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L’application par le juge administratif des décisions

d’inconstitutionnalité rendues sur QPC


Arnaud Blusseau
Dans Revue française de droit constitutionnel 2017/3 (N° 111), pages 559 à 582
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1151-2385
ISBN 9782130788409
DOI 10.3917/rfdc.111.0559
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L’application par le juge administratif des décisions


d’inconstitutionnalité rendues sur QPC

ARNAUD BLUSSEAU

Aux yeux de Monsieur le Président Robert Badinter et Monsieur le


Vice-président Marceau Long, afin de veiller à l’unité de la Constitution,
il est du devoir du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État :
D’abord de concevoir leurs missions respectives comme complémentaires
de chacune des deux autres, ensuite d’harmoniser leur jurisprudence dans les
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domaines qui leur sont communs, enfin d’éviter toute faille, toute lacune, tout
angle mort dans le contrôle juridictionnel1.

Les deux juridictions doivent concevoir leurs relations afin d’assurer


la garantie et la cohérence de la Constitution et par conséquent de l’ordre
juridique. Cette affirmation s’est accentuée avec l’institution de la ques-
tion préjudicielle de constitutionnalité.
En partant des relations entre les juges constitutionnel et administratif,
deux intérêts d’une étude relative aux suites que le juge administratif tire
des décisions d’inconstitutionnalité rendues en application de l’article 61-1
de la Constitution2 se présentent.

Arnaud Blusseau, assistant de justice au Tribunal administratif de Versailles.


1. R. Badinter et M. Long, « Avant-propos, Conseil constitutionnel et Conseil d’État, Une
seule Constitution », pp. 29-31, p. 30 in Conseil constitutionnel et Conseil d’État, LGDJ, 1988,
536 p.
2. Le sujet n’est pas totalement vierge. En plus des commentaires et conclusions relatifs aux
arrêts du 13 mai 2011, on pourra se référer aux études générales suivantes, M. Fatin-Rouge
Stéfanini et K. Roudier, « Les suites des décisions rendues par les juridictions constitution-
nelles dans le cadre de la question d’inconstitutionnalité. Étude portant sur les conséquences
de la déclaration d’inconstitutionnalité », pp. 311-403, in La question prioritaire de constitu-
tionnalité. Approche de droit comparé, s. d. L. Gay, Bruxelles, Bruylant, 2014, 734 p. ; S. Ferrari,
« L’exécution par le juge administratif des décisions QPC rendues par le Conseil constitu-
tionnel », RDP 2015, n° 6 pp. 1495-1532. Nous tenons également à remercier Madame le
Rapporteur public S. Von Coester et Messieurs les Rapporteurs publics X. De Lesquen, et
A. Lallet pour nous avoir communiqué leurs très intéressantes conclusions sur certains arrêts
d’application des décisions du Conseil constitutionnel et d’avoir accepté d’en faire état dans
notre travail écrit.

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Le premier est qu’elle apparaît comme un bilan relatif aux relations


entre le juge constitutionnel et le juge administratif dans le cadre
renouvelé de la QPC. Ce résultat amène à observer que l’harmonie et la
concordance règnent au Palais-Royal pour assurer le respect des effets des
censures, définis par le Conseil constitutionnel.
Le second intérêt met en lumière que ces relations ont pour objectif
d’assurer la primauté et l’unité de la Constitution. Au stade de l’appli-
cation des décisions d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel et
le Conseil d’État œuvrent pour assurer l’équilibre de leurs rapports afin
de garantir l’unité et la suprématie de la Constitution. Leur « complé-
mentarité3 » doit les mener à faire prévaloir la Constitution par son inter-
prétation harmonieuse et unifiée, « le respect de la Constitution ne peut
reposer uniquement sur la juridiction constitutionnelle4 ». Ainsi apparaît
la nécessité du monopole du pouvoir de détermination des effets dans le
temps de la décision d’inconstitutionnalité entre les mains du Conseil
constitutionnel et de son respect par les juridictions ordinaires, parti­culiè-
rement dans un système composé d’une dualité d’ordre juridictionnel5.
Cette nécessité peut se résumer en considérant que ce pouvoir « main-
tient la cohérence et l’effectivité de tout l’édifice QPC, tant celui-ci serait
ruiné, en aval, par des aménagements multiples, voire anarchiques, qui
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aboutiraient à reconnaître au juge a quo le pouvoir de faire perdurer ou
revivre l’inconstitutionnalité6 ».

La centralisation du pouvoir de modulation des effets dans le temps


permet alors d’éviter les divergences de jurisprudence dans l’application des
décisions de non-conformité en leur garantissant une application uniforme.
Pour qualifier juridiquement ces rapports, le terme « d’application »
correspond au rôle du juge administratif au moment de tirer les consé-
quences de l’inconstitutionnalité. La part de concret que ce terme contient7

3. F. Moderne, « Complémentarité et compatibilité des décisions du Conseil constitution-


nel et des arrêts du Conseil d’État ? », pp. 313-380, p. 313, in Conseil constitutionnel et Conseil
d’État, précité.
4. M. Fatin-Rouge Stéfanini et K. Roudier, « Les suites des décisions rendues par les juri-
dictions constitutionnelles dans le cadre de la question d’inconstitutionnalité. Étude portant
sur les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité », article précité, p. 403.
5. L’application de la décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, Viviane L. par le Conseil
d’État (CE, ass., 13 mai 2011, Mme Delannoy et M. Verzele, n° 317808 et CE, ass., 13 mai 2011,
Mme Lazare, n° 329290 ) et la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. Civ. . 1er,
15 décembre 2011, n° 10-27. 473 ) en est une illustration.
6. M. Disant, « Les effets dans le temps des décisions QPC », Nouv. Cah. Cons. const., n° 40,
2013, pp. 63-82.
7. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, Puf, coll. « Quadrige », 11e éd mise à jour, 2016,
1101 pp., p. 73-74 ; L. Favoreu, « L’application des décisions du Conseil constitutionnel par
le Conseil d’État et le Tribunal des conflits », R. F. D. A., 1987, pp. 264-280, pp. 264-265. Le
Doyen Favoreu cite ensuite pour illustrer ses propos l’arrêt S. A. des établissements Outters, (CE,
ass., 20 décembre 1985, S. A. des établissements Outters p. 382 ).

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donne tout son poids pour s’intéresser au rôle du « juge du litige8 ».


Ceci n’implique toutefois pas d’évincer les autres aspects des suites d’une
décision du juge constitutionnel devant le juge administratif, et en parti-
culier la question de son effectivité9. Appliquant des décisions issues d’un
contrôle a posteriori, dans le cadre d’une question préjudicielle, le juge
administratif se trouve dans une position privilégiée pour assurer le res-
pect et l’efficacité des décisions du Conseil consti­tutionnel. Comme dans
le contrôle a priori10, la décision du Conseil constitutionnel est un moyen
contentieux.
Mais au moment de tirer les conséquences d’une censure, la ques-
tion de constitutionnalité renforce doublement l’efficacité de la décision
d’inconstitutionnalité devant le juge administratif. Celui-ci a d’abord
l’obligation de soulever d’office le moyen tiré de ce qu’une disposition
législative a été déclarée contraire à la Constitution11. Un tel régime pro-
cédural favorable permet de garantir la protection juridictionnelle de
la Constitution, de la décision d’inconstitutionnalité et de favoriser la
réussite de la QPC. Elle lui ouvre ensuite la perspective d’engager la res-
ponsabilité de l’État législateur en raison d’une loi inconstitutionnelle.
Comme le soulignait le Doyen Georges Vedel, le principe qui « s’oppose
à ce que la responsabilité de l’État législateur soit une responsabilité
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“comme les autres”, c’est celle selon laquelle la loi, une fois promulguée,
est incontestable12 ».
Le Tribunal suprême espagnol13 et la Cour de cassation belge14 ont
ainsi admis la responsabilité de l’État du fait d’une loi inconstitutionnelle.

8. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, p. 211.


