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Séance n° 10 : Le contrôle des mesures de police administrative

Correction de l’exercice : cas pratique

à Précision générale : Les références en gras souligné sont les références attendues,
puisqu’insérées dans votre plaquette (ou une plaquette précédente). Les autres constituent des
approfondissements pertinents mais non obligatoires.

1. Axe « personnes âgées » : « Assurer la sécurité des personnes âgées en centre-


ville »

Introduction

Rappel des faits : Afin d’assurer la sécurité des personnes âgées en centre-ville, le maire
envisage d’interdire l’usage de l’« hoverboard » dans certaines parties de sa commune de juin
à octobre.

Problème juridique : Le maire, en tant qu’autorité de police administrative générale, peut-il


légalement interdire l’utilisation d’engins de transport non prohibé sur les voies publiques ?

Raisonnement

Énoncé des règles de droit applicables (majeure) :

à Précision : Vous devez, à cette étape, énoncer l’intégralité des règles de droit (de toute
nature) pertinentes au regard du problème juridique, peu importe, à ce stade, les faits de
l’espèce. Vous les réintroduirez à l’étape suivante, pour déterminer si ces règles de droit
s’appliquent ou non dans le cadre de ces faits.

La police administrative est classiquement définie par opposition à la police judiciaire. Cette
distinction renvoie pour l’essentiel au fait que la première répond à une logique répressive
(article 20 du code des délits et des peines du 3 Brumaire an IV), tandis que la seconde répond
à une logique préventive (article 19 du code des délits et des peines du 3 Brumaire an IV) ou
non-répressive. Une mesure de police administrative consiste donc en une mesure limitative
des libertés, au nom de la sauvegarde de l’ordre public principalement par prévention, en
opposition à la police judiciaire qui a une fonction de répression.

De son côté, l’ordre public renvoie à trois aspects matériels, que sont la sécurité publique (visant
à garantir la sécurité physique des personnes et l’intégrité matérielle des biens), la tranquillité
publique (qui concerne un ensemble d’hypothèses de dérangement ou de troubles dans les
conditions d’existence tels rixes, tumultes, attroupements, etc.) et la salubrité publique (dont
l’objet est la protection de la santé publique). L’ordre public peut aussi renvoyer à des aspects
immatériels tels que la moralité publique (CE, 18 octobre 1959, Société « Les films Lutetia »)
et la dignité humaine (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge).

De plus, il convient de préciser qu’il existe une police administrative générale nationale (le
Premier Ministre, voir CE, 1919, Labonne), locale (préfet et maire) et des polices
administratives spéciales. Ces dernières sont instituées par le législateur, lequel désigne
également les autorités compétentes pour l’édiction de mesures de police administrative
spéciale.

Le maire est l’autorité locale compétente sur le territoire de sa commune, sauf texte contraire,
pour prendre des mesures de police administrative générale, mesures qui peuvent soit interdire
l’exercice d’une liberté, soit en limiter l’exercice. La compétence du maire en matière de police
administrative est déterminée par la loi et se retrouve dans le code général des collectivités
territoriales (CGCT) : « le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de
l’État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des
actes de l’État qui y sont relatifs » (article L.2212-1 du CGCT) ; « La police municipale a pour
objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » (article L.2212-2
du CGCT).

Une mesure de police administrative peut notamment interdire ou limiter l’exercice d’une
liberté pour le maintien de l’ordre public. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu que
la sauvegarde de l’ordre public est un objectif de valeur constitutionnelle (voir notamment :
CC, 1982, Loi sur la communication audiovisuelle) qu’il faut concilier avec la protection des
libertés fondamentales et notamment la liberté personnelle intégrant la liberté d’aller et venir
déduite des articles 2 et 4 de la DDHC de 1789. A cet égard, le Conseil constitutionnel rappelle
que l’atteinte doit être proportionnée (CC, 2012, Jean Claude P.).

L’appréciation de la légalité d’une mesure de police administrative relève du juge administratif.


Celui-ci contrôle tant la légalité externe que la légalité interne de la mesure de l’acte
administratif. S’agissant du contrôle de légalité externe, le juge s’assure de la compétence de
l’autorité auteure de la mesure, du respect de la procédure prévue pour l’adoption de la mesure
ainsi que des exigences de forme. S’agissant du contrôle de légalité interne, le juge contrôle
cette fois-ci les conditions de fond de l’acte, relatives donc à son contenu, son but, ses motifs
(de droit et de fait).

