenne » sur les Cartha
ginois et les Etrusques de Caere (il n'est pas question de l'Etrurie du Nord)
ne suffit sans doute pas aux Phocéens pour s'assurer de la sécurité des
communications commerciales entre l'Archipel Toscan, la Sardaigne et la
Corse, mais il leur resta probablement leurs points d'appui septentrionaux
par l'île d'Elbe et par Populonia62. Depuis Populonia, fondée par un mysté
rieux peuple venu de la Corse63, jusqu'à la vallée de l'Arno, les témoignages

60 A. De Ridder, Les bronzes antiques du Louvre, Paris, 1913, I, p. 40, n. 226, pi. 22;
P. I. Riis, o.e., p. 128, pi. 22,4.
61 Pour le rapprochement entre le bronze du Louvre et celui de Madrid, cf. E. Kukahn,
Unas relaciones especiales entre el arte oriental griego y el occidente, dans Actes du Simposio
de Colonizaciones, Barcelona - Ampurias, 1971 p. 109 sq; P. J. Riis, o.e., p. 142, note que la
statuette du Louvre (ibid., p. 128, pi. 22, 4) de provenance inconnue (peut-être assimilable à
un bronze de Pérouse, cf. A. De Ridder, loc. cit.) ferait une excellente contrepartie à la sta
tuette de Munich provenant très probablement de Volterra. Pour nous, tous ces petits bronzes
sont des produits (originaux ou imitations) de diffusion de l'art oriental grec en occident.
62 Sur la bataille d'Alalia, cf. en dernier lieu (avec bibl. ant.) l'article de M. Gras dans
Latomus, 1972, 2, p. 698 sq., en particulier p. 712 sur les itinéraires maritimes et sur l'impor
tancede la région de Populonia et de l'île d'Elbe en fonction du second itinéraire vers la Sardaigne.
63 Servius ad Aen. X, 172: «quidam Populoniam, post XII populos in Etruria constitutos
(c'est nous qui soulignons et cette phrase est importante pour conclure qu'il ne s'agit pas d'une
migration préhistorique ou protohistorique), populum ex insula Corsica in Italiam venisse et
condidisse dicunt: alii Populoniam Volaterranorum coloniam tradunt: alii Volaterranos Corsis
eripuisse Populoniam dicunt». Vingt ans avant la prise de Phocée (Hérodote I, 165) =vers 565
les Phocéens avaient fondé leur colonie d'Alalia et l'on doit penser à cette première vague de
colonisateurs pour une fondation phocéenne de Populonia. Populonia a d'ailleurs tous les carac
tères d'un établissement phocéen par sa structure d'emporium sur la mer (cf. Strabon V, 2, 6)
et le passage se référant à une conquête de Volterra sur la ville pourrait illustrer les rapports
de nature complexe, qui se tiennent ordinairement entre une emporium et sa χώρα, entre les
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 759

ne manquent pas sur la présence de navigateurs orientaux sur le rivage64.


Le trésor trouvé à Volterra65, composé en partie de pièces de Phocée, en
partie d'imitations (peut-être dues à un atelier local), confirme la réalité
de certaines influences orientales à Volterra. La stèle CIE 50 qui rappelle
de près certains types de la statuaire de l'Ionie nous paraît avoir sa place
au sein d'une telle problématique historique.
Bien plus, au-delà du cas particulier de la stèle CIE 50, il est tentant
de rattacher l'ensemble des stèles de Volterra à une problématique unique,
celle des influences ioniennes liées à la présence de navigateurs orientaux
sur la côte et en particulier à Populonia. Une telle optique nous permettrait
de mieux prendre la mesure de cet art funéraire à la fois si ingénument
local et si étrangement ouvert à des schemes lointains. Les remarques de
M. Pallottino sur la stèle d'Avile Tite pourraient trouver un éclairage adéquat
dans le même contexte historique. La stèle d'Avile Tite η obéit pas seul
ement à un schéma figuratif anatolien présent également à Xanthos65. Elle
appartient tout entière à la lignée stylistique des reliefs lyciens de la seconde
moitié du VF siècle 67.

Phocéens et les indigènes; sur le caractère des fondations phocéennes et de la colonisation


phocéenne, cf. E. Lepore, Strutture della colonizzazione focea in Occidente, dans Nuovi Studi
su Velia, Par. del Passato, 130-133, Naples, 1970, p. 19 sq., en particulier p. 33-34.
64 Cf. F. Gamurrini, dans Per. Num. Sfragistica, 4, 1872, p. 208-209; ibid., 6, 1874, p. 50-57,
η. 4, p. 68, trésor trouvé près de Cecina avec monnaies de Populonia et de Marseille (trésor
plus récent que celui de Volterra). Pour les fameuses pièces en or trouvées dans la zone comp
rise entre Populonia, Pise, Lucques, nous renvoyons aux discussions (à paraître) du Congrès
International de Numismatique, Naples, avril 1975.
65 Cf. la communication de Mme Cristofani-Martelli sur le trésor de Volterra (Naples,
Congrès international de Numismatique) justement mis en rapport avec un certain nombre
d'œuvres influencées par le style ionien dont la tête Lorenzini (cf. A. Andren, dans Antike
Plastik, 7, 1967, p. 29 sq., pi. 14-16, fig. 9 et R. Bianchi Bandinelli, dans Dial di Arch., 1968, 2,
p. 227 sq. fig. 1-3 pour qui la tête Lorenzini est plutôt attique) et notre stèle. A propos d'in
fluences attiques on peut rappeler avec G. Vallet et F. Villard que les Phocéens ont probablement
été auprès des Etrusques les intermédiaires du commerce et de l'art attiques. Cf. G.. Vallet-F. Villard,
Les Phocéens en Méditerranée occidentale à l'époque archaïque et la fondation de Hyele,
dans Velia e i Focei in Occidente, Par. del Passato, 108-110, Naples, 1966, p. 175.
66 M. Pallottino, art. cité dans Etudes etrusco -italiques.
67 Pour la perruque « à étages » on comparera avec la Tombe des Lions de Xanthos (vers
le milieu du VIe siècle), cf. E. Akurgal, Griechische Reliefs des VI Jahrhunderts aus Lykien,
p. 27; ibid., p. 28 sur l'aspect dessiné plus que sculpté de la ligne du corps. Pour le dessin
du corps, cf. la tombe d'Isinda (un peu avant 530 av. J.-C); Id., Die Kunst Anatoliens (cité)
p. 135, fig. 85 (perruque à étage du joueur de lyre et dessin du corps).
760 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

Ainsi nous devons affronter deux séries de problèmes que nous évo
querons ici rapidement plus pour ouvrir des perspectives que pour apporter
des conclusions définitives.
1) On ne peut pas parler génériquement 68 d'influence ionienne ou
d'Asie Mineure mais de points de contact précis qui ont une répercussion
immédiate sur les conditions de la création des stèles. On a avancé l'hypo
thèse très plausible de la présence d'artistes grecs69. Mais cet art ionien des
stèles peut en réalité conduire à deux hypothèses: ou une fraction de la
population indigène, en rapport avec les Grecs, utilise les formes et, nous
dirions volontiers, les oripeaux ioniens, pour ses propres besoins de prestige;
ou encore, certains étrangers70 (commerçants, courtiers) adoptés en pays

68 Cet aspect avait déjà été souligné par A. Minto (art. cité) comme par M. Pallottino,
art. cité, p. 151-152 et repris dans le livre de P. Zazoff, Etruskische Skarabäen, Mayence, 1968,
p. 19-20.
69 Cf. l'inscription Metru menecen (= Μήτρων έποίεσεν; C. De Simone, Die Griechische
Entlehnungen im Etruskischen, II, Wiesbaden, 1970, par. 190, p. 231-233); A. Minto, Populonia
(cité), p. 237.
70 On peut se demander quelle est l'origine de noms comme Tharnie (TLE 407), Leasie
(CIE 50, s'il s'agit toutefois d'un nomen) ou même Ninie (CIE 1, Fiesole). Lors du dernier
congrès d'Etudes étrusques (Grosseto, mai 1975), C. De Simone a attiré l'attention sur Zarmaie(s'),
cf. SE, 39, 1971, n. 26, p. 353 et pi. LXXIII ^ulci) et -Zarmas (Asie Mineure). Nous rappelons
à ce propos que la stèle de Grosseto d'après A. Mazzolai (loc. cit. supra) porte l'inscription...
maies. Nous nous demandons de même si les suffixes -ie ou -nie (cf. H. Rix, o.e., p. 296-297)
ne cachent pas d'autres noms de marque orientale. Cf. L. Zgusta, Kleinasiatische Personennamen,
Prague, 1964, par. 253 (Δαρνος = Phrygie), ibid., par. 282-4 et note 79: Λείας masc; Id., Anato-
lische Personennamensippen, Prague, 1964, p. 58-59. Nenias; par. 3, p. 34-35 (-Zarmas/Ζαρμος,
ce dernier nom peut-être celte?). Tharnie avec dentale sonore rappelle tarnas/nai gén. tarnes
à Vulci, {TLE 318-321) avec dentale sourde. Si l'on doit traiter na(s) comme suffixe, tharnie
pourrait être une variante construite avec suffixe -nie. Mais en admettant que la racine soit
Tharn/tarn/Δαρν (Δαρν-ος/tarn-as) le problème serait très différent et nous devrions évoquer
une possible adjonction du simple suffixe italique -ie à un nom étranger. Nous n'aurions pas
alors à considérer (H. Rix, loc. cit.) le problème des gentilices en -ni (Tharme) pour ce nomen.
En revanche, ce dernier problème se pose sûrement pour le dédicant de la stèle de Larth
Tharnie: ... (?) uchulni. Ce nom, malgré l'état de la stèle, paraît complet et dans cette hypothèse
il est tentant de le rapprocher de Ogulnius attesté (étr. gén.) dans la région de Chiusi et de
Pérouse, et célèbre aussi (D.H., 20, 14, Liv. 10, 6 sq.) dans l'histoire de la plèbe romaine (cf.
W. Schulze, ZGLE Berlin, 1904, p. 150-151). On notera, pour la phonétique de l'inscription,
que la gutturale sonore a été préférée à la sourde, phénomène qui se rapproche peut-être de
l'expression de cette même préférence dans le cas tharnie, tarnas, évoqué ci-dessus.
Ajoutons que dans la même série des noms d'origine asiatique, le problème se pose pour
arch, tatanas (Orvieto, Tufo del Crocefisso, SE, 30, n. 14, p. 144) et Τατανης, L. Zgusta, o.e.,
NOTE SUR LA STÈLE «CIE I, 50» (VOLTERRA) 761

étrusque font commissionner à des artisans locaux un monument funéraire


à la mode de leur pays.
2) La réalité d'un apport ionien à travers le commerce phocéen suppose
que l'on établisse aussi un parallélisme chronologique entre une certaine
culture, sa transmission et son expression avec les moyens locaux. Sans
doute ne doit-on pas trop relever la chronologie de ces stèles et les faire
remonter à un orientalisant ancien71. Sans doute est-il vain d'établir une
chronologie absolue pour chaque monument. Cependant, le style est un des
éléments qui pourrait faire établir le point de concentration de ces monum
ents vers 530+ 10. La stèle CIE 50 semblerait la plus récente dans la mesure où
la série de la statuaire ionienne parallèle peut comporter des représentants
encore au début du Ve siècle 72. Un autre élément qui pourrait faire surgir
d'autres parallélismes chronologiques est l'écriture. Nous ne voulons souli
gner qu'un seul fait en rappelant que dans le domaine ionien le thêta pointé
fait son apparition vers le milieu du VIe siècle 73. Or la stèle de Larth Tharnie

par 1517-28, p. 505); ree. tatanus (colombe de Volterra) et Τάτανος (Mys. Pergame, lycie,
ibid. par. 1517-27, p. 699).
71 Tendance, selon nous, trop marquée chez A. Hus, Recherches sur la statuaire en pierre
étrusque archaïque, Paris, 1961 (BEFAR 198), p. 508 (vers 600), et Id. dans MEFR, 71, 1959,
p. 26 sq., en particulier p. 31.
S'il n'est pas douteux que certains produits orientalisants anciens (notamment de petits
bronzes) attestent la précocité de certains contacts avec l'Orient, cf. A. Hus, art. cité, p. 9 sq.,
J. C. Balty, dans Bull. Inst. Hist. Belge, Rome, 33, 1961, p. 5-68, ibid., 37, 1966, p. 1-16, les
stèles de Volterra n'appartiennent pas à ce courant ancien.
72 Si la stèle est effectivement recentior, il peut s'agir d'une écriture délibérément archaï-
sante. Sur l'écriture des stèles de Volterra, cf. quelques notes contenues dans l'article de
M. Cristofani, Sull'origine e la diffusione dell'alfabeto etrusco, dans Festchrift Vogt, Berlin,
1972, p. 466-489, en part. p. 482, et le récent commentaire du même auteur dans SE, 41, 1973,
p. 284, cité supra, ainsi que dans la note de F. Nicosia dans SE, 35, 1967, p. 516 sq. (stèle de
Montaione). Le Thêta à point central apparaît, semble-t-il, dans l'alphabet de Colle (E. Buona-
mici, Epigrafia etrusca, Florence, 1932, pi. IV, fig. 6 et p. 110-111, si toutefois les dessins
conservés de cet alphabet constituent des points de référence suffisamment sûrs (cf. A. Neppi
Modona, dans Rend. Lincei, 62, 1926, p. 508 qui souligne que d'après les dessins cet alphabet
aurait comporté également un samesh).
73 M. Guarducci, Epigrafia greca, I, Rome, 1967, p. 259; L. H. Jeffery, The local scripts
of Archaic Greece, Londres, 1961, p. 325. Le Thêta pointé apparaît sur une dédicace d'Aiakes à
Héra (Samos) env. de 525-520 (ibid., η. 13), à Milet {ibid., η. 33) et peut-être avant (vers 540-525)
sur un vase de Klazomènes (ibid., η. 63). D'autres exemples (Attique, ibid., p. 66, n. 16 = vase
François vers 570) et n. 24 (canthare de Nearchos vers 550). Eretrie (n. 9, p. 87), Béotie
(n. 1, p. 44) peuvent faire penser à certains emplois antérieurs à 550, mais l'usage le plus
762 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

comporte précisément un tel thêta qu'il est tentant de replacer non seul
ement dans la perspective de l'évolution propre de l'alphabet étrusque, mais
encore, s'agissant d'une création dont les liens avec l'art ionien oriental
sont reconnus, dans la perspective d'une possible influence.
Les problèmes que nous venons d'évoquer ne peuvent naturellement
trouver de résolution adéquate dans le cadre de cet article. Il nous aura
suffi d'attirer l'attention sur un monument méconnu, la plus ionienne peut-
être des stèles de Volterra74, comme il nous est agréable de soumettre ces
réflexions à M. Heurgon après les récentes discussions du congrès de Naples.

Note additionnelle: Le nom de Larth Tharnie rappelle celui des


habitants de Τάρνη πόλις Αχαίας, ό οίκήτωρ Τάρνιος και τάρνια έργα (Steph.
Byz., s.v. Τάρνη). Mais nous savons d'autre part que Τάρνη était l'ancien
nom de la ville de Sardis en Lydie (cf. Schol. ad II. V, 44: Τάρνης πόλις
Λυκίας {leg. Λυδίας) ή νυν Σάρδεις. Eustath. ad IL, p. 270, 33: Τα δε σχόλια
γράφουσιν οτι ήν και Τάρνη τις πόλις Αχαίας). Originellement Tharnie pourrait
donc vouloir dire «habitant de Τάρνη», ce qui nous reporte à la Lydie
dans le cas d'une des deux villes mentionnées, et serait intéressant s'il est
vrai, comme nous avons voulu le démontrer, que les stèles de Volterra
dépendent étroitement pour leur naissance des rapports avec la Méditerranée
orientale, en fonction notamment de la présence phocéenne à Aleria et
probablement aussi à Populonia.

courant s'établit, semble-t-il, dans la seconde moitié du VIe s. car c'est le Thêta pointé qui fait
figure d'innovation et le Thêta à croix qui fait figure de persistance (pour les exemples, ibid.,
Phocide, p. 100, Corinthe, p. 115, Argos, p. 154, Laconie, p. 183, Arcadie, p. 207, colonies
achéennes, p. 249, Sicile, p. 262, îles Egées, p. 289).
74 Rappelons encore le miroir (inv. n° 921) du Musée Guarnacci (fonds ancien) représentant
deux femmes coiffées du tutulus, vêtues à la mode ionienne, symétriquement opposées de part
et d'autre d'un anthémion à palmettes évoquant encore Populonia. Cf. I. Mayer Prokop, Die
gravierten etruskischen Griffspiegel archaischen Stils, (MDAi R, suppl. 13), p. 42, n° 55, pi. 49, 2.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 763

;*>

(Photo de l'auteur)

Fig. 1 - Stèle «CIE, I, 50».


764 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

ν*··*

(Clichés:' a) DAI Athènes Nég. 70/1076 b) Staatl. Museen zu Berlin


Nég. SK 74 69 D SK 74 71)

Fig. 2 - Kouros du Cap Phonéas (a), de Myous (b, b').


NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 765

(Cliché DAI Istamboul, P. Steyer, Nég. Di 64/21)

Fig. 3 - Kouros de Didyme (fragment K. 29, K. Tuchelt, o. c, pi. 30, 1).


766 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

(Cliché: DAI Rome, Neg. 54.524)


Fig. 4 - Hydrie E 702 du Louvre.

(Cliché: DAI Rome, Neg. 32.109)


Fig. 5 - Hydrie du Vatican.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 767

(Cliché: DAI Istamboul, W. Schiele, Nég. Di 65/10)

Fig. 6 - Kouros de Didyme (Profil droit de la fig. 3 supra).


768 FRANÇOISE-HÉLÈNE PAIRAULT-MASSA

(Clichés: a) DAI Athènes, Nég. 70/1082 b) Staatl. Museen zu Berlin


Nég. SK 6848)

Fig. 7 - a) Profil droit du Kouros du Cap Phonéas; b) Profil gauche du Kouros de Myous.
NOTE SUR LA STÈLE « CIE I, 50 » (VOLTERRA) 769

ι *

(Cliché: C. H. Krüger-Moessner Nég. KM 2595) (Cliché: Staatl. Museen zu Berlin Nég. SK 74S2)
Fig. 8 - Bronze de Munich (n° 3678). Fig. 9 - Korè de Berlin (SK 1744).
MASSIMO PALLOTTINO

SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA

L'argomento che qui si tratta fu da me affrontato come introduzione


ad una serie di conferenze, dal titolo « Lineamenti di storia dell'Italia antica
prima dell'unità romana (Sketch of a History of Ancient Italy before its
Romanization) », tenute all'Accademia Americana in Roma e all'Università
del Michigan, Ann Arbor, nell'anno 1968 per il Thomas Spencer Jerome
Lectureship. Esso costituì anche la prospettiva di base della mia relazione
sulla Magna Grecia e l'Etruria al Convegno di Taranto dello stesso anno
1968 \ ed è stato poi ripetutamente svolto ed approfondito in sede di corsi
universitari a Roma e a Perugia. Ma vale forse la pena di riproporlo nel
momento attuale all'attenzione di un più vasto pubblico di studiosi, ill
ustrando le premesse storico-critiche di quella interpretazione unitaria del
configurarsi e del divenire del mondo dell'Italia preromana (cioè anteriore
al compimento del processo di romanizzazione politico-giuridica, linguistica
e culturale) che si riassume nel concetto di « storia italica ». Dedicare il mio
discorso a Jacques Heurgon non è che un naturale e doveroso riconosc
imento del suo apporto, in prima persona, all'affermazione di questo indi
rizzo di rinnovamento dei nostri studi.
È noto che gli schemi fondamentali della storiografia scientifica mo
derna del mondo classico cominciarono a definirsi tra la fine del XVIII e
il principio del XIX secolo. In questo periodo apparvero le opere di W. Mit-
G~
ford History of Greece (1784-1810) e di Β. Niebuhr Römische Geschichte

1 La Magna Grecia e Roma nell'età arcaica, Atti dell'VIII Convegno di studi sulla
Magna Grecia, Napoli, 1969 (1971), pp. 35-48, e successivo intervento pp. 250-255. Nell'occa
sione del Convegno e ad integrazione della mia relazione ritenni opportuno distribuire privat
amente ai colleghi più interessati, in un numero limitatissimo di esemplari tirati a cura dell'Isti
tuto di Etruscologia e Antichità Italiche dell'Università di Roma, il testo provvisorio della prima
conferenza della serie «Jerome Lectures», che con tutti i necessari sviluppi e aggiornamenti costi
tuisce la traccia del presente saggio.
772 MASSIMO PALLOTTINO

(1811-1832) nelle quali si riconosce generalmente l'avvio alle discipline che


chiamiamo «storia greca» e «storia romana». Ma proprio negli stessi anni
- con una coincidenza di date il cui valore, se non erro, è sfuggito agli
studiosi - vedeva la luce il libro di Giuseppe Micali L'Italia avanti il domi
niodei Romani (1810, con una successiva edizione nel 1821) 2.
L'opinione corrente e tradizionale sull'opera del Micali è che essa appar
tenga al filone erudito dell'antiquaria etruscologica ed italicistica del Sette
cento di cui sarebbe un'espressione ritardata ed in certo senso conclusiva,
priva di autentico interesse storico: ciò che tutto sommato riflette con inerte
accettazione i giudizi negativi della critica ottocentesca3. Sembra per altro
affacciarsi oggi l'opportunità di una più attenta e sensibile rilettura di quel
testo, e di una sua sostanziale rivalutazione, non soltanto in rapporto alla
vastità del disegno e alla sistematicità e coerenza di sviluppo della materia
trattata, che non hanno precedenti 4, ma anche per quel che riguarda l'acqui
sizione di una metodologia critica nel vaglio delle tradizioni antiche5, l'im-

2 È lo scritto basilare e di più genuina originalità del dotto livornese. La posteriore Storia
degli antichi popoli italiani (1832) ne costituisce in gran parte un rifacimento con accentua
zione erudita. Sull'opera del Micali, sul suo significato, sul suo ambiente e sulla sua fortuna
si veda specialmente P. Trêves, Lo studio dell'antichità classica nell'Ottocento, Milano-Napoli,
1962, pp. xxi-xxiii, 293-343; cfr. ora anche J. Heurgon, La découverte des Etrusques au
début du XIXe siècle, in CRAI, 1975, pp. 591-600.
3 A cominciare dal Niebuhr, Vorträge über römische Geschichte, 1846, I, p. 73, che con
dannava L'Italia avanti il dominio dei Romani con giudizio sommario soprattutto per la sua
mancanza di capacità analitica e per la preconcetta tesi antiromana.
4 A queste caratteristiche della sua opera va riferito l'intendimento espresso dallo stesso
Micali di « entrare per una via non ancora da alcuno calcata » (Prefazione all'Italia, che cito,
anche successivamente, dall'edizione U.T.E.T. 1887). La vastissima e multiforme letteratura
settecentesca sull'Italia antica ebbe un carattere essenzialmente antiquario, nel senso della
raccolta e dello studio dei monumenti, delle ricerche iconografiche e storico-religiose, delle
disquisizioni epigrafiche, etimologiche, etnografiche ecc; ed anche quando toccò risultati di
autentica validità storica, come nel caso dell'opera del Lanzi (cfr. M. Pallottino, Luigi Lanzi,
fondatore degli studi di storia, storia della civiltà e storia dell'arte etrusca, in Studi Etruschi,
XXIX, 1961, pp. xxvii-xxxviii), restò pur sempre legata ad una formula d'impianto di tratta
zioni particolaristiche: mancò, cioè, di un tentativo di «storia scritta per la storia». Sul proble
ma dei rapporti fra studi antiquari e studi storici si veda, tra l'altro, il saggio di A. Momigliano
(1950) ripubblicato in Studies in Historiography, New York, 1966, pp. 1-39.
5 Cito le parole stesse del Micali: «... il buon gusto di critica, introdotto ai nostri giorni
nello studio dell'erudizione, ci ha finalmente riscossi dal timido rispetto che prevaleva ne' tempi
addietro per opinioni scritte e copiate da tanti secoli» (Italia, I, cap. IV, p. 65). Il procedimento
critico viene poi subito precisato nei tre punti fondamentali della verosimiglianza logica, della
comparazione reciproca tra le fonti e della imparzialità del giudizio.
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 773

piego dei dati archeologici ed epigrafici come « fonti » di storia 6; e perfino


una inclinazione singolarmente anticipatrice verso la storia concepita come
risultato di condizioni ambientali, economiche e sociali 7. Lo stesso Leitmotiv
antiromano e « antimperialista », di là dal suo possibile richiamo allusivo
ai fatti contingenti dell'Italia sotto il dominio napoleonico (e prescindendo
dalla fortuna che esso ebbe poi nel clima romantico del Risorgimento ita
liano), ha valore di pensiero storico in quanto esprime sia pure in forma
istintiva e passionale l'esigenza di rivendicare uno spazio cronologico, cultu
rale e politico autonomo alle esperienze dei popoli dell'Italia preimperiale.
L'Italia avanti il dominio dei Romani merita di essere restituita alla
prospettiva del suo tempo e collocata sullo stesso piano delle opere della
letteratura storica contemporanea, cioè della fase di passaggio dall'illum
inismo al romanticismo. Come quelle sopra citate del Mitford e del Niebuhr
essa si propose il fine di esplorare unitariamente uno dei grandi settori

6 Porre a fondamento dell'evidenza storica « il sussidio dei monumenti » a fianco, e sullo


stesso piano, dell'« autorità degli scrittori» (Italia, I, cap. Ill, p. 50) è un rifarsi a temi già
largamente dibattuti sul piano teorico nei secoli precedenti (cfr. Momigliano, Studies in Histo
riography cit., p. 13 sgg.). Ma l'atteggiamento del Micali nei riguardi dei resti materiali dell'anti
chità si differenzia da quello degli eruditi del Settecento in quanto tende a spostare l'interesse
dall'oggetto considerato in sé e per il suo significato particolare (storico-religioso, storico-artistico,
linguistico ecc.) al suo valore generale e mediato di testimonianza storica: significativa a questo
proposito è la dichiarata «finalizzazione storica» del tipo tradizionale delle raccolte iconogra-
fiche negli Antichi monumenti per servire all'opera intitolata l'Italia avanti il dominio dei
Romani (1810) e nei successivi Monumenti inediti a illustrazione della storia degli antichi
popoli italiani (1844).
7 Sui rapporti tra ambiente naturale, risorse, produzione, strutture sociali e progresso
storico si considerino tra l'altro le osservazioni, a volte sottilissime, dei primi due capitoli di
Italia, I (pp. 37-49). Sul passaggio dalle primitive piccole comunità egualitarie di villaggio alle
loro associazioni confederali e ai più evoluti organismi urbani con poteri accentrati e sviluppo
delle aristocrazie non potrebbe forse, nelle grandi linee, dirsi meglio oggi, a parte le conferme
e le precisazioni dell'archeologia preistorica che mancavano al Micali (vedi specialmente Italia,
I, cap. II, pp. 48-49, e cap. XXI, pp. 187-203): da notare tra l'altro la proposta interpretazione
degli aspetti e dei limiti originari del potere regio alla luce della comparazione etnologica con
i capi delle tribù degl'Indiani d'America, che riflette quelle tendenze speculative della fine del
XVIII e del principio del XIX secolo dalle quali trarrà origine la socio-antropologia moderna
(cfr. E. E. Evans-Pritchard, Introduzione all'antropologia sociale, Bari, Laterza, 1971, p. 29 sgg.).
L'interesse del Micali per i problemi sociali si manifesta anche, ad esempio, nel quadro sobrio e
preciso che egli ci offre della posizione della donna nel mondo etrusco (Italia, I, cap. XXIII,
pp. 238-242), prima che questo tema fosse alterato dalla suggestione del mito matriarcale di
J. Bachofen (per essere poi magistralmente ricondotto nei suoi reali termini storici ai nostri
tempi da J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, Paris, 1961, p. 95 sgg.).
774 MASSIMO PALLOTTINO

« reali » della storia dell'antichità classica. Nello stesso momento e nello


stesso clima di progresso degli studi storici affioravano dunque, definiti e
paralleli, i tre temi della Grecia, dell'Italia, di Roma.
Ma quale sarà poi il loro ulteriore sviluppo? Nel corso del secolo XIX
i filoni della « storia greca » e della « storia romana » continueranno e cr
esceranno ininterrottamente fino a dominare l'intero campo dell' Altertums
wissenschaft positivistica e postpositivistica. Al contrario il filone della
« storia italica » si isterilirà e finirà con l'interrompersi 8. Ciò spiega perché
i libri del Mitford e del Niebuhr siano tuttora considerati alla base di una
esperienza storiografica viva, mentre quello del Micali restò confinato e
dimenticato sul binario morto dell'erudizione prescientifica, fuori di ogni
interesse critico-bibliografico.
Naturalmente la causa essenziale della fortuna della storia greca e della
storia romana, come concetti e come discipline accademiche, si identifica
con la esistenza stessa di una letteratura storica greca e latina. Per la predo
minante impostazione filologica dello storicismo ottocentesco la storia era
legata essenzialmente alla utilizzazione e all'interpretazione delle fonti lette
rarie. Si aggiunga che essa fu concepita soprattutto come narrazione delle
vicende politiche, militari, istituzionali, cioè come specchio dell'attività delle
classi dominanti; ebbe lògicamente quell'inquadramento per unità etniche
seguite diacronicamente attraverso tutto il loro sviluppo (nel senso di una

8 All'opera del Micali si affianca e fa seguito un'intensa produzione di scritti dedicati alla
storia e all'etnografia dell'Italia primitiva, come quelli di M. Delfico, D. Romagnosi, S. Campanari,
A. Mazzoldi, A. Bianchi Giovini - ultima, già oltre la metà del secolo, la Storia dell'Italia antica
di A. Vannucci (1863) -, nei quali in parte sopravvive lo spirito dell'erudizione settecentesca,
in parte si esprimono, attraverso allusioni più ο meno velate, i sentimenti patriottici del tempo.
Non fa meraviglia trovare impegnati sul tema dell'Italia preromana scrittori del Risorgimento
italiano quali Carlo Cattaneo e Cesare Balbo; e alcuni dei motivi fondamentali del pensiero
storico del Micali, specialmente la rievocazione e rivendicazione dei valori del pluralismo italico
e la posizione antiromana, ebbero un profondo influsso sull'intero romanticismo risorgimentale.
Queste correnti sono state acutamente indagate da B. Croce, Storia della storiografia italiana
nel secolo decimonono5, I, Bari, 1947, pp. 52, 110 sgg.; cfr. anche. F. Mascioli, Anti-Roman and
Pro-Italie Feeling in Italian Historiography, in Romanie Review, XXXIII, 1942, pp. 366-384, e
Trêves, op. cit. alla nota 2, stesse pagine e p. 725 sgg.; per l'influenza del Micali sulla cultura
francese vedi Heurgon, op. cit. alla nota 2, p. 4 sgg. Così recepita e sentita soprattutto nella
sfera politico-ideologica - e forse proprio per questo - l'eredità del Micali non fruttificò in una
scuola storica vitale, al passo con i tempi: le voci dei suoi più ο meno modesti epigoni « rimasero
soffocate da quelle ben più possenti della scienza critica tedesca, la quale seguitava imperturbab
ile ad affiancare alla storia "greca" non una storia "italica", ma una storia "romana"»
(G. Giannelli, Trattato di storia romana, I, Roma, 1953, p. 8).
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 775

« storia di popoli ») che era suggerito dalle tendenze del nazionalismo allora
dominante; e adottò largamente gli schemi evoluzionistici delle scienze natur
ali dell'età del positivismo. Tutti questi motivi concorsero al formarsi e al
caratterizzarsi, in modo determinante e per taluni aspetti irreversibile, di
due grossi « blocchi » storiografici destinati ad includere e ad esaurire l'intera
problematica degli studi storici sull'antichità classica.
L'idea di una « storia italica » era viceversa contraria e quasi ripugnante
ai princìpi della scienza del secolo XIX. Ad essa faceva difetto il supporto
di una tradizione letteraria originale ed unitaria; gli stessi dati superstiti
ricavabili dalle fonti greche e latine erano così scarsi da apparire piuttosto
« frammenti di storia » che « storia ». All'Italia preromana era mancata quella
unità linguistica, etnica, culturale e quella continuità evolutiva che erano
state proprie, nello stesso tempo, del mondo greco; il suo territorio appariva
suddiviso in gruppi di genti diverse, più ο meno definibili, a livelli di sviluppo
quanto mai vari, talvolta conosciute soltanto dal nome. La soluzione abor
tiva del tema proposto dal Micali al principio del secolo non fu dunque
un fatto casuale, ma piuttosto la logica conseguenza di un orientamento di
studi che portò a disconoscerne sul piano generale la validità come schema
ο concetto storico. Al posto di una visione unitaria dei fatti dell'Italia antica
prima della romanizzazione non potevano proporsi che visioni parziali delle
singole popolazioni e culture.
Da una parte la forza degli schemi storiografici dominanti fece sì che
tutta la problematica più strettamente storica del mondo italico venisse a
polarizzarsi, per così dire centrifugamente, verso la storia greca e verso la
storia romana: la prima, in quanto interessava e riassorbiva lo studio dei
fenomeni e delle vicende di una parte notevole del territorio italiano (com
presa estensivamente la Sicilia) sul quale i Greci furono presenti come
colonizzatori; la seconda, in quanto seguiva la nascita e la crescita di una
città situata nel cuore stesso dell'Italia, le sue conquiste ed i suoi rapporti
con l'ambiente circostante e con le popolazioni con le quali essa venne in
progressivo contatto fino all'imporsi della sua dominazione su tutto il paese.
La storia italica in quanto oggetto di studio degli storici si identificò, cioè,
con la storia della grecita marginale della Magna Grecia e della Sicilia e
con la storia di Roma monarchica e repubblicana.
Da un'altra parte, per tutti i settori geografici e cronologici non « coperti »
direttamente da questi campi di studio, e cioè per le rimanenti esperienze
dell'Italia indigena, l'indagine descrittiva e ricostruttiva rimase affidata quasi
esclusivamente agli archeologi e ai linguisti, non oltrepassando i limiti del
metodo e dei risultati di queste discipline specialistiche (pur fortemente
incrementate dalle scoperte e dal loro intrinseco progresso e raffinamento
776 MASSIMO PALLOTTINO

critico) e assumendo pertanto un carattere di etnografia protostorica piuttosto


che di storia vera e propria. In tale prospettiva il mondo degli Etruschi
venne a trovarsi ovviamente in una posizione di assoluta preminenza non
solo come materia di studio di vecchia tradizione, ma anche e soprattutto
per l'intrinseca superiorità della sua esperienza civile nel quadro dell'Italia
preromana. Tuttavia l'etruscologia, nonostante la relativa ricchezza delle
memorie della tradizione e la stessa abbondanza dei documenti scritti origi
nali, non raggiunse neppur essa una vera e propria impostazione storica,
di là dal contributo analitico dei filologi, degli epigrafisti, dei linguisti, degli
archeologi, degli storici dell'arte, della religione, delle istituzioni, dei costumi
e così via. Per il resto l'interesse degli studiosi si rivolse alla identificazione
e, per quanto possibile, alla conoscenza dei singoli popoli, come i Sanniti,
gli Umbri, i Veneti, gli Apuli ecc. e alla illustrazione delle varie culture
archeologiche locali, più ο meno precisamente identificabili - e in diversi
casi non identificabili affatto - con queste entità etniche: culture indagate
per lo più nell'ambito e con i metodi degli studi preistorici.
Per oltre cento anni - proprio i più fecondi e progressivi per la risco
perta dell'antichità classica - si è dunque praticamente negata una « storicità »
intrinseca ed autonoma dei problemi dell'Italia preromana; si è anzi addi
rittura lasciato questo settore d'indagini e di conoscenze ad un livello di
raccolta di dati, di analisi frammentarie condotte con metodi diversi, di
interpretazioni parziali e provvisorie, aventi piuttosto carattere « antiquario »
che storico: cioè in una condizione che, richiamando in qualche modo il
frammentismo erudito del Settecento, potremmo dire di « sottosviluppo »
rispetto agli studi contemporanei sul mondo greco e sul mondo romano.
Che tale stato di cose possa aver perdurato a lungo nelle posizioni della
critica moderna si spiega soprattutto considerando il prestigio della scienza
ufficiale, specialmente germanica, e dei suoi orientamenti che tendevano a
favorirlo, sovente imposti con intollerante dogmatismo anche sul piano meto
dologico: per esempio nel senso della esaltazione paradigmatica della civiltà
greca (culminata e riassunta nel neoumanesimo di Helmut Berve) e nel
disinteresse, per non dire il disprezzo, verso il « non greco » e il « non
classico ».
Ma non potevano mancare di manifestarsi nel frattempo, come di fatto
si sono manifestati particolarmente negli ultimi decenni, motivi di disagio
e sintomi di reazione. Il continuo e sempre più intenso accrescimento - dive
nuto addirittura vertiginoso ai nostri giorni - delle scoperte archeologiche
ed epigrafiche sulle civiltà degli Etruschi e degli altri popoli e centri del
l'Italia antica, incluse le colonie greche, era venuto a poco a poco mostrando
con incontrovertibile evidenza la reale dimensione quantitativa e qualitativa
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 777

di queste esperienze nel quadro generale del progresso storico-culturale e


storico del mondo antico, tale da rendere sempre meno accettabile una loro
valutazione secondaria, marginale e frammentaria.
Del resto la stessa concezione generale degli studi di storia antica
aveva subito sensibilissimi sviluppi rispetto alla fase della loro impostazione
ottocentesca. Essa si era andata progressivamente aprendo, di là dalla reinter-
pretazione dei dati della storiografia classica, all'impiego globale di tutte le
possibili fonti di conoscenza, epigrafiche, numismatiche, monumentali, figu
rate. I suoi interessi si erano estesi alla ricostruzione delle condizioni sociali,
economiche, della vita, della tecnica, dei costumi. Soprattutto si era venuto
superando il principio delle storie nazionali con l'affermarsi di nuove e
diverse prospettive di « storia universale », di « storia epocale », di storia
particolare di singoli ambienti, ceti sociali e così via. In ogni settore delle
ricerche storiche e socio-antropologiche si manifestavano nette reazioni ai
modelli evoluzionistici e deterministici. Si può dire che siano così cadute
ad una ad una le principali preclusioni concettuali che avevano portato nel
corso del XIX secolo al soffocamento dell'idea di una storia autonoma ed
unitaria dell'Italia preromana.
Tutto ciò premesso non fa meraviglia che il problema della « storia
italica » sia venuto a poco a poco riaffiorando e riproponendosi alla tematica
delle generazioni più recenti. In quali termini e con quali prospettive vedre
mo subito nelle pagine che seguono.

Nello schema tradizionale e corrente della storia romana concepita


come descrizione dello sviluppo continuo ed « organico » di Roma dalla sua
nascita all'affermazione universale dell'impero il mondo italico appare
soltanto di scorcio, quale premessa iniziale di ambientazione etnografica e
materia collaterale dei capitoli riguardanti la conquista della penisola: cioè
sotto un profilo « esterno » ed accessorio rispetto al vero ed unico oggetto
d'interesse storico, che è Roma, e attraverso quell'ottica esclusivamente
romana che era già stata propria degli annalisti latini.
Ma Roma è, essa stessa, parte del mondo italico. Questa semplice realtà
non sfuggì agli antichi, né poteva alla lunga sfuggire alla riflessione critica
dei moderni. Il pensiero storico antico aveva acquisito, almeno fin dall'inizio
dell'età ellenistica e indipendentemente dalle progredienti fortune di Roma,
una nozione dell'Italia come entità definita e distinta non solo geografica
mente, ma anche per i suoi caratteri etnici e per le sue tradizioni, espe
rienze e vicende; cosicché, di fronte alla conquista romana, esso era stato
778 MASSIMO PALLOTTINO

necessariamente portato a proporsi il problema del rapporto, che oggi diremmo


dialettico, di opposizione ο di convergenza, fra Italia e Roma, per cui l'Italia
diveniva un fattore « interno » ed essenziale della storia di Roma (come
Roma della storia dell'Italia) 9. Proprio da questo problema inquietante e
sottile nasce una nuova propensione della storiografia moderna a considerare
i valori del mondo italico con sempre maggiore interesse sul piano della
coscienza storica - non più dunque soltanto al livello dell'acquisizione e
dell'accumulo di conoscenze - rispetto alla impostazione rigidamente romano-
centrica dello storicismo romantico-positivistico. Non si può tuttavia parlare,
almeno per un primo tempo, di svolta ο di rottura degli schemi ottocenteschi.
Si tratta piuttosto di un orientamento volto a conciliare, nel quadro inter
pretativo, italicità e romanità, studiati come fenomeni (e concetti) intrecciati
e paralleli, se non addirittura identificabili.
È significativo a questo proposito che già Theodor Mommsen nella
sua famosa Römische Geschichte avesse dichiarato esplicitamente di voler
raccontare piuttosto la storia dell'Italia che non la storia di Roma, in quanto
Roma aveva dato forma ad una materia italica10: che è quanto dire che il
rapporto fra Italia e Roma veniva inteso decisamente nel senso della conti-

9 Sul formarsi e sull'affermarsi del concetto d'Italia (e tendenzialmente di una storia e


storiografia dell'Italia) nell'antichità si veda specialmente S. Mazzarino, // pensiero storico
classico, Bari, 1966, II, 1, pp. 87-102, 212-230. Più particolarmente per il rapporto dialettico
fra Italia e Roma cfr. M. Adriani , La tematica «Roma-Italia» nel corso della storia antica, in
Studi Romani, XVI, 1968, pp. 134-148. La considerazione di un nesso delle diverse popolaz
ioniitaliche fra loro e con la Magna Grecia, come prima immagine unitaria del mondo
dell'Italia antica, sembrerebbe già percepibile nel IV secolo in ambienti di tradizione pitagorica,
stando all'interpretazione data dal Mazzarino di un frammento del filosofo tarantino Aristo-
xenos. Del resto l'Italia rappresenta ormai una realtà territoriale definita anche sul piano politico-
giuridico nel trattato romano-cartaginese del 306 a.C. che la attribuiva alla sfera d'influenza di
Roma. Gli scrittori latini, molti dei quali di origine «italica» piuttosto che «romana» (anche i
più antichi: si pensi alla formazione, riassuntiva delle esperienze di una koinè italiana, cioè
greca, italico-orientale e latina, dell'apulo Ennio, che si vantava di possedere tre «cuori»: Gellio,
XVII, 17, 1) propendono verso interessi italici comuni fino a sfiorare l'idea di una storia
«nazionale»: tendenza che, già significativamente espressa nell'impianto tematico pluralistico
delle Origines di Catone, trovò la sua più compiuta manifestazione nel clima ideologico di
restaurazione italica e di conciliazione e comune esaltazione di Roma e dell'Italia, che caratte
rizzala letteratura augustea (su Virgilio come cantore delle res Italae si vedano specialmente
le illuminanti pagine di U. von Wilamowitz nel saggio di cui si dirà più avanti, cit. alla nota 14,
e di E. Paratore, Virgilio, Roma, 1945).
10 Cito dall'ediz. (Storia di Roma antica) Firenze, Sansoni, 1960, I, p. 15: « Se da un
punto di vista formale fu Roma che con la sua struttura giuridica conquistò la signoria sull'Italia
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 779

nuità e della concomitanza, così come si era presentato agli occhi dei Romani
dell'età di Augusto (notiamo per inciso che questa impostazione mommse-
niana appare del tutto antitetica a quella del Micali che concepiva la dia
lettica Italia-Roma come frattura e contrapposizione). L'intuizione proble
matica del Mommsen resta tuttavia isolata, e teorica, in un contesto meto
dologico e narrativo che è quello della « storia romana » scritta nello spirito
del suo tempo.
La possibilità di rimeditare la storia di Roma e della civiltà romana,
soprattutto per le sue fasi più antiche, alla luce offerta dalla documentaz
ione linguistica ed archeologica di altre popolazioni italiane e di ricostruire
un tessuto di condizioni e di processi comuni e di influenze reciproche
cominciò a farsi concreta, e cosciente, a partire dall'inizio del nostro secolo.
Senza dubbio questo nuovo apporto non era, e non è, commisurabile alla
soverchiante portata dell'evidenza interna e diretta della tradizione storica
romana; ma per quanto limitato e frammentario esso si è venuto dimostrando
singolarmente prezioso, se non talvolta addirittura determinante, ai fini della
conferma, della rettifica, della precisazione e dell'accrescimento delle cono
scenze derivanti dalla critica delle fonti letterarie.
Un iniziale esempio di utilizzazione sistematica del materiale epigra
fico non latino (più particolarmente etrusco), in funzione dello studio di un
fenomeno di « circolazione » romano-italica quale è quello dell'origine de
l 'onomastica personale latina, s'incontra nell'opera di W. Schulze Zur
Geschichte Lateinischer Eigennamen (1904) n. Ma le iscrizioni etrusche,
umbre, osche con il loro valore di fonti fresche, genuine, cronologicamente

e poi sul mondo, questa priorità non può essere confermata da un rigoroso esame storico.
Quella che si è soliti definire la dominazione romana sull'Italia, ci appare piuttosto come
l'unione di tutte le stirpi italiche in un solo stato; e di queste stirpi i Romani furono la più
potente, ma solo un ramo di esse».
11 II tema dell'onomastica personale italica - che tocca alla radice il problema delle ident
ità comuni e delle interrelazioni dei popoli della penisola sia sotto il profilo dell'unità tipolo
gicadel sistema « bimembre » (peculiare ed esclusivo dei Romani, degli Etruschi e degli Umbro-
Sabelli), sia per quel che riguarda lo scambio dei nomi di diversa origine linguistica come
indizio di mescolanze demografiche - è stato ripreso, con particolare impegno di ricerche orien
tate sia in senso linguistico sia in senso storico-sociologico, soltanto di recente: cfr. H. Rix,
Das etruskische Cognomen, Wiesbaden, 1963; C. De Simone, Etrusco «tursikina»: sulla forma
zione ed origine dei gentilizi etruschi in « -kina (-cina) », in Studi Etruschi, XL, 1972, pp. 153-181
(con riferimenti alla bibliografia immediatamente precedente, in particolare di G. Colonna e
J. Heurgon); H. Rix, Zum Ursprung des römisch-mittelitalischen Fentünamensystems, in Aufs
tieg und Niedergang der römischen Welt, I 2,_Berlin-New York, 1972, pp. 700-758; M. Cristo-
780 MASSIMO PALLOTTINO

immediate - anche se spesso di ardua interpretazione - e in continuo incre


mento, concorreranno soprattutto a rinnovare, se non addirittura a rivolu
zionare, il settore delle ricerche giuridico-istituzionali, a cominciare dal
saggio di A. Rosenberg Der Staat der alten Italiker (1913), che subordinò
per la prima volta la problematica strettamente romanistica ad una prospetti
va italica comune. Si apre così quel lungo discorso che, attraverso il con
fronto di molteplici esperienze disciplinari (epigrafiche, linguistiche, filolo
giche, storico-culturali, giuridiche, sociologiche ecc), il giuoco di alterne
accentuazioni polemiche (in senso a volte romanistico, a volte italicistico)
e l'intreccio di complesse e sottili discussioni ed ipotesi - da ultimo incen
trate soprattutto sul tema del passaggio dalla monarchia alla repubblica -,
ha coinvolto, e tuttora coinvolge, una illustre schiera di storici e giuristi
di diverse nazioni, quali tra gli altri E. Kornemann, F. Leifer, H. Rudolf,
E. Meyer, S. Mazzarino, A. Alföldi, A. Momigliano, P. De Francisci, F. De
Martino, F. Sartori, J. Heurgon, R. Werner, R.E.A. Palmer, A. Guarino 12.
Il decennio 1920-1930 segnò, come è noto, un improvviso generale
acuirsi d'interesse per la conoscenza delle civiltà preromane. Da un lato gli
studi etruscologici, stimolati da nuove ricerche e scoperte archeologiche
(come quelle di Veio e di Cerveteri), si trovarono a compiere progressi
decisivi in tutti i campi, dall'approfondimento della problematica storica
delle origini alle indagini sulla lingua e allo sforzo d'individuazione di
un'originalità dell'arte etrusca rispetto alla greca; si avviarono ad organizzarsi
in incontri scientifici internazionali e in istituzioni stabili di ricerca; diven
tarono un fatto di cultura europea. Da un altro lato le esperienze delle
popolazioni italiche, anche fuori dell'Etruria, cominciarono ad essere trattate
in larghe visioni di sintesi. Né può trascurarsi la constatazione che, dal
bilancio della grandiosa attività esploratrice di Paolo Orsi nei siti della
Magna Grecia e della Sicilia e attraverso i contributi delle opere di storici
come G. Giannelli e E. Ciaceri, si aprì parallelamente, nel medesimo periodo,
una nuova e più moderna visione dei Greci in Italia: preludio allo straordi
nario impulso di iniziative di scavo e di discussione scientifica che caratte-

fani, Diffusione dell'alfabeto e onomastica arcaica nell'Etruria interna settentrionale (e rela


tiva discussione), in Aspetti e problemi dell'Etruria interna. Atti dell'VIII Convegno Nazionale
di Studi Etruschi ed Italici. Orvieto 1972, Firenze 1974, pp. 307-339.
12 Bibliografia particolareggiata in Giannelli, Trattato di storia romana cit. pp. 35 sgg.,
217 sgg.; R.E.A. Palmer, The Archaic Community of the Romans, Cambridge, 1970, p. 303 sgg.;
Gabriella Poma, Gli studi recenti sull'origine della repubblica romana, Bologna, 1974.
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 781

rizzerà questo settore nell'ultimo dopoguerra13. Tutto ciò avviava ad una


ulteriore presa di coscienza del problema complessivo del mondo italico di
fronte alle posizioni storiografiche tradizionali. È notevole che nel solo anno
1925 si siano concentrati tre avvenimenti scientifici particolarmente signifi
cativi in tal senso: cioè la pubblicazione dei libri di E. Pais Storia dell'Italia
antica e di L. Homo L'Italie primitive et les débuts de l'impérialisme
romain, e la conferenza di U. von Wilamowitz tenuta a Firenze sul tema
« Storia italica » 14.
Vedremo subito quale più speciale significato abbia quest'ultimo fatto,
cioè la posizione assunta dal Wilamowitz. Ma possiamo riconoscere intanto
decisamente affermata, nel momento di cui si parla, la tendenza degli storici
a trattare tutta la prima parte della storia romana fino all'unificazione della
penisola come una storia italico-romana, relativamente a sé stante 15, ispi
rata all'idea mommseniana di una sorta di condominio concettuale tra le due
prospettive storielle dell'Italia e di Roma (di cui la prima concepita piutto
sto in senso statico e condizionante, la seconda in senso dinamico ed inno
vatore). È il caso, oltre che delle opere citate del Pais e di Homo, di numer
osealtre successive, tra le quali si includono alcune di più particolare
rilevanza critica e notorietà come quelle di K. J. Beloch, F. Altheim e

13 Per un quadro degli studi etruschi nella fase in discorso, sotto i vari aspetti e con i
principali dati di fatto e bibliografici, rinvio alla mia Etniscologia6, ristampa, Milano, 1975,
pp. 9 sgg., 299 sgg., 355 sgg., 435 sgg. (= The Etruscans, London, Allen Lane, 1975, pp. 27 sgg.,
167, 193 sgg., 294 sgg.). Quanto alla cronaca degli eventi organizzativi - incentrati a Firenze
per la prevalente iniziativa di A. Minto - si noti il loro addensarsi nelle date seguenti: 1925
costituzione del Comitato Permanente per l'Etruria, 1926 Convegno Nazionale Etrusco, 1927
pubblicazione del primo volume della serie Studi Etruschi, 1928 Congresso Internazionale
Etrusco, 1932 creazione dell'Istituto di Studi Etruschi ed Italici. Per il mondo italico in gene
rale ricordiamo l'apparizione delle opere: F. von Duhn, Italische Gräberkunde, Heidelberg, I,
1924; G. Patroni, La preistoria, Milano, 1927; D. Randall-Mac Iver, The Iron Age in Italy,
Oxford, 1927 e Italy before the Romans, Oxford, 1928; U. Rellini, Le origini della civiltà
italica, Roma, 1929; G. Devoto, Gli antichi italici, Firenze, 1931. Per la Magna Grecia: G. Gian-
nelli, Culti e miti della Magna Grecia, Firenze, 1924; E. Ciaceri, Storia della Magna Grecia,
Milano, 1927-1932.
14 Pubblicata in Rivista di Filologia Classica, n.s. IV, 1926, pp. 1-18.
15 Del resto generalmente nell'ambito degli studi di storia romana la storia repubblicana
ha costituito e costituisce un settore d'interesse per molti lati diverso - nei problemi, nel
metodo, nelle stesse persone dei cultori - rispetto alla storia dell'impero: « bipolarità » che si
riflette in modo palese nella bibliografia. Sulla varietà delle prospettive tematiche e sulle es
igenze unitarie della storia romana si veda tra l'altro Mazzarino, Storia romana e storiografia
moderna, Napoli, 1954.
782 MASSIMO PALLOTTINO

L. Pareti 16. In esse appare ormai pienamente acquisita la consapevolezza


di una inscindibilità non solo di Roma dalle comunità circostanti, ma anche
dell'Italia anellenica dall'Italia greca: ciò che può riassumersi nel concetto
di koinè greco-italico-romana proposto dal Mazzarino 17.
D'altra parte non si può trascurare la considerazione, in verità essenziale,
che anche per questi studiosi il rapporto dialettico tra l'Italia e Roma è
concepito come continuità necessaria (nel senso dell'antica ideologia augu-
stea e, aggiungiamo, dello spunto mommseniano) e che pertanto il destino
dell'Italia resta in ultima analisi legato al « miracolo » di Roma che ne
riassume unitariamente la molteplicità e ne conclude il comune travaglio;
cosicché l'esperienza italica « si protende verso l'avvenire » ed « acquista
significato soltanto in funzione di Roma » 1S: ciò che equivale ad affermare
che, in sé, i fatti italici non filtrati attraverso Roma sarebbero pur sempre
oggetto di mera erudizione, non di storia. La forza istintiva di questa persi
stente convinzione e suggestione - cioè dell'italicità come premessa della
romanità - si dimostra altrimenti, ad esempio, nella stessa formulazione del
titolo di un libro dedicato ex professo ai popoli e alle civiltà dell'Italia pre
romana, riassuntivo degli studi della fase immediatamente precedente e
rimasto unico nel suo genere fino a questi ultimi anni 19: voglio dire
J. Whatmough, The Foundation of Roman Italy (1937).

16 Cito nell'ordine cronologico, prescindendo da ogni distinzione valutativa del livello


critico delle opere elencate: K. J. Beloch, Römische Geschichte bis zum Beginn der Punischen
Kriege, Berlin-Leipzig, 1926; G. Giannelli, La repubblica romana, Milano, 1937; P. Ducati,
L'Italia antica dalle prime civiltà alla morte di C. Giulio Cesare, Milano, 1938; F. Altheim,
Italien und Rom, Amsterdam-Leipzig, 1941 (ripubblicato come Römische Geschichte. Die
Grundlagen, Frankfurt a. M., 1951); L. Pareti, Storia di Roma, I: L'Italia e Roma avanti il
conflitto di Tarante, Torino, 1952; G. Giannelli, Trattato di storia romana. I: L'Italia antica
e la repubblica romana, Roma,. 1953; M. A. Levi, L'Italia antica. I: dalla preistoria all'unifica
zione della penisola, Milano, 1968.
17 Già in Dalla monarchia allo stato repubblicano. Ricerche di storia romana arcaica,
Catania (1945), pp. 5 sgg., 95 sgg., e poi con un ancor più ampio respiro dialettico in Fra
oriente e occidente. Ricerche di storia greca arcaica, Firenze, 1947, p. 18 sgg.
18 Riporto i concetti e direttamente alcune espressioni di Altheim, Italien und Rom, p. 171
(= Römische Geschichte, p. 168) e Mazzarino, Dalla monarchia allo stato repubblicano,
p. 123; Fra oriente e occidente, pp. 19-20.
19 Cioè fino all'apparizione dell'opera in più volumi, in corso di pubblicazione, Popoli e
civiltà dell'Italia antica a cura di G. A. Mansuelli, M. Pallottino, A. Prosdocimi, Roma, Biblio
tecadi Storia Patria, I-IV, 1974-1975.
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 783

Non sono tuttavia nel frattempo mancati i segni di un ulteriore e più


decisivo sforzo di superamento concettuale e metodologico delle impostaz
ioni ottocentesche. Essi si erano manifestati già chiaramente nella citata
conferenza del Wilamowitz, attraverso l'affermazione dell'originalità e della
ricchezza dei valori di « vita » e di civiltà del mondo italico, della loro appar
tenenza a tutte le stirpi dell'Italia antica compresa la greca, della loro
influenza su Roma, del loro esaurirsi in conseguenza della romanizzazione:
posizione che, rifacendosi esplicitamente al Micali, non solo sorpassa, ma
addirittura rovescia le idee correnti, proprio in quanto nega un processo
evolutivo continuo dai primordi italici al trionfo della romanità e considera
quest'ultimo piuttosto come chiusura di un ciclo storico antecedente, in sé
compiuto. Wilamowitz lanciò agli studiosi l'esplicito invito a scrivere una
« storia italica » basata soprattutto sulla testimonianza dei monumenti, consi
derati non più soltanto come oggetti di un interesse archeologico puramente
descrittivo ed analitico, ma come autentiche fonti di storia, sostitutive, in
questa specifica sfera culturale e cronologica, delle fonti letterarie: ciò che
significa proporre - ο riproporre con più sicura formulazione critica - un
criterio essenziale di individuazione e di valutazione autonoma dei fatti
dell'Italia preromana al di fuori di ogni possibile giudizio alterato dalla
visione a posteriori della storiografia romana. Non meno appassionatamente
più tardi un archeologo, Amedeo Maiuri, nel suo saggio Problemi di archeo
logiaitalica (1946) 20, richiamando il Micali e il Wilamowitz, raccomandava
di trarre un frutto storico dal fecondo lavoro di riesumazione delle antiche
civiltà italiane. La stessa esigenza, seppure in altri termini, è affermata da
G. Devoto nella premessa della seconda edizione de Gli antichi Italici
(1951): «dare un quadro moderno dell'Italia antica attraverso occhi non
romani ».
Su tale linea più avanzata di revisione si collocano in concreto diversi
spunti di pubblicazioni recenti e recentissime relativi a singoli problemi
storici, istituzionali e culturali dell'Italia preromana. Essi mostrano una ten
denza sempre più spiccata a ravvicinare, comparare ed interpretare unitari
amentefatti ed aspetti contemporanei finora considerati isolatamente nei
separati àmbiti della Magna Grecia, di Roma, dell'Etruria, e così via: cioè
a scavalcare ed entro certi limiti addirittura annullare le rigide frontiere

Ripubblicato in Saggi di varia antichità, Venezia, 1954, pp. 47-58.


784 MASSIMO PALLOTTINO

non soltanto metodologiche ed operative, ma anche e specialmente psicolo


giche,finora esistenti nonostante tutto fra le rispettive discipline accademiche
tradizionali della storia greca, della storia romana, dell'etruscologia ecc; e
- ciò che più conta - a ricollocare questi fatti ed aspetti nel loro tempo
e nel loro livello di sviluppo socio-culturale, prescindendo dalla suggestione
di « ciò che verrà dopo » e dal modo con cui essi poterono essere, dopo,
ricordati ο rappresentati in situazioni storiche e con mentalità del tutto
differenti.
Si tratta di osservazioni che si concentrano su punti ο temi divenuti
di più vivo interesse negli ultimi anni (anche a seguito di alcune sensazio
nali scoperte archeologiche come quelle degli elogia degli Spurinna di Tar-
quinia, delle lamine d'oro inscritte di Pyrgi e dei dipinti della tomba del
Tuffatore di Posidonia 21). Consideriamo ad esempio tutto il rinnovato fer
vore di discussioni sul problema dei rapporti fra Roma e la Magna Grecia
- dagli studi di F. Sartori e D. Van Berchem alle relazioni e alle discus
sioni del Congresso di Taranto del 1968 ricordato in principio22 - e più
generalmente i molteplici richiami ad una visione unitaria della civiltà arcaica
dell'area greco-tirrenica (intendendo con « tirrenica » la fascia costiera dalla
Campania al Lazio e all'Etruria) per ciò che concerne lo sviluppo e gli
ordinamenti delle poleis, la religione, la vita intellettuale e materiale, le
correnti artistiche e così via, nel senso tra l'altro più volte suggerito da chi
scrive 23. Si annotino anche gli accostamenti fra dati del mondo greco, etrusco

21 Per la specifica importanza di questi rinvenimenti ai fini del problema di cui si tratta,
cioè delle interrelazioni e dei comuni sviluppi fra diversi ambienti storico-culturali dell'area
italica, vedi le successive note 23 e 24.
22 F. Sartori, La Magna Grecia e Roma, in Archivio storico per la Calabria e la Lucania,
XXVIII, 1959, pp. 183-188; Costituzioni italiote, italiche, etrusche, in Studie clasice, X, 1968,
pp. 29-50; D. Van Berchem, Rome et le monde grec au VIe siècle avant notre ère, in Mélanges
d'archéologie et d'histoire offerts à A. Piganiol, II, Paris, 1966, pp. 739-748. Per il Congresso
di Taranto vedi gli atti citati alla nota 1 (specialmente le relazioni di J. Heurgon e G. Pugliese
Carratelli).
23 Cito gli esempi seguenti: corrispondenza di costumi descritti nella « cronaca
cumana», Dion. Hal. VII, 2 sgg., con figurazioni pittoriche tarquiniesi coeve (La parola del
passato, fase. XL VII, 1956, p. 83); per una più autentica comprensione dell'ambiente storico
della Roma dei Tarquini nel quadro della civiltà arcaica, inclusa la letteratura greca contem
poranea (La prima Roma, in, Studi Romani, V, 1957, alle pp. 259-261: richiamo di Momigliano
in Studies in Historiography cit., p. 245); sull'interesse delle iscrizioni delle lamine di Pyrgi per
lo studio delle forme e dei processi istituzionali in Etruria, a Roma e nel mondo greco-coloniale
all'inizio del V secolo (Archeologia Classica, XVI, 1964, p. 104 sgg.; Nuova luce sulla storia
di Roma dalle lamine d'oro di Pyrgi, in Studi Romani, XIII, 1965, pp. 1-13); valutazione delle
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 785

e romano a proposito degli avvenimenti del V e IV secolo, secondo il metodo


inaugurato da Marta Sordi nello studio delle interrelazioni fra la conquista
romana di Veio, l'invasione gallica e la politica italiana di Dionisio di Sira-
cusa24. Analoghi stimoli a nuove prospettive nascono dal più largo impiego
delle fonti letterarie latine per dare risalto e concretezza alla conoscenza
di ambienti e personaggi etruschi di età ellenistica e romana, caratteristico
dell'opera di Heurgon (in diversi scritti e soprattutto nell'ultimo capitolo
de La vie quotidienne chez les Etrusques, 1961); lo stesso Heurgon ha poi
ribadito con molta chiarezza il punto di vista generale della stretta inte
rdipendenza dei processi storici dei singoli popoli dell'area italica contro il
vecchio abito mentale, ereditato dall'antica annalistica, di considerarli distanti
e reciprocamente « impermeabili » 25.
Tutto questo dimostra, se non erro, che è ormai matura l'esigenza di
una reinterpretazione della materia storica dell'Italia antica secondo criteri
diversi da quelli prevalsi finora nella storiografia moderna, non solo di fronte
all'esclusivismo romanocentrico di tradizione niebuhriana, ma anche rispetto
alla formula corrente di una storia italica ο italico-romana, oscillante fra i
due « poli » dell'Italia e di Roma e intesa come descrizione di un mondo
italico destinato ad unificarsi in mondo romano. Si pone, cioè, il problema
di affrontare decisamente lo studio del mondo italico come tale, nel suo
proprio quadro cronologico e nelle sue caratteristiche: considerando sì natu-

pitture della tomba del Tuffatore di Posidonia come testimonianza singolarmente significativa
di una koinè ideologico-iconografica, e per taluni aspetti anche stilistica, fra gli Etruschi di
Tarquinia e i Greci di Posidonia (La Magna Grecia e Roma nell'età arcaica cit. alla nota 1,
pp. 254-255; Qualche riflessione sulla tomba del Tuffatore di Paestum, in Colloqui del Sodal
izio, III, 1970-72, pp. 59-67).
24 M. Sordi, / rapporti romano-ceriti e l'origine della civitas sine suffragio, Roma, 1960.
Questo filone, la cui ispirazione si riflette anche nella successiva produzione scientifica della
Sordi, ha avuto recentemente uno sviluppo molto interessante a proposito della interpretazione
dei frammenti di elogia latini riferibili a personaggi dell'antica famiglia tarquiniese degli Spurinna,
già venuti in luce nel santuario dell'Ara della Regina a Tarquinia, in rapporto da un lato con le
notizie storiche di fonte greca sulla spedizione ateniese contro Siracusa del 414-413 a.C.
(cfr. Pallottino, Kokalos, XVIII-XIX, 1972-73, pp. 60-63) e con i dati relativi alla storia romana
del IV secolo, da un altro lato con la possibile attestazione archeologica diretta (e contempo
ranea ai fatti) della tomba dell'Orco I di Tarquinia che M. Torelli attribuisce agli Spurinna:
vedi da ultimo, complessivamente, per questo processo ricostruttivo: M. Torelli, Elogia Tarqui-
niensia, in Documenti epigrafici latini per la storia di Tarquinia etruscae romana, Firenze, 1975.
25 Magistratures romaines et magistratures étrusques, in Les origines de la république
romaine (Fondât. Hardt, Entretiens sur l'antiquité classique, XIII), Genève, 1967, pp. 97-127,
specialmente alle pp. 99-100.
786 MASSIMO PALLOTTINO

ralmente in esso l'esistenza e la progressiva crescita di Roma, ma prescin


dendo dalla suggestione dell'esito finale che non può e non deve, crediamo,
condizionarne retrospettivamente il giudizio storico. Si tratta in sostanza di
riconoscere ai fenomeni dell'area italica una identità complessiva, nel loro
svolgimento parallelo a quello del mondo greco durante il corso del
I millennio a.C, come aspetto « regionale » del divenire mediterraneo, prima
del loro assorbimento - che è comune all'Italia e alla Grecia - nella sfera
dell'affermazione universalistica di Roma.
Avviare un discorso nel senso delineato significa praticamente ripren
dereoggi, a distanza di centocinquanta anni, il tema proposto dal Micali
(sia pure con tutti gli aggiornamenti imposti dalle esperienze e dalle esigenze
della scienza attuale), cioè il filone interrotto di un'autentica « storia italica ».
È auspicabile che questo discorso si sviluppi in un impegno e in un pr
ogramma organico di ricerca, orientato verso il perseguimento dei seguenti
obiettivi fondamentali:
1. Preliminare definizione (e qualificazione) della materia della « storia
italica » nei suoi termini e limiti geografici, etnografici e cronologici. Prescin
dendo dai problemi dell'origine e della diffusione del nome Italia già larg
amente studiati26, sembra ovvio considerare territorialmente sin dai tempi
protostorici l'intera area dell'Italia augustea, compreso il settentrione, anche
per intrinseche ragioni di coerenza culturale: per le quali appare inoltre
opportuno considerare anche la Sicilia, pur estranea alla definizione antica
di Italia. A differenza della Grecia - e contrariamente ad opinioni etno-
genetiche di linguisti e archeologi dell'età positivistica - non esiste un
popolamento di « Italici » che caratterizzi etnicamente l'area italica in modo
unitario 27. Riferito al concetto di storia italica il termine « italico » ha solo
un valore generico (già in Micali, Mommsen, Wilamowitz ecc.) di aggettivo
di Italia, includente tutti i suoi abitatori: cioè non soltanto le stirpi indigene
di lingua indoeuropea (gl'Italici in senso stretto secondo l'accezione moderna),
ma anche i Greci delle colonie (che si autodenominavano Italioti), gli
Etruschi ecc. Sui limiti cronologici della storia italica potrà discutersi - e c'è,

26 Cito alcuni fra i lavori più recenti e riassuntivi della precedente bibliografia: J. Bérard,
La colonisation grecque de l'Italie méridionale et de la Sicile dans l'antiquité2, Paris, 1957,
p. 444 sgg.; E. Lepore, L'Italia nella formazione della comunità romano-italica, in Klearchos, V,
fase. 20, 1963, pp. 89-113; G. Radke, Italia. Beobachtungen zu den Geschichte eines Landes
namens, Romanitas, 1967, pp. 35-51; Devoto, Gli antichi italici3, Firenze, 1967, p. 102.
27 Cfr. G. Devoto, Gli antichi Italici3, cit., p. 41 sgg.; M. Pallottino, Etruscologia6, rist.,
cit., p. 25 sgg.
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 787

e vi sarà, larga materia di discussione - circa la possibilità di individuazione


di un termine iniziale, e del suo progressivo arretrarsi, alla luce delle nuove
scoperte archeologiche, dal momento essenziale della colonizzazione greca
(Vili secolo) verso gl'inizi dell'età del ferro e addirittura nell'età del bronzo
(frequentazione micenea, formazione di comunità protourbane ecc.) 28; ment
reil termine finale appare ormai chiaramente definibile nella gradualità del
dissolversi delle strutture italiche entro l'unità romana fra il IV e il I secolo a.C.
2. Processo conoscitivo. La disparità fra i settori più direttamente e
copiosamente illuminati dalla storiografia antica (Magna Grecia e Roma) e i
settori dei quali si ha nozione prevalentemente sotto il profilo degli aspetti
della cultura (fasi protostoriche, mondo etrusco, popolazioni indigene del
l'area umbro-sabellica, del versante adriatico, dell'Italia settentrionale) potrà
essere gradualmente colmata ο attenuata utilizzando, al livello di fonti di
autentica informazione storica, sullo stesso piano di validità critica ed in
modo « imparziale » (secondo la felice espressione del Devoto), tutte le
diverse categorie di testimonianze, non soltanto della tradizione letteraria,
ma anche epigrafiche, toponomastiche, topografiche, monumentali, figurate
ecc. 29.
3. Conquista (o riconquista) di una visione d'insieme dei fatti coevi
dell'area italica e delle loro reciproche interrelazioni, sfuggita in gran parte,
ripetiamo, alle prospettive locali delle tradizioni annalistiche e più general
mente agli schemi della storia concepita in senso « diacronico » come storia
dello sviluppo nel tempo (ed in sé conchiuso) di singoli popoli ο stati ο città.
Ciò che si propone oggi è appunto la rottura di quegli schemi attraverso
una ricerca sistematica dei collegamenti « epocali » ο « sincronici », che già
si preannunciano così fecondi di risultati nei primi tentativi operati in tal
senso di cui si è fatto cenno. Occorrerà naturalmente compiere un notevole
sforzo di logicale oserei dire di immaginazione, per vincere quelle assuefa
zionidi metodo che ci obbligano a « vedere » una situazione ο un evento
della Magna Grecia collocati esclusivamente nel contesto evolutivo della
grecita, discussi e interpretati criticamente nel quadro delle fonti storiogra-
fiche ed epigrafiche greche ο dell'archeologia e dell'iconografia greca; un

28 Per una « anticipazione » di formazioni storiche in Italia all'età del bronzo vedi già
Pallottino, Le origini storiche dei popoli italici, in X Congresso Internazionale di Scienze Storiche,
Relazioni, Firenze, 1955, II, pp. 3-60.
29 Cfr. Pallottino in Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, Berlin-New-York, I 1,
1972, pp. 22-23.
788 MASSIMO PALLOTTINO

problema della storia di Roma di età regia ο repubblicana risolvibile solo


alla luce della tradizione romana; un aspetto della civiltà etrusca giudicato
pregiudizialmente ed astrattamente per il suo carattere di « etruscità » quasi
che esso appartenesse ad una realtà del tutto isolata dal mondo circostante;
un momento culturale di una qualsiasi necropoli laziale, campana, picena,
veneta ecc. studiato limitatamente alle questioni tecniche di tipologia ο di
cronologia secondo gl'interessi, i procedimenti e le esperienze degli specialisti
di archeologia protostorica di quella regione; una epigrafe preromana (etru
sca, osca, venetica) affidata automaticamente al monopolio dell'analisi dei
linguisti competenti nel rispettivo settore, intendendosi con ciò esaurito il
compito della sua illustrazione. Soltanto cercando di abbattere queste parat
ìeconvenzionali dei nostri studi sarà possibile ricostruire una realtà storica
di cui sono rimasti sinora inafferrabili, ο percepiti solo confusamente, i
rapporti fondamentali.
4. Delineazione, infine, di uno sviluppo comune degli eventi storici nel
mondo italico, distinto da quello di altri grandi « cicli » della storia dell'anti
chità, cioè della storia greca e della storia romana. Questo sviluppo va rico
struito indipendentemente dalle periodizzazioni della storia delle città della
Magna Grecia e di Roma regia e repubblicana, come pure dagli schemi
evolutivi particolari delle fasi storico-culturali del mondo etrusco e di quals
iasi altra singola civiltà regionale italica; ma dovrà piuttosto intendersi
basato sulla considerazione complessiva di tutti i fatti conosciuti. Alla luce
della nostra esperienza attuale parrebbe fin d'ora potersi intravvedere e
suggerire una successione articolata come segue:
a) processi formativi delle nazionalità storiche fra la tarda età del
bronzo e l'età del ferro, in parziale coincidenza con gli approcci « precolon
iali » e con l'inizio della colonizzazione greca dell'Italia meridionale e della
Sicilia, e in un contesto di graduale passaggio a strutture protourbane ed
urbane caratterizzate da vivaci incrementi di scambi terrestri e marittimi,
dal sorgere di industrie estrattive, edilizie e manufatturiere, da sempre più
accentuate differenziazioni sociali e concentrazioni di ricchezza e di potere,
dall'accoglimento di elementi di civiltà superiore, inclusa la scrittura
(XIII-VII secolo a.C);
b) fioritura arcaica dei centri dell'Italia meridionale greca e dell'Italia
tirrenica non greca con particolare riguardo alPEtruria (ed inclusa Roma),
nel sistema delle città-stato progredienti da primitivi ordinamenti gentilizi
e monarchici all'organizzazione, più ο meno definita, di comunità cittadine
con proprie assemblee e magistrature, e all'insorgere di poteri personali
(tiranni): con un vigorosissimo sviluppo di prosperità economica e di civiltà
SUL CONCETTO DI STORIA ITALICA 789

religiosa, intellettuale ed artistica, sotto l'influenza del progresso del mondo


greco arcaico; mentre le regioni interne della penisola, il versante adriatico
e l'Italia settentrionale, pur restando sostanzialmente ad un livello più arre
trato di culture protostoriche, subiscono forti contraccolpi ed estese penetra
zioni della civiltà greco-tirrenica (VII-V secolo);
e) fase delle « reazioni continentali» caratterizzata dai seguenti feno
meni concomitanti: crisi economico-politica delle città del mondo costiero
greco-tirrenico; espansioni delle popolazioni italiche di stirpe umbro-sabellica
dall'interno della penisola verso il Mar Tirreno e il Mar Ionio e dei Galli
dall'Italia settentrionale verso la penisola; dominio dei mari e pressioni sulla
penisola da parte delle potenze « esterne » (Cartagine, Siracusa, Atene, poi
altri prìncipi e avventurieri greci) in un vasto giuoco di competizioni inter
nazionali: fenomeni dai quali consegue il formarsi di nuove strutture statali,
sociali e culturali, gravitanti verso un'embrionale esperienza unitaria italico-
peninsulare (V-IV secolo);
d) periodo finale dell'improvviso e rapido insorgere dell'egemonia
politico-militare di Roma, che dal punto di vista della storia italica può
considerarsi come una riaffermazione del mondo tirrenico sul mondo italico-
peninsulare attraverso il successivo formarsi delle compagini federali latina,
latino-campana e infine romano-italica, con l'abbattimento della potenza
« continentale » dei Sabelli e dei Galli e il più ο meno pacifico assorb
imento delle residue antiche comunità degli Etruschi e dei Greci: per cui
Roma viene a riassumere la triplice eredità della tradizione tirrenica (etrusco-
latino-campana), del blocco italico-peninsulare e della politica italiana ed
extra-italiana dei Greci (anche contro Cartagine e nell'Oriente ellenistico);
e la «storia italica» trapassa in «storia romana» (IV-I secolo a.C).
JACQUES PERRET

ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT

II est toujours malaisé de discerner le moment où quelque chose naît,


que ce soit la vie sur la terre, l'homme parmi les animaux, ou une langue,
ou une religion, ou un peuple, ou une légende. C'est que le moment
originel, rassemblant toute une histoire, est souvent lui-même un nœud
de multiplicités et d'indécisions: le caractère nouveau de ce qui s'opère
alors n'apparaîtra distinctement que par la suite, en développements dont
l'ascendance n'est pas toujours évidente. Et puis il est dans le sort du gland
de disparaître sous le chêne.
Quand il s'agit de reconnaître le moment où se constitue une légende
de fondation, des difficultés particulières existent. Une imagination relative
à l'événement où commence l'histoire d'une cité peut prendre son essor à
des dates très diverses, tant que dure cette histoire dont elle prétend dire
le commencement. Il est difficile de situer dans un contexte historique une
création qui comporte toujours une part de fiction. Le philologue ou
l'historien doit tenter de résister au vertige où le sollicitent tant d'ombres.
Il doit se faire une loi de ne formuler, fût-ce dubitativement, que des hypo
thèses précises, définies, reconnues, autant qu'il se peut, en toutes leurs
implications: ce qui est mou, ce qui est flou ne sert à rien. Il doit, entre
autres, tenir le plus grand compte de la date où furent rédigés les textes
à partir desquels il opère; les véritables certitudes ne commencent que là.
Certes on doit toujours garder ouverte la possibilité qu'une légende se soit
constituée à une époque très antérieure, mais c'est une faute aussi d'attribuer
à toute légende la plus haute antiquité imaginable et de n'explorer point
de façon suffisante les possibilités qu'elle se soit constituée à une date
beaucoup plus proche des premiers textes.
En cette matière, croyons-nous, l'effort de la recherche doit tendre à
découvrir des situations historiques où telle légende, telle famille de légendes,
a quelque possibilité de s'être constituée, et à en reconnaître le plus grand
nombre. Il peut arriver que certaines hypothèses soient incompatibles;
certaines possibilités, encore, peuvent paraître plus probables que d'autres,
792 JACQUES PERRET

mais il est souvent difficile d'attribuer à des hypothèses des coefficients


de plus ou moins grande probabilité: un tel jugement dépend largement des
idées d'ensemble qu'on se fait du cours de l'histoire pendant les périodes
intéressées.
C'est dans cet esprit que nous voudrions présenter quelques faits
susceptibles de donner à penser qu'un certain nombre des légendes de
fondations troyennes en Occident ont pu se constituer au Ve siècle dans
le halo de l'influence ou des entreprises d'Athènes. Nous sommes heureux
d'offrir ces pages souvent interrogatives au savant qui, par sa prudence,
la délicatesse de ses interprétations, son respect des monuments et des
textes a renouvelé à nos yeux les obscures genèses du monde italien.

Parmi les légendes de fondation, les légendes troyennes forment elles-


mêmes un groupe particulier. L'implantation d'une telle légende à Rome
et l'importance politique de Rome dès le IIIe siècle font que toutes les
légendes attestées seulement après cette date peuvent n'avoir d'existence
que comme satellites ou échos de la légende romaine; c'est au moins une
possibilité à étudier chaque fois en premier lieu. Ceci fait, le problème
propre reste toujours de comprendre, à Rome comme ailleurs, pourquoi
dans un monde de civilisation grecque c'est une légende de fondation
troyenne (et non pas grecque) qui s'est instituée.
On connaît les réponses: la légende illustrerait les origines d'une
cité qui n'a sur son passé que des traditions obscures et sans rapport à
une cité grecque définie; elle styliserait le souvenir d'attaches anciennes à
l'Orient; elle définirait le statut de non-grec (ou de non-grec et non tout
à fait barbare) attribué à leurs voisins indigènes par des colons grecs venus
d'Asie (ou d'ailleurs), ou par les mythographes aux populations indigènes
rencontrées par les Grecs; elle attribuerait à une cité le plus souvent barbare
le statut d'ennemie des Grecs pour assembler les Grecs contre elle et lui
promettre le destin de Troie \
A-t-on, avec ces schemes explicatifs, reconnu tous les possibles? Nous
ne le croyons pas; trop vagues, trop générales à bien des égards, les hypo
thèses que nous venons de rappeler sommairement pèchent aussi par une
certaine étroitesse dans leurs perspectives:

1 Sur ces schemes explicatifs, cf. J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome,
Paris, 1942, p. 1-8, 38-42, 203-204, 258-266, 302-304; G. K. Galinsky, Aeneas Sicily and Rome,
Princeton, 1969, p. 91-102, 160-162.
ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT 793

- elles sont conçues presque toujours pour rendre compte des légendes
occidentales en les rapportant directement à la catastrophe de Troie. Or
il est périlleux de sauter de la Troade à la mer Tyrrhénienne sans accorder
plus qu'une mention à des légendes analogues qui, au voisinage des pre
mières colonies athéniennes, se sont développées d'abord soit en Eolide
soit dans la Grèce du nord et peuvent éclairer la manière dont les Troyens
furent transmis à l'Occident;
- elles sont conçues presque toujours à partir de la situation suggérée
par Vlliade, celle d'un antagonisme où les Troyens se définissent comme
les ennemis du nom grec. Or, avec le temps, l'image des Troyens s'est
modifiée: dans la tragédie attique, chez Euripide en particulier, ils sont moins
ennemis que victimes, présentés souvent avec une chaude sympathie;
- elles supposent presque toujours que la référence aux Troyens,
un peuple si particulier et en même temps si éloigné de l'Occident, présente
un caractère d'artifice: recours gratuit à une tradition littéraire pour
styliser la réalité d'une histoire concrète qui n'y a point de rapport. Or,
quoi qu'il en ait été de la catastrophe de Troie, le peuple de Priam n'a
pas à ce point disparu des continuités de l'histoire concrète. Mais pour
s'en aviser il ne faut pas partir de l'Occident. Nous lisons dans Vlliade
(XX, 307-308) une prophétie de la gloire future des Enéades; on pense
communément que le poète songeait à quelque dynastie puissante en
Troade, vers le VIIe siècle peut-être, et qui aurait également inspiré VHymne
à Aphrodite. Tout cela s'est-il rapidement éteint, sans suite saisissable, dans
un provincialisme confiné? Nous ne le croyons pas car de très bonne heure
d'autres champions possibles sont sur place, et notamment les Athéniens,
pour revendiquer authentiquement l'héritage de Troie2.
Par plusieurs voies nous sommes ainsi conduits vers Athènes et pour
un moment historique bien défini qui n'est ni celui des poèmes homériques,
ni celui des croisades panhelléniques contre les Barbares, d'Isocrate à
Pyrrhos, mais l'entre-deux, VIe et Ve siècles. Période dont le dernier demi-

2 Cf. E. Heitsch, Aphroditehymnos Aeneas und Homer, Hypomnemata, XV, 1965;


A. Dihle, Homer-Probleme, Wiss. Abh. der Arbeitsgemein, für Forsch, des Landes Nordrhein-
Westfalen, XLI, 1970. L'Enéide d'Iliad., XX, 156-352 serait l'œuvre d'un poète qui, tout en
écrivant à la gloire d'une dynastie locale d'Enéades, voit déjà s'étendre sur la région l'influence
d'Athènes. Nous lui attribuerions nous-même volontiers l'invention du motif édifiant du départ
d'Enée avec son père, son fils et les sacra de Troie; en rapport avec Iliad., XX, 307, ces
détails importent particulièrement à une famille qui veut autoriser ses droits à «régner sur
les Troyens».
794 JACQUES PERRET

siècle voit à la fois les grandes entreprises occidentales d'Athènes et l'élabo


ration de l'œuvre d'Hellanicos, apparemment si importante pour la mise
au point d'un grand nombre de légendes de fondations troyennes.
L'événement le plus ancien qui nous donne de saisir dès la fin du
VIIe s. la connexion établie entre Athènes et Troie est sans doute celui
que conte Hérodote (V, 94): les Athéniens disputent aux gens de Lesbos
la possession de Sigée en alléguant que cette ville n'est pas plus aux
Lesbiens qu'à l'un quelconque des peuples qui luttèrent contre Troie3.
S'ensuivait-il qu'elle dût revenir préférentiellement aux Athéniens? Ils
avaient peut-être d'autres arguments à faire valoir4. Mais le plus important
pour nous est cette imbrication, dès l'origine, de la politique avec les
légendes. Quant à la réalité, Sigée, terre troyenne, resta aux Athéniens,
visiblement institués de ce fait dans le rôle d'héritiers et représentants
des Troyens.
C'est en se fixant aux lieux mêmes où fut Troie qu'Athènes inaugure
sa carrière impériale; Sigée marque le plus oriental d'une série de points
d'appui qui s'échelonneront le long de la côte en Chersonese, en Thrace,
en Chalcidique, en Macédoine et qui assurent à Athènes un accès aux
forêts et aux mines du Pangée, plus loin au Pont-Euxin. L'empire d'Athènes
naît dans les terres du nord; à toutes les époques les Athéniens ressen
tiront toujours avec une vivacité exceptionnelle les événements qui se
passent là-haut, que l'on songe aux affaires de Potidée ou d'Olynthe.
Or dans l'optique de YHiade ces pays ne sont pas terres grecques
mais terres troyennes; dans le Catalogue, Péoniens, Thraces, gens de Sestos
et d'Abydos, Cicones, Pélasges marchent aux côtés des Troyens. Il est donc
naturel qu'établis sur ces rivages les Athéniens se tiennent pour confirmés
dans leurs droits d'héritiers et représentants des Troyens. La référence à
Troie qui nous semble toujours une fantaisie presque inexplicable de la
part d'une cité d'Italie, de Sicile ou d'Afrique découle ici des données
conjuguées de la politique et de la géographie. Dès la fin du VIe siècle,
Aineia sur le golfe Thermaïque frappe des monnaies à l'effigie d'Enée.
En 437, lors de la fondation d'Amphipolis, le chef athénien s'occupe de
faire rapatrier en grande pompe les centres de Rhésos, héros local tué traîtreuse-

3 Cf. Strab., 599-600; Polyaen., I, 25; sur l'ensemble des textes, sur la date de l'épisode,
cf. F. Schachermeyr, RE, 1950, s.v. Pittakos, 1867-1870.
4 En 458, Eschyle (Eum., 397-402) explique que les Achéens ont remis la Troade à
Athéna afin qu'elle revienne à Athènes.
ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT 795

ment par les Grecs alors qu'il arrivait en Troade au secours de ses
alliés troyens5.
Il n'est pas étonnant que des fabulations explicites aient suivi. Dans
la généalogie des rois de Troie, V Iliade (XX, 119) glisse un Erichtonios,
homonyme à tout le moins du roi d'Athènes qui fonda les Panathénées;
• Hellanicos s'évertue à en faire deux contemporains6, mais Strabon (604)
nous assure que plusieurs voyaient dans un unique Erichtonios la souche
commune des Athéniens et des Troyens. Sur les métopes du Parthenon,
nous ne nous étonnons pas de rencontrer ce personnage; il était moins
évident qu'Enée, figuré dans sa fuite sainte et glorieuse, y dût aussi être
représenté; ainsi qu'à Ch. Picard, il nous paraît plausible que les Athéniens
aient considéré le père des Enéades comme étant un peu des leurs et
qu'ils aient cru se glorifier en sa personne7. C'est à peu près au même
moment, vers 450, que nous apparaît chez Sophocle le lien d'Athènes et
de Troie en la personne de Teucros: fils de Télamon le Salaminien, il est,
par sa mère Hésione, petit-fils de Laomédon de Troie8; dans Ajax 1300
il rappelle avec fierté son ascendance troyenne, reçoit un rôle sympathique
dans un dialogue où Agamemnon, son partenaire, est odieux. Mais ce n'est
pas tout: postérieurement à Ylliade on avait mêlé aux choses troyennes
un peuple voisin, les Teucroi, dont l'éponyme devait être le fondateur de
Troie. Là encore, comme dans le cas d'Erichtonios, on va jouer de l'homo
nymie; selon l'atthidographe Phanodème, ce premier Teucros était originaire
de l'Attique et plus précisément du bourg de Xypète entre Athènes et
Phalère9. Phanodème savait aussi expliquer comment le Palladion d'Athènes
était celui même de Troie, mais sans que les Athéniens eussent la moindre
responsabilité dans le rapt sacrilège perpétré par Ulysse et Diomède 10.

5 Polyaen., VI, 53. On ne peut séparer de cet événement la composition du Rhesos,


quel qu'en soit l'auteur (cf. E. Delebecque, Euripide et la guerre du Péloponnèse, Paris, 1951,
p. 110- 128); sur une renaissance à cette date du culte héroïque de Rhésos, cf. H. Froning,
Zum Rhesosmythos, AA, 1971, p. 30-36.
6 Cf. E. Heitsch, o. c, p. 119.
7 Ch. Picard, Manuel d'archéol. grecque, La sculpture, II Période classique - Ve siècle,
t. I, Paris, 1939, p. 399, 428-429.
8 De la même façon Munychos, roi d'Athènes, est à la fois petit-fils de Thésée par son père
et de Priam par sa mère (Lycophr., 495-499 et schol. ad loc; cf. J. Toepffer, Quaestiones
Pisistrateae, Diss. Dorpat, 1886, p. 70-79).
9 Phanodème {Fr. Gr. Hist, III Β, nr. 325, fr. 13), αρ. Dion. Hal, I, 61, 5 et Strab., 604.
10 Id. (ibid., fr. 16), αρ. Eustath., ad Odyss., I, 321, p. 1419, 52; cf. Paus., I, 28,9.
796 JACQUES PERRET

Dans la tragédie attique la sympathie témoignée aux Troyens est


souvent évidente. En dépit de son objectivité, le poète de Vlliade était pour
les Grecs, comme Zeus lui-même, et les Troyens payaient pour leurs fautes.
Dans la tragédie ces fautes sont oubliées ou minimisées; les souffrances des
vaincus sont évoquées avec un pathétique qui les fait paraître largement
imméritées; en revanche, la dureté des vainqueurs y est souvent décrite en
traits insoutenables. On se demandera comment il fut possible de présenter
devant un public grec des pièces où leurs compatriotes sont à ce point
maltraités. Mais les Athéniens se sentaient-ils alors compatriotes d'Agamemnon
et de Ménélas? Pour le poète de Ylliade les Atrides étaient avant tout
les animateurs d'une coalition des Grecs contre une cité de l'Asie: ouest
contre est, si l'on veut s'exprimer en termes géographiques. Progressivement
au cours du Ve siècle le poids des empires puis la rivalité d'Athènes et de
Sparte a fait pivoter la ligne du clivage; la guerre de Troie y est devenue
conflit entre sud et nord: Argos, Sparte et Mycènes contre Troie, et les
Athéniens sont passés du côté des Troyens n. On glisse ainsi vers la thèse
que Servius (En., III, 281) formulera plus tard avec une naïveté amusante:
Troiani. . . ab Atheniensibus originem ducunt. Mais, après tout, Strabon (604)
disait-il autre chose quand il fait état: της προς τους Αττικούς επιπλοκής
των Τρώων 12?
Ce qui nous apparaît ainsi de façon assez claire dans le cas de ces
légendes troyennes devenues la parure d'Athènes n'est en somme qu'un
effet particulier de la tendance d'une métropole à se lier de liens légen
daires aux pays où elle étend son empire: elle-même y implantera à l'occasion
quelques-unes de ses légendes propres mais aussi bien elle accueillera et
traitera comme siennes les légendes de ces terres d'expansion.
En ce qui concerne Athènes, il n'est pas difficile de remarquer d'autres
légendes qu'elle a chez elle développées avec quelque prédilection parce
qu'elles resserrent ses liens avec son empire du nord, légendes relatives à

11 Les faits sont particulièrement saisissables chez Euripide, cf. E. Delebecque, o. e, passim,
notamment p. 110, 403, 406-407. On notera qu'Achille, le vieux Pelée (Andromaque) sont
généralement traités avec égard; déjà dans le Philoctète de Sophocle, Néoptolème est assuré
ment plus sympathique que les chefs grecs qui se servent de lui. C'est que ces personnages
représentent la Thessalie qu'Athènes a toujours tenté de mettre dans son jeu, cf. Thuc, I, 102;
II, 22; IV, 78; V, 13, 51 et E. Delebecque, o.e., p. 411-413.
12 Selon des scholies d'Andromaque retrouvées par E. Schwartz (Mélanges Graux,
Paris, 1884, p. 652), Denys de Chalcis racontait comment, après la ruine de Troie, Acamas,
fils de Thésée (cf. infra, p. 797, n. 13), s'était associé à Scamandrios, fils d'Hector, et
à Ascagne, fils d'Enée, pour rebâtir des villes en Troade.
ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT 797

Borée, aux Thraces, aux Pélasges, aux Hyperboréens, aux Amazones peut-
être 13. Ce n'est pas le lieu d'analyser en détail ce vaste complexe: il n'importe
à notre présent propos que dans la mesure où il nous permet de situer et
mieux comprendre l'intérêt que les Athéniens portent aux légendes troyennes.
Et d'autre part, en nous donnant de les ressaisir comme élément d'un
ensemble plus vaste, cette mise en place concourt à éclairer la recherche:
là où nous trouvons des Hyperboréens, des Pélasges, des peuples pontiques,
si de surcroît la présence des Athéniens paraît probable, une légende de
fondation troyenne a chance d'avoir pu à la même époque se constituer;
si des indices semblent le donner à penser, il est raisonnable de les retenir
comme sérieux.

Lorsque, à partir de l'Egée, les Grecs s'aventurent, s'installent, bientôt


rivalisent dans les terres et les mers de l'ouest, on peut s'attendre à ce
que la même ligne de partage entre un domaine du nord et un domaine
du sud se prolonge semblable à elle-même, par contiguïté, comme en certains
métaux une faille, une fois amorcée, se poursuit, rectiligne jusqu'au bout
de la pièce.
Il est normal que les Péloponnésiens s'étendent au long des côtes de
Grande Grèce, puis de Sicile, en conservant le souvenir d'une certaine
appartenance ou solidarité avec leurs origines. De la même manière, quand
l'Epire, voisine de la Thessalie et de la Macédoine, entrera dans les jeux

13 Borée est le gendre des Athéniens (Herodot, VII, 189) comme le bienfaiteur des souve
rains de Troie (Iliad., XX, 223-230); le Thrace Térée vient lui aussi (chez Sophocle, chez
Philoclès, cf. infra, p. 803, n. 36) prendre femme à Athènes; au moins depuis Euripide
(cf. Kern, RE, 1907, s.v. Eumolpos, 1119), Eumolpos, l'ancêtre d'une des plus nobles familles
d'Athènes, est un Thrace. Autour des personnages d'Acamas et de Démophon, fils de Thésée,
devenus l'un ou l'autre l'époux de la Thrace Phyllis, foisonne tout un ensemble de légendes
devenues presque officielles (cf. Eschin., Amb., 31) et qui lient Athènes à la Thrace. Les
Thraces, les Amazones, les Pélasges à diverses reprises (Eschl., Eum., 685; Herodot., I, 56, 58;
II, 56; VI, 137; VII, 94; VIII, 44; Thuc, IV, 109; Isocrat, Paneg., 70; Panathen., 193; Diod.
Sic, IV, 28) ont occupé l'Attique. Ce sont même ces derniers qui ont fortifié l'Acropole
(Dion. Hal., I, 28, 4; Paus., I, 28, 2). Télamon, héros salaminien, est originaire des bords de
l'Aisépos en Troade (Orph., Argon., 144). Que ce soit par le pays des Amazones, puis par
Ilion (Callimach., fr. 186 Pfeiffer, 20-22) et la Chalcidique (Ον., Met, XV, 356), ou par le fond
de l'Adriatique puis par Dodone (Herodot, IV, 33), toutes les routes hyperboréennes convergent
vers Athènes (cf. Diod. Sic, II, 47); selon Phanodème (cf. F. Jacoby, Fr. Gr. Hist, III Β, nr. 325,
fr. 29) l'éponyme Hyperboreios était lui-même un Athénien. Légendes très diverses assurément
quant à leur préhistoire mais qui, à une époque donnée, par exemple la seconde moitié du
Ve siècle, ne peuvent manquer d'être rapprochées, de former un ensemble devant l'imagination
parce que toutes elles tournent le regard du même côté.
798 JACQUES PERRET

politiques de la Grèce, ce sera dans la mouvance d'Athènes 14; nous savons


qu'un peu plus tard les Athéniens essaieront de mettre avec eux l'Acarnanie 15,
Corcyre. Ils monteront jusqu'aux bouches du Pô où Spina subit à ce point
les vicissitudes de la prospérité d'Athènes qu'on a cru y remarquer dans
les dernières décennies du Ve siècle une détérioration de la céramique
importée 16. Du côté tyrrhénien, ils envoient des colons à Naples où les
cultes se réorganisent selon les rites athéniens 17. Surtout ils essaient de
mettre les Etrusques dans leur jeu et de les tourner contre Syracuse 18. De
ce côté il n'est que d'exploiter une situation préexistante puisque, ind
épendamment de la rivalité d'Athènes et de Sparte, un antagonisme de même
formule oppose ici encore le nord et le sud, les Etrusques d'un côté et de
l'autre les Siciliens groupés autour de Syracuse 19. Mais la puissance écono
mique et navale des Etrusques, leur situation géographique ne peut manquer
d'en faire pour le côté d'Athènes un renfort particulièrement précieux; on
peut penser qu'à leur égard les efforts de persuasion n'auront pas été ménagés.
Tout cela n'est pas affaire des seuls politiques, l'imagination des Athéniens
s'y enflamme; c'est un homme du commun, Bdélycléon, qui dans les Guêpes
(v. 700) nous donne en 422 la définition de l'empire du nord: « depuis
le Pont jusqu'à la Sardaigne ».
Le jeu des antagonismes légendaires a suivi naturellement cette ex
tension du théâtre des rivalités politiques20. Glissant vers l'Occident, y

14 Vers 470, c'est la fuite de Thémistocle chez Admète (Thuc, I, 136-137), un épisode
qui pourrait avoir eu aussitôt sa transposition dans le Télèphe d'Eschyle (cf. L. Séchan, Etudes
sur la tragédie grecque, Paris, 1926, p. 123-127); c'est surtout vers 422, le complexe historico-
légendaire qui se noue, avec YAndromaque d'Euripide, autour de la minorité du roi Tharyps,
cf. J. Perret, Néoptolème et les Molosses, àans REA, XLVIII, 1946, p. 24-28.
15 Cf. Thuc, 111,94-98,100-102, 105-114; VII, 57.
16 Cf. R. Chevallier, Rome et l'Italie du Nord, dans REL, XXXVII, 1959, p. 138.
17 Participation athénienne (Strab., 246); patronage du héros athénien Phaleros (Lycophr.,
717; Steph. Byz., s. v.); visite entre 439 et 432 de l'amiral athénien Diotimos (Tim., αρ. schol.
Lycophr., 732 = Fr. Gr. Hist, III Β, nr. 566, fr. 98); lampadophories (Tim., ibid.,); renouvel
lementdes types monétaires, cf. G. Pugliese Carratelli, Napoli antica, PP, VII, 1952, p. 253-254.
Après la prise de Cumes par les Samnites en 421, Naples ne doit son salut qu'à l'intervention
d'Athènes, cf. J. Heurgon, Recherches sur... Capoue préromaine, Paris, 1942, p. 95.
18 Cf. Thuc, VI, 88, 103; VII, 57.
19 Mise au point dans J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale..., Paris, 1969,
p. 110-111; depuis: M. Pallottino, La Sicilia e gli Etruschi, Kokalos, XIV-XV, 1968-1969,
p. 339-343; M. Gras, Les enjeux insulaires en mer Tyrrhénienne. Les rapports des Etrusques
avec les Grecs et les Puniques en Corse et en Sardaigne (VIP-VP s.), AEHE, IVe Sect.,
1971-1972, p. 779-785.
20 On trouvera les principales références (en sus des ouvrages indiqués supra, n. 19)
ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT 799

confirmant l'autorité de Sparte, les légendes péloponnésiennes ou plus


généralement doriennes s'étendent dans les terres du sud, dans la péninsule
sallentine, sur les côtes du golfe de Tarente, en Sicile, Diomède, Idoménée,
Phalanthos, Podalire, compagnons de Nestor venus de Pylos, Héraclès surtout
omniprésent21; les indigènes eux-mêmes, les Oenotres, sont censés être venus
d'Arcadie; d'adroites combinaisons attestées dès l'époque d'Antiochos de
Syracuse établissent que les Sicules sont des Oenotres aussi, mais ces Sicules-
Oenotres remontent jusqu'au Tibre si bien qu'en fait c'est tout le peuplement
de l'Italie méridionale qui relève de la Sicile et du Péloponnèse22. De la
même manière ce sont les légendes du nord, déjà plus ou moins assumées
par Athènes mais à l'occasion ranimées pour une nouvelle carrière, qui
vont être transportées en Epire, en Illyrie, dans la partie septentrionale de
l'Italie 23. On songe surtout à ces Pélasges que tout est arrangé pour identifier
aux Etrusques; ils entrent en Italie par les bouches du Pô après avoir traversé
l'Epire; ils s'établissent fortement à Cortone, descendent jusqu'au Tibre24.

dans E. Ciaceri, Culti e miti nella storia deWantica Sicilia, Catane, 1911; G. Giannelli,
Culti e miti della Magna Grecia, Florence, 1924; J. Bérard, La colonisation grecque de l'Italie
méridionale et de la Sicile dans l'Antiquité: l'histoire et la légende, Paris, 1941.
21 Lues avec une suffisante attention, les pages remarquables de J. Bayet sur l'Italie
héracléenne du VIe au IVe siècle (Les origines de l'Hercule romain, Paris, 1926, p. 7-124),
font apparaître avec évidence un contraste entre la vie des légendes héracléennes dans tout le
sud de l'Italie (à partir de Rome) et leur inexistence en Etrurie.
22 Sur les Oenotres arcadiens, cf. Dion. Hal., I, 11, 2-4; sur les Sicules Oenotres, cf.
Antioch. Syrac., ap. Dion. Hal, I, 12, 3; Sicules en Italie selon Thuc, VI, 2 et Strab., 257, 270.
23 Est-il possible, comme on le prétend souvent, qu'elles expriment plutôt des événements
réels, en sorte que les migrations apparemment imaginées auraient été véritables (même si elles
avaient eu lieu, à l'occasion, en sens inverse de ce que disent les textes et en des temps
très reculés)? Peut-être, bien que la tradition de souvenirs très anciens pose toujours plus
d'un problème; il n'y a guère que l'archéologie qui semble, quant au fond, pouvoir apporter
de vraies lumières (cf. les réflexions d'Edouard Will dans RPh, XXXVI, 1962, p. 91-93). Mais
il faudra toujours explorer la possibilité que les légendes grecques ou orientales d'Occident
y aient été introduites, quelquefois en exploitant des homonymies approximatives, à mesure
que progressait l'intégration au monde grec de régions nouvelles; elles exprimeraient ainsi la
connaissance que les Grecs acquéraient de leurs voisins ou plutôt la manière dont ils voulaient
les considérer. Il nous semble que la plupart trouvent de la sorte une explication assez naturelle.
24 Les Pélasges ont été déplacés de tant de manières, retrouvés en tant de lieux qu'on
est parfois tenté de ne voir en leur nom qu'un terme vague toujours disponible pour désigner
n'importe quelle population, préhellénique ou proto-hellénique. Cette brume se dissipe un peu si
l'on distingue les époques (cf. F. Schachermeyr, RE, 1937, s.v. Pelasgoi; F. Lochner-Hüttenbach,
Die Pelasger, Arb. aus dem Inst, für vergleich. Sprachwiss. der Univ. Graz, VI, 1960); les
textes plus anciens assignent clairement leur domaine aux confins septentrionaux du monde
grec (du Strymon à l'Adriatique pour Eschyle, Suppi, 250-259), puis secondairement en Attique;
800 JACQUES PERRET

Mais il y a naturellement aussi des Hyperboréens qui également descendent


d'un côté jusqu'à Rome et sur l'Adriatique jusqu'à la hauteur de Dodone25.
On retrouve dans les mêmes secteurs des peuples pontiques liés depuis
longtemps aux légendes troyennes: les Vénètes sont les Enètes paphlagoniens
d'Homère; les Mysiens ont poussé à travers la Thrace jusque sur l'Adriatique
et les fils de Télèphe régnent en Etrurie26; Rhètes et Liburnes tiennent
aux Amazones; il y a des Thraces, des Colques en Istrie27, des Dardaniens
en Illyrie, peut-être déjà chez les Etrusques dans la cité pélasgique de Cortone 28.
Assurément dans cette société nous ne serions pas trop étonnés de
rencontrer des légendes spécifiquement en rapport avec Troie, des Troyens
homologues de ce que sont Diomède et Idoménée dans l'Italie du sud; de
fait, Andromaque est venue chez les Molosses et y est aux origines de la
dynastie régnante, le Priamide Hélénos, le Troyen Chaon sont rois auprès
de Dodone. Ici les héros sont censés être venus de Thessalie; mais d'autres
itinéraires ont pu exister plus au nord, débouchant sur l'Adriatique aux

à peine saisissables dans le Péloponnèse, on ne les trouve ni en Grande Grèce ni en Sicile.


