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Entre le conflit de lois, le droit international public et

l’application internationale du droit public : le droit des


relations externes des États
Campbell McLachlan
Dans Revue critique de droit international privé 2018/2 (N° 2), pages 191 à 209
Éditions Dalloz
ISSN 0035-0958
ISBN 9782995418022
DOI 10.3917/rcdip.182.0191
© Dalloz | Téléchargé le 04/05/2023 sur www.cairn.info via Fondation du Roi Abdul Aziz Al Saoud (IP: 196.70.253.68)

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DOCTRINE ET CHRONIQUES
Articles
Entre le conflit de lois,
le droit international public
et l’application internationale
du droit public : le droit
des relations externes des États
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Campbell McLachlan
Professeur à l’Université Victoria de Wellington, Nouvelle-Zélande

Résumé
191
Les rapports entre l’État et les individus de nationalité étrangère sous
l’angle de leurs droits et libertés constitutionnels soulèvent une série de
questions auxquelles tous les États sont confrontés et qui se situent à
l’interface de l’ordre constitutionnel de chacun d’eux et du système juridique
international qui les relie. À l’époque contemporaine, cette interface a acquis
progressivement un caractère poreux, engendrant des questions juridiques
avec une plus grande fréquence et une plus grande intensité. Les réponses
apportées de part et d’autre exercent une emprise puissante sur l’imaginaire
juridique, y compris sur la façon dont un système donné se représente dans
ses rapports avec le reste du monde. La thèse développée dans cet article
est qu’elles constituent l’objet d’une troisième discipline, se situant entre
les deux branches, publique et privée, du droit international. On l’appellera
«  droit des relations externes  », en empruntant un terme peu usité en
Europe à l’un des Restatements américains. Il s’agit ici de s’interroger sur les
différentes conceptions qui existent de ce champ disciplinaire et d’explorer
ses liens de cousinage avec le droit international privé.

Summary
The relationships between States and individuals of foreign nationality
from the perspective of their constitutional rights and freedoms raise a
series of issues that all States must resolve and that sit at the interface of
the constitutional order of each of them and the international legal system
through which they are connected. Today, this interface has progressively

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DOCTRINE ET CHRONIQUES Le droit des relations externes des États

become porous, raising legal problems in increasing numbers and with


increased frequency. The various responses generated thereby exercise
a powerful influence over the legal imagination, including on the ways in
which a legal system represents its own relationship with the rest of the
world. The thesis developed here is that such responses belong to a third
discipline, in between the two traditional, public and private, branches
of international law. This discipline can be called «  the law of foreign
relations », borrowing a term from one of the Restatements of the United
States but little used in Europe. In what follows, the possible conceptions
of this disciplinary field will be explored, along with its relationship to
private international law.

Y a-t-il une place pour une nouvelle La thèse qui sera développée dans cet
discipline juridique, à côté des deux article est qu’il existe un ensemble de
branches traditionnelles du droit inter- questions qui, apparaissant à la péri-
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national (public et privé), qui recouvri- phérie du droit international privé, sont
rait les relations entre un État donné cependant trop imprégnées de considé-
et des individus étrangers, au regard rations qui lui sont hétérogènes pour
de leurs droits et libertés constitu- relever de ses outils et de ses valeurs
tionnels ? 1 Il existe en effet une série propres. En même temps, mettant en
de questions auxquelles tous les États jeu les droits et libertés des individus de
192 sont confrontés et qui se situent à nationalité étrangère, elles ne trouvent
l’interface de l’ordre constitutionnel de pas non plus leur réponse dans le droit
chacun d’eux et du système juridique international public.
international qui les relie. À l’époque
contemporaine, cette interface a acquis La question de l’existence d’un troi-
progressivement un caractère poreux, sième champ disciplinaire, situé entre
engendrant des questions juridiques le droit international privé et son homo-
avec une plus grande fréquence et une logue public, n’est pas souvent posée
plus grande intensité. En même temps, en Europe ; si elle l’est, c’est plutôt
comme l’écrit le philosophe politique au titre de l’effet horizontal des droits
David Armitage, elle a échappé très de l’homme. Il est vrai que le « droit
largement à toute investigation, car des relations externes » n’y est pas
jusqu’ici on a postulé « l’existence de un terme juridique, en ce sens qu’il ne
deux domaines distincts, appelés alter- correspond pas à une catégorie dis-
nativement interne et externe, national ciplinaire généralement acceptée 3. En
et étranger, ou (dans un vocabulaire revanche, aux États-Unis, l’un des Res-
plus juridique) interne et internatio- tatements est consacré au droit des
nal ». Pareille dichotomie, selon l’au- « relations externes ». Toutefois, sa
teur, reste l’une des divisions les moins portée est discutée et certains grands
approfondies de notre pensée politique 2. esprits ont constaté les difficultés parti-

(1) Une version plus élaborée de cet article sera publiée sous le titre Five conceptions of comparative foreign rela-
tions law in C. Bradley (éd.), Oxford Handbook on Comparative Foreign Relations Law, Oxford University Press, à
paraître, 2018). V. au sujet de ce projet, C. Bradley, Introduction to Symposium on Comparative Foreign Relations
Law (2017 111 AJIL Unbound 314-315, https://doi :10.1017/aju.2017.86).
(2) D. Armitage, Foundations of Modern International Thought, Cambridge University Press, 2013, p. 10.
(3) M. Forteau constate que « la publication d’un “droit des relations extérieures” de la France ou des pays euro-
péens… serait à ce titre bienvenue », RGDIP 2015. 314-315.

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Le droit des relations externes des États DOCTRINE ET CHRONIQUES

culières qu’il y a à faire sens d’un champ Ainsi, on peut dire que « le droit des
dans lequel le droit fait montre d’une « relations externes constitue cette partie
grande confusion intellectuelle » 4. Bien du droit interne qui est le plus étroite-
entendu, du côté des relations privées, ment liée au droit international » 6. Ses
la relation entre le national et l’étranger sources sont aussi bien le droit interna-
est loin d’être négligée. Au contraire, au tional tel qu’applicable à l’État en ques-
sein des différents systèmes nationaux, tion que le droit national, notamment
le droit international privé retient une dans sa composante constitutionnelle,
identité disciplinaire distincte de celle régissant ses relations étrangères. Il
des catégories de droit privé substantiel a donc toujours une « double face » 7 :
auquel il s’applique. Mais le champ des celle qui est tournée vers l’extérieur,
relations externes recouvre deux dimen- en direction des rapports de l’État avec
sions qui manquent à l’étude des conflits les autres au-delà de son territoire, et
de lois et de juridictions. celle tournée vers l’intérieur, en direc-
tion de l’incidence du droit international
En effet, le droit international privé est sur la sphère interne. Or, si cette der-
généralement compris comme impli- nière dimension constitue en quelque
quant pour l’essentiel des rapports sorte l’horizon commun, elle ne dit rien
horizontaux entre droits étatiques. Par en revanche sur le tracé de la fron-
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contraste, les relations externes com- tière entre l’interne et l’externe dans
prennent celles, verticales, entre un sys- un système juridique national donné.
tème national et l’ordre international. À ce dernier égard, on voit bien que le
Leur objet est public et participe à ce champ conjugue deux séries de savoirs
titre de la vie politique de l’État à la fois différents, ce qui pose évidemment dif-
sur le plan interne et dans ses relations ficulté dans un contexte de spécialisa-
avec d’autres États. Elles relèvent donc tion académique croissante. Comme le 193
inéluctablement tout à la fois du droit faisait remarquer Louis Henkin lors de
constitutionnel et du droit internatio- la publication de la première édition de
nal public. Dans cette optique, le terme son ouvrage pionnier Foreign Affairs
« relations externes » n’est pas apte à and the United States Constitution 8, le
exprimer la totalité des questions cou- droit qui préside aux relations étran-
vertes. Certes, du point de vue d’un État gères se situe quelque part dans un
donné, tous les autres sont externes par espace entre le droit constitutionnel et
rapport à lui ! L’exercice des pouvoirs le droit international. Il n’est central
constitutionnels de l’État d’entrer en dans aucune des deux disciplines : il
contact avec ses homologues appar- ne possède ni la vertu de l’universalité
tient à un ministère dont le portefeuille qui retient l’internationaliste, œuvrant
est généralement appelé « Affaires pour assujettir tous les États à un sys-
étrangères ». Mais toute assimilation tème juridique commun, ni la vocation à
à cet égard serait réductrice. Comme contribuer à la cohérence interne d’un
l’attestent les origines historiques du ordre juridique que recherche de son
concept des relations externes 5, celui-ci côté le constitutionnaliste.
concerne aussi la façon dont la constitu-
tion nationale interagit avec les obliga- La question des frontières disciplinaires
tions qui s’imposent à l’État au regard du n’est pas seulement une question de
droit international. démarcation des rôles respectifs du

(4) F.A. Mann, Foreign Affairs in English Courts, Oxford, Clarendon Press, 1986, vi.
(5) V. A. Hamilton, J. Madison et J. Jay, The Federalist Papers 1788, republiés in L. Goldman (éd.), Oxford University
Press, 2008, no 3 (Jay).
(6) T. Giegerich, Foreign relations law, in Max Planck Encyclopedia of Public International Law (mise à jour 2011) [1].
(7) L’auteur remercie D. Dyzenhaus (Université de Toronto) pour cette expression éclairante.
(8) L. Henkin, Foreign Affairs and the United States Constitution (New York, Foundation Press, 1972), préface, repr.
2e éd., Oxford University Press, 1996, p. viii.

