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HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

i
ÉCOLE P R A T I Q U E DES HAUTES ÉTUDES -SORBONNE
VIeSECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
C E N T R E DE R E C H E R C H E S H I S T O R I Q U E S

Civilisations et Sociétés 10

M O U T O N & CO
P A R I S - LA H A Y E
MCMLXVIII
Communications et débats
du Colloque de Royaumont présentés par
Jacques LE GOFF

Hérésies
et sociétés
dans l'Europe
pré-industrielle
lle-18e siècles

M O U T O N & CO
P A R I S - LA H A Y E
MCMLXVIII
COLLOQUE DE ROYAUMONT, 27-30 MAI 1962

avec la collaboration de

A. ABEL, D. ANGELOV, Dom J. BECQUET, A. BORST,


M. D. CHENU, E. DELARUELLE, G. DUBY, A. DUPRONT,
M. FOUCAULT, P. FRANCASTEL, A. GIEYSZTOR, L. GOLDMANN,
H. GRUNDMANN, A. I. KLIBANOV, L. KOLAKOWSKI, G. LEFF,
0. LUTAUD, J. MACEK, R. MANDROU, R. MANSELLI,
T. MANTEUFFEL, H.-I. MARROU, R. MORGHEN, I. S. REVAH,
G. SCHOLEM, G. SZÉKELY, A. TENENTI,
M»e C. THOUZELLIER, C. VASOLI, C. VIOLANTE, Ph. WOLFF

et la participation de

M me M. ASTON, B. BLUMENKRANZ, M me FRANCASTEL,


A. FRUGONI, B. GEREMEK, F. GRAUS, [S. LANCEL, G. LE BRAS,
M. LOMBARD, D. OBOLENSKY, J. ORCIBAL, M" 8 PATZELT,
E. POULAT, H. Ch. PUECH, J. SÉGUY, S. STELLING-MICHAUD
M. TAUBES

© 1968, Mouton & Co and École Pratique de» Hautes Études


Printed in France
N O T E LIMINAIRE

Cinq ans se sont écoulés depuis le colloque dont les communications


et le résumé des discussions sont enfin publiés ici. Je demande pardon
pour ce retard aux participants du colloque et aux lecteurs de ce livre. Bien
que l'étude des hérésies continue à susciter un vif intérêt et que de nom-
breux travaux — dont plusieurs importants — aient paru dans ce domaine
depuis 1962, l'opportunité de cette publication me parait indiscutable. Le
colloque de Royaumont n'a pas été en effet une série de rapports isolés,
une collection de textes indépendants. Il a été une réflexion commune
sur la signification des hérésies dans l'Europe pré-industrielle, entre le 11e
et le 18° siècle. Il s'est efforcé, à partir de cas précis, de formuler une
problématique de l'hérésiologie dans ce contexte de civilisation. Il s'est
placé dans une perspective franchement sociologique, mais a su garder
à son objet un contenu proprement historique, tout en réalisant la confron-
tation de spécialistes aux compétences diverses quant à la discipline
scientifique, à l'aire culturelle ou au domaine chronologique.
Le programme qui avait été proposé aux participants a joué son rôle
de base de départ sans imposer un cadre contraignant. Le colloque s'est
souvent éloigné de la lettre du programme pour en mieux conserver
l'esprit. Les conclusions n'étaient heureusement pas contenues dans les
prémisses. Et si le problème de la prise de conscience de l'Europe à travers
les hérésies a été rarement abordé directement, cette discrétion n'en
permettra que mieux au lecteur d'ajouter à ce propos sa propre réflexion
à celle des membres du colloque.
Si un certain déséquilibre chronologique, au profit du Moyen Age et
au détriment de l'époque moderne se révèle, il ne tient pas seulement
à la composition de la participation au colloque. Il a ses racines dans la
mutation des hérésies à la Renaissance et dans un certain effacement
du fait proprement hérétique en Europe à l'époque moderne. L'hérésie
suit les destinées de la chrétienté, du catholicisme. Mais qu'elle n'a pas
été le simple corollaire, le simple négatif de l'orthodoxie, ces pages le
montreront. Cetts difficulté à cerner l'hérésie à partir du 16e siècle
explique en grande partie que la bibliographie que le professeur Herbert
Grondmann a bien voulu établir pour compléter les actes du colloque
est limitée à l'époque médiévale. Fidèle au calendrier prévu, Herbert
HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Grundmann avait accompli ce travail dès la fin de 1963. Il n'a pu ensuite


y apporter que quelques additions. La faute en revient à moi-même.
Mais telle quelle cette bibliographie rendra de précieux services.
Malgré le nombre et la qualité des participants, toutes les collaborations,
toutes les présences souhaitées n'ont pu être effectives. Certains, qui n'ont
pu venir à Royaumont, nous ont envoyé le texte de leur communication.
En l'absence de l'auteur, le colloque n'a pas cru pouvoir instaurer une
discussion à leur sujet. On trouvera donc ici le texte seul de ces
communications.
Nous avons voulu publier l'essentiel des discussions, qui, dans un tel
colloque, sont aussi importantes que les rapports. Il nous a fallu résumer
et condenser des débats dont au surplus l'enregistrement sur bandes
magnétiques n'a pas toujours été aisé à déchiffrer. Nous espérons avoir
été fidèles à l'esprit de toutes les interventions. Nous prions le lecteur
de nous pardonner d'avoir dû éliminer la saveur concrète de ces discus-
sions, le primesaut de l'expression, la pulpe des paroles, le remplissage
des formules de politesse, précieuses dans un débat, fastidieuses dans
un livre. Mais le lecteur peut savoir que les hérésiologues de Royaumont,
s'ils ont été souvent aussi passionnés que leurs héros, ont été plus courtois
dans leurs polémiques.
Que tous ceux qui ont voulu et permis ce colloque et cette publication
trouvent ici l'expression de ma reconnaissance. En premier lieu M. Fernand
Braudel, président de la VI e Section de l'Ecole Pratique des Hautes
Etudes, toujours prêt à favoriser la confrontation et la recherche dans
le domaine de l'histoire et des sciences humaines. Les responsables ensuite
des services scientifiques et administratifs de la VI e Section qui ont permis
la réalisation de cette entreprise, mes collègues et amis Clemens Heller,
Emmanuel Le Roy-Ladurie, Ruggiero Romano, Louis Velay, et M me Marie-
Louise Dufour-Heller. Dans la délicate mise au point du manuscrit, j'ai
été aidé de façon précieuse par MM. Henri Bresc et Alain Drouart, agrégés
d'histoire, anciens élèves de l'Ecole Normale Supérieure, et par M. Philippe
Braunstein, agrégé d'histoire, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure
et de l'Ecole Française de Rome, maître-assistant à la VI e Section de
l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Enfin, M lle Françoise Piponnier,
chef de travaux à la VI e Section a été la secrétaire incomparable du
colloque.
Hérétiques et hérésiologues ont reçu dans le cadre cistercien de Royau-
mont une hospitalité inspirée et parfaite. Que le directeur du Centre
culturel, M. Alain Crespelle, et ses collaborateurs trouvent ici l'expression
de notre reconnaissance.
Jacques L E G O F F
J. LE GOFF

INTRODUCTION ET PROGRAMME

Le colloque « Hérésies et Sociétés » n'a pas pour but de susciter une


collection d'études isolées sur les mouvements hérétiques que l'Europe
a connus entre le 11e et le 18e siècle.
Il doit être une réflexion collective sur le phénomène hérétique, illustrée
par des exemples présentés par les personnalités participantes sur un
sujet relevant plus particulièrement de leur compétence.
Il doit s'efforcer d'abord de répondre à la question « Qu'est-ce qu'un
hérétique ? » mais d'entrée de jeu il doit partir de la constatation qu'il
n'y a pas d'hérétique isolé. Protestataire, l'hérétique est pourtant toujours
pris dans un groupe. Nous chercherons donc à déterminer d'abord l'impor-
tance des niveaux, des paliers où nous saisissons l'hérétique.
1° L'hérétique relève-t-il d'une certaine psychologie, voire d'une cer-
taine pathologie mentale : l'hérétique est-il un anormal, un névrosé ?
2° Quels rapports l'hérétique entretient-il avec la mentalité collective ?
Est-il un isolé, échappant à cette mentalité, la refusant, ou au contraire
en est-il l'interprète plus exigeant, sans compromission, un extrémiste
du tout ou rien, l'incarnation à l'état pur de la mentalité collective plus
ou moins dégradée dans la masse orthodoxe ?
3° Comment ce révolté se comporte-t-il par rapport aux diverses
formes d'organisation sociale dont il fait partie : sa classe sociale d'origine
et les collectivités dans lesquelles il est amené à s'intégrer en tant qu'héré-
tique ? L'hérétique est-il un produit de classe ? L'hérésie ne s'exprime-
t-elle vraiment que dans une secte ? Quelle est l'originalité du groupe
hérétique en tant que groupe social ? Que représente une Eglise hérétique ?
Mais l'objet du colloque est surtout d'étudier le rôle de l'hérétique,
sa fonction dans la société — l'hérétique en action dans le processus
historique. Pour cela un cadre géographique et chronologique a été
retenu.
L'aire spatiale, c'est l'Europe — et plus précisément l'Europe chré-
tienne, champ d'hérésies opposées à un même système religieux : le
christianisme. L'espace temporel c'est la période qui s'étend de l'an mil,
début de l'explosion des hérésies de masse en Occident, à la fin du 18e siècle
4 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

où, le christianisme cessant d'être prédominant, l'hérésie perd son carac-


tère de contestation de l'idéologie dominante.
Mais le colloque attend beaucoup de l'apport des spécialistes d'autres
époques et d'autres aires religieuses : le christianisme primitif, le judaïsme,
l'Islam, le christianisme orthodoxe issu de Byzance doivent offrir non
seulement le poids historique des influences de leurs hérésies sur celles
de l'Occident, mais l'occasion de comparaisons fructueuses.
L a question fondamentale du colloque est donc : l'hérétique étant par
excellence le critique des valeurs spirituelles d'une société, quelle part
les hérésies européennes de l'ère pré-industrielle ont-elles eu dans la prise
de conscience de cette Europe ?
Toutes les communications, toutes les interventions devront, à travers
des faits précis, présenter des cas ayant valeur exemplaire, s'ordonner
à l'enquête principale.
Cette enquête sera menée sur divers fronts.
Il faudra d'abord cerner la nouveauté hérétique. Il y a dans la mentalité
et le comportement de l'hérétique comme dans ceux de l'orthodoxe des
héritages, des habitudes, des survivances. Que représentent-ils ? L'hérésie
est-elle rupture ou une autre tradition ?
Salutaire ou pernicieuse, l'hérésie est contagieuse. Comment s'opère cette
diffusion : rôle des individus (problème du chef hérétique, du rôle des
femmes dans les hérésies), des groupes (hérésies et métiers, hérésies et
classes sociales, hérésies et milieux ecclésiastiques) ? Les instruments de
cette diffusion sont-ils les mêmes que ceux de tout autre mouvement
spirituel ou idéologique ? Les routes de l'hérésie sont-elles les routes
normales ?
L'hérésie portant avec elle une mentalité, quels rapports l'hérésie
entretient-elle avec les grands types de culture liés au milieu, et d'abord
y a-t-il des hérésies rurales et des hérésies urbaines et quelles relations
existent entre les deux types ?
Plus encore l'hérésie, comme l'orthodoxie, réclame-t-elle un dogme,
une théologie, un savoir, est-elle l'affaire des simples ou des savants ?
Y a-t-il des hérésies populaires et des hérésies savantes ? Jouent-elles le
même rôle dans le processus de prise de conscience ? Comment s'agencent à
l'intérieur de telle hérésie l'élaboration savante et les croyances populaires ?
Pour connaître l'hérésie ne faut-il pas aussi la chercher là où elle ne se
présente pas à visage découvert ?
N'y a-t-il pas eu des ébauches d'hérésies rentrées dans les rangs de l'or-
thodoxie — des hérésies apprivoisées ? Comment et pourquoi résiste-t-on
à la tentation hérétique ? Y a-t-il hérésie et orthodoxie, oui et non, blanc
et noir ou n'y a-t-il pas des marges mouvantes, des frontières indécises et
que s'y passe-t-il ? Comment se présente l'hérésie non coagulée ?
Que deviennent les hérésies manquées ? Pourquoi et comment finis-
sent-elles en évasions, en camouflages ? Dans la philosophie, dans la litté-
INTRODUCTION ET PROGRAMME 5

rature, dans l'art les hérétiques sont souvent présents, mais masqués.
Quelques spécialistes, espérons-le, arracheront ou du moins soulèveront
quelques masques devant le colloque. L'hérétique manqué finit souvent
en mystique : comment se présente et s'explique cette mue ?
Puisse le colloque enrichir encore ces interrogations de quelques autres
— et surtout donner un contenu concret à ce questionnaire trop théorique.
PROGRAMME

I. — NIVEAUX ET PALIERS D'HÉRÉSIES : niveaux de la psychologie


(et de la psychophysiologie individuelle), du mental collectif,
de l'organisation sociale (secte, église, groupe, classe).

II. — LA TRADITION DANS LES HÉRÉSIES : le legs du passé, habitudes


et survivances.

III. — LES PORTEURS DU GERME HÉRÉTIQUE : individus, groupes pro-


fessionnels, sociaux, religieux; instruments : tradition orale,
livres, objets.

IV. — H É R É S I E S RURALES ET HÉRÉSIES URBAINES.

V. — H É R É S I E S POPULAIRES ET HÉRÉSIES SAVANTES.

VI. — LES HÉRÉSIES APPRIVOISÉES : marges, contacts et interpéné-


trations de l'hérésie et de l'orthodoxie.

VII. — LES HÉRÉSIES MANQUÉES : l'évasion et le masque hérétique


dans la philosophie, dans la littérature, dans l'art ; le problème
du mysticisme.
VIII. — FONCTION DE L'HÉRÉSIE DANS LA SOCIÉTÉ : étude comparative
et génétique.
M.D. CHENU

ORTHODOXIE ET HÉRÉSIE

LE POINT DE VUE DU THÉOLOGIEN*

Ce n'est pas sans quelque confusion que j'inaugure les séances de notre
colloque, non certes par timidité devant votre confiance, mais parce
qu'il m'aurait été agréable — et il eût été plus efficace pour une réflexion
théologique — de bénéficier de vos contributions, plutôt que de les intro-
duire, et de procéder alors à une introduction à partir de vos enquêtes.
II reste cependant que, accueillant avec plaisir votre invitation à ouvrir
la voie (à la lettre), je puis, non certes déterminer des règles d'analyse
sociologique, ni des critères de vérité, mais, comme historien de la théo-
logie, proposer, dans la diversité et la mobilité des usages que vous allez
observer, les points de repère que l'analyse sociologico-religieuse fournit
pour l'élaboration des deux catégories contrastées de la croyance : l'or-
thodoxie et l'hérésie. Je pressens assez d'ailleurs ce que les uns et les autres
vous allez dire, pour m'établir au niveau sociologique et phénoménolo-
gique auquel vous travaillez, dans l'établissement délicat des typologies.
L'étymologie même du mot aîpcaiç nous fournit une définition nomi-
nale, en laquelle sont enregistrés les faits primitifs, etesténoncé déjà le trait
spécifique du très complexe phénomène mental qu'on appelle hérésie.
Certains ne traitent pas sans quelque mépris la définition nominale ; mais,
avec Aristote, maître en l'art de définir, je la crois apte à fournir, en vue de
critères ultérieurs, une base valable de départ. C'est à son niveau modeste
que je me tiendrai, à l'entrée d'analyses plus aiguës, dans l'espoir difficile
d'une définition « réelle», où continuera à jouer, d'ailleurs, jusqu'en sa
vitalité ambiguë, la sève de cette étymologie.
Hérésie-atpratç, c'est choix. L'esprit, devant un donné qui se présente
comme intrinsèquement homogène, décide de disjoindre cette unité
objective pour éliminer, selon son jugement propre, tel ou tel des éléments
en cause. Dès que les théologiens occidentaux réfléchirent, au x n e et au
XIII 8 siècle, sur ce qu'était selon eux la foi, dans les conditions et les va-
leurs de son assentiment, ils recoururent lucidement à ce sens étymologique,
et en firent le pivot des divers éléments psychologiques et sociologiques
observables dans le phénomène de l'hérésie. Opération pénétrante, en

• Paru dans Annales, XVIII, n» 1, Janvier-février 1963, p. 75-80.


10 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

ce premier âge critique, par laquelle ils s'attachent à cerner le caractère


propre de l'hérésie, alors que, dans le langage en cours, hérité des écrivains
de l'Antiquité chrétienne, officialisé dans les tribunaux ecclésiastiques,
les équivalences continuent à jouer empiriquement sur des réalités fort
disparates : schisme, apostasie, simonie, secte, judaïsme, sorcellerie, etc.
C'est de ce discernement des théologiens, soumis du reste aux mobilités
des temps, des lieux, des milieux, que nous pouvons faire bon profit,
quitte à ménager en marge (nous pourrons parler de para-hérésies) le
vocabulaire des juristes et des juges, plus attachés, dans les pratiques
inquisitoriales, aux règles coutumières et aux blocages d'un vocabulaire
routinier qu'aux discernements ou aux abstractions intellectuelles
Plutôt que d'accumuler des références techniques aux maîtres de ce
temps 1 , je citerai l'épisode significatif que rapporte l'historien Matthieu
Paris, racontant les vives discussions que Robert Grosseteste, pendant les
conflits politico-religieux, mena contre l'un des docteurs du parti adverse.
Grosseteste est un témoin qualifié, non seulement comme chancelier de
l'université d'Oxford, mais comme l'un des meilleurs connaisseurs de la
langue grecque, lecteur assidu et traducteur des textes anciens. Un jour
donc, avec sa violence coutumière, il déclara à son partenaire, le domini-
cain Jean de Saint-Gilles : « Je vous tiens pour des hérétiques manifestes 1 »
Et il ajouta (je cite Matthieu Paris) : « Qu'est-ce que l'hérésie ? Donne la
définition ! Et, comme l'autre bafouillait, ne se souvenant plus du concept
reçu et de la définition, Grosseteste reprit, selon l'interprétation exacte
d u t e r m e g r e c : Hxrresis est sententia humano sensu electa — scripturx
sacrae contraria — palam edocta — pertinaciter defensa. Hseresis grœce,
electio latine. E t il poursuivit son réquisitoire » a .
A s'en tenir à cette étymologie, la notion d'hérésie peut être étendue
au-delà des confessions religieuses proprement dites, jusqu'aux idéologies
qui, tout en étant profanes dans leur objet et leur visée, comportent
un engagement total de l'être humain, le don à une cause, avec l'espèce
d'absolutisme qu'implique un destin suprême. Tel l'assentiment pro-
fond et passionné à une conception politique du monde ; et cela à l'inté-
rieur d'une collectivité strictement unifiée, où l'individu, sous peine de
rupture, trouve les moyens et les fins de son engagement. Adhésion
totalitaire, à la limite d'une sacralisation, vis-à-vis de laquelle une dis-
jonction, une déviation, un « choix », peut être dit, au sens large, mais
étymologiquement homogène, une « hérésie, face à « l'orthodoxie ».
Au contraire, en philosophie pure, on ne peut parler, sinon au sens
impropre, d'une « hérésie », cartésienne, hégélienne.

Hérésie, orthodoxie s'emploieront donc au sens propre dans le domaine


de la religion, plus précisément par rapport à une foi. C'est-à-dire que
ces catégories ont cours et plein sens dans l'assentiment à un donné
— qui comporte la communion avec la divinité — donné qui, de soi,
ORTHODOXIE ET HÉRÉSIE 11

est suprarationnel, mystérieux. Est orthodoxe celui qui donne son consen-
tement à l'ensemble des vérités reçues, selon une franchise totalement
loyale et confiante dans le dialogue avec Dieu. Est hérétique celui qui,
pour des motifs et selon une contestation que nous allons avoir à exa-
miner psychologiquement et sociologiquement, disjoint, par son « choix »,
tel ou tel élément de ce contenu du mystère. Hérésie, c'est donc vérité,
mais vérité partielle, qui, comme telle, devient erreur, en tant qu'elle
se prend pour une vérité totale, bientôt exclusive des vérités primiti-
vement connexes.
Hérésie, orthodoxie relèvent donc, en creux et en plein, des structures
et du dynanisme de la foi. Or la foi, du moins dans son statut normal
et explicite, comporte deux éléments étroitement cohérents, malgré
une tension assez délicate à équilibrer, pratiquement et théoriquement :
une adhésion intérieure de l'esprit à la divinité avec laquelle on se trouve
en communication de son mystère, et cela, secondement, dans une commu-
nauté dont le lien intime est précisément constitué par cette adhésion
de chacun des participants. Donc la foi, strictement personnelle, ne trouve
cependant son assiette, disons déjà, sa régulation, que par et dans une
communauté de croyants. Cas éminent de la dialectique de la personne et
de la communauté.
Certes les variantes seront très notables selon les diverses religions,
depuis celle qui « règle » sa foi par un « magistère » institutionnalisé
(catholicisme) jusqu'à celle qui, sans avoir un organe dogmatique de
la foi, commande les croyances des individus par un consensus de la
communauté (cas de l'Islam).
Quoi qu'il en soit, le conditionnement sociologique n'est pas un accident
secondaire, et plus ou moins extérieur, de la croyance, mais une exigence
interne et structurale de la foi. L'hérésie, qui est une rupture (par « choix »)
dans l'assentiment, implique donc, sociologiquement, une rupture avec
la communauté, qui, sous une forme ou sous une autre, est le lieu de
l'orthodoxie. Nous n'aurons donc pas à l'analyser comme un phénomène
secondaire surajouté à un fait psychologique personnel, mais comme
constitutif de l'acte personnel lui-même. Et voilà qui donne à notre
colloque non seulement l'intérêt d'une curiosité érudite, mais un objet
digne d'une recherche propre pour le sociologue.
L'hérétique, c'est-à-dire le croyant qui « choisit », commet donc :
1° une impertinence vis-à-vis du Dieu dont il prétend écouter la Parole,
et 2° un écart, bientôt une rupture, vis-à-vis de la communauté dont le
consensus est, sinon une règle juridique, du moins la surface portante
de la communication des mystères divins. Le croyant n'a pas le « droit
à l'hérésie ».
Toutes les expériences que vous allez observer, là même où vous noterez
une connexion de fait avec la société religieuse (para-hérésie), tous les
problèmes que vous allez poser, à commencer par le problème socio-
12 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

logique, ont là leur nœud. Le théologien est d'avance en éveil et en appétit


devant vos analyses.

Sans élaborer davantage cette position des problèmes, trois observations


importantes.
Premièrement, l'acte de l'hérétique se produit à l'intérieur de sa foi,
et non par une élimination de la foi, en quoi il deviendrait non plus
hérétique mais infidèle, « apostat » (ceci dit avec toutes les nuances à
prévoir, comme nous aurons à le constater dans l'usage du mot « libertin »).
L'hérétique est un croyant fervent, voire passionné, intellectuellement
avant de l'être sociologiquement. La foi a déclanché dans son esprit — et,
au-delà de son intellect même, dans son comportement mental — une
curiosité avide de pénétrer le mystère, d'en avoir, en l'obscurité de sa
transcendance, une intelligence, intellectus fidei. L'intimité de cette
sainte exigence est la grandeur émouvante de l'hérétique, fût-il parfois
affecté d'un certain déséquilibre psychologique.
C'est pourquoi, dans sa communauté, il est à la fois admiré et redouté,
promoteur et déchireur. Sa révolte traduit souvent un besoin profond et
vrai de l'ensemble des fidèles, dont les meilleurs sont séduits par son exi-
gence audacieuse au service de l'intelligence de la foi. Ainsi suscite-t-il
une réaction tantôt angoissée, tantôt rigide, tant des chefs de la commu-
nauté que de la masse toute simple, et facilement conformiste, des croyants.
Notez d'ailleurs que cet hérétique n'est pas toujours un « intellectuel »,
fût-ce au meilleur sens du mot, mais assez souvent, en certaines des
plus vivantes périodes de la communauté, le petit peuple fidèle lui-même,
saisi par une commotion, apparemment plus instinctive que raisonnée
ou critique, mais en réalité très perspicace en qualité, dès lors, que surtout
en certaines religions, la foi collective comme telle est considérée comme
le lieu privilégié de la communication avec la divinité. Les pauvres, les
petits, les simples sont, d'une certaine manière, les privilégiés de la Révé-
lation. Plusieurs d'entre vous auront à nous dire, en les situant avec
précision, la grandeur spirituelle, mais aussi les désordres menaçants,
des héTésies dites populaires, non moins importantes, dans l'histoire
religieuse de l'humanité, que les « choix » prétentieux de tel ou tel théolo-
gien patenté.
Deuxième trait de l'hérétique, tellement caractéristique qu'il servira
de critère dans la délimitation toujours difficile des frontières de la rupture
avec la vérité révélée : il est pertirtax. C'est-à-dire que, devant les réactions
de la communauté dont il a mis en cause le capital homogène, il s'obstine,
tant par la passion intellectuelle qui le mène, que par l'attachement
sincère et entêté à la tranche de vérité qu il exalte, au détriment des
autres vérités du capital commun de son Eglise, alors pour le moins
déséquilibré.
Nous aurons donc à observer non seulement une casuistique — néces-
ORTHODOXIE ET HÉRÉSIE 13

saire, parfois nauséabonde — pour le discernement de l'hérétique, qui


ne l'est décidément que s'il s'avère pertinax dans sa rupture, dans son
erreur, mais aussi un trait majeur, juridiquement et passionnellement,
dans l'analyse sociologique des troubles, des crises, dans certains cas,
des sectarismes, que l'hérésie introduit dans le tissu même des religions.
Enfin, subtile confirmation de son caractère sociologique, l'hérésie
se présente tantôt comme une novation progressiste, tantôt comme un
retour à la pureté primitive ; bien plus, comme les deux à la fois, ainsi
qu'il apparaît jusque dans la trame des mots renovatio, re-formatio, d'une
si significative ambiguïté, dont la dialectique étonnante est parfaitement
cohérente avec la notion de foi, dès lors qu'elle est tenue par une commu-
nauté dans l'histoire.
J'ai accompli ma tâche de vous proposer une définition nominale qui
puisse ouvrir la voie. S'il est vrai qu'elle fut le fruit d'un grand âge critique
de la théologie, j'entretiens bel espoir que, sans aboutir peut-être à une
définition « réelle », univoque, elle soutiendra la lucidité et la complexité
de vos analyses. Je vous souhaite bon travail.

NOTES

1. Il suffira de citer, parmi les théologiens, saint Thomas d'Aquin, Summa theologica,
II.II, qu. 11, art. 1 ; il s'appuie sur un texte de saint Jérôme, explicite à souhait :
Haeresis grasce ab electione dicitar. Parmi les canonistes, Raymond de Penafort,
s'appuyant sur une définition écourtée de saint Augustin, s'en tient à une définition
vague (Summa, livre I, cap. de haereticis, section 1, éd. Rome, 1603, p. 38), et il
fait entrer le schisme dans la notion d'hérésie. Henri de Suse (Hostiensis) y inscrit
« la désobéissance aux Décrétâtes du Pape » (cf. B A L U Z E , Miscellanea, I I , p. 275).
Plus tard les inquisiteurs y introduiront la magie. E t le pape Martin V, pour com-
battre les usuriers, y ajoutera l'usure (bulle du 9 décembre 1257). Mais déjà Pierre
Damien, au 12 e siècle, s'efforçait de construire des distinctions théoriques, à partir
des pratiques de réconciliations. Cf. G . M I C C O L I , « L a « simoniaca haeresis in Pier
Damiano e in Umberto di Selva Candida », dans Studi Gregoriani, t. V, 1956, p. 77
et suiv. Pour l'Antiquité chrétienne, cf, H. P É T R É , « Haeresis, schisma et leurs syno-
nymes latins », dans Revue des études latines, t. XV, 1937, p. 316-325.
2 . M A T T H I E U P A R I S , Chronica majora, ad annum 1 2 5 3 , In hoc autem quod tu, frater
Joannes, et alii Praedicatores, peccata magnatum audacter non redargutis et facinora
non detunicatis, haereticos cervseo manifestos. Et addidit episcopus (Robertus Lincol-
nensis) : Quid est haeresis ? Da definitionem. Et cum hesitasset frater J., non recolens
auihenticam ipsius rei rationem et definitionem, subfunxit episcopus fideli interpre-
tatione greci idiomatis in latinum : Haeresis est sententia humano sensu electa, scriptu-
rae sacrae contraria, palam edocta, pertinaciter defensa. Haeresis grece, electio latine.
Et consequenter subjunxit reprehendens praelatos, maxime romanos... Grosseteste
2
14 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

(mort en 1253) est appelé ici en témoignage du sens alors reçu, « authentique >,
comme on disait, du mot et de son sens étymologique, en ce temps de réveil de la
lecture des textes grecs. Historiquement, le terme grec avait fort évolué, dès le
4« siècle ap. J.-C. ; et Aristote, pour désigner choix disait itpoatpeoîç. atpeaiç (haeresis,
secta) était employé pour désigner les diverses tendances ou écoles philosophiques,
telles que lès recenseront les doxographes, et non plus « choix » contre une autre
opinion. Grosseteste et ses contemporains réinterpréteront le mot, dans un retour
au sens premier, et sous l'influence du sens chrétien des hérésiologues. Mais c'est
précisément ce sens étymologique qui, chez les théologiens du Moyen Age classique,
soutient la définition nominale et les analyses. Wyclif rapportera un jour et utili-
sera l'épisode narré par Grosseteste (De cioili dominio, I, 43, éd. Poole, p. 392).
Cette évolution a été opportunément rappelée par M. J. Bollack, au Colloque de
Royaumont.
3. A titre de curiosité, risquons le rapprochement avec le texte de Bartole, en un autre
contexte : Si quis dixerit impercdorem non esse dominum et monarcham totius orbis,
forte esset haereticus (In Cod. I, Hostis).
DISCUSSION

L. GOLDMANN. — Vous avez raison quand vous dites que l'hérésie s'est
définie par deux choses : le choix de distanciation par rapport à la commu-
nauté religieuse et le fait de lui appartenir. Vous avez ajouté que l'hérésie
ne se définissait pas tant par le fait psychologique individuel, mais par le
fait qu'un groupe social (qui n'est pas toujours le petit peuple : voyez le cas
des jansénistes) vit cette foi comme une réalité profonde et nouvelle :
l'hérésie, le plus souvent, est un fait sociologique collectif, la réaction à une
nouvelle situation sociale, économique d'ensemble ; de sorte que nous avons
dans le cadre de cette étude deux phénomènes collectifs dans une relation
dialectique, l'Église globale à l'intérieur de laquelle le groupe hérétique
reste et le phénomène social de la naissance de l'hérésie qui élabore préci-
sément la position individuelle.

M. D. CHENU. — Le phénomène sociologique intéresse aussi la commu-


nauté qui expulse l'hérétique, qui se durcit et dont il faudrait analyser
l'intéressant phénomène de constriction mentale, mais ce serait l'analyse
de l'orthodoxe, qui n'est pas notre sujet ; et il n'est pas d'hérétique qui soit
purement individuel, et pas de surgissement hérétique qui soit un phéno-
mène personnel. Pour cela je serais, disons, grossièrement, antipersonnaliste.

R. MORGHEN. — L e concept théologique d'hérésie n'épuise pas tous les


aspects historiques de l'hérésie. Sans doute n'y a-t-il pas d'hérésie sans
communauté hérétique. Mais alors l'hérésie de Bérenger est une commu-
nauté d'hérétiques ?

M. D. CHENU. — Ce fut l'expression d'une crise interne de la foi par


rapport à un type de pratique sacramentelle, qui ne se comprend que
replacé dans le terrain sociologique qu'il exprime, sans que Bérenger, bien
sûr, perde sa personnalité.

R . MORGHEN. — Dans une société qui n'est pas un groupe sociologique,


qui n'est pas une communauté, il y a des hérésies qui sont l'expression d'une
communauté et aussi des hérésies qui sont l'expression d'une conscience
religieuse, au-delà des divisions temporelles ces courants sont des traditions :
on ne peut opposer l'hérésie à un système fixe et toujours semblable. Il est
des hérésies qui deviennent normes de foi : les pères de l'Église, nombreux,
qui ne croyaient pas à la virginité de Marie sont-ils hérétiques, Augustin
est-il hérétique ?

X . — Origène, si souvent condamné, reste un docteur de l'Église, où


commence l'hérésie ?
16 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

R . M O R G H E N . — L'historien doit considérer comme hérétique celui que


l'autorité religieuse de ce moment historique reconnaît comme tel. Pour
lui, orthodoxie et hérésie sont deux grands courants d'un phénomène qui
les englobe. Cela suppose que l'orthodoxie ne soit pas quelque chose de
fixe et stable, mais qu'elle puisse subir cette influence de l'hérésie, comme
stimulus, qui f u t mise en évidence par un « moderniste » (de Stefano).

M. D. CHENU. — C'est le phénomène nécessaire des religions.

P . F R A N C A S T E L . — A partir de la création de l'hérésie, il existe des héré-


tiques de tradition, des orthodoxes de l'hérésie. On ne peut étudier de la
même manière sans nuances importantes le créateur, la genèse et le déve-
loppement de l'hérésie. La nature du sujet change : du point de vue de l'art
et de l'expression, cela est capital.

M. D. C H E N U . — Dans le groupe hérétique, se crée en effet une tradition


en évolution, en fécondation interne, une ligne évolutive qui a ses propres
lois, tout comme dans l'orthodoxie qu'on vient d'abandonner. Une socio-
logie de l'hérésie en évolution est à faire.

J . L E G O F F . — La rencontre, chez beaucoup d'hérétiques, du caractère


novateur et du retour à un certain primitivisme nous fait rencontrer le
thème des idéologies de l'âge d'or — qui déborde le champ de notre collo-
que — sur un autre point plus précis (l'hérésie comme rupture avec la com-
munauté). J e pense à certains phénomènes fondamentaux, comme dans
l'Occident féodal, le refus, fait par beaucoup d'hérétiques, du serment.
Ce refus d'un des actes fondamentaux de la communauté féodale marque
une rupture brutale et absolument négative des valeurs d'une société.

R. MORGHEN. — Cette prohibition a des origines évangéliques.

G . L E B R A S . — Dans la clause 24 du décret de Gratien, il y a le pro et


le contra, et le contra, c'est la négation du serment.

M . D . CHENU. — Le problème du serment n'a été traité que par des


casuistes alors que c'est un phénomène sociologique de première impor-
tance et un phénomène d'hérésie.

É . P O U L A T . — Le père Chenu n'a traité qu'un volet de son sujet. Pour


moi, ce qui fait le problème, c'est d'abord l'orthodoxie : dans sa genèse,
on la voit cheminer difficilement dans des situations confuses et perpétuel-
lement accueillir du nouveau et réviser des aspects dépassés.

M. D. C H E N U . — Il faudrait un second colloque de sociologie de l'or-


thodoxie. L'orthodoxie elle-même est en travail car elle-même est un phé-
nomène sociologique. L'affrontement avec des hérétiques, qui sont des
ORTHODOXIE ET HÉRÉSIE 17

impertinents, peut la pousser à mettre elle-même en cause l'idée de tra-


dition, surtout aujourd'hui où l'évolutionisme est entré dans les structures
mentales de l'homme.

R . MANSELLI. — J'insisterai sur le problème de la pertinacia. La rupture


avec la communauté ne suffit plus pour constituer l'hérésie, mais il faut
encore que l'individu ou le groupe demeurent séparés, prennent conscience
de cette séparation et l'admettent. L e point fondamental de l'hérésie me
semble être la conscience d'être séparé, d'avoir fait le choix. Si aXpzmç est
choix, hérésie sera précisément la conscience de ce choix. Il est
important de rechercher l'origine psychologique de ce choix, son motif.
L e choix se traduit par l'adhésion à un livre ou à une attente, dans
un certain cadre social et religieux. Dans l'Occident médiéval, au 12 e
et au 13e siècle l'hérésie s'appuie sur le Livre, l'Evangile. Au 14e et au
15e siècle, c'est sur des idées courantes spécialement de type eschatologique.
cathares ou vaudois par exemple s'appuient essentiellement sur l'Evangile
tandis que béguins et spirituels attendent la fin des temps, etc. Le Livre,
l'attente des temps de la renovatio doivent être non seulement motifs de
détachement, mais aussi de pertinacia.

M. D. CHENU. — La pertinacia en effet n'est pas une conséquence secon-


daire, elle est ce par quoi on devient hérétique.

G. LE BRAS. •— Il n'y a d'excommunié que le pertinax et c'est pour cela


que l'on dit que l'excommunication est une peine médicinale : dès l'instant
où la pertinacitas a cessé, on est guéri. Cela mériterait étude.

I. S. REVAH. — Les définitions du père Chenu s'appliquent mal aux cas


examinés par le tribunal de la Sainte Inquisition contre l'hérésie et l'apos-
tasie, qui fonctionne à partir de 1480 en péninsule Ibérique. Dans 10% des
causes seulement l'hérétique veut demeurer à l'intérieur de la foi. L'im-
mense majorité des hérétiques poursuivie veut être infidèle : juifs et moris-
ques placés de force dans la communauté catholique.

M. D. CHENU. — Le domaine de l'hérésie se trouve en effet étendu quand


l'orthodoxie est devenue une forme politique : elle fausse à la fois la tra-
dition et l'hérésie.

I. S. REVAH. — Mais l'hérésie des marranes reste dans le cadre de ce


colloque : ils n'ont pas voulu adhérer au judaïsme rabbinique et ont formé
comme une hérésie involontaire du judaïsme.
M. FOUCAULT

LES DÉVIATIONS RELIGIEUSES


ET LE SAVOIR MÉDICAL

Il y a certainement dans chaque culture une série cohérente de gestes


de partage, dont la prohibition de l'inceste, la délimitation de la folie
et peut-être certaines exclusions religieuses ne sont que des cas parti-
culiers. La fonction de ces gestes est, au sens strict du terme ambiguë :
au moment où ils marquent la limite, ils ouvrent l'espace d'une transgres-
sion toujours possible. Cet espace ainsi scandé et ouvert a sa configuration
propre et ses lois : il forme pour chaque époque ce qu'on pourrait appeler
le « système du transgressif ». Il ne coïncide, à vrai dire, ni avec l'illégal
ou le criminel, ni avec le révolutionnaire, ni avec le monstrueux ou l'anor-
mal, ni avec l'addition de toutes ces formes déviantes ; mais chacun de
ces termes le désigne au moins de biais, et permet de le révéler parfois en
partie, lui qui est, pour tous et dans leur cohérence, condition de possibi-
lité et d'apparition historique.
La conscience moderne tend à ordonner à la distinction du normal et
du pathologique le pouvoir de délimiter l'irrégulier, le déviant, le dérai-
sonnable, l'illicite, le criminel aussi. A tout ce qu'elle éprouve comme
étranger, elle donne par là statut d'exclusion quand il faut juger, d'inclu-
sion quand il s'agit d'expliquer. L'ensemble des dichotomies fondamentales
qui, dans notre culture, distribuent des deux côtés de la limite les confor-
mités et les déviations, trouve là une justification et l'apparence d'un
fondement. Ces prestiges pourtant ne doivent pas faire illusion : ils ont
été instaurés à une date récente ; la possibilité même de tracer une ligne
entre normal et pathologique n'a pas été formulée à une époque beaucoup
plus ancienne puisqu'il faut en reconnaître l'absolue nouveauté dans les
textes de Bichat, au détour du 18e et du 19e siècle. Aussi étrange que cela
puisse paraître, le monde occidental a connu, et, pendant des millénaires,
une médecine qui reposait sur une conscience de la maladie où normal
et pathologie n'organisaient pas les catégories fondamentales.
Le débat de la conscience médicale avec certaines formes de déviation
religieuse, au tournant du 16e siècle, peut servir d'exemple. Nous nous
limiterons ici à la croyance en une altération des pouvoirs physiques de
l'homme sous l'effet d'une intervention démoniaque.
20 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Notons d'abord qu'entre partisans et adversaires de cette multiplication,


ce qui est en débat n'est pas tellement le châtiment. L'indulgence tant
vantée de Molitor et de Weyer est relative et bien partielle. Molitor
disculpe les sorcières de toute action réelle, mais pour les condamner plus
sûrement à la peine capitale, « puisque par leur apostasie et leur corruption,
ces femmes ont complètement renié Dieu et se sont données au diable »
(Des sorcières et devineresses, 1489, p. 81). Sans doute Weyer s'indigne
que le magistrat ne fasse pas assez confiance à la colère de Dieu et que
«pour une tempête advenue sur les blés qui étaient encore en herbe...
il ait arrêté plusieurs femmes folles et d'esprit débile », mais il condamne
avec d'autant plus de rigueur les magiciens qui font pacte avec le diable
« en toute conscience, volonté et science » (Des illusions et impostures
des diables, 1579, p. 265, 614). Quant à Erastus, qui tient « que les sorcières
ne peuvent nullement faire ces merveilles qu'on estime communément
qu'elles font », il demande contre elles la peine capitale : « je pense avoir
montré suffisamment que les sorcières doivent être punies, non pas tant
pour les choses qu'elles font ou qu'elles veulent faire ; que pour leur apos-
tasie ou révolte de l'obéissance de Dieu ; item pour l'alliance contractée
avec le diable » (Dialogues touchant le pouvoir des sorcières, 1579).
Ce problème de l'indulgence est second. L'essentiel, c'est que ni Molitor,
à la fin du 15e, ni Weyer ou Erastus au 16e siècle ne donnent congé au
démoniaque. Le débat avec Sprenger, Scribonius, ou Bodin ne conteste
pas l'existence du démon ni sa présence parmi les hommes; mais elle
s'interroge sur ses modes de manifestation, sur la manière dont son
action se transmet et se cache sous les apparences. Non pas conflit entre
la nature et le surnaturel, mais débat difficile sur le mode de vérité de
l'illusion.

Voici quelques points de repère :


1° Mauvais ange, mais ange avant toute chose, Satan est resté esprit
même lorsqu'il a acquis un corps. C'est avec les esprits qu'il peut communi-
quer le plus aisément ; car ceux-ci sont libres alors que les choses de la terre
sont soumises aux lois que Dieu leur a prescrites. Si donc il agit sur les
corps, ce ne peut être sans une permission spéciale de Dieu, et une sorte de
miracle. S'il agit sur les âmes, c'est à la suite de cette permission générale
que Dieu lui a donnée après la chute ; c'est la conséquence universelle
du péché. Erastus définit ainsi les possibilités d'action du diable : il a peu
de pouvoir sur les choses et sur les corps, moins encore que l'homme à
qui Dieu a confié le soin du monde ; mais beaucoup sur les esprits qu'il
peut tromper et séduire, et qui sont maintenant le domaine propre de
ses maléfices, à moins que Dieu, par une grâce spéciale, ne consente
à l'écarter des cœurs et des esprits.
DÉVIATIONS RELIGIEUSES ET SAVOIR MÉDICAL 21

2° E t parmi eux, Satan choisira par prédilection et facilité, les plus


fragiles, celles en qui la volonté et la piété sont les moins fortes. Les
femmes d'abord : « le diable ennemi fin, rusé et cauteleux, induit volontiers
le sexe féminin, lequel est inconstant à raison de sa complexion, de
légère croyance, malicieux, impatient, mélancolique pour ne pas pouvoir
commander à ses affections, et principalement les vieilles débiles, stupides
et d'esprit chancelant » (Weyer, p. 220). Les mélancoliques, également,
qui « pour peu de perte ou autre chose, s'attristent légèrement, comme dit
Chrisostome en ces mots : tous ceux que le diable dompte, il les dompte
par fâcherie ou tristesse » (p. 218). Enfin, les insensés : « et tout comme par
les humeurs et fumées, l'usage de la raison est intéressé ès ivrognes,
ès frénétiques, ainsi le diable qui est un esprit peut aisément, par la per-
mission de Dieu, les émouvoir, les accomoder à ses illussions et corrom-
pre la raison » (p. 418). Ainsi, le diable, sans rien bouleverser de cet
ordre naturel sur quoi il a peu de pouvoir, sait profiter des défaillances
et des défauts que cet ordre peut provoquer dans les âmes, pour s'emparer
d'elles. Il est passé d'un ordre du monde auquel il est soumis aux désordres
d'une âme qu'à son tour il soumet. Le Malleus de Sprenger ne disait
rien d'autre quand il expliquait que le démon profitait de ce que le « cer-
veau était la partie la plus humide du corps » et de l'influence de « la
lune qui y excite des humeurs » (p. 40).
3° Pouvoir désarmé contre la nature, mais tout puissant contre les
âmes, le démon agira surtout par la tromperie : rien ne sera changé à
l'ordre des choses extérieures ; mais tout sera bouleversé dans leur appa-
rence, dans les images qui sont transmises à l'âme. Puisque l'homme
a le pouvoir, comme l'expliquait déjà Sprenger, de ressusciter par sa
propre volonté les images de choses qui n'existent plus, le démon, à plus
forte raison, détient un pouvoir semblable : n'est-ce pas lui, quand la
volonté de l'homme est endormie, qui commande aux rêves (p. 50) ? Le
démon est le maître des songes, la grande puissance trompeuse; et,
comme il n'a pas pouvoir de suspendre les lois de la nature, il donne seule-
ment aux hommes, par songes et images, la fausse certitude qu'il détient
cette puissance : « il est faux que les sorcières parcourent des milliers de
stades dans le silence de la nuit pour se rendre au sabbat ; elles sont le
jouet des songes ou de quelque illusion puissante... que le diable a imprimés
dans leur cerveau » (Molitor). L'action démoniaque ne prendra pas place
dans le monde lui-même, mais entre le monde et l'homme, le long de cette
surface qui est celle de la «phantaisie» et des sens, là où la nature se
transforme en image. C'est cette opération précisément qu'il bouleverse,
n'altérant en rien la vérité de la nature, mais brouillant toutes ses appa-
rences : « il sait... montrer des diverses figures, façonner artificiellement
des idoles inutiles, troubler la vue, éblouir les yeux, bailler les choses
fausses pour les vraies, et empêcher par une singulière dextérité que
22 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

l'on ne s'en aperçoive ; cacher celles qui sont vraies, à celle fin qu'elles
n'apparaissent mettre en avant les choses qui véritablement ne sont
point, et toutefois les faire paraître... Il a accoutumé aussi de gâter la
phantaisie des hommes par les moqueries de plusieurs fantômes, de trou-
bler ceux qui veillent, d'étonner par songes ceux qui dorment, d'égarer du
droit chemin ceux qui voyagent, se moquer de ceux qui faillent et des
autres aussi; de les épouvanter, de brouiller et mêler plusieurs choses
par les inexplicables labyrinthes d'opinion » (Weyer, p. 40-41).
4° L'intervention du démon est donc bien localisée. Ce qui ne réduit
point sa complexité, ni sa merveilleuse puissance. Car elle ne peut se
faire sans tout un système de complicité et de correspondances. De toutes
les facultés de l'âme, l'imagination est la plus matérielle, ou plutôt c'est
en elle que s'opère à chaque instant le passage du corps à l'âme et de
l'âme au corps. Et s'il est vrai, sans doute, que sous la poussée de toute
une évolution religieuse, les penseurs du 16e siècle spiritualisent de plus
en plus le pouvoir du démon, ils ne lui donnent que des pouvoirs plus
entiers sur machinerie intérieure du corps. Tout ce qui est aux limites
de l'âme, juste en deçà de l'image, du fantasme et du rêve, c'est-à-dire
les sens, les nerfs, les humeurs deviennent par droit de voisinage domaine
privilégié du démon : « ce malin esprit a davantage accoutumé... d'émouvoir
des humeurs d'iceux (les corps), de troubler la source des nerfs qui est
au cerveau » (Weyer, p. 42). Satan sait mobiliser toutes les solidarités
du corps : quand il ébranle les nerfs tout près du cerveau, il lui faut exciter
en même temps les organes des sens pour que le fantasme soit pris pour
la réalité elle-même ; et le corps sera pris dans cette grande duperie, qui
fait apparaître le diable à l'esprit rassoté des sorcières. Mais ce méca-
nisme lui-même compliqué n'est pas encore suffisant. Ce que voit la
sorcière, il faut que les autres à leur tour le voient. Dans l'esprit des
spectateurs les mêmes fantasmes doivent naître. Ainsi, l'opération démo-
niaque, qui s'était étendue de l'imagination aux nerfs et de là aux organes
des sens, se propage, gagne le corps des autres, leurs sens, leur cerveau,
et leur imagination, formant une végétation touffue qui, pour exclure
le monde extérieur, n'en est pas moins réelle. (C'est par cet ensemble
d'artifices coordonnés que « ce malin esprit sait faire sortir cauteleusement
du corps d'une possédée et au regard de tous » des cheveux entremêlés,
du sable, des clous de fer, des os, des étoupes, « ce qu'il fait après avoir
ébloui la vue ».)
5° Ce pouvoir, limité à l'espace de l'imagination, se trouve par là-même,
redoublé en profondeur. Il peut tromper ainsi non seulement ses victimes
ou complices, mais ceux-là même dont la piété devrait résister le mieux
à ses tentations : ceux qui pourchassent les sorciers parce qu'ils ont été
réellement au sabbat, ou qu'ils se sont transformés en loup ; mais ce
n'est que prestige, et, d'un coup, le diable trompe et les esprits faibles
DÉVIATIONS RELIGIEUSES ET SAVOIR MÉDICAL 23

et les croyants dont la foi solide ne saurait être circonvenue directement.


Croire à la réalité de tous ces pouvoirs physiques, c'est encore une manière
de se soumettre à Satan : ceux qui affirment, pour condamner, le trans-
port réel au sabbat, ceux-là sont «les principaux esclaves de leur maître
Belzébuth qui se glorifie d'avoir été bien servi surtout sous le manteau
de l'Eglise » (Weyer, p. 255-256). Mais inversement, nier les modifications
physiques parce que les opérations qui les constituent sont imaginaires,
c'est être à son tour victime des prestiges de Satan : en ne s'adressant
qu'à des imaginations déjà agitées, en procédant par fantasmes et par
songes, Satan savait bien qu'on le redouterait moins et qu'on finirait
par ne plus croire à sa puissance ; ainsi, désarmé, on devient sa victime,
le comble de l'illusion étant de croire que ses pouvoirs physiques ne sont
qu'illusion. Selon Scribonius, c'est le cas de Weyer lui-même, quand il
« proclame que les sorcières imaginent simplement qu'elles ont commis
des crimes mais qu'en réalité, elles n'ont rien fait... Je parle franchement :
avec Bodin, je crois que Weyer, qui a défendu en toutes circonstances
les sorcières et les empoisonneurs, est lui-même un sorcier et un mélangeur
de poisons. Ah, si seulement un homme comme lui n'était jamais né
ou du moins n'avait jamais écrit un mot 1 Alors que lui et ses livres offrent
aux gens tant d'occasion de pécher et de s'enfoncer dans le royaume de
Satan ». De toute façon, cet empire triomphe et on ne sort pas du démo-
niaque ; on le confirme si on le pourchasse afin de le condamner ; on lui
porte secours si on lui dénie des pouvoirs physiques. Satan est toujours
là au point précisément d'où on vient de le chasser ; la place qu'il laisse
vide est encore la marque de sa victoire.
Dans cet ordre des pouvoirs physiques qui n'est plus désormais qu'un
univers de fantasmes, Satan est devenu le perpétuel absent. Mais c'est
dans cette absence même que s'assure et se démontre sa présence ; moins
il est assignable dans sa présence transcendante, en un point précis
du monde et de la nature, plus ses opérations s'universalisent, plus elles
gagnent en invisible subtilité, se glissant entre toute vérité et chaque
apparence. Il s'établit une sorte d'argumentation « ontologique » : dis-
cours qui ne va pas en droit chemin de l'idée à l'existence, mais de l'image
(fantasme présent à l'esprit ébloui) jusqu'à l'absence (puisqu'il ne s'agit
que d'une fantaisie), puis à celui qui a creusé le vide, et qui est la figure
pleine de sa propre absence. Quand on prend l'image de Satan non pour
Satan mais pour une illusion, alors Satan montre par cette incroyance
abusive qu'il existe ; et quand on prend l'image de Satan, non pour une
illusion, mais pour Satan, alors Satan montre par cette croyance vaine
que, derechef, il existe.
Congé n'est pas donné au démoniaque; il est rapproché au contraire,
et infiniment : fiché à l'articulation de l'âme et du corps, là où naît l'ima-
gination. Paradoxalement, les médecins du 16e siècle n'ont libéré de la
24 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

présence du démoniaque que les choses inanimées; ils l'ont placée, au


plus court, dans les voisinages immédiats de l'âme, à sa surface de contact
avec le corps. Weyer, comme Molitor et Erastus, ni plus ni moins que
leurs adversaires, en inscrivant les pouvoirs physiques au titre de l'ima-
gination, ont enraciné le démoniaque dans le corps. Ce qui, beaucoup
plus tard, permettra bien une réduction en style naturaliste ; mais ne la
commande absolument pas au 16e siècle, à une époque où l'imaginaire
n'est pas l'inexistant, ni le corps la nature.
Troisième conséquence : situé en ce point, le démoniaque commande
tous les accès à la vérité ; son pouvoir s'identifie à la possibilité même
de l'erreur ; il couvre en tout cas la même surface, et c'est là qu'il prend
ses dimensions propres. On est soumis au démon dans l'exacte mesure
où on peut être soumis à l'erreur. Mais quand on échappe à l'erreur,
on n'échappe pas encore à Satan, puisque découvrant et dénonçant
ce fantasme, on ne sait point si on triomphe de Satan en révélant la vérité
dérisoire de l'erreur qu'il a imposée, ou si on est encore mystifié par
lui qui veut faire croire qu'il n'est pas fantasme. Au centre de ces pouvoirs
physiques maintenant contestés, il y a une expérience du démoniaque,
qui est la grande équivoque de l'apparence et de la vérité, de l'être et
du non-être, et que Weyer, avec ses contemporains, désignait comme
« l'éblouissement » de l'esprit.
On peut donc dire qu'il y eu une « médicalisation » de cette expérience
para-religieuse. Mais cette médicalisation
— n'a pas valeur réductrice, puisqu'elle est une démonstration
à fortiori et inévitable d'existence;
— n'a pas le sens d'une explication naturaliste, puisqu'il s'agit
d'une analyse opératoire assez complexe de l'intervention démoniaque ;
— n'est pas un renvoi à la psychologie, puisqu'il s'agit des supports
corporels de la « fantaisie » ;
— ne fixe pas les limites innocentes du pathologique puisqu'il
s'agit de l'appartenance confuse, mais essentielle de la faute et de
l'erreur.
Le développement du savoir médical au 16 e siècle n'est pas lié au
remplacement du surnaturel par le pathologique mais à l'apparition des
pouvoirs transgressifs du corps et de l'imagination. Des médecins comme
Molitor ou Weyer n'ont pu naturalisé le démoniaque sous la forme de la
maladie; ils ont fait du démon le subtil médecin capable de ployer le
corps à ses ruses et de lui imposer la fausse image de ses pouvoirs. On en
aura la preuve au 17e siècle, quand on fera subir, dans l'internement, le
même type d'exclusion aux visionnaires, aux fanatiques, aux insensés,
à tous ceux qui imaginent et se trompent.
DÉVIATIONS RELIGIEUSES ET SAVOIR MÉDICAL 25

D'un bout à l'autre de l'évolution dont nous venons de marquer quelques


étapes, les termes de la dichotomie n'ont pas changé : les mêmes éléments
sont acceptés et les mêmes refusés (translation dans l'espace, naissance
de monstres, opérations à distance, découvertes d'objets dans le corps).
Ce qui a été modifié, c'est le rapport de l'exclu à l'inclus, du reconnu
au rejeté : il est maintenant établi au niveau des possibilités de déviation
du corps, ou plutôt dans ces marges de jeu qui entourent l'exercice de l'âme
et du corps. Le lieu réel de la transgression est devenu le fantasme et
toutes les formes de l'irréel. Le corps avec ses folies marque, à cette époque,
et pour longtemps encore (la nôtre en est témoin), le point d'éclatement
de la transgression.
DISCUSSION

J . LE GOFF. — La communication de M. Foucault nous invite à voir


les parentés et les différences qui ont existé, subjectivement et objective-
ment, entre sorcellerie et hérésie. Elle nous apporte aussi cette notion du
transgressif, d'une grande fécondité. Replacer l'hérésie et les attitudes à
l'égard de l'hérésie dans ces systèmes d'exclusion et de partage, c'est donner
à l'hérésie des dimensions profondes et solides. Il est très intéressant de
noter les rapports qu'on a pu chercher à établir entre hérésie et folie :
très tôt dans les textes du Moyen Age, l'hérétique est souvent indiqué comme
un fou, l'hérésie est une insania. Plus qu'un argument polémique, il y a là
la reconnaissance d'un de ces mécanismes dont on vient de nous parler.
De même l'allusion à certaines pratiques sexuelles, à des « aberrations »,
n'est pas seulement un argument — sans doute de mauvaise foi — mais
la reconnaissance de gestes et d'attitudes qui marquent profondément la
position de l'hérétique dans un système social et dans un système de pensée :
il y a, je crois, entre immoralité et hérésie un lien profond. L'allusion faite
par M. Foucault à la facilité avec laquelle, selon les orthodoxes, certains
groupes pouvaient être les proies du démon, nous invite à nous rappeler
notamment le rôle des femmes dans l'hérésie et je regrette l'absence du
professeur Ernst Werner qui s'est récemment intéressé à ces problèmes.
J e voudrais enfin parler de la nature extrêmement curieuse de l'action de
Satan sur les hérétiques, selon les conceptions décrites par M. Foucault.
J e me demande s'il n'y a pas eu là une mutation à la fin du Moyen Age.
Dans les hérésies médiévales, Satan est lié au monde mauvais, créé par le
Dieu mauvais, à la condamnation générale de la matière, et on ne voit
pas comment, dans ce système, il pourrait agir de manière « spirituelle ».

G. SCHOLEM. — Les relations entre sorcellerie et hérésie sont un facteur


de trouble dans l'histoire de l'Eglise médiévale. Pendant très longtemps,
la sorcellerie n'a pas été une hérésie ; d'abord actes criminels aux yeux de
la loi, sorcellerie et magie ont été définies comme hérésies par les plus
hautes autorités de l'Eglise au 13 e siècle. J e réconcilie mal ces phénomènes
avec les remarques du père Chenu sur la signification de l'hérésie : rien
n'avait au fond changé dans ces phénomènes, tenus hors du cercle de l'héré-
sie, phénomènes sociaux bien définis. E t tout d'un coup, c'est pour des
raisons historiques et pas seulement théologiques, et peut-être pas du tout
théologiques, une hérésie, qui prend des dimensions formidables, le plus
important des phénomènes sociaux qu'à ma connaissance l'Eglise ait persé-
cuté et l'un des phénomènes majeurs du bas Moyen Age.

O. LUTAUD. — A une époque tardive, où apparaissent pourtant des ten-


dances à la rationalisation, à la fin du 17 e siècle, on assiste à une assimilation
DÉVIATIONS RELIGIEUSES ET SAVOIR MÉDICAL 27

s y s t é m a t i q u e de l'hérésie et de la sorcellerie ; les choses se sont p r a t i q u e m e n t


passées c o m m e dans l'histoire romancée des sorcières de Salem, et, p a r
exemple, s y s t é m a t i q u e m e n t l'expression de « f r a n g e de dément » — lunatic
fringe — est employée p a r tous les adversaires d u puritanisme, en gros,
de gauche. On critiquera encore au 17 e siècle n o t a m m e n t en Angleterre,
et en France à propos des camisards, 1' « enthousiasme » qui au début d u
18 e siècle est encore, selon la t r a d i t i o n de la Renaissance, la possession
divine dans le style platonicien et qui est devenu à la fin du 18 e et au 19 e siècle
une folie dangereuse, à t e n d a n c e radicale politique. Cette possession d u
démon, qui remplacerait la possession de la divinité, m o n t r e le lien e n t r e
le corps e t l'esprit. Il m e semble que cette association entre esprit démo-
n i a q u e et esprit sacré a des sources dans les t e x t e s bibliques néo-testa-
mentaires eux-mêmes : est-ce que le christianisme dans ses sources ortho-
doxes n ' a pas favorisé une i n t e r p r é t a t i o n de l'hérésie comme une rivalité
e n t r e l'Esprit-Saint de la divinité en général, représentée sociologiquement
p a r l'Eglise, e t t o u s les hérétiques en puissance qui eux-mêmes arguaient
d ' u n esprit ?

A. A b e l . — J e voudrais d e m a n d e r à M. F o u c a u l t quel rôle exact j o u e


l'accusation d e possession à côté de celle d'hérésie dans les t e x t e s sur la
sorcellerie. N o u s la retrouvons habituellement, d a n s des t e x t e s relatifs
à des hérétiques, d ' a b o r d à propos d u manichéisme ; puis cela devient u n
« topic », et donne naissance à une image globale de l'hérétique, celle d u
pécheur a u x m œ u r s exécrables (anomalies sexuelles, c o m m u n a u t é s d e
femmes, etc.) ; q u a n t à la doctrine de l'action d u diable sur les esprits,
c'est au 12 e siècle q u e nous la voyons, me semble-t-il, se définir en Occident,
en fonction d ' u n e doctrine émanationiste. Il y a plus t a r d t o u t u n chapitre,
je crois, sur cette question dans D u n s Scot ; et elle est universellement
r é p a n d u e , n o t a m m e n t en Orient. On la t r o u v e aussi chez T h o m a s d ' A q u i n .

R . M a n d r o u . — Il m e semble t o u t à f a i t légitime de lier hérésie et sor-


cellerie : on r e t r o u v e cet amalgame dans les procédures p o u r sorcellerie a u
16 e siècle q u e j'étudie, et il m e semble que, dans certaines régions au moins,
il y a eu des relais : dans la Franche-Comté du d é b u t du 17 e siècle, on n o t e
cet amalgame ; la l u t t e contre l'hérésie s'y est arrêtée p o u r des raisons
politiques ( l'édit de N a n t e s a f a i t t a c h e d'huile), cette l u t t e reprend sous
la f o r m e de poursuites p o u r sorcellerie. A propos de la p r a t i q u e médicale,
je crois c o m m e vous que la médicalisation du 15 e et du 16 e siècle a travaillé
d a n s le sens de la poursuite de la sorcellerie : le médecin est appelé p o u r
constater q u e des plaies, des piqûres ne f o n t pas souffrir celui qui est p r é -
s u m é sorcier. Mais p o u r vous, la distinction d u n o r m a l et du pathologique
n e s'impose q u ' à l a fin de 18 e ; il m e semble que dès le d é b u t d u 17 e siècle,
des médecins ont contribué largement à u n changement, o n t cherché d e s
formules nouvelles : le médecin d ' H e n r i IV, Dulaurens, e x a m i n a n t e n
1599 la possédée Marthe Brossier, le médecin qui intervient dans le c a s
d ' U r b a i n Grandier, d o n n e n t des conclusions nouvelles, différentes d e s
conclusions classiques des médecins q u e vous avez décrites et qui s o n t
effectivement valables p o u r t o u t le 16 e siècle.
28 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

E. D E L A R U E L L E . — Dans le dossier rassemblé par Gerson sur Jeanne


d'Arc, alors que tout le procès témoigne de cette confusion entre sorcellerie
et hérésie, et de cette surenchère des juges qui interprètent comme mani-
festations de sorcellerie tout ce qui est à la décharge de la prévenue, on
voit au contraire Gerson conclure quant à lui que Jeanne est innocente,
et qu'il n'y a dans son cas que des manifestations de « normalité ». Il y a
opposition des conclusions et de la méthode. Il y aurait peut-être lieu à
une enquête sur le monde des théologiens ; peut-être après tout Gerson
est-il une exception ?

J . S É G U Y . — On n'a pas évoqué le cas où l'hérétique passe, par le seul


fait de sa foi hérétique, pour un soigneur et un médecin. Bayle (article
« Anabaptiste » de son Dictionnaire) raconte qu'en Hollande on disait qu'en
devenant anabaptiste quelqu'un devenait aussitôt capable de lire. Au
18 e siècle les anabaptistes français passent également pour des médecins
de valeur, non pour des rebouteux. Au début du 19e siècle l'un d'eux, sans
formation universitaire, obtiendra, dans les Vosges, le droit à l'exercice
de la médecine. Mais il y a une ambiguïté dans ces pouvoirs médicaux :
quand leur genre de vie se désintégrera, au milieu du 19e siècle, on les consi-
dérera comme des contre-sorciers, et certains prendront en haine l'ana-
baptisme qui les met au ban de la société et deviendront réellement des
sorciers.

G. L E B R A S . — M. le chanoine Delaruelle a-t-il trouvé un rapport entre


les accusations portées contre Jean X X I I et les médecins, par exemple,
dans l'histoire des amulettes ? Et dans le procès des Templiers ?

E . D E L A R U E L L E . —• Je n'ai pas étudié cette question d'assez près. Il


faudrait voir aussi les lignes très significatives d'Huizinga sur le sens du
mot « mélancolie » dans Le Déclin du Moyen Age.

R . MANSELLI. — Les hérésies populaires (cathares, vaudois) ont rarement


des rapports avec le monde de la sorcellerie. Les témoignages ne présentent,
à ma connaissance, qu'un seul cas d'hérétiques de type dualiste, à qui on
attribue des pouvoirs magiques, c'est le groupe hérétique dit du Périgord :
ils se libèrent de leurs liens, ils apprennent l'Ecriture sainte d'un seul coup.
Mais au temps de Jean X X I I , au contraire, affleure ce monde magique :
Jean X X I I , qui n'était pas un pape courageux, avait grande peur de la
magie, et que les gibelins puissent le tuer par l'habituel rite de la piqûre de la
figure de cire. Il écrit sans cesse aux inquisiteurs d'enquêter sur les sorcières
et les mages. Mais quand il combat les spirituels et les béguins dans le
Sud de la France, il ne les inculpe jamais de magie et de sorcellerie : celles-ci
sont caractéristiques des gibelins italiens et des fraticelli des Marches et
de l'Ombrie. C'est probablement à ce moment historique, au début du
14 e siècle, que le rapport s'est noué entre hérésie et magie : et j'ai le soupçon
que c'est précisément Jean X X I I qui a noué ce rapport.
DÉVIATIONS RELIGIEUSES ET SAVOIR MÉDICAL 29

M. F O U C A U L T . — Mais il y a quelques rapports entre les cathares et la


magie.

R. M A N S E L L I . — Les témoignages sont très précis : un inquisiteur de l'Italie


du Nord déclare que ce sont de fausses accusations : et d'ailleurs il faut
distinguer le culte du diable, qui est un fait religieux, et une fin en soi, et
la sorcellerie, qui est un moyen diabolique pour dominer la nature (de
même que le culte du chat, avec tous ses rites), en mettant à son service
les esprits diaboliques.

M. F O U C A U L T . — Nous sommes tous d'accord sur l'hérétisation progres-


sive de la sorcellerie au 16e et au 17e siècle, en tous cas l'hérétique et le
sorcier sont traités de la même façon. Et je serai d'accord avec M. le cha-
noine Delaruelle sur l'antériorité de l'utilisation de certains concepts de
nature par la théologie sur leur utilisation par la médecine : à la fin du 17e siè-
cle c'est l'Eglise elle-même qui convoque les médecins à propos des jansé-
nistes et des protestants des Cévennes. Fléchier demande à des médecins
de venir témoigner qu'il s'agit uniquement de phénomènes pathologiques,
de visions, d'allucinations ; la conscience religieuse a été plus « progressiste >
que la conscience médicale dans cette série de phénomènes. Je crois enfin
avec le professeur Abel qu'il y a une appartenance de la folie à un certain
nombre de phénomènes d'irrédentisme religieux et qu'il s'agirait de faire
une étude structurale de l'ensemble, une étude synchronique, car le système
est évidemment différent à chaque époque.

3
P. FRANCASTEL

ART ET HÉRÉSIE

La confrontation est difficile parce que ni le terme d'art, ni celui d'hérésie


ne possèdent un sens immuable. Sans doute observe-t-on en permanence
dans l'histoire deux types d'esprit qui s'opposent à l'intérieur de toutes
les religions : l'un orthodoxe, l'autre dissident. Mais ces types d'esprit
n'existent pas en soi, indépendamment de circonstances très précises qui
les font apparaître sous des formes infiniment variées aussi bien dans leur
essence que dans leurs effets. Sans vouloir, donc, pousser l'analyse intrin-
sèque du comportement hérétique en le considérant comme représentatif
d'un type d'homme présent plus ou moins à tous les moments de l'histoire,
on se placera ici sur un plan uniquement objectif, celui qui nous a été
proposé par les organisateurs du colloque : la civilisation occidentale
après le 10e siècle.
Toutefois, avant d'examiner quelques situations de fait, on dissipera
un certain nombre d'équivoques. On se refuse, d'abord, à considérer que
ce soit l'attitude conformiste qui exprime nécessairement les valeurs supé-
rieures d'une civilisation — ce qui aboutirait à faire l'apologie d'une
société totalitaire. Considérer l'hérétique en soi comme un anormal, un
névrosé, parce que c'est un homme qui échappe à la régularité, c'est
également admettre la légitimité d'une bonne pensée ; c'est postuler, à
tout le moins, qu'une société élabore à tout moment, d'une manière quasi
naturelle, des concepts qui s'imposent à tous les esprits sains — ce qui
aboutirait à considérer l'histoire, à la manière de Bossuet, comme une
vérité qui se déploie.
Il est bien évident, d'autre part, qu'on ne voit pas s'opposer dans
l'hérésie aux tenants d'un conformisme religieux des adeptes de la libre
pensée. Les hérétiques comme les orthodoxes admettent la légitimité
d'un choix et l'existence d'une vérité contraignante, c'est-à-dire d'une
Eglise. A tout prendre, hérétiques et orthodoxes sont du même côté de
la barricade s'il s'agit de la liberté de l'esprit. Aussi bien, tout le colloque
s'inspire-t-il de cette constatation que, depuis plus de mille ans, c'est
la religion chrétienne — et plus précisément le catholicisme — qui cons-
titue l'orthodoxie durable, c'est-à-dire le point de repère permanent de
toute imputation d'hérésie. Querelle d'Eglise plutôt que de l'individu
affronté à sa conscience ou à la société. Ce que l'on examine ici, c'est la
manière dont l'orthodoxie a réalisé la police de l'esprit.
32 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

D'une façon générale, au surplus, l'histoire non pas de l'hérésie mais


des hérésies est extrêmement difficile à fixer du fait qu'en dernière analyse
elle a été faite par la postérité, c'est-à-dire par des gens qui savaient
d'avance ce qui allait arriver. Or, ce ne fut jamais le cas des fondateurs
d'hérésies ni des participants actifs d'un mouvement. En outre, le plus
souvent, l'histoire a été écrite par l'adversaire, puisque c'est toujours
le parti qui triomphe qui devient l'orthodoxie. Il conviendra donc toujours
d'aborder les faits au niveau du réel et non du commentaire. Il paraît,
enfin, inexact — et choquant — d'envisager les choses comme si l'héré-
tique, manifestement conscient de son opposition, la sentait comme un
refus de la vérité. L'hérétique a toujours, au contraire, l'absolue certitude
d'être l'authentique représentant de cette vérité et il a souvent été prêt
à la confesser jusqu'à la mort, ce qui doit au moins nous inspirer quelque
respect, voire quelque curiosité pour les fondements d'une telle certitude.
Etudiant donc les rapports de l'art et de l'hérésie, on ne saurait s'attacher
uniquement à la manière dont l'orthodoxie a réalisé à tout moment la
police de l'esprit ; on doit aussi rechercher pour quelles raisons positives
on n'a vu s'élaborer aucun art hérétique.
Mais nous nous heurtons, alors, à une seconde difficulté, le terme d'art
ne possédant pas un contenu plus stable et plus précis que celui d'hérésie.
Il faut donc préciser également comment on l'emploie et de quoi il s'agit.
J e suis tout à fait d'accord avec le professeur Grundmann lorsqu'il
établit une différence entre l'hérésiarque et les hérétiques, c'est-à-dire
entre le fondateur d'une hérésie et ceux qui la propagent. Il semble que
ce soit dans cette voie qu'on puisse trouver une prise pour aborder le
problème des rapports de l'art et de l'hérésie. Il existe, en effet, dans
le développement de l'art un phénomène du même ordre que dans celui
de l'hérésie : c'est l'opposition du modèle et de la série. Elle est fondamen-
tale, bien qu'elle ne soit jamais utilisée par les historiens d'art. Sur ce
point au moins, je suis profondément hérétique — sans être doctrinaire.
Je ne crois pas que toute œuvre en vaille une autre, ni du point de vue
de la qualité ni du point de vue de la signification. Les hommes qui ont
créé, par exemple, non pas la première voûte mais les premiers monuments
gothiques ont agi suivant une impulsion toute différente de ceux qui ont
ensuite couvert la France d'édifices gothiques, voire même de ceux qui
ont réalisé les grandes œuvres-type. L'homme qui invente une forme ou
une doctrine suit un certain cours de pensée au bout duquel il engendre
une œuvre exprimant des intentions découvertes au fur et à mesure de
son élaboration, sans aucune finalité positive au départ. L'homme qui
adopte, propage, développe ou fait échouer un type de croyance ou d'action
n'opère plus sur une donnée imaginaire et à tout instant modifiable ; il
reproduit, même s'il la modifie, une œuvre déjà existante, un modèle
concret. L'hérésiarque qui imagine une nouvelle forme susceptible d'exté-
rioriser sa croyance agit ainsi de la même manière que l'artiste qui découvre
ART ET HÉRÉSIE 33

un nouveau principe d'ordonner ses perceptions et d'informer la matière.


Il s'agit pour les uns de garder le contact le plus étroit possible avec un
modèle imaginaire et sans cesse modifiable ; pour les autres, il s'agit de
garder le contact avec un objet qui se trouve déjà placé sous leurs yeux.
Aussi, pour essayer de déterminer les rapports qui ont existé en Occident
entre l'art et l'hérésie pendant un millénaire, on se posera deux séries de
questions, correspondant aussi bien à deux niveaux de l'art qu'à deux
niveaux de l'hérésie. Y a-t-il, en premier lieu, des modèles d'art hérétique ?
Voit-on qu'à un moment donné une hérésie, ou des hérétiques, aient
proposé à leur entourage une certaine manière nouvelle de construire ou
de figurer, génératrice d'une relation originale et durablement transmise
entre le monde perçu par les sens et le monde informé ou représenté par
des signes ou des monuments ? Au cas où la réponse apparaîtrait négative
à cette première question, y a-t-il du moins dans les arts quelques traces
des croyances et des comportements hérétiques ? C'est le problème des
affleurements de l'hérésie dans le courant des arts traditionnels, c'est-à-dire
orthodoxes.

C'est un fait qu'aucune des grandes hérésies n'a laissé un art qui s'identifie
avec elle. Ni les ariens, ni les iconoclastes, ni les cathares, ni les bogomiles,
ni les protestants, ni les jansénistes n'ont laissé un système durable
immédiatement identifiable et reposant sur d'autres bases formelles et
problématiques que celles de l'orthodoxie. On ne constate que des modifi-
cations épisodiques à l'intérieur du système commun. Je ne citerai ici
que le cas, auquel chacun songe, de Philippe de Champaigne. Or Philippe
de Champaigne n'était pas vraiment hérétique. C'était ce qu'on appelait
au Moyen Age un fauteur d'hérésie, ce que l'on appelle aujourd'hui un
sympathisant. Je ne sais pas bien comment on disait au 17e siècle ; mais
il est certain en tout cas qu'il ne suffit pas d'avoir une fille, même mira-
culée, dans l'hérésie pour en tirer les principes d'un art nouveau. En fait,
quand 011 regarde Philippe de Champaigne, on s'aperçoit qu'il exprime
parfois des idées fort précises et très peu orthodoxes dans le langage de
tout le monde. Il a peint de la même manière Richelieu et la mère Agnès
et l'art international n'a pas changé d'un iota à sa suite. Pour exprimer
l'hérésie, une pensée nouvelle, on se sert au 17e siècle comme toujours
des moyens esthétiques qu'on a à sa disposition. C'est le contenu qui
change occasionnellement. Aucune hérésie n'a fourni un cadre figuratif
qui ait ensuite écarté les valeurs de l'orthodoxie.
La puissance d'imagination dont dispose l'humanité n'est pas illimitée ;
dès qu'une pensée apparaît, on se trouve pris dans des chaînes, enveloppé
de résurgences et de traditions, astreint à atteindre un public attaché
à son langage traditionnel. La création d'un véritable système figuratif
est une chose très rare qui se produit tout au plus une fois ou deux par
millénaire. Par conséquent, il est logique que, pendant la période qui nous
34 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

intéresse, on ne trouve pas un foisonnement d'arts hérétiques en dépit


de la vitalité de l'hérésie.
Doit-on penser, pourtant, qu'un seul art est possible à une époque
donnée ? On rendrait alors incompréhensibles les mutations qui appa-
raissent chaque fois qu'un système de valeurs — religieuses ou non — se
dégage d'un milieu social isolé. Doit-on penser que les hérésies n'ont
jamais constitué que des altérations à tout prendre infimes de l'ordre
établi ? Mais on ne comprendrait pas alors l'acharnement apporté par les
v ainqueurs comme par les vaincus à des luttes souvent séculaires. Doit-on
penser que les vainqueurs, les orthodoxes triomphants, ont pris soin
d'effacer la moindre trace d'opposition ? Assurément, mais il reste pour-
tant assez de témoignages sur les principes d'une opposition, qui n'a pas
toujours été entièrement écrasée, pour écarter cette explication. Il semble
donc que si les hérésies n'ont pas créé des formes d'art entièrement origi-
nales ce soit pour une double raison.
La première, qui vaut par exemple pour l'arianisme, vient de ce que
l'hérésie s'est présentée comme un débat sur l'orthodoxie et que, pendant
longtemps, elle n'a pas perdu l'espoir de devenir elle-même l'orthodoxie.
Les ariens ont cru l'emporter et il est évident que peu s'en est fallu que
ce ne soit leur doctrine qui ait inspiré l'iconographie orthodoxe du monde
chrétien, sans que pour cela ni le système d'élaboration, ni le mécanisme
de compréhension de l'image n'en aient été directement modifiés. En ce
sens, l'orthodoxie est une hérésie qui a réussi. Ainsi le franciscanisme
dévié de ses sources d'inspiration premières par le mouvement conventuel.
La seconde raison pour laquelle il n'y a pas à proprement parler d'art
hérétique, c'est que là où la résistance à l'orthodoxie a été la plus forte,
les dissidents ont rejeté en bloc tout ce qui pouvait paraître compro-
mission avec son ordre maudit. Ainsi les cathares rejetant églises et
images.
Il est arrivé, tout de même, que les hérétiques aient tenté d'élaborer
un art parallèle à l'art orthodoxe. C'est le cas de l'iconoclasme. L'icono-
clasme reposait sur la contestation de deux éléments fondamentaux du
langage figuratif méditerranéen de l'époque : le problème de la valeur
pour ainsi dire magique de l'image — problème que l'on retrouve éga-
lement au 16e siècle dans le protestantisme et qui est un des soucis fonda-
mentaux du concile de Trente — et le problème de la rectitude proprement
dite des formes de l'image. C'était un vieux problème, puisque déjà
Constantina, la fille de Constantin s'était vu refuser une image pieuse
par le patriarche Eusèbe qui lui opposait l'impiété de toute représen-
tation du visage du Christ. En revanche, l'iconoclasme ne se crut pas
interdite la pratique des symboles, sans rejeter dans ce domaine limité,
naturaliste et allégorique, les éléments de signification adoptés par l'ortho-
doxie. Le refus de l'image a conduit l'iconoclasme, reprenant la vision
de Tibère, à matérialiser sa croyance par des symboles, notamment par
ART ET HÉRÉSIE 35

la croix. La croix sur des marches représente d'ailleurs et la croix du


crucifiement et la croix du forum érigée par Constantin et celle que
Théodose érigea sur le Golgotha en 420. C'est un objet désignant un lieu
conformément aux règles alors en vigueur de la figuration. La représen-
tation anthropomorphique est seule exclue. Du reste, il s'en faut que
l'iconoclasme ait été adopté par les masses dans une chrétienté qui, au
contraire, a développé parallèlement et spontanément le culte de l'image
par le biais du miracle : l'icône akeiropiète d'Héraclius a assuré sa victoire
sur Chosroès et c'est finalement la formule classique qui laisse place aux
mécanismes allusifs de la vision sensible qui l'emporte ainsi sur l'attitude
abstraite des iconoclastes, pour des raisons qui ne tiennent pas aux
doctrines mais à la puissance dès ce moment reconnue de l'art figuratif
manié par les tenants de l'orthodoxie qui lui doivent sans doute en grande
partie leurs victoires sur les dissidents.
Par haine des moyens de l'adversaire assurément, mais bien plus
encore par souci d'intériorité, il semble donc que les hérésies aient une
vocation iconoclaste. Le cas de l'Islam est à cet égard très frappant.
L'Islam est un mouvement qui se détermine non pas à l'intérieur des
civilisations traditionnelles par contestation de l'orthodoxie, mais par
l'effet de l'intrusion d'un nouveau groupe ethnique. Les Arabes appor-
taient leur langue. Ils ont aussi apporté un art. Mais cet art n'est pas
figuratif. Il est intéressant de constater que, pourtant, au départ l'Islam
n'a pas rejeté a priori tout contact artistique avec la koiné méditerra-
néenne. Qu'il s'agisse des plans de la mosquée primitive ou des premiers
essais d'art décoratif, l'Islam s'est inspiré des formules chrétiennes, ce
n'est que par la suite qu'il a identifié, lui, orthodoxie et iconoclasme.
Dans une première période, il s'est tenu très près de l'iconoclasme chrétien,
allégorique sinon figuratif ; ses premières expériences ont été déterminées,
en effet, par l'exemple du monde byzantin. Il n'en est que plus intéressant
de constater qu'une orthodoxie peut aussi tirer sa force et sa durée du
refus de l'image. Ce refus des prestiges de l'art n'a aucunement affaibli
par la suite l'emprise de la religion sur le peuple. Bien au contraire, le
caractère intérieur, mystique, illuminé de la civilisation musulmane s'en
est trouvé renforcé. La religion s'est trouvée à l'abri des compromis,
donnant ainsi raison à ceux qui, dans le monde chrétien, défendent le
caractère spirituel de la croyance.
On ne saurait naturellement présenter l'Islam comme une hérésie qui
a réussi, puisqu'il s'agit d'une autre société et d'une autre civilisation.
Le cas de l'Islam nous oblige à constater qu'en soi le refus de l'image
n'affaiblit pas l'emprise d'une orthodoxie. Mais l'iconoclasme implique une
rupture totale avec les traditions méditerranéennes et son exemple nous
engage surtout à constater que, dans le domaine qui nous intéresse, celui
des civilisations occidentales du dernier millénaire, c'est le développement
historique des sociétés qui a lié indissolublement art et orthodoxie en
36 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

fonction de certaines traditions imaginaires indissolublement attachées à


l'héritage gréco-latin, c'est-à-dire païen, de l'Occident. C'est sans doute
dans la mesure où l'orthodoxie religieuse se donne pour but le gouver-
nement des corps autant que celui des âmes, dans une société façonnée
par des siècles de culture intellectuelle humaniste, qu'elle parvient à
dominer l'ensemble de cette société et que les dissidents, les spirituels,
font toujours figure d'hétérodoxes et de suspects. La vocation iconoclaste
de l'hérésie en Occident traduit donc moins une condition absolue qu'une
situation historique. Elle n'en est pas moins indiscutable. Le refus de
l'image n'est pas en soi un élément constitutif de toute pensée spirituelle,
mais il atteste le fait que, pendant quinze cents ans, l'Eglise catholique
qui a dominé l'Occident et qui a représenté l'orthodoxie la plus implacable
a été toute pénétrée d'un esprit respectueux de la tradition intellectuelle,
morale et sociale des cultures païennes. Les hérétiques ont été iconoclastes
en Occident dans la mesure où ils ont rejeté un des instruments de domi-
nation les plus efficaces de l'orthodoxie romaine et où ils ont voulu rompre
entièrement avec le paganisme. A diverses reprises l'Eglise, qui est aussi
un corps mystique, a tenté de contester la validité des images. Mais elle
a toujours trouvé des compromis qui lui ont permis d'utiliser leur pouvoir.
En fait, et c'est apparemment là une des sources de son immense puis-
sance, elle a toujours compris que l'image était un des moyens de propa-
gande et d'assujetissement de la pensée plus fort que toute doctrine
détachée de son support. L'image n'est pas seulement, en effet, le support
de la propagande mais un reflet exact des règles de la pensée discursive
telle que l'ont élaborée vingt siècles de culture. Elle n'est pas uniquement
le revêtement ou le redoublement des formes de la pensée verbale ; elle
ne transfère pas automatiquement dans l'espace une expérience immé-
diate, une perception individuelle, elle suppose une mémoire collective,
elle est un fait social. Et c'est sans doute, en définitive, parce qu'aucune
des hérésies spirituelles n'a réussi à créer un système où se rassemble une
pensée intérieure vivante et une forme de pensée traditionnelle — ce que
l'Eglise catholique n'a cessé de faire —. qu'en Occident du moins aucune
d'elle n'a réussi à changer les lois du langage figuratif.
Dans l'aire géographique et historique retenue par les organisateurs
du colloque, il est donc clair que le pacte conclu entre l'Eglise catholique
et les faiseurs d'images est une des raisons majeures et du succès de cette
Eglise et de la permanence aussi du système figuratif. Les hérésies se
sont trouvées en opposition avec une doctrine et avec un système de repré-
sentation s'appuyant sur des traditions, plastiques et intellectuelles,
antérieures à l'orthodoxie. Elles n'ont pas réussi à lui substituer un autre
système, qui aurait nécessairement mis en cause autant les formes de
pensée que la croyance. On touche ainsi au problème non plus de l'exis-
tence et de la possibilité d'un art hérétique, mais à celui des marges de l'or-
thodoxie et des soi-disant masques de l'hérésie.
ART ET HÉRÉSIE 37

C'est seulement en se plaçant dans une perspective strictement ortho-


doxe qu'il est possible de parler d'hérétique camouflé. L'hérétique n'a
aucunement le sentiment d'une infériorité, ni davantage le désir de masquer
sa pensée. Exprimant — et rappelons-le non sans courage — une atti-
tude divergente de l'orthodoxie, il manifeste sa pensée aussi clairement
qu'il le peut. Entre l'orthodoxie et lui c'est une question de force mais
non pas de franchise. D'ailleurs l'hérésie triomphante est à son tour
persécutrice. Ce qui nous intéresse, en t a n t qu'historiens, n'est pas de
juger mais de nous informer. A bien des reprises, les orthodoxes ont été
obligés de lutter contre des courants indépendants du magistère de
l'Eglise. Dans la plupart des cas, ils n'ont pas simplement éliminés les
points de vue dissidents, ils les ont déviés et pour ainsi dire incorporés
dans l'orthodoxie, grâce à quoi ils ont finalement dominé leurs adversaires
tout en ménageant des possibilités de renouvellement à l'iconographie
strictement orthodoxe, convertissant en bien — ad majorem Dei gloriara —
dans la perspective de l'Eglise les impulsions moins souvent mauvaises
qu'indisciplinées des hérétiques. Je citerai quelques exemples de ces
affleurements.
D'abord, il faut écarter ce qui est simplement survivance, identification
des valeurs du paganisme avec celles du christianisme. Quand je retrouve
Epona donnant sa forme à la Vierge de la Fuite en Egypte d'Autun, je
ne pense pas qu'il s'agisse d'un problème d'art hérétique. On se trouve,
au contraire, devant une des méthodes les plus familières à l'orthodoxie :
la conversion en bien, moyennant un changement d'interprétation, de
formes ou de coutumes issues du paganisme. Saint Patrick a donné de
ce processus, qu'il utilisait en Irlande pour son évangélisation suivant
les ordres de Rome, une excellente définition : il faut présenter aux hum-
bles les rites chrétiens d'une manière aussi proche que possible de leurs
traditions et de leurs coutumes païennes, ainsi seront-ils entraînés insen-
siblement à suivre la bonne pensée du christianisme. Il y a fusion, conta-
mination du paganisme et du christianisme, il n'y a pas hérésie. Innom-
brables sont, comme on l'a déjà souligné, ces transferts de valeur : la
plupart des anciens sanctuaires se sont substitués à des temples païens,
la statue colonne romane trouve sa source dans l'autel antique, l'idole
a donné encore au 10 e siècle la statue reliquaire du type de la Sainte-Foy
de Conques et de la Vierge romane avec l'enfant sur les genoux. L'inter-
pénétration du paganisme et du christianisme n'est pas notre problème.
E n Irlande, à diverses reprises, on a vu affleurer des témoignages de
véritables hérésies. Cependant, la querelle sur la date de Pâques a si rapi-
dement tourné au triomphe des Romains qu'elle a laissé peu de traces
dans l'iconographie. Un autre débat relatif à l'ordre des évangélistes,
et qui mettait saint Jean en premier, touche aux hérésies si souvent
liées au texte de l'Apocalypse et à la parole de saint- Jean. On en trouve
quelques traces dans l'enluminure irlandaise ; mais, là encore, le confor-
38 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

misme s'est vite rétabli et il n'y a pas eu à proprement parler d'art


hérétique.
Dans un autre domaine, celui de la péninsule hispanique, il existe de
nombreux ouvrages où affleurent à travers d'étonnants et riches syncré-
tismes des relents d'hérésie. Les Wisigoths furent ariens. L'Espagne fut
arabe. Avant que Cluny n'ait pris en main la reconquête, il y eut une
période brillante au point de vue artistique où l'on peut souvent se de-
mander si l'orthodoxie est bien respectée. Les rapports qui unissent la
miniature irlandaise à l'enluminure espagnole n'ont jamais, d'autre part,
été clairement définis. Il semble pourtant qu'ils doivent fournir la clef
de plusieurs énigmes iconographiques intéressant les différentes provinces
bordières du nouvel Occident. Il est inexact de rattacher l'art irlandais
seulement à la tradition celtique et aux influences Scandinaves, bien des
rapports existent entre lui et le monde byzantin. En gros, il a existé
une sorte de syncrétisme méditerranéen, antérieur au réveil de l'Occident,
où se sont fondus de très nombreux courants issus de l'Antiquité et où'
l'Islam a rejoint Byzance. Quelques études de MM. Grabar et Terrasse
nous ont laissé apercevoir ces problèmes qui montrent, à la frange de
l'orthodoxie, un art riche de représentations et de valeurs hérétiques.
'.L'Apocalypse joue dans ces figurations syncrétiques un rôle essentiel.
Un Beatus de Gérone de 975 nous montre, par exemple, sous un arc
arabe un flambeau fiché en terre et à la hampe duquel est fixée une main.
On pense à la lance et à la main d'Allah. En fait, l'image illustre le mané,
thécel, pharès de Nabuchodonosor. Un autre manuscrit de 970 en prove-
nance de San Salvador de Talera nous montre la vie du juste : une
silhouette au pied d'un arbre qui ressemble à d'innombrables représen-
tations décoratives orientales. Ici l'arbre, l'arbre de vie, est en valeur
et on songe au rôle que la notion de vie jouera en Occident même dans
la théologie cathare. Faute d'études approfondies poussées dans cette
direction, il est impossible de préciser dans quelle mesure les théories
et les tentatives de figuration hérétiques du premier millénaire ont eu
pour origine ce syncrétisme où la poussée orientale altère les principes
de la figuration gréco-romaine. Une telle recherche serait intéressante
et permettrait sans doute de mieux situer le problème de l'art bogomile
qui insère, dans une iconographie délibérément hérétique, des formes
issues des très nombreuses traditions antérieures à la définition, à partir
du 11e siècle, de ce qui constituera, sur la base d'une renaissance gréco-
romaine, la koinè de l'art orthodoxe d'Occident.
S'il est impossible ici de dégager avec quelques exemples les courants
qui constituent cette première phase internationale, et très peu ortho-
doxe du point de vue occidental, de l'art figuratif chrétien antérieur à
l'an mil, on doit noter que, parallèlement, un vaste courant oriental
que Puig y Cadafalch a jadis signalé comme un premier art roman — alors
qu'il constitue le dernier cycle d'une sorte de syncrétisme anti-occidental
ART ET HÉRÉSIE 39

et anti-romain —, se développe dans l'architecture. E t il est facile de


montrer, par deux ou trois exemples encore qu'il a bien existé avant
l'an mil un style possédant ses principes et visant à résoudre d'une manière
cohérente, bien que distincte de celle du Moyen Age occidental, les pro-
blèmes fondamentaux de toute représentation figurative.
Une page de la Bible de Léon de 960 nous montre un groupe de juifs
pour ainsi dire accolé à une arcade musulmane qui signifie le temple
à l'intérieur duquel se place la scène principale. Ailleurs dans une page du
Codex Albaldense de l'Escurial, le concile de Séville est représenté comme
une ville close à l'intérieur de laquelle les Pères sont placés en rang régu-
liers, et remplissant toute la surface du bloc rectangulaire et pour ainsi
dire transparent qui représente la ville. Ailleurs encore, dans le Beatus
d'Urgel, l'arche de Noé est figurée par un trait délimitant un espace
où sont rangés les animaux ; une fissure dans la ligne horizontale supé-
rieure permet à la colombe de s'échapper et d'établir la communication
entre le monde de Noé et le monde divin. Le lieu est toujours représenté
comme un espace clos en relation avec d'autres espaces. Parfois même,
on va plus loin et le personnage est identifié au lieu ; c'est le cas d'une
autre miniature du Beatus de Silos qui représente un Nabuchodonosor
dont le corps est formé par les portes de la ville. Nabuchodonosor est le
prince de cette ville, donc il s'identifie avec elle. Dans la figuration des
évangélistes carolingiens on retrouvera un écho de cette conception
qui identifie le personnage avec sa fonction et avec les objets matériels
qui la caractérisent : l'évangéliste est souvent le trône, voire la ville, la
cité divine dont il annonce l'existence. L'identification du personnage
et de l'objet par la fonction constitue un système de signification parfai-
tement valable mais différent de la convention essentiellement anthro-
pomorphique de l'orthodoxie. Il ne faut surtout pas s'imaginer qu'il
n'existe qu'une façon de se représenter le monde. Les possibilités d'expres-
sion auxquelles nous sommes habitués ne constituent la solution la plus
simple que dans la perspective d'une certaine forme de pensée. Nous
demeurons obnubilés par la solution de la fenêtre ouverte d'Alberti,
mais elle ne vaut que pour des sociétés qui imaginent l'espace comme
déterminé par une interprétation visuelle arbitrairement réduite à une
vision projective et monoculaire conforme à la géométrie d'Euclide.
Notre conception moderne de l'espace a cessé d'être conforme à cette
hypothèse dont le statisme est devenu pour nous inacceptable.
Dans des perspectives analogues, la miniature irlandaise nous offre
quelques exemples de systèmes oubliés de signification. Une page des
évangiles d'Echternach nous montre un des évangélistes sous la forme
d'un Christ en croix avec la légende Imago Hominis. C'est, de toute
évidence, un Christ sur la croix, mais un Christ honteux, habillé. Il y a
là un singulier mélange de graphisme et de réalisme — différents l'un de
l'autre de ceux auxquels nous sommes habitués —, qui prouve bien que
40 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

nous sommes devant un système, un langage oublié mais qui en son temps
fut aussi direct que le nôtre. Au siècle précédent un évangile de Rush-
worth, vers 820, offrait une représentation du quatrième évangéliste,
saint Jean, avec son attribut demeuré traditionnel, l'aigle, sous les traits
également d'un homme dont le costume n'a pas été jusqu'ici reconnu.
Il s'agit pourtant de toute évidence du costume rayé des moines irlandais
tel que nous le décrivent des textes de l'époque. L'homme rayé qui par-
court l'Occident en apportant la parole de Dieu, c'est le moine, le moine
irlandais. Mais on se demandera alors si cette miniature-ci ne possède pas
un relent d'hérésie : l'Evangile diffusé au nom de saint Jean suggère de
curieuses affinités avec cette Apocalypse qui restera toujours la source
de l'Evangile éternel jusqu'aux temps de Joachim de Flore et de Savo-
narole. Loin de constituer, comme on l'a toujours dit, un jeu imaginaire
de caprices graphiques la miniature irlandaise a constitué apparemment
un réalisme, réalisme de la chose vue et réalisme des liens imaginaires de
la pensée. Nous ne sommes pas ici devant des imaginations formelles.
Ce langage du premier millénaire qui nous est si mal connu dissimule
aussi bien des croyances officielles que de libres tentatives d'affran-
chissement de l'esprit. La liturgie romaine triomphe déjà dans les formes
de la koinè méditerranéenne, mais il semble bien que, durant cette phase,
le johannisme et l'Apocalypse aient été les ferments de l'hérésie. D'une
manière générale du reste, on peut observer qu'il a existé deux sources
de l'hérésie, dont la première seule a laissé une trace dans les arts. Tantôt
l'hérétique s'est rattaché à des courants antiromains d'origine orientale
et il incarne vraiement une Contre-Eglise — c'est encore le cas du catha-
risme — , tantôt il prétend se rattacher avec plus de pureté à la tradition
judéo-latine de l'évangélisme — c'est le cas de tous les spirituels de l'Occi-
dent. L e succès du premier aurait seul orienté l'art occidental dans une
voie radicalement différente de celui de l'orthodoxie telle qu'elle est.

Durant la première phase de construction de l'Occident médiéval, du


9 e au 13e siècle, il ne semble pas que l'hérésie ait fortement marqué le
nouveau système figuratif en voie de se constituer. L'Occident s'est
développé, en effet, sous le strict contrôle de l'Eglise catholique et si les
conflits n'ont certes pas manqué ils n'ont jamais permis à une autre
culture de se manifester. L'emprise de l'Eglise a été telle que l'hérésie
a fléchi. C'est la grande époque du rêve pontifical de monarchie universelle
et de contrôle totalitaire de la société. Le plus grand mouvement d'hérésie,
le mouvement cathare, a été noyé dans le sang avec la férocité inhumaine
que l'on sait et nous avons déjà noté que, par réaction contre la nouvelle
Babylone, par respect de la religion de l'esprit, les cathares, qui ne contes-
taient pas seulement les normes de l'orthodoxie mais qui représentaient
une vraie Contre-Eglise détachée de la mystique judéo-romaine, ont été
des iconoclastes déterminés. On ne doit donc pas s'étonner si, durant
ART ET HÉRÉSIE 41

cette période, la frange de l'hérésie est courte. Le plus grand conflit


concernant les images est celui qui, au 12e siècle, a opposé Suger et saint
Bernard. Il est d'ailleurs piquant de constater que les accusations de saint
Bernard contre Suger reprenaient les griefs majeurs de l'orthodoxie
contre les hérésies mais, pour une fois, au nom des spirituels condamnant
les engagements terrestres des politiques. En dernière analyse, du reste,
les cisterciens ont adopté le gothique, du moins pour leurs constructions,
et leur opposition aux prestiges de l'imagination n'a point modifié le
cours de l'histoire.
C'est au 13e siècle que l'on voit apparaître une nouvelle forme figu-
rative de l'hérésie, en relation avec la personnalité et la prédication de
saint François. Pauvre François, à l'âme si droite, si pure, qui a apporté
au monde occidental le seul grand élan qu'il ait connu de charité et qui
n'a dû de n'être pas rejeté de son Eglise qu'à l'habileté des pontifes et
surtout au renversement, sitôt après sa mort, de son enseignement.
La captation du franciscanisme par Rome et les dominicains est un des
chapitres les plus édifiants de l'histoire des idées religieuses en Occident
et, ici encore, il apparaît que c'est par l'utilisation des pouvoirs de l'image
que l'opération s'est en grande partie réalisée.
François a eu, le premier, le privilège d'avoir, presque de son vivant,
un cycle complet d'images racontant sa vie à l'intérieur d'une Eglise.
Nous aurions peine aujourd'hui à imaginer l'ébranlement provoqué
dans le monde par sa prédication. Même lorsqu'on se rend à Assise, on
ne saisit pas d'abord la portée de l'événement. C'est que, dans le cycle
d'Assise, la vie de saint François est racontée d'une manière telle que
tout le côté émotionnel et spirituel en a disparu. On a supprimé la repré-
sentation de ses miracles inspirés d'une charité, sans prudence peut-être,
mais débordante d'amour du prochain. On l'a montré comme réalisant
les desseins de l'Eglise romaine et de son Pontife. Dès le 13e siècle, dès
Giotto, on l'a traité comme on le fit plus tard encore lorsqu'on enveloppa
l'humble chapelle où il voulut mourir sur le sol d'une immense et pom-
peuse basilique. On ne l'a pas seulement annexé, on l'a aligné. Chacun
sait que, dans son ordre même, les spirituels ont été rapidement dominés
par les conventuels, les orthodoxes une fois de plus liés à la papauté
et représentants de la police de l'esprit au détriment de ses élans d'évan-
gélisme. D'une manière générale, Giotto fut, du reste, un des agents les
plus actifs de cette politique d'alignement des images sur la volonté de
Rome, conformément aux principes du concile de 787 qui avait pro-
clamé que la disposition des images revenait aux clercs, la réalisation
seule aux artistes, pacte définitif entre l'Eglise et l'art de l'Occident
et raison déterminante de l'orthodoxie intacte de l'art religieux pendant
mille ans.
Réprimer les égarements des spirituels, adapter les mécanismes de la
figuration aux formes de la pensée pragmatique d'un monde en voie de
42 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

renouvellement intellectuel, ce fut le but poursuivi avec ténacité par


l'Eglise durant toute cette période de l'histoire. Il importe de souligner
qu'à partir du 13e siècle l'hérésie majeure est naturellement toujours
la tendance spirituelle, mais que, par l'effet de la prédication francis-
caine, le débat se cristallise autour de la querelle de la pauvreté. Mais,
cette fois, au lieu de vouloir noyer dans le sang l'adversaire, comme
ils le firent pour les cathares, les dominicains plus avertis réussirent à
capter les forces de sympathie qui avaient assuré l'extraordinaire essor
du mouvement, parvenant ainsi non seulement à se débarrasser de l'ad-
versaire mais encore à canaliser les forces vives de son inspiration.
Je crois que la plupart d'entre nous sommes inhabiles à interpréter
les images. Nous les considérons comme fournissant une simple redite
de ce qui a été déjà dit ou de ce qui peut être connu par d'autres voies.
Il me semble, au contraire, que le destin des images nous apporte des
informations qu'il nous est impossible d'obtenir par d'autres voies.
Dans l'époque moderne, depuis l'imprimerie, nous nous sommes habitués
à considérer que la seule forme de pensée et d'expression était la forme
non seulement parlée mais écrite ; nous avons perdu le sens des images.
Mais les hommes des derniers siècles du Moyen Age l'avaient. Pour
eux, l'image imprimait dans l'esprit une vision qui était une chose dis-
tincte du concept. Ils avaient le juste sentiment que l'image dévoilait
les ressorts de la pensée. C'était un mécanisme, une discipline de la mé-
moire qui a joué un rôle énorme dans l'histoire des sociétés. Il y avait
toute une doctrine des lieux, des objets, des rapports entre les uns et
les autres. Le problème de la projection, de la combinaison et de l'invention
des lieux imaginaires impliquait tout un système de diffusion de la pensée
qui a été utilisé d'une manière méthodique, à partir du 14e siècle en parti-
culier, par l'Eglise. Bacon nous dira encore, au 17e siècle, que les images
rendent sensibles les choses intellectuelles et Vico que par les images
on peut expliquer les choses spirituelles. On peut par l'image fixer des
volontés ou des concepts, on peut pousser la volonté à agir. L'image
traduit une gymnastique de l'esprit et de la pensée pour les dominicains
aussi bien que plus tard pour les jésuites. A bien des égards, le 14e siècle
préfigure les disciplines spirituelles de Trente. Cette gymnastique de
l'esprit suppose une morale et une rhétorique. L'art occidental du dernier
millénaire implique non pas un réalisme dominateur, mais une dialec-
tique de l'imaginaire. L'extraordinaire développement de l'image en
Occident pendant mille ans manifeste une logique particulière de la pensée
et de l'expression figurée. L'image a été, pendant ce temps, un des prin-
cipaux supports d'une discipline de la croyance et de l'esprit. L'hérésie,
durant cette phase, a été chassée de la représentation figurative trop
soumise aux contrôles des pouvoirs ecclésiastiques et civils, associés
dans un souci de conservatisme et de respect des valeurs politiques
ART ET HÉRÉSIE 43

établies, Les spirituels, une fois de plus, ont exprimé leur pensée dans
l'abstrait.
Je ne donnerai ici que quelques exemples de ces procédés de captation
par l'orthodoxie de certains mouvements inspirés par une trop grande
spiritualité. Le Saint-François d'Assise de Margaritone d'Arezzo nous
offre l'aspect du saint des premiers temps de sa légende : voici le pauvre
et l'inspiré. C'est apparemment l'aspect sous lequel, d'abord, la piété
populaire l'a imaginé et il y aurait toute une étude fort curieuse à faire
sur les franges de l'hérésie et de la dévotion. Une semi-hérésie, intérieure
au dogme de l'Eglise, comme la prédication de la pauvreté, ayant natu-
rellement inspiré beaucoup plus les artistes qu'une hérésie intellectuelle
comme le dualisme des cathares. Le Saint-François de Berlinghieri à
Pescia nous montre déjà l'apparition du conformisme. François n'est
plus le poverello d'Assise, mais un saint particulièrement doué. Le langage
figuratif altère la représentation naïve des scènes, sauf dans un épisode
comme celui des stigmates proprement irréductible à la norme commune.
Ensuite, c'est la série d'Assise et l'alignement de François aux intentions
de l'Eglise universelle.
Il est aussi intéressant, par opposition, de suivre le développement
de la figuration dominicaine au 14e siècle avec la captation de la figure de
saint François et l'affirmation simultanée de la bonne doctrine du gouver-
nement des esprits, mise au goût de l'époque de la doctrine romaine opé-
rant non plus seulement au niveau des agents du pouvoir mais d'une société
plus ouverte. La réconciliation de saint François et de saint Dominique
est un des traits les plus caractéristiques de la première méthode : dans
beaucoup de polyptiques on affirme hautement l'identité de la doctrine
des deux grands saints du siècle précédent, mais toujours dans le commen-
taire au profit des enseignements dominicains. De la pauvreté et de
l'humilité, en particulier, il ne reste que l'imposition de l'habit francis-
cain à des saints qui, parfois, ne se rattachaient guère à l'esprit des spiri-
tuels. Plus logique est l'alliance fréquente de saint Dominique et de
saintPierre. Ce sonteux qui paraissentdansletryptiqued'Orcagna aux pieds
du Christ courroucé et triomphant après l'effondrement de la double peste
grandissante vers le milieu du siècle, la Peste Noire et l'hérésie. A Santa
Maria Novella, les saints dominicains triomphent seuls dans la chapelle
des Espagnols. Le dominicain, sans le concours du franciscain, conduit
ici directement par la main l'homme docile aux enseignements de l'Église
de la terre au paradis. Un siècle plus tôt, Pacino da Bonaguida montrait
au pied de l'arbre de vie non pas le dominicain mais le Christ conduisant
Adam, c'est-à-dire l'âme humaine, à ses fins dernières. A Santa Maria
Novella encore, face au Calvaire et face à l'apologie du rôle sauveur des
dominicains, une dernière composition, la gloire de saint Thomas d'Aquin,
affirme la prévalence de la doctrine sur la charité. Saint Thomas, dans
sa gloire, est sur un trône qui est presque le trône de Dieu. Il semble ne s'être
44 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

trouvé personne pour dénoncer alors la quasi-hérésie qu'un tel thème


renfermait. L'Eglise de ce temps fut manifestement plus indulgente pour
l'orgueil que pour l'esprit ou pour la pauvreté. Dans le même temps,
sainte Catherine de Sienne questionnée par l'Inquisition à quelques pas
de cette image répondra qu'elle se représente saint Dominique préci-
sément comme il est représenté là et elle obtiendra ainsi son exeat.
La technique du compromis et de la captation ad majorem Dei gloriam
des forces suspectes mais puissantes de l'univers chrétien semble désor-
mais mise au point avec assez de rigueur pour qu'aucun affleurement
sérieux de l'hérésie ne se produise plus dans l'iconographie religieuse
occidentale. Le diable lui-même est associé à la glorification des croyances
et des coutumes de l'Eglise, seule puissance avec les princes à contrôler
la production des images. On assiste même alors, comme j'ai eu l'occasion
de le montrer un jour ailleurs, à l'appropriation du diable. Le diable qui,
à l'origine, était le nègre, le petit Abyssin, l'étranger, ou le dragon des
textes apocalyptiques est maintenant un personnage de la sacra repre-
sentatione. Lui aussi a été engagé dans la troupe des images édifiantes.
On trouve dans les vestiaires des confréries des habits de diable : c'est
un collant, un collant noir avec une queue, comme nous le montrent
par exemple à Florence les scènes de la vie de saint Renier par Andréa
da Firenze. Parfois, une variante : ce serpent délicieux qu'Hugo Van
der Goes a placé à côté d'Eve dans le paradis pour la perte d'Adam et
qui a visage de femme et corps souple et coloré comme celui d'un oiseau.
Mais chacun sait que van der Goes est mort fou.
Vers la fin du 15e siècle, on saisit ainsi le moment où, par suite de
l'emprise réalisée par l'Eglise sur le système figuratif de l'Occident,
la possibilité même d'un art hérétique a disparu. Certains ne manqueront
pas de poser le problème de Jérôme Bosch ; mais pour moi Bosch n'est
pas un représentant de l'art hérétique. Jérôme Bosch, c'est la tenta-
tion, c'est le diable, ce n'est pas l'hérésie. Nous sommes dans le fantas-
tique, dans le psychologique, mais à l'intérieur de l'orthodoxie. Il y a
aberration, ouverture d'un autre domaine peut-être, mais l'hérésie est
une Contre-Eglise.
Ce n'est en réalité ni la tentation du diable, ni celle de la fantasmagorie
qui ont vraiment marqué le tournant décisif, le moment où non pas
seulement la possibilité mais l'intérêt éprouvé par des dissidents pour
un art hérétique a disparu. Cet instant est venu au début du Quattrocento,
voire à la fin du 14e siècle, d'une autre direction, totalement étrangère
aux controverses sur les formes licites ou non de la dévotion, lorsque
brusquement l'objet primordial de l'art a changé. L'une des raisons
pour lesquelles l'hérésie cathare a été radicalement iconoclaste, c'est,
sans doute, en vertu de sa condamnation sans appel de toute espèce de
création naturelle. Toutefois, par un singulier paradoxe, c'est dans des
régions toutes baignées de la doctrine cathare que semblent être apparus
les premiers signes d'une inspiration destinée à transformer entièrement
ART ET HÉRÉSIE 45

l'objet et les méthodes de l'image dans les sociétés occidentales et fina-


lement non pas à résoudre mais à éliminer le problème de l'hérésie. A
Trévise, par exemple, dans la première moitié du 13e siècle, on signale
un mouvement hérétique conjugué avec la fronde des bourgeois contre
l'autorité épiscopale. Dans la seconde moitié du siècle, à Trévise même,
il y eut des bûchers et des procès dont un posthume contre un certain
Albert, notaire, accusé d'avoir professé de son vivant que ce n'était pas
Dieu dans le ciel, mais les humeurs de la terre qui faisaient naître l'herbe
et les plantes. Il s'agit, dans ce cas, d'une variante positive des doctrines
cathares suivant lesquelles tout ce qui naît sur la terre est l'œuvre du
dieu mauvais. Le reste des croyances de cet Albert était au surplus cathare :
rejet de l'amour charnel, de la procréation, des prêtres de Rome qui sont
l'Antéchrist, etc. C'est aussi vers la même époque dans la seconde moitié
du 14e siècle que se développe la curiosité pour les plantes. Les iacuini
se multiplient, formant de véritables herbiers et dans la peinture contem-
poraine, notamment chez les Giovanni de' Grassi et les Pisanello, on
retrouve cette curiosité pour la reproduction exacte de la nature, indé-
pendamment de toute attention donnée à l'histoire humaine conduite
par la volonté divine. La position est singulière, ambiguë. Les accointances
de ce mouvement avec l'hérésie sont certaines mais le mouvement se déve-
loppe autant en opposition avec le catharisme qui croit au mal qu'avec
l'Eglise orthodoxe. C'est l'esprit scientifique, rationaliste, empiriste qui
pointe, seule forme de pensée susceptible avec le temps de mettre fin au
règne absolu de l'Eglise officielle. Ce mouvement rationaliste, au surplus,
se rattache bien davantage aux résurgences de la tradition humaniste,
c'est-à-dire antique et, en dernière analyse, paganisante, qu'à la tradition
hérétique soit sous sa forme cathare, orientale, soit sous forme spirituelle,
occidentale. Ce n'est, au surplus, que très lentement que, de cette reprise
de contact avec la nature, aussi opposée en son fond à l'orthodoxie qu'à
l'hérésie, se dégage avec le temps une nouvelle figuration. Les ouvrages
qui passent pour les incunables de l'art moderne, les fresques de Masaccio
à la chapelle Brancacci, illustrent, au contraire, encore le triomphe de
l'orthodoxie dominicaine sur les ferments vivants de l'opposition héré-
tique, cathare ou spirituelle. Voici la résurrection de Tabitha jointe à
l'affirmation des miracles de Pierre. Très curieuse composition où l'on
voit les bourgeois de Florence circuler sans les voir parmi les saints et
les miracles, cependant que l'intermédiaire entre eux et le Christ est
représenté par les dominicains dont la maison s'ouvre, discrètement pour
une fois, au fond de la place. Vérité de l'Evangile attesté par les miracles
et enseigné par les dominicains, on ne saurait imaginer composition plus
orthodoxe. D'autant que le monde extérieur n'est encore réaliste que
dans ses détails et qu'il nous est montré entièrement pénétré par la présence
d'un autre monde, celui des vraies réalités, le divin. Le Moyen Age avait
cru que le monde était l'actualisation d'une pensée de Dieu et sa figuration
traduisait cette vérité. Tout art était pour lui fixation d'une connaissance

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46 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

donnée par la foi et transmise par la lettre de l'écriture telle que l'inter-
prètent les ministres officiels du culte. La Renaissance va introduire
l'idée d'un univers détaché de la conscience humaine, objectif, susceptible
d'être exploré, inventorié à partir non de la connaissance mais de l'obser-
vation directe guidée par les sens. Elle admet encore, cependant, la concor-
dance exacte de la création et de la pensée. La rupture du cercle ne se
produira définitivement que dans les temps modernes, lorsque l'idée se
fera jour d'un mécanisme de la création ne coïncidant plus exactement
avec les enseignements de l'Eglise, mais rationnel, physique, objectivement
fondé sans que l'on puisse connaître la dernière cause et accessible en
fonction d'une nouvelle dialectique de la pensée et de l'action irréductible
à la lettre comme à l'esprit de toute pensée religieuse. Alors se posera
l'opposition foi — raison exclusive de l'ancienne alternative orthodoxie —
hérésie. Toutefois, il faudra plusieurs siècles pour que cette nouvelle
conception de la nature et de l'art se fasse consciente. C'est après Bacon
la France des philosophes et des encyclopédistes qui se fera la théoricienne
et de la nouvelle pensée et de la nouvelle esthétique encore en voie de
se chercher actuellement. Entre-temps, le développement des arts
suivra une voie de compromis entre les enseignements de l'Eglise ortho-
doxe et les progrès non de la libre pensée mais du nouvel humanisme.
Durant cette période, il ne manquera certes pas d'hérésies, réformes,
jansénisme, illuminisme, mais aucune d'elles n'engendrera une nouvelle
figuration. L'art apparaîtra à ce point à leurs fondateurs comme un langage
assujetti aux pouvoirs établis, qu'ils seront iconoclastes non plus comme
les cathares par refus de la nature mais comme les spirituels par refus
de l'orthodoxie. Lorsque les arts dans les temps modernes se détacheront
suffisamment des contenus imposés pour constituer un nouveau langage,
traduisant directement les valeurs du monde sensible en termes d'intelli-
gence et de perception, les mythes religieux seront suffisamment épuisés
pour que les conflits ne se posent plus en termes d'orthodoxie mais en
termes de structures de la pensée et d'historicisme ou de tradition. Les
rapports qui se dégageront alors d'une confrontation devenue très secon-
daire entre les arts figuratifs et la religion ne se définiront plus par des
phénomènes d'alignement comme ceux dont la miniature irlandaise
nous a donné l'exemple, ni par des phénomènes de syncrétisme entre
traditions orientales et occidentales comme ceux dont le domaine his-
panique nous a gardé le reflet, ni par des phénomène d'assimilation comme
ceux dont l'art roman nous donne l'exemple, ni par des phénomènes
de captation comme ceux dont la querelle des franciscains et des domi-
nicains nous fournit un remarquable modèle, ni par des phénomènes
de refus comme ceux qui engendrent les iconoclasmes, mais par des
phénomènes empreints d'un caractère d'historicisme qui ne leur confèrent
plus cette valeur d'authenticité, d'urgence et de gravité qu'ils possédaient
seulement dans des sociétés dont le code principal de vie était irréduc-
tiblement et primordialement lié à une croyance.
DISCUSSION

G. SCHOLEM. — L'étude des représentations de l'hérésie ne sera peut-être


pas une contribution à l'histoire de l'hérésie mais bien à l'histoire de la folie
des savants : j'ai étudié, il y a quelques années, le livre de Wilhelm Franger
avec beaucoup d'attention. Dans ses livres et ses articles, W. Franger
maintient la thèse que les peintures de Jérôme Bosch, de caractère escha-
tologique, ne sont qu'une représentation des idées et de la vie d'une secte
cabalistique qui florissait alors aux Pays-Bas. • Et plus que cela, selon lui,
ces traditions seraient venues à la secte par un juif qu'il pensait pouvoir
identifier, à partir de la gnose sémitique. Ce serait une grande contribution
à l'histoire d'un art hérétique, si c'était, vrai mais c'est de la pure folie ;
et je veux faire enregistrer ma protestation : nous avons des livres des caba-
listes européens, d'Allemagne, de Provence, d'Espagne, etc. et W. Franger
ne s'est jamais demandé si les traditions qu'il décrit sont vraiment dans ces
livres.
Je dois dire qu'on ne les y trouve pas et que ses interprétations sont de
pure fantaisie.

E. D E L A R U E L L E . — Je ne puis que souligner, du point de vue du théo-


logien, la justesse de ce que vient de dire M. Francastel sur l'importance
des images : elles ne sont pas un moyen occasionnel, elles sont l'expression
normale et comme organique des « mystères » chrétiens ; en ce sens, l'art
est un « lieu théologique », au même titre que les Pères de l'Eglise ou les
écrits spirituels.
A ce sujet, il serait intéressant de recueillir les textes qui en débattent.
M. Francastel a fait allusion à ceux de l'époque iconoclaste ; on pourrait y
ajouter ceux de l'époque de Wyclif sur la légitimité de la peinture comme
du théâtre des « mistères ».
Souhaitons aussi qu'on étudie un jour ces figures qui, en leur temps, ont été
considérées comme hérétiques : la tablette de saint Bernardin de Sienne
portant le nom de Jésus (IHS) dont l'orthographe a donné lieu à un long
débat entre franciscains et dominicains au 15e siècle, et le calice des utra-
quistes, etc.
Enfin, à côté d'une création iconographique consciente de l'hérésie ou de
l'affleurement de motifs hérétiques, on fera place à des phénomènes de
déprédation : l'iconographie orthodoxe, millénaire et très dure, d'un mys-
tère peut se détériorer si l'artiste ne comprend plus la scène ; par exemple,
les couronnements de la Vierge qui ont imité les magnifiques tableaux de
la fin du 14e siècle, comme celui de Villeneuve-lès-Avignon, sont des imi-

*. W . FRANGER, Hieronymus Bosch. Das Tausendjährige Reich. Cobourg, 1947. —


Ein Dokument semitischer Gnosis bei H. Bosch, Berlin, 1950.
48 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

tations maladroites jusqu'à l'erreur : on n'a plus su où placer la colombe du


Saint-Esprit et cela fausse les supports entre les personnes divines.

L . KOLAKOWSKI. — Je voudrais poser à M. Francastel deux questions :


nous savons que presque toutes les hérésies populaires, dans leur commen-
cement, nourrissent une espèce de méfiance à l'égard de l'art plastique,
peut-être par un certain égalitarisme, et nous la retrouvons même dans
l'Eglise chrétienne primitive. Ensuite les hérésies qui ont réussi à s'établir
comme des orthodoxies nouvelles produisent à leur tour leur art. Dans
quelle mesure exacte, donc, une religiosité nouvelle influence-t-elle, par sa
vision du monde, l'art en général ?
D'autre part, comme l'influence de l'hérésie sur l'art plastique ne concerne
généralement que ce qui n'est passpécifiquedel'artplastique, mais seulement
l'expression (par exemple, Cranach « peintre protestant », Rembrandt
« peintre mennonite », Véronèse et ses démêlés avec l'Inquisition)
peut-on vraiment dire qu'il existe un art hérétique ou un art orthodoxe ?

D . OBOLENSKY. — M. Francastel a parlé de l'existence éventuelle d'un


art bogomile et l'a niée, me semble-t-il. Il existe au moins un problème, qui
est cependant encore loin de sa solution : ces monuments funéraires qui
existent en grand nombre en Bosnie et Herzégovine, décorés de motifs
symboliques (lignes humaines, danses, croix, roses, etc.) n'ont rien à voir
avec l'art environnant de cette époque, et certains savants pensent que ces
motifs sont spécifiquement hérétiques. Vous savez qu'à l'époque où ces
monuments furent érigés, du 13e au 15 e siècle, le bogomilisme était devenu
la religion officielle de la Bosnie. Si la thèse était acceptée, que ces monuments
sont d'origine spécifiquement hérétique et que les motifs expriment sym-
boliquement les doctrines bogomiles, cela aurait quelque importance pour
v o t r e thèse principale, à savoir que les grandes hérésies n'ont jamais créé
d'art propre.
L'autre remarque que j e ferai m ' a été suggérée par M. Gieysztor : il existe
des icônes hérétiques, celles des vieux-croyants de Russie : ces icônes mon-
trent la bénédiction faite avec deux doigts, au lieu des trois doigts de l'Eglise
russe. Elles présentent donc une intention schismatique, sinon spécifique-
ment hérétique.

A . TENENTI. — Je voudrais demander à M. Francastel ce qu'il pense d'un


thème du 15 e siècle, qui est un thème nouveau, anticonformiste et, selon moi,
antichrétien : le thème de la mort et plus précisément de la danse macabre.

F . GRAUS. — Permettez-moi d'attirer v o t r e attention sur un f a i t des


débuts du hussitisme : en 1412, lors des tumultes populaires de Prague,
Nicolas de Dresde a laissé dresser une série d'images, de tableaux (tabulez
christi et antichristi) représentant d'un côté le Christ pauvre, sur un âne, et
de l'autre le diable déguisé en pape dans toute sa majesté ; ces images ont
été promenées dans les rues de Prague et ont été utilisées comme moyens
de propagande populaire et des copies du début du 16® siècle en ont été
conservées.
ART ET HÉRÉSIE 49

A . ABEL. — Je voudrais m'inscrire en f a u x contre la croyance universel-


lement reçue que l'Islam a unanimement rejeté les moyens d'expression fi-
guratifs offerts par l'art byzantin. Cette thèse est aussi discutable en Syrie
et Mésopotamie qu'en Iran. E t je me permets d'attirer l'attention de M. Fran-
castel sur une peinture religieuse : dans les ascensions du Prophète, toute une
histoire sainte est décrite ; seul le Tout-Puissant n'y est jamais figuré, aucun
symbole ne le représente jamais, ni rien de ce qui le touche, ni le trône de
Dieu, ni la main de Dieu. A propos donc de la première image que M. Fran-
castel nous a présentée et de l'interprétation qui en est donnée : la lance de
Dieu et la main de Dieu ; il se peut que ce soit une image due à un morisque
qui aurait alors mêlé des interprétations occidentales à un symbole, mais j e
voudrais savoir où se trouve l'inscription qui dit que ce sont la lance et la
main de Dieu et si elle est en arabe et dans la perspective musulmane.
Ce pourrait être le phénomène remarquable d'un art en marge de deux
cultures et de deux tendances religieuses, mais il faut être très prudent.
Gaillet, dans un livre remarquablement intelligent a pu, d'une façon trop
systématique il est vrai, soutenir que dans les périodes de tranquilité les
musulmans employaient des formes symétriques et dans les époques de
trouble des formes dissymétriques. Cela souligne en tout cas qu'il y a bien
évidemment toute une partie créatrice de l'art musulman qui n'est pas
figurative.

J. MACEK. — L a lutte contre l'art que l'on rencontre dans le hussitisme


n'était pas dirigée contre l'art en tant que tel, mais comme manifestation
de « l'Eglise militante ». Les hussites ont détruit églises, statues, images,
peintures parce qu'il s'agissait selon un article taborite de « beauté dia-
bolique ». Par ailleurs les Taborites ont institué des écoles pour les garçons
et les filles et exécuté des miniatures pour illustrer la Bible. Eneas Sylvius
Piccolomini, après sa visite à Tabor, a écrit : « Ces hérétiques aiment les
arts à un point que je n'ai jamais rencontré. Une petite femme — mulier
parva — à Tabor connaît mieux l'Ecriture qu'un évêque italien ».

P. FRANCASTEL. — G. Scholem a parlé des idées de Franger et son témoi-


gnage est pour moi une raison de plus de douter de la thèse qui fait de Bosch
un hérétique : nous sommes là dans le domaine du psychologique, du fan-
tastique, non de l'hérésie. A u contraire la tentation de saint Antoine est
du domaine de l'orthodoxie.
A propos des précisions apportées par le chanoine Delaruelle, les anomalies
qu'il a signalées sont le témoignage qu'un véritable système d'iconographie
hérétique aurait pu se développer et ne s'est pas développé ; je suis donc
d'accord sur ce point : des éléments, pas de système. Quant à ces dégra-
dations que vous avez rappelées, comme cette colombe de l'Esprit-Saint
qui devient simple pigeon, ce n'est pas l'image qui est altérée, mais un
élément qui ne joue plus son rôle traditionnel, comme il le fait dans l'ortho-
doxie figurative. Or, l'objet figuratif est un, l'interprétation multiple e t
son jeu pose tout le problème du langage figuratif. L'erreur, qui entrave
le développement de la culture contemporaine, est de s'imaginer que les
lois du langage sont transposables aux autres modes d'expression.
50 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

En ce qui concerne les problèmes de l'art bogomile, je suis d'accord avec


M. Obolensky sur son originalité par rapport à l'art roman et à l'art byzan-
tin. Mais il n'est pas différent de cet art immense qui a balayé l'Eurasie
durant des millénaires : je ne méprise pas la création bogomile, mais on
peut comparer ces images, signe par signe, aux stèles de l'art des steppes
et je pense qu'il s'agit plutôt d'un folklore de la dégradation d'une tradition
qui est autre que celle de la Méditerranée. A ce propos, je voudrais que
quelqu'un étudie un jour les rapports entre bogomiles et cathares : per-
sonne jusqu'ici n'a signalé l'intérêt exceptionnel du Sud-Ouest, de la région
d'Entre-Deux-Mers, dans l'art roman, avec toute la traînée des monuments
de l'architecture à coupole. Cette région est en liaison beaucoup plus directe
avec l'Orient, avec Byzance que l'art de toutes les autres parties de l'Occi-
dent. Une route de civilisation aborde la France romanè à Narbonne, une
route de civilisation des pays de la mer. Elle traverse l'Entre-Deux-Mers et
c'est peut-être par là que la plupart des choses sont passées en Irlande. Mais
il faut signaler les rapports entre art irlandais et art wisigothique.
Sur les icônes des vieux-croyants, je manque d'information, mais je crois
qu'il s'agit d'une coutume, non d'un système et d'un art. Je ne suis pas sûr,
à propos de la danse macabre, que la représentation de la mort soit anti-
chrétienne et je rappellerai les longs et difficiles débats, aux origines de
l'iconographie chrétienne, pour savoir s'il fallait représenter le Christ
souffrant ou comme un être au-dessus de toute souffrance. En ce qui concerne
la question soulevée par M. Graus, je la rattacherai aux problèmes de la
diffusion : la diffusion des images s'effectue par toute une série de moyens,
pas seulement par l'estampe et l'imprimerie mais aussi par la peinture sur
bois, par exemple.
Je ne pourrai, enfin, répondre de façon tout à fait précise à M. Abel, et je
suis d'accord avec lui sur le fait qu'on a traité de manière trop brutale le
problème de l'image dans l'art musulman. Mais si l'on fait le rapport avec
l'iconoclasme byzantin, il faut noter que, dès le moment où on ne représente
plus Dieu suivant la tradition, on essaye de créer un art du monde exté-
rieur, du monde créé, réel, de Funiveis, du paysage. Est-ce que ce n'est pas
là la grande hérésie, le grand art de l'hérésie : la représentation du monde
extérieur. La société médiévale, au surplus, ne f u t pas unanime ; elle eut ses
groupes et ses compromis, apparents jusque dans le réalisme des sculptures
des cathédrales. Je ne suis pas certain même que tous les exécutants aient été
de parfaits croyants, ni même de parfaits chrétiens.
Je ne crois pas à l'évangélisation parfaite du monde occidental : il y a eu
certainement des quantités de gens qui ont échappé à l'encadrement, à
l'emprise. Et je suis persuadé pour ma part que c'est dans le réalisme parisien
de la fin du 12e siècle et du commencement du 13e siècle que se situe le
moment où s'annonce le grand mouvement qui se retrouve à travers le
17 e et le 19e siècle. J e retrouve ici la question de M. Kolakowski.
H.-I. MARROU

L'HÉRITAGE DE LA CHRÉTIENTÉ

De la chrétienté, plus qu'à proprement parler du christianisme : pour


comprendre le statut accordé, ou plutôt refusé, à l'hérésie par l'Occident
médiéval, et par suite moderne, il ne faut pas hésiter à remonter très
haut. Héritage de ce que j'aime appeler (adaptant une idée et une expres-
sion de Spengler) la « nouvelle religiosité », la révolution spirituelle dont
le monde méditerranéen a été le siège pendant les premiers siècles de
notre ère (on peut la considérer comme réalisée à partir du 4 e siècle);
à nouveau — comme au temps de la cité antique et du paganisme pri-
mitif, et par opposition à la profanisation (relative) de l'ère hellénistique —
la religion, le problème des rapports de l'homme avec la divinité, apparaît
comme la préoccupation centrale, la raison d'être, l'axe de la vie humaine ;
en même temps (et c'est en ce sens que cette « seconde » religiosité est
« nouvelle »), la notion même de religion s'est transformée : elle se définit
désormais par un ensemble de croyances constituant l'idée qu'on se fait
de Dieu et du culte qui doit lui être rendu, ce qui introduit la notion
essentielle d'Eglise : la communauté des croyants rassemblée dans un
consensus confessant la même foi orthodoxe.
Ce type de communauté apparaît aux hommes de ce temps comme la
forme la plus haute, comme la forme normale de communauté entre les
hommes : il en résulte une compénétration intime, une fusion, une confu-
sion entre la communauté religieuse et la communauté nationale ou
sociale, disons pour faire bref entre l'Eglise et la Nation ou l'Etat. Et à
bon droit : si on place le problème religieux au centre de l'existence, à
partir du moment où des hommes sont d'accord sur cela, sur l'essentiel,
la communauté est soudée ; par contre, si l'hérétique refuse l'orthodoxie,
comment pourrait-il s'accorder encore avec ceux dont, sur l'essentiel, il
refuse la communion ?
La tendance à fonder l'unité politique et sociale sur l'unité religieuse
caractérise toutes les sociétés de la basse Antiquité, Spatantike, ou du
haut Moyen Age : qu'on pense à l'Iran sassanide et au rôle qu'y joue
la religion mazdéenne, religion nationale, religion d'Etat (inscription du
grand mage Kartir, au temps du roi Shâpur, le vainqueur de Valérien :
partout où parviennent les armées du shahinshah, les pyrées s'allument,
les mages sont honorés, le culte d'Ahouramazda prospère...).
Dans le monde romain la première tentative pour rassembler tous les
sujets de César dans une même religion est l'institution du culte du Soleil
52 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

invaincu par Aurélien en 274. La même logique entraîne Dioclétien,


restaurateur de la chose romaine, et avec elle de sa religion nationale,
à persécuter les manichéens (297) puis les chrétiens (303-304). Avec
Constantin et ses fils la même conception tend toujours à se réaliser mais
cette fois dans le cadre du christianisme.
Qu'on ne s'y trompe pas : pour les hommes de ce temps, la tolérance
au sens où nous l'entendons, la liberté de croyance et de culte n'a jamais
pu être adoptée ou conçue que comme une solution provisoire corres-
pondant à un instant précaire d'équilibre, celui du rebroussement de la
courbe (quand la religion jusque-là persécutée acquiert le droit à l'existence,
en attendant, le mouvement s'amplifiant dans le même sens, de devenir
à son tour prédominante). C'est le cas de la politique proclamée par
Galère à la veille de sa mort (311) ; puis par Constantin et Licinius (312)
ou plus tard par Yalentinien cherchant à liquider les séquelles de la
réaction païenne de Julien l'Apostat (361-363). Progressivement, fata-
lement, l'Empire romain devenu chrétien est devenu persécuteur, à l'égard
des minorités religieuses qui se révélaient irréductibles, juifs ou païens.
Mais beaucoup plus tôt, et plus naturellement encore, dès 314 en Occident
(affaire donatiste), 325 en Orient (condamnation de l'arianisme), l'autorité
impériale a cherché à rétablir puis maintenir l'unité religieuse des chré-
tiens. Le balancier théologique des empereurs a pu osciller (qu'on pense
aux variations de Constantin ou de Constance à l'égard de l'arianisme,
à celles de Justinien à l'égard du monophysisme), mais leur autorité a
toujours cherché à imposer ce qui du fait de leur option devenait la
définition de l'orthodoxie, à éliminer et cela s'il le fallait jusque par la
violence les partisans de ce qui, du fait de la même option, apparaissait
comme hérésie.
Plus qu'une politique d'occasion, c'était là une position fondamentale
mettant en jeu l'essence de la définition du corps social : d'où la place
que tiennent ces préoccupations dans l'activité législative ; il suffit de
feuilleter les codes : tout le livre XYI du Code théodosien (quelque
150 constitutions consacrées à la défense de l'orthodoxie), le livre I du
Code justinien qui s'ouvre sur une définition de la Sainte Trinité, assortie
d'une menace à l'adresse de ceux qui la contesteraient... (Inutile d'insister
sur le rôle historique de ces documents qui exerceront une forte influence
sur le développement de la pensée juridique du Moyen Age lorsqu'à
partir du 12 e siècle renaîtra l'étude du droit romain).
Depuis ïAufklärung, sinon la Renaissance, le terme d'intolérance,
entendu au sens moral a pris, dans l'Occident libéral, une valeur péjora-
tive. Pour comprendre le monde mental issu de la nouvelle religiosité,
jl faut donner au terme le sens qu'il reçoit en médecine, en biologie (into-
lérance à l'égard de tel aliment, de tel médicament...) : pour les hommes
de ce temps, l'existence au sein du corps social d'une minorité dissidente,
de l'hérésie provoque une réaction profonde, quasi viscérale, d'intolérance.
L'HÉRITAGE DE LA CHRÉTIENTÉ 53

On ne peut que lui refuser le droit à l'existence, que chercher à l'éliminer


par la persuasion s'il se peut, par la violence s'il le faut, comme l'organisme
cherche à éliminer un germe nocif (la comparaison se lit sous la plume
même de saint Thomas, lorsqu'il cherche à justifier l'attitude prise par
l'Eglise de son temps à l'égard des dissidents : haeresis est infedivum uiiium
(commentaire sur le quatrième livre des Sentences, dist. 13, qu. 2, article 3).
Pour parler sans métaphore : de même que toute guerre extérieure tend à
prendre le caractère de guerre sainte (comme on le voit bien dans le cas
des conflits qui opposèrent Byzantins et Sassanides), de même toute
dissidence religieuse à l'intérieur est ressentie comme l'équivalent d'une
menace de guerre civile.
Dans le cas de l'Occident, ces idées ont eu historiquement une action
extrêmement efficace à cause d'une situation religieuse particulière :
le triomphe sociologiquement presque total du christianisme, ou mieux
de l'orthodoxie catholique. En Orient la situation a toujours été plus
complexe : les Sassanides, quelque ardents mazdéens qu'ils fussent, n'ont
jamais réussi malgré des persécutions sans cesse reprises à éliminer les
minorités chrétienne, manichéenne, etc. de leur Empire (pareillement
l'Islam malgré des poussées de fièvre périodiques a dû tolérer ses minorités
chrétienne, juive, etc.). Dans l'Empire byzantin tous les efforts, énergiques
encore qu'incohérents des très pieux Basileis n'ont pas réussi à imposer
définitivement une définition de l'orthodoxie dans les provinces orientales
de leur domaine. Si les nestoriens ont été absorbés ou chassés, les mono-
physites se sont cramponnés en Egypte et en Syrie : de ce point de vue
la reconstitution d'une hiérarchie monophysite par Jacques Barâdai
après 543 est un fait capital ; en face de l'orthodoxie impériale (« melkite »)
se maintient, souvent prospère, une Eglise séparée ; que cette existence
ait compromis la solidité de l'édifice social et facilité la conquête arabe
est évident et apparaît comme une sorte de preuve par l'inverse de la
théorie ci-dessus esquissée de la communauté caractéristique de la nouvelle
religiosité.
En Occident au contraire, une fois ralliés les éléments germaniques
professant l'arianisme hérité de Wulfilas, l'unanimité a été complète, ou
presque : seule survivait la petite minorité juive, enkystée dans le corps
de la chrétienté ; que ce corps étranger f û t mal supporté, les crises d'anti-
sémitisme avec leurs persécutions, leurs violences, sont là pour le prouver ;
encore que le cas du judaïsme soit plus complexe : l'attitude chrétienne
à son égard n'est pas totalement négative (pas plus que celle de l'Islam
à l'égard et du judaïsme et du christianisme, ces deux autres religions
abrahamiques) ; ce n'est pas le lieu d'en faire l'analyse : il y a le rôle de
témoins qu'on confie aux représentants de l'Ancienne Loi, il y a la pro-
messe de leur conversion attendue pour les derniers jours ; mais à la
lumière de ce qui précède on comprend qu'au cours des siècles bien des
chrétiens aient pu être périodiquement tentés d'anticiper sur l'eschatologie
54 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

et de réduire cette minorité par la persuasion ou plutôt la violence. Enfin


le succès même de la répression de l'hérésie cathare par la croisade et
l'Inquisition a pu achever de donner si l'on peut dire bonne conscience à
cette réaction totalitaire de la chrétienté occidentale : l'histoire paraissait
attester qu'il était possible de maintenir, sauvegarder ou rétablir cette
unité religieuse si précieuse et par elle-même et par tout ce qu'on était
habitué à attendre d'elle. On comprend mieux la violence des réactions
suscitées au 16 e siècle par la crise protestante.
DISCUSSION

Mlle C . T H O U Z E L L I E R . — Je suis heureuse de confirmer le point de vue


de M. Marrou : pour les médiévistes, l'hérétique est celui qui s'oppose à la
Révélation et se sépare de l'Eglise, qui de Ecclesia recesserunt... heretici
(Isidore). D'autre part, l'hérétique de cette époque rompt avec la collecti-
vité, il crée une orientation spirituelle et surtout il a espoir de conquérir
la collectivité dont il se sépare. Enfin, il est nettement différencié des
Israélites et des musulmans, qui ne sont pas des hérétiques aux yeux des
hérétologues médiévaux.

B . BLUMENKRANZ. — J'ai été surpris par votre refus de reconnaître au


christianisme l'originalité d'avoir « inventé l'orthodoxie ». Vous la consi-
dérez comme un phénomène généralisé, notamment dans le monde médi-
terranéen, au 3 e siècle déjà. Or, à mon avis, il y a une distinction fondamen-
tale entre la recherche de l'unicité, de l'unité dans l'Empire païen, et cette
recherche dans l'Empire chrétien, marquée par l'apport du christianisme,
ou, si vous voulez, du judéo-christianisme, à l'humanité : l'apport de la
conscience, qui était inconnue dans le monde romain païen. Jusqu'alors
on demandait uniquement une communauté de pratiques, l'adhésion exté-
rieure. Désormais, ce sera l'adhésion du cœur et de la foi qui sera demandée
par le christianisme qui rejettera les marranes, extérieurement pourtant
de très bons catholiques. Le monde romain païen, même dans ses recherches
d'unité, se caractérisait par un éclectisme : il accordait encore des satis-
factions au groupe à qui on demandait pratiques et croyances. E t pour les
juifs, qu'on dispensait même des pratiques, l'avantage était éclatant :
la dispense du culte impérial est une mesure que très peu d'institutions du
monde chrétien, notamment médiéval ont su égaler, en largeur d'esprit,
en tolérance, en renoncement à l'unité complète et entière.

M. T A U B E S . — Je trouve au contraire très important l'accord entre


M. Marrou et Spengler sur un point aussi décisif ; non seulement vous avez
repris son expression de « nouvelle religiosité », mais vous suivez sa des-
cription en insistant sur le consensus. Il y a une « religion du consensus »
au Bas-Empire (Spatantike) non seulement dans l'Empire romain, mais
aussi dans les pays arabes (cf. le chapitre de Spengler « Problème der arabis-
chen Kultur »). E t je ne suis pas d'accord avec M. Blumenkranz, car le
consensus est aussi une forme de conscience. C'est la grande intuition de
Spengler d'avoir compris que, dans toutes les religions de la Spàntantike,
une nouvelle forme de conscience se développe à travers le culte et qu'appa-
raît quelque chose qui ressemble à l'hérésie. C'est un moment décisif où
les religions tribales ont été brisées et où les religions « politiques » (city
religions) ne jouent plus un rôle décisif dans la culture.
56 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

S. LANCEL. — Je voudrais souligner une formule de M. Marrou : il a dit


que, pratiquement, aucune communauté civile n'était possible, à l'époque
du Bas-Empire sans la communion religieuse, qui est l'essentiel. J'apporte
l'exemple des donatistes qui ne sont pas en fait des hérétiques mais des
schismatiques : dans cette mentalité religieuse, les schismatiques sont dou-
blement malheureux, rejetés à la fois civilement et religieusement : ils aspi-
rent au statut d'hérétiques comme à une sorte de promotion. En essayant
de se faire passer pour hérétiques, les donatistes, à la fin du 4 e siècle, essayent
d'être réintégrés à une communauté religieuse, quitte à subir la rigueur
des lois portées par exemple par Honorius contre les hérétiques. L'essentiel
de ces communautés antiques, c'est bien l'appartenance à une communauté
religieuse, et non pas civile. J e crois qu'il n'y a pas à cette époque d'hérésie
qui parte d'une forme de révolte sociale ou nationaliste. L'essentiel est
toujours une discussion d'origine religieuse.

H.-CH. PUECH. — Je suis frappé par l'importance attachée au 3 E siècle :


c'est qu'en effet le 3E siècle voit naître pleinement l'orthodoxie, et simul-
tanément l'hérésie. On a fait allusion à l'Empire sassanide : on y voit un
phénomène classique, la formation d'un « canon d'Ecriture ». On codifie
l'Avesta, on constitue un clergé hiérarchisé, on poursuit des hérétiques,
ou au moins des religions qui ne sont pas d'accord avec l'orthodoxie maz-
déenne ; on expulse juifs, bouddhistes, brahmanes, manichéens, etc. Tout
ceci correspond aux premiers Sassanides et peut-être la réforme sassanide
de l'Etat est-elle calculée sur celle-ci. Au même instant, se constitue une
orthodoxie, sur un plan grandiose, le manichéisme : Mani donne le modèle
du canon des Ecritures, ses propres écrits, qu'il canonise en interdisant
qu'on y change un mot. Et c'est sa supériorité : il a lui-même défini le
contenu de ces livres : ad eternum. En même temps, phénomène extraordi-
naire pour une religion gnostique, se constitue un clergé extrêmement
hiérarchisé et avide, et s'affirme l'opposition d'une religion vraie aux reli-
gions de l'erreur : dogmaia.
Le même phénomène, les mêmes tendances se signalent dans le chris-
tianisme au 2 e siècle et vont se renforçant : c'est un phénomène capital
de la civilisation disons « occidentale » en y comprenant l'Iran. E t dès le
2 e siècle, nous avons des condamnations de l'hérésie, traités d'Irénée,
d'Hippolyte ou pseudo-Hippolyte qui appellent heresies les sectes, gnos-
tiques ou autres. Enfin, à propos de Spengler, M. Blumenkranz a parlé
de la « conscience ». Il vaudrait mieux définir ce phénomène commun de
toute cette époque comme la recherche du moi véritable, éternel et plénier
qui nous définit spirituellement et du salut posé en fonction de l'individu.
D'où l'éclatement des sectes, chacune avec son système, comme les sectes
valentiniennes, tendance antagoniste évidemment à celle qui rassemble
la communauté fondée sur les intérêts d'Etat, surlacommunautéidéologique.

H.-I. MARROU. — La communauté religieuse est celle où convergent des


options individuelles qui reconnaissent toutes par leur propre conscience
et dans l'espoir de sauver leur propre moi, le même credo. La notion de
credo, de contenu objectif de la foi, me paraît faire la synthèse de
L'HÉRITAGE DE LA CHRÉTIENTÉ 57

la notion de conscience et de celle de consensus. E t en fait, historique-


m e n t , u n très large consensus a triomphé, bien qu'il y ait eu, pour la gnose
en particulier, une atomisation des communautés.

H.-Ch. P u e c h . — Oui mais le m o u v e m e n t de toutes ces sectes, d o n t les


gnostiques donnent une image pathologique, c'est j u s t e m e n t de se retrou-
ver soi-même, en r u p t u r e non seulement avec la société, mais avec le monde.
C'est une révolte contre le monde, contre toutes les formes sociales possibles.

