La mondialisation du droit pénal économique

Le droit pénal au défi de la compliance

Marie-Emma Boursier
Dans Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2017/3 (N° 3), pages 465
à 480
Éditions Dalloz
ISSN 0035-1733
ISBN 9782995517039
DOI 10.3917/rsc.1703.0465
© Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)

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 DOCTRINE
Le droit pénal n’échappe pas au phénomène de mondialisation du droit,
au-delà du champ classique du droit pénal international, fondé sur un
élément d’extranéité voire sur une source purement internationale comme
les crimes internationaux. L’émergence d’un véritable droit pénal des
affaires internationales, aux ressorts en partie communs avec le premier,
est en effet marquée par de fortes spécificités. Il s’agit entre autres de
processus prudentiels issus des règles de compliance. La compliance
implique une conception systémique du droit fondée sur la notion
d’effectivité et de co-régulation éloignée des concepts traditionnels du
droit pénal. Or, ses contacts avec le champ pénal sont de plus en plus
nombreux. L’étude propose de les identifier et de les analyser. D’abord
au titre des règles applicables à des infractions pénales traditionnelles
faisant encourir aux États et à la communauté internationale des risques
systémiques majeurs comme le blanchiment, la corruption, l’évasion et la
fraude fiscales ou les infractions environnementales. Ensuite au titre des
règles de soft law et des sanctions qui lui sont attachées dont le manque
de prévisibilité est paradoxalement une source d’insécurité potentielle pour
les entreprises comme pour les États.

La mondialisation du droit pénal

465
économique
Le droit pénal au défi de la compliance
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Doyen de la Faculté de droit et de science politique
de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Paris-Saclay,
Maître de conférences HDR,
Directrice du Master professionnel de Droit pénal de l’entreprise,
Laboratoire DANTE, équipe d’accueil no 4498

Even criminal law is affected by the phenomenon of globalization of law.

It goes far beyond the traditional field of international criminal law which
is based on a foreign element and even on a purely international source of
law such as international crimes.
The emergence of an independent international business criminal law
shares some common roots with criminal law itself, but also has distinct
and strong specificities : among other things the prudent management
process and the anticipation of legal risk which derive from the compliance
rules. Compliance entails a systemic conception of law based on the notion
of effectiveness and co-regulation, remote from the traditional concepts of
criminal law. Yet it intertwines with criminal law in many instances.

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 DOCTRINE La mondialisation du droit pénal économique

This study will aim at identifying and analyzing these overlapping contacts.
First, from the standpoint of the rules applicable to traditional criminal
violations that put the States and the international community in a major
systemic risky position such as money laundering, corruption, tax evasion,
tax fraud and environmental crimes.
Second, from the standpoint of the soft law rules and its attached sanctions
whose lack of predictability is paradoxically a source of possible insecurity
for the States as well as for the private sector.

Si le phénomène bien connu de la mon- La compliance 5, qui implique une concep-

dialisation du droit, qui engendre le
recul de la souveraineté des États au
profit de la régulation et l’emprise crois-
sante de la compliance, soulève nombre
de questions en droit international privé
et public 1, c’est aussi le cas, plus éton-
namment en droit pénal internatio-
nal 2. Le champ clos du droit pénal est
dépassé depuis longtemps 3. La sanction
pénale est souvent supplantée par des
sanctions civiles et administratives pour
réprimer des comportements nuisibles,
mais jugés, du moins à l’origine, moins
466 attentatoires aux valeurs traditionnel-
lement protégées par le droit pénal,
ou encore trop techniques pour relever
de la compétence du juge pénal. Les
regulatory offences ou public welfare
offences, infractions réglementaires du
droit américain et anglais portant sur
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tion systémique du droit fondée sur la
notion d’effectivité et de régulation via des
normes émises par l’entreprise dans des
domaines porteurs d’un risque systémique
potentiel 6 participe de ce mouvement. Or,
au-delà du droit de la concurrence, de
la finance et de l’environnement, elle
concerne le champ pénal à double titre.
Tout d’abord, au titre des règles appli-
cables à des infractions pénales tradition-
nelles faisant encourir aux États et à la
communauté internationale des risques
systémiques majeurs comme le blanchi-
ment, la corruption, l’évasion et la fraude
fiscales ou les infractions environnemen-
tales. Ensuite, au titre des sanctions qui
lui sont attachées, dont le manque de
prévisibilité et l’extraterritorialité poten-
tielle constituent une source d’insécurité
pour les entreprises voire pour les États.

des domaines variés dont la protec-
tion sociale, l’environnement ou encore
le développement, font ainsi évoluer la
notion d’infraction du droit continental
vers une forme de déjudiciarisation 4.
Ce phénomène suivi dans les pays euro-
péens d’un mouvement de dépénalisa-
tion a entraîné le développement d’une
nouvelle « matière pénale » fruit de l’ac-
tivité des autorités de régulation.
Ces sanctions révèlent cependant l’effi- © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
cacité de la compliance transformant le
soft law des régulateurs chargés de son
application, en droit répressif 7, et pire
encore pour les entreprises en facteur de
risque pénal.
La mondialisation du droit pénal est donc
à l’œuvre. Elle intègre certaines spéci-
ficités du droit pénal des affaires inter-

(1) Colloque « L’Europe du droit face aux entreprises planétaires », 21 mars 2015, Les entretiens d’Amboise.
(2) Droit pénal et autres branches du droit, Actes du XXe congrès association française de droit pénal, 5-6-7 oct.
2011, éd. Cujas, coll. Actes et colloques, sous la direction de J. C. Saint- Pau, 2012, p. 465 à 472.
(3) M. Delmas-Marty, Le flou du droit. Du code pénal aux droits de l’homme, PUF, spéc. p. 17 et 18.
(4) J. Pradel, Droit pénal comparé, Dalloz, coll. Précis, 4e éd., 2016, spéc. no 39, 764.
(5) La compliance, ou conformité réglementaire, impose aux entreprises de se soumettre à l’ensemble des exigences
légales, réglementaires et à toute norme émanant d’un organisme doté d’un pouvoir réglementaire ou de tutelle
sous peine de sanction par un juge ou une autorité de tutelle.
(6) C’est aussi un outil de politique financière mondiale, V. en ce sens les déclarations du Comité de Bâle.
(7) Pour un exemple récent en matière de corruption de pénalisation de la non-compliance : la corporate offence
of failing to prevent corruption, UK Bribery act, Sect. 7. Sur l’analyse du mécanisme de mise en cause de la
responsabilité pénale de la personne morale, M.-E. Boursier, préc., spéc. no 212 s.

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nationales, dont les processus pruden-
tiels issus des règles de compliance 8.
Cette approche élargie du droit pénal
international ne constitue sans doute
qu’une étape tant les interférences entre
les forces économiques et les droits de
l’homme se multiplient 9. Dès lors, l’ana-
lyse de la mondialisation du droit pénal,
au prisme des règles de compliance,
bouscule la conception traditionnelle du
droit pénal régalien et territorial d’un
triple point de vue. Ses sources tout
d’abord : le principe constitutionnel de
légalité pénale ne réserve-t-il pas l’ex-
clusivité de l’édiction de la norme pénale
à la compétence du législateur ? Son
champ d’application ensuite : comment
la territorialité du droit pénal, s’accom-
mode-t-elle de règles de compliance
mondialisées qui appellent un juge pénal
sans frontières ? Son effectivité enfin :
comment, dans ces conditions, rendre
effective la répression d’une délinquance
transnationale dans un monde globalisé,
mais composé d’États souverains ? 10
Comment intégrer le développement de
réponses alternatives à la justice qui
échappent au pouvoir régalien ? Quelles
sanctions prévoir ? 11 Le droit pénal a déjà
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relevé des défis liés aux mouvements
de décentrement 12 et de concurrence
en démontrant sa faculté d’adaptation.
Aujourd’hui la dynamique d’un droit pénal
mondialisé impose de relever d’autres
défis d’une ampleur sans précédent : défi
de la hiérarchisation des valeurs et de la
protection de l’intérêt général internatio-
nal, du respect des droits fondamentaux
et in fine de la préservation de la paix
internationale. Le droit pénal des affaires
internationales, laboratoire du phéno-
mène de mondialisation du droit pénal 13,
apporte des réponses nuancées. Malgré
sa faiblesse en termes d’efficacité, il
démontre une étonnante plasticité sans
renier ses fonctions irréductibles 14.
En définitive, le constat d’un droit pénal
bousculé par la mondialisation suscite
des craintes liées à sa capacité d’assurer
la protection de la société et les garan-
ties fondamentales des citoyens (I). Ces
craintes sont finalement apaisées par la
démonstration de son incroyable faculté
à s’adapter à des enjeux qui dépassent 467
le champ économique pour atteindre les
fondements politiques et démocratiques
des États (II).

