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Les pratiques constitutionnelles dans les pays d'Afrique

noire francophone : cohérences et incohérences


Karim Dosso
Dans Revue française de droit constitutionnel 2012/2 (n° 90), pages 57 à 85
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1151-2385
ISBN 9782130593874
DOI 10.3917/rfdc.090.0057
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Les pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire
francophone : cohérences et incohérences

KARIM DOSSO

Dans un article à l’intitulé provocateur, « À quoi servent les constitutions


africaines ? Réflexions sur le constitutionnalisme africain1 », le professeur
P.-F. Gonidec, dressant le bilan de trente années de pratiques constitutionnelles,
s’interrogeait sur l’utilité même des Constitutions africaines.
Un tel sentiment, qui laissait apparaître le scepticisme de l’auteur sur l’évo-
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lution du constitutionnalisme africain, était relayé par une rhétorique forgée
autour des notions suivantes : déclin du constitutionnalisme2, constitutionna-
lisme rédhibitoire3, constitutionnalisme formel et irrationnel4, constitutionna-
lisme non démocratique5. De telles notions témoignent de la « crise précoce du
constitutionnalisme6 » qui a été remarquablement résumée par le professeur
A. Bourgi en ces termes : « Très vite, les Constitutions furent mises en som-
meil, quand les gouvernants civils n’étaient pas tout simplement renversés par
des coups d’États. Le parti unique s’est finalement imposé partout7… »

Karim Dosso, Maître-assistant à l’UFR, Sciences juridique, administrative et de gestion de


l’Université de Bouaké (Côte-d’Ivoire).
1. P.-F. Gonidec, « À quoi servent les Constitutions africaines ? Réflexion sur le consti-
tutionnalisme africain », RJPIC, octobre-décembre 1988, n° 4, p. 849.
2. M. Ahanhanzo Glele, « La Constitution ou loi fondamentale », in Encyclopédie juridique
de l’Afrique, Abidjan- Dakar-Lomé, Les nouvelles Éditions africaines, p. 33-34.
3. J. Owona, « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire. Étude de
quelques “constitutions Janus” », in Mélanges en l’honneur de P.-F. Gonidec. État moderne :
horizon 2000 : aspects interne et externe, Paris, LGDJ, 1985, p. 235.
4. J.-M. Breton, « Le sacré et le constitutionnalisme. De la légitimation à la disqualifica-
tion du pouvoir », Droit et culture, Revue trimestrielle d’anthropologie et d’histoire, n° 12, 1986,
p. 105 et s.
5. I. M. Fall, Pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des États d’Afrique, Paris, L’Harmat-
tan, 2008, p. 22.
6. F. M. Djedjro, « Principe majoritaire et démocratie en Afrique », RID, n° 39, 2008,
p. 12.
7. A. Bourgi, « Lecture et relecture de la Constitution de la Ve République », colloque
du 40e anniversaire de la Constitution française 7-8-9 octobre 1998, p. 2.

Revue française de Droit constitutionnel, 90, 2012, supplément électronique, p. e57-e85


e58 Karim Dosso

Et pourtant, heureusement d’ailleurs, depuis la fin des années 19808


l’Afrique connaît sa seconde phase de démocratisation9. La démocratie est inno-
centée et libérée pendant que le monopartisme est mis en accusation et
condamné.
L’effervescence qui a accompagné ce processus était telle qu’on pouvait
annoncer, sans hésiter, la sortie de l’Afrique du « Jurassic Park des sociétés poli-
tiques anachroniques10 ».
Il n’est pas douteux, lorsqu’on parcourt les nouvelles Constitutions afri-
caines, de se rendre compte de cette évidence. Celles-ci révèlent en effet une
prédominance des « techniques de liberté » sur les « techniques d’autorité »11.
On note la constitutionnalisation des droits et libertés dans le corps des Consti-
tutions, la revitalisation de la justice constitutionnelle par la création de Cours
ou Conseils constitutionnels, la fin de l’omnipotence présidentielle, l’ouverture
du contrôle de constitutionnalité aux citoyens par la technique de l’exception
d’inconstitutionnalité. La Constitution redevenant un moyen de limitation du
pouvoir, le constitutionnalisme n’est plus alors « une situation tout à fait excep-
tionnelle en Afrique12 ».
Mais, le souvenir obsédant de trois décennies d’asservissement de l’État et
des personnes, hante encore les esprits et invite à la prudence. Il suggère par
contre, à moins de « sombrer dans un formalisme desséchant13 », d’apprécier
« le regain constitutionnel africain14 » à l’aune de sa pratique15.
Couramment utilisée, « l’expression pratique constitutionnelle » est rare-
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ment définie. Ce constat autorise, au préalable, une clarification de la notion.

8. Cette période est marquée, selon les propos d’A. Sall, par une ferveur constitutionnelle.
On assiste partout en Afrique soit à la modification soit à l’abrogation des premières Consti-
tutions. Sur cette question, voir « L’Afrique en transition vers le pluralisme politique »
(sous la direction de G. Conac), Paris, Économica, 1993 ; J.-P. Daloz et P. Quantin (études
réunies et présentées par), Les transitions démocratiques africaines : dynamisme et contraintes,
Paris, Karthala, 1997 ; H. Roussillon (dir.), Les nouvelles Constitutions africaines : la transition
démocratique, Presse de l’IEP de Toulouse, 1993 ; D. Darbon, J. du Bois de Gaudusson (dir.),
La création du droit en Afrique, Karthala, 1997 ; M. Martin, A. Cabanis, « Le modèle du
Bénin : un présidentialisme à l’africaine », p. 53 ; A. Cabanis, M.-L. Martin, Les Constitutions
d’Afrique francophone. Évolutions des Constitutions récentes, Paris, L’Harmattan, 1999 ; J. du
Bois de Gaudusson, G. Conac, Ch. Desouches, Les Constitutions africaines, tomes I et II, Paris,
La Documentation française et Bruxelles Bruylant, 1997-1998.
9. Voir sur ce point, S. P. Huntington, The third wave, democratization in the late twentieth
century, University of Oklahoma Press, 1991.
10. L. Sindjoun, « Les nouvelles Constitutions africaines et la politique internationale :
contribution à une économie internationale des biens politico-constitutionnels », Études
internationales, vol. 26, n° 2, 1995, p. 334 (http:/id. erudit. org/iderudit/70349ar).
11. I. M. Fall, op. cit., p. 22.
12. Expression empruntée à D. G. Lavroff, « Les tendances d’un nouveau constitutionna-
lisme africain », in Dynamique et finalité des droits africains, Paris, Économica, 1980, p. 71.
13. J. Chevallier, « Pour une sociologie du droit constitutionnel », L’architecture du droit,
in Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Paris, Économica, 2006, p. 283. Voir également
J. Chevallier, « Droit constitutionnel et institutions politiques : les mésaventures d’un
couple fusionnel », in Mélanges en l’honneur de P. Avril, La République, Montchrestien, 2001,
p. 183-199.
14. J. Gicquel, J.-E. Gicquel Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Mont-
chrestien, 22e édition, 2008, p. 397.
15. Le professeur G. Conac ne disait-il pas que « l’exégèse des textes constitutionnels ne
peut jamais le dispenser de vérifier l’usage qui en est fait sur place », in Les Cours suprêmes en
Afrique, tome II, Économica, Paris, 1989, p. 3 et s.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e59

L’expression peut être ramenée à ce que le professeur P. Avril qualifie de


convention de la Constitution16. Dans cette perspective, pour autant qu’elles
respectent la Constitution17, les conventions se présentent comme une interpré-
tation particulière, fût-elle inattendue, des dispositions de celle-ci pour l’appli-
quer à des situations concrètes18. En d’autres termes, et tirant les conclusions de
l’analyse de Dicey19, les conventions de la Constitution sont le résultat d’inter-
prétations concordantes élaborées à partir de la Constitution20. Au surplus,
comme le précise à propos le professeur J. Gicquel21, cette interprétation ne
peut émaner que de ceux qui ont en charge d’appliquer la Constitution.
On peut appréhender la notion à partir de la définition du concept de pra-
tique. « La pratique est largement comprise comme une part importante du
droit et celle qui donne la vie à travers toutes les applications que peuvent rece-
voir les règles juridiques dans leur ensemble22… » Ramenée au droit constitu-
tionnel, la pratique constitutionnelle peut s’appréhender alors comme le résul-
tat de l’application de la Constitution. Or pour le professeur F. Wodie, « la
Constitution en Afrique se dévoile le paravent qui abrite le pouvoir person-
nel23 ». « Les pratiques constitutionnelles, conclut alors l’auteur, deviennent
leur propre cause au lieu de rester l’effet par l’application des dispositions
constitutionnelles24. » C’est dans cette perspective qu’il convient d’orienter la
réflexion en ce qu’elle rend véritablement compte de la pratique constitution-
nelle dans les pays d’Afrique noire francophone.
En effet, si dans les démocraties libérales25 où « l’observation montre que la
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réalité ne correspond pas toujours, ni même souvent, à l’optimisme des schémas

16. En réalité cette notion est apparue sous la plume de Dicey en 1885 qui parla de
« Constitutional convention », Introduction à l’étude du droit constitutionnel, trad. A. Batut/G. Jèze,
Paris, éd. Girard et Brière, 1902. Voir également : P. Avril, Les conventions de la Constitution,
Paris, PUF, coll. Léviathan, 1997 ; D. Levy, « De l’idée de coutume constitutionnelle à l’es-
quisse d’une théorie des sources du Droit constitutionnel et leur sanction », in Mélanges
Ch. Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, p. 81 et s ; S. Rials, « Réflexion sur la notion de coutume
constitutionnelle », Revue administrative, 1979, p. 265 et s ; F. Lemaire, « Les conventions de
la Constitution dans le système juridique français », cette Revue, n° 35, 1998, p. 451-515.
17. C. Bidegaray, affirmait : « Si les institutions ne se réduisent pas au seul texte consti-
tutionnel, leur pratique ne dépend pas des libertés que les auteurs prendraient avec elles », in
« Pierre Avril à la recherche des “conventions de la Constitution” », RFDSP, n° 5, 1998, p. 664.
18. P. Avril, « Une convention contra legem : la disposition du « programme » de l’arti-
cle 49 de la Constitution », in Mélanges en l’honneur de J. Gicquel, Montchrestien, 2008, p. 9.
19. Pour cet auteur, les conventions constitutionnelles se distinguent des coutumes non
par les éléments qui président à leur formation mais par leur rapport avec la Constitution.
À l’inverse des coutumes qui peuvent apparaître comme des usages établis en dehors des
normes écrites, Dicey considère que les liens des conventions avec la constitution sont
étroits. Cf. F. Lemaire, « Les conventions de la Constitution dans le système juridique fran-
çais », cette Revue, n° 35, 1998, p. 464.
20. J. Rossetto, Recherche sur la notion de Constitution et l’évolution du régime constitutionnel,
thèse, Poitiers, 1982, p. 311.
21. J. Gicquel, J.-E. Gicquel, op. cit., p. 181.
22. Voir D. Alland, S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 1180.
23. F. Wodie, « Régimes militaires et constitutionalisme en Afrique », Penant, juin-
septembre 1990, p. 196.
24. Idem, p. 196.
25. En France le système des « questions au gouvernement » a été établi, en 1974, par
un échange de lettres entre le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale.
Ainsi au début de chaque législature, des accords entre partis répartissent le temps prévu
pour ces questions entre les groupes parlementaires.
e60 Karim Dosso

constitutionnels26 », on imagine alors aisément combien l’écart peut être consi-


dérable entre la réalité politique et la lettre de la Constitution dans les États
dépourvus de tradition en ce domaine. Les États africains, « prématurément
étouffés par la pandémie du présidentialisme négro-africain27 » nous en offrent
moult exemples au point de réduire les Constitutions à leur simple matérialité :
de l’encre sur du papier.
Des plumes autorisées ont abondamment mis en exergue cette situation28.
Des rencontres et symposiums internationaux ont été organisés sur la ques-
tion29. On en a tout dit ou presque. « Mais les concepts par lesquels l’on tente
d’appréhender les réalités sont inépuisables : ils sont mouvants, dyna-
miques30. » Qui plus est, le constitutionnalisme en Afrique est perpétuellement
en chantier31.
L’Afrique, notamment les pays de l’espace francophone sont secoués par des
nombreuses crises avec leurs cortèges d’arrangements et d’accords politiques se
substituant parfois aux textes de la Constitution32. Dès lors, prenant pour guide
l’analyse du professeur J. du Bois de Gaudusson, l’on pourrait s’inquiéter et
s’interroger avec lui, si l’Afrique ne replonge pas dans l’impasse constitution-
nelle. Le constitutionnalisme africain semble victime de nouveaux usages33.
Voilà qui autorise à ouvrir de nouvelles pistes de réflexions sur les pratiques
constitutionnelles dans les États africains notamment ceux de l’espace franco-
phone auxquels se limite notre étude.
Cette nécessité de revisiter l’état de la doctrine sur la pratique constitution-
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nelle est renforcée par des événements en rupture avec les méthodes antérieures.
Les Présidents malien et béninois ont ouvert des pistes nouvelles de réformes de

