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Le cadre normatif du Mercosur

José Gabriel Assis de Almeida


Dans Droit et société 2005/1 (n°59) , pages 39 à 53
Éditions Éditions juridiques associées
ISSN 0769-3362
ISBN 2275025960
DOI 10.3917/drs.059.0039
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Le cadre normatif du Mercosur *

José Gabriel Assis de Almeida **


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Résumé L’auteur

Le Mercosur a une importante production normative. Depuis sa créa- Docteur en droit de l’Université
tion en 1991 jusqu’à la fin du siècle, ce sont plus de mille normes qui Paris II Panthéon-Assas.
ont été édictées. Cette importante production normative soulève deux Professeur à l’Université d’État
de Rio de Janeiro (UERJ) et à
interrogations majeures traitées dans cet article. La première touche à
l’Université Fédérale de Rio de
la spécificité de ces normes, qui doit être examinée afin de déterminer Janeiro (Uni-Rio), où il enseigne
s’il existe un ordre juridique du Mercosur, et lequel. L’autre question le droit commercial et le droit
est le rapport entre les normes du Mercosur et les normes nationales du commerce international. Se-
des États membres. Le fond du problème, en vérité, c’est à la fois de crétaire général honoraire du
comprendre quel est l’impact au quotidien des normes du Mercosur et GEDIM (Programme Globalisa-
de savoir comment ces normes peuvent atteindre leur objectif. tion économique et droits du
Mercosur – MOST/UNESCO).
Avocat inscrit aux Barreaux de
Droit communautaire – Droits nationaux – Intégration – Mercosur –
Rio de Janeiro, Lisbonne et Pa-
Normes juridiques. ris.
Il est l’auteur de plusieurs livres
et articles dans le domaine du
Summary droit commercial et du droit du
commerce international, dont
notamment Mercosul. Manual de
Mercosur’s Legal Framework Direito da Integracão, Rio de
Mercosur has an important legal production : from its creation in 1991 Janeiro, Lumen Juris, 2001.
until the end of the century, it issued more than one thousand rules. Il a également coordonné
l’ouvrage Dez anos de Mercosul,
The present paper treats two major questions raised by this important 2e éd., Rio de Janeiro, Lumen
legislative production. The first concerns the specificity of these rules, Juris, coll. « GEDIM », 2004.
which must be examined in order to determine if there is a Mercosur
legal order, and if so, what it is. The second question is the relation-
ship between Mercosur rules and national laws of the Member States.
The ultimate goal is to determine the impact of Mercosur rules on eve-
ryday life and how the rules can achieve their goals. * Texte traduit par André-Jean
Arnaud.
Community law – Integration – Legal norms – Mercosur – State law.
** Avenida Rio Branco, 109
21° andar,
CEP 20.040-004,
Rio de Janeiro RJ,
Brésil.
<jgaa1@terra.com.br>

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J. G. ASSIS DE ALMEIDA Le Mercosur a fait l’objet d’une importante production normative. Entre
les décisions 1 du Conseil du marché commun (CMC) et les résolutions du
Groupe du marché commun (GMC), ce sont plus de 1 000 normes qui ont
été édictées entre l’époque de son instauration par le traité d’Asunción du
26 mars 1991 et la fin du siècle. Comparativement, sur la même période, on
promulguait environ 2 000 lois au Brésil. Cela signifie que le Mercosur à lui
seul a produit pratiquement la moitié du contingent des normes édictées au
Brésil.
Cette importante production normative soulève deux interrogations ma-
jeures. La première touche à la spécificité de ces normes, leur naissance,
leurs caractéristiques générales, leur interprétation, leur nature juridique.
On commencera par examiner ces questions, afin de déterminer s’il existe
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un ordre juridique du Mercosur, et lequel. L’autre question – dont on traite-
ra ensuite – concerne le rapport entre les normes du Mercosur et les normes
nationales des États membres. Quelle est leur position face à ces normes ?
Existe-t-il une hiérarchie entre les unes et les autres ? Que faire en cas de
conflit ? Le fond du problème, en vérité, c’est, à la fois, de comprendre quel
est l’impact au quotidien des normes du Mercosur sur chacun, personnes
physiques, entreprises, entités privées et publiques, organes de l’adminis-
tration, et de savoir comment ces normes peuvent atteindre leur objectif.

I. Les particularités des normes du Mercosur


Quand on examine les normes du Mercosur, il existe une tentation irré-
sistible de chercher à les rapprocher des modèles normatifs de l’Union eu-
ropéenne. Cependant, peut-être n’est-ce pas là le meilleur chemin, tant il
existe de différences entre les caractéristiques sociales, économiques et po-
litiques du Mercosur et celles de l’Union européenne. Ce qui est fondamen-
tal, c’est de commencer par examiner la manière dont le Mercosur a organi-
sé sa propre production normative, ses sources, et quelles sont les caracté-
ristiques de ces normes, pour vérifier ensuite leur application : leurs desti-
nataires et les méthodes d’interprétation auxquelles elles sont sujettes.

I.1. Le cadre des normes du Mercosur


C’est l’article 41 du protocole d’Ouro Preto qui organise les sources du
droit du Mercosur. Selon l’article 41 : « Les sources juridiques du Mercosur
sont : (1) le traité d’Asunción, ses protocoles et les instruments additionnels
ou complémentaires ; (2) les accords passés dans le cadre du traité d’Asun-
ción et de ses protocoles ; (3) les décisions du Conseil du marché commun,
les résolutions du Groupe du marché commun et les directives de la Com-
mission du commerce du Mercosur, adoptés depuis l’entrée en vigueur du
traité d’Asunción. » Cela permet de classer les normes en originaires, déri-

1. On se souviendra que « décision », en droit communautaire, désigne un acte juridique obliga-


toire pour les destinataires (États ou particuliers).