Mais les Pélasges sont identifiés aux Etrusques chez Sophocle (ap. Dion. Hal, I, 25, 4) et
Hellanicos (ibid., I, 28, 3); ils sont leurs voisins pour Hérodote (I, 57). En Italie, selon
Sophocle (ap. Dion. Hal., I, 12, 2), le partage se fait entre Oenotriens et Tyrrhenes; de la
même façon chez Virgile, c'est sur le Tibre que les Pélasges venant du nord atteignent les
confins des Sicanes (Aen., VIII, 600-602; XI 316-317).
25 Herodot, IV, 33; Hyperboréens à Rome, Silenos, ap. Solin., I, 15; Festus, 220. Il nous
paraît encore impossible de discerner le lien de ces légendes avec celles qui se rapportent
aux Boreigonoi (Lycophr., 1253) et aux Aborigines (apparentés aux Pélasges et ennemis comme
eux des Sicules selon Dion. Hal., I, 17, 1). Après O. Gruppe, J. Bayet (Les origines de
l'arcadisme romain, dans MEFR, 38, 1920, p. 92-93) a cru pouvoir reconnaître une influence
athénienne dans les légendes relatives aux Pélasges d'Italie et aux Aborigines.
26 Herodot., VII, 20; Lycophr., 1245-1249; Dion. Hal., I, 28, 1. -Suidas (s.v. Λατίνοι) identifie
Télèphe et Latinus; les Latins auraient antérieurement porté le nom de Κήτιοι; or dans l'Odyssée
(XI, 522) ces Κήτειοι accompagnent effectivement les fils de Télèphe.
27 Les Colques de Pola (Callimach., fr. 11 Pfeiffer; Lycophr., 1022; Plin., N.H., III, 129)
sont évidemment en rapport avec la légende des Argonautes. On notera que dans l'Italie
étrusque c'est un Argonaute athénien, Télamon, qui laisse trace de son passage (Diod. Sic,
IV, 56 résumant Timée); sur Phaleros, autre Argonaute athénien, cf. supra, p. 798, n. 17.
Sur les Thraces en Istrie, cf. Apollodor., ap. Steph. Byz., s. ν. Ύλλεΐς; Ps. Skymn., 387.
28 Après s'être établi en Troade, Dardanos fonde une colonie « au dessus de la Thrace »
(Diod. Sic, V, 48). On admet généralement (cf. V. Buchheit, Vergil über die Sendung Roms,
Heidelberg, 1963, p. 151-172) que Virgile est le premier à avoir imaginé des liens entre Dardanos
et l'Etrurie. Est-ce si sûr? Plus d'un demi-siècle avant l'Enéide, ainsi que l'a établi J. Heurgon
(Inscriptions étrusques de Tunisie, CRAI, 1969, p. 526-551), des colons étrusques installés en
Afrique se donnent comme Dardaniens; est-il croyable que ce soit seulement une référence
à la légende troyenne de Rome?
ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT 801

confins de PIllyrie, Anténor, Enée ont pu s'avancer par là29. Enfin en


Sardaigne on retrouve, dans une confusion sans doute significative, des
Thespiens patronnés par Athènes, des Athéniens et une fois encore des
Troyens; de là certains aboutiront à Cumes 30. Pourquoi ne serait-ce pas aussi
dès cette époque que les Acarnaniens chez qui fleuriront plus tard tant
de légendes de fondations troyennes commencent à s'aviser que seuls de
tous les Grecs ils ont refusé de prendre les armes contre Troie31?
Dans la seconde moitié du Ve siècle il s'agit en Occident d'une situa
tion de guerre. Or dans une guerre on ne se contente pas d'organiser et de
consolider son secteur géographique propre, mais de pousser des pointes et,
s'il se peut, d'implanter des points d'appui chez l'ennemi pour l'inquiéter
et le prendre à revers. Dans la réalité de l'histoire les Athéniens ont cherché
contre Syracuse des appuis à Ségeste, à Carthage32; il ne paraît donc pas
très étonnant de trouver à Ségeste une légende de fondation troyenne, de

29 Selon Virgile (Aen., I, 242-249), Anténor pour atteindre Patavium a dû franchir (ou
dépasser) les bouches du Timave, ce qui suppose soit un itinéraire entièrement terrestre (comme
apparemment, celui des Mysiens, cf. supra, p. 800, n. 26), soit une navigation le long
des côtes illyriennes rejointes à travers la Thessalie et l'Epire (comme firent les Pélasges). Enée
de même, s'il est venu en Italie à travers le pays des Molosses (Dion. Hal., I, 72, 2), ou s'il
a quelque temps accompagné Néoptolème (Ilias parua, ap. Tzetz., ad Lycophr., 1262-1263
ou Simmias, ap. schol. Euripid. Androm., 10-14; cf. K. Ziegler, RE, 1935, s.v. Neoptolemos,
2448). Ces itinéraires continentaux imaginés d'après des routes réelles ou purement fictifs (les
Anciens ont longtemps sous-estimé la distance qui sépare l'Adriatique de l'Egée et du Pont,
cf. Liv., XL, 21-22; Strab., 313) resserrent singulièrement l'unité de ce que nous proposons de
reconnaître comme légendes septentrionales: Troade, Thrace, Macédoine d'une part, Illyrie,
Vénétie, Etrurie de l'autre.
30 Cf. notamment Diod. Sic, IV, 29-30 et V, 15; Paus. I, 29, 5; VII, 2, 2; IX, 23, 1;
Χ, 17, 5; le fond du récit remonte à Timée, cf. J. Geffcken, Timaios' Geographie des Westens,
Philol. Untersuch., XIII, 1892, p. 55-59, 166-171.
31 La non-participation des Acarnaniens à la guerre de Troie est notée par Ephore {ap.
Strab., 462); Strabon nous apprend qu'ils en firent argument pour gagner la faveur des Romains.
Un article fort suggestif de Paul M. Martin, La tradition sur les «passeurs» de la côte
acarnanienne, légende ou réalité, dans Mélanges offerts à Roger Dion, Paris, 1974, p. 45-53
attire l'attention sur le complexe des légendes du franchissement de l'Adriatique. Il conviendrait
peut-être de se demander si les légendes de fondations troyennes attestées plus tard (Dion.
Hal., I, 50-51) dans certaines îles du voisinage n'ont pas quelque chance d'avoir au Ve siècle
(où Céphallénie, Zacynthe, Corcyre sont avec les Athéniens, cf. Thuc, VII, 57) des attaches
lointaines.
32 Selon Thuc, VI, 88, les Athéniens envoient simultanément à Carthage et en Etrurie
pour demander des renforts; ailleurs (Thuc, VI, 15, 34, 90; Plutarch, Alcib., 17, 3-4; Nicias,
12, 1-2; Perici., 20, 4) ils songent plutôt à assujettir Carthage. Dans l'imagination des dé
magogues (Aristophan., Eq., 173, 1303) l'empire athénien doit s'étendre de la Carie à Carthage.
802 JACQUES PERRET

la même manière que nous trouvons à Scylletion Ménesthée et ses Athéniens 33,
ou que nous voyons les Athéniens revendiquer sur la Siritide des droits
très anciens (Herodot, VIII, 62) au moment où les Tarentins veulent l'arracher
aux gens de Thourioi. Faut-il supposer qu'à Carthage comme à Siris les
légendes troyennes plus tard attestées se sont formées à cette date sous
l'influence d'Athènes?
C'est à bon droit que la légende de Ségeste est retenue avec prédilec
tion par tous ceux qui tentent de reconnaître dans un passé un peu ancien
l'origine des légendes troyennes d'Occident. Nous la connaissons relativ
ementbien et il n'est pas déraisonnable d'y voir un exemple de ce qui a
pu sous les mêmes influences se constituer ailleurs à cette époque: nous
y voyons la légende employée à des fins politiques, nous y voyons les
Athéniens aux côtés d'une cité troyenne. Plus particulièrement nous y
voyons à l'œuvre les instruments par lesquels ce genre de fiction pouvait
être accrédité: Thucydide évoque les rapports séduisants mais mensongers
des ambassadeurs de Ségeste et des commissaires athéniens; Diodore nous
apprend qu'ils alléguèrent des alliances antiques, des parentés de sang. A
toutes les époques pour justifier des nécessités présentes on a toujours aimé
évoquer, vrais ou feints ou forcés, de glorieux souvenirs communs; dans
l'antiquité, la mythologie y contribuait34. Ambassades, discours d'apparat
- que l'on songe à Isocrate - appelaient pour ainsi dire l'invention ou la
diffusion de légendes utiles. Mais dans l'Athènes du Ve siècle le théâtre
y prêtait aussi son concours: nous en avons conservé avec VAndromaque
d'Euripide, inséparable de la genèse des légendes dynastiques de l'Epire,
un exemple particulièrement explicite. Or voici que dans le cas de Ségeste,
nous pouvons sans doute, à travers Timée, restituer également le schéma
d'une tragédie qui illustrait la thèse d'une origine troyenne35. D'autres faits,
d'autres indices peuvent être rapprochés. Dans la Pandionis de Philoclès,
vers 431, un dieu apprenait aux spectateurs que, descendant de Térée, le roi

33 Légende née en rapport avec l'expédition athénienne de 415, au jugement de Philipp


(RE, 1921, s.v. Scylletium, 920, 922). C'est de la même manière qu'à la même époque (cf.
J. Bérard, o. c, p. 86-89) les Athéniens prétendent avoir inauguré eux-mêmes la colonisation
de toute la Sicile.
34 Cf. F. Schachermeyr, Religionspolitik und Religiosität bei Perikles, SAWW, nr. 258,
1968, - et au siècle précédent M. P. Nilsson, Political propaganda in sixth century Athens,
dans Studies presented to D. M. Robinson, II, 1953, p. 743-748; les appels à la συγγένεια
tiennent une place considérable dans les discours rapportés par Thucydide.
35 Cf. J. Perret, Origines, p. 272-280.
ATHÈNES ET LES LÉGENDES TROYENNES D'OCCIDENT 803

des Odryses, Sitalcès. était apparenté, par Procné, aux Athéniens 36. Beaucoup
de critiques pensent aujourd'hui que dans les Antenoridai Sophocle menait
ses héros en Italie, Polybe (II, 17, 5) incrimine les faiseurs de tragédie à
propos des légendes relatives aux Vénètes. Si nous arrivons mal à nous
représenter comment on a pu expliquer, faire admettre que les Mysiens
fussent venus jusqu'à l'Adriatique, que les fils de Télèphe eussent régné
en Etrurie, n'est-ce pas parce que le hasard nous a privés de tant de tragédies
écrites depuis Eschyle sur les Mysiens et sur Télèphe37?

On croit donc entrevoir au Ve siècle des conditions historiques où,


comme parties d'un complexe légendaire plus étendu, des légendes de fonda
tions troyennes ont pu se constituer en Occident: elles y faisaient partie
de traditions d'inspiration athénienne et se trouvaient, pour la plupart et
hormis la brillante exception ségestaine, centrées sur l'Italie du nord, l'Etrurie
en particulier. Avec le temps, les légendes troyennes ont gardé plus de relief
que les autres qui les accompagnaient parce que les Troyens, surtout quand
ils tiennent de quelque héros un visage personnel, sont plus intéressants
que les Hyperboréens, les Dardaniens, les Enètes ou les Pélasges. A mesure
que cet entour s'évanouissait dans les brumes d'une pseudo-ethnographie
préhistorique, les légendes troyennes subsistaient isolées, incompréhensibles.
Que l'on omît alors d'éclairer les témoignages antiques par ce qui avait
fait depuis le VIIe siècle la réalité vivante des Troyens, savoir: les vicissitudes
de l'empire athénien, son expansion en Troade et en Thrace, sa rivalité
avec Sparte, ses ambitions, ses entreprises occidentales, l'imagination des
poètes tragiques, on n'avait plus qu'à se rabattre sur une Iliade à peu
près muette.
Mais il faut sans doute revenir à Servius, en entendant cette fois des
légendes troyennes ce qu'il entendait dire des Troyens eux-mêmes: . . . ab
Atheniensibus originem ducunt. Heureux Troyens donc qui, malgré leurs
fautes et leurs malheurs, auraient à quelques siècles de distance trouvé
comme champions les deux peuples les plus prestigieux du monde antique,
les Athéniens d'abord, puis les Romains.

36 Cf. F. Stoessl, RE, 1938, s. v. Philokles, 2493-2494 et la polémique de Thucydide


(II, 29).
37 On lira désormais dans F. Jouan, Euripide et les légendes des Chants cypriens, Paris,
1966, un remarquable essai de restitution du Télèphe d'Euripide (et accessoirement des autres
tragédies consacrées au même épisode), p. 222-255; là aussi, comme dans Andromaque, comme
dans les Troyennes, le poète invite son public athénien à se placer contre les Atrides du côté
du prince d'Asie injustement attaqué.
AMBROS JOSEF PFIFFIG

DER BEITRAG ETRURIENS ZUM KAISERHEER


DES 1. und 2. JAHRHUNDERTS

Nachdem Antonius bei Philippi in zwei Schlachten über die Cäsarmörder


gesiegt hatte, war es die Aufgabe Octavians, die Soldaten nach Italien
zurückzuführen und die Landzuteilung vorzunehmen \ Die gesetzliche
Grundlage für die Assignation war eine Lex data « arbitratu C. Iulii Caesaris
et Marci Antoni et Marci Lepidi triumvirorum r.p.c. » 2; es ist die im Liber
coloniarum erwähnte lex triumviralis 5 .
Es handelte sich zuerst um nicht weniger als 28 Legionen, also etwa
170.000 Mann4; schließlich schwoll die Zahl der Anwärter auf ein Landlos
auf mehr als 200.000 Mann, 34 Legionen, an5. Diese zu befriedigen kam
einem fast völligen Besitzwechsel in Italien gleich. Von der Assignation war
nur der Besitz von Senatoren, Soldaten, Veteranen und Frauen ausgenommen6.
Achtzehn Städte waren im Vertrag von 43 v.Chr. von den Triumvirn zur
Übergabe an die Soldaten bestimmt worden 7. Domaszewski 8 nimmt legions
weiseDeduzierung an, was aber eine Gleichung: 18 Städte - 18 Legionen
ausschließt. Um das vollständige Verzeichnis dieser Städte - Appian führt
nur sieben namentlich an - hat sich Mommsen bemüht9. Es ist keine der
alten etruskischen Städte darunter. Der Grund dafür mag sein, daß Etrurien
durch die Verwüstungen infolge des Kampfes gegen Sulla zu arm geworden
war, oder auch - was uns viel mehr zu gelten scheint -, daß Etrurien
(und Umbrien) ein maßgeblicher Teil des Rekrutierungsgebietes der Trium-

1 Appian B.C. V 3, 11; Dio C. XLVIII 2, 2 ff.; Sueton Aug. 13, 3.


2 Lib. colon. 213 L.
3 Vgl. Pais E., Storia della colonizzazione della Roma antica I, Rom 1923, 374.
4 Appian B.C. V 3, 13; 5, 21.
5 Ebda 22, 87.
6 Dio C. XLVIII 8.
7 Appian B.C. V 3, 10 f.
8 Neue Heidelberger Jahrb. 3, 1894, 183.
9 Hermes 18, 1883, 170f. 175 ff.
806 AMBROS JOSEF PFIFFIG

virn, besondes Mark Anton und des Oktavian war und deshalb nicht durch
Enteignungen beunruhigt und gereizt werden sollte. Diese Regionen spielen
auch noch in der frühen Kaiserzeit eine große Rolle für die Rekrutierung
des Heeres.
Es scheint nicht überflüssig zu sein, dem für Etrurien kurz nachzugehen,
da auch dieser Umstand für die Beziehungen zwischen Rom und Etrurien,
die von den uns erhaltenen Quellen wenig klar und eindeutig gezeichnet
werden, von Bedeutung ist und vorsichtige Rückschlüsse auf die Verhältnisse
vor der Kaiserzeit erlaubt.
Tacitus 10 sagt von den drei cohortes urbanae und den neun Prätoria-
nerkohorten, sie seien Etruria ferme Umbriaque delectae aut vetere Latio
et coloniis antiquitus Romanis. Die Inschriften, die sich auf Prätorianer
und Legionäre beziehen, geben in vielen Fällen Aufschluß über die Heimat
dieser Personen n.
Der Dienst in der Prätorianergarde hatte mehrfachen Anreiz: Hoher
Sold, Dienst in der Umgebung des Kaisers und - wenigstens in Friedenszeit -
der lockende Aufenthalt in der Hauptstad. Nach der Entlassung standen
den emeriti verschiedene Aufstiegsmöglichkeiten im Reichsdienst offen 12.
Augustus hatte die Rekrutierung für die Prätorianer (und die cohortes
urbanae) auf das Prinzip der Freiwilligkeit gestellt. Den Vorteilen des Garded
ienstes entsprach natürlich, daß die Kandidaten einer besonderen inquisitio
und probatio unterworfen waren 13. Der gehobene Dienst verlangte von
vornherein von den Bewerbern neben den allgemeinen soldatischen Tugenden
eine gewisse Kultiviertheit. Diese aber war vor allem bei den gehobenen
Ständen der Munizipien zu finden 14. Rostovtzeff 15 meint geradezu, daß der
Dienst bei der Garde dem jungen städtischen Bürgertum vorbehalten war.
So ist auch erklärlich, daß die Prätorianer einerseits verhältnismäßig oft
aus Familien kamen, deren Mitglieder munizipale Ehrenstellen bekleideten 16,

10 Ann. IV 5.
11 Bearbeitungen des Materials liegen für die Prätorianer (neben älteren Darstellungen)
bei M. Durry, Les cohortes prétoriennes (Paris, 1938) und bei A. Passerini, Le coorti pretorie
(Rom 1939) vor; jenes für die Legionäre bei Ritterling, RE XII 1380 ff. und (vermehrt) bei
Forni G., Il reclutamento delle legioni da Augusto a Diocleziano (Mailand 1953). Siehe auch
Clauss M., Zur Datierung stadtrömischer Inschriften. Epigraphica 35, 1973, 55-95.
12 Passerini 166.
13 Ebda. 142.
14 Ebda. 167.
15 Gesellschaft u. Wirtschaft im röm. Kaiserreich I (Leipzig 1929) 42 f. 77. 87 f.
16 Passerini 164.
DER BEITRAG ETRURIENS ZUM KAISERHEER 807

andererseits häufig sie selber nach ihrer Entlassung in ihren Heimatgemeinden


zu führenden Stellungen gelangten, auch mit Überspringung niedrigerer
Amter 17.
Ein gleiches ist für ehrenvoll entlassene Legionäre festzustellen. Ein
schönes Beispiel für das Ansehen der Veteranen in ihrer Heimat bieten
zwei neuere Inschriften aus dem etrusko-faliskischen Lucus Feroniae 18:
a) T(ito) Nasidio Messori / veterano / ex equitibus speculator(ibus) 19 /
donis donato ab Aug(usto) /5 adlecto ex decreto dec(urionum) / remissa
honoraria / aedilitate / Ilviro col(oniae) Iul(iae) Felicis Luco Feroniae / Hedia
Verecunda /10 uxor / l(ocus) d(atus) d(ecreto) d(ecurionum)
b) C(aio) Musano C(ai) f (ilio) / primo pilo bis, trib(uno) mil(itum) / praefecto /
stratopedarci20 /5 Ilviro quinquen(nali) / ex d(ecreto) d(ecurionum) p(ublice)

Die Sichtung des Materials bei Passerini (vor allem aus den Latercula
militum praetorianorum GIL VI, 1, 2375.2377-2385.2404) ergibt folgendes
Bild vom Beitrag Etruriens zu den Prätorianern:

Arretium 22 aus Blera 4


Clusium 13 Pistoriae 1
Cortona 4 Populonia 1
Faesulae 5 Rusellae 1
Falerii 3 Saena 6
Ferentium 2 Sutrium 1
Florentia 22 Tarquinii 2
Forum Clodi 2 Tuscana 1
Heba21 1 Vetulonia 2
Luca 12 Volaterrae 10
Luna 9 Vulci 2
Perusia 7 Volsinii 11
Pisae 6 Visentium 1

17 Ebda. 166.
18 NScav. 1953, 1*4 u. 15,
19 Zu den équités speculatores, den berittenen kaiserlichen Ordonanzen, siehe Passerini
70 ff.; zu ihrer Verwendung als kaiserliche Leibwache siehe Lammert, RE III A 1585.
20 Praefectus str atop edar ces = praefectus castrorum (Kießling, RE IV A 329).
21 Noch nicht bei Passerini; NScav. 1955, 39: (Z.6) miles pr(a)et(orianus) sta(tionarius)
808 AMBROS JOSEF PFIFFIG

Damit sind natürlich keine absoluten Zahlen gegeben; es wird aber die
Streuung deutlich. Passerini hebt hervor22, daß schon im 1. Jahrhundert
n.Chr. die mittleren und nördlichen regiones Italiae die des Südens merklich
übertreffen. Das Faktum belegt ja auch Tacitus (s.o.). Den Grund für diese
Differenzierung sieht Passerini im sozialen und ökonomischen Niedergang
von Süditalien. Im 2. Jahrhundert verschiebt sich das Hauptrekrutierungsg
ebiet noch mehr nach Norden. Dieser liefert nun mindestens eben so viele
Prätorianer wie Mittelitalien.
Von den bei Passerini 151 f. angegebenen Städten der Regio VII (Etruria)
stellen Florentia, Arretium Clusium, Luca, Volsinii und Volaterrae 90 von
den 151 erfaßten Prätorianern, das sind 59,6%. Dabei ist bemerkenswert,
daß in dieser Spitzengruppe die drei am Italikeraufstand beteiligt gewesenen
Städte Arretium, Clusium und Volsinii 23 rangieren, dazu Volaterrae, das einst
so zähe um seine civitas und um seinen ager gekämpft hatte24.
Unter 112 Prätorianern, die 136 n.Chr. entlassen wurden25, sind neben
31 Transpadanern, 11 Cispadanern und Ligurern 27 Etrusker (das sind 24,5%)
und 13 Umbrer und Picener. Den Rest (30 Mann) stellen die übrigen Italiker
und die Provinzen. Im Jahre 160 werden 260 Prätorianer entlassen26. Davon

22 A.a.O. 159 f.
23 Kubitschek (De Romanarum tribuum orig. 64 ff.) und Beloch (//. Bund 42) haben
nachgewiesen, daß es sich bei den acht Tribus, in welche jene Städte eingeschrieben wurden,
die gegen Rom die Waffen erhoben hatten, um die Tribus Arnensis, Clustumina, Fabia, Falerna,
Galeria, Pomptina, Sergia und Voltinia handelt. In diesen Tribus finden wir fast alle Städte im
Westen und Süden Umbriens, von den etruskischen Städten aber nur Arretium, Clusium und
Volsinii. Es sind jene acht Tribus, « to which no colony or civitas sine suffragio or loyal ally
is known to have been assigned » wie Fell (Etruria and Rome 163) sagt.
24 Während die Assignation an die Veteranen Sullas nicht angerührt wurde (Cic. de domo
30, 79: de agris ratum est, fuit enim populi potestas; vgl. ad Att. I 19: Sullanorum hominum
possessiones confirmabam), wurde immer wieder versucht, den konfiszierten ager von Volaterrae
und Arretium, den Sulla (in Volaterrae überhaupt, in Arretium teilweise) nicht assigniert hatte,
zur Aufteilung zu bringen. Darauf zielten die von Caesar und Crassus inspirierten leges agrariae
des Rullus im Jahre 63 und des L. Flavius im Jahre 60 hin (Geizer, RE VII A 865 ff.). Hier
unternahm es Cicero mit Geschick und Erfolg, den betroffenen Städten zu retten, was zu retten
war (Cic. ad Att.. I 19: Volaterranos et Arretinos, quorum agrum Sulla publicarat nee diviserai,
in sua possessione retinebam. - ad jam. XIII 4: (Volaterrani) a me in consulatu meo defensi
sunt. cum enìm tribuni plebis legem iniquissimam de eorum agris promulgavissent, facile
senatui populoque Romano persuasi, ut eos cives, quibus fortuna pepercisset, salvos esse
velini. - Ebda: hanc actionem meam C. Caesar primo suo consulatu lege agraria comprobavit
agrumque Volaterranum et oppidum omni periculo in perpetuum liberava).
25 CIL VI 2375 a, b.
26 CIL VI 2379 a, b.
DER BEITRAG ETRURIENS ZUM KAISERHEER 809

sind 105 Norditaliener, 45 Etrusker (das sind 15,4%), 30 Umbrer und 15


Picener. Der Rest (65 Mann) entfällt auf Latium, Kampanien, Samnium und
die Provinzen.
Unter 41 Prätorianer, von deren Entlassung in den Jahren 182-186 wir
wissen27, sind 22 aus Oberitalien (das sind 53,6%), 4 (das sind 9,8%) aus
Etrurien, und zwar aus Florentia, Volaterrae, Clusium und Volsinii.
Wir sehen, daß selbst bei dem allgemeinen Rückgang der Rekrutierungen
aus Mittelitalien Etrurien und Umbrien in den Regionen I-VII führend bleiben.

II

Nach dem bei Forni erfaßten Material ergibt sich für die Regio VII
folgendes Bild des Beitrages zu den Legionen:

Es dienen in der Leg. II Augusta 1 Mann aus Luca;


Leg. II Adiutrix 1 Mann aus Arretium;
Leg. IV Flavia 1 Mann aus Luca;
Leg. VII Claudia 2 Mann aus Arretium und
3 Mann aus Florentia;
Leg. X Gemina 1 Mann aus Florentia;
Leg. XI Claudia 2 Mann aus Arretium,
5 Mann aus Florentia, und
1 Mann, der nach seinem Namen
Masterna und den dei avertentes,
denen er einen Altar dediziert28,
ein Etrusker ist;
Leg. XII Fulminata 1 Mann aus Florentia;
Leg. XIII Gemina 1 Mann aus Florentia;
Leg. XV Apollinaris 1 Mann aus Tarquinii;
Leg. XVII 1 Mann aus Pistoriae
Leg. XX Valeria Victrix 1 Mann aus Luca;
Leg. XXII Primigenia 1 Mann aus Faesulae;
Leg. XXVIII 1 Mann aus Pisae.

27 AE 1933, nr. 95.


28 Macrobius Sat. Ill 20, 3 nennt nach der von Tarquitius Priscus ins Lateinische über
setzten Disciplina Etrusca die dei avertentes als Beschützer der arbores infelices. Vgl. Thulin,
Die etruskische Disziplin III 76.95 und Stähelin, RE Suppl. III 184.
810 AMBROS JOSEF PFIFFIG

Dies ergibt - natürlich wieder nicht als absolute Zahlenangabe, sondern


als Indikator der Entwicklungstendenz -, nach den Heimatgemeinden
geordnet, für die Zeit von Augustus bis Traian (später finden wir keine
Etrusker mehr in dem uns zur Verfügung stehenden Material):

Es stammen aus Florentia 11


Arretium 5
Luca 4
Pisae 1
Pistoriae 1
Tarquinii 1
(unbekannt) 1 (Masterna in der Leg. XI Claudia)

Auch hier steht Nordetrurien mit Florentia und Arretium noch an der
Spitze.
Das Bild, das wir aus dem von Passerini, Durry und Forni vorgelegten
Material für Etrurien gewinnen, dürfte in de Hauptzügen der Realität ent
sprechen. Aus dem markanten Anteil der Prätorianer an diesem Bild kann
wohl folgendes abgeleitet werden:
Wenn sich junge Etrusker aus den gehobenen Ständen so zahlreich
freiwillig den Fahnen der Kaisergarde verschrieben und dort in Ehren dienten,
dann zeigt dies, daß keinerlei nationalistisches Ressentiment eines unter
worfenen Volkes bei ihnen bestand. Wenn sie überdies besonders aus dem
Norden und Osten von Etrurien, aus Florentia, Arretium, Clusium, Luca,
Volsinii und Volaterrae kommen - aus den Gegenden also, wo ein starkes
italisches Element von jeher die Hauptkomponente des etruskischen Volkes
bildete -, dann läßt dies erkennen, wie sehr das Italikertum seit langer Zeit,
besonders stürmisch aber seit dem Bundesgenossenkrieg, die Geschichte
Etruriens bestimmt hat.
Es waren aber nicht die Etrusker italischer Abstammung allein; auch
die von « tyrrhenischem » Ursprung, die Mitglieder ältester Adelshäuser,
hatten innerlich und äußerlich den Weg zu Rom gefunden und haben dem
Reich in Treue und Ehre gedient. Neben den Mitgliedern des Hauses der
Caicna (Caecina) in Volaterrae und den Velimna (Volumnii) in Perusia
- um nur die bekanntesten zu nennen - steht als Sinnbild der Freund und
Helfer des Augustus, der aus Arretium stammende Cilnier C. Maecenas.
GILBERT-CHARLES PICARD

«L'HOMME À LA FRAISE»
HISTOIRE D'UN THÈME DÉCORATIF ÉTRUSQUE

Les ptéryges décorées de la cuirasse de la statue d'Auguste découverte


en 1916 à Cherchel 1 portent, à raison d'une sur deux, une figure étrange:
une tête virile de face pourvue d'énormes moustaches qui se relèvent en
rinceaux et d'une barbe triangulaire aplatie est posée sur une sorte de colle
rette rayonnante de onze languettes plus larges à leur extrémité qu'à leur
origine; la chevelure est coiffée en bandeaux ondulés. Le tout évoque étonnam
ment un contemporain d'Henri IV paré d'une « fraise » tuyautée. Ce masque
singulier alterne avec des figures de Satyres ou plutôt de Pans cornus2.
Des masques plus ou moins semblables apparaissent sur les ptéryges
d'un certain nombre de cuirasses. On les trouve par exemple sur un groupe
de statues flaviennes auxquelles appartient le célèbre Mars Ultor du Capitole,
et sur un torse de Cosa daté par C. Vermeulle du temps d'Hadrien3.
Ce motif, comme la plupart de ceux qui ornent les cuirasses impériales,
a été constitué dans les ateliers romains héritiers de l'art néo-attique, dans la

1 M. Durry, Musée de Cherchel, Supplément, 1924, pi. XI et XII, pp. 98-107 CC. Ver
meulle, Berytus 13, 1959, p. 55, n. 179, pi. XV, fig. 45.
H. G. Niemeyer, Studien zur statuarischen Darstellung der römischen Kaiser, 1968, p. 92
et pl. 12, 2, n. 58.
La statue a été trouvée derrière la scène du théâtre, au voisinage du Forum; il y avait là
sans doute un sanctuaire du culte impérial (cf. CRAI 1975, p. 386-397). L'identification à Auguste
paraît assurée; mais il semble impossible de dater l'œuvre du vivant de ce prince. Le type du
décor suggère une datation sous le règne de Domitien (Niemeyer) ou sous celui d'Hadrien
(Vermeulle). L'hostilité avérée de Domitien à l'égard de César rend la première de ces data
tions peu probable (cf. Stace, Silves, I, 26 sqq. et 84 sqq.). Trajan au contraire a remis en
honneur la mémoire de César (J. Beaujeu, La Religion Romaine à l'apogée de l'Empire, p. 91, n. 3).
La statue impériale en nudité héroïque (M. Durry, op. cit., p. 80 et pi. VII, 3), trouvée en
même temps que l'Auguste, appartient au même groupe que le Trajan de la Glyptothèque Ny
Carlsberg (H. G. Niemeyer, op. cit., p. 63).
2 C. C. Vermeulle, Berytus XIII, p. 44, n.s 78 sqq.
3 C. C. Vermeulle, A] A 61, 1957, p. 247; Berytus XIII, p. 59 et pl. XIII, fig. 43, n. 176.
812 GILBERT-CHARLES PICARD

seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. Nous le retrouvons, en effet, sur des
plaques de terre cuite de la série Campana; plusieurs de ces bas-reliefs céra
miques ont été découverts par G. F. Carettoni dans le secteur du temple
d'Apollon sur le Palatin4; ils proviennent certainement de constructions
contemporaines de la fondation, en 36-28 avant J.-C, peut-être, du portique
des Danaïdes. Des différences existent entre le masque imprimé sur ces
plaques et celui de la statue césaréenne: la barbe est aplatie en ovale, la
chevelure bouclée paraît recouverte d'une sorte de béret strié. La présence
de la palmette, évoquant la « fraise », le développement en rinceaux des
moustaches assure pourtant l'identité des figures.
Comme tant d'autres motifs de l'art augustéen, éclectique souvent plutôt
que néo-classique, celui-là est emprunté à l'archaïsme, et à l'archaïsme
étrusque. Nous en trouvons l'origine sur des attaches d'anses d'œnochoés
du type Schnabelkanne, qui ont été cataloguées et étudiées récemment par
B. Bouloumié. Celui-ci décrit ainsi l'anse d'un de ces vases provenant de
Civita Castellana, et conservé au Metropolitan Museum de New York5:
« L'attache inférieure se compose d'une tête de Satyre barbu et moustac
hu, dont la chevelure est divisée en tresses qui se déroulent en demi-volutes,
de part et d'autre et en sens opposé (à la place des sépales habituels).
Au-dessous une demi-volute qui, au centre présente un gros enroulement,
et qui finit à l'extérieur en petite palmette latérale, de chaque côté, suspendue
comme une clochette végétale. Enfin une palmette terminale, courte et grossière,
à neuf feuilles ».
Ce type d'anse d'œnochoé, assez rare, est difficile à dater avec préci
sion6. On en trouve une interprétation celtique à Klein Aspergle7, datable
de la seconde moitié du Ve siècle. Les œnochoés étrusques peuvent être
situées, sans trop de précision, dans le cours de ce même siècle.
Des anses à figures associées à des palmettes se retrouvent pendant
très longtemps. Parmi les plus anciennes Mme Boucher signale par exemple8
une anse du musée de Lyon, qu'elle attribue à une ciste ou à un récipient

4 Rendiconti Pont. Ace. Rom. d'Arch., XLIV, 1971-1972, pp. 123-139, plus particulièr
ement p. 135-137 et fig. 9.
5 Bernard Bouloumié, Les œnochoés en bronze du type Schnabelkanne en Italie, Rome,
1975, p. 36 et pi. XIV. Cf. aussi p. 158 et pi. LXX, n. 239. Pour la définition du type,
cf. pp. 248-249.
6 Ibid. p. 301 sqq.
7 Bouloumié, p. 181; J. Déchelette, Manuel, p. 1433, fig. 642.
8 Bronzes antiques du musée de Lyon, p. 159, n. 164.
« L'HOMME À LA FRAISE » 813

analogue, datable du Ve siècle; l'attache représente une tête de dieu fleuve


dont la longue barbe s'appuie sur une palmette. De nombreux vases métalli
ques d'époque impériale, œnochoés ou situles, ont des anses dont l'attache
inférieure représente une tête humaine, parfois celle d'un Satyre9, qui peut
être posé sur une palmette ou un autre ornement végétal 10. Mais ces décors
de qualité souvent médiocre ne gardent guère la pureté du motif originel
étrusque qu'on retrouve au contraire sur les plaques Campana et les ptéryges
de cuirasse.
Le motif connaît, d'autre part, une destinée brillante et imprévue dans
l'art celtique. Il s'y introduit par l'imitation des Schnabelkanne étrusques:
dès le Ve siècle, l'œnochoé de Klein Aspergle n nous présente une anse à
visage de Satyre transformé par l'imagination du bronzier celte. J. Déchelette
notait déjà qu'on trouvait sur beaucoup d'ouvrages celtiques ces visages
grotesques aux pommettes saillantes, aux yeux globuleux. La palmette se tran
sforme en une succession « d'ailes de papillon » imbriquées les unes dans
les autres. Le motif de la tête associée à la palmette passe ensuite dans le
décor de la bijouterie 12. Mais on est surtout surpris de le trouver dans la
sculpture sur pierre: le pilier de Saint Goar, au Musée de Bonn 13, présente
au bas de chacune de ses faces une tête allongée, sans doute barbue, posée
sur un ornement en forme de fleur de lys renversée, et encadrée latéralement
par des sortes de postes posés verticalement. Il ne nous paraît pas douteux
qu'il s'agisse encore de notre « Satyre à la palmette » peut-être déjà promu
à la dignité divine.
Cette promotion en tous cas ne saurait faire de doute, quand nous
considérons la figure du dieu aux cerfs du chaudron de Gundestrup. Ce

9 S. Tassinari, La Vaisselle de bronze romaine et provinciale au Musée des Antiquités


Nationales, n. 178, p. 68, pi. XXXIV. Il s'agit d'un masque de satyre archaïsant, mais la palmette
a disparu.
10 On retrouve une palmette dégénérée au bas de l'anse de l'œnochoé 171 trouvée à Neris;
le visage qu'elle supporte pourrait être celui d'un Dionysos ou d'un Satyre jeune de type hellé
nistique. Cf. les anses de situle, d'un travail médiocre, nos 125 et suivants où une tête féminine (?)
repose sur une feuille de vigne.
11 Supra n. 7.
12 Nous utilisons ici la thèse encore inédite de W. Kruta sur l'art celtique en Bohême.
13 Monument souvent reproduit depuis Winckelmann, et de date très discutée. Cf. par
exemple J. J. Hatt, Celtes et G allo -Romains, 1970, p. 104, fig. 38, qui le date du IVe siècle
av. J.-C. J. Déchelette, op. cit., p. 1523-1524 le croyait carolingien. Le rapprochement que nous
indiquons, et qui n'a pas encore été fait à notre connaissance, apporte évidemment un argument
pour la datation haute.
814 GILBERT-CHARLES PICARD

personnage, figuré, comme les autres dieux qui décorent l'extérieur du réci
pient, par un buste à la tête démesurément agrandie, tient deux cerfs tête
en bas, qui s'encadrent entre son visage et ses bras levés. Sa barbe, soigneu
sement peignée, repose sur une sorte de collerette formée de six crosses
symétriquement distribuées. La forme du buste, aux bras relevés, est très
exactement celle de l'anse de l'œnochoé 489 de Civita Castellana à New
York. Quant à la collerette, il nous paraît évident qu'elle dérive de la pal-
mette des vases de ce type. Nous ne pouvons ici même commencer à indi
quer les conséquences que cette identification peut avoir pour l'interprétation
d'un monument sur lequel on a tant écrit. Mais il nous semble indispensable
de la signaler aux historiens de l'art celtique.
Il est certain que tous les artistes, qui pendant sept siècles environ,
ont utilisé la tête de Satyre posée sur une palmette végétale, ont choisi le
motif pour sa valeur décorative et non pour sa signification qui d'ailleurs
était très faible au départ. Cette transmission formelle a dû se faire, dans
la plupart des cas, par l'imitation directe d'objets qui portaient l'ornement.
Nous en avons la certitude en ce qui concerne son adoption par les Celtes.
Mais il est intéressant aussi de constater que les diverses civilisations ont
conféré à l'image un sens en rapport avec l'idéologie dominante de leur
société: chez les Celtes, elle a fini par représenter des dieux sans doute
importants, chez les Romains elle a été utilisée au service de la propagande
impériale 14.

14 II est probable que sur les ptéryges de cuirasses la tête de Satyre était interprétée
comme une tête de barbare. On retrouve une tête très voisine de celle des ptéryges de Cherchel
sur le plastron de la statue de Trajan du Louvre qui provient de Gabii (Vermeulle, loc. cit.,
n. 80). Mais ici, la barbe est traitée de manière à suggérer des feuilles d'eau. Il pourrait s'agir
d'une tête du Rhin inspirée par celle sur laquelle Vequus Domitiani posait le pied. Si la statue
était bien dès l'origine dédiée à Trajan, elle pourrait faire allusion aux événements de 96-97,
qui lui valurent le titre de Germanicus. Les ptéryges de Cherchel pourraient aussi faire allusion
à la Germanie.
L'HOMME À LA FRAISE > 815

(Cliché B. Fortuner) (Cliché obligeamment communiqué par


G. F. Carettoni)
Fig. 1 - Détail de la cuirasse de Cher- Fig. 2 - Plaque de type Campana trou
chel (d'après le moulage de l'Institut véesur le Palatin.
d'Art de Paris).

(Cliché Musée de Saint-Germain)


Fig. 3 - Détail du Chaudron de Gundestrup.
DANIELLE PORTE

NOTE SUR LES « LUPERCI NUDI»

Que l'on songe au bouclier échancré des Saliens, à Yapex et au filamen


du Flamen Dialis ou à la touffe de verveine sacrée (sagmina) en équilibre
sur la tête du Fétial, l'aspect extérieur des prêtres romains ne manque pas
de pittoresque. Le costume des Luperques - du moins tel qu'on le concevait
jusqu'ici -, est sans doute le plus original en même temps que le plus
sommaire de tous: un fouet, une peau de bouc \ il n'en faut pas plus pour
esquisser la silhouette traditionnelle du Luperque: « Ils sont nus », écrit
Plutarque2, «à l'exception d'un pagne autour des reins». Ledit pagne était
découpé dans la peau d'un bouc, comme l'étaient les lanières employées
pour la flagellation rituelle3.
Tout récemment, A. W. J. Holleman a voulu supprimer la peau de
bouc et réduire au seul fouet le costume des célébrants4. Cette thèse
révolutionnaire, fondée sur le texte d'Ovide (Fasi., II, 267-452) mérite un
examen attentif. Des divers points abordés dans le texte de A. W. J. Holleman,
nous n'examinerons ici que la question du pagne des Luperques.
Auguste, d'après l'auteur5 qui se réclame du texte de Suétone6 rap
pelant la restauration de la fête par le Prince et sa réorganisation dans le

1 Justin, Abrégé des Hist. Phil, de Trogue-Pompée, 43,1: ipsum dei simulacrum nudum
caprina pelle amictum est, quo habitu nunc Romae Lupercalibus decurritur. Il est probable
que les Luperques étaient oints d'huile (Cicéron, Phil., II, 34, 86; Lactance, Div. Inst, I, 21, 45;
Appien, II, 109; Plutarque, Vit. Ant. 12), couronnés de fleurs (Lactance, ibid.) et masqués,
ou, du moins, avaient le visage enduit de boue (Lactance, ibid.: personati aut luto obliti).
2 Plutarque, Vit. Rom., 21: έν περιζώσμασι γυμνοί.
3 C'est l'avis général. P. ex., A. Marbach, RE, XIII, 2, p. 1816: Hierauf umgürteten sich
die Luperci, zumeist junge Leute, mit den Fellen der geopferten Böcke, und liefen (etc.).
4 Ovid and the Lupercalia, Historia, 22, 1973, p. 260-268. La thèse soutenue est reprise
dans: An enigmatic function of the Flamen „Dialis and the Augustan Reform, dans Numen, 20, 3,
1973, p. 222-228.
5 Op. cit., p. 261 et suiv.
6 Aug., 31: Nonnulla etiam ex antiquis caerimoniis paulatim abolita restituii, ut... sacrum
Lupereale...; Lupercalibus uetuit currere imberbes.
818 DANIELLE PORTE

sens des bonnes mœurs, aurait introduit des nouveautés à l'intérieur des
Lupercales. Si l'on s'avise qu'aucun des textes antérieurs à Ovide n'attribue
aux prêtres-coureurs un quelconque vêtement, puisque l'expression normale
ment employée pour les désigner est: nudi, c'est que les Luperques étaient
entièrement nus avant que la pudibonderie d'Auguste leur imposât le port
d'un pagne. Dans cette perspective, la répétition obstinée du mot nudus
par Ovide, à un moment où précisément les Luperques n'étaient plus nus,
serait à entendre de façon ironique: it is simply intended to ridicule the
action of decency by the emperor7.
Si l'on doit interpréter en ce sens les vers d'Ovide simplement parce
qu'il écrit nudi alors que les coureurs ne sont pas nus, il faut croire alors
que Verrius Flaccus, Virgile et Tite-Live8, qui n'emploient pas d'autre mot,
n'approuvaient pas l'initiative augustéenne? Nous ne trancherons pas sur
la présence ou l'absence de l'ironie dans le texte des Fastes, et procéderons
au seul examen des documents que nous possédons et des conclusions qu'ils
permettent d'entrevoir.
Certes, Suétone a bien mentionné l'intervention d'Auguste dans l'orga
nisation de la fête: on sait par lui qu'il empêcha les jeunes gens encore
imberbes d'y participer, en même temps qu'il leur interdisait d'assister aux
Jeux Séculaires et à tous les Jeux nocturnes. Il semble pourtant que, si le
Prince avait habillé des prêtres qui, pendant sept siècles au moins avaient
accompli le rituel dans un état de complète nudité, Suétone n'aurait pas
manqué de mentionner cette innovation, lorsqu'il signale l'autre initiative
d'Auguste, l'élévation de la limite d'âge imposée aux participants; d'autre
part, le nouveau décret augustéen aurait sans doute laissé des traces plus
visibles dans les ouvrages traitant des fêtes romaines et des Lupercales en
particulier9. Rien ne nous autorise à supposer que le texte de Suétone
implique d'autres modifications que celles qui y sont explicitement énoncées.
Aussi la suggestion de F. Borner 10 exploitée par A. W. J. Holleman: die Restaurat
ion legt die Möglichkeit nahe, dass der Kaiser Neuerungen eingeführt

7 Op. cit., p. 263.


8 Paulus-Festus, p. 57 L.; Virgile, Aen., VIII, 653; Tite-Live, I, 5,2.
9 Nous avons employé le même argument contre la thèse de A. W. J. Holleman qui veut
que la présence du Dialis aux Lupercales soit aussi une innovation augustéenne tournée en
ridicule par Ovide, dans une étude précédente (Trois vers problématiques dans les Fastes
d'Ovide, à paraître dans la revue Latomus).
10 Die Fasten, 2, 1958, p. 100.
NOTE SUR LES « LUPERCI NUDI» 819

hätte, loin d'être l'expression d'un avis unanime des Modernes n, nous paraît-
elle à peu près gratuite.
Venons-en à l'examen des mots qui peignent le costume des Luper-
ques et qui tendent à prouver, nous dit-on, qu'avant la décision d'Auguste
les coureurs étaient nus.
Il est indéniable qu'avant l'époque augustéenne aucune description
ne contient autre chose que le terme nudus. Nous n'alléguerons pas qu'il
existe seulement deux textes républicains sur les Luperques, et laisserons
le bénéfice de l'argument à la thèse de A. W. J. Holleman. L'un de nos
textes est la peinture lapidaire que l'auteur des Philippiques trace en trois
mots du Luperque Antoine: nudus, unctus, ebrius 12. L'autre, la fiche techni
quede Varron: Lupercis nudis lustratur antiquom oppidum Palatinum
gregibus humanis cinctum 13.
Les textes augustéens où figure le mot nudi, et qui sont à peu près
contemporains de la prétendue, réforme augustéenne, ne contredisent pas,
comme on pourrait le croire d'abord, la thèse de A. W. J. Holleman: ils se
réfèrent, et cet argument est très acceptable, aux époques archaïques, tels
les textes de Tite-Live, Virgile, Verrius Flaccus déjà cités 14. Deux textes,
ceux de Denys d'Halicarnasse et de Justin 15, parlent d'un vêtement. Nous
étudierons le texte de Denys par la suite. Dans celui de Justin, le mot
nunc, ainsi que le temps du verbe amictum est, introduisent, dit notre auteur,
une distinction entre une nudité primitive et la tenue actuelle du dieu
Faunus, qui « a été habillé » d'une peau de bouc 16, - sans doute par un

11 A. W. J. Holleman, op. cit., p. 261: Modem writters on the subject are unanimous
in suggesting that the emperor made other innovations too. Notons d'ailleurs que la traduction
anglaise du texte de F. Borner est plus affirmative que l'original: le savant allemand ne parlait
que d'une Möglichkeit, le texte anglais traduit par: the emperor made.
12 Cicéron, Phil, III, 12.
13 Varron, L. L, VI, 34.
14 Voir note 8. Un texte de Virgile, Aen., Vili, 282, parle de prêtres pellibus in morem
cincti. A. W. J. Holleman, article cité de Numen, 20,3, 1973, nie qu'il puisse s'agir des Luper
ques, puisque Virgile traite du culte d'Hercule. Pourtant, Virgile mentionne aussi les Saliens, qui
n'ont, à Rome du moins, rien à voir avec ce dieu; s'il ne décrit pas formellement les Luper
ques, Virgile a pu imaginer le costume des prêtres archaïques sur le modèle du leur? Ce
pellibus reste étonnant, s'il est vrai que les Luperques sont les seuls prêtres romains vêtus
de peaux.
15 Le texte de Justin est cité à la note 1; Denys d'Halicarnasse, A.R., I, 80.
16 Op. cit., p. 262: . . which means that the originally nudum statue at some moment
.

« was covered ».
820 DANIELLE PORTE

réflexe identique à celui qui imposa, aux époques de la Renaissance, une


feuille de vigne aux marbres antiques!
Cette statue de Faunus, nous pouvons nous la représenter assez exacte
ment d'après le marbre reproduit dans le lexique de W. H. Roscher 17. Le
dieu est nu, à l'exception d'une peau de bouc couvrant le dos et attachée
autour du cou. Si vraiment cette peau avait été rajoutée sur la statue par
simple décence, l'aurait-on nouée de cette façon? Le marbre, en effet, nous
montre Faunus exhibiting (his) genitals 18, et cela nous oblige à considérer
la peau de bouc non comme un voile pudique mais bien comme un vête
ment rituel du dieu, ce qui rend toute sa valeur au témoignage de Justin
qui la mentionne. Faunus n'est pas un Luperque, s'il est appelé couramment
Lupercus: rien ne nous oblige à croire que les Luperques nouaient leur
peau de chèvre à l'imitation de celle du dieu! Aucun texte ne nous parle
d'une peau nouée autour du cou, et le personnage représenté sur le miroir
de Bolsena 19, vêtu d'une peau de bouc semblable à celle de Faunus, n'est
pas forcément identifiable avec un Luperque, s'il est vrai qu'il ne tient
aucunement un fouet, mais le bâton noueux des bergers primitifs.

Il est fort regrettable que A. W. J. Holleman n'ait pas poursuivi sa


démonstration en procédant à la contre-épreuve, et examiné aussi les textes
postérieurs à l'époque augustéenne. En effet, si la première partie du raiso
nnement est juste, (c'est-à-dire: s'il est vrai que les Luperques étaient nus
avant Auguste du fait que les textes antérieurs à son règne portent nudi),
la réciproque doit se laisser démontrer, et les textes postérieurs à Auguste
doivent forcément parler de Luperques « habillés ».
Il convient, bien entendu, de distinguer les textes qui évoquent les
Luperques primitifs et leur tenue primitive de ceux qui décrivent les Luper-

17 Voir illustrations dans l'article Faunus dû à G. Wissowa, Lexicon de W. H. Roscher,


I, p. 1459-1460 et surtout 1465-1466.
18 Op. cit., p. 264. Ce serait le nom des courroies, amiculum Iunonis (Fest, p. 76 L.)
qui aurait entraîné l'invention du vêtement de peau. That very name, ajoute l'auteur, is also
quite suggestive of the original movement of those thongs as well as of the purpose of the
lashing stimulation of the reproductive powers. Trouve-t-on vraiment tout cela dans l'ex-
pression: amiculum Iunonis?
19 Voir le même article du Lexicon, p. 1466.
NOTE SUR LES « LUPERCI NUDI» 821

ques contemporains: cette séparation effectuée, le résultat est tout de même


révélateur.
Plutarque, dont nous avons cité le texte 20, écrit, en s'inspirant d'Acilius
et de Butas, que les Luperques étaient ceints d'un pagne: cette correction
apportée au terme γυμνός peut, nous dit-on, n'être valable que pour les
époques postérieures au règne d'Auguste. Soit. Mais lorsque Minucius Félix
s'apitoie ironiquement sur le sort des malheureux Luperques condamnés à
courir tout nus en plein hiver, -nudi cruda hieme discurrunt21 , il fait
référence, sans le moindre doute, aux hommes qu'il a pu voir courir, et
non à Romulus et Rémus ou à Antoine. Lactance décrit bel et bien des
Luperques de son temps, lorsqu'il écrit: Nudi, unctì, coronati, personati aut
luto ooliti, currunt22. Et pour nous en convaincre entièrement, citons le
texte et le iamque sans équivoque de Prudence:
Iamque Lupercales ferulae nudique petuntur
Discursus iuuenum...

Concluons sur ces textes: si l'on emploie, pour qualifier les Luperques,
le mot nudi bien après Auguste, alors que les prêtres sont désormais officie
llement vêtus, selon la thèse que nous discutons, de leur peau de bouc,
c'est bien qu'il n'existe aucune différence dans la tenue des célébrants avant
et après Auguste, c'est bien que « nudus » ne signifie pas « entièrement nu »,
ce qui, du reste, ne surprendra personne. Un coup d'œil sur l'emploi du mot
nudus lèvera tous les doutes.
Lorsque Virgile conseille au paysan de labourer et de semer « nu »,
nudus ara, sere nudus24, il a sans doute en tête la tenue sommaire exigée
par la chaleur et le travail physique soutenu. Virgile traduit textuellement
un aphorisme populaire d'Hésiode: . . . γυμνον σπείρειν, γυμνον δε βοωτεΐν,
γνμνον δ'άμάειν25. Or, le γυμνός grec signifie: «en simple chitôn», «en
vêtement de dessous ». C'est la tenue dans laquelle les envoyés du Sénat
trouvèrent le futur dictateur Cincinnatus, qui labourait « nu » selon Pline 26,
tandis que Tite-Live nous le montre simplement « sans toge » : les deux

20 Voir note 2.
21 Octavius, 24.
22 Div. Inst, I, 21, 45.
23 Contre Symmaque, II, 861.
24 Georg., I, 299.
25 Travaux, 391.
26 H.N., XVIII, 320: et quidem, ut traditur, nudo. Tite-Live, III, 26.
822 DANIELLE PORTE

expressions sont donc équivalentes. Imaginerait-on l'octogénaire Spurinna,


dont Pline le Jeune loue le genre de vie, se promenant tout nu dans son
péristyle, tandis qu'il discute littérature ou philosophie avec ses familiers,
qui sont, ajoute Pline, « libres de l'imiter si bon leur semble » 27? Examinons
enfin la phrase du Jugurtha 28 où Salluste traduit une sentence de Xénophon:
τα τυφλά τοϋ σώματος και άοπλα29, dit le grec. Et le latin répond: nudum
et caecum corpus.
Revenons à nos Luperques. Si Ovide répète bien, obstinément, le mot
nudus au livre II, dans un autre passage des Fastes qu'on ne peut croire
ironique puisqu'il ne s'agit plus d'œuvre augustéenne mais de culte ancien
national, le poète écrit:

Semicaper coleus cinctutis, Faune, Lupercis,


Cum lustrant célèbres, uellera secta, uias30.

Ce texte est une définition très générale de la course, et le terme


employé, cinctuti, doit correspondre au nudi qu'Ovide préfère, au livre II,
pour des raisons étiologiques: il est plus facile de trouver des explications
à la nudité qu'à la semi-nudité, et d'ailleurs le mot s"émïnudus est interdit
dans le distique élégiaque. Dans les récits étiologiques que nous possédons
grâce à Servius, où Romulus et Rémus posent leurs vêtements afin de pour
suivre les voleurs de bétail, le mot nudus est employé conjointement avec
l'expression positis togis31: on conçoit aisément que la toga soit pour la
course un embarras sérieux, mais cela n'implique aucunement que les poursui
vantsaient éprouvé aussi le besoin d'ôter jusqu'à leur tunica interior et
leur subligarl
Venons-en, pour finir, au texte de Denys d'Halicarnasse, rédigé à la
même époque que les décrets augustéens sur les Lupercales. Décrivant la
tenue des Luperques, l'auteur grec note: γυμνούς, ύπεζώσμένους την αιδώ,
ώς και νυν ετι δραται 32.
Cette phrase, qui annonce un peu déjà la formule de Plutarque, suffit
à éclaircir le problème. « Les Luperques sont nus, ceints d'un pagne autour

27Epist., III, 1: in sole, si caret uento, ambulai nudus.


28 Jug., CVII.
29 Cyr., III, 45.
30 Fast, V, 104-105.
51 Servius, Ad Aen., VIII, 343 et 663. 343: illos, iogis positis, cucurisse. 663: Uli, proiectis
uestibus, persecuti sunt latrones; quibus oppressis et receptis animalibus, propter rem a nudis
prospere gestam, consuetudo permansit (etc.).
32 A. R., I, 80.
NOTE SUR LES « LUPERCI NUDI » 823

de leur virilité, comme cela se pratique de nos jours encore ». La remarque


adjacente « comme cela se pratique de nos jours encore » suffit à faire
comprendre que Denys envisage la tenue des coureurs telle qu'elle a consisté
de tout temps, et non pas leur tenue modifiée après les prétendues innovat
ionsd'Auguste. Pourtant, A. W. J. Holleman réussit à faire cadrer ce texte
avec ses propres vues. Selon lui, Denys aurait copié d'abord une phrase
d'Aelius Tubero, son modèle ordinaire, chez qui, selon la thèse que l'auteur
moderne soutient, les Luperques sont normalement nus: c'est le γυμνούς
de Denys. Puis, l'auteur grec aurait accolé à ce γυμνούς traduisant le nudos
d'Aelius, une expression désignant la tenue qu'arborent les Luperques depuis
les décrets d'Auguste, et c'est le : ύπεζωομενους την αιδώ. D'où le voisinage
des deux expressions contradictoires montrant les Luperques à la fois nus et
habillés: it is quite plausible that Dionysus in Tubero coming accross the
word nudi - which we know to be the normal and conclusive description
of the original Luperci - expanded the notion so as to be in accordance
with his own experience of the restored festival^. La seule explication
raisonnable de cette alliance de mots en asyndète, inadmissible selon un point
de vue purement stylistique si elle recouvre deux états chronologiques
différents, est celle-ci: le ύπεζωσμένοι est une correction explicative apportée
à un γυμνοί apparu comme trop approximatif, lequel γυμνοί traduisait un
nudi d'Aelius Tubero, d'Acilius ou de tout autre, ce nudi signifiant « en
tenue légère ». L'expression de Denys est doublée par une expression jumelle
de Nicolas Damascène34, qui, lui, ne peut faire référence à l'époque
d'Auguste à laquelle il n'appartient pas: γυμνοί (...) τε και διεζωσμένοι.
Quant au texte de Plutarque déjà cité, il nous propose une expression voisine,
mais à l'envers: εν περιζώσμασι γυμνούς, ce qui permet d'exclure la possibilité
que les deux mots se réfèrent à deux états chronologiques différents, dont
γυμνούς aurait représenté le plus ancien. Les deux mots γυμνοί et ύπεζωσμένοι,
tout comme les mots latins nudi et cinctuti, ne s'excluent pas l'un l'autre,
mais se complètent et se précisent.

Nous conclurons ces rapides réflexions par des observations relevant


davantage du domaine religieux.

33 Op. cit., p. 262.


34 Vie de César, 21: Λουπερκάλια καλείται, έν ή γηραιοί τε όμον πομπεύονσι χαίγνέοι, γυμνοί,
άληλιμμένοι τε και διεζωομενοι.
824 DANIELLE PORTE

Plusieurs auteurs modernes, A. M. Franklin, W. Mannhardt, et, tout


récemment, A. Alföldi35, se sont intéressés à l'aspect thériomorphique du
rite, et l'on connaît le conflit qui oppose les tenants des Luperques-boucs
à ceux des Luperques-loups, conflit que tentèrent de résoudre quelques essais
de conciliation tendant à prouver que les prêtres pouvaient être à la fois
l'un et l'autre 36. Les recherches anthropologiques ont démontré que l'homme
s'assimile à l'animal dont il revêt la peau37. Si l'on supprime cette peau,
on risque non seulement de résoudre par le néant le paradoxe de prêtres
assimilés au bouc et nommés d'après le loup38, en même temps que de
condamner bien des recherches modernes; on risque surtout de ne plus
comprendre certains textes anciens: comment aurait-on qualifié les Luper-
ques de Creppi39, si leur seul rapport avec le bouc résidait dans la lanière
de peau qui leur servait de fouet?
S'il n'est pas entièrement intelligible, le schéma des Lupercales est du
moins cohérent: on immole des boucs, on oint de leur sang le front de deux
jeunes gens qu'on essuie avec de la laine trempée dans du lait40, on découpe
les peaux pour en faire des lanières, et on revêt les coureurs de peaux
de boucs. Le pagne ainsi confectionné semble bien posséder une efficacité
religieuse, appartenir à un ensemble rituel réalisé autour du bouc, et non
pas être né d'un pur souci de moralisation. Si Auguste avait décidé de
cacher la nudité de prêtres précédemment nus, ne leur aurait-il pas imposé
une tunique, ou tout autre vêtement tissé, au lieu d'aller justement choisir
la peau sanguinolente qu'on arrachait au cadavre des victimes? Le rapport
qui existe entre la matière qui forme le vêtement des prêtres et les autres
rites d'une fête pastorale est trop évident pour être le fruit du hasard, ce
hasard fût-il un geste impérial.

35 Respectivement: The Lupercalia, New-York, Diss. Columbia University, 1921, passim;


Die Luperealien, Mythologische Forschungen, 1884, p. 72-155; Die Struktur der Voretruskischen
Römerstaates, Heidelberg, 1974, surtout p. 1-38.
36 P. ex.: J. Carcopino, La Louve du Capitole, dans BAGB, 4-6, 1924-1925, not. n° 6, p. 16;
H. J. Rose, The Luperci, Wolves or Goats? dans Latomus, 8, "1949·, p. 9-14; K. Kérényi, Wolf und
Ziege am Fest der Lupercalia, dans Mélanges /. Marouzeau, 1948, p. 309-317.
37 Voir l'étude de A. Alföldi citée supra.
38 Si réellement leur nom provient de lupusl Je partage sur ce point les doutes de
E. Gjerstad, Legends and Facts of early roman history, Lund, 1962, p. 11.
39 Ce nom est attesté par le texte de Festus, p. 49 L.
40 Plutarque, Vit. Rom., 21. Pour H. J. Rose, De Lupis, Lupercis, Lupercalibus, dans Mnemosyne,
60, 1933, p. 394, et pour G. Marchetti-Longhi, II Lupercale nel suo significato religioso e
topografico Capitolium, 9, 1933, p. 366, le sang, la laine (en ce cas, plutôt: le poil!) et le lait provien
nent des boucs (en ce cas, plutôt: des chèvres!) sacrifiés.
JEAN PRÉAUX

«CAELI CIVIS»

Stratège providentiel de Rome dans sa lutte décisive contre Carthage,


Scipion est auréolé par sa jeunesse triomphante: Tite-Live le caractérise
d'emblée par ces mots Scipio iuuenis, fatalis dux huiusce belli 1, et évoquera
maints épisodes d'une carrière prestigieuse à l'appui de son affirmation limi
naire, notamment les visites solitaires et secrètes dans la chapelle de Jupiter,
sur le Capitole. Jacques Aymard a dégagé de la version qu'en donne Aulu-
Gelle, la part de vérité vécue dans l'organisation de la légende pieuse du
héros2. Un autre détail de cette hagiographie mérite d'être joint à celui
du silence des chiens du Capitole pour apprécier mieux encore, et dans une
large perspective, cette authenticité, certes colorée de merveilleux: c'est le
moment de ces entretiens privilégiés. Heures singulières entre toutes, enveloppées
de mystère, silencieuses et chargées de mysticisme par la contemplation active
du ciel, au point que ce fils de Jupiter n'agit déjà pas autrement que saint
Benoît, quelque sept cents ans plus tard, et bien d'autres.
Les récits de Tite-Live (26, 19, 5), Valère-Maxime (1, 2, 2), Aulu-Gelle
(6, 1, 6) et de l'auteur (Aurelius Victor?) du De uiris illustrious (49) con
cordent, si l'on y prend garde, sur l'heure de ces rencontres:

Tite-Live
Ad hoc iam inde ab initio praeparans animos, ex quo togam uirilem
sumpsit, nullo die prius ullam publicam priuatamque rem egit quant in

1 Tite-Live, 22, 53, 6.


2 Jacques Aymard, Scipion l'Africain et les chiens du Capitole, dans Revue des études
latines, 31, 1953, p. 111-116. On y joindra la synthèse de Roger Seguin, La religion de Scipion
l'Africain, dans Latomus, 33, 1974, p. 3-21, notamment p. 9, n. 17: «même si l'Africain ne
fréquenta pas le temple si tôt, ni si assidûment, il n'y a pas de raison pour suspecter Tite-
Live de mensonge».
826 JEAN PRÉAUX

Capitolium irei ingressusque aedem consideret et plerumque solus


in secreto ibi tempus tereret.

Aulu-Gelle De uiris illustribus


Id etiam dicere haud piget, quod Publius Scipio ex uirtute Afri-
iidem UH [se. C. Oppius et Iulius canus dictus, Iouis filius creditus:
Hyginus], quos supra nominaui, ... in Capitolium intempesta
litteris mandauerint Scipionem nocte euntem numquam canes
noctis extremo, priusquam latrauerunt. Nec hic quicquam prius
dilucularet, in Capitolium uenti- coepit quam in cella Iouis d i u t i s-
tare ac iubere aperiri cellam Iouis sime sedisset, quasi diuinam
atque ibi solum diu demorari, mentem acciperet.
quasi consultantem de republica
cum loue . . .

Quant à Valère-Maxime, nous n'en possédons que les résumés de

Paris Nepotianus

Scipio Africanus non ante ad Scipio Africanus neque publica


negotia priuata uel publica ibat neque pnuata prius umquam attigit
quam in cella Iouis Capitolini quam in cella Iouis Capitolini
moratus fuisset, et ideo loue diutissime moraretur ante-
genitus credebatur. quam uideretur a quoquam.

La divergence entre Aulu-Gelle (noctis extremo, priusquam dilucul


aret) et l'auteur du De uiris illustribus (intempesta nocte) n'est qu'appa
rente3: leurs sources communes contenaient l'une et l'autre indication
parce que Scipion dialoguait avec Jupiter de minuit à l'aube, dans le s
ilence de la nuit 4, seul à seul avec son dieu, à l'abri des regards et des

3 Jacques Aymard, op. cit., p. 116, l'avait notée rapidement pour n'y déceler que «l'heure
du héros » et rappeler que « les cérémonies en l'honneur des héros ont lieu la nuit, celles pour
les dieux du soleil le matin». Généralement, c'est l'aube qui est retenue, par exemple Otto
Weippert, Alexander -imitatio und römische Politik in republikanischer Zeit, Augsburg,
1972, p. 39. De son côté, Polybe (10, 2, 5-13) n'évoque pas la scène du Capitole, mais en
10, 5, 5, il rapporte que le peuple attribua à Scipion, lors de son accession à la charge
d'édile, des dialogues avec Jupiter de nuit comme de jour, malgré son rationalisme, Polybe
est donc le témoin le plus ancien de cette «merveilleuse légende».
4 C'est Virgile (Géorgiques, 1, 247-249) qui semble avoir forgé ce cliché, en distinguant
du même coup le silence de la nuit profonde et l'aurore.
« CAELI CIVIS » 827

oreilles (in secreto) 5. Et cet entretien durait longtemps: tous les auteurs
insistent sur cette méditation prolongée, depuis Tite-Live (consideret et
tempus tereret) jusqu'au De uiris illustrious (diutissime sedisset) tandis
que l'expression des rédactions les plus anciennes, en langue latine du
moins, semble conservée par Aulu-Gelle (diu demorari) comme le suggèrent
les résumés de Valère-Maxime (moratus fuisset et diutissime moraretur).
Les tours consacrés intempesta nocte et noctis extremo trouvent le meilleur
éclairage l'un par rapport à l'autre dans un texte de Juvénal décrivant le
travail intellectuel et la méditation suivie que favorisent ces heures, a
pparemment creuses, au cours desquelles la nuit féconde le silence intérieur
de l'intelligence éveillée:

mediae quod noctis ab hora


s e d i s t i , qua nemo faber, qua nemo sederei
qui docet obliquo lanam deducere ferro 6.

C'est depuis l'heure de « minuit » que le savant grammairien Palémon


se consacre à de doctes enseignements et recherches sur Horace et sur
Virgile, « à une heure dont personne parmi les travailleurs manuels ne voudrait,
ni même celui qui enseigne à effiler la laine avec un fer oblique ». Si de
minuit à la pointe du jour c'est l'heure propice à une doctrina féconde,
on ne s'y livre pas à une activité autre que d'ordre intellectuel et spirituel,
celle que favorisent la solitude et le silence 7. A l'aube, le travail manuel
et les bruits de la communauté des hommes reprennent et dispersent l'atten-

5 Le tour livien in secreto, loin de renforcer solus, a toute une histoire dans l'ordre
des activités intellectuelles et spirituelles, que je dois laisser ici de côté.
6 Juvénal, 7, 222-224.
7 C'est sans doute le sens qu'il faut donner au mot fameux - et profond - de Scipion
selon Cicéron rapportant le témoignage de Caton: numquam se (se. Scipionem) minus otiosum
esse quant cum otiosus, nec minus solum quam cum solus esset. Cicéron, De officiis, 3, 1
le commente utilement: magnifica uero uox et magno uiro ac sapiente digna, quae déclarât
illum et in otio de négotiis cogitare et in solitudine secum loqui solitum, ut neque
cessaret umquam et interdum conloquio alterius non egeret. Ita duae res, quae languorem
adferunt ceteris, illum acuebant, otium et solitudo. Ce qui distingue Scipion de la masse,
qu'il intrigue par là-même, c'est l'ascèse de i'otium et de la solitudo, conditions essentielles
du monologue intérieur (secum loqui). Voir aussi l'analyse de J.-M. André, L'otium dans la vie
morale et intellectuelle romaine des origines à l'époque augustéenne, Paris, 1966, notam
mentp. 58-65.
828 JEAN PRÉAUX

tion; un beau texte de Varron, précisément dans ses Endymiones8, exploite


ce thème à des fins philosophiques:
animum mitto speculatum tota urbe, ut quid facerent homines,
cum experrecti sint, me facerent certiorem;
siquis m e 1 i u s operam sumeret, ut eius consilio potius
u i g i 1 i u m adminicularem nostrum:
quid uidit?
Alium curuantem extremo noctis tempore.

A l'heure où les hommes se remettent debout pour vaquer à leurs


occupations, en se courbant sur une tâche pénible, qui leur pèse, les ténèbres
de la nuit commencent à peine à se dissiper: hélas! le travailleur, recru de
fatigue physique, a dormi, il n'a pas pu « veiller », dès lors il n'a trouvé ni
appui ni conseil au cours d'un dialogue intérieur avec son démon personnel,
avec sa conscience, pour « mieux entreprendre » la tâche qui l'attend
inexorablement dès l'aube9. Scipion, au contraire, avant d'entreprendre quoi
que ce soit (prius ullam publicam priuatamque rem egit selon Tite-Live),
a la force physique, intellectuelle, morale de se recueillir seul à seul devant

8 Ce fragment difficile pose beaucoup de problèmes, mais je m'en tiens à l'interprétation


des derniers mots qu'a proposée E. Norden, dans le Rheinisches Museum, 27, 1872, p. 528
(= Kleine Schriften, p. 62).
9 Pierre Boyancé, Les «Endymions» de Varron, dans Revue des études anciennes, 41,
1939, p. 319-324 (= Etudes sur la religion romaine, Rome, 1972, p. 283-289) a montré que
ce fragment varronien devait être joint au dossier qu'il a ouvert par son étude sur Les deux
démons personnels dans l'antiquité grecque et latine, dans Revue de Philologie, 9, 1935,
p. 189-202: uigilium nostrum est une allusion au rôle des démons comme «surveillants des
actions des hommes», la formule varronienne signifiant que «l'action bienfaisante des démons
vient appuyer une bonne résolution préexistante - ou plutôt s'appuyer sur elle: « Aide-toi, le
ciel t'aidera», et surtout l'expression eius consilio de Varron «semble bien provenir du désir
de concilier un certain libre arbitre de l'homme avec cette grâce surnaturelle qu'est le secours
du bon démon». J'ajouterais volontiers qu'Ammien Marcellin (21, 14, 5), utilisant un aspect de
cette tradition d'origine pythagoricienne, reproduit un catalogue d'initiés prestigieux: itidem . .
.

sempiternis Homeri carminibus intelligi datur, non deos caelestes cum uiris fortibus
conlocutos, nec adfuisse pugnantibus uel iuuisse, sed familiaris genios cum isdem uersatos,
quorum adminiculis freti praecipuis, Pythagoras enituisse dicitur et Socrates, Nu-
maque Pompilius, et superior Scipio, et (ut quidam existimant) Marius et
Octauianus, cui Augusti uocabulum delatum est primo, Hermesçue Termaximus,
et Tyaneus Apollonius atque Plotinus etc. Le verbe enituisse mériterait une étude.
Voir aussi les observations très riches sur les Endymions de Varron par Luigi Alfonsi, Le
Menippee di Varrone, dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, I, 3, 1973, p. 26-59
(spécialement p. 41-57) et par J.-P. Cèbe, Varron, Satires Ménippées, fase. 3, Rome, 1975, p. 446-474.
« CAELI CIVIS » 829

Jupiter10, et cette ascèse a lieu obligatoirement de minuit à l'aube car elle


met à profit les bonnes heures de la nuit: Juvénal (mediae noctis ab hora)
et Varron {extremo noctis tempore) garantissent tour à tour les deux indica
tions temporelles des récits de ces dialogues de Scipion, intempesta nocte
et noctis extremo, priusquam dilucularet.
Pierre Courcelle a jeté les lumières de son érudition sur la première
de ces locutions pour nous apprendre qu'elle « a évoqué, depuis Cicéron
et Salluste jusqu'au XIIe siècle, tout un décor romanesque pour les grandes
actions militaires ou criminelles, mais aussi pour les expériences mystiques » n.
Dans ses Dialogues, Grégoire le Grand affirme que saint Benoît, au cours
d'une veille, intempesta noctis hora (à minuit), accoudé à la fenêtre d'une
tour, dans le silence total de la nuit, que ne troublent pas ses frères endorm
is,eut une vision alors qu'il était en pleine prière offerte à Dieu. Il vit
une lumière inonder les ténèbres et, du haut de son observatoire, le saint,
éclaboussé par cette clarté rayonnante, distingua à la fois deux choses,
l'étrange petitesse du monde (uelut sub uno solis radio collectus) et
l'ascension au ciel de l'âme de l'évêque Germain, qui venait de mourir
(uidit Germani Capuani episcopi animam in sphera ignea ab angelis in caelum
ferri). Aux textes de ce dossier qui vient d'être si diligemment et si rich
ement constitué par Courcelle sans doute convient-il de joindre ceux qui
décrivent la quête de Scipion au sommet du Capitole, dans la chapelle de
Jupiter, et de se demander si, comme saint Benoît, Scipion tentait déjà
une expérience mystique ou si ce n'était qu'une habile mise en scène bien
étrangère à toute expérience vécue: réalisme ou affabulation 12? C'est poser

10 Solus, garanti par Tite-Live et par Aulu-Gelle, inscrit le texte dans les perspectives
du secum loqui et de toute la tradition du «connais-toi toi-même», dont Marc Aurèle, quelque
quatre cents ans après Scipion, sera un nouveau témoin en soulignant l'indispensable méditat
ion qui précède l'action: ότι αρκεί προς μόνω τω ένδον εαυτοϋ δαίμονι -είναι και τούτον γνησίως
ϋεραπεΰειν (2, 13). Sur cette tradition delphique, Pierre Courcelle, Connais-toi toi-même de
Socrate à saint Bernard, Paris, 1974-1975, 3 volumes.
11 Pierre Courcelle, Intempesta node, dans Mélanges d'histoire ancienne offerts à
William Seston, Paris, 1974, p. 127-134. Voir aussi La vision cosmique de saint Benoît, dans
Revue des études augustiniennes, 13, 1967, p. 97-117 et La Consolation de Philosophie dans
la tradition littéraire. Antécédents et postérité de Boèce, Paris, 1967, Appendice II, p. 355-372.
12 Tite-Live (26, 19, 3-4) recourt notamment au concept ostentatio: fuit enim Scipio
non ueris tantum uirtutibus mirabilis, sed arte quoque quadam ab iuuenta in ostentationem
earum compositus, pleraque apud multitudinem aut per nocturnas uisas species aut uelut
diuinitus mente monita agens, siue et ipse capti quadam superstitione animi, siue ut imperia
consiliaque uelut sorte oraculi missa sine cunctatione exsequerentur. C'est à cette réflexion
que Tite-Live lie sa relation des entretiens de Scipion avec Jupiter.
830 JEAN PRÉAUX

la question de la sincérité de la religion de Scipion, celle aussi de son


exigence la plus intime par rapport à celles du mos maiorum.
Il ne sera dès lors pas inutile de verser à ce dossier sur le silence
propice aux visions cosmiques un texte, à première vue bizarre par son
romanesque même, mais, à la réflexion, . digne d'être pris en considération
parce que son auteur, Martianus Capella, a élaboré très lucidement la
trame de son récit initiatique des noces de Philologie et de Mercure 13.
Lorsque Junon cherche à convaincre son époux d'agréer Philologie comme
leur bru, au ciel, dans la Voie lactée, elle trace le portrait suivant de
sa protégée:
Tune Iuno « atquin » ait « eiusdem conuenit uirginis (se. Mercurium)
subire uinclum, quae illum etiam quiescere cupientem coniuere
non perferat. An uero quisquam est, qui Philologiae se asserat
peruigilia laborata et lucubrationum perennium
nescire pallorem? Quae (se. Philologia) autem noctibus
uniuersis caelum, fréta Tartarumque discutere ac deorum
omnium sedes curiosae indagis perscrutatione transire,
quae (se. Philologia) textum mundi circulorumque uolumina uel
orbiculata parallela, uel obliqua, decusata, polos et limmata axiumque
uertigines cum ipsorum puto siderum multitudine numerare, nisi
haec Philologia gracilenta quadam affi χ ione consueuit,
quotiens deos super eiusdem coactione instanti aque con-
questos, cum eos concubiae aut intern ρ estae noctis
si lenti o quiescentes flrf se uenire inaudita quadam
obsecratione compelleret? Tarn uero abest ut sub hac (se.
uirgine) possit pigrescere ìntricarique Cyllenius, ut commotis
ab eadem suscitatisque pennis extramundanas petere
latitudines urgeatur. Cur igitur, rex optime, differuntur (se. nup-
tiae), cum pro sola Atlantiadae sollertia duos u i g i 1 e s repro-
mittam? » 14.

13 De nombreux essais ont rectifié depuis quelque vingt ans l'erreur d'appréciation de
l'œuvre de cet érudit carthaginois du Ve siècle: on en prendra une bonne mesure dans l'excellente
édition commentée du 2e livre que vient de procurer Luciano Lenaz, Padoue, 1975, Voir aussi
l'essai intelligent et audacieux à la fois de Fanny Le Moine, Martianus Capella. A Literary
Re-evaluation, Munich, 1972.
14 Je ne peux examiner ici les nombreux problèmes que pose ce discours (1, 37-38) si
dense de Junon, d'une écriture très élaborée: j'en reproduis le texte établi par A. Dick
(Teubner, 1925; 2e éd., 1969) et me contente d'indiquer que la leçon instantiaque n'est pas
la meilleure sans doute (les manuscrits donnent stantiaque et constantiaque) , tandis que la
« CAELI CIVIS » 83 1

Ce texte très dense présente Philologie comme une initiée à l'astronomie


surtout, science à laquelle elle consacre chacune de ses nuits (noctibus
uniuersis), dans un incessant labeur de son intelligence aux aguets (perui-
gilia laborata, lucubrationum perennium pallorem): cette quête curieuse
des demeures des astres et des dieux (curiosae indagis perscrutatio 15) a
entraîné {consueuit) et habitué Philologie a poser un certain regard (quadam
affixione) sur ces dieux-astres pour les contraindre à sortir de leur repos
cosmique (deos . . . quiescentes) , qu'ils savourent à la même heure de la
nuit que les hommes, dans le profond silence du premier sommeil ou du
milieu de la nuit (concubiae aut intempestae noctis silentio16). Cette
prière intense et secrète est d'une qualité particulière {inaudita quadam
obsecratione): elle vaut à Philologie le pouvoir de contraindre Mercure à
déployer ses ailes (commotis suscitatisque pennis 17) pour s'élever
vers les régions hypercosmiques auxquelles aspire celle qui veille, nuit

la correction défendue par W. Bühler dans Hermes, 92, 1964, p. 123-125, ne me paraît pas
devoir être retenue (il suffit de sous-entendre memini, ou même puto, dans le passage en
question: ... consueuit, quotiens (se. memini) deos... conquestos (esse), cum eos... quiescentes
ad se uenire... compelleret).
15 La litière dans laquelle Philologie fera l'ascension du ciel, est escortée par quatre person
nages, deux masculins, Labor et Amor, deux féminins, Epimelia et Agrypnia, tandis qu'en
tête de ce cortège s'avancent le chœur des muses et d'autres personnages, et qu'en suite du
cortège vient surtout Periergia... curiose uniuersa perscrutans atque interrogans (2, 143-146).
C'est tout le symbole de la Curiositas.
16 Martianus Capella renforce le motif virgilien intempestae noctis silentio par l'adjectif
concubia (se. nox) pour désigner la première partie de la nuit, avant minuit (Macrobe, Saturn.,
1, 3, 12 et surtout 15). C'est l'heure mystique, celle du Visiteur du soir: cf. ce texte de
André de Fleury cité par P. Courcelle (dans Mélanges offerts à William Seston, 1974, p. 133,
n. 35): qua in ecclesia, angelicae uisitationis excubiae, splendor quoque supremae Celsitudinis,
sub conticinio intempestae noctis, quam frequentissime notissimum est apparere (Miracula
s. Benedicti, 6, 13). L'expression conticinium est synonyme de concubia nox.
17 Le verbe suscitare mériterait une longue note: qu'il suffise ici de relever qu'Ammien
l'utilise dans sa description des visions nocturnes de l'empereur Julien, lorsqu'il « se levait au
milieu de la nuit» (nocte dimidiata exsurgens) pour «prier secrètement Mercure, que l'enseign
ement des théologiens donne pour l'intelligence de l'univers, celle qui, plus prompte que les
autres esprits éveille leur activité» {occulte Mercurio supplicabat, quem mundi uelociorem
sensum esse, motum mentium suscitantem, theologicae prodidere doctrinae). Et Ammien
ajoute que Julien, à ces moments-là de silence et de communion cosmique, «s'occupait avec
compétence de toutes ses obligations envers l'Etat» (explorate rei publicae munera cuncta
curabat). Je reviendrai ailleurs sur cette page d'Ammien (16, 5, 4-8), parce qu'elle s'éclaire
par la confluence de traditions initiatiques, spécialement celles qui associent Julien à Alexandre
(qui vient d'être cité!) et à Scipion.
832 JEAN PRÉAUX

après nuit, et scrute les espace intersidéraux, et notamment la Voie lactée,


à la limite du visible.
La mention d 'Atlantiades pour désigner Mercure dans ce passage
n'est pas gratuite, ni une vaine marque d'érudition: Martianus Capella
entend ici rappeler que le dieu du Cyllène est le petit-fils d'Atlas par
Maia18, et dès lors un descendant de Japet, le Titan, l'audacieux puni
par Jupiter. C'est le type aussi du savant éveillé et qui sans cesse cherche:
uigil. Cette attitude titanesque, prométhéenne, herculéenne, est aussi celle
de Philologie, et dans les pays d'Afrique du Nord, en Maurétanie et en
Numidie (chez Massinissa entre autres), la chaîne de montagnes de l'Atlas
se dressait haut dans le ciel, « plus loin de tout pays, dans celui des
Ethiopiens, où le grand Atlas fait tourner sur son épaule la voûte à laquelle
les astres enflammés sont ajustés » 19. Pierre Boyancé a confirmé les recher
chesde Tièche20 en indiquant qu'Aristote n'est pas le premier à avoir
affirmé cette symbolique d'Atlas, mais qu'il la tient des pythagoriciens, dire
ctement ou par Platon. J'ajouterais que Scipion a pu aussi en percevoir direct
ementles harmoniques en Afrique même, sans doute auprès de Massinissa.
D'Aristote à Archimède, Atlas fut l'objet de travaux tant astrono
miques que philosophiques21. Au cours de Parétalogie de Pythagore, pré
parant celle de Numa, confident de Jupiter, Ovide explique comment par
l'astronomie on exerce les yeux spirituels (oculis pectoris) pour tenter
d'accéder à la vision cosmique. Comme les fils de Japet (Atlas, Prométhée,
Héraclès, ensuite Hermès et l'Africain Iopas), comme Pythagore et tous les
titans de la quête spirituelle, Scipion, en terre italienne comme Numa naguère,
se complaît dans la familiarité secrète des astres, dont la connaissance

18 Ovide, Métam., 2, 704; 834; 8, 628; Fastes, 5, 663. Horace, Odes, 1, 10, 1: Mercuri,
facunde nepos Atlantis.
19 Virgile, En., 4, 480-482. Cf. Pierre Boyancé, Virgile et Atlas, dans Mélanges d'histoire
ancienne offerts à William Seston, 1974, p. 49-58.
20 Edouard Tièche, Atlas als Personifikation der Weltachse, dans Museum Helveticum,
2, 1945, p. 65-86. Voir aussi Albin Lesky, Hethitische Texte und griechischer Mythos, dans
Gesammelte Schriften, 1966, p. 356-378.
21 L'une de ces exégèses du mythe d'Atlas, celle d'Aristote, De caelo, 2, 1, 2-6, 289 a 19 suiv.,
met en cause ceux qui croient qu'Atlas est un appui nécessaire de la voûte céleste et ceux
qui pensent que le ciel doit être soutenu par une « nécessité pleine d'énergie psychique »
(άναγκή έμψυχος): Pierre Boyancé, art. cit., à la note 20, attire l'attention sur le «fuseau de
lumière comparable à une colonne» du mythe final de la République de Platon: vaste problème,
délicat aussi, auquel il convient de joindre, je pense, celui que pose la «religion éclairée»
de Scipion l'Africain.
« CAELI CIVIS » 833

élève et fortifie l'esprit à l'écoute de ses rythmes propres et nourrit l'action


prescrite par le fatum et inscrite dans les positions des planètes:
iuuat ire per alta
as tra, iuuat, terris et inerti sede relieta,
nube uehi ualidìsque umeris insistere Atlantis
palantesque homines passim et rationis egentes
despectare procul trepìdosque obitumque timentis
sic exhortari seriemque euoluere fati22.

Pareille référence à Atlas, prêtée à Pythagore par Ovide23, est ap


puyée sur l'un des motifs obligatoires de toute vision cosmique: la prise
de conscience de la petitesse des hommes, de leur terre, de leurs chemi
nements et de leurs égarements. C'est comme si Ovide transportait l'obser
vatoire du Politique de Platon24 sur les épaules puissantes d'Atlas, du
haut desquelles Pythagore se plaît (iuuat: ce choix du verbe mériterait
qu'on l'examine!) à jeter un regard apitoyé sur les hommes25. La station
singulière de Pythagore, debout sur les épaules d'Atlas, tel un nain sur
celles d'un géant26, est couplée à celle du verbe insistere: est-ce un

22 Ovide, Métam., 15, 147-152. Le contexte est important, aussi bien celui des vers 143-147
que ceux du début de ce portait célèbre de Pythagore, les vers 60 et suivants: cumque animo
et uigili perspexerat omnia cura, / in medium discenda dabat coetusque silentum / dictaque
mirantum magni primordia mundi / et rerum causas, et, quid natura, docebat. Pythagore,
comme son disciple Scipion, est à la fois un solitaire, lorsqu'il est contemplatif et studieux,
et un maître, lorsqu'il communique son savoir. Cf. Archytas, selon un texte peu utilisé de
Cicéron, Laelius, 88: «Si quis in caelum ascendisset naturamque mundi et pulchritudinem
siderum perspexisset, insuauem illam admirationem ei fore, quae iucundissima fuisset, si
aliquem, cui narraret, habuisset». Sic natura solitarium nihil amat semperque ad aliquod
tamquam adminiculum adnititur, quod in amicissimo quoque dulcissimum est.
23 Roland Crahay et Jean Hubaux, Sous le masque de Pythagore, dans Ovidiana. Recherches
sur Ovide, Paris, 1958, p. 283-300.
24 Platon, Politique, 272 e. Cf. Pierre Courcelle, La Consolation de Philosophie dans la
tradition littéraire..., Paris, 1967: «L'observatoire du contemplatif», p. 357-363, et « L'étroitesse
de la terre selon Grégoire le Grand et Sénèque », p. 363-366.
25 Le motif est utilisé à la fin de l'éloge funèbre de Népotien par saint Jérôme, qui
le joint à Pexemplum de Xerxès: ο si possemus in talem ascendere speculum de qua uniuersam
terram sub nostris pedibus cerneremus! (Epist., 60, 18). Cf. à propos de Dante: Alfonso Traina,
«L'aiuola che ci fa tanto feroci». Per la storia di un topos, dans Poeti latini (e neolatini).
Note e saggi filologici, Bologne, 1975, 305-335.
26 Juvénal, 8, 32 atteste qu'on désignait un géant ou un nain du nom d'Atlas (nanum
cuiusdam Atlanta uoeamus, / Aethiopem eyenum, etc.): pareille dérision associe Atlas à
Aethiops comme chez Virgile, En., 4, 481, le premier nom de ce pays «ultime des Éthiopiens»,
à la limite du monde et du soleil couchant, est précisément Atlantia (Pline, N.H., 6, 30, 187).
834 JEAN PRÉAUX

hasard si Philologie, parvenue aux confins du monde stellaire, au terme


de son ascension, voit totam caeli molem machinamque t ο r q u e r i 27,
et cherche le créateur en s'abîmant dans une longue prière silencieuse,
iuxta ipsum extimi ambitus murum annixa genibus (2, 200-205), ce
qui lui vaudra d'accéder à l'apothéose dans la Voie lactée? Cet appui
des genoux sur le mur même de l'ultime cercle du monde28 est le même que
celui « des âmes qu'on dit immortelles et qui, parvenues au sommet de la
voûte céleste, s'avancent au dehors, se dressant alors sur le dos de cette
voûte, et qui, ainsi dressées, sont emportées par sa révolution circulaire
tandis qu'elles contemplent les réalités qui sont en dehors du ciel » 29.
La métaphore célèbre de Platon, soulignée par deux fois, est déjà celle
d'Hésiode pour Atlas, représenté « dressé tout droit (tel un pilier), soute
nant de sa tête et de ses mains infatigables, le vaste ciel ...» 30. Elle est
aussi celle d'Eschyle dans ces vers prestigieux sur Prométhée, frère d'Atlas
et fils de Japet:
δς προς έσπερους τόπους
ε σ τ η κ ε κίον' ούρανοΰ τε και χϋονός
ώ μ ο ι ς ερείδων, άχυος ουκ εύάγκαλον 31.

Atlas et ses pareils, Prométhée, Héraclès, Iopas, connaissent les lois


du monde: atronomes et astrologues, ils enseignèrent à Pythagore, et à ses
disciples, la libération spirituelle par la contemplation active de ces lois.
L'une des formulations les plus réussies me paraît être de nouveau celle
d'Ovide, peut-être parce que l'exilé de Tomes y exprime sa foi profonde32:

Quid uetat et Stellas, ut quaeque oriturque caditurque,


dicere? Promissi pars sit et ista mei!

27 Le verbe torqueri est virgilien à propos d'Atlas justement, En., 4, 482; 6, 797. Voir
les observations pertinentes de Pierre Boyancé dans son étude sur Virgile et Atlas, op. cit., p. 56-57.
28 C'est là aussi que Dieu se tient et fixe le lieu de rencontre, au témoignage que Clément
d'Alexandrie, Protreptique, 6, 68,3 verse au crédit des païens, «qui reconnaissent que Dieu est
toujours en haut, sur la voûte du ciel, dans son observatoire personnel et particulier». Cf.
Platon, Phédon, 247 b.
29 Platon, Phèdre, 247 b-c.
30 Hésiode, Théogonie, 517-519; cf. 746-747.
31 Eschyle, Prométhée enchaîné, 348-350.
32 Cet éloge ovidien de l'astronomie {Fastes, 1, 295-310) ne me paraît pas devoir être
dissocié, quoi qu'on en ait écrit, de cette indication autobiographique des Tristes, 4, 10, 19-20:
« CAELI CIVIS » 835

Felices animae, quibus haec cognoscere primis


inque domus superas scandere cura fuit!
Credibile est illos pariter uitiisque locìsque
a 1 1 i u s humanis exeruisse caput.
Non Venus et uinum sublimia pectora fregit
officiumque fori militia eue labor,

Admouere oculis distantia sidéra nostris


aetheraque ingenio supposuere suo.
Sic ρ e t i t u r caelum, non ut ferai Ossan Olympus,
summaque Peliacus sidéra tangat apex.
Nos quoque sub ducibus caelum metabimur Ulis
ponemusque suos ad uaga signa dies.

Ce texte, si riche et si personnel, par lequel Ovide s'inscrit dans une large
tradition, oppose nettement deux types de conquérants du ciel, les Géants,
foudroyés par Jupiter, aux Titans, qui, comme Atlas et ses disciples, eurent
l'audacieuse curiosité d'escalader les cieux par les yeux de l'intelligence:
la mesure du ciel, l'astronomie, est à la mesure de la terre, la géométrie,
comme la contemplation l'est à l'action, qu'elle prépare, nourrit et organise
grâce aux connaissances des rythmes saisonniers, bref par la science du
calendrier, garante de la supériorité « divine » du chef de guerre, qui sait
faire parler les armes à bon escient. Scipion l'Africain avait découvert
ce secret et l'entretenait jalousement lorsqu'il faisait retraite dans la
chapelle de Jupiter. Cicéron confirme ceci de façon éclatante, je pense,
lorsqu'il décrit, dans un passage trop peu étudié de son Cato Maior, comment
cette tradition du chef éclairé, parce que initié à l'astronomie, s'est ancrée
dans la famille du vainqueur de Zama: au sein de l'état-major de Paul-Emile,
vainqueur de Pydna, un astronome, confident du chef de guerre, prédit
l'éclipse de lune dans la nuit du 21 au 22 juin 168 avant notre ère, la veille
du jour de la défaite du roi Persée par Rome 33. Les termes choisis par Cicéron

at mihi iam puero caelestia sacra placebant / inque suum furtim Musa trahebat opus.
Cette passion intellectuelle jugée inutile par le père d'Ovide (studium inutile) n'est pas seule
ment celle de la poésie préférée au barreau, mais celle, plus générale, du culte des muses,
d'origine pythagoricienne.
33 Cicéron, Caton, 49. Plusieurs motifs s'entrecroisent ici, qui tous concourent à mieux
saisir le sens des entretiens de Scipion: tamquam enteritis stipendiisi animum secum esse secumque,
ut dicitur, uiuere; pabulum; mori in studio (c'est Vimmoritur studiis d'Horace, Epîtres, 1, 7, 85,
c'est la cura uigil et la curiositas de Philologie); aliquid describere; et surtout noctu... mane!
836 JEAN PRÉAUX

pour exalter cet épisode fameux pourraient être retenus pour percer les
secrets de ces entretiens de Scipion avec Jupiter, de minuit à l'aube:
At ilia, quanti sunt, animum tamquam emeritis stipendiis libidinis,
ambitionis, contentionis, inimicitiarum, cupiditatum omnium
secum esse secumque, ut dicitur, u i u e r e ! Si uero habet
aliquod tamquam pabulum studii atque doctrinae, nihil est
otiosa senectute iucundius. Mori paene uidebamus in studio
dimetiendi caeli atque t e r r a e C. Gallum, familiärem patris
tui, Scipio; quotiens illum lux η ο e t u aliquid describere in-
gressum, quotiens η ο χ oppressif, cum mane coepisset!
Quam delectabat eum defectiones solis et lunae multo ante nobis
praedicere!

L'astronome C. Sulpicius Galus (ou) Gallus 34 fut l'Archimède des milieux


dirigeants de Rome au lendemain de la prise de Syracuse: c'est lui qui
enseigna notamment comment lire le planétaire (sphaera) inventé par le
savant assassiné en 212 35. C'est d'ailleurs Archimède lui-même qu'on peut
reconnaître aussi dans les vers ovidiens des Fastes tout comme dans ceux
des Géorgiques virgiliennes 36: Martianus Capella, au Ve siècle de notre
ère, en fera encore l'un des héros, comme Euclide, de l'aventure humaine,
au seuil même de son exposé sur la géométrie, dans un éloge où il retrouve
le verbe requis par Ennius dans son éloge de Scipion. La rareté même de
ce verbe, aequiperare, plaide-t-elle en faveur d'un emprunt conscient?
D'autant qu'Archimède est ici associé étroitement à Jupiter:

34 Je n'entre pas ici dans la discussion de ce problème, cf. en dernier lieu G. Winkler,
dans le Kleine Pauly, 1975, s.v. Sulpicius, col. 424 (en faveur de Galus).
35 Cicéron, De republica, 1, 21 et 23. Pline, N.H., 2, 53 insiste sur les effets militaires
de cette «révélation» de Sulpicius, astronome et tribun militaire à la fois: il libéra les soldats
de toute angoisse (sollicitudine exercitu liberato). Oh songe à l'épisode «miraculeux» des
vents lors de la prise de Carthagène par Scipion, capable d'interpréter scientifiquement cette
brusque saute du vent droit au septentrion, et en dégager sur-le-champ les conséquences sur
le plan de la tactique du siège de la ville. Tite-Live narre l'épisode de Pydna en des termes
qui pourraient convenir à Scipion: Sulpicius. .. pronuntiauit node proximo,, ne qui id pro
portento acciperet, ab hora secunda usque ad quartam horam noctis lunam defecturam esse
(44, 37, 6) et dès lors l'interprétation des soldats: ... Romanis militibus Galli sapientia prope
diuina uideri (44, 37, 8).
36 Pierre Courcelle, Le souvenir d'Archimède en Occident chrétien, dans Convivium
Dominicum. Studi sull'eucarestia nei Padri della Chiesa antica e miscellanea patristica,
Catane, 1959, p. 289-296.
« CAELI CIVIS » 837

Omnia compar habet (se. sphaera) paribus sub legibus ordo,


nee minus haec mira est quam domus alta deum.
Hanc mundo assimilem stupuit Trinacria tellus
Archimedea astrificante manu.
Ο felix cura et mentis prudentia maior
corpore sub nostro aequiperasse Iouem!37.