A cet égard, les mesures de police administrative sont soumises au contrôle de proportionnalité
depuis l’arrêt du CE, 19 mai 1933, Benjamin et la pratique jurisprudentielle a précisé les
modalités du contrôle de la justification de la mesure. Dès lors, le cadre d’analyse de la légalité
d’une mesure de police administrative repose d’abord sur l’existence d’un risque de trouble à
l’ordre public, puis sur l’adéquation de la mesure de police au trouble qu’elle vise à
arrêter/éviter. Le juge administratif se réfère ici à ce qui est communément nommé « triple
contrôle de proportionnalité » et qui renvoie au fait qu’une mesure de police n’est légale que
si elle est « adaptée [ou appropriée], nécessaire et proportionnée ». Le cadre d’analyse de la
légalité de la mesure sera donc le suivant :

• L’existence d’un trouble à l’ordre public : Pour que la mesure de police administrative
soit légale, l’existence d’un trouble à l’ordre public en est la condition première.
L’administration doit ainsi fonder sa mesure sur l’existence du trouble ou un risque
avéré de trouble à l’ordre public. Le juge est amené à apprécier l’exactitude matérielle
des faits ainsi que la qualification des faits telle qu’opérée par l’administration, c'est-à-
dire s’assurer que les faits en question constituent bel et bien un trouble à l’ordre public.
Le contrôle du juge s’effectue au moment de l’édiction de la mesure, il s’agit d’un
contrôle objectif. Il appartient donc à l’administration d’établir la réalité du risque avec
des éléments concrets objectifs et suffisants. S’agissant de l’appréciation de la réalité
factuelle, la Cour administrative d’appel de Nantes a confirmé que le maire a pu
légalement interdire une manifestation culturelle sur sa commune ayant justement
apprécié que le festival projeté excédait par sa nature, son importance et sa durée ce qui
avait été annoncé au maire pour l’obtention de l’autorisation initiale (CAA Nantes,
2001, Société l’Othala Productions). Concernant la qualification juridique des faits, il
a notamment été jugé que le Maire de Béziers n’apportait pas « d’éléments précis et
circonstanciés de nature à étayer l’existence de risques particuliers » pour établir le
trouble dont les mineurs de moins de 13 ans seraient à l’origine sur la commune afin
d’instaurer un « couvre-feu » à leur égard. Ainsi l’atteinte à la liberté d’aller et venir est
injustifiée. Dès lors, l’administration ne peut baser sa mesure sur le caractère plausible
du risque de trouble. Au demeurant, le juge exige même en la matière un « risque
particulier ». (CE, 2018, Ligue des droits de l’homme).

• L’adéquation de la mesure de police administrative (triple test de proportionnalité) :


l’adéquation de la mesure de police s’apprécie à l’aune de trois éléments que le juge ne
prend pas nécessairement le temps de décomposer formellement dans le cadre des
décisions qu’il prend. Le juge administratif se réfère ici à ce qui est parfois au « triple
contrôle de proportionnalité ». Le juge s’interroge habituellement sur trois points :

- La nécessité de la mesure : Un acte juridique de police est dit nécessaire lorsque


l’autorité de police n’a pas d’autre choix que de l’édicter pour prévenir ou faire
cesser le trouble à l’ordre public. Il s’agit, conformément à l’idée selon laquelle « la
liberté est la règle, et la restriction, l'exception » (Corneille, concl. sur CE, 10 août
1917, Baldy), de vérifier que, concrètement, l’autorité de police n’avait pas d’autre
choix que celui d’édicter une mesure de police restrictive des libertés. On s’intéresse
aux moyens mis en œuvre par l’autorité de police (c’est la « nécessité » aussi au sens
du droit européen). Ce caractère dépend des circonstances locales et, en particulier,
de l’insuffisance des moyens humains et matériels à disposition de l’autorité de
police pour préserver ou rétablir l’ordre public. La mesure juridique de police doit
ainsi être un dernier recours. En pratique, le juge va vérifier si la mesure ne dépasse
pas ce qui est strictement nécessaire, et s’il n’existe pas une mesure moins
attentatoire et tout aussi efficace. Parfois, le juge va estimer qu’à défaut de forces de
l’ordre disponibles suffisantes pour maintenir l’ordre public, compte tenu de
l’intensité de la circulation routière attendue, du nombre de personnes attendues, de
l’insuffisance des mesures de sécurité, une mesure de police visant l’interdiction
sera justifiée (CAA Nantes, 2001, Société l’Othala Productions).