9. L’effectivité de la décision de justice est généralement utilisée en doctrine pour qua-
lifier l’exécution de la décision. V. en ce sens, G. Cornu, Vocabulaire juridique, ouvrage pré-
cité, p. 432 ; G. Drago, L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel, l’effectivité du contrôle de
constitutionnalité des lois, préf. Y. Gaudemet, Paris, Economica – Aix-en-Provence, PUAM, coll.
« Droit public positif », 1991, 403 p., p. 15. ; L. Favoreu, « L’effectivité des décisions de jus-
tice en droit public interne », Rapport français aux journées 1985 de l’association H. Capitant,
Travaux de l’association Henri Capitant, tome XXXVI, Économica, 1987, pp. 601-623, passim.
10. CE, ass., 20 décembre 1985, S. A. des Établissements Outters, arrêt précité ; CE, 16 avril
1986, Société méridionale de participations bancaires, p. 93 ; CE, 28 janvier 1988, Elfanzi,
n° 37156, 37157 ; V. en ce sens, G. Drago, L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel,
l’effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois, thèse précitée, pp. 308-309 ; L. Favoreu,
« L’application des normes constitutionnelles et des décisions du Conseil constitutionnel par
le juge administratif (nouveaux développements ) », RFDA, 1989, pp. 142-156, p. 153.
11. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité ; V. égal. en ce sens, Conseil constitutionnel,
« Avril 2011 : Les effets dans le temps des décisions QPC du Conseil constitutionnel (II) »,
Rubrique « À la une », en ligne : http://www. conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitu-
tionnel/francais/a-la-une/avril-2011-les-effets-dans-le-temps-des-decisions-qpc-du-conseil-
constitutionnel-ii.95651.html.
12. G. Vedel et P. Derlvolé, Droit administratif, Puf, coll. « Thémis », 12e éd. 1992, 802 p.,
p. 638
13. TS, 15 juillet 1987, RJ 1988, n° 10105, et TS, 15 juillet 1987, RJ 1988, n° 10106 ;
V. égal A. Blandin, La responsabilité de l’État du fait des lois méconnaissant des normes de valeur supé-
rieure, préf. P. Bon, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèse », vol. 151, 2016, 454 p.
14. Cass. Belgique, 1er juin 2006, n° C050494N.

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Par conséquent, les effets dans le temps de la censure et le caractère


a posteriori du contrôle dessinent un nouveau partage des rôles entre le juge
administratif et le Conseil constitutionnel. De nouvelles difficultés sont
donc amenées à se présenter. Elles concernent notamment l’articulation
entre les contrôles de conventionnalité et de constitutionnalité15, l’appli-
cation sélective des effets de la décision d’inconstitutionnalité16, l’exten-
sion aux instances en cours de l’inconstitutionnalité de « dispositions
identiques dans leur substance et dans leur rédaction17 », l’imprécision
du Conseil constitutionnel et du législateur sur la détermination des
effets dans le temps de la censure.
Pour prévenir une partie de ces difficultés, le Conseil d’État a défini,
dans l’arrêt d’assemblée M’Rida, de manière générale l’office du juge admi-
nistratif au moment de tirer les conséquences d’une censure18. Il a adopté
une solution qui complète celle suivie par le juge constitutionnel dans
deux décisions du 25 mars 201119. Il en résulte que le juge du litige ne
peut déterminer des effets différents de ceux décidés par le Conseil consti-
tutionnel. Il doit se borner à appliquer la décision de non-conformité.
C’est ce qu’exprime le Conseil d’État lorsqu’il considère ceci :
Il appartient au juge, saisi d’un litige relatif aux effets produits par la dispo-
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sition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la
solution de ce litige, le cas échéant d’office, cette disposition, dans les conditions
et limites fixées par le Conseil constitutionnel ou le législateur20.

Le partage des rôles et la garantie de l’absence de divergence au stade


de l’application de la décision d’inconstitutionnalité sont donc assurés.
À ce titre, un regard attentif doit être porté sur ce qui, à première vue,
pourrait caractériser une désorganisation dans l’office de chacun des juges
tels qu’ils ont été définis dans les décisions et arrêts précités. Le fait pour

15. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, arret précité ; CE, 10 avril 2015, Société Red Bull on
Premise, n° 377207 ; M. Goyomar, note sous CE, 10 avril 2015, Société Red Bull on Premise « Le
Conseil d’État précise l’articulation entre les contrôles de constitutionnalité et de convention-
nalité de la loi », La Gazette du Palais, n° 176, mai 2015 ; X. Magnon, « L’inconstitutionnalité
de la cristallisation des pensions devant le Conseil d’État : dubia in meliorem partem interpretari
debent », RFDC, n° 88, 2011, pp. 865-874, pp. 688-689
16. J.-P. Thiellay, Conclusions sur CE, ass 13 mai 2011, Mme Delannoy, et CE, ass 13 mai
2011, Mme Lazare « Les suites tirées par le Conseil d’État des décisions du Conseil constitu-
tionnel », RFDA 2011 pp. 772-789
17. CE, 16 janvier 2015, Société Métropole télévision, n° 386031 ; M. Disant, « L’autorité
substantielle des déclarations d’inconstitutionnalité. De l’inconstitutionnalité équivalente »,
Constitution, 2015 pp. 229-236
18. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité
19. Décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, Mme Marie-Christine D. p. 154 ;
CC, décis. n° 2010-1110 QPC du 25 mars 2011, M. Jean-Pierre B., p. 160 ; V. en ce sens,
A. Bretonneau et X. Domino, « Les suites de la QPC : histoire et géographie du dialogue des
juges », AJDA, 2011, pp. 1136-1150 ; M. Disant, « Les effets dans le temps des décisions
QPC », article précité.
20. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité

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le juge administratif de ne pas faire bénéficier de la censure l’auteur de


la QPC lorsque le juge constitutionnel en a décidé ainsi ne relève pas
d’une méconnaissance de l’article 62 alinéa 3. Le Conseil d’État se présen-
terait en censeur des décisions du Conseil constitutionnel s’il en décidait
autrement21. Par conséquent :
Conformément à l’article 62 de la Constitution, le Conseil d’État ne sau-
rait connaître d’une contestation des déclarations d’inconstitutionnalité pro-
noncées par le Conseil constitutionnel, fût-ce au regard de l’article 6 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales.

Le requérant ne peut donc se prévaloir devant le Conseil d’État du


moyen tiré de ce que l’impossibilité d’invoquer l’inconstitutionnalité de
la disposition contestée porterait atteinte à l’article 6 de la Convention
européenne des droits de l’homme22.
La ligne de partage en mouvement se situe dans la question du degré
de précision des effets dans le temps de la décision du Conseil consti-
tutionnel. Une imprécision du Conseil constitutionnel ou du législateur
relative aux modalités d’application de la censure crée une marge d’appré-
ciation au profit du juge du litige23. Ces hypothèses soulèvent des dif-
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ficultés devant le juge administratif concernant les abrogations à effet
différé. Elles apparaissent à propos de la détermination du droit appli-
cable pendant, et à l’issue de la période transitoire. Elles amènent d’abord
à se demander si le juge doit appliquer ou écarter les effets produits par la
disposition législative inconstitutionnelle. Le Conseil d’État a répondu en
jugeant qu’il revient en principe au juge du litige d’en écarter les effets24.
En outre, la loi remédiant à l’inconstitutionnalité peut ne pas couvrir
les situations en cours ou passées et être insuffisante dans la détermi-
nation du droit applicable25. Le juge du litige doit harmoniser les effets

21. L. Favoreu, note sous CE, ass., 25 octobre 2002 « Le Conseil constitutionnel peut-il être
soumis à un contrôle du juge administratif ? », RFDA, 2003 pp. 8-14
22. CE, 16 octobre 2015, Mortemart, n° 373850
23. X. Magnon, « Premières réflexions sur les effets des décisions du Conseil constitution-
nel », R. F. D. A., 2011, pp. 761-772
24. CE, 4 mai 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat c/ Mme Diderot,
n° 337490
25. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité ; CE, 7 mai 2015, SARL Ventoris,
n° 370986 appliquant la décision n° 2014-388 QPC du 11 avril 2014, JORF, p. 6692 ;
A. Lallet, conclusions sur CE, 7 mai 2015, SARL Ventoris. Conclusions non publiées, nous
remercions le rapporteur pour l’aimable communication de ses conclusions qui éclairent sur
les suites que le Conseil d’État tire des décisions de censure rendues par le Conseil consti-
tutionnel sur QPC ; Devant le juge judiciaire la question s’est également rencontrée (Cass.
Civ1re., 28 janv. 2015, n° 13-20. 701, FS P+B+R+I ) dans le cadre de l’application de la déci-
sion n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013, Époux L, p. 942 ; P. Deumier, « Les décisions
QPC, le retard du législateur, les instances en cours et l’office de la Cour de cassation », note
sous Cass. Civ. 1re., 28 janv. 2015, JCP G, n° 13, mars 2015, 361

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de la censure et la loi nouvelle. Se comprend alors l’utilisation des réserves


d’interprétation transitoires par le juge constitutionnel26 pour clarifier le
droit applicable par le juge du litige.
À rebours de ces situations d’intervention insuffisantes du législateur,
celui-ci peut être intervenu ou intervenir pour les décisions d’abrogation
à effet immédiat27 ou pour les décisions d’abrogation à effet différé. Ainsi,
sous réserve de l’application de la loi aux instances en cours, un nou-
veau fondement légal est substitué à la disposition inconstitutionnelle.
Il appartient alors au juge administratif d’apprécier la constitutionnalité
des actes pris en application de la disposition inconstitutionnelle28 et
de remettre en cause, le cas échéant, les effets inconstitutionnels qu’elle
a produits dans les conditions et limites fixées par le législateur ou le
Conseil constitutionnel.
Le bilan que nous dressons sur les suites des décisions d’inconstitu-
tionnalité devant le juge administratif a pour objectif de montrer que
la relation de complémentarité qui s’installe entre le Conseil constitu-
tionnel et le Conseil d’État est guidée par la protection de la Constitution
et l’affirmation de sa primauté. Il s’agit d’une garantie de la réussite de
la QPC. Cette œuvre commune apparaît dans ces relations, au moment
d’appliquer la déclaration de non-conformité.
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Chacune de ces étapes se résume et s’articule de la façon suivante. Les
effets définis par l’article 62 alinéa 3 servent la détermination des effets
dans le temps de la censure. À partir de ces conditions d’application qui
s’imposent à lui, le juge administratif résout le litige en s’appuyant sur la
décision d’inconstitutionnalité. Toutefois, elle n’est pas une fin en soi, le juge
administratif doit l’appliquer. Pour reprendre la formule de Xavier Magnon :
La censure ne résout donc que le procès incident de constitutionnalité ; elle
ouvre de nouvelles questions dans le procès principal29.