Le sens de l'épitaphe de Scipion par Ennius devrait être davantage


établi en tenant compte de l'acception de ce verbe aequiperare puisque le
poète l'a conçue en termes astronomiques (a sole oriente) et géographi
ques (supra Maeotis paludes), qui impliquent la course complète du soleil
de l'Est à l'Ouest, où il « plonge dans l'Océan » derrière les colonnes
d'Hercule ou d'Atlas; il faudrait surtout évaluer le sens de factis, ces
« exploits militaires » certes, mais préparés par la connaissance des lois du
monde cosmique (par cette uirtus, ce consilium à propos de quoi Cicéron
allègue justement ces deux vers d'Ennius dans ses Tusculanes, 5, 49);
enfin les deux autres vers de cette épitaphe proclament le secret de cette
sagesse révélée à Scipion: endo plagas caelestum ascendere est d'abord
cette tension de l'esprit éveillé par l'étude constante des disciplines qui
constitueront un jour ce quadriuium au sein des arts libéraux. Apothéose
de l'homme d'Etat certes, mais d'abord de l'homme d'étude, du sapiens uir:
immortalité astrale dans la Voie lactée aux côtés de Pythagore, Platon et
Archimède entre autres, comme l'espère Philologie par ses mérites38.
La mort d'Archimède ne passa pas inaperçue: Scipion découvrit-il
le savant à ce moment-là? On n'a guère retenu un témoignage de Tite-
Live, qui, à la date de 204, tente de justifier l'étrange comportement de
celui qui venait de remporter une éclatante victoire en Sicile: le vainqueur
affecta de ne pas se soucier de Carthage et préféra déambuler ostensibl
ement dans les gymnases et jouir des agréments de Syracuse, . . . cum pallio
crepidisque inambulare in gymnasio, libellis eum (se. Scipionem) palaestrae-
que operam dare (29, 19, 12). Ce manteau du philosophe préféré à la toge
du citoyen romain, ces crepidae au lieu des calcei tracent un programme,

37 Martianus Capella, 6, 583-585, v. 21-26. Dans le paradis des intellectuels, situé dans
la Voie lactée, Martianus fait voisiner Archimède et Platon, tous deux sphaeras aureas deuol-
uentes (2, 212): rapport senti entre l'astronomie pythagoricienne du 10e livre de la République
et celle du Timée d'une part, le planétaire d'Archimède d'autre part.
38 Quelques aspects de ce vaste sujet ont été analysés dans ma contribution: Le culte
des muses chez Martianus Capella, dans Mélanges de philosophie, de littérature et d'histoire
ancienne offerts à Pierre Boyancé, Rome, 1974, p. 579-614.
838 JEAN PRÉAUX

auquel Scipion s'intéressa plus tôt, si l'on veut noter que Tite-Live (26,
19, 3 et 5), par deux fois, justifie les retraites de la chapelle du Capitole
en faisant commencer cet usage ab iuuenta ou ab initio . . . ex quo togam
uirilem sumpsit59. Exagération dira-t-on requise par l'hagiographie du
héros, ou réalité d'une formation intellectuelle d'un homme né vers 235
et dont l'épisode syracusain de 204 confirme la profondeur et la permanence?
L'éloge de Scipion par Dion Cassius40 n'est pas dénué de valeur histori
que,bien au contraire. Le tour αρετή κράτιστος και παιδεία λογιμώτατος
trouve sa meilleure illustration sous le calarne horatien, dans cette ode
qui, en quelque sorte, trace le programme augustéen du culte des muses,
auquel Scipion était initié:
uis consili expers mole ruit sua,
uim temperatam di quoque prouehunt
in maius . . . 41.

39 II est généralement supposé (et admis) que la légende de la faveur divine accordée
à Scipion commença après la victoire sur Carthagène, en 209: de fait, Tite-Live (26,19,1-6)
narre les entretiens de Scipion avec Jupiter à la date de 211. Toutefois l'épisode de la marée
(exceptionnelle en Méditerranée!) se réduit, à mon avis, à une saute des vents tournant brusque
ment et violemment au nord. Tite-Live (26, 45, 8-9) est le seul à noter la vérité, et il faut
prendre garde à la manière dont il établit la liaison entre le phénomène atmosphérique et la
réaction intelligente de Scipion: medium ferme diei erat, et ad id, quod sua sponte cedente
in mare aestu trahebatur aqua, acer etiam septemtrio ortus ìnclinatum stagnum eodem, quo
aestus, ferebat et adeo nudauerat uada, ut alibi umbilico tenus aqua esset, alibi genua uix
super aret. Hoc cura ac ratione compertum in prodigium ac deos uertens Scipio, qui ad
transitum Romanis mare auerterent et stagna auferrent uiasque ante numquam initas humano
uestigio aperirent, Neptunum iubebat ducem itineris sequi ac medio stagno euadere ad moenia.
Le tour cura ac ratione est similaire à l'expression curis cogìtationibusque requise par Tite-
Live à propos d'une manœuvre tout aussi « génialement inspirée » de Philopœmen, contemporain
de Scipion, en butte à des difficultés militaires: his curis cogitationibusque ita ab ineunte
aetate anìmum agitauerat, ut nulla ei noua in tali re cogitatio esset (35, 28, 7; cf. 1-2).
Dès l'enfance, Philopoemen fut formé par des philosophes, notamment Demophanes et Ecdelus.
Quant à l'expression animum agitare, qui mériterait une analyse, Tite-Live l'emploie-t-il comme
Cicéron le fait à la fin du Somnium Scipionis, à plusieurs reprises (26 à 29)? Et notamment
dans l'ultime message de Scipion l'Africain: hanc (se. naturam animi) tu exerce optimis in rebus.
Sunt autem optimae curae de salute patriae, quibus agitatus et exercitatus animus
uelocius in hanc sedem et domum suam peruolabit. .. Nam eorum animi qui se corporis
uoluptatibus dediderunt..., corporibus elapsi circum terram ipsam uolutantur nec hune in
locum (se. orbem lacteum) nisi multis exagitati saeculis reuertuntur».
40 Dion Cassius, Fragm., 56, 43.
41 Horace, Odes, 3, 4, 65-67 dans l'ode aux muses, avec l'utilisation du motif des Titans
précisément. Les couples uis-consilium, uirtus-sapientia, ainsi que d'autres, traduisent cet idéal
«CAELI CIVIS» 839

Lorsque Scipion fera édifier un fornix, en 190, juste avant de partir


en campagne contre les Etoliens, il choisira son emplacement avec le
plus grand discernement42, non pas en travers ou au-dessus d'une rue
ni dans un lieu très fréquenté comme le Forum ou le Grand Cirque, mais
en face de la montée vers la cella louis, débouchant sur l'aire sacrée:
P. Cornelius Scipio Africanus, priusquam proficisceretur, fornicem
in Capitolio aduersus uiam, qua in Capitolium escenditur, cum
signis septem auratis et equis duobus et marmorea duo labra ante
fornicem posuit43.

Hommage rendu par Scipion à son dieu certes, mais aussi à tous ceux qui,
à l'instar d'Atlas, jetèrent un défi à l'ignorance en osant, tel Alexandre44,
braver le ciel en levant les yeux pour le sonder. Hommage aussi à Pythagore,
à Numa, à Archimède son contemporain, à d'autres encore comme Eratos-
thène. Et surtout à Aristote et à Platon: se pourrait-il que Scipion ait
enrichi son fornix symbolique en joignant à ces statues dorées au nombre
de sept comme les planètes, ces chevaux, au nombre de deux, pour rappeler
à la fois les Dioscures, maîtres des hémisphères selon une tradition savante
et initiatique45, mais aussi pour enseigner, d'après le mythe vivant du

de l'action concertée, mûrement réfléchie, cette uis temperata qui est la marque de Scipion,
et aussi celle d'Alexandre selon le fragment des Annales d'Ennius, v. 222 V2: qualis consiliis
quantumque potesset in armis.
42 En 196, L. Stertinius fit ériger deux fornices, l'un sur le Forum boarium l'autre au
Grand Cirque (Tite-Live, 33, 27, 4): ce sont les deux plus anciens exemples attestés, celui
de Scipion venant peu après, mais la motivation de ces trois fornices est différente, ne serait-ce
déjà que par la chronologie de ces constructions, sans doute d'un type nouveau, Stertinius
les faisant dresser après sa victoire et pour célébrer celle-ci, ne temptata quidem triwnphi spe,
Scipion anticipant sur une victoire éventuelle et faisant ériger un fornix juste au moment
de se mettre en campagne. Ce problème devra être repris: cf. récemment des observations
judicieuses de H. S. Versnel, Triumphus. An Inquiry into the Origin, Development and Meaning
of the Roman Triumph, Leyde, 1970, p. 135-136 et passim.
43 Tite-Live, 37, 3, 7.
44 Plutarque, De Alexandri Magni fortuna aut uirtute, 335 Β: Λυσίππου δε το πρώτον
Άλεξανδρον πλάσαντος άνω βλέποντα τω προοώπω προς τον ούρανον (ώσπερ αυτός είώ&ει βλέπειν
Αλέξανδρος ήσυχη παρεγκλίνων τον τράχηλον) επέγραψε τις ούκ άπιϋάνως: «αύδασοΰντι δ'εοικεν ό
χάλκεος εις Δία λεύσσων/Γ&ν ύπ'έμοί τίϋεμαι · Ζεΰ, συ δ'"Ολυμπον εχε». Il y aurait beaucoup
à dire à ce propos, d'Alexandre à Scipion certes (cf. Tite-Live, 26, 19, 7), mais aussi à Auguste
lui-même, selon les vers admirables d'Horace dans son ode pindarique (1, 12), s'achevant sur
cette strophe situant Auguste comme second de Jupiter, et comme son maître de justice sur
terre à l'instar de celui qui dispose de la foudre au ciel.
45 Voir notamment Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains,
Paris, 1942, Chapitre premier: Les deux hémisphères et les Dioscures, p. 35-103.
840 JEAN PRÉAUX

Phèdre, qu'il faut apprendre à dompter le bon cheval pour monter au ciel,
sous peine de rester à terre sous la pesée du mauvais cheval, rétif46?
Emule de Jupiter, qui sait lancer son char ailé, et des douze dieux, dont
les attelages, étant équilibrés, facilitent leur ascension, Scipion a ap
pris à préparer la conduite des affaires des hommes en montant les esca
rpements qui mènent « au sommet de la voûte surplombant le ciel » : il est
un cocher heureux par sa science des astres, il est capable aussi de s'e
nfoncer dans l'intérieur du ciel, en ayant installé « les chevaux devant la
mangeoire, où il a jeté l'ambroisie pour leur pâture et le nectar pour
leur boisson ». Ces labra marmorea, au nombre de deux comme les chevaux,
ne peuvent qu'être aussi symboliques que l'ensemble du décor du fornix:
qu'on tente de les justifier par les Dioscures et leurs chevaux, ou par le
mythe du Phèdre, ces vasques 47 peuvent rappeler le choix imposé à l'homme
contraint à l'action. Comme le dit Platon, à la fin du mythe du cocher et
de ses deux chevaux, puisse celui qui est « converti à la philosophie » (de
l'action) ne plus tergiverser, ou, selon la judicieuse traduction de Léon
Robin, « qu'il ne soit plus comme aujourd'hui entre deux selles. » 48.
Ennius, selon Servius commentant les allusions de Virgile à Atlas
dans l'Enéide (1, 741; 4, 246; cf. Géorgiques, 4, 291), affirme qu'Atlas
aurait dû être appelé en latin Telamo. Or pareille dénomination de la chaîne
de montagnes de Maurétanie est empruntée à la langue de l'architecture:
Vitruve précise qu'il s'agit de l'équivalent masculin des caryatides49. Dès
lors, à l'époque de Scipion, une métaphore d'origine architecturale a pu

46 Platon, Phèdre, 247 b, 248 a et 252 d-e (sur le choix du dieu dont on suit le cortège,
notamment Zeus, qui confère à son « choreute » la grâce d'être ici-bas « par sa nature, philosophe
et apte à conduire les hommes». Cf. le rappel des composantes de ce mythe en 253 c-d et sa
justification en 253-257 b).
47 Le mot technique labrum désigne un ustensile (bassin, récipient évasé, aux rebords
en forme de lèvres, etc.) dans la langue des paysans et des vignerons, ensuite un type de vasque,
dont Pline le Jeune, Epîtres, 5, 6, 20 donne la description la plus nette.
48 Platon, Phèdre, 257b: c'est le refus de l'ambiguïté par la maîtrise des deux chevaux
et des tensions au sein de l'être, c'est le triomphe de la méditation nourrice de l'action.
49 Vitruve, 6, 7, 6: item si qua uirili figura signa mutulos aut coronas sustinent,
nostri telamones appellant, cuius rationes, quid ita aut quare dicantur, ex historiis non
inueniuntur, Graeci uero eos άτλαντες uocitant. Atlas enim formatur historia sustinens mundum,
ideo quod is primum cursum solis et lunae siderumque omnium uersationum rationes uigore
animi sollertiaque curauit hominibus tradenda, ... En 1, 1, 5 le parallélisme des expressions
vitruviennes est remarquable entre ces telamones et ces caryatides. Et que penser de Servius
encore lorsque, commentant l'Enéide 1, 740-741, à propos d'Atlas, il précise ce que Virgile,
à la suite de Varron, entendait par le mot proceres: proceres autem ideo secundum Varronem
principes ciuitatis dicuntur, quia eminent in ea, sicut in aedificiis mu tuli quidam, hoc
«CAELI CIVIS» 841

rapprocher fornix de telamo pour évoquer les piliers du ciel, ces


caeli ingénies fornices

d'un fragment d'Ennius 50 où Cicéron 51 voyait une image folle, qu'il ne com
prenait pas ni n'admettait, parce que ce mot désignait en fait une sphère!
Il s'agit d'un planétaire du type de celui d'Archimède, et on en saisit mieux
l'intention dès l'instant où Hygin reprendra cette métaphore ennienne à
propos d'Atlas précisément52. Caeli fornix ou caeli ingénies fornices,
image audacieuse et admirable d'Ennius pour désigner le globe supporté
par Atlas, mais aussi transfert à Rome, par le détour d'une double
métaphore, de l'image de son vieux maître, Homère, à propos d'Atlas:
Άτλαντος ϋυγατήρ όλοόφρονος, ος τε ύαλάσσης
πάσης βενϋεα οϊδεν, έχει δε τε κίονας αυτός
μακράς, αϊ γαϊάν τε και ούρανον άμφίς εχονσιν 53.

Contraint de traduire κίονας μακράς, Ennius a requis la même langue


de l'architecture, soit telamones, soit surtout fornices ingénies, ce qui a
justifié le transfert au singulier collectif fornix caeli54, ou seulement
fornix: Scipion lui avait indiqué sans doute la voie, par son monument
symbolique de 190.
Bien d'autres indications conservées par Tite-Live et par Ennius
surtout55 confirment que maints traits de la biographie de Scipion l'Africain
relèvent de l'histoire plus que de la légende, même lorsque Cicéron fera
de l'homme et du citoyen éclairés le héros d'une révélation sur l'au-delà.

est, capita trabium, quae proceres nominantur. Référence analogique entre les «grands»
de la cité, ses hommes «éminents», et ces éléments architecturaux appelés mutuli, telamones,
caryatides, άτλαντες, et, par le détour du mythe d'Atlas, ces colonnes du ciel, ces κίονες
homériques, hésiodiques et eschyléennes, et ces columnae et ces fornices enniennes!
50 Ennius, Fab. inc., fr. 381 V.2= fr. 319 Jocelyn. Sur statua et sur columna, il faudrait
réexaminer le fr.. II du Scipio d'Ennius.
51 Cicéron, De oratore, 3, 162 vitupère cette métaphore d'Ennius, mais livre du même
coup la clé de celle-ci: primum est fugienda dissimilitudo «caeli ingénies fornices»: quamuis
sphaeram in scaenam, ut dicitur, attulerit Ennius, tarnen in sphaera fornicis similitudo
inesse non potest. Le fornix était donc un symbole du cosmos.
52 Hygin, Fables, 150: Atlanti... caeli fornicem super humeros imposuit.
53 Homère, Odyssée, 1, 52-54.
54 Ce transfert est déjà opéré par Eschyle dans son Prométhée, 348-350 où le singulier
(κίον ' ούρανοΰ τε και χϋονός) supplante le pluriel homérique.
55 Une étude récente sur la philosophie et sur la religion d'Ennius manque: elle devrait
tenir compte notamment de ce qu'il est convenu d'appeler la «religion de Scipion». Ainsi le
Scipio et maints fragments des Annales, des Saturae, du théâtre s'éclairent les uns par les
842 JEAN PRÉAUX

II en va de même à propos de la religion de Scipion, de sa vision du


monde, des dieux, des hommes56.
André Piganiol posa le problème en termes précis: « il serait beau
que le Songe de Scipion eût pour source un authentique songe de Scipion,
à la suite d'une conversation avec Massinissa sur le thème de la mort,
au lieu d'être, ce qu'il est probablement, une invention littéraire, une ra-
tionabilis imaginatio, comme dit Macrobe » 57.
Ce dossier, depuis lors ouvert, n'a guère été étudié58. Et pourtant,
on comprendrait mieux pour quelles raisons ce texte cicéronien exerça
d'étranges prestiges59, et les exerce encore, pourquoi Fulgence le Mytho-
graphe appela Scipion caeli ciuis 60 et comment, lors de la redécouverte
du Somnium Scipionis au début du IXe siècle, un écolâtre de Corbie,
Pascase Radbert, s'éleva contre cette religion astrale au nom de la foi
chrétienne 61.

autres, comme celui-ci, où je reconnais cette religion astrale et ce mysticisme cosmique qui
entretenaient la foi et nourrissaient l'action de Scipion aspirant à la Voie lactée:
contemplor
inde loci liquidas pilatasque aetheris oras.
(Saturne, fr. 3 V.2)
Je reviendrai sur ceci.
56 Outre l'essai récent de R. Seguin, dans Latomus, 33, 1974, p. 3-21, je renvoie aux
bonnes pages de O. Weippert, op. cit., p. 37-55 (p. 39, n. 2 bibliographie). Le jugement de
H. Bengston sur Scipion, «ein durch und durch religiöser Mensch», doit être nuancé certes,
mais ne mérite ni le scepticisme ni les critiques trop sommaires qu'il a provoqués.
57 André Piganiol, Sur la source du Songe de Scipion, dans Compes rendus de l'Académie
des inscriptions et belles lettres, 1957, p. 88-94 (= Scripta varia, tome II, Bruxelles, 1973,
p. 374-381, Collection Latomus, volume 132).
58 Voir toutefois l'étude suggestive de Gregor Maurach, Africanus Maior und die
Glaubwürdigkeit des «Somnium Scipionis», dans Hermes, 92, 1964, p. 299-313 et la thèse
brillante de Jacques Fontaine, Le « Songe de Scipion » premier Anti-Lucrèce?, dans Mélanges
d'archéologie et d'histoire offerts à André Piganiol, Paris, 1966, p. 1711-1729.
59 Pierre Courcelle, La postérité chrétienne du «Songe de Scipion», dans Revue des études
latines, 36, 1958, p. 205-234.
60 Fulgence, dans la préface de ses Mythologies (p. 4, 1. 4-7): ... sed quae nostrum
Academicum rhetorem ita usque ad uitalem circulum tulit, quo paene dormientem Scipionem
caeli ciuem effecerit. Le motif du caeli ciuis a fait l'objet de remarques, brèves mais sug
gestives, de Luigi Alfonsi, Cittadini del cielo, dans Rheinisches Museum für Philologie, N.F.,
107, 1964, p. 302-304.
61 En 831-832, dans la préface du livre III de son Expositio in Matthaeum, Pascase
Radbert dénonce Yeloquentia païenne, qui est bien incapable d'assurer l'immortalité tant à
Cicéron qu'à Scipion dans la Voie lactée: qui licet Academicum rhetorem per hanc inanem
« CAELI CIVIS » 843

C'est que pareille espérance d'apothéose dans la Voie lactée est


aussi espoir d'immortalité par les mérites de l'intelligence partie à la con
quête du ciel, dont l'ascension ou le pèlerinage se font en raison de cette
galaxie brillante, qui intrigua très tôt les esprits inquiets, parce que na
turel ement curieux. Limite du visible, route du soleil ou fleuve de lait
coulant entre les hémisphères, cette voie éclatait à l'esprit de ceux qui,
éveillés la nuit, dans le silence de la méditation studieuse, laissaient
s'envoler leur esprit aiguisé pour monter et savourer cette uoluptas atque
horror que Lucrèce, après Epicure, qualifie de diuina et décrit comme une
saisie totale de l'être lorsque la nature se laisse mettre à nu et, par des
preuves manifestes, évidentes parce que visibles, s'ouvre à celui qui reste
éveillé lorsque les autres dorment62. C'est l'exigence ascétique de la uita
uigilia de Pline l'Ancien et de son garant, Varron63, car c'était celle des
Pythagoriciens et de tous ceux qui, comme Scipion, s'efforçaient de voir
avec les yeux du corps et de comprendre avec ceux de l'esprit.
Religion éclairée, s'il en est.

uanitatis eloquentiam usque ad uitalis gramma circuii extulerint et dormientem Scipionem


caeli ciuem effecerint, tarnen omnia haec anilibus ordiuntur fabulis quant aliqua ueritate
fulciantur. Pascase a lu Fulgence, mais il l'enrichit en quelque sorte par le concept de la
« limite visible à l'oeil nu » que constitue la Voie lactée, et qu'il désigne par le mot gramma,
ce qui prouve qu'il a cherché à comprendre le Somnium Scipionis par le commentaire qu'en
fit Macrobe: 1, 5, 5-7, éd. J. Willis. Cf. Gérard Mathon, Pascase Radbert et l'évolution de
l'humanisme carolingien. Recherches sur la signification des Préfaces des livres I et III de
l'Expositio in Matthaeum, dans Corbie. Abbaye Royale. Volume du XIIIe centenaire, Lille,
1963, p. 135-155.
62 Lucrèce, 3, 28-30 et passim.
63 Pline, N.H., Préface,, 18.
MICHEL RAMBAUD

LES MARCHES DES CES ARIENS VERS L'ESPAGNE


AU DÉBUT DE LA GUERRE CIVILE

Au début de la guerre civile, César avait déjà réparti ses légions de


vétérans en trois corps principaux: celui de Fabius, vers Narbonne, devait
attaquer l'Espagne, celui de Trebonius, dans la vallée de la Saône, pouvait
descendre en renfort soit vers l'Italie, soit vers Fabius; enfin, les 8e et 12e
légions, rejoignant la 13e, constituèrent le corps d'armée avec lequel César
contraignit Domitius à la capitulation et Pompée à l'abandon de l'Italie. Ce
dispositif tripertito était conforme à des conceptions stratégiques que Yimpe-
rator avait expérimentées en Gaule 1.
Quand Pompée eut quitté Brindes, Fabius entra en Espagne avec ses
trois légions, les 7e, 9e et 11e. Selon une opinion admise2, il serait passé par
la vallée du Têt, le col de la Perche et la haute vallée du Sègre, ce qui
l'aurait amené sur la rive droite de cette rivière, sur le même bord que la
ville d'Ilerda. Après avoir partagé cette manière de voir, nous avons rencontré
trop de difficultés et dû admettre que Fabius était passé par le col du
Perthus 3. Il apparaît alors qu'il a piétiné sur la rive gauche du Sègre, tandis
que le pompéien Afranius, bientôt rejoint par Petreius, couvrait efficacement
la tête du pont d'Ilerda sur cette rive orientale. Le plan stratégique de César
ne se déroulait pas sans rencontrer une opposition solide.
Ces mécomptes et ces retards qu'a voilés le récit du Bellum ciuile
apparaissent si l'on établit un tableau, même sommaire, des marches des

1 Cf. Caes., b.g., VI, 6, 1 et 53, 1-3. Sur la répartition des légions en 50-49 voir notre
Ordre de bataille de l'armée des Gaules, dans B>EA, 60, 1958, pp. 125-128.
2 Cf. von Göler, Caesars Gallischer Krieg und Theile seines Bürgerkriegs, 2e éd., Tübingen,
1880, 2e partie, p. 33; Colonel Stoffel, Histoire de Jules César, Paris, Imprimerie nationale,
1887, p. 48; J. Carcopino, Jules César, 5eéd. revue par P. Grimal, Paris, P.U.F., 1968, p. 369.
3 Cf. notre article: Le camp de Fabius près d'Ilerda. Un problème césarien (Bellum
ciuile, 1940), dans Les Etudes classiques, 1976, pp. 25-34.
846 MICHEL RAMBAUD

légions césariennes et une esquisse du calendrier de leurs étapes. De tels


calculs, assurément, laissent place à l'approximation. Des étapes du légionnaire,
les uns ont souligné qu'elles pouvaient être fort longues, ce qui fut vrai,
dans des cas exceptionnels4, d'autres soutiennent qu'elles étaient, d'ordinaire,
très courtes, dix à quinze kilomètres par jour. C'est une mode de ne plus
croire aux grandes étapes pédestres, même quand on ne devrait pas oublier
la «longue marche» de Mao Tse Toung ou les fantassins d'avant 1914 5.
Il importe de distinguer les marches qui servent à manœuvrer quand
l'ennemi est proche et celles qui constituent un déplacement de l'armée sur
une longue distance. Les premières sont mesurées d'après le terrain et l'att
itude de l'adversaire, les Nerviens, par exemple (b.g., II, 16, 1 sqq.), ou Labie-
nus et Scipion près d'Uzitta (b. Af., 41 et 49 sqq.). Les autres sont command
ées par la géographie et limitées par la possibilité d'exiger des hommes un
effort soutenu et des étapes régulières plusieurs jours de suite: itineribus
iustis confectis, nullo die intermisso (b. Af., 1, 1, 1). Mais qu'était ce
iustum iter?
Végèce a donné deux indications d'un grand intérêt. L'une concerne
Vambulatio, marche d'exercice que les légionnaires devaient, en temps de
paix, accomplir tous les dix jours: Decent milia passuum armati instructique
omnibus telis pedites militari gradu ire ac redire iubebantur in castra . . .
(Veg., Inst. rei mil, I, 27). Végèce précisant qu'Auguste rétablit cet exercice
qui était en usage avant son principat, l'indication paraît valable pour les
légions du temps de César. A cause de l'expression: ire ac redire, on a pré
tendu que Vambulatio se déroulait sur quinze kilomètres en tout, moitié à
l'aller, moitié au retour. Le latin ne tolère pas cette interprétation: le com
plément d'étendue, mis, pour ainsi dire, en facteur commun, affecte l'un et
l'autre verbe. Vambulatio consistait à marcher dix milles dans un sens et
dix milles pour revenir, en tout trente kilomètres. Le Bellum Africum fournit

4 L'exemple type, admiré par C. Jullian, Histoire de la Gaule, Paris, 1920, t. III, p. 177,
est la marche du camp de Gergovie au devant de Litaviecos avec retour dans la nuit, b.g.,
VII, 40, 4 à 41, 5, soit une étape redoublée de 37,5 km. Les anciennes encyclopédies précisent
que la marche forcée ne doit pas excéder 50 km en 24 h ou 60 km en 28 ou 30 h. Les légionnaires
firent donc mieux. De cet exploit, on rapprochera la marche de Sarsura à Thysdra, une vingtaine
de km, prolongée par un déplacement de 4 milles et suivie d'un départ à la 4e veille du départ
pour Aggar à 30 km, soit 56 km en 25 ou 26 h., cf. b.Af., 76, 2. Les troupes de Scipion en ont
fait autant.
5 R. Schmittlein, Avec César en Gaule, Paris, 1970, p. 127; cf. nos observations in
REL, 50, 1972, p. 58.
LES MARCHES DES CÉSARIENS VERS L'ESPAGNE 847

justement l'exemple d'une expédition de ravitaillement à dix milles de dis


tance. Cet aller et ce retour correspondent à Vambulatio réglementaire:
. . . tertia uigilia legiones duas cum equitatu mittit a castris milia passuum
X atque inde magno numero frumenti onustos recipit in castra (b. Af., 65, 2).
Qu'était le militaris gradus? Végèce a défini (Inst, rei mil, I, 9) les
allures du légionnaire: au pas régulier, militari gradu, il devait parcourir
vingt milles en cinq heures d'été, soit 30 km en 6h 15', ce qui correpond à
4,8 km à l'heure; au pas accéléré, pieno gradu, il devait parcourir, dans le
même temps, vingt-quatre milles, soit 36 km; cette allure était de 6 km à
l'heure. Toutes ces indications se confirment mutuellement: Végèce, qui
considère une marche de 30 km comme l'exercice réglementaire, mesure sur
cette distance le temps du pas régulier; pour montrer ce qu'est le pas accél
éré, il donne une distance, plus grande, parcourue dans le même temps.
De cette corrélation on peut induire que la légion donnait six heures de la
journée à la marche; il restait dix huit heures pour lever le camp, en établir
un nouveau, manger et dormir.
Des indications concordantes de Végèce faut-il induire aussi que, pen
dant un déplacement de plusieurs jours, les fantassins parcouraient quot
idiennement 30 km et que cette distance était le iustum iter? Le récit de
l'invasion de l'Italie, au début de la guerre civile, fournit un détail des
étapes sur un terrain connu; il permet de mesurer les distances parcourues
dans une chronologie établie et, en conséquence, de calculer la moyenne
des étapes de l'infanterie. Il est légitime de reporter ce résultat dans le calcul
d'autres déplacements à longue distance, comme celui des césariens vers
l'Espagne. Certes, l'étape pouvait être plus longue un jour, plus courte le
lendemain, mais sur une longue distance ces différences se compensent.
D'après les marches en Italie, cette moyenne se situe entre 20 et 25 km
par jour; arithmétiquement, ce qui ne veut pas dire quotidiennement, elle
est de 22,5 km. L'exemple en était déjà donné au début de la guerre des
Gaules par les légions que César amena en sept jours d'Ocelum au territoire
des Voconces: . . . ab Ocelo, quod est citerions prouinciae extremum, in
fines Vocontiorum ulterioris prouinciae die septimo peruenit (b.g., I, 10, 5).
D'Avigliana aux environs de Gap, chez les Auantici, vassaux des Voconces,
on peut compter 150 km par le col du Mont Genèvre.
Pour l'invasion de l'Italie, il est juste d'ajouter que Pompée, obligé,
comme on dit, de décrocher devant César, fit accomplir à ses fantassins des
marches de 25 à 27 km par jour. Ainsi le iustum iter paraît-il un peu plus
court que Vambulatio. Au bord du Sègre, les légions que Fabius envoya au
secours de Munatius Plancus utilisèrent le pons ulterior, établi à 6 km en
amont; dans la même journée, elles parcoururent pour rejoindre Plancus
848 MICHEL RAMBAUD

sur l'autre rive quatre fois cette distance, sans compter le déplacement d'est
en ouest; elles ont donné près d'Ilerda une preuve supplémentaire que les
vétérans de César pouvaient faire plus de 24 km dans une journée
(b.c., 1, 40, 7; cf. b. Af., 79, 1: marche de nuit d'Aggar à Thapsus, soit 16 milles
ou 24 km) 6.
Pour situer les marches dans le calendrier, il importe de tenir compte
de la vitesse des courriers qui portèrent les ordres de mise en route et de
celle des chevaux qui transportaient les généraux et les cavaliers. L'étape
quotidienne de la cavalerie paraît avoir été d'une cinquantaine de kilomètres.
Quant aux courriers, en usant de relais, ils doublaient cette étape. Voilà
quelques éléments qui permettent, malgré des lacunes ou des obscurités du
Bellum ciuile, sinon de reconstituer une réalité, toujours evanescente, du
moins de cerner le problème et de replacer les marches des césariens dans
le temps.
Ainsi, en appliquant la moyenne de 22,5 km à la distance qu'entre
Narbonne et la rive gauche du Sègre devait franchir le corps d'armée de
Fabius, soit 220 km, on peut admettre que cette marche exigeait une dizaine
de journées. A quel moment? Le Bellum ciuile ne le précise pas. Néanmoins,
on peut établir certaines limites chronologiques d'après deux données précises
sur les opérations que César dirigea en personne:
- d'abord, les Fastes7 indiquent qu'Afranius et Petreius capitulèrent
le 2 août du calendrier;
- ensuite, un passage du Bellum ciuile (2, 32, 5) assure que Vimpe-
rator fut vainqueur en Espagne quarante jours après être arrivé en vue de
ses adversaires: Haec acta diebus quadraginta quibus in conspectu aduer-
sariorum aduenerit Caesar. Compte tenu du comput préjulien où juillet,
quintilis plutôt, avait 31 jours et juin, 29, l'arrivée de César en vue de
l'ennemi (b.c., 1, 41, 3 sqq.) doit être datée du 23 juin; il était parvenu au
camp de Fabius la veille, soit le 22. La périlleuse expédition de Plancus
sur la rive droite du Sègre avait précédé de deux jours, eo biduo (ib., 41, 1);
elle avait en lieu le 20 juin et n'était pas la première, suivant une cotidiana
consuetudo (ib., 40, 3). En outre, Fabius avait construit deux ponts sur le
Sègre; il était arrivé avant le 16 juin. Et sans doute bien avant, puisqu'au

6 Cf. b.Af., 9, 1, marche de nuit de 24 km, suivie aussitôt de l'établissement du camp et


de l'investissement de Thapsus.
7 Fasti Amiterni, Maffeiani, Antiates, CIL, I2, p. 225; Marquardt, Le culte chez les Romains,
trad. Brissaud, t. II, p. 372; J. Carcopino, Jules César, p. 392.
LES MARCHES DES CÉSARIENS VERS L'ESPAGNE 849

moment où il envoyait fourrager au delà du Sègre, il avait épuisé toutes les


ressources de l'arrière, entre Narbonne et son camp, ea quae citra flumen
fuerant {ib., 40, 1).
Ces précisions ont plus qu'un intérêt chronologique: elles impliquent
tout le problème moral de la guerre civile: qui était l'agresseur? César
reprochait aux pompéiens la puissante mobilisation organisée contre lui:
Neque enim sex legiones alia de causa missas in Hispaniam septimamque
ibi conscriptam neque tot tantasque classis paratas neque submissos duces
rei militaris peritos . . . omnia haec iam pridem contra se parari 8. Sous une
forme plus documentaire, le récit avait mentionné les sept légions que le
parti pompéien comptait en Espagne: les trois legati de Pompée s'étaient
réparti les tâches; en particulier, Petreius vint avec deux légions aider Afra-
nius à défendre l'entrée de la péninsule 9. Le mémorialiste ne donne pas la
date de cette concentration mais la manière dont sont désignés les chefs
pompéiens qui commandent devant Ilerda 10 confirme qu'Afranius fut le
premier à barrer la route devant Fabius et que Petreius le rejoignit ensuite.
Fabius, le césarien, était l'agresseur ou, plus justement, le précurseur de
l'agresseur César.
Ce qui confirmerait l'antériorité de l'offensive de Fabius, c'est que
l'Espagne n'aurait été mise en état de défense qu'à l'arrivée d'un représentant
de Pompée, Vibullius Rufus. César, comme il l'explique lui-même {b.c., 1, 15,
4; 23, 2; 34, 1; 38, 1), avait eu la générosité de le libérer après la reddition
de Corfinium, mais ce pompéien acharné avait couru prendre les consignes
de son chef, puis était parti rejoindre les legati pompéiens d'Espagne. Par
quelle voie? Par mer, puisque César était maître des routes terrestres. Or,
Domitius, après sa fuite de Corfinium, était parvenu à Marseille vers le
20 avril, pendant que discutaient César et les représentants de la cité pho
céenne. Il paraît impossible que Vibullius, redescendu d'abord vers le sud,
auprès de Pompée, ait pu débarquer à Tarragone ou Barcelone plus tôt que
Domitius à Marseille. D'autant qu'il lui fallut, comme à Domitius, longer
la côte: de fait, c'est en arrivant à l'entrée de la G allia ulterior que César
apprit à la fois son passage et celui de Domitius. On a même daté la réunion

8 B.c., 1, 85, 5 à 8. Ce grief ne fut sans doute pas développé ce jour-là, devant des advers
aires qui savaient à quoi s'en tenir et le texte porte des traces de remaniement littéraire. Il
n'en est que plus assuré qu'en écrivant cette partie de la Guerre civile, le mémorialiste voulait
rejeter sur les pompéiens les torts de la préméditation.
9 Cf. Caes., b.c., 1, 38, 4.
10 Au groupe: a Petreio et Afranio s'oppose: ... suo ponte Afranius quem... habebat.
850 MICHEL RAMBAUD

des chefs pompéiens d'Espagne du début de mai n. Cette date semble un


peu tardive. Il n'en apparaît pas moins qu'au moment de l'offensive de
Fabius la concentration des pompéiens d'Espagne n'était pas encore opérée.
Aux trois légions de Fabius, Afranius n'en pouvait opposer que trois et
l'officier césarien comptait sur le renfort du corps d'armée de Trebonius.
Cette entrée de jeu explique la hardiesse de Fabius; par lui, César était
l'agresseur en Espagne comme il l'avait été en Italie.
Les torts de César étaient aggravés par une savante préméditation
stratégique. Au début de l'hivernage de 50, le proconsul avait placé les
quartiers d'hiver de Trebonius avec quatre légions dans le Belgium, ceux de
Fabius avec quatre autres chez les Eduens. Cette disposition initiale, qui dut
faire l'objet du rapport habituel au Sénat, n'a été relatée qu'après la mort
de César par Hirtius (b.g., VIII, 54, 4). Dans le Bellum ciuile (1, 37, 1),
César s'était borné à indiquer que Fabius hivernait aux environs de Nar-
bonne. Au cours de l'hivernage, le proconsul avait donc modifié le dispositif
dont il avait rendu compte et reporté vers le sud des hiberna qui serviraient
de points de départ pour la guerre civile.
L'auteur du Bellum ciuile (1, 30, 1) date du départ de Pompée pour
l'Epire la décision d'attaquer l'Espagne. Indiquée au fil du récit, sans indica
tiondes mouvements de troupes, cette résolution survient comme une
improvisation géniale. En fait, ce trait de génie reposait sur une préparation
lointaine et sur une série de mesures d'exécution antérieures au 17 mars,
date du départ de Pompée.
L'analyse du récit permet de déceler des arrivées successives de renforts
césariens en Espagne.
Au moment où Fabius envoie Munatius Plancus en expédition au delà
du Sègre, il a d'autres unités que ses trois légions: en effet, il a envoyé
deux légions avec Plancus (b.c., 1, 40, 3); ensuite, il dépêche deux autres
légions à leur secours (ib., 40, 7); il a donc au moins quatre légions. Il doit
même en avoir une cinquième, indispensable à la garde du camp et qui,
dans la situation particulière, en face du camp pompéien établi à la tête
du pont, sur la rive gauche, était plus que jamais nécessaire. Au surplus,
le récit précise que Fabius avait envoyé les secours, miserai: il était donc
resté lui-même au camp avec, selon le maximum de probabilités, la légion
qu'il commandait en personne 12.

11 J. Carcopino, Jules César, p. 387.


12 Très probablement la 9e légion, cf. Ordre de bataille, p. 118 sqq. La présence de la
9e légion sous Ilerda est attestée par b.c., 1, 45, 1.
LES MARCHES DES CÉSARIENS VERS L'ESPAGNE 851

De fait, en rejoignant le camp, César y trouva cinq légions. Voici que,


pour établir le nouveau camp près d'Ilerda, il adopte le dispositif suivant:
trois légions en armes, rangées derrière un fossé, couvrent l'emplacement
du camp en construction, deux autres fortifient chacune un côté (b.c., 1, 42,
1-3). Il y a bien cinq légions et il ne semble pas qu'il y en ait eu davantage,
à ce moment-là. La preuve en est que les impedimenta et les castra supe-
riora ont été laissés à la garde d'un groupe de cohortes, formation inférieure
à l'effectif d'une légion encore que de nombreux auxiliaires aient pu la
renforcer (cf. b.c., 1, 39, 2). C'est qu'une légion n'était plus nécessaire quand
la menace que César faisait peser par la rive droite sur Ilerda obligeait les
pompéiens à y venir eux aussi pour fortifier un nouveau camp sur la colline
qui est au sud de la place 13.
Combien de cohortes avaient été laissées à la garde de l'ancien camp,
celui de Fabius? Le chiffre n'est pas fourni par les manuscrits, où l'on peut
lire soit ex cohortibus (SLN), soit ex cohortes (MURTV). Ce sont les pre
miers éditeurs qui ont imaginé sex. Le chiffre fait problème, car l'habitude
de César était de prélever une cohorte par légion pour constituer un détache
ment 14. Le nombre six, supposé par les éditeurs de la Renaissance, impli
querait la présence de six légions, ce que dément l'ensemble du passage. Le
mot cohortes ou cohortibus est confirmé par la suite (b.c., 1, 42, 5) qui
présente le groupe: reliquas cohortes. Dans le Bellum Gallicum (V, 9, 1;
24, 4), le chiffre suit cohortes. Ici, placé après, n'aurait-il pas été confondu
avec la désinence de cohortibus, surtout si cette terminaison était figurée
en abrégé, ce qui fut courant à plusieurs époques? Ainsi placé, le chiffre
était, paléographiquement, fragile. Le Bellum Gallicum (V, 5, 1) présente
ainsi un: Caesar cum legionibus qui n'a pas de sens, alors qu'il faut lire:
Caesar cum legionibus III. Dans ce passage du Bellum ciuile, on pourrait
proposer la lecture: ex cohortibus V. Ces cinq cohortes correspondraient
aux cinq légions présentes. Celles-ci seraient passées au sud d'Ilerda avec
neuf cohortes chacune, ce qui ne gênait en rien, tout au contraire, la format
ionde Vacies triplex.
Si, dans la journée du 24 juin, sous Ilerda, Vimperator n'avait que cinq
légions, il en avait davantage trente-neuf jours plus tard, quand après avoir

13 Cf. Le camp de Fabius près d'Ilerda..., p. 845, n. 3.


14 D'après b.g., V, 9, 2, prélèvement de deux cohortes par légion; 24, 4, prélèvement d'une
cohorte sur chaque légion du Belgium; b.c., 3, 89, 4: une cohorte par légion pour constituer
la quarta acies de Pharsale.
852 MICHEL RAMBAUD

poursuivi Afranius et Petreius à travers le pays de « Las Garrigas », il


opposa son armée à la leur (b.c., 1, 83).
Pour former une acies triplex avec leurs cinq légions, les pompéiens
sont obligés de constituer la troisième ligne avec des cohortes à'alarii; sur
leur prima et leur secunda acies, chacune de leurs cinq légions fournit des
lignes de cinq cohortes; le déploiement du front de l'armée est donc de
vingt cinq cohortes. César détaille le dispotif savant de son acies triplex:
chaque légion présente quatre cohortes en première ligne, trois en deuxième
ligne, trois en troisième ligne. César déploie moins ses légions alors que les
fronts opposés devaient être sensiblement égaux, pour que l'un des antagon
istes ne pût pas, d'emblée, envelopper l'autre. Comment les légions de
César, ayant chacune un front plus court, purent-elles présenter un front
égal à celui des pompéiens?
Stoffel a formé une hypothèse 15 d'après le membre de phrase: sagittarii
funditoresque media continebantur ade (b.c., 1, 83, 1). Il a supposé que
César, ne disposant que de vingt cohortes légionnaires pour sa première
ligne, allongea son front de bataille en insérant au milieu archers et fron
deurs regroupés en masse. Les inconvénients d'un tel dispositif sont évidents:
l'ensemble de la ligne était démuni de tireurs; ce groupement n'eût pas été
capable d'arrêter la charge d'une légion ennemie et l'armée de César eût
été brisée par le centre; surtout, on ne pouvait pas placer cette masse
d'auxiliaires au centre sans briser une légion en deux. En effet, dans l'hypo
thèse de Stoffel, où César disposait de cinq légions et alignait vingt cohortes
de front, la position media ade se situerait entre la 10e et la 11e cohortes
de la prima acies. Or, ces unités, dans cette hypothèse, appartenaient à la
même légion, celle du centre. Et comment la masse des sagittarii et fundi-
tores eût-elle coupé, en deuxième et troisième lignes, les formations de trois
cohortes? Jamais César n'eût constitué un tel front. Jamais, il ne s'en serait
flatté comme il l'a fait dans son Bellum ciuile 16.
Il convient d'admettre que sagittarii et funditores étaient intercalés
entre les cohortes du centre. Continebantur implique une intention de les
encadres pour les empêcher de se répandre, selon leur coutume, autour des

15 Colonel Stoffel, Histoire de Jules César, la guerre civile, p. 280 et planche 8.


16 D'après nos calculs, il y aurait eu habituellement 400 archers ou frondeurs par légion
de César; mais, au début de la guerre civile, celui-ci fit largement appel à ses Gaulois, cf. b.c.
1, 39, 2, où le chiffre est perdu; ib., 51, 2, arricée de 6.000 Gaulois, archers rutènes et cavaliers,
sans que le détail soit donné.
LES MARCHES DES CÉSARIENS VERS L'ESPAGNE 853

ailes. La disposition est défensive 17. Mais César a la supériorité des effectifs.
Il est visible que les pompéiens ont fait un effort exceptionnel pour consti
tuerun front égal à celui de son armée. Ils rangent vingt-cinq cohortes en
prima acies parce que César en a aligné vingt-quatre. Il a donc six légions
en bataille. Il en avait laissé une à la garde du camp (b.c., 1, 64, 5). Dans
cette phase finale des opérations contre Afranius et Petreius, César avait
sept légions.
Pareille concentration, faisant suite à l'invasion de l'Italie, résultait de
manœuvres complexes 18. T. Rice Holmes 19 a cru que César achemina vers
l'Espagne des légions nouvelles en laissant au repos dans des municipes
{b.c., 1, 32, 1) les 8e, 12e et 13e, fourbues par leur marche jusqu'à Brindes.
Il est vrai que, plus tard, on trouve en Espagne des légions récentes, placées
sous le commandement de Cassius Longinus20. Mais il ne faut pas mettre
sur le même plan l'occupation de provinces apparemment pacifiées et les
premières opérations qui furent offensives. Ces nouvelles légions étaient
venues relever le corps de bataille, indispensable pour affronter les vétérans
d'Afranius et de Petreius (b.c., 1, 43, 5 à 45, 1). Peut-être Lucain tient-il
de Tite-Live ou de Pollion que les deux armées étaient formées de vétérans,
quand il rapporte que les adversaires, fraternisant autour des feux de bivouac,
échangeaient le récit de leurs campagnes (Pharsale, III, 195; IV, 393-397).
Dans cette concentration progressive des légions césariennes, quel fut
l'échelonnement des arrivées? César n'a indiqué ni la date du départ de
Fabius ni celle où il prit la décision d'attaquer l'Espagne. Tout au plus, le
récit suggère que la décision fut prise à Brindes, après le départ de Pompée
(b.c., 1, 30, 1), après le 17 mars. Une donnée permet d'entrevoir le calendrier
d'opérations que Vimperator avait conçu. Quittant Rome le 7 avril, il arriva
le 19 à l'entrée de sa province de Gallia ulterior (b.c., 1, 34, 4), soit à la
frontière du Var, près de Cimiez, soit même à Fréjus. Les dates correspon-

17 Ils sont disposés, probablement, derrière la prima acies, complétant la secunda acies,
qui n'aligne que trois cohortes là où la première ligne en a quatre.
18 En décembre 50, Cicéron, AU., 6, 7, 6, attribuait à César onze légions. Il avait donc
remplacé les deux légions reprises par Pompée en formant la 5e Alouette, cf. L'origine militaire
de la colonie de Lugdunum, dans CRAI, 1964, pp. 252 sq., et une autre légion provinciale que
nous n'identifions pas. Cette mobilisation fut poursuivie au début de 49.
19 T. Rice Holmes, The roman republic, III, pp. 383-387.
20 Q. Cassius Longinus reçut de César quatre légions, dont deux, la 21e et la 30e, récemment
levées en Italie, paucis mensìbus in Italia scriptas et deux d'origine provinciale, la uernacula
et la secunda; il en leva une cinquième, b. Al. 53,5, cf. b.c., 2, 19, 1.
854 MICHEL RAMBAUD

dent à la durée d'un voyage à cheval de Rome à Nice, douze jours. César a
suivi la route du littoral qui avait été dégagée par Caelius; il a retrouvé
celui-ci en route21. Cette allure est déjà celle du voyage en Espagne de l'an
46: 24 journées au total (Suet, diu. lui, 56, 5). L'arrivée le 19 avril 49 en
un point situé à environ 620 km d'Ilerda, soit treize jours de cheval, révèle
que César comptait trouver son armée concentrée au bord du Sègre le 3 mai.
Voilà un terminus ante quem plus précis pour le calendrier des opéra
tions de Fabius. Chargé d'ouvrir la route et de lancer au moins un pont
sur le Sègre, Fabius devait parvenir à cette rivière au plus tard le 1er mai.
Or, de Narbonne à la position du pons ulterior, il fallait dix étapes. En
outre, trois ou quatre jours de préparatifs n'étaient sans doute pas inutiles
pour partir en guerre. D'autre part, compter seulement dix jours de marche
revient à imaginer une promenade militaire. N'employa-t-on pas deux ou trois
jours à forcer les passages et à réquisitionner des vivres, ce qui était une
des missions de Fabius? Au total, entre 15 et 19 jours. Admettons 15 jours.
Le mois d'avril antéjuli^n ayant 29 jours, il n'est pas possible que Fabius
ait reçu son ordre d'offensive plus tard que le 15 avril, au soir. Selon cette
première esquisse, César aurait envoyé sa lettre depuis Rome où il était entré
le 31 mars. De Rome à Narbonne par Fréjus, on compte quelque 1025 km,
qu'un courrier pouvait parcourir en dix jours. César aurait-il donc envoyé
ses ordres à Fabius le 5 avril, deux jours avant son propre départ?
Voilà un délai très court, trop court pour qui veut éviter les aléas du
temps de guerre. En faveur de cette date, on pourrait dire que Yimperator
mit son avant-garde en route le plus tard possible, afin d'obtenir la surprise.
Mais la surprise fut inexistante et César, visiblement, n'a pas cherché à
l'obtenir. Une lettre de Matius et Trebatius faisait part de ses intentions
dès le 24 mars: deinde in Hispaniam proficisci (Cic, Att, 9, 15, 6). Vibullius
Rufus n'avait eu aucune peine à connaître le projet de César pour courir
alerter les pompéiens d'Espagne. Enfin, le fait que Fabius ait lancé deux
ponts sur le Sègre, le fait qu'Afranius ait pu arriver le premier, à temps pour
lui barrer la route et couvrir la tête du pont de pierre d'Ilerda22, montrent
que Fabius a séjourné un certain temps sur la rive orientale du Sègre. Il
serait donc juste de placer plus tôt le terminus ante quem et l'ordre donné
par César.

21 Cic, Fam., 8, 15, 2 et 16, 4: Me secum in Hispaniam ducit, écrit Caelius. Voir M. Clerc,
Massalia, histoire de Marseille dans l'Antiquité..., Marseille, t. II, 1929, pp. 65 sqq.
22 Cf. Le camp de Fabius près d'Ilerda..., (pp. 31-32).
LES MARCHES DES CÉSARIENS VERS L'ESPAGNE 855

La même méthode permet de reconstituer un calendrier des marches


de Trebonius. Avec ses trois légions, il devait parvenir au Sègre le 1er mai.
Il partait du pays éduen, où avaient deux ans auparavant tenu garnison les
6° et 14° légions qui faisaient partie de son corps d'armée23. Or, la distance
de Chalon sur Saône à Nîmes par la rive droite du Rhône est d'environ
340 km; de Nîmes à Narbonne, de 125 km; de Narbonne à Ilerda, de 220 km:
au total, 685 km, soit 31 ou 32 étapes. Sans réserver un jour de repos, le
mois à'aprilis n'ayant que 29 jours, Trebonius devait mettre ses légions en
marche le 31 mars au plus tard. Ne leur eût-il laissé que deux jours pour
leurs paquets, il est nécessaire qu'il ait reçu son ordre de départ le 28 au soir.
Pour l'atteindre à cette date à Chalon sur Saône, quand devait partir
le courrier? De Rome à Ocellum, étape au passage des Alpes, il y a 700 km;
d'Ocellum à Mâcon, 320 km: au total, 1020 et il en faut un peu plus pour
atteindre Chalon. Le courrier dut partir de Rome au moins dix jours avant
le 28 mars, soit le 18. Mais à cette date, César n'était pas à Rome: il entrait
dans Brindes! Le courrier destiné à Trebonius a donc été envoyé depuis
Brindes. Et comme il partait de plus loin que Rome, il a été dépêché plus
tôt, d'au moins quatre jours, pour parcourir les 490 km de Brindes à Rome.
Donc, l'ordre destiné à Trebonius a été expédié depuis Brindes, le 14 mars
au plus tard, au cours du blocus de la place. C'est le terminus ante quern
qu'impose le calcul le plus sommaire, celui qui ne laisse aucune place aux
défaillances des courriers et n'admet pas que les fantassins marchent moins
de 22,5 km par jour. César a donc pris sa décision d'attaquer l'Espagne
avant le départ de Pompée. Il ne songeait nullement à la réconciliation
mais à une vaste opération stratégique. L'attaque de l'Espagne ne releva
donc pas de l'improvisation mais d'une savante préparation.
Il faut logiquement revenir au calendrier de Fabius. Arrivé au Sègre
bien avant le 1er mai, n'avait-il pas lui aussi reçu son ordre de marche avant
le 15 avril? De Brindes à Narbonne, par Bénévent, Rome, Vintimille, Arles,
on compte environ 1440 km. Un ordre dépêché le 14 mars, de Brindes, put
joindre Fabius le 28 et lui-même put atteindre vers la mi-avril la rive gauche
du Sègre. Il avait quinze jours pour préparer le camp de base, lancer des
ponts, amasser des stocks de vivres. Ce faisant, il épuisa les ressources des
cantons voisins. Que devenaient, pendant ce temps, César, si renommé pour
sa célérité, et le corps d'armée de Trebonius?

23 Sur les hiberna de Q. Cicero en pays éduen, b.g., VII, 90, 7; sur sa brigade formée de
la 6e et de la 14e légion, cf. notre Ordre de bataille de l'armée des Gaules..., pp. 114-117.
856 MICHEL RAMBAUD

César entrait en conflit avec la république de Marseille. Ses entretiens


avec les quinze magistrats phocéens commencèrent au plus tôt le 19 avril
à Cimiez ou à Fréjus. Contrairement au Bellum ciuile (1, 34-36) qui simplifie
les débats, la tradition de Tite-Live ou de Pollion, conservée par Lucain
(Pharsale, III, 303 sqq.), garantit que les représentants de Massilia firent
au moins une navette entre le proconsul et leur sénat. Par conséquent, il
faut introduire dans le compte au moins la distance de 130 km qui sépare
Marseille de Fréjus et, en admettant que l'urgence fit utiliser des relais par
les négociateurs, que les messagers de César partirent sur leurs talons, il
paraît difficile de ne pas compter quatre jours entre l'arrivée du proconsul
et la lettre qui appela trois légions contre Marseille: . . . Caesar legiones
très adducit (b.c., 1, 36, 4). Cet ordre nous paraît dater, au plus tôt, du
23 avril.
L'attitude des Marseillais s'explique, en partie, par la situation straté
gique. Où étaient, à cette date, les corps d'armée de César? Celui de Fabius
était en Espagne; celui d'Italie, à un mois de marche, au moins; celui de
Trebonius, parti de Chalon le 31 mars, devait se trouver le 23 avril à quelque
540 km de son point de départ, c'est-à-dire au delà de Narbonne. Un calcul
inverse le confirme: si Trebonius devait parvenir le 1er mai au Sègre, à
220 km de Narbonne, il était passé près de cette ville le 21 avril. La savante
stratégie de Vimperator avait eu pour effet de le mettre en présence des
Marseillais sans son armée24. Ces conditions parurent des plus favorables à
la république phocéenne et l'encouragèrent à prendre ouvertement le parti
du Sénat et de Pompée.
Voilà César contraint de modifier ses plans: il ne peut pas laisser subs
ister, si près de la route d'Italie en Espagne, au milieu de sa principale
ligne de communication et à l'entrée de sa province gauloise, une cité
puissante et qui peut ouvrir son port à un débarquement de troupes pomp
éiennes. Que peut-il faire? Rappeler toutes ses troupes d'Espagne, ce serait
perdre le bénéfice des premières opérations de Fabius et ouvrir la Gaule à
Petreius et Afranius; attendre ses légions d'Italie, ce serait donner aux
Phocéens un tel délai pour se fortifier que la réduction de la place devien
draitproblématique et certainement très coûteuse. Une seule solution: laisser
Fabius devant les pompéiens d'Espagne et rappeler Trebonius. La présence

24 César avait sans doute sa garde de 400 cavaliers germains, cf. b.g. VII, 13, 1 et, peut-être,
des fantassins de Caelius, cf. ci-dessus note 21; mais leur présence est douteuse car ils eussent
ralenti la marche et il fallait bien assurer la garde du passage littoral.
LES MARCHES DES CÉSARIENS VERS L'ESPAGNE 857

de ce legatus à Marseille est assurée (b.c., 1, 36, 5); c'est lui qui fit capi
tuler la place (b.c., 2, 13, 3 sqq.). L'expression, à dessein imprécise, legiones
très adducit, s'applique, aussi bien au corps d'armée de Trebonius qu'à celui
d'Italie. Le mémorialiste n'a pas voulu montrer qu'il lui avait fallu dérouter
et employer, simultanément ou successivement, six légions contre les Marseillais.
Rappeler Trebonius, quelle perte de temps! D'abord, pour que le messa
ger le rejoigne. A supposer qu'au cours des pourparlers, César se fût rappro
ché, le messager avait, des environs de Marseille jusqu'à Narbonne, 250 km
à franchir. Mais Trebonius avait dépassé Narbonne d'au moins deux étapes
à la date du message et progressa de trois autres pendant que le tabellarius
chevauchait à sa suite. Même avec des relais, trois jours étaient nécessaires
pour parcourir ces 350 km. Trebonius fut-il rejoint avant le 26 avril au soir?
Peut-être, si les courriers galopèrent nuit et jour. Mais le plus dur restait à
accomplir, et par les légionnaires: revenir sur 350 km. En forçant la marche
jusqu'à 25 km par jour, il leur fallait quatorze étapes. Les 6e, 10e et 14e
légions n'ont pu occuper la colline Saint Charles avant le 10 ou le 11 mai.
Quelle perturbation le siège de Marseille apporta-t-il dans le plan de
César? D'abord, une modification évidente de son dispositif et, surtout, un
retard considérable. S'il avait prévu d'être le 3 mai au bord du Sègre et
puisqu'il y est parvenu le 22 juin, il a perdu cinquante journées. Encore
était-il parti sans en avoir fini avec Marseille. Jusqu'à quelle date était-il resté
devant la place? Il dut mettre neuf jours pour arriver à cheval au camp de
Fabius, à 490 km: son escorte de 900 cavaliers interdisait l'usage des relais.
Il quitta donc la colline Saint Charles le 13 juin. Après avoir pris sa décision
d'attaquer la ville, il dut commencer par attendre ses troupes. Plus près de
Marseille, avons-nous supposé, mais point trop près puisqu'il n'avait pas
d'armée. Nous penserions volontiers à Arles, point de passage pour les
légions qui revenaient du Perthus, port fluvial où César dut employer ses
premiers jours d'attente forcée à presser la mise en chantier de sa flotte.
Achevée trente jours après la coupe du bois, la construction des bateaux
de guerre peut se situer entre le 29 avril et le 30 mai (b.c., 1, 36, 5). Vers
le 2 ou 3 juin, la flotte trop neuve vint mouiller devant les îles de Pomè-
gues et de Rathonneau. Le 6 ou le 7 mai, Vimperator avait vu arriver à
Trinquetaille le corps d'armée de Trebonius et il arriva, avec lui, devant
Marseille le 10 ou le 11. Il disposait de trente et une journées pour abattre
la cité phocéenne. L'entreprise n'était pas inimaginable: la prise d'Avaricum,
trois ans auparavant, n'avait exigé que 27 jours; or, Vagger édifié contre la
capitale des Bituriges avait eu des dimensions exceptionnelles (b.g. VII, 24, 1).
Ce que César a tu, c'est l'importance des travaux qu'il dirigea person
nellement et qui échouèrent. En rapprochant de la tradition conservée par
858 MICHEL RAMBAUD

Lucain (Pharsale, III, 375 sqq.) les souvenirs notés par Vitruve (de archi-
tectura, X, 8) on peut tenter d'en imaginer la succession. D'abord, attaque
souterraine par trente sapes que les Marseillais réussirent à inonder. Ces
trente galeries de mine correspondent aux trente cohortes de Trebonius.
César, dans cette première phase, n'avait pas d'autres troupes et a tenté
d'emporter la place rapidement et par une surprise technique, inspirée de
son expérience en Gaule (b.g. III, 21, 3; VII, 24, 2). Suit une autre phase
où durent être employés des renforts arrivant d'Italie. L'énormité des travaux
en est l'indice: terrassement pour combler le vallon entre la colline Saint
Charles et celle des Carmes, assaut classique avec machines et béliers contre
le célèbre mur. La comparaison avec l'assaut d'Avaricum suggère que cette
phase prit une vingtaine de jours25. Lorsque l'artillerie marseillaise eut
écrasé les machines de César et que les défenseurs eurent, dans la nuit
suivante, tout incendié, les assiégeants furent contraints d'aller beaucoup
plus loin chercher le bois de construction, indispensable à la reconstruction
de Vagger. C'est alors qu'on peut placer l'épisode de la forêt sacrée, où,
bravant les dieux gaulois, l'épicurien César porta la hache le premier26. Ce
fut la fin de son séjour devant Marseille et il laissa la réfection des lignes
et des travaux à Trebonius. Seuls les 6e et 10e légions furent maintenues
devant la place. La 14° avait été envoyée en Espagne; les légions d'Italie,
aussi.
Quelles avaient été les marches de ce troisième corps d'armée? Il avait
poussé jusqu'à Brindes. Une légion venant de Ravenne, les autres de Gaule,
elles avaient selon l'expression romaine « bien mérité avec leurs pieds »
quand leur général décida le départ pour l'Espagne (b.c., 1, 30, 1). Il les
répartit alors dans des municipes mais le Bellum ciuile précise qu'il s'agissait
seulement d'une pause: ut reliquum tempus a labore intermitteretur (1, 32, 1).
Le labor qui attendait ces unités était le long cheminement vers l'Espagne.
Lucain évoque une progression à l'allure soutenue27. C'est le tour défavo
rablepris par les événements qui l'explique: les journées de repos furent

25 Les travaux d'Avaricum ont pris 25 jours, cf. b.g., VII, 24, -1, mais ils ont été retardés
par les intempéries comme par les défenseurs, cf. ib., 22, 1. En outre, la menace extérieure
que fait peser Vercingétorix empêche d'employer tout l'effectif contre la place, cf. notre Esquisse
d'une stratégie de César d'après les livres V, VI et VII du Bellum Gallicum, Information
littéraire, 1957, p. 113. A Marseille, César peut employer toutes ses troupes sur un front réduit,
cf. M. Euzennat et F. Salviat, Marseille antique... Faculté des Lettres d'Aix, 1967.
26 Lucain, Pharsale, III, 426 sqq.; au flanc du massif de la Sainte Baume? C. Jullian,
Histoire de la Gaule, III, p. 584, n. 6, préfère le vallon de Saint Pons.
27 Agmine rapto, Pharsale, III, 308; cf. les expressions de Végèce citées p. 846.
LES MARCHES DES CÉSARIENS VERS L'ESPAGNE 859

compensées par une accélération. Pour arriver à Marseille, à 1240 km de


Brindes, il fallait en marchant comme les pompéiens par étapes de 25 km,
52 journées. Il est vrai qu'en allant dans les municipes les troupes s'étaient
sans doute rapprochées de Rome et qu'elles eurent sans doute moins à marcher.
Si elles partirent vers le 29 mars, elles purent arriver au camp de la colline
Saint Charles vers le 19 mai, après l'échec des trente sapes et à temps pour
participer aux grands travaux de siège. Pendant un temps le corps d'armée
de Trebonius fut donc renforcé par des légions venues d'Italie, mais y eut-il
concentration de six légions devant Marseille alors que deux suffisaient à la
bloquer et finirent par la prendre?
De Marseille, César envoya des renforts à Fabius. Celui-ci, parvenu au
Sègre, avait dû suspendre sa progression puisque Trebonius et ses légions,
au lieu de le renforcer, avaient rebroussé chemin. Au contraire, les pompéiens
étaient survenus; Afranius avait établi son camp à l'extrémité du pont de
pierre et Petreius l'avait renforcé. Mais, comme on l'a vu, Fabius avait entre
prisdes incursions sur l'autre rive parce qu'il avait reçu deux légions de
renfort. Il serait même tentant de mettre en rapport la construction de
chacun des ponts, le pons ulterior et le ports propior, avec l'arrivée de cha
cune des deux légions, envoyées à Fabius depuis Marseille.
Pour aller de Marseille au camp du Sègre par Narbonne et le Perthus
(490 km), il fallait 22 journées. D'après les habitudes qui président au détache
ment des légions, le premier renfort dut être le dernier numéro de l'ordre de
marche, la 14e légion qui appartenait au corps d'armée de Trebonius et qu'on
retrouve près d'Ilerda {b.c., 1, 46, 4). Il est à présumer que César ne la
détacha pas avant que les légions venant d'Italie ne fussent très proches
ou même arrivées. Partie entre le 19 et le 24 mai, la 14e légion rejoignit
Fabius entre le 10 et le 15 juin. L'autre légion de renfort, sûrement présente
le 22 juin, probablement le 20 pour la construction du second pont aurait
quitté la colline Saint Charles vers le 29 mai. Il en résulte que le grand
assaut contre Marseille fut mené par César avec quatre légions.
Le texte ne fournit pas d'indice qui permette d'identifier cette seconde
légion envoyée de Marseille en Espagne. Toutefois, dans l'invasion de l'Italie,
la 8e et la 12e, venant de Gaule, avaient fourni les plus longues marches,
tandis que la 13e n'était partie que de Ravenne. Ce serait une raison d'ad
mettre que ce fut elle qu'on détacha à son tour, d'autant plus qu'après le
départ de la 14e, elle était devenue la dernière de l'ordre de marche28.

28 C'est ainsi que, pour la guerre d'Afrique, 13e et 14e légions seront transportées dans le
deuxième convoi, b.Af., 34, 4.
860 MICHEL RAMBAUD

Fabius eut donc au bord du Sègre les 7e, 9e et 11e légions, son corps d'armée,
renforcées par la 14e, prélevée sur le corps d'armée de Trebonius, et par la
13e, prélevée sur le corps d'armée d'Italie, disposition qui présente quelque
équilibre. Telle était l'armée que César voulut trouver lui-même en Espagne
pour passer à l'offensive.
Cette offensive devait être soutenue par de nouveaux renforts, deux
autres légions avons-nous vu Puisque la 6e et la 10e restèrent devant Mars
eille, ce furent les 8e et 12e. Elles partirent plus tard, après l'assaut brisé,
après avoir contribué sans doute à la réfection des munitiones. Leur départ
ne serait donc pas antérieur au 8 juin. César, les ayant mises en route,
partit après elles mais les devança puisqu'il allait, avec ses cavaliers, deux
fois plus vite. Il lui suffirait qu'elles fussent à sa disposition au début de
)ui\\et-quintilis.
Quand César, pour tourner la place d'Ilerda, eut porté son camp sur
la rive droite du Sègre (b.c., 1, 41 sqq.), un cataclysme fit apparaître comme
une hardiesse téméraire ce qui était une manœuvre classique. Une crue
subite du Sègre et de son affluent, le Cinga, emportant les ponts, isolant
le pays, bloqua César et son armée. Ils souffrirent d'une pénible disette.
Cependant, par le pont de pierre, Afranius et Petreius recevaient du ravi
taillement, envoyaient des troupes occuper la rive gauche et expédiaient à
Rome des messages triomphants (b.c., 1, 48-53). L'analyse des marches révèle
que la situation fut encore plus grave que ne l'a reconnu le Bellum ciuile.
Une seule attaque de convoi y est mentionnée (b.c., 1, 51). Or, survenant
six jours après l'arrivée de César aux castra superiora29, soit le 28 juin, la
crue empêcha les 8e et 12e légions de rejoindre l'armée. Toutefois, si elles
avaient été directement menacées par les Afraniens, le bruit en serait par
venu à Rome (cf. b.c., 1, 53, 1-2) et César aurait dû faire une mise au point
dans son Bellum ciuile, comme pour l'attaque du convoi. Au moment de la
crue, les deux légions devaient se trouver à distance suffisante de l'ennemi
pour n'être pas surprises, à deux ou trois étapes du Sègre, vers Cervera par
exemple. C'est une raison supplémentaire d'admettre qu'elles avaient quitté
le camp de la colline Saint Charles assez tard. Pour être le 28 juin à vingt
étapes de ce point de départ, elles ne s'étaient mises en marche que le 9.
Le lancement d'un nouveau pont à une trentaine de kilomètres en
amont, vers Balaguer, entraîna un renversement spectaculaire de la situation:
simul perfecto ponte celeriter Fortuna mutatur (b.c., 1, 59, 1). Ce pont

29 Ces six journées sont à compter d'après: postero die, b.c., 1, 41, 2; postero die, ib.,
42, 1; tertio die, ib., 42, 5; le jour de la bataille, ib., 43-46; biduo, ib., 48, 1.
LES MARCHES DES CÉSARIENS VERS L'ESPAGNE 861

permit à César d'utiliser pour ses communications avec l'est un chemin


passant par Cervera et un autre passant par Manresa, Galaf et Agramunt.
Alors, Vimperator put faire venir non seulement les convois de ravitaillement
mais les deux légions qui attendaient à une soixantaine de kilomètres. Ce
renforcement de l'armée explique que César ait pu maintenir en toute sécur
ité la nouvelle tête de pont, alors que les pompéiens occupaient la rive
gauche, ensuite, qu'il ait osé entreprendre des travaux de dérivation pour
faire baisser le niveau du Sègre et le rendre guéable, enfin que devant une
armée de sept légions, Afranius et Petreius, qui en avaient cinq, aient décidé
de battre en retraite.
Le Bellum ciuile met en lumière la puissance de la cavalerie césarienne
{b.c., 1, 61, 1-2). Il n'éclaire pas assez la supériorité numérique des légions
qui contraignit les pompéiens au départ, puis à la reddition. Vimperator a
écrit qu'il y avait pour lui autant de mérite à vaincre par le calcul que par
l'épée: . . . cum non minus esset imperatoris consilio superare quam gladio
(b.c., 1, 72, 2). Le plus profond de ses calculs portait sur la concentration
des légions. Lui l'a plutôt dissimulée. Les marches des légions apportent
l'explication de l'action: les retards des renforts entraînent la stagnation, leur
arrivée restitue l'initiative. Le plan stratégique de César ne fut pas mis en
œuvre sans à-coups. Son consilium, en 49, coûta de très pénibles efforts
aux fantassins; il permit l'entrée en guerre de Marseille et peu s'en fallut
que cette cité ne fit échouer toute l'entreprise. Voilà pourquoi César a été
si discret sur les marches de ses légions vers l'Espagne: outre qu'il ne voulait
pas laisser paraître sa préméditation, il n'a révélé de son consilium que les
résultats les plus brillants.
DENISE REBUFFAT-EMMANUEL

UN PROBLÈME D'ÉPIGRAPHIE ITALIQUE: L'ÉNIGME DE RIT

L'inscription figure sur un miroir du Louvre *; si connu qu'il soit depuis


qu'il irrite la sagacité des commentateurs, nous en rappellerons brièvement
l'aspect1 (PI. I).
De flan arrondi comme un miroir étrusque, mais d'épigraphie latine
comme un miroir prénestin 2, il est pourvu d'un manche massif à languette 3,
et d'une tranche oblique rentrante4 décorée de stries transversales. Le droit
a été peu nettoyé, cependant que le revers était poncé au point de réduire
notablement la profondeur d'incision de la gravure. Le bandeau de revers
est orné d'une guirlande sinueuse de vigne, et l'exergue d'une palmette aux
pétales disjoints et inversés, émergeant d'un cratère en calice du type de
Gnathia5, qui permet de situer le miroir dans les dernières décennies du
4e siècle. Le médaillon porte une figuration à quatre personnages, que nous
présenterons de gauche à droite. Debout de trois quarts à droite, se tient
d'abord un Eros nu, hermaphrodite, potelé, hanche, coiffé d'un chignon,
portant bracelets de poignet et de cheville, et s'appuyant de la main droite
sur un fût de colonne. Au-dessus de son aile gauche éployée se lit l'inscrip-

* Nous remercions vivement M. Noël Duval, Conservateur en Chef du Département


des Antiquités Grecques et Romaines au Musée du Louvre, de nous avoir confié la publication
des miroirs étrusques du Musée, où, grâce à lui et à Mlles M. -F. Briguet et C. Metzger, nous
avons toujours disposé des meilleures facilités pour travailler. Notre article annonce l'étude
que nous consacrerons à la collection.
1 Inv. 1730; Gerhard, Etruskische Spiegel, 371.
2 Ce qui est compatible, voir notre Miroir étrusque, dans Collection de l'Ecole Française de
Rome, 20, 1973, p. 368-70.
3 Ibid., p. 362.
4 Ibid., p. 381-2.
5 Forti, Ceramica di Gnathia, cf. pi. IV et XXIX, e.
864 DENISE REBUFFAT-EMMANUEL

tion cudido. Tous les commentateurs depuis Garrucci6 ont souligné avec
raison le caractère banal de cette confusion entre ρ et d. Il n'est pas même
besoin, comme le faisait Garrucci, de s'appuyer sur une erreur de Denys
d'Halicarnasse 7; ce que nous savons du peu de culture des graveurs8, la
fréquence de leurs erreurs épigraphiques 9 suffisent à expliquer la confusion
entre deux lettres dont les formes sont au demeurant si proches.
Le personnage suivant est venos, debout de trois quarts à gauche, les
cheveux courts, en tunique ceinturée et manteau drapé, chaussée de sandales,
et étendant la main droite au-dessus de la tête de cudido, le bras gauche
plié au niveau de la taille.
Une sorte de cippe ou de colonne basse sépare venos du personnage
suivant, une femme ailée, de face, vêtue d'un péplos ceinturé et qui penche
la tête vers le personnage de droite. Au-dessus de sa tête, à gauche,
l'inscription vitoria.
Nous ne rappellerons que pour mémoire l'hypothèse de Mommsen:
« Vitoria videtur esse a vitulando » 10. Vitulari est un mot de la langue
religieuse, commenté par Macrobe n, dont la signification de « se réjouir,
manifester sa joie par des chants ou des cris » est suffisamment établie.
Ce verbe justifie l'existence d'une déesse Vitula12, qui serait donc la déesse
de la joie, mais que certains érudits ont voulu considérer aussi comme une

6 Bullettino d. Inst, 1859, p. 98-99; Arch. Anz., 1859, c. 82*; Annali d. Inst, 1861,
p. 157-161; Ritschl, Priscae Latinitatis (1862) c. 16, tab. XI; Mommsen, CIL, I1, (1863), 58,
p. 26; Gerhard, Etr. Spiegel, IV, p. 15-17 (1867); Baudrillard, Les divinités de la Victoire en
Grèce et en Italie (1894), p. 47-49; Conway, Italie dialects (1897), η. 289 p. 316; Matthies,
Praenestinischen Spiegel (1912), p. 64, 95; De Ridder, Bronzes antiques du Louvre, II (1913),
n. 1730 p. 51; CIL, I2 (1918), 550, p. 428; Ernout, Textes latins archaïques (1947), n. 56
p. 30; Schilling, Religion romaine de Vénus (1954), p. 170-171.
7 Denys d'Halicarnasse, I, 68, qui avait lu sur une inscription archaïque DENATES au
lieu de PENATES.
8 Miroir étrusque, p. 635, 656-7.
9 Ibid., aile pour vile sur le miroir 1283 de la Bibliothèque Nationale, p. 567.
10 CIL, Γ, 58.
11 Sat. Ill, 2, 11: «Primo pontificii juris libro apud Pictorem verbum hoc positum est,
vitulari: de cujus verbi significatu Tìtius (Cincius? Mommsen, le.) ita rettulit: Vitulari est
voce laetari. Varrò etiam in libro XV rerum divinarum ita refert, quod pontifex in sacris
quibusdam vitulari soleat, quod Graeci ποαανίζειν vocant».
12 «Hyllus (Hygin? Mommsen, ibid.), libro quem de diis composuit, ait Vitulam vocari
deam quae laetitiae praeest».
UN PROBLÈME D'ÉPIGRAPHIE ITALIQUE: L'ÉNIGME DE RIT 865

déesse de la Victoire 13. Mommsen, en particulier, voudrait voir en Vitula


l'une des divinités dont serait sortie la Victoria romaine 14.
En fait, comme le rappelle A. Ernout, vitoria est une «réduction dialectale
du groupe -et- à -t- » 15. Avec les moyens philologiques de son temps,
Garrucci, qui attribuait l'absence du c à «une faute d'orthographe»16, était
plus proche que Mommsen de la vérité.
Mais les vraies difficultés commencent avec le dernier personnage, assis
de trois quarts à gauche, les cheveux courts, le buste nu, les hanches drapées
dans un manteau, des sandales aux pieds. Sa main droite s'avance vers la
Victoire, qui de son côté semble presque lui poser la main gauche sur
l'épaule. Au-dessus de son visage se lisent les trois lettres: rit.
Tous les commentateurs ont hésité sur le sexe du personnage et ne se
sont finalement décidés qu'en fonction de leur interprétation de l'inscrip
tion. La plupart cependant y voient un homme. Garrucci balance: « non
bastevolmente chiaro se sia maschile o femminile » 17. Mommsen, après avoir
affirmé «figura, de cujus sexu non liquet », l'interprète comme un homme 18,
ainsi que Gerhard « ein männliche Figur » 19, Convay « a seated youth » 20,
De Ridder « un éphèbe » 21 et Bücheier « juvene » 22.
Quant aux solutions apportées au problème épigraphique, elles sont
encore moins satisfaisantes. Brunn 23 proposait de lire, non pas rit, mais pit
qu'il interprétait en Peitho, divinité appartenant précisément au cercle de

13 Marquardt, Manuel, III, p. 312. Preller, Rom. Myth.3, I, p. 407. D'après Macrobe, I.e.:
«Piso ait Vitulam Victoriam nominari; cujus rei argumentum proferì quod postridie Nonas
Julias re bene gesta, cum pridie populus a Tuscis in fugam versus sit (unde Poplifugia
vocantur) post Victoriam certis sacrificiis fiat vìtulatio ». Le seul motif qui fasse considérer
Vitula comme une déesse de la Victoire, c'est que le lendemain des nones de juillet, jour
où l'on célébrait une victoire, la vitulatio faisait partie de la cérémonie. Mais il ne s'ensuit
pas que Victoria, à qui s'adresse le sacrifice, soit Vitula.
14 CIL, I1, 58: «Videturque magis dea Victoria orta ex duobus vetustioribus numinibus
confusis Vica Pota dicta a vincendo potiundo, Victoria a vitulando ».
15 Textes latins archaïques, 46.
16 Bullettino, p. 99.
17 Ibid., p. 98
18 CIL, I1, 58.
19 Etr. Spiegel, IV, p. 16.
20 Italie Dialects, p. 316.
21 Bronzes antiques du Louvre, II, p. 51.
22 CIL, I2, 550.
23 Bullettino, 1859, p. 99.
866 DENISE REBUFFAT-EMMANUEL

Venos. Malheureusement c'est bien rit qu'il faut lire, la haste inférieure
étant parfaitement nette, quoique courte.
Garrucci lisait bien rit, mais, pensant au décor d'une ciste prénestine
fraîchement découverte représentant un jugement de Paris où la pomme
était tenue par la Victoire, il supposait que rit « se référait » au nom de
Paris, sans s'expliquer davantage. Cette idée fut reprise par Gerhard 24, par
De Ridder 25, et par R. Schilling 26.
Mais s'il est vrai que Paris apparaît fréquemment sur les miroirs tant
étrusques que prénestins et sur les cistes, il n'y est jamais appelé Paris;
c'est toujours le nom d'Alexandre qui est employé, quelles que soient les
variations morphologiques dont il est affecté.
Mommsen et Biicheler ont préféré s'en tenir à des explications latines
de ce miroir latin. Le premier pensait à un Ritus: « Fuitne deus aliqui
Ritus, Graecorum θεσμός, a nuptiali argumento sane non alienus? » 27.
Solution quelque peu désespérée, qui se trouve ruinée si la figure en question
n'est pas masculine, et qui, surtout, a l'inconvénient d'obliger à créer une
divinité de circonstance. On peut objecter la même chose à Bücheier qui
croit tout sauver en lisant Risus « licetne cogitare de Ris(u)? Γέλως Veneri
comissantibusque comitatur in Plauti epitaphio Risus, Ludus Jocusque » 28.
Pourquoi pas, mais pourquoi? Reconnaissons d'ailleurs que tous deux présen
tent leur solution comme extrêmement hypothétique.

Et tout d'abord est-il vraiment impossible d'identifier sur la gravure le


sexe du personnage en question? Nous ne le pensons pas. Le dessin de la
poitrine est nettement, féminin, et le vêtement, laissant nu le buste et envelop
pant les hanches et les jambes d'un personnage assis est le plus souvent utilisé,
aux 4e et 3e siècles, pour les femmes29. La chaussure, basse, à lanières de
cheville, est également plutôt employée pour des femmes, les hommes allant
pieds nus ou chaussés de bottines plus hautes, ou de bottines « de chasse » 30.

24 Etr. Spiegel, IV, p. 16-17.


25 Bronzes du Louvre, l. c: « (Paris ??) ».
26 Vénus, p. 170, note 4: «Quelle que soit la solution de ce problème épigraphique il
semble bien qu'il s'agisse de Paris».
27 CIL, I1, 58.
28 CIL, I2, 550.
29 Cf. Gerhard, Etr. Spiegel, 66, 77, 84, 95, 100 (= Β. Ν. 1338, Mir. étr. p. 619) etc...
30 Cf. la série des miroirs «à quatre personnages», notre Miroir étrusque, p. 512 sq.
UN PROBLÈME D'ÉPIGRAPHIE ITALIQUE: L'ÉNIGME DE RIT 867

Les cheveux courts ne sont pas un obstacle. Sur beaucoup de miroirs, et cela
dès le 5e siècle, les femmes portent les cheveux courts31, et d'ailleurs, ici,
rien ne permet d'affirmer qu'ils soient forcément plus courts que ceux de
Venos ou de la Victoire. Il s'agit donc bien d'une femme.
Nous avons examiné directement l'inscription. Il n'est pas douteux qu'il
faille lire rit. Nous avons également cherché à savoir si d'autres lettres avaient
été effacées, si l'inscription primitive était plus longue. Nous n'avons discerné
aucune trace d'autres lettres. D'ailleurs l'espace laissé libre de part et d'autre
permettrait de graver tout au plus une lettre avant rit et deux après. Nous
sommes persuadée que rien d'autre n'a jamais été écrit. Et cela peut parfait
ement s'expliquer. Nous savons combien les graveurs sont tributaires des
modèles qu'ils copient: il suffit que le modèle ait été endommagé et incomplet,
pour que le graveur le recopie tel quel, incapable qu'il était de le compléter,
parce qu'au fond, il ne le comprenait pas. C'est donc ce modèle endommagé
qu'il nous faut restituer.
A notre avis, la clef du problème se trouve sur une ciste prénestine
(pi. II), connue depuis bien longtemps, conservée au Musée Grégorien du
Vatican32, et que des analogies précises nous invitent à situer à la même
époque - dernier tiers du 4e siècle - que des miroirs à inscriptions latines
ou de flan piriforme que nous avons déjà étudiés 33. De forme ronde, portant
sur son couvercle, en guise de poignée, une panthère attrapant un volatile,
et comme motif gravé deux assemblées analogues de satyres et de femmes
illustrant un thème de « séduction en musique » 34, elle est ornée, sur tout
le pourtour de la boîte, d'une frise gravée continue encadrée en haut et en
bas d'une bordure de palmettes et lotus alternés. Cette frise présente une
série de héros, empruntés pour la plupart au cycle troyen, Micos (?)., Aciles,
Iacor (peut-être une erreur pour Hector? 35), Aiax, et de divinités, Victoria,
Fercles, Diesptr, Iuno, Mircurios, Veritus. Si nous gardons présente à l'esprit

31 Gerhard, Etr. Spiegel, 70, 83, 86, 87, 105, 106, 110, 111, 113, 114 etc..
32 Inv. 12282. Garrucci, Ciste prénestine con epigrafi, Annali, 1861, p. 151-162. Monum
enti, VI, pi. LIV. Ritschi, Rhein Mus., XVII, p. 607. Id., Priscae Latinitatis, c. 98. Mommsen,
CIL, I, 1500. Fabretti, CII, 2726 ter c, pl. XLVI. CIL, I2, 564; XIV, 4106. Ernout, Textes latins
archaïques, 55.
33 Pour le traitement des draperies, voir le miroir à inscriptions latines 1297 du Cabinet
des Médailles, que nous avons daté vers 320 (Mir. étr. p. 610), et pour le casque, sorte de
bonnet phrygien à crête, voir le miroir piriforme 1323, situé par nous vers 330 (ibid., p. 624).
34 On peut supposer qu'il s'agissait de deux groupes empruntés à un cahier de modèles
consacré à ce thème.
35 Garrucci, l. c, p. 161.
868 DENISE REBUFFAT-EMMANUEL

la scène du miroir, deux groupes presque symétriques attirent notre attention.


Ils représentent tous deux un guerrier en train de s'armer aidé par une
divinité, d'une part Aciles, nu, courbé pour mettre ses jambières, alors que,
debout devant lui, Victoria, drapée, lui tient son casque de la main droite;
d'autre part Aiax (PI. III), ayant déjà revêtu cuirasse et jambières, attachant
le baudrier de son épée, et se tournant vers Veritus, jeune femme debout,
drapée, qui de la main droite lui tend son casque, cependant que de la main
gauche, elle maintient appuyée au sol la lance qu'elle va lui remettre.
Nous pensons que la rit du miroir et la Veritus de la ciste ne font
qu'une. Dans l'un et l'autre cas, la déesse est mise en parallèle avec la
Victoire, et c'est aussi net sur le miroir que sur la ciste, puisque le miroir
distingue deux groupes de personnages, Venus et Cupidon d'une part, la
Victoire et Rit d'autre part, qui se tiennent par l'épaule.
Or Veritus c'est Virtus, et l'iconographie, sur la ciste, correspond à ce que l'on
peut attendre de cette divinité. Elle joue un rôle actif dans une scène d'armement,
de préparation au combat. On peut se demander si, sur le miroir 371, elle n'est
pas assise sur un bouclier, ou une pile de boucliers, tant le dessin est imprécis
et d'interprétation difficile. Quelques hachures peuvent faire croire à l'éclat
du métal. Finalement, il ne le semble pas, et l'amas assez confus qui lui
sert de siège n'est sans doute que la figuration maladroite d'un rocher.
La rocaille-siège est un poncif chez les graveurs de miroirs.
L'inscription de la ciste est assez gauchement tracée (PI. IV). Dessau36
signalait déjà « ductus ab operano incisi ducunt ad Vepitus (il se réfère
d'ailleurs à la planche des Monumenti et ne semble pas avoir vu l'objet
directement); sed probabile est operarium dare voluisse vel Veritus vel
Vertus (= Virtus), quod nomen quam apte conveniat mulieri Uli galeam
Ajaci porrigenti ». La troisième lettre est en effet très anguleuse, et, à tout
prendre, elle ne ressemble pas plus à un ρ qu'à un r: on a un exemple
des deux lettres dans Diesptr, et on y voit un ρ à la boucle presque re
fermée. C'est du t que cette lettre est le plus proche, et encore avec des
différences, car la haste oblique plonge trop bas. D'ailleurs l'e de la première
syllabe n'est pas complètement tracé non plus, et en ce qui concerne les r,
celui de Victoria est également incomplètement tracé, le milieu de la panse
faisant défaut. Il est donc vain de s'attarder sur ces approximations de graphie.
Le graveur recopiait son modèle comme il pouvait, probablement sans le
comprendre, et notre goût de l'exactitude et de la précision l'aurait bien
étonné. Son modèle comportait assurément Veritus et c'est l'essentiel.

CIL, XIV, 4106.


UN PROBLÈME D'ÉPIGRAPHIE ITALIQUE: L'ÉNIGME DE RIT 869

Reste à expliquer cette forme Veritus. A. Ernout, dans ses Textes latins
archaïques37, ne donne aucun commentaire de ce mot, qui est pourtant,
de toute l'inscription, celui qui en mériterait le plus. Pourtant Forcellini
donnait, dans son article Virtus 38, une lecture vertus de la ciste, qu'il appuyait
de deux références épigraphiques, l'une empruntée à Griiter39, l'autre à
Marini 40. Ritschl de son côté, dans une étude du Rheinische Museum 41,
reprise dans les Epigrafischgrammatische Miscellen 42, proposait la lecture
veritus, assortie de l'interprétation veritus = virtus; veritus étant « une
dérivation suffixée comparable à celle de serv-i-tus », alors que vertus était à
mettre en rapport avec un mot comme juven-tus. Dessau43, à la suite de
Ritschl, lisait soit veritus, soit vertus = virtus.
Nous empruntons au Dictionnaire étymologique d'A. Ernout et
A. Meillet la mise au point de la question: « Virtus est avec vir dans le
même rapport de dérivation que Juventus, senectus avec juvenis, senex.
Comme ces deux mots, il marque l'activité et la qualité » 44.
Reste à expliquer que nous lisions veritus et non virtus. Il existe, rap
pelons-le, de nombreux cas d'épen thèse d'un i entre deux consonnes: Alexandiri
(Dessau 2350), balineum (5668, 5676, 5679, 5711 etc. . .), difficulitates (1118),
Dominae (= Juliae Domnae, 9287), omines (= omnis 3546), ominibus (7480),
opitimo (2077), opituma (7460d), trichil(inium) (p. 819) etc..
Ces i se développent donc volontiers au contact de consonnes liquides
(1, r), ainsi d'ailleurs que de nasales, et d'autre part de l'occlusive t. Or le
cas de virtus est à la fois celui du voisinage de la liquide r et de l'occlusive t.
Et ce passage à un éventuel *virìtus a dû être facilité par l'abondance des
composés de vir commençant par viri -: virilis, virilitas, viriliter, dont la
parenté avec virtus devait être sensible aux usagers de la langue. Il existait
en outre une divinité Viriplaca45.

37 55, p. 33.
38 Lexicon, s.v. Virtus.
39 Gruter, Inscriptiones antiquae, II, 1056, 2, mais c'est une inscription chrétienne.
40 Marini, Atti e monumenti de' fratelli Arvali, 1795, p. 500, 83. La forme donnée est
VIIRTVS.
41 Rhein. Mus., XVII, p. 607.
42 Opuscula IV, p. 730.
43 CIL, XIV, 4106.
44 S.v. Vir.
45 Valére Maxime 2, 1, 6. Elle présidait aux raccommodements entre époux.
870 DENISE REBUFFAT-EMMANUEL

Mais veritus suppose de plus une dissimilation, ou une ouverture de l'i


initial, qui, elle non plus, n'est pas sans correspondants attestés: Felicetas
(4058), Feronea (3479), filicessimes (= Felicissimae, 1963, qui offre une
double anomalie), Menerva (1851. 3124, 3126, mais on peut voir là plutôt
une influence étrusque) etc. . . Mais là encore, la ressemblance générale avec
un terme comme Veritas a pu jouer son rôle.
Veritus est donc bien une forme de virtus, attestée sur la ciste; sur le
miroir, il est probable que c'est [ve]rit[us] qu'il faut restituer (plutôt qu'un
*viritus qui n'est attesté par aucun témoin). Solution évidente, que le manque
de renseignements sur les étapes de la création d'un miroir a certainement
contribué à faire méconnaître jusqu'ici.

L'existence d'une déesse Virtus est très anciennement attestée dans le


domaine latin. Parmi les prescriptions de la Loi des Douze Tables relatives
au culte des dieux célestes, Cicéron énumère Mens, Virtus, Pietas et Fides46.
Le premier temple consacré à Virtus le fut près de la Porte Capène 47, et son
culte y était jumelé avec celui d'Honos. Honos possédait en effet un temple
construit en 233 par C. Fabius Maximus Verrucosus. En 222 avant J.-C.
M. Marcellus Claudius, le futur vainqueur de Syracuse, « renouvela » son
culte en y associant celui de Virtus, mais à la suite de scrupules des Pontifes,
le temple ne fut consacré qu'en 205. La déesse, toujours associée à Honos,
avait un autre temple devant la Porte Colline48. Le culte de Virtus est donc
ancien, même si, au moment où la Loi des Douze Tables en fait mention,
elle ne possède pas de sanctuaire. Mais il est intéressant de rencontrer, grâce
au miroir et à la ciste, un jalon intermédiaire entre le 5e et le 3e siècle
finissant.
L'apparence que la déesse revêt sur le miroir et sur la ciste est encore
bien éloignée de celle que lui attribueront traditionnellement les monnaies
républicaines ou impériales49 et les reliefs50. Sur le miroir, à demi drapée,

46 De Leg. 2, 19.
47 Cicéron, De Nat. Deor., 2, 61. Tite-Live, 27, 25, 7-9; 29, 11, 13. - Valere Maxime,
1, 1, 8. Plutarque, Marc. 28; De fort. Rom., 5.
48 Cicéron, De leg. 2, 23, 58. - CIL, VI, 3692.
49 Babelon, Monnaies de la Rép. rom., I, 213, 513 sq.; II, 236. F. Gnecchi, Le personifi
cazioniallegoriche sulle monete imperiali, Riv. Hal. di Numismatica, XVIII, 1905, p. 41 sq.
50 Cf. par exemple un sarcophage du Palais Mattei, Monumenta Matthaeiana, III, 40, 1.
UN PROBLÈME D'ÉPIGRAPHIE ITALIQUE: L'ÉNIGME DE RIT 871

le buste nu, elle n'est caractérisée par aucun attribut; sur la ciste, vêtue
d'une tunique et d'un manteau longs, elle tient des armes, casque et lance,
dont elle va, de façon imminente, se dessaisir au profit d'Ajax, qui ne sont
donc que des attributs éphémères, c'est-à-dire qu'au fond elle est à nouveau
sans attributs. Elle apparaît donc essentiellement comme une femme drapée,
et n'est vraiment caractérisée que par la présence de son nom.
La ciste l'associe à Ajax, et cette association correspond au témoignage
de certains textes: le Peplos du Pseudo-Aristote 51 et l'Anthologie Palatine,
sous le nom d'Asclépiade 52, donnent une épitaphe d'Ajax:
Άδ' έγώ ά τλάμων Άρετα παρά τωδε κάυημαι
Αΐαντος τυμβφ κειραμενα πλοκάμους,
ϋυμον αχεί μεγάλω βεβολημένα, ει παρ' Αχαιοϊς
ά δολόφρων Απάτα κρεσσον έμεΰ δύναται.

qui a servi de modèle à Ausone pour sa propre épitaphe d'Ajax 53:


Ajacis tumulo pariter tegor obruta Virtus,
Inlacrimans bustis funeris ipsa mei,
Incomptas lacerata comas, quod pravus Atrides
Cedere me instructis compulit insidiis.
Jam dabo purpureum claro de sanguine florem,
Testantem gemitu crimina judicii.

Il est intéressant de noter que des textes alexandrins - Ausone n'étant


qu'un écho tardif de textes antérieurs - correspondent si bien à l'image
donnée par la ciste du 4e siècle, derrière laquelle on devine, avec ses person
nages de la guerre de Troie et ses dieux grecs aux noms transposés, un
archétype hellénistique. C'est 1'Άρετή grecque qui parvient ici dans le domaine
latin, c'est une Virtus transposée du grec qui va prendre place dans le
Panthéon latin.
Sur les deux documents figurés que nous avons présentés, le miroir
et la ciste, ce n'est pas encore à Honos que Virtus est associée, mais à
Victoria: c'est avec Victoria qu'elle fait groupe sur le miroir, c'est avec elle
qu'elle est mise en parallèle sur la ciste. Il s'agit d'une association qui n'est
pas inconnue des textes littéraires ni des inscriptions. Les déesses voisinent,
par exemple, dans une enumeration divine de l'Amphitryon de Plaute54:

51 Bergk, 7, 1.
52 7, 145.
53 Ausone, Epitaph., Peiper, p. 73, 3.
54 Amphitr., 42.
872 DENISE REBUFFAT-EMMANUEL

Neptunum Virtutem Victoriam Martern Bellonam; ainsi que sur une inscrip
tion tardive de Lambèse55: Victoriae divinae, Virtutis corniti Aug(ustorum
trium) r(es) p(ublica) c(oloniae) l(ambaesitanae). En contre-épreuve, Virtus
est associée à l'adjectif invictus, lorsqu'il s'applique aux empereurs 56.
Mais l'image de Virtus que nous donne le miroir du Louvre la fait
apparaître également en face de Venus. Elles s'opposent banalement en une
sorte de couple antithétique, chez Saint Augustin: «cur celebrata sit Venus
et obscurata sit Virtus... Plures enim Venerem quam Virtutem (appetunt) »57.
Silius Italicus présente la même antinomie, mais Venus y est remplacée par
Voluptas58, son équivalent abstrait. Sur le miroir 1730 d'ailleurs, Venus et
Cupido d'une part, Victoria et Virtus peuvent être considérés comme formant
deux groupes opposés, comme deux allégories antithétiques. Dans un autre
ordre d'idées Venus Victrix - ainsi que Félicitas - est associée à Honos
et à Virtus dans la fête qui leur est consacrée le 12 août in theatro marmoreo:
Veneri Victrici Hon(ori) Virt(uti) Felicitati in theatro marmoreo59.

Mais il existe un témoignage littéraire qui donne un autre sens à cette


association: le Culex, dans son « Catalogue des Héros », nomme ensemble
Venus et Virtus, qui ont présidé toutes deux aux noces des Eacides, Pelée
et Télamon, père d'Ajax.
Peleus namque et Telamonia virtus
Per secura patris laetantur numina, quorum
Conubiis Venus et Virtus injunxit honorem60.

Elles sont ensemble les protectrices, les patronnes des Eacides 61, et l'on
pourrait imaginer que le miroir n'est qu'un fragment d'une plus vaste com-

55 Dessau, 3812.
56 Dessau, 3798: Honori et Virtuti imp(eratoris) Caes(aris) M. Aurefljii Cari p(ii) f(elicis)
invicti.
57Civ., 7, 3.
58Sii. Ital. 15, 18 sq.
59Fasti Amitern., CIL, I2, p. 324. Inscription presque identique dans Fasti Allifani, ibid.
V(eneri) V(ictrici) H (onori) V(irîuti) V(ictoriae?)
Felicita [ti] in theatro Pomp ei.
60 Culex, 297-299.
61 On en trouve un écho chez Horace lorsqu'il associe au nom d'Eaque le souvenir
de sa virtus (Odes, IV, 8, 25-28):
Ereptum Stygiis fluctibus Aeacum
virtus et favor et lingua potentium
vatum divitibus consecrat insulis.
UN PROBLÈME D'ÉPIGRAPHIE ITALIQUE: L'ÉNIGME DE RIT 873

position, qui regrouperait les déesses et leurs protégés. La ciste du Vatican


pourrait de son côté avoir conservé un souvenir d'un cycle iconographique
des Eacides dont il reste peu de témoins62.
Nous retiendrons de ces rapprochements que les groupements icono
graphiques présentés par le miroir et la ciste ne résultent pas de fantaisies
individuelles des modélistes, mais font allusion à des alliances divines réelles
dont la littérature et l'épigraphie ont conservé des traces à des époques diverses.