H . - I . M a r r o u . — Oui, sauf si nous sommes sept p a r exemple à être d'accord


pour rompre avec le monde pour les mêmes raisons et si nous formons alors
u n conventicule gnostique. J e voudrais préciser mes rapports avec Spengler :
ne faites pas de moi un néo-spenglérien. La lecture de Spengler chez
qui on trouve une source lointaine du nazisme est quelque chose d'ébourif-
f a n t pour un historien sérieux, ou simplement pour un h o m m e moyenne-
m e n t rationnel, mais, dans ce déferlement de fantaisie, dans ce f a t r a s ,
apparaissent quelques intuitions fondamentales. Il me semble que M. Blu-
m e n k r a n z ne reconnaît pas suffisamment l'autonomie de la Spátantike :
bien sûr, vous pensez au s t a t u t des juifs, mais il est hérité du H a u t - E m p i r e ,
des idées de l'ancienne religiosité : c'est parce qu'ils sont u n peuple et qu'ils
o n t une religion ancestrale qu'ils ont droit à adorer leur Dieu. Il me semble
que le 3 e siècle est en effet le t o u r n a n t , et que l'évolution s'y réalise pro-
gressivement ; mais il f a u t avoir une conception polyphonique de l'histoire
et il f a u t avoir une oreille très a t t e n t i v e pour percevoir encore le t h è m e
de l'ancienne religiosité et déjà le t h è m e nouveau. Il y a encore le culte
impérial de style traditionnel, et déjà l'adhésion à des sectes et à des cultes,
Mithra, J u p i t e r Dolichenus, qui implique une croyance certaine, par exemple
que Mithra est le sauveur des hommes. Une oreille suffisamment analytique
perçoit le thème d é j à en t r a i n de s'esquisser.
A. ABEL

NATURE ET CAUSE DE L'ANGOISSE ET DU REFUS


DANS TROIS1 HÉRÉSIES MUSULMANES :
LE KHARIDJISME, LA MUCTAZILA, LE BATINISME

L'aperception que l'on peut avoir du comportement hérétique est diffé-


rente lorsqu'on l'envisage dans le fait d'un individu ou d'une collectivité.
Dans le cas d'un individu, choisissant sa voie en dehors de la règle reçue
pour valable dans les rapports de l'homme avec son Dieu, il s'agit d'une
libération exaltée, affective ou intellectuelle, qui revêtira tous les aspects
que présente, par ailleurs, la réaction de l'individu en face de son groupe,
quand pour une raison ou l'autre, il se refuse à endurer plus longtemps les
contraintes des conformismes inhérents à l'appartenance. Cet homme peut
raffiner sur ce qu'il tient pour l'excellence : il sera plus rigoureux exégète
des textes que ne l'est son entourage, plus scrupuleux dans l'accomplis-
sement de ses devoirs, il rajeunira ou rénovera pour son compte personnel
le comportement religieux reçu par ses congénères. Il pourra être forma-
liste rigoureux ou un novateur extrémiste — c'est le cas de Pascal chez
nous et du poète Abu'l 'Atahiya à Bagdad — voire un mystique novateur
par désespoir de n'atteindre pas la plénitude — c'est le cas de François
d'Assise en Occident, d'al Hallâdj Mansûr en Orient. Ce genre de compor-
tement hérétique se résorbe généralement dans la vie normale de la
collectivité, contribue même parfois à l'enrichir et à la stimuler. L'hérésie
peut, d'autre part, conduire l'individu au rejet de pratiques qu'il tient
pour indignes de la majesté divine ou encore, à des interprétations non
canoniques des textes qui guident la collectivité, voire au refus de conti-
nuer à suivre le conformisme du groupe. Cette attitude participe, comme
la première, outre du scrupule religieux, d'une exaltation du moi, d'une
confiance totale du sujet dans les moyens critiques dont il dispose. Il
s'agit alors du péché d'orgueil qui est, avec la tristesse, le grand écueil
du croyant. Le stade suprême de cette libération est l'impiété qui peut
consister dans le rejet pur et simple de toutes les contraintes spirituelles
et intellectuelles du conformisme, mais peut aussi s'accompagner de la
construction d'un système complet et efficace de valeurs morales et
philosophiques.
Ces comportements individuels, médicalement, peuvent résulter ou
participer d'une angoisse aiguë ou chronique, qui peut arriver au stade
de l'obsession ou de l'aliénation, l'individu ne peut s'extérioriser et s'il
60 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

ne peut, avant tout, se détendre et se libérer dans une action susceptible


de continuité, dont la prédication et le prosélytisme sont la forme la plus
immédiate, et grâce auxquels l'homme inquiet cherche à retrouver les
adhésions ou les participations qui lui font retrouver l'accord et l'appro-
bation qui le rassurent. Et c'est dans cette adhésion que l'individu, au
sortir de sa crise d'exaltation libératrice, participe alors de l'hérésie, soit
qu'il s'en fasse le prédicateur ou le prophète, ce qui est le cas extrême,
soit qu'il prenne place parmi les prosélytes de la doctrine prêchée par un
autre, dont les états d'âme et les fonnules lui paraissent correspondre à
ses propres états d'âme. Ceci nous conduit à considérer le cas d'une
hérésie constituée, au sein de laquelle un groupe humain trouve dans la
communion l'exaltation libératrice. Mais celle-ci ne peut s'expliquer par
la simple généralisation des caractères d'angoisse et de refus qui marquent
la crise individuelle. L'adhésion, qui lui est essentielle, résulte d'une
découverte collective, dans le domaine affectif — car elle doit posséder
le caractère poétique qui mène à une volonté d'action commune. Et cette
adhésion est nécessairement précédée d'un phénomène de rupture que
caractérise au premier chef la désobéissance à la règle des conformismes
antérieurement reçus. On pourrait étendre cette vision des choses à tous
les domaines de l'éthique. Si nous limitons notre analyse à celui de la foi
religieuse ou, plus simplement, à l'examen des circonstances caracté-
risant l'adhésion à une religion positive et le choix d'une attitude à
l'intérieur de celle-ci, nous sommes amenés d'abord à nous rappeler que
l'accord y est réalisé par la convergence des aspirations individuelles en
un symbole unique représentant la divinité, dont les traits affectifs
s'ordonnent autour de l'image salvatrice et réconfortante du Père, juge,
protecteur et rétributeur. Cet accord se réalise et s'entretient dans la
confiance permanente, la soumission, le respect et, en somme, dans la
joie tranquille de la sérénité. II y aura menace de rupture lorsqu'en
présence d'un témoin qui sera aussi un interprète, l'édifice du monde
affectif ainsi défini sera ébranlé, soit par un phénomène catastrophique,
soit par l'effet d'une dégradation de l'image du Père, juge protecteur et
rétributeur. Ceci peut se produire, surtout, lorsque entre la divinité et
l'homme, existe une hiérarchie d'intercesseurs, prêtres, mages, chamans,
imams 4 , dont le comportement ne paraît plus aux croyants conforme à ce
qu'ils tiennent pour les exigences de la divinité, ni pour efficace auprès
de celle-ci.
Cette première vision du processus qui mène à l'hérésie s'applique en
particulier aux sociétés religieuses constituées, au sein desquelles une héré-
sie fait son apparition. Il faudra corriger cette vision des choses, si l'on
envisage la constitution d'une hérésie dans une religion en voie d'exten-
sion, ou de la religion d'une collectivité conquérante menée par un idéal
missionnaire, comme ce fut le cas de l'Islam et de ses premières hérésies.
Il faudra notamment mettre en lumière les formes et les causes de la
NATURE ET CAUSE DE L'ANGOISSE ET DU REFUS 61

dégradation ou de l'effondrement brutal du sentiment de cohésion' au


sein d'un mouvement encore plein de son élan créateur : il faudra mesurer
l'étendue du progrès que l'hérésie peut accomplir au sein d'une collectivité
et définir à quel moment et sous la pression de quelles circonstances s'est
introduit le sentiment d'angoisse menant à la rupture. Dans une société
comme l'Islam — mais ce cas n'est pas unique — le pouvoir du prince
est de telle nature qu'il peut être pris par certains membres de la commu-
nauté pour le lieu où se rencontrent les traits du Père, juge, protecteur et
rétributeur qui font de la personne du prince l'ombre terrestre de la
puissance divine ou, sous un angle plus instinctif encore, le noyau même
de la permanence de son peuple dans les desseins divins. 4
Dans le cas d'une collectivité parfaitement cohérente, famille, tribu,
on n'assiste jamais au phénomène du doute ou de la désagrégation, car
aucun élément de critique intellectuelle ne peut s'introduire dans la vie
d'un tel groupe, marqué au sceau de la continuité et de la conformité aux
idées reçues, inséparables de la vie du groupe où l'individu n'a pas d'exis-
tence ni de droit personnel. Si au contraire le groupe social devient hété-
rogène, par le fait de l'introduction d'une nouvelle vision de sa fiscalité,
par exemple, sa cohésion subit la conséquence de polarisations diverses.
Il admet alors souvent avec perplexité et inquiétude une certaine latitude
intellectuelle résultant d'échanges ou d'apports en provenance de groupes
présentant une autre structure. Deux formes d'angoisses peuvent alors
saisir ses membres et provoquer la rupture et la révolte. La première
et la plus importante dans ses effets sera la réaction de membres tota-
lement fidèles à l'image qu'ils se font de leur groupe, devant ce qu'ils
peuvent interpréter comme une transgression du prince à leur règle
traditionnelle. C'est dans ces conditions qu'est née l'hérésie kbàridjite. '
La seconde, au sein d'un groupe hétérogène, et soumis par surcroît, en
raison d'intenses contacts extérieurs, à de constantes confrontations
pouvant aller jusqu'à la polémique fondamentale, sera l'angoisse d'un
groupe social appelé à dominer une société, mais dans lequel naîtra un
doute soit sur la cohérence de ses principes éthiques et dogmatiques, soit
sur leur application. Ce sera le cas de l'hérésie mu'tazilite.
Le dernier cas, enfin, sera celui d'un ensemble ethnique ne tirant
d'unité que d'une circonstance accidentelle, constituée, par exemple, par
la soumission à un autre groupe dont il aura, un moment donné, dû
adopter les expressions de pensée, sans avoir consenti à les assimiler,
et qui redécouvre peu à peu, à l'occasion de brassages matériels constitués
par des guerres et des révolutions, et entretenus par des voyages, des
pèlerinages, un enseignement fertile en perplexité, la valeur de ses tradi-
tions propres, sans pouvoir toutefois les formuler ouvertement. Cet
ensemble constitue alors un élément révolté et comprimé, dont les refou-
lements, faute de pouvoir se libérer, cherchent un ou des transferts, soit
dans un syncrétisme fait de symbolismes prometteurs, soit dans une
5
ea HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

doctrine décidément eschatologique. C'est dans ce sens que l'on peut


chercher l'explication profonde de cette immense chose, infiniment
complexe, que constituent les tendances bafiniennes. *

Cette introduction méthodique, qu'on trouvera peut-être longue, aura


du moins l'avantage de faciliter l'interprétation de la suite de cet exposé.
Le cas des kbâridjites y apparaît le premier, et de façon lumineuse.
Ils furent, de l'Islam, la toute première secte dissidente, et ils le furent
avec la violence des purs. 7 Dans leurs rangs, l'on comptait des hommes
appartenant à la première génération des ralliés à l'Islam, à côté d'hommes
dont la première conviction s'était formée dans les promesses d'un Islam
qui était encore, au premier chef, essentiellement eschatologique. Pour
eux, le chef de l'Etat musulman est avant tout le successeur de ce Pro-
phète, qui aux yeux du grand nombre, devait conduire vers le salut la
collectivité, au sein de la prière et des bonnes actions accomplies dans le
chemin de Dieu, qui est la guerre sainte, dont le succès conditionne
l'heureuse fin des choses.8 Que ce chef de l'Etat fût fidèle à sa mission,
qu'il demeurât soumis au jugement de Dieu, jugement qui s'exprime en
ce monde par le succès des armes brandies en son honneur, et la commu-
nauté musulmane connaîtrait une fin prospère. Qu'il hésitât, qu'il se
reniât lui-même, qu'il doutât, et c'était alors, aux yeux de ces convertis
pleins d'ardeur et de sincérité, qui apportaient au combat toutes les
forces de permanence de leur groupe, la défaite morale, la trahison devant
le plus haut des destins.8 Or, les Tamimites convertis à l'Islam avaient
rompu avec leurs traditions tribales anciennes. Soumis d'abord à une
prédication monothéiste hétérodoxe, mais d'une intense valeur évocatrice
par une prophétesse, Sajjah 10 , ils étaient sortis du polythéisme avec une
conviction ardente et avaient adhéré à l'Islam suivant un mouvement
passionnel qui avait fait d'eux les partisans naturels d''Àli, héritier
spirituel et consanguin du Prophète, c'est-à-dire, unissant les deux légiti-
mités, suivant la tradition millénaire des tribus et suivant celle du jeune
Islam. 11 La capitulation d''Ali remit tout en question : l'ardeur des
convictions de ces convertis leur fit voir en lui le mauvais chef, celui qui
abandonne les siens, et cela sur la voie qui faisait toutes leurs espérances.
Il n'est pas sans importance de souligner ici quelques traits essentiels
de cette sécession : leur chef portait le surnom de Dhû'l Thafinàt : celui
qui avait acquis des cals (au front) à force de prier ; leur groupe se vit
renforcer d'un nombre non négligeable de récitateurs du Coran, les plus
convaincus et les plus respectables des musulmans ; une partie même de
l'armée d''AIi vint les rejoindre et ils prirent le nom de SJjurât, c'est-à-dire
« ceux qui ont vendu leur âme à Dieu ». Un élément encore, qui témoigne
de leur adhésion au sentiment d'un Islam universel, est leur attache-
ment ia à la doctrine de l'égalité des races (dans l'Islam) comme leur
affirmation que tout musulman peut accéder au rang suprême, fût-il un
NATURE ET CAUSE DE L'ANGOISSE ET DU REFUS 63

esclave noir. Le signe distinctif, avons-nous vu, de l'hérésie par désir


d'excellence est le raffinement dans le rigorisme. Et l'on sait que, pour
eux, le musulman pécheur est assimilé au renégat et passible de mort,
avec les siens, conception de pureté à quoi les prophètes d'Israël nous
ont accoutumés.18 L'intensité de la tension affective à laquelle ils se
sentirent soumis, à l'angoisse à laquelle ils cédèrent apparaît pendant le
cours de l'année qui sépare l'arbitrage d'Adbrob et le massacre de Nahra-
wân.14 L'assassinat d"Ali ne devait être qu'un corollaire de cette rupture,
qui fit du kbaridjisme le lieu où pendant un siècle et demi allaient se
retrouver tous ceux qui dans l'Islam se dressèrent contre le pouvoir
en tant que tel c'est-à-dire tous ceux qui exigeaient du prince des
vertus que le Coran même n'avait pas exigées. Phénomène d'une remar-
quable unité et d'une grande cohérence, le kbâridjisme est le prototype
élémentaire de l'hérésie musulmane issue de l'excès de fidélité dans
l'adhésion.
Très différente de cette tendance est l'hérésie mu'tazilite ou, pour
parler plus justement, l'attitude mu'tazilite dans l'hérésie.19 C'est au
seuil de la foi, dans le principe du pouvoir et de l'adhésion que les klja-
ridjites ont mis toute leur attention. C'est dans le système des valeurs
finales que les mu'tazilites trouvent la raison de leur sécession, c'est-à-dire
au sein même de ce qui constituait, pour de vieux civilisés l'essence de
cette religion de salut, qui se présentait comme le parachèvement et la
synthèse des deux autres religions révélées et se réclamait d'un œcumé-
nisme déterminant pour l'eschatologie universelle.18 Mais cet Islam, dont
le texte fondamental foisonne de contradictions, déjà dénoncées par les
scripturaires qu'avait connus le Prophète, et inlassablement reprises par
les Chrétiens araméens19 autant qu'hellénophones, cet Islam était religion
de salut sous l'aspect automatique de l'adhésion, qui est le type primitif
de la religion de salut sans doute, mais qui se présentait ici sous une forme
rationnelle psychologiquement incompatible avec lui. On a voulu voir
chez les Baçriens, parmi lesquels naquit la Mu'tazila, une trace du neutra-
lisme d'une partie des Tamimites et des Azdites, qui ne prirent pas position
dans l'arbitrage entre 'Ali et Mu'awïya : on a voulu aussi découvrir chez
eux des traces de pensée libre ">, ce qui est incompatible avec une révé-
lation absolue comme celle du Coran. Sans doute y a-t-il de cela dans leur
pratique souvent extra-textuelle de la dialectique.31 Mais ce qu'il y a,
d'abord et avant tout, c'est la cristallisation soudaine, après deux géné-
rations d'Islam organisé, de toute l'inquiétude que fait naître la contra-
diction interne entre la notion de prédestination et celle de Jugement
Dernier. Les chrétiens, dont la conversion avait fait des musulmans, dans
ce milieu de marchands, d'intermédiaires, de candidats au fonctionnariat,
de professeurs, que constituait le milieu baçrien M , les chrétiens ne s'étaient
pas tous convertis, mais, au contraire, polémiquaient avec des armes de
mieux en mieux ajustées, contre un Islam qui empruntait de plus en
64 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

plus à l'école, où les mêmes chrétiens s'étaient formés. Et l'une des pre-
mières acquisitions de ces rencontres fut l'inquiétude fondamentale rela-
tive à la rétribution finale et située à un tout autre niveau que celle des
kjjaridjites, chez des gens, aussi, dont le système de représentations était,
de longue date, celui de la vie urbaine, des comptes bien faits et bien
tenus, et pour qui une justice divine, donc parfaite, ne peut, en définitive
sous peine d'ébranler, dès ce monde, les consciences, manquer de distin-
guer entre le musulman pécheur et le musulman impeccable. A l'époque
de tJasan Basrï— qui tenait le pécheur pour un musulman douteux dans
son esprit et dans sa qualification — et à celle de Wâsil b. 'Atâ', l'Islam
est constitué et avance constamment parmi les populations soumises et
progressivement conquises et converties. Pour le lettré et le penseur
qu'était Wâsil, hidjazien d'origine, et bourgeois de Médine avant de
l'être de Baçra, le musulman ne pouvait être qu'un homme responsable
et justiciable d'une juste rétribution. C'était l'essence même de l'escha-
tologie qui eût été remise en question, dans un monde, d'ailleurs, où l'on
n'attendait plus le Jugement Dernier avec la même ferveur ni la même
joyeuse impatience que dans les débuts. 23 On entrait dans un monde
de bourgeois établis, sachant compter, et dont les économies de vertu
devaient servir, sous peine de voir l'équilibre des choses se défaire et se
rompre. L'intensité et la sincérité de cette inquiétude avait déjà retenti,
ailleurs, à Damas, autre milieu bourgeois, où Gbaylân avait accepté
allègrement le dernier supplice sous le khalife Hishâm, en défendant la
doctrine du libre arbitre, qui devait trouver tout de suite place dans la
Mu'tazila, à côté de celle de la juste rétribution.24
Mais, si intenses que fussent les angoisses et les révoltes des Bédouins
sincères et des bourgeois scrupuleux, elles n'atteignaient pas celles de
peuples entiers, riches de traditions nationales, fiers d'un passé millé-
naire, dans les consciences desquels brûlait la flamme d'une religiosité
originale, passionnée, et dont la perpétuelle jeunesse s'était manifestée
au cours de véritables crises de rénovation26, je veux dire les Iraniens.
Condamnés par l'esprit spécifique du Coran à perdre, avec la souve-
raineté, la foi même qui donnait un sens profond et total à leur vie comme
à leur structure sociale, obligés d'adhérer à la religion de leurs vainqueurs,
envahis par les hordes de ces pasteurs, désormais fixés en seigneurs sur
leurs territoires, ils offrirent à l'invasion une résistance spirituelle dont
l'intensité se mesure au fait que, tels les Espagnols, ils finirent par rejeter
la langue des conquérants et par se créer une épopée superbement dédai-
gneuse des envahisseurs.28 II n'en fallut pas moins, sous les Omeyyades
et jusqu'au règne d'al Mutawakkil, où la dislocation de l'Empire musulman
se consomma, adhérer, formellement, à l'Islam. Cette adhésion revêtit,
dans ses aspects extérieurs, les traits les plus spasmodiquement révoltés.27
Contre Damas, l'Iran adhéra au parti d"AIi, il apporta des recrues
aux bandes désespérées des kbariçjjites et il fut l'artisan de la chute des
NATURE ET CAUSE DE L'ANGOISSE ET DU REFUS 65

Omeyyades, puis, contre Bagdad, il entretint longuement la révolte de


Bâbek le Khurramî. C'est sur les bords, encore iranisés, du Tigre que
naquit au temps d'Abd al Malik b. Marwân, la croyance et la promesse
en une eschatologie préparée par la venue du Mehdi Muhammad b. al
Hanafiyya, dont la doctrine fit l'objet d'un écrit singulier 2S , sorte d'anti-
Coran, dont le souvenir s'est perpétué notamment, dans le fameux texte
connu sous le nom d'Apocalypse de Bahira, dont la première recension
date du règne d'al Ma'mun. 2 8
L'Iran révolté et indigné participa à la conjuration abbasside, et reçut
avec ferveur l'enseignement d'Abù Muslim, puis de ses disciples, ensei-
gnement au sein duquel l'Islam changeait d'âme 3 0 , où la doctrine de
l'imam reprenait le caractère de la sacralité de la royauté iranienne» 1 ,
où le recèlement de l'imam rejoignait les espoirs de revanche des héritiers
de Yezdegerd 3a , et dont le couronnement était la gbûla Ali, qui accordait
à celui-ci les caractères divins. Un vaste ensemble, mal défini, de prédi-
cations, qui devaient, avec l'abaissement de l'Islam khalifal et sunnite,
triompher dans l'ismaélisme, s'était très tôt organisé comme un ensei-
gnement clandestin ss , empruntant ses espérances, dans le désespoir, aux
pratiques faciles mais consolatrices, de l'exégèse isopséphique du Coran
et à l'usage du djafr 8 4 , ce mystérieux anti-Coran révélé à 'Ali, dont les
techniciens de l'isopséphie allaient faire, jusque dans l'Islam sunnite du
14e au 16e siècle, le plus efficace usage de propagande.
Cet enseignement clandestin, bravant la logique formelle de l'esprit et
les références rassurantes du langage et des textes, nous apparaît comme le
témoignage le plus sûr, dès l'époque d'Abd al Malik, du degré d'intensité
que revêtit l'angoisse née du sentiment de claustration et de frustration
dont souffrirent, sans s'y résigner, les populations araméennes et ira-
niennes de la Mésopotamie et des plateaux.

Si, après une aussi brève esquisse, il est permis de conclure, on apercevra,
dans les trois hérésies dont nous avons parlé, des traits résultant constam-
ment d'états d'esprit analogues : anxiété devant la menace pesant sur
l'élément fondamental qui avait entraîné l'adhésion du groupe à l'Islam,
suivie d'une fuite devant une réalité imposée du dehors et, en conséquence,
d'une rupture suivie d'une reconstruction passionnelle des éléments de
l'espérance.
Chez les kbâridjites, tout juste sortis du système tribal qui avait
constitué le cadre et le schéma de leur existence en collectivité organisée,
l'imam avait pris, dans leurs représentations, la place que le chef de la
tribu, père, juge, protecteur et intercesseur auprès des puissances célestes,
avait traditionnellement occupée. Sortis de ce cadre tribal, ayant mis
leur espérance dans la rétribution eschatologique, sous l'égide d'une
religion dont le caractère salutaire résidait dans la présence même de
l'imam, ils devaient, au premier manquement de celui qui occupait ce
66 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

poste redoutable, sentir tout l'édifice de leurs espérances s'effondrer


sous eux. De là, l'excès de leur réaction et l'intensité de leur rupture,
rejetant en bloc tout le corps de l'Islam, rupture dont on ne trouve
l'équivalent que dans certains groupements révolutionnaires de l'époque
contemporaine qui, ayant quitté la société traditionnelle et découvrant
dans la direction imprimée à leur parti un caractère, à leurs yeux, incon-
sistant, sont allés chercher dans l'extrémisme un transfert de leur angoisse
et de leur déception.
Chez les mu'tazilites, c'est la conception de la rétribution et du jugement
imbu de justice distributive, notion morale d'une classe raisonnable, qui
entraîne le doute, puis l'anxiété, garante de la sincérité des sentiments
conduisant à la rupture d'avec la naïve certitude quiétiste qui caracté-
risait à leur époque, la troisième génération des musulmans traditionnels.
Il dut y avoir, chez ces bourgeois de Basra et de Bagdad, amateurs de
conventions scrupuleuses, et ennemis de la gratuité, des incidences
« en miroir » de l'inquiétude devant le rigorisme formaliste et le caractère
radical des kljâridjites, autant que devant le conformisme piétiste, la
résignation pessimiste au fond, des murdjites.
Leur position, à l'inverse des kbâriçljites, était celle d'intellectuels
individualistes, volontiers disputeurs, aimant à faire valoir l'acuité de leur
esprit dialectique, fût-ce envers le Coran et le Prophète, au grand scandale,
et parfois au prix de l'hostilité déclarée de la communauté demeurée
conformiste.
Cette attitude intellectuelle, parfois intellectualiste, était, et les gens
de la tradition ne s'y trompèrent pas, la plus redoutable qui fût envers la
simple et vraie foi.
C'était aussi la position d'une classe menacée d'être absorbée et digérée,
détruite dans l'essence même de son esprit, par le littéralisme Indiscuté
de l'interprétation textuelle du Coran, menacée aussi dans les privilèges
que lui conférait son éducation, source de sa distinction et raison d'être
de ses privilèges.
La Mu'tazila n'eut jamais de position guerrière, ni proprement parti-
sane. Elle vécut, tantôt sous l'abri du prestige de l'école, où ses membres
brillaient, tantôt sous l'aile du pouvoir, à qui les mu'tazilites apportaient
parfois l'appui de leur autorité, aide dangereuse, qui compromettait le
prince et devait finir par s'effondrer avec lui ou être rejetée et désavouée
par lui, ce qui arriva en effet.
Sous toutes ces formes, la réaction iranienne fut subversive. De là,
les habitudes secrètes de la Bâtiniyya, l'organisation des complots, les
soulèvements, soutenus par des contributions volontaires ou des coti-
sations, dont le mouvement qarmate est l'image la plus accomplie, mais
dont celui de Bâbek et la prédication ismaélienne, demeurent eux aussi
profondément marqués.
Mouvement collectif, il a, de tous les mouvements collectifs et violents,
NATURE ET CAUSE DE L'ANGOISSE ET DU REFUS 67

les tares et les marques, à côté de ceux que leur impatience lance dans les
combats sanglants et la guérilla, la Bàtiniyya connaît la résistance conven-
tionnelle, les adhésions sans lendemain et toutes les formes secondaires,
symboliques, de l'opposition, qui se marquent dans le verbalisme et le
charlatanisme. De là, le recours de la propagande ba^inienne aux sciences
mystérieuses, au djafr, aux apocalypses, au horoufisme.
Les batiniens demeureront toujours loin de la position mu'tazilite, et
plus proches des kbSridjites, dont, avec le temps, ils acquerront le fana-
tisme et l'intransigeance. Ils seront marqués par la violence passionnelle
révélée par le recours à l'absurde, par l'usage d'une argumentation
s'adressant à des masses animées seulement du désir de changement, de
révolution pour la révolution, et qui demeureront, malgré les victoires,
sans lendemain efficace. Il n'en sortira aucune philosophie dialectique,
mais seulement une doctrine intuitive et illuminative permettant, à côté
d'elle, les progrès d'une science descriptive, mais qui sera condamnée à
quitter la « doctrine » aussitôt qu'elle se constituera et à qui elle n'emprun-
tera que la notion des perpétuels retours et des cycles. Et cette science
éloignera ses adhérents des masses, supports de toutes les religions. Ces
masses, alors, se réfugieront dans un fanatisme eschatologique et partisan,
pour s'émietter ensuite et ne conserver, lorsque la classe des marchands
se sera formée dans l'Ismâ'fliyya, que la discipline traditionnelle de
l'organisation secrète et de la solidarité, à l'instar, mutatis mutandis, des
Mozabites, ces autres marchands descendants, eux, des révoltés
kbâridjites.

NOTES

1. n est remarquable qu'une religion qui, comme l'Islam n'a ni clergé, ni conciles, ni
pape, et dont par conséquent, les canons n'ont jamais été fixés, puisse avoir des
hérésies. En fait, et la chose est remarquable pour son caractère de spontanéité :
la « voie droite » (hid&yat) s'est établie progressivement au cours des luttes partisanes
menées soit à l'intérieur des villes par les fractions populaires suivant des hommes
incarnant telle ou telle tendance, plus souvent envisagée sous son aspect opposi-
tionnel que sous son aspect salvateur ; soit en rase campagne par les factions armées,
oppositionnelles, elles aussi, nées généralement de l'allure opressive et spoliatrice
que, jusqu'à la domination ottomane, tous les gouvernements musulmans, en
général issus des intrigues d'une minorité agissante ou des coups de main de bandes
armées, pouvaient être accusés de revêtir, aux yeux de larges couches de la popu-
lation. L'oppression universelle et décisive menée par les Ottomans, le caractère
byzantin de leur administration mit fin, une fois pour toutes, à la période créatrice
en matière d'hérésies.
68 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

En vérité ce turent les 'Ash'arites, dont l'apparition décisive marqua le triomphe


du conformisme, qui se complurent à énumérer et à compter les hérésies, en inventant
les traditions remontant au Prophète ou à 'Ali, qui permettaient à leur simplisme
de condamner sans recours tous les efforts des théologiens qui les avaient précédés
et avaient essayé de résoudre les inconciliables contradictions de la foi et de l'éthique.
Faut-il dire que chez aucun d'entre eux on ne trouve de véritable esprit historique,
quelque désir qu'ils manifestent — et c'est le cas notamment d'Ibn Hazm et de
Sbahrastani de faire entrer les causes des hérésies dans un vaste ensemble systé-
matique et fortement charpenté.
2. Dans le cas qui nous concerne, le rôle d'intercesseur de l'imam ne concerne que
tardivement certaines sectes de l'Islam sbi'ite et certaines confréries de l'Islam
sunnite à partir du 12e siècle. En ce qui concerne l'Islam tout entier, le Prophète
apparaîtra comme le suprême intercesseur de son peuple au Jugement Dernier,
et son image se superposera d'une part à celle des intercesseurs reçus par les Chré-
tiens, s'identifiera, à l'autre, à celle des imams intercesseurs de la Sbi'a.
3. Ce caractère prématuré de la tendance hérésiologique se rapprochera de l'esprit
extrémiste qui se manifeste dans l'Apocalypse de Jean de Patmos, dans la lettre à
l'Eglise de Laodicée, et dans le développement du mouvement marcionite.
4. Les traits du Père, juge, protecteur et rétributeur : ceci vraisemblablement senti-
ment plus vivant dans des tribus comme l'étaient les Tamimites et les Azdites
parmi lesquels naquit la KJjàridjiya, dans les représentations desquels l'imam s'était
substitué à la figure traditionnelle du sbaykb jusqu'à la faire passer au deuxième
plan. L'élimination de l'imam laissait un vide qui fut occupé alors par les grands
hérésiarques, qui achevèrent de disloquer l'ancienne organisation tribale, laissant
seulement une voie ouverte, celle de la si rigoureuse prédication, dominée par l'esprit
de prosélytisme féroce qui caractérise, curieusement, les Azraqites par exemple.
5. Les kbâridjites, ou « ceux du dehors », ceux qui sortent, aussi appelés Mâriqaena
(ABD AL QÀHIR AL BAGHDÀDl, al Farq bayna l Firaq, p. 5, éd. Mh. Badr)
ceux qui s'écartent de l'orthodoxie, chauds partisans d"Ali, participants à ses
batailles pour le khalifat, sont le plus bel exemple de ce brusque effondrement
affectif du fidèle devant la trahison de son chef. Cette trahison fut — faut-il le
rappeler 7 — l'arbitrage d'Adbroh, œuvre humaine venant interrompre l'accom-
plissement du destin religieux du khalife légitime 'Ali et, avec lui, de toute la com-
munauté, qu'il abandonnait ainsi. La défection et la révolte qui suivit eurent, acci-
dentellement, pour conséquence, le meurtre d"Ali. Mais il faut mettre en évidence
— et insister sur ce point — que le mouvement kbàridjite ne fut pas seulement le
refus de suivre un chef indigne, mais une rupture avec la communauté musulmane
tout entière, geste de négation et de rejet absolu que ne pouvait engendrer qu'une
désillusion totale.
6. Les tendances bat-iniennes. Il faut parler de tendances, qui se rencontrèrent et se
retrouvèrent au sein de mouvements d'opposition et de révolte — voir plus bas —
mais où des aspirations, des formules, des doctrines, des mouvements partisans très
divers se rencontrèrent. Ils avaient en commun le fait de partir de groupements
secrets, d'adopter des enseignements teintés de dualisme, de pensée iranienne ou
manichéenne. Souvent l'ésotérisme y eut sa part, et les historiens des diverses
sectes batiniennes insistent sur le fait que, quelles qu'elles fussent, elles s'organi-
saient autour de l'image ou de la personne d'un imam. Mais ces sectes étaient nom-
breuses, les agitateurs et les hérésiarques divers, et les divergences entre eux allèrent
souvent jusqu'aux relations à main armée.
7. Tous les autres musulmans étaient pour eux des infidèles, aucun jugement ne
pouvant émaner d'ailleurs que de Dieu, la décision par les armes était préférable
à toiite autre forme de ?ui/i. Leur premier chef spirituel était « l'homme dont le
NATURE ET CAUSE DE L'ANGOISSE ET DU REFUS 69

front porte des durillons dûs à la prière ». Eux-mêmes s'enorgueillissaient de l'ardeur


de leur foi. Le meurtre, pur et simple, sans distinction de sexe — ni parfois d'âge —
leur apparaissait comme la seule riposte, tant au pouvoir qu'à l'impiété. L'intensité
de leur déception se mesure encore à la violence de leur réaction en matière d'imamat.
« Même un esclave noir peut être imâm » et dans cette position, qui s'inscrit contre
le Coran même (Coran, XXXIX, 24, IV, 62 ; cf. IBN SA'D, Tabaqat..., IV, 1, 136),
en conseillant d'écarter le prince qui s'est écarté de la voie droite, etc. (cf. Encyclo-
pédie de l'Islam, s.v. « Kbâridjia » et TRITTON, Muslim Theology, p. 35-42).
8. Au temps des kbârigjites, il s'agit, évidemment, sensu stricto, de l'eschatologie du
Coran, sans plus. Ce ne sera que chez les collectionneurs de Ziaditb, et au contact
des chrétiens comme des Iraniens, que la notion de religion universelle commencera
à fleurir.
9. C'est-à-dire le triomphe de l'Islam dans l'unanimité, doctrine que la constitution,
alors en pleine évolution, de la doctrine de l'umma, allait, avec les conquêtes, amener
à la doctrine d'un Islam universel.
10. Sadjdjah (Encyclopédie de l'Islam, s.v.) poétesse tamimite, et par là apparentée
aux groupes ethniques d'où allait sortir le kbâridjisme, avait, de par sa mère, une
origine chrétienne, qui explique sa prédication, à une époque de grande activité
religieuse. Son destin fut tumultueux et s'entrecroisa un moment, au temps de
la Ridda, avec celui du « faux » Prophète Musaylama.
11. Parent à un degré licite du chef, assimilé au chef de tribu, au sJjaykJj, il en était,
suivant l'usage arabe, l'héritier. D'autre part, il était khalife élu.
12. « Un esclave abyssin pouvait être Khalife » (IBN SA'D, al Tabaqat al Kubrâ , I, 8,
224). Mais nous avons dit plus haut que l'on pouvait, psychologiquement, ne voir
dans cette position de principe qu'une marque extrême de leur rupture avec le
sentiment d'un Islam arabe, et dans lequel, à leur époque, les nuances de l'appar-
tenance à Quraysb étaient intensément soulignées et mises en valeur dans le pro-
blème du droit au khalifat.
13. Prophètes d'Israël. L'admirable chapitre I d'Esale, les saintes fureurs d'Ezéchiel,
XXXIX, 17 et suiv., les malédictions de Sophonie, III, 1-8, répondent à travers
les temps aux violences de l'Apocalypse de Jean de Patmos, II, 18-23, toutes carac-
téristiques du même esprit.
14. Leur intransigeance et leurs exigences en matière d'orthodoxie ont eu leurs échos
dans un véritable folklore (cf. les chapitres du Kamil d'al Mubarrad les concer-
nant, dans la traduction d'O. Rescher, Stuttgart 1910). Leur esprit de querelle
apparaît dans le fait qu'ils ont eu vingt sectes, et dans l'étendue de leurs critiques
et des condamnations qu'ils prononçaient (ABD AL QÀHIR AL BAG£fDÀD I,
al Farq bayna'l Firaq, p. 55-56. Voir Encyclopédie de l'Islam, s.v.).
15. Après la première révolte qui aboutit au massacre qu"Ali fit d'eux à Nahrawân
commencent dans les années 659-660 une série de petites révoltes dans le Bas-Iraq.
Après la mort d"AIi, assassiné par un des leurs, ils se soulèvent onze fois sous
Mu'awïya,'surtout dans les régions des Ba£â ift, après avoir constitué un second front
contre les officiers de Yazid pendant le règne de l'antikhalife Ibn Zubayr. Ils se
soulèvent en Iran sous Nafi' b.al Azraq et dominent dans le Kirman et le Fars.
C'est seulement en 699 qu'ai Hadjdjâdj vient à bout de leur action dans le Bas-Iraq.
Mais quelques mois après on les retrouve en Haute-Mésopotamie, etc.
16. Le nom de mu'tazilite du verbe i'tazala, se tenir à l'écart, a beaucoup d'étymologies.
Celle qui parait la plus proche est celle qui rappelle leur attitude d'indifférence ou
d'abstention dans les luttes civiles de la grande Fitna (cf. T R I T T O N , Muslin Theology,
p. 60).
17. Voir au sujet de l'atmosphère éthique où naquit la Mu'tazila le riche chapitre de
P E L L A T , Le milieu baçrien et la formation de Djahiz, p. 2 2 3 - 2 5 9 .
70 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

18. A la différence des kbâridjites, Arabes étroits et limités dans leurs vues et leur
formation, les mu'tazilites avaient, de par leur statut social même, eu l'occasion
de contacts avec les chrétiens de la Basse Vallée, avec les juifs, avec les manichéens
(voir à ce sujet le chapitre V du livre de Pellat, et les nombreuses références des
historiens de l'hérésie, sur les rapports d'al Nag^âm notamment, avec les divers
milieux religieux du temps, et les influences que ces milieux avaient eues sur lui).
Wâ$il, notamment, mêlait deux cultures : la tradition rapidement enrichie au temps
des conquêtes, des villes saintes, et celle de la tumultueuse Ba$ra des origines.
La tendance apocalyptique multiforme qui se rencontrait en Mésopotamie favorisa
vraisemblablement autant l'esprit œcuménique, que ne d u t le faire le progrès
foudroyant de la conquête, dont les échos se rencontrent dans les fradltb relatifs
au Djihâd et aux annonces attribuées au Prophète même (cf. notre article : « Un
liadltb sur la prise de Rome • dans Arabica, janvier 1958).
19. Cf. travaux du Centre d'études supérieures spécialisé d'histoire des religions de
Strasbourg : L'Elaboration de l'Islam (1961-1962), P.U.F., p. 61-85 où l'on trouve
l'exposé de ces échanges d'idées et la bibliographie qui s'y rapporte.
2 0 . La livre, ancien déjà, de S T E I N E R , Die Mu'taziliten, oder die Freidenker im Islam
(Leipzig 1 8 6 3 ) , est avec celui de D U G A T , Histoire des philosophes et des théologiens
musulmans (Paris, 1 8 7 8 ) , le témoignage de cette naïve tendance analogique qui
nous porte à retrouver nos façons de voir et de sentir dans un passé qui nous retient
et nous intéresse.
21. Toute la polémique islamo-chrétienne des deux premiers siècles en est le témoi-
gnage (cf. l'article cité note 19) et la méthode des Mukkallimuna, si studieusement
étudiée par Max H O R T E N : Die philosophische Problemen der spekulativen Theologen
im Islam, n'est constituée que par cet effort pour atteindre la vérité des choses
en dehors du commentaire formel ou traditionnel des textes révélés.
2 2 . C f . C H . P E L L A T , op. cit.

23. Cf. le livre vieilli, mais toujours génialement évocateur de P. C A S A N O V A , Mohammed


et la fin du monde, Paris, 1911, p. 21 et suiv., p. 54 et suiv. et les notes.
24. Nous verrions, par une étude suivie, que les murdjites, en réaction contre les excès
des kbâridjites, furent, avant les mu'tazilites, des neutralistes modérantistes. Si,
comme les kbâridjites, ils proclamèrent une doctrine islamique extérieure au racisme
religieux des Arabes, ils le firent pour des raisons différentes : beaucoup d'entre
eux étaient des clients, des convertis. Leur quiétisme, affirmant la valeur de l'effusion
et de la dévotion, le poids qu'ils accordaient au repentir, le fait qu'ils attribuèrent
les premiers une action d'intercession au Prophète, après le possible séjour de
musulmans en enfer, témoigne d'origines chrétiennes. L'attitude de P j a h m b.
Safwàn et celle de Gbaylân al Dimisljqi, celle de P j a ' d b. Dirhem, sont déjà mu'tazi-
lites. Disons, ici, qu'il serait hautement intéressant de dégager avec soin tous les
caractères dogmatiques et politiques du règne d'al Hishâm, sous lequel périrent
tant d'hérétiques : Gbaylân, Pjahm b. Safwan, sja'd b. Dirhem, et où souffrit
Jean Damascène, où se développa la Murdji'a et où l'on p u t prévoir la venue de
l'imamisme avec Abû Mansûr al 'Idjli et ses Kindites, de Muhammad b. al Hana-
fiyya, tandis que se préparait l'orage qui, venu de l'Iran, allait balayer les Omeyyades
et mettre à leur place les Abbassides.
25. A ce sujet, l'écho religieux de ces crises successives de rénovation et de repris* de
conscience apparaît, mieux que dans l'énumération des faits d'annales, et témoigne
de la vitalité constante de la conscience iranienne. Un tableau, assez clair, des évé-
nements, apparaît dans J . D U C H E S N E G U I L L E M I N , La religion ancienne de l'Iran,
collection Mana, Paris, 1962.
26. Tous les caractères de la naissance de cet esprit épique, ou pour mieux dire, de
son jaillissement après une période de latence et d'étouffement, ont été subtilement
NATURE ET CAUSE DE L'ANGOISSE ET DU REFUS 71

analysés et mis en valeur dans le grand article de NÖLDEKE, Das Iranische Nationa-
lepos, 2« éd., Berlin-Leipzig, 1920, 107 p. Sur la préparation de cet esprit et sa mani-
festation sporadique, on dépistera, déjà, sous al Amin, des tendances iraniennes
chez le poète Abti Nuwwäs (cf. GABRIELI, « Abu Nuwwäs, poeta abbasside », dans
O.M., t. X X X I I I , p. 283 et suiv.).
27. Le terme « révolte » prend ici t o u t son sens. C'est, avec la charge que la conquête
imposa aux vaincus, avec la contrainte spirituelle qu'elle introduisit dans leurs
habitudes de sujets, une volte-face soudaine et un effort pour échapper à un sort
indigne, dont les révélations et les promesses apocalyptiques qui sont le fond opti-
miste même de la pensée iranienne, permettent d'esquiver l'accomplissement.
L'angoisse était, ici, dans l'attente. Même prometteuse, l'attente n'est faite que
d'incertitudes. La lointaine royauté des souverains de Damas, voire de Bagdad,
n'apportait à ces populations, brusquement islamisées et auxquelles l'Islam n'avait
apporté ni espoir ni consolation, aucune de ces certitudes que l'édifice historique
rigoureux de la vieille pensée religieuse iranienne apportait, quelle qu'en fût la
forme. L'effort inconscient pour atteindre cette certitude, puisqu'il ne pouvait
porter d'abord sur les faits, se tourna vers l'élaboration d'une doctrine : pour ceux
qui ne s'étaient jamais soumis, ce fut la croyance à la promesse de retour du roi
sassanide, recélé aux confins du monde, dans une ville d'airain (cf. K. CZEGLEDY,
< Die spätsassanidischen und schiitischen Mahdi-Erwartungen >, dans X. Inter-
nationaler Kongress für Religionsgeschichte, Marburg, 1961, p. 147). Pour ceux qui
avaient accepté l'Islam, en gardant intactes leurs traditions et leurs pensées, ce f u t
la doctrine de l'Imam, qui leur rendit la certitude, non dans l'extériorisme fanto-
matique de la baTya mais dans le caractère assuré du najç, transmettant à l'imam
du temps, sous une forme mystique, la somme entière des connaissances et de la
prescience, directement émanée de l'intelligence divine (cf. I. GOLDZIHER, Streit-
chrifi des Gazäli gegen die Bâtiniyya Sekte, Leyden, 1 9 1 6 , Introduction, 'p. 1 0 - 1 2 ) .
28. Cf. dans Encyclopédie de l'Islam l'article fort précis, à ce sujet, de Van ARENDONCK,
s.v. « Kaisanïya >. Cette secte qui faisait de Muhammad b. al Hanafiyya leur imam,
au temps du « Prophète du Mawâll » al Mukhtär (Kufa, environ 694), lui conférait
déjà cette science absolue sur tous les êtres de la création, ainsi que sur le plus intime
des âmes. Abd al Qahir al Bagbdâdl, éd. Mh. Badr, p. 31-38, a complaisamment
décrit l'atmosphère de réaction ethnique où se déroula la première aventure de
Muhammad b. al Hanafiyya.
29. Voir Encyclopédie de l'Islam, 2 e éd., S.D. « Bahîra » et la bibliographie à ce sujet.
Sous al Ma'mûn, notamment, on rappellera que des partisans suscitèrent la venue
d'un homme qui se fit passer pour Muhammad b. al Hanafiyya.
30. Nous différons, sur Abu Muslim, du point de vue de S. Moscati dans Encyclopédie
de l'Islam, s.v. Il parait beaucoup plus proche de la vérité historique de voir, dans
cet homme qui sut un instant rassembler tant de tendances diverses, l'auteur d'une
doctrine syncrétique au sein de laquelle chacun se retrouvait. Cf. BROCKELMANN,
Geschichte der islamischen Völker und Länder, c. V.
31. Cf. Atti dell'VIII Congresso internazionale di Storia delle Religioni, Rome, 17-23 avril
1 9 5 5 , p. 1 2 1 - 1 2 4 : G . W I D E N G R E N , « The Sacral Kinship in Iran » et PAGLIARO, « La
concezione iranica délia regalita », dans ibid., p. 2 0 5 - 2 0 6 .
3 2 . K . CZEGLEDY, loc. cil.
33. Ce sont les doctrines du Ketmân et de la taklya qui fleurirent chez les peuples
opprimés de l'Islam dès les kbâridjites (cf. Encyclopédie de l'Islam, s.v.).
34. Cf. Encyclopédie de l'Islam, 2' éd., l'article de T. FAHD sur le djafr.
DISCUSSION

M . L O M B A R D . — Vous avez très bien déterminé les trois aspects de ces


primitives hérésies de l'Islam, et vous les avez rattachées en somme à
trois domaines géographiques : les Bédouins d'Arabie pour les kharidjites,
mais que signifie exactement « kharidjite » ? Les très vieilles civilisations
urbaines, plus habituées à manier des concepts pour le courant mu'tazilite,
mais peut-on parler d'une hérésie mu°tazilite au même titre que la Kharidjiya ?
Enfin, pour la troisième de ces hérésies — le mot ne recouvre pas bien la
chose et vous êtes de mon avis — ce sont ceux qui n'ont assimilé l'Islam
que forcés et qui, clandestinement, ont fait de nouveau ressurgir la langue
et la civilisation de ce vieux passé iranien, les batiniens, les ismaélites, les
shi«ites, l'enseignement clandestin qui va se transmettre aux sectes extré-
mistes des Assassins. Quelles sont, pour vous, les relations de ces tendances
iraniennes avec les tendances « communistes » de Babek et de la secte des
khurramites ?

H.-Ch. P U E C H . — M. Abel a parlé, à propos du mu c tazilisme, d'attitude,


et non d'hérésie à proprement parler. Vous avez, sous la même étiquette,
des gens assimilés aux manichéens, et des gens qui les ont combattus. La
catégorie d'hérésie se discute donc, pour la Mu°tazila et peut-être aussi
pour la Batiniyya puisque nous trouvons, dans les textes sur les »Abassides,
des manichéens assimilés tantôt aux uns, tantôt aux autres, ou inversement
des gens qui n'ont rien à faire avec eux, assimilés aux manichéens, comment
l'Islam, au 9 e et au 10 e siècle, considérait-il les manichéens ? S'ils les ont
traités comme hérétiques et persécutés, est-ce parce qu'ils les rangeaient
sous des catégories musulmanes de manichéens, ou parce qu'ils assimilaient
ces musulmans scabreux à des manichéens ?

A. A B E L . — Les kharidjites sont appelés de ce nom parce que, selon la


tradition, ils sont sortis, les uns disent du colloque d'Adhroh, les autres
disent de l'Islam ; mais il en est d'eux comme des mu'tazilites, les deux mots
expriment le fait de la sécession. En ce qui concerne la scission mu'tazilite,
c'est évidemment une attitude d'esprit et il est malaisé d'établir entre les
différents « meneurs » de la Mu'tazila une liaison profonde, sauf sur le dogme
fondamental de la Manzil baina al-Manzilatayn, de la « demeure entre les
demeures », qui attend dans l'au-delà, le musulman pécheur : les kharidjites
excluent celui-ci et le livrent à la mort, avec sa famille. D'autres le savent,
les mu°tazilites ne le regrettent pas : Hasan Basrï le déclare munafiq, hypo-
crite, mais c'est un musulman, il a prononcé les paroles qui assurent le
salut éternel. Cependant, il y a là une situation dont Wasil b. c Ata' tire la
conclusion, ce musulman ne peut connaître les joies éternelles puisqu'il
n'a pas accompli les indispensables bonnes actions. Les œuvres sont, pour
l'Islam, indispensables, surtout pour les kharidjites. E t il y a au début dans
NATURE ET CAUSE DE L'ANGOISSE ET DU REFUS 73

la Mu«tazila une forte influence kharidjite. E t cette attitude tranche sur


l'attitude tranquille de la masse des musulmans, assurés du salut. Plus
tard, une attitude générale de la Mu°tazila se manifestera sur la question
de la création du Coran : en effet, si l'on rejette l'idée que le Coran, sous
sa forme transcendentale, est co-éternel à Dieu, l'expression — de toute
éternité — du plan de déroulement de la pensée divine, du logos divin,
on dépouille le Dieu des choses essentielles qui permettent la création du
monde. Pour une partie des mu«tazilites, seul le Coran sous sa forme actuelle
était créé, pour les autres, le Coran transcendental aussi était créé. C'était
l'hérésie qui, comme toutes les hérésies musulmanes, se compliquait d'un
fait social : c'était l'hérésie des marchands, des intellectuels, des candidats
aux fonctions administratives, de l'entourage des princes et cette classe
allait être le point d'appui de Ma'mun : les Omeyyades s'étaient appuyés
sur les Arahes et la chute de Marwan II. Il fut provoquée par la défection des
Arabes du Nord de Syrie : les premiers «Abassides s'étaient appuyés sur
les Iraniens, jusqu'à l'extermination des Barmécides par Haroun al Rachid,
et de leur entourage iranien. La rupture avec l'élément iranien entraînait
la chute du successeur d'Haroun al Rachid, el Amin, et l'établissement,
avec l'appui d'Iraniens ralliés, de Ma'mun. Mais le parti iranien devait vite
se séparer de lui : le fidèle Tahir lui-même quitta Ma'mun pour s'installer
en Khorassan. Ma'mun, pris entre les Arabes, le parti populaire et les
Iraniens, devait s'appuyer sur les marchands de Bagdad et Basra, des
mu c tazilites. On voit se développer, chez Djahiz par exemple, le philhellé-
nisme, le prestige de la culture grecque. Djahiz fait rayonner l'amour de
l'hellénisme ; éliminé par Mutawakkil, il reviendra, recommandé par le
ministre de Mutawakkil pour combattre les Chrétiens. E t il les combat
avec les arguments mu°tazilites, les seuls qui pouvaient avoir une valeur
dans ce cas. Donc, on peut parler d'une hérésie mu c tazilite, aux innombrables
subdivisions (on en a compté, je crois, quarante-deux), des écoles d'intellec-
tuels, car l'hérésie a eu très peu d'effet dans le peuple, sauf chez les mar-
chands, où cela a abouti à la rupture avec l'Islam et à ce fameux groupe-
ment de la secte des « Frères sincères » une vraie Aufklärung, qui passait
dans l'Islam pour la plus grave hérésie, à côté de la Battiniyya : celle-
ci était en effet « la fin de tout » : on y trouvait tout ce qui était horrible
à l'arabisme et à l'Islam, confondus en une seule chose depuis Haroun al
Rachid. Pour Ibn Hanbal, n'est musulman que celui qui est arabe et les
kharidjites sont rejetés, puis les mu°tazilites sont éliminés de leurs fonctions
et de leurs titres, tandis que se constitue une orthodoxie avec Ibn Hanbal,
al Acha°ri, puis Ghazali, et plus tard Ibn Taimiya. Tandis que la Batiniyya
mène une guerre secrète par tous les moyens, qui rappelle l'utilisation,
durant la dernière guerre, des prédictions de Sainte-Opportune ou de Nos-
tradamus, dans un climat eschatologique. L'espoir, la promesse de revanche,
c'est pour la Batiniyya, l'imam caché, le représentant du prince iranien,
qui se trouve tout au bout du monde dans une caverne ou au-delà du
Khorassan, dans la ville de cuivre, cette ville de cuivre qui passera dans
les légendes populaires, dans les Mille et une nuits : la mentalité populaire
restera imprégnée des souvenirs de la Batiniyya.
C'était l'époque où des milliers de da°i ismaéliens créaient partout des
74 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

« cellules », surtout chez ceux qui souffraient. De là naturellement naissent


les mouvements, comme celui des khurramites, ces paysans iraniens de
l'Adharbaidjan, qui rêvent d'une eschatologie imprégnée de la tradition
émanationniste et iranienne, et naturellement dualiste, et celui des qar-
mates : des da°i s'en vont dans les communautés, et selon leur niveau, leur
psychologie, leur expliquent des revendications, les engagent à se révolter,
ou bien leur expliquent le Coran suivant des formes isopséphiques et en
faisant dire aux textes l'inverse de leur signification, ils lèvent des cotisa-
tions, et, à un moment donné, déclenchent ces grandes révoltes des bati-
niens, des khurramites, des ismaéliens.
D. ANGELOV

APERÇU SUR LA NATURE ET L'HISTOIRE


DU BOGOMILISME EN BULGARIE

On sait que le bogomilisme est l'une des doctrines hérétiques et l'un des
mouvements les plus importants de la Bulgarie médiévale. Il est né au
milieu du 10e siècle sous le régne du roi Pierre (927-969) et s'est étendu
dans les terres bulgares jusque vers la fin du 14e siècle, soit jusqu'à la
chute de la Bulgarie sous la domination ottomane. Cette doctrine repose
sur le dualisme, en d'autres mots sur l'idée que dans la nature et dans
l'homme deux forces s'affrontent — le bien et le mal. En partant de cette
conception du monde, les bogomiles menaient une campagne soutenue
de prêches contre les rites religieux et contre les représentants du pouvoir
temporel. Les adeptes de ce mouvement étaient divisés en trois caté-
gories : les parfaits, les croyants et les auditeurs. L'analyse du bogomilisme,
de son essence et l'histoire de cette importante doctrine hérétique, très
répandue dans la Bulgarie du Moyen Age permettront, nous l'espérons,
de mettre en lumière un certain nombre de problèmes essentiels qui doivent
être éclaircis à cette conférence. Je voudrais en premier lieu attirer l'atten-
tion sur le fait que le bogomilisme ne saurait en aucune façon être considéré
comme une manifestation isolée sans liens avec la réalité sociale. Tout
au contraire, il était intimement lié à cette réalité et aux conditions qui
existaient en Bulgarie. Les sources historiques et les données précises
dont nous disposons permettent d'affirmer que des rapports féodaux
étaient établis à cette époque en Bulgarie. Des antagonismes très prononcés
existaient entre la population paysanne qui formait la grande masse des
habitants du pays, l'aristocratie féodale et le roi. Ce sont précisément
ces antagonismes qui provoquèrent l'apparition de cette hérésie religieuse.
Le meilleur témoignage en est le discours de Cosmas le Prêtre (ouvrage
du 10e siècle contre les bogomiles). De ce discours on peut constater que
l'idéologie hérétique servait principalement à la paysannerie qui pouvait,
grâce à elle, exprimer son mécontentement contre les lourdes prestations
imposées par la classe féodale et lutter contre l'oppression des boyards.
Mais l'apparition du bogomilisme n'est pas due seulement aux rapports
féodaux qui prédominaient au 10e siècle et aux contradictions entre les
classes sociales. On sait qu'au 10e siècle une Eglise très puissante s'était
établie en Bulgarie — conséquence de la conversion des Bulgares au
christianisme en 865. Une idéologie religieuse chrétienne, appuyée par
76 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

de nombreux arguments et par l'Etat, s'était étendue à travers tout le


pays. Cette idéologie ne poursuivait pas seulement une adaptation de
la population à la nouvelle religion et l'abandon définitif des croyances
païennes, mais s'efforçait aussi de convaincre le peuple que les institutions
politiques et sociales étaient parfaites et sanctionnées par Dieu. « Le roi
et les boyards sont nommés par Dieu » c'est ainsi que s'exprimait dans
son discours Cosmas le Prêtre, l'un des écrivains religieux bulgares les
plus en vue de ce temps. Dans d'autres ouvrages religieux on soutenait
le point de vue suivant lequel Dieu et le pouvoir sont deux notions qui
ont la même signification (l'évêque Constantin, Recueil de Siméon). En
d'autres mots la lutte contre l'Etat et son régime social menée par les
bogomiles — qui traduisaient l'esprit des masses paysannes — devait
commencer par la lutte contre les défenseurs idéologiques de cet état
de choses — donc contre le clergé. Ceci était d'autant plus naturel et
s'imposait même, si on se souvient qu'au 10e et au 11e siècle de nombreux
membres du clergé — métropolites, évêques, higoumènes de monastères —
possédaient de vastes domaines et jouissaient de privilèges sociaux et
juridiques et s'étaient ainsi intégrés à la classe féodale aristocratique.
Il faut d'autre part considérer un aspect particulier du problème sou-
vent soulevé de l'origine des hérésies et voir dans quelle mesure elles sont
l'héritage du passé et reflètent d'anciennes traditions hérétiques. Il est
hors de doute que de telles traditions existaient dans le bogomilisme et
l'analyse de ses dogmes montre nettement les liens qui le rattachent
à la doctrine des pauliciens et en partie aussi aux massaliniens. Les
bogomiles empruntèrent en premier lieu à ces doctrines la conception
dualiste du monde à travers laquelle ils cherchaient à s'expliquer l'univers,
le régime social, les institutions, l'homme personnifiant l'idée de spiri-
tualité et de l'existence de l'âme. Il me semble cependant qu'on commet-
trait une grande erreur en attribuant à cet héritage idéologique des bogo-
miles au 10e siècle une importance primordiale en y voyant un élément
décisif de l'apparition de cette doctrine. Or, si la tradition hérétique a
pu être adoptée et développée dans le bogomilisme, c'était à cause des
conditions qui existaient dans la société bulgare à cette époque et qui
constituaient un climat favorable à son éclosion. Sans ces conditions et
ce terrain propice aucune hérésie n'aurait pu naître en Bulgarie, et ceci
indépendamment des influences d'hérésies venues du dehors. Nous savons
que la propagande paulicienne toucha les terres bulgares et pénétra
dans le peuple dès la deuxième moitié du 8 e siècle; c'était l'époque où
les pauliciens étaient installés en masse en Thrace par ordre des empereurs
de Byzance — Constantin V Copronyme et Léon IV le Khazar. Cependant,
cette propagande n'eut pas un écho sérieux et c'est seulement au 10e siècle,
lorsque les contradictions sociales s'exacerbèrent sous le régime féodal,
qu'une institution religieuse s'établit dans l'intention de sanctionner
l'ordre social dans le pays. Le bogomilisme apparut en utilisant certains
L'HISTOIRE DU BOGOMILISME EN BULGARIE 77

éléments d'hérésies plus anciennes, et plus particulièrement l'hérésie


paulicienne. Ainsi donc c'est le climat intérieur et non pas l'influence du
dehors qui fut ce facteur décisif. Et, à mon avis, ceci est vrai non seulement
pour le bogomilisme, mais aussi pour toute hérésie plus importante dans
l'Europe du Moyen Age.
Un rapide coup d'œil sur l'essence et l'histoire du bogomilisme nous
permet — il me semble — de constater un aspect particulier des hérésies
du Moyen Age, notamment les différences caractéristiques et les contra-
dictions entre les dogmes et leur développement dans la vie, entre la
théorie et la réalité, entre les sectes et le mouvement de masse. Il y avait
d'une part les bogomiles théoriciens, les vrais disciples du fondateur de
cette doctrine, le pope Bogomil, instruits dans l'esprit de cette conception
du monde dualiste et du christianisme, tel qu'on la trouve dans les
évangiles. Ces personnes appartenaient à la catégorie des « parfaits ».
C'étaient pour la plupart d'anciens prêtres qui avaient quitté les ordres,
mécontents de l'Eglise orthodoxe. Ils avaient une bonne préparation
théorique et connaissaient à fond la science théologique. Ils se conformaient
aux idées dualistes prêchées, menaient une vie d'ascètes, ne se mariaient
pas, évitaient l'excès de nourriture, les vêtements somptueux, recomman-
daient l'humilité et la soumission et désapprouvaient l'effusion du sang.
Ils ne pratiquaient pas le travail manuel et étaient nourris et logés par
leurs adeptes. Les « parfaits », comme on peut le constater d'après les
sources, étaient très peu nombreux — une minorité parmi la masse des
bogomiles. C'étaient les représentants de l'hérésie du point de vue idéo-
logique d'un milieu d'érudits, d'un cercle restreint de sectaires. Autour
de ce « milieu d'érudits » le bogomilisme s'est développé comme un mouve-
ment des grandes masses populaires, comme une idéologie à caractère
populaire qui pénétra principalement dans la paysannerie. Les paysans
bulgares qui adoptèrent les idées bogomiles n'étaient certainement pas
de savants théologiens, pour eux les problèmes théoriques développés
dans la cosmogonie, la théologie et l'eschatologie étaient totalement
inconnus. L'éthique hérétique aride qui faisait l'objet de ces prédications
leur était aussi étrangère. Le paysan bulgare simple de nature ne voulait
pas du tout devenir ascète et ne désapprouvait pas le mariage, la bonne
chère et le vin. Il ne cachait nullement ses besoins de biens matériels, tout
au contraire, il tâchait d'en acquérir davantage et d'accroître ses droits
sur la terre qu'il travaillait et voulait se débarrasser des restrictions,
de l'oppression et de la domination du seigneur féodal. Bien qu'en principe
hostiles à la guerre, les paysans n'hésitaient pas à prendre les armes contre
leurs maîtres ou contre les envahisseurs du dehors, sans se soucier du
fait qu'ils enfreignaient les commandements du bogomilisme interdisant
l'effusion de sang. D'autre part, le paysan bulgare ne s'abstenait nullement
du travail manuel prohibé par les prêches des « parfaits ». Il passait sa
vie dans les champs dont il cultivait le sol, et s'il lui arrivait de désa-
6
78 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

prouver le travail, c'était uniquement pour s'insurger contre l'exploi-


tation de son labeur par les organes du pouvoir central et par les seigneurs
féodaux (c'est là le sens des accusations de Cosmas le Prêtre).
D'une manière générale lorsqu'on parle du « bogomilisme » comme
d'une seule manifestation, nous ne devons pas perdre de vue les deux
aspects que celle-ci comporte. D'une part, le bogomilisme comme idéo-
logie d'un cercle restreint de théoriciens érudits, et de l'autre comme un
mouvement de masse de la population paysanne dans la Bulgarie du
Moyen Age, mécontente de l'oppression féodale. Or, entre ces deux
bogomilismes, il existe une différence sensible et des contradictions
évidentes dans la manière de vivre de ses adeptes, dans leurs conceptions
sociales et leur éthique, ainsi que dans les méthodes d'action. Ces diffé-
rences et ces contradictions ressortent avec netteté lorsqu'on étudie
l'histoire de ce mouvement en Bulgarie qui s'étend sur quatre longs siècles
(du 10e au 14e siècle). Nous citerons à cet effet un exemple du début du
13e siècle. Sous le règne de Boril (1207-1218) la propagande bogomile
dans les terres bulgares était particulièrement active, et ce souverain
se vit obligé de convoquer un concile en 1211 à Tarnovo contre les héré-
tiques. D'après les documents de ce concile, nous voyons les « parfaits »
prêcher la renonciation aux biens terrestres et une vie d'ascètes, alors
que les simples auditeurs s'efforçaient de mettre la main sur les biens de
l'Eglise et des monastères détenus en vertu de chrysobulles impériaux. Ces
tentatives pour redevenir les propriétaires du sol qu'ils cultivaient et
qui avait été accaparé par l'aristocratie féodale provenaient surtout
des paysans qui considéraient avec beaucoup de bon sens la vie du côté
pratique. Nous trouvons de nombreux exemples de semblables contra-
dictions à l'époque de la domination byzantine en Bulgarie. Au cours de
cette période une propagande intense en faveur du bogomilisme était
faite par les « parfaits » qui étaient hostiles à l'effusion de sang et qui deman-
daient à l'homme de s'opposer à l'esprit du mal (nous possédons des infor-
mations précises à ce sujet chez Euthymius d'Acmonie et dans la Pano-
polie dogmatique d'Euthymius Zigavin). Anne Comnène accuse les bogo-
miles d'avoir fomenté la rébellion de Pierre Deljan contre Byzance en
1040. On peut donc constater qu'il existait de nombreuses contradictions
entre le dogme des bogomiles et sa répercussion dans la vie courante. Ces
exemples témoignent par ailleurs que le milieu social très divers dans
lequel le bogomilisme s'était propagé au cours des siècles avait nécessai-
rement provoqué une adaptation de ses dogmes et de ses principes confor-
mément au milieu et aux différents intérêts des représentants de cette
hérésie. On a accordé jusqu'ici peu d'attention à cet aspect. A mon avis,
cela ne s'applique pas seulement au bogomilisme, mais aussi à toutes les
hérésies du Moyen Age en Europe. C'est une position de principe fort
importante.
Enfin, je voudrais aussi relever qu'on ne doit pas considérer cette héré-
L'HISTOIRE DU BOGOMILISME EN BULGARIE 79

sie comme une doctrine sociale et religieuse immuable, établie défini-


tivement. Mais si conservatrice et résistante fût-elle par sa nature en
tant que système fondé sur une conception dualiste du monde, l'hérésie
bogomile comme toute autre hérésie était susceptible d'évoluer. Elle
n'a pas été la même au cours des différentes périodes de sa diffusion en
Bulgarie depuis le 10e siècle jusqu'à la fin du 14e. Elle s'est modifiée
en tenant compte des conditions économiques, sociales et politiques du
moment. Les débuts du bogomilisme remontent au règne du roi Pierre.
C'était à l'origine un mouvement paysan qui donnait libre cours au mé-
contentement des masses, provoqué par les lourdes prestations et l'atta-
chement à la glèbe de la paysannerie. Ce mouvement pénétra cependant
plus difficilement dans les villes dont les différenciations sociales n'étaient
pas à cette époque très prononcées. Mais pendant le 13e et le 14e siècle,
lorsque la vie dans les villes en Bulgarie se fut modifiée par suite du déve-
loppement des rapports monétaires et d'échanges et que les antagonismes
intérieurs se furent accusés, l'idéologie bogomile trouva un terrain propice
de progrès, et ce n'est pas par hasard que Cosmas le Prêtre dans son fameux
discours mentionne la propagande des bogomiles chez les paysans (10e siè-
cle) et que, dans la Vie de Théodose de Tarnovo (14e siècle), on parle des
prédications des bogomiles dans la capitale du royaume. De fait, ce
mouvement qui était au début seulement paysan évolua par la suite,
et peu à peu pénétra dans les villes, plus particulièrement parmi la popu-
lation indigente citadine, conséquence du processus social et économique
en voie d'évolution en Bulgarie au Moyen Age.
Nous devons relever également que la diffusion de cette hérésie s'est
faite à un certain moment, au cours d'une période assez longue, dans un
état indépendant (10e, 13e et 14e siècle), alors que pendant le 11e et
le 12e siècle, il se développait dans un pays sous domination étrangère —
celle de Byzance. A notre avis ces circonstances sont caractéristiques de
l'histoire du bogomilisme et doivent être mentionnées, car elles ont
marqué l'évolution de cette hérésie et exercé une influence certaine sur
la nature de sa doctrine. Par le discours de Cosmas le Prêtre, nous savons
qu'au 10e siècle les bogomiles exhortaient à la lutte non seulement contre
l'Eglise, mais aussi contre le pouvoir temporel. Ils dénigraient les riches,
haïssaient le roi, injuriaient les gouvernements, poussaient leurs proches
à s'insurger contre leurs maîtres, en un mot, ils recommandaient l'in-
soumission envers les organes de l'Etat et le souverain. Mais après la
chute de la Bulgarie sous la domination byzantine au début du 11e siècle,
cet état d'esprit se modifia totalement. Nous en sommes informés par
un ouvrage d'un auteur bulgare à tendances bogomiles du 11e siècle,
La chronique apocryphe, et aussi par d'autres sources de cette époque.
Nous y constatons chez les prédicateurs bogomiles des sentiments tota-
lement différents envers l'ancien Etat bulgare. Plus encore, il y a une
tendance de l'idéaliser, ainsi que ses rois. On y évoque avec nostalgie
80 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

le règne du roi Siméon lorsque les impôts — selon la chronique apo-


cryphe — étaient très légers, « une étoupe de laine, une cuillère d'huile
et un œuf par an ». On y mentionne également l'époque du roi Pierre
dans les termes suivants : « Alors, dans les années du règne du roi bulgare
Pierre il y avait abondance de tous biens, du blé, de l'huile, du miel,
du lait, du vin. » Or cet ouvrage apocryphe était de la plume d'un adepte
des bogomiles qui partageait leur idéologie d'ascétisme. Il est de toute
évidence que les conceptions hérétiques, au 11e et au 12e siècle, avaient
changé sous la domination byzantine, le peuple bulgare ayant perdu
son indépendance politique devait lutter pour se libérer. Ces profonds
changements des conditions par rapport à celles du 10e siècle ont entraîné
aussi des modifications de la doctrine bogomile. Celle-ci ne s'oppose
plus à l'Etat, mais tout au contraire apparaît comme son défenseur.
Dans l'évolution historique du bogomilisme on remarque encore
d'autres changements d'attitude. Ainsi, vers le milieu de la deuxième
moitié du 14e siècle, on constate les éléments d'un mysticisme contem-
platif, d'une aspiration à la vita contemplativa beaucoup plus prononcés
qu'au 10e et au 11e siècle. Au cours de cette période le bogomilisme perd
peu à peu sa force potentielle révolutionnaire du passé et devient un
mouvement social et religieux avec un caractère nettement antiféodal
avec l'aspect d'une secte religieuse qui lutte principalement contre l'Eglise
en laissant à l'arrière-plan la lutte contre le pouvoir temporel. Les motifs
de cette évolution ne sont, à mon avis, pas très bien connus, mais celle-ci
n'en existe pas moins et les données dont nous disposons — bien que
réduites — la mettent en évidence avec netteté. (Je veux parler des infor-
mations contenues dans la Vie de Théodose de Tarnovo écrite par le pa-
triarche de Constantinople, Calixte).
J'accorde une grande attention aux changements intervenus dans
l'idéologie bogomile pendant les différentes périodes de développement
du bogomilisme en Bulgarie. Le problème de l'évolution historique
de toute hérésie étant important en soi, il ne faudrait jamais le négliger
pour ne pas arriver à des considérations schématiques, ou dogmatiques.
Il faut lorsqu'on porte un jugement ou qu'on effectue des recherches
sur toute hérésie, partir de la méthode historique et rattacher l'histoire
de l'hérésie au développement économique, politique et social du pays
où celle-ci s'est manifestée.
L'un des problèmes fort importants, relevés dans le plan très détaillé
et les indications de travail de cette conférence, est de montrer quel a été
le rôle social des mouvements hérétiques, dans quel sens et dans quelle
mesure ils ont agi sur la conscience des hommes. Sous ce rapport le bogo-
milisme est un exemple très intéressant. L'influence de cette hérésie
sur la conscience de l'homme bulgare au Moyen Age a certainement été
très grande, car sa diffusion dans nos terres s'est effectuée sous la forme
d'un mouvement de masses qui a touché les grandes couches de la société.
L'HISTOIRE DU BOGOMILISME EN BULGARIE 81

Cette influence s'est exercée dans diverses directions. En premier lieu, la


propagande bogomile fondée sur le principe dualiste a fourni une arme
idéologique à la lutte contre l'oppression féodale que les masses paysannes
voulaient abolir. C'est précisément dans la paysannerie qui luttait pour
alléger sa situation très précaire due au régime féodal que l'hérésie bogo-
mile a pénétré le plus profondément. En second lieu, elle a eu une forte
influence sur les hommes par ses critiques des rites religieux et des thèses
fondamentales des dogmes chrétiens (baptême, communion, miracles,
mythes de la résurrection). Dans cette lutte contre la sainteté et l'infailli-
bilité des rites, les prédicateurs bogomiles prenaient pour point de départ
leurs conceptions dualistes et l'idée que tout ce que l'Eglise avait instauré
sous forme de dogmes était le fait de « l'esprit du mal ». Mais en même
temps dans leur argumentation contre ces rites — communion, adoration
des icônes, de la croix, des reliques, les miracles et la résurrection — on
perçoit leurs conceptions rationalistes et un solide bon sens (pour la croix,
ils disaient que ce n'était qu'un morceau de bois, l'eau bénite de l'eau
ordinaire, les reliques des saints, des squelettes enfouis dans la terre
tout comme les ossements des animaux, les miracles de simples légendes
ou des inventions, la Vierge une femme ordinaire). Il est évident que ces
éléments rationalistes de l'argumentation bogomile n'ont pas agi dans
un sens seulement, celui d'abattre l'Eglise bulgare au Moyen Age, mais
aussi dans une perspective qui mettait en doute la validité et la raison
de la religion chrétienne. C'est en ceci que réside l'influence positive de
de l'hérésie bogomile exercée sur la conscience de l'homme bulgare au
Moyen Age, mais j'ajouterai que les conditions nécessaires pour pouvoir
abolir les idées religieuses faisaient encore défaut. Le bogomilisme était
à la base de cette conception mais ses germes de rationalisme critique
étaient encore faibles et n'ont pas eu d'action indépendante.
Tels sont les problèmes principaux liés à l'histoire du bogomilisme
en Bulgarie que j'ai voulu exposer dans ce rapport et qui permettront
de préciser et d'éclairer aussi certains problèmes généraux figurant au
programme de cette conférence.
A. I. KLIBANOV

LE PROBLÊME
DE LA SOUVERAINETÉ DE L'HOMME
DANS LES CONCEPTIONS
DES HÉRÉTIQUES RUSSES A LA FIN DU 15e
ET AU DÉBUT DU 16e SIÈCLE

Le thème commun mis en débat dans ce colloque est celui de l'hérésie


et la société, important problème de la science historique et indiscutable-
ment des plus complexes.
Les progrès des recherches historiques élargissent sans cesse à nos yeux
l'aire de propagation des hérésies chrétiennes médiévales. Nous avons
affaire à un phénomène historique à l'échelle de l'Europe entière, car en
Europe orientale également — et en tout cas en Russie — que j'envisage
ici — se manifestaient des mouvements hérétiques. Les plus importants
d'entre eux furent l'hérésie des Strigolniki, née au milieu du 14e siècle,
celle des judaïsants apparue dans les années 70 du 15 e siècle, et les héré-
sies de Matthieu Bachkine et de Théodose le Louche (Féodossi Kossoi)
au milieu du 16e siècle.
L'historiographie des mouvements hérétiques russes date des années 30
du 19e siècle, mais je ne ferai que rendre hommage aux faits, en disant
que les résultats les plus féconds sont dus aux recherches effectuées au
cours de ces dix dernières années par de nombreux savants soviétiques.
Je signalerai tout particulièrement les travaux du professeur Iakov Lourié
et du professeur Aléxandre Zimine.
Les propagateurs des doctrines hérétiques dans la Russie féodale étaient
issus des milieux urbains — commerçants, artisans, pauvres gens. Le
bas clergé prenait une part active à ces mouvements, et dans ceux qui
se manifestèrent le plus tôt, son rôle f u t particulièrement important.
La paysannerie, prise en masse, resta à l'écart.
Dans la lutte sociale qui se déroulait en Russie, les hérésies constituaient
une des formes de la protestation sociale contre la domination des féodaux
et, en premier lieu, contre le plus grand propriétaire féodal et apologiste
du régime de l'exploitation féodale, l'Eglise. Au cours du dernier tiers du
15e et au début du 16 e siècle certains hérésiarques prirent également p a r t
à la lutte politique, en faveur de l'Etat rassembleur des domaines féodaux
et mettant au service de la centralisation gouvernementale des arguments
84 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

idéologiques. Les mouvements hérétiques ont apporté une contribution


considérable aux progrès des idées sociales et de la culture, qu'ils ont
enrichis de valeurs spirituelles positives.
Les mouvements hérétiques prenaient, dans la Russie féodale, des for-
mes diverses. En certains cas, les hérétiques rassemblaient autour d'eux
des groupuscules de disciples, comme par exemple l'antitrinitaire Markian
qui propageait sa doctrine à la fin du 14e siècle à Rostov-le-Grand, et
fut ostracisé par les autorités féodales, ou encore Matthieu Bachkine, qui
au milieu du 16e siècle prêchait à Moscou l'incompatibilité entre le servage
et le christianisme et fut condamné par un concile.
En d'autres cas, on vit naître des mouvements hérétiques relativement
étendus, comme par exemple celui des Strigolniki aux pays de Novgorod
et de Pskov, du milieu du 14e à celui du 15e siècle, et à partir de la moitié
du 15e jusqu'au début du 16e, l'hérésie des Judaïsants à Pskov, Tver,
Moscou et dans d'autres villes.
Il convient de reconnaître, comme fondement commun des mouvements
hérétiques, la croissance des villes et les progrès de la culture urbaine,
le développement des relations commerciales entre les divers domaines
féodaux. L'essor du commerce tendait à vaincre l'isolement féodal,
contribuait à élargir l'horizon intellectuel des hommes, engendrait l'esprit
d'initiative et d'entreprise individuelles.
En même temps, le développement des rapports commerciaux et
monétaires tendait à aggraver l'exploitation féodale et par conséquent
accroître le mécontentement et la résistance des couches sociales inférieures.
Durant la première moitié du 16e siècle, tandis que des publicistes
russes tels que Fédor Karpov et Ermolai (Erasme) prononçaient des
philippiques contre la puissance de l'argent, les représentants des milieux
démocratiques, dans le courant de protestation sociale, ne se bornaient
pas à des malédictions impuissantes à l'adresse des possesseurs des
richesses, mais parvenaient graduellement à la conscience de l'indépen-
dance et de la dignité de la personne humaine, à l'affirmation de la liberté
individuelle et sociale de l'homme.
Certaines hérésies présentaient un caractère surtout bourgeois comme
par exemple celle des Judaïsants, d'autres étaient plébéiennes, comme
l'hérésie de Théodose le Louche.
Dans la diversité des mouvements hérétiques russes, il est, néanmoins
impossible de noter aucune tendance mystico-extatique, ni ascétique,
ni eschatologique. Les mouvements hérétiques qui nous sont connus
critiquaient en somme l'idéologie dominante et les institutions ecclésias-
tiques avec les arguments du rationalisme religieux, compte tenu, bien
entendu, du caractère conventionnel de cette notion.
Ma communication, dans le cadre du programme de notre colloque,
porte sur le problème de la souveraineté de l'homme dans les conceptions
LE PROBLÈME DE LA SOUVERAINETÉ DE L'HOMME 85

des hérésies russes du dernier tiers du 15e siècle et de la première moitié


du 16e. Je pense que le choix de ce sujet se justifie de soi-même.
Les problèmes dont je vais traiter avaient trouvé leur source et leur
expression élémentaire dans le courant anticlérical qui s'était développé
depuis la fin du 13e siècle, aux pays de Novgorod et de Tver, et qui, au
début du 14e siècle, avait abouti au mouvement ouvertement hérétique
des Strigolniki.
Un certain nombre d'ouvrages qui doivent leur origine à ce mouvement
anticlérical ont été conservés jusqu'à nous. Dans l'un, intitulé Le dit des
faux maîtres, se trouve posé le précepte d'une « explication raisonnable »
de l'Ecriture sainte, incombant même aux simples gens du peuple, en
vertu du principe que le Saint-Esprit peut parler en chaque homme. Ainsi
s'exprimait la confiance dans les forces intellectuelles et morales de
l'homme. Dans un autre ouvrage de ce groupe, il est dit que les livres
saints doivent être étudiés « selon l'esprit et non selon la lettre ». Ce qui
peut être entendu comme une protestation contre l'érudition livresque
et formelle et un appel à procéder dans l'ordre de la connaissance de
l'extérieur vers l'intérieur. Je me référerai à un écrit du même groupe,
remarquable par son esprit humanitaire et si bref qu'il est possible de
le citer intégralement «Que dis-tu donc, lisons-nous, que les Hellènes
seraient des ennemis ? C'est chose indigne que de les haïr ! Car c'est
non pas eux [qu'il faut] haïr, mais la mauvaise doctrine, non pas l'homme,
mais la mauvaise action, la raison corrompue. Une chose est l'homme,
œuvre divine, et autre chose, la tentation, œuvre diabolique. Ainsi ne
va pas confondre ce qui est de Dieu et ce qui est du diable. Bien que les
juifs et les blasphémateurs et les persécuteurs et les offenseurs et la
multitude exprimassent leur malignité envers Christ, est-ce que Paul,
par dessus tous aimant Christ, les haïssait ? Les haïssait-il ? Nenni
certes I Mais il les aimait et faisait tout pour l'amour d'eux ».
Dans l'idéologie des Strigolniki, l'opposition de la dignité de la personne
humaine à la doctrine ecclésiastique du sacerdoce conçu comme un mystère
fut un point de départ. Etienne (Stefan), évêque de Perm, contemporain
et adversaire des Strigolniki s'indignait de les voir exalter l'homme, et à
« l'arbre de vie » de l'orthodoxie opposer « l'arbre de science » des écrits
hérétiques.
Au cours du dernier tiers du 15e siècle, à l'hérésie des Strigolniki succéda
celle des Judaïsants mais dans la nouvelle doctrine hérétique, bien des
vues des Strigolniki trouvèrent leur développement.
UEpître aux Laodicéens de Fédor Kouritsyne présente le caractère
d'un manifeste. Eminent idéologue de l'hérésie des Judaïsants, Théodore
(Fédor), Kouritsyne, diplomate et homme d'Etat, un des collaborateurs
les plus éminents du grand prince Ivan I I I , était un des hommes les plus
cultivés de son temps.
L'Epître aux Laodicéens était connue de la science dès la fin des années 30
86 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

du siècle passé. Ce petit écrit en style aphoristique, peu intelligible à


première vue, ne fut « déchiffré » par les chercheurs qu'en 1955. L'objet
de l'Epître aux Laodicéens est la question de la liberté spirituelle. « L'âme
est souveraine, la foi est sa barrière », ainsi commence Kouritsyne. Cette
phrase fut mille fois citée dans les ouvrages scientifiques d'avant la
révolution comme une preuve de l'exceptionnelle libre pensée de Kou-
ritsyne. Ses paroles signifient-elles en réalité que la foi fait obstacle à la
liberté spirituelle '? Une étude attentive de l'Epître aux Laodicéens montre
que son auteur ne pensait pas ainsi. Il affirmait que l'âme est libre par
nature, mais que pour cette raison même elle avait besoin d'une barrière,
sinon la liberté pourrait dégénérer en arbitraire.
Ni dans la première moitié de cette phase (« l'âme est souveraine »),
ni dans la seconde (« la foi est sa barrière »), nous ne voyons libre pensée
ou hérésie.
L'orthodoxie, t o u t au moins, considère formellement que la volonté
de l'homme est libre. L'adversaire de Kouritsyne, l'higoumène Iossif
Volotski, dans son Porte-lumière, ouvrage consacré à la dénonciation des
hérétiques, appelle plusieurs fois l'homme autonome. Egalement ortho-
doxe était l'affirmation : la foi est la barrière de l'âme autonome.
Au début des 30 dernières années du 17e siècle, le célèbre docteur
schismatique A w a k o u m discutant de la liberté spirituelle avec une autre
autorité de la secte, le diacre Fédor, reprochait à ce dernier la « démesure
en l'autonomie ». Tout est là. A quelle aune Fédor Kouritsyne mesurait-il
la souveraineté ou, ce qui revient au même, jusqu'où reculait-il les fron-
tières de la « foi », puisqu'il l'appelait la barrière de l'âme ? Tel est le nœud
de la question, pour juger du caractère hérétique de la doctrine de
Kourytsine.
La conception des représentants de l'Eglise officielle, au temps de
Kouritsyne, peut être schématiquement définie de la façon suivante :
l'âme est souveraine. Sa barrière est la foi, et le symbole de la foi fut
exposé au concile de Nicée, expliqué par les Pères et l'Eglise en est la
gardienne fidèle.
La conception des Restejateli (« renonçants » aux biens de ce monde)
comme on les appelait, contemporains de Kouritsyne, peut schémati-
quement s'exposer ainsi : l'âme est souveraine, sa barrière est la foi, dont
la doctrine f u t donnée dans le Nouveau Testament et interprétée par les
conciles et les Pères de l'Eglise.
Exposons à présent la conception de Kouritsyne : « l'âme est souveraine,
sa barrière est la foi, dont le prophète est le docteur. Le vrai prophète se
reconnaît au don des miracles. Mais ce don est fort par la sagesse et non
par soi-même. La force est en la sagesse. Le pharisaïsme (le formalisme
des pharisiens) ne donne que la loi extérieure de la vie. Le prophète la
vivifie et l'emplit du sens intérieur. Telle est la science qui apporte la
LE PROBLÈME DE LA SOUVERAINETÉ DE L'HOMME 87

félicité à l'homme. Et avec vient la crainte du Seigneur, c'est-à-dire la


mémoire perpétuelle de Dieu. Ainsi s'arme l'âme ».
Ainsi : 1° Kouritsyne faisait déborder le monde spirituel de l'homme
hors des barrières canoniques et doctrinales où l'avait enfermé l'Eglise.
2° Kouritsyne ne considérait pas non plus comme répondant à la liberté
spirituelle la barrière de la doctrine du Nouveau Testament, popularisée
avec zèle par son contemporain Nil Sorski.
Dans les vues idéalisées des réformateurs médiévaux, la « science »
des prophètes de l'Ancien Testament, pénétrée d'un esprit de liberté, fruit
de l'expérience intérieure, forte du don et de la flamme de l'inspiration,
répondait mieux à la notion de la souveraineté de l'homme.
Ce qui fournit à l'Eglise un de ses principaux motifs pour accuser les
hérétiques de « judaïsme » : ainsi en réponse aux idées exprimées dans
l'Epltre aux Laodicéens, Ioseph, Volotski dénonçait les « sophismes ju-
daïsants » des hérétiques, consistant notamment en ce que ces derniers
reconnaissaient seulement les livres prophétiques et dénigraient les écrits
des apôtres et des Pères de l'Eglise.
En fait, les hérétiques donnaient seulement la préférence aux livres
des prophètes. On sait par exemple qu'Ivan Tcherny, un des disciples
moscovites de Kouritsyne, recourait volontiers à l'Evangile, et qu'à Nov-
gorod les hérétiques s'intéressaient aux œuvres d'Athanase d'Alexandrie
et du pseudo-Denys l'Aréopagite.
Proclamer l'homme spirituellement libre n'avait pas pour les hérétiques
une signification abstraite et théorique mais profondément vitale. Que
signifiait donc affirmer l'homme spirituellement libre ?
Si celle qui répond le mieux à la liberté spirituelle de l'homme est la
« science » prophétique, comme on l'a vu plus haut, ceci s'applique aussi,
naturellement, à ce que les hérétiques ont emprunté de cette « science ».
La découverte récente d'un manuscrit des prophéties de l'Ancien Testa-
ment, contemporain de Kouritsyne, et portant en marge des gloses faites
par les hérétiques, nous permet d'élucider cette question.
Les hérétiques portaient un intérêt spécial à la malédiction jetée par
le peuple sur les propriétaires qui gardaient par devers eux le grain, tirée
de la Vision de Tyr d'Isale, ainsi qu'aux textes de ce prophète sur les jus-
tes qui haïssent l'iniquité, la tromperie et retirent leurs mains pour ne
pas prendre de présents, sur Dieu, promettant de faire crouler les forte-
resses des rois et montrer au jour leurs trésors cachés, sur la condamnation
des riches et nobles femmes de Babyione et de Chaldée, qui ne connurent
jamais le travail.
Les paroles du prophètes Ezéchiel dénonçant les abominations des
Anciens d'Israël, adonnés au brigandage, à l'usure, et accablant le peuple
d'exactions, retenaient également leur attention.
Il en était de même tout particulièrement des invectives de Jérémie
contre les classes dirigeantes d'Israël qui, ayant promis d'affranchir leurs
esclaves, hommes et femmes, avaient impudemment violé leur promesse.
88 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

La liberté spirituelle, la souveraineté de l'homme dans le cadre de la


« science » prophétique s'était manifestée concrètement par la condam-
nation au nom de Dieu de l'iniquité de l'ordre social, de la violence et de
l'exploitation du peuple par les possédants.
Et c'est pour cette raison avant tout que le développement des preuves
théoriques en faveur de l'affirmation de la liberté spirituelle de l'homme
répondait aux exigences vitales des adhérents aux mouvements hérétiques.
La conception de la liberté spirituelle, contenue dans l'Epltre aux
Laodicéens, n'était toutefois que l'étape initiale de l'évolution de cette
idée. En fait, l'objet de cette épître était plus l'indépendance spirituelle
que la liberté spirituelle ; la négation de la dépendance du monde intérieur
de l'homme à l'égard des traditions, des dogmes et des doctrines de
l'Eglise qui l'enchaînaient. C'était une définition négative de la liberté
spirituelle, mais historiquement positive, dynamique et progressive en sa
signification.
On peut dire quelques mots au sujet des éléments positifs de l'attitude
caractéristique des hérétiques à l'égard du monde intérieur de l'homme,
dont le contenu était, selon Kouritsyne, la foi, fondée sur l'expérience
personnelle.
Cette foi, excluant par principe la réglementation, n'avait pas plus de
traits précis, de définition, de limites, que Dieu, à qui elle s'adressait.
En raison de l'hétérogénéité des éléments sociaux adhérents à l'hérésie
des Judaïsants, et par conséquent de la contradiction de leurs intérêts,
une telle foi, loin d'y faire obstacle, facilitait au contraire le morcellement
du mouvement en sectes rivales. On sait qu'il existait des différends
doctrinaux entre Théodore Kouritsyne et le Novgorodien AJexis (Alexéi)
lié aux milieux populaires de l'hérésie. Lequel des deux franchissait la
« barrière » de l'indépendance spirituelle, lequel abusait de la liberté
spirituelle ? Dans les limites des conceptions de Kouritsyne, il n'existait
pas de réponse à cette question.
A la relève de l'Epître aux Laodiciens vint normalement un écrit
approfondissant la notion de la liberté spirituelle, en passant d'une
définition négative à une définition positive de cette dernière.
Il s'agit de l'ouvrage anonyme d'ordre philosophique et grammatical
intitulé le Traité des Lettres, émanant, comme l'Epître aux Laodicéens,
des milieux hérétiques.
Entre YEpltre aux Laodicéens et le Traité des Lettres (Napissonie o
gramotie) il existe une relation. Dans l'un comme dans l'autre, l'objet
des jugements philosophiques est la souveraineté de l'homme. Les deux
œuvres s'apparentent par leur composition. Le Traité des Lettres contient
certaines analogies de fait (uniques en leur genre d'ailleurs), propres à
Y Epître aux Laodicéens. Enfin, on rencontre dans le Traité des emprunts
textuels à l'Epître.
Tout ceci donne quelque fondement à la supposition que sous le voile
LE PROBLÈME DE LA SOUVERAINETÉ DE L'HOMME 89

de l'auteur anonyme du Traité des Lettres se cache Théodore Kouritsyne


qui, soit dit à propos, avait chiffré son nom, au bas de l'Epître aux
Laodicéens.
Mais on est également fondé à hésiter à lui attribuer le Traité. E n effet,
l'auteur du Traité des Lettres ne tente plus de résoudre le problème de la
liberté spirituelle dans la sphère des idées religieuses. Il le transfère
brusquement du domaine de la foi dans le domaine de la connaissance
au sens conventionnel bien entendu, car la connaissance médiévale était
de façon ou d'autre liée à la foi. L'auteur du Traité des Lettres était croyant.
L'auditoire auquel il s'adressait était croyant.
L e problème de la souveraineté de l'âme auquel est consacré l'Epître aux
Laodicéens se trouve, dans le Traité des Lettres, absorbé par le problème
de la souveraineté de l'esprit.
Partant d'une position nouvelle : l'esprit est souverain, l'auteur du
Traité des Lettres assume le rôle d'un simple interprétateur d'un texte
biblique, en l'espèce des versets du Deutéronome : « Vois, je te propose
aujourd'hui la v i e avec le bien, ou la mort avec le mal » ( X X X , 15) et
encore : « J'en prends aujourd'hui à témoin contre vous le ciel et la terre,
j e t'ai proposé la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis
la v i e afin de vivre, toi et ta postérité » ( X X X , 19).
Il n'est guère douteux que Kouritsyne sous-entendait ces textes en
prenant comme point de départ : l'âme est souveraine. Profitons de
l'occasion pour noter que c'est justement sur ces textes du Deutéronome
que se fondait Erasme de Rotterdamm pour défendre la liberté de la
volonté humaine. Ils sont également à la base des jugements sur la valeur
en soi de l'homme dans la célèbre Oratio de hominis dignitate de Pic
de la Mirandole.
Ainsi, selon l'auteur du Traité des Lettres, Dieu, en créant l'homme,
l'a doté de la souveraineté spirituelle, pour qu'en son libre arbitre, l'homme
puisse faire un choix conscient entre « l a voie de la vie, du bien, de la
connaissance » d'une part et « la voie de la mort, du mal, de l'ignorance »
d'autre part.
Donc, la volonté ne doit pas seulement être libre mais aussi consciente.
A l'abri de la barrière de l'esprit la liberté spirituelle était plus fer-
mement assurée que derrière la barrière de la foi. Néanmoins, en faisant
de son esprit la mesure de la souveraineté de l'homme, l'auteur du Traité
des Lettres ne pouvait être assuré que par là même se trouvait garantie
à l'homme la droite « voie du bien, de la vertu, de la connaissance ».
Bien que n'étant pas de caractère aussi subjectif que la foi personnelle,
l'esprit en soi n'en était pas moins un conseiller subjectif et ses décisions
ne pouvaient servir de fondement assuré à la liberté spirituelle.
Il fallait placer l'esprit dans des conditions excluant le subjectivisme
dans son gouvernement de la volonté humaine, ces conditions dans
lesquelles ce gouvernement serait objectif, et véritable.
90 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

L'auteur du Traité des Lettres tirait ces conditions de la notion de


l'esprit souverain.
Que signifiait l'esprit souverain ?
Il faut ici prendre en considération que l'auteur du Traité distingue
les notions d'« esprit » et de « raison ».
Par « raison » il entend la faculté consciente de l'homme, don de Dieu,
l'intellect. Cette faculté est en soi passive. P a r « esprit », il entend la faculté
donnée à Dieu par l'homme d'enrichir la raison. C'est la faculté d'agir,
de créer, et en elle l'esprit s'affirme comme souverain. A l'aide de l'esprit,
l'être conscient enrichit sa conscience. Mais la conscience enrichie est la
connaissance — dirons-nous — et ce disant nous ne différerons pas d'avec
l'auteur du Traité des Lettres. L'auteur de cet écrit ne doutait pas de la
vérité et de l'efficacité de la connaissance acquise par l'esprit, comme il
ressort de ses paroles : « L'homme a reçu de Dieu la raison, ainsi que l'esprit
qui enrichit la raison, et par l'esprit il accomplit tout ! »
Ainsi la connaissance est ce qui gouverne l'homme spirituellement
libre. Non pas la « bienheureuse science prophétique », mais la science
tout court. Mais que devient la foi ? La foi reste, naturellement, mais
la voie par laquelle atteindre Dieu et suivre sa volonté passe par la
connaissance.
Si l'auteur de YEpître aux Laodicéens affirmait que la « science prophé-
tique » enseignait à l'homme «la crainte de Dieu», selon l'auteur du
Traité des Lettres, l'homme en acquérant la connaissance parvient aussi
à la « crainte de Dieu ».
L'auteur du Traité des Lettres considère comme le but de son ouvrage
d'engager les hommes à apprendre à lire et à écrire. Les raisonnements
philosophiques y précèdent l'exposition des règles proprement gramma-
ticales. Ainsi, exposait-il ses idées philosophiques à l'intention d'un
public très vaste, et avant tout des gens susceptibles d'apprendre à lire
et à écrire.
II découvrait à ses lecteurs les perspectives qu'ouvrait cet apprentis-
sage. Il le nommait une « petite étude prometteuse de grandes acqui-
sitions », le moyen par lequel les gens devenaient « des savants, des philo-
sophes », qui les rendait « habiles en les divers arts ». Il l'appelait la
connaissance initiale qui menait à l'intelligence du passé, à la compréhen-
sion du présent et à la prévision de l'avenir, à la pénétration des secrets
humains et divins. E t il en arrivait à cette idée générale en laquelle se
synthétisaient tous ses raisonnements : « l'instruction est la souveraineté
de l'homme intelligent, le choix conscient et libre entre le bien et le mal ».
Savoir ses lettres est la souveraineté ! Si liée que soit cette formule au
problème éthique du choix entre le bien et le mal, elle signifiait à sa façon :
la connaissance est la liberté, en la connaissance est la force.
Le contenu idéologique du Traité des Lettres déborde le problème que
nous avons choisi pour objet de notre étude. Mais dans le cadre du sujet
LE PROBLÈME DE LA SOUVERAINETÉ DE L'HOMME 91

qui nous intéresse, pour la commodité de l'exposition, nous réservons un


dçs aspects du Traité des Lettres pour y revenir plus tard.
L'idée de souveraineté, telle qu'elle est exposée dans YEpitre aux Lao-
dicéens, développée et approfondie dans le Traité des Lettres suscita l'indi-
gnation des idéologues et des valets idéologiques de la classe dominante.
Depuis Iossif Volotski jusque, et y compris, les doctes clercs du patriarche
Philarète, c'est-à-dire de la fin du 15e jusqu'au début du 17e siècle, la
polémique contre l'idée de la souveraineté se poursuit sans interruption.
En quoi il convient de voir l'aveu de la persistance et de la popularité de
cette idée nouvelle, et de la crainte qu'elle inspirait.
Signalons une particularité qui conférait à l'idée de la souveraineté de
l'homme une portée sociale. Encore que d'une façon plus ou moins consé-
quente, l'idée de l'indépendance de la personne ne s'en trouvait pas moins
proclamée dans une société fondée sur des rapports de dépendance person-
nelle. Du fait que l'idée de la souveraineté sous-entendait le droit de
l'homme à être maître de soi-même, elle niait le pouvoir du féodal sur la
personne du dépendant.
Il s'ensuit que, dans les conditions historiques concrètes dans lesquelles
avait pris naissance et se développait l'idée de la souveraineté, ses implica-
tions philosophique et sociale se rapprochaient, que l'aient ou non voulu
les propagateurs de cette idée. A quel point les représentants de la classe
dominante se rendaient clairement compte de la signification réelle de
cette idée nouvelle, on peut en juger par un ouvrage anonyme, intitulé
l'Entretien des thaumaturges de Balaam, paru au milieu du 16e siècle :
« Beaucoup parmi les laïcs disent que Dieu aurait fait naître, en ce monde,
l'homme souverain. Si Dieu avait fait naître, en ce monde, l'homme souve-
rain, il n'aurait pas institué de rois, de grands princes et autres autorités
et n'aurait pas séparé les souverainetés les unes des autres ».
Iossif Volotski menait, comme on l'a mentionné, la polémique contre
l'idée de la souveraineté. Dans les premiers temps, les adversaires de la
souveraineté essayèrent de couper les canaux par lesquels cette idée s'in-
filtrait dans la société. Les ouvrages, où il en était fait mention, ne fût-ce
que dans un esprit orthodoxe, étaient expurgés des passages en question,
comme par exemple dans l'histoire, très populaire, de Varlaam et de
Ioassaf (Barlaam et Josaphat). Dans plusieurs index de Bibles de la fin
du 15 e siècle, sont omis les versets du chapitre du Deutéronome sur lesquels
se fondaient les théoriciens de la souveraineté.
On vit paraître L'Entretien sur l'art d'apprendre les lettres (Beisiedo
o oucrenii gramoti), dont le but était de se substituer au Traité. C'était
une diversion idéologique.
Tout en répétant les préceptes du Traité, l'Entretien écartait les textes
sur la souveraineté qui en constituaient la « raison d'être ». Ainsi, sa
conception même était éliminée, pour faire place dans l'Entretien à u n
92 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

traité apologétique de la Trinité, accompagné d'attaques virulentes contre


les hérétiques.
L'idée de la souveraineté de l'homme était une arme dans le conflit
des classes sociales. Ainsi s'explique que la polémique plus acharnée
contre cette idée se soit déroulée dans le climat de recrudescence de la
lutte de classes du milieu du 16e siècle, aux temps où se produisaient
en de nombreuses villes russes des émeutes et des insurrections, qui
trouvaient leurs échos au village. C'est justement à ce temps que l'auteur
de l'Entretien des thaumaturges de Balaam, attestait le fait de la propa-
gation de cette idée.
La signification sociale de l'idée de la souveraineté, constituant une
menace aux principes de la domination féodale se trouve également
confirmée par le fait que se liguèrent pour la limiter, la condamner et polé-
miser contre elle, des esprits politiques aussi différents que Ivan IV,
le prince Kourbski et le prêtre attaché à la cour, Erasme.
Pour Ivan IV, comme le montre sa polémique avec Iakn Rokita,
la souveraineté n'avait d'autre sens que la liberté du péché, laissée à
l'homme. Dans une lettre à Sigismond-Auguste II, Ivan IV déclara
incompatible avec la vérité l'opinion que Dieu, dès la création, avait
doté l'homme de la dignité et de la liberté.
Au contraire, l'exemple d'Adam, transgressant la volonté divine
atteste, selon Ivan IV, le caractère funeste de la souveraineté. Au prin-
cipe de la souveraineté, Ivan IV opposait la « non-liberté », comme
norme de la vie de l'homme en société.
Kourbski était d'accord avec Ivan IV pour rejeter toute solution du
problème de l'autonomie qui procéderait de l'indépendance des facultés
spirituelles et intellectuelles de l'homme. Mais il ne fait pas sienne la
formule d'Ivan IV qui condamne l'homme au servage : «La liberté
n'est nulle part », et il reconnaît la souveraineté comme un don divin,
pareil à la concession d'une charte, par laquelle le souverain reconnaît
les immunités du vassal. Dans ses commentaires sur les écrits de Jean
Damascène, Kourbski exprime l'opinion, qu'en fin de compte la source
des bonnes œuvres de l'homme n'est pas en tout cas sa souveraineté
mais la grâce divine.
Nous ne sommes en possession d'aucun document émanant de la plume
des partisans de la souveraineté, au milieu et au début de la première
moitié du 16e siècle. Ce n'est que dans l'Histoire du voiévode Piotr Volosski
(Skazanie o Petre Volocskom vcevodié), que nous retrouvons l'affirmation
de la souveraineté de l'homme, et dans l'esprit de la définition lapidaire
de Pic de la Mirandole : l'homme (vit) — pro suo arbitrio. Mais c'est un
document qui date seulement du début du 17e siècle. Il se rattache à la
Grande Supplique de Peresviétov, dans laquelle le grand publiciste
paya le tribut de son attention aux doctrines hérétiques de son temps.
Nous citerons un passage de texte. « Ainsi parla le voiévode de Valachie :
LE PROBLÈME DE LA SOUVERAINETÉ DE L'HOMME 93

Dieu qui étend sa miséricorde à tout l'univers nous a racheté par son
sang de la servitude du diable. Mais nous acquérons pour la réduire en
servitude une créature divine, un homme tout semblable [à nous], et
les inscrivons [les gens] à titre de propriété, et ils deviennent esclaves
par le besoin ou l'oppression, et séduits par de bons vêtements. Or tous
deux, celui qui prend [un autre], comme celui qui se livre [en esclavage]
se perdent éternellement corps et âme, devant Dieu, car Dieu créa l'homme
souverain et lui ordonna d'être son propre maître, et non pas esclave ».
Le phénomène social soumis à la critique dans ce texte est l'institution
du servage, évidemment envisagée dans le sens large du terme, c'est-à-dire
toute forme de dépendance servile. Mais quelle que soit la signification
sociale concrète de cette critique, la formule : « Dieu créa l'homme sou-
verain et lui ordonna d'être son propre maître et non pas esclave », était,
pour son temps, une philosophie de la liberté. Sa portée est assez vaste
pour qu'on pût l'utiliser pour condamner toute forme de dépendance
personnelle de l'homme. La longue évolution de l'idée de souveraineté,
dont les étapes furent l'affirmation de la souveraineté de l'âme humaine,
puis l'affirmation de la souveraineté de son esprit, trouva son couronnement
dans la définition de la personne humaine comme souveraine.
Si, pour l'Eglise, l'homme était libre, en ce sens qu'il possédait la faculté
négative d'éviter le « mal », tel que l'interprétait l'Eglise, les doctrines
hérétiques élargissaient la notion de la souveraineté de l'homme jusqu'à
entendre qu'il possède la faculté positive de manifester son individualité
et qu'il ne doit pas exister de limitations spirituelles ni sociales, faisant
obstacle au développement de l'individualité de l'homme.
L'idée de la souveraineté de l'homme n'atteignit-elle la plénitude de
son développement qu'avec l'apparition, au début du 17e siècle, de
l'Histoire du voiévode Piotr Volosski ?.
Nous supposons que ce fut antérieurement.
Déjà l'auteur du Traité des Lettres s'approchait du principe de la raison
souveraine, conçue comme ayant sa source dans la nature même de l'homme.
Il écrivait : «Les lettres furent inventées, car Dieu créa et bénit
l'homme vivant, fécond, doué de la parole et de la raison, possédant
l'esprit et la connaissance aux vertus agréables, mortel, juste, exempt
de péché. Puis il lui donna la souveraineté de l'esprit... ».
Cette définition tendait à la reconnaissance de la substantialité de
l'homme. Elle était hérétique non seulement par sa tendance, mais par ce
qu'elle impliquait directement la révision du dogme de la création de
l'homme immortel et non destiné à la multiplication sexuelle. Référons-
nous à l'écrit de Maxime le Grec : Contre ceux qui affirment que le genre
humain se multiplierait par la conjonction et l'enfantement charnels, même
si nos ancêtres n'avaient pas péché. Ceux qui considéraient l'union sexuelle
comme la loi fondamentale de la multiplication du genre humain, Maxime
le Grec les accusait de considérer que l'homme était mortel dès l'origine.
7
94 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Au rang des adversaires de l'idée de la souveraineté, luttant contre


elle au 16 e siècle, nous avons cité Erasme. La polémique contre cette
idée trouve place en effet dans les écrits où il dénonçait les hérétiques
de son temps.
La polémique d'Erasme se distinguait de celle que menaient contre
l'idée de la souveraineté ses prédécesseurs, l'auteur anonyme de L'Entre-
tien sur l'enseignement des Lettres, et avantlui Iossif Volotski. En effet, la
controverse ne portait pas cette fois sur le point de savoir quelle sorte de
« barrière » convient au don divin de la souveraineté : « barrière » d'ordre
canonique, patristique, fondée sur le Nouveau Testament, prophétique ?
La controverse s'élargissait et ne tournait plus désormais autour de la
« barrière » de la souveraineté, mais de la notion même de souveraineté.
Erasme écrivait : « L'homme n'est pas souverain (samovlasten), n'est
pas doué de sa puissance propre (samosilen), n'est pas en soi doué du
libre arbitre (samovolen) ». Le préfix « sam » (aùroç)* signifait l'immanence
de ces facultés. D'où le substantif composé « samost », apparu dans
l'ancienne langue russe, au plus tard à la fin du 15 e siècle et correspondant
à la notion philosophique de substance. Erasme ne reconnaissait pas
l'homme en tant que substance de la puissance, de la volonté, de la force,
et déniait en général à l'homme la substantialité. En ceci réside la signi-
fication philosophique de la thèse d'Erasme : « L'être humain en soi
n'est en rien indépendant, ni agissant par lui-même, ni doué de sa puis-
sance propre », thèse fortifiée par cet argument sui generis : « mais il
(l'être humain) f u t par la volonté divine enveloppé dans les liens de la
chair, des veines et des os ».
En s'appliquant à réfuter contre les hérétiques l'idée de la souveraineté
de l'homme, Erasme développait sa conception : « S'ils n'étaient pas
enfermés comme dans une arche, dans le vaisseau charnel, l'esprit se
séparerait de la parole et de l'âme, et le vent [les] dissiperait, car rien en
soi ne peut subsister, qui fût souverain, ni doué de son libre arbitre,
ni de sa puissance propre ». D'où il s'ensuit que l'homme est « visible et
concevable en t a n t que personne humaine, grâce à l'individualisation
charnelle ». La notion de IV individualisation charnelle » introduite par
Erasme n'est pas autre chose qu'une variante russe du principium indivi-
duationum de la scholastique médiévale, qui servit à la lutte contre le
nominalisme.
Contre quels hérétiques nommément polémiquait Erasme "? On ne
sait. Il était contemporain du petit groupe hérétique de Matthieu Bach-
kine ainsi que de la tendance également hérétique qui avait à sa tête
Théodose le Louche. Mais nous ne savons, au sujet de l'un ni de l'autre

* N.D.T. En russe les mots samovlasten (souverain), samosilen (doué de sa puissance


propre), samovolen (doué de son libre arbitre), commencent tous comme on le voit
par « sam » qui répond en effet au grec au-roç.
LE PROBLÈME DE LA SOUVERAINETÉ DE L'HOMME 95

s'ils faisaient place dans leurs doctrines à l'idée de la souveraineté de


l'homme. La chose est fort vraisemblable et répond à l'esprit de leurs
doctrines, mais n'est pas établi par le témoignage direct des sources.
Les opinions exprimées par Erasme attestent qu'au milieu du 16e siècle,
la polémique autour de l'idée de la souveraineté de l'homme s'était
élevée à la hauteur de la lutte philosophique. La polémique d'Erasme
a le caractère immédiat d'une réponse aux hérétiques, d'où il découle
que pour ces derniers l'homme souverain était « l'homme en soi et pour soi »
la personne, l'individu, tel qu'il a été conçu et créé à l'origine par Dieu.
La formule de l'auteur de l'Histoire du voièvode Piotr Volosski : « Dieu
créa l'homme souverain et lui ordonna d'être son propre maître et non
pas esclave », s'élève à la conception de l'homme en tant qu'individu
souverain, qui s'était déjà formée dans les doctrines hérétiques du 16e
siècle.
Dans la lutte prolongée entre les partisans et les adversaires de l'idée
de la souveraineté, ces derniers avaient subi une défaite théorique. Ayant
épuisé les arguments en faveur de la reconnaissance canoniquement
limitée de la souveraineté, ils furent obligés de la jeter par dessus bord,
et d'assumer ouvertement le rôle d'apologistes de la violence. Quand,
dans la controverse avec les doctes théologiens du patriarche Philarète,
Laurent Zizani déclara, en pleine conformité avec l'orthodoxie : « Par
la souveraineté l'homme se tourne vers la vertu et vers le mal. D'elle donc,
Adam fut honoré par Dieu dès l'origine », les théologiens lui objectèrent :
«raisonne juste, afin que les autres aussi s'affermissent grâce à toi, et
ne tombent pas ». Convaincu que son opinion était canoniquement fondée
Zizani s'étonna : « Qu'est-ce à dire ? N'en est-il pas ainsi ? » Et les théolo-
giens répondirent : « Non pas, en vérité, mais ainsi : L'homme tombe par
la souveraineté, et se relève par la puissance et la correction divines ».
Cette controverse se déroulait justement au temps où fit son apparition
l'Histoire du voièvode Piotr Volosski.
La notion de la souveraineté eut une destinée pleine de vicissitudes.
Elle fut empruntée par le christianisme à la philosophie antique et les
premiers représentants de la patristique, comme par exemple Justin, dit
le Philosophe, ne cachaient pas encore les sources de leur doctrine et se
référaient, entre autres, à celle de Platon sur le libre arbitre de l'homme.
Mais par la suite la patristique limita de plus en plus étroitement la volonté
de l'homme aux conditions de cette liberté, que la philosophie antique
considérait comme l'inassujettissement de l'homme par la force extérieure
et les erreurs. Les théologiens médiévaux, comme nous le voyons en
particulier par l'exemple des théologiens russes, avaient entièrement
rejeté la notion de la souveraineté de l'homme. C'est cette notion que
sublima, purifia des sédimentations mortes, enrichit d'un nouveau
contenu et éleva au rang de programme, la pensée des hérétiques, qui
96 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

cherchait la voie en luttant pour la liberté individuelle et sociale de


l'homme.
Au 15e et au 16e siècle, à l'époque de l'humanisme et de la Réforme
se constituèrent les fondements de la culture spirituelle des temps nou-
veaux. Dans cette voie féconde se trouvaient également engagés les mou-
vements hérétiques antiféodaux en Russie. Quelle que soit la plus ou
moins grande importance de la contribution apportée par ces mouvements,
elle est incontestable en sa valeur de principe et, dans l'état relativement
arriéré de la Russie, dans les domaines économique et culturel, elle
constitua historiquement et spirituellement un effort méritoire.
T. MANTEUFFEL

NAISSANCE D'UNE HÉRÉSIE

Permettez-moi de faire appel, dès le début de ma brève intervention, à


un souvenir personnel. Avant la guerre, j'avais eu une conversation très
animée avec le regretté Stanislas Ketrzynski, un des plus éminents his-
toriens polonais. Nous avions évoqué alors l'arianisme et ses luttes contre
le catholicisme pendant le 4 e siècle. A un moment donné, Ketrzynski,
après avoir souligné l'influence des partisans de l'arianisme à la cour im-
périale de Constantinople me dit : « Il s'en est fallu de bien peu, en ce temps,
que l'arianisme ne devienne la religion orthodoxe et le catholicisme aurait
alors été déclaré hérétique ». Cette observation m'a semblé très juste et
je l'estime toujours valable. En fait, l'hérésie est un phénomène plutôt
relatif. Les adversaires ont toujours abusé de cet épithète dans leurs dis-
cussions. Il suffit, à ce propos, de rappeler le cas de Grégoire VII et de
l'antipape Clément III.
Afin, cependant, de justifier le titre de mon intervention, il me faut
étayer ce que je viens d'avancer par des preuves suffisamment convain-
cantes. C'est pourquoi je me permets d'attirer votre attention sur ce qu'on
a appelé le mouvement des pauvres, au Moyen Age. Chacun de ces mouve-
ments a eu pour origine l'application du précepte évangélique de la pau-
vreté volontaire qu'on trouve principalement dans le texte de saint Mat-
thieu (XIX, 21). Ce précepte, oublié ou tout au moins négligé durant le
haut Moyen Age, fut repris par ceux qui entreprirent la lutte pour la ré-
forme de l'Eglise dès le 11e siècle. A partir de cette époque on rencontre
de nombreux prédicateurs, clercs ou laïques, qui tous recommandaient
à leurs partisans et fidèles le principe de la pauvreté évangélique.
Nous sommes bien obligés de constater que, parmi ces réformateurs,
il y en eut que l'Eglise reconnut comme des saints alors que d'autres étaient
stigmatisés du nom d'hérétiques. Or, il est d'un intérêt capital de connaî-
tre les motifs qui ont fait ranger tel ou tel de ces réformateurs dans des
catégories si parfaitement opposées.
Commençons notre petite enquête par la curieuse figure de Robert d'Ar-
brissel. Prêtre et prédicateur, il était célèbre dans tout le pays d'An-
jou. Pour suivre à la lettre les préceptes évangéliques il se retira avec quel-
ques disciples dans la forêt de Craon où il fonda un ermitage. La légende
veut qu'il ait été appelé à prêcher à Angers par le pape Urbain II. C'est
alors qu'il commença à prôner la pauvreté volontaire en la recommandant
98 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

comme le moyen le plus sûr d'atteindre à la perfection personnelle. Il se


mit à parcourir la vallée de la Loire suivi d'une foule de fidèles, d'hommes,
de femmes appartenant à toutes les classes sociales. Ses disciples réali-
saient à la lettre son idéal de pauvreté volontaire : ils renonçaient à toute
propriété et vivaient d'aumônes que leur distribuait la population des
environs. Ses véhémentes critiques du clergé et de l'attachement des pré-
lats aux biens de ce monde valurent à Robert d'Arbrissel de sérieux ennuis
de la part de l'évêque de la région. Il décida alors d'abandonner la vie er-
rante et d'établir ses disciples dans des ermitages. Il dut également modérer
ses critiques à l'égard du clergé et surtout renoncer à la moindre désobéis-
sance aux directives de la hiérarchie de l'Eglise. C'est donc, après avoir frisé
la condamnation pour hérésie, que Robert d'Arbrissel, grâce à son esprit de
soumission, eut l'insigne honneur d'être porté par l'Eglise sur ses autels.
Bien différente fut la destinée d'un autre apôtre de la pauvreté volon-
taire, Henri de Lausanne. Moine de l'abbaye de Cluny, il avait quitté
son monastère pour devenir prédicateur populaire dans la région du Mans.
Ses violentes critiques des richesses du clergé lui acquirent rapidement
une espèce de célébrité mais il se heurta bientôt au mécontentement de
l'évêque du Mans qui lui interdit de prêcher dans la région. Henri de
Lausanne refusa de se soumettre et dut quitter le pays de la Loire pour
se réfugier en Languedoc. Sa renommée de rebelle à la hiérarchie de
l'Eglise l'y suivit et il entra bientôt en conflit avec les autorités ecclésias-
tiques du Languedoc. Cité, en 1135, devant le concile de Pise, il fut
reconnu hérétique. Cette condamnation le décida à se rapprocher des
pétrobrusiens et détermina son évolution postérieure.
Contrairement aux deux précédents, Pierre Yaldo n'appartenait pas
au clergé. La popularité des différents mouvements des pauvres et la
lecture de la légende de saint Alexis décidèrent ce riche marchand lyonnais
à vendre ses biens, à en distribuer l'argent aux pauvres et à prêcher la
pauvreté volontaire. Mais, le droit de prédication étant réservé aux clercs
et Pierre Valdo n'étant qu'un laïc, l'archevêque de Lyon lui interdit de
prêcher. Valdo en appela au pape. Celui-ci, tout en approuvant, en prin-
cipe, les vœux de pauvreté de Valdo et de ses disciples, s'opposa à son
activité de prédicateur tant qu'elle n'était pas sanctionnée par l'évêque
du diocèse. C'était reconnaître pratiquement la décision de l'archevêque.
Ayant refusé de se soumettre à l'arrêt pontifical, Pierre Valdo fut déclaré
hérétique.
Les débuts de François d'Assise ressemblent beaucoup à ceux de
Pierre Valdo. Comme lui, François est issu d'une riche famille bourgeoise.
Son père était un des premiers marchands de drap d'Assise et François
lui-même participa, pendant un certain temps, aux plaisirs et aux dissi-
pations de la jeunesse dorée de sa ville natale. Des raisons d'ordre psycho-
logique vont bientôt changer radicalement sa vie de jeune bourgeois.
Renonçant à la vie mondaine et abandonnant toute sa fortune, François
NAISSANCE D'UNE HÉRÉSIE 99

commence à prêcher la paix, la pauvreté volontaire et l'humilité. Il a


la chance de voir l'évêque du lieu appuyer ses activités. Grâce à cette
protection, il peut surmonter les difficultés que lui créait son propre père
et obtenir de Rome une décision favorable quant à son droit de prédi-
cation. Pour expliquer l'attitude si particulière adoptée par le Saint-Siège
envers François d'Assise il nous faut souligner tout d'abord la person-
nalité d'Innocent III. Ce politique d'une taille peu commune s'était
proposé de remédier aux erreurs commises par ses prédécesseurs à l'égard
des divers mouvements des pauvres. D'autre part, François d'Assise,
contrairement à l'attitude d'un Pierre Valdo, se soumettait, dès les débuts
de ses activités, aux décisions des autorités ecclésiastiques. Enfin, il nous
semble indispensable d'attirer l'attention sur le fait que, en accordant
à François d'Assise et à ses disciples le droit de prédication, Innocent III,
désireux d'éviter un précédent capable de créer diverses complications,
leur a, en même temps, conféré les ordres mineurs de la prêtrise ainsi que
le droit de porter la tonsure. Désormais François et ses disciples faisaient
partie du clergé et leurs sermons étaient autorisés par l'Eglise.
Des exemples que je viens de citer, il ressort que parmi les quatre
apôtres de la pauvreté volontaire deux sont devenus des saints et les
deux autres ont été condamnés comme hérétiques. On a pu observer que
dans chacun des cas, le motif principal de la décision de l'Eglise fut la
soumission ou la désobéissance aux autorités ecclésiastiques.
Nous sommes aujourd'hui en état de confirmer cette thèse grâce à
l'analyse de la politique d'Innocent III à l'égard des mouvements des
pauvres, mouvements traités avec tant d'intransigeance par ses prédé-
cesseurs. Je veux parler ici d'abord des disciples italiens de Pierre Valdo
appelés Umiliati et qui furent condamnés par Rome en même temps que
les vaudois. Persécutés avec acharnement par les évêques de Lombardie,
ils engagèrent des pourparlers avec la Curie romaine après l'avènement
d'Innocent III. L'entente fut très lente à se réaliser. Finalement les pour-
parlers aboutirent à un accord qui ne fut, d'ailleurs, accepté que par une
partie des Umiliati. Ceux qui juraient obéissance au Saint-Siège étaient
exempts de toutes les sanctions ecclésiastiques qui pesaient sur eux. Ils
avaient, en outre, le droit de jouir de tous les privilèges réservés par le
droit canon aux véritables ordres religieux. Par contre, ceux qui s'obsti-
nèrent à rejeter l'autorité du Saint-Siège et persistèrent dans la désobéis-
sance aux autorités religieuses furent considérés comme hérétiques.
L'affaire des Umiliati n'est point un cas isolé. Innocent III avait
également entrepris des démarches afin de faire rentrer les vaudois dans
le giron de l'Eglise romaine. Cependant, étant donné le peu de chances
d'aboutir à une réconciliation générale, le pape s'est borné à traiter avec
ceux des vaudois qui avaient pour chef spirituel un certain Durandus.
Ce dernier consentit à prendre part à un débat théologique, organisé dans
ce but à Pamiers, et en 1208, se soumit au Saint-Siège. Les disciples de
100 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Durandus reçurent le nom d'ordo pauperum catholicorum et conservèrent


la plupart des préceptes vaudois telle que la pauvreté volontaire et l'au-
mône considérée comme unique moyen de subsistance. En outre, le pape
leur accordait le droit de prédication.
Passons maintenant à certaines conclusions générales qui se dégagent
de ces brèves observations. Remarquons d'abord, qu'au Moyen Age, toute
minorité idéologique risquait d'encourir l'anathème et d'être considérée
d'emblée comme une hérésie. Tout dépendait, en fait, des relations établies
par cette minorité avec les autorités de l'Eglise. Le refus de se soumettre
aux décisions de ces autorités entraînait inévitablement l'arrêt de condam-
nation et la minorité récalcitrante devenait une hérésie. En revanche,
une soumission complète aux pouvoirs ecclésiastiques garantissait une
certaine tolérance pour les opinions de la minorité en question. C'est
ainsi qu'il devient extrêmement ardu de tracer la limite exacte, dans bien
des cas, entre l'orthodoxie et l'hétérodoxie. Il a fallu un temps, quelquefois
très long, pour procéder à une différenciation convenable des idées et
pour définir l'essence même de la doctrine hérétique.
En raison de quoi il faudrait, sans doute, changer le titre de notre
intervention. Au lieu de « naissance d'une hérésie » l'expression « formation
d'une hérésie » serait plus appropriée. Car l'hérésie ne naît pas, du moins
elle ne constitue pas toujours une doctrine hérétique par son essence,
mais elle se forme ou plutôt elle est formée par des circonstances extérieures.
DISCUSSION

L. K O L A K O W S K I . — La communication de M . Manteuffel a confirmé


pleinement la définition de M. Morghen : « est hérétique celui qui est dé-
claré hérétique par les autorités ecclésiastiques ». C'est la seule définition
utilisable pour un historien. Peut-on généraliser la vue que vous nous avez
présentée pour cette image de la naissance d'une hérésie au 12e siècle ?
L'Eglise, surtout aujourd'hui, distingue péché de désobéissance et péché
d'hérésie. A quel point, au 12 e siècle, ces péchés étaient-ils distingués par les
autorités ecclésiastiques 1 N'ajoutait-on pas toujours à l'accusation de
désobéissance, celle d'hérésie ?

R. M A N S E L L I . — Pour préciser les faits particuliers indiqués par M . Man-


teuffel, j'ajouterai que dans le cas des henriciens et des vaudois, l'élément
qui les caractérise, qui les fait hérétiques, est non seulement leur condam-
nation, mais leur pertinacia. Vous avez rappelé le cas du moine Henri :
dans un texte que j'ai fait connaître, il annonce sa pertinacia, par les paroles
qui sont aussi attribuées aux vaudois : Oportet obœdire magis Deo hominibus.
Ils sont consciemment hérétiques, ils ont conscience d'en tirer un titre de
noblesse, ils ne sont pas hérétiques par hasard ; toute hérésie tend à naître
d'une manière personnelle, par l'effet de la volonté individuelle. Quand je
dis que les hérétiques avaient conscience d'être hérétiques, je veux dire :
conscience d'être détachés du corps de l'Eglise officielle, de former une réa-
lité à part. Je pense au témoignage des cathares en 1302 : Isti dicunt quoi
nos sumus eretici, sed nos sumus ecclesia Christi.

E. D E L A R U E L L E . — La définition de M. Morghen est commode, mais je


ne suis pas sûr qu'elle soit toujours vraie : à l'origine de l'Eglise, est héré-
tique celui qui se sépare du credo, et c'est seulement à une époque précise,
en gros au 11e siècle, époque de la Réforme grégorienne, époque par excel-
lence du cléricalisme et des réserves pontificales, que l'on jugera indispen-
sable l'intervention de la hiérarchie pour donner le commentaire authentique
du symbole. M. Manteuffel a parlé de la canonisation ; c'est un signe com-
mode : comment l'Eglise reconnaît-elle les siens ? Je regrette l'absence de
M. Mollat qui vient de diriger une étude de M. Vauchez sur la notion de
sainteté au 14e siècle. Le procès de canonisation s'est organisé à la fin du
12e siècle : il étudie d'une part la vie et les vertus de celui qu'il est question
de canoniser, et d'autre part ses miracles ; on découvrirait une échelle chan-
geante des valeurs : la chasteté est particulièrement en honneur dans la
première phase de la Réforme grégorienne, et déjà perce cette vertu de
pauvreté, encore méconnue d'une certaine façon par Cluny. Cette étude de
la conception de la hiérarchie des vertus, de leur relation avec les données
profondes du credo et tel ou tel sacrement particulier ferait avancer le pro-
blème de l'hérésie.
102 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

R . M o r g h e n . — Prenons le cas de saint Louis de Provence, fils cadet de


Charles d'Anjou et évêque de Toulouse ; il appartenait à l'orientation * spi-
rituelle » des pauvres qui fut condamnée en 1318. Il a été canonisé. Etait-il
hérétique ou saint ?

E. Delaruelle. — Saint Louis d'Anjou a été canonisé en raison de la


politique napolitaine de Jean X X I I , et les témoignages sont irrécusables :
il a conçu la pauvreté de manière très stricte.

A . Abel. — C'est dans une région bien caractérisée par l'évolution his-
torique, dans une région en crise qu'est née la série des hérésies des pauvres ;
et on voit apparaître une nouvelle conception de la pauvreté dans l'Eglise :
de la pauvreté individuelle au sein de la richesse collective, on passe au
dépouillement de soi, à l'imitation du Seigneur dans le renoncement aux
liens de ce monde. M. Manteuffel n'a-t-il pas une explication à nous proposer
dans le fait social ou dans toute autre tendance de l'époque ? Car je ne crois
pas que l'hérétique soit un homme qui rompe avec le cadre établi pour le
plaisir de rompre, par entêtement et fantaisie.

J. L e Goff. — M. Manteuffel nous force à essayer de mettre en ordre


ce qu'a été concrètement le fait hérétique dans sa formation historique.
Si nous prenons les exemples de ce que nous pouvons considérer comme les
premières hérésies populaires en Occident, l'hérésie de Lautardus, à "Vertus,
selon Raoul Glaber, l'hérésie d'Orléans en 1022, celle d'Arras en 1025, le proces-
sus y est à peu près le même : un individu ou un groupe considéré comme
plus ou moins suspect sont interrogés par l'autorité ecclésiastique, c'est-à-dire
par l'évêque. A la fin de l'interrogatoire, brusquement, un mot apparaît :
hérétique. L e suspect est déclaré hérétique et ce moment est fondamental.
On le force au choix, à accepter d'être hérétique et à tomber donc dans la
pertinacia ou à rentrer dans l'orthodoxie d'une façon ou d'une autre. A
propos du débat sur le couple hérétique-saint, on voit, dès le 11e siècle, se
préciser la notion du vrai et du faux miracle : la poursuite de l'hérésie a
favorisé une « critique du miracle ». E t d'autre part, la canonisation de gens
qu'on pourrait condamner comme hérétiques me paraît relever des méthodes
« d'apprivoisement » des hérésies : c'est une satisfaction donnée à tout un
groupe, mais sans grand danger.

S. Stelling-Michaud. — Il faut distinguer entre l'aspect dogmatique,


l'aspect moral et l'aspect canonique de l'hérésie, c'est-à-dire entre l'hérésie
considérée comme une erreur de doctrine (dans le sens objectif) et comme
une pertinacia (dans le sens subjectif) ; l'hérésie est considérée, dans ce cas,
comme un péché et rentre dans la sphère subjective, engageant la responsa-
bilité même de l'hérétique, obligé à faire le choix. Considérée du point de
vue dogmatique, l'hérésie n'est pas nécessairement une hérésie canonique
si elle n'est pas dénoncée comme un crimen. Mais il faudrait établir à quel
moment s'opère le passage du péché au délit et à quel moment les idées ou
le comportement de l'hérétique deviennent un danger pour la société et
provoquent sa condamnation par les tribunaux civils.
NAISSANCE D'UNE HÉRÉSIE 103

F . GRAUS. — Nous nous heurtons à la notion d'orthodoxie. Il n ' y a pas


une opinion orthodoxe, sur la pauvreté, par exemple, mais diverses opinions,
divers courants, déjà chez les Pères de l'Eglise. Ce n'est pas par son opinion
que quelqu'un devient hérétique. L a même opinion peut être indice d'hérésie
ou de sainteté : d'après la légende du 8 e siècle, le premier à refuser le serment
au roi a été saint Eloi.
A u 12 e siècle ce refus est l'expression d'une hérésie. Il faut donc souligner
l'idée de développement et d'évolution dans l'orthodoxie.

G. LEFF. — Il faut distinguer entre le f a i t d'être hérétique et les voies,


nombreuses qui mènent à l'hérésie : à un extrême, la conviction personnelle
qu'on possède la vérité et qu'on doit la suivre, à l'autre, l'exclusion qui
frappe quelqu'un qui se sent orthodoxe mais persistera désormais dans son
hérésie. Par ailleurs plus il existe un corps défini de dogme, plus on risque
l'hérésie. Ainsi, dans le bas Moyen A g e , il était plus difficile pour l'Eglise
de canaliser les expériences des nouveaux développements de la société
et pour les novateurs de s'accorder avec les cadres solidifiés de l'Eglise.
Jusqu'alors, les ordres nouveaux pouvaient satisfaire les novateurs (la
marge qui sépare saint François des vaudois est très étroite) mais désor-
mais il n ' y a plus d'ordres nouveaux et les novateurs se placent presque
ipso facto hors de la communion de l'Eglise, dans la genèse d'une hérésie,
il y a là combinaison de l'attitude de l'Eglise et de la conviction personnelle.

É. POULAT. — Je m e sens à l'étroit dans le cadre dualiste de l'hérésie et


de l'orthodoxie, qui est à l'origine de certaines difficultés d'explication.
Il y a des hérésies de niveaux différents : les hérésies christologiques, trini-
taires sont très différentes des hérésies de la pauvreté, aux incidences so-
ciales immédiates, ceci étant très différent de la distinction entre hérésie
populaire et hérésie savante. Il y a des va-et-vient, des passages de l'ortho-
doxie à l'hérésie et de l'hérésie à l'orthodoxie, mais il y a un troisième point :
à l'origine il y a les tensions réelles dans les diverses sociétés à un m o m e n t
donné et non seulement des hérésies avortées mais pas seulement une ortho-
doxie monolithique massive dont se détacheraient des hérésies religieuses.
On verrait dans l'Eglise des forces qui, en permanence, représentent un
support réel, objectif, à des hérésies qui s'en détachent ultérieurement.
E t même, ensuite, des affinités et des complicités avec les hérésies. Il f a u t
saisir ce schéma des tensions.

T . MANTEUFFEL. — Je voudrais d'abord présenter une constatation


générale : la faiblesse du pouvoir central de l'Eglise évite parfois de constater
qu'une théorie est hérétique : par exemple toutes les influences héritées du
paganisme en Occident, qui forment une sorte de syncrétisme. A M . K o l a -
kowski, j e répondrai que les désobéissants à la hiérarchie ecclésiastique peu-
v e n t devenir hérétiques mais que ce n'est pas une nécessité.
E n ce qui concerne les questions de M. Abel, à mon avis, les hérésies de la
pauvreté ont leur origine dans la connaissance de l'Ecriture sainte propagée
au 11 e et au 12 e siècle parmi les laïcs et qui a facilité l'opposition à l'Eglise
officielle, l'Eglise « corrompue ». Les importantes remarques de M. Manselli
nous invitent à la prudence.
M"« C. THOUZELLIER

TRADITION ET RÉSURGENCE
DANS L'HÉRÉSIE MÉDIÉVALE*
Considérations

L'hérétique.

Deux facteurs sont à considérer : le temps et l'espace. Pour la période


médiévale comprise entre le 11e et le 13e siècle, et en Europe occidentale,
la définition de l'hérétique ne peut se poser qu'en fonction du christia-
nisme et de la Révélation, selon la formule d'Isidore : Heretici, qui de
Ecclesia recesserunt.1 Est hérétique celui qui n'accepte plus ou critique
les dogmes chrétiens, et refuse le magistère de l'Eglise romaine qu'il
reconnaissait auparavant. Ceci, d'après l'énoncé des hérésiologues médié-
vaux pour qui un Israélite, un musulman ne sont pas des hérétiques. •
L'hérétique n'est ni un anormal, ni un névrosé : c'est au contraire un
homme soucieux de vérité et que, toujours en raison du christianisme,
le dogme des vérités révélées ne satisfait plus. Il peut être amené à cet
état soit par des considérations personnelles, d'ordre métaphysique ; soit
par des constatations sociales qui lui font percevoir, dans une société
chrétienne constituée, des anomalies, des déviations, qui ne correspondent
plus aux directives initiales.
Cette attitude peut, à l'origine, être le fait d'un seul qui, en s'exprimant
librement, ou bien traduit les aspirations de plusieurs qui sentent obscu-
rément les mêmes besoins de réforme, ou bien attire à lui ceux qui, dans
leur vie d'adulte, commencent à se poser les mêmes problèmes. Ce serait
faux de croire que « d'entrée de jeu il n'y a pas d'hérétique isolé ». Toute-
fois, si isolé qu'il soit au départ, l'hérétique ne le demeure pas longtemps
et, sans tarder, groupe un nombre d'adeptes qui le suivent pour les deux
raisons précitées. C'est à l'initiateur à l'instigateur du mouvement, ou à
son programme, que l'ensemble des premiers fidèles emprunte bien souvent
sa dénomination (le fait est commun, aux siècles précédents, par exemple :
Ebion : ébionites ; Cérinthe : cérinthiens ; Arius : ariens, etc.), à moins

* Sont exclues de cet exposé les hérésies de caractère scol astique, provoquées par
Bérenger de Tours (mort en 1088) ; Roscelin (mort en 1123-1125) ; Abélard ; Gilbert
de la Porrée (mort en 1154), etc.
106 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

que ce nom lui soit donné de par sa fonction, tels les « tisserands en Gaule »
(environ 1143-1145). »
L'hérétique et son groupe se séparent très souvent de leur milieu social
primitif pour en former un autre, reconstitué en ses éléments essentiels.
C'est un nouveau cadre hétérogène au premier, sans être pour cela un
produit de classe. D'ailleurs, les modalités de conception qui sont à
l'origine même de la scission avec la masse orthodoxe se manifestent
en des sectes diverses, parfois étrangères les unes aux autres ou bien
sympathisantes entre elles.
L'originalité du groupe hérétique en tant que facteur social consiste
surtout en l'orientation nouvelle de vie de ses membres, forme qui tranche
sur l'état persistant de la collectivité dont il est issu. En général, une
Eglise hérétique représente une famille d'esprits adhérents à une même
croyance et qui, au fur et à mesure de son évolution, s'organise en hiérar-
chie et constitue ses cadres.
La nouveauté hérétique est donc rupture par rapport, à la fois, aux
doctrines d'ordre métaphysique ou aux règles sociales unanimement
reconnues en Europe médiévale. Elle est aussi tradition et résurgence
d'oppositions anciennes et vivaces, qui ont filtré à travers les siècles et
réapparaissent à la faveur de certaines conditions. Mais elle est, en plus,
adaptation aux nouvelles exigences de la vie, apport nouveau dans le
facteur temps de l'humanité en marche, soit cassure d'une forme reli-
gieuse ou sociale dans le présent ; soit résurgence de certains legs du
passé ; soit espoir d'une réharmonisation des facteurs religieux et sociaux
dans le devenir. L'hérétique a conscience d'être orthodoxe et garde
l'espoir de vaincre au nom de la vérité évangélique.
Voilà pour l'aspect général.

Perspectives historiques

Passons au particulier. Ici surgit le grand problème de la complexité


historique des mouvements d'hérésie, que l'historien ne doit ni amenuiser,
ni simplifier, sous prétexte d'uniformiser des points de vue préconçus.
Quel est, durant le 11e siècle, le point central de la vie religieuse ? C'est
la conséquence des efforts pour une réforme morale de la société, qu'elle
soit laïque ou cléricale, et une réforme institutionnelle de l'Eglise.
La première, amorcée à la fin du 10e siècle (990-1027), aboutit aux
institutions de la paix de Dieu et trêve de Dieu qui, dans le monde féodal,
limite le temps de guerre, tempère la violence des seigneurs et dont le
bienfait, répandu par toute la France, est universellement reconnu par
la papauté en 1095. *
En rapport avec cette amélioration de la vie laïque, apparaissent de
vigoureuses tentatives, en vue de purger la société ecclésiastique de tous
les maux qui l'avilissent. En premier, les abbayes de Cluny (910) et de
TRADITION ET RÉSURGENCE DANS L'HÉRÉSIE MÉDIÉVALE 107

Gorze, étendent leurs rameaux purificateurs de Bourgogne et de Lotha-


ringie, en France, Suisse, Italie, Espagne, Belgique, Angleterre, Alle-
magne, pour couvrir comme d'un immense réseau de pieuse austérité
l'Europe occidentale, à la fin du 11e siècle. 5 Un peu plus tardif, le mou-
vement canonial séculier et régulier entend de même purifier les mœurs
capitulaires, sur l'initiative de saint Ruf en France (1039), plus tard
d'Arrouaise 6, tandis que, dans la seconde moitié du siècle, l'érémitisme
gagne du terrain avec Jean Gualbert à Vallombreuse (1038) ; saint Robert
à Molesme (1075), Cîteaux (1098), sans oublier les fondations d'Etienne
de Muret à Grandmont ; de Robert d'Arbrissel à Fontevrault, de Bernard
de Tiron, etc. 7
A ce grand élan de renouveau monastique, canonial, érémitique répond
l'effort de la Curie romaine contre l'Empire avec Léon IX (1048-1054) ;
contre la noblesse romaine avec Nicolas II, pour arracher l'Eglise aux
pouvoirs des laïcs et l'ensemble de la hiérarchie aux autorités civiles dont
elle est tributaire. Si, à l'orée du 11e siècle, Cluny est déjà propriété de
saint Pierre, un demi-siècle plus tard par les décrets de 1059 le pape, choisi
par les cardinaux, n'est plus sous la coupe de l'Empereur et les curés ne
reçoivent plus l'investiture paroissiale de leurs seigneurs. La suprématie
du pouvoir religieux sur le pouvoir civil, proclamée par Grégoire V I I
en 1075 8, est l'aboutissement de tout ce vent d'ascétisme « qui s'est levé
vers l'an mil » et s'est propagé tout au long du 11e siècle.

Les problèmes de l'hérésie


C'est dans cette perspective historique, lourde de conséquences à venir,
qu'il faut comprendre les mouvements de réforme surgis des milieux
populaires désintéressés, mais fortement secoués par « l'ouragan de
l'Esprit » 9 , avant de sombrer dans l'hérésie. Au 11 e comme au 12e siècle,
vont s'élever des voix multiples et diverses qui, au départ, ont pour objet
le désir de perfectionnement spirituel. Les unes resteront sur le plan
religieux à caractère soit dogmatique, soit évangélique ; d'autres agiront
sur le plan politique, mais toutes ces rébellions ont pour point initial
de combattre l'hégémonie ecclésiastique avant la Réforme grégorienne,
parce que le clergé est indigne ; après, parce que les mesures prises, d'ordre
moral, lui paraissent insuffisantes. Les textes parlent d'eux-mêmes et les
faits sont connus.

11e siècle. Hétérodoxes latins


C'est en 1000, au diocèse de Châlons-sur-Marne, selon Raoul Glaber, que
le paysan Leutard qui renvoie sa femme ex precepto evangelico devient
iconoclaste, encourage ses voisins à ne pas payer la dîme et proscrit la
lecture des prophètes. Surnommés « manichéens », les hérétiques d'Aqui-
taine (1018), d'après Adémar de Chabannes, séduisent le peuple, nient le
108 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

baptême, la croix, et toute vraie doctrine. Sous une apparence monacale,


ils pratiquent l'abstinence, simulent la chasteté, mais s'adonnent entre
eux à la luxure. Envoyés de l'antéchrist, ils détournent beaucoup de
fidèles de la vraie foi. A Orléans, en 1022, un conventicule de clercs érudits,
certains fort agréés à la cour, enseignent le docétisme, nient la passion,
la résurrection du Christ, les sacrements et semblent tenir leur doctrine
d'apôtres venus d'Italie. Trois ans après (1025), le synode d'Axras condamne
ceux qui prétendent posséder la vérité évangélique, mener une vie aposto-
lique mais sèment tout un ensemble d'erreurs transmises d'Italie et
portant sur quinze articles. En 1028, à Monteforte, près d'Asti, une commu-
nauté nie la Trinité, interdit le mariage, s'abstient de viande, met ses
biens en commun, prie jour et nuit. L'évêque de Châlons constate, dans
son diocèse (1048), l'existence de certains rusticos qui, adeptes des dogmes
pervers des manichéens, pratiquent l'imposition des mains, rejettent le
mariage, évitent l'alimentation carnée ; leurs disciples, malgré leur igno-
rance, deviennent rapidement plus éloquents que les catholiques les plus
érudits, et le prélat demande à Wason de Liège, qui les connaît aussi dans
sa région, des directives pour les confondre. w
Tous ces mouvements épars, incoordonnés, mais contemporains, éclosent
dans les milieux les plus divers : paysans incultes, nobles, clercs lettrés,
et répondent dans les milieux laïques à un besoin de réforme spirituelle
que l'Eglise ne parvient pas à leur donner. L'interprétation de leurs erreurs
a donné lieu à des controverses entre éminents historiens et demeure
encore délicate. Les uns reconnaissent des « parallèles, des correspon-
dances » avec le bogomilisme, qui serait à l'origine des motifs hétérodoxes
énumérés. » Les autres, sans nier « les traits communs d'ordre négatif
et éthique », relèvent que « aucun n'est assez spécifique ni solidaire d'une
métaphysique dualiste » t a n d i s que certains déclarent qu'il ne faut y
voir aucune influence de mythologie manichéenne. "
Devant ces attitudes formellement opposées, quelques indices, déce-
lables dans les écrits de l'époque, peuvent apporter des éclaircissements.
Abstraction faite des parallélismes, il reste que, par deux fois, les docu-
ments font allusion aux manichéens : en Aquitaine, en 1018, sous la
plume du moine Adémar de Chabannes et, en 1045, sous celle plus autorisée
de l'évêque de Châlons, Roger II, qui authentifie l'erreur, «imposition
des mains pour donner le Saint-Esprit, croyance en Mani, envoyé de Dieu
et représentant le Saint-Esprit ».14
On peut objecter que le nom de Manichei, comme celui plus tardif
d'Arriani, employé pour la première fois par Wason de Liège, qui assimile
à ces derniers les sectaires de Châlons, représente « une valeur d'hérétique-
type », sans contenu spécial de doctrine, comme « un titre commun » de
personnes « troublant la foi et la paix de l'Eglise ». » Soit. Pourtant,
il faut souligner que ce qualificatif n'est généralement attribué qu'à une
certaine catégorie d'hérétiques. En outre, il se trouve que, ne sachant
TRADITION ET RÉSURGENCE DANS L'HÉRÉSIE MÉDIÉVALE 109

désigner nommément cette erreur, Wason ajoute : elle est «l'antique,


ventilée par les saints Pères et brillamment réfutée par leurs sentences ». «
D'ailleurs, pour les théologiens médiévaux, l'hérésie est à la fois une
« antiquité », et une « nouveauté ». Hugues de Rouen dira bien plus tard :
Hsereses non novas sed veteres.17 On a relevé l'emploi par les hérésiologues
du mot Arriani, supplanté à la fin du 12e siècle par celui précédemment
employé de Manichei, du jour où les théologiens sont parvenus à distinguer
le contenu dogmatique propre à chaque dénomination. On sait en effet
que, en 1145, saint Bernard ne parvient pas à donner un nom à ces
« nouveaux » mouvements d'idées. Un demi-siècle plus tard, réduit à la
même enseigne, Alain de Lille considère les nouos hœreticos moins ration-
nels que les « anciens », à qui ils ont emprunté « un tissu d'erreurs suran-
nées » et il les amalgame tous en une generalem hœresim.18 On pourrait
donc penser que I'épithète Manichei, utilisée dès 1018 pour désigner les
hérétiques d'Aquitaine, reprise trente ans après par l'évêque de Châlons
qui les reconnaît comme adeptes de l'hérésiarque Mani, appellation
renforcée la même année (1048) par Wason, qui les assimile aux ariens
et finalement les englobe dans le terme générique antiqui, est une preuve
assez péremptoire que, pour leurs contemporains — et c'est là primordial —
ces hérétiques renouvellent des thèmes jadis combattus.
(Ceci dit, sans que l'on puisse objecter,, comme on le fera pour Eckbert
de Schönau (1163-1166), qu'il s'agit là de critères augustiniens.) 19

Résurgence
Nous sommes au cœur du sujet proposé par le colloque. Sans que le
dualisme même mitigé, soit expressément formulé, il y a suffisamment
de concepts d'ordre christologique ; le docétisme, ou éthique : mépris
des sacrements, de la hiérarchie ecclésiastique, de la croix ; condamnation
du mariage, de la viande, etc., pour que les contemporains aient pu consi-
dérer ces motifs comme des reflets des anciennes hérésies : résurgences
d'un passé condamné. Ce qui renforce cette hypothèse c'est que, sans adhé-
rer à une doctrine ouvertement dualiste, les hérétiques d'Orléans (1022) et
de Châlons (1048) « reçoivent le Saint-Esprit par imposition des mains ».20
En admettant que « ce rite d'un emploi général ne saurait autoriser, dans
sa mention, une allusion à l'acte liturgique du baptême spirituel des
Bogomiles » il se trouve que les tormenta, auxquels s'exposent volon-
tairement les adeptes de Monteforte (1028) « avant de mourir, afin d'éviter
les tourments éternels » c o r r e s p o n d e n t bien au « martyre » de la secte,
mort rituelle des cathares, dit-on 28 , mais non à l'endura.
Dès lors, l'apparition au 11e siècle des hétérodoxes latins répond à deux
impératifs :

8
110 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

1° D'abord celui de la réforme morale de l'Eglise dont ils sont membres


et à laquelle ils veulent procéder d'une manière radicale, finalement
contraire à l'orthodoxie. Evangélistes spontanés, ascètes divers venus
d'Italie en France, attirés vers les lieux d'échanges, d'accès aisé : Aquitaine,
Orléans, Châlons ; rayonnant des centres actifs de Champagne vers Arras,
Liège, suivant les voies du commerce, ils s'ébranlent, tout comme leurs
émules monastiques pour semer leurs doctrines. Distincts des mouvements
populaires contre le clergé simoniaque et concubinaire, ils sont malgré leur
attitude anti-ecclésiale, dépourvus de tendance politique et leur rébellion
n'offre pas un caractère antiféodal. 24 Quelqu'ils soient : paysans, clercs,
nobles, ils paraissent avant tout animés d'idéal spirituel. Leurs sectes
ne présentent, dans leur contemporanéité, aucune organisation d'en-
semble, ni plan défini ; mais elles heurtent les pouvoirs établis, civils et
religieux et, de ce fait, se trouvent en conflit avec l'ordre social.

2° La résurgence ou la similitude de nombreux articles, déjà interdits,


et acceptés par ces divers hétérodoxes, trahit un fond commun. Sans
que l'on puisse en déduire une filiation directe avec les hérésies anciennes,
l'analogie des éléments n'en existe pas moins : les hétérodoxes repro-
duisent bien des négations bogomiles. C'est que ce mouvement d'oppo-
sition latine correspond à celui du pop Bogomil entre 927 et 969 : « les
attaques contre l'Eglise, le rejet de certaines croyances, d'une partie des
Ecritures », etc., répondent « à une situation vécue », reflètent une attitude
révolutionnaire au nom de l'idéal évangélique. 26 Ces thèmes d'opposition
ont filtré à travers les siècles. Pour peu que les causes semblables de
violent mécontentement, cette fois à l'égard d'un cléricalisme vicié, d'une
autorité pontificale vilipendée soient motivées : les mêmes effets se pro-
duisent pour provoquer, par l'ascétisme, un retour à la pureté évangé-
lique. C'est en fait la « résurgence » lointaine d'un impératif chrétien
primitif et qui, exacerbé, aboutit paradoxalement à une doctrine contraire
au christianisme.
Les deux aspects de leur mouvement vont se répercuter après 1050 :
évangélisme avec réforme ecclésiastique ; éthique d'inspiration orientale.

12 e siècle : première moitié


La Réforme grégorienne accomplie, la ferveur de la première croisade
calmée, le début du 12e siècle voit surgir les deux formes de mouvement
hérétique : l'un, qui devient traditionnel et traduit le désir de rompre
avec le formalisme. Evangélisme antisacerdotal, prédication missionnaire,
refus de sacrements divers, programme de vie apostolique : tels sont les
buts envisagés par Pierre de Bruys (1112-1113) qui donne son nom aux
pétrobrusiens ; le moine Henri et les henriciens en France, condamnés
à Pise en 1134 26 ; Tanchelm dans le Nord ; Eon de l'Etoile et les hérétiques
TRADITION ET RÉSURGENCE DANS L'HÉRÉSIE MÉDIÉVALE 111

de Bretagne combattus vers 1145 par Hugues de Rouen et le concile de


Reims (1148); ceux du Périgord 27 , etc.
L'autre plus spécialement dogmatique et où, graduellement, s'estompe
le caractère de « résurgence », devant une forme de filiation qui, lentement,
s'établit en fonction des événements et des rapports Est-Ouest.
Après le «vide hérétical de la seconde moitié du 11e siècle», comme
le dit si bien M. Violante, et sans vocables encore bien déterminés, appa-
raissent des tendances hétérodoxes semblables à celles du siècle précédent :
à Soissons (1114), au Mont Aimé (1145); en Flandre, à Liège (1135-
1143) 28 ; tendances que le moine Guillaume qualifie cependant d'origine
arienne et qu'il distingue nettement des tentatives henriciennes. 29 A
Cologne, vers la même période, ces hérétiques sont déjà organisés sous la
direction d'un episcopus et déclarent tenir leurs doctrines des Grecs. 30
C'est ici que des documents rigoureusement authentiques permettent
de faire le point. Anselme d'Alexandrie, inquisiteur en Lombardie vers
1267, déclare en effet que « l'hérésie était répandue en Drugonthie, Bul-
garie, Filadelphie, sous la direction de trois évêques ; à trois jours des
frontières de la Bulgarie, des marchands grecs de Constantinople y sont
revenus pour affaires et, revenant ensuite chez eux, nommèrent un évêque
grec ». Au début du 11 e siècle, il y a donc rayonnement, du berceau bulgare
bogomile à Constantinople où un évêque grec est désigné. « Des Français,
venus en esprit de conquête à Constantinople, rencontrent cette secte
hérétique, adhèrent à sa doctrine et se multiplient au point de former
une église autochtone avec son évêque latin ». Cet événement se produit
lors de la seconde croisade (1147). « ... Plus tard, continue l'inquisiteur,
ces Français quittent Constantinople, reviennent dans leurs pays où ils
commencent à prêcher, diffusent leurs erreurs et, vu leur nombre, ne
tardent pas à constituer un évêque français ».31 Le retour de la seconde
croisade (environ 1150) entraîne ainsi la création d'une Eglise dualiste
au nord de la Loire. L'évêque de cette Eglise francigen est d'ailleurs
connu : c'est Robert d'Epernon (1167). 32

12e siècle : deuxième moitié : en France


Au concile de Reims (1157), l'Eglise ne tarde pas à sévir contre tous les
adeptes que l'on voit nombreux en Champagne (1162), ce foyer primitif;
en Bourgogne (1167), à Vezelay;en Flandre (1162).3S« Comme les éléments
de cette Eglise francigen, ajoute Anselme bien informé, ont été contaminés
d'abord à Constantinople par les Bulgares, en toute la France, ces hérétiques
sont appelés Bulgares. Leurs voisins, les provinciales, accourus à leurs prédi-
cations, épousent leurs erreurs et organisent dans le Midi les évêchés de
Carcassonne, Albi, Toulouse, Agen »34 Les textes sont nettement éloquents.
Désormais, l'installation de la doctrine dualiste au nord et au sud de la Loire
n'est plus une affaire de résurgence, comme un siècle et demi plus tôt, mais
le fait authentique d'un transfert, et pour mieux dire, d'une filiation.
112 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Le foyer grec, florissant, d'où vont et viennent les grands courants com-
merciaux du bassin méditerranéen reste, avec le berceau bulgare, le siège
d'où partent tous les fils conducteurs des hérésies dualistes. Dans la se-
conde moitié du 12e siècle, Hugues Ethérien qui, à Constantinople, rédige
en latin son Advertus Patherenos contre les hérétiques de l'Empire grec
témoigne de leur parenté étroite avec les cathares d'Occident. 35

En Italie
Entre partisans dualistes des pays latins, les rapports sont très fréquents.
De France, des groupes cathares essaiment en Lombardie, Milanais, Pié-
mont, Naples, tous pratiquant l'ordre bulgare ou dualisme mitigé, jusqu'au
jour où le pope Niketas, évêque des hérétiques de l'ordre dragouvite vient
de Constantinople en Italie, puis en Languedoc à Saint-Félix du Caraman
(1167-1172), pour gagner les fidèles à sa profession dualiste absolue. A
cet effet, il confère le consolamentum aux chefs des diocèses réorganisés. s °
Même si quelque doute est soulevé au sujet de cette assemblée de Saint-
Félix, 87 le dualisme absolu est nettement accusé, en fin du siècle, dans les
régions languedociennes, où il se maintiendra. En Italie, au contraire,
des scissions se produisent au dépens du nouvel ordre instauré et, à la suite
de désaccords religieux entre les hérésiarques, surgit une hiérarchie com-
posite correspondant aux six factions cathares. 88

Patronage
Dès lors, on ne peut plus parler de résurgence, ni de tradition mais de pa-
tronages divers. Au fur et à mesure de leurs divisions intestines, spéciale-
ment en Italie et de leur adhésion à une tendance différente, les membres
de la secte repartent ultra mare en Bulgarie ou en Drugonthie (Thrace,
le long de la Dragovitsa) pour recevoir, avec le consolamentum, la consé-
cration nouvelle de l'ordre choisi, et qui leur est conférée en fonction de
l'apparat spécifiquement doctrinal.