L’arrêt du juge administratif traduit son respect de la décision du


Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 alinéa 3 par son impré-
gnation de la déclaration de non-conformité de ses visas jusqu’à son dis-
positif en passant par les motifs.
S’intéresser aux suites de la censure sous cet angle et devant le juge
administratif implique donc de mettre en évidence la fonction de juge du
litige du juge administratif. Ces premières années d’application souli-
gnent que son office de juge du litige est plus développé que l’application

26. CC, décis. n° 2014-400 QPC du 6 juin 2014, JORF p. 9674


27. CC, décis. n° 2011-200 QPC du 2 décembre 2011, Banque populaire Côte d’Azur,
p. 559 ; CC, décis. n° 2014-410 QPC du 18 juillet 2014, Société Roquette frères, JORF p. 12117
28. CE, 16 avril 2015, Société Roquette frères, n° 375784
29. X. Magnon, « Premières réflexions sur les effets des décisions du Conseil constitution-
nel », article précité

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directe et inconditionnée de la censure. Plusieurs conditions peuvent se


présenter (I) avant de résoudre le litige à partir de la décision d’inconsti-
tutionnalité (II). Ses suites devant le juge administratif amènent égale-
ment à s’intéresser à l’effectivité de la censure. À ce titre, le Conseil d’État
pourrait être à l’origine d’« un processus d’optimisation de la norma-
tivité constitutionnelle30 » en prolongeant la sanction de la déclaration
d’inconstitutionnalité par une sanction indemnitaire (III).

I – LES CONDITIONS DE L’APPLICATION DE LA DÉCISION


D’INCONSTITUTIONNALITÉ

À partir de la plus ou moins grande imprécision de la décision inconsti-


t­utionnalité, le juge administratif devra interpréter ses effets (A) et
s’assurer qu’elle en ait produits (B).

A – L’INTERPRÉTATION DES EFFETS DE LA DÉCISION


EN CAS D’IMPRÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
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Le Conseil constitutionnel et le législateur ont pu être imprécis sur
les conditions et limites relatives à la remise en cause des effets produits
par la disposition inconstitutionnelle, notamment en reportant les effets
dans le temps sans autre précision que celle de l’intervention législative31.
Toutefois, en raison de la concrétisation des effets dans le temps32, ces
hypothèses sont de plus en plus rares.
La réponse du Conseil d’État apportée dans un arrêt du 4 mai 201233
conduit le juge administratif à interpréter la censure à partir du cadre fixé
par le Conseil constitutionnel. Elle vaut pour toutes les situations de silence
ou d’indétermination des effets dans le temps34. Cet arrêt comporte un

30. M. Disant, « La responsabilité de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle.


Prolégomènes et perspectives », R. F. D. A., 2011, pp. 1181-1198
31. CC, décis. n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, Mme Marie-Christine D., décision
précitée ; CC, décis. n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, Association France Nature
Environnement, p. 508 ; CC, décis. n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012, Consorts B., p. 75 ;
CC, décis. n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012, Association France Nature Environnement
p. 326 ; CC, décis. n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014, Dominique de L., JORF, p. 20646
32. P. Deumier, « Les effets dans le temps des décisions QPC : un droit des conséquences
des décisions constitutionnelles », NOUV. CAH. CONS. CONST., n° 47, 2015, pp. 65-77,
p. 67 et s. ; M. Fatin-Rouge et K. Roudier, « Les suites des décisions rendues par les juri-
dictions constitutionnelles dans le cadre de la question d’inconstitutionnalité. Étude portant
sur les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité », article précité, p. 330
33. CE, 4 mai 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État
c/ Mmz Diderot, arrêt précité
34. X. Magnon, (Dir ), La Question prioritaire de constitutionnalité, principes généraux, pratique
et droit du contentieux, Paris, Lexis-Nexis, 2e éd, 2013, 454 p., p. 299

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566 Arnaud Blusseau

premier volet qui précise le principe de l’arrêt M’Rida35. Le Conseil d’État


mentionne pour la première fois l’office du juge administratif en cas de
silence de la décision du Conseil constitutionnel ou du législateur.
Le second volet de l’arrêt apporte une exception, le Conseil d’État juge
ceci « Compte tenu des motifs qui sont le support nécessaire de la déci-
sion du Conseil constitutionnel et eu égard à l’objet du litige » le juge
administratif peut appliquer la disposition déclarée inconstitutionnelle.
Il prend donc en considération deux éléments pour déterminer les effets
de la censure dans le procès principal et dans les instances en cours, l’objet
du litige et les motifs qui sont le support nécessaire. Cette jurisprudence
n’a pas amené et ne devrait pas amener le juge administratif à contredire
la censure parce qu’elle est cantonnée à l’indétermination par le Conseil
constitutionnel ou le législateur.
S’agissant dans un premier temps de l’expression de « motifs qui sont le
support nécessaire », dans les arrêts Delannoy et Verzele36 et Lazare37, le Conseil
d’État a déterminé les conséquences de la censure en se référant à ces motifs.
Il juge également que résulte de la décision n° 2010-108 QPC38, le principe
suivant lequel la déclaration d’inconstitutionnalité ne peut être appliquée
dans les instances en cours. Dans ces arrêts39, il ne se réfère pas à ce prin-
cipe mais aux motifs supports nécessaires pour interpréter la déclaration de
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non-conformité. Malgré cela, deux motifs justifient le respect général que le
juge administratif accorde aux décisions du Conseil constitutionnel. Suivant
le premier, le juge administratif ne se livre jamais à une interprétation auto-
nome des effets dans le temps de la censure40. Le second amène à considérer
que l’application de la décision n° 2010-2 QPC constitue un cas d’espèce41.
S’agissant dans un deuxième temps de l’objet du litige, cette notion se
réfère aux conclusions du requérant, c’est-à-dire à l’objet de sa demande.
Or, ce que peut demander le requérant dépend de la nature du recours de
sorte que dans un recours en excès de pouvoir le requérant est en prin-
cipe borné à demander l’annulation d’un acte administratif42. La nature du
recours et celle de l’acte administratif permettent de répondre à la question
de savoir s’il doit appliquer la disposition législative inconstitutionnelle
au requérant en cas d’imprécision du juge constitutionnel ou du légis-
lateur. Cette proposition se retrouve dans la jurisprudence administrative.

35. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité


36. CE, ass., 13 mai 2011, Delannoy et Verzele, arrêt précité
37. CE, ass., 13 mai 2011, Lazare, arrêt précité
38. CC, décis. n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, Mme Marie-Christine D., décision précitée
39. CE, ass., 13 mai 2011, Delannoy et Verzele, arrêt précité ; CE, ass., 13 mai 2011, Lazare,
arrêt précité
40. A. Bretonneau et X. Domino, « Miscellanées contentieuses », AJDA, pp. 2373-2383
41. Idem
42. R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien Lextenso éditions,
coll. « Domat droit public », 13e éd. 2008 1540p. pp. 1102 et s.

