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MOYEN AGE
UNIVERSITY
OF VICTORIA
LIBRARY
Digitized by the Internet Archive
In 2022 with funding from
Kahle/Austin Foundation
https://archive.org/details/leurooeaumoyenag0001unse
L°-EUROPE
AU MOYEN AGE
395-888
Collection U
Parus
A paraitre
Ch.-M. DE LA RONCIERE,
Ph. Conramine, R. DELorT,
M. Rovucwe L’ Europe au Moyen Age (textes traduits et commentés en trois
volumes)
J. SrrenNoN Manuel de paléographie
G. FourNIER L’Occident de la fin du ve siécle & la fin du 1X® siécle
G. DEVAILLY L’Occident du x® siécle au milieu du x11° siécle
B. CHEVALIER L’Occident de 1280 a 1492
R. Fosster Histoire sociale de l’Occident médiéval
G. FourQuin Histoire économique de I’ Occident médiéval
AI Histoire intellectuelle de I’ Occident médiéval
Collection U
Série “ Histoire médiévale” dirigée par Georges Duby
L> EUROPE
AU MOYEN AGE
DOCUMENTS EXPLIQUES
Tome 1 : 395-888
Z
INTRODUCTION
La sélection
Entre documents écrits et non écrits, la balance n’est pas égale. La part
la plus belle sera bien sir faite aux premiers. Mais, encore une fois, surtout aprés
le x1® siécle, leur masse exige un arbitrage délicat. Dans chaque catégorie signalée
plus haut (diplémes, bulles...), certains textes classiques s’imposent par la richesse
globale de leur contenu (par exemple : Chronique de Raoul Glaber), par leur signi-
fication historique (ainsi Donation de Constantin), par la précision exception-
nelle de leurs enseignements (ainsi Polyptyque d’Irminon). Impossible de les
négliger. Ce sont eux qui constituent la base de ce manuel. D’autres, en-revanche,
émergent moins nettement, et c’est au hasard de 1’éclairage de histoire — éclai-
rage trés mobile — qu’ils sortent de l’ombre. C’est 4 propos de ces documents
plus anonymes ou moins classiques — dont font partie les monuments non
écrits — que nous avons été le plus attentifs; moins constamment mis en valeur,
dépendant de l’évolution de la recherche historique, plus que d’autres ils en
caractérisent les différentes étapes. Restait a sélectionner les documents types
de l’étape actuelle. Pour rendre compte de notre choix, un mot s’impose donc
sur l’orientation présente de histoire.
Effet normal du dynamisme propre qui l’entraine, les courants qui animent
Phistoire naissent aussi, de nos jours plus que jamais, de ses contacts avec la
vie et avec la science contemporaine. Avec la vie : ’historien est un homme de
son temps, et il est bon qu'il le soit. Les questions suscitées par le monde qui
’entoure et posées a celui du passé sont parmi les plus fécondes; pour le lecteur,
les plus actuelles. Pensons aux enquétes sur les techniques, le travail, les laics,
les familles, les pauvres au Moyen Age. Avec les sciences : sans parler des sciences
exactes dont Vutilisation par les médiévistes est encore trés précautionneuse
(la statistique par exemple ne dépasse pas chez eux, avouons-le, le stade du
8
Introduction
La présentation
Les textes choisis comment les présenter? La question se pose a un triple
niveau : découpage, traductions, présentation critique.
Toujours arbitraire, le découpage d’un document entraine un premier danger
de gauchissement. Pour le conjurer, nos textes, quand il a fallu les tronquer,
comportent autant que possible un résumé des passages supprimés; ils sont
toujours reproduits en langue originale jusqu’au xllI® siécle.
La traduction offre une deuxiéme occasion, aussi grave, de déformation
(erreurs, enjolivements, changement de registre dans le style). Pour |’éviter nous
avons abandonné toute prétention littéraire. Notre seul souci, une fidélité litté-
rale 4 un texte qui doit étre transmis au lecteur tel qu’il est, avec ses gaucheries,
ses répétitions, ses obscurités. Le traducteur s’est effacé, aussi médiocre soit
la pensée de l’original. Cette modestie exige de lui, du reste, une attention constam-
ment soutenue. Des erreurs n’ont pas pu manquer de se glisser, 4 propos surtout
d’interprétations souvent délicates; on a cherché a les réduire au minimum
les traductions ont été soigneusement revues par chacun de nous.
Tout document enfin est sujet 4 caution. Nous avons voulu faire sentir
que Vhistoire est critique des sources; qui dit critique dit confrontation, mul-
tiplication des témoignages et des éclairages. On verra que nos textes ont été
a maintes reprises regroupés en dossiers, autour d’un probleme historique déter-
miné. Ces dossiers comprennent des documents de toute nature : textes clas-
siques juxtaposés, mais aussi éventuellement fiches, regestes, monuments non
écrits, etc. L’essentiel : que la réalité apparaisse dans toute sa complexité et sa
richesse.
L’établissement du commentaire
10
Introduction
qui permettra de retrouver les ouvrages utilisés et, le cas échéant, d’approfondir
et de contréler nos remarques.
Mais le but de ces développements est plus précis et plus utilitaire; ils ont
été rédigés pour aider les étudiants & préparer l’épreuve d’explication de textes
qui figure 4 examen. Dés lors, il était nécessaire d’uniformiser — autant que
possible— notre technique de présentation et, parmi toutes les maniéres de
faire en usage, d’en choisir une qui fit assez souple pour convenir a tous les docu-
ments proposés, assez claire pour guider sirement les étudiants, et de s’y tenir.
Sans se dissimuler que bien d’autres méthodes ont fait leurs preuves, les auteurs
de cet ouvrage, tous, actuellement ou naguére, assistants 4 la Sorbonne, ont cru
devoir adopter celle qui les avait eux-mémes guidés et qui les guide encore et
dont ils sont redevables aux maitres qui les ont formés. Les lignes qui suivent
en exposent les grands traits. On verra du reste que, a quelques détails prés,
leur maniére de faire sur l’essentiel rejoint celle de leurs collégues. On peut
aborder un texte de bien des fagons : plus on va au fond des choses, plus les che-
mins convergent.
Lecture du texte
Introduction
11
INTRODUCTION
Analyse
A la suite de l’introduction on trouvera souvent une analyse, résumé du
texte destiné a en présenter la substance avant d’en parler plus longuement.
Comme exercice pédagogique, cette analyse présente une premiére utilité : elle
oblige 4 dégager avec clarté et concision le contenu d’un texte parfois long et
diffus. Bien entendu, s’il s’agit d’une juxtaposition de fiches ou d’extraits et plus
encore d’un document non écrit, cette analyse est inutile. Elle ne s’impose pas
toujours pour un tarif de péage, un livre de comptes ou un écrit de ce genre.
Elle est indispensable en revanche pour certains types de documents, chartes
et diplémes en particulier. Son utilité n’est pas alors uniquement pédagogique,
mais plus encore scientifique. Pour la comprendre il suffit de jeter un coup d’ceil
sur quelques publications de documents médiévaux. Sur un cartulaire par exemple.
Formé d’une succession de chartes en latin, le cartulaire reste hermétique au
premier coup d’ceil si rien n’annonce le contenu de chacune d’entre elles. A la
recherche d’un simple renseignement, le lecteur tatonne et perd son temps. Les
éditeurs de ces textes ont donc été conduits a les coiffer chacun d’un résumé
de quelques lignes, l’analyse, qui dégage les articulations principales et cite les
noms les plus importants contenus dans le document. Si le cartulaire n’est pas
reproduit en entier, les textes supprimés sont remplacés par leur analyse.
Ces explications permettent de comprendre ce que doit étre l’analyse : un
résumé du texte, qui, sans respecter forcement son plan, en dégage les idées
générales et les articulations, reporte les plus importants des noms propres qui
y figurent et, quand il s’agit de réglements ou de diplémes, reproduise |’essentiel
des mesures ou des concessions. En cas de perte du document, son analyse doit
permettre au chercheur éventuel d’en connaitre la substance. Le tout doit rester
bref : pas plus de dix lignes.
Le contexte historique
Le document ainsi résumé, il est indispensable, avant de le commenter
plus largement, d’en montrer la place dans l’époque qui 1’a vu naitre. Cet exercice
demande un certain doigté. Il convient de donner au texte proposé |’éclairage
le plus adéquat. S’agit-il d’un traité, d’un document diplomatique, on rappellera
1. Cf. R. DELoRT, Introduction aux sciences auxiliaires de histoire, Paris, A. Colin, méme
collection.
12
Introduction
Les démarches ci-dessus ont avant tout pour but de préparer le commen-
taire proprement dit, qui représente le coeur de l’explication. Tous les documents
n’appellent pas le méme commentaire.
13
INTRODUCTION
b) Dossiers
14
Introduction
Conclusion
| be) oe |
.
7
LES SOURCES DE L’EPOQUE
DES ROYAUMES BARBARES
19
LES ROYAUMES BARBARES
20
Les sources de l’époque des royaumes barbares
LA CREATION
DES ROYAUMES BARBARES
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PW.
La création des royaumes barbares
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Synesiit Cyrenensis Opuscula, coll. « Scriptores graeci et latini », Consilio Academiae Lynceorum
editi, Rome, édité par N. Terzaghi, 1944, pp. 43 sqq.
Traduction
[...] Le législateur se gardera de donner des armes 4 ceux qui n’ont pas vu le jour et
n’ont pas été élevés sous ses lois. Il ne posséde de leur part aucun gage de loyalisme. Seul
un esprit téméraire ou un songe-creux peut voir une nombreuse jeunesse, élevée autrement
que la ndtre et régie par ses propres meeurs, sans étre saisi de crainte. [...] Car ils vont nous
assaillir sit6t qu’ils penseront que le succés est promis a leur entreprise. A dire vrai, les premiéres
hostilités sont déja engagées. Une certaine effervescence se manifeste ¢a et 14 dans l’Empire.
On dirait d’un organisme! mis en présence d’éléments étrangers rebelles a cette assimilation
qui assure l’équilibre physique. Qu’il faille exclure ces éléments étrangers, des organismes
comme des cités, médecins et hommes d’Etat ne tiendraient pas d’autre langage. Par contre,
se refuser a leur opposer une force susceptible de les tenir en échec, et, dans la mesure ou nous
disposons de cette force, accorder l’exemption des devoirs militaires 4 tous ceux qui la deman-
dent, n’est-ce pas la la conduite d’un peuple qui aspire a sa ruine?
Plutét que de permettre aux Scythes? de porter les armes chéz nous, il faudrait aller
1. L’archaisme de cette traduction est destiné a faire ressortir une recherche stylistique
de Synesios. _ ae
2. Il s’agit des Wisigoths.
23
LES ROYAUMES BARBARES
demander ax nos campagnes leurs naturels défenseurs et en faire des soldats. Puis, on ira
chercher le philosophe dans son cabinet et l’artisan dans son atelier. Les commergants dans
leur boutique, la foule des oisifs et des désceuvrés qui passent leur vie dans les théatres seront
également appelés 4 prendre leurs responsabilités s’ils ne veulent passer bientét des rires
aux gémissements. Nul faux-semblant, nul scrupule se saurait s’opposer a la constitution
d’une armée romaine vraiment nationale. [...]
XX. II faut donc, tout d’abord, les chasser des magistratures et leur fermer l’accés de la
dignité sénatoriale. Aussi bien n’ont-ils que dédain pour ce titre vénérable qui fut et qui
demeure 4 Rome le plus prestigieux. De nos jours, assurément, la déesse qui préside aux
conseils, Thémis elle-méme, ainsi que le dieu des armées doivent se voiler la face : le soudard
commande aux guerriers en chlamyde, puis, aprés avoir jeté bas la fourrure qui couvrait
ses épaules, se drape de la toge, et avec les magistrats romains délibére sur les problémes
du jour. Il est 4 la place d’honneur aux cétés du consul lui-méme et prend le pas sur les
dignitaires officiels. Encore ces misérables ont-ils 4 peine passé la porte du conseil que les
voici derechef dans leurs fourrures et que, au milieu de leurs congénéres, ils tournent en
dérision cette toge qui ne permet pas, disent-ils, de dégainer facilement.
Vraiment, entre autres sujets de stupeur, notre inconséquence n’est pas la moindre. Il
n’est pas une famille, méme d’une aisance modeste, qui ne posséde un esclave scythe. Maitres
@hotel, patissiers, échansons, autant d’emplois réservés aux Scythes. Quant 4a ces valets de
place qui transportent sur les épaules ces chaises longues que l’on peut louer pour s’asseoir
dans les rues, ce ne sont encore que des Scythes, race de tout temps qualifiée, en bonne
justice, pour étre soumise aux Romains. Mais que ces hommes blonds, chevelus comme des
Eubéens, soient, dans le méme peuple, les esclaves des particuliers et les maitres de ]’Etat,
voila le plus déroutant, le plus extravagant des spectacles. Si ce n’est pas la une énigme,
je ne sais ce qui en mérite le nom!.
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TOAAGY xal dArata Bapbcewv TG ever med¢ tov "AAdoLxov adtouorotvtay, d&vay-
_I. Se reporter a la traduction du Discours sur la Royauté par Mme Christian Lacombrade,
Paris, 1951, pp. 61 sqq.
24
La création des royaumes barbares
xarov éd0xet tolg EAAnviCover tH¢ cvyxdAntov Ovew év tm Karitwartw xalb toi¢ &A-
> / ~ ~ ~ »
Traduction
Pendant que l’empire d’Orient, délivré contre toute espérance de la crainte de ses ennemis,
était dans une heureuse prospérité, celui d’Occident était exposé 4 l’ambition et 4 la rage
des tyrans. Alaric, ayant envoyé demander la paix 4 l’empereur Honorius, aprés la mort de
Stilicon, et ne ’ayant pu obtenir, mit le si¢ge devant Rome avec beaucoup de Barbares et se
rendit si bien maitre des deux bords du Tibre qu’on ne pouvait plus porter de vivres de
Port ! 4 la ville (c’est ainsi, en effet, qu’on appelle le port de Rome). Le siége ayant duré
longtemps, et la ville étant extrémement incommodée par la famine et la peste, tout ce qu’il
y avait de Barbares dedans en sortirent pour se rendre a Alaric. Ceux d’entre les sénateurs
qui étaient encore attachés aux superstitions hellénisantes proposérent d’offrir aux dieux
des sacrifices dans le Capitole et dans les autres temples. [...]
[Alaric tente vainement de négocier avec l’empereur Honorius, puis crée de toutes piéces
un empereur Attale qui échoue a son tour.)
Ce malheureux succés des affaires d’Attale apporta un déplaisir trés sensible aux hellé-
nisants et aux ariens. Les premiers jugeaient, par la maniére dont il avait été élevé, qu’il serait
favorable a leur superstition et qu’il rétablirait leurs temples, leurs sacrifices et leurs anciennes
cérémonies. Les ariens espéraient, d’un autre cdté, que, s’il était jamais défenseur paisible
de l’autorité souveraine, il les rendrait maitres des églises, comme ils lavaient été sous les
régnes de Constance et de Valens, parce qu’il avait regu le baptéme par le ministére de Sigesaire,
25
LES ROYAUMES BARBARES
évéque des Goths. [...] Alaric, s’*étant emparé bientét aprés d’un pas des Alpes, distant d’environ
soixante stades de Ravenne, conféra avec l’empereur au sujet de la paix. Un Barbare, nommé
Sarus, ayant jugé qu’il n’était pas de son intérét que les Romains et les Goths fussent en bonne
intelligence, entreprit d’empécher la conclusion du traité et, pour cet effet, fondit brusquement
sur les gens d’Alaric 4 la téte de trois cents hommes, des plus vaillants et des plus aguerris,
et en tua un grand nombre. Alaric, irrité et épouvanté tout ensemble de cette perfidie, retourna
vers Rome et la prit par trahison. [...] Il abandonna [...] toutes les maisons au pillage. Mais,
par respect pour l’apdtre saint Pierre, il défendit de toucher a la grande basilique qui est
autour de son tombeau, ou plusieurs personnes se réfugiérent, et ce furent celles-la mémes
qui batirent depuis une nouvelle ville sur les ruines de Pancienne *.
[...] Quod rari hucusque residemus, non nostri meriti, sed Domini mise-
ricordiae est. Innumerabiles et ferocissimae nationes universas Gallias occuparunt.
Quidquid inter Alpes et Pyrenaeum est, quod Oceano Rhenoque includitur,
Quadus, Vandalus, Sarmata, Halani, Gepides, Heruli, Saxones, Burgundiones,
Alemanni, et, o lugenda respublica! hostes Pannonii vastarunt, « Etenim Assur
venit cum illis »?, Mogontiacus, nobilis quondam civitas, capta atque subversa
est, et in ecclesia multa hominum milia trucidata. Vangiones longa obsidione
finiti. Remorum urbs praepotens, Ambiani, Atrebatae, « extremique hominum
Morini», Tornacus, Nemetae, Argentoratus, translatae in Germaniam. Aqui-
Io taniae, Novemque populorum, Lugdunensis, et Narbonensis provinciae, praeter
paucas urbes cuncta populata sunt. Quas et ipsas foris gladius, intus vastat fames.
Non possum absque lacrymis Tolosge facere mentionem, quae ut hucusque non
meret, sancti episcopi Exsuperli merita praestiterunt. Ipsae Hispaniae iam, iamque
periturae, quotidie contremescunt, recordantes inruptionis Cymbricae, et quidquid
15 alii semel passi sunt, illae semper timore patiuntur.
Cetera taceo, ne videar de Dei desperare clementia.
Ce texte a été traduit par ailleurs dans Le Sac de Rome par A. Piganiol, Paris, 1964,
pp. 265-270.
2. Psaume 82, 9.
26
La création des royaumes barbares
Traduction
[...] Nous survivons en petit nombre : ce n’est point di a nos mérites, mais a la miséri-
corde du Seigneur. Des peuplades innombrables et trés féroces ont occupé l’ensemble des
Gaules. Tout le pays qui s’étend entre les Alpes et les Pyrénées, tout ce que limitent ]’Océan
et le Rhin, est dévasté par le Quade, le Vandale, le Sarmate, les Alains, les Gépides, les Hérules,
les Saxons, les Burgondes, les Alamans et — 6 malheur pour |’Etat — les Pannoniens eux-
mémes devenus ennemis; «car Assur aussi est venu avec eux » (Ps. 82,9). Mayence, cité jadis
illustre, a été prise et saccagée; dans son église des milliers d’hommes ont été massacrés;
Worms a été réduite par un long siége; la ville si puissante de Reims, Amiens, Arras, « Les
Morins les hommes les plus éloignés du monde »'!, Tournai, Spire et Strasbourg ont été
transportées en Germanie. L’Aquitaine et la Novempopulanie, sauf un petit nombre de
villes, sont complétement ravagées. Les villes encore épargnées sont dépeuplées au-dehors
par lépée, au-dedans par la famine. Je ne puis sans pleurer mentionner Toulouse, dont la
ruine n’a été jusqu’ici empéchée que par le mérite de son saint évéque Exupére. Les Espagnes
elles-mémes, qui voient venir a leur tour la mort, tremblent chaque jour et se rappellent
Vinvasion des Cimbres ®. Ce que les autres ont souffert en une fois, elles, par l’appréhension,
le souffrent continuellement.
Je laisse le reste pour ne point paraitre désespérer de la clémence divine.
12. Exiente sono, Attela Chunorum regem sevitia superatum Gallia provintia
coepisse vastare, terrore itaque perculsi Pariseorum cives, bona ac stipendia
facultatum suarum in alias tuciores civitates deferre nitebantur. Quorum matrones
convocans Genuvefa, suadebat, ut ieiuniis et orationibus ac vigilis insisterent,
quatenus possint, sicut Judith et Ster superventura clade evadere. Consentientes
ergo Genuvefe, dies aliquod in baptisterio vigilias exercentes, ieiuniis et orationibus,
sicut Genuvefa suasserat, Deo vacaverunt. Viris quoque earum idem suadebat,
ne bona sua a Parisias auferrent :nam illas civitates, quas esse tutiores credebant,
gens irata vastaret. Parisius vero incontaminata ab inimicis, Christo protegente,
salvandam, ut factum est, adserebat. Insurrexerunt in eam cives Parisiorum,
dicentes, pseudoprophetam suis temporibus aparuisse, eo quod prohiberentur
ab ea quasi a peritura civitatem in alias tucioris urbis bona sua transferre.
I. VIRGILE, Enéide, VIII, 727. Le poéte parlait de la peuplade. Mais a l’époque de saint
Jéréme, Morini désigne la Civitas Morinum |sic], c’est-a-dire son chef-lieu, Thérouanne.
2. Les Cimbres ravagérent l’?Espagne de 105 4 103 av. J.-C.
27
LES ROYAUMES BARBARES
Traduction
12. La rumeur publique fit courir le bruit qu’Attila, roi des Huns, mettant le comble
a sa férocité, avait décidé de ravager la Gaule et de la soumettre 4 sa domination. Aussi les
habitants de Paris, terrorisés, tentaient-ils de transporter leurs biens et leurs ressources en
d’autres villes plus a l’abri du danger. Mais Genevieve convoqua leurs épouses pour les
exhorter a se livrer au jetine, a la priére et a des veillées religieuses, de facon a échapper,
suivant l’exemple de Judith et d’Esther, au désastre imminent. Elles se rangérent au conseil
de Geneviéve et consacrérent quelques jours 4 Dieu, dans le baptistére, en veillant ainsi qu’en
jeanant et en priant. Elle exhortait aussi leurs maris 4 ne pas emporter leurs biens de Paris,
car les villes qu’ils croyaient plus stres devaient étre dévastées par la horde déchainée. Par
contre, affirmait-elle, Paris ne serait pas souillé par les ennemis et devrait son salut, comme
cela arriva, 4 la protection du Christ.
13. Cependant, les habitants de Paris se révoltérent contre elle. Ils prétendaient que
c’était une pseudo-prophétesse qui venait de se révéler parce qu’elle leur interdisait de trans-
porter leurs biens dans des villes plus stres, hors d’une cité en passe d’étre bientét détruite.
Les habitants de cette ville discutaient méme du chatiment que devait subir Geneviéve :
ou bien la lapider, ou la précipiter dans un gouffre profond, lorsqu’il arriva de la ville d’Auxerre
un archidiacre qui avait jadis entendu un magnifique témoignage porté sur elle par saint Germain.
Cet archidiacre alla trouver ceux qui se réunissaient en divers endroits pour discuter du
meurtre de Geneviéve. Quand il eut eu connaissance de leur dessein, il leur dit : « Ne commet-
tez pas, 6 habitants, un crime si abominable, car nous avons appris de la bouche de saint Ger-
28
La création des royaumes barbares
main, notre évéque, que cette femme, du meurtre de qui vous vous entretenez, a été distinguée
par Dieu dés le sein méme de sa mére; et voici les eulogies qu’il lui a léguées ». Les habitants
comprirent qu’au témoignage de saint Germain, Geneviéve était une servante de Dieu trés
fidéle, et, en voyant les eulogies qui lui avaient été apportées et que leur montrait l’archidiacre,
ils furent pénétrés de la crainte de Dieu. Pleins d’admiration pour ce que leur disait l’archi-
diacre, ils renoncérent 4 leur dessein criminel et mirent fin 4 leur perfidie.
Ce jour 1a s’accomplit la parole de P’apdétre : « La foi n’est pas donnée 4 tous, mais c’est
Dieu qui, étant fidéle, vous a conservé et vous gardera du mal ».
14. Les pontifes éminents, Martin et Aignan, ont été grandement loués pour leurs
miracles admirables. L’un d’eux s’est présenté désarmé dans la cité de Worms 4 la veille d’une
bataille et, en calmant les fureurs des deux armées, il a obtenu un traité; l’autre a mérité
par ses priéres que la ville d’Orléans, qui était assiégée par l’armée des Huns, fit sauvée
avec le secours des Goths. N’est-il pas juste aussi d’honorer Genevieve qui, en écartant la
méme armée barbare par ses priéres, l’?a empéchée de pénétrer dans Paris pour la ravager?
29
DOSSIER SUR
les Anglo-Saxons en Grande-Bretagne
Traduction
30
La création des royaumes barbares
conquérir. Donc, aprés avoir entamé la lutte contre les ennemis qui venaient au nord, ils
engagérent la bataille et les Saxons remportérent la victoire. Lorsqu’ils eurent annoncé cela
chez eux, ainsi que la fertilité de l’ile et la couardise des Bretons, les Saxons envoyérent
aussitdét une flotte plus nombreuse avec une bande d’hommes en armes encore plus puissante
qui, jointe a la troupe précédente, en fit une armée invincible. Les Bretons recgurent donc les
arrivants et, leur ayant donné un lieu pour habiter entre eux 4 la condition que ceux-ci combat-
traient contre leurs adversaires, pour le salut et la paix de la patrie, et qu’ils accorderaient
aux combattants les soldes qui leur étaient dues. Accoururent alors des gens issus des trois
peuples les plus courageux de la Germanie, c’est-a-dire les Saxons, les Angles et les Jutes.
Des Jutes sont issus les « Cantuari » et les « Victuari »1, c’est-a-dire cette tribu qui posséde Vile de
Wight et le peuple qui, jusqu’aujourd’hui, dans la province du Wessex est appelée Jute,
en face de cette méme ile de Wight. Des Saxons, c’est-a-dire de cette région que |’on appelle
maintenant le pays des Vieux Saxons? vinrent ceux de lEssex, du Sussex et du Wessex.
Enfin des Angles, c’est-a-dire de ce pays qu’on appelle Angeln * entre le Jutland et la Saxe
et qui, depuis cette époque jusqu’a maintenant, a ce qu’on dit, demeure encore désert, sont
issus ceux qui peuplent |’East Anglia, la South Anglia *, la Mercie et toute la race des Nor-
thumbriens, c’est-a-dire de ces peuples qui habitent au nord du fleuve Humber, et tous les
autres peuples anglais. On rapporte que leurs premiers ducs furent deux fréres, Hengist
et Horsa; des deux, Horsa fut tué peu aprés a la guerre par les Bretons et, depuis, on montre
la tombe portant son nom dans la partie orientale du Kent. Ils étaient donc fils de Victgils,
dont le pére était Vitta, lequel avait pour pére Vecta, le pére de ce dernier s’appelant Voden;
c’est de cette souche que les familles royales de nombreuses provinces tirent leurs origines.
Donc, sans retard, des troupes des peuples susdits affluerent 4 qui mieux mieux dans Vile
et le peuple des étrangers commenga 4 croitre a tel point que, pour les indigenes eux-mémes
qui les avaient appelés, ils devinrent des objets de terreur.
31
LES ROYAUMES BARBARES
a2
La création des royaumes barbares
Traduction
33
LES ROYAUMES BARBARES
Commentaire
34
La création des royaumes barbares
et les Bretons vivent, en fait, dans une quasi-indépendance entrecoupée de guerres civiles
avec, de temps 4 autre, quelques relations avec le continent. Bientét, la progression des Francs
coupe ces liaisons, puisque Chlodion occupe Tournai en 432 et Cambrai en 435. En 446,
les Francs occupent le bassin supérieur de |’Escaut. Saint Germain d’Auxerre s’embarquant
pour la Bretagne ne part pas de Boulogne, ni en 429, ni en 440-446, mais de l’estuaire de la
Seine et du Cotentin. Au cours de son premier voyage, il dirige méme un combat des Bretons
contre les Saxons, ce qui montre que certains étaient déja apparus.
En écrivant ce passage, Béde était au courant de ce que nous venons d’expliquer, mais
il nous le raconte aprés. Il faut donc d’abord expliquer la méthode historique de Bede. Comment
a-t-il fait pour reconstituer des faits oubliés datant de plus de deux siécles et demi? II a utilisé
un trés mauvais chroniqueur, Gildas, qui écrivait vers 540 et, faute d’autres textes, s’est
rabattu sur des traditions orales, l'une concernant un tumulus (5, 1. 25), autre constituée
par une généalogie (5, 1. 23). A partir de la toponymie de son époque, il a reconstitué les
zones installation des Barbares (5, 1. 14 et 18). Donc, il s’agit d’un essai intelligent de recons-
titution des faits.
Comme, cependant, Béde a donné dans son Histoire deux autres traditions sur l’arrivée
des Anglo-Saxons, l’une la plagant en 447, l’autre modifiant la généalogie, beaucoup d’histo-
riens ne se sont pas fait faute de relever des invraisemblances dans son interprétation. Ferdinand
Lot, en particulier, a relevé le caractére fabuleux et folklorique des traditions rapportées par
Bede. Hengist est un héros épique, cité dans la bataille de Finsburg et le Beowulf, transformé
en roi fondateur du Kent. Horsa est tout aussi légendaire. Son tombeau (5, 1. 25) existe
certes; il s’appelle Horsted 4 deux milles d’Aylesford sur la Medway au nord-est du Kent.
Mais son nom, qui signifie « cheval », a été inventé pour expliquer l’origine du nom de lieu
donné au tumulus. D’ailleurs, Hengist signifie « étalon »! Béde a da trouver ce rapprochement
tout fait dans la tradition orale, ce qui prouve son peu de sérieux. Quant a4 Vortigern, ce serait,
selon lui, la traduction en vieux brittonique du latin « superbus tyrannus » ' donné par Gildas
et pris pour un nom propre. Enfin, |’émigration sur trois bateaux longs (5, 1. 4) est un théme
folklorique. Déja, selon Jordanés, les Goths et les Gépides abordent 4 l’embouchure de la
Vistule montés sur trois navires. Ce qui faisait conclure 4 Ferdinand Lot que tous les rensei-
gnements donnés par Béde, quelle que soit leur origine, étaient « sans valeur historique ».
Avant de verifier la valeur de cette critique, il faut, d’abord, expliquer ce que Béde
veut nous apprendre : la date de l’arrivée des premiers Anglo-Saxons, la cause de leur arrivée
et leurs lieux d’installation. I] fixe comme année du début du régne de Marcien, empereur
d’Orient, 449. Ce régne débuta en réalité en 450 pour se terminer en 457. Quant 4 Valentinien
(5, 1. 2), il s’agit de Valentinien III empereur d’Occident, qui régna de 423 a 455. La
période ainsi délimitée pour larrivée des Angles et des Saxons va donc de 450 4 455. Béde
n’indique pas uniquement l’année 449, comme certains l’ont dit. Le tunc (5, 1. 3) qui suit
prouve qu’il s’agit du régne conjoint de Marcien et de Valentinien.
Qw’il y ait eu un roi breton indépendant, nommé ou non Vortigern, et qu’il ait appelé
les Angles et les Saxons (5, 1. 3), c’est une chose plausible. Les Bretons, ayant réclamé une
aide 4 Rome en 446, en la personne d’Aetius, et ne voyant rien venir, ont probablement voulu
engager des Barbares comme fédérés. Les Romains, dés le Iv® siécle, avaient installé en Bre-
tagne des Alamans comme mercenaires pour défendre les Bretons contre les Pictes, Barbares
35
LES ROYAUMES BARBARES
d’Ecosse et les Scotts, pirates irlandais qui ravageaient les cétes occidentales. C’est ce qu’a
da faire le roi breton en appelant une troupe d’Angles et de Saxons et en leur attribuant
des terres pour résider (5, 1. 5), selon l’usage en ce cas-la. Ensuite, ils écrasérent les ennemis
du Nord (5, 1. 6), c’est-a-dire certainement les Pictes. Les Anglo-Saxons ont alors été engagés
en plus grand nombre contre des terres, des soldes (5, 1. 12) et méme du blé comme le dit
le texte un peu plus loin. Tout cela est typique du contrat d’hospitalité '. Ce n’est qu’ensuite
que les Anglo-Saxons se révoltérent contre les Bretons.
Béde propose ensuite un schéma d’installation des trois peuples germaniques : les Jutes
dans le Kent (Sud-Est de V’ile) et dans l’ile de Wight (5, 1. 15). Mais les Cantuari et les Vic-
tuari sont des noms celto-romains. II] serait étonnant que les Barbares aient accepté de perdre
leur nom ethnique. Par contre, face a l’fle de Wight, la région indiquée par Béde (5, 1. 16)
a effectivement gardé longtemps le nom de Yte (le pays des Jutes). Pour les Saxons, les régions
d’installation ont gardé leur nom ethnique, mais avec une indication géographique : l’Essex,
le Sussex et le Wessex sont les pays des Saxons de l’Est, des Saxons du Sud et des Saxons
de l’Ouest (5, 1. 18). Pour les Angles, le phénoméne est identique : la Mercie est le pays des
« gens de la marche », la Northumbrie est celui des « gens au nord de la Humber » (5, 1. 21).
Quant aux lieux d’origine des trois peuples, ils sont encore plus vagues : la péninsule du Jutland
pour les Jutes, et le Holstein pour les Saxons. Seul le district d’origine des Angles est bien
précisé : Angeln est encore aujourd’hui le nom de la région baltique du Schleswig, en Alle-
magne occidentale du Nord. Au total, un schéma peu précis et qui correspond surtout a |’état
ethnique de Vile au début du viii siécle.
Un dernier point est 4 signaler : la généalogie donnée par Béde est certainement authen-
tique, car elle comporte comme toutes les généalogies fabuleuses des peuples primitifs une
filiation divine : Voden est en effet le dieu Wodan. Béde ne s’en est pas apercu, ce qui nous
garantit l’originalité de la tradition orale, sans nous rassurer sur sa véracité. Tels sont, au
total, les résultats de la reconstitution des faits due 4 notre moine du VIII® siécle.
Les renseignements donnés par l’archéologie complétent et modifient quelque peu le
schéma précédent. Ils permettent de répondre 4 la premiére question que fait se poser l’expli-
cation de Béde : une colonisation aussi rapide et intensive qu’il le dit était-elle possible avec
les moyens de transport maritime de l’époque? IJ suffit de regarder la photo du bateau de
Nydam pour répondre non. Il est fort probable, en effet, que ce type de navire a été celui
qu’utilisaient les Anglo-Saxons, puisque le bateau découvert 4 Sutton-Hoo sur la céte d’East-
Anglia est 4 peu prés identique pour les dimensions et la technique; les archéologues ont daté
Venfouissement de ce dernier de 625 environ. Donc, il y a un méme type de navire du Dane-
mark a l’Angleterre du Iv au vir® siécle. Celui de Nydam est en chéne; il a 22,84 m de longueur
hors-tout et 3,26 m dans sa plus grande largeur. L’innovation technique est partielle : les
bordages sont montés a clin avec des clous de fer, tandis que les couples et les baux sont assu-
jettis aux clans de bordages par des liens souples en écorce de tilleul. La rame-gouvernail
n’est qu’un simple aviron. Il n’y a pas de quille, mais une planche de carlingue. Pas de mat
non plus, car il apparut au ville siécle. Sur le plat-bord on apercoit les branches fourchues
servant de tolets; trente rameurs le propulsaient. Un pareil navire ne pouvait donc, vu son
instabilité latérale, affronter la haute mer (document 6). Une traversée en droiture des cétes
danoises aux cOtes anglaises était rigoureusement impossible (300 miles!). Il ne pouvait
que naviguer sur des hauts-fonds en suivant les cétes.
»
Ce qui nous améne a examiner le texte cité du Beowulf pour connaitre les conditions
36
La création des royaumes barbares
d’une traversée a cette époque. Situons au préalable les principaux personnages du texte :
Hygelac est certainement le chef d’un peuple maritime scandinave appelé ici les Geats. Peut-étre
s’agit-il de Goths qui auraient subsisté en Suéde méridionale au Gotland le pays des Gotar,
pays couvert de lacs glaciaires. Ceci expliquerait la présence du pilote (7, 1. 15) qui connait
les fonds et les rivages des lacs. Hygelac est le méme personnage que Chlochilaichus, cité par
Grégoire de Tours 1. Il en fait un roi danois qui, vers 515, aurait pillé les cdtes de Frise et
fut tué par Théodebert, fils du roi des Francs Thierry Iet. Les Scyldings sont une dynastie
danoise dont l’ancétre divin s’appelle Scyld. On retrouve d’ailleurs ce dieu de la fertilité dans
les généalogies des rois du Wessex. Voila donc des peuples danois susceptibles d’émigrer par
mer. Ce texte nous donne un exemple de leurs expéditions militaires telles qu’on les prati-
quait au VII® siecle : peu d’hommes, seize en tout (7, 1. 13); les guerriers rament une bonne
partie du voyage; le bateau ne marche a la voile en haute mer? que trés peu de temps puisque
le voyage dure a peine plus de vingt-quatre heures (7, 1. 26). Enfin, la joie qu’éprouvent les
navigateurs en retrouvant les falaises prouve que le voyage en droiture est chose encore inha-
bituelle.
Ceci nous améne 4a dire que toute colonisation ne pouvait se faire qu’en longeant les cétes
de la mer du Nord 4a petites étapes et par petits groupes familiaux ou claniques. L’archéolo-
gie confirme, en effet, ce lent glissement des peuples maritimes s’installant dans les iles de
la Frise, entrant en contact avec les Francs des bouches du Rhin, puis débarquant dans le
Kent et remontant les cdétes bretonnes vers le nord et le sud. Les derniéres monnaies romaines
trouvées en Grande-Bretagne datent de 460. Les plus anciens cimetiéres saxons sont situés
dans le Kent, l’estuaire de la Tamise, l’estuaire du Wash et l’estuaire de la Humber. Ces deux
derniéres zones ne sont pas signalées par Béde. Enfin, il est trés difficile de distinguer les
Jutes, des Saxons et des Angles, d’autant plus qu’ils apportent avec eux des habitudes frisonnes,
par exemple des urnes cinéraires rondes et des fibules en forme de croix. On a l’impression
d’établissements de petite envergure, auxquels succédent aprés 500 et 525 des éléments encore
plus mélangés, avec méme la présence de Francs. Il est donc trés difficile d’attribuer a tel
ou tel peuple un secteur bien délimité de colonisation. Les archéologues anglais ne sont précis
et affirmatifs que pour les Jutes dans le Kent dans la deuxi¢me moitié du vI® siécle.
Les archéologues allemands estiment que, si les zones de départ des Jutes et des Saxons
sont difficilement détectables, celle des Angles correspond bien a4 Vactuel Angeln. Le sanc-
tuaire de Thorsberg (la montagne de Thor, dieu du tonnerre) au centre du territoire angle
est entouré de cimetiéres utilisés de 100 av. Jésus-Christ jusqu’a 500 ap. Jésus-Christ. Aprés,
il n’y a plus rien, ce qui corrobore |’affirmation de Béde selon laquelle 4 son époque le pays
était désert (7, 1. 19). Il y a bien eu émigration.
Bref, tous ces événements se sont produits lentement a partir des années 450-455. Le
schéma d’explication de Béde reste valable en général. Les archéologues anglais vont méme
jusqu’a accepter l’existence de Vortigern, de Hengist et de Horsa. Mais ce qui importe bien
plus que l’authenticité de leurs noms, c’est que les Anglo-Saxons ont du arriver comme
fédérés a l’appel d’un roi breton quelconque, et il est fort probable qu’ils se sont ensuite révol-
tés. Les localisations d’installation des peuples données par Béde ne peuvent plus étre suivies
au pied de la lettre, sauf pour quelques Jutes et pour la terre d’origine des Angles. I] ne s’est
pas rendu compte que ces peuples étaient déja plus ou moins mélangés a leur arrivée, par suite
de leur séjour forcé le long des cétes de la mer du Nord. IJ n’a pu recueillir aucune source
37
LES ROYAUMES BARBARES
sur les premiéres installations dans |’estuaire du Wash et de la Humber. Grace 4 |’étude des
techniques nautiques et des fouilles de cimetiéres, nous pouvons préciser le schéma de
Bede en montrant que l’arrivée des Germains s’est faite par petits groupes espacés remontant
les fleuves. Ce n’est que plus tard, une fois bien installés, qu’ils se recherchérent une origine
ethnique qui n’avait jamais été bien précise. En somme, nous pouvons dire aujourd’hui }, au
contraire de Ferdinand Lot qui affirmait que la premiére page de histoire de l’Angleterre
était « une page blanche », qu’il s’agirait plutét d’une page de brouillon que les historiens
remettent sans cesse au propre.
38
DOSSIER SUR
la conversion et le baptéme de Clovis
Le baptéme de Clovis est, dans l’état actuel des controverses, impossible 4 dater avec
précision. Nous possédons trois documents. Celui de Grégoire de Tours (document 8), écrit
en 584 et augmenté quelques années plus tard par la mention d’une date. Sur les instances
de la reine Clotilde et aprés sa victoire sur les Alamans, la quinziéme année de son régne,
Clovis se fait instruire et baptiser 4 Reims par l’évéque Rémi, avec trois mille hommes de son
armeéee. Le document 9, une lettre de Pevéque Avit de Vienne (entre 490 et 518)a Clovis,
de date imprécise : il regrette de n’avoir pu assister en personne au baptéme qui eut lieu
le jour de Noél. Enfin, le troisitme (document 10) est une lettre de Nicetius, évéque de Tréves,
écrite en 565 a Clodoswinde, reine des Lombards. II] lui rappelle que c’est 4 Tours que Clovis
a promis de se faire baptiser.
De Vensemble des trois documents résultent les dates possibles : 496, 498, 499 ou 506.
39
LES ROYAUMES BARBARES
currente potentia Dei, omnis populus pariter adclamavit : « Mortalis Deus abigimus,
pie rex, et Deum quem Remigius praedicat immortalem sequi parati sumus ».
30 Nunciantur hae antestiti, qui gaudio magno repletus, iussit lavacrum praeparari.
Velis depictis adumbrantur plateae, eclesiae curtinis albentibus adurnantur,
baptistirium conponitur, balsama difunduntur, micant flagrantes odorem cerei,
totumque templum baptistirii divino respergere ab odore, talemque sibi gratiam,
adstantibus Deus tribuit, ut aestimerent se paradisi odoribus collocari. Rex ergo
35 prior poposcit, se a pontifici baptizare. Procedit novos Constantinus ad lavacrum,
deleturus leprae veteris morbum sordentesque maculas gestas antiquitus recenti
latice deleturus. Cui ingresso ad baptismum sanctus Dei sic infit ore facundo :
« Mitis depone colla, Sigamber; adora quod incendisti, incende quod adorasti ».
Erat autem sanctus Remegius episcopus egregiae scientiae et rethoricis ad primum
40 anbutus studiis, sed et sanctitate ita praelatus, ut Silvestri virtutebus equaretur.
Est enim liber vitae eius, qui eum narrat mortuum suscitasse. Igitur rex omni-
potentem Deum in Trinitatem confessus, baptizatus in nomine Patris et Filii
et Spiritus Sancti delebutusque sacro crismate cum signaculo crucis Christi.
De exercito vero eius baptizati sunt amplius tria milia.
Traduction
xxx. La reine ne cessait de précher pour qu’il [Clovis] connaisse le vrai Dieu et abandonne
les idoles; mais elle ne put en aucune maniére l’entrainer dans cette croyance jusqu’au jour
enfin ot la guerre fut déclenchée contre les Alamans, guerre au cours de laquelle il fut poussé
par la nécessité 4 confesser ce qu’il avait auparavant refusé de faire volontairement. I] arriva,
en effet, que le conflit des deux armées dégénéra en un violent massacre et que l’armée de
Clovis fut sur le point d’étre complétement exterminée. Ce que voyant, il éleva les yeux
au ciel, et, le coeur plein de componction, ému jusqu’aux larmes, il dit : « O Jésus Christ,
que Clotilde proclame fils du Dieu Vivant, toi qui donnes une aide 4 ceux qui peinent et
qui attribues la victoire 4 ceux qui espérent en toi, je sollicite dévotement la gloire de ton
assistance; si tu m’accordes la victoire sur ces ennemis et si j°expérimente la vertu miraculeuse
que le peuple voué a ton nom déclare avoir prouvé qu’elle venait de toi,-je croirai en toi et
je me ferai baptiser en ton nom. J’ai, en effet, invoqué mes dieux, mais, comme j’en ai fait
Vexpérience, ils se sont abstenus de m/’aider; je crois donc qu’ils ne sont doués d’aucune puis-
sance, eux qui ne viennent pas au secours de leurs serviteurs. C’est toi que j’invoque main-
tenant, c’est en toi que je désire croire, pourvu que je sois arraché 4 mes adversaires ». Comme
il disait ces mots, les Alamans tournant le dos commencérent a prendre la fuite. Lorsqu’ ils
virent leur roi tué, ils firent leur soumission 4 Clovis disant : « Ne laisse pas, de grace, périr
davantage le peuple, nous sommes a toi désormais ». Et, lui, ayant ainsi arrété la guerre et
harangué son peuple, la paix faite, rentra et raconta 4 la reine comment, en invoquant le nom
du Christ, il avait mérité la victoire. Ceci s’accomplit la quinziéme année de son régne.
xxxI. Alors la reine fait venir en cachette saint Rémi, évéque de la ville de Reims, et le
priant de faire croitre chez le roi « la parole du salut » (Actes, 13, 26). Le pontife l’ayant fait
venir en secret, commence par faire naitre en lui qu’il devait croire au vrai Dieu, créateur du
ciel et de la terre et abandonner les idoles, qui ne peuvent lui étre utiles, ni 4 lui, ni aux autres.
Mais ce dernier dit : « Je t’ai écouté volontiers, trés saint Pére, toutefois, il reste une chose;
c’est que le peuple qui me suit ne veut pas délaisser ses dieux; mais je m’en vais l’entretenir
conformément a ta parole ». Il se rendit donc au milieu des siens, et, avant méme qu’il eat
40
La création des royaumes barbares
pris la parole, la puissance de Dieu l’ayant devancé, tout le peuple s’écria en méme temps :
« Les dieux mortels, nous les rejetons, pieux roi, et c’est le Dieu immortel que préche Rémi
que nous sommes préts a suivre ». Ces nouvelles sont portées au prélat qui, rempli d’une grande
joie, fit préparer la piscine. Les rues sont ombragées de tentures de couleur, les églises ornées
de courtines blanches; le baptistére est apprété, des parfums sont répandus, des cierges
odoriférants brillent; tout le temple du baptistére est imprégné d’une odeur divine et Dieu
y comble les assistants d’une telle grace qu’ils se croient transportés au milieu des parfums
du paradis. Ce fut le roi qui, le premier, demanda a étre baptisé par le pontife. I] s’avance,
nouveau Constantin, vers la piscine, pour effacer la maladie d’une vieille lépre et pour effacer
avec une eau fraiche les sordides taches anciennement acquises. Lorsqu’il y fut entré pour le
baptéme, le saint de Dieu l’interpella d’une voix éloquente en ces termes : « Dépose hum-
blement tes colliers, 6 Sicambre, adore ce que tu as brulé, brile ce que tu as adoré » }.
Saint Rémi était un évéque d’une science remarquable et qui s’était tout d’abord imprégné
de la science de la rhétorique, mais il était aussi tellement distingué par sa sainteté, qu’il
égalait Silvestre par ses miracles. Il existe d’ailleurs, de nos jours, un livre de sa vie qui
raconte qu’il a ressuscité un mort. Ainsi donc, le roi, ayant confessé le Dieu tout puissant
dans sa Trinité, fut baptis¢é au nom du Pére et du Fils et du Saint-Esprit et oint du saint
chréme avec le signe de la croix du Christ. Plus de trois mille hommes de son armée furent
également baptisés ”,
Traduction
42
La création des royaumes barbares
Traduction
A la maitresse trés clémente fille dans le Christ, la reine Clodoswinde, Nicetius pécheur.
[...| Tu as appris de quelle maniére ta grand’mére, la maitresse de bonne mémoire
Clotilde était venue en France et comment elle amena le seigneur Clovis a la loi catholique;
tu as appris que, lorsqu’il eut compris que ce que j’ai dit plus haut était vrai, il tomba hum-
blement 4 genoux sur le seuil du seigneur Martin et promit de se faire baptiser sans délai,
et, une fois baptisé, combien de hauts faits il a accomplis contre les rois hérétiques Alaric
et Gondebaud; vous n’ignorez pas quels grands dons lui-méme et ses fils ont regcus en ce
monde.
Pourquoi un homme tel que le roi Alboin que I’on dit étre si riche, pourquoi celui dont
la renommée est telle que le monde le place au-dessus des autres ne se convertit pas et parait
si lent 4 rechercher la voie du salut? Dieu bon, toi qui es la gloire des saints et le salut de
tous, envoie ton Esprit en lui. Et toi, maitresse Clodoswinde, puisque tu peux lui parler,
accorde-lui cette consolation afin que tous nous nous réjouissions d’une telle étoile, d’une
telle pierre précieuse que nous puissions plaire 4 Dieu. Je te salue autant que je le puis; je
te supplie de n’étre point oisive : clame sans cesse, chante sans cesse. Tu as appris quil a
été dit : « Le mari incroyant sera sauvé par l|’épouse croyante » 1, Car tu le sais : le premier
salut, le premier pardon est pour celui qui fait se détourner le pécheur de son erreur. Veille,
43
LES ROYAUMES BARBARES
veille, puisque tu as l’aide de Dieu; je demande que tu fasses en sorte que tu rendes le peuple
des Lombards courageux face a ses ennemis et que tu nous permettes de nous réjouir de
ton salut et de celui de ton époux. Fin’.
§ 9. Indeque Alboin cum Venetia fines, quae prima est Italiae provinciae,
Io sine aliquo obstaculo, hoc est civitatis vel potius castri Foroiulani terminos introisset,
perpendere coepit, cui potissimum primam provinciarum quam ceperat committere
deberet.
[...] Igitur ut diximus, dum Alboin animum intenderet, quem in his locis
ducem constituere deberet, Gisulfum, ut fertur, suum nepotem, virum per omnia
T5 idoneum, qui eidem strator erat, quem lingua propria marpahis appellant, Foroiu-
lanae civitati et totae illius regioni praeficere statuit. Qui Gisulfus non prius se
regimen elusdem civitatis et populi suscepturum edixit, nisi ei quas ipse eligere
voluisset Langobardorum faras, hoc est generationes vel linea, tribuerat. Factum
est, et annuente sibi rege quas obtaverat Langobardorum praecipuas prosapias,
20 ut cum eo habitarent, accepit. Et ita demum doctoris honorem adeptus est. Poposcit
quoque a rege generosarum equarum greges, et in hoc quoque liberalitate principis
exauditus est.
D6; “6, (Oe. \e; (0) oi“a! (0) (wil te fo 10. 6!) aie! wie (eee) ¢ 1-0 16)(e168 06) re. e\-0) 6) e G59) ‘6 hie) ©)1a) aise! e @) 6) 0)(6) ide 6) eee 'o ele: w leis -aeeeae
44
La création des royaumes barbares
Traduction
§ 7. Alors Alboin attribua 4 ses amis les Huns! ses propres territoires, c’est-a-dire la
Pannonie *, afin de regagner de nouveau ce pays, pour le cas ot les Lombards seraient obligés
de rebrousser chemin 4 un moment quelconque. Donc, les Lombards, ayant abandonné la
Pannonie avec femmes, enfants et tous leurs bagages, se dirigent vers l’Italie afin de s’en
emparer. Ils avaient habité en Pannonie quarante-deux ans. Ils en sortirent au mois d’avril,
la premiére indiction, le deuxiéme jour aprés la sainte Paque, dont la solennité tomba cette
année-la, selon le calcul du calendrier, le jour méme des calendes d’avril, alors que déja
cinq cent soixante-huit années s’étaient écoulées depuis incarnation du Seigneur. [...]
[Alboin fait Pascension d’une haute montagne d’ou il contemple I’Italie.]}
§ 9. De 1a, Alboin entra sur le territoire de la Vénétie sans aucun obstacle; c’est la pre-
miére province de I’Italie, formée par les territoires de la cité ou plutét du chateau de Frioul *;
il commenga a chercher quel serait ’homme auquel il devait confier de préférence la pre-
miére des provinces qu’il avait prise. [...]
[Suit une description de I’Italie.]
[...] Donc, comme nous le disions, pendant qu’Alboin se demandait qui il devait installer
comme duc en ces lieux, il décida, 4 ce qu’on rapporte, de mettre 4a la téte de la ville de Frioul
et de toute la région Gisulf, son neveu, homme expert en toutes choses et qui était son écuyer,
quwils appellent dans leur propre langue marpahis. Mais Gisulf proclama au préalable qu’il
ne prendrait pas la direction de cette méme ville et de sa population, avant qu’il ne lui accor-
dat des farae de Lombards, c’est-a-dire des clans ou des groupes quwil voulait choisir lui-
méme. Ce qui fut fait, et il recut avec l’accord du roi les meilleures lignées de Lombards
qu’il avait désiré voir s’installer avec lui. Et il en acquit ainsi une réputation de sage. I] réclama
aussi au roi des troupeaux de juments de bonne race et en cela aussi il fut exaucé par la libé-
ralité du prince.
[Alboin conquiert alors toute Italie du Nord jusqwa la Ligurie, non comprise, et excepté
les villes fortes.]
§ 26. La ville de Tessin +, supportant 4 ce moment un siége depuis plus de trois ans,
TeceSeAV ALS.
2. La Hongrie occidentale.
3. Aujourd’hui Cividale.
4. Aujourd’hui Pavie.
45
LES ROYAUMES BARBARES
s’obstinait courageusement, tandis que l’armée des Lombards s’installait tout prés d’elle dans
la partie occidentale. Pendant ce temps, Alboin, ayant repoussé les troupes ennemies, envahit
tout le pays jusqu’en Toscane, excepté Rome, Ravenne et quelques autres places fortes situées
sur le littoral. Les Romains étaient tellement dépourvus de vigueur qu’ils ne pouvaient pas
résister, car |’épidémie de peste qui s’était déclenchée 4 l’époque de Narsés en avait fait dis-
paraitre beaucoup en Vénétie et en Ligurie, puis aprés l’année d’abondance dont nous avons
parlé, une famine excessive, en se précipitant sur toute I’Italie, avait dévastée. Il est cer-
tain, par ailleurs, qu’Alboin avait alors amené avec lui en Italie un grand nombre parmi ces
peuples variés que d’autres rois ou lui-méme avait soumis. De 1a, vient qu’encore aujourd’hui
ils habitent des bourgs que nous appelons Gepides, Bulgares, Sarmates, Pannoniens, Suéves,
Noriques ou d’autres noms de ce genre.
[Pavie se rend au bout d’un siége de trois ans et quelques mois.]
§ 27. [...] Alors [aprés qu’ Alboin ait promis la vie sauve a tous les habitants], tout le peuple
accourant a ses devants dans le palais, que le roi Théodoric avait autrefois construit, commenga,
déja confiant aprés tant de malheurs, a se relever pour construire l’avenir.
CHAPITRE II
ECONOMIES ET SOCIETES
DOSSIER SUR
le régime de l’hospitalité
47
LES ROYAUMES BARBARES
praediti dignitate fisco nostro se inlaturos esse cognoscant, ceteri vero militia
sciant se esse privandos, si generale praeceptum amplius usurpando quam iussimus
reprehensibili temeritate violaverint.
Dat. VIII. id. Febr. Const(antino) p(oli) Hon(orio) IIII et Eutychiano Conss.
Th. MomMseEN, Theodosiani Libri xvi.... L. VII, 8, 5,
Berlin, 1905, p. 328.
Traduction
48
Economies et sociétés
Io eas adsumserit, fecerit fortasse culturas, statuimus, ut, si adhuc silva superest
unde paris meriti terra eius, cui debetur, portioni debeat conpensari, silvam
accipere non recuset. Si autem paris meriti, que compensetur, silva non fuerit,
quod ad culturam excisum est dividatur.
XVI Antiqua, x, 1, 16. Ut si Goti de Romanorum tertia quippiam tulerint,
iudice insistente Romanis cuncta reforment.
Iudices singularum civitatum, vilici adque prepositi tertias Romanorum ab
illis, qui occupatas tenent, auferant et Romanis sua exactione sine aliqua dilatione
restituant, ut nihil fisco debeat deperire; si tamen, eos quinquaginta annorum
numerus aut tempus non excluserit.
Lex Visigothorum, M.G.H. Legum Sectio I, t. I, Hanovre, éd. par K. Zeumer, 1902, pp. 385 sqq
Traduction
VIII, Rédaction primitive, x, 1, 8. Au sujet de la division des terres faite entre un Goth
et un Romain.
Que la division en parts des terres ou des bois faite entre un Goth et un Romain ne
soit troublée par aucun motif; si cependant la division pratiquée a été approuvée, qu’aucun
Romain ne prenne ou ne revendique pour lui quelque chose des deux parts d’un Goth, ou
qu’aucun Goth n’ose usurper ou revendiquer pour lui quelque chose de la troisiéme part
du Romain, excepté ce qui lui a été donné par une largesse de notre part.
VIII, Rédaction primitive, x, 1, 9. Au sujet des bois qui restent indivis entre un Goth
et un Romain.
Si un Goth ou un Romain a accaparé une part des bois qui sont restés indivis et qu’il
y a fait des cultures, Nous décidons que, si le bois est encore debout, comme sa terre doit
recevoir une compensation de valeur égale pour celui a qui elle est due, qu’il ne refuse pas
de recevoir le bois; si le bois a disparu, que l’on divise ce qui a été mis en culture a titre de
compensation de valeur égale.
XVI, Rédaction primitive, x, 1, 16. Si les Goths ont enlevé quelque chose au tiers des
Romains, que, sur ordre du comte, tout soit remis en |’état antérieur en faveur des Romains.
Que les comtes de chaque cité, les intendants, les régisseurs enlévent 4 ceux qui les
tiennent occupés les tiers des Romains et qu’ils les restituent aux Romains avec leur imp6t
sans délai, car rien de ce qui appartient au fisc ne doit dépérir; si cinquante ans ou environ
se sont écoulés, qu’on ne les expulse pas.
49
LES ROYAUMES BARBARES
Traduction
Liv. Au sujet de ceux qui se sont emparés malgré l’interdiction publique du tiers des
esclaves et des deux tiers des terres.
1. Bien qu’a cette méme époque ou Notre peuple a recu un tiers des esclaves et deux tiers
des terres, Nous ayons donné l’ordre que quiconque avait regu, soit de Nos ancétres soit par
Notre largesse, un champ et des esclaves, ne cherchat point 4 saisir ni un tiers des esclaves
ni deux tiers des terres du lieu ot ’hospitalité lui a été accordée, cependant, comme Nous
avons appris que plusieurs, oublieux du péril ot ils se mettaient, étaient sortis de la légalité,
il est nécessaire que Notre autorité présente, 4 l’exemple de la loi émise 4 jamais, contrai-
gne les accapareurs et prescrive aux victimes le reméde d’une sécurité qui leur est due. Nous
ordonnons donc : que ceux qui jouissent grace 4 Notre munificence des champs et des esclaves
et sont connus pour avoir saisi les terres de leurs hdtes contrairement a l’interdiction publique,
les leur restituent sans deélai.
2. Quant aux essarts ainsi qu’a la réclamation nouvelle et injuste des faramanni et a
Paccusation des possessores, Nous ordonnons que ceux-ci soient débarrassés de toute inquiétude
et agitation par cette loi : pour les essarts créés autrefois ou 4 notre époque, que I|’on ait avec
les Burgondes le méme principe que pour les bois; puisque, comme il a été décidé depuis
longtemps, Nous avons ordonné que la moitié des bois en général appartenait aux Romains,
le méme principe doit étre observé en ce qui concerne les faramanni pour la curtis et les vergers,
c’est-a-dire que les Romains estiment la moitié 4 choisir d’abord.
50
Economies et sociétés
Traduction
[...] Il Nous plait de rapporter comment lors de |’assignation des tiers, il a uni par les posses-
sions les Goths et les Romains non moins que par leurs cceurs. En effet, alors que d’habitude
le voisinage engendre des froissements entre hommes voici que la communion des biens
parait faire naitre la concorde. Vivant en commun, les deux nations en arrivent 4 un méme
vouloir. Que voila un fait nouveau et digne de toutes les louanges : l’accord des propriétaires
est issu de la division du sol. L’amitié entre les peuples augmente grace au préjudice. Grace
a Pabandon d’une partie de la terre, on acquiert un défenseur qui assure l’entiére sécurité
de tout le domaine. Une seule loi, un ordre équitable rassemblent les deux parties. II est
nécessaire, en effet, de faire croitre une douce affection entre ceux que retiennent cdte a céte
des bornes bien fixées. Ainsi donc, |’Etat romain doit sa tranquillité au susdit Libére qui
a confié a deux nations aussi illustres la tache de s’aimer.
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ESwxev.
Traduction
Durant le régne de Zénon 4 Byzance, le pouvoir en Occident fut tenu par Auguste que
les Romains prirent ’habitude d’appeler par le diminutif d’Augustule, parce qu’il prit le
pouvoir alors qu’il n’était qu’un jeune garcon, son pére Oreste, un homme d’une trés grande
prudence, étant régent. I] arriva que les Romains, quelque temps auparavant, avaient poussé
les Skyres, les Alains et certains autres peuples gothiques a former une alliance avec eux;
et, depuis cette époque, ce fut leur sort de souffrir de la main d’Alaric + et d’Attila ? ces
événements qui ont été racontés plus haut. Au fur et 4 mesure que l|’élément barbare devenait
de plus en plus puissant, le prestige des soldats romains ne faisait que décliner et, sous le
nom loyal d’alliance, ils étaient de plus en plus tyrannisés par les envahisseurs et opprimés
par eux; si bien que les Barbares obtinrent brutalement beaucoup d’autres mesures aux
dépens des Romains et, finalement, réclamérent que l’on divisat pour eux toutes les terres
de Italie. Et, naturellement, ils ordonnérent 4 Oreste de leur donner le tiers de celles-ci;
au cas ou il ne serait pas d’accord pour faire cela, ils le tueraient aussitét. Il y avait, en effet,
parmi les Romains, un certain Odoacre qui faisait partie de la garde personnelle de |’empereur
et qui était alors d’accord pour prendre leur téte 4 condition quw’ils l’installassent sur le tréne.
Et lorsqu’il eut ainsi pris le pouvoir de maniére tyrannique, il ne fit aucun mal a l’empereur
mais lui permit de passer le reste de sa vie comme un simple citoyen *. Et, aprés avoir donné
le tiers des terres aux Barbares et avoir ainsi assuré plus fortement leur fidélité, il exerca sa
tyrannie dans le calme pendant dix ans +.
[En 488-493, Théodoric et les Ostrogoths renversent le pouvoir d’Odoacre. Théodoric devenu
rol...] commit rarement d’acte d’injustice envers ses sujets ni ne se vengea de celui qui s’était
attaqué a lui, sauf, naturellement, lorsque les Goths se partagérent entre eux la part des
si
terres qu’Odoacre avait donnée 4 ses partisans.
Commentaire
Les cing textes précédents sont d’origine législative pour trois d’entre eux. La loi d’Arca-
dius et Honorius, publiée dans tout ’Empire romain le 6 février 398, fut incluse dans le code
Théodosien, compilation des lois romaines émises depuis 313 jusqu’en 438 et promulgué
le 25 décembre 438. Cette loi fut méme reprise dans le code Justinien, promulgué en 529.
Les extraits du code d’Euric destiné aux Wisigoths sont tirés de la loi des Wisigoths publiée
4
Economies et sociétés
par Recesvinth en 654, corrigée par Ervige en 681. Ces lois, ou Euric reprend des décisions
de son pére Théodoric I*™ (419-451), ont été promulguées, selon Alvaro d’Ors, en 476. Quant
aux extraits de la loi des Burgondes, dite loi Gombette, parce que le roi Gondebaud (480-516)
la promulgua, ils sont probablement postérieurs 4 456, date du partage des terres selon
Marius d’Avenches, et peuvent fort bien avoir été publiés vers 480-490. La lettre de Cassiodore
date des années 507-511, alors qu’il était questeur du roi des Ostrogoths, Théodoric le Grand,
et c’est sur son ordre qu’il écrit cette lettre au Sénat de Rome pour remercier l’un de ses mem-
bres, le patrice Libére, de s’étre bien acquitté de ce difficile probléme du partage des terres.
C’est donc encore un document officiel rédigé par un Romain rallié au pouvoir ostrogothique.
En sens inverse, le texte de ’historien byzantin Procope, hostile aux Barbares, fait partie de
son introduction a la Guerre gothique, écrite aprés 552. Cette introduction a pour but de mon-
trer pourquoi l’empereur Justinien entreprit de reconquérir |’Italie aux mains des Ostrogoths.
Les empereurs Arcadius et Honorius décrétent que les fonctionnaires et les gens de
guerre seront logés chez l’habitant. L’héte divisera sa maison en trois parts et en laissera
choisir une a celui qu’il regoit. La maison sera divisée en deux, s’il recoit un fonctionnaire de
la classe des Illustres. Une écurie doit étre prévue dans la part de l’héte. Dans les extraits
du code d’Euric, le roi interdit 4 quiconque de remettre en question la division des terres et
des bois faite entre le Wisigoth et le Romain, 4 raison des deux tiers pour le premier et d’un
tiers pour le second. En cas de défrichement d’un bois indivis par l’un des deux, il y aura
une compensation en bois, ou une division en deux du terrain défriché. Tout Wisigoth usur-
pant le tiers restant du Romain devra le restituer. Dans la loi des Burgondes, ceux-ci recoivent
deux tiers des terres et un tiers des esclaves. Il leur est interdit de s’emparer du reste. Si les
faramanni réclament la méme régle pour les essarts, il faudra les partager en deux comme les
bois, ainsi que la curtis et le verger. Cassiodore félicite Libére chargé du partage des terres
d’avoir mis tout le monde d’accord, alors que, d’habitude, le voisinage du Romain et du
nouveau propriétaire provoque des heurts. La perte d’une partie de la terre est compensée
pour le Romain par l’acquisition d’un défenseur. Procope montre comment la derniére armée
romaine composée de Barbares fut, par ses réclamations, 4 l’origine de la chute du dernier
empereur d’Occident, Romulus Augustule. Elle mit 4 sa place Odoacre qui leur distribua
un tiers des terres de toute I’Italie. Théodoric et les Ostrogoths installés en Italie se parta-
gérent entre eux ces mémes terres.
L’ensemble des événements concernés par ces textes comprend, comme on le voit, tout
le ve siécle. Les Wisigoths furent installés entre Toulouse et ’océan Atlantique en 416, a la
suite d’un traité d’alliance (foedus), puis ils s’étendirent en Espagne et dans toute l’Aquitaine
jusqu’au Rhone, atteignant leur apogée sous Euric (466-484). Les Burgondes, battus par le
patrice romain Aétius, furent installés comme alliés, c’est-a-dire comme fédérés eux aussi,
entre Grenoble et le lac de Genéve. Bientét, sous le regne de Gondebaud, ils sont maitres des
terres qui vont de la Champagne a la Durance. Quant 4 Odoacre et 4 son armée, aprés avoir
renversé Romulus Augustule en 476, ils se comportent comme une armée « romaine », défen-
dant I’Italie. L’empereur d’Orient, ayant a se plaindre d’Odoacre, envoie contre lui Théodoric
et ses Ostrogoths, théoriquement alliés et fédérés du peuple romain. Vainqueur entre 488
et 493, le roi barbare installa les siens 4 son tour. Ce qui fait quatre installations de peuples
barbares dans l’Occident romain, leurs armées étant officiellement considérées comme des
armées romaines.
Quels sont les faits certains que l’on peut tirer tout d’abord de ces textes ?Une premiére
constatation s’impose : le régime de l’hospitalité varie au cours du V® siécle, et ordre chro-
nologique permet de le mieux comprendre. La loi d’Arcadius et d’Honorius est adressée
a Hosius, alors maitre des Offices. Ce fonctionnaire trés important contrdlait en effet toute
53
LES ROYAUMES BARBARES
Vadministration, la poste d’Etat, la police secréte et les troupes impériales, c’est-a-dire tous
ceux qui, civils et militaires, étaient au service de VEtat; ce qui explique le verbe militare et le
mot militia qui englobent aussi les civils. La loi organise leur logement chez les particuliers.
Le mensor désigne les maisons réquisitionnées et nous savons, par ailleurs, qu’une pittacia ',
un bon de réquisition, était donnée au fonctionnaire ou au soldat qui avait le droit de choisir
en second, sur les trois parts délimitées dans la maison par le propriétaire, l’une des deux der-
niéres pour y loger. Les boutiques sont exemptes de réquisition, de méme que les batiments
impériaux, les synagogues, les ouvroirs, etc. Une exception est faite pour ces boutiques qui
peuvent étre temporairement transformées en écurie, si la part réquisitionnée n’en comporte
pas. Autre exception : les Illustres, c’est-a-dire les fonctionnaires romains du grade le plus
élevé, passant avant les spectabiles, les clarissimt, etc., ont droit 4 la moitié, et non au tiers,
de la maison. Enfin, la loi essaie de protéger l’héte forcé de loger les fonctionnaires, en le
laissant partager lui-méme sa maison en trois parts et choisir la premiére. Ainsi il gardera
le tiers le plus précieux de sa maison. De plus, elle inflige de lourdes peines aux hétes qui
prennent plus que leur part (trente livres d’or pour les Illustres, et perte de leur poste pour
les autres). Ce qui prouve que les abus devaient étre nombreux et la situation du propriétaire
des plus inconfortables. Remarquons enfin que ce logement est uniquement urbain et que,
pour le ravitaillement, l’héte recevait une delegatoria, un bon de vivres, 4 faire valoir sur les
magasins de |’Etat au service de |’Annone.
A ce régime temporaire de cantonnement fait suite chez les Wisigoths et les Burgondes
un régime définitif d’installation des soldats barbares sur les terres des propriétaires romains.
Le premier régime (logement aux frais des populations, ravitaillement aux frais de |’Etat)
fut pratiqué pour ces deux peuples avant leur fixation officielle en Gaule comme fédérés
et défenseurs de Empire. Mais nous ne savons quand et comment naquit le nouveau régime
de l’hospitalité. Une chose est stre : on s’est inspiré du partage en trois tiers de la loi d’Arcadius
et d’Honorius pour faire cette division. La terre remplace le logement et les vivres et constitue
le salaire du soldat barbare, théoriquement hdéte et défenseur de Rome. Mais la proportion
est inverse : deux tiers des terres cultivées et des bois a l’héte Goth ou Burgonde, un tiers au
Romain, au lieu d’un tiers 4 l’héte de type ancien. Pourquoi ce changement? Etant donné
que, dans ces deux lois, la division des terres est déja faite et qu’elle remonte, pour les Goths
aux régnes de Théodoric Ie" et de Théodoric II, pour les Burgondes au régne de ses « ancétres »
(Gondioc et Chilpéric I¢T), il est probable que ces deux peuples ont di profiter de la faiblesse
de Rome entre 450 et 470 pour se servir et prendre deux tiers des terres avec l’accord de
certains grands fonctionnaires romains qui leur étaient favorables. La fiction politique de
Palliance a été suivie d’une fiction juridique légalisant l’occupation. Les termes de droit
romain utilisés le prouvent : praeceptio dans la loi Gombette, praeceptum dans la loi d’Arca-
dius et d’Honorius, hospitalitas, fiscus, etc.
Les deux lois veulent que cette division des terres soit définitive et que personne, tout
comme dans la loi d’Arcadius et d’Honorius, ne s’empare des tiers d’autrui. Les paragraphes
X, I, 8 et X, I, 16 de la loi des Wisigoths et Liv, 1 de la loi des Burgondes montrent une obli-
gation identique pour l’accapareur de restituer ce qu’il a pris. Deux réserves sont faites cepen-
dant : il n’y aura pas restitution chez les Wisigoths s’il y a eu donation royale, ce qui prouve
déja une altération du partage primitif; de méme en cas de prescription, mais au bout de
cinquante ans, ce qui est extraordinairement long, puisque la prescription romaine n’est
54
Economies et sociétés
que de trente ans. Cette insistance sur le cété définitif de la division montre, a la fois, que le
Barbare devient un propriétaire installé en un lieu précis et que le Romain doit étre protégé
contre lui.