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droit interne et du droit international. Il est caractérisé. Cette classification des


s’agit bien davantage de déterminer une approches possibles à l’égard du droit
fonction spéciale pour le droit qui régit des relations externes ne signifie pas
la conduite des relations étrangères qu’un système juridique donné n’en uti-
d’un État par rapport à celui qui régule lise qu’une seule à la fois. Au contraire,
d’autres domaines de droit substantiel beaucoup de traditions nationales, par
interne 9. Qu’y a-t-il de particulier dans ailleurs très diverses, ont en commun
la conduite de ces relations qui pourrait de porter l’empreinte simultanée de
justifier l’existence de règles juridiques plusieurs de ces perspectives. Mais il
spécifiques au sein d’une constitution importe de voir que celles-ci comportent
nationale donnée ? La reconnaissance des présupposés très divers. C’est au
d’un statut particulier pour les relations demeurant pour cela qu’une caractéris-
internationales constitue sans aucun tique de cette branche du droit est d’at-
doute une tendance profonde en phi- tester une recherche d’équilibre entre
losophie du droit qui s’exprime à son ces conceptions concurrentes, s’effor-
tour à travers des dispositions consti- çant de concilier des idées qui, pous-
tutionnelles et des décisions judiciaires. sées à l’extrême, s’avéreraient inconci-
Cependant, on peut aussi se demander si liables. Par ailleurs, chaque approche
un tel particularisme est bien conforme peut accueillir à son tour plusieurs voies
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aux principes fondateurs de l’État de juridiques. Par exemple, adopter une
droit. La question est alors de savoir conception « constitutionnaliste » ne
si le droit des relations externes peut dit ni le contenu des règles constitu-
être normalisé et assujetti aux mêmes tionnelles adéquates, ni la distribution
disciplines que les autres expressions interne des pouvoirs constitutionnels, ni
du droit constitutionnel 10. Dans ce qui l’étendue de la protection dont bénéfi-
194 suit, nous avançons l’idée selon laquelle, cient les individus à l’égard de leur exer-
en recherchant les réponses à ces cice, ni même la relation entre le droit
questions, nous ferions mieux de nous international et la constitution nationale.
concentrer sur les fonctions plutôt que Il faut ajouter qu’une tradition juridique
sur les définitions. Ainsi, il s’agira de donnée peut osciller au cours de l’his-
se demander à quoi sert le droit des toire entre ces différentes approches.
relations externes et quelles sont les Cela est évidemment en partie tributaire
fonctions qu’il remplit. Ici encore, il n’y de son architecture constitutionnelle,
a aucun consensus sur les utilités de ce mais pas seulement. Car les principes
champ. On peut cependant remarquer qui régissent la conduite des relations
que les réponses apportées de part et étrangères s’expriment rarement sous la
d’autre exercent une emprise puissante forme de règles immuables ou précises.
sur l’imaginaire juridique, y compris C’est pour cette raison que l’on peut
sur la façon dont un système donné se observer une capacité remarquable des
représente dans ses rapports avec le différents ordres juridiques nationaux
reste du monde, même si elles ne cor- à embrasser des approches différentes
respondent à aucune pratique effective. au cours du temps, indépendamment de
la question de savoir si la constitution
Afin d’élucider les fonctions spéci- nationale contient sur ce point des dis-
fiques du droit des relations externes, positions écrites explicites.
il est nécessaire d’identifier les diverses
conceptions qui constituent les pré- L’objet de cet article est donc d’analyser
misses essentielles et souvent inex- tout à tour chacune des conceptions
primées de la façon dont ce champ possibles pour en comprendre la signi-

(9) H. Aust, Foreign affairs, in Max Planck Encyclopedia of Comparative Constitutional Law (2017) [1].
(10) G. Sitaraman et I. Wuerth, The normalization of foreign relations law (2015), 128 Harv. L.R. 1897.

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fication et le contenu, avant de tirer l’État considéré et les autres ; (2) entre
des conclusions plus générales sur les le droit national et le droit international ;
fonctions du domaine du droit étudié. (3) entre les organes de gouvernement
Il nous semble que le pouvoir explicatif au sein de l’ordre constitutionnel, dans
de chacun de ces modèles peut être la poursuite des relations étrangères ; et
mesuré par rapport à son aptitude à (4) entre les États et les individus affec-
appréhender quatre dimensions essen- tés par l’exercice du pouvoir étatique. Il
tielles de la pratique juridique des États ne s’agit pas de porter un jugement qua-
dans leur sphère extérieure. Pareille litatif sur les solutions adoptées dans
démarche requiert de se demander différents États à des moments divers,
jusqu’où chaque modèle permet au mais plutôt d’évaluer l’aptitude de l’une
juriste de naviguer s’agissant de la ou de l’autre théorie à expliquer les
nature juridique des relations : (1) entre fonctions effectives du droit.

I – La conception exclusiviste : l’exclusion des relations


externes du champ du droit interne (et vice versa)
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L’idée selon laquelle l’État constitutionnel toutes les conventions avec toutes les
existe pour se protéger lui-même (et personnes et les communautés à l’ex-
par là même ses citoyens) du chaos qui térieur de la communauté politique ».
se déchaîne au-delà de ses frontières Il fait valoir que l’exercice de ce pouvoir
s’enracine profondément dans la phi- « est moins susceptible d’être régulé
losophie politique. Elle s’exprime de la par des lois positives, préexistantes et en 195
façon la plus percutante dans l’affirma- vigueur… de sorte qu’il faut en laisser le
tion de Hobbes selon laquelle « de tous soin à la prudence et la sagesse de ceux
les temps, les rois et personnes investies qui le détiennent, afin qu’ils le gèrent en
d’autorité souveraine, en raison de leur vue du bien commun ». Toute division du
autonomie, sont impliqués dans des rap- pouvoir fédératif serait « susceptible à
ports de jalousie constants et vivent et se un moment ou à un autre de causer le
comportent comme des gladiateurs, avec désordre et la ruine ».
les yeux et les armes pointés les uns sur
les autres » 11. De cet état de nature qui Dans le droit anglais, l’influence puis-
existe en dehors de l’ordre constitution- sante des idées de Locke se ressent à
nel, Locke allait tirer la conclusion sui- travers la reconnaissance que le pouvoir
vant laquelle le pouvoir de l’État de régu- de conduire les relations extérieures
ler les relations en dehors de lui-même réside dans la prérogative royale ou
– « la sécurité et l’intérêt du public en souveraine. Cette dernière, définie par
dehors » – doit être concentré entre les Dicey comme étant une autorité rési-
mains du pouvoir exécutif 12. Il a inventé duelle, discrétionnaire ou arbitraire, que
le terme « fédératif » pour nommer au le droit laisse entre les mains de la
sein de ce pouvoir cette partie distincte Couronne, connaîtrait selon le même
qui « contient le pouvoir de faire la guerre auteur une incarnation particulière dans
ou la paix, les ligues ou les alliances, et les Affaires étrangères 13. Ainsi, même

(11) T. Hobbes, Leviathan, 90. V. généralement sur les fondations philosophiques et l’influence de cette approche
exclusive dans la tradition de common law : T Poole, Reason of State: Law, Prerogative and Empire, Cambridge
University Press, 2015, spéc. p. 56-60.
(12) J. Locke, Two Treatises of Government (1690), P. Laslett (éd.) 2e éd., Cambridge University Press, 1967 [147]. Les
citations suivantes qui figurent dans le texte peuvent être trouvées aux § 146, 147 et 148 de cet ouvrage.
(13) A. V. Dicey, Lectures Introductory to the Study of the Law of the Constitution, Londres, MacMillan & Co, 1885,
p. 348.

