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PARTIE I

Les infractions générales contenues dans


le Code pénal

Chapitre 1 : L’escroquerie

Chapitre 2 - L’abus de confiance

Chapitre 3 - Le recel et le blanchiment

Chapitre 4 - Les faux et usage de faux

Chapitre 5 - La corruption et le trafic d’influence

Le droit pénal des affaires faisant appel à des mécanismes propres qui rendent ce type de contentieux
parfois complexe, le législateur a confié dès 1975 la répression des infractions en matière économique
et financière à des juridictions spécialisées. La liste qui figure à l’article 704 du Code de procédure
pénale mentionne en premier lieu des délits contenus dans le Code pénal où l’on retrouve les grandes
qualifications fondamentales liées aux appropriations frauduleuses, certaines infractions de
conséquence et des atteintes à la probité. Partant de cette liste, la plupart des auteurs s’accordent à dire
que les incriminations formant la matière première du droit pénal des affaires sont l’escroquerie, l’abus
de confiance, le recel, le blanchiment, les faux et usage de faux, la corruption et le trafic d’influence. Ces
infractions générales contenues dans le Code pénal méritent donc une attention particulière.

CHAPITRE I : L’Escroquerie
L’escroquerie est l’illustration par excellence de ce que l’on appelle la délinquance d’astuce. En effet, au
lieu de soustraire la chose convoitée, l’escroc en provoque la remise après avoir induit en erreur son
propriétaire ou possesseur en utilisant des moyens frauduleux. Cette infraction qui constitue une
infraction courante dans la vie des affaires suppose une certaine organisation, un enchaînement de
stratagèmes. Elle peut parfaite- ment être commise par une entreprise.

Toute tromperie aboutissant à un enrichissement n’est pas forcément une escroquerie, d’ailleurs le
droit civil admet le « bon dol ». À travers la répression de cette incrimination et l’opprobre qui s’y
attache, l’homme d’affaires doit être conscient que toutes les audaces commerciales ne lui sont pas
permises, certaines d’entre elles pouvant être ainsi incriminées. Le Code pénal envisage à côté de
l’escroquerie des infractions voisines qui sont moins sévèrement sanctionnées.

SECTION 1 : Les éléments constitutifs de l’escroquerie

L’escroquerie est définie à l’article 313-1 du Code pénal comme « le fait, soit par l’usage d’un faux nom
ou d’une fausse qualité, soit par l’abus de qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de
tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice
d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir à
un acte opérant obligation ou décharge ».

§1 : Les éléments matériels

L’escroquerie est une infraction complexe puisque les éléments matériels renvoient à des formes
particulières de tromperies portant préjudice dont le résultat en termes de remise est également
précisé.

a) La tromperie utilisée par l’escroc

1) Procédés et méthodes d’escroquerie

En pratique, beaucoup d’escroqueries cumulent plusieurs des moyens énumérés par le Code pénal alors
que théoriquement un seul d’entre eux suffit. Ces procédés et méthodes doivent toujours être
antérieurs à la remise du bien convoité, contrairement à l’abus de confiance où la victime remet d’abord
le bien au délinquant avant que celui-ci ne le détourne.

Trois procédés et méthodes sont énumérés :

– l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité. La fausse qualité est fréquemment utilisée pour
réaliser les escroqueries d’affaires. Si le simple mensonge ne suffit pas, la jurisprudence entend de façon
large la notion de « qualité ». Il s’agira de mensonges sur la profession, les titres, les diplômes ou sur la
fonction exercée. Par exemple, le fait de se prétendre mandataire dans les escroqueries à la charité
publique, gérant minoritaire de SARL (Crim., 10 avril 1997, nº 96-82.336), banquier (CA Aix-en-Provence,
20 juin 2008), prêtre (Crim., 2 févr. 2000) ou encore « inspecteur du guide Michelin » (Crim., 26 juin
1974, nº 74-90.152). Le cumul de la qualification d’usurpation de titres avec celle d’escroquerie est
admis par la jurisprudence (Crim., 11 mars 2015, nº 14-80.107). Toutefois, le fait de faire croire que l’on
est créancier, ne constitue pas la prise d’une fausse qualité d’après la Cour de cassation (Crim., 23 févr.
2005, nº 03-87.387);

– l’abus de qualité vraie : elle figure désormais expressément dans l’énumération des procédés
alors qu’elle était autrefois retenue au titre des manœuvres frauduleuses. La notion de