Mouvements traditionnels
L'installation de ces Eglises dualistes, fortement constituées, et bien dé-
crites par les documents, n'entrave point, dans la deuxième moitié du
12e siècle, les mouvements d'opposition formelle à l'Eglise, entraînant le
refus des sacrements, tels ceux des arnaldistes, disciples d'Arnaud de Bres-
cia (mort en 1155), agitateur violent contre le Saint-Siège (1146) auquel il
refusait le droit de propriété, des spéronistes avec leur chef Spéron, légiste
de Bologne (environ 1185) 39, tandis que les passagiens nient l'unité de
substance la trinitaire et veulent observer rigoureusement la loi mosaïque.
Les prédicants réapparaissent aussi en France dans le dernier quart
du 12e siècle sous le nom de « pauvres de Lyon » pour essaimer en Lom-
TRADITION ET RÉSURGENCE DANS L'HÉRÉSIE MÉDIÉVALE 113

bardie où, vers 1205, se détachera le rameau des pauvres Lombards dirigés
par Jean de Ronco. C'est en fait un mouvement évangéliste, de vie aposto-
lique et prématurément accusé d'hérésie. 41 Si 1'« évangélisme est l'expres-
sion d'une crise de la société » il demeure la manifestation d'un blâme
envers les carences ecclésiastiques. Celui du fondateur Valdès traduit une
insatisfaction des esprits, toujours soucieux d'une vie plus parfaite, dans
le détachement des biens terrestres. A travers l'espace et le temps, c'est
à la fois, dans un éternel recommencement, tradition et résurgence spon-
tanée du christianisme primitif.

CONCLUSION

Sans vouloir enfermer ces considérations en des limites purement nomina-


les qu'elles font éclater, mais pour répondre au désir du colloque, on peut
dire en terminant que, au 11e et au 12e siècle, les mouvements évangéliques
se reproduisent selon une « tradition » constamment renouvelée, mais sous
des formes diverses et des modalités différentes. Tandis que, ce que l'on
est convenu d'appeler «hétérodoxie» au 11e siècle et qui paraît être une
« résurgence » se transforme lentement sous l'effet des circonstances his-
toriques et devient, au 12e siècle, une filiation qui reçoit son patronage
de l'Orient.
Dans les deux cas, d'évangélisme et d'hétérodoxie, on peut déceler des
causes d'incohérence à la fois politique, religieuse ou sociale ; il n'en reste
pas moins qu'il y a inadaptation aux structures grégoriennes. Dans le pre-
mier cas, la traditionnelle révolte contre l'Eglise chrétienne ressort du
domaine de la phénoménologie qui, dans le second, visible au début,
s'atténue en faveur d'une parenté vivante. Mais cette parenté, laissant à ses
membres les libertés particulières et locales, permettra au catharisme de
s'épanouir en Occident au début du 13 e siècle.

NOTES

1. Etymologia, VIII, 5, 1 (éd. W. M. LINDSAY Oxford, 1911).


2. DURAND DE HUESCA, Liber contra Manicheos, ms., Prague, Metrop. 527, f° 56 (en
cours d'édi ion). Voir notre édiition.
3. ECKBBRT DE SCHÖNAU, Sermones contra Catharos, I, 1, (MIQNE, P. L., t. CXCV,
col. 13 C) : Gallia, Texerant, ab usa texendi appellal. Voir notre article «Hérésie
et croisade au 12e siècle », dans Revue <f Histoire ecclésiastique, t. XLIX, 1954, p. 364.
114 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

4.R. B O N N A U D - D E L A M A R E , «Fondement des institutions de paix au 1 1 E siècle»,


dans Mélanges Halphen, Paris, 1951, p. 1 9 - 2 6 . — L. G É N I C O T , Les Lignes de faite
du Moyen Age, 3 6 éd., Tournai, 1961, p. 116.
5.Voir A Cluny, Congrès scientifique, Dijon, 1950, et surtout Neue Forschungen über
Clung und die Cluniacenser, éd., G. Tellenbach, Fribourg, 1959, passim. — K. HAL-
L I N Q E R , « Gorze-Kluny. Studien zu den monastischen Lebensformen und Gegen-
sätzen im Hochmittelalter », dans Studia Anselmiana, 22-23 ; 24-25, Rome, 1950-1951.
6 . C H . D E R E I N E , art. « Chanoines », dans Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclé-
siastiques, t. XII, 1951, col. 375 et suiv., 387-389. Sur le rôle exact joué par Gré-
goire VII dans la réforme canoniale, voir du même, « La prétendue règle de Grégoire
VII pour chanoises réguliers » dans Revue bénédictine, t. LXXI, 1961, p. 108-118.
e
7 . J . B . M A H N , L'ordre cistercien et son gouvernement des origines au milieu de 13 siècle
(1098-1265), 2 e éd. Paris, 1951. — Mélanges Saint-Bernard (Congrès de l'Associa-
tion bourguignonne des sociétés savantes, 2 4 ) , Dijon, 1954. — J E A N D E L A C R O I X
B O U T O N , Histoire de l'ordre des Ctteaux, Westmalle, 1959 (vulgarisation). — Voir
H. G R U N D M A N N , « Eresie e nuovi órdini religiosi nel secolo XII », dans Relazioni
del X Congresso internazionale di scienze Storiche, Rome, 1955, t. III, Florence, 1956,
p. 359-364. — L. G É N I C O T , op. cit., p. 145-150.
8.Sur tout ceci, voir les travaux de G. T E L L E N B A C H , Liberias. Kirche und Weltordnung
im Zeitalter des Investiturstreites, Stuttgart, 1936 ; A. F L I C H E , La Réforme grégorienne
(Histoire de l'Eglise, t . VIII), Paris, 1940 et les récentes considérations de T H . S C H I E F -
FEH, « Cluny et la querelle des Investitures », dans Revue historique, t. CCXXV,
1961, p. 47-72. L'idée de la Réforme grégorienne provoquée par le mouvement
clunisien est aujourd'hui abandonnée.
9 . L . G É N I C O T , op. cit., p. 151.

lO.Sur ces hérétiques voir I L A R I N O DA M I L A N O , « Le eresie popolari del secolo XI nell'


Europa occidentale », dans Studi Gregoriani, t. II, Rome, 1947, p. 43-89 ; A. B O R S T ,
Die Katharer (M. G. H. Schriften 12, t . VI), Stuttgart, 1953, p. 73-77 ; spécialement
A . D O N D A I N E , « L'origine de l'hérésie médiévale », dans Rivista di storia delle chiesa
in Italia, 1952, p. 47-78. En de récents articles : « Les cathares de 1048-1054 à
Liège », dans Bulletin de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, t. XLII, 1961,
p. 1-8 ; « A propos du synode d'Arras en 1025 », dans Revue d'Histoire ecclésiastique,
t. LVII, 1962, p. 66-87. J . B. Russel appelle « cathares » les hérétiques de Liège
Le terme est un peu prématuré, il ne s'agit en fait que d'« hétérodoxes latins ».
H.A. DONDAINE, art. cité, p. 55, 60-61, 62-64, 78.
12.H.-CH. PUECH, « Catharisme médiéval et bogomilisme », dans Oriente e Occidente
nel Medio Evo, Accademia nazionale dei Lincei. Fondazione Volta. Atti dei convegni,
12, Rome, 1957, p. 80-81.
1 3 . R . M O N G H E N , « Il cosiddetto neo-manicheismo occidentale del secolo X I », dans
ibid,. p. 86-87, 91-93.
1 4 . A D É M A H D E C H A B A N N E S , Chronicon, III, 59 (éd. J. C H A V A N O N , Paris, 1897, p. 173) :
exorti sunt per Aquitaniam Manichei, seducentes plebem. Lettre de Roger II dans
les Gesta episcoporum Leodiensium, 62 (M. G.H. SS., VII, 226). Voir A . D O N D A I N E ,
art. cit., p. 59-60 et notre étude : « La profession trinitaire du vaudois Durand de
Huesca », dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, t. XXVII, 1960, p. 280
et note 61.
1 5 . Y . M . - J . C O N G A R , « Arriana haeresis comme désignation |du néo-manichéisme du
12e siècle », dans Revue des sciences philosophiques et théologiques, t. XLIII, 1959,
p. 456.
16.Anselmi gesta episcoporum Leodiensum, 63 (M.G.H. SS., VII, 227, 4, 21) : error,
antiquitus a sanctis patribus venlilatus, et luculentissime eorum sententiis confutatus...
TRADITION ET RÉSURGENCE DANS L'HÉRÉSIE MÉDIÉVALE 115

Haec licet Christiana abhorreat religio, et cum Arrianae hereseos dampnet sacrilegio.
Cf. R . M A N S E L L I , « Una designazione dell' eresia catara : 'Arriana Heresis' », dans
Bulletino dell' Istituto storico italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano, 68,
1956, p. 237. — Y. M.-J. C O N G A R D , art. cité, p. 449, note 3.
1 7 . H U G U E S D E R O U E N , Contrahœreticos, Prefatio ( M I G N E , P.L., t. CXCII, col. 1256 C).
Y. M.-J. C O N G A R , art. cité, p. 454 et note 26.
18.A ces considérations, ajouter celles de Bernard de Fontcaude, Joachim de Flore ;
voir notre article cité supra, note 14 : « La profession trinitaire », p. 280-281 et notes.
19.Voir les remarques de R . M A N S E L L I , « Per la storia dell' eresia nel secolo X I I » ,
dans Ballettino dell' Istituto storico..., 6 7 , 1 9 5 5 , p. 2 2 1 et notes ; d'A. B O R S T , Deuts-
ches Archiv für Erforschung des Mittelalters, t. X I , 1 9 5 4 - 1 9 5 5 , p. 6 1 8 ; H . G R U N D -
M A N N , Religiöse Bewegungen im Mittelalter, 2 E éd., Darmstadt, 1 9 6 1 , p. 2 6 , note 2 3 .

20.Anselmi gesta episcoporum Leodiensium 62 (M.G.H. SS., VII, p. 226, 37-40) :


et per sacrilegam manuum inpositionem dari Spiritum sanctum mentientes... quasi
nichil aliud sit manis nisi Spiritus sanctus, falsissime docmatizarent. A . D O N D A I N E ,
art. cité, p. 64 et suiv., 68-69, 70-71.
21.H.-CH. PUECH, p. 81.

22.Cité par A. D O N D A I N E , art. cité, p. 60 : Nemo nostrum sine tormentis vitam finit,
ut eterna tormenta evadere possimus.
2 3 . R . M A N S E L L I , « Per la storia dell' eresia nel secolo X I I », art. cité, p. 225-229,
analyse les positions des divers historiens et critique notamment celle d'A. B O R S T ,
op. cit., p. 78, note 19.
24. I L A R I N O DA M I L A N O , « Le eresie popolari del secolo X I nell' Europa occidentale »,
art. cité, (supra, n. 10, p. 88. »
2 5 . H . - C H . P U E C H et A. V A I L L A N T , Le traité contre les bogomiles de Cosmas le Prêtre
(Institut d'Etudes slaves, XXI), Paris, 1945, p. 24-37, 147. — D. O B O L E N S K Y ,
The Bogomils, Cambridge, 1948, p. 74-78, 96-110. — H. Ch. P U E C H , Catharisme
médiéval (art. cité supra, n. 12), p. 76 et note 1.
26.R. M A N S E L L I , Sludi sulle eresie del secolo XII (Istituto storico italiono per il Medio
Evo, Studi storici, 5), Rome, 1953, p. 25-67 ; « Il monaco Enrico e la sua eresia »,
dans Ballettino dell' Istituto storico italiano..., 65, 1953, p. 1-35.
2 7 . A . A M A N N , art. « Tanchelm » ; F . V E R N E T , art. « Eon de l'Etoile », dans Diction-
naire de Théologie catholique, t. XV et V, Paris, 1 9 4 6 et 1 9 1 3 , p. 3 8 - 4 0 ; p. 1 3 4 - 1 3 7 .
Voir A . B O R S T , Die Kalharer, p. 8 4 - 8 5 , 8 7 - 8 8 ; H . Maisonneuve, Etudes sur les origines
de l'Inquisition, Paris, 1 9 4 2 , p. 1 0 0 - 1 0 1 , 1 0 6 - 1 0 8 ; H . Grundmann, Religiöse Bewe-
gungen im Mittelalter, p. 4 9 5 - 5 0 2 .
28.Voir notre article « Hérésie et croisade » (supra, note 3), p. 858 et notes.
29.R. M A N S E L L I , * Una designazione dell'eresia catara : 'Arriana Heresis' », art. cité,
supra, n. 16), p. 238. — Y. M.-J. C O N J A R , art. cité (supra, n. 15), p. 456.
30.Voir « Hérésie et croisade », p. 858, note 5.
3 1 . A N S E L M E D ' A L E X A N D R I E , Tractalus de hereticis, éd. A . D O N D A I N E (Archivum Fra-
trum Praedicatorum, t. XX, 1950, p. 308, 4-16). Voir «Hérésie et croisade », p. 857
et note 1 et p. 861-862.
3 2 . A . B O R S T , op. cit., p. 2 3 4 . — « Hérésie et croisade », p. 8 6 6 et note 1 .

33.« Hérésie et croisade », p. 866 et notes.


3 4 . A N S E L M E D ' A L E X A N D R I E , op. cit., p. 308, 16-21. — « Hérésie et croisade », ibid.

3 5 . A . D O N D A I N E , « Hugues Ethérien et Léon Toscan », dans Archives d'histoire doc-


trinale et littéraire du Moyen Age, t. XIX, 1 9 5 2 , p. 1 1 0 - 1 1 3 .
3 6 . A N S E L M E D ' A L E X A N D R I E , op. cit., p. 308-309. — « Hérésie et croisade », p. 867-871
et notes.
116 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

37.Contrairement à A. DONDAINE, « Les actes du concile albigeois de Saint-Félix-de-


Caraman », dans Miscellanea Giovanni Mercati, t. V (Studi e testi, 125), Cité du Vatican,
1946, p. 324-355, Y . Dossat pense qu'il s'agit d'un faux composé, au 1 7 e siècle,
par l'éditeur G. Besse : « Remarques sur un prétendu évëque cathare du Val-d'Aran
en 1167 », dans Bulletin philosophique et historique du Comité des travaux historiques
et scientifiques, années 1955-1956, Paris, 1957, p. 340-345.
38.A. DONDAINE, C La hiérarchie cathare en Italie », dans Archivum Fratrum Prœdi-
catorum, t. X I X , 1949, p. 287 et t. X X , 1950, p. 278-306 ; voir spécialement les
tableaux des six Eglises, p. 280, 306.
39.A. FRUGONI, Arnaldo da Brescia nelle fonti del secolo XII (Studi storici, 8-9), Rome,
1954. — ILARINO DA MILANO, L'eresia di Ugo Speroni nella confutazione del maestro
Vacario (Studi e testi, 115), Cité du Vatican, 1945, p. 447.
40.ILAHINO DA MILANO, op. cit., passim ; sur les passagiens voir p. 436 et suiv. —
H. GRUNDMANN, Religiöse Bewegungen im Mittelalter, p. 495-502.
41.ILARINO DA MILANO, op. cit., p. 452-455. Sur Valdès et ses premiers disiciples combat-
tant le catharisme voir nos études : « La profession trinitaire » (supra, note 14),
p. 267-268 et notes bibliographiques ; « Controverses vaudoises-cathares », dans
Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, t. X X V I I , 1960, p 137 et
suiv.
4 2 . A . FRUGONI, op. cit., p. X .
DISCUSSION

R. M O R G H E N . — Je suis tout à fait d'accord avec M Ue Thouzellier sur son


observation que l'hérésie du 11e et du 12e siècle est née dans le climat de la
réforme de l'Eglise, du monachisme et de la société chrétienne. Je ne suis
pas tout à fait d'accord avec ce qu'elle a dit des résurgences, mais je m'en
expliquerai dans mon exposé.

D. O B O L E N S K Y . — Je suis heureux que M l l e Thouzellier ait soulevé le


problème des bogomiles. Je suis d'accord sur ce double aspect de l'hérésie
du 11 e , 12e et du 13e siècle en Occident : d'une part réforme morale, résur-
gence, avec tout ce que cet aspect peut avoir de traditionnel, d'autre part
aspect doctrinal, dogmatique, où l'élément dualiste venu d'Europe orientale
semble jouer progressivement un rôle primordial. Nous retrouvons ces deux
aspects, le désir de revenir à la pureté de l'évangile, la revendication exclu-
sive du titre de chrétien, comme l'aspect dualiste qui venait sans doute du
manichéisme du Proche-Orient par les pauliciens, dans le mouvement bogo-
mile du 10e et du 11 e siècle tel qu'il nous est connu, par exemple, par les
écrits du prêtre bulgare Cosmas. Je suis aussi d'accord avec M U e Thouzellier
sur la différence entre la période du 11e et du début du 12e siècle et celle
qui suit 1150 : c'est vers 1150 seulement que s'est établi un lien direct entre
le dualisme en France, par exemple, et celui de l'Europe orientale. Nous
retrouvons en Europe orientale le problème du nom donné aux hérétiques :
le prêtre Cosmas, à la fin du 10 e siècle, ne trouve pas de nom pour les nommer
et les appelle simplement hérétiques. C'est seulement au 11e siècle que le
nom de bogomiles qui leur vient sans doute de leur fondateur, le prêtre
Bogomil, a été appliqué à la secte. Dans le mouvement dualiste en général,
je crois, et certainement en Bulgarie, l'hérésie répond à un besoin de l'in-
dividu et de certains groupes sociaux, au besoin d'expliquer l'origine du mal
et de la souffrance : Unde malum et quare ? Cosmas nous dit que les héré-
tiques se demandent comment et pourquoi existe le diable, pourquoi Dieu
le laisse agir contre les hommes. Il nous dit aussitôt après que cette question
est enfantine et malsaine, ce qui rejoint notre préoccupation du patholo-
gique. E t cette préoccupation anxieuse avait, je crois, dans la Bulgarie du
10 e siècle une origine sociale : dans une époque de grandes crises sociales
et économiques, d'invasions, de souffrances accrues du peuple, de la pay-
sannerie, la question d'expliquer comment et pourquoinous souffrons, comme
individus et comme collectivité, se posait. La différence, enfin, entre dua-
lisme absolu et dualisme mitigé, dont vous avez parlé pour le Languedoc
au 13e siècle, a existé aussi en Europe orientale ; je suggérerai qu'elle cor-
respond à la différence entre bogomiles (qui gardent l'idée de la subordina-
tion finale du diable, créateur de ce monde, envers Dieu) et pauliciens qui,
d'après nos sources, propageaient un dualisme absolu. C'est aussi l'opinion
que l'on trouve dans les travaux récents de M. Plimoff qui est, avec M. An-
118 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

gelov, dont nous déplorons l'absence, un des meilleurs spécialiste du bogo-


milisme bulgare.

E. Delaruelle. — M U E Thouzellier vient de lancer dans le débat un mot


qui n'avait pas encore été prononcé, celui de réforme : il est en effet en rela-
tions intimes avec l'hérésie. L'hérétique est toujours un réformateur, en
lutte avec un certain conformisme. Mais de quelle réforme s'agit-il ? Cor-
rection d'abus moraux, de la simonie, du nicolaïsme, certes, mais aussi
réforme des structures, envisagées constamment au 11e et au 15e siècle,
quand on veut transformer les institutions de l'Eglise pour réaliser l'idéal
évangélique, mais aussi réforme intellectuelle, réforme de la vie spirituelle,
dans le sens d'une intériorité progressive. Faut-il définir ces réformes, les
unes comme principales, les autres secondaires, et hiérarchiser aussi les
hérésies ? Cela dépend de notre définition du christianisme, qu'on en fasse
avant tout une morale, une dogmatique ou un prophétisme. Ce n'est pas
à l'historien du 20e siècle d'imposer sa définition et nous devons nous en
tenir aux distinctions de l'époque étudiée. Ne risquons-nous pas alors de
tomber dans une discontinuité excessive ? Non, car, pour les contemporains,
il y a bien eu continuité. Mais ils l'ont cherchée par rapport à un terme qui
a varié : l'hérésie a été différente selon que l'âge d'or était placé dans le
passé (et l'hérésie était alors de chercher à dépasser les sources scripturaires,
patristiques, et les conformismes, d'être infidèle à la tradition) ou dans l'ave-
nir ( l'hérétique est alors celui qui s'en tient aux formules reçues) : tantôt
il s'agit de revenir à la vita apostolica, tantôt d'entrer dans l'âge du Saint-
Esprit. Il serait bon d'étudier de près le mot de tradition, commt on l'a fait
pour le mot de rénovation.

B. Geremek. — J'ai été frappé de la liaison entre le retour à la tradition


de rénovation et une certaine réalité sociale. Par exemple dans la prise de
conscience du fait urbain, de l'accumulation de richesses à une échelle encore
inconnue, l'inadaptation des structures mentales est à l'origine de certaines
thèses hérétiques : d'abord le refus et surtout le refus, puis un essai d'adap-
tation, qu'on ne trouve pas au 11e siècle, qui se fait jour au 12e dans la
question de l'attitude des hérésies en face de l'usure.

C. Violante. — Je me suis préoccupé de l'absence d'hérésies dans la


deuxième moitié du 11e siècle et je suis content que M l l e Thouzellier ait
posé le problème des hérésies du 11e et du 12e siècle comme un problème de
réforme ecclésiastique. Mais je crois qu'il faut aussi l'envisager en dehors de
la réforme de l'Eglise : d'autres legs, populaires, folkloriques, magiques,
d'autres traditions, des résurgences païennes et chez certains « esprits
forts » un esprit d'« incroyance » (surtout au 13e siècle) nous empêchent de
considérer les hérésies seulement comme un aspect de la réforme de l'Eglise.

R. Manselli. — M U E Thouzellier a parlé des tormenta de Monteforte, et du


martirium cité par un document de Moissac que j'ai retrouvé, qui atteste
la présence de ce phénomène dans le centre de la France méridionale. Et
puis nous avons l'endura passée de Lombardie en Languedoc à la fin du
TRADITION ET RÉSURGENCE DANS L'HÉRÉSIE MÉDIÉVALE 119

13e siècle, spécialement par l'effet du grand missionnaire cathare Pierre


Autier. Savez-vous s'il existe dans le monde paulicien, bogomile ou même
non chrétien un rapport entre la conception du mal comme fait démoniaque
et la négation de la vie avec homicide rituel ? D'autre part M l l e Thouzellier
a parlé des divisions entre les cathares et nous avons affaire à une hérésie
dans l'hérésie : cela peut nous éclairer sur le fait hérétique.

A. FRUGONI. — Certaines hérésies au 14E siècle présentent des motifs


— au moins dans les accusations — qui s'identifient tout à fait à des pra-
tiques de sorcellerie ou à des phénomènes folkloriques : les délits charnels.
S'agit-il de résurgences ? ou d'autre chose ? Si je dois expliquer la sorcelle-
rie, je me référerai à ce syncrétisme hérétique du 14e siècle ; mais ces
résurgences n'expliquent pas l'hérésie, ne la caractérisent pas, car elles n'en
sont pas l'essentiel. Pour ce qui est du monde arnaldiste, on dit que c'est une
hérésie politique. Arnaldo (Arnaud de Brescia) n'est sûrement pas un homme
politique ; sa prédication a pu toucher des hommes qui avaient aussi des
intérêts politiques, mais sa réalité était religieuse. Le nom d'Arnaldo de-
vient une simple étiquette : pour moi les arnaldistes sont les fils spirituels
des patarins. Les patarins ne sont pas hérétiques mais, à un certain moment,
ils sont abandonnés par l'Eglise où ils ont d'abord eu des répondants, au
moins dans un certain secteur. Les arnaldistes prennent leur nom quand ils
se trouvent en zone polémique — dans un certain milieu de passions ur-
baines. A un certain moment les arnaldistes disparaissent et se retrouvent
chez les cathares qui leur offrent une Eglise, ce qu'ils n'avaient jamais pu
former. La réalité est terriblement complexe ; il y a toujours des moments
historiques où les classifications, les étiquettes, les noms ne « collent » pas.
La société est plus complexe que la définition idéologique de l'hérésie ou de
l'orthodoxie. Il y a, à tel moment, tous ceux qui sont entre hérésie et ortho-
doxie. Dans une très belle page de l'Exposiiio in Apocalipsim Joachim de
Flore décrit la corruption subtile exercée par les cathares sur leurs in-
terlocuteurs, la façon progressive dont ils les écartent insensiblement de
l'orthodoxie.

G. SCHOLEM. — Je voudrais attirer l'attention sur le parallélisme entre le


mouvement cathare, et le développement au sein du judaïsme, de la Cabale,
en Languedoc, au 12e siècle, dans les mêmes milieux. Et le problème de la
résurgence est aussi posé par la filiation souterraine d'une tradition gnosti-
que, transplantée depuis le judaïsme oriental jusqu'en Provence et en Lan-
guedoc : son développement en a fait un mouvement religieux considéré
comme hérétique dans les cercles rabbiniques de Provence, mais pas toujours,
car il y avait aussi des rabbins très connus parmi les premiers cabalistes.

M. TAUBES. — Il faut voir que le christianisme, surgissant du sein des


sectes juives hérétiques du premier siècle avant notre ère, s'est constitué
comme secte et qu'il a ainsi conservé dans ses écrits canoniques tout un
arsenal d'expressions et de symboles propres à la langue des sectes — tels
que le « Nouvel Israël », « les saints », la « Pureté ». Des possibilités existent
dès lors pour l'avenir de les voir reprises. Le problème, qui doit nous retenir,
120 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

celui de savoir pourquoi au sein du christianisme les mouvements hérétiques


ont toujours éclaté comme des réactions en chaîne, dépend étroitement de
sa constitution sectaire et hérétique, que l'on sait déjà dans ses formes cano-
niques. Le mot « hérésie » se rattache à mon avis à l'hébreu Min qui, j e
pense sans en être absolument sûr, a le même sens que Genos et que Joèsphe
emploie comme synonyme d'heiresis. On peut ainsi comprendre que le chris-
tianisme ait v u naître à la même époque des mouvements hérétiques en
chaîne alors que le phénomène s'avère beaucoup plus rare dans le judaïsme
dont la tradition orale liée à l'Ancien Testament ne s'est pas forgé une langue
ou une symbolique d'esprit sectaire.
R. MORGHEN

PROBLÈMES SUR L'ORIGINE DE L'HÉRÉSIE


AU MOYEN-AGE

Les problèmes de l'hérésie médiévale, née au. début du 11e siècle et qui se
développa jusqu'à la seconde moitié du 14e, ne sont pas de nouveaux
problèmes pour les historiens modernes. Ils ont été traités dans des œuvres
remarquables qui ont paru entre le milieu du siècle dernier et les premières
années du nôtre : mais ils sont devenus maintenant des problèmes
particulièrement importants de l'historiographie médiévale, dans ces
vingt dernières années. Un groupe considérable d'œuvres concernant
les hérésies médiévales a été publié entre 1945 et 1948, par les savants
des principaux pays de l'Europe Leurs auteurs se sont presque toujours
ignorés les uns les autres, à cause de l'interruption des relations entre
les différents pays, pendant la dernière guerre mondiale. Il est néanmoins
intéressant de voir comment l'intérêt pour le problème de l'hérésie a,
presque par une maturation spontanée de la pensée, jailli chez les his-
toriens qui, sans suggestions réciproques, ont compris quelle a été l'impor-
tance de l'hérésie dans les derniers siècles du Moyen Age, et comme
il est maintenant indispensable d'approfondir les recherches sur ses
caractères particuliers, sur l'extension qu'elle a atteint, sur les influences
qu'elle a subies ou exercées.
Les pères Dondaine et Ilarino de Milan, et plus récemment MM. Puech
et Vaillant ont publié d'importants textes nouveaux regardant l'hérésie
médiévale, ou nous ont donné des éditions critiques de textes déjà connus.
M. Guiraud a réuni dans une œuvre d'ensemble tout ce que nous savons
sur l'histoire de l'Inquisition médiévale, particulièrement en France.
Mais c'est surtout la question de l'origine de l'hérésie de ceux qu'on
appelle les néo-manichéens, qui a constitué le thème des œuvres de M. Run-
cimann, de M. Obolensky, de M. Sôderberg et de M. Borst.
Dans ces œuvres, même avec des limitations et des réserves critiques,
dues à un examen plus attentif des textes, la thèse de l'origine orientale
des hérésies dualistes parues en Occident dans le premier quart du 11e siè-
cle est encore soutenue. La théorie de la dérivation directe de ces hérésies
du manichéisme a cédé le pas à celle de la dérivation indirecte, due au
bogomilisme. Même le père Dondaine, qui dans ses plus anciens ouvrages
l'avait repoussée, s'est rangé à cette idée, à cause surtout des analogies
qu'il a trouvées entre les croyances des dualistes occidentaux du 11 e siècle
122 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

et les croyances des bogomiles. C'est ce qu'on peut, tout au moins, en


déduire de la lettre écrite en langue paléoslave par le prêtre Cosmas au
10e siècle, traduite par M. Vaillant et commentée magistralement par
M. Puech. 2
Les notices contemporaines les plus importantes sur l'hérésie du 11e siè-
cle nous sont données par des chroniqueurs et par les relations des conciles
d'Orléans en 1022 et d'Arras en 1025. Elles sont en général insuffisantes
et imprécises : on manque presque complètement pour ce siècle de sources
directes de la pensée hérétique. Les idées sont surtout extraites des traités
sur leurs doctrines, rédigées, à partir du 12e siècle, par des hérétiques
convertis et par des polémistes catholiques, à l'usage des inquisiteurs
hereticx pravitatis. On n'a des témoignages directs sur la pensée des dua-
listes médiévaux que très tard. Ils sont presque toujours du 12e ou du
13 e siècle, alors que l'hérésie médiévale était née plus d'un siècle aupa-
ravant. Suivant Adhémar de Chabannes, on aurait en effet trouvé des
manichéens en Aquitaine en 1017, et découvert des hérétiques dualistes
en 1022 à Orléans, en 1025 à Arras, en 1030 à Monforte, près de la ville
d'Asti, en 1048 à Châlons-sur-Marne, en 1052 à Goslar. 8
Suivant le témoignage des chroniqueurs, ces hérésies auraient pénétré
en France spécialement de l'Italie, par l'intermédiaire d'hérétiques vaga-
bonds, a quadam muliere, a quodam rustico. Les doctrines communes
à ces hérétiques auraient concerné surtout le dualisme, par lequel ils
reconnaissaient que toutes les choses invisibles et bonnes avaient été
créées par le Dieu du bien, et les choses visibles et mauvaises par un
Dieu malfaisant. Ils professaient généralement le rejet de l'Ancien Testa-
ment, la négation des principaux sacrements, l'opposition à la hiérarchie
ecclésiastique et au culte célébré par l'Eglise, la condamnation des rapports
sexuels et l'abstention de la viande, du vin et des mets qui avaient à faire,
en quelque sorte, avec la génération, l'initiation pratiquée au moyen de
l'imposition des mains. L'oraison dominicale était leur unique prière.
Ces doctrines sont celles qui furent, ensuite, identifiées avec les doctrines
des cathares, et que nous trouvons exposées dans les traités Adversus
catharos pendant le 12 e et le 13e siècle par Buonaccorso, Sacconi et Moneta.
L'identification de ces doctrines avec celles des anciens manichéens
était évidente pour ces auteurs déjà cités, car ils connaissaient les idées
des manichéens du 4 e siècle exposées par saint Augustin, dans sa polé-
mique contre eux. Mais des considérations et des faits différents s'opposent
à cette identification tout court de l'hérésie parue en Europe après
l'an 1000, avec l'ancienne doctrine manichéenne.
On peut affirmer qu'il n'existe pas de documentation philologique ni
doctrinale qui pourrait prouver une continuité entre les anciennes hérésies
théologiques et les nouvelles hérésies nées en Occident après l'an 1000,
t a n t elle est incomplète et peu persuasive. On pourrait parler d'anciennes
réminiscences manichéennes réapparues dans quelques témoignages
L'ORIGINE DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 123

relatifs à des manifestations hérétiques du 12e et du 13e siècle, mais il


s'agit généralement de traditions tardives et principalement orales et
populaires, à travers lesquelles les anciens mythes apparaissent complè-
tement déformés et dirigés vers des significations différentes de celles
qu'elles avaient eues à l'origine 4 . Ainsi pourra-t-on parler des rapports
réels entre les courants hérétiques italiens et les mouvements hété-
rodoxes balkaniques dès le 12e siècle ; mais on peut affirmer avec certitude
que l'hérésie médiévale, tout au moins telle qu'elle apparaît en Occident
à partir des premières années du 11e siècle (dans une période qui précède,
d'un siècle environ, les témoignages déjà cités) se développe et se répand
surtout dans les milieux laïques d'ignorants et d'illettrés qui, sans subir
aucune influence doctrinale, se rapportaient presque exclusivement à la
connaissance des textes sacrés, interprétés selon leur bon sens naturel
et en évident contraste avec l'exégèse savante de la tradition ecclésiastique.
Il n'est donc pas possible d'identifier, en t a n t que doctrines manichéennes
des propositions de caractère moral et religieux dans lesquelles manque toute
référence précise regardant le prêtre Mani et son système cosmogo-
nique et mytique. Le dualisme cathare a un sens essentiellement moral
et anthropologique.
A propos du dualisme cathare, même le père Dondaine distingue un
dualisme rigide et u n dualisme mitigé, c'est-à-dire un dualisme qui n'avait
pas la rigueur philosophique de l'opposition des deux principes, qui était
propre au système manichéen, mais plutôt la conscience de l'opposition
existant entre le bien et le mal dans la vie morale de l'homme, un dualisme
qui est tout à fait évangélique.
Les adversaires des hérétiques du 12 e , 13 e et 14e siècle nous ont surtout
présenté les hérésies médiévales sous un aspect doctrinal et théologique,
en reconnaissant en elles presque le retour périodique des hérésies des
premiers siècles de l'Eglise. C'est ainsi qu'Adémar de Chabannes qua-
lifia tout simplement de « manichéens » les dualistes apparus en Aquitaine
au commencement du 11e siècle, et qu'un polémiste laïque nommé Giorgio
affirmait au commencement du 13e siècle : Hereticus ergo qui dicebatur
antiquitus manichœus, nunc vero catharus appellaturs. Une telle façon
d'entendre l'hérésie paraît parfaitement compréhensible et conforme à
l'esprit du temps, chez les inquisiteurs et chez les écrivains catholiques
du Moyen Age ; mais elle ne semble pas justifiée chez des auteurs modernes,
qui transformèrent, sans plus, un jugement de caractère théologique et
doctrinal, qu'on pouvait admettre chez les polémistes antihérétiques du
Moyen Age, en un jugement historique, acceptant sans réserve la concep-
tion, suivant laquelle étaient présentés comme une renaissance d'anciennes
doctrines hérétiques des mouvements religieux qui eurent un piètre
contenu doctrinal et théologique, et qui s'appuyaient surtout sur des
motifs éthiques, sociaux, ou sur de? exigences spirituelles étroitement
134 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

liées avec les conditions des temps dans lesquels l'hérésie médiévale
naquit et se développa.
Les hérésies du Moyen Age, même dans la variété de leurs propositions,
ont un point de départ et d'arrivée commun : l'attitude de polémique,
et de lutte que toutes prirent envers l'Eglise romaine et la hiérarchie,
soit en désirant un retour antihistorique à l'Eglise apostolique des premiers
siècles, soit en souhaitant la création d'une nouvelle Eglise qui, croyait-on,
serait plus fidèle aux enseignements de l'Evangile que l'Eglise romaine.
Le problème ecclésiologique l'emporte donc dans l'hérésie du Moyen Age
sur le problème purement théologique et justifie entièrement la démarche
qui nous amène à rechercher les origines de l'hérésie médiévale dans le
grand mouvement de la réforme de l'Eglise qui se dessina dès le 10e siècle
et se développa ensuite avec une rigueur particulière au 11e siècle, plutôt
qu'en une tardive renaissance d'anciennes doctrines et d'anciennes
religions des premiers siècles de l'ère chrétienne.
D'un autre côté, pour ce qui concerne l'origine manichéenne de l'hérésie
cathare, le père Dondaine qui a consacré au catharisme des études fort
précises avait déjà admis qu'« une filiation ininterrompue de Mani
jusqu'aux Cathares latins est loin d'être établie et qu'il ne suffit pas de
retrouver une similitude des doctrines et des pratiques morales, entre
deux systèmes, pour en garantir la relation historique » 6 . De même,
il n'est pas possible d'admettre une tradition ininterrompue d'une doc-
trine à l'autre, car « des lacunes de plusieurs siècles ne peuvent se
combler » 7 dans une semblable tradition. Et de même, il n'est pas
possible d'admettre une filiation quelconque avec les pauliciens « pour
permettre de simplifier, comme on l'a fait, l'histoire du dualisme du
3 e au 13e siècle ». Il retenait pourtant que ce n'avait pas été « le dualisme
qui aurait installé l'erreur dans le champ de l'Eglise romaine au cours
du 11e siècle, mais au contraire, c'est le catharisme qui aurait bénéficié
de la désagrégation provoquée par des formes d'erreur moins antichré-
tiennes pour s'installer, presque sans résistance, parmi les populations
déjà détachées de la hiérarchie catholique ». En conséquence, « l'aventure
cathare ne commencerait plus aux environs de l'an 1000, mais seulement
vers le milieu du 12e siècle »
Le père Dondaine est revenu ensuite sur le problème des origines de
l'hérésie dualiste occidentale, et a changé partiellement son point de
vue originel, sous l'influence de la publication de la lettre du prêtre
Cosmas par MM. Puech et Vaillant ». Pour le père Dondaine, il semblait
évident que les analogies que l'on pouvait remarquer entre les doctrines
bogomiles, attestées par la lettre du prêtre Cosmas au 10e siècle, portaient
nécessairement à une conclusion unique : c'est que le catharisme latin
tire son origine du bogomilisme bulgare. Pour appuyer davantage cette
thèse, il mettait surtout en évidence le rite de l'initiation cathare par
l'imposition des mains et de l'évangile de saint Jean sur la tête du
L'ORIGINE DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 125

néophyte, tel qu'il est attesté pour les cathares du 13e siècle, et qui
aurait été le rite caractéristique de l'initiation bogomile, au moins dés le
11e siècle 10. Mais, quoique l'on doive penser de la question posée par
le père Dondaine — et moi-même, je me suis permis d'avancer des ré-
serves à ce sujet 11 — il est certain que l'œuvre de MM. Puech et Vaillant,
concernant le traité contre les bogomiles du prêtre Cosmas, a fait pro-
gresser le problème des origines du dualisme occidental, mais pas dans
le sens des théories du père Dondaine.
Le Discours contre la récente hérésie des bogomiles, de Cosmas, prêtre
indigne est, bien plus que l'exposition précise de la pensée des bogomiles,
la condamnation de leur rigorisme moral et de leur rébellion contre l'auto-
rité sacerdotale. Le prêtre Cosmas s'étend longuement sur les passages
de l'Ecriture qui peuvent être invoqués à l'appui des positions tradition-
nelles de l'orthodoxie, mais au contraire, il est extraordinairement concis
quand il parle des idées des bogomiles, qu'il combat avec une abondance
extraordinaire d'arguments. Les points les plus importants de l'hérésie
bogomile, comme de l'hérésie occidentale du 11e siècle, paraissent fondés
surtout sur le Nouveau Testament, interprété avec bon sens et souvent
en contraste avec l'enseignement de l'Eglise, afin d'en tirer les règles de
vie dr vrai chrétien : rigorisme moral, détachement des biens de la terre,
renonciation à tout ce qui ne trouve pas une justification précise et
directe dans les Evangiles". Ils refusaient en effet les miracles qu'ils
croyaient œuvres du diable, en tant qu'ils faisaient partie des supers-
titions relatives au culte des saints et des reliques ; ils n'adoraient pas
la croix, parce qu'elle avait été l'instrument de la torture et de la mort
du Rédempteur ; ils ne croyaient pas que Dieu le Père fût le créateur du
monde invsible, dans lequel bien des manifestations du mal sont si claires.
En relation avec une interprétation littérale des textes évangéliques,
ils soutenaient que la communion, les messes et la liturgie de l'Eglise
n'avaient pas été instituées par le Christ et les apôtres ; ils accusaient
les prêtres de pharisaïsme et repoussaient l'Ancien Testament, dont l'esprit
apparaissait bien des fois en opposition avec celui de l'Evangile ; ils
« n'honoraient pas la Sainte Vierge », c'est-à-dire, ils ne lui prêtaient
pas le culte que l'Eglise lui avait institué ; ils condamnaient le culte des
images; ils identifiaient le diable avec l'évangélique princeps huius
seculi, le « prince de ce monde », et suivant l'interprétation littérale d'un
passage bien connu de l'Evangile même, ils lui attribuaient la création
du monde visible ; ils repoussaient le baptême des enfants, parce que les
enfants ne peuvent pas avoir conscience des engagements qu'il faut
prendre pour se professer chrétiens ; ils avaient comme prière fondamen-
tale le Pater Noster. Est-il nécessaire, pour affirmer tout cela, de recourir
au manichéisme, au docétisme et à toutes les autres formes anciennes
d'hétérodoxie théologique ? La simple lecture de l'Evangile, faite avec
une absolue simplicité de cœur ne pouvait-elle pas suffire à susciter ces
9
126 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

critiques et ces positions négatives ? N'était-ce pas encore l'idéal de la


vie chrétienne parfaite, l'ascétisme monastique, qui passait du cloître
à la ferme des paysans, aux magasins des marchands et aux boutiques des
artisans, par les prédicateurs itinérants du 11e siècle ?
Beaucoup de ces motifs avaient, d'autre part, une longue tradition dans
la pensée chrétienne orthodoxe et hétérodoxe. Il suffit de se souvenir que,
jusqu'au 3 e siècle, certains Pères de l'Eglise ne croyaient pas à la virginité
de Marie, qu'au 11e siècle Bérenger de Tours soutenait qu'on devait accep-
ter la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie seulement dans le sens
de la consubstantialité entre les espèces eucharistiques et le corps du Christ,
que le baptême des enfants était estimé inefficace dans de larges secteurs
hétérodoxes des premiers siècles de l'Eglise, que la confession réciproque,
l'imposition des mains, l'oraison du Pater Noster comme prière unique
ou primordiale, avaient leurs racines dans la tradition apostolique et évan-
gélique. Comment peut-on ne pas voir aussi dans le bogomilisme du
10e siècle le renouvellement de l'éternelle polémique des ignorants et des rigo-
ristes contre la hiérarchie ecclésiatique, au nom de la parole de l'Evangile,
interprétée à la lettre et prise comme règle de vie, dans un esprit déductif et
intransigeant ?
M. Puech lui-même met en évidence l'insuffisance de l'exposition doc-
trinale et théologique du bogomilisme à travers le témoignage de la lettre
du prêtre Cosmas, et trace les caractères du mouvement à ses origines en
ces termes : « Presque tout le poids de son exposé (c'est-à-dire du prêtre
Cosmas) porte sur l'opposition des hérétiques à l'orthodoxie, leurs atta-
ques contre l'Eglise, leur rejet des croyances et d'une partie des Ecritures,
la condamnation de ses institutions, de son autorité, de son culte et de sa
morale, la censure de ses clercs; tout ce qui est révolte, revendication,
critique occupe le premier plan, absorbe les principaux développements.
La perspective n'est pas fausse : elle répond à une situation vécue. Ces
négations devaient former le ressort essentiel du mouvement : radicales,
brutales même, appuyées sur le spectacle des abus ou des vices t r o p mani-
festes, elles étaient plus capables que toute théorie de remuer le cœur des
masses ... Plus encore que les mythes ou les abstractions dogmatiques, elles
ont dû frapper et inquiéter profondément l'esprit des contemporains ».13
La prépondérance des motifs éthiques, au commencement de l'hérésie,
sur les traditions doctrinales paraît ainsi largement confirmée par les sour-
ces du 11e siècle. C'est cela qui constitue spécialement un trait d'union,
entre les mouvements cathare et bogomile. Mais il s'agit d'une simulta-
néité qui n'implique pas de dépendance, d'autant plus que cette dépen-
dance devrait être assurée par une transmission de textes, lesquels,
étant écrits principalement en langue paléoslave, auraient dù être
traduits et diffusés largement dans le monde occidental et laisser des
traces qui n'auraient pu être entièrement effacées.
Entre le bogomilisme et le catharisme, il y a des analogies évidentes,
L'ORIGINE DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 127

surtout en ce qui concerne la polémique contre la hiérarchie ecclésias-


tique, l'appel à la parole et à l'esprit de l'Evangile et le rigorisme moral.
Plus tard, au 12e siècle, commencèrent des rapports attestés entre le
monde hérétique de l'Orient balkanique et celui de l'Occident, dans
lesquels on trouve des réminiscences d'anciennes traditions hétérodoxes,
devenues désormais légende, mythe fabuleux, résidu psychologique.
Mais le véritable manichéisme, dans toutes ces manifestations hérétiques,
s'affaiblit de plus en plus en un dualisme mitigé, qui n'a aucun rapport
avec le dualisme de l'ancienne religion de Mani, et qui nous ramène tou-
jours davantage dans le champ des exigences morales et des perspectives
religieuses caractéristiques d'un retour nostalgique à un christianisme
abstrait de l'âge apostolique, ayant une fonction polémique contre
l'Eglise mondaine et corrompue du 11e siècle.
Une question se pose qui n'a pas encore été résolue : la transmission
aux foules des illettrés et des idiotx, qui formaient la majeure partie des
hérétiques, des données évangéliques citées par eux comme auctoritates
de leur pensée contre les dogmes de la hiérarchie. Mais il faut considérer
que toute l'hérésie du 11e siècle au 14e siècle tire son origine de la prédi-
cation orale de la vérité évangélique. lté et prxdicate evangelium omnibus
gentibus avait été le commandement du Seigneur aux apôtres. Aussi les
homélies qui étaient récitées pendant la messe, et surtout les grands cycles
des fresques bibliques et évangéliques qui décoraient les murs des Eglises
ont joué, à mon avis, un rôle très important dans la transmission de la
parole évangélique et, à cet égard, la recherche iconographique doit encore
apporter, je crois, des contributions très remarquables à la solution du
problème.
D'ailleurs, je n'ai jamais pu croire que tout le vaste mouvement héré-
tique, qui s'est manifesté en Occident dans la première moitié du 11e siècle,
presque simultanément en Aquitaine, à Orléans, à Arras, à Châlons,
à Monforte, à Goslar, doive être attribué à d'anciennes doctrines venues
de l'Orient par l'intermédiaire de quelque femme ou de quelque paysan,
selon ce que nous disent Raoul Glaber et Adémar de Chabannes. D'autant
plus que, même si nous acceptons d'accorder tout ce qu'on peut à l'idée
de la persistance de la tradition pourrait-on dire, souterraine, des gennes
d'anciennes hérésies et d'anciennes influences, que l'un ou l'autre milieu
ou mouvement auraient exercées ou subies par des processus d'osmose
et de transmigration des idées toujours difficiles à établir, et rendus
encore plus difficile quand il s'agit de mouvements d'esprit très répandus
dans le temps et dans l'espace, il resterait toujours à expliquer de quelle
façon ces germes desséchés et ces influences ont trouvé précisément dans
ce moment historique et dans ces milieux, le moyen de repousser et
de s'affirmer vigoureusement, indépendamment du réveil commun d'une
nouvelle conscience et d'une nouvelle sensibilité. Et c'est là le problème
central de l'hérésie au 11e siècle. Le cœur du problème de ses origines,
128 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

qui donnaient à ces problèmes leur relief particulier et leur caractère


propre, est donc lié au renouveau de la vie économique en Europe après
l'an 1000, à la renaissance des villes et de l'économie de marché, à l'éclosion
d'un nouvel esprit d'association, à l'éveil d'une conscience civique nou-
velle, à l'établissement en Europe de nouvelles populations qui résultaient
de la fusion des différents éléments ethniques réalisée pendant le haut
Moyen Age, à la formation de nouvelles classes qui s'étaient imposées
dans les villes, qui avaient désormais conscience de leur force et étaient
désireuses de prendre leurs propres responsabilités et de revendiquer les
droits qui, auparavant, avaient appartenu ou avaient été exercés par
d'autres
En ce qui concerne l'hérésie médiévale, nous ne pouvons pas oublier
que les mouvements religieux du 11e siècle ont des liens profonds et
vivants avec le monde d'où sortira la commune, à la fin du siècle : on
ne doit pas oublier non plus que le mythe du siècle, l'idéal qui se cachait
sous toutes les manifestations de la vie sociale, politique et religieuse
de ce temps, était celui de la réforme de l'Eglise, proclamé, senti et réalisé
avec la profondeur et les amples répercussions que tout le monde connaît.
Est-il donc possible de négliger tout cela dans l'étude de l'hérésie médié-
vale alors que les polémiques contre le clergé dégénéré et le retour à des
formes de rigorisme moral se retrouvent parmi les éléments essentiels
et communs du credo de toutes les sectes ?
Une lumière particulière sur l'origine et sur les caractères de l'hérésie
occidentale dans la première moitié du 11e siècle est donnée, d'un autre
côté, par le mouvement populaire et religieux de la Pataria sur lequel
M. Violante a écrit récemment des livres remarquables l6 , mouvement
qui donna la vie à un des principaux courants de la révolution hérétique
du 12e et du 13e siècle. La dénomination de Patarini, attribuée à des groupes
d'hérétiques, se trouve pour la première fois dans la condamnation pro-
noncée du concile du Latran en 1179 contre les principales sectes hété-
rodoxes qui troublaient alors la vie de l'Eglise.
Au concile de Vérone, en 1184, les patarins étaient condamnés de
nouveau par Lucius III, pêle-mêle avec les cathares, les humiliés, les
pauvres de Lyon. Mais leur diffusion augmenta tellement qu'au 13e siècle,
patarinus en Italie signifia génériquement hérétique, sans spécifications
doctrinale particulière.
Le mouvement des patarins était né dans la ville de Milan en 1050
environ, sous le gouvernement de l'évêque Guy de Velate, et avait pris,
dès le commencement, le caractère d'un mouvement populaire qui ap-
puyait l'action pour la réforme de l'Eglise, provoquée par des milieux
ecclésiastiques, dont l'âme était le moine Hildebrand. Les patarins tirent
leur nom du sobriquet de gueux que leurs ennemis leur donnaient par
mépris (patarus idest pannosus, dit le chroniqueur Landolphe). Selon
L'ORIGINE DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 120

Muratori, encore au 18e siècle, les boutiques des fripiers s'appelaient


à Milan pâtée.10
Une hypothèse récente suivant laquelle les patarins tireraient leur nom
de Patare, ville de l'Orient, en Lycie, semble entièrement dénuée de fon-
dement 17 . Il est certain que les patarins appartenaient d'une façon
prépondérante au bas-peuple d'artisans et de revendeurs, même si à leur
tête nous trouvons des clercs comme Anselme de Baggio, ou Arialdo,
ou des nobles comme Erlembaldo. Ils s'étaient révoltés contre les mœurs
corrompues du clergé, simoniaque et concubinaire, allié étroitement
avec la noblesse féodale. Mais le mouvement avait un caractère surtout
religieux, même s'il pouvait représenter en même temps la révolte des
classes citadines, des plus humbles contre l'arrogance féodale, la protes-
tation des pauvres contre les riches. L'exigence d'une vie religieuse
plus pure, pour les laïcs et les ecclésiastiques, et plus en accord avec la
loi de l'Evangile était le mot d'ordre de la révolte des patarins et non
des revendications économiques ou sociales.
Les patarins assaillirent les maisons des clercs simoniaques et concu-
binaires et les contraignirent, souvent par la violence, à abandonner
leurs femmes. Mais le caractère particulier de leur action consistait dans
la répudiation de la messe célébrée par des prêtres notoirement simo-
niaques et concubinaires et dans le refus des sacrements administrés
par eux. Et c'est surtout sur ce point que se développa la doctrine héré-
tique patarine postérieure, qui fut condamnée au 12e siècle, alors qu'après
les incertitudes et les oscillations de la pensée ecclésiastique concernant
la validité du sacrement de l'ordre chez les prêtres simoniaques, la doctrine
orthodoxe des sacrements et l'indépendance absolue de la validité du
sacrement par rapport à la dignité ou l'indignité de l'officiant s'est conso-
lidée fermement.
Les patarins représentaient donc un mouvement religieux qui ne
tirait pas sa justification de doctrines théologiques particulières, mais
qui était au contraire, animé par de profondes exigences de renouvelle-
ment moral. L'appel visant à réformer la vie du chrétien, et spécialement
du prêtre, suivant la parole évangélique, était constant, même s'il était
sous-entendu. La préoccupation de réformer l'organisation de l'Eglise
dans l'intention de ramener le clergé à une plus grande conformité
entre la pratique de la vie et les principes professés était évidente. Le
mouvement des patarins était donc un mouvement religieux qui s'ins-
pirait d'exigences morales, plus que doctrinales, et qui représentait
l'opposition des classes sociales les plus humbles au clergé mondain,
lié à la classe féodale corrompue, au nom des idéaux évangélique».
La Pataria fut très florissante à Milan, de 1050, au moins, à 1075, et
elle profita de l'appui déclaré d'Hildebrand et du parti de la réforme de
l'Eglise. Le premier de ses chefs fut Anselme de Baggio qui fut élu pontife
sous le nom d'Alexandre II. Le clerc Arialdo, tué par des séides du clergé
130 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

simoniaque, fut porté sur les autels, comme martyr. Mais dès la seconde
moitié du 11e siècle, l'alliance du mouvement populaire patarin avec le
parti de la réforme de l'Eglise avait été plus d'une fois ébranlée.
L e mouvement populaire tendait à se soustraire au contrôle de la hiérar-
chie ecclésiastique et avec le rejet de la messe et des sacrements adminis-
trés par des prêtres indignes, il penchait déjà vers l'hérésie. A Milan,
Erlembaldo en arriva à fouler aux pieds l'huile sainte consacrée selon
le rite ambrosien, démontrant ainsi à quelle absence de respect envers
l'autorité ecclésiastique pouvait atteindre la passion religieuse pour le
renouvellement de l'Eglise. A Florence s'était produit un mouvement
populaire, tout à fait semblable à celui de Milan, autour des moines dis-
ciples de saint Jean Gualbert, et contre l'évêque Pierre accusé de simonie.
Les révoltés, suivant ce que nous en dit Pierre Damien, ne reconnaissaient
plus ni roi, ni pape, et plusieurs milliers de fidèles étaient morts sans sacre-
ments parce que la plus grande partie du clergé était réputée indigne
de les administrer.
La Pataria prend donc, dès le 11e siècle, un caractère spécifique de
révolte populaire contre la hiérarchie ecclésiastique, au nom de l'Evangile
et des exigences morales. Sur cette base, le mouvement se développera
ensuite considérablement, en étroite liaison avec la formation des classes
citadines communales, bientôt décidées à combattre énergiquement la
richesse et les propriétés ecclésiastiques.
Quels sont les rapports de la Pataria avec les hérésies de la première
moitié du 11e siècle ? Selon Landolphe, Arialdo aurait eu des rapports
avec les hérétiques de Monforte : mais cette affirmation ne repose que sur
la faveur commune que les uns et les autres donnaient aux pratiques de
l'ascétisme le plus rigide. Aussi l'absence d'un contenu précis, doctrinal
et théologique, la diffusion des deux mouvements, dualiste et patarin
dans les classes les plus humbles d'artisans, de paysans et d'ignorants,
la prédominance des exigences morales chez les uns et les autres, l'attitude
de révolte contre la hiérarchie ecclésiastique ou, tout au moins, contre
une partie de cette hiérarchie, tout cela contribue à élargir sensiblement
notre vision sur l'origine de l'hérésie médiévale au 11e siècle, et nous
amène nécessairement à ne pas l'attribuer à la transmission, improuvable
et improbable, d'anciennes doctrines au milieu d'une foule d'ignorants
et d'illettrés, mais aux conditions sociales et spirituelles propres au grand
mouvement de réforme de l'Eglise au 11e siècle.
Si l'on porte sur ce plan le problème de l'origine des hérésies médié-
vales, il prend alors son caractère concret de problème historique. Les
hérésies médiévales ont été complètement différentes des hérésies anciennes
parce qu'elles furent surtout inspirées par des motifs moraux et se répan-
dirent spécialement parmi le bas-peuple formé d'hommes humbles et non
cultivés, tandis que les anciennes hérésies avaient surtout des préoccu-
L'ORIGINE DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 131

pations intellectuelles et théologiques et s'étaient répandues dans des


milieux ecclésiastiques cultivés.
Confrontées avec les événements du temps de leur naissance, les hérésies
du Moyen Age apparaissent dans une lumière nouvelle et nous découvrent
tout un monde nouveau, animé d'un travail intérieur de transformation,
dans un des mouvements les plus fervents de renouvellement de la civi-
lisation européenne.
Entre la fin du 10e siècle et le commencement du 11e, il y a en Europe
un progrès de tous les aspects matériels et spirituels de la société. Une
augmentation démographique inexplicable fait surgir de nouveaux centres
habités ou grandir ceux qui existaient déjà. Les paysans s'enfuient
des fiefs et deviennent libres artisans des villes renaissantes. Les marchés se
multiplient, et les negotiatores donnent une nouvelle vigueur au commerce.
La monnaie, spécialement celle d'argent, circule toujours plus large-
ment. L'agriculture recommence à donner aux hommes des produits
en quantité suffisante pour la nourriture et pour l'échange. De nouvelles
inventions, comme le collier rigide pour les chevaux de traits, les fers à
chevaux, les moulins à eau ou à vent, multiplient les forces de l'homme
et le libèrent en partie de ses travaux les plus lourds.
C'est le tableau de ces événements et de ces faits qu'évoque le titre
du volume bien connu de L. Halphen, L'Essor de l'Europe. A ces progrès
des peuples européens au point de vue démographique, économique et
social, correspondait chez les individus une conscience plus profonde
des problèmes concernant l'organisation de la société, un esprit plus vif
d'initiative et d'indépendance, un désir plus ardent de renouvellement.
Et puisque la société était alors surtout la société des croyants, c'est-à-
dire l'Eglise, le besoin de renouvellement de la société s'identifiait avec
la nécessité de renouvellement de l'Eglise. Le mythe de la réforme et de
la renouatio domine toutes les expressions de la vie au 11e siècle : réforme
des couvents, réforme de la hiérarchie ecclésiastique, réforme de la pa-
pauté, réforme de l'homme. La réforme de Cluny est au centre de la vie
européenne du 10e siècle. Au temps d'Otton III, les idéaux de la réforme
des couvents et de l'Eglise se fondent avec l'idéal de la renovatio Imperii1B.
Et le monachisme eut une grande importance pour la diffusion de ces
idéaux. Les moines furent les plus grands représentants de la Réforme
grégorienne. Humbert de Silva Candida, moine de Moyenmoutier, Jean
Gualbert, moine de Vallombrosa, Pierre Damien, moine de Fonte Avellana,
le moine Hildebrand, ensuite pape sous le nom de Grégoire VII, suivirent
saint Nil, saint Romuald, Oddon de Cluny, Ratier de Vérone. Le mona-
chisme exerça aussi de remarquables influences sur les classes plus hum-
bles, comme l'a démontré M. Manselli dans son livre sur le moine Enrico
et les Enriciani.10 Au 10e et au 11e siècle, les moines prennent une part
active à la vie des bourgs et des villes. Ils sortent des couvents, prêchent
aux foules, ils se font promoteurs de paix et de trêves de Dieu, ils ont
132 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

d'étroits rapports avec le monde laïque intéressé à la réforme de l'Eglise.


Souvent, au 11e siècle, ce sont des moines et des réformateurs ecclésias-
tiques qui conduisent le peuple dans ses révoltes contre les évêques
simoniaques et concubinaires.
II se forme ainsi un courant religieux populaire révolutionnaire qui
sans s'inspirer de doctrines théologiques particulières se développera
dans le sens de l'hérésie à cause des luttes entreprises contre les prêtres
indignes, d'abord en faveur du parti réformateur de l'Eglise, ensuite
contre la hiérarchie même de l'Eglise romaine.
Ce grand courant du mouvement populaire et religieux du 11e siècle,
c'est le courant que nous pouvons appeler patarin. Il se développera
considérablement surtout au 12e siècle et donnera leurs caractères parti-
culiers à beaucoup d'hérésies de ce siècle.
Les hérésies du 11e siècle ont un caractère évidemment évangélique
et en se multipliant à la fin du 12e siècle, les hérétiques constituaient
en effet une armée unique qui lançait son assaut contre l'Eglise romaine.
Patarins, arnaldistes, vaudois, cathares, d'un autre côté, avaient été
confondus par l'Eglise dans une même condamnation. Mais des patarins
et des arnaldistes il n'était resté que le nom : la substance s'était trans-
férée dans l'évangélisme des vaudois. Et vaudois et cathares sont les
représentants les plus qualifiés de l'hérésie du Moyen Age après deux
siècles de vie. Contre eux Innocent III déchaîna l'impitoyable croisade
de Simon de Montfort qui dévasta le doux pays de la Provence et du
Languedoc.
Dans le même temps de nouvelles forces religieuses surgissaient du
sein de la chrétienté, qui devaient réaliser, dans l'obéissance à l'Eglise,
une grande partie des revendications morales des hérétiques. Saint Fran-
çois fit de l'imitation du Christ la base de sa règle et donna de l'idéal
de la pauvreté évangélique le plus sublime des témoignages. Et au début
du 13e siècle, l'attente eschatologique qui constituait la substance la
plus profonde de la tradition chrétienne devait renaître avec le
joachimisme s°.
Le joachimisme se mêla aussi au mouvement franciscain. Mais, à la fin
du Moyen Age, au milieu du 14e siècle, le catharisme et le joachimisme
avaient désormais presque disparu. Seule la religion franciscaine, enrichie,
dans sa laborieuse transformation intérieure, pendant les luttes spiri-
tuelles du 13e siècle, par les éléments les plus vitaux de la tradition
religieuse populaire et laïque, devait être le grand chemin à travers lequel
le Moyen Age chrétien apporta son héritage à la nouvelle civilisation de
la Renaissance.
L'ORIGINE DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 133

NOTES

1. Pour tout renseignement bibliographique, cf. les rapports de R. R. B E T T S , E. D E L A -


R U E L L E , H. G R Ü N D M A N N , R. M O R Q H E N , L. S A L V A T O R E L L I , « Movimenti religiosi
popolari ed eresie del Medioevo », dans Relazioni del X Congresso internazionale di
scienze sloriche, t. I l i , Florence 1955, p. 305-541. Je donnerai ci-après les indications
bibliographiques postérieures à celles du rapport du congrès de 1955. D'autre part,
dans mon œuvre Medioevo cristiano, 3 e éd., Bari 1962, on trouvera les plus impor-
tantes références sur les sources et la littérature historique sur l'hérésie du Moyen
Age.
2. Sur les problèmes de l'hérésie cathare, de son origine dans les relations entre Orient
et Occident, cf. H.-Ch. P U E C H , « Catharisme médiéval et bogomilisme », dans Oriente
e Occidente nel Medio Evo, Accademia nazionale dei Lincei. Fondazione Volta. Atti
dei convegni, 1 2 , Rome 1 9 5 7 , p. 5 6 - 8 4 , et R. M O R O H E N , « Il cosiddetto neo-mani-
cheismo occidentale del secolo X I », ibid., p. 8 4 - 1 0 4 , avec discussion des deux
rapports (p. 1 4 6 - 1 6 1 ) .
3. Pour les témoignages sur l'hérésie du 11e siècle, cf. I L A R I N O D A M I L A N O , « Le eresie
popolari del secolo X I nell'Europa occidentale », dans Studi Gregoriani, t. II, Rome
1947, p. 43-89, et R. M O R O H E N , Medioevo cristiano, œuvre citée, p. 221-236.
4. R. M O R O H E N , Medioevo cristiano, œuvre citée, p. 260, note 98, donne un exemple de
la déformation populaire du mythe du villicus iniquitatis.
5. « Disputatio inter catholicum et paterinum hereticum », dans M A R T Ê N E - D U R A N D ,
Thesaurus novus anecdotorum, Lutetiae Parisiorum 1717. Sur cette source, cf. les
conclusions d'A. D O N D A I N E , « Le manuel de l'inquisiteur (1230-1330), dans Archi-
vum Fralrum Praedicatorum, t. XVII, 1947, p. 174-180.
6. A. D O N D A I N E , < Nouvelles sources de l'histoire doctrinale du néo-manichéisme au
Moyen Age », dans Revue des sciences philosophiques et théologiques, t. XVIII, 1939,
p. 467.
e
7 . A . D O N D A I N E , Un traité néo-manichéen du 13 siècle ; le « Liber de duobus principiis »,
Rome 1939, p. 6-52.
8. A . D O N D A I N E , « La hiérarchie cathare en Italie », dans Archivum Fratrum Prteti-
catorum, t. XX, 1958, p. 267.
9. H . - C H . P U E C H et A . V A I L L A N T , Le traité contre les bogomiles de Cosmos le Prltre,
Paris 1945.
1 0 . A . D O N D A I N E , « L'origine de l'hérésie médiévale », dans Rivista di storia della
chiesa in Italia, 1952, fase. 1, p. 47 et suiv.
U . R . M O R O H E N , « Il cosiddetto neo-manicheismo occidentale del secolo X I », art. cité.

12.Sur la dérivation directe de l'évangile des auctoritates des hérétiques, cf. les nom-
breuses citations des textes évangéliques, Medioevo cristiano, œuvre citée, p. 256-267.
13.H.-Ch. P U E C H et A. V A I L L A N T , œuvre citée, p. 147.
14.Pour ce qui concerne les idées de E. W E R N E R , Pauperes Christi. Studien zu sozial-
religiösen Bewegungen im Zeitalter des Reformpapsttums, Leipzig 1956, cf. Medioevo
christiano, œuvre citée, p. 216, note 23.
15.C. V I O L A N T E , La società milanese del secolo XI, Bari 1953, et La potoria milanese
e la riforma ecclesiastica Rome, 1955.
16.Sur la dénomination de patarinus, cf. A. F R U S O N I , < Due schede : 'Pannosus' e
'Patarinus' », dans Bulleitino dell'Istituto storico italiano per il Medio Evo e Archivio
Muratoriani, 65, 1953, p. 129.
17.D s'agit d'une hypothèse du père Dondaine, acceptée par E. WERNER, « itaTapevoi
134 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Patarini », dans Vom Mittelalter zur Neuzeit, H. Kretzschmar, Berlin 1956, p. 404-
419, mais rejetée par le pére Dondaine lui-méme.
18.Voir R . MOROHEN, « Ottone I I I e l'ideale della 'Renovatio Ecclesise' », dans Medioevo
cristiano, op. cit., 3« éd., 1962, p. 84 et suiv.
19.R. MANSELLI, Studi sulle eresie del secolo XII, Rome 1953, p. 1-23, 45-67.
20.Pour le lien entre joachimisme et tradition eschatologique, cf. R . M A N S E L L I , La
« Lectura super Apocalipsim » di Pietro di Giovanni Olivi, Rome 1955.
DISCUSSION

J. L E G O F F . — Je voudrais simplement remercier le professeur Morghen


de nous avoir dit qu'il y eut à un certain moment, en gros l'an 1000, des
peuples nouveaux, une religiosité nouvelle, qui se prolongeront d'une cer-
taine façon pendant une millénaire ensuite. Cette affirmation fondamentale
donne une dimension nouvelle à notre colloque, dont elle légitime en quelque
sorte l'orientation.

E . DELARUELLE. — Au Moyen Age, on regardait l'enfant comme un petit


adulte et on ne distinguait pas entre la psychologie du lettré et de l'illettré.
Les travaux importants de M. Grundmann et de M. Morghen nous ont appris
qu'il y avait chez les illettrés des réflexes, un comportement, des complexes,
bref une structure mentale propre. Ils en sont ainsi venus à définir l'expres-
sion d'abord vague mais très féconde de « mouvement populaire ». Il
s'agit maintenant de l'éprouver dans l'étude par exemple de la paix de
Dieu ou des jacqueries, en histoire moderne ou contemporaine dans l'his-
toire de la guerre de Vendée, ou de la résistance des Marches et de la Roma-
gne aux armées de Napoléon.

A. B O R S T . — M. Morghen a eu raison de détruire la vieille chimère du


néo-manichéisme médiéval. Les théologiens catholiques ont pensé les
nouvelles hérésies avec leurs anciens schémas. Mais d'un point de vue scien-
tifique, ces hérésies ne sont pas manichéennes. Nous pouvons éclairer ou
du moins préciser les rapports entre les hérésies du 12 e siècle et les bogo-
miles de ce temps-là. Nous voyons alors que l'Eglise byzantine a traité les
bogomiles en successeurs des manichéens. Il en fut de même pour les pau-
liciens. Quant au rapport encore contesté entre pauliciens et bogomiles,
il n'a pas été élucidé. D'ailleurs dans les Balkans les bogomiles, déjà au
10e siècle, entretiennent des rapports avec l'hérésie dualiste et le mouvement
évangélique, qui trouvera un prolongement partiel dans les hérésies du
début du 11 e siècle. Je ne voudrais pas pour autant soutenir la thèse que
l'hérésie du début du 11 e siècle ait été le fait de bogomiles. Ainsi, deux thèses
s'affrontent : ou bien celle de la spontanéité, de l'originalité des hérétiques
qui voient dans la Bible la confirmation de leurs croyances ou bien celle
de la diffusion par des intermédiaires, tels que les marchands, de croyances
non formulées par écrit, non élaborées théologiquement, dogmatiquement.
Les deux thèses ne me semblent pas inconciliables.

D. O B O L E N S K Y . — Qu'est-ce que le dualisme mitigé ? M. Morghen a


posé cette question. Je voudrais essayer d'y répondre. En contradiction
théorique absolue avec la vision chrétienne, le dualiste, tant absolu que
mitigé, se fonde sur l'idée que le monde physique est créé par un principe
mauvais et, par conséquent, participe à la nature mauvaise de ce principe.
136 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Il en découle, et ceci me semble absolument essentiel dans l'étude de l'hérésie


en Europe, une morale dualiste qui, par haine de la matière, interdit le
mariage comme la consommation de la viande et du vin. Or ces interdictions
ne peuvent se déduire pour les gens du Moyen Age, en tous cas pour les
orthodoxes, de la lecture de l'Evangile. Pour les orthodoxes, la matière
peut être employée dans un sens sacramentel et sacrificiel, pour les dualistes
la notion de sacrifice et la notion de sacrement sont absolument contraires.
Il importait de souligner cette différence essentielle entre les deux doctrines.

Mlle C. THOUZELLIER. — Malgré l'absence de sources directes, je voudrais


faire remarquer que nous possédons des sources vaudoises de la fin du
12e siècle et qu'à travers ces sources nous saisissons la pensée « cathare ».
J'emploie à dessein le mot « cathare », exprimé déjà à cette époque. Pour le
reste, je suis d'accord avec MM. Borst et Obolensky sur le fait que ces
« nouveautés » ont été pensées par les théologiens avec des idées anciennes.
Ils les appellent à la fois « nouvelles » et « antiques » et au début du 13e siècle
Alain de Lille ne sait comment les définir. Les observations sur Mani et le
nom de Mani indiqué par Adémar sont justes mais Adémar a ajouté les
formules « imposition des mains » et « Saint-Esprit ». De même au sujet
de l'appellation « manichéen », aussi parlai-je de « résurgence » pour cette
période du 11e siècle. Si la haine des dualistes envers la matière est inconnue
de l'Evangile, dans le traité cathare, récemment édité, du début du 13e siècle,
les cathares expriment la haine de la matière à travers l'Evangile.

R. MANDHOU. — Avec l'étude des mouvements populaires à l'époque


moderne on retrouve un problème très difficile, celui de la dégradation
d'une doctrine élaborée dans le silence d'un cabinet ou d'un cloître et se
propageant en milieu populaire. A travers la littérature de colportage
j'essaye de voir comment se fait au 17e et au 18e siècle cette dégradation
dans la mentalité des lecteurs populaires. L'étude des missions intérieures
en France (et notamment en Bretagne) dans la deuxième moitié du 17e siècle
permet de voir l'Eglise tenir compte de ces différences de mentalité : pour
les lettrés on a prévu des séances de commentaires de textes choisis, pour
le public illettré, le commentaire de peinture sur papier huilé et la présen-
tation d'images grossièrement dessinées. Il est en tout cas très important
de voir apparaître vers l'an 1000 (comme au Bas-Empire) une nouvelle
religiosité, qui ne serait pas le fait d'une petite minorité, mais de l'ensemble
des Occidentaux. Ceci s'explique pour reprendre un terme de Lucien Tebore
par un climat, intellectuel et social, nouveau, qui s'explique lui-même par
l'ensemble des phénomènes — économiques, démographiques, etc. — de
l'époque, et par la mobilité sociale, les brassages aussi bien que par des
éléments d'ordre intellectuel.

G. LEFF. — Du commencement à nos jours, nous pouvons suivre en gros


deux courants : le courant officiel et orthodoxe et le courant populaire et
non officiel. Ce mouvement populaire tend à devenir à partir du commence-
ment du 11e siècle un mouvement hérétique. Plus le Moyen Age se déve-
loppe, plus se développe aussi le risque d'hérésie, aussi bien au niveau des
L'ORIGINE DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 137

mouvements populaires qu'à celui des idées manipulées par les sectes. A v e c
l'hérésie nous avons le contexte d'un mouvement total, ce que M. Le Goff
a appelé la « prise de conscience ».

M. TAUBES. — E n premier lieu, je voudrais souligner l'existence au sein


du christianisme d'un dualisme anthropologique constant qui peut toute-
fois devenir cosmologique ou théologique (je vous renvoie aux métaphores
de saint Paul, parlant du « Dieu de cet écu »). Il existe un manichéisme
chrétien qui ne doit rien à l'Orient. Lenz et Waldschmidt ont montré que
le manichéisme se sentait chrétien. Il ne faut donc pas pousser l'opposition
trop loin. L a question demeure néanmoins de savoir ce que sont devenus
les manichéens car ils n'ont pas disparu d'un coup de la surface de la terre.
Mon second point concerne l'eschatologie. Nous avons appris d'Albert
Schweitzer et de Martin Werner qu'au sein de l'Eglise s'accomplit un pro-
cessus que j'appellerai 1' « amnésie de l'eschatologie ». A ce propos, je tiens
à rappeler le livre de Martin Werner Die Entstehung des christlichen Dogmas,
toujours valable à mon avis, malgré les critiques des théologiens, et qui
me permet de poser une dernière question : les mouvements populaires
pouvaient-ils vraiment reconnaître l'eschatologie du Nouveau Testament
sous les interprétations officielles d'Augustin et d'Origène, ou bien le retour
à la vie évangélique était-il vraiment quelque chose de nouveau ?

E. DELARUELLE. — L e mot « évangélisme » est absolument équivoque.


De quel évangélisme parle-t-on ? Dans certains cas on parle de toute l'Ecri-
ture sainte pour opposer ¡'évangélisme au salut par les œuvres ou à la scolas-
tique, dans d'autres on fait allusion à un Evangile déterminé. Mais n'oublions
pas que l'opposition entre la chair et l'esprit ne se trouve pas expressément
dans l'Evangile mais dans saint Paul. N'oublions pas non plus que parmi
les évangiles, il y a l'évangile de saint Jean qui a un caractère doctrinal
dogmatique tout à fait inaccessible aux mouvements populaires. Il serait
ainsi souhaitable de préciser, à l'avenir, comme l'a fait notre collègue
Miccoli dans sa très belle étude sur le sentiment religieux dans la Pataria,
les versets qui ont pu être utilisés dans les mouvements populaires.

R . MORGHEN. — Je me trouve d'accord avec M. Le Goff sur ce contenu


plus concret qu'on doit donner aux idées de Volpe : peuple nouveau, expé-
rience religieuse nouvelle. Je suis d'accord avec cette « prise de conscience »
des classes nouvelles qui interprètent avec un esprit nouveau les données
de la tradition. E t je remercie encore mon cher ami Violante d'avoir précisé
la composition de la société médiévale au 1 1 e siècle. Mais les liens ne sont
pas encore évidents avec les mouvements religieux.
Si j'ai parlé du bogomilisme, c'est spécialement pour signaler que les
remarques du père Dondaine sur la lettre du prêtre Cosmas, publiée p a r
Vaillant et Puech, ne justifient nullement une origine manichéenne : on
y trouve une polémique contre l'Eglise du point de vue moral, mais rien
qui justifie l'adhésion au dualisme. Le professeur Obolensky a parlé d'un
principe mauvais qui a créé le monde : dans nos sources, ce Dieu n'est que
le Dieu de l'Ancien Testament. L a question « Comment un Dieu bon aurait-il
138 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

créé toutes les choses mauvaises ? » ne relève pas d'une exposition doctri-
nale mais du simple bon sens. Le dualisme que nous trouvons dans nos
sources n ' a pas d'attaches théologiques : les idées des hérésiarques se sont
déformées, sont devenues u n esprit commun qui donne le ton à une époque.
On ne parle plus que de faits moraux, c'est un dualisme purement anthro-
pologique qui reprend les oppositions de l'Evangile entre Mammón et
Dieu, les œuvres du monde et les œuvres spirituelles. Nous retrouvons chez
les hérétiques médiévaux le villicus iniquitatis. Or, aucune expérience
religieuse n'est possible sans ce dualisme moral, même mitigé : un inquisi-
teur aurait brûlé comme manichéen Sous le soleil de Satan de Bernanos.
On a parlé de la haine de la famille : or, les hérétiques ne condamnent
que l'acte charnel du mariage ; cette condamnation a des origines dans
l'Evangile, qui conseille la continence. Tout l'ascétisme médiéval est polémi-
que contre la femme et cet acte charnel. Souvenez-vous d'Odon de Cluny.
Toute l'expérience chrétienne connaît l'horreur de l'acte charnel, comme
péché.
Il f a u t distinguer hérésies théologiques, hérésies populaires, c'est-à-dire
des doctrines, et d'autre p a r t les états d'esprit qui refleurissent dans l'ornière
d'une tradition antique.
Enfin, à propos de ce q u ' a dit le professeur Mandrou, il f a u t prendre garde
aux véhicules de ces attitudes morales et eschatologiques ; à l'origine est
la prédication itinérante, conçue par les hérétiques comme un absolu devoir
du chrétien selon Vite et predícate omnibus gentibus Evangelium. E t même
la prédication sacerdotale, les homélies de la messe ont pu transmettre
cette tradition évangélique.
L'iconographie, l'étude des mentalités collectives, selon l'exemple de
notre cher collègue D u p r o n t , particulièrement sensibles dans le cas des
mentalités religieuses, sont pour moi les nouveaux chemins que l'historien
des hérésies médiévales devra emprunter pour atteindre cette « prise de
conscience historique » que nous appelons de tous nos vœux.
DOM J. BECQUET

ËRËMITISME ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE

L'Antiquité chrétienne a légué à l'Occident médiéval, comme état de


perfection accessible à tous, la vie monastique menée en commun (céno-
bitisme) ou isolément (anachorétisme) ; certains clercs ont adopté des
usages monastiques pour mener une vie plus réglée (vie canoniale ou ca-
nonique). 1
La législation carolingienne a seulement distingué deux formes de vie
religieuse : la vie monastique, c'est-à-dire le cénobitisme selon la règle
attribuée à saint Benoît, et la vie canoniale, selon des usages plus souples.
La vie solitaire, appelée désormais érémitique, continue cependant de
jouir de la supériorité de principe que lui reconnaît la règle bénédictine,
supériorité assortie, il est vrai, de fortes réserves pratiques que l'on trouve
principalement chez Jean Cassien, l'auteur le plus lu, avec saint Gré-
goire le Grand, dans les cloîtres médiévaux. Le moine éprouvé dans la vie
commune peut aller mener la vie solitaire, c'est ainsi que l'on trouvera
des ermitages dans l'entourage des monastères bénédictins du 8 e au
18esiècle, parfois sous la forme mitigée de la réclusion, spécialement indiquée
pour les femmes.
Cette filière normale — cénobitisme débouchant éventuellement sur
l'érémitisme — est admise encore au 12e siècle par des hommes de mentalités
aussi diverses que Pierre le Vénérable, Yves de Chartres ou Etienne de
Tournai. Il y a une tension dialectique dans le monde claustral entre les
avantages et les inconvénients des deux genres de vie, et l'on n'a guère
de peine à soutenir que les difficultés matérielles de la solitude sont uue
occasion de progrès spirituels, ou que la sécurité morale de la vie commune
ne peut aller sans sécurité matérielle. Le sociologue se gardera donc
de voir dans toutes les querelles de moines des débuts d'hérésies ; il se
rappellera que, dans la chrétienté médiévale, l'ermite est un pur entre
les purs que sont les moines, et que cela expose à bien des conformismes.
En réalité, les structures religieuses de l'Occident latin évolueront vers
une élimination progressive de l'érémitisme. A la fin du 12e siècle, Char-
treux et Camaldules sont devenus des semi-cénobites, et les Grandmon-
tains des cénobites complets. Au 13e siècle, les ermites de saint Augustin
et du mont Carmel sont rapidement assimilés aux prêcheurs et mineurs ;
chez ces derniers, le désert est vite suspect de servir de maquis aux spiri-
tuels récalcitrants ou d'alibi aux dilettanti. « Il y a une dévaluation de l'er-
mite dans une société de plus en plus fermement organisée : celui-ci est
140 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

encore en haut de l'échelle des états de perfection pour Herrade de Lands-


berg (seconde moitié du 12e siècle), mais il est trente-huitième sur les qua-
rante figurants d'une danse macabre au 15e siècle.
L'ermite médiéval semble être dans de bonnes conditions pour jouer
le rôle, sinon d'hérésiarque, du moins de propagandiste de l'hérésie :
— il peut n'être que laïc, et donc moins au fait de la doctrine ;
— il est indépendant, car s'il fait un vœu, c'est un vœu personnel ;
— il est mobile, ce qui facilite l'échange des idées ;
— il est accessible à tous : le thème littéraire de l'ermite que l'on va
consulter est tout à fait confirmé par la littérature ecclésiastique ;
— il est pauvre, voire misérable, ce qui peut faire de lui le prototype
d'un évangélisme hostile aux sécurités matérielles.
En fait, une revue nécessairement rapide des principaux ermites mé-
diévaux ne provoque pas de suspicion particulière au sujet de leur ortho-
doxie. Le premier et le dernier des stylites d'Occident, Walfroy, descend
de sa colonne dès le 6 e siècle sur l'invitation des évêques. Au 11e siècle
l'ermite de l'îlot de Tombelaine, dans la baie du mont Saint-Michel, cor-
respond avec saint Anselme. Au 14e siècle la recluse Julienne de Norwich,
une Anglaise extatique, se dit très soumise au jugement de l'Eglise et on
lui reprocherait à peine une expression audacieuse. Un autre ermite anglais
contemporain, Richard Rolle, serait plus inquiétant par son insouciance
délibérée à l'égard de la direction spirituelle, mais son exclusivisme
contemplatif et sa répugnance aux abstractions sont monnaie courante dans
la tradition proprement monastique. Un autre contemporain, l'ermite
de Groenendael Ruysbroeck, est en tous les cas plus orthodoxe que maître
Eckhart. A la fin du Moyen Age, Nicolas de Flue mettra ses visiteurs en
garde contre les nouveautés doctrinales, et un humaniste ermite comme
Giustiniani a une doctrine monastique très traditionnelle.
En outre, on remarque que les écrivains qui donnent des conseils aux
ermites ne s'inquiètent guère de leur orthodoxie ; s'ils leur recommandent
la lecture, ils songent surtout à fixer leur esprit qui risquerait de battre
la campagne. Tout récemment d'ailleurs, on a vu dans l'ermitage du Conte
del Graal de Chrétien de Troyes une sorte d'antithèse orthodoxe du châ-
teau magique où se déroule une liturgie bizarre évocatrice de rites hétéro-
doxes. •
Il y a toutefois un problème, soulevé dès longtemps. Un clerc du
12e siècle ne déplorait-il pas que de nouveaux convertis, partis inconsidéré-
ment dans des endroits sauvages pour y faire pénitence, revinssent par-
fois au siècle pour y tomber dans une mendicité dommageable à la « foi
catholique » ? Cette foi catholique paraît s'identifier, pour notre auteur,
avec l'ordre social. 4 On essayera de trouver quelques cas représentatifs
dans ce 12e siècle qui est le plus central des siècles médiévaux ; les docu-
ÉRÊMITISME ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 141

ments attestent encore beaucoup d'ermites à l'état libre, et les chemins


de leurs forêts aboutissent parfois aux « carrefours de la vie évangélique ».4
Dans l'Ouest de la France, toute une gamme de situations individuelles
permet d'entrevoir comment les exigences de la profession érémitique
peuvent donner occasion à cette critique de la société religieuse qu'est
l'hérésie naissante.
Etienne de Muret8 vint directement au désert limousin vers la trentaine,
poussé par l'exemple d'ermites d'Italie du Sud ; c'est l'ermite classique,
sauf la probation initiale un peu rapide. La première génération de ses
disciples recueillit ses pensées après sa mort (1124) : en fait, on y trouve
la doctrine et jusqu'aux expressions de saint Grégoire le Grand, dispensées
aux nombreux visiteurs de l'ermite-diacre. Celui-ci recommandait même
de payer la dîme et de ne pas critiquer les clercs car, disait-il, si les clercs
pèchent contre l'Ecriture, chacun peut aussi pécher contre 1'« écriture du
cœur ». Mais la pauvreté du désert est considérée comme la seule façon
de pratiquer le désintéressement total de l'Evangile ; travail et mendicité
sont opposés aux possessions des moines dont la règle n'est jamais qu'une
adaptation d'un Evangile souvent utilisé dans le recueil des pensées.
Les disciples d'Etienne de Muret, retirés à Grandmont, échoueront dans
leur essai de transposer la pauvreté érémitique dans une vie cénobitique
de modèle réduit menée en forêt. Mais rien d'hétérodoxe ne peut leur être
reproché : on ne s'en fût pas fait faute au temps de leurs discordes intesti-
nes entre clercs et convers I Des hérétiques voisins, les « Apostoliques »
de Périgueux, sont connus par un document malheureusement caricatural7 ;
certains traits de ce document contredisent formellement la doctrine et
les usages de Grandmont.
Vers 1100, un certain Rainaud 8 quittait le cloître pour se faire ermite
malgré les conseils d'Yves de Chartres qui lui recommandait de pratiquer
l'Evangile par les renoncements de la vie commune et de l'obéissance.
Rainaud l'Ermite lança un pamphlet contre ses anciens confrères. Pour
lui, peu ou point de traces de perfection évangélique dans les monastères
dont les religieux attaquent d'autres chrétiens en justice pour des inté-
rêts matériels ; ce faisant, ces religieux méprisent le «corps du Christ» et ses
commandements, donc ils sont le jouet de l'esprit malin, donc ils se dé-
tournent de Dieu, donc ils sont infidèles. Avec la différence de ton, le pam-
phlet de Rainaud présente les mêmes arguments que les pensées d'Etienne
de Muret en faveur du désert : le recueillement, et surtout le fait de se
désolidariser d'une vie claustrale dont les avantages matériels sont in-
compatibles avec le désintéressement et la charité évangélique. Mais ici,
les habitants des cloîtres sont pratiquement excommuniés 1
Yves de Chartres s'est encore trouvé devant un cas plus considérable,
celui des prédicants d'allure érémitique. »
Les plus représentatifs de ceux-ci sont en fait des clercs instruits qui
ont occupé des postes élevés et se sont retirés momentanément au désert
10
142 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

après des difficultés et des échecs. Leur « leader », Robert d'Arbrissel, a


été une sorte de vicaire épiscopal à Rennes ; Bernard d'Abbeville est un
abbé démissionnaire ; Vital de Mortain a été chapelain d'un prince mal
marié ; Giraud de Sales est passé de la vie canoniale à la vie érémitique,
mais à la suggestion de Robert d'Arbrissel. On est bien mal renseigné
aussi sur l'authenticité érémitique de certains prêcheurs de croisade comme
Pierre l'Ermite ou le moine Raoul. Ajoutons que l'évêque Marbode, en
morigénant Robert d'Arbrissel, le considère comme un pèlerin {peregri-
nas) et qu'il n'a rien à lui reprocher au point de vue doctrinal. 10
Il ne faut donc pas se hâter de déceler dans l'Ouest de la France, au dé-
but du 12e siècle, une fermentation spontanément réformatrice et facile-
ment hétérodoxe dans les « milieux érémitiques » ; encore moins faut-il rat-
tacher à ces milieux, comme on l'a fait, 11 un Eon de l'Etoile qui opère
à cette époque dans la forêt de Brocéliande, car il s'agit d'un simple illu-
miné dont les partisans attaquent indistinctement monastères et ermi-
tages. Il y a d'ailleurs de faux ermites qui courent les agglomérations dans
la tenue du désert. 13
Yves de Chartres reproche précisément à ces faux ermites de propa-
ger dans le peuple des façons de voir qui rappellent celles de Robert d'Ar-
brissel. L'évêque canoniste n'éprouve pas plus de gêne à exclure de l'Eglise
ces trublions que Rainaud n'avait de scrupules à reléguer ses anciens
confrères dans les ténèbres extérieures de l'infidélité. D'abord, des prê-
cheurs qui se font entretenir par leurs auditeurs sont pires que les mar-
chands du Temple que le Christ a chassés de la « société catholique ». Au
reste, ces gens-là méconnaissent la diversité des membres dans le corps
du Christ qui est l'Eglise : « Ils détruisent de tout leur pouvoir l'unité
d'ensemble du corps du Christ en cherchant à faire consister l'Eglise de
Dieu en quelques solitaires seulement ».
On entrevoit donc, en passant d'Etienne de Muret à Rainaud l'Ermite
et à Yves de Chartres, une situation qui n'est pas rare au début des
hérésies : une préférence légitime peut aboutir à un exclusivisme qui
amène les protagonistes à constater que l'adversaire s'est exclu lui-même
de l'Eglise. Nous sommes là, il est vrai, à une période de réforme, de ten-
sion religieuse et l'accusation d'hérésie est alors plus vite lancée que soi-
gneusement étayée. 18
Les événements devaient donner raison à Yves de Chartres, car les
ermites du 12e siècle donnèrent naissance à des monastères nouveaux qui
devaient doubler les anciens; Rainaud l'Ermite n'a pas fait autrement
parler de lui. Il reste que quelques ex-ermites ou pseudo-ermites ont pro-
fité du crédit accordé à leur habit par l'opinion publique pour colporter
dans les villes les slogans du moment : vie apostolique, croisade escha-
tologique, critique de la fortune cléricale ou monastique...
Ce fut donc une hérésie manquée que de vouloir réduire la vie religieuse
à la vie anachorétique dans la France de l'Ouest au 12e siècle. Divers in-
ÊRÉMITISME ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 143

dices laissent penser que ce fut une hérésie savante, ou demi-savante où


la lecture des Vies des Pères et de Cassien a joué son rôle. 14 Rapprochons-
en une hérésie savante par excellence, le jansénisme ; à la fin de la pé-
riode qui occupe ce colloque, le concile de Pistoie n'a-t-il pas voulu rame-
ner tous les religieux à la régie de saint Benoît parce qu'elle était la plus
ancienne de toutes '?

NOTES

1. Articles « Ermites » et « Erémitisme $ par Dom Doyère dans Dictionnaire de Droit


Canonique, t. V, 1953, p. 412-429 et Dictionnaire de Spiritualité, t. IV, 1960, p. 936-
982. On y ajoutera utilement la toute récente Histoire de la Spiritualité chrétienne,
t. II : Le Moyen Age, Paris, 1961, par Dom J. Leclercq et Dom F. Vandenbroucke,
en raison de l'intérêt accordé par cet ouvrage aux mouvements hétérodoxes.
2 . P. R E N É DE N A N T E S , Histoire des spirituels dans l'ordre de saint François, Paris,
1909.
3. Leonardo OLSCKI, « Il castillo del Re Pescatore e i suoi misteri nel 'Conte del Graal'
di Chrestien de Troyes », dans Atti dell'Academia dei Lincei, CCCLVIII, série V i l i ,
t. X, 3, 1961, p. 101-159.
4. E. Du M É R I L , Poésies inédites du Moyen Age..., Paris, 1854, p. 321 ; il s'agit de deux
poèmes copiés d'une même main au 12e siècle dans un manuscrit d'Anchin et
dont le second a pour auteur un chanoine non régulier (ms. Douai 751).
5. M. D. CHENU, « Moines, clercs et laïcs au carrefour de la vie évangélique (12e siècle) »,
dans Revue d'Histoire ecclésiastique, t. XLIX, 1954, p. 59-89.
6. J. B E C Q U E T , article < Etienne de Muret », dans Dictionnaire de Spiritualité, t. IV,
1961, p. 1504-1514.
7 . Lettre du moine Héribert dans M I G N E , P.L., t. CLXXXI, col. 1 7 2 1 - 1 7 2 2 .
8. Dom G. MOBIN, « Rainaud l'Ermite et Ives de Chartres... », dans Revue bénédictine,
t. XL, 1928, p. 99-115.
9 . J . VON W A L T E R , Die ersten Wanderprediger Frankreichs, 2 vol., Leipzig, 1 9 0 3 et
1 9 0 6 ; lettre d'Yves de Chartres dans M I G N E , P.L., t. CLXII, col. 1 9 8 - 2 0 2 .
10.Lettre de Marbode éditée par J . VON W A L T E R , op. cit. Voir E.-R. L A B A N D B , t Re-
cherches sur les pèlerins dans l'Europe des 11e et 13 e siècles » dans Cahiers de Civi-
lisation médiévale, t. I, 1958, p. 159-169, 339-347.
11.P. A L P H A N D É R Y et A . D U P R O N T , La chrétienté et l'idée de croisade. Les premières
croisades, Paris, 1954, p. 172.
12.Dom J. LECLERCQ, « Le poème de Payen Bolotin contre les faux ermites », dans
Revue bénédictine, t. LVIII, 1958, p. 52-86. Les griefs doctrinaux y sont aussi incon-
sistants que dans la lettre de Marbode de Rennes.
13.ID., Saint Pierre Damien ermite et homme d'Eglise (Uomini et Dottrine, 8), Rome,
1960, p. 222-224.
14.La Settimana di Studi qu'a tenue l'université catholique de Milan du 30 août au
5 septembre 1962 sur le thème « L'érémitisme en Occident aux 11e et 12« siècles » a
quelque peu précisé ce rôle. Les Atti forment le t. IV, 1965, des Misceli, del Centro di
Studi Medioevali (Pubbl dell' Univ. Catt. del Sacro Cuore Conlrib. Ser. terza. Varia 4).
DISCUSSION

J. LE GOFF. — En accord avec D o m Becquet je crois que l'érémitisme est


un fait continu dans le christianisme, même s'il a perdu de l'importance à
l'époque moderne, et d'autre part il est certain que l'érémitisme, à la période
étudiée par Dom Becquet, est demeuré à l'intérieur de l'orthodoxie. Je
profite de ce point pour insister sur le fait qu'il faut d'abord que nous
prenions comme hérétiques ceux qui ont été condamnés comme tels par
l'Eglise, sinon nous tombons dans la confusion. Je dirai encore que l'éré-
mitisme s'est toujours tenu, comme dirait le père Chenu je crois, à une
frontière de la chrétienté. Mais j e crois aussi qu'il y a une conjoncture
historique de l'érémitisme et nous apercevons qu'il y a dans cette continuité
érémitique des moments d'essor et de gonflement qui correspondent à peu
près chronologiquement à cette sorte de creux hérétique qui a été signalé
ce matin par le professeur Violante. E t je me demande si ce creux hérétique
ne correspond pas à une période où l'orthodoxie a su ramener à elle la plu-
gart des inquiets. Je fais allusion ici à ces grands mouvements que sont
généralement la Réforme grégorienne, réforme de l'Eglise, le mouvement
de chanoines réguliers et en troisième lieu ce mouvement de l'érémitisme
et, en quelque sorte, je verrais volontiers dans l'érémitisme un de ces mouve-
ments correspondant à un apprivoisement de l'hérésie. D'autre part à
l'intérieur de cette conjoncture de l'érémitisme au 11e et au 12e siècle on
peut distinguer essentiellement deux périodes. Dans un premier temps,
c'est l'érémitisme du désert qui, nous le savons, est dans l'Occident avant
tout l'érémitisme de la forêt puisque le désert occidental, c'est la forêt.
Mais il faut se rappeler aussi que l'érémitisme, et plus spécialement à l'épo-
que qui nous intéresse c'est aussi le refus de l'urbanisation comme le disait
très bien hier M. Geremek. Mais ensuite nous voyons que l'ermite, qui est
aussi un mobile comme Dom Becquet l'a si justement rappelé, à la faveur
de son caractère itinérant, devient facilement, rapidement ce prédicateur
qu'il a indiqué, ce propagateur d'idées à la limite de l'hérésie. Puis par
une sorte d'adaptation plus ou moins consciente à l'évolution générale
de l'économie et de la société nous le retrouvons en milieu urbain, comme le
prouve le poème de Payen Bolotin contre les pseudo-ermites au début du
12e siècle publié récemment par Dom Jean Leclerc dans la Revue bénédictine.

D. OBOLENSKY. — Je voudrais attirer votre attention sur la présence


d'ermites et d'un certain nombre de faux ermites en Bulgarie au 10 e siècle.
Il est curieux et peut-être révélateur que la source principale qui nous décrit
le développement extraordinaire du monachisme en Bulgarie et tout spécia-
lement en Macédoine est la même source qui nous parle surtout des bogomiles,
j e veux dire le prêtre Cosmas et il me semble que ce n'est pas par hasard
que ce traité est dirigé à la fois contre l'hérésie bogomile et contre les défor-
mations du monachisme contemporain. Entre les deux, Cosmas établit
ÉRÉMITISME ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 145

un rapport très net. La conduite de ces moines ressemble à bien des points
de vue dans la description de Cosmas à celle des bogomiles ; ils vont dans
les maisons, ils vont en pèlerinage, ils s'agitent, ils prétendent — ce qui,
selon Cosmas est hérétique — qu'on ne peut se sauver dans le monde avec
femmes et enfants. Bref est-ce par hasard si la Macédoine, le plus grand
centre de l'érémitisme au 10e siècle dans les Balkans a été aussi le centre
originel du bogomilisme ? Les pèlerinages à Jérusalem et surtout à Rome
de ces ermites qui avaient subi la contagion du dualisme n'ont-ils pas été
des éléments de la transmission des doctrines dualistes en Occident au
10e et 11e siècle ?

H.-CH. P U E C H . — Je crois qu'en effet il y a un rapport très intéressant


entre le portrait que fait Cosmas des bogomiles, enfin ce qu'on appellera
les bogomiles, et de ces moines vagants ou de ces ermites et faux ermites
plus ou moins suspects. Ce n'est d'ailleurs peut-être pas sans raison qu'on a
comparé le rite cathare du consolamentum dont l'origine est mystérieuse
avec la cérémonie très simple de vêture des moines basiliens. Mais d'autre
part nous avons un texte relatif aux bogomiles qui montre les bogomiles
critiques des ermites et notamment des stylites.

Dom J. B E C Q U E T . — Je ne vois pas grand-chose à ajouter à ce que disait


M. Le Goff. Il est toutefois possible que le gonflement des effectifs du désert
corresponde à une montée démographique.
E. DELARUELLE

DÉVOTION POPULAIRE
ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE

Parler de « dévotions populaires », c'est évidemment les opposer à la


dévotion officielle, disons à la liturgie, imposée par une Eglise hiérarchique
qui use de son autorité, par exemple, pour exiger l'assistance à la messe
dominicale ou à la communion pascale. La dévotion populaire apparaît
par là même comme un non-conformisme, comme un choix, ainsi que
l'hérésie. Il est donc permis de se demander s'il n'y a pas entre ces deux
options d'autres affinités, si la dévotion populaire n'est pas une hérésie
qui se cherche, et l'hérésie une dévotion arrivée à maturité.
On peut aller plus avant : la dévotion populaire, par hypothèse encore,
est un phénomène de groupe, en contraste sans doute avec l'hérésie en
formation dans l'esprit et la sensibilité de l'hérésiarque, mais en ressem-
blance avec l'hérésie à la deuxième génération, choix collectif, souvent
anonyme, de ceux qui ensemble préfèrent une certaine interprétation du
christianisme — nous ne parlerons ici que des dévotions populaires à
l'intérieur du christianisme — à la tradition reçue. Cette préférence pour
une dévotion révèle évidemment une insatisfaction, le besoin d'autres
nourritures ; elle a donc plus ou moins consciemment u n caractère critique.
Au nom de quoi s'exerce cette critique ? Les pratiquants de la dévotion
populaire se sentent-ils investis d'une mission, responsables à un certain
titre de l'institution ecclésiastique à laquelle ils appartiennent (paroisse,
confrérie, pèlerinage, Eglise universelle) ? L'hérétique est plus ou moins
un prophète à la première génération, un « pur » à la deuxième, l'un et
l'autre ayant en conscience le devoir de régénérer leur Eglise par un
refus, par une sécession, par un retour à d'autres usages. Notre pratiquant
se sent-il pareillement inspiré, ou se borne-t-il à user d'une liberté normale,
qui lui est dévolue ou reconnue par la hiérarchie elle-même dans une
sphère qui lui est laissée ? En prenant à son compte cette dévotion
populaire, a-t-il le sentiment de se mettre à part, de constituer un groupe
protestataire, de donner une leçon d'authenticité et de retour aux sources ?
Ou simplement d'exprimer à sa manière — celle d'un groupe social,
professionnel, national original, qui a ses goûts légitimes — une foi com-
mune à toute cette Eglise dont il continue à se réclamer, un «mental
collectif », qui se spécifie et se diversifie en se réfractant dans des psycho-
logies plus closes ?
148 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Société close ou société ouverte : la dévotion populaire est-elle un


phénomène « sectaire » ou aspire-t-elle à s'élargir à la mesure de toute la
communauté ecclésiale, sinon à celle de toute l'humanité ? Si l'hérésie,
à la deuxième génération, est une Eglise en concurrence, qui travaille
délibérément à supplanter l'Eglise traditionnelle, dont elle ne sort que
pour la récuser, elle revêt souvent, à la troisième génération — ou plus
tard — le caractère d'une secte qui prend son parti d'une coexistence
agressive, qui se définit en s'opposant plus qu'en proposant, qui cultive
l'intransigence doctrinale et morale, qui évolue en intégrisme, qui voit
un signe d'élection jusque dans son caractère minoritaire : que l'on pense
à l'évolution du donatisme ou du jansénisme. En quel sens mûrit de son
côté la dévotion populaire ? Reste-t-elle une liberté de choix ou devient-elle
une servitude, à l'égard de pratiques définies comme la seule voie étroite
du salut ?
Tels sont les problèmes que le questionnaire nous invite à aborder ;
en nous proposant de commencer notre enquête vers le 11e siècle, on
l'oriente et nous aide à préciser notre problématique. Le 11e siècle fait
en effet date dans le Moyen Age : c'est le moment de la Réforme grégo-
rienne, qui fut d'abord une réforme du clergé et une réhabilitation du
sacerdoce, qui donc proclama, plus fortement que par le passé, le rôle
indispensable du prêtre dans le salut et fit de l'Eglise une société propre-
ment « cléricale », qui parfois même se définira par son clergé à l'exclusion,
dirait-on, de ses autres membres. La Réforme grégorienne fut aussi une
réforme autoritaire et qui renforça l'action et les droits du pouvoir central
dans une Eglise qui apparaît de plus en plus comme 1'« Eglise romaine ».
Du même coup, il s'est produit comme une tension, à l'intérieur de cette
Eglise, entre la hiérarchie d'une part et le peuple fidèle de l'autre.
Car il y a désormais, à partir du 11e siècle, un «peuple chrétien », qui
émerge lentement et acquiert peu à peu conscience de soi. L'expression
de peuple chrétien est sans doute beaucoup plus ancienne ; mais elle ne
correspondait jadis qu'à une communauté locale ou n'était qu'un mythe,
ne faisait que rappeler une mystique inaccessible en fait à la plupart des
chrétiens de ce temps : mystique du corps du Christ; mystique de la
charité organique qui faisait ces chrétiens membres les uns des autres à
travers toute la Catholica, mais sans possibilité pour la plupart de réaliser
cette unité idéale. Le 11® siècle va voir au contraire les «mouvements
populaires» ébranler ces masses compactes, les mettre en rapports les
unes avec les autres et aider ainsi à une prise de conscience qui fut pour
une part celle d'une Europe chrétienne. Depuis longtemps déjà on a
rapproché ces mouvements populaires et les hérésies de ce temps, en
pensant qu'ils s'appelaient profondément. L'étude des dévotions popu-
laires à partir de la même époque devrait nous aider à éclaircir ce problème.
Le second terminus chronologique est facile à fixer : le protestantisme
est incontestablement, par rapport au Moyen Age, une hérésie d'un type
DÉVOTION POPULAIRE ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 149

nouveau. Par ailleurs, il apparaît soumis à un conditionnement politique


et social très différent ; il faut donc nous arrêter aux environs des
années 1500.

Renouvellement des dévotions populaires


Durant ces quatre ou cinq siècles, il y eut, dans le domaine des dévotions
populaires, un incontestable renouvellement. S'il s'agit du culte des saints
et quoi qu'il en soit des fidélités locales, on constate des changements du
goût : le 11e siècle voit se développer la dévotion aux apôtres, liée à la
redécouverte de la vita apostolica ; les grands pèlerinages connaissent des
déclins et des retours de popularité, dont le rythme est plus facile à saisir
que les causes profondes : au 10e siècle Rome prédomine, au 11e Jéru-
salem, au 12e Compostelle. Lors même qu'une dévotion paraît constante
une analyse plus poussée révèle des transformations parfois profondes de
l'esprit : il y a peu de choses communes entre la ferveur à chanter le
Trisagion au haut Moyen Age — fut-ce d'ailleurs une dévotion bien
populaire ? — et la confiance en l'ange gardien au 15e.
Ces renouvellements peuvent-ils être mis en relations avec le mouvement
des hérésies aux mêmes époques ? Il faudrait chaque fois une étude
poussée pour définir les environnements sociaux et mentaux de la dévotion
naissante. Il est un cas pourtant où cette connexion est évidente, c'est
celui de l'utraquisme : une dévotion de caractère incontestablement popu-
laire et non savant, spontanée et non imposée par l'autorité ecclésiastique,
fut longtemps le moyen d'expression des fidèles de Huss, qui n'acceptent
pas les condamnations portées contre lui par le concile de Constance et
le pape. La connivence de la dévotion et de l'hérésie est ici manifeste,
chacune nourrissant l'autre.
D'autres dévotions furent accusées pareillement d'être hérétiques ; mais
l'on n'oubliera pas que le terme d'hérésie est singulièrement équivoque à
cette époque, sert de prétexte à toute accusation, voire purement et
simplement d'injure. Saint Bernardin de Sienne, qui introduit une dévo-
tion populaire nouvelle avec le Saint Nom de Jésus proposé à la véné-
ration des foules, gravé sur les maisons et les édifices publics, fut accusé
d'hérésie ; mais on ne voit pas que son initiative remette le moins du
monde en question la doctrine traditionnelle : ses derniers historiens
insistent au contraire à l'envi sur son manque d'originalité en théologie.
On en dirait autant de saint Vincent Ferrier, dont l'origénisme, attaqué
par Nicolas Eymeric, un maniaque de l'hérésie, semble peu consistant.
Au total il paraît difficile de mettre constamment en correspondance
hérésies et dévotions populaires : une table de concordance systématique
révélerait, pensons-nous, peu de points de contact. Sauf bien entendu s'il
s'agit pour les uns et les autres de puiser dans un fonds commun, dans
un humus qu'il nous faut essayer maintenant de définir.
150 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Traits permanents de la dévotion populaire au Moyen Age


Nous n'avons jusqu'à maintenant considéré que les dévotions et les
hérésies de caractère passager et comme contingent ; derrière ces « modes »,
pour reprendre un diptyque du sociologue de Tarde, n'y eut-il pas des
forces plus stables, des données constantes, une « coutume » ?
Il faut ici éviter, pour présenter la religion populaire du Moyen Age,
de recourir à des définitions trop générales et a priori : l'homme germa-
nique, a-t-on écrit, aime la nature et répugne aux disciplines de la prière.
Il faut de même se défendre contre la tentation de dessiner une évolution
rectiligne, allant du fétichisme des barbares du 5 e siècle à une découverte
de la religion en esprit et en vérité au 15e.
Il reste que la piété populaire du Moyen Age est caractérisée durant
toute l'époque que nous étudions par un certain nombre de traits quasi
permanents : religion qui a besoin de signes et qui donc est essentiellement
extérieure, qui a besoin par exemple de voir. Religion qui a le goût du
merveilleux, voire du fantastique, qui est en perpétuelle attente du miracle,
tellement que celui-ci finit par apparaître naturel, et perd donc de sa
transcendance et de sa signification. Religion anthropocentriste, plus
occupée du salut, de quelque manière qu'il soit conçu, que de la louange
de Dieu. Religion séparée souvent de la morale et réduite soit au culte,
soit aux « bonnes œuvres », dans l'un et l'autre cas à des observances.
Religion christocentrique aussi, quitte à passer du Christ vainqueur des
tympans romans au Christ en croix du gothique pathétique, du Fils de
Dieu dans l'éclat de sa gloire au fils de l'homme dans les humiliations
de la passion, des épiphanies des mystères du 12e siècle aux passions
du 15e.
Ces traits constants peuvent-ils être mis en relations avec les hérésies
du temps ? Il faudrait pour cela que ces hérésies fussent elles-mêmes
homogènes du début de notre période à la fin. C'est le problème que nous
ne pouvons aborder ici, encore qu'il ait le caractère d'un préalable indis-
pensable ; problème de la continuité de l'hérésie. Y a-t-il en elle tradition
ou résurgence ? Certains apologistes protestants, cherchant, a-t-on dit, à
se créer une préhistoire, ont soutenu une filiation quasiment directe du
catharisme au protestantisme ; il nous paraît plus conforme aux faits
acquis de penser à des mouvements disparates, quoi qu'il en soit, bien
entendu, de l'action de certains souvenirs. Dans cette deuxième perspective
l'hérésie ne saurait être liée organiquement à une dévotion populaire qui
serait d'une « durée » différente. Une mentalité populaire, comme celle dont
nous parlons et qui dure des siècles, répond à une psychologie profonde,
exprime une foi stable et constante et ne peut donc apparaître ni comme
le déversoir et le résidu d'une hérésie ratée, ni comme le produit d'une
hérésie qui se cherche. Il reste évident que, du point de vue sociologique
et psychologique, l'hérésie ne peut qu'avoir des affinités avec la conscience
DÉVOTION POPULAIRE ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 151

populaire d'une époque, telle que la dévotion populaire la révèle. Ce goût


du merveilleux, caractéristique de la piété des foules, se retrouve dans
le fantastique de la cosmogonie cathare. A moins que, dans d'autres cas,
l'hérésie ne marque une réaction contre les tendances de la religion offi-
cielle et de la piété commune, l'illuminisme des bégards protestant contre
l'asservissement de la foule aux rites.
Il est pourtant un domaine où la dévotion populaire recouvre l'hérésie
et où l'on voit celle-ci se maintenir sous ce masque : c'est le domaine de
la superstition, témoin du paganisme antique qu'elle entretient. Sans
doute le mot d'hérésie n'a-t-il pas été employé par les hommes du Moyen
Age pour définir cette fidélité aux traditions ancestrales ; mais l'on sait
que certains des vieux cultes antérieurs au christianisme ont survécu à
l'évangélisation et restèrent vivaces jusqu'à la fin du Moyen Age. Ils
entretiennent tout un monde de sentiments, de pensées, de compor-
tements moraux, profondément étrangers à la foi catholique. Certaines
dévotions paysannes, à l'occasion par exemple d'un pèlerinage ou du culte
d'un saint local, des superstitions comme celles qui s'attachent à la vue
de l'hostie à l'élévation de la messe, une sorte de mythologie chrétienne
qui n'a de chrétien que le nom des personnages et le décor sont ainsi
riches d'une croyance plus ou moins consciente, sans cesse prête à se
réveiller.

Dévotions populaires établies


A côté des dévotions populaires passagères dont il a été d'abord question,
à côté des éléments stables de la dévotion tels que nous les avons rapi-
dement rappelés, il y eut du 10 e au 15e siècle des dévotions caractéris-
tiques, organisées comme telles, douées d'une incontestable permanence.
Si le personnage du Christ, nous l'avons vu, a évolué durant ces cinq siècles,
il reste que la religion de cette époque a été d'une remarquable constance
pour faire du Christ le personnage central de la Trinité, au détriment,
dirait-on, du Père et du Saint-Esprit ; on y sera d'autant plus sensible
que l'on se rappellera que l'Antiquité chrétienne vénérait surtout le Père
et qu'il s'est trouvé au Moyen Age de petits groupes pour s'adresser princi-
palement à l'Esprit-Saint. Symétrique de cette dévotion, est la dévotion
à Marie, laquelle évolua pareillement de la Maestà à la Vesperbild, mais
sans perdre de son importance.
Or, pour plusieurs de ces dévotions, on ne saurait parler d'hérésies
rentrées ou mûrissantes. Les hérésies sur l'incarnation sont presque
inconnues du Moyen Age — le docétisme n'est pas l'essentiel du catha-
risme et y fut peut-être davantage hérésie savante de quelques lettrés
qu'hérésie populaire — ; on pourrait en dire autant de la mariologie : les
erreurs qu'on dénonce dans les écoles sont péchés de savants, non de
simples. C'est dire qu'on ne saurait, nous semble-t-il, rattacher trop vite
ces dévotions largement populaires aux hérésies de l'époque.
152 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Pénitence et cléricalisme
Il est pourtant une dévotion populaire constante en ces cinq siècles et qui
va nous éclairer sur le problème que nous essayons de cerner; c'est la
dévotion au « pardon », si l'on peut employer cette expression faute d'une
autre. Le fait est que les foules du 11e au 15e siècle furent pleines de
confiance en la bénédiction du prêtre pour la rémission des péchés, soit
qu'il s'agisse d'absolution au sens sacramentel du terme, soit qu'il s'agisse
de l'absoute donnée aux défunts, des indulgences accordées sous certaines
conditions et qui remettent la peine, des pèlerinages entrepris pour obtenir
les « grandes indulgences », des jubilés romains, des confessionnalia accor-
dant à certains fidèles des faveurs spirituelles dans l'usage de la confession.
Or cette dévotion, bien ancrée depuis au moins le temps des premières
croisades, fut concurrencée en 1349 par une autre. Cette date est celle
des grandes processions de flagellants. Dans le Nord de la France notam-
ment, elles eurent le caractère bien marqué de dévotion populaire, mais
cette dévotion dès le début parut suspecte, Elle fut accusée de compro-
mettre la doctrine. Les flagellants en effet, disait-on, substituaient une
expiation volontaire à la « satisfaction » que l'Eglise hiérarchique seule
avait le droit d'imposer au pécheur, qui se dispensait ainsi du sacrement
de pénitence et mettait sa seule confiance pour le salut en des observances
extérieures sans aucune conversion. Une hérésie est donc là en formation,
que les circonstances seules empêchèrent de s'épanouir : si Gerson rappelle
les événements de 1349 pour s'inquiéter des pénitences qui se pratiquent
autour de saint Vincent Ferrier, les Bianchi ne donnèrent lieu à aucun
soupçon. Les flagellants de 1349 ont donc eu, du moins dans certains
groupes, l'attitude de protestataires plus ou moins conscients et qui
s'organisent en société, contre une Eglise essentiellement cléricale.
Nous touchons ici à un point décisif. Le christianisme s'est fait au
Moyen Age de plus en plus un « cléricalisme ». La réhabilitation du sacer-
doce par la Réforme grégorienne et la crue du pouvoir pontifical, justifiée
par les nécessités de la lutte contre les abus, de la guerre contre les puis-
sances féodales et politiques, de l'organisation de la chrétienté, de la
promotion d'une nouvelle civilisation chrétienne, ont abouti à présenter
le prêtre comme indispensable au salut et la hiérarchie comme investie
non seulement du pouvoir de gouvernement pour le bien commun de la
société chrétienne, mais du pouvoir de sanctification. Le pape apparaît
de plus en plus comme pontife universel, de même qu'il est devenu « l'ordi-
naire universel » et exerce dans tous les domaines son droit de « réserve ».
Dans la pyramide des ordines, le moine, qui jadis venait en tête, le cède
désormais au prêtre, pourvu du moins que celui-ci soit dûment mandaté,
ait reçu mission et autorité. L'Eglise est de plus en plus le lieu des
sacrements.
DÉVOTION POPULAIRE ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 153

Hérésie et anticléricalisme
Or les hérésies de cette époque ont toutes un caractère anticlérical, qu'il
s'agisse des premières hérésies du 11e siècle, du catharisme, dubégardisme,
de Wyclif ou de Huss. Encore faut-il analyser cet anticléricalisme. Nous
sommes dans le monde populaire, non dans celui des clercs ; il ne saurait
donc être question d'une critique de caractère intellectuel et théologique,
mais plutôt affective et passionnelle, définie par une attitude de revendi-
cation, d'agressivité, de « ressentiment ».
Pareille mentalité anticléricale n'avait pas d'ailleurs toujours l'aspect
décidé d'une rupture de la foi. L'anticléricalisme est souvent resté au
Moyen Age sur un plan de simple malveillance, sans devenir nécessai-
rement remise en question de l'édifice doctrinal traditionnel : que de
réhabilitations depuis vingt ou trente ans de gens tenus longtemps comme
des suspects, et dont on s'aperçoit qu'ils furent de bons chrétiens, quoi-
qu'en difficulté avec leurs prêtres : Abélard, Siger de Brabant, Pétrarque,
Occam, Eckhart, Tauler, Valla, sans descendre jusqu'à Erasme et peut-être
Rabelais.
C'est que le non-conformisme et le refus de la prérogative cléricale
peuvent se manifester autrement que par le choix (« hérésie ») d'une
doctrine autre que celle officiellement enseignée. Il peut y avoir refus
de la morale chrétienne, par exemple chez un Henri dit de Lausanne
remettant en question la morale traditionnelle du mariage ; il peut y avoir
mauvaise volonté à participer à la liturgie de la communauté : c'est le
problème des pascalisants. Il peut y avoir refus de l'idéal ascétique
jusqu'alors reçu, comme chez Valla dépréciant la vie monastique... et
faisant le panégyrique de saint Thomas d'Aquin. Sans parler de la brimade
du clerc par le laïc, comme le baron languedocien, qui n'est pas toujours
pour autant passé à l'albigéisme.
Lors même que dans le peuple cet anticléricalisme eut des incidences
de caractère doctrinal, il y est question moins d'un choix commandé par
une réflexion théologique ou la lecture de l'Ecriture, ainsi qu'il en est chez
l'hérésiarque le plus souvent, que d'un refus du dogme des prêtres. L'hérésie
est d'abord schisme, c'est-à-dire rejet d'une société ; elle est dégagement
plutôt qu'engagement.
Même ici il ne faut pas toujours parler d'hérésie au sens strict du terme.
Accuser l'Eglise d'être inférieure à sa tâche n'était pas nécessairement le
fait de contrevenants à la véritable foi. Tous les réformateurs par hypo-
thèse dénonçaient, fût-ce en termes moins violents, une incapacité et une
infidélité. Ils y étaient d'autant plus portés qu'une philosophie de l'his-
toire, couramment professée alors, mettait l'âge d'or dans le passé ; l'Eglise
ne peut plus dès lors que se dégrader, même si cette détérioration progres-
sive est arrêtée parfois ou ralentie par des retours à la vita apostolica. Il
suffit de relire Nicolas de Clamanges pour voir où entraîne ce postulat,
154 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

surtout si la rhétorique s'en met, et les exigences du système. Il faudra


une philosophie du développement et, en attendant, une relecture de
l'Apocalypse, voire une conversion au joachimisme, pour tourner vers
l'avenir et faire rendre justice au présent. Cependant, dans les cercles
qui se lamentaient sur les innovations de l'Eglise des temps scolastiques,
la critique portait parfois sur les usages, et donc les dévotions populaires,
plutôt que sur les doctrines : le lollardisme, comme mouvement populaire,
n'est pas tellement caractérisé par les thèses wycliffites sur la présence
réelle que par une critique acerbe des pèlerinages, des indulgences ou du
culte des images.
Il n'en reste pas moins que pareilles critiques non seulement habituaient
à remettre en question l'enseignement de l'Eglise, mais encore ne pou-
vaient aller sans la négation de certaines doctrines, celles qui justifiaient
les dévotions critiquées : The Lcuitern of Light qui déprécie indulgences et
suffrages pour les morts s'attaque en même temps à la doctrine de la
communion des saints.

L'hérésie comme dévotion


Il était donc inévitable que le programme négatif de ces hérésies se
doublât d'un programme positif : récuser l'autorité du prêtre, c'est vouloir
d'une façon ou d'une autre établir des contacts personnels avec Dieu ;
se détacher des sacrements, c'est mettre davantage l'accent sur la foi ;
contester l'autorité de l'Eglise enseignante, c'est faire appel à l'Ecriture
comme seule source de la croyance. Les fils des révoltés peuvent prendre
un jour au sérieux ce qui n'avait été d'abord qu'un masque.
Si le recours systématique à l'Ecriture sainte avait été parfois pour
certains un moyen seulement de faire pièce aux clercs, si l'invitation à une
vie plus intérieure avait paru à une première génération la critique des
observances prêchées par les prêtres, si le nom du Christ avait été jeté
comme un défi à ceux qui se léclamaient de Pierre, l'Ecriture n'en a pas
moins été redécouverte, le christianisme défini comme une vie, le Christ
proclamé seul Seigneur. Ainsi l'hérésie peut changer de signe; le refus
se faire découverte et acquiescement. Il a donc pu y avoir dans les mou-
vements populaires un évangélisme sincère, qui fût autre chose qu'une
tactique, et une dévotion profonde étrangère à toute revendication.
Mais cette dialectique pouvait, en un dernier acte, aboutir à un dépas-
sement de l'hérésie elle-même; devenue dévotion, l'hérésie se fait aussi
moins agressive. La dévotion utraquiste aboutit aux Compactata : sans
doute ce document a-t-il beaucoup d'autres causes que les seules raisons
religieuses; mais n'est-il pas permis de penser qu'un Rokycana était
capable de faire écho aux remarques de Nicolas de Cues sur l'eucharistie
sacrement de l'unité, en sorte que la dévotion utraquiste pousse de tout
son poids au retour à l'Eglise ? Ainsi Wesley se mettra plus tard à la
DÉVOTION POPULAIRE ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 155

lecture des mystiques catholiques. La dévotion populaire, suscitée par


l'hérésie, substitue le choix au refus et, au non-conformisme du schisme
préfère une communion sinon dans la clarté du moins dans la charité.
C'est aussi qu'à la rencontre de ces hérétiques viennent les pratiquants
des dévotions populaires qui ont fait de leur confrérie ou de leur tiers-ordre
une maison de liberté et d'accueil. Le questionnaire de ce colloque nous
invitait à réfléchir sur les hérésies apprivoisées. On donne souvent à cet
égard l'exemple de François d'Assise dont, de fait, le mouvement a
commencé comme d'autres mouvements populaires de ce temps. L'Eglise
d'Innocent III et de Grégoire IX est capable de résorber, par sa vitalité,
les groupes marginaux qui s'interrogent. On constatera jusqu'à la fin
du Moyen Age une sorte d'instinct dans l'Eglise pour donner satisfaction
aux besoins religieux qui pourraient tourner à l'opposition, encadrer les
hésitants, soutirer à un certain anticléricalisme son virus hérétique.
Quelles méthodes furent donc employées ? Sans qu'il y ait eu jamais
plan concerté, on constate que les indulgences ont permis au clergé de
maintenir dans la docilité les foules de pèlerins qui auraient pu constituer
une masse tumultueuse vite passée à l'opposition ; il suffit de lire Chaucer
pour se rendre compte de ce qui couvait parfois chez certains de ces
pèlerins, et pour comprendre aussi le rôle des prédicateurs populaires qui,
à la fin du 14e et au 15e siècle, surent ressaisir et réanimer des auditoires
d'abord réfractaires. Les dévotions alors proposées nourrissaient l'imagi-
nation et la sensibilité de ces foules et trompaient leur appétit d'autres
réformes. Il faudrait rappeler encore le théâtre religieux qui, en éliminant
peu à peu les apocryphes, a écarté aussi les risques d'une pensée trop
libre, revenant aux vieilles superstitions, préférant le merveilleux au
surnaturel, s'épouvantant de la venue de l'antéchrist et réduisant le
christianisme à une attente de la parousie, avec cela assouvissant sur
les juifs, le vieil « antisémitisme chrétien ». Les confréries doivent être
spécialement mentionnées : héritières des anciennes conjurationes toujours
suspectes de complot et dont les potationes s'inspirent d'une morale et
d'une mystique païenne, elles ont été, à la fin du Moyen Age, les lieux
les plus traditionnels de la dévotion populaire et ont gardé de toute autre
hérésie, jusqu'à la Réforme protestante, que d'ailleurs elles n'avaient rien
fait pour prévenir, le peuple chrétien.
DISCUSSION

I . S . R E V A H . — J'ai été un peu surpris par le passage de l'exposé du cha-


noine Delaruelle, où l'on a vu Erasme accéder à la dignité de théologien
catholique, ce qui certainement lui fera très plaisir outre-tombe mais enfin
il ne faut pas oublier que l'ensemble de l'œuvre d'Erasme, y compris les
préfaces et les introductions, a été mis à l'index par le pape Paul IV. C'est
ainsi que dans la péninsule Ibérique qui avait vu un développement extraor-
dinaire de l'érasmisme populaire il y a eu d'abord un inquisiteur érasmiste,
remplacé ensuite par des inquisiteurs antiérasmistes. Quant à l'idée qu'Erasme
aurait pu avoir un rôle dans la constitution de la théologie positive et de
l'idée de développement dans le magistère de l'Eglise, ce n'est pas ainsi qu'on
a vu en général l'érasmisme.

L. K O L A K O W S K I . — Je sais bien qu'Erasme est un grand théologien. Mais


vous savez aussi que dans la méthode de la théologie véritable il dit expres-
sément ceci : « est bon théologien celui qui vit bien ». Or qu'est-ce que c'est
sinon la réduction de la théologie à la pratique morale ? On sait d'autre part,
d'après les études de Bataillon, que les érasmiens espagnols étaient des gens
inspirés et par Erasme et par un tradition mystique plutôt étrangère à
Erasme.

G. D U B Y . — Je voudrais simplement poser une question marginale, une


question de méthode. Est-ce qu'il faut penser que la dévotion populaire est
allée d'une dévotion à la grandeur de Dieu à une dévotion à l'homme de
douleur ou bien l'art sacré a-t-il progressivement accueilli des thèmes populai-
res jusqu'alors inexprimés ou condamnés ? Ne serions-nous pas plutôt en face
du phénomène très important de la vulgarisation, c'est-à-dire le phénomène
d'affleurement des modes de pensée vulgaires et des croyances vulgaires ?
Et pour revenir à notre propos, qui est celui des hérésies, ne peut-on aussi
admettre comme hypothèse de recherche que l'efflorescence de certaines
sectes hérétiques soit un aspect de cette accession des milieux populaires à
la culture c'est-à-dire à la vie religieuse consciente ?

J. S É G U Y . — Je pose la question : n'y a-t-il pas, dans la dévotion populaire


au Moyen Age des tendances générales que l'on retrouve également aux
mêmes époques dans les sectes ? Je pense par exemple à une conception de
l'imitation du Christ qui me semble trouver sa contre-partie dans une concep-
tion de l'Eglise, comme imitation de la vie apostolique.

É. P O U L A T . — A côté des hérésies trinitaires, des hérésies christologiques


ne pourrait-on envisager des hérésies de la première Personne, de la deuxième
Personne et de la troisième Personne ? Je veux dire des hérésies du Père :
le Père-Dieu créateur et maître de ce monde, et dans ce type je rangerais
DÉVOTION POPULAIRE ET HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 157

les hérésies de t y p e dualiste. Des hérésies du Fils, celles qui portent atteinte
à ses qualités, et je pense en particulier à toute la vague des messianismes
qui se sont succédés au cours des siècles. Quant aux hérésies de la troisième
Personne, je pense à t o u t ce qui concerne le troisième règne, l'avènement de
l'Esprit, le joachimisme.

E . D e l a r u e l l e . — J e réponds d'abord à M. D u b y . Je me suis peut-être


mal exprimé si j'ai dit que le Christ de Majesté était avant tout un Christ po-
pulaire. Il me paraît au contraire évident qu'il est venu des milieux les plus
fervents, des milieux disons monastiques. Ce que j'ai voulu dire, c'est que
des fidèles qui étaient, si je peux dire, soumis à cet éclairage, qui v o y a i e n t
tous les jours ce Christ de Majesté pouvaient finir par en être imprégnés.
Je réponds ensuite à M. Séguy. Il me paraît en effet évident qu'il y a des
tendances générales qui s'expriment dans toutes les manifestations d'une
époque, donc aussi bien dans sa vie religieuse, dans ses dévotions populaires
que dans ses hérésies. Ce qui nous manque malheureusement, ce sont jus-
tement des études d'ensemble, notamment sur l'évolution du culte des saints
t o u t au long du Moyen Age.
A M. Poulat je répondrai qu'en effet on peut se placer au point de v u e des
trois Personnes divines, non seulement on le peut mais encore on le doit dans
la mesure où c'est ce qu'a fait l'Eglise ; pensez aux versions successives du
Credo. J'en viens maintenant à la question d'Erasme. Nous sommes libres
d'avoir chacun notre opinion puisque c'est un cas controversé et, je le recon-
nais, extrêmement ambigu. Ces prises de position en faveur ou contre Erasme
s'expliquent à mon avis pour une bonne part par des raisons profondément
personnelles qu'il faudrait quelquefois psychanalyser. C'est ainsi que, d'une
manière générale, les jésuites sont contre Erasme. Parce que saint Ignace
était lui-même contre Erasme, et les t r a v a u x des jésuites voient justement
dans Erasme un fourrier du luthéranisme. Par contre les Néerlandais et les
Flamands seront en faveur d'Erasme. C'est un problème délicat. Erasme en
effet a été condamné par l'Eglise. Mais au même moment le concile de Trente
a inséré dans ses décrets une phrase copiée littéralement dans Erasme. On
a pris un traité d'Erasme l'hérétique pour définir l'art religieux souhaité
par le concile de Trente. Erasme a été condamné par la faculté de théolo-
gie de Paris. Mais il a été condamné pour son édition du N o u v e a u Testament
qui était munie d'une lettre d'approbation du pape Léon X . Comment
expliquer cette ambiguïté ? L e personnage est très f u y a n t certes, mais en
m ' a p p u y a n t sur la grosse thèse de Pineau j e pense qu'il faut tenir compte
d'une évolution d'Erasme. Les critiques d'Erasme contre l'Eglise catho-
lique se trouvent surtout dans ses premières œuvres a v a n t l'insurrection
de Luther. Quand il voit que ses critiques ont ébranlé l'Eglise et facilité la
tâche de Luther, il publie le De libero arbitrio.

11
A. GIEYSZTOR

MOUVEMENTS PARA-HÉRÉTIQUES
EN EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE
DU 9 e AU l i e SIÈCLE : APOSTASIES

Dans le cadre de la discussion sur le rôle et les fonctions de l'hérétique


dans la société médiévale, il semble opportun de réfléchir sur un problème,
dont l'énoncé dans le programme d'aujourd'hui pouvait provoquer
quelques hésitations. Que peuvent être, en effet, par rapport aux hérésies
vraies, ces para-hérésies, que nous proposons à votre réflexion ?
Il nous semble que, lors d'une confrontation aussi large des phénomènes
nombreux et divers de la sécession religieuse on ressente le besoin d'attirer
également l'attention d'« hérésiologues » ici présents sur le phénomène
d'apostasies massives. Il possède, en effet, tout comme la sorcellerie,
plus d'une caractéristique comparable, sinon commune, avec celui
d'hérésie.
L'apostasie est, elle aussi, une forme d'opposition au système des
valeurs religieuses en vigueur, et une tentative pour répondre aux pro-
blèmes sociaux qui hantent une fraction de la société établie. Cette oppo-
sition, tout comme dans le cas des hérésies, prenait la forme d'une protes-
tation véhémente contre des formes déterminées de l'expression religieuse,
contre les institutions, la politique et les hommes de l'Eglise. Leur négation
absolue, exprimée du côté des chrétiens par le terme d'apostasie, marquait,
ainsi que nous tenterons de le montrer, des attitudes plus nuancées qu'il
n'apparaît au premier coup d'oeil. D'autre part, comme le baptême reste
un signe indélébile, il ne doit pas nous surprendre que, parfois, l'on donne
aux apostats le nom d'hérétiques et qu'on les assimile à ceux-ci.1

La date de l'apparition au Moyen Age des mouvements hérétiques géné-


ralisés, voire populaires, concorde ou bien ne suit que de peu la fin de
l'évangélisation des campagnes. Leur prémisse indispensable semble être,
en effet, une prise de conscience de l'identité totale entre l'organisation
sociale et l'organisation religieuse. La tension sociale s'exprime dorénavant
par la critique des valeurs spirituelles de la société chrétienne, société à
religion instituée, à structure cohérente sinon monolithique, construite
160 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

sur l'interdépendance complète de tous ses éléments. Cette structure fut


le fruit, en Europe médiévale, d'un long enracinement dans lequel la
pénétration du peuple par l'Eglise, grâce au développement d'une cura
animarum vigilante et attentive, a joué un rôle décisif. La victoire défi-
nitive de l'Eglise sur le paganisme et ses survivances les plus visibles
avait clos, à une date différente, la période où les hommes, hostiles, igno-
rants ou indifférents, pouvaient encore lui échapper». Ce succès ouvrait
aussi une période où chaque prise de conscience sociale était entièrement
pénétrée par l'élément religieux et où chacun de ses conflits prenait un
aspect confessionnel.
Quelle forme de ce conflit rencontrons-nous dans les pays où l'évangé-
lisation de fraîche date, atteignant seules les couches sociales supérieures,
était imposée au peuple, et ne lui apportait que les premières, mais dures
leçons montrant l'identité entre l'Eglise et l'Etat ? Les textes nous
indiquent que, dans de nombreux pays, l'apostasie massive représentait,
après l'introduction officielle du christianisme par l'appareil de l'Etat,
une forme de protestation sociale et politique contre la réalité nouvelle. »
Elle remplissait donc une fonction analogue à celle des hérésies populaires,
espérant la victoire, mais condamnée à l'insuccès. Leurs rapports réci-
proques seraient comparables, à la rigueur, à ceux qui existaient entre
l'hérésie savante et l'apostasie individuelle, comme dans le cas de ce
clerc Vécelin, converti, vers 1006, au judaïsme, dont les adeptes ont été
appelés hérétiques, en 1012, par les Annales de Quedlinburg. *
L'entrée de nouveaux membres dans la communauté chrétienne, tant
en Occident que dans la nouvelle Europe, nordique, centrale et orientale,
ne se faisait pas sans opposition de la part de groupes sociaux déterminées,
qui luttaient contre les facteurs de la christianisation. Cette opposition
retardait, parfois d'une manière importante, la pénétration du christia-
nisme dans l'ensemble de la société.8
Son acceptation, même formelle, était particulièrement retardée dans
les pays scandinaves où, presque deux siècles et demi séparent les premiers
contacts des Vikings danois avec les rives chrétiennes de la mer du Nord
vers la fin du 8 e et le début du 9 e siècle et la victoire d'un paladin de la
nouvelle foi en Suède, le roi Olaf Haraldsson. Ces siècles furent remplis par
la lutte à la fois pour la christianisation et pour l'accroissement du pouvoir
royal, auquel s'opposaient des groupements puissants de seigneurs. « De
cette lutte parallèle ne nous intéressent ici que les retours au paganisme
des groupes déjà convertis de la population.7 II ne semble pas difficile
de déterminer quels éléments politiques se groupaient alors autour des
croyances anciennes. Un des jarl norvégiens, Haakon Sigurdsson, doit
ses victoires, selon les poèmes des Skaldes, à l'intervention des dieux dont
« il a rendu les temples au peuple », en opposition aux tentatives d'unifi-
cation politique et de la christianisation qui avaient été faites durant la
première moitié du 10® siècle par Haakon le Bon. 8
MOUVEMENTS PARA-HÉRÉTIQUES EN EUROPE 161

Ce caractère politique des apostasies des seigneurs s'opposant avec leur


peuple au pouvoir central, qui, pour de nombreuses raisons — nous les
laisserons de côté — identifiait du 9 e au 11e siècle ses intérêts propres avec
le christianisme, apparaît dans de nombreux pays au cours d'une même
étape préliminaire de la formation des institutions monarchiques et de la
propagation de la nouvelle religion. 9
Un exemple en est fourni par les légendes de saint Venceslas et sainte
Ludmila, textes du 10e et du 11e siècle, où s'entrecroisent les thèmes d'une
révolution de palais avec ceux d'un courant païen à l'intérieur de la
famille ducale. 10 Par contre, la révolte de Koppàny, prince de Somogy,
en 998, contre Etienne de Hongrie entraîne des répercussions autrement
étendues : plebs gentilis christ ianse fidei iugo colla submittere rennuens,
cum principibus suis a dominio ipsius se substrahere moliebatur.11 Une
mobilisation semblable d'éléments païens, la Hongrie la vivra une fois
de plus lors du règne de Pierre le Vénitien en 1046, du fait de deux princes
de la famille du roi Etienne. Ceux-ci, André et Leventa, promettaient à
leurs partisans la restauration du rite païen et, chose curieuse, un texte
postérieur les appellera, de ce fait, du nom de heretici.12 Ces phénomènes
étaient cependant presque toujours des entreprises vouées à l'échec. Le
courant de l'histoire portait sur ses flots la victoire du Dieu chrétien et
du nouveau pouvoir du prince.
Il y eut cependant des apostasies pour quelques temps couronnées de
succès : le soulèvement de la fédération des Vélèthes-Lutices en 983 avait
balayé l'organisation diocésaine imposée avec le joug saxon, et avait pu
assurer jusqu'au 12e siècle une certaine indépendance à cette partie des
Slaves occidentaux, en même temps que le retour à une idéologie païenne,
non sans que celle-ci ait subi de profondes transformations sous l'influence
des courants de l'ère nouvelle. 13 Dorénavant, et pour plusieurs géné-
rations, ainsi que l'écrivait Thietmar, dans ces pays varia demoniacx
hœresis cultura deinceps veneraiur.11 Les révoltes des Obodrites depuis
le 10 e siècle unissaient les seigneurs et le peuple contre les influences
saxonnes et danoises en même temps que contre le christianisme. Lors
du soulèvement de 1066, le prince centralisateur Gottschalk, fils de
Pribignev, périt tandis que l'évêque de Mecklenbourg, Jean, fut égorgé
en holocauste au dieu Svarozits. 15 Malgré toute l'instabilité de la succes-
sion au trône princier, cela permit de prolonger presque de cent ans la
durée de l'indépendance du pays jusqu'à son alignement définitif sur le
modèle germanique et sur le modèle chrétien. 11
La stabilisation de l'apostasie et son opiniâtreté observées chez les
Slaves polabes nous suggère que le rite païen y prit pour des dizaines
d'années la place abandonnée par l'Eglise chrétienne, et s'y maintint
non seulement dans le domaine des croyances mais aussi dans celui de sa
fonction sociale. Les pays de cette zone de l'Europe, consolidés autant
que leur permettaient leurs faibles moyens, avaient tenté de transférer
162 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

leur paganisme dans le domaine des institutions : on y vit des essais pour
promouvoir dans chacun d'eux un dieu principal, pour y créer une liturgie
et un service sacré dont les prêtres, comme par exemple à Riigen, ten-
tèrent parfois de réaliser un programme théocratique. 17 L'expérience
religieuse, peu structurée et diffuse de l'époque proto-slave, dut se définir
en fonction des nécessités sociales et politiques comme une communauté
cultuelle organisée — est-il besoin de le dire — à l'exemple de la religion
chrétienne abandonnée. Après sa victoire, l'apostasie cesse ici d'être une
protestation à l'intérieur d'une société différenciée en classes et en groupes,
et nous sommes trop loin des phénomènes comparables à ceux d'hérésie
pour que nous devions continuer leur analyse. 18

II

Il en fut autrement des mouvements populaires en Pologne et en Russie


du 11e siècle. Ils ont tous un caractère authentiquement paysan, leurs
chefs ne semblent pas originaires d'une autre classe, ils sont tout au plus
issus de ses couches supérieures. Ces mouvements sont l'expression de la
protestation contre la structure sociale et économique nouvelle, mais
aussi contre la structure religieuse introduite et imposée par l'autorité
des jeunes Etats. La spontanéité de ces mouvements est indiscutable,
et les essais d'entente ou les négociations entre eux et le camp du pouvoir
se terminent par leur extermination.
Parmi les mouvements de ce type il faut compter aussi la rébellion des
Saxons, en 841-843, appelée soulèvement des stellinga.19 Elle fut provo-
quée par les gens libres qui se voyaient asservir par les nobles et auxquels
se joignirent les serfs, liti ou lazzi. Lothaire tenta de l'utiliser dans la
partie qu'il joua contre Louis le Germanique ; ce dernier noya finalement
cette révolte dans le sang. Les révoltés exigeaient, comme on le sait,
le retour au droit des ancêtres, au temps où idolorum cultores erant,ao et
tout ce mouvement fit, qu'aux yeux d'un chroniqueur contemporain :
Saxonia christianam fidem pene reliquerat.31
Les troubles polonais, dont l'intensité fut sans conteste la plus forte
durant les années 30 du 11e siècle, au début du règne de Casimir le Réno-
vateur, étaient des soulèvements d'une population servile contre les
seigneurs, qui en furent les victimes de même que certains évêques et
pasteurs. Les révoltés, là également a fide catholica deviantes™, ébran-
lèrent l'organisation de l'Eglise, qui dut, ainsi que l'Etat, après quelques
années d'anarchie, reconstruire ses assises mêmes. 21
Plus local, mais aussi plus net, est le caractère des événements sem-
blables en Russie, décrits avec relief par les remarquables textes des
letopisi, chroniques russes. Il n'est pas difficile en effet d'y voir un lien
entre la stabilisation des nouvelles relations de dépendance et l'affermis-
MOUVEMENTS PARA-HÉRÉTIQUES EN EUROPE 163

sement de l'Etat et de l'Eglise. Les mouvements sociaux s'y servaient


également de mots d'ordre antichrétiens pour la défense des structures
anciennes y compris l'ancienne religion.24
Nous connaissons au moins deux moments où l'Etat de Kiev dut faire
face à ces révoltes. Il y eut, en 1024, un soulèvement des devins païens
en terre de Souzdal qui, à l'occasion d'une famine, ameutèrent le peuple
contre les seigneurs gardant les récoltes pour eux-mêmes. La situation
fut sauvée — nous raconte le chroniqueur — par les transports de blé
venant de chez les Bulgares de la Volga, tandis que le prince Iaroslav,
après avoir entraîné les devins dans une polémique religieuse, liquida leur
mouvement par l'emprisonnement et les exécutions; l'argument qu'il
avait employé était que la famine, la peste et la sécheresse sont envoyée
par Dieu comme punition du péché et que «l'homme n'y peut rien
savoir ».M
En 1071 il y avait selon des chroniques, trois centres de révolte : au
sein de la population de Kiev et de Novgorod-la-Grande, donc parmi une
population citadine, et aussi parmi les paysans de cette terre de Souzdal
et de Rostov dont nous venons de parler. La relation des événements de
Novgorod démontre d'une façon quasi classique le mécanisme social de
ces révoltes : à l'appel de l'évêque pour que les fidèles se rassemblent
autour de lui et pour que ceux qui se confient dans les sorciers passent
du côté du devin, les hommes présents se partagèrent de telle sorte que
près de l'évêque ne resta que le prince Gleb, et la troupe des guerriers
du prince, tandis que tous les autres passèrent du côté du sorcier. Ce
n'est que lorsque le prince Gleb tua le sorcier d'un coup de hache à la tête
que l'équilibre fut de nouveau rétabli. Un autre devin aurait exercé en
même temps à Kiev une activité semblable, proclamant des nouvelles
propres à inquiéter le peuple : le Dniéper retournerait à ses sources et la
terre grecque viendrait prendre la place de la terre russe, et inversement.
Le sorcier disparut, il est vrai, une certaine nuit, mais à l'autre extrémité
du pays, près de Rostov, apparurent alors deux autres sorciers. Ils prirent
la tête d'un groupe de 300 paysans qui, d'après la chronique, tuaient pour
piller les biens et les vivres et déshonoraient les femmes des riches. Le
chroniqueur qui, en l'an 1071, traita de quelques sujets, présentant tous
le même thème révolutionnaire et païen, ajouta, comme ornement à la
discussion entre le représentant du pouvoir princier et les sorciers, un
long exposé portant sur les croyances païennes et la revendication par les
sorciers du pouvoir de faire des miracles.38
La critique érudite des chroniques de la Russie kiévienne traite la plus
grande partie de cet exposé comme un exercice de style et un vernis
monastique recouvrant de minces informations authentiques. Il semble
au contraire que pour l'étude des idées religieuses qui constituaient un
sujet de polémiques entre l'Eglise et le peuple, tout le récit en question,
écrit au plus tard durant la deuxième décennie du 12e siècle, présente
164 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

un grand intérêt. En voici l'un des fragments les plus curieux : « Et les
sorciers dirent [au haut fonctionnaire du prince] : Nous savons comment
l'homme fut créé. — Comment ? Ils répondirent : Dieu se baignait dans
le bain, il sua, se frotta d'un lien de paille, et le jeta sur la terre. E t Satan
disputait avec Dieu qui d'entre eux deux créerait l'homme. Et le diable
créa l'homme, et Dieu mit l'âme en lui. Aussi bien lorsque l'homme meurt,
le corps retourne en terre, et l'âme à Dieu ».27
Dans cette superposition de motifs mythologiques et théologiques trans-
paraît une conception dualiste du monde, assez fruste — il faut le dire —
qui, étrangère aux croyances proto-slaves, entra dans le patrimoine de
la mentalité et de la pensée populaire en Russie, à la suite du christia-
nisme, et comme son corollaire hétérodoxe inéluctable.

III

Si nous avons pu montrer par ces quelques arguments que l'apostasie


populaire revêt parfois le caractère d'une para-hérésie, on peut se demander
quand ont pu apparaître dans cette région de l'Europe les hérésies
véritables ?
Dans notre communication, il nous est difficile de rechercher les traces
des mouvements hérétiques les plus anciens dont l'influence, comme celle
du bogomilisme en Hongrie, demanderait encore des études. 28 Qu'il nous
suffise de dire qu'à notre avis, la condition indispensable de l'enraci-
nement des hérésies populaires dans ces pays semble être, d'une part la
victoire complète du modèle social et religieux représenté par la féodalité
et l'Eglise, d'autre part une urbanisation avancée, produisant des milieux
à forte concentration humaine, vivant sous le contrôle de l'Eglise, mais
fortement différenciés du point de vue social.
Pour la Pologne et pour la Hongrie, pays de rite latin, si l'on ne compte
pas les quelques traces sporadiques ou douteuses d'hérésies qu'on
rencontre au 11e et au 12e siècle, le courant des conflits religieux hérétiques
caractérisés ne se fera jour qu'avec les flagellants du 13e siècle.29
En Russie ces conflits apparurent plus tôt. Ainsi vers le milieu du
12e siècle, encore une fois, par une coïncidence curieuse, à Rostov et
Souzdal, éclata à propos du jeûne un conflit obscur appelé hérésie léon-
tienne. "> Ainsi également à la fin du 12e et au début du 13e siècle, on
connaît l'existence dans l'un des monastères de Smolensk du moine Avraam
« prêchant les petits et les grands, les serfs et les hommes libres, et les
artisans, et lisant les livres interdits ». Entouré de la considération de la
population citadine, tenu pour hérétique par l'Eglise, il fut interné dans
un monastère proche de la ville. «
Mais un caractère véritablement populaire ou massif ne sera assumé
que par le hussitisme chez les Slaves occidentaux, tandis qu'en Russie
MOUVEMENTS PARA-HÉRÉTIQUES EN EUROPE 165

cette caractéristique n'appartiendra q u ' a u mouvement des Strigolniki à


Novgorod et Pskov, au cours du dernier q u a r t du 14 e siècle. 31
E n t r e la fin du 11 e et la fiu du 14 e siècle, quels sont les phénomènes qui
étouffèrent les anciennes formes de protestation, a v a n t que n'en mûrissent
de nouvelles ? Nous sommes condamnés à des suppositions, a u x hypo-
thèses de travail. La fin des apostasies se situe dans les pays de l'Europe
du Nord, du Centre, et de l'Est au moment de l'instauration finale de
la religion chrétienne sur les structures féodales. Même là où l'apostasie
victorieuse résista à l'évangélisation, on les vit triompher, avec le christia-
nisme, vers le milieu du 12 e siècle. L'affermissement du réseau des diocèses
et des paroisses a rendu possible l'évangélisation des campagnes, fait qui
eut lieu en Occident quelques siècles plus tôt. D ' a u t r e part, les assises
solides du monde féodal n'ont pu être mises en question au cours de son
développement le plus favorable. Il fallait attendre que se fissent jour
de nouveau des attitudes critiques de nature à hâter sa crise.
Ajoutons enfin que dans les pays slaves durant de nombreux siècles,
et peut-être aussi longtemps dans les pays nordiques, une soupape de
sûreté dans le domaine des idées religieuses du peuple depuis sa christia-
nisation f u t l'existence d'une attitude syncrétique appelée en Russie, « la
foi double » — dvoievérié — mais pratiquée également ailleurs. 83 Les
inscriptions scandinaves en forme de serpent ou de dragon, gravées sur
les pierres runiques décorées du signe de la croix, les amulettes slaves où,
à côté des croix se trouvent les emblèmes païens, l'abondante homilétique
tchèque et polonaise, et aussi la riche littérature russe dirigée contre les
anciennes croyances, la magie quotidienne, — t o u t cela témoigne que
la coexistence de l'ancien et du nouveau, une sorte de refoulement de
l'héritage ancien et des angoisses actuelles par la religion conquérante,
permettaient de liquider au moins certaines des tensions à la fois émotion-
nelles et sociales, dans un milieu qui n'était déjà plus antichrétien mais en
quelque sorte sub-chrétien. Dans ces conditions une apostasie ouverte
n'avait plus de sens et la mise en question des valeurs représentées p a r
l'Eglise n'en avait pas encore, car pour cela il fallut attendre qu'elles
soient entièrement assimilées.

