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La réparation des préjudices consécutifs à un dommage

corporel dans le projet de réforme du droit de la


responsabilité
Philippe Brun
Dans Archives de philosophie du droit 2021/1 (Tome 63), pages 403 à 410
Éditions Dalloz
ISSN 0066-6564
ISBN 9782247208951
DOI 10.3917/apd.631.0422
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La réparation des préjudices
consécutifs à un dommage corporel
dans le projet de réforme du droit de la responsabilité

Philippe BRUN
Agrégé des facultés de droit – Avocat général à la Cour de cassation

RÉSUMÉ. — La réparation du dommage corporel est omniprésente dans le projet de réforme du droit
de la responsabilité civile présenté par la Chancellerie le 13 mars 2017, manifestant ainsi nettement la
volonté de ses auteurs de conférer un statut juridique particulier à cette catégorie de dommage. Un tel
souci se manifeste de deux manières. Il s’agit d’une part d’infléchir, dans un sens généralement plus
favorable aux victimes, les règles de la responsabilité civile, pour assurer une indemnisation moins aléa-
toire et plus large des préjudices consécutifs à une atteinte à la personne. Ainsi en est-il notamment de la
dérogation au droit commun de la preuve, s’agissant d’établir la causalité en cas de dommage occasionné
par le membre indéterminé d’un groupe. Ainsi en est-il également de la soustraction du dommage
corporel de l’obligation faite à la victime dans le projet, de minimiser son préjudice. Il s’agit d’autre part
de préciser les modalités de la réparation du dommage corporel. Le projet reprend à son compte certaines
innovations intervenues ces dernières années (mise en place d’une nomenclature, d’un barème médical
unique), et consacre aussi des solutions inédites, telles que le recours de principe à la rente (plutôt qu’à
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une indemnisation en capital) pour certains chefs de préjudices comme le besoin en tierce personne ou
les pertes de gains professionnels) ou l’affirmation du principe de libre disposition des dommages et
intérêts.

MOTS-CLÉS. — Dommage – réparation – préjudice

Le dommage corporel est omniprésent dans le projet de réforme. On peut même dire sans
doute qu’il en constitue le fil rouge. Sans aller jusqu’à dire que l’on tient là la ratio legis (les
raisons de réformer le droit de la responsabilité sont nombreuses), du moins est-il incontes-
table que les atteintes à la personne et leurs conséquences préjudiciables ont fait l’objet de
toutes les attentions de la part des auteurs du projet1.

1 V. en dernier lieu, B. Girard, « La modernisation des effets de la responsabilité civile », in Le projet


de réforme du droit de la responsabilité civile, G. Carqueira et V. Monteillet (dir.), Dalloz « Thèmes
et commentaires », 2021, p. 89 et s. spéc. p. 99 et s. V. par ailleurs, J.-S. Borghetti, « Un pas de plus

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Puisqu’on évoque le projet, une clarification s’impose : c’est bien du projet de réforme de la
Chancellerie daté du 13 mars 20172 qu’il sera question pour l’essentiel3, la proposition de loi
d’initiative sénatoriale déposée à l’été 20204, qui se proposait en substance d’expurger du
projet toutes les questions plus ou moins sujettes à controverse (et donc pour le dire familière-
ment de mettre la poussière sous le tapis)5 devrait tomber logiquement dans l’oubli : elle ne
sera évoquée qu’à la marge, comme une curiosité légistique6.
Ubiquité donc du dommage corporel dans le projet de réforme7. Cette attention
particulière8 se manifeste à deux points de vue bien distincts. La considération de ce que le
dommage en cause est un dommage à la personne conduit parfois à infléchir les règles de
responsabilité applicables, très généralement dans un sens favorable à la victime, ce qui est une
manière de hiérarchiser les intérêts à protéger, et de mettre donc à l’honneur les intérêts patri-
moniaux et extrapatrimoniaux affectés par la survenance d’un dommage corporel (on obser-
vera au passage que c’est néanmoins ici sur le dommage qu’est placé le curseur, le type
d’atteinte, et non sur les conséquences de l’atteinte).
Mais le projet de réforme ne se borne pas à réserver un régime juridique spécifique
lorsqu’est en cause un dommage corporel, il s’emploie aussi avec beaucoup de minutie à
organiser les modalités de la réparation des conséquences d’un dommage corporel, et consacre
même toute une sous-section à cette question.
Le plus simple est sans doute d’envisager successivement ces deux points : l’inflexion des
règles de la responsabilité civile en cas de dommage corporel d’abord (I) l’organisation des
modalités de réparation des préjudices consécutifs à un dommage corporel ensuite (II).