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si ce pouvoir est exercé en réalité à l’État est conçu dans son ensemble
travers des ministres et non directe- comme une entité unitaire au regard
ment par le monarque, son exercice de ses relations extérieures. Comme
échappe néanmoins au contrôle du Par- le disait Locke, « il constitue un corps
lement 14. De même, la distinction entre […] au vu de tous les États ou les
les deux sphères, interne et interna- personnes en dehors de la commu-
tionale, explique le dualisme de l’ordre nauté qu’il recouvre » 18. De cette unité
juridique du Royaume-Uni : par là, il au plan international découlerait la
faut comprendre la dissociation entre le nécessaire univocité en matière d’af-
pouvoir du gouvernement de conclure faires étrangères entre ses organes,
des actes au plan international et la puisque « l’État ne peut s’exprimer par
souveraineté du Parlement de décider deux voix, les juges disant une chose, le
du droit national. Dès lors que les traités gouvernement une autre » 19. L’expres-
internationaux n’ont pas d’effet propre sion ultime de la même idée, qui fait de
dans l’ordre interne, la souveraineté la conduite des relations étrangères une
législative du Parlement dans la sphère zone de non-droit, est la doctrine de l’Act
politique nationale est sauvegardée. Plus of State. Celui-ci est défini par Harrison
encore, dès lors que le pouvoir exécutif Moore comme un acte qui, « qu’il soit
doit toujours s’en référer au Parlement régi ou non par le droit international, et
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lorsqu’une action envisagée à l’inter- qu’il soit ou non conforme à celui-ci, ne
national requiert une mise en œuvre relève pas de la compétence des juridic-
interne, la souveraineté du Parlement en tions nationales » 20. En vertu de cette
est renforcée à chaque fois. C’est ainsi doctrine, le pouvoir exécutif conserve
qu’il faut comprendre, dans le contexte donc la possibilité d’exclure du champ
du contentieux très récent relatif à la d’intervention des tribunaux certains
196 décision du Royaume-Uni de se retirer contentieux de common law concernant
de l’Union européenne, la signification les conséquences de sa propre action
du « principe constitutionnel fondamen- affectant les étrangers à l’étranger (du
tal selon lequel, sauf si la loi le permet, moins dans les cas de conflit armé) 21.
la prérogative royale n’autorise pas le
gouvernement à modifier le droit, qu’il On trouve une théorie analogue aux
s’agisse de législation ou de common États-Unis sous la forme de la « question
law » 15. politique ». Qu’il existe certaines ques-
tions relatives aux relations externes de
L’exclusion des relations externes du l’État que les juges doivent s’abstenir
champ du droit interne est de nature à de juger aurait son origine dans un
circonscrire l’intervention des juges à motif (un dictum) d’un jugement de la
l’égard de l’exercice du pouvoir exécutif. Cour suprême en 1918, selon lequel « la
Ainsi, les juridictions britanniques et du conduite des relations étrangères est
Commonwealth admettent aujourd’hui confiée par la Constitution aux branches
encore que l’exercice du pouvoir exécu- politiques (exécutive et législative) du
tif en matière de relations extérieures pouvoir étatique, et la légalité de ce qui
dérive de la prérogative royale 16, limi- est fait dans l’exercice de ce pouvoir
tant ainsi la portée du contrôle de la de nature politique ne doit faire l’objet
constitutionnalité à son sujet 17. En effet, ni d’un jugement ni d’un examen judi-

(14) Ibid p. 390.


(15) R. (Miller) v. Secretary of State for Exiting the European Union [2017] UKSC 5 [2017] 2 WLR 583 [50].
(16) Khadr v. Canada (Prime Minister) 2010 SCC 3 [2010] 1 SCR 44, 143 ILR 225 [34].
(17) Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service [1985] 1 AC 374, 418 (HL per Lord Roskill).
(18) Locke, Two Treatises [145].
(19) Arantzazu Mendi [1939] AC 256, 264, (1939) 9 ILR 60 (HL per Lord Atkin).
(20) W. Harrison Moore, Act of State in English Law, Londres, John Murray, 1906, p. 1-2.
(21) Serdar Mohammed v. Ministry of Defence [2017] UKSC 1 [2017] AC 649.

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ciaire » 22. D’autres traditions adhèrent les systèmes constitutionnels nationaux


à une idée analogue. Ainsi, on identifie pour conduire la politique extérieure. Le
des éléments très marqués d’une doc- pouvoir d’agir appartient au gouverne-
trine exclusive dans des États civilistes, ment seul, qui représente l’État dans ses
notamment de tradition française 23. En relations avec ses pairs. Mais quand le
France, la théorie de l’acte de gouverne- gouvernement agit en vertu de ce pouvoir,
ment limitait traditionnellement l’éten- il ne crée pas nécessairement des droits
due du contrôle exercé par les tribunaux et obligations dans la sphère interne. Ce
administratifs sur les activités interna- fait comporte des implications à son tour
tionales ou diplomatiques du gouver- quant au rôle des pouvoirs législatif et
nement 24. Bien que le Conseil d’État judiciaire. Toutefois, dans la mesure où
ait modéré la portée de cette doctrine la doctrine exclusiviste cherche à créer
en y introduisant le concept d’un acte une zone de non-droit d’ordre discrétion-
détachable 25, l’exception demeure néan- naire au profit du pouvoir exécutif, elle ne
moins 26. En Italie, une notion équivalente parvient pas à expliquer d’autres aspects
(atto politico) empêche pareillement les clés du régime juridique des relations
tribunaux d’exercer leur contrôle sur la extérieures.
façon dont sont prises et exécutées les
décisions politiques de l’État qui sont En premier lieu, elle omet de considé-
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dirigées vers l’ordre international 27. rer l’impact effectif du droit interna-
tional public sur la pratique des États,
Se manifestant ainsi dans la pensée qui concerne presque exclusivement le
constitutionnelle de nombreux sys- pouvoir exécutif. En effet, tandis que la
tèmes juridiques, la doctrine exclusiviste doctrine exclusiviste tend à écarter toute
imprime au droit des relations externes contrainte juridique en ce domaine au
deux caractéristiques structurelles profit du pouvoir discrétionnaire du gou- 197
essentielles. La première, dérivant du vernement 29, l’analyse historique comme
principe d’égalité et d’indépendance sou- la pratique contemporaine continuent de
veraines des États, vient au soutien de démontrer l’importance de l’observa-
l’autonomie de la compétence étatique. tion de Bethlehem, selon laquelle « la
Celle-ci voit le monde comme divisé entre légalité est la considération ultime. Les
des systèmes juridiques séparés dont gouvernements peuvent se maintenir ou
chacun a la capacité de déterminer pour tomber par référence à des considéra-
lui-même ses rapports avec les autres 28. tions de légalité » 30. Or, cette incidence
La seconde caractéristique est l’impor- du droit international sur la pratique des
tance centrale du pouvoir exécutif selon États consiste en une contrainte à la fois

(22) Oetjen v. Central Leather Co, 246 US 297, 302 (1918) ; et v. L. Henkin, Foreign Affairs, 2 e éd., p. 143-8 ;
T. M. Franck, Political Questions/Judicial Answers: Does the Rule of Law apply to Foreign Affairs?, Princeton
University Press, 1992.
(23) E. Zoller, Droit des relations extérieures, PUF, 1992, p. 298 s. ; D. Amoroso, A Fresh Look at the Issue of Non-Jus-
ticiability of Defence and Foreign Affairs (2010), 23 LJIL 933 ; D. Amoroso, Judicial Abdication in Foreign Affairs
and the Effectiveness of International Law (2015), Chinese JIL 99.
(24) P. Duez, Les actes de gouvernement, Dalloz, 1935, réimpr. 2006 ; M. Kdhir, La théorie de l’acte de gouvernement
dans la jurisprudence du Conseil d’État relative aux relations internationales de la France à l’épreuve du droit
international, JDI 2003. 1059 ; P. Kinsch, Le fait du prince étranger, LGDJ, 1994, p. 403-412.
(25) Il s’agit de « mesures qui peuvent être appréciées indépendamment de leurs origines ou de leurs incidences
internationales », GAJA, 17e éd, 2009, p. 16, [9].
(26) CE 23 sept. 1992, nos 120437 et 120737, GISTI et MRAP, Lebon ; AJDA 1992. 752, concl. D. Kessler, obs. R. S. ; RFDA
1993. 352, chron. D. Ruzié ; (1992) 106 ILR 198 ; CE 29 sept. 1995, n° 171277, Association Greenpeace France,
AJDA 1995. 749, (1995) 106 ILR 231.
(27) C. cass. italienne, 8 févr. 2002, no 8157/2002, Président du Conseil des ministres c/ Markovic (2002), 128 ILR 652 ;
cette position n’est pas contraire à l’art. 6 de la Conv. EDH : CEDH, gr. ch., 14 déc. 2006, no 1398/03, Markovic
c/ Italy, RFDA 2008. 728, étude M. Vonsy.
(28) Charte des Nations unies, art. 2.
(29) J. D. Ohlin, The Assault on International Law, Oxford University Press, 2015.
(30) D. Bethlehem, The secret life of international law (2012), 1 CJICL 23, 33.