NOTES

1. Un ouvrage d'ensemble sur les apostasies nous manque ; on trouvera des indications
utiles pour l'Antiquité chez G. B A R D Y , La conversion au christianisme durant les
premiers siècles, Paris, 1949, p. 294 et suiv. ; R. B. S W E N S S E N , Social Processes in
the Rise of Early Christian Heresies, Chicago, 1937, p. 267 et suiv.
166 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

2. Cf. K. L. LATOURETTE, A. History of the Expansion of Christianity, t. 1,1938 p., 150


et suiy.
3. Les recherches n'ont été faites que dans un cadre national et réclament aujour-
d'hui une mise au point aussi bien du point de vue de l'érudition que de l'interpré-
tation des faits et des phénomènes.
4. Ann. Quedlinb., M.G.H. SS., III, p. 81 ; cf. A. DUMAS, dans Histoire de l'Eglise,
t. V I I , 1948, p. 464 ; R. BLUMENKRANZ, Juifs et chrétiens dans le monde occidental
(430-1086), Paris-La Haye, 1960, p. 167.
5. On a entrepris une enquête pour la Pologne : A GIEYSZTOR, « Les paliers de la
pénétration du christianisme en Pologne du 1 0 e - l l e siècle », dans Studi Fanfani ; W.
DZIEWULSKI Postepy chrystianizacji i procès likwidacji poganstwa w Polsce w czesnoé-
redniowieczej, Opole, 1962 ; deux fragments du livre ont paru dans Studia z dzie-
jow Koscioa kalolickiego, t. I, n° 2, 1961, p. 81 et suiv. et Zeszyty naukowe WSP,
Opole, II, 1961.
6. L. MUSSET, Les peuples Scandinaves au Moyen Age, Paris, 1951, p. 120 et suiv.
7. Etudiés dernièrement par S. PIEKARCZYK, Spoleczenstwo i religia w Skandynawii
u progu sredniowiecza, Varsovie 1962, chap. IV.
8. Op. cit., d'après H. KOCH, Den aeldre Middelalder intil 1241 : Den danske Kirkes
Historie, Copenhague, 1950.
9. Pour l ' E t a t bulgare, on notera la réaction païenne contre Boris après 865 et la re-
cherche d'un appui politique de la part des éléments païens par Vladimir (889-893),
cf. D. ANGELOV dans Istoriia na Blgaria, t. I, Sofia, 1954, p. 117 et suiv., du même
auteur, Bogomilstvo v Bolgarii, Moscou, 1954, p. 98 et suiv. : qui note une unité
d'action entre les bogomiles et les païens contre l'Eglise et l ' E t a t bulgares.
10.Les éditions et l'état des recherches sur ces textes chez F. GRAUS, Dejiny venkovs-
kého lidu v Cechéch v dobe predhusitske, t. I, Prague, 1953, p. 61-75.
11 .Legenda maior, col. 9, SS. RR. Hung. t. I, 1937, p. 177, 189 ; t. II, 1938, p. 381 ;
B. HOMAN, Geschichte des ungarischen Mittelalters, t. I, Berlin, 1940, p. 166-168.
1 2 . S S . RR. Hung., t . I p . 3 4 1 ; B . HOMAN, op. cit., p . 2 5 6 - 2 5 8 .
13.Sur la mission contre les apostats : H.-D. KAHL, « Compelle intrare. Die Wenden-
politik Bruns von Querfurt im Lichte des hochmittelalterlichen Missions- und Völ-
kerhechts », dans Zeitschrift für Ostforschung, t. IV, 1955, fasc. 2-3.
14. III, 17.
15.Adam de Brème, III, 18-20 ; cf. H.-D. KAHL, « Heidnisches Wendentum und
christliche Stammesfürsten. Ein Blick in die Auseinandersetzung zwischen Gentil-
und Universalreligion im abendländischen Hochmittelalter », dans Archiv für Kul-
iurgeschichte, t. XL IV, 1962, p. 72 et suiv.
16.K. WACHOWSKI, Slowianszczyzna zachodnia, 2e éd., Poznan, 1950, p. 187 et suiv. ;
G. LABUDA, Fragmenty dziejow Slowianzczyzny zachodniej, t. I, Poznan, 1960, p. 294
et suiv.
17.E. WIENECKE, Untersuchungen zur Religion der Westslawen, Leipzig, 1940, p. 226.
18.Pour la même raison nous laissons de côté l'apostasie de la Poméranie occidentale
aux environs de 1022-1025, qui a reconquis en même temps son indépendance po-
litique jusqu'au quart du 12E siècle, cf P. DAVID, La Pologne et l'évangélisation
de la Poméranie aux 12 e et 13 e siècles, Paris, 1928.
19.Une étude est à signaler : A. I. NEUSYKHINE, « Krestianstvo i krestianskie dvize-
niia v zapadnoï Evrope rannefeodalnogo perioda VI-XI w . IV, dans Iz istorii
sociialno-politiceskich idei ((= Mélanges V. P. Volguine), Moscou, 1955, p. 75 et suiv.
20.Nithard, IV, 2, M.G.H. SS., II p. 669; Ann. Xant., ibid., II p. 227; Ann. Fuld.,
ibid., II p. 195.
MOUVEMENTS PARA-HÉRÉTIQUES EN FRANCE 167

21 .Prudence de Troyes, M. G.H. SS„ I, p. 439.


22.Gallus Anonymus, I, 19.
23.W. DZIE-WULSKI, Kryzys panstwa i Kosciola w Polsce w XI w., Studia z dziejow
Kosciola katolickiego, t. II, 1960, p. 81-133.
24.M. N. TIKHOMIROV, Krestianskiie i gorodskiie uosstaniia na Rusi XI-XIII vu.,
Moscou, 1955, p. 114 et suiv.
25.Pooest oremennykh let, éd. D. S. Likhacev, Moscou 1950, t. I, p. 99-100.
26./6FRF„ p . 1 1 6 - 1 2 1 , c f . M. N . TIKHOMIROV, op. cit., p . 121.
21.1bid„ p. 120.
28.M. Székely a bien voulu m'indiquer un article sur le sujet : G. RONAY, «Bogu-
milizmus Magyarorszàgon a XI. szàzad elején, Gellert piispok Deliberatio-janak
tukrében », dans Irodalomtôrteneti KBzlemények, 1956, p. 471-474.
29.K. DOBROWOLSKI, « Pierwsze sekty religijne w Polsce », dans Reformacja w Polsce,
t. III, 1925 p. 000-000.
3 0 . C f . M. D. PRISELKOV, Troitskaia lelopis, Moscou-Léningrad, 1950, p. 243 (1164).
31.N. F. LAVROV, dans Istoriia kultury drevnei Rusi, t. II, 1951, p. 112.
32.E. MALECZYNSKA, Ruch husycki w Czechach i w Polsce, Varsovie, 1959, p. 64 et suiv.,
257 et suiv. ; N. A. KAZAKOVA et J . S. L U R I E , Antifeodalnyie ereticeskiie doizeniia
na Rusi, XIV — nacala XVI v.. Moscou-Léningrad, 1955, p. 5 et suiv.
33.11 est à noter que le terme d'hérésie dut aussi employé en Russie médiévale pour
désigner la superstition : I. I. SREZNEVSKI, Materialy dla slovaiia drevnerusskogo
iazyka, t. I (rééd., 1 9 5 8 ) , col. 8 3 1 . L'ouvrage de base reste ici E . V . ANICKOV, Iazy-
cestvo i drevnaia Rus, Saint-Pétersbourg, 1914, Cf. aussi les remarques pertinentes
H . - F . K A H L , Heidnisches Wendentum, op. cit., p. 1 1 0 et suiv. sur l'attitude de la
religion païenne à l'état tribal (Gentilreligion) iace à la christianisation des princes.
Note supplémentaire : Au dossier d'apostasies, il est à verser d'autres phénomènes ana-
logues comme la révolte païenne des Caranthans contre leurs ducs chrétiens dans la
v
seconde moitié du VIIIc siècle, cf. B. GRAFENAUER, « Ustolicevanje koroSkich vojvod
in drzava Karantanskih Slovencev », Ljubljana 1952, p.515-519. Ausujetdel'insur-
rection de 1 9 6 0 - 1 9 6 1 en Hongrie voirGY KRISTÔ « Megjegyzésekaz ûn «pogânylâza-
dâsok » kora tôrtenetéhez », Szeged 1965, p. 49 et suiv. Par contre l'évêque Sedeh
n e fut appelé vers 1030 apostata qu'à cause de son zèle pour la liturgie glagolithique,
voir M. BARADA « Episcopus Chroatensis », dans Croatia Sacra, t. 1 , 1 9 3 1 , p. 1 6 1 - 2 1 5 .
Nous avons traité le problème dans « Aposztâzia a I X - X I szàzabdan » publié dans
Vilâgossâg, 1 9 6 6 , fasc. 2, p. 1 0 3 - 6 .
DISCUSSION

D. OBOLENSKY. — La révolte des boyards bulgares en 866 contre Boris 1 E R


qui, deux ans auparavant, s'était converti au christianisme illustre claire-
ment la crainte de l'influence non seulement religieuse mais politique de
Byzance. Cette révolte massive des éléments vieux bulgares — donc non
slaves — qui formaient l'aristocratie du pays, par crainte de voir l'influence
byzantine suivre cette christianisation, a failli compromettre toute l'œuvre
évangélisatrice du prince Boris. Derrière la formule obscure de ce magicien
russe du 11 e siècle qui annonçait que le Dniepr retournerait à sa source et que
la terre grecque viendrait prendre la place de la terre russe, il y a cette même
crainte de Byzance.
En second lieu la description du « bilan de Dieu » et de la création de l'hom-
me par Dieu et p a r le diable renvoie peut-être à un mélange de survivances
païennes et d'hérésie dualiste. E t à ce propos pouvons-nous parler d'influ-
ence bogomile en Russie 1 L'absence de nos collègues soviétiques spécia-
listes de ces questions est très regrettable.
Je voudrais terminer par une autre question. Vous disiez q u ' à votre avis
seule une société totalement christianisée pouvait voir naître u n mouvement
hérétique. L'histoire de la pénétration du dualisme paulicien dans les
Balkans au 8 e et 9 e siècle ne contredit-elle pas quelque peu cette affirmation ?
Le paulicianisme a p p a r u t en effet en Bulgarie à peu près en même temps que
le christianisme et il semble bien y avoir à l'aube du christianisme bulgare
une action parallèle et simultanée des hérétiques pauliciens et des mission-
naires orthodoxes.

F . G R A U S . — J e veux d'abord donner mon accord à la notion très heureuse


de para-hérésie, qui permet d'étudier comparativement l'apostasie et l'héré-
sie. J e voudrais ajouter ensuite que l'on connaît déjà au 9 e siècle des in-
culpations d'hérésie : par exemple l'hérésie « trilingue » des prêtres allemands
dénoncée p a r Méthode. Une remarque pour finir : il me semble nécessaire
de détruire la légende d'une soi-disant réaction païenne après la mort de
saint Venceslas : c'est une invention postérieure, du 13 e siècle.

H . C H . P U E C H . — Le m y t h e de la création de l'homme à partir de la sueur


de Dieu, avec un plongeon de Dieu, pose le problème de l'influence possible
d u bogomilisme. Or ce m y t h e extrêmement répandu dans le folklore de t o u t e
l'Europe occidentale et appelé généralement Dialogue de Dioctétien et d'Elie
a été très bien étudié par M. M. Ugo Piancchi et Mircea Eliade (dans le
dernier numéro de la Revue d'Histoire des Religions). Il apparaît qu'on ne
p e u t attribuer une influence bogomile à des mythes qu'on retrouve jusqu'en
Finlande et au-delà, en Russie et ailleurs. Le mythe bogomile ne serait-il
pas dans ces conditions un exemple parmi d'autres du dualisme primitif ?
MOUVEMENTS PARA-HÉRÉTIQUES EN EUROPE 169

Autre question : est-ce que le dualisme appartient en propre au manichéisme


ou au mouvement néo-manichéen ?

A. G I E Y S Z T O R . — J'accepte les remarques de M. Obolensky sur la crainte


des influences byzantines sous la réserve que nos sources exigent la plus
extrême prudence. Pour répondre à la question de M. Puech, je voudrais
montrer que dans ces apostasies et dans ces mouvements populaires russes
il y a un apport spécifique et original d'un peuple authentiquement païen,
qui entourait le peuple russe vers le Nord. Le thème du bain qui est une
sorte de bain de purification se trouve dans les légendes de nombreux peu-
ples. Tout ce qu'a dit M. Graus a complété mon exposé. J'ai essayé néan-
moins de séparer un peu les apostasies des Slaves polabes, qui touchent
toute la société, des cas russe et polonais où d'autres couches non paysannes
de la population sont restées chrétiennes. De plus, il me semble qu'au 9 e siè-
cle on emploi le mot « hérétique » dans un sens plus polémique que doc-
trinal. Tout ce qu'a dit M. Graus sur les légendes de saint Yenceslas est
parfaitement vrai dans cette perspective, mais dans la vie de sainte Lud-
mila, qui est du 10 e siècle, il s'agit vraiment d'un phénomène de paganisme —
une fraction de la famille de la princesse étant restée païenne.
C. VIOLANTE

HÉRÉSIES URBAINES ET HÉRÉSIES RURALES


EN ITALIE D U 11e AU 13* SIÈCLE

Le thème que je me permets de proposer à votre attention se réfère


aux hérésies italiennes dans les villes et à la campagne (çontado) du
11e au 13e siècle.
En attendant des recherches plus détaillées sur ce sujet jusqu'à pré-
sent presque inexploré, je me bornerai à vous présenter quelques pro-
blèmes et à vous proposer quelques questions de caractère très général.
Le thème de cette brève intervention est étroitement lié à celui de l'im-
portance des hérésies dans la vie politique des villes italiennes, que mon
collègue et ami Manselli va traiter avec la compétence qui lui est propre ;
il se rattache aussi au problème des milieux sociaux des mouvements
hérétiques.
A ce propos, tout en soulignant l'origine et le caractère essentiellement
spirituels des hérésies, je voudrais rappeler rapidement que l'hérésie appa-
raît comme une exigence individuelle, mais qu'elle est en même temps
l'expression d'un milieu culturel et spirituel ; elle se pose en effet comme
un fait social, spécialement au moment de sa diffusion et de sa propa-
gation.
Le problème de la localisation des hérésies médiévales dans les villes
ou dans les campagnes a été pris en considération pour la première fois
— on le sait — par F. Engels : dans son livre sur La guerre des paysans en
Allemagne, l'auteur écrit que les hérésies médiévales ont été, dans la pre-
mière période, urbaines et bourgeoises et, dans la deuxième, rurales, plé-
béiennes et paysannes.
Ce sont tout d'abord les bourgeois, les marchands, les artisans des villes
qui furent hérétiques, ceux qui luttaient pour les libertés communales
contre le pouvoir citadin du seigneur ecclésiastique, c'est-à-dire contre
l'évêque. Mais au 13e et au 14e siècle c'étaient surtout les paysans qui
étaient hérétiques, car le contado était tombé sous la domination de la
bourgeoisie urbaine qui l'exploitait pour le ravitaillement de la ville.
Cette thèse a été reprise au congrès international d'Histoire de Rome,
en 1955, par M. Skaskin à propos de l'hérésie dite dolcinianesimo.1
Avant de considérer la dislocation topographique des groupes héréti-
ques, nous donnerons un rapide aperçu sur le développement économi-
172 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

que, l'évolution sociale et les rapports entre ville et campagne dans l'Ita-
lie du Nord et du Centre pendant le 11e, le 12e, et le 13e siècle.a

A la fin du 10e siècle et au commencement du siècle suivant, dans les cam-


pagnes de l'Italie centrale et septentrionale, la grande propriété laïque
et plus particulièrement la grande propriété ecclésiastique subissent une
crise grave. L'unité de la réserve seigneuriale a déjà été morcelée ; l'unité
même du domaine est en train de se fractionner. L'immoralité et l'indis-
cipline des clercs et même des moines ont favorisé cette très large disper-
sion et cette aliénation du patrimoine ecclésiastique : des abbés, des
prévôts, des évèques, qui provenaient généralement de la noblesse, ont
aliéné, grâce à d'habiles subterfuges juridiques, les biens fonciers ecclé-
siastiques au bénéfice de leurs familiers, de leur femme et de leurs fils. Les
gens de haute condition sociale qui avaient obtenu des terres en censive
refusaient le payement des cens et méconnaissaient même les droits des
propriétaires. Les serfs s'enfuyaient à la ville, libertatem anhelantes (« en-
y cherchant la liberté »), comme dit le capitulaire d'Otton III.»
Il y eut un grand déplacement de rustici du contado à la ville. Mais de-
puis quelques dizaines d'années les marchands aussi étaient en train de
se déplacer de la campagne à la ville, après la crise des marchés doma-
niaux et le développement des marchés urbains. E t même de nombreux
propriétaires fonciers gagnaient le centre urbain par suite de la disper-
sion de leur patrimoine, quelquefois après le mariage d'une jeune fille
avec un marchand, un juge, ou tout autre citadin. On peut constater, en
somme, une grande mobilité des personnes.
Les nombreuses petites chapelles privées, qui se trouvaient générale-
ment au centre des domaines, étaient bien souvent abandonnées et tom-
baient en ruines. Les droits de propriété sur elles avaient été partagés
entre plusieurs membres d'une famille ou même entre des étrangers. 4
L'organisation ecclésiastique capillaire du contado va subir une pro-
fonde transformation en raison du changement progressif de l'habitat
rural.
Vers la moitié du 11e siècle, grâce à la réforme religieuse, et surtout
à la restauration de la discipline et de la morale ecclésiastiques, les grandes
propriétés des églises et des monastères sont en train d'être récupérées
au moyen de la mise en circulation de la monnaie et des métaux précieux
thésaurisés : évêques, abbés, prévôts se procurent beaucoup de proprié-
tés foncières par des opérations de crédit sur gage immobilier. »
Pendant cette période la seigneurie, d'origine immunitaire surtout,
des grands seigneurs ecclésiastiques se développe sur les terres récupérées
ou nouvellement acquises. Les seigneurs essayent d'acquérir la propriété
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13« S. 173

de tous, ou presque tous les lieux où ils avaient déjà de vastes possessions ;
souvent ils réussissent, par des achats, des échanges, des prêts sur gage
immobilier, à réunir dans leurs mains la propriété de toutes les quotes-parts
en lesquelles les châteaux avaient été divisés. Selon le principe de la ter-
ritorialité de la juridiction, « la jurisdictio et la districtio sur tout le terri-
toire relevant du château étaient de cette manière aux mains du seigneur.
Sauf ceux qui avaient fui à la ville ou qui avaient réussi d'une manière
quelconque à proclamer leur indépendance complète et leurs droits de
propriété sur la terre qui appartenait jadis à l'église, les rustici ou villani
allaient constituer une classe sociale unique sous la dépendance des
seigneurs.
La condition de ces rustici, qui ont la jouissance de leur tenure pendant
trois générations ou perpétuellement, n'est pas très mauvaise : ils ont
désormais le droit de ne pas être éloignés de leur terre, ils doivent un
cens en produit au montant déterminé, ils ont envers le seigneur des
obligations personnelles de caractère public. Les rustici peuvent trans-
mettre leur tenure à d'autres paysans pourvu qu'ils soient soumis à la
juridiction du même seigneur ; ils peuvent même avoir de petites propriétés
foncières à eux. Il n'est pas rare de voir que, par l'enrichissement ou
l'élévation culturelle jusqu'à la profession du notariat, quelques-uns de
ces rustici aient pu se déplacer à la ville, y devenir citoyens et se délivrer
de leur ancienne soumission au seigneur.
C'est une période de relative tranquillité dans les campagnes. Les struc-
tures de l'organisation ecclésiastique locale sont en train de se réorganiser.
Les petites chapelles sont rattachées à la plebs (pieue), où l'on organise
la vie commune canoniale de tous les prêtres et clercs de la circonscrip-
tion. 7 La cura animarum est bien accomplie par les chanoines. Mais, la
montée démographique avançant, les chapelles sont rebâties et plusieurs
d'entre elles deviennent paroisses. On reconstruit parfois les chapelles en
ruine sur des emplacements nouveaux; mais on consacre aussi des cha-
pelles nouvelles. Dans cette période (de la fin du 11e jusqu'à la fin du
12e siècle) les migrations de population s'effectuent encore dans la direction
de la campagne à la ville, mais aussi entre les différents lieux du contado
même.
On peut constater maintenant le développement démographique et
politique des anciens centres ruraux, grands et petits, et la formation
aussi de nouveaux villages : propriétaires (nobiles, curtisii), résidant à la
fois à la campagne et à la ville dont ils sont citoyens, et paysans (rustici,
villani) s'organisent en des communautés politiques (en italien comuni
ruralï) plus ou moins indépendantes du seigneur. Les nobles et les sei-
gneurs sont bien souvent en lutte contre l'évêque et ses fidèles qui l'aident
à dominer la ville.
Au commencement du 13e siècle, on organise le défrichement de terres
nouvelles, car la montée démographique continue et maintenant les
12
174 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

tenures sont trop peuplées. A cause de ces tendances, les seigneurs com-
mencent à stipuler avec les paysans des contrats à moyenne durée, des
contrats de métayage avec des redevances partielles qui en général
correspondent à la moitié du produit (mezzadria).
Un tel pacte agraire à moyen terme et avec redevance partielle était,
par rapport à l'emphytéose, plus prenant et pénible pour le cultivateur.
Mais, en ce qui concerne la production, la mezzadria pouvait offrir des
avantages, lorsque ce contrat était adopté dans les entreprises de bonifi-
cation ou de mise en culture de nouvelles terres — et cela advint dans
des cas relativement fréquents.
De telles initiatives demandaient, des propriétaires, non seulement un
plus large emploi de capitaux et de capacités techniques, mais aussi un
intérêt plus direct à la culture des terres. Cependant, au cours du 13e siècle,
les conditions des travailleurs ne s'améliorèrent pas; ceux-ci, en raison
de la poussée démographique et de la multiplication des groupes fami-
liaux, se trouvèrent dans l'obligation de cultiver et d'exploiter des terrains
bien trop peuplés. C'est pourquoi les fréquents et nombreux affranchis-
sements des rustici ne furent pas toujours imposés par la commune
urbaine aux gros propriétaires et aux feudataires, mais voulus par eux-
mêmes pour réduire le nombre des cultivateurs, accroissant ainsi la
productivité des terres.
En effet, au cours du 13e siècle, la commune urbaine développe systé-
matiquement sa politique de conquête dans le contado ; mais pour atteindre
son but, elle n'impose pas toujours de véritables actes de soumission à
des seigneurs féodaux dépossédés ; la plupart du temps, au contraire,
c'est ce même seigneur féodal qui, après s'être laissé dépouiller progres-
sivement d'une partie de plus en plus grande de sa seigneurie, finit par
se soumettre à la commune; ou bien le seigneur rural traitant avec la
commune d'égal à égal stipule avec celle-ci un contrat selon lequel il lui
cède — moyennant une compensation — une partie seulement de ses
biens, de ses droits, de ses pouvoirs. Dans tous les cas, ces seigneurs ruraux
se transfèrent, bon gré mal gré, à la ville, y achètent des terres, y cons-
truisent des maisons, deviennent des citoyens de la commune, augmentant
les forces de la noblesse qui en constitue la classe dirigeante ; les rustici,
venus à la ville après leur affranchissement, et les petits propriétaires vont,
eux, accroître les nouvelles classes de marchands, d'artisans, de notaires, de
petits propriétaires qui s'organisent peu à peu dans le « parti » du peuple qui
désormais s'opposera au « parti » de la noblesse. En cette occasion les sei-
gneurs ruraux devenus citadins, et plus particulièrement ceux qui ont
conservé encore leurs biens et leurs seigneuries dans le contado, acquièrent
souvent une position de premier plan dans cette même commune urbaine,
atteignant aux plus importantes magistratures, non seulement dans le
cadre des traditionnelles institutions de la commune nobiliaire, mais aussi
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11» AU 13« S. 175

dans les nouvelles organisations du peuple jusqu'à réussir à se constituer


une seigneurie citadine personnelle.
La politique de la commune à l'égard du contado, dont nous avons
rapidement parlé plus haut, n'élimine pas entièrement les seigneuries
rurales et n'empêche pas que les petits, et surtout les moyens et grands
seigneurs féodaux, demeurent encore fermement installés dans les cam-
pagnes, et à plus forte raison s'ils peuvent compter sur la possession de
châteaux fortifiés. D'autre part, nombre de ceux qui appartiennent aux
classes urbaines d'artisans, de marchands, de notaires, possèdent et
achètent de nouvelles terres dans le contado.
Au cours du 11 e , 12e et 13e siècle, les rapports entre ville et campagne
deviennent plus intenses que par le passé. Du contado au centre urbain,
le flux migratoire des personnes de toutes classes sociales est continuel ; la
ville devient désormais un foyer de production artisanale et de commerce,
un centre d'activités économiques, outre que de consommation, et tend
à devenir aussi un centre organisateur du contado soit du point de vue
économique, soit du point de vue politique. Bref, la ville et la campagne
tendent à devenir, malgré la progressive différenciation économique, ou
précisément en raison de celle-ci, les deux éléments d'une seule unité
économique et sociale, qui a dans le groupement urbain son centre moteur.
Le milieu social de la ville, qui se renouvelle continuellement par les
immigrations de la campagne, a toujours été projeté vers l'extérieur pour
l'organisation politique et économique du contado, comme pour l'expansion
commerciale sur un large rayon. Il constitue une ambiance particuliè-
rement mobile.
L'extension progressive du contrôle politique de la commune urbaine
sur le territoire du contado rural contribue à accentuer le caractère de
centre religieux et culturel que la ville italienne a toujours eu, même dans
le haut Moyen Age. Souvent, la commune de la ville est l'allié de l'évêque
quand il s'agit d'éliminer les tendances particularistes d'églises ou de
fondations monastiques qui, avec l'appui des communes rurales et des
seigneurs féodaux, cherchent à se soustraire à la juridiction de l'ordinaire
diocésain. Avec la formation de la commune urbaine, les évêques ont
perdu leurs pouvoirs judiciaires et administratifs sur leur circonscription
aussi bien dans la ville que dans les faubourgs, mais ils continuent à
demeurer efficacement insérés dans la vie politique de la ville, tout en
conservant aussi une influence dans le contado à cause de leurs biens, de
leurs droits seigneuriaux personnels ou de l'évêché, et grâce à leur apparte-
nance aux grandes familles dirigeantes de la commune. Cela explique
pourquoi l'opposition des classes populaires à la commune nobiliaire est
souvent aussi une opposition anti-épiscopale même encore au 12e et
au 13 e siècle. Même dans les campagnes, entre le 12 e et le 13e siècle,
l'opposition des diverses classes contre les seigneurs ecclésiastiques s'accen-
tue. E n effet, dans le contado les seigneuries foncières et féodales des
176 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

évêchés, des églises et des monastères subissent, de l'intérieur comme


de l'extérieur, l'assaut des grands feudataires, des vassaux, des rustici,
outre celui de la commune citadine.

II

1. E n Italie comme en France, l'hérésie se manifeste au début dans le


contado.8 Dans le village de Vertus (diocèse de Châlons-sur-Marne), le
paysan Léutard, après avoir fait vœu de chasteté et congédié sa femme,
entreprit de prêcher aux gens de la campagne qu'il ne fallait pas croire
à tout ce qu'enseignaient les livres prophétiques de l'Ancien Testament.
Il se mit à détruire les crucifix et les images du Sauveur, et, en invitant
les paysans à refuser le payement des dîmes au clergé, il obtint parmi eux
un remarquable succès.
E n Italie, c'était aussi du contado que provenait l'hérésie découverte
par l'archevêque de Milan lors d'une de ses visites pastorales dans le
château présumé de Monforte, probablement dans le diocèse d'Asti.
Parmi les hérétiques de Monforte conduits à Milan pour y être interrogés
sur leurs doctrines, il y avait, au dire du chroniqueur bien informé Landolf
le Vieux, la comtesse du château. Selon le moine Raoul Glaber, une
femme (de toute évidence une prêtresse), suivie d'une foule vêtue de noir,
se serait rendue chez un noble gravement malade qui faisait partie de cette
secte d'hérétiques et lui aurait touché le front et le cœur selon un rite
fort semblable à celui du consolamentum cathare. A Milan, Gérard, le
porte-parole des hérétiques de Monforte, exposa sa doctrine au cours de
l'interrogatoire : celle-ci m'a toujours paru fortement imprégnée de culture
et d'intellectualisme surtout en ce qui concerne la conception allégorique
de la Trinité et du mystère sotériologique, parce qu'elle nie essentiellement
la réalité de l'Incarnation et de la Rédemption en tant qu'œuvre de
sacrifice et d'amour de la volonté divine, le problème du Salut se résolvant
dans un fait d'illumination intellectuelle.
Mais, à côté de personnes nobles et cultivées, une foule de rustici parti-
cipait à l'hérésie de Monforte. Dans cette doctrine, il y avait d'autres
éléments qui ne pouvaient pas ne pas paraître suggestifs aux plèbes
rurales : la communauté des biens, la négation de la hiérarchie ecclésias-
tique, nombreuse et stable, remplacée par des maiores voués à l'oraison
perpétuelle et par un pontife (évêque) errant. Mais surtout la prédication
des hérétiques de Monforte s'inspirait des principes d'un moralisme
radical et d'un pessimisme extrême qui devaient trouver écho auprès
des plèbes exaltées : le mépris de la croix, l'interdiction des rapports
sexuels, même dans le mariage, le refus de la consommation de viandes,
l'idéal d'une mort sanglante par le martyre.
Or, à Milan, pendant que se déroulait le procès, les nobles et les diri-
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU il' AU 13« S. 177

géants cultivés du mouvement hérétique de Monforte organisèrent une


propagande intense et efficace auprès des paysans qui s'étaient établis
en ville, ou qui s'y étaient rendus pour le marché, et surtout auprès de tous
les rustici qui étaient accourus à la nouvelle, bien vite répandue, de
cette prédication.
Les plus grands vassaux milanais intervinrent d'une façon décisive,
obligeant les hérétiques à choisir entre le refus de leurs croyances et le
supplice. Le chroniqueur Landolf le Vieux a rapproché étroitement cette
intervention du prosélytisme que les prédicateurs de l'hérésie faisaient
parmi les paysans.
Il s'agit donc d'une hérésie d'origine savante et nobiliaire, qui se diffuse
sous une forme populaire — sévèrement moraliste — dans les campagnes,
en se propageant à partir de deux centres : d'abord un château (Monforte),
ensuite une grande ville (Milan).

2. Le ferment de révolte contre le clergé indiscipliné, immoral, riche,


puissant et tyrannique trouva en Italie, pendant les décennies suivantes,
une voie de libération dans les mouvements religieux populaires « pata-
rins » ou, plus largement, de caractère « patarinico-évangélique »10, jus-
qu'aux débouchés hérétiques du mouvement arnaldiste11 et de celui des
pauvres Lombards.13 Les exigences de cette nouvelle religiosité popu-
laire (mais pas seulement populaire) se manifestèrent sous d'autres
formes : c'est ainsi qu'il y eut des initiatives de caractère érémitique, de
nouvelles fondations monastiques et canoniales inspirées des idéaux de
pauvreté et de fuite de la vie du siècle. Tout ceci explique que pendant
plus d'un siècle il n'y ait pas eu en Italie de manifestations religieuses
de caractère nettement hérétique. A Milan, Brescia, Plaisance, Crémone,
les mouvements patariniques furent typiquement citadins mais d'ori-
gine rurale. En effet, Arialde avait commencé sa prédication pata-
rinique dans les campagnes, au Nord de Milan, dans la zone de Varèse :
ce fut seulement par la suite qu'il porta sa nouvelle activité à Milan ; les
chroniqueurs milanais ont jugé la pataria comme un mouvement origi-
naire des campagnes et soutenu précisément par le clergé rural contre
les évêques et les clercs majeurs de la ville.
A Florence, l'inspiration du mouvement religieux populaire partait de
Jean Gualbert et de son ermitage de Vallombrosa. C'est à cette fondation
que les patarins de Milan eurent recours pour chercher des clercs purs,
dépourvus de toute tache de simonie et de concubinage, et dignes d'être
conduits au sacerdoce dans la grande ville.
Le déplacement de ces mouvements religieux vers la ville s'explique
avant tout par leur objectif essentiel : les patarins s'efforçaient de lutter
contre l'évêque corrompu dont la faute de simonie rendait vaine, selon
eux, toutes les ordinations qu'il avait faites, et remettait en question tous
178 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

les problèmes concernant l'administration des sacrements « valides »,


exigée par les fidèles.
Naturellement, l'ambiance sociale et politique de la ville était particu-
lièrement favorable au développement d'une protestation contre l'évêque,
qui détenait les pouvoirs de juridiction, et au développement des mou-
vements populaires sous la direction des classes moyennes plus entrepre-
nantes. Vers la moitié du 11e siècle, la campagne vit donc le point de
départ de ces mouvements religieux, qui devinrent bien vite typiquement
citadins ; de la même façon, dès le siècle précédent, s'étaient manifestés
dans le contado les premiers ferments de développement économique et
social qui avaient eu, dans la ville, une issue normale et qui y trouvèrent
une ambiance plus propice à des futurs progrès.
Mais il faut tenir compte surtout du fait que les initiatives de type érémi-
tique et les nouvelles fondations monastiques et canoniales, nées dans
l'esprit d'un strict retour à l'idéal évangélique et sur le modèle de l'Eglise
primitive, prenaient vie loin des villes et dans les sites éloignés du contado
rural par réaction contre les puissants chapitres et les grandes églises cita-
dines et contre les riches fondations monastiques situées à l'intérieur ou
près des villes.
On doit remarquer qu'au début une action de rupture était très diffi-
cilement réalisable dans le cadre des structures ecclésiastiques de la ville,
qui étaient contrôlées de très près par des évêques et des chapitres souvent
indignes et hostiles à toute réforme ; d'autre part, dans le cadre de l'orga-
nisation ecclésiastique traditionnelle des campagnes, des initiatives nova-
trices avaient plus de possibilités de succès avec la multiplication des
chapelles privées, des fondations monastiques et des fondations érémitiques
qui, depuis longtemps, brisaient les pouvoirs des évêques et des pievani
dans leurs circonscriptions respectives.
Plus tard, le mouvement arnaldiste, celui des pauvres de Lyon, des
pauvres Lombards, et autres furent essentiellement citadins.
« Ils sont dans toutes les villes de Lombardie » (in omnibus sunt civita-
tibus Lombardisé) atteste le Tractalus de Vaîdensibus, ajoutant seulement
une indication générique pour la Provence et les autres régions : et in
Provintia et in aliis regnis et terris plures auditores habebant.
A Milan, selon les plaintes du pape Innocent I I I dans une lettre du
3 avril 1209, les vaudois avaient obtenu de la commune un terrain pour
édifier une schola. Les adhérents aux mouvements paupéristes et évangé-
liques cités ci-dessus étaient particulièrement nombreux dans toutes les
villes de la vallée du Pô dans lesquelles s'était répandue la pataria.
Beaucoup d'hérétiques provenaient précisément des classes mercantiles
et s'étaient tournés vers l'hérésie paupériste par réaction spirituelle contre
l'accumulation des richesses souvent usuraires et par un ardent désir
d'expiation. Mais souvent, cependant, les hérétiques feignaient d'être
marchands et simulaient des activités commerciales pour pouvoir, sans
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11e AU 13= S. 179

être dérangés par les autorités ecclésiastiques, se déplacer d'un endroit à


l'autre pour répandre leurs doctrines, et se donnaient rendez-vous dans
les grandes villes pendant la période des foires et des marchés, dans le but
de se confondre avec la foule accourue à cette occasion.13 Les vaudois
italiens, contrairement à ceux de France, ne dédaignaient pas le travail
manuel, et même le recherchaient, pénétrant ainsi dans les organisations
de métier et établissant avec elles des rapports étroits et intenses : autre
motif pour des installations urbaines et suburbaines.
C'est pourtant — à mon avis — un cas tou,t à fait particulier que des
vaudois, venant en général de France, se soient installés dans les vallées
piémontaises, le long des routes conduisant à la Lombardie. Il s'agissait
surtout de tanneurs, de boulangers, de cordonniers, de marchands de
fruits, de tisserands et tisserandes, de teinturiers, d'aubergistes. Ils se
confondirent rapidement avec la population locale, par un rapide pro-
cessus d'assimilation.
Même le mouvement des « humiliés » 1 4 qui, à ses débuts, dans les der-
nières décennies du 12e siècle, se confondait souvent avec les mouvements
hérétiques paupéristes évangéliques, fut, lui aussi, un mouvement essen-
tiellement citadin : c'était dans la ville ou, le plus souvent, dans les fau-
bourgs, que se trouvaient leurs ateliers de travail et leurs habitations
(domus humiliatorum). Mais il semble que de nombreuses fondations
d'humiliés aient eu leur origine, parfois avec l'approbation des seigneurs
ruraux, dans le contado et que, seulement par la suite, elles se soient trans-
férées en ville ; ou bien on peut penser que de nombreuses fondations ont
été constituées par des paysans venus depuis peu à la ville et provenant
des zones voisines du contado.18

3. A ce qu'il semble, les cathares, les premiers temps, étaient répan-


dus surtout dans les campagnes, ou, tout au moins, c'était dans le
contado qu'étaient installés leurs centres plus compacts : des localités ru-
rales servaient de centre de réunion pour les cathares « parfaits »
et « croyants », qui pouvaient même provenir de très loin.
Peu après la moitié du 12e siècle, le « parfait » Marc de Concorezzo et
ses amis qu'il avait convertis (Jean Jude, Joseph et Aldéric) se rendirent
à Roccavione, près de Cuneo, pour y rencontrer des cathares de France
qui avaient choisi cet endroit comme lieu de rendez-vous.
A Mosio, localité rurale proche de Mantoue, les cathares italiens tinrent
une réunion pour résoudre le schisme qui s'était établi entre Jean Jude
et Pierre de Florence lors de la succession du « parfait » Marc.
La première Eglise cathare italienne fut organisée à Concorezzo, dans le
contado milanais, mais très loin de la ville. Un fait fut peut-être détermi-
nant pour le choix de cette localité comme centre de l'Eglise cathare :
le premier évêque cathare italien fut Marc, originaire précisément de Conco-
rezzo, converti à l'hérésie par un notaire venu de France. A Concorezzo,
180 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

un puissant groupe de cathares dut se former, peut-être dans la florissante


ambiance cultivée des notaires locaux ; parmi les dessins tracés sur le par-
chemin des actes privés qu'ils rédigeaient, on a retrouvé quelques éléments
figuratifs qui peuvent révéler une inspiration dualiste. 18
La présence d'un groupe important d'hérétiques à Desenzano sur le
lac de Garde, non loin de Vérone, fit de cette localité mineure le siège d'une
autre Eglise cathare. Mais il y eut aussi d'autres Eglises cathares dans
les villes : à Mantoue, à Vicence, à Florence. Le siège de l'Eglise cathare
de la vallée de Spolète n'a jamais bien été spécifié.
Quelque temps après, même l'Eglise de Mantoue f u t transférée du cen-
tre urbain dans le contado, à Bagnolo, peut-être parce que son second
évêque, Othon, était de cette localité. Ensuite, en raison de la politique
antihérétique des Scaligeri, le siège épiscopal fut transféré de Bagnolo,
encore trop près de Mantoue, à Sirmione, sur les rives plus sûres du lac
de Garde, non loin de Desenzano.
Le caractère rural de certains sièges épiscopaux cathares s'explique
par le lieu d'origine des premiers évêques et par l'installation des premiers
centres hérétiques compacts dans le contado, autour de leur évêque. (Mais
à Concorezzo, comme nous l'avons vu, il s'agissait probablement de cer-
cles de notaires, très liés à la ville.) De toute façon, le siège épiscopal,
quand il n'était pas dans la ville même, mais toujours très près de celle-ci,
ne pouvait pas avoir une importance déterminante pour donner au catha-
risme italien un caractère rural : c'étaient des épiscopats très vastes qui
n'avaient pas de caractère strictement territorial puisque, en raison des
différentes dérivations et des diverses doctrines de chacune des Eglises,
les fidèles de l'une ou de l'autre obédience vivaient souvent ensemble
dans les mêmes lieux. E t les évêques qui avaient une juridiction sur des
régions très vastes et sur plusieurs villes importantes n'étaient pas effecti-
vement résidents mais itinérants.
Dans l'Italie centre-septentrionale l'hérésie cathare s'est répandue
surtout dans les villes. Milan, centre dans lequel confluent les hérétiques
de toutes les sectes, fut certainement une des villes dans lesquelles se
développa le plus le catharisme. 17 Dans la ville ambrosienne fut converti,
probablement par l'archevêque Galdino (1166-1173), grand prédicateur
contre l'hérésie, le maître cathare Buonaccorsi, auquel on doit la Manifes-
tatio heresis catharorum. Bien que guelfe, la commune de Milan se refusa
longtemps à insérer dans ses statuts les constitutions frédériciennes contre
les hérétiques. En 1236 la ville de Milan était définie par Matthieu Paris
omnium hereticorum... refugium et receptaculum. Peu efficace fut par consé-
quent l'œuvre du dominicain Pierre de Vérone, qui y fut nommé inqui-
siteur en 1251 ; peu importants furent les résultats qu'obtint la militia
Christi, association de fidèles organisée par ce même religieux contre les
hérétiques. Bien plus, un évêque cathare, qui fut arrêté par Pierre de
Vérone, eut la possibilité de polémiquer tenacement en public contre ce
d ernier et, à la fin, réussit à rester impuni.
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13« S. 181

Tandis que le religieux continuait son œuvre inquisitoriale, les cathares


organisèrent contre lui un complot, qui fut dirigé par le noble milanais
Etienne Confalonieri avec l'aide des hérétiques provenant de toute la
Lombardie. Un sicaire engagé par les cathares blessa mortellement Pierre
de Vérone — le 6 avril 1252 — dans le bois de Farga, près de Seveso,
localité du proche contado milanais.
L'oeuvre de Pierre, qui immédiatement fut appelé universellement
martyr et déclaré saint, fut poursuivie dans toute la Lombardie, avec
un plus grand succès, par Ranieri Sacconi. Les hérétiques se retirèrent
désormais des villes dans le contado et se réfugièrent immédiatement dans
les vallées alpines. C'est justement dans la Valteline qu'en 1277 l'inquisi-
teur de Lombardie, Conrad Pagano mena son activité et qu'il y commença
la persécution des hérétiques qui s'étaient réfugiés, mettant en jugement
le seigneur du lieu, Conrad Venosta. Mais l'accusé fut libéré par ses neveux
qui, soutenus par les habitants de la vallée, avaient attaqué à Maza (dio-
cèse de Coirà) l'inquisiteur, le tuant ainsi que d'autres personnes de son
escorte.
Plus chanceuse qu'à Milan avait été l'œuvre que Pierre de Vérone
conduisit contre les cathares à Còme, Bergame, Pavie et Lodi. Mais un
grand nombre de villes lombardes étaient toutefois encore à même de
fournir une tranquille hospitalité aux hérétiques qui s'y réfugiaient. 18
Còme constitua pendant des dizaines d'années un asile sûr pour les catha-
res échappés à l'inquisition provençale et, vers l'an 1294, elle put héberger
longuement et tranquillement Pierre Autier (notaire d'Aix-les-Bains dans
le diocèse de Pamiers), qui complète pendant quatre ans dans la ville
larienne sa préparation culturelle et spirituelle afin de devenir « parfait ».
De Crémone, en 1244, l'évêque cathare envoyait son messager à Mont-
ségur, afin d'inviter son collègue toulousain Bernard Marty, assiégé en
ce château par les persécuteurs des hérétiques, à venir dans la ville lom-
barde où il aurait trouvé un refuge sùr et aurait pu continuer à professer sa
propre foi sans aucun danger. Pavie, Plaisance, Lodi et Brescia sont men-
tionnées dans certains documents de l'inquisition de Carcassonne et
Toulouse comme lieux de refuge des cathares évadés de leur patrie.
A Vérone M , quand arriva le pape Lucius I I I pour y rencontrer l'empe-
reur Frédéric I e r , les hérétiques de la ville continuèrent à y tenir leurs
réunions nocturnes malgré la présence du pape et de nombreux prélats.
Encore au temps d'Innocent I I I , Vérone était pleine d'hérétiques : en
1199, Farchiprêtre de la cathédrale de Vérone excommunia en vain les
cathares et les vaudois qui étaient dans la ville. Enfin, en 1233, la vive
prédication anti-hérétique du dominicain Jean de Vicence fit éclater
la réaction du peuple véronais contre les hérétiques, évidemment cathares,
et soixante d'entre eux furent conduits au bûcher. La tolérance et aussi
l'appui du marquis Ezzelin de Romano et encore plus, du marquis Oberto
Pallavicino (considéré par certains comme « croyant » lui aussi) favorisèrent
182 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

certainement le développement de l'hérésie dans les villes de la marche


trévigienne et de la vallée du Pô « contrôlées par ces seigneurs »20. Vicence,
qui avait été dès les premiers temps un des centres du catharisme italien
et siège d'une Eglise, acquit une importance particulière sous l'épiscopat
cathare de Pierre Gallo, craint pour sa doctrine par les inquisiteurs même.
A Trévise, centre de la marche ezzelinienne, les cathares, dont le nombre
s'était encore accru à cause des scandales du clergé local, ne restaient
pas inactifs quand les citadins prenaient les armes pour motifs politiques
contre l'évêque.
La présence active des cathares est attestée dans les villes émiliennes
et romagnoles : à Modène et à Bologne mais particulièrement à Ferrare,
à Rimini et à Faenza.» 1
Florence 22 était déjà centre de diffusion du catharisme vers le milieu
du 12 e siècle, quand un des principaux représentants des milieux cathares
citadins, Diotisalvi, introduisit l'hérésie à Orvieto : cette œuvre de pro-
sélytisme dans la Tuscia romaine fut ensuite poursuivie par deux femmes
florentines. E t florentin fut également le premier évêque de l'Eglise de
Concorezzo, Pierre. En 1173, précisément à cause de l'intense activité
que les cathares y déployaient, la ville toscane fut frappée d'interdit :
propter paterinos amissum est officium in civitate Fiorentina, notait un
chroniqueur. Vers la fin du 12e siècle, presque en même temps que le
milanais Buonaccorsi, le cathare florentin Mirisona (nom de tradition
incertaine) écrivit une Confessio qui révèle une doctrine dualiste modérée.
Quand, en 1194, l'empereur Henri VI fit publier par son légat, l'évêque
de Worms, un sévère édit contre les hérétiques de Prato, ceux-ci se réfu-
gièrent à Florence. Dans ces deux villes, les cathares commencèrent
également à donner l'assaut aux magistratures communales. En 1216, les
consuls de Prato et de Florence prescrivirent qu'aucun citadin suspect
d'hérésie ne pourrait être élu. Des magistrats, sinon hérétiques, du moins
favorables aux cathares gouvernèrent toutefois la commune florentine,
comme ce podestat (gibelin) Pace Pesanuvola de Bergame qui résista
longuement, en 1244-1245, aux pressions qu'exerçaient sur lui les catho-
liques florentins afin qu'il condamnât, en tant que cathares, les nobles
frères Pace et Barone del Barone, qui dans leurs maisons de Borgo Sant'A-
postoli donnaient asile aux autres hérétiques et s'y réfugiaient eux-mêmes
fuyant ensuite de maison en maison, au moment du danger, pour rejoindre
un refuge plus sûr à San Gaggio, aux environs immédiats de la ville.
Si les cathares florentins résistèrent tenacement aux persécutions
menées par l'évêque diocésain, par l'inquisiteur Roger Calcagni et par
Pierre de Vérone, ce f u t surtout grâce à l'aide et à l'abri qu'ils trouvèrent
en ville dans les maisons et dans les tours de nombreux coreligionnaires
appartenant à la riche bourgeoisie et à la noblesse gibeline : les Diotisalvi,
les Pucci, les Nerli, les Mainetti, les Uberti, les Cipriani, les Tribaldi.
Quand leur séjour dans les maisons citadines de Mercato Vecchio, de
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13» S. 183

Por Santa Maria, de Borgo Sant'Apostoli, devenait peu sûr, les cathares
se réfugiaient à la campagne, non loin de la ville, et dans les habitations
des mêmes coreligionnaires citadins, sur le Mugnone près de San Gaggio,
devant l'actuelle Porta Romana, à Careggi, à Settimo, à Piano di Ripoli.
Dans la ville d'Orvieto as , l'hérésie cathare fut introduite tout d'abord,
immédiatement après le milieu du 12e siècle, par Ormannino de Parme,
mais ne s'implanta profondément que quelques années plus tard à la
suite de la prédication des hérétiques (hommes et femmes) provenant de
Florence. A la fin du siècle, les cathares orviétans contraignirent leur
évêque à fuir et la ville résista ensuite fièrement aux fureurs de l'inter-
diction lancée par le pape Innocent III.
Bien plus, à cette même époque, le cathare Pierre Lombard, appelé
par un contemporain doctor manicheorum, se transporta d'Orvieto à
Viterbe, prêcha publiquement l'hérésie dans la ville et, là, réunit en
assemblée d'autres pravi doctores. Alors (février 1199) les fidèles catho-
liques orviétans, pour combattre les cathares, mais aussi pour entraver
les projets des nobles citadins parmi lesquels l'hérésie avait trouvé adhé-
rents et alliés, demandèrent au peuple romain de désigner un recteur, qui
fut Pierre Parenzo. Ce dernier tenta de freiner la prédication cathare
et la puissance des nobles, mais tomba victime d'une conjuration orga-
nisée par les hérétiques avec l'appui des préfets de Vico. La réaction
populaire, ravivée par une série de miracles attribués au martyr, contrai-
gnit les cathares à se limiter pendant quelques temps à des activités
exclusivement religieuses.
Mais le noyau hérétique resta toujours puissant à Orvieto, favorisé
par l'irritation que suscitait dans les milieux citadins l'intervention de
l'organisation inquisitoriale dans la vie communale. En 1239, profitant
de la rupture qui s'était établie entre Frédéric II et Grégoire IX, les ci-
toyens d'Orvieto, poussés et guidés par des cathares locaux, assaillirent
et incendièrent le couvent des dominicains : cette année-là le camer-
lingue de la commune était ce Provenzano Lupicini qui fut ensuite, dans
les procès de 1286, déclaré hérétique.
A Viterbe 24 , les hérétiques furent nombreux et souvent puissants,
et eurent d'étroites relations, comme nous avons vu, avec les cathares
d'Orvieto. En mars 1200, Innocent III menaça de priver la ville du siège
épiscopal si elle continuait à favoriser l'hérésie; en septembre 1207,
le pontife s'y rendit en personne et fit détruire les maisons et confisquer
les biens des hérétiques ; il obligea les officiers de la commune à jurer
la persécution de l'hérésie, mais les « parfaits » et les « croyants », qui
s'étaient réfugiés chez quelques seigneurs du territoire du patrimonium
sancii Pétri, retournèrent bien vite en ville. Et l'on arriva au point que
les hérétiques réussirent à obtenir également les plus hautes magistratures
communales de Viterbe : en 1205 deux cathares furent élus consuls, en
1220 Jean Tignoso fut élu camerlingue et en 1230 consul — il appartenait
184 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

à une famille suspecte d'hérésie et fut lui-même quelques années plus


tard déclaré hérétique en un procès célébré post moriem —. En 1231, Gré-
goire I X dut intervenir, car les hérétiques viterbiens avaient élu sans
aucune hésitation un « pape » en la personne de Jean de Bénévent. Quand
éclata ensuite le conflit entre Frédéric I I et le pontife (1239), d'âpres
luttes citadines opposèrent les défenseurs du pape et les défenseurs de
l'empereur soutenus par les hérétiques. La réaction religieuse soulevée
par une pieuse jeune fille, Rose, contre les cathares provoqua de la part
de la commune, le bannissement de la future sainte et de toute sa famille :
Viterbe resta sous le contrôle des Tignosi. Enfin, la ville ayant été soumise
par le cardinal Ranieri Capocci, les hérétiques se réfugièrent encore une fois
dans les châteaux de la noblesse féodale du contado.
Les villes furent donc les centres où se répandit et opéra, souvent
sans en être dérangé, le catharisme, dans l'Italie centrale et septentrionale.
A l'encontre de l'arnaldisme, qui eut une importance déterminée dans la
formation de la commune de Rome, l'hérésie cathare n'exerça pas d'in-
fluence sur la constitution de l'autonomie communale, qui était déjà une
réalité vivante dans les villes où elle se répandit, à partir du milieu du
12e siècle, après une première affirmation dans le contado. Mais les cathares
participèrent activement aux luttes sociales et politiques qui éclatèrent
dans les villes italiennes pendant ce siècle, en s'alliant et en se confondant
souvent avec les gibelins, mais en opérant aussi, surtout dans des cir-
constances particulières, comme celles de la lutte des villes lombardes
contre Frédéric I I , dans l'ambiance des villes guelfes. Les cathares par
conséquent, en raison même de la composition sociale complexe de leur
groupe, ne furent pas toujours et partout une force de choc et d'oppo-
sition dans des villes où le pouvoir politique de l'évêque était nul ou le
devenait : il n'était pas rare au contraire, comme nous l'avons vu, que
les hérétiques aient pu assumer d'importantes fonctions et des charges
dans les magistratures communales.
Il semble que les zones des villes où leur implantation était la plus dense
furent les zones suburbaines, au-delà des premiers murs communaux,
comprises ensuite dans la nouvelle enceinte construite à la suite du déve-
loppement démographique qui se produisit au 12e et au 13e siècle. Plusieurs
données particulières suggèrent cette hypothèse, mais surtout le fait que
ce soit précisément entre la première et la seconde enceinte des murs
communaux que, dans presque toutes les villes, les franciscains, les
dominicains et les humiliés se sont installés afin de lutter de près contre les
hérétiques par l'exemple de leur vie, par leur prédication, par la persécution.
L e contado fut l'ultime refuge des cathares, surtout dans les derniers
temps.
Si nous considérons maintenant la composition sociale des milieux
cathares, ces hypothèses sont encore renforcées; on ne trouve en effet
dans les sources aucune allusion à une diffusion du catharisme parmi les
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13« S. 185

paysans, ou même seulement à de simples rustici devenus « pariaits »


ou tout au moins « croyants ». Nombreux sont au contraire, parmi les
suspects de catharisme, les travailleurs de toutes professions qui rési-
daient généralement à la ville : tisserands (peu, et certainement moins
nombreux que dans d'autres régions d'Europe), tailleurs, forgerons,
beaucoup de travailleurs du cuir (tanneurs, pelletiers, boursiers, selliers,
cordonniers), meuniers, taverniers, aubergistes, charretiers, vendeurs
ambulants. Ce sont en général des artisans ayant une boutique" : on
ne trouve pratiquement pas, parmi les cathares, ceux qui appartiennent
à ce petit noyau de travailleurs salariés, provenant souvent du contado,
et qui dans les villes italiennes de la fin du 12e siècle deviennent de plus
en plus nombreux.
Nombreux sont au contraire les cathares appartenant, dirions-nous
aujourd'hui, à la bonne bourgeoisie de la ville : propriétaires de biens-fonds
à la campagne et de terrains et de maisons dans les villes, marchands
(sont mentionnés surtout des marchands florentins de draps), entre-
preneurs et prêteurs d'argent, si bien que, parfois, les inquisiteurs sont
accusés de poursuivre les hérétiques dans le but de leur confisquer leurs
biens (dont deux tiers allaient à l'Eglise et un seul à la commune)
De nombreux partisans et sympathisants de l'hérésie se trouvent parmi
les représentants de la noblesse urbaine d'origine féodale, désormais très
proche du patriciat citadin par des mariages ou bien par la pratique d'acti-
vités commerciales et d'entreprises bancaires : souvent les maisons et
les châteaux du contado où se réfugient les cathares appartiennent aux
patriciens et aux nobles féodaux de la ville.
Les cathares n'avaient pas inscrit dans leur credo l'idéal de pauvreté
apostolique et jamais la communauté des biens ne fut proposée comme ob-
jectif de leur mouvement. Le catharisme ne possédait donc pas une charge
de renouvellement social pouvant soulever les rustici, croissant en nom-
bre, et agités par diverses aspirations (surtout pour se transférer à la ville)
entre le 12e et le 13e siècle. Le vigoureux et puissant essor de l'économie
citadine, artisanale, commerciale et bancaire ne trouvait au contraire
aucun obstacle dans la religion cathare, qui libérait les patriciens actifs
du traditionnel scrupule catholique relatif aux gains obtenus par le
commerce et par le crédit. Mais, surtout, le pessimisme dolent et aristo-
cratique de « l'hérésie du mal » pouvait plus difficilement trouver un
retentissement dans les classes inférieures rurales et urbaines que dans
les éléments réfléchis et cultivés des classes élevées ; ou bien, par un
contraste qui est typique de la mentalité médiévale, il se pouvait préci-
sément que la négation absolue, comme res diaboli, de tout ce qui est
charnel et matériel permît une libre expansion du désir de vivre, d'aimer
et de gagner chez l'orgueilleux et puissant citoyen qui restait simplement
« croyant » et renvoyait au moment de mourir la réception du consola-
mentum qui l'aurait rendu « parfait ».
186 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Ce qui frappe davantage, en étudiant la composition sociale des milieux


cathares, c'est la vie itinérante de beaucoup de ces hérétiques. En effet,
plusieurs parmi les métiers ci-dessus mentionnés comme étant pratiqués
le plus fréquemment par les cathares étaient effectivement itinérants :
c'était le cas non seulement — naturellement — des marchands ambulants
et des charretiers, mais aussi des tisserands et des divers travailleurs du
cuir (M. Dupré Theseider 57 cite des exemples de fabricants de sacs se
rendant de ville en ville, d'une maison à l'autre, chez les nobles et les
riches bourgeois, accomplissant leur travail tout en diffusant et en pra-
tiquant l'hérésie.) Toutes ces personnes en déplacement se rencontraient
souvent, surtout dans les endroits généralement très fréquentés : les
auberges et les tavernes, les ateliers des maréchaux-ferrants, les moulins.
(A Modène, en 1192, on fit démolir les moulins où se réunissaient les adhé-
rents à l'hérésie cathare : molendina paterinorum.).28
Mais c'étaient là des rencontres rapides et occasionnelles : plus stable,
ou tout au moins périodique, devait être la présence de cathares dans les
accueillantes maisons du patriciat et de la noblesse féodale urbaine. Aux
exemples nombreux et significatifs, que nous avons rappelés pour Florence,
nous ajouterons certains autres concernant d'autres villes. Comme le
rappelle M. Dupré Theseider », l'hérétique de Ferrare, Armanno Pungi-
lupo, disait reconnaître les maisons des cathares quia habent aliqua signa.
Au cours du procès intenté à Pungilupo même, après sa mort, il résulta
qu'à Verone il y acquit une domus quam tenet dominus Bergongius pro
hereiicis a domino Alberto episcopo secte de Bagnolo, et que Pungilupo
stabat multum in domo domine Marquesine, in qua stabant heretici. Le
fabricant de sacs Bompietro et sa sœur Boneta avaient été instruits
dans l'hérésie cathare dans la maison de leur père Jean, également
fabricant de sacs, à Ferrare, dans le faubourg de San Romano et dans la
maison voisine d'un Menabo Pizoli : dans la maison paternelle les deux
jeunes gens avaient rencontré les « parfaits » (sans nul doute des iti-
nérants) Pierre de Rimini, Marie, ainsi qu'une autre femme de Vicence,
et Benvenuto tuscanus. Dans la maison du fabricant de sacs Jean
ou dans celle de Menabo Pizoli vivait un certain magister Johannes
paterius de Parme, avec sa femme et ses deux enfants : tous des hérétiques.
Dans le même faubourg de San Romano, à Ferrare, la noble dame Egidia
filia quondam domini Partenopei, femme du noble Albert Malavolti,
donna l'hospitalité dans sa maison au « parfait » Pierre de Rimini déjà
nommé.
On pourrait encore citer d'autres exemples de maisons urbaines, appar-
tenant à des bourgeois ou à des nobles, qui accueillaient les « parfaits »
itinérants dans leurs visites, qui dans certains cas étaient périodiques,
et accueillaient aussi les « croyants » se réunissant autour d'eux.
Par conséquent, le cas des hérétiques d'Albi, qui aperçurent à Vison,
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13» S. 187

près d'Alexandrie, un château qui habebat nemus adiacens, ubi erant


tria vel quatuor hospicia hereticorum me semble tout à fait particulier.
Je suis d'accord avec M. Dupré Theseider pour avancer qu'il s'agissait
très probablement de refuges pour des réfugiés d'Albi. Les vallées du
Piémont ont dû servir très souvent de refuge pour les cathares comme
pour les vaudois fuyant la France méridionale.
Mais je voudrais insister sur le grand, le surprenant caractère de mobi-
lité qu'avait tout le milieu cathare italien. La noblesse urbaine elle-même,
dans les maisons de laquelle s'épanouissait si fréquemment l'hérésie,
ne formait certainement pas un milieu fermement enraciné sur place :
beaucoup de nobles, venant du contado, y gardaient leurs biens et leurs
châteaux, où régulièrement ils revenaient pour séjourner; des partis
politiques se formèrent, qui s'étendirent bien au-delà de l'enceinte des
murs de la ville 80 et il s'ensuivait des relations entre les familles nobles
des différentes villes qui favorisaient aussi les mariages entre familles
lointaines ; les luttes du peuple contre la commune nobiliaire et les hosti-
lités entre le « parti » guelfe et le « parti » gibelin favorisèrent les exodes,
déterminant les exils et les bannissements. La mobilité ensuite, pour
la classe des marchands, n'a nul besoin d'être démontrée.
Cette mobilité n'était pas seulement un élément qui favorisait la diffu-
sion des doctrines hérétiques et permettait, en temps de persécutions,
la pratique du culte en des endroits où pouvaient se tenir de rapides
rencontres. Il me semble que la grande mobilité qui, du 11e au 14e siècle,
caractérisait de manière particulière toute la société de l'Italie du Centre
et du Nord, spécialement la société urbaine 31 , se traduisait aussi par
un état d'âme, des attitudes mentales qui rompaient avec le cadre des
structures ecclésiastiques traditionnelles et constituaient déjà, en eux-
mêmes, un danger et furent bien vite reconnus comme tels par les hommes
d'Eglise avertis.
Les initiatives de type érémitique qui se multipliaient, le nombre
croissant de prédicateurs laïques itinérants, l'éloignement des moines
et des clercs de leur cloître ou bien de leur église d'origine à la recherche
d'une vie plus sévère (ad arctiorem vitam) dans des fondations monas-
tiques ou canoniales de type nouveau portaient déjà au 11e siècle une
intolérance diffuse pour les institutions et pour les structures tradition-
nelles, et suscitèrent les plus vives préoccupations dans beaucoup de
milieux ecclésiastiques. Le dynanisme croissant de la vie économique
et sociale fut un obstacle toujours plus grand au respect du principe de
stabilité et d'encadrement, non seulement des fidèles, mais plus encore des
moines et des clercs, dans les formes où se trouvait traditionnellement
articulée l'Eglise ; le principe même de la structure territoriale était en
crise et, par ce fait, était également en danger l'autorité de la hiérarchie
organisée selon ce principe.
Or, avec l'incertitude des limites territoriales de ses Eglises épisco-
188 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

pales, avec le caractère itinérant de ses évêques et de ses « parfaits »,


le catharisme était particulièrement adapté à une société dynamique
comme celle des villes italiennes du 12e et du 13® siècle.

4. Mouvement à fond social typiquement paysan, c'est ainsi qu'ont été


considérés les apostolici, par Labriola sa , Volpe 88 et Skaskin Ce mouve-
ment se forma aux environs de l'année joachimite 1260 à Parme, par
l'initiative de Gherardo Segarelli, homme de modeste condition, venant
d'une localité du contado de Parme (Alzano). Segarelli, qui n'avait pas
été accepté par les franciscains de Parme, une fois sa maison vendue et
ses biens distribués aux pauvres, commença à prêcher la pauvreté et
la pénitence en se couvrant d'une grossière tunique. Il exhortait
les fidèles à appliquer textuellement les préceptes de l'Evangile et propo-
sait comme modèle l'idéal de la vie apostolique. Par conséquent, ses disci-
ples s'appelèrent apôtres. Selon les apostolici, il fallait refuser de prêter
serment, se dépouiller de tout bien temporel et vivre d'aumônes, ne
jamais se préoccuper du lendemain, avoir pour seuls vêtements une simple
tunique et un grossier manteau, n'avoir pas de demeure fixe mais errer
continuellement, faire pénitence et prêcher, quoique laïcs, ces lignes de vie.
Par conséquent, pas d'habitations stables, pas d'églises et de culte réglé,
mais une libre pérégrination de dévotion. Le mouvement des apôtres
ne devait pas avoir de véritables chefs ni être régi par une hiérarchie.
Ce n'était pas et ne voulait pas être une doctrine particulière et définie
que celle des apostolici, mais une libre adhésion intérieure aux préceptes
évangéliques et à la volonté de Dieu. Aucune discipline régulière ne
régissait la secte, pas plus qu'on ne pouvait y accéder au moyen d'une
profession du type monastique; mais on y pratiquait une obéissance
directe à Dieu et on y accédait avec un libre consentement intérieur.
Les apostolici refusaient l'obéissance à l'Eglise ainsi qu'au pape, à tous
les ordres qui n'étaient pas secundum Deum : ils refusaient en particulier
obéissance aux décrets du pape qui ne considéraient pas leur état de vie
comme parfait et qui défendaient le passage vers eux des personnes
déjà engagées dans un autre état (conjugal, clérical, monastique).
Pour les apostolici, l'Eglise avait déchu de l'état de perfection depuis le
temps du pape Silvestre I e r et, dans le présent, eux-mêmes constituaient
la vraie Eglise spirituelle des apôtres, qui s'imposerait toujours davan-
tage dans l'attente de la venue de l'antéchrist.
Comme on le voit, c'étaient des thèmes paupéristes et évangéliques
déjà vivants dans la tradition des mouvements religieux que nous avons
définis comme « patarinico-évangéliques » et chez les vaudois ; mais ils
se retrouvaient, dans le bagage idéologique des apostolici, à côté des
thèmes joachimites et franciscains (du courant des zélants, fortement
imprégnés de joachimisme précisément dans la région de Parme). Mais
ce qui me paraît plus caractéristique de la spiritualité des apostolici,
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13« S. 189

c'est l'exigence d'un contact intime, direct, libre, de l'esprit individuel


avec Dieu : le refus net et obstiné des votes, d'une règle, des chefs est
particulièrement significatif à ce sujet. C'est également dans ce sens
qu'il faut comprendre le refus opposé à toute autorité du pape en ce
qui concerne le choix de l'état de vie de perfection, vu que — selon
les apostolici — ce sont des questions qui tiennent au rapport direct
entre l'âme, dans sa liberté spirituelle, et Dieu. C'est un thème qui
n'est certainement pas nouveau dans la spiritualité chrétienne et qui
est présent de manière particulière déjà dans la fervente religiosité
du 11e siècle : Urbain II prit même en considération cette exigence lors-
qu'il accorda la dispense de l'engagement à la stabilité monastique
pour celui qui chercherait — par suite d'un appel intérieur de Dieu à
sa conscience — à passer ad arctiorem vitam. Mais chez les apostolici
cette exigence de liberté spirituelle dans le contact direct et intime avec
Dieu est particulièrement vive et caractéristique.
Ces exigences spirituelles et ces éléments doctrinaux apparaissent à
chaque fois plus clairs et plus nets et ils s'exaspèrent surtout lorsque la
direction du mouvement des apostolici passa à Fra Dolcino, qui accentua
les propositions anti-ecclésiastiques, tendit à élargir la conception de la
désobéissance à la hiérarchie ecclésiastique, développa les thèmes joachi-
mites polémiques et prophétiques en une vision eschatologique précise
de l'histoire.
Fra Salimbene 36 était bien informé, quoique poussé par la polémique
sur le droit aux aumômes, de la différence entre le mouvement des aposto-
lici et celui des franciscains, désormais déjà inclus non seulement dans les
structures organisatrices mais aussi dans la fonction charismatique de
l'Eglise : ipsi (Apostolici) vero nec prò benefactoribus suis orabant nec
celebrabant nec predicabant nec ecclesiasticum officium decantabant (comme
le faisaient au contraire les frères mineurs et les prédicateurs). Du mouve-
ment des apostolici se différenciait aussi le mouvement contemporain
des flagellants, qui aboutit à la pratique de la pénitence publique, en
expiation des fautes individuelles et collectives, des atrocités commises
au cours des luttes politiques dans la société communale, et qui f u t par
conséquent — en Italie — surtout un mouvement de paix.
Les idées qui animaient le mouvement des apostolici ne formaient pas
du tout un système doctrinal organique : c'était exclu, comme nous l'avons
vu, par l'esprit du mouvement comme par les intentions de ses promoteurs.
Les idées des apostolici étaient donc extrêmement différentes selon le
niveau culturel et social et selon aussi la formation spirituelle des adhé-
rents. Ce n'est que vers les derniers temps, et sous l'influence de Fra Dolcino,
que se développa une tendance à l'établissement doctrinal et que se
détermina une nette radicalisation des idées. Au début, au contraire,
le mouvement des apostolici, à Parme, avait été franchement favorisé par
l'évêque de la ville, Obizzo Sanvitali. A la fin du 13e siècle encore, dans
13
190 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

certaines localités du contado de Modène et de Bologne et même dans la


ville de Bologne, des prêtres et des chanoines participèrent aux réunions
d'apostolici sans s'apercevoir du piège hérétique. C'est seulement en 1286
qu'Honorius IV donna l'ordre aux apostolici de déposer leur habit et
d'entrer dans les ordres mendiants reconnus par l'Eglise, et quatre ans
plus tard que Nicolas IV ordonna le début des persécutions de la secte.
Le mouvement des apostolici apparut au début seulement comme
excessivement critique à l'égard du clergé et des ordres monastiques
existants (tout en restant par ailleurs, à ce point de vue, dans la tradition
joachimite), et fut considéré hérétique surtout à cause de rébellions
à l'autorité ecclésiastique. L'exaspération dans le sens hétérodoxe
et l'apparition d'autres thèmes plus nettement hérétiques se mani-
festèrent plus tard et eurent une résonnance majeure ou mineure dans
l'un ou l'autre cercle des apostolici.
Le mouvement des apostolici répondait donc dans son essence à une
exigence spirituelle particulière de l'époque, c'est-à-dire au désir de
pleine liberté spirituelle, au respect de la vocation intérieure qui était
déterminée dans le rapport entre l'âme individuelle et Dieu ; mais, dans
la variété, souvent décomposée, des motifs qui l'animaient et qui déri-
vaient des autres courants religieux (celui des vaudois, des joachimites,
des franciscains, etc.), le mouvement des apostolici répondait aux exigences
religieuses les plus diverses ainsi qu'aux attitudes mentales les plus diffé-
rentes des contemporains : au désir de renouvellement moral et à l'attente
d'une nouvelle ère de l'Esprit, aux idéaux paupéristes et au caractère
d'extrême mobilité d'une société en rapide développement, à l'anarchisme
de ces déracinés de la terre qui s'étaient à peine installés en ville et n'étaient
pas encore habitués à la vie urbaine.
L'élément originel et déterminant du mouvement des apostolici est
donc une particulière exigence spirituelle ; l'atmosphère favorable à son
développement est constituée par le climat religieux de la seconde moitié
du 13e siècle. Les milieux sociaux où se diffusa le mouvement des aposto-
lici furent divers ; l'extension géographique du mouvement arriva à
englober de vastes zones de toute l'Italie centrale et septentrionale.
On a considéré le mouvement des apostolici comme un mouvement de
paysans, ou plutôt même comme celui de masses paysannes. Mais M. Carlo
Guido Mor »« a déjà observé avec autorité que, ni à l'époque de Gherardo
Segarelli, ni à celle de Fra Dolcino, il n'y eut, dans les programmes des
apostolici, la moindre revendication de type communautaire de la part
des paysans. On ne peut pas parler, au moins pour l'Italie, d'insurrections
de plèbes paysannes au début du 14e siècle et moins encore dans la seconde
moitié du siècle précédent : le rapport établi par M. Skaskin avec les
insurrections plus tardives de Wat Tylor en Angleterre et des Taborites
en Bohême est tout à fait arbitraire. Nous avons dit, dans la première
partie de cet exposé, qu'au cours du 13e siècle, il ne se créa pas un prolé-
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13" S. 191

tariat agricole, même si l'introduction des contrats de métayage et, en


particulier, de la mezzadria n'améliore pas souvent, surtout quand il
s'agit de nouveaux terrains à cultiver ou de terrains de bonification, les
conditions des cultivateurs. Les paysans deviennent trop nombreux
sur les tenures pour que leur travail donne le meilleur rendement possible
avec les techniques agraires du temps ; mais il ne se forme guère dans les
campagnes de groupes de paysans affamés de terre et animés d'esprit
de révolte : rien de tout ce qui a été transmis par les sources ne nous le
fait penser. Une efficace soupape d'échappement pour la pression démo-
graphique (relativement aux techniques agraires du temps) dans les cam-
pagnes est constituée par l'affranchissement des rustici de la juridiction
et des pouvoirs fiscaux des seigneurs respectifs. L'arrivée dans la ville
des travailleurs provenant du contado n'y provoque pas la formation de
masses prolétaires qui aient une charge révolutionnaire : la révolte des
classes urbaines inférieures éclate beaucoup plus tard vers la fin du 14e siè-
cle, et advient lorsque ces travailleurs se sont désormais installés dans
la vie de la ville et tentent de faire partie du Popolo, s'organisant en
« arts mineurs », et essayant d'étendre à ceux-ci le droit de participer au
gouvernement, qui s'est déjà progressivement élargi des « arts majeurs »
aux moyens. Les ciompi florentins eux-mêmes ne constituent pas des
masses de travailleurs ruraux déracinés et non encore organiquement
insérés dans le système économique et dans la vie sociale de la ville.
On peut encore moins parler de véritables masses urbaines pour les villes
italiennes de la seconde moitié du 13e siècle : il existe certes des ruraux
déracinés, les rustici qui se sont établis entre la première et la seconde
enceinte de la ville ; mais parmi ceux-là il y a des groupes plus ou moins
assimilés à la vie urbaine, selon les diverses conditions individuelles ou
selon le laps de temps depuis lequel ils sont arrivés en ville.
Le mouvement des apostolici a été déclenché par Gherardo Segarelli
qui venait du contado de Parme, et ses partisans furent appelés par Sa-
limbene porcarii et vaccarum custodes ; mais ce pourrait n'être là qu'une
expression de mépris de la part du frère cultivé et aristocratique, irrité
par la concurrence faite à son ordre par la demande d'aumônes ; par consé-
quent l'expression pourrait n'avoir aucune valeur indicative : le chroni-
queur pourrait aussi avoir voulu faire allusion à des rustici récemment
arrivés en ville. Le mouvement eut un très grand succès à Parme, chez
les concitoyens de Salimbene (concioes mei, viri et mulieres) et dans d'autres
villes. Nous ne devons pas penser à un mouvement de masse, se déplaçant
de ville en ville et recrutant toujours de nouveaux adeptes, comme un
fleuve en crue où affluent mille ruisseaux. Tout récemment, M. Frugoni "
a brillamment démontré qu'il n'y a aucune analogie, contrairement à ce
que l'on croyait en se fondant sur quelques ressemblances, avec le mouve-
ment contemporain des flagellants : la « dévotion », constituée par la flagel-
lation publique de pénitence avec procession et chants, n'était pratiquée
192 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

que par un petit nombre devant une nombreuse assistance de citoyens


pieux. L e mouvement des flagellants se propageait de ville en ville, non
par la migration tumultueuse des masses, mais seulement par le déplace-
ment de quelques éléments qui suscitaient dans de nouveaux centres,
toujours plus lointains, de nouvelles « dévotions ».
De manière très semblable a dû se développer le mouvement des Aposto-
lici dont le noyau était constitué par des fratres et ensuite également par
des sorores apostolica vitse, qui, après avoir distribué leurs biens aux pauvres
et endossé la grossière tunique, entreprirent une vie errante de pénitence
en demandant l'aumône et en prêchant de ville en ville l'adhésion littérale
aux préceptes de l'Evangile. Les abus, les désordres, les extravagances,
les immoralités, dénoncés certainement avec quelques exagérations par
Salimbene, ne doivent pas avoir manqué dans un mouvement qui refu-
sait toute règle, toute hiérarchie, toute doctrine définie. Mais il ne man-
quait pas non plus, parmi les apostolici, d'hommes à la vie exemplaire,
animés d'une force de persuasion, qui pouvaient susciter chez les fidèles
des enthousiasmes et des adhésions : celles-ci étaient de nature et de moti-
vation différentes, étant donné le caractère aussi libre et élastique de la
secte. Si la doctrine des apostolici admettait l'obligation de la plus abso-
lue pauvreté pour les « frères parfaits » et excluait non seulement toute
propriété mais aussi tout siège stable pour les « frères apôtres », cela veut
dire que ces règles n'avaient aucun caractère d'engagement pour les
autres adhérents à la secte. En effet, une grande partie des partisans de
Fra Dolcino provenaient des classes artisanales ou même de celles que
nous définirions aujourd'hui comme la bourgeoisie urbaine, et il ne semble
pas que tous les adhérents à la secte ou, tout au moins, les sympathi-
sants aient vendu leurs biens et les aient distribués aux pauvres ; mais
il y en avait certainement qui gardaient leur propre maison. Déjà, M. Mor
a relevé que les accusés de Riva del Garda étaient tous désignés dans les
documents, par l'appellation de ser et de domina (selon qu'il s'agissait
d'hommes ou de femmes). Les actes de l'inquisition de Bologne montrent
qu'une certaine Bona, adhérente de la secte des apostolici, donna à Fran-
çoise, soror Apostolorum, une lettre de recommandation pour des amis de
Florence, en assurant que « ceux-là étaient des nobles (milites) et des riches
hommes de cette secte, qui soutenaient Dolcino en leur envoyant aide
et argent ». M. Dupré Theseider88 a noté comment, en Emilie, l'hérésie
des apostolici prend racine, surtout après la mort de Segarelli, dans le
contado (spécialement dans la zone des collines de Modène) et en ville.
Même les apostolici de l'Emilie, et en particulier ceux de Bologne, n'ap-
partenaient pas à la plèbe rurale ou urbaine, mais faisaient partie du
Popolo car il exerçaient des métiers et faisaient partie des « arts » : on
voit cités, par exemple, un pelliparius et un cordonnier (encore des
travailleurs du cuir) ! En février 1305, à Bologne, un intellectuel fut même
poursuivi, le physicus professeur Jacopus de Mantegallis, qui révéla que
HÉRÉSIE URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13« S. 193

quatre ans auparavant, une réunion d'apostolici avait été tenue avec la
participation de Fra Dolcino, dans la boutique d'un marchand de draps
(in statione pannorum), et qu'y avaient aussi participé un certain Faciolo,
qui par la suite se fit frère de la pénitence, le prêtre Thomas, recteur
de l'hôpital de Santo Stefano, le cordonnier Jean Ribaldini, qui habi-
tait une maison qui lui appartenait à Borgo San Felice, entre la première
et la seconde enceinte, deux autres toujours de Borgo San Felice ainsi
que le docteur Pierre de Uzola : toutes personnes d'un bon niveau social et
aussi de bonne culture. La présence du futur frère de la pénitence Faciolo
parmi elles et dans d'autres réunions de Bologne, comme la présence de
prêtres et d'autres personnes qui ne devaient pas être engagées à fond dans
l'hérésie des apostolici confirme l'impression que le caractère vague et libre
des doctrines de cette secte permettait l'adhésion provisoire de personnes
poussées par des exigences spirituelles de renouvellement religieux et d'at-
tente eschatologique qui étaient un peu dans l'air à la fin du 13e et au
début du 14e siècle.
Comme les adhérents à la secte des apostolici étaient éparpillés dans
toute l'Italie (au nombre, vraisemblablement exagéré, de quatre mille
environ, selon la lettre de Dolcino de décembre 1304), la ferveur des mani-
festations de cette hérésie dans la vallée tridentine, suscitées par sœur
Margherita et par le même hérésiarque, doit être considérée seulement
comme un épisode particulier, favorisé par les circonstances, c'est-à-dire
par l'unité géographique et administrative de la vallée et par la tradi-
tion d'importants établissements d'hérétiques de différents types.
Un autre épisode, plus ample et dramatique cependant, doit être consi-
déré : c'est la violente résistance armée de Fra Dolcino et de ses partisans
en Valsesia contre la croisade suscitée par Clément V et dirigée contre
eux par les évêques de Verceil et de Novare et le marquis de Monferrat,
avec l'aide de nobles mineurs et de citoyens. Même si les conditions géo-
graphiques et sociales de la Valsesia, non loin d'Ossola, patrie de Fra
Dolcino, eurent une grande importance, constituant une base favorable
pour la résistance, ce dernier et violent épisode ne peut pas être considéré
comme un fait exclusivement local, c'est-à-dire comme la transposition,
sur le plan de l'insurrection religieuse, d'une révolte sociale et politique
des plèbes paysannes de la vallée. Maintenant, M. Mor a démontré claire-
ment que dans la Valsesia il n'existait aucune situation particulière de
tension économique et sociale qui puisse expliquer comment une aussi
violente insurrection a pu se produire précisément dans cette zone et rien
que là. Bien au contraire, depuis le début du 13e siècle, des vicinix s'étaient
organisées dans chaque localité et, en 1300, la vallée entière était érigée en
commune pleinement autonome, ne dépendant ni de Verceil ni de Novare.
Il est vrai, en revanche, que les vallées du Piémont étaient, depuis
plus d'un siècle, l'asile d'hérétiques de toutes sectes ; et il est certain que
Dolcino conduisit dans la Valsesia ses partisans échappés à la persécu-
194 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

tion du Trentin et que, dans la même vallée, se réfugièrent des apostolici


provenant de toute l'Italie et même (nous pouvons le croire, en raison
du caractère syncrétique que la doctrine des apostolici finit par assumer
par sa liberté et son élasticité) des hérétiques d'autres sectes désormais
dispersées.
L'extrême résistance des apostolici en Valsesia ne peut donc pas être
considérée comme un fait organique propre à la société paysanne de la
vallée et ne peut pas offrir non plus des éléments valables pour une éva-
luation des fondements sociaux du mouvement dirigé par Fra Dolcino.
Le mouvement des apostolici n'est pas un mouvement insurrectionnel
des plèbes paysannes ni des masses urbaines : les adhérents à la secte sont,
en général, des citoyens et appartiennent à différentes classes, même à
celles dites bourgeoises et à des cercles cultivés. Nous pouvons noter seule-
ment, à la différence des autres hérétiques, une participation majeure
d'éléments du contado et l'adhésion (naturelle, vu certains caractères de
désordre et de dérèglement anarchique que prend quelquefois le mouve-
ment) de déracinés et de dispersés, qui cependant ne constituent pas une
« masse ».
Pour revenir à notre affirmation, nous pouvons conclure que le mouve-
ment des apostolici a probablement ses origines plutôt dans les campagnes
que dans les villes, et qu'il a de nombreux foyers dans le contado, peut-
être plus que d'autres hérésies ; mais il se développe et se manifeste sur-
tout dans les villes, il trouve ensuite dans les vallées alpines l'ultime refuge
et la forteresse pour une dernière résistance désespérée.

III

Si nous voulons maintenant rassembler les fils de notre discours, nous


pouvons observer d'abord que les hérésies du 11 e au 13 e siècle dans le
Centre et dans le Nord de l'Italie sont un phénomène essentiellement
religieux ; elles sont une des manifestations de ce souffle de réforme morale
et de renouvellement religieux qui, avec une accentuation spiritualiste
et avec une adhésion plus ferme aux textes de l'Evangile, s'impose dans
les milieux laïques, cléricaux et monastiques.
Les conditions sociales ont leur importance essentiellement pour ce qui
concerne les possibilités de propagande et de diffusion des hérésies et
les moyens de défense des hérétiques contre les persécutions.
C'est une ambiance économique et sociale particulière, celle de la campa-
gne, qui, plus isolée et plus lointaine, favorise en effet la réussite de l'hérésie
pendant la période délicate de son premier épanouissement et constitue
aussi, en général, le dernier refuge pour les adeptes persécutés d'une héré-
sie en phase de régression et d'extinction. Le milieu naturel dans lequel
se développent les hérésies est le milieu urbain, dans une société dont
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11« AU 13« S. 195

les villes sont toujours davantage les centres moteurs dans le domaine
économique, social, politique, culturel, religieux. Et il faut rappeler aussi
que, dans les siècles considérés, les villes, tout en se différenciant toujours
davantage des campagnes environnantes, ne s'en détachent pas et ne s'en
isolent pas non plus, mais — au contraire — que les rapports entre le milieu
rural et le milieu urbain s'intensifient en même temps que s'affirme la
distinction entre le noyau urbain et le contado. Ainsi, les hérétiques éta-
blis en ville trouvent, au moment du danger, un refuge dans les maisons
de campagne et dans les châteaux de leurs coreligionnaires ou protec-
teurs urbains ; l'échange de nouvelles et de rapports en tous genres entre
les noyaux d'hérétiques citadins et les foyers ruraux ou les lieux de ren-
contres du contado (tavernes, moulins, ateliers de maréchaux-ferrants)
sont également fréquents.
Les hérésies trouvent la condition favorable à leur diffusion dans la
nouvelle et exceptionnelle mobilité des hommes du 11e au 13e siècle, et
non seulement à cause des possibilités pratiques qu'une telle mobilité
offre pour des rencontres et pour des échanges d'idées, mais aussi et sur-
tout en raison des attitudes mentales particulières qu'adoptent désormais,
face aux structures ecclésiastiques rigides, des hommes habitués à se
déplacer fréquemment, ouverts à de plus larges horizons. Le dynamisme
social, typique de la société urbaine au cœur de notre Moyen Age, favorise
en effet la formation d'attitudes d'opposition vis-à-vis de l'indéniable
raidissement et du formalisme croissant de la mentalité, toujours plus
juridique, qui domine dans les milieux curiaux et dans une partie de la
hiérarchie ecclésiastique. Rien qu'à ce point de vue, les observations que
nous avons faites sur les conditions sociales dans lesquelles se développent
les hérésies du Moyen A g e peuvent se justifier.
Je suis en effet de moins en moins persuadé que les mouvements héréti-
ques soient simplement la transposition de revendications économiques,
sociales et politiques sur le plan de la lutte religieuse. Les raisons profondes
de l'essor et de la réussite des mouvements hérétiques doivent toujours
être cherchées dans une considération générale de l'histoire religieuse de
l'époque

NOTES

1. S. D. SKASKIN, « Le condizioni storiche della rivolta di Dolcino » dans Rapports de


la délégation soviétique au Xe Congrès international des Sciences Historiques, Rome,
1955.
2. Introduction synthétique aux études sur la vie économique et sociale du 11e au
13e siècle dans l'Italie du Centre et du Nord, et bibliographie fondamentale dans le
précieux volume de G. LUZZATTO, Per una storia economica d'Italia, Bari, 1957.
Voir aussi l'anthologie d'histoire économique Storia economica italiana. Saggi
196 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

di storia economica, C. M. CIPOLLA, I : Secoli VII-XVII, Turin, 1959 (particulière-


rement appréciable est la rapide synthèse introductive de Cipolla). Que l'on me
permette aussi de renvoyer à mon compte rendu : C. VIOLANTE, « Storia ed econo-
nomia nell'Italia medievale » (à propos d'un livre récent) dans Rivista storica ita-
liana, t. L X X X I I 1 , 1961, p. 513-535. Voir maintenant C. VIOLANTE, « L'età della
riforma della Chiesa in Italia (1002-1122) • dans Storia d'Italia éd. N . V A L E R I ,
2' édit., Torino 1966, 1, pp. 69-99.
3. M.G.H. Legum s. VI, Const. et acta pubi., I, n. 21, p. 47-48.
4. C. VIOLANTE, « II monachesimo cluniacense di fronte al mondo politico ed eccle-
siastico (secoli X - X I ) », dans La Spiritualità cluniacense, Todi, 1960, p. 155-242,
en particulier, p. 222-225.
5. C. VIOLANTE, « Les prêts sur gage foncier dans la vie économique et sociale de Milan
au 11« siècle », dans Cahiers de Civilisation médiévale, t. V, 1962, p. 147-168, 437-459.
6. P. V A C C A R I , La Territorialità corne base dell' ordinamento giuridico del contado.
Italia superiore e media, Pavie, 1921. Une seconde édition, revue et augmentée de
nouveaux articles, de ce volume est annoncée par la Fondazione italiana per la Storia
amministrativa., 2 8 édit, Milan, 1963].
7. Voir « La vita comune del clero nei secoli X I e X I I », dans Atti della settimana di
studio : Mendola, septembre 1959, Milan, 1962 ; et particulièrement C. V I O L A N T E ,
« Prospettive e ipotesi di lavoro », dans ibid., t. I, p. 6-10 et A. PALESTRA, • Ricerche
sulla vita comune del clero in alcune pievi milanesi nel secolo X I I », dans ibid.,
t. II, p. 142-149.
8. I L A R I N O DA M I L A N O , « Le eresie popolari del secolo X I nell' Europa occidentale »,
dans Studi Gregoriani, éd. G. B. Borino, t. II, Rome, 1947, p. 43-89. Pour les héréti-
ques de Monforte, voir C . V I O L A N T E , La società milanese nell' età precomunale, Bari,
1953, p. 176-185.
9. C . V I O L A N T E , La potoria milanese e la riforma ecclesiastica, I : Le premesse ( 1 0 4 5 - 1 0 5 7 ) ,
Rome, 1955 ; G. MICCOLI, « Per la storia della pataria milanese » dans Bullettino dell'
Istituto storico italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano, 70, 1958, p. 43-123 ;
E. W E R N E R , Pauperes Christi, Leipzig, 1 9 5 6 ; E. W E R N E R « 7TATAPÏ)voC — patarini :
Ein Beitrag zur Kirchen und Sektengeschichte des X I . Jahrhunderts » Vom Mitte-
lalter zur Neuzeit Berlin 1956 p. 404-419 ; C. D. FONSECA. « Arialdo », dans Diziona-
rio Biografico degli Italiani, t. IV, Rome, 1962. p. 135-139.
10.C. MANSELLI, Studi sulle eresie del secolo XII, Rome, 1953.

11.A. FRUGONI, Arnaldo da Brescia nelle fonti del secolo XII, Rome, 1954 ; A. F R U -
GONI « 'Filii Arnaldi' (Per l'interpretazione di un passo di Ottone Morena) », dans
Bullettino dell' Istituto storico italiano..., 70, 1958, p. 521-524.
1 2 . G . V O L P E , Movimenti religiosi e sette ereticali nella sociétà medievale italiana (se-
coli XI-XIV), réédition, Florence, 1 9 6 1 , p. 7 1 - 7 8 ; A . D E S T E F A N O , Riformatori
ed eretici del Medioevo, Palerme, 1 9 3 8 , p. 2 7 3 - 2 9 7 ; G . G O N N E T , Il valdismo medicevale.
Prolegomeni, Torre Pellice-Turin, 1 9 4 2 ; A . F R U G O N I , Arnaldo da Brescia, op. cit.,
p. 132-133.

1 3 . G . V O L P E , op. cit., p. 97.


14.L. ZANONI,Gli Umiliati nei loro rapporti con l'eresia, l'industria della lana ed i
Comuni nei secoli XII e XIII, Milan, 1 9 1 1 ; G. V O L P E , op. cit., p. 5 1 - 6 2 , passim.
15.C. VIOLANTE, « La Chiesa bresciana nel medioevo », dans Storia di Brescia, I :
Il Medioevo, Milan, 1963, p. 1079-1082.
16.A. R. N A T A L E , Ricerche paleografiche in carte lombarde dalla seconda metà del Mille
al Millecento, Milan, 1961. Pour les cathares, voir C . S C H M I D T , Histoire et doctrine
de la secte des Cathares ou Albigeois, 2 vol., Paris, 1849.
1 7 . R . MANSELLI, L'eresia del male, Naples, 1961, p. 180-184 et la bibliographie par
ticulière adjointe.
HÉRÉSIES URBAINES ET RURALES EN ITALIE DU 11» AU 13« S. 197

1 8 J b i d . , p. 281-282, 324-326.
19.C. SCHMIDT, op. cit., t . I, p . 63-64, 146.
2 0 . C . SCHMIDT, op. cit., t . 1, p . 1 4 7 ; R . MA.NSELLI, op. cit., p. 284-286.
21.C. SCHMIDT, op. cit., t. I, p. 64, 146-150. Pour Bologne, voir A. DUPHÉ THESEIDER,
« L'eresia a Bologna nei tempi di Dante », dans Studi storici in onore di Gioacchino
Volpe, t . I, Florence, 1958, p. 381-44.
22.R. DAVIDSOHN, Storia di Firenze, trad. italienne, t. II, Florence, 1900, p. 413 et
s u i v . ; R . MANSELLI, op. cit., p. 217-218, 286-287.
2 3 . R . MANSELLI, op. cit, p . 2 8 9 - 2 9 0 e t l a b i b l i o g r a p h i e .
24.Ibid., p. 290-292 et la bibliographie
25. A. BORST, Die Katharer, Stuttgart, 1953 (Schriften der M.G.H., 12), p. 124 et suiv.
e t p . 2 2 8 ; E . D U P R É T H E S E I D E R , op. cit., p . 4 0 0 e t s u i v . ; R . MANSELLI, op. cit.,
p. 293-295. Les seuls travaux consacrés exclusivement aux problèmes des rapports
entre les hérésies (en général) et la société, sont : A. P.EVANS, « Social Aspects of
Medieval Heresy », dans Persécution and Liberti/, Essays in Honor of G L. Burr,
New York, 1931, p. 93-116 ; A. MENS, « Innerlijke drijfveeren en herkomst der
kettersche bewegingen in de Middeleeuwen. Religieus oiwel sodala oogmerk ? »,
dans Mélanges d'histoire offets à Léon van derEssen, Bruxelles-Paris, 1947, p. 298-313.
Toujours riches en suggestions sont les pages de G. Volpe, dans son ouvrage classique
(op. cit).
2 6 . R .MANSELLI, op. cit., p. 293.
27.op., cit. p. 401 et suiv.
28.L. A. MURATORI, Antiqaitates Italiese Medii Aevi, V, 86-87 ; cf. C. SCHMIDT, op. cit.,
t. I, p. 64.
29.0p. cit., p. 405 e t suiv. — L. A. MURATORI, ibid., V, 118, 121, 129, 131.
30. Voir E . SESTAN, « Le origini delle Signorie cittadine : un problema storico esaurito »,
dans Bullettino dell' Istituto storico italiano..., 43, 1961, p. 41-69.
31 .Cf. Villes et campagnes. Civilisation urbaine et civilisation rurale en France. Deu-
xième semaine sociologique organisée par le Centre d'Etudes sociologiques, Paris, 1953,
p. 3-39. — Il metodo delle scienze storico-sociali. Rapporti fra città e campagna. Atti
del primo congresso dell' Associazione italiana di sociologia, Bologne, 1960.
32.A. LABRIOLA, Discorrendo di socialismo e di filosofia, 6 E éd. a cura di B. Croce, Bari,
1953, p. 118-146; du même, La concezione materialistica della storia (del materia-
lismo storico), Bari, 1953, p. 185 et suiv.
3 3 . G . V O L P E , op. cit., p . 1 1 5 - 1 2 5 , passim.
34.0p. cit., sur le mouvement des apostolici, voir maintenant surtout L. SPATLING,
De Apostolicis, Pseudoapostolicis, Apostolinis, Munich, 1947, p. 113-140.
35.SALIMBENE DE ADAM, Cronica, éd. F. Bernini, t . I, Bari, 1942, p. 372 (voir tout le
passage consacré aux apostolici, p. 367 et suiv.). [Voir maintenant la nouvelle édition
p a r G. S CALIA, Bari, 1966, p. 369 et suiv].
36.Compte rendu du livre de Skaskin, Bollettino storico-bibliografico subalpino, t. L I V ,
1956, p. 354-362.
37.A. FRUGONI, « Il movimento dei Flagellanti nell'anno gioachimitico 1260 », dans
Bullettino dell' Istituto storico italiano..., 75, 1963.
38,Op. cit., p. 430 et suiv.
39.Cette communication avait été envoyée à l'impression, quand j'ai reçu le tirage-à-
p a r t d ' u n essai très suggestif, que malheureusement je n'ai pas pu utiliser : E . DUPRÉ
THESEIDER, « Gli eretici nel mondo communale italiano » dans Bolletino della Società
di Studi Valdesi, décembre 1963, n. 114.
DISCUSSION

B . GEREMEK. — H est un fait très important pour la compréhension


sociale de la diffusion de l'hérésie, c'est la haine des hérétiques contre le
mariage, contre la famille : on voit parmi les hérétiques beaucoup de ces
troisièmes et quatrièmes fils de familles nombreuses, et l'affluence des
femmes d'origine noble pourrait aussi s'expliquer par le fait qu'elles étaient
sans dot, et sans possibilité de trouver une vie stable. Chez les cathares,
c'est presque une obligation de quitter la maison paternelle, de se laver,
dans un certain sens, de ce péché mortel qu'est la famille. Cette haine contre
les cadres familiaux ne pourrait-elle pas s'expliquer par la montée démo-
graphique qui fait éclater les cadres ?

C. VIOLANTE. — Il y a certainement une coïncidence chronologique;


mais je crois qu'il faut mettre en rapport cette disponibilité à accepter une
hérésie qui nie la famille non avec la poussée démographique, mais avec
l'état de personnes déjà détachées de leur famille et qui se déplacent beau-
coup, par exemple les marchands, et je pense à un passage de Dante sur les
épouses u abandonnées » par les marchands qui vont en France. Mais cette
haine s'explique sans doute par des facteurs religieux ou spirituels, soit
par une conception manichéenne rigide, soit par une interprétation extré-
miste des évangiles ; car l'expansion démographique conduit, j e crois,
plutôt à rehausser les valeurs familiales.
Quant aux femmes d'origine noble, il s'agit parfois de femmes mariées,
qui restent dans leur famille et ont une action typiquement féminine (elles
assurent l'hébergement des parfaits et leurs rencontres avec la communauté
locale) ; quant aux nobles, ils sont souvent eux-mêmes, comme les nobles
de Brescia, fautores hereiicorum, et surtout pour des motifs politiques.

R . MANSELLI. — Il faut rappeler que la haine des cathares pour le mariage


était un fait doctrinal qui, dans la réalité de la vie, ne s'appliquait qu'aux
parfaits, une infime minorité. Et c'est un fait important pour préciser les
rapports entre les idées et leur application. J'ajoute que c'est seulement
à la fin du catharisme (à la fin du 13e siècle) et spécialement en France
méridionale — avec Pierre Autier — qu'on cherche à réaliser une commu-
nauté cathare qui adhère plus entièrement à la doctrine. L a norme est
que les parfaits respectent la chasteté sans toujours y parvenir ; les croyants
gardent leur femme et leurs enfants, la seule chose qui les caractérise est
leur aptitude à recevoir le consolamentum avant leur mort, à aider les
parfaits, à écouter leur prédication.
N'ayant pas d'églises, les cathares se réunissent dans une maison amie
ou dans une taverne, mais j'ai l'impression d'un milieu vraiment familial.
C'est pourquoi je crois que la famille demeure le noyau vital de l'hérésie
cathare.
R. MANSELLI

LES HÉRÉTIQUES DANS LA SOCIÉTÉ ITALIENNE


DU 13e SIÈCLE

Mon sujet, dans le plan général de ce colloque, se trouve limité, d'autres


participants ayant précisé leur point de vue sur les rapports entre l'hérésie
et les différents groupes sociaux. D'autre part, mon ami Violante a déjà
discuté les problèmes soulevés par l'hérésie urbaine et rurale. Par consé-
quent, cette communication concerne exclusivement les hérétiques dans
la société urbaine italienne du 13e siècle. J e me rends bien compte que
je reprends ainsi le thème d'un livre déjà célèbre de Gioacchino Volpe :
Mouvements religieux et sectes dans la société médiévale italienne.1 J e
précise, toutefois, que je me place, aujourd'hui, à un point de vue nouveau,
ne serait-ce qu'en raison des études qui ont paru successivement dans ces
trois dernières décennies.a
A la différence de Volpe, je tiens avant tout à souligner que les héré-
tiques des villes italiennes répondaient tout d'abord à une exigence reli-
gieuse et spirituelle — et c'est surtout cette exigence qui les a soutenus
dans leur activité au milieu de la vie citadine. » Ainsi, à côté des partis
dont nous parlons habituellement à cette période, il faut tenir compte de
cette réelle présence hérétique. Cela pose un premier problème, qui est
le suivant : quelle possibilité avons-nous de repérer les hérétiques dans
les villes italiennes ? L'Italie ne possède rien de semblable à la collection
Doat, si précieuse pour les études de ce genre dans la France méridionale.
Il est nécessaire, donc, d'entamer une étude systématique dans chaque
ville italienne pour retrouver ce qui a été conservé jusqu'à aujourd'hui.
J e vous présenterai ainsi certains résultats partiels et des conclusions
provisoires, en souhaitant pouvoir profiter de la discussion qu'ils
susciteront.
Le premier cas dont je désire parler ici est celui qui nous est offert
par la ville de Florence. 4 Un document de la fin du 12 e siècle montre que
Florence a déjà été atteinte par l'hérésie à cette époque. Nous ne savons
pas grand'chose des progrès immédiats de ce mouvement ; nous pouvons
toutefois préciser que, dans la plupart des cas, il s'agit des cathares. Il y
avait aussi des vaudois; mais, par leur mimétisme, ils n'ont pas joué un
rôle perceptible par notre recherche. Nous savons par les documents
publiés notamment par Tocco que l'hérésie cathare avait touché plusieurs
familles importantes de Florence et que la commune avait publiquement
200 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

pris la défense des hérétiques contre l'inquisiteur. C'est le cas du fameux


Baron de Pulce qui eut la possibilité de s'enfuir grâce à la complicité du
podestà de Florence, ce qui alluma une véritable bataille dans les rues
de la ville. Cet épisode contribua à faire naître des confréries dominicaines
qui regroupèrent les fidèles catholiques. Ensuite il n'y a qu'un document,
daté de 1282, qui nous permet de conclure que les cathares de Florence
avaient compté parmi les ennemis du pape pendant la guerre entre le
roi Manfred et Urbain IV. 5 Farinata degli Uberti, le capitaine florentin
à la bataille de Montaperti où les troupes gibelines écrasèrent la ligue
guelfe, était certainement un cathare ' ; et il est intéressant de noter
qu'après la défaite de Manfred, les cathares qui avaient combattu parmi
les gibelins furent anéantis par l'Inquisition. Notons, d'autre part, que
ces cathares gibelins de Florence entretenaient des liaisons très étroites
avec les cathares gibelins de Pise. Malheureusement, nous ignorons presque
tout ce qui se passa à Pise.
Une situation plus complexe et plus intéressante nous est offerte par
la ville d'Orvieto, où la position géographique même pose des problèmes
nouveaux. 7 A la fin du 12 e siècle, Orvieto avait déjà connu de profondes
infiltrations hérétiques, quand la politique d'expansion du pape Inno-
cent III avait imposé à la ville un podestà romain — Pietro Parenzo —
nommé directement par le pontife. Ce podestà appliqua aussitôt les dispo-
sitions qu'il avait reçues en imposant non seulement les directives poli-
tiques papales, mais en exigeant aussi l'orthodoxie la plus complète sur
le plan religieux. Ne pouvant pas se dresser directement et ouvertement
contre cette intervention, une conjuration fut préparée et aboutit au
meurtre de Pietro Parenzo. Il faut remarquer à cet égard que cette
conjuration rassemblait les cathares bourgeois de la ville aussi bien que
les cathares de la noblesse inurbata, c'est-à-dire contrainte auparavant
à s'établir à l'intérieur de la ville. 8 Après cet assassinat, le pape réussit
à rétablir son autorité sur le plan politique, mais les cathares restèrent
en place et ils eurent quelquefois même des magistratures dans la cité.
Un cas vraiment singulier est celui du camerarius Giovanni qui, en vertu
de ses pouvoirs, avait signé les statuts contenant des dispositions contre
les cathares ; il résulte, en effet, d'après un document postérieur, qu'il
était cathare lui aussi. A Orvieto les cathares ne furent presque pas
inquiétés jusqu'en 1268, c'est-à-dire aussitôt après la défaite de Manfred.
Alors toute une série de procès montra que les familles les plus importantes
de la bourgeoisie d'Orvieto — les Tignosi et les Ricci — étaient cathares.
Plus important et plus significatif encore est le cas de Viterbe. ' L'hérésie
y était déjà installée dans les premières années du 13e siècle et continua
à prospérer grâce aux contrastes entre les partisans du pape et de l'empe-
reur. Nous citons, à titre d'exemple, l'épisode le plus célèbre celui de
Sainte Rose qui, toute jeune, fut bannie par les partisans de Frédéric II
parce qu'elle avait prêché contre les cathares. Nous ignorons malheu-
HÉRÉTIQUES DANS LA SOCIÉTÉ ITALIENNE AU 13* S. 201

reusement la suite des événements au cours de la deuxième moitié du


13e siècle ; mais nous pouvons affirmer que l'Inquisition dut travailler
pendant toute cette période contre les hérétiques.
Si nous nous sommes arrêtés à ces trois villes seulement, il faudra
rappeler aussi que les grandes villes fidèles à Frédéric II étaient également
des villes cathares. Crémone, Vérone, Plaisance ont été longtemps des
centres accueillants pour les cathares. Pour Crémone, il suffira de citer
la fameuse invitation adressée par l'évêque cathare résident à Crémone
à l'évêque cathare assiégé à Montségur. 10 Encore plus intéressant nous
semble le fait qu'à Vérone, Ezzellino da Romano, après 1233, à la suite
de l'extermination de soixante cathares provoquée par la prédication de
Giovanni de Vicence, arrêta tout à fait l'activité de l'Inquisition dans
le territoire qu'il contrôlait, et cela jusqu'à sa mort. 11 De Plaisance il
sera suffisant de dire que l'évêque cathare de Toulouse, Viventius, put y
demeurer en toute tranquillité pendant presque trente années. 12

Les faits que nous venons de retracer très brièvement nous permettent,
à notre avis, d'avancer qu'il y eut un lien très étroit entre l'hérésie cathare
et le grand parti politique des gibelins qui soutenaient l'empereur dans
sa lutte contre le pape. 18
Tandis que le mouvement cathare approchait de sa fin et que la résis-
tance à l'influence papale s'affaiblissait dans les circonstances que nous
avons évoquées, les villes italiennes commençaient à connaître un autre
type d'hérésie, qui se relie aux exigences de pauvreté et aux attentes
eschatologiques. C'est le cas de Parme, où se répand l'hérésie de Gherardo
Segarelli, appelée plus tard des apostoliques ; ces derniers vont se diffuser
dans l'Italie du Centre et du Nord. Nous tenons à souligner, à ce propos,
qu'entre cathares et apostoliques italiens, il y a une profonde différence
du point de vue social. Les groupes cathares se rassemblent de préférence
par consorterie, c'est-à-dire par clientèles familiales comprenant des
membres qui appartiennent à toutes les couches sociales de la ville. Les
apostoliques, par contre, seront de préférence recrutés parmi les membres
des classes sociales inférieures. Cela entraînera une nette différence de
poids politique entre eux et les cathares à l'intérieur des villes italiennes.
Ces derniers ont joué un grand rôle politique grâce à leur structuration
sociale, tandis que les premiers n'auront presque pas d'influence sur la
vie citadine et pas plus, en général, sur la vie italienne. "
HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

NOTES

1. G. VOLPE, Movimenti religiosi e sette ereticali nella società medievale italiana (secoli
XI-XIV), Florence, 1922, réédité à Florence en 1961.
2. Pour les ouvrages récents sur les hérésies médiévales, se reporter à mon travail :
R. M A N S E L L I , L'eresia del male, Naples, 1961, p. 101-117, et à l'important ouvrage
d'A. B O R S T , Die Katharer, Stuttgart, 1952, p. 42-58.
3. Ce point de vue a été particulièrement défendu par R. M O R G H E N , « L'Eresia nel
Medioevo », dans Medioevo cristiano, Bari, 1962, 3 e éd., p. 204-281.
4. Pour l'hérésie à Florence, voir F. Tocco, Dante e l'eresia o quel che non c'i nella
Divina Commedia, Florence, 1895, où sont publiés les documents auxquels je me
réfère ; G. B. R I S T O R I , « I patarini in Firenze nella prima metà del secolo XIII »,
dans Rivista storico-critica delle scienze teologiche, t. I, 1 9 0 5 , p. 1 0 - 2 3 , 3 2 8 - 3 4 1 , 7 5 4 -
7 6 0 ; R . D A V I D S O H N , Geschichte von Florenz, t. I, Berlin, 1 8 9 6 , p. 7 2 1 - 7 3 0 .
5. Ce document, qui présente également de l'importance pour nous renseigner sur
la composition sociale de la secte des cathares florentins, est publié dans : R. MAN-
SELLI, « Per la storia dell'eresia nella Firenze del tempo di Dante. H processo contro
Saraceno Paganelli », dans Bulleltino dell'Istituto storico italiano per il Medio Evo
e Archivio Muratoriano, 62, 1950, p. 123-138.
6. Cf. N . O T T A K A R , « La condanna postuma di Farinata degli Uberti », dans Studi
comunali e fiorentini, Florence, 1948, p. 115-123.
7. Les documents ont été recueillis par L. F U M I , Codice diplomatico della città d'Orvieto,
Florence, 1884. Voir aussi W. C H E R U B I N I , « Movimenti patarinici in Orvieto »,
dans Bollettino dell'Istituto storico artistico orvietano, t. XV, 1959, p. 3-42.
8 . Sur S. Pietro Parenzo et son assassinat, voir V. N A T A L I N I , S. Pietro Parenzo. La
leggenda scritta dal maestro Giovanni canonico di Orvieto, Rome, 1936,
9. Pour Viterbe, je me permets de renvoyer à mon volume, cité plus haut, L'eresia del
male, p. 290-292.
10.CY. I. VON D Ö L L I N G E R , Beiträge zur Sektengeschichte des Mittelalters, t. II, Munich,
1890, p. 34-35 ; R. M A N S E L L I , op. cit., p. 282.
11.Cf. R . M A N S E L L I , op. cit., p. 2 8 4 - 2 8 5 .
12.Ibid., p. 2 2 1 . Mais voir aussi : A . B O R S T , op. cit., p. 2 3 3 , note 1 7 .
13.Le problème des rapports entre gibellinisme et hérésie est déjà étudié dans R. MAN-
SELLI, op. cit., p. 282-285 ; 292-293.
14.Sur les apostoliques et sur leur importance en Italie, particulièrement après les
premières années du 13e siècle où ils eurent Fra Dolcino pour chef énergique et
audacieux, voir E . D U P R É T H E S E I D E R , < Gli Apostolici e Fra Dolcino », dans Bollettino
di studi valdesi, 108, 1957.
PH. WOLFF

VILLES ET CAMPAGNES
DANS L'HÉRÉSIE CATHARE

En disant quelques mots de ce problème « villes et campagnes », appliqué


à l'hérésie cathare, c'est surtout à la prudence que je voudrais encourager
encore. Prudence que n'impose pas seul l'état d'une documentation
incomplète et déformante — mais aussi la complexité des notions que
nous manions. Les plus anciens textes relatifs aux hérésies en Languedoc
(canons des conciles, annalistes anglais, et jusqu'au Tolosa Dolosa de
Pierre des Vaux-de-Cernay) insistent sur le rôle capital d'une ville comme
Toulouse dans la diffusion des hérésies : on peut concevoir que les condi-
tions nouvelles de la vie urbaine aient été favorables à leur dévelop-
pement : rupture avec les cadres traditionnels, contacts multiples susci-
tant une conscience de « masses », insuffisance de l'encadrement religieux
(importance du problème des paroisses urbaines). Mais, à côté de cela,
d'autres villes ont vu l'hérésie tenue en respect (Narbonne) ou réduite à
presque rien (Cahors) : les villes épiscopales ont été aussi des centres de
réaction orthodoxe où pouvait se deployer l'efficacité d'un évêque.
Surtout, au moins dans les pays de l'Europe méridionale, il est très
difficile de distinguer nettement villes et campagnes : que dire de « bour-
gades », comme Verfeil, où saint Bernard échoua, ou Fanjeaux, choisie
par saint Dominique comme centre de son action contre l'hérésie '? Nous
sommes à une période d'évolution relativement rapide : les villes com-
mencent seulement à grandir, les artisans se multiplient dans les bour-
gades à demi-rurales. Entre ville et campagne la différence ne serait-elle
pas plus quantitative que qualitative ? Et ne faut-il pas dépasser cette
antithèse villes-campagnes, pour concevoir le phénomène essentiel comme
leur commune transformation, que l'on appellera « urbanisation », par
l'un de ses aspects les plus visibles, mais qui est un phénomène très large,
économique, social, psychologique, intellectuel... et porteur d'hérésie ?
J e voudrais en arriver à une autre ambiguïté, que j'aurais aimé évoquer
à propos de la communication de M. Werner, s'il avait pu venir : c'est
celle des contours du milieu hérétique. Il est, dans certains cas, facile de
définir qui est hérétique : les « parfaits », ceux des « croyants » qui s'étaient
engagés à fond à leurs côtés, voire des hommes qui ont plus ou moins
souvent pratiqué le melioramentum, «adoré les bons hommes»... Mais
à la frange, il y a une masse à la fois séduite par les vertus des « parfaits »,
204 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

nullement désireuse cependant de rompre avec ses cadres habituels, fort


peu au courant, d'ailleurs des contestations dogmatiques.
C'est cette frange, que je crois assez large, qui a sans doute contribué
à cette dualité des « prises de conscience » que nous constatons dans le
Languedoc attaqué par la croisade ; prise de conscience des groupes
hérétiques, mais aussi quelque chose de plus large : lors des sièges de
Toulouse, la population manifesta ostensiblement sa piété orthodoxe;
par la suite elle fera, presque dans ses éléments les plus orthodoxes,
cause commune avec les hérétiques. Ce n'est pas seulement prudence ou
habileté, mais prise de conscience, je n'ose dire « nationale », d'une commu-
nauté de langue, de civilisation, de conceptions, sans doute d'attitude
vis-à-vis des hérétiques, mais pas de religion. Entre ces deux prises de
conscience, il y a un subtil contrepoint, que nous retrouverons sans doute
à propos des hussites.
DISCUSSION

P. F R A N C A S T E L . — Dans l'exposé de M. Manselli, comme dans ceux de


toutes les personnes qui ont parlé de l'Italie, un nom, un grand nom ne
paraît jamais, celui de Venise. J e voudrais, non compléter vos informations
mais poser ce problème de l'hérésie à Venise, qui présente là encore son
caractère d'originalité. Et, à propos de ce qu'a dit mon collègue sur les
rapports villes-campagnes, je pense que la différence est tout de même
qualitative, et qu'elle a trait à l'organisation des types de vie, et que cela
a une extrême importance pour l'hérésie.

C . V I O L A N T E . — Le problème villes-campagnes se pose différemment selon


les régions : d'abord, il f a u t tenir compte de la densité diverse des villes
épiscopales selon les régions. En Italie cette densité est beaucoup plus grande
qu'ailleurs, surtout dans l'Italie centrale ; et je crois que la grande mobilité
entre campagne et ville, qui se développe toujours plus du 11 e au 13 e ,
ne s'accompagne pas d'un processus de rapprochement des conditions mais
d'une différenciation progressive des conditions de vie et des conditions
juridiques, formation de la commune, de la vie urbaine typique, d'une
condition juridique. Désormais, la campagne est un milieu purement rus-
tique où nous trouvons proportionnellement moins d'artisans et de marchands
qu'au 10e siècle. La pieve, circonscription ecclésiastique, beaucoup plus
grande que la paroisse française, et centre rural, du 11 e au 13 e siècle perd
de son importance, se démembre en paroisses nouvelles.
L'attitude, dans les villes, du peuple et des autorités communales qui
ont protégé les hérétiques, s'explique aussi par leur hostilité aux méthodes
et même au caractère politique de l'Inquisition. Dans l'ambiance de ces
luttes urbaines, la confusion s'explique entre cathares et gibelins : à l'ori-
gine, dans chaque cas personnel, le fait religieux peut prévaloir, ou le fait
politique, mais les documents de l'Inquisition ne nous permettent pas de le
préciser.
Enfin, au 13 e siècle, une catégorie a été bien mise en relief par Dupré-
Theseider : c'est celle des esprits forts, des « libres penseurs », qui pourraient
assimiler quelques éléments de l'hérésie, mais qui d'abord étaient hostiles
au cléricalisme et peu préoccupés de problèmes religieux. Mais ils étaient
poursuivis comme hérétiques, tout comme les gibelins ; dans ce sens, le
13 e siècle italien a vu deux catégories d'hérétiques : les hérétiques spontanés
et vraiment religieux et ceux que l'Inquisition forçait à être hérétiques.

R. M A N S E L L I . — Nous ne savons effectivement rien sur l'hérésie à Venise,


mais les raisons en sont un peu analogues à celles qu'a évoquées le professeur
Wolff à propos de Narbonne et d'autres localités. Un fait fondamental :
Venise a défendu jalousement son indépendance politique et religieuse ;
aucun inquisiteur n'a jamais mis pied à Venise. Pour la prise de conscience
14
HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

de la France méridionale, je serais favorable à une crise de conscience natio-


nale : nous savons que les inquisiteurs ne trouvaient pas dans la France du
Sud de personnel fidèle et qu'ils demandaient qu'on leur envoie du Nord,
par exemple des notaires. Enfin, à propos de l'Inquisition et de l'Italie
du 13 e siècle, je reste persuadé qu'il y existait une réalité cathare, spécia-
lement dans la première moitié du siècle. Et, je défendrai l'honnêteté de
très nombreux inquisiteurs, qui distinguent la position des accusés, et leur
responsabilité précise.

F. G R A U s. — A propos de l'exposé de M. Wolff, je veux souligner que, si


dans certaines régions de l'Europe il n'y a pas de différence qualitative
entre ville et campagne, le Nord et le Centre de l'Europe présentent une
différenciation juridique et, plus encore, une contradiction économique entre
ville et campagne.

Mlle C. T H O U Z E L L I E R . — M. Manselli a très bien montré l'importance


des partis politiques et leurs rapports avec l'hérésie en Italie, où les héré-
tiques s'appuient sur le parti gibelin. En Languedoc, le problème se pose
différemment : il n'est point question de partis politiques, de révolte entre
Eglise et Empire ; et l'on ne peut non plus parler arbitrairement d'hérésie
urbaine ou d'hérésie rurale. Citadine ou campagnarde, la population vit
sous la domination de chefs, seigneurs ou évêques gentilshommes ruraux,
qui lui imposent leurs directives, d'où l'intérêt politique ou économique,
sujet à fluctuation, n'est pas exclus.
A Narbonne, l'archevêque Bérenger, peu soumis à la Papauté, n'offre
guère à Innocent III le concours demandé contre l'hérésie et entraîne la
population avec lui (1203). Mais devant la menace des croisés, il s'entend
avec le vicomte et le bourg pour dresser des statuts contre les hérétiques
(juillet 1209). Il n'en sera pas moins considéré comme suspect et fauteur
en 1210. La situation change avec la nomination, comme archevêque, du
légat Arnaud-Amaury de Clteaux, qui prend le titre de duc et reçoit l'hom-
mage du vicomte Aymeri. Les intérêts communs exigent la solidarité :
en 1213 les habitants de la ville ferment leurs portes devant S. de Montfort
obligé de coucher dehors ; peu après au contraire, le bourg défendra ses
droits contre la cité que représentent l'archevêque et le vicomte, etc.
A Toulouse, Raimond VI, d'abord soucieux de mourir en pays hérétique
(en son comté), sera plus tard contraint de venir s'humilier à Saint-Gilles
et même de prendre la croix, pour éviter à ses terres les menaces d'invasion
(Cernay 45, 77, 80).
Béziers, mis à sac par les croisés (1209), à cause du vicomte Raymond-
Roger ne contenait selon des travaux récents, qu'une minorité d'hérétiques,
dont l'évêque et le clergé n'étaient pas complices.
Et que dire de Montpellier, fief des Guilhem, bastion du catholicisme et
où le maître parisien Alain de Lille vient rédiger sa Summa contra hœreticos ?
Epoux de Marie de Montpellier, Pierre d'Aragon essayera de faire valoir
ses droits, mais la cité demeure toujours un centre conciliaire (1195, 1211,
1215).
A considérer objectivement les réalités historiques, c'est donc avec pru-
VILLES ET CAMPAGNES DANS L'HÉRÉSIE CATHARE 207

dence qu'il faut envisager, d'une manière hypothétique, l'aspect urbain ou


rural de l'hérésie en Languedoc : les faits sont autrement probants.

M L L E PATZELT. — Si nous prenons la position de Venise en Adriatique, il


faut noter le contraste entre population latine et population slave. Cette
dernière a été prise par les hérésies et cette opposition hérétique exprime
peut-être une opposition nationale...

M m e FRANCASTEL. — Je ne crois pas qu'à Venise tout le monde ait été


orthodoxe, et il me semble qu'on décèle, au 14e siècle, des traces de lutte
contre l'hérésie qui s'expriment notamment dans le domaine artistique : on
ne se contente plus d'importer des œuvres d'art de Byzance, mais sur les
polyptiques, sur les rétables apparus à Venise dans le second quart du 14e siè-
cle, s'exprime l'affirmation d'une orthodoxie très ouverte ; on prend grand
soin déjà de mettre côte à côte saint François et saint Dominique.

R. MANSELLI. — Je n'ai jamais dit qu'il n'y avait pas un seul cathare à
Venise ; il y en avait dans toute l'Italie, sans qu'on puisse toujours apprécier
leur importance. Quant à la transformation de l'art, dans la seconde moitié
du 13e et au 14e siècle, ce n'est pas un fait vénitien : l'art de l'Italie et de
l'Europe entière se transforme sous l'effet des discussions religieuses. De
plus, Venise s'éloigne de Byzance dès le 11e siècle, sur le plan des rapports
spirituels, non pas économiques. C'est un fait qui concerne surtout Venise,
mais pas exclusivement.
H. GRUNDMANN

HÉRÉSIES SAVANTES ET HÉRÉSIES POPULAIRES


AU MOYEN AGE

Dans le texte précisant l'objet et le cadre de ce colloque, M. Le Goff


a posé les questions suivantes : « L'hérésie est-elle l'affaire des simples
ou des savants ? Y a-t-il des hérésies populaires et des hérésies savantes ?
Jouent-elles le même rôle dans le processus de prise de conscience ?
Comment s'agencent à l'intérieur de telle hérésie l'élaboration savante
et les croyances populaires ? »
Sans doute, y avait-il pendant tout le Moyen Age des hérésies savantes,
c'est-à-dire des hérésies dogmatiques, théoriques et intellectuelles, qui
étaient l'œuvre de théologiens ou de philosophes, tels Abélard, Gilbert
de la Porrée, les averroïstes latins du 13e siècle et tant d'autres. Ils furent
condamnés comme hérétiques pour les divergences dont on les accusait
par rapport au dogme orthodoxe de l'Eglise. Face à de tels hérétiques
savants on ne pourra pas constater d'une manière générale (comme l'a
fait M. Le Goff), « qu'il n'y a pas d'hérétique isolé ». Certes, ces hérétiques
savants ont pu avoir des disciples, sans que pour autant ces disciples
aient été les sectateurs de leur hérésie ni qu'une secte hérétique ait pu
s'organiser. L'inverse peut se produire, mais non pas nécessairement,
d'autant plus que l'Eglise cherche à tout prix à isoler ces hérétiques savants.
Le groupe social, auquel appartiennent ces hérétiques savants, n'est pas
constitué par d'autres hérétiques, mais par d'autres savants. Ils ambi-
tionnent d'être plus savants que les autres (plus sapere quam oportet
sapere, dit saint Paul, Rom. XII, 3), sans vouloir s'opposer à la foi de
l'Eglise ni même au dogme catholique.
Toutefois, il arrive que des hérétiques savants aient été à l'origine
d'une hérésie populaire ou d'une secte hérétique. Par exemple, John
Wyclif était certainement un théologien très savant, maître de l'université
d'Oxford, qui n'est devenu hérétique qu'après une longue vie de pro-
fesseur, sans avoir voulu créer une secte hérétique. C'est après sa mort
seulement que les Lollards sont devenus ses sectateurs, bien qu'en Angle-
terre Wyclif n'eut presque pas de disciples savants. D'autre part, malgré
sa condamnation posthume, ses doctrines ont été rendues populaires
en Bohême grâce à des professeurs de l'université de Prague. De même,
Jan Huss est mort sur le bûcher à Constance, en 1415, sans avoir fondé
une secte hérétique; la secte qui porte son nom et se réclame de ses
210 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

doctrines ne se formera que quelques années après la mort de Huss. Il


est certain que ni Wyclif ni Huss n'appartenaient eux-mêmes à un groupe
hérétique. De leur vivant, ils appartenaient à leur groupe universitaire
et clérical. On trouvera plus d'un cas semblable depuis l'Antiquité chré-
tienne : l'évêque Arius et les ariens, l'évêque Donatus et les donatistes,
le moine savant Pelagius et les pélagiens, etc. Aussi les premiers héré-
tiques médiévaux en Occident, condamnés et brûlés à Orléans en 1022,
étaient des savants et des maîtres dans les écoles d'Orléans. Ils étaient
d'origine noble et avaient des relations avec la cour royale de Paris,
cependant on ne sait presque rien des liens qu'ils avaient eu avec une
secte hérétique répandue à cette époque. Et plus tard, l'hérétique Amaury
de Bène était professeur de la jeune université de Paris vers 1200. C'était
un penseur très subtil (subtilissimus dit le chroniqueur contemporain
de Laon), estimé du roi et peut-être même du pape à qui il fera appel
lorsque ses collègues de Paris mettront en doute son orthodoxie. Ce n'est
que quelques années après sa mort qu'on fera à Paris le procès de ses
disciples, prêtres et clercs des environs de Paris ; on les accusera d'avoir
recruté des adeptes de leurs erreurs et des sectateurs laïques et féminins.
Dans un certain sens, il en sera de même du docte franciscain Pierre
de Jean Olivi et de ses adeptes posthumes, béguins et béguines de la
Provence et du Languedoc. Maître Eckhart, professeur de théologie au
Studium generale dominicain de Cologne, ainsi que les mystiques héré-
tiques d'Allemagne, frères et sœurs du Libre Esprit, offrent un cas ana-
logue. Dans tous ces cas il faudra se demander, dans quelle mesure les
motifs doctrinaux et religieux de ces hérésiarques savants ont été les
mêmes que ceux de leurs sectateurs postérieurs, et à la suite de quels
facteurs sociaux une hérésie savante se modifie pour devenir hérésie
populaire. On ne pourra étudier et comprendre cette transformation et
cette modification que si l'on tient d'abord compte des différences qui
existent entre les hérésiarques, c'est-à-dire les hérétiques originels, pri-
maires et initiaux d'une part et d'autre part les sectateurs d'hérésies
pré-existentes, les sectaires. Il arrive plus d'une fois que des hérésies
nouvelles se greffent sur une hérésie déjà adoptée ou s'y mêlent. On a
bien des raisons d'admettre qu'une secte hérétique n'a jamais pu conserver
la doctrine de son hérésiarque éponyme sans l'avoir altérée. Je crois
volontiers que la détermination et la structure sociale d'une secte héré-
tique peuvent également subir des modifications et des changements.
Et cela est d'autant plus vrai si l'on pense à l'hérésie médiévale en général.
Or, la distinction que je propose entre les hérésiarques, les hérétiques
initiaux et originaires d'une part et les sectateurs d'hérésies pré-existentes
d'autre part coïncide-t-elle avec la distinction entre hérésies savantes et
hérésies populaires ? Ou bien existe-t-il au Moyen Age des hérésies d'ori-
gine populaire, d'origine non savante ? Y a-t-il des hérésiarques non
savants ? Il ne faut pas en douter. Mais d'abord, que veut dire « popu-
HÉRÉSIES SAVANTES ET POPULAIRES AU MOYEN AGE 211

laire » ? Ce n'est pas le contraire antithétique de « savant ». Seulement,


pour la période médiévale, on peut désigner sous le vocable de « populaire »
tout ce qui n'est pas clérical ou monacal et lettré, tout ce qui est laïque.
Les laïcs au Moyen Age, y compris les nobles, sont en général des illettrés ;
ils sont incapables de lire eux-mêmes la Bible ou n'importe quel autre
texte. Ils sont auditeurs et non pas lecteurs. Ils écoutent les prédicateurs,
les poètes, les jongleurs — et les hérétiques (comme les auditores des
cathares). Mais le point de départ de toute hérésie est toujours (si je ne
m'abuse) dans l'effort pour comprendre et saisir les intentions originelles
et authentiques du christianisme, c'est-à-dire il est dans l'effort pour
atteindre la vraie intelligence de la Bible, des évangiles, et des écrits
apostoliques, afin de pouvoir observer et réaliser la volonté divine révélée.
On ne trouvera presque pas une seule hérésie au Moyen Age qui ne pré-
tendît justement à cela. Assez peu d'hérésies médiévales ont été fondées
sur une inspiration immédiate, sur une vision ou sur un raisonnement
personnel. Presque toutes les hérésies, y compris le catharisme, s'appuient
sur la Bible et apportent une interprétation divergente de celle qu'offre
l'Eglise. II fallait donc lire la Bible et essayer de comprendre soi-même
les Ecritures pour risquer de tomber dans l'hérésie. Voilà pourquoi il
est assez rare qu'un laïc devienne hérétique sans avoir été poussé à l'hérésie
par d'autres hérétiques plus savants que lui, c'est-à-dire par la propa-
gande hérétique. Il convient ici de faire remarquer, encore une fois, que
les causes, qui poussent un individu vers une hérésie et l'y gagnent, peuvent
différer de celles qui ont permis la naissance de cette hérésie.
L'exemple le plus connu et le plus important d'une hérésie non savante,
d'origine populaire et laïque, est celui de la secte vaudoise dont le fonda-
teur, Valdes, n'était ni savant, ni lettré, ni clerc, ni moine (comme ce fut
le cas de tant de ses prédécesseurs : le moine Henri, le prêtre Pierre de
Bruis, le chanoine Arnaud deBrescia, etc.). Valdes était un riche marchand
de Lyon, marié, ne sachant pas lire la Bible latine ni d'autres écrits théolo-
giques. Un jour, dans la rue, il entendit la chanson d'Alexis récitée en
français par un jongleur. Il en fut touché profondément. Que fit-il alors ?
Il s'adressa à deux prêtres ou deux clercs lettrés de Lyon et leur demanda
comment, selon la Bible, on peut devenir parfait comme Dieu le veut.
Il se fait alors traduire en français le Nouveau Testament, le Psautier
et quelques écrits patristiques. Il les apprend par cœur et commence
à prêcher sur les routes. Comme cette activité lui sera défendue par
l'archevêque, il deviendra désobéissant et hérétique car, dira-tal, il faut
selon l'Evangile obéir plus à Dieu qu'aux hommes. E t tous ses compa-
gnons apprendront par cœur, comme lui, les textes bibliques traduits en
langue vulgaire afin de répandre la parole de Dieu parmi leurs amis.
Un hérésiologue allemand du 13« siècle, l'Anonymus de Passau, est fort
impressionné par ce zèle d'instruction biblique chez ces hérétiques qui
apprennent nuit et jour la parole de Dieu ; et, à qui s'excuse et dit qu'il
212 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

n'a pas la tête pour apprendre, ils répondent : « Apprends un mot tous
les jours, et au bout de l'année tu sauras trois cents mots, et ainsi tu
feras des progrès » (et sic proficies). Erubescat negligentia fidelium doctorum,
dit l'Anonymus aux clercs catholiques, qui ne connaissent pas autant
de textes bibliques que ces hérétiques perfides. Néanmoins, ces hérétiques
ne sont pas devenus des savants. Jamais les vaudois n'ont développé
ni eu l'ambition de développer une théologie savante et spéculative,
comme tant d'autres sectes hérétiques depuis les cathares jusqu'aux
hussites. Sous ce rapport, les vaudois représentent la secte non savante,
laïque et populaire par excellence, bien que je ne croie pas que les motifs
originaux et l'intention primaire de cette hérésie soient de caractère
populaire ou social : ils sont religieux, chrétiens, bibliques. Toujours
est-il qu'on peut étudier la structure sociale et l'impact social de cette
secte qui s'est séparée de l'Eglise presque contre son gré, s'étant persuadée
qu'elle avait trouvé dans la Bible la vraie leçon à laquelle doit obéir la vie
du chrétien en quête de salut. Cette secte s'est séparée également de la
société de son temps, sans être cependant devenue révolutionnaire,
agressive ou subversive. Au contraire, elle avait attiré en général de
petites gens paisibles et pacifiques, dans les villes comme à la campagne,
hospitaliers et dociles, visités par leurs prédicateurs ambulants qu'ils
écoutent et à qui ils se confessent. Ce sont die Stillen im Lande, prototype
d'une secte chrétienne, la seule secte médiévale qui ait survécu jusqu'à
nos jours malgré toutes les persécutions de l'Inquisition.
Il en est tout autrement des cathares, auxquels les vaudois primitifs
se sont opposés, sans se mêler jamais à eux. Personne ne saurait dire quel
est le fondateur de la secte cathare. Si les cathares étaient des manichéens,
leur hérésiarque éponyme Mani était un homme très savant et spéculatif.
S'ils étaient des bogomiles, leur hérésiarque pourrait être alors un prêtre
bulgare. Les cathares eux-mêmes ne savent rien ni de l'un ni de l'autre.
E n Occident, ce sont des prédicateurs ambulants qui ont importé de
l'Orient le catharisme avec son nom grec. Ils prêchent d'abord un genre
de vie apostolique et évangélique tout en donnant eux-mêmes l'exemple ;
c'est pourquoi ils sont bien accueillis. Mais bientôt ils révéleront leur
doctrine dualiste, qui n'est certainement pas d'origine populaire ni pure-
ment biblique. C'est une cosmologie et une mythologie orientales, sans
doute dérivées du manichéisme et qui sont absolument incompatibles
avec la doctrine et la morale de l'Eglise. Peut-être, est-ce ce contraste
qui a procuré aux cathares plus de sectateurs aussi parmi les riches et les
nobles du Languedoc et de la Lombardie que la doctrine dualiste elle-
même et le culte cathare. Je croirais volontiers que les cathares ont exercé
un attrait véritable sur certaines couches de la société du 12e siècle,
beaucoup plus à cause de leur opposition acharnée contre la hiérarchie
ecclésiastique et la doctrine catholique que par leur étrange doctrine
HÉRÉSIES SAVANTES ET POPULAIRES AV MOYEN AGE 213

dualiste ou leur morale assez âpre et rigide. Cependant, bientôt il y aura


ces cathares soi-disant savants qui écrivent en latin des livres théolo-
giques pour démontrer leur cosmogonie dualiste et ses conséquences
morales et qui se servent d'arguments bibliques, comme le prouvent le
Liber de duobus principiis et d'autres écrits cathares retrouvés récemment.
Ces cathares chercheront à devenir savants, comme ils avaient cherché
à devenir populaires. A la longue, ils échoueront sur ces deux fronts.
J'estime avec mon ami A. Borst que ce n'est pas seulement sous l'effet
de la croisade contre les Albigeois ou sous celui de l'Inquisition que les
cathares ont disparu, alors que les vaudois allaient leur survivre. Le catha-
risme était un phénomène trop complexe, c'était un amalgame de motifs
orientaux et occidentaux, religieux et spéculatifs, populaires et savants.
Il f u t pendant un certain temps très actif, voire même agressif ; plus tard,
il se découragera, se défendra, mais il sera abattu et disparaîtra après 1300.
Il me semble assez difficile d'analyser la structure sociale de la secte
cathare, qui n'est ni homogène ni constante. E t je doute qu'elle ait exercé
un effet durable dans le processus de prise de conscience de l'Occident.
En conclusion, je dirai que les notions d'hérésie et d'hérétique sont des
notions négatives, qui sont constituées par le contraste et la contradiction
contre la foi de l'Eglise, contre le dogme et le culte de l'Eglise, contre la
morale de son clergé ou l'attitude de la hiérarchie. Ces contradictions sont
le fait non pas d'incrédules, de sceptiques ou de païens, mais de croyants
insatisfaits et déçus. Les raisons qui ont déterminé ces contradictions
et ces oppositions ont été très diverses ; elles pouvaient être intellectuelles
ou religieuses, morales ou sociales, et même politiques. Cependant, tous
les hérétiques du Moyen Age étaient convaincus qu'ils comprenaient et
qu'ils réalisaient mieux le christianisme que l'Eglise qui les condamnait.
C'est là, me semble-t-il, le seul dénominateur commun pour toutes les
hérésies médiévales, fussent-elles savantes ou populaires. Leurs genèses,
leurs intentions, les buts qu'elles ont poursuivi, les effets qu'elles ont
obtenu sont d'une telle diversité que l'on ne pourra d'une manière générale
distinguer, ni leurs causes profondes, ni leur rôle et leur structure sociales.
Pour étudier celles-ci, il ne faudrait pas nous borner à établir une distinc-
tion entre hérésies savantes et hérésies populaires, il faudrait également
faire une distinction, comme je viens de le démontrer, entre les hérésies
primordiales ou initiales, celles des hérésiarques, savants ou non savants,
fondateurs de secte ou non, et les hérésies des sectateurs. Autre chose est
d'accéder à une secte existante sous l'effet de la propagande qu'elle fait,
autre chose est de devenir un hérésiarque nouveau pour avoir suivi arbi-
trairement sa propre autorité. Peut-être que les historiens de l'Eglise et
de la spiritualité, ceux de la pensée et de la personnalité s'intéresseront
davantage aux hérésiarques initiaux, alors que l'histoire sociale préférera
naturellement les aspects sociaux des sectes hérétiques à l'étude des
214 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

phénomènes proprement religieux ou intellectuels des hérésies nais-


santes.
Comme notre colloque porte sur l'étude des hérésies et des sociétés,
il ne fallait pas manquer de toucher aux rapports qui existent entre les
hérésies des hérésiarques et celles de leurs sectateurs et des sectaires.
Peut-être cette distinction se révélera-t-elle plus importante que celle
que l'on a établie entre les hérésies savantes et les hérésies populaires.
DISCUSSION

E. D E L A R U E L L E . — M. Grundmann vient d'enrichir notre connaissance


de l'hérésie : nous savions déjà qu'il y avait le problème de la tradition mais
nous comprenons mieux maintenant que cette tradition est une tradition
biblique. De quelque manière qu'on l'interprète, du côté hérétique comme du
côté orthodoxe, c'est à la Bible qu'on se réfère. Qu'il me soit ici permis de
rappeler que le congrès des Sciences historiques de Stockolm a créé une
sous-commission, la Commission d'histoire ecclésiastique pour étudier les
rapports du peuple et de la Bible. Le peuple connaissait-il la Bible ? A la
fin du Moyen Age, Gerson, Ximenes défendent l'idée d'une littérature pour
le peuple, d'où la Bible est exclue. Chaque ordre doit avoir ses livres : les
clercs, l'Ecriture ; les laïcs, les ouvrages d'édification, etc. Comment alors les
laïcs pouvaient-ils avoir connaissance de l'Ecriture sainte à une époque où
ils ne pouvaient pas en lire de traduction ? On n'oubliera pas les moyens et
instruments de connaissance tels que la statuaire, les vitraux, les fresques,
le théâtre religieux, la prédication de caractère populaire.

J . M A C E K . — Vous avez défini Jan Huss comme un hérétique savant et


à juste raison vous l'avez comparé à Wyclif. Il ne faut pas néanmoins ou-
blier une différence entre les deux hommes. Au début, Huss était un pro-
fesseur d'université. Mais après 1412 il doit quitter Prague et en prêchant
à la campagne parmi les paysans il est devenu vraiment un prédicateur
populaire. Cette différence nous permet de mieux comprendre la fin de Huss
et il convient par conséquent de ne pas l'oublier.

C. V I O L A N T E . — Cette communication m'a beaucoup intéressé, surtout


pour ce qui touche au problème de la connaissance des textes scripturaires
par les laïcs et particulièrement par le peuple. Je reviendrai sur la distinc-
tion entre les ordines en ce qui concerne l'assignation de la prédication
aux clercs. Des interventions de laïcs dans la prédication sont signalées bien
avant Valdes et les vaudois : par exemple, au milieu du 11e siècle, le préfet
de Rome (prefectus urbis) Cintius prêche aux fidèles dans l'église de Saint-
Pierre, et Pierre Damien fait l'éloge de cette intervention. Mais il faut sou-
ligner son caractère particulier : il s'agit d'un opus exhortationis qui ne con-
cerne pas la doctrine mais une exhortation de caractère moral qui peut
déboucher sur des positions doctrinales.
A propos de laïcs patarins, leur mouvement n'a pas tendu à remplacer
l'ordre ecclésiastique dans la prédication, mais à empêcher les clercs cou-
pables de jouir de leurs bénéfices et de célébrer le sacrifice de la messe. Les
remontrances d'Alexandre II ne portaient pas sur l'usurpation de l'office
de la prédication mais sur ce pouvoir « exécutif » que s'étaient arrogés des
laïcs à l'égard de clercs sans qu'un jugement canonique soit intervenu.
216 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

F. G r a u s . — Je voudrais élargir un peu le concept d'hérésie populaire.


Rappelons-nous d'abord que l'hérésie ne se définit que par rapport à une
orthodoxie. Sans cette référence il est difficile de parler d'hérésie. A côté
des hérésies conscientes et plus ou moins organisées avec à leur tête un chef,
lettré ou non, et qui ont fait l'objet de votre communication, on rencontre
dans les milieux populaires, et surtout à la campagne, une foule d'idées,
d'opinions qu'il serait exagéré d'appeler hérétiques mais qui ne sont plus
très orthodoxes. J'en prends pour exemple une anecdote tirée de Paulis,
où le porcher explique au curé du village qu'il croit au Père et au Fils mais
pas au Saint-Esprit car personne du village ne s'appelle ainsi. Il faut voir
qu'à la campagne la vie religieuse du peuple se développait dans une extrême
confusion où se mêlaient des restes de paganisme, des opinions para-héré-
tiques et les idées de l'Eglise. A certains moments, et dans des régions déter-
minées, on voit apparaître des opinions qui sans être pleinement hérétiques
ni en passe de se transformer en hérésie savante ne sont plus orthodoxes.
Je me demande si, en parlant d'hérésie populaire, nous ne faisons pas allu-
sion à ces idées incomplètement développées, qui ont alimenté par la suite
l'hérésie populaire spécifique. Les vastes mouvements populaires — les
hussites, la Réforme en Allemagne, la guerre des paysans, les anabaptis-
tes — nous laissent voir des précurseurs, dont on ne peut dire qu'ils aient
été hérétiques, bien qu'en dehors de l'orthodoxie, au sens strict du mot.

L. K o l a k o w s k i . — Une seule question : le critère hérésie savante et non


savante rapporté tantôt au contenu de la doctrine, tantôt au type de gens
qui participent à l'hérésie ne donnera-t-il pas lieu à des divisions qui ne sont
pas identiques ?

J. L e G o f f . — N'y a-t-il pas au 11 e siècle une sorte de mutation de l'hé-


résie ? A l'époque carolingienne, les hérésies concernant la Trinité me parais-
sent des hérésies en quelque sorte cléricales. Ce n'est qu'à partir du 1 1 e siè-
cle qu'on peut trouver cette dialectique entre le milieu savant et le milieu
populaire que le professeur Grundmann nous a remarquablement exposée.
Les hérétiques d'Arras, au 1 1 e siècle, sont un exemple caractéristique de
jonction entre les deux milieux. Il y a toutefois des continuations des héré-
sies savantes du haut Moyen Age un peu plus tard, par exemple cette hérésie
de Vilgardus de Ravenne, presque « universitaire » avant la lettre. N'aurions-
nous pas aussi intérêt à déterminer précisément ce groupe social de l'hérésie
savante (clercs d'Orléans, amauriciens, etc.) qui n'agit presque jamais à
lui tout seul, soit comme milieu primaire, soit comme milieu secondaire qui
va informer une révolte populaire au départ ? Bref, qu'est-ce que l'intel-
ligentsia médiévale ?

G. L e f f . — Je voudrais souligner la différence entre les idées savantes


et les hérésies populaires. Des idées sont souvent hétérodoxes plus qu'héré-
tiques, comme par exemple les idées d'Abélard sur la Trinité, mais Abélard
lui-même n'était pas hérétique. Il y a d'autre part des idées qui n'étaient pas
hérétiques mais qui le deviennent. Par exemple la doctrine de la pauvreté
apostolique. On peut dire que la plupart des doctrines populaires hérétiques
HÉRÉSIES SAVANTES ET POPULAIRES AU MOYEN AGE 217

ont leur origine dans les idées savantes. Le problème me parait être celui de la
« dégradation » des hérésies savantes dans les milieux populaires.

R. M a n s e l l i . — Quandrhérésiarque,lemattrede l'hérésie, est mort, le groupe


ou l'idée continuent. Vous avez rappelé Pierre de Jean Olivi : celui-ci meurt
parfaitement orthodoxe et ses idées demeurent, dans l'orthodoxie, même
dans la communauté qui le révère comme saint. Puis éclate chez les fran-
ciscains le conflit théologique de la pauvreté, fondamentalement étranger
au groupe qui révérait Olivi. Mais quand vient la condamnation pontificale,
des pères de ce groupe se font hérésiarques au second degré et créent la
possibilité d'une explosion d'hérésie. Un document encore inédit et que
M m e Franca Ageno m'a permis de connaître est intéressant de ce point de
vue : il concerne les spirituels italiens et on l'attribue — faussement — à
Jacopone da Todi. Il est rédigé pour moitié en italien et pour moitié en
latin. Dans la partie italienne, l'auteur reconnaît la défaite du groupe,
mais dans la partie latine il ajoute que la fin des temps est proche, qu'il
faut y préparer les fidèles — en déconseillant par exemple le mariage. Ainsi
se continue le message de l'hérésiarque, transmis dans une continuité
d'éléments culturels, successifs. Sur la connaissance de l'Ecriture par les
hérétiques, j'ajouterai que c'est un fait typique de l'hérésie médiévale que
la connaissance de l'Ecriture même par les ignorants. Je ne sais comment ils
l'apprenaient, mais le même fait est relevé par Pierre de Sicile chez les
Pauliciens et, avec désespoir, par le clergé pour les cathares languedociens,
au point que les orthodoxes doivent préparer des summse autoritatum pour
pouvoir répondre aux hérétiques.

M. Taubes. — Je voudrais demander au professeur Grundmann si la dis-


tinction savant-populaire épuise réellement la typologie de l'hérésie. Je
pense à d'autres sectes et mouvements hérétiques, et à ce propos je serais
porté à croire, sans pouvoir l'affirmer, qu'il y a aussi au Moyen Age des
types d'hérésies charismatiques, sans liens avec le monde des « savants »
ou du haut clergé, mais possédant une parfaite culture et une nouvelle
sagesse forgée avec des éléments populaires et des expériences personnelles.

B. Blumenkranz. — J'étais d'abord tenté d'opposer à M. le professeur


Grundmann un certain nombre d'exemples auxquels mes propres recherches
sur le haut Moyen Age m'avaient amené et qui constituent précisément des
hérésies populaires, je veux parler des hérésies judaïsantes. Mais je me suis
aperçu que ces hérésies sont certes populaires, mais surtout des hérésies
manquées, avortées. Alors je me demande : avortées pourquoi ? Avortées
parce que populaires ou bien avortées parce que judaïsantes ?

A. A b e l . — Je voudrais rappeler comme cause de diffusion dans les couches


non lettrées du peuple de la connaissance des épisodes bibliques et des faits
bibliques, la tradition des constructeurs d'églises, plus tard de cathédrales
romanes, la tradition de peintres de fresques qui utilisent un certain nombre
de fresques, non par prédilection d'artiste, mais par prédilection doctrinale.
On trouve des thèmes, une dogmatique qu'il serait intéressant d'étudier
218 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

pour pousser plus loin cette connaissance de la diffusion de l'Ecriture. Une


de mes élèves achève d'ailleurs sur ce sujet une thèse remarquable.