- L’efficacité de la mesure : Il s’agira ici pour le juge de se demander si la mesure de


police est de nature à mettre un terme au trouble à l’ordre public, ou à rétablir l’ordre
public troublé. Cela renvoie, en droit européen (repris, donc, à l’occasion, par le
Conseil d’État), à l’idée d’adaptation, ou au caractère approprié de la mesure.

- La proportionnalité stricte de la mesure : Le juge opère ensuite une mise en balance


entre la gravité du risque de trouble à l’ordre public et la gravité de l’atteinte aux
libertés découlant de la mesure de police. La mesure doit être limitée dans le temps
et dans l’espace (voir en ce sens : CE ord., 2012, Commune de Saint-Cyr-l’École ;
CE, 2021, Ligue française des droits de l’homme ; TA Amiens, 2019, Fédération
française de naturisme et autres) et dans son objet (prise en compte de la qualité
des personnes concernées ou plus largement des restrictions matérielles opérées).

Application à l’espèce (mineure) :

à Précision : Cette étape est cruciale, puisque c’est celle où vous démontrez que vous avez
compris les conditions d’application des règles de droit que vous avez listées précédemment
et les faits de l’espèce. Vous ne devez négliger aucune possibilité : s’il vous manque des
informations et que vous ne pouvez pas formuler de réponse ferme, indiquez-le.

En l’espèce, il s’agit bien d’une mesure limitative de libertés puisqu’elle limite l’usage d’un
engin de transport non prohibé. De plus cette mesure limitative de libertés a vocation à préserver
des troubles à l’ordre public et plus précisément ses composantes de sécurité et tranquillité
publiques. Compte tenu de la localisation communale du trouble et des éléments évoqués ci-
dessus, le maire est bien l’autorité compétente pour prendre une mesure de police administrative
générale selon l’article L.2212-1 du CGC.T Il convient donc d’appliquer le cadre d’analyse
posé par la jurisprudence Benjamin, en vérifiant l’existence d’un trouble à l’ordre public et
l’adéquation de la mesure de police :

• Sur l’existence d’un risque de trouble à l’ordre public : L’absence de maîtrise par les
utilisateurs de ce nouveau moyen de déplacement appelé « hoverboard » a déjà
provoqué deux chutes parmi les personnes âgées, dont l’une s’est même cassée le col
du fémur. Dans ces conditions, les composantes de l’ordre public en cause sont le
trouble à la sécurité publique et à la tranquillité publique. De plus, le maire pourra
aisément établir la réalité du trouble en produisant les nombreuses plaintes des
personnes âgées. Cette mesure limitative de libertés que le maire souhaite édicter a donc
bien pour vocation de prévenir un risque de trouble à l’ordre public.

• Sur l’adéquation de la mesure de police (triple test de proportionnalité) :

- Nécessité : L’autorité de police n’a pas d’autres choix que celui d’édicter une mesure
d’interdiction puisqu’il semble impossible de placer un policier ou gendarme
derrière chaque utilisateur pour veiller à ce qu’il n’y ait pas d’accident. L’édiction
de cette mesure permettrait de prévenir et faire cesser le danger que représente les
utilisateurs de l’hoverboard pour les personnes âgées. La mesure envisagée serait
donc nécessaire.

- Efficacité : La mesure envisagée empêcherait les utilisateurs d’hoverboard de


provoquer des chutes lors de la période estivale, période pendant laquelle la ville est
bien plus peuplée étant donné qu’il s’agit d’une station balnéaire. La mesure
envisagée est donc de nature à éviter les troubles à la sécurité publique ainsi qu’à la
tranquillité publique.