26. P. Pactet, F. Melin-Soucramanien, Droit constitutionnel, Sirey, Paris, 2007, p. 62 ;


P. Avril, « Une “survivance” : le droit constitutionnel non écrit ? », in Mélanges Ph. Ardant,
Droit et politique à la croisée des cultures, LGDJ, 1999, p. 3-13.
27. T. Holo, « Émergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, n° 129, 2009,
p. 102.
28. M. Ahanhanzo Glele, « La Constitution ou loi fondamentale », in Encyclopédie juri-
dique de l’Afrique, Abidjan-Dakar-Lomé, Les nouvelles Éditions africaines, p. 33-34. J. Owona,
« L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire. Étude de quelques “consti-
tutions Janus” », in Mélanges P.-F. Gonidec, État moderne : horizon 2000 : aspects interne et
externe, Paris, LGDJ, 1985, p. 235. J.-M. Breton, « Le sacré et le constitutionnalisme. De la
légitimation à la disqualification du pouvoir », Droit et culture, Revue trimestrielle d’anthro-
pologie et d’histoire, n° 12, 1986, p. 105 et s. I. M. Fall, Pouvoir exécutif dans le constitutionna-
lisme des États d’Afrique, Paris, L’Harmattan 2008, p. 22 ; F. Meledje Djedjro, « Principe
majoritaire et démographie en Afrique », RID, n° 39, 2008, p. 12. ; A. Bourgi, « Lecture
et relecture de la Constitution de la Ve République », colloque du 40e anniversaire de la
Constitution française 7-8-9 octobre 1998, p. 2.
29. Rencontres sur les pratiques constitutionnelles et politique en Afrique : les dynami-
ques récentes, organisées par l’OIF et l’OUA, Cotonou 29, 30 septembre et 1er octobre 2005 ;
Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des liber-
tés dans l’espace francophone, Bamako, 1er-3 novembre 2000.
30. C. Keutcha Tchapnga, « Droit constitutionnel et conflits politiques dans les États
francophones d’Afrique noire », cette Revue, 2005, n° 63, p. 451.
31. G. Conac, Dynamique et finalité des droits africains, Paris, Économica, 1980.
32. A. Kpodar, « Politique et ordre juridique ; les problèmes constitutionnels posés par
l’accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », Revue de la recherche juridique, Droit pros-
pectif, 2005-4, p. 2503-2526 ; K. Dosso, « Le Premier ministre dans la crise ivoirienne »,
Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2008-4, p. 2370-2394 ; J. du Bois de Gaudus-
son, « L’accord de Linas-Marcoussis, entre droit et politique », Afrique contemporaine, 2003,
n° 206.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e61

leur Constitution respective. En effet, au Mali A. T. Touré a créé, par décret


n° 072/PRM du 7 février 2008, un comité d’experts chargé de la réflexion sur la
consolidation de la démocratie au Mali. Au Bénin, le Président Y. Boni a créé
par, décret n° 2008/ 052 du 18 février 2008 une commission constitutionnelle.
La création de ces comités dont l’objectif est la révision consensuelle de la
loi fondamentale, induit aussitôt un certain nombre de questions : une telle
situation est-elle suffisante pour parler d’avancée notable ou de pratiques
constitutionnelles fécondes en Afrique ? Peut-on en déduire que les usages de la
Constitution sont plus conformes aujourd’hui plus qu’hier à sa lettre et à son
esprit ? À la vérité, les arrangements politiques ci-dessus mentionnés ne sont-
ils pas symptomatiques du retour ou du renouveau du constitutionnalisme réd-
hibitoire ? En définitive, le néo-constitutionnalisme africain ne repose-t-il pas,
en réalité, sur un pied d’argile ?
Répondre à ces questions revient à s’interroger sur la réalité du renouveau
du constitutionnalisme en Afrique noire francophone.
A priori on pourrait soutenir avec le professeur B. Kanté qu’« aussi bien les
textes que la pratique politique autorisent… à parler aujourd’hui de néo-consti-
tutionnalisme africain34 ». Or, nombre d’épisodes récents de l’actualité poli-
tique africaine viennent relativiser ce constat. On songe au Niger à propos de la
modification de la Constitution et plus spécifiquement à la Guinée et à Mada-
gascar où des coups d’États militaire et civil ont provoqué des changements
constitutionnels.
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À la vérité, malgré les progrès réalisés par le retour et recours au droit
constitutionnel35, la pratique constitutionnelle en Afrique, comme un faux
messie, n’a pas répondu aux attentes suscitées par le constitutionnalisme triom-
phant des années 1990.
Une analyse dialectique permet en effet de constater des usages cohérents et
incohérents de la Constitution. Plus exactement, la pratique constitutionnelle
en Afrique noire francophone est autant marquée par des succès ponctuels (I)
que par des échecs récurrents (II)

I – LA PRATIQUE CONSTITUTIONNELLE EN AFRIQUE NOIRE


FRANCOPHONE, DES SUCCÈS PONCTUELS

L’Afrique est-elle encore dans « le musée des curiosités politiques36 » où le


présidentialisme négro-africain37 l’avait rangé ? Des pratiques constitution-

33. J. du Bois de Gaudusson, « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique


après quinze ans de pratique du pouvoir », Renouveau du droit constitutionnel, in Mélanges en
l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, 2007, p. 622.
34. B. Kante, « Le constitutionnalisme à l’épreuve de la transition démocratique en
Afrique », in Carla M. Zoetbout et als., Constitutionnalism in Africa, A quest for autochtthonous
principles, Sanders Instituant, Gouda Quint-Deventer, Rotterdam, 1996, p. 3.
35. J. du Bois de Gaudusson, op. cit., p. 611.
36. L. Sindjoun, op. cit, p. 33.
37. Sur ce point, voir G. Conac, « Portrait du chef de l’État », Pouvoirs, n° 25, 1983,
p. 120-130 ; J.-F. Medard, « La spécificité des pouvoirs africains », Pouvoirs, n° 25, p. 4-22.
e62 Karim Dosso

nelles, telles qu’elles s’expriment dans certains pays d’Afrique noire franco-
phone, semblent réconcilier ces États « avec “l’orthodoxie” des démocraties
constitutionnelles38 ». Il est possible de résumer ces progrès ainsi réalisés par le
constitutionnalisme en deux grandes tendances : la revitalisation par endroits
de la séparation des pouvoirs, et la création de cadres politiques rénovés.

A – LA REVITALISATION DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS

J. Pan avait raison lorsqu’il affirmait qu’« au panthéon du droit constitu-


tionnel on trouve la théorie de la séparation des pouvoirs39 ». D’ailleurs, c’est ce
qui ressort de Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de
1789 : le seul système labélisé, c’est celui où la séparation des pouvoirs est
déterminée40. Hier anesthésié, ce postulat, a priori s’avère sensible aujourd’hui
en Afrique. En effet, la tendance se reversant depuis 1990, la pratique consti-
tutionnelle laisse entrevoir un retour à ce postulat. L’émergence d’une justice
constitutionnelle (1) autant que la fin du recueillement muet du Parlement
l’attestent (2).

1 – L’émergence d’une justice constitutionnelle


Le juge, gardien des libertés41 ? Cette question posée par D. Cohen, à pro-
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pos du juge français, semble avoir une réponse affirmative en Afrique aujour-
d’hui42. L’institutionnalisation de la justice constitutionnelle en Afrique, écrit
en effet le professeur L. Sindjoun, influence une dynamique locale de consolida-
tion démocratique43. De ce point de vue, conclut l’auteur, « il est possible
d’étudier la justice constitutionnelle africaine en la prenant au sérieux44 ».
En rappelant, sans toutefois s’y attarder en raison des nombreuses études sur
la question, l’état antérieur de la justice constitutionnelle, on prend la pleine
mesure de ces propos. Ailleurs, dans les démocraties occidentales, clé de voûte
de l’État de droit45, la justice constitutionnelle, en Afrique, était une clé de
voûte fragile46. Très modelable en conséquence, elle était à la fois réduite au

38. J. du Bois de Gaudusson, « Le constitutionnalisme en Afrique », in Les Constitutions


africaines, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 11.
39. P. Jan, « Les séparations du pouvoir », Constitutions et pouvoirs, in Mélanges en l’honneur
de Jean Gicquel, Montchrestien, 2008, p. 255.
40. L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la sépara-
tion des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
41. D. Cohen, « Le juge gardien des libertés ? », Pouvoirs, n° 130, 2009, p. 113.
42. Voir F. J. Aivo, Le juge constitutionnel et l’état de droit en Afrique, l’exemple du modèle béni-
nois, L’Harmattan, 2006, p. 154 et s.
43. L. Sindjoun, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine. Droit constitution-
nel jurisprudentiel et politiques constitutionnelles au prisme des systèmes politiques africains,
Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 10.
44. L. Sindjoun, op. cit., p.10.
45. D. Mockle, « La mondialisation et l’État de droit » (sous la dir.), Mondialisation et
État de droit, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 27-80.
46. O. loada, Droit constitutionnel et institutions politiques, collection précis de droit burki-
nabé, 2007, p. 445.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e63

silence, à l’ineffectivité47 et amenée à traduire dans ces décisions la volonté du


pouvoir exécutif.
Ce constat, dressé il y a quelques années, ne rend pas compte des évolutions
récentes. Songeons aux réformes vigoureuses en matière de contrôle de la consti-
tutionnalité de lois et aussi et surtout à certains contentieux où le juge à fait
preuve l’audace pour se persuader de telles évolutions.
Dans le premier cas, l’élargissement du pouvoir de saisine, est assez symp-
tomatique de la revitalisation de la justice constitutionnelle en Afrique noire
francophone. En effet, sous l’empire des premières Constitutions, ce pouvoir
était réservé à quelques « procureurs48 » (Président de la République-président
de l’Assemblée nationale). Au demeurant, ces autorités devaient intervenir
avant la promulgation de la loi. Un tel contrôle était illusoire et donc inopérant
en ce qu’il plaçait les « faiseurs de lois en destructeurs potentiels de leur propre
édifice juridique49 ».
Désormais le contrôle de constitutionnalité comporte deux aspects : le
contrôle par voie d’action et le contrôle par voie d’exception. C’est sur ce der-
nier point que la situation est nettement différente par rapport au schéma
antérieur.
Dégageant, en effet, les critères de vitalité du contentieux constitutionnel
des droits de l’homme, A. Soma estimait que le critère le plus pertinent est
celui de la vitalité du droit d’action directe de l’individu devant la juridiction
constitutionnelle50. C’est ce système étatique de justice constitutionnelle qui est
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retenu dans certains pays d’Afrique noire francophone. L’exemple du Bénin est
assez démonstratif à cet égard. En témoignent trois dispositions pertinentes de
la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.
L’une (l’article 121)51, reconnaît à la Cour le pouvoir d’auto-saisine. Les
autres (articles 3 et article 122)52 habilitent tout citoyen, in abstracto, c’est-à-
dire en dehors de tout conflit à saisir le juge constitutionnel53. Des dispositions
47. F. Moderne, « L’évolution des juridictions constitutionnelles », in Les institutions
constitutionnelles d’Afrique francophone et de la République malgache, Économica, Paris, 1979,
p. 185 ; Voir également L. Favoreu, « Brèves réflexions sur la justice constitutionnelle en
Afrique », in Les Cours suprêmes en Afrique, tome 2, Économica, Paris, 1989, p. 40.
48. R. Degni-Segui, « État de droit, droits de l’homme, bilan des années », Rapport
introductif n° 5, Symposium international de Bamako, p. 634.
49. J.-C. Aba’a Oyono, « Les mutations de la justice à la lumière du développement
constitutionnel de 1996 », Afrilex, 2000, n° 1, p. 9.
50. A. Soma, « Modélisation d’un système de justice constitutionnelle pour une meilleure
protection des droits de l’homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel com-
paré », RTDH, 2009, n° 78, p. 455.
51. L’article 122 dispose : « Elle – la Cour – se prononce d’office sur la constitutionna-
lité des lois et de tout texte réglementaire censés porter atteinte aux droits fondamentaux de
la personne humaine et aux libertés publiques »
52. L’article 3 al 3 prévoit : « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte adminis-
tratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a
le droit de se pouvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présu-
més inconstitutionnels » ; article 122 : « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle
sur la constitutionnalité des lois, soit directement… ».
53. Les statistiques fournies par le professeur T. Holo sont assez démonstratives : de juin
1993 à décembre 2008, la Cour constitutionnelle a rendu 2400 décisions dont 1728 en
contrôle de constitutionnalité. En 2008, à la date du 11 décembre, la Cour a rendu 117
décisions relatives à la violation des droits fondamentaux et des libertés publiques ». Cf.,
T. Holo, « Émergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 102.
e64 Karim Dosso

