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© Éditions juridiques associées | Téléchargé le 28/03/2023 sur www.cairn.info par ELMUSTAPHA FARCHAKH (IP: 196.70.64.110)
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Résumé L’auteur
Le Mercosur a une importante production normative. Depuis sa créa- Docteur en droit de l’Université
tion en 1991 jusqu’à la fin du siècle, ce sont plus de mille normes qui Paris II Panthéon-Assas.
ont été édictées. Cette importante production normative soulève deux Professeur à l’Université d’État
de Rio de Janeiro (UERJ) et à
interrogations majeures traitées dans cet article. La première touche à
l’Université Fédérale de Rio de
la spécificité de ces normes, qui doit être examinée afin de déterminer Janeiro (Uni-Rio), où il enseigne
s’il existe un ordre juridique du Mercosur, et lequel. L’autre question le droit commercial et le droit
est le rapport entre les normes du Mercosur et les normes nationales du commerce international. Se-
des États membres. Le fond du problème, en vérité, c’est à la fois de crétaire général honoraire du
comprendre quel est l’impact au quotidien des normes du Mercosur et GEDIM (Programme Globalisa-
de savoir comment ces normes peuvent atteindre leur objectif. tion économique et droits du
Mercosur – MOST/UNESCO).
Avocat inscrit aux Barreaux de
Droit communautaire – Droits nationaux – Intégration – Mercosur –
Rio de Janeiro, Lisbonne et Pa-
Normes juridiques. ris.
Il est l’auteur de plusieurs livres
et articles dans le domaine du
Summary droit commercial et du droit du
commerce international, dont
notamment Mercosul. Manual de
Mercosur’s Legal Framework Direito da Integracão, Rio de
Mercosur has an important legal production : from its creation in 1991 Janeiro, Lumen Juris, 2001.
until the end of the century, it issued more than one thousand rules. Il a également coordonné
l’ouvrage Dez anos de Mercosul,
The present paper treats two major questions raised by this important 2e éd., Rio de Janeiro, Lumen
legislative production. The first concerns the specificity of these rules, Juris, coll. « GEDIM », 2004.
which must be examined in order to determine if there is a Mercosur
legal order, and if so, what it is. The second question is the relation-
ship between Mercosur rules and national laws of the Member States.
The ultimate goal is to determine the impact of Mercosur rules on eve-
ryday life and how the rules can achieve their goals. * Texte traduit par André-Jean
Arnaud.
Community law – Integration – Legal norms – Mercosur – State law.
** Avenida Rio Branco, 109
21° andar,
CEP 20.040-004,
Rio de Janeiro RJ,
Brésil.
<jgaa1@terra.com.br>
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un ordre juridique du Mercosur, et lequel. L’autre question – dont on traite-
ra ensuite – concerne le rapport entre les normes du Mercosur et les normes
nationales des États membres. Quelle est leur position face à ces normes ?
Existe-t-il une hiérarchie entre les unes et les autres ? Que faire en cas de
conflit ? Le fond du problème, en vérité, c’est, à la fois, de comprendre quel
est l’impact au quotidien des normes du Mercosur sur chacun, personnes
physiques, entreprises, entités privées et publiques, organes de l’adminis-
tration, et de savoir comment ces normes peuvent atteindre leur objectif.
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protocole de Brasília pour la solution des controverses, le protocole de Co-
lônia sur l’investissement étranger, etc. ; et, en second lieu, des normes éla-
borées par les institutions du Mercosur. Ainsi, les décisions du Conseil du
marché commun, les résolutions du Groupe du marché commun, les directi-
ves de la Commission du commerce du Mercosur, etc.
Aux droits originaire et dérivé s’ajoute le droit « complémentaire » :
l’ensemble des normes qui servent à compléter les précédentes. Cette fonc-
tion est remplie par les normes internationales générales et par les normes
nationales de chacun des États membres. Le recours à ces normes s’explique
par l’existence de concepts utilisés par les normes du Mercosur qui voient
leur contenu défini par les normes du droit international ou du droit natio-
nal. Il en est ainsi ou bien parce qu’il n’existe pas de concept uniforme pour
l’ensemble des États membres, ou bien parce que la norme du Mercosur ne
se préoccupe pas de définir le contenu du concept.