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L’application par le juge administratif des décisions 567

Dans la décision n° 2011-183/184 QPC43, le juge constitutionnel se


borne à différer l’abrogation en renvoyant au législateur la question de
régler les suites de la déclaration d’inconstitutionnalité. Aucune préci-
sion n’est apportée pour le juge du litige. La question qui se posait au
juge administratif était de savoir si, dans le cadre de ce recours en excès
de pouvoir et dans le silence de la décision du Conseil constitutionnel
s’agissant de cette abrogation différée, le principe de l’effet utile doit
s’appliquer, au moins à l’auteur de la QPC.
L’arrêt Sociétés Innovent et Volkswind44 concerne les conséquences à
l’égard d’une instance en cours. Le Conseil d’État relève qu’outre le
principe de l’effet utile, la décision n° 2011-183/184 « ne fixe pas
d’autres dispositions relatives aux conditions et limites dans lesquelles
les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis
en cause ».
Il en déduit que les contentieux qui peuvent apparaître pendant la
période transitoire ne peuvent se prévaloir des effets de la déclaration
d’inconstitutionnalité. En ce qui concerne le recours exercé par l’auteur
de la QPC45, le Conseil d’État se fonde explicitement sur les motifs de
la décision du juge constitutionnel et sur l’objet du litige pour inter-
préter le silence du Conseil constitutionnel comme une impossibilité
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pour l’auteur de la QPC de se prévaloir de la déclaration d’inconstitu-
tionnalité46. Comme le souligne le rapporteur public :
En l’espèce, la circonstance que le litige qui a donné lieu à la QPC est un
recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte réglementaire nous semble
faire pencher la balance47.
Le Conseil d’État a confirmé cette jurisprudence dans le cadre de
l’application de la décision n° 2014-432 QPC48.
Ces jurisprudences se justifient d’abord par leur caractère limité
à l’imprécision du Conseil constitutionnel et dans le relais qu’elles
trouvent dans la jurisprudence et dans la « doctrine » du Conseil

43. CC, décis. n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, Association France Nature
Environnement, décision précitée
44. CE, 13 juillet 2012, Sociétés Innovent et Volkswind, n° 353565, 353577
45. CE, 14 novembre 2012, Association France Nature Environnement, n° 34053
46. M. Fatin-Rouge et K. Roudier, « Les suites des décisions rendues par les juridic-
tions constitutionnelles dans le cadre de la question d’inconstitutionnalité. Étude portant
sur les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité », article précité pp. 423-424 ;
X. Magnon, (Dir ), La Question prioritaire de constitutionnalité, principes généraux, pratique et droit
du contentieux, ouvrage précité p. 300 ;
47. X. De Lesquen, conclusions sur CE, 14 novembre 2012, Association France Nature
Environnement, conclusions non publiées. Nous tenons à remercier le rapporteur public pour la
transmission de ses conclusions et pour l’autorisation d’en faire état dans nos travaux.
48. CC, décis. n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014, Dominique de L. décision précitée ;
CE, 2 février 2015, M. D. n° 382753

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568 Arnaud Blusseau

constitutionnel49. De manière plus pragmatique, « le silence du Conseil


constitutionnel sur les “effets passé” de la QPC n° 183/184 doit se
comprendre comme une absence de remise en cause, mais il s’agit d’une
solution d’espèce50 ».

B – LA VÉRIFICATION DES EFFETS PRODUITS PAR LA DISPOSITION


LÉGISLATIVE INCONSTITUTIONNELLE

Dans l’arrêt M’Rida51, le Conseil d’État a considéré que le juge « saisi


d’un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconsti-
tutionnelle » doit les remettre en cause. Par conséquent, le juge admi-
nistratif peut être amené à vérifier qu’elle est applicable à la situation
du requérant, comme cela se remarque s’agissant de l’application de la
décision n° 2010-2 QPC52.
En outre, la notion de « disposition législative applicable au litige » au
sens des articles 23-2 et 23-4 de l’ordonnance organique du 7 novembre
1958 est souple devant les juridictions administratives53. Se retrouvent
donc des dispositions que le Conseil d’État aurait accepté de renvoyer, qui
auront été déclarées contraire à la Constitution avec une obligation pour
le juge du litige de relever d’office ce moyen à l’égard de l’auteur de la
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QPC, mais qui n’auront produit aucun effet dans le litige54. L’application
de la décision n° 2012-279 QPC55 met en lumière une telle situation56.
Le régime de la recevabilité des recours en contentieux administratif
devrait expliquer ce décalage.

49. Conseil constitutionnel, « septembre 2014 : Les effets dans le temps des décisions
QPC », Rubrique « À la une ». En ligne : http://www. conseil-constitutionnel. fr/conseil-
constitutionnel/francais/a-la-une/septembre-2014-les-effets-dans-le-temps-des-decisions-
qpc. 142100. html
50. X. De Lesquen, conclusions précitées
51. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité
52. A. Bretonneau et X. Domino, « Les suites de la QPC : histoire et géographie du dialogue
des juges », article précité ; P. Deumier, « L’après QPC de l’anti-Perruche, épisode 1 », note sous
Cass. Civ. 1er 15 déc. 2011, RTD Civ, 2012 p. 71-75 ; X. Magnon, « Premières réflexions sur
les effets des décisions du Conseil constitutionnel », article précité ; « L’inconstitutionnalité de
la cristallisation des pensions devant le Conseil d’État : dubia in meliorem partem interpretari
debent », article précité ; V. pour les arrêts d’application, CE, ass 13 mai 2011, Mme Delannoy
et M. Verzele arrêt précité ; CE, ass, 13 mai 2011, Mme Lazare, arrêt précité ; CE, 31 mars 2014,
Centre hospitalier de Senlis, n° 345812, 346767 ; D. Cristol, « Dernier état des débats sur la
temporalité et les règles de fond du dispositif « anti-Perruche » », RDSS, 2014, pp. 542-553.
53. X. Magnon, (dir) La Question prioritaire de constitutionnalité, principes généraux, pratique et
droit du contentieux, ouvrage précité, pp. 193 et s. ; A. Roblot-Troizier, « La QPC, le Conseil
d’État et la Cour de cassation », Nouv. Cah. Cons. const., 2013, pp. 49-61, p. 53
54. M. Disant, « Les effets dans le temps des décisions QPC », article précité ; J. Lessi et
L. Dutheillet de Lamothe, « Cinq ans de QPC devant le juge administratif : retour d’expé-
rience », AJDA, 2015, pp. 755-762 ; X. Magnon, « La modulation des effets dans le temps
des décisions du juge constitutionnel », AIJC, XXVII, 2011, pp. 557-591
55. CC, décis. n° 2012-279 QPC du 5 octobre 2012, Jean-Claude P. p. 514
56. CE, 19 novembre 2014, M. A n° 359223

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L’application par le juge administratif des décisions 569

Dans la décision n° 2012-279 QPC, le Conseil constitutionnel a


déclaré contraire à la Constitution certaines dispositions de la loi n° 69-3
du 3 janvier 1969. S’agissant des effets dans le temps de sa décision, le
juge constitutionnel l’a revêtue d’une application immédiate et d’ordre
public aux affaires non définitivement jugées. Toutefois, le considérant de
principe relatif aux effets dans le temps consacré dans les deux décisions
du 25 mars 2011 ne figure pas dans les motifs de cette décision.
Le Conseil d’État va pourtant juger que l’auteur de la QPC ne peut
se prévaloir de la déclaration d’inconstitutionnalité57. Ses conclusions
concernaient l’ensemble des dispositions du décret en tant qu’il régit la
situation des forains, soumis à l’article 2 de la loi, déclaré conforme à
la Constitution, et des « gens du voyage » soumis aux dispositions des
articles 4 et 5 qui méconnaissent la Constitution. Or, le requérant se pré-
valait devant le Conseil d’État de sa qualité de forain pour contester les
dispositions du décret fondées sur les dispositions législatives conformes
à la Constitution relatives aux forains et les dispositions législatives
contraires à la Constitution relatives aux « gens du voyage ». En conten-
tieux administratif, le régime de l’intérêt donnant qualité « porte la
marque d’un libéralisme indéniable » mais connaît des limites58. Parmi
celles-ci, le juge administratif examine la qualité en vertu de laquelle le
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requérant agit, et exige qu’elle corresponde avec l’acte administratif59.
C’est suivant ce raisonnement que la qualité de forains ne permet pas
de contester les dispositions du décret du 31 juillet 1970 relatives aux
« gens du voyage ». N’étant pas recevable pour les contester, il ne peut
pas invoquer le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de ces dispositions.
Lorsque ces limites relatives au régime de la recevabilité du recours
contentieux rencontrent le caractère souple de l’applicabilité au litige, se
crée précisément le décalage rencontré en l’espèce. Cette rupture tient au
renvoi au juge constitutionnel de certaines dispositions et l’impossibilité
pour l’auteur de la QPC de se prévaloir de la déclaration d’inconstitu-
tionnalité, alors même qu’elle lui est applicable en vertu de la décision
du Conseil constitutionnel. Ce hiatus est explicitement formulé par le
Conseil d’État dans l’arrêt60 lorsqu’il juge ceci :
S’il appartient au juge, saisi d’un litige relatif aux effets produits par des
dispositions déclarées inconstitutionnelles, de les remettre en cause en écartant,
pour la solution de ce litige, le cas échéant d’office, ces dispositions, dans les
conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel, il ne peut le faire que
dans les limites des conclusions recevables dont il est saisi.

57. Ibid.
58. R. Chapus, Droit du contentieux administratif, ouvrage précité, p. 469
59. Ibid. p. 481
60. CE, 19 novembre 2014, M. A, arrêt précité

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570 Arnaud Blusseau

Le même raisonnement peut être suivi s’agissant de l’application


de la décision n° 2014-393 QPC61. Si le Conseil d’État62 n’en fait pas
bénéficier l’auteur de la QPC de la censure c’est parce que la dispo-
sition législative inconstitutionnelle n’est pas la base légale de l’acte
administratif.