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vées et complémentaires, ou droit originaire, droit dérivé et droit complé- Le cadre normatif
du Mercosur
mentaire.
Le droit « originaire » est composé des normes fondamentales, ce qui,
en langage kelsénien, représente le sommet de la pyramide. Il s’agit des tex-
tes qui ont donné naissance au Mercosur et en assurent la forme. Le pre-
mier est le traité d’Asunción et ses annexes, qui organisent la période de
transition et lancent les bases permanentes du Mercosur. Le second est le
protocole d’Ouro Preto, qui est formellement indissociable du traité
d’Asunción.
Le droit « dérivé » du Mercosur est formé des normes qui dérivent des
normes fondamentales. Ce sont les normes qui composent et complètent le
système. Il s’agit, en premier lieu, des accords internationaux, comme le
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protocole de Brasília pour la solution des controverses, le protocole de Co-
lônia sur l’investissement étranger, etc. ; et, en second lieu, des normes éla-
borées par les institutions du Mercosur. Ainsi, les décisions du Conseil du
marché commun, les résolutions du Groupe du marché commun, les directi-
ves de la Commission du commerce du Mercosur, etc.
Aux droits originaire et dérivé s’ajoute le droit « complémentaire » :
l’ensemble des normes qui servent à compléter les précédentes. Cette fonc-
tion est remplie par les normes internationales générales et par les normes
nationales de chacun des États membres. Le recours à ces normes s’explique
par l’existence de concepts utilisés par les normes du Mercosur qui voient
leur contenu défini par les normes du droit international ou du droit natio-
nal. Il en est ainsi ou bien parce qu’il n’existe pas de concept uniforme pour
l’ensemble des États membres, ou bien parce que la norme du Mercosur ne
se préoccupe pas de définir le contenu du concept.
Un exemple de cette situation est le concept de domicile, utilisé dans le
protocole de Buenos Aires sur la juridiction en matière contractuelle, dont
la définition se fait par référence aux droits nationaux. On pourrait encore
citer le concept de controverse, qui a été défini par la troisième décision ar-
bitrale du Mercosur par référence au droit international, ou encore le
concept de subside, qui fut également interprété sur la base du droit inter-
national, par la seconde décision arbitrale du Mercosur.
En produisant les normes, les sources normatives du Mercosur le font
en accord avec certains présupposés : ce qu’on nomme le substrat de l’ordre
juridique, c’est-à-dire les lignes selon lesquelles il est orienté. L’ordre juri-
dique du Mercosur repose également sur un certain nombre de présuppo-
sés 2. Le premier est la démocratie. Le droit du Mercosur présuppose une
participation démocratique de tous les États membres. Il n’y pas de sujétion
d’un État membre aux autres, ni d’obligation imposée par un État membre à
un autre. Cette caractéristique est attachée également au caractère paritaire
du processus normatif du Mercosur. Le second présupposé est l’intégration.

2. Cf. là-dessus Roberto DROMI, Miguel EKMEKDJIAN et Julio RIVERA, Derecho comunitario, Buenos
Aires, Ediciones Ciuté Argentina, 1995, notamment p. 49-55.

Droit et Société 59/2005 – 41


J. G. ASSIS DE ALMEIDA L’ordre juridique du Mercosur est basé sur l’interdépendance économique
des États membres. Une telle interdépendance est censée permettre de pro-
fiter des complémentarités des économies nationales et créer de nouvelles
opportunités en matière d’affaires. Le troisième présupposé est l’organisa-
tion. L’ordre juridique du Mercosur se fonde sur une structure organisée. En
d’autres termes, il existe des institutions chargées de produire les normes,
de les appliquer et de les sanctionner.
Au-delà des présupposés, l’ordre juridique du Mercosur repose aussi
sur certains principes. L’un des principaux est celui de la progressivité : la
construction de l’ordre juridique du Mercosur se fait par degrés. Un autre
principe est celui de l’égalité. Cela veut dire que droits et devoirs seront
égaux pour tous les États membres et pour tous les particuliers – un prin-
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cipe qui est la base de la création d’un marché commun. Découlant de ce
principe, celui de la réciprocité a pour base l’article 2 du traité d’Asunción :
un destinataire de normes ne pourra exiger de droits ou d’obligations des
autres que si ces derniers peuvent exiger de lui les mêmes droits et obliga-
tions. En d’autres termes, un État membre ne peut exiger le respect des
normes que s’il les respecte lui-même. De même, un particulier ne peut exi-
ger d’un autre particulier d’un État membre l’accomplissement des règles
du Mercosur que si son propre État les respecte aussi.
Enfin, en vertu du principe de solidarité, un État membre ne peut se re-
fuser à accomplir ses obligations. Il ne pourra pas prendre de mesures uni-
latérales susceptibles de mettre en danger l’ensemble du Mercosur. Un État
membre ne peut tirer seulement des avantages et refuser les inconvénients.
Ainsi le principe de solidarité impose-t-il un équilibre entre les charges et
les bénéfices susceptibles d’être retirés du Mercosur.

I.2. L’application des normes du Mercosur

Les destinataires des normes du Mercosur


Les destinataires du droit du Mercosur peuvent être classés en destina-
taires objectifs et destinataires subjectifs. Les premiers sont l’objet du droit
du Mercosur : les biens juridiques auxquels est attribué un régime spécial
en vertu du Mercosur, notamment marchandises et services destinés à la li-
bre circulation. Les destinataires subjectifs sont les États membres et les
particuliers (personnes physiques ou juridiques), titulaires des droits et de-
voirs imposés par la création et le fonctionnement du Mercosur.
Il ne fait aucun doute que les États membres sont destinataires subjec-
tifs du Mercosur. Le traité d’Asunción et le protocole d’Ouro Preto disent
que les normes sont obligatoires pour les États membres. En ce sens, les ar-
ticles 9, 15 et 20 du protocole d’Ouro Preto sont bien clairs. Ainsi, selon
l’article 9 du protocole d’Ouro Preto : « Le Conseil du marché commun se
manifestera selon des décisions, lesquelles sont obligatoires pour les États
membres. » Mais les États ne sont pas les seuls. Affirmer que les États