La spoliation du Romain devait étre tellement courante que le paragraphe x, I, 16 de
la loi des Wisigoths charge les comtes, fonctionnaires romains 4 la téte d’une circonscription
comprenant une ville et son territoire et récemment créés par le roi germain, de restituer la
part qui restait au Romain. Et ceci, non par souci de justice, mais parce que le propriétaire
romain serait incapable de payer au fisc les impdéts qu’il lui doit. Donc, le roi wisigoth percoit
sur les propriétaires romains l’imp6t romain, tandis que l’héte wisigoth ne le paie pas puisque
sa terre est sa solde de fonctionnaire.
D’autres réglements fixent le sort des bois, importants pour l’appoint qu’ils fournissent
aux produits des terres cultivées. Deux articles chez les Wisigoths et les Burgondes (x, I, 9
et LIV, 2) prévoient que, lorsque le bois indivis entre les deux copropriétaires est mis en défri-
chement par Pun d’eux pour y créer une culture (c’est-a-dire une piéce de terre cultivée,
terme qui donnera ensuite le mot de couture"), le deuxiéme a le droit de saisir une portion
de bois d’égale valeur pour la défricher. Si ce n’est plus possible, la parcelle défrichée sera
divisée en deux. Ce qui ne prouve pas que le bois indivis soit automatiquement divisé en deux
chez les Wisigoths : lorsque les bois ont été divisés, ils ont été 4 proportion des
deux tiers.
Par contre, chez les Burgondes, la division des bois s’est faite par moitié, et elle s’étend
aux essarts, aux batiments domaniaux (la curtis) et aux vergers. Ce régime, plus doux pour
les vaincus, dut correspondre a une phase antérieure au partage a deux tiers, comme le suggére
la phrase : « comme il a été décidé depuis longtemps »..
Le texte de la loi des Burgondes est, sur deux points, encore plus précis que celui de la
loi des Wisigoths. Les Burgondes ont eu droit, lors de la division, 4 deux tiers des terres
cultivées et 4 un tiers des esclaves appartenant au propriétaire romain. Pourquoi cette disparité ?
A cause de la structure du domaine romain. Celui-ci comporte une réserve comprenant les
terres de labour, cultivées par des esclaves et des tenures cultivées par des paysans libres
attachés au sol : les colons. Si le Burgonde a obtenu un tiers des esclaves, c’est parce qu’il
a réclamé et obtenu un tiers de la réserve et qu’il ne possédait pas la main-d’ceuvre nécessaire
pour la cultiver. En méme temps, il a regu les deux tiers des tenures; les colons qui les cultivent
lui versent les redevances en espéces et en nature qu’ils remettaient auparavant a leur ancien
proprictaire romain.
Deuxiéme précision, les hétes sont appelés faramanni et les propriétaires romains posses-
sores. La fara est une structure familiale barbare, une espéce de petit clan dirigé par un chef,
en méme temps qu’un groupe de guerriers au service de ce chef *. Le chef de ces hommes
du clan, des faramanni, est donc un héte qui les loge et les entretient sur les terres qu’il a
recues avec les redevances et les produits qu’il en tire. Le Barbare n’est donc pas isolé face
a son copropriétaire romain; il est méme en situation de force devant lui, puisqu’il s’installe
en groupe par souci de sécurité. Quant aux possessores, ce sont des petits propriétaires romains
qui possédaient, en général au-dessus de cinquante arpents (environ 12 4 13 hectares). Ils
ont donc été atteints d’une maniére ou d’une autre par le partage des terres, ce qui contredit
55
LES ROYAUMES BARBARES
formellement opinion de Ferdinand Lot qui estimait que seules les grandes propriétés
subirent le régime de Vhospitalité.
Au total, ces opérations délicates de divisions des terres se sont faites en Espagne et en
Gaule au profit des Barbares, outrepassant souvent leurs droits au milieu des plaintes des
Romains. La lettre de Cassiodore et le texte de Procope prouvent que, dans le cas de I’Italie,
les problémes d’application furent les mémes, mais que le régime fut plus doux.
En Italie les Wisigoths avaient créé empereur Avitus (455-456), puis les Burgondes
firent nommer Glycére (473-474). Tandis que régnait Zénon 4 Constantinople (aot 476-491),
un fonctionnaire romain de Pannonie, Oreste, mit sur le tro6mne de Ravenne son jeune fils
Romulus Augustule. Son armée est composée de Germains orientaux, Hérules, Skyres,
Turkilingues et Rugues, au nombre d’environ quinze mille hommes, alliés du peuple romain.
Ils durent étre cantonnés chez l’habitant et nourris selon l’ancien systéme de Vhospitalité.
Puis, comme le dit Procope, se sentant indispensables, ils réclamérent le tiers des terres de
« toute l’Italie », Peut-étre voulaient-ils imiter les Burgondes et les Wisigoths ou peut-étre
encore le systéme des magasins d’Etat était-il tellement détérioré qu’ils n’étaient plus pourvus
de vivres. Dans ce nouveau partage, la loi impériale est mieux respectée puisque c’est le tiers
des terres qui est accordé aux Barbares. Mais pourquoi le partage des terres de « toute I’Italie »
pour quinze mille hommes? II y a la une disproportion évidente et il faut supposer qu’il y
eut une espéce de péréquation entre les propriétaires atteints par le partage et ceux a4 qui
on n’a pas enlevé de terres.
Procope se trompe lorsqu’il déclare que les Ostrogoths occupérent ensuite les parts
de terres occupées par les troupes d’Odoacre. Outre le fait que celles-ci n’étaient pas totalement
éliminées, les Ostrogoths étaient plus nombreux, et une autre opération de partage des terres,
complémentaire peut-étre de la premiére, eut lieu aprés 493. Elle fut dirigée par le préfet
du Prétoire, Petrus Marcellinus Felix Liberius, un ancien fidéle d’Odoacre. Comme préfet
du Prétoire, il s’occupait, entre autres, du ravitaillement de l’armée et des réquisitions. Il
est donc tout a fait l’homme de la situation, celui qui peut tout régler selon la légalité romaine.
Sa tache dut étre de longue haleine, puisque la lettre de Cassiodore est postérieure d’une
dizaine d’années au début de ses fonctions. Les félicitations de Théodoric confirment ce que
les deux lois barbares laissaient deviner : il a su parvenir a faire cohabiter sur un méme domaine
Goths et Romains alors que, d’habitude, une telle cohabitation dégénére facilement. L’allusion
aux termini, aux bornes qui fixent les limites des champs, prouve que l’assignation des tiers
a été faite avec un tel soin, en fonction du cadastre, qu’il ne peut plus y avoir de contestation.
On sent, en lisant la série d’antithéses de Cassiodore, combien ce partage a dt étre compliqué.
Effectivement, le début du texte non cité ici montre qu’une véritable égalité fut respectée,
au contraire de ce qui se passa en Gaule et en Espagne, puisque 1a ow le propriétaire romain
n’a pas abandonné un tiers de ses terres, il versait un impdét spécial égal au tiers de ses
revenus. Donc, installation des Goths a du étre faite dans des régions ow ils étaient
regroupés. —
Il est maintenant possible de résumer ainsi les faits certains : un régime d’hospitalité
des gens de guerre logés chez Vhabitant a raison d’une réquisition d’un tiers de la maison
a été transformé par les Wisigoths et les Burgondes en un régime d’hospitalité des soldats
barbares sur les domaines romains 4 raison d’une attribution des deux tiers des terres et observé
par les Ostrogoths avec plus de légalité 4 raison d’un tiers des terres. Cette installation se fit
en groupant les Barbares dans certaines zones, car leur petit nombre ne leur permettait pas
de se laisser noyer dans la masse romaine. A partir de ces données, deux historiens ont tenté
une explication générale, rendant compte des complications de ces partages de terres. Ferdinand
56
Economies et sociétés
Lot / estimait, en s’appuyant surtout sur la loi des Burgondes, que la complication du systéme
était voulue pour « sauvegarder les droits du propriétaire romain et enchevétrer ses droits »
avec celui du Burgonde. Mais nous avons vu que la fiction juridique n’a fait que masquer
les violences et les usurpations des Wisigoths et des Burgondes. Enfin, il jugeait que, par
suite de la nécessité d’installer des faramanni en groupes voisins, seuls les grands propriétaires
avaient perdu des terres. Or, nous avons remarqué que les petits propriétaires avaient été
atteints par la division.
C’est pourquoi l’interprétation de Marc Bloch 2 semble, en |’état actuel des recherches,
beaucoup plus plausible. Le prélévement et la répartition des terres auraient eu lieu en deux
temps. Dans une premiére phase, sur le territoire ou les Barbares réclamaient le partage
des terres, tous les propriétaires romains furent contraints au partage. Ensuite, il y eut regrou-
pement des parcelles obtenues par échange et transfert, de telle sorte que l’on ptt placer
des Barbares chacun sur une parcelle voisine, tout en n’ayant que deux propriétaires face a4
face, le Romain et le Germain. Cette reconstitution hypothétique d’une réalité trés compliquée
attend, pour le moment, d’étre corroborée par les fouilles de cimetiéres barbares et la toponymie
dont les résultats sont encore trop partiels pour que nous puissions en faire état.
Aprés avoir battu Chilpéric, les quatre fréres, Charibert, Gontran, Chilpéric et Sigebert
s’entendent pour partager le royaume conformément 4 la loi.
On remarquera l’ordre d’importance des biens : les trésors, les hommes et les
terres.
Chilpericus vero post patris funera thesaurus, qui in villa Brannacum erant
congregati, accepit et ad Francos utiliores petiit ipsusque muneribus mollitus,
sibi subdidit. Et mox Parisius ingreditur sedem que Childeberthi regis occupat;
sed non diu ei hoc licuit possedere; nam coniuncti fratres eius eum exinde repule-
runt, et sic inter se hii quattuor, id est Charibertus, Gunthramnus, Chilpericus
atque Sigibertus, divisionem legitimam faciunt. Deditque sors Charibertum
regnum Childeberti sedemque habere Parisius, Gunthramno verum regnum Chlo-
domeris ac tenere sedem Aurilianensem, Chilperico vero regnum Chlothari,
patris eius, cathedramque Sessionas habere, Sygibertho quoque regnum Theodorici
sedemque habere Remensem.
GREGOIRE DE Tours, Historia Francorum, Livre IV, 22,
M.G.H.SS.R.M., t. I, Hanovre, éd. par B. Krusch, 1885, pp. 158-1593
nouvelle éd. 1951, pp. 154-155.
57
LES ROYAUMES BARBARES
Traduction
Aprés les funérailles de son pére !, Chilpéric prit les trésors qui étaient réunis dans la villa
de Berny *, puis il s’aboucha avec les Francs les plus influents et, les ayant fléchis par des pré-
sents, il se les soumit. Aussit6t aprés, il fait son entrée dans Paris et occupe le siége du roi
Childebert, mais on ne lui permit pas de le posséder longtemps; car ses fréres s’étant associés
len expulsérent et, ensuite, les quatre, c’est-a-dire Charibert, Gontran, Chilpéric et Sigebert
firent un partage conforme a la loi. Le sort donna 4 Charibert le royaume de Childebert avec
Paris pour siége; 4 Gontran le royaume de Clodomir et pour siége Orléans; a Chilpéric le
royaume de Clotaire son pére avec Soissons pour capitale; 4 Sigebert enfin le royaume de
Thierry avec Reims pour siége.
: J
CHILPERIC if
ie coe)
Sai a
OISSONS6
ESPAGNE —
WISIGOTHIQUE : Limite de Vemma franc
' I. oe Iet, roi de 511 a 558 de |’Austrasie, et de tout le royaume des Francs de
558 a 561.
2. Berny-Riviére, canton de Vic-sur-Aisne (Aisne).
58
Economies et sociétés
Cassiodore (vers 477-aprés 570), questeur en 511, consul en 514 sous Théodoric, roi
des Ostrogoths (493-526) et préfet du Prétoire en 533, a laissé un recueil de lettres et de
formules dont celle-ci; il s’agit d’une nomination par le roi d’un comte pour les Goths. II
doit rendre la justice dans le respect des droits des Goths et des Romains, afin de supprimer
la violence et de rapprocher les deux peuples, puisque les premiers sont proches des seconds
par leurs biens fonciers et que ceux-ci sont protégés en temps de guerre par les premiers.
Il y a la une expression parfaite de la politique de Théodoric qui vise a4 faire vivre en
bonne entente deux peuples séparés par leur civilisation.
Traduction
59
LES ROYAUMES BARBARES
il s’adjoindra un sage Romain pour régler le conflit de fagon équitable; lorsque ce sont deux
Romains qui s’opposeront, leur débat sera entendu par les enquéteurs romains que nous
envoyons dans les provinces. Ainsi chacun conservera son droit et, sous la diversité des juges,
une seule justice embrassera tous les hommes. Ainsi les deux nations, grace a la divinité,
jouiront dans une paix commune d’une douce tranquillité. Sachez que nous n’avons qu’un
amour égal pour tous : mais celui-la pourra se recommander davantage 4 notre esprit qui
aimera les lois d’une volonté mesurée. Nous n’aimons pas les actes brutaux; nous détestons
Porgueil criminel et ceux qui le manifestent. Notre affection exécre les violents. Toute cause
doit étre tranchée par les droits, non par les bras. Car pourquoi préféreraient-ils recourir
a la violence, ceux qui savent disposer de tribunaux? Si nous donnons en effet des traitements
aux juges, si nous entretenons tant de fonctions avec de multiples dépenses, c’est pour ne pas
laisser croitre entre vous ce qui pourrait tendre a la haine. Vous ne devez étre possédés que
par un méme désir pour organisation de votre vie, vous qui vous trouvez soumis au méme
pouvoir. Les deux peuples doivent savoir que nous les aimons. Que les Romains vous soient
aussi unis par un amour mutuel qu’ils vous sont proches par leurs biens fonciers! Et vous,
Romains, vous devez chérir les Goths de grand cceur, puisque, en temps de paix, ils vous
permettent d’accroitre le nombre de votre population et qu’en temps de guerre ils défendent
YEtat tout entier. C’est pourquoi il vous convient d’obéir au juge que je vous envoie et de
vous conformer de toutes fagons aux décisions qu’il aura prises pour conserver les lois :
c’est ainsi que l’on verra combien vous servez a la fois notre pouvoir et votre intérét 1.
8. Si vero Romanus homo, conviva regis, occisus fuerit (cui fuerit adpro-
batum) (mallobergo leudi) sunt XIIM denarios qui faciunt solidos CCC culpabilis
iudicetur.
60
Economies et sociétés
g. Si vero Romanus homo possessor (et conviva regis non fuerit) occisus
fuerit, qui eum occidisse probatur, mallobergo uualaleodi sunt, IVM denarios
qui faciunt solidos C culpabilis iudicetur.
10. Si quis (vero) Romanum tributarium occiderit (cui fuerit adprobatum)
mallobergo uualaleodi sunt, MM (D) denarios qui faciunt solidos LXII (semis)
culpabilis iudicetur.
II. Si quis (vero) hominem (ingenuum) inuenerit in quadruuio sine manibus
et sine pedibus, quem inimici sui (ibid (e)m) demiserunt, et eum perocciderit,
cui fuerit adprobatum, mallobergo friofalto uuabuscho hoc est, IVM denarios
qui faciunt solidos C culpabilis iudicetur.
Cy
LIx. De alode.
Traduction
1. Le mot Salica ne figure que dans la recension de Gontran, 567-593 ou de Childebert IT,
593-596.
61
LES ROYAUMES BARBARES
4. S?il l’a recouvert de branches ou de claies ou s’il l’a couvert pour le cacher de n’importe
quel objet (et que cela aura été prouvé contre lui), ce qui correspond au tribunal au cas qu’on
appelle «indemnité pour les hommes de haut rang», qu’il soit condamné a une amende
de vingt-quatre mille deniers qui font six cents sous.
5. Si (quelqu’un) a tué celui qui fait partie de la truste royale (ou une femme libre)
(et que cela aura été prouvé contre lui), ce qui correspond au tribunal au cas « hommes
de haut rang», qu’il soit condamné 4a une amende de vingt-quatre mille deniers qui font
six cents sous.
bi@, me) elie 16) .6,\8''e. 0:18) bie) 0:(6::9\10, e116) 0,\e:*e (e) # 01.9! JeHle a.\el\e\le-iee- {0} (o1,6\ ele. e, 6 1167(0)16 14) (61,0 16 4) oheie (6 .61)6,10) 614 16:6, 0/8 1016) 0 @ (ene) eo e)'ens ene) ®
8. Si un Romain, convive du roi, a été tué (et que cela aura été prouvé contre lui), ce
qui correspond au tribunal au cas « leudes », qu’il soit condamné 4 une amende de douze
mille deniers qui font trois cents sous.
g. Si un Romain propriétaire (qui n’était pas convive du roi) a été tué et que celui qui
Va tué a été confondu, ce qui correspond au tribunal au cas «indemnité d’un homme de
haut rang wallon », qu’il soit condamné a une amende de quatre mille deniers qui font
cent sous.
10. Si quelqu’un a tué un Romain tributaire (et que cela aura été prouvé contre lui),
ce qui au tribunal correspond au cas « indemnité d’un homme de haut rang wallon », qu’il
soit condamné a une amende de deux mille (cinq cents) deniers qui font soixante-deux sous
(et demi).
11. Si quelqu’un a trouvé un homme (libre) 4 un carrefour sans mains et sans pieds, [sic]
que ses ennemis ont déposé (la), et qu’il Pachéve; et que cela aura été prouvé contre lui,
ce qui correspond au tribunal au cas « homme libre mutilé sur le gazon », qu’il soit condamné
a une amende de quatre mille deniers qui font cent sous.
LIx. L’héritage
1. Si quelqu’un meurt et ne laisse pas de fils, et que sa mére subsiste, que celle-ci recueille
son héritage.
2. Si la mére a disparu et qu'il laisse un frére ou une sceur, que ceux-ci recueillent son
héritage.
3. S’ils ont disparu, c’est alors 4 la sceur de la mére de recueillir l’héritage.
4. Et s’il ne subsiste pas de sceurs de la mére, que les sceurs du pére recueillent ’héritage.
5. Et s'il ne subsiste pas de sceur du pére, c’est a celui qui est le plus proche parmi ces
générations appartenant a la branche paternelle qu’il appartient d’hériter.
6. Quant 4 la terre (salique), une femme ne peut absolument pas en hériter (méme pas
une part), car toute la terre doit aller au sexe mAle, c’est-a-dire a ses fréres.
Commentaire
L’installation des Francs en Gaule fut marquée par des pratiques nouvelles, en particulier
sur le plan de la justice. Face au droit romain qui repose sur la notion d’Etat et de bien public,
un droit germanique apparait, fondé sur la confusion du public et du privé. Chaque peuple
est jugé selon sa loi : les procés entre Romains sont jugés selon la loi romaine, les conflits
entre Barbares selon les lois barbares qui prévoient aussi les cas de conflits entre deux membres
d’un peuple différent. C’est ce que l’on appelle la personnalité des lois.
La loi Salique, c’est-a-dire la loi des Francs Saliens, permet de comprendre ce qui
séparait sur le plan de la civilisation les vainqueurs des vaincus. Transmise par oral, elle fut
62
Economies et sociétés
mise par écrit pour la premiére fois en langue latine sous Clovis entre 507 et §11. Elle comportait
65 paragraphes qui furent remaniés ou complétés sous Thierry I® en 511-533, puis sous
Gontran (567-593) ou sous Childebert II. Dans une seconde phase, elle fut complétée en
IIo paragraphes sous Pépin le Bref en 763-764 et enfin corrigée par Charlemagne en 798.
Nous donnons ici le texte primitif en 65 paragraphes, tel qu’il résulte d’un accord commun
entre les trois premiéres rédactions selon l’analyse de son dernier éditeur Karl August Eckhardt.
Ce texte est valable pour les vi¢ et vil siécles, puisque la réforme monétaire s’y trouve mention-
née : en effet, le denier d’argent timidement apparu au VI® siécle est généralisé vers 650 avec
une équivalence de 4o deniers pour un sou 1.
Sur le plan linguistique, un fait saute aux yeux. A peu prés dans chaque paragraphe,
une incise commence toujours par mallobergo... (20, 1. 3, 5, 8, 11). Ils’agit de gloses, dites gloses
malbergiques introduites dans le texte 4 l’usage des clercs qui mettaient la loi par écrit et ne
comprenaient rien 4 la langue germanique utilisée par les hommes de loi, les rachimbourgs.
En effet, ceux-ci, en discutant le cas a trancher, finissaient par le ranger dans telle ou telle
rubrique précise commengant, par exemple, par les mots germaniques mathleodi ou encore
friofalto uuabuscho. Nous avons donc 1a, outre une image de la procédure employée, les plus
anciens mots connus de la langue germanique, avec, par ailleurs, les inscriptions runiques ?.
Voici analyse que l’on peut faire de ces textes:: le meurtrier d’un Franc libre doit étre
condamné 4 payer une amende dont le montant varie de 600 sous 4 200 sous, selon les circons-
tances du meurtre et la condition sociale de la victime. Si la victime est un Romain, l’amende
varie selon les mémes critéres de 300 sous 4 62 sous et demi. Si quelqu’un meurt sans héritier,
lui succédent, par ordre décroissant, sa mére, sa sceur, son frére, sa tante maternelle, sa tante
paternelle, les proches du coté du pére. Aucune femme ne peut hériter de la terre salique.
Pour bien comprendre ces articles, il faut d’abord connaitre la procédure et le but de la
justice barbare. Lorsqu’il y a meurtre, ce n’est pas l’Etat qui poursuit le coupable, mais la
famille de la victime, qui cherche immédiatement 4 se venger en le tuant, lui ou un membre
de sa famille. Cette vengeance privée est appelée la fazda. Comme elle risque, a l’instar de la
vendetta, de déclencher une réaction en chaine, la justice intervient alors et, au lieu de proposer
une peine afflictive, condamne le meurtrier 4 payer une amende de compensation : le wergeld,
c’est-a-dire le prix du sang. Les hommes libres de sa nation se réunissent en assemblée judi-
ciaire, le malberg (20, 1. 3, 5) ou encore le mallus, et, sur le conseil des rachimbourgs, hommes
sages illettrés mais versés dans le droit, acceptent par acclamation telle ou telle amende. Le
droit barbare a donc uniquement pour but d’apaiser la faida.
Une premiére série de cas se présente avec le meurtre d’un Franc libre par un autre
Franc ou par un Romain (20, § 1 a 5). On remarquera tout d’abord que le fait de cacher le
cadavre fait tripler l’amende (20, 1. 5, 10). Puis que le texte distingue deux types germaniques :
le Franc et le Barbare (20, 1. 2) quia accepté de vivre sous la loi Salique. Ces petites minorités,
peut-étre saxonnes ou frisonnes, nous sont inconnues. Enfin, le Franc peut avoir deux statuts
sociaux : il y a ’homme de haute marque, que Grégoire de Tours appelle Jeude (20, 1. 3, 5)
et qui constitue |’élément de base de l’aristocratie franque. Puis vient l’antrustion (20, 1. 13)
dont le wergeld est triple. Cet homme, en effet, est un guerrier domestique lié au roi par un
serment spécial *. Il vit sous le toit de son maitre qu’il défend. Etant donné les tenta-
63
LES ROYAUMES BARBARES
64
Economies et sociétés
d’attache d’une lignée, ce qui expliquerait qu’on en élimine les femmes qui peuvent hériter
des autres terres et des biens mobiliers, mais non de celle-ci. Cet article aura, par la suite,
une célébrité immeéritée. On s’en servira en 1316 et plus tard pour écarter les femmes de la
succession royale capétienne, ce qui est une erreur manifeste et n’était en réalité qu’un pré-
texte.
La loi Salique permet donc de discerner ce qui oppose les Francs aux Romains:: diffé-
rence de langue, primat de la lignée familiale sur |’Etat et l’individu, et généralisation de la
violence. Mais certains traits montrent que ces oppositions ne peuvent dégénérer en heurts,
car il y a égalité juridique entre les Francs et les Romains et une protection égale du roi a
leur égard, sans aucune discrimination raciale.
65
DOSSIER SUR
les origines de la vassalité
C’est dans les milieux de guerriers domestiques que la vassalité est apparue. En 454
(document 21), les bucellaires d’Aetius, fidéles 4 leur maitre par-dela la mort, n’hésitent
pas A s’attaquer a la majesté impériale qui représente |’Etat. Le vassus (document 22), a
Vorigine un esclave, voit son niveau social s’élever (documents 23, 24, 25) et s’acheminer
vers la liberté. Le contrat romain de précaire, en accordant la jouissance d’une terre 4 quelqu’un,
permet la création d’une clientéle. L’entrée en dépendance d’un homme libre, appelée « recom-
mandation » (document 26) est un avantage qui permet, en échange du service envers son
protecteur, d’étre nourri et logé. La cérémonie de recommandation est déja fixée a la fin
du vil® siécle et au début du virr® siécle avec engagement par les mains de l’antrustion
dans celle du roi (document 27).
Il y a lien personnel, donc entretien du dépendant.
Traduction
1. Ou Optila.
2. Ou Thraustila.
66
Economies et sociétés
Traduction
Titre XXXV, art. 9. Si quelqu’un a volé ou tué un vassus pourvu d’un office qu’on appelle
jeune homme dépendant, ou une jeune fille chargée d’un office (domestique) ou un forgeron
ou un orfévre ou un porcher (ou un vigneron ou un palefrenier) et que cela a été prouvé,
ce qui correspond au tribunal au cas « vol ou femme pourvue d’un office », qu’il soit condamné
a une amende de 1200 deniers qui font 30 sous. De la composition de rupture de paix et
de vengeance 1 800 deniers qui font 45 sous (outre la valeur et les dommages). Soit au total
75 sous.
Traduction
LXXIX, 3. Si un sénéchal esclave appartenant 4 quelqu’un a été tué, et que son maitre
posséde douze vassi chez lui, on paiera une composition de 40 sous.
XXXVI, 3. Si un libre néglige de venir au plaid et ne se présente pas lui-méme soit
au comte, soit au centenier, soit 4 l’envoyé du comte au plaid, qu’il paie une amende de
douze sous. Quel que soit le statut de chacun, vassus d’un duc ou d’un comte, que personne
ne néglige de venir au plaid, afin qu’a ce méme plaid les pauvres puissent porter leurs
plaintes.
67
LES ROYAUMES BARBARES
Et nemo sit ausus contemnere venire ad placitum qui infra illum comitatum
manent, sive regis vassus sive ducis, omnes ad placitum veniant et qui neglexerit
venire, ‘damnetur XV solid.
MiG. Fi Lecum Section ly t..V,) parse Ll;
Hanovre, éd. par E.-L. de Schwind, 1926, t. II, 14, p. 308.
Traduction
Que personne n’ose dédaigner de venir au plaid qui se tient a l’intérieur du comté; que
ce soit le vassus du roi, ou du duc, que tous viennent. Que celui qui néglige de venir soit
condamné a une amende de quinze sous.
Traduction
68
Economies et sociétés
Document 26 — La recommandation
Formule de Tours
Traduction
De regis antrustione.
Rectum est ut qui nobis fidem pollicentur inlesam nostro tueantur auxilio.
Et quia illi fidelis, Deo propitio, noster veniens ibi in palatio nostro una cum
arma sua, in manu nostra trustem et fidelitatem nobis visus est conjurasse, prop-
69
LES ROYAUMES BARBARES
Traduction
De l’antrustion du roi.
I] est juste que ceux qui Nous promettent une foi inébranlable soient placés sous Notre
protection. Et parce que Un tel, Notre fidéle, avec l'aide de Dieu, est venu ici, dans Notre
palais, avec son arme, et qu’on I’a vu jurer dans Notre main truste et fidélité, a cause de cela,
par le présent précepte, Nous décrétons et ordonnons qu’il soit compté désormais au nombre
de Nos antrustions. Et si, quelqu’un, par aventure, ose le tuer, qu’il sache que, pour son
wergeld, il sera passible de 600 sous ?.
Les tablettes Albertini sont des contrats de vente de biens-fonds écrits sur des plaquettes
de cédre découvertes en 1928 dans les confins algéro-tunisiens. Ils montrent comment dans
le royaume vandale les propriétaires romains reconstituaient les grands domaines par l’achat
des tenures manciennes : le II mai 494, une veuve Adeodata et son fils Innulus vendent au
maitre du domaine de Tuletianos, Flavius Geminius Catullinus, la jouissance d’une terre
avec treize figuiers, six jeunes figuiers et leurs vignes.
Ce document montre comment deux propriétés pouvaient coexister sur un méme lieu :
a Pun, le propriétaire, le sol; 4 l’autre, le tenancier, les arbres.
II mai 494
DIPTYQUE
Tablette 22 a
strumentu serbunis relic(tae) de firustello
Tablette 22 b
anno decimo dom(ini) re(gis) ginttabundi sub die u idus maios bendentibus
adeudate et innulus filius eius ex culturis suis mancianis (f)u(n)-
do tuletianensis sub dominio flabi g(emini) catullini flam(inis) p(er)p(etui) in
locis et bocabul-
70
Economies et sociétés
is locus qui adpellatur sela firustellum unum in quo sunt fici arb(ores) tre (de)-
ci et nobellas sex cum bitibus suis inter adfines eiusdem agri ab afri(co)
hh(eredes) ianuariani a coro quintus pontiani a marino benditores a meridie
(aqu-)
LO aris et bergentibus suis et ex ac die eruit geminius felix fol(les) pecunie nume(ro)
trecentos quos acceperunt adeudata et innulus relicta serbunis- bend(ito)-
res et secum sustulerunt coramque signatoribus nicil quesibi ex eode (pretio)
Tablette 23 a
quiquam anplius deberi sibi respondiderunt a pridie quam benderent h(a)b(uerunt)
t(enuerunt) p(ossederunt)
iuris eorum omnia fuerunt et ex ac die eruit in nomine felici emtore suo tras-
tulerunt ipsi eresbeorum in perpetum et si qui d(e) s(upra) scriptam rem de quo
agitur men-
tionem questionem facere boluerit aut sua esse dicserit aut evicci queperit
tuc dabit tantum pretium bel alterum tantum bel quanti ea res eo tenpore ba-
20 luerit pro victe rei recte dari sine dolo malo dolus malus abest aberit afuturum
erit istupulatus est geminius felix emtor expopondiderunt adeudata et innulus
(rel)icta serbunis anno et die s(upra) s(cri) p(tis) (ego) donati(anus) petitus ab
adeudata
(filijus eius ipsi signum supter facientes omnem pretium acceperunt sic x num
25 adeu-
date signum x innuli ego mure interfui signum x saturnini egipti;
Tablette 23 b
ego dona(t)ia(n)us hunc strumentum me (a manu scrip)-
si et subiscribsi.
Tablettes Albertini... éditées et commentées par C. Courtois, L. Leschi,
C. Perrat, C. Saumagne, Paris, 1952, pp. 252-255.
Traduction
Tablette 22a
Acte de vente d’une petite piéce de terre de Vhéritage de Serbunis.
Tablette 22b
La neuviéme année du seigneur roi Gunthamund, le cinqui¢me jour avant les ides de
Mai, « Adeodata» et son fils «Innulus» ont vendu par prélévement sur leurs cultures
manciennes situées dans le domaine de « Tuletianos », qui est sous le droit de propriété de
« Flavius Geminius Catullinus », flamine perpétuel, une petite piéce de terre sise au lieu-dit
La Celle ou sont treize figuiers et six jeunes figuiers avec leurs vignes entre les limitrophes
de ce méme champ au sud-ouest les héritiers de « Januarius », au nord-ouest « Quintus »,
fils de « Pontianus », au nord les vendeurs, au midi les réservoirs et leurs canaux d’irrigation,
et « Geminius Felix » a acheté aujourd’hui cette terre sus dite au prix de trois cents folles qu’ont
recus « Adeodata» et «Innulus », vendeurs et héritiers de « Serbunis ». Et ils ont retenu
71
LES ROYAUMES BARBARES
par devers eux cet argent, les souscripteurs étant présents et ils n’ont rien réclamé en plus
de ce méme prix qu’ils ont recu.
Tablette 23a
Et [a la question posée| ils ont répondu que rien ne leur était di en supplément. Jusqu’a
ce jour ow ils ont vendu, ils ont eu, ont tenu et ont possédé ce bien et sur toutes ces choses
qui ont été définies ci-dessus, ils ont exercé leurs droits. Et 4 partir d’aujourd’hui, ils ont
transmis eux-mémes ce droit 4 leur acheteur « Felix» et 4 ses héritiers 4 perpétuité. Et si quelqu’un
[les vendeurs ici], touchant la chose susdite qui est objet du présent acte, se révélera avoir
porté contestation ou prétendra qu’elle est sienne ou entreprendra de l’interdire judiciairement,
il devra donner [a l’acheteur] le double du prix, ou bien s’il y a eu commencement d’éviction
effective, ’acheteur « Geminius Felix » a stipulé et les vendeurs « Adeodata » et « Innulus »
héritiers de « Serbunis » ont promis qu’ils lui donneraient loyalement et sans dol [étant
spécifié| que le dol est, demeure et sera absent de la transaction, une somme correspondant
a la valeur de la chose [au moment de Iéviction].
Moi, « Donatianus », l’année et le jour susdit, a la demande d’ « Adeodata » et « Innulus »
son fils, j’étais présent, eux-mémes apposant leur « signum » ci-dessous ont recu le prix
en totalité. « Signum» X d’« Adeodata », «signum» X d’« Innulus », Moi « Muraena », j’étais
présente. «Signum» de « Saturninus », fils d’« Egyptus ».
Tablette 236
72
DOSSIER SUR
le domaine mérovingien de Tresson
73
LES ROYAUMES BARBARES
Traduction
74
Economies et sociétés
1. Ou Sornay?
2. A Villaines-sous-Lucé (Sarthe).
3. L’authenticité de ce dipléme est confirmée par Walter GOFFART, The Le Mans For-
geries, Cambridge (Massachusetts), 1966.
75
N
,
y \ 0 2 4 Km
\ iy,®
Za
Document 30 A — Le do- (
U
La
Z
Uy, zones advellement
Y, a - Ue boisées
maine de Tresson
S Georges
de la Couée
1. Les noms soulignés sur la carte sont ceux cités dans le texte.
2. Voir a ce sujet A. BOUTON, Le Maine. Histoire économique et sociale, tome I, Le Mans,
1962, pp. 105-106.
76
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77
DOSSIER SUR
Vexploitation des grands domaines ecclésiastiques
a ’époque mérovingienne
x11. De colonis vel servis ecclesie qualiter serviant vel qualia tributa reddant.
Hoc est agrarium secundum estimationem judicis; pervideat hoc judex,
secundum quod habet, donet; de xxx modiis 11 modios donet et pascuarium
desolvat secundum usum provinciae. Andecingas legitimas hoc est perticam x
pedes habentem, IIII perticas in transverso, xL in longo, arare, seminare, clau-
dere, collegere, trahere et recondere; prato arpento uno cludere, secare, colle-
gere et trahere. A tremisse unusquisque accola ad 11 modia sationis excollegere,
seminare, collegere et recondere debeant et vineas plantando cludere, fodere,
propaginare, praecidere, vindimiare. Reddant decimum fascem de lino, de apibus
decimum vas, pullos 11, ova xx reddant. Parafredos donent aut ipsi vadunt ubi
eis iniunctum fuerit. Angarias cum carro faciant usque L leugas; amplius non
minetur.
Ad casas dominicas stabilire, fenile, granicam vel tuninum recuperando
pedituras rationabiles accipiant et, quando necesse fuerit, omnino conponant.
Calcefurnum, ubi prope fuerit ligna aut petras L homines faciant; ubi longe
fuerit centum homines debeant expetiri; et ad civitatem vel ad villam, ubi necesse
fuerit, ipsam calcem trahant.
Servi autem ecclesiae secundum possesionem suam reddant tributa. Opera
vero II dies in ebdomada in dominico operet, II vero sibi faciat. Si vero dominus
ejus dederit eis boves aut alias res, quas habet, tantum serviat quantum ei per
possibilitatem inpositum fuerit; tamen injuste neminem opprimas.
M.G.H. Legum Sectio I, t. V, pars II,
Hanovre, éd. par E.-L.' de Schwind, 1926, t. I, 13, pp. 286 sqq.
Traduction
x11. Voici quels sont les services et les tributs que doivent rendre les colons et les esclaves
ecclésiastiques.
Il y a Pagrarium selon l’estimation du régisseur; que le régisseur prévoie, selon les récoltes,
ce que chacun donnera; on donnera 3 muids sur trente et on paiera une redevance sur les
patures selon l’usage de la province. On doit labourer, semer, clore, moissonner, transporter
et engranger les ansanges légales, c’est-a-dire que chacune, sur la base d’une perche de dix pieds,
a quatre perches de large et quarante de long; on doit clore un pré d’un arpent, faucher,
faner et transporter. Chaque colon doit mettre de cdté pour le blé de printemps jusqu’a
deux muids de semence, semer, moissonner et engranger, et, pour planter les vignes, clore,
fouir, provigner, tailler, vendanger. Qu’ils rendent la dixiéme botte du lin, et le dixiéme
vase du miel, quatre poulets, vingt ceufs. Ils donneront des chevaux de poste ou bien ils
iront eux-mémes 1a ot il leur sera ordonné. Qu’ils fassent les corvées de transport avec un
char jusqu’a une distance de cinquante lieues; on ne les menacera pas d’en faire plus.
78
Economies et sociétés
Pour construire les maisons de la réserve, le fenil, le grenier et réparer la haie, qu’ils
recoivent des pediturae raisonnables et, chaque fois que cela est nécessaire, qu’ils paient
une composition. Pour le four 4 chaux, lorsqu’il est proche, que cinquante hommes appor-
tent le bois et les pierres; lorsqu’il est loin, cent hommes doivent y étre affectés; et qu’ils
transportent la chaux soit 4 la ville, soit au domaine, lorsque cela sera nécessaire.
Quant aux esclaves ecclésiastiques, qu’ils paient les tributs selon leur possession. Chacun
fera trois jours de travail par semaine sur la réserve et trois jours pour lui-méme. Si, par ailleurs,
le maitre lui donne des bceufs ou d’autres biens qu’il posséde en propre, qu’il rende le ser-
vice imposé autant qu’il lui sera possible; que l’on n’opprime cependant personne injustement.
21. Servi enim ecclesiae tributa sua legitime reddant : xv siclas de cervisa,
porco valente tremisso uno, pane modia 11, pullos v, ova xx. Ancillas autem opera
inposita sine neglecto faciant. Servi dimidiam partem sibi et dimidiam in domi-
nico arativum reddant; et si super haec est, sicut servi ecclesiastici ita faciant,
11 dies sibi et 111 in dominico.
22. De liberis autem ecclesiasticis, quod colonus vocant, omnes sicut et
coloni regis, ita reddant ad ecclesiam. Si quis legitimum tributum antesterit
per jussionem judicis sui, VI solidos sit culpabilis. Et opera, quidquid eius impo-
sita fuerit secundum mandatum aut quomodo lex habet, si non adimpleverit,
Io v1 solidos sit culpabilis.
Et si sigillum aut signis qualecumque iudex per iussionem domini sui trans-
miserit et eum venire iusserit aut ambulare in aliqua utilitate et ille neglexerit,
vI solidos sit culpabilis. Si autem sigillum episcopi neglexerit aut ad veniendum
aut ambulandum ubi iusserit, x solidos sit culpabilis.
M.G.H. Legum Sectio I, t. V,
Hanovre, éd. par K. Lehmann, 1888, XXI, XXII, 1 et 2, p. 82.
Traduction
21. Que les esclaves ecclésiastiques acquittent donc leurs tributs selon la loi : quinze
sicles de cervoise, un porc valant un tremessis, deux muids de pain, cing poulets, vingt ceufs.
Que les femmes esclaves accomplissent aussi sans négligence les travaux imposés. Que les
esclaves accomplissent l’arativum, moitié sur leur lot, moitié sur la réserve du maitre; et
s’il en reste, qu’ils fassent comme font les esclaves ecclésiastiques en trois jours pour eux et
trois sur la réserve du maitre.
22. Quant aux libres ecclésiastiques, que l’on appelle colons, que tous accomplissent
envers l’église les mémes services que les colons du roi. Si quelqu’un refuse un tribut conforme
a la loi établi par ordre de son régisseur, qu’il soit condamné a une amende de 6 sous. S’il
ne remplit pas les travaux qui lui ont été imposés selon l’ordre regu ou comme le prescrit
la loi, qu’il soit condamné 4 une amende de 6 sous.
Et si un régisseur, sur l’ordre de son maitre, lui transmet un sceau ou un signe quelconque
et lui ordonne de venir ou d’aller pour un quelconque besoin, et que celui-ci néglige de le
suivre, qu’il soit condamné 4 une amende de six sous. Et si, cependant, il néglige le sceau de
Lévéque, soit pour venir, soit pour aller la ot on lui ordonne, qu’il soit condamné 4 une
amende de douze sous.
79
LES ROYAUMES BARBARES
Commentaire
Le régime agraire et la société rurale dans les royaumes barbares de l’Europe de l'Ouest
sont trés mal connus, étant donné la rareté des documents. Les petites propriétés sont quasi-
ment invisibles, bien qu’elles dussent étre nombreuses. Seul, le systeme du grand domaine
nous est révélé par une vingtaine de documents dont les plus explicites sont les passages des
lois des Bavarois et des lois des Alamans réglant le statut des esclaves et des colons des grands
domaines ecclésiastiques.
La premiére a été mise par écrit en 744-748 et la deuxiéme en 717-719, selon Heinrich Brun-
ner, A l’époque ot les premiers Carolingiens n’arrivaient pas encore a se faire obéir dans le
royaume des Francs, théoriquement dirigé par la dynastie mérovingienne. La Baviére avait
alors un duc national, Odilon, de la famille des Agilolfing; il était reconnu sur toute la rive
droite du Danube, jusqu’aux Alpes. L’Alémanie, de méme, est dirigée par son duc national
Lantfrid (709-730), mais il a été nommé 4a la suite de la victoire de Pépin en 709-712. Son
territoire comporte, en gros, l’Alsace et la Suisse alémanique. De toute facon, la souve-
raineté austrasienne est reconnue plus ou moins officiellement, et les deux lois ont peut-étre
été écrites sous Vinfluence d’un modéle unique, qui serait une loi de Dagobert des années
634-639; ce qui explique certains parallélismes. Ces documents, assimilant le sort des grands
domaines ecclésiastiques 4 celui des grands domaines royaux, nous fournissent donc des
renseignements assez généraux, pour les vil® et viII® siécles, sur le systéme domanial du
royaume des Francs pour que l’on puisse en faire état.
Analysons donc maintenant ces textes. Selon la loi des Bavarois, les colons ecclésiastiques
doivent acquitter l’agrarium, cultiver les ansanges légales, les terres réservées au blé de prin-
temps et les vignes. Ils donnent des chevaux de poste et accomplissent une corvée de transport.
Ils construisént les maisons de la réserve et accomplissent des corvées pour le four 4 chaux.
Les esclaves doivent des tributs et trois jours de corvée sur la réserve.
Selon la loi des Alamans, les colons ecclésiastiques doivent les tributs et les travaux
conformes a l’ordre ou 4 la loi. S’ils refusent d’obéir au régisseur de l’évéque, ils doivent
payer une amende. Les esclaves acquittent les tributs et font trois jours de corvée sur la réserve.
Pour comprendre ces deux textes trés paralléles, il importe de rappeler les origines du
systeme domanial. Appelé d’abord fundus, le grand domaine romain comportait au centre
la demeure du maitre, dénommeée villa, et les batiments d’exploitation. Le mot villa finit
par désigner le domaine lui-méme, II était cultivé par des esclaves. Au cours du 11° siécle,
devant la diminution inéluctable du nombre des esclaves, on prit ’habitude, dans la partie
occidentale de ’Empire, de diviser le domaine en deux parties : l’une au centre, la réserve,
continuait a étre exploitée par les esclaves; l’autre était divisée en tenures accordées a des
exploitants qui devaient, en méme temps, participer a4 la mise en valeur de la réserve par des
prestations de travail. Ces exploitants étaient des paysans libres appelés colons. Sur les grands
domaines impériaux d’Afrique du Nord, le régisseur leur imposait des corvées de travail
et de transport. Enfin, au Iv® siécle, le colon fut fixé 4 sa tenure et ne put la quitter. Ce systéme
du grand domaine divisé en une réserve cultivée par des esclaves et en des tenures cultivées
par des colons qui doivent des redevances en nature et en travail semble exister au vI® siécle
en Italie d’aprés les papyrus de Ravenne et se devine aussi en Gaule. En Baviére et en Alémanie,
anciens territoires romains, la villa avait di étre créée de méme et, comme vont nous le montrer
ces textes, elle s’est alignée sur ce systéme d’exploitation avec quelques précisions et nouveautés
supplémentaires.
On peut distinguer, dans ces deux textes, deux types sociaux : les esclaves et les colons,
c’est-a-dire les non-libres et les libres. Indubitablement, le mot servus désigne ici l’escla-
80
Economies et sociétés
ve (31, l. 1, 18; 32,1. 1, 3, 4) puisque dans le titre xx de la loi des Alamans il est donné comme
Péquivalent de mancipium. I s’agit donc bien d’un esclave, propriété personnelle de l’Eglise. Bien
mieux, le mot servus désigne l’esclave masculin et le mot ancilla esclave féminin. Quant au colo-
nus,il est bien spécifié qu’il est libre (32, 1. 6). L’un et l’autre doivent des services et des tributs
(31 et 32, 1.1), c’est-a-dire, sans que les textes fassent de différences entre les deux, des rede-
vances acquittées en nature ou en travail. Il semble que ces redevances sont précisées et
implantées justement par la loi du début du vite siécle 4 laquelle se référent nos textes, puis-
qu’on déclare assimiler ces redevances 4 celles des gens du roi (32, 1. 7) qu’on donne ainsi
en modéle, et que lon menace les récalcitrants d’amendes (32, 1. 8-10). Enfin, ces redevances
sont attachées 4 un individu (31, |. 3) et non pas 4 sa tenure.
Prenons les services et les tributs des esclaves en commengant par le texte le plus ancien,
celui des Alamans. Les tributs en nature concernent les aliments essentiels de l’époque;
la biére est la boisson habituelle dans un pays ou la vigne est peu cultivable; appelée cervoise,
elle était tirée du malt d’orge. Elle était fabriquée par l’esclave tout comme le pain. Le porc
fournit la seule viande courante a l’époque; on le sale pour Vhiver; il vaut un tremessis, c’est-a-
dire un tiers de sou. Les services sous forme de travail concernent aussi la femme esclave.
Elle doit probablement, comme dans les vil/ae antiques, tisser des piéces de drap ou de toile
dans un atelier de la willa, le gynécée, ou a domicile. L’homme doit labourer trois jours par
semaine les terres arables (31, 1. 5) de la réserve. Nous sommes donc bien dans le systéme
du grand domaine. Mais il a regu une tenure (32, |. 4) sur les terres du domaine. II peut
la cultiver les trois autres jours de la semaine. Son sort est donc différent de l’esclave antique,
puisqu’il a la jouissance d’une terre. Celle-ci a une superficie variable, car les redevances en
nature sont dues en proportion de cette tenure. L’arativum est. donc un service de labour
limité chez les Alamans a trois jours. Mais, chez les Bavarois, ce service s’est alourdi, car
si le maitre donne un train de culture 4 l’esclave, il n’y a plus de limites aux exigences de tra-
vail, si ce n’est ’humanité du propriétaire (31, 1. 20). Le sort de l’esclave par rapport a I’Anti-
quité s’est donc amélioré, mais celui-ci reste, pour la moitié de son temps, et parfois plus, a
la totale disposition de son maitre.
Le colon a, lui aussi, une tenure pour laquelle il doit des redevances en nature et en
travail. Dans la loi des Alamans, elles ne sont pas précisées, mais, en revanche, on insiste
sur les sanctions qui frappent le colon récalcitrant que l’ordre vienne des propriétaires (man-
datum, 32, 1. 9) ou que ce soit une loi (32, 1. 9), c’est-a-dire une coutume créée par le regis-
seur. L’amende est lourde : 6 sous. L’importance attachée au sceau est propre a une civilisa-
tion orale. Le paysan illettré, a la vue de l’image figurée sur le sceau, est obligé de reconnaitre
que celui qui le commande le fait au nom de son maitre.
On comprend que le colon ait eu la tentation de désobéir devant l’énumération de ses
redevances que donne la loi des Bavarois (31, 1. 2 4 12). Il y a, tout d’abord, Vagrarium
qui consiste, selon les prévisions du régisseur et la production réelle, en une part des récoltes,
ici le dixiéme. Le principe en est le méme pour le lin et pour le miel. I] n’est pas précisé
pour le pascuarium, redevance sur les troupeaux, parce quwil variait selon les provinces du
royaume, c’est-a-dire les duchés. Mais nous savons, par un édit de Clotaire II (584-628),
que le pascuarium, tout comme Vagrarium, était équivalent au dixiéme des produits et que
les deux avaient été concédés a l’Eglise par ce roi. Dans les domaines impériaux d’Afrique
au II® siécle, les partes agrariae des colons étaient équivalentes a un tiers des récoltes. I] s’agit
donc d’un ancien fermage impérial considéré comme un impét public par les Mérovingiens
et accaparé par l’Eglise. Tout cela concerne la tenure du colon.
La liste des redevances en travail est trés longue et probablement non limitative. Le colon
doit accomplir ces travaux, ces opera (31, 1. 4 a 9) sur un lot de terre situé dans la réserve
81
LES ROYAUMES BARBARES
et que les historiens ont appelé lot-corvée. I] est composé de terres labourables, d’un pré
et d’une vigne. Les premiéres sont appelées « ansanges ». I] s’agit de rectangles ayant qua-
rante pieds de large et quatre cents de longueur, soit 118,52 m X I1I,85 m = I4 ares, 4 cen-
tiares. Le nombre de ces ansanges n’est pas précisé. De méme, le nombre des ansanges de
printemps (31, 1. 7) n’est pas donné; peut-étre est-ce di au fait que le colon fournit la
semence. Si l’on estime qu’il fallait environ 1,70 hl pour ensemencer un hectare, deux muids
de semence (34 1 x 2) devaient permettre de couvrir environ 40 ares, c’est-a-dire a peu prés
deux ansanges et demie. On peut déduire encore de cette mention du blé de printemps qu’il
devait y avoir rotation des cultures, mais pas forcément d’assolement triennal.
Pour le pré et pour la vigne, tout le cycle des travaux agricoles est a la charge du colon.
La superficie du pré est d’environ 8 ares ! (31, 1. 6), celle de la vigne n’est pas précisée.
Il faut remarquer la facon particuliére de planter la vigne : au lieu de greffer (pratique oubliée),
on provigne, c’est-a-dire qu’on plie les jeunes tiges pour les enfoncer en terre et les faire
x
se reproduire par marcottage. Tels sont les travaux 4 accomplir sur le lot-corvée.
Pour les travaux de construction des batiments d’exploitation (31, 1. 13), de réparation
de la haie qui les entoure ou des clétures temporaires, le colon doit fournir du bois. Il est évalué
en unités de longueur d’un certain nombre de pieds qui n’est pas précisé. Il peut s’agir aussi
bien de la longueur du tas de bois de merrain a fournir que de la longueur de la haie 4 réparer ?.
On remarquera que le mot tuninum (31, 1. 13) est un mot germanique qui a donné Zaun (haie),
mais aussi tun, c’est-a-dire en anglais town, la ville; en effet, le village germanique devait étre
entouré d’une forte haie.
Le probléme du transport de la chaux (31, 1. 15) nous fait passer 4 des services d’origine
trés ancienne. Les paraveredi étaient les chevaux de poste ou de transport que |’Etat romain
réquisitionnait pour faire fonctionner le cursus publicus, la poste publique. Le systéme a sur-
vécu plus ou moins bien durant l’époque mérovingienne. Le nombre des chevaux n’est pas
précisé, ni le temps d’utilisation du cheval. On voit ici que le paysan peut étre réquisitionné
(31, 1. 10) a la place du cheval pour transmettre un message jusqu’a la localité qui lui est
prescrite. Quant a langaria, c’était un service de transport que l’on exigeait au Bas-Empire
pour les besoins de l’Etat. Il a subsisté aussi jusqu’a notre époque. On voit qu’il consistait
a transporter des marchandises en char 4 bceufs jusqu’a une distance (31, 1. 11) de cin-
quante lieues gauloises, ce qui fait 111 kilométres a l’aller. Etant donné qu’un char a beeufs
marche a trois kilométres 4 Pheure, le colon devait étre absent environ une dizaine de jours,
ce qui est beaucoup.
On voit, par conséquent, qu’a ’époque mérovingienne survivent beaucoup de traditions
romaines : la conception du domaine divisé en réserve et en tenures, l’agrarium qui va dis-
paraitre 4 lépoque carolingienne, la fourniture des paraveredi qu’on appellera plus tard
des palefrois, des angariae, et des opera. Mais il y a des faits nouveaux : l’esclave est mainte-
nant chasé sur une tenure de superficie variable; le colon doit des prestations de travail sur
un lot-corvée d’étendue fixe dans la réserve et exécute des travaux a la tache. Enfin, il y a
des indices qui laissent présager l’évolution carolingienne et l’aggravation des charges. En
effet, si le maitre fournit le train de culture a l’esclave, le service n’a plus de limite. De méme,
le colon doit obéir au pouvoir de commandement du maitre. C’est une des origines du droit de
82
Economies et sociétés
ban. Les opera seront appelés au Ix® siécle opera corrogata, les travaux demandeés, ce qui a donné
le mot corvada : corvée. Enfin, si, juridiquement, on distingue nettement 4 l’époque méro-
vingienne les esclaves des colons libres, on voit que la nature de leurs redevances en nature
et en travail est identique (sauf en quantité, évidemment). Ce qui explique pourquoi on
confondra facilement plus tard tenures serviles et tenures libres, esclaves et colons; la réalité
du servage est en germe dans cette confusion du colonat et de lesclavage.
83
DOSSIER SUR
la vie urbaine a l’époque mérovingienne
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Cimefiéres antiques
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S° Jean S\. Murailles du Casirum
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5 Paschasie =~ riviére
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nF Ss Bénigne —. rovte romaine
84
Economies et sociétés
Traduction
C’est une place forte munie de murs trés puissants au milieu d’une plaine trés agréable;
les terres y sont fertiles et fécondes, si bien qu’aprés avoir passé la charrue dans les champs
une seule fois on jette les semences et qu’une grande et opulente récolte vient ensuite. Au midi,
il y a la riviére de |’Ouche, qui est trés riche en poissons; du cdté de Paquilon pénétre une
autre petite riviére * qui, entrant par une porte et coulant sous un pont, ressort par une autre
porte; aprés avoir arrosé le tour de l’enceinte de son onde placide, elle fait tourner devant
la porte des moulins avec une prodigieuse vélocité. Quatre portes ont été placées aux quatre
coins du monde et trente-trois tours ornent toute l’enceinte : le mur de celle-ci a été édifié
avec des pierres de taille jusqu’a une hauteur de vingt pieds et, au-dessus, en pierraille;
il a trente pieds de hauteur, quinze pieds de largeur. J’ignore pourquoi cette localité n’a pas
été qualifiée de cité. Elle a autour d’elle des sources précieuses. Du cété de Poccident, il y a
des collines trés fertiles et remplies de vignes qui fournissent un si noble Falerne aux habi-
tants qu’ils dédaignent l’Ascalon. Les Anciens racontent que cette enceinte a été édifiée par
VYempereur Aurélien.
Commentaire
85
LES ROYAUMES BARBARES
Grégoire de Tours connait fort bien Dijon par sa mére, Armentaria, qui ’habita et par
ses voyages '. I] nous en fait une description oculaire que l’on peut dater de année 584”.
Il porte son attention d’abord sur le site : le castrum, c’est-a-dire l’espace fortifié, la citadelle
qui enclét la ville, se trouve au milieu d’une plaine ow les céréales poussent bien. Elle est entou-
rée par deux riviéres, l?Ouche a l’ouest et le Suzon qui la traverse et l’enserre par Peau qu’il
déverse dans le fossé. Le tracé de ce dernier reste hypothétique sur le plan, les fouilles n’ayant
donné aucune indication 4 ce sujet. Les moulins 4 eau sont entrainés par eau du Suzon
(35, 1. 5-8). L’emploi de ces machines apparait de plus en plus courant au VI® siécle et prouve,
en méme temps que l’abondance des récoltes, la diminution de la main-d’ceuvre esclave qui
actionnait les moulins 4 bras. Une autre cause de la prospérité de Dijon est le vignoble. Situé
4 Pouest sur les coteaux, ot il est cultivé depuis le début du mI°® siécle, il produit un vin que
Grégoire, pour montrer sa culture, compare au Falerne. C’était, en effet, un vin de la région
de Naples qui, avec le Massique et le Céccube, était sans cesse loué par tous les auteurs antiques.
Par contre, l’Ascalon est un vin contemporain de Grégoire; il est produit en Palestine byzan-
tine; ceux de Sarepta et de Gaza sont récoltés sur des terroirs voisins. Tous sont exportés
vers ’Occident ot l’on en consomme beauéoup. A Dijon, par conséquent, |’Ascalon était un
vin bien connu : les commergants l’apportaient de Marseille pour le vendre jusqu’en Frise.
Ils empruntaient les fleuves et la voie romaine qui passe ici 4 600 ou 700 metres (voir le plan,
document 34) a l’est du castrum et devaient certainement s’y arréter. Voici, par conséquent,
une ville prospére par ses productions locales, céréales et vins, ainsi que par les bénéfices du
commerce international. é
Prés @une route aussi parcourue, Dijon avait, en méme temps, un rdle stratégique,
ce qui explique importance du castrum. A la suite de travaux de construction d’égouts, des
fouilles ont été pratiquées, mettant a jour les substructions de la fortification. Elles corro-
borent exactement la description de Grégoire de Tours. Deux portes sur les quatre ont été
retrouvées, selon l’orientation indiquée, ainsi que les bases de deux tours. Les deux autres
portes ont pu étre retrouvées par conjecture. Les tours étaient distantes de 33 métres. Si l’on
divise la longueur totale de l’enceinte par cette distance, on obtient le nombre de 33 tours,
chiffre indiqué par notre texte (35, 1. 9). Demi-cylindriques, elles possédent trois étages,
dont un a4 moitié souterrain. Au total, ’enceinte couvre onze hectares; les autres enceintes
de Gaule sont d’ordinaire plus vastes. Nous avons donc affaire 4 une petite ville. Le tracé
irrégulier de l’enceinte, ni circulaire, ni polygonal, montre que l’on a cherché a enfermer la
partie la plus importante de l’espace urbanisé, tout en abandonnant certaines zones. Des débris
gallo-romains importants ont, en effet, été trouvés 4 l’extérieur du mur. La ville romaine du
Bas-Empire était donc une ville réduite.
Quant au mur lui-méme, le document 33 montre la justesse de la description de Gré-
goire de Tours. A l’extérieur, le parement en effet comporte des pierres de gros appareil
alternant avec des moellons plus petits, mais toujours en opus quadratum *. A Vintérieur,
il y a un blocage de deux métres d’épaisseur, fait de pierraille, de mortier, de chaux de sable
et de paille hachée. Le parement du cété intérieur du mur, large d’un métre, est fait de petits
moellons. Les pierres sculptées, arrachées aux monuments détruits et qui ont été utilisées
pour le mur, sont tournées vers |’intérieur afin de ne pas donner de prise. Le mur est complé-
_ I. Une analyse du texte serait ici inutile. Le propre d’une description faite de multiples
détails est d’étre rebelle 4 ce genre de travail.
2. Dijon appartient alors 4 Gontran, roi de Bourgogne.
3. On appelle opus quadratum une maniére de construire un mur en posant des pierres
carrees Ou rectangulaires en assises réguliéres horizontales.
86
Economies et sociétés
tement lisse. I] mesure 4,50 m d’épaisseur. Or Grégoire indique quinze pieds. Comme le
pied romain mesure 0,296 m, 15 pieds font 4,44 m. Donc l’estimation de notre auteur est
juste, 4 quelques centimétres prés; de méme pour les autres mesures, puisque le mur voit se
terminer le gros appareil 4 6,50 m de hauteur. Il est ensuite composé par de la pierraille
et n’a plus que 1,50 m de large; il se termine a 9,50 m du sol. Nous avons la vraiment une
description véridique, celle d’un témoin oculaire.
Grégoire a méme cherché la date de fondation de l’enceinte, en se reportant a la tradition
orale (35, 1. 14) sans pourtant la prendre a son compte (les Anciens racontent...). En effet, le
démonstratif hoc désigne l’enceinte, car il se rapporte de toute évidence aux mots castrum et
aedificium et ne peut désigner la ville méme de Dijon comme certains l’ont cru. La majeure
partie des enceintes urbaines de la Gaule date des régnes d’Aurélien (maitre de la Gaule a
partir de 273 et mort en 275), de Probus (275-282) ou encore des débuts des régnes de Dioclé-
tien et Maximien. Rien ne s’oppose ainsi 4 l’authenticité de la tradition orale rapportée ici :
Dijon aurait donc été une des premiéres villes fortifiées vers 273-275, aprés les grandes inva-
sions qui accumulérent tant de ruines.
Mais, si nours en estions 4 image d’une ville entourée d’un mur, nous garderions de
la vie urbaine a ’époque mérovingienne une image fausse. Le plan présenté ici (document 34)
a été fait 4 Paide des résultats des fouilles et d’autres indications éparses dues 4 Grégoire
de Tours. Il permet de se rendre compte qu’en dehors de l’enceinte ot se trouvent la cathé-
drale Saint-Etienne et le baptistére Saint-Vincent 1, il y a des zones habitées avec des églises.
Ces quartiers extérieurs sont 4 l’emplacement des cimetiéres antiques. En effet, la législation
romaine exigeait que les cimetiéres soient toujours a l’extérieur d’une agglomération. Les pre-
miers chrétiens s’y conformérent et les trois groupes de cimetiéres indiqués ont été utilisés, tant
a Pépoque romaine qu’a l’époque mérovingienne : dans celui de l’est, les fouilles ont méme
révélé deux séries d’enfouissements superposés. Quelques saints personnages furent enterrés
dans ces cimetiéres antiques et un culte leur fut bient6t rendu. Des basiliques funéraires
furent édifiées au-dessus de leurs tombeaux : c’est le cas de la basilique Saint-Jean, construite
au v® siécle par ’évéque Urbain pour s’y faire enterrer. Quant a celle de Saint-Bénigne,
elle date d@’environ 525. L’évéque Grégoire de Langres, bisaieul de Grégoire de Tours, la
fait édifier, victime d’une supercherie qui lui a fait prendre un sarcophage antique pour le
tombeau d’un martyr appelé Bénigne, qui n’a jamais existé. Ce sera, plus tard, léglise la
plus importante de Dijon. Ainsi, les quartiers suburbains dotés de nombreux sanctuaires
de petite dimension sont en plein développement au vI® siécle. Ils serviront d’ossature au
développement urbain des x1I® et xI® siécles, puisqu’ils seront inclus dans la nouvelle
enceinte.
Devant cette ville en plein développement, Grégoire s’étonne qu’elle ne soit point quali-
fiée du titre de cité (35, 1. 11). Normalement, une cité au Bas-Empire correspond 4a la subdi-
vision d’une province : elle comprend un territoire avec une ville qui en est le chef-lieu.
Ce dernier est souvent appelé civitas. C’est la que résident 4 ’époque mérovingienne le comte
et Pévéque. Le diocése, en effet, s’identifie 4 la cité. Pour Dijon, Pévéque y réside aux v®
et VI® siécles. I] est donc compréhensible que notre auteur se pose cette question. Or, il oublie
que le chef-lieu normal de la cité n’est pas Dijon, mais Langres. Ravagée par les Vandales
en 407-408, cette derniére a été délaissée temporairement pour Dijon, ow le climat est moins
87
LES ROYAUMES BARBARES
88
DOSSIER SUR
le commerce et les routes commerciales
a l’époque mérovingienne
Les libéralités des rois mérovingiens envers les églises étaient considérées comme des
actes de piété. Le formulaire de Marculfe, écrit avant 732 a Saint-Denis, contient un exemple
de ces exemptions d’impéts indirects sur les transports. Le roi accorde 4 une église ou a un
monastére de ne payer aucun tonlieu ou taxe quelconque pour un nombre fixé de charrettes
transportant les produits pour le luminaire. Cette exemption est valable pour tous les lieux
et tous les ports, spécialement pour Marseille, Toulon, Fos, Arles, Avignon, etc. (document 36).
Les deux principaux ports du royaume étaient en effet, encore vers 662, Marseille
(document 37) o saint Bonet s’oppose au commerce des esclaves, et Nantes en relations
réguliéres avec lIrlande (document 38) 4a la fin du vie siécle et au vile siécle.
Traduction
Un tel, roi des Francs, 4 Leurs Excellences les patrices, aux comtes, aux péagers et a
tous ceux qui ont la charge d’un service public. Si Nous ne cessons pas d’accorder aux prétres
des bienfaits opportuns destinés aux lieux saints et aux églises, Nous sommes persuadés que,
sans aucun doute, cela nous sera rendu en béatitude éternelle. Donc, que Votre Grandeur
89
LES ROYAUMES BARBARES
— ou : vous — sache qu’a la demande de l’homme de Dieu, évéque de telle cité, tant 4 cause
du nom de Dieu que sous l’impulsion de ses mérites, Nous lui avons accordé, sachez-le bien,
la faveur pour ses envoyés qui font des achats ou voyagent pour quelque autre nécessité
de ne pas payer a Notre fisc de tonlieu ou de taxe quelconque sur ce qu’ils vont acheter a
Marseille pour leur luminaire! ou dans les autres ports a l’intérieur de Notre Royaume,
chaque année, pour tant de charrettes. En conséquence, Nous décidons par le présent précepte
et Nous ordonnons qu’il demeure a4 perpétuité, que ni vous, ni vos dépendants, ni vos succes-
seurs, vous ne réclamiez ni n’exigiez de tonlieu pour tant de charrettes de cet évéque a Mar-
seille, Toulon, Fos, Arles, Avignon, Soyons *, Valence, Vienne, Lyon, Chalon, et autres
cités ou pagi, partout ou, dans Notre Royaume, on exige des tonlieux, que ce soit des taxes
sur le transport en bateau ou en char, sur les roues, au passage d’un pont, pour la poussiére
soulevée ou pour le salut 4 rendre ou pour Vherbe consommée, ou n’importe quelle autre
taxe que Notre fisc a Phabitude de réclamer; mais, qu’a cause du nom du Seigneur, ledit
évéque ou ses successeurs ou l’église déja nommeée de saint Un tel puisse en bénéficier et
que cela serve pour le luminaire dudit saint lieu. Afin que ce décret soit valable 4 tout jamais,
nous avons décidé de le confirmer de Notre propre main, au-dessous.
Traduction
[...] Il plut tellement par son aspect qu’il fut choisi pour la préfecture la plus haute
de la province de Marseille *; mais il concluait les procés qui lui étaient confiés de telle maniére
qu’il semblait agir non pas comme un juge, mais comme un prétre. Peu aprés, en ce lieu,
on vendait des hommes, comme c’est la coutume, et on les condamnait ainsi a la peine de l’exil
et de la captivité; il ordonna par son décret que cela n’ait plus jamais lieu; mais, il rachetait,
comme il avait ’habitude de le faire, le plus grand nombre de ceux qu’il pouvait trouver
vendus, et il les renvoyait chez eux. [...]
90
Economies et sociétés
receptus Ligeris unda vehar, quousque maris alta deferar ». Reperta ergo navis
quae Scottorum commercia vexerat, omnem suppellectilem comitesque recepit.
Cum iam remigera arte, prosperantibus zephiris, navis ad alta pelagi tenderit,
undarum moles obvenit navemque ad litus redire coegit planoque terris solo
depulsam reliquid, collectoque fluctu, in sinibus aequor quievit. Mansit per tri-
Io duum absque undis carina.
Vita Columbani.... M.G.H.SS.R.M., t. IV, Hanovre, éd. par B. Krusch, 1902, p. 97.
Traduction
Aprés cela, Soffronius, évéque de la ville de Nantes, en accord avec le comte Theudoald,
se hataient de diriger en bateau vers l’Irlande le bienheureux Colomban, conformément
a Pordre royal. Mais ?homme de Dieu dit : « Si le navire qui revient des golfes d’Irlande
est la, qu’il regoive tous les bagages et les compagnons; moi, pendant ce temps, au fond de
la barque, je serai porté par l’onde de la Loire, jusqu’a ce que je sois emmené vers la haute
mer ». On trouva donc un navire qui transportait des marchandises pour les Scotts +3 il recut
les bagages et les compagnons. Comme déja, grace aux rames et aux souffles des zéphirs,
le navire approchait du grand large, la masse des eaux accourut en sens inverse et forga le
navire a revenir au rivage et l’abandonna 4 bout de course sur le sol plat; une fois le flot
rassemblé, la plaine liquide s’apaisa dans les golfes. La carene demeura trois jours a sec’.
1. Les Irlandais.
2. Le navire n’a donc pas de quille.
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Ss 707 Deniers mérovingiens
a du Cabinet de France
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el Deniers du Bees A
Trésor de Bais
91
LES ROYAUMES BARBARES
Commentaire
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Economies et sociétés
d’or orientale en Europe coincide avec l’apparition d’un nouveau monnayage qui la rem-
place. Ce sont des deniers d’argent qui apparaissent vers 640-645 dans les trésors découverts.
Ces piéces d’argent deviennent trés nombreuses durant la seconde moitié du vue siécle
et correspondent a un nouveau type d’économie. Leur nom est le denier comme le prouvent
deux piéces, ’une de Lyon, portant + LVGDVNO DINARIOS et lautre d’Orléans avec
+ DINARIO AVRILIA.
Si Pon étudie leur poids, on aboutit au graphique ci-dessus, avec, en abscisse, les poids
des deniers d’argent et, en ordonnée, le nombre des piéces. Si toutes les piéces n’ont pas le
méme poids, cela vient de ce quw’elles ont été rognées ou allégées. La courbe la plus haute
a été faite avec les poids des monnaies trouvées 4 Plassac, Nice-Cimiez, etc.; elle prouve
que les poids moyens du denier sont de 1,13 g et de 1,28 g. Afin que ce résultat ne soit pas
da au hasard des découvertes, une seconde courbe a été faite avec les poids des monnaies
@un seul trésor, celui de Bais (Ille-et-Vilaine). Elle corrobore la premiére et donne comme
poids moyen 1,28 g. Enfin, une troisiéme courbe, celle des monnaies d’argent de Pépin le Bref
et de Charlemagne, avant la réforme monétaire, permet de comparer les deniers mérovingiens
avec les premiers deniers carolingiens. Elle est identique et donne aussi comme poids moyen
1,28 g. Donc, ce graphique prouve que le nouveau systeme monétaire mérovingien fondé
sur le denier d’argent a duré sans modification de poids depuis les années 640-660 jusque
vers la fin du vi1r® siécle, époque de la réforme de Charlemagne.
De plus, ce graphique corrobore la loi Salique, dont les manuscrits les plus anciens
de Vextréme fin du vi1r® siécle donnent une équivalence de I sou d’or pour 4o deniers d’argent.
Comme le sou d’or pése en général 4,45 g, et que la proportion.de l’or 4 l’argent est de 12,
la régle de trois suivante 4.45 x 12 = 1,33, donne le poids du denier d’argent, c’est-a-dire
40
1,33 g, fort proche de 1,28 g trouvé jusqu’ici. La loi Salique (voir document 20) qui ne devait
comporter a lorigine que les mentions en monnaie d’or a donc été complétée plus tard par les
équivalences en deniers d’argent qui étaient indispensables, vu la circulation monétaire réelle.