- Proportionnalité stricte : La mesure envisagée est tout d’abord limitée spatialement


puisque l’interdiction ne concerne que l’usage de l’hoverboard sur le front de mer,
dans les rues piétonnes du centre-ville. D’autre part, l’usage de l’hoverboard serait
également limité temporellement puisque l’interdiction couvrirait la période allant
du mois de juin au mois d’octobre. Ainsi, la mesure envisagée ne constitue pas une
interdiction générale et absolue. Néanmoins, la limitation paraît excessive tant
spatialement que temporellement. En effet, il semble que ce soit essentiellement sur
le front de mer, où de nombreuses personnes âgées se promènent, que les accidents
ont eu lieu. Or la mesure envisagée prévoit une interdiction étendue au centre-ville,
ce qui peut sembler excessif et non proportionné. De plus, la mesure d’interdiction
de l’hoverboard pourrait également paraître excessive d’un point de vue temporel.
Si une interdiction pendant la période estivale classique, c’est-à-dire allant de juin à
septembre inclus, est justifiée notamment par le fait qu’en été, une station balnéaire
est bien plus peuplée et, le nombre croissant de touristes augmente corrélativement
au nombre d’accidents, il semble tout de même qu’une interdiction qui irait jusqu’au
mois d’octobre inclus est disproportionnée étant donné la population plus faible
durant ce mois.

Conclusion : La légalité de la mesure envisagée par le maire répondrait bien à l’existence d’un
trouble à l’ordre public. Elle serait également nécessaire pour mettre fin à ce trouble à l’ordre
public. Cependant, la mesure envisagée pourrait être remise en cause du fait de son caractère
disproportionné spatialement et temporellement. Ce caractère disproportionné frapperait
d’illégalité la mesure envisagée.
à Précision : La conclusion n’est pas la partie la plus importante d’un cas pratique,
puisqu’elle n’est que le résumé de votre raisonnement. Vous devez simplement clore le cas
pratique en répondant en quelques lignes au problème de droit que vous avez analysé. En
l’occurrence, il était ici possible de considérer que la mesure envisagée n’aurait pas été
illégale, l’appréciation des faits pouvant effectivement prêter à débat. Le tout est que la solution
avancée soit justifiée.

2. Axe « jeunes actifs et enfants : « Défendre la décence et protéger les enfants »

Introduction
Rappel des faits : Une association s’indigne de la diffusion dans les cinémas de la commune
d’un film qu’elle considère comme choquant et demande au maire d’empêcher la diffusion du
film. Le maire souhaite interdire la diffusion du film pour les moins de 18 ans sur le territoire
de la commune, bien que le film ait déjà bénéficié d’un visa d’exploitation sans restriction par
le ministre de la Culture.

Problème juridique : Le maire peut-il prendre une mesure de police générale concurrençant
une mesure de police spéciale du ministre de la Culture, en matière de cinéma ?

Raisonnement

Énoncé des règles de droit applicables (majeure) :

La police administrative est l'action des autorités administratives qui vise, par une
règlementation préalable à assurer le maintien de l'ordre public. La police administrative n’est
toutefois pas une et indivisible. Elle est multiple que ce soit par ses titulaires et ses objets. En
effet, il convient tout d’abord de rappeler qu’il existe une police administrative générale
nationale (le Premier ministre, voir CE, 1919, Labonne) et locale (préfet et maire), et des polices
administratives spéciales. La police administrative générale vise à assurer l'ordre public, à
l'égard de la généralité des activités humaines, c'est-à-dire sans considération pour un type
d'activité particulier.

En ce sens, le maire est l’autorité locale compétente, sauf texte contraire, pour prendre des
mesures de police administrative générale, mesures qui peuvent soit interdire l’exercice d’une
liberté, soit en limiter l’exercice. La compétence du maire en matière de police administrative
est déterminée par la loi et se retrouve dans le CGCT à l’article L.2212-1 : « le maire est chargé,
sous le contrôle administratif du représentant de l’État dans le département, de la police
municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’État qui y sont relatifs ». Ainsi,
le maire est compétent pour édicter des mesures de police administrative générale sous réserve
de l’existence d’une police administrative spéciale excluant par principe son intervention et
sous réserve des situations de complémentarité exceptionnelle et de concurrence conditionnée.

