Vous êtes sur la page 1sur 25

L'influence du droit français sur le droit tunisien des

concentrations économiques
Riadh Jaidane
Dans Revue internationale de droit économique 2002/4 (t. XVI, 4), pages 655 à 678
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 2804139115
DOI 10.3917/ride.164.0655
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2002-4-page-655.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Association internationale de droit économique.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
L’INFLUENCE DU DROIT FRANÇAIS
SUR LE DROIT TUNISIEN
DES CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES

Riadh JAIDANE*
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
1 Introduction
2 Des conditions identiques d’exercice du contrôle
2.1 Le champ d’application
2.1.1 Les opérations soumises à contrôle
2.1.1.1 Les concentrations horizontales
2.1.1.2 Les concentrations verticales
2.1.1.3 Les concentrations hétérogènes
2.1.2 Les entreprises concernées
2.1.2.1 Les entreprises parties ou objet de l’acte de concentration
2.1.2.2 Les entreprises économiquement liées
2.2 Une application cumulative des seuils
2.2.1 La part de marché
2.2.2 Le chiffre d’affaires
3 Les similitudes des systèmes procéduraux
3.1 La notification
3.1.1 Le déclenchement direct
3.1.2 Le déclenchement indirect
3.2 L’appréciation de la concentration
4 Conclusion
Summary

* Doctorant en droit à l’Institut du Droit de la Paix et du Développement de l’Université de Nice-


Sophia Antipolis.
656 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

1 INTRODUCTION
La Tunisie a entamé depuis 1987 un vaste programme de réformes économiques
visant la réhabilitation des mécanismes de marché et l’ouverture accrue de son
économie sur l’extérieur. Conscient de la nécessité de mettre à niveau le droit tunisien
aux normes internationales, le législateur a procédé à un certain nombre de réformes
qui concernent pratiquement tous les domaines et en particulier le cadre réglemen-
taire, la fiscalité, la concurrence et les prix1.
Dans un contexte de libéralisation du commerce et de privatisation, la Tunisie a
été confrontée à des pratiques anticoncurrentielles, découlant des fusions-acquisi-
tions, réalisées par de très grandes entreprises ; elles concernaient principalement les
secteurs bancaire et financier, ainsi que celui du tourisme.
Face à ce phénomène de globalisation et de concentration des entreprises qui
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
suscite inquiétude et interrogation chez certains agents économiques2, notamment les
petites et moyennes entreprises, le législateur tunisien ne pouvait que constater
l’importance du contrôle qui doit permettre, par une régulation fine prenant en
considération les caractéristiques structurelles du marché tunisien, d’en préserver a
priori le fonctionnement régulier.
L’idée du contrôle des concentrations économiques n’est pas totalement inédite
en Tunisie3. Son apparition, organisée et structurée dans un texte général et intégral,
remonte au premier projet d’une loi sur la concurrence en 1985 qui comportait un titre
spécial sur le contrôle des concentrations. Ce titre fut finalement abandonné au motif
que, d’une part, l’économie tunisienne n’avait pas atteint, à cette époque, un niveau
de développement exigeant ce type de contrôle et que, d’autre part, cet aspect ferait
l’objet d’une réglementation spéciale, une fois l’ensemble des réformes économi-
ques arrivées à terme.

1. Voir dans ce sens l’étude de Béchir BEL HADJ YAHYA, « Examen diagnostique, identification des
insuffisances et proposition de réforme sur le droit tunisien de la concurrence et de la consomma-
tion », Programme stratégique de réforme de la législation tunisienne, Ministère tunisien de la
justice, Tunis 1998, p. 20.
2. Voir dans ce sens Mohamed BEN FRADJ, « La globalisation des échanges et ses implications sur
les politiques de concurrence », Conjoncture n° 195, novembre 1995, p. 10 ; Farhat TOUMI, « Pour
la création d’un cadre juridique des opérations de concentration et de regroupement des sociétés »,
Revue de Jurisprudence et de Législation, février 1994, p. 6.
3. Plusieurs textes juridiques ont évoqué la question de la concentration ou de la restructuration des
entreprises. L’article 57 p. 7 du Code de commerce l’indique en ce qui concerne les effets de la
concentration sur les actions des sociétés intégrées ; l’article 15 p. 1 de la loi 25/1994 relative à
l’organisation des professions de banque exige l’autorisation administrative pour les concentrations
des banques ; l’article 24 de la loi n° 89-9 du 1er février 1989 relative aux participations, entreprises
et établissements publics a créé une commission spéciale pour donner son avis sur la concentration
des entreprises dont l’État participe directement au capital.
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 657

Néanmoins, devant le développement des opérations de restructuration et


d’intégration structurelle des entreprises, les concentrations économiques se multi-
plient de plus en plus afin de répondre à un contexte de mondialisation caractérisé par
une rude compétition. Le législateur va ainsi reprendre son projet du contrôle des
concentrations en complétant la loi de 1991 relative à la concurrence et aux prix par
la loi n° 95-42 du 24 avril 1995. Le mécanisme mis en place n’a pas pour objectif
d’interdire des concentrations d’entreprises, lesquelles sont le plus souvent utiles
pour permettre une restructuration des secteurs industriels et commerciaux, ainsi que
pour favoriser des accroissements de productivité et une amélioration de la compé-
titivité internationale. Il cherche seulement à éviter les effets nocifs que certains
regroupements sont susceptibles d’avoir sur la libre concurrence sur les marchés.
Les articles 7, 7bis et 8 de la loi sur la concurrence n’ont donc essentiellement
qu’une finalité préventive destinée à éviter l’apparition de structures dont les
inconvénients pour la concurrence dépassent les avantages offerts sur le plan
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
économique.
L’influence des principes adoptés par le législateur français dans les articles 38
à 444 de l’Ordonnance française n° 86 – 1243 du 1er décembre 19865 est manifeste sur
ces articles, autant au niveau des conditions d’exercice du contrôle, que concernant
les procédures suivies, malgré certaines divergences entre les choix des deux
législateurs. Cette affiliation est d’autant plus intéressante car non seulement elle
reflète l’intérêt que le modèle français du contrôle des concentrations peut avoir pour
d’autres pays, mais aussi car elle a des limites très révélatrices. En effet, le droit
tunisien n’a pas suivi le développement ultérieur du droit français et n’a pas, à ce jour,
connu une réforme aussi profonde que celle apportée aux articles 38 à 44 de
l’Ordonnance française de 1986 par la loi n° 2001/420 du 15 mai 2000 sur les
nouvelles régulations économiques (loi NRE)6. Nous reviendrons sur ces limites lors
de notre conclusion, mais, pour la présentation comparative du droit tunisien, nous
nous tiendrons largement au droit français précédent, la vraie source d’inspiration du
législateur tunisien, tout en signalant, si besoin est, les différences entre l’ancien et
le nouveau droit français du contrôle des concentrations.

2 DES CONDITIONS IDENTIQUES D’EXERCICE


DU CONTRÔLE
La lecture des rapports annuels de la Commission puis du Conseil de la concurrence
en Tunisie nous montre que ces deux organes se réfèrent souvent dans plusieurs arrêts
et avis consultatifs au droit communautaire de la concurrence et aux droits nationaux
de certains États membres, notamment le droit français, pour justifier les prohibitions

4. Les articles 38 à 44 ont été regroupés dans l’article 430 du nouveau Code de commerce.
5. JORF du 9 déc. 1986.
6. JORF du 16 mai 2001, p. 7776.
658 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

ou les exceptions à l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles ou pour contrôler


une opération de concentration économique7.
En ce qui concerne plus particulièrement le contrôle d’une opération de concen-
tration en Tunisie, il s’exerce dans des conditions et selon des critères qui sont
presque identiques à ceux adoptés par l’Ordonnance française de 1986, tant au niveau
du champ d’application de la contrôlabilité qu’au niveau des critères de détermina-
tion des opérations de concentration contrôlables.

2.1 Le champ d’application


Le champ d’application du contrôle d’une opération de concentration concerne,
tantôt les entreprises acteurs de l’opération, tantôt sa nature et son objet.
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
2.1.1 Les opérations soumises à contrôle
Le législateur tunisien ne définit pas la concentration en elle-même, préférant décrire
les modalités juridiques conduisant à une telle opération. Il adopte l’approche suivie
par plusieurs droits étrangers qui définissent rarement la concentration. C’est le cas
du législateur français dans l’article 39 de l’Ordonnance française de 19868. Cet
article a été reproduit par le législateur tunisien dans l’article 7 paragraphe 1 de la loi
tunisienne sur la concurrence9. La formule adoptée est la même. Le champ d’appli-
cation couvre d’un côté un transfert total ou partiel de propriété ou de jouissance sur
tout ou partie des biens, droits et obligations d’une entreprise et de l’autre côté les
opérations permettant à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer
« directement ou indirectement une influence déterminante sur une ou plusieurs
autres entreprises ».