Un exemple de cette situation est le concept de domicile, utilisé dans le
protocole de Buenos Aires sur la juridiction en matière contractuelle, dont
la définition se fait par référence aux droits nationaux. On pourrait encore
citer le concept de controverse, qui a été défini par la troisième décision ar-
bitrale du Mercosur par référence au droit international, ou encore le
concept de subside, qui fut également interprété sur la base du droit inter-
national, par la seconde décision arbitrale du Mercosur.
En produisant les normes, les sources normatives du Mercosur le font
en accord avec certains présupposés : ce qu’on nomme le substrat de l’ordre
juridique, c’est-à-dire les lignes selon lesquelles il est orienté. L’ordre juri-
dique du Mercosur repose également sur un certain nombre de présuppo-
sés 2. Le premier est la démocratie. Le droit du Mercosur présuppose une
participation démocratique de tous les États membres. Il n’y pas de sujétion
d’un État membre aux autres, ni d’obligation imposée par un État membre à
un autre. Cette caractéristique est attachée également au caractère paritaire
du processus normatif du Mercosur. Le second présupposé est l’intégration.
2. Cf. là-dessus Roberto DROMI, Miguel EKMEKDJIAN et Julio RIVERA, Derecho comunitario, Buenos
Aires, Ediciones Ciuté Argentina, 1995, notamment p. 49-55.
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cipe qui est la base de la création d’un marché commun. Découlant de ce
principe, celui de la réciprocité a pour base l’article 2 du traité d’Asunción :
un destinataire de normes ne pourra exiger de droits ou d’obligations des
autres que si ces derniers peuvent exiger de lui les mêmes droits et obliga-
tions. En d’autres termes, un État membre ne peut exiger le respect des
normes que s’il les respecte lui-même. De même, un particulier ne peut exi-
ger d’un autre particulier d’un État membre l’accomplissement des règles
du Mercosur que si son propre État les respecte aussi.
Enfin, en vertu du principe de solidarité, un État membre ne peut se re-
fuser à accomplir ses obligations. Il ne pourra pas prendre de mesures uni-
latérales susceptibles de mettre en danger l’ensemble du Mercosur. Un État
membre ne peut tirer seulement des avantages et refuser les inconvénients.
Ainsi le principe de solidarité impose-t-il un équilibre entre les charges et
les bénéfices susceptibles d’être retirés du Mercosur.
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dre d’une violation des normes du Mercosur par un État membre. La recon-
naissance de ce droit signifie que cette norme fait naître, dans la sphère ju-
ridique du particulier, un droit subjectif. Ainsi, les individus sont aussi les
destinataires de cette norme. Les personnes physiques concernées par les
normes du Mercosur sont définies par la nationalité ou par le domicile. En
effet, il est possible d’observer que les normes du Mercosur ont pour desti-
nataires non seulement les nationaux des États membres, mais également
les personnes domiciliées dans les États membres 3. Il faut souligner ici
combien le Mercosur embrasse davantage que l’Union européenne, où les
destinataires du droit communautaire sont, normalement, les nationaux des
États membres.
Quant aux personnes juridiques, les sociétés d’entreprise pour l’essen-
tiel, qui sont prises en considération par le Mercosur, elles sont définies par
le lieu de constitution de l’entité et par le siège social 4.
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d’interprétation (grammaticale, logique, historique et systématique), s’en
ajoutent d’autres : téléologique (interprétation de la norme en accord avec
sa finalité), sociologique (analyse de la norme à la lumière de la réalité so-
ciale), comparative (interprétation en accord avec la solution proposée dans
d’autres ordres juridiques). Les principales méthodes utilisées en droit de
l’intégration sont la grammaticale, la systématique et la téléologique.
La première fut utilisée très tôt dans l’Union européenne, quand la
norme avait encore un objectif limité et n’était pas extrêmement complexe.
Elle est utile aussi lorsqu’il y a encore peu de normes, ce qui empêche une
interprétation systématique. Cependant, les différentes versions linguisti-
ques des textes du Mercosur créent un problème pour l’application de cette
méthode. La seconde est importante pour qualifier une norme en relation à
d’autres ou pour interpréter les exceptions en relation à une règle générale.