À côté de la police générale existent aussi la police spéciale, dont l'objet est prévu par les textes,
limitée à un objet précis, relève d’une autorité précise, est encadrée dans des procédures
particulières, et peut viser une finalité particulière. Ainsi, la police du cinéma attribuée au
ministre de la Culture, repose sur un texte en particulier, l’article L. 211-1 du code du cinéma
et de l’image animée, qui prévoit que le visa d’exploitation d’un film, nécessaire à sa diffusion
et délivré par le ministre de la culture, « peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des
conditions pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de
la dignité humaine ». Cet article fixe des objectifs propres et des mesures singulières. La police
du cinéma constitue donc bien une police administrative spéciale octroyée au ministre de la
Culture qui peut décider d’accorder ou de refuser le visa d’exploitation d’un film, ou encore de
l’assortir de conditions d’exploitation tenant principalement à leur régime fiscal et aux
catégories d’âge susceptibles de les voir.

Par conséquent, la question de la concurrence entre police générale du maire et police spéciale
du ministre de la Culture se pose. Il y a concours (c’est-à-dire concurrence) de polices lorsque
deux pouvoirs de police sont de nature à être mobilisés sur une même matière et dans un même
espace géographique. Dans le cas de l’articulation de pouvoirs de polices administratives
générale et spéciale détenus par deux autorités distinctes, le principe est celui de l’interdiction
des mesures de police administrative générale concurrentes à des mesures de police
administrative spéciale. Autrement dit l’existence d’une police spéciale interdit l’usage du
pouvoir de police générale dans le domaine concerné par la première. Néanmoins, malgré le
principe d’interdiction des mesures de police administrative générales concurrentes, des
exceptions restent admises selon les domaines et les types de police spéciale. Ainsi, l’on
constate des rapports graduels entre police spéciale et police générale, en distinguant différentes
hypothèses :

- D’exclusivité totale : c’est le cas pour les polices spéciales dans le domaine des
transports. Ainsi, en matière de police des chemins de fer, la police spéciale exercée
par l'État interdit au maire d'intervenir au titre de la police générale. Il en va de même
en matière de circulation aérienne, sur laquelle le ministre des transports exerce un
pouvoir de police spéciale qui exclut l'intervention des titulaires de la police
générale, qu'il s'agisse du préfet ou du maire (CE, 2002, Ministre de l'équipement,
des transports et du logement c/ Communes de Balma et a.).

- De complémentarité exceptionnelle : C’est le cas pour les polices spéciales relatives


aux activités ou aux installations dangereuses. L'idée reste fondamentalement celle
de l'exclusivité de la police spéciale mais avec certains tempéraments. Précisément,
le titulaire du pouvoir de police générale peut intervenir, notamment, en cas de péril
imminent, pour renforcer les prescriptions édictées par le titulaire du pouvoir de
police spéciale (de sorte que le maire et le préfet sont tenus à une obligation de
vigilance réciproque, puisque le second peut se substituer au premier en cas de
carence dans l’exercice du pouvoir de police générale). C’est notamment le cas en
matière de police des installations classées (CE, 1965, Consorts Alix) ou s’agissant
de la police de l'eau relevant du préfet (CE, 2009, Commune de Rachecourt-sur-
Marne).

- De concurrence conditionnée : L’on retrouve notamment en ce sens l’hypothèse


dégagée dans l’arrêt du CE de 1959, Société Les films Lutetia, à savoir une
possibilité d’intervention concurrente du titulaire du pouvoir de police générale dès
lors que les mesures édictées sont plus sévères et justifiées par des circonstances
locales particulières. Ainsi, en matière de la police du cinéma, le cadre est posé par
la jurisprudence Société Les films Lutetia, (repris par la suite dans l’arrêt du CE de
1985, Ville d’Aix-en-Provence c/ Société Gaumont), qui prévoit la possibilité
d’intervention concurrente du titulaire du pouvoir de police générale dès lors que les
mesures édictées sont plus sévères et justifiées par des circonstances locales
particulières. Selon cette même jurisprudence, l’intervention du maire est ainsi
possible soit en cas de troubles sérieux ou graves à l'ordre public, soit lorsque
l'immoralité du film est particulièrement mal ressentie dans le contexte local de sorte
qu’elle peut entraîner des troubles. L’interdiction peut donc être légale dans deux
situations :

• Celle où la projection du film est susceptible d'entraîner des « troubles sérieux »


(menaces de violences de la part d'adversaires du film). Il s’agit du cadre classique de
l’ordre public matériel, dans son volet « sécurité », en dehors de tout jugement de valeur
sur le contenu même du film ;

• Celle où la projection du film est de nature à porter préjudice à l'ordre public du fait de
son « caractère immoral et de circonstances locales » particulières. Cette seconde
situation est plus directement orientée sur la notion de moralité. Cependant, ce n’est pas
l’immoralité du film qui, en soi, peut justifier son interdiction. La légalité de
l’interdiction ne dépend donc pas de la seule appréciation subjective du maire ou du
juge sur la teneur du film. C’est son immoralité en tant qu’elle est susceptible, dans des
conditions de temps et de lieux bien particulières (les « circonstances locales »), de
générer des troubles matériels à l’ordre public, qui peut justifier l’interdiction.