7. Ainsi, on peut lire à titre d’exemple dans un avis consultatif « qu’il résulte des articles 5 et 6 de la
loi tunisienne relative à la concurrence et aux prix qui sont imprégnés de la jurisprudence
communautaire relative à l’application des articles 85 et 86 du traité du 25 mars 1957 et de la
jurisprudence du Conseil français de la concurrence correspondante à l’application des articles 7 et
8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 » ; Avis consultatif relatif au contrat de distribution sélective
de la société Fleuron concernant la marque de parfum Guerlain, Rapport annuel du Conseil de la
concurrence de 1997, annexe 10, p. 121.
8. Art. 39 de l’Ordonnance française de 1986, devenu art. L. 430. p. 2 du nouveau Code de commerce :
« La concentration résulte de tout acte, quelle qu’en soit la forme, qui emporte transfert de propriété
ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d’une entreprise ou qui a pour objet,
ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer, directement ou
indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante. »
9. Art. 7. p. 1 de la loi tunisienne relative à la concurrence : « Au sens de cette loi, la concentration
résulte de tout acte, quelle qu’en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance
de tout ou partie des biens, droits ou obligations d’une entreprise ayant pour objet, ou pour effet, de
permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer, directement ou indirectement, sur
une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante. »
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 659

Cependant, il convient de souligner que si le législateur français a adopté, dans


l’Ordonnance de 1986, une approche alternative, entre l’élément de concentration
d’actifs ou l’élément de concentration des pouvoirs, pour définir la concentration, le
législateur tunisien a choisi de s’aligner sur le modèle communautaire qui cumule ces
deux éléments. Ainsi, pour qu’une opération de concentration soit contrôlable, elle
doit résulter d’un acte de transfert de propriété ou de jouissance, ayant pour effet
d’exercer une influence déterminante.
Néanmoins, la loi française n° 2001-420 du 15 mai 2001, NRE, a modifié
considérablement le titre III du livre IV du Code de commerce consacré au contrôle
des concentrations. Le nouvel article L. 430-1 est aligné sur l’article 3 du règlement
communautaire 4064/89 du 20 décembre 1989. La concentration est désormais
définie soit par son mode de réalisation, fusion entre entreprises antérieurement
indépendantes, soit par son résultat, l’acquisition du contrôle, lequel est défini,
comme la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de l’entre-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
prise10.
Le Conseil tunisien de la concurrence a appliqué à la lettre l’article 7. Il a qualifié,
à titre d’exemple, l’achat par la société Total et la société Mobil de 25 % des actions
de la société Esso d’opération de concentration économique. Il a justifié son choix
par une démonstration dans laquelle il a révélé que cette opération d’achat des actions
représentait un acte qui emporte un transfert de droits et qui permet aux deux
premières sociétés d’exercer leur influence sur la troisième11.
L’influence déterminante a été analysée par le Conseil comme une action opérée
lorsqu’une entreprise exerce directement ou indirectement une influence sur une
autre entreprise. Il s’agit d’influencer ses décisions, sa stratégie, ses actions en
exerçant sur elle un certain contrôle lui faisant perdre son autonomie d’action, mais
pas son indépendance juridique. Cette notion d’influence déterminante n’est pas
définie clairement par le législateur tunisien, ce qui peut poser quelques problèmes
d’interprétation : dans quel domaine l’influence déterminante se manifeste-t-elle ?
Dans la gestion, la stratégie du marché de l’entreprise ou la prise de décision… ? Et
à partir de quel moment l’influence devient-elle déterminante ? Les autorités
chargées du contrôle doivent rechercher la réalité économique au-delà des formes
juridiques adoptées par les entreprises qui participent à la concentration. Le contrôle
de cette dernière se base en effet sur le principe de la neutralité des formes. Le
caractère déterminant de l’influence est établi, non pas par rapport à un critère
juridique strict, mais par rapport à une approche plus large, à la fois économique,
juridique et technique. C’est sur le critère de prise de contrôle qu’est basé tout acte

10. Pour plus de précisions, voir Laurence IDOT, « La réforme du contrôle français des concentrations »,
JCP E Semaine Juridique (édition entreprise), Cahiers de droit de l’entreprise ; Supplément à la
Semaine Juridique n° 40, 4 octobre 2001, pp. 1-8.
11. Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 1/99 du 11 février 1999 relatif à une concentration
économique dans le domaine des huiles des moteurs et des appareils industriels, Rapport annuel du
Conseil de la concurrence de 1999, p. 67.
660 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

de concentration. La prise de contrôle est une notion juridique qui désigne de manière
générique les opérations de concentration. Elle suppose une qualification de faits en
vertu d’un critère permettant de savoir s’il y a ou non contrôle. Il s’agit d’un lien entre
des entités économiques qui confère à son détenteur un certain pouvoir sur l’entité
contrôlée. L’article 7 de la loi sur la concurrence ne mentionne pas expressément la
prise de contrôle, en choisissant une notion qui semble être plus large, l’influence
déterminante. La prise de contrôle pourrait prendre plusieurs formes : horizontale,
verticale ou même hétérogène. Dans certains cas, les concentrations sont à la fois
horizontales et verticales.

2.1.1.1 Les concentrations horizontales


La prise de contrôle de caractère horizontal est manifestement le genre d’opération
qui contribue le plus directement à la concentration de la puissance économique et
qui est le plus propre à créer une position dominante de force sur le marché et, partant,
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
à réduire ou à supprimer la concurrence. Si le Conseil de la concurrence constate
qu’une opération de concentration provoque un abus de position dominante, il peut,
en vertu de l’article 20 de la loi sur la concurrence, proposer au ministre chargé du
commerce d’enjoindre à l’entreprise en cause de modifier, de compléter ou de résilier
les actes par lesquels s’est réalisée la concentration12.
D’après les derniers rapports du Conseil de la concurrence, on remarque que les
fusions horizontales d’entreprises, qui sont acceptées par le Conseil de la concur-
rence si des effets économiques positifs en résultent, se multiplient rapidement. Ces
concentrations diminuent mécaniquement le nombre d’opérateurs actifs sur chaque
marché. Les marchés oligopolistiques peuvent favoriser la conclusion d’ententes,
mais ils peuvent aussi déboucher sur des pratiques de prix élevés, sans que les
opérateurs aient besoin de s’entendre, chacun anticipant rationnellement les réac-
tions des autres. Le Conseil de la concurrence se trouve alors face à une double
difficulté : distinguer les pratiques sanctionnables de celles qui ne le sont pas ;
trouver éventuellement les moyens de lutter contre ces comportements non coopé-
ratifs, ce qui, dans l’état actuel du droit, ne peut que prendre la forme d’une vigilance
accrue dans l’exercice du contrôle des concentrations. La concentration de la grande
distribution pose, elle aussi, ce type de problèmes, y compris au niveau local.
L’ouverture en avril dernier (an 2000) du premier hypermarché en Tunisie (Carre-
four) est en train de modifier l’état des choses.

12. Article 20 paragraphe 2 : « Le conseil de la concurrence peut, en cas d’exploitation abusive d’une
position dominante, proposer au ministre chargé du commerce d’enjoindre, le cas échéant conjoin-
tement avec le ministre dont relève le secteur intéressé, par décision motivée, à l’entreprise ou au
groupe d’entreprises en cause, de modifier, de compléter ou de résilier, tous accords et tous actes par
lesquels s’est réalisée la concentration qui a permis les abus, et ce nonobstant l’accomplissement des
procédures prévues aux articles 7 et 8. »
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 661

2.1.1.2 Les concentrations verticales


La prise de contrôle de caractère vertical concerne des entreprises situées à des stades
différents du circuit de production et de distribution et risque d’avoir un certain
nombre d’effets négatifs. Par exemple, un fournisseur qui fusionne avec un client ou
l’absorbe peut étendre sa mainmise sur le marché en fermant un débouché effectif ou
virtuel aux produits de ses concurrents. En absorbant un fournisseur, un client peut,
de la même façon, limiter l’accès de ses concurrents aux approvisionnements. Le
Conseil de la concurrence a qualifié d’intégration verticale l’opération par laquelle
la société PAF, qui exerce dans l’industrie des métaux, absorbe la société F3T,
spécialiste dans l’expertise des métaux13.
Au-delà des effets directs de nature horizontale ou verticale, une concentration
peut produire des effets susceptibles de créer ou de renforcer une position dominante
comme l’effet de gamme (portfolio effect) ou encore la faculté de lier la vente de
produits complémentaires (bundling). D’ailleurs, l’article 7 de la loi sur la concur-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
rence mentionne expressément dans son alinéa 2 que certaines opérations peuvent
être de nature à créer une position dominante sur le marché intérieur ou une partie
substantielle de ce marché. Ces effets indirects ont pendant longtemps été traités par
la Commission européenne de manière accessoire par rapport aux effets dits directs
que constituent les chevauchements horizontaux et verticaux14, et n’étaient le plus
souvent évoqués qu’à titre supplétif pour confirmer ou exclure un risque de position
dominante.