L’exception recevra toujours une interprétation stricte. La première décision
arbitrale appliqua expressément, comme méthode d’évaluation du conflit,
l’interprétation systématique, en se référant à la doctrine juridique en vi-
gueur dans l’Union européenne 6. On retrouve pareille application dans la
deuxième décision arbitrale du Mercosur 7.
Strictement liée à l’interprétation systématique, l’interprétation téléolo-
gique est très importante, parce que très appropriée. En effet, le droit de
l’intégration est en modification permanente. Or, l’interprétation téléologi-
que consiste à interpréter la norme à la lumière des objectifs poursuivis. La
norme est interprétée en raison de sa fonction – la finalité poursuivie étant
celle de la norme, et non pas celle de l’autorité qui l’édicte. La première dé-
cision arbitrale se fonde aussi sur ce type d’interprétation 8.
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sion relative aux faits, qu’elle se matérialise par la survenance du fait prévu,
que cette incidence est automatique, inconditionnelle et inévitable ; si l’on
admet, par ailleurs, que l’efficacité de la norme s’apprécie par la matériali-
sation des conséquences que la règle a imputé aux faits, alors la première
question consiste à savoir si les normes du Mercosur sont efficaces, ou, au-
trement dit, si elles sont capables de produire des conséquences, de créer
des droits et des obligations subjectives.
Si l’on peut répondre par l’affirmative à cette première question, on de-
vra alors se demander comment caractériser la relation entre normes du
Mercosur et normes de droit national de chaque État membre.
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règles contenues dans ces directives, que la transposition ait eu lieu ou
non 9.
La décision 23/00 prévoit encore que lorsque les États membres pas-
sent des accords internationaux sujets à ratification ultérieure, le contrôle
se fera conformément à ce qui est établi par chaque accord, étant entendu
que sont respectés les principes consacrés en droit international.
Ce système de contrôle national des normes du Mercosur présente un
grave problème. En effet, la norme peut exister parce qu’elle a été adoptée
par le Mercosur ou parce qu’elle a été adoptée par un État membre. Mais la
norme peut ne pas être efficace parce qu’autre État membre n’a pas encore
pris les mesures pour son incorporation, ou parce que le SAM n’a pas en-
core donné communication de l’incorporation aux autres États ou pour un
quelconque autre motif. Pour tenter de résoudre cette difficulté, il faut,
avant tout, opérer une distinction entre les deux types de normes existantes
dans le cadre du Mercosur : les normes ayant un effet interne et les normes
ayant un effet externe.
Les premières sont destinées à produire des effets dans le seul cadre
organique des institutions du Mercosur. C’est le cas, par exemple, des nor-
mes relatives à l’organisation de réunions de travail. Leur promulgation
dans le cadre du Mercosur suffit à les rendre efficaces. L’article 42 du pro-
tocole d’Ouro Preto admet l’existence de ces normes, certaine normes pou-
vant ne pas être internalisées 10. Les normes avec effet externe sont desti-
nées à produire des effets en dehors du cadre organique du Mercosur. Ce
sont les normes destinées aux particuliers et dont il est nécessaire qu’elles
soient intégrées aux ordres juridiques des États membres.
9. Cf. Cour de justice des Communautés européennes, 17/12/70, proc. 33/70, SACE de Bergame,
Répertoire, p. 1213 ; 05/04/79, proc. 148/78, Ratti, Répertoire, p. 1629 ; cf. encore Jean BOULOUIS
et Roger-Michel CHEVALLIER, Grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes,
tome I, Paris, Dalloz, 4e éd., 1987, notamment p. 47 et suiv.
10. Voir l’article 5 de la décision 23/00 du CMC, qui admet expressément qu’il existe des normes
qui ne nécessitent pas d’incorporation aux droits nationaux des États membres.
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une norme hiérarchiquement inférieure à la loi ou qui ne relève pas de la
sphère de compétence du Congrès national, le pouvoir exécutif procède
simplement à l’altération. C’est le cas des innombrables circulaires relatives
à la veille sanitaire ou les résolutions prises par le Conseil monétaire natio-
nal. Si la norme interne à modifier est une loi ou que la norme du Mercosur
est un traité, on suit la voie traditionnelle d’approbation par le Congrès na-
tional et de promulgation par le président de la République.