analogues figurent dans les Constitutions du Burundi (article 153 de la Consti-


tution 13 mars 1992), de République Démocratique du Congo (148 de la
Constitution du 15 mars 1992) et du Gabon (article 85 de la Constitution
26 mars 1992). Ailleurs, notamment, au Sénégal (article 82 de la Constitution
du 7 mars 1963 révisée le 2 mars 1998), à Djibouti (article 80 de la Constitu-
tion du 15 septembre 1992), au Niger (article 95 de la Constitution du 12 mai
1996), l’évolution est certes moins généreuse mais l’exception d’inconstitution-
nalité permet de faire échec au principe de l’incontestabilité de la loi promul-
guée. De telles réformes, assez intéressantes, n’ont pas manqué d’inverser la ten-
dance du mimétisme. La France vient en effet de reprendre une telle modalité à
travers la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité54.
Au surplus, et c’est sans doute là que réside l’essentiel, les Cours ou
Conseils constitutionnels vont donner un caractère effectif à leurs attributions55.
Plusieurs décisions peuvent l’attester mais quelques-unes suffiront à illustrer
nos propos. La plus marquante est celle résultant de la Cour constitutionnelle
du Niger le 12 juin 2009.
Éloge à la Cour constitutionnelle nigérienne ! Tel pourrait se résumer le
sentiment au vu du contexte politique électrique qui prévalait. Se sachant inéli-
gible parce que la Constitution nigérienne n’autorise que deux mandats, le Pré-
sident de la République décide, par décret, de convoquer le corps électoral à
l’effet de modifier cette clause. Saisie, la Cour constitutionnelle, le 25 mai
2009, émet un avis défavorable. Elle réaffirmera cette position dans sa décision
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du 12 juin 2009 estimant que l’initiative de la révision était, tant à la forme
qu’au fond, contraire à la Constitution. Le juge constitutionnel nigérien, maté-
rialise ici, ces propos de D. Rousseau selon lesquels « l’arbitraire politique ne
peut être source des lois56 ».
Par ailleurs, les Cours rendent parfois des arbitrages audacieux57. Ainsi
pourrait-on citer la décision de la Cour constitutionnelle du Bénin (DCC 07-175
du 27 décembre 2007) qui a permis de désamorcer une crise majeure entre le
gouvernement et l’Union nationale des magistrats du Bénin.
On peut observer aussi avec le professeur F. M. Djedjro, que les contesta-
tions électorales se résolvent de plus en plus devant le juge des élections58. Il
importe de rappeler, à cet égard, la réformation des opérations électorales (au
Mali en 1997 la cour a annulé l’ensemble du premier tour des élections législa-
tives), ou la remise en cause du mandat d’un président convaincu de violation
de la Constitution (démission du Président à Madagascar).
54. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Sur ce point, voir « Question priori-
taire de constitutionnalité, premières jurisprudences », AJDA, n° 18, 2010, p. 1013-1040.
55. R. S. M. Dossou, « La Cour constitutionnelle du Bénin : l’influence de sa jurispru-
dence sur le constitutionnalisme et les droits de l’homme », Conférence mondiale sur la jus-
tice constitutionnelle, Cape Town, Afrique du Sud, 23 au 24 janvier 2009.
56. D. Rousseau, « Question de Constitution », Le nouveau constitutionnalisme, in Mélanges
en l’honneur de G. Conac, Économica, Paris, 2001, p. 8.
57. Voir sur ce point S. Bollé, « Les juridictions constitutionnelles africaines et les crises
électorales », 5e Congrès de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage
l’usage du français, Cotonou, 22-28 juin 2008, (http.//www. laconstitution-enafrique.
org/) ; I. Abdourhamane Boubacar, Les Cours constitutionnelles dans le processus de démocratisa-
tion en Afrique : analyse comparative à partir des exemples du Bénin, de la Côte-d’Ivoire et du Niger,
thèse, Université Montesquieu-Bordeaux IV, octobre 2002.
58. F. M. Djedjro, « Le contentieux électoral en Afrique », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 143.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e65

Au terme de ces développements on peut parler de printemps ou de recréa-


tion des juridictions constitutionnelles africaines59. Sans vouloir se couvrir de
l’autorité du professeur L. Sindjoun, on ne peut sérieusement récuser son insti-
tutionnalisation ainsi que son effectivité60. Une telle conclusion est aussi valable
pour le Parlement.

2 – La fin du recueillement muet du Parlement


« Le Parlement incarne le destin de la démocratie en raison du contrôle
auquel il se livre, au nom des citoyens61. » L’institution parlementaire, en
Afrique noire francophone semble redécouvrir une telle valeur62.
Quiconque regarde le paysage politique actuel de l’Afrique noire franco-
phone, ne peut manquer de constater que le Parlement est moins porté à la ser-
vilité vis-à-vis de l’exécutif63. Longtemps en effet, le Parlement fut présenté,
cela à juste titre, comme une chambre d’enregistrement, une antenne du pou-
voir exécutif64. L’expression imagée que M. A. Endon donne de l’institution est
assez révélatrice à ce sujet. Les parlements, écrivait-il, « nous rappellent l’image
de la mer avec l’effet brouillard de l’écume qui cache la violence de la vague.
Plus précisément l’écume pluraliste qui cache la vague monolithique65 ». On
s’interrogeait alors à la manière du professeur P. Avril « qui fait la loi ? »66.
Aujourd’hui, sans être incontestables67, les avancées sont significatives. Le
Parlement, n’est plus un gadget, il est sorti de son recueillement muet pour
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devenir un acteur de la scène politique68. Cette reparlementarisation69 est mar-
quée, du point de vue juridique, par un double mouvement. Le premier s’ap-
précie au niveau structurel. Quand au second, il concerne le renforcement fonc-
tionnel du parlement.

59. A. S. Ould Bouboutt, « Les juridictions constitutionnelles en Afrique : évolution et


enjeux », Annuaire internationale de justice constitutionnelle, XIII, 1997, p. 93.
60. L. Sindjoun, op. cit., p. 1.
61. J. Gicquel, J.-E. Gicquel, op. cit., p. 689.
62. Voir K. Somali, Le Parlement dans le renouveau constitutionnel en Afrique. Essai d’analyse
comparée à partir des exemples du Bénin, du Burkina-Faso, et du Togo, thèse de doctorat, Lille,
27 mai 2008.
63. G. Conac, « La modernisation des droits en Afrique : du droit de l’État à l’État de
droit », Un passeur entre les mondes, in Mélanges en l’honneur de Michel Alliot, publication de la
Sorbonne, Paris, 2000, p. 294.
64. Voir à ce sujet, C. Desouches, « Les parlements », in Les institutions constitutionnelles
des États d’Afrique francophone et de la République malgache, G. Conac (dir.), Paris, Économica,
1979, p. 95-138 ; G. Conac, op. cit., p. 38-54.
65. M. Aboya Endong, « Démocratie et ajustement institutionnel en Afrique noire : la
problématique du parti administratif », Revue IDARA, n° 23, p. 103.
66. P. Avril, « Qui fait la loi ? », Pouvoirs, n° 114, 2005, p. 89.
67. A. Cabanis, M. L. Martin constatent la pérennisation du chef de l’État, « La pérenni-
sation du chef de l’État : l’enjeu actuel pour les Constitutions d’Afrique francophone », in
Démocratie et liberté, tension, dialogue, confrontation, Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic,
Bruxelles Bruylant, 2008, p. 348-380.
68. L. Sindjoun, « L’action internationale de l’assemblée nationale du Cameroun, élé-
ments d’analyse politiste », Revue Études internationales, volume XXIV, n° 4 décembre 1993,
p. 813-844.
69. Expression empruntée à J. Gicquel, « La reparlementarisation, une perspective d’évo-
lution », Pouvoirs, n° 126, 2008, p. 47.
e66 Karim Dosso

On relèvera d’abord les évolutions structurelles, sans pouvoir insister, car


c’est à l’aune de la pratique que l’évolution sera appréciée à sa juste valeur. De
ce point de vue, l’évolution est incontestable. Le pluralisme politique inscrit
formellement dans de nombreuses Constitutions, était totalement neutralisé par
le parti unique. Dans ce contexte, le citoyen ne faisait que ratifier les offres poli-
tiques imposées par le parti unique70. Le député était, en effet, soit nommé à
l’intérieur du parti (République Démocratique du Congo) soit élu sur une liste
nationale dressée par le Président de la République (Côte-d’Ivoire). Ce dernier
ne pouvait, évidemment pas craindre, d’après l’expression de J. Cheval-
lier71« l’effet Becket »72.
Et voici que depuis deux décennies, les élections sans choix73 ont fait place
aux élections disputées74. L’élargissement démocratique qui débouche sur la fin
des Parlements monocolores induit corrélativement, l’émergence de parlements
plus ou moins représentatifs du peuple. On assiste à la formation de groupes
parlementaires à l’Assemblée nationale. Un mouvement sismique secoue alors
les Parlements, avec non pas des conséquences désastreuses, comme c’est le cas
à l’occasion de tel phénomène, mais une revitalisation de l’institution.
Du coup, et c’est l’aspect fonctionnel, du reste le plus important, les Parle-
ments devenant des « espaces de dialogue75 », le silence cède la place aux
bruits, aux débats. Usant pleinement de leurs prérogatives constitutionnelles,
les Parlements participent désormais à l’activité normative. Mieux, le contrôle
de l’activité gouvernementale devient effectif.
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En effet, à l’époque, sous les régimes de parti unique, c’est le gouverne-
ment, sans que la Constitution lui en attribue exclusivité, qui était à l’origine
de l’initiative des lois76. L’Assemblée nationale, constitutionnellement fondée à
intervenir en la matière, ne s’en prive plus aujourd’hui. L’initiative, comme
prévu par les Constitutions, est exercée concurremment par le gouvernement et
l’Assemblée nationale77.
On retrouve cette quête d’affirmation progressivement dans le contrôle de
l’activité gouvernementale. Les Parlements, en effet « ne se contentent plus de

70. O. Loada, « Le droit de suffrage en Afrique francophone : sens et usages sociaux »,


p. 42.
71. J. Chevallier, « Le juge constitutionnel et l’effet Becket », Renouveau du droit constitu-
tionnel, Mélanges en l’honneur Louis Favoreu, Dalloz, 2007, p. 83.
72. La formule évoque le destin emblématique de Thomas Becket qui, intime du roi
Henri II et chancelier du royaume, s’opposa de front, à partir du moment où il fut nommé
archevêque de Canterbury à la politique religieuse du roi allant jusqu’à l’excommunier, ce
qui lui vaudra d’être assassiné à l’instigation de celui-ci ».
73. Expression empruntée au professeur F. M. Djedjro, op. cit., p. 141.
74. D. Kokoroko, « Les élections disputées : réussites et échecs », Pouvoirs, 2009, n° 129,
p. 115-125.
75. G. Conac, « Quelques réflexions sur le nouveau constitutionnalisme africain », sym-
posium international de Bamako, 2000, p. 32.
76. Cette situation n’est pas propre à l’Afrique. Même en France elle a été mainte fois
dénoncée. Certainement ce qui a suggéré le titre de l’article du professeur P. Avril, « Qui
fait la loi ? », art. cit.
77. Voir sur ce point K. Somali, « Le Parlement dans le nouveau constitutionnalisme en
Afrique, Essai d’analyse comparée à partir des exemples du Bénin, du Burkina-Faso et du
Togo ». L’auteur indiquait que lors de la première législature togolaise sur les 13 proposi-
tions de lois 10 venaient de l’opposition. Au Bénin de 1999 à 2003, le Parlement a enre-
gistré 10 propositions de lois venant des groupes parlementaires de l’opposition.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e67

faire de la figuration et d’enregistrer des décisions prises ailleurs78 ». Désormais,


« le contrôle de l’action gouvernementale apparaît comme une arène de
confrontation… traversée par des rapports de forces cogérés par une pluralité
d’acteurs eux-mêmes dotés de logiques plurielles79 ». On peut le vérifier à
l’aune des nombreux recours en inconstitutionnalité exercés par les parlemen-
taires. Ou encore, à travers l’effectivité des débats parlementaires80. À cet égard,
l’exemple du constitutionnalisme ivoirien éclaire particulièrement cette résur-
rection. En effet, selon le point 3-e de l’accord de Linas-Marcoussis les députés
devaient soutenir la mise en œuvre du programme gouvernemental81. En réa-
lité, c’est à de vrais débats parlementaires auxquels les Ivoiriens auront droit.
On voit à l’évidence, le pluralisme « permet l’expression et la confrontation des
opinions et lui seul est le garant de la possibilité du contrôle82 ». Ailleurs, au
Niger, pour ne se limiter qu’à cet exemple, la dissolution du parlement par le
Président de la République, était, à la vérité, le résultat de son refus de cau-
tionner la manipulation de la Constitution. Le parlement n’est plus une
coquille vide83. La loi est redevenue alors, ce qu’elle n’aurait jamais dû cessé
d’être, l’expression de la volonté générale. De ce point de vue, le Parlement par-
ticipe à l’effectivité du renouveau constitutionnel en Afrique noire francophone.
La création de cadres politiques s’inscrit dans la même dimension et consti-
tue, à cet égard la seconde facette de la revitalisation de la pratique constitu-
tionnelle en Afrique.
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B – LA CRÉATION DE CADRES POLITIQUES RÉNOVÉS

Le constitutionnalisme africain en dépit de quelques soubresauts parfois


dramatiques, n’est pas figé84. D’ailleurs, les observateurs les plus avisés ne man-
quent pas de voir dans la pratique constitutionnelle des succès85. Le temps des