Nous conclurons donc que l'inscription rit du miroir 1730 du Louvre


peut se compléter en [ve]rit[us], nom attesté sur une ciste prénestine con
temporaine du miroir, et que dans l'un et l'autre cas il s'agit de la déesse
Virtus, dont l'apparition au 4e siècle, entre l'allusion rapide qui est faite
à son culte dans la Loi des Douze Tables et la consécration en 205 de son
temple à la porte Capène, comble heureusement une lacune de nos connais
sances. Elle se présente, sur les deux monuments cités, comme une jeune
femme drapée, ne portant, à proprement parler, pas d'attributs, et son inser
tion dans une scène représentant les héros de la guerre de Troie, où elle
apparaît comme protectrice d'Ajax, nous fait pressentir qu'un archétype
alexandrin a dû guider le modéliste 63. Cette Virtus apparaît donc essentiellement
comme la transcription latine de ΓΑρετή grecque. Elle est, sur les deux
monuments, mise en parallèle avec Victoria, tandis que sur le miroir, elle se
trouve en présence de Venos, et des références littéraires et épigraphiques
consolident ces rapprochements. Nous y gagnons un précieux témoignage
sur l'histoire de Virtus en Italie.
D'autre part, l'élucidation du problème épigraphique que posait
l'existence, sur le miroir, de cette inscription incomplète nous renseigne,
une fois de plus, sur la manière dont travaillaient les graveurs, en particulier
sur leur dépendance vis-à-vis de leurs modèles, et sur leur incompréhension
personnelle de la signification des personnages et des mythes qu'ils re
présentaient.

62 Les Tarentins faisaient des offrandes aux Eacides, Ps. Aristote, De Mir. Ause, 106.
63 Peut-être ces influences alexandrines ont-elles raffermi le culte de l'ancienne Virtus
italique.
D'après Gerhard 371

PI. I - Miroir du Louvre 1730.


PI I Ciste du Vatican 12 82 (d apres les Monument VI LIV)
Cliché Musei Vaticani Monumenti VI,

PI. Ili - Ciste du Vatican 12282 (détail).


876 DENISE REBUFFAT-EMMANUEL

PI. IV - L'inscription Veritus de la ciste du Vatican.


RENÉ REBUFFAT

AR VA BEATA PETAMUS AR VA DIVITES ET INSULAS »

Avant que les géographes ne les fixent aux Canaries, nombre de textes,
depuis Homère, nous parlent des Iles Fortunées, ou de quelque contrée
merveilleuse de l'Occident extrême. Quiconque entendait évoquer ce paradis
pouvait concevoir le désir de s'y rendre, et cependant nous ne le trouvons
exprimé qu'en deux circonstances avant qu'Horace écrive la XVIe Epode.
D'abord lorsque les Carthaginois ont empêché les Etrusques d'aller y fonder
une colonie. Puis lorsque Sertorius, après un revers, a caressé le projet de
s'y réfugier.
Les Etrusques, Sertorius, Horace: que faut-il penser de cette étrange
séquence?

Quelle que soit l'érudition * qu'ait suscitée la XVIe Epode, il s'y trouve
quatre vers qui ont provoqué moins d'intérêt, et qui méritent d'être relus.
La description des Iles Fortunées comporte plusieurs thèmes: celui des
nourritures aisées, d'où on passe facilement à celui des animaux paisibles.
Puis vient plus merveilleux encore, et c'est la description du climat. Enfin
se trouve le thème des navigateurs qui n'ont pas encore découvert les Iles,
réservées par Jupiter à des privilégiés.
Ce qui attire notre attention est la description du climat, qui tient
toute entière dans cette particularité que2:
neque largis
aquosus Eurus arva radat imbribus
pinguia nec siccis urantur semina glaebis
utrumque rege temperante caelitum.

1 Bibliographie récente, globale et par centres d'intérêt, dans D. Ableitinger-Grünberger,


Der Junge Horaz und die Politik, Heildelberg 1971.
2 Textes et traduction ci-dessous d'après F. Villeneuve, Horace, Odes et Epodes, p. 223 sq.
878 RENÉ REBUFFAT

En somme, il n'y a pas de fortes pluies, et la terre ne souffre pas de


sécheresse. Qu'est-ce à dire? C'est qu'il y a des pluies, mais qu'elles ne sont
pas « largis », elles n'ont pas cet effet néfaste décrit par « radat », et ce sont
donc des pluies fines, mais fréquentes, ou à la rigueur une humidité suf
fisante de l'atmosphère. Un géographe parlerait de « climat atlantique », et
un humoriste de « crachin vivifiant ».
Mais ne s'agirait-il pas simplement d'une description inversée des
méfaits du climat de l'Italie centrale? Reportons-nous à la prophétie de
Vegoia3: «Les récoltes seront fréquemment gâtées et abattues par la pluie
et la grêle, périront sous la canicule, seront détruites par la rouille ». Pour
jeter le mauvais sort sur les champs italiens, il suffisait de promettre aux
agriculteurs les intempéries qu'ils connaissaient bien.
L'optique des deux textes n'est pas la même: la prophétie envisage
la destruction des récoltes sur pied. Horace pense aux graines en terre,
soit à propos de la sécheresse, soit à propos des pluies, car c'est avant
la végétation que le ravinement est le plus à craindre, et ce moment de la
végétation est bien celui qui correspond à la mention de l'Eurus, par lui-
même associé à l'idée des pluies d'automne4. Mais il y a entre eux une
autre différence: la prophétie énumère banalement des intempéries. Le texte
de l'Epode est plus curieusement précis, en notant qu'au moment où il
doit pleuvoir, il ne pleut cependant pas trop, sans cependant que les champs
souffrent de sécheresse.
Et en fait, quelque chose nous avertit que cette particularité des Iles
Fortunées n'est pas simplement l'absence garantie de calamités trop fréquentes
dans un pays normal, ou en Italie. C'est que la description passe sans aucune
transition du thème de l'abondance paisible à cette particularité climatique,
pour sauter ensuite à une autre idée. Et cette absence de transition est
voulue, soulignée, par ce cri d'émerveillement: pluraque felices mirabimur.
Il se passe dans ces Iles quelque chose de vraiment étonnant, qu'Horace
semble découvrir et veut nous faire découvrir avec ravissement, et qui ne
devrait pas tant le surprendre s'il ne s'agissait que d'être à l'abri des intempéries.
Il faut donc se demander si cet étonnement n'accompagne pas la
découverte de cette particularité que nous appellerons pour simplifier du

3 J. Hergon, The date of Vegoia's Prophecy, dans JRS 1959, p. 41-45 et résumé dans REL
XXXVII, 1959, p. 46-47; La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 283-286.
4 Sur la relation de l'Eurus et de l'automne, R. Lantier, Venti, Daremberg-Saglio, p. 719;
Rehm, Euros, Realencyclopädie, col. 1313; Thesaurus, Eurus, col. 1079, ligne 17 sq.
« ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS » 879

« climat atlantique » dans la tradition établie sur les Iles Fortunées. Or on


constate aussitôt qu'à une exception près, d'autant plus remarquable, Horace
ne la trouvait, au moins à notre connaissance, nulle part. Car depuis Homère 5
et Hésiode 6, les Iles, ou telle région bienheureuse équivalente, ont été maintes
fois célébrées, et leur climat vanté. Mais nous trouvons chez Homère qu'il
n'y pleut pas, et cela signifie que ses Champs Elysées sont à l'abri des
méfaits hivernaux, qu'ils offrent un bonheur tout méditerranéen, une
température douce où les vents rafraîchissent l'atmosphère. Et c'est ce
bonheur méditerranéen que nous trouvons aussi chez Pindare7, et de même
c'est la « tiédeur » du climat que vante Strabon 8 quand il commente Homère.
D'un régime particulier des pluies, il n'est pas question, et l'équilibre du
climat est un équilibre non des précipitations, mais des températures.
Lorsque d'autre part les géographes9 nous parlent des Canaries, ils ne
nous disent rien des pluies, sinon à propos de l'île appelée précisément
Pluvialia, mais pour dire que la seule eau douce de l'île vient des pluies 10,
ce qui a évidemment un tout autre sens qu'une allusion à un régime par
ticulier des pluies. Et enfin, le texte de Diodore (V, 19-20) qui nous décrit
avec quelque détail l'île où ont voulu s'établir les Etrusques insiste sur ses
fleuves, ses ruisseaux et ses sources, fait allusion au climat, et ne dit mot,
lui non plus, du régime des pluies.
Voyons donc l'exception dont nous parlions. C'est le texte de Plutarque n
qui concerne Sertorius. On se rappelle que Sertorius aborde sur la côte

5 Odyssée, IV, 562 sq. «... mais aux Champs Elysées, tout au bout de la terre, les dieux
t'emmèneront chez le blond Rhadamanthe, où la plus douce vie est offerte aux humains, où
sans neige, sans grand hiver, toujours sans pluie, on ne sent que zéphyrs, dont les risées
sifflantes montent de l'Océan pour rafraîchir les hommes...» (trad. Victor Bérard).
6 Hésiode ne donne d'indication climatique que très indirectement: «... dans les îles des
Bienheureux, aux bords des tourbillons profonds de l'Océan, héros fortunés, pour qui le sol
fécond porte trois fois l'an une florissante et douce récolte». (Travaux et Jours, vers 171-173,
trad. Mazon).
7 Pindare, Olympique II, 127 sq.: «... là, l'île des Bienheureux est rafraîchie par les brises
océanes; là resplendissent des fleurs d'or, les unes sur la terre, aux rameaux d'arbres magnifiques,
d'autres, nourries par les eaux...» (trad. Puech).
8 Strabon, III, 2, 13: «La pureté de l'air et la douceur des souffles du zéphyr sont,
en effet, les traits caractéristiques de cette contrée, puisqu'elle se trouve à l'occident et que le
climat y est tiède» (trad. Lasserre).
9 Liste des textes dans C. Th. Fischer, Fortunatae Insulae, Realencyclopädie, col. 42-43.
10 Pline VI, 202: in Pluvialia non esse aquam nisi ex imbribus.
11 Texte et trad. R. Flacelière, éd. Budé, tome VIII, p. 20-21: (1) Le vent s'apaisant enfin,
il fut porté vers des îles sans eau, disséminées çà et là. où il passa la nuit. Puis il se rem-
880 RENÉ REBUFFAT

ouest de l'Espagne, un peu au nord de l'embouchure du Bétis, et qu'il


rencontre là des marins, probablement des Gaditains, bien que le mot ne
soit pas prononcé, qui reviennent des Iles Atlantiques. Et, après les indica
tionstopographiques, vient une description, qui non seulement est consacrée
au régime des pluies, mais n'est consacrée qu'à lui.
(3) « Les pluies y sont modérées et rares, et les vents généralement
doux et humides, ce qui rend la terre non seulement grasse et bonne pour
le labour et les plantations, mais encore riche en fruits qui viennent d'eux-
mêmes, et qui suffisent par leur quantité et leur douceur à nourrir sans
peine et sans travail une population oisive.
(4) L'air qui règne dans ces îles est sain en raison des variations
mesurées de la température des saisons, car les vents du Nord et de l'Est,
qui soufflent de notre continent, ayant à traverser un espace d'une immense
étendue, se dispersent et s'épuisent en chemin, tandis que les vents du large,
ceux du Sud et de l'Ouest, qui soufflent autour d'elle, y apportent de la
mer des pluies fines et clairsemées, et plus souvent encore des rosées de
beau temps qui rafraîchissent la terre et la nourrissent doucement ».
Nous avons séparé cette description en deux paragraphes pour mieux
en souligner le plan. Le premier paragraphe est consacré aux pluies et
à leurs conséquences, et le second à l'explication de leur régime. Ce n'est
pas là un texte de littérateur, mais le compte rendu d'observations précises
et même scientifiques. Et il n'y a guère lieu de douter qu'il s'agisse des
renseignements mêmes rapportés par ces marins que nous appelons pour
simplifier Gaditains, et qui avaient par métier la capacité de faire des
observations de ce genre, et le goût aussi par vocation d'explorateurs.
Lorsque nous relisons alors: «... l'humide Eurus n'y ronge point les
champs sous des torrents de pluie ... les grasses semences ne sont point
brûlées sous les mottes desséchées, car le roi des dieux célestes y contient
l'un et l'autre excès », nous reconnaissons exactement le même thème, celui
de l'humidité permanente sans pluies violentes. Et ajoutons que nous recon
naissons aussi une même orientation des observations des deux textes: car
il ne s'agit pas dans l'un et l'autre des pluies arrosant les récoltes, mais

barqua, passa le détroit de Gadeires et gagna vers la droite la partie de l'Espagne qui est
au-delà, un peu plus loin que l'embouchure du Bétis qui se jette dans l'Océan Atlantique et
qui a donné son nom à la région de l'Espagne qu'il arrose. (2) Là, il rencontra des marins
revenus récemment des îles Atlantiques: ce sont deux îles séparées par un bras de mer fort
étroit, situées à dix mille stades de la Libye et nommées îles des Bienheureux. (3) Les pluies
... (nous citons plus loin les § 3-4 du texte, et plus loin encore le § 5).
« ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS » 881

bien de l'humidification du sol lui-même, naturellement favorable à ses pro


ductions, mais secondairement.
Horace et Plutarque sont donc seuls, parmi tous les auteurs dont nous
ayons conservé des descriptions des Iles Fortunées ou du pays des Bienheureux
à traiter de ce thème des précipitations de type « atlantique ». Or nous
connaissons la source de Plutarque, ce sont les Histoires de Salluste 12, qui
donne d'une part les mêmes précisions topographiques que Plutarque, fra
gment Maurenbrecher I 100: quas duas insulas propinquas inter se et decem
milia stadium a Gadibus sitas constabat suopte ingenio alimenta morta-
libus gignere; qui faisait état d'autre part du désir de Sertorius de s'y rendre,
I, 102, traditur fugam in Oceani longinqua agitavisse, ce qui nous est
confirmé par le pseudo-Acron, Oceanus: in quo sunt insulae fortunatae,
ad quas Sallustius in historia dicit victum voluisse ire Sertorium, Plutarque
donnant en face de ces résumés une version plus précise: « Sertorius éprouva
un désir extraordinaire d'aller s'établir dans ces îles et d'y vivre paisiblement,
débarrassé de la tyrannie et des interminables guerres »; et qui concluait
probablement que c'étaient là les Champs Elysées d'Homère, I, 101 Secundum
philosophos elysium est insulae fortunatae, quas ait Sallustius inclitas esse
Homeri carminibus, comme le fait Plutarque qui termine son récit en
disant: (5) « Aussi la ferme croyance s'est-elle répandue jusque chez les
Barbares, que là se trouvent les Champs Elysées et le séjour des Bienheureux,
chanté par Homère » 13.
On peut donc admettre que Plutarque nous restitue l'essentiel du récit
de Salluste, si même il ne nous en donne pas une traduction plus ou moins
étendue. Or, Horace et Plutarque ont en commun non seulement le thème
du « climat atlantique », dont nous avons noté l'exceptionnelle originalité
dans la tradition qui concerne les îles Fortunées, mais encore celui du départ
vers les îles pour échapper aux guerres civiles. Ce souci précis d'échapper
à la guerre, et à la guerre civile, est également original dans la tradition.
On en conclura donc qu'Horace dépend lui aussi de Salluste.
Est-il besoin d'une vérification? Elle nous est fournie par le pseudo
Acron 14, qui nous signale le projet de Sertorius précisément à propos des

12 Les fragments viennent pour le 100 de Nonius IX, éd. Müller, 1888, p. 495; pour
le 101 de Servius ad Aen., V 735; pour le 102 de Servius Dan. ad Aen., II, 640 (et non
I 640 Maurenbrecher errore).
13 Cette ressemblance a été notée par A. Schulten, Sertorius, Leipzig, 1926, p. 5 sq. Sur
ce que la vie de Sertorius doit à Salluste, Flacelière, éd. cit., notice sur la Vie de Sertorius.
14 Pseudo-Acron, éd. Keller, p. 440-441.
882 RENÉ REBUFFAT

vers 41-42 de la XVIe épode, ce qui s'explique bien soit s'il est dépositaire
d'une tradition précise rappelant qu'Horace s'est inspiré de Salluste, soit
s'il avait lui-même connaissance du texte de Salluste, et pouvait faire facil
ement un rapprochement qui s'imposait.
Grâce à l'originalité du thème du « crachin vivifiant », voici faite une
démonstration au seuil de laquelle les commentateurs d'Horace ont bien
souvent hésité, car tous connaissent bien sûr, les textes de Plutarque, de
Salluste et du pseudo-Acron, mais avec ces seuls éléments, comme le dit
l'un d'eux, l'influence de Salluste sur Horace est « possible, but not provable » 15.
En renforçant le stemma qui fait dépendre de Salluste à la fois Plutarque
et Horace, on peut ajouter aux fragments des Histoires de Salluste un
long passage peut-être purement et simplement traduit par Plutarque, en
tout cas fidèlement transposé, sur les observations climatologiques des
Gaditains. On fournit aux chorographes 16 modernes un moyen d'orienter leur

15 E. Fraenkel, Horace, Oxford 1958, p. 49.


De fait, les critiques n'ont que très rarement remarqué l'analogie du thème des pluies
dans Plutarque et dans Horace, et ils n'en ont tiré aucun parti. G. Schörner, dans une disserta
tion d'Erlangen de 1934, Sallust und Horaz über den Sittenverfall und die sittliche Erneue
rungRoms, a bien vu que d'une façon générale, Horace avait subi fortement l'influence de
Salluste, et rassemblé les arguments qui montrent que le pessimisme d'Horace et l'idée de la
fuite vers les îles peuvent venir de Salluste, mais il ne tire partie que d'un mot en note du
thème des pluies: Die Beschreibung der Seligen Inseln erinnert bei Horaz z.T. sehr stark an
die Erzählung der Schiffer... (et il cite Plutarque: "Ομβροις δε χρώμεναι κ.τ.λ.). La remarque
était pleine de sagacité, mais n'a pas été développée davantage.
K. Barwick, Zur Interpretation und Chronologie der 4° Eclogue des Virgils und der
16° und 7° Epode des Horaz, Philologus 96, 1944, remarque p. 66 l'analogie entre Plutarque-
Salluste et Horace, en y ajoutant une autre comparaison entre Epode XVI, 43, reddit ubi
Cererem tellus inarata quotannis et Maurenbrecher 100 suopte ingenio alimenta mortalibus
gignere, mais il met sur le même pied que ces rapprochements d'autres analogies avec
Diodore V, 19 qui ne tiennent pas compte de la valeur exacte de ces fragments dans le dévelop
pement de Diodore (voir ci-dessous).
Ces comparaisons n'ont pas convaincu les critiques, comme on le voit par l'opinion de
Fraenkel et de F. Villeneuve, p. 226 note 1: «Horace a pu s'inspirer du projet qu'on avait
prêté à Sertorius... », et Doris Ableitinger-Grünberger leur oppose l'opinion, d'ailleurs intéres
santede L. Levi, L'epodo XVI d'Orazio e la IV ecloga virgiliana, Atene e Roma, 1931, p. 168
note 1: «Eppure io crederei che il poeta... oltre e più che pensare al disegno attribuito da
Sallustio e da Plutarco a Sertorio di andar a stabilirsi nelle isole Fortunate, come vogliono
i commentatori e i critici, avesse in mente l'antica divisata trasmigrazione a Veio».
16 G. Aujac, La géographie dans le monde antique, Paris, 1975, p. 5-6, sur la géographie
et la chorographie. L'analyse du climat des Iles tel qu'il nous est transmis par Plutarque devrait
intéresser les géographes?
« ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS » 883

recherche des Iles Fortunées 17. Et on apporte une réponse partielle à la


question que nous posions pour commencer: tout se passe comme si Horace
avait lu le passage des Histoires de Salluste qui concernait Sertorius 18.

Les Etrusques, nous dit Diodore (V, 20) avaient été tentés jadis de
gagner une île de l'Atlantique digne du séjour des dieux 19:
« Or 20 donc les Phéniciens, explorant pour les raisons ci-dessus
mentionnées les rivages situés au-delà des colonnes d'Hercule et longeant la
côte africaine furent entraînés par des vents violents loin au large dans
l'Océan. Chassés par la tempête pendant plusieurs jours, ils abordèrent à

17 Notre article traitant des traditions sur les Iles Fortunées, et non des Iles Fortunées
elles-mêmes, nous n'y disons volontairement pas un mot de la question de leur identification,
ce qui fera comprendre que nous ne citions pas les travaux, souvent pleins d'intérêt, de ceux
qui en ont traité, et que nous ne donnions pas notre opinion là-dessus. Bornons-nous à dire que
l'explication de la genèse des textes est un préalable à l'emploi des détails qu'ils donnent.
18 Salluste meurt en 36 ou 35 (A. Ernout, éd. Budé, p. 8 ) sans avoir achevé les
Histoires (p. 32). K. Barwick, p. 66-67: «Es darf daher mit Sicherheit angenommen werden,
das Horaz bei der Abfassung der 16 Epode das i° Historienbuch gekannt hat, ... Damit wäre
zugleich auch festgestellt, dass Ende 39-Anfang 38 das erste Historienbuch des Sallust bereits
veröffentlicht war». Voilà donc l'épode qui sert de moyen pour dater la publication de Salluste.
Sur la date de l'épode, P. Grimal, A propos de la XVIe Epode d'Horace, dans Latomus 1961,
p. 721-730, dont la conclusion (février-avril 38) est pour l'essentiel acceptée par D. Ableitinger-
Grù'nberger (p. 64), qui fait cependant remarquer que la limite basse à adopter devrait être
plutôt le «retour» d'Horace chez Mécène, que sa première présentation.
On admet, ce qui est parfaitement rationnel, qu'Horace n'a plus pu écrire la XVIe épode
après être devenu un familier de Mécène. Il reste cependant une petite incertitude: qui peut
savoir ce qui pouvait plaire ou déplaire à Mécène? Pour un portrait, P. Boyancé, Bull. Ass.
G. Budé, 1959, p. 332-344; puis J. M. André, Mécène, Paris 1967. Mécène étrusque revit dans
J. Heurgon, Vie quotidienne, p. 317 sq. - Comment un Etrusque souriait-il quand il essayait
d'imaginer les Romains quittant Rome?
19 Nous traduisons, car il n'existe pas de traduction française satisfaisante de Diodore.
Sur l'édition des Belles-Lettres en cours, F. Chamoux, Une nouvelle édition de Diodore de
Sicile, dans Bull. Ass. G. Budé, 1972, p. 365-368.
20 Texte éd. Loeb:
XIX. Έπεί δε περί των εντός 'Ηρακλείων στηλών κειμένων νήσων διεληλύυαμεν, περί των κατά
τον Ώκεανον ούσών διέξιμεν. Κατά γαρ την Λιβύην κείται μεν πελαγία νήσος αξιόλογος μεν τω
μεγέοει, κειμένη δε κατά τον Ώκεανόν απέχει πλουν άπδ της Λιβύης ήμερων πλειόνων, κεκλιμένη
προς την δύσιν. Έχει δε χώραν καρποφόρον, πολλήν μεν όρεινήν, ούκ όλίγην δε πεδιάδα κάλλει
884 RENÉ REBUFFAT

l'île ci-dessus mentionnée21, et ayant apprécié sa bienheureuse nature, ils


la firent connaître largement. C'est pourquoi les Etrusques, qui disposaient
d'une forte puissance navale22, voulurent envoyer dans cette île une colonie.
Mais les Carthaginois les en empêchèrent, à la fois parce qu'ils redoutaient
qu'attirés par les qualités de l'île, beaucoup des habitants de Carthage n'y

διαφέρουσαν (2) Διαρρεομένη γαρ ποταμοΐς πλωτοΐς έκ τούτων αρδεύεται, και πολλούς μεν έχει
παραδείσους κατάφυτους παντοίοις δένδρεσι, παμπληθεΐς δε κηπείας διειλημμένας ύδασι γλυκέσιν
επαύλεις τε πολυτελείς ταίς κατασκευαΐς ύπάρχουσιν έν αύτη και κατά τας κηπείας κατεσκευασμένα
κωοωνιστήρια, την διάθεσιν άνϋηραν έχοντα, έν οΐς οι κατοικούντες κατά την οερινήν ώραν ένοιατρίβουσι,
δαψιλώς της χώρας χορηγοΰσης τα προς την άπόλαυσιν και τρυφήν. (3) Ή τε ορεινή δρυμούς έχει
πυκνούς και μεγάλους και δένδρα παντοδαπα καρποφόρα και προς τας έν τοις ορεσι δίαιτας έχοντα
συναγκείας, και πηγας πολλάς. Καθόλου δ' ή νήσος αύτη κατάρρυτός έστι ναματιαίοις και γλυκεσιν
ΰδασι, δι' ων ού μόνον άπόλαυσις έπιτερπής γίνεται τοις έμβιοΰσιν έν αύτη, άλλα και προς ύγίειαν
σωμάτων και ρώμην συμβάλλεται. (4) Κυνήγια τε δαψιλή παντοίων ζφων και θηρίων υπάρχει, και
τούτων έν ταίς εύωχίαις εύπορούντες ούδεν ελλιπές εχουσι τών προς τρυφήν και πολυτελειαν ανηκόντων.
Και γαρ ιχθύων έχει πλήθος ή προςκλύζουσα τη νήσω θάλαττα δια το φύσει τον Ώκεανον πανταχη
πλήθειν παντοδαπών ιχθύων, (δ) Καθόλου δε ή νήσος αύτη τον περικείμενον αέρα παντελώς εϋκρατον
έχουσα, το πλέον μέρος του ένιαυτοϋ φέρει πλήθος άκροδρΰων και τών άλλων τών ωραίων, ώστε
δοκεΐν αυτήν ώσεΐ θεών τίνων, ούκ ανθρώπων ύπάρχειν έμβιωτήριον δια τήν ύπερβολήν τής ευδαιμονίας.
XX. Κατά μεν οΰν τους παλαιούς χρόνους ανεύρετος ην δια τον άπο τής όλης οικουμένης
έκτοπισμόν, ύστερον δ' ευρέθη δια τοιαύτας αιτίας. Φοίνικες έκ παλαιών χρόνων συνεχώς πλέοντες
κατ' έμπορίαν, πολλάς μεν κατά τήν Λιβύην αποικίας έποιήσαντο, ούκ ολίγας δε και τής Ευρώπης
έν τοις προς δΰσιν κεκλιμένοις μερεσι. Τών δ' επιβολών αύτοΐς κατά νουν προχωρουσών, πλούτους
μεγάλους ήθροισαν, και τήν έκτος 'Ηρακλείων στηλών έπεβάλοντο πλεϊν, ήν Ώκεανον όνομάζουσι.
(2) Και πρώτον μεν έπ' αυτού του κατά τας στήλας πόρου πόλιν έκτισαν έπί τής Ευρώπης, ήν ούσαν
χερρόνησον προσηγόρευσαν Γάδειρα, έν ή τά τε άλλα κατεσκεΰασαν οίκείως τοις τόποις καί ναον
'Ηρακλέους πολυτελή, καί θυσίας κατέδειξαν μεγαλοπρεπείς τοις τών Φοινίκων εθεσι διοικουμένας.
Το δ' ιερόν συνέβη τούτο καί τότε καί κατά τους νεωτέρους χρόνους τιμασθαι περιττότερον μέχρι
τής καθ' ημάς ηλικίας. Πολλοί δε καί τών 'Ρωμαίων επιφανείς άνδρες καί μεγάλας πράξεις κατειρ-
γασμένοι έποιήσαντο μεν τούτω τω θεώ εύχάς, συνετέλεσαν δ' αύτας μετά τήν συντέλειαν τών κατορθωμάτ
ων. (3) Οι δ' ούν Φοίνικες διάτας προειρημένας αιτίας έρευνώντες τήν έκτος τών στηλών παραλίαν
καί παρά τήν Λιβύην πλέοντες, ύπ' ανέμων μεγάλων άπηνέχθησαν έπί πολύν πλουν δι' 'Ωκεανού.
Χειμασθέντες δ' έπί πολλάς ημέρας, προςηνέχθησαν τη προειρημένη νήσω, καί τήν εύδαιμονίαν αυτής
καί φύσιν κατοπτεύσαντες άπασι γνώριμον εποίησαν. (4) Διό καί Τυρρηνών θαλαττοκρατοΰντων καί
πέμπειν εις αυτήν άποικίαν επιβαλλομένων, διεκώλυσαν αυτούς Καρχηδόνιοι, άμα μεν εύλαβούμενοι μή
δια τήν άρετήν τής νήσου πολλοί τών έκ τής Καρχηδόνος εις έκείνην μεταστώσιν, άμα δέ προς τα
παράλογα τής τύχης κατασκευαζόμενοι καταφυγήν, εϊ τι περί τήν Καρχηδόνα ολοσχερές πταίσμα
συμβαίνοι · δυνήσεσθαι γαρ αυτούς θαλαττοκρατούντας άπαραι πανοικίους εις άγνοουμένην ύπο τών
υπερεχόντων νήσον.
21 Nous ne voulons pas trahir Diodore en allégeant son style.
22 Nous ne traduisons pas υαλαττοκρατοϋντες par «ayant la suprématie sur mer», puisqu'elle
ne saurait être attribuée simultanément aux Carthaginois et aux Etrusques.
« ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS » 885

émigrassent, et parce qu'ils se préparaient un refuge contre les coups du


sort, pour le cas où une catastrophe complète atteindrait Carthage: car
disposant eux-mêmes d'une forte puissance navale, ils pourraient emmener
tous leurs concitoyens dans l'île dont leurs vainqueurs ignoreraient
l'existence ».
Et de fait, dans le cadre d'un exposé géographique, et après avoir parlé
des îles de la Méditerranée, Diodore est passé à celles de l'Océan, en traitant
d'abord de celle qui nous intéresse (V, 19) avant de traiter de la Bretagne
(V, 21 sq.).
« Car du côté de l'Afrique se trouve en pleine mer une île remarquable
par sa superficie, et qui, située dans l'Océan est éloignée de l'Afrique d'un
bon nombre de jours de navigation, vers la direction du couchant. C'est
une contrée fertile, montagneuse certes pour l'essentiel, mais comportant
pour bonne part une plaine d'une remarquable beauté. Car parcourue de fleuves
navigables, elle en est arrosée, et elle possède plusieurs paradis plantés d'arbres
de toutes sortes, ainsi que de très nombreux jardins parcourus d'eaux douces.
Il s'y trouve des villas somptueusement construites, et dans les jardins
sont édifices des pergolas ornées d'une parure florale, où les habitants
passent leur temps pendant la saison d'été, la contrée fournissant libéral
ementce qui est nécessaire à leur plaisir et à leur bien-être. La montagne
possède des bois épais et étendus et des arbres fruitiers de toute sorte, et
elle offre pour la résidence en montagne23 des vallons et de nombreuses
sources. Dans l'ensemble, cette île est arrosée d'eaux courantes et
douces, grâce auxquelles elle procure un plaisir délicat à ceux qui y
vivent, et profite aussi à leur santé et à leur vigueur. La chasse y est libérale
en toutes sortes d'animaux et de bêtes sauvages, et leur abondance dans les
festins ne laisse rien à désirer de ce qui est nécessaire au bien-être et à
la magnificence. Et il y a abondance de poissons dans la mer qui la baigne,
puisqu'il est de la nature de l'Océan de regorger partout de toute sorte
de poissons. Dans l'ensemble, cette île est dotée d'une atmosphère par
faitement tempérée, si bien qu'elle procure la plus grande partie de l'année
quantité de fruits des arbres et d'autres productions. Aussi paraît-elle, par
l'excès de son bonheur, être la résidence de divinités peut-être, et non de
simples mortels ».

13 Traduction approximative d'un texte peu sûr. Certains éditeurs ont résolu la difficulté
en supprimant έχοντα.
886 RENÉ REBUFFAT

Voilà un texte qui ne nous parle que très marginalement du climat


de l'Ile Atlantique, et les préoccupations de son premier auteur n'étaient
pas celles d'un agriculteur. Il n'y est à aucun moment question des champs,
ni de cultures ni même de récoltes, sauf accessoirement à propos de la
cueillette de fruits des arbres. En fait, l'abondance qui règne dans l'île n'est
que celle d'un vaste parc, et l'idéal du bonheur est de séjourner dans des
paradis ou des jardins façonnés par des paysagistes attentifs, agrémentés
de fabriques, et qui charment par leurs fleurs et leurs eaux vives. Il est
admirable que Diodore situe dans une île de l'Atlantique24 ce qui est pour
nous une des meilleures évocations que nous possédions d'un des paradis
du Proche-Orient25. Car on retrouve, au détour des allusions grecques aux
merveilles des résidences des princes et des satrapes de l'immense empire
perse, les plantations d'arbres26, les réserves de gibier27 et le goût des eaux
courantes 28, ainsi que dans le parc de Tissapherne, « les retraites et les
pavillons aménagés avec un luxe royal et inouï » 29.
Mais la totalité de la description ne dérive pas de celle d'un « paradis »
asiatique. On discerne dans le texte l'esquisse d'une topographie, celle d'une
île en grande partie montagneuse et où la montagne, remarquable par sa
dense couverture de forêts, joue le rôle d'un château d'eau d'où jaillissent
sources et cours d'eau. Serait-il donc construit à partir de deux éléments,
la poésie des évocations « paradisiaques » drapant les grandes lignes d'un

24 Mais il ne sera pas le dernier à le faire! Robinson Crusoë, lui aussi découvrira dans
son île un véritable «paradis»: «... At the end of this march, I came to an opening, where
the country seem'd to descend to the West, and a little spring of fresh water, which issued
out of the side of the hill by me, run the other way, that is due East; and the country
appear'd so fresh, so green, so flourishing, every thing being in a constant verdure, or flourish
of spring, that it look'd like a planted garden... I saw here abundance of cocoa trees, orange,
and lemon, and citron trees; but all wild... I contemplated with great pleasure the fruitfulness
of that valley, and the pleasantness of the situation, the security from storms on that side
the water, and the wood... I was so enamour'd of this place, that I spent much of my
time there for the whole remaining part of the month of July... I built me a little kind
of a bower ... so that I fancy'd now I had my country house, and my sea-coast-house. »
On retrouve simultanément ici le thème de la fraîcheur des eaux vives, celui de l'abondance
naturelle, et celui de la pergola qui sert au séjour estival.
25 Les textes ont été rassemblés par P. Grimai, Les jardins romains, p. 68 et 79.
26 Plantations d'arbres: Xénophon, Economique, IV, 21; Quinte Curce, VII, II, 22, etc.
(Grimai, p. 80-81).
27 Réserves de gibier: Cyropédie I, 3, 14; Quinte-Curce, VIII, 1, 2; Plutarque, Demetrios, 50.
28 Eaux courantes et sources: Quinte-Curce, VIII, 1, 2.
29 Plutarque, Alcibiade, 24.
« ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS » 887

décor primitif30? Ce qui permet de le penser, c'est qu'un texte parallèle,


contenant la même notice, au moins pour l'essentiel, sur l'histoire de l'île,
la caractérise au contraire d'un seul mot, une île « déserte », ερήμην, ce
qui confirme que les habitants de l'île avec leurs résidences, leurs berceaux
de fleurs, et leurs festins, ne sont qu'embellissement, et les dieux qui
mériteraient un tel séjour les princes très réels d'un Orient assez proche.
En revanche, la mention, dans ce texte parallèle, des forêts et des fleuves
navigables, permet de penser que les forêts denses et étendues, et les fleuves
de Diodore faisaient bien partie de la description primitive 31.
Il faut donc, pour remonter à la notice originelle, comparer deux textes,
Diodore, et le De Mirabilibus Auscultationibus (84, ex 85).
« Dans la mer 32 extérieure aux Colonnes d'Hercule, on dit que les
Carthaginois avaient découvert une île, déserte, dotée d'une forêt aux multi
plesessences et de fleuves navigables, et admirable par le reste de ses pro
ductions. Elle était distante d'un grand nombre de jours de navigation. Comme
les Carthaginois y venaient souvent à cause de ses heureuses qualités, et que
quelques-uns même s'y établissaient, les gouvernants de Carthage déclarèrent
qu'ils puniraient de mort ceux qui navigueraient vers l'île, et firent disparaître
tous ses habitants, afin qu'ils ne divulguent rien, et qu'une foule d'immigrants
rassemblée autour d'eux ne prenne pas le pouvoir dans l'île et ne ruine
pas la fortune de Carthage ».

30 P. Grimai insiste sur l'union des thèmes de la fécondité et de l'agrément, qui est bien
nette dans Diodore. Ce qui interdit d'extraire de Diodore tel ou tel élément de la description
en l'isolant du contexte. Les rapprochements qu'on a pu faire entre Diodore et la XVIe Epode
sont donc souvent très fragiles: par ex. Barwick art. cit., p. 66, note 66.
31 On se demande si Diodore a mal vu que sa source avait un plan rigoureux (a - la
plaine; b - la montagne; c - vue d'ensemble) qu'il suit maladroitement, ou si au contraire il
n'a pas introduit de fausses distinctions par souci exagéré des parallélismes. Sur les tendances
du style de Diodore, et leurs conséquences quelquefois catastrophiques pour la clarté de
l'exposé, J. Heurgon, Posidonius et les Etrusques, Mélanges Grenier, p. 801. Il est en tout
cas certain que le déluge de participes du texte est une tendance propre au style de Diodore,
et qu'elle ne concourt pas à l'alléger.
32 Nous traduisons aussi le passage du De Mirabilibus, faute de traduction française.
Texte éd. Hett, coll. Loeb, 1936:
(85) Έν τη υαλάσση τη εξω Ηρακλείων στηλών φασίν ύπο Καρχηδονίων νήσον εύρευήναι
ερήμην, εχουσαν ϋλην τε παντοδαπήν και ποταμούς πλωτούς, καί τοις λοιποΐς καρποΐς Οαυμαστήν, άπεχουσαν
δε πλειόνων ήμερων πλουν ■ έν ή" έπιμισγομένων των Καρχηδονίων πολλάκις δια την εύδαιμονίαν,
ένίων γε μην καί οίκούντων, τους προεστώτας, των Καρχηδονίων άπείπασ&αι ΰανάτω ζημιουν τους
εις αυτήν πλευσομένους καί τους ένοικοϋντας πάντας άφανίσαι, ϊνα μή διαγγέλλωσι, μηδέ πλήυος
συστραφεν έπ' αυτών έπί την νήσον κυρίας τύχη καί την των Καρχηδονίων εύδαιμονίαν άφεληται.
888 RENÉ REBUFFAT

Le parallélisme de cette notice33 avec celle de Diodore est évident:


on y retrouve le même ordre d'exposition - situation de l'île, description,
histoire -; une description substantiellement comparable, si on pense que
Diodore, même abstraction faite du thème paradisiaque, a, par travers de
styliste, quelque peu enflé les données sur lesquelles il travaillait, tandis que
l'auteur du De Mirabilibus avait sans doute plutôt tendance à abréger sa
source; quelques détails caractéristiques déjà relevés, l'importance des
forêts, les fleuves navigables; et la péripétie essentielle du veto carthaginois.
Mais on relève aussi de notables divergences:

Diodore De Mirabilibus

Découverte par les Phéniciens Découverte par les Carthaginois


Les inventeurs parlent de leur décou Les Carthaginois se rendent souvent
verte de l'île dans l'île
Les Etrusques veulent y envoyer une Des Carthaginois s'y établissent
colonie

Veto des Carthaginois

Parce que: Parce que:


a - ils ont peur que trop de Cartha a - ils ont peur que l'île ne soit
ginoisne s'y établissent connue de trop de monde
b - ils veulent conserver un refuge b - ils ont peur que la population
pour les Carthaginois en cas de de l'île ne devienne menaçante
ruine de Carthage pour Carthage

Le texte du De Mirabilibus, qui ne peut être un résumé de Diodore,


puisqu'il exclut son développement « paradisiaque », ne peut pas non plus,
compte tenu de toutes ces divergences, être un résumé de la source directe
de Diodore. Il semble remonter à une version différente concernant ces
mêmes événements qu'étaient la découverte de l'île et l'interdiction pro
mulguée par les Carthaginois.
Avant de chercher à comprendre comment on a abouti à ces deux
versions divergentes, il faut se demander ce qui s'était en réalité passé.

33 Ces textes ont été commentés plusieurs fois, en particulier par E. Colozier, Les
Etrusques et Carthage, dans MEFR, 1953, p. 86-90 (avec bibliographie, p. 87 n. 2). Depuis, G. et
C. Picard, La vie quotidienne à Carthage, p. 173 et 246-247.
« ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS » 889

Et il faut remarquer que nos deux textes offrent tous deux une étrange
logique. Chez Diodore, les Carthaginois interdisent aux Etrusques d'aller
dans l'île parce qu'ils ont peur que trop de Carthaginois ne s'y rendent.
Dans le De Mirabilibus, les Carthaginois interdisent à leurs compatriotes
de s'y rendre parce qu'ils ont peur que trop d'étrangers n'en connaissent
l'existence: car c'est bien ce qu'il faut entendre par διαγγέλωσι, ils ont peur
que la nouvelle ne se répande, bien évidemment chez d'autres qu'eux.
Quels sont ces gens qu'on ne veut pas mettre au courant? Ne s'agirait-il
pas tout simplement des Etrusques de Diodore? Résumant sa source, l'auteur
du De Mirabilibus a transformé les Phéniciens qui découvrent l'île en
Carthaginois, probablement parce qu'il ne savait pas qu'il y avait en
Occident d'autres Phéniciens que les Carthaginois, et en tout premier lieu
les Gaditains, rendant ainsi la suite des faits encore plus étrange, puisqu'on
ne comprend pas, s'ils étaient eux-mêmes les auteurs de la découverte, com
ment la situation menaçait d'échapper au contrôle des Carthaginois. De la
même façon, une mention primitive des Etrusques, parce que l'auteur du
De Mirabilibus ou un de ses devanciers ne comprenait plus, toujours faute
de connaissances sur l'Occident, quel rôle ils pouvaient bien jouer dans
cette histoire carthaginoise, a probablement disparu de la tradition, au profit
de ces vagues étrangers dont on a peur qu'ils n'apprennent la nouvelle
et qu'ils ne transforment la population de l'île en un groupe allogène,
nombreux et hostile.
Il est donc bien probable que l'événement essentiel de l'histoire, c'est
que les Carthaginois avaient interdit aux Etrusques d'aller s'établir dans une
terre découverte par les Phéniciens de l'Ouest, histoire racontée ensuite
de plusieurs façons, les divergences ne concernant que la succession des
faits et les mobiles des Carthaginois.
Car à relire les textes à partir de cette idée ils retrouvent l'un et l'autre
une cohérence qui leur manque de prime abord. Dans Diodore, les Phéni
ciens bavardent, et il est probable que les Carthaginois sont les premiers
informés. Mais le fait essentiel est que la nouvelle tombe dans des oreilles
étrusques, et c'est le projet étrusque qui inquiète les Carthaginois et provoque
leur réaction. Dans le De Mirabilibus, les Carthaginois ne s'alarment pas
dans un premier temps, et ils réagissent dans un second temps quand ils
ont peur que la nouvelle ne se répande, c'est-à-dire quand ils se rendent
compte qu'elle se répand effectivement, et que l'île suscite les convoitises
d'autres qu'eux.
Cela acquis, comment les faits sont-ils passés dans des récits qui sont
parvenus jusqu'à Diodore et au De Mirabilibus? A accepter directement
les conséquences de ce qui nous est dit, la source primitive n'est pas
890 RENÉ REBUFFAT

carthaginoise, puisque les Carthaginois semblent avoir organisé un « black


out » rigoureux qui aurait dû ôter pendant longtemps à qui que ce soit
l'envie de dire ou d'écrire quoi que ce soit sur le sujet. Mais tout secret a
ses fuites, et l'interdiction elle-même ne pouvait être secrète.
Cependant, les deux textes ont en commun une idée qui, à bien y
penser, est étrange. Les Carthaginois ont peur. Ils ont peur dans l'immédiat
de la puissance politique d'un rassemblement de population dans l'île. Et
ils ont peur pour l'avenir que le destin de Carthage ne soit en jeu, et que
l'île ne soit cause de la ruine de Carthage, ou qu'elle empêche Carthage
de se sauver de sa ruine.
Dans l'immédiat, il est peu probable qu'ils aient peur d'avoir une
colonie supplémentaire: ils respectaient leur ancienne métropole tyrienne34,
ils avaient su établir un protectorat sans problèmes sur les anciennes villes
phéniciennes d'Occident, et s'ils avaient la force d'interdire, ils avaient aussi
celle de contrôler. Ils ont donc peur d'autre chose, ou plutôt d'autres gens,
et il s'agit des Etrusques, comme d'ailleurs on nous le dit. Un récit d'origine
punique aurait-il ainsi avoué cette peur, et cette tradition ne serait-elle
pas plutôt d'origine étrusque?
Pour l'avenir, les Carthaginois étaient-ils donc si craintifs et si fatalistes 35
qu'ils prissent leurs décisions en fonction de cette ruine de Carthage qui
jette son ombre sur les deux récits? Nous allons montrer que les faits sont
probablement antérieurs à la chute de Tyr (332) ou à la campagne
d'Agathocle (310-307) qui ont effectivement pu faire craindre ou envisager
la fin de leur ville aux Carthaginois. Est-ce donc alors que le récit aurait
été modifié après la chute de Carthage, ou après une crise qui l'avait fait
craindre, donc par d'autres que par des Carthaginois, et dans ce cas, ne
s'agirait-il pas de nouveau des autres protagonistes de l'affaire, les Etrusques?
et s'il n'en est pas ainsi, à qui cette idée que toute ville devait rencontrer
un jour sa fin était-elle familière, sinon aux Etrusques, qui comptaient les
siècles36 que les destins leur avaient impartis?
Demandons-nous donc alors pour qui le récit qui nous est fait avait
de l'intérêt? Pour les Carthaginois, qui savaient de toute façon que les
Phéniciens de l'extrême ouest en savaient long, et dont la politique constante

34 Ils ont accueilli de nombreux Tyriens au moment de la prise de la ville par Alexandre.
Pendant la campagne d'Agathocle, ils envoient la dîme à Melqart de Tyr (Diodore, XX, 14).
En 348, ils font participer Tyr aux avantages du traité avec Rome.
35 Quoiqu'on puisse citer le mot d'Hannibal après le Métaure . . . agnoscere se fortunam
Carthaginis... (Tite-Live XXVII, 51, 12). Mais il est quelque peu ambigu.
36 J. Heurgon, Capoue préromaine, p. 324.
«AR VA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS » 891

devait être jour après jour d'éviter que d'autres n'en apprennent trop? pour eux
qui auraient laissé courir un récit qui les présentait sous un jour malheureux,
défiants de leurs forces, incapables d'assumer leur vocation de puissance
coloniale, jaloux de leurs alliés, et tourmentés par le souci de leur ruine?
ou les Etrusques, recueillant la nouvelle des Gaditains, prêts à l'utiliser,
mais brutalement stoppés par le veto carthaginois, et qui n'avaient plus
qu'à se répandre en récits colorés sur ce qu'ils avaient perdu, et en comment
aires acerbes, en suppositions malignes, et en malédictions bien senties sur
le compte des Puniques, qui avaient eu peur d'eux et qui n'avaient même
pas confiance en eux-mêmes?
Le récit est essentiellement à l'origine celui d'un échec, ce qui nous
garantit l'authenticité des faits, échec qui a déçu les Etrusques, mais qui
humiliait les Puniques plus qu'eux-mêmes. Les Phéniciens de l'ouest ont bel
et bien découvert quelque chose, les Etrusques l'ont su, les Carthaginois
les ont empêchés d'en profiter, et ce sont des récits étrusques de l'affaire
qui l'ont fait connaître et entrer dans le bagage d'anecdote des historiens.
C'est soit la variété de ces récits eux-mêmes, soit l'histoire d'une longue
tradition qui nous échappe, qui est à l'origine des divergences essentielles
de nos deux textes. D'autres s'expliquent parce que l'un, le De Mirabilibus,
trop loin des réalités, à gommé un certain nombre de détails caractéristiques,
et que l'autre, celui de Diodore, s'est gonflé à la fois d'une tradition étran
gère, empruntée à une description de « paradis » oriental, et des amplifica
tions stylistiques propres à Diodore 37.
Les renseignements que nous pouvons retenir sur l'île elle-même,
montagneuse, boisée, riche en cours d'eau sont complètement différents
de ceux que les marins de Sertorius avaient rapportés sur les deux îles
jumelles au climat atlantique, et ils n'ont rien non plus d'essentiellement
semblable aux Champs Elysées tièdes et rafraîchis par les Zéphyrs des vieux
auteurs. Nous laisserons encore ici à d'autres le soin de la chercher, et nous
avons déjà trouvé autre chose, si nous avons identifié la tradition 38 étrusque
à laquelle l'incident étrusco-carthaginois avait donné naissance.

37 On ne devra donc utiliser comme renseignements sur les caractéristiques de l'île que
ceux qui sont susceptibles de provenir de la source primitive de Diodore.
38 Nous laissons systématiquement de côté toute discussion sur les sources de Diodore
dans ce passage, car il se trouve que cela ne nous intéresserait que de façon marginale de
savoir si sa notice remonte à la description de l'Océan de Posidonius, ou à Timée. Notons
en tout cas, en face de l'opinion de Barwick (Diodoros 5, 19 f (= Timaios...) der dem Sallust
wahrscheinlich durch Poseidonios vermittelt wurde...») qu'il nous paraît inutile de penser que
Diodore ait un quelconque rapport avec Salluste. Nous espérons montrer que les deux
892 RENÉ REBUFFAT

*
* *

De quand39 les faits dateraient-ils? Diodore en parle comme d'une consé


quence de la fondation de Gadès. Mais on ne peut le suivre sur ce point,
et il est probable que sa source marquait nettement que cette conséquence
n'avait suivi sa cause que tardivement: car il faut admettre que les Cartha
ginois aient été à la fois en situation d'imposer leur volonté aux Gaditains,
et d'interdire le passage vers l'Atlantique à d'éventuels rivaux, ce qui n'est
guère vraisemblable40 avant la fin du VIe siècle.
Quelle limite basse peut-on admettre? La puissance navale des Cartha
ginois dure jusqu'à la fin de la Idre guerre punique, et elle renaît avant la
seconde jusqu'à la fin de la seconde. Il n'y a pas là de quoi fixer une limite
utile. Mais la mention de la puissance navale des Etrusques est peut-être
plus intéressante.
Elle le serait tout à fait si on admet que cette puissance s'est effondrée
après la bataille de Cumes en 474 qui marque sans doute la fin d'une
certaine hégémonie maritime en Occident41, et l'épisode qui nous intéresse

traditions sont complètement séparées. L'hypothèse d'une origine étrusque de ces traditions
n'est pas celle des commentateurs précédents, E. Colozier et G. Picard, qui pensent à une
origine punique. Cette opinion n'a rien qui soit invraisemblable. G. Picard note en particulier
qu'on pourrait y relever « l'influence de quelque prophétie sur les destinées de Carthage, qui
prédisait sans doute une nouvelle migration des Tyriens vers l'ouest» (La vie quotidienne à
Carthage, p. 246). D'autre part, la politique de «stérilité volontaire» attribuée aux Carthaginois
n'est pas invraisemblable (ibid., p. 247). Quant au goût pour les «paradis», il pouvait fort
bien être partagé par les Carthaginois (ibidem, p. 86).
Nous croyons cependant que dans ces récits, les Carthaginois sont vus de l'extérieur
par des témoins qui n'ont pas accès aux véritables sources d'information puniques, et qui
d'autre part se soucient peu de présenter l'attitude carthaginoise sous un jour favorable.
39 Le livre des Singularités Merveilleuses n'est pas daté (on le fait descendre jusqu'au
temps d'Hadrien), et il ne peut fournir de limite basse. Quant aux sources de Diodore, remonter
à Timée ne ferait qu'assurer la limite basse que nous adoptons pour d'autres raisons.
40 On admet en général que c'est vers 500 que Carthage s'est installée en Andalousie:
A. J. Toynbee, Hannibal's Legacy, I, p. 528; G. et C. Picard, Vie et mort de Carthage, Paris,
1970, p. 64 sq.
41 M. Pallottino, Etruscologia, 6a éd. 1968, p. 136: «A partire da questo momento, per
duto il controllo del mare, le città dell'Etruria tirrenica si ridurranno a modesti statarelli con
tinentali, in attesa di esser assorbite dall'egemonia politica di Roma». J. Heurgon: Rome et la
Méditerranée occidentale, p. 110: «La thalassocratie étrusque en Tyrrhénienne était brisée:
ce qui ne signifie pas que les ports étrusques sur cette mer dussent cesser toute activité».
Cf. aussi L'elogium d'Un magistrat étrusque découvert à Tarquinia, dans MEFR, 1951, p. 132-133.
Sur l'expansion maritime romano-caerite, ibidem, p. 301.
«ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS» 893

serait alors assez exactement datable du premier quart dû cinquième siècle.


Mais en réalité, on ne peut accepter cette date précise.
Lorsque Denys le Jeune (367-344) fonde ses colonies apuliennes42
destinées à protéger l'Adriatique de la piraterie des barbares riverains, il
est probable que c'est aux pirates étrusques qu'il pensait aussi43. C'est
en tout cas le rôle d'une base contre les Etrusques φυλακή έπί Τυρρηνους
que devait jouer en 325-324 la colonie que les Athéniens projetaient d'y
installer 44.
Mais il ne s'agit pas seulement de l'Adriatique. Les Etrusques qui
piratent en compagnie des Antiates après 338 sont certainement établis sur
la côte de la mer Tyrrhénienne 45. Et les entreprises de tous s'étendent
probablement à l'ensemble des routes commerciales du temps. Hypéride46
fait un discours περί της φυλακής των Τυρρηνών et c'est probablement du
même sujet que devait traiter Dinarque47 dans son « Tyrrhenicos ». Le
pseudo-Aristide48 nous apprend que Rhodes s'ornait des trophées gagnées
sur les pirates tyrrhéniens, et une inscription est dédiée à la mémoire de

42 Diodore XVI, 5. Denys continue l'œuvre anti-étrusque et antiromaine de son père:


M. Sordi, Diodori Siculi bibl. liber XVI, p. 12 et / rapporti romano-ceriti, Rome, 1960, p. 62 sq.
43 W. Helbig, Les vases du dipylon et les naucraries, dans Mémoires de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, XXXVI, 1, 1898, p. 401. Une partie des faits que nous citons
sur la piraterie tyrrhénienne ont été rassemblés par Helbig: le décret de 325-324, les discours
d'Hypéride et de Dinarque, l'inscription de Rhodes et le Rhodiakos du Pseudo-Aristide, et le
texte délien, d'après Homolle, Les archives de l'intendance sacrée à Délos, Paris 1887, p. 68.
Nombre d'autres textes ne concernent pas des faits datés.
44 CIA, II, 2, n° 809; IG2 II 1629 ligne 220 sq. Récemment commenté par M. Zuffa,
/ commerci ateniesi nell'Adriatico e i metalli d'Etruria, Emilia preromana, VII, 1975, p. 4-5.
45 Strabon, V, 3, 5: «Mais autrefois les habitants d'Antium possédaient des navires et
pratiquaient la piraterie aux côtés des Tyrrhéniens, alors même qu'ils étaient déjà les sujets
des Romains. Cette situation amena d'abord Alexandre à déléguer une ambassade à Rome pour
s'en plaindre, puis plus tard Démétrios à renvoyer aux Romains des pirates qui s'étaient laissé
capturer et à leur dire que... il jugeait... inadmissible que les mêmes hommes fussent à la
fois les conducteurs de l'Italie et les pourvoyeurs des expéditions des pirates, ou qu'ils adorassent
les Dioscures... en même temps qu'ils envoyaient des pillards désoler les rivages de la Grèce...
Aussi les Romains mirent-ils fin à cette activité» (trad. Lasserre). Les protestations de Démétrios
sont certainement antérieures à sa captivité en 287-6. Voir notre article Tite-Live et la forteresse
d'Ostie, p. 634, note 1.
46 Hypéride, éd. Blass, 3a éd., p. 123 fgt. LVI.
47 Dinarque, Oratores attici, éd. Baiterus et Sauppius, II, p. 322. On ne connaît qu'un
titre d'après l'index des discours de Dinarque.
48 Aelius Aristide éd. Dindorf, I, discours XLIII, p. 798 = éd. Keil, II, p. 73. A. Boulanger,
Aelius Aristide, Paris, 1923, p. 374, n. 1: le discours qui s'efforce de consoler les Rhodiens de
la destruction de leur ville par le tremblement de terre de 142 « n'est pas d'Aristide, mais d'un
sophiste de la même école».
894 RENÉ REBUFFAT

Rhodiens morts en mer en combattant contre les Tyrrhéniens 49. Enfin, c'est
toujours είς την φυλακήν των Τυρρηνών que la ville de Délos fait un emprunt
au temple d'Apollon 50.
Nous sommes en 299, quelques années avant la bataille de Sentinum.
Quand donc allait s'éteindre la piraterie étrusque? Dans l'Adriatique, nous
voyons que les pirates illyriens sont déjà actifs à la fin du IVe siècle51.
Dans la Tyrrhénienne, les Italiotes pirataient au moins depuis le IVe siècle:
les Antiates étaient célèbres pour leurs exploits, et continueront à les exercer
après la soumission de leur ville à Rome en 338, et même jusque vers 294-
286. Le milieu du IVe siècle avait vu aussi les entreprises de Postumius
le Tyrrhénien 52, dont le nom révèle qu'il n'était tyrrhénien que de métier,
et qui fut finalement capturé par les Syracusains en 338. De même que
ces Illyriens et ces Italiotes ont indistinctement grossi les rangs des
« Tyrrhéniens » avant Sentinum, de même on peut penser que nombre
d'Etrusques ont continué leurs entreprises au IIIe siècle. Cependant, compte
tenu du poids politique de Rome, il ne pouvait plus guère être question
d'une activité ouverte et importante. C'est donc approximativement la limite
basse provisoire que nous pouvons admettre pour des faits qui supposent
une « puissance navale importante » des Etrusques.
Car ces histoires de pirates sont révélatrices de la puissance navale
étrusque. D'abord parce qu'elles sont trop fréquemment attestées pour ne
pas correspondre à toute une infrastructure de ports et de chantiers. Ensuite,
parce que ces pirates ne sont pas uniquement des pirates caboteurs, tapis
dans les anfractuosités d'un rivage pour guetter les navires qui passent à
portée. Ce sont des pirates au long cours, dont l'activité intéresse, ce qui
n'est pas peu, Athènes, Rhodes, Délos et Syracuse. Enfin, le mot de pirates
doit désigner très souvent les flottes nationales ou les corsaires armés par
les villes maritimes, pour une activité d'ailleurs parfaitement honorable53.

49 F. Hiller von Gärtringer, Inschriften auf Rhodos, dans MDAl(A), 1895, p. 222-229, qui
concerne trois frères dont le troisième a été tué seulement par des λαιστας. Texte repris dans
SGDI, n° 3835, Sylloge III, 1225.
50 Homolle, l. c, se demande si Ptolémée et ses alliés ont soudoyé des corsaires contre
Demetrios qui impose aux villes des contributions de défense, ou s'il s'agit simplement de
répression de la piraterie.
51 Helbig, art. cit., p. 401, n. 3. «La tradition présente les Illyriens comme pirates pour
la première fois en 301 av. J.-C. » (date livienne X, 2).
52 Notre art. Tite-Live et la forteresse d'Ostie, p. 639, note 1., et en particulier M. Sordi,
Timoleonte, p. 113-115.
53 Honorable: Strabon III, 2, 13. Autres textes dans Ch. Lécrivain, Pirataem Daremberg-
Saglio, p. 486.
«ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS » 895

C'était certainement le cas des pirates d'Antium, et ceux des villes étrusques
ne devaient pas avoir un statut bien différent.
Antium disposait encore au moment de sa chute d'un grand nombre
de vaisseaux longs, puisqu'ils ne purent être tous transférés à Rome, et qu'il
fallut brûler le surplus54, et ses chantiers navals pouvaient réparer très
rapidement cette perte. Postumius le Tyrrhénien, à un moment où ses affaires
n'étaient pas des plus florissantes, disposait de 12 vaisseaux. La faible par
ticipation navale 55 des Etrusques à l'expédition de Sicile ne doit pas tromper
sur leurs possibilités, qui devaient être bien plus considérables. En 307
encore, ils sont en mesure d'intervenir à Syracuse avec 18 vaisseaux, et ne
craignent pas, ce faisant, un conflit avec les Puniques eux-mêmes56. Rien
n'empêcherait donc par exemple de penser que la tentative de colonisation
des Romains en Corse57 dont on ne sait pas, avant la fin du IVe siècle,
à quelle date elle a eu lieu58, ait pu se situer au IVe siècle, aux meilleurs
temps de l'alliance romano-caerite 59.
Nous pouvons donc conclure: jusqu'au moment où Rome met prat
iquement fin à l'indépendance politique étrusque, il n'y a pas eu de période
où les Etrusques auraient été incapables d'organiser une expédition coloniale
vers une terre lointaine.
Entre 500 environ et 300 environ, la marge est importante, et peut-
être est-il illusoire de vouloir la réduire. Cependant, en 348, Carthage interdit
aux Romains de se rendre dans tout l'ouest méditerranéen60: Rome en tout
cas ne pouvait plus guère imaginer envoyer une colonie dans l'Atlantique
à ce moment. Mais il est probable que le traité de 348 a été fait sur le
modèle d'autres traités qui liaient à Carthage les villes étrusques, et qu'il
n'a été étendu à Rome que parce qu'après une crise, elle redevenait, depuis

54 Tite-Live VIII, XIV, 12 Naves Antiatium partirti in navalia Romae subductae, partim
incensae. ..
55 Thucydide, VI, 103, 2: trois pentécontores.
56 Diodore, XX, 61.
57 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, p. 301; J. Heurgon, dans J. et L. Jehasse, La
nécropole préromaine d'Aleria, p. 551.
58 Pour L. et J. Jehasse, La nécropole préromaine d'Aleria, p. 20 « sans doute avant
l'invasion gauloise»; pour I. Didu {art. cit. note sq. p. 325) au VIe siècle, au temps de la
Rome étrusque.
59 Sur l'envoi de colons romains en Sardaigne en 377, J. Heurgon, Rome et la Méditerr
anée,p. 301. Contra depuis: I. Didu, II supposto invio di coloni romani in Sardegna nel
l'anno 378-7, Athenaeum, 1972, p. 310-329 qui propose de lire Satricon au lieu de Sardonian
dans Diodore XV, 27, 4.
60 Toynbee, Hannibal's legacy, p. 528-529.
896 RENÉ REBUFFAT

353 61, une ville « étrusque » et aussi parce que l'occupation définitive des
bouches du Tibre semblait indiquer les prémisses d'une vocation maritime.
Il est donc probable que la ville (car il s'agit probablement d'une ville,
et non « des Etrusques ») maritime (c'est une vraisemblance, mais il fallait
que cette ville ait le goût des entreprises lointaines, et ait eu facilement
des contacts avec les Gaditains) étrusque dont il est question dans Diodore
a passé à une date que nous ignorons un traité avec les Carthaginois qui
lui interdisait probablement comme à Rome les entreprises occidentales.
D'autre part, nous connaissons en « 509 » le texte d'un traité entre
Carthage et une ville italienne, il se trouve qu'il s'agit de Rome. Comme on
l'a bien vu 62, Carthage ne songe pas à interdire l'accès de l'Occident lointain
au partenaire. Il est donc probable que l'entreprise étrusque a été conçue
à un moment où un ancien traité du type « de 509 » était encore en vigueur,
- type de traité qui n'interdisait pas des entreprises occidentales - et où un
traité du type « de 348 » n'était pas encore signé, mais où la politique
Carthaginoise qui allait inspirer le traité de 348 se dessinait déjà.
Si nous avions donc à choisir une date, nous dirions: assez largement
après « 509 » - 500 environ, et d'autre part avant 353-348. Il est intéressant
de noter que pendant cette période nous trouvons exprimée en Italie l'idée
du déplacement de tout un peuple, lorsque les Romains envisagent de
s'installer à Véies.
Si ces dates sont bonnes, elles nous placent avant la campagne
d'Agathocle, avant la chute de Tyr63, en un temps où Carthage n'avait
guère de raison de douter de son destin. Cela nous confirmerait donc que
ces spéculations sont plutôt d'origine étrusque.
Mais même s'il faut les modifier, nous pouvons admettre que les faits
sont en tout cas antérieurs à 300 environ: c'est dire qu'ils se situent bien
avant que ne prenne naissance, au temps de Sertorius, la tradition rapportée
par Salluste et Plutarque sur les îles Fortunées.
Et de fait, les deux traditions sont considérablement différentes. Par
le nombre des îles: une très grande île pour Diodore, deux îles séparées
par un chenal étroit pour Salluste et Plutarque. Par la situation des îles:

61 353 de Tite-Live est un véritable renversement des alliances, ou plutôt un retour à


l'alliance traditionnelle caerite. Aussitôt après, Rome va être aux prises avec les Grecs et les
Gaulois, les ennemis de Caere. Notre art. Tite-Live et la forteresse d'Ostie, p. 639. Sur l'alliance
romano-caerite, J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, p. 299-301.
62 Toynbee, p. 528.
63 Et avant même la bataille du Crimisos (341).
«ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS» 897

à plusieurs jours de navigation à l'ouest de la Libye, pour Diodore; à


10000 stades de Gadès pour Salluste, de la Libye pour Plutarque. Par le
climat des îles: tempéré pour Diodore, avec des montagnes boisées, des
sources nombreuses et des fleuves navigables; caractérisé par le régime par
ticulier des précipitations, pour Plutarque. L'île de Diodore est découverte
par hasard, tandis que les marins que rencontre Sertorius ont plutôt l'air de
revenir d'un voyage sans surprises que d'avoir fait une découverte. Sertorius
veut fuir la guerre civile, tandis que les Carthaginois envisagent le destin
de leur ville, et les Etrusques la fondation d'une colonie.
En fait, il n'y a de commun aux deux traditions que la présence même
d'une ou de deux îles dans l'Atlantique; le fait que leurs vertus naturelles
les font assimiler à ceux qui en entendent parler aux îles légendaires des
Bienheureux; et qu'elles suscitent le désir d'aller s'y établir. Mais pourquoi
ne pas accepter tout simplement le témoignage des textes? A une date
indéterminée, les Gaditains découvrent accidentellement une île dans
l'Atlantique, et leur relation parvient à la connaissance des Etrusques, à qui
le refus Carthaginois fait durement ressentir ce qu'ils ont perdu. Au début
du Ier siècle, les Gaditains, encouragés peut-être par leur première découverte,
ont eu le temps d'explorer plus largement l'Atlantique, et ils signalent à
Sertorius deux îles séparées par un chenal étroit, dont ils ont évalué la
distance à Gadès (ou à la côte d'Afrique) et observé les particularités clima
tiques. Et ce renseignement passe de Salluste à Horace64 et à Plutarque.

* * *

Horace tributaire de Salluste n'est-il tributaire que de lui, et se peut-il


que quelque chose de la tradition diodoréenne soit parvenu jusqu'à lui?
En d'autres termes, après avoir complètement séparé les deux branches diodo
réenne et sallustienne du stemma qui concerne les îles de l'Atlantique,
devons-nous admettre qu'Horace, qui dépend directement, pour une part de
son inspiration de la branche sallustienne, ait eu quelque notion de l'autre 65?

64 On peut remarquer qu'Horace n'a rien retenu dans l'Epode de l'origine phénicienne du
renseignement, au point même que traitant du lieu commun (qui est chez Diodore à propos
de la Bretagne en V, 21) des navigateurs qui n'ont pas abordé les Iles, il cite les Sidoniens.
Peut-être au surplus n'avait-il pas une très claire conscience de la relation entre Phéniciens
de l'Ouest ou Gaditains et Sidoniens? Mais il est plus probable qu'il traite à son gré ce thème
des grands navigateurs.
65 Mais il n'y a eu aucun contact entre ces deux traditions avant Horace, au moins
compte tenu des textes que nous possédons.
898 RENÉ REBUFFAT

La XVIe Epode est largement nourrie de lectures, on dirait même


de références. Or il est une idée qu'Horace ne trouvait pas dans le récit
qui nous est connu par Salluste et Plutarque, c'est que la fuite vers les
îles permet d'échapper à une inévitable «fin»: pour Horace, la «fin» de
Rome, et pour Diodore, la « fin » de Carthage, à laquelle on remédiera par
un transfert de la totalité de sa population.
On peut bien trouver quelque analogie entre la XVIe Epode et Diodore,
en notant par exemple qu'Horace aussi imagine un décor montagnard avec
ses ruisseaux, montibus altis levis crêpante lympha desilit pede. Mais il s'agit
probablement de ressemblances superficielles dues au hasard. Les données
« paradisiaques » greffées sur la tradition diodoréenne sont totalement étran
gères à Horace, dont les îles n'ont ni vergers, ni jardins, ni pergolas, ni
gibiers abondants. Et les données originelles de cette même tradition, densité
des forêts, fleuves navigables, ne s'y rencontrent pas non plus. En revanche,
tout le tableau d'Horace est d'ambiance campagnarde, avec ses cultures, ses
arbustes domestiques, son miel, ses troupeaux et ses emblavures, et ce rêve
de petit paysan n'est pas chez Diodore. Aussi est-il pour le moins impossible
de détecter chez Horace une réminiscence précise de la tradition suivie
par Diodore, à moins qu'elle ne soit générale et complètement amalgamée
avec celles des autres textes de la tradition poétique depuis Homère.
Mais peut-être faudrait-il maintenant utiliser notre hypothèse d'une
origine étrusque de la tradition diodoréenne, origine à laquelle permet
de penser, entre autres indices, cette idée de la « fin » qui menace les
villes. Si c'est bien une conception « millénariste » du sort des villes, en
entendant par là que chaque ville doit disposer d'un certain nombre de
« siècles » d'existence au-delà desquels son temps compté sera révolu, qui a
engagé les Etrusques à dire que Carthage périrait un jour, et à ne pas
s'étonner ultérieurement de sa chute, il est possible qu'elle appartienne à
un réseau de croyances d'origine sacerdotale, mais devenues populaires,
qu'Horace a certainement connues.
Car bien qu'elles ne soient pas explicites, ces préoccupations « millé
naristes » ne sont pas absentes de la XVIe Epode. D'abord parce que de
quelque façon qu'on envisage leur rapport chronologique, elle forme couple 66
avec la IVe églogue, qui célèbre explicitement le renouvellement de la

66 Sur ce rapport, J. Perret, Horace, p. 244; Grimai, art. cit.; D. Ableitinger-Grünberger,


p. 66, et bibliographie complète du débat note 1. Les deux arguments essentiels en faveur de la
postériorité de l'Epode sont d'une part sa datation en 38, et le fait qu'Horace semble connaître
la totalité des Bucoliques.
«ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS» 899

grande série des siècles, magnus ab integro saeclorum nascìtur ordo: si


bien que ce qui est explicite chez Horace, l'interrogation sur le sort de
Rome, l'est moins chez Virgile, tandis que ce qui est explicite chez Virgile,
l'idée du renouvellement des siècles qui assurera celui de la Ville, l'est
moins chez Horace, qui oppose à cette solution par le renouveau la solution
par le transfert. Ensuite parce que la mention par Horace du tombeau de
Quirinus, qui est ici Romulus Quirinus, fait certainement allusion au fait
que le Millenium actuel de Rome, celui qui penche si dangereusement vers
sa fin, est celui qui commence avec l'apothéose du fondateur, dont la tombe
intacte ne pouvait que symboliser l'intégrité de la Ville 67.
Il n'est pas de notre propos d'entreprendre de rattacher à notre tour
plus largement ou plus précisément la XVIe Epode à la complexité des
croyances millénaristes 68 romaines, il nous suffit ici que ce lien existe évidem
ment.Mais il nous paraît possible de montrer qu'elle s'inspire probablement
de celles qui nous sont connues comme étrusques par quelque témoignage.
Et ce seraient ces superstitions populaires qui pourraient être communes
à la tradition diodoréenne et à l'inspiration de l'Epode.
Altera iam teritur bellis civilibus aetas. La fin des siècles étrusques
est marquée par la guerre civile: multae dissensiones in populo, dit la
prophétie de Vegoia; « les augures déclarèrent qu'ils redoutaient une discorde
et un conflit entre les propriétaires fonciers et la plèbe de la ville et du
forum », rapporte Plutarque (Vie de Sylla, 7), ce qui permet peut-être
d'interpréter comme étrusque l'explication des signes solaires de Virgile
(Géorgiques, I, 464): ille etiam caecos instare tumultus saepe monet fraudem-
que et operta tumescere bella 69.
Ferisque rursus occupabitur solum... habitandaque fana apris reliquit et
rapacibus lupis. A Capoue dont le millenium s'achève, les loups entrent dans. la
ville70 (Silius Italicus, XIII, 130-132). Au moment de la fondation du triumvirat,
les haruspices étrusques disent « qu'allaient revenir les royautés d'autrefois »,
ce qui semble indiquer qu'ils croient à ce moment à un renouvellement
millénariste, et on voit des loups sur le forum (Appien, IV, 4, 14). Ces
rapprochements permettent peut-être d'attribuer une source étrusque à Virgile,

67 J. Gagé, Apollon romain, p. 588.


68 Voir d'ailleurs le chapitre de J. Gagé dans Apollon romain sur l'apollinisme millénariste
et séculaire, p. 583 sq.
69 Les menaces de guerre civile étaient d'ailleurs fréquentes dans les réponses des
haruspices: R. Bloch, Les prodiges dans l'Antiquité classique, p. 51-54.
70 Nous signalons ailleurs le double sens de ce prodige.
900 RENÉ REBUFFAT

et altae per noctem resonare lupis ululantibus urbes (Géorgique I, 485-6):


car on ne voit guère ce que pourraient être ces villes « hautes » sinon les
cités étrusques dressées sur leurs acropoles71; et peut-être à Lucain, silvisque
feras sub node relidis audaces media posuisse cubilia Roma (I, 559-560) 72.
Le sens de ces prodiges a pu être dans certains cas plus complexe, mais
tous annonçaient certainement l'extinction du phénomène urbain et la
reconquête de l'espace urbain par la nature.
Barbarus heu cineres insìstei victor ... Il est probable que les présages
« militaires » qui annonçaient la fin du saeculum ou du millenium étrusque,
les sonneries de trompette (Plutarque, Sylla 7) et les bruits d'armes (Appien
IV, 4, 14) qui permettent d'interpréter le atque tubas atque arma ferunt
strepitantia caelo audita de Tibulle (II, 5, 71) et Virgile (I, 474) concer
naient aussi bien la guerre étrangère que la guerre civile. Dans Virgile
{Géorgique I, 509 sq.) Hinc movet Euphrates, Mine Germania bellum
est adapté à la situation contemporaine de Rome, mais vicinae ruptis inter
se legibus urbes arma ferunt ne peut faire allusion qu'à des cités-états
égales entre elles, voisines, normalement liées par des traités d'alliance, et
qui font naturellement penser aux cités étrusques, peut-être ces mêmes villes
haut perchées sur leurs acropoles qui ont été évoquées plus haut.
Et solibus ossa Quìrìni nefas videre dissipabit insolens. La tombe
de Quirinus est, comme nous l'avons dit, le symbole du temps compté à
Rome. Elle est aussi évidemment une des « âmes extérieures » de la ville 73,
comme la Louve du Capitole74 ou le figuier Ruminai75: que la foudre
frappe la première, que le second se dessèche, le présage était aussi i
nquiétant pour la Ville que la fuite de la biche de cette autre ville étrusque
qu'était Capoue76.
Neque largis aquosus Eurus . . . Nous avons déjà noté que le climat
des Iles Fortunées mettrait le paysan à l'abri des fléaux des récoltes, qui

71 La couleur étrusque marquée de toute la fin de la Γ Géorgique a-t-elle été assez soulignée?
Virgile semble broder à l'aide d'événements contemporains sur une trame étrusque.
72 Mais la longue enumeration de prodiges de Lucain semble davantage un répertoire
composé à plaisir que l'écho d'une source originale. Quant au thème de la ville abandonnée
aux bêtes, et non précisément aux loups, c'est un lieu commun: Horace, Ode, III, 3, 40-42.
Cf. L. Levi, p. 171.
73 Sur P«âme extérieure» des villes, J. Heurgon, Capoue, p. 323.
74 Cicéron, De Divinatione I, 20, v. 47; J. Carcopino, La Louve du Capitole, p. 34 sq.;
J. Heurgon, Vie quotidienne, p. 279: «Qui alors, déroulant les traités et les monuments des
experts, ne tirait pas des feuillets étrusques (chartae Etruscae) de sinistres prédictions?».
75 Tacite, Annales, XIII, 58.
76 Silius Italicus, XIII, p. 115 sq.
«ARVA BEATA PETAMUS ARVA DIVITES ET INSULAS* 901

font partie des catastrophes séculaires fructus saepe laedentur decutien-


turque imbribus atque grandine, caniculis interient, robigine occidentur
(prophétie de Vegoia) 77.
De même que l'incident diplomatique étrusco-carthaginois a été raconté,
si on nous suit, par des Etrusques qui ont introduit dans le récit le thème
de la « fin » de Carthage, de même Horace a traité le thème des Iles

(deux îles) (une île)


Marins de Bétique Traditions Incident Thème du
millénaristes étrusco- paradis
étrusques punique

Sertorius Versions
et entourage étrusques

Salluste Source(s) Source(s)


du De Mirab. de Diodore

Plutarque Horace · De Mirabilibus Diodore

(Par simplification, le stemma ne respecte pas la chronologie)

77 Ne figurent pas dans Horace les catastrophes naturelles, tremblements de terre, inondat
ionset autres: Vegoia: «la terre sera souvent secouée de tempêtes et de tourbillons qui la
feront chanceler...»; Virgile, Géorgique I, 475, et Pline II, 199 (J. Heurgon, Vie quotidienne,
p. 85), tirant son information sur ce tremblement de terre près de Modène d'un Eiruscae
disciplinae volumen.
902 RENÉ REBUFFAT

Fortunées pour une part en empruntant au cortège dramatique des épisodes


de la fin des siècles ou des villes étrusques. Et ce qui pouvait dans les
deux cas associer ce thème des îles à celui du drame du renouvellement
ou de la fin des villes, c'était probablement l'idée que ce renouvellement
ne pouvait avoir lieu sur un site dont l'espérance de vie était usée. Nous
connaissons mal les arguments des partisans du transfert de Rome à Véies.
Mais l'un d'eux peut être reconstitué a contrario grâce au discours de
Camille 78, qui est obligé de vanter les avantages du site de Rome: on se
doute de la couleur que pouvaient prendre les critiques, devant une plèbe
accessible aux vaticinations, et à qui on proposait d'aller précisément occuper
un site étrusque. Le ton et la forme de la XVIe Epode en font peut-être
aussi la transposition poétique de la harangue d'un agitateur populaire79.

Les Gaditains avaient donc découvert une île dans l'Atlantique. Les
Etrusques, tentés de s'y établir, contrés par les Carthaginois, en ont fait
le récit coloré de leur dépit, et influencé par leurs conceptions ordinaires
de la destinée des villes. Une des versions de cette tradition a subi d'autre
part une transmutation à l'image merveilleuse des paradis orientaux.
Plus tard, les Gaditains donnent à Sertorius des renseignements qui
nous sont parvenus grâce à Salluste et à Plutarque. Horace est directement
tributaire de cette tradition, mais il a peut-être en commun avec le récit
des Etrusques sa familiarité avec leurs vaticinations millénaristes.
Avant lui, les dames du temps jadis, les seigneurs des grandes terres,
les magistrats des hautes villes, les gardiens des rouleaux inverses, les
haruspices et leur clientèle populaire, les pirates et les rois, - ce monde
auquel les travaux de Jacques Heurgon ont redonné sa vie -, avaient peut-
être fêvé des Iles de l'Atlantique.

78 Tite-Live V, 54, 4.
79 Sur le «discours» et son type d'auditoire, analyse, détaillée de Fraenkel, Horace, p. 42 sq.
La solution nous paraît être qu'Horace imite un discours d'agitateur populaire, une diatribe
de carrefour, semblable à celles auxquelles se livraient les tribuns de la plèbe de jadis. Il
n'y a pas alors à se demander dans quel cadre institutionnel ce « discours » peut entrer.
GIULIANA RICCIONI

IMMAGINI DI ERACLE E TESEO


SU DI UNA KYLIX ATTICA DI VULCI

Da una delle ricche tombe della necropoli vulcente dell'« Osteria » l


proviene questa grande kylix a figure nere del tipo « ad occhioni » 2 che
nella parte esterna (l'unica decorata) esibisce rappresentazioni di non
comune interesse esegetico (tavv. 1-3). Vi compaiono quattro gruppi
di tre figure espresse fino al busto, di profilo verso destra; due gruppi

1 Tomba 50, a camera, di pianta rettangolare, scavata da Raniero Mengarelli il 15 luglio


1931; misurava m 2,20x1,50. Il corredo era composto in prevalenza di vasi attici (complessi
vamente5 a figg. nere), tuttora inediti, rinvenuti qua e là sul pavimento, databili entro l'ultimo
venticinquennio del VI sec. a.C:
2 Kylikes del tipo «Floral Band-cup» (inv. 63610-63611);
1 Hydria (inv. 63612);
1 Grande kylix «ad occhioni» (inv. 63613), qui presa in esame;
1 Anforetta a collo distinto (inv. 63614).
2 Non è stata attribuita dal Beazley né in ABV, né in Paralipomena. Bibl.: R. Vighi,
II Nuovo Museo Nazionale di Villa Giulia, Roma 1957, p. 23; M. Moretti, II Museo Nazionale
di Villa Giulia, Roma 1962, p. 41; B. F. Cook, in A] A, LXXII, 1968, pp. 341-342, nota 21,
n. 19; A. Greifenhagen, in: Heibig, Führer4, III Band, Tübingen 1969, η. 2522. Ricomposta da
molti frammenti, la kylix presenta sette piccole integrazioni nel bacino ed ha lo anse e il piede
restaurati. Misura cm 11,5-12,5 in altezza; cm 29,7 nel diametro alla bocca.
Figure nere e ritocchi in rosso-paonazzo scuro con abbondante uso del graffito; volti
dei guerrieri risparmiati nel colore dell'argilla.
Decorazione accessoria - È relegata sul fondo esterno del bacino, presso il gambo;
consiste in una raggerà di denti di lupo stilizzati neri e risparmiati nel colore dell'argilla,
alternati, con il contorno segnato da una sottilissima pennellata di vernice diluita di color bruno.
I grandi occhioni apotropaici hanno sclerotide risparmiata, pupilla nera, iride espressa
mediante tre cerchielli rispettivamente, dall'esterno all'interno, nei colori nero, rossiccio e nero
con punto rosso-paonazzo nell'interno.
Forma - Tipica del vasaio Nikosthenes: A 1 del Bloesch (cfr.: F.A.S., tav. 3, h. 2 a e p. 9).
Bacino profondo, gambo grosso e breve con anulo a rilievo alla sommità dipinto in nero
e al di sotto, filetto a risparmio; piede a larga tromba verniciato in nero con la costa risparmiata
904 GIULIANA RICCIONI

sono sui lati Α-B: Eracle fra due guerrieri elmati, altri due gruppi quasi
identici sono posti sotto le anse, le quali s'impostano sulle teste delle figure
laterali in maniera singolare.
I Gruppo: tato A (tav. 2, part.). Al centro Eracle, interamente reso
nella tecnica a figure nere, è facilmente riconoscibile dalla leontée nera che
gli copre la testa e il petto: la villosità della pelle ferina è espressa conven
zionalmente mediante una serie di doppi trattini graffiti. Ha il volto e la
barba appuntita; quest'ultima, seminascosta dalla mandibola leonina, ha il
contorno sottolineato dal graffito, così come il profilo del viso, le narici,
le labbra e la parte superiore del mento, lasciata scoperta dalla barba.
L'occhio è di forma canonica. Per mancanza di spazio, l'eroe è privo del
rhópalon.
I due personaggi laterali sono guerrieri. Hanno il capo coperto da elmo
corinzio crestato, dipinto a vernice nera, che nasconde quasi completamente
il volto e il collo risparmiati nel colore dell'argilla (segno di inizio e con
comitanza della tecnica a figure rosse). Nella figura di destra il profilo è
segnato da una spessa pennellata nera, ma in quella di sinistra vi si aggiunge
all'esterno una linea graffita. In questo caso, infatti, il volto reso nella
tecnica a figure rosse partecipa della tecnica contraria a causa della sua
compenetrazione con l'Eracle tutto nero. Ovviamente anche gli occhi sono
resi a contorno nero sul fondo neutro. La loro forma a mandorla, con
l'indicazione dell'iride e della pupilla è quella generalmente usata nei vasi

e il profilo a echino piatto. È confrontabile con le segg. kylikes di ugual tipo, « ad occhioni »
(con busti), databili fra il 530 e il 520 a.C, di dimensioni molto vicine, che si elencano con
numero progressivo in relazione alla loro ampiezza (dalla più grande alla più piccola):
1) Louvre F 136: h. cm 12; diam. bocca, cm 29 (CVA, Louvre 10, p. 90, tav. 98, 1, 4-5;
Beazley, ABV, p. 203, n. 2 (= Gruppo del Louvre 137);
2) Monaco, coll. Walter Bareiss, 82 (già nei mercati antiquari di Roma e Basilea),
firmata dal vasaio Nikosthenes: h. cm 11,4; diam. bocca, cm 27,3 (Beazley, ABV, p. 231, n. 10
e p. 235; Kunstwerke der Antike, MM., A.G., Auktion XXII, Basel 1961, pp. 68-69, η. 133,
tav. 41; Beazley, Paralipomena, p. 109 (non attribuita).
3) Louvre F 137: h cm 11,5; diam. bocca, cm 26,5 (CVA, Louvre 10, p. 90, tav. 98,
2-3, 6; Beazley, ABV, p. 203 n. 1 (eponima del gruppo del Louvre F, 137).
4) Basilea, mercato antiquario: h cm 10,2; diam. bocca, cm 21,9 (Kunstwerke der
Antike, M.M., A.G. Auktion 34, Basel 1967, n. 131, pp. 65-66 e tav. 37).
Le quattro kylikes citate hanno l'interno della vasca verniciato in nero, ad eccezione del
centro, risparmiato nel colore dell'argilla con uno ο due cerchielli concentrici e un punto in
color nero; nella nostra i cerchielli sono due. Riguardo alle dimensioni, la kylix vulcente
resta per ora la più grande, superando di 7 cm nel diam. alla bocca quella del Louvre F 136
(η. 1 in elenco).
IMMAGINI DI ERACLE E TESEO 905

a doppia tecnica e nei più antichi a figure rosse per indicare l'occhio
maschile; può quindi considerarsi una forma di transizione.
I caschi sono riccamente decorati; quello del guerriero di sinistra pre
senta, nella zona immediatamente sopra la calotta, un motivo di zig-zag che
forma triangoli, con punto nel centro dalla base, suddipinti in color rosso-
paonazzo scuro poco visibili nella foto, ma evidentissimi controluce. La
calotta è adorna superiormente di due grandi e complessi ricci di voluta
graffiti; sono opposti e tangenti ed hanno, al di sopra del punto di contatto,
una palmetta a tre petali sovrappinti in rossiccio il cui contorno e il cuore
mediano (a guisa di ovulo) sono indicati mediante il graffito. Inferiormente,
opposto alla palmetta è un petalo (o fogliolina) pure graffito. All'inizio del
paranuca si erge una palmetta, simile alla precedente, ma più piccola, del
ineata con il solo graffito. Anche la paragnatide è decorata; lo spazio risul
tante dalla forma aguzza della sua terminazione è utilizzato per rendere ad
incisione gli elementi caratteristici di una protome animalesca: un orecchio
appuntito, un occhio tondeggiante, maschile, e un muso la qualificano per
quella di un cinghiale3. Al di sotto dell'orecchio dell'animale è un ampio e
semplice ricciolo di voluta, a guisa di punto interrogativo capovolto, suddi-
pinto in color rossiccio stralucido (quasi invisibile), poggiato sul margine
inferiore della paragnatide. Tale margine presenta esternamente una serie
di finissimi trattini paralleli, obliqui (resi a graffito) che, come in altri casi,
sono l'indicazione stilizzata dei peli della barba.
L'elmo della figura di destra ha forma e decorazione quasi identiche
al precedente ad eccezione dell'ornato della fascia sotto la cresta che consiste in

3 Vi sono diversi elmi greci, in particolare, corinzi e calcidici, che presentano una certa
varietà di ornati incisi sulla calotta e sulle paragnatidi, talora decorate di protoni animalesche.
Alcuni sono di bronzo, altri proteggono le teste di guerrieri ο personaggi mitici rappresentati
su vasi calcidesi e attici a figure nere. Più di frequente la testa di ariete è impiegata come
ornamento delle paragnatidi, sia a rilievo, sia incisa.
Un elmo bronzeo corinzio, nel Museo del Louvre (inv. 43) presenta paragnatidi decorate
appunto con una testa di ariete (A. De Ridder, Les Bronzes antiques du Louvre, vol. II, Paris
1915, p. 2, n. 1102, tav. 65).
Sui tipi di elmi greci, in particolare corinzi, si veda: E. Kukahn, Der Griechische Helm.
Dissertation, Maarburg-Lahn, 1936, passim e pp. 39-40; Th. T. Hoopes, «The Greek Helmet in
the City Art Museum of Saint Louis », in: Studies presented to David M. Robinson, II, 1953,
pp. 833-839, taw. 81, 83-84 (paragnatidi decorate con testa di ariete a rilievo); E. Kunze,
«Korinthische Helme», in: VII Bericht über die Ausgrabungen in Olympia, Berlin 1961, p. 45
e segg.; S. Boucher, in RA, 1964, pp. 97-100; E. Kunze, in VIII Bericht über die Ausgrabungen
in Olympia, Berlin 1967, p. 135 e segg.; in particolare, p. 165, fig. 55, pp. 170-171, figg. 59-60,
pp. 174-175, figg. 63-64.
906 GIULIANA RICCIONI

una serie di elementi di meandro, suddipinti in color rossiccio, appena


visibili.
Vi è infine da spendere alcune parole sul tipo delle vesti indossate da
questi due personaggi. Sono di tessuto certamente pesante, e bande verticali,
distinte da linee graffite, a colori alternati nero e rossiccio suddipinti4.
Dovrebbe trattarsi di « chitone » (o « chitonisco ») e di « mantello » (o « cl
amide ») espressi in modo sintetico, ma in assenza di confronti è difficile
prendere posizione a tal riguardo. Inconsueta è anche la rappresentazione
di un lembo del « mantello », sovrapposto al « chitone » e della stessa
stoffa, il quale copre l'omero in vista e, con movimento ondulato delle
strisce, sale sul collo (coprendo probabilmente i lunghi capelli) fino a
raggiungere la nuca, infilandosi sotto l'elmo. Il « chitone » (o « chitonisco »)
è arricchito da un'accollatura orlata con motivo di minuscole « onde
ricorrenti » graffite.
II Gruppo: lato Β (Tav. 2, part.). È ripetuta la triade con Eracle fra
le due figure di guerrieri con tre uniche varianti:
1) La figura di sinistra veste un costume con decorazione a ret
icolato di rombi sovrappinti in color rossigno e delimitati da doppie linee
graffite aventi all'interno sufficiente spazio per ricevere una pennellata di
vernice nera5. Qui il lembo del « mantello », sovrapposto al «chitone», ha
trama diversa: è a bande nere e rossigne alternate.
2) Eracle ha il capo più eretto e, di conseguenza, mostra una por
zione più larga di barba.
3) Nella figura di destra sono visibili sul collo, fuoriuscenti dall'elmo,
alcune brevi ciocche di capelli neri ricciuti, rese con linee ondulate graffite.
Manca il lembo del « mantello » sovrapposto al « chitone » e, in sua vece,
è una grossa lingua nera, quasi attaccata alla linea di contorno (graffita)
della barba di Eracle. Potrebbe indicare una lunga ciocca della chioma rica
dente sul collo e sulle spalle, oppure essere il prolungamento della barba
di Eracle.

4 Per questo tipo di stoffa, vedi: P. Colafranceschi Cecchetti, Decorazione dei costumi
nei vasi attici' e figure nere, in Studi Miscellanei, 19, Università di Roma, 1972, p. 25,
tav. XXXIX, 111.
5 Questo tipo di stoffa non è stato considerato nella citata monografia della Colafranceschi
Cecchetti nell'ambito della «decorazione dei costumi nei vasi attici a figure nere». Un tessuto
simile al nostro, ma a file alternate di rombi rossi e neri, appare - ad esempio - in raffigura
zioni di Menadi su di una « Band-cup » nel Metropolitan Museum di New York, datata attorno
al 530 a.C- Beazley, Development, p. 56, tav. 24, tav. 25, 1-8; CVA, New York, Metropolitan
Museum, 2, tav. XIX, 31; Beazley, Paralipomena, p. 78, n. 1 (= pitt. di Oakeshott).
IMMAGINI DI ERACLE E TESEO 907

III-IV Gruppo: sotto le anse (tav. 3, part.)· Sono rappresentati la


testa di un uomo a capo scoperto, con barba prolissa, appuntita, fra i busti
di due figure elmate di profilo verso destra. Entrambe indossano i soliti
costumi a larghe bande verticali nere e rossicce ed hanno in capo elmo
corinzio ad alto cimiero, come nel I gruppo del lato A (tavv. 1-2);
anche qui la paragnatide dell'elmo del guerriero in primo piano è ornata
di una testina di cinghiale incisa.
Nel III gruppo il lembo del « mantello » (o « clamide ») sovrapposto al
« chitone » (o « chitonisco ») è sempre a bande nere e rossicce, mentre nel
IV gruppo tale lembo è tutto nero nel guerriero di destra e le strisce sono
evidenziate semplicemente da tre linee graffite.
Singolare, ma non nuova, è l'impostazione della base delle anse sulle
teste dei guerrieri, come ad esempio, su una kylìx di Londra attribuita al
pittore di Lysippides6.
A causa dell'esiguo spazio a disposizione, il nostro ceramografo è stato
costretto, in questa zona della kylix a comprimere e quasi incastrare la
testa e il volto della figura centrale; la delineazione del profilo è molto
simile a quella di Eracle sui lati Α-B, manca però l'attributo della leontée
e, pertanto, si tratta di personaggio diverso da lui per la cui identificazione
occorre prendere in considerazione varii elementi a cominciare dallo stile.
Come si è accennato, le figure sono dipinte nella tecnica a figure nere,
salvo che nelle parti nude (volti e colli) dei due guerrieri di ciascun gruppo.
Questi sono infatti risparmiati nel colore dell'argilla e spiccano come limi
tati campi chiari sulla massa scura della rappresentazione, da cui sono separ
ati sia dal graffito, sia da una spessa linea nera di contorno. La stessa
grossa pennellata separa il naso e il collo dei guerrieri di destra dal fondo
della kylix. Il motivo di tale, del resto, non isolato procedere, è da ravvi
sarsi nel desiderio, particolarmente sentito in un'età di istanze innovatoci,
di ravvivare un contesto figurato che nella pura tecnica a figure nere sarebbe
risultato poco perspicuo.
Cronologicamente siamo all'inizio del terzo venticinquennio del VI
secolo a.C, periodo in cui - fra l'altro - sono abbastanza frequenti queste
raffigurazioni di busti (o teste) su kylikes (con ο senza occhioni) ed anche
su altri vasi attici a figure nere 7. Le figure sono espresse in senso - per

6 Brit. Mus. Β 426: CVA, Londra, British Museum, 2, tav. 21; Beazley, ABV, p. 256, n. 20.
7 Vedi nota 2 e inoltre: R. Hackl, in Jdl, XXII, 1907, p. 91, figg. 9-11; E. Buschor,
Feldmäuse», in Sitzungberichte d. Bayer. Akad. d. Wissenschaften, heft l, München 1937,
;
908 GIULIANA RICCIONI

così dire - riassuntivo e talvolta al di fuori di un vero e proprio contesto


narrativo.
Nel caso specifico, i personaggi delineati fino al busto, sembrano con
cepiti come delle icone e ci appaiono in una staticità ieratica. Si ha l'i
mpressione di assistere ad una epiphania di eroi del mondo mitico greco i
quali, divenuti celebri per aver combattuto vittoriosamente, si manifestano
ai mortali per essere venerati.
Per ciò che riguarda Eracle, è inevitabile il riferimento - anche se si
tratta di ben più tarda rappresentazione - al noto cratere di Orvieto, con
servato nel Louvre, dove l'eroe appare in relazione con due guerrieri che
lo fiancheggiano. Ma poiché l'esegesi del famoso vaso è tuttora in discus
sione8, non ci si potrà fondare su di esso per trarre elementi utili all'int
egrazione del gruppo Eracle-guerrieri della kylix in questione. Da oscurità,
infatti, non può scaturire chiarezza e, quindi, basti l'aver notato la coinci
denza iconografica, in attesa che definitive conclusioni sulla problematica
rappresentazione del cratere orvietano possano eventualmente gettar luce
anche sulla tazza vulcente.
E veniamo al personaggio parallelo ad Eracle, ma senza specifici attributi,
tentandone una ragionevole identificazione. Poiché anch'egli è nobilitato
dall'essere fiancheggiato da due guerrieri, è da ritenersi che fosse consi
derato di rango pari a quello dell'eroe per eccellenza.
Ciò premesso, non è difficile immaginare che su di una stessa kylix
prodotta ad Atene si sia voluto celebrare, accanto ad Eracle eroe panelle-
nico, Teseo, l'eroe poliade attico, il mitico re sinecista, fondatore della
città-stato, la pòlis. L'associazione - del resto - si giustifica con il fatto che
la mitografia greca, in più casi, ci presenta i due eroi accomunati in una
medesima impresa ο in lotta contro uno stesso nemico9. Assieme com
battono le Amazzoni e assieme compaiono nella katàbasis eraclea, quando
l'eroe argivo libera Teseo prigioniero di Ade. Ambedue, poi, sia pure separata
mente,sono impegnati contro un terribile toro (a Creta e a Maratona).
Tali relazioni assumono più tardi nell'Eracle euripideo coloriture sentimentali
con la commovente rappresentazione di un fraterno sodalizio fra i due eroi.

p. 4 e segg., figg. 1-2; Beazley, ABV, pp. 202-203, p. 231, η. 10; Paralipomena, p. 109; CVA,
Heidelberg, Universität, 4, pp. 37-38, tav. 159, 5 (inv. 5 121); CVA, Napoli, Museo Naz.le, 1,
p. 11 taw. 21-22 (kylix senza occhioni eponima del pitt. di Kallis).
8 E. Simon, in A] A, LXVII, 1963, p. 43 e segg. (ivi bibl. critica prec).
9 Cfr. Simon, in A] A, cit., p. 46 e segg. e nota 11.
IMMAGINI DI ERACLE E TESEO 909

Quanto poi all'aspetto fisico di Teseo, si ha nell'arte la scontata evolu


zione dal greve personaggio barbuto dell'arcaismo all'atletico efebo dell'età
classica e post-classica 10. Tutto ciò, ovviamente, in rapporto alla concezione
vulgata dell'eroe impavido, ma un po' superficiale, vincitore di tremendi
agoni e conquistatore di famose bellezze. Ma accanto a questa, vi è la
concezione di Teseo saggio e potente monarca, fondatore e difensore della
libertà ateniese, che non può dar luogo - evidentemente - ad un consi
stente repertorio figurato, ma che sarà particolarmente sottolineato dalla
storiografia di Tucidide e dalla retorica moraleggiante di Isocrate e di
Plutarco. Tutto ciò è stato messo bene in evidenza dal Dugas n, il quale
da anche i principali documenti ceramici attici che puntualizzano le due
distinte personalità dell'eroe. In particolare, un frammento di anfora a Lund,
attribuito ad Exekias, mostra una rara iconografia di Teseo: egli è provvisto
di barba e di ricca e ben curata capigliatura, è nobilmente incoronato e
ammantato; ogni incertezza relativa alla figura è sciolta dall'iscrizione
Theséufs] 12. Questo pezzo, antico quanto il nostro, presenta l'eroe attico
nello stesso nobile aspetto in cui apparirà nella letteratura più tarda che si
rifaceva ad una tradizione iconografica già nota nel VI secolo. Ciò conviene
in parte anche alla kylix di cui si tratta dove Teseo, assimilato anche
nell'aspetto ad Eracle, esprime forza, gravita e dignità.
Il valore patriottico della rappresentazione appare, dunque, evidente ed
è pure sottolineato dalla presenza dei guerrieri che vogliono esaltare, fian
cheggiandoli, gli eroi delle cui gesta più propriamente guerresche furono
testimoni (le Amazzonomachie d'Asia e d'Attica), ma che possono pure
costituire un compiaciuto riferimento alla valida organizzazione militare
dello stato ateniese, fondato appunto da Teseo. Non si tratta, quindi, di
raffigurazioni sia pur vagamente episodiche, ma di simboli propagandistici.
Stilisticamente la tazza vulcente non ha confronti e, pertanto, si vor
rebbe riconoscere una nuova mano, quella appunto del pittore di Vulci,
T. 50. Si tratta di un ceramografo di gusto originale nella scelta dei soggetti,

10 Sulle rappresentazioni di Teseo nell'arte attica dalla fine del VI secolo in poi, vedi:
Simon, A] A, cit., pp. 44-50 (ivi bibl. prec); N. Alfieri, RIAS A, N.S. Vili, 1959, p. 59 e segg.
(articolo non menzionato dalla Simon); ν. anche: S. Patitucci Uggeri, Quaderni ticinesi di
numismatica e di antichità classiche, Lugano 1975, p. 55 e segg., tav. la, tavv. II-III, fig. 2
e p. 69, note 19, 21 (ivi altra bibl. cit.).
11 Ch. Dugas - R. Flacelière, Thésée. Images et récits, Paris 1958; Recueil Ch. Dugas,
1960, pp. 93-107.
12 Beazley, Development, pp. 63, 113, tav. 27, 3; ABV, p. 145, n. 17; Dugas-Flacelière,
Thésée, cit., p. 87, tav. 24, B.
910 GIULIANA RICCIONI

partecipe del vigore di un Exekias con qualche tratto convenzionale, tipico


della fase di transizione dalla tecnica a figure nere a quella a figure rosse,
fra il 530 e il 520 a.C.
Sembra, tuttavia, opportuno menzionare alcune kylikes contemporanee
per certe affinità tipologiche e stilistiche con la nostra. Se ne sono citate
quattro per confronto della forma e della tipologia « ad occhioni »: una è
firmata da Nikosthenes, le altre sono facilmente riferibili alla sua officina 13;
tutte presentano figure sia maschili, sia femminili a risparmio. In particolare,
è da ricordare la kyiix del Louvre F 137 che esibisce su ciascuno dei lati
esterni un busto di guerriero, di profilo verso destra, con tunica a bande
nere evidenziate dal graffito e il volto nello stesso colore dell'argilla. L'occhio
di uno dei guerrieri 14 è a forma di mandorla con l'indicazione dell'iride e
della pupilla; tale rendimento ricorre soltanto in un altro caso, quello del
l'esemplare in esame. Inoltre il guerriero in primo piano su un frammento
di tazza, nel Museo dell'Università di Heidelberg 15, mostra talune somi-
glianze tipologiche e stilistiche per noi interessanti: l'elmo e il sottostante
profilo umano. Infine una kylix del Museo di Napoli, eponima del pittore
di Kallis ie, è vicina alla nostra per le proporzioni delle teste, per una certa
eleganza degli abiti e il gusto delle bande nere e rossicce alternate.
In tutte le raffigurazioni considerate (oltre a quella di Vulci) i profili
dei volti mostrano press'a poco le stesse caratteristiche: naso forte e lungo,
quasi aggressivo, occhi grandi, sguardo fisso e severo.