2.1.1.3 Les concentrations hétérogènes


La prise de contrôle de caractère hétérogène, unissant des sociétés qui ne sont ni des
concurrents ni des entreprises ayant un lien vertical (c’est-à-dire aux activités tout à
fait différentes), est beaucoup plus difficile à maîtriser, car, selon toute apparence,
son existence ne devrait pas modifier la concurrence sur les marchés. L’élément le
plus important à prendre en considération est, dès lors, le surcroît de puissance
financière que l’opération donnera aux parties en cause. Un renforcement considé-
rable de la puissance financière du nouvel ensemble pourrait élargir son champ
d’action et son pouvoir vis-à-vis des concurrents effectifs ou virtuels à la fois de
l’entreprise absorbée et de l’entreprise acquéreur, surtout si l’une ou l’autre, ou les
deux, occupent une position dominante sur le marché15.

13. Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 2/1999 du 18 février 1999 relatif à une concentration
économique entre PAF et F3T, Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p. 74.
14. Voir affaire COMP/M.2220 – General Electric/Honeywell : JOCE no C 074 du 07/03/2001, p. 6 ;
Affaire COMP/M.2283 – Schneider/Legrand : JOCE no 109 du 10/04/2001, p. 7 ; Affaire COMP/
M.2416 – Tetra Laval/Sidel : JOCE no C 196 du 12/07/2001, p. 6 ; Affaire no IV/M.1630 – Air
Liquide/BOC : JOCE no C 266 du 21/09/1999, p. 4.
15. Pour plus de détails sur l’évolution de la notion d’effets dans la jurisprudence communautaire, lire
la chronique de Nathalie JALABERT-DOURY, « Concurrence européenne et internationale »,
RDAI, n° 8, 2001.
662 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

Le critère de prise de contrôle peut cependant soulever certains points d’interro-


gation en droit tunisien, notamment en ce qui concerne l’intensité du contrôle et
l’usage du contrôle acquis. Certaines opérations pourraient échapper au champ
d’application de l’article 7, si on l’interprète strictement. C’est le cas des filiales
communes qui connaissent un développement remarquable en Tunisie. La création
de filiales communes est une forme de coopération structurelle entre entreprises qui
gardent toutefois leur autonomie. Cette opération pose un problème de qualification
et de savoir s’il s’agit d’une concentration ou d’une entente. Cette interrogation peut
constituer un facteur d’insécurité juridique pour les entreprises concernées. Le
problème ne se limite pas au droit tunisien, mais il concerne tous les droits de la
concurrence qui connaissent un double contrôle, sur les pratiques
anticoncurrentielles d’une part, sur les concentrations de l’autre16.
Le Conseil tunisien de la concurrence ne s’est pas encore prononcé sur des avis
relatifs à des filiales communes considérées comme des concentrations. En revanche,
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
la Commission, la structure qui a précédé le Conseil, a eu affaire à des opérations
concernant des filiales communes dans sa décision Poulina 2/9417, mais c’était avant
la modification de la loi sur la concurrence en 1995 qui a introduit le contrôle des
concentrations.
Depuis cette modification, le Conseil de la concurrence n’a pas été souvent
consulté par le ministre chargé du commerce pour des concentrations économiques.
Dans les rares avis qu’il a adoptés, le Conseil a essayé d’observer largement la notion
de l’influence déterminante prévue par l’article 7 pour qualifier les opérations
examinées de concentrations. Le droit tunisien, comme d’ailleurs le droit français,
manque, dans la loi sur la concurrence, d’illustrations pratiques des opérations de
concentrations. C’est une tâche qui a été laissée au Conseil. Ce dernier a décrit, à titre
d’exemple dans son avis relatif à un projet de concentration entre la Société
tunisienne des explosifs et des munitions et la société Nitragel, l’opération comme
« un transfert de propriété d’une entreprise à une autre, au sens de l’article 7 de la loi
sur la concurrence qui n’aura pas d’influence sur la situation du marché et sur
l’approvisionnement des clients18 ». Le rachat d’une entreprise par une autre suppose
habituellement que la seconde achète la totalité des actions de la première ou un
pourcentage suffisant pour pouvoir exercer le contrôle et il peut avoir lieu sans le

16. Le droit communautaire a connu la même difficulté de qualification des filiales communes, en
appliquant le règlement 4064/89. La réforme du 30 juin 1997 a apporté une certaine solution. Les
entreprises communes structurelles, c’est-à-dire celles accomplissant de manière durable toutes les
fonctions d’une entité économique autonome, sont depuis le 1er mars 1998 analysées comme des
concentrations, si les seuils communautaires sont franchis ; voir, pour plus de détails, Commission
européenne, Communication relative à la notion d’entreprises communes de plein exercice, JOCE
n° C 66 du 2 mars 1998, p. 1.
17. Affaire n° 2/1994 (Ministre de l’économie nationale contre les sociétés Poulina, Mornag Ezzahra,
Jenan et le Coq), Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1997, annexe n° 8, p. 87.
18. Avis n° 1/1998 du 7 mai 1998 relatif à une concentration économique dans le secteur des explosifs
à fins civiles entre la Société tunisienne des explosifs et des munitions et la société Nitragel, Rapport
annuel du Conseil de la concurrence de 1998, p. 86.
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 663

consentement de l’entreprise absorbée. Le Conseil a qualifié de concentration


l’opération par laquelle la société Promogaz cède ses actifs à la société Botagaz qui
prend en charge ses dettes et augmente son capital en créant de nouvelles parts
accordées aux actionnaires de la société dissoute19. Il a considéré que l’acte présente
un transfert total des droits et des obligations. La même démarche a été suivie dans
l’avis relatif à une fusion entre la société F3T et la société PAF, où la première cède
ses biens à la deuxième qui prend en charge ses dettes, augmente son capital et crée
des nouvelles actions20.
En tous cas, la liste des actes établie par l’article 7 de la loi sur la concurrence
n’est pas limitative, car la définition juridique des opérations ne pourrait pas
appréhender d’une manière exhaustive les possibilités multiples pour effectuer les
rapprochements, notamment avec l’évolution rapide de la vie économique et l’ap-
parition de nouvelles formes de transactions et d’entreprises.
L’entreprise est examinée ici, comme elle l’a été dans le droit des pratiques
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
anticoncurrentielles.

2.1.2 Les entreprises concernées


La notion d’entreprise est souvent difficile à appréhender car il s’agit d’un concept
économique qui bouscule les définitions juridiques dans des domaines très différents.
Si le rôle de cette notion est bien connu, paradoxalement, un certain flou semble
régner lorsqu’il s’agit d’en déterminer le contenu21.
Elle est entendue, comme dans toutes les dispositions du droit de la concurrence,
en tant qu’entité exerçant une activité économique (élément matériel) et dotée d’une
organisation autonome (élément structurel). L’existence de l’entreprise est indépen-
dante de la forme juridique adoptée, de la personnalité morale, du caractère lucratif
ou non de l’activité exercée et du mode de financement.
La Commission de la concurrence a affirmé, dans l’affaire Apple. IMSI contre
I.BLIS-SISR-Société du Progrès Informatique, que l’entreprise est reconnue par ses
activités et non par sa forme juridique. Il suffit qu’elle soit un agent économique qui
exerce une activité économique sans tenir compte qu’elle est une personne physique
ou morale22.
L’orientation de la Commission de la concurrence en Tunisie s’allie à celle de
la Cour de justice des Commautés européennes qui considère que la reconnaissance
à une filiale d’une personnalité juridique distincte ne suffit pas pour écarter la

19. Avis n° 11/1998 du 10 décembre 1998 relatif à la concentration entre Promogaz et Botagaz, Rapport
annuel du Conseil de la concurrence de 1998, p. 113.
20. Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 2/1999 du 18 février 1999 relatif à une concentration
économique entre PAF et F3T, Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p. 74.
21. M.-C. BOUTARD-LABARDE et G. CANIVET, « Droit français de la concurrence », Paris, LGDJ,
1995, n° 8, p. 11.
22. Affaires n° 3-4-5/1993, Apple. IMSI contre I.BLIS-SISR-Société du Progrès Informatique, Rapport
d’activité du Conseil de la concurrence de 1993-1994, p. 44.
664 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

possibilité de voir son comportement imputé à la société mère. Tel peut être
notamment le cas lorsque la filiale ne détermine pas, de façon autonome, son
comportement sur le marché, mais applique, pour l’essentiel, les instructions qui lui
sont imparties par la société mère23.
Le législateur tunisien évoque les notions d’entreprise et de groupe d’entreprises
sans les définir, ni les distinguer. La Commission de la concurrence a même jugé dans
l’affaire Poulina qu’« il n’y avait pas de différence entre une entreprise ou un groupe
d’entreprises sur le plan de la qualification juridique » ; elle a considéré qu’il n’était
pas nécessaire pour la considération d’un groupe en tant qu’entreprise qu’il existe une
personnalité juridique propre, mais qu’il suffisait d’avoir des relations financières,
commerciales ou structurelles entre des entreprises qui peuvent garder leur indépen-
dance juridique24. Ces relations existent dans cette affaire entre un groupe d’entrepri-
ses grâce à l’unité des sources de financement, l’unité des organes de gestion et de
contrôle, l’unité de la stratégie de vente et l’unité du siège social. La position de la
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
Commission de la concurrence a été confirmée par le législateur lorsqu’il a introduit
le contrôle des concentrations en 1995.
Le législateur tunisien suit son homologue français dans sa détermination du
champ d’application du contrôle. L’alinéa 3 de l’article 7 prévoit que ses dispositions
s’appliquent à toutes les entreprises concernées par l’opération de concentration,
qu’elles en soient parties à l’acte ou objet, ainsi qu’aux entreprises qui leur sont
économiquement liées.