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DOCTRINE ET CHRONIQUES Le droit des relations externes des États

interne et externe. Sur le plan externe, la protection de l’individu contre l’abus


il détermine la légalité de l’exercice du du pouvoir de l’État. La séparation des
pouvoir de l’État à l’extérieur de lui- pouvoirs existe non pas pour justifier
même. Au niveau interne, il pèse sur l’impunité du gouvernement, mais bien
les décisions du pouvoir exécutif. On voit au contraire pour permettre au pouvoir
bien là, sur l’un et l’autre plan, l’empire judiciaire de tenir en échec ce dernier,
du droit, alors même qu’il manquerait le lorsque ses actions violent les droits des
contrôle judiciaire national de la légalité individus. Il y a là un principe fondamen-
des actes concernés. tal de l’État de droit dans les systèmes
constitutionnels. Puisque les actions du
En deuxième lieu, cette même doctrine pouvoir exécutif à l’étranger sont autant
n’explique pas les aspects essentiels de susceptibles d’enfreindre les droits indi-
la dynamique des relations entre États. viduels que celles qui s’accomplissent
Elle présente une vision unilatérale de sur le territoire de l’État du for, une
ces relations, comme si elles ne concer- théorie juridique des relations externes
naient que l’État du for. Il s’agit d’une doit pouvoir tenir pareillement en échec
vision déformée du droit international, les pouvoirs du gouvernement au nom
à travers « le son de l’applaudissement de la protection individuelle.
d’une seule main » selon l’expression
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de James Crawford, puisqu’elle omet de En quatrième lieu, la théorie exclusiviste
tenir compte du fait que les relations ne parvient pas à expliquer pourquoi le
internationales, et partant le droit qui les droit international joue un rôle effectif au
gouverne, sont le fait d’au moins deux sein des systèmes juridiques nationaux,
États, chacun poursuivant des intérêts y compris dans ceux qui pratiquent le
distincts. Par ailleurs, il est inexact de dire dualisme. Pourquoi les juges internes
198 que le droit international reste confiné au seraient-ils concernés par le droit inter-
plan des relations entre États et ne donne national si celui-ci ne s’applique que
pas lieu à une supervision nationale. Bien dans la sphère externe de l’État ? Il
au contraire, ces relations ont de multi- existe en effet de nombreux exemples de
ples répercussions sur le plan national, référence judiciaire au droit international
que ce soit sur le terrain diplomatique ou dans des traditions très différentes. Cela
lorsque des États sont poursuivis devant nous amène par conséquent à envisa-
les juridictions de leurs pairs. ger une deuxième conception du droit
des relations externes, qui voit celui-ci
En troisième lieu, la doctrine exclusi- comme concerné principalement par la
viste ne rend pas bien compte du rôle réception du droit international dans
constitutionnel du pouvoir judiciaire dans l’ordre juridique interne.

II – La conception internationaliste : la réception


du droit international dans l’ordre interne
Quel qu’en soit le poids effectif dans les de réception et de reconnaissance de ce
différentes traditions, l’approche exclusi- dernier. « Tout système juridique a ses
viste peine à rendre compte des disposi- règles de reconnaissance : c’est préci-
tifs par lesquels les systèmes juridiques sément en cela qu’un système est juri-
nationaux organisent leurs relations avec dique » 31. Ainsi, de nombreuses analyses
le droit international. Ce sont les régimes consistent à envisager le droit des rela-

(31) V. J. Crawford, International law in the House of Lords and the High Court of Australia 1996-2008 : A Comparison
(2009), 28 AYIL 1, 6.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le droit des relations externes des États DOCTRINE ET CHRONIQUES

tions externes à travers le prisme de la au regard des conceptions possibles du


réception nationale du droit internatio- droit des relations externes, ou encore
nal. Pareil prisme est donc introspec- d’explorer les implications normatives
tif : il s’agit de déterminer comment le et politiques de celles-ci 32. Or, ce point
droit international affecte la réponse du est particulièrement significatif dans le
droit à des questions internes. Il convient cas des droits de la tradition de common
alors d’envisager, d’une part, les méca- law, qui sont traditionnellement perçus
nismes nationaux permettant à l’État comme dualistes. Car, bien entendu,
de s’engager et de donner effet à des cette dernière qualification ne permet
obligations issues des traités internatio- pas de rendre compte de l’application
naux, et, d’autre part, le statut en droit directe du droit international coutu-
interne du droit international coutumier, mier dans ces mêmes systèmes. Il faut
y compris les normes de ius cogens. alors se reporter au célèbre dictum de
Ces deux questions relèvent du droit des Blackstone : « Là où il n’y a pas d’État
relations externes, non pas seulement de droit, le droit (international) est sanc-
parce qu’elles intéressent l’interaction tionné par les autorités publiques dans
entre droits national et international, la seule mesure où il n’entre pas en
mais parce qu’elles impliquent les fonc- conflit avec la loi locale. Mais en Angle-
tions des organes de gouvernement dans terre, le pouvoir royal ne peut introduire
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un État constitutionnel. Ainsi, les procé- une loi nouvelle, ni abroger l’ancienne,
dures de ratification et d’incorporation de sorte que le droit des nations (dès
des traités en droit interne concernent lors qu’une question se pose qui relève
les rapports entre le pouvoir législatif de son domaine) est pleinement appli-
et le pouvoir exécutif. Le statut du droit cable par le canal de la common law et
international coutumier au sein du sys- est considéré comme faisant partie de la
tème juridique national met en cause la loi locale » 33. 199
fonction du juge dans la mise en œuvre
du droit international en tant que source Ce que veut dire le grand juriste ici,
du droit applicable. c’est que les juges ont une fonction
spécifique au sein de l’État constitu-
La façon dont les divers systèmes juri- tionnel en ce qui concerne la mise en
diques déterminent le statut et l’appli- œuvre du droit international coutumier.
cabilité de normes du droit international Cette idée a été consacrée initialement
n’est pas seulement tributaire de son dans des cas d’immunité souveraine
adhésion ou non à une approche exclusi- et diplomatique, qui mettaient donc en
viste – à savoir, si l’État se considère ou cause le droit des relations externes de
non comme « dualiste » (et si par consé- l’État 34. Mais elle donne lieu à un prin-
quent, l’application directe des normes cipe de portée plus générale, attesté par
non explicitement incorporées par le les diverses traditions juridiques dua-
parlement national est permise ou non). listes qui autorisent pourtant l’applica-
Comme on a pu l’observer, la distinction tion directe du droit international coutu-
traditionnelle monisme/dualisme, qui a mier sans l’intermédiation du législateur
trouvé son origine dans des débats théo- interne. Cependant, on peut également
riques sur la nature du droit internatio- dire que la question du statut des traités
nal, revêt une valeur limitée lorsqu’il internationaux au sein du droit natio-
s’agit de classer les différents systèmes nal implique tout autant la fonction du

(32) P.-H. Verdier et M. Versteeg, International Law in National Legal Systems: An Empirical Investigation (2015), 109
AJIL 514, 532.
(33) W. Blackstone, Commentaries on the Laws of England, 9e éd., réimpr., Strahan, Cadell and Prince, Oxford, 1783,
IV, 67.
(34) Triquet v. Bath (1764) 3 Burr 1478, 97 ER 936 (Lord Mansfield) ; v. C McLachlan, Foreign Relations Law, Cambridge
University Press, 2014 (« McLachlan 2014 ») [2.40] ff.

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DOCTRINE ET CHRONIQUES Le droit des relations externes des États

pouvoir juridictionnel 35. Par exemple, à laisser de côté d’importantes fonc-


une disposition constitutionnelle qui leur tions potentielles du droit des relations
confère la valeur de « loi suprême » externes. D’abord, celui-ci doit évidem-
a des conséquences très significatives ment tenir compte du cadre constitu-
non seulement pour l’identification des tionnel applicable : une juridiction natio-
sources du droit dans l’ordre juridique nale définit nécessairement sa propre
interne, mais également pour le pouvoir fonction par référence à celui-ci. Les
des juges de statuer sur la légalité des théories constitutionnelles qui limitent
normes émises par les autres organes le pouvoir des juges de donner un effet
de l’État 36. Ainsi, les règles générales direct au droit international ne peuvent
régissant la reconnaissance et la récep- être balayées d’un revers de la main
tion du droit international adoptées par comme « des preuves des contraintes
un système donné affectent les sources politiques pesant sur l’indépendance des
du droit applicable aux questions impli- juges » 38, car « l’interprétation judiciaire
quant les relations externes qui viennent du droit international n’est pas seule-
devant les tribunaux, parce qu’elles ment une courroie de transmission de
déterminent dans quelle mesure ces ce dernier en direction du peuple » 39.
derniers peuvent mettre en œuvre des En effet, un droit des relations externes
normes relevant de ce même droit. L’ap- doit pouvoir justifier quand et pourquoi
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proche internationaliste des relations le droit international doit être reçu et
externes revendique donc, potentielle- quelle fonction il est appelé à remplir au
ment, une vocation à réécrire de grandes sein de l’ordre juridique d’accueil.
parties du droit international substantiel
qui sont directement applicables dans De plus, les règles de reconnaissance
l’ordre interne 37. Quoi qu’il en soit, la qui permettent d’appliquer ou de prendre
200 valeur d’une telle approche réside essen- en considération le droit international
tiellement dans le fait qu’elle attire l’at- dans les droits nationaux remplissent
tention sur une dimension de la problé- un rôle bien plus ample que la conduite
matique que la conception exclusiviste des relations externes, car les traités
relègue dans un trou noir, en tant qu’elle internationaux recouvrent désormais une
n’intéresse pas l’ordre juridique interne. très grande partie de l’activité humaine.
Par ailleurs, elle inclut des règles du Les contextes dans lesquels les autori-
droit international qui permettent ou tés nationales doivent en tenir compte
qui commandent à l’État d’intégrer les atteignent profondément tous les recoins
intérêts des autres États. Enfin, elle de l’ordre juridique. On peut donc dire
est conforme à la pratique des juges que l’influence du droit international dans
de divers systèmes lorsqu’ils appliquent l’ordre interne est tentaculaire et affecte
directement le droit international aux des questions qui sont, par ailleurs, pure-
contentieux dont ils sont saisis. ment internes. Elle a bien entendu des
conséquences sur l’ensemble du pro-
Néanmoins, trop se concentrer sur la cessus d’interprétation judiciaire 40. À cet
réception du droit international dans égard, la mise en œuvre du droit inter-
l’ordre juridique interne peut conduire national par les organes nationaux est