78. J. du Bois de Gaudusson, « Quel statut pour le chef de l’État en Afrique ? », Le nou-
veau constitutionnalisme, in Mélanges en l’honneur de G. Conac, Économica, 2001, p. 333.
79. F. Akindes et V. Topanou, « Le contrôle de l’action gouvernementale en République
du Bénin », Programme de l’UNRISD, Démocratie, gouvernement et droits de l’homme, document
n° 18, octobre 2005, p. 1.
80. Voir sur ce point B. Mathieu, « La qualité du travail parlementaire : une exigence
constitutionnelle », Constitution et pouvoir, Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel, Dalloz, 2007,
p. 355-364.
81. Point 3e de l’accord de Linas-Marcoussis : « Les partis politiques représentés à l’As-
semblée nationale et qui ont participé à la table ronde s’engagent à garantir le soutien de
leurs députés à la mise du programme gouvernemental ».
82. A. Delehedde, « L’Afrique en transition vers le pluralisme politique : le rôle du par-
lement », in L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, G. Conac (dir.), Économica,
Paris, 1993, p. 460.
83. C. Desouches, « Les parlements », art. cit., p. 95-138.
84. J. du Bois de Gaudusson, « Point d’actualité sur les modalités de production du droit
constitutionnel dans les États africains francophones », in Mélanges en l’honneur de Patrice
Gélard, Montchrestien, 1999, p. 341 ; G. Conac, op. cit., p. 13.
85. M. Glele-Ahanhanzo, « Le renouveau constitutionnel du Bénin une énigme ? », Un
passeur entre les mondes, in Mélanges en l’honneur de M. Alliot, publication de la Sorbonne,
2000, p. 255-233 ; T. Holo, « Émergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, n° 129,
art. cit. p. 102 ; G. Conac, « Succès et crises du constitutionnalisme en Afrique », in Les
Constitutions africaines publiées en langue française, op. cit., p. 13 ; J. du Bois de Gaudusson, op.
cit., p. 9 ; L. Sindjoun, op. cit., 598 p. ; B. Kante, « Le constitutionnalisme à l’épreuve de la
transition démocratique en Afrique », 1996, étude citée, p. 3 ; F. M. Djedjro, op. cit., p. 5.
e68 Karim Dosso

regrets86, marqué par des années de non droit, semble bien loin ; celui des espé-
rances réel. En témoignent l’aboutissement de la conférence nationale (1) et la
création de comités pour la réforme des Constitutions (2).

1 – La conférence nationale,
modalité originale du renouveau constitutionnel
Alors que rien ne le laissait présager, les années quatre-vingt-dix sont mar-
quées par des mutations politiques profondes en Afrique noire francophone. Ces
processus de transition sont divers87. Mais c’est la conférence nationale88 qui
rend compte du développement d’un véritable mouvement constitutionnaliste
plus par l’originalité du processus que par l’effet de contagion.
Inaugurée au Bénin, reprise et expérimentée, avec des fortunes diverses, par
plusieurs autres pays89, la conférence nationale est un phénomène novateur90 et
même révolutionnaire91. Elle est marquée par « une irruption de la société
civile, et plus largement du peuple, sur la scène politique92 ». Ici, n’est pas le
lieu de construire une théorie générale de la conférence nationale. Car comme
l’observait le rapport général de synthèse des travaux du symposium internatio-
nal de Bamako93, il est difficile d’en élaborer une, eu égard aux spécificités et
aux caractéristiques de chacune d’elles.
Malgré ces difficultés, l’enjeu majeur de ces conférences était toutefois
simple à situer. Il s’agit de rompre avec le consensus proclamé, mais en réalité
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imposé aux populations par la forme monolithique des régimes94. Cette « révo-
lution douce95 » a paradoxalement eu pour effet « de redonner au droit… une
crédibilité que des années de non droit avaient fini par émousser dans l’opinion

86. Formule empruntée au professeur D. Kokoroko, « Les élections disputées : réussites


et échecs », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 115-125.
87. F. Akindes, « Les transitions démocratiques à l’épreuve des faits, Réflexions à partir
des expériences des pays d’Afrique noire francophone », symposium international de
Bamako, rapport introductif, n° 3, art. cit., p. 611 et s. Le professeur Akindes fait une syn-
thétisation magistrale des formes de transitions. Il ressort de son analyse que la transition
emprunte plusieurs voies : démocratisation par évitement, démocratisation par « à coup »,
démocratisation par les armes, démocratisation par voie de conférence nationale.
88. F. Akindes, op. cit., p. 609-619 ; F. J. Aivo, Le juge constitutionnel et l’état de droit en
Afrique, l’exemple du modèle béninois, L’Harmattan, 2006, p. 29 ; F. E. Boulanga, Les conférences
nationales en Afrique noire, une affaire à suivre, Paris, Karthala, 1997, 229 p.
89. Le Gabon, le Congo, le Niger, le Mali, le Togo, le Zaïre (actuelle République Démo-
cratique du Congo), le Tchad.
90. M. Besse, « La conférence nationale souveraine, un pouvoir constituant original »,
www.droit constitutionnel.org/congrès/Paris/…/Besse txt.pdt, p. 3, consulté le 30 mai 2010.
91. C. Keutcha Tchapnga, op. cit., p. 464.
92. M. Kamto, « Les conférences nationales africaines ou la création révolutionnaire des
Constitutions », in Dominique Darbon et Jean du Bois de Gaudusson (dir.), La création du
droit en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p. 177.
93. Rapport général de synthèse des travaux du symposium international sur le bilan des
pratiques de la démocratie, des droits et libertés dans l’espace francophone, Bamako,
1 -3 novembre 2000, p. 645.
er

94. F. M. Djedjro, op. cit., p. 16.


95. B. Kante, « Alternance politique et alternance démocratique en Afrique », Mélanges
offerts par la faculté de droit de l’Université de Fribourg, pour Thomas Fleiner, Éditions universi-
taires de Fribourg, Suisse.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e69

publique96 ». La conférence nationale, il est vrai avec des fortunes diverses97, a


radicalement changé, en donnant un sens au constitutionnalisme aujourd’hui, le
cours de l’histoire. Que de progrès accomplis ! En la forme et au fond des
indices palpables permettent de mesurer le chemin parcouru. On dispose, à cet
effet, de quelques instruments de mesure.
En effet, quelles aient été souveraines ou non souveraines, les conférences
ont d’abord permis une refonte de l’exercice du pouvoir. Jadis, comme le notait
fort à propos le professeur F. M. Djedjro, « l’adhésion au parti unique ou au
parti dominant devenait la voie privilégiée par laquelle devait se réaliser le
citoyen construire le système politique98 ». Ceci semble lointain, la conférence
ayant donné un contenu effectif à la liberté d’expression et d’association. L’ir-
ruption d’autres formations politiques, de syndicats autonomes et d’une société
civile indépendante est la manifestation tangible de cette évolution. Au surplus,
même s’il ne faut pas le surestimer99, l’hégémonie du chef de l’État est diluée
par la présence au sein de l’exécutif d’un premier ministre. La conjugaison de
ces éléments a pour effet de rendre l’alternance impensable, envisageable, et
même réalisée. Il est arrivé en effet que s’opère une alternance au pouvoir
comme par exemple au Bénin, à Madagascar, au Mali. Qui connaît la pratique
politique antérieure ne peut que souligner l’évolution ainsi réalisée.
Dans le même sens les conférences nationales ont permis d’adopter de nou-
velles Constitutions exprimant « un aspect nouveau du consensus social ».
Longtemps en effet la doctrine africaniste avait considéré la Constitution, non
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comme un instrument de protection des gouvernés, mais comme une technique
de légitimation du pouvoir des gouvernants. Or l’opération constituante résul-
tant des conférences nationales à déboucher sur la mise en place des bases d’un
nouvel ordre. On assiste à une démultiplication généreuse des instruments
protecteurs.
On pourrait objecter que l’adhésion à ces principes n’est pas nouvelle. Les
premières Constitutions de l’ère post-coloniale les avaient proclamés. Mais là où
se situe l’évolution c’est la constitutionnalisation des droits de l’homme. En
effet, les Constitutions ne laissent plus le soin au préambule de traiter des droits
de l’homme. Ils sont énoncés de manière très précise dans le corps de la Consti-
tution ; ce qui réduit considérablement la marge de manœuvre de l’exécutif et
même du législateur. D’ailleurs, comme il a été souligné ci-dessus, la diversifi-
cation des mécanismes de saisine des Cours constitutionnelles, permet au juge
de protéger ces droits et libertés.
On pourrait également objecter que la déclaration de souveraineté, contrai-
rement à son statut initial, de la conférence nationale ne repose sur aucune base
légale irréfutable. Mais en réalité, la dynamique politique ne l’a emporté que

96. L. Goumoro « Quelques reflétions sur la “démocratisation” en Afrique », in Mélanges


en l’honneur de Patrice Gélard, Montchrestien, 1999, p. 427.
97. La conférence nationale s’est soldée parfois par des échecs. En effet, au Zaïre, au Togo,
au Tchad, au Gabon, son impact reste très limité. Voir sur ce point J. J. Raynal, « Confé-
rence nationale, État de droit et démocratie. Quelques réflexions à propos d’une occasion
manquée », op. cit., p. 165.
98. F. M. Djedjro, « Principe majoritaire et démocratie en Afrique », art. cit., p. 16.
99. Voir, F. Bankounda-Mpele, « Repenser le Président africain », communication au
VIIe Congrès français de droit constitutionnel, 25, 26 et 27 septembre 2008, p. 3. Au Togo
et au Gabon, les chefs de l’État ont réussi à conserver l’essentiel de leurs pouvoirs.
e70 Karim Dosso

sur le perfectionnement juridique. C’est dire que s’il n’y a aucune base juri-
dique irréfutable, il y a, tout de même, des bases juridiques défendables.
D’abord l’initiative de sa convocation est d’origine gouvernementale.
Ensuite l’acte unilatéral de déclaration de souveraineté a été accepté par le Pré-
sident de la République. En conséquence, celui-ci, en sa qualité de chef de
l’État, sanctionnait par des décrets les décisions prises par la Conférence natio-
nale. Il ne s’agit donc pas d’un « coup d’État civil100 ». À la vérité, la Confé-
rence nationale est une invention originale, un outil « de gestion des crises poli-
tiques affectant des systèmes à parti unique, par la reconnaissance officielle des
libertés publiques et la consécration de l’État de droit101 ». Le professeur
M. A. Glele ne faisait-il pas d’elle, cela à juste titre, le disciple de la Déclara-
tion française des droits de l’homme et du citoyen de 1789102 ?
Les conférences nationales ont plutôt ouvert « l’ère du renouveau démocra-
tique103 ». Ceci semble être consolidé par la création de comités de réforme des
Constitutions.

2 – La création de comités,
modalité nouvelle de réforme des Constitutions
Des Présidents, notamment les Présidents malien et béninois ont décidé de
créer, à l’image de la France104 un comité de réforme des institutions. Ce seul
fait qui constitue une première en Afrique, mérite à lui seul d’être remarqué.
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En effet, nombre de critiques lient la crise du constitutionnalisme en
Afrique noire francophone à l’instabilité résultant de fréquentes révisions
constitutionnelles. Cette multiplication du rythme de révisions constitution-
nelles provoque un « malaise dans la Constitution105 ». C’est ce que le profes-
seur J.-L. A. Amougou veut dire lorsqu’il écrit que « la crise de la notion de
Constitution en Afrique est en partie due à la facilité des révisions constitu-
tionnelle ». Du coup « de texte sacré dépositaire de la parole du souverain et du
contrat social, de loi des lois, la Constitution devient banale, une loi ordinaire
à la disposition des intérêts politiques momentanés106… ».
Or de la crise de la notion de Constitution, naissent parfois des conflits
politiques, qui se transforment eux aussi en insurrection ou en guerre107. L’aver-
tissement n’est pas tombé dans des oreilles de sourds. Les nouvelles perspectives
de réforme des Constitutions initiées au Bénin et au Mali peuvent l’attester.
L’enjeu des réformes constitutionnelles en Afrique est relativement simple à
situer. Il est, comme le soulignent fort justement, les professeurs A. Cabanis et
100. J.-J. Raynal, « Conférence nationale, État de droit et démocratie. Quelques
réflexions à propos d’une occasion manquée », art. cit., p. 158.
101. F. E. Boulaga, « Les conférences nationales en Afrique noire », op. cit., p. 31.
102. M. Glele-Ahanhanzo, op. cit., p. 327.
103. C. D. Ouinsou, « Le contrôle de constitutionnalité au Bénin », Actes du symposium
international de Bamako, p. 82.
104. Le comité consultatif pour la révision de la Constitution dit commission ou comité
Vedel, 2 décembre 1992, Le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le
rééquilibrage des institutions dit comité Balladur créé en 2007.
105. D. Rousseau, « Le nouvel horizon du droit constitutionnel », Renouveau du droit
constitutionnel, in Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, 2007, p. 889.
106. Idem, p. 889.
107. La crise ivoirienne est révélatrice à ce sujet.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e71