La réforme monétaire esquissée par Pépin (72, 1. 5) puis généralisée par Charlemagne, en
créant un denier d’argent léger de 1,70 g puis lourd de 2,04 g, a raison de 12 deniers pour
un sou, ne fait donc que consolider et assainir le marché, tout en reconnaissant la préémi-
nence du denier d’argent, nouvel étalon international apparu dans la deuxieme moitié du
viI® siécle, en Espagne musulmane, en Frise et en Angleterre.
L’enseignement de ce graphique est important’. Il permet d’expliquer les origines
mais non les causes, hélas, de la prééminence de l’argent sur l’or qui va durer en France des
années 680-690 4 1266. Il ne confirme ni n’infirme les deux théses actuellement en présence,
car si l’or n’a jamais totalement disparu, il est resté secondaire. Enfin, il est Pindice de l’acces-
sion d’un nouveau milieu social 4 l’économie monétaire. Si les dépenses de luxe des aristo-
crates ont diminué avec abandon de la monnaie d’or, les dépenses utilitaires des hommes
libres ont di sortir du régime du troc grace a ces deniers d’argent, en ces deux derniers siécles
mérovingiens. Ce qui prouve que la Renaissance carolingienne était préparée de longue
date.
1. On trouvera l’essentiel du probléme fort bien expliqué dans Jean LAFAURIE, op. cit.,
Spoléte, 1961, pp. 231-270 et R. DOEHARD, Les Réformes monétaires carolingiennes, Annales,
EXSi@ melOS2 snDp aml s=20:
93
DOSSIER SUR
les techniques du fer
Traduction
Votre fraternité Nous destina des épées longues, capables de trancher méme les armures,
plus précieuses par le travail du fer que par la valeur en or. Elles étincellent d’un poli trés
poussé au point de refléter fidelement le visage qui les contemple. Leurs bords, parfaitement
aigus, courent avec une telle régularité qu’on peut les croire fondus au feu de forge plutét
qu’ceuvrés a la lime. Leurs parties médianes creusées d’élégants canaux se rident en vermis-
seaux; la jouent tant d’ombres variées que l’on croirait plutdét le métal clair entrelacé d’élé-
ments de diverses couleurs. Ce métal, votre pierre 4 aiguiser l’a nettoyé avec tant de soin,
votre sable merveilleux l’a si habilement poli que ce fer lumineux devient un miroir pour les
hommes. Votre patrie fut de la sorte si comblée par la nature qu’elle vous a assuré une renom-
mée singuliére : des épées que leur beauté ferait attribuer 4 Vulcain qui passait pour forger
le fer avec tant d’élégance que l’ouvrage de ses mains paraissait l’ceuvre, non de mortels,
mais d’un dieu.
[...] Velent gengr nvt il smidio oc setz til smidar oc gerir eitt sverd. vij. daga.
oc hinn siavnda dag pa com konongr sialfr til hans oc hevir velent nv algort eitt
sverd pat er aldregi pottiz konongr hafa set vaenna ne bitrlegra. Nv gengr velent
oc konongr med hanom til ar einnar pa tecr velent einn pofa pvers fotar pivdkan
oc kastar iana oc laetr reka firir stravmi oc setr sverz eggina i ana oc hverfir moti
stravminom oc recr povann at sverdino oc tecr eggin i svndr povann. pa maelti
konongr. petta er gott sverd oc petta vill hann sialfr bera. pa maelti velent. petta
er ecki mioc gott sverd oc miclo scal pat betra vera adr en ec letta. konongr gengr
til hallar sinnar oc er hann katr.
94
Economies et sociétés
Velent feRr nv til smidio oc tecr eina pel oc pelar petta sverd alt isvndr i
svarf eitt. Nv tekr hann svardit oc blandar / vid miol. oc pa tecr hann alifvgla
oc sveltir pria daga oc pa tecr hann miolet oc gefr fvglonvm at eta. pa tecr hann
savr fvglana oc laetr coma i afl oc fellir oc vellr nv or iarnino alt pat er deigt var
i. Oc par af gerir hann eitt sverd oc er petta minna en hit fyRra. Nv er albvit
15 er sverdit. pa koemr konongr til velentz oc pegar er hann ser sverdit pa vill hann
sialfr bravt hafa. oc aldregi kverdr hann betra grip faz ne finnaz en pat sverd.
Pa maelti velent. heRra petta er gott sverd oc enn scal pat betra vera. Ganga
peir nv til arennar. kastar velent pofa firir sverdittveggia feta pivckan oc tecr
petta sverd svndr povann sem hit fyRa. Oc konongr segir at ei man fa gort betra
sverd po at vid leiti. Velent segir at hann scal gera pat halfo betra. Kononge likar
petta vel oc gengr heim til hallar sinnar oc er gladr. Velent feRr til smidio sinnar
oc pelar petta sverd allt i svndr oc feRr a samo lund med sem fyRr hafdi hann
farit. Oc pa er lidnar ero / priar vicvr pa hefir velent gort eitt sverd skygt oc merct
gvlli oc hialtat fagrt.
Nv koemr konongr til velent oc ser sverdit oc pydkiz hann aldregi hafa sett
betra sverd ne bitrlegra en petta er. Oc petta er skaplega mikit sverd en hin varo
meiri en lagi gegndi er fyRr hafdi hann gort. Nv ganga peir til arennar. oc hevir
velent i hendi ser einn pova priggia feta pivkan. oc sva langan oc kastar i ana
oc pesso sverdi heldr hann kyRro ianni. oc recr povann at sverz egginni oc tecr
30 svndr pofann iam slett sem sialfan stravminn. Pa maelti nidongr konongr. po
at leiti vm alla verold pa man eigi finnaz iam gott sverd sem petta er. oc petta
sverd scal ec hava hvert sinni er ec skal beriaz vid mina ovini.
Thidrekssaga, 103-107, Halle, éd. par H. Reuschel, 1934, pp. I9 4 21.
Traduction
[...] Wieland se rendit alors 4 sa forge, se mit au travail et fit en sept jours une épée.
Le septiéme jour, le roi lui-méme vint a lui. L’épée était déja terminée et Nidung [le roz]
pensait n’en avoir jamais vu une qui fut si belle ni si tranchante. Ils se rendirent prés d’une
riviére. Wieland prit un flocon de laine épais d’un pied, le jeta dans Peau au gré du courant.
Puis il plongea l’épée dans |’eau, le tranchant dirigé contre le courant, de telle maniére que le
flocon fut poussé vers l’épée et tranché. Le roi dit : « L’épée est bonne » et il la voulut pour
lui. Wieland répondit : « Elle n’est pas remarquablement bonne; il faut qu’elle devienne
meilleure; je ne m’arréterai pas auparavant ». Le roi rentra de bonne humeur dans sa demeure.
Wieland se remit 4 sa forge, prit une lime, découpa l’épée en tous petits copeaux et y
méla de la farine. Puis il laissa des oiseaux apprivoisés jeiner trois jours et il leur donna
ce mélange a manger. I] mit dans le foyer de sa forge les excréments des oiseaux, fondit et
fit sortir du fer tout ce qu’il renfermait encore de scories, et il en forgea ensuite de nouveau
une épée; celle-ci était plus petite que la premiére. Quand elle fut enti¢rement terminée, le
roi vint vers lui. Aussit6t qu’il eut vu l’épée, il voulut la conserver pour lui, disant : « Jamais
je n’ai recu ou vu joyau plus précieux ». Wieland répondit : « Seigneur, cette épée est bonne,
mais elle deviendra meilleure encore ».
Ils retournérent 4 la riviére. Cette fois, Wieland jeta devant l’épée un flocon épais de
deux pieds, et il fut tranché comme le premier. Le roi déclara que l’on ne pourrait nulle
part trouver 4 contempler une meilleure épée, si loin que lon aille. A cela, Wieland répondit
qu’il ’améliorerait encore d’autant. Cela plut au roi et il rentra joyeux dans sa demeure.
Wieland retourna a sa forge, découpa l’épée tout entiére et opéra comme la premiere fois.
Aprés trois semaines, il avait fabriqué une épée qui était étincelante, incrustée d’or et munie
d’une belle poignée. On la tenait aussi bien en main. Les premiéres épées que Wieland avait
95
LES ROYAUMES BARBARES
fabriquées étaient plus grandes qu’il n’est d’usage. Le roi rechercha Wieland de nouveau,
contempla l’épée et affirma qu’elle était la plus tranchante et la meilleure qu’il ett jamais
vue. Ils retournérent a la riviére; Wieland prit en mains un flocon de laine épais de trois pieds
et de méme longueur et le jeta dans la riviére; il tenait tranquillement l’épée dans l’eau; le
flocon fut porté contre le tranchant, et l’épée trancha le flocon de maniére aussi lisse que le
courant d’eau lui-méme. Alors, Nidung s’exclama : « On aura beau chercher 4 travers le
monde tout entier, jamais on ne trouvera une seconde épée aussi bonne que celle-ci ». Wieland
répondit : « Seigneur, je n’accorderai 4 personne d’autre qu’a toi la possession de cette épée,
si elle est vraiment qualifiée. Mais je veux encore lui faire un fourreau et un baudrier
avant de te la donner ». Le roi s’en déclara d’accord et rentra chez lui satisfait (cf. p. 97
ci-contre, note I).
Commentatre
1. Ajoutez les représentations du Psautier d’Utrecht. Cf. infra, documents 122, 123 et 124.
2. Document tiré de Edouard Sain, La Civilisation mérovingienne, t. III, Paris, Picard,
1957, planches VII et VIII, et texte 250 pp. 275-278.
3. Voir E. SALIN, op. cit., pp. 57-115.
ay.
LES ROYAUMES BARBARES
particuliérement courantes chez les Alamans. I distingue deux parties dans l’épée : les bords
(40, 1. 3) et les parties médianes (40, 1. 5), ce qui est confirmé par les trois épées du document 42-
De méme, en regardant, on comprend ce qu’il décrit en parlant de vermisseaux et de métal
clair entrelacé de diverses couleurs : les parties médianes des lames offrent un jeu curieux
de dessins en réseaux (42, épées de gauche et du centre) ou en chevrons inversés (42, épée de
droite.
Comment ont été fabriquées chacune des deux parties de ces épées ? Les analyses macro-
graphiques de laboratoire montrent que l’4me est faite d’un damas de corroyage et que les
tranchants ont été rapportés par soudure. Le damas consiste 4 souder entre elles des bandes
alternées de métaux de nuances différentes, trois de fer doux de couleur noire, par exemple,
et quatre de fer carburé de couleur blanche. On obtenait une barre feuilletée de section 4
peu prés carrée. Puis on la torsadait de diverses maniéres. C’est ainsi que (document 42) les
trois bandes torsadées de l’épée centrale donnent un réseau d’aspect moiré, tandis que les
trois autres bandes de l’épée de gauche sont tantdét torsadées, tantét rectilignes, ce qui compose
une alternance de damas. Enfin, sur l’épée de droite, sur chaque face, deux barres ont été
torsadées en sens inverse, ce qui donne des chevrons inversés. Ainsi s’explique la description
de Cassiodore sur les jeux d’ombre et de lumiére du métal (40, 1. 6).
Ensuite, il fallait prendre deux barreaux de métal homogéne que Il’on soudait a l’4me
pour en faire les tranchants, que l’on polissait a la lime réguliérement (40, |. 4). A moins
qu’on ne les passat 4a la meule comme nous le montre un dessin du Psautier d’ Utrecht 1. La
pierre a aiguiser et le polissage au sable (40, 1. 7 4 9) donnaient une arme d’une beauté parfaite
et d’un fini remarquable, et ’on comprend que Cassiodore n’ait pas eu trop de toutes ses
ressources rhétoriques pour exprimer son admiration (40, l. 6). .
Les qualités de l’arme ainsi obtenue étaient encore plus extraordinaires. Elle était trés
mince (§ mm d’épaisseur) et trés élastique, l’4me damassée jouant le rdéle d’une espéce de
contre-plaqué, et pouvait résister trois fois plus a la flexion que les lames ordinaires. Ce qui
était nécessaire, puisqu’elle était maniée pour frapper de plein fouet, aprés plusieurs moulinets.
Les tranchants étaient remarquablement acérés : certains cranes retrouvés dans les sépultures
ont été parfaitement décalottés par un coup d’épée longue, sans aucune esquille ni éclatement
de l’os. Ce qui renforce l’affirmation de Cassiodore qu’elle pouvait trancher les armures
(4e, 1. 1) et de la légende de Wieland (41, 1. 6) sur les flocons de laine sectionnés par le fil de
VParme. Les forgerons ont su obtenir ces deux qualités contradictoires, l’élasticité et le tran-
chant, par des procédés empiriques que, seule, l’analyse chimique du métal a pu révéler.
Le fer de ame est presque pur, alors que les tranchants contiennent 0,3 % de carbone pour
Pépée de droite (document 42), parfois 0,4 4 0,6 %, ce qui permet d’avoir un acier trempé.
Cette faible teneur en carbone, juste au-dessus de la teneur limite, explique que la soudure
entre les tranchants et Ame ait été possible.
Enfin, l’analyse chimique révéle, dans les tranchants, la présence d’azote. L’azote abaisse
la température de solubilité du carbone dans le fer 4 590° au lieu de 723°. Cette carbo-nitru-
ration, aujourd’hui courante dans la sidérurgie, a pour résultat de durcir considérablement
l’acier des tranchants. Du coup, le récit, au premier abord ahurissant, des copeaux de fer
manges par les oiseaux (texte de Wieland, 41, 1. 11), prend une allure véridique. Le contact
avec les mati¢res organiques des oiseaux riches en azote procurait ce dernier corps au métal.
Enfin, il ’épurait de ses scories, ce que notre légende dit aussi (41, 1. 12). Et voila pourquoi
une ame damassée souple voisinait avec des tranchants durs. De telles performances néces-
98
Economies et sociétés
sitaient un travail trés long, plusieurs semaines (41, 1. 22), tout en expliquant le respect quasi
divin que l’on portait a ces épées (Cassiodore, 40, l. 12) et au forgeron (41, 1. 29) au point
den faire un héros d’épopée.
L’analyse de ces textes et de ces épées montre donc ce qui faisait la supériorité de ’arme-
ment barbare sur celui des Romains. Elle est d’autant plus étonnante que leurs techniques
étaient extrémement rudimentaires et que la qualité de Vacier obtenu était la meilleure.
Plus qwun bijou, l’épée longue était le bien par excellence. Le Moyen Age resta marqué
par cette mystique de l’épée.
CHAPITRE III
DOSSIER SUR
la persécution arienne en Afrique
De tous les peuples barbares ariens, les Vandales furent les plus violents envers les
catholiques. En 483, plusieurs milliers sont déportés vers le sud. Victor de Vita décrit ici
(document 43) une étape : le camp ou les prisonniers sont parqués est tellement étroit que
personne ne peut se déplacer. Les gardes Maures, malgré leurs menaces, ne peuvent les
empécher de chanter.
Beaucoup moururent le long de la route. La mosaique d’Uppenna, qui, par ses caractéres
épigraphiques byzantins, est légérement postérieure 4 533, perpétue le souvenir de cette quin-
zaine d’hommes et de femmes, martyrs, qui succombérent la (documents 44 et 45).
100
L’Eglise et les mentalités
mientibus Uuandalis vix clam ammisi sumus intrare, quid introeuntes veluti
Io in gurgite luti usque ad genua coepimus mergi, illud tunc Hieremiae videntes
fuisse completum : « qui nutriti sunt in croceis, arnplexati sunt stercora sua
(Thren. Iv, 5). Quid multa? Praecepti sunt undique perstrepentibus Mauris
ad iter, ubi destinati fuerant, praeparari. Exeuntes itaque die dominica linita
habentes stercoribus uestimenta, facies simul et capita, a Mauris tamen crudeliter
T5 minabantur, hymnum cum exultatione Domino decantantes : « Haec est gloria
omnibus sanctis eius» (Ps. CXLIX, 9).
Traduction
[...] L’ennemi [...] cherche les réduits les plus sordides pour y incarcérer l’armée de
Dieu. Alors on leur refuse méme la consolation de recevoir des visites; on place des senti-
nelles aux portes, on les tourmente gravement. Les confesseurs du Christ sont tassés les uns
sur les autres, vu lexiguité du lieu, comme une nuée de sauterelles ou, pour parler plus exac-
tement, comme les grains du plus précieux froment. Dans cet entassement, il n’y avait pas
moyen de s’écarter pour satisfaire ses besoins naturels. Sous l’effet d’une nécessité pressante,
ils faisaient leurs excréments et urinaient sur place. L’affreuse puanteur était alors un tour-
ment pire que tous les autres. En soudoyant a grands frais les Maures, nous fimes admis
parfois, pendant le sommeil des Vandales, 4 pénétrer en secret jusqu’a eux. A entrée, nous
nous sentimes plonger jusqu’aux genoux dans un abime de fange. Nous voyions alors l’accom-
plissement de la parole de Jérémie : « Ceux qui avaient été élevés dans la pourpre ont embrassé
leurs propres excréments » (JEREMIE, Lamentat, IV, 5). Finalement les Maures, hurlant de
partout 4 la fois, leur enjoignirent de se préparer pour la suite du trajet prévu. Ils sortirent
donc un dimanche, les vétements et la face souillés d’immondices; mais, malgré les cruelles
menaces des Maures, ils chantaient avec exultation cet hymne au Seigneur : « Voyez la gloire
réservée A tous ses saints » (Ps. CXLIX, 9) 1.
101
LES ROYAUMES BARBARES
Traduction
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bd * N RS ‘ é =
Traduction
L’oisiveté est ’ennemie de l’Ame. Les fréres doivent donc consacrer certaines heures
au travail des mains et d’autres 4 la lecture des choses divines. C’est pourquoi nous croyons
pouvoir régler l'une et l'autre de ces occupations de la maniére suivante.
103
LES ROYAUMES BARBARES
De PAques jusqu’aux calendes d’Octobre, les fréres sortiront dés le matin pour s’employer
aux travaux nécessaires, depuis la premiére heure du jour jusqu’a la quatriéme environ;
depuis la quatriéme jusque vers la sixiéme, ils s’adonneront 4a la lecture. :
Aprés la sixiéme heure, leur diner fini, ils se reposeront sur leur lit dans un parfait silence.
Si quelqu’un veut lire, il pourra le faire, pourvu qu’il n’incommode personne *. On dira
None plus tot qu’a l’ordinaire, environ a la huitiéme heure et demie. Aprés quoi, ils se mettront
a VPouvrage jusqu’aux Vépres.
Si les fréres se trouvent obligés par la nécessité ou la pauvreté a travailler eux-mémes aux
récoltes, ils ne s’en affligeront pas; c’est alors qu’ils seront vraiment moines, lorsqu’ils vivront
du travail de leurs mains, a l’exemple de nos Péres et des Apétres. Que tout, néanmoins, se
fasse avec modération, par égard pour les faibles.
A partir des calendes d’Octobre jusqu’au commencement du Caréme, les fréres vaque-
ront a la lecture [depuis le matin] jusqu’a la fin de la deuxiéme heure; 4 la deuxiéme heure
on dira Tierce. Ensuite, ils travailleront jusqu’a la neuviéme heure a l’ouvrage qui leur a été
enjoint. Au premier coup de None, ils quitteront tous leur travail, de fagon a étre préts quand
le second coup sonnera. Aprés le repas, ils s’appliqueront 4 leurs lectures ou a l’étude des
psaumes.
Durant tout le Caréme, ils s’occuperont a la lecture depuis le matin jusqu’a la fin de
la troisiéme heure; ils travailleront ensuite jusqu’a la dixiéme heure entiére selon ce qui leur
a été ordonné. :
Durant le Caréme, qu’ils regoivent tous chacun un livre de la bibliothéque, qu’ils liront
en entier a tour de réle; les livres seront donnés au début du Caréme.
Le dimanche, tous vaqueront 4 la lecture, excepté ceux qui sont employés 4 divers
offices. Si toutefois quelqu’un était si négligent et paresseux qu’il ne vouldt ou ne put ni
méditer, ni lire, on l’appliquera 4 quelque travail, afin qu’il ne demeure pas oisif. Quant
aux fréres infirmes ou délicats, on leur donnera tel ouvrage ou métier qui les garde de l’oisi-
veté, sans les accabler ni les porter a s’esquiver. L’abbé doit avoir leur faiblesse en consi-
dération.
x1. Si quis facit colloquium cum saeculari sine iussu, xxII1I psalmos. Si quis
quando consummaverit opus suum (et alius) non requirit et fecerit aliquid, viginti
III psalmos cantet. Si fuerit aliquis bilinguis et conturbet corda fratrum, 1 diem
in paxmatio et aqua. Si quis manducaverit in domo aliena, sine iussu et venerit
domui suae, I diem paxmatio. Vel qui ambulaverit in saeculo et dicit de saeculi
peccato diem unum in pane et aqua. Et tepidus, qui aliquem audierit murmu-
1. La lecture mentale n’existe pas 4x cette époque. On lit toujours A haute voix, ce qui
pouvait géner les voisins.
104
L’Eglise et les mentalités
Traduction
x1. Si quelqu’un bavarde sans un ordre avec un laic, 24 psaumes. Si quelqu’un, lorsqu’il
a fini son travail, n’en demande pas un autre et fait quelque chose sans un ordre, qu’il chante
24 psaumes. Si quelqu’un est bilingue, et qu’il trouble les cceurs des fréres*, un jour au pain
recuit et 4 eau. Si quelqu’un a mangé dans une maison étrangére sans un ordre et regagne
sa propre maison, un jour au pain recuit. Ou bien si quelqu’un qui a marché dans le monde,
parle d’un péché du monde, un jour au pain et a eau. Et le ti¢de qui aura appris que quelqu’un
murmure ou commet du scandale ou fait quelque chose contre la régle et y a consenti en
s’éloignant de la confession, un jour au pain recuit.
xu. Si quelqu’un met un frére en colére et qu’aprés il s’en excuse, mais que celui-ci
ne l’oublie pas et ’envoie a son supérieur, celui qui l’a mis en colére, 24 psaumes, et l’autre
un jour au pain et a l’eau. Si quelqu’un réclame quelque chose et que l’économe l’interdit,
puis que l’abbé l’ordonne, cing jours. Si quelqu’un ne vient pas a la priére a table et aprés
le repas, qu’il chante douze psaumes. Si quelqu’un dort pendant la priere, et que cela est
fréquent, douze psaumes, si cela est rare, six psaumes. Si quelqu’un ne dit pas Amen ?,
30 coups. S’il a oublié une heure, les quinze psaumes, des cantiques des degrés *, sauf pour
les matines en hiver, douze psaumes. Si quelqu’un vient a la messe, avec sa ceinture de nuit
ou son vétement de nuit, 12 psaumes.
xu. Si quelqu’un mange avant none, le jeudi et le vendredi, 4 moins qu’il ne soit malade,
quw’il vive deux jours au pain et a l’eau. S’il a menti involontairement, cinquante coups;
105
LES ROYAUMES BARBARES
s’il ’a fait sciemment et orgueilleusement, deux jours au pain et 4 l’eau. S’il nie avoir menti,
sept jours au pain et a l’eau. Si un moine a dormi dans la méme maison qu’une femme, deux
jours au pain et a l’eau; s’il ignorait qu’il ne devait pas le faire, un jour. Si quelqu’un ne ferme
pas l’église, douze psaumes. Si quelqu’un a craché et touche l’autel, vingt-quatre psaumes ;
s’il atteint le mur, six. S’il oublie de chanter ou de lire, trois psaumes [...]
Celui qui ose faire un voyage sans la permission du supérieur, et vague librement de-ci
de-la, sans aucune nécessité, qu’on le corrige par cinquante coups de fouet.
Traduction
Grégoire, qui appartenait a la nation romaine, avait Gordien pour pére. II siégea 13 années,
6 mois, 10 jours. I] a composé des homélies sur les Evangiles au nombre de quarante, d’autres
sur Job, Ezéchiel, le Pastoral et des Dialogues et beaucoup d’autres ouvrages que nous ne
pouvons énumérer. A cette méme époque arriva « Romanus », patrice et exarque de Rome;
et, lorsqu’il revint 4 Ravenne, il s’empara des cités qui étaient tenues par les Lombards : Sutri,
« Polimartium », Orte, Todi, Amelia, Pérouse, « Luciolis » et beaucoup d’autres. A la méme
époque, le bienheureux Grégoire envoya en mission les serviteurs de Dieu, « Mellitus »,
Augustin et Jean, accompagnés de plusieurs autres moines craignant Dieu; il les envoya
précher le peuple des Angles afin de les convertir au seigneur Jésus-Christ. Il ajouta dans la
récitation du canon loraison Diesque nostros in tua pace dispone et plusieurs autres.
I] fit construire pour le bienheureux apdétre Pierre un ciborium d’argent pur a quatre
106
L’Eglise et les mentalités
colonnes. II fit suspendre un rideau de pourpre au-dessus de son corps et le décora avec de
Por trés pur d’un poids de 100 livres. I] décida qu’on célébrerait des messes sur le corps
de saint Pierre; il fit la méme chose pour I’église du bienheureux apétre Paul. C’est vers la
méme époque qu’il procéda a la dédicace sous le vocable de la Bienheureuse martyre Agathe,
de Véglise des Goths, qui était dans le quartier de Suburre. Il transforma sa demeure en
monastere.
Il mourut et fut enseveli dans la basilique du bienheureux apdétre Pierre, devant la
sacristie, le 12 du mois de Mars. II fit deux ordinations, l’une pendant le Caréme et |’autre
pendant le septiéme mois : en tout 39 prétres, 5 diacres; il ordonna 62 évéques dans diverses
localités. Le si¢ge pontifical demeura vacant pendant 5 mois et 18 jours.
Commentaire
Le Liber Pontificalis est une des meilleures sources historiques du Haut Moyen Age,
peut-étre méme de tout le Moyen Age. Les auteurs en sont inconnus. C’est un recueil de notices
biographiques relativement courtes concernant chacun des papes. Une premiére partie,
des origines a Silvére, a été rédigée sous Hormisdas (514-523). Elle fut remaniée durant le
premier tiers du VI° siécle et on y ajouta, par groupes, d’autres vies de papes. Les notices de
Pélage II (579-590) et de Grégoire ont di étre rédigées quelque temps aprés la mort de ce
dernier.
Ce texte peut ainsi étre analysé : Grégoire siégea 13 ans 6 mois et 10 jours. II s’illustra
par ses écrits, dirigea la conversion des Angles, développa le culte de saint Pierre et dédia
léglise des Goths a sainte Agathe. I] vit l’exarque Romanus prendre aux Lombards plusieurs
villes. Il fut enterré 4 Saint-Pierre.
Au moment out débute le pontificat de Grégoire, la situation de l’Italie a radicalement
changé par rapport aux temps du royaume ostrogoth et du retour des Byzantins. En 568,
les Lombards sont entrés en Italie ', et toute l’ceuvre de reconquéte byzantine s’est écroulée.
Maitres de l’Italie du Nord, les Lombards ariens se sont installés en Toscane et ont fondé
un duché a Spoléte, un autre 4 Bénévent. Les villes restées romaines, principalement Ravenne
et Rome, sont constamment menacées. C’est pourquoi ’empereur Maurice (582-602) créa
un fonctionnaire spécial chargé de défendre et d organiser les territoires subsistants,
lexarque. Le premier exarque fut Smaragde en 584. Les circonstances de l’accession au siége
pontifical de Grégoire sont des plus tragiques : la ville de Rome, menacée par les Lombards,
vient de subir une inondation du Tibre. Ce qui provoqua une famine et entraina une épidémie
de peste dont mourut son prédécesseur, Pelage II. De plus, un roi lombard décidé 4 en finir
avec les possessions romaines, Agilulf, monte sur le tréne de Pavie, le 5 septembre 590.
La notice précise fort bien la durée du pontificat de Grégoire et la date de sa mort (48, l. 1,17).
On peut, par référence avec la correspondance du pape, trouver les dates du 3 septembre 590
et du 12 mars 604. Mais le temps de la vacance (§ mois, 18 jours) doit étre erroné, car l’ordi-
nation de Sabinien, son successeur, tombe le 30 aott 604, si on ajoute cette vacance. Ou, sinon,
le 13 septembre, si l’on tient compte de la durée du pontificat de Sabinien.
La personnalité de Grégoire n’est pas évoquée. Son origine romaine seule est mentionnée
avec le nom de son pére. Ses parents, membres d’une grande famille romaine, ont résisté
a la mode qui consistait 4 donner aux enfants un nom barbare. La famille des Gordiens fut
illustrée par son trisaieul, pape sous le nom de Félix III (483-492).
107
LES ROYAUMES BARBARES
Le biographe passe sous silence le fait que Grégoire ait été préfet de Rome puis apo-
crisiaire 4 Constantinople jusqu’en 585. Parmi les autres personnages cités, il faut remar-
quer l’exarque « Romanus ». Nommé 4 la fin de l’année 589 par l’empereur, a la place de Sma-
ragde, il inaugure une politique d’offensive contre les Lombards. I] mourut vers 596. Quant
aux apotres de l’Angleterre (48, 1. 7), Jean est inconnu, Melliton fut le chef de la deuxiéme
mission, envoyée en 601 pour renforcer Augustin, lequel est le plus important des trois,
le véritable fondateur de l’Eglise d’Angleterre.
Des sept places fortes nommeées ici (48, 1. 5-6), deux, Sutri et « Polimartium », sont aux
confins de la Toscane et du futur duché de Rome; les cing autres sont toutes situées le long
d’une voie romaine, qui traversait le Tibre 4 Orte, suivait le fleuve jusqu’a Pérouse et fran-
chissait l?Apennin par un défilé au-dessus de Cagli, défendu par le castrum « Luciolis », puis
rejoignait la voie Flaminienne pour se terminer 4 Ravenne. Cette route était absolument
capitale pour le gouvernement impérial. Sa maitrise assurait les communications entre ces
deux grandes villes et isolait les Lombards de Spoléte d’avec ceux de Toscane.
C’est dans ce cadre historique et géographique que se déroule le pontificat de Grégoire.
Il faut remarquer que le biographe a bien délimité le domaine des affaires politiques dont le
pape semble absent, de l’action personnelle du pontife sur les plans missionnaire, littéraire et
liturgique. En effet, la campagne de « Romanus » est décrite séchement. Elle eut lieu en 590,
en liaison avec les Francs qui lachérent pied, puis elle reprit en 592. C’est au cours de cette
derniére qu’il enleva les villes citées ci-dessus au duc de Spoléte, Ariulf. Encore n’y parvint-il
qu’en dégarnissant Rome de ses troupes, ce qui permit au roi lombard Agiluf d’assiéger
(sans succés) cette derniére. I] en résulta une brouille avec l’exarque et avec Constantinople,
car le pape cherchait surtout la paix avec les Lombards, en espérant les convertir. I] refusait
donc toute reconquéte et aurait voulu que l’exarque, dont les forces étaient trop faibles, le
suivit dans sa politique de paix. Il n’y parvint qu’en septembre 603, mais le nouvel exarque
garda les conquétes de « Romanus ». De tout cela, le biographe pontifical, fort prudent, pré-
fére ne point parler. L’accord entre le Pape et l’Empereur est censé toujours exister.
La préoccupation missionnaire semble, en effet, avoir été constante chez Grégoire.
Ayant appris que les Bretons refoulés par les envahisseurs Anglo-Saxons ! dans l’ouest de
Vile refusaient d’évangéliser ces paiens qui les chassaient de leurs terres, il décida d’y envoyer
une équipe d’une quarantaine de moines, sous la direction d’Augustin. Ce dernier fut arraché
au monastére fondé par le pape. En effet, Grégoire lui-méme a été moine aprés la mort de
son pére et de 585 4 son élection. I] a transformé sa maison (48, l. 16) du «clivus Scauri» en un
monastére qu’il dédia 4 saint André. C’est l’actuelle église Saint-Grégoire sur le Monte Celio.
Il y avait adopte la régle de saint Benoit. Grégoire est donc le premier moine devenu pape
et le premier a lier si étroitement vocation monastique et évangélisation en enlevant Augustin,
prieur de Saint-André, a la paix du cloitre pour ’envoyer en Angleterre en 596. Ce n’est
qu’en 597 que ce dernier débarqua dans le Kent. Il convertit le roi Ethelbert, puis le reste de
son peuple; créé archevéque de Cantorbéry, il installa ensuite Melliton comme évéque dans
les ruines de Londres.
C’est encore une préoccupation missionnaire qui poussa Grégoire A transformer |’ Eglise
des Ostrogoths ariens en Eglise catholique. La dédicace eut lieu en 591 ou 592. Elle prouve
que les derniers ariens avaient disparu de Rome; le dernier évéque hérétique connu est men-
tionné en 537. Agathe (48, 1. 15) fut martyrisée en Sicile en 251. L’Eglise de Rome possédait
de nombreux domaines en Sicile, ce qui explique l’adoption du culte de cette martyre par
1. Voir document 5.
108
L’Eglise et les mentalités
1. Dans la récente traduction du Canon, elle est ainsi libellée : « Assure toi-méme la
paix de notre vie... ».
109
LES ROYAUMES BARBARES
En 743 ou 744, un concile réuni dans le Hainaut 4 Leptines fit, entre autres, un catalogue
des pratiques paiennes toujours vivantes et des superstitions. On remarque ici la transforma-
tion des anciennes fétes paiennes, dont la signification s’oublie, en superstitions et en folklore,
ainsi que les déviations du culte des saints.
IV. Decrevimus quoque, quod et pater meus ante praecipiebat, ut qui paganas
observationes in aliqua re fecerit, multetur et damnatur quindecim solidis. [...]
Karlomanni principis capitulare Liptinense (an 743), M.G.H. Capitularia
regum Francorum t. I, Hanovre, éd. par A. Boretius et F. Walter, 1883, p. 26;
Corpus Iuris Germanici antiqui, t. II, Berlin, 1824, p. 21.
110
L’Eglise et les mentalités
Traduction
IV. Nous décrétons aussi, chose que mon pére avait ordonnée auparavant, que celui qui
aura observé de quelque maniére des pratiques paiennes sera condamné a payer une amende
de quinze sous.
111
LES ROYAUMES BARBARES
Wynfrid, moine anglo-saxon (672-675/754), baptisé sous le nom de Boniface, est l'un
des principaux auteurs de la réforme de |’Eglise au vil siécle. Dans sa lettre au pape Zacharie
écrite en janvier-mars 742, il lui annonce la fondation de trois évéchés, Wurzburg, Burberg
et Erfurt, et réclame des instructions pour réformer les églises de Gaule qui ne se sont pas
réunies en synode depuis plus de quatre-vingts ans et dont le clergé est indigne.
Li
L’Eglise et les mentalités
Traduction
Au Seigneur trés cher, 4 Zacharie homme apostolique, revétu de la charge du trés haut
pontificat, Boniface serviteur des serviteurs de Dieu.
[...] Il est nécessaire que nous indiquions 4 votre Paternité, que puisque les peuples de
la Germanie ont été quelque peu frappés et corrigés par la grace de Dieu, nous avons ordonné
trois évéques et délimité une province en trois diocéses. Et nous désirons, en vous en priant,
que ces trois places fortes ou villes dans lesquelles ils sont établis et ordonnés voient leur
statut confirmé et consolidé par les écrits de votre autorité. Nous avons décidé que le premier
si¢ge épiscopal se tiendrait dans le chateau dénommé Wiirzburg, le second dans la place
forte que l’on appelle Biirberg ! et le troisiéme dans le lieu dit Erfurt, qui fut jadis une ville
de paysans paiens. Nous vous demandons de fortifier et de confirmer rapidement ces trois
lieux par une charte personnelle de votre autorité apostolique, afin que, si le Seigneur le veut,
trois siéges épiscopaux soient fondés et consolidés en Germanie par l’autorité et le précepte
de saint Pierre, sur les ordres apostoliques, et que les générations présentes et futures ne ten-
tent, soit de détruire les diocéses, soit de violer un précepte du siége apostolique.
Que Votre Paternité apprenne en méme temps que Carloman, duc des Francs, lorsque je suis
venu le trouver, m’a demandé que |’on entreprenne de réunir un synode dans un lieu du royaume
des Francs qui est en son pouvoir. Et il a promis de corriger et de rectifier la discipline ecclé-
siastique qui a été foulée aux pieds et mise en piéces depuis bien longtemps, c’est-a-dire
depuis au moins soixante ou soixante-dix ans ®. Par conséquent, s’il veut vraiment accomplir
cela avec l’aide de Dieu, je dois posséder et connaitre l’ordre et le précepte de votre autorité,
c’est-a-dire du siége apostolique. Les Francs, en effet, 4 ce que disent les vieux, n’ont pas réuni
de synode depuis plus de quatre-vingts ans °; ils n’ont pas d’archevéque et n’ont fondé ou
restauré nulle part les statuts canoniaux des cathédrales. Dans la majeure partie des cas, dans
les cités, les siéges épiscopaux sont livrés a des laics cupides pour en prendre possession ou
a des clercs adultéres, coureurs et vendus, pour en jouir de maniére mondaine. Si donc je
dois entreprendre et animer cette affaire 4 la demande du duc susdit et sur votre ordre, je
désire avoir sous la main un précepte et une décision du siége apostolique avec les canons
ecclésiastiques.
S’il m’est arrivé de trouver parmi les gens qu’ils appellent diacres des individus plongés
depuis l’adolescence dans la débauche, ladultére et toutes sortes d’ordures, qui sont parvenus
au diaconat, et qui, une fois diacres, ont quatre, cinq ou plusieurs concubines la
nuit dans leur lit, ne rougissent pas cependant et ne craignent pas de lire l’Evangile et de
s’appeler diacres, puis qui, ensuite, au milieu de telles souillures, arrivent a l’ordre de la pré-
trise, s’endurcissant dans ces mémes péchés et ajoutant les péchés aux péchés, affirment
en s’acquittant de leur charge de prétre qwils peuvent intercéder pour le peuple et offrir
ab
LES ROYAUMES BARBARES
le saint sacrifice; s’il m’est arrivé de trouver tout cela, dis-je, récemment, ce qui est encore
pire avec de tels antécédents montant de grade en grade, ils sont nommeés et ordonnés évéques!
Il faut donc que je tienne un ordre et un écrit de votre autorité pour savoir ce que vous décidez
en de tels cas; les pécheurs seront alors confondus et convaincus d’erreurs par la réponse
apostolique. On trouve parmi eux des évéques qui, bien qu’ils affirment ne pas étre forni-
cateurs ou adultéres, sont en réalité ivrognes, hébétés ou chasseurs et qui combattent a l’armée
les armes a la main et répandent de leur propre main le sang des hommes, celui des paiens
comme celui des chrétiens.
114
DOSSIER SUR
la culture intellectuelle
Traduction
115
LES ROYAUMES BARBARES
Traduction
[...] 1. Ila été décidé que tous les prétres, qui sont établis dans les paroisses selon la coutume
que nous avons vu pratiquer fort sainement par toute I’Italie, recoivent chez eux, la ou ils
habitent eux-mémes, de jeunes lecteurs, dans la mesure ot ils ne seront pas mariés et qu’ils
s’efforcent, en les nourrissant spirituellement comme de bons péres, 4 les préparer par des
psaumes, A les occuper A des lectures divines, 4 leur enseigner la loi du Seigneur, afin de se
préparer de dignes successeurs et de recevoir du Seigneur les récompenses éternelles. Lorsqu’ils
parviendront a |’4ge parfait, si l’un d’entre eux, a cause de la fragilité de la chair, veut prendre
femme, la possibilité de se marier ne lui sera pas refusée.
Traduction
116
L’Eglise et les mentalités
a Ja connaissance des hommes 4 venir, méme sous une forme grossiére. Je ne pouvais pas taire
les conflits des méchants ni la vie de ceux qui vivent honnétement. J’ai été surtout stimulé
parce que j’ai souvent entendu dire dans mon entourage 4 ma surprise qu’un rhéteur qui
philosophe n’est compris que du petit nombre, mais que celui qui parle la langue vulgaire
se fait entendre de la masse.
Traduction
1. A Vienne (Isére).
Lie
LES ROYAUMES BARBARES
dans une méme bouche les louanges du Christ ne peuvent se marier avec les louanges de
Jupiter. Considérez vous-méme qu’il est grave et criminel pour un évéque de chanter des
vers, chose qui ne convient méme pas a un pieux laic. Et quoique Notre trés cher fils le prétre
Candidus arrivant peu aprés, interrogé sur ce sujet, ait nié fort subtilement et se soit efforcé
de vous excuser, cette accusation ne s’est pas encore éloignée de Notre esprit; car plus il est
exécrable que l’on raconte cela d’un prétre, plus, si cela a vraiment eu lieu ou non, il faut
que l’on en soit dissuadé par une amende honorable, rigoureuse et véritable. Par conséquent,
s’il est clair aprés cela, de maniére évidente, que ce qui Nous a été rapporté est faux, et s’il
apparait que vous ne vous étes pas occupé de frivolité et de littérature mondaine, Nous
rendons graces 4 notre Dieu qui n’a pas permis que votre cceur soit sali par des blasphemes
et des louanges criminelles et Nous Nous occuperons de vous accorder ce que vous Nous avez
demandé, l’4me en paix, loin du doute.
1x. De mundo.
1. Mundus est universitas omnis quae constat ex caelo et terra. De quo
Paulus apostolus ait : praeterit enim figura huius mundi. Secundum mysticum
autem sensum, mundus competenter homo significatur, quia sicut ille ex quattuor
concretus est elementis, ita et iste ex quattuor constat humoribus uno tempe-
ramento commixtis.
2. Unde et ueteres hominem in communione fabricae mundi constituerunt,
siquidem graece mundus cosmos, homo autem micro cosmos id est minor mundus
appellatus, licet et per mundum nonnumquam scriptura peccatores insinuet,
sae) de quibus dictum est : et mundus eum non cognouit.
3. Formatio mundi ita demonstratur. Nam quemadmodum erigitur mundus
in septentrionalem plagam, ita declinatur in australem. Caput autem et quasi
facies orientalis regio, ultima pars septentrionalis. Nam partes eius quattuor sunt.
Prima pars mundi est orientis; secunda meridiana; tertia occidentis ultima vero
15 atque extrema septentrionalis, de qua Virgilius sic ait
Quam circum extremae, dextra laevaque trahuntur
Caeruleae glacie concretae,
et Lucanus
Sic mundi pars ima iacet, quam zona niualis
20 Perpetuaeque premunt hiemes
Traduction
1x. Du monde.
1. Le monde est l’ensemble de toutes choses, qui se compose du ciel et de la terre. L’apétre
Paul dit a son sujet : car la figure du monde passe. Au sens mystique, le monde est proprement
le signe de VPhomme. Car de méme que celui-la est constitué par quatre éléments, de méme
celui-ci se compose aussi d’un mélange de quatre humeurs dont la combinaison forme un seul
étre existant.
118
L’Eglise et les mentalités
2. Par suite les Anciens ont supposé l’homme en union intime avec la structure du
monde, puisqu’en grec le monde est appelé cosmos et l’homme microcosme, c’est-a-dire
monde en miniature. Encore que l’Ecriture laisse entendre quelquefois par monde les pécheurs
dont il est dit : et le monde ne L’a pas connu.
3. La forme du monde se présente ainsi : de la méme maniére que le monde se dresse
vers la région septentrionale, ainsi s’incline-t-il vers la région australe. Sa téte, et pour ainsi
dire son visage, c’est la région orientale, son extrémité la région septentrionale. Car il a quatre
parties. La premiére partie du monde est celle de l’Orient. La seconde, la méridionale. La
troisiéme, celle de l’Occident. La derniére 4 l’extrémité, la septentrionale dont Virgile parle
ene cesutermesin:
A lentour d’elle, aux extrémités s’étendent a droite et 4 gauche
Des régions que recouvre une glace azurée 1.
Et Lucain :
Ainsi git la partie inférieure du monde qu’une ceinture de neige
Et des hivers perpétuels écrasent 2.
Commentatre
Il est habituel d’affirmer que l’Eglise chrétienne a sauvé en Occident la culture romaine
durant l’époque des royaumes barbares. Ce point de vue doit étre confronté avec une réalité
beaucoup plus complexe : devant l’abandon et la transformation du latin parlé en une langue
rustique qui donna naissance aux principales langues européennes actuelles, les gens d’Eglise
ont fait des choix dans la culture classique, en fonction de certains principes d’action.
Les cinq documents suivants jalonnent la transformation et le sauvetage de la culture
romaine par les chrétiens du v® au vite siécle. La lettre de Sidoine Apollinaire date proba-
blement des années 469-472, peu de temps avant l’installation définitive des derniers royaumes
barbares. Cet aristocrate gallo-romain, ancien préfet de Rome, gendre d’un empereur, est le
dernier représentant de la génération des lettrés formés par les écoles publiques de Empire.
Il meurt vers 484. La langue qu’il emploie est absolument parfaite. Le concile de Vaison
est un des nombreux conciles provinciaux tenus par l’épiscopat gaulois. I] eut lieu dans ce
petit évéché de Provence en 529. Grégoire de Tours, dont la premiére rédaction del’ Histoire
des Francs date de 584, est né vers 539. C’est l’aristocrate aquitain devenu évéque qui n’a
pas connu l’Empire et pour qui seule compte l’expansion de l’Eglise. Par contre, Grégoire
le Grand ? est un ancien fonctionnaire qui connait la splendeur de l Empire romain maintenu
a Byzance. Sa lettre date de juin 601. Elle est adressée 4 un évéque Didier qui ne peut étre
que celui de Vienne. Quelques années plus tard, il fut déchu de son siége par suite de la
jalousie de l’évéque de Lyon, puis lapidé sur ordre de Brunehaut, et honoré comme martyr.
Enfin, Isidore de Séville, évéque de cette méme ville d’Espagne du Sud, est considéré comme
le dernier représentant de la culture antique et le premier homme d’esprit médiéval. I] écrivit
en 612-613 le De Natura Rerum qu'il dédia au roi wisigoth Sisebut afin que par ce livre
lignorance et les angoisses apocalyptiques de ses contemporains puissent étre dissipées.
Il mourut en 636. On peut remarquer que tous ces textes ont été écrits en Gaule du Sud, en
Italie et en Espagne, régions fortement romanisées.
LS)
LES ROYAUMES BARBARES
L’analyse de ces cing extraits peut étre ainsi présentée : Sidoine Apollinaire félicite
un de ses amis de son amour pour les lettres et l’encourage 4 préserver le beau langage qui se
perd. Le concile de Vaison décide que chaque prétre, dans chaque paroisse, enseignera a
de jeunes lecteurs les psaumes, les lectures divines et la loi du Seigneur. Grégoire de Tours
se plaint de la disparition de ]’étude des lettres et décide, afin que le souvenir du passé ne dispa-
raisse point, d’écrire en langue vulgaire. Grégoire le Grand reproche a un évéque d’enseigner
la grammaire et de chanter des vers, car, dans la bouche d’un prétre, les louanges du Christ
ne peuvent se marier avec celles de Jupiter. Isidore de Séville définit le monde comme |’ensemble
de toutes choses qui se compose du ciel et de la terre. I] est en union intime avec homme.
Il comporte quatre parties : l’Est, le Sud, Ouest et le Nord.
Le contexte historique enveloppant ces témoignages est trés simple. Dans tous les pays
méditerranéens, l’école antique disparait entre 480 et 535, le latin est adopté par les Barbares
comme langue de culture, mais l’indifférence envers la culture romaine gagne de plus en plus.
Les meilleurs éléments du laicat romain cultivé, en entrant dans le clergé, s’aper¢oivent que
le paganisme est toujours vivant dans les masses rurales. Ce qui fait surgir un conflit entre
leur culture paienne et ce qu’ils doivent enseigner. Le clerc doit donc chercher 4 créer une
nouvelle culture uniquement religieuse afin de répondre aux besoins du moment. La culture
doit changer de but.
La lettre de Sidoine Apollinaire situe bien ce qu’est la culture romaine classique 4 la
fin du v® siécle. L’art d’écrire est congu comme une science (51, 1. 5) que l’on a peiné a
posséder, grace aux coups de baton, (la férule, 51, 1. 6) du grammairien. Celui-ci avait
pour charge, lorsque l’enfant savait lire et écrire, d’enseigner l’orthographe, les auteurs clas-
siques, la prosodie, etc. Venait ensuite le rhéteur qui lui apprenait les régles du discours,
les procédés oratoires et les figures de style. Mais il n’y avait déja plus d’enseignement de la
philosophie, qui était le dernier stade de la culture antique. Sidoine est dans ce cas : il est
un parfait maitre du verbe, un excellent éléve du rhéteur. Il veut préserver la langue latine
surtout des barbarismes (51, 1. 8) créés par le peuple qui parle un latin qui ne vient pas
de l’école. L’éclat du style est, a ses yeux, l’essentiel (51, 1. 10). On a pu dire, en effet, que le
style de Sidoine, issu de la rhétorique asianique, est un style précieux, presque artificiel, tant
il surabonde de comparaisons mythologiques et d’allusions savantes. Cependant, il se rend
compte qu’une grande partie de ceux qui sont passés par l’école romaine ont abandonné
cette culture. Son diagnostic va se révéler juste. Seuls quelques aristocrates sont encore
capables de gotter les belles-lettres romaines.
Durant l’Empire romain, Etat était maitre de l’école et lEglise n’avait jamais songé
a créer d’écoles spécifiquement chrétiennes. Elle admirait trop ’éducation romaine pour vouloir
la changer. Seuls, les monastéres avaient eu quelques initiatives. Entre 480 et 529, l’école
antique disparait. Faut-il la restaurer ou en créer une autre? C’est a cette seconde solution
que les Péres du concile de Vaison s’arrétent. Déja en 527 une solution semblable avait été
prise en Espagne. En Italie, nous n’avons aucune trace de l’exemple.cité ici (§2, 1. 2). Chaque
prétre devait donc prendre chez lui des jeunes lecteurs (52, 1. 3), c’est-a-dire des enfants
destinés a la carriére ecclésiastique. Le grade de lecteur est le premier des ordres mineurs.
Le programme est en trois parties : apprendre comme les moines les 150 psaumes, puis lire
les deux Testaments, c’est-a-dire étre capable de les interpréter, enfin connaitre parfaitement
la loi du Seigneur, c’est-a-dire peut-étre les canons conciliaires. On voit qu’il s’agit surtout
d’un programme de vie spirituelle et d’enseignement de la foi. Le concile veut de dignes
successeurs des évéques et des prétres qui soient compris de tout le monde.
C’est exactement ce que cherche Grégoire de Tours en écrivant. A son époque, prétend-il,
les lettrés romains ont disparu. La dialectique (53, 1. 7) est, 4 ses yeux, le deuxiéme art
120
L’Eglise et les mentalités
1. Voir Helmut BEUMANN, Gregor von Tours und der Sermo Rusticus, Festgabe fur
M. Braubach, 1964, pp. 69-98. Voir les Serments de Strasbourg, document 145.
121
LES ROYAUMES BARBARES
au sens de saint Paul, il y voit l’ensemble de la Création divine. Comme les quatre éléments
primitifs, le feu, l’air, l’?eau et la terre, se retrouvent dans le monde et dans Phomme, Isidore
peut expliquer pourquoi il y a correspondance entre ces deux créations, le monde et l’>homme
(55, 1. 8). Tout le Moyen Age répétera avec lui que l’homme est un microcosme et l’on
partira de l’étude de ’homme pour comprendre le monde. Mais, chose curieuse, Isidore
n’arrive pas ensuite a expliquer la contradiction entre le monde créé, et le monde qui refuse
Dieu (55, 1. 10). Il passe sur ce deuxiéme sens mystique du mot « monde » sans le commenter.
Peut-étre trouve-t-il inutile d’expliquer la différence entre le monde antérieur au péché
originel et le monde postérieur au péché originel en proie aux puissances du mal.
On remarquera ensuite dans sa description des quatre parties du monde qu’il ne commence
pas avec le Nord, comme nous aurions tendance 4 le faire aujourd’hui, mais, par l’Est. Les
images qu’il emploie (55, 1. 12, 13) tournent a l’allégorie, et l’ordre des points cardinaux qu’il
donne tend a privilégier l’Est, le cété du soleil levant, aux dépens du Nord, la zone horrible
que Virgile et Lucain, en bons Méditerranéens, ne pouvaient imaginer qu’avec terreur (§5,
l. 16-20). N’oublions pas que Jérusalem est a l’est, que c’est de la qu’est venu le salut, et l’on
voit ainsi lexplication allégorique qu’il était possible d’en tirer. Toute la pensée symbolique
médiévale est en germe chez Isidore de Séville.
En moins de deux siécles, par conséquent, le beau style des rhéteurs romains et la culture
dune élite privilégiée sont tombés en décadence devant une société qui s’efforce d’étre
chrétienne 4 tous les niveaux sociaux. L’école paroissiale ou épiscopale a été créée, non pour
sauver la culture, mais pour l’évangélisation 1. La culture antique a été vidée de son paganisme
pour étre transformée en une nouvelle culture qui est une propédeutique 4 la connaissance
de Dieu. Au xuI® siécle, cette conception s’exprima ainsi : philosophia ancilla theologiae.
La science est au service de la théologie.
12Z
DOSSIER SUR
larchitecture religieuse
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LES ROYAUMES BARBARES
Commentaire
Une seule exception vaut la peine d’étre signalée. En Catalogne, le groupe épiscopal
de la petite ville d’Egara a subsisté, plus ou moins remanié. Des six sanctuaires existant au
début du vir® siécle, il ne reste que Sainte-Marie, Saint-Pierre et Saint-Michel. Ces trois
édifices sont paralléles et orientés. I] en était de méme en Asie Mineure, en Illyrie, 4 Salone
au v® siécle, a Grado en Italie du Nord, etc. Pour savoir s’il en fut de méme en Gaule méro-
vingienne, on peut interroger les patronages * subsistant dans une cathédrale ou plutét, mieux
encore, s’adresser aux plus anciens plans.
Celui d’Auxerre, qui est ici représenté, date de 1713. La partie en noir de la cathédrale
Saint-Etienne constitue le plan de la crypte terminée vers 1030. Le reste du plan donne les
constructions qui subsistaient au xI® siécle. On remarquera que toutes les églises sont orientées
et paralléles. Saint-Clément ne date pas de l’époque mérovingienne, mais Saint-Etienne
est la deuxiéme cathédrale d’Auxerre dédiée, comme trés souvent, au premier martyr et
inaugurée par l’évéque Amator au début du v° siécle. On supprimait ainsi la premiére cathé-
drale consacrée a saint Pélerin et située en dehors de l’enceinte du 111° siécle. La deuxiéme
église, Saint-Jean-le-Rond, est, comme son nom l’indique, un baptistére dédié A saint Jean-
Baptiste. La troisitme, dédiée 4 Notre-Dame, semble avoir été plus importante a l’époque
mérovingienne que Saint-Etienne car un texte carolingien précise « que lon disait qu’elle
avait la primauté a lintérieur de la cité », C’est donc la preuve que 1’on a choisi plus tard
@’agrandir Saint-Etienne et d’en faire lunique église cathédrale, plutét que Notre-
Dame.
Pourquoi cette disposition? Pour le baptistére, la réponse est évidente : A une époque
ou le paganisme restait trés important, il fallait mettre en valeur dans un édifice séparé du reste
de Péglise les baptémes d’adultes qui devaient étre trés courants. Pour l’église intitulée Notre-
124
L’Eglise et les mentalités
Dame, on s’apercoit qu’elle est souvent située prés de la demeure de Pévéque, comme 4a
Fréjus et a Reims. Il semble, en général, car ce n’était qwun usage, non une régle
absolue, que l’évéque réservait l’église Notre-Dame a son clergé et Pautre église, dédiée 4
saint Pierre, A saint Etienne, 4 d’autres apotres ou a des martyrs, au culte paroissial.
Ainsi s’expliquerait la division en trois églises du groupe épiscopal ', pour cette époque.
I] en fut de méme dans les premiers monastéres d’Occident batis a l’exemple de l’Orient.
Les premiers semblent dater de la deuxiéme moitié du rv siécle. En Gaule, on en construit
beaucoup durant le vir® siécle, mais toujours sur l’exemple oriental. Celui de Jouarre fut fondé
en 630. Le plan ci-joint donne les batiments et les églises au xvulI® et le relevé des fouilles
de l’église funéraire Saint-Paul faites en 1869-1870. Le cloitre principal est contre l’église
Notre-Dame, réservée 4 l’usage monastique; l’église Saint-Pierre servait de lieu de culte
paroissial. Enfin, a l’extrémité du cimetiére, furent construites les célébres cryptes a la fin
du vire siécle. Elles comportent au nord-est un oratoire dédié 4 saint Paul, premier moine
et ermite d’Egypte, et, au sud-est, un peu plus tard, fut édifiée la crypte dédiée a saint Ebrege-
sile. Dans Saint-Paul se trouvent les tombes du fondateur, des trois premiéres abbesses et
d’Agilbert, évéque de Paris; dans Saint-Ebregesile, celle de ce dernier, évéque de Meaux,
cousin du précédent. L’église cimetériale qui était terminée par ces deux cryptes, oti les sarco-
phages étaient soigneusement orientés, faisait vingt métres de long. Le sol primitif était au
méme niveau que celui des cryptes, puis il fut de plus en plus exhaussé pour supporter les
trois étages de sarcophages qu’on y empila. La premiére abbesse, Theodechilde, dut étre,
vu l’épithéete de beata (bienheureuse) que porte son sarcophage, l’objet d’un culte assidu.
Tout ceci révéle ’importance des enterrements dans une église et montre que cet usage est
désormais passé dans les mceurs.
Ces deux plans ont, certes, une valeur exemplaire, mais il ne faut pas en déduire qu’il
en était partout de méme. II y avait souvent un nombre de sanctuaires bien supérieur 4 trois,
comme a Jumiéges, par exemple, jusqu’a six sanctuaires. Si la cause originelle de cette multi-
plicité des édifices religieux du type cathédral ou monastique reste inconnue, son grand
développement dans l’Occident des vI® et vil® siecles ne peut qu’étre attribué a l’énorme
extension du culte des saints, chaque église ou oratoire n’ayant qu’un autel dédié au bien-
heureux. De plus, une liturgie stationale, imitée de celle de Rome, dut se développer; le jour
de la féte de tel ou tel saint, les offices étaient uniquement célébrés dans l’édifice qui lui était
consacré.
Au début du virr® siécle, on prit ’habitude de mettre plusieurs tables d’autel dans une
méme église, chacune consacrée 4 un saint. Cet accroissement du nombre des autels permit,
en méme temps, de regrouper les trois sanctuaires primitifs en un seul. Si bien qu’au Ix®
siécle, une seule grande église cathédrale regroupa les multiples petits édifices de Pépoque
mérovingienne.
1. Au Bas-Empire, les catéchuménes allaient dans la premiére église, puis, aprés avoir
été baptisés dans la deuxiéme, le baptistére, étaient enfin admis dans la troisiéme, celle ot
lon célébrait les mystéres en entier. ; : a
2. Voir J. Hupert, L’ Art préroman, Paris, 1938 et, du méme, L’ Architecture religieuse
du Haut Moyen Age en France, Paris, 1952, et l’Europe des Invasions, Paris, 1967.
125
DOSSIER SUR
larchitecture dite “* wisigothique”’
127
LES ROYAUMES BARBARES
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Commentaire
L’église San Pedro de la Nave fut construite dans une plaine au bord de l’eau prés du
confluent de l’Esla avec le Douro, 4 une dizaine de kilométres 4 l’ouest de Zamora. A la suite
de la construction d’un barrage, elle fut déplacée sur une hauteur voisine en 1934. Elle date
du régne du roi Egika (687-701) et constitue la synthése de tout art espagnol antérieur,
en méme temps que la plus parfaite réussite d’un art nouveau dit « hispano-wisigothique ».
L’art espagnol est un excellent reflet de ’évolution des pays de ancien Empire romain
soumis par les Barbares. Son évolution est identique 4 celle de la politique dans la péninsule.
Aprés une période dite paléochrétienne ou s’imposa l’art romain du Bas-Empire, il passa
par une phase de dualité confessionnelle, tant que les Wisigoths, du v® siécle 4 589, restérent
ariens; puis, aprés la conversion du roi Reccared et de son peuple, apparait au vir® siécle
un art unique ou se mélangent les traditions espagnole, romaine et byzantine avec quelques
apports wisigoths +. En fait, cet art unique est intégralement sous la domination intellectuelle
des Hispano-Romains qui cherchent 4a utiliser de nouvelles formules. Un groupe d’églises
datant de la deuxiéme moitié du vir® siécle, construite en pays de peuplement wisigoth (Castille
et Léon en gros), caractérise cet effort créateur. De ces sept églises épargnées par l’invasion
musulmane, San Pedro de la Nave est la plus intéressante.
Son plan est trés révélateur : une croix inscrite dans un rectangle, le sanctuaire et les
128
L’Eglise et les mentalités
deux porches latéraux faisant saillie, tandis que les deux annexes du chevet sont reliées au
vaisseau central, chacune par une porte et trois petites arcatures sur colonnettes. La nef est
flanquée de bas-cétés et séparée d’eux par des piliers. Elle est couverte d’une charpente
(document 60) comme dans les basiliques, tandis que le reste de l’édifice est voité en berceau;
la croisée des transepts était peut-étre en voite d’arétes. Donc, le plan révéle un conflit ou
un compromis entre l’ancienne forme, celle de la basilique, et la nouvelle, celle de la croix.
Les basiliques romaines du Bas-Empire avaient un plan rectangulaire et, en général, trois nefs
séparées par des piliers ou des colonnes. C’est le cas, par exemple, de la basilique de Son Bou
a Minorque, du Iv® siécle, qui imitait elle-méme des basiliques africaines ou syriennes. Quant
au plan en forme de croix grecque a quatre branches égales, comme ici, ou en forme de croix
latine dans d’autres églises de l’Espagne wisigothique, il est plus récent, mais ne semble pas
étre né dans la péninsule, comme le prétendent les archéologues espagnols. Il est apparu,
en effet, en Occident, a Saint-Jean-de-Latran durant le Iv® siécle. Mais il n’empéche ici
que la combinaison des deux plans est puissamment originale.
La vue extérieure (document 59) permet mieux de se rendre compte de cette originalité.
L’équilibre des volumes est tel que la forme de la croix éclipse la forme basilicale, car le
transept fait corps avec la nef et l’abside rectangulaire. La tour carrée en lanterne a la croisée
accentue cette impression. L’appareil est en pierres de taille, en grés, 4 joints vifs sans mortier,
hautes d’un peu plus de 50 cm et a peine plus longues. Les assises sont réguli¢res comme
dans /’opus quadratum romain classique. Les ouvertures sont petites, pour résister 4 la poussée
des voutes et des arcs. La preuve en est que l’arc de décharge qui surmonte la porte de
Vannexe sud a perdu son linteau de pierre horizontal, brisé par la poussée.
La vue de l’intérieur (document 60) montre des formes architectoniques a la fois romaines
et nouvelles d’esprit. Le premier élément en est l’arc outrepassé d’un tiers du rayon, les joints
étant concentriques. On en remarque un au fond du sanctuaire et deux 4 la croisée des
transepts. Les trois arcs visibles ici reposent sur deux colonnes, celles du fond sans base,
les autres avec. Elles sont légérement renflées 4 l’antique; les chapiteaux sont en forme de tronc
de pyramide, et les impostes qui les surmontent se continuent sur les murs en bandeaux
sculptés. Il n’y a la rien de nouveau : l’arc outrepassé est courant au Bas-Empire, que ce soit,
par exemple, 4 Santa Eulalia de Boveda (Orense) a l’€poque constantinienne, ou 4aMontferrand
(Aude) au V® siécle; les chapiteaux en tronc de pyramide sont présents a4 Saint-Vital de Ravenne
au VI® siécle. Mais l'innovation vient de la combinaison de ces facteurs avec l’emploi de la
voute, elle au$si outrepassée, au-dessus du sanctuaire, avec trois ouvertures carrées incluses
dans la courbe méme du berceau. I] en résulte une impression de convergence sur l’autel,
accentuée par la petite fenétre outrepassée qui le surplombe.
Les vestiges épigraphiques de l’autel et ceux qui ornent les chapiteaux permettent de
dater l’édifice avec plus de précision aux alentours de 691 et méme, en comparant avec les
bandeaux sculptés, de distinguer deux maitres d’ceuvre. Ces bandes que 1’on distingue diffi-
cilement sur le document 60 comportent des cercles 4 rayons courbes, des croix de Malte,
des grappes triangulaires, représentés de maniére linéaire et souvent schématique. Par contre,
la sculpture des quatre chapiteaux de la croisée des transepts est d’une tout autre venue.
Celui du sud-est représente le sacrifice d’Isaac et celui du sud-ouest, ici document 58, Daniel
dans la fosse aux lions; sur la face latérale, ’apdtre Philippe portant une espéce de bateau.
Sur l’imposte, court une frise de cercles de feuillages tangents, avec a l’intérieur des colombes
picorant des grappes de raisin.
Contrairement 4 ce que |’on a prétendu, il n’y a rien de germanique dans le style et dans
les thémes de ces sculptures. IJ s’agit d’un style romain du Bas-Empire qui tourne a l’expres-
sionnisme : la pose de Daniel, les mains levées, est celle des orants des fresques des catacombes;
129
LES ROYAUMES BARBARES
les feuillages et les oiseaux sont traités comme dans les tissus byzantins de l’époque ou sur
les inscriptions funéraires de Gaule. On les retrouve sur un manuscrit d’une homélie de Grégoire
le Grand au x® siécle. Certes, le sculpteur, en lisant inscription ', a cru que Daniel avait été
jeté dans un lac et c’est pourquoi il lui a mis les pieds dans l’eau! Cela prouve simplement
que la langue populaire se détache du latin. Ce n’est pas un apport wisigoth.
On retrouve cette figuration de Daniel entouré par deux lions, l’arriére-train plus élevé
que la téte, et la langue léchant les pieds du prophéte, sur le sarcophage de saint Calentinus
4 Bourges postérieur 4 660 et sur des plaques de ceinturon trouvées en Bourgogne, datant
toutes du vile siécle. C’est 14 un théme fort répandu dans tout l’Occident et tout particulie-
rement en Espagne, puisqu’on le trouve au Bas-Empire a Centcelles, prés de Tarragone,
avec celui des trois Hébreux dans la fournaise et de Jonas dans le ventre de la baleine, et jusque
dans un manuscrit de Gérone en 975. II est caractéristique de la mentalité du Haut Moyen
Age. Au-dela d’un théme funéraire il s’agit, en réalité, de montrer au fidéle, qui regardait
ce chapiteau ou celui d’Abraham sacrifiant Isaac, que la foi est toujours victorieuse de la mort.
C’est un appel a la confiance pour celui qui s’inquiéte de sa fin derniére.
Tel est cet art nouveau dit « hispano-wisigothique » qui fleurit 4 la fin du vite siécle, en
parfaite continuité avec l’art romain du Bas-Empire; hardi, sur de lui, il cherche 4 créer
des formules nouvelles et a frapper l’imagination. C’est un précurseur de l’art roman, avec
trois siécles d’avance ?. Malheureusement, il fut complétement fauché en plein essor par
Pinvasion musulmane 4 partir de 711. L’Islam lui emprunta l’arc outrepassé; les réfugiés
espagnols en transmirent quelques formules au royaume d’Asturie et a Empire carolingien;
les Mozarabes, chrétiens soumis aux Musulmans, en sauvérent d’autres éléments, mais au
total les chefs-d’ceuvre qu’il faisait pressentir n’ont jamais été bAtis.
_ 1. Ubi Daniel missus est in lacu cum leonibus : ot Daniel est jeté dans une fosse avec les
lions. Le sens de fosse pour Jacus (au lieu de lac) est pourtant celui de la Vulgate, Daniel, v1, 17
et PRUDENCE, Cathemerinon, 4, 65, poéte espagnol de la fin du Iv® siécle.
2. L’évolution de lart chrétien dans la péninsule des origines a la fin des Wisigoths
est retracée par Manuel GOMEZ-MoRENO, « Les prémices de l’art chrétien espagnol » dans
VInformation d’Histoire de l’Art, nov.-déc. 1964, n° 5, pp. 185-212.
Voir aussi P. PALOL de SOLELLAS, Esencia del Arte Hispanico de epoca visigoda..., troisieme
semaine de Spoléte, I Goti in Occidente, Spoléte, 1956, pp. 65-126.
3. Voir outre E. SALin, La Civilisation mérovingienne, t. I a IV, Paris, Picard, 1949-1959.
Walter VEECK, Die Alamannen in Wiirttemberg, Berlin et Leipzig, 1931
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DOSSIER SUR
les bijoux d’Arnégonde
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Document 65 — Dessin des broderies de la robe d’Arnégonde
dans l’état de découverte
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Document 67 — Plaque de bau-
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Document 69 —
Passe-courroies
L’anneau sigillaire permet d’identifier la morte : il porte les mots Arnegundis et, en
monogramme, Regine (document 68). Cet anneau servait a sceller ' les actes de la reine, il
devait donc disparaitre avec elle. I s’agit d’une des femmes de Clotaire I* *, née vers 520-525
et enterrée probablement vers 565-570. Elle est trés petite : 1,55 m, d4gée d’environ 45 ans,
blonde, le crane rond, le menton effacé.
L’étude des restes de vétements a permis de savoir que la reine portait une chemise
de fine toile de laine s’arrétant aux genoux et une robe d’ottoman de soie violette, provenant
probablement d’Orient. Ses jambes étaient entourées de bas de toile de laine maintenus
par des laniéres de cuir (document 64). Ces laniéres recouvraient aussi des bottillons de cuir
mince; elles étaient accrochées par des plaques carrées et des plaques de ceinture en argent
ciselé et se terminaient par deux passe-courroies d’argent décoré (document 69). Enfin
Arnégonde portait une longue tunique de soie d’un rouge foncé tirant vers le brun, maintenue
par une ceinture, par deux fibules rondes a la hauteur du cou (document 63) et une longue
aiguille d’argent et d’or sur la poitrine. Le bouton était en effet inconnu 4a cette époque. Les
manches de la tunique étaient ornées depuis le bout, sur sept centimétres de long d’une
bande de satin rouge avec des lignes de rosaces et de triangles de fil d’or brodé (document 65
dans |’état de découverte, document 66 aprés reconstitution). Ajoutons enfin un voile de
satin rouge fixé aux tempes par deux épingles d’or et qui tombait jusqu’a la taille et deux
boucles d’oreille en or avec une grosse perle de nacre. Ces riches étoffes de soie viennent
certainement de l’?Orient byzantin et sont une preuve du grand commerce méditerranéen
au VI® siécle.
133
LES ROYAUMES BARBARES
Les bijoux de la reine nous instruisent sur l’état de l’orfévrerie mérovingienne. Cet art
mineur fut élevé au niveau des plus grands arts par suite du gout de la richesse et du désir
d’éblouir qui animaient les Mérovingiens. Les deux fibules sont des boitiers d’or ronds de
42 mm de diameétre. Elles sont cloisonnées par des réseaux d’or qui enferment 72 grenats
remarquablement taillés. Le travail en cloisonné est donc totalement différent de la technique
plus primitive du champ-levé qui consiste 4 creuser les logements des pierres dans le support.
La seconde fibule comporte des grenats beaucoup plus pales. La monture est moins soignée.
Il est fort probable que nous avons affaire 4 une copie de la premiére, faite au palais par des
orfévres royaux, mais avec moins d’adresse.
Enfin, un baudrier a été découvert posé sur la poitrine de la reine, en marque de dignité.