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membres sont les destinataires subjectifs ne signifie pas que les normes ne Le cadre normatif
du Mercosur
sont obligatoires qu’en ce qui les concerne. Ces normes peuvent aussi être
obligatoires pour les particuliers. Cette conclusion résulte d’une série de
dispositifs, à commencer par l’article 42 du protocole d’Ouro Preto qui dis-
pose que les normes du Mercosur sont obligatoires et doivent être incorpo-
rées aux ordres juridiques nationaux. Si les normes du Mercosur n’étaient
destinées à régir que les relations entre États membres, sans créer de droits
ni d’obligations en ce qui concerne le patrimoine juridique des particuliers,
cela n’aurait aucun sens de les intégrer dans les ordres juridiques natio-
naux.
Mieux : selon les termes des articles 25 et suivants du protocole de Bra-
sília pour la solution des controverses, tout particulier a le droit de se plain-
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dre d’une violation des normes du Mercosur par un État membre. La recon-
naissance de ce droit signifie que cette norme fait naître, dans la sphère ju-
ridique du particulier, un droit subjectif. Ainsi, les individus sont aussi les
destinataires de cette norme. Les personnes physiques concernées par les
normes du Mercosur sont définies par la nationalité ou par le domicile. En
effet, il est possible d’observer que les normes du Mercosur ont pour desti-
nataires non seulement les nationaux des États membres, mais également
les personnes domiciliées dans les États membres 3. Il faut souligner ici
combien le Mercosur embrasse davantage que l’Union européenne, où les
destinataires du droit communautaire sont, normalement, les nationaux des
États membres.
Quant aux personnes juridiques, les sociétés d’entreprise pour l’essen-
tiel, qui sont prises en considération par le Mercosur, elles sont définies par
le lieu de constitution de l’entité et par le siège social 4.

L’interprétation des normes du Mercosur


Interpréter, c’est expliquer ou dévoiler le sens d’une norme. C’est four-
nir le sens et la valeur de la norme pour permettre son éventuelle extension
et ajouter à son efficacité dans les relations juridiques. Le problème du
droit du Mercosur est la diversité des sources organiques tout comme des
sources d’interprétation. Ainsi trouve-t-on, au nombre des organes chargés
de la création du droit du Mercosur, non seulement les institutions de ce
dernier – au travers des décisions du Conseil du marché commun, des réso-
lutions du Groupe du marché commun et des directives de la Commission

3. Voir, par exemple, le protocole de Colônia sur l’investissement étranger.


4. C’est l’article 60 du décret-loi 2.627/40 qui, au Brésil, règle la nationalité des sociétés. Préci-
sons ici que, quand on parle des destinataires du Mercosur, on ne peut échapper à la question de
savoir ce qu’il en est d’une éventuelle nationalité du Mercosur. La nationalité est l’attribut de qui
intègre la communauté politique d’un État. Ainsi conçue, il est prématuré de discuter de ce thème,
puisque, dans le Mercosur, il n’y pas encore d’intégration politique. Pour acquérir la nationalité, il
est nécessaire d’avoir un État, ce que n’est pas le Mercosur, même si commence à surgir, dans les
populations des États membres, un sentiment d’appartenance à cette nouvelle réalité qu’est le
Mercosur.

Droit et Société 59/2005 – 43


J. G. ASSIS DE ALMEIDA du commerce du Mercosur –, mais encore les États membres – tant au tra-
vers des traités que, au niveau national, au travers des normes complémen-
taires.
D’autre part, les normes créées dans le cadre du Mercosur sont appli-
quées tant par les administrations nationales que par les tribunaux de cha-
que État membre, et encore dans les divers systèmes de solution de conflits
créés par le protocole de Brasília pour la solution des controverses, par le
protocole sur l’investissement étranger, etc. Cette situation crée des dispari-
tés pour une application des normes. Des principes d’interprétation sont
donc nécessaires pour combler les lacunes et permettre d’harmoniser le
contenu des normes 5.
Au-delà de la classification célèbre depuis Savigny des méthodes
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d’interprétation (grammaticale, logique, historique et systématique), s’en
ajoutent d’autres : téléologique (interprétation de la norme en accord avec
sa finalité), sociologique (analyse de la norme à la lumière de la réalité so-
ciale), comparative (interprétation en accord avec la solution proposée dans
d’autres ordres juridiques). Les principales méthodes utilisées en droit de
l’intégration sont la grammaticale, la systématique et la téléologique.
La première fut utilisée très tôt dans l’Union européenne, quand la
norme avait encore un objectif limité et n’était pas extrêmement complexe.
Elle est utile aussi lorsqu’il y a encore peu de normes, ce qui empêche une
interprétation systématique. Cependant, les différentes versions linguisti-
ques des textes du Mercosur créent un problème pour l’application de cette
méthode. La seconde est importante pour qualifier une norme en relation à
d’autres ou pour interpréter les exceptions en relation à une règle générale.
L’exception recevra toujours une interprétation stricte. La première décision
arbitrale appliqua expressément, comme méthode d’évaluation du conflit,
l’interprétation systématique, en se référant à la doctrine juridique en vi-
gueur dans l’Union européenne 6. On retrouve pareille application dans la
deuxième décision arbitrale du Mercosur 7.
Strictement liée à l’interprétation systématique, l’interprétation téléolo-
gique est très importante, parce que très appropriée. En effet, le droit de
l’intégration est en modification permanente. Or, l’interprétation téléologi-
que consiste à interpréter la norme à la lumière des objectifs poursuivis. La
norme est interprétée en raison de sa fonction – la finalité poursuivie étant
celle de la norme, et non pas celle de l’autorité qui l’édicte. La première dé-
cision arbitrale se fonde aussi sur ce type d’interprétation 8.

5. Voir, là-dessus, le protocole d’Olivos, de 2002.


6. Dans le n° 50 de cette décision, référence est faite à deux passages d’ouvrages publiés en Eu-
rope et traitant du droit de l’Union européenne : voir Parayotis SOLDATOS, Le système institutionnel
et politique des Communautés européennes dans un monde en mutation, Bruxelles, Bruylant, 1989,
p. 115-117 ; et Direito International Público, Madrid, Tecnos, tome 2, p. 310-315 (référence extraite
de la décision mentionnée).
7. Voir en particulier le n° 59 de cette décision.
8. N° 51 et 59 de cette décision.

44 – Droit et Société 59/2005


Si le principal interprète de la norme est le juge, tant le juge prévu dans Le cadre normatif
du Mercosur
les textes fondateurs du Mercosur que le juge national, celui-ci a tout de
même une fonction limitée, ne serait-ce que par le caractère encore mineur
des conflits de nature judiciaire. Ainsi les principaux interprètes sont-ils
plutôt les organes mêmes de production de la norme, qui ne manquent pas
d’en produire une nouvelle pour éclairer, si besoin est, une précédente.
C’est pourquoi on s’interrogera, maintenant, sur les problèmes d’identifi-
cation des normes dont l’ensemble forme l’ordre juridique du Mercosur, et
sur les organes qui les produisent.