13 Vedi elenco a nota 2.


14 CVA, Louvre 10, tav. 98, nn. 2, 6 (stesso lato). Vedi anche nota 2.
15 È datato fra il 540 e il 530 a.C: CVA, Heidelberg, Universität, 4, tav. 159, 5 (non
attribuito dal Beazley).
16 Ex Coli. Santangelo 172: CVA, Napoli, Museo Naz.le, 1, tavv. 21-22. Vedi anche nota 7.
IMMAGINI DI ERACLE E TESEO 911

Tav. 1 - Roma - Museo di Villa Giulia (Vulci T. 50). Kylix ad occhioni: esterno.
912 GIULIANA RICCIONI

Tav. 2 - Roma - Museo di Villa Giulia (Vulci T. 50) . Kylix ad occhioni: particolari lati A-B.
IMMAGINI DI ERACLE E TESEO 913

Tav. 3 - Roma - Museo di Villa Giulia (Vulci T. 50).


Kylix ad occhioni: particolare delle figure sotto le anse e profilo.
JEAN-CLAUDE RICHARD

LE CULTE DE «SOL» ET LES « AURELII »


À PROPOS DE PAUL. FEST. p. 22 L.

Parmi les lemmes de Verrius Flaccus dont Paul Diacre nous a transmis
la teneur, celui qui est consacré aux Aurelii (Aureliam familiam ex Sabinis
oriundam a Sole dictam putant, quod ei publiée a populo Romano datus
sit locus, in quo sacra faceret Soli, qui ex hoc Auseli dicebantur, ut
Valesii, Papisii pro eo, quod est Valerii, Papirii *) mérite de retenir l'attention
dans la mesure où il traite d'un problème auquel, sans l'ignorer, les modernes
n'ont pas toujours accordé l'attention qu'il mérite. Cette notice se rattache
au groupe de celles qui nous ont gardé le souvenir de cultes et de rituels
confiés par la cité archaïque à certaines gentes2. Il suffira de rappeler ici

1 Paul. Fest., p. 22 L, s.u. Aureliam.


2 Cf. sur cette question A. De Marchi, II culto privato di Roma antica, 2, La religione
gentilizia e collegiale, Milan, 1903, p. 3-26; G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer,
2e éd., Munich, 1912, p. 404 (qui note à juste titre, ibid., p. 404, n. 4, que parmi les sacra
gentilicia dont le souvenir est parvenu jusqu'à nous, seuls ceux de Sol chez les Aurelii,
d'Hercule chez les Potitii et du tigillum ßororium chez les Horatii appartiennent à la série
des sacra publica); C. W. Westrup, Sur les gentes et les curies de la royauté primitive de
Rome, dans RIDA, I, 1954, p. 435-473, p. 445-446; P. De Francisci, Primordia duitatis, Rome,
1959, p. 170-171; G. Dumézil, La religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, p. 609-610.
Sur le culte du tigillum sororium chez les Horatii, cf. Liv., I, 26, 13, Id hodie quoque publice
semper refectum manet: sororium tigillum uocant, et Denys d'Halicarnasse, AR, 3, 22, 7-8;
Fest., p. 380 L, s.u. Sororium tigillum; Id., p. 502 L, s.u. Tigillum sororium; Paul. Fest., p. 399 L,
s.w. Sororium tigillum. Sur le rôle dévolu aux Potitii dans le culte de l'Ara Maxima, cf. Liv.,
I, 7, 14; J. Carcopino, Aspects mystiques de la Rome païenne, Paris, 1942, p. 204-206;
D. van Berchem, Hercule Melqart à l'Ara Maxima, dans RPAA, 32, 1959-1960, p. 61-68, p. 64
(pour lequel les Potitii étaient en réalité des κάτοχοι: cf. sur ce point A. Bouché-Leclercq,
Les reclus du Serapeum de Memphis, Mélanges G. Perrot, Paris, 1903, p. 17-24); R. E. A. Palmer,
The censors of 312 B.C. and the state religion, Historia, 14, 1965, p. 293-324, p. 293-308.
Malgré J. Bayet, Les origines de l'Hercule romain, dans BEFAR, 132, Paris, 1926, p. 248-259,
pour lequel le culte d'Hercule à l'Ara Maxima ne fut initialement qu'un culte gentilice, nous
persistons à croire avec G. Wissowa, op. laud., p. 404, n. 4, qu'il appartenait à la série des
sacra publica.
916 JEAN-CLAUDE RICHARD

la cérémonie annuelle du tigillum soronUm, à laquelle le nom des Horatii


est à jamais lié, et la tradition relative au sacrifice célébré en l'honneur
d'Hercule à VAra Maxima, aussi longtemps du moins que l'Etat n'en eut
pas retiré la responsabilité aux mystérieux Potitii.
En ce qui concerne Sol et les Aurelii trois témoignages peuvent être
mis en rapport à des degrés divers avec la notice de Paul Diacre. C'est
ainsi qu'au dire d'Annales dont Varron 3, il est vrai, ne précise pas la nature,
le Soleil figurait parmi les divinités auxquelles Titus Tatius avait voué des
arae qui gardaient le parfum de la langue sabine. En outre, un autre passage
du De lingua latina fait référence à une tradition selon laquelle le nom
sol serait un mot sabin4. Sans doute faut-il même dans ce texte corriger
le sola uel d'un manuscrit en Sol ausel, auquel cas nous aurions la preuve
que, par-delà Verrius Flaccus, le témoignage de Paul Diacre remontait en
droite ligne à Varron. Enfin, à l'époque classique, le temple de Sol Indiges
s'élevait sur le Quirinal5, traditionnellement considéré comme le siège d'un
habitat sabin au temps lointain des initia.
Si notre propos n'est pas d'entrer ici dans le détail des controverses
relatives à la nature de ce culte, nous ne pouvons éluder le problème de
son ancienneté. Un aussi bon connaisseur que G. Wissowa6 se refusait,
on le sait, à admettre que Sol ait pu compter au nombre des di indigetes.

3 Varrò, Ling., 5, 74. La liste des divinités énumérées dans ce passage a été mainte fois
commentée: cf. E. C. Evans, The cults of the sabine territory, Rome,1939, p. 152-240; J. Collari,
Varron grammairien latin, Paris, 1954, p. 238-239; O. Terrosi Zanco, Varrone, L.L., V, 74.
Divinità sabine ο divinità etrusche? S.C. Ο., 10, 1961, p. 188-208; G. Radke, Varrò L.L., V, 74,
zu sabinischen Gottheiten in Rom, Romanitas, 6-7, 1965, p. 290-313; J. Poucet, Recherches
sur la légende sabine des origines de Rome, Kinshasa, 1967, p. 46-53. Cf. également Denys
d'Halicarnasse, AR, 2, 50, 3.
4 Varrò, Ling., 5, 68 (que nous citons dans le texte retenu par J. Collari, Varron, De
lingua latina, Uvre V, Paris, 1954, p. 44), Sol uel quod ita Sabini, uel quod solus ita lucet,
ut ex eo deo dies sit. Mais la correction Sol ausel de la leçon solauel donnée par le manuscrit F
(codex Laurentianus LI, 10) est retenue par divers savants parmi lesquels G. Wissowa, op. laud.,
p. 315, n. 3; J. Heurgon, Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue
préromaine des origines à la deuxième guerre punique, dans BEFAR, 154, Paris, 1942, p. 42,
n. 2; G. Dumézil, op. laud., p. 432.
5 A. Degrassi, Inscriptiones Italiae, 13, 2, Fasti anni numani et iuliani, Rome, 1963,
p. 493 (au témoignage des Fast. Vail, Aug. 8, des Fast. Allif., Aug. 9, et des Fast. Amitern.,
Aug. 9). De ces deux dates, A. Degrassi retient celle du 9 Août. Cf. d'autre part Tacite,
Ann., 15, 74, I, qui mentionne l'existence d'un antique sanctuaire du Soleil (... Soli, cui est
uetus aedes apud circum).
6 G. Wissowa, op. laud., p. 317.
LE CULTE DE «SOL» ET LES « AURELII » 917

L'existence sur le Quirinal7 d'un puluinar Solis voisin d'un temple de


Quirinus et la mention de l'étoile du soir dans l'inscription que Quintilien
put y lire constituaient à ses yeux deux raisons majeures d'attribuer au
culte du Soleil une origine grecque et d'inclure ce dieu dans la série des
di nouensides.
Malgré l'autorité de ce savant, les données dont nous disposons orientent
l'analyse vers une conclusion différente. La plus anciennement connue dans
le domaine épigraphiques nous est fournie par l'abréviation AG IN qui
figure dans les Fasti Amiternini8 à la date du 11 Décembre et qu'A, von
Domaszewski9 proposait de développer en Ag(onium) In(digetis). G. Wissowa
rejetait cette lecture parce qu'il lui semblait étrange que la désignation du
dieu ainsi honoré se réduisît à un adjectif10. Il s'étonnait d'autre part qu'elle
ait pu apparaître en grandes capitales dans ce férial, puisque les indications
de ce type sont d'ordinaire mentionnées en lettres plus petites n. Fort de
ces constatations, il concluait par un non liquet sur le témoignage de Jean
le Lydien dont le De mensibus 12 nous apprend que le sacrifice du Sep-
timontium se doublait â'Agonalia δαφνηφόρω και γενάρχη ήλύρ, c'est-à-dire
d'une cérémonie célébrée en l'honneur d'une divinité qu'il nous paraît dif
ficile de ne pas assimiler à Sol Indiges, et corrigeait en AGON(ALIA) la
notation AG IN due, selon lui, à une erreur du lapicide 13.
Mais la découverte des Fasti Ostienses apporta la preuve qu'A, von
Domaszewski avait eu raison contre G. Wissowa, et que l'interprétation la
plus naturelle de Mens., 4, 155, p. 172 W. était aussi la bonne. Nous lisons

7 Quint, I, 7, 12; G. Wissowa, op. laud., p. 316-317; G. Dumézil, op. laud., p. 432.
8 A. Degrassi, op. laud., p. 535-536 (Fast. Amitern., Dec. 11). Les Fast. Maff. portent
la mention AGON(ALIA), les Fast. Praen. la mention AG[ON(ALIA)] et les Fast. Antiat min.
la mention AG (ONALI A).
9 A. von Domaszewski, Abhandlungen zur römischen Religion, Leipzig et Berlin,
1909, p. 173.
10 G. Wissowa, op. laud., p. 317, ri. 3.
11 Id., Gesammelte Abhandlungen, Munich, 1904, p. 232; id., Neue Bruchstücke der
römischen Festkalenders, Hermes, 58, 1923, p. 369-392, p. 371-372.
12 Lyd., Mens., 4, 155, p. 172 W (qui date le sacrifice du Septimontium et cette cérémonie
du 2 Décembre). L'adjectif γενάρχης qualifie également Ήλιος dans le texte, qui nous a été
transmis par Diodore de Sicile (37,10), du serment par lequel le pacte d'amitié conclu en
91 par M. Liuius Drusus avec Q. Pompedius Silo avait été sanctionné.
13 G. Wissowa, Gesammelte..., p. 232; id., Religion..., p. 317, n. 3, approuvé par
Marbach, RE, 3 A 1, s.u. Sol, col. 901-913, col. 903. F. Bömer, Ahnenkult und Ahnenglaube
im alten Rom, Leipzig et Berlin, 1943, p. 60, se refuse à recourir au témoignage de Jean le
Lydien pour interpréter les témoignages épigraphiques relatifs à la solennité du 11 Décembre.
918 JEAN-CLAUDE RICHARD

en effet dans ce calendrier à la date du 11 Décembre la mention


[AG]ON(ALIA) IND(IGETI) 14. Aussi un consensus s'est-il établi entre
épîgraphistes et historiens de la religion romaine pour admettre que les
Agonalia de Décembre appartenaient au feriale antiquissimum 15, et qu'ils
étaient accomplis au bénéfice de Sol Indiges. Dans cette perspective, le
recours aux maiores litterae pour désigner la divinité à laquelle cette solen
nité s'adressait pouvait s'expliquer en référence au désir des pontifes ou
autres responsables du férial d'éviter toute confusion entre ces Agonalia
et ceux qui, à d'autres moments de l'année, étaient célébrés en l'honneur
de Janus, Mars et peut-être Vediovis 16.
D'autres calendriers nous ont gardé le souvenir d'un sacrifice plus
récent, accompli lui aussi, le 9 Août, en l'honneur de Sol Indiges in colle
Quirinali 17. G. Wissowa fut de tout évidence mal inspiré le jour où il
développa l'idée que l'adjectif indiges ne devait pas s'entendre dans ce cas
en référence à l'opposition traditionnelle des di indigetes aux di nouensides,
mais que son utilisation répondait à un besoin de souligner que ce culte
était rendu à une divinité nationale ou du moins bien enracinée dans
VUrbs, donc foncièrement différente du dieu oriental qui, vsous le même
nom, était en train de s'y introduire 18. Quelle que soit en effet la significa
tion exacte de ce mot, indiges ne saurait être considéré comme l'antonyme
de peregrinus.

14 A. Degrassi, op. laud., p. 535-536 (Fast. Ost., Dec. 11). Les deux lectures proposées
de cette abréviation par E. Vetter (Di nouensides, di indigetes, I.F., 62, 1956, p. 1-32, p. 32;
Zum altrömischen Festkalender, Rh.M., 103, 1960, p. 90-94, p. 93: [AGJON(IORUM) IND(ICTIO)
ou [AG]ON(IA) IND(ICUNTUR) ne sont pas convaincantes.
15 K. Latte, Römische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 44, 73 et 444 (par rapport
auxquelles la p. 213 est en retrait); A. Degrassi, op. laud., p. 365 et 536; A. Alföldi, Early
Rome and the Latins, Ann Arbor, 1965, p. 252-253; G. H. Halsberghe, The cult of Sol Invictus,
Leiden, 1972, p. 27. Cf. également, sur l'antiquité du culte rendu à Sol, E. Gjerstad, Early
Rome V, Lund, 1973, p. 201. Contra, G. Wissowa, Religion..., p. 317, et G. Dumézil, op.
laud., p. 432. Sur le culte de Sol Indiges, cf. encore C. Koch, Gestirnverehrung im alten
Italien. Sol Indiges und der Kreis der Di Indigetes, Francfort, 1933 (ouvrage que nous n'avons
pu consulter); id., Der römische Juppiter, Francfort, 1937, p. 41-42; G. Radke, Die Götter
Altitaliens, Munster, 1965, p. 150.
16 A. Degrassi, op. laud., p. 536. Cf. respectivement les Agonalia du 9 Janvier (p. 393-
394), du 17 Mars (p. 425) et du 21 Mai (p. 460). L'identité de la divinité en l'honneur de
laquelle cette dernière cérémonie était célébrée reste douteuse.
17 Cf. les témoignages rassemblés, p. 916, n. 3.
18 G. Wissowa, Gesammelte..., p. 180; id., Religion..., p. 317. Cf. également, mais avec
des réserves, F. Richter, Ausführliches Lexicon der griechischen und römischen Mythologie
LE CULTE DE «SOL» ET LES « AURELII » 919

De ce que le Quirinal servait de théâtre au sacrifice du 9 Août, il


ne découle pas nécessairement que la cérémonie plus ancienne des Agonalia
de Décembre ait été célébrée sur la même hauteur. Quoique douteuse,
l'équivalence agoni - montes mentionnée, entre autres exégèses du mot
agonium, par Paul Diacre 19, et le synchronisme des Agonalia Indigetis
avec la fête du Septimontium constitueraient même deux raisons de nier
tout rapport entre la solennité dédiée à Indiges et le Quirinal qui est le
collis 20 par excellence, si une notice de Festus ne nous apprenait qu'en
des temps anciens, cette hauteur avait porté le nom aJ Agonus21. De ces
traditions apparemment contradictoires, seule la deuxième mérite foi, parce
que confirmée par Denys d'Halicarnasse dont le témoignage établit que les
Saliens Άγωναλεϊς22 se confondaient avec les Salii Collini, et sans doute
aussi par Varron qui, dans le livre VI du De lingua latina, fait référence
aux livres des Saliens « surnommés Agonenses » 23.
Nous tenons donc pour acquis que, comme celle du 9 Août, la solen
nitédu 11 Décembre avait lieu sur le Quirinal. En d'autres termes, il nous
semble significatif qu'un culte dont les liens avec une famille d'origine
Sabine sont une quasi-certitude ait été en étroit rapport, et ce dès une
date fort ancienne, avec cette colline. Il est vrai que J. Poucet a avancé
plusieurs raisons de croire qu'« une référence à Varron, L. L., V, 74 ne suffit
pas pour "prouver" le caractère sabin d'une divinité vénérée à Rome»24.
D'autre part, sans révoquer en doute l'origine sabine des Aurelii, ce savant
a remarqué que cette famille apparaît dans les Fastes consulaires au IIIe siècle

herausgegeben von W. H. Roscher, 4, s.w. Sol, col. 1137-1152, col. 1141. Contra, outre C. Koch,
G. K. Galinsky, Sol and the Carmen Saeculare, dans Latom,us, 26, 1967, p. 619-633, p. 626;
G. H. Halsberghe, op. laud., p. 28.
19 Paul. Fest., p. 9L, s.w. Agonium, ... siue quia agonos dicebant montes, Agonia sacri-
ficia, quae fiebant in monte.
20 Cf. sur ce point J. Poucet, L'importance du terme «collis» pour l'étude du dévelop
pement urbain de la Rome archaïque, dans AC, 36, 1967, p. 99-115.
21 Fest., p. 304 L, s.w. Quirinalis collis, Quirinalis collis, qui nunc dicitur, olim Agonus
appellabatur; Paul. Fest., p. 9L, s.w. Agonium, ... Hinc Romae mons Quirinalis Agonus et
Collina porta Agonensis.
22 Denys d'Halicarnasse, A.R., 2, 70, 1.
23 Varrò, Ling., 6, 14.
24 J. Poucet, Les Sabins aux origines de Rome. Orientations et problèmes, Aufstieg und
Niedergang der römischen Welt (désormais cité A.N.R.W.), 1, 1, Berlin et New-York, 1972,
p. 48-135, p. 103; id., Recherches..., p. 51-52; id., Les Sabins aux origines de Rome: légende
ou histoire, dans LEC, 39, 1971, p. 129-151 et 293-310, p. 140-141.
920 JEAN-CLAUDE RICHARD

seulement, en la personne de C. Aurelius L. f. C. n. Cotta, cos. 252, II 248 25.


Aussi a-t-il émis l'hypothèse que l'accession à la magistrature suprême d'un
de ses membres est à rapprocher de la conquête de la Sabine dès le début
du IIIe siècle et de l'octroi qui s'ensuivit de la ciutas à ses habitants26.
Il faut de toute évidence donner acte à J. Poucet d'avoir, par la première
de ces remarques, énoncé une mise en garde salutaire contre des assimila
tions ou des identifications hâtives. Même si des influences diverses ont pu
s'exercer sur les cultes astraux, il est vraisemblable que la religion de Sol
n'était pas spécifiquement sabine27. Au demeurant, ni les témoignages de
Varron ni celui de Verrius Flaccus n'orientent l'analyse en ce sens. En effet,
le De lingua latina n'inclut pas Sol parmi les divinités que son auteur
énumérait sous les rubriques a Sabinis ou paulo aliter ab eisdem2&, mais
le range dans le groupe de celles dont les autels que Titus Tatius était
censé leur avoir voués gardaient le parfum de la langue sabine. A en croire
d'autre part 5, 68, tout se passe comme si Varron avait proposé de sol-ausel
deux etymologies, l'une sabine, l'autre latine. Alors même que le caractère
fantaisiste de la seconde saute aux yeux, les linguistes ne dénient pas toute
valeur au rapprochement de ces deux mots. En dernière analyse, ausel
remonte en effet à l'étrusque usil29, bien attesté comme nom du soleil sur
le foie de Plaisance comme sur les bandes de la momie de Zagreb. Quant
au témoignage de Verrius Flaccus, s'il confirme qu'ausel correspondait en
sabin à sol, il souligne, non sans mettre l'accent sur leur origine, la vocation
des Aurelii à accomplir en l'honneur du Soleil des sacra publica au plein
sens de ce mot.

25 T. R. S. Broughton, The magistrates of the roman Republic (désormais cité M.R.R.),


1, New-York, 1951, p. 212 et 215; J. Poucet, Les Sabins... Orientations..., p. 104 et 121.
26 Veil., 1, 14, 6 et 7, ...M'Curio et Rufino Cornelio consulibus Sabinis sine suffragio
data ciuitas... Sempronio Sopho et Appio Caeci filio consulibus... suffraga ferendi ius
Sabinis datum. P. A. Brunt, The enfranchisement of the Sabines, dans Hommages à M. Renard,
2, Bruxelles, 1969, p. 121-129, a récemment montré que cette tradition méritait une pleine
confiance.
27 F. Altheim, Italien und Rom, I, Amsterdam et Leipzig, 1941, p. 146. Contra, F. Borner,
op. laud., p. 58.
28 Cf. sur ce point les analyses, déjà citées, que J. Poucet a consacrées à Varrò, Ling., 5, 74.
29 P. Kretschmer, Einleitung in die Geschichte der griechischen Sprache, Göttingen, 1896,
p. 83; W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Berlin, 1904, p. 468; J. Heurgon,
Recherches..., p. 42. Le texte des documents mentionnés dans la suite de la phrase est donné
par M. Pallottino, Testimonia linguae etruscae, Florence, 1954, 1 et 719.
LE CULTE DE «SOL» ET LES « AURELII » 921

Les considérations développées par J. Poucet sur le destin de cette


gens sont cependant plus lourdes de conséquences que ses réflexions méthod
ologiques, dans la mesure où ce savant est enclin à croire que la recon
naissance par VUrbs du rôle incombant à ses membres dans la célébration
du culte rendu à Sol ne saurait être antérieure au milieu du IIIe siècle.
Mais il est impensable qu'à une date postérieure de cinquante ans et plus
au moment où Ap. Claudius retira aux Potitii 30 les fonctions qui leur
étaient traditionnellement dévolues dans les cérémonies accomplies, en
l'honneur d'Hercule, à l'Ara Maxima, la cité ait renoué avec un usage dont
le principe portait la marque de temps « immémoriaux ». Sans doute le
pontifex maximus était-il associé de droit à son application31. Or l'hypothèse
d'une initiative aussi réactionnaire s'accorde mal avec la conception modern
isteque Ti. Coruncanius 32, qui fut le premier plébéien à exercer ce sacer
doce, et ce à partir d'une date comprise entre 255 et 252, semble s'être
formée de ses responsabilités. Le témoignage de la phonétique recoupe au
demeurant celui de l'histoire, puisque la présence dans le lemme de Verrius
Flaccus des formes Auseli, Valesti et Papisii nous reporte à une époque
antérieure au « rhotacisme », c'est-à-dire à un phénomène dont les effets
ne se firent guère sentir avant la deuxième moitié du IVe siècle33.
Or ce que nous entrevoyons des cultes gentilices auxquels la cité con
féra la dignité de sacra publica nous fait obligation d'admettre que le contenu
de ce lemme vaut pour des temps nécessairement fort anciens. Si, malgré
Tite-Live34, rien ne nous autorise à postuler l'existence d'une hypothétique

30 Liv., 9, 29, 9-10; Macr., Sat., 3, 6, 13 (qui ne mentionne pas Ap. Claudius); Vir. ill.,
34, 2-3. Cf. l'analyse faite de cet épisode par J. Bayet, op. laud., p. 2-63-273.
31 Liv., 1, 20, 6, Ceterum quoque omnia publica priuataque sacra pontificis scitis
subiecit (se. Numa Pompilius).
32 Sur la date à laquelle Ti. Coruncanius accéda aux fonctions de grand pontife, cf.
T. R. S. Broughton, M.R.R., I, p. 210. Elle se déduit des événements dont la mention encadre
dans la Perioch. 18 la référence à l'élection de ce personnage (Tib. Coruncanius primus ex
plebe pontifex maximus creatus est). Sur ses efforts pour briser le monopole que les pontifes
s'étaient réservé de la science du droit, cf. Pompon., Dig., I, 2, 2, 35 (Et quidem ex omnibus,
qui scientiam nacti sunt, ante Tiberium Coruncanium publiée professum neminem traditur)
et 38 (Post hos fuit Tiberius Coruncanius.. . qui primus profiteri coepit). Sur ce personnage
et sur sa carrière, cf. F. Münzer, RE, 4, 2, s.u. Coruncanius, nr. 3, col. 1663-1664, et Jörs,
ibid., col. 1664-1665.
33 P. Monteil, Eléments de phonétique et de morphologie du latin, Paris, 1970, p. 60.
34 Liv., 1, 7, 12, ...adhibitis ad ministerium dapemque Potitiis ac Pinariis, quae turn
familiae maxime inclitae ea loca colebant; id., 9, 29, 9-10.
922 JEAN-CLAUDE RICHARD

gens Potitia, les Pinarii35 étaient eux aussi associés, dans un rôle il est
vrai secondaire, aux cérémonies de VAra Maxima. Or les Fastes consulaires
nous apprennent qu'ils jouirent d'une influence certaine à Rome entre
490 et 470 d'une part, dans les années 430 de l'autre36. Le problème se
pose dans les mêmes termes pour les Horatii tenus d'accomplir chaque année
la cérémonie du tigillum sororium et tout-puissants dans VUrbs autour
de 450 37. De plus le choix de M. Horatius Pulvillus38 comme premier
praetor maximus de la libera ciuitas confirme à nos yeux la tradition selon
laquelle, en des temps plus anciens, la gens Horatia avait compté au nombre
des familles influentes39. Tout suggère en effet que les bénéficiaires directs
des événements de 509 se recrutèrent parmi des clans dont les rois étrusques
avaient combattu la volonté de puissance que, forts des privilèges extorqués
à leurs prédécesseurs latino-sabins, ils ne laissaient pas d'afficher.
Dans ces conditions, le parti le plus sage nous semble être de recon
naître dans les Aurelii une famille d'origine sabine dont l'arrivée à Rome
est sans doute antérieure à la fin du VIIe siècle. En effet, même si une
tendance se fait jour parmi les modernes à rejeter l'hypothèse d'une colonisa
tion massive du Quirinal et du Capitole par les Sabins, archéologues et
historiens des initia admettent volontiers la réalité d'un processus continu

35 Liv., 1, 7, 12; Verg., Aen., 8, 269, Et domus Herculei custos Pinaria sacri; Macr.,
Sat, 3, 6, 12-14.
36 P. Pinarius Mamercinus Rufus et L. Pinarius Mamercinus Rufus furent respectivement
consuls en 489 et 472, L. Pinarius Mamercus (?) tr. mil. c.p. en 432, et P. Pinarius censeur
en 430 (T. R. S. Broughton, MRR, 2, p. 600).
37 Des membres de cette famille parvinrent au consulat en 509, 507, 477, 457, 449, et
au tribunat militaire à pouvoir consulaire en 425. Au IVe siècle, elle ne figure dans les Fastes
consulaires qu'à deux reprises, en 386 et en 378 (id., ibid., 2, p. 572).
38 Liv., 7, 3, 8. La figure du praetor maximus est au centre de controverses qui opposent
les historiens de la Rome archaïque: cf. parmi les travaux les plus récents J. Heurgon, Magistrat
ures romaines et étrusques, dans Entretiens sur l'Antiquité Classique, 13, Genève, 1967, p. 99-127,
p. 104-112; A. Momigliano, Praetor maximus e questioni affini, Studi in onore di G. Grosso,
I, Turin, 1968, p. 161-175; A. Magdelain, Praetor maximus et comitiatus maximus, dans Iura, 20,
1969, p. 257-286; A. Guarino, «Praetor maximus», dans Labeo, 15, 1969, p. 199-201.
09 L'épisode des Horaces et des Curiaces a été récemment étudié par L. Deroy (Le combat
légendaire des Horaces et des Curiaces, dans LEC, 41, 1973, p. 197-206, étude dans laquelle ce
savant rattache le thème *hôra à la racine qui apparaît dans le grec χώρα, reconnaissant ainsi
dans les Horatii « les gens de la campagne » et dans leurs adversaires les « citadins ») et par
E. Montanari (II mito degli Horatii e Curiata, R. et C, I, 1972, p. 229-284). Les conclusions
de ces deux articles restent conjecturales, même si certaines propositions du second méritent
de retenir l'attention.
LE CULTE DE « SOL » ET LES « AURELII » 923

d'infiltration qui, dès une date fort ancienne, permit à quelques petits groupes
venus de Sabine de se faire une place dans la ville naissante 40.
Nous tenons d'autre part pour acquis que les Aurelii rendaient au
Soleil un culte gentilice auquel, dans des conditions qui nous échappent,
leur nouvelle patrie reconnut un caractère officiel. L'appartenance à la plèbe
de leurs lointains descendants ne change rien à l'affaire. Il est vrai que
J. Marquardt 41 croyait trouver dans le lemme de Verrius Flaccus la preuve
de l'existence, en des temps reculés, d'une gens Aurelia patricienne, vouée,
comme d'autres, à une exstinction prématurée. Mais cette affirmation découle
d'une vision dualiste de la population romaine primitive, et du dogme selon
lequel la citoyenneté fut initialement le monopole du patriciat dont les
membres se trouvaient seuls qualifiés de ce fait pour assumer la responsab
ilité des sacra publica.
Reste que le postulat d'un dualisme patricio-plébéien aussi ancien que
Rome est aujourd'hui insoutenable42. Si cette constatation suffit à faire
justice de l'hypothèse formulée par J. Marquardt, elle nous interdit également
d'inclure ab origine les Aurelii dans une plèbe qui n'avait pas encore accédé
à l'être. Il est vraisemblable que le patriciat se forma à partir d'un certain
nombre de clans qui, dès l'époque de la monarchie latino-sabine, affirmèrent
envers et contre tous leur vocation à se perpétuer héréditairement parmi
les patres ou sénateurs43. Malgré le privilège qui lui avait été reconnu, la
gens Aurelia ne put, pour des raisons que nous ignorons, trouver place

40 M. Pallottino, Le origini di Roma, dans ArchClass, 12, 1960, p. 1-36, p. 25-26; Id., Fatti
e leggende (moderni) sulla più antica storia di Roma, dans SE, 31, 1963, p. 3-37, p. 17; Id.,
Le origini di Roma: considerazioni critiche sulle scoperte e sulle discussioni più recenti,
dans ANRW, 1, 1, p. 2247, p. 40; H. Müller-Karpe, Zur Stadtwerdung Roms, Heidelberg, 1962,
p. 46; E. Gjerstäd, Legends and facts of early roman history, dans Scripta Minora Regiae Societ.
Human. Litt. Lund., 1960-1961, 2, p. 43; id., Cultural history of early Rome. Summary of
archaeological evidence, AArch, 36, 1965, p. 1-41, p. 4-5; id., Early Rome V, p. 203; J. Poucet,
Les Sabins...: légende..., p. 134.
41 J. Marquardt, Römische Staatsverwaltung, 32, Leipzig, 1885, p. 131, n. 8. Contra,
Klebs, RE, 2, 2, s.u. Aurelius, col. 2431.
42 Nous nous permettons de faire référence sur ce point au chapitre III d'une thèse
de doctorat sur les origines de la plèbe romaine que nous préparons sous la direction de
Monsieur J. Heurgon. Mais cf. déjà les remarques de P. De Francisci, op. laud., p. 776-785.
43 A. Momigliano, An interim report on the origins of Rome, dans JRS, 53, 1963, p. 95-121,
p. 118; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, Paris,
1969, p. 200 et 220; E. J. Bickerman, Some reflections on early roman history, dans RFIC, 97,
1969, p. 393-408,p. 406.
924 JEAN-CLAUDE RICHARD

dans cette noblesse. D'où l'appartenance de ses descendants à la plèbe à


partir du moment où, avant de se poser, dès la première sécession, en
« ordre » constitutif de la cité, celle-ci entra dans l'histoire comme la masse
du « corps civique » opposée à son élite.
Dans la mesure où elle souligne que les plébéiens jouissaient de la
pleine citoyenneté et qu'ils étaient membres à part entière de la com
munauté romaine, cette définition aide à comprendre qu'une famille étran
gère au patriciat ait pu garder la responsabilité d'un sacrum publicum.
Peut-être une évolution comparable se laisse-t-elle constater dans le culte
rendu à Cérès. Au terme d'une analyse approfondie et en tout point con
vaincante, H. Le Bonniec44 a établi naguère qu'un certain nombre de rituels
dans lesquels cette déesse était associée ou non à Tellus appartenaient au
fond le plus ancien de la religion romaine. Rappelons, entre autres faits
significatifs de ce point de vue, que la solennité des Cer ealia était inscrite
au férial de « Numa » 45, et que le flamen Cerialis comptait au nombre des
flamines mineurs46. Or un lemme de Paul Diacre nous apprend que, si les
flamines maiores se recrutaient au sein du patriciat, les minores étaient
choisis dans la plèbe47. Prise à la lettre, cette affirmation doit s'interpréter
en référence à un dualisme dont nous sommes convaincu qu'il ne peut
être aussi ancien que Rome. Dans le cas précis de Cérès, tout se passe
donc comme si l'usage s'était instauré de conférer à un non-patricien le
flamonium de cette déesse avant même le moment où, dans les années
qui suivirent la première sécession, la plèbe imprima sa marque au culte
qu'en droit, elle partageait dans le temple situé iuxta Circum Maximum
avec Liber et Libera48. De toute évidence, les raisons que le patriciat avait

44 H. Le Bonniec, Le culte de Cérès à Rome des origines à la fin de la République,


Paris, 1958, p. 21-210.
45 A. Degrassi, op. laud., p. 364 et 442-443.
46 Sur le flamen Cerialis, cf. H. Le Bonniec, op. laud., p. 68-71 et 112-114. L'existence
d'un prêtre de ce nom est pratiquement attestée, à époque impériale il est vrai, par une
inscription de Mevani (CIL XI, 5028 = ILS 1447). Il va de soi qu'il se confond avec le
flamen sacrum Cereale faciens Telluri et Cereri dont Fabius Pictor nous a gardé le souvenir
(Serv., Georg., 1, 21). Sur ce texte cf. J. Bayet, Les «Feriae sementiuae» et les indigitations
dans le culte de Cérès et de Tellus, dans RHR, 137, 1950, p. 172-206 = Croyances et rites dans
la Rome antique, Paris, 1971, p. 177-205.
47 Paul. Fest., p. 137 L, s.u. Maiores flamines, Maiores flammes appellabantur patricii
generis, minores plebei.
48 Tac, Ann, 2, 49, 1.
LE CULTE DE « SOL » ET LES « AURELII » 925

de se réserver le monopole des flamonia majeurs qui, dans la cité archaïque,


avaient servi à sa définition ne valaient pas pour les cultes moins prestigieux
dont les autres flamines avaient la charge.
La tradition relative à la vocation solaire des Aurelii dont Verrius
Flaccus nous a gardé le souvenir nous reporte donc à l'époque des initia,.
et non à la période où cette gens s'intégra dans la nobilitas naissante.
Dix siècles plus tard, l'empereur Aurélien que son nom « apparentait » à
cette famille sabine devait renouer avec la tradition de ses lointains « ancêt
res» en proclamant l'omnipotence et la majesté de Sol Inuictus 49.

49 Cf. sur ce point G. H. Halsberghe, op. laud., p. 130-162. Sur les Potitii on consultera
encore A. Alföldi, Die Struktur des voretruskischen Römerstaates, Heidelberg, 1974, p. 148-150,
qui, développant une hypothèse qu'il avait déjà formulée dans Zur Struktur des Römerstaates
im 5. Jahrhundert v. Chr. (Les origines de la République Romaine, Entretiens..., 13, p. 225-278),
p. 248-249, reconnaît en eux, mais sans invoquer d'argument décisif à l'appui de cette identi
fication, les Valerli Potitii; sur les Vinarii, id., Oie Struktur..., ibid.; E. Gabba, Considerazioni
sulla tradizione letteraria sulle origini della Repubblica (Les origines de la République...,
p. 135-169), p. 159-160.
AGNES ROUVERET

LES OISEAUX D'UGENTO *

τοΰ μεν πετάλοισιν έπ' άκροτάτοις


ίζάνοισι ποικίλαι
πανέλοπες καίολόδειροι λασιπορφυρίδες και
αλκυόνες τανυσίπτεροι.
Ibycos (fr. 9)

Les découvertes récentes, en Italie méridionale, font connaître un grand


nombre de tombes peintes, datées des Ve et IVe s. av. J.-C. Moins célèbre
que la tombe du Plongeur de Paestum, le tombeau découvert en 1970, à
Ugento, important centre messapien du Salento \ permet d'évoquer, à partir
d'éléments nouveaux, des questions qui touchent autant à l'évolution de la
peinture en Grande Grèce qu'aux réactions des peuples non-helléniques devant
la présence et la pénétration des Grecs et de leur culture. Les remarques
présentées ici ont pour seule fin de définir quelques hypothèses de travail
sans prétendre dépasser le stade des interrogations.

* Je voudrais remercier tout particulièrement M. F. G. Lo Porto, Surintendant aux Anti


quités de la Pouille, d'avoir bien voulu m'autoriser à publier les dessins de la tombe d'Ugento
et d'avoir ainsi permis cette étude, et également M. M. Napoli, Surintendant aux Antiquités
de Salerne, de m'avoir fait parvenir la photographie de la tombe 21 de Paestum. Ce travail
doit, en outre, beaucoup aux remarques amicales et critiques de F. d'Andria et C. Pagliara.
1 Sur Ugento cf. G. Susini, Fonti per la storia greca e romana del Salento, Bologne,
1962, p. 77 sqq.; Ν. Degrassi, EEA, Suppl. 1970, p. 880-81 avec bibliographie ad loc. La
découverte essentielle de ces dernières années est celle du Poseidon de bronze, en 1963.
La statue, datée de la fin du 6e s. av. J.-C, est considérée, par les uns, comme une œuvre
importée de Grèce (W. Hermann, Arch. Anz, 1966, p. 293-296; F. G. Lo Porto, Tomba Messapica
di Ugento, dans ASMG, U-12, 1970-71, note 251, p. 150) et par les autres, comme un produit
tarentin (N. Degrassi, Atti Taranto III, 1963, p. 164, Boll. d'Arte XLIX, 1964, p. 392, P.P. 1965, p. 93;
A. Stazio, Atti Taranto IV, 1964, p. 168 sqq.). Nous soutiendrions volontiers cette deuxième solution
et nous pensons que les quelques remarques présentées ici renforcent l'idée d'une influence
précoce de Tarente sur l'arrière-pays messapien. Les combats qui opposent les colons grecs
et les Messapiens, au début du deuxième quart du Ve s. av. J.-C, n'impliquent pas une absence de
contact entre les deux cultures, bien au contraire. De même, les modifications de l'organisation
politique des Messapiens qui semblent se produire plus tôt dans cette partie de la Pouille qu'en
Daunie ou Peucétie, ont pu être favorisées par des contacts plus profonds avec Tarente, cf.
E. Lepore, Atti Taranto I, 1961, p. 268. (Les actes des Congrès de Tarente, consacrés à la
Grande Grèce sont abrégés en «Atti Taranto» suivi du numéro du Congrès et de sa date).
928 AGNÈS ROUVERET

I - Description

La tombe et son matériel font l'objet d'une publication détaillée de


F. G. Lo Porto, Surintendant aux Antiquités de la Pouille, parue dans les
Atti e Memorie della Società Magna Grecia de 1970-71 2. Nous rappelons
brièvement les traits principaux qui la caractérisent.
1.1 - II s'agit d'un tombeau de proportions monumentales, construit
en blocs de calcaire ajustés avec soin. Il se compose de trois parties. Le
socle3, formé de sept blocs juxtaposés dans le sens de la longueur, mesure
3,90 m de long, 2,18 m de large et 0,32 m de haut; il est entaillé sur une
profondeur de 10 cm, une largeur de 0,97 m et une longueur de 2,75 m;
l'espace ainsi dégagé servait à encastrer le lit funéraire (on a retrouvé, dans
la tombe, des clous provenant de la klinè).
Les plaques qui forment les parois latérales* sont au nombre de six,
elles reposent sur le socle et présentent aux surfaces en contact des marques
d'anathyrose. Elles sont recouvertes, à l'intérieur, d'une couche d'enduit
(épaisseur 2 mm) et portent un décor peint. La tombe mesure, à l'intérieur,
2,95 m de long, 1,10 m de large et 0,80 m de haut.
Le toit5, à double pente, est formé de deux blocs qui s'emboîtent l'un
dans l'autre; ils étaient mis en place à l'aide de leviers: on peut lire leurs
points d'appui sur la tranche des blocs latéraux en même temps que les
rainures qui servaient à caler les blocs de couverture une fois posés. Recouvert
d'enduit à l'intérieur, le toit avait également reçu une décoration peinte,
malheureusement très endommagée, que l'on présentera dans cette étude.
1.2 - La tombe servit à deux dépositions au moins. Mais les circonstan
ces de la découverte ont empêché que l'on pût repérer la disposition des
objets à l'intérieur de la tombe, ainsi que celle des fragments de squelette.
II est donc nécessaire de pratiquer tout un jeu de reconstitutions a posteriori,
avec toutes les incertitudes qui en résultent. D'après l'analyse des os et les
regroupements du matériel, F. G. Lo Porto place la première déposition
au plus tard dans les années 490 av. J.-C. (sépulture d'un homme de trente
ans environ), et la seconde au début du IVe s. av. J.-C. (adolescent de quinze
ans environ) 6.

Cf. note précédente.


Lo Porto, art. cit., p. 100-102; fig. 3-4.
Lo Porto, art. cit., p. 102-103; 105-107, fig. 4-6-7.
Ibid., p. 103-104, fig. 5.
Ibid., p. 107 et p. 148-149.
LES OISEAUX D'UGENTO 929

1.3 - Puisque la décoration peinte date de la construction de la tombe,


nous nous contenterons d'énumérer les offrandes qui, d'après les analyses
de F. G. Lo Porto, accompagnaient le premier mort. On relève, tout d'abord,
un nombre important de vases de bronze. Certains sont bien antérieurs au
début du Ve s. av. J.-C. (œnochoè de type rhodien (600-590); hydrie, pro
bablement corinthienne (vers 560) 7), faut-il les considérer comme des produits
précieux conservés dans le groupe familial avant de servir comme offrande
funéraire? A ces vases anciens s'ajoutent un bassin et son trépied (fin du
VIe s.) 8, une œnochoè du début du Ve s. 9, une olpè (fin du VIe s.) 10, deux
strigiles n. La céramique se partage entre les vases grecs de production locale
(coupes à vernis noir, hydrie, lécythe) 12 et les vases de type indigène (troz
zelle et calathos) 13. La tombe contenait, enfin, un alabastre 14.
Le matériel et le mode de construction du monument invitent à
mettre, dès à présent, en relief les éléments suivants:

7 Ibid., n° 1 et 2 p. 108 sqq., pi. XLV, fig. 8; XLVI.


8 Ibid., n° 4; pi. XLVIII, fig. 10-11.
9 Ibid., n° 3, pi. XLVIII, fig. 9.
10 Ibid., n° 8 pi. LI Α-C, fig. 13.
11 Ibid., n° 12-13, pi. LXIII c et d.
12 Ibid., n° 31-32-42-43; pi. LXc; LXIIc; LXIId, l'argile de ces deux derniers vases est
décrite comme jaune-verdâtre. Lors de fouilles effectuées en juillet 1975, à Torre San Giovanni,
site du port d'Ugento, on a pu constater que les vases de production locale (du 4e s. av. J.-C,
pour les plus anciens) se caractérisaient par une argile de même couleur (fouilles effectuées
par la Scuola Normale di Pisa, l'Université de Lecce et l'Ecole Française de Rome).
13 N° 16 et 17, pi. LUI et LXII; D. G. Yntema, Messapian Painted Pottery, Analyses and
Classification, dans Bulletin Antieke Beschaving, XLIX, 1974, p. 3-84, place les deux vases dans la
seconde déposition (p. 58 et 37) mais ne justifie pas sa position. Le manque de connaissance
sur l'évolution des vases messapiens invite à la plus grande prudence et les analyses de motifs
et de formes présentées par l'auteur nous paraissent prématurées. Les seuls indices chronolo
giques sûrs ne peuvent venir que des associations avec le matériel grec cf. L. Forti, Questioni
di ceramica messapica, Archivio storico pugliese, XXV, 1972, p. 3 à 27. Les analyses de
L. Forti montrent, entre autre, la persistance de formes et de décors que l'on considérerait
comme « archaïques », jusqu'au IVe s. av. J.-C. Pour la trozzelle d'Ugento, il est impossible, en l'absence
de profil, à la vue d'une simple photographie, de tirer une conclusion définitive. Il nous
semble cependant que la courbure de la panse et le rétrécissement du col indiquent un état
de la forme postérieur aux exemples de trozzelles que les associations de matériel grec placent
à la fin du 6e s. (L. Forti, art. cit., fig. 9 et 10). Peut-être serait-il nécessaire d'abaisser la
datation proposée par M. Lo Porto et de placer la trozzelle et le calathos dans la deuxième
déposition. (Pour le calathos cf les parallèles (du Ve s. av. J.-C.) dans D. Adamesteanu, Popoli
anellenici in Basilicata, 1971, pi. IV et LV).
14 N° 46, pi. LXIII.
930 AGNÈS ROUVERET

1) l'architecture de la tombe est grecque et trouve des parallèles


étroits dans les tombes d'athlètes tarentins du Ve s. av. J.-C. publiées par
F. G. Lo Porto en 1967 15. L'exemple le plus frappant est la tombe C
(p. 69 sqq., fig. 3 à 6 et pi. 31 et 32) qui contenait un sarcophage peint
actuellement exposé au Musée de Tarente. On peut présenter, pour la fin
du VIe s. av. J.-C, un exemple analogue d'adoption d'un monument édifié
dans une colonie grecque par un chef indigène de l'arrière-pays: la tombe
princière de Sala Consilina découverte en 1896 reprend l'architecture de
l'heroon de Poseidonia mis à jour par P. C. Sestieri en 1954 16.
2) l'importance du monument, la richesse des vases en bronze et
leur chronologie ne peuvent manquer d'évoquer les tombes princières dé
couvertes en territoir non-grec. A côté des exemples fameux de Vix ou de
Trebenichte, il paraît plus pertinent pour notre propos de rappeler les tombes
de Sala Consilina, Padula 17, Melfi 18, Armento 19, en pays lucanien et celles
de Noicattaro, Rutigliano, Castiglione di Conversano en Apulie (Peucétie) 20.
3) Un trait tout à fait remarquable distingue la tombe d'Ugento.
Il n'est pas rare que des armures de fabrication grecque accompagnent les
riches dépositions que nous venons de mentionner21. Dans la tombe messa-
pienne, ce sont des objets évoquant le monde de la palestre (strigiles et
alabastre) qui ont été déposés à côté du mort. Ce trait est d'autant plus
important qu'à la même époque, dans Tarente, les athlètes des familles aristo
cratiques étaient ensevelis avec de singuliers honneurs (tombes à chambre
regroupant, semble-t-il, plusieurs membres d'une même famille, et disposées
à proximité des zones sacrées ou le long des artères principales, matériel

15 Tombe di Atleti Tarentinì, ASMG Vili, 1967, p. 31 à 98.


16 J. de La Genière, Recherches sur l'âge du fer en Italie méridionale, Sala Consilina,
Naples, 1968, p. 199 sqq.
17 Ibid., p. 210 sqq.
18 D. Adamesteanu, ASMG, 1966, p. 199-208, Candelabro di bronzo di Melfi; Popoli
Anellenici in Basilicata, 1971, pi. 38 à 40; La Basilicata antica, storia e monumenti,
éd. Di Mauro, 1974.
19 D. Adamesteanu, ASMG, 1970-71, p. 83-92, Una tomba arcaica dì Armento.
20 F. G. Lo Porto, op. cit., p. 150, notes 249 à 251; Ν. Degrassi, Atti Tarante I, 1961,
p. 232; Id., La civiltà apula nel quadro delle più recenti scoperte, dans Atti VII congr. internaz.
Arch. Classica, 1958, Roma, 1961, II, p. 99 à 108.
21 Ex: Armento, art. cit., p. 88 (liste des autres casques grecs retrouvés en Basilicate);
Melfi; Castiglione di Conversano. On ne peut manquer d'évoquer, également, la statue de bronze
découverte à Grumento (E. Langlotz, M. Hirmer, l'Arte della Magna Grecia, 2e éd., Roma,
1968, p. 266-67, pi. 36) représentant un cavalier lourdement armé.
LES OISEAUX D'UGENTO 931

somptueux.) 22. En tête de son étude, F. G. Lo Porto rappelle l'importance


des jeux athlétiques en Grande Grèce (participation et victoires nombreuses
dans les grands jeux panhelléniques mais aussi développement de jeux
locaux) 23. Le personnage enterré à Ugento est-il lié, en quelque manière,
à cette valorisation du sport qui s'exprime, à la même époque, dans les
milieux aristocratiques grecs?
Il est tout à fait hasardeux de déduire des offrandes accompagnant
le mort des renseignements sur son sexe ou ses activités et l'on rappellera,
à cet égard, les salutaires remarques de Ph. Bruneau24. Mais, comme on le
verra, les peintures font également allusion aux accessoires de la palestre.
Il se peut donc que la présence de ces objets dans la tombe messapienne,
fournisse un indice précieux et rare de la pénétration de l'hellénisme en
milieu indigène. On pourrait saisir, en effet, non seulement la diffusion
de produits précieux comme les vases de bronze, (objets de prestige qui ne
renseignent pas sur la pénétration effective de la culture grecque) 25, et
l'imitation de formes grecques (à côté de la fabrication de vases indigènes,
ce qui donne, déjà, des éléments d'appréciation des processus d'hellénisation)
mais l'adoption d'un trait culturel, qui, de plus, occupe un place essentielle
dans la mentalité des Grecs de l'époque26. L'appartenance du défunt à une
aristocratie locale pourrait faciliter le passage et, en même temps, en limiter
l'extension 27.

22 F. G. Lo Porto, art. cit.; cf. Strabon, VI 3 1 (278c), sur Tarente: «έχει δε γυμνάσιόν
τε κάλλιστον».
23 A Tarente même, jeux en l'honneur d'Apollon Hyakinthos, cf. G. Giannelli, Culti e
Miti della Magna Grecia, 2e éd. 1963, p. 34. Sur les prix, cf. lebes d'Onomastos de Cumes,
J. Heurgon, Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine,
Paris, 1942, p. 402, 430.
24 Ph. Bruneau, Tombes d'Argos, dans BCH, t. 94, 1970, p. 437 sqq., sur les offrandes, p. 523 sqq.
25 Cf. parallèles ethnologiques fournis par A. Dupront, De l'acculturation, XIIe Congrès
International des Sciences historiques, Vienne, 1965, p. 35 notes 20 et 21.
26 La pratique du sport, la nudité corporelle qui en résulte constituent un trait d'opposi
tion entre les Grecs et les Barbares (au moins pour l'Asie Mineure) ex: Xénophon Hell. Ill, 4-19.
27 Cf. E. Lepore, Atti Tarante I, 1961, p. 267. A Lanuvium, une tombe du début du
Ve s. av. J.-C, découverte en 1934, associe, dans son matériel, des armes d'une richesse extrême
et un disque de bronze où l'on voit incisés, d'un côté, un discobole et, de l'autre, un cavalier.
On ne saurait mieux résumer les rapports de l'athlétisme avec l'idéologie des aristocraties
locales influencées par l'hellénisme. La rencontre entre Ugento et Lanuvium illustre, en outre,
tout comme les tombes étrusques contemporaines, l'existence d'une koinè culturelle, étendue
du nord au sud de l'Italie. Le matériel de la tombe de Lanuvium et sa description ont été
republiés dans Archeologia e Società, II, janv. févr. 1976, p. 45 à 50. Je remercie vivement
C. Ampolo et F. Coarelli de m'avoir indiqué ce parallèle.
932 AGNÈS ROUVERET

2 - La décoration peinte

Les peintures qui ornent les parois et le toit de la tombe s'organisent


selon un système unitaire qui confirme l'existence d'un plan d'ensemble
concernant aussi bien la construction que la décoration du monument. Les
lignes incisées dans l'enduit permettent une mise en place régulière du décor.
2.1 - Sur les plaques latérales, à un socle décoré d'une suite de bandes
rouge, blanche et bleue, s'ajoute, le long du bord supérieur, une série de
bandelettes rouges dont les fils terminaux ondulent le long de la paroi28.
La composition est rigoureusement symétrique: une bandelette sur
chaque côté court et trois, sur les parois longues. On note que la décora
tion peinte cherche à dissimuler l'interruption des blocs de construction,
puisque, de chaque côté, une bandelette recouvre l'intersection des
plaques (Fig. 1).
2.2 - Le long de la ligne inférieure des bandelettes, on relève la trace
de clous, retrouvés soit à l'intérieur du tombeau, soit fixés aux anses des
vases qu'ils portaient. L'absence de données sur la disposition des objets
dans la tombe constitue, sur ce point précis, une perte irrémédiable, car il
est essentiel pour notre propos de pouvoir dire si le jeu entre les bandelettes
peintes et les objets réels suspendus à des clous date du plan décoratif
initial du monument.
D'après F. G. Lo Porto, une bonne partie du matériel de la seconde
déposition aurait été accroché aux parois29. Cependant l'olpè de bronze
de la fin du VIe s. av. J.-C. (photographiée pi. LI de l'art, cit.) porte à
son anse le clou qui servait à la suspendre. Aurait-elle été réemployée lors
de la deuxième déposition? Un autre indice vient du fait que les peintures
du toit, qui datent de la construction de la tombe, représentent des objets
suspendus. Enfin l'usage de mettre des objets aux parois des tombes est
attesté au Ve s. av. J.-C. non seulement en Etrurie 30 mais à Tarente même 31.
Quant à la peinture d'objets suspendus, elle apparaît fréquemment dans les
tombeaux étrusques, depuis le VIe s. av. J.-C. 32; elle trouve son point d'aboutis-

28 Lo Porto, art. cit., pi. XLIIb; XLIII, a, b, c,; XLIV.


29 Ibid., p. 149.
30 Ibid., p. 107, note 5.
31 Lo Porto, Tombe di Atleti Tarentini, p. 86, fig. 8.
32 Ex: T. des Lionnes, M. Pallottino, La Peinture étrusque, Genève, 1952, p. 43 et 48,
T. de la Chasse et de la Pêche, ibid., p. 49-50, T. Cardarelli, M. Moretti, Pittura etrusco in
Tarquinia, Milan, 1974, fig. 41, 43, 44; T. du Frontoncino, fig. 50-51; t. du Baron, fig. 58...
LES OISEAUX D'UGENTO 933

sèment dans la tombe du Chasseur de Tarquinia et son pavillon de chasse


où le sens de l'illusion va beaucoup plus loin que le fait de suspendre
gibier, couronnes et chapeaux puisqu'on y lit, en transparence, un paysage
et une biche paissant33.
Nous reconnaissons, cependant, qu'en posant, à titre d'hypothèse, que
le jeu entre les objets réels suspendus et les peintures date de la première
déposition, nous faisons de la tombe d'Ugento un précédent remarquable
dans l'histoire du décor funéraire. En effet, si l'on trouve séparément,
dès cette date, des objets réels ou peints le long des parois de tombes,
le rapport illusioniste entre l'offrande réelle et la peinture n'était attesté
jusqu'ici qu'au IVe s. av. J.-C. 34.

2.3 - Les peintures du toit sont en très mauvais état de conservation


mais il a été possible de dégager certains éléments d'un plan d'ensemble.
Pour plus de commodité, nous appellerons A la plaque qui couvrait la moitié
est de la tombe et B, celle qui protégeait la moitié ouest35. D'après la
disposition des jointures, on voit que le bloc A était posé en dernier36.
La surface peinte de la plaque A est de 1,44 m de large sur 1,38 m
de long. Sur les quatre extrémités, une bande rouge de 10 cm sur les
côtés sud et nord et de 12 cm, sur les deux autres, sert de cadre à la
décoration. On peut d'ailleurs lire sur la tranche des blocs latéraux de la
tombe des traces de peinture rouge. Seule la moitié sud de la plaque
portait des peintures, disposées le long de l'axe est-ouest de la tombe, en
correspondance avec le plan de déposition du lit funéraire.
En partant du côté sud de la plaque, on relève, après la bande rouge,
sur une hauteur de 9 cm, des traces de peinture bleue qui sont, peut-être,
le résidu d'une branche de feuilles (semblable à celle que l'on trouve sur

à Chiusi, T. du Singe: aryballe suspendu; F. Boitani, M. Cataldi, M. Pasquinucci, introd.


M. Torelli, coord. F. Coarelli, Le Città etrusche, Milan, 1973, fig. 64.
33 M. Moretti, op. cit., fig. 52-54; A. Tonini, La tomba tarquiniese del Cacciatore, dans
SE, 38, 1970, p. 45 sqq.
34 P. Moreno, II realismo nella pittura greca del IV sec, dans RIA XIII-XIV, 1964-65, p. 43,
56 avec bibl. ad loc. Une tombe de Cavallino, découverte en mars 1972, présente un jeu
comparable entre des clous réels et une frise peinte représentant une branche de laurier ou
d'olivier. Comme à Ugento, le tombeau fut utilisé deux fois, au début du Ve s. av. J.-C. et
pendant le deuxième quart du IVe s. av. J.-C. Si les peintures datent de la première déposition,
on dispose d'un deuxième exemple provenant de la même région. Cf. F. G. Lo Porto, Atti
Taranto, XII, 1972, p. 370-371.
35 Cf. plan de F. G. Lo Porto, art. cit., fig. 5.
36 Ibid., p. 104 et fig. 6.
934 AGNÈS ROUVERET

la plaque B); puis, seul au centre d'une bande haute de 27 cm, un coq
(Fig. 2). La tête et la queue de l'animal sont effacées; ce qui réduit de
beaucoup les possibilités de comparaison. On note cependant la prédomi
nancede la ligne qui définit les contours et les différentes parties de
l'animal, la couleur, sous forme d'à-plats bleus et rouges s'ajoute au dessin.
Pour la technique, le coq d'Ugento s'oppose ainsi aux oiseaux représentés
sur plusieurs tombes de Paestum au IVe s. av. J.-C. 37 et qui sont créés par
la juxtaposition des touches colorées. Les parallèles s'effectuent, au contraire,
avec les coqs de la céramique attique ou chalcidienne de la fin du
6e s. av. J.-C.38, ceux des tablettes de Locres39 ou des monnaies d'Himère40.
Notons, enfin, que le motif des coqs affrontés apparaît sur des trozzelles
décorées de figures noires (brun foncé en l'occurence), en imitation de la
céramique attique de la fin du 6e s. av. J.-C. 41.
Particulièrement remarquable est l'exemplaire du musée de Lecce
qui semble une adaptation locale de la geste d'Hercule: un personnage
armé d'une massue affronte un oiseau (qui semble être un coq), un arbre
les sépare; de l'autre côté, se trouvent deux autres coqs, dessinés dos à
dos42 (Fig. 4).
Les pattes du coq reposent sur une bandelette rouge semblable à
celles des parois latérales, large comme elles de 7 cm, et distante de 13 cm
des bandes d'encadrement.
La plaque Β est plus longue, elle mesure 1,88 m. Après la bordure
rouge, on lit les contours de deux objets suspendus, on peut supposer

37 Ex: t. 53, 58 (Andriuolo 1969, tombes exposées au Musée de Paestum) t. 2 (Gaudo,


1972) (réserves du Musée).
38 G. Vallet,, La représentation du coq dans la céramique du VIe s., dans La monetazione
arcaica di Himera fino al 472 a.C, p. 53 sqq. Atti del II convegno del Centro Internazionale
di studi numismatici, Napoli, 1969 supplì 15-16 degli «Annali», Roma 1971, pi. VII à XI.
39 H. Prückner, Die Lokrischen Tonreliefs, 1968, pi. 5, 6; 6, 1; 7, 3; 10, 3 et 5; 18, 2; 22, 1;
25, 5; 26, 4 et 3; 28, 3; 31, 1, 5, 7, 8; 32, 2; 34, 2. Les couleurs fondamentales des tablettes
de Locres sont également le bleu et le rouge.
40 Cf. note 38, L. Breglia, II gallo di Himera, p. 37 sqq.; pi. I à VI.
41 D. Yntema, Some remarks on the Messapian brown-figured style, dans Mededelingen van
het Nederlands Institut te Rome, 36, 1974, pi. 14-15 et fig. 3.
42 CVA fase. 4 Italie, fase. 1 Lecce, pi. 10, 5 et pi. 9, 5(IV f f). On rapprochera de cette
figuration la scène de la « chasse au coq » représentée sur une coupe laconienne trouvée à
Samos et attribuée au Peintre d'Arkesilas (c. 564 av. J.-C), cf. C. M. Stibbe, H cavaliere
laconico, dans Mededelingen van het Nederlands Instituut te Rome, 36, p. 19 sqq., fig. 10.
LES OISEAUX D'UGENTO 935

l'existence d'un troisième réduit à l'état de traits insignifiants. Peut-être


étaient-ils accrochés à la partie inférieure de la bordure rouge, ce qui
rappellerait la situation des parois latérales?
En partant du côté est de la plaque (celui qui se soudait à l'autre
moitié du toit), on lit, pour commencer, le contour d'une anse et le départ
du corps d'un vase, peints en rouge (Fig. 3). L'angle aigu de l'anse et
la présence d'une petite roue à son extrémité supérieure invitent à proposer,
à titre d'hypothèse, qu'il puisse s'agir d'une trozzelle: d'après le dessin du
col et les traces de la panse, on pourrait la rattacher au type archaïque
(fin 6e) défini par L. Forti43. Se détache ensuite, un aryballe suspendu par
ses lanières de cuir44 (Fig. 5).
L'exemplaire d'Ugento trouve des parallèles extrêmement précis dans la
céramique attique, on mentionnera, tout spécialement, le vase du peintre
Peithinos (vers 500 av. J.-C.) pris comme exemple par C. H. E. Haspels (How the
aryballos was suspended, BSA, 1927, p. 216 sqq., fig. 3; CVA Berlin2,
pi. 60). La comparaison entre les deux tracés montre que le peintre d'Ugento
connaissait parfaitement les usages et les conventions stylistiques de
son temps.
En correspondance avec la bandelette de la plaque A, s'étend une
branche de feuillage bleu (hauteur 6 cm) sur laquelle, à 76 cm du bord
ouest de la tombe, se profile un oiseau, peut-être une tourterelle, orienté
dans la direction opposée de celle du coq, haut de 11 cm et long de 17 cm.45.

43 Art. cit., fig. 9 et 10.


44 Les deux aryballes découverts dans la tombe (Lo Porto, pi. LXIII) appartiennent par
leur forme à la deuxième moitié du 5e s. av. J.-C, cf. J. D. Beazlev, Aryballos, dans BSA, 29, 1927-28, p. 187
(ex. de Tarente, CVA Oxford, 1, pi. XLVII, 9), R. M. Cook, Greek Painted Pottery, p. 233;
The Athenian Agora, vol. 12, le partie, Black and Plain Pottery note 10 p. 152. On ne peut
donc les mettre en rapport avec l'aryballe représenté sur le toit de la tombe. Pour la représent
ation de l'aryballe cf. également la tombe du Singe de Chiusi (début du 5e s. av. J.-C.) (cf. note 32).
45 En l'absence de tout parallèle avec d'autres tombes messapiennes, il paraît difficile de
proposer une interprétation des oiseaux placés sur le toit de la tombe. On rappellera, cependant,
que des coqs apparaissent fréquemment dans la peinture funéraire (ex: en Etrurie, T. dei Fiorell
ini (5e s. av. J.-C), M. Moretti, Nuovi monumenti della pittura etrusca, Milan 1966, p. 270;
T. del Guerriero (4e s. av. J.-C), ibid., p. 240; T. 3697, ibid., p. 236; T. 3226, ibid., p. 212;
à Paestum, T. du 4e s. av. J.-C. cf. note 37; à Karaburun, en Lycie, (début du 5e s. av. J.-C.) A] A, vol. 78,
n° 4, oct. 1974, pi. 69). Le coq y est représenté soit comme ornement secondaire (seul ou
affronté en position de combat) soit comme animal familier, parmi ceux qui se pressent sous
les lits du banquet. La recherche d'une interprétation, peut s'orienter dans deux directions:
- le coq serait l'emblème de la combattivité du personnage enterré (cf. sens des combats
936 AGNÈS ROUVERET

3 - Décoration et narration
3.1 - La tombe d'Ugento s'insère dans le cadre plus général de la
peinture apulienne défini par F. Tinè Bertocchi: les peintures à caractère
décoratif l'emportent de loin sur celles qui représentent des scènes figurées 46.
Il peut s'agir de purs motifs ornementaux - ainsi, dans le sarcophage
tarentin découvert Via Nitti47 - ou bien, comme ici, de bandelettes, de
vases, de feuillages, d'oiseaux que l'on peut interpéter comme autant d'of
frandes adressées au mort. On notera, en particulier, que, d'après l'auteur,
la bandelette funéraire est un motif décoratif typique des tombes du Salento
(IV-IIP s. av. J.-C); dans tous les exemples cités, la bandelette orne la
couverture de la tombe48.
3.2 - Cette prédominance de l'élément décoratif dans les peintures
situées à l'intérieur de tombes pourrait définir une aire de diffusion des
influences tarentines en l'opposant à la situation contemporaine d'Etrurie
ou de Paestum. On voit, en effet, grâce à la tombe du Plongeur49, posté
rieure de 10 ou 20 ans au plus à la tombe d'Ugento, l'existence d'un
autre système à composante narrative, mettant en scène des personnages
et lié aux tendances qui s'affirment à la même époque dans la peinture

de coqs, soit dans les textes, soit dans la céramique cf. Ph. Bruneau, Le motif des coqs affrontés
dans l'imagerie attique, dans BCH, 89, 1965, p. 90-121; H. Hoffmann, Hahnenkampf in Athen.
Zur Ikonologie einer attischen Bildformel, dans RA, 1974, 2, p. 195 à 220): ce «fighting spirit»
(J. D. Beazley, The development of Attic Black-figure, 1951, p. 91) s'exprime aussi bien dans la
guerre (ex CVA Tarante fase. II Italia fase. XVIII, III he pi. 1-3) que dans le sport (coq
des amphores panathénaïques); - par ailleurs, le coq est souvent offert aux divinités chthonien-
nes, et le monde laconien apparaît particulièrement attaché à ces cultes. (Sparte mais aussi
Tarente, cf. G. Pugliese Carratelli, Atti Tarante X, 1970, p. 133 sqq. avec bibl. ad loc). On citera,
entre autres exemples, le relief de Chrysapha (c. 540 av. J.-C), cf. J. Charbonneaux, R. Martin, F. Villard,
Grèce Archaïque, Paris, 1968, fig. 183, p. 149 et les tablettes de Locres (c. 470 av. J.-C.) (dont les
rapports avec Sparte, à l'époque archaïque, sont bien connus); cf. également C. M. Stibbe,
// cavaliere laconico, art. cit. C'est pourquoi, nous privilégierions volontiers cette deuxième
possibilité d'interprétation. Un fait certain est l'adoption des coqs par les décorateurs des troz
zelles de la même époque. Or les trozzelles décorées de figures (personnages et animaux) sont
suffisamment peu nombreuses par rapport à la production d'ensemble, pour que la présence
des coqs prenne un relief tout particulier. On rappellera, enfin, en plus de la tombe de
Karaburun, la frise de coqs et de poules de l'Acropole de Xanthos (c. 470 av. J.-C.) qui atteste une
adoption du motif, à peu près contemporaine, dans le monde lycien cf. H. Metzger, Fouilles
de Xanthos, II, l'Acropole lycienne Paris, 1963, p. 73 à 75, pi. XLVIII et L, 1.
46 F. Tinè Bertocchi, La Pittura funeraria apula, Naples, 1964, p. 138 sqq.
47 Ibid., n° 54 du catalogue, pi. Ill a-b et p. 113.
48 Ibid., p. 139 et chap. 6.
49 M. Napoli, La tomba del Tuffatore, Bari, 1970.
LES OISEAUX D'UGENTO 937

étrusque. Une tombe à chambre découverte à Capoue au siècle dernier,


datée du début du Ve s. av. J.-C. mais également la tombe de Ruvo
(IVe s. av. J.-C.) s'insèrent dans le même courant50.
Par contre, on retrouve en Sicile (Gela, Syracuse) l'usage d'orner de
motifs décoratifs l'intérieur des tombeaux51.

3.3 - II pourrait paraître paradoxal qu'une tombe découverte en terri


toire messapien se révèle plus proche de pratiques attestées dans les cités
grecques que la tombe du Plongeur de Posidonia. Ce fait nous paraît définir,
bien au contraire, les possibilités de mûrissement des cultures sur le sol
de la Grande Grèce.
S'il est vrai, en effet, que le principe de décorer de scènes peintes
l'intérieur d'un tombeau apparaît étranger à la Grèce et se manifeste dans
les aristocraties des peuples périphériques à l'est comme à l'ouest52, le
langage utilisé et le contenu des peintures (en particulier les liens qui
s'établissent entre le Symposion et le système de la polis) 53 rattachent pleine
mentla tombe du Plongeur à l'hellénisme. Si l'on admet que, pour la tombe
d'Ugento, l'aryballe peint, les deux strigiles et l'alabastre autorisent à
supposer un lien avec le trait fondamental de la « paideia » grecque qu'est
la fréquentation de la palestre, si l'on se fonde sur ce rapport possible pour
évoquer les honneurs exceptionnels accordés aux athlètes tarentins aux
VIe et Ve s. av. J.-C, on pourra même poser, par le biais de cette comp
araison, un rapport entre la tombe messapienne et la tombe du Plongeur.

50 F. Weege, Oskische Grabmalerei, dans JDAI, t. 24, 1909, p. 99 à 162, t. n° 15 et fig. 4-5;
J. Heurgon, op. cit., p. 422; pour Ruvo F. Tinè Bertocchi, op. cit., p. 34 sqq.
51 Cf. classification et étude des sarcophages dans M. Vaulina, A. Wasowicz, Bois grecs
et romains de l'Ermitage, Wroclaw, Warzawa, Krakov, Gdansk, 1974, p. 36, notes 27-28.
32 En Etrurie et en Lycie (cf. les découvertes récentes de Kizilbel et Karaburun, A] A 1971,
p. 245; 1972, p. 263 à 268; 1973, p. 297 sqq.; 1974, p. 253 et p. 351; EAA supplì 1970,
p. 399 (article de M. J. Mellink); Cl. Rolley, La Peinture Grecque, dans Archeologia, décembre
1975, p. 16 sqq., fig. 19 à 23).
53 Le banquet des tombes étrusques ou lyciennes prend une tout autre valeur et adapte
les formes grecques aux particularités de la société et des rites qu'il dépeint cf. A. Rouveret,
La tombe du Plongeur et les fresques étrusques; témoignages sur la peinture grecque, dans RA,
1974, 1 p. 15 à 32; La peinture dans l'art funéraire: la tombe du Plongeur à Paestum (à
paraître dans les Publications du centre de Recherches d'Histoire et de Philologie de la
IVe section de 1Έ.Ρ.Η.Ε.) avec bibl. ad loc. On constate, par exemple, que les scènes de banquet
disparaissent totalement des peintures lucaniennes du IVe s. av. J.-C. (alors qu'elles se maintien
nent en Etrurie); ceci nous paraît un indice précieux des changements qui se sont opérés dans
l'organisation politique de Paestum après la venue des Lucaniens.
938 AGNÈS ROUVERET

II nous semble, en effet, que la composante athlétique n'est pas absente


du tombeau paestan. Certes, le plongeon, lié au bain, est avant tout, une
activité de détente, mais sa position privilégiée sur le couvercle de la tombe,
le rôle important pris par le plongeon dans les mythes grecs 54 nous conduisent
à poser que la scène, en mettant en relief la valeur physique du défunt,
définit métaphoriquement sa valeur tout court, selon un procédé typique
des odes pindariques et en accord avec le système des valeurs aristocratiques.
Chacune à leur manière et dans des contextes différents, les deux tombes
témoigneraient donc de la force de ces valeurs en Grande Grèce, au début
du Ve s. av. J.-C.

4 - Le courant apulien dans la peinture de Grande Grèce

Par sa date précoce, la tombe d'Ugento illustre, enfin, une étape


essentielle dans l'histoire de la peinture apulienne. Les tombes lucaniennes
découvertes depuis 1969 à Paestum nous paraissent confirmer indirectement
cette remarque55.
4.1 - La plupart des tombes dégagées se situent dans la seconde
moitié du IVe s. av. J.-C, seules les tombes 21 et 23 56 sont datées, par
leur matériel de 360 av. J.-C. environ. Ces tombes se distinguent de l'ensemble par
plusieurs traits. Outre les particularités des objets qu'elles renfermaient57,
on relèvera, du point de vue de la technique picturale, l'existence d'un

54 Cf. art. cit., note précédente, le point le plus important est le lien du plongeon avec
les rites de passage, cf. R. Ginouvès, BAAANEUTIKH, Recherches sur le bain dans l'Antiquité
grecque, Paris, 1962, p. 124-125; L. Gernet, La notion mythique de la valeur en Grèce repris
dans Anthropologie de la Grèce antique, Paris, 1968, p. 93 sqq.; M. Détienne, Le «Vieux
de la mer» dans Les Maîtres de Vérité dans la Grèce archaïque, Paris, 1973, p. 29 à 50;
P. Vidal-Naquet, Faire de l'Histoire, III, Paris, 1974, Les jeunes, le cru, l'enfant grec et le cuit,
p. 137 sqq.
55 M. Napoli, Atti Tarante IX 1969, p. 181 à 185; id., Paestum, Novara, 1970 pi. 9-10 et 94 à
104; id., La tomba del Tuffatore, Bari, 1970, p. 54 et 211 (bibliographie), p. 56 (carte des
nécropoles); R. Bianchi-Bandinelli-A. Giuliano, Les Etrusques et l'Italie avant Rome, Paris, 1973,
p. 234 à 241, fig. 267 à 275; P. Orlandini, Atti Tarante XI 1971, p. 273 sqq. et pi. 80 à 85.
56 Les tombes ne sont pas conservées dans leur intégralité, on possède une plaque de
la tombe 21 (Musée de Paestum) et deux de la tombe 23 (réserves du Musée).
57 Nous renvoyons a la publication du matériel des tombes établie par Mmt' A. Greco
que nous remercions des précieux renseignements donnés sur les deux tombes. Ils ont pro
fondément orienté la présente recherche.
LES OISEAUX D'UGENTO 939

dessin préparatoire, incisé dans l'enduit, qui définit des espaces réguliers,
cette pratique est extrêmement rare dans les tombes suivantes. D'autre part,
le décor ne met pas en scène de personnages. Une série de bandes, alternées
régulièrement, réservent, au centre, un espace plus vaste destiné à recevoir
la décoration principale: dans la tombe 21, cette dernière consiste en un
arbre où une chouette semble attirer à elle trois oiseaux noirs58 (Fig. 6);
dans la tombe 23, on voit, sur une plaque, une bandelette surmontée d'une
coupe suspendue à un clou; de l'autre, une branche de rosier encadrée
par une coupe et une œnochoè. Le motif des objets suspendus est repris
sur une plaque de la tombe 30, datée de la fin du IVe s. av. J.-C. et sur
la tombe n° 38 du catalogue de F. Weege59 (Fig. 7), tombe pour laquelle
nous n'avons pas d'indication chronologique. On retrouve donc, sur ces
tombeaux, les éléments du décor d'Ugento mais sans le jeu entre les objets
réels et la peinture, l'ensemble est peint.
4.2 - II est intéressant de constater, en comparant les premières tombes
peintes de Paestum avec l'ensemble des monuments dégagés, que l'on
retrouve, à l'intérieur d'une même série, l'opposition entre peinture décorative
et peinture figurée, établie, au début du Ve s. av. J.-C, pour la tombe du
Plongeur et le monument d'Ugento. De fait, il est possible de définir tout
ce qu'un groupe de tombes lucaniennes doit au monde étrusco-campanien
contemporain 60.

58 Cf. texte curieux d'Aristote, Histoire des animaux, IX, 1 (609 a) où sont énumérés
les ennemis de la chouette (la corneille, P« oiseau danseur») puis: «της δ'ήμερας καί τα άλλα
όρνίοια την γλαυκά περιπέταται, ö καλείται οαυμάζειν καί προσπετόμενα τίλλουσιν · διό οι όρνιθουήραι
δηρεΰουσιν αύτη παντοδαπα όρνίοια», cf. M. Détienne, J. P. Vernant, Les ruses de l'intelligence,
la métis des Grecs, Paris, 1974, p. 174. Si l'on accepte cette interprétation, on voit que le
thème de la capture des oiseaux par la chouette trouve des échos dans d'autres scènes r
eprésentées sur les tombes de Paestum: lièvre poursuivi par un chien, (cf. t. 32; t. 1 (1971);
(réserves du Musée), même carton dans une tombe publiée par A. Marzullo, Tombe dipinte
scoperte nel territorio pestano, 1935, pi. D.); et chasse au Cerf (t. 18, 54, 90 (réserves du
Musée, M. Napoli, Paestum, op. cit., n° 101, p. 62)). G. P. Woimant en m'indiquant que la
chouette était utilisée comme appeau par les Anciens, m'a permis de développer cette interpré
tation.La chouette apparaît comme appeau sur une mosaïque romaine d'Oderzo (début du
IIIe s. ap. J.-C.) cf. G. Becatti, Alcune caratteristiche del mosaico policromo in Italia, dans
La mosaïque gréco-romaine II, (Vienne 1971), éd. Paris 1975, p. 187 et note 61, pi. D, 1.
59 T. 30, réserves du Musée, inv. n° 21 411 à 414. T. 38, Weege, op. cit., p. 120, fig. 10-11.
60 Sur les tombes campaniennes outre Weege, op. cit., cf. J. Heurgon, op. cit., p. 422 sqq.,
W. Johannowsky, Atti Tarante XI 1971, p. 375 sqq. Pour un essai de classification des nouvelles
tombes lucaniennes cf. A. Rouveret, L'organisation spatiale des tombes de Paestum, dans
MEFRA, 1975-2, p. 595 à 652.
940 AGNÈS ROUVERET

4.3 - Un faisceau d'indices nous invite à proposer une origine tarentine


aux motifs des tombes 21 et 23.
1) Dans le domaine général de la production artisanale, on doit signal
er,tout d'abord, que les fouilles récentes ont fait connaître les vases
d'un nouvel artiste paestan, le Peintre d'Aphrodite61. Cet artisan nous
intéresse par les rapports qu'il entretient d'un côté avec Python, l'un des
fondateurs des ateliers de céramique de Paestum, de l'autre, avec le peintre
de Lycurgue, un des grands maîtres de la céramique apulienne de la première
moitié du IVe s. av. J.-C. Puisqu'il paraît assez clair que l'essor de la peinture
des tombes à Paestum doit s'expliquer, au moins partiellement, par le dévelop
pement des fabriques de vases 62, il est essentiel de constater que ces artisans
ont, à une date haute, des rapports artistiques avec l'Apulie63.
2) Si l'on considère les peintures proprement dites, on évoquera, en
premier lieu, le précédent que constituent les peintures d'Ugento. On peut
ajouter, à cet égard, que la tombe messapienne offre un argument important
en faveur de la thèse soutenue par F. Tinè Bertocchi à propos de la
peinture hellénistique tarentine. L'auteur propose en effet de tenir compte,
en plus de l'influence alexandrine, d'une composante locale qui expliquerait
la « guirlandomanie » des tombes hellénistiques. Elle appuie sa thèse sur les
exemples que fournissent les vases apuliens à figure rouge de la seconde
moitié du IVe s. av. J.-C. ainsi que la céramique de Gnathia mais elle ajoute:
« purtroppo non abbiamo finora tombe con festoni dipinti sicuramente
databili all'inizio del III sec. o prima, che ci comprovino una anteriorità
tarentina del motivo del festone dipinto sull'arte di Alessandria, consentendoci
al riguardo una parola definitiva » 64.
A notre avis, la tombe d'Ugento et les peintures paestanes (si l'on
accepte l'hypothèse de l'influence tarentine) offrent, avec leurs bandelettes,
des antécédents dans le domaine de la peinture funéraire; on saisit même
une évolution depuis la bandelette épaisse et droite, de couleur uniforme,
jusqu'à la bandelette ondulée du IVe s. av. J.-C. qui va en s'affinant et
présente, dans certains cas, des effets de trompe-l'œil.
3) On peut citer, d'autre part, en plus du témoignage de la cérami
que apulienne que l'on vient d'évoquer, certains décors des tombes hellénisti-

61 E. Greco, // Pittore di Afrodite, Benévent, 1970.


62 R. Bianchi-Bandinelli, A Giuliano, op. cit., p. 234.
63 Sur les rapports politiques et culturels entre Tarente et le monde samnite dans la
première moitié du IVe s. av. J.-C. cf. G. Pugliese-Carratelli, Atti Tarante XI 1971, p. 41-42.
64 Op. cit., p. 142.
LES OISEAUX D'UGENTO 941

ques tarentines, en particulier la tombe 16 du catalogue de F. Tinè Ber-


tocchi, avec sa tonnelle de vigne, ses fleurs, ses oiseaux65. On pourrait
fort bien considérer les peintures de Paestum comme des antécédents de
ces thèmes qui trouvent leurs prolongements dans les natures mortes et
les jardins des fresques romaines66.
4) A Paestum même, on remarque combien la technique picturale
des tombes 21 et 23 les distingue de l'ensemble: variété et originalité des
tons, juxtaposition des touches colorées qui créent le relief, disparition
de la ligne de contour, tout évoque une culture artistique beaucoup plus riche
que celle des « coloriages » des peintures successives. On pense à l'anecdote
rapportée par Pline l'Ancien au sujet du peintre Pausias (c. 380-330 av. J.-C.)
qui rivalisait avec son amie Glycère, la marchande de fleurs, pour réaliser
des couronnes plus belles que nature, « amauit in iuuenta Glyceram muni-
cipem suam, inuentricem coronarum, certandoque imitatione eius ad nume-
rosissimam florum uarietatem perduxit artem illam 67

Des oiseaux d'Ugento à ceux de Paestum, nous sommes passés des con
ventions du dessin archaïque grec à l'affirmation d'une peinture fondée
sur la couleur et la recherche du réalisme. Grâce à la chronologie des
tombes messapienne et lucaniennes qui est établie à partir de leur matériel
et non sur des critères stylistiques, on peut constater que l'artisanat (et de
plus, en pays indigène) reflète très rapidement les changements que l'on
peut reconstituer, parallèlement, en lisant les textes consacrés à la grande
peinture grecque.

65 Ibid., p. 62 sqq. On dispose également d'un exemple étrusque de la première moitié


du IVe s; av. J.-C. avec la tombe du Gorgoneion de Tarquinia, Moretti (1966) op. cit., p. 216 sqq.
Ces parallèles nous invitent à proposer de remonter au IIP s. av. J.-C. la datation de la t. 16 de Tarente.
66 Cf. K. Schefold, La peinture pompéienne, essai sur l'évolution de sa signification,
éd. revue et commentée, trad, de J. M. Croisille, coll. Latomus n° 108, Bruxelles, 1972, p. 109 sqq.
67 Pline l'Ancien, H.N. XXXV, 125 ainsi que XXI, 4.
942 AGNES ROUVERET

Fig. 1 - Décoration intérieure de la tombe d'Ugento. (D'après F. G. Lo Porto, ASMG, 1970-71, pi. XLIV
LES OISEAUX D'UGENTO 943

Fig. 2 - Coq. (Dessin de R. Guardi d'après les relevés de l'auteur).

3 - Trozzelle (?). (Dessin de R. Guardi d'après les


relevés de l'auteur).
944 AGNES ROUVERET

(Photo du Musée de Lecce)


Fig. 4 - Trozzelle: Hercule (?) et les coqs.

Fig. 5 - Aryballe et oiseau. (Dessin de R. Guardi d'après


les relevés de l'auteur).
LES OISEAUX D'UGENTO 945

(Photo de la Surintendance aux Antiquités de Salerne)


Fig. 6 - Paestum t. 21, plaque est.

Fig. 7 - Paestum t. 38. (D'après F. Weege, JDAI, fig. 10 et 11).


ROBERT SCHILLING

LES «LARES GRVNDILES »

Si les Lares sont des divinités de vieille souche, qui apparaissent déjà
dans la triple invocation du carmen archaïque des Frères Arvales - E nos,
hases, iuuate - 1, si leur nature de « protecteurs de terroir » - qu'il s'agisse
de Vager Romanus, du fundus familial ou des compita - paraît incontestable 2,
l'expression Lares Grünaues (ou Grundules), elle, n'en reste pas moins
mystérieuse.
Tout en rappelant les textes qui l'attestent de façon sûre, Wissowa
n'hésitait pas à déclarer que cette désignation est restée incompréhensible
aux modernes comme aux anciens3.
Wissowa n'avait fait allusion qu'à une seule tentative moderne d'inter
prétation. Celle-ci avait été développée par G. J. Vossius4: elle consiste dans
le rapprochement de l'adjectif Grundules avec le mot suggrunda (= auvent)
et se fonde sur un texte tardif de l'Africain Fulgentius (Ve siècle), qui affirme

1 Cf. A. Degrassi, Ins. Latin, liberae reipublicae, I, p. 8, n. 4.


2 Cf. K. Latte, Rom. Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 94: « Entscheidend ist wohl,
dass sie (= die Laren) die Schutzgeister des fundus bleiben, auch wenn des Geschlecht das
dort wohnte, in die Stadt zieht». - Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque2, Paris,
1974, p. 347: «Dans la religion publique ou privée, il y a un Lare ou des Lares (le pluriel
est la règle, le singulier ne s'appliquant guère qu'au Lar familiaris) sur toute partie de terrain
dont l'homme, ou un groupe d'hommes, ou la société dans son ensemble, fait un emploi
durable, régulier, ou seulement important: les champs privés et Vager Romanus, les routes
et les carrefours, les maisons et les quartiers, la ville, et aussi, quand on se bat, à en juger
par la formule de la deuotio, le champ de bataille, et même, quand on navigue, la mer».
3 G. Wissowa, Ruk2, p. 174, n. 4: «Die bereits den Alten unverständlichen Lares grundules
(Cass. Hemina bei Diom. p. 384 K., Non. p. 114, Arnob., I, 28) haben Neuere mit dem nur
durch eine Glosse des Fulgentius, serm. ant, p. 113, 19 Helm bezeugten Namen suggrundaria
für Kindesgräber (vgl. G. Boni, Not. d. Scavi, 1903, S. 165 f.) zusammen bringen wollen». -
K. Latte, o. l. ne fait pas mention de l'expression.
4 G. J. Vossius cité par^Boehm, RE, s. v. Lares, c. 818 (en 1924).
948 ROBERT SCHILLING

que « les suggrundaria désignaient jadis les sépultures des enfants morts
avant 40 jours » 5. Ces sépultures d'enfants ensevelis sous l'auvent de la
porte des cabanes expliqueraient l'expression Lares Grundules6.
Une variante de cette interprétation a été présentée par Boehm7. Elle
abandonne la référence funéraire et rappelle que la maison est la demeure
du Lar Familiaris; puisque le chéneau du toit correspond à la limite extérieure
de la maison que le Lar domestique ne doit pas franchir, elle propose
d'interpréter les Lares Grundules comme « les esprits demeurant sous le
chéneau » (« die unter der Traufe wohnenden »).
Faut-il encore citer la suggestion plus récente de G. Radke? A vrai
dire, elle n'est guère explicite car elle se borne à englober les Lares Grundules
dans une liste dont la caractéristique commune serait que les diverses
épithètes qui définissent les Lares auraient, toutes, une valeur topographique,
sans autre démonstration particulière 8.
Tous ces essais ne nous avancent guère sur la signification de l'e
xpression. Dans la mesure où ils esquissent une démonstration, ils se fondent
sur un postulat plus que contestable, tout en négligeant les témoignages des
anciens. Rien n'est en effet plus arbitraire que le lien établi entre l'adjectif
Grundules et les substantifs suggrunda et suggrundaria. Si le mot sug-
grunda, qui désigne l'auvent ou l'avant-toit, est bien attesté chez Varron
et chez Vitruve9, il n'en est d'ailleurs pas de même de suggrundarium: ce
terme n'apparaît qu'une seule fois dans la citation d'un dramaturge inconnu
par ailleurs, Rutilius Geminus, qu'a transmise l'Africain Fulgentius à la suite
de sa propre définition du mot10. Il est possible, voire probable, que ces
formations composées dérivent d'un mot simple, grunda, ainsi que le suggèrent

5 Fabius Planciades Fulgentius, Expositio sermonum antiquorum (éd. R. Helm, Leipzig


1898), p. 113, n. 7: «Priori (sic) tempore suggrundaria antiqui dicebant sepulchra infantium
qui necdum quadraginta dies implessent... »."
6 La même thèse est défendue par E. Cuq, DA, s. v. funus, p. 1393, a.
7 Boehm, RE, s. v. Lares, Ibidem.
8 Cf. G. Radke, Die Götter Altitaliens (Munster, Westphalen, 1965), p. 167. La liste
exhaustive des Lares qui seraient définis «durch ein Attribut auf eine bestimmte Örtlichkeit»
comprendrait les Lares casanici, compitales, domestici, familiäres, grundules, permarini, qua-
driuii, rurales, semitales, uiales. - Je me demande si l'homonymie avec le mot allemand Grund
(fonds de terre) n'est pas responsable de l'insertion arbitraire des Lares Grundules dans cette liste.
9 Cf. Varron, RR, III, 3, 5; Vitruve, De architectura, X, 21.
10 Cf. plus haut et note 5. - Le texte de la citation n'est d'ailleurs pas sûr: selon
l'édition R. Helm (Leipzig, 1898, p. 113) il faut lire: Melius suggrundarium miser quereris
LES « LARES GRVNDILES » 949

les dictionnaires étymologiques n. Mais ce dernier n'est qu'un terme de glos


saire, « sans étymologie sûre » 12, qui ne saurait avoir développé un adjectif
dérivé. Il faut donc rejeter la prétendue dérivation de Grundulis à partir
de grunda 13. Du même coup tombent les essais d'explication qui se fondaient
sur ce prétendu lien sémantique pour élucider les Lares Grundules.
C'est, au vrai, dans une direction différente que nous orientent la
morphologie du mot et les témoignages des anciens. Loin d'être un dénom
inatif, Grundilis a toutes chances d'être un déverbatif, formé sur le verbe
grundire (grunnire est une forme rajeunie) qui signifie « grogner », en parlant
du porc w. C'est à partir du thème ancien grundi- 15 que s'explique l'adjectif
Grundilis, à l'instar de utilis, qui est un dérivé de uti 16.
Cette exégèse morphologique correspond au plus ancien témoignage
littéraire. Dans la version de Cassius Hemina, il est en effet question de
Laribus Grundilibus, avec le vocalisme en i du suffixe thématique, à l'inverse
du libellé transmis par le grammairien Nonius Marcellus qui adopte la variante
Lares Grundules avec le vocalisme en u 17. Dès lors, la variation vocalique
du suffixe thématique de Grundilis - Grundulis doit s'interpréter au bénéfice
du vocalisme attesté le plus anciennement, qui vérifie le lien sémantique
avec le verbe grundire 18.

quant sepulchrum; selon Marbach, (RE, s. v. suggrunda, c. 664) au contraire: melius sub-
grundarium misero quaereres quant sepulcrum. (La citation serait empruntée à une tragédie
intitulée Astyanax).
11 Cf. Ernout-Meillet, D.E.4, s. v. grunda; Walde-Hofmann, L.E.W3, s. v. grunda.
12 Cf. Glossarla Latina (Belles Lettres, 1926) II, p. 163: grunda: στέγη καί το ύπερ τον
πυλεώνα εξέχον. - La remarque sur l'étymologie incertaine est de Ernout-Meillet, 1. 1.
13 Tel est également l'avis de Marbach, RE, l. l.
14 Ernout-Meillet (D.E.4, s. v. grundio) aussi bien que Walde-Hofmann (LEW3, s. v.
grundio) signalent la vraisemblance de cette dérivation.
15 La forme ancienne est bien grundire, en face de la forme rajeunie grunnire: cf.
Thesaurus linguae Latinae, s.v. grundio, c. 2338, 1. 58; Manu Leumann, Lateinische Laut -
und Formenlehre (Munich, 1963), p. 169; Ζ. 1.
16 Curieusement l'adjectif Grundilis est omis dans l'ouvrage de Manu Leumann, Die
lateinischen Adjektiva auf -lis (Strassburg, 1917).
17 Cf. L. Cassius Hemina (IIe siècle avant J.-C.) fragm. 11 de l'édition Peter, Hist. Roman,
reliquiae, I, p. 101. - Nonius Marcellus, p. 164 L. - Ces deux textes seront examinés plus loin
pour le fond du problème. - Une variante tardive se trouve chez Arnobe, Aduersus nationes,
I, 28, qui, dans un contexte polémique, cite les Grundulios Lares.
18 Sans doute faut-il admettre une influence du timbre de la voyelle précédente u pour
la naissance du doublet Grundulis, à l'instar des formations scurrilis (forme classique) -
scurrulitas (forme tardive).
950 ROBERT SCHILLING

C'est le moment de reprendre les témoignages des auteurs anciens pour


éclairer l'association, de prime abord singulière, entre ce nom et cet adjectif.
Des Lares «grognons»? L'expression deviendra peut-être moins étrange, si
nous prêtons attention à une digression des Res rusticae de Varron 19.
Après avoir signalé qu'une truie doit normalement mettre bas autant de
porcelets qu'elle possède de mamelles, il ajoute que, si elle en a moins,
elle n'est pas rentable (fructuaria), qu'au contraire si elle en a plus, il y a
prodige (portentum). « A ce sujet, le plus ancien prodige se produisit, dit-on,
à Lavinium, quand la truie d'Enée mit bas trente porcelets blancs. Le prodige
fut confirmé par le fait qu'après trente ans les habitants de Lavinium
fondèrent la cité d'Albe (= la Cité Blanche).
Il existe encore aujourd'hui des traces visibles de cette truie et de
ces porcelets: leurs effigies en bronze sont encore aujourd'hui exposées en
public et le corps de la truie qui serait conservé dans la saumure, est montré
par les prêtres ».
Ainsi le texte de Varron nous apprend qu'à Lavinium 20 subsistaient
des vestiges visibles de la truie ominale qui, selon la prédiction faite par le
devin Hélénus à Enée, devait signifier pour le héros errant la fin de ses
tribulations: « je vais t'indiquer les signes, garde-les gravés en ta mémoire:
quand, dans ta quête inquiète, tu trouveras auprès d'un cours d'eau, à
l'écart du rivage, sous les Chênes, une énorme truie toute blanche, qui,
couchée sur le sol, vient de mettre bas trente petits, tout blancs, pendus

19 Varron, RR, II, 17-18: «Parere dicunt oportere (scrofam) porcos quot mammas habeat.
Si minus pariât, fructuariam idoneam non esse. Si plures pariât, esse portentum. In quo illud
antiquissimum fuisse scribitur, quod sus Aeneae Lauini triginta porcos peperit albos. Itaque
quod portenderit factum, post tricesimum annum ut Lauinienses condiderint oppidum Albam.
Huius suis ac porcorum etiam nunc uestigia apparent, quod et simulacra eorum ahenea etiam
nunc in publico posita et corpus matris ab sacerdotibus, quod in salsura fuerit, demonstratur ».
20 Dans l'édition H. Keil (Leipzig, 1884), p. 232, le texte et l'apparat critique révèlent
que derrière apparent, les manuscrits portent iamne, écarté par l'éditeur, repris sous la forme
in amne par les ueteres et corrigé en Lauinii par le philologue P. Victorius du XVIe siècle.
- Dans son Commentarius in Varronis rerum rusticarum libros très (Leipzig, 1891), p. 167,
H. Keil ne nie pas la vraisemblance de la conjecture - Lauinii - de Victorius mais il estime
que le iamne provient simplement de la faute du copiste qui a été influencé par le etiamnunc
qui précède et qui suit cette leçon fautive.
- En tout état de cause, les précisions précédentes de Varron {Lauini; Lauinienses)
suffisent pour localiser ces uestigia à Lavinium même.
LES «LARES GRVNDILES » 951

à ses mamelles, alors ce sera l'endroit désigné pour la ville, la fin certaine
de tes épreuves » 21.
Une prédiction analogue se trouve déjà, à quelques variantes près, dans
Y Alexandra de Lycophron (IIIe siècle avant J.-C.) qui s'inspire lui-même de
l'historien Timée de Tauroménion 22. Prédiction est faite qu'Enée « fondera
trente forteresses - chiffre correspondant aux trente porcelets que mettra
bas une truie de couleur sombre, transportée par lui sur son vaisseau depuis
la Troade, et qu'il élèvera dans une cité un monument de bronze représen
tant cette truie et les cochons de lait ».
Nous reprendrons plus loin l'examen des variantes que présente la
version de Lycophron par rapport à la tradition des auteurs latins; relevons
les, en attendant: Lycophron mentionne une truie de couleur sombre « qu'Enée
transportera depuis les sommets du Mont Ida et du pays dardanien ». Sur
ce point, il n'est pas contredit expressément par Varron (sauf, implicitement,
pour la couleur de la truie) mais par Virgile: selon le poète latin, c'est
sur le sol italique qu'Enée trouvera une truie blanche, avec trente porcelets
blancs. La couleur blanche, notée par les deux auteurs latins23, a manifeste
ment la valeur prophétique d'annoncer la fondation future de la Cité Blanche
{Alba). Lycophron qui ne mentionne pas plus Albe que Lavinium n'attribue

21 Virgile, Ae, III, 388-393:


« Signa tibi dicam, tu condita mente teneto:
cum tibi sollicito secreti ad fluminis undam
litoreis ingens inuenta sub ilicibus sus
triginta capitum fetus enixa iacebit,
alba, solo recubans, albi circum ubera nati,
is locus urbis erit, requies ea certa laborum».
22 Lycophron, Alexandra, 1253 s.: (Le sujet est Enée) (éd. Mascialino, Teubner, 1964):
κτίσει δε χώραν εν τόποις Βορειγόνων
υπέρ Λατίνους Δαυνίους τ ωκισμένην
πύργους τριάκοντ', έξαριυμήσας γονάς
συος κελαινής, ην άπ' Ίδαίων λόφων
και Δαρδανείων εκ τόπων ναυσϋλώσεται,
ίσηρίυμων ορέπτειραν εν τόκοις κάπρων
ης και πόλει δείκηλον άνϋήσει μι$
χαλκω τυπώσας και τέκνων γλαγοτρόφων.
Sur l'inspiration de ce texte par Timée, cf. F. F. Jacoby, F. Gr. Hist, III Β, ρ. 332,
n. 318. - Texte cité (avec l'adoption d'une leçon différente au vers 1254) par A. Alföldi, Early
Rome and the Latins, p. 271, n. 4.
23 Dans le récit de Varron, RR, II, 18, «la truie d'Enée» met bas des porcelets de
couleur blanche; dans les vers de Virgile, Ae, III, 392, truie et porcelets sont de couleur blanche.
952 ROBERT SCHILLING

qu'une couleur sombre à la truie. Pourquoi «sombre»? Sans doute, parce


que le poète grec qui, puisant à la source de l'historien Timée, n'oublie
pas d'évoquer l'existence « dans une ville, d'une effigie en bronze de la
truie », prête naïvement à la truie vivante la couleur de son effigie monum
entale; aussi bien, ignorant Albe-la Blanche il n'avait que faire du symbol
isme des couleurs. Mais la différence essentielle entre les récits du poète
grec et des deux auteurs latins réside dans l'interprétation symbolique du
chiffre trente des porcelets; elle est spatiale chez Lycophron, temporelle
chez les Latins: nous y reviendrons plus loin.
Auparavant, il convient de signaler que le souvenir de la truie ominale
et de ses trente porcelets est également attesté à Rome. En effet, l'historien
du IIe siècle avant J.-C, L. Cassius Hemina, nous a transmis la version
suivante: « la foule des bergers, par un accord unanime, confia un pouvoir
égal à Rémus et à Romulus pour qu'ils se concertent entre eux au sujet
du règne. Survient un prodige: une truie met bas trente porcelets; en mémoire
de quoi, un sanctuaire fut élevé aux Lares Grünaues 24 ». Ce texte ne donne
aucune explication sur la signification de ce monstrum, mais il nous fournit
un renseignement capital: à Rome, le souvenir de la portée miraculeuse
d'une truie est lié à la fondation du culte des Lares Grünaues, qui est
daté, ici, du temps de Romulus et de Rémus. Le renseignement est confirmé
par le grammairien Nonius Marcellus: « selon la tradition, le culte des
Lares Grundules a été établi à Rome pour honorer une truie qui avait
mis bas trente procelets » 25.
Ainsi, un même culte, qui tire son origine d'un même prodige, est
attesté à Rome comme à Lavinium: la seule différence est que, pour Lavinium,
la chronologie le réfère à l'arrivée d'Enée au Latium, pour Rome, au temps
de Romulus - en vertu d'un raisonnement analogue qui retient respectiv
ement l'ère de fondation pour chacune des deux cités. Ce n'est pas la première
fois qu'un tel « doublet cultuel » se rencontre à Lavinium et à Rome 26. Il
vaut la peine d'en étudier le scheme essentiel à travers les variantes
accessoires.