Comme il a été posé et non attaché, la plaque-boucle et sa contre-plaque ont été mises de
travers (document 63, prélévement le plus en hauteur). Normalement, la plaque-boucle
aurait di étre déposée a la place de la contreplaque légérement en oblique. Les deux élé-
ments de la plaque sont figurés ici (document 67). I] s’agit de ces plaques d’argent niellé,
ciselé et doré. L’armature d’argent laisse apparaitre onze compartiments a fond doré avec
des filigranes d’or soudés et des grenats ou des perles de couleur en cabochon. Dans I’ar-
dillon, on a ciselé une téte et, au bas de la plaque, deux tétes avec un bec de canard incurvé.
Sur les cing bossettes qui attachaient l’objet au cuir du baudrier, les quatre principales ne
sont pas en face les unes des autres. Ce déplacement et cette dissymétrie ont été voulues pour
corriger l’allure oblique que prenait la plaque lorsqu’elle était portée. Du coup, le jeu des
lignes et des bossettes était parfaitement équilibré. Le travail de la contre-plaque est identique.
Nous avons 1a certainement une des plus belle réussites de l’orfévrerie mérovingienne.
La tombe d’Arnégonde révéle ainsi ce qu’étaient le gott et la mentalité des rois méro-
vingiens. On aime les couleurs violentes, le rouge et le violet, les étoffes précieuses, la soie,
les bijoux les plus riches et les plus éclatants. Il faut de l’or partout, jusque sur les manches.
Certes, il s’agit d’une reine, et rien ne devait étre trop beau pour elle, mais, comme elle est
morte aprés Clotaire I°', ses serviteurs ont di V’habiller avec les plus beaux cadeaux que lui
avait faits le feu-roi. Ils sont l’indice de sa richesse, d’un gott plus clinquant qu’assuré; la
présence de charbons autour de la téte et d’un vase aux pieds montrent qu’il y a encore des
survivances paiennes, deux générations aprés Clovis; enfin, l’inhumation prés de la tombe
de saint Denis est la preuve que la foi de ces Barbares encore polygames passe par la confiance
en un homme capable de miracles et intercesseur auprés de Dieu. Le lien entre la royauté
et labbaye de Saint-Denis est ainsi antérieur 4 Dagobert.
CHAPITRE IV
137
LES ROYAUMES BARBARES
138
Le déclin des Mérovingiens
Spolias tantum
Et manubias inter se divisas, in suas
Se laeti recipiunt patrias.
L”’ANONYME DE CorbDOUvE, Paris, éd. par J. Tailhan, 1885, pp. 38-40, vers 1376 a 1437.
Traduction
139
DOSSIER SUR P
Vintroduction de la vassalité dans |’Etat
1. Cf. sur les plaids, documents 103-104 et sur les précaires royales, document 133.
140
Le déclin des Meérovingiens
Traduction
[...] C’est le prince Charles, le pére du roi Pépin, qui fut le premier parmi les rois et les
princes des Francs a arracher les biens aux églises et a les diviser, ce pourquoi uniquement
et précisément il fut damné éternellement, ce qui a été manifesté par des signes évidents.
En effet, saint Eucher, évéque d’Orléans, qui repose dans le monastére de saint Trond, alors
qu'il était en priére, fut ravi dans l’autre monde et, entre autres choses, parmi celles qu’il
aper¢ut sur l’indication du Seigneur, il le vit en proie aux tortures au plus bas des Enfers.
Comme il interrogeait 4 ce propos |’ange qui le guidait, il lui fut répondu que, sur la décision
des saints qui participeront avec le Seigneur au jugement futur et dont il enleva et divisa
les biens, il avait été condamné dans son corps et dans son Ame avant le jugement a des peines
éternelles, et il avait regu ces chatiments a la fois pour ses propres péchés et pour les péchés
de tous ceux qui, dans le but de racheter leur 4me, avaient donné aux lieux saints leurs biens
et leurs richesses en ’honneur et par amour du Seigneur, pour le luminaire du culte divin
et pour la nourriture des serviteurs du Christ et des pauvres.
Revenu 4 lui, il appela saint Boniface et Fulrad abbé du monastére de Saint-Denis
et archichapelain du roi Pépin; il leur raconta tout cela et leur donna l’ordre, a titre de preuve,
daller au sépulcre de Charles et que, 1a, s’ils ne trouvaient pas son corps, ils devaient croire
a la véracité de ses dires. Ils se dirigérent donc vers le susdit monastére ot le corps dudit
Charles avait été enterré; ils ouvrirent son tombeau et, subitement, ils en virent sortir un
dragon; et ils trouvérent l’intérieur du sépulcre complétement noirci comme s’il avait été
incendié. Et nous, nous avons connu ceux qui ont survécu jusqu’a notre 4ge, qui étaient
présents a cet événement et nous ont attesté de vive voix la véracité de ce qu’ils entendirent
et virent. Ce que voyant, son fils Pépin, fit réeunir un synode 4 Leptines ot fut présent avec
saint Boniface l’envoyé du Siége apostolique nommé Georges (d’ailleurs nous avons le texte
de ce Synode) et, dans la mesure ot il le put, il s’employa a faire restituer aux églises les biens
ecclésiastiques que son pére avait enlevés. Et comme il n’eut pas assez d’autorité pour faire
restituer tous les biens aux églises auxquelles ils avaient été arrachés 4 cause du conflit qu’il
avait avec Waifre prince des Aquitains 1, il demanda alors aux évéques qu’on les transformat
en précaires et il décida que l’on donnat les nones et les dimes pour la restauration des batiments,
douze deniers sur chaque maison familiale 4 l’église dont on tenait les biens en bénéfice,
comme cela se trouve dans les capitulaires royaux, jusqu’a ce que ces biens retournent a
ieshiser [ie
11. Statuimus quoque cum consilio servorum Dei et populi Christiani propter
inminentia bella et persecutiones ceterarum gentium, que in Circuitu nostro sunt,
ut sub precario et censu aliquam partem aecclesialis pecuniae in adiutorium
exercitus nostri cum indulgentia Dei aliquanto tempore retineamus, ea conditione,
ut, annis singulis de unaquaque casata solidus, id est duodecim denarii, ad
aecclesiam vel ad monasterium reddatur; eo modo ut si moriatur ille, cui pecunia
commodata fuit, aecclesia cum propria pecunia revestita sit, et iterum, si necessitas
cogat, ut princeps iubeat, precarium renovetur et rescribatur novum. Et omnino
1. Hincmar se trompe. Le conflit avec Waifre ne débuta qu’en 760. En réalité, le pouvoir
de Pépin était contesté partout, en dehors de |’Austrasie, lors de sa prise du pouvoir.
141
LES ROYAUMES BARBARES
Traduction
11. Nous décidons aussi avec l’accord des serviteurs de Dieu et du peuple chrétien,
a cause des guerres menagantes et des persécutions des autres peuples qui sont dans notre
domaine, de conserver quelque temps avec l’indulgence de Dieu une partie de la fortune
ecclésiastique pour aider notre armée, sous le régime de la précaire et du cens, 4 cette condition
que, chaque année, on rende 4 |’église ou au monastére un sou, c’est-a-dire douze deniers
sur chaque maison familiale; de telle maniére que, si celui 4 qui le bien a été prété meurt,
Péglise soit revétue de son propre bien, et si, de nouveau, la nécessité aidant, le prince l’ordonne,
que l’on renouvelle la précaire et qu’on en réécrive une nouvelle. Que l’on fasse bien attention
ace que les églises et les monastéres dont les biens ont été transformés en précaires ne souffrent
pas de disette ou de pauvreté, mais si la pauvreté les talonne, que l’on restitue la propriété
de léglise et du Seigneur Dieu en entier.
142
Le déclin des Mérovingiens
Ed. J. Hatier, Die Quellen zur Geschichte der Entstehung des Kirchenstaates,
Leipzig, coll. Teubner, 1907, pp. 241 sqq.
Traduction
Nous avons posé de nos mains sur son chef trés sacré un phrygium désignant par l’éclat
de sa blancheur la splendide résurrection du Seigneur et nous nous montrames tenant le frein
de son cheval comme un écuyer par respect envers le bienheureux Pierre; et nous décidons
que tous les Pontifes ses successeurs se servent chacun pour eux du méme phrygium dans
les processions 4 limitation de notre empire.
En conséquence, afin que non seulement la sublimité pontificale ne s’avilisse point,
mais que sa dignité soit encore plus étendue que celle de l’empire terrestre et qu’elle soit
ornée d’une puissance de gloire, voici qu’en accordant et en laissant au susdit bienheureux
pontife notre pére Silvestre, pape universel, aussi bien notre palais comme il a été dit, que
toutes les provinces, les cités et les lieux de la ville de Rome, de l’Italie et des régions occiden-
tales, nous décidons par un jugement impérial ferme au moyen de notre pragmatique sanction
impériale et sacrée que cela soit mis en son pouvoir et a sa discrétion ainsi qu’aux évéques
ses successeurs et nous accordons que cela soit disposé et demeure sous la juridiction de la
sainte Eglise romaine. [...]
143
LES ROYAUMES BARBARES
Souscription impériale.
Que la Divinité vous années, trés saints et trés bien-
conserve pendant de nombreuses
heureux Péres.
Donné A Rome, les trois des calendes d’Avril, Notre Maitre Flavius Constantin auguste
pour la quatriéme fois et Gallicanus, consuls clarissimes.
L’événement capital du vire siécle est l’onction royale de Pépin en 751. Un inconnu
nous en a mis le récit par écrit en 767. Aprés avoir regu l’onction royale des évéques de Gaule,
Pépin est de nouveau oint roi par le pape Etienne dans l’église Saint-Denis, trois ans plus
tard, ainsi que ses deux fils Charles et Carloman. Le pape menace d’interdit et d’excommu-
nication quiconque voudra renverser cette dynastie.
Si nosse vis, lector, quibus hic libellus temporibus videatur esse conscriptus
vel ad sacrorum martirum preciosam editum laudem, invenies anno ab incarna-
tione Domini septingentesimo sexagesimo septimo temporibus felicissimi atque
tranquillissimi et catholici Pippini regis Francorum et patricii Romanorum, filii
beatae memoriae quondam Caroli principis, anno felicissimi regni eius in Dei
nomine sexto decimo, indictione quinta et filiorum eius eorundemque regum
Francorum Caroli et Carlomanni, qui per manus sanctae recordationis viri
beatissimi domni Stephani papae una cum predicto patre domno viro gloriosissimo
Pippino rege sacro chrismate in reges Dei providentia et sanctorum apostolorum
Io Petri et Pauli intercessionibus consecrati sunt, anno tertio decimo. Nam ipse
praedictus domnus florentissimus Pippinus rex pius per auctoritatem et imperium
sanctae recordationis domni Zachariae papae et unctionem sancti chrismatis per
manus beatorum sacerdotum Galliarum et electionem omnium Franchorum tribus
annis antea in regnis solio sublimatus est. Postea per manus eiusdemque Stephani
be) pontificis die uno in beatorum praedictorum martirum Dionisii, Rustici et Eleu-
therii aecclesia, ubi et venerabilis vir Folradus archipresbiter et abbas esse cognos-
citur, in regem et patricium una cum predictis filiis Carolo et Carlomanno in
nomine sanctae Trinitatis unctus et benedictus est. In ipsa namque beatorum
martyrum aecclesia uno eodemque die nobilissimam atque devotissimam et sanctis
20 martiribus devotissime adhaerentem Berteradam, iam dicti florentissimi regis
coniugem, praedictus venerabilis pontifex regalibus indutam cicladibus gratia
septiformis Spiritus benedixit, simulque Francorum principes benedictione sancti
Spiritus gratia confirmavit et tali omnes interdictu et excommunicationis lege
constrinxit, ut numquam de alterius lumbis regem in aevo praesumant eligere,
25 sed ex ipsorum quos et divina pietas exaltare dignata est et’ sanctorum aposto-
lorum intercessionibus per manus vicarii ipsorum beatissimi pontificis confirmare
et consecrare disposuit. Haec ideo caritati vestrae breviter in novissima paginula
libelli inseruimus huius, ut per succedentium temporum et vulgi relatione propago
in aevo valeat cognoscere posterorum.
Clausula de unctione Pippini..., M.G.H.SS., tome I,
Hanovre, éd. G. Waitz, 1884, pp. 465-466.
144
Le déclin des Mérovingiens
Traduction
Si tu veux savoir, lecteur, 4 quelle date fut transcrit et publié 4 la précieuse louange
des saints martyrs ce livret, tu le trouveras en |’année de |’Incarnation 767, a l’époque du trés
heureux, trés pacifique et catholique Pépin, roi des Francs et patrice des Romains, fils du feu
prince Charles de bienheureuse mémoire, en la seizitme année de son trés heureux régne,
au nom de Dieu, cinquiéme indiction, et en la treiziéme année de ses fils, eux-mémes rois
des Francs, Charles et Carloman, qui, par la main du trés saint homme de sainte mémoire
le seigneur pape Etienne, en méme temps que leur susdit pére le seigneur trés glorieux homme,
le roi Pépin, furent consacrés du saint chréme en qualité de rois par la divine providence
et par lintercession des saints apétres Pierre et Paul. En effet, le Seigneur trés florissant,
le pieux roi Pépin, par l’autorité et l’ordre du seigneur pape Zacharie, de sainte mémoire,
par l’onction du saint chréme recue des mains des saints évéques des Gaules et par l’élection
de tous les Francs fut élevé sur le tréne royal trois ans auparavant. Ensuite, par les mains
de ce méme pontife, Etienne, il fut oint et béni de nouveau comme roi et patrice au nom de
la sainte Trinité avec le méme jour ses susdits fils Charles et Carloman dans l’église des susdits
saints martyrs Denis, Rustique et Eleuthére, oti réside, on le sait, le vénérable homme et abbé,
larchiprétre Fulrad. Dans cette méme église des saints martyrs, en ce méme et unique jour,
le susdit vénérable pontife bénit par la grace de l’Esprit aux sept formes la trés noble et trés
dévote Bertrade, si dévotement attachée aux saints martyrs, |’épouse du susdit trés florissant
roi, revétue de la royale robe 4 la traine et, en méme temps, il confirme de sa bénédiction,
par la grace de l’Esprit aux sept langues de feu, les premiers d’entre les Francs et les astreignit
tous par la menace de l’interdit et la peine de l’excommunication 4 ne jamais prétendre a
Vavenir élire un roi né des reins d’un autre que de ceux-la mémes que la divine piété a jugé
bon d’exalter et qu’elle a décidé, par l’intercession des saints apdtres, de confirmer et consacrer
par la main du trés saint pontife, leur vicaire. Nous avons donc inséré bri¢vement ce qui
précéde, a la derniére page du présent livret 4 votre intention, cher lecteur, afin que, dans la
suite des temps et de bouche en bouche, la lignée de nos descendants puisse la connaitre
a Vavenir +.
Le légitimisme mérovingien fut combattu par des libelles favorables aux Carolingiens.
Eginhard langa la légende des rois fainéants trainés en chars a beeufs. Anastase interpola
aprés 867, dans sa traduction latine de la Chronographie du Byzantin Théophane, cette autre
caricature des rois fainéants, mangeant et buvant et dotés d’une criniére semblable a celle
des porcs.
Stephanus papa [...] ad Francos confugit sub Pipino qui maior domus erat
et primus in omnium dispositione rerum Francorum gentis, quibus videlicet
olim moris est dominum, id est regem suum, secundum genus principari et nil
agere vel disponere, quam irrationabiliter edere et bibere domique morari et
kalendis Maiis praesidere coram tota gente et salutare illos et salutari ab illis
et obsequia solita impensa percipere, et illis dona rependere, et sic secum usque
145
LES ROYAUMES BARBARES
ad Maium alium habitare, habere autem maiorem domus consilio suo et gentis
omnia ordinantem negotia : dicebantur sane ex genere illo descendentes cristatae,
quod interpretatur trichorachati : pilos enim habebant natos in spina veluti porci.
THEOPHANE, Chronographia, Leipzig, éd. par C. de Boor (coll. Teubner), 1885,
interpolation du traducteur latin Anastase faite aprés 867, pp. 272 et 402.
Traduction
Le pape Etienne [...] se réfugia chez les Francs auprés de Pépin qui était maire du palais
et le premier dans la direction de toutes les affaires du peuple des Francs; depuis longtemps,
en effet, leur maitre, c’est-a-dire leur roi, prit ’habitude de régner selon sa naissance, de ne
rien faire et de ne s’occuper qu’a manger et 4 boire immodérément, 4 demeurer chez lui,
a tr6ner au premier Mai ! devant tout son peuple, 4 saluer ceux-ci et se voir rendre son salut
par eux, a percevoir des dons abondants selon la coutume, 4 leur répartir des cadeaux en
compensation et a vivre ainsi jusqu’au champ de Mai! suivant; il a cependant un maire
du palais pour le conseiller et qui décide de toutes les affaires du peuple : les descendants
de cette race étaient dits 4 juste titre « a criniére », ce qui se dit en grec tetyopuyator : ils
avaient en effet des poils qui leur poussaient le long de l’épine dorsale comme des porcs.
1. Au 1°? mars en réalité. C’était le champ de Mars, réunion annuelle des nobles et
des libres francs en armes.
LES CAROLINGIENS
751-888
-_ 7 '
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LES SOURCES
DE L’7EPOQUE CAROLINGIENNE
Les Carolingiens ont eu trop peu de temps pour marquer leur empreinte
dans le sol, comme les empereurs romains : un seul essai, manqué mais encore
visible, le canal devant unir le Rhin au Danube (documents 113 4 121). Méme
les monuments construits 4 leur époque ne nous sont parvenus qu’au prix de
nombreuses restaurations (Germigny, ensemble d’Aix-la-Chapelle) qui en altérent
les caractéristiques et qui ne sauraient dispenser des fouilles, surtout dans la
mesure ow les édifices carolingiens ont été recouverts 4 une époque postérieure
(fouilles de Saint-Riquier, Kornelimtinster, Cologne, Francfort et abords de la
cathédrale d’Aix, documents 111 et 112).
Les objets découverts par des fouilles systématiques, auxquelles s’ajoutent
ceux de trouvailles occasionnelles, en particulier de trésors cachés lors des invasions
du 1x® siecle (Amiens, Rennes : document 158, etc.), et ceux conservés précieuse-
ment dans les églises-cathédrales (Aix, Reims) ou abbayes (Conques, Mustair)
pour la plupart réunis 4 l’heure actuelle dans des musées (Bruxelles, Berlin,
Brescia, Milan ou au Louvre), nous donnent un apercu des techniques et des
sources d’inspiration, que parfois précisent les reliures ou les enluminures (docu-
ments 122 a 124), voire les dessins (ou plans) accompagnant les manuscrits (docu-
ments 107-108).
Mais la caractéristique de la période — principalement par rapport aux
siécles qui la suivent — est précisément de nous avoir laissé surtout des documents
écrits. Outre la retranscription d’ouvrages antiques et de nombreux textes religieux,
les viII® et Ix® siécles ont vu s’élaborer des ceuvres propres, dont beaucoup en
liaison avec la « Renaissance carolingienne ». Toutes ont une valeur (méme les
prescriptions purement religieuses), mais certaines ont en plus une préoccupation
historique indéniable, qu’elles codifient des usages (Jonas d’Orléans dans le
149
LES CAROLINGIENS
150
Les sources de Il’époque carolingienne
ey
Document 76 — Les ancétres de Charlemagne
CHILDEBERT WULFETRUDE
(roi 661-662) (+ 669)
: as i T alt 1
Concubine 3x AUPAIS 2x PEPIN Il 1x PLECTRUDE REGINTRUDE BERTRADE ADELE ROTLINDE
I I T |
CHILDEBRAND CHARLES MARTEL GRIMOALD II DROGON (+708)
(duc en Bourgogne) (+ 741) (maire de Neustrie x
| et Bourgogne) ANSTRUDE (fille, sceur et veuve des maires de CARIBERT
NEBELUNG Neustrie WARATTON, GILEMER et BERCHIER) (comte de Laon)
(comte) THIAUD | T T ae
(maire du palais, © ARNOUL HUGUES GODEFROY PEPIN
+715) (duc) (arch. de
Rouen)
2x
SWANAHILD
Concubine 3x de Baviere 1x ROTRUDE
IT T T T T I I ]
BERNARD JEROME REMI GRIFON AUDE(?) CARLOMAN HILTRUDE PEPIN (roi, x BERTHE
(arch. de Rouen, . x (+ 754) ODILON + 768) T T T 1
+m) Se ae anne anaaue CHARLEMAGNE —_CARLOMAN GISELE PEPIN (+761) 2 filles
: T T 1 | (10 unions connues —(roi,t 771) (abbesse de Chelles)
THEODRADE BERNARD GUNDRADE ADALARD TASSILON et 19 enfants) x
(abbé de Corbie ,+826) soit GERBERGE
WALA |
(abbé de Corbie ,t 836) 2 fils
Concubines,
7 enfants, dont FASTRADE 4x 3x HILDEGARDE 1x HIMILTRUDE
| I | T — SS T im T ] l
ROTHILDE HILTRUDE 2 filles BERTHE LOTHAIRE LOUIS le Pieux ROTRUDE ADELAIDE PEPIN (773-810) CHARLES le Jeune PEPIN le Bossu
(abbesse de Farmoutiers ) (jumeau, (voir doc.77) (+ 774) (roi d'Italie) (772-811) (768-811)
DROGON EE TiRED) (778-840) BOrCON | (moine a Prim)
(évéque de Metz , + 855) NITHARD LOUIS (+ 867) BERNARD (+ 818)
HUGUES (abbé de S! Denis) et 5 filles
(abbé de S!Quentin, t 844)
e °
Document 77 — La descendance de Louis le Pieux
WELF
T 1
RODOLPHE CONRAD JUDITH SSS Soea= DX SSR tees LOUIS le! Pletixtsaae == sae Sao 1 eae -HERMENGARDE
H (roi d’Aquitaine, 781-814)
HUGUES I'Abbé (+ 886) (empereur, 814-840)
I I I I I }
CHARLES le Chauve GISELE (+874) LOUIS le Germanique AUPAIS (2) PEPIN Ie — HILDEGARDE ROTRUDE LOTHAIRE
(roi, 840-877) x x (roi d'Aquitaine, (abbesse de (empereur,
(empereur, 875-877) EBERHARD BEGON T 838) Laon) 840-855)
: = ; de Frioul (comte de Paris) |
CHARLES I'Infant LOUIS Il le Begue JUDITH CARLOMAN PEPIN Il LOTHAIRE II CHARLES LOUIS II
(roi, + 879) x BERENGER |r LOUIS Il le Jeune CARLOMAN (+865) de Provence (empereur,
BAUDOUIN (roi d'ltalie (roi, + 882) | (roi de Bavire, +880) (+ 863) 855-875)
HUGUES BERTHE
LOUIS Hl CARLOMAN (empereur,t 824) (batard) | |
(roi, + 882) (roi, t 884) | CHARLES le Gros ARNOUL HERMENGARDE
GISELE (roi d'ltalie, Germanie (roi de Germanie, 887-896) HUGUES x
| . et France) (empereur, 896-899) (roi d'Italie, 926-947) BOSON
| | ADALBERT d'lvrée (empereur, + 888) | pense )
| CHARLES Ie Simple | LOTHAIRE
| (roi de France , 898-923, + 929) I .
BERENGER II ZVENTIBOLD GLISMUT os !—
ADELAIDE
x ' (roi d'Italie (duc de Lorraine) x roi, puis vig
OTTON le Grand Malus Makeheuee 950-961) CONRAD
;
LOUIS IV |’Enfant
| LOTHAIRE
|
CHARLES
de Lorraine
| (roi de Germanie, CHARLES.CONSTANTIN
LOTHAIRE + 911) (4 941)
LOUIS V CONRAD |e"
| (roi,+987) | (roi de Germanie )
V y (911-918)
empereurs saxons Comtes de Flandre
153
LES CAROLINGIENS
Il convient donc d’étudier d’abord le taux de fécondité et la formation des couples. Or,
nous constatons le faible accroissement de cette race : au bout de deux siécles, les descendants
des trois couples considérés ne sont guére plus d’une quinzaine (y compris Tassilon, les
prélats d’Utrecht : Grégoire et Albérich et Guillaume de Gellone). Certes, la dynastie n’étant
pas dés le début auréolée du prestige du sacre ou de la royauté et ne disposant pas des pou-
voirs magiques attribués aux rois germaniques (comme les Mérovingiens), on peut légitimement
penser que tous les arriére-cousins de Charles n’ont pas été identifiés, 4 l’époque d’abord,
a fortiori de nos jours. Cependant, on remarque qu’il n’y a apparemment pas « d’implexe
ancestral », c’est-a-dire de mariages consanguins, qui ont pour effet de réduire le nombre
des descendants. Charlemagne, fils de Berthe, ne descend pas de Plectrude. Ce n’est que
le deuxiéme mariage de Louis le Pieux (Judith étant fille de sa cousine germaine) qui amorce
le processus.
De plus, Pépin II et Charles Martel, comme plus tard Charlemagne, ont plusieurs femmes
soit successives soit simultanées 1, et leur fécondité semble normale. Il y a donc d’autres
raisons : mortalité infantile probable mais difficile 4 mettre ici en évidence (évoquer le jumeau
de Louis le Pieux, Lothaire, mort 4 2 ans, etc.); mais aussi la fréquence des adultes morts
sans descendance, tout d’abord par suite d’entrée dans les ordres. Certes, Arnoul ou Irmina
ne sont devenus évéque ou abbesse qu’aprés leur veuvage, aprés avoir assuré leur postérité.
Mais l'un des fils d’Arnoul, un fils et deux petits-fils de Charles Martel, Gertrude ou Giséle,
sceur de Charles... sont clercs ou nonnes sans s’étre apparemment mariés... Et la descendance
d’Adéle s’éteint avec les prélats d’Utrecht. )
On note également, parmi les males, la proportion considérable de ceux qui sont morts
jeunes, assassinés ou malades : les deux Grimoald; le petit Childebert; Drogon, fils de
Pépin II; Thiaud; Carloman, frére de Charles et les fils de l’empereur. II en résulte que les
chances de postérité nombreuse étaient assez minces. Ceci souligne d’autre part l’importance
considérable des femmes; les veuves énergiques ont laissé leur nom 4 histoire : Berthe
au grand pied, bien sir; mais aussi Plectrude qui neutralisa un moment Charles Martel;
Hiltrude qui fut régente de Baviére. Et surtout, le vrai fondateur de la lignée fut une femme,
Begga, que la mort violente de ses frére et neveu (et la sainteté de sa sceur) fit l’unique héri-
tiére de Pépin le Vieux. A ce sujet, remarquons que le couple Hugobert-Irmina ne semble
avoir que des filles, ce qui explique que Plectrude ait pu avoir une part des considérables
domaines du comte palatin son pére (dont un fils aurait hérité intégralement).
Ici intervient alors le rédle du mariage politique : le cas de Begga et Anségisel est déja
exemplaire. Leurs deux péres, ayant alli¢ leurs puissances dans la lutte contre Brunehaut,
ont décidé de marier leurs deux héritiers et d’unir les patrimoines d’Austrasie (Malmédy,
Stavelot, Nivelle) et des environs de Metz-Verdun. Pépin II, non content d’avoir épousé
Plectrude, qui lui apporte ses domaines de Meuse moyenne et l’appui de ses parents en
Thuringe, fait ¢pouser a son fils Drogon, comme lui représentant l’Austrasie, Anstrude qui
incarne de fagon frappante la mairie du palais de Neustrie (son pére et son frére étant morts,
c’est son premier mari, Berchier, qui avait été choisi pour leur succéder). Charles Martel
épouse la Bavaroise Swanahild et Pépin marie sa sceur au duc de Baviére.
Ces mariages ont diverses conséquences. Le choix de ces princesses ou héritiéres éman-
cipées améne, chez les Carolingiens, des épouses remarquables qui exercent une grande
influence sur leur mari, et, lors de sa disparition prématurée, prennent les rénes avec plus
ie C’est-a-dire concubines, ou épouses secondaires, dont les enfants ont moins de droits
que ceux issus des femmes légitimes, ainsi le fils d’Aupais par rapport a ceux de Plectrude.
154
Les réalités politiques : Empire carolingien
ou moins de bonheur. Ainsi Plectrude, qui essaie d’imposer son petit-fils Thiaud contre
Charles Martel; Swanahild qui soutient Grifon contre Pépin et Carloman; Berthe qui
réconcilie Charles et Carloman et qui longtemps conseillera son fils. Autre conséquence fort
importante : l’arrivée de ces épouses étrangéres, cette exogamie des premiers Carolingiens
diminue les risques de dégénérescence, sans troubler par ailleurs ce que les généalogistes
appellent les « lignes de force héréditaires », dont « les plus puissantes passent par des filia-
tions de méme sexe ou peu mélangées ». La succession masculine est ainsi directe depuis
Arnoul et presque directe de Pépin I*™ a Charles.
On remarque alors la spécificité des noms bien connus : Charles, Carloman, Pépin voire
Drogon et Grimoald, venant sans doute de la lignée la plus illustre (Pépin Ie") car Anségisel
et Chlodulf disparaissent et Arnoul ne reparait qu’avec le batard de Carloman de Bavieére.
Et si Pon se demande la provenance de Lothaire et Louis (accompagnés de Berthe et Giséle),
on pourrait peut-étre considérer une autre filiation féminine : la mére de Charlemagne a pour
pére un certain Caribert qui évoque immédiatement la race illustre des Mérovingiens (que
ce soit par les femmes ou les batards), donc Clovis (= Louis) et Clothaire.
Ici nous rejoignons la grande histoire et l’ascension des Carolingiens aux dépens des
Meérovingiens. Notons simplement que la tendance au pouvoir supréme existe dés le début,
mais que les modalités de la progression sont inattendues : Grimoald fait adopter son fils
Childebert par le roi mérovingien Sigebert III et le proclame méme roi en écartant le jeune
héritier naturel, Dagobert II. Mais tout s’effondre, et c’est Begga qui transmet le sang, les
ambitions. Pépin II met son ainé Drogon, par son mariage, en état d’unir Neustrie et Aus-
trasie : son cadet Grimoald ou son petit-fils semblent désignés pour lui succéder; et c’est
Charles Martel, pratiquement écarté par son pére, qui prend la suite. On peut méme penser
que Pépin le Bref aurait pu vivre dans ’ombre de son ainé Carloman... Ce n’est pas nier le
caractére exceptionnel de Charlemagne que de le replacer au terme d’une série de contin-
gences et du travail énergique d’une famille puissante, tenace, volontaire, riche de personnalités
remarquables.
155
1. LES EVENEMENTS
DOSSIER SUR
Vexpédition d’Espagne, 778
Parmi les nombreuses sources concernant |’expédition de 778, que La Chanson de Roland
a rendue célébre, les neuf extraits choisis permettent de comparer des versions et interpréta-
tions a peu prés indépendantes les unes des autres : version officielle franque (silence total
dans les Annales 4 peu prés contemporaines, puis aveu tardif d’une défaite lourde mais
localisée); témoignage des biographes, légérement postérieur, avec chez le premier mention
des principales victimes, que le second estime inutile de citer, tellement elles sont connues;
enfin épisode des transfuges sarrasins, vu non seulement par les Francs, mais encore et surtout
par les sources arabes 1.
156
Les réalités politiques : Empire carolingien
Traduction
An de l’Incarnation du seigneur 777. Le roi Charles tint l’assemblée des Francs prés
de la fontaine dite Patrebrunna?. A ce plaid vinrent tous les Saxons excepté un petit nombre
de rebelles (dont le chef était Witing) qui s’enfuirent chez les Normands. A ce méme plaid
vinrent encore d’Espagne certains princes Sarrasins, Ibn al-Arbi et Withsevi, qui en latin
se nommait Joseph; et 1a, ils se placérent avec tous ceux qu’ils gouvernaient sous la domination
du seigneur roi Charles. [...]
An de l’Incarnation du Seigneur 778. Le roi Charles, poussé par les priéres et méme
les plaintes des Chrétiens d’Espagne, qui étaient sous le joug trés cruel des Sarrasins, mena
Varmée en Espagne. Lui-méme, avec une forte colonne, passa par l’Aquitaine, traversa la
chaine des Pyrénées et atteignit la ville de Pampelune. Une partie, non la moindre, de l’armée,
venue d’Austrasie, de Bourgogne, de Baviere, voire de Provence et de Lombardie, passa
par la Septimanie et arriva 4 la cité de Barcelone. Ces innombrables légions firent trembler
l’Espagne entiére. La jonction de l’une et lautre armée se fit devant Césarée Augusta ”, ville
puissamment fortifiée; au cours de cette expédition, [/e roz] recut des otages d’Abinolarbi
et Apotauro, prit et détruisit Pampelune, trés forte cité, soumit Espagnols, Basques et
Navarrais et, victorieux, retourna au pays de ses péres. A la nouvelle que l’armée des Francs
s’était engagée en Espagne, les Saxons, persuadés par le perfide Witikind et ses partisans,
rompirent la foi qu’ils avaient jurée et se jetérent sur les territoires francs jusqu’au fleuve
Rhin. [...]
1. Paderborn.
2. Cest-a-dire Saragosse.
157
LES CAROLINGIENS
Traduction
778. Alors, persuadé par ledit Sarrasin, concevant le trés ferme espoir de prendre certaines
des cités espagnoles, il réunit son armée et se mit en route; il passa dans le pays basque la
créte pyrénéenne, attaqua tout d’abord Pampelune, forteresse des Navarrais et recut sa
soumission. Puis traversant a gué le fleuve Ebre, il atteignit Césarée Augusta, principale
cité de ces régions, recut les otages qu’Ibn al-Arbi et Abuthaur et d’autres Sarrasins lui livrérent
et revint 4 Pampelune dont les murs — pour éviter qu’elle puisse se révolter — furent rasés
au sol; puis, décidant de s’en retourner, il s’engagea dans les défilés des Pyrénées. Au sommet,
les Basques avaient préparé une embuscade; ils attaquent l|’arri¢re-garde et sement le désordre
dans l’armée tout entiére. Et bien que les Francs fussent, a4 l’évidence, supérieurs aux Basques
tant en armement qu’en courage, ils eurent cependant le dessous a cause de l’inégalité des
positions et du caractére de ce combat disproportionné. Dans cet engagement, la plupart
des Palatins, que le roi avait mis 4 la téte des convois de ravitaillement, furent tués, les bagages
furent perdus et l’ennemi, du fait de sa connaissance des lieux, décrocha et se dispersa immé-
diatement. La blessure qu’en avait ressentie le roi obnubila et voila dans son esprit la plupart
des succés remportés en Espagne. Pendant ce temps, les Saxons [...] etc.
Cum enim adsiduo ac pene continuo cum Saxonibus bello certaretur dispositis
per congrua confinorum loca praesidiis, Hispaniam quam maximo poterat belli
apparatu adgreditur; saltuque Pyrenei superato, omnibus quae adierat oppidis
atque castellis in deditionem acceptis, salvo et incolumi exercitu revertitur, praeter
quod in ipso Pyrinei iugo wasconicam perfidiam parumper in redeundo contigit
experiri. Nam cum agmine longo, ut loci et angustiarum situs permittebat, porrec-
tus iret exercitus, Wascones, in summi montis vertice positis insidiis — est enim
locus ex opacitate silvarum, quarum ibi maxima est copia, insidiis ponendis
oportunus — extremam impedimentorum partem et eos qui, novissimi agminis
Io incedentes subsidio, praecedentes tuerentur, desuper incursantes in subjectam
vallem deiciunt, concertoque cum eis proelio usque ad unum omnes interficiunt
ac, direptis impedimentis, noctis beneficio quae jam instabat protecti, summa
cum celeritate in diversa disperguntur. Adjuvabat in hoc facto Wascones et levitas
158
Les réalités politiques : l’Empire carolingien
armorum et loci in quo res gerebatur situs; contra Francos et armorum gravitas
et loci iniquitas per omnia Wasconibus reddidit impares. In quo proelio Eggi-
hardus regiae mensae praepositus, Anselmus comes palatii et Hruodlandus
Brittaniae limitis praefectus cum liis compluribus interficiuntur. Neque hoc
factum ad praesens vindicari poterat, quia hostis, re perpetrata, ita dispersus
est ut ne fama quidem remaneret ubi nam gentium quaeri potuisset.
EGINHARD, Vie de Charlemagne, Paris, éd. L. Halphen, 1938, pp. 28 sq.
Traduction 1
Tandis que l’on se battait assidGment et quasi continuellement avec les Saxons, [le
rot] placa des garnisons aux endroits appropriés le long des frontiéres et attaqua l’Espagne
avec le maximum de forces dont il put disposer; il franchit les monts Pyrénées, recoit la
reddition de toutes les places fortes ou chateaux qu’il rencontre et retourne avec son armée
intacte et au complet, 4 part que, sur la créte méme des Pyrénées, il eut l’occasion, au retour,
de faire quelque peu l’expérience de la perfidie basque. Car, tandis que l’armée progressait
en une longue colonne, [formation] imposée par la topographie et l’étroitesse du lieu, des
Basques qui avaient dressé une embuscade tout en haut, au sommet de la montagne — car
cet endroit, grace aux épaisses foréts qui y sont fort abondantes, est particuliérement désigné
pour dresser des embuscades — dévalérent depuis la hauteur et jetérent dans le ravin au-
dessous le train des équipages, placé en queue, et les troupes qui couvraient l’arriére-garde
tout en protégeant la colonne de téte; et au cours de l’engagement, ils les massacrérent jusqu’au
dernier, enlevérent les bagages et, a la faveur de la nuit qui arrivait et les protégea, ils se disper-
sérent en tous sens avec la plus grande rapidité. Aidaient les Basques dans cette affaire et la
légéreté de leurs armes et la configuration des lieux ot: se déroulait le combat; génaient les
Francs en revanche et le poids des armes et le désavantage de la position, toutes choses qui
leur donnérent le dessous. Dans ce combat Eggihard, préposé a4 la table du roi, Anselme,
comte du palais et Roland, préfet de la marche bretonne, sont tués avec beaucoup d’autres.
Et ce [triste] événement ne pouvait étre vengé sur-le-champ car l’ennemi, le coup fait, se
dispersa sans méme laisser un indice qui permit de savoir ou, chez quels peuples le chercher.
1. On peut s’inspirer aussi de la traduction publiée par L. HALPHEN, op. cit., pp. 29 sq.
159
LES CAROLINGIENS
Io fortunae ac vertibilis successus. Dum enim quae agi potuerunt in Hispania peracta
essent, et prospero itinere reditum esset, infortunio obviante extremi quidam
in eodem monte regii caesi sunt agminis. Quorum, quia vulgata sunt, nomina
dicere supersedi. [...]
L’Astronome, dans Quellen zur karolingischen Reichsgeschichte, t. I,
Berlin, 1960, pp. 260 sg.
Traduction 3
[Le roi] résolut de surmonter les difficultés du mont Pyrénée et de gagner Espagne
pour, avec l’aide du Christ, secourir l’Eglise qui souffrait sous le joug trés cruel des Sarrasins.
Cette montagne, bien que l’altitude permette presque d’atteindre le ciel, qu’elle soit hérissée
de rochers 4 pic, enténébrée d’épaisses foréts et que la route ou plutdét le sentier soit si étroit
qu’il interdit pratiquement le passage non seulement 4 une armée, mais méme a une trés
petite troupe, cette montagne fut cependant, avec l’aide du Christ, trés heureusement franchie.
Car le cceur du roi, si magnanime et ennobli par Dieu, savait ne pas étre inférieur 4 Pompée
ou moins hardi qu’Hannibal, lesquels, au prix de fatigues et de pertes €normes qu’ils endurérent,
eux et les leurs, surent jadis vaincre les difficultés de l’endroit. Mais cette traversée heureuse,
sil’on peut dire, fut souillée par un caprice perfide et inattendu de l’inconstante fortune. Car, une
fois accompli en Espagne tout ce qui pouvait étre fait, le retour se déroulait de maniére satis-
faisante quand arriva le revers de fortune, et les derniers [é/éments] de Parmée royale, formée
en colonne, furent massacrés dans cette méme montagne. Les noms, comme ils sont bien connus,
je me suis dispensé de les dire. [...]
Traduction
778. Le roi Charles fut en Espagne avec son armée et conquit la cité de Pampelune;
et Habitaurus, roi des Sarrasins, vint a lui, livra les cités qu’il possédait et lui donna comme
otages son frére et son fils. Et de la le seigneur roi avanga jusqu’a Césarée Augusta; et 1a
vint a lui Abinlarbi, autre roi des Sarrasins, qu’il fit également mener en France. Et pendant
que le seigneur roi était en ces lieux, les Saxons, peuple perfide, reniant leur foi, sortirent
de leurs fronti¢res et vinrent faire la guerre jusqu’au fleuve Rhin.
160
Les réalités politiques : l’Empire carolingien
Traduction
778. Cette année-la, le Seigneur roi Charles alla en Espagne, ou cela lui codta fort cher.
[Sulayman al Arabi, révolté dans Saragosse, fait prisonnier le chef de l’armée envoyée contre
lui par Abd ar Rahman, Talaba.]}
Sulayman eut recours 4 Karlo, roi des Francs a qui il promit de livrer la
ville et Talaba; mais lorsqu’il vint auprés de lui, il ne lui remit que Talaba. Karlo
le prit et rentra dans son pays, espérant en tirer une importante rancon; mais
Abd ar Rahman se désintéressa de lui pendant quelque temps; enfin il se décida
a envoyer quelqu’un le demander aux Francs qui le remirent en liberté.
Traduit de l’arabe d’aprés E. Garcia Gomez,
éd. Tornberg, VI, année 164, p. 43.
161]
LES CAROLINGIENS
Document 86 — ,, Kamil “
Sulayman fit venir Karlo, roi des Francs, jusqu’au territoire des Musulmans
et vint 4 sa rencontre pour l’accompagner jusqu’a Saragosse; mais il fut devancé
par Al Husayn [...] qui se fortifia dans la ville. Karlo soupgonna Sulayman, le
fit prisonnier et l?emmena dans son pays; mais, quand il fut loin du territoire
des Musulmans et se crut en sécurité, il fut attaqué par Matruh et Aysun, les deux
fils de Sulayman, avec leurs troupes, et ceux-ci délivrérent leur pére, avec lequel
ils rentrérent 4 Saragosse et se ralliérent au parti de Al Husayn. [...]
Traduit de l’arabe d’aprés E. Garcia Gomez,
[version sans l’épisode de Talaba, année 157, pp. 7-8].
Les inexpiables guerres saxonnes — dont nous parlent abondamment les biographies
des empereurs, Annales, Capitulaires, diplémes, lettres d’Alcuin, de Charles, etc. — s’accom-
pagnérent de baptémes massifs. Les Saxons, paiens endurcis, devaient confesser leur foi
nouvelle suivant des formulaires qui figurent parmi les textes les plus anciens que l’on connai sse
en langue germanique.
Traduction
162
Les réalités politiques : Empire carolingien
163
LES CAROLINGIENS
Traduction
CHARLES PAR LA GRACE DE DIEU ROI DES FRANCS ET DES LOMBARDS
ET PATRICE DES ROMAINS A NOTRE CHERE ET TRES AIMABLE EPOUSE
LA REINE [FASTRADE].
Nous désirons t’envoyer par cette lettre un affectueux salut dans le Seigneur, et, par
ton intermédiaire, 4 nos filles bien-aimées et 4 nos autres fidéles qui demeurent en ta compa-
gnie. Nous te faisons savoir que par la grace de Dieu, Nous sommes sain et sauf.
Un envoyé de notre cher fils [Pépin] nommeé [ ] Nous a donné des nouvelles de
sa santé et du seigneur successeur des Apétres ainsi que de l’excellent état de Nos territoires
situés en ces régions. Ce qui Nous a fait le plus grand plaisir.
Et, de plus, il Nous a relaté comment Notre scara', qui, sur Notre ordre, a quitté |’Italie
pour le pays des Avars, afin de s’établir dans ces territoires, a pénétré a l|’intérieur de leurs
frontiéres le 10 des calendes de Septembre. Et ils leur ont livré bataille. Et Dieu tout-puissant
dans sa miséricorde leur a donné la victoire et ils ont massacré une multitude de ces Avars;
et tant, disent-ils, que de longtemps, il n’y a pas eu pareil massacre d’Avars. Et ils ont pillé
jusqu’a leur camp; et ils y sont restés la nuit et le matin jusqu’a la troisiéme heure du jour.
Puis, avec tout leur butin, ils se sont retirés sans étre inquiétés. Et ils ont pris 150 Avars
vivants, qu’ils ont épargnés, en attendant que Nous ordonnions ce qu’il faut en faire. Les fidéles
de Dieu, et les N6étres, qui sont les auteurs de cet exploit, sont Un tel évéque, Un tel duc,
et tel et tel comtes, Un tel duc d’Istrie; 4 ce que l’on Nous a dit : lui et ses hommes se sont
fort bien conduits. Ces hommes-la étaient Nos vassaux.
[...] Nous avons été étonnés de ne pas voir venir ni lettre ni envoyé de votre part, aprés
[Notre départ?|? de Ratisbonne. Aussi désirons-Nous que tu Nous informes plus souvent de
ta santé ou de toute autre chose qui te plaira. Et Nous t’envoyons 4 nouveau de nombreux saluts
dans le Seigneur.
1. Colonne.
2. Il y a une légére lacune dans le texte qui nous est parvenu.
164
DOSSIER SUR
le couronnement impérial de Charlemagne (25 décembre 800)
[...] Nam tres personae in mundo altissime hucusque fuerunt; id est apostolica
sublimitas, quae beati Petri principis apostolorum sedem vicario munere regere
solet; quid vero in eo actum sit, qui rector praefate sedis fuerat, mihi veneranda
bonitas vestra innotescere curavit. Alia est imperialis dignitas et ‘secundae Romae
saecularis potentia; quam impie gubernator imperii illius depositus sit, non ab
alienis sed a propriis et concivibus, ubique fama narrante crebrescit. Tertia est
regalis dignitas, in qua vos domini nostri Iesu Christi dispensatio rectorem populi
christiani disposuit, ceteris praefatis dignitatibus potentia excellentiorem, sapientia
clariorem, regni dignitate sublimiorem. Ecce in te solo tota salus ecclesiarum
Io Christi inclinata recumbit. Tu vindex scelerum, tu rector errantium, tu consolator
maerentium, tu exaltatio bonorum. [...]
M.G.H. Epistolae Karolini Aevi, tome II, 1895, p. 288.
[...] Car jusqu’ici, trois personnages au monde ont été au faite [de la puissance] : la
sublimité apostolique qui occupe, en tant que vicaire, le si¢ge du bienheureux Pierre, prince
des Apétres; ce qui a été fait contre celui qui tenait ledit si¢ge, votre vénérable bonté a pris
soin de me l’apprendre. II y a aussi la dignité impériale et la puissance séculiére de la deuxiéme
Rome; avec quelle impiété le chef de cet Empire a été déposé, et non par des étrangers mais
par les siens et par ses propres concitoyens, la renommeée nous la appris et la colporté par-
tout. La troisiéme est la dignité royale, que vous-a octroyée Notre Seigneur Jésus-Christ ,
en vous désignant comme recteur du peuple chrétien, supérieur aux deux dignités précédentes
par la puissance, plus illustre par la sagesse, plus élevé par la dignité de votre régne. Voila
donc que sur toi seul repose entiérement le salut des églises du Christ, toi vengeur des crimes ,
toi guide des errants, toi consolateur des affligés, toi exaltation des bons. [...]
1. L’onction que décrit Théophane est peut-étre celle de Charles le Jeune, sacré roi,
et non celle de Charlemagne.
Les textes cités ci-dessous sont réunis en traduction anglaise dans S.-C. EAsToN et
H. WIiseRuSzowsklI, The Era of Charlemagne, 1961 et en traduction frangaise, sauf le premier,
dans R. Foiz, Le Couronnement de Charlemagne, 1964, pp. 276 sq. Livre qui fournit un commen-
taire désormais classique de ces divers fragments.
165
LES CAROLINGIENS
[...] Romam veniens propter reparandum qui nimis conturbatus erat ecclesiae
statum, ibi totum hiemis tempus extraxit. Quo tempore imperatoris et augusti
nomen accepit. Quod primo in tantum adversatus est ut adfirmaret se eo die,
quamvis praecipua festivitas esset, ecclesiam non intraturum si pontificis consilium
prescire potuisset. Invidiam tamen suscepti nominis, Romanis imperatoribus
super hoc indignantibus, magna tulit patientia; vicitque eorum contumaciam
magnanimitate, qua eis procul dubio longe praestantior erat, mittendo ad eos
crebras legationes et in epistolis fratres eos appellando.
EGINHARD, Vie de Charlemagne, Paris, éd. L. Halphen, 1938, p. 80.
Traduction
[...] Venant 4 Rome pour rétablir la situation de l’Eglise, qui avait été fort compromise,
il y passa toute la saison hivernale. Et, a cette époque, il recut le titre d’empereur et d’auguste.
Il y fut tout d’abord si opposé qu’il affirmait ce jour-la, bien que ce fit celui de la féte majeure,
qu’il ne serait pas entré dans l’église, s’il avait pu savoir 4 ’avance le dessein du pontife.
Quant 4 la jalousie inspirée par le titre qu’il avait pris et indignation qu’en congcurent les
empereurs romains, il les supporta néanmoins avec une grande patience et il eut raison de
leur mauvaise volonté grace 4 sa magnanimité, qui mettait en évidence son éclatante supé-
riorité, en leur envoyant de fréquentes ambassades et en les appelant ses « fréres » dans ses
lettres.
[...] Advenientem diem Natalis domini nostri Jesu Christi in iamdicta basilica
beati Petri apostoli, omnes iterum congregati sunt. Et tunc venerabilis et almificus
presul manibus suis propriis pretiosissima corona coronavit eum. Tunc universi
fideles Romani videntes tanta defensione et dilectione quam erga sanctam romanam
ecclesiam et elus vicarium habuit, unanimiter altisona voce. Dei nutu atque beati
Petri clavigeri regni caelorum, exclamaverunt : « Karolo piissimo augusto a Deo
coronato, magno et pacifico imperatore, vita et victoria». Ante sacram confessio-
nem beati Petri apostoli, plures sanctos invocantes, ter dictum est; et ab omnibus
constitutus est imperator Romanorum. Illico sanctissimus antistes et pontifex
Io unxit oleo sancto Karolo, excellentissimo filio eius, rege, in ipso die Natalis domini
nostri Iesu Christi.
Liber Pontificalis, t. II, Paris, éd. par Mgr L. Duchesne, 1892, p. 8.
Traduction
[...] Vint le jour de la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ et ladite basilique du bien-
heureux apdtre Pierre les vit tous 4 nouveau réunis, Alors le vénérable et auguste Pontife,
de ses propres mains, le couronna d’une trés précieuse couronne. Alors l’ensemble des fidéles
166
Les réalités politiques : ’Empire carolingien
romains, voyant combien il avait défendu et aimé la sainte Eglise romaine et son vicaire, pous-
sérent d’une voix unanime, par la volonté de Dieu et du bienheureux Pierre, porteur de la
clé du royaume céleste, l’acclamation : « A Charles trés pieux auguste, par Dieu couronné
grand et pacifique empereur, vie et victoire ». Ceci fut dit trois fois devant la sainte Confes-
sion du bienheureux apétre Pierre, tout en invoquant plusieurs saints, et par tous il fut cons-
titué empereur des Romains. De suite aprés, le trés saint évéque et pontife oignit d’huile
sainte le roi Charles, son trés excellent fils, ce méme jour de la Nativité de Notre Seigneur
Jésus-Christ.
Traduction
Et il célébra la Nativité du Seigneur 4 Rome, et l’année changea et prit le numéro 8or.
Ce méme jour trés sacré de la Nativité du Seigneur, alors que, avant la messe, le roi, devant
la confession du bienheureux Pierre apdtre, se levait, sa priére dite, le pape Léon posa la cou-
ronne sur sa téte et tout le peuple romain |’acclama : « A Charles Auguste, par Dieu cou-
ronné grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ». Et aprés les Laudes, il fut
adoré par le successeur des Apdtres, 4 la maniére des anciens princes; et, ayant abandonné
le titre de patrice, il fut appelé empereur et auguste. Peu de jours aprés, il fit comparaitre
ceux qui, l’année précédente, avaient déposé le pontife.
167
LES CAROLINGIENS
esse videbatur, ut ipse cum Dei adiutorio et universo christiano populo petente
Io ipsum nomen aberet. Quorum petitionem ipse rex Karolus denegare noluit,
sed cum omni humilitate subiectus Deo et petitione sacerdotum et universi chris-
tiani populi in ipsa nativitate domini nostri Iesu Christi ipsum nomen impera-
toris cum consecratione domni Leonis papa suscepit.
M.G.H.SS., t. 1, €d. Pertz, 1826, p, 38:
Traduction
[...] Et ce méme hiver, [Charles] le passa 4 Rome.
801. Et parce que, a cette époque, dans le pays des Grecs, le titre d’empereur n’était
plus porté et qu’une femme chez eux tenait l’Empire, il parut et au successeur des Apdtres
Léon et 4 tous les saints Péres qui assistaient au Concile, ainsi qu’a tout le reste du peuple
chrétien, que Charles, roi des Francs, devait recevoir le titre d’empereur, lui qui tenait Rome
elle-méme, ou de tout temps les Césars avaient eu coutume de résider et qui tenait les autres
résidences en Italie, en Gaule non moins qu’en Germanie. Car Dieu tout-puissant avait consenti
4 mettre en son pouvoir toutes ces résidences et il leur paraissait juste que, avec l’aide de Dieu
et a la demande de tout le peuple chrétien, il ait lui aussi ce titre [d’empereur]. Leur demande,
le roi Charles ne voulut pas la rejeter, mais se soumettant humblement 4 Dieu et a la demande
des prétres et de tout le peuple chrétien, a la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ, il
prit le titre d’empereur avec la consécration du seigneur pape Léon.
MUTOD TLxeG@¢, xal MAL amOoxaTEcTHOEV avTOV Ei¢ Tov idtov Bpdvov, yevouévng THC
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OUNS an exeivov TOU xatpod Uo THY eEovatav tTOv Dodyyav - ‘O 8é tov Kepovroy
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Hlétpov yptoag erat and xepadry¢ Ew noddv, nar mepr6arav Baordrixny eoOAta
if ~ ~ ~
Traduction
Celui-ci [Léon] s’enfuit auprés du roi des Francs, Charles, lequel, punit fortement ses
adversaires et le rétablit sur son siége, quand, vers la méme époque, Rome tomba au pouvoir
des Francs. Et rendant la pareille 4 Charles, il le couronna basileus des Romains, dans le
temple du saint apdtre Pierre, l’oignit de la téte aux pieds et lui donna les vétements impé-
riaux et la couronne, au mois de décembre, le 25, indiction neuf.
168
DOSSIER SUR
le prestige du souverain carolingien (741-824)
Le couronnement impérial ne fait que consacrer le prestige des Carolingiens qui remonte
aussi bien 4 Pépin, oint en 751, qu’a Charles Martel, vainqueur des Arabes. L’Eglise a d’ail-
leurs fortement contribué 4 sa diffusion en dehors des pays francs. On sait que les plus illustres
des Anglo-Saxons comme Boniface ou Alcuin sont venus conseiller les premiers Carolingiens
qui, en contrepartie, ont pu influer fortement sur le clergé « britannique ». I] est quand méme
étonnant que de lointaines Annales de Northumbrie, élaborées dans les ilots de Lindisfarne,
consacrent plus de lignes aux Carolingiens qu’a leurs propres rois ou évéques. Et, méme
si la situation générale de Empire parait moins favorable au début du Ix® siécle, au point
que certains y ont vu le début de la « décomposition », il semble que le rayonnement de Charles
vieillissant ou du jeune Louis ait été encore plus grand. Le lointain Harun ar Rachid, l’Aghla-
bide Ibrahim de Kairouan, Byzance, les peuples du Nord et de l’Est honorent l’empereur
d’Occident, dont les campagnes ne cessent d’ailleurs qu’aprés 825, témoin ces derniéres
offensives contre les Slaves qui assurent les frontiéres orientales.
On note, 4 cété de la sécheresse ou de la précision des Annales, le sérieux du prévét
de Saint-Cassius de Bonn et chorévéque de Tréves, Théganbert dit Thégan (+ 848?), et
la fantaisie du « moine de Saint-Gall », en fait l’écolatre Notker le Bégue (vers 830-7 912),
qui construit des fables suspectes sur un fond de vérité.
169
LES CAROLINGIENS
Traduction
741. Le prince Charles meurt : Carloman et Pépin, ses fils, lui succédérent.
744. Wilfrid, évéque, mourut le 3 des calendes de Mai.
746. Carloman, frére de Pépin, se fait moine 4 Rome et par la suite au Mont-Cassin.
750. Pépin est oint empereur [sic].
Mie Latees saheihel "eet eas atlaae! <j ehisica) iter oreo elie! acta is) else) elite ee fectel iecele fe) ewabade te! le elieel sit ecelieiien @usuie:in ievieehe ale Neve hee tie Lel-scie 1s ssa SiS
Traduction
794. Cette année-la, Charles, roi des Francs, envoya en Bretagne le livre synodal®, dans
lequel on trouva beaucoup de choses heurtant la foi et par-dessus tout l’assertion unanime
de presque tous les docteurs d’Orient, définissant l’adoration due aux images, ce que réprouve
totalement |’Eglise catholique. Contre cela Albin [= Alcuin] a écrit une lettre. [...]
_ 1, Ewald, roi de Northumbrie, avait succombé en 788 a une conjuration. Son fils Ethelred
revint d’exil et s’empara du tréne : il fut 4 son tour tué 4 Cobre en 796.
2. Ville de Holy Island, ot furent probablement rédigées les Annales, fut saccagée
— ainsi que la proche Jarrow — par le premier en date des raids scandinaves. II se passa
40 ans de paix avant le suivant (834), perpétré plus bas (Tamise) par des Danois venus de Frise.
3. Osred fut en fait destitué rapidement, mais se réfugia 4 Lindisfarne avant d’aller
chez les Pictes.
4. Le détail est faux : c’est Judith, fille de Charles le Chauve, qui épousa deux rois
anglo-saxons.
5. Cf. synode de Francfort, ci-dessous document 104.
170
Les réalités politiques : Empire carolingien
Alio anno regni sui habuit generale placitum suum in partibus Saxoniae
et ibi multa bona constituit et legatio Danaorum ad eum venit postulans pacem,
et omnes qui in circuitu erant paganorum nationum ad eum venerunt, et supra-
dictus Bernardus ibi ad eum venit, quem dimisit ire iterum in Italiam, Domnus
Hludowicus postquam confirmavit confinia regni sui illis partibus, rediit ad
sedem suam Aquisgrani palacio, ibique hiemem transegit.
SyISI. (els) 8;fe 18 hey ©.-OpKe! Je) 10.16) 0).B\ie: Je, 16: 6)<6.40", 6: 6 6.K6)) <8) 6; 9-0! ele) put ie,(10) 6)<0 else) 14) (0) 1067 161010) 8S) 6.1 4)\S) 0) oy10in'e ornd: (on'@ pel ce) 0 01110) @.0uhe enle us) (©
Traduction
814. Des envoyés vinrent a lui de tous ses royaumes et provinces, et des nations étrangéres ;
et tous ceux qui étaient sous la domination de son pére lui annoncérent qu’ils respecteraient
la paix et la fidélité 4 son égard, et spontanément, sans contrainte, ils lui firent hommage.
Parmi eux vinrent les envoyés des Grecs en compagnie d’Amalaire, évéque de Tréves 1,
qui était ’envoyé de Charles, de pieuse mémoire, auprés du prince constantinopolitain,
dont le nom pour l’instant échappe 4 ma mémoire®. A leur arrivée, ils trouvérent installé
sur le tréne de son pére le seigneur Louis, car ainsi en avait disposé le Seigneur.
La deuxiéme année de son régne, il tint son plaid général en pays Saxon et y prit des
mesures excellentes; et une délégation de Danois vint a lui pour lui demander la paix, et tous
ike Amalaire, moine de Midloc puis archevéque de Tréves 4 partir de 809, devait décéder
peu aprés son retour de Constantinople.
2. En moins de trois ans, Byzance avait connu quatre souverains : Nicéphore I®', vaincu
et tué par le Khan Krum en 811; son fils Staurakios qui, griévement blessé, ne lui survécut
guére; Michel Ie™, renversé et remplacé aprés un court régne par Léon V (813). Thégan
hésite-t-il entre ces différents empereurs ou a-t- il tout simplement oubli¢? De toutes maniéres,
il faut lui savoir gré de sa sincérité.
171
LES CAROLINGIENS
ceux qui alentour appartenaient 4 des nations paiennes vinrent a4 lui; et le susdit Bernard *
y vint le voir : le Seigneur Louis le renvoya 4 nouveau en Italie et, aprés avoir ainsi consolidé
les frontiéres de son royaume dans ces régions, il revint 4 sa résidence, au palais d’Aix-la-
Chapelle et y passa Vhiver.
fatetja(ienieiceita: ie (ejei pel ee (el:6/re) 91/4.-6/ 0 iels6: ee. (0) 856.76 10/6. ielhe) eile) aie; eiioe -eliel eee) eee) e161 4114. 6 e/nei'e-¢ .¢)0e) e7eenue ieue! 07.8} alt8in ef e)k9176... 16/16) (0/0179. 108.06:
824. L’année suivante, il envoya son armée contre les Slaves orientaux dont le duc
qui avait nom Liduit fut mis en fuite et dont le pays fut ravagé. Puis ils s’en retournérent
et revinrent chez eux.
Imperator [...] Papiam perrexit. Ibi nuntiatur ei, legatos Aaron amir al
mumminin regis Persarum portum Pisas intrasse. Quibus obviam mittens inter
Verccelis et Eporeiam eos sibi fecit praesentari; unus enim ex eis erat Persa de
Oriente, legatus regis Persarum, nam duo fuerant, alter Sarracenus de Africa,
legatus amirati Abraham, qui in confinio Africae in Fossato praesidebat. Qui
Isaac iudeum, quem imperator ante quadriennum ad regem Persarum cum Lant-
frido et Sigimundo miserat, reversum cum magnis muneribus nuntiaverunt;
nam Lantfiridus ac Sigimundus ambo defuncti erant. Tum ille misit Ercan-
baldum notarium in Liguriam ad classem parandam, qua elefans et ea, quae
IO cum eo deferabantur, subveherentur.
Traduction
L’empereur [...] arriva 4 Pavie. Et la on lui annonga que les envoyés d’Hartin, amir
al Mumminin® et roi de Perse, étaient entrés dans le port de Pise. I] envoya des gens a leur
rencontre et se les fit présenter entre Verceil et Ivrée; l’un d’eux, de l’Est de la Perse, était
Venvoyé du roi de Perse; l’autre, car ils étaient deux, Sarrasin d’Afrique, était l’envoyé de
Vémir Ibrahim qui régnait a Fostat *. Et ils annoncérent que le Juif Isaac, que l’empereur
1. C’est le fils de Pépin, roi d’Italie, donc le propre neveu de Louis, dont on connait
le sort tragique : révolté contre son oncle, il fut fait prisonnier, eut les yeux crevés et mourut
des suites de ce supplice.
2. Haroun est effectivement «commandeur des Croyants », Cette retranscription de
Parabe est particuli¢érement remarquable.
3. Y a-t-il ici précision extréme de l’analyste et évocation d’un petit lieu-dit au sud
de Kairouan ou erreur et interpolation par confusion avec la grande ville d’Afrique musul-
mane, Fostat en Egypte qui, a la fin du x® siécle, devint Le Caire? La premiére hypothése
est plus probable : Fostat d’Egypte ne se sépare de Bagdad que dans la seconde moitié du
Ix si¢cle avec les Toulounides. Quant a Vinterprétation Fez (Maroc), elle est difficile.
ie
Les réalités politiques : Empire carolingien
plus de 4 ans auparavant avait envoyé au roi de Perse avec Landfrid et Sigmund, retournait
avec de grands cadeaux; quant a Landfrid et Sigmund, ils étaient morts tous les deux. L’empe-
reur envoya alors Ercanbald, notaire, en Ligurie, pour préparer la flotte, qui porterait l’élé-
phant et tout ce qui arrivait en sa compagnie.
Traduction
Vinrent également a lui des ambassadeurs du roi d’Afrique qui apportaient un lion de
Marmarique ! et un ours de Numidie avec de la rouille ibére, de la pourpre de Tyr et d’autres
choses insignes provenant de ces pays-la. A lui et aux Libyens, qui sont toujours écrasés
du joug de la disette, Charles fit don trés libéralement des richesses d’Europe, c’est-a-dire
froment, vin et huile et pas seulement cette fois-la, mais durant toute sa vie et en les susten-
tant trés largement, il se les conserva soumis et fidéles 4 perpétuité et en recut des tributs
non négligeables.
ls
27 EES sotRUC TURES
Ut omnis liber homo qui quatuor manoss vestitos de proprio suo sive de
alicuius beneficio habet, ipse se praeparet et per se in hostem pergat, sive cum
seniore suo si senior eius perrexerit sive cum comite suo. Qui vero tres mansos
de proprio habuerit, huic adiungatur qui unum mansum habeat et det illi adiu-
torium, ut ille pro ambobus possit. Qui autem duos habet de proprio tantum,
iungatur illi alter qui similiter duos mansos habeat et unus ex eis, altero illum
adiuvante, pergat in hostem. Qui etiam tantum unum mansum de proprio habet
adiungantur ei tres qui similiter habeant et dent ei adiutorium, et ille pergat
tantum; tres vero qui illi adiutori'um dederunt domi remaneant.
Io Volumus atque iubemus, ut idem missi nostri diligenter inquirant qui anno
praeterito de hoste bannito remansissent super illam ordinationem quam modo
superius comprehenso de liberis et pauperioribus hominibus fieri iussimus; et
quicumque fuerit inventus, qui nec parem suum ad hostem suum faciendum
secundum nostram iussionem adiuvit neque perrexit, haribannum nostrum ple-
15 niter rewadiet et de solvendo illo secundum legem fidem faciat.
[...] De hominibus comitum casatis isti sunt excipiendi et bannum rewa-
diare non iubeantur; duo qui dimissi fuerunt cum uxore illius et alii duo qui
propter ministerium eius custodiendum et servitium nostrum faciendum rema-
nere iussi sunt. In qua causa modo praecipimus ut quanta ministeria unusquisque
20 comes habuerit totiens duos homines ad ea custodienda domi dimittat praeter
illos duos quos cum uxore sua ceteros vero omnes secum pleniter habeat vel, si
ipse domi remanserit cum illo qui pro eo in hostem proficiscitur dirigat. Episcopus
vero vel abbas duo tantum de casatis et laicis hominibus suis domi dimittant.
174
Les réalités politiques : Empire carolingien
Traduction
Que tout homme libre qui a 4 manses vétus, en propre ou en bénéfice de quelqu’un,
se prépare et aille lui-méme 4 ses frais 4 l’ost, soit avec son seigneur, si son seigneur y va, soit
avec son comte. Celui qui aura 3 manses en propre, qu’on lui adjoigne quelqu’un qui ait
I manse et qui lui fournisse une aide lui permettant de les représenter tous les deux. Et celui
qui n’en a que 2 en propre, qu’on lui en adjoigne un autre ayant pareillement 2 manses et
que l’un des deux, aidé par I’autre, aille 4 l’ost. Et celui qui n’a qu’un manse en propre, qu’on
lui en adjoigne 3 qui possédent la méme chose et lui donnent leur aide et qu’il y aille tout seul
et que les 3 qui lui ont donné de l’aide restent a la maison.
Nous voulons et ordonnons que nos mémes missi s’enquiérent avec diligence de ceux
qui, l’année précédente, 4 propos du ban de l’ost, ont négligé ’ordonnance que nous avons
fait résumer ci-dessus, sur les libres et les pauvres; et quiconque aura été repéré comme
n’ayant pas aidé son compagnon a accomplir son service d’ost suivant notre ordre et n’y
étant pas allé, qu’il nous donne gage pour payer le hériban complet et préte la foi pour l’acquit-
ter selon la loi.
[...] Parmi les hommes des comtes, qui sont chasés, ceux-ci sont a excepter et ne doivent
pas étre requis de donner gage pour le ban : a savoir, deux qui ont été laissés avec l’épouse
du comte et deux autres qui ont rec¢u ordre de rester pour veiller 4 son ministére et accomplir
notre service. A ce sujet, nous avons récemment prescrit que, autant de ministéres a chaque
comte, autant de fois deux hommes il doit laisser 4 la maison pour y veiller, en plus des deux
avec sa femme; mais qu’il ait tous les autres avec lui ou, s’il reste 4 la maison, qu’il les envoie
avec celui qui part a lost a sa place.
Que l’évéque ou l’abbé laisse chez lui seulement deux hommes parmi les chasés et les laics.
En ce qui concerne nos hommes, ceux des évéques et des abbés, qui ont soit des béné-
fices, soit des propres, de nature a leur permettre, suivant notre ordre, de bien aller 4 l’ost;
si, excepté ceux a qui nous avons permis de rester en leur compagnie a la maison, on en
repére qui, ou bien se sont rachetés en payant ou bien sont restés a la maison avec la per-
mission de leurs maitres !, ils doivent préter leur foi et payer notre ban, ainsi qu’il est dit plus
haut. Et leurs maitres qui leur auront permis de rester a la maison ou leurs ministériaux,
qui auront accepté de se faire payer, doivent également donner gage pour notre ban et préter
leur foi jusqu’A ce que nous soyons mis au courant.
175
LES CAROLINGIENS
[...] Nous voulons que les hommes de nos fidéles, que nous avons fait rester a la maison
avec nous ou pour notre service, ne soient pas forcés d’aller a l’armée, mais qu’eux-mémes
restent A la maison ou au service de leurs maitres. Et que l’on n’exige pas de gage pour l’héri-
ban de ces hommes qui ont été avec nous l’an passé.
Parmi les organes les plus connus, sinon les plus originaux de l’administration caro-
lingienne figurent les missi. Choisis parmi les grands, généralement associés deux a deux (un
évéque et un laic), ils regoivent une Jegatio, définie territorialement par rapport a une pro-
vince ecclésiastique, voire A divers évéchés et comtés. On note, outre leur rdle de liaison
entre l’empereur et les autorités locales, l’ampleur de leurs compétences administratives
et judiciaires.
176
Les réalités politiques : Empire carolingien
Traduction
1. Suivent d’autres provinces ecclésiastiques et le nom des missz qui leur sont affectés.
Tous ces basta sont identifiables, en particulier les ecclésiastiques, grace 4 l’ouvrage
de Mgr. L. DucHESNE, Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, Paris, 1894-1917, 3 vol.
wii
LES CAROLINGIENS
Traduction
178
Les réalités politiques : l’Empire carolingien
3. Et puis, tous ceux qui seront envers vous rebelles ou désobéissants et ne voudront
vous écouter ni selon la loi ni selon la justice, si grands soient-ils, dressez-en la liste et envoyez-
nous la par avance, si c’est nécessaire, ou bien avertissez-nous, lors d’une de nos conférences
communes, pour que nous agissions a leur égard suivant ce que notre seigneur nous a ordonné.
4. Et puis veillez trés précisément 4 ceci : si quelque chose dans tous les ordres que notre
seigneur vous a envoyé par écrit ou verbalement, touchant Dieu ou touchant le siécle, vous
parait douteux, envoyez-nous rapidement un messager A l’esprit ouvert pour que vous puis-
siez bien comprendre tout et avec l’aide du Seigneur bien l’accomplir. [...]
7. Et puis gardez bien cette lettre, lisez-la souvent, prenez-en soin pour que vous et
nous puissions vérifier si vous avez agi suivant ses prescriptions ou non.