H. G R U N D M A N N . — Je répondrai d'abord à MM. Graus et Abel. Il faut


distinguer certes entre hérésies et déviations, mais il est impossible à l'his-
torien de poser un concept de l'hérésie, qui ne soit pas celui de l'Eglise.
Nous devons comprendre comme hérésie, ce qu'elle a jugé comme telle ;
autrement dit, sur le plan historique, l'hérésie nous apparaît telle qu'elle
la définit. Cela n'empêche pas des interactions : en ce sens par exemple que
les hérésies ont aidé à préciser des dogmes, comme au concile du Latran en
1215. Le dogme y fut défini en fonction des hérétiques. En ce sens la défi-
nition de l'Eglise vaut seulement pour un temps. Pensez à la question de la
pauvreté et de la prédication. J'en viens maintenant à la question du contenu
des hérésies : quand nous définissons une hérésie, il faut laisser de côté
l'incroyance, le paganisme ou le judaïsme. Je ne sais pas dans quelle mesure
les apostasies ont été considérées comme des hérésies, mais des chroniqueurs
ont pu qualifier d'hérétiques des apostasies qui n'apparaissent pas comme
telles aux yeux de l'Eglise. Or l'hérésie n'est qu'une divergence dans l'in-
terprétation et l'observation d'une source biblique commune. C'est une oppo-
sition contre l'Eglise et son interprétation de l'Evangile. Je ne connais point
d'hérétiques qui n'aient revendiqué le nom de chrétiens. Les cathares
s'appelaient « bons chrétiens. » D'ailleurs, sans connaissance de la Bible,
il n'y a point d'hérésie. A Rome, je m'étais élevé contre le concept d'hérésie
populaire car, dans sa genèse, l'hérésie n'est pas le fait d'illettrés. L'héré-
tique véritable est celui qui propose une nouvelle interprétation de la Bible
ou de la tradition dogmatique. Ne faudrait-il pas ici substituer à la distinc-
tion entre hérésie savante et hérésie populaire la distinction entre initiateurs
et sectaires, entre l'hérésie initiale et celle des sectaires. Bref il faut distinguer
entre un phénomène social, celui des conditions d'apparition et de l'influence
des sectes et l'hérésie, phénomène religieux et intellectuel. Je ne connais
aucun hérétique « primaire », aucun hérésiarque qui soit déterminé par une
question sociale.
G LEFF

HÉRÉSIE SAVANTE ET HÉRÉSIE POPULAIRE


DANS LE BAS MOYEN AGE

Spirituellement, intellectuellement et socialement, le bas Moyen Age


se distingue des époques qui le précèdent par la progression généralisée
de l'hétérodoxie. De la cour papale à la paroisse, de l'Université au prédi-
cateur itinérant, les concepts et les institutions existantes, qu'ils fussent
laïques ou ecclésiastiques, étaient de plus en plus mis en question. Cela
ne veut pas dire que la chrétienté se trouva submergé par un raz de marée
d'hérésies, et si je souligne le mot «hétérodoxie» plutôt que le mot d'hérésie,
c'est dans le but de distinguer entre d'une part la nouveauté et le non-
orthodoxe, et d'autre part la subversion active.
A vrai dire, c'est précisément cette distinction qui, en gros, marque
la différence entre l'hérésie savante et l'hérésie populaire. La plupart
des savants dont les doctrines devaient donner naissance à la subversion
ne furent pas eux-mêmes des hérétiques, ni ne contestèrent l'autorité
de l'Eglise. Wyclif lui-même, qui en arriva presque là, et dont les doctrines
eurent des conséquences sociales et politiques immédiates, ne se sépara
jamais de la communion des fidèles, et n'en fut jamais exclu. Même lors-
que certains aspects de l'enseignement des savants furent condamnés,
comme ce fut le cas pour saint Thomas d'Aquin1, Durand de Saint-
Pourçain4, Guillaume d'Occam», maître Eckhart 4 , il ne s'agit guère
que de la condamnation d'erreurs commises sur des points particuliers.
En revanche, la majorité des mouvements populaires, qui reprenaient
habituellement sous une forme grossière des doctrines d'origine plus
sophistiquée», furent anathématisés, depuis les vaudois au 12e siècle
jusqu'aux béguins et aux bégards au 14e siècle. •
Cette différence contribue à expliquer les relations qui existent entre
les hérésies savantes et les hérésies populaires. Le passage se fait presque
toujours du savant au populaire, non pas directement, mais comme une
pénétration graduelle dans les conceptions populaires de notions qui
avaient leur source dans les écoles ou dans des discussions entre clercs.
Bien qu'il ne s'agisse pas d'une relation de causalité selon laquelle des
théories savantes seraient la source directe de croyances populaires, il
y a souvent, particulièrement aux époques de fermentation, un rapport
frappant entre les unes et les autres. Cela ne fut jamais plus visible qu'à
partir du 14e siècle, époque à laquelle les développements religieux,
220 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

intellectuels et sociaux, semblant aller de pair, donnèrent naissance à


une attitude qui affecta la ¡dus grande partie de la société.
En bref, nous pouvons isoler dans ce processus trois aspects principaux.
En premier lieu, en 1220, le dernier des mouvements religieux réformistes
qui fut patronné et reconnu par l'Eglise, les mendiants, avait déjà fait
son apparition.
Moins d'un siècle plus tard, il avaient déjà perdu la plus grande partie
de leur ferveur initiale, et étaient devenus des institutions bien en place
au sein de l'Eglise.
Le mécontentement devant l'accroissement de leurs richesses, parti-
culièrement chez les franciscains, qui jusqu'au début du 13e siècle aurait
pu se concrétiser dans la fondation de nouveaux ordres religieux, ne pou-
vait plus, un siècle plus tard, être canalisé par l'Eglise. Il ne pouvait
que prendre la forme d'un défi direct aux mœurs ecclésiastiques (comme
dans la controverse sur la pauvreté du Christ dans les premières années
du 14e siècle), ou d'une série de mouvements irréguliers parmi lesquels
celui des béguines constitue l'exemple le plus remarquable. C'est le déve-
loppement général de tels mouvements laïques non reconnus par l'Eglise
qui, en termes religieux, marque la grande différence entre l'an 1200 et
l'an 1300. *
Avec l'interdiction officielle par le quatrième concile du Latran en
1215 de fonder des ordres nouveaux et la diminution de la ferveur dans
les ordres déjà existants, ces mouvements non-ecclésiastiques se trouvaient
être le seul canal par lequel l'éternelle aspiration à la pauvreté apos-
tolique pouvait s'exprimer. La doctrine selon laquelle la véritable vie
évangélique consiste à mendier et à se défaire de tout ce qu'on possède,
aussi bien que la prédication de cette doctrine, passait ainsi inévitablement
entre les mains de groupes laïques et devenait par là-même de plus en
plus suspecte d'hérésie.
Seconde zone de convergence entre les points de vue savant et popu-
laire : la crise intellectuelle de la fin du 13e siècle. La condamnation en
1277 par l'université de Paris de plus de deux cents thèses, principalement
sur des sujets de philosophie païenne (Aristote et les penseurs de l'Islam),
marqua le commencement de la fin de la tentative pour rattacher la
philosophie à la théologie, la connaissance naturelle aux articles de la
foi 8 . D'où la séparation progressive des deux domaines et la fin des grands
systèmes du haut Moyen Age. A partir de là, l'accent fut mis sur le peu
de confiance qu'on pouvait placer dans le monde créé comme témoignage
des voies de Dieu. Dieu était libre de faire comme il voulait, sans référence
aux causes secondes, dont il pouvait d'ailleurs ne pas tenir compte.
Entre les mains d'Occam et de ses disciples, cette doctrine prit une forme
qui eut des effets dévastateurs, en montrant l'impossibilité d'arriver
à une théologie naturelle. En matière de foi la croyance suffisait. 9
Parallèlement à cette attaque intellectuelle contre les fondations de la
HÉRÉSIES SA VANTES, POPULAIRES DANS LE BAS MO YEN A GE 221

scolastique, se manifesta un renouveau du mysticisme que l'on associe


surtout à maître Eckhart et à ses disciples. Sous l'influence des œuvres
récemment traduites des néo-platoniciens Plotin et Proclus, ces derniers
posèrent également le principe de l'action immédiate de Dieu par un
contact se faisant dans l'âme : scintilla animx.10
De même que l'occamisme domina largement la vie intellectuelle de
l'Europe du Nord durant le 14e et une grande partie du 15e siècle, de
même le mysticisme fut, de toutes les attitudes religieuses, la plus commu-
nément répandue, aussi bien parmi les vrais mystiques que dans les masses
soulevées par l'enthousiasme mystique.
En troisième lieu, il faut noter un intérêt croissant pour de nouvelles
formes d'organisation ecclésiastique, entraînant à la fois des modifications
dans la structure interne de l'Eglise — sur le plan des relations entre le
pape et les fidèles — et dans celle de l'Etat. Il s'agissait d'une continuation
des débats qui avaient eu lieu depuis la querelle des Investitures ; mais
là encore apparaissaient de nouveaux éléments : l'accent mis sur la réforme
et en particulier sur le rôle du pape, ainsi que l'introduction de considé-
rations morales et en particulier des questions du pouvoir temporel
et de la grâce. 11
Sur ce point également se développait, à un niveau plus populaire,
un mouvement parallèle de protestation générale contre les privilèges
ecclésiastiques, la richesse et le relâchement des clercs.
Telles furent les différentes zones d'où surgirent les problèmes princi-
paux, à la fois savants et populaires, du bas Moyen Age. En ce sens, on
peut dire sans exagérer que tous ces courants convergent dans la prise
de conscience de la société du bas Moyen Age.
Bien que ne constituant, ni séparément, ni conjointement, une théorie
cohérente et suffisante, et moins encore une théologie, ces éléments
n'en recouvrent pas moins la totalité des problèmes spirituels, intellec-
tuels et politiques de l'époque. C'est pourquoi les principaux sujets de
discussion savante se traduisirent finalement par une opposition popu-
laire sur le plan religieux, non à cause de leur caractère hérétique, mais
parce qu'ils correspondaient à l'état de la société. Cela est évident dès
que l'on considère les sujets les plus importants : et en premier lieu la
doctrine de la pauvreté absolue du Christ. Cette théorie fut d'abord
formulée au niveau le plus élevé par les franciscains, et en particulier
par quelques-uns de leurs plus éminents théoriciens, comme Jean de
Parme et Pierre de Jean Olieu, pour être finalement déclarée anathème
en 1323 par Jean XXII.
Non seulement cette doctrine donna alors naissance à un groupe dissi-
dent, les fraticelli, mais elle devint, sous une forme moins élaborée, le prin-
cipe directeur de toute réforme religieuse au Moyen Age, qu'elle f û t
orthodoxe ou hérétique. C'était, à la fois, une doctrine intellectuelle et
une pratique inséparable de la plupart des sectes hétérodoxes. Elle avait
15
222 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

son origine, comme nous l'avons déjà dit, dans les doctrines de la réforme
religieuse du 1 I e siècle, et depuis cette époque, elle persista, sous une forme
ou sous une autre, orthodoxe ou hérérodoxe, savante ou populaire, comme
le signe principal de toute réforme. La doctrine de la pauvreté du Christ
représentait la conjonction des différentes tendances hérérodoxes au
bas Moyen Age.
Le seconde grande manifestation d'hérésie au cours du bas Moyen Age
f u t une forme dégradée de mysticisme mettant l'accent sur l'expérience
directe de Dieu qui rendait inutiles les voies normales de la médiation
ecclésiastique : l'homme pouvait avoir directement l'expérience de Dieu
et s'unir à lui. Or la fréquence de cette attitude dans le peuple est un des
aspects les plus obscurs du problème de l'hérésie.
Dans sa forme spéculative pure, ce mysticisme prend naissance dans
Jean Scot (Erigène) et dans les œuvres des néo-platoniciens, et aboutit,
à la fin du 13e siècle, à la grande fraternité des mystiques allemands,
pour gagner finalement la plus grande partie de la chrétienté, au sud comme
au nord des Alpes. Malgré la condamnation en 1329 d'une partie de l'ensei-
gnement de maître Eckhart, ni lui ni ses disciples ne peuvent être consi-
dérés comme des hérétiques. Quelles que soient leurs aberrations, ils
mirent au centre de leurs préoccupations la quête de Dieu dans l'âme, dans
le style néo-platonicien tel qu'il était généralement accepté. Mais dans sa
forme populaire, le mysticisme fut, dès l'origine, lié à un panthéisme
sans réserve et, du même coup, à ce qu'on ne peut qu'appeler une doctrine
de l'amoralité. Dans la version qu'en donnent les 120 articles d'Albert
le Grand et les huit propositions condamnées par Clément V en 1311,
et dans celle d'Urbain V, de Grégoire X I et de Jean Gerson, et dans les
positions des homines intelligentise, ce mysticisme absolvait ceux qui
étaient unis à Dieu de toute retenue morale ; de plus, il affirmait que l'on
pouvait parvenir à cette union avec Dieu par des moyens naturels. 13
Cette attitude f u t partagée par la plupart des sectes irrégulières et non
reconnues du 15e siècle. Bien qu'on l'attribuât à la confrérie du Libre
Esprit, il est clair que l'association avec ce groupe n'était pas exclusive
et qu'un mode de vie extra-ecclésiastique y trouvait une idéologie. Si
l'on voit les choses ainsi, il semble qu'il serait stérile, et peut-être impossi-
ble de tenter de trouver l'origine de cette attitude dans une source unique
au lieu d'y voir ce qui se rapproche le plus d'une contre-doctrine de la
non-orthodoxie.
Il existe enfin une corrélation encore plus directe entre les concepts
savants utilisés par Wyclif ou par Huss et les conceptions populaires dans
les attaques et les critiques contre l'Eglise. En particulier, le développement
par Wyclif des idées de Gilles de Rome et de Richard Fitz Ralph sur le
pouvoir temporel et la grâce le conduisit à déclarer expressément que
seuls les hommes qui n'étaient pas en état de péché mortel pouvaient
posséder des biens ou exercer une autorité quelconque, et que l'état
HÉRÉSIES SAVANTES, POPULAIRES DANS LE BAS MOYEN AGE 223

contraire pouvait justifier la déposition du pape et son désaveu par le


clergé.
On trouve plus qu'un écho de ces déclarations dans les fameux vers
des paysans anglais révoltés en 1381 :
When Adam delved and Eve span
Who was then the gentleman ?

Cette même attaque contre les privilège de l'Eglise, si répandue dans tous
les secteurs de la société médiévale tardive, se retrouve dans d'autres
exagérations caractéristiques de la doctrine savante, comme l'autorité
exclusive de l'Ecriture, que Wyclif en vint à opposer à toute juridiction
ecclésiastique. Sur ce point, il était en conjonction avec une des doctrines
les plus fondamentales parmi les sectes hérétiques : l'affirmation de l'auto«
rité suprême en dernière analyse de l'Ecriture; la nouveauté consistait
à dissocier cette affirmation de la tradition ecclésiastique. 11 en va de même
de son enseignement eucharistique. Après l'avoir originellement tiré
d'une position réaliste extrême qui considérait tout être comme indes-
tructible, Wyclif en arriva, au bout d'un certain temps, à en faire une
attaque contre les sacrements tels que les pratiquait l'Eglise. Là non plus,
ce n'était pas la première fois ; cette notion existait chez les hérétiques
depuis le 12e siècle. Nous pouvons donc conclure qu'il y a convergence
entre les doctrines savantes et populaires à la fin du Moyen Age et que
c'est cette combinaison qui mit en cause les valeurs sociales acceptées.
Bien que, sous leur forme la plus extrême, ces idées populaires aient re-
présenté un défi direct à la société, elles prenaient en grande partie leur
source dans une doctrine savante qui n'était pas en elle-même hérétique.
Pourtant les conséquences finales de la croyance dans l'expérience
directe de Dieu, dans la sainteté de la pauvreté, dans la nocivité des
privilèges, dans l'inviolabilité de la parole de Dieu et la prédication se
font sentir dans les groupes irréguliers les plus extrêmes, dans la doctrine
du Libre Esprit, dans les révoltes paysannes, et dans les doutes croissants
sur le rôle de l'Eglise et l'efficacité de sa vie sacramentaire.
Dans ce sens, on peut dire que l'hérésie, à la fin du Moyen Age, est
l'expression la plus extrême d'une prise de conscience plus généralisée
224 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

NOTES

1. En 1277 par Etienne Tempier à Paris et Robert Kilwardby à Oxford. Voir P. MAR-
e
D O N N E T , Siger de Brabant et l'averrolsme latin au 13 siècle, Louvain, 1908 ; E. G I L -
S O N , La philosophie au Moyen Age, Paris, 1944, p. 559 et suiv. ; Gordon L E F F ,
Medieval Thought from St. Augustine to Ockham, Londres, 1958, p. 229 et suiv.
2. En 1333 pour sa doctrine de la vision de Dieu. Voir J. K O C H , Durandus de S. Por-
ciano, Münster-en-W., 1927.
3. 51 articles pris dans son commentaire sur les sentences furent censurés par une
commission ecclésiastique à Avignon en 1326. Voir A. P E L Z E R , « Les 51 articles
de Guillaume Occam censurés en Avignon, en 1326 », dans Revue d'Histoire ecclé-
siastique, t. XVIII, 1922, p. 240-270.
4. En 1329, 27 propositions furent condamnnées à Paris. Voir F. P E I . S T E R , « Ein
Gutachten aus dem Eckehart Prozess in Avignon, » dans Aus der Geisteswelt
des Mittelalters, Festgabe M. Grabmann, Münster-en-W., 1935.
5. L'exemple le plus évident est celui de la doctrine de la pauvreté apostolique,
qui domina les mouvements de la réforme monastique à partir du 11e siècle et,
en même temps, devint l'idée-maîtresse des sectes populaires jusqu'à la fin du Moyen
Age.
6 . Pour l'histoire des béguins, voir surtout H . G R U N D M A N N , Religiöse Bewegungen
im Mittelalter, Hildesheim, 1961 et E. W. Mc D O N N E L L , Beguines and Beghards
in Medieval Culture, Rutgers, 1954.
7 . H . G R Ü N D M A N N , op. cit., p. 135-157.
8. Voir les œuvres citées supra, note I et aussi Chartutarium Universitatis Parisiensis,
éd. par H. Denifle et E. Chatelain, 4 vol., Paris 1889-1891, t. I, p. 543-558.
9 . Voir Gordon L E F F , Gregory of Rimini : Tradition and Innovation in Fourteenth
Century Thought, Manchester, 1961.
1 0 . Pour une bibliographie voir J . M . C L A R K , The Great German Mystics, Eckhart,
Tauler and Suso, Oxford, 1949.
1 1 . Sur le développement de la théorie conciliaire, voir en particulier B . T I E R N E Y ,
The Foundations of Conciliar Theory, Cambridge, 1955.
12. Pour l'histoire de cette controverse, voir les articles de F . E R L E dans Archiv ßr
Literatur und Kirchengeschichte, t. I, 1885, p. 506-695 ; t. II, 1886, p. 108-164 ;
t. III, 1887, p. 553-623 ; t. IV, 1888, p. 1-190. Aussi D . L. D O U I E , The Nature and
the Effects of the Heresy of the Fraticelli, Manchester, 1932.
13. Voir E . G I L S O N , op. cit. ; J. M . C L A R K , op. cit.
14. Reproduits dans W. P R E G E R , Geschichte der deutschen Mystik im Mittelalter, t. I,
Leipzig, 1874, p. 469-471. Pour les corrections à apporter à Preger, voir H . H A U P T ,
« Beiträge zur Geschichte von freien Geiste und das Beghardentums », dans Zeit-
schrift für Kirchengeschichte, t. VII, 1885, p. 503-576, en particulier, art. 41 : quod
homo unitus deo non debet confiteri etiam peccatum mortale, art. 43 : quod homo
unitus deo licite possit tollere rem alterius mendacium.
15. Ad nostrum, dans Corpus Iuris canonici, Leipzig, 1881, t. II, col. 1169.
1 6 . Dans J. L. M O S H E I M , De Beghardis et Beguinabus commentarius, Leipzig, 1 7 9 0 ,
p. 4 1 2 .
17. Dans C . B A R O N I U S et O . R A Y N A L D U S , Annales ecclesiastici una cum critica historico-
chronologica, Lucques, 1738-1759, t. XXVI, p. 240-241.
18. Par exemple De examinatione doctrinarum dans Opera omnia, Anvers, 1706, t. I :
HÉRÉSIES SAVANTES, POPULAIRES DANS LE BAS MOYEN AGE 225

De distinctione verarum visionum a falsis, t. II : Considerations theologies mysticœ,


t. II,
19. I. FREDERICQ, Corpus documentorum Inquisitionis hseriticse pravitatis Neerlandicœ,
Gand, 1889-1900, t. I, p. 169-279.
20. Pour le développement de ces idées pendant le 1 4 E siècle, voir A . GWYNN, The
Austin Friars in England, Oxford, 1940.
21. De Ecclesia, éd. J. Loserth, Wyclif Society, 1886.
22. En ce domaine, Wyclif portait à une position extrême l'opinion commune à la
plupart des penseurs du 14 e s'ècle, que la théologie n'était pas science mais sagesse
(voir Gorgon LEFF, « The Changing Pattern of Thought in the Earlier Fourteenth
Century », dans Bulletin of the John Rglands Library, 43, n° 2, mars 1961, p. 370 et
suiv.). Mais tandis que les occamistes et les traditionalistes comme Bradwardine
et Grégoire de Rimini joignirent l'Ecriture à la tradition de l'Eglise, Wyclif les
opposa l'une à l'autre ; par exemple : « Ni le témoignage d'Augustin ou de Jérôme,
ni celui d'aucun autre saint ne devrait être accepté s'il n'est basé sur la Sainte
Ecriture » (cité dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, t. XV, 2, art. « Wyclif »,
col. 3594). Voir aussi De oeritate Scripturee, Wyclif Society, 1905-1907.
23. De Eucharistia, éd. J . Loserth, Wyclif Society, 1892.
DISCUSSION

J. SÉGUY. — Le professeur Leff a donné une excellente réponse sociolo-


gique à cette question : pourquoi ce 14e siècle anglais, l'un des moins bril-
lants au point de vue ecclésiastique, a-t-il produit la plus brillante école
mystique que l'Angleterre ait connue, peut-être la seule ?
Cette mystique est ambiguë : on ne peut pas dire par exemple qu'elle soit
antisacramentaire, elle passe à côté de la question des sacrements ; elle
s'adresse spécialement à des ermites, des reclus ou des recluses et pose la
question de la pauvreté en termes antimonastiques ; elle rencontre les thèmes
de Wyclif et des Lollards. Il est très intéressant de marquer cette rencontre
entre hérésie savante et hérésie populaire, et de noter que cette hérésie
n'était pas nécessairement hors de l'Eglise.

E. DELARUELLE. — Je suggérerai quelques nuances et quelques additions :


je voudrais rappeler que cette époque est celle de l'expansion des Chartreux,
du développement de la vie commune (chanoines de Windesheim et frères
de la Vie Commune) et, à la fin du siècle, de l'essor de l'Observance, qui redé-
couvre la pauvreté franciscaine. Des travaux récents obligent d'autre part
à nuancer les thèses anciennes sur la Scriptura Sola de Wyclif : on peut
penser que Wyclif est profondément d'accord avec les théologiens à la fin
du 14e et du 15e siècle sur l'accord entre tradition et écriture. Pour moi,
je serais porté à rapprocher Wyclif d'Occam sur ce point, supposant que
l'un et l'autre sont hostiles à une théologie rationalisée, voient dans la théo-
logie avant tout une sagesse, et veulent donc fermer la parenthèse scolas-
tique pour revenir ici à l'époque.

R. M A N S E L L I . — A propos de la pauvreté franciscaine, on a nommé


Jean de Parme et Michel de Césène : ce sont deux noms extrêmes qui n'in-
diquent pas le moment où la doctrine de la pauvreté s'est diffusée et pré-
cisée dans une atmosphère populaire ; je pense que ce moment, c'est la fin
du 13e et le début du 14e siècle. Et dans une zone géographique bien précise :
la France méridionale ; ce qui ailleurs est un phénomène accidentel est
ici un fait ample et vivant : les groupes des béguins — le mot « béguin »
a ici un tout autre sens qu'à Strasbourg et en Belgique, ce sont les amis des
franciscains souvent inscrits à leur tiers ordre — réalisent ce passage de la
discussion dans l'ordre franciscain à la foi dans le peuple. Or, à ce moment,
Michel de Césène est ennemi des béguins et des spirituels ; pour lui l'adhé-
sion à la pauvreté est un fait de discipline personnelle. Je dirais donc plutôt :
de Jean de Parme à Pierre de Jean Olivi, à Ubertin de Casale, à Angela
Clareno, ce sont eux qui opèrent le passage de l'hérésie savante à l'hérésie
populaire.
HÉRÉSIES SAVANTES, POPULAIRES DANS LE BAS MOYEN AGE 227

M m e M. ASTON. — Je voudrais souligner qu'une hérésie savante, à mesure


qu'elle devient populaire perd sa vitalité, en même temps qu'elle se déforme.
L'histoire des Lollards en est une démonstration : à mesure que les contacts
avec l'Université, indispensables à une hérésie savante, se sont affaiblis,
quoiqu'ils aient continué plus longtemps qu'on ne l'a soupçonné jusqu'à
présent, le mouvement lollard s'est lui-même affaibli. D'autre part, les
franges du mouvement sont plus difficiles à définir et l'Eglise se heurte à un
problème plus délicat et dangereux ; il faut se souvenir que, même dans le
cas des hérésies savantes comme celle de Wyclif dont la réputation était
favorisée par la simplicité de sa vie, on pouvait fonder une secte hérétique
sans le vouloir.

É. POULAT. — Quoique moderniste, j e suis intéressé par cette discussion


de médiévistes : j e sens affleurer le problème passionnant du destin posthume
des hérésies.
Hier, nous avons discuté sur Erasme et aujourd'hui M. Delaruelle nous
a rappelé les travaux de Dom de Vooght, qui réhabilite en somme Wyclif
après Jan Huss : ces exemples montrent l'intérêt d'une étude du destin
posthume des hérésies.

G. LEFF. — L'attitude de Wyclif me paraît éloquente. Occam a opéré une


distinction très nette entre l'expérience naturelle que nous pouvons atteindre
par nos possibilités naturelles et qui forme la connaissance exacte et les vé-
rités théologiques qui sont matière de croyance, mais il n'a pas précisé
l'extension possible de l'interprétation scripturale. Wyclif, au contraire, a
toujours insisté sur le fait que la seule autorité réside dans l'Ecriture et l'a
opposée à l'autorité de l'Eglise. L a plupart des penseurs du 14 e siècle ont
opposé raison et croyance, mais ils ont inclu l'autorité religieuse dans les
objets de croyance. Wyclif au contraire, bien qu'il n'ait jamais attaqué
l'autorité de l'âge patristique et n'ait pas attaqué la scolastique médiévale, a
finalement attaqué l'autorité entière du pouvoir pontifical. Il dit souvent
que le pape peut être déposé si c'est nécessaire et que si l'autorité ecclésiasti-
que et pontificale a parfois interprété la vérité scripturale, elle n'en avait
pas le droit.
Par ailleurs, je suis d'accord avec le professeur Manselli sur la grande
différence entre Pierre de Jean Olivi et Michel de Césène : une même doctrine
peut unir des points de vue différents. Je suis aussi d'accord avec M m e Aston :
la relation entre Wyclif et les Lollards est précisément celle d'un mouvement
d'idées savantes avec un mouvement proprement hérétique, au moins hété-
rodoxe.
G. SZÉKELY

LE MOUVEMENT DES FLAGELLANTS


AU 14e SIÈCLE,
SON CARACTÈRE ET SES CAUSES

Le mouvement des flagellants, qui apparaît en plusieurs pays d'Europe


vers le milieu du 14e siècle, est remarquable par le fait que, à la différence
des mouvements hérétiques, il mit en branle dans un bref délai les masses
populaires sur de grands territoires du continent, et qu'il se déroula par-
tout, presqu'en même temps, et non pas selon le rythme de l'évolution
spéciale et de l'apparition des questions sociales dans les différents pays,
comme c'est le cas des soulèvements paysans ; de plus, les travaux scienti-
fiques, qui s'occupaient jusqu'à présent de la période particulière de ce
mouvement ou ceux qui s'occupaient des mouvements hérétiques et des
révoltes des paysans en général, ont une manière spéciale d'aborder le
mouvement des flagellants, et c'est justement ce qui justifie la récapitula-
tion des sources connues et la recherche des sources nouvelles de ce mouve-
ment. Une grande partie des ouvrages historiques ne fait que mentionner
chronologiquement le mouvement des flagellants sans montrer la place
qu'il occupe dans l'intégralité organique du courant social et historique ;
un autre groupe d'ouvrages historiques ne mentionne guère ce mouve-
ment, tout en décrivant largement les sectes de quelque durée, ainsi que
les révoltes des paysans plus importantes. Voilà donc la tâche de ma commu-
nication : faire voir les causes économiques et les motifs de cette tension
sociale qui existe dans les villes et les villages d'Europe centrale et occi-
dentale au 14e siècle et qui se manifeste d'une façon éruptive dans la
forme du mouvement des flagellants.
C'est au 14e siècle qu'apparaît aux Pays-Bas la faux courte pour la mois-
son du blé, ce qui marque le début de la lente transition vers l'emploi
d'ustensiles plus productifs. On profitait de plus en plus de la paille de
blé dans la stabulation, car on se servait beaucoup moins du finage, du
pâturage de la forêt. Il y avait un grand progrès — même dans les pays
d'Europe centrale — quant au passage en masse de la prestation en nature
à la prestation en argent ; le marché gagnait une grande importance dans
la vie des paysans. Les prix du blé et du bétail ont atteint leur maximum
au milieu du siècle, l'élevage des bestiaux progressait quand même. Le
paysan achetait des instruments en fer et des tissus plus chers. En géné-
ral, son état de fortune dépendait des prix agraires défavorables. Parmi
230 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

les paysans se formaient des couches différentes, le nombre des métayers


et des journaliers agricoles augmentait. Les mouvements des compagnons
de corporations rendaient les combats sociaux plus acharnés au milieu
du siècle. Quant aux conséquences de la grande épidémie de peste, au-
paravant, on les exagérait ; aujourd'hui on se fait d'elles une image plus
juste. Pour la Belgique, par exemple, elle ne peut être considérée comme
un fléau, qui aurait dépeuplé le pays. En Hongrie — selon notre avis —
la peste f u t moins terrible qu'en Europe centrale. Mais il est des historiens,
qui proclament, ces derniers temps, que les symptômes de la crise se ma-
nifestent avant et non pas après la peste (dans les années 1320-1330
d'après M. Perroy). La guerre de Cent Ans aggravait la mauvaise situation
du peuple mécontent; la peste contribua aussi à l'augmentation de la
tension, mais ce ne f u t pas elle qui la causa. Nous voyons aujourd'hui que
ce ne f u t pas par hasard que de grandes crises éclatèrent au 14e siècle,
à la suite de la peste, mais non comme sa conséquence, car la peste se
diffusa plus tard (1372, etc.) en d'autres pays sans être suivie d'événe-
ments semblables. 1
Il vaut la peine qu'on envisage les sources du mouvement et leur carac-
tère. Ce sont les chroniques, les annales, les diplômes et les illustrations.
Tous ces documents sont du même genre : ils décrivent minutieusement
les symptômes d'un mouvement de faible durée sans en comprendre les
causes et ils n'établissent presque pas de rapport entre ce mouvement
et les autres événements du même temps. Ce caractère des sources expli-
que, lui aussi, pourquoi la littérature scientifique considéra pendant long-
temps le mouvement des flagellants comme une maladie du peuple, une
perversité, une épidémie psychique, sujet d'études médicales et de re-
cherches psycho-pathologiques. Il y a des ouvrages qui identifient complè-
tement les flagellants du 13 e siècle (1260-1261) avec le mouvement du
14e siècle, car les formes en sont inspirées. On trouve des illustrations du
mouvement de 1349 par des données du 13 e siècle, et l'on fait quelque-
fois une comparaison entre les persécutions des juifs et les cortèges des
flagellants, bien qu'il y ait une grande différence entre les deux quant
à leurs causes particulières et quant à l'attitude de l'Eglise envers les deux
mouvements. Un historien, Sugenheim, a remarqué qu'au commencement,
seuls les gens appartenant aux plus basses couches sociales participaient aux
cortèges et qu'on n'y trouva nobles et soldats que plus tard ; cette observa-
tion nous aide à comprendre les causes sociales du mouvement. 2
Parlant de la diffusion du mouvement des flagellants, qu'il nous soit
permis de commencer par la Hongrie. Une source précieuse est la
miniature de la Chronique Illustrée, vers les années 1370, à propos des
événements de 1261. Le miniaturiste hongrois peint la fin d'un cortège de
flagellants : on y voit quatre flagellants en capuchon ou en culotte blan-
che, qui déjà couverts de plaies — se fouettent et fouettent leurs camara-
des. La douleur de la macération est représentée par la courbe des dos
LE MOUVEMENT DES FLAGELLANTS AU 14« SIÈCLE 231

fléchis ; l'arrière-plan est composé de quatre églises peintes sur des rochers.
Les historiens de l'art ont retrouvé le type iconographique, modèle du
miniaturiste; ils ont pourtant constaté que cette illustration est plus
expressive (les robes déchirées, les plaies saignantes, la flagellation) que
la représentation de trois flagellants sur la fresque plus ancienne de la
Chiesa dell'Incoronata à Naples. Notre artiste devait donc avoir entendu
décrire les flagellants hongrois de 1349. Les textes des chroniques ne par-
lent pas du mouvement : les chroniqueurs hongrois tournaient leur at-
tention vers la campagne que la dynastie angevine engageait contre Naples ;
mais les sources étrangères bien nombreuses ne permettent aucun doute
sur l'existence du mouvement en Hongrie. s
L'épopée L'amour de Toldi (1879), un des chefs-d'œuvre du grand poète
Janos Arany, nous donne un magnifique tableau (chants 8 et 9) décrivant
le cortège d'un groupe de flagellants en Hongrie : des paysans, des arti-
sans, des moines, des soldats, des femmes. Cette description reflète l'opi-
nion des historiens contemporains du poète. Le poète dépeint les flagel-
lants d'après Palacky, qui parlait des flagellants en affirmant qu'ils se
fouettaient jusqu'au sang, se confessaient l'un à l'autre et finissaient par
se dépraver. Pal Gyulai, le célèbre critique, constatait la réalité du ta-
bleau peint par le poète, et l'appréciait comme la peinture complète et
vraie de l'époque : « On y voit l'Eglise puissante avec la grâce divine et
l'anathème foudroyant, avec la pénitence silencieuse de ses cloîtres, le
fanatisme et les débauches de ses pèlerins ». Le chanoine Antal Por, bio-
graphe de Louis le Grand, roi de Hongrie, refuse déjà en 1892 la supposi-
tion que le peuple hongrois « zélé, religieux et rationnel » ait pris part aux
« extravagances » flagellantes. Le mouvement devait se limiter selon lui
aux territoires voisins de la frontière carinthienne et styrienne et n'était
rien de plus que la procession vers Hambourg, dont les participants étaient
des Allemands habitant en Hongrie. A l'étranger on parlait des flagellants
hongrois (d'après J.F.C. Hecker, H.Ch. Lea) et on faisait même provenir
le mouvement de Hongrie, mais on n'en parlait plus dans notre pays.
Les historiens plus récents reconnaissent l'existence du mouvement en
Hongrie, mais acceptent avec une certaine méfiance les affirmations sur
son origine hongroise : les causes qui provoquaient le mouvement des
flagellants sont à chercher dans les circonstances particulières à chaque
pays. 4
Voyons maintenant la diffusion du mouvement dans d'autres pays
d'Europe. Tout d'abord, il faut mettre l'accent sur le fait, que les dénomi-
nations des flagellants : Flagellatores, seda Flagellantium, li penant (en fran-
çais), Geissler, Pesserer, Flegler (en allemand), Mrskac (en tchèque) dans
une note marginale : Pickharti, Biczownik (en polonais) rappellent la fla-
gellation d'une part, et d'autre part, qu'ils étaient considérés comme des
hérétiques. Bien nombreuses sont les sources qui parlent de la diffusion
du mouvement en Autriche, en Bohême, en Silésie, en Pologne, en Aile-
232 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

magne, en France, aux Pays-Bas, nous avons connaissance de son exis-


tence même en Angleterre. Les descriptions de nombreux chroniqueurs
sur la flagellation et les cultes des flagellants étant stéréotypées, nous
pouvons donc négliger ces observations sans valeur. Il faut, par contre,
mentionner que les sources qui parlent de la Bohême soulignent le fait
que les flagellants venaient de l'étranger dans le pays, et que les habi-
tants des villes et des villages — qu'ils fussent Tchèques ou Allemands —
se joignaient à eux. Il y a d'autres sources, qui font entrer les flagellants
de l'étranger en Silésie. E t quant aux Pays-Bas, quelques sources affirment
qu'ils y sont arrivés d'Allemagne. Bien entendu, on n'en peut tirer la
conclusion, que les flagellants venaient dans tous les pays d'un autre
pays étranger, ni qu'ils faisaient des pérégrinations à travers toute l'Europe,
mais il devient bien évident que les frontières s'abattaient devant
leurs cortèges. 6
Le problème suivant des recherches historiques est la relation entre
le mouvement des flagellants et la persécution des juifs en 1349. Les deux
événements peuvent être isolés l'un de l'autre, ce qu'on n'a point fait
auparavant ; même Herman Ley ne le fait pas conséquemment, en en-
visageant les données différentes. La cause de cette confusion est le fait
que les chroniques mentionnent les deux événements l'un à côté de l'autre.
Pourtant la plupart des chroniques ne parlent pas des flagellants comme
de persécuteurs des juifs. Pour isoler les deux événements ''un de l'autre,
il y a des possibilités chronologiques, de plus, l'analyse des couches so-
ciales qui y figurent nous fournit des moyens de les isoler Des chrétiens
(même des nobles) et des fossoyeurs furent soupçonnés aussi d'avoir diffu-
sé la peste, et ils devaient mourir torturés ou brûlés vifs. Certains contem-
porains ont rejeté le soupçon que les juifs auraient été des empoisonneurs
et — se rappelant le sort des chevaliers du Temple — affirment que les
persécuteurs sont les endettés (prêtres, nobles, citoyens, paysans), non
relié aux flagellants. Les persécutions des juifs en Savoie (mai 1348), en
Suisse (janvier 1349), et à Strasbourg (février 1349) sont antérieures en
date et d'un caractère urbain et corporatif, elles peuvent donc être consi-
dérées comme indépendantes des flagellants. A Wroclaw (Silésie) c'est
en 1345, que commence la persécution des juifs (prise du cimetière) par
la royauté ; la source qui parle de la persécution de 1349 (prise des syna-
gogues et des maisons, massacres) mentionne — probablement pour dis-
culper la ville — les malfaiteurs : extraneos et exules et ignotos, ne les appe-
lant pas toutefois flagellants. Les chroniques silésiennes se taisent quant
à ce point, elles se contentent de la description de la poursuite des flagel-
lants par l'Eglise : Preczlaw, évêque de Wroclaw, a privé le chef des flagel-
lants, un diacre considéré comme hérétique, des ordres ecclésiastiques ;
celui-ci, jugé par le tribunal séculier, fut condamné à être brûlé vif. Precz-
law interdit entièrement les cortèges des flagellants. Les sources histori-
ques très riches, qui mentionnent plusieurs sortes de mouvements de foule
LE MOUVEMENT DES FLAGELLANTS AU 14» SIÈCLE 233

et d'hérésies dans la première moitié du 14e siècle à Wroclaw, montrent


la tension qui régnait en ce temps dans la ville ; 1315-1316 : persécution
des hérétiques, béguines ; 1329 : grève des journaliers ; 1333 : révolte des
tisserands; 1339-1341 : participation des patriciens et des artisans au
combat contre la fiscalité pontificale ; 1341 : les bégards ; 1343-1347 :
guerre des patriciens et des membres des corporations pour s'emparer du
pouvoir de la ville. La riche monographie de Wroclaw (en partie écrite
par Karol Maleczynski) ne reliait pas ces événements de la guerre sociale
au mouvement des flagellants, ce qui semble indiquer qu'elle isole le mouve-
ment des flagellants des persécutions contre les juifs. Par contre, les di-
plômes de Buda, datés l'un du 30 juin 1349 et parlant d'un contrat de
vente entre un juif et un chrétien, l'autre du 21 octobre 1350 et mention-
nant un procès entre un juif et un chrétien, montrent la situation paisible
pour les juifs à Buda et à Vieux-Buda. En 1354 les juifs ont bâti une syna-
gogue à Nagymarton.
L'intervention du pape en faveur des juifs (le 20 octobre 1349) est un
geste, qui signifie que l'Eglise désirait calmer les mécontents en général ;
l'Eglise, qui n'avait pas son mot à dire lors de tant de persécutions
au Moyen Age, donne asile aux persécutés à Avignon — faisant appel
même à la piété chrétienne — le pape proteste contre l'accusation,
portée contre les juifs, d'avoir empoisonné les puits, et afin de réprimer
ou discréditer un mouvement qui pouvait devenir antiféodal attribua
tout simplement les persécutions des juifs aux flagellants. De plus, pour
sauvegarder l'autorité des prêtres, l'université de Paris soutint le pape
contre les flagellants ainsi que l'empereur Charles, bien que celui-ci ne
se souciât guère de la défense des juifs. Mais bien des différences chronolo-
giques prouvent et nous rendent clair que la persécution des juifs n'a pas
surgi avec le mouvement des flagellants, quoiqu'ils fussent maintes fois
présents en même temps. Voilà les dates des persécutions des juifs : en
France les pastouraux en 1320, dans les villes de l'Allemagne en 1330-
1338, à Cheb (Eger) en 1350, à Prague en 1389 — bien qu'il y ait eu des
flagellants en 1349 — en Espagne, à la suite de la peste en 1348 et en
1391. En Hongrie, on chassait les juifs du pays en vertu d'un ordre du
roi vers 1360, mais ils reçurent bientôt un autre lieu d'établissement à
Buda. Ce sont les cercles féodaux, auxquels on peut attribuer sans doute
le rôle principal dans la persécution des juifs de Meissen en 1349. Nos sour-
ces n'attribuent pas expressément aux flagellants les persécutions qui
avaient lieu en Brabant et en d'autres régions des Pays-Bas et en Bohême
(1349), tout en mentionnant que les juifs étaient persécutés parce que
soupçonnés d'avoir provoqué la peste. La biographie du pape Clément VI
parle de l'injuste persécution des chrétiens et des juifs innocents, sans
attribuer l'action aux flagellants. Simon Dubnov se tenait donc aux sour-
ces historiques, quand il se gardait de relier les persécutions des juifs au
14e siècle au mouvement des flagellants en ce qui concernait les persécu-
234 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

tions qui avaient lieu, en France, en Espagne, à Strasbourg, à Cologne,


à Mayence, à Worms, à Francfort-sur-le-Main, à Wurtzbourg, à Spire,
à Nuremberg. Il est des villes où la défense des juifs était un bon prétexte
de la part du Sénat nouveau pour chasser les autorités patriciennes. '
Nous connaissons des faits qui prouvent qu'en Hongrie existaient des
mouvements antiféodaux moins déguisés, mais il serait quand même hardi
d'associer ces mouvements aux flagellants. 11 serait également aventu-
reux de ne pas admettre qu'ils ont pu jouer le rôle que leurs contemporains
leur attribuaient dans certains événements. Il y a en tout cas plusieurs
événements importants qui se passaient vers la frontière ouest de la Hon-
grie, endroit où passait le cortège des flagellants. Il est certain que des
gens du lieu se sont associés aux flagellants, et on peut supposer que des
pèlerins dispersés restaient dans le pays.
C'est, vers 1340-1350, que des luttes eurent lieu en Hongrie, non loin
de la frontière styrienne, entre l'abbaye cistercienne de Szentgotthard
et ses serfs : les paysans, qui abritaient des « voleurs et malfaiteurs », ne
se soumirent pas au verdict de l'abbé, refusèrent le payement des impôts,
déclenchèrent plusieurs attaques contre des abbés. C'est pourquoi les
paysans furent jugés — par la justice curíale en 1350 — pour être des gens
maligno spiritu inflati, seueritateque indicabili et contumacia rebellionis in-
durati. Avant 1354, le curé de Sopron traitait ses adversaires d'hérétiques ;
en 1357, à l'assemblée générale du département de Zala, on mit hors
la loi un serf, nommé Istvan (Etienne) et surnommé Eretnek (Hérétique).
C'est sans doute une dea raisons pour lesquelles la lettre pontificale
parle d'effusion de sang chrétien, de saisie des biens des prêtres et des
laïcs ; ainsi s'explique aussi qu'un chroniqueur des Pays-Bas et un autre
de Thuringe affirment que certains prêtres étaient en péril d'être mas-
sacrés ou lapidés. Nous partageons l'avis de Frantisek Graus, quand il
dit que le mouvement des flagellants rassembla les habitants pauvres
des villes et des villages et finit par se tourner contre les seigneurs féodaux.
Ceci ne composait qu'une partie des inculpations, dont la majeure partie
appartenait à la catégorie des « accusations contre les hérétiques ». Le
pape Clément VI désignait le mouvement des flagellants comme une supers-
tition, comme une croyance erronée (superstitiosa adinventio, supersti-
ciosa secta seu societas), qu'il interdit sous peine d'excommunication. On
trouvait leurs chants scandaleux, suspects, contre la loi (fidei Katholice
contrarii inventi surit uiciosi). Ils chantaient par exemple : « Vienne ici,
qui veut se repentir, sauvons-nous de l'enfer torride, Lucifer est un mé-
chant gars (un mauvais sujet)». En Autriche ils scandalisaient les gens;
on déclara leur pénitence contraire à la loi. En Bohême, l'archevêque
interdit le mouvement, le haut clergé chassa les flagellants du pays ; l'ar-
chevêque de Magdebourg se prononça contre eux ; considérés comme adhé-
rants d'une secte, victimes d'une croyance erronée, ils furent persécutés
par les princes et par les évêques, forcés de renoncer à leurs « erreurs »
LE MOUVEMENT DES FLAGELLANTS AU 14« SIÈCLE 235

(aberrationes), et s'ils s'obstinaient, devaient paraître devant le tribunal


séculier. Les flammes des bûchers révèlent que les flagellants étaient persé-
cutés comme hérétiques. Les expressions déshonorantes, qui traitent les
flagellants d'hérétiques, prouvent la même chose (heresibus, scismatibus
et erroribus, secta corrupta, errores ; in contemptum discipline ecclesiastice ;
heretica penitentia). Une de nos sources dit que c'est le diable qui joue
un mauvais tour aux flagellants de Hongrie (deluse a dyabolo).8
Pourquoi le mouvement des flagellants fut-il considéré comme héréti-
que ? Ce ne f u t pas une organisation, ni une secte religieuse, comme on
peut le lire maintes fois. Nos sources ne mettent guère les chefs en vedette.
Parfois, des prêtres entraient dans leur rang ; ils furent par la suite excom-
muniés. Les chroniques mettent rarement en relation des flagellants avec
des personnes considérées comme hérétiques. Ce ne f u t pas non plus une
action secrète, au contraire ce f u t un mouvement général, dont les doc-
trines rappellent celles des hérésies ; il ne fut exempt ni des éléments
mystiques, ni de l'exaltation. Les flagellants furent même en opposition
contre quelques sectes, car ils invoquaient le secours de la Vierge et des
saints. Pourtant les documents de l'Eglise, ainsi que les chroniques, par-
lent des sectes hérétiques. Leurs instruments de pénitence sont les mêmes
que ceux de l'Eglise et des moines : procession, port de la croix, cérémo-
nies d'église, flagellation, prière, chant, audition de sermons. Ils ne furent
pas seuls à considérer la peste comme la punition de Dieu. Louis le Grand
écrit le 7 juin 1349 aux Vénétiens : ...permissione divina plaga... nunc
in Regno nostro ejusdem clementia disponente cessavit; et la République
au roi le 25 juin ; Divina potencia suum judicium mitigaverit in partibus
predictis Hungarie; le roi de Hongrie le 11 juillet à Venise : epidemia seu
mortalitas gentium Divina castigatione suum judicium mitigasset. Ces phra-
ses trahissent l'opinion du roi sur l'origine de la peste. L'évêque de Varad,
Démétrius, écrit le 12 juin 1349 : potentia divina per pestem indicibilem...
multorum vitam temporalem fine ineuitabili conclusisset.
Les sources mentionnent, ou laissent supposer, qu'on a persécuté les
flagellants parce qu'ils agissent sans la permission de l'Eglise ou de l'évê-
que. Elles mentionnent aussi la fausse lettre d'un ange, déposée à Jérusa-
lem et la vision de Jérusalem, la participation commune d'hommes, de
femmes, de jeunes filles à des flagellations publiques, leur attitude soi-
disant hostile envers les juifs : c'est faux. La cause principale de leur per-
sécution est à chercher ailleurs : le mouvement des flagellants accusait
l'Eglise de négliger ses devoirs, et il menaçait de rendre la hiérarchie de
l'Eglise superflue. Le mouvement voulait des prédicateurs laïques, des
chants qui racontent les souffrances de Jésus en langue maternelle (canen-
tes materna lingua... cantilenas ; cantilenas in thevthunico ; vulgariter deccui-
tabant ; sungen eygene leysen).
Ils déclaraient que chacun peut acquérir la grâce sans l'intermédiaire
de l'Eglise, sans se confesse à un prêtre et sans l'indulgence (sine doctri-
236 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

na Sacerdotum ; superiorum iurisdidionem usurpare; in eneroacionem Ec-


clesiastice potestatis). Ces déclarations et opinions menaçaient aussi l'Eglise
du point de vue financier. C'est la hiérarchie qui courait le plus grand dan-
ger, car les flagellants proclamaient en ce sens presque les mêmes idées,
que les hérétiques et pré-réformateurs qui disaient : « Dieu seul agit en
nous par sa grâce, sans le ministère du prêtre », hérésie capitale, qui abolit
l'institution divine du sacerdoce, la discipline sacramentaire et la vie so-
ciale de l'Eglise (selon l'expression de Ch. Mercier). On les inculpait encore
pour leurs attaques contre les biens et la personne des prêtres et des laïcs
chrétiens, pour avoir abandonné en masse les propriétés et les ateliers,
et pour avoir pris une attitude hostile aux machinations financières et
à l'usure (Finantzerey und Wucher, dans la chronique de Spire). Dans un
chant des flagellants allemands nous lisons ces paroles générales qui ne
parlent point contre les juifs : « Malheur à toi, usurier perdu, tu fais d'une
demi-once une livre, ce qui t'immergera dans l'enfer profond ».
Si l'on examine minutieusement les détails en apparence négligeable
des sources, on peut fixer avec l'aide des adjectifs qualificatifs employés
quels étaient les motifs, qui ont fait juger les actions, les chants, les
opinions de ces gens « stupides, rustiques et incultes » comme « hérésie » :
jugement qui amena la liquidation du mouvement. 8 Le jugement de
l'Eglise était juste en ce que les flagellants ne représentaient pas seule-
ment un fanatisme religieux, et — bien que leur masse connût peu les
dogmes de l'Eglise — en ce qu'ils se révoltaient instinctivement contre
l'ordre féodal, qui devenait plus lourd par suite des contradictions de la
nouvelle économie fondée sur l'argent, et que dans ce mouvement se tra-
duisait l'irritation des classes soumises de la société féodale, dont les fla-
gellants ont essayé de défaire les liens. C'est ainsi que le mouvement des
flagellants nous fournit des preuves convainquantes sur les rapports mul-
tiples qui existent entre « les sociétés et les hérésies ».

NOTES

1. R. KÖTZSCHKE, « Bauer, Bauerngut und Bauernstand » dans Handw örterbuch der


Siaatswissenschaften, t. II, léna, 1924, p. 374 ; B. BRETHOLZ, Brünn, Brünn, 1938,
p . 6 3 ; H . P I R E N N E , G . COHEN e t H . FOCILLON, La civilisation occidentale au Moyen
e e
Age da 11 au milieu du 15 siècle, Paris, 1941 ; Erik MOLNAR, A magyar tarsadalom
tôrténete az Arpadkortol Mohâcsig, Budapest, 1949, p. 186, 249-250; Frantisele
GRAUS, « Krise feudalismu ve 14. stoleti », dans Historicky Sbornik, t. I, Prague,
1953, p. 112, 115, 118 ; H. CONRAD, Deutsche Rechtsgeschichte, t. I, Karlsruhe, 1954,
p. 281 ; F. VERCAUTEREN, < Rapport général sur les travaux d'histoire du Moyen
LE MOUVEMENT DES FLAGELLANTS AU 14« SIÈCLE 237

Age de 1945 à 1954 », dans Relazioni, t. VI, Florence, 1955, p. 96-97,102 ; M. MOLLAT,
P . JOHANSEN, M. POSTAN, A . SAPORI, C. VERLINDEN, « L ' é c o n o m i e européenne
aux deux derniers siècles du Moyen Age », dans Relazioni, t. VI, Florence, 1955,
p. 951-953 ; H. LEY, Studie zur Geschichte des Materialismus im Mittelalter, Berlin,
1957, p. 239 ; I. TALASI, « A termelés és a nyelv kapcsolata aratömüveleteinkben »,
dans Ethnographia, 1957, Budapest, p. 217 ; J . PERÉNYI, Lengyelorszâg tOrténete,
Budapest, 1962, p. 50, 52.
2. Düringische Chronik des Johann Rothe, Iéna, 1859, p. 591-592 ; S. SUGENHEIM,
Geschichte des deutschen Volkes und seiner Kultur von den ersten Anfängen histo-
rischer Kunde bis zur Gegenwart, t. III, Leipzig, 1867, p. 278 ; J . BALOGH, « Flagellâ-
nsok Magyarorszâgon », dans Ethnographia Népéiet, 1927, Budapest, p. 199 ; B . Ho-
BENSTEINER, Bayerische Geschichte. Staat und Volk, Kunst und Kultur, 2 e éd.,
Munich, 1952, p. 122 ; H. LEY, op. cit., p. 239.
3. J . BALOGH, art. cité, p. 199 ; I. BERKOVITS, « A magyar feudâlis târsadalom tükrö-
zodése a Képes Krônikâban », dans Szâzadok, 1953, Budapest, p. 92 ; Chronica
Principum Poloniœ, dans Scriptores Rerum Silesiacarum (éd. G. A. Stenzel), Breslau,
1835, p. 166 ; Michœlis de Leone canonici Herbipolensis annotata historica, dans
Geschichtsquellen Deutschlands (éd. J . F. Boehmer), t. I, Stuttgart, 1843, p. 476-477 ;
Annales Mechovienses (éd. Pertz), dans M. G.H. S S., 19, Hanovre, 1866, p. 670;
Annales Wratislavienses Maiores (éd. Pertz), dans M. G.H. SS., 19, p. 532.
4. J . ARANY, « Toldi szerelme », dans Arang Jânos összes kolteményei, Budapest, 1941,
p. 216, 219-220 ; G. VOINOVICH, Arany Jânos éleirajza, t. III, 1860-1882, Budapest,
1938, p. 293, 309; A. P6R, Nagy Lajos 1326-1382, Budapest, 1892, p. 180-182;
H. C. LEA, A History of the Inquisition of the Middle Ages, t. II, Londres, 1888
p. 381 ; J . F. C. HECKER, Der schwarze Tod im vierzehnten Jahrhundert, Berlin,
1 8 3 2 , p. 4 4 , 4 6 ; J . BALOGH, a r t . c i t é , p. 1 9 9 ; E . MOLNAR, op. cit., p. 2 9 1 ; G . SZÉKELY,
Tanulmânyok a parasztsâg tôrténetéhez Magyarorszâgon a 14. szâzadban, Budapest,
1 9 5 3 , p. 3 6 6 - 3 6 8 ; I. BERKOVITS, a r t . c i t é , p. 9 2 .
5. Chroniques abrégées, dans œuvres de Froissart, t. X V I I , Bruxelles, 1872, p. 274;
Compilatio brevis chronologica Anonymi (éd. G. Dobner), dans Monumenta Historica
Boemiœ, t. VI, Prague, 1785, p. 485 ; Epitome Chronicœ Neplachonis (éd. G. Dobner),
dans ibid., t. IV, p. 122; Continuatores Pulkavœ, II : Cronica (éd. G. Dobner), dans
ibid., t. IV, p. 132 ; Chronicon Benessii Krabice de Waitmile (éd. G. Dobner), dans
ibid., p. 34 ; Francisci canonici Pragensis partis secundœ chronicœ Pragensis Liber III
(éd. G. Dobner), dans ibid., t. VI, p. 315-316 ; Annales Wratislavienses Maiores,
op. cit., p. 532 ; Chronica principum Poloniee, op. cit., p. 166-167 ; M. Samuel Bogumil
LINDE, Slownik jezyka polskiego, t. I, Lvov, 1854, réédition, Varsovie, 1951, p. 100 ;
S . SUGENHEIM, op. cit., t . I I I , p. 2 7 8 .
6. Chroniques abrégées, op. cit., p. 274 ; Francisci canonici Pragensis... chronicœ, op.
cit., p. 3 1 5 - 3 1 6 ; J . F . C. HECKEH, op. cit., p. 4 2 , 4 6 , 5 1 - 5 2 ; B . BRETHOLZ, op. cit.,
p. 9 8 ; Philo-Lexikon, Handbuch des jüdischen Wissens, Berlin, 1935, col. 44, 69,
1 5 8 , 2 0 0 , 4 9 8 , 5 5 4 , 7 8 5 ; A . PÖR, op. cit., p. 1 7 8 ; H . C. L E A , op. cit., p. 3 7 9 ; S . S U -
GENHEIM, op. cit., t . I I I , p. 279-285 ; I. NAGY, Anjoukori Okmânytâr, t . V, B u d a -
pest, 1887, n° 158 ; L. BARTFAI, Pestmegye okleveles emlékei, Budapest, 1938, n° 309 ;
S. SCHEIBER, « A kôzépkori soproni zsinagôga feltârâsa », dans Uj Élet, Budapest,
1958, III, 15 ; G. SZÉKELY, op. cit., p. 370 ; H. SÉE, Französische Wirtschaftsges-
chichte, t. I, Iéna, 1930; A. COVILLE, L'Europe occidentale de 1270 à 1380, Paris,
1 9 4 1 ; H . PIRENNE, G . COHEN e t H . FOCILLON, op. cit. ; B . HUBENSTEINER, op. cit.,
p. 1 2 1 ; H . L E Y , op. cit., p. 3 4 1 ; H . CONRAD, op. cit., t . I, p . 4 0 6 ; P . VILAR, Histoire
de l'Espagne, Paris, 1947 ; Annales Wratislavienses Maiores, op. cit., p. 532 ; W. DLU-
GOBORSKI, J . GIEROWSKI et K. MALECZYNSKI, Dzieje Wroclawia do rokw 1807,
Varsovie, 1958, p. 142, 149-154, 902 ; H. MARKGRAF, Die Strassen Breslaus nach

16
238 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

ihrer Geschichte und ihren Namen, Breslau, 1896, p. 55, 97, 225-226 ; H. MARKGRAF,
« Der älteste Judenkirchhof in Breslau », dans Mitteilungen aus dem Stadtarchiv
und der Stadtbibliothek zu Breslau, cahier XII, Breslau, 1915, p. 182-183 ; H. MARK-
GRAF, « Die St. Georgenkirche in Breslau », dans Mitteilungen aus dem Stadtarchiv...
zu Breslau, X I I , p. 192-193; Codex Diplomatien Silesiœ, t. III, Breslau, 1860,
p. 73, 100 ; G. KORN, Breslauer Urkundenbuch, t. I, Breslau, 1870, n° 183, 189, 200 ;
Sächsische Weltchronik, Vierte Bairische Fortsetzung, dans M.G.H., Deutsche Chroni-
ken, t. II, Hanovre, 1877, p. 356 ; S. DUBNOV, A zsidôsâg tôrténete az ôkortàl nap-
jainkig, Budapest, p. 201, 212-213, 223-224, 228.
7. E. KALASZ, A szentgotthârdi apâtsâg birtokviszonyai és a ciszterci gazdâlkodâs a
kOzépkorban, Budapest, 1932, p. 39-40, 43, 150-155 ; I. NAGY, D. VÉGHELYI, GY.
NAGY, Zala vûrmegye tôrténete. Oklevéltâr, t. I, Budapest, 1886, n° 366 ; A. THEINER,
Vetera Monumenta Poloniœ ei Lithuaniœ, t. I, n° 694 ; Düringische Chronik des
Johann Rothe, Iéna, 1859, p. 594-595 ; F. GRAUS, art. cité, p. 88.
8 . J . F . C. H E C K E R , op. cit., p. 5 1 - 5 2 , 8 8 ; S. SUGENHEIM, op. cit., p. 278-280 ; Addi-
tamenta ad Chronicon Zwetlense Recentius (éd. H. Pez), dans Script. Rer. Austr.
t. I, col. 541 ; Michaelis de Leone... annoiata historica, op. cit., p. 476-477 ; Chronicon
Benessii Krabice de Waitmile, op. cit., p. 34 ; Francisci canonici Pragensis... chronicse,
op. cit., p. 315-316 ; Annales Wratislavienses Maiores, op. cit., p. 532 ; Annales
Mechovienses, op. cit., p. 670 ; J . BALOGH, art. cité, p. 199.
9. A. THEINER, op. cit., n° 694 ; Chroniques abrégées, op. cit., p. 274 ; Annales Mecho-
vienses, op. cit., p. 670; Chronicon Benessii Krabice de Waitmile, op. cit., p. 3 4 ;
Francisci canonici Pragensis... chronicse, op. cit., p. 315-316 ; Chronica principum
Poloniœ, op. cit., p. 166-167 ; J . F. C. HECKER, op. cit., p. 92, 94 ; Chronicon Claustro-
Neoburgense (éd. H. Pez), dans Script. Rer. Austr., t. I, col. 490-491 ; Chronicon
S. Pétri vvlgo Sampetrinvm Erfvrtense (éd. I. B. Mencken), dans Scriptores Rerum
Germanicarum, t. III, Lipsise, 1730, col. 341 ; Adami Vrsini Molybergensis Chro-
nicon Thvringiœ (éd. I. B. Mencken), dans ibid., t. III, col. 1318 ; Christophori
Lehmanni Chronica der freien Reichs Stadt Speier, 4e éd., Francfort-sur-le-Main,
1711, p. 704 ; G. WENZEL, Magyar Diplomaciai Emlékek az Anjou-korbol, Budapest,
t. II, n° 286, 288, 290; Anjoukori Okmanytar, t. V, n» 156 et diplôme Dl. 4166
dans les Archives nationales à Budapest ; S. SUGENHEIM, op. cit., t. I I I , p. 277-280 ;
A. PÔR, op. cit., p. 181-182; J . BALOGH, art. cité, p. 199; H. LEY, op. cit., p. 460.
DISCUSSION

R . M A N S E L L I . — Je voudrais rappeler que le mouvement des flagellants


n'a pas commencé au 14 e siècle ni après la Peste Noire, et que les faits
hongrois, allemand, etc., en sont une manifestation tardive qui a déjà
perdu sa signification originelle, que les flagellants ne sont ni hérétiques,
ni condamnés par l'Eglise, et qu'il s'agit plutôt de dévotion populaire.
A l'origine, c'est un fait de pénitence orthodoxe, dûment autorisé et protégé
par la commune. Nous avons mis ce point en relief lors du colloque de
Pérouse, en 1960 : une décision de la commune permet aux hommes de
la ville d'arrêter le travail pour faire la penitentia magna.
E t , dans la grande diffusion du mouvement dans toute l'Italie, il reste
un fait de pénitence orthodoxe, de religion populaire. Cependant, il faut
rappeler que cette grande mine de documents qu'est le chroniqueur frère
Salimbene d'Adam nous dit que, selon certains, la magna devotio avait
inauguré la troisième ère de Joachim de Flore, celle de l'Esprit. Mais ce
n'était pas un fait hérétique, c'était une interprétation. La dévotion de
flagellants continue durant tout le 13e siècle sans heurt avec l'autorité
ecclésiastique, et finit par la formation de confraternités qui continueront
la flagellation, mais non plus en public. Mme Francastel évoquait récem-
ment la formation possible d'une de ces confraternités, l'année qui a suivi
les débuts de cette dévotion.

R. M O R G H E N . — Je veux seulement ajouter que l'édition des actes du


congrès de 1960 de Pérouse est parue depuis peu et qu'il faut s'y reporter
pour ce problème.

E. D E L A R U E L L E . — Mais, à Pérouse, nous n'avions pas étudié le mouve-


ment flagellant en Hongrie et, à travers les informations apportées par
M. Székely, on perçoit les ressemblances de ce mouvement avec celui des
Flandres : les flagellants ne constituent pas une « secte » ; ils n'ont rien à
voir avec la persécution des juifs, encore qu'ils témoignent d'une certaine
exaltation locale. Ils révèlent parfois certaines oppositions sociales, sans
que celles-ci suffisent cependant à expliquer un mouvement qui a commencé
bien avant 1349 et qui a été représenté non seulement par des bandes, mais
aussi par des théoriciens comme saint Vincent Ferrier. E t je pense que
leur condamnation par Clément VI s'explique — c'est dans le texte même
de la bulle — par l'accusation de vouloir se passer de la médiation du sacer-
doce. Cependant les flagellants de Hongrie présentent des différences
avec le mouvement flamand : dans les Flandres, les flagellants sont orga-
nisés en confréries, d'ailleurs précaires, mais soumises à des responsables.
Les femmes en sont exclues à la différence des manifestations de Hongrie.
J e crois d'autre part qu'il faut, comme le chroniqueur bénédictin Gilles
240 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

de Tournai, bien marquer la différence entre la flagellation des laïcs et la


flagellation monastique.
Enfin, le mouvement dans les Flandres a pu déchoir parce qu'un très
grand nombre de mauvais garçons étaient entrés dans la confrérie, assurés
d'obtenir le gîte et le couvert au prix d'une séance de flagellation qui n'était
pas nécessairement atroce, mais plutôt une rapresentazione sacra, une
vraie séance théâtrale destinée à montrer la flagellation du Christ.

A . FRUGONI. — L a pénitence perd en e f f e t de sa cruauté : dans le mou-


vement des Blancs en 1399, la flagellation est très rare et presque symbo-
lique ; l'habit laisse sur le dos un morceau de peau visible, mais la flagellation
n'a plus aucun rôle dans la dévotion. Celle-ci ne comprend plus de mouve-
ment eschatologique. L a dévotion est un simple moyen de pénitence com-
mune ; incarnée un temps dans ce mouvement, elle s'intégrera ensuite
dans les confréries qui, après le 15 e siècle, v i v r o n t dans l'ombre de la hié-
rarchie et en accord avec elle.

H . GRUNDMANN. — L e cas des flagellants m e paraît intéressant pour


deux raisons : d'abord, parce qu'il prouve la nécessité d'une enquête compa-
rative internationale, ensuite parce qu'il manifeste la résurgence de cer-
taines tendances religieuses dans diverses situations, et le passage à l'hérésie
d'un m o u v e m e n t qui n'était pas au départ hérétique.
Les flagellants italiens de 1260 ont été minutieusement étudiés à Pérouse
en 1960 ; il n'en v a pas de même pour les flagellants en Allemagne en 1349.
Je serais très curieux de savoir si l'origine de leur mouvement se trouve
vraiment en Hongrie. On ne peut contester que leur apparition s'explique
par les mouvements antérieurs ; il est également certain que la peste y a
contribué, dans la mesure où les flagellants cherchaient à détourner la colère
de Dieu.
Je rappellerai que le concile de Constance dut renouveler les interdictions
antérieures ; il existait au début du 15 e siècle des confraternités de fla-
gellants en Thuringe, et des témoignages, publiés au début du 19 e siècle,
de procès intentés à des flagellants prouvent que, dans certains cercles,
on attendait la venue eschatologique du prophète Enoch, précurseur de
l'antéchrist et du retour du Christ lui-même.

A . GIEYSZTOR. — Je m'associe à M. Székely dans l'analyse sociale des


événements du 14 e siècle et je voudrais dire que l'annaliste du chapitre de
Cracovie rédige la notice datée de 1264 sur un ton extrêmement hostile
à cette f o r m e de pénitence : le chapitre considérait comme inutile cette
pénitence qui se passait hors de l'Eglise. On note encore l'arrivée en 1264
d'un groupe de missionnaires flagellants de Pérouse et la satisfaction de
l'annaliste à v o i r cette pénitence disparaître très rapidement. I l remarque
qu'elle a eu beaucoup de succès chez les Allemands de Cracovie, tandis
que le clergé et la population polonaise lui étaient hostiles.

R . MORGHEN. — L e s flagellants ont été également persécutés en Italie


dès 1261, mais par les partisans de Manfred et d ' U m b e r t o Pallavicino,
LE MOUVEMENT DES FLAGELLANTS AU 14« SIÈCLE 241

par les gibelins, parce qu'ils ont probablement assumé le caractère d'une
opposition guelfe au gibellinisme, triomphant après Montaperti.

R. M A N D O U . — Au temps de la Ligue, la flagellation publique a pris à


Paris un essor considérable, de 1589 à 1594. Mais la sensibilité religieuse
a suffisamment changé pour que les témoins — le bourgeois de Paris qui
s'appelle de l'Etoile — s'élèvent contre ces manifestations de piété. Un
peu plus tard, vers 1640, le Mercure Français raconte des scènes de flagella-
tion marseillaises et les considère comme quelque chose d'exotique, d'espa-
gnol, et comme une outrance religieuse.

G . S Z É K E L Y . — J e suis t o u t à fait d'accord avec M. Grundmann, lorsqu'il


pense que la question capitale est de savoir comment un mouvement qui,
à l'origine, n'était pas hérétique, a p u être par la suite condamné comme
tel. J e voudrais ajouter, suivant sur ce point M. Gieysztor, que les flagellants
sont brièvement mentionnés en, Pologne au 13e siècle, comme en Hongrie,
mais que nos sources sont muettes ensuite. On connaît encore au début
du 16 e siècle en Hongrie une confraternité de flagellants, mais qui n'est
pas considérée comme hérétique par les autorités religieuses. Le caractère
espagnol de cette forme de piété, que signalait M. Mandrou, est sans doute
à mettre en relation au 15 e siècle avec Vincent Ferrier. Il m e paraît impor-
t a n t qu'au milieu du 14 e siècle, en de nombreux pays d'Europe, se soient
développés des mouvements analogues.
J. MACEK

VILLES ET CAMPAGNES DANS LE HUSSITISME

Au concile ecclésiastique tenu à Constance en 1415, le chancelier de la


Sorbonne, Jean Charlier Gerson demandait la condamnation de l'héré-
tique tchèque Jean Huss parce que « sa doctrine renierait tout fondement
du droit non seulement ecclésiastique et civil mais aussi divin et naturel ».
En même temps, Gerson exprima l'appréhension que l'œuvre de Huss
ne devînt l'affaire « des gens barbares, sans instruction et des paysans
que ces idées séduisent et incitent à toutes les vilenies de la révolte et du
soulèvement ».1 Le prévoyant chancelier de la Sorbonne et l'avocat des
richesses et des privilèges de l'Eglise voyait donc avant tout chez les
paysans la force sociale qui s'attacherait à l'œuvre de Jean Huss. Et la
tendance à confiner l'idéologie hussite au seul milieu campagnard se
manifeste dans beaucoup de traités historiques consacrés au hussitisme.
Encore aujourd'hui la littérature spécialisée prend l'habitude de mettre
le hussitisme en rapport avec le milieu campagnard et de déterminer le
caractère social du hussitisme comme une guerre des paysans. Une
analyse plus détaillée de l'appartenance sociale des hussites nous conduira
toutefois à un tableau beaucoup plus complexe et révélera des réalités
parfois surprenantes.
D'abord, il faut tenir compte du fait que le hussitisme, en particulier
dans la période 1419-1437, présentait des différences considérables tant
au point de vue idéologique que social, et qu'il était un mouvement
compact et uni seulement aux yeux des observateurs non initiés. Entre
1415 et 1419 la différenciation ne procéda pas toutefois assez loin, car le
mouvement était seulement à son avènement et subissait la pression
conjuguée de l'Eglise, du roi, de la noblesse supérieure, des seigneurs.
Ce furent les villes qui offrirent l'appui le plus solide et le plus précoce
à la doctrine de Huss. Vers 1415, Prague, grande ville avec ses 35 000 habi-
tants, occupait la première place parmi les villes tchèques quant au déve-
loppement économique et au nombre d'habitants. 5 Devant Prague s'effa-
çaient de loin les autres villes royales dont la composition sociale et le
nombre d'habitants (de 2 000 à 5 000) laissent entrevoir qu'il s'agissait
des villes relativement petites (d'après la classification classique de
Biichner). D'autre part, sur le territoire assez peu étendu de la Bohême
(50 000 kilomètres carrés), ces villes royales entourées de remparts étaient
très nombreuses, il y en avait 32 en tout. A celles-ci, il faut ajouter encore
244 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

un nombre de villes d'Eglise et de noblesse. Ainsi se constituait un réseau


de colonisation urbaine dont la densité (plus de 40 villes) ne cédait, en
ce temps-là, qu'aux Flandres et à l'Italie.
Dans toutes les villes royales, les détenteurs du pouvoir étaient les
patriciens, les marchands et les propriétaires det> terres à l'intérieur et
au dehors des remparts urbains.8 Même dans les villes tchèques nous
pouvons observer le trait général du développement social de cette couche
qui d'abord luttait contre la noblesse mais ensuite tendait vers elle,
désireuse de lier partie avec elle et d'obtenir ses privilèges. * Dans les
villes, les patriciens régnaient en oligarchie et excitaient le ressentiment
non seulement parce qu'ils étaient usuriers » et pillards des biens commu-
naux, mais aussi parce qu'ils étaient de nationalité allemande, alors que
la plupart de la population urbaine était tchèque. Dans certaines villes
(par exemple à Ceskâ Trebovâ et à Horazd'ovice), les inscriptions tchèques
des registres municipaux démontrent que les bourgeois tchèques avaient
déjà la haute main sur la mairie entre 1409 et 1412.6 Dans d'autres villes,
les artisans et gens de métier tchèques ne pénétraient qu'isolément et
progressivement, depuis le début du 15e siècle, dans le conseil municipal,
parmi les patriciens. Le patriciat était ennemi de toute nouveauté, s'achar-
nait à défendre les privilèges féodaux et représentait un adversaire féroce
de Huss et des hussites. Avec les seigneurs et les prélats, les patriciens
étaient les avocats fanatiques des dogmes catholiques. '
Tandis que, dans les villes tchèques, le patriciat ne constituait que
10% de la population au maximum, le groupe social le plus fort était
celui des artisans et gens de métier qui en représentaient plus de 60%
en moyenne. Ils étaient organisés en corps de métiers et supportaient
à contrecoeur le règne du patriciat marchand et usurier.8 Ils aspiraient
au pouvoir dans les villes et à la représentation dans le gouvernement du
pays à côté des seigneurs, de la petite noblesse et des prélats. Les chefs
naturels des bourgeois tchèques étaient les bourgeois de Prague, particu-
lièrement tourmentés par les rentes qui passaient dans les mains du
patriciat et des prélats. Dans la Prague d'avant le hussitisme, il y avait
entre 1400 et 1419, par exemple, dans le quartier de la Vieille Ville,
presque 90% de maisons soumises à la taxe perpétuelle payable aux
créanciers, patriciens ou prélats.9 II était donc bien naturel que les bour-
geois se révoltent contre cette suprématie, désirent régner seuls en
rêvant de l'abolition des rentes. Voilà pourquoi ils devinrent partisans
chaleureux de la lutte de Huss inspirée par l'œuvre de John Wyclif et
dirigée contre l'Eglise dissipée, opulente et exploiteuse.10 Dans les villes,
l'Eglise jouissait de privilèges juridiques et économiques. Les bourgeois
désiraient que ces privilèges fussent supprimés et que l'Eglise fût réduite
à la modestie, ne percevant pas les rentes et les intérêts des prêts et ne
puisant pas non plus de l'argent dans les cassettes des bourgeois sous
forme de redevances ecclésiastiques, pour la confession, pour l'enterrement,
VILLES ET CAMPAGNES DANS LE HUISSITISME 245

pour la messe, pour les sacrements, etc. Les bourgeois adhérèrent pour
cette raison à la lutte de Huss pour l'Evangile pur du Christ, pour l'Eglise
du Christ, pour la renaissance de la vie spirituelle, et Huss se servait de
cet appui en tout respect. 11
Les attaques de Huss contre les prélats eurent aussi la sympathie
chaleureuse des miséreux citadins, artisans appauvris, salariés, valets,
servantes, gueux. 14 A Prague, ces indigents représentaient environ 40 %
de toute la population. Leur situation sociale s'aggravait par la dévaluation
de la petite monnaie dans laquelle étaient payés les salaires et par la
hausse constante du prix des objets de première nécessité, ce qu'il est
loisible de prouver à Prague dès le début du 15e siècle.18 Les miséreux
de Prague étaient l'élément le plus révolutionnaire, qui ne demandait pas
seulement d'éliminer les prélats pécheurs, mais cherchait aussi à échapper
à l'emprise économique des maîtres des corps de métiers. C'est pourquoi
les indigents suivaient ceux parmi les disciples de Huss qui poussaient
au durcissement de la doctrine de leur maître et y apportaient les idées
chiliastiques et mystiques. Sous la conduite de Nicolas de D r e s d e " et
Jean de Zeliv™ une fraction révolutionnaire hussite se constitua ainsi
à Prague.
Contre ces radicaux, le centre hussite, dans la ville, était représenté
après 1415 par les partisans de l'ami et disciple de Huss Jakoubek de
St ribro " et, plus tard, de Jean Rokycana « qui commencèrent à s'appeler
calixtins d'après le symbole du mouvement hussite, le calice. Après 1419
et, en particulier, après les premières années de combats, un groupe des
maîtres de l'Université se sépara de ce centre avec, en tête, Jean Pribram
et Krissan de Prachatice 18 qui se rapprochaient graduellement de l'Eglise
catholique et réintégrèrent aussi son sein (surtout après 1432). Tandis
que les artisans des corps de métiers se réclamaient de Jakoubek et
Rokycana, Pribram et Krisâan entraînèrent avant tout l'adhésion de la
partie de la noblesse attachée au hussitisme et du nouveau patriciat
tchèque.
Après 1419, et en particulier après la victoire remportée sur la première
expédition des croisés en 142019, un grand nombre de patriciens quittèrent
Prague et les villes tchèques. Rien que de Prague, par exemple, 1 400 patri-
ciens et bourgeois parmi les plus riches prirent la fuite. Tous leurs biens
considérables (maisons, terres) furent confisqués par la commune révolu-
tionnaire et donnés à ceux qui s'étaient acquis les plus grands mérites
de la victoire « de la parole de Dieu », pour la plupart des artisans des
corporations.»0 Avec ceux-ci, un nouveau patriciat tchèque commença
à se former, qui perdait progressivement de son radicalisme et se rappro-
chait encore de la noblesse. Ses revendications sociales, comme d'ailleurs
celles de toute la bourgeoisie furent satisfaites par le fait que les biens de
l'Eglise tombèrent pour la plus grande partie entre leurs mains, que les
taxes perpétuelles furent abolies en 1421 et que les bourgeois commen-
246 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

cèrent à participer activement par leurs représentants au gouvernement


du pays. 21 II convient de souligner ici qu il serait complètement faux
d'identifier la lutte contre le patriciat avec le chauvinisme national. 22
S'il est vrai que, parmi les adversaires du calice chassés entre 1419 et 1421,
les Allemands prévalaient, il est non moins vrai que Jean de Zeliv à la
tête de la commune révolutionnaire, institua en 1421 des prédicateurs
allemands spéciaux, à l'intention des hussites allemands, bourgeois qui
persévèrent à Prague aux côtés des frères tchèques. 23
Autour de Prague, capitale du royaume sans roi, une fédération urbaine
comptant 23 villes tchèques se forma en 1421, à l'apogée de la révo-
lution. 24 Les échevins de la ville étaient en fait maîtres du pays et leur
conscience de ce fait jaillit non seulement du programme des Quatre
Articles26, de nombreux manifestes hussites 28 exposant le programme
des Articles, et de nombreuses actions diplomatiques, mais aussi par
exemple du manifeste adressé à la République de Venise à laquelle Prague
offrait son alliance contre le roi Sigismond. 2 ' Cette fédération urbaine
perdait toutefois progressivement de son élan révolutionnaire. De pair
avec l'extension de la base matérielle des villes (celles-ci s'emparèrent
aussi des villages serfs ayant appartenu aux couvents et à l'archevêché
avant 1419), de pair avec la croissance du poids politique de la bourgeoisie,
une répugnance se faisait sentir pour les luttes ultérieures. De nombreux
bourgeois penchaient vers le compromis et vers un arrangement avec
l'Eglise et la noblesse. Tant que l'Eglise envoya des croisés contre la
Bohême (cinq croisades dans la période 1420-1431), tant que le roi et
l'empereur Sigismond s'efforcèrent de conquérir le royaume de Bohême
par des moyens militaires, les villes se serrèrent toujours pour la défense
des gains acquis. Toutefois, dès que Sigismond de Luxembourg ouvrit
les négociations en vue de cesser les hostilités (à Bratislava en 1429)28
et que le concile de Bâle invita les Tchèques à y prendre part une délé-
gation, donnant même à entendre la possibilité de concessions (la conven-
tion de Cheb en 1432)29, la bourgeoisie économiquement peu développée
des villes vit le moyen unique de la réalisation de ses revendications dans
un arrangement avec les féodaux. Pendant de nombreuses années, la
bourgeoisie hussite maintint ses gains ; elle perdit toutefois à la fin du
15e siècle son pouvoir politique et finit par être subjuguée même écono-
miquement par les féodaux. 30
Les campagnes tchèques donnaient un appui solide au hussitisme. Là
vivaient dès le 14e siècle (il y eut un grand soulèvement de prétendus
vaudois en Bohême méridionale en 1330)31 des organisations clandestine
de l'hérésie populaire. Leur attachement à la Bible, leur répugnance pour
la richesse de l'Eglise, ainsi que leur rigueur de mœurs répondaient le
mieux à l'esprit du peuple paysan. 32 Le peuple serf, en Bohême, était
à la base de la position splendide de la noblesse et de l'Eglise. L'Eglise,
propriétaire de plus d'un tiers des terres serves en Bohême, extorquait à
VILLES ET CAMPAGNES DANS LE HUISSITISME 247

ses sujets les redevances en argent et en nature, corvées, taxes extraordi-


naires et impôts de pays, aussi impitoyablement que la noblesse. Le poids
des redevances et taxes de servage s'accrut en particulier dans la seconde
moitié du 14e et au début du 15e siècle, en proportion avec le fait que le
système fiscal de l'Eglise romaine prédomina, avec l'assistance de
Charles IV et Venceslas IV, dans les pays tchèques. C'est que l'Eglise
transférait toutes les taxes ecclésiastiques sous forme de prétendus impôts
extraordinaires sur le peuple serf. 33 Sous la pression de cette exploitation
croissante, la résistance contre l'Eglise s'aiguisa dans les villages tchèques.
Elle se manifestait par le refus des impôts, par les attaques contre les
magistrats de l'Eglise, par les incendies en masse et par de menues
révoltes. 34 Le ressentiment contre l'oppression féodale de l'Eglise trouvait
son expression aussi dans le nombre croissant des groupes secrets de
l'hérésie populaire.
C'est à ces traditions du mouvement contre l'Eglise que s'attacha
Jan Huss en 1412-1414 lorsque, banni de Prague, il prêchait au peuplé
des campagnes dans le Sud et le Nord-Ouest de la Bohême.35 Après sa
mort, ses partisans et disciples commencèrent à organiser la résistance
des serfs. Ce furent en particulier Martin Hûskâ dit Lokvis 36 , Vâclav
Koranda, Petr KaniS et d'autres. Ils continuèrent à développer les idées
réformatrices de Huss, surtout les idées chiliastiques de la fin de ce monde
et de l'arrivée du royaume populaire du Christ ; ils parlaient de la sup-
pression de toutes les sortes de redevances et de l'oppression féodale ; ils
prêchaient la fraternité et l'égalité de tous les « fidèles ». Ces prédicateurs
bibliques exhortaient aussi en 1419 le peuple à s'assembler sur les hauts
lieux et les collines pour s'y fortifier de la parole de Dieu et pour prendre
les armes contre les ennemis de Dieu. Tandis que, dans les villes, les
prédicateurs louaient cinq villes élues dans lesquelles la puissance divine
régnerait (Plzen, Louny, Klatovy, Slany, Zatec), dans les campagnes,
ce rôle devait incomber aux hauts lieux élus.87 Pour le peuple campagnard,
les collines sont donc devenues des centres d'organisation de la révolution
qui couvait. La plus importante parmi celles-ci fut une colline dans le
Sud de la Bohême, appelée d'après la Bible (Livre de Juges IV, 6) Tâbor.
En février 1420, les ruraux appelés Taborites attaquèrent cette colline de
la cité de Sezimovo Usti 38 en Bohême méridionale et la détruisirent.
Non loin de là, ils colonisèrent et fortifièrent l'ancien château fort de
HradiSte, donnant à leur nouveau centre le nom de Hradiste de la colline
Tâbor (mars 1420). Ainsi naquit Tâbor, siège révolutionnaire des hussites
campagnards, où régnaient dès le début les idées bibliques d'égalité
économique et sociale. A Tâbor, la propriété privée fut supprimée, furent
abolies aussi toutes les taxes et redevances féodales, et les besoins com-
muns, surtout militaires, étaient couverts par des caisses communes dans
lesquelles les Taborites déposaient tous leurs biens.39 En 1420, la popu-
lation de Tâbor se composait pour la plupart de serfs et de miséreux
248 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

d'origine citadine. Nous pouvons nommer avec certitude 150 villages


dont les habitants s'en allèrent vivre à Tábor, et même la disparition de
13 villages aux environs les plus rapprochés de Tábor fut en rapport
direct avec la naissance de cette ville.40 La socialisation des biens faisait
partie du programme révolutionnaire des miséreux de Tábor auxquels
adhéraient non seulement des indigents de différentes régions de la
Bohême, mais aussi des valets et ouvriers allemands, autrichiens, polonais
et slovaques.41 En 1420, Tábor devint, à côté de Prague, centre du
hussitisme.
Une caractéristique originale et importante du développement du
hussitisme fut l'union des villes et des campagnes dans le mouvement
révolutionnaire.42 Cette jonction de toutes les forces hussites s'opéra
à Prague en mai et juin 1420. L'union des hussites de toutes les contrées
de la Bohême fut une des principales causes des victoires éclatantes qu'ils
remportèrent sur les croisés. Dès que la menace des croisades passa, la
différenciation sociale des hussites mena aux scissions et aux luttes au
sein du mouvement. D'abord, les gueux de Tábor furent matés par les
bourgeois et chevaliers en 1421.43 La période du chiliasme et du commu-
nisme primitif se termina, les taxes et obligations des serfs furent renou-
velées et Tábor se transforma progressivement en ville médiévale normale
avec la prépondérance de petits artisans.44 L'écrasement des miséreux
táboristes^ fut suivi par la défaite des indigents de Prague et la mort de
Jean de Zeliv (1422).40 A partir de là, la bourgeoisie et la petite noblesse
devinrent maîtres suprêmes et organisateurs de la révolution hussite. Le
peuple serf et les miséreux n'en disparurent pas complètement mais se
retrouvèrent dans les armées permanentes qui, sous la conduite de Jean
Zizka46 et Procope le Grand47 agirent constamment pour un durcis-
sement de la politique bourgeoise. Pour les bourgeois et chevaliers riches
et conservateurs ces armées permanentes (dites années en campagne)
étaient très gênantes et ceci du fait qu'elles les empêchaient de conclure
la paix avec l'Eglise. C'est pourquoi la noblesse et les bourgeois prépa-
rèrent, conjointement avec les représentants du concile de Bâle un coup
décisif contre les armées permanentes et les vainquirent à la bataille de
Lipany (le 30 mai 1434).48 Après la défaite de la révolution hussite, le
peuple des campagnes retomba dans le servage féodal. L'oppression
s'était toutefois modérée, en particulier grâce à la suppression des taxes
ecclésiastiques et de tous les droits allant de Bohême à Rome. C'est seule-
ment à partir de la fin du 15e siècle qu'une nouvelle vague d'oppression
se leva de pair avec le développement de l'activité économique de la
noblesse, vague qui amena la Bohême à l'époque du prétendu second
servage au 17e siècle.49
Il est évident que le hussitisme était né des besoins des campagnes et
des villes tchèques. Ces deux composantes du mouvement se manifestent
d'ailleurs aussi dans le retentissement international du hussitisme.60 Ce
VILLES ET CAMPAGNES DANS LE HUISSITISME 249

fut le premier mouvement médiéval qui provoqua en Europe des échos


révolutionnaires puissants, en particulier dans les couches populaires des
campagnes et des villes. Partout le hussitisme devint idéologie du combat
contre l'Eglise et la féodalité qui inspirait des soulèvements et révoltes
des masses. Nous savons par exemple qu'en Silésie des serfs insurgés
adhéraient au hussitisme, qu'un grand soulèvement de paysans hussites
éclata aux environs de Zbaszyn (Grande-Pologne) en 1440 et que les
grands soulèvements paysans de 1437 se réfèrent au hussitisme en Rou-
manie (Bobîlna) et en Hongrie. Similairement, les émeutes paysannes dans
le bassin du Rhin et l'insurrection des gueux d'origine citadine dans la
ville allemande de Bamberg en 1430 ont été provoquées par les hussites.
Nous connaissons également le retentissement favorable qu'avait le hussi-
tisme parmi les paysans serfs en France 81 et en Savoie.e!l L'émeute de
Gilles Mersault à Tournai en 1423 ss témoigne de l'influence profonde
exercée par le hussitisme sur la lutte de la bourgeoisie en Flandre. Tout
ceci confirme une fois de plus le fait que le hussitisme naissait avant tout
dans le milieu du peuple serf et dans les villes et que ces deux influences
s'entremêlaient et se complétaient mutuellement dans le hussitisme.
L'importance des campagnes et des villes dans le mouvement hussite,
le caractère populaire et antiféodal de la révolution hussite et de la Réforme
tchèque M nous permettront de répondre à la question de savoir pourquoi
le hussitisme a pu œuvrer aussi longtemps (plus de dix-huit ans, de 1419
à 1437) et pourquoi il a pénétré aussi profondément dans la vie de toute
l'Europe médiévale, préparant la victoire des forces sociales nouvelles
et des idées nouvelles de la Réforme.

NOTES

1. Les notes de Charlîer d'après le manuscrit de la bibliothèque du Vatican, Palat.


595, f° 55r-55v. Cf. V. N O V O T N Y , Jan Hus, t. I, Prague, 1915, p. 392-393. Le livre
de V. Novotny est resté jusqu'à présent l'ouvrage scientifique de base sur Huss.
2. Ce fut avant tout B. Mendl qui s'occupait du développement économique et social
des villes tchèques au 14e et au début du 15e siècle et qui a aussi donné les estimations
du nombre d'habitants à Prague ainsi que dans d'autres villes. Cf. * Sociàlnl krise
a zâpasy ve mëstech ctrnâctého vëku » ( « Grises et luttes sociales dans les villes du
14e siècle »), dans Ceskyl:asopis historickg (par la suite CCH), t. X X X n., Prague,
1926 ; « Hospodârské a sociâlni pomëry ve mëstech prazskych v 1. 1378-1434 »
(«Situation économique et sociale dans les villes de Prague dans la période, 1378-1434»)
dans CCH, t. XXII.
250 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

3. Au début du 15e siècle par exemple, aux environs de Prague et de Kutná Hora
le patriciat était maître de 115 villages serfs ! J . L I P P E R T , « Bürgerlicher Landbesitz
im 14. Jahrhundert zur Ständefrage jener Zeit », dans MVGDB, t. XL, p. 1 et suiv.
4. Dès 1309, le patriciat de Prague croisa l'épée avec la noblesse et s'évertua d'obtenir
les privilèges économiques et politiques. Sous le règne de Charles IV (1346-1378),
le patriciat jouissait de l'appui du gouvernement royal.
V
5. Les vues critiques de Jan Huss et du grand penseur tchèque Thomas de Stltné
(mort en 1401) sur les pratiques usuraires des praticiens ont été citées dans l'ouvrage
de J. M A C E K , Tâbor v husitském revolucnlm hnutíl (Tábor et le mouvement révolu-
tionnaire hussite), t. I, Prague, 1956, 2 e éd., p. 90.
6. Un traitement d'ensemble quant à la question des nationalités à l'époque hussite
a été donné par J. MACEK, « Národnostni otázka v husitském revolucnlm hnutl »
(• La questionnes nationalités dans le mouvement révolutionnaire hussite »), dans
Ceskoslovensky casopis historicky (par la suite CSCH), t. III, 1, Prague, 1955, p. 4-30.
7. Un résumé synthétique général de l'histoire du hussitisme et, en particulier, l'analyse
de la structure sociale de ce mouvement ont été donnés par J . MACEK, Husitské
revolucni hnuti (Le mouvement révolutionnaire hussite), Prague, 1952. L'alliance
abominable du patriciat marchand usurier avec la noblesse et surtout avec les
prélats a été soumise à une critique sévère aussi par le célèbre penseur tchèque et
père des idées de l'Unité des Frères, Petr Chelcicky (1390-1460), en particulier
dans le traité O trojim lidu (Des trois groupes sociaux), éd. à Prague, 1940.
8. Les émeutes des corporations contre le patriciat qui ont eu lieu par exemple à
Brno en 1378 et à Jihlava en 1391 en portent le témoignage.
V / V V V
9. B. M E N D L , Z hospodárskych dejin steedoveké Prahy (En marge de l'histoire économique
de la Prague médiévale), Prague, 1925, p. 165.
10. Les vues critiques de Jean Huss sur l'Eglise et avant tout sur ses richesses ont été
recueilies et appréciées dans le livre sommaire de J. M A C E K , Jan Hus, Prague, 1961.
Voir aussi J. MACEK, Jean Huss et son époque (Histórica X I I I Prague 1966, p. 51-80).
11. Le fait que Jean Huss entretenait des relations amicales avec la bourgeoisie tchèque
est attesté non seulement par son activité de prédicateur dans la Chapelle de Bethléem
(destinée à la prédication de la parole de Dieu aux bourgeois tchèc^ues), par sa corres-
pondance (par exemple les lettres adressées aux bourgeois de Plzen, Louny et surtout
Prague mais aussi le fait que, dans la doctrine des trois groüpes sociaux, Jean Huss
rangeait les artisans bourgeois dans le second groupe à côté des nobles.
V V V
12. C'est la monographie de F. GRAUS, Mestská chudina v dobe predhusitské (Les indi-
gents des villes à l'époque préhussite), Prague, 1949, qui représente l'ouvrage de base
sur les miséreux d'origine citadine.
1 3 . F . G R A U S , ibid., en a donné les preuves sûres dans un excursus spécial, p. 1 8 9 ,
note.
14. Nicolas de Dresde avec son frère Pierre de Dresde avaient fondé une école à Prague
à l'usage des enfants de la bourgeoisie. Nicolas devint fameux par la manière dont
il excitait les simples gens à la résistance contre l'Eglise, en faisant porter à travers
la ville des images malmenant l'Eglise contemporaine. En outre, il fut connu par
ses attaques violentes contre la noblesse, le patriciat et les échevins de Prague.
A son nom est liée aussi la première communion avec l'emploi du calice (en 1414).
Nicolas de Dresde fut expulsé par les prélats de Prague et brûlé vif à Meissen comme
hérétique avant 1419. Jean de Zeliv le citait toujours à côté de Jan Huss comme
son maître. Cf. J. M A C E K , Tábor v husitském revolucnlm hnuti, op. cit., t. I, p. 166-
170. Une étude spéciale révélatrice a été consacrée à Nicolas de Dresde par J , SED-
LÄK, « Mikulás z Dràzdïan » (« Nicolas de Dresde »), dans Hlidka, t. XXXI, 1914.
Au nom de Jean de Zeliv, prédicateur à l'église Notre-Dame-des-Neiges est lié
VILLES ET CAMPAGNES DANS LE HUISS1TISME 251

l'explosion de la révolution hussite le 30 juillet 1419, lorsque le peuple de Prague,


sous sa conduite, attaqua les prélats et les patriciens et s'empara du pouvoir. Une
analyse des idées de Zeliv a été fournie par F. G R A U S , op. cit., p. 167 et suiv. L'ou-
vrage fondamental de Z E L I V S K Y » Préparations aux sermons, a été édité par A . M O L -
NâR, Dochovanâ, kâzânl Jana Zelivského z roku 1419 (Sermons conservés de Jean
de Zeliv de l'année 1419), t. I, Prague, 1953.
V
16.Jakoubek de Stribro, ami de Huss, commença à donner, avec Nicolas de Dresde,
la communion sous les deux espèces (sub utraque specie). Il devint aussi successeur
de Huss à la chapelle de Bethléem, mais s'opposa longtemps au soulèvement. C'est
pourquoi le centre de gravité du mouvement révolutionnaire se transporta de
Bethléem à la chaire de Jean de Zeliv ; Jakoubek de Stribro adhéra au mouvement
révolutionnaire mais ne cessa de mettre en garde contre le radicalisme et de prêcher
le compromis. Il mourut en 1429. Pour le personnage de Jakoubek de Stribro, cf.
F . M . B A R T O S , Soupis litérârnl cinnosti Jakoubka ze Stribra (Inventaire de l'activité
littéraire de Jakoubek de Stribro), Prague, 1925.
17.Après la mort de Jakoubek de Stribro, Jean Rokycana (mort en 1471) devint
chef des calixtins qui l'élurent aussi leur archevêque. Jamais toutefois cette élection
ne f u t confirmée par le pape et Rokycana devint créateur et organisateur propre
de l'Eglise calixtine tchèque. Cf. R. U R B C Î N E K , Ceské dejiny, I I I : Vek Podebradskg,
L'histoire tchèque, III : L'époque de Georges de Podebrady), Prague, 1930. Ces derniers
temps, l'importance essentielle de Jean Rokycana pour la Réforme tchèque e t
européenne a été exposée par F. G. H E Y M A N N , John Zizka and the Hussite Révo-
lution, Princeton, New Jersey, 1955.
V V V
18.Jean de Pribram et Krissan de Prachatice, maîtres de l'Université, étaient amis
et disciples de Jean Huss. Ils abandonnèrent toutefois progressivement les principes
hussites et le calice devint pour eux un symbole vide de sens.
19.Dès l'arrivée des Tâborites à Prague en mai 1420, tous ,'Ies adversaires du calice
furent expulsés de la ville. Le 14 juillet 1420, l'armée hussite infligea une défaite
aux croisés à la bataille sur la colline de Vitkov sous Prague et après la fuite des
croisés et du roi Sigismond, le reste des patriciens émigra.
20.La commune de Prague prit toutes les mesures contre * les ennemis du calice »
sous la conduite de Jean de Zeliv. Vers la fin d'août 1421, les communes unies des
trois quartiers de Prague (la Vieille Ville, la Ville Neuve et le Petit Quartier) abolirent
les rentes. Immédiatement après, il f u t proclamé que les énormes biens confisqués à
l'Eglise, à la noblesse et aux particiens seraient vendus « au riche et au pauvre, à
chacun selon sa capacité d'en acquérir ». Il était naturel que cette vente profitât
avant tout aux bourgeois aisés qui pouvaient acheter ces biens confisqués. Aussi
les échevins jouissaient de priorité dans cet enrichissement. De ces couches, u n
nouveau patriciat tchèque se développa progressivement. Pour les confiscations
voir B . M E N D L , Z hospodârskych dejin ..,, p. 2 - 3 .
21.Jusqu'en 1419, seuls la noblesse (y compris la haute noblesse : les seigneurs et la
petite noblesse : les chevaliers) et les prélats étaient représentés à la diète du pays.
Néanmoins, à la diète de Càslav réunie en 1421, sur les vingt personnes chargées
de gouverner provisoirement le pays, il y avait huit bourgeois (quatre de Prague),
sept représentants de la petite noblesse et cinq seigneurs réconciliés temporairement
avec les hussites. Les prélats furent exclus de la diète. Depuis l'époque hussite
jusqu'au 17 e siècle, les bourgeois maintinrent le droit de siéger à la diète en t a n t
que le troisième Etat.
22.11 convient de signaler ici le fait absolument évident que le nationalisme se mani-
feste dans le mouvement hussite surtout après 1420, à l'époque où, menacés par les
incursions des croisés, les hussites devaient mobiliser toutes leurs forces pour la
252 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

défense du pays natal. A partir de 1420 on observe au contraire une tendance bien
claire de gagner la population allemande à la lutte pour le calice.
23.Comme il n'y avait pas depuis 1419 de gouvernement royal dans le pays les éche-
vins de Prague prirent la place des magistrats royaux et édifièrent une organisation
solide de la fédération urbaine. Néanmoins, six villes dans le Sud et le Sud-Ouest
de la Bohême se séparèrent de Prague en 1421 et se lièrent par des accords d'amitié
avec Tâbor. Il y avait ainsi 7 villes tâborites contre 23 membres de la fédération
praguoise. Progressivement, la fédération urbaine tâborite gagna du terrain et,
en 1427 groupa sous sa conduite 33 villes tchèques au total, alors que la fédération
de Prague ne comptait que 4 villes. Pour ce développement voir J. M A C E K , Husitské
revolucnl hnutl, op. cit., p. 104, 120, où l'on trouve aussi des cartes.
25.Les Quatre Articles de Prague demandaient :
1° que la parole de Dieu soit prêchée librement et sans entrave d'aucune sorte;
2° que le corps et le sang du Christ soient reçus sous la double espèce du pain
et du vin ;
3° que la domination séculière du clergé cesse ;
4» que les péchés capitaux soient sanctionnés par des personnes désignées à cet
effet.
Le programme des Quatre Articles se dévelopa à partir des pèlerinages sur les
montagnes en 1419 et fut formulé en 1420 à Prague en tant que programme commun
de tous les partis hussites. Les hussites ne sont toutefois jamais parvenus à un accord
quant à la teneur exacte des Articles et surtout quant à leur interprétation. Pour
les Tâborites et Jean de Zeliv, les Quatre Articles représentaient le programme
minimum, pour les Calixtins ce fut pourtant le maximum. Pour l'origine des Quatre
Articles et de leur importance, voir J. M A C E K , Tâbor v husitském revolucnlm hnutl,
op. cit., t. II, Prague, 1955, p. 219 et suiv.
26.A partir de 1420, les hussites firent des efforts systématiques en vue d'informer
l'étranger de leurs buts. Les manifestes hussites de Prague circulaient à Cracovie,
Rome, Barcelone, Bâle, Paris, Erfurt, Leipzig, Cologne-sur-Rhin et Cambridge.
L'essence de ces manifestes était l'interprétation et la justification détaillée des
Quatre Articles de Prague. Cf. F. M. B A R T O S , Husitstvl a cizina (L' hussitisme à
l'étranger), Prague, 1931.
V
27.F. M. B A R T O S , « Manifesty mësta Prahy z doby husitské » (« Manifestes de la ville
de Prague de l'époque hussite »). dans Sbornlk prlspevkùke dejinâm blavnlho mesta
Prahy, t. VII, Prague, 1932.
28.En 1429, le roi Sigismond invita le chef des hussites, Procope le Grand, aux négo-
ciations à Bratislava. On ne parvint pourtant à aucun arrangement, car à cette épo-
que Sigismond insistait encore sur la capitalution des armées hussites.
29.La convention de Cheb f u t l'accord préliminaire entre les représentants du Concile
de Bâle et les hussites, conclu à Cheb, le 18 mal 1432. Dans cet acte, on assurait aux
hussites le droit de discuter librement au concile, on leur reconnaissait la qualité
de partenaires de plein droit dans le litige, on leur garantissait la possibilité de se
préparer aux discussions et on stipulait que l'arbitre dans la controverse entre l'Eglise
et les hussites devait être l'Evangile, la pratique du Christ et l'Eglise des apôtres.
Ce fut un succès magnifique des hussites, conséquence de la brillante victoire rem-
portée sur la cinquième croisade près de Domazlice en août 1431. Pour la première
fois dans l'histoire de l'Eglise catholique, ses représentants s'engagèrent dans un
traité à discuter les questions litigieuses avec les hérétiques.
30.Aux termes du traité dit de saint Venceslas conclu en 1515, la bourgeoisie conser-
va ses droits politiques (participation à la diète, mais perdit ses privilèges écono-
miques au profit de la noblesse).
VILLES ET CAMPAGNES DANS LE HUISSITISME 253

31.Les serfs refusèrent d'acquitter leurs obligations, se soulevèrent et le maître de ces


régions Oldrich de Hradec fut même contraint de prendre des mesures militaires
contre eux. Les fragments du procès-verbal d'Inquisition provenant de 1340, nous
apprennent que c'étaient en majorité les paysans et les besogneux des villages qui se
réclamaient des « pauvres de Lyon » (J. MACEK, Tâbor..., t. I, p. 154-156). Tout
récemment, un autre fragment du procès-verbal d'Inquisition des Vaudois, provenant
de 1340 a été découverte par I. HLAVÙCEK, « Inkvisice v Cechâch ve 30. tych letech
X I V . stoleti » (< L'inquisition en Bohême dans les années trente du 14 e siècle»)
dans CSCH, t. V, 1957, p. 526-538.
32.Un des ouvrages de base pour la connaissance de la situation économique et sociale
du peuple campagnard en Bohême du 10 e au 15 e siècle est la monographie à deux
tomes de F. GRAUS, Dejiny venkouského Iidu v Cechâch v dobe predhusitské I, I I ,
(L'histoire de la population des campagnes en Bohême à l'époque pré-hussite), Prague,
1953, 1957.
33.A partir du 14 e siècle il devint de règle qu'aucun poste de prélat en ¡Bohême ne pou-
vait être occupé sans l'assentiment de la cour papale qui, sous forme de services,
annates et provisions, demandait pour cet assentiment un droit très élevé à payer
en or. Sous le pontificat de Clément V I (1342-1352) par exemple, 500 provisions fu-
rent déjà éictées pour la Bohême et payées par elle. Cf. K . KROFTA, « Kurie a
cirkevnl sprâva v zemich ceskych v dobë pëedhusitské » (« La Curie et l'adminis-
tration ecclésiastique dans les pays tchèques à l'époque pré-hussite »), dans CCH,
t. X , X I I , X I V , 1904, 1906, 1908 et J . ERSIL, Sprâvni a finançai avignonského pa-
pezstvi k ceskym zemim ve treti ctvrtine XIV. stoleti (Les rapports d'administration
et financiers de la papauté d'Avignon avec les pays tchèques dans le troisième quart
du 14 e siècle). Prague, 1959, ont prouvé, l'un pour la papauté de Rome et l'autre
pour la papauté d'Avignon que l'exploitation des pays tchèques par le cour papale
montait en flèche, surtout depuis le milieu du 14 e siècle.
34.Un aperçu détaillé avec énumération de toutes ces actions dirigées contre l'Eglise
et contre le régime féodal a été donné par F. GRAUS, Dejiny venkovského lidu..., op.
cit., Prague, 1957, p. 282-297.
35.D'abord, Huss séjournait au manoir de Kozi, non loin du Tâbor actuel et y prêchait
avec un grand succès au peuple rural venu des environs. Plus tard, il se rendit au
manoir de Krakovec près de Rakovnik et ses auditeurs étaient encore des paysans.
Il est intéressant de rappeler les renseignements suivant lesquels dès 1377 un groupe
de l'hérésie populaire oeuvrait aux environs du manoir de Kozi et, là où avait prêché
Jean Huss, « Les paysans hérétiques » manifestaient en 1415-1416 leur résistance
contre l'Eglise ( J . MACEK, Tâbor..., t. I, p. 157, 160-162).
36.Martin Hiiska, dit Lokvis, fut un prédicateur érudit et éloquent qui s'attaqua sur-
tout au Saint Sacrement et à l'aide des preuves sensorielles alla jusqu'à renier sa sainteté
et son origine divine ou sa symbolique. Ses premiers traités, imprégnés de l'esprit
picard, firent leur apparition avant la fondation de Tâbor en 1419. Hûska fut cap-
turé par les seigneurs de Bohême méridionale et, jeté au cachot, réussit toutefois à
s'évader, mais fut arrêté de nouveau et brûlé vif par l'archevêque de Prague à Roud-
nice, le 21 août 1421. Dans la période 1420-1421, il était un des premiers chefs et
idéologues à Tabor, défenseur de son programme chiliastique. (Pour le personnage
de Hûska voir J . MACEK, Tâbor..., t. II, où l'on parle aussi plus en détail des prédi-
cateurs ayant prêché d'abord à Plzen et devenus Tàborites à partir de 1420, V. Ko-
randa et P. Kànis). On peut nommer au total une cinquantaine de prêtres qui avaient
été les défenseurs, chefs et hérauts du chiliasme taborite dans la période 1419-1421.
37.Ce furent encore des appels bibliques qui donnèrent l'impulsion au rassemblement
deshussitessurles montagnes (Marc X I I I , 6,78 ; X I V , 26). Les prédicateurs populaires
se réclamaient de ces impératifs divins et concentraient le peuple dispersé sur des
17
254 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

hauteurs auxquelles ils donnaient des noms bibliques (Tàbor, Oreb, Berânek). Sur
les montagnes, les serfs constituaient leur unité, communiaient sub utraque specie,
écoutaient les sermons et s'organisaient pour les prochains combats. Si nous projetons
sur la carte les cinq « villes élues » et « les collines », nous verrons comment ces deux
formes de concentration et d'organisation du peuple hussite se complètent. Ces pèle-
rinages sur les montagnes n'avaient pas lieu dans les régions où les villes étaient
entre les mains des hussites. Les hussites s'assemblaient sur les montagnes uniquement
dans les contrées où les ennemis du calice tenaient les villes. (Voir les cartes dans le
livre de J . MACEK, Tàbor..., t. I, p. 2 2 3 ) .
38.Aussi dans cette ville et dans ses environs qui appartenaient à une famille noble,
nous pouvons suivre dès le 14e siècle les traces de l'hérésie populaire (les soi-disant
vaudois).
39.Tabor adopta pour règle l'élection des fonctionnaires spéciaux désignés à gérer
les caisses communes. Le peuple élut aussi quatre commandants (helmans) de quatre
armées à partir desquelles une armée permanente se développa. En 1420, le comman-
dant en chef f u t Nicolas de Hus, organisateur des pèlerinages sur les montagnes en
1419 (J. MACEK, Tâbor..., t. II, p. 43-135 où l'on donne aussi une analyse détaillée
du chiliasme taborite).
40.La carte des villages dont les sujets s'en allèrent à Tâbor et soutenaient les Tâborites
ainsi que la carte des villages disparus en connexion avec la naissance de Tàbor ont
é t é fournies p a r J . MACEK, Tâbor..., t . I, p. 278, 320.
41.Nous apprenons que, dès 1420, des valets allemands et des domestiques de Budë-
jovice se réfugièrent à Tâbor, qu'il y avait là aussi des sujets autrichiens, des misé-
reux de Pologne et des prédicateurs slovaques (en particulier Lucas de Nové Mesto
sur Vâh), cf. (J. MACEK, Nârodnostnl otâzka... (La question des nationalités...), p. 27-28.
E n 1421, les sujets en Moravie se soulevèrent et fondèrent un nouveau Tâbor près
de Nedakonice (près de Uherské Hradiste). Avant de pouvoir recevoir le secours du
Tâbor tchèque, ce nouveau Tâbor f u t toutefois attaqué et détruit par le roi Sigis-
mond, les seigneurs et les prélats.
42.Tandis que par exemple, la jacquerie française s'efforçait en vain d'opérer cette
jonction et que le soulèvement de W a t Taylor marque seulement une union brève et
incomplète de la ville et des campagnes, dans la Prague hussite de 1420. en effet,
tout le pays s'unit et se concentra.
43.Les calixtins ouvrirent l'attaque sur le Tâbor des gueux conjointement avec les
seigneurs catholiques au printemps de 1420. Des centaines de Tâborites furent massa-
crés et brûlés vifs sur les bûchers (les calixtins hérétiques brûlent vifs les hérétiques
picards et adamites I) et même dans les rencontres militaires, les Tâborites furent
vaincus. En octobre 1421, le Tâbor chiliastique était liquidé et commençait à se
développer en ville médiévale normale.
44.En examinant la structure sociale de Tâbor telle qu'elle ressort des inscriptions
dans les registres de bailli des années 1 4 3 2 - 1 4 5 0 , nous constatons qu'elle est ana-
logue à celle des villes de Znojmo, Louny ou de la Vieille Ville de Prague. Cf. tableau
n» I I I , J . MACEK, Tàbor..., t . I, p. 298.
V
45. Jean de Zeliv instaura à Prague en 1421, avec l'appui des miséreux et des petits
artisans, une dictature révolutionnaire. La bourgeoisie aisée, soutenue par la no-
blesse et les maîtres calixtins de l'Université, s'acharnaient toutefois à mater son
pouvoir. Ils l'attirèrent avec ses compagnons dans un guet-apens dressé à la mairie
de la Vieille Ville, le firent arrêter et exécuter sans jugement le 9 mars 1422. Par la
mort de Jean de Zeliv et de ses compagnons, Prague f u t complètement soumise à
la domination des bourgeois. CfJ. MACEK, Husiiskérevolucnihnuti, op. cit., p. 106-107.
VILLES ET CAMPAGNES DANS LE HUISSITISME 255

46.La plus résente monographie traitant de Zizka est celle de F. G. H E Y M A N N , John


Zizka and the Hussite Revolution. Un compte-rendu critique de cette monographie
méritoire a été donné par J. M A C E K , dans CSCH, t. V, 1957, p. 148-154.
47.La vie et l'œuvre de Procope le Grand ont été exposés par J . M A C E K , Procope le
Grand, Prague, 1953. Dans les armées permanentes taborites, les miséreux prédomi-
naient, quoique les commandants fussent des gentilshommes appauvris et des bour-
geois. Les armées jouissaient d'une autonomie considérable, les intérêts des simples
combattants étaient défendus par la communauté « des travailleurs » qui fonction-
nait en organe consultatif du commandant.
48.A la bataille de Lipany, Procope le Grand et ses compagnons trouvèrent la mort.
Dans cette rencontre, en fait, les hussites combattaient les hussites, les radicaux
furent écrasés par les conservateurs. Pour le traité le plus détaillé de cette bataille
et des dessous diplomatiques des événements voir R. U R B â N E K , Lipany a konec
polntch vojsk (Lipany et la fin des armées en campagnes), Prague, 1934.
/ V V
49.Ce fut prouvé surtout par A . M Î K A dans son Poddany lid o Cechâch v prvé polovine
XVI. stoleti (Le peuple serf en Bohême dans la première moitié du 16° siècle), Prague,
1960 et dans « Die wirtschaftlichen und sozialen Folgen der revolutionären Hussi-
tenbewegung in den ländlichen Gebieten Böhmens », dans Zeitschrift für Geschichts-
wissenschaft, t. VII, 1959, p. 820-841.
50.Un ouvrage d'ensemble donnant un aperçu de l'importance internationale du
hussitisme existe, c'est le recueil intitulé Le retentissement international du hussi-
tisme, paru sous le direction de J . M A C E K . A part le chapitre introductif sur la ques-
tion des nationalités dans le mouvement hussite, on y traite du retentissement du
hussitisme en Slovaquie, en Pologne, en Russie Blanche, en Hongrie, en Yougos-
lavie, en Roumanie, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en France, aux Pays-Bas,
en Angleterre et dans d'autres pays européens. Dans ce recueil comprenant des
articles des auteurs tchèques, polonais, soviétiques, roumains, hongrois, allemands,
yougoslaves, on trouve les preuves détaillées des formes diverses du retentissement
du hussitisme.
51.Le Synode de Bourges traitait, le 27 février 1432, du péril de l'influence hussite sur les
paysans qui se seraient soulevés contre leur seigneur sous l'influence des idées
hussites, cf. A. I. OZOLIN, «Ohlas husitstvi ve Francii » (« Le retentissement du hussi-
tisme en France »), dans Mezinârodni ohlas husitstvi, p. 296.
52.Les renseignements en détails indéterminés affirment que dans les contrées monta-
gneuses du Dauphiné il y a une région où vivent les partisans des hussites et où les
serfs firent une quête et envoyèrent de l'argent aux « hussites tchèques insurgés ».
Cf. Urkundliche Beiträge zur Geschichte des Hussitrenkrieges in den Jahren 1419-1436
éd. par F. Palacky, t. II, p. 271-273, Prague, 1873.
53.Gilles Mersault distribua parmi les habitants de la cité de Tournai, en mars 1423,
quelques dizaines d'exemples du manifeste hussite dans lequel il expliquait aux
bourgeois les Quatre Articles de Prague et relatait ses expériences avec les hussites.
Le hussite Français G. Mersault ne tarda pas à être arrêté et emprisonné. Avant
qu'il pût être puni, les artisans et les représentants des corporations se soulevèrent
et contraignirent les échevins de mettre Mersault en liberté. Il finit toutefois par
monter sur le bûcher le 22 juillet 1423. Néanmoins, cependant tout le 15° siècle,
il y avait dans les villes aux Flandres des vestiges du hussitisme qu'on appelait
«l'hérésie de Prague ». Cf. Mezinârodni ohlas husitstvi, p. 299-302.
54.Cette importance du hussitisme dans l'histoire européenne n'est malheureusement
pas toujours pleinement comprise (cf. par exemple la place de loin insuffisante
qu'on réserve au hussitisme dans différents aperçus de l'histoire mondiale ; voir
par exemple Historia mundi). Dans la période 1419-1437, la révolution hussite
réalisa une scission complète avec Rome, créa une Eglise hussite indépendante,
256 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

institua tout un système dogmatique différent de l'Eglise catholique et brisa


définitivement, pour la première fois, le pouvoir universel de la dogmatique catho-
lique. C'est pourquoi les représentants de la Réforme allemande bâtissaient orga-
niquement sur la Réforme tchèque. Martin Luther se réclamait chaleureusement
de Jean Huss ; Ulrich von Hutten s'appelait lui-même le « Zizka allemand » et Thomas
Mûnzer voulait faire de Prague le centre de sa communauté biblique, connaissant
les articles chiliastiques táborites qui devinrent le point de départ aussi des ana-
baptistes allemands. Ainsi tous les éléments de la Réforme allemande prenaient
pour point de départ l'œuvre de la Réforme tchèque. Cf. J. M A C E K , « K ohlasu
husitstvi v Nëmecku » (« Les répercussion du mouvement hussite en Allemagne »),
dans CSSH, t. XV, 1 9 5 6 , p. 1 8 7 - 2 0 7 et H . K Ô P S T E I N , dans Mezinárodnlohlas husitstvi,
p. 2 2 3 - 2 8 4 . L'importance du hussitisme dans l'histoire de la Réforme européenne
a été soulighé par J. M A C E K , La naissance et fond de la Réforme Histórica X I V ,
1 9 6 7 , p. 2 4 9 - 2 7 1 ) . et J. M A C E K , La Réforme tchèque (Histórica X V I I , va paraître).
DISCUSSION

M. G E R E M E K . — Le mouvement hussite associe des mots d'ordre idéolo-


giques, nationaux et enfin sociaux. Cette alliance renvoie à la situation
particulière d'une société en crise. De plus nous rencontrons dans cette
situation particulière des coupures intérieures, qui se transforment en
hérésies, à l'intérieur de cette hérésie triomphante qui devient ainsi une
certaine structure stable. En second lieu, le hussitisme, phénomène inter-
national, correspond aussi à une crise du milieu universitaire d'Europe
centrale attestée à Cracovie en même temps qu'à une inquiétude plus
générale.

Mme M. A S T O N . — Vous avez parlé de cette sorte de nouvelle noblesse


qui a gagné des biens confisqués à Prague et je voulais vous demander ce
qu'il est advenu des biens des monastères en partie confisqués de la même
façon.

H. G R U N D M A N N . — L'enthousiasme pour la communion sous les deux


espèces même chez les paysans est lié évidemment avec la question nationale.
Mais ce mouvement hussite est si complexe qu'on peut y voir tout à la fois
un problème national, social et religieux. Nous connaissons maintenant
très précisément Huss et sa doctrine ainsi que le conflit qui l'a opposé à
l'Église grâce aux savantes recherches du bénédictin belge de Vooght.
J'ai toutefois l'impression que les chercheurs tchèques se sont moins occupés
de Huss ces derniers temps que du mouvement hussite. Il convient d'utiliser
cette double approche pour parvenir à une vision totale sur Huss et son
mouvement. Il demeure que l'hérésie de Huss fut l'hérésie savante d'un
théologien en même temps il est vrai d'un prédicateur, d'un prédicateur
populaire, s'adressant aux paysans tchèques mais qui doit continuer à
être jugé comme théologien.

R. M A N D R O U . — Avec l'hérésie hussite se pose la question : conjoncture


économique et hérésie. Il y a là un problème à débattre. Je ne dis pas qu'il
y a une causalité ou une mécanique. Je veux simplement poser le problème
aux médiévistes.

F. G R A U S . — Tout d'abord je voudrais rapidement revenir sur certains


points soulevés par M. Grundmann. De Vooght n'est pas le premier a avoir
tenté la réhabilitation de Huss au sens catholique du terme : Kybal, pour
la littérature tchèque et un prêtre catholique, Zerlag, l'avaient précédé.
Notre ami Macek nous a appris qu'une partie des idéologues revint au
catholicisme. Pas seulement les idéologues. J'en profite pour rappeler que
le premier idéologue véritable du troisième ou du quatrième E t a t s'appelait
258 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Petr Keltschitski, injustement méconnu parce qu'il n'a écrit qu'en tchèque.
Pouvons-nous enfin continuer à parler d'hérésie en présence d'une hérésie
victorieuse ? Une hérésie ne s'affirme qu'au sein d'une Église. Je pense qu'il
faudrait apporter des nuances, pour l'étude du mouvement hérétique au
Moyen Age, aux contours que nous dessinons, et qui sont d'autant plus
tranchés que notre connaissance s'appuie sur les sources de l'Inquisition.
J e me refuse pour ma part à considérer le protestantisme comme une
hérésie.
C. VASOLI

UNE SECTE HÉRÉTIQUE FLORANTINE


A LA PIN DU 15e SIÈCLE : LES « OINTS »

Un épisode de la vie religieuse de Florence dans les dernières années du


15e siècle fait l'objet de ma communication. Certainement pas inconnu
aux spécialistes du phénomène savonarolien, il mérite néanmoins une
analyse un peu plus approfondie que celle que les principaux biographes
du moine de Ferrare lui ont dédiée. En effet, son protagoniste majeur
fut un homme qui joua un rôle marquant à l'intérieur du mouvement
des Piagnoni et se rattacha, dans son activité de prédicateur et de «pro-
phète », à certains aspects et motifs de la prédication de Savonarole. C'est
l'histoire brève d'une petite secte. Mais cette dernière s'appuya sur cer-
tains milieux d'artisans que l'œuvre réformatrice savonarolienne avait
particulièrement touchés. Il y a donc là, non seulement un témoignage
éloquent sur la continuité de certains idéaux des Piagnoni après le mar-
tyre de Savonarole mais aussi, et plutôt, l'expression d'un trouble profond
des consciences et même d'un plus ample remous dans la sensibilité reli-
gieuse. Nous en trouvons du reste bien des traces dans les chroniques
italiennes de cette époque. 1
Après 1480 surtout, on rencontre de fait des traces nombreuses et fré-
quentes d'une forte sensibilité eschatologique, des attentes diffuses d'évé-
nements mystiques, des prodiges terrifiants, des signes avant-coureurs,
et des apparitions mystérieuses qui annoncent des grands bouleversements
dans les choses humaines et divines, dans la vie ecclésiastique, et dans
le destin à venir de toute la chrétienté. L'invocation d'un grand réforma-
teur n'est pas rare et se fait même de plus en plus vive et insistante, pour
qu'il vienne purifier et renouveler l'Eglise, la purger de tous ses péchés
et la reconduire à ses origines divines, à la pureté sans taches de l'expé-
rience évangélique. Dans la prédication farouche et obscure de Jérôme
Savonarole, lourde de terribles menaces, de malédictions et d'anathèmes,
ces motifs revenaient certes avec une intensité particulière. L'idée de la
purification s'y trouvait liée à l'avènement d'une époque d'expiation comme
à un moment nécessaire pour passer de la déchéance de la chrétienté à
son futur et victorieux renouveau. Nous ne sommes pas étonnés que, dans
cette ambiance, réapparaissent aussi des thèmes nettement prophétiques,
dont les racines s'enfoncent dans une longue tradition à caractère « spiri-
tuel » et joachimite. C'est ainsi qu'au milieu des Piagnoni et des Popolani
260 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

qui ont lié si étroitement leur sort au destin du moine ferrarais, on


accueille avec une faveur particulière la prévision que l'antéchrist triom-
phant dominera la terre avec sa suite de faux moines et de faux prophètes,
que l'Eglise sera soumise à la plus grande des persécutions et que le peuple
chrétien, tourmenté par les guerres, par les famines et par les pestilences,
purgera ses fautes sous la férule divine. Cet antéchrist, il sera facile de
le reconnaître en Alexandre VI, ou plus tard, quand de précises raisons
politiques l'exigeront, dans tel ou tel autre prince d'Europe, ou encore
dans l'approche menaçante du Sultan turc. D'ailleurs, il ne s'agit pas
là d'attitudes ou d'idées typiques d'une ville comme Florence, où l'es-
chatologie et le prophétisme savonaroliens sont devenus les éléments d'une
conjoncture nettement politique, près d'aboutir sur le terrain réaliste et
brutal de la force et de l'habileté mondaine. Bien au contraire, les prophé-
ties où le moine annonce à ses fidèles la ruine imminente de Florence et de
l'Italie, où il évoque à nouveau l'image apocalyptique de la punition et
des plaies de toutes sortes qui s'abattent déjà sur le genre humain, ne
diffèrent pas beaucoup de celles que d'autres moines, ermites ou pénitents
répandent, au cours des mêmes années, dans plusieurs villes et régions
d'Italie, renouvelant eux aussi l'ancienne terreur de l'antéchrist et l'espoir
millénariste du pape angélique.
D'autre part, la large diffusion des croyances astrologiques, assez sou-
vent accueillies, même dans les cénacles des doctes et couramment reçues
par la mentalité populaire qui y trouve la confirmation de ses craintes
et de ses attentes confuses, contribue remarquablement à ce renouveau
imposant des attitudes eschatologiques et des attentes messianiques 3 .
Les Prognostica ad viginti annos spectantia de Paul de Middelbourg, futur
évêque de Fossombrone, le Prognosticon de eversione Europse de l'astrolo-
gue ferrarais Antoine Torquate (ou Arquatio), le Prognosticon jusqu'à
l'année 1567 de l'astrologue impérial Jean de Lichtenberg concordent
pour annoncer l'avènement prochain d'une ère nouvelle, précédée par des
révolutions et remous de tout genre ainsi que par d'immenses souffrances
de l'Eglise 8 . D'autres astrologues, en illustrant la conjonction astrale
de 1484, cherchent eux aussi les indices de la fin du monde ou de l'appro-
che de l'antéchrist, ou bien relient l'horoscope prévoyant un grand boule-
versement religieux avec l'annonce d'une longue période de malheurs,
de famines et de terribles conflits. Les événements politiques de l'Italie
de ce temps, la menace croissante des invasions, la corruption de la Curie,
le scandaleux pontificat d'Alexandre VI semblant apporter des confir-
mations toujours nouvelles aux craintes apocalyptiques et aux espoirs
d'une réforme, de cette façon se répand, surtout dans les milieux popu-
laires, une atmosphère d'attente terrifiée : toutefois, l'espérance est tou-
jours présente, d'un temps proche où un grand réformateur — prince,
moine, ou laïc, ou même « pasteur angélique » — accomplira les promesses
des prophètes en ouvrant le royaume spirituel d'une Eglise purifiée.
UNE SECTE HÉRÉTIQUE FLORENTINE : LES « OINTS » 261

Ces thèmes prophétiques pénètrent très facilement dans les villes et


au milieu des couches les plus humbles de l'artisanat; mais parfois ils
troublent aussi la conscience de savants humanistes. Il est clair que de
semblables motifs reflètent les conditions de milieux et de personnes dure-
ment frappés par la crise économique et politique de la société italienne,
ces gens trouvent justement dans ces sortes d'anticipations le seul moyen
possible pour exprimer leur mécontentement et leur hostilité à l'opulence
du haut clergé corrompu, ou bien des aversions et des espoirs d'ordre
religieux et politique. Mais l'aspect le plus intéressant de ce renouveau
eschatologique qui semble faire revivre à la fin du siècle les temps de
Vincent Ferrier ou de Manfred de Verceil est la concordance singulière
des différentes prophéties courantes. Elles ont toutes un caractère ex-
plicitement hostile à la tradition hiérarchique de l'Eglise s'exprimant
sous la forme d'une constante polémique réformatrice et manifestant
la certitude que « les temps sont mûrs » et que tous les « signes » célestes
et terrestres indiquent J'approche d'un moment décisif dans l'histoire
du monde chrétien. Pareille certitude se retrouve dans plusieurs sermons
de Savonarole aussi bien que dans la prophétie dramatique qu'un pèle-
rin inconnu, en habit de mendiant, aurait prononcée à Rome en 1491 4
ou dans l'annonce de la fin du monde et de l'avènement de la reformatio ap-
portée à Sienne et en d'autres villes et villages de la Toscane par des ermi-
tes pénitents quelques années plus tard entre 1495 et 1496. 6 Ce ne sont
que quelques exemples choisis dans une documentation beaucoup plus
vaste et plus riche. On peut affirmer, en effet, que de Milan à Ferrare,
de la Vénétie à l'Ombrie, il n'est pas un chroniqueur ou un auteur de mé-
moires qui ne rapporte des faits semblables ou ne témoigne de l'impres-
sion profonde que de telles prophéties ou sermons suscitent dans tous
les groupes sociaux et dans les milieux à la formation culturelle la plus
différente. Souvent certes, ces prédicateurs, pénitents et ermites, s'a-
dressent au « vulgaire », et les prophéties elles-mêmes de Savonarole trou-
vent une résonance surtout dans les couches populaires des artisans Pia-
gnoni. Mais les exemples ne manquent pas d'hommes de souche toute
différente qui réagissent également par des craintes et des espoirs escha-
tologiques à la crise de l'Italie humaniste. E t même si l'on ne veut pas
rappeler l'écho que quelques-unes des prophéties savonaroliennes eurent
dans l'esprit de Pic de la Mirándole, il suffira de mentionner le cas de
Sigismond Tizio, homme d'Eglise et de lettres, que la prédication des
« ermites » siennois pousse à écrire un livre sur la fin du monde, axé sur
la conviction que désormais l'antéchrist est imminent et que de toute
façon il se manifestera avant l'année 1600. 6 Nous pourrions parler aussi
du docte humaniste Zanobi Acciaioli, f u t u r bibliothécaire de Léon X
qui, le 14 août 1495, demande à Pierre Dolfin de lui procurer un livre
sur l'antéchrist à peine paru à Venise. 7 Dans ces mêmes années le chanoine
Prospero Pitti — cet homme à la vaste culture et à l'intense vocation
262 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

religieuse — annonce aussi à ses amis florentins le futur sac de Rome et


le renouvellement de l'Eglise sous un pape angélique qui, finalement,
convertira les Turcs, les juifs et les incroyants. Même dans les milieux cul-
tivés il ne manque pas de gens qui font écho à une prophétie courante
en ces années, et un peu plus tôt, parmi les communautés hébraïques du
monde méditerranéen. Après le proche avènement d'un Messie, et après
des luttes et des persécutions extrêmement cruelles, on obtiendrait la
pacification religieuse et la fin de toute opposition de caractère confes-
sionnel ou politique. Il y a enfin ceux qui décrivent dans des pièces qui
se colportent parmi les gens du peuple la fin imminente des choses humai-
nes et le jour désormais proche du jugement.
A n'importe quel niveau de la société italienne, et florentine en par-
ticulier, au milieu des doctes et des pauvres artisans, parmi les ecclésias-
tiques comme parmi les philosophes ouverts à la spéculation platonicienne
et ficinienne, il est donc possible de saisir, vers la fin du Quattrocento,
les signes de la même inquiétude religieuse et d'une attente collective,
souvent teintée des caractères et des tendances apocalyptiques.

Il fallait souligner ces aspects et ces thèmes de l'eschatologie prophétique


de la fin du siècle. Ils constituèrent, en effet, le contexte naturel d'un mou-
vement connu comme celui des « oints », étroitement lié, bien sûr, à la
survivance des idéaux savonaroliens et néanmoins caractérisé par une
physionomie sectaire particulière qu'on ne rencontre pas dans d'autres
milieux ou groupements de Piagnoni. Il y a plus. Les sermons, les pro-
phéties et les papiers de Pierre Bernardino (ou Bernadin de Fanciulli) 9
qui nous sont parvenus nous permettent de comprendre de quelle façon
la prédication de Savonarole était interprétée et revécue à un niveau plus
« populaire », comment elle était transformée dans l'expression d'une
véritable « révolte » religieuse, chargée de ferments « réformateurs » et
visant d'une manière nettement polémique les structures et les autorités
traditionnelles de l'Eglise.
Pierre Bernardino (ou mieux Pierre Bernardo) n'était qu'un artisan or-
fèvre mais pourvu, de toute évidence, d'une certaine connaissance de
l'Ecriture et de quelques notions doctrinales. Pendant la période dominée
par les Piagnoni il avait été un personnage très en vue dans les milieux
savonaroliens. Tout particulièrement il avait été le chef de ces groupes
de Fanciulli qui avaient pris tant de place dans les chroniques florentines
contemporaines, quand ils parcouraient les rues de la ville en imposant
la « modestie » et 1'« austérité » de la manière la plus résolue. w Par cette
activité, il avait sûrement acquis une popularité particulière parmi les
partisans de Savonarole. Mais surtout, au moment le plus âpre de la lutte
contre les Palleschi et les Arrabbiati, Bernardino avait exprimé les idéaux
réformateurs des Piagnoni les plus intransigeants. Dans 1'Epístola ai
Fanciulli du 11 juin 149711, il avait réaffirmé le mépris savonarolien de
UNE SECTE HÉRÉTIQUE FLORENTINE : LES t OINTS » 263

la richesse et de la « gloire » mondaine, la condamnation du clergé « tiède »


et corrompu, le blâme des vanités diaboliques contenues dans les écrits
de Térence, Juvénal, « et autres semblables livres malhonnêtes » et l'avène-
ment d'une période obscure de châtiments et de pénitence, avant que
l'Eglise ne se renouvelle. Déjà dans ce sermon, toutefois, dans l'exalta-
tion du buon fanciullo, humble serviteur de Dieu, absolument dévoué
à la vérité évangélique et pur imitateur de la pauvreté et de la douleur
du Christ, une idée d'une portée plus révolutionnaire se frayait le chemin :
à savoir que la parole des « pauvres chrétiens » vaut plus que celle des
ecclésiastiques, trop éloignés de la vie évangélique. Car Dieu n'a accordé
le don de scruter l'avenir et de saisir prophétiquement ses desseins mys-
térieux qu'aux « pauvres » aux « faibles », aux « persécutés ».
E n proférant ces mots, il est clair que Pierre Bernardino pensait natu-
rellement à Savonarole et au groupe des partisans plus décidés et plus
fidèles du dominicain. Les sentiments et les espoirs du milieu des Pia-
gnoni sont certainement bien exprimés dans cette prophétie qu'il vaut
la peine de citer textuellement : « Ainsi maintenant Dieu tout puissant
a prédit que l'Italie et Rome doivent être bouleversées, l'Eglise se renou-
veler et s'étendre, Turcs, Maures et autres infidèles être convertis ; et
sans faute il en sera ainsi. Enfin que beaucoup de vivants verront cela
et que la ville de Florence doit être plus riche et plus puissante que
jamais ».
Ici donc, suivant du reste une perspective assez familière aux dévots
Piagnoni, on soulignait de la façon la plus explicite le lien étroit entre
l'avenir politique de Florence et celui de l'Italie, entre la réforme de l'Eglise
et l'instauration d'une harmonieuse unité de tous les peuples dans la
Christianitas renouvelée. Pierre Bernardino voulait accentuer la valeur
et la portée de sa prophétie en annonçant que « la lumière » de la nouvelle
révélation s'étendrait à toute l'Italie et au monde entier «parce que
Dieu le veut ainsi » et que Dieu lui-même « vient avec ses ministres en
Italie et est sur le point d'arriver ». Contre le clergé et la hiérarchie cor-
rompue qui ne croient pas à la renovado, contre tous ceux qui n'accep-
tent pas sa prophétie et « prêchent en Italie, à Rome et à Florence, en
disant qu'il n'en sera rien », la menace du « prophète » sonnait dure et
irrévocable ; ceux-là, précisait-il, « sont en train de tenter Dieu et veulent
qu'il se montre ».

On retrouve les mêmes thèmes, mais repris avec un accent encore plus
polémique, dans le Compendio di contemplatione.13 C'est peut être l'ou-
vrage de Bernardino le plus chargé d'intentions « doctrinales » et où il
est probablement plus facile d'entrevoir l'influence personnelle du plus
grand protecteur de la « secte », le savonarolien Jean-François Pico lié
pourtant à des courants bien différents de la spiritualité religieuse contem-
poraine. Dans ces pages, Bernardino trace un véritable programme de
264 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

contemplation à l'usage de ses disciples. On passe par degrés de la réflexion


sur 1' « excellence de l'âme » à la contemplation de la vanité du monde,
des horreurs de l'enfer, de la gloire du paradis. Bien plus importants sont
les échelons supérieurs de la contemplatio, c'est-à-dire la considération
de la passion du Christ, du Jugement dernier, et de la « bonté, miséri-
corde et bénignité de Dieu » où reposent toute la félicité et la joie spiri-
tuelle consenties à l'âme humaine. La ressemblance de cette pratique
de contemplation avec d'autres formes analogues d'expérience religieuse,
caractéristiques d'autres milieux du Quattrocento, ne suffit pas à étayer
une dérivation d'elles, difficile à prouver par ailleurs dans l'état actuel
de la documentation. Nous reviendrons plus loin sur les rapports entre
Bernardino et Pic. Sans aucun doute, toutefois, dans leur optique,
l'attitude mystique de l'orfèvre florentin, avec ses thèmes et motifs pro-
phétiques, va se placer dans une perspective historique qu'on ne peut pas
réduire entièrement aux traits désormais traditionnels de l'expérience
savonarolienne.
Les aspects majeurs de la méditation de Bernardino réapparaissent,
du reste, dans un autre petit ouvrage, un sermon aux jeunes pour le pre-
mier dimanche de Septuagésime (21 février 1500, en 1499 suivant le style
de Florence), composé de toute évidence à la lumière des dramatiques
événements florentins de ces années et du bûcher de Savonarole. Conçu
comme un commentaire à un passage des Proverbes, ce sermon est, en
effet, une longue et insistante justification de la « mission » des prophètes,
qui sont des instruments élus par Dieu. Il est aussi une polémique contre
les philosophes et les astrologues, dérivée directement de Savonarole, et
une exaltation très vivace et farouche de cet « amour de Dieu » qui est
pour Pierre Bernardino le seul chemin de vie et de salut, ainsi que de la
stultitia infiniment supérieure à la vaine « sagesse » humaine. Main-
tenant toutefois, après la ruine des programmes politiques et des espoirs
réformateurs des Piagnoni, pointent déjà certains thèmes au contenu
plus franchement hérétique, comme la revendication d'une inspiration
divine directe qui permet aux laïcs « sans doctrine » et « ignorants » d'at-
teindre les secrets de l'Ecriture mieux que leurs pasteurs tièdes et faux.
De plus, la juxtaposition de l'enseignement des servuli, animés seulement
par le zèle et par l'amour de Dieu, et de celui, désormais faux, des pas-
teurs officiels, qui n'ont plus ni la pureté de cœur, ni la « simplicité » d'es-
prit nécessaires pour recevoir la parole de Dieu, apparaît nettement tout
au long de l'opuscule.

Pareille insistance sur l'humilité et sur la libre foi des « vrais chrétiens »,
ainsi que la revendication du don prophétique qui témoigne de la vérité
et de la pureté des doctrines, n'est certainement pas un motif nouveau.
C'est un trait caractéristique et courant dans l'histoire des conventicole
ou sectes populaires qui foisonnent si souvent aux marges ou en dehors
UNE SECTE HÉRÉTIQUE FLORENTINE : LES « OINTS « 265

de la structure officielle de l'Eglise. Néanmoins, dans le sermon de l'orfèvre


florentin, le thème de la vérité prophétique et du don accordé à tous les
hommes au cœur pur, auxquels revient de répandre partout la divine
annonce, n'est pas uniquement la reprise d'une attitude savonarolienne
typique mais plutôt l'expression d'un désarroi spirituel profond. Répandu
dans de larges couches du peuple, chez les artisans en particulier, ce
désarroi trouvait un débouché dans la revendication tranchante d'une
« autonomie » religieuse en face de la hiérarchie officielle. Ce prophète
piagnone évite, il est vrai, les phrases plus violemment anticléricales qui
apparaissaient au cours de ces années dans la prédication d'autres pro-
phètes et il ne reprend pas non plus la formule « spirituelle » de Rome
comme « mérétrice ». Pourtant, dans ses écrits, les éléments ou les indices
aptes à dévoiler les tendances implicitement sectaires du futur chef des
oints ne font guère défaut. Il faut souligner à ce propos que la contem-
plation amoureuse de Dieu proposée par notre prophète comme modèle
de la vraie foi chrétienne diffère bien des thèmes ascétiques traditionnels,
du fait même qu'elle tend à exalter le moment « personnel » de l'adhésion
à l'exemple et aux souffrances du Christ, ainsi que les dimensions fortes
ment individuelles de la « déification ». Ceci explique d'ailleurs pourquoi
l'on a pu récemment encadrer l'attitude de Pierre Bernardino dans les
traits caractéristiques de la deuotio moderna, qui sans doute demeurèrent
t o u t à fait étrangers à la vie religieuse de ces cénacles savonaroliens. 16
Si l'artisan florentin n'eut pas des rapports directs avec une forme si
affinée de religiosité, il n'empêche que le rappel constant et significatif
à l'imitation « terrestre » de la passion du Christ, modèle et règle de tous
les Fanciulli, ainsi que la pratique de l'oraison mentale suggérée à ses
disciples, donnent une résonance assez particulière à sa spiritualité.
Le mythe d'un avènement tout proche, l'attente du futur réformateur
se soudent ainsi avec une expérience spécifiquement « sectaire ». Cette
fusion est encore plus évidente dans « le sermon fait à Spugnole, lieu de
Jean Pépi », le 11 mars 1500, et donc deux ans après la mort de Savonarole.
Il vaut toujours la peine d'en citer cette page particulièrement éloquente :
« Seigneur, à toi je vais me vouer puisque ces hommes ne veulent pas
m'entendre. Ces hommes, qui ont été tes benjamins [bien aimés], ont agi
contre Toi et contre eux-mêmes car, voyant que les filles des Tièdes,
parents de moines et de nonnes tièdes, étaient fort belles, bien qu'elles
ne soient que des sépulcres blanchis, ils les ont prises pour épouses et par
conséquent toute chose est pourrie. Qui s'est marié avec la Philosophie,
qui avec la Poésie, d'autres avec l'Astrologie ou encore avec la Rhétorique,
demeurant dans leur amour propre. Enfin, qui en a pris une, qui une
autre. Mais t u sais que ces trois épouses sont celles qui perdent ton Eglise
et qui lui ont toujours apporté dommage. Chaque homme a corrompu
sa voie; tout homme a abîmé son chemin. E t donc, l'homme qui était
esprit est devenu chair. Les mauvais prêtres sont devenus chair, et les
266 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

mauvais moines de même, en voulant apprendre par cœur les noms de


toutes les femmes ; assis sur des sièges commodes dans leur couvent, ils
causent et bavardent ensemble de telle ou telle. Bien qu'ils m'aient dit
qu'ils ne faisaient pas de mal, je réponds que dans de tels entretiens il ne
peut y avoir que de l'affection sensuelle. Les nonnes en font autant et
tout est mélangé comme au temps du déluge. Donc le déluge viendra, les
fils de Dieu s'étant mêlés aux filles des hommes, et s'étant rempli la
tête de vanité. Ce sont ceux-là qui feront le mal ».18
La prédication de Pierre Bernardino était loin de demeurer sans effet ;
au contraire ses prophéties étaient accueillies avec enthousiasme dans
certains milieux populaires. Le témoignage concordant des chroniqueurs
le prouve, ainsi que leurs récits de l'origine, du développement et de la
conclusion de la secte appelée des « oints ». Ecoutons Cerretani, chroni-
queur assez attentif à toutes les vicissitudes d'origine savonarolienne.
« Une vingtaine d'hommes du peuple et de basse condition », écrit-il, qui
avaient « suivi auparavant frère Jérôme et vécu d'une façon très réglée
et sainte... se rangèrent à part ; et après beaucoup de conciliabules et de
réunions secrètes, suivant la coutume des juifs, ils créèrent un pontife
auquel ils confièrent toute responsabilité et tout pouvoir sur eux-mêmes,
dans le temporel comme dans le spirituel ». Suivant le chroniqueur, ces
sectaires vivaient «presque toujours ensemble en ville et dans certains
endroits des environs ». Leur chef aurait justement été Pierre Bernardino,
« Florentin de bonne race, âgé de 25 ans et illettré », mais qui, par la conti-
nuelle fréquentation des moines, « était devenu tellement [familier] des
Saintes Ecritures et surtout de la Bible qu'il les connaissait par cœur
presque entièrement ». Cerretani ajoute : « une fois le Frère disparu, il
s'écarta des autres et, après bien des conciliabules, il commença à donner
des nouveaux préceptes à ses partisans, disant que l'Eglise devait être
rénovée par l'épée et qu'après la mort du frère Jérôme pas un seul juste
ne restait sur la terre ; c'est pourquoi il n'était plus nécessaire de se
confesser, tous les moines et prêtres de l'Eglise de Dieu étant des tièdes;
par conséquent personne ne devait plus aller à confesse avant que le
renouveau ne fût accompli ».17
Le cadre sectaire de la « congrégation » constituée autour de l'orfèvre
est tout à fait clair dans ce passage, comme apparaît évidente la corres-
pondance exacte du récit de Cerretani avec les thèmes que nous avons
dégagés du sermon de Pierre Bernardino. Mais il y a plus. Cerretani
rappelle le cérémonial de l'onction pratiqué par le prophète avec une
« certaine huile avec laquelle il oignait les tempes de ses dits partisans,
en affirmant que c'était l'onction du Saint-Esprit ». Il raconte également
que les oints « pratiquaient très souvent l'oraison mentale, n'écoutaient
pas la messe et s'habillaient pauvrement » : signes qui, tous, caractérisaient
de façon évidente leur vocation sectaire. A propos de la profession prophé-
tique de Bernardino, le chroniqueur ajoute : « s'ils s'habillaient, ou par-
UNE SECTE HÉRÉTIQUE FLORENTINE : LES , OINTS » 267

laient ou faisaient n'importe quel geste, ils indiquaient par là que les
Français viendraient en Italie, ou bien les Allemands ou les Turcs, ou
que l'Eglise était proche de la ruine, et d'autres fantaisies semblables ».

La diffusion de la secte et sa prédication active durent néanmoins préoc-


cuper assez les autorités citadines, s'il est vrai, comme Parenti écrit,
qu'« une plainte f u t déposée auprès des Otto délia Balia au sujet de cette
affaire, et on parlait beaucoup de cela dans le pays, si bien que les Otto
envoyèrent une citation au dit Bernardino ».18 « Eu égard au fait que
l'Etat était dans les mains des Piagnoni et qu'on aurait diminué leur
crédit en persécutant ces quelques rejetons du Frère », lit-on encore à cet
endroit, en d'autres mots par un calcul d'ordre politique, on s'avisa
d'annuler pour le moment l'action intentée. Mais, à la prudence des Otto,
ne fit pas pendant l'attitude de la curie et de l'inquisition florentine : bien
plus intransigeantes, elles auraient ouvert à leur tour, suivant Cerretani,
une procédure contre les oints, reconnus comme entachés de « beaucoup
de souillures hérétiques ».
L'impossibilité de confirmer par des documents le procédé attribué
aux inquisiteurs ne diminue en rien le caractère véridique du récit. C'est,
du reste, justement à ces mesures inquisitoriales que doit se rapporter
un mémoire inédit de Bernardino à Jacques Caniceo, vicaire général du
diocèse de Florence. Utilisant des dispositions scholastiques ingénues,
le « prophète » défendait le caractère orthodoxe de sa confrérie, la pureté
de ses intentions, ainsi que celle de ses partisans, et l'entière validité de
la mission à laquelle ils étaient appelés par la grâce illuminante de Dieu. 1 9
Voici, en effet, ce qu'écrit Bernardino : « Dieu étant infini et les créatures
finies, la créature rationnelle n'est pas disposée par elle-même à recevoir
t a n t de lumière, à moins que rien ne l'élève jusqu'à elle par quelque autre
illumination surnaturelle; car celui qui n'a pas la grâce de Dieu et n'a
rien d'autre que la charité n'est pas apte à apercevoir la lumière divine.
Or, celui qui ne peut pas apercevoir la lumière de Dieu ne peut pas voir
le visage divin, parce qu'en lui-même il n'est pas disposé ni adapté à
t a n t de splendeur. E t celui qui ne peut pas voir la face de Dieu ne peut
pas être un bienheureux, la béatitude étant la vision de Dieu ». Aux
accusations ou aux calomnies, il répond de ne pas s'étonner que les autres
ne comprennent pas ce que nous faisons puisqu'ils sont des fils en train
de déserter la cause de Dieu, des « tièdes » qui ont égaré la vérité chré-
tienne. En se faisant forts de raisons humaines et de craintes charnelles,
ceux-là calomnient les prophètes en les accusant de fautes supposées ou
inexistantes. Mais le vicaire pourra bien comprendre la véritable essence
de la piété des oints quand il aura lu leurs « chapitres ». Pierre Bernardino
promet de les lui envoyer afin qu'il examine « s'il n'y a rien contre l'Eglise,
contre la raison naturelle, contre les bonnes mœurs », pour qu'il les confirme
et les approuve.
268 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Avec sa revendication vive et ouverte des droits apostoliques des oints,


le mémoire écrit par Bernardino n'était certainement pas fait pour éloigner
les soupçons des autorités ecclésiastiques. Que la procédure contre les
oints ait continué son chemin, la décision subite des sectaires d'aban-
donner Florence pour se réfugier dans le château de la Mirandole, sous la
protection de Jean-François Pico, neveu et héritier du philosophe, semble
bien l'indiquer.
Fervent disciple des idéaux religieux des Piagnoni depuis assez long-
temps, Pic accueillit ce groupe de fuyards que la persécution — prévue
d'ailleurs par les prophéties de leur chef — n'avait nullement désarmés.
Le comte de la Mirandole ne se borna pas à offrir son aide aux « derniers
restes du Fraie ». Il intervint lui-même dans la polémique avec un petit
ouvrage qu'il expédia au mois de septembre 1501 au chanoine savona-
rolien Dominique Benivieni « en défense de l'œuvre de Pierre Bernardo
de Florence, serviteur de Jésus-Christ ».20
Il s'agit d'une exaltation enflammée de la prophétie bernardinienne
où l'on insiste de façon significative pour éloigner de Pierre Bernardino
les accusations de prédication ou illusion démoniaque, les insinuations
sur les ambitieux projets mondains qu'on lui attribuait, les calomnies
portant sur les mœurs sexuelles dégradantes que, semble-t-il, on avait
lancées avec une insistance particulière contre le groupe tout entier des
oints. Dans l'opuscule, le Guide des Fanciulli, déjà existant au temps de
Savonarole, est présenté comme un juste accomplissement pieux d'une
haute mission divine. Citant même « ce pieux et savant théologien que
fut Jean Gerson », Pic rappelle la valeur exceptionnelle d'un « service »
religieux orienté surtout vers la sauvegarde spirituelle et la formation
dévote des jeunes. Quant au caractère véridique des prophéties, le savant
Piagnone, qui était aussi opposé à 1'« orgueil vain » des philosophes que
favorable à toute manifestation de pure marque fidéiste, n'a aucun doute.
D'après lui, Pierre Bernardino présente toutes les caractéristiques que
les théologiens orthodoxes attribuent aux prophètes véridiques, et ses
prévisions trouvent une évidente confirmation dans les faits. Effecti-
vement, tout ce qu'il dit sur l'avenir de Florence, de Rome et de l'Eglise
est une vérité indiscutable, qui bientôt sera confirmée de façon
épouvantable.
Nous ignorons les effets que put avoir dans les milieux des Piagnoni
à Florence l'apologie du seigneur de la Mirandole, si bien connu pour ses
sympathies savonaroliennes. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'elle ne
suffit pas à sauver Bernardino de la fin terrible qui l'attendait et à laquelle
il fut conduit précisément par les événements qui étaient en train de se
produire à la Mirandole. Ludovic Pic, qui revendiquait la possession de
la Mirandole contre Jean-François, s'apprêtait à assiéger la forteresse :
celle-ci fut prise le 6 août 1502. Arrêté avec ses amis, l'orfèvre florentin
fut accusé, à ce qu'il paraît, non seulement d'hérésie, mais également de
UNE SECTE HÉRÉTIQUE FLORENTIQUE : LES « OINTS » 269

s o d o m i e ; grief d u reste assez f a c i l e m e n t adressé a u x hérétiques. A la s u i t e


d u procès, il f u t c o n d a m n é à m o r t e t brûlé p e u après. "
L'inspiration p r o p h é t i q u e , les t e n d a n c e s sectaires, les t h è m e s e s c h a t o -
logiques, q u i a v a i e n t g u i d é l'expérience religieuse des o i n t s n e disparurent
ni n e s ' a c h e v è r e n t a v e c le m a r t y r e d e Pierre Bernardino. P e n d a n t b i e n
des a n n é e s encore, e t j u s q u ' à la veille d e la R é f o r m e , prédicateurs e t
prophètes, s o u v e n t e n d e h o r s de la t r a d i t i o n savonarolienne, o n t c o n t i n u é
d'annoncer le f u t u r « r e n o u v e a u », l ' a v è n e m e n t d ' u n e ère n o u v e l l e de l a
Christianitas. Leur v o i x d e v a i t a c c o m p a g n e r la dernière crise d e la R é p u -
blique florentine et le naufrage c o m p l e t d e s espoirs des Piagnoni.