II – LA RÉALISATION DE L’APPLICATION DE LA DÉCISION


D’INCONSTITUTIONNALITÉ

Une distinction autour de la date de prise d’effet de la décision


d’inconsti­tutionnalité permet de mettre en évidence que lorsqu’il applique
les décisions de censure à effet immédiat, le juge du litige applique sur-
tout la décision de censure (A). Dans l’application des décisions à effet
différé, le juge constitutionnel s’adresse au législateur et aux juridictions,
le juge administratif doit alors harmoniser la déclaration d’inconstitu-
tionnalté et la loi nouvelle (B).
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A – L’APPLICATION ENCADRÉE DE LA DÉCISION
D’INCONSTITUTIONNALITÉ À EFFET IMMÉDIAT

Le principe de la déclaration d’inconstitutionnalité à effet immédiat


aux instances en cours consiste à appliquer immédiatement la censure à
tous les procès en cours63. L’office du juge administratif est d’apprécier
les incidences de l’abrogation dans le cadre défini par le Conseil consti-
tutionnel ou le législateur. Or, eu égard à la concrétisation des effets dans
le temps et à l’intervention du législateur, le juge du litige peut être
confronté à des situations très diverses64.
Pour l’application aux instances en cours le juge administratif tire
les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité sur la solution
du litige à partir des précisions indiquées par le Conseil constitutionnel.
C’est le cas pour l’application des décisions à propos desquelles la remise
en cause des effets que la disposition a produits est fixée par le Conseil
constitutionnel. Le juge administratif remet en cause les effets que la

61. CC, décis. n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, M. Angelo R. JORF p. 7362
62. CE, 30 décembre 2015, Section française de l’OIP n° 383294 ; CE, 10 mars 2016, M. A.
n° 392421
63. X. Magnon, « La modulation des effets dans le temps des décisions du juge constitu-
tionnel », article précité, pp. 561-562
64. M. Fatin-Rouge Stéfanini et K. Roudier, « Les suites des décisions rendues par les juri-
dictions constitutionnelles dans le cadre de la question d’inconstitutionnalité. Étude portant
sur les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité », article précité p. 377.

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L’application par le juge administratif des décisions 571

disposition a produits en jugeant que les décisions administratives sont


privées de base légale en conséquence de la censure65.
Se pose également la question de l’application d’une décision à effet
immédiat et de l’intervention du législateur. En effet, la loi nouvelle
remédiant à l’inconstitutionnalité peut conduire le juge administratif
à ne pas faire bénéficier le requérant de la censure alors même que le
Conseil constitutionnel a jugé que sa décision s’applique immédiatement
aux instances en cours. L’application de la décision n° 2011-200 QPC66
illustre une telle hypothèse. Les arrêts qui l’appliquent67 soulignent
qu’alors même que le Conseil constitutionnel a donné un effet immédiat
aux instances en cours à sa déclaration de non-conformité, l’intervention
du législateur, peut neutraliser la remise en cause des effets passés par la
décision de censure. Le juge du litige applique donc la loi nouvelle aux
situations qu’elle vise. La même configuration se rencontre s’agissant de
l’application de la décision n° 2014-410 QPC68.
L’arrêt du 16 janvier 2015, Société Métropole télévision69, illustre éga-
lement la diversité des hypothèses qui peuvent se rencontrer devant le
juge administratif dans le cadre de l’application de la décision de non-­
­conformité à effet immédiat. Le Conseil d’État devait répondre à la ques-
tion de savoir si une déclaration d’inconstitutionnalité de dispositions
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antérieures70, s’étend dans les instances en cours où sont appliquées des
dispositions identiques dans leur contenu mais codifiées différemment.
Il répond affirmativement à cette question, en donnant toute sa portée à
l’article 62 de la Constitution. Ainsi, il étend à des « dispositions iden-
tiques, dans leur substance et dans leur rédaction71 », et aux litiges dans
lesquels il en est fait application, la déclaration de non-conformité et les
effets immédiats qui y sont attachés. Le Conseil d’État ne détermine pas de
manière autonome un effet immédiat aux instances en cours. En vertu de
l’article 62, alinéas 2 et 3, une telle « inconstitutionnalité équivalente72 »

65. V. not. en ce sens, la décision n° 2011-202 QPC du 2 décembre 2011, Lucienne Q.


p. 567 appliqué par CE, 4 octobre 2013, Centre hospitalier spécialisé Esquirol. n° 348858 ;
V. égal., la décision n° 2014-449 QPC du 6 février 2015, Société mutuelle des transports assu-
rance, JORF p. 232 appliquée par CE, 15 février 2016, Société mutuelle des transports assurance
n° 384353.
66. CC, décis. n° 2011-200 QPC du 2 décembre 2011, Banque populaire Côte d’Azur, déci-
sion précitée
67. CE, 11 avril 2012, Banque populaire côte d’azur n° 336839 ; CE, 25 juillet 2013, Banque
populaire côte d’azur n° 366640
68. CC, décis. n° 2014-410 QPC du 18 juillet 2014, Société Roquette frères, décision pré-
citée ; CE, 16 avril 2015, Société Roquette frères, n° 375784
69. CE, 16 janvier 2015, Société Métropole télévision, arrêt précité
70. CC, décis. n° 2014-362 QPC du 6 février 2014, TF1 SA, JORF p. 2386
71. CE, 16 janvier 2015, Société Métropole télévision, arrêt précité.
72. M. Disant, « L’autorité substantielle des déclarations d’inconstitutionnalité. De l’inconsti­­
­tutionnalité équivalente », article précité.

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572 Arnaud Blusseau

s’imposait. Dès lors devaient également être transposés les effets dans le
temps décidés par le Conseil constitutionnel73.
Pour en arriver là, le Conseil d’État s’assure que le litige entre dans le
champ d’application temporel de la décision n° 2014-362 QPC. Il consi-
dère qu’il n’y a pas lieu de saisir le juge constitutionnel dès lors qu’en
vertu de l’article 62 alinéa 2 :
Le litige soumis au juge est au nombre de ceux pour lesquels le requérant
peut, en vertu de l’article 2 de la décision du 6 février 2014, bénéficier des effets
de la déclaration d’inconstitutionnalité.

Par conséquent, si le litige n’était pas entré dans le champ temporel


défini par le Conseil contitutionnel, le Conseil d’État ne pouvait déter-
miner de manière autonome les effets dans le temps d’une déclaration
d’inconstitutionnalité. Comme l’ont remarqué certains auteurs, « s’il
peut rester quelque chose à obtenir pour le requérant, un nouveau renvoi
pourrait éventuellement être envisagé74 ». L’arrêt de la Cour administra-
tive d’appel75 qui devait trancher le litige au fond fait ainsi application de
la décision n° 2013-362 QPC et de l’arrêt du Conseil d’État du 16 jan-
vier 2015.
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B – L’APPLICATION HARMONIEUSE DE LA DÉCISION
D’INCONSTITUTIONNALITÉ À EFFET DIFFÉRÉ

Le Conseil constitutionnel prononce une abrogation à effet différée


parce qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation identique
à celui du Parlement76 pour déterminer le droit applicable à l’issue
de la période transitoire. Il peut aménager les effets de la déclaration
d’inconsti­tutionnalité pour permettre au législateur d’intervenir ou
maintenir les effets passés de la loi inconstitutionnelle. Comme l’a rap-
pelé le Conseil d’État dans l’arrêt M’Rida77, le Conseil constitutionnel
peut « décider que le législateur aura à prévoir une application aux
instances en cours des dispositions qu’il aura prises pour remédier à
l’inconstitutionnalité constatée ».
73. M. Disant, « L’autorité substantielle des déclarations d’inconstitutionnalité. De l’inconsti-
t­utionnalité équivalente », article précité ; J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, « Cinq ans
de QPC devant le juge administratif : retour d’expérience », article précité ; M.-A. Nicolazo
de Barmon, « Le juge de l’impôt peut-il décider de lui même qu’une loi n’est pas conforme à la
Constitution ? », Revue de droit fiscal, n° 28, 2015, comm. 469
74. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, « Cinq ans de QPC devant le juge administratif :
retour d’expérience », article précité ; V. égal. en ce sens, M. Disant, « L’autorité substantielle
des déclarations d’inconstitutionnalité. De l’inconstitutionnalité équivalente », article précité
75. CAA, Paris, 16 avril 2015, Société Métropole télévision, n° 13PA03213
76. CC, décis. n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de gros-
sesse, p. 19 ; CC, décis. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, Daniel W., p. 179
77. CE, ass., 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité

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L’application par le juge administratif des décisions 573