Cependant, il y a deux points qui relèvent du défi. Le premier est de sa-
voir si, même en cas de nécessité, il est possible, pour modifier une loi in-
terne ou adopter un traité, dans le cas du Mercosur, de se dispenser de sui-
vre le processus constitutionnel.
De ce point de vue, il est intéressant d’observer ce qui est posé dans les
articles 9, 15 et 20 du protocole d’Ouro Preto, selon lesquels les normes is-
sues des institutions du Mercosur sont obligatoires pour les États membres.
Cette obligation laisserait entrevoir l’inutilité du processus constitutionnel
d’incorporation des normes à l’ordre juridique national. Cependant, le pro-
tocole d’Ouro Preto lui-même annihile cette illusion, puisque, dans les arti-
cles 38 et 40, il prend soin d’énumérer les moyens que les États membres
doivent adopter pour assurer l’accomplissement – on y parle de « veille in-
terne » – des normes qui émanent du Mercosur.
L’article 40 est encore plus explicite, disant que, une fois approuvée la
norme dans le cadre du Mercosur, les États membres adopteront les mesu-
res nécessaires pour l’incorporation à leur ordre juridique national. Ainsi,
l’article 40 marque clairement l’existence de deux ordres juridiques, consa-
crant le dualisme. Enfin, on note que le Tribunal fédéral suprême a lui-
11. La décision 23/00 du CMC mentionnée ci-dessus a décidé qu’on établirait un cadre d’incorpo-
ration des protocoles, décisions, résolutions et directives, pour procéder à l’accompagnement de
l’entrée en vigueur des normes du Mercosur. Il restera à voir ce que donneront les opinions
consultatives selon le protocole d’Olivos.
12. Constitution de la République fédérative du Brésil, article 84, VIII, et 49, I.
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puisqu’elle affecte tous les autres États membres, et le Mercosur lui-même,
otage d’un seul État membre. En effet, il est possible d’imaginer qu’un État
membre, après avoir négocié la norme dans les instances du Mercosur, dé-
cide unilatéralement de ne pas l’incorporer à son ordre juridique interne. Ce
fait, comme on l’a vu plus haut, empêche que la norme n’entre en vigueur
dans le Mercosur, portant préjudice à l’ensemble de l’intégration.
Cependant, la nécessité de réception interne ne prive pas la norme du
Mercosur de toute sa valeur ni de son efficacité. En ce sens, la seconde déci-
sion arbitrale du Mercosur a ouvert une porte de sortie, affirmant que « le
fait que certaines normes requièrent une implémentation postérieure ne si-
gnifie pas qu’elles manquent de valeur, mais bien que les États ont
l’obligation de ne pas les déposséder de leur application, tout comme l’ac-
complissement des objectifs du traité d’Asunción et de ses protocoles com-
plémentaires [...] » 14.
Pour tenter de corriger cette erreur, au moment de la révision constitu-
tionnelle, un amendement a été proposé à l’article 4 de la Constitution 15.
Selon cette proposition, serait maintenue la rédaction originale de l’en-tête,
mais le paragraphe unique serait remplacé par les paragraphes suivants :
1) les normes générales ou communes de droit international public font partie in-
tégrante de l’ordre juridique brésilien ;
2) les normes qui émanent des organes compétents des organisations internatio-
nales dont est membre la République fédérative du Brésil ont vigueur dans l’ordre
interne, du moment que cela est expressément établi dans les traités constitutifs
concernés ;
3) paragraphe unique sans changement.
13. En accord avec la Carta Rogatória n° 8279 – República Argentina, Informativo STF 109.
14. Point 55.
15. Pour une chronique de ce qui est arrivé, cf. Deisy VENTURA, A ordem jurídica do Mercosul, Por-
to Alegre, Livraria do Advogado, 1996, esp. p. 63-64.