2.1.2.1 Les entreprises parties ou objet de l’acte de concentration


Ce sont celles qui ont effectivement réalisé une concentration par un acte, quelle
qu’en soit la forme. En faisant référence à la notion d’acte, le législateur tunisien a
voulu exclure du champ du contrôle les concentrations économiques issues d’une
croissance interne à l’entreprise ou de l’accroissement de l’importance d’une même
entreprise dû aux circonstances économiques ou à un progrès technique. Le législa-
teur a choisi toutefois de soumettre au contrôle toute opération constituant une
croissance externe de l’entreprise. Peuvent être considérés comme actes conduisant
à des concentrations, la fusion de sociétés, l’OPA/OPE, la cession d’une filiale par
sa société mère, l’acquisition d’une participation ou de contrôle. Parmi les actes
emportant transfert de jouissance, on peut citer les contrats de location-gérance, les
licences de droits de propriété industrielle. Bien que l’article 7 de la loi sur la
concurrence mentionne le transfert de biens, droits et obligations, la concentration ne
se réduit pas aux transmissions de tout ou partie du patrimoine d’une entreprise.

23. Arrêt du 21 février 1973, Europemballage Corporation et Continental Can Company / Commission,
aff. 6-72, Rec. 1973, p. 215.
24. Commission de la concurrence, affaire n° 2/1994, Ministre de l’économie nationale contre les
sociétés Poulina, Mornag Ezzahra, Jenan et le Coq, Rapport annuel du Conseil de la concurrence de
1997, annexe 8, p. 87.
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 665

L’évolution constante des transactions impose une interprétation plus large25. Ainsi
que des apports en société, des apports en numéraire ou en nature peuvent rentrer dans
la définition de l’acte précité.

2.1.2.2 Les entreprises économiquement liées


Ce sont celles avec lesquelles les entreprises objet ou parties de l’acte nouent des
liens, de quelque nature qu’ils soient. Ces liens peuvent être formels ou informels
comme les relations entre société mère et filiales, la prise de participation, juridiques,
financiers ou économiques, comme par exemple dans le cas des entreprises dont les
parties détiennent un volume de créances important.
Le champ des « entreprises économiquement liées » s’apprécie au cas par cas,
car la volonté du législateur a été de refléter la réalité économique, sans s’arrêter à
des formes juridiques.
Le législateur tunisien s’est inspiré de l’Ordonnance française dans cette
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
distinction ainsi que du droit allemand qui distingue les entreprises participantes, les
entreprises liées et les parts d’actifs substantielles.
Le champ d’application du contrôle des concentrations est donc très large. Il peut
concerner un nombre illimité d’opérations. C’est ainsi que le législateur est intervenu
dans le dispositif relatif au contrôle des concentrations pour limiter les possibilités
du contrôle, en fixant certains critères.

2.2 Une application cumulative des seuils


Dans tous les systèmes de contrôle des concentrations, l’exercice du contrôle est
soumis à des seuils pour juger du degré de concentration de la puissance économique
et le droit tunisien de la concurrence n’a pas échappé à cette règle. En revanche, le
législateur tunisien n’a pas suivi, cette fois-ci, l’exemple français à la lettre. Le
mécanisme prévu par l’Ordonnance de 1986 (avant l’adoption de la loi du 15 mai
2001, NRE) avait recours à des seuils alternatifs, soit deux seuils cumulatifs en
chiffres d’affaires, soit un seuil en parts de marché. Le législateur tunisien a retenu
dans l’article 7 de la loi sur la concurrence les mêmes seuils, mais qui s’appliquent
cumulativement, d’une part, les parts de marché, et de l’autre, le chiffre d’affaires
global réalisé par les entreprises. L’alinéa 3 de cet article prévoit en effet, que ses
dispositions s’appliquent « sous la double condition que :
– la part de ces entreprises réunies dépasse durant le dernier exercice 30 % des
ventes, achats ou toutes autres transactions sur le marché intérieur pour des biens,
produits ou services substituables ou sur une partie substantielle de ce marché ;

25. Cfr Jaouida GUIGA, « Le droit tunisien de la concurrence à l’ère de la mondialisation », Centre de
Publication Universitaire, Collection M/ Sciences juridiques, Tunis 2002, p. 78.
666 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

– le chiffre d’affaires global réalisé par ces entreprises sur le marché intérieur
dépasse un montant déterminé par décret ».

Cette double condition de seuil s’explique par le souci d’éviter le contrôle d’opéra-
tions mineures (rachat par exemple d’une boulangerie par un important hyper-
marché).

2.2.1 La part de marché


Le droit tunisien ne définit pas clairement la notion du marché. Il se borne à prévoir
dans l’article 7 que ses dispositions s’appliquent sur le marché intérieur des biens,
produits ou services substituables, ou une partie substantielle de ce marché. Ce
marché de référence est bidimensionnel : il comprend, d’une part, les biens, produits
et services pour lesquels les entreprises concernées se trouvent en concurrence avec
d’autre entreprises, et d’autre part, l’espace géographique dans lequel se situe cette
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
concurrence.
Ainsi, ne seront pris en considération pour un marché donné que les produits ou
services que le consommateur considère comme substituables en raison de leurs
caractéristiques, de leurs prix et de l’usage auquel ils sont destinés.
En droit tunisien, comme en droit français, les marchés affectés sont donc ceux
où opèrent les entreprises parties à la concentration. Il s’agit toujours des parts de
marché en Tunisie pour l’article 7 de la loi tunisienne sur la concurrence et des parts
de marché en France pour l’article 38 de l’Ordonnance française (article L.430-1 du
nouveau Code de commerce).
L’article 7 alinéa 3 exige que les entreprises concernées aient réalisé ensemble
sur le marché intérieur de biens, produits ou services substituables ou sur une partie
substantielle de celui-ci, plus de 30 % des ventes, achats ou autres transactions. Les
entreprises liées dont il y a lieu de tenir compte doivent être concernées par
l’opération en cause (activités de production ou de distribution de produits similaires
ou substituables). Le législateur a voulu exclure les opérations minimes de son champ
du contrôle. Le Conseil tunisien de la concurrence a considéré à titre d’exemple que
la fusion de deux unités hôtelières Sadrabal Port Kantaoui et Sadrabal Jerba avec
Sadrabal Thalassa ne peut pas être contrôlée en tant qu’opération de concentration
économique puisque la part de marché des deux hôtels est de 3,32 % et n’atteint pas
ainsi les 30 % exigés par l’article 7 alinéa 3 de la loi de la concurrence26.
Mis à part quelques entreprises employant plus de 500 personnes qui peuvent
être considérées comme des grandes entreprises, relevant pour la plupart des secteurs
public et financier, la majorité des entreprises tunisiennes sont des unités privées très

26. Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 13/99 du 16 décembre 1999 relatif à la fusion de
deux sociétés Sadrabal Port Kantaoui et Sadrabal Jerba dans la société Sadrabal Thalassa, Rapport
annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p. 102.
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 667

petites dont les chiffres d’affaires ne répondent pas aux conditions de contrôlabilité
des concentrations économiques. En effet, la part des entreprises comptant moins de
six employés est demeurée constante à environ 82 % depuis 1987. En 1996, seules
quelque 1400 entreprises sur un total d’environ 87 000 comptaient plus de 100
employés27. La taille restreinte des entreprises s’explique par deux facteurs princi-
paux : d’une part, les entrepreneurs tunisiens ont été jusqu’à présent réticents à ouvrir
la propriété de l’entreprise hors du cercle familial. Leurs choix d’investissement se
limitent souvent à des petits projets sans prendre des risques majeurs. D’autre part,
la politique protectionniste menée par la Tunisie pendant plus de trois décennies qui
a mis des barrières importantes à l’entrée des importations a privilégié ces petits
projets qui ne répondent pas à la condition du seuil exigée par l’article 7 de la loi de
la concurrence.
À travers les différents avis consultatifs du Conseil tunisien de la concurrence,
certaines difficultés dans la détermination des parts de marché peuvent être consta-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
tées. Les seuils en part de marché ont en effet l’inconvénient de nécessiter une
délimitation préalable du marché pertinent, opération qui peut s’avérer excessive-
ment lourde et qui allonge considérablement la phase préalable au contrôle28. Pour
simplifier l’appréciation des critères du contrôle et accélérer sa réalisation, l’abandon
des seuils en part de marché au profit de seuils en chiffre d’affaires ne s’impose t-il
en droit du contrôle des concentrations ? L’idée trouvera t-elle un écho auprès du
législateur tunisien, surtout après la réforme du droit français du contrôle des
concentrations qui a renoncé aux seuils en part de marché au profit du seul seuil en
chiffre d’affaires ?