I - Le droit pénal bousculé par les © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
mécanismes de compliance

La conception classique du droit pénal, par trois phénomènes qui appellent

étatique et territorial, est bousculée des réponses étatiques : mondialisation

(8) M.-E. Boursier, Commerce international, droit pénal et compétitivité des entreprises, JCP 207, 2016.
(9) Rapport intérimaire du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies chargé de la question des
droits de l’Homme et des sociétés transnationales et autres entreprises (DOC ONU E/CN. 4/2006/97).
(10) La répression dépendant dès lors de l’efficacité des délégations de souveraineté consenties dans les conventions
internationales de coopération pénale, sans compter le refus de super- puissances comme les États-Unis d’adhérer
à la Cour pénale internationale.
(11) La sanction est un élément définitoire essentiel du droit pénal, élément fondé sur sa nature et sa gravité. Or,
au-delà des mécanismes connus du droit interne, les formes internationales des sanctions infligées aux entre-
prises correspondent à cette qualification : déréférencement des marchés internationaux, retrait de licence,
atteinte à la réputation par l’opprobre de l’opinion publique internationale et in fine la fuite des investisseurs
ou des commanditaires étatiques sur les marchés.
(12) Ce décentrement est le fruit de l’émergence d’un droit européen des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe
avec la jurisprudence structurante de la Cour européenne des droits de l’Homme. V. G. Giudicelli-Delage, Le droit
pénal de l’Union européenne au lendemain du Traité de Lisbonne (colloque international organisé par l’Association
de recherches pénales européennes, 27 et 28 janv. 2011), éd. Société de législation comparée, DL 2012.
(13) M. Delmas-Marty, Le Relatif et l’Universel. Les Forces imaginantes du droit, t. 1, éd. Seuil, 2004.
(14) Expressivité, prévention, répression et protection sont les fonctions fondamentales du droit pénal dans un État
démocratique ; F. Desportes, F Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 17e éd., 2011, spéc. no 47 à 53.

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des conflits, mondialisation de la crimi- infractions d’affaires internationales.

nalité organisée et mondialisation des
échanges. La justice pénale internatio-
nale démontre, malgré ses faiblesses,
sa propension à créer des normes pré-
toriennes de protection, voire de jus
cogens 15. Le développement de la cri-
minalité internationale organisée est un
facteur de déstabilisation majeur des
économies et des démocraties. Enfin,
pour des raisons en partie communes,
le renforcement de la délinquance d’af-
faires internationales constitue un ter-
rain favorable au développement de l’ac-
tion des organisations internationales.
Le droit pénal des affaires internatio-
nales constitue dès lors le laboratoire
d’étude idéal 16.
La nécessité de lutter contre ces phéno-
mènes qui ont partie liée avec le terro-
risme conduit à repenser partiellement
le droit pénal. En effet, la spécificité de
ces nouveaux paramètres liés à la mon-
dialisation tient à l’internationalisation
468 des sources et à la concurrence créée
entre elles (A). De même, les grandes
conventions pénales internationales
conclues sous l’égide des organisations
internationales, apportent une contri-
bution active à la construction de ce
droit pénal mondialisé via ses organes
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De fait, leur réticence à déléguer leur
compétence pénale a fini par céder. Un
double phénomène s’est alors enclen-
ché : l’intensification du travail conven-
tionnel et l’émergence de sources
alternatives de régulation, propres
à préserver la souveraineté de certains
États (1). Pareil phénomène aboutit au
renforcement des exigences internatio-
nales par le développement de sources
internationales de droit souple, soft
law, appelées à prendre une place iné-
dite en droit pénal, sous l’impulsion de
législations à vocation extraterritoriales
particulièrement offensives (2).
1 - L’internationalisation des
sources
La notion même d’internationalisation
soulève des questions essentielles
quant aux sources du droit pénal. En
leur temps, l’atrocité des exactions
commises durant la Seconde Guerre
mondiale, répétées et déclinées en
d’autres régions du globe, servit d’élec-
trochoc pour que les États acceptent de
déléguer une part de leur souveraineté
pénale 17, leur droit régalien de punir

de suivi et les techniques d’évaluation
mises en œuvre à l’origine d’un véritable
droit pénal des d’affaires internationales
dérivé (B).
A - La concurrence des sources
d’un droit pénal mondialisé
Les États ont progressivement pris
conscience du caractère délétère des
les infractions commises sur leur ter- © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
ritoire 18 ou au contraire, de conférer
à leur juge pénal la faculté de rayonner
au-delà de ses frontières. La recon-
naissance d’un droit pénal international
de protection des valeurs fondamen-
tales de la communauté internationale,
puis l’institution de juridictions pénales
internationales symbolisent, de fait, la
forme la plus aboutie de partage de
leur pouvoir de sanction en raison de
la gravité des crimes commis contre la

(15) P.- M. Dupuy, Y. Kerbrat, Droit international public, Dalloz, coll. Précis, 13e éd., 2016, spéc. no 25 et 276-277. Sur
la notion de jus cogens et son caractère antinomique avec la logique du droit international public les auteurs
notent qu’il s’agit de « la plus grande incohérence du droit international mais aussi de la plus fertile du droit
international contemporain notamment sur l’évolution de ses modes de formation ».
(16) M. Delmas-Marty, Le Relatif et l’Universel. Les Forces imaginantes du droit, t. 1, éd. Seuil, 2004, spéc. p. 15,
à propos de l’Europe laboratoire de la mondialisation du droit.
(17) Au-delà du droit conventionnel classique, largement bilatéral en matière d’extradition puis de coopération
pénale internationale.
(18) C. pén., art. 113-2, 113-6 s. et C. pr. pén., art. 689 s..

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 La mondialisation du droit pénal économique DOCTRINE

communauté internationale dans son mentales accompagnées par les orga-

ensemble 19. Il démontre aussi l’hos-
tilité persistante de certains États à
l’égard de cet abandon partiel de sou-
veraineté, et leur volonté de privilé-
gier leur compétence extraterritoriale
tant en matière de terrorisme 20 qu’en
matière de délinquance d’affaires inter-
nationales via les modalités de pour-
suite de la non-compliance 21.
Un autre choc s’avéra nécessaire, celui
des attentats du 11 septembre 2001 aux
États-Unis, pour constater une nouvelle
avancée dans les domaines essentiels
de la coopération pénale internatio-
nale et le renforcement d’un corpus
international d’infractions. Ainsi, les
conventions internationales généra-
listes et thématiques se sont multi-
pliées en matière de blanchiment, de
corruption, de contrefaçon, d’évasion et
de fraude fiscales, d’atteintes environ-
nementales 22 sous l’égide des grandes
organisations internationales gouverne-
nisations internationales privées 23.
Un phénomène d’accumulation de
textes, notamment de résolutions,
convergeant substantiellement s’est
produit. Ils furent ensuite déclinés
en guidelines, codes, déclarations de
principe et autres principes directeurs
consacrant l’émergence d’un soft
law 24. En définitive, la place et le rôle
des organisations internationales n’a
fait que croître notamment en matière
pénale. Ainsi, les Recommandations
du GAFI, auxquelles les conventions
internationales de lutte contre le blan-
chiment reconnaissent une valeur
normative, constituent l’instrument le
plus abouti de ce soft law dans le
champ pénal. Leur rayonnement 25est
assuré par les procédures d’évaluation
mutuelle et les travaux des organes
de suivi 26 via l’introduction de normes
prudentielles, dont la coloration pénale
est essentielle 27.
469

(19) D. Rebut, Droit pénal international, préc., spéc. no 902 s.