24 L. Cassius Hemina, fragm. 11 de l'édit. Peter, H.R.R., I, p. 101: «Diomedes, 1 p. 384


K. Haec ita esse hoc modo adfirmat Cassius Hemina in secundo historiarum, pastorum uulgus
sine contentione consentiendo praefecerunt aequaliter imperio Remum et Romulum ita ut de
regno pararent inter se. Monstrum fit: sus parit porcos triginta, cuius rei fanum fecerunt Laribus
Grundilibus ».
25 Nonius Marcellus, p. 164 L.: «Grundules Lares dicuntur Romae constituti ob honorem
porcae quae triginta pepererat». (A propos de la graphie en u de «Grundules», cf. plus haut, p. 947).
26 Dans mon exposé sur les «fouilles récentes de Lavinium», REL, 38, 1960, pp. 75-77,
j'ai eu l'occasion de commenter en particulier les parallélismes cultuels suivants, qui sont
LES « LARES GRVNDILES » 953

Relevons les variantes de détail. Que la truie ait accompagné Enée


pendant son voyage maritime depuis la Troade ou qu'elle soit trouvée par
le héros troyen sur le sol italique, n'est pas d'une importance primordiale.
La première version est rapportée par Lycophron et par Varron 27, la seconde,
par Virgile et Denys d'Halicarnasse 28. Leur trait commun est de prêter au
quadrupède une signification prophétique qui persuade Enée du terme de ses
épreuves: désormais il devient fondateur de cité dans la terre promise.
De même, il importe peu de savoir quelle voix surnaturelle arrive à
rassurer Enée plongé une fois de plus dans la perplexité. Si Virgile confie
(au chant VIII de l'Enéide) au dieu du Tibre, le soin de renouveler à Enée
la promesse qu'il trouvera une truie ominale - promesse déjà faite, presque
dans les mêmes termes, au chant III, par le devin Hélénus29-; si, au cont
raire, Denys d'Halicarnasse fait intervenir « urie voix qui s'élève d'un boquet
eau,voix d'un être invisible » 30 (on songe à la tradition romaine de Aius
Locutius) pour rassurer le héros, ces variations ne modifient en rien la trame
essentielle du récit.
Il en est autrement des points qui concernent la localisation de la cité
prophétique, l'interprétation symbolique du chiffre trente, la portée religieuse
du récit mythique.

attestés à Rome et à Lavinium: cultes de Iuturna; de Castor (et de Pollux); Venus (Venus
Frutis à Lavinium); d'Enée (inscription Lare Aineia, au lieu dit Tor Tignosa, près de Lavinium);
Penates et Vesta. - Depuis cette date, la découverte spectaculaire d'une tombe archaïque et
d'un heroon à Lavinium a jeté une lumière nouvelle sur le culte d'Enée: cf. P. Sommella,
Heroon di Enea a Lavinium, Recenti scavi a Pratica di Mare, Rend. Pont. Accad. Rom. di
archeol., 44, 1971-1972, pp. 47-74. Cf. aussi M. Guarducci, Enea e Vesta, dans Rom. Mitt., 78,
1971, pp. 73-89.
27 Cf. Lycophron, Alex., 1256 s. (Texte cité dans la note 22); Varron, LL, V, 144:
«Haec (= sus) e naui Aeneae cum fugisset Lauinium, triginta parit porcos». L'allusion trop
brève «sus Aeneae» de RR, II, 18 (voir le texte cité en note 19) ne serait pas décisive,
à elle seule.
28 Cf. Virgile, Ae, VIII, 41-45; 81-85 - Denys d'Halicarnasse, I, 55,4.
29 Cf. Virgile, Ae., III, 389-393 (voir le passage cité en note 21); VIII, 42-45:
« Iamque tibi, ne uana putes haec fingere somnum,
litoreis ingens inuenta sub ilicibus sus
triginta capitum fetus enixa iacebit,
alba, solo recubans, albi circum ubera nati».
(L'interlocuteur d'Enée est le deus Tiberinus).
30 Cf. Denys d'Halicarnasse, I, 56, 3.
954 ROBERT SCHILLING

Pour la localisation de Γ« événement », il ne fait pas de doute qu'il


faille accorder la primauté à Lavinium aux dépens de Rome. La première
raison est que la grande majorité de nos sources penche dans ce sens depuis
Lycophron jusqu'à Denys d'Halicarnasse, en passant par Varron et par
Virgile, conformément aux données légendaires et historiques qui font de
Lavinium la métropole religieuse de Rome31. La seconde est qu'une partie
essentielle du récit mythique perdrait toute signification, si on s'avisait de
renverser l'ordre de priorité Lavinium-Rome: Vomen des trente porcelets, quelle
que soit son interprétation, ne s'inscrit en effet que dans la perspective
d'une prolifération à partir de la cité de Lavinium. Dès lors, les seuls auteurs
(Cassius Hemina et Nonius Marcellus) qui paraissent se séparer de la tradi
tion lavinienne, en ne mentionnant qu'un culte romain des Lares Grünaues,
loin d'être en divergence avec les autres sources, apportent au contraire le
renseignement complémentaire qu'on attend logiquement: la reconnaissance
à Rome d'un culte d'origine lavinienne, à l'instar du culte des Pénates, qui
existe respectivement dans chacune des deux cités. Le fanum des Lares
Grünaues signalé à Rome par Cassius Hemina32 s'explique donc, une fois
de plus, par une transposition romaine d'un culte qui a fait souche
à Lavinium.
Il faut revenir à présent sur le symbolisme du chiffre trente. Lycophron 33
est le seul qui en ait proposé une interprétation spatiale, en prêtant à
Alexandra (= Cassandre) la prédiction qu'Enée fondera trente forteresses,
« chiffre identique au chiffre de la portée porcine ». Au contraire, toute la
tradition d'inspiration latine a adopté résolument une interprétation
temporelle qui assimile le chiffre des trente porcelets aux trente années
séparant la fondation d'Alba de celle de Lavinium. Et on sait que pour
marquer encore davantage le lien généalogique qui unit Alba à la cité mère,
la tradition latine, à la différence du récit de Lycophron, met en scène
une truie et des porcelets de couleur bianche^.

31 Cf. mon livre la Religion romaine de Vénus (Paris, 1954), pp. 67 s.


32 Cf. plus haut p. 952 et note 24.
33 Cf. plus haut, p. 941 et la note 22. - Cf. A. Alföldi, Early Rome and the Latins,
pp. 271, s.
34 Cf. plus haut, p. 950. - L'interprétation temporelle des trente porcelets se vérifie depuis
Varron jusqu'à Denys d'Halicarnasse. Au texte cité de Varron, RR, II, 18 (voir la note 19),
il faut ajouter les suivants: Varron, LL, V, 144: « Oppidum quod primum conditum in Latio
stirpis Romanae, Lauinium: nam ibi dii Penates nostri. Hoc a Latini filia, quae coniuncta Aeneae,
Lauinia, appellatum. Hinc post triginta annos oppidum alterum conditur, Alba; id ab sue
LES « LARES GRVNDILES » 955

Reste un point fondamental: quelle importance religieuse peut-on


accorder à ces Lares Grünaues? Une certaine ambiguïté se révèle en effet
dans nos sources qui nous orientent dans deux directions divergentes.
D'une part, la sus avec sa progéniture, n'est considérée, en dépit de sa
signification ominale, que comme un animal et, si elle est marquée d'une
sorte de caractère sacré, il ne s'agit en définitive que d'un sacré sacrificiel.
C'est dans cette optique qu'est représenté le sacrifice de la truie lavinienne
par la littérature et les documents figurés ... de l'époque classique. Chez
Virgile, Enée sacrifie la truie et ses petits « à la puissante Junon » 35: « Voici
que soudain - prodige merveilleux à voir - apparaît dans la forêt, couchée
sur la rive verdoyante, une truie toute blanche avec sa progéniture blanche;
le pieux Enée te l'immole, à toi, ô puissante Junon: il la place, elle et sa
portée, avec les objets sacrés près de l'autel ». Chez Denys d'Halicarnasse,
Enée est censé offrir « le sacrifice de la truie et de ses petits aux dieux
de ses ancêtres, à l'endroit où se trouve aujourd'hui la chapelle qui est
revêtue d'un sceau sacré pour les habitants de Lavinium et inaccessible
à toute autre personne » 36. Ne nous attardons pas sur la question de savoir
qui, de Maxima Iuno ou des πατρώοι ΰεοί, était le destinataire légitime

alba nominatimi. Haec e naui Aeneae cum fugisset Lauinium, triginta parit porcos; ex hoc
prodigio post Lauinium conditum annis triginta haec urbs facta, propter colorem suis et loci
naturam Alba Longa dicta. Hinc mater Romuli Rhea, ex hac Romulus, hinc Roma». (C'est
précisément à Varron que J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome (Paris, 1942),
pp. 326, s.) attribue l'innovation de l'interprétation chronologique du nombre des porcelets) -
Virgile, Ae., VIII, 47-48 (le dieu du Tibre, interpellant Enée, par les vers cités dans la note 29,
poursuit de la façon suivante):
« Ex quo ter dénis urbem redeuntibus annis
Ascanius clari condet cognominis Albam». - Tite-Live, I, 3, 4. - Denys d'Halicarnasse,
I, 56, 4. - Juvénal, XII, 70-73.
35 Virgile, Ae., VIII, 81-85:
« Ecce autem, subitum atque oculis mirabile monstrum,
candida per siluam cum fétu concolor albo
procubuit uiridique in litore conspicitur sus;
quam pius Aeneas tibi enim, tibi maxuma Iuno,
mactat sacra ferens et cum grege sistit ad aram ».
36 Denys d'Halicarnasse, I, 57,1: Αινείας δε της μεν ύος τον τόκον αμα τη γειναμενη τοις
πατρώοις άγίζει ϋεοΐς εν τω χωρίω τωδ', ου νυν εστίν ή καλιάς, καί αυτήν οι Λαουινιάται τοις
άλλοις αβατον φυλάττοντες ίεραν νομίζουσι. - Sur l'identification de ces πατρώοι ΰεοί avec les
di Penates et sur le sacrifice accompli par Enée, cf. St. Weinstock, JRS, L, 1960, pp. 56-58,
The sacrifice of Aeneas.
956 ROBERT SCHILLING

du sacrifice célébré par Enée37. Dans l'un et l'autre cas, la référence à une
divinité reconnue du panthéon romain ne saurait laisser de doute.
C'est dans une direction bien différente que nous oriente le témoignage
de Cassius Hemina38: non seulement il n'est pas question d'un sacrifice de la
truie et de ses petits, mais un sanctuaire (fanum) est élevé en l'honneur
des Lares Grünaues, à l'exclusion de tout autre dieu. Qui peuvent être ces
Lares « grognons », sinon les porcins prophétiques qui ont été élevés, en
vertu d'une sorte de sublimation sanctifiante, au rang de protecteurs de la
mission confiée à Enée? Dès lors, faudrait-il conclure à une discordance
radicale entre les temps archaïques et l'époque classique? Aurions-nous affaire
pour les temps archaïques à une forme de « thériolatrie » 39 qui serait un
cas unique à Rome?
Les choses sont peut-être plus complexes qu'il ne paraît au premier
abord. Déjà le caractère familier de l'épithète cultuelle devrait nous mettre
en garde contre une interprétation aussi systématique. Dérivé d'un verbe
expressif de la langue de tous les jours40, l'adjectif Grundilis n'a rien d'une
appellation officielle. Par ailleurs, le caractère populaire de la vénération
vouée à la truie et aux porcelets de Lavinium ne fait aucun doute: un
monument en bronze les expose, sur une place publique, à la curiosité
de la foule, pendant que les prêtres n'hésitent pas à montrer aux pèlerins
- au temps de Varron - le corps de la truie qui, depuis des siècles, « se
serait conservé dans la saumure » 41. Il s'agit incontestablement d'une dévo
tionfolklorique qui expliquerait qu'on ait pu gratifier, dans le langage courant,
ces « grognons » qui ont joué un rôle décisif dans une « histoire merveil
leuse », du rôle protecteur des Lares. D'une manière parallèle, Romulus et
Rémus ne bénéficieront-ils pas, eux aussi, sur le futur site de Rome, de
la protection miraculeuse . . . d'une louve?

37 J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie, pp. 719 s. conclut en faveur de Junon,
tandis que St. Weinstock, /. /., p. 56 et note 133, revendique le sacrifice en l'honneur des Pénates.
38 Cf. le texte cité dans la note 24.
39 A. Alföldi {Early Rome..., p. 277 et note 2) penche dans ce sens, en se référant
au « parallèle » des « dogs and the dogskin clothes of the Lares praestites » (cf. Ovide, F., V,
137-138; Plutarque, Q.R., 51). - Mais cf. l'argumentation de F. Borner, dans son Kommentar
(d'Ovide, F., V, 137), p. 301, à rencontre des partisans de l'identification originelle des Lares
praestites avec des chiens.
40 Grundire est rapproché de verbes expressifs du registre familier, tels que garrire,
gannire, gingrire: cf. Ernout-Meillet, D.E.4, s.v. garrio.
41 Cf. les textes de Varron, RR., II, 18 (cité en note 19) et de Lycophron (cité en note 22).
LES « LARES GRVNDILES » 957

Or le thème de l'intervention d'une louve n'était pas, non plus, inconnu


à Lavinium. Pendant la construction de la cité, les présages suivants se
manifestèrent, selon Denys d'Halicarnasse 42: « un incendie s'étant déclaré
spontanément dans la forêt, un loup apporta du bois sec dans sa gueule
pour le jeter sur le feu, tandis qu'un aigle, survolant la scène, attisait la
flamme en agitant ses ailes. A l'inverse, un renard qui avait trempé sa. queue
dans le cours d'eau, s'efforçait de combattre les flammes: tantôt l'empor
taientceux qui avivaient le feu, tantôt, celui qui voulait l'éteindre. A la fin,
la victoire revint aux deux premiers, tandis que l'autre s'éloigna, ne pouvant
plus rien faire. A ce spectacle, Enée dit que la colonie deviendra illustre
et aura un prestige exceptionnel, qu'elle atteindra le sommet de la gloire,
tout en suscitant par son développement l'envie et le dépit de ses voisins;
qu'elle dominera cependant ses adversaires, dotée qu'elle est par la divinité
de gages de prospérité plus forts que les entreprises envieuses de ses ennemis.
Telles sont les indications très claires sur l'avenir de la cité que rapporte
la tradition; et il en existe un monument commémoratif, sur le forum de
Lavinium, sous forme de statues en bronze représentant les animaux, qui
ont été conservées depuis un très long laps de temps ».
Ainsi, la légende relative à la fondation de Lavinium a gardé le souvenir
de l'intervention bénéfique de bêtes, à l'instar de la légende des origines
de Rome. Le rôle nourricier de la louve et du pivert dans le sauvetage de
Romulus et Rémus, abandonnés au fil du Tibre, a été souvent évoqué par
les auteurs latins: « Qui ne sait que les enfants ont été nourris du lait
d'une bête sauvage et qu'un pivert apporta souvent à manger aux petits
délaissés? » 43. Ce thème a été également illustré par l'art, comme l'attestent
la célèbre louve en bronze du Capitole ainsi que les statues de la louve
et des jumeaux, érigées en 295 avant J.-C, près du figuier Ruminai par
Cn. et Q. Ogulnius 44.

42 Denys d'Halicarnasse, I, 59, 4-5.


43 Cf. Ovide, F., Ill, 53-54:
« Lacté quis infantes nescit creuisse ferino
Et picum expositis saepe tulisse cibos?».
- Dans un rêve prémonitoire, la vestale Ilia avait vu surgir du foyer où était tombé
son bandeau (lanea uitta), deux palmiers contre lesquels son oncle (Amulius) brandit une
hache; mais une louve et un pivert, «oiseau de Mars», intervinrent et sauvèrent les deux
palmiers. (Ovide, F., Ill, 29-38). - Denys d'Halicarnasse, I, 79, 4 fait remonter le récit de la
louve allaitant les deux jumeaux à Fabius Pictor, « suivi par L. Cincius, Porcius Cato, Calpurnius
Piso et la grande majorité des autres historiens».
44 A propos de la Lupa Capitolina du VIe siècle avant J.-C. (et de la présence vraisemblable
de jumeaux, dès l'origine), cf., en dernier lieu, O.W. v. Vacano, Aufstieg und Nierdergang der
958 ROBERT SCHILLING

Voilà que Lavinium présente également une légende exaltant l'interven


tion salvatrice de bêtes bénéfiques: au pivert et à la louve, qui veillent
sur le sort des infantes conditores Vrbis, correspondent l'aigle et la louve
qui favorisent la fondation de la cité lavinienne. Qu'il s'agit en effet égal
ement d'une louve à Lavinium-et non d'un loup comme l'écrit Denys d'Halicar-
nasse45 - la démonstration en revient à A. Alföldi qui a attiré l'attention
sur les représentations figurant au revers de deniers frappés en 45 avant J.-C,
sous la dictature de César, par le monétaire L. Papius Celsus: une louve
(reconnaissable à ses mamelles) met du bois sur un feu qu'attise un aigle
en battant des ailes46.

Dès lors, une solution se dessine, dans la mesure où le cas des Lares
Grünaues s'inscrit dans le contexte général des parallélismes que l'histoire
relève entre Lavinium et Rome. Truie et porcelets qui interviennent au
premier stade de la légende des origines de Lavinium, se sont prêtés à une
vaste exploitation populaire du thème, tout comme la louve romaine. En
ce sens, on peut se demander si l'intervention ultérieure de la louve et de
l'aigle, lors de la construction de Lavinium, ne répond pas à une exigence
supplémentaire de symétrie, comme si la louve et l'oiseau (aigle à Lavinium;
pivert à Rome) devaient se retrouver sur les deux tableaux.
Peut-être sommes-nous à même de lever maintenant les difficultés
qui résultent de certaines discordances de nos sources. Nous avons vu que
les auteurs de l'époque classique (Virgile et Denys d'Halicarnasse) 47
n'hésitent pas à faire sacrifier la truie miraculeuse et ses petits par Enée,

römischen Welt, I, 4, Vulca, Rom und die Wölfin, en particulier pp. 557 s. - A propos des
statues de bronze de la louve et des jumeaux, érigées près du figuier Ruminai en 295 avant J.-C,
cf. Tite-Live, X, 23, 12: «... et ad ficum Ruminalem simulacra infantium conditorum urbis
sub uberibus lupae posuerunt (Cn. et Q. Ogulnii aediles curules) ».
45 Cf. Denys d'Halicarnasse I, 59,4: (λέγεται)... λύκον μεν κομίζοντα τφ στόματι της ξηράς
ϋλης επιβάλλειν επί το πΰρ . .
.

- Remarquons que, si l'accord syntaxique de ce passage ne laisse pas de doute sur


l'emploi du masculin, λύκος est un mot épicène, qui sert aussi bien au féminin qu'au masculin.
46 Cf. A. Alföldi, Early Rome and the Latins, p. 278. Voir M. H. Crawford, Roman
republican coinage, I, p. 481 n. 472, 1 et 2; II, pi. LV. Notre description s'inspire de la
représentation figurée et des indications fournies par M. H. Crawford.
47 Cf. Virgile, Ae., VIII, 84 (texte cité en note 35); Denys d'Halicarnasse I, 57,1 (texte
cité en note 36).
LES « LARES GRVNDILES » 959

au cours d'une cérémonie religieuse, alors que l'historien Cassius Hemina48


signale la création d'un culte, matérialisé par l'érection d'un fanum en
l'honneur des Lares Grünaues. La constatation qu'Hemina situe l'événement...
à Rome, sans s'expliquer sur son origine lavinienne, n'est pas indifférente.
Tout se passe comme si cet antiquaire qui, écrivant au IIe siècle avant
notre ère, n'aurait certainement pas confondu la vénération de la louve
romaine avec le culte rendu à un dieu, n'était plus au fait sur la significa
tion véritable de la dévotion populaire de Lavinium. Il s'est contenté de
transposer à Rome un « fait » lavinien, - selon le même raisonnement
analogique qui a poussé Varron 49 à assigner à Lavinium le berceau des
Pénates romains - sans s'interroger davantage sur sa teneur. Pour l'époque
classique il ne pouvait subsister de doute. La version d'Enée sacrifiant la
truie ominale a été authentifiée non seulement par la littérature, mais encore
par l'art officiel, s'il est vrai que cette scène apparaît sur un relief de Vara
Pads: Enée préside au sacrifice de la truie devant un temple dédié aux
Pénates 50.
S'il est une association cultuelle, consacrée par l'usage romain, c'est
bien celle des Lares et des Pénates: les sanctuaires des uns et des autres,
se trouvaient au même endroit, à Rome, au sommet de la Velia (Auguste
les restaura tous les deux, ainsi qu'il le mentionne dans ses Res gestae) 51.
Toutefois, en dehors de leur compétence respective, ces dieux diffèrent par
une caractéristique essentielle: tandis que les Lares sont par définition attachés
à un terroir, les Pénates sont transportables: à Rome, ils sont censés provenir
de Troie grâce au relais de Lavinium.
A quelle représentation homologue de Lavinium pouvaient alors cor
respondre, au Ie siècle, les Lares romains? Certainement pas à nos Lares
Grünaues qui n'avaient pas droit de cité dans la religion officielle. En
revanche, le Lar Aineias qui, depuis les découvertes récentes, cesse d'être

48 Cassius Hemina (texte cité en note 24).


49 Cf. Varron, LL, V, 144: «Oppidum quod primum conditum in Latio stirpis Romanae,
Lauinium: nam ibi dii Penates nostri».
50 Cf. Bianchi-Bandinelli, Enciclopedia dell'arte antica, s. ν. Ara Pacis, p. 527, fig. 709. -
Pour une description plus complète, cf. Scott Ryberg, Rites of the state religion in roman art,
p. 40, fig. 21 et pi. X. - Ainsi, l'art officiel semble avoir confirmé la version de Denys
d'Halicarnasse (voir texte cité en note 36) de préférence à celle de Virgile (voir texte cité
en note 35). - Le thème du sacrifice de la truie par Enée est reproduit plus tard sur un
médaillon d'Antonin le Pieux: sur ces documents, cf. F. Castagnoli, Lavinium, I, p. 81, n. 181, 182.
51 Res gestae diui Augusti, éd. Gagé, p. 110, § 19.
960 ROBERT SCHILLING

une simple fiction littéraire pour devenir une réalité religieuse 52, était tout
désigné à Lavinium pour occuper la place homologue des Lares romains.
Cependant, le prestigieux ancêtre des Romains-Enéades n'a pas
porté ombrage aux humbles compagnons que la légende avait associés à son
aventure. De même que Romulus déifié sous les traits de Quirinus n'a
pas porté atteinte à la légende de la louve romaine, de même Pater Aeneas,
divinisé par la vénération officielle de l'Etat romain, n'a pas fait oublier
la truie miraculeuse et ses petits que le langage familier avait gratifiés du
nom de Lares Grünaues et qui continuaient à être exposés, sur une place
publique de Lavinium, à la curiosité attendrie de la foule des pèlerins.

A propos du Lar Aineias, cf. la bibliographie donnée dans la note 26.


ROMOLO A. STACCIOLI

CONSIDERAZIONI SUI COMPLESSI MONUMENTALI


DI MURLO E DI ACQUAROSSA

Nel corso di questi ultimissimi anni sempre più frequente è stata la


tendenza degli studiosi ad accostare in qualche modo tra loro il grande
complesso rimesso in luce dagli scavi del Bryn Mawr College a Poggio Civi-
tate di Murlo e il complesso « monumentale » della zona F dell'abitato di
Acquarossa riesumato dagli scavi dell'Istituto Svedese di studi classici di Roma.
Scoperti, per singolare e fortunata coincidenza, negli stessi anni, a
partire dal 1966 1, i due « complessi » - cui fu riconosciuta in principio,
e sia pure con qualche perplessità, una destinazione di carattere sacro
(« santuario » per Murlo, tempio almeno per l'edificio A di Acquarossa) -
hanno finito con l'essere avvicinati soprattutto in concomitanza con l'affac
ciarsi, sia per l'uno che per l'altro, di una successiva « interpretazione laica ».
Tale interpretazione, peraltro ancora discussa 2, proposta da Giovanni Colonna
(per Acquarossa) e, quindi, da Mario Torelli (sia per Acquarossa che per
Murlo) negli interventi al Convegno di Studi etruschi di Orvieto del 1972 3
e, da ultimo (in modo specifico per Murlo ma con diretto richiamo anche

1 Per l'uno e per l'altro, v. le comunicazioni di sintesi (con la relativa bibliografia)


pubblicate in Aspetti e problemi dell'Etruria interna (Atti dell'VIII Convegno Nazionale di
Studi Etruschi e Italici, Orvieto 27-30 giugno 1972), Firenze 1974 (d'ora in avanti citato: Atti
Orvieto): C. E. Östenberg, / problemi dei centri minori dell'Etruria meridionale interna alla
luce delle scoperte dì San Giovenale e Acquarossa, pp. 75-87; Κ. Μ. Phillips, Poggio Civitate
(Murlo, Siena), 1966-1972, pp. 141-146.
2 Cfr. le cautele e le perplessità espresse da M. Pallottino in Atti Orvieto, p. 91 e ora,
nella prefazione al volume di C. E. Östenberg, Case etrusche di Acquarossa (Monografie della
Tuscia, Comitato per le attività archeologiche nella Tuscia), Roma 1975, p. 2 nella quale è
ribadita, per gli edifici monumentali della zona F, la difficoltà di « distinguere tipologicamente
la destinazione religiosa da altri aspetti di dimora ο rappresentativi».
3 Cfr. Atti Orvieto, pp. 89-90 (Colonna) e p. 274 (Torelli).
962 ROMOLO A. STACCIOLI

ad Acquarossa) da Mauro Cristofani4, riguarda la possibile funzione di


« residenza civile » dei due complessi e, più in particolare, di « sede ufficiale »
dei « capi » delle rispettive comunità 5.
L'ipotesi della residenza - che non esclude, ovviamente, una « funzione »
almeno complementare e in qualche parte dell'edificio, di tipo sacrale e
cultuale, sia pure intimamente connessa con esigenze « private » (Cristofani)
di tipo gentilizio (Torelli) 6 - è, senza dubbio, non soltanto assai suggestiva
ma, obiettivamente, la sola soddisfacente allo stato delle nostre conoscenze
e le motivazioni d'ordine socio-politico, economico e storico generale che
ad essa sono state variamente date sembrano assai convincenti. A questa
ipotesi, alla quale aderisco pienamente, non ho nulla da aggiungere 7 mentre,
anche ricollegandomi ad essa, mi propongo di esporre alcune considera
zioni sulle caratteristiche planimetrico-architettoniche dei due complessi in
questione, riprendendo e sviluppando suggestioni prospettate soltanto margi
nalmente dagli studiosi sopra citati per confortare con un altro argomento
la loro tesi appena ricordata.
Queste considerazioni traggono lo spunto da un brevissimo scambio di
idee avuto a Grosseto, l'ultimo giorno del maggio 1975, con Kyle M. Phillips,
in occasione del X Convegno nazionale di Studi etruschi e italici. Le dedico,
come modesto omaggio, a Jacques Heurgon, il maestro che mi onora della
sua stima ed amicizia e verso il quale sono debitore di tanti insegnamenti.

4 Considerazioni su Poggio Civitate (Murlo, Siena), in Prospettiva, I, 1975, pp. 9-17.


5 «... la residenza ufficiale (Ιαιιχιιηιηα) del piccolo re di Acquarossa » (Colonna); «... grandi
residenze aristocratiche, dove il "feudatario" locale (il capo della gens) amministrava i propri
interessi, rendeva giustizia fra i clientes e svolgeva i regolari sacra gentilizi...» (Torelli); «... una
residenza "dinastica"...», «... una sorta di insediamento-castello...» (Cristofani) in locc. citt.
alle note 3 e 4. Anche il Phillips, peraltro, nella sua relazione al Convegno di Orvieto (cit. sopra
alla nota 1) p. 145, dopo aver ricordato che il complesso di Murlo è stato fino ad ora consi
derato un santuario, osserva come in realtà la sua funzione non sia chiara e accenna ad altre
possibili ipotesi: palazzo, centro amministrativo di una città, residenza comunale ο centro di
una lega. Ora poi anche lo Ostenberg, per quanto riguarda Acquarossa, parla della possibilità
di pensare a « raggruppamenti di edifici, sul tipo dei palazzi » (cfr. Case etrusche di Acquarossa,
cit. sopra alla nota 2, p. 26 e p. 45).
6 Anche se né a Murlo né ad Acquarossa sia stato per ora possibile riconoscere tracce
di culto (ma a Murlo potrebbe essere stato destinato a scopi cultuali l'ambiente isolato sul
lato nord-ovest della corte che, tra l'altro, sembra concomitante con particolari soluzioni inte
ressanti tutta l'ala del complesso con la quale è planimetricamente in relazione).
7 Ma, forse al termine del mio discorso essa potrà risultare, sia pure in maniera indiretta,
ulteriormente rafforzata.
COMPLESSI MONUMENTALI DI MURLO E DI ACQUAROSSA 963

Vale la pena di prendere le mosse dal complesso di Murlo che è, senza


dubbio, il più « grandioso », formalmente meglio definito e, si potrebbe dire,
in una parola, il più « completo ».
Il complesso, come è noto (Fig. 1), appare caratterizzato da un « blocco »
compatto di costruzioni che occupano un'area pressoché quadrata e si dispon
gono allungate su quattro ali attorno a una grande corte con portici a
colonne per tre lati. Gli edifici dei tre lati porticati appaiono articolati, al
loro interno, in modo vario e senza particolari corrispondenze mentre l'edi
ficio del quarto lato appare suddiviso regolarmente e simmetricamente in tre
nuclei: uno centrale, tripartito, con un ambiente mediano interamente
« aperto » sulla corte e fiancheggiato da due ambienti « chiusi », identici,
e due laterali, entrambi ugualmente bipartiti con un ambiente più grande,
rettangolare, verso l'esterno, e uno più piccolo, quadrato, verso l'interno.
L'unica anomalia in tanta regolarità e simmetria è costituita dal corridoio
che dall'esterno immette direttamente nella corte (e che sembra essere l'i
ngresso principale di tutto il complesso) il quale separa e stacca dal nucleo
centrale uno dei due laterali. Differenze minori, del tutto trascurabili, sono
costituite dalle aperture, verso l'esterno e tra i due ambienti, esistenti nel
l'altro dei due nuclei laterali bipartiti.
La ricca e ordinata articolazione di quest'ala e l'esistenza in essa del
l'entrata principale a tutto il complesso inducono a considerare questa come
la più importante del complesso stesso, tanto più che proprio davanti e in
asse con l'ambiente mediano aperto del nucleo centrale di essa si trova,
nella corte, il piccolo ambiente quadrato e isolato che si sostituisce in certo
qual modo e con molta evidenza al portico mancante in questo lato.
La singolarità planimetrica del complesso di Murlo e la presenza
caratterizzante della grande corte porticata sono state già sottolineate ed
espressamente chiamate in causa a sostegno della tesi della «residenza»;
soprattutto la corte porticata per la quale è stato osservato, da ultimo e
più particolarmente dal Cristofani8, come nell'economia degli edifici per
l'appunto « residenziali » essa assuma « il ruolo più significativo ». E a tal
proposito non poteva non essere fatto un diretto riferimento a quei « palazzi »
del mondo microasiatico e cipriota, come Larisa e Vouni, dove la corte

Art. cit. in Prospettiva, I, .1975, p. 11.


964 ROMOLO A. STACCIOLI

rappresenta « il centro ideale per costruzioni in cui svolgevasi la vita aristo


cratica del dinasta » (Cristofani).
Il riferimento ai Palazzi di Larisa e di Vouni, è stato precisato dal
Cristofani, vale per la supposta e assai probabile analogia delle esigenze
funzionali e non può costituire certo un confronto di tipo genetico, ossia
di derivazione, tanto più se si osserva come i palazzi citati siano planimetr
icamentee architettonicamente assai più complessi e articolati 9.
Ma, esclusa la derivazione - almeno diretta - dai Palazzi del mondo
greco-orientale, bisogna pur ammettere che il complesso di Murlo ci si pre
senta con caratteristiche planimetriche, funzionali e, per così dire, con
cettuali, tali da apparire « completo » e relativamente « perfetto ». Il suo
schema unitario, coerente e razionale, l'equilibrata distribuzione delle parti
e le corrispondenze simmetriche (persino la decorazione architettonica degli
edifici, assai ricca ed organica) e la stessa tecnica costruttiva, tutto conduce
a un « progetto » accuratamente preordinato in vista di una destinazione
chiaramente definita. Ma non è facile ritenere tutto ciò frutto di una
« invenzione » geniale e di uno studio « a tavolino ». Più logico è pensare
che dietro il « progetto » realizzato a Murlo, ci sia, come già acutamente
rilevato dal Phillips 10, una tradizione quasi certamente o, almeno sostanzial
mente, indigena e ormai pienamente sviluppata. Sicché si dovrebbe parlare
per Murlo dell'esito finale di un certo processo planimetrico-architettonico,
verosimilmente di progressivo adattamento, fino alla rispondenza più precisa,
ad esigenze forse altrettanto gradualmente delineatesi e giunte quindi a
completa definizione.
Ma, a questo punto il discorso ha bisogno, per una sua giustificazione,
di una plausibile documentazione.
L'esempio di Murlo, come tale, e almeno per ora, resta unico nel mondo
etrusco ma - a parte quello che potranno dirci future scoperte nei centri
urbani dell'Etruria ancora così poco esplorati e conosciuti - ci si può
chiedere se non sia già possibile riconoscere da qualche parte almeno degli
indizi di quelli che ne potrebbero essere stati i «precedenti»; ossia le solu-

9 Lo Östenberg, tuttavia, sottolinea in proposito in Case etnische di Acquarossa {cit.


alla nota 2) p. 46, i contatti « internazionali » degli Etruschi e, indubbiamente, pur senza dover
escludere a priori la possibilità di «tradizioni architettoniche» almeno fino a un certo punto
autonome e parallele, i rapporti tra l'Etruria e il mondo greco orientale nel periodo arcaico
non possono essere ignorati (basterebbe pensare al «capitolo» delle terrecotte architettoniche).
10 Cfr. AJA, 76 (1972), p. 251.
COMPLESSI MONUMENTALI DI MURLO E DI ACQUAROSSA 965

zioni parziali, i termini intermedi di quel « processo » sopra ipotizzato che


pure, se il discorso è valido, non dovrebbero essere mancati; magari a Murlo
stessa.
Purtroppo, di una fase più antica del complesso di Murlo che avrebbe
potuto forse illuminarci direttamente in proposito si è appena individuata
l'esistenza nel corso delle ultime campagne di scavi n le quali hanno rivelato
strutture sottostanti la grande corte porticata che sembra non dovessero
differire molto dalla planimetria della fase più recente. È, evidentemente,
troppo poco e Murlo deve essere quindi accantonata per la nostra ricerca.
Ma è allora il momento di fare ricorso proprio al complesso « monum
entale » della zona F di Acquarossa. Tale complesso, come si sa, (Fig. 2),
risulta costituito di quattro edifici disposti su tre lati di una piccola « piazza »,
dei quali i due più importanti (A e C nella denominazione degli scavatori),
formanti angolo retto fra loro, hanno una pianta rettangolare allungata,
tripartita all'interno e si affacciano sulla piazza con ampi portici a colonne,
mentre un altro (B), a tre grandi ambienti, si dispone in continuazione del
l'edificio C e a fianco di quello A colmando l'angolo vuoto risultante dalla
giustapposizione di questi, e il quarto (D), solo parzialmente conservato,
si dispone sul terzo lato della piazza dove doveva essere anche l'ingresso
ad essa12.
Benché di proporzioni più ridotte, e soprattutto meno organicamente
concepito e « compiuto », il complesso di Acquarossa presenta indubbie
affinità con quello di Murlo e giustamente, come si diceva all'inizio, i due
complessi sono stati ormai più volte chiamati a confronto. Ma il confronto
è stato fatto, fino ad ora, quasi soltanto per evidenziare la possibile sostan
zialeidentità di funzioni dei due complessi nell'ambito della tesi che si può
definire, per intendersi, « palaziale ». Ebbene, io credo che, tenendo pre
sente questa tesi, il confronto possa essere approfondito nell'ambito più
specificamente planimetrico-architettonico e proprio nel senso della ricerca
e della possibile individuazione di quei « termini intermedi » tra un momento

11 Cfr. AJA, 78 (1974), p. 168.


12 I due altri edifici (E ed F) che sorgono a una certa distanza, rispettivamente a est
e a sud del complesso Α-D e orientati secondo quello, possono essere trascurati nel discorso
che si sta facendo, anche se quasi sicuramente destinati a funzioni affini ο complementari
a quelle del primo blocco di edifici. È tuttavia interessante sottolineare lo schema dell'edificio E
con il grande cortile davanti all'ala porticata e suddivisa in tre ambienti.
966 ROMOLO A. STACCIOLI

iniziale X e il « punto di arrivo » rappresentato dal complesso di Murlo di


cui si diceva sopra.
Lo schema planimetrico del complesso di Acquarossa risulta, di fatto,
dalla giustapposizione ad L di due edifici (A e C con il prolungamento D)
sostanzialmente uguali, di per sé autonomi e praticamente indipendenti tra
loro e senza alcuna comunicazione. C'è però l'intento evidente di costituire
un insieme per quanto possibile organico che risulta, oltre che dalla possi
bileanalogia ο complementarietà delle funzioni e proprio per questo, dalla
collocazione stessa dei due edifici e dal fatto che essi sono - come ha
scritto il Colonna 13 - « collegati tra loro anche esteriormente dal porticato
e dal comune mantello di abbellimenti fittili ».
Alla base di tutto resta, comunque, l'utilizzazione per un determinato
fine (che è qualcosa di più della semplice « reduplicazione » M) di una
« unità » architettonica che è stata definita « residenziale » e che può essere
fatta agevolmente risalire al tipo di costruzione domestica esemplificato
nello stesso abitato di Acquarossa, per esempio nella casa Β della zona Β
(Fig. 3) 15, arricchita con l'aggiunta di un portico a colonne sulla fronte.
Aggiunta che avrebbe potuto costituire l'inizio, per così dire, della « monu-
mentalizzazione » di un edificio per il quale alle funzioni di residenza pri
vata si siano volute unire (o sostituire) a un certo momento quelle di
« rappresentanza » ο di « pubblico servizio ».
A questo punto del discorso mi pare si inserisca perfettamente anche
il richiamo alla Regia del Foro, a Roma16 che nella sua fase arcaica ci si
presenta (Fig. 4), secondo quanto è risultato dai recenti scavi 17, come un
edificio a tre ambienti affiancati e organizzati fra loro secondo lo schema
degli edifici della zona monumentale di Acquarossa ma con il portico che
si è « trasformato » e ampliato in una vera e propria corte porticata. Questo,
documento dalla Regia, potrebbe costituire allora un altro esempio di utilizza
zionedell'unità architettonica di base in cui, piuttosto che la reduplica
zione di questa, si sia preferito lo sviluppo del portico 18. Ma credo sia

13 in Atti Orvieto, p. 90.


14 Cfr. M. Pallottino, in Atti Orvieto, p. 91.
15 Cfr. C. E. Östenberg, Case etrusche di Acquarossa, pp. 13-14, fig. 72.
16 Cfr. G. Colonna, in: Atti Orvieto, p. 90; M. Torelli, ibid., p. 274; C. E. Östenberg, in:
Case etrusche di Acquarossa, p. 45.
17 Cfr. F. E. Brown,, New Soundings in the Regia, in Entretiens sur l'antiquité classique,
XIII, 1957, pp. 47 segg.
18 Ma sulla Regia il discorso sarebbe da approfondire per la possibilità che essa sia stata
parte integrante di un più ampio complesso comprendente il tempio di Vesta e la Casa delle
COMPLESSI MONUMENTALI DI MURLO E DI ACQUAROSSA 967

legittimo almeno prospettare come un « logico » e quanto mai « semplice »


ampliamento di un edificio del tipo esemplificato dalla Regia di Roma sia,
in caso di necessità, quello costituito dall'aggiunta di una seconda costru
zione simile alla prima su un altro lato della corte. Ne deriva la considera
zione che lo schema si presta ad essere « completato » con la costruzione
di edifici su tutti e quattro i lati della corte (o piazza) arrivando in tal
modo a un complesso di un tipo che ci riporta direttamente a quello dal
quale siamo partiti e cioè a Murlo.

*
*

Un discorso come quello fatto (ma sarebbe più giusto dire accennato),
pur essendo ancorato a certe testimonianze concrete e a suggestioni non
del tutto prive di verosimiglianza, potrà sembrare semplicistico e meccanico
e forse anche « astratto » o, quanto meno, teorico. Per giunta se si volesse
interpretare con un valore per così dire progressivo, come un'indicazione
dello sviluppo per tappe successive di uno schema planimetrico-architettonico,
dal tipo più semplice a quello più complesso, esso urterebbe contro una
grossa difficoltà di carattere cronologico. Infatti tutti gli edifici chiamati in
causa nella esemplificazione si presentano, come è noto, pressoché contempor
anei, databili come sono nel corso del secolo VI a.C. Non solo, ma il comp
lesso di Murlo (cui si dovrebbe pensare come alla tappa finale del processo)
potrebbe essere persino più antico di quello di Acquarossa e la Regia di
Roma (che dovrebbe precedere l'esempio di Acquarossa) più recente di tutti.
È bene allora precisare a chiare lettere come - a parte il fatto che
sulle datazioni c'è ancora da approfondire, soprattutto in relazione alle fasi
più antiche e originarie dei diversi complessi e che è sempre possibile pen
sare a fenomeni di conservazione e di persistenza in successive fasi di rico
struzione e di adattamento 19 - allo stato attuale delle nostre conoscenze,

Vestali le cui fasi più antiche sono testimoniate, come è noto, da strutture murarie giacenti
sotto le costruzioni di età imperiale che hanno, a differenza di queste, il medesimo orientamento
della Regia e del vicus Vestae che attraversa tutto il complesso. Sempre a proposito della Regia
- e dei contatti tra il mondo etrusco-italico e quello greco - è il caso di ricordare la significativa
strettissima somiglianzà planimetrica di essa con l'edificio, di età pisistratide, del Pritaneo di
Atene (v. C. Ampolo, in La Parola del Passato, 1971, p. 442 segg.).
19 Come potrebbe essere nel caso della Regia di Roma se, come ricorda il Colonna
(op. cit. alla nota 16) p. 91, essa imitava i «palazzi» dei re costruiti sulla Velia e se fra questi
si può risalire, secondo le fonti, fino a quello di Tulio Ostilio.
968 ROMOLO A. STACCIOLI

quel discorso, se è vero che non può essere svolto in senso diacronico, può
però avere un valore in linea di principio e in senso che si potrebbe definire
« concettuale ». Per cui le « tappe » indicate, ο forse soltanto adombrate,
se non possono essere collocate nel tempo, lo possono essere invece nella
logica. E ciò, almeno come tentativo di organizzare con gli scarsi elementi
a disposizione, ma utilizzandoli tutti coerentemente, una possibile linea di
ricerca e di approfondimento che magari soltanto future auspicabili scoperte
potranno ulteriormente chiarire e sviluppare o, al limite, sovvertire e annullare.
A proposito dei possibili approfondimenti, è forse interessante fin da
ora rilevare come, anche nell'ambito di quella che sembra una « contempor
aneità » di fatto, il complesso di Murlo si presenti più organicamente defi
nito e completo di quello di Acquarossa, pur potendo aver assolto a fun
zioni sostanzialmente analoghe, forse in relazione alle esigenze di una
maggiore « concentrazione » di quelle stesse funzioni richiesta dal fatto di
non essere esso inserito in una struttura di tipo urbano, come è nel caso
di Acquarossa, ma isolato e a se stante (nel senso della « residenza-castello »
del Cristofani) mentre ad Acquarossa il blocco degli edifici Α-D poteva
essere completato con funzioni complementari dagli edifici E - F, separati
ma collegati al nucleo principale, all'interno di un « piano » urbanistico più
dilatato ed aperto.
* *

Passando ora ad affrontare, rapidamente, il problema delle possibili


conseguenze ο degli eventuali sviluppi successivi di uno schema così ben
definito e apparentemente « concluso » come è quello del complesso di
Murlo 20, il discorso mi sembra in proposito estremamente difficile. La distru
zione violenta delle fabbriche di Murlo in concomitanza, e forse in conse
guenza, di avvenimenti inseribili in un particolare « momento » socio-econo
mico, politico e storico generale quale quello già acutamente indagato dal
Torelli, dal Colonna e dal Cristofani21, potrebbe aver determinato la fine,
oltreché dell'edificio, anche delle esigenze e quindi delle funzioni da esso
assolte. Ma non è detto che non ci possa essere stata qualche « sopravvi
venza », sia pure accompagnata da modifiche e adattamenti che, ancora una

20 Un problema, questo, appena sfiorato dal Phillips in AJA, 76 (1972), p. 251.


21 Nelle opere citate in questo articolo.
COMPLESSI MONUMENTALI DI MURLO E DI ACQUAROSSA 969

volta, potrebbero aver interessato, al tempo stesso, lo schema architettonico


e le funzioni, con queste ultime evidentemente in un ruolo primario e
determinante.
In altre parole, e anche se lo stesso tipo esemplificato ad Acquarossa
risulta violentemente e definitivamente distrutto press'a poco nello stesso
periodo di quello di Murlo, è possibile che tipi analoghi, che non si può
escludere siano stati presenti in altri centri urbani che continuarono a
vivere e a svilupparsi, abbiano avuto una qualche continuazione22.
Il Phillips aveva fatto un fuggevole riferimento ai Fora repubblicani23
ma ciò è sembrato « fuor di luogo » al Cristofani 24 alla luce delle prescri
zionivitruviane circa i « fori » italici e stando alle conoscenze degli esempi
più antichi di fori di cui disponiamo (Cpsa e Pompei) i quali « riflettono
esperienze assai stratificate nel tempo che non possono servire da confronto
immediato ».
A me sembra che l'osservazione del Cristofani sia sostanzialmente valida,
ma solo tenendo presente che, in realtà, dell'origine e del formarsi del Foro
non sappiamo nulla e nulla sappiamo del suo aspetto primitivo e, peggio
ancora, assolutamente nulla sappiamo di quello che nelle città etrusche può
essere stato il corrispettivo, se non il precedente, del Foro italico-romano.
Sicché dobbiamo prudentemente arrestarci, senza poter dar corso alla pur
suggestiva considerazione che un complesso planimetrico-architettonico
come quello di Murlo, immaginato dilatato in un contesto urbano « evoluto »
e una volta venuti meno i caratteri « privati » ed accentuatisi fino a diven
tareesclusivi quelli « pubblici », in armonia con le mutate condizioni socio-
politiche (per esempio all'inizio delle repubbliche oligarchiche), è un qual
cosa di assai vicino al Foro come lo conosciamo per un'epoca più tarda: il
centro urbano con la piazza porticata circondata dagli edifici « pubblici »
che insieme assolvono ad esigenze di carattere politico, commerciale, giuri
dico e religioso (quelle stesse alle quali, ancora nel secolo VI a.C, all'interno
della sua « residenza-castello » presiedeva il « signore » di Murlo). Forse,
parlare almeno di un « precedente », sia pure in senso lato, potrebbe essere
non del tutto ingiustificato.

22 Come è, del resto, proprio il caso certo della Regìa di Roma.


23 Cfr. loc. cit. sopra alla nota 20.
24 V. in Prospettiva (cit. alla nota 4) p. 10.
970 ROMOLO A. STACCIOLI

Fig. 1 - II complesso di Murlo.


COMPLESSI MONUMENTALI DI MURLO E DI ACQUAROSSA 971

Fig. 2-11 complesso della « zona F » di Acquarossa.


972 ROMOLO A. STACCIOLI

Fig. 3. - La casa B della « zona B » di Acquarossa.

Fig. 4 - La Regia del Foro a Roma.


ANDRE TCHERNIA

L'ATELIER D'AMPHORES DE TIVISSA ET LA MARQUE « SEX DOMITI » *

A environ un kilomètre au Ν. Ο. de Tivissa (province de Tarragone)


la route de L'Hospitalet à Mora, qui descend vers l'Ebre, sépare une olive
raie, à gauche, d'un vignoble, à droite. Sur une centaine de mètres de long,
cette route a coupé le terrain d'une fabrique romaine de terre-cuite: tant le
vignoble que l'oliveraie sont parsemés, sur une largeur totale de cinquante
mètres, d'une quantité exceptionnelle de tessons de tuiles et d'amphores
(Fig. 1). Dans le talus de la route, côté vignoble, apparaît ce qui peut être
le reste d'un petit mur de tuiles (Fig. 2). Les ratés de cuisson de tuiles et
d'amphores que j'ai ramassés ne laissent pas de doute quant à l'existence
d'un four de potier à cet endroit. Dans un ouvrage sur Tivissa \ F. Màrius
Bru i Borràs a du reste consacré au site une page qui corrobore et complète
ces rapides observations personnelles et dont il faut citer tel quel tout le
premier paragraphe:
« A un quilòmetre a l'occident de la vila, tocant a la carretera de
l'Hospitalet a Mora la Nova, hi ha una partida de terreny coneguda per
Aumedina, modificació de la paraula àrab Almedina ο Medina. Alii, en un
espai d'uns 100 metres per 50 metres, s'han descobert una inf initat d'àmfores
romanes, rajoles, teules, fragments de ceràmica, diverses monedes ibero-roma-
nes i, molt excepcionalment, fragments de ceràmica sigillata. En el desmunt

* Cet article est le fruit d'une visite faite à Tivissa en octobre 1972 dans le cadre d'une
mission de 1Ί.Α.Μ. (CNRS, Aix-en-Provence). Les résultats exposés ont été obtenus grâce à
l'accueil exceptionnellement chaleureux et efficace du Dr. Vilaseca à Reus et de M. Adolfo Bruii
à Tivissa. Qu'ils veuillent bien trouver ici l'expression de mes plus vifs remerciements.
1 F. Màrius Bru i Borràs, Fulls d'història de la vila de Tivissa i del seu tenitori antic,
Tivissa, 1955, p. 76-77. Je ne connaissais pas ce travail quand j'ai étudié l'estampille TIBISI
et donné quelques indications souvent dubitatives sur la production de l'atelier de Tivissa dans
un article intitulé Les amphores vinaires de Tarraconaise et leur exportation au début de
l'Empire dans AE Arq., 1971, XLIV, p. 38-85.
974 ANDRÉ TCHERNIA

de la carretera, es veia (1920) alguna paret de rajols i una espècie de petits


forns, boques del forn per a atiar el foc, avui (1954) completament destruits.
Moites àmfores, prop de la boca, porten la segiient inscripció, feta amb
motile: TIBISI. Alguna altra duu la de SEX-DOMITI corn pot veure's en la Làm.
Vili i en les àmfores disposades al Museu Arqueològic de Madrid. Un petit
nombre de rajoles porta també la marca primerament dita ».

La grande majorité des fragments d'amphores identifiables que j'ai exa


minés ou prélevés sur le site se répartissent entre trois types: des Dr. 2-4
(Fig. 3, 8), des Oberaden 74 (Fig. 3, 1 et Fig. 4), enfin des cols dont la lèvre
est comparable à celle des Dr. 7-10 (Fig. 3, 4 et 5). Il existe toutefois quelques
fragments de cols ou d'anses qui se prêtent moins à des comparaisons tradi
tionnelles, et j'ai également ramassé deux morceaux de lèvre qui semblent
appartenir à des amphores « Pascual 1 » 2. L'argile ne présente pas beaucoup
de diversité. Elle est dure, compacte, pure. Le dégraissant est constitué par
de petits éléments blancs ou gris. La couleur varie du rouge-orangé au
marron (code Cailleux et Taylor E 36 à D 46 ou D 54). On trouve souvent
les deux couleurs sur un même fragment de vase; elles forment parfois des
bandes alternées; le passage de l'une à l'autre peut être graduel ou au con
traire leur séparation bien nette.
Dans le village, à la bibliothèque municipale et au domicile de M. Adolfo
Bruii, sont conservés des fragments estampillés trouvés sur le site. Quatre
portent la marque SEX. DOMITI et autant la marque TIBISI. Deux estamp
illes isolées s'y ajoutent: l'une, sur un fragment plat (tuile?), a été lue LAPT;
l'autre, représentée fig. 3, 9, est moins lisible: probablement MEEV [...].
On compte parmi ces fragments ceux dont j'ai publié la photographie en
1971 3. Je donne ici, à défaut d'un dessin complet, le profil de leur lèvre
(Fig. 3, 2 et 6). Un troisième fragment identifiable porte la marque TIBISI:
il s'agit sans aucun doute d'une lèvre d'amphore « Pascual 1 », dont la
production par l'atelier de Tivissa est ainsi confirmée (Fig. 3, 7). La même

2 R. Pascual Guasch, Centres de production y difusión geogràfica de un tipo de anfora,


dans VII Congreso National de Arqueologia, Barcelona, 1960 (Saragosse, 1962), p. 334-345;
M. Beltrân Lloris, Las anforas romanas de Espana, Saragosse, 1970, p. 329-336.
3 Art. cité, fig. 17.
L'ATELIER D'AMPHORES DE TIVISSA ET LA MARQUE « SEX DOMITI » 975

marque a du reste été récemment retrouvée sur un col d'amphore du même


type par M. Bouscaras à Port-la-Nautique près de Narbonne4.
Autant que j'ai pu le voir, et en tous cas pour les fragments 2, 3 et 6
de la fig. 3, qu'il m'a été possible d'examiner à loisir, l'argile a bien la même
aspect que celle des tessons trouvés sur le gisement. Je ne ferai qu'une
exception, pour le tesson estampillé MEEV ... : son argile rouge à points
blancs le rapprocherait de la série définie antérieurement par F. Zevi et
l'auteur de ces lignes 5.

* *

On peut conclure de ces observations que l'atelier de Tivissa a produit


au moins quatre types d'amphores: des Oberaden 74, des Dr. 2-4, des amphor
es qu'on pourrait provisoirement appaler Dr. 7-10 catalanes, et enfin des
amphores « Pascual 1 », que j'avais baptisées pour ma part « amphores fuse
lées de Léétanie »: on voit qu'en réalité la région de production de ces
dernières a largement dépassé la Léétanie. Les marques TIBISI et SEX.
DOMITI sont d'origine locale. La première existe sur les trois derniers types
que je viens de citer 6. L'estampille SEX. DOMITI n'est en revanche connue 7
que sur des amphores Oberaden 74. Les doutes que j'avais laissé subsister
en 1971 sur son origine peuvent être levés: sa récurrence à Tivissa sur
plusieurs fragments8, la présence sur le site même de l'atelier de fragments

4 A. Bouscaras, Les marques sur amphores de Port-la-Nautique, dans Cahiers d'Archéol


ogie Subaquatique, III, 1974, p. 118-119.
5 Amphores vinaires de Campanie et de Tarraconaise à Ostie, dans Etudes sur les amphor
es romaines, Collection de l'Ecole Française de Rome, Rome, 1972, p. 35-67.
6 Cf. A. E. Arq., 1971, cit., p. 65-67 et B. Liou, Gallia, 33, 1975, 2, p. 577, pour des
exemples de la marque TIBISI sur des cols d'amphores Dr. 2-4 et sur un col de Dr. 7-10
catalane trouvée dans le golfe de Fos.
7 M. H. Callender, Roman Amphorae, Londres, 1965, n. 1602, indique pour la marque
de Sextus Domitius la diffusion suivante: Bale, Nyon, Lugano, Oberaden, Héry (près d'Auxerre),
St Paulien (près du Puy), Rodez, Carpentras. Pour un second exemplaire à Rodez, cf Gallia,
1974, 2, p. 463. Les timbres de Bàie et d'Oberaden sont sur des cols d'amphores de forme
Oberaden 74: S. Loeschcke, dans Chr. Albrecht, Das Römerlager in Oberaden, Heft 2, Dort
mund, 1940, p. 77; (corrigeant l'interprétation de la forme avancée par Oxé dans le Heft 1 du
même ouvrage) et Callender, op. cit., pi. IV b.
8 Aux quatre que j'ai vus sur place il faut au moins ajouter ceux signalés par F. Marius
Bru i Borras comme données au Musée de Madrid.
976 ANDRÉ TCHERNIA

de lèvres, de cols et de fonds d'amphores Oberaden 74, l'homogénéité des


argiles, permettent bien d'affirmer que cette marque largement répandue
vient de Tivissa. J'ai déjà utilisé cette donnée, ainsi que celles fournies par
l'étude morphologique des fragments recueillis sur le site, pour caractériser
les amphores Oberaden 74, les distinguer des autres amphores à pied annul
aire et lèvre à ressaut auxquelles on donne parfois le nom générique de
Dr. 28, et proposer de leur attribuer une origine catalane9.
Quant à la date de l'atelier, rien ne l'indique, si ce n'est la présence de
la marque SEX. DOMITI à Oberaden: il fonctionnait peu avant 9 av. n. è.,
mais il n'est pas possible pour l'instant de mieux préciser le moment de son
installation ni la durée de son activité.

9 Note sur le matériel recueilli dans la fouille d'un atelier d'amphores à Velaux (B. du R.)
(en collaboration avec J.-P. Villa) dans Actes du colloque international du CNRS «Méthodes
classiques et méthodes formelles dans l'étude typologique des amphores», Rome, 27-29 mai 1974,
(à paraître dans la Collection de l'Ecole Française de Rome).
L'ATELIER D'AMPHORES DE TIVISSA ET LA MARQUE « SEX DOMITI > 977

Fig. 1.

Fig. 2.
978 ANDRE TCHERNIA

' I

Iι Fig.
7 3 - Nos 2 et 3: timbres SEX. DOMITI; Nos 6Ι. etΑ.7:Μ.timbres TIBISI.
J.Lenne
10 cm
L'ATELIER D'AMPHORES DE TIVISSA ET LA MARQUE « SEX DOMITI 979

;
0 10cm
ι
Ιι

I.A.M.

Fig. 4.
JEAN-PAUL THUILLIER

LA FRISE GRAVÉE DU LÉBÈS BARONE DE CAPOUE

Le lébès Barone, qui doit son nom à l'antiquaire Raffaele Barone, est
sans conteste le vase de bronze le plus célèbre de Capoue. Et tout naturel
lement, M. J. Heurgon lui a consacré plusieurs pages de sa thèse 1. Mais,
bien que le chaudron soit régulièrement cité dans différentes études portant
sur Capoue, il est étrange qu'il n'ait pas encore fait l'objet d'une publication
exhaustive2; il est vrai que celle-ci est prévue depuis quelques années dans
la série Capua Preromana3.
Que ces lébès exécutés à la fin du VIe ou au début du Ve s. selon
les cas aient subi des influences venues d'Italie Centrale est un fait reconnu
par l'ensemble des spécialistes. Ainsi, W. Johannowsky, qui les place, avec
la céramique à figures noires étudiée par F. Badoni, dans la phase VI de
l'histoire des nécropoles, peut-il écrire: «... anche i bronzi di questo periodo,
la cui qualità è in parte relativamente buona, rientrano decisivamente nella
cultura artistica etrusca » 4. M. J. Heurgon, pour sa part, s'était tout
spécialement intéressé au motif central ornant le couvercle du lébès Barone;
et c'est incontestablement les antéfixes de Satricum qu'il fallait rechercher
comme prototype du couple formé par le Silène et la Mènade5. Nous
voudrions, quant à nous, étudier plus en détail la frise gravée sur la panse
du lébès: si l'on fait exception de l'épisode mythologique mettant en scène

1 P. 397-414.
2 S. Haynes, Etruscan bronze utensils, Londres, 1965, p. 16-8, fig. 1; F. Parise Badoni,
Ceramica campana a figure nere, Florence, 1968, p. 147 sq.; Β. d'Agostino, II mondo periferico
della Magna Grecia dans Popoli e Civiltà dell'Italia antica, Rome, 1974, 2, p. 199 (pi. 77).
3 Bronzi ed altri oggetti minori a cura di W. Johannowsky e C. de Theo (Studi e mat
eriali dell'Istituto di Etruscologia e Antichità Italiche dell'Università di Roma).
4 EAA, supplementa, art. Capua, p. 182.
5 P. 412.
982 JEAN-PAUL THUILLIER

Hercule et sans doute Cacus, celle-ci est en général un peu négligée et on


insiste par-dessus tout sur les caractères stylistiques, en montrant la gros
sièreté des figures et en concluant que la frise doit être l'œuvre d'un artiste
différent6. Plus précisément, d'un point de vue iconographique, ce sont les
scènes de jeux sur lesquelles nous voudrions attirer ici l'attention, en affirmant
leur caractère résolument étrusque7.
La frise gravée comprend, dans le domaine des sports, une course de
chars, deux moments d'un pugilat et une scène de lutte, le tout étant inscrit
à l'intérieur de colonnes doriques. Prenons tout d'abord le cas de la course,
dans laquelle plusieurs éléments mettent en lumière l'aspect typiquement
étrusque de la représentation. C'est en premier lieu la disposition générale
des chars: sur les six biges en action, les deux du milieu sont en train de se
dépasser, cependant que les quatre autres se suivent en file indienne, si l'on
peut dire, avec cette précision que le premier et le cinquième auriges se
retournent pour voir le concurrent situé derrière eux. Bien que cette disposi
tion, en tout cas en ce qui concerne les chars qui se doublent, ne soit pas
tout à fait inconnue en Grèce, on remarque qu'elle est surtout fréquente
cependant sur les représentations étrusques8. C'est ainsi qu'elle apparaît
déjà sur le plus ancien document étrusque montrant ce thème, autrement
dit l'amphore « pontique » conservée au Musée de Berlin, œuvre du peintre
d'Amphiaraos, ainsi nommé d'après le motif du départ d'Amphiaraos ornant
l'épaule du vase9. Sur la panse de cette amphore, sept biges: le deuxième
et le troisième, ainsi que le cinquième et le sixième sont en train de se
dépasser, cependant que les trois autres sont montrés individuellement; on
remarque aussi que le quatrième et le sixième cochers se retournent pour
voir leurs poursuivants. Une disposition analogue se retrouve sur une terre
cuite de Velletri où, lors d'une course de triges, on peut voir le deuxième
aurige se retourner au moment où il essaie de dépasser celui qui mène la

6 D'Agostino, op. cit., p. 199.


7 Cet aspect est signalé rapidement par S. Haynes, qui fait le rapprochement avec la
Tombe des Olympiades, op. cit., p. 17.
8 À. Âkerstrom, dans Op. Rom., 1, 1954, p. 196-7.
9 R. C. Bronson, Chariot-racing in Etruria dans Mélanges L. Banti, Rome, 1965, p. 95,
n° 19 du catalogue et pi. 25 a. Nous serons souvent amené évidemment à citer ce remarquable
article. La céramique pontique est d'ailleurs indiquée par B. d'Agostino comme une des sources
possibles des motifs de cette frise. Nous noterons pour notre part que certaines hydries cérétanes
montrent à la fois Hercule, des pugilistes et des lutteurs (C. Albizzati, Vasi antichi dipinti del
Vaticano, Rome, 1923, fase. 3, 229, pi. 19-20).
LA FRISE GRAVÉE DU LÉBÈS BARONE DE CAPOUE 983

ronde 10. Citons enfin les fresques de la Tombe des Olympiades qui peuvent
maintenant servir de référence: pendant que le deuxième et le troisième chars
sont à la lutte, le premier aurige se retourne, sans doute pour s'assurer de
sa victoire, de la même façon que l'aurige de tête du lébès Barone n.
D'une façon générale, on constate que les courses de chars grecques,
qu'il s'agisse de peintures de vases corinthiens ou attiques, sont marquées
par une très grande régularité du motif12. Ainsi, sur le Vase François, les
auriges sont-ils tous placés à la hauteur des chevaux qui suivent 13: il n'y a
aucune irrégularité, aucune dissymétrie dans le traitement du motif. Il est
très rare, en revanche, de voir une course mouvementée, comme sur l'amphore
tyrrhénienne de Florence illustrant une nouvelle fois le départ d'Amphiaraos 14.
Là, on peut en effet apercevoir un cheval renversé à terre, un char brisé
et d'autres chevaux qui se cabrent en atteignant le but symbolisé par une
lourde colonne dorique. Mais les peintures de cette nature, toutes relevées
par R. C. Bronson, peuvent se compter sur les doigts de la main 15; c'est
au contraire un motif presque obligé des représentations étrusques et par
exemple, le schéma de l'aurige qui se retourne apparaît encore au milieu
du Ve s. sur des bas-reliefs de Chiusi 16.
C'est non seulement la disposition d'ensemble mais ce sont aussi les
chars eux-mêmes et la technique de l'aurige qui nous conduisent à une
conclusion semblable. Nous constatons que le lébès Barone présente une
course de biges: bien entendu, ce char était connu des Grecs et il est même
représenté, dès avant le milieu du deuxième millénaire, sur des stèles

10 Ibid., pl. 25 d, n° 17 du catalogue.


11 R. Bartoccini, C. M. Lerici, M. Moretti, Tarquinia, La tomba degli Olimpiadi, Milan,
1959, pi. 5-8. Le motif de l'aurige qui se retourne se trouve aussi sur la situle de Kuffarn
qui fait partie de cette série d'œuvres de la région vénéto-illyrienne très influencées par la culture
étrusque (Mostra dell'Arte delle situle dal Po al Danubio, Florence, 1961, n° 54, pl. H).
12 Après quelques exemples dans le protocorinthien et le protoattique, le motif de la
course de chars est surtout représenté à partir du VIe s. dans la céramique attique (R. C. Bronson,
art. cit., p. 90-92). Mais avec la peinture à figures rouges, il disparaît presque complètement:
ainsi, la date du lébès Barone pourrait être aussi un indice du côté non hellénique de la
frise puisqu'on ne trouve plus guère le sujet à ce moment et en tout cas il n'est pas situé
en «vedette», comme sur les fresques de Tarquinia ou Chiusi. Mais il est vrai que nous avons
affaire ici à une œuvre archaïsante, comme le montre bien la frise d'animaux en particulier.
13 A. Minto, II vaso François, Florence, 1960, p. 80-86. Contrairement à ce qu'affirme
R. C. Bronson, on ne voit sur ce vase aucun aurige se retournant.
14 Perrot-Chipiez, Histoire de l'Art, Paris, 1885, 10, p. 109 sq., fig. 79.
15 Art. cit., p. 95.
16 E. Paribeni, / rilievi chiusini arcaici, dans SE, 12, 1938 ρ, 57 sq., n° 128 et 132.
984 JEAN-PAUL THUILLIER

mycéniennes 17. Les héros de l'Iliade ne semblent pas avoir connu un autre
type d'attelage, en tout cas pour la course 18; et c'est encore le bige qui
est préféré par le Géométrique récent et les peintres protoattiques. Mais,
dès la fin du VIIIe s., le quadrige commence à faire son apparition et au
VIe s. il submerge complètement le bige qui disparaît pour ainsi dire des
représentations. Il est évident que les courses de biges existaient encore à
cette époque, comme le montrent des listes de vainqueurs et certaines
amphores panathénaïques mais les peintres ont délibérément préféré le
quadrige: après tout, ce choix sera aussi celui des artistes romains qui ont
systématiquement représenté des courses de quadriges 19. Or, en Etrurie, la
situation est claire: à n'examiner que les scènes de jeux, on pourrait croire
que le quadrige y était inconnu; seuls, le bige et, dans une moindre pro
portion, le trige, sont représentés. R. C. Bronson fait remarquer, avec beaucoup
de justesse, que même le peintre d'Amphiaraos, qui est pourtant très hellénisé,
ne va pas jusqu'à imiter les quadriges de son modèle corinthien20. C'est
une course de biges qu'il a peinte sur le vase et c'est aussi ce char que
montreront les fresques funéraires de Tarquinia et Chiusi: on connaît
d'ailleurs la Tombe des Biges, au nom révélateur. Une terre cuite de Velletri
pourrait ici être choisie comme modèle puisqu'on peut y voir, dans une
course, et non sans surprise, un trige suivi de plusieurs biges21.
Le type du char constitue aussi une indication. Autant qu'on puisse
en juger, c'est le type « ionien » qui est représenté ici: on notera en par
ticulier que les roues ont un nombre de rayons supérieur à quatre. Plus
exactement, on constate encore une fois que c'est l'irrégularité qui prime:
certains des chars ont des roues de quatre rayons, d'autres de cinq. Il en

17 R. C. Bronson, art. cit., p. 100.


18 Un seul vers de l'Iliade (11, 699) laisse supposer qu'il existait aussi des courses de
quadriges, mais il s'agit certainement d'une interpolation due aux épreuves des Jeux Olympiques.
Cf. F. Johansen, Les vases sicyoniens, Rome, 1966, p. 152, n. 1.
19 C'est en Ionie seulement (Clazomènes) que le bige est resté; une remarquable exception
est fournie par le coffre de Cypselos (J. G. Frazer, Pausanias's description of Greece, Londres,
1913, vol. 3, p. 606 sq.).
20 P. 97.
21 A. Andren, Architectural terracottas from etrusco-italic temples, Lund, 1940, fig. 1, 5.
La culture atestine, très influencée par l'Etrurie, nous l'avons dit, ne connaît aussi que le bige:
situles Arnoaldi et de Kuffarn (n° 52 et 54 du catalogue de la Mostra). Notons que c'est
le cas des peintures de Paestum également, dans leur grande majorité: cf. P. C. Sestieri, Tombe
dipinte in Paestum, dans Riv. dell'Ist. Naz. d'Arch. e Storia dell'Arte, NS, 5-6, 1957, p. 65-110.
(une seule exception avec quadrige, n° 7).
LA FRISE GRAVÉE DU LÉBÈS BARONE DE CAPOUE 985

est de même pour les chars de la Tomba del Colle qui ont des roues de
huit, six et cinq rayons; et c'est aussi la diversité que l'on remarque, à
propos de ce point, sur les fresques de la Tombe des Olympiades. Ce que
l'on sent bien, c'est que les artistes étrusques, dans ces différents exemples, ont
voulu montrer que les roues avaient beaucoup de rayons mais, avec désin
volture, ils en ont représenté un certain nombre, au petit hasard. Ce char
s'oppose, en tout cas, au type « continental » qui a « une caisse basse, une
rampe ajourée dont la partie antérieure est plus haute que les parties laté
rales . . . Les roues ont quatre rayons » 22. Or, c'est ce char qui est presque
exclusivement utilisé, en Grèce même, dès la fin du VIIIe s. Ainsi, le choix
du type ionien, comme celui de l'attelage à deux chevaux rapprochent-ils
le lébès Barone de la production étrusque contemporaine.
Mais le point le plus frappant dans cette démonstration que nous
menons est peut-être la relation de l'aurige à l'attelage, autrement dit le mode
d'utilisation des rênes. On constate en effet que les rênes sont nouées autour
de la taille de l'aurige: celui-ci ne se contente pas de les tenir dans les
mains, ainsi que le fait par exemple l'Aurige de Delphes. Or, pratiquement
toutes les courses de chars étrusques présentent cette particularité: l'exemple
le plus net est sans doute là encore celui de la Tombe des Olympiades,
où les cochers sont affublés d'un nœud dans le dos, absolument démesuré
d'ailleurs. Il s'agit d'une technique qui n'est pas inconnue en Egypte où
elle était utilisée pour la chasse ou la guerre: cette façon de placer les rênes
a le mérite de laisser les mains libres et l'on peut ainsi plus facilement
lancer le javelot, par exemple, de son char23. Mais ce sont les Etrusques
qui ont adapté cette techique à la course de chars, la transmettant ensuite
aux cochers romains. Ce procédé permet évidemment à l'aurige de ne jamais
perdre les rênes; en revanche, il entraîne un risque considérable dont on
mesure les conséquences sur plusieurs représentations et en particulier, une fois
de plus, sur les fresques de la Tombe des Olympiades: le cocher pouvait
être ligoté dans les rênes et accomplir ainsi une fantastique cabriole. Ce
risque, les auriges romains le connaissaient bien, qui glissaient dans les
lanières leur encerclant la poitrine et la taille un couteau afin de se libérer
du piège formé par les rênes en cas d'accident24.

22 F. Johansen, op. cit., p. 153.


23 J. K. Anderson, Ancient Greek horsemanship, California, 1961, pi. 1.
24 Diet. Ant. Gr. et Rom., art. circus, fig. 1453. La même technique se retrouve encore
sur les deux situles déjà citées plus haut.
986 JEAN-PAUL THUILLIER

Venons enfin à l'équipement des auriges qui doit aussi être relevé. Tous
les cochers du bronze de Capoue portent un chiton court et sans ceinture,
qui arrive juste à la hauteur des cuisses. Or, c'est bien là aussi le costume
traditionnel des Etrusques qui s'oppose nettement à celui des Grecs: il suffit
de penser à l'Aurige de Delphes vêtu d'une longue tunique blanche, qui lui
descend jusqu'aux chevilles25. On notera d'autre part que les cochers
capouans sont affublés d'un couvre-chef apparemment rond, qui leur en
veloppe toute la tête et qui présente surtout la particularité d'être muni
de protège-oreilles. Si les auriges grecs sont, quant à eux, toujours représentés
tête nue, leurs collègues étrusques portent à plusieurs reprises un chapeau
haut et pointu, une sorte de « tutulus » 26. Un des auriges de la Tombe des
Olympiades porte ce que l'on pourrait appeler une bombe, en pensant à
l'équipement de nos cavaliers modernes. Et surtout, différents documents
étrusques nous montrent des cochers coiffés d'une sorte de casque à oreilles,
très proche de celui que l'on peut voir sur le lébès Barone: c'est le cas de
terres cuites de Velletri et de fragments de céramique à figures noires27.
Signalons, pour terminer, le court fouet tenu par le cocher de tête ainsi
que par celui qui est situé en troisième position: cet instrument est lui
aussi utilisé par tous les auriges étrusques et s'oppose nettement à la longue
baguette dont se munissent les auriges grecs, traditionnellement. En définitive,
à s'en tenir à la seule course de chars, la réunion de ces différents él
éments constitue un faisceau de preuves suffisamment important pour que
ne soit pas discutable le caractère étrusque de la représentation.
La scène du pugilat qui suit est tout aussi révélatrice: la présence
d'un flûtiste accompagnant le combat du son de son instrument est un
indice qui ne trompe pas28. Mais une deuxième scène de boxe suscite des

25 Cf. Aristophane, Nuées, v. 69-70: "Οταν συ μέγας ών αρμ' έλαύνης προς πόλιν ώσπηρ
Μεγακλέης ξυστίδ' έχων.
26 C'est le cas en particulier sur les fresques de la Tomba del Colle: R. Bianchi-Bandinelli,
Clusium. Le pitture delle tombe arcaiche, Rome, 1939, pi. D, et 7. Contrairement à l'inte
rprétation trop moderniste de R. C. Bronson, art. cit., p. 96, le bandeau noué autour du front
de l'Aurige n'a pas pour but d'empêcher les cheveux de lui tomber dans les yeux pendant
la course: il s'agit en fait de la taenia, insigne du vainqueur, qu'il vient de ceindre après
son arrivée (M. Chamoux, L'Aurige dans Fouilles de Delphes, 4, 5, Paris, 1955, p. 53).
27 R. C. Bronson, ibid., p. 96, pi. 25 d.
28 Nous renvoyons ici, pour toutes les références, à notre article des MEFRA, 86, 1974,
1, p. 71-74. La seule exception réelle en Grèce est fournie par le coffre de Cypselos, où l'on
pouvait effectivement voir, selon Pausanias, un aulète placé entre les deux pugilistes. J. G. Frazer,
LA FRISE GRAVÉE DU LÉBÈS BARONE DE CAPOUE 987

réflexions un peu différentes: on peut y voir le pugiliste de droite lever


un doigt pour reconnaître sa défaite: il est d'ailleurs à moitié renversé en
arrière et sa position semble plus que difficile29. Or, à notre connaissance,
aucune fin de combat révélant ce détail n'est visible sur d'autres documents
iconographiques d'Etrurie, alors que c'est un motif bien attesté dans la
céramique attique par exemple. Cela nous amène aussitôt à faire une remarque
qui ne doit rien enlever à l'ensemble de la démonstration: l'artiste qui a
gravé la frise du lébès Barone se trouvait dans un milieu, la Campanie,
qui était au croisement de plusieurs cultures; et même si le caractère étrus
quel'emporte largement, d'autres influences sont notables. C'est ainsi que les
colonnes doriques qui encadrent les scènes athlétiques et qui symbolisent
les constructions d'un « cirque » sont un trait purement hellénique. Sur les
fresques ou vases peints d'Etrurie, les scènes gymniques et hippiques sont
encadrées - lorsqu'elles le sont - par un arbuste ou un motif végétal
quelconque30. Les seuls motifs architecturaux représentés sont, en général,
à part les tribunes de la Tombe des Biges qui constituent une remarquable
exception, des poteaux d'arrivée: ainsi sur une amphore à figures noires du
Peintre de Micali, ainsi toujours dans la Tombe des Olympiades 31. Et signalons
enfin un autre élément qui n'entre pas non plus dans le cadre étrusque
habituel: les athlètes sont complètement nus, à la manière grecque, et ne
sont pas munis d'un périzôma ou d'un suspensoir comme la plupart des
concurrents étrusques.
La lutte ne présente pas de caractères originaux marqués. Les deux
athlètes sont dans une position que l'on peut supposer initiale: ils se tiennent
réciproquement par les poignets, pour engager le combat. Plus exactement,
il semble que l'athlète de gauche ait essayé de porter une « clé » au cou
de son adversaire, attaque que ce dernier bloque en saisissant le poignet
gauche de l'autre lutteur. C'est une position classique, relativement

op. cit., p. 600 sq. Fait d'ailleurs révélateur de l'étrangeté de cette coutume pour un Grec,
Pausanias éprouve le besoin de préciser que cela se fait désormais de son temps pour les
concurrents qui sautent en longueur dans le pentathlon (5, 17, 10).
29 Pourrait-il s'agir d'une scène de pancrace? Rien ne permet de l'affirmer ni d'ailleurs
de le nier absolument; quoi qu'il en soit, les conclusions que nous pourrions en tirer ne seraient
guère différentes: le pancrace n'est jamais représenté en Etrurie sauf peut-être sur les fresques
de la Tombe des Biges et l'on connaît le caractère en partie hellénique de celles-ci.
30 J. D. Beazley, EVP, Oxford, 1947, pi. 2, 2 a. cf. aussi la Tombe du Guerrier: M. Moretti,
Nuovi monumenti della pittura etrusca, Milan, 1965, p. 95, pi. 98, 9.
31 EVP, ibid.
988 JEAN-PAUL THUILLIER

répandue32. Dans ces conditions, on ne peut guère tirer de conclusions


probantes de cette scène athlétique, quant à son origine: d'ailleurs, d'une
façon générale, c'est le cas habituel des scènes de lutte étrusques.
Si ce dernier sport n'est donc pas spécifiquement étrusque, le fait
qu'on le trouve à côté du pugilat et de la course de chars est assez signi
ficatif. Ce sont en effet les trois épreuves que les Tyrrhéniens ont mont
rées le plus souvent, tout au moins à ce qu'on pourrait appeler la « grande
époque », celle des fresques funéraires de la seconde moitié du VIe s. et du
début du Ve s. Le choix est aussi révélateur en ce sens qu'on ne trouve
sur la frise aucune épreuve « athlétique », dans l'acception moderne du
terme. La différence est nette d'avec les motifs en relief qui décorent le
couvercle de ces mêmes bronzes, sur lesquels par exemple un discobole
apparaît à trois reprises33. Or, les figures qui ornent les couvercles sont
certainement d'une inspiration différente.
Le fait que l'ensemble des scènes athlétiques soit étrusque apporte un
élément intéressant en ce qui concerne le reste de la frise gravée et tout
particulièrement le mythe de Cacus et Hercule. Car, contrairement à ce que
disait J. Bayet, le caractère étrusque du lébès Barone - tout au moins en
ce qui concerne cette partie de la décoration - peut ainsi être affirmé34.
Et on aurait là la plus ancienne des représentations de Cacus, qui sont
d'ailleurs très rares35. Ce serait en tout cas une indication que Cacus est
bien à Rome un héros venu d'Etrurie. Sans doute faudrait-il aussi répondre
à la seconde objection de J. Bayet, selon lequel « rien ne prouve qu'il s'agisse
d'un exploit d'Hercule relatif au troupeau de Géryon » 36.
Il serait trop long de discuter cette question ici mais disons tout de
suite que les autres interprétations (Mélampos, Erginos) sont encore moins
satisfaisantes. D'autre part, un faisceau de présomptions laisse penser que
la légende de Cacus était effectivement fort ancienne en Etrurie, alors qu'elle

32 E. N. Gardiner, Wrestling dans JHS, 25, 1905, p. 272 sq. Et on en trouve l'illustration
aussi bien sur des vases grecs {ibid., fig. 12) que sur un miroir étrusque (Gerhard-Körte, ES,
5, 224: il s'agit du célèbre miroir du Vatican représentant la lutte de Pelée et Atalante).
33 J. Heurgon, p. 410-11.
34 Herclé, Paris, 1926, p. 99-100: «ce vase est de fabrique indéterminée».
35 J. G. Winter, The myth of Hercules at Rome dans Univ. of Michigan Studies, 4, 1910,
p. 171 sq. En tout cas, aucune représentation grecque du mythe ne peut être indiquée avec
certitude, malgré P. Gardner dans JHS, 13, 1892-3, p. 70 sq.
36 J. Bayet, ibid., p. 100.
LA FRISE GRAVÉE DU LÉBÈS BARONE DE CAPOUE 989

l'était peut-être moins à Rome37. En tout cas, la légende de Cacus et des


frères Vibennae illustrée, entre autres, sur un miroir de Bolsena, suppose
vraisemblablement un précédent purement mythologique38. On voit mal en
effet comment un tel conflit aurait pu être introduit directement dans
l'iconographie; les Vibennae sont à la mode à la fin du IVe et au début
du IIIe s.39. Héroïsés, ils prennent la place d'un personnage confronté à
Cacus, personnage qui peut bien être Hercule lui-même. Un tel thème serait
donc connu en Etrurie dès le IVe s. au moins et peut-être avant, ce qui
nous renvoie près de la date du lébès Barone. Pourquoi Cacus ne serait-il
pas venu d'une Campanie préalablement étrusquisée, ce que laissent d'ailleurs
supposer certains textes longuement étudiés par J. Bayet40? Resterait alors
à justifier l'avatar de Cacus, brigand devenu devin, mais cela est une autre
histoire.

37 Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 57, n. 1, qui met en
doute l'existence d'un couple Cacus-Caca: «... il n'y a couple que pour des divinités régentes
de la sexualité (Liber -Libera) ou fortement engagées dans la sexualité (Faunus-Fauna) ».
38 ES, V, p. 166-172, pi. 127.
39 Cf. la date proposée par M. Cristofani pour la Tombe François de Vulci dans Dialoghi
di Archeologia, 1, 2, 1967, p. 186 sq. Voir aussi J. Heurgon, La coupe d'Aulus Vibenna
dans Mélanges J. Carcopino, Paris, 1966, p. 515-528.
40 Solin, 1, 8. Cf. J. Bayet, Les origines de l'Hercule romain, Paris, 1926, p. 214 sq.
ETIENNE TIFFOU

NOTES SUR LE PERSONNAGE DE ROMULUS

Le caractère légendaire des récits sur les origines de Rome était manifeste
dès l'Antiquité. Les réserves de Tite-Live au début du livre I sont éclairantes \
G. Dumézil, pour sa part, fait très justement remarquer que ces contes
présentent: « non pas des mythes fabuleux, ni même des récits épiques en
ordre dispersé, mais une histoire des origines, un récit continu et plausible
du type que . . . nous appelons historique » 2. Mais l'effort pour présenter de
façon organisée les premiers temps de Rome n'a pas éliminé le vieil héritage
indo-européen. On sait les brillantes études que G. Dumézil a menées. Il
ne saurait être question pour nous de les contester, mais seulement d'ap
porter quelques précisions sur le personnage de Romulus. Si celles-ci méritent
d'être retenues, loin de mettre en cause l'analyse dumézilienne, elles doivent
permettre de la pousser plus loin sur le point qui nous préoccupe.
Le personnage de Romulus est ambigu. Contrairement à son successeur
Numa, bon et sage, il est capable du meilleur comme du pire. Avec son
frère Rémus, il se livre à des brigandages3, il est possédé de la regni cupido
et, si l'on en croit Plutarque4, parvenu au faîte de la puissance, il exercera
un tel abus d'autorité que les Sénateurs n'hésiteront pas à le faire périr.
Les historiens, sans dire qu'il ait trempé dans la mort de Tatius, laissent
planer un doute à ce sujet5. Mais il y a plus grave encore, on soupçonne

1 Tite-Live, Praef. 6-7.


2 G. Dumézil, Mythe et épopée, I, Paris, 1968, p. 269-70.
3 A vrai dire, les jumeaux sont présentés dans leurs coups de main comme des redres
seursde tort (cf. surtout Plutarque, Vie de Romulus, 6, 3-5), mais les récriminations de leurs
victimes dans Tite-Live, I, 5, 4, laissent soupçonner une autre vérité. Voir également sur ce
point Denys d'Halicarnasse, 1, 79.
4 Op. cit., 27, 2-3.
5 Cf. Ibid., 23, 5 et Tite-Live, I, 14, 3.
992 ETIENNE TIFFOU

le héros d'avoir truqué les auspices pour s'assurer le pouvoir6; il tue son
propre frère pour être seul à régner7, et n'hésite pas contre les droits de
l'hospitalité à enlever les Sabines8 en fraudant avec la religion elle-même9.
La ville qu'il a fondée, il la peuple de citoyens peu édifiants en assurant
aux délinquants droit d'asile. Lorsqu'il cherchera pour eux des compagnes
honorables, il se verra invité par dérision à trouver des femmes aussi peu
recommandables 10. Romulus est donc un aventurier qui s'est fait lui-même.
Il a fondé une grande partie de sa réussite sur la violence guerrière n. Sa
figure est donc celle d'un personnage inquiétant, violent et ambitieux auquel
il est incertain de se fier.
Mais ce personnage peut être interprété de façon favorable. Ses origines
sont merveilleuses puisqu'il est non seulement de sang royal, mais fils du
dieu Mars 12. Sauvés des eaux, son frère et lui-même sont allaités par une
louve 13. Ces faits extraordinaires témoignent qu'il est protégé des dieux.
Cette protection apparaît clairement avec la prise d'auspice: c'est confo
rmément à leur volonté que Romulus fondera Rome. Cet appui se manifeste
clairement au moins une fois encore, lorsque l'invocation à Jupiter le sauve
d'une défaite certaine à laquelle le condamnait la bravoure de Mettius
Curtius w. Au reste, s'il lui est arrivé de frauder avec la religion, il sait
aussi se montrer respectueux à son endroit. Après sa victoire sur le peuple
caeninien, il ramène les dépouilles du chef ennemi tué de sa main et les
dépose au pied du chêne sacré des bergers et fonde un temple consacré

6 On connaît les problèmes d'interprétation soulevés par cette prise d'auspices. Au livre I
des Annales d'Ennius, fr. Ern. 43-62, il apparaît que Rémus est le premier à apercevoir un
présage favorable; il n'en reste pas moins que la royauté revient à Romulus. Il s'agit sûrement
dans ce passage d'auspicia impetrativa. On consultera à ce sujet J. Heurgon: Ennius, Annales,
Traduction et commentaire, Paris, 1960, p. 42-3. Mais dans Tite-Live, I, 7, 1-2, il ressort que
l'arrêt des auspices n'est pas accepté de façon sereine. C'est encore une fois la violence qui
décidera.
7 Cf. Tite-Live, ibid., 2-3 et Plutarque, R., 9, 9 et 10, 1-2.
8 Cf. Tite-Live, I, 9 et Plutarque, R., 14-15.
9 En effet Plutarque (ibid., 14, 3-5) note que Romulus inventa le dieu Consus pour tendre
un traquenard à l'occasion de sa fête.
10 Tite-Live, I, 9, 6.
11 Cf. également ses campagnes contre les Fidénates (ibid., 14, 4-11, Plutarque, R., 23, 6-7)
et les citoyens de Véies (Tite-Live, I, 15, Plutarque, R., 25, 2-7).
12 Ennius, Annales, I fr. Ern., 20-36; Tite-Live, I, 4, 2; Plutarque, R., 4, 2.
13 Ennius, Annales, I, 40-2; Tite-Live, I, IV, 6; Plutarque, R., 4, 2.
14 C'est à cette occasion que Romulus invoque Jupiter en lui donnant l'appellation de
Stator. Sur cet épisode cf. Tite-Live, I, 12 et Plutarque, R., 18, 8-9.
NOTES SUR LE PERSONNAGE DE ROMULUS 993

à Jupiter Férétrien 15. En outre, la violence qui lui est est reprochée lui est
imposée souvent par la nécessité. Etait-il possible de trouver des épouses
à son peuple sans commettre un rapt, étant donné le refus des cités environ
nantes? Les guerres sur lesquelles il assied, à la fin de sa vie, la puissance
de sa cité, il ne les a pas délibérément recherchées. D'ailleurs, Romulus
sut se montrer un bon organisateur et donner à sa ville des institutions
sans lesquelles une cité ne peut vivre 16. Enfin sa disparition merveilleuse 17
plaide en faveur du personnage 18.
L'ambiguïté de Romulus demande donc à être interprétée. En fait, les
principales difficultés peuvent se résoudre, si l'on veut bien considérer que
les jumeaux ayant été allaités par une louve sont, dans cette mesure, ses
rejetons. Il est normal dès lors de penser que Romulus, fils de la louve, en
a les caractères. Une telle hypothèse invite à s'interroger sur la signif
ication qu'il importe de donner à cet animal et sur les mythes qui lui sont
attachés. On ne saurait circonscrire le problème en identifiant le loup à
Mars 19, ce dont, au demeurant, s'accommoderait assez bien la légende
romuléenne. On a beaucoup écrit sur le loup20, il ne saurait être question
de reprendre tous les problèmes soulevés. Il suffira de dégager le mythe
essentiel et de voir comment il s'inscrit dans les vieilles traditions indo
européennes avant d'en tirer les leçons permettant d'éclairer la figure de
Romulus.
Le loup présente, comme Romulus, une ambiguïté fondamentale, car
tantôt il est considéré comme féroce et satanîque, tantôt il apparaît comme
bénéfique. «Parce qu'il voit la nuit, il est symbole de la lumière»21. Cette

15 Tite-Live, I, 10 et Plutarque, R., 16.


16 Tite-Live, I, 8; Plutarque, R., 13.
17 Tite-Live, I, 16; Plutarque, R., 27, 3-9 et 28, 1-3.
18 Cette ambiguïté apparaît si l'on confronte les récits de Tite-Live et ceux de Plutarque.
Le même fait peut être interprétée de façon favorable ou défavorable selon la thèse que
l'auteur veut défendre ou selon la sympathie qu'il éprouve pour son personnage. Le récit des
dernières campagnes de Romulus offre un bon exemple. Il ressort, chez l'historien latin, que
le premier roi de Rome mène des guerres justes; en revanche le biographe grec insiste davantage
sur les prouesses du héros et laisse supposer que celui-ci fut le premier à déclencher les
hostilités entre les Romains et les Fidénates.
19 Cf. F. Altheim, La religion romaine antique, Paris, 1955, p. 163: «les jumeaux et fils
du dieu-loup Mars».
20 On trouvera à ce sujet une bonne bibliographie dans V. Pöschl, Bibliographie zur
antiken Bildersprache, Heidelberg, 1964, p. 589-90.
21 J. Chevalier, A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, 1969, p. 467.
994 ETIENNE TIFFOU

explication rend compte fondamentalement de cette ambiguïté. Le loup est


lié aux ténèbres, de là viennent les mythes qui en font un psychopompe.
Il est représenté comme un avaleur de lumière. C'est ce qui ressort du
mythe médique où il avale la caille (vartikâ) qui sera délivrée de sa gueule
par les jumeaux Asvin. La relation entre le loup et les jumeaux est trou
blante. Il est remarquable que les Asvin représentent la troisième fonction,
tout comme Romulus après sa divinisation en Quirinus. Quoi qu'il en soit,
il importe de noter que la caille est le symbole non seulement du soleil
levant, mais aussi de la lumière initiatique et intellective. Le loup est donc
maléfique dans la mesure où il absorbe la lumière; mais il est bénéfique
dans la mesure où il la restitue.
Cette affinité entre le loup et la lumière peut trouver quelques éléments
de preuve empruntés à la linguistique. On propose généralement un thème
*z>Z&wo- pour rendre compte du nom du loup dans la plupart des langues
indo-européennes (skt. vrka-, got. wulfs, lit. vïlkas, si. vlükü etc...).
Cependant le grec et le latin présentent respectivement les formes λύκος
et lupus. On s'est efforcé de rattacher celles-ci au même thème que les
formes précédentes. « On a supposé que λύκος reposait également sur i.-e.
*vlkwo- en admettant que la labio-vélaire a coloré la sonante en u et
qu'ensuite elle a perdu son appendice labial ... Ce serait le même cas pour
lupus ...» 22. Cette solution proposée est trop acrobatique pour être acceptée
sans réserves. C'est ce qui a incité E. Benveniste23 à proposer pour rendre
compte de la forme latine un thème indépendant *lupo-. Quant au grec,
il représenterait un croisement de ce thème et du précédent (*vlkwo-).
Il n'est pas nécessaire de postuler un thème *lupo-\ le thème *lukwo-
permet de rendre compte à la fois de la forme grecque et de la forme latine.
Mais il faudra admettre que cette dernière a été empruntée à l'osco-ombrien
où *kw>p (cf. *sokwis> sopis) 24. Mais si l'on met en parallère *vlkwo-
et *lukwo-, ne peut-on supposer qu'il y a eu pour une de ces deux formes
une métathèse25? Cette hypothèse serait plus convaincante si une langue

22 P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1974, p. 650.


Cf. A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 4e éd.,
1959, p. 370.
23 Cité par P. Chantraine, op. cit., p. 650.
24 Ce ne serait pas le seul emprunt dialectal du latin pour un nom d'animal. Ainsi le
mot sabin bös s'est substitué à la forme *vüs normalement attendue.
25 Cette métathèse serait dictée par des raison religieuses, et donc à mettre en parallèle
avec la métathèse du grec σκέπτομαι (cf. lat. spedo). Une telle métathèse ne doit pas surprendre
dans des noms d'animaux, puisque ceux-ci sont souvent sujets à des tabous.
NOTES SUR LE PERSONNAGE DE ROMULUS 995

indo-européenne présentait concurrement les deux thèmes. On pourra


recourir au latin. Le mot volpes est considéré comme obscur26, mais ne
pourrait-il pas s'expliquer à partir de *vlkw-?21. Ainsi lupus et vulpes
pourraient être des doublets.
L'hypothèse traditionnelle s'efforce de rendre compte de *lukwo- par
vlkwo-, nous nous attachons à prouver le contraire. Si les arguments
proposés ne paraissent pas suffisamment convaincants, la meilleure solution
sera de poser deux thèmes indépendants. Dans un cas comme dans l'autre,
le développement suivant pourra prendre place. Ne pourrait-on pas rap
procher le thème *lukwo du thème signifiant la lumière en indo-européen?
On pose traditionnellement un thème *l(e/o)w-k. Pourtant celui-ci ne rend
pas compte de toutes les formes présentées par les langues indo-européennes.
La plupart des langues centum supposent le thème que l'on propose trad
itionnellement, les langues satam, à l'exception de l'arménien, s'accommoder
aient davantage d'un thème *l{e/o)w-kw: skt. rocate (*leukweti; *k>s;
*kw>c/-eJ;htMûkas(*loukwos;*k>s;*kzv>k);~ci si. luci (*k>s; *kw>k, c, c)28.
Au demeurant le grec, dont les labio-vélaires connaissent, comme les langues
indo-européennes orientales, des traitements différents suivant le contexte
phonétique, n'exclut pas la présence d'une labio-vélaire dans un thème comme
λευκός. Le voisinage d'un u rendrait compte du traitement palatal (cf. αίπόλος
et βουκόλος). En latin des formes comme lucis pourraient également s'ex
pliquer par l'analogie de lux qui n'exclut pas phonétiquement une labio-
vélaire (*kœ>c/ - C).
S'il est difficile de substituer *lewkw à *lewk29, la substitution con
traire est tout aussi délicate. On peut donc légitimement retenir *lewkw
comme un des thèmes de la lumière. Il est, dès lors, aisé d'y rattacher le

26 Cf. A. Ernout et A. Meillet, op. cit., p. 751: «II est vain de chercher une étymologie
exacte à un nom de cette sorte qui est sujet à des déformations volontaires: lupus, qui a des
correspondants indo-européens clairs, en est un bon exemple».
27 Le traitement *ylkw serait également possible. C'est lui très probablement qu'atteste
le patronyme Ulpius avec le suffixe -yo- (*vlkwyos> ulpius).
28 En slave les règles rendant compte du traitement de la labio-vélaire sourde sont les
suivantes: *kw>c devant e ou i, *kw>c devant e représentant une ancienne diphtongue *oi,
*ai et *kw>k dans toutes les autres positions.
29 On a vu que le latin et le grec n'offraient pas d'obstacles majeurs. On pourrait égal
ement supprimer la difficulté en gotique qui présente liuhap. On sait que *kw>iv, mais ne pour
rait-on pas postuler une réduction de h à h dans le contexte ufv ? Cela n'est pas invraisemblable
phonétiquement, malheureusement les exemples manquent; aussi cette hypothèse ne peut-elle
être que gratuite.
996 ETIENNE TIFFOU

thème *lukwo-. Le loup serait donc le « lumineux ». Ce serait une dénominat


ion par antiphrase. Celle-ci n'aurait pas été suffisante si l'on retient la
première hypothèse proposée, puisque ce thème aurait été soumis à une
métathèse afin d'écarter les pouvoirs maléfiques du loup.
Quoiqu'il en soit, si l'on admet que le loup est à la fois animal des
ténèbres et animal de la lumière, on comprend qu'il soit à la fois source de
violence destructive et de force guerrière bienfaisante; qu'il soit symbole
de débauche et de dépravation, mais aussi de fécondité30; qu'il puisse être
la source de destruction de l'autorité, mais également cause de la fondation
d'un ordre nouveau. On sait, à ce propos, que de jeunes Sabins partaient,
sous la conduite du dieu Mars déguisé en loup, fonder une colonie. Ainsi
l'on peut reconnaître en Romulus, le nourrisson d'une louve, tous ces aspects
contradictoires. Il est à la fois un personnage lumineux puisqu'il fonde un
ordre nouveau avec l'appui des dieux et leur caution, mais en même temps ce
personnage appartient aux ténèbres par sa cupido regni, son manque de
loyauté et sa violence.
Le rapprochement de Romulus et du loup permet de comprendre
l'ambiguïté inhérente au fondateur de Rome. Ce rapprochement doit permettre
de le situer également par rapport aux trois fonctions dégagées par
G. Dumézil. Il apparaît dans les mythes qui le concernent que le loup est
intéressé par les trois fonctions. Il relève de l'ordre de la souveraineté de
celui de la guerre et de celui de la production (fécondité). Il n'est pas
besoin de s'étendre sur les deux derniers points, mais le premier demande
à être prouvé surtout eu égard aux traditions romaines. Les Lupercales que
l'on célébrait le 15 février, sont des fêtes très anciennes. Les critiques
s'accordent à reconnaître que le loup y était impliqué. Il est possible, bien
que l'explication proposée pour le terme « lupercales », lupos arcere, ne soit
pas admissible phonétiquement31, que ces fêtes aient tendu à conjurer les
effets maléfiques du loup; mais, ainsi que le souligne J. Bayet32, «l'antique
ambiguïté du sacré conçoit comme nécessaire qu'un dieu-loup protège
contre les loups ». Cela donne à penser que les Luperques sont des loups,
même s'ils sont des « écarteur de loups ». Or, si tel est le cas, on peut
concevoir les liens qui unissent le loup et la fonction de la souveraineté

30 Cet aspect est illustré vraisemblablement par la flagellation administrée par les
Luperques aux femmes stériles afin de les rendre fécondes.
31 Cf. J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 2e éd.,
Paris, 1969, p. 79.
32 Id., Ibid., p. 80.
NOTES SUR LE PERSONNAGE DE ROMULUS 997

à la lumière des remarques capitales de G. Dumézil 33. « II semble que primi


tivement les Luperques intervenaient, non moins brutalement, dans un autre
ordre des réalités sociales: en ces semaines où tout doit être confirmé, le
pouvoir royal bénéficiait des rites. On ne comprend pas bien, autrement,
que César, développant le plan qui devait le mener au regnum, ait ajouté
une troisième équipe aux deux traditionnelles, composés d'hommes dévoués,
les Luperci Julii, première ébauche du culte impérial . . ., ni que l'expérience
qu'il organisa avec Marc-Antoine pour savoir comment le peuple réagirait
à son couronnement comme roi ait été faite à l'occasion des Lupercalia,
pendant la course même . . . Que signifierait cet étrange tableau du consul-
Luperque, tout nu, sortant du peloton des coureurs et bondissant à la tribune
pour couronner César, si ce n'était la reconstitution d'une vieille scène
susceptible de frapper l'imagination du peuple et de l'emporter sur la mystique
républicaine? ». On le voit, en dépit de l'attestation tardive de la cérémonie,
celle-ci est d'une antiquité certaine. On peut donc, à la lumière de ce
développement, conjecturer raisonnablement les liens qui, dans la mythologie
romaine, devaient à date ancienne impliquer le loup dans l'ordre de la
souveraineté.
Ce schéma peut être également appliqué à Romulus. Il appartient à la
fonction souveraine, parce qu'il s'est vu donner la royauté par les auspices.
Jupiter le protège et par deux fois Romulus lui consacre un temple (temple
de Jupiter Feretrius, temple de Jupiter Stator). Par son ascendance il appart
ient de plein droit à la seconde fonction, puisqu'il est le fils de Mars.
Il est maître en l'art de la guerre et ce n'est pas par hasard qu'il donne
un conseil posthume aux Romains en les invitant à pratiquer l'art militaire 34.
Enfin, en enlevant les Sabines, il a confirmé l'existence de sa cité, en lui
assurant cette survie biologique sans laquelle il ne peut y avoir d'Etat.
Ennius, qui, ainsi que le note G- Dumézil, n'a « eu d'autre ambition que
d'ajouter un rythme et de nobles formules aux textes en prose préexistants » 35,
évoque, à son insu, les trois fonctions qu'il convient de prêter à Romulus,
en ces termes:
Ο pater, ο genitor, ο sanguen dis oriundum!
Tu produxisti nos intra luminis oras36.