2.2.2 Le chiffre d’affaires


La deuxième condition exigée par l’alinéa 3 de l’article 7 est la réalisation d’un
chiffre d’affaires global qui dépasse un montant déterminé par décret. Le décret
n° 95–1215 du 10 juillet 1995 a fixé ce montant à trois millions de dinars tunisiens29.
Cependant, comment calculer ce chiffre d’affaires ? Le droit tunisien suit la
méthode choisie par le législateur français dans l’article 27 du décret du 29 décembre
198630, en indiquant dans l’alinéa 4 de l’article 7 de la loi sur la concurrence que la
notion de chiffre d’affaires s’entend de la différence entre le chiffre d’affaires global

27. Consulter l’étude de Marouane EL ABASSI, « Accord d’association et politique de la concurrence


en Tunisie », dans Séminaire sur « La politique de concurrence et négociations multilatérales »
organisé par CNUCED, Ministère du commerce et Conseil de la concurrence, Tunis, 28-29 mars
2002.
28. Cfr le mémoire d’Ilyés BOUKADIDA, « Le contrôle des opérations de concentration économique
en Tunisie », Mémoire de fin de stage au barreau de Tunis, 1998.
29. L’équivalent approximatif de 223 000 euros.
30. Décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, fixant les conditions d’application de l’Ordonnance
française n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée
par le décret no 88 – 479, du 2 mai 1988, JORF, 30/12/1986 et 3/5/1988.
668 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

hors taxes de chacune de ces entreprises et la valeur comptabilisée de leurs


exportations directes ou par mandataire. Il s’agit du chiffre d’affaires toutes activités
confondues et non du chiffre d’affaires sur les marchés affectés par l’opération. Le
législateur tunisien a été silencieux en ce qui concerne la période de référence du
calcul du chiffre d’affaires mais les quelques avis consultatifs relatifs à des opérations
de concentrations économiques pris par le Conseil tunisien de la concurrence
montrent qu’il prend en compte l’année du dernier exercice comptable clos31.
Il convient de signaler qu’en vue d’inciter les entreprises tunisiennes à l’expor-
tation, le chiffre d’affaires à l’exportation est exclu du calcul de la part de marché.
Ainsi, seul le marché intérieur est pris en considération.
L’influence du droit français est évidente sur la délimitation du champ d’appli-
cation des opérations de concentrations, en dépit de certains points de divergence
entre les choix des deux législateurs tunisien et français. D’abord, le droit tunisien et
la jurisprudence du Conseil de la concurrence ne fournissent pas une réponse claire
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
pour certaines opérations qui concernent des secteurs spécifiques. Les dispositions
de l’article 7 sont en effet très générales et ne répondent pas exactement au
particularisme de certaines sphères d’activité comme les banques ou les assurances,
contrairement au droit français qui réserve des dispositions différentes des disposi-
tions générales pour ces secteurs32.
Ensuite, le seuil de part des entreprises a été fixé à 30 % par le législateur tunisien
et à 25 % par le législateur français. Le chiffre d’affaires global a été limité à 3
millions de dinars par le texte tunisien et à 7 milliards de francs par le texte français.
Enfin, les deux seuils fixés par la loi tunisienne sur la concurrence doivent être
utilisés cumulativement. L’article 7 alinéa 3 prévoit que ses dispositions s’appliquent
sous la double condition tandis que l’Ordonnance française cite les deux conditions
alternativement en utilisant le terme ou. Les préparateurs de la loi de 1995, modifiant
la loi sur la concurrence de 1991, ont préféré recourir à la formule adoptée par le droit
communautaire33 plutôt qu’adopter celle du droit français.
La loi NRE du 15 mai 2001 a modifié, néanmoins, les seuils pour s’adapter aux
dispositions communautaires. En effet, les seuils en parts de marché sont abandonnés
et seuls les seuils en chiffres d’affaires subsistent, selon un mécanisme à double
détente inspiré du droit communautaire34. Le nouvel article L. 430-2 subordonne

31. À titre d’exemple, le Conseil se réfère à l’année 1997 pour examiner la demande d’avis du ministre
du commerce présentée le 9 novembre 1998 (Avis n° 1/1999 du Conseil relatif à l’opération de
concentration entre d’un côté Mobil et Total et de l’autre côté Esso).
32. En ce qui concerne le secteur bancaire, à titre d’exemple, le décret du 29 décembre 1986 précise que
le chiffre d’affaires des banques s’entend du produit brut bancaire réalisé au cours du dernier exercice
comptable clos et le chiffre d’affaires des entreprises d’assurances est la valeur des primes brutes
émises au cours du dernier exercice comptable clos.
33. Art. 1 (3) Règ. 4064/89 du 21 déc. 1989 sur le contrôle des fusions d’entreprises (JOCE 1990 L 257,
13), mod. Rég. 1310/97, 30 juin 1997 (JOCE 1997 L 180, 1).
34. Cfr l’article de Laurence IDOT, « La réforme du contrôle français des concentrations », JCP E
Semaine Juridique (édition entreprise), Cahiers de droit de l’entreprise ; Supplément à la Semaine
Juridique n° 40, 4 octobre 2001, pp. 1-8.
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 669

désormais le contrôle à trois conditions cumulatives. Pour qu’une opération de


concentration soit soumise au contrôle des autorités françaises, elle doit d’abord ne
pas entrer dans le champ de la compétence exclusive de la Commission des CE,
ensuite, le chiffre d’affaires total mondial HT de l’ensemble des entreprises parties
à la concentration doit être supérieur à 150 millions d’euros et le chiffre d’affaires
total HT français réalisé par deux au moins des entreprises concernées doit dépasser
15 millions d’euros.
Les délais et la procédure sont également profondément remaniés. On peut se
demander si le législateur tunisien tiendra compte de cette évolution, notamment
lorsqu’on constate que son système procédural relatif au contrôle des concentrations
s’inspire fortement du système français établi par l’Ordonnance française de 1986.

3 LES SIMILITUDES DES SYSTÈMES PROCÉDURAUX


© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
Bien que le système procédural tunisien relatif au contrôle des concentrations se
distingue du système français35 par la notification obligatoire (avant l’adoption de la
loi NRE), beaucoup d’autres aspects communs rassemblent les deux systèmes et
nous conduisent à constater que le législateur tunisien s’est beaucoup inspiré des
orientations de l’Ordonnance française de 1986 dans sa mise en œuvre des procédu-
res à suivre lors du contrôle d’une opération de concentration économique.
L’imprégnation est manifeste lors de l’acte de notification (3.1) et de l’apprécia-
tion de la concentration (3.2).

3.1 La notification
La notification d’une opération ou d’un projet de concentration est donc obligatoire
en droit tunisien contrairement à l’Ordonnance française de 1986, où la notification
était facultative, jusqu’à l’adoption de la loi NRE du 15 mai 2001. Le législateur
tunisien a préféré instaurer un contrôle ex ante qui présente d’indéniables avantages,
notamment en termes de transparence et de sécurité juridique. Il a recouru dans ce
sens au droit communautaire, qui prévoit que les opérations de concentrations
doivent être notifiées à la Commission une semaine avant la conclusion de l’acte, et
au droit allemand puisque la loi allemande relative aux restrictions de concurrence
(GWB) oblige, aux fins du contrôle des concentrations, les entreprises à informer
l’Office fédéral des ententes36. Le législateur tunisien a jugé inopportun d’opter pour
le système de notification facultative établi par l’Ordonnance française, surtout qu’il

35. Nous visons ici le système français de l’Ordonnance de 1986 qui a véritablement exercé une
influence sur le droit tunisien.
36. Voir §§ 35 et suiv. (39) de la Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen du 26 août 1998,
Bundesgesetzblatt 1998 I 2546.
670 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

a été souvent critiqué par la doctrine française, compte tenu de son inefficacité et de
son opacité et surtout de son incompatibilité avec le régime communautaire de
notification obligatoire. D’ailleurs, le système français va être complètement rema-
nié avec la loi de 15 mai 2001 (NRE) qui a instauré la notification obligatoire.
Le dispositif mis en place par le législateur tunisien consiste en une juxtaposition
de deux modes de déclenchement du contrôle : l’un est direct, sur l’initiative des
entreprises, l’autre est indirect, sur l’initiative du Conseil de la concurrence.