(20) S. Breyer, La Cour suprême des États-Unis dans un monde interdépendant, Libres propos, JCP 2016. 1128,
à propos notamment de Guantanamo.
(21) A. Garapon, P. Servan-Schreiber, Deals de justice - Le marché américain de l’obéissance mondialisée, PUF, 2013.
(22) A. Huet, R. Koering- Joulin, Droit pénal international, PUF, coll. Thémis Droit, 2005, D. Rebut, préc. ; M.-E. Bour-
sier, préc. Et pour une recension des conventions internationales et régionales relatives à un type déterminé
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d’infractions, A. Huet et R. Koering-Joulin, J.-Cl. Droit international, Vo « Conventions internationales répres-

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sives. – Conventions régionales relatives à un type défini d’infractions », Fasc. 406-30, mai 2014. Entre autres,
la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation
des produits du crime du 8 novembre 1990, la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption du
27 janvier 1999, la Convention transnationale des Nations unies sur la criminalité transnationale organisée du
15 novembre 2000 dite « Convention de Palerme » ou encore la Convention des Nations unies contre la corrup-
tion du 31 octobre 2003, dite « Convention de Mérida ».
(23) On songe évidemment aux normes ISO : la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale des organi-
sations, définissant comment les organisations peuvent et doivent contribuer au développement durable et la
nouvelle norme ISO 37001 première norme internationale de systèmes de management anti-corruption visant
à aider les organismes à lutter contre ce risque au sein de leurs propres opérations et à tous les niveaux de leurs
chaînes de valeur mondiales sortie en novembre 2016.
(24) P.- M. Dupuy, Y. Kerbrat, Droit international public, Dalloz, coll. Précis, 13e éd., 2016, spéc. no 405. Ce soft law
subit ensuite le test de la pratique passant de la déclaration à l’application, même partielle, pour la faire advenir
dans les négociations multilatérales.
(25) Les recommandations sont déclinées dans les instruments conventionnels et régionaux et notamment dans les
directives européennes de lutte contre la blanchiment. V. Directive no 2015/849/UE du 20 mai 2015 relative à la
prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du ter-
rorisme, modifiant le règlement no 648/2012/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive
no 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive no 2006/70/CE de la Commission.
(26) Le GAFI a diffusé un guide méthodologique, Méthodologie d’évaluation de la conformité technique aux recom-
mandations du GAFI et de l’efficacité des systèmes de LCB/FT, 2013.
(27) Coloration pénale par leur but préventif, par leur sanction ponctuellement pénale – l’article L. 574-1 du Code
monétaire et financier sanctionne pénalement la violation de l’obligation de confidentialité de la déclaration de
soupçon et des informations communiquées à TRACFIN-, par leurs conséquences en termes de non-conformité
des systèmes mis en place par les entreprises assujetties – sanction pénale de mise en conformité en matière de
lutte contre la corruption avec la nouvelle peine de mise en conformité en cas de défaillance dans sa mise en
place (C. pén., nouv. art. 131-39-2) prévue par la loi no 830- 2016 du 8 novembre 2016 relative à la transparence,
à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

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 DOCTRINE La mondialisation du droit pénal économique

2 - L’impact de la compliance importante que les autorités américaines

sur les sources internationales
La compliance est apparue dans le sil-
lage du droit souple, sous l’impulsion des
États-Unis, comme une forme imposée de
régulation 28 et d’application d’une poli-
tique criminelle nationale tendant à se
muer en standards internationaux pour
des raisons évidentes de compétitivité
et d’attractivité économique. Il s’agit de
soumettre les opérateurs économiques
des autres pays aux mêmes contraintes
que celles qui sont imposées aux acteurs
économiques nationaux. La lutte contre
la corruption initiée aux États-Unis est
une illustration frappante de ce phéno-
mène. En 1977, les États-Unis ont adopté
le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA),
modifié par l’International Anti-Bribery
and Fair Competition Act en 1998 29, visant
à combattre les paiements illicites effec-
tués par les entreprises américaines dans
le cadre de transactions internationales,
470 alors que de nombreux pays, dont la
France, autorisaient la déductibilité fis-
cale de commissions indues versées dans
le cadre de transactions du commerce
international 30. Il sanctionne pénalement
les actes de corruption et la défaillance
des entreprises dans la mise en place
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l’interprètent extensivement. Cette posi-
tion fragilise les entreprises françaises et
européennes dont les moyens de défense
restent peu efficaces en droit européen
et international 32 face à des sanctions
prononcées – le plus souvent – à l’issue
d’une procédure de justice négociée, dite
Deferred Prosecution Agreement, pré-
férée à une mise en accusation et à une
éventuelle condamnation devant les juri-
dictions 33.
Fondés sur la puissance économique des
États, ces nouveaux modes de régula-
tion sont partiellement déconnectés de la
notion de valeur normative. De ce double
point de vue, le droit pénal cultive donc une
profonde originalité. Exclu de l’arbitrage
pour l’essentiel 34, il ne peut être privatisé
par les opérateurs du commerce interna-
tional. Le développement des règles de
compliance risque dès lors de le margi-
naliser par un double phénomène. D’une
part, par les mécanismes concurrents
adoptés par ses sujets de droit poten-
tiels – les grands groupes internationaux
de sociétés – qui voudraient évincer la
sanction pénale étatique en favorisant
les instruments souples et déclaratoires ;
d’autre part du fait du refoulement du
juge pénal national qui ne prendrait pas

d’un contrôle interne 31. La force de ces sa place dans ce « contentieux » – le © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
dispositions tient à leur portée extra- droit souple ne répondant pas aux cri-
territoriale et à la sévérité des sanc- tères nationaux de la norme pénale –
tions prononcées ; portée d’autant plus conduisant à des frictions entre la justice

(28) La compliance constitue également un substitut de la justice pénale internationale, les États-Unis refusant de
déléguer leur droit de punir à la Cour pénale internationale.
(29) Suivi notamment au Royaume-Uni par le Bribery Act adopté en 2010 et entré en vigueur le 1er juill. 2011.
(30) Loi Sarbanes-Oxley du 30 juill. 2002, dite loi SOX, sur la transparence et l’exactitude de l’information financière,
destinée à protéger le marché américain.
(31) Il comprend, outre les dispositions comptables imposées aux sociétés américaines pour la mise en place d’un
système de contrôle interne efficace pour détecter les actes de corruption, des dispositions anti-corruption qui
interdisent d’offrir ou de fournir un quelconque avantage à un agent public étranger afin d’obtenir, de conser-
ver ou de diriger vers quiconque une transaction ou tout autre avantage.
(32) Il s’applique ainsi à toute personne physique ou morale de nationalité américaine, à toute société étrangère cotée
sur le marché américain, à toute personne physique ou morale étrangère présente sur le territoire américain et
à toute filiale d’une société soumise au FCPA, quel que soit son lieu d’implantation. Elles concernent aussi toute
société souhaitant faire l’acquisition d’une société soumise au FCPA, l’acquéreur pouvant être tenu responsable des
violations des dispositions civiles et pénales du FCPA commises par la cible avant la date de réalisation de l’acquisition.
(33) Le cas BNP est emblématique de l’efficacité du modèle américain. La banque BNP Paribas poursuivie pour
avoir facilité des milliards de dollars de transactions avec le Soudan, mais aussi l’Iran et Cuba, enfreignant ainsi
l’International Emergency Economic Powers Act, loi fédérale américaine de 1977 qui autorise le président des
États-Unis à restreindre les relations commerciales avec certains pays, a accepté de plaider coupable avant d’être
sanctionnée par une amende de neuf milliards de dollars en 2014.
(34) M.-E. Boursier, préc., spéc. no 51 à 53.