NOTES

1. Sur la situation religieuse de Florence à la fin du Quattrocento cf., à part la t r i s


yaste bibliographie savonarolienne, E . G A R I N , < Desideri di riforma nell'oratoria
del Quattrocento », dans Contributi alla storia del Concilio di Trento e della Contra-
riforma (Cahiers de Belfagor, I), Florence 1948, p. 1-11, réimprimé maintenant
dans La Cultura filosofica del Rinascimento italiano, Florence 1961, p. 166-182.
Voir également D. CANTIMORI, Eretici italiani del cinquecento. Ricerche storiche,
Florence, 1939, p. 10-17 ; A. CHASTEL, « L'Apocalypse en 1500, la fresque de l'Anté-
christ à la chapelle Saint-Brice d'Orvieto », dans Mélanges Augustin Renaudet (Bi-
bliothèque d'Humanisme et Renaissance, XIV), Genève, 1952, p. 124, 140, et du
même : < L'antéchrist à la Renaissance », dans Cristianesimo e Ragion di Stato,
l'Umanesimo e il demoniaco nell'arte. Atti del II Congresso intemazionale di Studi
umanistici (Rome, 1952), Rome-Milan 1953, p. 177-186.
2. Cf. A. W A R B U R G , « Heidnisch-Antike Weissagung in Wort und Bild zu Luthers
Zeiten », dans Gesammelten Schriften, Leipzig, 1 9 3 2 , t. I I , p. 5 1 2 - 5 1 4 ; L. T H O R N B I K E ,
A History of Magic and Experimental Science, t. I V , New York, 1 9 3 4 , p. 4 6 7 - 4 8 4 .
3. Les Prognostica de Middelbourg furent publiés à Anvers en 1484, toujours à Anvers
fut édité, en 1522 seulement, le Prognosticon d'Arquatio. Quant à ce dernier,
l'absence d'éditions antérieures et l'état de la tradition manuscrite ont fait suppo-
ser que la plupart de ses prévisions avaient été élaborées post eventum (cf. D . C A N T I -
MORI, Eretici italiani, op. cit., p. 18-21, et, maintenant E . G A R I N , La cultura filoso-
fica, op. cit., p. 484-485 qui donne des renseignements importants sur la formation
des « pronostications » d'Arquatio). Le Prognosticon de Lichtenberg f u t publié
à Heidelberg en 1488, et réimprimé à Wittemberg en 1527 avec une préface de
Luther.
4. Cf. S . I N F E S S U R A , Diario della città di Roma, éd. Tommasini, Rome, 1 8 9 0 , p. 261.
5 . Cf. La chronique siennoise d'Allegretto Allegretti dans L. A . M U R A T O R I , S.S.
X X I I I , 775, 680, 856.
6 . Cf. P . P I C C O L O M I N I , La vita e l'opera di Sigismondo, Tizio, Rome 1903, p. 122 et
suiv., et p. 144.
18
270 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

7. Dans M A R T Ê N E - D U R A N D , Vef. Coll. Scriptores, I I I , 1 1 5 2 .


8. Cf. P S E U D O - B U K L A M A C C H I , Vita del beato Ieronimo Savonarola, éd. Ginori Conti,
Florence, 1937, p. 20-21.
9. Sur Pietro Bernardo, ou Piero Bernardino, ou Bernardino de Fanciulli, cf. S C H N I T -
ZER, Savonarola, trad. italienne, Milan, 1931, t. II, p. 430, 457, 530, 533 et suiv.
Mais Schnitzer est porté à réduire l'action de Bernardino à un événement de peu
de relief, sans doute de crainte de faire jaillir quelque soupçon sur l'orthodoxie
absolue de Savonarole et du mouvement Piagnone. Cf. aussi L. VON P A S T O R ,
Storia dei papi, trad. italienne, t. III, Rome, 1959 (nouvelle édition), p. 187-189,
mais voir également C. H O E F L E R , « Analecten zur Geschichte Deutschlands und
Italiens, II : Italienische Zustände gegen Ende des XV. und in Anfange des XVI.
Jahrhundert » dans Abhandlungen der Historichen Klasse der Känigl. Bayerischen
Akademie der Wissenschaft, t. IV, 3 e partie, Munich, 1845.
10. Au sujet des Fanciulli, à part les travaux sur Savonarole de Villari, Schnitzer et
Ridolfi (Vita di Girolamo Savonarola, Rome, 1952, où toutefois on ne fait aucune
mention de Piero Bernardino), cf. « La vita di Giovanni da Empoli », dans Archivio
Storico Italiano, appendice, t. III, 1846, p. 22 et suiv. ainsi que L. L A N D U C C I , Diario
fiorentino dal 1450 al 1516, Florence, 1883, p. 126.
11. Epistola di Bernardino de Fanciulli della città di Firenze mandata a epsi Fanciulli
el di di sanclo Bernabò apostolo adi XI di giugno MCCCLXXVII, s.l.n.d. (Florence
Bartolomeo de Libri, 1500 ?). L'exemplaire consulté est celui de la Bibliothèque
nationale de Florence L. 6.22a.
12. Ibid., f» i.
13. Compendio di contemplatone nel quale si contemplano sepie contemplationi conforme
a sepie doni dello Spirito Sancto, s.l.n.d. (Florence, Antonio Tubini, après le 24 mars
1498) ; l'exemplaire consulté se trouve à la Bibliothèque Riccardiana de Florence,
n° 222. A ce sermon, tenu en plusieurs fois, était présent le chanoine Amerigo de
Medici, partisan acharné de Savonarole, châtié pour son intransigeance Piagnona
au mois de mars 1498 (cf. S A N E S I , Vicari e canonici fiorentini e il caso Savonarola,
Florence, 1932, p. 25-29, 33-37). Ce chanoine suivit par la suite Bernardino à la Miran-
dole ; beaucoup plus tard, en 1526, il se trouva impliqué dans un autre mouvement
sectaire, appelé les Capirossi (voirie ms. Strozzaino, VIII, 1398, f° 32-34). Au sermon
était également présent un prêtre Baldassarre de Pescia, à identifier probablement
avec un ecclésiastique qui, plus tard, devint l'homme de confiance de Lorenzo de
Medici auprès de la Curie romaine. Le sermon de Bernadino fut prononcé devant
la Compagnie de saint Laurent et, par conséquent, dans les maisons des Matrelli
à San Gervasio.
14. Predica di Pietro Bernardo da Firenze, inutile servulo di Jesu Christo et di tulli li fan-
ciulli di bona volontà, facta nel populo di Sane Lorenzo in chasa sua, dove erano adu-
nati huomini et fanciulli, Domenica prima Sepluagesima MCCCCLXXXXVIIII,
s.l.n.d. (Florence, Bartolomeo de Libri, 1500 ?). La copie consultée est celle de la
Bibliothèque nationale de Florence L.6.22b. Un exemplaire manuscrit du même
sermon se trouve dans le ms. Magliabechiano, XXXV, 202.
15. Cf. M. P E T R O C C H I , Una « Devotio moderna », nel Quattrocento italiano ì, Florence,
1961, p. 52-53.
16. Predica di Pietro Bernardo di Firenze, inutile servulo di Jesu Christo et di tutti
li fanciulli di buona volontà fada a Spugnole di Mugello, loco di Giovanni Pepi, adi
Il di marzo MCCCCLXXXXIV, s.l.n.d. (Florence, Bartolomeo de Libri, 1500 1).
L'exemplaire consulté est celui de la Bibliothèque nationale de Florence, L.6.22c.
1 7 . B. C E R R E T A N I , Istoria fiorentina (Bibliothèque nationale de Florence, ms. II,
III, 7 4 , f° 2 9 7 v et suiv.). Je reproduis le texte donné par L . VON P A S T O R , Storia dei
papi, trad. italienne, Rome, 1 9 5 9 (nouvelle édition), appendice 5 2 , p. 1 0 4 7 - 1 0 4 8 .
UNE SECTE HÉRÉTIQUE FLORENTINE : LES % OINTS » 271

18. P. PARENTI, dans SCHNITZER, Savonarola nach den Aufzeichnungen des Florentiners
Piero Parenti, Leipzig, 1910 (Quellen und Forschungen zur Geschichte Savonarolas,
IV), p. 302.
19. Incipit : Petrus Bernardus inutilis servulus Jesu Christi atque omnium puerorum
bone voluntatis, venerabili viro egregio decretorum doctori domino Jacobo Caniceo
parmensi... reverendissimi domini Archiepiscopi fiorentini in spiritualibus et tem-
poralibus vicario generali salutem sempiternam dicit et optai. Explicit : Sub die
XXX mensis septembris, anno graiie MCCCCC, in monte Olympa (Bibliothèque
nationale de Florence, ms. Magliabechiano, X X X V , 116, f° 73-75. Dans le même
manuscrit, aux f 0 69 v-72 v, on trouve une autre Epistola ai Fanciulli de Bernardino,
encore inédite).
20. Operecta dell'illustrissimo Signor Johanfrancesco Pico delle Murandola in defensione
della opera di Pietro Bernardo da Firenze, servo di Jesu Christo. A.M. Domenicho
Benjujeni fiorentino, amicho suo, mandata addi [lacune] settembre 1501, ibid.,
f» 104-116. L'Operecta a été éditée par P. Cherubelli dans une publication à l'occa-
sion d'un mariage (Florence, 1943).
21. Sur la mort de Bernardino voir ce qu'en dit le dominicain savonarolien Luca
Bettini, un autre réfugié de la Mirandole : cf. A. GIORGETTI, « Fra Luca Bettini »,
dans Archivio Storico Italiano, t. L X X V I I , 1919, cahiers 3-4, p. 222 : Item dicitur
quod quidem Petrus Bernardus de hisdem criminibus damnatus est. Quod etiam falsum
esse apparet ex processu et confessione et etiam sententia ejusdem, quibus non de
hœresis et scismatis sed de sodgomiœ crimine damnatus probatur. Habentur autem
scriplurœ hujus Mirandulse apud comiiem ubi combustus fuit propter taie crimen.
Il est à remarquer que Bettini entend écarter le moindre soupçon d'hérésie de
la tradition savonarolienne. D'autres renseignements encore dans les études du
savant mirandolien. F. CERETTI, dans Memorie storiche della citta e ducato della
Mirandola, 1872-1877. Un témoignage précis sur le lieu de la mort de Bernardino
se trouve dans Francesco VETTORI, Viaggio in Allemagna, Paris, 1837, p. 16.
Pendant sa détention à la Mirandole, Bernardino composa un Commento al Salmo
XVIII : Psalmo esposto per Pietro Bernardo di Firenze, servo imprigionato di
Christo alla Mirandola, mentre ere in prigione (Florence, Antonio, Tubini, 1502 ?
mais certainement pas 1500, comme l'affirme le Gesamtkatalog der Wiegendrucke
au n° 3892). L'exemplaire que nous avons consulté se trouve à la Bibliothèque
nationale de Florence, fonds Landau-Finaly, n° 45.
A. BORST

LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE
AU MOYEN AGE

Dans ce colloque qui est à la recherche d'une « métaphysique expéri-


mentale » de l'hérésie, la question de la transmission est aussi importante
qu'inquiétante. Car elle ne se fait pas dans la sphère des notions abstraites
de l'hérésie, mais dans la réalité toujours confuse des hérétiques. Comment
la mettre en ordre ? Au Moyen Age, la transmission de l'hérésie n'était
pas un processus mécanique ni pathologique; quelque contagieuse que
fût l'hérésie, elle ne se transmettait pas par le seul contact, mais seulement
dans certaines conditions historiques et sociales. L'hérésie ne provenait
pas, à mon avis, de l'état social, mais elle a agi sur lui, et elle en a dépendu.
Elle se servait des cadres sociaux que l'on connaissait à l'époque, et
l'hérésie elle-même se transformait avec les changements de ces cadres.
Selon les circonstances historiques du degré d'organisation et des étapes
successives, il est possible de distinguer trois aspects différents de la
diffusion de l'hérésie médiévale : la communication entre les individus
et les groupes d'une même époque ; la filiation de groupes, ici la parenté
d'une secte postérieure avec une secte antérieure ; et la tradition d'opi-
nions au sein d'un même groupement d'une génération à l'autre. J e me
bornerai aux hérésies dites populaires du haut Moyen Age parce que ce
sont celles que je connais le mieux.
La première forme de transmission, la communication entre les indi-
vidus et les groupes d'une même époque, me semble être la transmission
la plus répandue dans les hérésies populaires du Moyen Age. C'était déjà
l'impression des adversaires ecclésiastiques au 12e et au 13e siècle, lors-
qu'ils disent des hérétiques : Species quidem habent diversas, sed caudas
adinvicem colligatas.1 Mais cette cohésion n'était point un nœud serré,
mais plutôt un contact d'un cas à l'autre. On échangea des dogmes
savants ou des rites liturgiques; on adopta des structurations sociales,
mais aussi des préjugés sociaux. On fit des emprunts même chez des
ennemis mortels. Au début du 11e siècle, les hérétiques semblent reprendre
quelques pratiques des moines occidentaux et peut-être aussi quelques
dogmes des bogomiles balkaniques. Au début du 12e siècle, le mou-
vement hérétique pour la pauvreté évangélique se rattacha à la Réforme
grégorienne de l'Eglise catholique; les premiers hérétiques étaient des
prêtres et moines catholiques, comme Pierre de Bruis, Henri dit de Lau-
sanne, Arnaud de Brescia. Plus tard aussi les extrêmes se touchent :
274 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

vaudois et cathares, cathares et catholiques. Les vaudois protestaient


contre les cathares, mais ils copièrent bientôt leur séparation des perfedi
et dés credentes, leur imposition des mains et leur fraction du pain ; enfin
nous trouvons chez les vaudois italiens un dogme des cathares contem-
porains : la désunion dualiste entre l'esprit et le corps et, en conséquence,
la répulsion envers le mariage. Quoique la récusation de l'état du clergé
catholique f û t commune à tous les hérétiques, ils s'appropriaient partout
des dogmes et des coutumes catholiques. Dans le cercle italien de Jean
de Lugio, vers 1230, les cathares se laissaient encourager à écrire de la
scolastique en latin sur leur foi et à prendre des opinions catholiques, par
exemple en christologie. On pourrait accumuler ces exemples ; ce qui est
plus important, c'est que ces transmissions par la communication ne
concernent, en général, que des parties isolées de convictions religieuses
ou sociales. Pour le reste, les différences sont grandes, mais elles sont
fluctuantes aussi. Même dans les cellules sociales les plus petites on voit
que l'attitude de l'hérétique est individualiste et entêtée. Dans une
famille noble du Midi de la France, au début du 13e siècle, le mari était
cathare, la femme vaudoise ; dans une autre famille du Midi l'un des
frères était cathare, l'autre, moine franciscain. 2 Après 1250 une Summa
contra Catharos italienne dit : Fere tôt [secte] sunt, quot sunt ibi homines.3
Ces hommes ne recherchaient pas la pensée pure et systématique, mais
l'amalgame d'opinions vivantes, même savantes, vulgaires ou supersti-
tieuses. Peut-être l'obstination fait-elle partie de l'hérétique (comme de
quiconque est convaincu de posséder la seule vérité) ; en tout cas la
fluctuation fait partie de l'hérésie médiévale ; les hérésies ne sont pas des
sociétés fermées, et quant elles le deviennent, elles perdent leur efficacité.
Elles sont des sismographes de leur moment historique. Cette interdé-
pendance de l'hérésie et de son époque se démontre en outre par le fait
que, à certaines périodes, avant l'an mil et depuis le 13 e siècle, il n'y a
pas d'hérésies nouvelles et actives à grande expansion, tandis que, à
d'autres moments, comme au début et à la fin du 12e siècle, plusieurs
hérésies prospèrent simultanément.
La deuxième forme de transmission était la filiation de groupes, c'est-à-
dire la parenté d'une secte postérieure avec une secte antérieure. Au
Moyen Age cette filiation n'était ni typique ni normale ; car les hérétiques
étaient tout d'abord des individus et non des groupes, et ils préféraient
être originaux plutôt que traditionnels. Déjà les premiers hérétiques du
Moyen Age occidental, vers l'an mil, se retournaient contre cette grande
communauté traditionnelle, l'Eglise catholique. En t a n t qu'individu, le
paysan champenois Leutard ne voulait reconnaître d'autre autorité que le
preceptum evangelicum, et pour ses contemporains cette réforme f u t une
révolution. * Au contraire, c'étaient les adversaires ecclésiastiques qui
tentaient d'intégrer ces novi hxretici dans une vieille tradition de grou-
pements hérétiques, de préférence dans celle des manichéens. Guibert
LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 275

de Nogent écrit au sujet de l'hérésie découverte en 1114 dans le village


de Boucy-le-Long près de Soissons : Si relegas hœreses ab Augustino
digestas, nulli magis quam Manichxorum reperies convenire. Quse olim
cœpta a doctioribus, residuum demisit ad rusticos, qui vitam se apostolicam
tenere jactantes, eorum actus solos legere amplectuntur. ' Les hérétiques
eux-mêmes prétendent avoir une seule source écrite, le Nouveau Testa-
ment; mais leurs adversaires les placent dans une tradition littéraire
qui a une histoire et même une sociologie : cœpta a doctioribus, demissa ad
rusticos ; et cela a commencé avec les manichéens. De même, vers 1260,
l'inquisiteur italien Anselme d'Alexandrie rapporte ainsi les origines des
cathares : In Persia fuit quidam qui vocabatur Mânes... Et docuit in
partibus Drugontie et Bulgarie... Postea Francigene iverunt Constantino-
polim, ut subjugarent terram, et invenerunt istam sectam... redierunt ad
propria et predicaverunt. « Mais justement, dans ce cas, nous avons un
exemple d'authentique filiation, à savoir la transmission du dogme et du
culte bogomile (et non manichéen) des Balkans aux cathares de l'Occident.
Lors de leur première apparition en Occident, à Cologne en 1143, les
nouveaux cathares insistent sur le fait qu'ils possèdent une tradition
historique et une organisation sociale. Ils disent de leur secte : occultatam
fuisse a temporibus martyrum (ce serait donc depuis le 3 e siècle) et perman-
sisse in Grxcia et quibusdam aliis terris.7 Mais ces cathares non plus n'ont
pas seulement recueilli l'héritage des bogomiles, même lorsqu'ils l'ont
voulu. Car cette transmission des bogomiles aux cathares n'était pas
l'affaire des théologiens de l'hérésie, mais celle des laïcs, des croisés nobles
(iverunt Constantinopolim ut subjugarent terram) et des marchands bour-
geois (iverunt Constantinopolim causa mercacionis).8 A l'origine du mou-
vement cathare, ce sont des laïcs exerçant une profession qui nous sont
mentionnés : des scribes, fossoyeurs, journaliers ou paysans. Bernard de
Clairvaux écrit au sujet des premiers cathares que, à côté des tisserands
ignorants, on trouve des nobles et des ecclésiastiques de haut rang. '
L'hérésie cathare atteint donc toutes les classes sociales entre 1140 et 1170,
et cela, dans la mesure où ses exigences n'étaient pas de nature sociale,
mais religieuse. En conséquence, ces hérétiques modifiaient ce qu'ils
transportaient, de la secte dualiste au mouvement évangélique.
La troisième forme de transmission était la tradition d'opinions
au sein d'un même groupement d'une génération à l'autre. Cette trans-
mission est également rare dans les hérésies médiévales ; car peu d'entre
elles survécurent à une deuxième génération. Au début du 12e siècle, la
plupart des hérésies existaient seulement jusqu'à la mort du chef, dont
elles portaient le nom. Après le décès de leurs fondateurs ces Petrobrusiani,
Henriciani et Arnoldistse disparurent rapidement de la réalité historique.
L'hérésie ne pouvait guère être catéchisée ni transmise qu'après s'être
dogmatisée et détachée de ses fondateurs, c'est-à-dire, dans une seconde
phase. Cette tradition secondaire dépend d'une organisation sociale, elle
276 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

se fait par la hiérarchie dans une secte constituée. Voici un exemple.


En 1167 un hiérarque bogomile (ou, si vous le voulez, paulicien), l'évêque
Niketas de Constantinople, vint chez les cathares d'Italie et de France
pour fixer leur unité de doctrine et pour organiser leurs évêchés ; cette
dogmatisation et structuration fut couronnée par le concile cathare de
Saint-Félix-de-Caraman près de Toulouse. La transmission de l'hérésie se
sert seulement ensuite d'écoles et d'écrits. Pour les cathares, dès 1163, des
dodores et scholae hxreticorum sont attestés. 10 Alors, on trouve parmi
les cathares les litterati et scolares, et quelques-uns sont envoyés par leur
secte à l'université de Paris par exemple, logicis cavillacionibus... etiam
theologicis dissertationibus insudantes.11 Cette érudition hérétique fonda
une tradition littéraire ; vers 1190 les cathares se procuraient l'apocryphe
bogomile Interrogatio Johannis en latin. Dès lors ils se raccrochèrent à
des théories anciennes, ils citèrent Aristote et le Liber de causis. Cette
seconde phase est caractérisée par une limitation plus sévère à certaines
couches sociales ; ce sont les couches moyennes qui prennent une impor-
tance décisive. La limitation va de pair avec la méthode du recrutement
pour la secte. Par exemple : les cathares gagnaient de nouveaux adeptes
par les croyants anciens ; un credens convaincu allait voir un de ses amis
ou voisins et dixit ei, quod duo homines erant in domo sua et volebant loqui
cum eo. Ces deux hommes étaient des perfecti cathares qui essayaient alors
d'attirer le voisin dans une conversation particulière. 12 II est évident
que, de la sorte, les nouveaux adeptes devaient venir des mêmes couches
sociales que leurs coreligionnaires. Aussi le rôle que les mères eurent dans
la transmission de l'hérésie est significatif de cette limitation sociale. De
bonne heure, on trouve des femmes chez les hérétiques, mais comme propa-
gandistes itinérantes plutôt que dans la sphère familiale. Mais dans cette
seconde phase, l'hérésie s'hérite souvent dans les familles. Un cathare
déclare en 1256 à Toulouse devant l'inquisiteur que sa mère l'avait
exhorté dix-huit ans auparavant, ut diligeret bonos homines scilicet here-
ticos.13 Plus tard les mères apportaient leurs enfants âgés de deux ans
aux perfecti pour les faire admettre dans la secte. » Cette influence de la
famille conduit également à une fixation et à une limitation sociale. Pour-
tant elle n'était pas obligatoire ; même une secte constituée recevait des
nouvelles impulsions de l'extérieur. La secte cathare, avec sa tradition
solidement établie, connut au moins deux fois, vers 1190 et vers 1230,
des remaniements fondamentaux d'ordre religieux et social.
Tout compte fait, l'hérésie médiévale me semble partir d'exigences
religieuses de certains individus ; elles sont reprises par leur société, mais
ne trouvent une place assurée dans la structure sociale qu'à une phase
postérieure, à savoir au moment où l'activité religieuse des hérétiques
baisse. Mais, bien que l'on puisse parler d'une phase primaire religieuse
et d'une phase secondaire sociale de l'hérésie médiévale, la société reste
tout de même inséparable de ses mouvements religieux. Peut-être que le
LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 277

cadre de ces hérésies, le Moyen Age en soi, était moins stable dans sa vie
religieuse et sociale qu'il n'apparaît depuis la Réforme luthérienne et le
concile tridentin ; quant aux hérésies du Moyen Age il reste au moins que
leur transmission était rapide, mais éphémère, que leur vie était courte,
mais intense. A mon avis, cette intensité brutale et radicale, cette tenta-
tive de réaliser une idée religieuse sans le secours initial d'institutions
sociales, a contribué à la nécessité de redéfinir toujours de nouveau l'inter-
dépendance de la pensée et de la réalité, du Moyen Age à nos jours.

NOTES

X. Innocent III, épftres I, 94 ; I, 162 ; I, 509 ; II, 1 de 1198 et 1199 (MIGNE, P.L.,
t. CCXIV, col. 82, 143, 472, 537). La même comparaison d'après Juges XV, 4-5,
se trouve chez Etienne de Bourbon : A. LECOY DE LA MARCHE, Anecdotes historiques,
légendes et apologues tirés da recueil inédit d'Etienne de Bourbon, dominicain du
13 e siècle, Paris, 1877, p. 278.
3. C. DOUAIS, Documents pour servir à l'histoire de l'Inquisition dans le Languedoc
t . II, Paris, 1900, p. 102, 109. Parmi les sœurs du comte Raymond-Roger de Foix
l'une, Esclarmonde, était cathare, l'autre, Cécile, vaudoise.
3. Summa contra Calharos (Codex Vaticanus latinus, 4255, f° 66 v).
4. Raoul GLABER, Les cinq livres de ses histoires, éd. M. Prou (Collection de textes),
Paris, 1886, livre II, chap. X I , p. 49.
5. GUIBERT DE NOGENT, Histoire de sa vie, éd. G. Bourgin (Collection de textes),
Paris, 1907, livre III, chap. X V I I , p. 213. Cf. A. BORST, Die Katharer, Stuttgart,
1953, p. 251-252.
6. ANSELME D'ALEXANDRIE, Tractatus de hereticis, éd. A. Dondaine (< La hiérarchie
cathare en Italie », dans Archivum Fratrum Prœdicatorum, t. X X , 1950, p. 308-
324, ici p. 308).
7 . E V E R V I N DE S T E I N F E L D , Epistola 4 7 2 ad Bernardum ( M I G N E , P.L., t. C L X X X I I ,
col. 679).
8. ANSELME D ALEXANDRIE ( c f . n o t e 6), p . 3 0 8 .
9 . B E R N A R D DE CLAIRVAUX, Sermones i n Cantica 6 5 et 6 6 ( M I G N E , P.L., t. C L X X X I I I ,
c o l . 1 0 9 2 , 1 1 0 1 - 1 1 0 2 ) . C f . H E R I B E R T U S MONACHUS, Epistola de hœreticis Petragoricis
( M I G N E , P.L., t . C L X X X I , col. 1722).
1 0 . E C K B E R T DE SCHÖNAU, Sermones contra Catharos, X I , 1 ( M I G N E , P.L., t. CXCV,
c o l . 8 4 ) . C f . A . BORST, Die Katharer, p. 107.
11. MATTHÄUS PARISIENSIS, Chronica majora, a d annum 1243 (Rerum Britannicarum
Medii Mm scriptores, t. LVII, 4, p. 271).
1 2 . C . D O U A I S , op. cit., p. 259.
13. M. BELHOMME, « Documents inédits sur l'hérésie des Albigeois », dans Mémoires
de la Société archéologique du Midi de la France, t. VI, 1852, p. 101-146, ici p. 144-145.
14. PH. VAN LIMBORCH, H istoria Inquisitionis, Amsterdam, 1692, p. 190, 230.
C f . A . B O R S T , Die Katharer, p. 217.
DISCUSSION

B. C E R E M E K . — Je voudrais dire quelques mots de l'importance pour la


transmission des hérésies des routes, d'abord comme pôles d'attraction
dans la phase d'expansion des hérésies, puis de répulsion lors des persécu-
tions. La route avait un équipement matériel et d'abord la taverne.
Dans la déposition de frère Antoine, de 1387, concernant la Lombardie
nous trouvons à peu près sur 140 individus dont on donne la profession,
25 taverniers. Après les taverniers, les forgerons, dont l'importance a été
soulignée par L. Febvre, puis les meuniers. Il y a aussi la population des
routes et tout d'abord les yirovagi parmi lesquels on trouve beaucoup
d'ermites, et, tout aussi importants, les prédicateurs errants. Parmi la
population laïque : les paysans, les ouvriers ambulants, les mendiants et
aussi les marchands ambulants, surtout les fripiers et les merciers. Donc
un milieu social qui n'est pas homogène, une population anarchique aux
marges de la société, mais dont le rôle dans la propagation des idées héré-
tiques est essentiel. Mobilité des intermédiaires et par conséquent mobilité
de l'hérésie.

Mlle C . T H O U Z E L L I E H . — Pour compléter l'énumération de M . Geremek


on pourrait encore citer les tisserands comme métier signalé par saint
Bernard dans le Languedoc, et aussi en Flandre.
A propos des ermites gyrovagues, M. Obolensky a signalé l'influence
des pèlerinages de ces moines en Italie.

J . L E G O F F . — Je vous avoue que je suis assez sceptique sur le rôle des


tisserands en tant que corps de métier jouant dans l'hérésie un rôle impor-
tant. Effectivement, nous avons des textes qui nous donnent le mot de
tisserand. Mais cela vient, je crois, du fait que beaucoup d'hérétiques vivaient
du travail de leurs mains et qu'une des occupations qu'ils adoptaient après
être devenus hérétiques ou dans le milieu hérétique d'origine était le tissage.
Ce n'est qu'une hypothèse.

R. M A N S E L L I . — Je voudrais mettre l'accent sur le problème des tisserands,


des textores dont ont parlé Mlle Thouzellier et M. Le Goff.
Il est probable qu'un rapport a existé entre tissage et hérésie : en effet
un mouvement religieux qui a des liaisons probables avec le catharisme,
celui des humiliés, est rattaché au tissage de la laine.
Enfin je voudrais distinguer entre transmission des idées dans un groupe
et évolution des idées ; le catharisme des premiers temps n'a pas de base
théologique, aucun dogme n'a été fixé ; il se transmet oralement ; il se peut
qu'il ait connu une évolution indépendante du passage d'une génération
à l'autre.
LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE AU MOYEN AGE 279

L a transmission entraîne une modification qui ne dépend pas seulement


du milieu, mais aussi de l'évolution interne du catharisme.

J. SÉGUY. — La détermination par les métiers me parait ambiguë : on


trouve de nombreux meuniers anabaptistes, mais dans des moulins situés
à l'écart des villages; de même, de nombreux anabaptistes, au 17e et au
18e siècle, sont tisserands, mais précisément pour s'éloigner des villes.
A u Moyen Age au contraire, la plupart des moulins sont liés à une agglo-
mération.

B. BLUMENKRANZ. — Ce moulin est un lieu de rencontre, même si le meunier


recherche la solitude.

H . GRUNDMANN. — Les tisserands ne devinrent pas hérétiques mais les


hérétiques devinrent tisserands. De même, ce ne sont pas les routes qui font
les hérétiques mais les prédicateurs hérétiques qui se rendent sur les routes.
Je tiens ensuite à montrer que l'étude de la structure sociale des vaudois
s'avère plus aisée que celle des cathares, moins constants et plus mobiles ;
parce qu'elle s'appuie sur les nombreux interrogatoires des inquisiteurs.
Il demeure toutefois très difficile d'étudier la tradition à l'intérieur des
sectes. D'ailleurs cette tradition varie selon les sectes. Je ne connais aucun
écrit cathare qui ait été lu par les générations postérieures. A u contraire,
la tradition catholique de lutte contre l'hérésie s'inscrit dans une continuité.
Nous avons ainsi une tradition d'hérésiologie qui remonte à saint Augustin
et traverse tout le Moyen Age. Jusqu'au 12e siècle on s'est contenté de
renouveler les anciens catalogues sans tenir compte des nouvelles hérésies.
Un changement s'opère au 12 e et au 13 e siècle : on compte les sectes et
les différents groupes à l'intérieur des sectes. Dès lors, l'Église a toujours
cherché à penser les nouvelles hérésies avec ces anciens schémas. On interro-
geait les hérétiques avec des formules inadéquates et toujours identiques.
On perçoit ainsi une tradition constante de la littérature hérésiologique.
Bref, y a-t-il une tradition littéraire à l'intérieur de l'Église qui est ensuite
appliquée aux cas particuliers d'hérésie ou bien sommes-nous en présence
d'une tradition à l'intérieur des hérésies ? Chez les cathares existe cette
tradition orientale.

B. GEREMEK. — Je n'ai pas évoqué ici l'origine des idées, mais leur diffu-
sion. E t pour la diffusion, je crois que les routes sont d'une importance
très grande.

R . MANDROU. — Je crois qu'il est important de mettre en avant l'idée


de mobilité sociale car, dans une société qui évolue évidemment comme
toute société, mais qui évolue assez lentement au Moyen Age, il me semble
qu'il y a une très grosse différence entre les structures sociales tradition-
nelles et les milieux qui, eux-mêmes, se déplacent physiquement. Je ferai
une comparaison avec le 18e siècle en citant Labrousse. Étudiant la crise
de l'économie française, Labrousse a montré que le vigneron, au milieu des
autres paysans, est nécessairement quelqu'un qui se déplace et connaît
280 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

ainsi les idées qui sont en mouvement à l'époque. Or, si nous prenons les
exemples qui nous ont été donnés tout à l'heure, que ce soit le meunier,
que ce soit le forgeron ou le tisserand, nous avons toujours à faire à des
métiers qui, par définition, impliquent des déplacements, une circulation
physique des hommes, plus favorable que tout autre à la circulation des
idées. Il y a dans l'ensemble de la société médiévale des milieux qui sont
plus mobiles que d'autres et je crois que ce sont ces milieux-là que nous
allons retrouver chaque fois que nous parlerons de la transmission des
hérésies.
R. MANDROU

LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE
A L'ÉPOQUE MODERNE*

...Immense sujet, qui mériterait un ou plusieurs livres, plutôt qu'une


brève communication de colloque. Aussi bien ne sera-t-il question ici que
de proposer quelques thèmes de réflexion, quelques problèmes sur lesquels
argumenter, sans s'égarer ni dans les évidences, ni dans les détails de mai-
gre signification.
Une image peut nous servir de point de départ : lorsque au début de
1517, Luther, moine parmi d'autres moines, maître ès arts, docteur en
théologie, pratique l'exercice universitaire par excellence, la disputatio,
il use encore des formes médiévales de transmission hérétique : ainsi le
26 avril 1517 contre Carlstadt ; et encore le 4 septembre contre Gunther
de Nordhausen... Mais, lorsqu'il affiche le 31 octobre de la même année
les fameuses 95 thèses pro declaratione virtutis indulgentiarum, et que cette
feuille, aussitôt imprimée, reproduite à centaines d'exemplaires, se trouve
répandue et bientôt discutée en vingt endroits différents et à cent lieues
de Wittemberg, nous sommes bien alors en présence de la forme moderne
de transmission de l'hérésie.
Sans doute n'irons-nous pas jusqu'à prétendre que les succès de la Ré-
forme sont les succès d'un moyen de diffusion nouveau, employé très lar-
gement par les hérétiques du 16 e siècle ; d'abord parce que nous savons
bien qu'au Moyen Age aussi, circulèrent des «thèses», manuscrites ; et que
l'écrit a joué son rôle — dans une dimension toute différente cependant — ;
ensuite parce que le « terrain » est aussi en cause : l'Allemagne de la guerre
des paysans, la France de François I e r et de Henri II ne sont pas iden-
tiques à l'Allemagne qu'a connue Jan Huss, à la France des cathares ;
et puis les doctrines elles-mêmes ont leur place dans ce jeu.
Cependant le rôle nouveau de l'imprimé dans la transmission de l'héré-
sie nous paraît suffisamment important pour légitimer d'une part une
présentation des types principaux d'imprimés qui ont fait leur appari-
tion au 16e siècle, d'autre part une esquisse des principales conséquences
que comporte cette novation.

* Cette communication est l'homologue de celle consacrée par le professeur Borst


à la transmission de l'hérésie médiévale (cf. p. 273) ; elle est construite en partie en
fonction de celle-ci ; le lecteur aura donc avantage à rapprocher ces deux textes.
282 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Les types d'imprimés


L'imprimé est u n instrument essentiel de la « propagande » hérétique,
à partir du 16e siècle : une bonne preuve en est fournie par les listes de
persécutions : en 1535, dans la première répression française figurent trois
imprimeurs, un libraire, deux relieurs... La bibliographie des chefs héré-
tiques constitue une démonstration meilleure encore. 1
Tout hérésiarque moderne imprime ; le « fauteur » d'hérésie médiévale
écrit, mais surtout parle, s'adressant à u n petit nombre de disciples, et
moins fréquemment à des foules. Le chef d'hérésie moderne a un public
infiniment plus vaste, grâce à l'imprimé.
Un exemple entre cent : voici au milieu du 16e siècle, aux Pays-Bas,
la secte peu nombreuse de la Famille de la charité. Elle a d'abord à sa
tête David Joris, de Bruges, qui publie en 1542 son Wonderbock (Livre
des Miracles), encore réédité chez Plantin dans les années 1584-1590. Son
successeur Hendrick Niclaes a publié aussi un gros livre (de 700 pages)
en 1556, le Spéculum Justitix, également réédité à la fin du siècle. Or tous
ces hérésiarques, passés à la postérité par un ou deux titres, n'ont pas été
les hommes d'un seul livre. David Joris a signé plus de 250 ouvrages, d'im-
portance inégale, depuis le simple pamphlet de quelques pages, jusqu'au
gros in-folio dogmatique.

Trois types d'imprimés ont été utilisés simultanément par les hérétiques
(et leurs adversaires) : d'abord l'ouvrage, que nous pouvons appeler savant :
traductions du Nouveau et de l'Ancien Testament en langue vulgaire, com-
mentaires des Pères de l'Eglise, réfutations théologiques, c'est l'énorme
masse des écrits doctrinaux, que rassemblent aujourd'hui encore les mains
pieuses des héritiers spirituels : pensons aux cent volumes des œuvres
de Luther dans l'édition d'Erlangen, aux cinquante-huit tomes de Calvin
dans l'édition de Brunswick ; pesants in-folio ou in-quarto, ces instruments
de la discussion théologique ont constitué pendant des siècles la partie
la plus connue (au moins par ses titres) de la « propagande » hérétique.
Controverse d'ailleurs entrée pour ainsi dire dans les habitudes des dis-
puteurs, puisqu'elle s'est maintenue longtemps après l'apparition des
hérésies du 16e siècle : faut-il rappeler sur ce point, dans la seconde moi-
tié du 17e siècle, maintes histoires du papisme, ou encore le célèbre ou-
vrage de Claude contre Nicole, défense des réformés en réponse aux at-
taques d'un bouillant janséniste? 2
Beaucoup moins connu est le libelle qui nous paraît l'instrument par
excellence de la diffusion populaire des « idées nouvelles ». Alors que l'ou-
vrage de théologie est un livre relié, lourd et cher, et qui ne peut être acheté
que par des gens riches, le petit livret de quelques pages, liées ensemble
par un simple cordon, mal imprimé sur un méchant papier, est destiné
à une autre clientèle : moins exigeante peut-être sur le plan de la doctrine,
LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE A L'ÉPOQUE MODERNE 283

mais ce ce n'est pas sûr ; en tout cas capable de se contenter d'une démons-
tration et d'affirmations rapides.
Ce que fournit habituellement ce petit livre bon marché : il est tantôt
un exposé sommaire d'un point de doctrine, d'un article de catéchisme ;
le 28 juillet 1534 est arrêté à Rouen un imprimeur Jehan de Bourges, cou-
pable d'avoir mis en vente un libelle de quelques pages intitulé La doc-
trine nouvelle, exposé succint du luthéranisme.
Tantôt, le libelle traite d'un problème d'actualité politico-religieuse :
c'est évidemment le cas principalement pendant nos guerres de religion,
et surtout entre 1584 et 1610. Le Journal de l'Estoile est ici bon témoin :
voici notre bourgeois parisien qui achète le 27 juin 1607 un « méchant
petit livret », intitulé Taxes des parties casuelles de la boutique du Pape,
imprimé à Lyon en 1564 ; il ajoute : « il y avait longtemps que j'en cher-
chais un pour remettre en la place de celui que je brûlai à la Saint-Bar-
thélémy, craignant qu'il me brûlât ». Deux jours plus tôt, il a noté dans
son livre, qu'il possède au total 53 libelles traitant de l'interdit de Venise,
dont 19 sont en italien et en double. 3
Enfin, le libelle peut être aussi, très souvent, un recueil de chants :
« psaumes de David translatés par Clément Marot », chansons polémiques
écrites dans le feu des combats à l'heure de la Ligue. 4
Petit psautier, pamphlet, ou recueil doctrinal, le libelle est tout autant
que l'ouvrage savant entré dans la tradition des hérésiologues. La vigi-
lance des autorités, judiciaires ou ecclésiastiques, s'exerce encore long-
temps à l'égard des « fauteurs de libelles ». Un seul exemple : en 1705, le
parlement de Paris prononce un arrêt ordonnant «la suppression du li-
belle intitulé De la Correction fraternelle ou de l'obligation d'empêcher le
mal d'autruy quand on le peut, et défenses à tous imprimeurs et libraires
de l'imprimer, vendre et débiter ». 5
A l'heure actuelle, il n'existe pas, à notre connaissance, d'enquête sys-
tématique entreprise pour recenser cette littérature anonyme, souvent
difficile d'accès dans les bibliothèques, et surtout pour en étudier les thèmes,
les mots d'ordre : tâche essentielle pour prendre la juste mesure de la
diffusion des doctrines hérétiques.
Troisième forme enfin d'imprimé hérétique : le placard, bien connu au
moins pour quelques moments décisifs (Wittemberg, Amboise) ; en fait,
l'affiche apposée de nuit en bonne place (carrefour, porche d'une église,
maison de ville) a été d'emploi constant pendant toute l'époque moderne,
sans désemparer. Les archives judiciaires sont partout riches de pour-
suites contre ces insolents placardeurs qui offrent en pâture aux badauds
les formules provocantes d'une vérité nouvelle.
Les exemples en pulluleraient pour la seconde moitié du 16 e siècle. Mais
voici, dans le premier quart du 17e, deux cas fort typiques : en 1623, le
parlement de Dijon s'émeut fort : « le premier président met sous les yeux
des chambres assemblées u n maudit et détestable placard trouvé au coin
284 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

d'une rue de la ville, rempli d'une méchante et damnable instruction de


la secte des illuminés écrite en lettres bâtardes. Il est décidé de ne point
faire d'éclat, mais que chacun des Messieurs en particulier s'enquerra des
auteurs de cette affaire, afin de frapper coup sans exception de personne ». «
L'année suivante, le Mercure Français commente à plusieurs reprises
l'apposition d'affiches Rose Croix en plusieurs carrefours parisiens, et
reproduit même les textes de ces placards, notamment les six lois de la
fraternité : « Nous députez du collège principal des Frères de la Rose Croix,
faisons séjour visible et invisible en cette ville, par la grâce du Très Haut,
vers lequel se tourne le cœur des justes... » 7
Le placard peut être évidemment une convocation à réunion, voire à
controverse, tant qu'a été gardée l'espérance de persuader ou de confondre
l'adversaire : en 1643, le parlement de Paris doit interdire une disputatio
entre catholiques et réformés, organisée par maître François Veron,
docteur en théologie, avec la participation de « ministres ».4

Tels sont les moyens, nouveaux essentiellement par leur masse, que
l'imprimé met à la disposition de l'hérésie moderne : ils n'excluent évidem-
ment pas (au contraire ils appuient) la transmission de bouche à oreille,
la diffusion obscure, presque souterraine des idées hérétiques par les
« obscurs prédicateurs itinérants, prédicants secrets », qui constituent la
piétaille du prosélytisme hérétique. Ils n'excluent pas plus, nous venons
de le voir, les formes savantes de discussions orales, dont les érudits et les
honnêtes hommes de l'époque moderne restent friands. Du moins cette
rapide présentation nous autorise-t-elle maintenant à dégager brièvement
quels traits nouveaux présente la transmission de l'hérésie moderne.

Innovations de transmission : dans l'espace et dans le temps

A l'actif de l'imprimé, il convient de placer en premier lieu, me semble-t-il,


la rapidité avec laquelle s'est faite la diffusion géographique de l'hérésie :
dans l'Allemagne de Luther, entre 1517 et 1520, comme dans la France
de Calvin, entre 1536 et 1547, la démonstration n'est plus à faire. Il serait
sans doute abusif de prétendre que l'hérésie médiévale répandait sa
chaleur comme brandon sous la cendre (hussites et cathares semblent bien
avoir proliféré assez vite) ; il est hors de doute par contre que la propa-
gation de l'hérésie moderne s'est faite comme flambée de bois bien sec.
Les cartes, qui ont été esquissées ici et là », de l'implantation protestante
en France en fournissent une bonne illustration ; par le Nord et par l'Est,
le royaume est investi jusque dans ses provinces méridionales, enserrant
le Massif Central dans une vaste tenaille, en l'espace d'une longue décennie :
le premier «refuge» de Genève (1549-1560) tel que nous l'avons carto-
graphié 10 offre la frappante image de cette célérité.
Il paraît par contre assez évident que l'imprimé n'a pas joué un rôle
LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE A L'ÉPOQUE MODERNE 285

décisif dans la diffusion sociale de l'hérésie. Sans doute certains imprimés,


les libelles notamment, nous semblent-ils particulièrement destinés à un
public populaire ; pourtant, sur ce plan, l'hérésie moderne présente les
mêmes caractères que l'hérésie médiévale : d'une part les femmes y jouent
toujours un rôle décisif, que les observateurs ont noté sur le vif : elles
« se meslent de faire l'office du culte », prenant la Bible et la commentant
en l'absence du ministre, constate Florimond de Raemond.11 Elles ont
été si nombreuses partout à agir efficacement en faveur de la religion
nouvelle 1 Qu'il suffise de citer à propos de cette présence féminine l'article
posthume de Lucien Febvre sur « Les aspects méconnus d'un renouveau
religieux en France » ia , ou encore la note de Jean-Jacques Hémardinquer
au congrès des Sociétés savantes de 1959 sur le rôle des femmes dans la
réforme en Dauphiné.18
De même, n'est pas nouveauté l'importante place tenue par les laïcs
de toutes les classes sociales, mais surtout par la gent « méchanique »,
depuis bien longtemps soulignée par Henri Hauser et Lucien Febvre.
Chacun connaît, pour la France, les cardeurs, tisserands, foulons de
Meaux, ou encore l'énumération de Florimond de Raemond : «maçons,
charpentiers, contreporteurs, quincailleurs ». Lorsque N. Weiss étudie les
commencements de la Réforme en Normandie, entre 1523 et 1547", il
trouve, pour hanter les caves et lieux secrets où se transmet la foi nou-
velle, des moines, bien sûr, augustins et cordeliers, mais aussi des impri-
meurs, des colporteurs et des médecins, et des tisserands, savetiers, cor-
donniers... ; par exemple à Rouen, chez un certain Geoffroy Rivière,
qui organisa les premières réunions quasi publiques aux portes de la
ville à Quevilly, en 1545, en un temps, il est vrai, où chanoines et chantres
de la cathédrale n'hésitaient pas encore à venir « à la prêche » pour voir
et entendre...

Par contre, dans le temps, le rôle de l'imprimé dans la transmission de la


doctrine de génération en génération est de premier plan : alors qu'il est
constant pendant la période médiévale de voir, en raison même des diffi-
cultés de la transmission orale, les mouvements hérétiques péricliter,
ou se modifier profondément dès la seconde génération, l'imprimé répandu
avec générosité permet une permanence doctrinale. Dans le cadre d'une
étude plus large qu'une simple communication, il serait possible de faire
sa part, ici, au jeu très précis de la lecture, et de la re-lecture, que per-
mettent les tirages d'imprimerie : s'il est vrai qu'au Moyen Age maints
manuscrits ont circulé, plus ou moins facilement, et joué un rôle assez
comparable à celui des livres et libelles modernes, du moins faut-il bien
voir que ces manuscrits en mouvement laissaient place après leur passage,
à la mémoire orale, et à ses déformations. Au contraire, le livre, le libelle
restent chez l'acheteur, le propagandiste : lus et relus à longueur d'années,
ils constituent en quelque sorte une base doctrinale stable. Le fait a
19
286 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

souvent été noté par les historiens de l'hérésie à propos des grands textes,
les traductions de la Bible en langue vulgaire, ou encore des manifestes
comme L'Institution chrétienne. Mais il conviendrait de tenir compte de
cette permanence à l'endroit de toute cette abondante littérature de
libelles polémiques ou doctrinaux évoqué plus haut.
N'est-ce point aussi cette permanence d'ailleurs qui a aidé les hérésies
triomphantes dans leur système d'enseignement : partout les académies
protestantes, à Genève, à Sedan, sont d'abord des écoles de lecture, de
même que les pasteurs qui en sortent sont des maîtres de lecture : le livre,
arme du combat hérétique, nous retrouvons là une de ces évidences bien
connues...

Faut-il conclure ? S'agissant de la diffusion hérétique moderne, il faut


bien mettre l'accent sur tout ce qui la différencie de la diffusion médiévale.
C'est sans doute le domaine où la transformation est la plus nette. A qui
se soucierait de comparer les thèmes, les idées-maîtresses des hérésies
médiévales et modernes, c'est peut-être au contraire les ressemblances
qui frapperaient : la nostalgie d'une pureté évangélique, l'idée d'une Eglise
anti-hiérarchique, pour ne prendre que ces exemples, sont des représen-
tations d'une grande continuité. Mais sur le plan de la communication,
il nous paraît essentiel de réaffirmer la novation que constitue l'imprimé :
il a fourni aux croyants tourmentés que sont toujours les hérétiques, un
moyen sûr et stable de transmettre leurs idées. Cependant les mouvements
hérétiques n'ont pas cessé pour autant d'être une perpétuelle remise en
question 15 qui leur vaut les sympathies sans cesse renouvelées des francs-
tireurs de tous les temps.

NOTES

1. Sur la « propagande » religieuse, rappelons pour mémoire le t. XXVIII des Travaux


d'humanisme et Reconnaissance, intitulé « Aspects de la propagande religieuse »,
Genève, 1957. Cf. la note de J. F. Behqier, dans les Annales E.S.C., 1958, p. 772
et suiv.
2. Claude, La défense de la réformation contre le livre intitulé t Préjugez légitimes
contre les calvinistes », Paris, 1673.
3. Journal de l'Estoile, éd. Gallimard, t. II, p. 252.
4. Voir sur ce point Le chansonnier huguenot du 16« siècle, publié par A. Bordier,
Paris, 1870.
5. Archives nationales, fonds Rondonneau, A.D. III, 21, 15.
LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE A L'ÉPOQUE MODERNE 287

6. Archives départementales, Côte d'Or, B, 12.069 ter.


7. Mercure Français, année 1624, p. 371, 375.
8. « Plainte à la cour d'une thèse imprimée avec placard mis et affichés aux carrefours
de cette ville et ailleurs, contenant que demain serait faict dispute publique en
langue latine mêlée de françoise au collège des Trois Evesques sur les points de
la religion controversée entre les catholiques et ceux de la R.P.R. ... », Archives
nationales, U, 27, f° 98 v°.
9. Lucien Febvre avait fait préparer naguère une série de cartes de cette diffusion
du protestantisme ; elles n'ont malheureusement pas été éditées. Un recensement
concernant l'établissement des Eglises a été mis sur pied par le pasteur S. Mo uns ;
• Liste des Eglises réformées », dans Bulletin de la Société de l'Histoire du protes-
tantisme français, 1957.
10. Annales, E.S.C., 1959, n» 4 : « Les Français hors de France aux 16 e et 17 e siècles ».
11. F L . D E R A E M O N D (du Parlement de Bordeaux), L'histoire de la naissance, progrez
et décadence de l'hérésie de ce siècle, Bordeaux, 1605.
12. L. F E B V R E , « Aspects méconnus d'un renouveau religieux en France (1590-1620) »,
dans Annales, E.S.C., 1958, n» 4.
1 3 . J . J . H E M A H D I N Q U E R , « Les femmes dans la Réforme en Dauphiné », dans Bulletin
du Comité des travaux historiques pour 1959.
11. N. WEISS, < Note sommaire sur les débuts de la Réforme en Normandie (1523-
1547) », dans Congrès du Millénaire Normand, Rouen.
15. Comme Bossuet et bien d'autres l'ont souvent souligné.
DISCUSSION

J . MACEK. — Je voudrais ajouter une remarque : je suis d'accord avec le


professeur Mandrou pour donner à l'imprimerie la valeur d'un moyen nou-
veau de diffusion de l'hérésie, par exemple dans la Réforme allemande.
Ulrich von Hutten en parle comme d'un don céleste : « c'est le Dieu omni-
potent qui a éclairé les Allemands et nous a donné l'imprimerie ». Le légat
du pape écrit en 1517 que, chaque jour, pleut du ciel une multitude de
livres et pamphlets hérétiques. Et nous savons que, chaque année, c'étaient
quelques milliers de livres, satires, pamphlets, non seulement hérétiques,
mais aussi catholiques. Nous savons qu'au début du 16 e siècle déjà, en Alle-
magne, mais aussi dans les Alpes, on vendait des livres sur les marchés et
je connais les écrits du duc Ferdinand, pris, au Tirol ou dans les pays proches
des Alpes, contre la vente des livres, des pamphlets et des satires. Mais nous
voyons apparaître chaque année de nouveaux écrits et la vente des livres
et des pamphlets continuer, pamphlets luthériens et aussi anabaptistes.
Enfin le pape et l'Église ont pris très tôt, à mon avis après 1514, un édit
contre la vente libre des livres hérétiques. C'est tout le problème de la
censure.

J. SÉOUY. — L'anabaptisme a imprimé mais il n'a pas pu diffuser, ou


très peu : la correspondance privée a joué un grand rôle dans sa diffusion,
en Moravie par exemple. La diffusion mondiale de l'hérésie sectaire, si
on peut dire, est ainsi liée non pas à l'essor de l'imprimé mais à l'essor de
la poste, et de la poste au sens moderne du mot. C'est-à-dire comme droit
pour tous et comme service public. Il faut penser à la diffusion des idées
par l'icône imprimée qu'est la gravure sur bois puis sur cuivre.

S. STELLING-MICHAUD. — Il conviendrait d'inclure dans l'étude des


imprimés comme agents de diffusion celle des imprimeurs en tant que
groupe sociologique. Les grands noms de l'imprimerie : Plantin, Aide
Manuce, Froben, Estienne avaient une formation humaniste. Un autre
agent particulièrement actif de la diffusion des idées nouvelles et hérétiques
est l'étudiant comme nous le montrent de nombreux documents (par
exemple les listes d'ouvrages saisis pendant les perquisitions au cours de
la saint Barthélémy aux universités de Bourges, d'Orléans, ou la liste des
ouvrages interdits par la compagnie des pasteurs à Genève, du 16 e au
18e siècle).
Il serait également intéressant de dresser un inventaire des publications
savantes et de grouper dans une rubrique spéciale les éditions et rééditions
d'ouvrages ou d'écrits anciens, ce qui ferait ressortir la continuité des
doctrines ou mettrait en évidence les résurgences d'hérésies savantes.
Par exemple la publication du Defensor Pacis de Marsile de Padoue (1324)
& Bâle en 1522 a influencé la pensée des réformateurs allemands de même
LA TRANSMISSION DE L'HÉRÉSIE A L'ÉPOQUE MODERNE 289

que la publication du De Falsa donatione Constantini de Laurent Valla en


1518 par Ulrich von Hutten a servi grandement la cause de Luther.

R. M A N D R O U . — Je suis bien d'accord avec M. Macek sur l'importance


des phénomènes qu'il a signalés, en particulier tout ce qui concerne la
vente et la diffusion des livres et des pamphlets ainsi que des libelles. Il y a
aussi le problème de la censure mais ce serait presque l'objet d'un colloque
à soi seul. Dans le seul cas de la France, la censure prend dès le 16e siècle un
triple aspect : la Sorbonne, le Parlement de Paris et le Conseil royal lui même
prononcent des interdictions. Au 17e siècle le Parlement condamne autant
d'ouvrages catholiques ultramontains (anti-gallicans) que de livres réformés.
A M. Séguy je répondrai que la poste prend son importance surtout au
18e siècle. E t je suis plus sensible à son reproche sur l'anabaptisme. Les ana-
baptistes voulaient imprimer mais n'avaient pas les moyens. C'est peut-être
la perspective française qui m'a trompé. Il est entendu en effet qu'en
France, au 17e siècle, si on a besoin d'un écrit hérétique cela ne pose pas
de très gros problèmes. On le fait imprimer à Genève, ou à Amsterdam
ou encore on le fait imprimer à Paris clandestinement avec la marque
d'Amsterdam.
Enfin je suis tout à fait d'accord avec M. Stelling-Michaud pour souligner
le jôle des imp.imeurs érudits (il y a toute une littérature bien connue consa-
crée aux imprimeurs humanistes proches des réformateurs) et des étudiants
dans la diffusion et la continuité de l'hérésie.
A. DUPRONT

RÉFLEXIONS SUR L'HÉRÉSIE MODERNE*

Le propos exact de cette communication est de vous présenter, plus


ou moins au ras de l'histoire, ou du moins dans une analyse de cohérence
au partir du donné historique, seulement quelques réflexions sur la
présence, les manifestations, les liens d'existence de l'hérésie dans la
société moderne occidentale.
Une première donnée brute, aussi évidente que capitale pour l'esprit
moderne, c'est la promotion progressive de l'hérésie en confession et de
confession en église. Même s'il dénonce leurs variations, Bossuet recon-
naît le fait — l'existence d'Eglises protestantes. 1 En un peu plus d'un
siècle, l'hérésie condamnée s'est faite Eglise ; l'hérésiarque, si Luther et
Calvin ne cessent pas, jusque dans le catalogue de l'article de l'Encyclo-
pédie, de figurer à leur place dans cette inquiétante galerie, est cependant,
de l'aveu même des champions de l'orthodoxie, un chef d'Eglise. Tel,
à mon sens, le grand fait moderne : l'hérétique notoire est devenu publique-
ment, officiellement ministre d'Eglise, d'une autre Eglise. Les progrès
d'une histoire — est-ce là le progrès tout court ? — ont fait d'hérésies
initiales des religions reconnues et imposé, entre ce qui fut et demeure
l'hérésie et ce qui continue d'être l'orthodoxie, des pratiques de coexistence.
Cette « création », ou libération moderne, se développe en deux séries au
moins de conséquences obvies.
La première série analyse, pour cette coexistence contrainte avant
que d'être reconnue, la nécessité d'une caution. C'est l'une des chances
majeures de l'Etat moderne. Dès les premiers temps de la politique impé-
riale de l'Intérim en Allemagne, et par étapes successives, qui sont presque
des étapes de génération, avec la paix d'Augsbourg ou l'édit de Nantes,
le pouvoir temporel, naguère bras séculier dans l'ordre de la chrétienté,
protège l'existence publique de l'hérésie et en cautionne la durée comme
Eglise. Au milieu du 17e siècle même, les traités de Westphalie établissent,
de consentement européen quasi unanime, hormis le pape et l'Espagne,
l'étonnant paradoxe d'un Saint Empire romain articulé en deux corps,
le corps catholique et le corps évangélique. Dans l'Empire, comme dans
l'Etat monarchique, l'unité n'est désormais que du prince et de la loi,
non plus de la foi. Il y aura certes des retours, des « révocations », mais ces

* Paru dans Archives de Sociologie des Religions.


292 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

révocations sont à l'encontre d'un « sens de l'histoire », ou du moins d'un


ordre européen des valeurs non-écrit : à la révocation de l'édit de Nantes
répondra un état de coalition européenne, et les traités d'Utrecht, au
début du 18 e siècle, représentent bien une manière de triomphe laïque
de l'hérésie.
Tout demeure, dans l'histoire du monde occidental moderne, « inven-
tion » d'unité, forme et matière. Longanimement recherchée par d'exi-
geantes natures religieuses, périodiquement espérée, l'intégration de
l'hérésie établie en une unité plus haute ne parviendra pas à s'accomplir.
Ni la philosophia Christi, ni cette société commune des disciples de
Jésus, les Jesuani, dont rêvait Postel, ni le poignant appel d'un chancelier
de l'Hospital au moment où s'ouvrent les temps de la violence, ni, plus
saisissante encore, la persévérance d'un soldat calviniste comme L a Noue
à se dire catholique, n'atteindront à la vertu d'une religion unique. Le
christianisme moderne est un « Etat » plutôt passif, voire un « milieu »
de proximités ou de combats, une nostalgie et une espérance ; il a perdu le
corps de chrétienté ; encore moins est-il Eglise. Désormais incapable de
l'unité religieuse totale, cette unité qui était sa tradition de l'histoire, le
monde occidental moderne devait se donner une forme compensatrice
capable d'assumer sinon la coexistence des Eglises, du moins la tranquillité
commune. Ainsi la « police », selon le langage du temps, devient-elle l'art
de vivre de l'Etat et de cette société civile où se définit confusément le
style d'une tolérance pacifique.
Ce n'est certes pas hasard que les Lettres qui se diront bientôt Philo-
sophiques proposent à la société française des lumières l'exemple d'une
secte anglo-saxonne, celle des quakers, comme le modèle de l'existence
commune. L a secte est faite image d'exemplarité sociale. Contre-Eglise ?
Non pas. Plus que la secte c'est la contexture sociale du groupe quaker
qui importe à Voltaire, la conscience diffuse et parfois lucidement stylisée
d'une société éthique et désacralisée. Plus un milieu d'ailleurs — magma
originel ou être de raison — qu'une société véritable ; plus abstrait aussi
que concret et qui se caractérise par son existence nécessaire, et surtout
par sa double exigence d'être universel et homogène en toutes ses parties,
c'est-à-dire sans différenciations ni orientations sacrales.
Ce milieu est le terme mental naturel d'un procès collectif de désin-
tégration de l'unité, qui d'une part ne saurait déboucher dans le vide
— l'histoire étant par existence l'horreur du vide — , et qui d'autre part
doit être conduit jusqu'à son extrême de décomposition, c'est-à-dire
jusqu'à ses éléments les plus simples, qui sont la matière première de
l'ensemble. C'est en ce milieu que la liberté de conscience, d'abord collec-
tivement vécue et concédée, devient conscience religieuse individuelle.
En ce milieu aussi que se dissout l'hérésie, comme se niant elle-même. En
établissant publiquement l'hérésie, la société moderne la contraint en effet
à se détruire elle-même, à pulluler comme un luxe inutile, ou bien — ce
RÉFLEXION SUR L'HÉRÉSIE MODERNE 293

qui est sans doute pire — à réussir selon les critères les plus étrangers à
son génie, ceux de la quantité.
Seules les hérésies qui, par rapport aux réflexes de défense de la société
de l'époque, paraissent menacer l'existence de ce milieu de coexistence,
doivent être annihilées. Ainsi l'anabaptisme, irrationnel, eschatologique
et dangereusement épidémique; ainsi peut-être l'acharnement de la
monarchie absolue jusqu'à tirer de la terre de leur repos les restes corporels
des religieuses de Port-Royal, si le jansénisme a été l'exemplarité orgueil-
leuse de l'autre société, un érémitisme laïque blasphémant le siècle, à
tout le moins le dessin d'une image de perfection irréductible à la double
création sociale, encore confondue, de l'aristocratie et de la bourgeoisie.
D'autre part, le commerce de fait avec l'hérétique notoire ou habituel,
constitué en groupes, en Eglises ou en sectes, ou bien l'hérétique en tant
qu'individu — il n'est point question alors de parler de personnes —,
va poser dans la vie sociale la constante d'un état de tension, paroxystique
quand il sourd mais bien vite cristallisé en passivités habituelles. L'hérésie
étant, selon que disent les théologiens, erreur dogmatique et persévérance
volontaire dans cette erreur, et l'hérétique s'analysant à son tour comme
professant l'hérésie et comme personne physique, deux grands complexes
psycho-sociologiques vont se mettre en place dans la société de l'hérétique
présent.
L'un est celui de la controverse. Autrement dit le jeu public de la
démonstration de la vérité, où il s'agit, au mieux, de triompher de l'héré-
tique et de convertir l'homme. Postulats communs à ce grand jeu : la
démonstrabilité des vérités doctrinales ou de foi soit par raison soit par
preuves d'un autre ordre, toutes plus ou moins non violentes, et dont la
pacifique violence sera nourrie essentiellement par un recours aux cons-
tantes de l'expérience humaine dans l'espace et dans le temps, à ce consen-
sus, qui est le principe même de ce que nous appellerions aujourd'hui
l'anthropologie générale ; l'ouverture présumée, attendue, du vaincu à la
vérité, c'est-à-dire la transposition grandissante d'un monde de la grâce,
surnaturel ou du moins à deux niveaux, divin et humain, en un monde
de la lumière, articulé lui aussi dans la hiérarchie ou l'opposition des
ténèbres et de la lumière. Il serait aisé de rendre manifeste combien ce
monde de la controverse se crée à lui-même sa propre société fictive, société
d'argumentation humaine indépendante dissociée du divin mais aussi
de la vie. Sa seule justice humaine est sans doute ce qui lasse à bon droit
le courage des historiens, la puissance d'user par la redite, l'argumentation
indéfiniment reprise — ce que seulement pouvait permettre l'usage, bon
ou mauvais, de l'imprimerie —-, et dans ce combat inlassé, quasi à lon-
gueur des siècles modernes, la lente exploration, au-delà des hommes et
comme malgré eux, de domaines neufs de l'immanence humaine et la
découverte, par fulgurances d'abord, puis lentement, très lentement
294 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

consentie, d'un ordre de la charité humaine. Mais à longueur de siècles


seulement.
L'autre complexe parle dans ses images. Au sépulcre glorieux de saint
Ignace, dans l'église du Gesù, à Rome, le voici parfaitement en place.
Deux groupes allégoriques encadrent le tombeau : d'un côté, la Religion
triomphe de l'Idolâtrie, de l'autre, modelé par Le Gros, la Foi triomphe
de l'Hérésie. Si l'un des groupes fait lever le roi nègre — roi du Congo,
dit-on — vers le calice surmonté de l'hostie que hausse de sa dextre une
Religion junonienne, groupe d'unité sublimante, de conversion et de salut,
l'autre au contraire est, dans l'impérieux d'un mouvement qui précipite
de bas en haut, tout de triomphe altier, d'écrasement, d'opposition fatale.
Image statique de la victoire obtenue, mais que dans la vie, le temps, l'on
n'obtient pas. a
Ce qui se développe, dès lors, dans une coexistence contrainte, non
acceptée, ce sont des contractures de refus, des états de cristallisations
passionnées composant des univers psycho-sociaux de ségrégation reli-
gieuse. Au gré des inerties ou des commodités humaines, le commerce
s'établit dans le diabolique, c'est-à-dire la passion, l'injure, ou une incoer-
cible défiance, une « aura » émotive d'agressivité devenue seconde nature
et après tout rassurante. Agressivité qui, assouvie seulement en paroles,
voire en raisons, n'est pas pour autant libérée. Il en résulte un blocage
émotif, normalement prédominant, qui empêche entre groupes et même
à l'intérieur des individus, tout commerce avec l'autre, toute circulation
d'esprit, de souffle, de conscience, ou bien de grâce. Dès le colloque de
Poissy, voici le ton donné, en ses violences ibériques, par le jésuite Lainez :
ceux d'en face sont tour à tour des loups, des renards, des serpents, des
assassins ou des fauves. Ce bestiaire dit, mieux que tout, le déchaînement
des passions animales, c'est-à-dire des forces irrationnelles de la vie. Quant
à l'inconscience d'affrontement, toujours Lainez à Poissy : « Ils (ceux d'en
face encore) cherchent plutôt à instruire et à répandre leur venin, puisqu'au
lieu d'écouter les autres, ils font des discours qui durent une heure et
demie ». Quel commerce possible, à ce niveau d'obnubilation, qui n'est
pas moindre chez l'hérétique ? Caractéristique de l'expérience collective
de tout un monde, les données de ce Didionarium Poeticum du début du
18e siècle, instrument d'école de la rhétorique jésuite : si la définition
étymologique de Yhaeresis, au sens du grec, signifiant opinion, sentiment,
est sage, objective, notre hérésie, pour les besoins d'une poésie expiatrice,
se trouve flanquée d'une procession d'épithètes. Quasi vingt ; et toutes,
ces épithètes de nature, d'incrimination accusatrice, d'exaspération émo-
tive, de dégoût et d'effroi. Plus exactement, de peur. Exitiosa est la
dernière. C'est le mot juste : il dit la peur de mal finir. 3
Où nous touchons, me semble-t-il, à la fonction religieuse et vitale de
l'hérésie, et à ce qui va être la transformation ou la sclérose de cette fonc-
tion dans la société moderne. Il y a trop de ressemblance, dans l'analyse
RÉFLEXION SUR L'HÉRÉSIE MODERNE 295

plastique des scènes de l'expulsion d'Adam et d'Eve du paradis terrestre


et du combat de la Foi contre l'Hérésie, pour que nous ne pressentions
pas là la sûreté d'un cycle, histoire de salut et correspondance essentielle
d'un retour à la pureté originelle. Dans une société de religion et il n'est
de société de religion que société totale, l'hérésie est mal organique, donc
nécessaire. Parce que, selon le génie de son nom même, elle est choix, elle
accuse tout ensemble partialité et conscience. Manifestation de la spiri-
tualité profonde ou de la subconscience, elle fait affleurer, tout en les
exacerbant, des pulsions vitales.
Ainsi est-elle, pour la santé commune, conscience et thérapie. Deux
choses seulement importent : qu'hérésies et hérétiques existent, et qu'ils
soient expurgés. Importe moins ce qu'ils deviennent. Il en va tout autre-
ment quand l'hérésie s'établit en société externe. Il n'y a plus intégration
organique mais confrontation spatiale. L e lien humain est d'antagonisme ;
il ne s'agit plus de conscience. La condition d'hérétique cristallise en un
univers clos ; il en va de même de l'orthodoxie. Car seules existent désor-
mais orthodoxie et hérésie affrontées, ne communiquant que par des parties
d'elles-mêmes, par raison ou par passions distinctes, quand elles ne sont
pas confondues. La société religieuse organique est maintenant défaite
dans l'espace et dans le temps. Entre ses membres épars, les rapports sont
de réprobation, donc de méconnaissance. Caractéristique, ce schématisme
gallican, si répandu au 17e siècle et qu'utilise sans question le grave
Baluze : est hérétique, d'après la pratique constante de la Curie romaine,
quiconque attaque de quelque manière que ce soit l'autorité du Pontife
romain et celle de la Curie. 4
Cristallisation abusive, passionnée, matérialisation de l'hérésie, qui
confine dans des forteresses adverses orthodoxie et hérésie. Chacune
d'elles n'ayant plus, comme principe de progrès interne, que l'ascèse d'une
société statique de pureté, ou les commodités du conformisme. En tous les
cas, il n'y a plus acte vivant, sain, de purgation, mais hantise introspective
de pureté ou inertie mentale. Cela vaut évidemment comme un inéluc-
table vital, pour les deux protagonistes. Il en résulte, dans la psycho-
sociologie moderne des rapports entre l'orthodoxie et l'hérésie, au moins
trois conséquences : un état collectif d'angoisse de l'hérésie interne, l'in-
quiétude du ver dans le fruit ; unepartialisation sclérosante des forces totales
de religion ; et la définition progressive d'un milieu mental areligieux,
exprimant les valeurs neuves de commun et d'humanité, dont la dyna-
mique interne n'est plus de thérapie, mais d'accès, ce progrès vers la
lumière, où il ne saurait y avoir d'hérésie, ni non plus de religion. Tendan-
ces d'ailleurs seulement,1'car si la civilisation, principe d'accomplissement
de la société de lumières, ne connaît pas l'hérésie, mais le barbare ou le
sauvage, il n'en reste pas moins sous la plume de Jaucourt, rédacteur de
l'article « Hérésie » de l'Encyclopédie, un malaise devant le fait ou l'imputa-
296 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

tion de l'hérésie. « Celle-ci, tâche de l'être social qui demain fera de l'im-
pur un hérétique.
A la hauteur du Bossuet de l'Histoire des Variations, l'hérésie est va-
riation : elle est aussi, par rapport à un fonds commun, choix, c'est-à-
dire opinion particulière. Dans cette dernière acception, qui est celle de la
fidélité étymologique, il est certain que l'existence des hérésies modernes,
leur vie proliférante, persévérante et tourmentée expriment un procès
possiblement dialectique entre le particulier et le commun, l'homme et
Dieu, la conscience individuelle et le corps de la révélation. En procè-
dent naturellement, à tous les états de manifestation d'une conscience
d'abord collective puis monadiquement individuelle, l'individualisme mo-
derne, plus ou moins inconscience de société, et cette découverte d'un
ordre humain immanent, de soi créateur, qui est peut-être le don le plus
généreux de la société occidentale moderne à notre méditation d'hommes
d'aujourd hui.
Mais c'est davantage les rapports de l'hérésie et du temps que je vou-
drais quelque peu éclaircir. De par sa nature, ou de par son événement,
l'hérésie est accident historique. Sous la plume de Calvin, dans l'Ins-
titution chrétienne, revient sans cesse le pluriel : dans la vie de la religion,
c'est un mal endémique et contingent. Si bien que toute hérésie qui dure
doit tendre à dépasser sa propre temporalité. Il ne saurait y avoir de tra-
ditions hérétiques — ce sont celles du mal-être religieux. Dès lors l'élec-
tion d'éternel se fera, dans l'hérésie moderne, à travers l'exigence d'un
retour à la pureté originelle, celle de l'Ecriture, celle de la primitive Eglise,
celle des temps apostoliques. Fiction d'exemplarité qui transcende l'his-
toire ou en nie du moins la continuité créatrice. Elle transmue de l'his-
torique en éternel, mythique de l'éternel retour, qui a, pour la vie dans
le présent, ce double avantage de retarder les échéances de toute explosion
d'angoisse individuelle et surtout de laisser pour la vie temporelle immé-
diate les mains libres.
Ici s'insèrent, me semble-t-il, les grandes thèses sur l'éthique calviniste,
ou la religion des quakers et le capitalisme. Peut-être s'agit-il d'ailleurs
moins d'une éthique, que d'une insertion entière en la vie du présent.
L'hérétique est maître de son présent. Ce que ne peut pas être l'orthodoxe.
Face aux hérésies, phénomène historique normal, la religion est mono-
lithique. Parfaite dès ses commencements, dira Bossuet — c'est la cons-
cience moderne, paradisiaque, anhistorique de toute révélation —, ses
deux modalités d'exister ne peuvent être que l'éternel et l'universel :
partout et toujours, la perfection de ce qui était au commencement. « La
vérité catholique venue de Dieu a d'abord sa perfection », enseignera
Bossuet, jusqu'à prononcer cette mise en condition du Saint-Esprit, dans
une lumière toute rationnelle de Pentecôte : « La foi parle simplement ;
le Saint-Esprit répand des lumières pures, et la vérité qu'il enseigne a un
langage toujours uniforme ». " Cette fiction de l'éternel par l'uniforme
RÉFLEXION SUR L'HÉRÉSIE MODERNE 297

dit tout le malaise de l'orthodoxe, qui ne peut pas ne pas dépendre de


l'entière continuité de son passé et qui n'en accepte pas les tribulations
selon l'histoire. Tout a été donné et dit, dès le commencement. Malaise
parfaitement conscient dans les discussions tridentines autour des sources
de la foi, et de l'acceptation pour une part dans celles-ci des traditions
remontant aux origines de l'Eglise. En fait l'acceptation de l'apport his-
torique dans les sources de la foi, aux termes du décret dogmatique de
la quatrième session du concile de Trente, demeurait liée à l'institution du
magistère de l'Eglise, c'est-à-dire à une structure d'autorité et donc à une
société d'Eglise. Aucun report semblable dans les hérésies modernes. Les
hérétiques, maîtres de leur temps, demeurent disponibles pour la vie
temporelle du siècle, et donc définisseurs à terme de cette société pratique
de coexistence ou de commerce, dont il sera dit qu'elle est civile et où
il n'y a plus d'hérésie.7 Attitude au demeurant parfaitement cohérente
et qui pourrait analyser en trois temps la libération du temps hérétique :
refus du présent établi, qui, parce qu'il est établi, demeure partiellement
une négation ou une moindre conscience du présent ; compensation par
l'exigence extra-temporelle du retour originel ; découverte d'un temps
neuf, libre et vrai, celui de l'existence individuelle et collective, qui se fera
résolument distinct des traditions et de l'histoire. L'hérésie avait-elle
d'autre voie, pour s'établir au pair de la religion régnante, que cette né-
gation de l'histoire ?
Ces considérations, si elles peuvent éclairer certains aspects, sont fort
loin d'enserrer la complexe réalité des hérésies modernes. Une autre dé-
marche d'analyse pouvait atteindre à plus d'intimité vitale, mais pour
la tenter valablement, il eût fallu donner à ces réflexions une inconvenante
démesure. Cette analyse, elle aurait pris les choix de 1 hérésie, ses thèmes
de choc pour en dégager de l'intérieur les attentes, les besoins d'âme et
particulièrement les pulsions, organiques ou spirituelles, d'une société
religieuse. Sur un seul thème-maître, pour ne pas terminer en l'évoquant
sans autre, j'en ébaucherai la démarche. Au partir d'un vocabulaire de
controverse certes, mais de tous le moins équivoque, surtout dans ses
données massives, celui de l'art.
Si la dominante vitale de l'hérésie moderne demeure la rencontre directe
de Dieu et de l'homme, sans société intermédiaire de transmission ni de
communication, entre toutes les puissances médiatrices, la Vierge d'inter-
cession ou la Vierge mère est ramenée à son humaine condition. « Qu'ils
prirent la résolution d'honorer la Vierge d'une façon toute particulière,
en voyant les hérétiques l'injurier et déchirer ses images », confessera
e
l'Imago primi saeculi, dans la mémoire, au 17 siècle, des premiers combats
8
de la Compagnie de Jésus. A la vérité, il s'agit de bien autre chose que
d'un combat justicier. A la voûte de la chapelle Pauline, à Santa Maria
Maggiore, ou à celle de Santa Maria délia Vittoria, la théologie romaine
en images de la Contre-Réforme triomphante enseigne que c'est par la
298 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Vierge q u e l'hérésie e s t détruite. Tu sola omnes haereses interemisti, ce


v e r s e t d'une a n t i e n n e médiévale, éclaire ici et là la gloire e x c l u s i v e d e
la Vierge. Seule, d a n s sa plénitude v i t a l e , la Vierge t u e l'hérésie. Ce t r i o m -
p h e p a r l a f e m m e sur l'hérésie, est-ce autre c h o s e q u e la libération d u
p é c h é originel, e t d o n c l a f i n du c y c l e sotériologique. E m i l e Mâle a r e l e v é
tels e x e m p l e s d e s c è n e s d'expulsion du p a r a d i s terrestre, où la V i e r g e
est p r é s e n t e : i n v e s t i t u r e de la n o u v e l l e E v e , celle p a r qui les r e t o u r s et
les t e m p s s ' a c c o m p l i s s e n t . 4
P r é c i p i t é e a u p é c h é d'exister par l a f e m m e , l ' h u m a n i t é d o i t être s a u v é e
par elle. C'est u n e cohérence. Mais il y a d a n s c e t t e e x a l t a t i o n v e n g e r e s s e
et v i t a l e , e x c l u s i v e d e t o u t e autre intercession, u n éclairage de l ' â m e pro-
f o n d e d e l'hérésie m o d e r n e . D a n s sa durée historique, ses a c h a r n e m e n t s
c o n t r e u n e mariolâtrie envahissante, celle-ci n e v i t - e l l e p a s u n e m a n i è r e
de c o m b a t d'arrière-garde m e n é par u n e h u m a n i t é virile nordique, b a r b a r e
si l'on v e u t , c o n t r e le déferlement d é s o r m a i s i n é v i t a b l e , au long des siècles
m o d e r n e s , d ' u n m a t r i a r c a t méditerranéen ?

NOTES

1. « Eglises de la nouvelle Réforme », dans Histoire des Variations des Eglises pro-
testantes, préface. « La nouvelle Réforme fit en Allemagne deux corps visiblement
séparés par des Confessions de foi différentes > (ibid., livre III, § 3). Ces corps sont
des < corps d'Eglise > (ibid., préface, § 8), « c'est-à-dire des corps composés de pasteurs
et de peuples » (ibid., § 24). Expressions qui saisissent la réalité confessante, insti-
tutionnelle et publique.
Bossuet précise bien qu'au chapitre des Variations il ne s'occupera que des Églises,
c'est-à-dire des luthériens, des calvinistes, voire des zwingliens, mais non des
< sectes », poussière infinie. Si, dans la préface, il garde un moment un autre voca-
bulaire, parlant du « parti des Protestants », toute l'œuvre, dans son progrès d'his-
toire et de controverse, accepte les Eglises.
Une analyse serrée du vocabulaire de l'Histoire des Variations montrerait, sem-
ble-t-il, que l'établissement social de l'hérésie, autrement dit son succès de masse
et historique, transmue ses origines impures. Le passage de l'individuel au social
ou du choix singulier à une communauté d'acceptation libère l'hérésie de son
histoire. Cela est pressenti en clair, dans cette définition, aux dernières lignes de la
préface : « Le propre de l'hérétique, c'est-à-dire, de celui qui a une opinion par-
ticulière est de s'attacher à ses propres pensées ; et le propre du catholique, c'est-à-
dire de l'universel, est de préférer à ses sentiments le sentiment commun de toute
l'Eglise : c'est la grâce qu'on demandera pour les errants ».
2. Louis R É A U , Iconographie de l'Art chrétien, t. I, 1 9 5 5 , p. 4 6 0 , note que le vieux
thème médiéval de l'Altercation de l'Eglise et de la Synagogue est remplacé au
Gesù par la Lutte de la Foi terrassant l'Hérésie. Affirmation à tout le moins trop
RÉFLEXION SUR L'HÉRÉSIE MODERNE 299

preste, en particulier quant au transfert historique. Les vieux iconologues en sa-


vaient davantage. Ainsi Baudouin, traduisant Ripa : « L'Heresie est une erreur
de l'esprit, à laquelle la volonté s'attache opiniastrement, contre la vraye creance
qu'il faut avoir. Elle est peinte vieille, pour monstrer, que ce n'est pas d'aujour-
d'huy qu'il y a des Heretiques, qui s'efforcent, mais en vain, d'esbranler les fonde-
mens de la religion. Par la Flamme qui luy sort de la bouche, il est demonstré
qu'elle publie ensemble la fausse Doctrine et la Sédition, dont elle est le sanglant
Boute-feu ; par les Cheueux espars, que les fausses opinions s'espandent de tous
costez ; par la Nudité, qu'elle est despouillée de toute Vertu ; et par les divers
Serpens qui sortent du Livre qu'elle tient en main, que les fausses Instructions
qu'elle donne sont incomparablement plus contagieuses que n'est le venin des
Aspics et des Dragons, quelque dangereux et nusible qu'il puisse être » (Iconologie
ou Explication nouvelle de plusieurs Images, Emblèmes, et autres figures Hgero-
gliphiques des Vertus, des Vices, des Arts, des Sciences, des Causes naturelles, des
Humeurs différentes, et des Passions humaines. Tirée des Recherches & des Figures
de César R I P A — Moralisées par I. B A U D O I N , Paris, 1644).
3. Type du dictionnaire de collège jésuite, Jacobi Vanierii Dictionarium Pœticum,
Lyon, 1710. A la seconde acception d'hœresis, voici les épithètes poétiques : effrœnis,
superba, impia, detestanda, feralis, dira, horrida, audax, fallax, mendax, atrox,
seeva, scelesta, infanda, infesta, perfida, arnica furoris, scelerata, exitiosa. Beau clavier
d'émotionnel collectif, dont les sources avouées sont la poésie latine contem-
poraine, du 16e et du 17e siècle (Vida et Fracastoro ; le père de Hossche, jésuite ;
et surtout Santeuil) : humeurs de Contre-Réforme et habitudes d'un bien-dire
conforme.
4. A propos du procès de Bernabo Visconti, en novembre 1362, B A L U Z E , Vite pap.
Avenion., éd. Mollat, t. II, p. 573 : Non agebatur de causa fidei adversus Berna-
bonem, sed de pervasione rerum ecclesiasticarum. Et tamen Urbanus (il s'agit du
pape Urbain V) eum damnai ut hœreticum, quia ex veteri instituto curise Romanee
is censetur heereticus qui Pontifici Romano et ejus curise qualicumque modo adversatur.
Adnotatum id pridem a Joanne Saresberiensi, lib. VI Policrat., cap. XXIV : Nam
qui a doctrlna vestra dissentit, aut haereticus aut schimaticus est. Illos enim maie
sentire de fide putant qui Romanee potestati repugnare audent.
5. Charges en faux-semblant, volontairement accusées sans doute, ces notations :
< Ce mot, qui se prend à présent en très mauvaise part... » ; « Ce n'est que dans la
suite des tems qu'on a attaché à cette qualification (d'hérésies) une idée si grande
d'horreur, que peu s'en faut qu'on ne frémisse au simple son de ce terrible mot ».
Ou, dans l'article « Hérétique », du même Jaucourt : « Nous n'avons pas dessein
de démontrer ici combien est détestable le principe qui permet de manquer de
foi aux hérétiques; ceux qui adopteraient cette maxime odieuse, s'il s'en trouve
encore dans le monde, seraient incapables de toute lumière et de toute instruction ».
La plus subtile ironie garde cependant la tâche, même si dans le corps des deux
articles, raison, humanité et histoire justifient la tolérance pour la paix. Les deux
articles ne semblent reconnaître à l'hérésie d'autre caractère positif que d'exister ;
elle n'est droit de l'homme que contre l'orthodoxie.
6. Histoire des Variations..., préface, § 2.
7. A quoi l'on peut ajouter que, pour eux, temps et autorité ne se confondent pas.
Beaucoup des cristallisations mentales de l'orthodoxie s'éclaireraient de l'analyse
de la notion de « dépôt », image plus que notion, et image de fixation avec d'étroites
connexions à l'autre image de « trésor ».
8. Imago primi sseculi Societatis Jesu..., Anvers, 1640, p. 358.
9 . Emile M A L E , L'Art religieux après le concile de Trente, 2 E éd., Paris, 1951, souligne
p. 33, la signification de l'introduction dans le Rosaire du verset médiéval : Gaude,
300 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Maria Virgo, qua eunctas hœreses sola interemisti. Le terme de ee triomphe sur
l'hérésie, c'est évidemment l'Immacolata. Sur la Vierge et l'expulsion du paradis,
cf. de même E. MALE, ibid., p. 43. Indications qu'il faudrait confirmer par un in-
ventaire méthodique, conduit pays par pays, des différents thèmes de la Vierge
triomphante. Données statistiques, compte tenu si possible des destructions ou
disparitions, et épanouissements thématiques peuvent donner une lecture d'àme
collective, jusqu'ici à peine ébauchée et irremplaçable.
DISCUSSION

L. K O L A K O W S K I . — Ai-je bien compris votre thèse, que je résumerai


schématiquement ainsi : dans le développement de l'Etat moderne, c'est la
coexistence d'indifférence qui remplace de plus en plus la coexistence contraire
provenant de l'équilibre des forces. Vous définissez même l'Etat moderne
par cette pratique de la tolérance grâce à l'indifférence, donc grâce au fait
que les conflits sociaux s'expriment de moins en moins dans l'effort religieux.

A . D U P R O N T . — J e crois que ce que vous appelez « thèse », je ne l'appelerai


pas thèse, c'est toute la différence. J'ai suggéré simplement des perspectives
d'analyse et je ne voudrais pas en faire une thèse. J'ai prononcé le mot de
police et la « police » consiste à faire vivre les gens tranquillement ensemble.

M. T A U B E S . — On pourrait, je crois, intituler l'exposé de M. Dupront


« De la neutralisation des fondements religieux ». Après les guerres de religion,
théologiens catholiques et protestants se sont efforcés de découvrir un fon-
dement neutre et le développement du droit naturel se rattache à cet effort.
Les conflits se situent désormais sur le plan politique et non plus sur le plan
religieux. Mais que la langue et la symbolique religieuse aient été annihilées,
cela ne veut pas dire que le conflit ait disparu de la société et qu'il n'y ait
plus de possibilités d'orthodoxie et d'hérésie.

R. M A N S E L L I . — La communication de M . Dupront a proposé une fois de


plus à notre attention ce que le père Chenu a dit le premier jour, en parlant
de l'hérésie comme choix. Sa communication porte d'abord sur les rapports
entre catholicisme et protestantisme : mais le protestantisme a lui-même
eu en son sein une orthodoxie et une hérésie. E t je songe au penseur allemand
Gottfried Arnold, pour qui l'hérésie est toujours le christinanisme vrai.
Dans quel cadre de pensée cette radicalisation s'effectue-t-elle ?

R. M O R G H E N . — Comment peut-on dans le sens d'une phénoménologie


de l'hérésie moderne, appréhender l'hérésie « moderniste » de la fin du
19 e siècle et du début du 20 e siècle ?

G . L E F F . — Dans la période moderne, il n'y a plus d'orthodoxie, ni d'au-


torité ; par conséquent les hérésies ne sont plus au centre des problèmes de
la société. C'est la différence entre société religieuse et société laïque : l'héré-
sie se transporte sur le plan de l'idéologie.

J . S É G U Y . — Vous avez parlé, M . Dupront, de la transformation de l'héré-


sie en Eglise et dit qu'elle était propre au monde moderne. J e me demande
s'il ne serait pas utile de penser au cas de l'Orient ancien et médiéval qui, lui
aussi, a connu une certaine tolérance fondée sur une coexistence. Vous
20
302 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

avez ensuite parlé du traité d'Utrecht comme d'un triomphe moderne de


l'hérésie et ici le défenseur de l'anabaptisme proteste. Je verrais plutôt
dans le traité d'Utrecht une persistance médiévale. C'est le régime de la
handeskirche, liée plus que jamais à l'Etat. Le triomphe de l'hérésie arrive,
je crois, avec la troisième réforme, la réforme radicale de la conscience phi-
losophique au 18 e siècle. Enfin, il me semble que les sectes d'origine protes-
tante ont joué dans la formation du monde moderne un rôle plus positif que
vous ne l'avez indiqué. Ce sont elles qui posent réellement la question des
relations de l'Eglise et de l'Etat, de la raison et de la foi dans une perspective
scientifique.

R . M A N D R O U . — Il y a pour vous opposition entre l'angoisse permanente,


l'angoisse rétrospective de pureté qu'est celle de l'hérétique et le conformis-
me de l'orthodoxe. Je vous proposerai une rectification : il me semble que le
risque hérétique, c'est bien souvent au contraire une occasion de salut pour
l'orthodoxie, une sorte d'inquiétude orthodoxe permanente qui susciterait
de la part des orthodoxes une vigilance, pas seulement juridique mais aussi
intellectuelle et spirituelle, qui œuvre finalement au bénéfice de l'ortho-
doxie elle-même.

A . D U P R O N T . — La chose importante à mon sens, et c'est là où il faudrait


faire porter l'analyse en profondeur, c'est le fait, si vous le voulez, de l'hé-
résie sur la place publique. Autrement dit, la création d'un milieu public
de dégradés religieux. Il s'agit de la manifestation publique d'un milieu
de désacralisation (et un milieu de désacralisation n'est pas un milieu de
renaissance). Il y a un seul problème, à mon sens, et là encore on ne peut
l'apercevoir que dans des perspectives phénoménologiques. Dans le monde
médiéval, il faut qu'il y ait l'hérétique, et M. Francastel disait — qu'il
me permette de le citer — « soupape de sûreté », mais je dirais même prin-
cipe vital ou nécessité vitale. La chose qui, a mon sens, est capitale, c'est
qu'il faut que l'hérétique soit expulsé. Ce qui, pour la période moderne,
compte et que, pour le moment, nous avons encore trop mal analysé, c'est
la création d'un milieu intermédiaire, d'un milieu neutre, d'une société
qu'en définitive la pensée occidentale moderne, même dans les socialismes
contemporains, n'est pas encore arrivée à définir dans ses contextures hu-
maines et spirituelles profondes. Il y a là, à mon avis, une carence qui est
un des faits majeurs de ce qu'on pourrait appeler la « spiritualité moderne ».

Rendre l'hérésie inutile ou impossible, c'est après tout l'une des vertus de la
société occidentale moderne. Ou, comme il vient d'être dit excellemment,
transférer l'hérésie du plan de la religion à celui de l'idéologie. Est-ce moins
dangereux pour l'hérétique ? Je laisserai à chacun de nous, dans le temps
d'aujourd'hui, le soin de l'apprécier. Mais l'analyse du procès par quoi la so-
ciété moderne a transformé ia fonction de l'hérésie doit être une voie profonde
pour saisir l'être vif de cette société moderne, par trop d'aspects pour nous
encore repliée sur son secret d'exister.
A. TENENTI

LIBERTINISME ET HÉRÉSIE
MILIEU DU 16e SIÈCLE,
DÉBUT DU 17e SIÈCLE*

Même les travaux les plus récents sur le libertinisme sont loin d'avoir
dégagé sa physionomie claire et surtout entière entre le 16e et le 17e siècle.
Des attitudes habituelles amènent les historiens à le considérer soit comme
un aspect du vaste mouvement que l'on appelle, tour à tour, rationalisme
et libre pensée, et à le noyer ainsi dans une vaste perspective, alors qu'il
faudrait le situer avec précision, soit à le saisir de près, cette fois, à travers
plusieurs « conjonctures » libertines différentes, quitte à l'identifier abusi-
vement avec tel ou tel courant de pensée, telle ou telle tendance morale.
Bref, nous ne nous trouvons jamais en face, aujourd'hui, d'une définition
globale du libertinisme, au 16e et au 17e siècle, qui soit valable à la fois
pour toute cette longue période et qui, suffisamment documentée, em-
brasse tous ses aspects divers. Il faut donc, dès le départ, prendre acte de ces
carences et souligner, en même temps, que jusqu'alors la continuité de
l'attitude libertine, entre le 16e et le 17e siècle, n'a cependant jamais été
mise en doute et que, sans avoir été prouvée, elle constitue néanmoins
la toile de fond de toutes les interprétations. Cette sorte d'impasse latente,
fondamentale, nous semble justifier, en partie au moins, les remarques
qui vont suivre.
En effet, en nous attachant aux rapports entre libertinisme et hérésie,
de 1550 à 1610 environ, nous aurons à éclairer les contours de deux atti-
tudes mentales, avec tous les prolongements qu'elles impliquent dans la
vie morale et sociale (nous devrions dire deux structures) et, au-delà,
dans l'explication historique.

POSER LE PROBLÊME

Nous venons de dire le libertinisme, /'hérésie. Or, à l'époque que nous


avons choisie, il n'y a assurément pas une forme unique de libertinisme.

* Paru dans Annales, XVIII, n° 1, janvier-février 1963, p. 75-80.


304 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

De même l'hérésie — aussi dominante que puisse paraître le caractère


que lui a imprimé la Réforme — n'est que très partiellement unitaire.
Plus encore : il y a des hommes, en plein 16e siècle, peu rationalistes, au-
cunement libres penseurs. Bien que désignés comme libertins, ils appa-
raissent plutôt comme des hérétiques et se rattachent d'assez près à la
Réforme, voire à des doctrines mystiques médiévales. Une mise au point
panoramique préalable est donc indispensable pour s'orienter.

Quelle est la situation avant 1550 ?


Celle d'une Europe profondément déchirée sur le plan politique, culturel,
religieux, économique, toutefois encore assez compacte, assez médiévale,
peut-on dire, dans sa structure sociale et mentale. Nous n'évoquerons
pas, ici, la désintégration définitive de l'Empire, l'entrée en jeu des Etats
nationaux, la stérile et sans doute inévitable politique d'équilibre qu'ils
poursuivent ; nous ferons à peine allusion au passage d'une économie
méditerranéenne à une économie atlantique, avec le déplacement du
capitalisme international qui en résulte. De toute évidence, une cassure,
bien visible déjà autour de 1530, s'accentue, entre Europe méditerranéenne
et Europe nordique et atlantique. Cette cassure est soulignée par la révolte
religieuse de la Réforme ; mais certaines puissances catholiques, loin de
rester enfermées dans la vieille mer Intérieure, ont été les premières à
franchir les espaces océaniques et à s'installer dans les lointains continents.
Il en résultera une lutte religieuse à l'échelle même du monde.
Certes nous ne sommes que trop habitués à appeler Renaissance la
civilisation européenne de cette époque, même si nous n'en sommes pas,
du coup, beaucoup plus avancés. En fait, seules les couches les plus éle-
vées de la société occidentale accueillent, à côté de l'ensemble tradition-
nel de croyances religieuses, dans des mesures évidemment fort différentes
suivant temps et lieux, la culture classique telle que les humanistes l'ont
ressuscitée et refabriquée. Mais les esprits qui, avant 1550, entrevoient
une opposition fondamentale entre l'humanisme païen et le patrimoine
chrétien sont rares. A tel point qu'avant cette date personne, à vrai dire,
ne parvient à souligner ou à dégager ce conflit, encore moins à l'utiliser
pour se retourner contre la vision du monde léguée par le passé occidental.
Autour de 1520, les Européens vivent encore dans un monde unitaire,
spirituellement commun, et supportent d'autant plus facilement les quel-
ques hardiesses ou singularités de la culture : en fait, ils ne supposent,
ou n'imaginent pas la possibilité d'une rupture véritable dans le monde
solide de leurs croyances. Pétris par des siècles de civilisation hiérarchique
et compacte, ils ne sont, en général, guère disposés à concevoir des oppo-
sitions qui seraient radicales ; ils voient celles-ci localisées, passagères,
clandestines ; le scandale serait qu'elles deviennent ouvertes, durables,
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 305

installées fortement parmi les peuples chrétiens. Le monde cohérent d'alors


semble au-dessus de ces modifications et de ces dangers.
Or la Réforme représente vite bien plus qu'une rupture ou qu'une ré-
volte manifeste et réussie ; elle est une révolution, une blessure intérieure
qui, loin de se cicatriser, va déchirer tour à tour chaque pays d'Europe.
Immense débat. Qu'on nous permette de passer sous silence les problèmes
de la nature et de la grâce, de l'arbitre serf ou libre, de la prédestination.
La vaste bataille théologique, qui se mêla si bien aux querelles sociales,
aux conflits politiques, au déchaînement des armes, fit certes plus de
bruit que le style et la culture des Anciens retrouvés ; elle bouleversa jus-
qu'au tréfonds tous les esprits qui en furent atteints ; et ils furent très
nombreux, des dizaines, des centaines, des milliers de fois plus nombreux
que le public étroit des humanistes. Ainsi, la Réforme n'a pas eu moins
de conséquences indirectes que d'effets directs sur le plan spirituel. Agis-
sant de façon lente mais en profondeur sur le vaste plan de la sensibilité,
elle fit éclater, sans toujours s'en rendre compte, l'univers unitaire et
fort du chrétien. Quelle innovation, au vrai, que le principe destructeur :
cuius regio eius religio ! Certes, de vastes régions, des continents entiers
offraient aux Européens le spectacle des religions les plus diverses, des
mœurs les plus inusitées, des cultures le moins semblables aux leurs. Sans
aucun doute, ils en furent très frappés, séduits quelquefois, Mais, pas plus
que la connaissance renouvelée et enrichie des textes anciens, ces décou-
vertes ne les travaillèrent avant que leur esprit ne s'ouvrît à une concep-
tion plus large de la civilisation et de l'humanité. Répétons-le : pas avant
que la Réforme eût bousculé, brisé leur horizon mental, les détachant
d'une optique unitaire, dogmatique, les habituant à la diversité religieuse
comme à quelque chose d'objectivement possible et de réel. Avant de
faire éclater sa puissance sur le globe entier, l'Europe venait d'éclater
à l'intérieur d'elle-même. Elle commençait à admettre, malgré elle, n e
serait-ce qu'à la limite, la « coexistence » et à accepter, en profondeur,
le partage.

Le libertinisme avant le libertinisme

De même qu'il y eut, avant l'élaboration de l'idée de tolérance, ce senti-


ment obscur qu'il fallait y parvenir et finalement la constatation inavouée
de sa nécessite, il y eut, avant le libertinisme, cette intuition vague aussi,
mais présente, qu'on pouvait ne pas croire à tout ce qui avait été admis
et prêché jusqu'alors, sans être, pour autant, un homme digne de mépris.
Plutôt que de parler d'intuition vague, je devrais aussitôt préciser : la
sensation nouvelle et préalable qu'en matière de croyance l'homme avait
le droit de mesurer lui-même son adhésion intellectuelle et morale. E n
d'autres termes, après 1530, il n'y eut pas seulement, en Europe, une
cassure religieuse qui sépara des catholiques ceux qu'on devait appeler
306 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

bientôt les protestants ; mais un bon nombre d'esprits ne se rangèrent


ni d'un côté, ni de l'autre, et une foule plus grande encore de personnes
admirent désormais les cultes comme des habitudes, des conventions
devenues soudainement extérieures. Ne constituant plus un ensemble
uniforme de croyansce, le christianisme changea de signe : d'innombrables
fidèles commencèrent à se délivrer de leur rigidité mentale, inconsciente, de
leur répugnance à admettre une pluralité de religions et de rites. D'autres—
sans doute la plupart — se trouvèrent à nouveau encadrés, soit dans les
structures catholiques si fortement rénovées, soit dans les nouvelles struc-
tures protestantes. Néanmoins un profond changement était intervenu,
ne serait-ce que par la connexion plus accentuée entre Églises et États.
Puisqu'il fallait suivre et pratiquer la religion du prince et que ce dernier —
surtout dans les pays catholiques — permettait une inquisition souvent
forcenée des opinions et des pratiques, la spontanéité des sentiments
religieux se trouvait contrecarrée, la force des croyances refoulée, leur
expression pervertie.
On appela « nicodémites » ceux qui, semblables à Nicodème n'osant
se prononcer ouvertement pour le Christ, n'avaient pas le courage de
manifester publiquement leur conviction intérieure à l'encontre de leurs
concitoyens ou compatriotes. Ils furent certainement fort nombreux,
aussi bien dans les pays où les luttes confessionnelles étaient violentes
que dans les Etats où la police en empêchait l'éclosion.
Très répandus aussi les « libertins spirituels » : pour employer leurs pro-
pres termes, il était «grand besoin de cognoistre l'éternel et salvifiant
Seigneur Christ, la spirituelle génération de Dieu vivant, et point ne
nous arrester destructiblement sur un sens littéral de l'Evangile ou de la
cognoissance d'aucunes traditions humaines, lesquelles n'ont pas beaucoup
advancé en ceulx qui s'y sont arrestez oultre mesure ».1 Contre les uns
et contre les autres, Calvin écrivait, en 1547 : « Ilz ne font point conscience
d'idolâtrer sans aucun scrupule : ils font semblant d'adhérer à toutes les
superstitions des Papistes, pour ce que second leur sentence toutes choses
externes sont en la liberté du chrestien ». 3 En effet, le titre du petit traité
dont nous venons de citer un passage, La déclaration de l'homme extérieur
et de l'homme intérieur, l'ung selon la chair et l'autre selon l'esprit, a été
écrit probablement par Jean Ferré, à quelques mois de distance seulement
des pages que nous citions de Jean Calvin : « Ouvrez voz sens, enten-
dement, yeulx et aureilles — lit-on encore dans cette Déclaration — pour
entendre ce mistère divin, afin que doresnavant ne vous soit chose si admi-
rable d'ouyr parler de deux hommes, de deux naissances, de deux loix
et de deux enseigneurs, de deux mortz, de dex résurrections, de deux
vies, de deux Roys et de deux Royaulmes, à sçavoir iceluy de Christ et
de Dieu, de la terre et du ciel ». '
Cette attitude, qui préoccupa tant le réformateur français, se retrou-
vait foncièrement «chez Caspar Schwenckfeld et ceux qui le suivirent, de
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 307

l'Allemagne à la Transylvanie. Ces hommes réduisaient à de purs sym-


boles non seulement les pratiques menues, mais tous les sacrements et
faisaient du Christ un intermédiaire particulier et, d'une certaine façon,
symbolique, lui aussi. L'homme « engendré » par Dieu — ainsi que l'a
noté Alexandre Koyré — « communie avec le Christ et y participe dans
et par la foi. Il est lui-même, littéralement en quelque sorte, le Corps du
Christ. E t c'est pourquoi les rites, tout l'appareil extérieur et social de la
vie religieuse perd pour Schwenckfeld son sens et sa valeur ». *
A côté de ceux qui s'affrontent ouvertement pour les dogmes et pour
les cultes, il y a donc beaucoup de gens qui n'interviennent pas, mais qui
ne se bornent pas à assister au combat : leur attitude est d'autant moins
passive qu'ils se détachent consciemment des uns et des autres, se réser-
vant la liberté de croire et de juger. Il y a ceux qui se fortifient dans une
foi intérieure, teintée fortement de mysticisme, ceux qui ouvrent leur
esprit à différents degrés d'indifférence, ceux qui réfléchissent et amorcent
la réaction d une morale autonome et laïque, ceux — enfin — qui arrivent
jusqu'à se retourner contre le christianisme lui-même. Car, autour de
1550, aux remous des croyances s'ajoute ce qu'on peut désigner comme
une sorte de catalysation de l'incroyance en elle-même. Les attitudes
implicitement ou explicitement antichrétiennes bénéficient, sans conteste,
de cette circulation accélérée des idées, notamment de leurs nouveaux
supports imprimés, de la vivacité, de l'ampleur des polémiques, du bouil-
lonnement multiple de la vie culturelle. Faudra-t-il s'étonner si, à la faveur
de cette « conjoncture », les tendances et attitudes non chrétiennes se
regroupent peu à peu, se mélangent, se confondent, se renforcent aussi
réciproquement ?
Si les controverses dogmatiques et les conflits armés qu'elles engen-
drent offrent un spectacle désolant, la tiédeur, l'indifférence religieuses
ne sont pas estimées moins graves par les fervents des deux camps. Ainsi,
dès 1550, une âpre controverse s'allume : protestants et catholiques s'éver-
tuent à faire endosser par leurs adversaires la responsabilité entière
de phénomènes tels que le nicodémisme ou le libertinisme spirituel. Plus
encore, les uns et les autres voient dans cette attitude la manifestation
d'un esprit diabolique, une atteinte fondamentale à la conception chré-
tienne : véritables signes d'incroyance et d'impiété.
Nous sommes fort loin d'admettre que l'on puisse placer sur le même
plan un des Périers, un Dolet et, par exemple, un Caspar Schwenckfeld.
Reste à examiner aussitôt ce qui a pu justifier la réaction farouche, dis-
proportionnée à première vue, que nicodémites et libertins — ainsi que
différentes sectes anabaptistes — suscitent sans tarder. Même si l'on se
bornait à classer le nicodémisme et surtout le libertinisme spirituel et
certaines formes d'anabaptisme comme des phénomènes purement et
simplement hétérodoxes, on ne saurait renoncer, tout de suite, à les rat-
308 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

tacher, indirectement, aux courants de libre pensée, de rationalisme, de


tolérance.
Ainsi, peut-on voir un hasard dans le fait que les protestants aient été
les plus sensibles à ces déviations dangereuses, les premiers à les signaler ?
Certes, ils devaient sauvegarder leur Réforme contre le rebondissement
d'opinions « scandaleuses », ils voulaient se désolidariser des anabaptistes
et autres sectes semblables. Le fil conducteur de l'argumentation catho-
lique était justement le suivant : les gens qui ont abandonné l'Église de
leurs pères sont passés d'abord au luthéranisme, ensuite à l'anabaptisme,
enfin les voilà partisans de Schwenckfeld, de Servet, d'Épicure. 6
Soit. Mais si nous réduisions la réaction des protestants contre ces formes
d'hérésie à un mouvement de défense tactique, nous accepterions trop
vite l'interprétation dénigrante de leurs adversaires. A y regarder de plus
près, le recul des réformés, et en particulier des calvinistes, devant ces
manifestations religieuses est aussi violent que spontané. Plus encore :
comme s'ils voulaient souligner la nouveauté de ces aberrations énormes
et les frapper de la plus haute infamie, ils ont recours à des mots nouveaux,
significatifs. Dans la lettre bien connue qu'Antoine Fumée adresse à Cal-
vin, en 1542, il emploie le mot inusité d'achristes (dans sa forme grecque,
d'ailleurs). Deux ans plus tard, Valérand Poullain écrivant, lui aussi, à
Calvin, de Strasbourg, lance contre certains nicodémites un autre mot,
appelé à une fortune singulière, aussi nouveau que terrible : athées. «

De la polémique de jadis à l'histoire d'aujourd'hui

Il faut évidemment sortir du cercle vicieux de ces polémiques. Un nombre


considérable d'hommes, vers le milieu du 16e siècle, témoignent d'instinct,
ou après réflexion, d'une attitude superficielle et grossière ou, plus soli-
dement, d'une insouciance nouvelle vis-à-vis de l'ensemble des croyances
religieuses traditionnelles. Ce dégagement mental et spirituel va de cer-
taines formes d'hérésie et de la raillerie anti-ecclésiastique jusqu'à la
prise de position rationnelle et philosophique à travers bien des positions
intermédiaires.
Seconde constatation : tout se produit dans le climat même de ce que
nous appelons en gros la Réforme. Au vrai, ce mot ne doit pas signifier
seulement la révolte de Luther, de Calvin ou de leurs partisans ; sur
le plan historique, il désigne aussi dans leur ensemble l'état de l'Eglise
et de la société européennes contre quoi la Réforme se dresse. Car il est
impossible de dissocier le protestantisme du catholicisme du 16e siècle,
à moins de considérer étroitement celui-là comme une hérésie au regard
de celui-ci. Or les contemporains les plus avisés ne tardèrent pas à repla-
cer sur le même plan, dans un même mouvement, les différentes confes-
sions religieuses ; et par la suite les événements leur donnèrent raison. Par
conséquent, il ne nous semble guère licite aujourd'hui de faire place aux
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 309

seules classifications théologiques. Il serait vain, ainsi, d'attribuer aux


réformés ou aux catholiques en t a n t que tels le mérite, ou la faute, du
phénomène libertin et de l'incroyance. L'unité mentale de l'époque a
joué ; et surtout cette atmosphère générale créée par la Réforme a repré-
senté la conjoncture favorable à la poussée des germes d'antichristianisme
que la civilisation européenne portait depuis longtemps en elle-même.
A coup sûr, et ce sera notre ultime remarque, il s'agit là d'une poussée
spontanée, organique, d'un phénomène de croissance, diraient les écono-
mistes. En effet, malgré tout ce qu'on a pu dire du rationalisme et de
l'incroyance du premier 16e siècle, le stade auquel il parvient est loin
d'être celui de la maturité ou d'une réelle structuration. Sans doute des
hommes cultivés ont-ils dépouillé avec soin la pensée d Aristote de cette
patiente adaptation médiévale qui en avait fait le support de la théologie ;
sans doute des « esprits forts » lisent et commentent sans répulsion le
De rerum natura de Lucrèce. De leur côté, des hérétiques amputent le
dogme traditionnel de telle ou telle ramification et refusent toute cette
vigoureuse floraison des croyances médiévales. Il y a les hommes, de plus
en plus nombreux, après 1530, qui considèrent les religions comme des
inventions humaines, dont le rôle est de maintenir les couches inférieures
de la société dans un état de soumission, d'obéissance. Notre énumération
peut même aller jusqu'à ceux — il en existe beaucoup plus qu'auparavant
— qui se font une joie grossière de blasphémer, d afficher un véritable
mépris pour les cultes et leurs manifestations.
Une telle conjoncture appelle cependant bien des remarques. Au milieu
du 16 e siècle, même au début du 17e, les divers aspects de l'irréligion se
soudent mal les uns aux autres, autrement dit, ils apparaissent rarement
à l'état pur : presque toujours ils se trouvent associés à des positions
révolues, traditionnelles, ou liés, le cas échéant, à de véritables démissions
morales. Toutefois cette croyance disloquée, peu cohérente, apparaît déjà,
non sans raison, comme un monstre redoutable aux chrétiens des diffé-
rentes Eglises. Les attaques dirigées contre elle en exagèrent régulièrement
les dimensions, et non sans raison : cette irréligion est novation. Au fond
d'elle-même il n'y a pas, en effet, l'athéisme, mais bien cette revendication
d'une capacité humaine et individuelle pour atteindre et réaliser toutes
les valeurs morales et intellectuelles. Alors peut-on parler d'irréligion
sans plus, en entendant par là le refus d'accepter un credo à travers
certains intermédiaires ecclésiastiques ? Non, évidemment. Dès 1550, ce
refus déborde l'aversion contre les ministres du culte, les cérémonies, la
crédulité superstitieuse ; il cède à l'exigence de réduire les dogmes à des
affirmations compréhensibles, toutes à la mesure de la raison, de la
morale humaines.
Ceci dit, resterait à retracer dans le détail — comme certains l'ont
fait de façon magistrale — l'apport de chaque hérésie, de chaque position
hétérodoxe a u x différents courants de la sensibilité moderne. Opération
310 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

nécessaire, utile, mais à condition de reconnaître au départ que ces apports


précieux, ont été, sont restés marginaux. A l'échelle de l'ensemble, la
secousse mentale produite par la Réforme (au sens large) nous paraît
autrement lourde de conséquences. Vaste tremblement de terre, elle a créé
l'exigence de bâtir une éthique nouvelle, non plus ecclésiastique mais
laïque, et du coup, valable pour les hommes du monde entier. Ni les
nicodémites, ni les libertins spirituels, ni t a n t d'autres sectes ou individus
ne peuvent prétendre avoir influencé, à eux seuls, cette évolution de
façon décisive. Ils en sont les signes.
Cet ensemble, ce gouffre créé et qu'il a fallu combler, cette chaîne de
réflexions qui relient la révolution religieuse et mentale du 16 e siècle et
la formation de l'esprit scientifique et juridique au 17e et au 18e siècle,
voilà la perspective privilégiée à nos yeux. Ensuite, rien de plus licite que
de revenir pour particulariser ces vastes horizons aux grands noms qui
s'imposent, bien qu'ils ne soient pas les seuls : d'Erasme à Montaigne,
de Jean Bodin à Pierre Charron.

II

LES GRANDS TÉMOINS

Nous ne nous arrêterons pas à l'immense et si personnelle élaboration de


l'humanisme que Montaigne confie à ses Essais. L'univers moral qu'il
reconstitue est, en profondeur, une confrontation entre l'expérience
classique des Anciens et celle des Modernes, ces hommes tourmentés de
sa génération. Mais cette reconstruction stratifiée, délicate, précise se
retrace malaisément en quelques lignes.

Avec Jean Bodin

On pourrait en dire presque autant de YHeptaplomeres, ce livre très


longtemps inédit ; mais Jean Bodin a su ramasser ses réflexions de manière
autrement systématique. Il y a chez lui de l'économiste et du sociologue.
Ce qui nous séduit plus encore c'est que son ouvrage correspond à plein
au problème de large perspective qui est le nôtre : à ce profond change-
ment éthique et religieux qui s'opère après les années 1570.
Dans son dialogue, Bodin introduit délibérément des personnages dont
il fait des porte-paroles des principales religions de son temps ainsi que des
grandes fractions de la chrétienté. Ses interlocuteurs sont un catholique,
un luthérien, un calviniste, un juif, un musulman ; ils s'entretiennent
avec un sceptique et ce qu'on peut bien appeler un déiste, Toralba, celui
qui exprime le mieux le point de vue de l'auteur.
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 311

Cette ampleur de débat aurait été insuffisante si chacun s'était employé


à exprimer avec intransigeance ses propres convictions. Quand Bodin
écrivait, autour des années 1590, la preuve était faite, pour lors, que
religions ou Eglises n'étaient pas en état de s'entendre. En Méditerranée
et dans les Balkans, pendant tout le 16 e siècle, Chrétiens et Musulmans
s'étaient farouchement opposés les uns aux autres ; l'Europe du Centre et
du Nord, depuis 1530 au moins, avait été ravagée par des luttes reli-
gieuses, non encore apaisées. Or, à la base de 1 Heptaplomeres, il y a
l'exigence, le goût du dialogue en matière de religion, un dialogue sans
doute imposé de l'extérieur, par les expériences sanglantes d'un siècle
dur ; mais il traduit une conviction profonde : à savoir que les hommes
doivent réfléchir au lieu de se laisser emporter par leurs croyances,
souvent irrationnelles, indignes de leur humanité. Jean Bodin souligne
ainsi le dégagement spirituel de sa génération hors de l'horizon menta-
lement clos de la chrétienté médiévale. En fait il refuse tous les dogmes,
même le concept d'une vérité religieuse distincte de la vérité morale
valable pour tous. Il conteste l'idée traditionnelle et anthropomorphique
de Providence, nie l'Incarnation et la conception virginale, la divinité
du Christ et la Rédemption ; il n'accepte plus aucun des sacrements, et
pas davantage la résurrection" des corps.
Que reste-t-il alors ? Dieu. Mais un Dieu inconnaissable, en apparence
fort loin de l'homme. En réalité, un Dieu intérieur, que Bodin craint et
révère. C'est en cette idée de Dieu que les différences entre Allah, Jéhovah
et le Père éternel des chrétiens se trouvent comme annulées. Dieu ne peut
être que le même pour tous les hommes et chacun peut le retrouver en
soi-même. Au nom de ce Dieu, Bodin flétrit les superstitions, démolit
les dogmes et croyances les plus caractéristiques du christianisme.
« Christ en tant qu'homme est une matière de phisique, affirme Toralba :
mais le véritable subject de la métaphisique, c'est-à-dire le propre object
de la théologie, est Dieu. Si, donc, en quittant les choses naturelles il f a u t
que nous parlions de Dieu, il n'y a rien en toutte l'estendue de la nature qui
luy puisse convenir ou qu'on luy puisse attribuer affirmativement... E t
après avoir dict de luy beaucoup de choses qui ne luy appartiennent point,
il se trouvera que ceux qui en parlent le moins improprement l'appellent
une Essence éternelle, unique, pure et simple, destachée de toutte matière
corporelle, infinie en bonté, sagesse et puissance ». 7 Ce que les Chrétiens
ont imaginé de lui est indigne de cet Etre suprême. « Cella se peut per-
suader aux chrestiens et aux ignorans, mais nullement aux philosophes
— écrit Bodin par la suite — qu'un Dieu éternel ayt demeuré pendant une
infinité de millions d'années immuable et que ce mesme Dieu depuis
quelques siècles soit descheu de cette nature excellente pour se revestir
d'un corps comme nous, composé de sang, de chair, de nerfs et d'os et pris
une figure nouvelle pour s'exposer aux tourmens d'une mort ignominieuse
et à la puissance infâme des bourreaux afin de ressusciter et de porter
312 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

dans le ciel cette masse corporelle, où jamais auparavant il n'en estoit


entré » 8 .
Ainsi l'Heptaplomeres ne dédaigne pas l'attaque virulente contre les
dogmes chrétiens. Cette polémique directe, doublée d'une attitude caus-
tique qui n'évite pas les blasphèmes, est un des caractères dominants
du dialogue. Tout en admettant que les différentes religions appartiennent
toutes à une catégorie inférieure de spiritualité, vulgaire, peu rationnelle,
et que celles de l'Orient ne sont pas vraiment supérieures à celles d'Occi-
dent, en fait, l'auteur ne livre son combat sans merci qu'aux seules
croyances fratricides de l'Europe. Bodin, que l'on pourrait définir comme
un déiste, est aussi un libertin, mais dans un sens nouveau, par le ton
qu'il adopte et que reprendront les hommes du 17 e et surtout du 18e siècle.
Chez cet homme qui a vécu, sa vie durant, le drame de la Réforme, appa-
raît déjà de façon claire et bien articulée le rationalisme moral des siècles
suivants. Cela signifie que ce libertinisme, né dans le climat des luttes
religieuses, y trouve à la fois sa racine et sa justification. Le Cymbalum
mundi de Bonaventure des Périers, écrit un demi-siècle auparavant,
aurait déjà pu nous permettre de l'affirmer. Mais l'œuvre tellement plus
vaste et complexe de Jean Bodin en donne la démonstration, d'autant
plus exhaustive que l'auteur de l'Heptaplomeres a — d'une façon analogue
à celle de Montaigne — transposé à travers sa propre existence les données
les plus variées de la culture de l'Antiquité, en y ajoutant par surcroît un
contact assez profond avec la Cabale et avec la pensée musulmane.

De 1530 à 1600, deux libertinismes

Ainsi, entre 1530 et la fin du siècle, nous voilà en présence de deux liber-
tinismes. Le premier, un mouvement de repli moral après la défaite de
l'anabaptisme. Si le royaume de l'esprit ne peut s'instaurer dans ce siècle,
autant déclarer que toutes les formes de religiosité extérieure sont égales
en valeur et donc, en elles-mêmes, indifférentes. Le libertin, et souvent
le nicodémite, n'ont qu'à les accepter, tout en se réservant de cultiver
dans leur cœur, leur famille, voire dans de petits groupes, leur foi dans
le règne de l'Esprit : ce règne qui justement se réalise déjà grâce à leur
adhésion et dont l'accomplissement est proche. Le second libertinisme se
dessine comme une forme de religiosité réservée à une élite : Bodin parle
souvent de philosophes, entendant par là des hommes cultivés, des
esprits critiques et affranchis. Ceux-ci ne constituent pas une secte au
sens traditionnel; ils savent qu'ils ne peuvent exprimer publiquement
leurs idées, mais qu'ils possèdent une forme de croyance commune. Ils
se comprendront entre eux, se soutiendront les uns les autres. D'autre
part, si le mysticisme des libertins spirituels se manifeste surtout sur un
plan de sensibilité, celui des seconds se situe sur un plan rationnel ; mais
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 313

la foi des uns et des autres est exclusivement intérieure, dégagée des rites
et des cérémonies.
Spirituels et philosophes considèrent dès lors comme épuisé — pour
eux — le rôle de la Révélation, de l'Évangile, de l'Église; les premiers
les appellent lois extérieures, les seconds les définissent comme des formes
grossières et impures de religion. En principe les uns et les autres s'op-
posent aux religions existantes, mais en pratique ils les acceptent, comme
inévitables et provisoires. Les unes et les autres refusent de considérer
leurs croyances comme un fait social dans le sens ecclésiastique, où les
autres hommes pourraient interférer. Le souffle de l'esprit ou la loi natu-
relle sont des réalités, individuelles au départ — même si Dieu ne les
refuse à personne —, une tension mystique ou une sévère loi morale
que chacun doit vivre sans intermédiaire et en communication person-
nelle avec le divin.
Telles sont, pensons-nous, les analogies entre le libertinisme de la
génération autour de 1550 et celui de la génération suivante. Analogies
réelles, mais que nous ne prétendons pas avoir dégagées avec suffisam-
ment de vigueur. Il fallait les souligner parce qu'elles ne sont pas exclu-
sivement formelles. Sans aucun doute, ces deux types de libertinisme
ont constitué de bonnes structures d'accueil pour l'incroyance ou l'indiffé-
rence religieuse à venir ; le second libertinisme surtout a préparé les
bases de l'antichristianisme et du déisme des siècles suivants. Le liber-
tinisme spirituel nous renvoie, pour ainsi dire, au Moyen Age, aux hérésies
spiritualistes et eschatologiques, tandis que celui de Bodin est orienté
vers l'avenir, vers la conscience laïque de la religion comme fait haute-
ment moral et personnel à la fois, dégagé par nature des cultes extérieurs
et surtout à ne pas confondre avec eux. Il nous a paru intéressant d'ana-
lyser ensemble ces deux formes de religiosité, proches dans le temps et
l'espace, issues du même climat, du même drame, celui de la Réforme.
En effet, tandis que l'une conserve tous les caractères de l'hérésie, l'autre
les a complètement perdus. La différence des milieux et des cultures dans
lesquels s'enracine chacune de ces formes spirituelles explique leur diver-
gence fondamentale, alors que les conditions extérieures contre lesquelles
elles s'élèvent expliquent leurs analogies.
Entre ces deux formes du libertinisme du 16e siècle, imaginons toute
une gamme de nuances, d'attitudes mentales et de pratiques intermé-
diaires. Les contemporains, catholiques ou protestants, n'hésiteront pas
à les relier les unes aux autres et à les accabler toutes sous une même
condamnation. Il est évident que ni leur point de vue, ni le nôtre ne sont
entièrement valables. La vérité historique ne peut être que multiple et
articulée à des paliers différents si elle veut saisir la complexité du passé
vécu. A posteriori reconnaissons aussi que ces deux libertinismes n'avaient
pas d'avenir immédiat dans les sociétés d'Europe occidentale. Or, en
France, et c'est l'important, une autre forme parvint à se frayer un chemin
314 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

au grand jour, en s'adaptant à la situation politique et religieuse imposée


après l'édit de Nantes (1598).

III

UN TROISIÈME LIBERTINISME

Un contemporain de Jean Bodin a vécu le drame même qui est à la base


de l'Heptaplomeres : cette déchirure morale et mentale produite par
l'hérésie protestante. Mais Pierre Charron (1541-1603), tout en rejoignant
Bodin en profondeur, se sépare de lui sur le plan décisif de la pratique.
Si le libertinisme spirituel renvoie à certaines mystiques médiévales,
si le radicalisme de Y Heptaplomeres se projette hardiment vers le lointain
Siècle des Lumières, La Sagesse de Charron est bien ancrée dans son milieu,
dans son temps. En effet, entre ces deux ouvrages, écrits presque en
même temps, quel décalage 1 Aussi bien il nous paraît décisif de ne pas
nous attarder à l'opposition ou à l'analogie entre les deux formes de
libertinisme que nous venons d'évoquer. Examinons maintenant la
troisième forme du libertinisme, celle qui a eu le plus de poids sur le plan
réel de l'histoire.

Pierre Charron

Pour jouer un rôle social, il fallait que le libertin affrontât la réalité. Sa


position ne pouvait paraître qu'arrogante, hérétique. Pour acquérir droit
de cité, ses valeurs morales eurent à subir une distorsion presque grossière.
C'est Pierre Charron qui, sans trop se soucier de finesse, tailla un habit
conformiste pour ce libertin, s'inspirant souvent de Montaigne, qui lui
fournit aussi un matériel déjà élaboré et presque « fini » pour la construc-
tion de sa Sagesse. Charron parvint donc à une synthèse, à un compromis,
issu d'un débat dépouillé, rude, serré et dont les conclusions furent, en
définitive, assez solides, adaptées, en tout cas, à une situation sociale pré-
cise.
Le traité De la Sagesse apparaît plus comme un combat que comme
une dissertation sereine. L'auteur se rend compte qu'il doit autant lutter
pour défendre son sage que s'employer à éclairer la route à suivre. D'où
ces attaques ouvertes contre les « pédants », contre les esprits faibles et
toute sorte de fous — y compris les partisans aveugles des diverses religions.
Du fait même que la science « est un très bon et utile baston, mais qui
ne se laisse pas manier à toutes mains », les sages — c'est-à-dire ceux qui.
savent « bien et excellemment faire l'homme » — sont une étroite minorité. 9
Beaucoup d'autres, sinon tous les autres, pourraient les rejoindre, et tel
est le but de l'ouvrage. Toutefois, tant qu'ils n'y sont pas parvenus, il
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 315

faut proclamer les prérogatives des premiers, aiguiser leurs armes, mais
fixer aussi leurs limites. C'est même de ces dernières que part l'auteur,
selon un mouvement tout à fait propre au libertinisme.
Charron qualifie indifféremment son sage de « spirituel » ou d'« es-
prit fort ». Tandis que la seconde expression lui vient du langage commun
des milieux cultivés de son temps, il emprunte le premier mot directement
à l'apôtre Paul — la médiation d'Erasme étant d'ailleurs bien probable.
Devant s'élever au-dessus du niveau, commun et populaire, des esprits
faibles, l'homme accompli doit avoir un esprit fort ; sa liberté d'esprit
doit être « pleine, entière, généreuse et seigneuriale ».10 Charron exalte
ce « vray privilège » qui fait de chacun « le scindic, le surintendant, le
le contreroolleur de nature, du monde, des œuvres de Dieu », et ajoute
aussitôt : « le vouloir priver de ce droit c'est vouloir qu'il ne soit plushomme
mais beste ».11 La liberté humaine consiste essentiellement à juger de
tout ; Charron ne peut pas écrire en toutes lettres : même de la religion ;
toutefois c'est bien ce qu'il fait et ce qu'il apprend à faire. Cette préroga-
tive restera intérieure, elle ne deviendra pas la base de l'action, mais cons-
tituera la règle de la pensée et de la croyance individuelles. D'où l'exhor-
tation à demeurer toujours indéterminé, indifférent et universel, « ouvert
et prest à tout ».12 Ainsi que les libertins spirituels, Charron admet :
« il adviendra souvent que le jugement et la main, l'esprit et le corps se
contrediront et qu'il fera au dehors d'une façon et jugera autrement au
dedans, jouera un roole devant le monde et un autre en son esprit : il le
doit faire ainsi pour garder Justice partout ».18
Le fondement du droit de chacun à juger de tout, unique dans son es-
sence, est triple dans son appellation : raison, nature, Dieu. En effet,
l'homme ne pourrait tirer de lui-même l'assurance morale nécessaire pour
« voguer... au delà les opinions communes » et pour « avoir veu, cognoissance
et maîtrise sur toutes choses ».14 En butte à d'innombrables dangers
venant à la fois de la conformation physique, de l'éducation, de la société,
de la partialité inévitable de notre expérience," Charron montre assez
à combien d'embûches sont exposées les facultés individuelles. De plus,
comme Bodin, il est persuadé que l'homme de son temps s'est beaucoup
éloigné de son état originel ; tandis que les ignorants et les simples se mon-
trent plus proches de la perfection que les savants et les habiles, que mêmes
les animaux sont capables de suggérer à ceux-ci les images et les voies
de la droiture naturelle. 16 La Sagesse prêche donc le retour à la nature,
exige qu'on réveille sa lumière « presque éteinte et languissante », demande
que revivent « ses semences presque étouffées », attaque même le libre
arbitre, « le seul déréglé et ennemy de nature ». 17
L'assurance que chaque individu tire de cet abandon aux lois fonda-
mentales de son être est justifiée par leur caractère universel et divin :
celui qui les suit « ne peut jamais faillir ». La raison — « première et uni-
verselle loy et lumière inspirée de Dieu, et qui esclaire en nous » — est
316 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

notre nature : la loi de nature est, à son tour, « universelle et constante


partout, et toujours mesme, égale, uniforme, que le temps ny les lieux ne
peuvent altérer ny desguyser ».18 A ceux qui lui objectent de trop faire
valoir la nature, Charron répond que c'est Dieu même et qu'elle est le
ressort de la droiture morale, ou prud'homie : « Nature nous est ensemble
et maîtresse qui nous enjouint et commande la preud'homie, et loy ou
instruction qui nous l'enseigne... Qui agit selon elle, agit vrayment selon
Dieu ».18 Cette Nature-Raison, en effet, est conçue de façon presque mys-
tique, non seulement comme « matrice de laquelle sortent et naissent toutes
les bonnes et belles loix », mais aussi telle « un esclat et rayon de la divinité,
une défluxion et dépendence de la loy éternelle, qui est Dieu mesmes, et
sa volonté ».20 Quand l'homme agit suivant la prud'homie essentielle,
radicale et fondamentale que la raison nous inspire, il agit « selon Dieu,
selon soy, selon nature, selon l'ordre et la police universelle du monde,
quietement, doucement et aussi sombrement et obscurément, sans bruit ». 21
Etre distinct de la Nature et de la Raison, Dieu est inconnaissable,
« infiniment par-dessus tous nos derniers et plus hauts efforts et imagi-
nations de perfection ». 23 Le rapport entre l'homme et Lui n'a plus, dans
La Sagesse, l'intensité craintive et la tension transcendante si nettes
dans VHeptaplomeres. Cependant, tout comme Bodin, Charron laisse
éclater sa colère et son ironie contre les cultes superstitieux ou anthro-
pomorphiques que les différentes religions — y compris la catholique —
adressent à la divinité : mais il semble plus préoccupé de creuser la dis-
tance entre le Créateur et la créature que d'établir entre eux un lien intime.
En d'autres termes, le mouvement le plus noble de l'homme envers Dieu
est de l'élever « au plus haut de tout son effort », afin de ne pas le souiller
de ses impuretés. Cet effort de l'esprit fait de Dieu une idée-limite sub-
jective. Ne lit-on pas encore dans De la Sagesse : « Dieu est le dernier effort
de notre imagination vers la perfection, chacun en amplifiant l'idée suyvant
sa capacité» ». 23
Cette attitude se trouve renforcée par la place secondaire réservée à
la grâce divine par rapport à la prud'homie, celle-ci œuvre de la Nature
et de la Raison. Charron, en effet, tient à ne pas les confondre, à affirmer
que si la seconde peut subsister sans la première, le contraire n'est pas
possible. De plus, il arrive à reconnaître la vraie vertu morale non seule-
ment chez les grands hommes et les philosophes de l'Antiquité mais aussi
parmi les mécréants. La grâce ne fait que donner à la prud'homie « son
dernier trait visuel », par lequel celle-ci se trouve relevée, christianisée,
couronnée. 24
En fondant sur la nature et sur la raison la force et l'unité morale de
chaque individu et, à la limite, de l'humanité entière, Charron a dégagé
les valeurs qui feront du libertinisme un des courants les plus stimulants
de la culture européenne jusqu'au début du 18e siècle. Interprétant une
des directions nouvelles de la sensibilité collective, l'auteur de La Sa-
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 317

gesse a affranchi la libre pensée de toute hypothèque ecclésiastique, il


a sanctionné le divorce entre l'éthique et la religion. C'est d'une séparation
qu'il s'agit, d'un refus de cohabitation, doublé d'un accord explicite de
coexistence extérieure. Le nouveau visage du libertinisme élaboré par
Charron est catholique — tout en étant prêt à se faire protestant, ou mu-
sulmam suivant les pays. C'est à ce stade que le libertinisme se dégage
définitivement de l'hétérodoxie, car, et c'est capital, il se dégage du chris-
tianisme.

La morale installée dans son autonomie humaine, le libertinisme a tou-


jours opéré à l'aide d'une dialectique, d'une dissociation radicale des va-
leurs et des plans sur lesquels celles-ci se situent. Tant que la morale se
trouvait prise dans une dimension religieuse, toute rupture ne pouvait
être qu'hétérodoxe. C'est le cas des libertins spirituels, des schwenckfel-
diens et de bien d'autres avant eux ; de Bodin aussi en raison même de
son déisme. Tous, en effet, considèrent les Eglises ou les religions comme
des manifestations imparfaites et dépassées ; pourtant ils rattachent les
valeurs morales au Dieu et aux cadres spirituels j udéo-chrétiens. Au contra i-
re, chez Charron, la force de la théologie négative est telle, Dieu est pro-
jeté si loin des créatures que les religions perdent tout caractère divin
et la morale du sage en sort finalement indépendante, et purement
humaine.
Dans Les trois vérités est expliquée en clair la prémisse mentale des po-
sitions de De la Sagesse. Pierre Charron se demande comment établir un
rapport avec la divinité. «Le plus expédient, mais qu'il soit possible à
l'homme se voulant mesler de penser et concevoir la Déité, écrit-il, est
que l'âme, après une abstraction universelle de toutes choses, s'eslevant
par dessus tout, comme en un vuyde vague et infiny, avec un silence pro-
fond et chaste, un estonnement tout transy et une admiration toute
pleine de craintive humilité, imagine un abisme lumineux, sans fond,
sans rive et sans bord, sans haut, sans bas, sans se prendre n'y se tenir
à aucune chose qui lui vienne en imagination, sinon se perdre, se noyer
et se laisser engloutir en cest infiny ». « Mais, poursuit-il aussitôt, « pour
ce qu'il est très difficile et à peu près impossible à l'âme de pouvoir sub-
sister en un si incertain et vague infini (car elle demeureroit toute troublée
et comme au rouët, semblable à celuy qui de force de tourner sa teste,
tout esblouy, ne sçachant plus où il est, se laisse tomber), et quand bien
elle le pourroit, demeurant transie, percluse et ravie d'effroy et d'admi-
ration, si ne pourroit-elle en aucune façon agir avec Dieu, le prier, l'in-
voquer, le recognoistre, l'honnorer — qui sont les premiers et principaux
chefs de toute religion •— car en telles choses il est nécessairement requis
se le présenter avec quelque qualité, bon, puissant, sage, entendant, ac-
ceptant nos intentions : 0 est force et ne peut estre autrement, en la condi-
tion présente de ceste vie, que chacun se face et se peigne à soy-mesme
21
318 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

une image de la Déité à laquelle il regarde, il s'adresse et se tienne, la-


quelle luy soit comme son Dieu ». a5
Chacun le sait, Charron a écrit Les trois vérités pour démontrer qu'il
y a un Dieu, une révélation, une vraie Eglise. Mais le passage des postu-
lats théologiques négatifs à l'apologie de la religion positive, est d'autant
plus sec et rapide que l'auteur estime s'abaisser du plan intérieur et pro-
fond d'une spiritualité théorique à celui des cultes extérieurs et pratiques.
L'esprit a beau s'élever vers Dieu : « le dernier et le plus haut degré où
chacun peut monter et arriver par l'extrême effort de sa conception luy
est son Dieu et luy sert d'image de la Déité », « le plus haut esprit et le
plus grand effort de l'imagination n'en approche pas plus près que la plus
basse et infime conception. Le plus grand philosophe et le plus sçavant
théologien ne cognoit pas plus ou mieux Dieu que le moindre artisan... :
la plus haute montaigne n'est pas plus voisine du ciel que le plus bas va-
Ion ».28
Pour ne pas nous égarer dans une recherche sans issue, ni exiger de
nous ce qui nous dépasse, il n'y a qu'une solution : accepter le culte du
pays où l'on se trouve, c'est-à-dire, dans la France du début du 17e siècle,
le catholicisme. Du moment qu'il faut suivre une religion, celle du prince
sera la meilleure. 27 La Sagesse ne fait que reprendre certaines positions
déjà avancées dans Les trois vérités et affirme : « en matière de religion...
la seule authorité vaut sans raison ».28
Le sage ne consentira pas à abdiquer sans certaines contreparties. Il
estime que dans la religion se manifeste plus qu'ailleurs la faiblesse hu-
maine, voire la folie et « aliénation de sens ». 39 Tout en ne voulant pas
exclure la Révélation, il ne renonce pas à identifier et à pourchasser ce
qu'il y a de purement humain chez elle ou à souligner les contradictions
entre les croyances et la conduite des Chrétiens. Mais, convaincu, sans
nul doute, de la valeur relative de chaque culte, il baisse la tête devant
celui de son pays. « Le dire général : universus mundus exercet histrio-
niam — proclame Charron — se doit proprement et vrayment entendre
du sage, qui est autre au dedans qu'il ne montre au dehors. S'il estoit
au dehors tel que dedans il ne seroit de mise ny de recepte, il heurteroit
par trop le monde : s'il estoit au dedans tel qu'au dehors il ne seroit plus
sage, il jugerait mal, seroit corrompu en son esprit. Il doit faire et se porter
au dehors pour la révérence publique et n'offencer personne, selon que
la loy, la coustume et cérémonie du pays porte et requiert : et au dedans
juger au vray ce qui en est selon la raison universelle, selon laquelle sou-
vent il adviendra qu'il condamnera ce qu'au dehors il fait ».30
Une dernière contrepartie est nécessaire. Si le sage va jusqu'à prati-
quer la religion, se réservant de la juger en son for intérieur, il exclut ou-
vertement que la prud'homie dépende d'aucune forme de piété. La re-
ligion est une vertu spéciale, particulière, distincte de toutes les autres
vertus, qui peut exister sans elles et sans probité, et celle-ci sans religion.
LIBERT1NISME ET HÉRÉSIE 310

« Je veux — proclame la Sagesse — que tu sois homme de bien, quand


bien tu ne devrois jamais aller en Paradis ». »

Le libertinisme, une navigation hautière


Ainsi Charron ratifie un partage sans éclat, imposé par la nécessité his-
torique et lourd de conséquences ; un partage difficile pour le sage libertin,
car il doit se retirer de l'action directe pour continuer à vivre dans la
société. Il paye de cette façon le prix de n'être même plus un hérétique
au sens traditionnel ; mais il se venge en introduisant dans le milieu qui
l'environne une sorte de secte nouvelle : celle des libres penseurs. Pas de
ceux que le 18e et le 19e siècle connaîtront, mais des hommes irréducti-
blement accrochés à une position de partage entre science et morale hu-
maine, d'un côté, croyances et religion, de l'autre. Tout en étant dépour-
vus d'un espoir immédiat en une nouvelle conjoncture favorable à leur
vision du monde, ils s'acharnent à n'être conformistes qu'en apparence,
animés par une foi certes non moins grande que celle de leurs adversaires.
L'affreux courage que Charron a eu de mesurer —• en l'établissant sur
le plan moral — l'incommensurable distance entre Dieu et l'homme, aura-
t-il aidé ce dernier, durant ces premières et éclatantes décennies du 17e siè-
cle, à mesurer, cette fois à l'aide d'instruments mathématiques, avec un
œil nouveau, les dimensions nouvelles et vraies de l'univers? Autre ques-
tion, décisive elle aussi. En tout cas, ayant reposé, ou tenté de reposer,
les problèmes de l'hérésie et du libertinisme, avons-nous vraiment suggéré
que celui-ci ne peut être lui-même qu'en cessant de côtoyer celle-ci. Le
libertinisme, dirons-nous volontiers, c'est aussi, en ces époques où l'Europe
saisit les sept mers du monde, une navigation hauturière, hors du cabo-
tage des siècles antérieurs. De cette navigation hauturière, Pierre Charron,
si mal traité dans nos manuels scolaires, donne la première mesure et non
moins sûrement le premier départ.

NOTES

1. < La déclaration de l'homme extérieur et de l'homme intérieur, l'ung selon la chair


et l'autre selon l'esprit », dans Traités mystiques écrits dans les années 1547 à 1549,
éd. C. Schmidt, Bâle-Genève-Lyon, 1876, p. 65.
2 . J. C A L V I N , Contre la secte phantastique et furieuse des libertins qui se nomment spi-
rituelz, s.l., 1547, p. 43.
3. La déclaration... op. cit., p. 81; cf. Théâtre mystique de Pierre Du Val et des libertins
spirituels de Rouen au 16e siècle, éd. E. Picot, Paris 1882, p. 67.
320 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

4. A. KOTOÉ, < Mystiques, spirituels, alchimistes du XVI E siècle allemand : Schwenck-


feld, Sébastien Franck, Weigel, Paracelse >, cahier des Annales, n° 10,1955, p. 19.
5. Dans plusieurs passages de son De origine heeresium nostri temporis (Louvain
1559), Stanislas Hosius brosse assez clairement son interprétation. Bernardus
vero Rothmannus, Henricœ Rolius et Godefridus Strallen ex Hessia missus, écrit-il
d'abord, sicut ex christianis luterani, sic paulo post ex lulheranis facti sunt anabap-
tiste et anabaptistarum evangelium summa vi propagarunl, verumque illud esse
ostenderunt quod scriptum est : impius cum in profundum venerit contemnit. Nam
si semel aliquis deserit religionem christianam, cuicunque tandem sectse nomen
dederit, ei ludus quidam esse videtur de una secta in aliam transilire ; ibid., f° 24-
Cf. plus loin :
Fenestras fabricare sathanismo nefas non est ?... LInde sacramentarii, unde nobis
anabaptistes, unde svenckfeldiani, unde prodierunt servetiani t Non aliunde certe
quam exjis mutationibus quas Lutherus instituit ; ibid., f° 46 v. L'idée de la progres-
sion de l'hérésie vers l'impiété est aussi exprimée par le titre d'un paragraphe du
même ouvrage : Quibus gradibus salhanismus Germaniam occuparit ; ibid., f° 48 v.
6. Cf. A . - L . H E R M I N J A B D , Correspondance des réformateurs dans les pays de langue
française, t. VIII, Genève, 1893, p. 229, et t. I X , 1897, p. 179.
7. Colloquium Heptaplomeres, livre VI, éd. partielle d'un manuscrit français par
R. Chauviré, Paris, 1914, p. 159-160.
8. Ibid., p. 177.
9. De la Sagesse, Paris, 1604, préface p. 8 et 14.
10. Ibid., p. 8-9 et livre II, chap. 2, p. 320.
11. Ibid., livre II, chap. 2, n° 2, p. 322-323.
12. Ibid., n- 1, p. 320-321.
13. Ibid., n» 3, p. 324-325.
14. Ibid., livre II, chap. 3, p. 349.
15. Ibid., livre I, chap. 14, passim.
16. Ibid., livre II, chap. 3, n» 7, p. 358-359 ; cf. Heptaplomeres, éd. Noack, livre IV,
p. 149 et livre V, p. 190.
17. De la sagesse, livre II, chap. 3, n» 11, p. 362 et n» 13, p. 364.
18. Ibid., préface, p. 8 ; livre II, chap. 2, p. 329 et chap. 3, n» 6, p. 355.
19. Ibid., livre II, chap. 3, n» 5 et 6, p. 353 et 355, cf. aussi ibid., p. 362.
20. Ibid., n° 6 et 7, p. 355 et 358.
21. Ibid., n» 6, p. 357.
22. Ibid., chap. 5, n° 19, p. 392. La plupart des historiens n'ont pas remarqué jusqu'ici
que, au-delà des contradictions entre les œuvres apologétiques de Charron et sa
Sagesse, il y a partout chez lui une conception identique de la divinité. Il faut
même dire que sa théologie joue un rôle moins éclatant dans la Sagesse, tandis
qu'elle occupe une place essentielle dans Les trois vérités et dans les Discours chres-
tiens. Dans Les trois vérités, au cinquième chapitre du premier livre, on lit notam-
ment : « Ainsi seront toutes ces images (de Dieu) différentes, comme diverses les
âmes qui les peignent en leurs portées et capacitéz ; voire une mesme âme changera
souvent d'image comme elle s'eslevera, s'esvertuera et s'esclaircira plus ou moins,
soit par ses propres et naturelles forces ou bien soulevée et guidée par discipline
et instruction prinse d'ailleurs. Dont il y aura icy du plus ou du moins : plus belle,
haute, riche sera l'âme, plus noble Dieu aura elle, plus belle et plus digne image
fera elle ». Cf. également le premier des Discours chrestiens sur la divinité.
23. De la Sagesse, livre II, chap. 5, n» 15, p. 391, et n° 19, p. 392.
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 321

24. Ibid., chap. 3, n» 16, p. 367.


25. Les trois vérités, Paris, 1594, 1 " partie, chap. 5, p. 24-25.
26. Ibid., p. 25, 18-19.
27. « Il y a donc un autre moyen de s'asseurer des choses que par raison, sens ou expé-
rience, et beaucoup meilleur, plus doux, plus coy et paisible : c'est l'authorité
du souverain ; laquelle qui recognoit, comme il doit, avec révérence, il se met à
Fabry de toute dispute, doute, inconstance et perplexité : il vit en repos, car il
s'en remet à celuy qui peut et qui doit l'en garantir, auquel croire c'est la vraye
religion...»; ibid., 2« partie, chap. 12, p. 167. Cf. De la Sagesse, Livre II, chap. 5,
n» 6, p. 383.
28. De la Sagesse, préface, p. 19-20.
29. Ibid., livre I, chap. 39, n» 12, p. 215 et livre II, chap. 5, n° 2, p. 381.
30. Ibid., livre II, chap. 2, n° 3, p. 325. « Ce qui se fait au dehors — écrit encore Charron
— est plus pour nous que pour Dieu, pour l'unité et édification humaine que pour
la vérité divine » ; ibid., livre II, chap. 5, n» 21, p. 393.
31. Ibid., chap. 5, n» 28, p. 398.
DISCUSSION

E . D E L A R U E L L E . — M. Tenenti vient de soutenir brillamment que la


réforme protestante avait comme opéré une percée dans la mentalité dn
Moyen Age, imposant un pluralisme religieux, et frayant ainsi la voie à
un nouveau libertinisme. Sans méconnaître l'importance de cette rupture,
on remarquera pourtant que certains esprits, au moins en France et surtout
à Paris, au début du 16 e siècle, lui ont témoigné une relative indifférence :
par exemple, saint Ignace ignore le luthérianisme et l'affaire des Placards,
et lorsqu'il fonde sa fraternité, il ne songe pas du tout à reconquérir les
protestants. La curiosité pour la Terre sainte ne fléchit pas pendant la pre-
mière moitié du 16 e siècle, ni donc pour les problèmes de l'Islam. Et il ne
faut pas oublier que Jean Bodin a eu des précurseurs célèbres avec Guil-
laume Postel, préoccupé du dialogue avec l'Islam, et qui a ébauché l'idée
d'une réconciliation des religions, et, avant lui, avec le cardinal Nicolas de
Cues qui a fait dialoguer, dans son Parlement des religions, les représentants
de ces derniers.
J e pense enfin qu'à partir de la découverte des masses non évangélisées
du Nouveau Monde, les théologiens se sont trouvés aux prises avec la ques-
tion du salut des infidèles ; et si les rigoristes ont accepté de jeter en enfer
toute l'Amérique, les humanistes, sans tomber dans la religion naturelle,
ont cherché un texte qui réduise les exigences : ils l'ont trouvé dans I'épître
aux Hébreux où, pour être sauvé il suffit de la croyance en un Dieu rémuné-
rateur et vengeur ; et ils ouvrent ainsi une nouvelle perspective bien avant
le libertinisme de la fin du 16 e siècle.
Ainsi retrouvons-nous le problème de la périodisation : où faut-il placer
la fin du Moyen Age ? Dans la Réforme protestante ? Dans la réflexion sur
le salut des infidèles du Nouveau Monde ? Dans l'humanisme, précurseur du
libertinisme ?