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pour préjudice moral. Il fut décidé qu’une telle réparation était prévue par
la Constitution de la République et que le texte constitutionnel prévalait. La
troisième fois, le conflit concernait la compatibilité de la convention 158 de
l’OIT avec la Constitution de la République 18. Là aussi le Tribunal fédéral
suprême confirma la supériorité de la Constitution. Dans le dernier cas, le
Tribunal fédéral suprême eut l’occasion d’examiner une question directe-
ment liée au Mercosur. Il s’agissait de la constitutionnalité de la règle
contenue dans le Protocole de coopération et d’assistance juridictionnelle
en matière civile, commerciale, du travail et administrative, signé entre les
États membres, et connu sous le nom de protocole de Las Leñas. Ce dernier
traite, entre autres questions, de l’homologation des décisions judiciaires
étrangères en vue de leur application. Il fut décidé que, faute d’homolo-
gation du protocole par le Tribunal fédéral suprême, le juge brésilien ne
pouvait pas s’en prévaloir. Dans ces conditions, la leçon est très claire : en
cas de conflit entre un traité et la Constitution de la République, c’est la
norme constitutionnelle qui prévaut.
Il n’est, en effet, pas possible qu’une norme juridique, même résultant
de la transposition dans l’ordre interne d’un traité international, aille à
l’encontre d’une norme constitutionnelle. Cette dernière est la norme su-
prême. Toutes les autres y sont subordonnées. Ainsi, en cas de conflit éven-
tuel entre les normes du Mercosur et la Constitution, c’est bien cette der-
nière qui l’emporte 19.
16. HC 72.131-RJ, rapp. p/ ac. Min. Moreira Alves, séance du 22.11.95, publié à l’Informativo STF
n° 14.
17. RE 172.720 RJ, rapp. Min. Marco Aurélio, séance du 06.02.1996, publié dans DJ du 21.02.1997
p. 2831.
18. ADIN 1.480-DF, rapp. Min. Celso de Mello, séance du 04.09.97.
19. Restera à voir ce que pourra apporter là-dessus la réforme du n° 45 du nouveau paragra-
phe 30 de l’article 5 de la Constitution.
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naux où la République fédérative du Brésil est partie ».
Ainsi, on pourrait admettre que la Constitution de 1988 a réservé une
place privilégiée aux normes internationales. Il y a eu, en ce sens, quelques
manifestations des tribunaux 21 – illusion vite dissipée par le Tribunal supé-
rieur de justice 22. Ainsi, il reste clair que, même sous l’empire de la Consti-
tution de la République de 1988, en cas de conflit entre la norme interna-
tionale et la norme nationale infra-constitutionnelle, c’est la plus récente
qui prévaut. Cette situation, comme on peut facilement le percevoir, est as-
sez dangereuse pour la mise en route du Mercosur, puisqu’elle permet au
Brésil, individuellement et au travers d’une loi nationale, d’écarter l’appli-
cation de la norme du Mercosur.
En d’autres termes, le Brésil a la possibilité d’altérer unilatéralement le
contenu du droit communautaire ou de l’intégration, qui est en train de naî-
tre. Contre cette situation, cependant, il est peut-être possible de présenter
deux arguments en faveur de la préservation de la norme du Mercosur, en
cas de conflit entre cette norme et une norme interne.
Le premier argument est tiré de l’article 2 du traité d’Asunción, selon
lequel « le marché commun est fondé sur la réciprocité des droits et des
obligations entre les États membres ». Ce dispositif peut être interprété
comme un obstacle à ce qu’une loi interne repousse l’application d’une
norme du Mercosur, car cela signifierait que la réciprocité serait rompue. En
effet, il n’y a pas de réciprocité quand la norme du Mercosur n’est pas en
vigueur, de manière uniforme, dans tous les États membres.
Autre argument, qui, à vrai dire, complète le précédent : selon l’article 2
§ 2 de la loi d’introduction au Code civil, alinéa 1, « la loi nouvelle qui éta-
blit des dispositions générales ou spéciales à côté de celles qui existent dé-
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rales qu’aux normes internes spéciales. Ainsi, par exemple, une norme in-
terne générale – un nouveau Code de procédure civile – n’écarte pas l’appli-
cation des règles du Mercosur pour ce qui regarde les aspects proces-
suels 24. De même, une norme interne spéciale – une norme sur la défense
de la concurrence ou des droits du consommateur – n’écarte pas l’applica-
tion des règles du Mercosur sur la défense de la concurrence ou des droits
du consommateur 25.