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 La mondialisation du droit pénal économique DOCTRINE

étatique et les modalités de justice hori- emblématiques telle l’affaire Nestlé. Le

zontale et décentrée, propres au droit du
commerce international 35.
B - L’émergence d’un
droit pénal des affaires
internationales dérivé 36
La création d’un droit pénal des affaires
internationales dérivé, issu des conven-
tions internationales dédiées à la lutte
contre la criminalité économique et
financière, est à la fois récente et mas-
sive. Les manifestations d’extraterrito-
rialité, de cross fertilisation et l’arti-
culation entre le soft law international
et le hard law en droit du commerce
international, demeurent largement
inexplorées en droit pénal des affaires
internationales tant elles semblent
éloignées des réflexes du juge pénal.
Or, à côté des législations à vocation
extraterritoriale, l’adoption de standards
et de recommandations émis par les
organisations internationales au soutien
d’instruments contraignants constituent
de nouvelles sources majeures du droit
pénal (1). Il en va de même du travail des
organes de suivi et d’application de ces
instruments internationaux et des méca-
© Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
concept d’opinion publique internatio-
nale tend même à se professionnali-
ser avec l’organisation très médiatisée
du Tribunal Monsanto composé de cinq
juges – dont Françoise Tulkens juge à la
Cour européenne des droits de l’Homme
– qui a siégé à La Haye aux Pays-Bas du
14 au 16 octobre 2016. Trente témoins
ont été entendus dans le but, « de livrer
une opinion juridique sur les dommages
sanitaires et environnementaux causés
par la multinationale Monsanto afin de
contribuer au débat visant à inclure le
crime d’écocide dans le droit criminel
international » 37.
Il s’agit d’une source nouvelle d’amplifica-
tion des effets classiques des instruments
conventionnels traditionnels. En effet, la
sphère d’influence des traités s’étend
aux États non signataires du fait de l’écho
sans précédent de l’opinion publique
internationale. Dans ce contexte, les États
tiers souhaitent éviter d’être stigmati-
sés dans ces domaines combinant une 471
forte valeur éthique avec la préoccupation
de préserver leur compétitivité écono-
mique. Cette transaction passe alors par
des efforts plus ou moins concrets pour
adhérer ou transposer fut-ce partielle-
ment les normes internationales. De la

nismes d’évaluation par les pairs (2) qui
incitent les sujets de droit à appliquer
volontairement ces normes pour maî-
triser les risques pénaux encourus (3).
1 - L’amplification des effets
des traités et la multiplication
des standards internationaux
L’opinion publique internationale
représente aujourd’hui une puissance
réelle comme le montrent des affaires
même façon, les États parties ne veulent/ © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
peuvent apparaître comme de mauvais
élèves dans leur application. La sensibilité
des opinions publiques face aux enjeux
globaux de ces conventions, trouve donc
aujourd’hui un écho sans précédent du
fait de la transmission virale des informa-
tions, tout en constituant un levier – néga-
tif ou positif d’ailleurs – sur les marchés
à l’heure ou l’éthique revêt une valeur
commerciale 38.
Parallèlement à ce phénomène a-juri-
dique, les organisations internationales

(35) V. supra, note 6.

(36) L’expression est empruntée au droit européen dérivé des traités européens.
(37) Le Tribunal permettra également de mettre à disposition des populations partout dans le monde un dossier légal
pouvant être utilisé dans des poursuites contre Monsanto et des entreprises similaires.
(38) Il s’agit, sous un autre angle, de l’impact des opinions publiques de chaque État, lui-même bailleur de fonds ou
commanditaire de marchés internationaux.

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 DOCTRINE La mondialisation du droit pénal économique

valorisent les standards internationaux 2 - L’évaluation et le suivi

assurant le passage du droit souple
au hard law. Ainsi, les principes direc-
teurs de l’OCDE 39 en matière de lutte
contre l’évasion fiscale et ses plans
d’action 40 ont une vocation structu-
rante du droit international et du droit
pénal international dont l’application
répond, à défaut d’organe juridictionnel
de contrôle, à la sanction de l’opinion
publique, des pays les plus puissants
comme les États-Unis et in fine des
droits internes 41. Ce passage se réalise
par une forme de fécondation croisée
entre ces sources et par l’adoption
volontaire des standards. De même en
matière de lutte contre le blanchiment,
le dernier règlement européen sur les
transferts de fonds s’appuie explicite-
ment sur les recommandations du GAFI
qui deviennent source de hard law 42.
Un phénomène semblable est observé
dans l’espace européen, doté d’organes
de sanction, avec la notion de dénomi-
nateur commun européen. Ce dernier
472 constitue une sorte de consensus euro-
péen sur une question donnée qui revêt,
selon la Cour européenne des droits
de l’homme, un caractère normatif et
devient un standard à partir duquel elle
décide du champ de ses exigences 43.
Les droits internes donnent également
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de l’application des normes
et standards
Les grandes conventions internatio-
nales de l’ONU et de l’OCDE comme les
organisations intergouvernementales
type GAFI, se sont dotées d’organes de
suivi chargés de surveiller et d’assurer
la bonne application des normes édic-
tées 44. Leurs méthodologies se sont
rapidement imposées comme des ins-
truments incontournables d’intégration
concrète des engagements convention-
nels par les États parties. Un parallèle
peut être fait avec des instruments tels
que la déclaration de l’OCDE sur l’in-
vestissement international et les entre-
prises multinationales du 27 juin 2000
dont le suivi est assuré par le Comité
de l’investissement international et
des entreprises multinationales (CIME)
de l’OCDE. Celui-ci impose ainsi aux
États membres la création de points de
contact nationaux (PCN) chargés de la
diffusion et de la promotion des prin-
cipes. Le Comité répond également aux
saisines des parties pour non-respect de
ces principes 45 et applique des procé-
dures de « circonstances spécifiques »
permettant de préciser les contours des

volontairement une place significative
aux standards internationaux comme
l’illustrent le travail de la Commission
Badinter sur la réforme du droit du tra-
vail s’inspirant directement des normes
de l’OIT ou encore les lois récentes en
matière de corruption.
obligations de vigilance pesant sur les © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
entreprises.
Ainsi, l’Office des Nations unies contre
la drogue et le crime (ONUDC) s’in-
téresse particulièrement, outre la cri-
minalité organisée au sens large, au

(39) OCDE, « Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinatio-
nales et des administrations fiscales », 10 août 2010 ; OCDE, « Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des
entreprises multinationales », 2011.
(40) OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices dit plan BEPS
(Base erosion an profit shifting), Éditions OCDE. Pour une analyse du projet : P. Saint-Amans, E. Robert, Le projet
BEPS et la longue marche en direction d’une fiscalité globale pour l’économie du xxie siècle, RD fisc. no 49, 3 déc.
2015, 709.
(41) Lamy fiscal, 2014, spéc. no 4490.
(42) Consid. 3 du Règl. (UE) 2015/847 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 sur les informations accom-
pagnant les transferts de fonds et abrogeant le règlement (CE) no 1781/2006, JOUE no L 141/1 du 5 juin 2015.
(43) J.- F. Renucci, JCP 1369. 2015. L’auteur souligne la réduction corrélative de la marge nationale d’appréciation
des États membres.
(44) Sans compter les politiques prescriptives et préventives préconisées par les acteurs internationaux tel que le
Fonds monétaire international, la Banque mondiale, ou encore le G20. V. M- E. Boursier, préc., spéc. no 976 s.
(45) J.-M. Jacquet, Version révisée des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales,
RTD com. 2001. 296.