33 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 343.


34 Tite-Live, I, 16, 7.
35 G. Dumézil, Mythe et épopée, op. cit., p. 270.
36 Ennius, Ann., I, fr. Ern. 77-78.
998 ETIENNE TIFFOU

Chacune des apostrophes correspond à chacune des trois fonctions. Pater,


est-il utile de le rappeler, caractérise les dieux et les hommes auxquels revient
la souveraineté. Genitor salue en Romulus celui qui a assuré à Rome sa
descendance. Quant à sanguen dis oriundum, ces termes célèbrent le guerrier
qu'a été Romulus et son appartenance à la deuxième fonction. Ces trois
fonctions ont été mises au service d'un grand œuvre, la fondation de Rome.
Ennius emploie ici le mot lumen; est-ce une formule noble de poète37?
Est-ce un terme anciennement utilisé dans l'imagerie de la fondation de
Rome. On aimerait que ce fut le cas. Les quelques considérations briève
ment exposées en tireraient une belle confirmation. Romulus, être inquiétant
et ténébreux, conduit ceux qui le suivent à la lumière, c'est-à-dire au monde
nouveau instauré par la fondation de la cité romaine.
Une telle analyse invite à retoucher le tableau des quatre rois préétrus
ques, tel qu'il est proposé par G. Dumézil. Chacun de ces monarques relèvent
d'une fonction. Les deux premiers appartiennent, tous deux, à celle de la
souveraineté, dont ils représentent un aspect complémentaire38. Romulus
en fondant les auspicia et Numa les sacra s'opposent clairement. En effet
« l'art des auspicia consiste à recevoir, interpréter et éventuellement rejeter
les signes que le grand dieu veut bien envoyer aux hommes; l'art des
sacra, c'est le culte avec ses hommages, ses sollicitations et ses marchand
ages . . . Les auspicia descendent du ciel, les sacra montent de la terre » 39.
Quant à Tullus et Ancus, ils représentent exclusivement la fonction à laquelle
ils appartiennent, soit la deuxième pour Tullus et la troisième pour Ancus.
Ne pourrait-on pas supposer plutôt que Romulus, le premier roi de
Rome, relève des trois fonctions et que chacun des trois rois suivants dé
veloppe chacune d'elles de façon complémentaire? En effet, Romulus n'exprime
pas tous les aspects de l'ordre de la souveraineté, le personnage de Numa
vient combler les lacunes. Il en va de même pour l'ordre de la guerre.
L'histoire de Tullus reprend indubitablement des mythes anciens, les parallèles
proposés entre ce roi et Indra par G. Dumézil sont lumineux40. Il n'en
demeure pas moins que l'art guerrier de Tullus et celui de Romulus sont
en distribution complémentaire. Tullus est un chef qui mène les opérations

37 Cf. ibid., II, fr. Ern. 89, At sese, sum quae deaerai in luminis oras.
38 Sur tout ce développement, voir G. Dumézil, Mythe et épopée, op. cit., p. 274 sq.
39 Ibid., p. 277.
40 G. Dumézil, Aspects de la fonction guerrière chez les Indo-européens, 1956, p. 15-61,
Id., L'idéologie tripartite des Indo-Européens, 1958, p. 83-86; Id., Mythe et épopée, op. cit.,
p. 278-80.
NOTES SUR LE PERSONNAGE DE ROMULUS 999

avec un art consommé41. Il apparaît comme un stratège de grand talent,


mais il n'accomplit pas d'exploit. Romulus, au contraire, participe activement
à la victoire que Rome doit à son bras et à son art dans le maniement des
armes42. Ainsi, dans la fonction guerrière l'un s'illustre à titre personnel,
l'autre comme le chef d'un peuple en armes. On retrouve ce même caractère
complémentaire entre Romulus et Ancus. Le premier assure à la cité sa force
essentielle de survie, l'expansion démographique, le second la force écono
mique proprement dite43.
Au terme de ces considérations, Romulus apparaît donc comme une
figure extrêmement complexe, mais intelligible. Fondateur d'une cité appelée
à dominer le monde, il s'insère de façon partielle dans chacune des trois
anciennes fonctions indo-européennes. Les trois rois suivants viendront
compléter les aspects qu'il n'assume pas, tout en agissant comme des révéla
teurs. Ambigu dans les fonctions qu'il importe de lui attribuer, il l'est dans
sa personne même. Cette ambiguïté permet de déceler en lui l'affinité étroite
qui l'unit au loup; et ce n'est pas par hasard que la louve est demeurée
le symbole de la puissance de Rome. Par ce biais, Romulus exprime un
des mythes les plus anciens qui doit permettre de mieux comprendre les
origines de sa cité. Figure de lumière et de ténèbres, il illustre le conflit
nécessaire qui préside à la naissance d'un ordre nouveau. En effet, c'est
le fils de la louve inquiétant et dangereux qui, avec l'aide des dieux, a fondé
Rome, le creuset de la civilisation occidentale. Tu produxisti nos intra
luminis oras.

41 Voir notamment la bataille contre les Véiens, Tite-Live, I, 27, 4-11.


42 Cf. Plutarque, R., 25, 4.
43 Cf. G. Dumézil, Mythe et épopée, op. cit., p. 280-1: «Quant au quatrième roi, Ancus,
tout ce qui, en dehors même de ses aspects "commerciaux" et "plébéiens", constitue le récit
de son règne, à savoir l'arrivée du richissime Tarquin à qui ses richesses, mises au service
de Rome et du roi, donnent la vedette; l'aventure de la courtisane Larentia... la fondation
enfin de la "Vénus Chauve"...: toutes ces légendes... n'ont en facteur commun que de relever
toutes - richesse et générosité, séduction et volupté, santé - de la «troisième fonction».
MARIO TORELLI

GLOSSE ETRUSCHE: QUALCHE PROBLEMA DI TRASMISSIONE

Tra i vari e complessi aspetti della sopravvivenza della cultura etrusca


in epoca romana vi è quello, singolare e frutto di molteplici stratificazioni,
costituito dalle glosse etrusche (o credute tali) in opere greche e latine
di carattere dottrinario, in lessici e raccolte di glosse; a Jacques Heurgon,
che di quella sopravvivenza è stato acuto indagatore e maestro, è dedicata
questa nota, che intende contribuire alla ricerca delle fonti di tali glosse
e dei possibili equivoci che da queste fonti sono derivati.
Le glosse etrusche, raccolte da M. Pallottino nel volume dei Testimonia
linguae Etruscae (= TLE2), comprendono categorie di vocaboli ben precise,
ciascuna delle quali riproduce aspetti culturali ed interessi scientifici ο
storiografici proprii di ambienti ed epoche diverse.
Un primo e più antico gruppo è costituito da glosse etimologiche di
varia natura, tramandateci perlopiù dall'epitome festiana, da tardi grammatici
come Isidoro e Carisio, da commentatori tardo-antichi, quali Servio e
Macrobio. La fonte è in qualche circostanza dichiaratamente l'opera varro-
niana1; nella maggior parte dei casi è possibile risalire sempre allo stesso
Varrone 2, mentre alcune glosse dipendono forse da Verrio Fiacco ο da altri
antiquari di tarda età repubblicana e augustea3.

1 Direttamente da Varrone derivano: TLE2 814, atrium (ripetuto come etimo di città
in Serv. Aen. I, 726 e in Fest. Paul. p. 12 L);TLE2 838 a, idus (ripetuto da Macr. Sat. I, 15,
14-7); TLE2 851 a (ripetuto in Fest. p. 402 L); Varrone è citato come fonte in TLE2 816,
baltea (in Caris. I, 77). Si noti però come Varrone tenda a ritenere greci (TLE2 819) ο sabini
(TLE2 838) vocaboli da altri con certezza considerati etruschi.
2 Risalgono forse a Varrone le glosse: TLE2 821, capys (etrusco in Serv. Aen. X, 145,
non etrusco
TLE2 822, cassidam
in Fest. Paul,
(Isid. p.
XVII,
38 L,14, «antiqui
1); TLE2 nostri»,
831, falado
e in Isid.
(Fest.XII,
Paul.7, p.
57, 78«Itala
L); TLE2
lingua»);
841,
lanista (Isid. X, 159); TLE2 843, lucumones (Serv. Aen. II, 278, e Vili, 475).
3 Da Verrio Fiacco deriva probabilmente la glossa festiana TLE2 848, nepos (Fest. p. 162 L),
ove è una vasta digressione sul costume economico-familiare etrusco non particolarmente
1002 MARIO TORELLI

Lo specchietto qui sotto riprodotto riflette in maniera chiara gli in


teressi spiccatamente antiquarii che hanno raccolto e tramandato queste
glosse e mette bene in luce anche l'idea, tutt'altro che vaga ed imprecisa,
che la ricerca antiquaria romana si era fatta dei profondi processi di int
erazione culturale tra Etruschi e Latini, nonché la conoscenza posseduta
della storia arcaica d'Etruria: basti notare da un lato il cospicuo numero
di glosse relative al mondo dello spettacolo (TLE2 837, 841, 851), e dall'altro
il preciso grado di informazione sulla estensione e sull'importanza dei dominii
etruschi in Campania e nella Valle Padana (TLE2 811, 814, 821).

Istituzioni Armamento Mondo dello Toponimi Varie


politiche
Istituzioni
e sociali religiose abbigliamento spettacolo

lucumones camillus baltea hisier arimo s mantisa


TLE2 843 TLE2 819 TLE2 816 TLE2 837 TLE2 811 TLE2 844
nepos falado cassidam lanista atrium
TLE2 848 TLE2 831 TLE2 822 TLE2 841 TLE2 814
idus laena subulo capys
TLE2 838 TLE2 840 TLE2 851 TLE2 821

Un secondo, più cospicuo gruppo di glosse ci deriva da lessicografi


e glossatori tardo-antichi. All'interno di questo gruppo distinguiamo:
A) otto glosse relative al calendario etrusco;
B) quindici glosse di nomi di piante tramandateci tutte da Dioscoride,
tranne due nell'erbario dello Pseudo-Apuleio;
C) quattordici glosse di vario argomento contenute nel lessico di Esichio;
D) tre glosse contenute negli scolli all'Alessandra di Licofrone compilati
dal dotto tardo-bizantino Tzetze.

Esaminiamo ora ciascuno di questi sottogruppi. Il sottogruppo D, le


glosse di Tzetze, è quello fra tutti meno rilevante, praticamente privo di

frequente nell'opera varroniana. Così pure verriana potrebbe essere l'altra glossa di Festo
TLE2 844, mantisa (Fest. Paul. p. 119 L), malgrado il suo sapore fortemente linguistico (e
dunque varroniano). Da documentazione aruspicale ο anche da tradizione orale deriva TLE2 803,
aesar (in Suet. Aug. 97 e Cass. Dio LVI, 29, 4); certamente tradizione orale è TLE2 812
(raccolta da Afranio e spiegata da Fest. Paul. p. 17 L; cfr. Placid. V, 7, 16). È infine da non
ritenere etrusca TLE2 857, vorsum, poiché la lezione Tusci è errore di tradizione manoscritta
per Osci, attestato nella stessa tradizione e da Varr. r. r. I, 10.
GLOSSE ETRUSCHE: QUALCHE PROBLEMA DI TRASMISSIONE 1003

valore: TLE2 839 ( . . . ίταλον τον ταυρον . . . ), riportato come voce greca anche
da Apollodoro (II, 10), risale presumibilmente a Timeo, ma è riconosciuta
parola italica; TLE2 ad 855, τύρσις, deriva dalla speculazione di Dionigi di
Alicarnasso sui « Tirreni » 4; TLE2 847 (ό 'Οδυσσεύς παρά Τυρσηνοΐς Νάνος . . . ),
oscura ed attestata dal solo Tzetze, potrebbe essere anche parola greca5.
Passando al sottogruppo B, cominciamo con l'osservare che dei tredici
nomi etruschi di piante in Dioscoride, come ebbe a riconoscere V. Bertoldi
in un vecchio studio su tali termini botanici6, almeno 4 di questi nomi,
e cioè σπίνα αλβα {TLE2 850), κικένδα-κομιτιάλις {TLE2 825), απιουμ ρανίνουμ
{TLE2
809), σουκίνουμ {TLE2 852), sono certamente latini, come pure forse
latini sono γαρουλεου {TLE2 833), λάππα μίνορ {TLE2 842), τάντουμ {TLE2 853);
dubbia è γίγοφουμ {TLE2 834), che per Marcello Empirico sarebbe termine
gallico 7, mentre per φαβουλώνιαμ, dal chiaro aspetto latino (faba suilla),
abbiamo la concordanza, che discuteremo poi, con lo Pseudo-Apuleio
{Herb. 5... Tusci fabulongam). Di parole etrusche ο apparentemente tali
restano solo καυτάμ {TLE2 823), μούτουκα {TLE2 846), ραδία {TLE2 849), e,
forse, μασούριπος {TLE2 845). Delle glosse dello Pseudo-Apuleio, apianam
{TLE2 808) è verosimilmente latina, come dimostra il confronto con TLE2 809,
e carofis (TLE2 826) sembra essere adattamento ο trascrizione (che potrebbe
essere tanto etrusco quanto latino) del greco χλωρόπιον.
Da questa breve disamina balza evidente il fatto che tanto Dioscoride
quanto lo Pseudo-Apuleio (o le loro fonti) avevano davanti agli occhi dei
testi in cui accanto a parole etrusche autentiche comparivano parole latine
e che facilmente queste ultime potevano essere etichettate come « etrusche ».
Il sottogruppo B, le glosse esichiane, possiede ugual caratteristica. In
esse infatti dodici parole possono ritenersi genuinamente etrusche, vuoi perché
come TLE2 804 (άϊσοί ■ ϋεοί) hanno preciso riscontro in fonti diverse
(TLE2 803: aesar . . . Etrusca lingua deus) ο addirittura nella tradizione diretta
etrusca (ais-, aiser-, etc.), vuoi perché è possibile ricostruirne una forma
corretta etrusca8, mentre due, κάπρα · αϊξ {TLE2 820) e δέα · ϋεά (TLE2 828),

4 La fonte di Tzetze è Dion. Hal. I, 26, 2 (TLE2 855): τΰρσις... παρά Τυρρηνοΐς αϊ έντείχιοι
και στεγαναί οικήσεις . .
5 Cfr. νάνναζον · παιζόμενον, Hesych.
.

6 V. Bertoldi, «Nomina Tusca» in Dioscoride, in St. Etr. X, 1936, p. 295 ss.


7 Marc. Empir. X, 50; cfr. V. Bertoldi, art. cit., p. 297 ss.
8 La radice ais- ritorna più volte nel rituale di Zagabria (cfr. ad es., II, 12; IV,
IV, 20, 21; V, 8, 18; VI, 7; VII, 11, 20; etc.) e in iscrizioni sacre (cfr. ad es. TLE2 359a, 740):
da tempo essa è stata messa in rapporto con le glosse TLE2 803-4.
1004 MARIO TORELLI

sono altrettanto sicuramente latine. Il curioso fenomeno, che abbiamo r


iscontrato per le glosse botaniche, si ripete in Esichio, anche se con fr
equenza virtualmente inversa: la circostanza ci induce a scartare spiegazioni
di « convergenza linguistica », come quella proposta dal Bertoldi 9, e ricercarne
invece la ragione in un problema di fonti, di trasmissione e di modo di
compilazione.
Una volta stabilito che, come ormai universalmente accettato 10, il sott
ogruppo A deriva da una fonte etrusca genuina ove compariva, lacunoso
nei quattro mesi finali, un calendario etrusco iniziante, al pari di quello
romano arcaico, da marzo11, possiamo tentare di affrontare un discorso
globale sulle fonti di queste glosse tardo-antiche: a questo scopo sarà
opportuno classificare le glosse del sottogruppo esichiano in categorie di
vocaboli omogenee. Da questa classificazione risulta il seguente specchietto
(fra parentesi il numero di TLE2):

Animali Atmosfera Religione Piante Istituzioni Vita umana Strumenti


politiche

ανταρ (807) ανδας (806) άϊσοί (804) άταισόν (813) δροϋνα (829) άγαλήτορα (802) χάπος (832)
αρακος (81θ) αύκήλως (815) δέα (828)
βυρρός (817)
κάπρα (82θ)
δάμνος (827)
γνίς (835)

II quadro presenta una straordinaria frequenza di nomi di animali, ben


sei su quattordici 12, un discreto interesse per i fenomeni atmosferici e re
ligiosi (con due glosse per ciascuna categoria), e, accanto a singoli nomi
di strumenti (« carro »), piante (« vite che monta sugli alberi ») e di classi
d'età (peraltro di uso ambiguo, «fanciullo»), contiene un rivelatore concetto

9 Art. cit.
10 V. J. F. Mountford, De Mensium Nominibus, in JHS, XLIII, 1923, p, 108 s.
11 Sul problema mancano studi recenti: ancora importante per la connessione tra il mese
"'Chosfer (TLE2 858) e il numerale cezp- (otto?), il lavoro di E. Fiesel, Bemerkungen und
Berichtigungen - 3. Etruskisch «acht» und «Oktober», in St. Etr. X, 1936, p. 324 s.
12 Non tengo conto di una quindicesima glossa esichiana, TLE2 811 e (v. oltre). Su tutto
il problema delle glosse esichiane, ma con diversa prospettiva, M. Durante, Etrusco e lingue
balcaniche, in Ann. Ist. Or. Napoli, III, 1961, p. 59 ss; cfr. anche K. Olzscha, Eine etruskisch-
griechische Hesychglosse, in Gioita XLVI, 1968, p. 263-7.
GLOSSE ETRUSCHE: QUALCHE PROBLEMA DI TRASMISSIONE 1005

astratto di natura politica (« potere, carica »). Questa disamina ci conduce,


credo, ad una sola risposta circa la possibile fonte di queste glosse, come
di quelle botaniche: i libri di disciplina Etrusca. In queste disparatissime
raccolte compaiono infatti con grande rilievo tutte le categorie lessicali che
abbiamo formato con le glosse sia esichiane che botaniche. Discretamente
famoso fra i libri Etruschi era YOstentarium arborarium di Tarquizio Prisco,
di cui Macrobio ci ha conservato un lungo frammento (Sat. Ill, 20, 3) e
che catalogava minuziosamente i tipi di piante 13: a questi libri possiamo
senz'altro attribuire il gruppo delle glosse botaniche di Dioscoride e dello
Pseudo-Apuleio e l'isolata glossa botanica di Esichio.
Nella disciplina largo posto avevano i prodigi connessi con animali.
Non a caso abbiamo esplicita testimonianza di dottrina aruspicale che r
iguarda i cavalli - cfr. glossa TLE2 827, da Esichio - come afferma Servio
(Serv. Dan. Aen. Ili, 537: in libris Etruscis invenitur etiam equos bona
auspicia dare); non meno importante il posto che l'aruspicina riservava ai
volatili, soprattutto aquile e sparvieri (cfr. glosse esichiane TLE2 807, 810, 835),
che i libri classificavano in specie infinite: « sunt praeterea complura genera
(seil, di aquile) depicta in Etrusca disciplina saeculis non visa, quae nunc
defecisse mirum est, cum abundent etiam quae gula humana populatur »,
ricorda Plinio (N.H. X, 37). Anche gli animali domestici (cfr. glossa esichiana
TLE2 820) avevano un particolare rilievo: si ricordi il frammento di Tar
quizio Prisco sull'ozi ariesve macchiato di rosso (Macr. Sat. Ill, 7, 2) e
Vagnus . . . qui vellus in fronte purpureum haberet (S.H.A. Get. 3, 5), auspicio
di futuro comando.
Sempre nei testi aruspicini si discutevano le tempestates, per le cui
procurationes erano convocati gli aruspici 14: ciò rende ragione del nome
di venti fra le glosse esichiane (TLE2 806). Perfettamente comprensibile è
poi in questo quadro la presenza di glosse riguardanti divinità (TLE2 804,
828), mentre per la glossa άγαλήτορα · παΐδα {TLE2 802) possiamo pensare
sia a nascite di pueri deformi ο androgini 15 sia a predizioni ed oroscopi

13 I nomi delle piante del frammento sono: alaternum, sanguinem, filicem, ficum atrum,
acrifolium, pirum silvatìcum, ruscum, rubum sentesque. Da altre fonti aruspicali abbiamo:
ilex (Plin. N.H. XVI, 237), virga sanguinea (cfr. sanguinem; Plin. N.H. XXIV, 73), morus
talea, ulmo (Plin. N.H. XVII, 124), laureus (Liv. XXXII, 1, 14; Tac. Hist. Π, 48; S.H.A. Sever.
Alex. 13, 7).
14 Fonti e discussione in C. O. Thulin, Die Etruskische Disziplin, III, Göteborg 1909,
p. 88-94.
15 Ibid,p. 118-21.
1006 MARIO TORELLI

per fanciulli, sia ancora alla presenza di fanciulli in riti di aruspicina come
esecutori inconsci ο attendenti 16. E infine nel quadro della disciplina rientra
perfettamente la glossa δροΰνα ■ αρχή: soprattutto nell'età imperiale udiamo
di aruspici appunto in caso di omina e di predizioni intorno al futuro
destino di comando dell'interrogante, e buona parte dei libri era devoluto
a questo importante tipo di predizione. In questo quadro di predizioni di
imperium, credo, inserita la glossa esichiana relativa allo « scarabeo »
(TLE2 817). Anche se l'insetto caratteristico degli omina è l'ape 17, questo
è sempre considerato dirum; allo scarabeo, invece, che ricorre costantemente
come riproduzione plastica nella glittica etrusca, era forse attribuito signi
ficato fausto, tanto più se è corretto l'accostamento di βυρρός della glossa
al burrus latino (cfr. Fest. Paul. p. 31 L) ed al πυρρός greco18, come des
ignazione di colore rosso scarlatto, colore che aveva un ruolo fondamentale
nella formulazione di omina imperii 19.
L'intero secondo gruppo di glosse, quelle esichiane, quelle botaniche
ed i nomi di mesi, può dunque ricondursi senza sforzi ai libri di disciplina
Etrusca, nei quali confluivano trattati miscellanei di interpretazioni di presagi
tratti dal cielo, dagli uccelli, dalle piante e interessanti la vita religiosa, la
vita pubblica, la vita privata20: questi ostentarla, con la loro minuziosa
catalogazione dei fenomeni soprannaturali in rapporto ad una realtà naturale
altrettanto minuziosamente classificata, dovevano essere una fonte preziosa
per glossatori, lessicografi e naturalisti della tarda antichità. E la fonte ci
spiega anche il curioso equivoco in cui tanto i tardi botanici quanto Esichio
sono caduti, quello cioè di ritenere « etruschi » dei termini perfettamente
latini: essi erano in ciò indotti non soltanto (o non tanto) dall'equivoco
inerente al titolo stesso di questa miscellanea letteratura aruspicale, di libri
Etrusci, Etruscorum libri, Etruscae dìsciplinae libri, et sim., ma soprattutto

16 Pueri erano iniziati i nobiles etruschi alla disciplina (cfr. Cic. de div. I, 41, 92; Val.
Max. I, 1); un puer compare nel rilievo ostiense delle sortes Herculis dedicato dall'aruspice
C. Fulvius Salvis (cfr. G. Becatti, // culto di Èrcole a Ostia, in Bull. Com. LXVII, 1939,
p. 40 ss.).
17 C. O. Thulin, op. cit., Ill, p. 98-101.
18 R. Fohalle, A propos de κυβερνάν - gubernare, in Mèi. linguistiques offerts à J. Vendryes,
Paris 1925, p. 157 ss. con P. Kretschmer, Literaturbericht für das Jahr 1925 - Griechisch,
in Gioita XVI, 1928, p. 166.
19 Cfr. il passo dei libri Tarquitiani relativo alla macchia purpurea sulla pecora ο sul
l'ariete (in Macr. Sai. Ili, 7, 2; cfr. Serv. Dan. Bue. IV, 43; S.H.A. Geta 3, 5).
20 Cfr. quanto, sulla base delle nuove fonti epigrafiche, ho potuto concludere nel volume
«Elogia Tarquinensia», Firenze 1975.
GLOSSE ETRUSCHE: QUALCHE PROBLEMA DI TRASMISSIONE 1007

dal fatto che la formularità delle compilazioni lasciava largo posto, accanto
al testo tradotto ο compilato in latino, all'inserzione di brani, lunghi ο brevi
non importa, direttamente in etrusco, uso questo di cui proprio una glossa
festiana (Fest. p. 18 L: arse verse) ci rende edotti.
Trassero i compilatori di glossarii e lessici queste glosse direttamente
dai libri di aruspicina ο dipendevano piuttosto da fonti intermedie? A
questa domanda non è facile rispondere allo stato attuale delle nostre cono
scenze, ma solo avanzare qualche congettura. Esichio certamente per
alcune glosse dipende da fonti intermedie. Se la glossa TLE2 804 e deriva
da Strabone (TLE2 811 a) ο dalla ,f onte di questi, Timeo, tuttavia quest'ultima
glossa non fa parte del gruppo di quelle considerate, perché Esichio omette
in questo caso la specificazione Τυρρηνοί/ύπο Τυρρηνών aggiunta a tutte le
altre quattordici, ciò che, a mio avviso, prova l'omogeneità del gruppo.
Ancor più complesso il caso di Dioscoride, nel quale, come dimostra il
principale editore Wellmann 21, le interpolazioni appaiono numerosissime e di
epoca varia: sarebbe suggestivo pensare, con lo stesso Wellmann22, che
anche i nomi etruschi (o creduti tali) di piante derivino assieme ad altri
nomi di piante di origine non greca dal lessico di Pamfilo di Alessandria,
a sua volta fonte indiretta di Esichio attraverso l'opera di Diogeniano 23.
Che queste glosse figurassero già in lessici di età romana è ipotesi
non inverosimile, ma la confusione tra etrusco e latino, che ritorna in
Esichio come in Dioscoride, non depone troppo a favore di compilazioni
di epoca relativamente antica. D'altro canto, l'interesse per l'aruspicina atte
statoci da storici e da eruditi24 del IV sec. e ancora nel V sec. non ci fa
escludere l'ipotesi di fonti dirette ο quanto meno di una mediazione di
compilazioni tardo-antiche eseguite in circoli colti pagani ο paganeggianti.
La distruzione, operata da Stilicone, dei libri sibillini25 non deve aver coin
volto anche i libri di aruspicina, che a differenza di quelli sibillini non erano

21 M. Wellmann, Dioskourides-De materia medica libri V, Leipzig 1906-14.


22 Id., Die Pflanzennamen des Dioskurides, in Hermes, XXXIII, 1898, p. 360 ss.; su
Pamfilo, ν. M. Wellmann, Pamphilos, in Hermes LI, 1916, p. 1 ss.
23 Quanto di queste glosse etrusche di Esichio derivi da Diogeniano e quanto da altre
fonti è argomento vastissimo: in generale, sul problema dell'interpolazione di Esichio ν. Κ. Latte,
Hesychii Alexandrini Lexicon, I, Hafniae 1953, p. XI ss.
24 Molto delle fonti di aruspicina ci è conservato da storici come Ammiano, da eruditi
come Servio e Macrobio; un'interesse morboso per questo soggetto è evidente - quale che
sia la data - anche nella compilazione della Historia Augusta.
25 Rut. Nam. II, 51.
1008 MARIO TORELLI

copia unica: la disciplina Etrusca, di quarta mano nell'africano Marziano


Capella, troverà proprio nell'Oriente greco rifugio, all'ombra delle apparentate
dottrine neoplatoniche e nel confuso coacervo di scienze magiche e misti-
cheggianti. Ancora nella nostalgica età giustinianea, Giovanni Lido potrà
ritrovare, fra i manoscritti dello studio costantinopolitano, non solo opere
- più consone ai gusti dell'età - del mistico Nigidio Figulo « tratte dai
libri di Tagete », ma persino scritti di vera aruspicina, tardivi come quelli
di Cornelius Labeo26, ο anche di buona epoca, cesariana, come quelli di
Clodius Tuscus27, e alto-imperiale, come quelli di un tal Vicellius, che forse
altri non è se non un tarquiniese Vetilius28.

26 Forse del III sec. d.C. (così G. Wissowa, in RE, IV, 1, col. 1351-55), ma che per la
citazione di Macrobio (I, 16, 29) di un liber fastorum difficilmente potrebbe essere posteriore
al I-II sec; tuttavia egli è la fonte principale, con Tarquizio Prisco, per molta dell'erudiziene
di IV e V sec. d.C: cfr. Fulg. serm. ant., p. 112, 11 Helm.
27 Certamente d'età cesariana e non augustea (come vuole invece G. Wissowa, in RE
IV, 1, col. 104), perché in corrispondenza con Sinnius Capito, filologo contemporaneo di Pacuvio
Antistio Labeone, padre del giurista, suicida dopo Filippi. D'altro canto questo spiega perché
il suo calendario finito nel περί διοσημείων di Giovanni Lido sia anteriore alla riforma cesariana.
28 Cfr. « Elogia Tarquinensia » cit.
ROBERT TURCAN

ENCORE LA PROPHÉTIE DE VÉGOIA

Tous les élèves de M. Jacques Heurgon ne sont pas étruscologues; mais


il n'en est aucun, je crois, qui, à le lire ou à l'entendre élucider une
question épineuse, n'ait eu envie de le devenir et n'ait été tenté de
poursuivre une exploration sur la piste qu'il avait ouverte, voire sur
telle autre qu'excluait sa démonstration. C'est ce que j'aurai l'outr
ecuidance de faire ici en hommage à un maître de la recherche textuelle
et archéologique.
La prophétie de Végoia, telle que la transcrit - non sans la tronquer,
semble-t-il - un passage des Gromatici Veteres transmis par les codices
Palatinus (fol. 118) et Gudianus (fol. 151) 1 est un sujet de controverse
dont M. Heurgon2 a enrichi le dossier. Tout récemment, G. Piccaluga3 a
voulu moquer dans les exégèses qui ont germé autour de ce texte un exemple
typique des méthodes « humanistiques » appliquées généralement à l'his
toire des religions et plus précisément aux témoignages de la tradition
littéraire. On pourrait renvoyer la balle aux comparatistes qui exploitent
tout aussi allègrement les données brutes et disparates de l'ethnographie.
Quoi qu'il en soit, je reconnais qu'on a voulu interpréter le « fragment
de Végoia » en fonction de documents dont l'inspiration est, de toute
évidence, hétérogène.
Il nous est présenté comme une révélation de la Nymphe prophétesse
à un Arruns Veltumnus sur l'origine et le fondement divins de la limitatio 4.

1 Gromatici veteres, I, p. 350, Lachmann.


2 The date of Vegoia's prophecy, JRS, 49, 1959, p. 41-45; Id., dans REL, 37, 1959, p. 46 s.;
Id., La vie quotidienne chez les Etrusques, Paris, 1961, p. 133 s., 284 ss.
3 Minutai. Saggi di storia delle religioni, Coll. Nuovi Saggi, 63, Rome, 1974, p. 133-150.
Cf. du même auteur: Terminus. I segni di confine nella religione romana, dans Quaderni SMSR,
9, Rome, 1974, p. 148 s.
4 Idem Vegoiae Arrunti Veltymno. Scias mare ex aethera remotum. Cum autem Juppiter
terrant Aetruriae sibi vindicavit, constitua jussitque metiri campos signarique agros. Sciens
1010 ROBERT TURCAN

Cette délimination et la répartition de tout ce qui compose le Kosmos


ont mis fin au chaos primordial. Elles ont commencé par la discrimination
des éléments: Scias mare ex aethera remotum. Cette histoire ressemble
à celle que chante Orphée dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes5.
C'est un thème traditionnel, qui n'a rien de spécifiquement étrusque et dont
l'hérédité remonte, par delà l'aurore de la philosophie grecque, aux cosmo
gonies orientales6. Cum autem Juppiter terram Aetruriae sibi vindicavit . . .
Ici le transcripteur des Agrimensores paraît bien abréger le texte de sa source,
qui devait s'expliquer sur la séparation des autres éléments. Le cum autem
confirme cette impression, car autem signifie souvent: « mais pour en arriver
à » ou « pour en revenir plus exactement au sujet qui nous occupe ». Visible
ment, le responsable de la citation passe très vite sur ce qui ne concerne
pas directement la terminatio des terres; une fois posée l'idée que la ségré
gation élémentaire conditionne l'ordre cosmique, il en arrive immédiatement
à la sollicitude particulière que Jupiter nourrit envers l'Etrurie: son saint
patron l'aurait prémunie providentiellement (sciens) contre les désordres de
l'avidité humaine en instituant la délimitation, le bornage des propriétés7.
Mais voici que cette paix socio-économique voulue par le dieu de
l'ordre céleste et terrestre est menacée ob avaritiam prope novissimi óctavi
saeculi. Ceux qui déplaceront les bornes à leur profit étendant leur
domaine aux dépens des voisins seront condamnés par les dieux. S'il s'agit
d'esclaves, ils changeront de maîtres pour leur malheur; si la chose se

hominum avaritiam vel terrenum cupidinem, ierminis omnia scita esse voluit. Quos quandoque
quis ob avaritiam prope novissimi odavi saeculi data sibi homines maio dolo violabunt
contingentque atque movebunt. Sed quid contingent moveritque, possessionem promovendo
suam, alterius minuendo, ob hoc scelus damnabitur a diis. Si servi facient, dominio muta-
buntur in deterius. Sed si conscientia dominica fiet, caelerius domus extirpabitur, gensque
ejus omnis interiet. Motores autem pessimis morbis et vulneribus efficientur membrisque suis
debilìtabuntur. Turn etiam terra a tempestatibus vel julminibus plerumque labe movebitur.
Fructus saepe ledentur decutienturque imbribus atque grandine, caniculis interient, robigine
occidentur. Multae dissensiones in populo. Fieri haec scitote, cum talia scelera committuntur.
Propterea neque fallax neque bilinguis sis. Disciplinam pone in corde tuo.
5 Apoll. Rhod., Arg., I, 496 ss. = O. Kern, Orphicorum fragmenta2, Berlin, 1963, p. 98, n° 29.
6 A. Piganiol, dans Cahiers d'Histoire Mondiale, I, 2, 1953, p. 344 s.
7 Dans la tradition mythographique, Jupiter apparaît aussi comme le dieu qui met fin
au temps « chaotique » des origines et qui consacre un ordre fondé sur la différenciation des
compétences ou des propriétés: G. Piccaluga, Terminus, p. 148 ss. et passim. Sur Jupiter-
Terminus et l'étrusque Tinia, cf. R. Pettazzoni, La divinità suprema degli Etruschi, SMSR,
4, 1928, p. 218 ss.; J. Heurgon, The date of Vegoia's prophecy, p. 41; La vie quotidienne chez
les Etrusques, p. 133, et les observations critiques de G. Piccaluga, Minutai, p. 144 s.
ENCORE LA PROPHÉTIE DE VÉGOIA 1011

fait avec la complicité du maître, la maison de celui-ci sera bien vite


ruinée et sa famille s'éteindra tout entière. Les coupables seront épuisés
par les maladies et les déficiences de toute sorte. La terre sera éprouvée
par la foudre et les intempéries; les récoltes seront saccagées par les pluies,
la grêle, la canicule et la rouille. Aux désastres agricoles consécutifs à
cette redoutable conjoncture météorologique s'ajouteront les troubles qui
déchireront la cité: multae dissensiones in populo.
Dans cette prédiction post eventum, les menaces concernant le déchaîne
ment des éléments8 appartiennent à l'arsenal traditionnel du prophétisme
catastrophique dont les Oracles Sibyllins notamment et l'apocalyptique
chrétienne exploitent si souvent la veine facile et toujours efficace. L'origi
nalité de la prédiction attribuée à Végoia est de lier ces épreuves au déplace
mentdes propriétés, à la confusion sociale, à la destruction de familles
entières. Il s'agit donc d'un texte inspiré par des gens victimes d'un
bouleversement de la carte terrienne. La prophétie a été conçue, rédigée,
diffusée dans des circonstances révolutionnaires. Lesquelles?
On a pensé à l'époque et à la réforme des Gracques 9. M. Heurgon 10
a mis la prophétie en relation avec l'émotion suscitée en Etrurie par les
lois de Livius Drusus en -91. Or le huitième siècle dont la pseudo-Végoia
annonce les terribles malheurs aurait pris fin en -88 n, si du moins on
tient compte d'un passage « d'ailleurs obscur » de Plutarque en sa Vie de
Sylla 12. M. Heurgon applique à novissimi la règle summa arbor et entend
ce superlatif non pas au sens de « dernier », mais de « finissant, en son

8 Qui procède évidemment des pouvoirs inhérents à la fonction de Jupiter, dieu de la


foudre et des ouragans: cf. R. Pettazzoni, art. cit., p. 218 ss.
9 Cf. L. Zancan, II frammento di Vegoia e il «novissimum saeculum», Atene e Roma,
7, 1939, p. 213; J. Heurgon, dans REL, 37, 1959, p. 46. St. Weinstock (RE, 2. Reihe, 8A1,
col. 579, s.v. Vegoia) fait vivre Veltumnus «gegen Ende des 2. Jhds v. Chr.».
10 La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 285 s., et dans JRS, 49, 1959, p. 41 ss.;
REL, 37, 1959, p. 46 s. A la suite de cette dernière communication, E. Cavaignac (ibid.,
p. 104-107) a voulu expliquer certaines singularités du texte des Gromatici en relation avec
la situation sociale de l'Etrurie agricole avant la guerre des Marses.
11 Cf. A. J. Pfiffig, Eine etruskische Prophezeiung, Gymnasium, 68, 1961, p. 55-64 (qui
retient la date de -88): L. Piotrowicz, L'attitude de l'Etrurie pendant les troubles civils romains,
Klio, 23, 1929/30, p. 336 ss. (qui retient celle de -91).
12 Plut, Sulla, 7, 7-8 (= tome VI de l'éd.-trad. R. Flacelière-E. Chambry, Paris, 1971,
p. 240): Είναι μεν γαρ οκτώ τα σύμπαντα γένη διαφέροντα τοις βίοις και τοις ήυεσιν αλλήλων,
έκάστω δε άφωρίσοαι χρόνων άριυμον ύπο του ϋεου συμπεραινόμενον ένιαυτου μεγάλου περιόδω. Και
οταν αύτη σχη τέλος ετέρας ένισταμένης κινεΐσΰαί τι σημείον έκ γης ή ουρανού ΰαυμάσιον... κτλ.
1012 ROBERT TURCAN

dernier état ». Végoia déplorerait Vavaritìa d'un huitième siècle « touchant


presque à sa fin » 13.
Mais faut-il absolument faire coïncider sa prédiction avec le témoignage
de Plutarque? Ce témoignage n'a paru obscur que parce qu'il s'accordait
mal avec celui des Agrimensores.
Que nous dit en effet le biographe de Sylla littéralement?
Qu'en -88 des prodiges annonciateurs de la guerre civile entre Syl-
laniens et Marianistes inspiraient aux devins étrusques certaines déclara
tions - que J. Carcopino 14 a mises au compte du pythagorisme. Une nouvelle
race d'hommes allait apparaître qui consacrerait la métakosmèsis que
faisaient pressentir d'étranges phénomènes. Huit âges différents par leur
vie et leurs mœurs devaient remplir l'histoire du monde. A chaque âge
était assigné ύπο του ΰεοΰ un temps correspondant à la Grande Année, et
le terme de chaque période était marqué par un signe céleste ou terrestre.
Il est clair que ce texte n'a aucun rapport avec la prophétie de Végoia.
En premier lieu, il s'agit bien de devins étrusques (Τυρρηνών oi λόγιοι),
mais leur prédiction concerne l'humanité en général, les âges du monde,
et non pas l'Etrurie qui n'est pas nommée ni même allusivement visée dans
l'excursus de Plutarque. En second lieu, l'auteur de la Vie de Sylla parle
de « races » et de périodes comptées en fonction de la Grande Année
cosmique, mais non pas de « siècles ». Par ce que Censorinus 15 a transcrit
de Varron nous savons que les siècles étrusques n'avaient rien à voir avec

13 J. Heurgon, dans REL, 37, 1959, p. 46.


14 Virgile et le mystère de la IVe Eglogue2, Paris, 1943, p. 144 s.
15 De die natali, 17, 5-6 (p. 44,3-45,4 de l'éd. O. Jahn, Berlin, 1845; rééd. anast. G. Olms,
Hildesheim, 1965): in unaquaque civitate quae sint naturalia saecula, rituales Etruscorum
libri videntur docere, in quis scriptum esse fertur initia sic poni saeculorum. Quo die urbes
atque civitates constituer entur, de his qui eo die nati essent eum qui diutissime vixisset die
mortis suae primi saeculi modulum finire, eoque die qui essent reliqui in civitate, de his
rursum ejus mortem, qui longissimam aetatem egisset, finem esse saeculi secundi. Sic deinceps
tempus reliquorum terminari. Sed ea quod ignorarent homines, portenta mitti divinitus, quibus
admonerentur unumquodque saeculum esse finitum. Haec portenta Etrusci pro haruspicii
disciplinaeque suae peritia diligenter observata in libres retulerunt. Quare in Tuscis historiis,
quae octavo eorum saeculo scriptae sunt, ut Varrò testatur, et quoi numero saecula ei genti
data sint et transactorum singula quanta fuerint quibusve ostentis eorum exitus designati
sint continetur. Itaque scriptum est quattuor prima saecula annorum fuisse centenum
(centum CRgl), quintum centum viginti trium, sextum undeviginti et centum, septimum
totidem, octavum turn demum agi, nonum et decimum superesse, quibus transactis finem fore
nominis Etrusci.
ENCORE LA PROPHÉTIE DE VÉGOIA 1013

une Grande Année. Le record de longévité atteint par les gens nés le jour
même où telle ville avait été fondée fixait la durée du premier siècle; la
plus longue vie de ceux qui avaient vu le jour au terme de ce premier
siècle correspondait à un second siècle, et ainsi de suite. Les siècles étrusques
sanctionnaient une réussite biologique: la durée maximale d'une génération.
Chez Plutarque, il s'agit de cycles cosmiques dont le terme est arrêté par
Dieu, et non pas de longévités individuelles. Entre ce passage de la Vie de
Sylla et ce que Varron nous apprend de la disciplina Etrusca un point
commun mérite à vrai dire d'être souligné: des prodiges envoyés par les
dieux avertissent les hommes de la fin d'un siècle 16, saeculum, mais non pas
d'un « âge », d'un cycle et encore moins d'une Grande Année. On peut
certes suspecter Plutarque, ou l'historien dont il dépend, d'avoir greffé sur
une donnée de l'haruspicine étrusque des considérations néopythagorisantes
inadéquates au sujet; mais tel qu'il nous est parvenu, ce texte ne saurait
éclairer le prope novissimi odavi saeculi de la pseudo-Végoia.
On voudrait au moins constater une correspondance numérale entre
les huit âges de Vexcursus plutarchéen et le huitième siècle « touchant pres
que à sa fin » de Végoia. Mais, abstraction faite du sens précis que peut
avoir novissimi, Plutarque n'écrit nulle part que les devins toscans an
nonçaient la fin du huitième âge. Ils interprétaient le prodige de la
trompette résonnant dans un ciel serein comme le signe d'un tournant
cosmique: une nouvelle race allait marquer l'histoire du monde. Mais
Plutarque ne leur fait pas dire ni que ce devait être la dernière, ni que
c'était la fin du huitième âge. Pour concilier la pseudo-Végoia avec Plutarque,
on pourrait être tenté de comprendre novissimi dans l'acception de « fin
de siècle » qu'a défendue M. Heurgon. Mais la conciliation ne s'impose
pas, et donc le sens de novissimi odavi saeculi reste incertain, à moins
que la détermination du contexte historique d'où est issue la « prophétie »
ne confirme tel ou tel chiffre de siècles.
Varron fait état d'une supputation étrusque de dix siècles, quibus
transadis finem fore nominis Etrusci 17. La source qu'il transcrivait dans
son livre De saeculis utilisé par Censorinus datait du huitième siècle

16 Ibid., 17,5 (p. 44, 12-14, Jahn) et 6 (p. 44, 19, Jahn). Cf. Plut., Sulla, 7, 8. Selon
A. Bouché-Leclercq (Histoire de la divination dans l'Antiquité, IV, Paris, 1882, p. 97), la
tradition recueillie par Plutarque est «suspecte à plus d'un titre».
17 Censor., De die natali, 17,6 (p. 45, 3-4, Jahn). Cf. G. Dumézil, La religion romaine
archaïque, Paris, 1966, p. 634.
1014 ROBERT TURCAN

étrusque: octavum turn demum agi 18. Mais ce huitième siècle ne devait pas
être le dernier, et c'est encore une raison de penser que l'excursus de
Plutarque est étranger à la science toscane: nonum et decimum superesse 19.
Les Tuscae historiae20 d'où Varron a tiré la matière de son exposé, et dont
la rédaction remontait octavo eorum saeculo, devaient être à peu près con
temporaines de la prophétie attribuée à Végoia. Dans l'optique des Etrus
ques de cette époque, le huitième siècle ne serait pas le dernier, mais
presque le dernier, l'avant-dernier ou l'antépénultième. Un comput de neuf
siècles peut avoir existé concurremment avec une doctrine millénariste
de dix siècles adoptée sous l'influence des idées grecques21. Les rites des
Jeux Séculaires romains et les cultes laviniens de Tor Tignosa22 attestent
l'importance du nombre neuf dans l'Italie antique. En tout cas, rien n'exclut
a priori la traduction traditionnelle de prope novissimi par « avant-dernier ».
A quelle époque pouvait correspondre ce huitième siècle durant lequel
l'historien toscan anonyme suivi par Varron avait consigné le système
chronologique de sa nation? Auguste contait en ses Mémoires (De memoria
vitae suae) 23 qu'au dire d'un haruspice étrusque, Volcanius ou plutôt
Volcatius24, le neuvième siècle aurait pris fin avec l'apparition du Sidus
fulium, la comète de César. Le dixième siècle débutait en -44 suivant ce
comput qui (notons-le en passant) s'accorde encore très mal avec les don-

18 Ibid., (p. 45, 2-3, Jahn; cf. p. 44, 16-17: In Tuscis historiis, quae octavo eorum saeculo
scriptae sunt).
19 Ibid. (p. 45, 4, Jahn).
20 Ibid. (p. 45, 16, Jahn).
21 L. Zancan, art. cit., p. 209. Les Oracles Sibyllins, auxquels R. Bloch (dans Mélanges
A. Ernout, Paris, 1940, p. 21-28) attribue des origines étrusques (cf. G. Dumézil, La religion
romaine archaïque, p. 573: l'histoire de l'acquisition par Tarquin le Superbe des Livres Sibyllins
recouvre un fait authentique, «les premiers grimoires en rapport avec les prodiges ont été
introduits à Rome pendant sa période étrusque»), passaient pour enseigner une périodicité
de neuf siècles, le dixième ouvrant une ère nouvelle: Serv., Ad Bue, IV, 4 (p. 44 s., Thilo);
Juv., Sat, XIII, 28; Κ. Ο. Müller-W. Deecke, Die Etrusker, rééd. anast, Graz, 1965, II, p. 316.
22 R. E. A. Palmer, Roman religion and Roman Empire, Five essays, Philadelphie, 1974,
p. 109 ss.
23 Deutéro-Servius, Ad Bue, IX, 4 (p. 115, 24-116,3, Thilo): Sed Vulcanius aruspex in
contione dixit cometen esse, qui significaret exitum noni saeculi et ingressum decimi; sed
quod invitis diis secreta rerum pronuntiaret, statim se esse moriturum: et nondum finita
oratione, in ipsa contione coneidit. Hoc etiam Augustus in libro secundo de memoria vitae
suae complexus est. L'intérêt de ce texte est souligné dans Κ. Ο. Müller-W. Deecke, op. cit.,
II, p. 311 s.
24 Leçon de Madvig.
ENCORE LA PROPHÉTIE DE VÉGOIA 1015

nées qu'on voudrait tirer de Plutarque: il est assez peu vraisemblable


que le neuvième siècle ait seulement compté quarante ans, de -88 à -44!
Le texte du Deutéro-Servius qui nous rapporte la déclaration de Volcatius
ne précise pas qu'elle concernait des siècles étrusques; mais qu'on les
évalue à 100 ou à 110 ans, qu'on date la fondation de YUrbs de -814,
-758, -753, -750 ou -729 25, le compte de neuf siècles en -44 reste inégal
à celui des années écoulées ab Urbe condita. Il est vrai que nous igno
rons tout de la chronologie que ce Volcatius aruspex pouvait avoir retenue
pour fixer le natalis de Rome; mais la date de -944 n'est attestée nulle
part. Il faut donc bien supposer que Volcatius parlait de siècles étrusques.
On sait que leur durée variait en fonction de la longévité humaine26.
Les Tuscae historiae révélaient que les quatre premiers avaient compté
chacun cent ans, le cinquième 123 ans, le sixième et le septième 119 ans27.
La durée du huitième - en cours au moment de la rédaction - ne pouvait
encore être précisée: à plus forte raison celle des neuvième et dixième siècles!
On a induit de ce texte que le siècle étrusque variait autour de 120 ans.
Si l'on retient cette fausse moyenne, le huitième siècle aurait commencé
vers -284; si l'on compte deux siècles de 119 ans, on reste aux alentours
de -282; mais à supposer deux siècles de 123 ans, on remonte aux
années -290.
Les sinistres prédictions de la pseudo-Végoia à Arruns Veltumnus
visent probablement non pas l'Etrurie en général, mais une cité toscane -
celle même où vivait le pieux faussaire qui dénonçait les infractions à
l'ordre divin. En effet, les Tuscae historiae fondaient leur compte des
siècles étrusques sur la longévité maximale des individus nés dans telle
ville: eoque die qui essent reliqui in civitate de his rursus ejus mortem
qui longissimam aetatem egisset finem esse saeculi secundi. . . Quelle ville?
Rien n'autorise d'emblée à conjecturer qu'Arruns Veltumnus était
« un prince de la région de Clusium » 28. Arruns est un prénom assez courant,
et l'on n'a aucune raison d'identifier Veltumnus avec le lucumon clusinien
dont Tite-Live nous conte l'histoire en V, 33 - sans le moindre rapport
avec Végoia, d'ailleurs. Le nom de notre Veltumnus a le même radical que

25 J. Bayet, éd. -trad, de Tite-Live, Histoire romaine, I, Paris, 1954, p. cxiv.


26 Censor., De die natali, 17,5 (p. 44, 7-9, Jahn). Cf. K. O. Miiller-W. Deecke, op. cit.,
II, p. 309; G. Dumézil, op. cit., p. 633 s.
27 Censor., De die natali, 17,6 (p. 44,20-45,2, Jahn).
28 J. Heürgon, dans REL, 37, 1959, p. 46.
1016 ROBERT TURCAN

le mot Velsu inscrit sur les monnaies attribuées à Volsinies 29, que Voltumna,
la grande divinité étrusque dont le sanctuaire abritait près de Volsinies
les assemblées confédérales des douze peuples toscans et qui, apparem
ment, se confond avec Vertumna/Vortumna ou Vertumnus 30. Que le nom
même de Volsinies procède du nom de la divinité ou l'inverse, ils s'enracinent
tous deux dans la même signification de base. L'étrusque Properce31 fait
écho à l'étymologie populaire qui rapprochait de Vertumnus le latin vertere:
quia vertentis fructum praecerpimus anni. Vertumne aurait personnifié
le cycle annuel dont le tournant majeur se situait à l'automne, saison des
fruits que le dieu ou la déesse (car il s'agit d'une puissance androgyne)
faisait prospérer. Vertumne apparaît comme un dieu du changement, du
cours temporel. Or c'est à Volsinies précisément que dans le temple de
Nortia les fameux clous sacrés dénombraient les années écoulées32. On a
dit et répété que Volsinies était une véritable « Delphes étrusque » 33, et
l'on ne s'étonne donc pas que des oracles comme celui de Végoia aient pu y
germer dans les milieux sacerdotaux. En tout cas, dans cette ville just
ement considérée comme le centre religieux et moral de l'Etrurie indépen
dante34, il semble bien que la notion du temps passé, en devenir ou à venir

29 A. Sambon, Les monnaies antiques de l'Italie, I, fase. 1, Paris, 1903, p. 14 et 40;


B. V. Head, Historia numorum2, Oxford, 1911, p. 12. Cf. K. O. Miiller-W. Deecke, op. cit.,
I, p. 386 s.; W. Eisenhut, dans RE, 2. Reihe, 8A2, col. 1676 (s.v. Vertumnus); R. Enking, dans
RE, 2. Reihe, 9A1, col. 830 (s.v. Volsinii).
30 G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer2, Munich, 1912, p. 288; J. Heurgon,
Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine, Paris, 1942,
p. 71; V. Basanoff, dans RHR, 126, 1943, p. 5 s.; M. Pallottino, Etrusco lo già5, Milan, 1963,
p. 243, etc. La question est discutée dans RE, 2. Reihe, 9A1, col. 852 ss., par W. Eisenhut:
«eine Hypothese» (col. 855). W. Schulze (Zur Geschichte d. lat. Eigennamen, Berlin, 1933,
p. 252) avait posé l'équation Vertumnus = Veltymnus.
31 Prop., IV, 2, 11. Cf. G. Radke, Die Götter Altitaliens, Münster, 1965, p. 319; W. Eisenhut,
dans RE, 2. Reihe, 8A2, col. 1680. Varron (de l. Lai., V, 46) qualifie Vertumne de deus
Etruriae princeps, titre approprié au saint patron d'une ville considérée comme la capitale de
l'Etrurie, caput Etruriae (Val. Max., IX, 1, Ext. 2; R. Bloch, Volsinies étrusque, MEFR, 59,
1947, p. 11).
32 Liv., VII, 3, 7. Cf. K. O. Miiller-W. Deecke, op. cit., II, p. 307; R. Bloch, art. cit.,
p. 13; R. Radke, op. cit., s.v. Nortia, p. 232, et sur le rite romain du clavus annalis, G. Piccaluga,
Terminus, p. 236 ss.
33 A. Piganiol, Histoire romaine, Paris, 1949, p. 77; J. Gagé, Apollon romain, Paris,
1955, p. 243.
34 M. Pallottino, op. cit., p. 185 («centro morale della intera nazione») et 264: «Le
celebrazioni annuali del santuario di Voltumna presso Volsinii avevano... carattere nazionale».
Sur Vertumnus/Voltumna, voir l'art, de W. Eisenhut, dans RE, 2. Reihe, 9A1, col. 850 ss.
ENCORE LA PROPHÉTIE DE VÉGOIA 1017

ait occupé une place de premier plan. Le rite du clavus annalis donnerait
même à penser que le compte des différents siècles énumérés dans les
Tuscae historiae était d'origine volsinienne et que la chronologie étrusque
était fondée sur l'histoire même - authentique ou légendaire - de cette
ville vouée au culte de Vertumne/Voltumnus. Or dans le nom même d'Arruns
Veltumnus à qui Végoia aurait dévoilé l'avenir du huitième siècle se re
connaît celui du dieu volsinien des variations annuelles et du devenir
temporel. Ce nom symbolique de Veltumnus était on ne pouvait mieux ap
proprié à une prophétie des métamorphoses séculaires. Il l'était aussi et
singulièrement à une prophétie post eventum concernant Volsinies (Velsu-):
le nom de la cité transparaît dans celui du confident de la Nymphe.
Que se passait-il à Volsinies vers les années -280, date à laquelle
cette ville qui passait pour la première de l'Etrurie - Etruriae caput35 -
dut faire sa soumission à Rome? Elle était en proie à une révolution
sociale 36. Emancipés en masse et prématurément, les esclaves avaient imposé
ce que nous appellerions la dictature du prolétariat: universam rempublicam
occupaverunt37. Comme souvent, le libéralisme des notables s'était re
tourné contre eux et leur esprit de démission. A cette complaisance de
tels maîtres qui avaient peut-être cru, en jetant du lest, s'assurer l'appui,
voire la complicité de leurs «gens», pourraient faire allusion certaines
expressions de la prophétie de Végoia. Il y est dit à propos du déplace
ment des bornes: Si servi facient, dominio mutabuntur in detenus. L'hypo
thèse- a priori paradoxale, puisqu'un esclave n'a pas, ne peut avoir de
propriété terrienne, ni donc la moindre responsabilité juridique en la
matière - n'a de sens que dans un contexte de confusion révolutionnaire
comparable à celui de Volsinies vers -280, où les servi pouvaient prendre
des initiatives aussi exorbitantes38. Dans la citation des Gromatici, il est

35 Val. Max., IX, 1, Ext. 2.


36 Ibid., loc. cit.; Florus, I, 21; Zonaras, VIII, 7 (= Dion Cassius, I, p. 141 s., Boissevain).
Cf. J. Heurgon, La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 80; Id., Rome et la Méditerranée
occidentale jusqu'aux guerres puniques, Paris, 1969, p. 318, 335. La date exacte de la révolution
volsinienne reste incertaine; mais le processus des troubles sociaux a commencé bien avant 265.
Quand Volsinies dut en -280 se soumettre à Rome, la situation était déjà mauvaise pour
les grands propriétaires terriens.
37 Val. Max., loc. cit.
38 Frappé par cette singularité, E. Cavaignac (A propos de Végoia. Note sur le servage
étrusque, REL, 37, 1959, p. 105 s.) explique la chose tout autrement. Dans la population
rurale de l'antique toscane, la main d'oeuvre présentait, paraît-il, certaines analogies avec les
hilotes laconiens et les pénestes thessaliens. Le «serf» étrusque avait «une certaine liberté
1018 ROBERT TURCAN

question ensuite de délits contre la propriété d'autrui commis conscientia


dominica 39, avec la connivence du maître: ce qui suppose encore l'initia
tivedes esclaves (ou des affranchis) sur laquelle le dominus ferme les
yeux, en laissant faire, et sans doute avec l'espoir fallacieux que sa maison
en profitera globalement, même si les servi commandent: en fait toute sa
gens en pâtira, et ce sera la ruine de la société volsinienne.
Valère-Maxime 40 donne une précision bien intéressante à cet égard:
Testamenta ad arbitrium suum scribi jubebant. Les esclaves dictaient donc
à leur gré le texte des testaments, « c'est-à-dire, commente M. Heurgon 41,
procédaient à une réforme de la propriété et à une redistribution des terres »,
ce qui postule tout justement le déplacement des bornes.
Nous ignorons évidemment si les désastres météorologiques détaillés
par la pseudo-Végoia ont doublé les clades qui accablèrent une cité na
guère si bien gouvernée, Volsinies où régnait l'ordre des mœurs et des
lois: moribus et legibus ordinata 42\ Du moins savons-nous que les dissen-
siones in populo amenèrent les survivants des classes dirigeantes à solli
citer le bras séculier de Rome. On connaît la suite: l'ancienne Volsinies
fut détruite, les affranchis révolutionnaires massacrés et une nouvelle ville
s'éleva à l'emplacement de l'actuelle Bolsena43.
Il me semble qu'il y a quelques correspondances assez frappantes entre
la prédiction des Gromatici et la situation historique décrite par Valère-
Maxime notamment. Une autre correspondance s'impose, je crois, entre
le huitième siècle de Végoia et le huitième siècle du comput sur lequel
l'haruspice Volcatius fondait ses calculs. Que pour l'Etrurie entière Volsinies
ait en quelque sorte servi d'étalon chronologique de référence, il n'y a rien
là de surprenant, puisque les davi annales y consignaient le temps révolu,
que le culte de Vertumne/Voltumna y déifiait le cycle annuel et que la
cité passait pour la plus ancienne du peuple tyrrhénien: αρχαιότατοι Τυρσηνών 44.
Compte tenu des indications que Varron nous a conservées des Tuscae
historiae, le premier siècle étrusque aurait débuté entre -1051 et -1043,

d'action » qui lui aurait permis de déplacer les bornes et d'augmenter la portion de terre à
cultiver. Sur ce point précis les vérifications manquent...
39 Cf. E. Cavaignac, art. cit., p. 106.
40 Loc. cit.
41 La vie quotidienne chez les Etrusques, p. 80.
42 Val. Max., loc. cit.
43 J. Heurgon, op. cit., p. 81; R. Bloch, art. cit., p. 14 s.
44 Zonaras, VIII, 7,4 (= Dion Cassius, I, p. 141, 9-10, Boissevain).
ENCORE LA PROPHÉTIE DE VÉGOIA 1019

date à laquelle Volsinies aurait donc fait remonter sa fondation. Des


historiens et des archéologues ont situé vers -1000 l'apparition des Etrus
ques en Italie45. D'autres ne rejettent pas à priori la tradition qui les lie
à la légende troyenne 46. Récemment, H. Hencken 47, reprenant tout le
dossier, s'est rallié à l'idée que les Etrusques pouvaient avoir gagné la
péninsule vers la fin du second millénaire avant J.-C. La question mérit
erait une réinvestigation approfondie du matériel archéologique dont
l'énorme lot s'enrichit tous les jours. Cependant, il faut peut-être aussi
tenir compte de la doctrine des siècles dont se réclamait à la mort de
César un connaisseur de la disciplina Etrusca, l'haruspice Volcatius.

45 Sur l'origine des Etrusques, cf. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale,


p. 363 ss.; R. Bloch, L'état actuel des études étruscologiques, Aufstieg und Niedergang der
römischen Welt, I, I, Berlin-New York, 1972, p. 12 ss.
46 On a même voulu reconnaître le nom des Troyens (Tros-es) dans celui des Etrusques
(e-Trûs-ci): V. I. Georgiev, Introduzione alla storia delle lingue indeuropee, Rome, 1966,
p. 276 ss.
47 Tarquinia, Villanovans and early Etruscans, Pubi, de {'American School of Prehistoric
Research, Peabody Museum, Harvard University, 23, Cambridge, Mass., 1968, II, p. 603 ss.
Cf. R. Bloch, art. cit., p. 13 s.
GEORGES VALLET

AVENUES, QUARTIERS ET TRIBUS À THOURIOI,


OU COMMENT COMPTER LES CASES D'UN DAMIER
(À PROPOS DE DIOD. XII, 10 ET 11)

La fondation de Thourioi a fait l'objet d'un certain nombre d'études,


dont certaines toutes récentes *: l'intérêt suscité par la fondation de cette
ville nouvelle sur le territoire de Sybaris, plus d'un demi-siècle après la
destruction de celle-ci, est dû à deux raisons principales: selon la formule
d'Ed. Will, « c'est avec l'affaire de Thourioi que s'ouvre le chapitre occidental
de la politique athénienne » 2; par ailleurs, comme le souligne justement
F. Castagnoli, « Thurii è una delle poche città antiche di cui conosciamo
la struttura urbanistica da fonti letterarie3».

1 II y a sur la question une riche bibliographie. Nous nous contenterons de signaler ici
les articles auxquels il sera renvoyé le plus souvent: V. Ehrenberg, The foundation of Thurii,
dans AJPh, LXIX, 1948, p. 149-170; S. Accame, La fondazione di Turi (in Note per la storia
della Pentecontaetia), dans RFIC, XXXIII, 1953, p. 149-170; I. D. Kondis, Ή διαίρεσις των
Θουρίων, dans ΑΕ, 1956, p. 106-113; F. Castagnoli, Sull'urbanistica di Thurii, dans PP, CXXXIX,
1971, p. 301-307; Ν. Κ. Rutter, Diodoro and the Foundation of Thurii, dans Historia, XXII,
1973, p. 155-176.
2 Ed. Will, Le monde grec et l'Orient, I: le Ve siècle, 1972, p. 277, avec bon résumé
des principales données. On trouvera des allusions plus ou moins détaillées à la fondation de
Thourioi dans tous les ouvrages qui traitent de la politique athénienne en Occident au
Ve siècle et, naturellement, de Périclès. Comme ce n'est pas cet aspect du problème qui sera
envisagé ici, nous nous contenterons de renvoyer à l'ouvrage de Brandhofer, Untersuchungen zur
athenischen Westpolitik im Zeitaller des Pericles, Diss. München, 1971, p. 22-53, qui fournit
l'état de la question.
3 F. Castagnoli, PP, p. 301, avec la bibliographie récente pour tout ce qui touche au
problème de l'urbanisme: cf. aussi J. R. McCredie, Hippodamos of Mileto, in Studies presented
to G.M.A. Hanfmann, Fogg Art Museum, Harvard Univ. Monogr. in art and arch., 1971,
p. 95-100. On rappellera également la parution en langue anglaise d'une nouvelle édition
mise à jour de l'ouvrage de F. Castagnoli, Hippodamo di Mileto e l'urbanistica a pianta orto
gonale, Roma, 1966, sous le titre Orthogonal Town Planing in Antiquity, Cambridge Mass.
1971; cf. plus récemment la seconde édition augmentée (mais sans changement sur ce point)
de R. Martin, L'urbanisme dans la Grèce antique, 1974, p. 40-41 et 45.
1022 GEORGES VALLET

Ces sources littéraires, c'est, au vrai, essentiellement le texte célèbre


de Diodore4, car, des autres données il y a peu à tirer5: dans la Vie de
Périclès par exemple, Plutarque, après avoir cité un certain nombre de colonies
fondées à l'instigation de Périclès termine ainsi son enumeration: « il
(Périclès) établit encore d'autres clérouquies en Italie, où fut fondée Sybaris,
que l'on appela Thourioi » 6; il s'agit donc, on le voit, d'une simple mention
de la fondation de la ville. Au contraire, Diodore consacre un très long
passage à la nouvelle cité dont on peut résumer ainsi l'essentiel: il y avait
eu d'abord une première tentative de reconstruction de la ville cinquante
huit ans après sa destruction, mais au bout de cinq ans, les Sybarites furent
chassés par les Crotoniates 7; ils projetèrent alors de fonder une nouvelle
fois Sybaris, et ils envoyèrent des ambassadeurs en Grèce aux Lacédémoniens
et aux Athéniens, pour leur demander de les aider dans leur projet et de participer
à l'entreprise. Les Spartiates refusèrent, tandis que les Athéniens prêtèrent
dix vaisseaux, dont ils confièrent le commandement à Lampon et à Xenocritos
et qu'ils envoyèrent aux Sybarites; de plus, ils firent savoir aux villes du
Péloponnèse qu'il était possible à qui le désirait de prendre part à cette
fondation. Cet appel fut largement entendu; l'oracle de Delphes consulté8
répondit qu'il fallait fonder la ville là où l'on pourrait boire de l'eau avec
mesure et manger du pain sans mesure. Ils débarquèrent en Italie et, arrivés
à Sybaris, ils cherchèrent le lieu indiqué par l'oracle; non loin de Sybaris,
ils trouvèrent une source appelée Thouria, qui s'écoulait par un tuyau
d'airain que les gens du pays appelaient «medimnos». Ils pensèrent que
c'était le lieu indiqué par l'oracle et, l'ayant entouré d'un mur, ils fondèrent
la cité qu'ils appelèrent Thourion d'après le nom de la source.
C'est là que se placent les quelques lignes qui décrivent l'organisation
première de la cité et qui sont en effet un des rares textes grecs où nous

4 Diod. XII, 10, 3-7, qui reprend en les développant les indications rapides données au
livre XI (XI, 90, 4).
5 Comme autres sources, on citera quelques passages de Plutarque {Per, 11; Me, 5, 3;
Praec. ger. reip., 15, 812 d) ainsi que Schol. in Aristoph. Nub. 332; Hesych., s.v. Θουριομάν(τεις),
(666) Schmidt; Phot. Lex., s.v. Θουριομάντεις Naber; Tzetzes, in Aristoph. Nub. 332.
6 Plut. Per, 11.
7 Diod., XII, 10.
8 Sur le rôle de l'oracle de Delphes dans ce cas particulier, cf. notamment H. W. Parke
et D. E. W. Wormell; The Delphic Oracle2, II, 1956, p. 58 et Rutter, op. cit., p. 162-163.
AVENUES, QUARTIERS ET TRIBUS À THOURIOI 1023

trouvons des indications précises sur « l'urbanisme » d'une polis; comme ce


texte présente un certain nombre de difficultés, il est préférable de le citer9:

7 Την δε πόλιν διελόμενοι κατά μεν μήκος εις τέτταρας πλατείας, ών καλοΰσι
την μεν μίαν Ήράκλειαν, την δε Αφροδισίαν, την δε 'Ολυμπιάδα, την δε Διονυσιάδα,
κατά δε το πλάτος διεΐλον εις τρεις πλατείας, ών ή μεν ώνομάσϋη Ήρωα, ή δε
Θουρία, ή δε Θουρΐνα. 'Υπό δε τούτων των στενωπών πεπληρωμενων ταΐς οίκίαις,
ή πόλις έφαίνετο καλώς κατεσκευάσυαι.

Les commentateurs se sont surtout attachés à rendre compte de la


dernière phrase du texte; mais la première partie pose, elle aussi, des pro
blèmes, que l'on peut rapidement formuler ainsi:
- l'expression την πόλιν διελόμενοι ... είς τέτταρας πλατείας est
étrange; en effet la construction de διαιρέω (ou mieux de διαιρέομαι) avec,
à l'accusatif, le nom de la chose que l'on divise et un groupe prépositionnel
introduit par εις et l'accusatif est rare 10 et ne s'emploie que pour indiquer
le résultat du partage: διαιρεΐσϋαί τι εις μέρη. Evidemment l'expression sur
prend s'il s'agit de dire que les nouveaux colons divisèrent la ville par
des plateiai.
- l'expression κατά μήκος est susceptible de deux interprétations:
on peut comprendre que ces rues sont dans le sens de la longueur ou
qu'elles divisent la longueur de la ville (auquel cas elles lui seraient perpend
iculaires), κατά se prêtant en effet aux deux hypothèses11.
Avant d'examiner les interprétations qui ont été données pour la dernière
phrase, il convient, pour avoir tous les éléments du problème, de rappeler
brièvement la suite du texte de Diodore 12: c'est l'histoire des difficultés

9 Le texte cité ici est celui de l'édition Budé, Les Belles Lettres, 1972; cette édition,
œuvre de M. Casevitz, est excellente aussi bien pour l'établissement du texte que pour les
notes et pour la traduction. On trouvera, p. 1032, la traduction proposée pour ce passage.
10 L'idée de faire des parts, ou des parties, s'exprime soit par un accusatif d'objet direct
(διαιρεΐν ...τρία μέρη, Plat. Phaedr., 253 d; οκτώ μέρη διελών το παν πλήθος, Plut. Per., 27) soit
avec κατά, qu'il s'agisse d'une question que l'on divise en parties (κατά μέρη Plat., Leg. 658 a) ou
d'un objet (κατά μέλεα διελών, Hdt, I, 119); l'emploi avec είς ne se rencontre guère que lorsque
le verbe est au passif (cf. Arisi, HA 486 a 5 οσα διαιρείται είς όμοιομερή et Déni., 4e Phil 51
είς δυο ταϋτα διήρετο τα των Ελλήνων).
11 C'est sans doute ce que veut dire F. Castagnoli, PP, p. 301, n. 1, mais, bizarrement,
il parle de είς au lieu de κατά et renvoie à ce sujet à Kondis (cf. infra, p. 9, n. 35) qui,
lui, parle bien de είς, mais à un tout autre point de vue.
12 Nous résumons rapidement ici tout le chapitre 11 du livre 12 de Diodore en utilisant
les commentaires de M. Casevitz (op. cit., p. 99-101).
1024 GEORGES VALLET

qui surgirent dans la ville nouvelle: il y eut d'abord une période de bonne
entente (όμονοήσαντες) entre les citoyens, mais elle fut de courte durée, et,
ajoute Diodore, on pouvait s'y attendre (ούκ άλόγως). Très vite des dissensions
apparurent entre les Sybarites d'origine (οι προϋπάρχοντες Συβαριται) et les
nouveaux arrivés (oi προσγραφεντες ύστερον πολΐτοα): les premiers voulaient
garder un rôle prépondérant dans la vie politique de la cité et dans
les cérémonies religieuses et, surtout, ils s'étaient attribué les terres les plus
proches de la ville (την μεν σύνεγγυς τη πόλει χώραν κατεκληροΰχουν έαυτοΐς),
ne laissant aux derniers venus que les terres plus lointaines (την δε πόρρω
κειμένην τοις έπήλυσι); bref - et c'est l'exemple même sur lequel s'appuie
Aristote 13 pour affirmer qu'on arrive toujours à un état de crise (στασιωτικόν
τι) quand sont juxtaposés dans une cité des éléments étrangers - la crise
(ή διαφορά) éclata, les nouveaux arrivés tuèrent la plupart des Sybarites 14
et restèrent seuls dans la ville (την πόλιν αυτοί κατωκησαν). Mais le territoire
était vaste et fertile et surtout - ce que ne précise pas Diodore - il fallait
pouvoir se défendre éventuellement contre une autre attaque des Crotoniates.
On fit donc venir de Grèce de nouveaux colons, et en grand nombre, et on
répartit la cité et le territoire suivant des principes d'égalité (διενείμαντο
την πόλιν και την χώραν έπ' ίσης ενεμον) 15. Tant de sagesse fut récompensée:
la cité devint prospère, fit alliance avec Crotone et le régime qui s'y établit
fut démocratique; on répartit les citoyens en dix tribus (διεΐλον τους πολίτας
είς δέκα φυλάς), auxquelles on donna un nom tiré de leur ethnie d'origine:
trois, qui regroupaient les Péloponnésiens, furent appelées arcadienne, achéen-
ne et éléenne; trois autres furent appelées béotienne, amphictyonienne,
dorienne; les quatre dernières reçurent les noms suivants: ionienne, athénienne,
eubéenne, insulaire. C'est alors qu'on fit venir comme législateur Charondas
dont l'œuvre est longuement rapportée par Diodore (chap. 12 à 20).
Revenons maintenant aux indications sur la fondation même de la
ville; elle s'est déroulée suivant les rites habituels: recherche du site 16 indi-

13 Arist. Pol. V, 3, 1303 a; cf. aussi Pol., V, 6-8 (1307 b); sur les rapports entre les indica
tions de Diodore et les réflexions d'Aristote, cf. les remarques judicieuses de N. K. Rutter,
op. cit., p. 167-168; cf. aussi F. Sartori, Problemi di storia costituzionale d'Italia, 1953,
p. 110-112.
14 Ceux qui réussirent à échapper au massacre s'installèrent (cf. Diod., XII, 22) sur les
bords du fleuve Traeis.
15 Sur le sens de cette phrase, cf. infra, p. 1029, n. 33.
16 Rappelons que Diodore, comme Strabon (VI, 1, 13, dont le récit contient de toute
façon d'évidentes confusions, indique que le site retenu pour Thourioi et déterminé en fonction
de la source Thouria, se trouvait à proximité de Sybaris (ούκ απω&εν της Συβάρεως). On sait
AVENUES, QUARTIERS ET TRIBUS À THOURIOI 1025

qué par le dieu, construction d'une enceinte, dénomination de la cité; puis


intervient le tracé des quatre plateiai κατά μήκος et des trois κατά το πλάτος,
dont Diodore indique les noms 17, et, finissant la description de la ville,
la phrase que nous avons laissée de côté provisoirement et qu'il nous faut
maintenant examiner 18.
On sait que les manuscrits du livre XII de Diodore se répartissent
en deux familles, l'une représentée essentiellement par le Patmïacus 50 (P),
l'autre qui dérive du Marcianus gr. 375 (M), avec tous les recentiores
utilisés surtout par les éditeurs 19. Jusqu'à l'édition Teubner 20, les éditeurs
donnaient comme texte: « ύπο δε τούτων στενωπών πεπληρωμενων ταΐς οίκίαις,
ή πόλις έφαίνετο καλώς κατεσκευάσυαι » et la traduction latine de Müller
montre bien comment on interprétait la phrase: quumque uicos his inter-
jectos domibus expleùissent, urbs commode digesta et pulchre exaedificata
uidebatur21; autrement dit στενωπός était interprété comme signifiant le
quartier, sens qui semblait impliqué par l'emploi du verbe πληρώ. Or, Vogel
fit d'abord remarquer que ταΐς οίκίαις était la correction d'un éditeur, alors

que les fouilles récentes effectuées à Sybaris (cf. infra, p. 1032, n. 42 montrent que Thourioi,
comme la colonie romaine de Copia, s'est installée sur le site de l'antique Sybaris: cf. à ce sujet
l'excellent volume publié par l'Accademia Nazionale dei Lincei, comme supplément aux NSA
(8e série, vol. XXIV, 3e suppl., 1970), qui présente un bilan (Sibari) de dix années de fouilles;
cf. aussi l'article de P. G. Guzzo - responsable d'une large partie du volume précédent -
Scavi a Sibari, PP, 1973, p. 278-314. P. G. Guzzo (Sibari, p. 17 sq.) note que les indications
de Diodore et de Strabon peuvent signifier, plutôt qu'une localisation différente de Thourioi
par rapport à Sybaris, une «non completa sovrapposizione dell'uno all'altro». C'est ce que
suggèrent les recherches effectuées sur le site, «mostrando una zona..., frequentata solo in
epoca arcaica, ed una seconda, quella del Parco del Cavallo, frequentata con buona continuità
dall'ultimo quarto del Vili0 sec. a.C. al V° sec. d.C. » (p. 17).
17 Ces plateiai sont désignées par des adjectifs: les quatre premières portent le nom de
divinités (où ne figure pas Athéna); il faut comprendre την δε 'Ολυμπιάδα par l'avenue de
l'Olympien et non d'Olympie. Pour l'emploi du mot πλατεία dans les textes, les papyrus et surtout
les inscriptions, cf. L. Robert, Etudes anatoliennes, 1937 (reprod. anastatique, 1970), p. 532-538
(notamment p. 532, n. 3 et 533-534): la plupart des πλατεϊαι que nous connaissons sont d'époque
impériale, « alors que presque toutes les villes s'ornaient de larges avenues rectilignes bordées
de colonnades» (L. Robert, p. 532); cf. du même auteur, RPh, 1958, p. 19 et n. 1, RPh,
1959, p. 223 et Bulletin Epigraphique, IV, 1959-1963, p. 191.
18 L'établissement du texte et son interprétation font l'objet d'un long commentaire de
M. Casevitz dans la Notice (p. XVI-XVII) de l'édition citée.
19 Cf. l'introduction de M. Casevitz (op. laud., p. 15 avec bibliographie).
20 F. Vogel, Diod., vol. II, éd. Teubner, 1890.
21 Diodori Sic. Bibl..., Dindorf-Müller, éd. Didot, 1845, p. 421.
1026 GEORGES VALLET

que les manuscrits portaient tous τας οικίας et que la seconde main de P22
corrigeait le début de la phrase ainsi: τούτων δε των στενωπών πεπληρωμένων;
dès lors, c'est ce texte qui fut adopté: une bonne édition de Diodore comme
celle de la collection Loeb qui choisit cette version ne donne (à l'exception
de τας οικίας) aucune indication dans l'apparat critique sur le texte originel
de P, que l'on retrouve dans toute la famille de M.
Cette nouvelle version, comment fallait-il l'interpréter? Diodore, qui
venait de parler des plateiai, reprenait sa phrase, après avoir donné leur nom,
en écrivant: « ces stenopoi une fois remplis de maisons »; il n'y avait donc
pas, ou il n'y avait donc plus, pour Diodore ou sa source, de différence
de sens entre stenopoi et plateiai; les deux mots étaient en fait indistinct
ement employés pour distinguer les rues d'une ville. C'est la thèse qui fut
soutenue, avec les conséquences que vous verrons bientôt, par A. von Gerkan,
dans son ouvrage considéré longtemps comme fondamental et qui reste
important pour toute recherche sur l'urbanisme grec: « en qualifiant ces rues
de rues principales (Hauptstrassen), on présuppose que, entre elles, il y en a
d'autres, plus étroites, et que le mot πλατεία désigne une rue particulièrement
large. Mais nous ne connaissons, dans aucune ville, un système ainsi conçu
de rues complémentaires et la suite du texte de Diodore [c'est la phrase que
nous venons de citer] montre qu'il ne faut pas interpréter Diodore en ce
sens: pour lui, il n'y a plus de différence entre πλατεία et στενωπή, les deux
mots désignant simplement les rues des villes; notons au passage que, pour
Diodore la beauté de la ville résulte de l'agencement régulier du plan de
la ville»23.
Deux ans plus tard, dans son Histoire de l'architecture urbaine, P. Lavedan
qui, semble-t-il, avait lu rapidement von Gerkan, reprenait une partie de ses
conclusions en les interprétant24: il était étonnant qu'une ville comme
Thourioi qui devait être importante, puisque beaucoup de monde avait

22 Cette correction est adoptée par le Scorialensis 104; sur la dérivation du Scorialensis
104 par rapport à P (Patmiacus 50), cf. la communication de P. Beltrac aux Etudes Grecques
(résumé dans REG, 78, 1965, p. XXXIV-XXXV).
23 Arnim von Gerkan,, Griechische Städteanlagen, Untersuchungen zur Entwicklung des
Städtebaues im Altertum, 1924; dans le second chapitre, vingt pages sont consacrées à Hippo-
damos de Milet (p. 42-62), avec deux passages sur la fondation de Thourioi (p. 47 sq. et sur
le plan de la ville (p. 56 sq.); le passage traduit se trouve p. 56-57. Dans Storia della Magna
Grecia (1927), E. Ciaceri semble accepter l'hypothèse de von Gerkan sur le sens de στενωπή
(II, p. 352, n. 3).
24 Pierre Lavedan, Histoire de l'architecture urbaine, 1926, p. 137-138.
AVENUES, QUARTIERS ET TRIBUS À THOURIOI 1027

répondu à l'appel des Athéniens, ne comportât que quatre artères longitu


dinales et trois transversales; mais la suite du texte de Diodore expliquait
tout: les citoyens, en effet, « étaient divisés en dix tribus . . . Cette division
nous fournit la clef du plan. Les quatre artères longitudinales et les trois
transversales déterminent douze secteurs: dix correspondent aux dix tribus,
qui représentent l'apport de la Grèce propre; un autre devait comprendre
les vieux Sybarites; le douzième était sans doute affecté aux organes gé
néraux de la cité, sorte de Panhellénion analogue à celui de Naucratis ».
Et, pour conclure, P. Lavedan admet, à titre d'hypothèse, l'existence de
petites voies secondaires « dont Diodore ne nous dit rien » (sic: ce qui
prouve bien qu'il admet l'interprétation de von Gerkan) « qui devaient sub
diviser ces quartiers en blocs d'habitations, en insulae » 25.
Cette hypothèse fut reprise et développée par R. Martin: à Thourioi
« le tracé des rues . . . fut dicté par la seule préoccupation de créer des
quartiers correspondant aux divers contingents de colons qui constituaient
le premier peuplement » 26, et plus loin: « Nous croyons très vraisemblable
l'interprétation du texte de Diodore proposée par P. Lavedan . . . Ces douze
zones [découpées par les grandes artères] sont l'effet de la distribution
politique des emigrants qui sont répartis en dix grandes tribus correspondant
à leur lieu d'origine ... Il est très vraisemblable qu'un quartier, suivant la
coutume, est attribué à la population primitive, les anciens Sybarites . . .
Enfin, à l'exemple des plans contemporains du Pirée, de Milet, une zone
était réservée au centre administratif, puisque c'est là la principale originalité
des plans inspirés par Hippodamos » 27. Ainsi s'établit le rapport que l'on
retrouve dans les manuels d'histoire grecque ou d'urbanisme grec entre les
dix tribus et les « douze » quartiers de la cité panhéllénique de Thourioi,
et qui est présenté comme la marque d'Hippodamos 28.

25 Ibidem.; le même développement est repris à peu près mot pour mot dans Lavedan
et Huguenet, Histoire de l'urbanisme, Antiquité, 1966, p. 164-165.
26 Roland Martin, op. cit., p. 41.
27 Ibidem, p. 45-46.
28 Cf. récemment l'excellent ouvrage de Ed. Will, op. cit., p. 278: «le corps civique fut
divisé en dix tribus... Mais où donc étaient les Sybarites? Peut être y eut-il à l'origine une ou
deux tribus sybarites, car on sait que chaque tribu eut un quartier de la ville, qui en comporta
douze». On notera une étrange variante sur les chiffres dans L. Mumford, La cité à travers
l'histoire, 1964, p. 250: «Thurium était divisée en dix (sic) quartiers par quatre grandes artères
longitudinales et trois transversales. Huit de ces grands ensembles étaient attribués chacun
à l'une des communautés, les deux autres étant réservés aux anciens Sybarites et aux édifices
publics... ».
1028 GEORGES VALLET

Or, il est clair que cette hypothèse, devenue peu à peu une donnée
bien admise, repose sur une erreur de calcul, mieux de raisonnement29.
Comment, en effet, à partir des droites qui les forment, compter les cases
d'un damier? Deux droites parallèles coupant à angle droit deux autres
parallèles déterminent un rectangle et non pas quatre! De même trois
parallèles coupant à angle droit quatre parallèles déterminent six rectangles
et non pas douze. Ce sont donc bien six quartiers, et non douze, que
forment les quatre et trois plateiai orthogonales de Thourioi. Si, par
ailleurs, pour l'ensemble de la ville, on tient compte - et il le faut bien -
des secteurs déterminés en partie par les plateiai, en partie par la muraille,
on ajoutera, autour de ces six quartiers centraux, quatorze autres et on
arrivera à un total de vingt. Tel est bien d'ailleurs le nombre qu'indiquait
von Gerkan: « Les rues étaient bordées de maisons des deux côtés et, le long
de la muraille, on avait non une rue, mais un πάροδος: cela détermine
vingt quartiers, dont il faudra soustraire un certain nombre pour le marché,
les temples, les édifices publics, ce qui nous donnera une quinzaine de
quartiers pour les maisons » 30, et suit un développement sur les remarques
démographiques que l'on peut faire à partir de ce nombre.
Il n'y a donc aucun rapport numérique à établir entre le nombre des
plateiai et la répartition des tribus dans la ville. Peut-on même dire, selon
la formule beaucoup plus prudente de P. Zancani Montuoro, qu'« à la régularité
géométrique du plan de la ville correspondit une répartition aussi précise
des habitants, selon les régions dont ils étaient originaires, en dix tribus »31?
Oui et non; en effet, le texte de Diodore sépare rigoureusement les temps:
il y a d'abord la première fondation de la ville avec la division de l'espace
urbain par les plateiai et la construction des maisons, puis, après une brève
période (ολίγον δε χρόνον) d'heureuse entente, les dissensions rappelées
plus haut, le meurtre de presque tous les anciens Sybarites, la venue de
nouveaux colons de Grèce, et c'est alors qu'ils διενείμαντο την πόλιν και

29 II est étrange que F. Castagnoli qui discute les deux « importantes interprétations »
de Lavedan d'une part et de von Gerkan d'autre part (PP, loc. cit., p. 303) n'ait pas relevé
que le premier reposait en fait sur une simple erreur; la même remarque vaut pour F. Sartori,
Prodromi di costituzione miste in città italiote nel V° sec, dans Atti Ist. Venet. Se. Lett, e Arti,
1972-1973, p. 644, n. 122. Il n'est pas exact non plus de dire, comme le fait F. Castagnoli
(loc. cit., p. 304), que von Gerkan «immagina la città divisa in 20 quartieri»; ce n'est pas
là une hypothèse, mais c'est bien le seul chiffre qu'autorisent les indications de Diodore, comme
nous allons le voir.
30 Von Gerkan, op. cit., p. 57. C'est ce nombre de vingt quartiers qui est indiqué par
W. B. Dinsmoor, The architecture of Ancient Greece, 3e edit., 1958, p. 214.
31 P. Zancani Montuoro, Enc. Arte antica, 1966, s.v. Thurii, p. 843.
AVENUES, QUARTIERS ET TRIBUS À THOURIOI 1029

την χώραν έπ' ϊσης ενεμον 32. Quel que soit le sens qu'il convient de donner à
διενείμαντο 33, il est évident que Diodore veut opposer la première phase
de la vie de la nouvelle cité (avec, déjà le tracé urbain régulier), au cours
de laquelle les Sybarites veulent s'arroger tous les droits dans la ville et
se réserver les meilleures terres dans la χώρα, au nouvel état de choses
qui s'établit par la suite: régime démocratique et répartition de la nouvelle
population en dix tribus. Il n'y a donc non seulement pas de rapport
numérique, mais pas de lien logique entre le tracé urbain et la division en
tribus, même si, en fait, celle-ci utilise d'une certaine manière les possi
bilités que donnent les divisions régulières de la ville.
En résumé, il ne faut pas faire dire à Diodore plus qu'il ne dit.
Dans son premier passage, Diodore évoque le tracé de la nouvelle fondation;
dans un second temps, il raconte comment, après des événements dramat
iques, les nouveaux arrivés furent divisés d'après leur origine; dans le
premier temps, il insiste sur la belle organisation de la ville (au sens matériel:
ή πόλις έφαίνετο καλώς κατεσκεύασυαι) ; dans le second, sur le bon gouverne
ment de la cité (καλώς έπολιτεύοντο).
Nous ne devons donc pas tenir compte des prétendues préoccupations
sociales ou ethniques qui auraient « dicté » le tracé des rues pour éclairer
le texte qui a été le point de départ de nos réflexions et auquel il faut main
tenant revenir. Sans aborder ici le problème des sources de Diodore, qui a été
longuement débattu34, on peut dire que, sans doute dans tout le début
du texte, Diodore résume maladroitement, comme le suggère I. D. Kondis35,
une source plus longue qui devait donner des renseignements assez détail
lés sur la topographie de Thourioi. C'est ainsi que l'expression διελόμενοι
κατά μεν μήκος εις τέτταρας πλατείας résulte probablement de la confusion
de deux idées voisines, qui devaient être exprimées séparément dans la
source suivie: la division de la ville en quartiers (εις μέρη) et la délimita
tion des quartiers par les grandes rues (δια πλατειών). Mais une maladresse
de ce genre ne nous autorise pas pour autant à procéder librement avec
le texte qui suit, en choisissant la correction d'un manuscrit (τούτων δε τών
στενωπών πεπληρωμένων) plutôt que la leçon de tous les autres, pour, en fin

32 Diod., XII, 11,2.


33 «Ils respectèrent l'égalité dans l'administration de la ville» (M. Casevitz); «to these
(i.e. aux nouveaux colons) they assigned parts of the city» (C. H. Oldfather, éd. Loeb).
34 Bon résumé dans F. Sartori, loc. cit., p. 638 et n. 95 et 121; en bref, l'article récent
de Rutter soutient contre Accame qu'Ephore est la source principale de Diodore pour l'ensemble
des livres XI et XII.
35 I. D. Kondis, Ή διαίρεσις τών Θουρίων, dans AE, 1956, p. 107-109.
1030 GEORGES VALLET

de compte, prêter à Diodore une grossière bévue: après avoir longuement


parlé de larges avenues orthogonales qui caractérisent le plan de Thourioi,
les plateiai, Diodore utiliserait pour désigner ces mêmes avenues le mot qui
évoque de toute façon un passage étroit (στενωπός) en écrivant quelque
chose comme: « on divisa la rue par de larges avenues et une fois ces
ruelles remplies de maisons... ». Il n'est pas raisonnable d'amender un texte
pour lui donner un sens qui est tout sauf satisfaisant.
Cependant il est vrai que le texte non amendé du manuscrit de
Patmos, que l'on retrouve dans l'autre famille, celle qui dérive du Marcianus
gr. 375 (M), n'est pas davantage satisfaisant: ύπο δε τούτων των στενωπών
πεπληρωμένων τας οικίας ή πόλις έφαίνετο καλώς κατεσκευάσϋαι. La correction
la plus simple, qui remonte à Reiske, est de changer τας οικίας en ταΐς
οίκίαις; c'est le texte qu'adopte M. Casevitz, parce que, dit-il, l'accusatif de
relation n'est pas courant chez Diodore 36, mais surtout parce qu'il faut bien
que πεπληρωμένων ait un complément pour que le texte adopté ait un sens:
« les petites rues étant, par eux, remplies au moyen de maisons, la cité
parut parfaitement organisée ».
Cette interprétation ne nous semble pas non plus vraiment satisfaisante: ainsi
comprise, l'indication ύπο τούτων est totalement superflue, alors que l'on
s'attend, une fois définies les grandes lignes du plan, à ce que Diodore
indique ce qui fut fait à l'intérieur de chacun des secteurs ainsi délimités.
C'est ce qu'avait bien vu I. D. Kondis, qui avait suggéré l'hypothèse suivante:
s'appuyant sur des exemples d'Euclide, il note que l'expression το ύπο τούτων
s'emploie par un double raccourci (l'article neutre au lieu d'un substantif
désignant l'angle ou le rectangle et l'omission d'un participe comme
περιεχόμενον indiquant l'idée de délimité par) pour signifier « l'angle ou
le rectangle formé ou délimité par ces lignes»; il propose donc de lire:
<τών> ύπο δε τούτων [των] στενωπών πεπληρωμένων, τας οικίας . . . etc.
Le sens serait: les rectangles compris entre ces plateiai une fois remplis
de stenopoi, la ville parut harmonieusement disposée avec ses maisons; en
effet, dans cette hypothèse, on peut maintenir l'accusatif de relation τας
οικίας et la fin de la phrase suggère que c'est l'alignement des maisons
sur les rues orthogonales (plateiai et stenopoi) qui faisait la beauté d'une
ville comme Thourioi, or, c'est précisément, selon Aristote, ce qui caractérise
le « style d'Hippodamos » 37.

36 M. Casevitz, op. cit., p. xvn.


37 Cf. I. D. Kondis, loc. cit., p. 255 et, du même Kondis, Ή εύτομος διάυεσις εις τον
Ίπποδάμειον τρόπον, ΑΕ, 1953-1954, Mélanges Oikonomos, I, p. 255-267. Aristote souligne (Pol.,
VII, X, 4, 1330 a) que la disposition des maisons privées (ή των ιδίων οικήσεων διάοεσις) semble
AVENUES, QUARTIERS ET TRIBUS À THOURIOI 1031

Pourtant, la correction et l'interprétation de Kondis, si intelligentes


soient-elles, n'ont pas été retenues par M. Casevitz, et à juste titre; l'e
xpression το ύπο τούτων appartient, dit-il, au langage technique et n'ap
paraît pas dans les textes littéraires38; plus même, il semble, d'après les
exemples d'Euclide que cite Kondis, que ces ellipses ne sont naturelles
qu'en fonction du contexte, qui permet l'expression abrégée, les mots
omis ici figurant ailleurs de façon explicite. De plus, dans la leçon pro
posée par Kondis, la place de δέ en troisième position, alors que les deux
mots précédents ne forment pas un tout, est totalement insolite et i
nvraisemblable. Dès lors, le plus sage serait sans doute de constater que
le texte de Diodore, tel qu'il nous a été transmis, présente une difficulté,
plutôt que de chercher à tout prix à la résoudre. Cependant, on peut affirmer,
sans risque d'erreur, les points suivants: των στενωπών πεπληρωμένων est
sans aucun doute un génitif absolu39; le participe πεπληρωμενων implique
normalement un complément et la correction ταΐς οίκίαις semble donc né
cessaire; mais plutôt que de comprendre ύπο τούτων comme un complément
totalement inutile du verbe passif (qui, d'ailleurs, le verbe étant au participe

beaucoup plus agréable (ήδίων) si elles sont bien alignées, conformément à la nouvelle mode
introduite par Hippodamos. Nous n'avons pas repris ici le problème d'Hippodamos à Thourioi
(Diodore ne le nomme pas): cf. à ce sujet, outre R. Martin et F. Castagnoli, F. Sartori, loc. cit.,
p. 639 sq. (notamment n. 100, où il rappelle justement l'idée exprimée par E. Lepore, Atti
VII0 Conv. Magna Grecia, 1968, p. 40 selon qui «il racconto di Diodoro - quai che ne sia
la fonte - è pervaso dalle dottrine dominanti nella speculazione ippodomea e suoi riflessi
nella teoria e prassi urbanistica»; Hippodamos certes ne joua aucun rôle dans la législation
de la nouvelle ville, qui fut le fait de Charondas; mais les réserves de Rutter, loc. cit., p. 165,
sur le rôle d'Hippodamos dans la construction de Thourioi doivent nous rappeler les lacunes
de notre documentation plutôt que nous porter à refuser les données fragmentaires qui peuvent
être interprétées dans ce sens.
38 M. Casevitz, loc. cit., p. xvii.
39 On pourrait être tenté de supposer que Diodore avait écrit τούτων δε ύπο στενωπών
πεπληρωμενων: «ces plateiai une fois remplies, c'est-à-dire complétées par les stenopoi», inter
prétation que suggère avec prudence Castagnoli, op. cit., p. 302: « si potrebbe tradurre: ed
essendo queste (cioè le plateiai) riempite di stenopoi (cioè completate cogli stenopoi) ». Mais,
si la conjecture est satisfaisante dans la mesure où elle explique facilement les deux leçons
des manuscrits (un copiste comprenant mal le sens de la phrase aurait substitué των à ύπό
pour retrouver la forme normale d'un groupe nominal à adjectif démonstratif - d'où le texte
du ms. de Patmos - et un autre pensant que l'expression devait signifier avec un ordre de
mots peu naturel « par ces petites rues » aurait voulu rétablir une formulation plus normale
et écrit ύπο δε τούτων των στενωπών, ce qui est le texte corrigé du ms. de Patmos et du
Scorialensis), elle n'est pas soutenable à cause du sens de πληρώ et de l'emploi de ύπό: πληρώ
peut prendre le sens de compléter, quand il s'agit d'un nombre, d'un ensemble qui est « amené
à sa plénitude»; mais les voies secondaires ne «complètent» pas en ce sens les voies principales.
1032 GEORGES VALLET

parfait, devrait plutôt être au datif), ne peut-on supposer que l'expression,


rattachée en quelque sorte aux στενωποί, signifie que ceux-ci sont subor
donnés, si l'on veut, aux πλατεΐοα et comprendre: « les stenopoi dépendant
de ces plateiai une fois complétées par les maisons » avec un sens de
πληρώ, qui ici ne fait pas de difficulté40.
On pourrait alors proposer pour le texte cité p. 1023 la traduction
suivante: « ils divisèrent la ville dans le sens de la longueur par quatre
avenues dites d'Héraclès, d'Aphrodite, de l'Olympien et de Dionysos; dans
le sens de la largeur, ils la divisèrent par trois avenues, appelées Hérôa,
Thuria et Thurina. Une fois que, dans la trame de ces avenues, les rues se
trouvèrent pourvues de leurs maisons, la ville apparut harmonieusement
disposée ».
Hypothèse, certes, parmi d'autres41; en revanche - et ce sera notre
conclusion - il est certain que l'ensemble du récit de Diodore ne permet
pas de mettre en rapport cette division de la cité par les plateiai avec la
répartition qui fut faite par la suite de la nouvelle population en dix tribus;
il est certain également que Diodore distingue nettement les plateiai et les
stenopoi42; il est probable enfin que certaines maladresses ou obscurités
du texte de Diodore s'expliquent par le fait qu'il résume une source qui
devait donner des indications plus détaillées sur la topographie de Thourioi;
mais, quelle que soit l'interprétation retenue pour la dernière phrase, il
semble hors de doute que Diodore, comme sa source, employait l'expression
τών στενωπών πεπληρωμένων ταΐς οίκίαις. Voilà qui montre bien la conception
que l'on avait du tracé d'une ville: on fixe les plateiai, puis les stenopoi,
enfin ceux-ci se trouvent « complétés » par les maisons: la viabilité établie
d'abord en vue du lotissement n'a de sens qu'en raison des constructions
à venir. La formule est à retenir quand on étudie l'urbanisme des colonies
grecques d'Occident.