H. G R U N D M A N N . — Dans le même sens que M. Delaruelle, je voudrais


tout d'abord rappeler le dernier entretien d'Abélard entre un chrétien,
un juif et un musulman. Il y a là une tradition. Vous dites du Moyen Age
d'autre part que le libertinisme n'a rien à voir avec l'esprit libertin. C'est
faux. On tombe dans la calomnie, si on regarde les hérésies de la fin du
Moyen Age comme amorales. L'intériorité est en cause, non l'extériorité.
Au 16 e siècle l'extériorité, c'est le pluralisme, c'est-à-dire il existe plusieurs
États et depuis que ces États considèrent les sectes et les hérésies comme
autant d'Églises, il naît un pluralisme des religions, voir des sectes. Ce n'est
pas un hasard si Bodin, dont l'œuvre essentielle est la découverte de la
souveraineté de l'État, découvre en même temps la méthode historique en
affirmant que, jusque-là, la lecture de la Bible par les historiens a été faussée.
Le contenu de la Bible doit être vrai, mais fausse notre lecture. Ne devrions-
nous pas orienter notre réflexion sur les relations entre hérésie, société et
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 323

État ? Peut-on par exemple parler d'hérésie après 1500, époque où les héré-
tiques sont chassés ou brûlés ? Le problème de la diversité religieuse se
pose alors avec acuité, tout comme auparavant celui de la multiplicité des
États. Il importe par conséquent davantage d'étudier le rapport Église-
Êtat mieux établi et beaucoup plus constitué que le rapport religion-so-
ciété. Je voudrais enfin rappeler qu'au 14e et au 15e siècle, il arrive d'enten-
dre des hérétiques affirmer que celui qui possède la liberté d'esprit parvient
à la vraie connaissance et à la félicité, qu'il soit juif, païen ou musulman.
Une telle mentalité trouvera plus tard une formulation dans le domaine de
la science, dont elle constitue en quelque sorte une condition nécessaire.
Je ne crois pas aux coupures brutales en matière d'évolution de l'Esprit.
La multiplicité des États et la diversité religieuses m'apparaissent ainsi
comme une des conditions d'apparition de ce libertinisme du 16e siècle.

— M . Tenenti a posé très clairement le problème


S. S T E L L I N G - M I C H A U D .
du libertinisme en en faisant une forme de religiosité supérieure, d'une élite ;
et il a des racines profondes, très haut dans le passé : je vois une filiation,
celle de l'averroïsme. Nous avons affaire à des résurgences de conceptions
philosophiques et politiques formulées dans des ouvrages sans influence
immédiate mais dont l'action a été profonde : averroïsme politique du De-
fensor Pacis de Marsile de Padoue qui contient en germe certaines des idées
essentielles des réformateurs (la première édition en a paru à Bâle en 1522),
mais aussi humanisme averroïste de Pomponazzi et de Laurent Yalla :
le De Voluptate de Laurent Valla définit admirablement cette conception
nouvelle de l'humanisme, mi-chrétien mi-païen. E t il faut tenir compte
de cette tradition du libertinisme italien et humaniste, de ces relations
avec la pensée française pour comprendre pleinement la pensée de Bodin
et 'es perspectives dans lesquelles elle se place.

R. MANDROU. — Je demanderai seulement à M. Tenenti pourquoi il


n'a pas étudié aussi le libertinage érudit du début du 17e siècle et le fameux
esprit fort de Pascal, qui me paraît le type du libertin moderne.

A. ABEL. — Je crois que le pivot de la modification des orientations intel-


lectuelles, à l'époque étudiée par M. Tenenti, ne réside plus dans les questions
christologiques, ni de dogmatique, ni de théologie, mais dans une nouvelle
façon d'envisager le monde, qui résulte de cette influence seconde de l'aver-
roïsme, de cette inquiétude vis-à-vis des textes véritables d'Aristote qui
constituent le pivot de la science. Ce sont des hommes comme Cardan, de
bonne foi et vivant dans une inquiétude réelle entre la religion de leurs an-
ancêtres et les choses qu'ils découvrent sans pouvoir les imbriquer dans
l'ensemble de leurs croyances, qui ont constitué l'origine du libertinisme
moderne : ils posent l'immense problème des rapports de l'humanisme et le
la pensée scientifique avec la pensée religieuse traditionnelle.

I. S. REVAH. — Je ne pense pas que l'allusion de M. Delaruelle à ce qui


semblerait des précédents du libertinisme au Moyen Age soit opportune :
bien avant Nicolas de Cues, un homme comme Raymond Lulle confronte
324 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

les religions dans un esprit remarquable, il cherche à comprendre l'infidèle


ou l'hérétique, sans d'ailleurs mettre en doute la vérité du christianisme.
Mais, dans le Colloque de Jean Bodin, il est difficile de dégager ce qui
était la position personnelle de Bodin : on a remarqué que le juif est très
bien traité, on s'est demandé s'il n'avait pas penché vers le judaïsme, on
l'a même cru, d'après des sources anciennes, fils d'une juive, puisqu'il
fallait trouver une base généalogique à l'inflexion judaïsante. En tout cas,
le passage éclatant qu'a lu M. Tenenti sur l'impossibilité pour l'homme Jésus
d'être Dieu, est un passage extrêmement classique de la polémique juive.

R. MORGHEN. — Je dois dire que le passage du Moyen Age à l'époque


moderne me paraît caractérisé d'un changement de religiosité, le passage
d'une religiosité eschatologique, qui a sa fin précise vers le milieu du 14e siè-
cle, à une autre mentalité religieuse, qui intériorise toujours plus le fait
religieux en vie morale ; d'une part, donc, un fait de conscience individuelle,
qui sera un des points fondamentaux de la Réforme, et d'autre part la conso-
lidation des structures de la tradition religieuse chrétienne en forme ration-
nelle, juridique et théologique, liée à l'aristotélisme. Nous voyons pleinement
cette mentalité fleurir chez Jean Bodin. Je serai plus prudent sur ses atta-
ches avec le Moyen Age, Marsile de Padoue ou Averroès. Le point qui dis-
tingue la nouvelle forma mentis moderne de celle du Moyen Age, c'est que la
première est basée sur l'expérience du monde visible et non plus sur la théo-
logie et l'étude des choses visibles et invisibles : ce sont Galilée et Copernic
qui détruisent Aristote et Ptolémée, qui sont à la base de la pensée moderne.
E t le libertinisme nous donne l'explication de ce phénomène fondamental,
du monde moderne, dénoncé par Lamennais : l'indifférence en fait de reli-
gion.

P. FRANCASTEL. — Je pense que le M. le professeur Abel a touché un point


fondamental : l'élément déterminant du renouveau a été le courant —
beaucoup plus ancien que l'humanisme — d'observation de la nature. A
propos de la périodisation, je crains que celle de M. Tenenti ne soit trop
rigide ; je crains toujours qu'à partir de la périodisation on en revienne aux
conceptions finalistes, alors qu'il s'agit de saisir l'originalité d'une époque,
d'un milieu, d'un groupe humain à une date fixée.

A . TENENTI. — Je ne suis évidemment pas en mesure de répondre ici à


toutes les questions, ni de poser tous les problèmes soulevés, et je suis content
d'avoir contribué à les soulever : je voudrais seulement dire à M. le chanoine
Delaruelle qu'à propos de l'attitude des Parisiens, celle de saint Ignace
est un signe très important, mais que la question est une question d'échelle,
et qu'il y a plusieurs vérités à des échelles différentes.
Je ne partage pas l'opinion de M. Stelling-Michaud sur le rôle de l'huma-
nisme italien : pour moi l'échec de l'humanisme italien et la réussite de l'hu-
manisme français sont affaire de conjonture. On ne peut cependant mécon-
naître Valla et Cardan.
LIBERTINISME ET HÉRÉSIE 325

Je voudrais dire enfin, très franchement à M. Mandrou qu'il y a une diffé-


rence de nature entre le libertinisme du 16 e siècle et même de Bodin, et le
libertinage érudit : dans le second, on se place déjà sur un autre plan. La
science y a un poids que Bodin ignore : Bodin connaît la loi, la rationalité
dans la nature, il ignore la science. Ainsi les problèmes posés par les rapports
entre le libertinage érudit et jansénisme sont différents de ceux que posent
les rapports entre libertinisme et réforme.
1. S. REVAH

L'HÉRÉSIE MARRANE
DANS L'EUROPE CATHOLIQUE
DU 15* AU 18e SIÈCLE1

Définition du marranisme, chronologie et géographie du marranisme


L'hérésie marrane est née de la conversion violente de juifs au catho-
licisme en Espagne et au Portugal. Le processus de cette conversion fut
différent dans les deux pays. En Espagne, elle fut un résultat des pogroms
de 1391 et de la tournée de prédications de Vincent Ferrier ; la monarchie
ne p u t que ratifier les baptêmes opérés en de telles circonstances. Durant
le 15 e siècle, les Marranes espagnols, c'est-à-dire les juifs baptisés qui
restaient fidèles d'une manière ou d'une autre à leur ancienne religion
purent maintenir le contact avec leurs frères demeurés juifs, jusqu'à
l'expulsion de ces derniers en 1492. Une exception est constituée par le
cas des juifs de l'île de Majorque, qui furent collectivement convertis
au catholicisme en 1435. Au Portugal, au contraire, ce fut la monarchie
qui prit l'initiative de convertir par la force, en 1497, les Juifs portugais
et les Juifs espagnols qui avaient cherché refuge au Portugal en 1492. La
définition et la perpétuation de l'hérésie marrane ont été en partie condi-
tionnées par l'activité d'un tribunal, l'Inquisition, spécialement chargé
de surveiller le comportement religieux des « nouveaux chrétiens », c'est-à-
dire des descendants des juifs convertis au catholicisme dans la péninsule
Ibérique au 14e et au 15e siècles.
Les cadres chronologique et géographique de l'hérésie marrane dans les
pays catholiques d'Europe du 15e au 18e siècle sont les suivants :
1° En Espagne, le crypto-judaïsme prend de l'importance à partir
de 1391, il est poursuivi par l'Inquisition à partir de 1480.
2° Au Portugal, le point de départ de cette hérésie se situe en 1497
et celui de la répression inquisitoriale en 1536.
3° En France et dans les Pays-Bas du Sud, malgré quelques graves
incidents isolés, l'équivoque fut généralement entretenue sur la véritable
foi de la plupart des « nouveaux chrétiens » hispano-portugais qui vinrent
s'y installer à partir du 16e siècle. Cependant, à la fin du 17® siècle, on ne
peut plus guère parler pour ces pays d'« hérésie marrane », car les « nou-
328 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

veaux chrétiens » immigrés s'abstiennent de pratiquer extérieurement le


catholicisme et leur qualité de Juifs est de moins en moins cachée.

Le marranisme, refus collectif clandestin du catholicisme

Dans l'histoire des hérésies, le marranisme occupe naturellement une


place particulière. C'est l'appareil judiciaire de l'orthodoxie catholique
qui lui a conféré le statut et les caractères d'une hérésie. Dans la mesure
où la religion, aux siècles de son existence, imprégnait toute la vie d es
individus et des sociétés, le marranisme est un refus collectif clandestin
de la mentalité catholique.
Refus collectif, car les Marranes ont formé des groupements secrets
dont les membres, pour reprendre les formules inquisitoriales acceptées
par les victimes du Saint-Office, étaient persuadés qu'ils ne pouvaient
faire leur salut que dans la loi de Moïse, et non dans la foi de Jésus-Christ,
qu'ils considéraient comme un succédané de l'idolâtrie païenne. Ils ne
croyaient ni en l'existence de la Trinité, ni en la valeur des sacrements de
l'Eglise catholique. Jésus n'était pour eux « ni Dieu, ni le Messie promis
dans la Loi ». Attendant la venue du vrai Messie, ils adressaient leurs
prières au « Dieu des Cieux », créateur et gouverneur de l'Univers.
Refus clandestin, car ces Marranes profondément convaincus dans leur
for intérieur de la « fausseté » et de 1'« inefficacité » de la foi chrétienne,
étaient publiquement des catholiques, le plus souvent très attentifs (par
crainte de l'Inquisition) à l'exécution scrupuleuse des pratiques chrétiennes.
Certains d'entre eux ne reculaient pas devant l'entrée dans les différents
états de la classe ecclésiastique catholique.
A la base du marranisme il y a donc une duplicité fondamentale. La
seule mentalité, la seule culture, dont l'accès leur était autorisé, étaient
catholiques ; or elles étaient frappées de nullité à leur yeux. Persuadés de
la vérité de la loi de Moïse, ils n'avaient guère la possibilité d'en appro-
fondir le contenu : en particulier, il leur était presque entièrement impos-
sible de connaître les règles de pensée et de vie qu'en avait dégagées la
séculaire tradition rabbinique. Toute leur activité publique, religieuse ou
philosophique, était donc condamnée à l'insincérité. L'essentiel de l'aspect
collectif du marranisme tenait, de ce fait, dans ce que le jargon inquisi-
torial appelait la « déclaration » ou la « communication » de leur croyance
secrète.

Le marranisme comme hérésie « traditionnelle »


Le marranisme n'est pas seulement un refus du catholicisme, il est égale-
ment un désir obstiné de se rattacher à la tradition juive. Pour un vrai
Marrane, le grand problème était de prendre connaissance de cette tra-
L'HÉRÉSIE MARRANE DANS L'EUROPE CATHOLIQUE 329

dition. Les conditions ont naturellement varié selon les siècles et selon
les pays.
De 1391 à 1492, les Marranes espagnols pouvaient s'informer auprès
des membres des communautés juives.
De 1497 à 1536, les Marranes portugais, tout en faisant l'apprentissage
de la dissimulation, pouvaient se transmettre sans trop de risque l'essentiel
de la tradition juive.
Les marranes installés en France et dans les Pays-Bas du Sud reçurent
bien vite de leurs frères juifs les livres nécessaires à leur instruction dans
le judaïsme (traductions de la Bible et du Rituel, ouvrages religieux)
ainsi que des réponses manuscrites précises à leurs difficultés spirituelles
et des exhortations ardentes à revenir à l'Alliance d'Abraham. Des émis-
saires de la Diaspora juive complétaient ces divers enseignements.
Les conditions étaient toutes différentes en Espagne et au Portugal
après l'instauration de l'organisme inquisitorial. L'efficace répression du
Saint-Office entravait la transmission de la tradition et rendait prati-
quement impossible l'observance de certains préceptes. Certes, on doit
compter avec les hasards de la clandestinité et les périodes de relâchement
relatif de la persécution. Des « nouveaux chrétiens » quittaient la pénin-
sule Ibérique, entraient dans les groupements marranes fortement reju-
daïsés de France ou des Pays-Bas du Sud (ou dans les communautés
judéo-hispaniques d'Italie, Turquie, Hollande ou Allemagne), puis reve-
naient au pays natal. Il leur était alors possible de réinstruire dans la
tradition juive les quelques Marranes qui gravitaient autour d'eux, en
utilisant parfois des livres qu'ils avaient clandestinement rapportés. Dans
l'Espagne du 17e siècle, où les Marranes portugais étaient nombreux,
la persécution inquisitoriale, quoique toujours très active, surtout contre
les biens des judaïsants, se fit plus modérée et moins cruelle contre les
personnes. De nombreux Marranes faisaient l'aller et retour entre la France
du Sud-Ouest et l'Espagne. Ces deux données font qu'à certains moments,
le contenu juif du marranisme de divers judaïsants d'Espagne a été plus
riche que celui de leurs confrères du Portugal.
C'est dans ce dernier pays que l'on est le mieux à même de suivre le
développement, en quelque sorte normal, de l'hérésie marrane. Pendant
plus de deux siècles, la persécution inquisitoriale y fut d'une constante
sévérité. Elle a provoqué d'incessantes émigrations; c'est à elle qu'est
due, outre la constitution d'importantes communautés juives d'origine
marrane, la formation des groupements crypto-juifs en France et dans les
Pays-Bas du Sud, et la recrudescence du marranisme en Espagne, pays
où l'effroyable répression de la fin du 15e et du début du 16e siècle sem-
blait avoir résolu définitivement le problème du crypto-judaïsme.
Les documents inquisitoriaux (monitoires, édits de la foi, confessions
des prisonniers) permettent de mesurer l'appauvrissement de la tradition
juive dans le marranisme.
330 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Le monitoire lancé en 1536 par le premier inquisiteur général portugais


donne la première description officielle de l'hérésie marrane; il résume
vraisemblablement les enquêtes secrètement réalisées jusqu'à cette date.
On s'aperçoit que, de 1497 à 1536, certains Marranes portugais avaient
conservé des pratiques qui disparurent dans la période suivante :
— la circoncision;
— l'imposition de noms juifs;
— une cérémonie de « débaptisation » ;
— les règles de l'abattage rituel des animaux;
— l'usage des phylactères ;
— la manière typiquement juive de prier ;
— la célébration de la fête du premier de l'an ;
— certaines coutumes funéraires.
Après l'abandon, par prudence ou par oubli, de ces pratiques, le marra-
nisme autochtone normal (pour les Marranes sans relation directe ou
indirecte avec les juifs de la Diaspora) est décrit dans l'interrogatoire
in genere, codifié dès le dernier quart du 16e siècle, que subissaient tous
les prévenus qui niaient les faits dont ils étaient accusés.
Ce marranisme normal comportait :
1° Des fêtes : le sabbat, la fête juive de Kippur (appelée « Grand Jour »
par les Marranes), la fête juive de Sukkoth (appelée « fête des Cabanes »),
la Pâque des juifs, avec l'abstention du levain et la consommation du
pain azyme.
2° Des jeûnes (en dehors de celui du « Grand Jour ») : un jeûne de trois
jours à Purim, que les Marranes observaient à l'imitation de la reine
Esther, des jeûnes hebdomadaires le lundi et le jeudi ; lors des repas qui
mettaient fin à ces jeûnes et lors des fêtes, les Marranes s'abstenaient de
manger de la viande.
3° Une liturgie, composée essentiellement du Pater Noster'pt de psaumes
de « David » récités en portugais sans la doxologie Gloria Patri prescrite
par l'Eglise catholique.
4° Un rite qui perpétuait celui de la halla : lorsqu'elles pétrissaient la
farine en vue de la fabrication du pain, les femmes marranes lançaient
dans le feu trois petites boules de pâte.
5° Un rite des nuits de Noël et de la Saint-Jean ; à ces dates, les Marranes
jetaient dans l'eau à boire qu'ils avaient chez eux trois gouttes de vin,
trois bouchées de pain, trois braises enflammées.
6° Différentes interdictions alimentaires du judaïsme.
7° Différentes pratiques funéraires en usage chez les juifs.
L'HÉRÉSIE MARRANE DANS L'EUROPE CATHOLIQUE 331

8° Une bénédiction spéciale des enfants.


Toutes ces pratiques, dont l'ensemble constituait pour la plupart des
Marranes un maximum rarement atteint, étaient mises sur le même plan.
A l'analyse on s'aperçoit que cette « loi de Moïse », en laquelle les Marra-
nes fondaient leur espérance de salut, contenait :
1° Des éléments bibliques recueillis (et parfois modifiés) par les rabbins.
2° Des préceptes, sans base biblique, édictés par les rabbins.
3° Des pratiques acceptées, mais non imposées par les rabbins, et natu-
rellement sans base biblique.
4° Une antique superstition juive sur les eaux attachée aux tekufoth,
c'est-à-dire aux périodes d'équjnoxe et de solstice.
5° Des éléments étrangers au judaïsme : l'introduction dans la liturgie
du Pater Noster des chrétiens et l'abstention de viande lors des fêtes et
des repas qui marquaient la fin des jeûnes. Cette dernière innovation a
été expliquée de la manière suivante : les premiers Marranes n'ignoraient
pas que la viande qu'ils consommaient était, du point de vue juif, rituel-
lement impure, puisqu'on n'avait pas observé les règles de la Sebita
lors de l'abattage des animaux : pour donner un caractère plus solennel
à certaines fêtes et à la fin des jeûnes, ils s'abstenaient de commettre
un péché devenu habituel en excluant la viande de leurs repas. Leurs
descendants conservèrent une pratique dont ils ignoraient la justification
originelle.
On voit donc comment, dans le marranisme normal portugais, la tra-
dition juive s'est :
1° partiellement conservée,
2° considérablement appauvrie,
3° légèrement modifiée.
L'hérésie marrane a pratiquement cessé d'être poursuivie au Portugal
vers 1765. Le marranisme que l'on a redécouvert au 20 e siècle dans des
villes et des villages des provinces de Trâs-os-Montes et de la Beira, est,
grosso modo, analogue au marranisme normal que l'on vient de décrire.
Il semble seulement qu'avant l'interruption des relations entre Marranes
portugais et Juifs de la Diaspora, certains groupements secrets de ces
provinces aient réussi à se procurer la traduction portugaise de fractions
plus ou moins importante de la liturgie juive. D'autres groupements
s'étaient constitué une liturgie particulière.
332 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Les conditions de la diffusion du marranisme


Le premier marranisme hispano-portugais avait naturellement une base
raciale ; il recrutait ses adhérents parmi les juifs convertis de force au
catholicisme et leurs enfants. Tout au long de son histoire, le marranisme
a puisé ses fidèles dans la « réserve » que constituait pour lui la masse des
« nouveaux chrétiens » péninsulaires. Mais l'historien doit tenir compte
de quelques autres données.
Avec le temps, de nombreux mariages mixtes ont uni « nouveaux » et
« vieux chrétiens ». Ces mariages ont, d'une part, permis l'assimilation
dans la masse hispanique d'une fraction considérable des «nouveaux
chrétiens ». Mais, d'autre part, ils ont mis en contact avec l'hérésie marrane
des personnes qui descendaient partiellement de « vieux chrétiens ». Parmi
les Marranes arrêtés et convaincus de crypto-judaïsme par les inquisitions
péninsulaires, parmi les Marranes qui recherchèrent à l'étranger la tolé-
rance officieuse ou la reconnaissance officielle de leur foi secrète, il y eut
d'assez nombreux descendants de mariages mixtes. Un des écrivains
marranes les plus connus, Antonio Enriquez Gómez était à demi « nouveau
chrétien » et il avait épousé une « vieille chrétienne ».
La transmission du marranisme s'est effectuée soit de manière continue,
soit de manière interrompue. Dans certaines familles, malgré les pour-
suites et les condamnations, l'hérésie marrane a été transmise comme un
héritage d'une génération à la génération suivante. Dans d'autres familles,
il y eut des sauts, des coupures, des revirements. De vrais Marranes ont
eu des catholiques sincères pour enfants, mais leurs petits-enfants sont
revenus au marranisme par suite de la propagande crypto-juive ou bien
du racisme péninsulaire et de l'iniquité inquisitoriale.
Les « nouveaux chrétiens » qui désiraient sincèrement se fondre dans la
masse catholique en étaient souvent empêchés par le racisme religieux
matérialisé dans les « statuts de pureté de sang » qui excluaient les descen-
dants de convertis de nombreuses charges et dignités ecclésiastiques ou
civiles. En outre, les sommes énormes qu'exigeait la monarchie pour
solliciter périodiquement des « pardons pontificaux » en faveur des Mar-
ranes étaient levées sur l'ensemble des « nouveaux chrétiens », sans distinc-
tion de fidélité ou d'infidélité religieuse. A chaque nouveau « pardon »
des drames éclataient, les fonctionnaires royaux taxant des gens qui
espéraient avoir fait oublier leurs origines. Par ailleurs, il est bien établi
que l'iniquité des procédures inquisitoriales a condamné ou contraint à
l'expatriation bien des innocents qui, parfois, étaient loin d'être entiè-
rement de race « néo-chrétienne ». Il suffit de renvoyer aux documents et
pamphlets rédigés ou inspirés par les jésuites portugais, au 17e siècle,
dans leur lutte de quarante ans contre l'organisme inquisitorial.
Dans la transmission continue ou interrompue du marranisme, deux
cellules naturelles ont joué un rôle décisif : la famille et les professions.
L'HÉRÉSIE MARRANE DANS L'EUROPE CATHOLIQUE 333

C'est au sein de la famille que se réalisait le plus souvent l'initiation


ou la réinsertion dans le marranisme. Cela était si vrai que, dans les procès,
les inquisiteurs n'étaient vraiment satisfaits que lorsque l'accusé entré
dans la voie des aveux désignait un proche parent comme « auteur de
l'enseignement » hérétique. De plus, si cet accusé ne dénonçait pas comme
« complices » tous ses proches parents, la sincérité de son repentir était
mise en doute. Cette transmission familiale du marranisme facilitait la
tâche des inquisiteurs, une arrestation entraînant généralement celle de
nombreux membres de la famille du prisonnier. Dans la cellule familiale,
les femmes ont joué un très grand rôle, perpétuant le marranisme parfois à
l'insu de leurs maris. Il se peut que les inquisitions aient condamné plus
de femmes que d'hommes et, au 20e siècle, ce sont des femmes qui dirigent
souvent le culte secret des Marranes^ portugais.
L'autre terrain d'élection de la propagande marrane était la profession.
La conversion de 1497 avait éliminé les entraves légales à l'activité
économique des Juifs portugais, activité déjà très importante au Moyen
Age. Les « nouveaux chrétiens » avaient pu envahir les professions finan-
cières, commerciales et artisanales. Par ailleurs, l'élément « néo-chrétien »
fut toujours très important dans la médecine portugaise. Les confessions
des Marranes enregistrées dans les procès montrent que la diffusion du
marranisme s'est souvent réalisée à l'occasion de relations professionnelles
ou universitaires.
La coïncidence notable au Portugal entre « bourgeois » et « nouveaux
chrétiens » a fait des Marranes un groupe social urbain caractéristique,
pendant plusieurs siècles, des villes portugaises et de plusieurs villes
espagnoles, surtout Madrid et Séville. Quand les Jésuites portugais ont
soutenu, au 17e siècle, contre l'Inquisition la cause des « nouveaux chré-
tiens », dans la vaste littérature de pamphlets ou de documents consacrée
à cette question, les expressions « hommes d'affaires », « hommes de la
Nation » (hébraïque) et « nouveaux chrétiens » sont considérées comme
synonymes. Mais il ne faut pas oublier que dans de petites bourgades
rurales et dans des hameaux du Tras-os-Montes et de la Beira, des groupes
compacts de Marranes ont traversé toute l'époque inquisitoriale et se
sont maintenus jusqu'à nos jours.
Dernier point à signaler : l'absence presque totale de hiérarchie reli-
gieuse dans le marranisme de l'époque étudiée. Dans les premières décen-
nies après la conversion forcée, des rabbins baptisés ont peut-être continué
à jouer leur rôle directeur traditionnel. Par la suite, ce n'est que dans
la confrérie judaïsante dirigée au début du 17e siècle par des professeurs
de l'Université et des chanoines de la cathédrale de Coïmbre que l'on
découvre une fonction sacerdotale imitée de l'Ancien Testament ou du
catholicisme. Encore faudrait-il être sûr que les aveux extorqués aux
accusés par l'Inquisition correspondaient entièrement à la réalité.

22
334 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Le marranisme, hérésie populaire et savante

L'hérésie marrane a été le fait de personnes appartenant à toutes les


couches intellectuelles des « nouveaux chrétiens » péninsulaires. La tra-
dition marrane avait un caractère simple et accessible. Elle faisait appel,
avant tout, au sentiment de fidélité à une foi ancestrale qui avait été
interdite. Les données essentielles de sa théologie et de ses pratiques
étaient conservées non seulement par la voie orale clandestine, mais
encore par l'acharnement de la persécution inquisitoriale. Monitoires,
édits de la foi, interrogatoires in genere et lecture dans les autodafés des
sentences motivées renseignaient constamment sur le contenu du marra-
nisme tout « nouveau chrétien » que la propagande judaïsante, l'injustice
profonde de sa condition personnelle ou l'iniquité inquisitoriale déta-
chaient du catholicisme.
De nombreux Marranes condamnés dans les autodafés, de nombreux
« nouveaux chrétiens » que leur foi crypto-juive conduisit à l'expatriation,
étaient des intellectuels et avaient fait leurs études supérieures dans les
universités catholiques de la Péninsule. Comme l'Ancien Testament est
inclus dans le canon biblique chrétien, il était facile à ces médecins, ces
juristes, ces étudiants en théologie, d'y retrouver les fondements de
l'espérance juive et d'enrichir leur foi secrète.
De même, la polémique chrétienne contre le judaïsme et le paganisme
était retournée par eux contre les chrétiens. Les arguments juifs que les
polémistes chrétiens pensaient réfuter devenaient des raisons de refuser
le christianisme. Enfin, ils appliquaient au catholicisme, qu'ils considé-
raient comme une authentique idolâtrie, bien des arguments chrétiens
contre le paganisme.
Cependant, l'historien constate que le marranisme normal des intel-
lectuels ne différait guère de celui des simples, lorsqu'il n'y avait pas
contact direct ou indirect avec la Diaspora juive. Nous en avons fait la
preuve récemment en découvrant les procès intentés à des disciples
(parents, voisins ou amis) d'Uriel da Costa. La religion que leur enseigna
celui-ci, avant son expatriation du Portugal, coïncide remarquablement
avec le marranisme normal. 2
L'un de ces procès confirme une déclaration d'Uriel dans son émou-
vante autobiographie, YExemplar humanx vitœ : c'est bien une compa-
raison réfléchie de l'Ancien et du Nouveau Testament qui l'a détaché
personnellement du catholicisme. Mais il avait oublié d'indiquer que ce
détachement l'avait conduit à adhérer au marranisme courant à son
époque dans sa ville natale. Son cas n'a pas dû être unique. En dehors
des cellules familiales et professionnelles de transmission de l'hérésie, en
dehors de la persécution inquisitoriale qui obtenait l'effet contraire à
celui qui était recherché, il faut faire une certaine place dans la diffusion
du marranisme à l'influence de l'Ancien Testament, dont les intellectuels
L'HÉRÉSIE MARRANE DANS L'EUROPE CATHOLIQUE 335

marranes devaient penser qu'il avait été préservé par leurs persécuteurs
en vertu d'un décret divin spécial, de même qu'ils pensaient que l'Inqui-
sition jouait son rôle, abominable mais nécessaire, dans le plan divin
concernant le peuple juif.

La « dissimulation » marranique en littérature


L'activité publique, religieuse ou philosophique, des Marranes était,
avons-nous dit, condamnée à l'insincérité. Certains, qui ne pouvaient
résister à la tentation d'écrire et d'imprimer, produisaient des œuvres que
rien ne permettait de distinguer de celles des vrais catholiques. D'autres
se réfugiaient dans des matières ou des sujets « neutres » : poésie, méde-
cine, etc. Pour ceux-là, ce sont des données biographiques qui nous
révèlent qu'ils étaient Marranes; confessions personnelles ou de leurs
proches parents au cours des procès inquisitoriaux, départs pour les
groupements marranes (ou les communautés juives de l'étranger) d'eux-
mêmes ou de leurs enfants. La censure inquisitoriale était, en général,
d'une telle efficacité qu'elle aurait étouffé dans l'œuf toute tentative de
livrer un message hérétique, même dissimulé.
La dissimulation marranique en littérature concerne des époques ou
des pays où l'Inquisition ne fonctionnait pas.
Vers 1440, le bachelier Alfonso de la Torre, précepteur du prince de
Viane, fait passer dans sa Vision délectable l'essentiel de l'enseignement
de Maïmonide, un Maïmonide qu'il a pu étudier dans la traduction latine
du Guide des Egarés établie au 13e siècle. Un dernier chapitre, où est
offerte une adhésion rapide (et volontairement illogique) au christianisme,
assure une étonnante circulation à l'ouvrage pendant deux siècles. Le
bachelier était vraisemblablement un Marrane authentique, car il ne tire
pas le maïmonidéisme vers l'averroïsme ; au contraire, il proclame la
supériorité des prophètes dans l'échelle de la perfection humaine et mani-
feste, à plusieurs reprises, sa sympathie pour la Kabbale.
Les Marranes réfugiés en France au 17e siècle y pratiquent une dissi-
mulation littéraire qu'ils n'auraient osé envisager en Espagne et au
Portugal.
Un cas particulièrement typique est celui d'Antonio Enriquez Gômez
qui judaïsa à Peyrehorade, Bordeaux et Rouen. Avant son expatriation
d'Espagne, il avait composé des comedias que rien, naturellement, ne
signalait à l'attention de la censure. En France son œuvre est double :
ouvrages judaïsants non destinés à la publication (dont un seul, un
romance en l'honneur d'une victime de l'Inquisition, est parvenu jusqu'à
nous en trois recensions) et livres imprimés où la dissimulation revêt
plusieurs aspects. Pour attaquer l'Inquisition et le racisme péninsulaires
dans un pamphlet imprimé à Rouen en 1647, Antonio Enriquez Gômez
se déguise en canoniste et théologien catholique, et compose une véhé-
336 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

mente protestation de la conscience chrétienne qui serait magnifique si


elle n'avait un judaïsant pour auteur. » Retourné en Espagne et y vivant
sous un nom d'emprunt, don Fernando de Zârate, Antonio Enriquez
Gômez composa de nouvelles comedias, d'une inspiration parfaitement
catholique, avant d'être arrêté par le Saint-Office : il mourut dans un
cachot de l'Inquisition de Séville.
Les paraphrases poétiques des livres bibliques d'Esther, de Ruth et
des Lamentations que le Marrane portugais Joâo Pinto Delgado publie
à Rouen en 1627 sont, pourrait-on dire sans grande exagération, un livre
à clé. La plupart des lecteurs, ignorant les conditions du marranisme,
n'ont guère compris le sens spécial de deux des thèmes qui y apparaissent
avec le plus d'insistance : l'attaque contre l'idolâtrie et l'explication des
malheurs du peuple juif, aux temps bibliques, par les transgressions et
l'infidélité d'Israël. Un manuscrit rédigé par le poète à Amsterdam, après
son entrée publique dans la communauté juive, nous permet de saisir
comment Joâo Pinto Delgado et ses lecteurs marranes comprenaient ces
beaux vers : l'idolâtrie, c'est le catholicisme, et les malheurs d'Israël à
l'époque biblique sont la transposition poétique des tragédies des Marranes
du 17e siècle, de ces Marranes souvent partagés entre les exigences contra-
dictoires de leur crypto-judaïsme et de leurs intérêts matériels. *

Fonction da marranisme dans l'Europe du 15e au 18e siècle


Si l'on essaie de synthétiser la fonction du marranisme dans l'Europe
du 15e au 18® siècle, on peut, semble-t-il, détacher les points suivants :
1° Le marranisme a maintenu la négation juive du christianisme dans
les régions de l'Europe catholique où le judaïsme était interdit.
2° Les groupements marranes clandestins ou semi-clandestins et les
communautés juives issues du marranisme ont formé dans l'Europe pré-
industrielle une bourgeoisie commerciale et financière, unie au-dessus
des frontières nationales par des liens à la fois familiaux, religieux et
économiques.
3° Un résultat marginal, mais important : le marranisme a engendré
des négateurs de toutes les orthodoxies, juive et chrétienne. Pour Uriel
da Costa et Juan de Prado, Marranes militants, au Portugal et en Espagne
respectivement, le marranisme et le judaïsme n'ont été que des étapes.
Ils ont étendu au judaïsme le travail de démolition que les Marranes
exerçaient à l'égard du christianisme et ont fini par nier l'existence
d'irne révélation divine. Nous avons essayé de prouver que c'est dans
le déisme naturaliste d'Uriel da Costa et Juan de Prado que le fils du
Marrane Michaël de Spinoza a trouvé le point de départ, rapidement
dépassé, de son développement intellectuel. »
L'HÉRÉSIE MARRANE DANS L'EUROPE CATHOLIQUE 337

NOTES

1. Pour un essai de mise au point (avec indications bibliographiques), voir notre


article « Les Marranes », publié dans la Revue des études juives, 3' série (éditée par
la VI e section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes et la Société des études juives),
t . I (CXVIII), 1959-1960, p. 29-77.
2. E n attendant le premier tome de notre ouvrage en préparation, Uriel da Costa
et son temps : voir notre article « La religion d'Uriel da Costa. Marrane de Porto
(d'après des documents inédits) », dans Revue de l'histoire des religions, t. CLXI,
n» 1, janvier-mars 1962, p. 45-76.
3. Voir notre étude, « Un pamphlet contre l'Inquisition d'Antonio Enriquez Gômez :
la seconde partie de la Politica Angélica' (Rouen, 1647) », à paraître dans le t. CXXI
de la Revue des études juives.
4. Sur Joâo Pinto Delgado, voir notre réédition des poésies publiées à Rouen en 1627
(Lisbonne, Institut Français au Portugal, 1954) et notre article «Autobiographie
d'un marrane (édition partielle d'un manuscrit de Joâo (Moseh) Pinto Delgado) »,
Revue des études juives, 3« série, t . II (CXIX), janvier-juin 1961, p. 41-130.
5. Sur ce point, voir notre article, «Spinoza et les hérétiques de la communauté judéo-
portugaise d'Amsterdam », Revue de l'histoire des religions, t. CLIV, 1958, p. 173-218
et notre livre, Spinoza et Juan de Prado (t. I de la collection d'Etudes juives de la
VI e section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris, La Haye, Mouton et
Cie, 1959).
DISCUSSION

L. K O L A K O W S K I . — On n'appellerait pas hérétiques des athées qui se


conformeraient extérieurement à des rites religieux sans y croire ; peut-on
dire que les marranes, qui sont des juifs pratiquant leur culte clandesti-
nement, sont hérétiques ?
Uriel da Costa peut être considéré comme hérétique dans une première
période, lorsqu'il fait du judaïsme une critique de type protestant, mais pas
à l'époque ultérieure, lorsqu'il devient un libertin déiste qui croit simple-
ment à la loi de Moïse.

M. T A U B E S . — J e voudrais poser la question de savoir s'il y a des échos


du sabbatianisme chez les marranes d'Espagne et du Portugal.

A. D U P R O N T . — Les marranes se sont-ils reconnus comme participants


d'une hérésie ? A partir de quel moment l'expression d'hérésie marrane ap-
paraît-elle dans les textes et dans la conscience historiographique ? Y a-t-il
enfin dans ce monde marrane des traditions eschatologiques, qui circule-
raient en somme comme une manière de conservatoire eschatologique re-
fusant d'une façon générale l'esprit moderne ?

G. S C H O L E M . — Les marranes ont pensé la dissimulation comme un


acte légitime de la foi. Cela veut dire que la vraie religion doit nécessai-
rement être occulte et secrète et que les formes extérieures de toute religion
sont fausses. Il y a là une pudeur religieuse que l'on trouve chez de nombreux
marranes. C'est un premier point assez important ; le second se réfère aux
répercussions très importantes que le marranisme a eues, non seulement
en milieu catholique, mais dans la société juive même, et il convient ici
d'insister sur le messianisme sabbathien, dont M. Taubes a déjà parlé.

B. B L U M E N K B A N Z . — J e suis amené à constater que le marranisme est


une hérésie doublement manquée parce qu'il aurait pu être une double héré-
sie : une hérésie chrétienne ou une hérésie juive. Or le marranisme n'a pas
influencé le christianisme et, d'un autre côté, les marranes sont revenus
dans les rangs du judaïsme orthodoxe sur le plan de la pratique. Comment
expliquer ce phénomène ?

E. D E L A R U E L L E . — Le père Chenu nous a entretenus des tensions entre


la personne et la communauté et, à l'intérieur de l'Eglise catholique à la
fin du Moyen Age, de la tension entre théologiens et canonistes. je voulais
simplement apporter un fait, d'ailleurs antérieur à l'époque dont a parlé
M. Révah, puisqu'il s'agit de la fin du 14 e siècle. Des juifs en Italie du Sud
ont été convertis de force. Or l'Inquisition les oblige par la suite à pratiquer
la religion catholique alors qu'ils demandent à revenir au judaïsme. La doc-
L'HÉRÉSIE MARRANE DANS L'EUROPE CATOHLIQUE 339

trine théologique rappelle qu'on n'avait pas le droit de convertir les juifs,
parce que la foi doit être absolument libre, mais, puisqu'ils sont convertis, ils
font partie de la société catholique et sont dès lors soumis à toutes les ob-
servances d'un catholique. Il est trop tard pour retiouver la liberté de la
foi. On voit ainsi deux exigences contradictoires : celle de la théologie et
celle du droit canonique.

I. S . R E V A H . — M . Kolako-wski m'a demandé si le marranisme mérite le


nom d'hérésie. Au sens du père Chenu il vaudrait mieux dire infidélité.
Mais du point de vue de l'histoirien, où je me suis placé, on observe que la
société catholique d'Espagne et du Portugal a considéré ces gens-là comme
hérétiques. On a reconnu et l'illégalité de la conversion et son caractère
acquis. Grâce à l'exemple d'Uriel da Costa nous comprenons que nous avons
affaire à une hérésie, tout au moins sur le plan historique.
De plus un quatrième résultat marginal du marranisme a été cette espèce
de théologisation de l'expérience vécue que constitue à certains égards le
sabbatianisme, avec cette dissimulation élevée au rang de catégorie reli-
gieuse.
On a évoqué le rôle du livre d'Esther. Il est certain que le livre d'Esther a
été un des livres les plus chers aux Marranes : je prendrai l'exemple d'un écri-
vain marrane dissimulé, Joao Pinto Delgado, qui publie à Rouen, en 1627,
un paraphrase de différents livres bibliques, et en tout premier lieu du livre
d'Esther. Cet homme attaque l'idolâtrie païenne et décrit le châtiment de
Dieu à cause des transgressions d'Israël.
Grâce à un manuscrit conservé à Amsterdam, on s'aperçoit que l'idolâtrie,
c'est le déguisement littéraire du catholicisme et ce Dieu qui frappe Israël à
cause de cette transgression, c'est la transposition poétique des tragédies
personnelles des Marranes pris entre leur foi personnelle et leurs intérêts
économiques qui les faisaient s'attarder dans les pays où ils s'étaient
réfugiés.
M. Blumenkranz m'a dit que le marranisme est une hérésie doublement
manquée. Effectivement.
Je répondrai enfin à M. Dupront que les Marranes ont accepté tout le
vocabulaire de l'Inquisition, ce qui facilitait le travail au cours des procès :
ils se sont estimés comme les vrais croyants. Pour ce qui est des traditions
eschatologiques, je sais qu'une prophétie courait parmi les Marranes : à
la quatrième génération ils reviendraient au judaïsme, et effectivement à
la quatrième génération les départs ont pris un très grand essor ; les Marranes
ont eu la certitude qu'ils seraient sauvés avec les autres Juifs.
DISCUSSION

L. G O L D M A N N a pris pour base de discussion les chapitres V (« Visions


du monde et classes sociales », p. 97-114) et VI (« Jansénisme et noblesse
de robe », p. 115-156) de la deuxième partie : « Le fondement social et intel-
lectuel » de son ouvrage, Le Dieu caché, Paris, 1955. Le lecteur est prié de
s'y reporter.

J . O R C I B A L . — Je me contenterai de dire quelques mots sur le problème


de l'origine des jansénistes : il est vrai qu'en gros ce sont toujours des gens
de robe. Mais M. Goldmann est passé à côté du problème des hérésies popu-
laires et des hérésies cultivées. Le jansénisme est une hérésie cultivée par
excellence, il ne pouvait recruter ses adhérents que dans un milieu cultivé.
Une des conclusions de la thèse de H. J. Martin, que nous aurons dans
quelques mois, sur la librairie au 17e siècle, est que les livres sérieux ne
se vendaient que dans les milieux de gens de robe. Voilà une première
explication du fait que Sainte-Beuve avait déjà signalé. Il y eut d'ailleurs
parmi les anti-jansénistes aussi des gens de robe, élèves de jésuites, dont
les frères souvent étaient jésuites. Il faudrait serrer le problème de plus près
et montrer que le groupe extrémiste correspond à une fraction particulière
des gens de robe. Je voudrais qu'on me précise laquelle : qu'on prenne les
Arnaud, Barrillon, l'abbé Leroy, Pascal, Racine, qu'on les classe socialement
et nous verrons si le schéma se vérifie. Mais des spécialistes de l'analyse
sociale du 17e siècle seraient beaucoup plus qualifiés que moi.
Comme on ne parlera plus du jansénisme dans ce colloque, je voudrais
poser une question très générale et qui me semble primordiale : dans quelle
mesure le jansénisme est-il une hérésie ? Le mot a été employé très souvent
dans les textes du 17 e siècle, mais il ne faut pas mettre sous ce mot une
définition actuelle. La définition théologique, celle du père Chenu, est
qu'on peut dire hérétique celui qui défend avec opiniâtreté, la proposition
contradictoire d'une proposition révélée. Est-ce dans ce sens que les Jan-
sénistes ont été déclarés hérétiques ? Les textes montrent que c'est très
rarement le cas.
Il aurait fallu que l'on considère les cinq propositions comme hérétiques
en vertu d'une vérité révélée : il faudrait alors réduire le jansénisme à quel-
ques individus comme Angélique de Saint-Jean. Mais le mot est appliqué
à beaucoup d'autres, en pratique à tous ceux qui soutiennent que les cinq
propositions ne sont pas dans Jansénius : en termes théologiques, à ceux
qui n'admettent pas l'infaillibilité de l'Eglise sur un fait dogmatique textuel.
E t au 17 e siècle on ne trouvait à peu près personne pour affirmer cette
infaillibilité : pour expliquer cet emploi, je ne me référerai donc pas à l'héré-
sie théologique, mais à l'hérésie inquisitoriale : l'Inquisition employait
le mot « hérésie » dans des cas que les théologiens n'avaient jamais admis,
342 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

par exemple dans celui des gens non baptisés. Cette procédure se comprend :
une officialité condamne un coupable après l'administration de preuves
juridiques, l'Inquisition, créée lors des progrès dévorants de l'hérésie, comme
moyen préventif, applique à la lettre la formule évangélique des « loups
couverts de peaux de brebis ». Pour elle l'hérétique est un hypocrite, aux
approches subtiles et prudentes. Dans le cas des jansénistes l'Inquisition
voyait ces approches dans la défense du livre de Jansénius. C'est ce qui
explique l'acharnement des jésuites, et d'autres aussi, à réclamer la signa-
ture sur le fait — ce qui est difficilement défendable du point de vue théo-
logique et qui a été à peu près abandonné lors de la paix de l'Eglise.
E t je rappellerai que lorsqu'on a imposé la signature du formulaire,
Lemaistre et un certain nombre d'évêques ont dénoncé l'introduction de
l'Inquisition en France.

G. L E B R A S . — L'intéressant serait de savoir pourquoi les centaines, les


milliers de religieuses qui, au 18e siècle sont mortes sans sacrements, ont
persévéré dans ce qui pouvait passer pour une hérésie, d'expliquer leur
état d'esprit. C'était sans doute leur confesseur, leur directeur qui les
poussait. Mais alors comment expliquer que des ordres entiers, des orato-
riens, les bénédictins sans savoir un brin de théologie ont refusé de signer
et sont morts excommuniés.

L. GOLDMANN. — Les problèmes posés par M. Orcibal ont une importance


sociologique de tout premier ordre. Prenons le cas des gens de robe anti-
jansénistes : Molay par exemple ou Lamoïgnon. Officiellement ils sont contre,
mais derrière il y a une sympathie : on lit, on cache, on transmet par exemple
le manuscrit de Rapin. Namer a bien montré le changement d'orientation,
de milieu social, d'idéologie, du jansénisme ultérieur : il commence à s'agir
d'éléments plus populaires, d'une action de refus de l'autorité, de défense
de la liberté. Le jansénisme ne sera plus Pascal et Racine, une vision du
monde originale, mais aboutira à Grégoire, se confondra avec la lutte pour
la liberté.
Enfin sur le problème de l'idéologie, il me semble que l'essentiel, le concept
implicite qui la définit et que les jansénistes, qui veulent à tout prix rester
dans l'Eglise, évitent de mettre dans les textes, c'est la théorie du juste
pécheur : on la trouve chez Pascal qui ne publie pas son texte, chez Barcos ;
et c'est une des définitions les plus précises de l'idéologie au 17 e siècle.
O. LUTAUD

ENTRE RATIONALISME ET MILLËNARISME


AU COURS DE LA RÉVOLUTION D'ANGLETERRE

La première « révolution d'Angleterre » que les historiens récents ont


définie soit comme « puritaine » soit comme « bourgeoise », et en laquelle
ils s'accordent à voir le début des temps modernes, offre d'idéales condi-
tions pour analyser une suite de développements anti-orthodoxes : aux
jours où la monarchie Stuart, qui s'était voulue absolutiste (et cela de
façon anachronique, presque « féodale ») vit ses forces réelles pesées,
comptées, divisées..., puis anéanties, ces hérésies, en leur formulation
intellectuelle, constituèrent comme les prises de conscience, puis les
prises de position de plusieurs de ses adversaires ; et c'est d'une crise de
croissance qu'elles témoignent, de cette crise qui se développe depuis
l'ouverture du Long Parlement à la fin de 1640. Bien que dans la suite
ce dernier ait fait marche arrière, et qu'après avatars et vicissitudes, le
cycle ait semblé se fermer avec la restauration (en 1660) du fils du décapité
de 1649, il n'en reste pas moins que l'an 1640 avait inauguré et légitimé
la lutte, morale et matérielle, contre un gouvernement se fondant en
droit comme en fait sur l'Etablissement ecclésiastique anglican que sym-
bolisaient son épiscopat et Laud, ce Richelieu manqué.
Politiquement, la période, vrai chapitre d'expériences diverses et contra-
dictoires, se plie, tel un dièdre de livre, en 1649, lorsque naît l'autoritaire
République cromwellienne. Religieusement, l'évolution est plus arrondie :
mais malgré les sautes, les bosses, les « points d'inflexion » qui en jalonnent
la courbe, elle présente les caractères d'une « fonction » religieuse, évoluant
en nette relation avec le jeu des paramètres stables et des coordonnées
renouvelées du social et du politique ; ou parfois, par retour de flamme
ou par contre-feu, les influençant à leur tour. Une série de complexes,
parfois même de nébuleuses, faits de ces choix individuels et communau-
taires, viennent heurter ou désagréger l'organisme social orthodoxe qui
cherche sa garantie dans sa hiérarchie et sa discipline ; et ce dernier, par
le mouvement de ses réactions mêmes, progressera quelque peu également ;
mais aussi longtemps qu'il restera majoritaire (en un sens, il l'est encore
aujourd'hui) il définira les choix adverses par une terminologie péjora-
tive : heresy, anarchy, sectarians, anabaptists, religious democracy, etc. Et
plus tard les torys ou les whigs, autoritaires ou sceptiques, parleront de
dissent, d'enthusiasm, voire de lunatic fringe. C'est là vision à réviser :
344 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

il suffit en effet de constater que Cromwell, destiné à incarner dans sa


victoire un relatif conservatisme ou pragmatisme politique, n'en fut pas
moins un seeker, un hérétique au sens large du mot. Même pour qui n'ac-
cepte pas les furieuses antipathies ou les prémisses théologiques d'un
Bossuet, l'analyse qu'en 1669 il en fournit était révélatrice : il est exact
que l'Angleterre, jusqu'en son personnel dirigeant, avait alors volontiers
accepté novations et métamorphoses; et que l'esprit (bon ou mauvais)
soufflait où il voulait !
A dire le vrai, la crise dépasse l'Angleterre ; ses textes et ses thèmes, et
l'embryon de ses thèses, remontent à la dialectique (européenne...) entre
Renaissance et Réforme; et elle est la contrepartie du baroque conti-
nental ; notre jansénisme, d'autre part, est bien un peu une hérésie puri-
taine de « frustration », freinée puis bloquée par des structures catholiques
qui l'isolent soigneusement du politique ; et nos cartes du Tendre ou nos
châteaux de cartes de l'époque de la Fronde sont comme l'ironique
contre-point des cartes d'état major (« Dieu nous a donné la victoire... ! »)
de Cromwell, Ireton ou Fairfax : alors que notre petit David «frondeur»,
n'eut guère d'avenir, c'est toujours en combattant que périra, vengeur,
le Samson de Milton, encore en 1671 : Samson Agoniste... Sous cet angle
comparatiste, il serait même tentant de couper le siècle par tiers : com-
mençant ici en 1633 avec l'installation par le primat Laud de sa thorough
discipline et avec l'affaire Galilée (Milton associera les deux expériences
dans son Areopagitica de 1644), pour nous arrêter en 1666 : c'est alors
que Clarendon va léguer son carcan juridique réactionnaire imposé aux
dissenters (mais que le jeune Locke commence à méditer sur la tolérance),
et qu'en son Hudibras Butler ironise sur les vaincus ; ceux-ci se réfugient
en de populaires allégories mystiques (ainsi le pauvre Bunyan, en son
Voyage du Pèlerin), ou bien poursuivent la lutte, théologiquement, pour
un Paradis perdu et le libre arbitre humain ; symboliquement, pendant
que Charles II sourit aux actrices d'une scène licencieuse, Londres brûle
avec une exactitude toute apocalyptique en 1666 ; cependant qu'en
France ce sont ces derniers grands cris, politiques ou « libertins », d'Andro-
maque, de Don Juan et de la querelle du Tartuffe ; dans nos deux pays,
en tout cas, ce ne sera plus qu'au travers de pensées soit socialement
laïcisées, soit au contraire intérieurement mystiques, que les tendances
à l'hérésie, vaincues en leurs ambitions proprement sociales, pourront
persister.
Mais toute une évolution directe antérieure que le spécialiste W. Haller
fait démarrer en 1570 (une fois affermi le pouvoir d'Elisabeth) explique
aussi ce qu'avec la plupart des historiens j'appellerai le « puritanisme de
gauche » : ici, en effet, politique et religieux sont soudés. Pendant un
bon siècle, le pouvoir anglais a vu en ceux qui ne veulent pas conform
(sous les noms divers de séparatistes, puritains, sectaires, dissenters)
l'image d'une hydre à deux têtes : sédition et hérésie. Or, très symétri-
RATIONALISME ET MILLÉNARISME EN ANGLETERRE 346

quement, la Bible offrait à l'imagination puritaine (d'Amos à l'Apoca-


lypse johannique en passant par les textes mis sous le nom de Luc, Paul
ou Pierre) une association psychologique identique : Babylone, la « grande
prostituée », symbolisait sur un grandiose plan polémique anticatholique
l'alliance impie du trône et de l'autel ; et nos révoltés en tenaient pour
Sion ! Sous les Tudor en effet, la sécularisation (soit économique, soit
humaniste), venant rencontrer un renouveau de ferveur populaire chré-
tienne, avait engendré une intense protestation contre la via média
anglicane, qui paraissait bien plutôt un paresseux arrêt à mi-chemin,
une compromission des classes dirigeantes, ou au moins un intolérable
compromis, avec l'esprit du « papisme » exécré. Le puritanisme, en théo-
logie souvent plus calviniste (et anti-arminien, en ses cadres les plus
bourgeois) que son adversaire, était socialement incontestablement plus
avancé, notamment à cette charnière qu'est la communauté locale, avec
sa structure et sa discipline : choix du pasteur, présentation plus frater-
nelle que sacerdotale du service de communion (cf. le Hussisme). expli-
cation par la prédication plutôt qu'imposition du miracle liturgique :
autant de clairs symboles de laïcisation, aux évidents prolongements
démocratiques. Elisabeth en eut très tôt pleine conscience, et elle fit
censurer les livres, combina Chambre Etoilée et Cour de Haute Commis-
sion, surveilla et même épura Cambridge, pépinière suspecte de futurs
prédicateurs, et triompha, non sans peine, du populaire mouvement
Marprelate qui, aux jours du jeune et prudent Shakespeare, tirait à boulets
rouges sur son épiscopat. La lutte contre les évêques anglicans en effet,
et l'anticléricalisme indigène croissant (débordant déjà sur la nouvelle
classe bourgeoise, liée aux offices ou aux affaires d'Etat) ne sont pas que
les aspects formels, mais sont aussi la condition essentielle de toute
hérésie : c'était un refus de l'autorité humaine « en soi », et cela au nom
d'une tradition de révolution pour laquelle les répondants anglais ne
manquaient pas : depuis Piers Plomman, Wyclif et les Lollards jusqu'au
très critique Thomas More (pour catholique qu'il ait été, et d'ailleurs
martyr) ; le tout s'assaisonnant d'ailleurs de souvenirs saxons ou de pré-
tentions et précédents juridiques. Dès qu'à la reine (populaire dans le
peuple pour sa victoire sur l'Armada espagnole carholique) eut, en 1603,
succédé le Stuart, aussi ouvertement absolutiste (no bishops, no king 1)
que maladroit avec persévérance, la fermentation reprit. Le puritanisme,
qui n'avait été d'abord qu'idéologie de pauvres ou d'intellectuels (par
exemple lors des persécutions Brownistes de la fin du siècle) fut accepté
par le « parti du mouvement », bourgeoisie et même aristocratie libérales,
qui réclament alors leur place au soleil de Dieu et des hommes, occupant
graduellement les domaines du commerce, du droit théorique, de la
science (libérée par Bacon), s'exaspérant des entraves ou monopoles
royaux, aussi bien ecclésiastiques qu'économiques. Ce parti s'offre même
de plus en plus ses propres prédicateurs officieux, tout en noyautant le
346 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

clergé officiel. Au même moment, en un aveuglement qui comporte son


humour noir (car il crut ainsi mieux corseter ses sujets dans le réseau
de l'Eglise établie et d'une royauté dite de droit divin), le roi Jacques
« autorise » une neuve traduction biblique, œuvre d'un conclave pourtant
trié : dimanche après dimanche, le fidèle loyalement apprendra l'obéis-
sance due aux pouvoirs établis, selon saint Paul ou saint Pierre ; mais qui
l'empêchera, rentré chez lui, de méditer sur la lamentation du juste
persécuté des Psaumes, sur les déchaînements anticléricaux ou anti-
royalistes des prophètes, sur les renversements du Magnificat ou le
« communisme » des apôtres ; faisant au besoin cuire en esprit les mêmes
autorités au bon feu apocalyptique ; et se nourrissant de folles attentes
millénaristes. Si la Bible calme les uns, elle enhardit les autres ; le puritain
pouvait ainsi souvent se couvrir de l'autorité d'un livre officiel pour défier
l'humaine autorité : il y a là un paradoxe sociologique exceptionnel.
A cette fermentation insulaire il faut ajouter la force d'exemple ou de
catalyse européenne, que symbolise d'ailleurs l'accueil offert par la
Hollande aux exilés dont certains étaient venus y chercher une première
étape avant le grand départ de 1620 vers l'Amérique. Descendant la
vallée du Rhin qui, tout au long du siècle, a relié l'hérésie d'Italie du Nord
(de Savonarole à Aconcio et Ochino) ou celle de la Suisse (calviniste,
zwinglienne et même anabaptiste) à l'humanisme bâlois (Erasme, Castel-
lion) ou strasbourgeois (Bucer) et aux carrefours où la démocratie commu-
nale flamande rencontrait, par delà l'actuel agneau anabaptiste, l'écho
des rugissements de Munster — sans compter les audaces des socciniens,
des antitrinitaires, de la Cabale et bientôt de Bœhme —, la vague nova-
trice, après un ultime bouillonnement en Hollande, vint de plein fouet
frapper l'East Anglia et s'engouffrer dans l'estuaire de la Tamise, déferlant
jusqu'aux alentours de la capitale ; elle apportait avec elle les souvenirs
glorieux des hussites et des « gueux», et bientôt les reproches lancinants à
l'égard d'un pays resté neutre devant l'enjeu de la guerre de Trente Ans.
Au même moment, directement ou par l'Ecosse, l'Angleterre récupérait
les théories huguenotes, dont on sait l'importance politico-religieuse. Dès
avant 1600, les innombrables sectes hollandaises, nées d'un anabaptisme
qui a prudemment perdu son préfixe, sont donc en contact permanent
avec leurs voisins : hommes et textes circulent. Sous ces divers aspects
et suivant le groupe récepteur, le protestantisme international apparaît
de plus en plus aux artisans, commerçants, marchands de la Cité, au
peuple suburbain, à la Gentry la plus évoluée du Sud et de l'Est, comme
l'idéologie du progrès matériel et spirituel ; et the episcopacy, loin d'être
un pas dans la bonne voie, n'est alors que trahison ou forfaiture.
Dès lors, la pression monte, la chaudière rougit. Sous Charles I e r la
royauté échoue lamentablement à secourir les huguenots assiégés, elle
flirte avec l'Espagne, elle réclame de la bourgeoisie capitaliste ou foncière
nouvelle le paiement de taxes arbitraires sans la moindre contrepartie
RATIONALISME ET MILLËNARISME EN ANGLETERRE 347

parlementaire, les Communes étant au Contraire remplacées par le favori


ou l'évêque ; et dès 1633 Vubris ecclésiastique règne avec Laud, qui impose
son catéchisme, saisit les ouvrages suspects, met au pilori, essorille et
embastille. Alors le penseur pieux s'affole d'exégèses, et scandalisé, cherche
sa voie, l'humaniste reste méprisant ou entre en lice, les radicaux dénon-
cent. the work of the Beast, les premiers sectarians propagent leurs critiques
exaltées en plein Londres. En 1637 le jeune Milton, church-outed, gronde
contre les faux pasteurs qui laissent dépérir leur troupeau. La double
guerre bouffonne, consécutive à l'essai Laudien d'imposer le système
thorough anglican à une Ecosse calvinisée et galvanisée (et dont l'armée
calviniste se retrouvera bientôt campée, menaçante, sur sol anglais I) fait
tout cxp'oser. L'on sait dès lors comment — de 1640 à 1649 — au rythme
de deux guerres civiles, un puritanisme, successivement presbytérien puis
« indépendant », s'emparera du pouvoir, tandis que tombent les têtes de
Strafford puis de Laud, et enfin celle du roi, théoriquement oint du
Seigneur...

Pour faciliter la lutte contre Laud, le Long Parlement laisse pratiquement


les presses sans le contrôle de censure qu'assuraient les autorités épisco-
pales associées à la Corporation des libraires ; après, il fut difficile, malgré
plusieurs mesures législatives visant à le rétablir, de revenir complè-
tement en arrière ; en fait, pendant la première décade, auteurs et impri-
meurs libres restèrent indépendants à l'égard d'une censure qui ne rede-
viendra totalement efficace qu'avec la Restauration. Ainsi, et proba-
blement pour la première fois dans l'histoire, un peuple entier put pendant
au moins dix ans, écrire, de la droite à la gauche, presque ce qu'il voulut ;
et il ne s'en fit point faute ! Or il est un dieu des hérésies. Non seulement
maints textes ont été normalement conservés (œuvres littéraires, archives,
rapports parlementaires, etc.) ainsi que de très nombreux journaux, mais
nous disposons surtout de l'immense collection qu'un libraire conser-
vateur londonien, Thomason, établit sur vingt ans, collection aujourd'hui
disponible au British Muséum : soit 22 000 titres de placards, journaux,
traités, pamphlets et tracts, surtout politiques et religieux : une moyenne,
pour les années de combats et de débats principaux (1643 à 1650) d'au
moins trois par jour. Cela fournit quasiment un exemplaire de toutes les
hérésies alors en piste. En outre les discussions qui opposèrent en 1647-1648
les délégués de la troupe du New Model aux officiers généraux et à Cromwell
lui-même furent prises en sténographie du temps, et nous en possédons
plusieurs journées, en édition moderne critique ; enfin, les adversaires
calvinistes des « hérétiques » (il s'agit de l'ancien centre-gauche réfor-
mateur de 1640, mais tôt revenu au centre-droit, surtout sous l'influence
de ses éléments importés d'Ecosse, qui dominaient la fameuse assemblée
des théologiens de Westminster, chargée de réorganiser sur modèle presby-
térien l'Eglise d'Angleterre, mais qui n'aboutit jamais à rien d'autre qu'à
348 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

des documents théologiques...) et, parmi eux particulièrement l'Anglais


Edwards, nous ont légué des catalogues dénonciateurs, sans cesse remis
à jour (il y eut trois éditions, coup sur coup, de la Gangrœna d'Edwards).
Ajoutons qu'il s'agit de conflits à l'intérieur du protestantisme (anglicans
compris) et que le catholicisme n'apparaît guère en cette affaire, sinon
comme référence de comparaison défavorable. En outre nous nous limi-
tons ici à l'hérésie, c'est-à-dire aux choix menant à la séparation. Or il
est sûr que des tendances parallèles, mais nettement plus bourgeoises et
même aristocratiques, se firent jour en l'ancienne Eglise officielle (qui
d'ailleurs ne f u t jamais entièrement supprimée) et dans certains secteurs
puritains; l'époque annonce donc aussi les débuts du latitudinarisme
anglican, du platonisme dit de Cambridge, voire d'un certain scepticisme
ou pré-déisme allant de pair (prudence sociale oblige...) avec un soutien
des anciennes structures ecclésiastiques ; ces orientations syncrétistes ou
hétérodoxes (ainsi que leurs traductions littéraires, prose et poésie) sont
évidentes, mais elles ne relèvent pas de l'hérésie. Contre celle-ci la lutte
f u t donc avant tout menée par la tendance presbytérienne qui voulut en
vain succéder à la hiérarchie anglicane, mais parvint à contrôler large-
ment le Parlement et la Cité marchande capitaliste; or leurs premiers
adversaires, les « indépendants » congrégationalistes, ou centre-gauche,
dont le groupe avec Cromwell l'emporta finalement, grâce à l'armée
populaire, en 1648-1649, sur les presbytériens (reconvertis à un prudent
royalisme), dégagea sur sa propre gauche une frange plus nettement
hérétique, dont les membres furent plus encore dénoncés comme sépara-
tistes, ou surtout comme sedarians. Ce radicalisme protestataire se distri-
bue donc suivant classes et lieux, et, bien qu il ait comporté bon nombre
d'hommes matériellement établis (men of substance) et extrêmement
cultivés (dont Milton est le type) on le trouve essentiellement dans les
classes moyennes ou les classes les moins favorisées, du. Sud et de l'Est :
artisans, quelques marchands urbains, jeunes, soldats et cadres intermé-
diaires du New Model, pasteurs de gauche, paysannerie proche de Londres.
Il évoluera d'un mysticisme initial, dynamique à un mysticisme de
frustration, en passant par des formes rationalisées, laïcisées, et même
politiquement responsables. Il est indubitable, et le fait fut noté par
Guizot autant que par K. Marx, que nous nous trouvons devant un
phénomène qui s'aligne presque constamment sur la structure et la
différenciation des classes, ou, au moins, sur celle des professions et des
lieux. Beaucoup de travaux furent ou sont en cours à ce propos, libéraux,
marxistes, chrétiens : œuvres de chercheurs anglo-saxons, russes, italiens,
allemands et de quelques rares français ; j'en signale quelques-unes en
bibliographie.
De 1640 à 1643 environ, la révolution gardant encore son caractère
strictement parlementaire plutôt que socialement novateur, les éléments
mystiques populaires restèrent un peu en retrait. Pourtant dès 1637 ils
RATIONALISME ET MILLÊNARISME EN ANGLETERRE 349

s'étaient associés à la lutte que tous les puritains et libéraux mènent


alors de concert contre le haut clergé officiel, et avec une rare violence
à partir de 1640 ; mais l'argumentation, en dépit de la formulation polé-
mique, est avant tout de politique ecclésiastique ou de politique pure :
il s'agit de ruiner la prétention apostolique de l'anglicanisme, légitimant
ainsi la suppression root and branch de l'épiscopat, cet étai du trône
absolutiste ; des tendances « érastiennes », visant à faire contrôler l'Eglise
par l'Etat, se font déjà jour alors chez les parlementaires. Mais dès 1643
la discussion s'étoffe : en effet les presbytériens vainqueurs veulent
s'annexer l'Eglise et son dogme, et, organisant une godly discipline,
exigeant un covenant, prétendent quadriller et conditionner le peuple
anglais structuré en classis et presbytery : ce calvinisme autoritaire veut
ainsi neutraliser puis anéantir ceux qu'il nomme schismatiques, qu'ils
soient « indépendants » (partisans d'une église non centralisée, mais
de foi plutôt orthodoxe), ou humanistes, ou sectarians, d'origine et de
tendances plus populaires. Indépendants, érastiens, sectarians ainsi mena-
cés en commun, réagissent par une défense farouche de leur droit à
l'existence sociale et religieuse, symbolisée par la liberté d'expression et
de propagande laissée à leurs communautés ; ils revendiquent la tolérance
de la croyance (réclamée par le baptiste L. Busher dès 1614) et d'organi-
sation, le droit à la vie de toute tender conscience : combat d'arrière-garde
à l'assemblée du clergé, mais livré à armes plus égales au Parlement
et surtout mené à Londres même au moyen d'une série d'appels. Le plus
célèbre pour nous est certes 1 'Areopagitica (for the liberty of unlicensed
printing) de J. Milton. Milton qui fut déjà et redeviendra poète, mais qui
s'était en 1640 mis au service des presbytériens contre l'anglicanisme
exécré, se brouille avec eux en défendant, à la suite de difficultés conju-
gales, la possibilité théorique du divorce : dénoncé par un pasteur, il défie
une ordonnance de censure (d'inspiration calviniste) en ce discours, rédigé
à la mode antique mais bardé de citations et d'arguments religieux et
humanistes. Il y affirme sa foi en la tolérance et en la liberté, réclamant
libéralisme, laicisme, et, fondamentalement, affirmant le libre arbitre;
puis il dessine une approche moderne de la vérité, combattante et souf-
frante, dont les éléments surgissent et ne s'agrègent que grâce à la libre
recherche, mentale ou mystique : contre Calvin il exalte la raison, la
nature, la lumière, les lumières... Il élargit même le débat en une affir-
mation de la dignité du savoir, en la grandeur du livre affranchi, et
dresse à jamais devant nous les visages contrastés du Penseur viril et
du Censeur servile : saint Paul, Platon, Huss, l'histoire — et la fierté
anglaise — sont les sources de cette argumentation, où l'hérésie déborde
tout cadre jusqu'à se définir comme la seule authentique vie intellec-
tuelle. Déjà son ami Brooke avait insisté sur la diversité platonicienne
des formes du Vrai; et, plus symbolique ou plus mercantile, Robinson
a chanté le libre commerce de cette même denrée, par delà toute frontière

23
HÉRÉSIES ÈT SOCIÉTÉS

ecclésiastique. Les voix plus humbles qui s'élèvent sont aussi plus mys-
tiques : ainsi R. Williams, fondateur de la tolérance en la colonie amé-
ricaine de Rhode Island et pourchassé par d'autres émigrants calvi-
nistes, et qui tranquillement dénonce le « sanglant principe persécuteur »
exigeant pour la croyance ce royaume de la Grâce où le magistrat et
son glaive ne pénètrent pas. Mais déjà surgissent les futurs niveleurs :
Walwyn, marchand autodidacte, lecteur de Lucien, Montaigne, P. Char-
ron, qui confessera ses doutes sur la totale véracité biblique, et dénoncera
dans le style des Provinciales la tartuferie impitoyable du clergé en place ;
il en appelle déjà à la conscience et rédige un pseudo-sermon de la secte
de la Family of Love : fraternité, liberté, sous une lumière johannique.
II restera, lui, indemne d'un certain antinomisme populaire, qui traduisait
chez d'autres un refus du code moral et social de la classe dirigeante et
de ses rites ecclésiastiques protecteurs. Mais Walwyn est relayé par le
stupéfiant Overton qui ouvre le feu avec un message pour ainsi dire
matérialiste, au titre explicite : Man's mortality. Puis il dirige contre les
presbytériens son extraordinaire allégorie sardónique d'un procès factice,
La Mise en accusation de Messire le Persécuteur. Enfin, continuant sur
le même ton il « s'attaque à la caisse », c'est-à-dire aux dîmes ecclésias-
tiques qui paraissaient alors aux puritains un double symbole d'injustice
fiscale et de privilège abusif, auquel était associée l'idée d'un droit extorqué
aux consciences. Les pasteurs officiels « indépendants » sont à peine plus
prudents ; l'un d'eux, Goodwin, en son Theomachia, dénonce le risque
qu'il y aurait pour un persécuteur à lutter sans le savoir contre Dieu,
en faisant obstacle à une vérité neuve ou encore à venir. Les presbytériens
alors se déchaînent : Pagitt en son Heresiography, Edwards en sa Gan-
grena (février, mai, décembre 1646) cataloguent les hérésies par centaines,
et de plus en plus en les définissant sur le plan politique : libre arbitre,
croyance en l'âge d'or, universalisme du salut, tolérance, droit à la résis-
tance. Leurs formules sont brutales, injurieuses, souvent injustes ou calom-
nieuses. Walwyn entre autres, qui fut certainement un des plus attaqués,
répondit sur le mode voltairien (« Un mot au creux de l'oreille de Maître
Edwards », etc.).
Mais dès 1645 ces chasseurs de sorcières s'inquiétaient surtout de cette
« armée nouvelle » réorganisée par Cromwell, qui, refusant tout autre
critère que la volonté de combattre le roi, déclarait préférer l'enrôlement
d'un anabaptiste ardent à celui d'un orthodoxe incapable. En effet, le
New Model avait ses aumôniers, éminemment suspects (le doux mystique
révolutionnaire Saltmarsh ; l'homme à poigne, le politique H. Peters), et
surtout ses soldats qui, bible en main, prêchaient aux feux des camps,
s'affirmaient habités et habilités par l'Esprit au nom du sacerdoce uni-
versel, priaient d'abondance pour la chute du gouvernement royal assimilé
à la bête persécutrice et néronienne, appelaient « Sion » de leurs vœux,
évoquaient l'égalité initiale au temps d'Adam bêchant et d'Eve filant,
RATIONALISME ET MILLÉNARISME EN ANGLETERRE 351

prétendaient à l'occasion élire pasteurs et officiers, puis, une fois rentrés


dans la vie civile, un Parlement plus démocratique remplaçant le
Parlement contrôlé par la bourgeoisie « presbytérienne »; réclamant
enfin la tête même du Roi, ils écrasèrent en deux campagnes, et à grands
coups de psaumes, de piques et d'épées, les « cavaliers » royalistes. Jus-
qu'en 1647 Cromwell laisse faire et défend ses « têtes rondes », souhaitant
visiblement l'instauration d'un système politico-social libéral, avec pleine
tolérance des croyances. La rupture est donc consommée entre « indé-
pendants» civils et militaires d'une part, et presbytériens de l'autre;
inquiets d'avoir détruit les structures anglicanes sans pouvoir maîtriser
la tempête, ces derniers reprennent contact avec le roi auquel ils essayeront
en vain de faire accepter leur système ecclésiastique; en 1648 ils font
passer une effarante loi antihérétique contre le « blasphème », très large-
ment défini...
Cependant, dès la mi-1647, l'hérésie des laïcs urbains et des soldats
« enthousiastes » va déborder Cromwell à son tour sur sa gauche. Tout
en conservant une terminologie religieuse (souvent millénariste), les
préoccupations se sécularisent. Tandis que les soldats élisent des repré-
sentants dits agitators (un mot qui fera une longue carrière...), les plus
avancés des séparatistes de Londres (qui a alors entre 350 000 et 450 000
habitants, semble-t-il), essentiellement des membres de sectes anabaptistes
ou la gauche des groupements baptistes et congrégationalistes, s'orga-
nisent sous la direction de chefs déjà cités, Overton, Walwyn, et surtout
sous celle de Lilburne (ancien officier et leader religieux, emprisonné sous
le régime Laud, et ayant démissionné de l'armée plutôt que de « prendre
le covenant » presbytérien). Ils développent avec un foudroyant succès
un authentique parti politique qui parvint presque à contrôler Londres,
parti de tendance radicale et républicaine, que les adversaires taxeront
habilement de « niveleur ». Lilburne lui-même, sans cesse emprisonné, est
un pamphlétaire extraordinairement prolifique, défendant les droits de
la liberté religieuse et civique avec l'ardeur des huguenots du siècle précé-
dent. Et ce sont pendant plus de deux ans (de mi-1647 à fin 1649) des
pétitions et des mouvements de masse civils, une agitation fréquente
dans l'armée, un recrutement systématique d'hommes et de ressources,
un insigne, une nuée de pamphlets, et même un journal assez curieusement
nommé The Moderaie ; mais enfin, et surtout, en une série d'élaborations
constitutionnelles, ce sont les projets successifs dits « Accord du Peuple »
(Agreement of the People), où tout le contrat politique et la plupart de nos
droits de l'homme sont déjà prévus et définis. Les fondements sont ceux
d'une religion ultra-démocratique (élection des pasteurs, totale toléraince,
suppression des dîmes, objection de conscience, etc.), dont les exigences
de charité et de justice se répercutent sur le système légal, judiciaire,
politique, exigeant parlement annuel et « libertés fondamentales ». Le
ton monte parfois jusqu'à la revendication du suffrage universel, et
352 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

jusqu'à l'explicite contestation de la propriété privée : notamment en


ces Army Debales qui nous ont été conservés et où, en fin 1647, Cromwell
et le commandement des grandees indépendants se heurtent à l'anarchy
socialisante des agitators. J'ai récemment publié la traduction critique
de la dernière version de cet Agreement of the People (rédigé par Lilburne,
Overton et Walwyn incarcérés à la Tour en mai 1649), et j'ai dans un
autre recueil tenté de suivre l'odyssée de ce texte politico-hérétique, digne
de Lamennais : car il influença quelque peu le droit américain au 18e siècle,
fut connu de Mirabeau, fut évoqué avec hostilité par Guizot juste après
nos journées de juin 1848, et commenté par des historiens russes, hostiles
au tzarisme dès la fin du 19e siècle ; il avait d'autre part été emprunté en
1653 par les révolutionnaires qui dirigèrent, sous la Fronde des princes,
l'éphémère mouvement démocratique bordelais dit de l'Ormée ; c'est un
ancien niveleur, Sexby, redevenu agent de Cromwell (qui exerçait alors
un chantage révolutionnaire sur Mazarin), qui le leur avait transmis...
Au cours de la grave crise économique des années 1648-1649 (c'est
en 1649 que sera publié, mais à Rotterdam, un bouleversant pamphlet
défendant la cause des misérables, rédigé probablement par un niveleur
exilé, et intitulé Tyranipocrif), et au moment même de l'exécution du roi,
le mouvement radical des levellers fut à son tour débordé : des commu-
nistes ruraux, dirigés par un leader très prolifique, Winstanley (l'édition
moderne de ses œuvres atteint plus de 500 pages), inquiétèrent déjà les
dirigeants de la République naissante. Ce mouvement dit des « bêcheux »
(diggers) ou des true levellers nous intéresse à plusieurs titres. Et avant tout
parce qu'il est, en un sens, moins sécularisé que celui des levellers poli-
tiques, urbains ou militaires ; leur théorie de la communauté de la terre
entière et des moyens de production, et l'acte même, prophétique, par
lequel les squatters du Surrey « communisèrent » des terres communales
(encloses ou susceptibles de l'être) en avril 1649, reposent sur une concep-
tion parfaitement explicite du monde. La création a voulu qu'existât la
totale communauté des biens et des cœurs ; le péché originel n'est rien
d'autre que la propriété privée, le meum et le tuum : un siècle après la
traduction anglaise de l'Utopie de More, Winstanley annonce donc
Rousseau analysant l'origine de l'inégalité. Dieu lui-même (et à ce mot
Winstanley substituera parfois le terme «raison», comme étant plus
clair...) n'est pas ce que les trompeuses fantaisies d'un clergé, intéressé
à nous endormir, ne cessent de prétendre. Que le peuple sache qu'il est
une présence que seule la nature révèle, en ses phénomènes : étrange
mysticisme, fondé sur la matière, et menant à un panthéisme ou à un
naturalisme baconien. Dès lors le pasteur n'est pas autre chose qu'un
fonctionnaire élu, messager de fraternité (expliquant les lois de la Répu-
blique, ou Commonwealth), et également un pédagogue des sciences de
la nature, seule identification de la divinité. Sous ce gouvernement
chaque enfant apprend les langues, les sciences et les techniques ; l'on y
RATIONALISME ET MILLÊNARISME EN ANGLETERRE 353

œuvre en phalanstères ; l'Angleterre est sillonnée de routes, et les peuples


ne connaissent plus la guerre; le système est parlementaire, à la fois
décentralisé et autoritaire. Winstanley hésitait cependant entre le paci-
fisme intégral et une théorie incisive où il opposait à l'armée d'oppression
des prêtres et des rois, l'autre, the Commonwealth's army, like John Baptist,
who levels the mountains to the valleys, pulls down the Tyrant and lifts up
the Oppressed... Mais de toute cette Law of Freedom, qui lui fut présentée
en 1652, Cromwell ne tint aucun compte. Entre-temps, dès le milieu
de 1649, triomphant de mutineries et incarcérant les chefs civils niveleurs,
il avait écrasé cette dangereuse sécularisation de l'hérésie. Lors du banquet
qu'il célébra avec les marchands de la Cité de Londres rassurés, la prière
qui y fut dite rappelait que « soit maudit celui qui déplace les bornes de
la terre de son prochain... » Les thèses nombreuses sur le lien organique
existant entre la religion, notamment protestante et puritaine, et l'exten-
sion du capitalisme allaient donc désormais trouver ici leur justification.
Mais il n'est que juste de rappeler que d'autres puritains hérétiques de ce
temps apparaissent aux sources, bien utopiques il est vrai, du socialisme
contemporain.
Avec la République en effet, puis, quelques années plus tard, avec le
Protectorat, tous ces espoirs sont frustrés. Si les hérétiques des classes
supérieures s'attachent au gouvernement (ainsi Milton qui défendra le
régicide au nom du droit naturel et du contrat politique, et qui dénoncera
en un poème admirable la persécution des Vaudois du Piémont) et si
d'autres s'en détachent pour se retirer en quelque tour d'ivoire (ainsi
Vane, le seeker), les hérétiques les plus populaires vont transposer leur
espoir sur un mode différent.
C'est alors que se manifestent sérieusement les premiers quakers qui
jusqu'ici étaient noyés dans la masse des sectarians; et leurs débuts
furent plus extravagants, et pas toujours aussi pacifistes, que leurs histo-
riens ont eu parfois tendance à les représenter. Mais ce sont là, incontes-
tablement, des démocrates religieux, défenseurs d'une admirable vie
intérieure, et systématiquement anticléricaux ; on connaît les tribulations
sur sol anglais de G. Fox, sa dénonciation des « maisons à clocher », son
refus du serment, ses contacts avec Cromwell qu'il tutoie et morigène
sans dommage (et sans résultat). Le quakerisme apparaît comme un
développement et une adaptation de l'ancien anabaptisme pacifique. C'est
vers lui que se tourneront plusieurs niveleurs vaincus, par exemple
Lilburne, que Cromwell avait fait bannir puis emprisonner. Mais certains
n'acceptent pas ce retour à un mysticisme plus moralisant que social.
Ayant été vaincus ils cherchent d'autres garanties plus solides que les
garanties humaines. Reprenant d'ailleurs le vocabulaire des maîtres de
l'heure (les « indépendants »), les mystiques millénaires souvent dits « de
la Cinquième Monarchie » montent à l'assaut du pouvoir ; car ils sont
encore influents dans cette armée que Cromwell a voulu habilement
354 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

détourner contre l'Irlande catholique ; lorsque ce dernier chasse en 1653


le Parlement croupion (Rump), le jugeant embourgeoisé et cupide, il
recrute pratiquement lui-même une nouvelle assemblée constituée de
membres des Eglises « indépendantes » : or la moitié de ce nominated
Parliament est précisément formée de ces mystiques que Hugo a voulu
ridiculiser en son Cromwell. Ces élus du Seigneur, qui se réclament d'un
messie imminent, ces « saints » qui manient allègrement la prophétie et
s'inspirent de Daniel, d'Ezéchiel et des textes légalistes et moraux des
deux Testaments, offrent une allure martiale, presque maccabéenne. Or,
même dûment parlementarisés, les voici qui préconisent, non plus (comme
les niveleurs) au nom du droit naturel, mais exclusivement à partir de
la Bible, un renouvellement du droit qui favorise les humbles ; la suppres-
sion de toutes dîmes... et même le mariage civil. L'autre moitié (conserva-
trice) de ce Parlement étrange s'inquiéta. Et Cromwell liquida le tout
d'un tournemain. Volens, nolens, le « Juge en Israël » aboutissait désor-
mais à un régime religieusement assez tolérant, mais politiquement et
socialement autoritaire... Dès lors, l'hérésie, sans recours ni espérance,
s'exalta, complota, ou dérailla. Ainsi le quaker Nayler qui, revivant la
Pâques, entra comme messie à Bristol, et que Cromwell lui-même ne put
protéger de la condamnation comme blasphémateur; ou encore ces
complots, sans cesse renaissants, où d'anciens niveleurs, des chiliastes
exaspérés et des républicains plus posés mêlent confusément leurs idéo-
logies ; en celui qui avait été leur Moïse ou leur Josué, ils ne voyaient plus
que Pharaon... Quant aux couches les plus misérables, elles alimentent
des hérésies affolées : par exemple, ces étranges Ranters (extravagants),
chez qui panthéisme, nihilisme et antinomisme évoquent un Boehme pris
de folie collective. Nos quelques textes révèlent d'étranges visions zébrées
d'éclairs, un vocabulaire apocalyptique, et des menaces (overturn, over-
turn !) scandées sur un rythme de derviche tourneur. Le gouvernement,
qui les observait, ne les prit pas au sérieux.
Le mouvement des ranters, en tout cas sous cette forme, mourut de
lui-même ainsi que d'autres groupes semblables. Seuls, quelques « enthou-
siastes » de la Cinquième Monarchie tentèrent après la Restauration, un
baroud d'honneur : il fut, impitoyablement, noyé dans le sang.
La religion hérétique populaire, celle des anabaptists, sedarians, levellers
et autres avait donc vécu, sans avoir vaincu. Les noms mêmes — à
l'exception de celui des levellers (qui se maintint durablement dans le
souvenir politique) — se mêlèrent confusément dans l'esprit des obser-
vateurs et érudits ultérieurs. La curieuse liste de l'Histoire des Eglises et
des sectes de G. Arnold nous parle des congregationales, des pseudo indepen-
dentes sive Fanatici, des anabaptistse, des quxrentes, des antinomii... et
mille alii... Les quakers s'assagirent dans le pacifisme et furent d'ailleurs
persécutés avec les autres dissenters après 1660 ; également, à des titres
et sous des formes diverses, les grands bourgeois aux audaces intellec-
RATIONALISME ET MILLÉNARISME EN ANGLETERRE 355

tuelles, politiques ou religieuses : Milton, Vane, ou Harrington l'écono-


miste. Et le nom de ce dernier nous rappelle le nom d'autres utopistes,
hérétiques sociaux plus que religieux, dont les essais jalonnent également
ces vingt ans de crise : Hartlib, Chamberlen, Plockhoy : mais des trois
derniers, deux sont des étrangers.
Le « dissenter » (qui refuse l'Anglicanisme rétabli), surveillé, déçu, ne
conservera plus de son indépendance première qu'une ecclésiologie démo-
cratique quoique exclusive; sa pensée proprement religieuse redevient
généralement paulinienne : grâce divine et obéissance terrestre (sauf en
ce qui concerne la foi) ; c'est là une position de repli, d'hibernation, où les
hommes sont sympathiques mais leurs idées bien décevantes. Après 1688,
le Dissent fournira des éducateurs, des réformateurs, des érudits, des
esprits entreprenants, des politiques (whigs, bien sûr) ; d'autres se lance-
ront dans l'ésotérisme des Rose Croix ou dans celui des philadelphes,
ou maintiendront ce mysticisme que nous retrouverons un siècle plus
tard chez Blake. Mais qu'il épouse son ciel (Bunyan) ou qu'il épouse son
siècle (De Foe), le dissenter ne modifiera plus guère l'un ou l'autre ; tout
au plus parviendra-t-il à devenir respectable : les quakers des Lettres
anglaises de Voltaire ne sont plus ceux de Cromwell ! Après 1660 nos
« hérésies » religieuses et politiques ne sont pas simplement défaites et
sans espoir. Elles ont joué leur rôle, mais sont mortes à la tâche : elles
ne sont plus.

Ce trop rapide survey historique appelle quelques conclusions de fond et


quelques réflexions générales qui ne feront d'ailleurs qu'entr'ouvrir des
perspectives de recherche.
La première constante de ces hérésies est dans la revendication formelle
— entendons par là extérieure mais aussi sans faille, absolue (parce que
liée au concept même d'une vérité qui se cherche, s'accroît, s'agrège et
progresse) — de la liberté d'expression. Nous avons vu qu'un concours de
circonstances avait favorisé une telle liberté pendant une dizaine d'années.
Il n'est pas sans portée de constater que cette réclamation, révolutionnaire
à cette date, de la liberté d'expression fut liée, d'une part (aspect formel)
à la liberté d'impression (c'est-à-dire à la possibilité du transfert et du
commerce imprimé, « liberté de la presse » au sens large du mot) ; et,
d'autre part (aspect essentiel), fut liée, sur le plan philosophique, au
principe de la tolérance dans le domaine religieux : étant d'ailleurs entendu
qu'à l'époque toute réflexion, si indépendante soit-elle, est le plus souvent
amenée, consciemment ou non, à utiliser la terminologie religieuse.
Une autre constante en procède : la permanence d'un antidogmatisme
et d'un anticléricalisme, violents et même systématiques, à l'égard des
idées reçues et des hommes en place. Or c'était là mettre simultanément
en cause, et en échec, les deux formes d'autorité jusqu'alors communément
acceptées : l'autorité protestante, qui trouve son fondement (et parfois
356 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

sa sclérose) à partir d'un livre sacré dont les interprétations principales


sont plus ou moins discrètement monopolisées par le clergé, le fidèle ayant
droit de lire mais rarement d'imposer son commentaire : il s'agit, en fait,
d'une censure par hétéro-, ou par auto-persuasion ; et l'autorité catho-
lique — ou, en l'occurrence, plus spécifiquement l'autorité anglicane —
qui se veut essentiellement une autorité d'Eglise, dont le droit de surveil-
lance (l'épiscopat) serait de tradition apostolique, remontant d'ailleurs
en définitive au livre canonique. Mais, que l'on y revienne ou que l'on en
parte, la Bible servait d'instrument, de moyen à des fins d'autorité. Or,
en 1640, le bouleversement politique et le temporaire vide juridique ont
catalysé les forces de rébellion individuelle ; si bien que certains « clercs »,
issus du clergé (protestant), vont désormais en sortir... Et que le laïc va
se prolonger en laïque. Chez les meilleurs la recherche fournit les nouvelles
normes mentales et morales : ce sont, peut-on dire, les « intellectuels » ;
chez les moins évolués, il y a nette tendance à l'anarchie, avec son clair
processus de sublimation du désir de renier (ou d'effaroucher) une culture
de classe encore trop souvent liée, notamment chez les anglicans, au
pouvoir politique ; les déviations antinomiennes sont possibles, déviations
que les adversaires orthodoxes ne manquent pas d'exagérer : attaquant
le mental par le détour du moral, comme c'était le cas aux dépens des
« libertins » de France.
Les trois grandes idées-forces de la Réforme continentale du 16« siècle
sont encore apparentes : idées de la liberté et de l'égalité terrestres du
croyant, telles que les avaient déjà amorcées la mystique intuitive luthé-
rienne (sola fidé) et la logique juridique calviniste (soli Deo gloria) ; idée
enfin, plus révolutionnaire, et dont l'enjeu est une fraternité, de cette
radical Reformation, incarnée d'abord par les sectes médiévales puis
transmise par Lollards, hussites ou anabaptistes : celle-là même qu'un
récent spécialiste américain opposait très justement à la magisterial
Reformation, la Réforme officielle selon le « magistrat ». Mais il s'agit
d'un prolongement, non de simple répétition. Nos hérésies n'étant plus
concomitantes mais subséquentes à la Renaissance s'en assimilent les
apports. Le passage à Londres de Comenius, avec tout ce que cela impli-
quait d'espérances, l'influence latente d'un Bacon, en sont de clairs sym-
boles. L'hérésie, qui est « droit de choisir », choisit en avançant.
Définissons donc ces trois attaches religieuses, et ces trois tendances
«libre-penseuses», tirant parfois sur la corde jusqu'à la casser...
I o Parti de la «liberté chrétienne» (synthèse d'une thèse métaphy-
sique, le « serf-arbitre ». et d'une antithèse morale et physique, le « libre
arbitre ») — liberté dont la reconnaissance était comme le signalement
d'identité de 1'« élu » ou du « saint » (au sens protestant de « fidèle ») —
l'on en arrive à la liberté du laïc, et bientôt du citoyen ; ou disons encore
que l'on reconquiert cette liberté sous forme rénovée, si l'on admet que
RATIONALISME ET MILLÉNARISME EN ANGLETERRE 357

la première « liberté chrétienne » n'était que la projection idéologique d'un


équilibre social et économique désormais modifié. La conséquence est que,
presque brutalement, à l'engagement au service d'un dieu auquel la
Réforme avait maintenu, somme toute, un visage conservateur, se subs-
titue une révolte, qui se prétend d'ailleurs obéissance légale au même
dieu. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il a, en tout cas, changé de volonté,
et de programme : ce qui avait été imposé au nom de saint Paul comme
règle de fidélité et de loyalisme (d'abord le caractère divin de la royauté,
puis l'obéissance sans discussion aux autorités) est dorénavant dénoncé
par certains, avec toute la violence du prophétisme hébreu, comme ado-
ration d'un Baal ou comme prostitution devant les idoles. Ces puritains
n'acceptent donc plus (à la limite : car il subsiste certaines timidités ou
prudences) ni le Prince, ni le Prêtre ; ou, pour parler en cette langue
biblique dont les images étaient chargées de souvenirs exemplaires, le
puritain ne veut plus ni Pharaon, ni pharisien : ce dernier qualificatif
était d'ailleurs plus commode pour dénoncer les « Anciens » du système
autoritaire presbytérien, système qui avait prudemment largué le titre
compromettant de « prêtre » : mais l'on connaît le sarcasme étymologique
de Milton : « presbytre n'est jamais que prêtre écrit plus long... »
L'homme qui a été choisi d'En Haut, veut choisir à son tour en bas :
d'une part, choisir sa destinée morale (indépendance dogmatique), et
d'autre part ses délégués : commençant par ceux d'Eglise (pasteur élu par
1'« assemblée »), et continuant par ceux d'Etat : le député représentatif
remplace ainsi chez les levellers le « magistrat » calviniste, qui avait été
l'intermédiaire accepté entre autocratie royale et population à la base ;
une des erreurs des premiers Stuart fut peut-être d'avoir voulu le suppri-
mer (sous sa forme parlementaire) de la House of Commons ; son rôle,
autrefois «progressiste», est désormais mis en cause par de nouvelles
couches numériquement étendues, et politiquement comme religieuse-
ment conscientes. Tout croyant qui se sait « élu » se veut donc « électeur »,
il veut l'indépendance : et ce dernier terme, Independencg, qualifie sympto-
matiquement, un parti théoriquement religieux mais dont les historiens
de toutes époques et tendances sont d'accord pour dire qu'il fut, avant
tout, politique. Le puritain se sachant responsable veut devenir un
«responsable». Dès la fin du 19e siècle l'historien suisse C. Borgeaud,
évoquant le covenant, notait cette évolution : ce contrat en effet, établi
entre le dieu protestant et son peuple, en Ecosse puis en Angleterre, et
contresigné par les hommes, leur était en réalité imposé : au point que
des hérétiques, tel Lilburne, refusèrent de le signer, alors que Cromwell
devait en exalter la portée spirituelle sur son lit de mort ; or ce covenant
se métamorphose sous nos yeux en contrat politique : l'optique est ainsi
inversée (fraternité humaine au lieu de divin paternalisme), mais graduel-
lement ; et l'origine du transfert n'est pas douteuse : cette idée sera sécu-
larisée chez Milton dans les traités qu'il rédige en prose (choix « contrac-
358 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

tuel » du souverain, et droit au régicide s'il dénonce ses obligations), et


franchement démocratisée chez les levellers (Agreement of the Peoplé). Plus
tard Locke l'adaptera puis l'adoptera, très pragmatiquement ; et Hobbes
en suggérera une version conservatrice, assez cyniquement détournée,
mais demeurant toute laïcisée. Le Contrat social de Rousseau est là, soit
en germe, soit déjà curieusement explicite. Pour cela, l'homme libre va
lutter. L'idéologie du New Model Army réside en cette justification, divine
et humaine, d'une lutte pour la liberté.
2° Partie de la notion de « révélation », mais spiritualisée et individua-
lisée, la croyance protestante en la validité de certains critères intimes
de conviction aboutit à une véritable doctrine de 1'« égalité chrétienne »
dans le domaine de l'épistémologie : la connaissance religieuse avait ainsi
été théoriquement affranchie. On connaît l'ambiguïté de la thèse calvi-
niste, sur l'accord, en quelque sorte pré-établi, entre le « témoignage
intérieur du Saint-Esprit » (forme embourgeoisée du « pneumatisme » du
protochristianisme, ou de 1'« enthousiasme » des sectes médiévales...) et
l'interprétation qu'en donnait le clergé officiel ; et l'on connaît aussi le
critère christique qu'avait adopté Luther pour hiérarchiser les textes
sacrés en fonction de son expérience personnelle. Mais ces positions
devinrent intellectuellement intenables devant la diversité de fait des
interprétations ; c'est ce qu'avait d'ailleurs déjà entériné la théorie (passée
de saint Paul au luthéranisme, puis à l'anglicanisme), de ces « choses
indifférentes » ou « adiaphora », en option libre, en face des fundamentals
de la foi; et le courant des hérésies s'était d'abord engouffré par là.
Mais l'on en arriva assez vite à la notion d'une égalité, justifiée par un
commun recours à la raison ; raison d'abord théoriquement impure,
« rectifiée » par la grâce, et exigeant le contreseing du Livre, tel que l'inter-
prétait l'autorité ecclésiastique ; mais raison finalement autonome en ses
décisions et (se camouflant alternativement derrière Spirit et Scripture...),
une fois cette autorité écroulée, comme ce fut le cas en 1640. L'ambiguïté
du symbolisme biblique touchant la lumière qui « éclaire tout homme
venant au monde » (l'évangile johannique avait ainsi étayé ou suggéré
toutes les luttes médiévales contre l'orthodoxie) facilitait les choses ; en
outre, de la light for the benighled (suggérée par l'évangile de Luc) à
l'enlightenment, il n'y a pas de fossé infranchissable, et l'ancien illuminé
se voudra désormais simplement éclairé ; après tout, ne s'agissait-il pas
du permanent facteur humain de l'individualisme jugeant par lui-même
(mais se renforçant précisément de l'accord libre avec autrui), qui a pu
marquer certaines formes du judaïsme et du christianisme, et qui refaisait
surface en période révolutionnaire ? L'on constate même, et c'est là une
supériorité sur quelques-uns des philosophes, socialement prudents, du
18e siècle, que l'hérétique de 1640-1650 joue sur les deux tableaux, éta-
blissant la conjonction entre un début de rationalisation intellectuelle et
RATIONALISME ET MILLÉNARISME EN ANGLETERRE 359

un premier effort de rationalisation sociale. D'où l'intérêt, porté par


beaucoup, aux problèmes-charnières de l'éducation.
Tous ces hérétiques recherchent donc l'évidence intime qui s'imposera
à eux mais qu'ils « choisissent d'accepter » (airesis). Les vocables utilisés
n'ont guère d'importance : la light que nous avons évoquée recouvre tout
aussi bien le concept d'inner Christ des quakers (où l'accent est mis sur
inner, par opposition à un Christ extérieur qui serait celui d'un clergé)
que cette Reason, chantée par Winstanley, et qu'il déclare parfois pré-
férer, parce que plus claire, au terme God... Nous n'en sommes plus au
tétragramme ou trigramme sacré : Lumen se substitue à Numen. L'intérêt
des anglicans, pourtant conservateurs, pour le platonisme et le néo-
platonisme, traduit la nécessité où se trouvait le clergé le plus autoritaire
de jeter du lest dogmatique ; encore que cette égalité dans une expérience
intérieure rationalisée ou laïcisée soit plus probablement de source baco-
nienne chez ceux de nos hérétiques qui sont du type « leveller ». Quoiqu'il
en soit, le mouvement est évident, qui s'écarte du credo et de la coutume
(ce dernier mot faisait voir rouge à Milton !), et d'une révélation imposée,
et qui conduit plus ou moins péniblement vers l'acceptation d'une Raison,
qui est méthode du vrai et mesure du bien. Par cette initiative de la
conscience individuelle (conscience mentale et prise de conscience;
conscience morale et crise de conscience), les hérétiques les plus équilibrés
s'orientent vers un universalisme, aussi différent de l'ancienne orthodoxie
figée que des chapelles, écoles ou coteries, spécialisations ou « héroïsmes »,
de la Renaissance. Mais, s'assimilant encore en dignité à une révélation
divine, la Raison, qui fait ainsi ses premières démarches au milieu du
siècle, en acquiert une sûreté novatrice, critique, entreprenante, agressive,
qui confère à ses hérésies une durtamis (encore un mot grec, emprunté
par saint Paul, et faisant retour à son usage premier), un optimisme,
valant tous ces « pessimismes actifs » en lesquels certains ont voulu réduire
le message protestant ou puritain. Pour le ton nous nous situons quelque
part entre Rabelais et Pascal... Mais pour le fond, nous sommes déjà
proches de Hugo, et la comparaison qu'établit le professeur Saurat entre
le poète français et l'hérétique-type que fut Milton n'est certes pas sans
fondement.

3° Socialement, même cosmiquement parlant, et se situant d'ailleurs


dans la lignée de certains Pères — ou hérésiarques — de l'Eglise (et l'on
irait aujourd'hui jusqu'à Teilhard de Chardin), la pensée hérétique de
ce temps élargit le domaine où le salut s'exerce. Citons Winstanley : In the
great body of earth in which ail creatures subsist... universal love unités not
only mankind into a oneness, but unités ail other creatures into a sweet
harmony of willingness to preserve mankind. Les anciens mythes, qu'ils
soient positifs (l'âge d'or ; le temps d'Arthur, du roi Alfred), négatifs (le
Norman yoke accablant l'Anglais saxon depuis 1066), ou mixtes (le paradis,
360 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

perdu, avant d'être retrouvé ; la fortunate Fall, élargissant le thème, plus


suspect, de la felix culpa), ces mythes s'ouvrent souvent sur des visions
du monde. Ainsi se justifient le sens et l'urgence de l'histoire aux yeux
des hommes de ce temps; et l'utopie en devient topique. Le concept
statique de la loi de nature se développe au-delà de ce qu'avaient élaboré
la pensée classique antique, le catholicisme médiéval et même la réflexion
humaniste. Loi de Dieu et loi de Nature ne font plus qu'un, apparaissant
au fond des cœurs comme au fond des choses ; certes cela seul n'eût guère
été original, ni, à lire ce qu'écrivent alors certains anglicans, très hétéro-
doxe. Mais ce sont les nuances qui sont importantes ; introduisant un sens
de l'histoire et un dualisme de combat entre le passé et l'avenir qui sont
plus hébraïques que grecs (où nature et chair s'opposent à esprit et
âme), elles traduisent un optimisme et aussi un sens populaire de l'action.
D'une part l'on évacue la portée négative de la transcendance calviniste,
selon laquelle nos actes étaient métaphysiquement inutiles et concrète-
ment inadéquats par rapport aux exigences d'une Grâce dont le caractère
de don, et de pardon, gratuits mettait précisément en douloureuse évidence
l'insuffisance des tentatives terrestres; et, d'autre part, l'on ignore
l'égoïste subjectivisme luthérien; et surtout sa conception, si découra-
geante, de la valeur intérimaire et quasi satanique (quoique nécessaire pour
assurer le minimum d'ordre indispensable à la diffusion du message évan-
gélique) des structures sociales. C'est dire que cette satanisation et divi-
nisation simultanées de l'Etat par le luthéranisme originel, ou que
ce «magistrat» calviniste qui associe la Cité à l'Eglise (mais les deux
carcans s'additionnent !) pour encadrer le sujet d'une quelconque répu-
blique genevoise du 16° siècle, que ces deux domestiques au service de la
transcendance divine s'évanouissent. Si transcendance il y a encore, elle
est passée au service de nos révoltés : les uns manifestent une fierté de
rebelle en liaison directe avec le divin (par exemple Lilburne), d'autres
(les millénaristes), proclament un schéma peu rassurant de bouleversement
cosmico-révolutionnaire, mi-parousie, mi-catastrophe ; d'autres enfin des-
sinent l'harmonieuse vision d'une cité régénérée : de ce dernier point
de vue le digger Winstanley n'est pas très éloigné de ce que sera le poète
Shelley, pourtant nourri de d'Holbach et des philosophes, lorsqu'aux
JOUTS de Beethoven il exaltera Prométhée libéré. Mais le Christ reste ici
la figure de proue, voire la justification cosmique ; historiquement il aurait
été the first leoeller ; intérieurement, il est, on l'a vu, le « Christ-Raison »,
mais sa présence s'étend maintenant, immanente, en toute la nature ; des
anciens prophètes d'Israël à l'épître aux Colossiens, on trouvait à cela
des répondants bibliques. Le salut, si limitatif, égocentrique ou au moins
anthropocentrique, du christianisme officiel était ainsi débordé. Mais en
ce nouvel Evangile Eternel et malgré les formules religieuses se voulant
justificatrices, la tendance au panthéisme, et même à un certain monisme,
est claire. Moralement le salut apparaît comme le refus du chaos, et du
RATIONALISME ET MILLÉNARISME EN ANGLETERRE 361

chaos dans le cosmos ; et, sur le plan humain, il est le refus de Caïn dans
la communauté humaine : communauté qui est à la fois communion,
Commonwealth et même communisme (qui traduit community, comme
« christianisme » traduit christianity). Ainsi, violences, risques d'anarchie,
retour à l'état primitif de nature ne servent plus de prétexte ou de justi-
fication à une oppression, se qualifiant ordre : nos hérétiques prennent
donc ici le contre-pied des thèses de Hobbes ; ou plutôt ce sera ce dernier
qui voudra neutraliser l'hérésie novatrice : car on y croit aux programmes,
et au progrès (qui n'est pas ce douloureux pilgrim's progress mystique
du dissenter vaincu d'après la Restauration de 1660). L'on s'explique dès
lors l'attaque menée par les théologiens, surtout presbytériens, contre toute
théorie de salut universel, d'enfer humanisé et spiritualisé, et leur effort,
pour nous stupéfiant, de rétablir les dogmes loup-garrou de la prédesti-
nation ou de la damnation : opposant des garde-fous à nos fous de Dieu...
Chez ceux-ci les moyens préconisés varient : allant de l'évolution (chez
les humanistes ou certains niveleurs) à l'Apocalypse (chez les millénaires,
généralement d'origine baptiste), en passant par les mutations brusques
mais au sein d'un plan divin progressif (ainsi le rôle providentiel que doit
jouer la New Model Army, en fonction des signes des temps...). Mais la
fin recherchée est une et certaine : le créateur ou la création ont voulu
l'unité fraternelle des choses et des corps, que ce soit platform politique
ou vision de béatitude. La nature se substitue à la fois à la divinité et à
l'individu isolé, comme étant simultanément le modèle, l'agent et fina-
lement la bénéficiaire du salut général : telle est la loi nouvelle, celle de la
Family of Love, et the glory of Sion.

Il nous reste à préciser comment en ce champ de forces que définissent


nos trois sommets — liberté, lumière et loi nouvelles — se manifestent
certaines hésitations ou plutôt un mouvement dialectique, un ensemble
de couples de forces, en apparence opposées, mais faisant avancer la
réflexion et les réalisations.
Il y a d'abord alternance, et cela en fonction de la classe d'éducation de
l'hérétique, entre l'usage admis d'une raison rénovée (et quasi autonome
chez les humanistes) et le souffle, ou le feu, de l'esprit, 1'« enthousiasme » :
ce dernier substantif sera utilisé plus tard (ainsi chez Swift) de façon
nettement péjorative pour ridiculiser toute hérésie ou révolte populaire ;
mais il avait alors, tout comme le terme light, ses lettres de noblesse plato-
niciennes ; il est souvent aussi associé à l'idée de « révélation », encore que
l'orthodoxie anglicane (les presbytériens parlant plutôt des Ecritures) ait
jusqu'à nos jours tenté de monopoliser ce terme. Mais cette différence
entre feu et lumière, entre la pénétration d'un esprit décrété divin et
l'immanent et permanent pouvoir rationnel de l'individu, est plus dans
les mots que dans les faits. Cette alliance, cette superposition entre
daimôn ou Saint-Esprit d'une part, et pensée laïque de l'autre, est alors
362 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

évidente ; et pourquoi nous en formaliserions-nous, alors que nous ensei-


gnons encore à nos enfants que les poètes sont « inspirés » ? De fait, l'unité
est certaine, elle est dans l'individualisation de l'expérience; et peu
importe de savoir quels sont ceux qui croient trop au ciel classique et
ceux qui semblent n'y plus guère croire. Il y aurait comme un anachro-
nisme à vouloir imposer notre terminologie psychologique aux hommes
du 17e siècle ; la révélation (sans majuscule) rejoint la raison...
Que le schéma mental reste anthropocentrique, certes ; mais nous-
mêmes avons-nous progressé depuis ? E t l'on constate aussi un effort
pour que l'individu (habité par le Christ, animé par l'esprit, éclairé par
la raison) soit intégré dans la nature ; et à celle-ci, on l'a vu, le dieu chrétien
tend à s'identifier, qu'elle soit loi morale naturelle universelle ou nature
physique rénovée. Bref, en cette tentative, qu'on pourrait appeler « du
bon usage de la dualité ou de la trinité divine », la théologie et la théodicée
hérétiques constituent par instant l'équation même par laquelle l'homme,
cette variable inconnue, s'inscrit et agit dans le problème général du
monde.
L'opposition courante, mais facile, entre mysticisme et matérialisme
n'a guère de valeur ici. Winstanley, qui est celui qui va de beaucoup le
plus loin, avec Overton, dans le sens matérialiste, s'exprime en une langue
et par des symboles souvent mystiques ; mais il dénonce les « imagi-
nations » (mystificatrices) d'un clergé trompeur, tout comme d'ailleurs
le jargon juridique ou l'ésotérisme de certains intellectuels d'université.
Là encore, l'unité est dans l'expérience : le terme revient souvent, ainsi
que les verbes corrélatifs to feel et to prove (mettre à l'épreuve), que
l'expérience soit psychologique, en prise directe intérieure, ou qu'elle
opère à travers la nature concrète. L'hérésie associe révolutionnairement
l'expérience religieuse (paulinienne et réformée), et l'expérience scienti-
fique selon Bacon, qui, en ces mêmes jours, donnait naissance à la célèbre
Société Royale. La devise évangélique « cherchez et vous trouverez » se
transforme en un impératif optimiste : « cherchez, éprouvez et vous
prouverez... » : prove ail...
Nous avons déjà insisté sur l'universalisme social, mystique, même
matériel de nos hérésies, ainsi que sur ses correspondances terrestres (les
manifestations de masse des niveleurs) ; mais constatons inversement,
soit avant 1640 (quand le système thorough contrôle encore E t a t et Eglise),
soit après 1650 (devant les croissantes déceptions), un exclusivisme
symptomatique : théologiquement, il s'arc-boute sur la classique diffé-
renciation entre domaines de la Nature et de la Grâce, cette dernière
toute imprégnée de la douceur des communautés fraternelles clandes-
tines; psychologiquement, peut-être s'agit-il au contraire d'un complexe
d'agressivité; ou, socialement, n'est-ce qu'une simple structure idéolo-
gique préservant, en temps d'oppression, un refuge nécessaire où ni E t a t
ni Eglise ne peuvent pénétrer ? Mais la contrepartie révolutionnaire est
RATIONALISME ET MILLÊNAR1SME EN ANGLETERRE 363

nette : ainsi chez les millénaires de la Cinquième Monarchie les pauvres


sont souvent les seuls élus de Dieu, le parti divin, d'ailleurs limité en
nombre, les agents privilégiés de Jésus, et comme une sorte d'anti-clergé.
A cette double optique (universalisme humaniste, exclusivisme apoca-
lyptique) correspond l'hésitation au niveau des moyens entre les méthodes
réformatrices et persuasives (éducation ; pacifisme — qui n'est d'ailleurs
pas d'origine — des quakers; constitutions politiques raisonnées), et
celles de la force : non seulement le feu messianique appelé en malédiction
sur le gouvernement, mais aussi, entre 1645 et 1650, cette force, plus
concrète et légale, du New Model. Le fait que les « hérétiques » de cette
période aient disposé de la liberté presque totale d'expression et aussi
d'une force militaire nous autorise à appliquer à leur multiple message
la formule de Chateaubriand appliquée à la prose d'un Milton : « une
propagande révolutionnaire éloquemment annoncée ».
Or Chateaubriand lui-même ne disait-il pas encore : « Les hérésies ne
furent que la Vérité philosophique... refusant son adhésion à la chose
adoptée..., une de nos plus nobles facultés : celle de nous enquérir sans
contrôle... Un droit naturel et sacré, le droit de choisir» (Etudes histo-
riques, 1831).
BIBLIOGRAPHIE SUCCINTE

Bibliographie
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b) Diggers
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c) Armée
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d) Antinomiens
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e) Quakers
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W. C. B R A I T H W A I T E , The beginnings of Quakerism ( 1 9 1 2 , rééd. 1 9 6 1 : CUP).

f ) Influence de Boehme
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g) Milton
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1938 et 1951.
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24
366 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

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D . M. WOLFE, Leveller Manifestoes, 1944, et en appendice : Milton in the
Puritan Revolution, 1941.
V . GABRIELI, Puritanesimo e Liberté, op. cit., en italien.
G. WINSTANLEY, Complete Works, éd. par G . H . Sabine, Cornell University
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N. COHN, The Pursuit of the Millennium, Londres, 1957 ; trad, française :
Les fanatiques de l'Apocalypse, Paris, 1962. Dans cet ouvrage, autre-
ment très contestable, on trouvera des extraits des ranters.

Articles de revues
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1942.
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J. F. MACLEAR, « Popular anticlericalism », dans Journal of the History of
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A. COLE, « Quakers », dans Past and Present, t. X, 1956.
A. L . MORTON, « Religion and Politics », dans Marxism to-day, décembre
1960.
W. F. MURPHY, « Winstanley », dans Review of Politics (U.S. tendance
catholique), avril 1957.
DISCUSSION

I. S. R E V A H . — J'ai été très intéressé par la communication de M. Lutaud,


qui m'apporte l'arrière-fond spirituel à cet événement si important de
l'histoire du judaïsme, la réadmission des juifs en Angleterre : une commu-
nauté de marranes clandestins engage avec Cromwell des négociations qui
n'aboutissent pas mais donnent lieu à une abondante littérature. Tolérés
vers la fin du Protectorat de Cromwell, les juifs sont admis en Angleterre,
sous la restauration monarchique qui, dans ce domaine, n'annule pas les
efforts de Cromwell.
Vous avez d'autre part parlé des espérances de la Cinquième Monarchie ;
or, le Portugal a sécrété, en dehors du marranisme, un millénarisme du
cinquième Empire, qu'on appelle le sébastianisme : les espérances de beau-
coup de Portugais « vieux chrétiens » sont concentrées sur la résurrection
du roi don Sébastien, mort à la bataille d'Alcazar-Quivir, puis reportées
sur le roi Jean IV, qui a restauré l'indépendance portugaise, par le jésuite
Antonio Vieira, qui m'est très cher : il a pris la défense des « nouveaux
chrétiens » pendant de nombreuses années, il a convaincu ses confrères
de la Compagnie, il a été condamné par l'Inquisition, pour avoir essayé
de défendre l'orthodoxie de ces espérances du cinquième Empire. E t il
est enfin allé à Rome obtenir son absolution.

R. M A N D R O U . — M . Lutaud nous a fourni un exemple d'hétérodoxie ou


d'hérésie au second degré, puisque le fond du décor en est l'anglicanisme,
et il nous permet de nous poser des problèmes de méthode ; le problème des
conjonctures, et des terrains dans lesquels celle-ci trouve audience et se
développe. M. Lutaud a employé le terme de dialectique des forces écono-
miques, sociales et religieuses. Je ne le répudierai pas. M. Lutaud nous a
dit de façon très nette qu'il se refusait à différencier mysticisme et matéria-
lisme et il a mis l'accent sur expérience religieuse et expérience scientifique.
Ceci nous ramène aux « esprits forts » de M. Tenenti. Il est bien entendu
que, dès l'instant où il y a essor scientifique, les mouvements religieux
hérétiques prennent une autre signification et il est intéressant de voir,
entre 1640 et 1660, le mouvement scientifique anglais prendre une signi-
fication religieuse que nous n'avions rencontré à aucun moment des époques
antérieures.

Mme M. A S T O N . — Comme le dernier orateur l'a bien remarqué, nous


parlons d'une hérésie dans l'Eglise anglicane et il faut définir les grands
traits de cette Eglise pour décider des rapports entre cette hérésie et l'angli-
canisme. E t il nous faut remonter aux origines de ce qui a été décrit comme
le mouvement de l'aile gauche puritaine, sous le règne d'Elisabeth, parce
que certains de ses éléments continuent d'agir à la période dont vous vous
occupez. Quand nous parlons de cette aile gauche, nous parlons, depuis
368 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

les origines jusqu'à la période que vous considérez, d'un mouvement qui
veut donner une forme à une Eglise encore si mal définie qu'on peut se
demander si les éléments de cette aile gauche étaient forcés de la quitter.
Il faut considérer jusqu'à quel point on peut les appeler hérétiques : nous
pouvons les rattacher à ces mouvements variés dont nous avons déjà parlé,
dont certains aspects sont hors de l'Eglise. C'est vrai aussi, je crois, de
certains éléments de l'aile gauche, comme le mouvement des prophètes
sous Elisabeth.
Si nous voulons les définir comme des hérétiques, il nous faut définir
dans quelle mesure ils ont été exclus de l'Eglise, dans quelle mesure c'est
leur propre structure hérétique qui les en a exclus.

J. S É G U Y . — Je suis heureux d'avoir entendu souligner par M. Lutaud


le lien entre l'expérience religieuse mystique et l'expérience scientifique.
E t je pense à une comparaison possible, avec Fanabaptisme pacifique,
avec Menno Simons et tous ces milieux de libre pensée que la Hollande voit
fleurir au 17e siècle. Je pense qu'il y a un lien réel entre les principes de la
vie religieuse anabaptiste, en particulier dans l'expérience mennonite et
une certaine pensée scientifique libérée des dogmes. Sans cette expérience,
la référence est en effet toujours à la Bible et au Saint-Esprit, c'est-à-dire
en fait à la raison du lecteur de la Bible. Cette référence constante mène
nécessairement à examiner les opinions, même celles des prédicateurs, et
à mettre en cause les principes d'une théologie. Et c'est très clair en parti-
culier dansées écrits de ce mennonite hollandais qui vient en Angleterre à
la fin, si je puis dire, du règne de Cromwell, tenter son utopie et pour qui
raison et Saint-Esprit sont la même chose. E t c'est alors à ce point, que les
facteurs sociaux entrent en ligne de compte.

0. L U T A U D . — Je suis d'accord avec M. Revah sur l'importance de la


réintroduction de la communauté juive sous Cromwell : Cromwell lui-
même lui était favorable pour des raisons en partie religieuses, par respect
pour le message de l'hébraïsme, et les réticences sont venues probablement
plutôt des presbytériens, qui recouvrent certains intérêts d'affaire de la
Cité de Londres. D'ailleurs le catholicisme a été fort peu persécuté sous
Cromwell : c'était un esprit libéral du point de vue religieux qui admettait
très bien les formes religieuses qui n'étaient pas dangereuses pour l'ordre
politique.
Sur les mythes que vous avez cités à propos du Portugal, je voudrais dire
qu'il y a eu des études très intéressantes qui jumellent le mythe du paradis
perdu et celui de la liberté saxonne, perdue en 1066 pour six siècles, passée
sous le joug normand : Adam et Eve unis au mythe du roi Alfred et de la
liberté saxonne, c'est très séduisant pour un esprit rationaliste.
Sur ce qu'a dit M. Mandrou, et les causes du développement des hérésies,
la cause fondamentale est la libération des presses ; mais aussi pour la
première fois dans l'histoire, il y a eu une armée dont les éléments étaient
populaires et qui a failli prendre le pouvoir.
A propos des liens entre expérience scientifique et expérience religieuse,
une confirmation peut être trouvée dans l'essor clandestin, dès 1642 pro-
RATIONALISME ET MILLÊNARISME EN ANGLETERRE 369

bablement, au moins dès 1644, de la Royal Society qui animera, après 1660,
le mouvement des sciences.
Sur la question de la dialectique, je crois aussi qu'il y a correspondance per-
manente ; j'ai cru d'abord à l'autonomie du phénomène religieux, je dois
maintenant dire que la superposition est évidente et qu'on utilise par
exemple le mot presbytérien, pour dire grands bourgeois de la Cité, indépen-
dants pour dire centre-gauche politique, etc. On ne peut parler au fond
d'autonomie religieuse qu'à notre époque. Au 17e siècle, on ne peut parler
de théologie pure. Les gens affirment suivre la Bible, mais s'ils la citent
(par exemple le pèlerin de Bunyan), leurs idées sont déjà toutes prêtes.
Mme Aston nous a rappelé que ces mouvements pouvaient remonter
très haut, notamment à l'Eglise anglicane sous les Tudor.
M. Hutin a essayé de définir ces groupes, levellers, ranters, seekers ; mais
les catégories ne sont pas tranchées. D'ailleurs ces gens-là ne sont pas adver-
saires seulement de l'Eglise anglicane, mais aussi du système presbytérien
calviniste qu'on veut importer d'Ecosse ; leur opposition visait une classe
sociale et religieuse qui voulait « quadriller » le pays : pour les paroisses,
comme pour les communes on choisissait les « anciens » uniquement chez les
gens riches. Et si on étudie l'ordonnance sur les Blasphèmes de 1648, votée
par le Parlement avant l'expulsion des presbytériens par Cromwell, on y
voit un « amalgame » entre gens hostiles à la Trinité, favorables au libre
arbitre, ou défenseurs de l'égalité à l'époque d'Adam et Eve.
Le problème n'est pas le même à l'époque Tudor, où le gouvernement
ne recule pas et où les mouvements militent pour la réforme de l'Eglise,
et à l'époque Stuart, où règne la gabegie et où la lutte est passée au plan
politique. Un seul point fait la soudure entre les deux moments : l'anticlé-
ricalisme. Les différences sont dues au développement économique ; vers
1662 on interdira aux dissenters de se réunir dans les villes et par groupes
de plus de deux ou trois. C'est une mesure policière de défense de l'ordre
social.
Sur ce qu'a dit M. Séguy, je peux apporter une confirmation, avec le cas
de Comenius : celui-ci a été appelé à un colloque par le Parlement qui vou-
lait modifier le système d'enseignement. Il s'est entretenu avec Milton
et nous voyons que les formules peuvent servir aussi bien pour la recherche
scientifique que pour la piété. Quant à l'influence de la Hollande, elle est
certaine, mais faute d'un travail sérieux, elle est insuffisamment contrôlée.
L'identification entre Saint-Esprit et raison a en partie sa source dans Calvin
et le protestantisme n'a jamais défini clairement ses limites. L'autorité
biblique s'accommode d'une sélection inconsciente.
J e crois donc que la naissance du rationalisme en Angleterre se fait vers
1650.
L KOLAKOWSKI

L'HÉRÉSIE MYSTIQUE
ET L'HÉRÉSIE RATIONALISTE
DANS LE CALVINISME NÉERLANDAIS
DE LA FIN DU 17e SIECLE

Le modèle idéal de la Contre-Réforme

Le mouvement de la Réforme ecclésiastique, s'il prend racine dans les


tendances authentiques des fidèles, ne se laisse surmonter, en règle générale,
que par une Contre-Réforme qui assimile certains mots d'ordre et
certaines idées des adversaires, tout en leur imposant l'interprétation et
le champ de validité grâce auxquels ils pourraient être maintenus dans
le cadre de la discipline canonique. Autrement dit, toute Contre-Réforme
efficace doit forcément se nourrir de certaines idées de la réforme qu'elle
s'efforce d'étouffer, elle doit apprivoiser et assimiler la substance spiri-
tuelle qui menace de provoquer une décomposition du corps religieux ;
elle doit neutraliser les corps étrangers en les digérant, donc s'approprier
les éléments spirituels particuliers du mouvement réformateur en brisant
leur structure réformatrice pour en paralyser l'énergie menant aux sépa-
ratismes. Etant donné, toutefois, que cette activité assimilatrice est une
œuvre des individus qui peuvent articuler les idées, une fois assimilées,
d'une façon plus ou moins résolue, plus ou moins fortifiée en restrictions
et limitations, plus ou moins colorée de préférences personnelles, on
comprend sans peine cette situation, fréquente aux époques de confusion,
où les manifestations de la Réforme et celles de la Contre-Réforme devien-
nent, dans leur aspect purement doctrinaire, difficilement discernables.
J e n'évoque ces circonstances, banales pour les historiens, que pour
mettre en relief le caractère persévérant du rythme à trois phases qui se
répète dans les conflits religieux et dont le schéma simplifié reproduit,
pour ainsi dire, la loi de synthèse des actions et des réactions décrite par
les maîtres de la logique dialectique.
On s'aperçoit, en effet, que la régularité mentionnée ne constitue que
le premier stade d'un cycle plus étendu ; les idées réformatrices disposent,
on le sait, d'une inertie propre, par la force de laquelle, assimilées dans
l'organisme ecclésiastique et apparemment invalidées, elles manifestent
de nouveau la tendance dangereuse à dépasser le cadre fixé par l'intérêt
de l'organisation et provoquent à leur tour des phénomènes séparatistes
372 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

ou hérétiques. Les tentatives de redressement intérieur de l'Eglise, les


plus orthodoxes en dessein et rigoureusement adaptées à cet ordre qui
garantit à l'organisation son identité, sa continuité et fait son « individua-
lité sociale » ne se libèrent jamais du risque de produire des effets qui
forceront les limites tracées et mettront à l'ordre du jour un conflit
séparatiste nouveau. Or, ce type singulier de Réforme qu'est la Contre-
Réforme est soumis à des accidents analogues et parfois, par force d'iner-
tie, fait surgir, surtout dans sa seconde phase, un mouvement qui exige
à son tour une réponse destructive de l'organisation.
Voici donc le modèle dynamique général — réserve faite quant à ses
fonctions idéalisantes et simplifiantes — un état de l'organisation ecclé-
siastique donne naissance à un mouvement de Réforme, son antithèse ; le
conflit fait apparaître une Contre-Réforme assimilatrice ; celle-ci, au cours
de son développement, produit des phénomènes hérétiques ou schisma-
tiques — son antithèse successive — nés de l'hypertrophie de cette réac-
tion, défensive au point de départ ; dans la phase suivante, une réponse
nouvelle de l'organisation vise à liquider le facteur pathogène qu'elle
avait elle-même sécrété. Cette réforme secondaire, provoquant une seconde
contre-réforme, peut donc passer pour une maladie qui consiste en réaction
défensive, disproportionnellement aiguë, contre les forces pathogènes, ou
bien, en production d'anti-corps qui, appelés à combattre la menace,
deviennent eux-mêmes menaçants, par analogie à des phénomènes mul-
tiples dans les organismes vivants.
Il serait léger de prétendre que c'est une hypothèse qui se vérifie ; c'est
plutôt une construction qui paraît assez largement applicable à l'évo-
lution des différents courants chrétiens du 16e et du 17e siècle. Par exemple,
l'illuminisme espagnol des années vingt contribue à la naissance du riche
mouvement de la mystique catholique qui, malgré les difficultés du début,
trouve sa place dans l'Eglise, et réussit à localiser et neutraliser les ten-
dances subjectivistes, dont le désir d'intérioriser complètement les valeurs
religieuses a mis en question tout besoin de médiation incorporée dans
l'Eglise visible. Transplantée sur le sol français et cultivée dans les milieux
oratoriens et carmélitains, cette mystique fleurit longtemps pour s'achever
pratiquement avec l'affaire du quiétisme, que l'on peut envisager comme
son produit authentique et, en même temps, comme le retour à cette
forme primitive hétérodoxe qu'elle devait précisément rendre inoffensive.
Un autre exemple : le désir, largement répandu dans l'Allemagne luthé-
rienne de la première moitié du 17e siècle, de retourner aux sources origi-
nelles de la réforme, ce désir exprimé, tantôt dans la version évangélique,
tantôt dans la version mystique, provoque le mouvement de la Contre-
Réforme ou de la Réforme intérieure sous la forme du piétisme ; le pié-
tisme, à son tour, par l'inertie naturelle de l'œuvre critique, stimule des
phénomènes, des groupes, des communautés, qui dépassent visiblement
L'HÉRÉSIE DANS LE CALVINISME NÉERLANDAIS 373

— dans le sens mystique ou érasmien — les limites admissibles de l'ortho-


doxie protestante et imposent au clergé l'action de défense.
Il est probable que c'est dans la même perspective qu'on peut regarder
l'histoire du jansénisme — un mouvement de Contre-Réforme aux ori-
gines, contaminé, comme c'est inévitable, par l'adversaire visé. Il est
permis en effet, de voir dans les trois versions de la Contre-Réforme
française du 17e siècle — le mysticisme du type bérullien, la culture
jésuite, le jansénisme — les réponses, antagonistes entre elles, aux diffé-
rents phénomènes hétérodoxes menaçant du dehors l'intégrité catholique ;
elles se distinguent entre elles, autant que les mouvements ennemis qui
leur fournissent le matériel pour les opérations d'apprivoisement : les
courants méridionaux illuministes dans le premier cas, l'humanisme laïque
et naturaliste dans le second, la version rigoureuse, « flamande » du
protestantisme dans le dernier.

Une Contre-Réforme spiritualiste

Pour abandonner cependant ces généralités, dangereuses par leur échelle


presque cosmique, je me permets d'insérer dans ce schéma u n contenu
plus concret, puisé dans l'histoire du protestantisme néerlandais. Il s'agit
d'une Contre-Réforme double, tournée contre le double danger idéologique,
et qui a doublement échoué par la logique intérieure de sa propre évolution.
L'Eglise nationale des Provinces Unies, dans la mesure de sa « calvini-
sation » progressive en théologie et de sa pétrification dans le cléricalisme
rigide en discipline, voit se dresser contre elle, à partir de la seconde
décennie du 17 e siècle, un large mouvement d'opposition; il s'exprime
à la fois dans la scission remonstrante et dans l'abondante production
littéraire qui préconise une chrétienté tout à fait indépendante de toute
confession et stigmatise, de ce point de vue, le formalisme rituel de la
communauté dominante, associé à la chute des idéaux apostoliques. Expo-
sée à ces attaques, que corrobore la critique des fractions libérales des
mennonites, l'Eglise calviniste produit, comme antidote «le parti des
réformes », concentré surtout dans le cercle trajectin et ayant son chef
dans la personne de l'énergique Voetius. Ce parti s'efforce de s'approprier
certains éléments de la critique pour les transformer en autocritique, met
l'accent sur le rigorisme de mœurs, exalte les valeurs intérieures de la
religion et « la foi » existentiellement conçue, sans pour autant déprécier
les valeurs de la discipline rituelle et organisatrice. Cette prxcisitas du
parti voétien, tantôt accompagnée de tendances mystiques, tantôt visant
simplement le côté moral de la vie religieuse, la mission morale de l'Eglise
et le caractère pratique de la théologie, assimile les formes bien définies
de la critique extérieure : critiques provenant de la tradition érasmienne
ou mystique, dont le trait commun est un dédain pour l'aspect confes-
sionnel et l'organisation de la religion, et un effort pour lui rendre son
374 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

caractère intérieur et individuel. Inspiré en théologie par les doctrines


du fameux puritain anglais Guillaume Amesius, le parti des réformés
glorifie l'idéal de l'Eglise, communauté des saints, assemblée des élus.
Cette théologie, agressive et antiphilosophique, exclut la possibilité d'une
éthique ou d'une métaphysique autre que celle que le théologien déduit
de l'Ecriture ; aucune place pour une métaphysique autonome, pour une
théologie ou une éthique naturelles. Les défauts inévitables de la nature
humaine déchue s'expriment dans son incapacité organique à connaître
les choses spirituelles, dans l'impossibilité de saisir, sans la lumière de la
grâce, le sens authentique de l'Ecriture. La théologie elle-même, dans ses
formes légitimes, est une activité pratique plutôt qu'intellectuelle, plutôt
la foi dans le sens luthérien qu'un domaine de réflexion, plutôt ars Deo
vivendi qu'un savoir. En rappelant que c'est le diable qui est le meilleur
métaphysicien, que la théologie a la volonté comme objet, non pas la
raison, Amesius rendait la dignité à cette idée de la foi, conçue comme
régénération spirituelle par la grâce, associée à la confiance personnelle
à l'égard du Créateur. En même temps, l'opposition radicale de la nature
et de la grâce menait au programme de la sainteté totale et indivisible
comme marque des participants véritables au corps du Christ ; d'où les
exigences maximalistes envers les fidèles et l'austérité rigide dans la
soumission à la loi divine ; aucune opposition, chez Voetius, entre la loi
et l'Evangile; au contraire, l'idée du pardon des péchés dans le cadre
religieux de l'Ancien Testament; en revanche, opposition profonde du
sacré et du profane, dans laquelle, contrairement aux anticonfessionalistes
radicaux, l'Eglise visible, localisée du côté du sacré, se vit obligée d'éviter
toute Soumission au pouvoir temporel et de garder son autonomie. Cette
attitude définissait sans équivoque la position politique du parti votéien
dans les conflits entre les magistrats, tendant à étendre leurs compétences
à la vie religieuse organisée, et les revendications théocratiques d'une
partie du clergé, jaloux de son autonomie ou même désireux de person-
nifier la supériorité de la loi divine sur la vie civile.
Essayant d'apprivoiser la vague anticalviniste du type spiritualiste,
la Contre-Réforme voétienne n'acceptait pas les prémisses de cette cri-
tique et refusait ses conséquences anticléricales et anticonfessionnelles.
Ses violences antirationalistes ne pouvaient guère choquer l'audience
qu'elle visait, étant donné que le spiritualisme anticonfessionnel ne pré-
tendait nullement se faire le champion des droits de la raison profane
mais soulignait, au contraire, son anticléricalisme par l'hostilité notoire
à l'égard de la théologie naturelle qui ne servait, d'après lui, qu'à appro-
fondir l'aliénation du corps professionnel sacerdotal par rapport à l'en-
semble des chrétiens.
L'HÉRÉSIE DANS LE CALVINISME NÉERLANDAIS 375

Invasion rationaliste

Il en f u t ainsi, au moins jusqu'au moment où l'invasion cartésienne se


montra suffisamment forte pour affecter, outre les milieux savants, les
cercles de réformateurs religieux libéraux, essaimés presque partout dans
les villes néerlandaises. Au début de la seconde moitié du siècle, on voit,
en effet, se répandre une sorte de snobisme pseudo-rationaliste qui ne
tarde pas à gagner les milieux collégiens et ceux qui leur étaient proches
et n'épargne pas même les âmes profondément mystiques. Il n'apparaît
souvent que sur la surface phraséologique de la littérature pamphlétaire,
satisfaite de répéter sans fin le mot magique « la raison », jusqu'à l'iden-
tifier à la grâce divine ou au Logos-médiateur de l'évangile de Jean. Les
mélanges bizarres du rationalisme et du mysticisme deviennent fréquents,
ainsi que l'espoir de conformer tous les mystères du christianisme aux
exigences de la méthode scientifique. Aussi superficielles qu'aient été
fréquemment ces tentatives maladroites chez les âmes pieuses médiocres
révoltées contre la religion officielle au nom du libre accès à la divinité,
elles n'en exprimaient pas moins une pression rationaliste qui façonnait
peu à peu l'atmosphère spirituelle des couches cultivées. La frontière
risque de s'effacer entre la vérité révélée et le savoir naturel au profit
de la « raison » exigeante qui demande le contrôle sur le terrain, mono-
polisé jusque-là par les théologiens, et s'érige en arbitre dans les querelles
dogmatiques. Une Contre-Réforme orientée vers l'apprivoisement de cette
pression, à laquelle les milieux cultivés se sont montrés ouverts, apparaît
sous la forme du coccéjanisme, cette école théologique puissante dont le
nom, un peu abusif, demande une réserve. En effet, on trouve à peine,
chez Coccéjus, des éléments qui rendraient sa doctrine a priori alliable
à un rationalisme cartésianisant. Sachant toutefois a posteriori que cette
alliance a eu lieu et n'ignorant pas, grâce surtout aux recherches de
M m e Thijssen-Schoute, ses dimensions considérables, nous avons la tenta-
tion naturelle d'en retrouver les origines dans la théologie même du pro-
fesseur leydenien, malgré son ignorance avouée de l'œuvre de Descartes.
Orthodoxe modéré dans la question cruciale de la prédestination, Coccéjus
se montre d'accord avec les voétiens dans l'interprétation purement
pratique de la théologie, ainsi que dans l'idée de l'Eglise en tant que
communauté des appelés ; cependant, il refuse de définir l'Eglise par les
traits institutionnels, en se basant sur sa doctrine « fédéraliste », qui
opposait radicalement l'alliance des œuvres et celle de la grâce, qualita-
tivement différentes; cette incompatibilité fait que l'alliance du Christ,
ayant annulé tous les éléments de la loi mosaïque (dans la grande querelle
sur le sabbat avec le voétianisme, nous suivons en miniature cette partie
du conflit), a construit le modèle de la religiosité, dont toutes les valeurs
ou presque sont absorbées dans l'obéissance pratique aux prescriptions
évangéliques. Les espoirs millénaristes de Coccéjus sont impliqués dans
376 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

une théorie qui oppose deux formes incompatibles, spirituelle et profane,


de gouverner, de telle façon que la légitimité de tout pouvoir temporel
de l'Eglise est mis en question, idée qui équivaut à une déclaration poli-
tique opposée à celle que les voétiens ont admise, en acceptant les valeurs
charismatiques de l'Eglise visible. Les règles coccéjennes de l'exégèse
biblique, étrangères à toute liberté des prophètes « enthousiastes » et
tendant à Punivocité rigoureuse de la signification des textes sacrés,
s'exposaient néanmoins aisément aux reproches fréquents du « biblisme »,
admettant l'interprétation de l'Ecriture par l'Ecriture seule et invalidant,
par là même, le caractère obligatoire de toute formule de confession.
L'ensemble de ces idées tourne autour d'un idéal de l'Eglise qui se définit
par les propriétés morales, non institutionnelles, et renonce en principe
au pouvoir temporel ou même, à la limite, aux formes temporelles de
l'organisation. Chez ce penseur, calviniste en théologie et luthérien
d'esprit, cette « délaïcisation » apparente de l'Eglise, dont les liens visibles
se révèlent comme accidentels, voire adiaphora, aboutit paradoxalement
à une laïcisation très avancée, vu que tout le côté extérieur de la religion,
donc l'Eglise visible, ne faisant pas l'essence du christianisme, appartient
naturellement aux compétences de l'Etat. Cette doctrine qui, grosso modo,
réduit la vie religieuse à la vie morale et la vie ecclésiastique à la vie
politique pourrait presque passer — dans ses conséquences pratiques,
pas dans la théologie — pour un substitut retardé de Parminianisme qui,
rejeté hors du corps de l'Eglise, a perdu sa structure originelle, déter-
minée par sa situation d'une fraction intérieure.

Une Contre-Réforme rationaliste

Moins coccéjen, dans le sens courant du terme, que ses disciples, Coccéjus
ne leur a légué ni une sympathie pour le cartésianisme, ni un système
théologique qui aurait pu éveiller celle-ci par son contenu positif. S'il
les a disposés à former un milieu ouvert aux influences rationalistes, et
destinés à intégrer le cartésianisme dans la théologie, ses silences y contri-
buent davantage que ses dires. Par le fait même de ne pas se prononcer
sur l'hypothèse héliocentrique, la circulation du sang ou l'interprétation
des comètes, il attirait à son école les esprits curieux des nouveautés,
Voetius condamnant explicitement les inventions de Copernic et deHarvey,
expliquant les comètes comme des signes prophétiques et tenant l'Ecri-
ture pour le trésor complet de tout savoir médical, astronomique, phy-
sique, juridique, économique et autre. Sans se faire une idée exagérée
sur les valeurs de métaphysique ou de théologie naturelle, Coccéjus se
distinguait nettement de l'agressivité antiphilosophique du parti adverse ;
ses remarques ambiguës et parfois contradictoires sur la foi ou, comme
il répétait, sur Xoyo«) Xarpéia, le culte rationnel, se laissaient comprendre
comme affirmation de la philosophie et de la théologie naturelles. L a
L'HÉRÉSIE DANS LE CALVINISME NÉERLANDAIS 377

question de l'élargissement ultérieur de leurs droits restait ouverte et les


coccéjens se sont donné, sur ce point, une liberté considérable qui dépassa
sans doute les intentions du maître, dont les expressions équivoques,
confuses et pleines de restrictions, ont pris, chez les élèves, une forme
dangereusement claire. L'idée de l'autonomie totale de la raison dans le
domaine de la nature, la soumission de la parole révélée aux interpré-
tations rationnelles indépendantes, une critique violente des superstitions
populaires sur les comètes, les sorcelleries, les possessions diaboliques, etc.,
l'acceptation totale ou presque de la physique et de l'anthropologie carté-
siennes et les preuves de leur harmonie intégrale avec la foi réformée, la
proclamation de la souveraineté des pouvoirs civils et de leur droit à
gouverner l'Eglise — voilà les thèmes du coccéjanisme. Sans s'attaquer
aux articles de la foi et tout en condamnant les tendances rationalistes
outrées (Spinoza a trouvé un bon nombre de critiques dans ce milieu),
les coccéjens, dans leur lutte contre les idées théocratiques dans la vie
civile et intellectuelle à la fois, s'efforcent d'entreprendre une assimilation
calviniste du cartésianisme et de forger l'instrument d'une laïcisation
modérée de la vie ; en même temps, ils veulent rendre le cartésianisme
assimilable pour la culture religieuse et barrer la route, pour ainsi dire,
à son rayonnement libertin, athée ou antichrétien qui commençait d'appa-
raître. Les deux écoles, voétienne et coccéjenne, dont les antagonismes
ont rempli un bon nombre d'années dans l'histoire de l'Eglise et de la
théologie réformée néerlandaise, se laissent concevoir, comme je viens
de dire, comme deux versions de la Contre-Réforme calviniste, chacune
orientée vers l'apprivoisement de phénomènes différents dans la culture
spirituelle de l'époque. Hostiles par leur contenu et différentes par le
matériel assimilé, elles se distinguent aussi dans le champ de leurs reven-
dications, l'une tendant à reconquérir pour l'Eglise les possessions perdues,
l'autre orientée à concéder. Chez toutes les deux, c'est l'ennemi extérieur,
qu'elles ont su d'abord intérioriser, qui finalement l'emporte ; toutes les
deux aboutissent à une situation impossible et finissent dans une crise
dont les germes se laissent découvrir (a posteriori, bien sûr) dans leur
point de départ.

L'échec du coccéjanisme

Dans l'histoire du coccéjanisme, c'est le cas de Frederik van Leenhof


qui marque le point de crise. Ce ministre de Zwolle, coccéjen militant,
écrivain médiocre et sans originalité, avait respiré probablement un peu
d'air français libertin pendant son séjour à la cour de Louis XIV comme
prédicant de l'ambassade néerlandaise. Dans sa production littéraire
abondante, il exprime toutes les tendances de la forme « standard » du
coccéjanisme populaire : l'exégèse rationaliste de la parole révélée dont
le sens ne se dégage que dans la lumière naturelle de la raison ; les preuves
378 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

cartésiennes de l'existence de Dieu et le principe de l'évidence, ainsi que


la théorie des deux substances dans la version occasionaliste ; l'ecclé-
siologie qui, tout en acceptant la nécessité de l'organisation « visible »
et du sacerdoce, leur refuse toute valeur charismatique ; le programme
irénique basé sur l'appel à la raison autonome ; la curiosité des sciences et
les louanges des plaisirs terrestres ; la défense de Coccéjus contre les
attaques des voétiens et, en revanche, la critique du « parti des réformes »
qui, par son rigorisme ascétique, sa pédagogie appuyée sur la crainte,
par l'étranglement de la liberté individuelle, terrorise les esprits et favorise
la superstition. Pratiquement, c'est une forme populaire de déisme qui
ôte presque toute perspective d'éternité à sa vision du monde et soumet
les valeurs religieuses aux besoins de la vie temporelle ; Je cartésianisme
ramené à une attitude rationaliste générale, qui réduit la vie religieuse
à des dimensions toujours plus modestes et limite de plus en plus l'impor-
tance de la foi révélée dans la vie quotidienne et dans la pensée. Ce pauvre
cartésianisme, van Leenhof réussit longtemps à le maintenir dans le
cadre de l'orthodoxie; la crise éclate au moment où son livre intitulé
Le ciel sur la terre (1703) démontre que l'auteur a répété, dans son évo-
lution personnelle, la voie que la philosophie rationaliste avait parcourue
de Descartes à Spinoza. Sans mentionner le nom interdit de Spinoza,
le livre en manifeste l'influence incontestable, qui évidemment ne pouvait
pas passer inaperçue. C'est un spinozisme plat et misérable, taillé à la
mesure d'un libertinage délayé, privé totalement de son élan métaphy-
sique et qui garde pourtant la vision naturaliste et désacralisée du monde,
qui luit visiblement à travers quelques pâles et maigres déclarations
religieuses. La religion réduite à quelques « vérités fondamentales », de
caractère moral surtout, et purifiée de toute spéculation théologique et
des controverses dogmatiques stériles, indifférente à l'égard des questions
secondaires et confiante en la « raison » profane indépendante ; une glori-
fication de la raison en tant que critère xaT'èÇoxi)v de la perfection humaine
et source unique de toutes les valeurs morales ; l'Ecriture, conçue comme
un texte historique soumis à la critique normale et rationnelle du philo-
logue et important surtout comme catéchisme populaire à l'usage des
ignorants ; l'idée de l'homme, parcelle de la nature, dépendante de son
ordre immuable; pour programme, la maîtrise des passions à l'aide
d'« idées adéquates » sur les choses ; l'Eglise comme institution civile,
aux tâches surtout morales et subordonnée au pouvoir de l'Etat ; une
condamnation de la pédagogie calviniste appuyée sur l'angoisse, la tris-
tesse et l'oppression de la liberté individuelle ; la critique violente des
théologiens ignorants et fanatiques imposant aux fidèles les préjugés et
le rigorisme rituel ; l'idée stoïcienne de la vertu qui trouve sa récompense
en elle-même, voilà le programme du « ciel sur la terre ». Inutile d'attribuer
à l'auteur un athéisme masqué ; plutôt un déisme populaire, où la figure
exténuée de la divinité, quoique acceptée, perd toute importance pratique
L'HÉRÉSIE DANS LE CALVINISME NÉERLANDAIS 379

pour la vie, pour la morale, et pour la compréhension du monde. Cette


réception libertine du spinozisme, à laquelle aboutit finalement, au cours
de son développement, la tentative coccéjenne d'intégrer les valeurs du
rationalisme dans la foi, devient l'éclatement spectaculaire de toute
l'entreprise. Malmené et contraint enfin à une palinodie humiliante, après
de longues aventures qui ont engagé l'Eglise nationale presque entière,
van Leenhof symbolise dans son histoire la défaite finale d'une Contre-
Réforme, dont le dessein échoue, quand l'ennemi intériorisé façonne à sa
manière le corps qui se flatte de l'avoir apprivoisé.