[...] Consuetudo autem tunc temporis talis erat ut non saepius sed bis in
anno placita duo tenerentur. Unum quando ordinabatur status totius regni ad
anni vertentis spacium; quod ordinatum nullus eventus rerum, nisi summa neces-
sitas quae similiter toto regno incumbebat, mutabatur. In quo placito generalitas
universorum majorum tam clericorum quam laicorum conveniebat : seniores,
propter concilium ordinandum; minores, propter idem concilium suscipiendum
et interdum pariter tractandum, et, non ex potestate, sed ex proprio mentis intel-
lectu vel sententia confirmandum; caeterum autem propter dona generaliter
danda.
Aliud placitum cum senioribus tantum et praecipuis consiliariis habebatur,
in quo jam futuri anni status tractari incipiebatur, si forte talia aliqua se prae-
monstrabant, pro quibus necesse erat praemeditando ordinare, si quid, mox
transacto anno priore, incumberet pro quo anticipando aliquid statuere aut pro-
videre necessitas esset.
[...] Proceres vero praedicti, sive in hoc, sive in illo praefato placito quin
et primi senatores regni, ne quasi sine causa convocari viderentur, mox aucto-
ritate regia per denominata et ordinata capitula, quae vel ab ipso per inspira-
tionem Dei inventa vel undique sibi nuntiata post eorum abscessum precipue
fuerant, eis ad conferendum vel ad considerandum patefacta sunt.
Quibus susceptis, interdum die uno, interdum biduo, interdum etiam tri-
duo vel amplius, prout rerum pondus expetebat, accepto, ex praedictis domesticis
palatii missis intercurrentibus, quaeque sibi videbantur interrogantes respon-
sumque recipientes, tamdiu ita nullo extraneo appropinquante donec res
179
LES CAROLINGIENS
Traduction *
C’était Pusage, a l’époque, de ne pas tenir souvent de plaids, mais seulement deux fois
par an. Le premier plaid, quand 1’on réglait |’état de tout le royaume pour tout le temps de
Vannée en cours; et ce qui était réglé, aucun événement, sauf nécessité absolue [pour affaire]
concernant l’ensemble du royaume, ne pouvait le modifier. A ce plaid se rassemblaient la
totalité des grands, tant clercs que laics; les « seigneurs », pour conseiller et décider; ceux de
moindre importance pour accepter ces conseils, parfois y prendre part et les confirmer, non
par soumission au pouvoir, mais par adhésion propre de leur esprit ou de leur sagacité; tous,
par ailleurs, pour donner les cadeaux [annuels].
L’autre plaid se tenait avec les seuls « seigneurs » et les principaux conseillers; on com-
mengait a y traiter les affaires de l’année suivante, si, d’aventure, il s’en annongait d’urgentes,
a régler obligatoirement a l’avance ou si, l’année quasi terminée, arrivait quelque chose,
qui réclamait des précautions ou des décisions anticipées.
[...] Et ces grands personnages-la, tantét dans l’un, tantét dans l’autre de ces plaids déja
signalés, plus les principaux « sénateurs » du royaume, pour éviter qu’ils parussent convoqués
sans raison, se voyaient confier par l’autorité royale, pour délibération et examen, les prin-
cipales dispositions, groupées en chapitres précis, que l’inspiration divine avait permis au
roi de trouver ou qu’on avait de partout porté 4 sa connaissance aprés leur départ.
Ces dispositions communiquées, ils passaient [ad les examiner] un jour, parfois deux,
parfois méme trois ou plus, suivant ce que réclamait l’importance de l’affaire et, par l’inter-
médiaire de messagers, pris parmi lesdits officiers du palais, ils posaient des questions et rece-
vaient des réponses sur tout ce qu’ils voulaient et aucun étranger ne s’approchait d’eux avant
que chacun des problémes n’ait recu sa solution, que le glorieux prince n’en ait entendu et vu
de ses regards sacrés leur exposé et que tous n’aient accepté le choix fait par la sagesse que Dieu
lui a donnée.
[...] Il ne faut pas oublier que, si le temps était beau, c’était dehors, sinon, a l’inté-
rieur, dans divers locaux séparés, que pouvaient siéger, a l’écart, tous ceux qui avaient été
choisis, tandis que la multitude des autres était ailleurs et, de toutes fagons, on évitait que le
reste des personnes de rang inférieur ptt y assister. Quoi qu’il en soit, espace accueillant
les grands personnages était divisé en deux, de maniére a ce que tous les évéques, abbés ou
1. La traduction de ce passage est facilitée par celle qu’en a donnée M. Prou dans l’ou-
vrage cité en référence. Larges extraits republiés par G. TEsstER dans Charlemagne, Paris,
1967, pp. 223-242.
180
Les réalités politiques : l’Empire carolingien
clercs pourvus d’une dignité comparable, se réunissent sans aucun mélange de laics. [...]
Une fois la séparation effectuée, restait en leur pouvoir de décider quand ils siégeraient
ensemble ou séparément, suivant la nature des affaires 4 traiter, spirituelles, temporelles ou
mixtes.
181
LES CAROLINGIENS
40 denario dare debeat, sigalatius quindecim aeque pondere pro denario, ordeaceos
viginti similiter pensantes, avenatios viginti quinque similiter pensantes. De
vero annona publica domni regis, si venundata fuerit, de avena modius II pro
denario, ordeo den. I, sigalo den. II, frumento modius denar. III. Et qui nostrum
habet beneficium, diligentissime praevideat, quantum potest Deo donante, ut
45 nullus ex mancipiis ad illum pertinentes beneficium fame moriatur; et quod
superest illius familiae necessitate, hoc libere vendat iure praescripto.
5. De denariis autem certissime sciatis nostrum edictum, quod in omni
loco, in omni civitate et in omni empturio similiter vadant isti novi denarii et
accipiantur ab omnibus. Si autem nominis nostri nomisma habent et mero sunt
50 argento, pleniter pensantes, si quis contradicit eos in ullo loco in aliquo negotio
emptionis vel venditionis : si ingenuus est homo, quindecim solidos componat
ad opus regis; si servilis conditionis, si suum est illud negotium proprium, per-
dat illud negotium aut flagellatur nudus ad palam coram populo; si autem ex
iussione sui domini fecerit, tunc ille dominus solidos quindecim componat, si
55 ei adprobatum fuerit.
M.G.H. Capitularia, tome I, 1883, p. 73.
Traduction
Avec la grace de Dieu, de par l’autorité apostolique et l’ordre de notre trés pieux seigneur
le roi Charles, l’an 26 de son principat, tous les évéques et prétres du royaume des Francs et
d’Italie, de l’Aquitaine et de la Provence se sont réunis en un concile synodal; et parmi eux, notre
trés bienveillant [sezgneur] en personne a participé a la sainte assemblée. La, dans le premier
des chapitres on a évoqué la question de l’hérésie impie et néfaste d’Elipand, évéque du siége
de Toléde, de Félix d’Urgel et de leurs disciples, qui pensaient mal au sujet du fils de Dieu
en assurant qu’il avait été adopté; les trés saints Péres cités ci-dessus l’ont rejetée et réfutée
d’une seule et méme voix et ont décidé que cette hérésie devait étre extirpée radicalement
de la sainte Eglise.
2. La-dessus est intervenue la question du nouveau synode des Grecs, tenu 4 Constan-
tinople et traitant de adoration des images, dont un écrit disait qu’étaient frappés d’anatheme
ceux qui n’adoreraient pas ou ne rendraient pas aux images de saints le méme culte qu’a la
divine Trinité; et nos trés saints Peres, cités ci-dessus, s’y sont refusés, ont rejeté absolument
cette adoration et ce culte et en ont publié la condamnation d’un consentement unanime.
3. Ceci fait, on a composé le chapitre de Tassilon, jadis duc de Baviére c’est-a-dire
cousin du seigneur roi Charles. Il apparut en plein concile demandant grace des fautes qu’il
avait commises, tant de celles commises du temps du seigneur roi Pépin, contre lui et le royaume
des Francs que de celles qu’il fit par la suite sous le régne de notre trés pieux seigneur le roi
Charles et au cours desquelles il avait frauduleusement rompu sa foi; il apparut, par cette hum-
ble pétition, supplier le roi et mériter d’en recevoir sa grace, car du fond du cceur il abandon-
nait toute colére et tout scandale de sa part et tout ce qui avait été perpétré contre le roi 4 son
escient. Et en outre, toute la justice et les choses de sa propriété, tout ce qui aurait dda légi-
timement appartenir a lui ou a ses fils ou filles dans le duché de Baviére, il le « déguerpit »
et le rejeta, et, pour apaiser a l’avenir tout litige, il le concéda sans le moindre droit de reprise
et se recommanda pour ses fils et pour ses filles 4 sa miséricorde. Aussi notre seigneur, ma
par une piti¢ miséricordieuse, pardonna audit Tassilon, le coeur libre et joyeux, les fautes
qu’il avait commises, lui donna grace pléniére et, a la vue de tous, l’accueillit dans sa charité
et son affection, de sorte qu’il fat dorénavant str de la miséricorde de Dieu. D’ot il prescri-
vit de faire rédiger trois brefs de ce chapitre, de teneur identique, un a conserver dans le
182
Les réalités politiques : I’Empire carolingien
x
palais, un autre 4 donner audit Tassilon pour qu’il le garde avec soi dans son monastére
x
et un troisiéme a déposer dans la chapelle du saint palais.
4. Notre trés pieux seigneur le roi décida, et le saint synode y consentit, que jamais
aucun homme, qu’il soit ecclésiastique ou laic, ne vende le grain, que ce soit en période
d’abondance ou de disette, plus cher que le muid public récemment défini : du muid d’avoine
un denier, du muid d’orge deux deniers, muid de seigle trois deniers, muid de froment
quatre deniers. Et s’il veut le vendre en pain, il doit donner 12 pains de froment, chacun de
deux livres pour un denier, en seigle 15 de méme poids pour un denier, en orge vingt pesant
de méme et en avoine 24 pesant de méme. Quant 4a l’annone publique du seigneur roi, si
on la met en vente, d’avoine muid 2 par denier, en orge [Je muid| 1 denier, seigle 2 deniers,
froment le muid 3 deniers. Et que celui qui a un de nos bénéfices prévoie avec le plus grand
soin tout ce qu’il peut faire, avec le don de Dieu, de maniére 4 ce que aucun des esclaves
dépendant de ce bénéfice ne meure de faim; et ce qui dépasse les besoins de sa « famille »,
qu’il le vende librement suivant le droit prescrit.
5. Et au sujet des deniers, sachez trés précisément notre édit, c’est-a-dire que en tout
lieu, en toute cité et en tout marché, ces nouveaux deniers ont cours de la méme maniére et
sont acceptés par tous. Et s’ils ont des piéces de notre nom‘, d’argent pur, de poids juste, si
quelqu’un les refuse en quelque lieu, en quelque opération de vente ou d’achat; si c’est un
homme libre, qu’il compose 4 15 sous pour le roi; s’il est de condition servile et si cette affaire
est en son nom propre, qu’il perde l’affaire ou qu’il soit flagellé nu au pal, en public; mais s’il
a agi sur ordre de son maitre, alors que ce maitre compose des 15 sous s’il l’a approuvé.
Commentaire
Charlemagne a pratiquement tous les pouvoirs : les textes [Capitulaires] qu’il fait rédiger
par sa chancellerie abordent, par chapitres, capitula, tous les sujets religieux, politiques, éco-
nomiques, judiciaires... Le début du Capitulaire rédigé en 794 lors du synode de Francfort
en est un bon exemple.
« Avec lapprobation apostolique, évéques et prétres du royaume des Francs, d’Italie,
d’Aquitaine et de la Provence se sont réunis en synode sur l’ordre du roi Charles, l’an 26 de son
principat. Ils ont condamné l’hérésie adoptianiste d’Elipand de Toléde et de Félix d’Urgel
et rejeté les décisions du synode grec de Constantinople qui veut rendre aux images le méme
culte qu’a la Trinité. Ils ont vu comparaitre le duc de Baviére Tassilon qui renonce pour lui
et ses enfants a4 tous ses droits sur la Baviére et recoit son pardon. La spéculation sur les grains
est réglementée pour les laics comme pour les ecclésiastiques et interdite 4 ceux qui ont un
bénéfice royal sauf si leurs esclaves ont le nécessaire. Personne ne peut refuser les nouveaux
deniers d’argent sans encourir l’amende de 15 sous pour le libre ou la flagellation publique
au pal pour lesclave responsable ».
Le préambule de cet acte (daté de 794, Charles régnant depuis 786), rappelle qu’a Franc-
fort le pape a envoyé 2 évéques (Théophylacte et Etienne) non 4 un concile cecuménique
(pas de Grecs) mais 4 un synode « national » convoqué sur ordre du roi dans son royaume
franc et ailleurs (Louis est roi d’Aquitaine, et Pépin roi d’Italie depuis 781). Provintiae désigne
soit « provinces », terme classique comme principatus, soit Provence, région trés romanisée
et ot: les évéques sont particuli¢rement nombreux. Nous savons que des Anglo-Saxons, tels
Alcuin et des Espagnols de Galice, étaient également présents; ne manquaient, en Occident,
que les Espagnols sous domination musulmane.
183
LES CAROLINGIENS
Les questions de dogme sont réglées les premiéres. Dans l’Espagne occupée depuis 712
par les Musulmans (756, arrivée de l’? Umayyade Abd ar-Rahman), la population restée chrétienne
se groupe autour du métropolitain de Toléde, dont l’influence s’étend méme sur les fractions
de l’Espagne indépendantes (Asturie, Galice, Marche franque). Ce grand personnage, tout
a fait autonome, n’a pas adopté les réformes opérées par Boniface en pays franc : il s’est
opposé aux archichapelains de Pépin et de Charles, Chrodegang et Wilchaire, et, au synode
de Séville, a précisé la position du clergé espagnol sur la doctrine trinitaire. La maladresse
a été de distinguer trop précisément dans le Christ le fils de Dieu et le fils de ’Homme, «adopté »
par Dieu; ses adversaires asturiens ou francs déforment sa pensée, la présentant comme le
« nestorianisme » qui, 4 l’autre bout du monde musulman, connait a l’époque un renouveau.
Elipand s’adresse alors au théologien réputé Félix, évéque d’Urgel, qui approuve le terme
« fils adoptif de Dieu »; mais Urgel, depuis 785, fait partie du royaume d’ Aquitaine; lhérésie,
si elle se répandait, serait néfaste 4 tout le monde franc; Félix, convoqué a Ratisbonne (79I-
792), se rétracte puis s’enfuit en Espagne musulmane; d’ot cette condamnation solennelle
de Francfort et la décision d’extirper l’hérésie. En 799, Félix, aprés 6 jours de discussion
avec Alcuin, abjure 4 nouveau son erreur 4 Aix et est envoyé en résidence surveillée 4 Lyon;
20 000 clercs, parait-il, dans son diocése et dans les régions gagnées par hérésie se soumettent 5
seuls Elipand et son épiscopat persévérent pour un temps.
D’autre part, le deuxiéme concile de Nicée (septembre-octobre 787), déclaré cecuménique
malgré l’absence des Francs (qui l’appellent « synode ») car, 4 cété du clergé grec et des repré-
sentants des patriarches d’Antioche et d’Alexandrie, figurent deux représentants du Pape,
s’était prononcé sur le culte des images 4 propos de la grande crise qui opposait dans l’>Empire
byzantin les iconoclastes, destructeurs d’images saintes, et les iconodules, qui les adoraient :
celles-ci sont honorées d’un culte relatif, d’>honneur, mais Dieu seul a droit 4 l’adoration
(latrie) et la foi. Or, la traduction latine des actes de ce concile (en grec) est si déplorable
qu’elle ne distingue pas Phonneur de l’adoration. L’indignation en Occident est générale.
Charles fait rédiger contre lineptissima synodus les Livres carolins, et le fait condamner 4
Francfort '. S’ajoutent les rancceurs contre Byzance (rupture de 787 et guerre en Istrie), la
meéfiance 4 l’égard d’Iréne, seule impératrice aprés avoir déposé et aveuglé son fils, la fureur
de voir le concile de Nicée déclaré cecuménique, etc. Le fait étonnant, explicable par l’igno-
rance ou la peur que le pape avait de Charles, est que les délégués apostoliques s’associent,
a Francfort, a la condamnation du concile de Nicée, que le pape avait expressément approuvé.
Le troisiéme paragraphe évoque le cas célébre du duc de Baviére Tassilon 2 (fils du duc
Odilon, mort en 748, et de la sceur de Pépin, Hiltrude, morte en 754) qui s’était « recommandé
en vasselage » 4 Pépin (premier exemple bien décrit) mais, en 763, avait abandonné l’armée
(herishz), et son oncle était mort (768) sans pouvoir se venger. Tassilon en a profité et des riva-
lités de Charles (un instant son beau-frére, car Désirée et Luitgarde sont filles de Didier)
et de Carloman pour pouvoir mener une grande politique vers l’Est; en 781, Charles, qui vient
de faire sacrer ses fils par Hadrien et domine I’Italie, se décide a lui faire préter un serment
vassalique, mais Tassilon se conduit mal avec les amis de Charles (évéques, missi dominici) :
en 787, il doit déguerpir son duché que Charles lui redonne en bénéfice; mais ses intrigues
avec les Byzantins, les Lombards voire les Avars le font condamner 4 mort 4 Ingelheim (788);
gracié, il est tondu et envoyé 4 Worms, dans un monastére. Seulement la Baviére est difficile a
annexer : Charles, qui connait des difficultés (Pépin le Bossu en 792, guerres de Saxe en 793)
184
Les réalités politiques : l’Empire carolingien
ne veut pas courir le risque que Tassilon ou ses enfants galvanisent sa résistance, d’ou cette
renonciation solennelle, établie en trois exemplaires. Rappelons que la Baviére n’étant plus
en droit propriété héréditaire des Agilolfing (alleu) puisque, conquise par Pépin et donnée en
bénéfice 4 Tassilon, qui, de gré ou de force, l’avait déja déguerpie en 787, le seigneur (Charles)
pouvait reprendre le bénéfice, par exemple lors du manquement de foi du vassal.
La disette de 792-793 a peut-étre motivé le quatriéme paragraphe : tel Dioclétien, Charles
fixe un prix maximum pour les grains (hiérarchie des quatre céréales courantes, toutes pani-
fiables, méme l’avoine) d’aprés les mesures récemment définies (muid de §2 litres ?). I] régle-
mente ce commerce (connu par le nombre des marchés locaux, Arras, Saint-Ouen, |’édit
de Pitres) qui est aux mains des grands propriétaires (monastéres, évéchés, seigneurs) qui
spéculent (durant la disette) pour augmenter leurs disponibilités en numéraire, permettant
d’acheter des produits de luxe. Le plus gros propriétaire (le roi) vend 4 bas prix (comparer
prix du pain privé et céréales publiques, méme avec la livre de 327 g et le muid de 52 1). Au
moins, sur les bénéfices royaux dont la jouissance est accordée 4 un vassal mais dont le roi
reste propriétaire et responsable, les esclaves (domestiques) ne doivent pas patir des spécu-
lations (préoccupation économique autant que charitable).
La grande réforme monétaire a eu lieu avant 780 : abandon de la frappe de l’or (sauf
dans le royaume lombard et, 4 l’occasion, pour quelques médailles); denier d’argent, seule
monnaie réelle, mais on en frappe 240 (et non 264) a la nouvelle livre (de 491 grammes, choisie
pour étre en rapport avec les poids musulmans ou byzantins car représentant 3/2 de l’ancienne
livre romaine de 327 grammes); le sou, monnaie de compte, évoque peut-étre une piéce
d’or théorique valant 12 deniers d’argent (le rapport argent-or était de 12). Charles a frappé
de nombreux deniers, dont les poids (actuels) sont malheureusement différents et entre eux
et par rapport au poids théorique, et il est difficile de serrer de trés prés le texte (dont la tra-
duction, de plus, manque de rigueur : nomisma désigne-t-il une piéce ou le « monogramme »
de Charles ?). Notons simplement les difficultés de diffusion des nouveaux deniers, leur rdle
dans le commerce, la possibilité pour des non-libres de passer des affaires en leur nom enga-
geant leur responsabilité et les exposant au chatiment corporel et, pour les libres, les compo-
sitions encore modérées (quart du ban de 60 sous).
CHAPITRE VI
L?EGLISE CAROLINGIENNE
ET EA RENAISSANCE DESeCERRRES
BAY DES AR ES
ToLawviE RELIGIEUSE
Document 105 — Lettre de Charlemagne au pape Léon III (796) sur
les deux états
La conception que Charles se fait de son rdéle et de celui qu’il accorde au pape n’est
jamais aussi nettement exprimée que dans ce court fragment oll, sous prétexte de féliciter
Léon III pour sa récente accession au tréne de saint Pierre, le roi, dans un style qui traduit
Pinfluence directe d’Alcuin, lui signifie la séparation des deux pouvoirs. La lettre de Loup
de Ferriéres commentée ci-dessous+ montre certains des effets pratiques d’une telle théorie.
186
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
Traduction }
Car, de méme que je me suis engagé, avec le trés Saint-Pére, votre prédécesseur, dans
les liens sacrés de la paternité, de méme, je désire m’unir avec votre béatitude, dans la méme
inviolable alliance de la charité et de la foi; afin que les priéres de votre Sainteté apostolique
ayant appelé la grace divine, la bénédiction apostolique me suive en tout lieu et que notre
dévotion défende a jamais, avec la faveur de Dieu, le trés saint-siége de l’Eglise romaine.
A nous, avec le secours de la piété divine, de défendre partout au dehors |’Eglise du Christ
contre les attaques des paiens et les ravages des infidéles et de veiller au-dedans a4 faire recon-
naitre la foi catholique. A vous, trés Saint-Pére, en élevant, tel Moise, les mains vers Dieu,
d’aider notre armée afin que, par votre intercession et par le don du Dieu qui le guide, le peuple
chrétien ait toujours et partout la victoire sur les ennemis de son saint nom et que le nom
de Notre Seigneur Jésus-Christ soit glorifié dans tout l’univers.
187
LES CAROLINGIENS
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20 44. Ut abbatibus liceat habere cellas, in quibus aut monachi sint aut cano-
nici; et abbas praevideat, ne minus de monachis ibi habitare permittat quam
sex.
45. Ut scola in monasterio non habeatur, nisi eorum qui oblati sunt.
Traduction
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188
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
42. Qu’aucun homme du peuple ou clerc séculier ne soit accepté pour y habiter, sauf
s’il veut devenir moine.
©) 6),87 (9.19 00101 (6 16).01(¢:50) 610-6) @:.8)1e,8)c0: (6),ee. ,6 (0) B) 6) €),0.101.0 10) 9)10) "eS. 9:6) 418) 6 .015e 6 CBlie 8)19, Sle 6 1s, ¥ 16, 6-6) 6c'@: (@: wre] 9c16)(6) 0118! @)'0) 0: 4,\6: 6116" 0.'61 6) 8:
44. Que les abbés puissent avoir des celles! dans lesquelles soient des moines ou des
chanoines; et que l’abbé ait soin de ne pas permettre 4 moins de six moines d’y habiter.
45. Que Von ne tienne pas d’école au monastére, sauf l’école de ceux qui sont oblats ?.
189
DOSSIER SUR
le monastére de Saint-Gall
190
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
vation a deux étages, trés visible sur la maquette (proportions probables : rapport 3/2 avec la
largeur du sol; donc 60 pieds pour la nef, 30 pour les bas-cétés, 60 pour le transept, proba-
blement de méme hauteur que la nef (le chceur est alors dans un parallélépipéde a section
carrée de 40 pieds et de 60 pieds d’aréte); la toiture est en bois, sa couverture en tuiles (synode
de Francfort, 794) ou plutét en plomb comme 4 Seligenstadt (Eginhard en parle en 827), a
Reims (Hincmar) ou a Saint-Wandrille. En annexe orientale, prés du sanctuaire, la sacristie
vestiaire liturgique, et le batiment pour préparation des hosties et des huiles saintes.
L’église est immédiatement flanquée au sud (exposition au soleil?) par le grand cloitre
et les logements des moines (autre fonction de base d’un monastére), Au commentaire de la
légende ajouter que le dortoir (71 lits) est en liaison directe avec le chceur de l’église (priéres
de nuit); que les trois batiments (qui encadrent un carré parfait de 100 pieds, mais dont deux
n’ont que 80 pieds sur 40 pieds) sont a étages et s’ouvrent par des arcades, donc ont des murs
de pierre (vérifier sur maquette).
L’ensemble religieux se compléte de batiments autonomes (avec double église), eux aussi
en pierre (arcades), consacrés les uns aux novices (chapelle orientale 17 a; cloitre méridional
17 c), les autres a l’infirmerie (chapelle occidentale 17 b, avec autel — a l’ouest — et cloitre
septentrional 17 d). Noter 4 ce sujet que les religieux sont assurés d’un certain confort et
installations hygiéniques (chaufferie, bains, exposition méridionale, nombreuses latrines);
les soins leur sont dispensés par les médecins (16) a proximité de l’infirmerie, du local a
saignées et purgations (a l’écart) et de la pharmacie que constitue le jardin médicinal.
Ces derniéres installations sont-elles exclusivement réservées aux religieux ?Probablement
pas en raison de la charité agissante vis-a-vis des laics (employés par le monastére) et des
personnes de l’extérieur. A la double zone de silence a l’est correspond une zone plus bruyante
a Pouest, celle des étrangers. De nombreux batiments sont réservés aux étrangers; les accueille
le portier (I e); les pauvres et les pélerins (31 et 32) ont un accés particulier a l’église occiden-
tale, et un « maitre » s’en occupe spécialement (1); les moines de passage (I c) sont dans un
logement réduit mais avec accés direct au transept; surtout, les visiteurs de marque disposent
d’une hétellerie de grand luxe (10 et I1) avec installations indépendantes et accés spécial
a Péglise; ces visiteurs sont 4 ménager car susceptibles d’accorder des priviléges et des graces,
et, parmi eux, l’empereur, surtout, pour la suite duquel sont vraisemblablement prévus deux
batiments supplémentaires (34 et 38). Toutes ces constructions sont généralement en bois
(voir maquette ou fondations) sauf 11 et 13 : leur intérét est considérable car c’est probablement
ainsi qu’il faut imaginer (en beaucoup plus grand) le logement impérial d’Aix que les fouilles
n’ont pu atteindre '. On remarque plus particuli¢érement la maison I1. Les serviteurs, parqués,
comme les chevaux (mais au sud) n’ont pas de chauffage ni d’éclairage particulier, donc sont
tributaires du grand foyer et de la cheminée centrale; leur logis n’a donc ni plafond, ni peut-étre
portes; en revanche, les seigneurs ont des cheminées dans leurs chambres, ce qui signifie
quw’ils peuvent se retirer a l’écart (et sous des plafonds), donc que ces chambres, isolées de
la grande salle, ont un éclairage particulier (des fenétres) : méme remarque pour le logis des
médecins (16), a fortiori de l’abbé (13) et donc de l’empereur a Aix. Les grands personnages
des environs, s’ils ne viennent pas souvent au monastére, y envoient fréquemment leurs fils,
d’ot: la place et l’ampleur de l’école extérieure (12) qui les accueille et le double logement de
Vécolatre (1 d). Il faut évoquer ici lune des autres taches du monastére : l’enseignement,
encore dispensé a |’extérieur, mais (ailleurs) de plus en plus réservé aux novices bénédictins
(ici 17 e; noter l’ampleur réduite, cf. document précédent 106). Saint-Gall a été de plus un
19]
LES CAROLINGIENS
remarquable foyer de culture, grace 4 son scriptorium (1 a) (noter sa place par rapport au
sanctuaire et au cheeur) ot l’on recopie sans cesse des ouvrages, qui s’entassent dans la biblio-
théque au-dessus (contenant a la fin du x® siécle 550 manuscrits), grace aussi au dynamisme
de ses professeurs (Radbert, Tutilon) et en particulier dans le domaine musical (Notker
le Lippu et la facture d’orgue, Notker le Bégue et les tropes). N’oublions pas non plus sa
célébre chronique du « moine de Saint-Gall » (cf. document 99).
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Pour entretenir et l’église et les moines et les visiteurs et les écoles, il fallait une dotation
fonciére considérable (160 000 arpents au X® siécle), d’ou l’importance des batiments destinés
a exploitation agricole et surtout a l’élevage (noter l’importance des chevaux et des bovins,
des chévres qui fournissent le lait; commenter la légende et la disposition des batiments,
avec référence au fisc d’Annapes et au capitulaire de Villis (cf. ci-dessous documents 125 et
126), sans oublier les plantes médicinales, dont le plan comporte une liste analogue 4 celle de
ces textes, et le verger, entourant ici le cimetiére pour des raisons au moins pratiques. Ajou-
ter a tout ce personnel logé les nombreux artisans (assurant l’autarcie du monastére) et, parmi
eux, les tourneurs (importance du bois) qui évoquent, beaucoup plus que les activités manuelles
des bénédictins, la présence de laics 4 leur service (et probablement de leur famille), ce qui
explique l’ampleur totale de ce monastére, abritant en permanence plusieurs centaines de
personnes et donnant finalement naissance a la ville actuelle.
194
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
mandata revelassemus, si, quod ipse optavit, quod etiam suis vobis litteris signi-
ficavit, nos quoque plurimum voluimus, ad Augustidunensem urbem vacuum
fuisset_vobis expectationi nostrae occurrere. Sed quod nuntii vestri certissimas
impossibilitatis vestrae causas nobis prodiderunt, quae copiose multipliciterque
dicenda verbis nobis commisit, sensuum veritate servata, conati sumus vestrae
sapientiae compendiosis litteris aperire. Praecepit itaque ut ejus vobis sermo-
nibus diceremus se fideliter tenere, quod rex regum idemque sacerdos sacer-
dotum, qui solus potuit ecclesiam regere, quam redemit, postquam humanitatem
suam in caelum evexit, semper cum suis futurus divinitate, potestatem suam
ad eandem gubernandam ecclesiam in sacerdotes divisit et reges, ut, quod sancti
docerent pontifices, et ipsi implerent et impleri facerent devotissimi reges; qua-
mobrem se cupere debitam sanctitati vestrae impendere reverentiam, sicut ei
quem sciat divinitatis cultum integre velle servare, atque vicissim postulare ut
cum eo tale foedus concordiae ineatis, ut, ubicumque ecclesiasticae utilitati in
portione regni divinitus sibi collata vestrae auctoritatis dispositione in re tanta
cupit consulere, unanimitate vestri consensus continue adjuvetur.
[...] Et ne vos longis ambagibus fatigemus, recens incommodum Augus-
tidunensis ecclesiae et prolixa perturbatio flexit ejus pietatem, ut sua largitate
vestraque promotione talem ei praeficiat, qui ruinas illius et spiritaliter et saecu-
lariter strenue sarcire sufficiat. Est autem, quem benignitati vestrae plurimum
commendat, propinquus ejus Bernus, a beatae memoriae glorioso imperatore
Hludovico tenere educatus et claris ornatus honoribus; quem et ipse hoc suo
tempore multis experimentis invenit idoneum et, opitulante gratia Dei, tanto
negotio credit aptissimum. In hoc probatissimorum ejus consiliariorum adquiescit
consensus. Idque vestrae prudentiae dominus noster nobis jussit suggerere non
esse novicium aut temerarium, quod ex palatio honorabilioribus maxime ecclesiis
procurat antistites.
Nam Pipinus, a quo per maximum Karolum et religiosissimum Hludovicum
imperatores ducit rex noster originem, exposita necessitate hujus regni Zachariae
Romano papae in synodo, cui martyr Bonifacius interfuit, ejus accepit consensum
ut acerbitati temporis industria sibi probatissimorum decedentibus episcopis
mereretur, ne forte simplicitate pontificum posset contingere quod in hac Eduo-
rum urbe, cujus nos nunc cura exercet, evenit. Proinde se petere, ut honorem
a papa Romano majoribus ejus vel regibus vel imperatoribus concessum et a
Lugdunensis ecclesiae metropolitanis, cui auctore Deo praesidetis, numquam
hactenus infirmatum, a vobis nulla vestra injuria consequatur. Quod si in hac
parte spretus non fuerit, facturum se ut in regno ejus vestrum ministerium debi-
tam semper venerationem optineat et optatum exitum sortiatur.
[...] Cujus petitioni nostras nos supplices jungimus preces, ut quod tantis
viris videtur optimum vobis quoque complaceat; ut in obsequendo vobis non
solum nos, verum etiam illos, faciatis, quod optamus, cupidissimos debitores.
Idque impetratum a vestra fidissima nobis familiaritate volumus, ut quod vobis
Deus inspiraverit nobis quam celerrime litteris ostendatis, ut per nos citius domi-
nus noster rex benivolam in se vestram cognoscens voluntatem, dignas Deo
referat gratias et, antequam necessitate regni longius abducatur, damnosam
praesulis dilationem recidat vobisque fidissimum adjutorem dirigat ordinandum.
Godelsadum etiam, quam ex palatio suo more praecessorum regum majo-
rum suorum, ut ante monstratum est, Cabillonensi praefecit ecclesiae, flagitat
195
LES CAROLINGIENS
idem rex, ut hac quadragesima non gravemini ordinare. Quod si per absentiam
Teotbaldi episcopi visum fuerit impossibile, quocumque tempore constitueritis,
congruum vobis curabimus ex episcopis nostris facere supplementum, ut, quod
>> prosit populo christiano, absque dilatione per vos Deus implere dignetur.
Loup DE FERRIERES, Correspondance, Paris, éd. L. Levillain, 1927, pp. 123 sqq.
Traduction
Au trés révérend et trés illustre prélat Amulus, Guénelon, évéque, et Gérard, comte,
salut perpétuel.
Nous vous aurions communiqué les nombreuses et importantes nouvelles que, par ordre
du roi, nous devions vous mander de sa part en confidence, si, ce qu’il souhaitait, ce que méme
il vous faisait savoir dans sa lettre, ce que nous aussi nous préférions, il vous avait été loisible
de répondre a notre attente en venant au-devant de nous 4 Autun. Mais, puisque vos envoyés
nous ont exposé les raisons indubitables de votre empéchement, nous nous sommes efforcés de
vous découvrir bri¢vement par une lettre — tout en en conservant le sens exact — ce que notre
roi nous avait chargés de vous exprimer oralement avec abondance et en détail. Voici ce qu’il
nous ordonna de vous dire : selon ses propres termes, il tient pour article de foi que le roi
des rois, qui est en méme temps le prétre des prétres, qui seul a pu gouverner 1’Eglise qu’il
a rachetée et qui, aprés ascension au ciel de son humanité, doit étre avec les siens toujours
par sa divinité, a divisé son pouvoir entre les prétres et les rois pour le gouvernement de cette
méme Eglise, pour que les rois trés pieux observassent et fissent observer les enseignements
des saints pontifes; c’est pourquoi il désire rendre a Votre Sainteté le respect qui vous est
da, comme 4 celui qu’il sait vouloir conserver intact le culte de la divinité; et il demande
en retour que vous passiez avec lui un traité de concorde tel que, partout ot dans la part
d’empire qui lui a été attribuée par Dieu il veut prendre les intéréts de |’Eglise en recourant
a votre autorité dans une question si grave, il soit aidé sans cesse du cordial concours de
votre consentement.
[...] Pour ne pas vous fatiguer par de longs ambages, le récent malheur et la longue
perturbation de léglise d’Autun ont incliné sa miséricorde a mettre a la téte de cette église,
par un acte de sa générosité et par votre promotion, un homme tel qu’il puisse suffire 4 réparer
énergiquement les ruines tant spirituelles que temporelles de ladite Eglise. Or, il en est un
qu’il recommande beaucoup a votre bienveillance, son parent Bernus, élevé tendrement
et revétu d’illustres charges par le glorieux empereur Louis d’heureuse mémoire; le roi
lui-méme, qui l’a souvent mis a Pépreuve en ces derniers temps, l’a trouvé capable et, avec
le secours de la grace divine, il le croit tres apte a une affaire de cette importance. Ses conseillers
les plus éprouvés sont d’accord pour approuver son choix. Notre maitre nous a ordonné
de suggérer a Votre Prudence qu’il n’y a rien de nouveau ou de téméraire a ce qu’il procure
aux plus vénérables des églises des prélats tirés de son palais.
En effet, Pépin — dont, par les empereurs, le trés grand Charles et le trés religieux Louis,
notre roi tire son origine —, ayant exposé au pape romain Zacharie les besoins de ce royaume
dans le synode auquel assista le martyr Boniface, regut son consentement 4 ce que, a la mort
des évéques, il fat remédié a la dureté des temps par l’industrie des hommes a ses yeux les
plus éprouvés, afin que d’aventure, par la simplicité des évéques, il ne put arriver ce qui
s’est produit dans cette ville d’Autun dont le soin nous occupe présentement. En conséquence,
il demande d’obtenir de vous, sans préjudice de votre droit, ’honneur concédé par le pape
romain a ses ancétres, rois ou empereurs, et jusqu’a présent jamais infirmé par les métropo-
litains de l’église de Lyon, a laquelle, sous la garantie de Dieu, vous présidez. Que si en cette
affaire il n’est pas méprisé, il fera en sorte que dans son royaume votre ministére obtienne
toujours la vénération qui lui est due et recgoive la récompense finale que nous souhaitons.
196
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
[...] Nous joignons, en suppliants, nos priéres 4 sa demande, pour que ce qui parait
excellent 4 de si grands personnages vous agrée aussi, de telle sorte qu’en y déférant vous
fassiez non seulement de nous, mais d’eux aussi, vos débiteurs trés attentifs, selon nos souhaits.
Et nous voulons obtenir de votre trés fidéle amitié que vous nous informiez par lettre le plus
rapidement possible, de ce que Dieu vous aura inspiré : ainsi, notre seigneur roi, connaissant
par nous sans délai (ce qu’il désire par-dessus tout) votre bonne volonté 4 son endroit, pourra
rendre 4 Dieu de dignes actions de graces et, avant d’étre entrainé plus loin par les nécessités
de son royaume, abréger le dommageable retard apporté a la nomination de l’évéque et vous
envoyer son trés fidéle collaborateur pour le sacrer.
Le méme roi demande aussi que, pendant ce caréme, vous daigniez ordonner Godelsadus
qu’il a tiré de son palais, selon la coutume des rois ses ancétres, comme il a été dit plus haut,
pour le mettre a la téte de l’église de Chalon. Si, par suite de l’absence de l’évéque
Thibaut*, cette ordination paraissait impossible, nous aurions soin, 4 quelque époque que
vous fixeriez, de faire le nécessaire a l'aide de nos évéques, pour que Dieu daigne accomplir
sans retard par vos soins ce qui est utile au peuple chrétien.
Commentaire
1. Evéque de Langres.
2 Ct, doctiment 145.
197
LES CAROLINGIENS
L’auteur du document est 4 peu prés sirement Loup, car il n’y aurait aucune raison de
le retrouver A Ferriéres s’il ne l’avait pas rédigé (sa réputation était telle que son archevéque
s’était adressé a lui pour cette mission délicate). Servat Loup, né vers 805, fils de grands per-
sonnages probablement germaniques, ce qui explique la bienveillance de l’impératrice Judith
(et de son fils Charles le Chauve), commenca ses études 4 Ferriéres, dans le GAtinais, prés
de Montargis, puis séjourna 8 ans 4 Fulda, prés de Raban Maur, de Gottschalk, non loin
de Seligenstadt (ot était Eginhard); déja célébre comme théologien, juriste, mathématicien,
poéte, il revint en 836 A Ferriéres pour enseigner les jeunes moines; il en devient abbé en
840 aprés son ordination en 838 et son séjour au palais, prés de Louis le Pieux et de Charles.
Important personnage, l’abbé de Ferriéres a de nombreuses préoccupations que nous connais-
sons par sa correspondance : administration du monastére, levée et conduite du contingent
a Post (en 844 il est fait prisonnier), plaids, missions diverses (844-845-849 4 Rome) disputes
avec son archevéque Guénelon... I] meurt en 862.
La situation de Loup en 842 peut expliquer au moins la forme et le mouvement du
texte : trés cultivé, précieux, excellent latiniste, il est consulté comme un oracle théologique
(d’ou cette théorie des rapports de l’Eglise et de l’Etat); trés au courant de ’histoire (allusions
a Zacharie, Boniface, Pépin, etc.), mais, abbé d’un grand monastére et favori d’un roi, il
est plein de respect et de déférence envers son maitre ou les évéques. En fait, la lettre est
signée non par lui mais par les deux missi de Charles : le laic, le comte Gérard, est mal connu;
lévéque (Guénelon ou Wénilo, archevéque de Sens de 840 4 865, ancien bénédictin et abbé
de Ferriéres) est célébre par sa trahison, lors de l’invasion du royaume par Louis le Ger-
manique ! et par l’usage de son nom (Ganelon) qu’en a fait La Chanson de Roland. L’archevéque
de Lyon, Amule ou Amolon, est également bien connu par sa vie ou ses écrits. Boniface
(Wynfrid né vers 675 dans le Wessex, martyrisé le 5 juin 754 en Frise) est le saint apdétre
de la Germanie *, archevéque 4 titre personnel et pratiquement chef de toute l’Eglise franque
quw’il a contribuée a réformer. Zacharie, d’origine grecque (€lu pape en 741, mort le 15 mars 752)
se signale par sa vertu (convainc Liutprand puis convertit Ratchis, tous deux rois des Lom-
bards), sa ferme attitude devant Viconoclasme de ’empereur byzantin Constantin V « copro-
nyme », par ’appui qu’il a donné a saint Boniface, par qui de surcroit il fait sacrer Pépin.
C’est sur lautorité et le renom de ces saints personnages, plus des souverains bien connus :
Pépin (+ 768), Charles (déja considéré comme « trés grand ») et Louis « trés pieux » (+ 840)
que Loup va essayer de justifier en droit une situation de fait.
Situation simple : un siége épiscopal (Autun) et méme deux (Chalon) sont vacants (ruine
spirituelle); la ruine temporelle provient peut-étre des combats suivant Fontenoy (car il
n’y a ni Sarrasins ni Normands a Autun en 842). D’ordinaire, Pépin, Charles et Louis impo-
saient leur candidat (en effet un évéque est un puissant personnage) mais pas uniquement
par intérét; ils vérifiaient aussi les aptitudes, méme des membres de leur famille (l’archevéque
Drogon par exemple, fils de Charlemagne, avant le Bernus ici mentionné); a fortiori des autres
qui faisaient un stage au Palais, véritable pépiniére d’évéques ou d’abbés (ainsi Guénelon
ou Loup de Ferri¢res eux-mémes); « les conseillers le plus éprouvés » (en particulier l’archi-
chapelain, véritable chef de l’Eglise franque) donnaient leur avis. Restait alors a faire donner
au candidat choisi l’investiture spirituelle par le chef de la province ecclésiastique, métropo-
litain et archevéque (doté par le pape du pallium depuis les réformes de la fin du vimr° siécle).
Lyon a, 4 lépoque, 4 suffragants (Autun, Langres, Chalon, M4con); un au moins doit
198
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
assister le métropolitain pour le sacre de ses collégues, mais seul Langres est pourvu (Macon
n’a pas de titulaire, ceux d’Autun et de Chalon sont précisément 4 remplacer). En cas d’absence
de cet évéque Thibaut, le Palais doit envoyer d’urgence un de ses évéques pour que les sacres
soient valables. On se demande cependant pourquoi cette lettre ampoulée, pleine de respect
et de déférence, les souverains ayant jusqu’ici ordonné et les métropolitains obéi : en fait,
larchevéque de Lyon est un personnage considérable, 4ménager (car il a le droit de refuser
le sacre et de faire procéder 4 une nouvelle élection les évéques de sa province sous sa prési-
dence); d’autre part, Charles le Chauve est dans une situation équivoque : il n’est pas l’empe-
reur (c’est Lothaire); le traité de Verdun n’est pas conclu et Lyon se trouvera de plus dans la
part de Lothaire (donc, indépendance absolue d’Amule par rapport 4 Charles).
On a donc recours au brillant abbé de Ferriéres qui rappelle qu’il n’y a « rien de nouveau
ni de téméraire » dans cette intervention du temporel dans le spirituel : les Ecritures, vénérées
par Charles, évoquent la division par le Christ des pouvoirs entre les prétres 1, les pontifes
voués au culte, a l’enseignement, et les rois qui observent cet enseignement et le font observer
en se bornant a4 prendre conseil des évéques.
Il y a eu un synode qui aurait reconnu aux Carolingiens le droit de nommer ces évéques
(et parmi les clercs du palais) : en fait, le terme synode est exact (assemblée réunissant un cer-
tain nombre d’évéques et de théologiens mais non cecuménique car, a l’époque, il faudrait,
outre les Francs, les prélats occidentaux et surtout byzantins, plus le pape ou ses délégués).
Mais on cherche en vain, du temps du pontificat de Zacherie (741-751), une prescription
de ce genre : d’abord jusqu’en 747, Boniface dépend surtout de Carloman, fils ainé de Charles
Martel, et c’est en Baviére que se tient le grand synode germanique (742-743); en Neustrie,
ou régne Pépin, le synode de Soissons (provinces de Reims, Sens et Rouen) le 2 mars 744
ne voit pas Boniface, et le seul ou Pépin et Boniface se retrouvent est celui de 747, ot l’on lit
un recueil, réponse de Zacharie mais dont les actes sont perdus; de plus, il est peu vraisem-
blable que cette prescription y ait figuré. Il faut donc admettre soit que Loup a fait endosser
a Boniface ce que ses successeurs Chrodegang et Wilchaire ont fait triompher a la cour
franque ”, soit qu’il a été abusé (comme Hincmar peu aprés) par des faux de Benoit le Lévite
(hypothése de Werminghoff).
Quoi qu’il en soit, a exemple de ces saints et puissants personnages, Loup ajoute la force
de la tradition (Lyon n’a jamais refusé), le chantage (« 4 Vutilité du peuple chrétien », dans le
réglement de ce « cas dommageable »), la menace voilée de Vinimitié royale (si le roi est
« méprisé »), la promesse d’une récompense (respect, vénération et reconnaissance royale)
et de multiples priéres et compliments, ménageant les susceptibilités d’un puissant prélat
qui pourrait étre du parti de Lothaire.
1. Cf. la théorie des deux glaives, ci-dessus document 105. Nombreux textes de Gélase I°T,
Grégoire le Grand, Isidore de Séville, Agobard ou Hincmar dans M. Pacaut, La Théocratie,
Paris, 1957, pp. 228 sqq.
2. Il faut d’ailleurs distinguer pour la nomination de tout évéque : 1° le choix royal,
obligatoire, car l’épiscopat est un « honneur » (cf. infra, Capitulaire de Quierzy, document 140),
c’est-a-dire la fonction et la dotation temporelle qui y sont attachées; 2° l’élection canonique
(par acclamation du peuple et du clergé); 3° la confirmation et le sacre par le métropolitain.
193
2. LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE
200
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
Traduction 1
Au seigneur trés pieux et trés éminent David, roi, Flaccus, profondément touché par
le calame de la tendresse [envoie] son salut.
[...] Lors du voyage que tout jeune j’ai fait 4 Rome, j’ai passé quelques jours 4 Pavie,
cité royale, et un Juif, du nom de Lull, eut une discussion avec maitre Pierre; j’ai appris
que cette controverse avait été mise par écrit dans la méme cité. Ce fut le méme Pierre qui,
dans votre palais, brilla par son enseignement de la grammaire. Peut-étre votre Homére en
a-t-il eu quelque écho de la part dudit maitre.
J’ai envoyé a votre Excellence quelques spécimens de style, confirmés par des exemples
du pere vénérable; et certaines figures d’arithmétique, pour le plaisir que cause leur subtilité,
sur le petit cahier que vous nous avez envoyé vide; pour qu’il revienne vétu, lui qui s’offrait
tout nu a nos regards; car j’estime digne d’étre honoré par nos lettres celui qui nous est
parvenu ennobli de votre sceau. Et si lesdits spécimens n’avaient guére valeur d’exemple,
Beselel, qui est familier aussi bien de vous que de moi, pourrait y ajouter des vers du pére.
Sans compter que les calculs des figures, dans un livre traitant des disciplines arithmétiques,
valent d’étre considérés.
La ponctuation, bien que les divisions et sous-divisions qu’elle permet constituent
dans les phrases un trés bel ornement, a vu cependant son usage, a cause de l’inculture,
pratiquement disparaitre chez ceux qui écrivent. Mais de méme que tout l’éclat de la sagesse
et la parure d’une saine érudition commence a se renouveler grace a la noblesse de vos efforts,
de méme il semble excellent que les mains des scribes connaissent 4 nouveau leur usage.
Pour moi, de ce fait et bien qu’avec peu de succés, je lutte chaque jour avec l’inculture
de Tours ?, Et que votre autorité instruise les jeunes du palais pour qu’ils rapportent avec
beaucoup d’élégance tout ce que votre esprit leur aura dicté de sa limpide éloquence; que
partout elle montre la noblesse de la royale sagesse.
Que fleurisse éternellement en ta compagnie la sagesse et ses dons
Que te soient attribués en permanence louange, honneur, pouvoir
Et, a chaque lettre que tu comportes, petite feuille,
Répéte de saintes salutations au doux David, avec toute mon affection.
201
DOSSIER SUR
le palais d’Aix-la-Chapelle
GrosskG6instrasse
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oakWe
a
Plan établi d’aprés Karl der Grosse : Werke, Ausstrahlung und Ueberleben, Catalogue de Pexpo-
sition de 1965 d’Aix-la-Chapelle, p. 386.
202
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
<—
Légende du document 111 :
|. Rue principale. 2. Porte monumentale. 3. Batiment de jonction.
4. « Aula palatina ». 5. Galerie a portiques. 6. Tourelle d’escalier.
7. Chapelle palatine
8. « Westbau » : avant-corps occidental, encadré de deux tourelles d’escaliers.
9-10. « Atrium » a exédres.
11-12. Batiments annexes, probablement « metatorium » (II) et «secretarium » dit « Latran » (12).
13. Curie (?), 14. Portique. 15. Galerie de jonction, en bois.
16-17. Batiments en colombage ou en bois.
18-19. Thermes impériaux : 18. Source de |’empereur. 19. Source de Quirinus.
20. Fondations des thermes romains.
Commentaire
I. Ce commentaire s’inspire, entre autres, des principaux articles parus en 1965 et 1967
dans l’ouvrage collectif en 4 volumes Karl der Grosse (articles dus 4 W. KAEMMERER,
G. BANDMANN, F, KeEuscH et L. HuoGot...). Il n’est donc pas étonnant qu’il ne reprenne
pas toutes les conclusions de la derniere mise au point en francais, résumé du seul article
de L. Hugot, paru dans l’édition francaise du catalogue de ]’exposition et cité en référence.
203
LES CAROLINGIENS
(routes de Dinant et de l’Eifel); quant au palais, souvent mentionné par des textes (sedes
regia aquensis, ad Aquis palatium), il semble avoir succédé a une villa de Pépin (ou la cour
passa 4 mois en 765 et 766), que signalent des actes de janvier et mars 769 ou de décem-
bre 777. Charlemagne y résida en 788-789 et fit commencer dés cette époque certains des
batiments qui devaient composer le palais; a partir de 794, le souverain s’y installa pour des
séjours de plus en plus fréquents avec son administration et sa cour qui, jusque-la, le sui-
vaient dans tous ses déplacements. C’est de 794 4 798, sous l’influence complexe du maitre
d’ceuvre Eudes, admirateur de Vitruve, du savant Alcuin, parfait connaisseur des églises
northumbriennes, du Wisigoth Théodulf, amoureux de la mesure, du nombre et de la forme,
du Lombard Paul Diacre, nostalgique de l’architecture milanaise, italienne, voire byzantine,
avec la collaboration d’Eginhard et de nombreux autres éminents personnages que s’élevérent
vraisemblablement les principaux édifices. A partir de 801, Aix, « nouvelle Rome », abrita
en permanence l|’empereur.
Des textes nous décrivent fort bien la vie de la cour impériale, mais ne nous donnent
que de trés rares détails sur le palais lui-méme, sa taille, son ordonnance, voire sa place exacte;
seules les différentes campagnes de fouilles exécutées depuis le siécle dernier et synthétisées
dans le plan de 1965 (document 111) permettent d’en avoir une idée plus précise.
L’ensemble des batiments ainsi décelés est formé de 4 groupes. Au nord, une grande
construction est-ouest, 4 abside occidentale et flanquée de deux absidioles médianes; le mur
sud est prolongé a l’est par une tour et bordé au sud par un portique. Au sud, une série de
batiments groupés autour d’un hexadécagone, entourant lui-méme un octogone; vers louest,
un atrium dont le c6té oriental comporte 2 exédres axés nord-sud; vers le nord, un petit
batiment a4 plan basilical avec nef centrale terminée par une abside septentrionale; vers le
sud, une petite salle avec tribunes au mur septentrional et abside axiale au sud. Entre ces
deux groupes de batiments, une étroite galerie nord-sud 4 murs épais comportant en son
milieu une grande construction est-ouest dans l’axe d’une des rues principales. Enfin, tout
a fait a Pest, des batiments mal dégagés abritant deux sources et une grande vasque. La
légende, qui accompagne le document, permet d’identifier ces 4 groupes : au nord, les batiments
de représentation; au sud, l’ensemble religieux groupé autour de la chapelle palatine; entre
les deux, la galerie (caserne?) et le siége du tribunal; a l’est, le complexe balnéaire.
Avant d’aborder le détail des constructions, quatre remarques d’ensemble s’imposent;
perpendicularité des directions, orientation rigoureuse, utilisation des formes géométriques,
mathématique des proportions. Les deux voies principales — lune paralléle 4 la galerie,
Vautre soulignée par la construction médiane (tribunal) faisant office de porche monumental —
peuvent évoquer un cardo et un decumanus, et le quadrillage d’ensemble l’aspect d’un camp
romain; mais la comparaison ne peut aller plus loin, car la Grosskélnstrasse donne la direc-
tion des voies romaines (et de l’éventuel camp romain primitif), et l’inclinaison atteint prés
de 40 degrés.
Au quadrillage romain a donc succédé un quadrillage original, de direction trés différente
et particuliérement remarquable, car orienté (vers l’est vrai); il faut en rendre probablement
responsable la chapelle palatine, piéce maitresse de l’ensemble, dédiée 4 la Vierge et orientée,
comme de coutume, d’aprés la position du soleil levant lors de la féte du saint patron (ici
trés probablement |’Annonciation, car le 25 mars est proche de |’équinoxe et donc le soleil
se léve pratiquement a l’est vrai'; de plus l’Annonciation est une des plus grandes fétes de la
1. Une orientation aussi exacte ne peut cependant avoir été observée : elle a été calculée
et probablement par détermination de |’axe nord-sud.
204
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
205
LES CAROLINGIENS
en hauteur au Granusturm), et il semble de ce fait exclu que Charles ait pu y loger; la nécessité
de soutenir le sol de la grande salle (d’environ 900 m?) fait de l’étage inférieur une sorte
de cave, et il ne pouvait y avoir d’étage supérieur car le poids supplémentaire, énorme, aurait
nécessité des substructions encore plus considérables; il faut donc admettre que la se trouvait
non le palais proprement dit mais la grande salle d’audience ou salle du tréne, comparable
4 la salle constantinienne de Tréves avec cette grande abside précédée de trois marches ou
devait se tenir le nouveau Constantin l’empereur, 4 l’ouest, comme dans sa chapelle; dans
la tour, les escaliers d’accés aux deux niveaux; et, peut-étre, au troisiéme étage (le seul 4
pouvoir étre fermé) le Trésor. Le portique, séparé en deux parties par l’absidiole sud, suppose
Vexistence d’escaliers symétriques, de part et d’autre de l’absidiole, pour faire accéder direc-
tement 4 la salle du tréne les grands personnages venus par l’intérieur (l’escalier du Granusturm
est trop excentrique, trop étroit et trop raide).
Le batiment de liaison, probablement le porticus operosa mole dont parle Eginhard,
comporte une longue galerie de 120 métres de long fort étroite (moins de 7 métres) et 4 murs
trés épais (ce qui suppose un étage sur votes); le rez-de-chaussée, trés sombre, éclairé tous
les 4 métres par une minuscule fenétre de 10 centimétres environ, a pu servir a la garnison,
on en trouve des exemples 4 Byzance (Blachernes, Ptéron de Théodose et fortifications de
Léon V) ou en Orient; on remarque aussi que cette galerie cl6t nettement l’espace intérieur
palatin et encadre la porte monumentale qu’elle doit éventuellement défendre. Cette porte
elle-méme, d’environ 25 m x 15 m, a des murs fort épais (1,60 m) et des escaliers, donc
portait un étage, et, vu ses dimensions, on peut admettre que, comme a Constantinople, 1a
se trouvait le tribunal et que de 1a l’?empereur proclamait ses jugements face 4 la foule exté-
rieure (a l’ouest). Les mesures de cet ensemble sont également exprimées en pieds romains.
Le groupe des batiments religieux est apparemment le plus important, le plus célébre
aussi grace a sa chapelle. L’élément fondamental du plan est toujours le carré : son cété est
de 7 modules (de 12 pieds de Drusus, soit 84 pieds); la longueur de l’église, de méme que le
déroulement intérieur de l’octogone, est de 12 modules... Sans entrer dans des détails trop
techniques ', on peut cependant remarquer sur le plan que, par exemple, le cercle inscrit dans le
earré de base (qui a donc pour rayon sa demi-diagonale) permet d’inscrire un polygone régulier
de 32 cétés, d’ot l’on passe 4 Phexadécagone (de 16 cétés) et enfin 4 l’octogone (dont le diamétre,
moitié de celui de l’hexadécagone, vaut donc 12 modules). Des calculs analogues permettent
de déterminer l’élévation de l’église carolingienne : l’octogone, compris dans un cube de
84 pieds d’aréte, a 24 pieds en avant duquel (cété ouest) se développe un batiment de 24 pieds
de large, est surmonté par un toit en pavillon de 24 pieds; d’ot une hauteur totale de 108 pieds
(9 modules, soit 36 m). Un tel édifice pose de nombreux problémes. Quels motifs, en parti-
culier, ont fait choisir ce plan central? Les modéles probables doivent se chercher 4 Ravenne
(Saint-Vital, mausolée de Théodoric) et 4 Constantinople (Hagios Storos, chapelle impériale
des Blachernes ou Saints-Apotres), dont les influences ont pu étre revivifiées en 798, lors
de la venue de l’ambassadeur d’Iréne, Théophile, un clerc des Blachernes, porteur des insignes
reliques de la Vierge. Sa fonction est complexe (chapelle, reliquaire, mausolée...). La disposi-
tion intérieure de l’octogone, 4 deux étages, sous la coupole évoquant le ciel, a pu tout aussi
bien s’inspirer de différents modéles byzantins et étre considérée comme un symbole de la
Cité sous influence du chiffre 8 (Résurrection) ou encore comme I’expression de la nouvelle
Jérusalem : les assistants au rez-de-chaussée, l’empereur entouré de ses Grands au premier étage;
206
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
de plus la loge de l’empereur avec son tréne élevé de 6 degrés, le siége formant le septiéme,
prolongée par une salle importante, peut-étre comparable a la chambre et au triclinium reliés
a la tribune du basileus, se trouve exactement 4a l’ouest, et cette orientation remarquable,
avec Dieu a lest, est reprise dans l’art ottonien et ces églises 4 double chceur ', ot l’occident
est réservé aux puissances temporelles et |’orient au monde des clercs. Ajoutons que la postérité
de cette chapelle palatine comprend encore et surtout de nombreuses églises 4 plan central.
Le prolongement ouest de l’octogone, qui comporte donc au moins 3 étages (vestibule
d’entrée sous la salle impériale, combles et cloches par-dessus), débouche sur un « narthex »
différent de celui de Saint-Vital, peut-étre inspiré de celui du vieux Saint-Pierre de Rome
(la célébre pomme de pin de bronze, qui se trouve a l’entrée, soulignerait alors la ressemblance)
et remarquablement proche de celui de San Lorenzo de Milan, avec ses deux exédres se
faisant face sans étre unis par un batiment, ou de saint Géréon de Cologne. Ce narthex a
42 pieds de profondeur sur 84 de largeur; il est accolé 4 un atrium peut-étre plus récent,
dont l’intérieur est un carré parfait de 76 pieds de cété. C’est sur le flanc de cet atrium qu’arrive
Paxe principal nord-sud qu’empruntaient par exemple les processions ou la foule des Francs.
De 1a on entrait dans la chapelle par l’entrée ouest, qui de ce cété apparait comme une porte
de ville, dominée par des tours, la Jérusalem céleste. Au sud de la chapelle, le batiment appelé
« Latran », ot se tinrent les conciles de 817 et de 836, sous Louis le Pieux ?; c’est une salle
réservée normalement au clergé (secretarium), sans nefs, mais probablement avec des tribunes
pour les assistants. Au nord, de proportions exactement semblables, une salle 4 plan basilical
(3 vaisseaux), probablement le metatorium ou, comme a Byzance, l’empereur se change de
vétements, voire passe la nuit. Ces batiments annexes, 4 deux étages (murs épais, escaliers)
sont en liaison directe avec la chapelle qui, de plus, est flanquée a l’est d’une petite cour et
d’un batiment, peut-étre la Curie.
L’étude, méme rapide de ce plan, ne saurait éviter un grave probléme : nulle part nous
n’avons pu identifier le palais au sens restreint du terme, c’est-a-dire l’endroit ot: logeait
Vempereur. Nous savons par Eginhard que Charles voyait ensemble des batiments depuis
sa chambre; que cette chambre se trouvait au premier étage (ce que confirme Notker); enfin
que le vent, faisant gémir la charpente, empéchait parfois l’empereur de dormir. Ajoutons
que labbé de Saint-Denis, Fardulf, dit que le palais était fait more avorum, qu’Eginhard
évoque des passerelles de bois qu’il fallait remplacer parce que pourries... Bref, en se référant
au palais d’Attila (construit par les Germains de la forét), aux descriptions du Beowulf, des
Edda, du palais de Krimhilde, de la maison d’Harold sur la tapisserie de Bayeux..., on peut
penser que le palais de Charles était trés probablement en bois, a un étage, seule explication
d’ailleurs compatible avec |’extraordinaire rareté de traces au sol, précis¢ément a l’endroit
apparemment le mieux placé, sur l’axe est-ouest, aprés le porche monumental, en-de¢a de
la galerie-caserne, 4 égale distance du tribunal (a l’ouest), de l’auda regia (au nord), de la chapelle
(au sud, avec le metatorium et l’entrée occidentale) et des bains (a l’est).
207
DOSSIER SUR
les “‘ Fosses carolines’’ entre Rhin et Danube (793)
Traduction
Alors que le TOI désirait terminer la guerre qu’il avait entreprise et avait pris ses dispo-
sitions pour gagner a nouveau la Pannonie, on vint lui annoncer que les troupes menées par
le comte Thierry a4 travers la Frise avaient été interceptées et anéanties par les Saxons, dans
le pagus de Rustringen, prés du fleuve Weser. Sit6t regue cette nouvelle, il dissimula l’ampleur
du revers et interrompit la campagne en Pannonie.
Et comme des gens, qui se disaient compétents, l’avaient persuadé que, si on tracait
entre la Regnitz et ’Altmuhl un canal susceptible de porter des bateaux, on pourrait le plus
commodément du monde naviguer depuis le Danube jusque dans le Rhin, car l’un de ces
fleuves se méle au Danube et l’autre au Main, il se rendit immédiatement sur les lieux avec
toute sa suite et, ayant réuni une grande multitude, il passa toute la saison d’automne a y
travailler, De fait, on creusa entre lesdits fleuves un fossé de 2 000 pas de long et 300 pieds
de large, mais sans résultat. Car en raison des pluies persistantes, le terrain qui était maré-
cageux et naturellement gorgé d’eau ne put étre stabilis¢é par ’ouvrage en cours; quelle
que fat la quantité de terre que les terrassiers avaient enlevée pendant le jour, il
208
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
en revenait autant durant la nuit, par glissement du sol réintégrant son ancien lit.
Et on était occupé a cet ouvrage quand on apprit deux trés désagréables nouvelles venues
de deux endroits différents : lune était le soulevement général. des Saxons; l’autre disait
que les Sarrasins avaient envahi la Septimanie, livré bataille aux garnisons et aux comtes
des régions frontiéres et, qu’aprés avoir massacré de nombreux Francs, ils étaient rentrés
victorieux chez eux. Ces événements émurent le roi qui revint en Francie et célébra la nativité
du Seigneur a Saint-Kilian, au bord du fleuve Main, et la Paque au bord du méme fleuve,
dans la ville de Francfort, ot il avait également passé V’hiver.
Traduction
793. En automne, le roi, qui venait en bateau depuis Ratisbonne, arriva a la grande tranchée
creusée entre |’Altmuthl et la Regnitz, et la lui furent présentés des envoyés du pape munis de
nombreux cadeaux. La, un envoyé lui apprit que les Saxons avaient 4 nouveau rompu leur
foi. De 1a, passant par la Regnitz dans le Main, il poursuivit son voyage en bateau et célébra
la nativité du Seigneur a Saint-Kilian de Wurzburg. Et le millésime se changea en 794.
Traduction
793. [...] En été, Charles voulut avec ses navires gagner la Francie et ordonna de faire
une tranchée entre deux fleuves, soit entre ]’Altmuhl et la Regnitz, et il y demeura longtemps.
[...] De ces lieux il gagna en bateau Francfort et s’y établit pour y passer Vhiver.
209
LES CAROLINGIENS
Traduction
793. Charles demeura 4 Ratisbonne, de 1a il fit passer son armée ot besoin était; puis
il partit et parvint en bateau au Saalfeld, a la grande tranchée : au début de l’hiver, avec ces
bateaux, qui furent halés sur le sol, il arriva par eau 4 Francfort et y passa Vhiver.
Traduction
[...] Et donc, croyant ceux qui lui donnaient ce conseil, le prince gagna l’endroit qui lui
paraissait convenir et, y ayant amené également des milliers d’ouvriers, y passa avec eux
presque toute la saison d’automne dans une vaine ardeur. Car, bien que la fosse fut creusée
sur 2 000 pas de long et sur une largeur de 300 pieds, ce travail n’avait pu étre mené a bien
et achevé en raison de la pluie trop abondante; la nappe [d’eau] naturelle avait rendu le sol
mouvant, et quelle que soit la quantité de terre évacuée le jour 4 grand-peine, il en revenait
la nuit tout autant, etc.
210
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
ay,
ANI
Atk — oh
= 4 thereat
PE
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‘
Documents 118-119 établis d’aprés F. BIRZER, « Der Kanalbauversuch Karls des Grossen »
in Geologische Blatter fiir Nordostbayern, t. VIII, 1958, pp. 172 et 174.
211
LES CAROLINGIENS
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Topographie et géologie
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L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
Travail humain
Commentaire
Les aménagements du milieu naturel occidental par de grands travaux ont été fort rares
avant l’époque moderne. L’on en connait certes différents exemples sous l’?Empire romain,
mais au Moyen Age, avant les améliorations du réseau hydrographique dans la plaine du P6
ou le percement du court canal de la Stecknitz unissant Baltique et Mer du Nord par Liibeck
(Trave) et Hambourg (Elbe), c’est-a-dire avant les xII® et xIv® siécles, on ne connait que la
tentative et l’échec de Charlemagne, visant 4 unir les réseaux du Rhin et du Danube. Les
sources écrites, les études de topographie, géologie, voire de biologie humaine nous permettent
actuellement de mieux concevoir ’ampleur des obstacles 4 vaincre et des moyens a mettre
en ceuvre; peut-étre également de mieux en expliquer l’échec.
Les dessins nous montrent deux sections du canal, l’une ennoyée, l’autre séche, toutes
deux larges d’environ 30 métres, encadrées de digues sablonneuses de 3 ou 4 métres de
haut. Les renseignements techniques nous confirment les dimensions et nous engagent
a calculer le nombre de travailleurs qui étaient réunis et le ravitaillement minimum qu’ils
exigeaient.
Les sources écrites sont toutes d’origine annalistique (le Poéte Saxon se bornant 4 mettre
en vers les Annales dites d’Eginhard), et \’on est étonné de ne voir aucun extrait de la biographie
de Charles par Eginhard (qui, de fait, n’en dit pas un mot). Nous apprenons de toute maniére
que Charles, avec son armée, gagnait la Pannonie, quand la nouvelle du massacre, par les
Saxons, du comte Thierry et des contingents de Frise, non loin de la Weser, lui fit rebrousser
chemin. Tout l’automne, il tenta de faire creuser un canal navigable de 2 000 pas de long
sur 300 pieds de large et unissant — par l’Altmuhl, la Regnitz et le Main — Rhin et Danube.
Mais, malgré le nombre des travailleurs, la progression fut considérablement ralentie par l’ébou-
lement constant des berges, la nature marécageuse du terrain et des pluies abondantes. Sur les
lieux, le roi regut une ambassade pontificale, bientdt suivie de mauvaises nouvelles (révolte des
Saxons, massacre de Francs en Septimanie par les Sarrasins) qui lui firent gagner Francfort
en bateau pour y passer Vhiver.
213
LES CAROLINGIENS
Le contexte historique, bien évoqué par les textes, peut étre bri¢vement commenté
préparatifs contre les Avars; (cf. supra, document 88); écrasement des contingents de Frise
(région peu stire) par les indomptables Saxons; lourdeur de la défaite (que les Annales officielles
ne cherchent pas 4 masquer); interruption de la campagne... Rappeler aussi la famine de
792-793 (cf. synode de Francfort, document 104).
De ce fait, deux raisons immédiates de réunir les réseaux du Rhin et du Danube. D’abord
faire passer la flottille de transport, mobilisée contre les Avars, sur le Rhin pour étre a pied
d’ceuvre contre les Saxons (évoquer l’importance des transports par voie d’eau); mais cette
raison n’est manifestement pas suffisante car il était plus facile de haler les bateaux, de faible
tonnage, sur des troncs d’arbre enduits de suif; c’est ainsi que les Scandinaves passaient
du réseau de la Dvina (Vitebsk) 4 celui du Dniepr (Smolensk) ou de la Baltique 4 la Mer
du Nord par Haithabu; ainsi, passait-on sur le « diolcos » isthme de Corinthe dans |’Antiquité,
et ainsi par la seule force des hommes, des boeufs et du vent, en 1453, les Turcs firent-ils
passer derriére Galata les énormes vaisseaux 4 deux ponts qui devaient avoir raison de Constan-
tinople. Qui plus est, les Annales Guelferbytam (ou le simple bon sens) nous montrent que
Charles, n’ayant pas terminé le canal, fut bien obligé d’avoir recours 4 ce moyen. Donc ce
canal ne résulte pas d’une politique 4 courte vue : probablement Charles voulait avoir la
possibilité permanente de faire passer armées et transports d’un fleuve a l’autre.
Autre raison, possible et allant dans ce sens : faciliter les transports de blé, surtout en
cas de disette (comme celle de l’année précédente) puisque les pays du Main, en particulier,
étaient gros vendeurs (cf. document 131). Enfin, troisiéme raison, trés hypothétique, faciliter
le commerce en général par cette ouverture vers l’Orient, vers Byzance, la Mer Noire, l’Islam,
la route de la soie. Ces vues ambitieuses, qu’Inama-Sternegg et Dopsch ont prétées a l’em-
pereur, ne sont guére prouvées (cf. cependant document 129) : il faut quand méme remarquer
que l’endroit était un nceud de routes (le mes englobe la plus grande partie de |’Altmuthl)
et un lieu de passage particuliérement facile, emprunté depuis fort longtemps et ot, peut-étre,
était déja installée une « résidence royale » (attestée par la suite), ou Charles aurait pu résider
durant les travaux et lors de la réception des envoyés du pape.