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 La mondialisation du droit pénal économique DOCTRINE

blanchiment d’argent à la criminalité pays non coopératifs au contact desquels

environnementale et à la corruption.
La Conférence a adopté un mécanisme
de suivi destiné à examiner la mise en
œuvre de la convention de Mérida dans
les pays membres 46. Dans ce cadre 47,
la France a fait l’objet d’un examen
très critique conduit par des experts du
Danemark et du Cap Vert en 2011 48. La
quatrième Conférence des États par-
ties a par ailleurs permis la résolution
des questions relatives à la participation
des observateurs et au financement des
évaluations 49. Le groupe de travail inter-
gouvernemental sur l’examen de l’ap-
plication de la Convention des Nations
unies contre la corruption a également
élaboré une « boîte à outils », instru-
ment d’aide à la lutte contre la cor-
ruption destiné aux pays membres et
aux entreprises multinationales 50. Elle
propose une assistance technique aux
États pour assurer l’application de la
convention et parmi d’autres outils la
liste de contrôle pour l’auto-évaluation
de l’application de la Convention, ou
encore des outils d’apprentissage en
ligne destinés au secteur privé 51.
Le GAFI conforte l’application de ses
recommandations en s’appuyant sur ses
membres associés – les huit organismes
© Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
le risque de blanchiment est considéra-
blement accru. Pour ce faire, il s’appuie
sur un instrument public très efficace 52
d’identification des juridictions présen-
tant des défaillances stratégiques en
matière de LCB/FT, mais déterminées,
grâce à un engagement politique de
haut niveau, à corriger ces défaillances
par la mise en œuvre d’un plan d’action
élaboré en coopération avec le GAFI.
Enfin, le GAFI impose à ses membres
une procédure d’évaluation mutuelle
organisée par cycle de la conformité
de leurs droits nationaux aux recom-
mandations. La nouvelle méthodologie
d’évaluation mise en œuvre en 2013,
intitulée « Méthodologie d’évaluation de
la conformité technique avec les recom-
mandations du GAFI et de l’efficacité des
systèmes de LCB/FT du Groupe d’ac-
tion financière », définit la façon dont le
groupe déterminera si un pays a atteint
un niveau de conformité suffisant aux
recommandations. Elle a la particularité 473
d’intégrer un aspect qualitatif tenant
à l’efficacité des mesures adoptées dans
les systèmes nationaux 53. Et surtout,
elle assure le suivi du bilan dressé en
accompagnant ensuite les pays dans la
mise à niveau de leur législation par une

régionaux de type GAFI dont MONEYVAL
le groupe d’action financière du Conseil
de l’Europe – et ses observateurs –
qui représentent des acteurs mondiaux
majeurs FMI, OCDE, ONU, BCE, Comité
de Bâle… –. Il élabore par ailleurs des
« guides méthodologiques » ou lignes
directrices facilitant leur mise en œuvre
par les pays membres en identifiant les
procédure de suivi d’application. © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
Ces mécanismes d’évaluation, qui
existent donc également en matière de
corruption sous différentes formes 54,
jouent un rôle central particulièrement
structurant des droits internes dans les-
quels ils sont ensuite déclinés par les
autorités de contrôle internes. Ils repré-

(46) Convention des Nations unies contre la corruption du 31 oct. 2003, art. 63.
(47) 3e Conférence de Doha, 9-13 nov. 2009.
(48) Rapp. de la phase 3 sur la mise en œuvre par la France de la convention OCDE de lutte contre la corruption,
12 oct. 2012.
(49) 4e Conférence de Marrakech, 24-28 oct. 2011. Une 5e conférence a eu lieu à Panama du 25 au 29 nov. 2013.
(50) Guide pratique contre la corruption publié par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.
(51) Résolutions 3/1, 4/1, 3/4 et 1/1, Mechanism for the Review of Implementation of the United Nations Convention
against Corruption.
(52) « Améliorer la conformité aux normes de LBC/FT dans le monde : un processus permanent », dans lequel le GAFI
encourage ses membres à tenir compte des défaillances stratégiques des pays recensés dans ce document.
(53) Cycle en cours depuis 2014. La prochaine évaluation de la France, après l’évaluation réalisée en 2012, est prévue
en 2020.
(54) Rapport de la phase 3 sur la mise en œuvre par la France de la convention OCDE de lutte contre la corruption
du 12 oct. 2012.

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 DOCTRINE La mondialisation du droit pénal économique

sentent en effet un risque politique, mais avant que le législateur interne ne se

également économique et financier de
stigmatisation en détournant les inves-
tisseurs et les bailleurs de fonds des
pays qui ne paraîtraient pas suffisam-
ment vertueux.
3 - L’application spontanée des
normes pénales mondialisées
Les opérateurs implantés en France
se soumettent « volontairement » à de
nouvelles contraintes. Il s’agit de res-
pecter les exigences les plus élevées
des pays partenaires et des bailleurs de
fonds internationaux afin d’accéder aux
marchés internationaux ou encore de
maîtriser les risques liés à l’extraterri-
torialité des sanctions de non-confor-
mité qui ne cessent de se développer
sous de nombreux aspects : dont la
responsabilité sociétale des entreprises
(RSE) et plus généralement l’éthique.
474
L’exemple du whistelblowing en matière
d’anti-corruption est emblématique de
ce mouvement d’un soft law devenant
obligatoire par choix de ses assujettis
avant d’être introduite en droit interne 55.
L’impact structurant des lignes direc-
© Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
saisisse de la question 57. Les juges évo-
luent sur ces questions en reconnaissant
une juridicité à ces nouveaux instruments
qu’ils intègrent dans leur périmètre de
contrôle 58, restreignant par ailleurs le
pouvoir d’émettre des lignes directrices 59
démontrant, s’il le fallait, leur accès
à une réelle normativité.
Finalement, il existe plusieurs strates
de création de règles répressives par
cercles concentriques. La création de
normes de droit pénal des affaires inter-
nationales par les instruments conven-
tionnels, dont le caractère contraignant
implique nécessairement une intégra-
tion par un instrument législatif interne.
Les instruments de droit souple émis
par les organes de suivi des organi-
sations internationales, voire indirecte-
ment par les pairs, dans le cadre des
évaluations mutuelles qui influencent
les législations internes et incitent les
opérateurs à appliquer des standards
internationaux. Ce mouvement de créa-
tion d’un droit pénal des affaires inter-
nationales dérivé est d’autant plus mar-
quant qu’il s’accompagne d’un effet de
levier. En effet, une fois cette valeur
reconnue, le champ d’application des
règles consacrées s’étend à d’autres

trices du Service central de prévention
de la corruption (SCPC) émises en 2015,
directement inspirées des normes inter-
nationales, fut majeur sur l’organisation,
la gouvernance et la cartographie des
risques des entreprises du CAC 40 56
domaines comme le montre les règles © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
du KYC (Know your Customer) autrefois
cantonnées à la détection du blanchi-
ment qui tendent aujourd’hui à déceler
des faits de fraude fiscale, voire de
fraude en général.

(55) M.-E. Boursier, L’irrésistible ascension du whistleblowing en droit financier s’étend aux abus de marché, Bull. Joly
Bourse 2016. 382.
(56) M.-E. Boursier, op. cit., spéc. no 1083 et 1103.
(57) Loi no 830-2016 du 8 nov. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation
de la vie économique.
(58) Le Conseil d’État admet le recours pour excès de pouvoirs contre certains actes de droit souple des autorités
de régulation. CE, ass., 21 mars 2016, nos 368082, 368083 et 368084, Sté Fairversta international GmbH et a., et
CE 21 mars 2016, no 390023, Sté NC Numéricable, au Lebon avec les concl. ; AJDA 2016. 572 ; ibid. 717, chron.
L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2017. 881, obs. D. Ferrier ; AJCA 2016. 302 ; Rev. sociétés 2016. 608,
note O. Dexant - de Bailliencourt ; RFDA 2016. 506, concl. V. Daumas ; RTD civ. 2016. 571, obs. P. Deumier ; RTD
com. 2016. 711, obs. F. Lombard.
(59) CE 30 mars 2016, avis no 391262, sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et
à la modernisation de la vie économique.