Suite à une abrogation différée, la question qui se pose pour le juge du


litige est celle du droit applicable pendant et à l’issue de la période tran-
sitoire. Assurant le plein respect de la décision du juge constitutionnel, le
juge administratif, juge du litige, coordonne plusieurs textes. Se concen-
trent en effet devant lui, la loi nouvelle remédiant à l’inconsti­tutionna-
lité, la déclaration d’inconstitutionnalité à effet différé pouvant décider de
l’application de la loi inconstitutionnelle et son office de juge ordinaire lui
permettant d’écarter la disposition incompatible avec le droit de l’Union
européenne ou les engagements internationaux de la France.
L’abrogation à effet différé peut, dans un premier temps, soulever des
difficultés dans la détermination du droit applicable par le juge du litige
en raison d’une intervention législative insuffisante à l’issue de la période
transitoire. Le juge administratif coordonne une application harmonieuse
des différents textes et de la décision de non-conformité. C’est ce que l’on
remarque dans l’application de la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai par
l’arrêt M’Rida78.
L’hypothèse d’une intervention tardive du législateur concerne l’arrêt
SARL Ventoris79, pour le juge administratif80. Dans cet arrêt, le Conseil
d’État devait tirer les conséquences de la décision n° 2014-388 QPC81
dans laquelle le juge constitutionnel a reporté au 1er janvier 2015 la date
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d’abrogation afin de permettre au législateur d’en tirer les conséquences.
Il ajoute :
Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées
contraires à la Constitution ne peuvent, avant cette même date, être contestées
sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

L’intervention tardive du législateur suite à l’inconstitutionnalité


des dispositions de cet article a abouti, pour le juge administratif, à la
prise en considération de deux périodes. La première entre le 24 mai
2013 et le 1er janvier 2015, période pendant laquelle le législateur aurait
pu intervenir pour prendre des dispositions applicables aux situations

78. A. Bretonneau et X. Domino, « Les suites de la QPC : histoire et géographie du dia-


logue des juges », article précité ; E. Geffray, « Les suites tirées par le Conseil d’État des
décisions du Conseil constitutionnel », conclusions précitées ; M. Fatin-rouge Stéfanini et
K. Roudier, « Les suites des décisions rendues par les juridictions constitutionnelles dans le
cadre de la question d’inconstitutionnalité. Étude portant sur les conséquences de la décla-
ration d’inconstitutionnalité », article précité p. 428 ; X. Magnon, « L’inconstitutionnalité de
la cristallisation des pensions devant le Conseil d’État : dubia in meliorem partem interpretari
debent », article précité
79. CE, 7 mai 2015, SARL Ventoris, arrêt précité
80. V. pour une hypothèse devant le juge judiciaire Cass. Civ1re., 28 janv. 2015, n° 13-20.
701, FS P+B+R+I, arrêt précité s’agissant de l’application de la décision n° 2013-343 QPC
du 27 septembre 2013, Époux L, décision précitée ; P. Deumier, « Les décisions QPC, le retard
du législateur, les instances en cours et l’office de la Cour de cassation », article précité
81. CC, décis. n° 2014-388 QPC du 11 avril 2014, décision précitée

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574 Arnaud Blusseau

contractuelles en cours pour remédier à l’inconstitutionnalité. Durant


cette période, le juge constitutionnel avait entendu faire échec aux recours
en annulation contre l’arrêté du 24 mai 2013 afin de sécuriser les contrats.
La seconde période s’étend entre le 1er janvier 2015 et le 4 avril 2015,
date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 2 avril 2015 relative au por-
tage salarial, remédiant à l’inconstitutionnalité. Elle n’est couverte ni par
la décision de censure, ni par l’ordonnance du 2 avril 201582. Comme le
souligne le rapporteur public :
Le problème porte sur les relations contractuelles nouées entre les entreprises
de portage et les salariés entre l’entrée en vigueur de l’arrêté, en juin 2013, et
celle de l’ordonnance du 2 avril 2015, soit le 4 avril83.

Pour éviter les conséquences manifestement excessives sur les contrats


de l’annulation de l’arrêté du 24 mai 2013, le juge administratif va uti-
liser son propre pouvoir de modulation84 après avoir attendu jusqu’au
1er janvier 2015 l’intervention législative, en ne statuant pas85.
En effet, le juge du litige maintient les effets passés de l’arrêté pen-
dant la première période, couverte par la déclaration d’inconstitutionna-
lité. Par là, il suit la même démarche que le Conseil constitutionnel en
couvrant les conséquences manifestement excessives que l’annulation de
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l’arrêté pourrait avoir. S’agissant de la seconde période, du 1er janvier
2015 au 4 avril 2015 :
Il serait tout à fait contestable de sécuriser les contrats conclus à compter du
1er janvier 2015, alors que l’abrogation prononcée par le Conseil constitutionnel
avait produit ses effets86.

Le juge administratif, se plaçant dans la continuité de la décision du


juge constitutionnel, ne fait produire d’effets à son annulation que pour
cette période.
La solution choisie pour combler les problèmes posés par le renvoi
législatif paraît équilibrée et respectueuse de la remise en cause des
effets passés décidés et monopolisés par le Conseil constitutionnel.
L’article 62 alinéa 2 n’exclut pas le pouvoir de modulation du juge admi-
nistratif87 dans la mesure où est respectée la remise en cause des effets
passés telle que déterminée par le Conseil constitutionnel.

82. A. Lallet, conclusions sur CE, 7 mai 2015, SARL Ventoris. Conclusions précitées ;
B. Schmaltz, note sous CE, 7mai 2015, Société ventoris et autres, « La négociation collective à
l’épreuve des compétences des autorités normatives de l’Etat », AJDA, 2015, pp. 2047-2052
83. A. Lallet, conclusions sur CE, 7 mai 2015, SARL Ventoris. Conclusions précitées
84. CE, ass, 11 mai 2004, Association AC ! n° 255886
85. A. Lallet, conclusions sur CE, 7 mai 2015, SARL Ventoris. Conclusions précitées
86. Idem
87. CAA, Lyon, 9 décembre 2014, Communauté de communes du pays de Saint-Marcellin,
n° 14LY02763

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L’application par le juge administratif des décisions 575

Le juge constitutionnel peut dans un second temps décider de main-


tenir les effets inconstitutionnels de la loi pour déterminer l’issue de la
période transitoire pour les situations passées ou en cours. Le juge admi-
nistratif devra donc appliquer cette loi à moins que le droit applicable
soit résolu par le contrôle de conventionnalité. L’articulation entre les
contrôles de conventionnalité et de constitutionnalité au stade de l’appli-
cation de la décision du Conseil constitutionnel a été définie par le Conseil
d’État dans l’arrêt M’Rida88 et précisée en 201589.
Le Conseil d’État90 définit l’office du juge administratif lorsque sont
soulevés le moyen tiré de ce qu’une disposition législative a été déclarée
contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel et le moyen tiré
de ce qu’elle est incompatible avec les engagements internationaux ou euro-
péens de la France. À l’issue du contrôle de conventionnalité peut être écartée
pour la résolution du litige, la disposition législative dont le Conseil consti-
tutionnel a maintenu les effets. Le contrôle du juge administratif ne diverge
pas de la décision d’inconstitutionnalité mais au contraire une complémenta-
rité des contrôles s’observe. Cette remarque se justifie par deux observations.
La première observation est que l’ordre des facteurs témoigne de la
complémentarité des deux contrôles91. En effet, le Conseil d’État prolonge
le caractère prioritaire de l’ordre d’examen des moyens92 dans les consé-
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quences à tirer. La complémentarité découle du caractère subsidiaire du
contrôle de conventionnalité, les deux contrôles peuvent se combiner93.
Selon la seconde observation, il n’y a pas non plus de conflit en raison
des effets attachés à chacun des deux contrôles94. Cette complémentarité

88. CE, ass, 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité


89. CE, 10 avril 2015, Société Red Bull on Premise, arrêt précité
90. CE, ass, 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité ; CE, 10 avril 2015, Société Red Bull on
Premise, arrêt précité
91. A. Bretonneau et X. Domino, « Les suites de la QPC : histoire et géographie du dia-
logue des juges », article précité ; M. Guyomar, note sous CE, 10 avril 2015, Société Red Bull
on Premise « Le Conseil d’État précise l’articulation entre les contrôles de constitutionnalité
et de conventionnalité de la loi », article précité ; X. Magnon, « L’inconstitutionnalité de
la cristallisation des pensions devant le Conseil d’État : dubia in meliorem partem interpretari
debent », article précité pp. 688-689 ; J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, « Cinq ans de QPC
devant le juge administratif : retour d’expérience », article précité
92. Articles 23-2 alinéa 2 et 23-5 alinéa 2 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre
2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution
93. B. Stirn, « L’utilisation des moyens de constitutionnalité et de conventionnalité devant
le juge de droit commun : vers un rééquilibrage ? », in Table ronde d’Aix-en-Provence, 2 février
2015. Disponible en ligne http://www. conseil-etat. fr/Actualites/Discours-Interventions​
/L-utilisation-des-moyens-de-constitutionnalite-et-de-conventionnalite-devant-le-juge-de-
droit-commun-vers-un-reequilibrage
94. É. Geffray, « Les suites tirées par le Conseil d’État des décisions du Conseil constitution-
nel », conclusions précitées ; M. Guyomar, « Le Conseil d’État précise l’articulation entre les
contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité de la loi », article précité ; X. Magnon,
« L’inconstitutionnalité de la cristallisation des pensions devant le Conseil d’État : dubia in
meliorem partem interpretari debent », article précité pp. 688-689 ; S. Platon, « Les interférences
entre l’office du juge ordinaire et celui du Conseil Constitutionnel : “malaise dans le conten-
tieux constitutionnel” ? », RFDA 2012. pp. 639-650

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576 Arnaud Blusseau

est illustrée dans l’arrêt Société Red Bull on Premise95 qui tire les consé-
quences de la décision n° 2014-417 QPC96. On peut en conclure que si
l’on peut relever « un léger choc entre l’effet différé de la décision QPC
du Conseil constitutionnel et la décision d’application immédiate97 » qui
résulte de la neutralisation du report, la complémentarité et l’harmonie
entre les deux contrôles dominent. Ceci permet de réaliser l’objectif
d’assurer avec efficacité une garantie juridictionnelle équivalente des
droits fondamentaux98.