(35) Sur la pratique comparative s’agissant de l’effet direct des traités : D. Hollis, M. Blakeslee et L. Ederington,
National Treaty Law and Practice, Nijhoff, 2005 ; D. Shelton, International Law in Domestic Legal Systems, Oxford
University Press, 2011.
(36) Art. VI, Constitution of the United States of America ; C. Bradley, International Law in the U.S. Legal System,
2e éd., Oxford University Press, 2015, ch 2.
(37) V. par ex., American Law Institute, Restatement of the Law, Third, Foreign Relations Law of the United States
(1987) ; vol. 61 International Relations Law Halsbury’s Laws of England, 5e éd., Londres, LexisNexis, 2010.
(38) A. Nollkaemper, National Courts and the International Rule of Law, Oxford University Press, 2011, p. 53.
(39) K. Knop, Here and There: International Law in Domestic Courts (2000), 32 NYUJILP 501, 516.
(40) V. H. P. Aust et G. Nolte, The Interpretation of International Law by Domestic Courts, Oxford University Press,
2016.

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Le droit des relations externes des États DOCTRINE ET CHRONIQUES

susceptible à son tour d’enrichir le déve- constituent la question centrale du droit


loppement de celui-ci. Par conséquent, des relations externes. Ces dernières
l’approche internationaliste embrasse problématiques doivent donc être désa-
bien davantage que les questions qui, à grégées des autres, plus larges, relatives
l’intérieur des systèmes nationaux, se aux rapports entre droits international et
rapportent à l’exercice du pouvoir de l’État national. La troisième conception annon-
dans ses rapports avec les autres et qui cée est-elle à même de le faire ?

III – Le droit des relations externes


comme droit constitutionnel

Une troisième façon d’envisager le droit de tels arrangements, sépare le pou-


des relations externes est de le voir voir exécutif des deux autres branches
comme une branche du droit public ou de gouvernement, il est souvent très
du droit constitutionnel. À ce titre, il important, en principe comme en pra-
serait concerné avant tout par la répar- tique, de déterminer quel organe détient
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tition des pouvoirs en la matière entre quelle compétence en matière d’af-
les divers organes de l’État. Selon cette faires externes et dans quelle mesure
conception, par conséquent, il s’agit l’exercice de cette compétence peut être
avant tout d’une question de gouver- contenu ou contrebalancé par les autres
nance interne, même si l’objet ultime de organes.
ces pouvoirs relève de la sphère externe
de l’État. Dans une certaine mesure, il Pareille distribution de pouvoirs peut 201
s’agit là d’une conséquence inévitable du être le fruit d’une construction très déli-
besoin qu’ont les États constitutionnels bérée de l’organisation de ces derniers
d’organiser et de réguler l’exercice de sous l’égide de la constitution nationale.
ce type de compétence. Comme l’obser- C’est le cas, par exemple, du pouvoir
vait Hersch Lauterpacht, les restrictions que tient le Président des États-Unis de
sur la liberté des juges à ce titre, loin l’art. II s. 2 de la Constitution fédérale
de constituer une suspension de l’État de conclure des traités, avec l’avis et le
de droit, sont l’expression de cette dif- consentement du Sénat. Une telle conju-
férenciation des fonctions qui s’avère gaison des pouvoirs était voulue car,
inévitable dans un État moderne 41. Le comme le reconnaissait Madison, c’est le
principe de l’unité de l’État, qui est fon- pouvoir exécutif qui possède les qualités
damental en droit international 42, ne identifiées comme indispensables pour
peut être transposé tel quel dans le mener des négociations internationales,
cadre interne, car il appartient préci- alors que le besoin de représentativité qui
sément à l’État, également en vertu s’exprime par la valeur législative confé-
du droit international, de déterminer le rée aux traités, milite au contraire pour
fonctionnement de ses propres organes la participation de tout ou d’une partie
selon ses propres arrangements consti- du corps élu dans leur fabrication 44. Ce
tutionnels 43. Lorsqu’un État, suivant modèle de responsabilité partagée existe

(41) H. Lauterpacht, The Function of Law in the International Community, Oxford, Clarendon, 1933, reed. Oxford
University Press, 2011, p. 397.
(42) Art. 4 (1) CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite [2001], 2(2) Ann.
CDI 26.
(43) R v. Lyons [2002] UKHL 44, [2003] 1 AC 976, 131 ILR 538, [105] per Lord Millett.
(44) The Federalist no 75 (Madison) in A. Hamilton, J. Madison et J. Jay, The Federalist Papers (1788, republ. in L. Gold-
man (éd.) Oxford University Press, 2008).

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DOCTRINE ET CHRONIQUES Le droit des relations externes des États

également ailleurs 45. Dans les systèmes visible dans les systèmes ayant consacré
juridiques du Commonwealth, le rôle des normes internationales protectrices
des parlements nationaux s’est consi- des droits de l’homme dans leurs ordres
dérablement accru en raison de la part internes.
croissante des traités parmi les sources
du droit 46. Cela explique que le rôle du Plus généralement, en mettant en
pouvoir législatif dans la décision de l’État exergue les éléments communs du droit
de s’engager dans un conflit armé soit public interne et du droit internatio-
actuellement débattu. nal, une telle approche est de nature
à renforcer ce que le grand internatio-
Mais une approche constitutionnelle met naliste F.A. Mann a appelé « l’ultime
en cause aussi le rôle du pouvoir judi- unité du droit », car elle est de nature
ciaire dans les relations externes. Elle à promouvoir les mêmes disciplines de
cherche ainsi à mesurer le poids de la constitutionalité au niveau national et
délimitation respective des compétences international. Il y a là une caractéristique
entre le juge et le gouvernement sur les spécifique de l’approche allemande, qui
doctrines appliquées par les juges en ce cherche à la fois à soumettre le pou-
domaine. Ainsi, les juges peuvent consi- voir de conduire les relations externes
dérer les relations externes comme étant aux disciplines constitutionnelles sur le
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« non-justiciables », car « au-delà de la plan interne et à développer le concept
sphère de compétence constitutionnelle de fonction constitutionnelle du droit
assignée au pouvoir judiciaire en vertu international 48. La conséquence essen-
de notre conception de la séparation tielle en est qu’en principe, la conduite
des pouvoirs » 47. Mais ils peuvent aussi des relations externes n’échappe pas
se prononcer sur ces mêmes relations au contrôle judiciaire. Plutôt, les juges
202 lorsqu’elles mettent en cause des droits appliquent à son égard des standards
subjectifs ou des obligations de droit constitutionnels d’ordre substantiel.
public dont ils connaissent dans l’exer- Néanmoins, ils sont appelés à exercer
cice de leur fonction juridictionnelle de une forme d’autodiscipline à cette occa-
droit interne. En effet, un élément car- sion, accordant au pouvoir exécutif une
dinal de cette dernière, dans un État marge d’appréciation supérieure à la
constitutionnel, est la protection de l’in- lumière de la nature des enjeux 49.
dividu contre les abus du pouvoir exécu-
tif, que celui-ci soit exercé à l’interne ou Cependant, ne voir que la dimension
à l’externe. L’approche constitutionnelle constitutionnelle du droit des relations
peut ainsi servir à assortir la conduite externes risque d’induire une attitude
par l’État de ses relations externes d’un introspective au regard de laquelle
cadre analogue de droit public, destiné « le droit international serait enseigné
à garantir les droits fondamentaux des comme un simple volet supplémentaire
individus à cette occasion. Ce cadre relie du droit national » 50. Il en va particu-
le droit national au droit international lièrement ainsi lorsque les questions de
par un pont qui est particulièrement relations externes et les normes qu’elles