vers la réforme de la responsabilité civile : présentation du projet de réforme rendu public le 13 mars
2017 », D. 2017 . 770 ; M. Mekki, « Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile du
13 mars 2017 : des retouches sans refonte », Gaz. Pal. 2 mai 2017, p. 12 et s. ; Ph. Brun, « Premiers
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regards sur l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile », RLDC 2016, p. 31 et s.
2 Sur lequel on peut consulter, outre les références citées à la note précédente, L.-F. Pignarre (dir.), La
réforme du droit de la responsabilité, Actes du colloque du 25 novembre 2016, Faculté de Montpellier ;
B. Dubuisson (dir.), La réforme du droit de la responsabilité en France et en Belgique, Regards croisés et
aspects de droit comparé, Bruylant, 2020.
3 Étant rappelé que ce projet a été lui-même précédé d’un avant-projet présenté le 29 avril 2016 par la
Chancellerie ( v. not. sur ce texte notre article cité note 1), ces deux instruments ayant été eux-
mêmes largement inspirés d’une part, par l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la
prescription, œuvre d’un groupe de travail dirigé pour la partie responsabilité civile par G. Viney et
G. Durry, (Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, P. Catala (dir.), La
doc. fr., 2006), et d’autre part, par l’avant-projet dit « Terré » (Pour une réforme du droit de la
responsabilité civile, F. Terré (dir.), Dalloz, 2011).
4 Proposition de loi n° 678 du 29 juill. 2020.
5 V. à cet égard notre article, « Remarques sur quelques avatars récents du projet de réforme du droit
de la responsabilité civile », Mélanges P. Ancel, Larcier, Lexis-Nexis, 2021, p. 279 et s.
6 Le lecteur y voudra bien voir, à défaut d’un pronostic, un vœu, tant il est vrai que l’on ne saurait bâtir
une réforme de l’envergure de celle du droit de la responsabilité civile en se bornant à mettre en
forme les seules solutions censées faire consensus, en renvoyant à plus tard la substance des innova-
tions à introduire.
7 Pas moins de sept articles du projet y font mention expresse, quand par ailleurs treize y sont
spécifiquement consacrés.
8 J. Knetsch, « Le traitement préférentiel du dommage corporel », JCP 2016, suppl. au n° 30-35, p. 9
et s.

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I. — L’INFLEXION DES RÈGLES DE LA RESPONSABILITÉ


EN CAS DE DOMMAGE CORPOREL

On n’a pas attendu la réforme du droit de la responsabilité civile au XXIe siècle pour
préconiser de traiter les atteintes aux personnes avec des égards particuliers. On se souvient de
la théorie de la garantie de Starck, qui préconisait rien moins que d’en faire la ligne de partage
entre responsabilité objective et responsabilité pour faute9. Plus près de nous, Philippe
Le Tourneau a prescrit une purge encore plus sévère en suggérant d’expulser la réparation du
dommage corporel du champ de la responsabilité pour le cantonner dans l’orbite de la sécurité
sociale10.
Sans aller jusqu’à ces solutions extrêmes, dont les mérites pourraient d’ailleurs être discutés
(toute révérence gardée pour la mémoire de B. Starck, sa théorie conduisait à soumettre une
partie importante du droit de la responsabilité au seul fondement de la faute, et le reste à une
responsabilité ultra-objective, sans véritable fait générateur, et quant à la proposition de
Philippe Le Tourneau, on pourrait légitimement redouter qu’elle conduise à une sous-
indemnisation (très inégalitaire)11, du moins peut-on envisager d’aménager les règles du droit
commun dans un sens plus protecteur des victimes quand sont en cause les atteintes aux
personnes.
C’est ce que retient le projet sur plusieurs points. Pour la plupart, ce sont des inflexions
que l’on peut juger ponctuelles (B), mais, commençons par là, il y a aussi une véritable révo-
lution juridique : la remise en cause pure et simple des principes bien acquis de la délimitation
des deux ordres de responsabilité (A).