Quelles qu’en soient les raisons, il suffit d’admettre qu’elles ne sont pas 4 court terme
pour poser un nouveau probléme : pourquoi Charles, ayant non seulement entrepris l’ouvrage,
mais encore touchant presque au but, a-t-il abandonné ce projet définitivement, alors que
autres disettes ou d’autres campagnes contre les Avars ou les Bohémiens pouvaient l’inciter
a le terminer par la suite?
Ici interviennent des raisons techniques et humaines : tout d’abord, l’ouvrage a été
entrepris car il se présentait trés favorablement : 1 800 métres 4 creuser, moins de 12 métres
de profondeur maxima (10 métres de dénivellation plus le tirant d’eau de bateaux presque
plats), qu’un systéme d’écluses, tout a fait possible, aurait partiellement réduit; un sol meuble
(sable) alluvial et jadis emprunté par le Main lui-méme quand il se jetait dans le Danube
(galets du Frankenwald); peut-étre méme un étang (palus) entre les deux riviéres, qui semblait
raccourcir encore la distance. Enfin, une main-d’ceuvre abondante : l’armée rassemblée pour
la campagne contre les Avars, les paysans des environs disponibles, leur récolte terminée
(c’est-a-dire précisément en septembre) et probablement une foule de captifs Avars.
A priori, il s’agissait de déblayer 1 800 x 30 X 5 = 270 000 m® environ, soit 4 0,7 m?
heure a raison de 385 700 heures de travail. On disposait d’environ 3 mois avant l’hiver,
soit de 90 jours dont il fallait ter pour tous (les Avars ayant été baptisés en masse) 12 dimanches
et 23 (?) jours fériés; restent donc en gros §5 jours de travail 4 raison de 10 heures par jour
(maximum car les jours sont courts en automne). II suffirait alors de 700 hommes pour accomplir
214
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
ces 385 700 heures de travail durant ce laps de temps. Charles disposant de plusieurs milliers
de soldats ou de captifs, le tout semblait fort réalisable.
Malheureusement, les conditions du sous-sol, imprévisibles, s’avérérent fort mauvaises :
non seulement l’argile enfermait des poches d’eau, mais encore les sables aquiféres s’opposaient
par leur texture a un bon drainage (l’eau qu’ils contiennent s’écoule difficilement et entraine
avec elle les grains de sable); d’ou ce glissement continu des berges, signalé par les Annales,
dés que la nappe phréatique fut atteinte. Ajoutons les conditions météorologiques (pluies
d’automne drues et persistantes, créant ou élargissant un marécage).
Dans ces conditions, non seulement l’homme ne peut plus déblayer que 0,3 m* a l’heure
en moyenne (glaise tenace) mais encore il faut curer, le jour, les portions de berge qui se sont
effondrées ou qui ont « coulé » durant la nuit et constituer des « bermes » séparant la tranchée
des déblais. Aussi, pour avoir le nombre de m* effectivement remués, il faut 4 peu prés sextupler
le nombre de m* qui ont été apparemment enlevés ! : il aurait donc fallu pour accomplir le
travail 270 000 X 6 divisé par 0,3 x 550 soit prés de 10 000 hommes et, pour le travail réalisé,
soit 140 000 m® correspondant 4 840 000 m? effectifs 4 0,3 m* 4 l’heure, il faut alors 2 800 000
heures de travail, soit 4 raison de 550 heures par homme pour le laps de temps envisagé,
un peu plus de 5 000 hommes en permanence, ce qui exige (avec les fatigues, les reléves
obligatoires) au moins 6 000 hommes (uniquement pour déblayer ou creuser).
A ces travailleurs de force, il faut ajouter ceux qui déboisent, constituent les fascines,
érigent les digues, les artisans qui travaillent le bois (pelles, brouettes), les charrons... les
soldats de garde (pour éviter une surprise) et ceux qui surveillent les captifs Avars, sans
compter le personnel de la cour, les officiers, les concubines et « l’intendance », ceux qui chassent,
ceux qui font le pain, etc. Au bas mot, 7 200 personnes a nourrir. Un minimum de 3 000 calories
par jour et par téte (au lieu des 4 000 normales de nos jours) exigerait un approvisionnement
susceptible de fournir, sinon 29 millions, du moins 22 millions de calories (4 répartir entre
pain, viande et biére).
Durant 3 mois, c’est donc entre 2 4 3 milliards de calories qu’il fallut trouver, a répartir
entre I 200 4 I 500 tonnes de céréales, 1 200 beeufs, 3 000 porcs, 7 500 hectolitres de biére.
Il faut ajouter encore, sinon suif et graisse fournis par les bétes abattues, du moins le fourrage
pour les boeufs et les chevaux qui trainent les chariots et halent les bateaux et qui ne sont pas
forcément ceux de la cavalerie lourde (qu’il faut aussi nourrir si elle est restée).
Or, d’une part, les soldats n’avaient probablement pas emporté le ravitaillement pour
6 mois et il fallait nourrir les Avars; d’autre part, le pays était encore peu peuplé, la disette
avait sévi partout l’année précédente et les convois, par eau, devaient remonter soit le Main
soit l’Altmuthl, tous deux en crue du fait des pluies.
Dans ces conditions, assurer les travaux pendant 3 mois était déja un véritable tour de
force. De mauvaises nouvelles (Saxons, Sarrasins) firent interrompre l’ouvrage, mais l’expé-
rience avait montré que de toute maniére, vu les mauvaises conditions géologiques et |’am-
pleur du ravitaillement 4 prévoir, il dépassait les moyens du temps, ce qui explique que,
quel qu’en aurait été l’intérét, les quelques centaines de métres qui restaient a creuser ne le
furent jamais.
1. M.H. Hoffmann, 4 qui nous empruntons le detail, semble le tenir d’un officier qui,
durant la deuxiéme guerre mondiale, aurait fait
x
exécuterx des terrassements par des travailleurs
forcés en Courlande, dans des conditions 4 peu prés semblables.
215
DOSSIER SUR
les enluminures extraites du “‘ Psautier d’Utrecht”’
et des “‘ Notices astronomiques’”’ de Vienne
Il est des cas oll aucun texte ne peut suppléer une représentation graphique (ou un
outil retrouvé par l’archéclogie), et ceci méme quand il ne s’agit pas d’évoquer une Renaissance
des arts plastiques ou de l’enluminure au début du 1x® siécle.
Les reproductions présentées ne peuvent en effet que suggérer certaines réflexions
d’histoire de |’art (étude de la finesse du croquis, du drapé des vétements ou du mouvement
des personnages, par exemple); elles excluent catégoriquement tout commentaire car manquent
aux unes les vives couleurs de l’original, et aux autres le dessin d’ensemble auquel elles ont été
arbitrairement arrachées. Et, de ce fait, c’est l’intention qui a présidé au choix de ces docu-
ments, le lien entre eux qui est plus nettement visible. Il s’agit en effet de représentations
de la vie quotidienne, principalement de son cadre urbain, religieux, rural, et des principales
occupations que sont pour les uns lagriculture, pour les autres la guerre.
Mais de quand datent exactement ces scénes, sinon ces textes? En effet, les documents
eux-mémes sont assez précisément datés; les Notices astronomiques (manuscrit des auteurs
grec Aratos et romain Hygin) furent composées a4 Salzbourg entre 809 et 818, avant la mort
de l’évéque Arn, et le Psautier d’ Utrecht 4 Reims, du temps de l’archevéque Ebbon (816-835).
Mais on peut légitimement penser qu’il s’agit de copies luxueuses, parfois plus belles
que Voriginal, d’ceuvres cependant trés antérieures. Certains détails du Psautier d’ Utrecht
(les scénes de violence par exemple) peuvent aussi bien évoquer le v® siécle tardif, voire le
vie siécle que des scénes ou des corrections contemporaines de leur rédaction (invasions
du 1x® siécle).
A fortiori, tout ce qui concerne la représentation de la vie agricole peut parfaitement
remonter beaucoup plus haut dans le temps, mais sans que l’on puisse déduire que les techni-
ques du paysan étaient, au 1x® si¢cle, exactement les mémes que du temps de |’Empire romain.
Ces réserves faites, notons briévement ce que nous apportent ces dessins par rapport
aux textes qui précédent ou suivent immédiatement. Pour I’agriculture, noter la représentation
des productions de base (foin, céréales, vin, porc) et la date des principales occupations (noter
ce labour de juin sur la jachére qui sera ensemencée en octobre); remarquer les différences
dans la culture (vigne haute, arborescente, que |’on taille en se redressant et en levant la téte
et que l’on vendange du bas jusqu’a la cime, comme en certains endroits d’Italie, cf. modéle
antique, fresque de la maison des Vettii, 4 Pompei); porc efflanqué dont l’allure générale
est celle d’un sanglier, et que l’on garde en novembre, a la glandée, avec un gros baton au
lieu de Vengraisser en étable...
La représentation des techniques est encore plus évocatrice : usage paralléle de la faux
(fenaison) et de la faucille (moisson); la faux qui taille vite et ras aurait pour inconvénient
de disperser le grain et de ne pas laisser le chaume en place; en revanche, la faucille, qui
216
L’Eglise carolingienne et la renaissance des lettres et des arts
« scie » beaucoup plus lentement, permet au moissonneur de saisir les épis par poignées et
de les couper prés de la téte [les chaumes restent hauts pour le bétail; le grain se perd moins
et le battage (ici le vannage), est plus facile]. Les techniques de la vendange ont beaucoup
moins évolué (cueillette au couteau, panier). Noter le symbolisme du document de Vienne
montrant en un raccourci saisissant le passage du raisin au vin.
Ne pas négliger le probléme classique de l’araire du type manche-sep, sans roue, bien
dans la main du laboureur, tiré par une couple de deux bceufs dont les uns ont une sorte de
collier et les autres le fameux joug aux cornes (voir cependant son mode de suspension) ;
s'il y a copie d’un manuscrit romain, il n’y a pas d’argument a en tirer sur l’inexistence de
charrues aux environs de Reims et de Salzbourg.
Les scénes de violence peuvent se replacer dans le contexte des invasions normandes
avec destructions des maisons, moines éperdus s’enfuyant avec les reliques (tels ceux de
Saint-Philibert qui, partis des bords de la Loire atlantique, émigrérent jusqu’a Tournus).
Remarquer cependant les édifices ou fortifications 4 la romaine (cf. Penceinte d’Aurélien
restaurée par Bélisaire au vI® siécle); les petits chevaux écrasés par le poids des cavaliers.
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D’aprés Karl der Grosse ..., op. cit., pl. 71 (n° 455).
217
Document 123 — Paysans
@ labour
Q) Semailles
Q) soins a la wgne
© mois9on
©) vendanges
aux
portes de la ville
a boucliers ronds et apparemment sans étriers (qui n’évoquent pas la célébre cavalerie lourde
des Francs); les bateaux a figure de proue mais non de type drakkar ou snekkar, etc. }. En
revanche, ces épées énormes auxquelles vont tous les soins (polissage, affutage, fourbissage)
et la plupart du métal disponible (car les araires sont en bois) ne sont pas de type romain
mais germanique (épée des Grandes Invasions, des Mérovingiens et des Carolingiens) ?.
HOMMES ET SUBSISTANCES.
RAPPORTS SOCIAUX
1. L;ACTIVITE ECONOMIQUE
Document 125 — Le Capitulaire ,, de Villis “ (800-813)!
Description des domaines royaux
Ce long réglement domestique, destiné aux seules propriétés royales, n’a du « Capitulaire »
(d’intérét public et promulgué lors des plaids généraux) que la division en capitula (70 au
total). Il est difficile 4 dater : la mention de la reine qui le ferait remonter avant le dernier
veuvage de Charles (donc avant 800) n’est pas trés probante; mais certains savants ont cru
déceler des expressions aquitaines dans le vocabulaire, et il s’agirait alors d’un réglement
de Louis le Pieux avant son accession a l’Empire, et peut-étre contemporain du Capitulaire
d’ Aix (812), ou Charles ordonnait de faire une description de tous ses domaines. La discussion
est toujours ouverte : mais elle est un peu stérile car l’intérét du texte (tout 4 fait fondamental)
est bien entendu ailleurs.
5. Quando iudices nostri labores nostros facere debent, seminare aut arare,
messes colligere, fenum secare aut vindemiare, unusquisque in tempore laboris
ad unumquemque locum praevideat ac instituere faciat quomodo factum sit,
ut bene salva sint. Si intra patriam non fuerit et in quale loco iudex venire non
potuerit, missum bonum de familia nostra aut alium hominem bene creditum
causas nostras providendi dirigat, qualiter ad profectum veniant; et iudex diligenter
praevideat, ut fidelem hominem transmittat ad hanc causam providendam.
Sebel ho 6) eo)16)<6: 0) ee <w fo 6) 0) (0) 6;1676: wo ie) 10) oy a, 0;ye) AW! Oye 0) 0:16: 01 3)00) (e fo FEune) (6. 6)00, 4 16) ee) Sle) a8: ee 06) die) 0) © (0) ele) «800 Je,
1. La date de 795 est proposée par A. VERHULST, dans Zeitschrift fiir Agrargeschichte, 1965.
221
LES CAROLINGIENS
Oo @ 6 lee 6 6 © 1: 0: 0 0 9 \e @ 0) (0: 4: 6, 6 ©) 0) 0. 0 0° 6. 0) 6)10) "W006 10:10; “62-0. 59) (6) ©) <6: 16, 6 6 618! 6 6)10) 0.16: 6.56, ‘@ "eo 0,(0) 16) (0 6)-4) & ‘ee (6 oe) eo
oo eo we we wo oe 9) (Tee 16)<e)26) (6.1.9) 10:9: 'o)cei18)fa, Xe 6)(6) 18)16: wy(8)Lele) 19,10.6, 4-e Verce je) farce: auiejelal ule a) ahs lopia weet rel Gl ele) (ete, /e elamaniaite: ais
36. Ut silvae vel forestes nostrae bene sint custoditae; et ubi locus fuerit
ad stirpandum, stirpare faciant et campos de silva increscere non permittant;
40 et ubi silvae debent esse, non eas permittant nimis capulare atque damnare; et
feramina nostra intra forestes bene custodiant; similiter acceptores et spervarios
ad nostrum profectum praevideant; et censa nostra exinde diligenter exactent.
Et iudices, si eorum porcos ad saginandum in silvam nostram miserint vel maiores
PP.
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
nostri aut homines eorum, ipsi primi illam decimam donent ad exemplum bonum
45 proferendum, qualiter in postmodum ceteri homines illorum decimam pleniter
persolvent.
37. Ut campos et culturas nostras bene conponant et prata nostra ad tempus
custodiant.
38. Ut aucas pastas et pullos pastos ad opus nostrum semper, quando
50 servire debent aut ad nos transmittere, sufficienter habeant.
_ 39. Volumus ut pullos et ova quos servientes vel mansuarii reddunt per
singulos annos, recipere debeant; et quando non servierint, ipsos venundare
faciant.
_ 40. Ut unusquisque iudex per villas nostras singulares etlehas, pavones,
55 fasianos, enecas, columbas, perdices, turtures pro dignitatis causa omnimodis
semper habeant.
41. Ut aedificia intra curtes nostras vel sepes in circuitu bene sint custoditae,
et stabula vel coquinae atque pistrina seu torcularia studiose praeparatae fiant,
quatenus ibidem condigne ministeriales nostri officia eorum bene nitide peragere
possint.
42. Ut unaquaeque villa intra cameram lectaria, culcitas, plumatios, batlinias,
drappos ad discum, bancales, vasa aerea, plumbea, ferrea lignea, andedos, catenas,
cramaculos, dolaturas, secures id est cuniadas, terebros id est taradros, scalpros
vel omnia, utensilia ibidem habeant, ita ut non sit necesse aliubi hoc quaerere
65 aut commodare. Et ferramenta quod in hostem ducunt, in eorum habeant plebio
qualiter bona sint et iterum quando revertuntur in camera mittantur.
43. Ad genitia nostra, sicut institutum est, opera ad tempus dare faciant,
id est linum, lanam, waisdo, vermiculo, warentia, pectinos laninas, cardones,
saponem, unctum, vascula vel reliqua minutia quae ibidem necessaria sunt.
44. De quadragesimale duae partes ad servitium nostrum veniant per singulos
annos, tam de leguminibus quamque et de piscato seu formatico butirum, mel,
sinape, aceto, milio, panicio, herbulas siccas vel virides, radices, napos insuper,
et ceram vel saponem atque cetera minutia; et quod reliquam fuerit nobis per
brevem, sicut supra diximus, innotescant et nullatenus hoc praetermittant, sicut
usque nunc fecerunt, quia per illas duas partes volumus cognoscere de illa tertia
quae remansit.
45. Ut unusquisque iudex in suo ministerio bonos habeat artifices, id est
fabros ferrarios et aurifices vel argentarios, sutores, tornatores, carpenterios,
scutarios, piscatores, aucipites id est aucellatores, saponarios, siceratores, id est
80 qui cervisam vel pomatium sive piratium vel aliud quodcumque liquamen ad
bibendum aptum fuerit facere sciant, pistores, qui similam ad opus nostrum
faciant, retiatores qui retia facere bene sciant, tam ad venandum quam ad piscan-
dum sive ad aves capiendum, necnon et reliquos ministeriales quos ad nume-
randum longum est.
a GIS. O00. 6 16 oe) 1a) © 16) wy O16: 0 0a) tle [61 e <o 6 ew 0 6 4) 616. al @ 6!101.6. “6/6, @ 02 0! 0146: ce. e)(6/6) 16.(6 Se 8) 0!1676, 16) 0)56) 6B Oe,'6. 6 ey Wee 8 ww)
zs
LES CAROLINGIENS
quid de molinis, quid de forestibus, quid de campis, quid de pontibus vel navibus,
90 quid de liberis hominibus et centenis qui partibus fisci nostri deserviunt, quid
de mercatis, quid de vineis, quid de illis qui vinum solvunt, quid de feno, quid
de lignariis et faculis, quid de axilis vel aliud materiamen, quid de proterariis
quid de leguminibus, quid de milio et panigo, quid de lana, lino vel canava, quid
de frugibus arborum, quid de nucibus maioribus vel minoribus quid de insitis
5) ex diversis arboribus, quid de hortis, quid de napibus, quid de wiwariis, quid
de coriis, quid de pellibus, quid de cornibus, quid de melle et cera, quid de uncto
et siu vel sapone, quid de morato, vino cocto, medo et aceto, quid de cervisa,
de vino novo et vetere, de annona nova et vetere, quid de pullis et ovis vel anseribus
id est aucas, quid de piscatoribus, de fabris, de scutariis vel sutoribus; quid de
100 huticis et cofinis id est scriniis, quid de tornaribus vel selleriis, de ferrariis et
scrobis, id est fossis ferrariciis vel aliis fossis plumbariciis, quid de tributariis,
quid de poledris et pultrellis habuerint omnia, seposita, distincta et ordinata
ad nativitatem Domini nobis notum faciant, ut scire valeamus quid vel quantum
de singulis rebus habeamus.
105 63. De his omnibus supradictis nequaquam iudicibus nostris asperum videatur
si hoc requirimus; quia volumus ut et ipsi simili modo iunioribus eorum omnia
absque ulla indignatione requirere studeant, et omnia quicquid homo in domo
sua vel in villis suis habere debet, iudices nostri in villis nostris habere debeant.
Traduction
5. Quand nos intendants doivent accomplir les travaux des champs : semer, labourer,
ramasser les moissons, couper le foin, vendanger, que chacun, au moment de ces travaux,
a chaque endroit, prévoie et fasse régler la fagon de procéder pour que tout soit mené a bien.
Si un intendant n’est pas au pays, s’il ne peut se rendre en tel lieu, qu’il envoie un délégué
honnéte et pris parmi nos gens ou un autre homme bien accrédité pour pourvoir a nos affaires,
de maniére 4 ce qu’elles réussissent; et que l’intendant veille avec beaucoup de soin a ne
déléguer, pour pourvoir 4 ces affaires, qu’un homme fidéle.
10. Que nos maires, nos forestiers, nos palefreniers, cellériers, doyens, télonaires et
autres ministériaux fassent les riga et paient les porcs de leurs manses. Et, a la place de la main-
d’ceuvre, qu’ils veillent avec soin a leurs offices. Et que tout maire qui a un bénéfice fasse
déléguer un suppléant, lequel doit exécuter 4 sa place main-d’ceuvre et restant des services.
16. Nous voulons que tout ce que nous ou la reine aurons ordonné 4 un quelconque
intendant ou qu’un de nos ministériaux, le sénéchal ou le bouteiller aura ordonné a ces
intendants, en notre nom ou en celui de la reine, soit exécuté parfaitement, ainsi qu’il leur
a été signifié. Et que quiconque se sera rendu coupable de négligence s’abstienne de boire
dés qu’on lui aura fait l’observation jusqu’a ce qu’il comparaisse en notre présence ou en celle
de la reine et nous demande sa grace ou son absolution. Et si un intendant est de garde
ou a armée ou en mission ou ailleurs, s’il a ordonné a ses subordonnés quelque chose qu ils
n’ont pas fait, que ceux-ci viennent a pied au palais, s’abstiennent de boire et de manger
224
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
de la viande jusqu’a ce qu’ils aient exposé les raisons qui les ont mis en faute; et qu’ils recoivent
ensuite leur punition, sur le dos ou 4 la volonté de nous-méme ou de la reine.
ey aie) 6)ce) 16) *. (e) ere: 10).0) 6 6 1b es(6) © (ele) 6 08) (9) 0)19. Ce eee eee eee ere eee eeoe
23. Que dans chacune de nos villas, les intendants aient des vacheries, des porcheries,
des bergeries, des étables 4 chévres et 4 boucs du plus qu’ils pourront et ils ne doivent jamais
en manquer. Et de plus qu’ils aient les vaches fournies par nos esclaves pour accomplir leurs
services, de maniére a ce que ne soit en rien dégarnies pour le service destiné au seigneur
les vacheries ou les charrues. Et quand ils sont de service pour fournir les viandes, qu’ils
aient des boeufs boiteux mais non malades, et des vaches ou des chevaux non galeux ou d’autre
bétail non malade. Et, comme nous l’avons dit, que pour cela, ils ne dégarnissent ni les
vacheries, ni les charrues.
eee eee ewe we eee eee wee eee e eee eee eee eseeseeeeeereeseeereeeeseese Ce 2 ee
29. Au sujet de ceux qui, parmi nos hommes, ont des procés, que chaque intendant
veille 4 ce qu’ils ne soient pas dans la nécessité de venir les poursuivre devant nous et ne laisse
pas perdre, par négligence, les jours de service dus. Et si un de nos esclaves doit demander
justice sur une terre dont il n’est pas, que son chef mette toute son attention 4 lui faire rendre
justice. Et si, en quelque lieu, il n’est pas arrivé a l’obtenir, qu’il ne permette pas a notre
esclave de se fatiguer 4 ce sujet, mais que ce chef, en personne ou par messager, veille 4 nous
en avertir.
36. Que nos bois et nos foréts soient bien surveillés; et 14 ot il y a une place a défricher,
que nos intendants la fassent défricher et qu’ils ne permettent pas aux champs de gagner
sur les bois; et ot il doit y avoir des bois, qu’ils ne permettent pas de trop les couper ou de
les endommager, et qu’ils veillent bien sur notre gibier dans les foréts : et qu’ils s’occupent
également des autours et des éperviers pour notre service; qu’ils per¢oivent avec soin les cens
qui nous en viennent. Et que les intendants, s’ils ont envoyé leurs porcs a |’engrais dans notre
bois, que nos maires ou leurs hommes soient les premiers 4 payer la dime pour donner le
bon exemple, de sorte que, par la suite, les autres hommes paient complétement leur dime.
37. Qu’ils préparent bien nos champs et nos coutures, qu’ils fassent veiller sur nos prés
a la saison.
38. Que des oies grasses ou des poulets gras soient toujours et en quantité suffisante
4 notre disposition quand nos intendants sont de service ou doivent nous les envoyer.
39. Nous voulons quw’ils recoivent les poulets et les ceufs que nos sergents ou les tenanciers
des manses versent chaque année en redevance et, s’ils ne sont pas de service, quwils les fassent
vendre.
40. Que chaque intendant dans chaque villa nous appartenant ait toujours, de toute
maniére, des oiseaux curieux comme des cygnes, paons, faisans, canards, pigeons, perdrix,
tourterelles, en raison de leur excellence.
41. Que nos batiments soient bien entretenus dans nos cours; de méme les haies qui les
entourent, et que les étables ou les cuisines, boulangeries et pressoirs soient préparés avec
beaucoup de soin, pour que nos ministériaux puissent convenablement, proprement et faci-
lement y accomplir leurs offices.
42. Que chaque villa ait, dans sa chambre, 4 l’intérieur, de la literie, des couvertures,
des édredons, des linges de table, des « banquiers », des pots d’étain, de plomb, de fer, de
bois; des chenets, des chaines, des crémailléres, des doloires, des haches, c’est-a-dire des
cognées, des térébres, c’est-a-dire des tariéres, des ciseaux a bois et tous outils, de maniére
a ce qu’il ne soit pas nécessaire d’en chercher ailleurs ou d’en emprunter. Et les instruments
de fer qu’ils ménent 4 l’ost, qu’ils aient pour devoir de vérifier leur bon état, et 4 leur retour
qu’on les mette 4 l’intérieur de la chambre.
225
LES CAROLINGIENS
43. Pour nos gynécées, ainsi qu’il a été décidé, qu’ils fassent donner 4 temps de l’ouvrage,
c’est-a-dire lin, laine, guéde, vermillon, garance, peignes a laine, carde, savon, oint, petits
pots et autres menues choses qui y sont nécessaires.
44. Des aliments maigres, que deux tiers en viennent, chaque année pour notre usage,
tant de légumes que de poisson ou du fromage, du beurre, miel, moutarde, vinaigre, millet,
panic, herbes séches et vertes racines, navets, et, de plus, cire ou savon, et autres menues
choses, ét ce que nous aurons laissé, qu’ils en dressent l’état et nous l’envoient, comme nous
avons dit ci-dessus et qu’ils ne l’oublient pas comme ils ont fait jusqu’a présent, parce que,
par ces deux tiers, nous voulons connaitre le troisieme qui est resté.
45. Que tout intendant ait dans son office de bons artisans, c’est-a-dire des forgerons
de fer, des orfévres, et des argentiers, des cordonniers, tanneurs, charpentiers, fabricants
d’écus, pécheurs, preneurs d’oiseaux c’est-a-dire oiseleurs, savonniers, brasseurs, c’est-a-dire
qui savent faire de la cervoise, du cidre, du poiré ou toute autre espéce de boisson; des boulan-
gers qui fassent le pain blanc pour notre usage, des rétiaires qui sachent bien faire des rets,
tant pour chasser que pour pécher, ou pour prendre les oiseaux, sans oublier tous les autres
ministériaux qu’il est trop long d’énumeérer.
62. Que tout intendant, chaque année, fasse |’état de tous les revenus de notre exploi-
tation, que travaillent les boeufs menés par nos bouviers, ce qui vient des manses devant le
labour, ce qui vient des porcs, du cens, des obligations, des amendes, du gibier pris dans nos
foréts sans notre permission, des compositions diverses : ce qui vient des foréts, des moulins,
des champs, des ponts ou des navires, des hommes libres, et des centaines qui servent des
parties de notre fisc; des marchés, des vignes de ceux qui nous paient en vin; du foin, du bois
de chauffe, des torches; des planches ou d’autres bois d’ceuvre; des terres incultes, des légumes,
du millet du panic, de la laine, du lin ou du chanvre, des fruits des arbres, des noix grosses
ou petites, des greffes des divers arbres, des jardins, des navets, des viviers, des cuirs, des
peaux, des cornes, du miel et de la cire; de la graisse, du suif ou du savon, du vin de mire,
du vin cuit, de ’hydromel, du vinaigre, de la biére, du vin nouveau et du vin vieux, du blé
nouveau ou du blé ancien; des poulets et des bceufs, des amseres c’est-a-dire des oies; des
pécheurs, forgerons, fabricants d’écus, ou cordonniers, des huches et des confinae c’est-a-dire
des boites; des tourneurs ou des selliers; des ferriéres et des scrobae c’est-a-dire des mines
de fer et autres mines, des plombiéres; des tributaires; des poulains et des pouliches. Tous
ces rapports séparés, bien ordonnés, doivent étre portés 4 notre connaissance a la Noél,
que nous puissions savoir de quoi et de combien nous disposons, pour chaque chose.
63. De tout ce que nous avons dit ci-dessus, que rien ne semble trop dur a nos inten-
dants si nous le requérons; car nous voulons que eux aussi, de la méme maniére, veillent A
le requérir de leurs subordonnés, sans la moindre réticence. Et tout ce qu’un homme doit
avoir dans sa maison ou dans ses villae, nos intendants doivent l’avoir dans nos villae 1.
1. Vu son importance, ce texte a été trés fréquemment étudié. Les derniers travaux
(en allemand) sont dus 4 :
W. Metz, Das karolingische Reichsgut, Berlin 1960 et « Drei Abschnitte zur Entstehungs-
geschichte des Capitulare de Villis» dans Deutsches Archiv fiir Erforschung des Mittelalters
1966, pp. 263 sqq. :
Th. Mayer, « Das Capitulare de Villis » dans Zeitschrift der Savigny Stiftung fiir Rechts-
geschichte, tome 79, 1962.
Parmi les nombreux articles écrits en francais :
B. GUERARD, « Explications du Capitulaire de Villis» dans Bibliothéque de l’Ecole des
Chartes, 1853, pp. 201 sqg., 301 sq. etc. (avec traduction);
M. pee «L’origine et la date du Capitulaire de Villis» dans Revue historique, 1923,
Pp. 40-56;
F,-L. GANSHOF, «Observations sur la localisation du Capitulaire de Villis» dans Le Moven
Age, 1949, pp. 201-223. ’
226
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
227
LES CAROLINGIENS
infra scuras III, vinea arripennem I, ortum cum arboribus I, aucas XV, pullos XX.
35 In villa illa mansioniles dominicatas. Habet scuras II, spicarium I, ortum I,
curtem sepe bene munitam. ; ;
Item unde supra. Mensuram modiorum et sestariorum ita invenimus, sicut
et in palatio. Ministeriales non invenimus aurifices, neque argentarios, ferrarios
neque ad venandum, neque in reliquis obsequiis. De herbis hortulanis quas
40 repperimus : id est lilium, costum, mentam, petresilum, rutam, apium, libesticum,
salviam, satureiam, savinam, porrum, alia, tanazitam, meatastram, coliandrum,
scalonias, cepas, caules, ravacaules, vittonicam. De arboribus: pirarios, pomarios,
mispilarios, persicarios, avelanarios, nucarios, morarios, cotoniarios.
Traduction
Nous avons trouvé dans le fisc d’Annapes une demeure royale trés bien batie en pierres,
avec 3 piéces; toute la maison entourée 4 |’étage de soliers comportant II petites piéces;
dessous un cellier; 2 portiques, 17 autres maisons faites de bois 4 l’intérieur de la cour avec
autant de piéces et autres dépendances en bon état, une étable, une cuisine, une boulangerie,
2 hangars a épis, 3 granges 1. La cour fortement défendue par une haie, avec un portail de
pierre et, par-dessus, un solier servant de dépense. Une petite cour, elle aussi entourée d’une
haie, 4 la belle ordonnance et plantée d’arbres d’essences diverses.
Equipement : un lit a garnir, du linge pour garnir une table ronde, une touaille. Outils :
2 bassins d’airain, 2 coupes, 2 chaudiéres d’airain, une de fer, une bassine 4 faire le sel, une
crémaillére, un landier, une lampe, deux grandes haches, une doloire, 2 tariéres, une hache,
un ciseau (a bois), un rabot, une plane, 2 faux, 2 faucilles, 2 pelles garnies de fer. Outils de
service, en bois, a suffisance.
De lexploitation : épeautre vieille de l’an passé, 90 corbeilles qui peuvent donner en
farine 450 charges; orge 100 muids. Cette année il y eut en épeautre 110 corbeilles; on en a
semé 60, le reste, nous l’avons inventorié; froment 100 muids, semé 60, le reste inventorié;
seigle 98 muids, semé tout autant; orge, I 800 muids, semé I I00, le reste inventorié; avoine
430 muids, féves un muid, pois 12 muids.
De 5 moulins : 800 muids de petite mesure; donné aux prébendiers 240 muids, le reste
inventorié. De 4 brasseries, 650 muids de petite mesure. De deux ponts, sel 60 muids et 2 sous.
De 4 vergers, II sous et miel 3 muids. Du cens, beurre 1 muid; lard de l’année précédente,
Io porcs fumés, 200 jeunes porcs fumés avec rillette et saindoux; fromages de cette année
43 charges.
Du bétail; juments adultes 51 tétes, de deux ans 5, de l’an passé 7, de cette année 7;
poulains d’un an 10, de l’année 8, étalons 3; boeufs 16, anes 2, vaches et veaux 50, jeunes
bétes 20, veaux de l’année 38, taureaux 3; porcs adultes 260, porcelets 100, verrats 5; brebis
et agneaux 150, agneaux de l’année 200, moutons 120; chévres et chevreaux 30, chevreaux
de l’année 30, boucs 3, oies 30, poulets 80, paons 22.
Du méme que précédemment. Au sujet des mesnils dépendants du manse ci-dessus.
Dans la villa de Grison, nous avons trouvé des mesnils seigneuriaux ow il y a 3 granges et une
cour entourée d’une haie; il y a un jardin avec des arbres; oies 10, canards 8, poulets 30.
228
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
Dans une autre villa nous avons trouvé des mesnils seigneuriaux et une cour défendue
par une haie et, 4 l’intérieur, 3 granges, vigne I arpent, 1 jardin avec arbres; oies 15, poulets 20.
Dans cette villa, des mesnils seigneuriaux;il y a deux granges, un hangar a épis, un jardin,
une cour bien défendue par une haie.
Méme chose que ci-dessus : nous avons vérifié que la mesure des muids et des setiers
était la méme que celle du palais. Nous n’avons pas trouvé de ministériaux s’occupant du
travail de lor, de Vargent, du fer, ni pour chasser, ni pour accomplir autre chose. Herbes
du jardin que nous avons trouvées : lis, menthe-cog, menthe, persil, rue, ache, livéche, sauge,
sarriette, savine, poireau, ail, tanaisie, menthe sauvage, coriandre, échalote, oignon, chou,
chou rave, bétoine. Arbres : pommiers, poiriers, néfliers, péchers, noisetiers, muriers, noyers,
cognassiers 1.
229
LES CAROLINGIENS
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10. Gyroardus colonus et uxor ejus lida, nomine Odelberga, homines sancti
Germani, habent secum infantem I, nomine Baldoarium. Tenet dimidium mansum,
habentem de terra arabili bunuaria IIII. Solvit sicut de dimidio manso.
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230
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
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42. Airmarus et uxor ejus colona, nomine Salvia, homines sancti Germani,
habent secum infantes II, his nominibus, Hartmarus, Gaustrudis; tenent mansum
ingenuilem I, habentem de terra arabili bunuaria VII, de vinea quartam partem
de aripenno, de prato aripennum I. Solvit similiter.
Ce i a YO SS ST
47. Nadalfredus servus et uxor ejus colona, nomine Radohis, homines sancti
Germani, habent secum infantes V, his nominibus Constantinus, Adalbruc,
Nadalia, Radohilt, Ratberga; tenent mansum ingenuilem I, habentem de terra
arabili bunuaria VIII, de vinea duas partes de aripenno, de prato aripennos II.
Solvit similiter.
45 48. Leodoardus, servus sancti Germani, tenet mansum ingenuilem I, haben-
tem de terra arabili bunuaria X, de prato dimidium aripennum. Solvit similiter.
Cr
oiLm! je: (0) ¢)(e! ie © 0: 0] @)\e ‘6: elje ‘ea. © (v0 6. © Jo, (ob @ &.le (0; 0](6, 8) 0; © 10) (6, 8)"6 8).¢, 6:6 (6 10: 6) W 0. 6 (0 6110 €, 8 0) & 8) 0) 010 6 ©) 6 0) © 6) 0 6 6 18)
62. Habet in Cella Equilina mansos ingenuiles LIII, qui solvunt, omni
50 anno, ad hostem aut carrum I, aut boves VI, aut de argento solidos LX XXVIII
et in pascione solidos X. Et sunt ex ipsis mansis XXII qui solvunt ad tertiam
annum soales XXII et fossorios XXX; pullos CLX, ova DCCC.
Fiunt simul inter mansos vestitos et absos LXX.
Polyptyque de Saint-Germain-des-Prés, tome II, Paris, éd. Longnon, 1886, pp. 29 sqq.
Traduction
1. [L’abbaye] posséde, 4 la Celle-Yveline, un manse seigneurial avec maison et autres
édifices ruraux a suffisance. Elle y posséde 8 coutures, ayant 65 bonniers, que peuvent ense-
mencer 300 muids de froment. Elle y posséde en vigne I arpent et demi, en nouvelle [vigne]
13 arpents, en pré 38 arpents. Elle y posséde un bois qui fait, en tout, 5 lieues de tour et ou
lon peut engraisser 1 000 porcs. Elle y posséde 2 moulins a farine, dont le cens rapporte
27 muids de blé et 1 sou d’argent.
Elle y posséde deux églises entiérement équipées et soigneusement construites. Y afferent
en terre arable 10 bonniers, en vigne un demi-arpent, en pré deux arpents. De surcroit elle
y posséde 2 manses ingénuiles, ayant 10 bonniers de terre arable, I arpent et quart de vigne,
2 arpents de pré.
231
LES CAROLINGIENS
wei cSi16:16) 614) (6) 0s18/ Le 6 18)-91(6 Sire, 216 &)\el 6.6 8 18 01,6) 6 @) 8)16) (01(ee). 0!(6: 67.6) ,6) o. ellecn) (eee atin Je),s).s) wilallaiel uN) @ eel € 6) 6 1c) okt (aise ele eal) 0.0L eiee
10. Gyroardus colon et sa femme lide, nommée Odelberga, hommes de saint Germain,
ont avec eux un enfant nommé Baldoarius. I] tient un demi-manse, ayant en terre arable
4 bonniers. Il paie comme pour un demi-manse.
Se Ce CC Ce
13. Grimboldus, colon, et sa femme, colone, nommée Hadelindis, hommes de saint Germain,
ont avec eux 6 enfants nommés Grimoldus, Hildemarius, Grimberga, Aldeildis, Hadena,
Erlindis : ils tiennent un demi-manse, ayant en terre arable 4 bonniers, en vigne un quart
d’arpent, en pré un demi arpent. I] paie comme pour un demi-manse.
wie ina’) e.is (0, 2) 0, wie) .w eS 8) 6 -w #6 s\n 0 Bes? wie ie! 9) 0 Use 9) e168! fe) 6) > Ce ©) 8) va(elee cece ee) 6.6 19).¢ whe) ale; (s\e) ss.
37. Winemundus colon et sa femme colone nommée Winetildis, hommes de saint Germain,
ont avec eux deux enfants nommés Widreboldus, Framberta : ils tiennent un manse ingénuile,
ayant en terre arable 7 bonniers et 2 ansanges, en pré un arpent. II paie pour l’ost en argent
2 sous, année suivante I sou, la troisieme année I porc gras valant I sou. Il laboure pour
Phiver 4 perches, pour le trémois 2 perches; corvées, charrois, main d’ceuvre, coupe d’arbres,
autant qu’on leur demande; 3 poulets, 15 ceufs.
42. Airmarus et sa femme, colone, nommée Salvia, hommes de saint Germain, ont avec
eux deux enfants nommés Hartmarus, Gaustrudis : ils tiennent un manse ingénuile, ayant
en terre arable 7 bonniers, en vigne un quart d’arpent, en pré un arpent. Mémes redevances
[que pour un manse].
ee eee eevee
48. Leodoardus, esclave de saint Germain, tient un manse ingénuile ayant en terre
arable 10 bonniers, en pré un demi-arpent. Mémes redevances.
COCA TC PerYarra rar sme Set Cnc Yar et ikYaneeSoCMC Ye SicOttey YC CYC an Rie, Tolle (@ ()\6. +8)(ee \eile, oC 6) @:(0) #10) eels) a ee (6 <i) sels 6) © 6i\8) 8! 8161/6) 6) s) a) ei en ee) 6
60. Wasco, colon de saint Germain, tient un manse ingenuile, ayant en terre arable
5 bonniers, en pré un arpent. Mémes redevances.
1G) .0) eX 0rce! OOM e ie) i Oe S ek) 6)/e'e eee Cie ©be) ce th Sse eer
232
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
Commentaire
233
LES CAROLINGIENS
kilométre, tout cela améne a penser qu’il y avait probablement, a l’origine, deux domaines dis-
tincts que les moines, avant le 1x® siécle, avaient déja fusionnés en une seule villa.
Le manse seigneurial (réserve) semble avoir ses batiments en bon état (détail des bati-
ments, cf. document 126 : Annapes et document 107 : plan de Saint-Gall), il comporte des
« coutures » c’est-a-dire des grandes piéces de terre, ici de 8 bonniers en moyenne soit Io hec-
tares (dans le domaine de Verriéres, 4 coutures totalisent 257 bonniers;); on y cultive la céréale
des riches, consommée par les moines, le froment. La semence est claire, si les 156 hecto-
litres sont pour le total, soit 2 hectolitres 4 l’hectare (mais peut-étre un tiers seulement des
coutures sont en froment s’il y a rotation triennale (cf. document 131 et le probléme des
rendements). On note que ces terres défrichées depuis quelque temps (puisqu’elles portent
déja du froment), les vignes peu importantes malgré le gros effort récent, les prés (fournissant
du foin pour la stabulation hivernale des bovins nécessaires aux charrois signalés plus loin)
ont une trés faible étendue par rapport aux bois : une forét ronde de 5 lieues gauloises de
tour a une superficie d’environ 10 kilométres carrés soit I 000 hectares; la proportion d’un
porc a l’hectare est un peu forte (généralement un porc sur 0,75 hectare) surtout dans des
feuillus, ot glands et faines sont abondants. On peut admettre soit que le chiffre donné est
global et que sur une telle superficie le décompte est approximatif, soit que la forét, qui n’est
probablement pas ronde, ne couvre en fait que 700 a 800 hectares.
Les moulins, gros investissements 4 la portée du seul propriétaire, sont peut-étre 4 eau;
ils sont vraisemblablement tenus par des domestiques, accensés et d’un rapport modique
(la semence de 5 a 6 bonniers et un sou : le prix d’un seul porc).
Les églises ont une dotation de terre normale pour que les prétres puissent exercer
leurs fonctions (elle doit en principe étre de 12 bonniers). On note cependant que la moitié
de ces terres fait partie intégrante de la réserve, donc doit étre cultivée soit par les esclaves
de la familia, soit par les redevances en travail de la masse des tenanciers; l’autre moitié est
constituée par deux manses (avec peut-étre leurs tenanciers).
Le reste du domaine est en effet divisé en petites exploitations, les manses, qui sont dits
ingénuiles (donc a Vorigine occupés par des colons libres) mais peuvent étre parfaitement
occupés par des esclaves ou par des « lides »; on note que leur superficie varie (Wasco cultive
5 bonniers, Leodoardus 10); leur occupation également : le manse 2 nourrit 13 personnes sur
une superficie 4 peine supérieure a celle de Leodoardus qui est seul. Certains manses sont
occupés par deux tenanciers et leur famille; d’autres sont coupés en deux demi-manses...
Le seul caractére commun de ces exploitations, groupées en deux ensembles, est donc
de verser les mémes redevances en argent, en travail ou en nature. Pour l’ost (service de guerre)
VPabbaye doit fournir 4 l’armée Vhostilicium (chariots et boeufs) ou des outils et aliments,
vins, porcs (carnaticum); elle répercute ces fournitures variables sur ses manses sous forme
de redevances fixes, rachetables (la conclusion! montre que V’hostilicium est racheté). La paisson
de 4 deniers est le droit payé par le tenancier pour envoyer ses porcs paitre dans la forét de
la réserve (pour les sous et les deniers, cf. document 104). Une partie du travail des tenanciers
sert a exploiter la réserve, suivant le systéme de l’ansange (6 perches soit 14 ares”), qui est
une superficie fixe 4 labourer en automne et au printemps dans une proportion de 2 tiers et
un tiers, en rapport probable avec une rotation de culture (trémois désigne la céréale plantée
au troisiéme mois (de l’année) ou mettant 3 mois 4 pousser c’est-a-dire l’avoine). Les 70 manses
théoriques ne cultiveraient donc que 980 ares soit moins de Io hectares, et les 53 effectifs
1. C’est-a-dire le § 62.
2. Voir ci-dessus, document 31.
234
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
moins de 7 hectares et demi sur les 40 (moitié) ou 54 (deux tiers) de la réserve ensemencés
chaque année.
Le reste des coutures est alors cultivé par les esclaves domestiques mais aussi par les
corvées 4 merci (travail de la terre au gré de l’intendant), complétées par la main-d’ceuvre
(cléture des champs, réparation des batiments, rentrée des fruits, sarclage, battage, etc.) et
les charrois (vin, foin, farines, fumier, terre, etc.), ce qui suppose pour chacun des bétes de
trait. Les coupes d’arbres rappellent l’exploitation forestiére. On note que le travail de la vigne,
frappant généralement les tenures serviles, n’est pas ici réclamé, et d’ailleurs la vigne de la
réserve est bien petite.
Parmi les redevances en nature, celles en ceufs, poulets, porcs (pour ceux qui paient
la paisson) sont normales. Les « fossoirs » livrables 4 la Noél sont en revanche déroutants :
s’agit-il d’outils (pioches, sens normal) réclamés pour lost (sapes, tranchées, siéges) en rempla-
cement du carnaticum? Mais alors, pourquoi ne pas les livrer 4 Paques ? Doit-on alors donner
au mot fossorius un sens rare (mais attesté encore en Pologne au xIV® siécle), celui de « porc
fouisseur », normalement livré a la Noél et par les manses qui, précisément, paient la paisson?
Autre énigme, plus importante : beaucoup de manses (17, soit 1/4 du total) sont vides;
cela ne veut pas dire que leurs terres ne sont pas exploitées (car les esclaves de la réserve
ou les tenanciers voisins le font peut-étre) mais qu’elles n’ont pas de possesseurs 4 demeure
(a une époque ou les ravages des guerres ou des Normands ne sont pas encore survenus et
ou beaucoup de manses voisins sont déja surpeuplés ou divisés en demi-manses). Y a-t-il
eu disette récente ou abandon de terres mal défrichées?
Notons au passage l’intérét de la récapitulation finale, malgré quelques fautes de calcul,
par les renseignements qu’elle nous donne et qui n’apparaissent pas dans le texte.
Pour les statuts juridiques des tenanciers, rappeler que le colon, en principe libre, est
attaché a la terre qu’il ne peut quitter sans risquer l’esclavage : l’esclave « casé » sur une tenure
a une condition économique trés proche, mais certains de ses enfants peuvent étre recrutés
comme esclaves domestiques et employés sur la réserve (le seigneur n’éléve pas lui-méme
d’esclaves, car ce n’est pas rentable). Le lide est peut-étre descendant d’esclaves affranchis
(classe résiduelle) ou alors de libres ayant choisi un maitre et pouvant théoriquement se
racheter (car ils ne seraient pas attachés 4 la terre). En fait, les statuts différents tendent 4
se confondre : tous les tenanciers sont « hommes » de saint Germain, c’est-a-dire étroitement
dépendants et soumis a Vabbé, leur maitre et propriétaire. On note enfin que les unions
entre gens de statuts différents sont possibles (colons et lides, paragraphe 10; colon et colone,
paragraphe 13; esclave et colone, paragraphe 47), que les couples sont généralement trés
féconds (5 4 6 enfants) et que ’anthroponymie est presque totalement germanique (3 noms
romains : Salvia, Constantinus, Nadalia).
205
LES CAROLINGIENS
Traduction
A tous les évéques, abbés, ducs, comtes, gastalds, vicaires, centeniers, agents publics,
tonloyers des cluses, 4 nos miss: ambulants et tous nos autres fidéles voyageant dans les pays de
Francie, Bourgogne, Provence, Septimanie, Italie, Tuscie, Rhétie, Baviére, Esclavonie; qu’ils
sachent que nos fidéles présents cette année-ci de l’Incarnation du seigneur Jésus Christ 828 et,
236
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
par sa clémence et sa pitié, de notre régne impérial la quinziéme, sont venus 4 notre palais
d’Aix et se sont présentés a nos regards; nous les avons accueillis trés volontiers en les assurant
de notre protection et nous espérons, avec la volonté de Dieu, les garder dans le futur; qu’ainsi,
dorénavant, chaque année ou aprés un intervalle de deux ans révolus, vers le milieu du mois
de mai, ils viennent 4 notre palais et 4 notre chambre et que chacun veille fidélement 4 acquitter
les services dus pour ses affaires et les nétres et montre ces lettres de notre autorité. En consé-
quence, par la présente ordonnance, nous décrétons et ordonnons que ni vous, ni vos dépen-
dants, ni vos successeurs, ni nos misst ambulants n’osiez inquiéter lesdits fidéles en aucune
occasion non légalement prévue, quelle qu’elle soit, ni ne les dénonciez, ni ne preniez ou ne
lésiez injustement quoi que ce soit de leurs biens, ni ne saisissiez leurs navires, en feignant
de le faire pour notre service ni ne fassiez pression sur eux ni ne leur réclamiez V’hériban ni
n’exigiez des bans d’une autre sorte; mais qu’il leur soit permis, ainsi qu’aux Juifs, de servir
fidélement dans les différentes parties de notre palais et s’ils veulent accroitre leurs moyens
de transport a l’intérieur de notre royaume, avec l’aide du Christ, en vue de commercer pour
notre profit comme pour le leur, qu’ils en aient licence et qu’aucune saisie, ni aux Cluses ni
en aucun autre lieu, ne soit tolérée ni exercée 4 leur égard; et le tonlieu, a part celui pour notre
compte, entre Quentovic et Duurstede ou aux Cluses, la ot une dime est exigée pour notre
compte, qu’on ne le leur réclame nulle part ailleurs. Que si naissaient contre eux et leurs
hommes quelques procés, qu’ils ne pourraient évoquer dans leur patrie d’origine sans frais
injustes et fort lourds, que, en attendant qu’ils soient portés devant nous ou leur chef que
nous avons préposé a ces causes et a la téte des autres marchands, ces procés soient suspendus
et réservés jusqu’a ce qu’ils recoivent une sentence définitive selon l’ordre du droit.
“Sd
DOSSIER SUR
les marchands francs chez les Slaves et les Avars (805)
Ce texte bien connu évoque, non seulement des itinéraires commerciaux, mais aussi
les derniers forts carolingiens flanquant la frontiére orientale et met en évidence l’un des
aspects de la politique impériale (l’embargo sur les marchandises d’intérét « stratégique »
et militaire, risquant de servir 4 des peuples ennemis).
Traduction
Au sujet des marchands qui vont en pays slave ou avar, jusqu’ou ils doivent s’avancer
avec leurs affaires : en pays saxon jusqu’a Bardowik, ot doit veiller Hredi et jusqu’a Scheessel,
ou doit veiller Madalgaude et 4 Magdebourg ot Héton veille. Et 4 Erfurt que Madalgaude y
veille et 4 Hallstadt que veille de méme Madalgaude. A Forchheim et 4 Premberg et a Ratis-
bonne que Audulf y veille et a Lorsch, Werner.
Et qwils n’apportent pas d’armes et de brognes pour les vendre. Que, s’ils sont trouvés
en portant, qu’on leur enléve tout leur bien, que la moitié aille au palais et que l’autre moitié
soit partagée entre lesdits miss? et celui qui a découvert [la fraude].
238
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
Mer du Nord
Duurstede
O Magdeburg
Erfurt e %
Ore
SOR)BES
n
% Prague P
Hallstadt
Forchheim BOCHEME
Premberg
Ratisbonne
23,
7)
0 200 km 7 torch
eS ee
209
2. LA SOCIETE CAROLINGIENNE
ET SES ASPECTS REGIONAUX
Traduction
Aunom de la sainte et indivisible Trinité, Louis roi par la grace et la faveur divine. Sachent
tous les fidéles de la sainte Eglise de Dieu et de nous-méme, présents et a venir, qu’une
femme nommée Rotlinde, a, avec notre permission, donné 4 Sainte Marie, de notre chapelle
de Francfort, certaines choses de sa propriété consistant, en Francie dans le pagus de Niti-
240
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
chewe ! qui est dans le comitatus de Liutfrid, en une villa appelée Hurnowa 2, 8 manses
avec leurs attenances et dépendances c’est-a-dire terres, paturages, prés, vignes, bois, eaux
et riviéres sortant et entrant, meubles et immeubles avec des esclaves des deux sexes dont les
noms sont Reginbald et sa femme et ses enfants et leur frére, Seginhilt et ses sceurs, Wicdald,
Ottrud, et elle a consenti 4 ce que, chaque année, on lui donne en froment 40 muids, en épeautre
30 muids, en avoine 60 muids et 4 « charrettées »* de vin et une livre d’argent, 14 jeunes
porcs, 6 pour étre salés, s’il y a paisson, et sinon qu’on lui donne 20 jeunes porcs et, chaque
année, 100 charrettées de bois. Et ainsi nous avons fait faire ce précepte de notre autorité,
par lequel nous décrétons et ordonnons que tout reste 4 perpétuité valable et inchangé. Et
pour que cette autorité soit plus soigneusement respectée, pour que |’on ait plus confiance
dans son authenticité, nous l’avons fait suivre du seing de notre anneau.
Moi, Hebarhard, chancelier, ai vérifié 4 la place de Liutbert archichapelain.
Donné I’an 37 du régne du sérénissime roi Louis, régnant en Francie orientale, l’indiction
7. Fait a Tribur. Au nom de Dieu. Feliciter. Amen.
Commentaire
La période des Carolingiens allemands, qui, de 825 4 843 virent naitre et de 843 a 9II
se constituer le royaume de Francie orientale ou de Germanie, s’étudie dans la série parti-
culiére des actes royaux (dipl6mes) publiée au sein des Monumenta.
Les dipl6mes qui confirment solennellement des actes de caractére gracieux fournissent
de nombreux détails sur le peuplement et la mise en valeur des territoires 4 l’est du Rhin,
témoin ce document : « 4 Tribur, Louis, roi de Francie orientale, confirme par précepte la
donation faite par Rotlinde 4 sa chapelle de Francfort de la villa de Hurnowa, pagus de
Niticheve, comprenant 8 manses plus terres, paturages, vignes, bois et eaux, meubles et
immeubles, certains esclaves (Reginbald avec femme, enfants, frére, Seginhilt et ses sceurs,
Wicbald et Ottrud); la rente annuelle est fixée 4 4o muids de froment, 30 d’épeautre, 60
d’avoine, 4 charretées de vin, 100 de bois, 1 livre d’argent et 20 porcs (dont 6 gras, s’il y a
paisson) ».
Ce court document adopte la présentation diplomatique normale : protocole initial avec
invocation et suscription (Louis), texte avec notification (sachent...), exposé (une femme
nommée Rotlinde), dispositif (nous avons fait faire ce précepte), clauses de corroboration
et de garantie, souscription de chancellerie (Hebarhard), eschatocole avec date de temps
et de lieu. Notons simplement l’absence de date précise, l’omission du « seing » du roi qui
semble annoncer soit une mauvaise copie, soit le brouillon d’un acte; enfin les caractéristiques
linguistiques : mots germaniques (friskinga), solécismes ou barbarismes (daretur, fratrem),
ambiguités (e7, qui grammaticalement se rapporte a chapelle, car sinon ce serait s7bz pour
Rotlinde ou nobis pour le roi). Mais le plus probable est que la donatrice se réserve, 4a elle
(non a la chapelle) une rente sur les biens qu’elle donne.
La date demande 4 étre précisée. Pour cela, il faut déterminer le roi Louis dont
il est question : le fait d’avoir régné au moins 36 ans exclut Louis II le Jeune (+ 882) qui
n’a régné que 6 ans et Louis III l’Enfant (} 911 aprés 12 ans de régne). II s’agit donc de Louis le
Germanique (+ 876); mais de quand part le compte de ses années de régne? De 817 (cou-
ronnement), 825 (installation en Baviére), 833 (déposition de Louis le Pieux), 837-838 (rébellion
241
LES CAROLINGIENS
contre Louis le Pieux), 840 (mort de Louis le Pieux), 843 (traité de Verdun) ? 840 semble
vraisemblable : il faudrait dater alors le texte de 876. Mais le calcul de l’indiction permet de
876
préciser : en effet ere donne pour reste 9; pour obtenir 7 il faut adopter la date de 874.
A cette époque, Eberhard est bien chancelier et Liutbert, archevéque de Mayence, archi-
chapelain. Le Germanique réside 4 Francfort de Noél 874 a Paques 875 avant de regagner
Tribur (ou il a convoqué l’assemblée générale). Ceci confirme que le dipléme a été rédigé
avant Noél 874 (et aprés Noél 873, car le style de l’Incarnation fait commencer l’année le
25 décembre et non le 1° janvier).
Le contexte politique importe peu : Charles le Chauve et Louis le Germanique se dis-
putent déja la succession prochaine de leur neveu, l’empereur Louis II (+ 875), mais la région
rhénane n’est pas envahie. Le contexte économique a plus d’importance : les Annales de
Fulda nous signalent que l’an 873 a été marqué par des calamités (beaucoup de neige, crues
catastrophiques du Rhin, gelées tardives, famine aggravée par la sécheresse exceptionnelle
d’aott et nuages d’énormes sauterelles, grosses comme le pouce, dévorant tout, qui prennent
la Germanie en écharpe de I’est vers l’ouest). L’hiver de 873-874 semble avoir été épouvantable,
surtout du 1&7 novembre au 22 décembre (Rhin et Main gelés, foréts si enneigées qu’il est
impossible d’y pénétrer; le manque de bois de chauffage aurait fait périr « un tiers de l’espéce
humaine »), La région Main-Rhin semble la plus frappée, et peut-étre des donations aux églises
trés éprouvées se sont-elles multipliées ou des propriétés en partie ruinées leur ont-elles
été données avec moins de retenue.
Tous les termes géographiques dans le texte renvoient 4 ce pays : Francfort (sur le Main),
Tribur, Niticheve, Nidder et Nidda, rive droite du Main et Taunus, entre Rhin et Main
avec la vallée de Hornau. C’est le cceur du royaume : en effet, Francfort est la capitale du
Germanique ou s’est tenu en 794 le célébre synode 1, ot en 823 Judith a accouché de Charles le
Chauve; en 838, Louis le Pieux y a construit ses murailles; Louis le Germanique y meurt
en 876, Louis le Jeune en 882, et en 887 Arnulf s’y fait proclamer roi, déposant Charles le Gros
qui était 4 Tribur. La se trouve le palais du Germanique (récemment fouillé) et son ora-
toire, la chapelle palatine, que nous voyons ici consacrée, comme celle d’Aix, 4 Notre-Dame.
Rappelons que Varchichapelain, Liutbert, est archevéque de la proche Mayence (confluent
du Main avec le Rhin) et que cette région, occupée par les Francs, s’appelle encore Franken
(Franconie), ce qui interpréte de maniére satisfaisante le terme « Francie », destiné a localiser
précisément Hornau et qui ne peut étre traduit par Francie orientale (c’est-a-dire Germanie),
ensemble géographique beaucoup trop vaste. Les toponymes sont nettement germaniques
a Vest de la cité de Mayence (malgré l’avancée du limes parallélement au Main) : Francfort
(gué des Francs), Hornau (méandre en forme de corne); le pagus est désigné par un hydronyme
Niticheve, non par le nom de la ville (comme en pays gallo-romain) et les anthroponymes,
en accord avec la toponymie, ne sauraient résulter d’une germanisation de noms gallo-romains
(car, dans ce cas, la toponymie serait restée dans l’ensemble gallo-romaine, comme en Francie
occidentale), Les noms semblent purement francs, avec l’accolement de deux racines, faci-
lement identifiables : Vinitiale comme Liwt-(peuple), Rot-Hrod-(gloire), Regin-(conseil),
Segin-(victoire), Wic-(forét), Hebar-(sanglier), Ot-(4 rapprocher de Otton, Eudes) et la
finale, précisant généralement le sexe : -bert (brillant), -bald (hardi), -hard (fort) pour les
hommes; -trud (fidéele), -lind (serpent, calin) pour les femmes; -frid (paix), et -hilt (combat)
pour les deux sexes. La mention de Rotlinde évoque le personnage assez fréquent de la riche
242
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
veuve ou héritié¢re (égale des hommes). Mais plus intéressante est la détermination probable
du sexe des esclaves d’aprés leur nom, car elle léve au moins une ambiguité : Wicbald (homme)
ne peut étre sceur de Seginhilt, et il s’ensuit que ces esclaves se répartissent probablement
ainsi : un couple (Reginbald) avec enfants et frére célibataire, un frére (Seginhilt) avec des
Sceurs non mariées, un célibataire (Wicbald) et une esclave non mariée (Ottrud).
Il ne s’agit probablement pas d’esclaves chasés sur les 8 manses évoqués (puisqu’il
n’y a que 3 hommes en état de travailler), ceci implique donc qu’il s’agit d’esclaves ruraux
aidant 4 mettre en valeur une réserve. Leur origine n’est stirement pas gallo-romaine (car
l’élevage des esclaves n’est pas rentable, et il y a extinction rapide de ces familles. De plus, le
pays n’a pas été romanisé); il est difficile qu’on les ait pris parmi les enfants des tenanciers
des manses (car il faudrait que ces tenanciers soient juridiquement esclaves, ce qui n’est pas
indiqué). I] faut admettre qu’ils ont été capturés ou achetés, mais nous notons que cette cap-
ture ou cet achat remonte au moins 4 la troisiéme génération : Reginbald et sa femme ont
des enfants esclaves, mais leurs parents |’étaient aussi (puisque le frére est avec eux) et, de
méme, Seginhilt est entouré de ses sceurs, ce qui exclut qu’ils aient été récemment asservis
(car les familles seraient séparées). On peut ainsi remonter a plusieurs décennies aupara-
vant, c’est-a-dire aux guerres victorieuses contre les Saxons ou les Slaves, expliquant l’abon-
dance relative des esclaves dans ces régions bordiéres (méme, A Priim, des paysans ont des
esclaves), en cours de colonisation. Nous notons par ailleurs que le peuplement est peu dense :
le pagus n’est pas divisé en centaines (vigueries), un seul comte semble diriger plusieurs
pagus (distinction du comitatus, fonction comtale, et du pagus, territoire sur lequel elle s’exerce).
La villa de Hornau semble compter seulement 8 chefs de famille — paysans libres (?) sur les
manses —, 5 esclaves adultes, plus 3 ou 4 en état de travailler (fréres ou sceurs des précédents)
et les enfants d’un couple. C’est peu pour exploiter la réserve, méme si les prestations en tra-
vail des tenanciers sont élevées : on peut supposer que les terres arables y sont restreintes
et la forét prédominante. De fait, la rente en bois (de chauffage >?) est fort élevée (100 char-
retées). Dans la forét peuvent paitre chevaux, bovins et surtout porcs, 4 demi sauvages,
efflanqués, 4 dents proéminentes comme des boutoirs de sangliers mais dont la viande, fumée
ou salée, est essentielle en pays germanique (16 articles de la loi Salique concernent ces ani-
maux) 1. La paisson ici mentionnée évoque le droit de glandée, passage, payé par les tenanciers
pour envoyer leurs bétes s’engraisser dans la forét de la réserve : s’il y a paisson, il est normal
qu’ils fournissent des porcs gras, sinon les tenanciers fourniront 20 jeunes porcs. Cette rente,
vu ’ampleur des bois, semble peu élevée : il faut probablement évoquer la rareté des feuillus
(donc des faines et des glands) et la prépondérance des résineux, impropres a |’élevage du porc.
La carte actuelle de Francfort-Ouest montre effectivement Hornau dans la forét mixte,
et celle du x1x® siécle signale des résineux en bien plus grand nombre. A part le porc, il est
probable que les prés de Hornau nourrissaient quelques bovins, pour charrier les charretées
de bois et labourer les terres 4 céréales, voire des chevaux, nécessaires 4 certains déplacements
et qu’épeautre et avoine peuvent éventuellement nourrir.
La culture, si l’on en croit cette rente, est essentiellement céréaliére : ’importance du
froment est peut-étre illusoire car il s’agit de redevances envers une riche dame ou une chapelle
palatine qui le consomme ou le vend au meilleur prix; mais on peut aussi admettre que cer-
taines terres récemment mises en culture sont fort riches (Eginhard nous signale les gens de
Mayence remontant le Main pour acheter du froment), D’autre part, en céréales d’hiver
243
LES CAROLINGIENS
(froment, et épeautre sur les terres plus rustiques) la rente de 70 muids est comparable 4
celle en céréales de printemps (60 muids d’avoine) : la rotation des cultures semble prouvee,
et la présence d’épeautre et de froment atteste un terroir 4 cheval sur des terres de qualités
différentes (versants et fonds de vallées). Nous voyons que cette villa rapportait 4 peu prés
autant en rente que ce que le grand fisc d’Annapes rapportait en totalité 1. Toutefois, n’oublions
pas que cette rente est sans doute destinée a assurer l’entretien viager d’une riche veuve
et qu’elle peut étre établie en fonction des besoins de cette dame, sans refléter pour cela exac-
tement le systéme d’exploitation appliqué 4 ce domaine.
La culture de la vigne en quantité notable (méme si Rotlinde ou la chapelle palatine récla-
ment la quasi-totalité de la récolte) montre la diffusion de cette culture dés cette €poque sur
des versants ensoleillés comparables 4 ceux des vallées de la Moselle ou du Rhin.
Le terroir de Hornau est donc trés diversifié : prés et sols riches dans le fond de la vallée
ou sur les premiéres pentes; versants, ensoleillés ou non, avec vigne et épeautre et montant,
avec des ilots de feuillus, vers la forét des résineux. Ajoutons un petit probléme: la livre d’argent
annuelle est-elle une livre-poids (491 grammes?) d’argent pur que le Taunus hercynien
pouvait effectivement produire ou est-elle une livre-monnaie de 240 deniers, ce qui suppose-
rait une moyenne de 30 deniers par manse, a la rigueur acceptable puisqu’en 893 des manses,
dépendant de Priim, 4 Arnheim, versent 26 deniers chacun, en sus de seigle et de bois?
244
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
vestris amodo et deinceps, ut diximus, in villis vel curtibus seu quibuslibet locis
vel rebus sancte Marie infra regna deo propitio nostra nemo ex iudiciaria potestate
ibidem ad causas audiendum nec freda undique exigendum seu mansiones aut
paratas faciendum neque homines ipsius monasterii distringendum nullo unquam
tempore ingredere nec exactare penitus presumatis, sed sub emunitatis nomine
cum omni fredo concesso valeant omni tempore rectores ipsius monasterii homi-
nesque eorum quieti vivere vel residere, quatinus ea, que pro mercede nostra
indulsimus, in luminaribus ipsius ecclesie vel stipendiis monachorum ibidem
perpetualiter proficiant. Et ut hec auctoritas firmior habeatur vel per tempora
30 melius conservetur, manu propria eam decrevimus roborare vel de anulo nostro
lussimus sigillare.
Signum Karoli invictissimi regis.
Guigbaldus advicem Hitherii recognovi et subscripsi.
__Data IIII Kal. iun. anno VII et I regni nostri; actum Carisiago palatio nostro;
35 in dei nomine feliciter.
M.G.H. Diplomata, tome I, 1906, § 99, p. 142.
Traduction
Charles, par la grace de Dieu, roi des Francs et des Lombards, et patrice des Romains,
a tous les évéques, abbés, ducs, gastalds, domestici, juges, vicaires, centeniers, et 4 tous nos
missi itinérants tant présents que futurs. Nous croyons que notre régne verra croitre le plus
grand de ses titres de gloire si nous nous rendons d’un cceur complaisant aux pétitions que les
serviteurs de Dieu adressent a nos oreilles et si, au nom de Dieu, nous parvenons 4 leur donner
effet. Aussi votre sagacité saura de quelle maniére le vénérable Probatus, abbé du monastére
de la sainte mére de Dieu, Marie toujours vierge, qui est bati au lieu dit Acutianus, dans le
duché de Spoléte et fondé sur le territoire de la Sabine, a adressé une pétition et suggéré
a la clémence de notre régne que nous concédions, pour ledit saint lieu, un bienfait tel que
ledit saint monastére soit sous le régime de |’immunité totale, tout comme le sont les autres
monastéres que l|’on voit batis au sein de nos royaumes : a savoir que, dans les cours, villae,
cellules, en tous lieux, en toute chose donnés par des largesses d’>hommes généreux et dépendant
de cette maison de Dieu, nul juge public, 4 aucun moment, n’ose entrer pour entendre des
procés, percevoir des freda de tous cétés, exercer des contraintes sur les hommes dudit monas-
tére, se faire héberger ou entretenir, nulle puissance judiciaire n’intervienne pour en tirer
des fidéjusseurs, requérir une quelconque redevance ou lever un impét. C’est pourquoi nous
avons fait rédiger cette immunité par laquelle nous décrétons particuli¢rement, ordonnons,
prescrivons et commandons qu’aucun de nous ni de vos disciples dés a présent et par la suite,
comme nous l’avons dit, dans les willae ou cours ou en quelque lieu, quelque possession
de sainte Marie au sein de ces royaumes, qui sont ndotres, grace 4 Dieu, aucun de vous, de par
son autorité judiciaire, n’ose jamais, en aucun moment, lever des taxes ou entrer pour entendre
des procés, percevoir des freda de tous cdétés, se faire héberger ou entretenir, exercer des
contraintes sur les hommes de ce monastére; mais au contraire que, au titre de l’immunité,
ce soient les recteurs dudit monastére, gratifiés du fredus en sa totalité, qui y aient en tout
temps autorité, que leurs hommes vivent et résident en paix et que tout ce que nous avons
accordé pour notre salut serve 4 perpétuité pour le luminaire de cette église ou |’entretien
des moines. Et pour que cette autorité soit plus fermement considérée, pour que les siécles
la respectent mieux, nous avons décrété de la corroborer de notre propre main et avons
ordonné de la sceller de notre anneau.
245
LES CAROLINGIENS
Commentaire
La plupart des établissements ecclésiastiques, sous les Carolingiens, sont pourvus du
privilege d’immunité. Dés la conquéte du royaume lombard, Charlemagne Vaccorde 4 la
plupart des grands monastéres italiens, sur le modéle des abbayes du royaume franc. Ainsi,
ce précepte (diplé6me solennel) : « En son palais de Quierzy, le 4 des calendes de Juin, Charles,
patrice des Romains, roi des Francs depuis 6 ans et des Lombards depuis moins d’un an, a
la demande de l’abbé Probatus, accorde l’immunité totale au monastére de la Vierge 4 Acutia-
nus en Sabine, dans le duché de Spoléte; de ce fait, dans aucun domaine ou lieu en dépendant,
aucun individu investi de la puissance judiciaire n’aura droit d’entendre des procés, percevoir
des amendes, contraindre, user des gites et procurations, prendre des garants : seuls les chefs
du monastére y auront autorité. Le profit quw’ils en tireront sera consacré au luminaire et a
lentretien des moines ».
La présentation du document est classique avec son texte encadré par les 2 protocoles.
Il est aisé A dater : 27 mai 775 (Charles étant roi des Francs depuis 768 et des Lombards
depuis 774). Quierzy-sur-Oise est la résidence palatine rendue célébre par les actes qu’y ont
accomplis les Carolingiens, de Pépin 4 Charles le Chauve?.