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 La mondialisation du droit pénal économique DOCTRINE

II - La plasticité du droit pénal face aux

paradigmes de la mondialisation

Au-delà du droit pénal issu des conven- législations, l’expressivité et la valeur

tions internationales répressives, les
processus innovants de création de
normes pénales dérivées spécifiques à
l’activité des sociétés dans le commerce
international sont pour l’heure propres
au cadre international 60. Ils font peser
sur les entreprises globales un risque
partiellement nouveau à la hauteur de
leur puissance. Il s’agit bien sûr de la
menace de sanctions pécuniaires clas-
siques 61 dont les montants sont cepen-
dant sans commune mesure avec celles
qui peuvent être prononcées par les
autorités de régulation interne 62 même
si celles-ci tendent à s’accroître 63. Il
s’agit aussi de sanctions dont les effets
sont largement amplifiés par la mon-
dialisation, notamment les retraits de
licence et de droit de soumissionner
à des appels d’offres internationaux
ou encore les atteintes à la réputa-
tion auprès des opinions publiques, des
consommateurs, des marchés financiers
et des investisseurs privés et publics.
Dès lors au-delà des questions de légi-
timité des sources et de résolution des
conflits d’intérêts (A), ces changements
© Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
préventive du droit pénal sont profondé-
ment renouvelées par les règles issues
de la compliance dont « l’avantage »
tient à une forme d’automaticité de la
sanction. Elle est au cœur de la notion
de risque à l’aune duquel les entreprises
apprécient la nécessité de se conformer
aux règles pénales (B).
A - Le droit pénal des affaires
internationales à l’épreuve du
principe de légalité
Les caractéristiques fondamentales du
droit pénal liées au respect du prin-
cipe de légalité et à la souveraineté,
à la légitimité des sources, ou encore
à sa territorialité, sont bousculées 475
depuis longtemps. Hier, le droit euro-
péen et l’émergence des Autorités admi-
nistratives indépendantes ont reconfi-
guré le droit pénal désormais conçu
autour du concept de matière pénale.
Aujourd’hui la mondialisation du droit

de paradigme démontrent le rôle du
droit pénal, dans ses caractéristiques
fondamentales d’expressivité, d’effica-
cité préventive et répressive. Or, si la
puissance de sanctionner efficacement
est pour l’heure l’apanage de quelques
pénal fonde une nouvelle étape, plus © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
massive et risquée que les précédentes
sans doute, mais porteuse de sens 64.
Le principe de légalité pénale, qui
confère au législateur la compétence
exclusive pour l’édiction des normes

(60) S. Savolainen, La responsabilité pénale de la personne morale pour le crime international de pillage : regard
sur les systèmes juridiques internes in Vingt ans de justice internationale pénale, D. Bernard, D. Scala (dir.), Les
dossiers de la revue de droit pénal et de criminologie, 21, La Charte, professionnal publishing, 2014, p. 133
à 150, spéc. p. 133-134. Les sources issues des règles de compliance sont par définition inefficientes en matière
de criminalité internationale liée à des crimes internationaux et à la criminalité organisée ex nihilo pour mener
à bien des activités criminelles.
(61) Le cas BNP, déjà évoqué, en témoigne avec une sanction pécuniaire de 9 milliards de dollars pour violation de
mesures d’embargos américaines.
(62) La cour d’appel de Paris, qui réévalue le plus souvent à la baisse les amendes prononcées, a confirmé le
27 octobre 2016 l’amende record de près d’un milliard d’euros – la ramenant cependant de 951, 1 à 948, 9 mil-
lions d’euros – prononcée par l’Autorité de la concurrence en 2014 à l’encontre de fabricants majeurs de produits
d’hygiène et d’entretien reconnus coupables.
(63) CEDH 17 sept. 2009, c/ Italie, aff. no 10249/03, AJDA 2010. 997, chron. J.-F. Flauss ; D. 2010. 2732, obs. G. Roujou
de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; RSC 2010. 234, obs. J.-P. Marguénaud.
(64) Y. Mayaud, Droit pénal général, PUF, coll. Droit fondamental, 5e éd., 2015, spéc. no 5. L’auteur souligne l’apport
méthodique des bouleversements connus par le droit pénal « retravaillé » sous l’influence du droit constitution-
nel et du droit européen

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 DOCTRINE La mondialisation du droit pénal économique

pénales appliquées par le juge pénal est
nécessairement repensé. La dialectique
devient duale car les valeurs protégées
diffèrent selon qu’elles ressortissent du
champ national ou du champ internatio-
nal 65. Les enjeux se cristallisent en effet
sur l’application loyale et réciproque des
accords de coopération afin d’assurer le
respect de nos intérêts fondamentaux 66.
Ils s’accompagnent aussi de risques spé-
cifiques en matière de territorialité 67 en
raison des assauts des lois américaines
anti-corruption ou encore des mesures
d’embargos à l’origine de poursuites
et de sanctions extrêmement sévères
contre les opérateurs français 68. Dès
lors, la place du juge pénal face aux
enjeux de la mondialisation du droit
pénal et à la mise en danger du principe
de légalité est cruciale pour assurer une
forme de contrôle national (1) à l’heure
où les modes de règlements se contrac-
tualisent partiellement lui offrant de
nouvelles modalités d’intervention (2).
476
1 - Le juge pénal, juge de la
compliance
La loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016
relative à la transparence, à la lutte contre
© Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
corruption internationale au niveau d’exi-
gence des standards internationaux 69.
Il s’agit notamment de concurrencer le
Department of Justice (DoJ) et la Secu-
rities and exchange commission (SEC)
américains, et demain le Serious fraud
office (SFO) britannique 70, par la création
d’une Agence française anticorruption
compétente pour sanctionner les opéra-
teurs français et étrangers contrevenant
à la législation anti-corruption. La loi ins-
taure clairement une compétence du juge
pénal pour contrôler et apprécier, via la
peine de mise en conformité, le respect
des règles de compliance liées aux pro-
cessus internes que les entreprises rede-
vables devront mettre en place. Le juge
pénal a en effet vocation à la prononcer
à titre complémentaire d’une peine prin-
cipale pour une infraction pénale d’at-
teinte à la probité, et à en suivre l’ap-
plication avec l’aide de sachants et de
l’Agence française anticorruption.
L’innovation est majeure : le juge pénal,
après le juge civil 71, devient juge de
la compliance. Sa compétence s’arti-
cule avec celle du régulateur interne,
qui ne l’évince pas au nom du principe
non bis in idem 72. Le respect de ce
dernier devient au contraire une arme
puissante pour imposer sa compétence

la corruption et à la modernisation de la face au juge américain : un outil d’af- © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
vie économique a pour ambition d’élever firmation de sa compétence territoriale
la législation française en matière de et extraterritoriale. Il s’agit, pour les

(65) V. infra sur la distinction par le Conseil d’État entre l’invalidité des procédures transactionnelles en droit pénal
interne et leur validité en droit pénal des affaires internationales au regard du contexte particulier des relations
commerciales internationales.
(66) Les échanges avec la justice américaine suscitent des interrogations face à la faiblesse de la protection apportée
par la loi de blocage no 68-678 du 26 juill. 1968 relative à la communication de documents et renseignements
d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales
étrangères modifiée par la loi no 80-538 du 16 juill. 1980 dont les juridictions américaines font peu de cas. Leur
respect réel nécessite une volonté politique forte de rééquilibrage.
(67) La question de l’interprétation du principe de territorialité en tant que titre de compétence traditionnel est une
question fondamentale du droit international particulièrement en matière de crimes transfrontaliers.
(68) V. Les cas BNP, Technip etc…
(69) M.-E. Boursier, Loi no 2016-830 du 8 novembre 2016 : anticorruption et anti-blanchiment, les nouveaux risques
pesant sur les entreprises, JCP A 2016, Etudes 1622.
(70) Sur les modalités et les conséquences des deals de justice, notamment lorsqu’une procédure pénale est ouverte
en France ; M. Audit, R. Bismuth et A. Mignon-Colombet, Sanctions et extraterritorialité du droit américain :
quelles réponses pour les entreprises françaises ?, Etudes, JCP 2015. 37.
(71) Le juge français est déjà confronté à la soft law et aux règles de compliance en matière de RSE ou encore de
droit financier. V. par ex. Paris 19 déc. 2013, no 12/22644, Rev. sociétés 2014. 306, note A. Viandier, qui à propos
des obligations d’information des opérateurs cotés sur les marchés dispose : « Cette nouvelle dimension ne figure
pas dans la loi (hard law) mais s’agissant de sociétés cotées sur les marchés internationaux, elle a pénétré dans les
exigences des régulateurs de marché (soft law) et s’inscrit dorénavant de plus en plus dans les règles de bonne
conduite de l’AMF) ».