A. — La sanctuarisation de la réparation du dommage corporel


dans le champ extracontractuel de la responsabilité
L’article 1233-1 du projet précise que
« les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles
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de la responsabilité extracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de
l’exécution du contrat. »

Même si l’alinéa 2 du même texte réserve les stipulations expresses plus favorables à
l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle (stipulations expresses plus
favorables dont on cherche en vain la moindre illustration), c’est une véritable interdiction de

9 Essai d’une théorie générale de la responsabilité considérée dans sa double fonction de garantie et de peine
privée, thèse Paris, 1947. V. aussi, du même auteur, « Domaine et fondement de la responsabilité
sans faute, RTD civ. 1958, p . 475 et s. ; B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Les obligations, T. I,
Responsabilité délictuelle, Litec, 5e éd. 1996, n° 61 et s. ; v. pour une sélection des écrits de Starck,
S. Carval, La construction de la responsabilité civile, PUF, 2001, p. 259 ; pour une reprise des idées de
Starck, C. Rade, « Réflexions sur les fondements de la responsabilité civile : les voies de la réforme :
la promotion d’un droit à la sûreté », D. 1999, chr. 323. Pour une mise en perspective critique,
Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Lexis-Nexis, 5e éd. 2018, n° 159 et s.
10 Ph. Le Tourneau et alii, Droit de la responsabilité et des contrats, Régimes d’indemnisation, Dalloz-
Action, 12e éd. 2021-2022, n° 0124-11 et s.
11 V. à cet égard, Responsabilité civile extracontractuelle, préc. n° 667.

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se placer sur le terrain contractuel qui est posée ici, et l’abolition pure et simple de la notion
d’obligation contractuelle de sécurité12.
La formulation du texte peut surprendre : qui a jamais prétendu que tous les dommages
subis à l’occasion de l’exécution du contrat relèveraient des règles de la responsabilité contrac-
tuelle ? La véritable question est de savoir si un dommage qui alors même qu’il procède de la
mauvaise exécution du contrat doit relever de la responsabilité délictuelle13. Et c’est bien cela à
quoi conduit cette solution (encore bien plus mal formulée dans l’avant-projet de 2016 car la
décontractualisation du dommage corporel y apparaissait comme une exception au principe
d’interdiction de l’option).

On ne reprendra pas ici un débat qui est bien connu14. Pour avoir été exagérément étendue
à des situations qui ne le justifiaient pas, l’obligation contractuelle de sécurité s’est exposée à
une sorte de procès en sorcellerie où on l’a accusée de tous les maux15. Au risque de promou-
voir un droit hors sol. Commentant le célèbre arrêt Besse, Carbonnier faisait état de son
scepticisme à devoir envisager des plombiers extracontractuels16. Le projet lui nous condamne
à considérer sans états d’âme des transporteurs extracontractuels, des organisateurs d’activités
de loisirs extracontractuels etc.…
À tout prendre, on pourrait préférer la formule retenue par la proposition de loi
sénatoriale du 29 juillet 2020 qui envisage la question différemment, en laissant à la victime le
choix de la voie contractuelle ou extracontractuelle.

B. — Les inflexions plus ponctuelles


C’est d’abord l’article 1240 qui prévoit que, lorsqu’un dommage corporel est causé par une
personne indéterminée parmi des personnes déterminées agissant de concert ou exerçant une
activité similaire, chacune en répond pour le tout, sauf à démontrer qu’elle ne peut l’avoir
causé. Les responsables contribuent alors entre eux à proportion de la probabilité que chacun
ait causé le dommage.
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Il s’agit mutatis mutandis, de la reprise de la jurisprudence sur les dommages causés en
groupe (notamment les accidents de chasse), que la Cour de cassation a eu l’occasion de
revisiter avec le contentieux du Distilbène17, et dont elle a également fait une application en
cas d’infection nosocomiale18, de manière plus discutable il me semble19.