III – LES POUVOIRS DU JUGE ADMINISTRATIF POUR RÉPARER


LES PRÉJUDICES CAUSÉS PAR UNE LOI INCONSTITUTIONNELLE

À l’égard du législateur, en l’état actuel du droit public, la déclaration


d’inconstitutionnalité ne débouche pas sur l’engagement de la responsa-
bilité de l’État et ne donne pas naissance à un contentieux indemnitaire.
Cette question permettrait pourtant au juge administratif de faire pro-
duire l’ensemble de ses effets à la censure99. Il lui reviendrait de tirer les
conséquences indemnitaires de l’inconstitutionnalité (A) selon des moda-
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lités telles qu’il ne devienne pas juge du comportement du législateur (B).

A – LA COMPLÉMENTARITÉ DE LA COMPÉTENCE DES JUGES


ADMINISTRATIF ET CONSTITUTIONNEL RELATIVE
AU FAIT GÉNÉRATEUR

Le régime indemnitaire met en place une articulation entre l’office du


juge administratif et du juge constitutionnel. Depuis la QPC, il donne
la possibilité au juge administratif de réparer le préjudice né de la décla-
ration d’inconstitutionnalité selon les effets dans le temps déterminés par
le Conseil constitutionnel.

95. CE, 10 avril 2015, Société Red Bull on Premise, arrêt précité
96. CC, décis. n° 2014-417 QPC du 19 septembre 2014, Société Red Bull on Premise et autre,
JORF, p. 15472
97. B. Stirn, « L’utilisation des moyens de constitutionnalité et de conventionnalité devant le
juge de droit commun : vers un rééquilibrage ? », article précité ; V. égal en ce sens, S. Platon,
« Les interférences entre l’office du juge ordinaire et celui du Conseil Constitutionnel : “malaise
dans le contentieux constitutionnel” ? », article précité
98. M. Guyomar, « Le Conseil d’État précise l’articulation entre les contrôles de constitution-
nalité et de conventionnalité de la loi », article précité ; X. Magnon, « L’inconstitutionnalité
de la cristallisation des pensions devant le Conseil d’État : dubia in meliorem partem interpretari
debent », article précité pp. 688-689
99. O. Desaulnay, « La responsabilité de l’État du fait d’une loi inconstitutionnelle ou l’inévi-
table « pas de deux » du juge administratif et du Conseil constitutionnel », pp. 793-816, p. 797
in Long cours, mélanges en l’honneur de Pierre Bon, Dalloz, 2014, 1168p. ; M. Disant, « La responsa-
bilité de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle. Prolégomènes et perspectives », article précité

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L’application par le juge administratif des décisions 577

La QPC organise « un découplage100 » entre la compétence de contrôle


et la compétence indemnitaire. Le requérant peut poser la question
devant le juge du litige pour que le Conseil constitutionnel déclare, le cas
échéant, la disposition législative contraire à la Constitution. Il peut alors
obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de cette inconstitution-
nalité devant le juge administratif. Toutefois, l’organisation de ce régime
se heurte à la compétence du juge administratif. D’une part :
Il est clairement désigné comme le seul compétent pour statuer sur le volet
indemnitaire de l’application d’une loi inconstitutionnelle101.
D’autre part, le juge administratif fait un lien entre son incompé-
tence pour établir la matérialité du fait générateur, c’est-à-dire le contrôle
de constitutionnalité de la loi102, et celle pour engager la responsabilité
de l’État législateur du fait de la méconnaissance de la Constitution par
une loi. Ce lien repose sur la conception suivant laquelle le contentieux
objectif de la légalité n’est qu’une facette de la sanction de l’illicéité103.
L’autre facette étant constituée par la réparation du dommage résultant
de cette illicéité. Ce raisonnement ne tient pas compte des conditions
mises en place par la QPC qui divise la question de l’engagement de la
responsabilité de l’État du fait des lois inconstitutionnelles entre le juge
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administratif et le juge constitutionnel. Lorsque le juge administratif
doit mettre en œuvre sa compétence indemnitaire, le fait générateur a
déjà été établi par le Conseil constitutionnel, auprès duquel la question
de constitutionnalité est « externalisée104 ».
En application de l’article 62 alinéa 2, le juge constitutionnel peut
moduler les effets dans le temps de sa censure afin de réguler la portée du
droit à réparation. Peut poser des difficultés une détermination unique
des effets dans le temps pour deux actions distinctes devant le juge admi-
nistratif, le contentieux principal ayant donné lieu à la QPC et le conten-
tieux indemnitaire.

100. M. Disant, « La responsabilité de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle.


Prolégomènes et perspectives », article précité
101. O. Desaulnay, « La responsabilité de l’État du fait d’une loi inconstitutionnelle ou
l’inévitable « pas de deux » du juge administratif et du Conseil constitutionnel », article pré-
cité p. 796 ; V. égal. en ce sens, TC, 31 mars 2008, Société Boiron, n° 3631
102. CE, 6 novembre 1936, Arrighi p. 966 ; CE, ass 13 mai 2011, M’Rida, arrêt précité
103. O. Desaulnay, « La responsabilité de l’État du fait d’une loi inconstitutionnelle ou
l’inévitable « pas de deux » du juge administratif et du Conseil constitutionnel », article pré-
cité p. 797 ; M. Disant, « La responsabilité de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle.
Prolégomènes et perspectives », article précité ; J.-M. Sauvé, « Vers une plus grande efficacité
des pouvoirs des Hautes Cours administratives », in Association des Conseils d’État et des
Juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne, Bruxelles 1er et 2 mars 2012.
En ligne : http://www. acaeurope. eu/images/media_kit/seminars/Brussels2012/France.pdf
104. E. Geffray, « Les suites tirées par le Conseil d’État des décisions du Conseil constitu-
tionnel », conclusions précitées.

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578 Arnaud Blusseau

Pour déterminer les effets dans le temps de la déclaration d’inconstitu-


tionnalité, le Conseil constitutionnel pourrait faire masse des conditions
relatives aux effets produits par la disposition et aux contentieux indemni-
taires. Une telle solution pose plusieurs problèmes. Le premier est que la
modulation des effets dans le temps suite à une déclaration d’inconstitu-
tionnalité afin de régler le sort des procès dont la disposition a été appli-
quée peut ne pas correspondre à la modulation exigée par les circonstances
du contentieux de la responsabilité. Le second consiste à avancer qu’il est
problématique de priver le requérant de la possibilité de se prévaloir de
la déclaration d’inconstitutionnalité dans le cadre d’un contentieux relatif
aux effets produits par la disposition dans le litige en cours sur le seul
motif qu’il est excessif de considérer une large ouverture du droit à indem-
nité. Plusieurs solutions sont envisageables pour régler ces difficultés.
La première amène à songer à la possibilité pour le Conseil consti-
tutionnel de s’en remettre au législateur pour qu’il règle, pour les situa-
tions passées ou en cours, l’ouverture du droit à réparation. La technique
du renvoi législatif pose toutefois des problèmes en raison des limites
relatives à l’intervention du législateur. Doit également être envisagée
l’hypothèse dans laquelle le Conseil constitutionnel déterminerait selon
le même raisonnement conséquentialiste105 et à la suite de chaque conten-
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tieux les effets dans le temps de sa déclaration d’inconstitutionnalité en
terme indemnitaire. Elles pourraient donc être différentes de la remise
en cause des effets que la disposition a produits.

B – L’ÉTENDUE DE LA COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF


RELATIVE À L’APPRÉCIATION DU FAIT GÉNÉRATEUR

Afin d’éviter d’engager systématiquement la responsabilité de l’État


pour toute inconstitutionnalité, le juge administratif peut se dégager
de la déclaration de non-conformité. Il ne peut toutefois le faire que de
manière limitée parce qu’il y « puise l’autorité nécessaire qui lui faisait
défaut pour reconnaître l’existence d’une faute du législateur106 ». L’une
des questions centrales pour le juge administratif devient alors celle de sa
légitimité à l’égard de la loi et du respect de la décision du juge consti-
tutionnel107. Deux options peuvent alors se présenter.