« qualité » revêt ici un sens plus étroit car seules les professions qui inspirent une certaine confiance aux
yeux du public seront concernées. L’escroc va utiliser abusivement sa propre qualité pour se faire
remettre des fonds, valeurs ou des biens et il n’est pas nécessaire que le mensonge soit complété par un
élément extérieur dans le cadre de l’abus de qualité vraie. Quel- ques exemples significatifs d’abus de
qualité vraie : le directeur d’établissement de cure qui fait état de fausses factures de frais de séjour
(Crim., 21 mars 1996, nº 95-81.135), l’avocat qui persuade son client qu’il faut corrompre
l’administrateur judiciaire pour gagner son procès en droit des affaires pour se faire une somme
d’argent (Crim., 30 juin 1999, nº 98-82.009), le notaire qui fait signer un compromis de vente malgré le
fait que le propriétaire n’accepte pas de signer au prix indiqué (Crim., 11 mars 2009, nº 08-83.401) ou
encore le professeur d’université qui se fait rembourser indûment par l’Agent comptable des frais de
déplacements pour des missions qu’il n’a pas réalisées (CA Pau, 29 avril 2004);

– les manœuvres frauduleuses : en principe, elles ne peuvent résulter d’une simple omission ou
d’un simple mensonge. Ces manœuvres résultent de mises en scène, de stratagèmes, d’inter- ventions
rusées destinées à rendre crédible la duperie. Le mensonge écrit peut être constitutif des manœuvres
s’il est accompagné de documents fabriqués ou falsifiés pour réaliser l’escro- querie dans un contexte
d’affaires. Ces faits pourraient éventuellement être poursuivis en tant que faux et usage de faux. Par
exemple : fabrication de fausses factures dans le cadre des escro- queries à la TVA (Crim., 5 nov. 2014,
nº 13-82.340) ou fausses déclarations de sinistres dans le cadre des escroqueries à l’assurance. Mais en
ce qui concerne les escroqueries à l’assurance, encore faut-il que le délinquant qui simule un sinistre et
dépose mensongèrement une plainte ait effectué une déclaration auprès de sa compagnie d’assurance.
À défaut de ces démarches, il ne peut être poursuivi ni pour escroquerie, ni pour tentative d’escroquerie
(Crim., 17 déc. 2008, nº 08-82.085).

Le mensonge appuyé par un tiers appelé « tiers certificateur » est également constitutif des manœuvres
frauduleuses, lequel est d’ailleurs parfois purement fictif. Lorsqu’il existe, ce tiers peut parfaitement être
de bonne foi et par conséquent ne sera pas poursuivi en tant que complice de l’escroquerie (Crim., 20
mai 2009, nº 08-87.280 : patients de bonne foi ayant signé des feuilles de soins faisant état de
prestations médicales fictives). Récemment, la Cour de cassation a appliqué la qualification
d’escroquerie au jeu du « bonneteau » sur la voie publique (Crim., 25 mars 2015, nº 14-83.766 : censure
des juges du fond qui avait requalifié les faits en tenue de jeux de hasard non autorisés).

2) La croyance générée dans l’esprit de la victime


Tous ces procédés doivent être utilisés pour générer une croyance dans l’esprit de la victime. Ils sont
destinés à « tromper une personne physique ou morale » et la déterminer ainsi à effectuer la remise à
l’escroc. L’ancien Code pénal était plus explicite sur le caractère trompeur des procédés et moyens
utilisés puisqu’il énumérait les buts que devaient poursuivre le délinquant : persuader la victime de
l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire ou de la survenance d’un
événement chimérique. Désormais, il revient à la jurisprudence d’apprécier les buts de la tromperie.

b) Le résultat de la tromperie : la remise

La tromperie doit entraîner par la suite une remise dont le contenu est précisé à l’article 313-1 du Code
pénal. Trois catégories sont visées :

– la remise de fonds, valeurs ou de biens quelconques : si n’importe quel bien corporel ou


incorporel peut être concerné, les immeubles sont a priori exclus à moins que la remise soit effectuée à
travers un acte transférant la propriété sur l’immeuble (Crim., 23 janv. 1997, nº 96-80.729). Afin
d’éviter le vide juridique, le législateur est intervenu pour créer le nouveau délit de mise à la disposition
frauduleuse du bien d’autrui, délit qui fait partie des infractions voisines de l’escroquerie (cf. l’art. 313-6-
1, C. pén. introduit par la loi du 18 mars 2003) ;