12 J. Knetsch, « Faut-il décontractualiser la réparation du dommage corporel ? », RDC 2016 p. 801 ; v.


aussi, F. Chenede, « Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, Une summa
divisio ? » in Vers une réforme de la responsabilité civile française, B. Mallet-Bricout (dir.), p. 31, spéc.
p. 35.
13 V. en ce sens, G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd. 2007, n° 185 et s.
14 Sur lequel v. ex multis, J. Knetsch, art. préc. ; F. Chenede, art. préc. ; Ph. Brun, « La distinction des
deux ordres de responsabilités dans le projet de réforme de la responsabilité civile », Mélanges Ph.
Neau-Leduc, LGDJ-Lextenso 2018, p. 125 et s. , spéc. p. 130 et s.
15 Sur la base d’une formule de Carbonnier aussi fameuse que sollicitée : v. là-dessus, art. préc. Mélanges
Ph. Neau-Leduc.
16 Droit civil, Vol. II, Les biens, Les obligations, PUF « Quadrige », 2004, n° 1242, p. 2469.
17 Civ. 1re , 24 sept. 2009 : n° 08-10081 et 08-16305 ; JCP 2009, 381, note S. Hocquet-Berg ; ibid.
2010, 456, obs. Ph. Stoffel-Munck ; D. 2010, pan. 50, obs. Ph. Brun. Cass. 1re civ., 28 janv. 2010 :
n° 08-18837 ; D. 2011, pan. 39, obs. Ph. Brun ; Resp. civ. et Assur. 2010, comm. n° 80, obs. C. Rade.

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Voilà en tout cas une dérogation au droit commun de la preuve qui paraît assez
opportune20, avec une présomption de causalité qui se justifie : seulement une probabilité de
causalité dira-t-on peut-être, mais face au rôle causal de la victime par définition nul, cela peut
paraître suffisant21
Mais c’est encore trop semble-t-il pour les deux sénateurs à l’origine de la proposition de
loi qui y ont apparemment vu la marque d’une audace excessive22 Certains jours, on se
surprend à trouver la réforme par voie d’ordonnance assez défendable…

C’est ensuite l’article 1254, relatif à l’effet partiellement exonératoire de la faute de la


victime, qui en son alinéa 2 prévoit qu’en cas de dommage corporel, seule une faute lourde
peut entraîner l’exonération partielle. On comprend aisément la logique qui sous-tend cette
disposition, mais on reste tout de même sur une impression de bizarrerie. Plutôt que de
subordonner l’exonération partielle à une faute qualifiée, quitte à être transgressif par rapport
au droit en vigueur, ne fallait-il pas aller plus loin et exclure l’exonération partielle en cas de
dommage corporel ? La Cour de cassation avait eu autrefois cette audace en matière d’accident
de la circulation23 puis en matière de responsabilité contractuelle du transporteur24
L’article 1262 al. 3 permet aussi à la victime, en cas de dommage corporel, de réclamer une
indemnisation complémentaire pour tout chef de préjudice préexistant non inclus dans la
demande initiale (une session de rattrapage en somme).
L’article 1263 du projet est également à souligner dans cet ordre d’idée, qui consacre le
devoir pour la victime de minimiser son préjudice (tant en matière extracontractuelle que
contractuelle, quand l’avant-projet avait lui, à juste titre me semble-t-il restreint son champ à
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Sur cette jurisprudence, v. C. Quezel-Ambrunaz, « La fiction de la causalité alternative, fondement
et perspectives de la jurisprudence Distilbène », D. 2010, chr. 1162.
18 Cass. 1re civ., 17 juin 2010 : Bull. civ. I, n° 137 ; JCP 2010, 870, note O. Gout ; RTD civ. 2010 . 567,
obs. P. Jourdain ; D. 2011, pan. 39, obs. Ph. Brun.
19 En ce sens qu’il n’est nullement établi, en présence d’une infection nosocomiale susceptible d’avoir
été contractée dans un établissement parmi une pluralité, que chaque établissement ait créé les
conditions d’une telle infection. V. à cet égard nos obs. préc.
20 V. cep. pour une analyse critique de ces principes de solution, et pour une proposition de refonda-
tion théorique, F. Leduc, « La responsabilité civile face au doute quant à l’identité de l’auteur du
dommage », Mélanges à la mémoire de S. Carval, IRJS éd. 2021, p. 555 et s.
21 Comp. A. Pelissier, « La reconnaissance d’une responsabilité collective », in Le projet de réforme du
droit de la responsabilité civile, G. Cerqueira et V. Monteillet (dir.), préc., p. 141 et s., qui estime que
cette construction prétorienne est « immature », et sujette à « hésitation ».
22 V. le rapport d’information au Sénat n° 663 enregistré le 22 juillet 2020 par MM. J. Bigot et A.
Reichardt, p. 15, qui voit dans cette disposition « la généralisation d’une forme de responsabilité
collective pour les dommages corporels ».
23 Cass. 2e civ., 21 juill. 1982 : JCP 1982, II 19861, note F. Chabas ; D. 1982 . 449, concl. Charbonnier,
note C. Larroumet.
24 Cass. 1re civ., 13 mars 2008 : n° 05-12551 ; Bull. civ. I, n° 76 ; D. 2008 . 1582, note G. Viney ; ibid.
pan. 2894, obs. Ph. Brun; RTD civ. 2008 . 312, obs. P. Jourdain ; Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008 :
n° 06-12307 ; D. 2009 . 461, note G. Viney ; RTD civ. 2009 . 129, obs. P. Jourdain. Mais sur cette
question, la Cour de cassation a procédé à un revirement : Cass. 1re civ., 11 déc. 2019 : n° 18-13840 ;
D. 2020 . 188, note C. François ; ibid. 2021, pan. 52, obs. Ph. Brun.