(45) V. par ex., Constitution du Japon, art. 73(3) ; Constitution de la Corée du Sud, art. 60 et 73.
(46) C. McLachlan, Foreign Relations Law, Cambridge University Press, 2014, [5.37]-[5.90] ; Constitutional Reform and
Governance Act 2010 (UK), partie 2.
(47) Shergill v. Khaira [2014] UKSC 33, [2015] AC 359, [42].
(48) Par exemple, v. les décisions de la Cour constitutionnelle allemande rapportées in 106 ILR 319-399 : 12 juill. 1997,
International Military Operations (German Participation) (1994) 106 ILR 320 ; 16 déc. 1983, Cruise Missiles (Danger
to Life) (1983) 106 ILR 353 ; 29 oct. 1987, Cruise Missiles Deployment (German Approval) (1984) 106 ILR 365 ;
18 déc. 1987, Chemical Weapons (Deployment) (1987) 106 ILR 389 ; et v. aussi D. P. Kommers et R. A. Miller, The
Constitutional Jurisprudence of the Federal Republic of Germany, 3e éd., Duke University Press, 2012, p. 189-215.
(49) T. Franck, Political Questions/Judicial Answers, op. cit., chap. 7.
(50) M. Koskenniemi, Foreword in A. Roberts, Is International Law International?, Oxford University Press, 2017, p. xiv.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le droit des relations externes des États DOCTRINE ET CHRONIQUES

sollicitent en viennent à être étudiées de justification à l’exercice d’un pouvoir


au titre du « droit de la sécurité natio- exécutif très large dans les relations
nale », champ qui a atteint le statut de extérieures de l’État 53. On voit qu’une
discipline après le 11 septembre 2001 51 telle interprétation de la fonction du droit
et dont l’objet prioritaire consiste à assu- des relations externes peut engendrer
rer la sécurité de la nation à travers des de l’isolationnisme, coupant le droit des
normes nationales plutôt qu’internatio- relations externes d’un État de toute
nales. Dans sa version la plus extrême, interaction soit avec le droit des autres
cette discipline peut chercher à réécrire États, soit avec l’ordre international lui-
les relations internationales d’une com- même, alors que celui-ci représente
munauté donnée en des termes exclu- l’autre face de la relation que ce droit
sivement nationaux 52, ou alors à servir s’efforce précisément de réguler 54.

IV – La fonction diplomatique du droit


des relations externes
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La quatrième conception du droit des externes. Les premiers traités doctrinaux
relations externes est l’exact opposée consacrés à ce champ exposaient tant le
du modèle constitutionnaliste. Elle voit droit applicable à la conduite des rela-
la principale fonction de ce droit comme tions diplomatiques que la pratique diplo-
étant d’ordre diplomatique, c’est-à-dire matique effective des différents États 55.
qu’il serait destiné à accompagner la Aujourd’hui, une grande partie du droit
conduite des relations externes dans applicable aux relations diplomatiques a 203
les rapports entre les différents États. été codifiée dans des conventions inter-
Les relations externes doivent alors être nationales à vocation très large, de sorte
conçues dans une dimension horizon- qu’il fait désormais partie du droit inter-
tale, qui ne serait fixée ni vers l’exté- national proprement dit.
rieur ni vers l’intérieur mais qui serait
plutôt le reflet de la conduite effective Une autre dimension cardinale de la
des relations diplomatiques dans ces conduite des relations bilatérales entre
deux directions, chaque État cherchant États, régulée par le droit internatio-
à promouvoir ses propres objectifs de nal, est l’immunité juridictionnelle dont
politique étrangère à travers le droit jouit l’État au regard de l’exercice du
régissant les relations externes. Il n’en pouvoir juridictionnel au nom de ses
reste pas moins que la pratique diplo- pairs. Consacrée par le droit internatio-
matique, quelle qu’en soit la conception, nal coutumier, cette immunité prend ses
a été reliée très tôt au droit des relations racines dans la pratique des États 56. Elle

(51) M. Minnow, Dialogues, discourse and debate: introducing the Harvard Journal of National Security (2010), 1 Harv
Nat’l Sec J 1.
(52) « There is a cardinal difference between the foreign relations law of a state, even the United States, by definition
specific to that state, and international law. The overwhelming impression on reading this body of scholarship …
is one of isolationism. It is as if we heard the sound of one hand clapping ; a conversation in which the United
States is its own and only interlocutor » : J. Crawford, International Law as Discipline and Profession (2012), 106
ASIL Proc 471, 484.
(53) J. D. Ohlin, The Assault on International Law, Oxford University Press, 2015, ch 2.
(54) Crawford, art. préc. ; D. F. Vagts, American International Law : A Sonderweg ?, in K. Dicke et al. (eds), Weltinnen-
recht: Liber Amicorum Jost Delbrück, Berlin, Duncker & Humblot, 2005, p. 835.
(55) V. notamment, Sir E. Satow, A Guide to Diplomatic Practice, Londres, Longmans, 1922 et J. W. Foster, The Practice
of Diplomacy as Illustrated in the Foreign Relations of the United States, Boston, Houghton Mifflin, 1906.
(56) Cour internationale de justice, 3 févr. 2012, n° 143, Immunités juridictionnelles des États (Allemagne c/ Italie),
Rep. 99, 123, [56] ; D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2012. 539, étude H. Muir Watt.

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DOCTRINE ET CHRONIQUES Le droit des relations externes des États

dérive de l’égalité souveraine des États cations plus larges dans des cas qui
qui, comme l’indique l’article 2, § 1, de engagent les intérêts des États étran-
la Charte des Nations unies, consti- gers et, à ce titre, affectent les relations
tue l’un des principes fondamentaux de diplomatiques de l’État du for.
l’ordre juridique international 57. Elle a
par ailleurs une fonction diplomatique, Plus généralement, l’idée selon laquelle
car elle est de nature à promouvoir le le Comity devrait guider la façon dont
Comity et les bonnes relations entre chaque État prend en compte les intérêts
États, en imposant aux uns le respect des autres remonte aux écrits d’Ulrich
de la souveraineté des autres 58. Cepen- Huber au XVIIe siècle 62. Dans les sys-
dant, les législateurs et les juges natio- tèmes de common law, aussi bien aux
naux conservent un rôle vital dans la États-Unis 63 qu’en Angleterre et dans
détermination précise de l’étendue de le Commonwealth 64, elle a exercé une
l’immunité des États. Si celle-ci dérive influence très forte sur un éventail très
bien du droit international, ce droit est étendu de cas mettant en jeu les rela-
interprété et appliqué au plan national, tions externes des États. Bien qu’elle
et l’on sait que la pratique des États est connaisse des acceptions assez diverses,
très divergente quant au nombre et au elle est fréquemment utilisée par les
contenu des exceptions admises. juges pour justifier l’obligation imposée
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à l’État de faire place aux intérêts de ses
Bien entendu, les relations diploma- pairs. Une expression particulière est la
tiques peuvent également impliquer ou doctrine de l’Act of State, captée dans
servir la protection de droits individuels. la formule générale selon laquelle « les
Le droit international reconnaît le droit juges d’un pays ne jugeront pas les actes
d’un État d’exercer une protection diplo- d’un autre accomplis à l’intérieur de son
204 matique lorsque les actions d’un État propre territoire » 65. Quoique soumis
étranger affectant les ressortissants à l’époque à un déluge de critiques et
du premier sont constitutives d’un délit largement nuancé par la jurisprudence
international 59. Certes, un tel droit est ultérieure, le principe selon lequel le
mis en œuvre au plan international 60, déploiement de la fonction judiciaire
mais chaque État doit déterminer pour peut être limité par des considérations
lui-même, dans son ordre interne, s’il propres à la bonne conduite des rela-
est soumis à une obligation de proté- tions entre États continue à exercer une
ger ses propres nationaux, quand ils emprise puissante sur la pratique et la
souffrent des atteintes à leurs droits aux doctrine de common law 66.
mains des autres États 61. Mais au-delà
du droit des relations diplomatiques On peut donc dire que la conception
et des immunités au sens strict, une diplomatique du droit des relations
conception diplomatique des relations externes voit celui-ci comme dépassant
internationales peut avoir des impli- le champ de l’ordre constitutionnel d’un

(57) Ibid., 57.