Alors, en réunissant les deux arguments, il est possible de défendre
l’idée que le traité d’Asunción contient une règle d’abstention imposant aux
États membres la non-utilisation des normes nationales pour écarter l’appli-
cation du droit du Mercosur. En ce sens, plusieurs décisions arbitrales du
Mercosur indiquent qu’il existe une règle générale du Mercosur interdisant
aux États membres d’adopter ou de maintenir des normes qui contrarie-
raient les normes du Mercosur 26.
D’autre part, les normes du Mercosur, parce qu’elles traitent de ques-
tions spécifiques liées à l’intégration du Brésil à ce marché commun, se si-
tuent dans une aire distincte et ne sont pas affectées par des normes natio-
nales postérieures. La règle même d’abstention contenue dans le traité
d’Asunción est spécifique au Mercosur du fait qu’elle ne peut pas être écar-
tée par une loi générale brésilienne postérieure. À la lumière de ces argu-
ments, il n’est pas possible qu’une norme intérieure écarte l’application
d’une norme du Mercosur. Et lorsque cela se fait expressément, il ne s’agit
plus d’une confrontation entre la norme du Mercosur et une norme natio-
nale générale ou spéciale, mais d’une confrontation entre la norme du Mer-
cosur et une norme spécifique.
23. Recours spécial n° 58736 – MG ; jugement du 13/12/95 ; Wagner Cateb contre Aerolíneas Ar-
gentinas ; rapporteur : Eduardo Ribeiro.
24. Comme, par exemple, le protocole de Buenos Aires sur la juridiction en matière contractuelle,
promulgué par le décret 2.095/96 du 17 décembre.
25. Comme, par exemple, le Protocole de défense de la concurrence dans le Mercosur.
26. Première et troisième décisions arbitrales du Mercosur. Cf., par exemple, le troisième item III,
D, 2.
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Mercosur passe par une crise de croissance, provoquée par son succès. Les
difficultés actuelles, qui vont du simple conflit commercial jusqu’aux inter-
rogations sur le fait de savoir où l’on va, ne doivent pas décourager. Tout au
contraire, ces difficultés sont la preuve la plus évidente du succès du Mer-
cosur. S’il n’y avait pas des échanges effectifs, il n’y aurait pas de conflit
commercial. Si le Mercosur n’était pas un succès, il ne s’interrogerait pas
sur son futur.
C’est vrai, le Mercosur se trouve actuellement à un moment stratégique.
Contrairement aux apparences, ce ne sont pas diverses voies qui s’offrent à
lui : en rester au niveau d’une union douanière, se maintenir au niveau de
l’union douanière en élargissant l’espace commercial à d’autres États d’Amé-
rique latine, approfondir les liens et concrétiser le marché commun, le faire
en intégrant d’autres États, etc. Le Mercosur n’a, en réalité, qu’une alterna-
tive : approfondir le lien entre les États membres en concrétisant le marché
commun et en l’élargissant aux autres États d’Amérique latine. C’est un
chemin truffé d’obstacles, aucun n’étant insurmontable. Il suffit de se rap-
peler combien peu crédible paraissait, en 1985, la possibilité que, en 2001,
il existât une union douanière entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et
l’Uruguay.
Quoique cela puisse paraître paradoxal, l’état de discorde que certains
se plaisent à relever constitue une démonstration claire du succès du Mer-
cosur. En effet, l’union douanière s’est concrétisée, de telle manière que le
Mercosur a accompli une étape de sa vie. Il est certain que la phase initiale
de cette étape a été celle qu’il était le plus facile de réaliser, en raison au-
tant de la situation économique de chacun des États membres que de la
conjoncture internationale, assez favorable. Les arrangements finaux ont
suscité davantage de problèmes, non que le Mercosur fût en crise, mais
parce qu’il s’agissait d’ajustements plus difficiles à réaliser. Ainsi convient-
il de ne pas confondre les difficultés de ces transactions avec une difficulté
générale de concrétisation du Mercosur.
Ce contentieux, néanmoins, permet de mettre le doigt sur le point de
savoir si le Mercosur dispose des organes adéquats pour passer à la phase
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mies nationales qu’il place les États membres dans l’obligation de s’intégrer
chaque fois davantage. Ainsi, il n’y a pas d’option entre continuer droit de-
vant ou en rester au stade actuel. Comme alternative, il n’y a qu’aller de
l’avant ou en finir avec le Mercosur.