– la fourniture de service : il s’agit ici d’une innovation du Code pénal de 1994 consacrant le
caractère général de « l’escroquerie aux prestations de service » ;

– la remise d’un acte opérant obligation ou décharge : la tromperie peut aussi déterminer la
victime à consentir à un acte qui va créer un droit, le constater ou l’éteindre au profit de l’escroc
(chèque, ordre de virement, lettre de change, quittance). On peut aussi citer les escroqueries au
jugement. La jurisprudence sanctionne ainsi le fait de tromper sciemment le juge ou un tribunal afin
d’obtenir une décision favorable à ses prétentions, soit par la production de faux documents, soit à
l’aide de faux témoignages. Cette solution a été étendue à l’escroquerie d’une sentence arbitrale (Crim.,
30 juin 2004, nº 03-85.019).

c) Le préjudice causé

La victime doit avoir subi un préjudice en raison de l’infraction. En effet, le texte d’incrimination exige
formellement « une remise au préjudice du remettant ou d’un tiers ». Une atteinte effective au
patrimoine d’autrui est donc exigée, la valeur sociale pénalement protégée à travers l’incrimination
étant la propriété (Crim., 26 oct. 1994, nº 93-84.089 : à propos de l’obtention d’un titre de séjour par
des moyens frauduleux, la qualification d’escroquerie a été rejetée en raison de l’absence d’atteinte
matérielle au patrimoine de la victime).

§2 : L’élément moral

L’escroquerie sanctionne un délit intentionnel, c’est-à-dire la conscience chez l’escroc de duper autrui.
Le dol général est constitué par la connaissance du caractère frauduleux des moyens utilisés ainsi que
par la conscience du préjudice causé à autrui. Et peu importent les mobiles, l’existence d’un dessein
légitime chez l’agent n’étant pas susceptible de faire disparaître l’infraction.

Cet élément moral sera facile à établir puisque la preuve de l’intention découle souvent des moyens
matériels utilisés par l’escroc qui démontrent en eux-mêmes la mauvaise foi chez l’agent. Ainsi, les
montages purs et simples faits par certains entrepreneurs qui utilisent couramment de faux procédés de
commercialisation : faux crédit gratuit, faux carnet de commandes, création de sociétés fictives ou
d’associations (à but humanitaire par ex.), fabrication de fausses factures, faux effets de commerce à
débiteur fictif, etc.

Il en est de même de l’abus de procédés normaux caractérisant les manœuvres frauduleuses et la


mauvaise foi : surfacturation, jeux sur les dates de valeur, « cavalerie » (levée d’argent frais pour
honorer d’anciennes dettes) de grande ampleur comme dans l’affaire Madoff, « carambouille » (achat
payable à terme suivi de revente immédiate), etc.

SECTION 2 : La répression de l’escroquerie

Le délit d’escroquerie dont la peine peut atteindre dix ans d’emprisonnement comporte quelques
particularités quant à son régime répressif.

§1 : Les peines encourues

L’escroquerie est assez sévèrement réprimée tant au niveau des personnes physiques que des
personnes morales.

a) Peines encourues par les personnes physiques

L’escroquerie est punie à titre de peine principale de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros
d’amende. Certaines circonstances aggravantes sont par ailleurs prévues tenant soit à la qualité de la
victime, soit à la qualité de l’auteur de l’infraction. Dans cinq cas prévus à l’article 313-2 du Code pénal,
les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende : escroqueries
commises par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service
public (art. 313-2, 1º) ou par une personne qui prend indûment cette qualité (art. 313-2, 2º), par une
personne faisant appel public à l’épargne en vue de l’émission de titres ou qui collecte des fonds à des
fins humanitaires (art. 313-2, 3º), escroqueries commises au préjudice de personnes vulnérables (art.
313-2, 4º) ou au préjudice de personnes publiques ou d’organismes sociaux (art. 313-2, 5º ajouté par la
loi du 23 déc. 2013 qui vise ici expressément les escroqueries aux prestations sociales).

Enfin, la loi Perben II du 9 mars 2004 a prévu la circonstance aggravante de bande organisée qui fait
encourir aux auteurs d’escroqueries dix d’emprisonnement et 1 000 000 d’euros d’amende.