L'échec du ooetianisme. Conclusion

La Contre-Réforme voétienne subit, à son tour, une désagrégation, ana-


logue dans la forme, et exactement contraire dans le contenu théologique.
C'est le personnage fantastique de Jean de Labadie, ex-jésuite, ex-jansé-
niste, et bientôt ex-calviniste aussi, qui conduit le « parti des réformés »
à l'échec en développant jusqu'au bout ses principes originels. Sans doute,
le conflit de Labadie avec la communauté wallonne en Zélande, qui le
conduit finalement à former une secte séparatiste, peut s'expliquer par
ses ambitions, son avidité manifeste du pouvoir. Il ne devient intelligible
toutefois qu'à la lumière des controverses théologiques où l'idée de l'Eglise
que Labadie préconise — l'Eglise des convertis, et non pas l'Eglise à
convertir, pour employer la distinction traditionnelle — bien qu'impliquée
dans les fondements idéologiques du parti voétien, se révèle, dans ses
conséquences, incompatible avec le statut de l'organisation militante.
C'était le livre de Wolzogen, Coccéjen bien connu, qui devint la cause
occasionnelle de la crise ; Labadie reprochait à l'auteur — à juste titre,
d'ailleurs — que dans sa critique apparente du rationalisme biblique de
Louis Meijer, il acceptât en réalité toutes les thèses fondamentales de
l'adversaire et laissât la « raison » naturelle dominer la parole sacrée. Au
cours d'une longue affaire dont nous ne pouvons pas suivre les détails,
c'est la conception spiritualiste de l'Eglise qui, chez Labadie, se trouva
au cœur de la scission. Dans l'antagonisme profond et incurable du sacré
et du profane il plaçait, d'accord avec tout le parti des réformes et contrai-
rement aux spiritualistes individualistes, l'organisation visible de l'Eglise
dans le champ des réalités divines; il en déduisait pourtant, avec une
logique impeccable, l'idée d'une Eglise complètement séparée de toutes
les affaires terrestres ; cette Eglise des saints, des régénérés par l'attou-
chement de la grâce ne trouvait pas évidemment ses conditions remplies
dans l'organisation effective du calvinisme néerlandais ; d'où la nécessité
d'une réforme profonde qui, en rendant à l'Eglise son statut de sainteté
intégrale, la réduirait inévitablement à une secte fermée, ne se souciant
point du sort des pécheurs, puisque ce n'est que l'élection gratuite de Dieu
qui peut ramener ces derniers dans le giron du corps chrétien, et non pas
380 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

les efforts humains. C'est précisément cette Eglise des élus que Labadie
a tenté de former dans sa secte, en y appliquant les rigueurs strictes
de la sainteté absolue ; une Eglise qui, dans la séparation totale du monde
et dans l'espoir de la parousie imminente, devait, repliée sur elle-même,
cultiver à l'intérieur les dons du Saint-Esprit. Cette attitude de sectarisme
fanatique, accompagnée d'ailleurs de tous les phénomènes typiques d'une
secte fermée sur elle-même, rigide hiérarchie interne, autorité intangible
du chef, c'était de toute évidence le renoncement à toute oeuvre de
conversion; conception inadmissible pour une Eglise quelconque bien
établie dans la vie nationale et aspirant au pouvoir. La contradiction
latente du programme voétien, l'idée de l'Eglise des saints liée à des
aspirations théocratiques, éclata au grand jour dans l'affaire labadiste,
et immobilisa pratiquement le mouvement des réformes (l'histoire du
piétisme néerlandais de Goeters présente la description convaincante de
cette crise). C'était, en source, l'idée de la foi vivante, opposée aux forces
salvatrices des formes rituelles, donc l'idée assimilée du spiritualisme
antiprotestant (et authentiquement protestant dans ses intentions) qui
manifesta ses conséquences sectaires, incompatibles, aussitôt qu'on les
applique de façon cohérente, avec la notion même de l'Eglise militante.
Dans l'histoire du voétianisme nous observons, en fait, le même schéma
de la Contre-Réforme ratée que sa logique propre conduit à l'autodes-
truction, ou bien, une logique étrangère qu'elle a voulu faire sienne. Les
épisodes mentionnés peuvent non seulement démontrer les dangers d'une
logique exagérée dans la vie religieuse (il s'agit, en fait, d'une logique des
processus sociaux plutôt que d'une logique de la pensée individuelle) ; ils
inclinent aussi à supposer qu'à la longue le rationalisme et le mysticisme
étaient également inassimilables pour la religiosité protestante et, appa-
remment apprivoisés, ne tardaient pas à tourner en hérésies incontes-
tables. Il semble, en effet, que toute tendance rationaliste et toute ten-
dance mystique garde toujours, ne fût-ce qu'à l'état latent, ce visage
anti-ecclésiastique que le cours des événements révèle tôt ou tard.
G. SCHOLEM

LA MÉTAMORPHOSE
DU MESSIANISME HÉRÉTIQUE DES SABBATIENS
EN NIHILISME RELIGIEUX AU 18e SIÈCLE

Le problème du rôle de l'hérésie et de sa signification sociale ne pouvait


se poser dans le cadre du judaïsme rabbinique que dans des conditions
tout à fait exceptionnelles. La raison en est claire. L'organisme religieux
et social que le judaïsme représente dans la société européenne du Moyen
Age constitue un cadre fermé aux contours bien délimités, qui exige,
par sa position de minorité au sein d'un entourage foncièrement hostile,
une discipline intérieure très stricte. D'un autre côté, dans le cadre même
de l'organisation de la vie sociale de ce groupe, qui ne connaissait pas,
comme dans l'Eglise catholique, d'autorité dogmatique, l'évolution d'une
pensée relativement libre pouvait trouver sa place aussi longtemps qu'elle
ne s'attaquait pas directement au système organique de la législation
rabbinique ou de l'interprétation rabbinique de cette législation, ou
qu'elle ne prétendait pas, bien entendu, y mettre un terme. Des forces
nouvellement écloses, et qui se proposaient de briser les fondements
traditionnels du judaïsme rabbinique, bref, des hérésies qui pouvaient
ouvertement entrer en conflit avec la tradition trouvaient facilement,
dans les circonstances historiques de l'époque, une issue vers l'extérieur.
Au lieu de s'organiser à l'intérieur du judaïsme, il leur était beaucoup
plus facile de le quitter entièrement et de chercher au sein du milieu
chrétien ambiant un moyen d'exprimer leur insatisfaction face à la tra-
dition. Afin qu'une hérésie organisée puisse se constituer et même se
maintenir, il fallait une éruption inhabituelle de nouvelles forces créa-
trices, dont l'attitude vis-à-vis du monde chrétien devait être aussi
négative, du fait même de son caractère spécifique, que vis-à-vis de l'ancien
rabbinisme. Dans les circonstances de l'histoire juive il n'y avait qu'une
force qui pouvait faire aboutir une telle éruption, c'est le messianisme.
C'est lui le grand catalyseur de l'hérésie dans le judaïsme. Il le fut au
moment de la naissance du christianisme et il le fut à nouveau, 1600 ans
plus tard, lors du mouvement sabbataïque, l'explosion la plus importante
d'un messianisme aigu depuis le soulèvement de Bar-Kokhba. Une fois
prise au sérieux l'idée que la délivrance venait réellement de commencer
(quels qu'en fussent les formes et les aspects), les croyants étaient placés
en face de situations totalement nouvelles et on sait quelles puissantes
25
382 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

possibilités révolutionnaires sont contenues dans l'idée messianique en


tant que telle et dans tout essai pour la réaliser.
Dans le mouvement sabbataïque centré autour de la figure du messie
cabalistique Sabbataï Cevi se rejoignaient le mysticisme cabalistique, qui
représentait primitivement, conformément au caractère de tout mysti-
cisme, une intériorisation du judaïsme rabbinique, et l'Apocalypse messia-
nique qui, en unissant leurs deux forces, communiquèrent au mouvement
sa puissance de pénétration dans un judaïsme déjà fortement influencé
de toute façon par des concepts cabalistiques, pour ne pas dire dominé
par eux. Ce mouvement avait des racines tellement profondes et avait
éveillé des espérances si intensément utopiques que l'apostasie du messie
lui-même qui, dans une situation critique, en septembre 1666, devait
passer à l'Islam, n'entraîna pas son effondrement. 1 La plus cruelle de
toutes les désillusions, le fait que le libérateur, en reniant publiquement sa
propre vocation, tourna le dos au judaïsme ne put suffire à étouffer le
mouvement. Il devait continuer à rayonner sous de nombreuses formes,
tout en adoptant comme idée centrale de sa théologie nouvelle et réso-
lument hérétique la doctrine que l'apostasie du messie n'était qu'une
nécessité tragique et une phase dans l'accomplissement de sa véritable
mission. Cette mission ne devait donc plus consister seulement dans la
délivrance du peuple juif de l'exil parmi les peuples, mais dans la sélection
et la délivrance de tous les éléments sacrés et de toutes les « étincelles »
disséminées parmi les peuples. L e sabbataïsme, comme nous nous per-
mettons de nommer ce mouvement, dès qu'il fut persécuté pour des
raisons bien compréhensibles par les autorités juives officielles, mena
une vie clandestine et constitua une hérésie radicale et mystique au sein
du ghetto. En particulier, dès la fin du 17e siècle, il prit une tournure de
plus en plus radicale dans les provinces européennes de Turquie, dans
certaines régions de la Pologne, en particulier en Podolie, ainsi qu'en
Moravie et en Bohême. J'ai exposé cette évolution dans un chapitre de
mon livre Les grands courants de la mystique juive (1950) ainsi que dans
un exposé détaillé sur « L e mouvement sabbataïste en Pologne ». 2 II
devait trouver son point culminant dans un antinomisme mystique dont
la forme ultime exerça, vers le milieu et la seconde moitié du 18e siècle,
une force d'attraction intense sur certains groupes du judaïsme polonais
et de Bohême-Moravie. L'histoire de ce mouvement peut servir d'exemple
pour la dialectique des évolutions historiques.
La dernière étape du sabbataïsme est connue sous le nom de frankisme,
d'après son prophète Jacob Frank (1726-1791), qui se trouvait au centre
de cette évolution et lui imprima son expression la plus valable. » Frank
et une partie de ses adhérents qui sortaient de groupes sabbataïstes plus
anciens furent poussés au baptême en 1759, en partie à la suite de persé-
cutions que leur doctrine et leur genre de vie ne justifiaient que trop aux
yeux de leurs adversaires juifs, et en partie par d'adroites manœuvres
LA MÉTAMORPHOSE DU MESSIANISME HÉRÉTIQUE 383

du clergé catholique en Galicie, qui avait parfaitement méconnu au début


le véritable caractère de cet étonnant phénomène et avait cru pouvoir
conduire ces dissidents dans le giron de l'Eglise catholique orthodoxe.
Les frankistes qui, dans la mesure où ils se convertirent, le firent en
groupes fermés avaient de tout autres intentions que de devenir d'authen-
tiques catholiques et de se noyer au sein de leurs voisins chrétiens. Ils
continuèrent à pratiquer leur version spécifique d'une religion ésotérique
qui voyait en Jacob Frank l'incarnation du Dieu caché, et restèrent en
relation suivie et intime avec tels groupes sabbataïstes qui — et ce fut
la grande majorité, plusieurs milliers de personnes en Europe orientale
et centrale — demeuraient vis-à-vis de l'extérieur dans le cadre du ju-
daïsme en conservant ses formes traditionnelles, mais ne cessèrent pas
de voir en Frank leur chef, le « Saint Maître ». De même, le groupe pseudo-
catholique des frankistes garda son identité incontestée comme groupe
juif, pendant au moins soixante à quatre-vingts ans après sa conversion,
c'est-à-dire encore assez tard dans le 19e siècle, et ce n'est que vers le
milieu du siècle dernier qu'il s'est dissous, après que ses membres se
furent perdus dans le milieu polonais ambiant par des mariages mixtes
de plus en plus nombreux.
Il me semble que la discussion de quelques-uns des principaux moments
du frankisme peut apporter une contribution importante aux questions
qui sont débattues à ce colloque. Certains aspects qui, dans d'autres
hérésies ne furent souvent enseignés que sous forme voilée ou par des
allusions ésotériques, à cause justement de leur caractère radical, ont
trouvé ici une expresssion nette et claire. Il est dans la nature des doctrines
nihilistes qu'elles ne soient pas proclamées ouvertement et que, même dans
les manuscrits, elles ne soient pas prônées sans réserve. C'est ainsi, par
exemple, que les études modernes sur le gnosticisme ont souvent essayé
d'en percer les aspects nihilistes, tels qu'ils sont représentés par Carpocrate
et les phibionites, mais elles ont dû se contenter d'interpréter des fragments
très maigres. Il vaut en effet d'être remarqué qu'une des expressions les
plus violentes d'un nihilisme sans mélange est issu d'une forme hérétique
du judaïsme, c'est-à-dire justement d'une religion dont la stricte disci-
pline et le rigorisme éthique étaient aussi éloignés du nihilisme que possible.
Mais c'est dans ces doctrines et concepts que nous trouvons l'ultime prix
que le judaïsme a payé pour l'idée messianique. Une théorie nihiliste
ou, mieux encore, une mythologie a frayé ici de l'intérieur le chemin à
d'importants groupes juifs vers la nouvelle ère du progrès et de la Révo-
lution française. Ce que ces anabaptistes radicaux, comme David Joris
dans la génération de Luther et les khlysty russes au temps de Pierre
le Grand et plus tard, n'ont formulé que par allusions, a trouvé dans les
documents des frankistes une expression plus concrète et une formulation
des plus précises. Notre discussion se fonde sur les sources encore exis-
tantes de la littérature frankiste qui, à cause de leur caractère radical,
384 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

n'ont évidemment jamais été imprimées, mais ont été partiellement


conservées sous forme de manuscrits, surtout dans cette énorme collection
de 2 000 sentences ou Logia de Frank qui nous ont été transmises dans
les manuscrits polonais du Livre des paroles du Seigneur. *
Le moment le plus important pour la compréhension du frankisme
réside dans le nouveau langage dont les adeptes de la secte se servent.
Le messianisme mystique des sabbatiens d'avant Frank se servait des
doctrines théosophiques, compliquées de la gnose cabalistique dans sa
forme tardive, et il formula ses idées hérétiques sur la vocation de Sabba-
tal Cevi et son rôle dans la délivrance de tous les mondes en des termes
techniques qui ne nous sont que difficilement accessibles. Cette termi-
nologie était destinée à l'initié et son symbolisme n'était pas facile à
déchiffrer. Parce que des partisans de Sabbatai Cevi voulaient justement
se maintenir à l'intérieur du judaïsme — un groupe seulement qui existe
encore aujourd'hui (les Doenmés) a adopté l'Islam à la suite du messie"
— leur hérésie devait garder un caractère érudit. Il s'agit de l'approfon-
dissement d'une théologie telle qu'elle est transcrite dans les écrits
hébraïques des théologiens du sabbataïsme. Sa compréhension exige
d'appréciables connaissances dans le domaine rabbinique et cabalistique.
Mais Jacob Frank devait changer tout cela. Il a grandi dans les milieux
des sectaires, en Podolie et en Turquie d'Europe, mais lorsqu'il apparut
à partir de 1756 dans ces mêmes groupes comme prophète et réincarnation
de Sabbataï Cevi, il rejeta la terminologie technique des cabalistes et la
traduisit dans une langue populaire et imagée. En effet, la figure du
messie même subit un changement décisif qui porte en soi une signification
sociale importante. A la place du messie mystique auréolé de l'éclat des
plus hautes intuitions, dont la fonction libératrice était liée à la connais-
sance, à la gnose, du vrai mystère de la divinité telle qu'elle apparaissait
aux partisans de Sabbataï Cevi, nous trouvons en Frank un être plein
de violence, un athlète-messie. La plus haute louange qu'il s'attribue à
lui-même est de se désigner comme « rustre » (prostak) c'est-à-dire un
homme inculte, sans connaissances et simple, tourné vers le concret, et
qui souligne sans cesse que Dieu l'a choisi à cause de son ignorance même,
ce qui fait sans doute aussi sous-entendre qu'il a élu domicile en lui. Les
symboles théosophiques et mystiques de ses prédécesseurs sabbataïques
sont traduits par lui et par ses adhérents en nouvelles images dans les-
quelles le symbolisme gnostique prend un éclat de poésie folklorique. Les
concepts cabalistiques vont faire place à des allégories populaires juives
et roumano-podoliques. Et cependant la rupture avec la tradition qu'elle
implique garde audacieusement son fondement dans les résidus de cette
même tradition. Frank était, il est vrai, un ignorant dans le sens de la
culture rabbinique de son époque, mais cela ne veut nullement dire que
ses conceptions n'aient pas été imprégnées encore dans toutes leurs fibres
de la tradition rabbinique, qui parvenait aussi dans sa forme popularisée
LA MÉTAMORPHOSE DU MESSIANISME HÉRÉTIQUE 385

jusqu à l'ignorant. Aussi, lorsqu'il chante le cantique de la destruction,


comme nous le verrons encore, a-t-il recours à des paroles de la Thora
ou des Psaumes ou à des paroles du Talmud qui avaient cours dans le
peuple.
L'hérésie cabalistique des sabbatiens a développé une Trinité théoso-
phique très éloignée, il est vrai, de la Trinité chrétienne. Cette Trinité
se composait du « Saint Ancien », du « Roi sacré » émanant de lui, qui est
le vrai Dieu de la révélation et de son partenaire féminin, la « Chekhina ».
Frank adopta cette conception, mais la relia à une mythologie nouvel-
lement formulée qui se réfère avant tout au récit de la Bible sur les
patriarches et en tout premier lieu aux types de Jacob et d'Esaii. Jacob
Frank cherche à s'identifier de façon mythique aux deux types. Mais,
pour comprendre ces associations, il nous faut analyser brièvement les
principaux moments du nihilisme frankien tels qu'ils se cristallisent à
travers ses innombrables sentences. Bien qu'inconsistant dans de nom-
breux détails, il ne l'est pas dans l'essentiel, il y est même conséquent de
façon exceptionnelle.
Le vrai Dieu que les patriarches, et surtout Jacob, ont cherché est
resté jusqu'à présent complètement caché. Le monde même dans lequel
nous vivons n'a pas été créé par lui parce que, sinon, l'homme et le monde
vivraient éternellement. Le fait même de la mort contredit la version
d'une création par le vrai Dieu. Ce véritable Dieu est le Jacob secret,
dont les mondes sont cachés et qui se révéleront seulement le jour de
la Rédemption. Ils contiennent en eux-mêmes la promesse d'un contenu
positif, mais inaccessible. Ce contenu est caché par « celui qui est debout
devant Dieu », une puissance démiurge, qui s'appelle en même temps le
« Grand Frère », métamorphose hardie du « Roi Sacré » dans la trinité
sabbataïste. Ce grand frère est naturellement Esaii, frère aîné de Jacob
qui, dans la Bible, s'appelle aussi Edom. Lui aussi est entouré de mondes
dans lesquels la vie et la liberté régnent en maîtres incontestés. Mais notre
monde est le produit de forces inférieures, puissances du mal, qui ont
apporté la mort dans le monde et qui bloquent le chemin vers le « Grand
Frère » et le « Vrai Dieu ». Ce monde est régi par des « lois indignes ». • De
là résulte le devoir de mettre fin au règne de ces lois, car elles sont les lois
de la mort et blessent la véritable dignité de l'homme.
Pour montrer la voie, Dieu a envoyé des émissaires, les patriarches
qui ont « creusé des puits », Moïse, Jésus et aussi Sabbataï Cevi. La Sophie
divine qui représente la troisième partie de la Trinité, la « Chekhina » des
cabalistes et la « Vierge » des catholiques, cherche à les guider dans ce
chemin, et leur apparaît même çà et là ; mais dans l'ensemble elle non
plus ne peut se manifester dans ce monde mauvais. C'est ainsi que les
anciens chefs ont également manqué leur voie et ne sont arrivés à aucun
résultat. Ainsi le monde est assombri, Israël qui devait accueillir l'héritage
de Jacob se trouve en exil, pauvre et méprisé et nous sommes tous coupés
386 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

de la vraie vie. Trouver l'accès à la vie, voilà ce qui importe. Cette concep-
tion de la « Vie », voilà le mot-clé pour Frank. La vie représente pour lui
non point l'ordonnance harmonieuse de la nature et sa douce loi, elle
représente bien plus l'affranchissement de tout lien et de toute loi. La vie
anarchique est l'objet et le contenu de son utopie, dans laquelle s'annonce
une tendance primitive vers une conception anarchique de la liberté et
de la promiscuité de toutes choses. Cette vie s'étend devant le « Grand
Frère » et présente ici toute la gamme des nuances qui reflètent d'ordinaire
cette conception dans la tradition religieuse, même si elles revêtent un
tout autre sens.
Dans la tradition juive, Jacob personnifie l'homo religiosus qui cherche
la voie vers Dieu ou l'a déjà trouvée. Esaii ou Edom est par contre le
représentant de la vie d'ici-bas, de la violence et de la jouissance. Edom
représentait en effet dans le judaïsme rabbinique un nom d'emprunt pour
la chrétienté catholique, qui ne pouvait être connue par le judaïsme du
Moyen Age que comme une puissance hostile et négative. Dans la transva-
luation de toutes les valeurs juives que prône le nihilisme des frankistes,
l'expérience historique du Juif polonais s'allie maintenant à une nostalgie
indomptable d'un monde qui lui est refusé. La Bible (Genèse X X X , 14)
raconte que Jacob avait promis à son frère Esaii de lui rendre visite dans
sa maison à Séïr, mais nulle part elle ne nous dit qu'il y soit vraiment allé.
Ce « chemin vers Esaii » (ou Edom) est justement ce qui représente chez
Frank la pièce essentielle dans la délivrance, un chemin que lui-même
comme le véritable Jacob indique à ses croyants. Il est possible que, de
l'extérieur, ce chemin puisse être compris comme une conversion au
catholicisme, comme une voie vers le baptême, mais en réalité, ce n'est
qu'un voile qui recouvre la véritable signification. Car le « chemin vers
Esaii » c'est le chemin vers la vie réelle, anarchique, dans laquelle toutes
les lois et toutes les religions sont dépassées et disparaissent. L'abolition
de toutes les lois et normes constitue la vision de la délivrance nihiliste.
Toute religion positive n'est qu'une tunique dont se vêt le croyant, dont
il doit même se vêtir, que ce soit lé judaïsme, l'Islam ou le christianisme
ou, au meilleur des cas, comme dans la vie même de Frank, tous les trois
réunis. La véritable croyance reste constamment pour les membres de
cette secte quelque chose d'essentiellement mystérieux, quelque chose qui
ne peut s'extérioriser en institutions et dont le seul moyen d'expression
qu'il puisse trouver est constitué par un rituel qui symbolise la force
de la négation et de la destruction. La sombre fascination que cette idée
exerça sur les frankistes, l'idée du pouvoir libérateur de la destruction, se
retrouve constamment dans leurs enseignements. En parodiant une épi-
gramme talmudique 7 , Frank déclare : «Partout où passait Adam, le
premier homme, une ville devait être construite. Mais là où moi je vais,
tout sera détruit. J e dois détruire et annihiler — mais ce que je construirai
LA MÉTAMORPHOSE DU MESSIANISME HÉRÉTIQUE 387

restera éternellement debout ».8 Cependant, en attendant, le temps n'est


pas encore venu pour de telles constructions.
La lutte pour la destruction, un anarchisme authentique et véridique
s'empare de toutes les couches de notre existence. Le chemin vers en bas
précède le chemin vers en haut. L'échelle de Jacob, qu'il a vue en rêve,
avait la forme d'un V. 9 L'homme doit s'abaisser et se dégrader pour
s'élever, partant de la condition la plus misérable pour arriver à la liberté
de la vie. Les rites antinomistes que Frank pratiquait avec ses fidèles 10
représentent la confirmation de la liberté messianique de la « Vie ». Des
pensées de ce genre étaient déjà en vogue, cachées par de sombres sym-
boles cabalistiques, chez les sabbatiens de Salonique et leurs comparses
podoliens. Ils prennent chez Frank une expression robuste et non dissi-
mulée. Il s'agit d'une morale nihiliste qui apparaît toujours à nouveau
en temps de crise, qui annonce ici la crise sociale du ghetto et à l'aide
de laquelle de pauvres juifs des villages perdus de la Podolie cherchaient
leur voie vers la liberté. Nous nous rappelons ainsi les termes mêmes des
khlysty russes de la même époque qui devaient leur origine à une situation
analogue : « Si tu veux conserver ta vie, alors, pour la grâce du ciel,
tue en toi non seulement ta chair, mais aussi ton âme et même ta cons-
cience. Dégage-toi de toutes les lois et de tous les préceptes, de toutes les vertus,
de l'abstinence et de la chasteté. Dégage-toi même de la sainteté. Descends
en toi-même comme dans un tombeau ».11 La même attitude, telle que
nous l'avons justement identifiée dans les symboles d'Esau et de Jacob,
est cristallisée ici, comme la rapporte aussi le plus radical de tous les
anabaptistes, David Joris, si nous en croyons ses accusateurs (et cela
me semble bien plausible) : « Qu'un davidien croyant puisse se vêtir des
vêtements d'Esau, mais garder Jacob dans son cœur, cela signifie qu'il
adopte une fausse apparence et qu'il s'assimile extérieurement à toutes
les religions dans le monde, quels que soient les noms qu'elles portent
et qu'il abuse ainsi le monde, garde seul sa foi cachée dans son cœur et
attend en secret que la béatitude vienne de Dieu ».12
Il n'est point besoin de justifier ce qu'a de paradoxal la glorification
d'Esau dans la bouche d'un juif. Frank f u t le premier juif en Europe qui
ait adopté cette attitude qui devait jouer un rôle important par la suite
et jusqu'à aujourd'hui dans la psychologie de maints groupes juifs. Esati
représente le non-théologique, l'élémentaire et le terrestre qui, à la diffé-
rence des paroles solennelles de toutes les religions relatives au spirituel,
n'a pas été dégradé et profané par le mensonge et la trahison. Dans ces
paroles pouvaient se retrouver les motifs les plus différents qui créent
sans aucun doute par leur liaison la force de cette éruption.
Leur pouvoir en effet était dû à la jonction de deux types sociaux dont
la contradiction caractérise justement la physionomie du judaïsme (groupe
dans lequel les valeurs de la tradition et de l'érudition étaient tenues en
haute estime). Le savant et l'ignorant représentent ces deux types. Dans
388 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

les groupes sabbatiens, et spécialement dans ceux qui entourent Frank,


nous trouvons la composition suivante : d'un côté des talmudistes savants
et versés dans les arcanes de la dialectique ainsi que des cabalistes, et
de l'autre côté de petites gens et, si nous en croyons les rapports des
contemporains qui ont vu le groupe des frankistes à Lwôw avant leur
baptême, les plus pauvres des pauvres, des prolétaires juifs de basse
classe. 18 Pour les uns « le chemin vers l'abîme » que Frank prônait sans
répit constituait un anticlimax, l'évasion d'une spiritualité exacerbée dont
ils jouissaient de façon inquiétante ; pour les autres il s'agissait d'une
ténébreuse promesse d'ascension, alors qu'ils étaient dans le dénuement
le plus complet qu'il leur ait été possible d'imaginer. La férocité de l'érup-
tion frankiste trouve son explication dans la structure sociale des groupes
sabbatiens. Il est en effet à remarquer qu'en Europe centrale dans les grou-
pes des fidèles de Frank, en Moravie, en Bohême et en Allemagne—où égale-
ment des milieux éclairés de la bourgeoisie juive prêtaient attention çà
et là à l'annonce sabbataïste d'un renversement — les théories nihilistes
se présentent sous un aspect beaucoup plus restreint, et très bientôt il
se réalisa une jonction étroite, même un amalgame entre les idées de
l'émancipation juive (Aufklärung) venue de Berlin, et celle de la méta-
morphose frankiste de la Cabale hérétique. Cette jonction, dont nous
trouvons la preuve dans certains manuscrits frankistes de Bohême et
de Moravie encore conservés en langue judéo-allemande, appartient
cependant déjà à la génération de la Révolution française. 14 La mytho-
logie de Frank s'est constituée par contre, tout en étant encore entiè-
rement dépourvue de l'influence du rationalisme occidental, dans la
génération précédente, et elle doit son pouvoir à son inspiration gnostique
et à l'utopie messianique, même quand celle-ci prend un caractère
destructeur.
Mais je voudrais revenir encore sur le « chemin vers l'abîme », dans le
sens que lui donne Frank. Ce chemin a pour lui et pour ses adhérents deux
aspects : l'un historique et l'autre moral. L'aspect historique trouve son
expression dans l'espoir d'un bouleversement général de tous les rapports
humains et, ce qui est assez caractéristique, dans la vision de l'effon-
drement de l'Eglise catholique et de sa hiérarchie, à laquelle, comme nous
l'avons vu, Frank avait fait semblant de se soumettre. 18 II ne faut donc
pas s'étonner que les frankistes, qu'ils soient restés dans le judaïsme ou
qu'ils aient été baptisés, aient développé une psychologie très proche de
celle des « illuminés » révolutionnaires en Allemagne et en France. Cela
apparaît particulièrement chez les frankistes de Bohême du 18e siècle,
qui sont presque tous restés dans le judaïsme, mais dont le judaïsme tel
que l'entendait la tradition rabbinique était vidé de toute substance par
la nouvelle doctrine de Frank, qui promettait un vague espoir d'une
nouvelle religion mystique non conventionnelle, dès que serait instaurée
la liberté d'une vie anarchique. Ce n'est peut-être pas un hasard si le plus
LA MÉTAMORPHOSE DU MESSIANISME HÉRÉTIQUE 389

éminent des historiens de l'athéisme, Fritz Mauthner, lui-même devenu


sur le tard représentant d'une mystique athéiste, était originaire d'une
de ces familles juives frankistes de Bohême. 18
Mais ce n'est pas le contenu positif, qui n'a jamais pu être défini, c'est
la vision de la destruction et de la subversion qui donna son élan au rêve
frankiste. Nous possédons une paraphrase frankiste du livre d'Isaïe écrit
en Pologne pendant la Révolution française (en polonais). « L'auteur
voit dans la Révolution française l'instrument qui pourra traduire dans
la réalité l'utopie de son maître et il y a une évidente sympathie de la part
des milieux frankistes, juifs ou crypto-juifs, pour la Révolution. C'est
justement cette sympathie pour les idées de la Révolution qui est à la
base de la transformation de la pensée, jusqu'alors essentiellement nihi-
liste, de ce milieu. Après s'être limité jusqu'alors à une propagande clan-
destine dans le ghetto et à ses rites subversifs, on allait s'orienter main-
tenant vers d'autres voies, grâce au contact avec un contenu positif de
l'idée de liberté, à laquelle devait faire place rapidement l'idée purement
négative que s'en étaient fait les premiers frankistes. Aussi longtemps
qu'on ne voyait à l'horizon aucun chemin positif qui pût amener à la
réalisation intérieure d'une révolte messianique, contre le ghetto et son
entourage, cette révolte garda un caractère nihiliste. Mais dès que les
circonstances historiques ouvrirent d'a:utres perspectives, les frankistes
devinrent les protagonistes des nouvelles idées sous leurs formes les plus
diverses. Lors de l'extinction du feu messianique, l'idée prosaïque du
progrès va remplacer celle de la délivrance, et la nouvelle échelle des
valeurs de lumière et de réforme, celle de la vision d'un renversement
général et d'un cataclysme. Un neveu de Frank, fils d'une cousine, qui
appartenait au groupe des frankistes de Moravie, issu de la haute bour-
geoisie juive, qui devait finir par entrer dans la noblesse autrichienne,
symbolise dans sa personne cette transformation. Frankiste militant,
il se convertit en 1775 au catholicisme et fut l'un des porte-parole litté-
raires les plus connus des idées de « lumière » à l'époque joséphiste en
Autriche. Lorsqu'éclata la Révolution française, il se rendit à Strasbourg
et devint un des jacobins dominants. Il resta en même temps toujours
en rapport avec son groupe et le bruit courut un certain temps qu'il
devait prendre la direction de la secte après la mort de Frank. Membre
du parti de Danton, il monta avec ce dernier sur l'échafaud sous le nom
de Junius Frey. 18
L'aspect moral de ce nihilisme déboucha sur des rites antinomistes
que nous avons déjà évoqués. Il ne suffit pas de nier les valeurs et les
normes « pour atteindre l'élixir de la vie. Il faut les profaner ». 18 II n'est
donc pas étonnant que nous apprenions que ces rites impliquèrent pour
leurs adhérents une dégradation morale et les amenèrent même, comme
souvent dans de tels groupements, à pratiquer la promiscuité sexuelle
ce qui devait sans doute contribuer plus que les divergences de vues
390 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

idéologiques, presque incompréhensibles pour un esprit juif contemporain,


à l'inimitié à outrance des milieux juifs orthodoxes.
La descente vers l'abîme pour y rencontrer la vie n'est qu'une autre
formule de la vieille doctrine antinomiste de la « sainteté du péché », qui
avait déjà trouvé droit de cité auprès de l'aile radicale des sabbatiens
au temps de Sabbataï Cevi. Les soldats ne peuvent pas choisir la voie
par laquelle ils s'empareront des forteresses qu'ils sont en train d'atta-
quer. S'il le faut, ils doivent traverser même les eaux les plus sales. La
parabole des soldats ne se trouve nullement ici par hasard. Frank, le
rêveur du nihilisme, est passionné par l'armée. L'extravagance de l'utopie
anarchique et destructrice est compensée par l'enthousiasme éprouvé pour
la discipline du soldat. Car les soldats, dit-il dans un curieux épigramme,
ne doivent pas avoir de religion.21 Leur affaire, c'est d'obéir au général.
Nous trouvons ainsi chez Frank la glorification précisément de deux
principes qui sont les plus étrangers à la réalité du judaïsme de l'Est de
l'Europe vers 1750, deux principes dont il a fait paradoxalement une
entité : il présente la liberté d'une vie anarchique comme un idéal et la
discipline du soldat qui accomplit son devoir passivement comme une loi.
Frank est le premier militariste juif que nous connaissions et il l'est sans
réserve. Je ne puis entrer ici dans les détails concernant les rapports entre
cette idéologie militariste et les espoirs juifs de Frank qu'il conserva
encore malgré sa vision de l'éclatement des vieilles frontières. Frank en
effet ne pensait nullement en catégories cosmopolites. Même dans ses
élucubrations les plus violentes contre le rabbinisme, il reste toujours un
ambassadeur des juifs et ne pense qu'à ce que les juifs doivent devenir.
Placé aux frontières les plus extrêmes du messianisme, il ne peut s'en
abstraire, tout en lui payant le prix le plus élevé.
Nous parlions plus haut du chemin vers l'abîme, qui est le chemin vers
Esau ; c'est le chemin qui mène vers l'Esau de l'histoire, c'est-à-dire le
monde d'une ambiance non juive, le monde de la réalité concrète, mais
qui mène aussi vers l'Esau du mysticisme, le « Grand Frère » qui est
« debout devant Dieu ». L'Esau mystique est le lieu où toutes les lois
s'abolissent et où règne la vie. Sur la route qui le mène à lui le croyant
atteint la « gnose », qui s'appelle chez les frankistes la «gnose d'Edom » (da-
'atEdom), et en même temps par un jeu de mots la « religion sacrée d'Edom »
(dath Edom hakedocha). A l'extérieur cette religion d'Edom s'identifie au
catholicisme, à l'intérieur elle est la gnose nihiliste, dont le vrai sens
consiste dans la connaissance que rien d'extérieur ne peut jamais repré-
senter quelque chose d'intérieur et que l'intérieur ne peut se conserver
qu'en contradiction avec tout ce qui est extérieur et ne peut arriver à
s'imposer que par la destruction de tout ce qui est extérieur.
C'est une idée répandue dans les groupements hérétiques et aussi dans
le christianisme, que la Trinité divine doit se manifester dans l'histoire.
On connaît l'historiosophie des joachimites en ce qui concerne la révé-
LA MÉTAMORPHOSE DU MESSIANISME HÉRÉTIQUE 391

lation de la Trinité en trois stades ou « états ». Mais les fidèles de David


Joris aussi enseignèrent que la Trinité est représentée historiquement par
trois personnes qui furent envoyées à différentes époques comme média-
teurs au genre humain, à savoir Moïse, le Christ Jésus et le Christ David,
c'est-à-dire David Joris. 2 2 Les frankistes ont développé à partir de la
Trinité sabbatienne une idée tout analogue. Au début, on prétendait que
Sabbataï Cevi représentait la figure inférieure de cette trinité, la Chekhina.
Baroukhia 2 3 , le fondateur de la tendance radicale parmi les sabbatiens
de Salonique, dont Frank est historiquement issu, aurait été une incar-
nation du « Saint Roi », alors que Jacob Frank serait venu comme délégué
et comme incarnation du Dieu supérieur, du « Saint Ancien ». Mais Frank
devait plus tard abandonner lui-même ce schéma, sans aucun doute à
cause de sa typologie de Jacob et Esaü, représentant les deux aspects
de la Trinité qui ont plus ou moins un rapport avec lui-même. Il nous
montre le chemin vers Esaü, parce qu'en atteignant finalement cet endroit,
le véritable Jacob qu'il est lui-même pourra aussi se révéler. Mais, de cette
façon-là, la troisième figure de la Trinité, la Chekhina ou la « Fille » des
cabalistes n'était pas représentée. Frank présente alors, avec une insis-
tance croissante, la théorie qu'en dernier lieu le véritable messie, confor-
mément à la nature féminine de la Chekhina, devra être une femme et
plus précisément sa propre fille Eve, qui sera ultérieurement le dernier
chef de la secte jusqu'à sa mort en 1816. « Toutes les armes des rois sont
placées en sa main », ainsi s'exprime-t-il toujours à nouveau, et c'est
seulement à travers elle que s'ouvre la voie vers la « vie ». Frank f u t
pendant treize ans prisonnier des autorités catholiques à Czenstochowa,
centre du culte de la Vierge en Pologne, et dans ses discours se confondent
constamment, d'une part les symboles chrétiens de la Vierge et les sym-
boles juifs de la Chekhina, et d'autre part ceux de la Sophie Eternelle
adaptés aux deux systèmes. Nous avons ici une préfiguration de la théorie
développée par Enfantin à l'époque mystique du saint-simonisme, selon
laquelle l'échelle des valeurs aurait besoin d'un messie féminin, d'où il
résultera bientôt que cet ultime messie féminin devra être une juive,
comme Barrault l'a démontré dans son appel « Aux femmes juives »
en 1833. "
Bien longtemps avant que ne fussent connus aux érudits des trois
dernières générations les manuscrits des frankistes, qui constituaient
jusqu'alors une littérature clandestine, il ne subsistait aucun doute sur
le caractère de ce phénomène. L'expression « frankiste » n'était guère
usuelle dans la littérature contemporaine et n'apparut que bien plus tard.
Dans le langage populaire, les frankistes, comme tous leâ autres sabbatiens,
étaient nommés Schebsen ou Schebsel, ce qui était une déformation iro-
nique et péjorative de la prononciation polono-juive du nom hébraïque
de Sabbataï, Schabse (Schöps signifie en allemand mouton). Lorsqu'on
murmurait au 18e siècle, dans le ghetto, d'un juif qu'il était un Schebs,
392 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

cela exprimait, à l'intérieur du solide cadre du judaïsme, le même senti-


ment d'horreur et d'indignation morale et civique que lorsqu'on parlait
il y a quatre-vingts ans de nihilistes. Gottfried Selig écrivait déjà en 1771,
en pleine connaissance des rapports entre le nihilisme et les idées de
« lumière », dans une revue allemande: «On appelle ces maudits, Schoepsel.
Ils se trouvent en particulier en Pologne et sont violemment persécutés
par les autres juifs parce qu'ils ont un grand penchant pour la libre pensée
et ne veulent ni reconnaître la Bible comme un livre divin, ni admettre
l'obéissance à l'autorité civique comme un devoir de parti ».38
De l'analyse des enseignements frankistes et d'autres documents écrits
seulement pour des adeptes, il ressort de façon évidente qu'il ne s'agissait
là nullement de pures calomnies. Les frankistes représentent la forme la
plus extrême d'une hérésie juive populaire dans laquelle la crise spirituelle
et sociale du judaïsme ancien trouva une formulation violente. La figure
centrale de ce mouvement est une sombre personnalité despotique et
repoussante à plus d'un titre, qui donne libre cours à ses instincts sau-
vages et leur apporte une superstructure idéologique. Les fidèles de ce
mouvement étaient pourtant de vrais croyants, qui trouvèrent dans les
promesses d'une utopie terrestre à caractère anarchique une espèce de
délivrance que le judaïsme rabbinique leur refusait. Le frankisme peut
en fin de compte se laisser définir comme un essai prématuré d'intégrer
le judaïsme dans une forme de vie européenne sécularisée, en renonçant
à son contenu spécifique, mais sans renoncer à sa vocation quoiqu'il dût
en rester. C'est parce que cet essai avait été entrepris avant terme qu'il
ne dépassa pas le stade de la révolte et fut étouffé dans l'œuf, dans la
mesure où il ne s'intégra pas, tout en se transformant, dans l'ère nouvelle,
ou pour mieux dire, fut dissous.

NOTES

1. J'ai étudié ce mouvement dans tous ses détails dans mon livre hébreu : Sabbatal
Cevi et le mouvement sabbataïste durant sa Die, Tel Aviv, 1957. Une traduction
anglaise est en préparation.
2. Revue de l'histoire des religions, t. CXLIII, 1953, p. 30-90, 209-232 ; t. CXLIV,
1953-1954, p. 42-77.
3. Cf. Aleksander KRAUSHAR, Frank i Frankiéci polscy, Cracovie, 1895, et la dernière
partie de mon étude dans la Revue de l'histoire des religions.
4. D e u x manuscrits (à vrai-dire, incomplets) de ce chef-d'œuvre frankiste ont survécu
à la destruction des bibliothèques polonaises par les Allemands et sont conservés
dans la Biblioteka Jagiellonska à Cracovie.
LA MÉTAMORPHOSE DU MESSIANISME HÉRÉTIQUE 393

5. Cf. ma conférence faite au 10 e congrès international pour l'Histoire des Religions,


« Die krypto-jildische Sekte der Dönme (Sabbatianer) in der Türkei », dans Numen,
VII, 1960, p. 93-122.
6. Manuscrit des « Paroles du Seigneur >, Ksiega slôiv panskich, § 1825.
7. Dans le traité Berakhoth, 31a.
8. § 2152 du manuscrit sus-mentionné.
9. § 542, 1974.
10. Ces rites sont décrits en détail dans un manuscrit frankiste en langue polonaise,
Kronika, que Kraushar seul a eu la possibilité d'étudier. Ce manuscrit semble
avoir disparu.
11. Cf. Hans VON E C K H A R D T , Russisches Christentum, Munich, 1948, p. 283.
12. Cité chez Gottfrid A R N O L D , Unparthegische Kirchen- und Ketzer-Historie, Schaf-
fausen, 1740, t. I, p. 1387, art. 32.
13. Cf. Revue de l'histoire des religions, t. CXLIV, p. 49.
14. Sur l'un de ces manuscrits, cf. mon article « A Frankist Commentary to Hallel »
en hébreu), dans I.F. Baer, Jubilee Volume, Jérusalem, 1960, p. 409-430 ; sur
l'autre je donnerai des détails dans une conférence à l'Académie Israélienne des
Sciences et des Lettres.
15. Cf. l'article mentionné dans la note précédente, p. 413, et le texte publié
par W. W E S S E L Y dans Orient, X I I , 1851, col. 534-543, 568-574 (« Aus den Briefen
eines Sabbatianers »).
16. Fritz M A D T H N E R , Erinnerungen, Munich, 1918, p. 306.
1 7 . Publié en partie dans K R A U S H A R , op. cit., t. II, p. 1 8 6 - 2 1 8 . Le manuscrit complet,
qui se trouvait jusqu'à 1940 dans la bibliothèque de la Grande Synagogue à Var-
sovie, est perdu depuis la deuxième guerre mondiale.
18. Comme juif il portait le nom de Moïse Dobrouchka; lorsqu'il se fit chrétien, il
f u t anobli et nous est connu sous le nom de Franz Thomas von Schœnfeld. Sa
carrière mérite d'être étudiée en détail.
19. « Paroles du Seigneur », § 96.
20. Cf. par exemple la description d'un tel rituel dans Revue de l'histoire des religions,
t. CXLIV, p. 64-65.
21. « Paroles du Seigneur » § 1419.
2 2 . G . A R N O L D , op. cit., t. I, p . 1384.
23. Sur Baroukhia, cf. mon étude historique dans la revue trimestrielle Zion (en hébreu),
t. VI, 1941, p. 119-147, 181-202.
24. Cf. J . L. T A L M O N , Political Messianism, Londres, 1960, p. 122-124.
25. Selig publia ces remarques dans son hebdomadaire Der Jude, Leipzig, 1779, p. 79.
DISCUSSION

H . - C H . P U E C H . — Deux idées me paraissent très intéressantes dans ce


frankisme : la première se rattache à la gnose du 2 e et du 4 e siècle, c'est la
nécessité d'épuiser la déchéance et l'abjection pour se délivrer du monde
par le mépris. La deuxième intéresse l'histoire des religions : en effet c'est
un phénomène extraordinaire que ce messie qui se renie lui-même et auquel
on continue de croire.

B. B L U M E N K R A N Z . — Nous avons avec le frankisme, dont vous avez parlé,


un mouvement antirabbinique mais protégé par les autorités catholiques.
Or en Espagne, au milieu du 12 e siècle nous avions les caraïtes, mouvement
antirabbinique, pousuivi par la communauté juive, comme en Pologne les
frankistes, avec l'appui cette fois de l'autorité civile. C'est sur cette différence
que j'aimerais avoir votre explication.

E . D E L A R U E L L E . — J e voudrais poser une question a M. Scholem et en même


temps faire une observation d'intérêt général. Il serait évidemment intéres-
sant d'analyser au point de vue de la psychologie collective comment se
comportent minorités et majorités.
Une question maintenant : ce sabbataïsme doit-il quelque chose au pré-
romantisme allemand ? Doit-il quelque chose à Lessing que rappelle le
passage sur les trois fondateurs de religion ?

G. S C H O L E M . — J e remercie beaucoup M. Puech pour ses remarques, Il


va sans dire que le frankisme présente un intérêt tout particulier pour l'his-
toire des religions, parce qu'il est le seul mouvement de caractère nihiliste
que je connaisse, dont on puisse étudier la psychologie, les réactions, la
symbolique et l'usage de la Bible, grâce à une documentation venant des
croyants eux-mêmes.
Au sujet du problème soulevé par M. Blumenkranz, je voudrais dire qu'il
y a peut-être un certain malentendu. La protection des autorités reposait
sur un contresens. On était en présence d'un phénomène de marranisme
volontaire. Il ne faut pas oublier non plus que Frank a été arrêté, puis
emprisonné jusqu'à ce qu'un général russe le délivre. On ne peut pas vrai-
ment parler de protection. Les adversaires juifs des frankistes ne laissaient
pas de dire aux autorités de l'Eglise catholique qu'elle se trompait en les
considérant comme chrétiens, alors qu'ils étaient sabbatiens.
• n'est pas facile de répondre à la question de M. Delaruelle. Les documents
polonais, que nous avons de Frank ne sont pas romantiques. Mais les fran-
kistes se joignirent volontiers à des organisations secrètes pré-romantiques,
des ordres francs-maçonniques. De plus, en étudiant, sans penser au frankisme,
LA MÉTAMORPHOSE DU MESSIANISME HÉRÉTIQUE 395

l'activité d'un cabaliste de cette époque Ephraim Joseph Hirschfeld (env.


i755-i820), très actif dans l'organisation des Frères Asiatiques et qui écrivait
en allemand, j'ai trouvé à l'origine de cet ordre un frankiste.
Il en va de même pour nombre de savants et de médecins très connus en
Allemagne et à Paris : ainsi David Koref, originaire de Silésie, grand méde-
cin, professeur en Allemagne et à Paris où il connait un grand succès, au-
thentiquement romantique et en relation avec des frankistes.
G. DUBY

CONCLUSION

Tirer les conclusions d'une rencontre aussi féconde devient une opération
singulièrement difficile lorsque l'on veut, comme je crois devoir le faire,
contenir cette conclusion dans les termes les plus brefs. Il me faut en
effet choisir et, parce que je ne suis pas du tout historien des religions
ni de l'hérésie, parce que j'ai étudié surtout certains aspects de la société
médiévale, ce choix s'orientera de la manière suivante.
J e ne retiendrai rien, ou à peu près, de ce qui concerne le contenu
doctrinal des hérésies, et c'est un très lourd sacrifice parce que beaucoup
de précisions, fort importantes et fort précieuses, ont été apportées dans
le cours de ces débats. J e m'efforcerai plutôt de revenir au cadre qui avait
été fixé à ces journées d'études et qui fut défini par le titre qu'on leur
donna : « Hérésies et Sociétés ». J e me référerai, en particulier, au ques-
tionnaire préliminaire, très stimulant, très pertinent, qui posait comme
l'une des questions centrales : « Le rôle de l'hérétique, sa fonction dans
la société ». Ceci dans un domaine très nettement délimité : la chrétienté
latine entre le 11e et le 18e siècle. Je n'ai nul besoin d'insister sur le prix
des apports qui ont touché les domaines extérieurs à ce cadre, qu'il
s'agisse des marges slaves en voie de christianisation et où l'apostasie est
apparue comme une manifestation de refus, qu'il s'agisse du monde
byzantin, qu'il s'agisse de l'Islam, qu'il s'agisse du judaïsme rabbinique.
Au seuil de ces réflexions, qui seront toutes d'ordre méthodologique,
je placerai quelques remarques de caractère général.
I o La première de mes impressions, c'est d'avoir pris une conscience
plus claire d'un fait très important dans l'histoire de la civilisation euro-
péenne : la permanence, l'ubiquité de l'hérésie, toujours décapitée, toujours
renaissante et sous de multiples faces. L'hérésie se manifeste comme une
hydre ; encore apparaît-il que cette hydre n'a pas toujours été également
virulente. Première tâche, et des plus nécessaires : il importe donc de
situer le plus exactement possible dans le temps les poussées de vitalité,
et inversement les phases de relâchement, d'assoupissement. Il s'agit bien
en effet — je reprends les termes du questionnaire — d'observer l'héré-
tique « dans le processus historique ». Autrement dit, nécessité d'une
chronologie. Le travail est prêt, en très grande partie. Il suffit, par consé-
quent, d'affiner, de confronter, et déjà nous voyons s'isoler très nettement
des périodes où les témoignages sur l'hérésie se multiplient, et d'autres,
26
398 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

au contraire, qui sont des creux, qui sont des vides. Ainsi a-t-on parlé,
plusieurs fois, au cours de ces journées des sept ou huit décennies de bonace
entre la fermentation de la première moitié du 11e siècle et les remous très
profonds du 11e. Toutefois, si l'on considère cette chronologie dans son
ensemble, on est tout de suite frappé par une opposition que je crois
fondamentale.
D'une part, le temps médiéval, que j'appellerais volontiers le temps des
hérésies vaincues, ou plutôt des hérésies étouffées. L'hérésie alors est là,
permanente, foisonnante; elle est endémique, ajoutons nécessaire, sans
doute vitale, organique, mais elle est toujours terrassée. Il faut décom-
poser cette première période en deux phases successives : d'abord phase
d'hérésies courtes (on l'a dit, pour le 12e siècle : « leur vie est courte, mais
intense, peu d'hérésies survivaient à une deuxième génération»), suivie
par une phase où les hérésies deviennent beaucoup plus tenaces, et de
plus en plus résistantes. Après cette première époque des hérésies étouf-
fées, domestiquées et peu à peu réduites, on voit ensuite, au début du
16e siècle, avec la cassure luthérienne, avec cette blessure qui ne s'est
pas fermée et qui a contribué à faire éclater un univers jusqu'alors uni-
taire, s'ouvrir le temps de la coexistence et de la partition territoriale,
partition qui fut supportée avant d'être acceptée, puis acceptée avec de
plus en plus d'indifférence. Dès lors, la fonction même de l'hérésie, désor-
mais établie en « société externe », et la situation même de l'hérétique par
rapport à lui-même et par rapport aux autres, se trouvèrent radicalement
transformées. Ce qui fait que l'historien des temps modernes ne peut
pas étudier l'hérésie de la même manière que le médiéviste, non seulement
parce que les documents changent alors tout à fait de nature, non seule-
ment parce qu'avec le progrès des techniques d'expression, les « armes »
de l'hérésie ne sont plus les mêmes, mais parce que le climat d'ensemble
a subi une mutation décisive. On peut donc reconnaître deux versants
qui sont tout à fait séparés. Nous nous en sommes en fait bien rendu
compte, et la seule défaillance de ce colloque, c'est même qu'en dépit de
quelques interventions et de provocations parfois très méritoires, on ne
peut dire qu'il ait donné véritablement lieu à de sérieuses confrontations
de méthodes entre les médiévistes et les modernistes.
2° Je pense aussi avoir pris conscience plus claire de la difficulté à
définir ce qu'est un hérétique, donc, et c'est ce qui nous importe, à nous
historiens, à le discerner à travers les documents. Nous sommes partis
d'une définition, proposée par un historien-théologien : l'hérétique est
celui qui a choisi, qui a isolé de la vérité globale une vérité partielle et qui,
ensuite, s'est obstiné dans son choix. Mais nous nous apercevons vite
que notre tâche propre, à nous qui scrutons le passé, est bien de distinguer
ceux qui, à tel moment, ont été désignés par leurs contemporains — par
certains de leurs contemporains — comme étant des hérétiques. Or, au
CONCLUSION 399

même moment, les critères de ce jugement ont pu différer singulièrement.


Tel a pu être nommé hérétique par un interlocuteur dans la chaleur d'une
discussion, pourchassé comme hérétique par un maniaque de l'Inqui-
sition, par des obsédés de la déviation à moins que ce fût par un Machiavel
de la politique, et qui n'aurait pas été considéré comme tel par un cano-
niste, ou par son confesseur. Ce qui appelle à une autre tâche, beaucoup
plus difficile que la mise en ordre chronologique dont je parlais tout à
l'heure : délimiter à chaque moment ce qu'on a appelé fort justement dans
ces débats, le « contour » du milieu hérétique. Entreprise fort délicate.
Est-elle même possible si tant est que ce milieu, très souvent clandestin,
apparaît toujours très fluide, si fluide qu'il échappe à toute délimitation ?
Je reviendrai sur ce point tout à l'heure.
3° Je ferai remarquer enfin, pour en terminer avec ces réflexions géné-
rales, qu'il importe de bien réfléchir sur un fait d'évidence. Tout hérétique
le devient par une décision des autorités orthodoxes. Il est d'abord, et
souvent il reste toujours, un hérétique aux yeux des autres. Précisons :aux
yeux de l'Eglise, aux yeux d'une Eglise. Considération importante parce
qu'elle fait apparaître comme historiquement indissoluble le couple
orthodoxie-hérésie. Encore ne faudrait-il pas tenir l'une et l'autre pour
deux provinces riveraines qui seraient délimitées par une frontière très
franche. Il s'agit bien plutôt de deux pôles, entre lesquels s'étendent de
larges marges, d'énormes zones, d'indifférence peut-être, parfois de neutra-
lité, en tout cas des franges indécises et mouvantes. Mouvantes, cette
constatation peut devenir féconde pour qui s'interroge, non seulement sur
les contours du milieu hérétique, mais sur les phases de l'histoire de
l'hérésie, et sur le contenu même des doctrines hétérodoxes.
a) Il est bien évident que, selon que l'Eglise orthodoxe se trouva plus
ou moins exigeante à tel moment ou à tel autre, le secteur de la société
réputé hérétique, condamné et inquiété comme tel, fut plus ou moins
large. Voici qui permettrait d'ailleurs d'énoncer plus vigoureusement un
problème, qui n'a été ici qu'effleuré, celui de l'hérésie à l'intérieur de
l'hérésie : lorsqu'une hérésie apparaît au sein même de l'hérésie, c'est
bien qu'une partie du milieu hérétique s'est érigé en Eglise. Peut-être
l'hérésie est-elle toujours une Eglise en puissance; encore faut-il, pour
qu'elle secrète en son sein ses propres hérésies, qu'elle devienne une Eglise
vraie, c'est-à-dire qu'elle se mette à exclure et à condamner.
b) D'autre part, si l'on considère les phases, ne peut-on penser que les
périodes où la virulence semble s'atténuer, où les témoignages sur l'hérésie
disparaissent dans les sources, sont parfois celles où l'orthodoxie devient
moins tendue, se montre indulgente, accueillante ? Par mollesse — ou
bien parce que l'Eglise est occupée elle-même de sa propre réforme et
qu'elle assume en partie l'inquiétude hérétique — ou bien encore parce
qu'elle s'efforce, au contraire, en état de faiblesse, à certaines réconcilia-
400 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

tions. L'étude de l'hérésie, nous l'avons tous senti, débouche sur l'étude
de la tolérance et de ses diverses motivations.
c) Enfin, la part immédiate et fondamentale que l'orthodoxie prend,
dans l'apparition et la sécrétion de l'hérésie, affecte aussi le contenu même
des doctrines hétérodoxes. C'est en effet la sentence de condamnation
prononcée par des « clercs » qui isole un corps de croyance et qui le nomme.
En le nommant, il l'assimile (souvent à tort d'ailleurs, par méconnaissance
ou par mépris) à des ensembles dogmatiques déjà connus, inventoriés.
Par là même n'amène-t-il pas la doctrine condamnée à se nourrir aux
dépens de ces hérésies anciennes ? E n tout cas, n'infléchit-il pas l'évolution
même de la croyance hérétique ?

Ces brèves réflexions générales n'étaient peut-être pas inutiles avant


d'aborder la question centrale, « Hérésies et Sociétés », et d'examiner de
quelle manière nous pouvons, au terme de ces journées de travail en
commun, modifier, ajuster et compléter le questionnaire qui au départ
nous était proposé.
A mon sens, l'un des premiers apports de ce colloque fut de mettre
en évidence la nécessité de mener très distinctement l'investigation
historique, selon qu'il s'agit de la naissance, ou plutôt de la formation d'une
doctrine hérétique, et d'autre part de sa diffusion. Je dirai, de manière
plus précise, qu'il paraît maintenant nécessaire d'examiner tout à fait
à part le cas de l'hérésiarque. Sauf exceptions, que je crois fort rares,
l'hérésiarque appartient aux cercles dirigeants d'une Eglise, cénacles,
écoles, ou petits groupes de réflexions, c'est-à-dire à des milieux dans
lesquels l'historien peut généralement pénétrer avec assez de facilité,
parce qu'ils sont de ceux qui ont laissé les traces documentaires les plus
abondantes. L a définition théologique de l'hérétique, peut s'appliquer à
l'hérésiarque, mais à lui seul. Sans doute, lui seul choisit-il vraiment,
propose la sententia electa. Car pour qu'il y ait sententia, il faut qu'il y ait
véritablement raisonnement, mise en forme intellectuelle, et par consé-
quent, culture. D'autre part, il s'agit bien là, la plupart du temps, d'une
décision individuelle, ou tout au moins de la décision d'un petit groupe.
L'historien est donc autorisé à examiner en profondeur les réactions de
la personnalité de l'hérésiarque face à son milieu ; il est autorisé à s'inter-
roger sur sa psychologie. C'était l'une des questions principales de notre
programme : comment l'hérésiarque parvient-il à son choix ? En réagis-
sant à quelles lectures ? Contre quels collègues ? Autant de problèmes
qu'il est permis de poser à propos de Luther ou, nous en avons eu la
démonstration ici, à propos de Wyclif. A propos de l'hérésiarque, seul
peut donc, en fonction des outils dont nous disposons, nous historiens,
être formulée l'une des interrogations proposées : s'agit-il d'un malade
d'un névrosé ? E t de quelle névrose ? Névrose d'angoisse, névrose d'or-
CONCLUSION 401

gueil, névrose de frustration, névrose de m i n o r i t a i r e ? Est-il v r a i m e n t


un « d é v o y é » ? E n t e n d o n s bien : a u x y e u x de c e u x qui ont la bonne
conscience d'être dans la voie droite. A j o u t o n s encore q u e l'hérésiarque,
p a r c e qu il est un « intellectuel » en réaction à l'égard d'un petit nombre
de confrères qui l'entourent, apparaît très généralement comme u n être
f o r t vulnérable, facile à tenir, à mater, et qu'il doit faire p r e u v e v é r i t a -
b l e m e n t d'héroïsme pour rester pertinaz. L e s cas de fléchissement, d'auto-
critiques, de retours repentis au giron de la mère-Eglise sont innombrables
et passionnants. Songeons enfin à la puissance d'absorption du milieu
orthodoxe : la canonisation fut-elle pour le seul saint François utilisée
c o m m e m o y e n de neutralisation posthume ?
T o u t a u t r e évidemment doit être la démarche de l'historien s'il se
préoccupe d'observer la diffusion de la doctrine hérétique. Il doit déplacer
son champ d'observation p o u r atteindre les comportements collectifs e t
modifier en conséquence ses méthodes. Il lui convient de considérer
d'abord les véhicules de transmission : d'établir d'une part une géographie
des voies e t des lieux de dispersion ; d'observer d'autre p a r t les modes
de propagande, parole publique, privée, écrit, image ; de dépister enfin les
agents, les agitateurs, tous les êtres qui sont parfois individuellement
accessibles à l'observation historique, comme les hérésiarques, mais qui
n ' o n t point les mêmes a t t i t u d e s psychologiques et ne sortent généralement
p a s des mêmes milieux sociaux.
Transmise, la doctrine est reçue. P a r qui ? P a r des êtres insatisfaits,
d o n t l ' E g l i s e à leur portée n'a pas su combler les exigences spirituelles,
et qui pour cela s'en détournent, prêtant l'oreille à d'autres messages.
J e retiens la suggestion qui a été faite, de considérer l'hérésie parfois
c o m m e une dévotion manquée, j e dirais plutôt une dévotion frustrée.
E n t o u t cas par son comportement mental, l'adepte diffère encore d e
l'agitateur et, d ' a v a n t a g e , de l'hérésiarque. P l u s passive, p l u s négative
aussi, c'est une a t t i t u d e de refus. R e m a r q u o n s en passant qu'il a toujours
existé d'autres formes de refus dans le domaine des conduites religieuses,
à commencer par l'évasion m y s t i q u e — se passer du prêtre sans se dresser
p o u r cela contre l'Eglise — e t p a r la « f u i t e au désert », l a conversion à l a
v i e cénobitique. E t peut-être conviendrait-il de rechercher a t t e n t i v e m e n t
dans les périodes de cette histoire hérétique comment se disposaient
respectivement les m o m e n t s d'efflorescence des hérésies, e t c e u x o ù
prospérèrent les ordres religieux, de repérer s'il y eut parfois coïncidence,
ou d'autres fois compensation.
A ce refus, à cette opposition à la discipline et a u x autorités ecclésias-
tiques, il n'est pas impossible de découvrir des motifs, qu'il convient de
distinguer soigneusement et de classer. L ' E g l i s e a parfois été rejetée, par-
ce qu'elle é t a i t e f f e c t i v e m e n t insuffisante par l'effet d ' u n sous-équipement
sacerdotal (ce f u t semble-t-il le cas dans bien des c a m p a g n e s d ' E u r o p e
a u 1 1 e siècle ou après la Peste Noire) ou par i n a d a p t a t i o n des milieux
402 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

les plus actifs du corps clérical aux besoins spirituels du peuple (il faut
ici méditer sur l'échec de saint Bernard face aux cathares). Mais l'Eglise
f u t aussi répulsive à certains parce que ceux-ci la jugeaient indigne ; at-
titude moins passive d'hommes que poussaient alors des exigences mora-
les à l'égard des prêtres qu'ils auraient voulus plus purs ou plus pauvres.
Enfin des Eglises furent rejetées parce qu'elles apparaissaient étrangères
à la Nation, ou bien trop visiblement alliées à des pouvoirs politiques ou
économiques détestés. La nécessité apparaît donc évidente de procéder
alors, comme on l'a fait admirablement devant nous, notamment à
propos du hussitisme, à une analyse économique et sociale du milieu
hérétique.
Contre cette Eglise devenue répugnante, telle doctrine propagée paraît
satisfaisante à un groupe d'hommes qui l'adopte, plus ou moins complète-
ment, plus ou moins ouvertement. Ce groupe de sectateurs est, on l'a vu,
fort difficile à atteindre. La plupart du temps l'histoire ne peut connaître
que l'hérésie dépistée ; lui échappent les hérésies cachées, et celles encore
qui se montrèrent capables d'un tel mimétisme — songeons aux vaudois
dans l'Italie du 13e siècle — qu'elles se confondirent avec l'orthodoxie.
Du moins importe-t-il de situer très exactement, et d'abord dans l'espace,
celles des sectes qui se révèlent assez nettement dans les documents.
J e proposerai donc, comme l'une des tâches les plus urgentes, de travail-
ler à établir une géographie, une cartographie de l'hérésie, à repérer les
lieux réceptifs en ville ou dans les campagnes, les points d'où la doctrine
a rayonné, les chemins qu'elle a suivis, enfin les asiles où les hérétiques
pourchassés ont trouvé refuge, comme ces vallées des Alpes qui jouèrent
si longtemps un rôle de conservatoire. Cette recherche préalable prépa-
rerait utilement la voie aux essais d'interprétation sociale, aux efforts
pour placer les groupes d'adeptes par rapport aux divers niveaux so-
ciaux (riches ou pauvres) et par rapport aux diverses formes de groupe-
ments (s'agit-il d'une hérésie qui s'insinue dans le cadre des familles, dans
celui des métiers, des confréries ou d'autres associations comme les consor-
terie ?). La recherche, je l'ai dit, devient alors des plus malaisées. Nous
nous sommes rendu compte, à propos du 12e siècle, de la difficulté à re-
connaître la situation de l'hérétique dans l'organisation sociale de son
temps, et nous avons également senti, à propos du jansénisme, la néces-
sité d'une analyse sûre et précise des zones sociales où telle doctrine hé-
rétique a pu trouver ses lieux de propagation. J e suis même porté à croire
que la recherche bute ici souvent contre des impossibilités radicales. Com-
ment saisir en particulier les contours des milieux hérétique' ruraux,
alors qu'il est toujours si difficile à l'historien de connaître dans leurs pro-
fondeurs les sociétés paysannes ?
Enfin, les débats ont montré à plusieurs reprises que les doctrines elles-
mêmes, en se transmettant, en se diffusant, subirent une dégradation
et un renouvellement. Mais il est apparu aussi que les documents qui per-
CONCLUSION 403

mettraient d'observer de près cette dégradation et ce renouvellement


sont rares et d'une interprétation fort délicate. Du moins cette notion
d'une dégradation, et d'une infiltration progressive des corps de croyan-
ces depuis les milieux « intellectuels » vers des milieux de niveau culturel
inférieur, permet-elle de rejeter comme un faux problème la question
hérésie savante-hérésie populaire ? Ou tout au moins de la poser de ma-
nière peut-être plus juste, en tout cas plus stimulante. Car la doctrine
reçue se déforme toujours. Du fait d'abord des intermédiaires, des pro-
pagandistes — ces marchands et ces croisés, par exemple, qui rappor-
tèrent d'Orient une certaine notion du bogomilisme, ou tout simplement
les mères de famille transmettant de génération en génération les dogmes
clandestins. Mais l'hérésie se déforme aussi sous l'influence de ceux-
mêmes qui y adhèrent, puisque, dans l'esprit des adeptes, la doctrine
rejoint pour se mêler à elles des croyances « populaires » beaucoup plus
simples et beaucoup plus frustes. Presque toujours, en effet, dans les
milieux qui s'approprient une hérésie, interviennent comme agent de
déformation les attitudes latentes collectives qui favorisèrent d'ailleurs
grandement la réception de la doctrine, ces attitudes anxieuses que les
Eglises appellent des superstitions, mais que nous pouvons, nous, dé-
finir comme des comportements religieux instinctifs, fondés sur des re-
présentations extrêmement simples. C'est à ce niveau des consciences
qu'il convient de rechercher en particulier les racines des interdits, des
tabous, des « modes d'exclusion et de partage » qui peuvent revêtir
des formes très tranchées, de schéma généralement dualiste. Le dualisme,
dont on sent l'existence à ce niveau des consciences, participe à beaucoup
de pulsions instinctives, et notamment au sentiment de culpabilité sexuel-
le, ce qui explique la fréquence, au sein des groupes hérétiques, de l'exi-
gence de pureté, sinon chez le croyant lui-même, du moins chez un res-
ponsable de transfert, chez le « parfait ».
On peut découvrir aussi, à ce palier profond des psychologies collectives,
les thèmes très simples qui entraînent les hérésies « populaires », mythe
de l'égalité primitive des enfants de Dieu, attente de la fin des temps,
idéal enfin de pauvreté, qui parfois se fait nettement jour, mais ne cesse
d'être obscurément désiré, on l'a vu, dans les hérésies du 11e au 13e siècle,
parce que, sans doute, en certains milieux sociaux, cette idée élémentaire
formait compensation à la mauvaise conscience d'une richesse mal acquise.
En tout cas la fusion progressive des doctrines bâties par les hérésiarques
avec des croyances frustes me paraît expliquer les « résurgences », dont
les attitudes religieuses latentes sont de toute évidence le lieu ; elle expli-
que aussi certains glissements de l'hérésie depuis certains niveaux sociaux,
qui peu à peu, accédant à une culture supérieure, devinrent allergiques
à des formes trop primitives, vers d'autres milieux sans doute moins évo-
lués. J'ajoute enfin que ces corps de croyances, disons « populaires » (mais,
je crois qu'il vaudrait mieux, puisqu'elles sont présentes en toute cons-
404 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

cience, les considérer comme des croyances de soubassement affectif) fu-


rent eux-mêmes susceptibles de fermentations religieuses spontanées, en
dehors de toute intervention d'une doctrine savante. Ce fut alors, incontes-
tablement, que jouèrent des stimulations d'ordre économique et social.
Je ne pense pas, pour ma part, qu'il soit nécessaire toujours de scruter,
à propos de l'ensemble du phénomène hérétique, la conjoncture économi-
que et sociale. Mais il est des cas où véritablement l'on discerne un mouve-
ment dialectique. Ils correspondent presque tous aux moments d'affleu-
rement violent des croyances « populaires », comme par exemple au mou-
vement des flagellants, jugés et poursuivis comme hérétiques par une
Eglise inquiète.
Je voudrais enfin, pour terminer, attirer l'attention sur 1 importance
dans l'histoire des hérésies, et dans l'histoire des hérétiques, de la répres-
sion. On a vu que l'orthodoxie suscitait l'hérésie en la condamnant et en
la nommant. On peut apercevoir aussi que l'orthodoxie a résorbé maintes
hérésies en les apprivoisant, en les réconciliant, en se les appropriant. Mais
il faut ajouter enfin que l'orthodoxie, parce qu'elle punit, parce qu'elle
poursuit, met en place tout un arsenal, qui vit ensuite son existence pro-
pre, et qui souvent même survit longtemps à l'hérésie qu'il devait combat-
tre. L'historien doit considérer avec la plus grande attention ces institu-
tions de dépistage et leur personnel spécialisé, souvent constitué par d'an-
ciens hérétiques qui se rachètent. Il y aurait évidemment toute une his-
toire profonde à faire de la psychologie de l'inquisiteur, de sa formation,
de ses manuels de références. L'orthodoxie, parce qu'elle punit et qu'elle
poursuit, installe également des attitudes mentales particulières, la han-
tise de l'hérésie, la conviction chez les orthodoxes que l'hérésie est hypo-
crite, qu'elle est masquée et, par conséquent, qu'il faut à toute force et
par tous les moyens la détecter. La répression crée d'autre part, comme
instrument de résistance et de contre-propagande, des systèmes de repré-
sentations divers, qui continuent très longuement à agir. Enfin tout
cet attirail répressif fut fréquemment utilisé comme un outil commode
par le pouvoir, allié à l'Eglise orthodoxe, ce qui doit nous diriger vers de
vastes perspectives d'interrogations qui, à plusieurs reprises, se sont en-
trouvertes durant ce colloque, mais qui réclameraient un jalonnement
systématique, car elles sont très largement déployées. Pensons donc au lent
transfert de l'hérésie vers la politique, que nous avons perçu si nettement
lorsque l'on nous parlait du franchisme ou du 17e siècle anglais. Pensons
également, beaucoup plus simplement, à l'utilisation politique de l'hé-
résie, du groupe hérétique traité comme bouc émissaire, avec tous les
procédés d'amalgame momentanément souhaitables.
J'arrêterai là ces réflexions très sèches, imparfaites et trop subjectives,
avec l'impression coupable d'avoir réduit la grande richesse de ces jour-
nées à un maigre squelette et d'avoir véritablement décharné notre ren-
contre. Il me semble cependant que déjà d'innombrables questions se
CONCLUSION 405

lèvent. Nous ne les posons plus exactement comme elles l'étaient avant
que nous ne commencions. C'est dire que ce colloque est réussi. Il ne se
termine pas par un bilan, mais par un nouveau questionnaire, et je crois
être votre interprète à tous en disant que ces actes, et l'annexe bibliogra-
phique qui va leur être adjointe, ne manqueront pas de constituer un
tremplin singulièrement efficace pour relancer notre recherche vers de
nouveaux et de très amples progrès.
BIBLIOGRAPHIE
DES ÉTUDES RÉCENTES (APRÈS 1900)
SUR LES HÉRÉSIES MÉDIÉVALES

par H. GRUNDMANN
AVANT-PROPOS

Lors du colloque international sur le thème « Hérésies et Sociétés », or-


ganisé par la VI e section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes au Cen-
tre culturel de Royaumont (Seine-et-Oise) du 27 au 30 mai 1962, de nom-
breux participants avaient exprimé le souhait de voir naître une biblio-
graphique de l'histoire des hérésies. Il fut décidé après délibération que
l'on rassemblerait avant tout, d'une manière aussi complète que possible,
les publications des dernières décennies sur les hérétiques et les sectes du
Moyen Age. La préparation de ce travail fut confiée au soussigné, qui était
précisément en train de rédiger un bref aperçu d'ensemble sur l'histoire
des hérésies au Moyen Age pour le manuel Die Kirche in ihrer Geschichte
(paru en 1963, cf. ci-dessous, n° 16). Une première esquisse de la biblio-
graphie fut adressée, fin 1963, à fins de corrections et de compléments, à
quelques autres participants du colloque. C'est ainsi que de nombreuses
contributions sont dues à Margaret Aston (Cambridge), Arsenio Frugoni
(Rome), Aleksander Gieysztor (Varsovie), Robert E. Lerner (Princeton,
N. J.) György Székely (Budapest), Christine Thouzellier (Montpellier),
Ernst Werner (Leipzig). La bibliothécaire des Monumenta Germanise
Historica, Dr Hilda Lietzmann (Munich), a puissamment contribué, grâce
à sa grande expérience de la bibliographie, à l'élaboration du manuscrit.
Des bibliographies particulières sur certaines sectes et certains héré-
tiques existent déjà : ainsi, la Bibliographie du catharisme languedocien,
de P. de Berne-Lagarde (1957, n° 229), la Bibliografia valdese, de A. Ar-
mand-Hugon et G. Gönnet (1953, n° 283), la Bibliografia gioachimita, de
F . Russo (1954, n° 432), et la récente Bibliographie de l'Inquisition, de
E. van der Vekené (1963, n° 347). Ces travaux ont été utilisés, mais ne
pouvaient l'être de façon exhaustive ; ils doivent être consultés à titre de
complément pour des thèmes particuliers, surtout pour les recherches et
les études publiées avant 1900, qui ne sont citées ici qu'exceptionnellement
et dans la mesure où elles paraissent indispensables à un approfondisse-
ment de la recherche.
La bibliographie ci-dessous n'a retenu ni les études générales, ni les
manuels de l'histoire de l'Eglise et des dogmes, des sociétés et des menta-
lités, qui, dans un contexte plus vaste, ne mentionnent qu'incidemment
les hérétiques et les sectes ; on n'y trouvera pas non plus les articles
consacrés aux sectes et aux hérésies dans les encyclopédies et les lexiques.
La présente bibliographie se limite avant tout aux ouvrages et aux articles
dont le titre mentionne de manière explicite l'objet d'une étude sur les
BIBLIOGRAPHIE DES ÉTUDES RÉCENTES 409

hérétiques ou les sectes. Elle serait devenue interminable, si elle avait


aussi prétendu inclure les études récentes sur des théologiens qui furent
accusés d'hérésie ou condamnés comme par exemple, Gottschalk d'Orbais,
Bérenger de Tours, Abélard, Gilbert Porrétan, Marsile de Padoue, Guil-
laume d'Occam ou maître Eckhart. Seules ont été citées les études sur
des théologiens comme Joachim de Flore, John Wyclif ou Jan Huss,
dont se réclamèrent des mouvements hérétiques.
La présente bibliographie n'a pas davantage retenu les travaux sur les
procès d'hérésie intentés à Jeanne d'Arc, qui n'était pas hérétique, ou à
Savonarole, qui ne trouve pas sa place dans l'histoire des hérésies au
Moyen Age (cf. Gundolf GIERATHS 0 . P., Savonarola, Ketzer oder Heiliger ?,
Freiburg-en-Brisgau, 1961 ; Mario FERRARI, Bibliografia savonaroliana
1801-1956, Florence, 1958).
Quant à l'histoire des hussites, elle dépasse largement les limites d'une
histoire des hérésies pour déboucher dans l'histoire d'une guerre et d'une
révolution sociales, sur laquelle existent des travaux qui ne pouvaient
être cités ici.
On a tenté de classer les titres, d'une part, selon l'ordre chronologique
des thèmes traités, d'autre part, selon les traits communs aux sectes et la
parenté des hérésies, enfin, selon un regroupement géographique; la
tentative ne pouvait pleinement aboutir, de nombreux ouvrages et articles
échappant à ces distinctions.
Des comptes rendus critiques importants ont été indiqués pour quelques
livres de premier plan ; il aurait fallu trop de travail et trop de temps pour
dresser une liste complète des recensions.
La bibliographie que nous présentons n'est pas, comme la Bibliografia
valdese, « il risultato di ben dieci anni di lungo e difficile lavoro » (p. 6) ;
elle est plutôt le résultat, improvisé, des multiples incitations du colloque
international de 1962 ; elle ne prétend qu'à favoriser de nouvelles re-
cherches, qui la rendront, bientôt j'espère, périmée. Toute remarque cri-
tique viendra à point pour l'améliorer et la compléter. Si elle peut jouer
un rôle de stimulation et rendre service, elle n'aura pas manqué son but.
Munich, mai 1964.

Cette bibliographie avec suppléments, table d'auteurs et table onomastique a été publiée
à part dans les « Sussidi eruditi », 20, des < Edizioni di Storia e Letteratura », Rome
1967, intitulée « Bibliographie zur Ketzergeschichte des Mittelalters (1900-1966) ».

Herbert GRUNDMANN,

Président des Monumenta Germanise Historica.


410 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

POST SCRIPTUM A L'AVANT-PROPOS

En raison du long retard pris par l'impression de la bibliographie, de


nombreux travaux nouveaux sur l'Histoire des Hérésies Médiévales ont
paru entre temps. Ils seront indiqués dans un appendice (n os 684-761)
avec un numéro d'ordre supplémentaire, entre parenthèses, pour faciliter
leur insertion à l'endroit correspondant de la bibliographie. Il faut surtout
signaler, comme complément, la bibliographie publiée en 1964 à Budapest,
par Zsuscânna KULCZÂR consacrée aux mouvements hérétiques au
Moyen-Age et qui remonte plus haut (appendice n° 684 (1 a)).
BIBLIOGRAPHIE DES ÉTUDES RÉCENTES 411

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Cf. n° 22, p. 212-286 ; 2« éd., p. 204-281.
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27
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Cf. E. DELARUELLE, dans Annales du Midi, 72, 1960, p. 149 :
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Cf. no 398.
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257. DOSSAT, Y., « L'inquisition toulousaine de 1243 à 1273 », dans Revue
d'histoire de l'Eglise de France, 37, 1951, p. 188-191.
258. ALBE, E., «L'hérésie albigeoise et l'Inquisition en Quercy », dans
Revue d'histoire de l'Eglise de France, 1, 1910, p. 271-293, 412-428.
Separatim, Paris, 1910, 52 p.
259. EMERY, R. W., « Heresy and Inquisition in Narbonne (Studies in
History, Economies and Public Law, 480), New York, 1941, 184 p.
260. SABARTHÉS, A . , « Un épisode de l'albigéisme à Limoux », dans Bulletin
philologique et historique, 1932-1933, p. 193-200.
261. WILMART, A., « Une lettre sur les cathares du Nivernais (1221) »,
dans Revue bénédictine, 47, 1935, p. 72-74.

28
430 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

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séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Paris, 1956,
p. 147-150.
263. VIDAL, J.-M., « Les derniers ministres de L'albigéisme en Languedoc.
Leurs doctrines », dans Revue des questions historiques, N. S., 35,
1906, p. 57-107.
264. VIDAL, J.-M., « Doctrine et morale des derniers ministres albigeois »,
dans Revue des questions historiques, N. S., 41, 1909, p. 357-409 ;
N. S., 42, 1909, p. 5-48.
265. DAVIS, G . W . , The Inquisition at Albi 1 2 9 9 - 1 3 0 0 . Text of Register
and Analysis (Studies in History, Economics and Public Law,
538), New York, 1948, 322 p.
266. WERNER, E., « Die Stellung der Katharer zur Frau, dans Studi medie-
vali, série 3, 2, 1961, p. 295-301.
Cf. n° 40.
267. W E R N E R , E., « Die Entstehung der Kabbala und die südfranzösischen
Katharer », dans Forschungen und Fortschritte, 37, 1963, p. 86-89.
268. THOMPSON, J. W., « Catharist Social Ideas in Medieval French Ro-
mance », dans The Romanic Review, 27, 1936, p. 99-104.
269. ZORZI, D . , Valori religiosi nella letteratura provenzale. La spiritua-
lità trinitaria (Pubblicazioni dell' Università cattolica del Sacro
Cuore, N. S., 44), Milan, 1954, X-379 p.
C. R . : E. D E L A R U E L L E , dans Annales du Midi, 67, 1955, p. 167-
169.
270. ANITCHKOF, E., « Le saint Graal et les aspirations religieuses du 12 e siè-
cle », dans Romania, 58, 1932, p. 274-286.
271. RAHN, O., Kreuzzug gegen den Gral, Fribourg-en-Brisgau, 1933, 335 p.
Trad, française : La croisade contre le Graal, Paris, 1933, 286 p.
272. BREILLAT, P., « Le Graal et les Albigeois », dans Revue du Tarn, nouv.
sér. 10 (1944) 458-470 et 11 (1945) 99-109.
273. JULIEN, L., « Les centres manichéens du Graal en Occitanie et en Es-
pagne, dans Cahiers d'études cathares, 6,' 1955, 67-75
274. ROCHÉ, D., Le catharisme. Son développement dans le Midi de la France
et la croisade contre les Albigeois, Carcassonne, 1937, 39 p. ; 2 e éd.,
Toulouse, 1947, 201 p.
275. NELLI, R., édit., Spiritualité de l'hérésie. Le catharisme (Nouvelle
recherche), Paris, 1953, 235 p.
276. ROCHÉ, D., Etudes manichéennes et cathares, 1, Arques-Paris-Toulouse,
1952, 286 p.
277. NELLI, R., « Du catharisme à l'amour provençal (d'après M. Briffault) »,
dans Revue de synthèse, 64, 1948, p. 31-38.
BIBLIOGRAPHIE DES ÉTUDES RÉCENTES 431

278. NELLI, R., « Les troubadours et le catharisme », dans Cahiers d'études


cathares, 1, 1949, p. 18-22.
279. NELLI, R., « Les deux tentations chez les cathares du 13 E siècle »,
dans Cahiers d'études cathares, 1, 4, 1949, p. 7-12.
280. NELLI, R., « La continence cathare. Mystique et continence », dans
Travaux scientifiques du VIIe Congrès international d'Avon, Bruges,
1952, p. 139-151.
281. NELLI, R., Ecritures cathares. La cène secrète. Le livre des deux prin-
cipes. Le rituel latin. Le rituel occitan, Paris, 1959, 256 p.
282. REINACH, S., « Les survivances européennes du catharisme », dans
Compte rendu du V e Congrès international des sciences historiques,
Bruxelles, 1923, p. 188-189.

V I . — Les vaudois

283. ARMAND-HUGON, A. et GÖNNET, G., Bibliografia valdese (Bollettino


della Società di studi valdesi, 93), Torre Pellice, 1953, 275 p.
284. GÖNNET, G., Enchiridion fontium Valdensium. Recueil critique des
sources concernant les vaudois au Moyen Age. Du IIIe concile
de Latran au synode de Chanforan (1179-1532) (Collana della
Facoltà valdese di teologia Roma, t. I). Torre Pellice, 1958,
188 p.
285. GÖNNET, G., « Sulle fonti del valdismo medioevale », dans Protestante-
simo, 1, 1957, p. 17-32.
286. BÖHMER, H., « Waldenser », dans Realencgklopädie für protestantische
Theologie und Kirche, 3 e éd., 20, 1908, p. 799-840.
287. PREGER, W., « Beiträge zur Geschichte der Waldesier im Mittelalter »,
dans Abhandlungen der historischen Classe der Königl. Bayerischen
Akademie der Wissenschaften, 13, 1, 1875, p. 179-250.
288. COMBA, E., Storia dei Valdesi, Florence, 1893, VII-427 p.
Trad. française : Histoire des vaudois, I : De Valdo à la Réforme,
Paris-Florence, 1901.
289. COMBA, E., Storia dei Valdesi, Torre Pellice, 1923, 291 p . ; 4 e éd.,
1950, 379 p.
290. GAY, T., Histoire des vaudois. Refaite d'après les plus récentes recherches,
Florence, 1912, 413 p.
291. GAY, T., « Esquisse d'histoire vaudoise », dans Bulletin de la Société
d'histoire vaudoise, 24, 1907, p. 10-53.
292. CAUZONS, T. DE, Les vaudois et VInquisition (Sciences et religions,
471-472), Paris, 1908, 125 p.
293. BUONAIUTI, E., « Valdo e i Valdesi », dans Religio, 12, 1936, p. 148-149.
294. WÄCHTERS, H. J . J . , Petrus Waldes en de Waldenzen (Kerkelijke
geschiedenes, 580), Nimègue, 1939, 20 p.
432 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

295. GÖNNET, G., Il valdismo medioevale. Prolegomeni, Torre Pellice,


1942, 134 p.
296. GÖNNET, G., « Il movimento valdese in Europa secondo le più recenti
ricerche (secoli XII-XVI) », dans Bollettino della Società di studi
valdesi, 75, 1956, p. 21-30.
297. GÖNNET, G., « Delle varie tappe e correnti della protesta valdese
in Europa da Lione a Chanforan. Problemi vecchi e nuovi », dans
Bollettino della Società di studi valdesi, 76, 1957, p. 25-27.
298. WOLTER, H., « Aufbruch und Tragik der apostolischen Laienbewe-
gung im Mittelalter. Die Anfänge der Waldenserbewegung im
Urteil der Quellen », dans Geist und Leben, 30, 1957, p. 357-369.
299. MARTHALER, B., « Forerunners of the Franciscans : the Waldenses »,
dans Franciscan Studies, 18, 1958, p. 133-142.
300. MARTINI, M., Pierre Valdo, le pauvre de Lyon. L'épopée vaudoise, Ge-
nève, 1961, 172 p.
301. VEDDER, H. C., Origin and Early Teaching of the Waldenses, Accor-
ding to Roman Catholic Writers of the X l I I t h Century », dans
American Journal of Theology, 4, 1900, p. 465-489.
302. POUZET, P., « Les origines lyonnaises de la secte des vaudois », dans
Revue d'histoire de l'Eglise de France, 22, 1936, p. 5-37.
303. D O N D A I N E , A., « Aux origines du valdéisme. Une profession de foi
de Valdès », dans Archivum Fratrum Prsedicatorum, 16, 1946,
p. 191-235.
304. MOLNAR, A., « Deux homélies de Pierre Valdès 1 » dans Communio
viatorum, 4, 1961, p. 51-58.
305. HAUPT, H., « Waldensia », dans Zeitschrift für Kirchengeschichte, 10,
1889, p. 311-329.
306. GÖNNET, G., « Waldensia », dans Revue d'histoire et de philosophie
religieuses, 33, 1953, p. 202-254.
307. M Ö H R , W., « Waldes und das frühe Waldensertum ». dans Zeitschrift
für Religions- und Geistesgeschichte, 9, 1957, p. 337-363.
« Neue Quellen und Forschungen über die Anfänge der
308. K O C H , G.,
Waldenser », dans Forschungen und Fortschritte, 32, 1958, p. 141-
149.
309. GÖNNET, G., « Nature et limites de l'épiscopat vaudois au Moyen Age »,
dans Communio viatorum, 2, 1959, p. 311-323.
310. SOGGIN, J. A., « Il matrimonio presso i Valdesi prima della Riforma
(1170-1532) », dans II diritto ecclesiastico, 64, 1953, p. 31-95.
311. K O C H , G., « Waldensertum und Frauenfrage im Mittelalter », dans
Forschungen und Fortschritte, 36, 1962, p. 22-26.
Cf. n° 40.
BIBLIOGRAPHIE DES ÉTUDES RÉCENTES 433

312. THOUZELLIER, C., « Controverses vaudoises-cathares à la fin du 1 2 E siè-


cle. (D'après le livre II du Liber antiheresis, ms. Madrid 1114 et
les sections correspondantes du ms. BN lat. 13446), » dans Ar-
chives d'histoire doctrinale el littéraire du Moyen Age, 35, 1960,
p. 137-227.
Cf. n° 224-226.
313. DONDAINE, A., « Durand de Huesca controversiste », dans Relazioni
del X Congresso internazionale di scienze storiche Roma 4-11 sett.
1955, t. VII : Riassunti delle comunicazioni, Florence 1955, p. 218-
222.

314. DONDAINE, A., « Durand de Huesca et la polémique anti-cathare »,


dans Archivum Fratrum Prmdicatorum, 29, 1959, p. 228-276
315. THOUZELLIER, C . , « La profession trinitaire du vaudois Durand de
Huesca », dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, 27,
1960, p. 267-289.
316. THOUZELLIER, C., « Le Liber antiheresis de Durand de Huesca et le
Contra hereticos d'Ermengaud de Béziers », dans Revue d'histoire
ecclésiastique, 55, 1960, p. 130-141.
317. ZANONI, L., « Valdesi a Milano nel secolo X I I I », dans Archivio storico
lombardo, série 4, 17, 1912, p. 5-22.
318. KAEPPELI, T., « Un processo contro i Valdesi di Piemonte (Giaveno,
Coazze, Valgioie) nel 1355 », dans Rivista di storia della chiesa in
Italia, 1, 1947, p. 285-291.
319. MOLNAR, A., « Luc de Prague et les vaudois d'Italie », dans Bollettino
della Società di studi valdesi, 70, 1949, p. 40-64.
320. FALK, F.,« Waldensertum in Mainz zu Ende des 14. Jahrhunderts »,
dans Der Katholik, 83, 2, 1903, p. 263-265.
321. HÄUFT, H., « Waldenserthum und Inquisition im südöstlichen Deut-
schland bis zur Mitte des 14. Jahrhunderts », dans Deutsche Zeit-
schrift für Geschichtswissenschaft, 1, 1889, p. 285-330; 3, 1890,
p. 337-411.
322. FINKE, H., « Waldenserprocess in Regensburg 1 3 9 5 », dans Deutsche
Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, 4, 1890, p. 345-346.
323. BÜRCKSTÜMMER, C., « Waldenser in Dinkelsbühl », dans Beiträge zur
bayerischen Kirchengeschichte, 19, 1913, p. 272-275.
324. WEIGEL, H., « Ein Waldenserverhör in Rothenburg im Jahre 1394 »,
dans Beiträge zur bayerischen Kirchengeschichte, 23, 1917, p. 80-86.
325. MÜLLER, J . T., « Ueber eine Inquisition gegen die Waldenser in der
Gegend von Altenburg und Zwickau », dans Zeitschrift für Brüderge-
schichte, 2, Herrnhut, 1908, p. 75-88.
326. Ueber die Inquisition gegen die Waldenser in Pom-
WATTENBACH, W . ,
mern und der Mark Brandenburg (Abhandlungen der Königl.
434 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Akademie der Wissenschaften zu Berlin aus dem Jahre 1886.


Phil.-hist. Classe, 4), Berlin, 1887, 102 p.
Cf. n° 498.
327. GÖNNET, G . , « I Valdesi d'Austria nella seconda metà del secolo
XIV », dans Bollettino della Società di studi valdesi, 111, 1962,
p. 5-41.
328. WERNER, E., « Ideologische Aspekte des deutsch-österreichischen
Waldensertums im 14. Jahrhundert », dans Studi medievali,
série 3, 4, 1963, p. 217-237.
329. DOMCCKA, L., ValdenHi v jihovychodnich Cechach, Tabor, 1921, 12 p.
[Les vaudois dans le Sud-Est de la Bohême.]
V V / V / V
330. N E U M A N N , A., Nové doklady k dejinam valdenskych v Cechach (Casopis
katolického duchovenstva, 66), 1925, 674-681. [Nouveaux docu-
ments pour l'histoire des vaudois en Bohême.]
331. CHALOUPECKY, V., » K dejinâm valdenskych v Cechâchpredhnutim
husitskym », dans Cesky ^casopis historicky, 31, 1926, p. 369-382.
[« Pour l'histoire des vaudois en Bohême avant le mouvement
hussite ».]
/ / v •
332. T R U H L A R , J., « Inkvisice valdenskych v Trnave r. 1 4 0 0 », dans Cesky
casopis historicky, 1903, p. 196-198. [« L'Inquisition contre les
vaudois à Trnave en 1400 ».]
333. JALLA, J . ,Histoire des vaudois des Alpes et de leurs colonies, 3 e éd.,
Pignerol, 1926, 248 p.
334. TRON, E . , « L'epoca della composizione della Noble Leicon », dans
Bulletin de la Société d'histoire vaudoise, 21, 1904, p. 33-38.
335. DE S T E F A N O , A . , La noble leçon des vaudois du Piémont, éd. critique,
thèse lettres, Université de Genève, Paris, 1909, LXXXII-55 p.
336. ESPOSITO, M., « Sur quelques manuscrits de l'ancienne littérature
religieuse des vaudois du Piémont », dans Revue d'histoire ecclé-
siastique, 46, 1951, p. 127-159.
337. ESPOSITO, M., « On Some Waldensian Manuscripts Preserved in the
Library of Trinity College, Dublin », dans Journal of Theological
Studies, 18, 1916-1917, p. 182-184.
338. CARRIÈRES, M., « Sur la langue de la Bible de Valdo », dans Bollettino
della Società di studi valdesi, 66, 1946, p. 28-34.
339. MCCUIXOCH, F., « The Waldensian Bestiary and the Libellus de natura
animalium », dans Medievalia et Humanistica, 15, 1963, p. 15-30.

VII. — Les umiliati

340. TIRABOSCHI, H., Velerà Humiliatorum monumenta, Milan, 1766-


1768, t. I, 431 p. ; t. II, 414 p. ; t. III, 375 p.
BIBLIOGRAPHIE DES ÉTUDES RÉCENTES 435

341. PIERRON, J . B . , Die Katholischen Armen. Ein Beitrag zur Entste-


hungsgeschichte der Bettelorden mit Berücksichtigung der Humi-
liaten und der wiedervereinigten Lombarden, dissertation théolo-
gique Fribourg (Suisse), Fribourg-en-Brisgau, 1911, XVI-182 p.
342. ZANONI, L . , Gli Umiliati nei loro rapporti con l'eresia, l'industria
della lana ed i comuni nei secoli XII e XIII (Bibliotheca histo-
rica Italica, série 2, 2), Milan, 1911, XVI-381 p.
343. D E STEFANO, A . , « Le origini dell'Ordine degli Umiliati », dans Rivista
storico-critica delle scienze teologiche, 2, 1906, p. 851-871 ; complé-
ment : « Delle origini e della natura del primitivo movimento
degli Umiliati », dans Archivum Romanicum, 11, 1927, p. 31-75.
Réimpression : « Le origini degli Umiliati », dans Riformatori
ed eretici del Medio Evo [cf. n° 20], p. 127-208.
344. MERCATI, G., « Due ricerche per la storia degli Umiliati », dans Rivi-
sta di storia della chiesa in Italia, 11, 1957, p. 167-194.
345. GUERRINI, P., « Gli Umiliati a Brescia », dans Miscellanea Pio Paschini,
I : Lateranum, N.S., 14, Rome, 1948, p. 187-214.
346. GIUNTA, F., « Gli Umiliati di Cremona », dans Bollettino storico cremonese,
16, 1948-1949, p. 201-224.

Vili. — L'Inquisition

347. VEKENÉ, E . V A N D E R , Bibliographie der Inquisition. Ein Versuch,


Hildesheim, 1963, VIII-323 p.
Cf. E . V A N D E R V E K E N É , Versuch einer Bibliographie der Inqui-
sition, Luxembourg, 1959, 28 p.
348. LEA, H. C., A History of the Inquisition of the Middle Ages, Londres,
1888, t. I, XIV-583 p. ; t. II, X-587 p. ; t. III, IX-736 p. ; réim-
pression, New York, 1955, 1956 et 1958.
Trad. française : S. R E I N A C H , Histoire de VInquisition au Moyen
Age. Précédé de l'historiographie de l'Inquisition par P. Frédéricq,
Paris, 1 9 0 0 - 1 9 0 2 , 3 vol. Trad. allemande : H . W I E C K et M . R A C H E L ,
publié par J . H A N S E N , Geschichte der Inquisition im Mittelalter,
Bonn, 1 9 0 5 - 1 9 1 3 , 3 vol.
C . R. : J . D A L B E R G - A C T O N , dans The English Historical Review,
3, 1888, p. 773-788 ; J. B L Ö T Z E R , dans Historisches Jahrbuch,
11, 1890, p. 302-323.
Cf. P . M . B A U M G A R T E N , Die Werke von Henry Charles Lea
und verwandte Bücher, Münster, 1 9 0 8 ; W . M. A R M S T R O N G , C Henry
C. Lea, Scientific Historian », dans The Pennsylvania Magazine
of History and Biography, 8 0 , 1 9 5 6 , p. 4 6 5 - 4 7 7 .
349. HANSEN, J., Zauberwahn, Inquisition und Hexenprozess im Mittel-
alter und die Entstehung der grossen Hexenverfolgung (Historische
Bibliothek), Munich-Leipzig, 1900, XV-538 p.
436 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

350. CAUZONS, T . DE, Histoire de V Inquisition en France (Nouvelle biblio-


thèque historique), Paris, 1909-1912 ; t. I : Les origines de l'Inqui-
sition, 2 e éd., L V - 4 9 9 p. ; t. I I : La procédure inquisitoriale, XLIV-
421 p.
351. VACANDARD, E., L'Inquisition. Etude historique et critique sur le
pouvoir coercitif de l'Eglise, 5 e éd., Paris, 1907, X I X - 3 4 0 p.
Trad, anglaise : B. L. CONWAY, The Inquisition. A Critical
and Historical Study of the Coercive Power of the Church, Londres,
1908, X I V - 2 8 4 p.
352. GORHAM, T., The Medieval Inquisition. A Study in Religious Perse-
cution, Londres, 1918, 120 p.
353. MAYCOCK, A . L., The Inquisition, Londres, 1926, X X I I - 2 7 6 p.
354. COULTON, G. G., The Inquisition, Londres, 1929, 128 p.
355. VERRILL, A . H . , The Inquisition, Londres, 1938, V I I I - 3 5 2 p.
Trad, française : L'Inquisition (Bibliothèque historique), Paris,
1932, 261 p.
356. GUIHAUD, J., Histoire de l'Inquisition au Moyen Age, Paris, 1935-
1938 ; t. I : Origines de l'Inquisition dans le Midi de la France.
Cathares et vaudois, X L V I I I - 4 2 8 p. ; t. I I , L'Inquisition au 13 e siè-
cle en France, en Espagne et en Italie, V I I I - 6 0 0 p.
G. R . : A . GEORGE, dans Vie intellectuelle, 41, 1936, p. 123-127 ;
L . DE LACGER dans Revue d'histoire ecclésiastique, 32, 1936,
p. 151-154 ; E . G. LÉONARD, dans Bibliothèque de l'école des Chartes,
97, 1936, p. 142-149.
357. ILARINO DA MILANO, « P e r una storia della Inquisizione medioevale »,
dans La scuola cattolica, 67, 1939, p. 589-596.
358. MAISONNEUVE, H . , Etudes sur les origines de VInquisition thèse
Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris, 1942, X V - 2 3 5 p.
Cf. 2 e éd. revue et augmentée : L'Eglise et l'Etat au Moyen Age,
7, Paris, 1960, 386 p.
359. FICKER, J., « Die gesetzliche Einführung der Todesstrafe f ü r Ketzerei »,
dans Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsfor-
schung, 1, 1880, p. 177-226.
360. HAVET, L . , « L'hérésie et le bras séculier au M o y e n A g e jusqu'au
13 e siècle ».dans Bibliothèque de l'école des Chartes, 41,1880, p. 488-
517, 570-607, 670.
T i r é à part, Paris, 1881, 67 p. ; également dans J. HAVET,
Œuvres, t. I I : Opuscules divers, Paris, 1896, p. 117-181.
361. FLADE, P., « Deutsches Inquisitionsverfahren um 1400 », dans Zeit-
schrift für Kirchengeschichte, 22, 1901, p. 232-253.

362. FLADE, P., Das römische Inquisitionsverfahren in Deutschland bis


zu den Hexenprozessen (Studien zur Geschichte der Theologie
und der Kirche, 9, 1), Leipzig, 1902, X-122 p.
BIBLIOGRAPHIE DES ÉTUDES RÉCENTES 437

363. BRAUN, P., « Die Bekämpfung der Ketzerei in Deutschland durch die
Päpste bis zum Laterankonzil von 1215 », dans Archiv für Kulturge-
schichte, 9, 1911, p. 475-481.
364. JORDAN, E., « La responsabilité de l'Eglise dans la répression de
l'hérésie au Moyen Age », dans Annales de philosophie chrétienne,
154, 1907, p. 225-260, 502-524.
365. CHOUPIN, L., « L'Inquisition. La responsabilité de l'Eglise dans
la répression de l'hérésie au Moyen Age », dans Nouvelle revue théo-
logique, 41, 1909, p. 385-399, 449-466 ; 42, 1910, p. 532-557.
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thèque de la faculté de philosophie et lettres de l'université de
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Guillaume de Tudèle, 1931, X X X V - 3 0 4 p. ; t. I I - I I I : Le poème
de l'auteur anonyme, 1957-1961, X X X I I - 3 2 5 p. et 428 p.
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p. 272-319; 17, 1943, p. 90-146; 19, 1945, p. 281-341 (édition
partielle).
Cf. I. VON DÖLLINGER, Beiträge zur Sektengeschichte des Mittel-
alters, t. I I : Dokumente vornehmlich zur Geschichte der Valdesier
und Katharer, Munich, 1890, p. 52-84.
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Bonacursus secondo il Cod. Ottob. L a t . 136 della Biblioteca
Vaticana », dans Mvum, 12, 1938, p. 281-333.
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tano inter catholicum et paterinum hereticum », dans JEvum, 14,
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Cf. V. BAZZOCCHI, L'eresia catara, appendice [cf. n° 194].
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440 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

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Prœdicatorum, 23, 1953, p. 66-162.
401. DONDAINE, A., édit., Summa fratris Raynerii de ordine fratrum prsedi-
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traité néo-manichéen du 13e siècle, Rome, 1939, p. 64-78.
[cf. n° 223.]
Edité par D. K N I E W A L D , dans Rad Jugoslavenske Akademije
znanosti i umjetnosti, 270, 1949, p. 181-239 [cf. n° 174],
4 0 2 . UNTERKIRCHER, F . , « Pseudo-Rainer und Passauer Anonymus », dans
Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung,
63, 1955, p. 41-46.
403. PREGER, W., « Der Tractat des David von Augsburg über die Walde-
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der Königl. Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 14, 1879,
p. 181-235.
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105, 180-183.

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Ketzer », dans Sitzungsberichte der Kaiserl. Akademie der Wissen-
schaften. Phil.-hist. Klasse, 147, 5, année 1903, Vienne, 1904,
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405. WIEGAND, F., « Eine Kreuzpredigt Bertholds gegen die Ketzer »,
dans Geschichtliche Studien, Albert Hauck zum 70. Geburtstage,
Leipzig, 1916, 177-182.
4 0 6 . MOLLAT, G., et D R I O U X , G., édit., Bernard Gui, Manuel de l'inquisiteur.
Ed. et trad. (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Age,
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Cf. C. D O U A I S , édit., Practica inquisitionis heretice pravitatis,
auctore Bernardo Guidonis O.F.P., Paris, 1886, XII-371 p.
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Ludwigs des Bayern (1327-1354) (Bibliothek des Königl. Preussisc-
hen Historischen Instituts in Rom, 9-10), II : Analysen und
Texte, Rome, 1914, p. 491-514 : « Alvarus Pelagius, Tractatus qui
nominatur collirium Alvari adversus hereses novas ».
Cf. ibid., I, 1911, p. 198-202.
408. ÖLIGER, L., « Summula inquisitionis auctore fr. Angelo de Assisio
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Zur Bibliographie des Directorium
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dication de Peregrin de Opole et son rapport aux Sermons de
Gniezno ».]

X. — Les hérésies philosophiques du 13E siècle

415. BAEUMKER, C., édit., Contra Amaurianos. Ein anonymer, wahrschein-


lich dem Garnerius von Rochefort zugehöriger Traktat gegen die
Amalrikaner aus dem Anfang des XIII. Jahrhunderts. Nach der
Handschrift in Troyes neu herausgegeben (Beiträge zur Geschichte
der Philosophie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen,
24, 5-6), Münster-en-W., 1926, LVIII-51 p.
Cf. C. B A E U M K E R , « Ein Traktat gegen die Amalricianer aus
dem Anfang des XIII. Jahrhunderts », dans Jahrbuch für Philo-
sophie und spekulative Theologie, 7, 1893, p. 346-412.
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1950-1951, p. 325-336.
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1932, 118 p.
418. DAL PRA, M., Amalrico di Bena, Milan, 1951, 89 p.
419. THÉRY, G., Autour du décret de 1 2 1 0 , I : David de Dinani. Etude sur
son panthéisme matérialiste ; II : Alexandre d'Aphrodise. Aperçu
sur l'influence de sa noétique (Bibliothèque thomiste, 6-7), Kain,
1925-1926, 160 p. et 119 p.
420. VAUX, R. D E , A Sur un texte retrouvé de David de Dinant », dans
Revue des sciences philosophiques et théologiques, 22, 1933, p. 243-
245.
442 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

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Dinant », dans Revue néo-scolastique de philosophie, 35, 1933,
p. 220-229.

422. ARNOU R . « Quelques idées néoplatoniciennes de David de Dinant


(•)• ca. 1200) », dans Philosophia perennis. Festgabe Joseph Geyser
zum 60. Geburtstag, Ratisbonne, 1930, t. I, p. 113-127.

423. DAL PRA, M., Scoto Eriugena ed il neoplatonismo medievale (Storia


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424. GRABMANN, M., I papi del Duecento e /'Aristotelismo, I : I divieti eccle-


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nea historise pontificia, 5 = n° 7), Rome 1941, V I I I - 1 3 3 p.

425. MANDONNET, P., Siger de Brabant et l'averroïsme latin au 13E siècle


(Les philosophes belges, 6-7), 2 e éd., Louvain, 1908-1911 ; I :
Etude critique, 1911, XVI-328 p. I I : Textes inédits, 1908, X X X -
194 p.

426. STEENBERGHEN, F. VAN, Siger de Brabant d'après ses œuvres inédites


(Les philosophes belges, 12-13), Louvain, 1931-1942 ; I : Les œuvres
inédites, VIII-356 p. I I : Siger dans l'histoire de l'aristotélisme,
V I I I - p. 357-759.

427. STEENBERGHEN, F. VAN, Les œuvres et la doctrine de Siger de Brabant


(Académie royale de Belgique. Classe des lettres..., mémoires,
coll. in-8°, 39, 3), Bruxelles, 1938, 195 p.

428. MAURER, A . A., « The State of Historical Research in Siger of Bra-


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429. GRABMANN, M., « Siger von Brabant und Dante », dans Deutsches
Dante-Jahrbuch, 21, 1939, p. 109-130.

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NOMS DES AUTEURS*

A Beuzart (Paul), 674.


Beyssier (J.), 393, 394.
Abel (Armand)..., 696. Bianchi (Ugo), 111,112.
Aegerter (Emmanuel), 15. Birch-Hirschfeld s. Triller.
Albe (Edouard), 258. Birkenmajer (Alexandre), 421.
Allier (Raoul), 500. Biscaro (Gerolamo), 461, 642, 646, 654"
Alphandéry (Paul), 43, 44, 44a, 45, 102, Blötzer (Joseph), 348.
190, 430. Bloomfield (Morton W.), 434, 441.
Alverny (Marie-Thérèse d'), 416. Bludau (Augustinus), 631.
Amann (Emile), 605. Bock (Friedrich), 521, 522, 523, 524.
Anagnine (Eugenio), 730. Bodor (Andràs), 151.
Anatasios (I. E.), 120. Böhlig (Alexander), 113.
Angelov (Dimitri) (Dimiter), 158, 159, Böhmer (Heinrich), 286.
167, 188, 703, 704. Boffito (Giuseppe), 640.
Anickov (Anitchkol) (Eugène), 143, 270. Bonafede (Giulio), 431.
Armand-Hugon (Auguste), 283. Bondatti (Guido), O.F.M., 440.
Armstrong (William M.), 348. Bondioli (Pio), 216.
Arnou (Renatus), 422. Bonenfant (Paul), 210.
Asen (Johannes), 507 a. Borst (Arno), 104, 203, 204, 214, 383,
Aston (Margaret Evelyn), 548, 740. 685.
B Bortnik (N. A.), 94, 638.
Bossert (Gustaf), 513.
Backvis (C.), 701. Brandt (Miroslav;, 137, 568, 569, 570.
Baeumker (Clemens), 415. Braun (Paul), 363, 680.
Balotä (A.), 708. Breillat (Pierre), 245, 272.
Bartikjan (R. M.),123. Broeckx (Edmond), 193.
Bartol (Franti 5ek Michâlek), 567, 573, Brosch (Joseph), 1.
574, 575, 581, 582, 598, 607, 612, 614, Brown (Sidney MacGillvary), 63.
615, 623, 628, 748, 751. Bru (Charles Pierre), 234.
Baumgarten (Paul Maria), 348. Brunner (Gottfried), 678.
Bazzocchi (Dino), 194, 398. Bürsckstümmer (Christian), 323.
Becker (Marvin B.), 656. Buonaiuti (Ernesto), 293.
Belloc (Hilaire), 7. Bussel (Frederick W.), 12.
Belperron (Pierre), 244.
Benrath (Gustav Adolf), 737. O
Benz (Ernst), 442, 443, 444. Cantimori (Delio), 51.
Bergamaschi (Domenico), 644. Capelle (G. C.), 417.
Berlière (Ursmer, O.S.B.), 527. Capitani (Ovidio), 70.
Bernard (Paul P.), 604, 677. Carrières (Marcel), 338.
Berne-Lagarde (Pierre de) 229. Cauzons (Thomas de), 233, 292, 350.
Bernini (Ferdinando), 460. Cazeau-Varagnac (Monique), 199.
Betts (Reginald Robert), 26, 586, 599, Cegna (Romolo), 722.
600, 601, 602. Chaloupecky' (Vyclay), 331.
* Les numéros indiqués sont ceux de la bibliographie, p. 411-467.
31
470 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Chénon (Emile), 673. Duchesne-Guillemin (Jacques), 112.


Chenue (Marie-Dominique) O.P. 2. Dufourcq (Albert), 114.
Choupin (Lüden), 365. Dujcev (Ivan), 702, 705.
Circovic (Sima M.), 709. Dupré Theseider (Eugenio), 25, 467, 652.
Ciasen (Claus-Peter), 691. Duvernoy (Jean), 719, 727.
Cognasso (Francesco). 98.
Co.hn (Norman), 30. E
Coliitz (Hermann), 49. Ebersolt (Jean), 72.
Comba (Emilio), 288, 289. Emery (Richard Wilder), 259.
Combes (André), 496. Engel-Jânosi (Friedrich), 42.
Compston (H. F. B.), 551. Erbstösser (Martin), 27, 502, 686.
Congar (Yves M. -J.), O. P., 208. Esnault (Renato), 665).
Conway (B. L), 351. Esposito (Mario), 223, 336, 337, 379,
Corbett (James A.), 383. 403, 663.
Corvi (A.), 518. Essen (Léon van der), 77.
Coulton (Georges Gordon), 354, 369, 370. Esser (Kajetan, O.F.M.), 215.
Cozens (M. L.), 5. Evans (Austin Patterson), 38.
Cristiani (Léon), 11. Evenhuis (Jakob R.), 198.
Crocco (Antonio), 436, 437, 438.
Croce (Benedetto), 4. F
Crompton (James), 561. Falk (Fraz), 320.
Cronin (H. S), 550. Farai (Edmond), 448.
Czok (Karl), 533. Féaux de Lacroix (Karl), 726.
Fedele (Pietro), 92.
D
Fichtenau (Heinrich), 204.
Dahmus (Joseph Henri), 544, 545. Ficker (Gerhard), 188.
Dalberg-Acton (John), 348. Ficker (Julius), 359.
Dal Pra (Mario), 418, 423. Fines (John), 560.
David (Paul), 222. Finke (Heinrich), 322.
Davis (Georgene Webber), 265. Flade (Paul), 361, 362.
Davis (J. F.), 742. Flam (Léopold), 3.
Deanesly (Margaret), 571, 572. Förg (Ludwig), 676.
Delaruelle, (Etienne), 26, 192, 241, 269. Folz (Robert), 204.
Delmas-Boussagol (B.), 153. Foreville (Raymonde), 556.
Delorme (Ferdinand (M), O.F.M., 648. Fornairon (E.), 717.
Delpoux (Charles), 249, 250, 251. Fredericq (Paul), 348, 675.
Demény (Lajos), 635. Frugoni (Arsenio), 66, 95, 96, 99,100, 459,
Denis (Ernest), 578. 532.
De Stefano v. Stefano. Fumi (Luigi), 643, 659.
Dickens (A. G.), 559.
Dmitrevsky (Michel), 242. Q
Döllinger (Ignaz von), 395). Gagov (Joseph M.), 145.
Doiron S. Marilyn O.S.F., 488. Gairdner (J.), 557.
Domecka (L.), 329. Gandev (Christo N.), 447.
Dondaine (Antoine), O.P., 53, 202, 209, Garsoian (N. .G), 121.
212, 223, 303, 313, 314, 380, 400, 401, Garvin (Joseph N), C.S.C., 383.
403. Gay (Teofilo), 290, 291.
Dossat (Yves), 211, 219, 237, 238, 239, George (André), 356.
255, 256, 257, 388. Girou (Jean), 248.
Douais (Célestin), 252, 389, 406. Giunta (Francesco), 346.
Douie (Decima L.), 455, 526. GluSac (Vaso), 173.
Drioux (G.), 406. Gönnet (Giovanni), 283, 284, 285, 295
Dubarle (André Marie), O.P., 47. 196, 297, 306, 309, 327, 641.
NOMS DES AUTEURS 471

Gorham (T.), 352. J


Grabman (Martin), 424, 429.
Jalla (Jean), 333.
Greenaway (Georges William), 90.
Jones (A. H. M.), 39.
Grégoire (Henri), 122,124, 125,126, 129.
Jordan (Emile), 19, 364.
Greven (Joseph), 473, 474.
Julien (Lucienne), 273.
Grisart (Maurice), 667.
Grundmann (Herbert), 16, 19, 26, 30, K
46, 48, 204, 433, 439, 445, 689.
Guarnieri (Romana), 486, 731. Kämpf (Hellmut), 409.
Guébin (Pascal), 391. Kaeppeli (Thomas), O.P., 318, 399.
Guerrini (Paolo), 345. Kalivoda (Robert), 620, 621, 622.
Guiraud (Jean), 217, 356. Kaminsky (Howard), 610, 611, 736,
748», 750, 752, 753.
H Kardos (Tibor), 636, 637.
Kern (Léon), 458.
Haan (J. C. de), 464. Kirchberger (Cläre), 485.
Hageneder (Othmar), 373. Klicman (Ladislaus), 603.
Halkin (Léon-Ernst), 669. Kniewald, (Dragutin), 174, 401, 711.
Hampe (Karl), 385. Koch (Gottfried), 40, 308, 311.
Hanrahan (T. J.), C.S.B., 546. Koch (Joseph), 451, 483.
Hansen (Joseph), 348, 349. Köhler (Hermann), 368.
Haring (Nikolaus M.), S.A.C., 71. Köpstein (Horst), 629, 630).
Haskins (Charles Homer), 670, 672. Konrad (P.), 679.
Haupt (Herman), 305, 321, 497. Koranyi (Karel), 375.
Havet (Julien), 360. Kramp (Joseph), S. J., 84.
Heimpel (Hermann), 19. Krollmann (Christian), 512.
Heisig (Karl), 694. Kulcsàr (Zsuzsànna), 684.
Heitmeyer (H.), 725. Kurze (Dietrich), 738.
Herben (Jan), 578.
Hermann (Fritz), 506. L
Herse (Wilhelm), 61.
Lacger (Louis de), 235, 356.
Heymann (Frederick G.), 613, 625.
Lacombe (Georges), 384.
Hilka (Alfons), 496a.
Laiigfors (Arthur), 671.
Hâlvacek (Ivan), 592.
Langlois (Charles-Victor), 484.
Höss (Irmgard), 747.
Laun (Justus Ferdinand), 537.
Hofimann (Georg), 525.
Lea (Henry Charles), 348.
Holinka (Rudolf), 590.
Leder (J.), 692.
Holmes (Edmond), 195.
Leclercq (Jean), O.S.B., 68, 85.
Holtzmann (Robert), 516.
Leff (Gordon), 31, 41.
Hubac (Pierre), 201.
Léger (Louis), 169.
Huck (Johannes Chrysostomus), 433.
Leiber (R.) S.J, 724.
Hübner (Arthur), 528.
Leicht (Pier Silverio), 651.
Hunt (William), 557.
Léonard (Emile G.), 356.
Hurley (Michael (S. J.), 542.
Lequenne (Fernand), 200.
Huysmans (Rud.), 60.
Lerner (Robert E.), 503.
I Lewalter (Ernst), 525.
Lignières (Marcel), 725.
Hanno da Milano O.F.M. Cap., 24,52, 76, Lindeboom (J.), 6, 205.
95,101,357,395, 396,397,398,647,650. Lizerand (Georges), 519.
Imbs (Paul), 221. Loos (Milan), 127, 128, 148, 697, 698.
Isely (Gustave), 10. Luchaire (Achille), 390.
Ivanka (Endre), 149, 150. Lützow (F.), 578.
Ivanov (Jordan), 142. Lyon (Ernest), 391.
472 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

M N
M(a)cCulloch (Florence), 339. Natalucci (Mario), 662.
M(a)cDonnell (Ernest William), 480. Nelli (René), 275, 277, 278, 279, 280, 281,
Macek (Josef), 608, 617, 617a, 618, 632, 718, 719.
749. Neumann (Augustin), O.S.A., 330, 589.
M(a)cFarlane ( Kenneth Bruce), 543, 547. Neumann (Eva Gertrud), 507.
Machovcová (Markéta), 619. Niel (Fernand), 236, 719.
Machovec (Milan), 619, 622. Nigg (Walter), 8.
Madâule (Jacques), 247. Nikoloff (Nickolas), 135.
Maier (Anneliese), 452, 732. Noiroux (Jeanne-Marie), 57.
Maillet (Henri), 366. Novotny (J.), 566.
Maisonneuve (Henri), 358. Novotny (Vàclav), 578, 588, 589, 595.
Maleczynska (Ewa), 632. Nyberg (Henrik Samuel), 107.
Mandicv(0. Dominik), O.F.M., 182, 907.
Mandonnet (Pierre), O.P., 425. O
Manselli (Raoul), 28, 75, 76, 88, 103, 115, Obolensky (Dmitri), 132, 157, 695.
206, 207, 449, 457, 469, 471, 655, 712, Odlozillk (Otakar), 564, 565.
728. Öhmann (Emil), 50.
Manteuffel (Tadeusz), 37, 688, 729. Ogle (Arthur), 558.
Mariano da Alatri, O.F.M. Cap., 649, 657, Okif (T.), 179, 710.
661, 754. Oldenbourg (Zoe, 246.
Marthaler (Berard), O.F.M. Conv., 299. Öliger (Livarius), O.F.M., 408, 453, 454,
Martin-Chabot (Eugène), 392. 658, 660.
Martini (Magda), 300. Oliver (Antonio), C.R., 372.
Martinu (Johann), 595. Opitz (Gottfried), 411.
Matrod (H.), 475. Otto (Heinrich), 525.
Matthew (F.D.), 554.
Maurer (Armand A.), C.S.B., 428. P
May (Karl Hermann), 374. Pantin (W. A.), 540.
May (William Harold), 470. Pàsztor (Edith), 450.
Maycock (Alian Lawson), 230, 353. Pataki (József), 635.
Menéndez Pelayo (Marcelino), 683. Pelster (Franz), S.J., 482.
Mens (Alcantara), O.F.M. Cap., 39, 479, Peschke (Erhard), 563, 626.
480. Pétrement (Simone), 109, 110.
Mercati (Giovanni), 344. Philippen (L. J. M.), 79, 477, 478.
Miccoli (Giovanni), 65, 69, 466. Phillips (Dayton), 507 a.
Mierlo (Joseph van), 476, 489, 490, 491, Pierrefeu (Nita de), 213.
492, 493, 494. Pierron (Johann Baptist), 341.
Miletic (Maja), 178. Pirenne (Henri), 78.
Minissi (Nullo), 140. Pirri (P.), 755.
Mohr (Walter), 80, 307. PoliSensky (Josef), 576, 743.
Molinier (Charles), 232, 378, 386, 387. Pou y Marti (José Maria), O.F.M., 472.
Mollat (Guillaume), 262, 406. Pouzet (Philippe), 302.
Molnár (Amedeo), 304, 319, 585, 593, 596, Preger (Wilhelm), 287, 403, 594.
597, 624, 627, 723, 744. Presutti (Giuseppe;, 648.
Montégut (O. de), 716. Primov (Borislav), 160,161,162,163,164,
Morghen (Raifaello), 21, 22, 26, 54, 55. 165, 166, 183, 706, 706 ».
Motte (A.-R.), O.P., 97. Puech (Henri-Charles), 106, 144, 186.
Müller (J. T.), 325.
R
MOnch (Walter), 541.
Mundroch (V.), 734. Rachel (Max), 348.
Mundy (John Hine), 254. Rahn (Otto), 271.
NOMS DES AUTEURS 473

Rajdov (Nikolaj), 141. Sidak (Jaroslav), 147, 170, 171, 172, 176,
Ramírez (Luis Carlos), 73. 177, 180, 181.
Reagan (J. C.), 86. Sidorova (Nina Alexandrovna), 666.
Reeves (Marjorie E.), 441, 446. Silvestre (Hubert), 59.
Reid (Eleanor J . B.), 555. Skaskin (Sergej Danilovic), 465.
Reinach (Salomon), 282, 348. Smalley (Beryl), 538, 735.
Rioan (Rudolf), 627. Smet (Jozef-M de), 82.
Richardson (H. G.), 377, 553. Söderberg (Hans), 115, 116.
Ries (Julien), 108. Soggin (J. A.), 310.
Riol (Jean-Laurent), 720. Solar! (Gioele), 224.
Rlstori (Giovanni Battista), 653. Solovjev (Aleksandr Vasilevic), 133, 138,
Ritter (Gerhard), 505, 509. 152, 154, 155, 156, 175, 218.
Rivoire (Pierre), 639. Sommariva (Luciano), 23.
Rizzini (Arrigo), 91. Sorgia (G.), 664.
Robson (John Adam), 535. Spätling (Luchesius), O.F.M., 456.
Roché (Déodat), 220, 274, 276, 719. Spinka (M.), 580.
Roman (G.), 520. Spitzer (Leo), 508.
Runciman (Steven), 115. Sproemberg (Heinrich), 204.
Russell (Jeffrey Burton), 35, 58, 59, 668, Stacey (J.), 733.
693. Steenberghen (Fernand van), 426, 427.
Stefano (Antonio De), 18, 20, 89, 105,
Russo (Francesco), M.S.C., 432, 435.
335, 343, 501.
Stegmüller (Friedrich), 225, 690.
S Stökl (Günther), 130.
Sabarthés (A.), 260. Struck (Wolf-Heino), 507.
Sacchetti-Sassetti (Angelo), O.F.M., 756. Strunz (Frank), 578.
Sadnik (Linda), 131. Suraci (Antonio), 93.
Sairo (C. F.), 29. Székely (György), 633, 634.
Sallay (Géza), 530.
Salvatorelli (Luigi), 26. T
Savini (Savino), 214.
Theloe (Hermann), 367.
Schaff (D. S.), 578.
Théry (Gabrief), O.P., 419, 481.
Scheidweiler (Felix), 119.
Thomov (Thomas S.), 189.
Schiff (Otto), 509.
Thompson (James Westphal), 268.
Schlauch (Margaret), 562.
Thomson (John A.F.), 739.
Schmaus (Alois), 117.
Thomson (Samuel Harrison), 591, 741.
Schmidt (Aloys), 504.
Thouzellier (Christine), 104, 226, 227,243,
Schmidt (Charles (Karl), 191, 192.
Schmidt (Martin), 536. 312, 315, 316, 383, 714.
Schönbach (Anton Emil), 404. Tiraboschi (Hieronymus), 340.
Schoenstedt (Friedrich), 19. Töpfer (Bernhard), 33, 468, 622.
Schhlz (Richard), 407, 517. Triller née. Birch-Hirschfeld (Anneliese),
681.
Schornbaum (Karl), 682.
Sedläk (Jan), 578, 606. Tron (Emile), 87, 334.
Seemann (E. F.), 510. Truhlaz (J.), 332.
Segarizzi (Arnaldo), 462, 463. Turberville (Arthur Stanley), 13, 14.
Seibt (Ferdinand), 577, 587, 745, 746. Turdeanu (Emile), 139.
Seifert (Joseph Leo), 34.
U
Serena (Augusto), 645.
Shannon (Albert Clement), O.S.A., 371, Ulanowski (Bolosaw), 499.
376. Underhill (Evelyn). 487.
Sheedy (Charles E.), 74. Unterkircher (Franz), 402.
474 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

V Wattenbach (Wilhelm), 326, 412, 498.


Waugh (W. T.), 549, 552.
Vacandard (Elphège), 351. Weigel (H.), 324.
Van der Essen s. Essen. Welter (Gustave), 9.
Vaillant (André), 144, 699«. Wenck (Karl), 515, 516.
Valvekens (J. B.), O.P., 83. Wentzlaff-Eggebert (Friedrich-Wilhelm,
Varga (Lucie), 196, 197. 529.
Vasilescu (D.), 699. Werner (Ernst), 27, 32, 56, 62, 67, 136,
Vasoli (Cesare), 382. 146, 159, 168, 178, 184, 185, 187, 204,
Vaux (R. de), O.P., 420. 266, 267, 328, 413, 502, 531, 570, 609,
Vedder (Henry C.), 301. 612, 616, 687, 700*.
Vekené (Emil van der), 347, 410. Wieck (Heinz), 348.
Venckeleer (Théo), 228. Wiegand (Friedrich), 405.
Ventura Subirats (Jordi), 757.761. "Wiersma-Verschaffelt (F.), 713.
Verrees (Libert), O.P., 381. Wild (Georg), 700.
Verrlll (Alpheus Hyatt), 355. Willems Az (Léonard), 495.
Vidal (Henri), 240. Wilmart (André), O.S.B., 261.
Vidal (J.-M.), 263, 264. Winkelmann (Eduard), 514.
Violante (Cinzio), 64. Woebcken (Carl), 511.
Vlscher (Melchior), 579. Wolff (Philippe), 253.
Völter (Daniel), 513. Wolny (J.), 414.
Volpe (Gioacchino), 17. Wolter (Hans), S.J., 298.
Vooght (Paul de), O.S.B., 539, 583, 594, Workman (Herbert Brock), 534.
622.
Voosen (E.), 81. Z

W Zajcev (V. K.), 707.


Zanonl (Luigi), 317, 342.
Wächters (H. J. J.), 294. Zorzi (Diego), 269.
"Warner (Henry James), 231. Zuhorn (Karl), 507 a.
NOMS DES HÉRÉTIQUES, DES SECTES
DES LIEUX ET DES PAYS*

A cf. Bosnie, Bulgarie, Philippopoli, Thes-


salonique.
Abélard, 97. Bégards, 475, 476, 479, 480, 497, 504.
Aeneas Silvius (Pius II), 750. Béguines, 26, 473, 474, 477-480, 499.
Alain de Lille, 382. Béguins, 469, 472.
Alexandre d'Aphrodise, 419. Belgique, 480.
Allemagne, 321, 361-363, 368, 533, 676. Benoît X I I (Jacques Fournier), 727.
686, 712. Bérenger de Tours, 70-72.
Alleu, 674. Bernard de Fontcaude, 381.
Adamites, 185, 616. Bernard Gui (Bernardus Guidonis) O.P.,
Albi, 265. 406.
Albigeois, 191, 195, 209, 229-240, 244, Berthold von Regensburg, 404, 405.
245, 247, 250, 258, 260, 263, 264, 272' Béziers, 240, 249 ; cf. Ermengaud.
274, 391, 392, 477, 715, 716. Bloemardinne, 489-493, 495.
Altenburg, 325. Bogomil, 3 4 , 1 4 6 , 1 4 7 , 165, 700, 700*.
Alvarus Pelagius, 407. Bogomiles, 131-143, 148, 149, 152-159,
Altenesch, 511. 161-163, 165-172, 175, 179, 181, 182,
Amaury, Amauriciens, 415-418. 186-188, 568, 698-708, 703.
Ancône (Marche de), 662. Bohême, 329, 330, 563, 565, 566, 588-591,
Angelo d'Assise O.F.M., 408. 601, 632, 723.
Anselme d'Alexandrie O.P., 212. Bohèmes (Frères), 626,627.
Antoine de Padoue O.F.M., 648. Bologne, 652.
Anvers, 79, 80. Bonacorso, 396.
Apostoliques, Frères Apostoliques, 456, Boniface V I I I , 516-518..
460, 464, 468 ; cf. Dolcino (fra). Bosnie, 169-182, 709-711.
Aristote, 424. Bradwardine, Thomas, 537.
Arménie, 121. Brandebourg (marche de), 678.
Arnaud de Brescia, 89-97, 100. Brescia, 345 ; cf. Arnaud de Brescia.
(Fils d'Arnaud), 98, 99. Bulgarie, 1 3 1 , 1 3 5 , 1 5 9 , 1 6 0 , 1 6 4 , 1 6 8 , 1 6 9 ,
Arnaud de Villeneuve, 471. 183, 185, 701.
Arnoldus fr. O.P., 514. Burci c. f. Salvo Burci.
Arras, 58, 674. Byzance, 118, 121, 128, 157, 158, 751.
Arriana haeresis, 207, 208, 381.
Autriche, 327, 677. O
Averrolsme, 425, 430.
Calabre. 435.
Avignon, 482.
Capelli, Jacques, O.F.M., 398.
B Capestrano, Giovanni da, O.F.M., 756.
Catalogne, 472.
Balkans, 117, 132, 138, 188. Cathares, 28, 29, 59, 116, 129, 155, 166,
* Les numéros indiqués sont ceux la bibliographie, 411-4«7.
476 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

186, 189, 191-215, 217-223, 228, 232, Fleming, Richard, évèque de Lincoln, 734.
234, 236-238, 241, 242, 248, 249, 261, Florence, 531, 653-656,754.
262, 266-268, 274-276, 278-282, 312, Fournier, Jacques (Benoit X I I ) , 727.
314, 356, 386, 387, 395, 396, 401, 655, France, 129, 350, 356, 665, 666.
667, 712-721, 759, 760. France du Nord, 667, 670, 673.
Cerdagne, 757. France du Sud, 192, 229, 265, 267, 274,
Charité-sur-Loire, 673. 388,389,713 ; cf. Languedoc, Provence.
Chelclcky, Peter, 752. Franciscains, 26, 299, 440, 443, 647, 658,
Chieri, 663. 661.
Chichele, Henri, 556. François d'Assise, 26, 215, 216.
Chiliasme, 30, 33, 608-010, 612 ; cf. Mil- Franconie, 629, 682.
lénarisme. Fraticelles, 453-455, 472.
Ciompi (Florence), 593. Frédéric II, Empereur, 375, 385.
Clareno (Angelo da), 453. Frioul, 651.
Colchester, 555.
Cologne, 483, 507 a. O
Conrad von Marburg, 374.
Constantinople, 751 ; cf. Byzance. Garnier de Rochefort, 415.
Corse, 262. Geraldus Odonis, O.F.M., 732.
Cosmas le Prêtre, 144, 145, 701. Gérard de Morée, 149-151.
Coventry, 560. Gerhoch de Reichersberg, 694.
Cremone, 346, 644 ; cf. Prévostin. Gerson, Jean, 496.
Croisade, 104 ; croisade contre les Albi- Giacomo Capelle O.F.M. 398.
geois, 237, 240, 244, 250, 274, 715. Gibelins, 523.
D Giovanni di Lugio, 224.
Gniezno (Gnesen), sermons de, 414.
Dalmatie, 569. Gnostiques, 44, 47, 109, 110, 116.
Dante, 429. 445, 652, 655. Néo-gnostiques, 197.
David de Dinant, 419-422. Goslar, 61, 680.
David von Augsburg O.F.M., 403. Gottfried von Arnsberg, 726.
Dinkelsbilhl, 323. Graal, 270-273.
Dolcino (fra), 462, 463, 465-468. Grégoire IX, 424, 676.
Dominicains, 256, 524. Grégoire, I'évêque de Fano O.P., 397.
Douai, 674. Gulielma, 461 ; cf. Guillelmites.
Dualisme, 109, 111, 112, 115, 160, 161, Guillaume de Puylaurens, 393.
695; Guillaume de Saint-Amour, 448.
cf. Manichéens, GuilMem Peire, évêque, 235.
Durand de Huesca, 226, 227, 313-316. Guillelmites, 461.

H
Ecbert de Schônau, 712.
Echard le boulanger (Reims), 672. Hadewych, 489-493.
Eckhart (Maître) O.P., 481-483. Henri de Lausanne, moine, 88.
Ermengaud de Béziers, 316. Herzégovine, 182.
Ermland, 631. Hongrie, 633-637.
Espagne, 273, 356, 683. Huguccio, 725.
Este (Procès), 522. Humbert de Silva Candida, 69.
Evangile éternel, 442. Humiliâtes, 340-346.
Exeter, 556. Hunnes, Richard, 558.
F Hus, Jean, 34, 539, 566, 575, 580, 583,
584, 597, 737, 744.
Femme (problème de la), 40, 266, 311. Hussites, 574, 576, 577, 585, 587, 626.
Flagellants, 458-460, 527-529. 743-751.
NOMS DES HÉRÉTIQUES 477

I Manichaeos (Liber contra), 225-227 ;


Marche (d'Ancóne). V. Ancóne Brande-
Innocent I I I , 372, 373, 424. bouTg, Trévise.
Inquisition, 13, 14, 333, 242, 249-251, Marguerite Porete, 484, 486.
255-259, 265, 292, 321, 325, 326, 329, Matthias Corvin, 636.
347-358, 361, 362, 365, 367, 370, 371, Matthias de Janow, 447.
378, 380, 388, 406, 408, 410-412, 521» Mayence, 320, 506, 507.
524, 592, 639, 642-644, 647, 649, 650, Messianisme, 30, 32, 687.
652, 654, 657, 658, 661, 670, 671, 673, Milan, 63-65, 317, 643.
678, 724, 727, 754-756. Millénarisme, 30, 31 ; cf. Chiliasme.
Islam, 137. Minnike, Prieur de Neuwerk, 680.
Italie, 17, 42, 129, 212-214, 319, 356, 378, Mirouer des simples âmes, 485-488 ; cf.
523, 638, 639, 661. Marguerite Porete.
Montségur, 246.
J Moravie, 722.
Jacobel, 605. Morena, Otto, 98, 99.
Jean X X I I , 521, 523, 524, 526. MOnster (Westphalie), 507a.
Jean l'Exarque, 148. Musticisme allemand 26, 539.
Jean Scot Erigène, 423. Mysticisme français, 485, 496a.
Jérôme de Prague, 602-604.
N
Joachim, abbé de Flore, 432-439,442,444.
Joachimites, 26, 44a, 440, 441, 446, 447,
Narbonne, 259.
457.
Néo-platonisme, 422, 423; cf. Platon.
K Nicolas de Dresde, 753.
Nicolas Eymerich, 410.
Kabbale, 267. Nivernais, 261.
Noble Leçon, 334, 335.
L Norbert de Xanten, O. Praem, 79.

Languedoc, 229, 239, 241, 244, 263, 714. O


Lénine, 34.
Libre Esprit (Frères et Sœurs du), 497, Ombrie, 658-660.
498, 500-503, 731-748. Oldcastle, John, 552, 553.
Voir Bégards, Béguines, Swestriones. Olivi v. Pietro di Giovami Olivi.
Lichfield, 560. Oxford, 535.
Liège, 59, 60, 668, 669.
Limoux, 260. P
Lollards, 504, 547-551, 555-559, 572-574,
738-740, 742. Paganelli, Saraceno, 655.
Lombardie, 642. Pamiers, 277.
Lorenzo da Rieti, 756. Panthéisme, 417, 419, 505.
Lotharingie, 210. Papes, Papauté, 363, 367, 376, 424;
Louvain, 675. cf. Benoit X I I , Boniface V I I I , Gré-
Lucas de Prague, 319. goire I X , Innocent I I I , Jean X X I I ,
Lullus, Raimondus, 431. Pins II.
Lyon, 189, 297, 302. Parme, 460.
Passau (Anonyme de), 402.
NI Passagiens, 102, 103.
Pataria, Patarins, 63-67, 653.
Manichéens, Manicheisme, 106, 110, 113, Pauliciens, 119-128, 166, 697, 698.
115, 143, 190, 273, 276, 277, 696. Payne, Peter, 566, 567, 741.
néo-Manichéisme, 55, 114, 117, 132, 197, Pays-Bas, 57, 479.
202, 208, 213, 223, 224; cf. Dualisme. Peregrins de Opola (Oppeln), 414.
478 HÉRÉSIES BT SOCIÉTÉS

Picards, 614, 615. Schwäbisch-Hall, 513.


Piémont, 318, 335, 336, 640, 641. Schweidnitz, 499.
Pierre de Broues (de Brusio), Petro- Scot Erigene, ci. Jean.
brusiens, 84-87. Sierme, 755.
Pierre Damien, 69. Siger de Branbant, 425-429.
Pierre Martyr, O.P. 399, 400. Silésie, 679.
Pierre de Sicile, 122. Simon de Montfort, 248.
Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, 84,85. Simonie, 68, 69, 725.
Pierre des Vaux de Cernay, 390, 391. Speroni (Ugo), 101.
V. di Pietro da l'Aquila, 754. Spirituels, 453, 469.
Pietro Giovanni Olivi, O.F.M., 449-452. Split, 570.
Pius I I (Aeneas Silvius), 750. Srijem, 568.
Philippopoli, 185. Stedinger, 510-512.
Phoundaltes, 118. Strasbourg, 483, 507a.
Platon, Platonisme, 109, 110. Swestriones, 504.
néo-Platonisme 422, 423.
Pologne, 375, 652, 632.
Poméranie, 326, 498.
Porete, cf. Marguerite.
Tabor, Taborites, 594, 598, 608, 609, 611,
Prémontrés, 83.
612, 616, 618, 620, 751.
Prévostin de Crémone, chancelier de
Tanchelm, Tanchelin, 77-82.
Paris, 383, 384.
Templiers, 29, 520.
Prous Boneta, 470.
Thessalonique, 184.
Provence, 269, 277, 469.
Thomas d'Aquin, O.P., 442, 525.
Prusse, vieille Prusse, 681.
Thomas de Canterbury, 742.
Pseudo-Rainer, 402.
Thrace, 167.
Tisserants (Texerants), 721.
Q Toscane, 657, 658.
Toulouse, 239, 251-257.
Quercy, 258. Trentin, 462.
Trévise (Marche de), 645-648.
R Trudve, 332.
Troubadours, 278.
Raimond Lui], 431. Turlupins, 508.
Rainer Sacchoni, 166, 401, 402.
Ratisbone, 322.
U
Regensburg 322; cf. Berthold.
Reims, 672.
Ubertino da Casale, 728.
Reiser, Friedrich, 630.
Utraquistes, 605-607, 625.
Ricaut, Paul, 175.
Utrecht, 78, 82.
Richard II, roi d'Angleterre, 377.
Robert le Bougre, 670, 671.
Rothenburg, 324. V
Roumanie, 635.
Roussillon, 757. Vacarius, maitre, 101.
Ruysbroeck J a n , 494, 496. Val d'Aran, 211.
Valdo (Vaides, Valdius), 293, 294, 300,
8 303, 304, 338 ; cf. Vaudois.
cf. Vaudois.
Sabina, 756. Vaudois, 28, 29, 283-312, 317-337, 356,
Saint-Félix de Caraman, 209. 381, 403, 594-598, 714, 722, 723, 761.
Salvo Burci, 395. Venise, 649, 650.
Sardaigne, 664. Visio beatifica Dei, 525, 526, 732.
NOMS DES HÉRÉTIQUES 479

W Y

Wasmud von Homburg, 504. York, 559.


Wazon de Liège, 60.
Wilhelm von Hildernissen, 495. Z
Wirsberger, 509.
Wyche, Richard, 554. Zizka Jan, 578, 613, 614.
Wyclif John, 534-546, 562-566, 733-737, Zwickau, 325.
741.
Wyclifites, 568-570.
TABLE DES MATIÈRES

N O T E LIMINAIRE 1

INTRODUCTION, par J . Le Gofí 3


PROGRAMME 7

ORTHODOXIE ET HÉRÉSIE, LE POINT DE VUE DU THÉOLOGIEN, par


M. D. Chenu 9
Discussion, par L. Goldmann, M. D. Chenu, R. Morghen, P. Francastel,
J . Le Goff, G. Le Bras, E. Poulat, R. Manselli et I. S. Revah 15
LES DÉVIATIONS RELIGIEUSES ET LE SAVOIR MÉDICAL, par
M. Foucault 19
Discussion, par J . Le Goff, G. Scholem, O. Lutaud, A. Abel, R. Mandrou,
E. Delaruelle, J . Séguy, G. Le Bras, R. Manselli et M. Foucault 26
A R T E T H É R É S I E , par P. Francastel 31
Discussion, par G. Scholem, E. Delaruelle, L. Kolakowski, D. Obo-
lensky, A. Tenenti, F. Graus, A. Abel, J . Macek et P. Francastel.. 47
L ' H É R I T A G E D E LA C H R É T I E N T É , par H . - I . Marrou 51
Discussion, par Mlle C. Thouzellier, B. Blumenkranz, M. Taubes, S. Lan-
cel, H. Ch. Puech et H.-I. Marrou 55
N A T U R E E T CAUSE D E L ' A N G O I S S E E T D U R E F U S D A N S T R O I S HÉRÉSIES
MUSULMANES : LE KHARIDJISME, L A MUCTAZILA, LE BATINISME,
par A. Abel 59
Discussion, par M. Lombard, H. Ch. Puech et A. Abel 72
A P E R Ç U S U R LA N A T U R E E T L ' H I S T O I R E D U B O G O M I L I S M E E N B U L G A R I E ,
par D. Angelov 75
L E P R O B L È M E D E LA S O U V E R A I N E T É D E L ' H O M M E DANS L E S CONCEPTIONS
D E S H É R É T I Q U E S R U S S E S A LA F I N D U 1 5 e E T AU D É B U T D U 1 6 e S I È -
CLE, par A. I. Klibanov 83
N A I S S A N C E D ' U N E H É R É S I E , par T. Manteuffel 97
Discussion, par L. Kolakowski, R. Manselli, E. Delaruelle, R. Morghen,
A. Abel, J . Le Goff, S. Stelling-Michaud, F. Graus, G. Leff, E. Pou-
lat et T. Manteuffel 101
TRADITION ET RÉSURGENCE DANS L'HÉRÉSIE MÉDIÉVALE, CONSIDÉ-
RATIONS, par Mlle C. Thouzellier 105
482 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

Discussion, par R. Morghen, D. Obolensky, E. Delaruelle, B. Geremek,


C. Violante, R. Manselli, A . Frugoni, G. Scholem et M. Taubes 117

P R O B L È M E S SUR L ' O R I G I N E D E L ' H É R É S I E A U M O Y E N Â G E , p a r R . M o r g h e n 1 2 1


Discussion, par J. Le Goff, E. Delaruelle, A. Borst, D. Obolensky,
Mlle C. Thouzellier, R. Mandrou, G. Leff, M. Taubes et R. Morghen 135

E R É M I T I S M E ET HÉRÉSIE A U MOYEN ÂGE, p a r D o m J . B e c q u e t 139

Discussion, par J. Le Goff, D. Obolensky, H. Ch. Puech et Dom J.


Becquet 144

D É V O T I O N P O P U L A I R E ET H É R É S I E AU M O Y E N Â G E , par E. Delaruelle.... 147


Discussion, par I. S. Revah, L. Kolakowski, G. Duby, J. Séguy, E. Pou-
lat et E. Delaruelle 156

M O U V E M E N T S P A R A - H É R É T I Q U E S EN E U R O P E C E N T R A L E ET ORIENTALE
D U 9 e A U 1 1 e SIÈCLE : A P O S T A S I E S , p a r A . G i e y s z t o r 159

Discussion, par D. Obolensky, F. Graus, H. Ch. Puech et A. Gieysztor 168

H É R É S I E S U R B A I N E S ET HÉRÉSIES R U R A L E S E N I T A L I E D U 1 1 E A U 1 3 E S I È -
CLE, par C. Violante 171
Discussion, par B. Geremek, C. Violante et R. Manselli 198

LES HÉRÉTIQUES DANS LA SOCIÉTÉ ITALIENNE DU 13e SIÈCLE, par


R. Manselli 199

V I L L E S ET CAMPAGNES D A N S L ' H É R É S I E C A T H A R E , par Ph. Wolff 203


Discussion, par P. Francastel, C. Violante, R. Manselli, F. Graus, Mlle
C. Thouzellier, Mlle Patzelt et Mme Francastel 205

HÉRÉSIES SAVANTES ET HÉRÉSIES POPULAIRES AU MOYEN ÂGE, par


H. Grundmann 209
Discussion, par E. Delaruelle, J. Macek, C. Violante, F. Graus, L. Kola-
kowski, J. Le Goff, G. Leff, R. Manselli, M. Taubes, B. Blumen-
kranz, A. Abel et H. Grundmann 215

H É R É S I E S A V A N T E ET H É R É S I E P O P U L A I R E D A N S L E BAS M O Y E N ÂGE,
par G. Leff 219
Discussion, par J. Séguy, E. Delaruelle, R. Manselli, Mme M. Aston,
E. Poulat, et G. Leff 226

L E M O U V E M E N T DES F L A G E L L A N T S A U 1 4 E SIÈCLE, SON CARACTÈRE E T


SES CAUSES, par G. Székely 229

Discussion, par R . Manselli, R. Morghen, E. Delaruelle, A . Frugoni,


H. Grundmann, A. Gieysztor, R. Mandrou et G. Székely 239

V I L L E S ET CAMPAGNES D A N S L E HUSSITISME, par J. Macek 243

Discussion, par M. Geremek, Mme M. Aston, H. Grundmann, R. Mandrou


et F. Graus 257
TABLE DES MATIÈRES 483

U N E SECTE H É R É T I Q U E FLORENTINE A LA FIN DU 15E SIÈCLE : L E S


« OINTS », par C. Vasoli 259

L A T R A N S M I S S I O N DE L ' H É R É S I E A U M O Y E N Â G E , par A . Borst 273


Discussion, par B. Geremek, Mlle C. Thouzellier, J. Le Goff, R . Manselli,
J. Séguy, B. Blumenkranz, H. Grundmann et R . Mandrou 278

L A T R A N S M I S S I O N DE L ' H É R É S I E A L ' É P O Q U E M O D E R N E , p a r R . M a n d r o u 281

Discussion, par J. Macek, J. Séguy, S. Stelling-Michaud et R . Mandrou. 288

R É F L E X I O N S SUR L ' H É R É S I E M O D E R N E , p a r A . D u p r o n t 291


Discussion, par L . Kolakowski, A. Dupront, M. Taubes, R . Manselli,
R . Morghen, G. Leff, J. Séguy et R . Mandrou 301

LIBERTINISME ET HÉRÉSIE DU M I L I E U D U 16 E SIÈCLE A U D É B U T DU


17 e SIÈCLE, par A . Tenenti 303
Discussion, par E. Delaruelle, H. Grundmann, S. Stelling-Michaud,
R . Mandrou, A. Abel, I. S. Revah, R . Morghen, P. Francastel et
A . Tenenti 322

L ' H É R É S I E M A R R A N E D A N S L ' E U R O P E C A T H O L I Q U E D U 1 5 E A U 1 8 E SIÈCLE,


par I. S. Revah 327
Discussion, par L. Kolakowski, M. Taubes, A. DUPRONT, C. Scholem,
B. Blumenkranz, E. Delaruelle et I. S. Revah 338

H É R É S I E E T SOCIÉTÉ A U 17 e SIÈCLE : L E CAS J A N S É N I S T E , par L. Gold-


mann 341
Discussion, par J. Orcibal, G. Le Bras et L . Goldmann 342

E N T R E R A T I O N A L I S M E ET M I L L É N A R I S M E A U COURS D E L A R É V O L U T I O N
D'ANGLETERRE, par O. L u t a u d 343
Discussion, par I. S. Revah, R . Mandrou, Mme M. Aston, J. Séguy
et O. Lutaud 367

L'HÉRÉSIE MYSTIQUE ET L'HÉRÉSIE RATIONALISTE DANS LE CALVI-


N I S M E N É E R L A N D A I S D E L A F I N D U 1 7 e SIÈCLE, p a r L . K o l a k o w s k i 371

LA MÉTAMORPHOSE D U MESSIANISME H É R É T I Q U E DES S A B B A T I E N S EN


N I H I L I S M E R E L I G I E U X A U 1 8 e SIÈCLE, p a r G . S c h o l e m 381

Discussion, par H . Ch. Puech, B. Blumenkranz, E. Delaruelle et G. Scho-


lem 394

CONCLUSION, par G. D u b y 397

B I B L I O G R A P H I E DES É T U D E S RÉCENTES ( A P R È S 1 9 0 0 ) SUR L E S HÉRÉSIES


MÉDIÉVALES, par H . Grundmann 407

Avant-propos 408
I. Généralités 411
I I . Les hérétiques en Occident au 11e siècle 415
484 HÉRÉSIES ET SOCIÉTÉS

I I I . Les hérétiques au 12e siècle avant les cathares 416


IV. Les hérésies dualistes en Europe orientale. Les bogomiles 419
V. Cathares. Albigeois 425
VI. Lesvaudois 431
V I I . Les umiliati 434
V I I I . L'Inquisition 435
I X . La littérature inquisitoriale 438
X . Les hérésies philosophiques du 13e siècle 441
X I . Joachimites, spirituels, fraticelles, béguins, bégards 442
X I I . Hérésies politiques et procès d'Inquisition au 13e et au 14e siècle 448
X I I I . Wyclif. Les Lollards 450
X I V . Huss. Les hussites 453
X V . Hérésie et Inquisition dans les différents pays : Italie, France
et Belgique, Allemagne et Autriche, Espagne 458

Supplément 461

N O M S DES AUTEURS 469

N O M S DES HÉRÉTIQUES, DES SECTES, DES L I E U X ET DES PAYS 475

Imp. F. BOISSEAU, RUE DU TAUR, 34 - T O U L O U S E (FRANCE)


Dépôt légal, 2 e trimestre 1968
N ° d'édition 44 :

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