3.1.1 Le déclenchement direct


Soucieux d’éviter les aléas et les conséquences désastreuses d’une sanction s’appli-
quant après coup à la constitution d’un complexe industriel et commercial que peut
impliquer une opération de concentration37 et préoccupé par ses effets irréversibles,
le législateur tunisien a opté pour un système de notification préalable et obligatoire.
L’article 8 de la loi sur la concurrence oblige les entreprises concernées par un
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
projet ou une opération de concentration à notifier au ministre chargé du commerce
cette opération, soit au stade du projet, soit au maximum dans les quinze jours qui
suivent la date de conclusion de l’accord, de la fusion, de la publication de l’offre
d’achat ou d’échange des droits ou obligations, ou de l’acquisition d’une participa-
tion de contrôle. L’obligation incombe ainsi, en vertu de l’article 7 alinéa 3, à toutes
les entreprises concernées par l’opération de concentration, qu’elles en soient parties
ou objet, ainsi qu’aux entreprises qui leur sont économiquement liées.
La notification doit être accompagnée d’un dossier comprenant un certain
nombre de pièces qui sont décrites à l’alinéa 5 de l’article 8 de la loi sur la concurrence
(copie de l’acte ou de projet de l’acte, liste des dirigeants et actionnaires, comptes
annuels, parts de marché, liste des filiales, rapports des commissaires aux comptes,
rapport sur l’économie du projet de concentration). Cet alinéa a été reproduit de
l’article 28 du décret français, fixant les conditions d’application de l’Ordonnance du
1er décembre 1986.
L’intérêt pour les entreprises de déclencher elles-mêmes la procédure de
contrôle réside dans la garantie des délais : en cas de notification, le silence du
ministre chargé du commerce pendant trois mois vaut décision tacite d’acceptation
et en cas de saisine du Conseil de la concurrence pour avis, le délai est porté à six mois.
En France, le délai était de deux mois dans l’Ordonnance de 1986, et pouvait aller
jusqu’à six mois si, dans ce délai, le ministre saisissait le Conseil de la Concurrence
pour avis. Le nouvel article L. 430-3 du Code de commerce prévoit que la notification
doit intervenir lorsque les parties concernées sont engagées de façon irrévocable. Le
caractère irrévocable de l’engagement peut poser un certain nombre de problèmes
d’ordre pratique, vu son imprécision.

37. Voir dans ce sens F.C. JEANTET, « Le rôle préventif du contrôle communautaire des opérations de
concentration », Dalloz, 1991, Chron., p. 4.
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 671

L’obligation de notification a en droit tunisien un corollaire logique qui est


l’obligation de suspension. La notification a par conséquent des effets suspensifs de
la mise en œuvre du projet ou de l’opération de concentration. Ainsi, les entreprises
ne doivent pas entamer la réalisation du projet de concentration en cours d’examen
et ne doivent pas mettre en œuvre la concentration, si elle a été déjà réalisée. L’alinéa
3 de l’article 8 prévoit que « les entreprises concernées par le projet ou l’opération
de concentration ne peuvent prendre aucune mesure rendant la concentration
irréversible ou modifiant de façon durable la situation du marché ». En droit français,
une obligation de suspension a été introduite à l’article L. 430-4. L’opération est
suspendue aussi longtemps que le ministre n’a pas pris position. Le législateur
tunisien précise toutefois que la période de suspension ne peut pas dépasser trois
mois, sinon la saisine vaut acceptation tacite du projet de concentration ou de la
concentration ainsi que des engagements qui y sont joints. Pour donner plus de
précisions, l’alinéa 3 de l’article 9(bis) prévoit que « les délais prévus à l’article 8
commencent à courir à compter du jour de la délivrance de l’accusé de réception, sous
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
réserve que le dossier soumis à l’appréciation du ministre chargé du commerce
comporte tous les éléments énumérés ci-dessus ».
Le législateur tunisien a prévu en outre, dans l’alinéa 2 de l’article 8 de la loi sur
la concurrence, que « la notification peut être assortie d’engagements, destinés à
atténuer les effets de la concentration sur la concurrence ». Ces engagements pouvant
faciliter l’appréciation de l’opération en termes de bilan économique et contrebalan-
cer les inconvénients liés aux restrictions de concurrence découlant de la concentra-
tion. Ils peuvent consister en des cessions d’actifs ou en un retrait d’un marché
particulier ou, d’une façon générale, en toute mesure susceptible de rétablir la
concurrence sur le marché. Ces engagements représentent une pure reproduction de
l’article 40 de l’Ordonnance française de 1986 (art. L. 430-3 du Code de commerce).
Cela se confirme au niveau des effets de la décision tacite d’acceptation qui sont les
mêmes en droit tunisien qu’en droit français ; elle vaut pour l’opération elle-même
comme pour les engagements éventuellement proposés par les entreprises en cause.
Alors que les prescriptions de la loi sur la concurrence ne prévoient pas
d’atténuations pour les concentrations anticoncurrentielles, les engagements sont le
moyen de relativiser ces prescriptions. Le Conseil tunisien de la concurrence utilise
souvent les engagements pour introduire des dérogations à certaines opérations de
concentrations anticoncurrentielles. Il l’a fait, à titre d’exemple, lors de son contrôle
d’une opération de concentration dans le domaine des huiles des moteurs et des
appareils industriels38. Il a approuvé l’opération de concentration entre Esso et Shell,
à condition d’annuler les articles 4 et 8 du projet de l’acte de concentration. Il s’agit,
d’une part, d’une clause dans l’accord de concentration qui stipule que la nouvelle
société concentrée doit avoir l’accord de 3/4 des membres du Conseil d’administration

38. Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 1/99 du 11 février 1999 relatif à une concentration
économique dans le domaine des huiles des moteurs et des appareils industriels, Rapport annuel du
Conseil de la concurrence de 1999, p. 67.
672 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

pour pouvoir conclure des contrats avec des clients non-actionnaires, et d’autre part,
d’une clause qui stipule que seuls les actionnaires peuvent bénéficier d’un tarif
unique. Ce sont des clauses jugées discriminatoires par le Conseil de la concurrence,
et qui peuvent porter atteinte à la concurrence au sein du marché.
Même si le Conseil de la concurrence accepte des modifications à caractère
comportemental, il maintient une position inspirée par une vision structuraliste de la
concurrence. Le Conseil exige des modifications quant aux liens qui existent entre
entreprises pour garantir un niveau suffisant d’autonomie aux firmes qui opèrent sur
le marché concerné. Mais il se préoccupe aussi d’amender le pouvoir de marché des
firmes auteurs de l’opération. Le Conseil a exigé, à titre d’exemple dans son avis
consultatif relatif au projet de concentration entre Esso Standard Tunisie et Mobil
Tunisie que la société Axon Mobil s’engage à céder au profit des tiers sa participation
dans le capital de la société Goudron de Tunisie.
Le Conseil est allé assez loin dans son souci de limiter le renforcement de la
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
position dominante, jusqu’à se rapprocher d’une politique industrielle et non plus
strictement concurrentielle dans ses exigences. Ceci dit, les engagements exigés ont
essentiellement pour effet d’affaiblir la position de marché en la rendant plus
aisément contestable. Mais, c’est aussi une faveur pour le processus de concentra-
tion39.