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la seule responsabilité contractuelle) mais il fait exception à cette règle en matière de dommage
corporel où une telle obligation n’est donc pas de mise25.

Voilà pour les inflexions apportées au régime de la responsabilité en cas de dommage


corporel. Mais le projet s’emploie aussi et surtout, dans une sous-section dédiée, à poser des
règles « particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel, aux
articles 1267 à 1277.

II. — LES MODALITÉS DE RÉPARATION


D’UN PRÉJUDICE RÉSULTANT D’UN DOMMAGE CORPOREL

La première observation qui s’impose est que le projet entend donner à ses dispositions un
caractère d’ordre public (prohibition des clauses contraires à l’article 1267-1) et surtout un
caractère général (au judiciaire comme à l’administratif, au contentieux comme au trans-
actionnel). Mais pour louable qu’elle soit, l’intention sera-t-elle facile à mettre en œuvre ? Je
songe notamment au juge administratif…

Pour le reste, si l’on s’en tient à une présentation schématique26, on peut distinguer
brièvement celles des dispositions qui ne sont que la reprise (au besoin en les précisant) de
solutions déjà en vigueur (A) de quelques innovations notables (B).

A. — Les solutions confirmées


Le projet reprend des solutions jurisprudentielles, mais aussi avant tout, dans la lignée des
réflexions engagées en 2004 par le groupe Lambert-Faivre, et en 2005 par la commission
Dintilhac, prévoit la mise en place d’outils juridiques qui ne sont pas encore tous tout à fait
opérationnels.
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Je songe ici par exemple au principe posé à l’article 1270 d’un barème médical unique et
indicatif pour l’évaluation du déficit fonctionnel (les modalités d’élaboration et de révision
doivent être déterminées par voie réglementaire)27 ; mais aussi et surtout au renvoi par l’article
1272, à un décret censé prévoir un référentiel indicatif d’évaluation… On sait que la question
est très polémique : la crainte a été clairement exprimée que sous couvert de référentiel, on

25 Sur cette question, v. not., B. Girard, art. préc. Pour une approche critique, v. Ph. Brun, « Retour en
trois objections sur l’obligation faite à la victime de minimiser son préjudice », Mélanges à la
mémoire de S. Carval, IRJS éd. 2021, p. 141 et s.
26 Pour une vue d’ensemble, L. Clerc-Renaud et C. Quezel-Ambrunaz, « Les effets de la responsabilité
et la réparation des dommages, unité ou diversité des formes de réparation dans le projet français »,
in La réforme du droit de la responsabilité en France et en Belgique, Recueil des travaux du GRECA,
B. Dubuisson (dir.), éd. Bruylant, 2020, p. 508 et s.
27 Sur ce vœu unanimement formulé de longue date d’un barème médical unique, Y. Lambert-Faivre et
S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, Systèmes d’indemnisation, Précis Dalloz, 8e éd. 2016,
n° 122 et s. ; F. Bibal, L’évaluation du préjudice corporel, Lexis-Nexis, 21e éd. 2018, n° 48 et s. ; G.
Mor et L. Clerc-Renaud, Réparation du préjudice corporel, éd. 2021-2022, n° 121-41 et s.