M. L. Martin, fonction des stratégies de pérennisation du pouvoir108. Cette stra-


tégie emprunte systématiquement deux voies : la manipulation du processus
électoral et des conditions d’éligibilités à la présidence de la République. Le
rapport sur l’état des pratiques de la démocratie des droits et des libertés dans
l’espace francophone aboutit à la même conclusion. Il constate que « rarement
la réflexion sur la Constitution est une réflexion générale, étendue à l’ensemble
des dispositions de celle-ci109 ». Or des États de l’Afrique noire francophone
(Mali et Bénin) ont engagé des réformes en rupture avec ces pratiques.
Au Bénin, tout comme au Mali, c’est le souci d’assurer un meilleur fonc-
tionnement des institutions qui a suscité l’initiative de telles réformes. Le Pré-
sident Y. Boni, certainement en réponse aux manifestations sociales contre ce
projet, a à la fois rassuré les populations et fixé les limites de la commission. Il
déclarait « On peut relire la Constitution sans toucher à ces dispositions (la
limitation du mandat et l’âge limite) et c’est ce que je vous demande. En effet,
poursuit-il, dans la Constitution, il n’y a pas que des dispositions relatives aux
personnes prises isolément. Il y a aussi et surtout toute la partie sur les rapports
entre les différents pouvoirs110 ». On a pu alors douter et même suspecter la
reforme envisagée111. La formation discrétionnaire du comité par le chef de
l’État, conduisait en effet à penser qu’il serait à son service pour matérialiser
techniquement son projet politique en matière constitutionnelle112. La commis-
sion Glèle, s’appuyant en cela sur ces orientations, a convenu de préserver les
options essentielles de la conférence nationale, à savoir la démocratie pluraliste,
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l’État de droit, la limitation du nombre de mandats présidentiels et l’âge limite
à l’élection présidentielle. Par ailleurs la commission a pris en compte les insuf-
fisances observées dans la pratique de la Constitution de 11 décembre 1990 et
fait des propositions en vue de les corriger.
Il ne s’agit pas d’un acte isolé. Déjà, en avril 2007, le Président Y. Boni,
avait installé une commission de juristes indépendants sur le système électoral
en République du Bénin. Le rapport sanctionnant a notamment analysé les
insuffisances du processus électoral et formulé des propositions en vue de son
amélioration.
Le Mali s’est engagé dans la même voie. Et le rapport de la commission de
réflexion sur la consolidation de la démocratie au Mali d’appui aux réformes des
institutions est tout aussi remarquable en ce qu’il préserve les acquis de la
démocratie. On peut évoquer, à ce propos, à titre d’exemple quelques proposi-
tions au plan institutionnel. La commission a maintenu le système semi-prési-
dentiel avec un Président de la République élu pour un mandat de cinq ans
renouvelable seule une fois. Il résulte de ce qui précède que les révisions consti-

108. A. Cabanis, M. L. Martin, art. cit., p. 352.


109. Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et libertés dans l’espace
francophone, OIF, 2008, p. 80.
110. Discours du Président Yayi Boni, à l’occasion de la cérémonie d’installation offi-
cielle des membres de la commission constitutionnelle, Cotonou 20 février 2008, www.la-
constitution-en-afrique.org, consulté le 01/06/2010.
111. S. Bollé, « La réforme française des institutions : un modèle pour l’Afrique ? »,
Politeia, n° 15, 2009, p. 524.
112. X. Magnon, « La composition de la commission Balladur : brèves réflexions sur l’ex-
pertise en matière constitutionnelle », RDP, 2008, hors-série, p. 42.
e72 Karim Dosso

tutionnelles en Afrique ne tendent pas nécessairement, comme d’ordinaire, à


« la pérennisation des sortants113 ».
On pourrait alors conclure sur ce point pour dire que l’Afrique a pris le luxe
de payer ce qui constituait « un luxe » pour elle : la démocratie. Mais tout objet
précieux mérite un entretien au risque de perdre de sa valeur. Or, la pratique
montre après quinze ans que la démocratie a été plus prophétisée que réalisée,
le constitutionnalisme plus idéalisé que vécu. Ces succès, indiqués ci-dessus,
sont si isolés qu’ils constituent en réalité l’exception que vient confirmer la
règle : les échecs récurrents.

II – LES PRATIQUES CONSTITUTIONNELLES


EN AFRIQUE FRANCOPHONE, DES ÉCHECS RÉCURRENTS

Après quelques années d’euphorie, le constitutionnalisme africain est à nou-


veau sur la sellette. Certains ont alors conclu qu’il souffre d’un vice congéni-
tal114. Pourtant, tout laissait entrevoir que le constitutionnalisme avait à nou-
veau trouvé asile dans l’État de droit115. « Des lendemains qui chantent116 »
pour le constitutionnalisme pointaient à l’horizon. Paradoxalement l’espoir a
laissé la place au désappointement « rangeant ainsi le constitutionnalisme au
rayon des illusions perdues117 ». En réalité, les chants du constitutionnalisme,
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comme les décibels des vuvuzela118, sont devenus inaudibles entraînant un
« désenchantement constitutionnel119 ». La Constitution est, en effet, tantôt
asservie par les faits (A) tantôt desservie par le droit (B).

A – LA CONSTITUTION ASSERVIE PAR LES FAITS

Sa majesté120, la Constitution, a perdu sa couronne. « Bousculée par les


faits121 », la Constitution qu’on avait très tôt sacralisée, fétichisée, en Afrique122

113. J. du Bois de Gaudusson, « Constitution sans culture constitutionnelle n’est que


ruine du constitutionnalisme, Poursuite d’un dialogue sur quinze années de “transition” en
Afrique et en Europe, Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation », in Mélanges
en l’honneur de Slobodan Milacic, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 39.
114. C. Milhat, « Le constitutionnalisme en Afrique francophone, variations hétérodoxes
sur un requiem », VIe Congrès français de Droit constitutionnel, Atelier 7, constitutionnalisme : un
produit d’exportation, Montpellier 9, 10, 11, juin 2005, p. 4 (www.droitconstitutionnel.org/
congresmtp/MILHAT.pdf) consulté le 13 juillet 2101.
115. Voir sur ce point, A. Diarra, « La protection constitutionnelle des droits et libertés
en Afrique noire francophone depuis 1990. Les cas du Mali et du Bénin », Afrilex, sep-
tembre 2001, p. 1-30.
116. Ph. Ardant, « Le temps dans les Constitutions écrites », in Mélanges en l’honneur de
P. Avril, La République, Montchrestien, 2001, p. 503.
117. J. du Bois de Gaudusson, art. cit., p. 338.
118. Instrument traditionnel sud africain émettant des sons désagréables à l’oreille.
119. P. Avril, « Enchantement et désenchantement constitutionnels sous la Ve Répu-
blique », Pouvoirs, n° 126, 2008, p. 5.
120. A. Kpodar, art. cit., p. 2519.
121. C. Milhat, op. cit., p. 3.
122. M. A. Glele, op. cit., p. 32.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e73

est devenue un texte ordinaire voire banal123. Pourtant, l’on avait cru, à la
faveur ou à l’issue des transitions démocratiques, à la résurrection124 de la
Constitution. Croyance rendue caduque par la vague des « nouveaux
conflits125 » et leurs cortèges d’accords politiques qui inaugurent la seconde
mort de la Constitution. En effet, ces accords politiques, formes alternatives de
règlement des questions constitutionnelles126 (1) favorisent le retour des
régimes non constitutionnels (2).

1 – L’émergence d’un constitutionnalisme alternatif


Ce constitutionnalisme alternatif est marqué par l’émergence de règles – les
accords politiques – autres que celles de la Constitution. Tout comme celles-là,
celles-ci ont un objectif juridique127 ayant vocation à fixer le statut et l’organi-
sation du pouvoir d’État. De ce point de vue, on ne peut leur dénier une portée
matériellement constitutionnelle. En effet, les accords politiques, à côté ou
parallèlement à la Constitution, informent, aujourd’hui le fonctionnement des
pouvoirs publics constitutionnels. L’accord inter-ivoirien de Linas-Marcoussis,
en fournit un exemple révélateur. Il fixe à la fois le statut du Premier ministre
et ses rapports avec le Président de la République128.
A priori, on a pu voir dans ces accords un certain dynamisme constitution-
nel. On peut même croire à l’émergence de conventions de la Constitution en
Afrique noire129. Mais en réalité, comme le fait remarquer fort justement le pro-
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fesseur F. M. Djedjro, la succession des arrangements politiques a pour effet de
créer des incertitudes sur la notion de Constitution130. L’idée de malaise dans la
Constitution retrouve ici une actualité. Ce malaise ou cette incertitude peut
s’apprécier tant du point de vue normatif que du point de vue institutionnel.
Sur le premier point, se référant à la conception normative ou kelsenienne,
la Constitution est l’ensemble des règles qui se caractérise par sa suprématie sur
les autres règles. Ce qui induit la conformité des règles inférieures et corrélati-
vement en cas de contrariété leur invalidité, avec comme conséquence que, dans
le meilleur des mondes juridiques, elles ne devraient jamais entrer en vigueur
ou toutes être supprimées de l’ordre juridique. Or justement, ce sont ces prin-

123. Voir F. Wodie, art. cit., p. 198.


124. D. Rousseau, « Une résurrection : la notion de Constitution », RDP, 1990, n° 1,
p. 5.
125. J. du Bois de Gaudusson, « Défense et illustration du constitutionnalisme en
Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », art. cit., p. 622. Voir également le
numéro de Questions internationales sur les « conflits en Afrique », La Documentation française,
janvier-février 2004, n° 5.
126. Voir sur ce point C. Keutcha Tchapnga, op. cit., p. 463 et s ; rapport sur l’état des
pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, pour une
politique apaisée, OIF, 2008, p. 79.
127. J. du Bois de Gaudusson, « L’accord de Linas Marcoussis, entre droit et politique »,
Afrique contemporaine, n° 206, 2003, p. 42.
128. Voir K. Dosso, « Le Premier ministre dans la crise ivoirienne », Revue de la recherche
juridique, Droit prospectif, 2008-4, p. 2370-2394.
129. Sur l’émergence des conventions de la Constitution en Afrique, voir B. D. Couli-
baly, « Des tendances contemporaines de la normalisation constitutionnelle. Le cas de
l’Afrique noire francophone », Revue juridique et politique, 2009, n° 4, p. 710-783.
130. F. M. Djedjro, art. cit., p. 23.
e74 Karim Dosso

cipes fondateurs du constitutionnalisme que les accords politiques remettent en


cause. Tantôt ils l’emportent sur la Constitution131, tantôt ils coexistent avec
elle132, tantôt ils se substituent définitivement à elle133. Dans tous les cas, il est
loisible de constater que la Constitution s’est inclinée devant ces accords poli-
tiques. Dans ces conditions, « la Constitution n’est plus le fondement exclusif
de la validité de l’ordre juridique tout entier134 ». Pire, elle est redevenue un
« chiffon de papier135 ». Une telle situation créée inéluctablement des dysfonc-
tionnements au plan institutionnel.
Une simple lecture des accords montre qu’il y a un dysfonctionnement
voire un renversement de l’ordre institutionnel. Les différents accords signés
dans le cadre de la crise ivoirienne ont, par exemple, tenté de dépouiller le pré-
sident de ses prérogatives constitutionnelles pour les confier au Premier
ministre. Dans le cas de Madagascar, c’est un exécutif désormais hétéroclite avec
l’institution d’un conseil présidentiel composé de deux postes de co-président
de la transition.
On pourrait objecter, notamment dans le cas ivoirien, qu’un tel arrangement
était rendu inéluctable. On pourrait même y voir des conventions de la Consti-
tution et conclure « à un véritable enrichissement constitutionnel136 ». Au sur-
plus, ne dit-on pas que la « Constitution posée n’est pas à elle seule, la garantie
sans faille de l’ordre juridique137 ». Autrement dit, comme le constate le doyen
Vedel, la Constitution ne peut soumettre toute la vie politique à sa raison138.
En France en effet, le fonctionnement de l’État n’est pas entièrement subor-
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donné au droit et à la loi139. Des pans importants de la vie politique et juri-
dique se sont développés en marge sinon en dehors du texte constitutionnel140.
C’est d’ailleurs ce qui ressort de la pratique constitutionnelle française et
notamment de ces propos du général de Gaulle lorsqu’il affirme que « le Prési-
dent de République détient par la volonté du peuple l’autorité indivisible de
l’État, définit l’orientation politique nationale et dispose de la faculté de chan-
ger le Premier ministre141… ».