II. Les normes du Mercosur et les droits nationaux


Si l’on admet que la norme juridique est l’aboutissement d’une prévi-
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sion relative aux faits, qu’elle se matérialise par la survenance du fait prévu,
que cette incidence est automatique, inconditionnelle et inévitable ; si l’on
admet, par ailleurs, que l’efficacité de la norme s’apprécie par la matériali-
sation des conséquences que la règle a imputé aux faits, alors la première
question consiste à savoir si les normes du Mercosur sont efficaces, ou, au-
trement dit, si elles sont capables de produire des conséquences, de créer
des droits et des obligations subjectives.
Si l’on peut répondre par l’affirmative à cette première question, on de-
vra alors se demander comment caractériser la relation entre normes du
Mercosur et normes de droit national de chaque État membre.

II.1. L’efficacité interne des normes du Mercosur

Les règles établies dans le cadre du Mercosur


La question doit être analysée à la lumière des articles 38 à 42 du pro-
tocole d’Ouro Preto qui règlent l’application interne des normes émanées
des organes du Mercosur, déterminant le moment ou elles entrent en vi-
gueur dans les droits nationaux. Cela est prévu à l’article 40. Selon ce dis-
positif, quand la norme est approuvée dans le cadre du Mercosur, les États
membres prennent les mesures nécessaires à son incorporation à l’ordre ju-
ridique national. Puis, les États membres communiquent cette information
au Secrétariat administratif du Mercosur (SAM). Ce dernier, une fois reçues
les informations de la part de tous les États membres, avise simultanément
ces derniers. Les normes entrent alors en vigueur dans les trente jours qui
suivent.
Cette manière de procéder a été complétée par les dispositions de la
décision 23/00 du CMC, selon laquelle la Coordination nationale du Groupe
du marché commun de chaque État membre sera responsable de la réalisa-
tion de cette notification au SAM en ce qui concerne les mesures d’incorpo-
ration qui auront été prises. Selon cette même décision, si une date précise
a été prévue pour leur incorporation, ces clauses ont un caractère obliga-

Droit et Société 59/2005 – 45


J. G. ASSIS DE ALMEIDA toire pour les États membres. Cette disposition permet d’envisager deux
hypothèses, selon que l’État membre respecte ou non le délai. Dans ce der-
nier cas, il y a purement et simplement violation d’une norme de droit in-
ternational, l’État membre défaillant étant sujet à une réclamation de la part
d’un autre État membre ou d’un particulier, selon les termes du protocole
de Brasília pour la solution des controverses.
Dans l’autre hypothèse, plus intéressante mais aussi peut-être plus dif-
ficile à concrétiser, il s’agirait d’appliquer la règle de droit communautaire,
comme cela se fait en Europe à propos des directives. Selon cette règle, si
les États membres de l’Union européenne n’ont pas procédé à leur transpo-
sition en droit interne dans les délais stipulés, et pourvu que ces directives
aient un contenu suffisamment précis, les particuliers peuvent invoquer les
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règles contenues dans ces directives, que la transposition ait eu lieu ou
non 9.
La décision 23/00 prévoit encore que lorsque les États membres pas-
sent des accords internationaux sujets à ratification ultérieure, le contrôle
se fera conformément à ce qui est établi par chaque accord, étant entendu
que sont respectés les principes consacrés en droit international.
Ce système de contrôle national des normes du Mercosur présente un
grave problème. En effet, la norme peut exister parce qu’elle a été adoptée
par le Mercosur ou parce qu’elle a été adoptée par un État membre. Mais la
norme peut ne pas être efficace parce qu’autre État membre n’a pas encore
pris les mesures pour son incorporation, ou parce que le SAM n’a pas en-
core donné communication de l’incorporation aux autres États ou pour un
quelconque autre motif. Pour tenter de résoudre cette difficulté, il faut,
avant tout, opérer une distinction entre les deux types de normes existantes
dans le cadre du Mercosur : les normes ayant un effet interne et les normes
ayant un effet externe.
Les premières sont destinées à produire des effets dans le seul cadre
organique des institutions du Mercosur. C’est le cas, par exemple, des nor-
mes relatives à l’organisation de réunions de travail. Leur promulgation
dans le cadre du Mercosur suffit à les rendre efficaces. L’article 42 du pro-
tocole d’Ouro Preto admet l’existence de ces normes, certaine normes pou-
vant ne pas être internalisées 10. Les normes avec effet externe sont desti-
nées à produire des effets en dehors du cadre organique du Mercosur. Ce
sont les normes destinées aux particuliers et dont il est nécessaire qu’elles
soient intégrées aux ordres juridiques des États membres.

9. Cf. Cour de justice des Communautés européennes, 17/12/70, proc. 33/70, SACE de Bergame,
Répertoire, p. 1213 ; 05/04/79, proc. 148/78, Ratti, Répertoire, p. 1629 ; cf. encore Jean BOULOUIS
et Roger-Michel CHEVALLIER, Grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes,
tome I, Paris, Dalloz, 4e éd., 1987, notamment p. 47 et suiv.
10. Voir l’article 5 de la décision 23/00 du CMC, qui admet expressément qu’il existe des normes
qui ne nécessitent pas d’incorporation aux droits nationaux des États membres.

46 – Droit et Société 59/2005


Jusqu’à présent, une grande partie des normes du Mercosur n’a pas Le cadre normatif
du Mercosur
donné lieu à une prise de mesures visant à leur intégration 11. L’autre partie
des normes a fait partie d’une intégration, quand cela s’avérait nécessaire,
et, dans la majorité des cas, par un acte du pouvoir exécutif. Or, cette sorte
d’acte peut, à tout moment, être révisé, ce qui ne renforce pas la sécurité
juridique.