(58) CEDH 21 nov. 2001, no 35763/97, Al-Adsani v. United Kingdom, point 54, AJDA 2002. 500, chron. J.-F. Flauss ;
D. 2003. 1246, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2002. 149, obs. F. Massias.
(59) Commission du Droit international, Projet d’articles sur la protection diplomatique [2006] 2(2) Ann. CDI 22.
(60) Diallo (Guinea v Democratic Republic of the Congo) (Merits) [2010] ICJ Rep. 639.
(61) Kaunda v. President of the Republic of South Africa [2004] ZACC 5, 136 ILR 452 ; Van Zyl v Government of the
Republic of South Africa [2007] ZASCA 109, [2008] 1 All SA 102 ; Government of the Republic of South Africa v
von Abo [2011] ZASCA 65 ; et v. plus généralement, McLachlan, 2014, chap. 9.
(62) U. Huber, De Conflictu Legum (1686).
(63) W. Dodge, International Comity in American Law (2015), 115 Colum L R 2071.
(64) L. A. Collins, Comity in modern private international law in J. Fawcett (ed.), Reform and Development of Private
International Law: Essays in honour of Sir Peter North, Oxford University Press, 2002, p. 89.
(65) Underhill v. Hernandez 168 US 250 (1897) 252.
(66) Belhaj v. Straw [2017] UKSC 3, [2017] 2 WLR 458, sur lequel v. C. McLachlan, The Foreign Relations Power in the
Supreme Court, (2018) 134 LQR 380.

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Le droit des relations externes des États DOCTRINE ET CHRONIQUES

seul État. Elle attire l’attention, de façon le motif enveloppant de Comity ou Act
importante, sur la dimension interéta- of State à une analyse plus fine des
tique de certaines questions juridiques difficultés que soulève tel ou tel cas
qui doivent être résolues au sein de particulier 67. Il empêche notamment de
chaque ordre interne. Cependant, ce rechercher quel droit – national, étran-
modèle diplomatique comporte des fai- ger, ou international – s’applique au
blesses propres, en ce qu’il substitue litige. C’est la question du conflit de lois.

V – La fonction « allocative » du droit


des relations externes

La cinquième fonction que l’on peut le droit des relations externes requiert
attribuer au droit des relations externes davantage que les principes qu’offre ce
est « allocative » 68 ou « répartitrice » 69, dernier. Par exemple, les principes du
en ce sens qu’il s’agit d’allouer ou de droit international relatifs à la compé-
distribuer des compétences et des lois tence des États ne permettent pas de
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dans les cas impliquant l’exercice du répondre à la question de la responsabi-
pouvoir souverain des États. Pareille lité de l’État à l’égard des individus affec-
fonction s’exerce au sein d’un système tés par les actions qu’il a menées en
donné pour déterminer quel droit (natio- dehors de ses frontières. Il ne suffit pas
nal ou international) doit s’appliquer à non plus de rechercher la portée dans
des questions relevant de l’exercice des l’espace des droits nationaux, puisque
pouvoirs publics des États. On voit donc les situations envisagées mettent en 205
ainsi qu’elle s’apparente à celle du droit cause l’interaction de divers systèmes
international privé, dans le contexte juridiques (entre le droit international
pourtant différent du droit public 70. et ceux des États). Il faut au contraire
élaborer un ensemble plus fin de règles
Cette fonction se déploie de trois façons : à la fois compatibles avec le droit inter-
(1) entre États ; (2) entre les plans natio- national général et destinées à fournir
nal et international ; et (3) entre les trois des solutions effectives à des problèmes
branches du gouvernement dans l’État contemporains. En somme, l’approche
constitutionnel. On peut légitimement se allocative étend au droit public la fonc-
demander pourquoi il serait nécessaire tion remplie par le conflit de lois pour les
d’interposer un ensemble de règles de relations privées transfrontières.
distribution des compétences entre le
droit international public, qui se charge La mise en œuvre d’une telle méthodo-
d’opérer cette distribution dans les rela- logie est de nature à éclairer les cinq
tions entre États, et les règles de droit points suivants :
substantiel des systèmes nationaux.
Sans aucun doute, le cadre est fourni Tout d’abord, les règles de conflit de
par le droit international public. Mais lois sont concernées spécifiquement par

(67) Moti v. The Queen [2011], HCA 50, (2011) 245, CLR 456, [52].
(68) C. McLachlan, The Allocative Function of Foreign Relations Law (2012) 82 BYIL 349 ; McLachlan, 2014, chap. 1 ;
J. Menzel, Internationales Öffentliches Recht, Tübingen, Mohr Siebeck, 2011.
(69) M. Forteau 119, RGDIP 2015. 314, 316.
(70) La fonction « répartitrice » est un terme également employé pour caractériser certaines conceptions de la fonc-
tion de la règle de conflit de lois en droit international privé (v. H. Muir Watt, La fonction de la règle de conflit
de lois, thèse dact. Paris II, 1985 ; D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, PUF, Thémis, 4e éd., 2017,
nos 338 s.). Sur la question, déjà, de l’existence d’un troisième champ disciplinaire intéressant les relations entre
l’État et l’individu étranger sous l’angle du droit public, v. ces mêmes auteurs, ibid, no 582-6.

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l’interaction entre systèmes juridiques. les solutions adéquates. Par exemple,


C’est-à-dire qu’elles reconnaissent et une conception simpliste de la terri-
tiennent compte du fait que tout sys- torialité s’est avérée inadéquate aussi
tème juridique a des limites, mais que bien comme fondement de l’exercice
lorsqu’un problème donné dépasse ces de la compétence normative que dans
mêmes limites, il est nécessaire d’avoir la détermination des responsabilités de
un ensemble de principes qui déter- l’État en matière de droits de l’homme
minent le for compétent et la loi appli- à l’occasion de l’exercice des pouvoirs
cable. Bien qu’il soit usuel d’envisager souverains. Par contraste, l’approche
la méthode du conflit de lois en rapport allocative autorise à diviser et à décou-
avec des questions de droit privé et per les questions, afin de faire apparaître
horizontalement entre systèmes natio- les connexions réelles et substantielles
naux, rien n’oblige à la restreindre à entre l’État et la conduite dommageable.
cette seule hypothèse. Au contraire, ses
techniques peuvent être employées dans En quatrième lieu, l’approche allocative
des contextes dans lesquels il s’agit de s’accompagne d’une méthode consistant
déterminer les sphères respectives du à qualifier la question de droit afin de
droit national et international, ou des déterminer le droit ou le juge compé-
juridictions nationales et internationales, tent. Comme le disait I. Brownlie : « les
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à l’égard de relations relevant de l’une juges doivent d’abord choisir le droit en
ou de l’autre. fonction de la nature du litige… Qu’ils
soient nationaux ou internationaux, ils
Ensuite, la transposition d’une métho- seront fréquemment engagés dans la
dologie inspirée du conflit de lois au recherche assez technique qui consiste à
domaine des relations externes de l’État trouver le système approprié pour régir
206 permet de considérer non seulement les des questions spécifiques » 71.
intérêts légitimes des États étrangers,
y compris à l’application de leurs lois, La cinquième idée est que le fait de
mais aussi les règles pertinentes du considérer les relations externes comme
droit international, qui forgent et enfer- étant soumises au droit ne postule ni
ment les interactions entre États. En ce l’application nécessaire de la lex fori, ni
sens, la nouvelle discipline proposée la compétence illimitée des tribunaux
est, comme le droit international privé, de l’État du for. Il faut plutôt s’interroger
par nature transnationale. Par ailleurs, précisément sur le droit applicable et le
comme le droit international privé, le for compétent. F.A. Mann avait avancé
droit des relations externes prend tou- cette même idée en ce qui concerne
jours sa source dans l’ordre juridique la doctrine de l’Act of State étranger,
du for. Il fournit une série de règles par observant alors que les situations dans
lesquelles le for détermine pour lui- lesquelles une telle doctrine avait été
même quand et jusqu’où, par exemple, invoquée pouvaient mieux s’expliquer
il laissera intervenir un tribunal étranger par l’application ordinaire des règles de
ou appliquera le droit international. conflit de lois 72. Mais le droit interna-
tional privé ne peut pas toujours à lui
En troisième lieu, les questions de com- seul fournir la réponse aux problèmes
pétence juridictionnelle et législative ne impliquant l’exercice du pouvoir sou-
se prêtent pas à des réponses géné- verain des États. Il faut rechercher des
ralisées. Ces questions doivent plutôt directives de répartition dans le droit
être désagrégées afin de faire ressortir public régissant les relations externes.

(71) I. Brownlie, Principles of Public International Law, 7e éd., Oxford University Press, 2008, p. 41, 54.
(72) F. A. Mann, The Sacrosanctity of the Foreign Act of State (1943) 59 LQR 42, repris in F. A. Mann, Studies in
International Law, Oxford University Press, 1973, p. 438 ; et v. Lord Collins et al., Dicey, Morris & Collins on the
Conflict of Laws, 15e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2012 [5-047].