Application à l’espèce (mineure) :

En l’espèce le maire souhaite intervenir au titre de son pouvoir de police administrative générale
alors qu’une mesure de police administrative spéciale a déjà été prise par le ministre de la
Culture. En l’occurrence le maire ne souhaite pas interdire totalement le film mais il souhaite
cependant interdire le film aux moins de 18 ans, ce qui constitue une mesure plus sévère que le
choix du ministre de la Culture qui décide de ne donner aucune restriction au film. Il s’agit donc
ici d’un cas de concurrence conditionnée dont le cadre est posé par la jurisprudence Société Les
films Lutetia, qui précise qu’en cas, soit de trouble sérieux à l’ordre public, soit lorsque le
caractère immoral du film est particulièrement mal ressenti dans le contexte local de sorte qu’il
peut entraîner des troubles, le maire, en tant qu’autorité de police administrative générale peut
agir, par exemple, en interdisant ledit film aux moins de 18 ans.

Le maire a reçu des représentants de l’association « Valeurs morales » qui souhaitent empêcher
la diffusion d’un film qu’ils jugent particulièrement choquant. Ces derniers font pression sur le
maire et, préviennent qu’ils agiront eux-mêmes en cas d’inaction de la commune, comme ils
l’avaient déjà fait l’année dernière, en s’enchaînant devant les portes d’un cinéma. À la suite de
cette action des heurts avaient éclaté provoquant des troubles à l’ordre public.
Au regard des actions de l’association et des heurts de l’an passé, le risque de trouble à l’ordre
public peut-être caractérisé. Néanmoins, le critère de trouble sérieux ou grave à l’ordre public
est discutable étant donné que l’autorité de police dispose de solutions permettant
potentiellement d’atténuer le trouble à l’ordre public, comme le fait d’empêcher que certaines
personnes s’enchaînent devant le cinéma. Il semble donc que la première hypothèse dégagée
par la jurisprudence Société Les films Lutetia ne soit pas remplie, et donc que la mesure de
police administrative générale du maire ne puisse pas être justifiée par l’existence de troubles
sérieux ou graves à l’ordre public.

S’agissant à présent de la seconde hypothèse :


- Le caractère immoral peut également être mis en exergue, l’association précisant
que le film présente l’usage de la drogue sous un jour très complaisant, avec, qui
plus est, un visa d’exploitation ne posant aucune restriction. Or devant un public
mineur, la diffusion de ce film pourrait avoir des répercussions néfastes. Au vu de
cette complaisance, le caractère immoral du film pourrait donc être avancé. Enfin,
les circonstances locales pourraient être établies par la situation particulière de la
commune qui a déjà connu l’an passé, pour des motifs similaires, des violences et
des heurts entre des membres de l’association et certains spectateurs.
- Le risque de trouble à l’ordre public est aisément constatable par le risque de
violences ou de heurts entre des membres de l’association et des spectateurs, du fait
de circonstances locales particulières.

L’immoralité du film, qui présente la drogue sous un regard complaisant, est donc susceptible
du fait de circonstances locales de la commune, de troubler l’ordre public par le biais de
violences ou d’heurts, justifiant ainsi l’interdiction aux moins de 18 ans.

Conclusion : Il semble probable que l’interdiction de diffusion dans la commune pour les
moins de 18 ans par le biais d’une mesure de police administrative générale du maire puisse
être considérée comme légale au vu du risque de troubles matériels à l’ordre public générés par
le caractère immoral du film, compte tenu de circonstances locales particulières.

à Précision : Ici encore, la conclusion est ouverte. Il était même possible de considérer que
vous ne disposiez pas de suffisamment d’éléments nécessaires pour trancher la question avec
certitude.

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