3.1.2 Le déclenchement indirect


Le déclenchement du contrôle indirect s’exerce principalement lors de l’examen du
Conseil des pratiques anticoncurrentielles prévues par l’article 5 de la loi sur la
concurrence. Le Conseil de la concurrence peut constater pendant son examen
qu’une exploitation abusive d’une position dominante résulte d’une concentration
d’entreprises. Dans ce cas, il peut, en vertu de l’article 20 alinéa 2, proposer au
ministre du commerce, conjointement avec le ministre dont relève le secteur
intéressé, d’enjoindre, par décision motivée, à l’entreprise ou au groupe d’entreprises
en cause, de modifier, compléter ou résilier, tous accords et tous actes par lesquels
s’est réalisée la concentration qui a permis les abus, et ce nonobstant l’accomplisse-
ment des procédures prévues aux articles 7et 8.
Si le législateur tunisien a repris cet article de l’article 43 de l’Ordonnance
française de 1986 (art. L. 430-6 du Code de commerce), il n’a pas suivi entièrement
le législateur français. Car, contrairement à ce dernier qui donne au Conseil de la
concurrence la possibilité de demander au ministre chargé de l’économie de prendre
certaines mesures, le législateur tunisien n’accorde au Conseil de la concurrence

39. Dans sa jurisprudence relative aux engagements, le Conseil fait souvent recours à la jurisprudence
communautaire et rappelle explicitement que « les engagements représentent un outil principal
utilisé par les autorités de la concurrence en Europe, chaque fois qu’il leur apparaît que les projets
ou les opérations de concentration risquent de porter atteinte ou de limiter la concurrence dans le
marché concerné » (voir l’Avis consultatif n° 1/2000 du 24 février relatif au projet de concentration
entre Esso Standard Tunisie et Mobil Tunisie (non encore publié)).
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 673

qu’un pouvoir de proposition au ministre chargé du commerce. Ce dernier possède


un pouvoir discrétionnaire de suivre ou de ne pas suivre la proposition du Conseil.
Le contrôle exercé par le Conseil de la concurrence va être renforcé, à notre avis,
par l’instauration de l’auto-saisine du Conseil dans la nouvelle loi de 1999, modifiant
et complétant la loi relative à la concurrence de 1991. L’auto-saisine va permettre au
Conseil d’intervenir et de signaler la concentration au ministre, même si l’abus de la
position dominante, né de la concentration économique, n’a été pas soulevé par les
parties. Si le ministre chargé du commerce suit la proposition du Conseil de la
concurrence, les procédures du contrôle se déclenchent par une décision motivée,
prise par le ministre conjointement avec le ministre dont relève le secteur concerné.
Cette décision peut comporter des injonctions de modifier, de compléter ou de résilier
les actes par lesquels s’est réalisée la concentration.
Des questions peuvent se poser sur une éventualité d’intervention du ministre
chargé du commerce pour qu’il soumette à contrôle une opération de concentration
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
constatée lors des enquêtes effectuées par les agents de la Direction générale de la
concurrence. Le ministre chargé de l’économie en France a pris l’habitude (avant
l’adoption de la loi NRE), en l’absence de notification après expiration d’un délai de
trois mois, d’agir et de soumettre à contrôle l’opération. Dans cette hypothèse,
l’examen de l’affaire n’est plus enfermé dans des délais stricts et les entreprises ne
peuvent plus être bénéficiaires de délais tacites.
Le texte tunisien est silencieux et il se satisfait, à notre avis, de la sanction de non-
respect de l’obligation de notification et des engagements qui l’accompagnent, par
le biais de l’article 42 bis de la loi relative à la concurrence40.

3.2 L’appréciation de la concentration


Une opération de concentration ne peut être l’objet d’une injonction que si elle
aboutit dans la création d’une position dominante sur le marché ou dans le renforce-
ment d’une telle position. À cet égard, le Conseil de la concurrence tient compte de
toutes les circonstances déterminant la position des entreprises concentrées sur le
marché et les effets de la concentration, notamment la structure générale du marché,
le degré existant de concentration du marché, les obstacles à l’implantation de
nouveaux venus et la position concurrentielle des autres entreprises sur le marché
considéré, ainsi que les avantages dont les entreprises intéressées bénéficient déjà et
ceux qu’elles retireraient de l’acquisition envisagée41.

40. Art. 42 (Bis) : « Les infractions aux dispositions des articles 7, 7 (Bis) et 8, aux décisions prises en
vertu de leurs dispositions, ou aux engagements pris, sont punies d’une amende dont le montant ne
peut dépasser 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé sur le marché national par les opérateurs
concernés au cours de l’exercice comptable écoulé. »
41. Pour avoir plus de détails, voir le mémoire d’Ilyés BOUKADIDA, « Le contrôle des opérations de
concentration économique en Tunisie », Mémoire de fin de stage au barreau de Tunis, 1998.
674 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

Mais l’examen ne s’arrête pas là. En effet, l’appréciation de la concentration, en


droit tunisien, se fait sur la base d’un bilan économique et technique. Ce bilan s’établit
à partir des données fournies par les entreprises dans le rapport sur l’économie du
projet de concentration.
Le législateur tunisien a opté ainsi pour le choix du législateur français42 et non
pour celui du législateur communautaire. Le premier signifie expressément dans
l’article 41 de l’Ordonnance française de 1986 (L. 430-4 du Code de commerce) qu’il
prend en compte, lors de l’appréciation d’une concentration, la contribution suffi-
sante qu’elle apporte au progrès économique et qui compense les atteintes à la
concurrence. Tandis que la Commission adopte, en vertu du considérant 14 et
l’article 2-3 du règlement communautaire 4064/89 relatif aux opérations de concen-
tration, deux étapes dans son appréciation de la concentration. D’abord, elle examine
s’il y a création ou renforcement d’une position dominante, puis, elle décèle le
caractère significatif et effectif d’une éventuelle entrave à la concurrence43.
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
En d’autres termes, le législateur tunisien a choisi l’approche française qui
privilégie une expertise économique aboutissant à l’établissement d’un bilan écono-
mique de la concentration, plutôt que l’approche communautaire où l’expertise
économique devrait, au contraire, se contenter de procéder à l’étude d’un simple bilan
concurrentiel de la concentration concernée.
Le bilan économique s’effectue dans deux cas en droit tunisien de la concur-
rence ; d’un côté, le ministre chargé du commerce peut, en vertu de l’article 7 (bis)
de la loi de la concurrence, lors de la notification préalable, subordonner la réalisation
de l’opération de concentration à l’observation de prescriptions de nature à apporter
au progrès technique ou économique une contribution suffisante pour compenser les
atteintes à la concurrence.
D’un autre côté, le Conseil de la concurrence apprécie, en vertu de l’article 9
(bis), dans le cas où il constaterait pendant son examen des cas d’exploitation abusive
d’une position dominante qui résultent d’une concentration d’entreprises ou s’il est
appelé par le ministre chargé du commerce à donner son avis, si le projet ou la
concentration apporte au progrès technique ou économique une contribution suffi-
sante pour compenser les atteintes à la concurrence.
Il doit prendre en considération, lors de l’appréciation du projet ou de l’opération
de concentration économique, la nécessité de la consolidation ou de la préservation
de la compétitivité des entreprises nationales face à la concurrence internationale.
Parmi les facteurs du progrès économique, on peut citer l’amélioration de la
productivité des entreprises, grâce aux économies de coûts permises par le

42. Voir « Méthode pour l’analyse des opérations de concentration au regard du droit de la concur-
rence », Études :DGCCRF, Paris, 1992, p. 7.
43. Pour plus de détails sur ce point, voir la thèse de Thierry CATOIS, « Le contrôle des concentrations
entre entreprises au regard du règlement 4064/89 du Conseil du 21 décembre 1989 », Montpellier
1, 1994.
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 675

regroupement, le développement de leurs capacités d’innovation ou de leurs expor-


tations, ou encore la contribution à la lutte contre la pollution de l’environnement.
La mention du progrès technique nous paraît sans grande importance, car le
progrès économique passe obligatoirement par un progrès des techniques de produc-
tion, pouvant réaliser des économies d’échelle et une amélioration de la qualité de la
production.
Le Conseil tunisien de la concurrence affirme dans sa jurisprudence que
l’opération de concentration économique doit permettre la réalisation de certains
objectifs, comme la maîtrise du coût de production et/ou l’amélioration de la situation
économique générale de l’entreprise mère44. Le progrès envisagé de la concentration
doit concerner la collectivité dans son ensemble et pas seulement un avantage pour
les entreprises participantes.
La concentration devrait permettre également l’amélioration des conditions de
travail, la maîtrise des coûts de gestion, fournir des services meilleurs aux clients et
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
procurer toutes les conditions nécessaires pour la réussite économique de l’entreprise
concentrée45.
Le Conseil doit prendre aussi en considération, lors de l’appréciation du projet
ou de l’opération de concentration économique, la nécessité de la consolidation ou
de la préservation de la compétitivité des entreprises nationales face et au regard de
la concurrence internationale et doit indiquer éventuellement les mesures nécessaires
permettant d’adapter les restrictions de concurrence aux objectifs poursuivis par
l’opération.
Il convient de souligner toutefois que, si le bilan opéré par le Conseil est un bilan
économique dressé d’abord en termes concurrentiels qui n’intègre ni des données
tenant au progrès social ni des aspects sociaux de la concentration, le ministre chargé
du commerce a la possibilité, en vertu de l’article 7 (bis), de subordonner la
réalisation de l’opération de concentration à l’observation de prescriptions de nature
à apporter au progrès social une contribution suffisante pour compenser les atteintes
à la concurrence. Il peut adopter des mesures d’injonction différentes de celles
proposées par le Conseil et exiger des engagements comportant, par exemple, des
objectifs en termes d’emploi.
En tenant compte de la contribution que la concentration pourrait apporter au
progrès social, le ministre français chargé de l’économie ne tient pas compte que de
l’emploi, il prend en considération, à titre d’exemple, les effets de l’opération sur
l’aménagement du territoire, la décentralisation, le développement des régions
défavorisées, l’environnement, la protection du consommateur.