Dans tous les cas, les coupables personnes physiques encourent également des peines complémentaires
qui sont énumérées à l’art. 313-7 du C. pén. : interdiction de droits civils, civiques et de famille,
interdictions professionnelles, fermeture d’établissement, confiscation des biens liées à l’infraction,
interdiction de séjour, interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement, affichage
ou diffusion de la décision de condamnation. L’art. 313-8 du C. pén. ajoute à cette énumération
l’exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans au plus.

Notons que ces peines sont également applicables aux complices. Ainsi, le commissaire aux comptes et
l’expert-comptable d’une société ont été poursuivis et se sont vus appliquer des peines principales et
complémentaires en tant que complices d’une escroquerie commise par le dirigeant de la société au
détriment du Trésor public. Pour la Cour de cassation, la fictivité des comptes certifiés « conformes et
sincères » ne pouvait pas échapper à « un professionnel de la comptabilité » (Crim., 25 fév. 2004, nº
03-81.173, confirmé par Crim., 31 janv. 2007, nº 06-81.258).

b) Peines encourues par les personnes morales

Les personnes morales peuvent être déclarées responsables des escroqueries faites pour leur compte
par leurs organes ou représentants (art. 313-9). Elles font encourir une peine d’amende du quintuple de
celle applicable aux personnes physiques et la totalité des peines complémentaires prévues à l’article
131-39 du Code pénal. Ainsi, depuis la loi nº 2009-1437 du 24 novembre 2009, une société ou une
association va pouvoir de nouveau encourir la peine capitale de dissolution si elle a été créée ou
détournée de son objet pour commettre une escroquerie.

§2 : Les particularités de la répression

Les particularités de la répression qu’il convient de souligner concernent la tentative punissable, la


prescription de l’action publique et l’action civile.

a) La tentative d’escroquerie

La tentative d’escroquerie est punissable (art. 313-3). Elle se traduit par un commencement d’exécution
qui ne peut aboutir à la remise espérée suite à des circonstances indépendantes de la volonté de
l’escroc. C’est l’hypothèse où les manœuvres ont manqué leur but car la tromperie a été découverte à
temps (Crim., 27 avril 2000, nº 99-81.565 : découverte par une compagnie d’assurance de la très
importante surévaluation des factures présentées par l’assuré, suite à une contre-expertise).

b) La prescription de l’action publique

L’escroquerie étant une infraction instantanée, elle est consommée par la remise effectuée à l’escroc.
Donc, a priori, sa date marquera le point de départ du délai de prescription de l’action publique. Celui-ci
ne peut être ni avancé à la date des manœuvres, ni retardé au jour où la victime a découvert la
tromperie. Cependant, la Cour de cassation admet parfois un report du délai de prescription « au jour
du dernier versement » pour tenir compte des remises échelonnées dans le temps, par exemple dans le
cadre d’une escroquerie aux prestations sociales (Crim., 26 sept. 1995, nº 94-84.008). Elle raisonne de la
même façon en cas d’escroqueries complexes lorsque les manœuvres frauduleuses répétées se
prolongent sur une longue période de temps formant entre elles un tout indivisible et provoquant des
remises successives (Crim., 6 oct. 2004, nº 03-83.142).
c) Les particularités de l’action civile

Les associations de consommateurs régulièrement déclarées ont la possibilité de se constituer partie


civile à l’occasion des poursuites pour escroquerie par application des règles de l’article L. 421-1 du
Code de la consommation (Crim., 30 juin 1995). Dans le cadre d’une escroquerie à la carte bancaire, le
titulaire de la carte bancaire utilisée par l’escroc peut être déclaré civilement responsable s’il a commis
une négligence grave (art. L. 133- 19, C. mon. fin.).

Section 3 : Les infractions voisines de l’escroquerie

Le Code pénal envisage plusieurs infractions voisines de l’escroquerie aux articles 313-5 à 313-6-2,
notamment les filouteries, les entraves à la liberté des enchères (art. 313-6) et la mise à disposition d’un
tiers du bien immobilier appartenant à autrui (art. 313-6-1).Le délit de filouterie est le fait pour une
personne qui se sait dans l’impossibilité absolue de payer ou qui n’est pas déterminée à payer, de se
faire servir des boissons ou des aliments (art. 313-5, 1º), d’occuper une chambre d’hôtel pendant moins
de dix jours (art. 313-5, 2º), de se faire servir du carburant (art. 313-5, 3º) ou de se faire transporter en
taxi (art. 313-5, 4º). Il est réprimé, quelle que soit la forme de la filouterie, de six mois
d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

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