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Par exemple, comme l’a dit H. Fox, l’une la compétence de l’État pour prescrire.
des fonctions principales de l’immunité Mais ils ne suffisent pas à appréhen-
des États est de servir « … de méthode der la nature spécifique des interac-
d’allocation des compétences entre États tions entre différents États. Un modèle
s’agissant de la poursuite des crimes et allocatif demande comment mettre en
du règlement des différends entre par- balance la compétence de l’État du for
ties privées au sujet des activités des avec celle que s’attribuent les autres. Il
États… Elle sert à la fois comme méca- définit dans quelle mesure il est accep-
nisme de choix entre fors concurrents table qu’un État étranger agisse comme
et comme dispositif préventif destiné à demandeur devant les juges du for 75, de
éviter la confrontation entre États » 73. même que les limites admissibles ou
nécessaires à l’exercice par ces derniers
De son côté, J. Menzel analyse l’opéra- de leur compétence à l’égard d’un État
tion de ce qu’il appelle le « droit public étranger défendeur. Certes, ce sont là
international », qui se prononce sur la trois facettes d’une même probléma-
délimitation des compétences de droit tique. Mais elles requièrent chacune des
public et administratif. Il y inclut à la réponses plus fines qu’une référence
fois l’effet externe de l’action étatique et générale à la territorialité ou à l’exclu-
l’effet de l’activité souveraine des États sion du droit public étranger devant les
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étrangers dans l’ordre interne de l’État tribunaux du for, ou encore à l’immunité
du for 74. Il estime que ces questions absolue des États. Aucun de ces prin-
devraient relever d’un droit du conflit cipes traditionnels déduits du droit inter-
de lois horizontal, ou Grenzrecht, pour national n’est à la hauteur de ce qu’on
l’action externe des États. Ce cadre com- peut attendre d’un régime qui fait place
prendrait tous les principes destinés à de façon adéquate aux intérêts légitimes
résoudre les conflits transnationaux de des États. 207
normes en matière de droit public, ou
tout au moins qui en délimitent la por- De là, on peut formuler une conclusion
tée dans l’espace ; la distribution ou la plus générale. En empruntant la métho-
répartition des pouvoirs constitutionnels dologie du droit international privé, on a
en matière de relations externes ; la un paramètre pour évaluer l’adéquation
protection transnationale des droits de des solutions proposées aux questions
individus ; le droit international admi- de droit liées aux relations externes (soit
nistratif. La valeur essentielle de cette de l’État du for, soit d’un État étranger) :
approche réside dans la tentative de on peut alors se demander si le résultat
l’auteur de rassembler un ensemble, sert bien à répartir les compétences ou
disparate et souvent négligé, de ques- les droits potentiellement applicables,
tions transfrontières intéressant le droit ou au contraire, à justifier un juge-
public et de conférer une certaine cohé- ment de non-justiciabilité. Il ne s’agit
rence à leur régime juridique. pas d’une simple analogie avec le droit
international privé. En effet, ni l’exercice
Une telle approche peut aussi révéler des externe du pouvoir souverain de l’État
dimensions importantes pour la compré- étranger, ni le régime dont fait l’objet
hension de la nature de la compétence le droit d’un État étranger dans l’ordre
normative en matière de droit public. du for n’appellent inéluctablement un
Des principes de droit international défi- choix entre le droit du for ou un droit
nissent les frontières ultimes de ce qui étranger. Au contraire, il faut élaborer
est admissible en matière d’exercice de des solutions plus spécifiques, car les

(73) H. Fox, The Law of State Immunity, 2e éd., Oxford University Press, 2008, p. 751, italiques ajoutés.
(74) J. Menzel, Internationales Öffentliches Recht, op. cit..
(75) H. Buxbaum, Foreign Governments as Plaintiffs in U.S. Courts and the Case Against “Judicial Imperialism” (2016),
73, Wash & Lee L. Rev. 653.

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conflits qui surgissent dans le domaine nement au regard de la constitution de


des relations externes ne sont pas seu- l’État du for ? Et dans ce cas, comment
lement bi-dimensionnels comme ceux articuler le régime qui en résulte avec
dont connaît le droit international privé, celui imposé au regard d’une distribution
dans des situations de concurrence hori- différente, par exemple, au regard de la
zontale. Ils peuvent impliquer aussi une fonction des juges dans la protection des
dimension tri-dimensionnelle et verti- droits individuels ?
cale, dans la mesure où ils incluent
aussi bien le droit international public En deuxième lieu, la théorisation pré-
et ses dispositifs de solution des litiges conisée partage avec la conception
que la distribution des pouvoirs au sein « constitutionnaliste » une préoccupation
même d’un État, entre les différents toute particulière à l’égard de l’équilibre
organes de gouvernement. des pouvoirs au sein de l’ordre constitu-
tionnel interne. Il y va en effet de l’exten-
Ainsi envisagée, une conception allo- sion à la conduite des relations externes
cative du droit des relations externes des principes fondamentaux de gouver-
n’est pas un transfert pur et simple au nement constitutionnel – à savoir, la
domaine du droit public d’une méthodo- séparation des pouvoirs et l’État de droit.
logie développée pour des relations de Cependant, cette dimension n’épuise pas
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droit privé. Il s’agit plutôt d’une tentative les questions traitées par une discipline
d’expliquer et de synthétiser quelques qui serait focalisée spécifiquement sur
éléments cardinaux d’autres conceptions les relations externes.
des relations externes au sein d’un seul
cadre conceptuel. À cet égard, les quatre En effet, en troisième lieu, l’approche
séries de problématiques identifiées plus proposée intègre dans les préoccupa-
208 haut peuvent être comprises comme tions de la discipline la considération
impliquant la distribution du pouvoir de du rôle du droit international. À cet
décider d’une question donnée ou de égard, elle a évidemment des points
déterminer le droit qui lui est applicable, communs avec l’approche « internatio-
mais le modèle préconisé diffère de cha- naliste » également envisagée plus haut.
cune des autres perspectives examinées. Mais plutôt que de distribuer toutes les
questions entre le droit international et
En premier lieu, sans aucun doute, cette le droit national, la discipline telle que
théorisation alternative est de nature nous la concevons pose également une
à heurter une prémisse fondatrice de question de conflit de lois : quand le
la doctrine « exclusiviste » qui voudrait droit international doit-il être appliqué
reléguer les relations externes au non- directement à une question impliquant
droit. L’approche préconisée cherche au l’exercice du pouvoir étatique en matière
contraire à désagréger la revendication de relations externes ?
de non-justiciabilité en en examinant les
implications. Est-ce qu’il renvoie la ques- En quatrième lieu, enfin, cette approche
tion à un autre plan, celui du droit inter- utilise une technique spécifiquement
national, par exemple, dans le cas de la juridique, alors même que ces ques-
légalité des interventions militaires 76 ? tions apparaissent également dans un
Le règlement de la question est-il assuré contexte de relations diplomatiques
par l’une des autres branches du gouver- entre États.

***

(76) R (Gentle) v. Prime Minister [2008] UKHL 20, [2008] 1 AC 1356, 140 ILR 624.

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En conclusion, la célèbre observation en examinant la portée de la protection


de René David au sujet du droit com- nécessaire des individus affectés par
paré, selon lequel l’approche inhérente l’exercice externe du pouvoir souverain
à la comparaison permet de mener des États. Bien entendu, ces derniers
une « lutte contre les idées fausses et conservent toujours le pouvoir de déter-
les préjugés, engendrés par l’attitude miner pour eux-mêmes leurs propres
isolationniste qu’ont prise les juristes réponses constitutionnelles aux ques-
dans la plupart des pays » 77, paraît tions qui se posent à l’interface avec le
particulièrement utile pour permettre monde extérieur. Cela fait partie de la
de comprendre l’un des mystères affec- définition même de l’État souverain. Et
tant la relation entre le droit interna- pourtant, le droit fait preuve aussi d’une
tional public – le droit que les États remarquable capacité à évoluer en ce
ont tous en commun – et les systèmes domaine et à étendre ces innovations à
nationaux. Cette relation est curieuse- l’ensemble des États.
ment « la moins approfondie de toutes
les divisions fondamentales de notre Cet exercice comporte des implications
vie politique » 78. Or, tout dépend ici potentielles pour le droit international.
de la conception que l’on retient de la Les processus par lesquels les États
fonction qu’y occupe le droit. Des points interagissent avec le droit international
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de départ différents peuvent conduire à sont autant de clés de la mise en œuvre
exclure des pans entiers du champ de de celui-ci. Par ailleurs, son contenu est
l’investigation et de la régulation juri- enrichi par la dimension transfrontière
diques. Ce n’est qu’en exposant ces du droit public, qui atteste de relations
conceptions à un examen critique mené de coopération entre États. Surtout,
à partir de perspectives différentes que enfin, nous espérons éviter le risque
les vraies questions peuvent surgir. d’isolationnisme qui guette l’élaboration 209
du droit des relations externes. Ajou-
C’est à cette tâche que nous nous tons aussi que dans la même perspec-
sommes attelés ici, en interrogeant tive d’ouverture disciplinaire, l’emprunt
directement les dimensions spécifiques d’éléments méthodologiques au droit
de l’interaction entre le droit national et international privé servira également
le droit international, en tenant compte à l’enrichissement mutuel des deux
des intérêts juridiques de l’État étran- branches d’une matière que le siècle
ger aussi bien que de celui du for, et passé a scindée en volets public et privé.

(77) R. David, Le droit comparé, Économica, 1982, p. 7.


(78) D. Armitage, op. cit.

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