131. L’accord d’Arusha du 4 août 1933 en son article 47 qu’« en cas de conflit entre les
autres dispositions de la Constitution et celles de l’accord de paix, ces dernières prélavent ».
Voir sur ce point F. Reyntjens, « La production constitutionnelle en situation de crise : les
cas du Rwanda et du Burundi », in La création du droit en Afrique, D. Darbon et J. du Bois
de Gaudusson (dir.), Karthala, 1997, p. 292-307.
132. L’accord de Linas Marcoussis du 23 janvier 2003.
133. La Charte de la transition à Madagascar, août 2009.
134. A. Kpodar, « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par
l’accord de Linas Marcoussis, du 23 janvier 2003 », art. cit., p. 2520.
135. A. Bourgi, art. cit., p. 725.
136. D. Maus, « Où en est le droit constitutionnel ? », in Mélanges en l’honneur de
F. Moderne, Mouvement du droit public, du droit administratif au droit constitutionnel, du droit
français aux autres droits, Dalloz, 2004, p. 711.
137. D. Rousseau, « Question de Constitution », in Mélanges en l’honneur de Gérard Conac,
Le nouveau constitutionnalisme, Économica, 2001, p. 6.
138. Cité par D. Rousseau, idem, p. 8.
139. Voir S. Pinon, « Le pouvoir exécutif dans l’œuvre constitutionnelle de Maurice Hau-
riou (1856-1929) », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2004, p. 134.
140. Voir P. Avril, « Les conventions de la Constitution. Une “jurisprudence orga-
nique” », Itinéraires d’un constitutionnaliste, Mélanges en l’honneur de Francis Delpérée, Bruxelles,
Bruylant, LGDJ, 2007, p. 126-138.
141. Cité par D. Rousseau, idem, p. 10.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e75

On peut le constater, ces pratiques que la doctrine a qualifiées de conven-


tion de la Constitution résultent de l’accord de volonté entre les différentes ins-
titutions qui, en interprétant des normes constitutionnelles, aboutissent à des
décisions parfois contraires à la Constitution.
Or, manifestement, dans le cadre des États d’Afrique noire, les auteurs qui
sont à l’initiative des accords politiques – partis politiques, groupes armés,
communauté internationale –, sont inaptes à produire des conventions de telle
nature142. On comprend dès lors la « valse des arrangements143 » et actes addi-
tionnels144. Résultat des courses : l’impasse. C’est d’ailleurs à cette conclusion
que le professeur J. du Bois de Gaudusson aboutit lorsqu’il écrit : « Avec ces
accords politiques à contenu juridique, le juriste se trouve en présence de docu-
ments prévoyant des modifications de l’ordre constitutionnel mais n’ayant pas
de force de loi, qui sont modifiés au fur et à mesure que se poursuivent les
négociations que ces accords n’arrêtent pas et dont on se demande comment
leurs dispositions seront intégrées dans l’ordre juridique initial du pays145. »
Vraisemblablement, comme le laissait croire leur initiateur, les accords
politiques ne semblent pas conduire vers une vie politique apaisée. Bien au
contraire ils créent les conditions favorables au retour des régimes non
constitutionnels.

2 – La persistance des régimes non constitutionnels


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Est-ce le retour de « l’État caserne146 » en Afrique ? Cette interrogation, qui
suscite en même temps l’inquiétude, laisse entrevoir la persistance des régimes
non constitutionnels.
Que tout ne soit pas pour le mieux pour la Constitution dans le meilleur
des mondes, on le concède. Mais que le pouvoir soit à nouveau au bout des
fusils147 en Afrique, on le comprend difficilement. En effet, depuis 1990,
l’amorce d’un mouvement vers la démocratisation était perceptible. Une jonc-
tion s’est finalement opérée entre le constitutionnalisme entendu au sens occi-
dental, et la transition démocratique148.
Mais hélas, comme le souligne le professeur J.-M. Breton, si rupture il y a,
« c’est plus dans la remise en cause d’un constitutionnalisme à bout de souffle
et dépourvu d’imagination, que dans les effets qui en ont concrètement
résulté149… ». En réalité, le constitutionnalisme n’a pas fait changer les

142. A. Kpodar, art. cit., p. 2515.


143. F. M. Djedjro, art. cit., p. 19.
144. L’acte additionnel d’Addis-Abeba dans le cadre de la crise malgache.
145. J. du Bois de Gaudusson, art. cit., p. 622.
146. J. Joana, « Le pouvoir des militaires, entre pluralisme limité et démocratie »,
afspmsh-paris.fr, consulté le 22 juin 2010, p. 2. L’État caserne se caractérise par une sou-
mission de l’ensemble de la vie sociale et économique aux impératifs de la guerre.
147. Formule du Président chinois Mao-Zedong.
148. B. Kante, art. cit., p. 3.
149. J.-M. Breton, « Trente ans de constitutionnalisme d’importation dans les pays
d’Afrique noire francophone entre mimétisme et réception critique : cohérences et incohé-
rences (1960-1990) », VIe Congrès français de Droit constitutionnel, Atelier 7, constitutionnalisme :
un produit d’exportation, Montpellier, 9, 10, 11, juin 2005, p. 11.
e76 Karim Dosso

mœurs150. La Constitution, plus qu’hier, est marquée par une instabilité répéti-
tive et chaotique.
Naguère, l’une des explications de cette désacralisation se trouvait dans l’ir-
ruption de l’armée dans la vie politique151. L’on avait cru qu’un tel phénomène
appartenait au passé de la pratique constitutionnelle en Afrique. D’ailleurs l’at-
titude de la communauté internationale contribuait à renforcer cette
croyance152. Mais « l’espoir de la fin des coups d’État n’a duré que le temps d’un
rêve153 ». La situation de la Guinée et du Niger nous rappelle que l’armée
exerce encore « sa tutelle »154 sur les institutions républicaines. Cette forme de
« protectorat militaire155 » retrouve une telle actualité en raison des enjeux géo-
politiques liés aux rébellions internes, aux guerres frontalières, et autres dis-
putes autour des ressources naturelles156.
Peut-être, parfois, l’attitude des autorités constitutionnelles n’offre d’autres
alternatives que les coups d’État157. C’est vrai que certains ont cru voir dans
l’intervention de l’armée un moyen de développement économique et/ou la
modernisation politique158. L’exemple du Mali venait corroborer leurs propos159.
Mais en réalité, la situation malienne n’est qu’anecdotique. Dans la plupart
des cas les coups d’État posent les jalons de l’instabilité des institutions. Il ne
pouvait en être autrement. Ces expériences, invariablement, s’accompagnent de
l’abrogation, à tout le moins de la suspension de la Constitution. Le coup
d’État emporte en effet, à la fois le chef de l’État, les institutions, la Constitu-
tion. La légalité normale étant en vacance, la sécurité juridique cède la place à
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l’insécurité juridique160.

150. B. Kante, art. cit., p. 10.


151. Sans dresser un inventaire exhaustif, et en faisant abstraction des tentatives, on peut
noter que le Bénin avant 1990 a connu six coups d’état, le Burkina-Faso a été secoué à cinq
reprises, trois pour la République Centrafricaine, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Gabon, le
Niger, le Tchad, le Cameroun, la Guinée, tous connaîtront au moins un coup d’État.
152. Elle avait décrété les coups d’État hors la loi et sonné l’alerte contre ces régimes.
153. G. D. Djindjere, « Renouveau démocratique et forces armées africains : état des
lieux et perspective », in Actes de la conférence internationale, les défis de l’alternance démocratique,
FNUD, IDH, Cotonou, 23 au 25 février 2009, p. 6.
154. T. Holo, « Les défis de l’alternance démocratique en Afrique », idem, p. 20.
155. G. Conac, « Les processus de démocratisation en Afrique », L’Afrique en transition
vers le pluralisme politique, G. Conac, (dir.), Économica, 1993, p. 20.
156. S. Issa, « Les militaires et l’alternance démocratique en Afrique : permanences et
ambivalences », in Actes de l’atelier sur la promotion des transitions démocratiques pacifiques en
Afrique, Bamako, novembre 2008, p. 44.
157. Le coup d’État au Niger est le résultat d’une crise institutionnelle grave. L’entête-
ment du Président de la République à modifier la Constitution en dépit de l’opposition du
parlement et du juge constitutionnel favorisa le retour de l’armée sur la scène politique.
158. D.-G. Lavroff, « Régimes militaires et développement politique en Afrique noire »,
RFSP, n° 5, 1972, p. 973-991 ; D. Lerner, R. Robisson, « Swords and ploughshares. The
Turkish army as modernizing Force » World politics, n° 13, 1960, p. 14-19. Voir également
J. Joana, « Le pouvoir des militaires, entre pluralisme limité et démocratie » (afspmsh-
paris.fr), consulté le 22 juin 2010.
159. La prise du pouvoir par le général Amadou T. Touré, en 1991 a été salutaire pour
le peuple malien. En effet, le régime du général M. Traoré s’était largement discrédité à tra-
vers une répression sans précédent des mouvements sociaux au Mali. C’est dans cette atmo-
sphère délétère qu’intervient le coup d’État du général A. T. Touré.
160. Sur la question de la sécurité juridique voir, Cahier du Conseil constitutionnel, n° 11,
2001 ; Conseil d’État, rapport public, 2006, Jurisprudences et avis, La Documentation fran-
çaise, 2006.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e77

Commence alors une période de transition, que dire d’exception, où les


libertés et les droits de l’homme sont sacrifiés au nom de la survie du régime.
Finalement le putschiste, parce que « c’est la volonté du peuple161 », finit par
tronquer le treillis pour le costume. Manipulant la Constitution pour conserver
son pouvoir, il crée les conditions d’une nouvelle instabilité chronique.
Malheureusement le phénomène persiste162. Il se nourrit d’ailleurs d’une
forme nouvelle : les coups d’État civils.
Qualifier « le changement de légalité » à Madagascar d’extra-constitution-
nalité163 paraît juridiquement inacceptable. Ce verni de légalité qui tend, en
réalité, à blanchir un coup d’État, ne peut prospérer. Ni l’ordonnance de
M. Ravalomanana164, transférant les pleins pouvoirs au directoire, ni l’ordon-
nance du Directoire portant transfert des pouvoirs à N. Rajoelina165, encore
moins l’ordonnance prise par ce dernier pour dissoudre les institutions166, ne
sont conformes à la Constitution qui d’ailleurs n’existait plus. Ce « bricolage
juridique167 » témoigne tout simplement de la théâtralisation du constitution-
nalisme en Afrique noire francophone. Il en résulte que la « Constitution cesse
de gouverner la dévolution et l’exercice du pouvoir politique168… ».
Cette « dévalorisation du constitutionnalisme169 » n’est pas seulement liée
aux faits. Le droit à travers l’usage qu’en font les institutions, nationales et
internationales, tient sa part.
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B – LA CONSTITUTION DESSERVIE PAR LE DROIT

Plusieurs des difficultés du constitutionnalisme sont d’ordre juridique.


L’imperfection par endroits des textes constitutionnels a été indexée comme
étant à l’origine de ces difficultés170. Parfois même certaines dispositions consti-
tutionnelles portent en elles les germes du conflit171. Mais plus que les raisons

161. En Côte-d’Ivoire après avoir indiqué que le pouvoir ne l’intéressait pas, le général
R. Guei, arguant que c’était la volonté du peuple, se présenta aux élections présidentielles.
Il les perdra, non sans avoir tenté de confisquer le pouvoir en prétendant passer outre le
résultat de l’élection.
162. Voir B. Kante, « Instabilité politique et reconstruction de l’État en Afrique : des
vicissitudes du fédéralisme à un changement de paradigme », Cahier des écoles doctorales,
Faculté de droit de Montpellier, n° 3, juin 2003, p. 37-62.
163. L’ancien président de la Cour constitutionnelle, R. Ratsirahona, affirmait : « Je ne
dirai pas que c’est anticonstitutionnel, je dirais que c’est extraconstitutionnel… ».
164. Ordonnance n° 2009 -001 du 17 mars 2009.
165. Ordonnance n° 2009-002 du 17 mars 2009.
166. Ordonnance n° 2009-003 du 19 mars 2009.
167. V. Foucher, « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et recons-
truction du pouvoir personnel », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 131.
168. F. Wodie, « Régimes militaires et constitutionnalisme en Afrique », art. cit.,
p. 196.
169. G. Conac, « Les processus de démocratisation en Afrique », l’Afrique en transition vers le
pluralisme politique, op. cit., p. 12.
170. J. du Bois de Gaudusson, art. cit., p. 338.
171. Voir sur ce point, M. Bleou, « La Constitution ivoirienne, la crise et la réconcilia-
tion nationale », colloque international sur les processus de réconciliation nationale et les
défis de la construction de l’État démocratique, Ouagadougou, 16-18 décembre 2008, p. 1-
21. L’article 35 de la Constitution ivoirienne relatif aux conditions d’éligibilité est au cœur
de la crise ivoirienne.
e78 Karim Dosso

ci-dessus évoquées, c’est surtout l’instrumentalisation de l’argument juridique


(1) et l’encadrement international du pouvoir constituant (2) qui desservent la
Constitution.