Les règles de droit national : le cas du Brésil


Deux processus peuvent être imaginés, s’agissant de la validation des
normes du Mercosur au Brésil. Au processus traditionnel, celui qui est pré-
vu par la Constitution 12, s’en ajoute un, spécifique, pour le Mercosur. En
pratique, deux voies ont été suivies. Lorsque la norme interne à modifier est
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une norme hiérarchiquement inférieure à la loi ou qui ne relève pas de la
sphère de compétence du Congrès national, le pouvoir exécutif procède
simplement à l’altération. C’est le cas des innombrables circulaires relatives
à la veille sanitaire ou les résolutions prises par le Conseil monétaire natio-
nal. Si la norme interne à modifier est une loi ou que la norme du Mercosur
est un traité, on suit la voie traditionnelle d’approbation par le Congrès na-
tional et de promulgation par le président de la République.
Cependant, il y a deux points qui relèvent du défi. Le premier est de sa-
voir si, même en cas de nécessité, il est possible, pour modifier une loi in-
terne ou adopter un traité, dans le cas du Mercosur, de se dispenser de sui-
vre le processus constitutionnel.
De ce point de vue, il est intéressant d’observer ce qui est posé dans les
articles 9, 15 et 20 du protocole d’Ouro Preto, selon lesquels les normes is-
sues des institutions du Mercosur sont obligatoires pour les États membres.
Cette obligation laisserait entrevoir l’inutilité du processus constitutionnel
d’incorporation des normes à l’ordre juridique national. Cependant, le pro-
tocole d’Ouro Preto lui-même annihile cette illusion, puisque, dans les arti-
cles 38 et 40, il prend soin d’énumérer les moyens que les États membres
doivent adopter pour assurer l’accomplissement – on y parle de « veille in-
terne » – des normes qui émanent du Mercosur.
L’article 40 est encore plus explicite, disant que, une fois approuvée la
norme dans le cadre du Mercosur, les États membres adopteront les mesu-
res nécessaires pour l’incorporation à leur ordre juridique national. Ainsi,
l’article 40 marque clairement l’existence de deux ordres juridiques, consa-
crant le dualisme. Enfin, on note que le Tribunal fédéral suprême a lui-

11. La décision 23/00 du CMC mentionnée ci-dessus a décidé qu’on établirait un cadre d’incorpo-
ration des protocoles, décisions, résolutions et directives, pour procéder à l’accompagnement de
l’entrée en vigueur des normes du Mercosur. Il restera à voir ce que donneront les opinions
consultatives selon le protocole d’Olivos.
12. Constitution de la République fédérative du Brésil, article 84, VIII, et 49, I.

Droit et Société 59/2005 – 47


J. G. ASSIS DE ALMEIDA même décidé que l’existence du Mercosur ne dispensait pas du processus
constitutionnel d’incorporation des normes internationales 13.
De cette manière, il est évident que le statut de norme du Mercosur
n’attribue pas un traitement différencié à la norme en question. Or, cette
nécessité de réception interne, au-delà de l’inutilité, comporte un certain
nombre de risques et pose divers problèmes au niveau du processus d’inté-
gration.
Une telle réception est inutile, vu que les décisions prises dans les ins-
tances du Mercosur le sont par consensus, aux termes de l’article 37 du pro-
tocole d’Ouro Preto. Ainsi, aucun texte ne pourra être adopté s’il n’est pas
agréé ou n’a pas eu l’agrément de l’un des États membres. Par ailleurs, la
réception interne entraîne des problèmes quant au processus d’intégration,
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puisqu’elle affecte tous les autres États membres, et le Mercosur lui-même,
otage d’un seul État membre. En effet, il est possible d’imaginer qu’un État
membre, après avoir négocié la norme dans les instances du Mercosur, dé-
cide unilatéralement de ne pas l’incorporer à son ordre juridique interne. Ce
fait, comme on l’a vu plus haut, empêche que la norme n’entre en vigueur
dans le Mercosur, portant préjudice à l’ensemble de l’intégration.
Cependant, la nécessité de réception interne ne prive pas la norme du
Mercosur de toute sa valeur ni de son efficacité. En ce sens, la seconde déci-
sion arbitrale du Mercosur a ouvert une porte de sortie, affirmant que « le
fait que certaines normes requièrent une implémentation postérieure ne si-
gnifie pas qu’elles manquent de valeur, mais bien que les États ont
l’obligation de ne pas les déposséder de leur application, tout comme l’ac-
complissement des objectifs du traité d’Asunción et de ses protocoles com-
plémentaires [...] » 14.
Pour tenter de corriger cette erreur, au moment de la révision constitu-
tionnelle, un amendement a été proposé à l’article 4 de la Constitution 15.
Selon cette proposition, serait maintenue la rédaction originale de l’en-tête,
mais le paragraphe unique serait remplacé par les paragraphes suivants :
1) les normes générales ou communes de droit international public font partie in-
tégrante de l’ordre juridique brésilien ;
2) les normes qui émanent des organes compétents des organisations internatio-
nales dont est membre la République fédérative du Brésil ont vigueur dans l’ordre
interne, du moment que cela est expressément établi dans les traités constitutifs
concernés ;
3) paragraphe unique sans changement.

Ainsi, eurent été dispensés les États membres de la réception interne du


texte produit par le Mercosur. Mais cette proposition fut rejetée par diver-
ses forces à l’intérieur même du Congrès national, sur l’argument de la
perte de souveraineté.

13. En accord avec la Carta Rogatória n° 8279 – República Argentina, Informativo STF 109.
14. Point 55.
15. Pour une chronique de ce qui est arrivé, cf. Deisy VENTURA, A ordem jurídica do Mercosul, Por-
to Alegre, Livraria do Advogado, 1996, esp. p. 63-64.