Le second défi est celui de l’élargissement. La réunion des Présidents,
qui a eu lieu à Brasilia au début du mois de septembre 2000, a montré qu’il
existe une stratégie latino-américaine d’intégration 29.
Le troisième défi est celui des relations globales du Mercosur. Le Merco-
sur, aujourd’hui, est un « global trader », plus encore qu’un « global player ».
La participation du Mercosur dans le marché mondial est d’un peu plus de
1 %. Ainsi, il est urgent de tisser des relations avec l’Union européenne et
avec les pays asiatiques, et, certainement, aussi, avec les USA.
Or, les structures actuelles sont manifestement inadéquates pour per-
mettre au Mercosur d’affronter ces défis. Ainsi, l’approfondissement passe
par l’harmonisation et/ou l’unification d’un certain nombre de politiques
économiques. Les structures actuelles sont capables d’assurer l’élaboration
de politiques unifiées ; mais elles sont incapables d’assurer une unité dans
l’application des politiques, car ces dernières seront exécutées au niveau
national. La liste des normes qui restent à intégrer dans les ordres juridi-
ques nationaux prouve l’énorme difficulté de transposition des décisions
prises au niveau de la sphère du Mercosur dans la sphère nationale. Ce qui
se passe, c’est que, dans le cadre interne, les décisions prises au plan du
Mercosur sont des décisions du pouvoir exécutif et dont l’implémentation
dépend de la collaboration du pouvoir législatif et, parfois, du pouvoir judi-
ciaire.
27. D’ailleurs, l’article 47 du protocole d’Ouro Preto prévoit expressément la possibilité d’une fu-
ture révision de la structure institutionnelle.
28. Là encore, il faudra voir quel est le rôle effectif du Tribunal permanent de révision créé par le
protocole d’Olivos.
29. On mettra en évidence que, déjà, une décision de 2000 (32/2000), qui traitait spécifiquement
des Relations extérieures, prévoyait, d’ici la fin décembre 2001, la signature d’accords entre le
Mercosur et la Communauté andine, ainsi qu’entre le Mercosur et le Mexique.
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encore : l’élargissement va créer des problèmes spécifiques et des diffi-
cultés concrètes. Comment va-t-on les résoudre ? Par la création de davan-
tage de sous-groupes de travail, de davantage de comités, de plus de forums ?
Autre exemple : le plan d’insertion globale du Mercosur. Le protocole
d’Outro Preto a doté le Mercosur de la personnalité juridique. Cette person-
nalité juridique présuppose une volonté juridique propre qui lui soit juridi-
quement imputable. La structure intergouvernementale rend difficile la sé-
paration entre la volonté du Mercosur et la volonté individuelle des États
membres. Ou, pire, subordonne la volonté du Mercosur à celle des États
membres.
Un troisième exemple peut être tiré du système de solution des contro-
verses, qui s’est révélé inefficace dans l’atténuation de l’impact des litiges
dans les relations entre les États membres.
Face à ces défis, il est possible de tenter un exercice (de divination ?)
destiné à déterminer l’avenir des institutions du Mercosur. Cet exercice peut
être effectué de deux manières : ce qu’on veut, ou ce qu’on ne veut pas
comme structure. Ce qu’on ne veut pas, sans aucun doute, est le modèle eu-
ropéen. On ne prétend nullement vouloir créer une « cathédrale gothique »
semblable à celle de la bureaucratie européenne. Ce qu’on souhaite découle
de la vision que les États membres ont du Mercosur. C’est, d’abord, claire-
ment, que le Mercosur n’est pas une superstructure supranationale. Le Mer-
cosur est une structure latérale. Le Mercosur n’est pas au-dessus des États
membres, mais il en constitue une extension. C’est comme si le Mercosur
était une péréquation, une annexe des États membres. Ainsi, le Mercosur
n’est pas une société dans laquelle les États membres seraient les associés.
Le Mercosur est plutôt une copropriété, si l’on peut se permettre une com-
paraison avec ces institutions du droit privé.
On peut ici faire à nouveau une comparaison avec l’Union européenne.
Quand l’Union européenne « perd » du pouvoir en faveur du niveau natio-
nal, le Mercosur a besoin, lui, d’augmenter son propre pouvoir. C’est comme
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