L’intérét du texte est double : il concerne un monastére et une région déterminée du
monde carolingien, auxquels il attribue des priviléges trés généraux. Les protocoles évoquent
le contexte historique : Charles est patrice des Romains depuis mai 754, a été regu de maniére
particuliérement solennelle 4 Rome le 3 avril 774 et, le 6 avril, a confirmé voire élargi la dona-
tion de Quierzy, faite par Pépin (son chapelain, Ithier, qui l’a rédigée, est mentionné 4a la fin
de ce dipléme,) créant ainsi le patrimoine de Saint-Pierre. Il vient de remplacer Didier
(capturé dans Pavie aprés un siége de 9 mois) comme roi des Lombards et, 4 ce titre, chef de la
justice et de la guerre; il coiffe, outre les évéques et abbés, les ducs qui sont des gouverneurs
comparables aux comtes mérovingiens, mais héréditaires en fait et surtout gros propriétaires
fonciers. Certains étaient trés puissants (Frioul, Trente), d’autres complétement autonomes
(Spoléte, Bénévent) avant la conquéte carolingienne; la plupart (25 4 28) dirigeaient des cir-
conscriptions réduites (une civitas romaine) et étaient surveillés par des délégués du roi, les
« gastalds », 4 Porigine employés domaniaux gérant les terres royales dans les duchés, perce-
vant les redevances, faisant des enquétes, donnant des autorisations, et particuliérement puis-
sants par leur rdle judiciaire et leur indépendance totale par rapport aux ducs. Les Francs
les appelaient parfois des « comtes », mais le fonctionnaire qu’ils rappelaient était plus préci-
sément le domesticus mérovingien (administrateur des domaines du roi, des fiscs, sur lesquels
les comtes voisins n’avaient aucune action). A cété du gastald, le juge (cudex) a un role original,
car il a délégation de la justice royale et préside une sorte de tribunal jugeant collectivement.
Charles s’adresse a ces différents personnages, ainsi qu’aux missi qu’il a établis pour maintenir
la liaison avec le royaume franc. Il ne parle pas des comtes, soit qu’il n’en ait pas encore
nommeé, soit que le texte soit lacunaire, soit simplement parce que iudex désigne en fait le
246
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
méme personnage, auquel cas les vicaires et centeniers désignent ici ses subordonnés normaux.
Peut-étre aussi ces termes renvoient-ils 4 leur équivalent lombard, le sculdahis; mais le mot
« centenier » désigne aussi chez les Lombards le chef de |’établissement militaire constitué
en « fére » (fara), qui a donné en pays germanique de nombreux toponymes et plus parti-
culiérement Fara, Farfa, en Sabine, ou s’éléve encore le célébre monastére dont il est ques-
tion ici (50 kilométres au nord-est de Rome).
A Porigine, il y eut probablement 2 monastéres trés voisins, l’un byzantin, au sommet
de la montagne, ot l’on a retrouvé des grottes recouvertes de caractéres grecs; l’autre, franc,
sur emplacement d’une villa romaine. Tous deux sont 4 la limite de la Sabine ot s’exercent
des influences lombardes et pontificales. Au vir? siécle est fondée l’église dédiée a la Vierge
dont le premier abbé connu est Thomas (vers 680-720). Probatus est le septiéme abbé (770-
781). Les donations, les « largesses d’hommes généreux » affluent de telle sorte (le célébre
Cartulaire contient des centaines d’actes antérieurs au milieu du 1x® siécle) que Farfa devient
le monastére le plus riche d’Italie et le centre d’un vaste Etat féodal (indépendant grace a
son immunité). Ii est une premiére fois ruiné par les Sarrasins; rétabli en 933, réformé par
Cluny, il reprend son essor grace aux Othons mais, trés attaché 4 l’Empire, il souffre de l’hos-
tilité des papes qui le mettent en veilleuse 4 partir du xIv® siécle.
L’immunité que lui a accordée Charlemagne est d’un type tout a fait courant 4 l’époque,
au moins pour les monastéres d’importance comparable auxquels le texte fait allusion (type
Lorsch, Prim, Fulda, Saint-Germain). Durant le Bas-Empire étaient immunes les fiscs
(domaines appartenant directement a l’empereur), c’est-a-dire qu’ils étaient exemptés d’impéts
(Pempereur ne se verse pas d’impéts a lui-méme) et d’intrusion administrative et judiciaire
(?empereur ne paie pas de fonctionnaires publics pour accomplir sur ses terres ce que peuvent
faire ses intendants). Mais ce privilége attaché au propriétaire (empereur, souverain méro-
vingien) passa a la terre elle-méme, et par donation, par usurpation ou par dipléme royal
de nombreux propriétaires (surtout ecclésiastiques) se trouvent a la téte de terres immunes;
ce qui est fort avantageux, non plus seulement de par les exemptions d’imp6ots (il n’y a plus
d’imp6ts), mais encore de par autonomie par rapport aux agents publics et les profits que
procure l’exercice de la justice par le propriétaire et non par le « juge public » (comte) et ses
« disciples » (c’est-a-dire ses subordonnés ou ses dépendants).
D’ou les minutieux détails du texte : interdiction pour le délégué de lautorité publique
de pénétrer sur le territoire de l’immunité, le juge ou comte ne peut réunir le mallus des
hommes libres, il ne peut percevoir la freda (l’amende, la composition, ni du moins, puisque
les deux-tiers en vont au bénéficiaire du jugement, le tiers du tiers restant, réservé au roi,
destiné 4 couvrir les frais du juge); les gites et procurations sont les prestations (parfois lourdes)
allant aux officiers du roi pouvant se faire loger et nourrir; les contraintes sont par exemple
d’ordre militaire (guet, garde, hériban); les fidejusseurs sont des garants donnant caution selon
le droit germanique, en cas de vol, de crime, de faux serments ; les. redevances sont en
nature (pour la guerre, pour les corvées) voire en argent (tonlieux, exceptionnellement
impositions).
Cette importante fraction de l’autorité publique, enlevée aux fonctionnaires normaux,
est confiée au chef de l’immunité ou a ses délégués (aux recteurs, aux abbés de Farfa) qui
l’exercent au nom du souverain, lequel contrebalance efficacement la puissance locale du comte
grace a ces immunistes. I] est 4 noter que les peines de violation de l’immunité ne sont pas
prévues, non plus que le cas de causes de sang que VEglise ne peut juger et qui seront confiées
par l’immuniste ecclésiastique et avec l’accord du souverain 4 un « avoué » laic, dont nous
n’avons pas d’exemple avant 792 mais qui devient la principale cause de faiblesse des immu-
247
LES CAROLINGIENS
nités car cet avoué, pris parmi les puissants laics du voisinage, est pourvu d’un large bénéfice
dans l’immunité (pour lui permettre d’accomplir ses fonctions) et dispose de la force (contin-
gent militaire, puissance fonciére) pour menacer, usurper et prendre.
248
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
Traduction
Au nom de la Sainte et Indivisible Trinité, Charles, par la miséricorde du méme Dieu
tout-puissant, empereur auguste.
Si nous prétons l’oreille clémente de notre impériale dignité 4 la demande des serviteurs
de Dieu, nos fidéles, et mettons l’aide de notre munificence a la disposition de leurs intéréts,
nous ne doutons guére que cela ne nous soit également profitable, pour |’état de notre empire
et le salaire d’une récompense éternelle. Aussi que tous nos fidéles, présents et 4 venir, sachent
que l’un de nos fidéles, le comte Eudes, a porté 4 la connaissance de notre haute dignité
la maniére dont feu le vénérable abbé Hugues, notre trés cher parent, a donné en précaire
a de vénérables évéques, l’archevéque Adalard ! et son frére, l’évéque Rainon, une villa du
nom d’Achéres, dans le comté d’Orléans et la vicairie de Lion 2, ainsi que toutes les annexes
et choses y attenant, avec le plein accord des chanoines de Saint-Aignan *, a donné en précaire,
disons-nous, et ceux-ci, en récompense de ce bienfait prirent sur leurs propres biens 7 manses
avec esclaves des deux sexes, plus la chapelle y construite en l’honneur de Marie, mére de
Dieu, et les donnérent 4 Saint-Aignan et audit abbé Hugues et aux chanoines vivant en
communauté et ceci de maniére 4 ce que, leur vie durant, lesdits évéques tiennent et possédent
en toute quiétude les choses susdites 4 savoir la villa d’Achéres et la villa de Bracieux‘* ou se
trouvent lesdits 7 manses, dans le comté de Blois et la vicairie de Huisseau °, pourvu qu’ils
paient chaque année pour le luminaire de Saint-Aignan 5 sous d’argent et, de plus, qu’ils
acquittent aux chanoines dudit Saint-Aignan pour l’hétel du méme saint la dime des labours
seigneuriaux et des vignes seigneuriales et des corvées.
A ce sujet, ils ont supplié notre haute sérénité de bien vouloir confirmer cela par précepte
de notre autorité. Et considérant cette demande comme juste, nous avons fait faire par nos
dépendants un précepte de type impérial par lequel nous décrétons et ordonnons que doré-
navant les évéques déja nommés tiennent et possédent en paix les choses susdites, avec l’accord
de notre autorité, a titre de précaire, en leur domination et pouvoir, sans que quiconque les
trouble, pourvu qu’ils en paient chaque année le cens fixé ci-dessus. Et pour que tout le monde
observe plus librement et plus respectueusement cette décision de l’autorité impériale, que
nous leur avons libéralement accordée, nous l’avons confirmée de notre propre main et avons
fait contresigner de l’anneau de notre dignité.
Seing du trés glorieux et auguste roi Charles.
Amalbert, notaire, a vérifié 4 la place de Liutward.
Donné le 6 des calendes de Novembre, |’an de l’incarnation du seigneur 886, indiction 4,
année de régne de l’empereur Charles en Italie sixiéme, en Francie cinqui¢me, en Gaule
deuxiéme. Fait 4 Paris.
Au nom de Dieu, Feliciter. Amen.
Commentatre
1. Archevéque de Tours.
2. Lion en Beauce prés d’Artenay (Loiret).
3. A Orléans.
4. Prés de Blois.
5. Huisseau-sur-Cosson (Loir-et-Cher).
249
LES CAROLINGIENS
de la villa d’Achéres, en Orléanais, par son cousin, feu l’abbé Hugues, et les chanoines de
Saint-Aignan, 4 l’archevéque Adalard et son frére l’évéque Rainon, moyennant 7 manses
(avec leurs esclaves) 4 Bracieux et la chapelle y construite (pris sur leurs propres biens et dont
ils garderont la jouissance leur vie durant) et moyennant des redevances annuelles : 5 sous en
argent pour le luminaire et la dime des corvées, vignes et labours seigneuriaux pour V’hétel
de Saint-Aignan.
La composition diplomatique du document est classique : protocole initial avec invoca-
tion (au nom de...) et suscription (Charles...), texte avec préambule (Si nous prétons...),
notification (que nos fidéles sachent...), exposé (l’un de nos fidéles le comte Eudes...), dispo-
sitif (décrétons et ordonnons...) et clauses d’application, garantie et corroboration, seing du
roi et application du sceau annulaire; souscription de chancellerie, eschatocole avec date
de temps et de lieu.
La date exacte du document (6 des calendes de Novembre) est le 27 octobre. Noter le
style de l’incarnation et la mention du « millésime » encore rare, 886. L’indiction est calculée
886 + 3)
correctement soit par formule empirique ( soit en référence 4 lindiction de Cons-
886 — 312)
tantin ( : 886 est bien la quatriéme année (de la trente-neuviéme période de 15 ans
écoulée depuis Constantin).
Les personnages cités sont assez aisément identifiables : en 886 tous les Carolingiens
sont morts !, excepté en Germanie Arnulf, batard de Carloman; en France Charles (le Sim-
ple), fils posthume et en bas age de Louis le Bégue, et surtout le fils (légitime et en état de régner)
de Louis le Germanique, Charles le Gros, auquel se sont successivement ralliés tous les
royaumes issus de la décomposition de l’Empire; c’est sa huitiéme année de régne en Italie
(depuis octobre 879), sixiéme année comme empereur (Rome 881), cinquiéme en « Francie »
orientale (c’est-a-dire en Germanie) depuis 882 : mort de Louis le Jeune, deuxiéme en « Gaule »
c’est-a-dire en Francie occidentale depuis 884-885 : mort de Carloman. Cette unité retrouvée
ne dure d’ailleurs pas : le 13 janvier 888, Charles, déposé au profit d’Arnulf, meurt, aban-
donné de tous; le Robertien Eudes le remplace sur le tréne de France.
Maintenant, pourquoi le 27 octobre 886 Charles se trouve-t-il 4 Paris ? C’est que l’empe-
reur a pris la téte de la lente armée venue secourir la ville qui, depuis novembre 885, est assiégée
par une grande armée normande (Abbon nous a retracé dans son poéme les vicissitudes de
ce siége *) et n’a résisté que grace a l’évéque Gozlin et au comte Eudes. A peine arrivé, Charles
achéte le départ des assaillants et les autorise 4 piller la Bourgogne. Mais a Paris, il a eu le
temps d’investir Eudes du « ducat » entre Seine et Loire et de différentes abbayes (dont
Saint-Martin de Tours et Marmoutiers) sans titulaire depuis la mort (a Orléans, le 12 mai 886)
du vaillant abbé Hugues. I] est extrémement probable que ce sont ces deux grands personnages
dont il est fait ici mention : Eudes, fils de Robert le Fort (comte d’Anjou, mort en 866 a
Brissarthe), futur roi de France (888), et Hugues l’abbé, de la grande famille des Welf, plu-
sieurs fois cousin de Charles le Gros (les deux sceurs de son pére Conrad ont épousé lune,
Judith, Louis le Pieux; l’autre, Emma, Louis le Germanique et la sceur de sa mére a épousé
Lothaire!) qui, pendant 20 ans (866-886), a été le champion de la lutte contre les Normands
et qu’une formule d’affranchissement nous présente le 5-10-876 comme abbé de Saint-Aignan
d’Orléans, déja lié 4 l’archevéque de Tours Adalard (de 875 4 891) que l’on cite, en 881,
250
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
avec l’évéque d’Angers Rainon (de 881 4 906) et Gauthier d’Orléans, comme figurant parmi
Ses amis. Ces deux prélats sont issus de la grande famille des seigneurs d’Amboise, ce qui
explique l’origine de ces biens propres (différents des dotations épiscopales) qu’ils ont en com-
mun (ils sont fréres et sans postérité légitime car évéques) et sur lesquels ils prélévent la villa
de Bracieux.
Liutward, qui aurait da vérifier le précepte en personne (et qui est donc chancelier),
est le bien connu évéque de Verceil (880-901), favori de Charles de Gros et présumé respon-
sable de ses fautes politiques. Enfin, saint Aignan est le célébre évéque d’Orléans qui défendit
sa cité contre Attila ce qui, dans une certaine mesure, permit la concentration des forces
d’Aétius et de la cavalerie wisigothique qui repoussérent les Huns aux « Champs catalau-
niques » (451).
L’identification des personnages et les circonstances permettent de mieux comprendre
le mécanisme de l’acte et, d’une maniére générale, de la précaire! : un bien d’église (Achéres,
appartenant aux chanoines de Saint-Aignan), est donné par l’abbé Hugues (investi chef de
la communauté par la puissance publique) pour un intervalle de temps défini (tant que vivent
les bénéficiaires) 4 deux grands personnages (Adalard et Rainon) qui, en échange, donneront
chaque année un cens recognitif et diverses redevances plus, a leur mort, un bien comparable
(Bracieux). En principe, tous y trouvent leur avantage : Hugues, représentant du souverain,
qui se concilie de précieux concours (ceux d’un archevéque et d’un évéque) en disposant
de biens qui ne lui appartiennent pas; Adalard et Rainon qui accroissent leurs revenus propres
(a leurs biens épiscopaux et patrimoniaux et 4 Bracieux, dont ils gardent la jouissance, s’ajou-
tent ceux d’Achéres); les chanoines, qui prétent Achéres et récupérent Achéres plus Bracieux.
Eudes, successeur d’Hugues, fait reconfirmer ce contrat (probablement 4 titre d’abbé laic
de Saint-Aignan). On sait que la précaire, issue du precarium romain (concession en jouis-
sance et a titre gratuit d’un bien que le propriétaire peut reprendre 4 son gré ou 4 expiration
du contrat) s’est transformé sous les Mérovingiens (concession 4 temps comme rémunération
de services non militaires), puis sous les Carolingiens (les biens d’Eglise attribués par Charles
Martel ou le souverain en bénéfice 4 ses soldats, contre serment et prestations militaires,
restent théoriquement propriété de l’Eglise a laquelle le possesseur paie un cens recognitif);
parallélement, elle est devenue une possibilité d’enrichissement des seigneurs qui se font
concéder en jouissance des biens par |’Eglise, quitte 4 les lui rendre aprés leur mort augmentés,
si toutefois il n’y a pas usurpation de leur vivant ou du fait de leurs héritiers.
On note, d’autre part, les précisions apportées par ce texte sur le monde carolingien.
L’empereur (agissant comme roi en Gaule) est aidé par l’archichapelain ou chancelier (clerc) ,
qui dispose du sceau (annulaire) et d’un certain nombre de notaires (Amalbert) mais demande
au souverain, pour les diplémes solennels, le seing, la signature qui authentifie l’acte; a l’éche-
lon local, les comtés (pagus) comme Blois ou Orléans (subdivisés en vicaires ou vigueries:
Lion, Huisseau, etc.), dont les titulaires laics comme Eudes recoivent en dotation des biens
ecclésiastiques, se sont constitués probablement (dans cette partie de la Gaule) dans le cadre
des cités gallo-romaines, au chef-lieu desquelles résident les évéques (Rainon a Angers) souvent
de grande famille; et 4 l’ancien chef-lieu de province se tient le métropolitain (archevéque
depuis la fin du virr® siécle), témoin Adalard a Tours.
La puissance de l’Eglise est renforcée par la présence de nombreuses communautés
dont beaucoup, depuis saint Benoit d’Aniane et Louis le Pieux (817), suivent la régle de
Benoit de Nursie (v® siécle) mais dont certaines ont adopté la régle canoniale beaucoup plus
251
LES CAROLINGIENS
souple (porter du lin, manger de la viande, posséder des biens en propre) du saint évéque de
Metz Chrodegang (fin du viii siécle) : ainsi, ces « chanoines » de Saint-Aignan (qui n’est
pas église-cathédrale), prédécesseurs de ceux qui au xI® siécle peupleront la collégiale de ce
nom (dont la crypte a des murs remontant au Ix® siécle), On note la relative autonomie
par rapport 4 l’abbé, leur représentant au temporel. Ils touchent des dimes et des revenus *
pour V’hétel qu’ils tiennent et qui est un centre d’accueil pour les hétes de passage : pélerins,
seigneurs *, Orléans étant sur une des grandes routes de Gaule.
Par ailleurs, la campagne comporte des chapelles — témoin celle-ci, consacrée dés
cette époque au culte de la Vierge — et des oratoires : chapelles et oratoires sont construits par
les seigneurs (famille d’Adalard et Rainon) et constituent les noyaux des futures paroisses
rurales.
Les grands domaines (villae) sont divisés en deux parties : d’une part, la réserve (labours
seigneuriaux consacrés aux céréales, vignes, etc.) que travaillent des esclaves ou les tenanciers
des manses, souvent colons fournissant prestations en nature et en travail; d’autre part, les
tenures cultivées par les tenanciers. Notons que ces territoires sont en culture depuis fort
longtemps : toponymie celtique [Lugdunum, Uxellos (élevé), Bracu (vallée marécageuse) |
ou gallo-romaine [Achéres (Appiariae villae : les ruchers), Orléans, etc.].
Ce bien donné par précepte 4 une église (cathédrale de Reims dont « Turpin » est arche-
véque), vers 770, par Carloman, puis (systéme de la precaria verbo regis) en bénéfice 4 un
Saxon, est 4 nouveau considéré comme bien royal par Louis le Pieux. Une partie est donnée
alors en toute propriété 4 un vassal, le comte de Melun; celui-ci, félon, est temporairement
dépossédé au profit d’un officier du palais; puis, une nouvelle félonie de sa femme et de ses
héritiers (dont l’un, Gozlin, a été « recommandé » 4 Charles le Chauve) améne une confiscation
générale. Et lopiniatreté et la personnalité d’un prélat (Hincmar) permettent finalement
la récupération de ce domaine par le propriétaire éminent, l’église °*.
252
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
mentum ipse et sui ab imperatore quaesitum illi juraverunt. Inter quos et Donatus,
de infidelitate ejus comprobatus, ipsi imperatori quaesitum sacramentum juravit
et comitatum Miridunensem et villam Novilliacum cum suis appendiciis imperator
ab eo abstulit et Athoni, qui fuerat ostiarius Caroli imperatoris, in beneficium
dedit. Donatus autem in vita imperatoris Ludovici nec comitatum recepit nec
de proprietate sua ullam firmitatem promeruit. Post obitum domni Ludovici
imperatoris, diviso regno inter fratres, et pace facta inter eos, et mortuo Athone,
dedit Carolus Donato in beneficium Novilliacum. Processu denique temporis
fo) commendavit Donatus filium suum Gozelinum Carolo regi; cui in beneficium
dedit Carolus villam Novilliacum cum appendiciis suis. Deinde Landreda, uxor
Donati, sed et filii eorum, pergente Carolo rege ad obsidiendos Normannos,
qui in insula quae Oscellus dicitur residebant, cum aliis defecerunt. Quorum
honores et proprietates [...| in fiscum redigi judicatae sunt. [...] Anno 32. regni
‘ sui venit domnus Carolus rex gloriosus in basilicam sancti Remigii; ubi ostendi ei
locum sepulcri Carlomanni regis et praecepta ipsius Carlomanni et Caroli avi
de villa Novilliaco. [...] Et reddidit praecepto suae auctoritatis, quod habemus,
Remensi ecclesiae ipsam villam cum omnibus ad se pertinentibus, quam Bernaus
post fratrem suum in beneficio habebat.
M.G.H.SS., tome X, 2, p. 1168.
Traduction
L’archevéque Tilpin mourut 23 ans aprés que Carloman eut donné le domaine de Neuilly-
Saint-Front 4 l’église de Reims [...] le seigneur roi Charles [...] donna le domaine de Neuilly en
bénéfice au Saxon Anschaire, qui, pour son domaine, paya nones et dimes al’église de Reims
jusqu’a sa mort. [...] Aprés la mort du seigneur Charles et d’Anschaire, le seigneur empereur
Louis donna ce méme domaine de Neuilly 4 Donat en bénéfice. Lequel Donat [...] ayant fait
croire 4 tort qu’il s’agissait d’un domaine royal, obtint quelques colonges de ce domaine en
toute propriété par un précepte du seigneur empereur Louis. Et quand Lothaire, fils du seigneur
empereur Louis, vint 4 Chalon-sur-Saéne et attaqua la ville, Donat [...] abandonna le parti
de l’empereur et [...] alla 4 Lothaire. Mais quand l’empereur Louis arriva avec son armée au
domaine dit « Caleiacus », Lothaire fut obligé de venir 4 lui avec les siens, et lui-méme et les
siens prétérent a l’empereur le serment que celui-ci leur demandait. Parmi eux Donat, dont
Vinfidélité était notoire, préta 4 l’empereur le serment requis et l’empereur lui enleva le comté
de Melun et le domaine de Neuilly avec ses dépendances et donna ce dernier en bénéfice
a Athon, qui avait été huissier de l’?empereur Charles. Tant que ’empereur Louis vécut,
Donat ne récupéra pas son comté et n’obtint aucun arrangement pour sa propriété. Mais
aprés la mort du seigneur empereur Louis, une fois le royaume divisé entre les fréres, la paix
faite entre eux, et Athon mort, Charles donna Neuilly en bénéfice 4 Donat. Par suite, Donat
recommanda son fils Gozlin au roi Charles, qui lui donna le domaine de Neuilly avec ses
appartenances en bénéfice. Puis Landrade, femme de Donat, et aussi ses fils, quand le roi
Charles partit assiéger les Normands qui se trouvaient dans ile d’Oissel, se dérobérent
avec les autres. Un jugement versa au fisc[...] leurs honneurs et leurs propriétés. [...] La 32° année
de son régne, le glorieux seigneur Charles vint en la basilique de saint Rémi, ot je lui montrai
le tombeau du roi Carloman et les préceptes de ce méme Carloman et de son aieul Charles
pour le domaine de Neuilly. [...] Et il rendit 4 ’église de Reims, par un précepte de son autorité
que nous avons, ce domaine avec toutes ses appartenances que « Bernaus » avait alors en bénéfice
aprés son frére « Rothaus ».
253
DOSSIER SUR
la vassalité carolingienne !
254
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
Traduction 1
[F’invoque la miséricorde] de mon maitre, le trés glorieux roi; ne vous irritez point contre
moi si je n’al pu comparaitre en votre présence. Car je ne l’ai pas fait pour vous injurier,
ni par paresse, mais parce que j’étais malade et souffrais de la fiévre qui me tient encore. A
peine ai-je pu comparaitre en présence du seigneur Lothaire votre frére et recevoir de lui
licence de m’en retourner aux saints martyrs ? quand il s’est séparé(?) de vous deux 3.
Si j’ai donc regagné ma maison, je ne |’ai pas fait pour d’autre raison que mon igno-
rance des modalités suivant lesquelles le royaume avait été divisé +. A ce que l’on disait, la
partie orientale des Marches franques, dans laquelle je demeure et j’ai un petit bénéfice,
devait appartenir au royaume du seigneur Lothaire. Aussi je supplie votre clémence de me
permettre d’avoir la jouissance de ce bénéfice, jusqu’a ce que le seigneur Lothaire m/’ait
donné licence, si je puis un jour l’obtenir, de venir 4 vous et de me recommander entre vos
mains. Et je propose de venir a votre service, d’étre votre fidéle et de me dévouer 4 vous,
si Dieu daigne m’accorder vie et santé.
M.G.H. Epistolae Karolini Aevi, tome III, 1895-1939, pp. 122-124, 140.
255
LES CAROLINGIENS
Traduction 3
Frumold [...] frappé plus par la maladie que par lage, car il souffre continuellement
d’un grave mal aux pieds, a un bénéfice pas trés grand en Bourgogne, dans le pagus de Genéve,
ou son pére fut comte et il craint de le perdre [...] parce que la maladie qui le presse lui inter-
dit de venir au palais. C’est pourquoi il supplie le seigneur empereur * de lui permettre d’avoir
ce bénéfice que son grand-pére lui a concédé et que son pére lui a permis d’avoir *; jusqu’a
ce que, ayant recouvré ses forces, il vienne en sa présence se recommander solennellement
suivant la coutume.
Iste presbyter [...] rogavit me plurimum ut pro illo aput vos intercederem,
ut erga illum misericorditer agere dignaremini. Qui, sicut ipse asserit, in magna
paupertate constitutus est, et nunc maxime, quando ipsum parvum beneficiolum,
quod habuit in Baioaria, ablatum est ab illo et alteri datum. Et nunc nescit, quid
agere vel qualiter seniori suo servire debeat, nisi per vestram intercessionem
domnus Hlotharius ei aliquod solacium ad vitam praesentem sustantandam dare
dignabitur. [...]
M.G.H. Epistolae Karolini Aevi, tome III, 1895-1939, pp. 122-124, 240.
Traduction 4
Ce prétre [...] m’a instamment prié d’intercéder auprés de vous en sa faveur pour que vous
daigniez agir miséricordieusement 4 son égard. Ainsi qu’il me I’a assuré, il se trouve dans un
profond dénuement, d’autant plus, maintenant, que le tout petit bénéfice qu’il avait en Baviére
lui a été enlevé et donné a un autre. Maintenant, il ne sait que faire, ni comment servir son
seigneur, sauf si, par votre intercession, le seigneur Lothaire * daigne lui donner quelque secours
pour soutenir sa vie présente. [...]
_I. Cette lettre est partiellement traduite dans R. BOUTRUCHE, Seigneurie et féodalité.
Paris, 1959, Pp. 349 sqq.
2. Lothaire, semble-t-il, associé 4 Empire depuis 817 et, durant l’éclipse de Louis
le Pieux, temporairement seul empereur de juillet 833 4 mars 834.
3. La traduction pose un probléme : quod avus etus illi concessit. Illi semble bien renvoyer
au comte car s’il s’agissait de Frumold il y aurait plutét sibi (mais la régle n’est pas absolue).
On pourrait comprendre que le grand-pére de Lothaire (= Charlemagne) l’avait donné
au pére de Frumold (= le comte de Genéve) et que son pére (= Louis le Pieux) avait permis
a Frumold de le garder. En fait, dans le texte intégral, le comte de Genéve est cité trop loin
pour que z/l1 puisse y renvoyer.
4. Cette lettre est partiellement traduite dans R. BOUTRUCHE, Seigneurie et féodalité,
Paris, 2° éd. 1968, p. 384.
5. Il pourrait s’agir aussi de Louis, sinon le Pieux, alors déposé, du moins le Germanique,
dont la Baviére était la piéce maitresse.
256
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
Traduction
Tu te souviens, je n’en doute pas, de la maniére dont tu t’es confié 4 moi, toi et ton bien;
or les choses se sont ainsi passées : c’est ta propre volonté — la mienne a simplement entériné —
qui a décidé que, partout ou cela serait opportun, toi et les tiens auraient droit 4 mon suffrage
le plus approprié sur toutes les questions, pourvu que cela soit en ma connaissance et pouvoir.
Donc que votre « dilection » sache que Un tel, notre vassal, non moins que ta fille désirent se
donner l’un a l’autre par amour conjugal, avec la faveur du seigneur et votre approbation.
C’est pourquoi j’ai décidé de vous envoyer ce mot, pour que vous me fassiez connaitre l’agré-
ment tant de sa mére et de son frére que de tous ses proches, sil vous plait qu’il en soit ainsi. [...]
Vassallus iste, nomine Agantheo propinquus meus est et fuit per aliquantum
tempus in meo servitio; sed [...] nunc desiderat sub vestro dominatu dies suos
ducere, [...] Precor igitur ut eum suscipere et per servitium vestrum nutrire
dignemini. Puto quod non inutilem in illo servitorem habere debeatis. [...]
M.G.H. Epistolae Karolini Aevi, tome III, 1895-1939, pp. 122-124, 240.
Traduction
Ce vassal, nommé Aganthéon, est mon parent et a été un certain temps a mon
service; mais [...] maintenant il désire passer ses jours avec vous pour maitre, [...] Je vous
prie donc de daigner l’accueillir et le nourrir pour votre service. Je pense que vous devez
avoir en lui un serviteur qui ne sera pas inutile. [...]
Zo
LES CAROLINGIENS
258
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
Traduction
Ces chapitres ont été décidés par le glorieux empereur, le seigneur Charles, avec le consen-
tement de ses fidéles, 4 Quierzy, l’an de l’incarnation du seigneur 877, soit le trente-septiéme
de son régne et le deuxiéme de son accession 4 l’Empire, 18 des calendes de Juillet, indiction 10;
ils traitent de ce qu’il précisa lui-méme et de ce qu’il fit répondre par ses fidéles.
8. Si, avant notre retour, certains honneurs sont, dans l’intervalle, devenus vacants, consi-
dérons ce qu’il en advient.
Réponse : Si, avant que la faveur divine nous ait permis de retourner, quelque archevéque
a trépassé, que l’évéque voisin de son diocése veille, avec le comte, 4 son siége, jusqu’a ce que
la nouvelle du décés de cet archevéque vienne 4 notre connaissance. Si quelque évéque meurt
dans l’intervalle, que l’archevéque députe 4 son siége, selon les sacrés canons, un visiteur
qui, conjointement avec le comte, veille sur cette église pour lui éviter toute déprédation jus-
qu’a ce que la nouvelle du décés dudit évéque vienne a4 notre connaissance. Si une abbesse
ou un abbé est mort, que l’évéque dans la paroisse duquel est ce monastére garde ce monastére
conjointement avec le comte, jusqu’a ce que vous ayez pris décision 4 ce sujet.
g. Si est mort un comte dont le fils est avec nous, que notre fils et le restant de nos fidéles
désigne parmi ceux qui lui ont été le plus proches et le plus familiers celui qui veillera sur ce
comté, avec les ministériaux de ce comté et l’évéque, jusqu’a ce que la nouvelle nous en
parvienne. Et s’il a un fils trés jeune, que cet administrateur, avec les ministériaux dudit
comté et ’évéque de la paroisse duquel il dépend, veille sur ce comté jusqu’a ce que nous en
ayons connaissance. Et s’il n’a pas d’enfant, que notre fils avec le restant de nos fidéles décide
qui veillera sur le comté, avec les ministériaux du comté et l’évéque, jusqu’a ce que nous en
ayons décidé. Et, a ce sujet, que personne ne s’irrite si nous donnons ledit comté a tel qui
nous aura agréé, plutét qu’a tel autre qui, jusque-la, aura veillé sur lui. Méme chose doit
étre faite également 4 l’égard de nos vassaux. Et nous voulons et ordonnons expressément
que tant évéques qu’abbés et comtes et méme tous les autres parmi nos fidéles s’appliquent
a respecter le méme procédé envers leurs hommes; et pour les épiscopats comme pour les
abbayes, que |’évéque voisin et le comte veillent 4 ce que personne ne s’empare des biens ou
des richesses ecclésiastiques et que nul ne les empéche de faire l’auméne. Que si quelqu’un
Pose, qu’il le paie par composition selon les lois humaines et que, selon les lois ecclésiastiques,
il satisfasse l’église qu’il a lésée et qu’il supporte notre harmiscara ' suivant sa faute et selon
notre désir.
Réponse : Les autres chapitres ne laissent pas d’y répondre, car ils ont été composés et
définis par votre sagesse.
10. Sil’un de nos fidéles aprés notre mort, par amour de Dieu et de nous, désire renoncer
au siécle et posséde un fils ou quelque proche susceptible d’ceuvrer pour le bien de l’Etat,
quw’il puisse lui transmettre ses honneurs, au mieux de ses désirs. Et s’il désire vivre tran-
quillement sur son alleu, que nul n’ose l’en empécher d’une maniére quelconque et qu’on
ne lui réclame rien d’autre que le seul devoir d’aller défendre la patrie.
259
LES CAROLINGIENS
Commentaire
260
Hommes et subsistances. Rapports sociaux
familial librement transmissible; un évéque ou abbé, outre ses alleux éventuels (cf. document
133), a a sa disposition les biens de son église.
Mais il y a une différence, d’ordre canonique : l’Eglise ne mourant jamais, il n’y a en prin-
cipe pas de succession; les évéques n’ont pas de descendance légitime une fois qu’ils sont
sacrés ' (donc seuls leurs alleux peuvent aller 4 leurs enfants); les abbés laics ne peuvent
pas, en droit, disposer a titre définitif de leurs abbayes.
A Pégard des comtes (ou vassaux) qui trés généralement ont des enfants, le droit est
également strict : dés que cesse la charge ou la vassalité (mort, mutation), la dotation est
enlevée; les propres passent (sauf confiscation des biens des traitres, cf. document 134 ou
conquéte, document 104) aux descendants. Le pouvoir royal a cependant, dans certains cas,
intérét a laisser la succession compléte, et d’autre part le grand personnage a une facheuse
tendance a considérer les trois sortes de biens dont il dispose comme des propres, donc
transmissibles.
C’est donc dans ce double contexte immédiat (de l’an 877) et général (honneurs, bénéfices,
alleux) que ce document doit étre replacé; les décisions, proposées ou approuvées par le plaid,
visent a établir pour les grandes charges un intérim (provisoire) qui sera confié soit au supérieur
hiérarchique, quand il existe (évéque pour l’abbé, métropolitain pour l’évéque, héritier du
troéne), soit aux collégues ou subordonnés directs qui comme chez les missi sont laics et ecclé-
slastiques, soit (partiellement) aux proches, avec réserve éventuelle pour l’héritier.
Le premier paragraphe (8) ne comporte guére qu’une réponse des fidéles; rappelons
que le plaid est compétent sur ces questions religieuses, mais les canons semblent respectés
(visite du métropolitain auprés de ses suffragants — suffragants intérimaires du métropoli-
tain — abbesses et abbés dépendant de l’évéque diocésain); de méme, les peines promises
(fin du paragraphe 9) 4 ceux (nombreux) qui osent toucher aux biens d’Eglise (lesquelles
servent a un service public : l’auméne, l’hébergement) sont spirituelles autant que temporelles
(imposition, remboursement, harmiscara).
Le second paragraphe (9) est trés important : les fidéles l’entérinent sans discussion,
ce qui prouve soit que l’empereur parle en maitre, soit qu’il est allé au devant de leurs vceux,
pour rassurer ceux qui partiraient avec lui ou méme ceux qui resteraient et craindraient les
agissements de l’héritier, Louis le Bégue. Notons d’ailleurs que ’hérédité n’est pas un droit,
et, en particulier quand il n’y a pas de fils, fille ou lignage ne sont pas évoqués. Il y a simplement
réserve jusqu’au retour et a la décision de l’empereur, pour éviter les usurpations ou les
attributions hatives. L’important est que du comté (et des honneurs) on passe aux vassaux
royaux (donc aux cas des bénéfices, ce qui prouve que, a l’époque, la confusion est courante)
et aux arriére-vassaux. Généralisation remarquable, que Marc Bloch a considérée, au-dela
de la simple mesure d’occasion, comme une « égalité dans le privilége », qui « glissait de haut
en bas et devait demeurer |’un des principes les plus féconds de la coutume féodale ».
Le troisiéme paragraphe vise 4 régler une succession : la mort du seigneur délie le fidéle
(qui peut vouloir renoncer au siécle, c’est-a-dire 4 ses charges, ses « honneurs », donc pas
forcément dans un couvent); s’il a résigné ses bénéfices et ses honneurs, il n’a plus a assurer
de services ni de charge; sur son alleu, il ne doit donc plus rien, sinon défendre son « pays »,
autrement dit obéir au souverain (qui n’est plus son suzerain ni son seigneur), dans une guerre
défensive (contre l’envahisseur germanique par exemple). Maintenant, peut-il désigner son
successeur? L’avantage serait d’assurer la continuité dans le pouvoir local; éviter aussi des
1. En revanche, avant leur sacre, ils ont pu fort bien étre mariés et avoir eu des enfants,
cf. supra, le cas de saint Arnoul (Généalogie des Carolingiens), document 76.
261
LES CAROLINGIENS
révoltes des héritiers frustrés; peut-étre aussi l’assurance, pour les partisans de Charles, que
Louis le Bégue ne se vengera pas sur eux, sit6t son pére mort. Mais il est 4 noter que le texte
latin parle de placitare, c’est-a-dire probablement « présenter son successeur devant le plaid »
qui décidera. La encore, rien de définitif.
En somme, Charles souligne son droit 4 disposer en dernier ressort des charges (ecclé-
siastiques ou temporelles) et des dotations fonciéres qui y sont attachées : probablement
pas parce que ses Grands le lui contestent (car ce serait maladroit de les braver au moment
ou il les réunit pour avoir leur aide financiére et militaire), mais plut6t pour valoriser la réserve
qu’il fait, sans se lier les mains, en faveur de l’hérédité des laics, ce qui lui concilie les comtes
et aussi les arriére-vassaux et la majorité des hommes libres qui, protégés contre l’arbitraire,
contrebalancent la puissance des trop grands seigneurs, lesquels seront a leur tour 4 Il’abri
des vengeances de Louis. Le Capitulaire de Quierzy n’est donc qu’une étape allant certes
dans le sens de l’évolution, qui fait du bien temporaire ou viager, rémunération d’un service
ou d’une charge, un bien héréditaire dont la contrepartie (serment et service) n’est plus
qu’accessoire; mais il est abusif de le considérer comme I’acte de naissance de la féodalité.
CHAPITRE VIII
263
LES CAROLINGIENS
et solutionem eius sibi ab eis exponi postulavit. Cumque omnes tacuissent, unus
15 qui sapientior caeteris dicebatur nomine Einhart, respondit :Domine, inquiens,
imperator, ille qui vobis illum transmisit gladium, etiam interpretationem scriptu-
rae in eo exaratae, nobis tacentibus, vobis revelabit. Tunc imperator: si vultis
inquit, audire, prout nobis videtur, secundum possibilitatem ingenioli nostri
significationem predictae insinuabimus vobis scripturae. Gladius qui nobis a Deo
20 transmissus est, potestas ab illo nobis collata non inconvenienter accipi potest,
quoniam auxilio eius freti, hostes plurimos armis nostrae subictos habemus ditioni.
Et quod modo, sedatis hostibus, plus quam parentum nostrorum temporibus
ubertas frugum esse dinoscitur, quod significat prima in mucrone scriptura;
« Raht » id est rerum omnium habundantia. Quod autem secondo loco exaratum
25 erat « Radoleiba » arbitramur, nobis a saeculo transeuntibus, filiorum nostrorum
temporibus compleri; videlicet quod nec tanta frugum erit habundantia et quaedam
gentes, modo subactae, deficiant. Quod significat « Radoleiba » in omni re quae
cito deficiet. Cum autem et illi abierint et fili1 eorum post eos regnare ceperint,
erit, quod tertio loco scriptum erat « Nasg». Augebunt enim theloneum turpis
30 lucri gratia, et advenas et peregrinos obpriment per potentiam; nullam habentes
verecundiam, cum quali confusione et ignominia sibi congregent divitias. Res
aecclesiasticas quoque, a nobis vel a progenitoribus nostris clericis et monachis
ad servitium Dei traditas, sive minis sive blandimentis tollent suisque satellitibus
more beneficii dabunt, quod significat « Nasg ». Sed et hoc quod in cuspide eiusdem
35 ensis scriptum erat, « Enti», id est finis, duobus modis intellegi potest. Aut enim
finis seculi tunc erit aut stirpis nostrae; scilicet quod nullus de progenie nostra
deinceps in gente Francorum regnaturus sit.
Ed. Ph. Jaffé, Bibliotheca rerum germanicarum, tome IV, Ppp. 7OI sqq.
Traduction
Une nuit, alors qu’il [Charles] s’était mis au lit pour reposer ses membres [fatigués]
et s’était endormi, il vit venir a lui un personnage tenant a la main une épée nue. II lui demanda
avec crainte qui il était et d’ou il venait et il entendit, pour réponse, les paroles suivantes :
« Regois cette épée comme un cadeau que Dieu t’envoie. Et les mots que tu y vois placés,
lis-les et retiens-les dans ta mémoire, car ils se réaliseront a l’époque prescrite ». I] prit l’épée,
en inspecta soigneusement l’extérieur et y apercut des lettres gravées en quatre endroits. Le
premier, prés de la poignée dudit glaive, portait écrit « Raht »; le second, « Radoleiba »; le
troisiéme, « Nasg »; le quatri¢éme, prés de la pointe de ladite épée, « Enti ». Et, sitét réveillé,
il se fit apporter une lampe et des tablettes et recopia sans délai lesdites paroles.
Au matin, aprés avoir chanté selon son habitude les heures canoniales et terminé ses
priéres, il raconta a tous ses Grands, qui étaient 1a, ce qu’il avait vu en songe et leur demanda
de lui proposer une explication. Et, aprés un silence général, l’un d’eux, nommé Eginhard,
qui passait pour étre plus sage que les autres, répondit en ces termes : « Seigneur empereur,
celui qui vous a transmis cette épée, nous voyant muets, vous révélera également comment
interpréter les mots qui y sont gravés ». Alors, l’empereur dit : « Si vous voulez bien écouter,
comment nous voyons l’affaire, nous vous suggérerons, suivant les faibles possibilités de notre
esprit, les significations de ces mots.
L’épée qui nous a été envoyée par Dieu, on peut admettre sans inconvénient que c’est
la puissance qu’il nous a conférée, car, forts de cet appui, nous tenons par nos armes nombre
d’ennemis sous notre dépendance. Et maintenant que les ennemis sont calmés, on s’apercoit
264
Le déclin des Carolingiens
que les récoltes sont plus abondantes que du temps de nos péres; donc le premier mot écrit
sur l’épée, « Raht », signifie « abondance de toutes choses ». Ce qui était gravé en second
lieu, « Radoleiba », nous l’interprétons comme accompli aprés notre départ de ce siécle, 4
l’époque de nos fils; c’est-a-dire que les récoltes ne seront pas aussi abondantes et que cer-
tains peuples, récemment soumis, feront défection, ce que signifie « Radoleiba », pour toute
chose qui fait rapidement défaut. Et quand eux aussi partiront et que leurs fils commenceront
a régner aprés eux, ce sera ce qui est écrit en troisiéme lieu « Nasg ». Car ils augmenteront
les tonlieux pour faire de honteux bénéfices et ils opprimeront arbitrairement les étrangers
et les pélerins. Sans aucune vergogne, ils amasseront des richesses dans le trouble et l’igno-
minie. Les biens ecclésiastiques aussi, que nous ou nos aieux ont donnés aux clercs et aux
moines pour le service de Dieu, ils les leur enléveront en les menacant ou en les trompant
et ils les donneront en bénéfice 4 leurs satellites : ce que signifie « Nasg ». Mais pour ce qui
était écrit sur la pointe de cette méme épée, « Enti » c’est-a-dire « fin », on peut comprendre
de deux facgons. Ce sera alors ou bien la fin des siécles ou bien la fin de notre race, c’est-a-dire
que, par la suite, aucun de nos descendants ne régnera plus sur le peuple des Francs.
265
DOSSIER SUR
les premiéres divisions de l’Empire carolingien (806 et 817)
Le partage entre les héritiers (males) des biens paternels (y compris les royaumes) est
normal chez les Francs. Les premiers Carolingiens, rois ou non, ont fait comme les Méro-
vingiens, voulant simplement prévenir des successions orageuses en fixant 4 l’avance la part
de chacun. En 806, Charlemagne agit comme son grand-pére et son pére et « divise » les
royaumes. Cependant, depuis 800 au moins, a la tradition franque pourrait s’opposer la tra-
dition romaine (qui avait la caution de certains clercs) : "Empire (et le titre impérial) saurait-il
étre partagé ?La question, réglée en fait par la mort prématurée de Charles le Jeune et de Pépin
du vivant de leur pére, n’a recu une premiére solution en droit que par « l’ordonnance » de
l’empire de 817. L’importance de cet acte, trés original (ainé seul empereur, richement pourvu;
cadets rois, mais dotés d’apanages restreints) malgré certaines parentés de forme avec celui
de 806, ne saurait étre sous-estimée; car, outre les rebondissements bien connus aprés la
naissance d’un quatriéme héritier, il a regu un début d’application, dont procéde une autre
partie des événements politiques du siécle (installation de Louis le « Germanique » a l’est
de Empire, Lothaire empereur associé dominant Rome et la Papauté, etc).
[...] Non ut confuse atque inordinate vel sub totius regni denominatione
iurgii vel litis controversiam eis relinquamus, sed trina portione totius regni
corpus dividentes, quam quisque illorum tueri vel regere debeat porcionem
describere et designare fecimus; eo videlicet modo ut sua quisque portione con-
tentus iuxta ordinationem nostram, et fines regni sui qui ad alienigenas exten-
duntur cum Dei adiutorio nitatur defendere, et pacem atque caritatem cum fra-
tre custodire.
I. Divisiones vero a Deo conservati atque conservandi imperii vel regni
nostri tales facere placuit, ut Aquitaniam totam et Wasconiam excepto pago
Io Turonico, et quicquid inde ad Occidentem atque Hispaniam respicit et de civi-
tate Nivernis, quae est sita super fluvium Ligerem cum ipso pago Nivernensi,
pagum Avalensem atque Alsensem, Cabilionensem, Matisconensem, Lugdu-
nensem, Saboiam, Moriennam, Tarentasiam, montem Cinisium, vallem Segusia-
nam usque ad clusas et inde per terminos Italicorum montium usque ad mare,
T5 nos pagos cum suis civitatibus et quicquid ab eis contra meridiem et occidentem
usque ad mare vel usque ad Hispanias continetur, hoc est illam portionem Bur-
gundiae et Provinciam ac Septimaniam vel Gothiam, Ludovico dilecto filio nostro
consignavimus.
2. Italiam vero, quae et Langobardia dicitur, et Baiovariam sicut Tassilo
20 tenuit, excepto duabus villis quarum nomina sunt Ingoldestat et Lutrahahof,
quas nos quondam Tassiloni beneficiavimus et pertinent ad pagum qui dicitur
Northgowe, et de Alamannia partem quae in australi ripa Danubii fluminis est,
et de ipso fonte Danubii currente limite usque ad Hrenum fluvium in confinio
pagorum Chletgowe et Hegowe in locum qui dicitur Engi et inde per Hrenum
25 fluvium sursum versus usque ad Alpes; quicquid intra hos terminos fuerit et
ad meridiem vel orientem respicit una cum ducatu Curiensi et pago Durgowe
Pippino dilecto filio nostro.
266
Le déclin des Carolingiens
3. Quicquid autem de regno nostro extra hos terminos fuerit, id est Fran-
ciam et Burgundiam, excepto illa parte quam Hluduwico dedimus, atque Ala-
30 manniam, excepto portione quam Pippino ascripsimus, Austriam et Niustriam,
Turingiam, Saxoniam, Frisiam et partem Baioariae quae dicitur Northgow,
dilecto filio nostro Karolo concessimus; ita ut Karolus et Hluduwicus viam
habere possint in Italiam ad auxilium ferendum fratri suo si ita necessitas exti-
terit, Karolus per vallem Augustanam, quae ad regnum eius pertinet, et Hludu-
35 wicus per vallem Segusianam, Pippinus vero et exitum et ingressum per Alpes
Noricas atque Curiam.
4. Haec autem tali ordine disponimus, ut si Karolus qui maior natu est prius
quam caeteri fratres sui diem obierit, pars regni quam habebat dividatur inter
Pippinum et Hluduwicum, sicut quondam divisum est inter nos et fratrem nos-
40 trum Karlomannum, eo modo ut Pippinus illam portionem habeat quam frater
noster Karlomannus habuit. [...]
5. Quod si talis filius cuilibet istorum trium fratrum natus fuerit quem popu-
lus eligere velit ut patri suo in regni hereditate succedat volumus ut hoc consen-
tientant patrui ipsius pueri et regnare permittant filium fratris sui in portione
45 regni quam pater eius, frater eorum habuit.
Traduction *
[...] Pour ne pas laisser [a nos fils] une situation confuse, non réglée, donnant lieu 4 contes-
tation, controverse et litige, dans tout ce qui est notre royaume, nous avons divisé le corps
de tout le royaume en trois parts et avons fait décrire et désigner la part que chacun d’entre
eux doit protéger et diriger; ceci de maniére 4 ce que chacun soit content de sa part, déter-
minée par notre ordonnance et que, avec l’aide de Dieu, il s’efforce de défendre les frontiéres
de son royaume qui sont au contact des étrangers et de maintenir avec ses fréres paix et
charité.
1. Les divisions de notre empire ou royaume, que Dieu conserve et doit conserver, il
nous a plu de les faire ainsi : que l’Aquitaine entiére et la Gascogne, excepté le pagus de Tours,
et tout ce qui regarde de 1a vers l’Occident et Espagne, plus la cité de Nevers, qui est située
sur le fleuve Loire, avec le pagus méme du Nivernais, les pag: d’Avallon et d’Auxois, de Chalon,
de Macon, de Lyon, de Savoie, de Maurienne, de Tarentaise, du Mont-Cenis, du Val de Suse
1. Ce texte a été récemment traduit par G. TESSIER, Charlemagne, Paris, 1967, p. 600.
267
LES CAROLINGIENS
jusqu’aux cluses et de 1a, en suivant la limite des monts d’Italie jusqu’a la mer; tous ces pagi
avec leurs cités, et tout ce qui y est compris au Midi et au Couchant jusqu’a la mer et jusqu’a
lV’Espagne, c’est-a-dire cette partie de la Bourgogne et la Provence et la Septimanie ou Gothie,
nous l’avons assigné a notre cher fils Louis.
2. L’Italie, dite aussi Lombardie, et la Baviére telle que Tassilon l’a possédée, a part
deux villae dont les noms sont Ingoldesstadt et Lutrahahoff 1, que nous avons jadis données
en bénéfice 4 Tassilon et qui font partie du pagus dit Northgowe; d’Alémanie la partie qui
se trouve sur la rive sud du fleuve Danube et dont la limite court depuis la source méme du
Danube jusqu’au fleuve Rhin, 4 la frontiére des pagi de Chletgowe et de Hegowe, au lieu dit
Engi 2 et de 14 en remontant le cours du fleuve Rhin jusqu’aux Alpes; tout ce qui est 4 l’inté-
rieur de ces limites et qui regarde vers le Midi ou vers |’Orient, avec le duché de Coire et le
pagus de Thurgovie est donné 4 notre cher fils Pépin.
3. Et tout ce qui, dans notre royaume, est en dehors de ces limites, c’est-a-dire Francie et
Bourgogne, excepté la portion que nous en avons donnée 4 Louis, et Alémanie excepté la
portion que nous avons assignée 4 Pépin, Austrasie et Neustrie, Thuringe, Saxe, Frise et le
morceau de Baviére dit Northgow, nous l’avons concédé 4 notre cher fils Charles, de maniére
a ce que Charles et Louis puissent avoir une voie d’accés vers |’Italie, pour porter secours a
leur frére si la nécessité l’exige, Charles par le val d’Aoste, qui fait partie de son royaume
et Louis par le val de Suse, et que Pépin puisse entrer et sortir par les Alpes Noriques et Coire.
4. Et 4 ce sujet nous prenons toutes dispositions et ordonnances pour que si Charles,
qui est l’ainé, décéde avant ses fréres, la portion du royaume qu’il avait soit partagée entre
Pépin et Louis, de la maniére dont jadis elle avait été divisée entre nous et notre frére Carlo-
man; de facon a ce que Pépin ait la part qu’avait notre frére Carloman. [...]°
5. Que s’il est né a l’un ou l’autre de ces trois fréres un fils, que le peuple veuille bien
choisir pour succéder 4 son pére comme héritier du royaume, nous voulons que les oncles
de cet enfant y consentent et qu’ils laissent régner le fils de leur frére dans la portion de
royaume qu’a eue son pére (c’est-a-dire leur frére).
eee wee me we mw ee ee ewe oe eee ere eee eaters eeeeeeeeeerere ee eeeeeee ee eeeeereeeree Fee eeeeees
g. Il nous semble devoir prescrire que, aprés notre décés (et départ) de ce séjour mortel,
les hommes de chacun d’eux recevront des bénéfices, chacun dans le royaume de son maitre
et non dans celui d’un autre pour éviter, sil en était autrement, de faire éventuellement
naitre quelque conflit. Mais au sujet des biens acquis par héritage, que chacun de ces hommes
les tienne sans contestation, quel que soit le royaume dans lequel ils les ont eus en toute
légitimité.
10. Et que tout homme libre, aprés la mort de son maitre, ait licence de se recommander,
dans ces trois royaumes, a qui il veut; et de méme celui qui ne s’est encore recommandé a
personne.
1. Ingolstadt et Lauterhofen.
2. L’actuel Engen, dans le Hegau, directement au nord du Klettgau, n’est pas au bord
du Rhin mais a égale distance de ce fleuve et de la source du Danube.
3. Les autres cas de décés prématuré sont minutieusement envisagés dans le passage
non reproduit.
268
Le déclin des Carolingiens
269
LES CAROLINGIENS
45 14. Si vero aliquis illorum decedens legitimos filios reliquerit, non inter
eos potestas ipsa dividatur; sed potius populus pariter conveniens unus ex eis,
quem Dominus voluerit, eligat.
M.G.H. Capitularia, tome I, 1883, pp. 270-272.
Traduction
Au nom de Dieu et de notre sauveur Jésus-Christ, Louis par ordre de la divine Providence,
empereur auguste.
Comme, au nom de Dieu, I’an de l’ Incarnation du Seigneur 817, indiction 10 et an qua-
triéme de notre empire, au mois de juillet, nous avons réuni selon |’usage accoutumé, en notre
palais d’Aix une sainte assembleée [...] | il arriva que nos fideéles, alors que nous étions en par-
faite santé et que par concession de Dieu la paix régnait partout, nous invitérent 4a traiter,
suivant la coutume de nos parents, de l’état de tout le royaume et de la situation de nos fils.
Mais bien que cette invitation fut faite avec dévotion et fidélité, il ne parut bon ni a nous ni
a ceux qui pensent sainement que, pour l’amour ou la grace de nos fils, ’unité de l’?Empire
que Dieu nous a conserveée fut scindée et divisée par les hommes, de crainte que cette occa-
sion ne puisse provoquer un scandale dans la sainte Eglise et que nous n’offensions celui au
pouvoir de qui demeurent les droits de tous les royaumes [...] Et il arriva que nos veux et
ceux de ensemble de notre peuple convergérent pour désigner notre fils premier né, notre
bien-aimé Lothaire; et une telle manifestation de la générosité divine nous a amenés, nous et
notre peuple, d’un veeu commun, a le couronner solennellement du diadéme impérial et a
Pinstituer notre associé et notre successeur 4 l’?Empire, si Dieu le veut. Quant 4a ses autres
fréres, c’est-a-dire Pépin et notre homonyme Louis, il a plu au commun conseil de les parer
du titre royal et de constituer les lieux ci-dessous désignés pour que, aprés notre décés, ils
y prennent, sous l’autorité de leur frére ainé, le pouvoir royal, suivant les chapitres ci-dessous
notés, qui contiennent les conditions que nous avons établies entre eux. [...] !
1. Nous voulons que Pépin ait Aquitaine et la Gascogne et toute la marche de Toulouse
et, en plus, quatre comtés, c’est-a-dire ceux, en Septimanie de Carcassonne, en Bourgogne
d’Autun, d’Avallon et de Nevers.
2. De méme, Louis, nous voulons qu’il ait la Baviére et les Carinthiens, Bohémiens,
Avars et Slaves qui sont au-dela de la Baviére orientale et en plus deux villae domaniales a
son service dans le pagus de Nortgaoe, Lutrahoff et Ingoldestat.
3. Nous voulons que ces deux fréres, qui sont désignés du titre de roi, exercent leur propre
pouvoir dans la distribution de tous les honneurs en leur pouvoir, mais uniquement pour
maintenir lordre ecclésiastique dans les évéchés et les abbayes et, dans |’attribution des autres
honneurs, pour sauvegarder honnéteté et intérét.
1, Les coupures n’excédent pas quelques lignes, non indispensables pour la compré-
hension générale.
270
Le déclin des Carolingiens
4. De méme nous voulons qu’une fois dans |’année, en temps opportun, soit ensemble,
soit séparément, suivant ce que permettront les circonstances, ils aillent a leur frére ainé
avec des présents pour lui rendre visite, le voir et, inspirés mutuellement par |’amour frater-
nel, traiter avec lui de ce qui est nécessaire, de ce qui touche a l’intérét commun ou 4 la paix.
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9. Et il nous semble aussi devoir prescrire que, aprés notre décés, tout vassal de l’un
d’entre eux ait son bénéfice dans les seules possessions de son maitre (pour éviter les discordes)
et non dans celles d’un autre; son bien propre et son héritage, ot qu’il se trouve, que chacun
les posséde, si la justice est respectée, en tout honneur et streté, suivant sa loi propre et sans
étre injustement inquiété. Et que tout homme libre, n’ayant pas de seigneur, ait licence de
se recommander 4a celui des trois fréres qu’il voudra.
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14. Et si ’'un d’eux décéde en laissant des fils légitimes, que ses possessions ne soient
pas divisées entre eux; mais plutdét que le peuple, aprés s’étre réuni, choisisse |’un d’eux, celui
que Dieu voudra.
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DOSSIER SUR
les fils de Louis le Pieux
La mort de Louis (20 juin 840), laissa libre cours aux ambitions démesurées de ses fils.
Nithard, petit-fils de Charlemagne par sa mére Berthe, a été ’historien remarquable du début
de ces luttes qui devaient opposer pendant 40 ans les descendants du grand empereur; bien
placé auprés de Charles le Chauve pour tout voir, il cite des documents de premi¢re main
comme ces célébres Serments de Strasbourg qui attestent, entre autres, les différences existant
déja entre Francs de |’Est (tudesque) et Francs de l’Ouest (roman). Aprés le traité de Verdun,
que Nithard, mort au champ d’honneur en 844, n’a pas eu le temps de nous raconter, et une
période de concorde apparente surveillée par ’Eglise, Louis et Charles reprennent les hosti-
lités (858) peu aprés la disparition de Lothaire (855). Des clercs de chacun des deux royaumes
racontent 4 leur maniére cet épisode.
NITHARD, Histoire des fils de Louis le Pieux, Paris, éd. Lauer, 1926, pp. 104 Sq.
272
Le déclin des Carolingiens
Traduction
10. Ut legati ad ducem Brittonum mittantur, qui de communi erga eos obser-
vatione pacis eum commoneant.
Z13
LES CAROLINGIENS
Traduction
1. De la paix, de l’harmonie et de la concorde mutuelles des trois fréres et rois et qu’ils
soient unis par le lien d’une tendresse trés sincére et non feinte et que dorénavant nul ne puisse
semer parmi eux des germes de discorde.
2. Qu’ils se prétent un appui mutuel et qu’ils s’aident réciproquement suivant les occasions
contre les ennemis de Dieu, de la sainte Eglise et contre leurs propres ennemis.
3. Que personne n’ose pour un quelconque sentiment de cupidité ruiner ce traité de
paix dans l’un quelconque de leurs royaumes : que si quelqu’un l’ose faire, qu’il encourre
le chatiment commun de tous les trois.
4. Que les églises du Christ, en tout royaume leur appartenant, conservent leurs antiques
dignités et honneurs; et que tout ce que, du temps du seigneur empereur Louis, elles ont
légitimement possédé, elles le récupérent sans la moindre aliénation.
5. Que chacun de leurs fidéles voit maintenues les lois dont ils ont joui au temps des
rois précédents et particuli¢rement de leur grand-pére et de leur pére, pourvu qu’ils aient,
eux aussi, conservé leur foi ancienne a leur égard.
6. Que les vols et déprédations qui jusqu’a présent ont été accomplis comme s’ils étaient
légitimes soient formellement interdits et que personne dorénavant ne croit pouvoir impu-
nément se risquer a en faire.
7. Que dans chacune des parties du royaume soient constitués des missi capables d’exa-
miner les plaintes des pauvres, les oppressions et les procés de quiconque et de les juger
suivant léquité des lois. Et’si ceux qui les ont outrepassées s’enfuient d’un royaume dans un
autre, qu’ils y soient chatiés de la méme facon.
S/o) |S 6/6, 8),0:1e/ 6:0) \0)\@) 0) 01/01 (@ 8):0::0: 0 Le)|-6:(0:0). 0::6. [eB 1001 6.6, (0):6' 10 6.03.6, 0,'0)(6) 6) @ |S \0 OL.e) &) 0, 0x6 .@ Lele .6, e (s/\0, (9; 4.5uele/.0)) aise 6, ee! 0/16) «6 elelie auece
10. Que l’on envoie des ambassades au duc des Bretons, pour lui signifier d’observer,
a leur égard, la paix commune.
II. Que de méme I’on envoie des ambassadeurs au roi des Normands pour lui commu-
niquer que, ou bien il s’appliquera 4 respecter la paix, ou bien il les aura pour ennemis tous
[les trois] ensemble.
274
Le déclin des Carolingiens
Traduction
Au milieu du mois d’aott, il réunit ses forces 4 Worms et passant par |’Alsace il arriva
en Gaule, a une villa royale du royaume de Charles que l’on nomme Ponthion : 1a accoururent
a lui presque tous les Grands de ce pays, excepté ceux que Charles avait emmenés avec lui
pour lutter contre les Normands sur la Loire. [...] Et quand celui-ci apprit que Louis était
a lintérieur de ses frontiéres, dans son royaume, il leva le siége et avec son armée accourut
4 lui en un lieu dit Brienne; ayant vu la multitude des (Francs) orientaux et de tous les siens
qui s’étaient conjurés contre sa tyrannie, il mesura l’infériorité de ses forces et l’impossibilité,
sans mettre les siens en grand péril, de livrer bataille aux troupes de son frére; il disposa
cependant les soldats en ligne, comme pour combattre, mais lui-méme se retira avec une
faible escorte, et l’armée abandonnée sur le champ de bataille, apprenant le départ de son chef,
passa a Louis. [...]
[Louis ne poursuit pas Charles et passe ’hiver en Gaule, entouré de faux amis secrétement
ralliés a son frére, qui reconstitue ses forces.]
[...] Sur ces entrefaites, arriva la nouvelle que, a lest, 4 la frontiére sorabe, son Etat était
menacé par les Sorabes qui venaient d’assassiner par trahison leur chef, Zistibor, qui lui
était trés fidéle, et méditaient de faire défection. Et, de ce fait, pour réprimer les débuts de
cette sédition, il regagna son royaume aussi vite qu’il le put. Et Charles, aprés son départ,
n’ayant plus d’adversaire, récupéra sans difficulté le coeur de son royaume.
Pe fe
LES CAROLINGIENS
Traduction
Cependant, les comtes du royaume du roi Charles aménent Louis, roi des Germains,
que pendant 5 ans ils avaient sollicité; celui-ci, aux calendes de Septembre, arriva 4a la villa
royale de Ponthion et gagna Sens par Chdalons et Queudes. De 1a, il alla dans le pagus d’Orléans,
y recut d’Aquitaine et de Neustrie et de chez les Bretons ceux qui s’étaient engagés a venir
a lui et revint presque par le méme chemin jusqu’a Queudes.
[Charles, qui luttait contre les Normands, accourt avec son armée.]
Et sur ces entrefaites, ayant appris qu’il n’y avait pas possibilité de composer et de faire la
paix le troisiéme jour c’est-a-dire la veille des ides de Novembre, Charles disposa son armée en
bataille, mais, voyant les siens l’abandonner, il se retira et gagna le pays bourguignon. [...|
eee mee ee ewe ee wre rere eee rere rere eee eee er eer eres ese eeese ere rere eereeree ee eer eeereeee esses
859. Le roi Charles, ayant récupéré ses forces, attaque a l’improviste son frére Louis
et le chasse hors des limites de son royaume.
276
DOSSIER SUR
le comte Boson qui se proclame roi en Provence (878)
Interea Boso, persuadente uxore sua, quae nolle vivere se dicebat, si, filia
imperatoris Italiae et desponsata imperatori Greciae, maritum suum regem non
faceret, partim comminatione constrictis, partim cupiditate ilectis pro abbatiis
et villis eis promissis et postea datis, episcopis illarum partium persuasit, ut eum
in regem ungerent et coronarent.
Annales de Saint-Bertin, Paris, éd. F. Grat, J. Vielliard et S. Clémencet, 1964, p. 239.
Traduction
Cependant Boson, poussé par sa femme, qui se déclarait incapable de vivre, si, fille de
l’?empereur d’Italie et ex-fiancée de l?empereur de Gréce, elle n’arrivait pas a faire roi son
mari, fit jouer tantét la force et les menaces, tantdt la cupidité et ses séductions, en promettant
abbayes et villae qu’il donna par la suite, et il amena les évéques de ces pays a le faire roi
par l’onction et la couronne.
Ego Boso, Dei gratia id quod sum, necnon et dilecta conjux mea Hirmin-
gardis, proles imperialis, damus pro amore Dei monasterio Dervo, etc., damus
res nostras quas dominus imperator Carolus serenissimus augustus nobis per
preceptum dedit, quae sunt in pago Laticense, mansum indominicatum in villae
quae Lentinus vocatur, cum omnibus ibi aspicientibus, etc.
Ego, in Dei nomine, Boso hanc cartam donationis subscripsi et firmare
rogavi. Hirmingardis proles imperialis consensi. Signum Richardi comitis. Sig.
Teutbaldi comitis. Sig. Bernardi comitis.
Ego Stephanus archicancellarius, jubente inclyto et illustri viro domno
277
LES CAROLINGIENS
10 Bosone sive conjuge ejus domna Hirmingarde, hanc cartam scripsi et subscripsi.
Datum VIII kalendas augusti, anno incarnationis Domini nostri Iesu
Christi DCCCLXXVIIII, anno I post obitum Hludovici gloriosissimi regis, in
Dei nomine feliciter. Amen.
Ed. Poupardin, Recueil des actes des rois de Provence, p. 31.
Traduction
Moi, Boson par la grace de Dieu ce que je suis, et ma chére €pouse Ermengarde, de souche
impériale, nous donnons pour l’amour de Dieu au monastére du Der [...] nous donnons les
biens que le seigneur empereur Charles, sérénissime auguste, nous a donnés par précepte
et qui sont dans le pagus de « Lanty », soit le manse seigneurial dans la villa appelée Lassois
et toutes ses dépendances, etc.
Moi, au nom de Dieu, Boson. J’ai soussigné cette charte de donation et j’ai prié de la
confirmer. Ermengarde, de souche impériale, j’y ai consenti. Seing de Richard, comte. Seing
de Thibaut, comte. Seing de Bernard, comte.
Moi, Etienne, archichancelier, sur l’ordre du clément et illustre seigneur Boson et de
son épouse dame Ermengarde, j’ai signé et soussigné cette charte.
Donné le 8 des calendes d’Aott, I’an de l’incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ 879,
premiére année depuis la mort du trés glorieux roi Louis. Au nom de Dieu. Feliciter.
Amen.
Traduction
Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Boson, par la grace de Dieu, roi.
[...] Adalgaire, vénérable évéque des Eduens, s’adressant 4 la mansuétude de notre sublimité
a supplié, pour accroitre leur valeur et leur force, de confirmer l’autorité et les préceptes
des rois nos prédécesseurs par un écrit de notre autorité. [...]
Donné le 6 des ides de Novembre, indiction 12, an 1 du régne du seigneur Boson, trés
glorieux roi. Fait en la cité de Lyon. Au nom de Dieu. Feliciter. Amen.
278
DOSSIER SUR
les Sarrasins en Italie et en Espagne (812-877)
Vestrae siquidem a Deo datae sapientae incognitum non est, quod illa
nefandissima Agarinorum gens partibus Siciliae anno praesente venire consilia-
verunt. Nunc autem, sicut audivimus, in quibusdam Grecorum insulis coniun-
xerunt.
Pro quibus vero misit Michahel imperator patricium et spadarios cum stolo,
ut contra eos Christo adiuvante dimicare debuissent.
Cumque ipse patricius in Siciliam coniuxisset, direxit missos suos per Bene-
ventum ad Anthimum Neapolitanum ducem, ut cum toto ipso Neapolitano
ducatu, qui illi oboedire voluisset, navale auxilium ei praebere studuisset. Qui
Io vero dux occasiones proponens, in adiutorio eius ire contempsit. Kaietani autem
et Amalfitani aliquanta congregantes navigia, in auxilio illius abierunt.
Postmodum vero, ut audivimus, ingressi sunt ipsi nefandissimi Mauri,
tredecim scilicet navigia, in insulam, quae dicitur Lampadusa, partibus Siciliae
constituta, et praedaverunt eam. Cumque de praedicto Grecorum stolo septem
15 navigia ibidem explorando perrexissent, ut se veritatem cognoscere potuissent,
comprehendentes eos Deo odibiles Mauri occiderunt illos. Et dum exspectassent
eos Greci, qui miserunt illos ad explorandum, et minime essent reversi, abierunt
generaliter super eos. Et Christo miserante totos illos iniquos Mauros occide-
runt, ita ut nec unum ex eis vivum reliquerunt.
20 Porro et hoc relatum est nobis, quod quadraginta naves de ipsis Mauris
venerunt in insulam, quae Pontias vocitatur, ubi monachi residebant, et praede-
verunt eam. Posmodum vero egregientes ex ea, ingressi sunt in insulam, quae
dicitur Iscla maiore, non longe a Neapolitana urbe miliaria XXX, in qua familia
279
LES CAROLINGIENS
Traduction
La sagesse que Dieu vous a donnée n’ignore point que le peuple infame des fils d’Agar
a décidé cette année de venir en pays sicilien et que, 4 l’heure actuelle, comme
nous |’avons
appris, ils se sont retrouvés dans certaines iles appartenant aux Grecs.