48 – Droit et Société 59/2005


II.2. Relations entre les normes du Mercosur et le droit national Le cadre normatif
du Mercosur

Relations des normes du Mercosur avec les normes constitutionnelles


La question des relations entre les traités et la Constitution a été ré-
cemment réglée dans au moins quatre occasions distinctes par le Tribunal
fédéral suprême. Dans la première, il s’agissait d’un conflit entre le pacte de
São José da Costa Rica, relatif aux droits de l’homme, et la Constitution de
la République 16. Il fut admis que le texte de la Constitution avait supréma-
tie sur le texte conventionnel. La seconde décision concernait un bagage
égaré au cours d’un vol international 17, la question étant de savoir si la
convention de Varsovie, qui régit un tel cas, prévoyait une indemnisation
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pour préjudice moral. Il fut décidé qu’une telle réparation était prévue par
la Constitution de la République et que le texte constitutionnel prévalait. La
troisième fois, le conflit concernait la compatibilité de la convention 158 de
l’OIT avec la Constitution de la République 18. Là aussi le Tribunal fédéral
suprême confirma la supériorité de la Constitution. Dans le dernier cas, le
Tribunal fédéral suprême eut l’occasion d’examiner une question directe-
ment liée au Mercosur. Il s’agissait de la constitutionnalité de la règle
contenue dans le Protocole de coopération et d’assistance juridictionnelle
en matière civile, commerciale, du travail et administrative, signé entre les
États membres, et connu sous le nom de protocole de Las Leñas. Ce dernier
traite, entre autres questions, de l’homologation des décisions judiciaires
étrangères en vue de leur application. Il fut décidé que, faute d’homolo-
gation du protocole par le Tribunal fédéral suprême, le juge brésilien ne
pouvait pas s’en prévaloir. Dans ces conditions, la leçon est très claire : en
cas de conflit entre un traité et la Constitution de la République, c’est la
norme constitutionnelle qui prévaut.
Il n’est, en effet, pas possible qu’une norme juridique, même résultant
de la transposition dans l’ordre interne d’un traité international, aille à
l’encontre d’une norme constitutionnelle. Cette dernière est la norme su-
prême. Toutes les autres y sont subordonnées. Ainsi, en cas de conflit éven-
tuel entre les normes du Mercosur et la Constitution, c’est bien cette der-
nière qui l’emporte 19.

16. HC 72.131-RJ, rapp. p/ ac. Min. Moreira Alves, séance du 22.11.95, publié à l’Informativo STF
n° 14.
17. RE 172.720 RJ, rapp. Min. Marco Aurélio, séance du 06.02.1996, publié dans DJ du 21.02.1997
p. 2831.
18. ADIN 1.480-DF, rapp. Min. Celso de Mello, séance du 04.09.97.
19. Restera à voir ce que pourra apporter là-dessus la réforme du n° 45 du nouveau paragra-
phe 30 de l’article 5 de la Constitution.

Droit et Société 59/2005 – 49


J. G. ASSIS DE ALMEIDA Relations des normes du Mercosur avec les normes infra-
constitutionnelles
La question des relations des normes du Mercosur avec les normes in-
fra-constitutionnelles est liée à la hiérarchie de la norme du Mercosur face à
la loi interne. Depuis un fameux accord sur les titres de crédit et la conven-
tion de Genève, le Tribunal fédéral suprême a affirmé que la norme interna-
tionale est dans la même position hiérarchique que la norme interne 20. On
pourrait arguer du fait que ce principe, établi sous l’égide de la Constitution
antérieure, pourrait ne pas prévaloir face à la nouvelle Constitution, no-
tamment parce qu’elle pose, dans l’article 2 § 2, que « les droits et garanties
expresses prévus par cette Constitution n’en excluent pas d’autres décou-
lant du régime et des principes adoptés par elle, ou des traités internatio-
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naux où la République fédérative du Brésil est partie ».
Ainsi, on pourrait admettre que la Constitution de 1988 a réservé une
place privilégiée aux normes internationales. Il y a eu, en ce sens, quelques
manifestations des tribunaux 21 – illusion vite dissipée par le Tribunal supé-
rieur de justice 22. Ainsi, il reste clair que, même sous l’empire de la Consti-
tution de la République de 1988, en cas de conflit entre la norme interna-
tionale et la norme nationale infra-constitutionnelle, c’est la plus récente
qui prévaut. Cette situation, comme on peut facilement le percevoir, est as-
sez dangereuse pour la mise en route du Mercosur, puisqu’elle permet au
Brésil, individuellement et au travers d’une loi nationale, d’écarter l’appli-
cation de la norme du Mercosur.
En d’autres termes, le Brésil a la possibilité d’altérer unilatéralement le
contenu du droit communautaire ou de l’intégration, qui est en train de naî-
tre. Contre cette situation, cependant, il est peut-être possible de présenter
deux arguments en faveur de la préservation de la norme du Mercosur, en
cas de conflit entre cette norme et une norme interne.
Le premier argument est tiré de l’article 2 du traité d’Asunción, selon
lequel « le marché commun est fondé sur la réciprocité des droits et des
obligations entre les États membres ». Ce dispositif peut être interprété
comme un obstacle à ce qu’une loi interne repousse l’application d’une
norme du Mercosur, car cela signifierait que la réciprocité serait rompue. En
effet, il n’y a pas de réciprocité quand la norme du Mercosur n’est pas en
vigueur, de manière uniforme, dans tous les États membres.
Autre argument, qui, à vrai dire, complète le précédent : selon l’article 2
§ 2 de la loi d’introduction au Code civil, alinéa 1, « la loi nouvelle qui éta-
blit des dispositions générales ou spéciales à côté de celles qui existent dé-

20. Cf. Recours extraordinaire n° 80.004, publié à la RTJ 83, p. 809-848.


21. Par exemple : Tribunal de Alçada Cível de Minas Gerais – appel civil n° 1726467, jugement du
22/06/94, Wagner Bueno Cateb contre Aerolíneas Argentinas ; rapporteur : juge Tenisson Fernan-
des, publié dans le COAD-ADV.
22. Recours spécial n° 58736 – MG ; jugement du 13/12/95 ; Wagner Cateb contre Aerolíneas Ar-
gentinas ; rapporteur : Eduardo Ribeiro.