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 La mondialisation du droit pénal économique DOCTRINE

juridictions nationales, de juger leurs transiger – dans une certaine mesure-

propres opérateurs afin d’éviter qu’ils le
soient par les autorités américaines ou
britanniques. Cela suppose une réelle
crédibilité des sanctions administratives,
du contrôle judiciaire et des condamna-
tions pénales portées par une volonté
politique forte de protection des intérêts
économiques nationaux et européens.
2 - Le juge pénal, promoteur
d’accords transactionnels
Les modes transactionnels de règlement
propres aux autorités de régulation et
aux systèmes anglo-saxons sont décli-
nés en droit interne dans les procé-
dures d’engagement et/ou de clémence
du droit de la concurrence notamment.
L’octroi au juge pénal d’une faculté de
transiger en matière de corruption est
apparue comme une arme efficace et
nécessaire afin d’assurer sa crédibilité
face aux entreprises et aux autres États.
Elle a cependant été âprement discutée
même si elle existe déjà. Le droit pénal
prévoit en effet des cas de transaction qui
prennent essentiellement en considéra-
tion la nature et la spécificité de certains
intérêts protégés : soit de nature privée
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soulève des interrogations particulières
en matière de corruption qui constitue
certes un facteur de perturbation des
échanges économiques, mais touche
également à l’éthique et à l’intégrité de
la vie publique 73.
Finalement, c’est la volonté de permettre
au juge et au régulateur français de jouer
à armes égales avec ses homologues
américains notamment, bref d’instaurer
un level of playing field, qui a emporté
la conviction. La convention judiciaire
d’intérêt public ouvre au procureur de
la République 74 la faculté de proposer
à une personne morale mise en cause
pour un ou plusieurs délits d’atteinte à la
probité ou des délits connexes, avant la
mise en mouvement de l’action publique,
la conclusion d’une convention judiciaire
d’intérêt public 75. Il s’agit de tenir compte
de la particularité du droit pénal inter-
national, de la pression des organisa-
tions internationales et de la nécessité
de doter le juge pénal français d’outils 477
efficaces 76. Le Conseil d’État avait parfai-
tement perçu ces spécificités en considé-
rant que si l’élision des vertus cardinales
de la justice pénale – exemplarité, pri-
vation du droit de la partie civile à l’ac-
tion pénale limitée à la réparation civile

– délits de presse – soit de nature écono-
mique – infractions douanières – lorsque
le droit pénal intervient en « appui » de
la protection d’un intérêt privé ou col-
lectif sectoriel. Cependant, la faculté de
devant la juridiction civile – était injus- © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
tifiée en droit interne, elle pouvait être
admise en matière de corruption inter-
nationale en raison de l’objectif poursuivi
d’efficacité de la répression 77.

(72) La jurisprudence de la CEDH en matière de cumul des sanctions fondée sur le respect du principe non bis in idem
a pu en effet être interprétée comme manifestant une volonté de marginalisation du juge en faveur des AAI.
En ce sens, CEDH 4 mars 2014, Grande Stevens et autres c/ Italie, aff. nos 18640/10, 18647/10, 1663/10, 18668/10
et 18698/10, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs.
F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d’Ambrosio et D. Vozza.
(73) Les atteintes à la probité sont placées en haut de l’échelle répressive des peines et l’introduction de la transaction
aura sans doute des effets systémiques sur d’autres infractions graves.
(74) Nouveau C. pr. pén., art. 411-2.
(75) Il s’agit des infractions visées aux art. 433-1, 435-3, 435-4, 435-9, 435-10, 445-1, 445-1-1, 445-2 et 445-2-1, 434-9,
434-9-1 al. 2 C. pén.
(76) Le juge pourra proposer une amende pénale d’intérêt public proportionnée aux avantages tirés des man-
quements constatés et limitée à 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres
d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements (avec possibilité d’échelonner le paiement
sur une année). Il pourra également prononcer une peine d’exécution du programme de mise en conformité
pour une durée maximale de trois ans sous le contrôle d’un commissaire à l’exécution du programme de mise
en conformité désigné par la personne morale concernée avec l’accord de l’Agence française anticorruption,
à l’avenant du système américain de monitoring.
(77) CE, avis consultatif no 391262 du 30 mars 2016 sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la
corruption et à la modernisation de la vie économique.

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 DOCTRINE La mondialisation du droit pénal économique

B - Les fonctions cardinales une nouvelle expressivité qui démontre

du droit pénal des affaires son caractère irréductible pour protéger
internationales restaurées les intérêts de la communauté interna-
tionale (2).

Les fonctions classiques d’expressivité

des valeurs protégées par la société,
de prévention par l’effet dissuasif des
peines encourues, et de répression sont
repensées sous le prisme de la globa-
lisation. En effet, le « marché total »
génère des risques systémiques, finan-
ciers et écologiques. Les États, per-
dant une partie de leur puissance face
aux détenteurs du pouvoir économique,
demeurent garants de la responsabilité
des acteurs du marché et doivent être
en mesure de répondre 78. L’expressivité
du droit pénal se trouve nécessairement
affectée face à ces enjeux globaux trans-
posés à un niveau mondial qui font fi
des disparités nationales 79. La faiblesse
constatée de la répression des infrac-
tions d’affaires internationales, parfois
clairement reprochées par les organisa-
478 tions internationales 80, donne une place
d’autant plus importante à la prévention
de ces infractions. Comment les éviter ?
Quels sont les ressorts des opérateurs
internationaux dans leur prise de déci-
sion ? Leur sensibilité au risque ? Fina-
lement le calcul rationnel du justiciable
© Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
1 - La valeur préventive du
droit pénal des affaires interna-
tionales
La mondialisation du droit pénal est
porteuse d’un changement de percep-
tion des sujets de droit : la crainte de
la sanction, lointaine, évanescente face
à une justice à l’efficacité d’autant plus
incertaine qu’elle pâtit des changements
de territoires et de la sensibilité poli-
tique, a fait place depuis longtemps
à la notion de risque. Éloignée ontologi-
quement du droit pénal qui devrait être
vécu comme une interdiction, parfois
une obligation, de comportement pesant
sur les citoyens, la perception du risque
se trouve au cœur de la compliance. La
notion économique de risque, familière
à l’entreprise, s’est ainsi acclimatée au
droit pénal en internalisant précisément
les conséquences délétères que pourrait
avoir la commission d’infractions et/ou
la non compliance de l’entreprise et de
ses dirigeants. Il s’agit d’une approche

ne se résume-t-il pas à un calcul éco-
nomique, forme de bilan coût-avantages
entre les gains attendus et le risque
encouru ? On glisse d’une approche
morale 81 à une approche statistique du
risque pénal par les sociétés internatio-
nales. Cette approche est alors large-
ment dominée par les caractéristiques
de la compliance qui induit des consé-
quences pénales parfois majeures pour
les opérateurs (1). Le droit pénal revêt
pragmatique de probabilité de pour- © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
suites et de sanctions qui rejoint in fine
le caractère rétributif du droit pénal 82.
Ce qui pouvait apparaître comme une
dilution de la fonction préventive du
droit pénal la renforce finalement en
introduisant un élément essentiel lié
à la probabilité accrue d’être sanctionné.
L’efficacité de la prévention s’apprécie
par rapport à la certitude de la poursuite

(78) A. Supiot, M. Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, PUF, 2015, spéc. p. 12-16.
(79) Le blanchiment est un exemple de cette globalisation des valeurs exprimées : le travail conventionnel entamé
sous l’égide des Nations unies et du Conseil de l’Europe puis du GAFI a progressivement permis d’étendre l’in-
crimination au-delà du trafic de stupéfiants à l’ensemble des infractions d’une certaine gravité.
(80) V. note 96.
(81) Le règl. (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avr. 2014 sur les abus de marché dit règle-
ment MAR et la dir. 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions
pénales applicables aux abus de marché dite directive MAD faisant du droit pénal un recours ultime et indispen-
sable pour sanctionner les délits les plus graves sont révélateurs de la place particulière du droit pénal.
(82) B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, coll. Précis, 23e éd., 2013.