105. P. Deumier, « Les effets dans le temps des décisions QPC : un droit des conséquences
des décisions constitutionnelles », article précité ; M. Disant, « La responsabilité de l’État du
fait de la loi inconstitutionnelle. Prolégomènes et perspectives », article précité.
106. M. Disant, « La responsabilité de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle.
Prolégomènes et perspectives », article précité.
107. O. Desaulnay, « La responsabilité de l’État du fait d’une loi inconstitutionnelle ou
l’inévitable « pas de deux » du juge administratif et du Conseil constitutionnel », article pré-
cité pp. 811 et s. ; M. Disant, « La responsabilité de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle.
Prolégomènes et perspectives », article précité.

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L’application par le juge administratif des décisions 579

La première option l’amène à considérer, avec toutes les difficultés que


cela implique, d’engager la responsabilité de l’État législateur qui a adopté
la loi, en s’alignant sur le modèle de l’arrêt Gardedieu108. L’application
de la décision d’inconstitutionnalité par le juge administratif en termes
de responsabilité de l’État amène à s’intéresser au lien automatique entre
illégalité et responsabilité. Selon ce lien automatique, toute inconstitu-
tionnalité serait de nature à engager la responsabilité de l’État. Le décou-
plage des compétences peut conduire à la liberté d’appréciation du juge
administratif à l’égard de la décision du Conseil constitutionnel et de
l’automaticité qu’elle peut entraîner entre illégalité et responsabilité109.
Pour considérer cette rupture de l’automaticité, il faut souligner ceci :
Il existe des objections sérieuses contre l’analogie entre la théorie de l’unité
de la faute et de l’illégalité qui s’applique au pouvoir exécutif et la violation de
la Constitution par le législateur110.

Ce qui consiste, pour le juge administratif, à refuser d’appliquer au


législateur le droit commun de la responsabilité111.
C’est la question de la qualification de la faute du législateur par le
juge administratif qui concerne le plus l’autonomie de l’action en respon-
sabilité. Elle renvoie à celle de la distance que le juge administratif peut
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prendre à l’égard de la déclaration d’inconstitutionnalité, et du caractère
automatique de la déclaration d’inconstitutionnalité en tant que faute du
législateur. Le juge peut dans un premier temps se placer dans la continuité
de l’arrêt Gardedieu et ne se prononce pas sur la notion de faute. Un second
raisonnement amène à considérer que la seule violation de la Constitution
par le législateur conduit le juge administratif à remarquer la faute objec-
tive du législateur du fait de la violation de la Constitution112.

108. CE, ass, 8 février 2007, Gardedieu, n° 279522.


109. G. Alberton, « Le législateur peut-il rester irresponsable ? Une loi inconvention-
nelle ou inconstitutionnelle ne peut être que fautive », AJDA, 2014, pp. 2350-2360 ;
O. Desaulnay, « La responsabilité de l’État du fait d’une loi inconstitutionnelle ou l’inévi-
table « pas de deux » du juge administratif et du Conseil constitutionnel », article précité
pp. 807 et s. ; M. Disant, « La responsabilité de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle.
Prolégomènes et perspectives », article précité.
110. M. Disant, « La responsabilité de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle.
Prolégomènes et perspectives », article précité.
111. C. Broyelle, « La responsabilité du fait de la fonction législative », in Constitution et
responsabilité, Montchrestien, Actes du colloque de Toulouse des 5 et 6 octobre 2007 (dir.
X. Bioy), 2009, 269p., pp. 67-68 ; M. Collet, « Responsabilité de l’État du fait des lois :
compétence exclusive du juge administratif », RJEP 2008 n° 656 comm. 37 ; L. Derepas,
« La responsabilité du fait des lois en cas de méconnaissance des engagements internatio-
naux », RFDA, 2007, pp. 361-372 ; O. Desaulnay, « La responsabilité de l’État du fait d’une
loi inconstitutionnelle ou l’inévitable « pas de deux » du juge administratif et du Conseil
constitutionnel », article précité p. 808.
112. G. Alberton, « Le législateur peut-il rester irresponsable ? Une loi inconventionnelle ou
inconstitutionnelle ne peut être que fautive », article précité ; M. Disant, « La responsabilité
de l’État du fait de la loi inconstitutionnelle. Prolégomènes et perspectives », article précité.

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580 Arnaud Blusseau

La seconde option consiste à engager la responsabilité de l’adminis-


tration qui a appliqué la loi inconstitutionnelle, en s’alignant sur le
modèle de l’arrêt Société Arizona Tobacco113. La question s’est posée au
lendemain de l’arrêt Francovich114 s’agissant des lois inconventionnelles.
Dans l’arrêt Société Arizona Tobacco, le Conseil d’État aurait « reculé devant
l’innovation115 » en engageant la responsabilité de l’administration en
raison de l’application d’une loi contraire au droit communautaire, sans
reconnaître la responsabilité de l’État législateur. Le rapprochement entre
les deux contentieux peut se réaliser par plusieurs justifications. Pour
les deux, c’est le contrôle de conventionnalité issu de la jurisprudence
Nicolo116 et le contrôle de constitutionnalité issu de l’article 61-1 qui
permettent d’obtenir réparation du préjudice résultant de l’application
d’une loi. En effet, « l’arrêt Tobacco se présente comme la mise en œuvre,
sur le terrain indemnitaire, du contrôle de conventionnalité des lois117 ».
En outre, dans un jugement du 22 novembre 2010 le tribunal adminis-
tratif de Marseille118 a reconnu la faute de l’administration qui résulte de
l’absence de base légale d’une décision administrative suite à une décla-
ration d’inconstitutionnalité119.
Toutefois le parallèle de la responsabilité de l’État du fait des lois
inconstitutionnelles avec l’arrêt Société Arizona Tobacco rencontre une
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limite. Dans l’arrêt de 1992 la responsabilité de l’administration est
engagée en raison d’« une illégalité propre, différente de l’inconvention-
nalité répétée à la suite de la norme législative120 ». Cette illégalité propre
se retrouve dans l’application par l’administration d’une loi inapplicable,
parce qu’elle a l’obligation de faire prévaloir la norme internationale sur
la loi interne121. C’est donc la méconnaissance par l’autorité administra-
tive de son obligation de se conformer « aux exigences inhérentes à la
hiérarchie des normes122 » qui entraîne sa faute. C’est en ce sens qu’il faut

113. CE, ass., 28 février 1992, Société Arizona Tobacco Products, n° 87753.
114. CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, aff. C-6/90 et C-9/90, p. 1029 ;
L. Dubouis, « La responsabilité de l’Etat pour les dommages causés aux particuliers par la
violation du droit communautaire », RFDA 1992 pp. 1-15.
115. R. Chapus, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, 15e éd, 2001, T1, p. 1381,
1427 p.
116. CE, ass 20 octobre 1989, Nicolo, p. 190.
117. C. Broyelle, La responsabilité de l’État du fait des lois, préf. Y. Gaudemet, Paris, LGDJ,
Lextenso édition, coll. « Bibliothèque de droit public », t. 236, 2003, VIII, 454 p., p. 208.
118. TA Marseille, 22 novembre 2010, Drugmanne, n° 0806068.
119. O. Le Bot, « Responsabilité de la puissance publique suite à une QPC », Constitution,
2011, pp. 251-253.
120. C. Broyelle, La responsabilité de l’État du fait des lois thèse précitée, p. 265.
121. M. Laroque, conclusions sur CE, ass 1992, Société Arizona Tobacco Products et Société
anonyme Philip Morris France « Illégalité de la procédure de fixation des prix des tabacs manu-
facturés : responsabilité de l’administration du fait d’une loi incompatible avec une réglemen-
tation communautaire », AJDA, 1992, pp. 210-227.
122. CE, 24 février 1999, Association des patients de la médecine d’orientation anthroposophique,
p. 29.

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L’application par le juge administratif des décisions 581

comprendre que le fait générateur repose sur l’administration et non sur le


législateur, du fait de l’application d’une loi inapplicable123. Or il n’existe
pas de telle obligation en droit constitutionnel, l’administration n’est pas
tenue de ne pas appliquer une loi qui serait contraire à la Constitution
tant que le Conseil constitutionnel ne l’a pas déclarée contraire.

CONCLUSION

Au moment de tirer les conséquences de ces développements, le Conseil


constitutionnel et le Conseil d’État œuvrent de manière complémentaire
pour accomplir le succès du recours préjudiciel en constitutionnalité contre
la loi. L’application des décisions d’inconstitutionnalité donne toute sa
portée à la fonction du contrôle de constitutionnalité. Ainsi est garantie
l’unité du pouvoir de modulation entre les mains du juge constitutionnel,
ce qui est de nature à assurer une protection effective des droits fonda-
mentaux. Ainsi également sont réalisées la suprématie et la protection de
la Constitution par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État.
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123. C. Broyelle, La responsabilité de l’État du fait des lois thèse précitée, p. 265 à 270.

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