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barémise sur la base du moins-disant28. Le décret dit « datajust » du 27 mars 202029 n’a
visiblement rassuré personne de ce point de vue30
La nomenclature des chefs de préjudices elle, est opérationnelle. L’article 1269 du projet
commande qu’une telle nomenclature, « non limitative », soit fixée par décret. C’est bien
tout le problème que de savoir s’il faut graver dans le marbre une telle nomenclature31 ou la
laisser « respirer » et évoluer au gré de la jurisprudence, étant observé toutefois sur ce point
que celle-ci s’est montrée jusqu’à présent assez frileuse, et peu encline en tout cas à admettre de
nouveaux chefs de préjudices autonomes32.
Quant à la reprise des solutions jurisprudentielles, on peut citer l’article 1268 qui dénie
tout effet exonératoire de responsabilité aux prédispositions de la victime, reprenant ainsi les
principes de solution d’une jurisprudence constante33. Sans parler de reprise à proprement
parler, il y a pour l’essentiel, avec un degré de détail qui n’est pas très usuel pour des dispo-
sitions du code civil, les règles relatives aux recours des tiers payeurs, avec la réaffirmation de la
limitation aux cas légaux et l’ajout des départements parmi les tiers payeurs (article 127334),
l’énumération des prestations donnant lieu à recours. La reprise aussi des principes de
l’imputation poste par poste, sur les seuls chefs de préjudices pris en charge par le tiers payeur,
avec l’exclusion pure et simple des préjudices extrapatrimoniaux (ce serait un progrès
considérable35), ainsi que la réaffirmation du droit de préférence donné à la victime, (art. 1276
al. 2 et 3) : mais sur ce point, la formulation retenue est pour le moins ambiguë.

B. — Les innovations
J’en vois deux principales. Une qui a son siège à l’article 1272 du projet qui brise un tabou
en prévoyant que l’indemnisation due au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de
revenus des proches et de l’assistance tierce personne a lieu en principe sous forme de rente,
indexée sur un indice lié à l’évolution du salaire minimum. Si une telle solution a depuis long-
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28 V. ex multis, C. Cousin, « Le débat sur le référentiel indicatif de l’indemnisation du dommage
corporel des cours d’appel à l’heure des bases de données », JCP 2017, 483.
29 Décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d’un traitement automatisé des données
personnelles.
30 Pour une présentation détaillée et une analyse critique, v. État des lieux critique des outils d’évaluation
des préjudices consécutifs à un dommage corporel, Webinaire des 7 et 8 déc. 2020, Université Savoie
Mont Blanc, dir. C. Quézel-Ambrunaz, et notamment les interventions de R. Bigot (Standard
humain ou standardisation algorithmique de l’évaluation du dommage corporel ?), J. Bourdoiseau
(Binaire ou ternaire : l’hypothèse de la réparation algorithmique) E. Deleris, (Présentation de l’outil
Datajust), halshs-03046935.
31 V. à cet égard, S. Porchy-Simon et O. Gout, « Plaidoyer pour la défense des nomenclatures dans le
droit du dommage corporel », D. 2015. 1499.
32 On peut citer à cet égard la jurisprudence de la 2e chambre civile de la Cour de cassation qui se refuse
à reconnaître au préjudice d’angoisse de mort imminente une quelconque autonomie par rapport au
poste de préjudice des souffrances endurées : v. notamment Cass. 2e civ., 2 fév. 2017 : n° 16-11411 ;
Bull. civ. II, n° 30. La jurisprudence de la chambre criminelle est contraire (v. Cass. crim., 23 oct.
2012 : n° 11-83770 ; RTD civ. 2013 . 125, obs. P. Jourdain) et la réunion d’une chambre mixte est
imminente.
33 V. parmi de nombreuses décisions ayant affirmé le principe de la non-prise en compte des
prédispositions de la victime, Cass. 2e civ., 3 mai 2018 : n° 17-14985.
34 L’enjeu étant ici la prestation de compensation du handicap (PCH).
35 V. sur cette problématique, Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, op. cit. n° 382 ; F. Bibal, op. cit.
n°280 et s.