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 La mondialisation du droit pénal économique DOCTRINE

et in fine à celle d’une sanction revêtant
une forme d’automaticité. Voici, au fond,
le point essentiel : le caractère préventif
des règles de compliance et la dissua-
sion attendue de comportements qui les
omettraient ou y contreviendraient tient
à la sévérité des sanctions effectivement
prononcées et à leurs effets collatéraux :
sanctions pécuniaires et/ou privatives de
droit – retrait de licences, interdiction
d’accès à des marchés internationaux
prononcée par le juge ou le régulateur
–, mais aussi d’atteinte à la réputation
sur les marchés financiers, à l’égard des
consommateurs et de l’opinion publique
désormais internationale elle-aussi. En
définitive, la vocation préventive du droit
pénal trouve un terrain d’élection renou-
velé en droit pénal international via les
règles de compliance porteuses d’une
idée d’automaticité de la sanction lar-
gement dissociée du pouvoir régalien 83.
2 - L’irréductibilité du droit
pénal protecteur de la commu-
nauté internationale
Aujourd’hui soutenu par les règles de
compliance qui ont la faculté d’absorber
des domaines de plus en plus variés, de
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le droit pénal retrouve donc une expres-
sivité forte. Il accompagne les prises de
position des organisations internatio-
nales pour combattre les infractions
les plus attentatoires à la démocra-
tie et aux droits de l’homme. Ainsi,
le Pacte mondial des Nations unies 84
invite les entreprises 85 à adopter, sou-
tenir et appliquer un ensemble de dix
principes 86 représentant des valeurs
fondamentales parmi lesquels la lutte
contre la corruption 87. De même, les
principes directeurs de l’OCDE à l’in-
tention des entreprises multinatio-
nales, réactualisés en 2011, soulignent
les liens entre progrès économiques,
sociaux et environnementaux, les acti-
vités des entreprises multinationales et
le développement durable. L’impact des
règles de conformité, le développement
des règles de reporting extra-finan-
cier, l’adhésion aux normes de l’Orga-
nisation internationale de la normalisa-
tion 88 tendent à assurer la convergence
des règles nationales vers les référen-
tiels internationaux. Cette expressivité 479
est d’autant plus importante qu’il existe
une forme de porosité entre la justice
pénale internationale et les règles de
compliance dont les frontières s’étirent
vers des espaces susceptibles de
rejoindre son champ de compétence.

la plus grande technicité en matière Certains crimes internationaux, comme © Dalloz | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)
financière à la protection des droits de le pillage des ressources naturelles, et
l’Homme en matière environnementale, demain peut-être l’écocide 89, mettent

(83) P.-M. Dupuy, Y. Kerbrat, Droit international public, Dalloz, coll. Précis, 13e éd., 2016, spéc. no 40. Les auteurs
soulignent que la soft law représente la dissociation de la notion de système juridique de celle de la sanction.
(84) La phase opérationnelle du Pacte mondial, initié en 1999 au Forum économique mondial de Davos, a été lancée
le 26 juill. 2000. Il est financé par la Fondation pour le Pacte mondial, créée en 2006, organisme à but non lucratif
chargé de lever des fonds auprès du secteur privé afin de soutenir les ambitions du Pacte mondial. Il regroupe
des centaines de sociétés de toutes les régions du monde, des organisations internationales du travail et des
membres de la société civile.
(85) Les réseaux locaux soutiennent l’application des dix principes par les entreprises. Le réseau français, créé en 2003,
rassemble en 2015 plus de 1 080 entreprises et organisations participant au Global Compact en France.
(86) Les entreprises sont invitées à promouvoir les droits de l’homme (protection du droit international relatif aux
droits de l’Homme dans leur sphère d’influence, engagement des entreprises de ne pas se rendre complices de
violations des droits de l’homme), à promouvoir les normes du travail (liberté d’association, droit de négociation
collective, élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, abolition effective du travail des
enfants, et élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession), la protection de l’environne-
ment (approche de précaution face aux problèmes touchant l’environnement, initiatives tendant à promouvoir
une plus grande responsabilité en matière d’environnement, mise au point et diffusion de technologies respec-
tueuses de l’environnement).
(87) Principe 10 du Pacte mondial des Nations unies.
(88) Adhésion à la norme ISO 26000, publiée en 2010, relative à la responsabilité sociétale des organisations, définis-
sant les obligations et les modalités d’implication des entreprises pour favoriser le développement durable.
(89) L. Neyret (dir.), Des écocrimes à l’écocide. Le droit pénal au secours de l’environnement, Bruylant, Bruxelles, 2015.

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 DOCTRINE La mondialisation du droit pénal économique

en cause l’activité de grands groupes cipe de légalité innervant le droit pénal

internationaux illustrant l’artifice d’une
séparation du marché et des droits de
l’homme qui tend sans doute à s’ame-
nuiser 90.
L’efficacité du droit pénal mondialisé
doit donc être repensée en fonction de
ces nouvelles forces, elle doit également
tenir compte des atteintes potentielles
aux droits des justiciables 91. En effet,
les risques globaux sont l’apanage des
plus puissants, mais qu’en est-il des
entreprises dont la taille et la puis-
sance ne justifient pas leur soumission
à des règles de compliance si strictes
et coûteuses en temps et en hommes
et qui justifieraient a minima un renfor-
cement de la sécurité juridique via une
meilleure prévisibilité de ses conditions
d’application 92 ? On retrouve, encore, en
ouvrant le champ des questions le prin-
qui encadre la puissance de l’État pour
protéger les droits fondamentaux des
justiciables 93.
Finalement la mondialisation du droit
pénal largement traversée par la montée
en puissance de la compliance révèle,
certes, la fragilité des États et de la com-
munauté internationale face à la concur-
rence des opérateurs privés cherchant
à réguler le « supermarché internatio-
nal ». Dans le même temps, elle révèle,
également leur capacité fondamentale et
unique à porter et à préserver les enjeux
internationaux de la paix et de la sécu-
rité. Elle place le juge pénal au cœur de
la protection d’un intérêt général – non
catégoriel – l’invitant à appliquer des
règles suffisamment dissuasives, voire
défensives, qui démontrent l’irréductibi-
lité du droit pénal.

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(90) M. Delmas-Marty, Le Relatif et l’Universel. Les Forces imaginantes du droit, t. 1, éd. Seuil, 2004, spéc. p. 12 s.
L’auteur souligne la dualité qui s’est installée du fait des deux pactes distincts élaborés en 1966 scindant les
droits civils et politiques et les droits économiques sociaux et culturels, ces derniers étant laissés quasiment sans
contrôle jusqu’à la création de l’OMC en 1994 isolant les droits économiques.
(91) Les risques existent aussi pour l’entreprise qui dans ce marché mondialisé peut avoir du mal à connaître et
sécuriser ses chaînes d’approvisionnement par exemple.
(92) M.-A. Frison-Roche, préc. L’auteur souligne ce besoin de protection de « leur risque principal, dont on voit la
réalisation fréquente actuellement : des condamnations imprévues et aléatoires, alors que les dispositifs avaient
été pris de bonne foi ».
(93) E. Dreyer, préc., spéc. no 126.

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