1 – L’instrumentalisation de l’argument juridique


L’idée se construit et se diffuse d’une instrumentalisation juridique de la
Constitution en Afrique. Certains gouvernants ont en effet réalisé le profit
qu’ils pouvaient tirer de la légalité. Ils ne s’en privent d’ailleurs pas. Finies les
manipulations inélégantes de la Constitution. La stratégie est plus ingénieuse
car résultant de l’utilisation du texte constitutionnel. Cette ingénierie constitu-
tionnelle, d’après l’expression à la mode, est en réalité au service de la conser-
vation et de la pérennisation du pouvoir172.
Ces « coups juridiques173 », oscillent entre deux tendances, celle des révi-
sions constitutionnelles controversées et celle des mandats électifs illimités.
« Une Constitution ça se révise174. » Cette boutade, que l’on doit à
A. Thiam à propos du Sénégal n’est-elle pas en réalité révélatrice du malaise
général de la Constitution ou de la pratique constitutionnelle en Afrique noire
francophone ? « Le révisionnisme frénétique175 » en Afrique pourrait le laisser
croire.
Pourtant le phénomène n’est pas propre à l’Afrique176. D’ailleurs en France,
la commission Vedel soulignait que trop de rigidité risquerait de ruiner l’édifice
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constitutionnel177. D’où vient alors l’idée de la manipulation constitutionnelle ?
Il ne s’agit pas ici de revenir sur la possibilité et la nécessité de réviser
la Constitution178. Une telle question a été débattue et finalement réglée par
les constituants de Philadelphie et les révolutionnaires français de 1791179.
Ce qui est utile à la réflexion et qui accrédite l’idée de la manipulation ou de
l’instrumentalisation constitutionnelle, c’est l’enjeu et l’objet qui soutend ces
révisions.

172. Voir sur ce point, A. Cabanis, M. L. Martin, « La pérennisation du chef de l’État :


enjeu actuel pour les Constitutions d’Afrique francophone », art. cit., p. 348-379.
173. A. Thiam, « Une Constitution ça se révise ! ». Relativisme constitutionnel et État
de droit au Sénégal, art. cit., p. 146.
174. A. Thiam, op. cit., p. 145-153.
175. D. G. Lavroff, « La crise de la Constitution française », Itinéraires d’un constitutionna-
liste, in Mélanges en l’honneur de F. Delpérée, Bruxelles, Bruylant, LGDJ, 2007, p. 760.
176. La récente modification constitutionnelle en France témoigne de ce que le phéno-
mène n’est pas l’apanage des États africains.
177. « Si une Constitution, pacte fondamental, doit être moins facile à modifier que la
législation ordinaire, sa rigidité ne doit pas aller jusqu’à permettre un blocage indéfini des
institutions. Notre histoire ne manque pas d’exemples regrettables de Constitutions abolie,
violées ou tournées avec l’assentiment tacite des citoyens, ou du moins sans en émouvoir la
majorité parce que leur révision était en fait impossible », Rapport du comité consultatif du
15 février 1993 au Président de la République, La Documentation française, coll. « Rap-
ports officiels », 1993.
178. Certains considèrent que les révisions constitutionnelles ne constituent pas nécessai-
rement une faiblesse. Voir L. Duguit, Manuel de droit constitutionnel, Édition Panthéon-Assas,
2007, p. 571 ; G. Conac, Les Constitutions africaines, tome II, op. cit., p. 18.
179. Les révolutionnaires affirmaient : « La nation a le droit imprescriptible de changer
de Constitution ».
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e79

Les révisions constitutionnelles, en effet, « annoncent le réveil du présiden-


tialisme autoritaire180 » à tout le moins « la restauration autoritaire de l’éligi-
bilité indéfini181 » du Président sortant ou de son clan. Lorsqu’on jette un
regard sur les dernières modifications, on note invariablement qu’elles prennent
place dans les règles régissant le statut du chef de l’État182. La clause limitative
de mandat, les règles de succession, qu’on a pu considérer comme des acquis
démocratiques, sont en sursis.
En réalité le « déplafonnement du nombre de mandats présidentiels183 » nous
éloigne du rivage ou le navire du renouveau démocratique semblait accoster.
Pourtant, certains ont vu en cette clause une restriction anti-démocratique,
et même superfétatoire. Pour eux, « empêcher la rééligibilité revient à annuler
cette mise en cause de la responsabilité politique, la plus importante, celle qui
s’exerce directement devant le peuple, avec la sanction suprême de l’alter-
nance184 ». D’ailleurs, « la sagesse nous recommanderait de ne pas corseter
l’avenir, de laisser une porte ouverte à l’exceptionnel185 ». Le temps doit être en
effet intégré dans l’œuvre constituante186.
Un tel raisonnement est valable dans les démocraties occidentales où la pra-
tique et l’histoire enseignent qu’au bout de deux mandats le Président sortant ne
se représente plus en général187. Elle ne peut prospérer en Afrique où, comme le
souligne fort à propos B. Gueye, « l’histoire politique… instruit… qu’un très long
séjour à la tête d’un État conduit souvent à la personnalisation du pouvoir… ».
Cette volonté affichée par les constituants d’assumer l’histoire se « renverse alors
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en une prétention à maîtriser l’avenir188 ». Il s’agit donc d’une « protection sup-
plémentaire contre l’établissement d’un pouvoir personnel189 ». Et les récents
événements au Niger190 montrent qu’une telle clause n’est pas superfétatoire.

180. F. M. Djedjro, « La révision constitutionnelle du 2 juillet 1998 en Côte-d’Ivoire, un


réveil au présidentialisme autoritaire ? », in Dirritto Pubblico Comparato, Ed. Europa, 1999,
Giappichelli Editore, Turin, p. 121.
181. A. Loada, « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique franco-
phone », Revue électronique Afrilex, n° 03, 2003, p. 163.
182. Voir sur ce point, F. M. Djedjro, « La révision des Constitutions dans les États afri-
cains francophones. Esquisse de bilan », RDP, 1992 n° 1, p. 112-134.
183. B. Gueye, « La démocratie en Afrique : succès et résistance », art. cit., p. 18.
184. O. Duhamel, Le quinquennat, Presses de la Fondation nationale des sciences poli-
tiques, Paris, 2000, p. 100.
185. Idem, p. 98.
186. D. G. Lavroff, « La Constitution et le temps », in Mélanges en l’honneur de
Ph. Ardant, Droit et politique à la croisée des cultures, LGDJ, 1999, p. 209.
187. Le constituant américain de 1787 n’a pas limité le nombre des mandats mais
Washington ayant refusé de se présenter pour un troisième mandat, établit un précédent
qui fut suivi jusqu’à Franklin Roosevelt. Celui-ci, ayant demandé et obtenu trois fois sa
reconduction, mourut dans l’exercice de ses fonctions au terme d’une maladie qui fut jugée
dommageable au pouvoir présidentiel. C’est l’une des raisons le 22e amendement exclut
désormais cette possibilité. Voir Ph. Lauvaux, Les grandes démocraties contemporaines, collection
Droit fondamental, PUF, 2008, p. 306.
188. P. Haberle, L’État constitutionnel, texte traduit par M. Roffi, révisé et édité par
C. Grewe, Économica, 2004, p. 57.
189. Ph. Ardant, « Le temps dans les Constitutions écrites », in Mélanges en l’honneur de
Pierre Avril, La République Montchrestien, 2001, p. 507.
190. Contrairement à la Constitution et, en dépit de l’opposition du Parlement et du
Conseil constitutionnel, le Président nigérien M. Tandja, toucha à la clause limitative du
mandat à l’effet de briguer à nouveau la présidence de la République.
e80 Karim Dosso

Dans le même sens, la révision des règles de succession obéit à la même


logique de confiscation du pouvoir. Et parfois même le dauphin constitutionnel
est neutralisé au profit du dauphin biologique191. Plusieurs épisodes peuvent
illustrer nos propos. Mais le spectacle servi à l’occasion de la mort du Président
Eyadema suffira largement.
En effet dans la nuit du 5 au 6 février 2005, l’Assemblée nationale togolaise
se réunit en urgence. La modification des 65192 et 144193 était au cœur de cette
session extraordinaire. Le premier, l’article 65, organisait une vacance provisoire
de la présidence de la République. Quant au second, l’article 144, il interdisait
toute révision en période de vacance ou d’intérim. M. F. N. Ouattara, alors Pré-
sident de l’Assemblée nationale devait succéder au Président Eyadema. Mais en
un temps record, par « une prouesse digne d’une véritable ingénierie constitu-
tionnelle194 », l’Assemblée nationale modifia les articles 65 et 144. Les
articles 65 et 144 nouveau, permettent respectivement au Président intérimaire
de rester en place jusqu’au terme du mandat de son prédécesseur et d’engager
une révision en période de vacance.
Suite à cette alchimie constitutionnelle, M. F. Natchata Ouattara, est rem-
placé par F. Eyadema qui devient le nouveau Président de l’Assemblée natio-
nale. La voie de l’accession à la magistrature suprême était ainsi tracée pour
Eyadema fils.
Loin d’être la réponse aux contingences sociales, les révisions constitution-
nelles sont au service des intérêts politiques circonstanciels. La prolongation des
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mandats électifs sans élection participe de cette perversion de l’usage du
droit195.
« Les régimes modernes tiennent l’élection pour signe visible et infaillible
de la démocratie196. » Cette formule pour être infaillible induit « l’élection des
dirigeants au suffrage universel à travers des élections compétitives, disputées à
intervalles réguliers197 ». Or cette exigence générale de toute démocratie d’or-
ganiser198, à terme échu, des élections semble être en sursis en Afrique noire
francophone.

191. De plus en plus les fils succèdent aux pères. Ce fut le cas au Togo et au Gabon. Au
Sénégal l’on prête au Président A. Wade, de préparer un destin présidentiel pour son fils
K. Wade.
192. Article 65 de la Constitution du 27 septembre 1992, révisée le 31 décembre 2002
dispose : « En cas de vacance de la présidence de la République par décès, démission ou
empêchement définitif, la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le président
de l’Assemblée nationale… Le gouvernement convoque le corps électoral dans les soixante
jours de l’ouverture de la vacance pour l’élection d’un nouveau Président de la Répu-
blique ».
193. Article 144 dispose : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou pour-
suivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».
194. J.-L. Atangana Amougou, « Les révisions constitutionnelles dans le constitutionna-
lisme africain », art. cit., p. 17.
195. Voir P. F. Nkot, Usages politiques du droit en Afrique. Le cas du Cameroun, Bruxelles,
Bruylant, 2005.
196. F. Wodie, « Le contentieux des élections législatives en Côte-d’Ivoire (à la lumière
de la loi du 1er septembre 1980) », op. cit., p. 325.
197. Philippe Braud, Sociologie politique, 8e édition, LGDJ, 2006, p. 223 ; Philippe Lau-
vaux, Les grandes démocraties contemporaines, collection Droit fondamental, PUF, 2008, p. 40.
198. L. Touvet, Y.-M. Doublet, Droit des élections, Paris, Économica, 2007, p. 164. Voir
également T. Holo, « La Constitution, garante de l’alternance démocratique », op. cit., p. 2-16.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e81

En effet, la tendance consiste aujourd’hui à étendre hors des délais constitu-


tionnels la durée des mandats électifs, grevant ainsi d’incertitudes la démocra-
tie et l’alternance199. C’est le cas en Côte-d’Ivoire où « le principe de la pério-
dicité des élections est particulièrement dévalué200 ».
La Constitution gouverne-t-elle encore la dévolution du pouvoir ? On pour-
rait en douter en raison des reports successifs, avec l’aval de la communauté
internationale, de tous les scrutins nationaux. Or juridiquement, rien ne s’op-
pose à l’organisation des élections sauf la volonté des parties. Et la double dis-
solution du gouvernement et de la commission électorale indépendante, ren-
force cette opinion. L’utilisation récurrente par le chef de l’État des pouvoirs de
crise que B. Cubertafond considère, à raison, « comme un surarmement consti-
tutionnel de l’exécutif201 » suscite un profond malaise et exacerbe la crise poli-
tique. Du coup l’objectif immédiat qui était, à la veille de cette mesure, l’orga-
nisation des élections a fait place à la négociation politique pour dénouer cette
nouvelle crise. Ailleurs, au Tchad202, au Sénégal203, des mandats électifs ont été
prolongés. Même au Bénin une telle volonté s’était fait jour. Elle fut neutrali-
sée par une décision audacieuse de la Cour constitutionnelle204.
Il faut redonner au peuple sa souveraineté pour qu’il désigne, à travers des
élections, les représentants de son choix. Or l’encadrement international du
pouvoir constituant africain ne favorise pas cette option.