50 – Droit et Société 59/2005


jà, ne révoque ni ne modifie la loi antérieure ». Or, il est possible de soute- Le cadre normatif
du Mercosur
nir que les normes du Mercosur sont spéciales par rapport aux autres nor-
mes du fait qu’elles traitent d’une matière spécifique l’intégration du Brésil
dans ce bloc régional. Ainsi, au Brésil, les normes du Mercosur ne peuvent
être affectées par des normes nationales postérieures, du moment que les
unes et les autres – les normes du Mercosur et les normes nationales – ont
des champs d’application distincts. S’il n’y a pas d’antinomie, il n’y a par
conséquent aucun motif d’écarter la norme du Mercosur ou la norme natio-
nale. Dans la décision citée plus haut, concernant le conflit entre traité et
loi interne, le Tribunal supérieur de justice a défendu le fait que le traité
était en vigueur 23.
On notera que cette règle est applicable tant aux normes internes géné-
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rales qu’aux normes internes spéciales. Ainsi, par exemple, une norme in-
terne générale – un nouveau Code de procédure civile – n’écarte pas l’appli-
cation des règles du Mercosur pour ce qui regarde les aspects proces-
suels 24. De même, une norme interne spéciale – une norme sur la défense
de la concurrence ou des droits du consommateur – n’écarte pas l’applica-
tion des règles du Mercosur sur la défense de la concurrence ou des droits
du consommateur 25.
Alors, en réunissant les deux arguments, il est possible de défendre
l’idée que le traité d’Asunción contient une règle d’abstention imposant aux
États membres la non-utilisation des normes nationales pour écarter l’appli-
cation du droit du Mercosur. En ce sens, plusieurs décisions arbitrales du
Mercosur indiquent qu’il existe une règle générale du Mercosur interdisant
aux États membres d’adopter ou de maintenir des normes qui contrarie-
raient les normes du Mercosur 26.
D’autre part, les normes du Mercosur, parce qu’elles traitent de ques-
tions spécifiques liées à l’intégration du Brésil à ce marché commun, se si-
tuent dans une aire distincte et ne sont pas affectées par des normes natio-
nales postérieures. La règle même d’abstention contenue dans le traité
d’Asunción est spécifique au Mercosur du fait qu’elle ne peut pas être écar-
tée par une loi générale brésilienne postérieure. À la lumière de ces argu-
ments, il n’est pas possible qu’une norme intérieure écarte l’application
d’une norme du Mercosur. Et lorsque cela se fait expressément, il ne s’agit
plus d’une confrontation entre la norme du Mercosur et une norme natio-
nale générale ou spéciale, mais d’une confrontation entre la norme du Mer-
cosur et une norme spécifique.

23. Recours spécial n° 58736 – MG ; jugement du 13/12/95 ; Wagner Cateb contre Aerolíneas Ar-
gentinas ; rapporteur : Eduardo Ribeiro.
24. Comme, par exemple, le protocole de Buenos Aires sur la juridiction en matière contractuelle,
promulgué par le décret 2.095/96 du 17 décembre.
25. Comme, par exemple, le Protocole de défense de la concurrence dans le Mercosur.
26. Première et troisième décisions arbitrales du Mercosur. Cf., par exemple, le troisième item III,
D, 2.

Droit et Société 59/2005 – 51


J. G. ASSIS DE ALMEIDA
Conclusion
Le Mercosur est aujourd’hui l’expérience d’intégration la mieux réussie
d’Amérique latine. Les États se sont réunis sans qu’il y ait eu d’influence
d’États extérieurs au bloc, pour créer un marché commun. En moins de
10 ans, a été mise en pratique une union douanière. Et cette dernière a
considérablement augmenté les échanges commerciaux à l’intérieur autant
qu’à l’extérieur du Mercosur. Les statistiques le montrent : au-delà des cri-
ses qu’il traverse, le Mercosur est une réussite.
Et pourtant, la perception générale est que, aujourd’hui, le Mercosur vit
une grave crise, qui irait jusqu’à mettre en question l’existence même de ce
bloc économique régional. Une perception à vrai dire motivée par un vigou-
reux contentieux commercial entre les États membres. Il est exact que le
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Mercosur passe par une crise de croissance, provoquée par son succès. Les
difficultés actuelles, qui vont du simple conflit commercial jusqu’aux inter-
rogations sur le fait de savoir où l’on va, ne doivent pas décourager. Tout au
contraire, ces difficultés sont la preuve la plus évidente du succès du Mer-
cosur. S’il n’y avait pas des échanges effectifs, il n’y aurait pas de conflit
commercial. Si le Mercosur n’était pas un succès, il ne s’interrogerait pas
sur son futur.
C’est vrai, le Mercosur se trouve actuellement à un moment stratégique.
Contrairement aux apparences, ce ne sont pas diverses voies qui s’offrent à
lui : en rester au niveau d’une union douanière, se maintenir au niveau de
l’union douanière en élargissant l’espace commercial à d’autres États d’Amé-
rique latine, approfondir les liens et concrétiser le marché commun, le faire
en intégrant d’autres États, etc. Le Mercosur n’a, en réalité, qu’une alterna-
tive : approfondir le lien entre les États membres en concrétisant le marché
commun et en l’élargissant aux autres États d’Amérique latine. C’est un
chemin truffé d’obstacles, aucun n’étant insurmontable. Il suffit de se rap-
peler combien peu crédible paraissait, en 1985, la possibilité que, en 2001,
il existât une union douanière entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et
l’Uruguay.
Quoique cela puisse paraître paradoxal, l’état de discorde que certains
se plaisent à relever constitue une démonstration claire du succès du Mer-
cosur. En effet, l’union douanière s’est concrétisée, de telle manière que le
Mercosur a accompli une étape de sa vie. Il est certain que la phase initiale
de cette étape a été celle qu’il était le plus facile de réaliser, en raison au-
tant de la situation économique de chacun des États membres que de la
conjoncture internationale, assez favorable. Les arrangements finaux ont
suscité davantage de problèmes, non que le Mercosur fût en crise, mais
parce qu’il s’agissait d’ajustements plus difficiles à réaliser. Ainsi convient-
il de ne pas confondre les difficultés de ces transactions avec une difficulté
générale de concrétisation du Mercosur.
Ce contentieux, néanmoins, permet de mettre le doigt sur le point de
savoir si le Mercosur dispose des organes adéquats pour passer à la phase