Et, de ce fait, ’empereur Michel a envoyé un patrice et des spathaires avec une flotte,
dont la mission était de lutter contre eux, avec l’aide du Christ.
Et aprés son arrivée en Sicile, le patrice a dépéché par Bénévent des envoyés au duc de
Naples Anthime, pour qu’il veille, lui et tout le duché de Naples qui avait accepté de lui
obéir, 4 lui fournir un soutien naval. Ce duc, sous divers prétextes, a refusé d’aller l’aider,
mais les gens de Gaéte et d’Amalfi, réunissant quelques navires, sont partis 4 son secours.
Et peu aprés, 4 ce que l’on nous a dit, ces Maures infames ont attaqué, avec 13 navires, l’ile
que l’on appelle Lampéduse (qui fait partie de la Sicile) et Pont pillée. Et quand 7 navires
de ladite flotte grecque y sont venus en reconnaissance, pour voir ce qui s’était réellement
passé, ces Maures, que Dieu hait, les ont pris et massacrés. Mais les Grecs avaient attendu
ceux qu’ils avaient envoyés en reconnaissance et n’étaient donc pas repartis; aussi, firent-ils
une descente générale contre eux. Et par la miséricorde du Christ ils massacrérent tous ces
Maures iniques, sans en laisser un seul en vie.
Ensuite, et ceci nous a été raconté, 4o navires de ces Maures sont arrivés a l’ile que l’on
appelle Ponza, 1a ou il y avait des moines, et ils Pont pillée. Puis ils en sont partis et ils ont
attaqué Vile, que l’on appelle Ischia majeure, que guére plus de 30 milles séparent de Naples
et ils y ont trouvé en grande quantité richesses et esclaves napolitains; et ils y sont
restés du 15 au 12 des calendes de Septembre sans que les Napolitains les attaquent une seule
fois. Et aprés avoir ravagé toute cette ile, remplissant leurs navires d’hommes et des vivres
nécessaires, ils s’en sont retournés. Et les gens de Gaéte qui ont été dans ladite ile aprés sa
dévastation ont dit qw’ils ont trouvé gisant les cadavres et le grain et la paille que les Maures
n’ont pu emmener; ils ont également tué et laissé les chevaux mauresques qu’ils portaient
dans leurs navires.
Voici : tout ce que nous avons pu apprendre du pays des Grecs, nous avons eu soin de
le communiquer a4 votre sérénité.
En ce qui concerne notre territoire, portons a la connaissance de votre trés sereine puis-
sance impériale que par l’intercession de la sainte mére de Dieu Marie toujours Vierge et des
bienheureux ee Pierre et Paul et par la grande sagesse de vos mesures tout se trouve
intact et sauf,
280
Le déclin des Carolingiens
Traduction
A Louis Auguste [...]
Trés fréquemment de mauvaises nouvelles nous arrivent du pays des Sarrasins, et certains
disaient que les Sarrasins se préparaient en secret 4 rentrer furtivement dans le port de Rome.
Aussi avons-nous fait rassembler nos troupes, et nous avons décidé de descendre sur le littoral
et nous avons quitté Rome.
Traduction
[...] La Campanie entiére est complétement dévastée par ces Sarrasins hais de Dieu :
déja ils passent en cachette le fleuve! qui descend de la ville Tiburtine jusqu’a Rome, et ils
pillent tant la Sabine que les lieux voisins. Ils ont détruit les basiliques des saints et les autels;
les prétres et les religieux, les uns ils les ont emmenés en captivité, les autres ils les ont
massacrés de diverses maniéres et le peuple racheté par le sang du Christ, ils lont détruit
tout 4 l’entour. [...]
Tegan:
281
LES CAROLINGIENS
Aussi, 6 vous le plus éminent des Césars, venez au secours de nos calamités, soulagez
les miséres de notre peuple, tendez-lui la main de votre puissance, et cette terre, dont nous vous
avons signalé les besoins dés le début de notre mission, libérez-la, pour éviter, si elle était
perdue, et d’avilir votre empire et d’engendrer la perte de toute la Chrétienté.
[...] Igitur genitor noster Diue memorie Ordonius Rex, post depopulatio-
nem harabum loci hujus Sancte ipse primus, ut fuerat exsulco antico relictum
hanc Sedem apprehendit cum uillis, uel omnibus adjacenciis; sed presertim
factum est, obpugnante uel expulsante gens Arabica quietudinem terre in soli-
tudinem est redacta. Postea namque idem pius genitor noster hanc patriam nobis
ad regendum tradidit, et sub nostro moderamine est redacta, et Dei manu guber-
nante, et sanctorum intercessu postulante expulimus ab ea gentilium infestat-
jones, et barbarorum subastatjones : populabimus quoque e nouo terram illam,
et ejus deserta habitabilem fecimus, et hanc sedem uiritim exqualido sicut et
IO genitor noster, capuimus, mancipauimus, et juri nostro per terminis suis subter
adnotatis, subditam colonibus nostris tradimus nobis annosam redentes ratio-
nem. Adueniente quoque Sebastiano Archabiensis pereglino Episcopo, ex Pro-
vincia Celtiberie, expulsus a Barbarjs, mirabiliter hanc Sedem illi concessimus,
qui primus idem Ecclesiam Antistes fuit.
Floriano, Diplomatica espatola del periodo astur, tome II, Oviedo, 1951, n° 165, p. 270.
Traduction
[...] C’est pourquoi notre pére de divine mémoire, le roi Ordonio, fut le premier, aprés
le dépeuplement par les Arabes de ce lieu appartenant au saint, 4 prendre possession de ce
si¢ge épiscopal abandonné a l’inculture antique avec ses domaines et ses dépendances; mais,
surtout, cela se passa tandis que le peuple arabe combattait et chassait tout repos de la terre,
et ce lieu retourna 4a la solitude. Aprés cela, en effet, notre méme pére de pieuse mémoire
nous a donné le pouvoir royal sur cette patrie, et elle revint en notre direction et nous en avons
chassé, en gouvernant avec l’aide de Dieu et en l’implorant par l’intercession des saints, les
désolations des Gentils et les ravages des Barbares; aussi avons-nous peuplé de nouveau
cette terre et de déserte l’avons-nous rendue habitable et, courageusement, tout comme
notre pére, nous avons arraché ce siége au désert et l’avons libéré. Et aprés l’avoir cadastrée
selon ses limites notées plus bas, nous l’avons livrée 4 nos colons qui nous en rendent un
compte annuel. Survint aussi Sébastien, évéque étranger d’Arcabica, de la province de Celti-
berie, expulsé par les Barbares; en nous émerveillant de cela, nous lui avons concédé ce siége
pour étre le premier évéque de cette Eglise 1.
282
DOSSIER SUR
les invasions normandes
Les désordres de la deuxiéme moitié du 1x° siécle et la supériorité maritime des Normands
expliquent leurs succés. Aprés avoir ravagé les cétes, ils s’insinuent a l’intérieur des terres
par les fleuves, en particulier la Seine et la Loire, puis ravagent les cétes, l’Espagne, les rives
du Rhone et les cétes d’Italie. La terreur est générale, y compris chez les moines; ceux de
Noirmoutiers, ici, cherchent 4 transporter les reliques de saint Philibert hors de la portée
des combattants : de Cunault 4 Messay.
Cette fuite commencée en 836 se termina en 875 4 Tournus..., ou arrivérent peu aprés
les Hongrois ! (document 156).
Parfois les Normands furent contenus, lorsqu’ils assiégérent Paris par exemple
(document 157).
283
LES CAROLINGIENS
30 inerat cum huc atque illuc diversis hospitaremur fugitanto in locis, corpus beati
sicut dictum est, Filiberti in proprio derelictum erat solo, quia malis ubique
crassantibus nullum certum obtinere poteramus securitatis locum. Sed cum
nullum alicubi vel aliunde preberetur refugium non ferentes quin nobiscum
quaquaversum circum ferretur sanctissimum corpus, de ipsis prope Nortman-
35 norum manibus rapitur potius eleptim quam transfertur festivis cum laudibus,
atque in memorato qui Conaldus dicitur collocatur loco; ita tamen, ut cum
necessitas incumberet, transferri aliorsum potuisset. Quod factum esse constat
anno dominice incarnationis octingentesimo sexagesimo secundo; quando de
Conaldo motum ad Mesciacum suam est villam translatum...
« Monuments de V’histoire des abbayes de Saint-Philibert... »,
par R. PoupaRDIN, Paris, 1905, Miracles de saint Philibert, Livre II, pp. 60-63.
Traduction
[...] La garde des rivages de l’Océan est abandonnée; les guerres cessent a l’extérieur,
augmentent 4 l’intérieur; le chiffre des navires augmente, la multitude innombrable des
Normands ne cesse de s’accroitre; de tous les cétés, ce ne sont que massacres de chrétiens,
pillages, dévastations, incendies dont subsisteront des témoignages manifestes tant que
durera ce monde. Ils prennent toutes les cités qu’ils traversent sans que personne leur résiste;
ils prennent Bordeaux, Périgueux, Saintes, Limoges, Angouléme, et Toulouse. Angers,
Tours et jusqu’a Orléans sont anéantis. Beaucoup de cendres de saints sont enlevées; ainsi
se réalise presque la menace que le Seigneur a proférée par la bouche de son prophéte : « Un
fléau venu du Nord se répandra sur tous les habitants de la terre »1.
Et nous aussi, nous fuyons dans une localité du nom de Cunault située en Anjou sur le
bord de la Loire que Charles le Glorieux, roi plus haut nommé, nous avait donnée comme
refuge avant la prise d’Angers, 4 cause du danger qui nous menagait, tandis que le corps
de saint Philibert restait encore dans le monastére de Déas?, bien que ce dernier ett été déja
incendié par les Normands; mais la terre d’Herbauge ne se résignait pas a se laisser dépouiller
d’un si grand patron tant qu’une partie des moines pouvait encore demeurer sur son sol.
Ensuite, aprés quelques années, un nombre incalculable de navires normands remonte
le fleuve de la Seine. Le mal augmente dans cette région. La cité de Rouen est envahie, pillée,
incendiée; celles de Paris, Beauvais et Meaux sont prises, la place forte de Melun est dévastée;
Chartres est occupée; Evreux pillée ainsi que Bayeux et toutes les autres cités sont envahies
successivement. Il n’y a presque pas de localité, pas de monastére qui soit respecté; tous les
habitants prennent la fuite et rares sont ceux qui osent dire : « Restez, restez, résistez, luttez
pour votre pays, pour vos enfants, pour votre famille ». Dans leur engourdissement, au milieu
de leurs rivalités réciproques, ils rachétent au prix de tributs ce qu’ils auraient di défendre
les armes 4 la main et ils laissent sombrer le royaume des Chrétiens.
Ensuite les Normands gagnent |’Espagne, ils remontent le Rhéne et dévastent I’Italie.
L’an 857 de l’Incarnation du Christ s’était écoulé dans ce déchainement général de guerres
civiles et étrangéres; mais nous gardions quelque espoir de rentrer chez nous, espoir qui s’est
avéré jusqu’ici illusoire, et, tandis que les péripéties de notre fuite nous amenaient a loger
dans des lieux divers, le corps de saint Philibert avait été laissé sur place comme nous venons
de le dire, parce qu’en raison des maux qui s’accumulaient, nous n’avions pu obtenir l’assurance
d’un asile sir. Aucun refuge ne s’offrant nulle part, nous ne pouvions supporter que le corps
284
Le déclin des Carolingiens
saint nous suivit partout dans nos déplacements, aussi est-il plus exact de dire qu’on 1’a presque
arraché subrepticement aux mains des Normands eux-mémes que de parler d’une translation
solennelle accompagnée de chants de gloire lorsqu’on |’a placé dans la localité de Cunault
citée plus haut. On I’a fait du reste de fagon a4 pouvoir le transférer ailleurs dés que les circons-
tances l’exigeraient. C’est ce qui a eu lieu comme on sait, l’an de l’incarnation 862 quand
on lui a fait quitter Cunault pour le transporter dans son domaine de Messay!.
Traduction
Ils couvrent les champs de leurs épées, la Seine de leurs boucliers et sur la cité ne cessent
de voler mille boules de plomb fondu; les ponts voient alterner les tours et les fortes catapultes.
Mars exhale sa fureur ici et encore 1a; il se dresse et régne avec superbe. De toutes les églises,
les cloches de métal creux en résonnant font porter leurs sinistres clameurs a lair qu’elles
285
LES CAROLINGIENS
emplissent. La citadelle chancelle, les habitants tremblent, la voix puissante des trompettes
résonne; la peur envahit chacun et entre dans les tours. C’est 1a que brillaient beaucoup
de grands et d’hommes courageux : au premier rang, au-dessus de tous, l’évéque Gozlin, a
ses cétés, l’abbé Ebles, son neveu aimé de Mars. La, Robert, Eudes, Régnier, Utton, Erilang;
ceux-ci étaient tous comtes mais le plus noble était Eudes, qui tue autant de Danois qu’il
lance de traits. Le peuple funeste combat, et le peuple béni soutient le choc.
286
DOSSIER SUR
la période 884-924 d’aprés le trésor de Rennes
Composition
Charles le Gros empereur (888)
I denier de Nevers : 1,47 g.
17 deniers de Bourges : 5 de 1,59 g a 1,51 g;
2-ce 1,46 g et 1,42 g;
4 de 1,32 g a 1,31 g;
6 de 1,29 g a 1,17 g.
Eudes (888-898)
1 denier de Bourges : 1,53 g;3
3 deniers de Tours : 1,64 g a 1,65 g.
287
LES CAROLINGIENS
Commentaire
Ce trésor a pour caractéristique de grouper 132 deniers et 4 oboles frappés entre les régnes
de Charles le Gros et Charles le Simple, la plupart dans les 5 ateliers de Tours, Orléans,
Rennes, Bourges et le Mans (116), mais certains de provenance beaucoup plus lointaine
(Brioude, Pavie, Metz, Est-Anglie). Les poids des deniers (nettoyés) varient de 0,96 g a
1,69 g. La date la plus précoce de leur enfouissement (si l’on néglige les monnaies anglaises
mal identifiées) se situe entre 918 (premiére monnaie possible de Guillaume d’Auvergne)
et, probablement, 929 (derniére piéce possible de Charles le Simple); en fait, dés 923, Charles
est déposé, la fourchette peut étre ramenée 4 918-923; d’ailleurs, la présence de nombreux
deniers de poids trés faible évoque bien les désordres de la fin du régne de Charles le Simple
(et Bérenger de Frioul meurt en 924) 1}.
Ce trésor est certes caroligien puisque la grande majorité des deniers est au nom de Charles
le Simple qui a repris le type monétaire de son grand-pére Charles le Chauve, précisément
pour affirmer la continuité de la dynastie. On sait cependant que V’historiographie francaise
voit dans la mort de Charles le Gros (888) et apparition du premier roi robertien (Eudes)
le début d’une époque nouvelle, d’ou lintérét de souligner ce que ces documents nous
apprennent sur ces années d’incertitude dynastique et sur la lente fin des Carolingiens directs.
Nous avons tout d’abord confirmation que Charles le Gros, au moins nominalement,
avait bien été reconnu dans tout l’7Empire, puisque la partie de Francie la plus éloignée de
Germanie ou d’Italie, Aquitaine, frappait des deniers 4 son nom et que ce monnayage était
abondant et de titre convenable, car, 35 ans aprés, nombre de ces piéces se trouvaient encore
a Rennes.
Mais, deuxiéme constatation : 4 cette époque (924), il n’y a plus de Carolingiens régnants.
Le dernier des Carolingiens allemands (lignée masculine), Louis l’Enfant (piéce de Metz),
est mort en 9II, et Conrad (lignée féminine) a cédé la place 4 Henri l’Oiseleur (918); le dernier
Carolingien d’Italie, Bérenger de Frioul (924) (piéce de Pavie) a pris une derniére fois la
couronne impériale mais n’a jamais régné que sur une faible partie de la Péninsule. Quant
au Carolingien de France, Charles le Simple, son tréne longtemps disputé par Eudes lui a
été définitivement arraché en 923, par Raoul, aprés la mort de Robert.
Ajoutons qu’une étude plus précise de ces monnaies nous évoque d’autres événements :
si nous rapprochons la piéce de Metz (au nom de Louis l’Enfant) et celle de Toul (au nom
288
Le déclin des Carolingiens
de Charles le Simple) nous soulignons l’histoire du duché de Lorraine, d’abord aux mains
du Carolingien allemand, puis rallié 4 Charles le Simple contre Conrad I®'.
Il y a plus : le poids suspect de nombreux deniers et le nombre d’ateliers qui les ont émis
nous rappellent |’existence de monétaires qui, loin du souverain ou dans une période de trouble,
augmentaient leurs bénéfices sur la frappe. Ces monétaires étaient-ils affranchis au moins
partiellement de l’autorité royale? Probablement, et en premier lieu les abbés et évéques
(voire les comtes). On note que tous les lieux cités ici (a part Curti-Sasonien, non identifié +
et Chateaudun) sont siéges d’évéques, d’archevéques ou d’abbés (Saint-Denis); et nombre de
comtes ont aussi pour capitales de ces anciennes cités gallo-romaines,. On sait, d’autre part,
que les concessions monétaires étaient fréquentes et parfois totales dés le 1x® siécle, mais les
prélats bénéficiaires faisaient frapper des monnaies au type royal (de poids et de titre plus
ou moins bon); ce n’est que pour 919 que I’on a un texte (concernant Saint-Martin de Tours),
autorisant la frappe (4 Chateauneuf) de monnaie d’un type spécial. Les altérations de poids
seraient déja un indice important de la faiblesse de l’autorité royale, s’il n’y avait ce trés
remarquable denier de Brioude, qui est le premier exemple daté d’un monnayage comtal,
d’une usurpation pure et simple de droit régalien. Le comte d’Auvergne Guillaume I®*,
partisan de Charles le Simple, a peut-étre voulu marquer ainsi son opposition 4 Eudes avant
893 (couronnement de Charles). Il est plus probable que c’est son successeur Guillaume II
qui, dans des circonstances a peu prés semblables (lutte de Robert Ie et de Raoul contre
Charles) osa, aprés 920, frapper monnaie. Le processus de décomposition du royaume est
dés lors trés avancé; d’autant que les ravages des Normands (installés dés 911 par le traité
de Saint-Clair-sur-Epte) ne cessent pas : l’enfouissement de ce trésor 4 Rennes vers 922-923
est une preuve manifeste de l’insécurité, méme au sein des villes.
La répartition géographique des ateliers d’émission et la fréquence des piéces retrouvées,
mises en évidence par une carte (ou par un tableau) nous permettent de tirer quelques autres
conclusions. On peut écarter et la piéce de Metz (unique et déja ancienne et celles de Bourges
(nombreuses mais trop anciennes) qui ne prouvent rien. On remarque de toute maniére
que les routes esquissées semblent orientées d’ouest en est, probablement selon les voies
romaines (les villes monétaires étant des villes gallo-romaines y compris Chateaudun, Caste/-
lodunum) ou suivant les fleuves : Loire (4 partir de Tours, car les Normands sont en aval
de cette ville) ou Oise par exemple. C’est la région qui reconnait Charles le Simple (mais
l’absence totale de piéces aquitaines, dont le duc est Guillaume II, semble significative).
Le nombre de piéces originaires de Tours, Orléans, Le Mans, Blois, Chartres, Chateaudun
délimite la zone ot les relations, sinon les échanges (car monnaie ne signifie pas commerce)
sont fréquentes; des piéces des pays récemment acquis aux Normands, pourtant aussi proches
de Rennes, semblent absentes (4 moins que Le Mans, cédé en 924 a Rollon, n’ait été occupé
antérieurement!). Mais des cheminements depuis les pays éloignés sont malgré tout attestés :
de Brioude (par l’Allier?) ou de Pavie, piéces uniques mais récentes, surtout de |’Est-Anglie
(probablement par les Normands apparentés a ses rois danois; mais est-ce par échange ou a
l’occasion de combats dont les pirates ne sortent pas toujours vainqueurs ?). S’il est exagéré
d’en déduire que le commerce et les relations a grande distance existaient encore (ou déja)
durant la crise postcarolingienne, on constate cependant qu’il n’y avait pas non plus étanchéité
des « principautés territoriales » : sur les 114 piéces récentes du Trésor, 13 — soit 11,4 % —
ont été frappées a plus de 400 kilométres du lieu d’enfouissement, et 42 — soit 36,8 %— a
plus de 300 kilométres, preuve de relations au moins régionales.
289
LES CAROLINGIENS
ns Trésor de Rennes
Lincolng Vo a 1 TOURS plus de 30 monnaies
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ANNEXES
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1. Glossaire
ABBAYE. Monastére d’hommes ou de femmes qui est dirigé par un abbé ou une abbesse.
Asse. En araméen : pére. Moine élu par ses égaux a la direction d’une abbaye ou monastére, géné-
ralement a vie. A l’époque mérovingienne, il peut y avoir aussi un abbé 4a la direction d’une basilique
funéraire. A l’époque carolingienne, le dirigeant d’un chapitre de chanoines peut s’appeler parfois abbé.
ABBESSE. Moniale élue par ses égales 4 la direction d’une abbaye ou d’un monastére de femmes.
ABSIDE. Partie demi-circulaire d’une église, derriére l’autel. Durant le Haut Moyen Age, le clergé
se range dans l’abside de la cathédrale et le siége de l’évéque y est disposé.
y
ABSIDIOLE. Petite abside, généralement a cété ou tout autour d’une abside.
ACTE : voir Charte. Déclaration par laquelle une ou plusieurs personnes veulent établir ou modifier
un droit ou une obligation.
AFFRANCHI. Ancien esclave qui a recu la liberté, mais reste lié 4 son ancien maitre, ou a celui qu’il
a choisi, par le droit de patronage.
AGRARIUM. Redevance d’une part des récoltes, généralement la dixiéme, 4 l’époque mérovingienne.
A ne pas confondre avec le champart ou avec le terrage. Disparait a l’€poque carolingienne.
A..gu. A l’époque barbare, héritage, puis héritage immobilier. Ensuite terre libre dont le propriétaire
ne doit aucun service ni redevance (tout l’opposé du « bénéfice »), sauf sous les Carolingiens ou il doit
la dime a l’église et l'aide militaire au souverain si celui-ci est attaqué.
AMBON. Dans les églises anciennes, antérieures au XIII® siécle, petite chaire surélevée, 4 la limite
du cheeur (il y en a généralement deux symétriques par rapport a son entrée et reliés par une cléture
basse, le chancel) d’ot I’on préchait et lisait les Ecritures.
293
ANNEXES
ANGE. Théologiquement, créature spirituelle. Envoyé de Dieu qui, dans les récits hagiographiques,
est souvent chargé d’annoncer sa volonteé.
ANNALES. Récit, année par année, des principaux événements d’un royaume, surtout a l’époque
carolingienne.
ANNEAU (SIGILLAIRE). Bague dont le chaton (généralement intaille ou matrice de métal), s’imprimant
en relief sur le sceau de cire, authentifiait un acte.
ANSANGE. Espace de terre rectangulaire de 40 perches de long sur 4 perches de large, a raison d’une
perche de 10 pieds, soit 14 ares et 4 centiares selon Benjamin Guérard ou 13 ares, 85 ca 0280 selon
P. Guilhiermoz.
APOSTOLIQUE. Etymologiquement : qui vient des apdtres. Quand on parle du siége apostolique, désigne
Rome ow se trouvent les reliques des apétres Pierre et Paul.
Apértres. Les douze disciples du Christ; le pape, évéque de Rome et chef de l’Eglise, est successeur
des Apdétres dans la mesure ot il tient la place jadis occupée par saint Pierre.
ARCHEVEQUE. Evéque désigné par le pape (qui lui envoie le pallium) et ayant des pouvoirs de juri-
diction et une certaine prééminence sur ses collégues (pratiquement confondu, au Ix® siécle, avec
le métropolitain).
ARCHIDIACRE. Prétre responsable du clergé diocésain. A l’époque mérovingienne, trés souvent chargé
par l’évéque de Vadministration du temporel de l’évéché.
ARCHIPRETRE. Dignité accordée au prétre le plus ancien parmi le clergé paroissial ou cathédral.
ARIEN. Hérétique professant les idées d’Arius, prétre égyptien du 111° siécle. Il affirmait que Jésus-
Christ est un homme unique, fils de Dieu, mais non de méme nature que son Pére.
AUGUSTE. Etymologiquement : celui qui a augmenté le territoire ou le bien de tel ou tel peuple. Surnom
officiel accordé a Octave par le Sénat, puis titre impérial romain. Dans l’Empire byzantin, dignité
de cour. Relevé comme titre impérial pour Charlemagne.
Ban. Publication officielle d’un ordre, d’une contrainte ou d’une punition, émanant du souverain
(ursupation par les princes territoriaux a la fin du Ix® siécle).
BaPTEME. Sacrement qui efface le péché originel et fait entrer le catéchuméne dans I’Eglise. Se pratique
a l’époque mérovingienne par immersion dans une piscine octogonale; le baptéme est suivi d’une
onction d’huile appelée huile des catéchumeénes, symbole de force nouvelle.
BAPTISTERE. Batiment généralement octogonal, couvert d’une coupole, qui contient la piscine baptis-
male. C’est le deuxieme édifice d’un groupe cathédral, a l’époque mérovingienne.
BARBARISME. Faute contre la grammaire contraire au génie propre d’une langue et qui porte, soit
sur la morphologie, soit sur la syntaxe, et telle qu’en commettaient les Barbares baragouinant le latin.
294
Glossaire
BEATIFIE. Mis au rang des bienheureux mais pas, en principe, des saints, qui ont droit au culte universel.
BENEFICE (BIENFAIT). Concession de terre par le prince ou le chef 4 des hommes qu’il veut récom-
penser : parfois définitif, parfois usufruitier sous les Mérovingiens, le bénéfice a des caractéres plus
nets chez les Carolingiens : il est attribué 4 des vassaux pour leur permettre d’assurer un service
(militaire), pour tout le temps que dure ce service.
BIENHEUREUX. Se dit, a l’époque mérovingienne, d’un saint (beatus) avant que 1’on fasse la distinction
entre bienheureux, béatifié et saint.
BONNIER. Mesure agraire valant;.d’aprés B. Guérard, 1 ha 24 a et d’aprés P. Guilhiermoz 1 ha 38 a.
Borne. Pierre plantée en terre, avec des petits cailloux-témoins devant et derriére, pour marquer
les limites des champs.
BOUTEILLER (buticularius). Officier (du palais) chargé de l’approvisionnement.
BRITTONNIQUE (VIEUX). Groupe de langues celtiques anciennes comprenant le gallois, le cornique
et ce que l’on devine de l’ancien breton.
BROGNE (brunia). Cuirasse.
BUCELLAIRE. Etymologiquement : mangeur de biscuit. Désigne un guerrier domestique nourri par
son maitre d’un pain de la meilleure qualité. Il devait servir ce maitre avec fidélité.
CALAME. Roseau taillé permettant d’écrire sur papyrus ou parchemin.
CALDARIUM. Dans les bains romains, piéce ot se prenaient les bains chauds ou les bains de vapeur.
CALENDRIER. Livre comportant l’indication des diverses calendes et des principales dates de l’année
(par exemple hagiographiques ou liturgiques).
Canon. En grec, régle. Désigne dans l’Eglise toute décision solennelle de l’autorité ecclésiastique.
Nom donné depuis saint Grégoire le Grand a la priére la plus importante de la messe. Elle va du
début de la préface 4 la fin de la conclusion qui précéde le Pater.
CAPITULAIRE. Texte législatif, administratif, religieux, etc., émanant du souverain et divisé en petits
paragraphes (capitula).
CAPITULAIRE. Relatif 4 un chapitre de chanoines. La mense capitulaire est la dotation permettant
Ventretien des chanoines (mensa = table).
s
CARDE (CHARDON). Servant a nettoyer, faire disparaitre les nceuds, placer céte a céte, déméler les
fibres textiles (laine).
CariMeE. Etymologiquement, période de quarante jours réservée 4 la préparation de Paques. Temps
de pénitence et de renouvellement pour toute VEglise avec pratique de jetine et d’abstinence.
CaRLINGUE. La plus longue et la plus grosse piéce de bois qui forme l’armature de la cale d’un bateau.
CARNATICUM. Redevance en viande (ou en outils) due au souverain pour le ravitaillement de l’armée
(en mars ou en mai) et répercutée par les grands propriétaires sur leurs tenanciers.
CasTRuUM. Désigne sous la République romaine un camp fortifié dressé le soir a la fin de l’étape. Sous
Empire, un camp fixe 4 la frontiére avec des murailles de pierre. Au Bas-Empire, la partie essentielle
dune ville, fortifiée et érigée en citadelle.
205
ANNEXES
CaTECHUMENE. Adulte se convertissant a l’Evangile en état d’initiation baptismale. Cet état compor-
tait plusieurs phases d’instruction et toute une liturgie particuliére.
CENs. Redevance en argent (ou en nature) due par le tenancier au propriétaire de la terre; parfois
peu élevé, il est simplement « récognitif » (il reconnait le droit de propriété éminente).
CENTAINE. Subdivision du comté administré par le centenier qui s’occupe de la justice (causes
mineures) : en pays romain, son équivalent est la vicairie ou la viguerie.
CHANCELIER. Rédige, expédie, fait sceller les actes émis par son seigneur.
CHANOINES. A l’origine, clercs d’une église vivant en communauté dans la maison de l’évéque. Pris
ensemble, les clercs groupés autour de l’évéque, vivant suivant une régle (canon) et constituant un
chapitre, doté d’un revenu d’origine fonciére (mense capitulaire). Peuvent également se grouper
en colléges dans des églises non cathédrales (collégiales). La mense peut étre divisée en autant de
parts que de chanoines (prébendes) qui peuvent alors ne plus vivre en communauté (chanoines
séculiers).
CHAPELLE. Oratoire du palais ot l’on conservait, en France, la chape (capella) de saint Martin. Pris
ensemble, les clercs du palais.
CHARROI. Transport de marchandises en char. Sous forme de corvée appelée en latin angaria. A donné
le vieux mot frangais « angiaire ».
CuHaARTE. Du latin carta. Tout acte écrit dans la tradition romaine, portant donation ou transaction
de biens-meubles ou immeubles. Désigne en général tout acte du Moyen Age.
CHOREVEQUE. Prélat sacré évéque, mais non titulaire du diocése, aidant 4 administrer les campagnes
dans certains diocéses (fréquent surtout en Orient).
CHREME. Le saint chréme est une huile mélée de parfum consacrée en Occident par tout évéque le
Jeudi saint. I] est essentiellement destiné au sacrement de confirmation; mais dans le rite romain,
Vonction du saint chréme a lieu au baptéme comme une anticipation de la confirmation. A l’imitation
des pratiques de l’Ancien Testament, l’onction du chréme fut pratiquée aussi pour le sacre des rois.
CHRONIQUE. Ouvrage d’histoire en principe universelle, dont le modéle au Moyen Age est la Chronique
VEusébe de Césarée (1v® siécle).
CrporiuM. Edicule qui abritait l’autel principal dans les églises du Haut Moyen Age.
Cit£. Division d’une province. Comporte une ville qui sert de chef-lieu et son territoire.
Circ. Toute personne d’Eglise, généralement tonsurée, mais pas obligatoirement ordonnée prétre
(ordres mineurs).
296
Glossaire
CLIN (A). Maniére de clouer les planches de la coque d’un bateau, le bord supérieur sous le bord
inférieur de la précédente.
Cxoitre. Enclos de religieux, généralement contigu a l’église et autour duquel s’ordonnent les bati-
ments conventuels. -
Coton. Etymologiquement : cultivateur. Sous l’Empire romain, paysan libre, fermier de l’Etat.
Au Bas-Empire, le colon, tout en restant libre, est attaché a la terre, car il se met souvent dans la
dépendance d’un patron. Son sort s’aggrave durant le Haut Moyen Age.
CoMPosITION. Peine pécuniaire infligée au coupable dans les lois barbares pour éteindre les récla-
mations familiales et ramener l’ordre.
ComTE. Ressort du comte; il se confond 4 l’époque des royaumes barbares avec la cité, puis n’a plus
de limites fixes ensuite.
ConcILe. Assemblée d’évéques réunis pour discuter et décider de tous les problemes que peut poser
la vie de l’Eglise. Distinguer les conciles cecuméniques groupant tous les évéques des conciles pro-
vinciaux rassemblant une ou plusieurs provinces ecclésiastiques; dans ce cas, on les appelle parfois
synodes.
CONFESSION. Caveau funéraire contenant le corps d’un saint, généralement confesseur, non martyr,
mais ou on ne peut pénétrer, a la différence de la crypte.
ConsuUL. L’ancienne charge républicaine est devenue, au Bas-Empire, une dignité annuelle, un titre
honorifique conféré par l’empereur.
CorvEE. A Vorigine les opera corrogata (d’ou le mot corvada : corvée) sont des prestations de travail
personnelles sous forme de labour. Puis c’est un service collectif réclamé aux tenanciers par le seigneur
foncier sur sa réserve ou aux hommes de la seigneurie par le seigneur détenant le ban (pour entretenir
les routes ou les batiments d’intérét public). Par extension, service plus général exigé des hommes
de la seigneurie par le détenteur du droit de ban [période postcarolingienne].
Couple. Deux piéces liées ensemble et qui, placées sur un double rang, forment la membrure d’un
bateau.
Cour. Du latin : curtis. Partie centrale du grand domaine ot se trouvent les batiments d’exploitation
et d’habitation.
Cour (curia regis). Ensemble des conseillers du souverain.
CourTINES. Sorte de rideaux pendus a l’intérieur des maisons, entre des colonnes ou le long des murs.
CouTuME. Ensemble d’usages, de pratiques ayant peu a peu pris force de loi. Dérive généralement
de Pusurpation par un seigneur des droits régaliens. Dans ce sens, le mot apparait vers an Mil.
Cror1x (de MALTE). Croix 4 quatre bras égaux dont les extrémités sont pattées.
CrYPTE. Jusqu’a la fin du Haut Moyen Age, construction voitée, soit hypogée funéraire, soit annexe
du sanctuaire, parfois souterraine, souvent au niveau du sol.
DeEcuMANUS. L’un des axes (généralement est-ouest) du camp ou de la ville romaine. Se croise avec
l’axe nord-sud (cardo).
2o7
ANNEXES
D#reNsEuR. Ancien fonctionnaire municipal du Bas-Empire chargé de défendre les intéréts, soit
de la plébe urbaine, soit des paysans. A l’époque mérovingienne, désigne une personne chargée de
la défense du patrimoine d’une église.
Décuerrir. Action de jeter le fétu (werpitio), abandon d’un bénéfice ou d’un fief par le vassal.
Denier. Piéce d’argent romaine dont le nom est resté durant tout le Moyen Age. Il en faut qua-
rante 4 l’époque mérovingienne pour faire un sou et douze a partir des réformes de Pépin et de
Charlemagne.
Diacre. Avant-dernier des ordres majeurs avant la prétrise. Assiste le prétre dans la célébration
de la messe.
DIALECTIQUE. Troisiéme science du trivium. Art de la logique formelle et de la discussion.
Dime. La dixitme partie des récoltes ou des revenus demandée par l’Eglise et accordée pour la
dédommager des spoliations des premiers Carolingiens (743, 779 et 794). C’est la remise en honneur
d’une coutume juive en faveur des lévites de la tribu de Benjamin.
Dinar. Monnaie d’or arabe qui emprunte son nom au denarion chrouson (denier d’or) de Byzance.
Drocisz. Au Bas-Empire, groupe de provinces dirigé par un vicaire. Dans l’Eglise médiévale, ressort
de l’évéque qui coincide avec la cité.
DispositTiF. Partie la plus importante d’un acte qui statue et dispose impérativement.
DocTEurR (DE L’EGLIsE). Se dit d’un auteur ecclésiastique dont l’ceuvre a été considérée par l’Eglise
comme ayant une valeur d’enseignement permanent.
Duc. En principe, grand personnage pourvu d’un commandement militaire et, fréquemment, de
pouvoirs civils dans un cadre territorial plus important que le comté.
DucnHE. En Lombardie, l'une des divisions du royaume correspondant 4 un groupe plus ou moins
important de cités.
Ecuyer. Serviteur qui s’occupe du cheval de son maitre et le méne par la bride dans les cérémonies.
ESCHATOCOLE (OU PROTOCOLE FINAL). Mention de la date (temps, lieu) de l’apprécation et parfois
des signes de validation, généralement 4 la fin d’un acte.
298
Glossaire
EvaNGILEs. Primitivement, remise d’impét, c’est-a-dire la bonne nouvelle par excellence. Pour les
chrétiens, la bonne nouvelle du salut apporté par le Christ. L’annonce en est contenue dans les quatre
Livres écrits entre 57 et 90 par Marc, Mathieu, Luc et Jean.
EvéQue. Etymologiquement : celui qui surveille. Le seul a posséder le sacerdoce dans sa plénitude.
Dirige un diocése, ordonne les prétres; responsable de toute la vie religieuse de son diocése. Celui
qui siége dans la métropole, chef-lieu de la province, est dit métropolitain; il confirme et consacre
ses évéques suffragants.
Eviction. Terme de droit romain, désignant une dépossession que 1’on subit, en vertu d’une sentence,
dune chose que Von a acquise de bonne foi.
EXARQUE. Haut fonctionnaire byzantin créé par l?empereur Maurice en 584 pour diriger avec des
pouvoirs militaires et civils, depuis Ravenne, les possessions byzantines d’Italie ou, depuis Carthage,
celles d’Afrique.
EXCOMMUNICATION. Fait, pour un chrétien, de se mettre hors de la communion des fidéles. Par
extension, sentence prononcée constatant Bs: le fidéle est sorti de l’Eglise a la suite de paroles ou
d’actes contraires a l’orthodoxie.
ExEDRE. Chambre ornée de siéges souvent en saillie et arrondis a l’extérieur, ancétre de l’abside.
Expos£. Dans un acte, précéde le dispositif et expose les circonstances qui ont précédé ou motivé
cet acte.
FARA (FERE). Famille ou groupe de Germains installés en pays romain en ordre compact et non
dispersé.
FARAMANNI. Hommes faisant partie de la méme fara, par suite de leurs liens consanguins.
FEDERE. Statut d’un peuple barbare installé d’abord a l’extérieur de Empire romain, puis, 4 partir
de 382, a l’intérieur. I] est soumis a ses propres lois, exempt d’impdts, et ses soldats, en échange de
soldes élevées, sous la direction de leurs chefs nationaux, servent Rome a cété de l’armée impériale.
Ce traité d’installation s’appelle foedus, d’ou le nom de fédéré.
FELICITER. Formule finale (= sous d’heureux auspices) terminant avec le mot Amen (ainsi soit-il)
Veschatocole de nombreux actes.
FEODALITE. Régime politique et social reposant sur le fief, donc postérieur 4 la période carolingienne
qui ne connait que les bénéfices.
299
ANNEXES
For. Serment de fidélité prété aprés l’hommage vassalique et avant l’investiture du fief.
Fottes. Follis en latin signifie : bourse. Petites pitces de bronze romaines, tellement dévaluées qu’on
les échangeait par bourses entiéres. Depuis 396, il faut 250 folles (en cuivre plus ou moins mélangé)
pour un sou d’or, et ceci jusqu’a la réforme d’Odoacre.
FoRMULAIRE. Recueil de modéles pour toutes les sortes d’actes traités a l’époque de la rédaction.
ForNICATEUR. Dans le langage disciplinaire ecclésiastique, désigne celui qui pratique l’union sexuelle
hors du mariage ou la dévie dans sa nature.
Frepa. Amende de composition en droit germanique dont le tiers va au roi et les deux tiers 4 la
victime : le tiers du tiers royal va au juge.
FREIN. Partie du mors d’un cheval qui, attachée a la bride, permet de le ralentir ou de l’arréter en
la tirant. :
FRIGIDARIUM. Partie des thermes ou se prennent les bains froids.
GaGE. Ce qui garantit le paiement d’une dette.
GARANCE. Plante dont la racine fournit une belle teinture rouge.
GESTE. Raconte les faits de tel ou tel personnage dans un ordre strictement chronologique.
Gite. Droit qu’ont certains envoyés du roi de se faire héberger en cours de mission.
Granps. Les principaux personnages de |’Etat (noblesse, seigneurs).
GuEDE. Plante dont les feuilles mises en paté (= pastel) donnent une belle couleur bleue.
GYNECEE. Endroit du domaine ot travaillent en commun les femmes des tenanciers ou des esclaves
domestiques.
Hacrocrapuiz. Ecrits sur la vie des saints.
HERESIE. En grec : arrachement. L’hérésie consiste a privilégier une vérité particuli¢re en matiére
religieuse au point d’en faire la vérité exclusive de toute autre et une doctrine opposée a l’orthodoxie.
A ne pas confondre avec schisme.
HERIBAN. Convocation 4 l’armée (et amende de 60 sous pour ceux qui refusent de s’y présenter).
HERISLIz. Désertion de ’armée en campagne (crime entrainant généralement la peine capitale).
HosPITaLite. Pratique du Bas-Empire romain qui consistait a installer des Barbares sur les terres
des propriétaires romains.
HOsTILICIUM. Redevance payée par les tenanciers et permettant 4 leur propriétaire d’assurer des
services pour lost (charrois, par exemple).
H6te. Fonctionnaire romain puis soldat barbare logé chez Vhabitant. Dans ce dernier cas, Phdéte
est permanent.
300
Glossaire
Laic. Tout individu qui fait partie du peuple des fidéles et n’est pas clerc.
Latriz. Honneur spécial rendu a Dieu.
LecTeur. Un des ordres mineurs. Le lecteur s’occupe des lectures et des chants dans les offices.
Peut étre ordonné a4 dix ou douze ans. A dix-huit ou vingt ans, le lecteur opte entre la vie séculiére
et la vie ecclésiastique.
LEGATIO. Mission et étendue territoriale sur laquelle s’exerce cette mission, pour un envoyé du sou-
verain carolingien dit : missus dominicus.
Lerupg. Homme de haut rang, aristocrate barbare qui sert le roi. Posséde d’importants biens fonciers
ou autres.
Lipre. Juridiquement, ne dépend pas d’un maitre : doit, 4 l’époque franque, le service militaire;
Vassistance au mallus, etc.
Live. Descendant de demi-libres barbares ou d’affranchis. La classe des lides est probablement
résiduelle a l’époque carolingienne.
Lieve. La lieue gauloise est utilisée durant tout Empire romain et, aprés, au nord de Lyon. Elle
vaut 2 222 métres. Ne pas la confondre avec la lieue germanique, la rasta, qui vaut un peu plus de
quatre kilométres.
LIGNAGE. Groupe rassemblant les descendants d’un méme ancétre.
Lime. Outil d’acier aux aspérités réguligrement disposées qui permet de dégrossir et de polir.
Limes. Ligne de fortifications suivant la frontiére de l’Empire romain (en Germanie par exemple).
Liturciz. En grec, service public. Fonction cultuelle publique englobant l’ensemble de la priére
de l’Eglise et les célébrations sacramentelles. La liturgie de VEglise d’Occident peut varier selon
301
ANNEXES
les royaumes barbares : wisigothique, gallicane, etc., ou se reformer sur un type unique comme pour
la liturgie carolingienne imitant la liturgie romaine.
Livre. Unité de poids (327 g chez les Romains, 491 g depuis Charlemagne) divisé en douze onces :
au Ix® siécle on tire, en principe, 240 deniers d’un lingot d’une livre d’argent.
LuMINAIRE. Dans le Haut Moyen Age, huile d’olive nécessaire pour léclairage et la célébration du
culte dans les sanctuaires.
Maimpour. Du germanique mund; latinisé en mundeburdium. Protection d’un puissant sur celui qui
se met en sa dépendance.
MAIN-D’ceUVRE. Service di au propriétaire foncier par les tenanciers des manses.
Marre. Membre d’une communauté rurale qu’il dirige au nom du propriétaire ou de lintendant.
Marre bu PaLals. A l’origine, responsable de la maison du roi. De la mainmise sur lorganisation
économique de la cour, il passe insensiblement au commandement de la garde du roi, a la tutelle de
ses recommandés, a la présidence de son tribunal. La charge devenue héréditaire dans la main des
Pippinides leur permit d’accéder a la royauté.
MaALseErG. Figure dans la loi Salique pour désigner l’éminence ou se tient le tribunal, le mallus, des
libres francs qui juge aprés avis des rachimbourgs. Terme germanique latinisé.
Matt. Tribunal public.
MANCIENNES (TENURES). En Afrique du Nord, type de propriété superposant au propriétaire dune
terre un possesseur qui la cultive, en use et en dispose a son gré. Ce systéme remonte a une loi d’un
certain Mancia, proconsul d’Afrique en 71-72 A. D.
Mansz. Parcelle habitée, centre d’une exploitation agricole, utilisée pour la répartition des redevances
et des services.
Martyr. En grec : témoin. Dans |’Eglise, le martyr est celui qui a poussé le témoignage en faveur
du Christ jusqu’a subir la mort pour lui. Le martyre est la premiere voie de sainteté reconnue par
VEglise; les martyrs ont donné lieu a un culte trés important durant le Haut Moyen Age.
MatINEs. Office monastique qui se chante ou se récite la nuit. Dure 1 heure 30. Débute a 1 heure
du matin a partir de la mi-juin, 2 h 30 a partir de Noél, 3 heures a partir d’avril.
Messe. Service eucharistique ot le prétre consacre le pain et le vin en corps et sang du Christ en
union avec les fidéles.
METROPOLITAIN. Voir Evéque.
MILLE. Mesure maritime valant environ I 852 métres; en Angleterre, on distingue ce mille (nautical
mile) nautique du mille terrestre (mile) de 1609 m (1760 yards).
MILLIAIRE. Borne routiere romaine ow les distances sont libellées en milles; le mille contient mille pas
et vaut I 482 métres.
MINISTERIAL. En principe membre de la familia d’un propriétaire, donc esclave, mais ayant certaines
charges, donc certaines compétences (maire, artisan, doyen).
Missus, MIssI DOMINICI. Envoyés du pouvoir central carolingien pour surveiller les autorités locales,
généralement deux par deux, un laic (comte) et un ecclésiastique (évéque).'
Morne. Laic vivant en communauté selon une régle pour louer Dieu par le renoncement aux biens
de la terre, l’ascése et la priére. Le moine préte trois voeux perpétuels : pauvreté, chasteté, obéissance.
L’accés des moines a la prétrise est exceptionnel durant le Haut Moyen Age.
MONASTERE. Communauté de moines ou de moniales.
MoNETAIRE. Fonctionnaire royal, puis serviteur d’un grand, laic ou ecclésiastique, qui frappe monnaie.
MouLin. Dans les royaumes barbares, la diminution de la main-d’ceuvre esclave nécessite le rempla-
cement du moulin a bras par le moulin a eau qui permet une grande économie de main-d’ceuvre.
Il importe donc, dans les textes de cette époque, de distinguer les deux types.
302
Glossaire
Mu. Mesure de capacité qui contient, 4 l’époque romaine, 8 1 67 cl, a l’époque mérovingienne
environ 34 litres, aprés la réforme de Charlemagne environ 52 litres.
NEF (en forme de bateau renversé). Partie de l’église, de l’entrée principale a la croisée du transept;
peut étre flanquée de 2 ou 4 bas-cétés.
NESTORIANISME. Hérésie séparant dans le Christ la nature humaine de la nature divine : la Vierge
est mére du Christ et non mére de Dieu.
NOBLESSE (CAROLINGIENNE). Groupe, aux contours trés flous, d’individus et de leurs familles, riches
en terres, puissants, capables de combattre ou de rassembler autour d’eux un certain nombre de
combattants et d’obtenir de la faveur royale des charges importantes.
NOoMISMON. Nom grec du sou d’or qui reste unité monétaire byzantine et constitue l’unité moné-
taire internationale du Haut Moyen Age.
None. Office monastique qui se chante ou se récite a la fin de la neuviéme heure de la journée, c’est-a-
dire aux alentours de 15 heures selon les saisons. Ramené vers midi au x1II° siécle : d’ot l’anglais
noon, afternoon.
CECUMENIQUE. Universel, c’est-a-dire, pour un concile, réunissant les prélats, au moins évéques, de
toute la Chrétienté ou leurs représentants.
OpripuM. Mot gaulois désignant un plateau facilement fortifiable. L’oppidum a trés souvent été le
point de départ d’une ville.
OPUS QUADRATUM. Technique du magon qui consiste a faire alterner des pierres carrées ou rectan-
gulaires en édifiant un mur.
ORDINATION. Rite qui confére les différents ordres par imposition des mains avec une formule propre
a chaque ordre.
Pacus. Circonscription identique 4a la cité gallo-romaine 4 l’époque des royaumes barbares ou bien
au «gau » germanique; son chef est le comte; a l’époque carolingienne, désigne parfois une subdi-
vision du comté. De toute fagon, un comte peut avoir plusieurs pag? sous son autorité (comitatus).
Paien. Etymologiquement : ’habitant du pagus, car les gens des campagnes furent les derniers 4
se convertir au christianisme. Désigne l’adepte des cultes polythéistes des anciennes religions romaine
ou germanique.
PaLais. Etymologiquement : la demeure de l’empereur sur le Palatin. Par extension, toute demeure
impériale ou royale. A l’époque carolingienne, résidence et entourage du souverain.
303
ANNEXES
PaLEFROI. De paraveredus (bas-latin) : cheval de poste de renfort, puis cheval de marche, de parade
PALLIuM. Bande de laine blanche ornée de croix noires envoyée a l’archevéque par le pape, symbole
de Vunité de la hiérarchie catholique et des pouvoirs de juridiction spéciaux accordés a Varche-
véque.
PAgugs. Etymologiquement : le passage du Seigneur épargnant son peuple. Puis, le passage du
Christ par la mort pour sauver le monde par sa résurrection. Dans VEglise, la célébration annuelle
de cette mort et de cette résurrection.
Patrice. Au Bas-Empire, la plus haute dignité toujours accordée au généralissime des armées romaines.
Comme celui-ci était souvent un Barbare au V¢® siécle, le titre est passé 4 certains trés hauts postes
des royaumes burgonde et franc. Il fut relevé par la Papauté qui attribua le titre de « patrice des
Romains » aux premiers Carolingiens.
P£aGER. Fonctionnaire local qui pergoit les péages.
PERCHE (RECTANGULAIRE). Mesure agraire d’environ 3,5 a 4 ares.
Pires (DE L’EGLISE). Expression qui désigne les théologiens de |’Antiquité chrétienne les plus proches
des origines, aprés les Péres apostoliques, depuis le 11° siécle jusqu’a saint Bernard pour |’Occident.
PHALANGE. Unité militaire chez les Macédoniens. Employé comme synonyme de légion ou de formation
militaire.
PHILOSOPHE. Dans Il’enseignement supérieur romain, le philosophe occupe le dernier stade; c’est
celui qui réfléchit sur les causes et les principes fondamentaux. Durant le Haut Moyen Age, le mot
ne désigne plus que quelqu’un de savant.
PHRYGIUM. Bonnet phrygien du pape.
Prep. Mesure de longueur romaine qui vaut exactement 0,294218 m. 5 pieds = I pas.
PIscINE. Dans le baptistére, bassin rempli d’eau dans lequel on descendait par des marches. Au fond,
Veau arrivait 4 la poitrine. L’officiant, pour baptiser le catéchuméne, lui enfongait la téte dans eau
et la ressortait.
PLaib. Assemblée.
POLYPTYQUE. Inventaire de domaines a l’époque carolingienne.
PONTIFE (GRAND). Fonction la plus élevée dans la religion romaine. Abandonnée par l’empereur Gratien 4
la fin du Iv® siécle. Désigne ensuite soit le pape, soit un évéque.
PORTIQUE. Galerie couverte dont le toit est soutenu par des colonnes.
PourPrRE. Couleur rouge foncée obtenue 4 partir d’un coquillage, le murex. Elle était exclusivement
réservée A l’empereur. Sa fabrication était un monopole d’Etat.
PREAMBULE. Début du texte d’un acte, aprés le protocole initial.
PRECAIRE. Le precarium romain est un contrat qui consiste 4 faire une avance quelconque révocable
a tout moment. La precaria de ’époque mérovingienne en est issue : le demandeur adresse au concé-
dant une requéte consignée dans une charte. Celui-ci scelle accord par un autre acte en donnant
la jouissance d’une terre, par exemple, pour un temps renouvelable ou a vie. La précaire était alors
une tenure grevée d’un cens récognitif.
PRECEPTE. Acte gracieux (don, concession) ou administratif 4 l’époque mérovingienne. Puis diplome
solennel donnant force exécutoire 4 un acte gracieux ou administratif, 4 l’époque carolingienne.
PREFET. Haut fonctionnaire « mis a la téte » d’un ensemble de territoires plus important qu’un comté
ordinaire (Baviere, Marche de Bretagne, etc.) a4 l’époque carolingienne.
304
Glossaire
PROTOCOLE. Cadre formel d’un acte, relativement fixe au sein d’une méme chancellerie.
PROVINCE. Subdivision romaine du diocése administratif. Durant le Moyen Age, la province est
conservée comme structure ecclésiastique. Elle est dirigée 4 l’époque mérovingienne par un métro-
politain qui, a l’époque carolingienne, est un archevéque. Elle comprend plusieurs « diocéses »
ecclésiastiques.
PSAUMES. 150 priéres Ou cantiques de l’Ancien Testament composés du xI® siécle au rr siécle
avant J.-C.... Appris par coeur chez les moines, ils servent de point de départ pour la méditation.
QUESTEUR (DU SACRE PALAIS). Sorte de ministre, au Bas-Empire, qui assiste au conseil impérial et s’occupe
de toutes les questions intérieures. A ne pas confondre avec le simple questeur.
Quiz. Longue piéce de bois sur laquelle on fixe les varangues, l’étambot et |’étrave d’un bateau.
Imprime la direction et supprime l’instabilité latérale.
RELIQUES. Restes des corps de martyrs ou de saints vénérés comme meédiateurs de vertu et de miracles.
Le culte des reliques est extreémement développé en Occident médiéval et a Byzance.
RESERVE. Partie du grand domaine réservée a l’exploitation directe par le maitre et ses agents. Comprend
la cour, des quartiers de terres, des prés, des friches et des bois.
Rets. Filets.
RHETORIQUE. Dans l’enseignement supérieur romain, la discipline la plus prestigieuse. Art du confé-
rencier, de l’éloquence parlée ou écrite.
Rica. Labour d’une étendue fixe de la réserve di par chaque tenancier de manse.
SACREMENT. Dans l’Eglise catholique, signe sensible institué par Jésus-Christ pour produire ou
augmenter la grace chez celui qui le regoit.
SACRILEGE. Violation du sacré par un homme. Durant le Haut Moyen Age, le sens s’étend bien au-dela
de la violation du nom de Dieu et des sacrements.
SACRISTIE. Dépendance d’une église ou se trouvent parfois les ornements et les vases sacrés.
SALIQUE. Tiré de : Salien. Nom qui désigne une partie des Francs, par opposition aux Francs rhénans,
Les Francs saliens ont fini par étre ceux qui se sont installés entre la Forét Charbonniére, en Belgique
actuelle, et la Loire.
Sceau. Empreinte laissée par un anneau sigillaire dans la cire. Par extension, l’objet de cire lui-méme
portant cette empreinte. Si l’empreinte a lieu sur du métal, on lappelle « bulle ».
SCRIPTORIUM. Piéce ot se copiaient les manuscrits.
305
ANNEXES
SEIGNEUR. Individu disposant d’une autorité considérable sur des dépendants et des terres : notion
trés floue a Vépoque carolingienne; seigneur = grand personnage.
SEING. Signe manuscrit tenant lieu de signature.
SENATEUR. Membre de l’ordre sénatorial qui groupe toutes les grandes familles aristocratiques. Ge sont
de grands propriétaires dont le pouvoir politique s’accroit aux dépens de l’Etat romain. Ils subsis-
terent longtemps dans les royaumes barbares.
SENECHAL. Mot germanique désignant le plus vieux des valets. Ce domestique est d’abord un esclave,
puis son statut social évolue vers la liberté. Est aussi un des officiers de la cour mérovingienne.
SERGENT (Serviens). Subalterne aidant le maire, le doyen ou l’intendant dans un domaine; d’une
maniére générale, « celui qui sert ».
SynopE. Assemblée ecclésiastique réunie dans le cadre d’un diocése, d’une province ou d’un Etat.
TELONAIRE. Fonctionnaire percevant le tonlieu (= tonloyer).
TIERCE. Deuxieme office monastique qui se chante ou se récite 4 la troisiéme heure du jour, c’est-a-dire
aux alentours de 8 heures.
TocE. Au Bas-Empire, vétement d’apparat officiel de tous les fonctionnaires aux cérémonies publiques.
To.eTs. Chevilles de bois enfoncées dans le plat bord d’un bateau pour accrocher les rames.
TONLIEU. Impot indirect payé, soit comme taxe de transport, soit comme douane.
TRANSEPT. En architecture, partie d’une église perpendiculaire 4 la nef formant, soit les bras de
la croix, soit la barre d’un T, selon le plan.
TRANSLATION. Les transports de reliques apparaissent au ve siécle en Occident. Ils permettaient
de fonder un sanctuaire qui attirerait les pélerins.
TREMESSIS. Voir Triens.
TRIBUNE. Galeries surélevées dans les églises (souvent au-dessus des bas-cétés).
TRIENS (ou TREMESSIS). Piéce d’or valant un tiers de sou.
TRINITE. Doctrine de l’Eglise d’aprés laquelle il y a en Dieu trois personnes en une seule nature.
Les principales hérésies orientales, dont Varianisme, portent sur la Trinité.
TRUSTE. Mot germanique signifiant : fidélité. Par extension, compagnonnage et groupe de guerriers
domestiques.
306
Glossaire
VASSAL. Latin : vassalus, diminutif de vassus. Homme libre entré en recommandation et doté souvent
d’un bénéfice.
Vassus. Mot d’origine celtique : gwas. Désigne un jeune homme dépendant, un esclave, puis l’>homme
libre, Phomme d’armes qui s’est recommandé.
VEPRES. Office monastique qui se chante ou se récite 4 16 heures en hiver, en été avant le second repas,
c’est-a-dire avant 19 heures.
VILLA. Désigne a l’époque romaine les batiments d’exploitation et d’habitation d’un domaine, c’est-a-
dire le chef-lieu de Vexploitation. Puis désigna l?ensemble du grand domaine.
VULGATE. Traduction de la Bible a partir de ’hébreu et du grec, faite en latin par saint Jéréme.
WALLON. Pour le Franc, celui qui parle une langue dérivée du latin.
WERGELD. Mot germanique signifiant le prix du sang. Somme payée pour apaiser la vengeance familiale.
309
ANNEXES
310
Table chronologique des documents
.
oe FN
49-712, Aix 106-111-112
Erfurt 50 <
Leptines S
e sFranctartaad a
Tréves efFosses Carolines113 a 121
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Worms3
e Dijon Sy “Strasbourg 145
33-34-35 °Saint-
Tours eas Sat ba A V2A R S 88-123
8-26-53 Lyon 151 ;
Auxerre Pavie 10-44
Orense 57
155 ©
1-12 \
@
A, oe an oD | Constantinople
§.Pedro-
78 a | -Mars eill
de-la-Nave
58 a 61
Fostate
Tuletianos ?¢ 39
28
792 Charlemagne raconte a la reine Fastrade la prise d’un camp avar (88).
311
ANNEXES
812 Lettre de Léon III 4 Charles, lui signalant un raid sarrasin sur
les iles et cdtes de l’Italie byzantine (152).
312
Table chronologique des documents
TN TRO DU CTEON et seedscameiae: ois iavecty tons eee Pelaoa aord oe roti. ns eksra amie hg ee
Le choix des textes, 7. — La sélection, 8. — La présentation, 10. —
L’établissement du commentaire, 10. — Lecture du texte, 11. — Intro-
duction, 11. — Analyse, 12. — Le contexte historique, 12. — Le commen-
taire proprement dit, 13. — Conclusion, 15.
DOSSIER SUR
les Anglo-Saxons en Grande-Bretagne
Document 5 — L/’invasion de la Grande-Bretagne par les Anglo-Saxons,
Vilespanebedeslem Venerable nner nmrrimntnteet Uoapedeeiew 30
Traduction, 30.
Documentsou— Bateauly desNy dameaw settee itemise ceicierrnets) aie 31
Document 7 — Une traversée dans les mers nordiques d’aprés le
IDOL Se ok nos Oo CeO Lt GD ce econ etn occ Ceara
Traduction, 33.
GomanmenCanerrertencsstc sir usinae sete cbone crinrogeer bene,auarct ono ouensacte arene miametemererrT oes
TABLE DES MATIERES
DOSSIER SUR
la conversion et le baptéme de Clovis
Document se—— Recity des Grégoire des MOUrS my rancre racine ener 39
Traduction, 40.
Document 9 — Lettre de saint Avit, évéque de Vienne, a Clovis 41
Traduction, 42.
Document 10 — Lettre de Nicetius, évéque de Tréves, 4 Clodoswinde,
reine des MZombardsinc oi. caanceeceoemarecoie
ores loeemeracciet ice 43
Traduction, 43.
DOSSIER SUR
le régime de Vhospitalité
Dochnents 20—seoOladeArcadiismeta ELON OLIN Sarria iene einen 47
Traduction, 48.
Documents 3 ale Old eSmNVASIS OUMSeaee werner aerecmerermen
cnet oii tete 48
Traduction, 49.
Document 42s olmdess burcon descr telerik
eaten ee een 49
Traduction, 50.
Documentwloy——-s lettre des Casslodore mae eccrine
tteiete 50
Traduction, 51.
Document 16 — Le dernier empereur romain et le partage des terres 51
Traduction, 52.
Commentalre sc. ticks eset Pee ee chee eee arenes aor aateee teeta ee 52
DOssIER SUR
les origines de la vassalité
Document 21 — Les bucellaires au Bas-Empire 66
Traduction, 66.
Document 22 — Les vassi : loi Salique 67
Traduction, 67.
Document 23 — Les vassi : loi des Alamans WER 87.016) 8G) OSES be ihe eee Wie Git 67
Traduction, 67.
316
Table des matiéres
DOSSIER SUR
le domaine mérovingien de Tresson
Document. 29 5——_-DonationvdesDommnuluseye rr ecerick tert site eter The
Traduction, 74.
Document 30 A — Le domaine de Tresson : Reconstitution d’aprés la
carte d’Etat-Major au 100.000¢................. 76
Document 30)B8 — Carte de Cassini ; Tresson.................4+.- 76
DOSSIER SUR
VYexploitation des grands domaines ecclésiastiques
a l’époque mérovingienne
Wocunient. 31a seoledesy BAvALolSeem ats acre nee iaieireneeieienenenens 78
Traduction, 78.
Docunitentes2e——w le Ole desma aiiiatl Smee tnenc ne erencie nee hones ae ee ne 79
Traduction, 79.
(QPoR aL OD STOYGoWh ele eee rence euek See pe RE Bene Ren RIES UBM rch Ure Rosen eGR Rr esi eats 80
DOSSIER SUR
la vie urbaine a ]’époque mérovingienne
DOSSIER SUR
le commerce et les routes commerciales .
a ’époque mérovingienne
317
TABLE DES MATIERES
DOSSIER SUR
les techniques du fer
Documents407——s Les <épeessbarbares eas a senior
ene tener terels 94
Traduction, 94.
Document 41 — La légende de Wieland le forgeron................ 94
Traduction, 95.
Document .42,-— Epéesivanques: -5-) ccc dass cnn a see eee 96
COMIMEONE AILS ie eres ere ne ae eee ae ormialiede a canara ee efecat net ayenrars oi
DOSSIER SUR
la persécution arienne en Afrique
Document 43 — La persécution vandale vue par Victor de Vita 100
Traduction, 101.
Document 44 — Inscription des martyrs d’Uppenna 101
Traduction, 102.
Document 45 — Mosaique d’Uppenna ei =) 0) 16)(e: 6 (5:fe 01<0) 9) 0)18) 6 6:19) ‘v1 6 0 0 6 16 & 6 e016 102
DOSSIER SUR
la culture intellectuelle
Document 51 — Déclin de la langue latine a la fin du vé siécle.... 115
Traduction, 115.
318
Table des matiéres
DOSSIER SUR
Varchitecture religieuse
Document Op—— sl laned Cun O UAT Ce mesma neretsd terre peemare tenon ten nena eens 123
DOSSIER SUR
Varchitecture dite « wisigothique »
DOSSIER SUR
les bijoux d’Arnégonde
DOSSIER SUR Z
V’introduction de la vassalité dans l’Etat
LES SOURCES DE L’EPOQUE CAROLINGIENNE eye: 0)'#)-e) @ (© forte) (@ sp. 0:0) 6) 6 0) 6) 0)-6?6! e161 oe 'lm, ele ie, €) 9) site 149
1 LEes EVENEMENTS @!{iljell sa.ierie! ‘o's. Fa)-w! iol eels; [oh/p-re! ais) wlio! (s,s) ala! 4 “elie! je\he fe. /me\l ei #116) 51. 4y(6, sie, pel ates move 156
DOSSIER SUR
lexpédition d’Espagne, 778
Document 78 — Annales de Metz jusqu’en 805 ef al WTO es (erie w\e ie)tee! 0) 6) euele) Se 156
Traduction, 157.
Document 79 — Annales royales jusqu’en 829 ORCOM a Chic Ce Pate ie etier et Cue ley ry 157
Traduction, 158.
Document 80 — Vita Karoli d’Eginhard aR) Serve: Set oe ‘engi 6 6 ers ‘6 '6 1@) 0 wl 6 (Oe) we ele 2 6 158
Traduction, 159.
320
Table des matiéres
Document 85 — Ibnal Atir Kamil 2)(81,6, 6718 8) 161.6! 6)tele e) ujhe\ ie. (66) (0) 9)16118) (6) (6). tel eile) 's)(9:(6146 161
Document 86 — Kamil Shea e we) ie) 68 N00 @ 1b)(6)fe fa Voian sie) 1) © .0! (6 6.6! 58) a, ©1610) 6) @ Sea se) 162
DOSSIER SUR
le couronnement impérial de Charlemagne (25 décembre 800)
DOSSIER SUR
le prestige du souverain carolingien (741-824)
321
TABLE DES MATIERES
AS AVARVIESRELIGIE USE st acn nel fee eee eke el carrots een ia a ear re eee 186
Document 105 — Lettre de Charlemagne au pape Léon III (796) sur
VeS*GeUxsCLAUS tenet rite ees Men enstenc tia) gitatste nen eaeaNers 186
Traduction, 187.
Document 106 — La vie monastique apres le synode d’Aix (817)..... 187
Traduction, 188.
DOSSIER SUR
le monasteére de Saint-Gall
Document 107 — Plan du monastere, vers 820 eCuCuOuCm vin Carini) O Oech dece rh oO 192
Document 108 — Maquette du monasteére, établie en 1965 194
Suggestions pour un commentaire, 190-194.
2. LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE Ce irtet et: O Ceo tie recy OU Cucntiet at rh CUacetiary orc) cl 200
Document 110 — Lettre d’Alcuin 4 Charlemagne (avril 799) 200
Traduction, 201.
DOSSIER SUR
le palais d’Aix-la-Chapelle
Document 111 — Plan du Palais (état des fouilles en 1965) @ Wy erst Brie; ehie. te)ce 202
Document 112 — Maquette du Palais ea ofCeliny on wi eute: feCeoe e) Sau) qe 6)1s) a (ewx6)@ (Glo: (sw eels 203
Commentaire 0.(el{0260.0016 i0\ @ 16:19) 6 Im) eee: 01 85/8) ‘n) w)le/e\te) wile ’eu-e) (hi-b) 8)(Olas {ets rele, nl Sea itaner Ele te) ean aire) -o 203
322
Table des matiéres
DOSSIER SUR
les « Fosses carolines » entre Rhin et Danube (793)
Document 113 — Annales dites d’Eginhard, an 793................. 208
Traduction, 208.
Document.114.—— Annales royales (anl 793)x4..6.458-5.00-8
ees oe 209
Traduction, 209.
Documenteol1 = Annales edenLorscht. oem scccuen At oars oh s ~ sete ee ne 209
Traduction, 209.
Document 116 — Annales Guelferbytant.. sas dss vee eo ne sae sees 210
Traduction, 210.
Document--117 ——— WesPoctenSaxolawemace one oe Sips ad ch te ee acter 210
Traduction, 210.
Document 118 — Terminaison sud des Fosses carolines pres du village
Gla Cresleyein (Ciawe ACW) oo cccaacccaeeeoucyooon0cde 211
Document 119 — Terminaison nord des Fosses carolines pres du village
demD et venheinm(étatactuel) Mwy mriet: piercer 211
Document 120 — Situation géographique des « Fosses carolines »..... 212
Document 121 — Renseignements techniques...................05- 212
CCOIMMMVEM TAIL rem nn ene ete Pores eT oramEeSears eee eee terylee eels ss 213
DOSSIER SUR
les enluminures extraites du Psautier d’ Utrecht
et des Notices astronomiques de Vienne
Document 122 — Calendrier des travaux agricoles.................. 217
Document: 125 =e RaysansStr ac aces castome rec icas aeeaiel: eter eoncuren ears rete 218
Documents 245 ——wGwerriers: cmepnaeene cress listo lensre sie reste etek 219
Susseshions pour ny commentaires es eee eee eee eer LO- 220)
il. LENCE RABUN ONION, Ano oso aod ood ooo bo euseneg os Comumn sD oo 221
323
TABLE DES MATIERES
DOSSIER SUR
la vassalité carolingienne
Document 135 — Lettre n° 25 d’Eginhard (833, aprés le 30 juin) e ‘s\ e160, 6 254
Traduction, 255.
Document 136 — Lettre n° 27 d’Eginhard (833) ©) e) | eiie: (es) 100 61.6] (e'191 8)ce: 8's) she ele 255
Traduction, 256.
Document 137 — Lettre n° 30 d’Eginhard, a un évéque (833) @ice\-s: fe) (elte (0.6 256
Traduction, 256.
Document 138 — Lettre n° 62 d’Eginhard, 4 un fidéle (840) eed eke} Le (se, -s) 61 © 257
Traduction, 257.
Document 139 — Lettre n° 63 d’Eginhard, 4 un évéque (840) os 0 1 ee #6 257
Traduction, 257.
Document 140 — Le Capitulaire de Quierzy (14 juin 877) Yer Carts) Crcece teint 258
Traduction, 259.
Commentaire, 260.
DOSSIER SUR
les premiéres divisions de l’Empire carolingien (806 et 817)
324
Table des matiéres
DOSSIER SUR
les fils de Louis le Pieux
DOSSIER SUR
le comte Boson qui se proclame roi en Provence (878)
DOSSIER SUR
les Sarrasins en Italie et en Espagne (812-877)
DOSSIER SUR
les invasions normandes
DOSSIER SUR
la période 884-924 d’aprés le trésor de Rennes
ANNEXES
CMO CeO st Seed tet) Onc) CO Om IsOet Gc dG Caritir mC Oboe Dacwc City Out itis cnciec) ciciereo) Ci 293
eile eilevie? e) vlei(e.‘e)i¢,e .e\"e)\e -sijale.\e) 6 (6 je! ete 0)16.6) eule: 6) 6 (0) .@ 309
Achevé d’imprimer
sur les presses
des Imprimeries Oberthur
a Rennes en Janvier 1969
Dépét légal 1°" trimestre 1969 : 8694
No d’ordre A. Colin 4625
DATE DUE
201-6503 Printed
13165
D117
L3 Ia Ronciére, Charles G
(amah
L'Burope au «| Likiper,