2 – L’encadrement international du pouvoir constituant en Afrique


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« La démocratie sans et contre le peuple205. » Cette formule qu’on doit à
M.-F. Verdier, rend compte du phénomène de plus en plus récurrent de l’inter-
vention juridique des organismes intergouvernementaux dans les questions
constitutionnelles en Afrique.
Que la crise du constitutionnalisme en Afrique soit le résultat des nom-
breux dysfonctionnements internes, on le savait. Que la crise du constitution-

199. S. Bollé, « Obligations constitutionnelles et légales des gouvernants et autres res-


ponsables nationaux : Gouvernement, Assemblée Nationale et institutions de l’État », op.
cit., p. 7.
200. Idem, p. 8.
201. B. Cubertafond, « La Ve République et les crises nationales », Cinquantième anniver-
saire de la Constitution française, 1958-2008, Association française de droit constitutionnel, Dalloz,
2008, p. 622.
202. Deux législatures (1997-2001) et (2002-2006) ont été prorogées, tantôt pour ne pas
faire coïncider les scrutins nationaux, tantôt pour des raisons financières.
203. Au Sénégal le mandat des députés a été prorogé par deux fois. Du coup, des dépu-
tés élus en 2001, voyaient leurs mandats prorogés jusqu’en n 2007.
204. Dans sa décision DCC06-74 du 8 juillet 2006, le juge constitutionnel affirmait :
« Considérant que ce mandat de quatre ans, qui est le résultat du consensus national dégagé
par la Conférence des forces vives de février 1990 et consacré par la Constitution en son pré-
ambule… que même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la déter-
mination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauve-
garde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision
tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre
1990, notamment le consensus national, principe de valeur constitutionnel », in L. Sind-
joun, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine, op. cit., p. 332.
205. M.-F. Verdier, « La démocratie sans et contre le peuple », De ses dérives. Démocratie
et liberté : tension, dialogue, confrontation, in Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic, Bruxelles,
Bruylant, 2008, p. 1073.
e82 Karim Dosso

nalisme en Afrique ait une dimension internationale, notamment à travers les


organisations internationales, on le découvre avec stupeur.
En effet l’intervention de la communauté internationale dans la résolution
des crises ne se limite plus à l’envoi de forces d’interposition. Elle prend, répé-
tons-le, plus que jamais aujourd’hui une dimension juridique à tout le moins
constitutionnelle206. Ce constitutionnalisme contemporain tend de plus en plus
à sécréter des constitutions privées de toute volonté nationale instituante et
instituée207.
Dans un article fort intéressant208, N. Maziau, aborde cette question de l’in-
ternationalisation du pouvoir constituant209. Il la définit comme le transfert par
un État de l’exercice de son pouvoir constituant à une autorité internationale210.
L’Afrique, théâtre de nombreux conflits n’échappe pas à ce phénomène. Les
différentes résolutions des Nations Unies adoptées dans le cadre de la crise ivoi-
rienne témoignent de la prise en charge par les organismes internationaux des
questions constitutionnelles.
Une telle attitude qui s’apparente à une dépossession du peuple de sa
souveraineté n’est pas un problème en soi. D’ailleurs, comme le note Claude
Klein, le dessaisissement de l’État de ce pouvoir résulte de divers facteurs dont
son affaiblissement du fait de crise sociopolitique grave et de la volonté de la
communauté internationale d’y répondre. La fin est sans aucun doute légitime211.
Mais là où surgit la difficulté, c’est que parfois, cette prise en charge des ques-
tions constitutionnelles donne « lieu et naissance à des montages surprenants212 »
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ou des « dispositions de dupe213 » mettant en péril le constitutionnalisme.
Les soubresauts constitutionnels de la Côte-d’Ivoire depuis la crise de sep-
tembre 2002, témoignent, s’il en était besoin, que le constitutionnalisme est
dévalué par les décisions des organismes intergouvernementaux et notamment
les résolutions des Nation Unies214. Une lecture même rapide de la résolution
1721 permet de constater de nombreuses incohérences. Alors que dans le para-

206. Voir V. Huet, « L’autonomie constitutionnelle de l’État déclin au renouveau », cette


Revue, 73-2008, p. 65-87.
207. S. Pierré-Caps, « Le constitutionnalisme et la nation », Le nouveau constitutionna-
lisme, in Mélanges offert à Gérard Conac, Économica, 2001, p. 72.
208. N. Maziau, « L’internationalisation du pouvoir constituant », Essai de typologie : le
point de vue hétérodoxe du constitutionnaliste, RGDIP, 2002-2003, p. 548-579.
209. Voir également, J.-C. Jobart, « Le droit international constitutionnel », in H. Rous-
sillon, X. Bioy et S. Mouton, Les nouveaux objets du droit constitutionnel, Toulouse, Presses de
l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2006, p. 303 et s. ; D. Maus, « L’influence du
droit international sur le pouvoir constituant », in Le nouveau constitutionnalisme, Mélanges en
l’honneur de Gérard Conac, Paris, Économica, 2001, p. 87 et s ; S. Torcol, « “L’internationa-
lisation” des Constitutions nationales », VIe Congrès français de Droit constitutionnel, Atelier 3 :
Europe et Constitution, Montpellier, 9, 10, 11, juin 2005, p. 1-23.
210. Idem, p. 552.
211. Cl. Kkein, Théorie et pratique du pouvoir constituant, PUF, collection Léviathan, 1993,
p. 4.
212. J. du Bois de Gaudusson, « Défense et illustration du constitutionnalisme en
Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », art. cit., p. 622.
213. J. Owona, « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire : études de
quelques “Constitutions Janus” », art. cit., p. 243.
214. Voir, M. O. Abie, « Décision du conseil constitutionnel du 6 décembre 2006 : pou-
voir de dernier mot ou contestation de la résolution 1721 du conseil de sécurité »
(www.abiemarcelin.com/decision.pdf), consulté le 13 juillet 2010.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e83

graphe 2 du préambule de la résolution 1721, le Conseil de sécurité réaffirme


son « ferme attachement au respect de la souveraineté, de l’indépendance, de
l’intégrité territoriale et de l’unité de la Côte-d’Ivoire », le paragraphe 8 sou-
ligne que le « Premier ministre… doit pouvoir prendre toutes les décisions
nécessaires, en toute matière, en Conseil de ministres ou en Conseil de gouver-
nement, par ordonnance ou décret-loi ». On est surpris avec A. P. Mel, que la
résolution, affirmant le respect de la souveraineté et de l’intégrité de la Côte-
d’Ivoire consacrant ainsi la reconnaissance de l’autorité de sa Constitution, attri-
bue, au mépris de ce texte, des pouvoirs aussi importants au Premier minis-
tre215. Voilà d’autres « nids à contentieux juridiques216 et politiques217 »218.
En se référant aux relations entre la Constitution, les différents arrange-
ments politiques et les résolutions des Nations unies, on est stupéfait par le
manque « d’unité et de cohérence de l’ordre constitutionnel dans son
ensemble219 ». Ce qui devait être considéré comme une victoire pour le droit
constitutionnel, a contribué à sa dévalorisation.

CONCLUSION

Si les Constitutions Janus n’existent plus en Afrique, il en va tout autre-


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ment pour la pratique constitutionnelle. En effet, comme Janus220, la pratique
constitutionnelle en Afrique noire francophone a deux faces.
Cette pratique oscille en effet entre deux tendances disproportionnées.
L’une, la médaille, est caractérisée par quelques succès anodins voire anecdo-
tiques. L’autre, le revers de la médaille, du reste le plus récurrent, est caractérisé
par des échecs retentissants. Cet ancrage difficile aux standards universels à par-
tir desquels s’apprécie l’état du constitutionnalisme221 est-il une fatalité ?
Des études antérieures avaient proposé une grille d’explications qui s’ados-
sait sur l’inadéquation entre les normes constitutionnelles et leur contexte d’ap-

215. A. P. Mel, « La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien », cette Revue,


75-2008, p. 548.
216. Voir dans ce sens, décision n° 019, Conseil constitutionnel ivoirien du 6 décembre
2006, in L. Sindjoun, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine, op. cit., p. 298.
Voir également F. M. Djedjro, « De la prorogation du mandat des pouvoirs publics consti-
tutionnel après octobre 2005, en Côte-d’Ivoire : deux décisions prévisibles du juge consti-
tutionnel », Revue ivoirienne de droit, n° 38, 2007.
217. Au lendemain de la résolution 1721, chacun des protagonistes de la crise ivoirienne
criait victoire interprétant en sa faveur les dispositions de la dite Résolution.
218. J. du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des conflits politiques »,
Afrique contemporaine, n° 180, 1996, p. 250.
219. F. M. Djedjro, « Faire défaire et refaire la Constitution en Côte-d’Ivoire : un
exemple d’instabilité chronique », Draft paper presented at african Network of Constitutional
Law conference on Fostering Constitutionalism in Africa, Nairobi, avril 2007, p. 25.
220. « Dans la Rome antique, Janus, un des plus anciens dieux de la cité était le Dieu
des portes. Comme elles, il avait une double face », J. Owona, « L’essor du constitutionna-
lisme rédhibitoire en Afrique noire : études de quelques “Constitutions Janus” », art. cit.,
p. 225. Voir également, P. Avril, « La Constitution : Lazare ou Janus ? », RDP, 1992,
p. 949-960.
221. Voir D. Alland, S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003, p. 266-271.
e84 Karim Dosso

plication. L’importance du legs colonial, le mimétisme constitutionnel étaient


alors mis en accusation. Des formules diverses ont été utilisées pour caractériser
cet état de fait : importation de l’État, mimétisme démocratique, décalcomanie
juridique et institutionnelle. Autant de phénomènes qui expliqueraient en par-
tie les difficultés du constitutionnalisme en Afrique.
Sans verser dans la polémique, la crise du constitutionnalisme en Afrique
noire francophone semble se trouver ailleurs.
Interrogeant, en effet, l’histoire, on note que des expériences d’affirmation
d’une identité juridique et institutionnelle propre en Afrique n’ont pas manqué.
Ce recours à l’authenticité, on peut le trouver dans l’Ujema de Nyerere, l’authen-
ticité du maréchal Mobutu222. On connaît le résultat de ces aventures constitu-
tionnelles. « Ces expériences se sont soldées par des dérives autoritaires223. »
Il ressort de tout ce qui précède une constance. Que les règles constitution-
nelles soient le résultat des phénomènes d’imitation ou le fruit du recours à
l’authenticité, la pratique qui devrait éclairer ces règles les a dévoyées.
Succomber alors au charme de l’idée de la fatalité de la crise du constitu-
tionnalisme était tentant. Mais l’émotion contenue, la lucidité retrouvée, se
décline ou se dénoue alors l’énigme du constitutionnalisme en Afrique noire
francophone. La crise du constitutionnalisme n’est ni congénitale, ni liée au
mimétisme224. D’ailleurs l’étude du professeur J. Rivero225 montre que les phé-
nomènes d’imitation ne sont pas consubstantiels à l’Afrique. Aussi la solution
ne réside donc pas dans la négation du constitutionnalisme, en lui substituant,
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comme le propose C. Milhat, des concepts plus idoines tel que celui de « l’es-
pace réel », de façon à ce que l’Afrique réinvente ses propres paradigmes226.
La solution, pour nous, se trouve dans la réhabilitation d’un principe simple
et universel : le principe de la généralité et de l’impersonnalité de la règle de
droit, ici la norme constitutionnelle.
En réalité le contournement de ce principe n’est pas étranger aux crises qui
secouent l’Afrique. Le feuilleton constitutionnel ivoirien, à travers les revire-
ments du général Robert Guei du « et » et du « ou »227 est un exemple
topique. On avait soupçonné une telle tergiversation comme la volonté de la

222. Voir G. Conac, « La modernisation des droits en Afrique du droit de l’État à l’État
de droit », art. cit., p. 287.
223. J. du Bois de Gaudusson, « Sur l’attractivité du modèle de la Constitution de 1958
en Afrique, cinquante ans après », 1958-2008, Cinquantième anniversaire de la Constitution
française, AFDC, Dalloz, 2008, p. 677.
224. Voir sur cette question les nombreuses contributions de J. du Bois de Gaudusson,
« Les nouvelles constitutions africaines et le mimétisme », La création du droit en Afrique,
D. Darbon, J. du Bois de Gaudusson (dir.), Karthala, 1997, p. 309-316. ; « Constitution
sans culture constitutionnelle n’est que ruine du constitutionnalisme », art. cit., p. 332-
347 ; « Le mimétisme postcolonial, et après », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 45-55.
225. J. Rivero, « Les phénomènes d’imitation des modèles étrangers en droit administra-
tif », in Mélanges Walter Jean Ganshof van der Meersch, Bruylant, 1972.
226. C. Milhat, « Le constitutionnalisme en Afrique francophone. Variations hétérodoxes
sur un requiem », art. cit. p. 8 et s.
227. Par deux fois le général Robert Guei, est intervenu de façon autoritaire pour modi-
fier le projet de loi constitutionnelle. Voir décret n° 2000-383 du 24 mai 2000 portant
publication des projets de Constitution et du Code électoral, JORCI, n° 5 (spécial), vendredi
26 mai 2000. Décret n° 2000-497 du 17 juillet 2000 portant modification du projet de
Constitution, JORCI, n° 28 du jeudi 20 juillet 2000.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e85

junte militaire d’éliminer M. A. Ouattara. D’ailleurs ces soupçons seront confir-


més par le Président L. Gbagbo qui déclara lors des assises du forum pour la
réconciliation nationale que l’article de la Constitution définissant les condi-
tions d’éligibilité à la présidence de la République a été fait contre A. Ouattara.
Une telle situation va contribuer à susciter des revendications d’un changement
constitutionnel. On connaît la suite.
Il importe alors, avant de poser la plume, de reprendre cette affirmation de
A. E. Dick Howard qui, traçant l’évolution mondiale vers la démocratie consti-
tutionnelle indiquait : « Il faut qu’il existe une culture politique, une culture
constitutionnelle… du constitutionnalisme, de la démocratie et de la primauté
du droit228. » L’Afrique ne peut rester en marge de ce mouvement d’internatio-
nalisation du constitutionnalisme.
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228. A. E. Dick Howard, « L’évolution mondiale vers la démocratie constitutionnelle :


une perspective américaine », Revue électronique du département d’État des États-Unis,
mars 2004, p. 26.

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