52 – Droit et Société 59/2005


suivante. En effet, le bilan de la situation actuelle de la structure institu- Le cadre normatif
du Mercosur
tionnelle du Mercosur pose la question du futur de ces institutions. Cette
question part du présupposé que la structure actuelle n’est pas définitive.
Et, certes, il serait risqué de prétendre que cette structure présenterait un
caractère définitif 27. Si l’on part du principe que les institutions pourront
être modifiées, il faut alors déterminer quels sont les défis qu’affronte ac-
tuellement le Mercosur. Ces défis peuvent être classés autour de trois thè-
mes majeurs 28.
Le premier est celui de l’approfondissement ; en d’autres termes, le
passage de l’union douanière au marché commun. Cet affermissement est
irréversible. Il n’est pas possible de maintenir l’intégration à son niveau ac-
tuel. C’est que le libre commerce a un impact si important sur les écono-
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mies nationales qu’il place les États membres dans l’obligation de s’intégrer
chaque fois davantage. Ainsi, il n’y a pas d’option entre continuer droit de-
vant ou en rester au stade actuel. Comme alternative, il n’y a qu’aller de
l’avant ou en finir avec le Mercosur.
Le second défi est celui de l’élargissement. La réunion des Présidents,
qui a eu lieu à Brasilia au début du mois de septembre 2000, a montré qu’il
existe une stratégie latino-américaine d’intégration 29.
Le troisième défi est celui des relations globales du Mercosur. Le Merco-
sur, aujourd’hui, est un « global trader », plus encore qu’un « global player ».
La participation du Mercosur dans le marché mondial est d’un peu plus de
1 %. Ainsi, il est urgent de tisser des relations avec l’Union européenne et
avec les pays asiatiques, et, certainement, aussi, avec les USA.
Or, les structures actuelles sont manifestement inadéquates pour per-
mettre au Mercosur d’affronter ces défis. Ainsi, l’approfondissement passe
par l’harmonisation et/ou l’unification d’un certain nombre de politiques
économiques. Les structures actuelles sont capables d’assurer l’élaboration
de politiques unifiées ; mais elles sont incapables d’assurer une unité dans
l’application des politiques, car ces dernières seront exécutées au niveau
national. La liste des normes qui restent à intégrer dans les ordres juridi-
ques nationaux prouve l’énorme difficulté de transposition des décisions
prises au niveau de la sphère du Mercosur dans la sphère nationale. Ce qui
se passe, c’est que, dans le cadre interne, les décisions prises au plan du
Mercosur sont des décisions du pouvoir exécutif et dont l’implémentation
dépend de la collaboration du pouvoir législatif et, parfois, du pouvoir judi-
ciaire.

27. D’ailleurs, l’article 47 du protocole d’Ouro Preto prévoit expressément la possibilité d’une fu-
ture révision de la structure institutionnelle.
28. Là encore, il faudra voir quel est le rôle effectif du Tribunal permanent de révision créé par le
protocole d’Olivos.
29. On mettra en évidence que, déjà, une décision de 2000 (32/2000), qui traitait spécifiquement
des Relations extérieures, prévoyait, d’ici la fin décembre 2001, la signature d’accords entre le
Mercosur et la Communauté andine, ainsi qu’entre le Mercosur et le Mexique.

Droit et Société 59/2005 – 53


J. G. ASSIS DE ALMEIDA Parler de l’approfondissement suppose encore qu’on évoque la question
du déficit démocratique du Mercosur. La production normative du Mercosur
est énorme. À ce jour 30, ce sont 357 décisions et 1 040 résolutions qui ont
été produites, soit au total 969 normes 31 – sans parler des actes de la
Commission du commerce du Mercosur. On discute, aujourd’hui, au niveau
du Mercosur, du problème des aliments transgéniques. Ces normes et ces
affaires vont affecter chaque fois davantage la vie de chaque citoyen du
Mercosur. Dans la structure actuelle, où donc est-il représenté ?
L’élargissement révèle encore une autre difficulté. Actuellement, les ré-
unions se déroulent dans l’espace des quatre États membres. Que se passe-
ra-t-il lorsqu’il y en aura six ou sept ? Les réunions supposeront des dépla-
cements plus importants, des pertes de temps et d’argent plus grandes. Plus
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encore : l’élargissement va créer des problèmes spécifiques et des diffi-
cultés concrètes. Comment va-t-on les résoudre ? Par la création de davan-
tage de sous-groupes de travail, de davantage de comités, de plus de forums ?
Autre exemple : le plan d’insertion globale du Mercosur. Le protocole
d’Outro Preto a doté le Mercosur de la personnalité juridique. Cette person-
nalité juridique présuppose une volonté juridique propre qui lui soit juridi-
quement imputable. La structure intergouvernementale rend difficile la sé-
paration entre la volonté du Mercosur et la volonté individuelle des États
membres. Ou, pire, subordonne la volonté du Mercosur à celle des États
membres.
Un troisième exemple peut être tiré du système de solution des contro-
verses, qui s’est révélé inefficace dans l’atténuation de l’impact des litiges
dans les relations entre les États membres.
Face à ces défis, il est possible de tenter un exercice (de divination ?)
destiné à déterminer l’avenir des institutions du Mercosur. Cet exercice peut
être effectué de deux manières : ce qu’on veut, ou ce qu’on ne veut pas
comme structure. Ce qu’on ne veut pas, sans aucun doute, est le modèle eu-
ropéen. On ne prétend nullement vouloir créer une « cathédrale gothique »
semblable à celle de la bureaucratie européenne. Ce qu’on souhaite découle
de la vision que les États membres ont du Mercosur. C’est, d’abord, claire-
ment, que le Mercosur n’est pas une superstructure supranationale. Le Mer-
cosur est une structure latérale. Le Mercosur n’est pas au-dessus des États
membres, mais il en constitue une extension. C’est comme si le Mercosur
était une péréquation, une annexe des États membres. Ainsi, le Mercosur
n’est pas une société dans laquelle les États membres seraient les associés.
Le Mercosur est plutôt une copropriété, si l’on peut se permettre une com-
paraison avec ces institutions du droit privé.
On peut ici faire à nouveau une comparaison avec l’Union européenne.
Quand l’Union européenne « perd » du pouvoir en faveur du niveau natio-
nal, le Mercosur a besoin, lui, d’augmenter son propre pouvoir. C’est comme

30. Statistiques du mois de juillet 2004.


31. À titre comparatif, au Brésil, moins de 2 000 lois ont été promulguées.

54 – Droit et Société 59/2005


si nous nous trouvions devant deux ascenseurs, celui de l’Union européenne Le cadre normatif
du Mercosur
qui descend du niveau supranational vers le niveau national et celui du
Mercosur qui a besoin de monter du niveau national vers le niveau suprana-
tional. Ainsi, ce dont on a besoin, c’est de la création, pour le Mercosur,
d’un système mixte, où existeraient des structures intergouvernementales et
des structures gouvernementales.
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