(p. 403-410) Philippe BRUN Arch. phil. droit 63 (2022)


410 LA RESPONSABILITÉ

temps la faveur d’une partie de la doctrine36, elle a aussi suscité des réticences, en particulier du
côté des avocats de victimes, qui soulignent, entre autres inconvénients, celui de la faiblesse
évidente de leur revalorisation37. Le texte proposé conjure-t-il le risque souligné par les parti-
sans de l’indemnisation en capital ? Il est malaisé de répondre à cette question.
Quoi qu’il en soit, la possibilité d’une capitalisation est prévue à l’article 1272 al. 2, mais le
principe n’est pas moins posé de la rente pour des chefs de préjudices particulièrement
importants. Pour controversée que soit cette solution, elle peut tout de même nous semble-t-il
être tenue pour pertinente, notamment au regard du risque de dilapidation de la somme
allouée en capital38. Le droit comparé porte à constater en tout cas qu’elle prévaut chez
certains de nos voisins39. Il est vrai néanmoins qu’elle peut porter indirectement atteinte à un
principe, proclamé non dans les dispositions sur le dommage corporel mais sur la réparation
en général : l’article 1264 qui dispose que « la victime est libre de disposer des sommes
allouées ».

Il est vrai que la Cour de cassation veille depuis longtemps au respect de cette règle dite de
libre disposition ou de non-affectation des dommages et intérêts qui est particulièrement
sensible en matière de réparation du dommage corporel40. Il reste que si la jurisprudence a si
souvent à le rappeler, notamment à propos des sommes allouées au titre de l’assistance tierce
personne41, c’est qu’il y a des résistances très fortes, des assureurs bien sûr (qui rêvent de voir
affecter les dommages et intérêts), mais des juges aussi dans une certaine mesure qui
conservent le réflexe d’exiger des factures plutôt que des devis, ce alors que c’est le besoin qui
est évalué et non la dépense42.

philippe.brun@justice.fr
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36 V. not. G. Viney, P. Jourdain, et S. Carval, Les effets de la responsabilité, LGDJ-Lextenso, 4e éd. 2017,
n° 139.
37 V. not. en ce sens, C. Bernfeld et R. Coviaux, « Rentes : leur trop faible revalorisation interdit la
réparation intégrale », Gaz. Pal., 2-3 juill. 2012, p. 14.
38 V. not. en ce sens, G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, op. cit. loc. cit ; F. Bibal, op. cit. n° 193.
39 V. à cet égard O. Sabard, « La forme de la réparation », in La réparation intégrale en Europe,
F. Leduc et Ph. Pierre (dir.), éd. Larcier, 2012, p. 76 et s. spéc. p. 82, qui cite notamment l’exemple de
l’Allemagne, de l’Autriche, de la Hongrie et de la Pologne (qui semble-t-il posent le principe de
manière plus énergique).
40 V. not. sur ce point, D. Tapinos, « Le principe de la libre disposition des indemnités », Gaz. Pal. 15
mars 2016, p. 66 et s. F. Bibal et Ph. Brun, « La libre disposition des dommages et intérêts », in Des
spécificités de l’indemnisation du dommage corporel, Recueil des travaux du GERCA, C. Quezel-
Ambrunaz, Ph. Brun et L. Clerc-Renaud (dir.), éd. Bruylant, 2017, p. 77 et s.
41 V. parmi de nombreuses décisions, Cass. 2e civ., 20 juin 2013 : n° 12-21548 ; Gaz. Pal., 8 oct. 2013,
p. 24, obs. F. Bibal.
42 V. en ce sens, F. Bibal et Ph. Brun, art. préc. p. 81.

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