40 En effet, ce sens de πληρώ, qui nous semble devoir être rejeté en ce qui concerne
le rapport des avenues et des rues, est ici admissible, puisqu'une rue sans maison n'est pas
une rue; il y a d'abord le tracé de la rue, mais celle-ci n'est complète que lorsqu'elle est
bordée de murs.
41 Elle m'a été suggérée par Jean Brunei, professeur honoraire à l'Université de
Montpellier, à qui je suis heureux de redire ici ma gratitude: depuis bien des années, j'ai
toujours trouvé auprès de lui autant de gentillesse que de compétence.
42 Sur les indications que fournissent les fouilles récentes de Sybaris sur les rues de
Thourioi et sur leur disposition, bon résumé dans P. G. Guzzo, PP, 1973, p. 291 sq.; le réseau
des rues est orthogonal; on notera notamment l'existence de deux plateiai de largeur inégale
(l'une, est-ouest, large de 6,50 m.; l'autre, nord-sud, large de 13 m. environ) et de nombreux
stenopoi, larges de 3,50 .m. environ.
PIERRE WUILLEUMIER

L'EMPOISONNEMENT DE CLAUDE

La critique philologique est inséparable de la tradition littéraire et


historique: un exemple récent confirme cet adage.
Pendant trois siècles et demi, depuis l'édition de Pichena en 1607, un
manuscrit du XIe siècle, le Laurentianus 68, 2, appelé M2, a servi de base
à l'établissement du texte pour la deuxième partie des Annales de Tacite.
En 1960, E. Koestermann lui a parfois préféré un exemplaire du XVe siècle,
le Leidensis BPL 16 Β = L, retrouvé et réhabilité par C. W. Mendell l.
Devant les réserves de la critique internationale, R. Hanslik et ses disciples
ont entrepris la recension générale, le dépouillement minutieux et le class
ement méthodique des quelque trente exemplaires contemporains, et, s'ils ont
réduit la valeur de L, ils ont, à leur tour, un peu exagéré celle du Vaticanus
Latinus 1958 (V 58) et de sa famille2.
Cette tendance se manifeste, en particulier, dans le passage relatif à
l'empoisonnement de l'empereur Claude, Ann., XII, 67, 1: le texte primitif
de M2, infusum delectabili cibo leto uenenum, semble avoir été corrigé,
par l'effacement des lettres ci, en infusum delectabili boleto uenenum;
L y ajoute une copule aberrante: infusum delectabili cibo et leto uenenum;
la famille de V 58 écrit: infusum delectabili cibo boletorum uenenum.
Les éditeurs hésitent de même: à l'exemple de Jac. Gronovius, J. Jackson
reconstitue cibo boleto; sur la suggestion d'Orelli, H. Fuchs ne garde que
cibo, en sacrifiant leto; inversement, à l'instigation de Ed. Wurm, H. Goelzer,
H. Bornecque et E. Koestermann conservent boleto, en négligeant ci; enfin
R. Hanslik et H. Weiskopf adoptent la variante cibo boletorum, . . . que

1 C. W. Mendell, Amer. Journ. Phil, LXXII, 1951, p. 337-345; LXXV, 1954, p. 250-270.
E. Koestermann, Philol, CIV, 1960, p. 92-115; Edit, Leipzig, Teubner, 1960; 1965.
2 R. Hanslik et I. Schinzel, Historiarum liber II, Wiener Studien, Beiheft 3, Vienne 1971.
R. Hanslik et H. Weiskopf, Annalium libri XI-XII, ibid., 4, 1973. R. Hanslik, in Antidosis
Festschrift für W. Kraus, ibid., 5, 1972, p. 139-149. M. Zelzer, Wien. Stud., 86, 1972, p. 185-195.
1034 PIERRE WUILLEUMIER

H. Goelzer et H. Bornecque semblent traduire par « un plat de champignons »,


tout en retenant pour le texte l'autre version!
Comment choisir? Les diverses leçons et corrections s'expliquent et
se justifient aisément au point de vue paléographique par les assonances
de syllabes et les analogies de mots. L'usage de l'auteur ne fournit pas un
argument décisif, car Tacite n'emploie pas ailleurs le substantif boletus,
ni l'adjectif delectabilis, qui prend ici une valeur ironique; cependant, sa
concision habituelle ne favorise pas la redondance cibo, boleto, et il ne
rattache jamais à cibus un génitif pluriel de nature objective. Cette construc
tion ne se rencontre guère, d'après le Thesaurus, que chez Pline l'Ancien3
ou dans la littérature chrétienne, et tous les auteurs latins donnent au mot
cibus le sens de « nourriture », d'« aliment » ou d'« ingestion », non pas
celui de « plat ». Enfin, la comparaison, qui s'imposait, avec les autres récits
du crime apporte une preuve décisive: en effet, les historiens, Suétone4
et Dion Cassius5, comme les poètes, Martial6 et Juvénal7, utilisent tous le
seul mot boletus - ou μύκης - au singulier. Il faut donc retenir le terme
technique boleto, nécessaire et suffisant. De fait, l'empoisonnement de
l'empereur dans un banquet était beaucoup plus facile à réaliser s'il portait
sur un spécimen particulier que sur un ensemble composite. L'« injection »
qu'il implique n'a rien de surprenant chez les anciens, passés maîtres dans
le maniement des substances toxiques 8, et pour une spécialiste aussi experte
que Locuste.
Ainsi, la leçon de V 58 prend figure de glose, et la valeur de ce
manuscrit tardif ne doit pas être surestimée.

3 Pline l'Ancien, H.N., XXIX, 97: piscium; XXX, 61: coclearum; XXXII, 70: mullorum.
4 Suétone, Cl, 44, 2: Boletum medicatum auidissimo ciborum talium obtulerat; cf.
Nér., 33, 1.
5 Dion Cassius, LXI, 34, 2: Φάρμακόν τι αφυκτον ... ες τίνα των καλουμένων μυκήτων ένεβαλε.
6 Martial, Epigr., I, 20, 4: Solus boletos, Caeciliane, uoras. / ... Boletum qualem Claudius
edit edas.
1 Juvénal, Sat, V, 147: Vilibus anticipes fungi ponentur amicis, / boletus domino, sed
quales Claudius edit / ante ilium uxoris, post quern nihil amplius edit; VI, 620: Minus ergo
nocens erit Agrippinae / boletus, siquidem unius praecordia pressit / Me senis. L'allusion de
Pline l'Ancien, H. Ν., XXII, 92, ne précise pas le nombre des bolets.
8 Cf. A.-M. Tupet, La magie dans la poésie latine, des origines au siècle d'Auguste,
à paraître prochainement.
HUBERT ZEHNACKER

LES « NUMMI NOVI » DE LA « CASINA »

La comédie que nous appelons maintenant Casino, est sans doute une
des pièces les plus tardives de Plaute *. C'est même la toute dernière de
celles qui nous sont conservées, si l'on en croit la chronologie établie naguère
par K.H.E. Schutter2, qui la date de 186-185, alors que Plaute est mort en 184.
Après la disparition de son auteur, la Casina fut l'objet d'une reprise;
à cette occasion, un poète inconnu la pourvut d'un nouveau prologue, qui
est le seul que nos manuscrits aient conservé. Ce prologue, comme le veut
la loi du genre, expose au public les données de l'intrigue, signale l'auteur
et le titre de la pièce grecque qui a servi de modèle, les Clerumenoe
(Κληρούμενοι) de Diphile, et rappelle que la traduction latine, sous le titre
Sortientes, est due à Plautus cum latranti nomine3. En tête du prologue,
après une captatio beneuolentiae de 4 vers, notre poète anonyme, pour
justifier la reprise d'une pièce de Plaute, développe l'idée que les productions
du passé, vieux vin, vieilles monnaies, vieilles comédies, valent mieux que
celles du temps présent. C'est à ce passage (Cas. 5-20), et particulièrement
au vers qui fait allusion aux nummi noui (Cas. 10) que nous voudrions,
après bien d'autres4, consacrer notre attention; et nous offrons cette étude
en un modeste hommage à un savant auquel aucune des réalités de l'Italie
antique n'est demeurée étrangère.

1 F. Ritschi, Parerga zu Plautus und Terenz, p. 191 sqq.


2 K.H.E. Schutter, Quibus annis comoediae plautinae primum actae sint quaeritur,
Groningue, 1952, p. 49-55.
3 On s'accorde à penser que Plaute s'est désigné d'abord sous les noms de Maccus Titus
(Asin. 11, Mere. 10), puis sous celui de Plautus (Truc. 1, Poen. 54, Trin. 8). On trouve aussi
le nom de Plaute en Men. 3 et Pseud. 2, mais ces prologues posent le même problème d'authent
icité que celui de la Casina.
4 H. Mattingly, E.S.G. Robinson, The date of the Roman denarius and other landmarks
in early Roman coinage, dans PBA XVIII, 1932, p. 211 sqq. Id., The prologue to the Casina of
1036 HUBERT ZEHNACKER

*
* *

Le premier problème est celui de la date de la reprise de la Casina,


et c'est le poète anonyme lui-même qui nous fournit une indication.
Nos postquam populi rumore intelleximus
Studiose expetere uos Plautinas fabulas,
Antiquam eius edimus comoediam,
Quant uos probastis qui estis in senioribus.
Nam iuniorum qui sunt, non norunt, scio; 15
Verum ut cognoscant dabimus operarti seduto.

Les spectateurs âgés ont assisté à la première représentation de la


Casina et ont accueilli la pièce avec faveur; mais les plus jeunes, assurément,
ne peuvent la connaître et la découvriront donc grâce à cette reprise.
Un simple calcul permet d'inférer de cette phrase une indication chronol
ogique. Selon toute vraisemblance, les seniores ont au moins 45 ans au
moment de la reprise de la Casina; or, pour goûter la pièce lors de sa pre
mière représentation, ils devaient avoir à tout le moins l'âge d'homme, 17 ans.
Si nous gardons ces deux chiffres à titre d'hypothèse de travail, et si nous
retenons la date de 186/5 pour la première représentation, nous aboutissons
à une reprise vers 158/7. Mais cette date ne peut être qu'un terminus post
quem, car si les intéressés pouvaient avoir plus de 17 ans en 186/5, il est
encore plus vrai qu'ils devaient en avoir plus de 45 au moment de la reprise.
Nous pouvons donc raisonnablement descendre à 155, voire à environ 150.
Il est vrai que des considérations numismatiques sont venues troubler
parfois ces données de la chronologie, et c'est la faute des vers 9 et 10 du
prologue:
Nam nunc nouae quae prodeunt comoediae
Multo sunt nequiores quant nummi noui. 10

Plautus, CR, 1933, p. 52 sqq. Id., Nummus, dans AJPh LVI, 1935, p. 225-231. Tenney Frank, On
the dates of Plautus' Casina and its revival, dans AJPh LIV, 1933, p. 368-372. W. Beare, The date
of the Casina, CR, 1934, p. 123 sqq. S. L. Cesano, La data di istituzione del denarius di
Roma, dans BMIR IX, 1938, p. 3-26. H. Mattingly, The first age of Roman coinage, dans JRS XXXV, 1945,
p. 65-77. A. Stazio, "Nummus" in Plauto, Numismatica, 1948, p. 19 sqq. G. P. Shipp, Plautine
terms for Greek and Roman things, Glotta XXXIV, 1955, p. 139-152. H. B. Mattingly, The first
period of Plautine revival, dans Latomus XIX, 1960, p. 230-252. J. H. Michel, Le prologue de la
Casina et les manages d'esclaves, dans Homm. à L. Hermann, Coll. Latomus XLIV, 1960,-p. 553-561.
R. Thomsen, Early Roman coinage, II, Copenhague 1961, p. 173-175.
LES «NUMMI NOVI» DE LA « CASINA » 1037

Dans une série d'études restées célèbres 5, H. Mattingly et E.S.G. Robin-


son ont employé ce texte, parmi d'autres arguments, pour situer la création
du dernier en 187; dans cette perspective, il leur fallait remonter la date de
la première représentation de la Casino, jusque vers 210, et celle de sa
reprise en 169 environ. Malgré les oppositions qu'elle suscita6, H. Mattingly
resta fidèle à cette théorie jusqu'à la fin de sa carrière7; et si la distance
entre les années 169 et 187 paraissait un peu grande pour que l'on pût
parler de nummi noui, les opinions de E. A. Sydenham, qui pensait que le
denier avait été créé en Italie du Sud et n'était remonté à Rome que pro
gressivement 8, venaient à point nommé fournir un explication.
Mais la science numismatique progressait. En 1960, H. B. Mattingly9
chercha à sauver l'essentiel de la doctrine de son père, la création du denier
en 187, quitte à sacrifier ce qui paraissait accessoire, la datation haute de
la Casina et de sa reprise. Le savant britannique décelait dans toute une
série de pièces de Plaute des traces de remaniements, et proposait, vers
l'année 150, des reprises pour VAmphitryo, les Captiui, la Casina, la Cistella-
ria, le Curculio et le Truculentus. Du coup, les nummi noui ne désignaient
plus les premiers derniers succédant aux quadrigats, mais les derniers au
revers de Diane, puis de la Victoire en bige, succédant aux deniers anciens
et (partiellement) lourds, au type des Dioscures.
Une partie de cette discussion appartient aujourd'hui au passé. Les
recherches de R. Thomsen 10 permettent de situer la date de la création du
denier vers 213-211. Aux arguments proposés par ce savant, d'autres sont
venus s'ajouter n, et il semble bien que les nummi nouì de la Casina
n'aient plus rien à apprendre aux numismates 12.

5 Citées dans la note précédente.


6 Cf. les articles de Tenney Frank, W. Beare et S. L. Cesano, cités ci-dessus.
7 H. Mattingly, Notes, dans E. A. Sydenham, The coinage of the Roman Republic,
Londres 1952, p. 221.
8 E. A. Sydenham, Problems of the early Roman denarius, Transactions Num. Congress,
Londres 1936, p. 262-275; repris dans CRR, p. 14 sqq.
9 Η. Β. Mattingly, The first period of Plautine revival, dans Latomus XIX, 1960, p. 230-252.
1U R. Thomsen, Early Roman coinage, 3 vol., Copenhague 1957-1961. Le compte rendu
le plus clair est celui de J. Heurgon, dans REL XL, 1962; p. 411-418.
11 P. Marchetti, La datation du denier romain et les fouilles de Morgantina, dans RBN CXVIL
1971, p. 81-114.
12 M. H. Crawford, Roman Republican coinage, Cambridge 1974, I, p. 28, note 4.
1038 HUBERT ZEHNACKER

D'aucuns pourraient même soutenir qu'il faut exclure toute référence à


des realia: en 1960, J. H. Michel 13 a fait remarquer que l'éloge des monnaies
anciennes et le mépris des espèces nouvelles, supposées de mauvais poids
et de mauvais aloi, est un topos dont un passage des Grenouilles d'Arist
ophane(v. 717 sqq.) fournit un excellent exemple.
Nous ne croyons pas, cependant, qu'il faille aller si loin. L'ensemble
du prologue de la Casina est trop concret, trop romain de ton, pour qu'on
puisse considérer la plainte sur les nummi noui comme une simple clause
de style. Au contraire, la mauvaise humeur du Prologus doit avoir des
fondements réels, et nous voudrions montrer que les recherches numismati-
ques récentes permettent d'envisager, sinon une solution unique, du moins
des éléments de solution.

Le prologue de la Casina, tel que nous le possédons aujourd'hui, n'a


sans doute pas été rédigé d'un seul jet. Le poète anonyme qui s'y exprime
par endroits peut avoir remanié à son usage un prologue authentiquement
plautinien, en en gardant de larges extraits et en y intercalant des morceaux
de son cru. On ne peut guère se prononcer sur la captatio beneuolentiae
des v. 1-4, mais les v. 5-20, où les poètes d'autrefois sont comparés à ceux
de la nouvelle génération, sont un passage qui appartient à coup sûr au
remanieur. Les v. 21-63, qui consistent en une présentation de la pièce,
viennent sans doute pour l'essentiel du fonds ancien 14; au contraire les

13 J. H. Michel, Le prologue de la Casina et les mariages d'esclaves, dans Homm. à L. Hermann,


Coll. Latomus XLIV, 1960, p. 553-561.
14 Plaute parle souvent de lui à la troisième personne, et le jeu de mots sur son nom est
tout à fait dans sa manière:
Diphilus
Hanc graece scripsit, postid rursum denuo
Latine Plautus cum latranti nomine.
Mais la cheville du v. 33, postid rursum denuo, peut être la trace d'un remaniement. Dans Men. 3,
le Prologus dit au public:
Apporto uobis Plautum lingua, non manu,
qui se comprend mieux s'il s'agit d'une reprise après la mort de Plaute, apportare Plautum
manu signifiant «apporter le texte de Plaute». Au début du prologue de la Casina, il est
question (v. 12) des Plautinae fabulae, dans un passage qui appartient à coup sûr au remanieur;
on retrouve l'expression Plautina fabula dans un des deux vers survivants du prologue du
Pseudolus, et c'est une autre trace probable d'une reprise posthume.
LES «NUMMI NOVI» DE LA « CASINA » 1039

v. 64-80, et notamment la digression sur les mariages d'esclaves, sont plutôt


à mettre au compte du poète anonyme. Du v. 81 à la fin, la vraisemblance
penche en faveur d'une attribution à Plaute 15. Ce qui nous importe, c'est
que l'auteur du second prologue parle en son propre nom lorsqu'il fait
référence aux nummi noui, mais probablement aussi lorsqu'il mentionne
par deux fois, et de façon très personnelle, l'Apulie et les Apuliens:

At ego aio id fieri in Graecia, et Carthagini,


Et hic in nostra terra, in Apulia;
Maioreque opere ibi seruiles nuptiae
Quam liberales etiam curari soient.
Id ni fit, mecum pignus, si quis uolt, dato 75
In urnam mulsi, Poenus dum iudex siet,
Vel Graecus adeo, uel mea causa Apulus.

Nous verrons plus loin ce qu'il faut en penser.


Dans l'immédiat, nous voudrions reprendre en peu de mots le problème
du sens de nummus chez Plaute. A l'époque de la « bataille du denier »,
un certain nombre d'études ont paru sur cette question, mais on peut les
soupçonner de manquer d'objectivité. Nous donnons ci-dessous la liste
complète des occurrences de nummus dans le corpus plautinien 16.
Dans un certain nombre de cas, nummus est accompagné d'un génitif
ou d'un adjectif qui le qualifie; on a nummus argenti, auri, aureus, Philippeus
ou Philippus, plumbeus. Le sens est évident, il s'agit de monnaies d'argent,
d'or, de plomb (nous dirions de la monnaie de singe).
Nummus employé sans déterminant n'est souvent que la reprise d'une
somme précédemment énoncée en nummi d'argent ou d'or. Il arrive aussi
que le contexte immédiat fournisse la clef. Ainsi dans Poe. 594-595:
Hic trecentos nummos numeratos habet.
Ergo nos inspicere oportet istuc aurum, ...

15 J. H. Michel, dans l'étude citée supra, attribue à Plaute les v. 1-4, 35-63, 67-88.
16 Rien dans Amph.; Asin. 153, 440, 487; Aul 108, 112, 448; Bacch. 609, 668, 706, 709,
873, 882, 969, 1026, 1033; Capt. 258, 331; Cas. 10; rien dans Cist. ni dans Cure; Ep. 54, 330,
372, 701; Men. 219, 290, 311, 542; Merc. 491; rien dans Mil.; Most. 115, 357, 535, 632, 892,
919, 1011, 1080; Pers. 36, 117, 437, 663, 684, 852; Poen. 166, 345, 594, 670, 714, 732, 734;
Pseud. Arg. Π, 2, et 81, 97, 299, 356, 506, 644, 809, 847, 877, 1323; Rud. 1313, 1314, 1323,
1327, 1406; rien dans Stick; Trin. 152, 844, 848, 954, 959, 962, 966, 970, 995, 1003, 1139;
Truc. 562; rien dans Vid. ni dans les frgts. - Cf. G. Lodge, Lexicon Plautïnum, 2 vol., Leipzig
1904-1933.
1040 HUBERT ZEHNACKER

où il s'agit évidemment de pièces d'or; ainsi encore dans Per. 683-684:


Probae hic argenti sunt sexaginta minae,
Duobus nummis minus est.

où ce sont des nummi d'argent.


Jamais nummus n'est accompagné de aeris ou de aeneus; même en
l'absence de toute précision, le terme ne peut désigner chez Plaute que de
la monnaie d'or ou d'argent.
Mais quelles sont les dénominations visées? Les nummi Philippei sont
des statères d'or; nummi aurei s'emploie indifféremment à la place de
Philippei et désigne donc également des statères 17.
On aimerait pouvoir affirmer, de manière parallèle, que les nummi
d'argent sont toujours des didrachmes. Mais cette équivalence n'est absolu
mentcertaine que dans un texte, Truc. 561-562:
Nam iam de hoc obsonio de mina una deminui modo;
Quinque nummos mihi detraxi, partem Herculaneam.

La mine valant 100 drachmes, la pars Herculanea, c'est-à-dire la dîme,


en vaut 10; c'est la valeur de 5 nummi; le nummus est un didrachme.
Dans deux autres textes, nous apprenons que le nummus vaut plus
qu'une drachme. Dans Pseud. 808-809, un cuisinier déclare:
Uli drachumissent miseri: me nemo potest
Minons quisquam nummo ut surgam subigere.

« Que ces pauvres diables se donnent pour une drachme; moi, à moins
d'un écu, personne ne peut me faire lever de mon banc ». (Trad. Ernout).
On peut penser à un didrachme ou à un tétradrachme.
Dans le Rudens, v. 1323 sqq., le leno Labrax propose de payer success
ivement 300, 400, 500, 600, 700, 1000, 1100 nummi, mais Gripus exige un
talentum magnum; au v. 1344 nous apprenons qu'il s'agit d'un talentum
argenti, c'est-à-dire de 6000 drachmes. Dans une telle enchère, le saut de
1100 à 3000 didrachmes, voire de 1100 à 1500 tétradrachmes, paraît plus
naturel que celui de 1100 à 6000 drachmes. Nummus signifie donc ici
didrachme ou plutôt tétradrachme.

17 Une confirmation dans Poen. 713-714:


heic sunt numerati aurei
Trecenti nummi qui uocantur Philippei.
LES «NUMMI NOVI» DE LA « CASINA »> 1041

Dans un passage des Ménechmes, Men. 541-542, le mot nummus prend


une acception pondérale:
Amabo, mi Menaechme, inauris da mihi,
Facienda pondo duum nummum stalagmiti.
Il ne s'agit pas de « pendeloques du poids de deux drachmes » (trad.
Ernout), mais, si nous admettons que ces bijoux doivent être en or, de pen
deloques du poids de deux statères.
Tels sont les seuls textes qui fournissent des renseignements quelque
peu explicites. Nous passons naturellement sous silence les expressions négat
ives du type Pseud. 356:
Nummum non habes
« Tu n'as pas un sou, pas un écu », qui ne peuvent rien nous apprendre.
A plus forte raison ne tenons-nous pas compte de Per. 704, où Nummos-
expalponides est une conjecture de Ritschl, ni du célèbre Trinummus, le
type même du faux problème.
Nummus désigne donc, dans les intrigues de pièces de Plaute, une monnaie
quelconque de métal précieux, et plus particulièrement les deux dénominat
ions courantes dans l'Italie hellénisée, le statère d'or et le didrachme d'argent.
Mais le v. 10 du prologue de la Casina n'est sûrement pas de Plaute,
encore que le poète anonyme s'efforce d'imiter la langue de son modèle;
de plus, il n'est pas question de l'intrigue de la pièce. Nous devons donc
compléter notre enquête en expliquant le mot nummus en fonction de
l'histoire romaine des années 160-150.
A cette époque, Rome ne frappe pas de monnaie d'or. D'autre part le
bronze est à exclure aussi. On n'a jamais dit à Rome *as nummus, semis
nummus, uncia nummus, ni rien de tel. Dans le monnayage de l'Etat romain
nummus s'applique exclusivement aux métaux précieux: on dit denarius,
quinarius, sestertius nummus, uictoriatus nummus, comme on avait dit
précédemment quadrigatus nummus, et comme on dira plus tard aureus
nummus. Dans toutes ces expressions, nummus est le substantif générique,
que qualifient en le précisant les adjectifs denarius, quinarius, etc. Il est
donc certain que pour un Romain de Rome nummus désigne une monnaie
d'argent.
Une difficulté pourtant se présente. Dans certaines régions de l'Italie
on a employé nummus pour désigner des monnaies de bronze. Le cas est
formellement attesté en Apulie 18. Or nous serons amené à penser que le

18 Ainsi à Lucéria, CIL I2 401, IX 782. Tenney Frank, On the dates of Plautus' Casina
and its revival,, dans AJPh LIV, 1933, p. 369, pense qu'il s'agit de victoriats, mais J. Heurgon, Les
1042 HUBERT ZEHNACKER

poète qui a composé le prologue de la Casina, au vu des v. 72 et 77, est


peut-être apulien. Dans cette hypothèse, les nummi noui désigneraient bien
des monnaies de bronze, mais il faudrait admettre que le poète a laissé
échapper une expression régionale qui risquait de créer un malentendu
auprès du public de Rome.

* *

II nous faut maintenant nous tourner vers l'histoire de la monnaie


romaine au IIe siècle avant J.-C; contrairement à ce qu'espéraient nos pré
décesseurs, ce sera peut-être la numismatique qui fournira quelques lumières
à la philologie.
Dans un ouvrage consacré aux émissions monétaires de la République
romaine 19, nous avons analysé plus particulièrement les séries de la période
sextantaire et du début de la période onciale20. Les principales étapes de
l'évolution nous paraissent être les suivantes.
1) Le système du denier est créé vers 213-211 (chronologie de R. Thom-
sen). Ils s'accompagne du victoriat et du bronze sextantaire. Les ateliers
sont très dispersés, mais peut-être un peu moins que ne l'a cru Sydenham.
2) Après la seconde guerre punique, ou au tout début du IIe siècle,
l'atelier de Rome devient atelier principal pour la production de l'argent
comme il l'était déjà pour le bronze. Le victoriat subit une dévaluation et
son style se détériore, mais les deniers sont encore de poids plein. Le bronze
manifeste une tendance croissante au poids oncial.
3) A partir d'env. 180, le poids du denier est réduit de 1/72 à 1/84 de
livre; quelques émissions plus anciennes avaient déjà amorcé le mouvement.
Le bronze est maintenant officiellement frappé au poids oncial, encore qu'on
observe des retours surprenants au régime sextantaire. Au bout de quelques
années, les ateliers provinciaux sont tous fermés; seuls restent en activité
la Monnaie de Rome et un atelier auxiliaire. Vers 175 apparaît au revers

«nummi» de l'inscription du bois sacré de Lucére, dans BSFN XVIII, 1963, p. 278-279, a montré
que ce sont des monnaies de bronze. Des pièces de bronze de Teanum Apulum et de Venouse,
en Apulie également, portent les mentions Ν, Ν Ι, Ν II (W. Giesecke, Italia Numismatica,
p. 137 sq.; R. Thomsen, Early Roman coinage, I, p. 194 et 203).
19 H. Zehnacker, Moneta, 2 vol., Rome 1973 (= BEFAR 222).
20 Ibid., I, p. 350-444.
LES «NUMMI NOVI» DE LA « CASINA » 1043

du denier le type nouveau de Diane en bige, suivi en 165 de la Victoire


en bige, sans doute par référence à la victoire sur Persée. Le victoriat cesse
d'être émis vers 165. L'as disparaît vers 145, mais les autres dénominations
de bronze continuent à être frappées; leur poids est souvent inférieur au
calibre oncial.
Demandons-nous maintenant quelles peuvent avoir été les raisons qui
ont poussé l'auteur du second prologue de la Casina, vers les années 155-150,
à se plaindre de la monnaie romaine. Les considérations de type et de style
lui sont sans doute étrangères; seuls entrent en ligne de compte le poids
et l'aloi des pièces ainsi que leur pouvoir d'achat.
Si les nummi du poète anonyme désignent, contrairement à l'usage
romain, de la monnaie de bronze, ce n'est pas un événement unique qui a
provoqué son mécontentement, mais la tendance persistante du bronze de la
République à perdre du poids et à devenir monnaie fiduciaire. La dévaluation
était galopante pendant la seconde guerre punique; elle est larvée dans les
premières décennies du second siècle.
Mais passons au monnayage d'argent. La dévaluation du denier est vieille
de 25 à 30 ans; le délai paraît un peu long, mais il est des ressentiments
qui ont la vie dure ... La disparition du victoriat vers 165 conviendrait mieux.
Nous avons essayé de montrer récemment 21 que le victoriat ne valait strict
ementque son pesant d'argent, tandis que les monnaies d'argent du système
du denier étaient surévaluées d'un tiers de leur poids. Pour imposer le denier
à l'ensemble de l'Italie et à certaines régions outre mer, l'autorité romaine
avait éprouvé le besoin de recourir à une monnaie de transition. Vers 165
cette nécessité ne se faisait plus sentir: l'impérialisme romain triomphait
bien au-delà des frontières de l'Italie, et à Rome même les guerres de con
quête avaient amené un véritable flot de numéraire et un rush inouï vers
la prospérité. Rome alimenta désormais en deniers les régions de l'Italie où
régnait précédemment le victoriat. On sait par ailleurs qu'à l'extrême fin du
IIe siècle, une lex Clodia remit en vigueur un néo-victoriat en lui assignant
le poids et la valeur d'un quinaire. Or nous pensons que le victoriat circulait
avec la valeur d'un quinaire dès bien avant cette date; l'arrêt de la frappe
du quinaire le confirme. On peut donc suggérer maintenant que dès env. 165
les victoriats qui restaient en circulation furent tarifés à un demi-denier.

21 H. Zehnacker, Le quinaire-victoriat et la surévaluation du denier, à paraître dans


Actes du Congrès Intern, de Numismatique, New-York 1973.
1044 HUBERT ZEHNACKER

Mais ne perdons pas de vue que l'auteur du prologue de la Casina dit


hic in nostra terra en parlant de l'Apulie; il soutient aussi que les mariages
d'esclaves 22 se célèbrent en grande pompe en Grèce, à Carthage et en Apulie,
et si le public refuse de le croire, il propose qu'un Poenus, un Graecus,
ou mea causa, un Apulus vienne le confirmer23. Mea causa n'a de sens
que s'il signifie « pour tenir compte du fait que je suis Apulien ».
Cette origine géographique pourrait bien se doubler d'un conflit de
générations et de goûts littéraires. Le théâtre du temps de Plaute et d'Ennius
reflétait la prise de conscience d'une Italie en voie de romanisation; à partir
de Térence au contraire, ce sont de plus en plus l'esprit et le goût de la
ville de Rome qui s'imposent24. Il semblerait que le poète qui s'exprime dans
le prologue de la Casina rappelle avec nostalgie une époque où les product
ionslittéraires répondaient plus à son goût et à celui de l'ensemble de ses
compatriotes.
Si donc ce poète inconnu est originaire d'une région de l'Italie hellé
nisée, de l'Apulie par exemple, il a assisté, à partir de 165-160, à l'effacement
progressif du victoriat et de toutes les monnaies iocaies, au profit d'un denier
fortement surévalué dont la crédibilité lui paraissait douteuse, malgré le
prestige de l'autorité qui le soutenait.

* * *

Mais pour compléter l'éventail de nos hypothèses, tournons-nous vers


le nouveau catalogue du monnayage républicain, accompagné d'une véritable
histoire de la monnaie, qui vient de paraître sous la signature de
M. H. Crawford25.
Dans le classement adopté par ce savant, qui admet pour la création
du denier la date thomsénienne basse de 211, les émissions du système du

22 J. H. Michel, loc. cit., p. 553-557, montre de façon convaincante que les mariages
d'esclaves auxquels il est fait allusion dans ce passage ne sont pas à considérer sous l'angle
juridique, mais comme une festivité: nuptiae et non matrimonium, « noce » et non « mariage ».
23 On a souvent mal compris la raison de la présence de ces personnages, surtout celle
de l'Apulien. Rien n'est pourtant plus simple. Pour attester la réalité de certaines coutumes
grecques, puniques ou apuliennes, qui peut être plus compétent qu'un iudex grec, punique ou
apulien?
24 P. Grimai, Le siècle des Scipions, Paris 1953, p. 88.
25 M. H. Crawford, Roman Republican coinage, 2 vol., Cambridge 1974.
LES «NUMMI NOVI» DE LA « CASINA » 1045

denier se suivent à un rythme extrêmement rapide jusqu'à la fin de la guerre


punique, en fonction des besoins énormes de l'Etat romain pendant cette
période. Il en résulte que pour les événements auxquels nous avons fait
référence, les dates adoptées par M. H. Crawford sont plus hautes que les
nôtres26. La diminution du poids du denier, d'env. 4,5 à env. 3,9 g, et corré
lativement celle du victoriat, d'env. 3,4 à env. 2,9 g, se fait vers 200. Le pre
mier denier présentant au revers Diane en bige est situé vers 194-190 27,
alors que nous proposions 175. Les derniers victoriats, de même, sont placés
dans la période 179-170 28, alors que nous avancions la date de 165. Toutes
les émissions de bronze de la même époque, bien entendu, suivent ce mouve
mentvers le haut. Ce n'est pas le lieu ici de discuter le bien-fondé d'une
telle chronologie, mais il faut avouer qu'elle ne nous aide pas dans notre
recherche des nummi noui.
Un autre trait de la chronologie de M. H. Crawford, pourtant, semble
nous favoriser. C'est qu'à force de serrer vers le haut les quelque 120 pre
mières émissions du système du denier, l'inévitable devait se produire: la
chronologie monétaire du milieu et surtout du dernier tiers du IIe siècle
étant à peu près sûre, on risque de « vider » de toute émission le second
quart de ce même siècle. M. H. Crawford a consciemment accepté ce risque,
et il a résolu le problème d'une façon à la fois audacieuse et élégante. Il
suppose en effet que la frappe des nummi a été interrompue vers 170, et
qu'à l'exception de deux émissions (les n° 182 et 187) qu'il faudrait peut-être
déplacer29, aucune monnaie romaine d'argent n'est émise jusqu'en 157.
Lorsque le monnayage de l'argent reprend, les deniers commencent à adopter
le nouveau type de la Victoire en bige dont l'apparition, vers 157, se trouve
donc datée de quelque 8 ans plus bas que nous ne l'avions proposé
nous-même.
Dès lors, il est bien tentant de considérer que les mummi noui de la
Casina désignent la reprise du monnayage d'argent à Rome vers 157. Notre
poète se ferait le porte-parole des milieux conservateurs, qui restaient attachés
au monnayage de bronze et considéraient avec suspicion l'importance crois-

26 Notre propre chronologie est évidemment plus haute que celle de Sydenham, puisqu'il
nous a fallu redistribuer toutes les émissions à partir d'une date initiale qui se situe en 213-211
et non plus en 187.
27 C'est le denier de TAMP, Syd. 335, Cr. 133/3.
28 C'est le victoriat au symbole casque, Syd. 271, Cr. 168/1.
29 Les émissions griffon, Syd. 283, Cr. 182/1, et PVR, Syd. 424, Cr. 187/1.
1046 HUBERT ZEHNACKER

sante que prenait l'argent après la victoire sur Carthage30. L'arrêt de la


frappe des nummi en 170 leur parut de bon augure, mais sa reprise vers
157 les fit déchanter, et le prologue de la Casina, peu après, exprime ce
mécontentement.
Il est une objection pourtant que nous voudrions opposer à cette hypo
thèse presque trop séduisante. Entre les derniers deniers d'avant 170 et les
premiers d'après 157, on ne constate aucune différence de poids ni d'aloi;
pour trouver le denier « lourd » de 4 scrupules, il faut, nous l'avons dit,
remonter à env. 200. La différence de type même, à supposer qu'elle ait
intéressé le poète de la Casina, n'est pas frappante; la Victoire en bige ne
se distingue de Diane en bige que par des détails, auxquels les numismates
modernes sont sans doute plus sensibles que ne l'étaient les usagers anciens.
Au demeurant, tous les deniers postérieurs à 157 ne portent pas ce type de
la Victoire; on retrouve les Dioscures et Diane.

Après ce tour d'horizon, plus exploratoire que démonstratif, force nous


est de reconnaître qu'aucun événement ne saurait à lui seul justifier la plainte
des nummi noui. Dans l'état actuel de la science numismatique, nous avons
le choix entre plusieurs possibilités. Mais cette abondance, au lieu de nous
décourager, doit nous paraître significative. Dans la première moitié du
IIe siècle, l'histoire de la monnaie romaine présente un certain nombre de
faits qui peuvent tous justifier les récriminations d'un laudator temporis acti.
Une dévaluation unique ne l'aurait sans doute pas ému; mais au milieu
- et peut-être à cause - de l'afflux des richesses étrangères, la monnaie
romaine « dérapait » de partout: le bronze perdait du poids, lentement mais
sûrement; le victoriat, qui avait les faveurs de certaines populations, cessait
d'être frappé; et le denier ne retrouvait plus son immuabilité pondérale et
typologique d'autrefois.
Pour notre poète, le bon vieux temps était passé, et rien n'allait plus.

30 H. Zehnacker, La numismatique de la République romaine. Bilan et perspectives,


dans Aufstieg und Niedergang der röm. Welt, I, Berlin 1972, p. 286-287.
FAUSTO ZEVI

L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE


«IN CIRCO» E ALTRE OSSERVAZIONI

Si ritiene generalmente che l'espressione: in circo Flatninio, con cui gli


antichi localizzano taluni monumenti della zona meridionale del Campo
Marzio, abbia un valore « regionale », indicando cioè quegli edifici collegati
con il circo da un rapporto topografico di contiguità. In un recentissimo
lavoro \ T. P. Wiseman ha proposto invece una diversa spiegazione. Muo
vendo dall'etimologia varroniana (circus Flaminius . . . quia circum aedifi-
catus est Flaminium campum . . .) 2 e dai lessicografi (circus est planities
rotunda) 3, egli conclude che il circo Flaminio dovette essere, all'origine, un
semplice recinto approssimativamente circolare, che delimitò l'antico campo
Flaminio (o, in altre fonti, prata Flaminia); gradualmente invaso da edifici
e regolarizzato nella forma, finì col divenire quella sorta di piazza rettangol
are che la forma urbis ci fa conoscere. L'espressione: in circo Flaminio
avrebbe perciò un valore letterale, designando cioè quelle costruzioni sorte
con il tempo nei prata Flaminia e, quindi, effettivamente dentro il primi
tivoperimetro del circo.
L'ipotesi del Wiseman ha del paradossale e dimostra, se non altro,
quanto scarse siano le nostre conoscenze su monumenti pur celebri della
Roma antica. Le etimologie, anche se linguisticamente corrette (ma dubito
che tale sia il nostro caso) certo non possono spiegare tipologia e sviluppo

Sono vivamente grato al Prof. F. Castagnoli che ha letto questo scritto e mi ha


confortato del suo favorevole giudizio.
1 T. P. Wiseman, Circus Flaminius, in PBSR, XLII, 1974, p. 3 ss. (in seguito citato:
Wiseman).
2 Varrò, L. L., V, 154; ma Varrone continua: et quod ibi quoque (come nel circo Massimo:
cfr. 153) ludis Taureis equi circum metas currunt. In questa frase, circum non può significare
che: intorno.
Λ Nonius Marc, 697.
1048 FAUSTO ZEVI

delle strutture architettoniche; nessuno, ritengo, potrà immaginare il tempio


periptero esastilo come un edificio circolare solo perché Vitruvio detta
misure e disposizione dei colonnati che eran circum la cella4. Rotondo
avrebbe dovuto essere, a maggior ragione, il Massimo, un circus al
pari del Flaminio, del quale è di secoli più antico; e ciò, se non altro,
è escluso dalla natura dei luoghi. Topograficamente, va osservato che
l'antica via che usciva da Porta Carmentale avrebbe tagliato proprio a mezzo
il supposto recinto circolare; e, d'altro canto, la recente analisi di B. Olinder
ha ribadito come l'espressione in circo Flaminio entri nell'uso corrente
soltanto con l'età augustea5.
Vi è tuttavia, nell'ipotesi del Wiseman, un elemento che richiede atten
zione, e che viene a raggiungere un convincimento che anche chi scrive,
per altra via, era venuto formandosi. A ben considerare, tutte le ipotesi sul
circo Flaminio, vecchie e nuove, muovono dall'assunto ο dalla persuasione
che il circo fosse una struttura permanente di muratura, come il circo
Massimo e gli altri noti in Roma e fuori; ma, se guardiamo la forma urbis,
con la didascalia circus Flaminius troviamo indicato una specie di piazzale,
in cui non si riconosce nessuno di quegli elementi che si ritengono pecul
iari di un circo. Di qui, l'idea - più ο meno esplicitamente presente in tutti
gli studi (quello del Wiseman costituendo, anche per questo riguardo, una
eccezione), che un'opera di totale ο parziale demolizione, sia intervenuta
in qualche momento della storia dell'edificio. D'altronde, senza supporre una
radicale trasformazione, come conciliare il fatto che ancora nel 145 d.Cr.
si celebravano nel circo i ludi Taurei, ciò che implica un permanere delle
sue funzioni « circensi », e mezzo secolo dopo si trova raffigurato nella
pianta marmorea qualcosa che di circo non sembra avere che il nome?
Tuttavia non va dimenticato che in Roma tutti gli edifici da spettacolo
dell'età repubblicana (e alcuni di età imperiale, come l'anfiteatro neroniano)
erano costruiti in legno: edifici stabili quindi, in quanto stabilmente destinati
ad una funzione specifica, ma solo in certa misura permanenti, perché costi
tuiti da strutture parzialmente mobili. A me sembra probabile, tenuto conto
delle fonti, che, a differenza del Massimo, il circo Flaminio non abbia mai

4 P. es. Ili, II, 5.


5 B. Olinder, Porticus Octavia in circo Flaminio, Acta Inst. Rom. Suec, 8° voi. XI, 1974
(in seguito citato: Olinder), spec. pp. 17 ss. Ritengo però probabile che l'espressione fosse pre
sente anche in Varrone, perché ritorna in ambedue gli autori antichi, Servio (Ad Aen. 2,
225) e Macrobio (Sat. 3, 4, 2) che riportano il suo brano, il quale inoltre, nel secondo di essi,
viene riferito in forma di discorso diretto. Contra: Olinder, p. 51.
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE 1049

superato la fase a strutture lignee, non sia mai divenuto un edificio stabi
lmente costruito in muratura. Le ragioni probabilmente furono più d'una;
in primo luogo, la natura dei ludi che si svolgevano nel circo Flaminio
implicava una diversa, e più semplice, articolazione dell'arena6; ma soprat
tutto, dovette sembrar conveniente lasciare ad un'area, ormai al centro di
una vasta zona completamente urbanizzata e di spiccata impronta monum
entale, un carattere di adattabilità a usi diversi. Così, Augusto, nel 2 a.Cr.,
potè dare una caccia acquatica al coccodrillo là dove, nel 9, aveva tenuto
l'orazione per la morte di Druso; Vespasiano sembra utilizzasse il circo,
secondo l'antico costume, per farvi sfilare la pompa del suo trionfo; però,
nel 140 e nel 145 vi si celebrano i ludi Taurei, la forma urbis lo presenta
come una piazza e, nel IV sec. d.Cr., Polemio Silvio continua ad annotare
in Roma circi duo, Maximus et Flaminius: notizie in apparenza fortemente
contraddittorie, ma non in reale contrasto, mi sembra, nella spiegazione che
si è proposta. D'altro canto, è da presumere che sia la costruzione (in
muratura) come la demolizione di un edificio di tale portata, avrebbero
lasciato qualche traccia nelle fonti. F. Coarelli certo ha ragione sottolineando
il fatto che il teatro di Marcello invase una parte dell'area del circo Flami
nio 7; ma deve essersi trattato di un'operazione poco laboriosa, relativamente
indolore anzi, se gli antichi, che pur ricordano le distruzioni di templi ο gli
acquisti di suoli privati necessari per la nuova fabbrica, al circo Flaminio
non accennano mai. Solamente in questa prospettiva l'ipotesi del Wiseman
può conservare una sua ragionevolezza: alcuni edifici occuparono parzia
lmente l'originaria area del circo, ma ciò, a mio giudizio, non ne alterò
sostanzialmente la forma e, soprattutto, non ne compromise le funzioni.
Dobbiamo anzi immaginare che, a somiglianzà del circo Massimo, nel cui
interno sorgevano anche edifici sacri, monumenti di diversa natura siano
venuti ad inserirsi negli spazi destinati alle gradinate lignee, intercalandosi
con esse: tale, probabilmente, il caso del tempio dei Castori, che forse trasse
la sua inusuale forma proprio dalla ricerca di un coerente raccordo archi
tettonico con la compagine del circo8; né il massiccio porticato di Via di
S. Maria dei Calderari (la supposta crypta Balbi) può ritenersi ostacolo allo

6 Cfr. G. Marchetti Longhi, Circus Flaminius, Mem. Line. s. V, XVI, 1923, p. 621 ss.
(spec. 649 ss.); il circo aveva delle metae, Varrò, loc. cit.
7 F. Coarelli, II tempio di Diana in circo Flaminio e alcuni problemi connessi, in DdA,
II, 2, 1968, p. 191 ss. (spec. 202 ss.).
8 Sul tempio dei Castori in circo, Vitr. IV, 8, 4.
1050 FAUSTO ZEVI

sviluppo del circo Flaminio, ο addursi a prova del suo estendersi altrove9.
Ha dunque ragione, sembra, chi interpreta il summus circus ovidiano, come
il lato opposto, e quindi il più distante, rispetto al punto di partenza delle
gare 10; in ogni caso, un riferimento alle strutture stesse del circo sembra
da escludere.

Il riconoscimento dell'autonomia delle due zone, in campo e in circo,


ha rappresentato, negli studi del passato, un'acquisizione di fondamentale
importanza. Gli esatti confini tra le due zone (se pur ve ne erano di rigo
rosi) sono però materia di discussione. Un'ingegnosa teoria, che risale, credo,
al Domaszewki n ed è stata sostenuta con particolare vigore dal Castagnoli
nella sua classica monografia sul Campo Marzio 12, riconosce il limite tra
Campo e circo neìVamnis Petronia, piccolo affluente del Tevere, che, al dire
di Festo, i magistrati, recandosi in Campo Marzio per esercitarvi le loro
funzioni, dovevano attraversare avendo preso un particolare genere di
auspici, gli auspicia peremnia 13. Il percorso deli' amni s è stato, tentativamente
ricostruito dallo Hülsen 14; nel suo tratto terminale - che anche secondo il
Wiseman marcherebbe il confine della zona in circo - esso dovrebbe riconos
cersinella cloaca in pietra gabina che da Piazza Mattei muove in linea retta
sino al Tevere 15. Ma l'identificazione del vero sito del circo Flaminio ha

9 G. Marchetti Longhi, Nuovi aspetti della topografia del... Campo Marzio, in MEFR,
82, 1970, 117 ss.
10 Recentemente: F. Coarelli, II tempio di Bellona, BCom, LXXX, 1968/67, 37 ss. (spec,
p. 49 ss.); M. Guarducci, in RendPontAcc, XLII, 1969/70, pp. 220 ss.; Marchetti Longhi, art. cit.,
p. 144 ss.; diversamente, in accordo alla sua idea, Wiseman, p. 15 (summus circus = «the edge
of the Circus »).
11 A. V. Domaszewski, Die Triumphstrasse auf dem Marsfelde, in Archiv. Relig. Wiss.,
12, 1909, p. 67 ss.
12 F. Castagnoli (in seguito citato: Castagnoli), II Campo Marzio nell'antichità, Mem. Line,
s. Vili, 1947, p. 93 ss. (spec. 119 ss.).
13 Fest, p. 296 Lindsay, s.v. Petronia amnis. Non credo che il passo di Nicolao Damasceno
(Vita di Aug. XXIII) si riferisca al ponte dell'amnis, come supposto da M. E. Deutsch (Univ.
Calif. Pubi. Class. Phil., II, p. 272 ss.; cfr. Castagnoli, p. 119).
14 In Jordan-Hülsen, Topogr. d. Stadt Rom, I, 3, p. 473.
15 Castagnoli, p. 119; Wiseman, p. 8. II Wiseman mi ha cortesemente voluto comunicare
che egli non crede più a questa funzione di confine dell'amnis Petronia: egli esprimerà questo
suo nuovo punto di vista in una recensione al libro di B. Olinder, in corso di stampa nel
JRS 66, 1976.
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE 1051

completamente mutato le prospettive di ricostruzione topografica della


zona; ad esempio, si è ormai compresa la vera ragione della omogeneità di
orientamento di tutti gli antichi edifici a partire dal Portico di Ottavia fino
a S. Salvatore in Campo 16. Del resto, lo stesso Castagnoli implicitamente
ha mostrato di ritener necessaria una sostanziale revisione delle sue prece
denti posizioni, con il proporre per il tempio di S. Salvatore, prima consi
derato oltre i confini deìì'amnis e quindi in campo, l'identificazione con
uno degli edifici sacri in circo Flaminio 17; dal canto suo, F. Coarelli ha
sviluppato la sua ricostruzione topografica senza tener in conto il problema
del tracciato del fiume 18.
Ora, mentre il diverso valore giuridico-sacrale delle due zone non può
essere negato, dal punto di vista puramente topografico permangono delle
incertezze. Vi è, in primo luogo, il problema della vasta area a nord-est
del circo Flaminio, e tuttavia al di qua délì'amnis Petronia, che, con tutta
verosimiglianza, non era detta in circo; in secondo luogo, l'indicazione
« regionale » in circo Flaminio sembra entrare nell'uso corrente piuttosto
tardi 19, e con valore eminentemente topografico. Ma soprattutto, sul piano
concreto, dobbiamo considerare le condizioni ambientali del Campo Marzio
in età più antica, quando corsi d'acqua, sorgenti, paludi dovevan rendere
disagevole l'accesso specialmente ad alcune zone della pianura. Nel 193 a.Cr.
gli edili costruirono, tra la Porta Fontinale e l'ara di Marte, un portico qua
in campum iter esser20. Naturalmente ciò non significa che, prima d'allora,
la piana fosse priva di ogni iter; ma la notizia liviana indica, a mio avviso,
che l'accesso all'ara Martis, e quindi ai Saepta, avveniva normalmente
secondo un percorso preciso, appunto quello che dovevano seguire i magis
trati che, scendendo dal foro, si recavano in Campo Marzio. Dunque, è
lungo questo itinerario che si effettuava il passaggio délì'amnis Petronia,
qui si dovevano evitare i vitia che potevano inficiare l'azione magistratuale.
Ma non mi sembra che le fonti autorizzino l'ipotesi che Vamnis costituisse

16 La individuazione delle direttrici di sviluppo del Campo Marzio è uno dei ineriti maggiori
del Castagnoli (spec. p. 148 ss.); naturalmente, ignorandosi allora la vera ubicazione del circo
Flaminio, egli faceva dipendere l'omogeneità di orientamento degli edifici della zona sud della
pianura, dalla direzione della via che usciva dalla Porta Carmentale.
17 Precisamente con il tempio di Bellona: F. Castagnoli, in Gnomon, XXXIII, 1960, p. 608.
18 Specialmente nel lavoro: L'«ara di Domizio Enobarbo» e la cultura artistica in Roma
nel II sec. a.Cr., in DdA, II, 3, p. 302 ss. (in seguito citato: Coarelli).
19 Cfr. nota 5.
20 Liv., XXXV, 10, 12.
1052 FAUSTO ZEVI

una linea continua di confine tra campo e circo. In età augustea, poi,
quando si generalizza la locuzione in circo Flaminio, le opere di canalizza
zione e di bonifica avranno reso ben difficile seguire, in superficie, il per
corso del fiume.

II riconoscimento della posizione del teatro di Balbo e del circo Flami


niocostituisce un'altra delle fondamentali conquiste che la topografia di
Roma antica deve all'acume di G. Gatti21. Sulle prime, la scoperta non ebbe
la risonanza che meritava, suscitando piuttosto polemiche che un nuovo
fervore di studi22. Mentre L. Cozza ha continuato il lavoro sui frammenti
della forma urbis con acquisizioni di primaria importanza (fondamentale
l'identificazione della porticus Minucia25), si deve riconoscere a F. Coarelli
il merito di aver tratto dalla recente scoperta tutte le conseguenze, delineando,
in un'ampia serie di lavori, una ricostruzione brillante della topografia
della regione 24. Non tutti i dubbi sono, come è ovvio, fugati, né tutte le
ipotesi che egli presenta possono dirsi verificate con uguale certezza; le
pagine che seguono metteranno anzi in luce qualche motivo di dissenso.
Ma, al dilà dei possibili emendamenti a margine, il quadro tratteggiato da
Coarelli mantiene, mi sembra, una solidità che gli deriva da un'intima
coerenza.
Uno dei punti controversi rimane la localizzazione della porticus
Octavia in circo Flaminio 25. Costruito da Cn. Ottavio dopo il trionfo navale

21 G. Gatti, Dove erano situati il teatro di Balbo e il circo Flaminio, in Capitolium,


XXXV, 7, 1960, p. 3 ss.
22 G. Marchetti Longhi, in Palatino, IV, 1960, 162 ss.; e VI, 1962, p. 168 ss.; repliche di
G. Gatti in Palatino, V, 1961, p. 17 ss., e VII, 1962, p. 147. Nel secondo suo articolo, il Marc
hetti Longhi ha accettato la nuova collocazione del teatro di Balbo.
23 L. Cozza, Pianta marmorea severiana, nuove ricomposizioni, in Studi di Topografia
Romana (Quad. Ist. Topogr. Ant., V, Roma, 1968), p. 9 ss.
24 Oltre agli articoli già citati, si vedano specialmente: La porta trionfale e la Via dei
Trionfi, in DdA, II, 1, 1968, p. 55 ss.; L'identificazione dell'area sacra del Largo Argentina,
in Palatino, XII, 1968, p. 365 ss.; Navalia, Tarentum e la topografia del Campo Marzio meri
dionale, in Quad. Ist. Topogr., V, 1968, p. 28 ss.; Classe dirigente romana e arti figurative,
in DdA, IV-V, 1970/1, p. 241 ss. «Polykles», in St. Misc. 15, 1970, p. 85 ss.
25 A questo argomento è dedicata la seconda parte del libro di B. Olinder, cit. a nota 5;
la sua interpretazione è a tal punto priva di ragionevolezza, che non merita qui discuterla:
si cfr. la mia recensione in Gnomon, 1976 (in stampa) e quelle, sostanzialmente concordi, del
Wiseman (JRS, 66, 1976, in stampa) e di P. Gros (RA, 1976, in stampa).
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE 1053

su Perseo di Macedonia, l'edificio è definito porticus duplex corinthia26:


l'appellativo corinthia trae origine, come racconta Plinio, dal fatto che
aveva capitelli di bronzo (e forse anche di ordine corinzio); il valore di
duplex è stato discusso27. L'inusitato sfarzo della decorazione spiega perché
Velleio includa il portico di Ottavio tra gli edifici del II sec. che, insieme
con la pubblica magnificenza, introdussero in Roma la luxuria 28. Ricostruito
da Augusto, il portico ospitò le insegne recuperate dai Dalmati nel 33 a.Cr.29.
Unica fonte per l'ubicazione della porticus Octavia è Festo, che la dice
theatro Pompeii proxima30: F. Coarelli la ha collocata sul lato nord del
circo Flaminio, subito al dilà dei portici di Ottavia e di Filippo, immaginand
ola come un grande quadriportico simile al portico di Metello e racchiu
dente,come quello, due templi 31. La posizione prescelta è plausibile, e corr
isponde abbastanza bene alle indicazioni di Festo; d'altro canto, è probabile
che, al pari dei coevi edifici « trionfali », il portico di Ottavio allineasse la
fronte lungo la via seguita dai trionfi32. Perplessità suscita invece la sup
posta struttura a quadriportico, un tipo edilizio che, per quanto noto, non
sembra affermarsi in Roma che più tardi; e appare poco conforme allo spirito del
tempo che Ottavio si sia limitato a costruire un temenos porticato attorno
a due templi non legati al suo nome: diverso naturalmente il caso del portico
di Metello, sorto come cornice allo splendido tempio di Giove Statore. Dal
punto di vista topografico, non c'è la materiale possibilità di sistemare,
nell'area indicata, un quadriportico grande come quello di Ottavia, perché
i ruderi scoperti attorno a Largo Arenula hanno già l'orientamento degli
edifici in campo, e la Via dei Falegnami è sostanzialmente antica e marca
chiaramente sul terreno un confine preciso tra due zone distinte33. Ritengo
perciò - e trovo questa opinione condivisa da B. Olinder e da T. P. Wise-

26 Plin., N. H., XXXIV, 13.


27 V. la nota di J. J. Coulton, Διπλή στοά, in A] A, 75, 1971, p. 183 ss.
28 Veli, II, 1, 2.
29 Res Gestae, 19; App., Ill, 28; cfr. Dio, XLIX, 43, 8.
30 Fest., p. 188 Lindsay. Sulle orme di Olinder (op. cit. a n. 5, su cui vedi la mia
recensione in Gnomon 1976, in stampa) nega valore alla notizia di Festo anche L. Richardson Jr.,
The evolution of the Porticus Octaviae, in A] A, LXXX^ 19/6, p. 57 ss.
31 Coarelli, p. 312 ss. e fig. A.
32 Sull'argomento ν. da ultimo l'ari, cit. di F. Coarelli, La porta trionfale e la via dei
Trionfi.
33 Si veda la pianta di G. Gatti, art. cit. in Capitolium 1960, fig. 6.
1054 FAUSTO ZEVI

man34, che la porticus Octavia fosse un edificio architettonicamente in sé


concluso, ad unico braccio, segnalato soprattutto per la singolare preziosità
della decorazione, che introduceva in Roma moduli e concetti ornamentali
tipicamente ellenistici.
Senza entrare nel merito di una recentissima, suggestiva proposta del
Wiseman, che ne propone l'identificazione con il portico di Via S. Maria
dei Calderari35, è sufficiente qui limitarsi all'osservazione che, immaginando
il monumento di Ottavio come un fabbricato ad unica ala, viene a cadere
la necessità di un rapporto puntuale con altri edifici in circo. Nell'interno
del quadriportico da lui immaginato, F. Coarelli ha disposto i templi di
Vulcano e di Marte. Anche se non connessa con la porticus Octavia, è
verosimile che la aedes Vulcani si trovasse in questa zona, non lontana
dai Saepta e dalla palus Caprae con cui sembra avesse rapporto36. Fragili
appaiono invece gli argomenti addotti per localizzare qui il tempio di Marte.
Sostanzialmente, anzi, si riducono a due: una presunta relazione con il
portico di Ottavio; il luogo di rinvenimento dell'Ares Ludovisi37.
Il primo argomento è di carattere induttivo. Poiché le insegne che
Augusto recuperò dai Parti vennero poste nel tempio di Marte Ultore, e
quindi dedicate a Marte, si suppone che il portico di Ottavio, in cui furon
collocate le insegne dalmatiche, fosse in un qualche rapporto col tempio
di Marte in circo. Ma la proposizione può essere rovesciata: se le insegne
dovevano esser dedicate a Marte, non avrebbe avuto senso porle nel portico
circostante, anziché nel santuario del dio stesso; semmai, l'episodio prova
che l'edificio di Ottavio col tempio non aveva nulla a che fare38. Quanto
alPAres Ludovisi, Pier Sante Bartoli ne segnala il trovamento (sotto la voce:
« Campitelli »), nei pressi del Palazzo Santacroce « per andare a Campitelli ».
F. Coarelli osserva che questa specificazione non si adatta al Palazzo di
Piazza Cairoli, ma a quello, più antico, « a diamanti », che è, appunto, sulla
via per Campitelli e sorge là dove egli vorrebbe localizzare il tempio di
Marte. La supposizione è ingegnosa, ma non del tutto soddisfacente; ciò che

34 Olinder, p. 110 ss.; Wiseman, p. 13 ss. Ho esposto la stessa idea nel. Colloquium:
Hellenismus in Mittelitalien, Göttingen Giugno 1974 (in stampa). La ricostruzione topografica
proposta da Coarelli è invece accolta con favore da G. Ch. Picard (non J. Heurgon, come
in Olinder, p. Ili), in REL, 1970, p. 647.
^ Idea che egli ha espresso nella recensione cit. a nota 15.
36 Castagnoli, p. 162 s. con bibl; Coarelli, p. 354, nota 43.
37 Coarelli, pp. 313 ss.
38 Questa, e molte delle altre successive argomentazioni, sono state da me presentate nel
citato intervento nel Colloquium: Hellenismus in Mittelitalien.
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE 1055

reca maggior imbarazzo, nella testimonianza del Bartoli, è in verità il titolo


« Campitelli » che non si attaglia né all'un palazzo né all'altro. D'altro canto,
dai primi del Seicento in poi, il « palazzo delli signori Santacroce », cioè il
palazzo padronale della famiglia, è quello di P.za Cairoli, e il Bartoli si
sarebbe espresso in modo diverso se avesse voluto alludere ad un altro delle
molte case e palazzi che i Santacroce possedevano in città. L'Ares Ludovisi
andrà riportato all'incirca nel luogo dove lo poneva Lanciani; l'espressione
di P. S. Bartoli indicherà forse quel lato del palazzo che prospetta su Via dei
Giubbonari, cioè la strada che di lì segue « per andare a Campitelli ».

* * *

L'antico edificio sotto le case adiacenti S. Salvatore in Campo, fu segnal


atoper la prima volta da V. Baltard nel 1837; il Canina giustamente vi
riconobbe un tempio, che suppose orientato in senso est-ovest, e di cui
tentò di delineare una pianta ricostruttiva39. Solo nel 1872, nuove scoperte
e un'accurata indagine dei resti superstiti consentirono a V. Vespignani40
quella eccellente ricostruzione che, fino ad oggi, è rimasta canonica (v. figg. 1-2):
un periptero esastilo di proporzioni raccorciate (forse con nove colonne sui
fianchi) sollevato su un crepidoma a sei gradini, con colonne « di marmo
greco a scanalature e baccelli », quindi di ordine ionico ο corinzio, ma con
« basi di maniera dorica » 41. Nessun resto dei capitelli, che comunque, con
sagacia, il Vespignani immaginò ionici.
A partire dal 1863, lo studio topografico e architettonico del monu
mento si arresta come ricerca indipendente e viene a collegarsi con il pro
blema dei rilievi Monaco-Louvre (un tempo nel palazzo Santacroce), che,
dal Furtwängler in poi, siamo avvezzi a chiamare Γ« ara di Domizio Eno-
barbo ». L'argomento fondamentale della dimostrazione risale allo Urlichs42
che, collegando il rilievo di Monaco col thiasos marino di Skopas esistente,

39 L. Canina, in Ann. Inst, 1838, 1 ss; una soluzione planimetrica diversa ma sempre
conservante l'orientamento nord-sud già da lui proposto, è presentata dallo stesso Canina in
Antichi Edifizi di Roma, Monum. voi. II tav. VI (riprodotte ambedue da Vespignani, art. cit.
a nota seg., tav. V, figg. 1-2 vedi qui fig. I in basso).
40 V. Vespignani, Avanzi di tempio incerto della IX regione di Augusto, in BCom, L,
1872/73, p. 212 ss.
41 F. W. Shipley, in MAAR, IX 1931, p. 44, afferma che il tempio di S. Salvatore ha
podio di travertino e colonne di tufo; evidentemente una confusione di schede.
42 L. Urlichs, Skopas, Greifswald 1863, p. 129.
1056 FAUSTO ZEVI

al dire di Plinio, nel delubrum Cn. Domiti43, e quest'ultimo con un aureo


di Domizio Enobarbo raffigurante il tempio di Nettuno44, trasse le conclus
ioniche i rilievi di Monaco appartenessero alla decorazione del tempio di
Nettuno, e precisamente al fregio della cella; che essi provenissero al palazzo
Santacroce dal vicino tempio di S. Salvatore il quale, pertanto, doveva identi
ficarsi con il tempio di Nettuno in circo Flaminio, eretto dal partigiano di
Antonio poco dopo il 40 a.Cr. Seguì, nella stessa direzione, una brillante
esposizione del Brunn45, quantunque l'Overbeck46, in un articolo troppo
trascurato, avesse mostrato l'impossibilità di un rapporto tra il periptero
di S. Salvatore e la figurazione monetale di Domizio, e sottolineato il carattere
puramente neoattico dei rilievi che con lo stile e il gruppo del grande Skopas
del IV secolo difficilmente avevano rapporto.
Fu merito del Furtwängler 47 l'aver ricollegato il rilievo di Monaco con
quello del Louvre, e averne riconosciuto l'appartenenza ad un solo monumento,
appunto Γ« ara di Domizio Enobarbo ». Il rapporto di contenuti tra le scene,
così diverse, dei due rilievi, restava altamente problematico; e la questione
si fece ancor più complessa quando il Domaszewski, in una fondamentale
ricerca48, interpretò la scena del Louvre non come una missio exercitus,
bensì come la lustratio che conclude il censo. La spiegazione fu cercata
con l'associare i due temi, per così dire, in « unione personale » nella figura
del dedicante ο di un suo antenato: si doveva trovare un personaggio che
fosse stato censore oltre che ammiraglio. La scelta dipendeva anche dalla
datazione che, su base stilistica, si assegnava ai rilievi. Così, volta a volta,
si proposero Cn. Domizio Enobarbo, cens. 115 (Domaszewski); P. Servilio
Isaurico, cens. 55/54 (Anti) 49; L. Gellio Poplicola, cens. 70 (Kahler, Wiseman) 50;

44 Ν.
43 Grüber,
Η., XXXVI,
Brit. Mus.
26. Coins, Rep., II, p. 487.; R. Bartoccini, 77 tempio di Nettuno nell'aureo
di Domizio Enobarbo, in Atti Mem. 1st. It. Numism., Ill, 1917, p. 83.
45 H. Brunn, Der Poseidonfries in d. Glypt. zu München, in S ζ. Ber. Κ. Nayr. Akad.,
I, 1876, p. 342 ss. (= Kl. Schriften, II, p. 371 ss.).
46 J. Overbeck, Die Kunstgesch. Stellung d. Rei. mit. Poseidon ecc, in Ber. K. Sachs.
Ges. d. Wiss. Leipzig, 28, 1876, 110 ss.
47 A. Furtwaengler, in Intermezzi, Leipzig-Berlin 1896, p. 33 ss.
48 Art. cit. a nota 11, spec. pp. 79 ss.
49 Atti IstVen, 84, 1924/5, p. 473 ss.
50 H. Kahler, Seethiesos und Census (Monum. Artis Rom. VI), Berlino 1966, p. 35 ss.;
con diversa e originale prospettiva, T. P. Wiseman, Legendary Genealogies... Greece and
Rome, XXI, 1974, spec. p. 160 ss., che interpreta il thiasos come allusione alla leggendaria
discendenza di L. Gellio da Nettuno.
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE 1057

M. Antonio, cens. 97 (Coarelli) 51; e l'identificazione dell'edificio col tempio


di Nettuno rimase anche quando venne a perdersi ogni collegamento con i
Domizi Enobarbi52.
Il miglior lavoro d'insieme sulla « ara di Domizio Enobarbo » è quello
di F. Coarelli. Riprendendo un'intuizione del Mingazzini 53, egli pensa che lo
Skopas autore del thiasos marino fosse non il grande scultore del IV sec,
ma il minore suo omonimo, attivo in Roma sullo scorcio del II sec. a.Cr.,
cui già il Mingazzini aveva assegnato il Pothos, e Coarelli, convincentemente,
avvicina sia l'Ares Ludovisi che, come opera di bottega, i rilievi già Santa-
croce. Nuovi documenti d'archivio danno la persuasione che la « ara » pro
venga realmente da S. Salvatore, di cui sarebbe perciò accertata l'identità
con la aedes Neptuni in circo Flaminio. Il committente dei rilievi sarebbe
M. Antonio, vincitore dei pirati nel 102 a.Cr. e censore nel 97; da un
accenno di Cicerone, apprendiamo che, forse per suo incarico, costruì i
navalia (collegati con il tempio di Nettuno?) 54 l'architetto greco Ermodoro
di Salamina, il quale, come sappiamo da altre fonti, aveva altrove collabo-
rato con Skopas Minore.
Infine, due anni fa, P. Gros ha pubblicato un importante contributo
su « Hermodoros et Vitruve » 55. Egli osserva che, nel dare le norme per la
costruzione del tempio periptero esastilo, Vitruvio, detta nel libro IV, delle
proporzioni differenti da quelle che egli stesso prescrive nel HI. È necessario
perciò supporre che l'autore latino abbia attinto a due fonti diverse: l'una,
è da riconoscere sicuramente in Ermogene; l'altra si suppone sia Ermodoro

51 Coarelli, p. 339 ss.


52 Tra le altre ipotesi spicca, per l'originalità della soluzione cercata, quella di F. Castagnoli,
«II problema dell'ara di Domizio Enobarbo», in Arti Figurative, I, 1945, p. 181 ss., che, disso
ciando i rilievi dal tempio di S. Salvatore (da lui ritenuto in campo), li assegna al tempio delle
Ninfe, sede dell'archivio del censo (di qui la scena « storica » del Louvre) ricostruito dopo
l'incendio del 52 a.Cr. L'interpretazione del Castagnoli è stata a ragione respinta già dal Kahler
(op. cit., p. 10); notevole è tuttavia il tentativo di cercare una diversa via all'esegesi del rilievo.
Sul Tempio delle Ninfe e la sua probabile identificazione con l'edificio di Via delle Botteghe
Oscure, v. ora F. Coarelli, art cit in Palatino, XII, 1968, p. j71 ss.
Non merita più che una menzione la singolare idea di G. Hafner, Zwei römischen
Reliefwerke, in Aachener Kunstblätter, 43, 1972, p. 97 ss.: i rilievi Santacroce apparterrebbero
al fregio del monumento funerario di Lutazio Catulo, il vincitore delle Egadi del 241 a.Cr.
53 Skopas Minore, in Arti Figurative, 11,1946, p. 137.
54 F. Coarelli, art. cit. in Quad. Ist. Top. Ant. V, 1968. In realtà l'accenno di Cicerone
(De Orai., II, 14, 62) non sembra implicare necessariamente un rapporto tra M. Antonio ed
Ermodoro, né soprattutto che a M. Antonio risalga il rifacimento dei navalia.
55 MEFRA, 85, 1973, p. 137 ss.
1058 FAUSTO ZEVI

di Salamina. Esaminando i resti templari di S. Salvatore (egli ne accetta


l'identificazione con la aedes Neptuni), il Gros conferma, in primo luogo,
che l'edificio è in marmo greco, come visto da Vespignani, e precisamente
in pentelico; quindi, che le singolari basi delle colonne si richiamano non
alle « dorico-toscane », ma alle « Wulstbasen » ioniche; infine, che le proporzioni
dell'edificio ricordano quelle raccomandate da Vitruvio nel IV libro e che,
per altra via, egli aveva supposto derivassero da Ermodoro.
È singolare come ambedue questi lavori abbiano, ciascuno per proprio
conto, colto il segno, pur senza trarre le necessarie conseguenze topograf
iche,cioè l'identificazione del tempio di S. Salvatore con la aedes Martis
in circo 56. Occorre però, preliminarmente, sgomberare il terreno da altre
ipotesi.
I templi noti in circo Flaminio sono in tutto 12 ο 13; l'ubicazione
di quelli di Apollo, Giove Statore, Giunone Regina, Hercules Musarum è
nota dai resti superstiti ο dalla forma urbis. L'identificazione di Bellona
col « tempio ignoto » presso il teatro Marcello, mi sembra sicura 57. Fortuna
Equestris era probabilmente in campo, presso il teatro di Pompeo (ad thea-
trum lapideum) ed era sistilo 58; non esisteva più in età tiberiana 59. Il tempio
dei Castori va escluso perché, come sappiamo da Vitruvio, distinto da una
planimetria particolare60. Pietas, forse distrutto già da Cesare, è detto anche
in foro Holitorio, e perciò comunque situato all'altra estremità della zona
in circo 61. Restano solamente i templi di Diana, Vulcano, Nettuno, Hercules
Custos, Marte.
Riassumiamo ora le caratteristiche del tempio di S. Salvatore. È in
marmo pentelico - quindi certamente posteriore al primo tempio marmoreo
di Roma, quello di Giove Statore, eretto da Metello Macedonico dopo il

56 Cfr. Zevi, Colloquium Hellenismus in Mittelitalien, cit.


37 Coarelli, art. cit. a η. 10. D'altra parte, si era da tempo riconosciuto che il tempio di
Bellona, per esser sede di riunioni extrapomeriali del Senato, e prossimo alla colonna bellica,
doveva esser molto vicino alle mura urbiche, e quindi presso l'estremità est del circo: cfr.
O. Gilbert, Gesch. u. Top. d. Stadt Rom., Leipzig 1890, III, p. 74, p. 80 ss.
58 Vitr., Ill, 3, 2; Olinder (p. 42) ritiene che l'espressione vitruviana si riferisca al teatro
di Marcello.
59 Tac, Ann., 3, 71.
60 Vitr. IV, 8, 4.
61 L'identificazione di Pietas in circo Flaminio con l'omonimo tempio in foro Holitorio
è convincentissima ipotesi di F. Castagnoli, art. cit. in Gnomon, p. 607.
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE 1059

146 62; improbabile, d'altro canto sia più tardo del 40 circa a.Cr., quando
ebbe inizio lo sfruttamento intensivo delle cave lunensi63. È un periptero
senza podio, con crepidoma a gradini, quindi un tempio di tipo pienamente
ellenistico, anzi un unicum in Roma, confrontabile solamente con la tholos
del Foro Boario datata alla fine del II sec. a.Cr.64; ha delle basi di colonne
di forma inconsueta, forse un preziosismo arcaizzante, che è comunque
ragionevole pensare in uso in un periodo in cui la base « attica » non si era
ancora affermata come esclusiva. In conclusione: l'edificio va datato tra
140 e 40 a.Cr., molto verosimilmente nella prima metà di tale periodo
(circa 140-100/90 a.Cr.).
Questi elementi ci consentono di restringere l'arco delle possibilità.
Del tempio di Vulcano non si sa quasi nulla; da Livio (che, contrariamente
ai calendari, lo dice in campo: forse era ai limiti tra le due zone?65) sappia
mo che esisteva già nel III sec. a.Cr.; nessun accenno a ricostruzioni successiv
e. Alcuni elementi indurrebbero a collocarlo presso Piazza Mattei 66. Il tem
pio di Diana risale invece, al pari di Iuno Regina, all'opera di M. Emilio
Lepido (cens. 179); nessun restauro è noto nel periodo che interessa. Le
circostanze del voto e della dedica67 sono tali da far pensare ad uno stretto
collegamento, anche topografico, tra i due edifici; è probabile che Diana
fosse anche prossima al tempio di Apollo, e ambedue i nuovi templi vicini
a quel theatrum ad Apollinis che fu approntato proprio in quella stessa

62 M. Gwyn Morgan, The portico of Metellus, a Reconsideration, in Hermes, 99, 1971,


p. 480 ss. ritiene che la data più probabile per l'appalto del tempio di Giove Statore sia il 143;
egli suppone, tuttavia (e a mio parere senza motivi realmente solidi) che Metello abbia in pari
tempo costruito anche il tempio di Giunone Regina. Del tutto inaccettabile la teoria di M. J. Boyd
in PBSR, XXX, 1958, p. 153 ss., il quale sostiene che in Velleio I, 11, 3-5, il termine aedes ex
marmore vada riferito al quadriportico attorno ai templi. Il Drerup (Zus Ausstattungsluxus
in d. roem. Architektur, Münster 1957, η. 66), sulla base di Plinio N.H., XXXVI, 7, ritiene che
non esistessero edifici in marmo a Roma prima degli anni 90 a.Cr.; a ben vedere, è questo
l'unico motivo che consiglia a F. Rakob - W.-D. Heilmayer, Der Rundtempel am Tiber in Rom,
Mainz 1973, p. 28, una datazione del tempio rotondo del Foro Boario dopo il 100 a.Cr.
63 II marmo trova impiego in quanto materiale proveniente da una terra di conquista,
v. Colloquium Hellenismus in Mittelitalien, cit., in stampa. [Tale posizione vedo ora ripresa
da P. Gros, nell'ari, in questo volume, p. 387-410].
64 D. E. Strong - J. B. Ward-Perkins, The Round Temple in the Forum Boarium, in
PBSR, 28, 1960, p. 7 ss.
65 Liv. XXIV, 10, 9.
66 V. sopra, a p. 1054.
67 Liv. XXIX, 2 e XL, 52. È stato giustamente sottolineato che le due divinità del voto di
M. Emilio Lepido sono le due principali dell'Aventino: cfr. p. es. Gilbert, op. cit., III, p. 81.
1060 FAUSTO ZEVI

censura. F. Coarelli ha supposto, con verosimiglianza, che il tempio sia stato


distrutto per i lavori del teatro di Marcello e ricostruito dietro la scena
di questo68.
Quanto a Nettuno, la ormai tradizionale identificazione con il tempio
di S. Salvatore a ben vedere non regge. Le date, in primo luogo, non corr
ispondono: la aedes Neptuni esisteva già nel 206 a.Cr., la moneta di Enobarbo
e l'espressione pliniana (delubrum Cn. Domiti) indicano un rifacimento in
età triumvirale (forse attorno al 32 a.Cr.). F. Castagnoli ha giustamente r
ibadito che la moneta contiene una raffigurazione non generica, ma, al cont
rario, volutamente caratterizzata: l'edificio di Enobarbo è un prostilo tetra-
stilo, sollevato su alto podio, con i lati a blocchi squadrati69. Nessuno di
questi elementi corrisponde con quelli di S. Salvatore.
Maggiori probabilità ha Hercules Custos. Per vero, molti studi recenti
si sono accostati all'ipotesi che esso sia un tutt'uno con Hercules Musarum 70:
il numero dei templi in circo diminuirebbe allora di una unità e, per quanto
ci riguarda, il problema sarebbe automaticamente risolto. A me sembra, tutta
via, che i due edifici vadano tenuti distinti. I pochi dati cronologici non
coincidono: Hercules Musarum è collegato con le Muse di Ambracia e con
il rifacimento augusteo di Marcio Filippo; di Hercules Custos, Ovidio dice
invece che Sulla probavit opus71, né l'Èrcole lincine e Musagete di Fulvio
Nobiliore sembra avere affinità con il dio protettore del circo e dei suoi
agoni72. D'altro canto, l'espressione ovidiana: altera pars circi73, implica,
topograficamente, che il tempio di Èrcole fosse situato presso il capo del
circo opposto a quello del tempio di Bellona; se questo si colloca presso
il teatro di Marcello, Èrcole va posto presso il limite occidentale del circo
Flaminio, cioè, più ο meno, nella zona di S. Salvatore in Campo. Anche la
data di Ovidio rientra, in definitiva, nei limiti stabiliti; e, nel complesso,

68 Art. cit. a nota 7, spec. p. 201 ss.


69 Castagnoli, p. 157 ss.
70 P. es. G. Marchetti Longhi, art. cit. in MÊFR 1970, p. 144 ss.; Castagnoli, art. cit. in
Gnomon, p. 608; Olinder, p. 58 ss. L'opinione contraria è stata invece sostenuta specialmente
da Coarelli, p. 316 ss. (e in altri lavori dello stesso) e ora da Wiseman, p. 21, η. 38.
71 Fasti, 6, 210. Peraltro, generalmente si ritiene che il tempio di Hercules Custos sia stato
costruito assieme con il circo Flaminio (quello di Siila sarebbe solo un restauro) e che ad esso
vada riferita la notizia di Liv. XXXVIII, 35, 4 (189 a.Cr.).
72 Le affinità verbali rilevate da Olinder (p. 61) tra Ovid., loc. cit., e Eumen., Pro inst.sch.,
7, 3, non hanno reale rilevanza.
73 Ovidio, Fasti, 6, 209.
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE 1061

l'identificazione col tempio di S. Salvatore appare possibile. Alcuni indizi


consiglierebbero tuttavia di ubicare il tempio di Hercules Custos un poco
più a sud, in un immediato rapporto di contiguità topografica col circo
su cui il dio esercitava la sua tutela e, al tempo stesso, più vicino al fiume.
Infatti, tra le realizzazioni dei censori del 179 a.Cr., Livio annovera una
porticus. . . post navalia et ad fanum Herculis 74. Che si alluda allo Hercules
Musarum è idea suggestiva, ma poco probabile, non solo per la distanza di
quel tempio dal Tevere e quindi dai navalia, ma soprattutto per il lungo giro
che il portico avrebbe dovuto compiere attorno al circo Flaminio. Iscrizioni
con dediche ad Èrcole provengono dall'area circostante Via Arenula verso il
fiume 75. La collocazione di Èrcole Custode nel sito di S. Maria in Monacelli
è possibile 76; occorre però notare che la chiesa medioevale ha orientamento
divergente rispetto all'asse del circo. Il problema rimane aperto.
Passando invece al tempio di Marte in circo Flaminio, eretto da Bruto
Callaico (console nel 138) dopo il trionfo lusitanico, troviamo una sorpren
dentecorrispondenza di ogni dato. Il monumento del Cailaico doveva essere
uno splendido edificio in cui, in ricercato contrasto, il dio della guerra si
mostrava in un ambiente della più raffinata cultura ellenistica. L'architettura
(probabilmente marmorea) 77 dell'edificio era opera di Ermodoro di Sala-
mina 78, l'architetto greco chiamato pochi anni prima da Metello per realizzare
il primo tempio di marmo di Roma. La statua di culto era di Skopas (certo
il Minore); ma, accanto al dio, con epigrammatico accostamento, era una
Afrodite nuda che superava, al dire di Plinio, quella prassitelica, e « avrebbe
dato nobiltà a qualunque altro luogo » 79. Sulie pareti del tempio, erane incisi
i versi del poeta Accio, che aveva in Bruto il suo protettore 80.
Il programma ideologico del Callaico appare evidente. Secondo una
diffusa tradizione (certamente quella che Accio avrà seguito nella sua prae-
texta Brutus) era alla prima coppia di consoli, e cioè a Bruto fondatore

74 Liv. XL, 51, 6: l'incerto passo è riesaminato dal Wiseman, p. 18.


75 Coarelli, p. 317 e nota 80 a p. 359.
76 L'ipotesi è di Coarelli, p. 318.
77 Trovo difficilmente accettabile l'idea di F. Coarelli («Polykles», cit., p. 86) che possa
provenire dal tempio di Marte in circo il frontone di Via S. Gregorio.
78 Aedis Martis... architectata ab Hermodoro Salaminio: Com. Nep. apud Prise, Inst.
8, 4, 17.
79 Plin., Ν. Η., XXXVI, 26. Venere è accanto a Marte già nel lettisternio del 217 (Liv.
XXIII, 10).
80 Cic, Pro Arch., 11, 27; Sch. Bob. ad loc.
1062 FAUSTO ZEVI

della Repubblica, assieme al suo collega di minor rango, che si doveva, per
così dire, la creazione del Campo di Marte: quel campo, un tempo privato
possesso dei Tarquini, era stato allora confiscato e consacrato al dio81. Allo
stesso dio ora un discendente del grande Bruto consacrava il tempio del
circo Flaminio, rinnovando le glorie della gente e, a un tempo, richiamando
il leggendario antenato e la nascita dello stato repubblicano. Ma, per altro
verso, il monumento si proponeva come simbolo dello spirito dell'aristocra
zia del tempo: architettura, scultura, poesia, concorrevano all'immagine della
nuova nobilitas che, alle tradizionali doti marziali di valore guerriero, univa
ormai quelle di una cultura e di una sensibilità artistica di stampo greco.
E dunque, in questa precisa corrispondenza tra dati delle fonti e resti monum
entali, l'intuizione di P. Gros non poteva trovare miglior conferma: il
tempio di S. Salvatore richiama i canoni di Ermodoro per la ragione che
esso è opera di Ermodoro, anzi l'unica a lui attribuibile con certezza. Felice
si rivela ora, alla luce della nuova identificazione, l'accostamento tra PAres
Ludovisi e il Mars colossiaeus di Skopas Minore: la statua Ludovisi viene
infatti dalle vicinanze del Palazzo Santacroce, a breve distanza dal tempio
di Marte, di cui forse avrà ornato il temenos; nulla di più logico che al
maestro autore della statua di culto, ο alla sua bottega, siano state commiss
ionate anche le altre sculture che completavano la decorazione dell'edificio.
Resta in piedi, si dirà, il problema dell'« ara di Domizio Enobarbo»;
vera crux interpretum destinata, una volta di più, a sfuggire ad un'interpre-
tazione definitiva. La sua provenienza dal tempio di Marte in realtà non è
sicura (per dimostrarla, F. Coarelli è costretto a supporre prima un furto,
poi un falso in un documento d'archivio, episodi, ahimè, ben possibili, ma
che, in mancanza di prove, pare antimetodico postulare 82); resta però il fatto
che i rilievi del palazzo Santacroce probabilmente provenivano da un monu
mento delle vicinanze e una loro relazione col tempio di S. Salvatore, anche
se non dimostrata, appare ugualmente possibile. Una volta di più, si pone
il problema del rapporto di contenuto fra le due scene. Spero tornare
sull'argomento in altra sede; mi limito qui ad alcune osservazioni.
Se si dovesse istituire tra le due scene un rapporto « gerarchico » di
importanza, la preminenza andrebbe assegnata, credo senza esitazioni, a
quella storica: il corteggio di Nettuno, pur avendo, è certo, un significato

81 Liv. II, 5; Dion. Hal. V, 13; Plut, Popi, 8; Flor. I, 3; Schol. luv., 6, 524: ... Brutus
agrum Tarquini Superbi eo eiecto totum Marti consecravit.
82 Coarelli, pp. 323-324.
L'IDENTIFICAZIONE DEL TEMPIO DI MARTE 1063

nell'economia del monumento, ha funzione eminentemente decorativa. D'altro


canto, che il thiasos alluda ad un successo navale è assai poco probabile;
difficilmente un osservatore avrebbe potuto intuire, nel lieto svolgersi del
corteo nuziale, il favorevole esito di una battaglia83: la scena non potrebbe
dunque costituire che un generico richiamo al dio nel cui santuario si
suppone collocata. Tuttavia, se, al di fuori di ogni idea precostituita, si
volesse evincere, dal contenuto dei rilievi, quale fosse la divinità cui eran
dedicati, non si potrebbe, ritengo, pensare che a Marte: solo per Marte viene
compiuto il sacrificio, solo quel dio è presente accanto alla sua ara. È vero
che la presenza di Marte è funzionale alla scena; ma ciò non toglie valore
all'argomento. Quel che in ogni caso appare poco verosimile, è che l'intero
rilievo del Louvre non abbia altro scopo che affermare la qualità di censore
del dedicante (o di un suo antenato) e che in esso « si sia voluto eternare . . .
,,un atto di ordinaria amministrazione quale un censo » 84: gigantesco fumetto
per trasmettere un messaggio banale. La scena deve avere altra densità di
contenuti. Sarebbe affascinante l'ipotesi che il rilievo ricordasse la fonda
zione dell'ara Martis, cioè la consacrazione del campo al dio e la periodica
purificazione, al suo cospetto, del popolo romano in armi: richiamo allora,
alla gloria del leggendario fondatore della Repubblica, l'antenato di Bruto
Callaico. Mi domando se gli elementi intrinseci della rappresentazione siano
realmente tali da escludere una simili esegesi.
In ogni caso, i rilievi vanno datati entro la seconda metà del II sec. a.Cr.
La proposta di Coarelli (monumento del censore del 97 a.Cr.) è solo in
apparenza felice; in realtà, essa viene a togliere il supporto dell'unico el
emento antiquario di peso, su cui si fonda la datazione alta dell'« ara », cioè
l'anteriorità alla riforma mariana dell'esercito. Non si tratta soltanto di porre
attenzione alla foggia e tipologia dell'armamento: l'intuizione del Domas-
zewski 85 reca con sé altre e più importanti implicazioni. L'esercito di cui
si effettua la lustratio è, senza dubbio, un esercito di stampo tradizionale,
levato e ordinato, all'antica maniera, secondo le classi e nelle centurie de
l 'ordinamento « serviano » 86; la nostra scena è espressione, in uno spirito
pienamente tradizionale, della primitiva costituzione repubblicana, prima che

83 Cfr. J. Sieveking, Der sog. Altar des Cn. Dom. Ahenobarbus, in ÖJh., XIII, 1910, p. 97.
84 Castagnoli, p. 157.
85 Art. cit., p. 79.
86 Una precisa esegesi della scena è stata proposta da M. Torelli, in un ampio lavoro sul
rilievo storico romano, ora in stampa.
1064 FAUSTO ZEVI

la riforma mariana, sovvertendone il principio censitario, alterasse struttura


e composizione dell'esercito. Se si vuoi accettare una datazione posteriore
a Mario, sarà necessario porre l'ideazione di una scena siffatta in un momento
di reviviscenze tradizionalistiche; e non sarebbe agevole immaginare quando.
D'altro canto, se si vuoi cercare nei rilievi Monaco-Louvre l'influsso di
Skopas Minore, non sarà lecito distanziarli troppo da quei pochi termini
cronologici che possediamo sull'attività dell'artista87.
Nel narrare le imprese lusitaniche di Bruto Callaico, tutte intessute di
episodi di antica virtus&8, v'è un tema che le scarsissime fonti su quegli
eventi riprendono con insistenza: quello dell'impero esteso usque ad oceanum.
Spintisi fino all'estremità nord-occidentale della penisola iberica, oltr
epassando il fiume Lete, i soldati romani avevano raggiunto il limite estremo
delle terre, là dove, dinanzi ai loro occhi colmi di religioso stupore, si
stendeva l'oceano senza confini e il sole spegneva nel mare il suo fuoco:
l'audacia dell'impresa sfiorava il sacrilegio89. L'evento dovette produrre pro
fonda impressione. Il tema del tiaso marino, caro agli artisti neoattici, acqui
sta in questi anni una popolarità prima sconosciuta e si sviluppa in compos
izioni monumentali di inusitata grandiosità. Sarà possibile riconoscere in
questa preferenza per il motivo, in quella raffigurazione di un mare non
toccato dall'uomo in cui eterno si svolge il corteo di Nettuno e Anfitrite,
un'eco, quasi una simbolica allusione all'estendersi dell'impero sino al
cospetto dell'Oceano?

87 Fondamentalmente, l'esecuzione delle statue nel tempio di Marte, probabilmente attorno


al 130 a.Cr. Connessione dello Hercules Olivarius con la tholos del Foro Boario: Coarelli,
Classe dirigente, cit., p. 179 ss.
88 Liv. per., LV, LVI.'LVIII; App., VI, 71-73; Val. Max., VI, 4.
89 Flor., I, 33: Decìmus Brutus... peragrato victor Oceani lìtore, non prius signa convertit
quam cadentem in maria solem obrutumque aquis ignem non sine quodam sacrilega metu et
honore deprendit.
PROSPETTO DEL TEMPIO

SEZIONE LONGITUDINALE

STATO ATTUALE

1j: ■.,. ..

, ScM lei Prosßelio 5 e- ìelh Sezione^ ,„ Melr liti. Cleman e Belli-


Ü Mariant
Scala c/£+- ._! Scala Jpar s ï» tAi« attuale L_
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ίI

Fig. 2 - Tempio di S. Salvatore in Campo.


Stato dei ruderi, ricostruzione della fronte e spaccato trasversale nei disegni di V. Vespignani
(da BCom L, 1872/3," tav. VI).
TABLE DES MATIÈRES

Pages
Préface xi
Bibliographie xm
Tabula Gratulatoria xxiii

André BALLAND, Sur là nudité des nymphes 1-11


Jean BEAUJEU, Les dernières années du calendrier pré-julien . 13-32
Raymond BLOCH, Religion romaine et religion punique à
l'époque d'Hannibal. Minime romano sacro 33-40
Maria BONGHI-JOVINO, Breve nota in margine al problema
dell'ellenismo italico: tipi ellenistici nella coroplastica
capuana 41-47
Bernard BOULOUMIÉ, Un vase étrusco-corinthien (?) trouvé
en Alsace? 49-58
Jean-Paul BOUCHER, Sur l'influence des grands tragiques
latins 59-64
Dominique BRIQUEL, Les enterrés vivants de Brindes . . . 65-88
Jean-Pierre CALLU, Eléphants et cochons: sur une représentat
ion monétaire d'époque républicaine 89-100
Giovannangelo CAMPOREALE, Su alcune forme vascolari
del bucchero ceretano 101-113
Gérard CAPDEVILLE, Taurus et bos mas 115-123
André CHASTAGNOL, Confectuarii 125-131
Jean-Pierre CHAUSSERIE-LAPRÉE, Structures phoniques do
minantes dans les Aratea de Cicéron 133-146
Raymond CHEVALLIER, Grecs, Etrusques et cols des Alpes 149-155
Filippo COARELLI, Un elmo con iscrizione latina arcaica
al Museo di Cremona 157-179
1068 TABLE DES MATIÈRES

Pages

Jean COLLART, Quelques observations statistiques sur le


Livre I de Tite-Live 181-185
Giovanni COLONNA, Scriba cum rege sedens 187-195
Michael CRAWFORD, The early Roman Economy, 753-280 B.C. 197-207
Mauro CRISTOFANI, La leggenda di un tipo monetale etrusco 209-214
Marina CRISTOFANI MARTELLI, Note di ceramica volterrana 215-242
Alfonso DE FRANCISCIS, Note sull'architettura arcaica a
Pompei 243-252
Georges DUMÉZIL, Virgile, Mézence et les « Vinalia »... 253-263
Paul-Marie DUVAL, Observations sur le style des monnaies
gauloises en or attribuées aux Salassi ou aux Uberi 265-274
Germanine FAIDER-FEYTMANS, Poignées dionysiaques
découvertes aux environs de Courtrai (Belgique) .... 275-283
Jean-Louis FERRARY, « A Roman Non-Entity »: Aurelius Cotta,
tribun de la plèbe en 49 avant J.-C 285-292
Robert FLACELIÈRE, Caton d'Utique et les femmes 293-302
Pierre FLOBERT, Camille et Ganymede 303-308
Jean GAGÉ, Les autels de Titus Tatius. Une variante sabine
des rites d'intégration dans les curies? 309-322
Antonio GIULIANO, Una anfora etrusca policroma 323-324
Christian GOUDINEAU, Sur un mot de Cicéron ou Avignon
et le domaine de Marseille 325-332
Jean GRANAROLO, Catulle LU: simple fronde ou pessimisme
sans merci? 333-339
Michel GRAS, La piraterie tyrrhénienne en mer Egée: mythe
ou réalité? 341-370
Pierre GRIMAL, La maison de Simon et celle de Théopropidès
dans la Mostellaria 371-386
Pierre GROS, Les premières générations d'architectes hellé
nistiques à Rome 387-410
Margherita GUARDUCCI, Nuove osservazioni sulla lamina
bronzea di Cerere a Lavinio 411-425
Auguste HAURY, Une « année de la femme » à Rome,
195 avant J.-C? 427-436
TABLE DES MATIÈRES 1069

Pages
Alain HUS, Stendhal et les Etrusques 437-469
Jean-René JANNOT, Les danseurs aux haches ou le ballet
de Phinée. A propos d'un relief de Chiusi 471-485
Jean JEHASSE, Un lion étrusco-romain d'Aléria 487-495
Laurence JEHASSE, Autour du peintre d'Hésione ...... 497-508
Henri LE BONNIEC, Au dossier de la lex sacra trouvée à
Lavinium 509-517
Joël LE GALL, Evocatio 519-524
Marcel LE GLAY, Magie et sorcellerie à Rome au dernier siècle
de la République 525-550
Michel LEJEUNE, Noms osco-ombriens des eaux, des sources
et des fontaines . . 551-571
Ettore LEPORE, Timeo in Strabon V, 4, 3, C 242-243 e le
origini campane 573-585
Robert LEQUÉMENT-Bernard LIOU, Céramique étrusco-
campanienne et céramique aretine, à propos d'une
nouvelle épave de Marseille 587-603
Eugenio MANNI, Su alcune recenti proposte di identifica
zionedi centri antichi della Sicilia 605-617
Guido A. MANSUELLI, II monumento di Porsina di Chiusi 619-626
Henri METZGER, Création consciente ou image greffée?
A propos d'une figure de jeune dieu chthonien des arts
de l'Italie méridionale 627-640
Alain MICHEL, Entre Thucydide et Platon: éloquence et
morale chez Salluste 641-655
Arnaldo MOMIGLIANO, The date of the first Book of
Maccabees 657-661
Jean-Paul MOREL, Sur quelques aspects de la jeunesse à
Rome . . . , 663-683
.,

Jean-Pierre NÉRAUDAU, L'exploit de Titus Manlius Torquatus


(Tite-Live VII, 9, 6-10) (réflexion sur la iuventus archaïque
chez Tite-Live) 685-694
Claude NICOLET, Tessères frumentaires et tessëres de vote 695-716
Antoinette NOVARA, Sur le pouvoir: un chapitre polvbien
de Salluste (à propos de Cat, 2, 1-6) . , 717-729
1070 TABLE DES MATIÈRES

Pages

Jean-Marie PAILLER, Raptos a Diis Homines Dici


(Tite-Live XXXIX, 13). Les Bacchanales et la possession
par les nymphes 731-742
Françoise-Hélène PAIRAULT-MASSA, Note sur la stèle
CIE, I, 50 (Volterra) 743-769
Massimo PALLOTTINO, Sul concetto di storia italica ... 771-789
Jacques PERRET, Athènes et les légendes troyennes d'Occident 791-803
Ambros Josef PFIFFIG, Der Beitrag Etruriens zum Kaiserheer
des 1. und 2. Jahrhunderts 805-810
Gilbert-Charles PICARD, « L'homme à la fraise ». Histoire
d'un thème décoratif étrusque 811-815
Danielle PORTE, Note sur les luperci nudi 817-824
Jean PRÉAUX, Caeli civis 825-843
Michel RAMBAUD, Les marches des Césariens vers l'Espagne
au début de la guerre civile 845-861
Denise REBUFFAT-EMMANUEL, Un problème épigraphique
italique: l'énigme de Rit 863-876
René REBUFFAT, Arva beata petamus arva divites et insulas 877-902
Giuliana RICCIONI, Immagini di Eracle e Teseo su di una
kylix attica di Vulci 903-913
Jean-Claude RICHARD, Le eulte de Sol et les Aurelii: à
propos de Paul. Fest. p. 22 L 915-925
Agnès ROUVERET, Les oiseaux d'Ugento 927-945
Robert SCHILLING, Les Lares Grünaues 947-960
Romolo A. STACCIOLI, Considerazioni sui complessi monum
entali di Murlo e di Acquarossa 961-972
André TCHERNIA, L'atelier d'amphores de Tivissa et la
marque Sex Domiti 973-979
Jean-Paul THUILLIER, La frise gravée du lébès Barone
de Capoue 981-990
Etienne TIFFOU, Notes sur le personnage de Romulus . . . 991-999
Mario TORELLI, Glosse etrusche: qualche problema di
trasmissione 1001-1008
Robert TURCAN, Encore la prophétie de Végoia 1009-1019
TABLE DES MATIÈRES 1071

Pages

Georges VALLET, Avenues, quartiers et tribus à Thourioi,


ou comment compter les cases d'un damier (à propos
de Diod. XII, 10 et 11) 1021-1032
Pierre WUILLEUMIER, L'empoisonnement de Claude . . . . 1033-1034
Hubert ZEHNACKER, Les nummi novi de la Casina . . . . 1035-1046
Fausto ZEVI, L'identificazione del tempio di Marte in Circo
e altre osservazioni 1047-1066

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