44. Avis n° 1/1998 du 7 mai 1998 relatif à une concentration économique dans le secteur des explosifs
à fins civiles entre la Société tunisienne des explosifs et des munitions et la société Nitragel, Rapport
annuel du Conseil de la concurrence de 1998, p. 86.
45. Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 2/1999 du 18 février 1999 relatif à une concentration
économique entre PAF et F3T, Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p. 74.
676 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

Nous pouvons constater une distinction entre la possibilité laissée au ministre de


tenir compte du progrès social et l’interdiction faite au Conseil de s’y référer. Cette
distinction est identique à celle qui existe en droit français de la concurrence. L’article
42 de l’Ordonnance française de 1986 (devenu art.L.430.5)46 permet seulement au
ministre chargé de l’économie et au ministre dont relève le secteur économique
intéressé de subordonner la réalisation de l’opération à l’observation de prescriptions
de nature à apporter au progrès social une contribution suffisante pour compenser les
atteintes à la concurrence. Les autorités politiques jouent ainsi un rôle très important
dans le contrôle des opérations de concentration.
Le contrôle est, en effet, opéré essentiellement par le ministre chargé du
commerce en Tunisie, soit en pratique par la Direction générale de la concurrence.
Le Conseil tunisien de la concurrence ne conserve qu’un rôle consultatif.
Le pouvoir de décision appartient au ministre chargé du commerce en Tunisie et
au ministre dont relève le secteur concerné. La décision n’intervient pas nécessaire-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
ment dans les limites de l’avis. Les pouvoirs politiques ont donc un large marge de
manœuvre. Si l’avis du Conseil constitue une formalité préalable indispensable
(aucune décision ne peut intervenir sans avis préalable sauf, bien entendu, l’accep-
tation expresse ou tacite d’une opération), il ne lie les ministres, ni en ce qui concerne
l’appréciation de l’opération, ni en ce qui concerne les suites à donner.
En France, ces dispositions rendent indispensable une motivation précise de la
décision, et tout particulièrement dans les hypothèses où le ministre s’écarte de l’avis
du Conseil pour des motifs autres qu’économiques ou bien souhaite intervenir alors
que le Conseil aura estimé inapplicables les dispositions relatives à la concurrence :
hypothèses où il estimera que les seuils ne sont pas atteints, que le marché de
référence doit s’apprécier strictement, ou s’il juge que l’opération ne porte pas
atteinte à l’état de la concurrence dans un secteur47.

4 CONCLUSION
En guise de conclusion, nous pouvons constater que le droit tunisien relatif au
contrôle des concentrations a été influencé dans sa globalité par les orientations de

46. De même, les articles 24-1 et 24-3 de la loi allemande du 27 juillet 1957 sur les restrictions de
concurrence(GWB) donnent à l’Office fédéral des ententes (Bundeskartellamt) la mission de vérifier
si la fusion contribue à améliorer les conditions concurrentielles et si l’effet positif ainsi obtenu
excède les inconvénients de la position dominante, tandis que le ministre chargé de l’économie
vérifie si les avantages dépassent les inconvénients d’une restriction apportée à la concurrence ou si
un intérêt prépondérant de la collectivité justifie la fusion.
47. Pour plus de détails sur la législation française en matière de contrôle des concentrations économi-
ques, voir Jean-Mathieu COT et Jean-Patrice DE LA LAURENCIE, « Le contrôle français des
concentrations », Paris, LGDJ, 1997, p. 432 ; Louis VOGEL, « Droit de la concurrence et concen-
tration économique », Economica (Collection Droit des Affaires et de l’Entreprise), Paris, 1988,
p. 427.
L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques __________ 677

l’Ordonnance française de 1986, même s’il y a certains points de divergence entre les
deux textes. En fait, les similitudes sont précisément ce qui distingue le modèle
français du contrôle de la concentration d’autres systèmes de contrôle, tel le système
américain ou le système communautaire, à savoir notamment le fondement du
contrôle, quant à sa substance, sur un bilan économique, et quant à la procédure, la
division de l’exercice du contrôle entre le Conseil de la concurrence et le ministre
chargé de l’économie. Ce sont d’ailleurs précisément ces deux caractéristiques qui
font du contrôle des opérations de concentration un instrument de politique écono-
mique.
Cependant, si le droit français a beaucoup évolué depuis l’adoption de l’Ordon-
nance grâce à l’apport de la doctrine et de la jurisprudence, le droit tunisien relatif aux
concentrations n’a pas connu de changements majeurs depuis la loi de 1995, vu le
nombre très faible des avis consultatifs relatifs aux concentrations économiques et vu
que les juristes tunisiens ne s’intéressent pas encore davantage à l’analyse des
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
différents problèmes que pose la loi sur la concurrence.
Certains économistes pensent même que la partie relative au contrôle des
concentrations de cette loi n’était pas forcément adaptée aux structures actuelles48. Ils
estiment que le contrôle des concentrations est inutile dans un petit marché, comme
le marché tunisien, car il empêche la restructuration d’entreprises s’efforçant
d’obtenir une masse critique qui leur permettra d’être compétitives sur les marchés
mondiaux49. Sachant que la majorité des entreprises sont des unités privées très
petites qui ne répondent pas aux conditions de contrôle des concentrations économi-
ques. Les mesures de libéralisation n’ont pas conduit en effet à un grand mouvement
de restructuration et de regroupement des entreprises de production et de distribution.
Les PME restent attachées au maintien de la propriété du capital par la famille.
Ce sont sans doute ces différences qui expliquent que, à ce jour, le législateur
tunisien n’a pas jugé opportun de faire un pas encore plus important et de réaménager
le contrôle des opérations de concentration suivant l’exemple que le législateur
français a donné récemment par la loi NRE.
Il convient d’observer toutefois qu’un certain nombre d’alliances avec des
partenaires étrangers semble s’accroître tant au niveau de l’industrie qu’au niveau du
commerce et des services. À cet égard, la loi sur la concurrence, telle qu’elle existe,
peut être d’une utilité certaine pour contrôler ces opérations. Elle a donc le mérite
d’anticiper en dotant la Tunisie d’un outil sophistiqué de pilotage de l’économie.

48. Moncef HERGLI, Rapport introductif du colloque des 13-14 janvier 1993 sur la concurrence et les
prix, Actualités Juridiques Tunisiennes, n° 7, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis,
1993.
49. Consulter l’étude de Marouane EL ABASSI, « Accord d’association et politique de la concurrence
en Tunisie », dans Séminaire sur « La politique de concurrence et négociations multilatérales »
organisé par CNUCED, Ministère du commerce et Conseil de la concurrence, Tunis, 28-29 mars
2002.
678 __________ L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques

SUMMARY

This paper on the influence of French competition law on Tunisian law of merger
control provides an introduction to and survey of the rules of antitrust law governing
business mergers affecting the Tunisian market. These rules have been introduced
into the 1991 Act on Competition and Prices by Act 95-42 of April 24, 1995. They
largely follow the model of merger control established by the French Ordonnance
No. 86 – 1243 of December 1, 1986, and have not been changed since even though
the French legislator has modified merger control considerably by the Act on the
New Economic Regulation of May 15, 2001. In some instances, Tunisian law also
follows the example of the European Community’s Regulation 4064/89 on merger
control rather than that of French law, in particular as regards the very concept of
a merger. Whereas most of the rules adopt general principles of merger control, such
as the setting of thresholds for control (defined cumulatively in terms of market share
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.203.147.138)
and turnover), the requirement of prior notification of a merger and of prompt
reaction by the competition authority (the Council for Competition) within short and
definite delays, the application of merger control to horizontal as well as to vertical
and conglomerate mergers, and the limitation of substantive control to the creation
or the reinforcement of a position of market dominance, there are two distinct
features of Tunisian merger control which bring it within the French model : First,
the ultimate decision on the admission or non-admission of a merger, which results
in or reinforces market dominance, rests with the Minister of the Economy and with
the Minister of the industrial sector concerned, the Council for competition having
only an advisory and investigative role to play. Second, as a matter of a substantive
law, a merger may not be enjoined simply because it creates or reinforces a position
of market dominance, but only if, in addition and on balance, its negative effects on
the market outweigh its potential for economic benefits, i.e. only if the “bilan
économique” of the merger is negative.

Vous aimerez peut-être aussi