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Les liaisons dangereuses du droit à l'image et du droit à

l'information du public
Pierrette Poncela
Dans Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2012/3 (N° 3), pages 649
à 659
Éditions Dalloz
ISSN 0035-1733
DOI 10.3917/rsc.1203.0649
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CHRONIQUES
CHRONIQUE DE L’EXÉCUTION DES PEINES
Les liaisons dangereuses du
droit à l’image et du droit à

l’information du public
Pierrette PONCELA
Professeure à l’Université Paris Ouest Nanterre
Centre de droit pénal et de criminologie (CDCP)

La question du droit à l’image des personnes détenues, dérivé du droit au respect de la vie
privée, est le plus souvent liée, en fait, à celle du droit à l’information du public, dérivé de
la liberté d’expression. Dans deux affaires récentes 1 que nous commenterons, l’exercice de
leur droit à l’image par des personnes détenues venait conforter la demande de diffusion
télévisuelle de séquences filmées en détention, mais dans des contextes et avec des objectifs
radicalement différents. Dans d’autres cas, le droit à l’image de personnes détenues est
délibérément bafoué au nom du droit à l’information du public revendiqué par des médias
peu respectueux de la volonté des personnes détenues exécutant leur peine, voire libérées.

Après avoir rapidement rappelé les données juridiques relatives au droit à l’image, nous com-
menterons successivement une décision du tribunal administratif de Paris, puis un arrêt de
la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), avant de faire quelques observations
sur les situations de heurt frontal entre droit à l’information du public et droit à l’image ;
un « droit à l’oubli » est, depuis quelques années, revendiqué pour lequel nous envisage-
rons des voies d’accès à une reconnaissance juridique, fusse-t-elle indirecte et difficile.
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◆ I - LES PROTECTIONS JURIDIQUES DU DROIT À L’IMAGE

Indépendamment de la question, centrale, du conflit avec la liberté d’expression et avec le


droit à l’information du public, il nous semble utile de rappeler comment le droit de cha-
cun à l’image et à la voix est assuré par plusieurs instruments juridiques lesquels peuvent
aussi y apporter expressément des limites.

J A - La protection civile du droit à l’image (C. civ., art. 9)


En droit interne, la protection du droit à l’image relève d’abord du droit civil où il corres-
pond à une création prétorienne dérivée du droit au respect de la vie privée posé par l’ar-

(1) TA Paris, 13 juill. 2012, n° 1201622, AJDA 2012. 1436 ; CEDH, 21 juin 2012, n° 34124/06, Schweizerische Radio-
und Fernsehgesellschaft Srg c/ Suisse, D. 2012. 2025, obs. M. Léna).

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ticle 9 du code civil. Le droit à la voix, moins fréquemment invoqué, est lui aussi protégé
sous le couvert de ce même texte.

La doctrine civiliste s’est un temps divisée sur le point de savoir si le droit à l’image existait
CHRONIQUES

en tant que tel. Le droit à l’image peut en effet être considéré soit comme le simple vecteur
d’atteintes à la personnalité ou à la dignité, soit être l’objet d’un véritable droit de la per-
sonnalité autonome. La jurisprudence a clairement opté depuis quelques années pour la
seconde conception ; elle distingue donc le droit au respect de la vie privée et le droit à
l’image, constatant la violation de l’un des droits ou des deux à la fois, supposant des pré-
judices et des droits à réparation distincts 2.

Il est dès lors possible de considérer que le droit à l’image, tout comme le droit à la voix,
sont des attributs de la personnalité protégés par la jurisprudence, selon une formule désor-
mais consacrée : « toute personne a sur son image un droit exclusif et absolu et peut s’op-
poser à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans autorisation préalable ».

L’exercice de ce droit exclusif peut cependant se voir limité par quelques dispositions par-
ticulières, nuançant son caractère « absolu ». La réglementation relative à la vidéo sur-
veillance dans les lieux publics en offre un exemple, de même que le droit de contrôle
exercé par l’employeur sur ses employés dans l’entreprise. Ces limitations sont soumises à
des conditions strictes : procédure d’autorisation administrative, information préalable, droit
d’accès et de vérification par la personne concernée.

La violation du droit à l’image suppose toujours que la personne représentée ou filmée soit
identifiable 3, quand bien même ce ne serait que par un cercle restreint de personnes 4.

J B - La protection pénale du droit à l’image (C. pén., art. 226-1)


La double protection de l’image et de la voix est ensuite assurée par le droit pénal, de
manière plus explicite. L’article 226-1 du code pénal réprime le fait, sans le consentement
de la personne concernée et au moyen d’un procédé quelconque, de porter atteinte à l’in-
timité de la vie d’autrui ; il énonce ensuite deux éléments matériels distincts selon qu’il s’agit
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de l’image ou de la voix. D’une part, capter, enregistrer ou transmettre des « paroles pro-
noncées à titre privé ou confidentiel » ; d’autre part, fixer, enregistrer ou transmettre
« l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ». Il s’agit dans tous les cas d’un
délit pour lequel l’intention est requise.

Le champ d’application de l’article 226-1 du code pénal, plus précis, est aussi plus restreint
qu’en droit civil. Sont requis le caractère privé ou confidentiel des paroles et, s’agissant de
l’image, sa fixation ou son enregistrement dans un lieu privé.

D’autres dispositions pénales, plus spécifiques, peuvent être utilisées et sont contenues dans
la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. D’une part, l’article 35 ter, relatif à la pré-
somption d’innocence, concerne les personnes mises en cause dans une procédure, mais non
encore jugées. D’autre part, l’article 35 quater, relatif à la reproduction des circonstances d’un
crime ou d’un délit, assure la protection du respect de la dignité des victimes de l’infraction.

(2) Civ. 1re, 12 déc. 2000, n° 98-21.161, D. 2001. 2434, note J.-C. Saint-Pau ; RTD civ. 2001. 329, obs. J. Hauser ;
Civ. 1re, 10 mai 2005, D. 2005. 2644, obs. A. Lepage ; Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 07-19-758.
(3) A. Lepage, Identification d’une personne non connue du public dans une émission de télévision, CCE 2005,
n° 9, comm. 142.
(4) TGI Nanterre, 15 oct. 2001, Legipresse 2002, n° 189. I. 29.

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J C - La protection administrative du droit à l’image (art. 41 de la loi
pénitentiaire)
La loi pénitentiaire, en son article 41, alinéa 1, pose le principe du droit pour une personne

CHRONIQUES
détenue de disposer de son image 5 : « Les personnes détenues doivent consentir par écrit
à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette
utilisation est de nature à permettre leur identification » 6.

Cependant, pour les condamnés, l’autorité pénitentiaire peut s’opposer ou réduire le libre
exercice du droit à l’image des personnes détenues pour des motifs précisément énoncés à
l’alinéa 2 de l’article 41 de la loi pénitentiaire. D’une part, cette diffusion ou cette utilisa-
tion doit être de nature à permettre son identification. D’autre part, la restriction doit s’avé-
rer nécessaire à la sauvegarde de l’un ou l’autre des intérêts suivants : l’ordre public, la pré-
vention des infractions, la protection des droits des victimes, la protection des droits de tiers,
la réinsertion de la personne concernée. Il faut ainsi comprendre que la motivation cir-
constanciée de la décision de restriction doit s’inscrire dans ces catégories générales. Elle
relève à ce titre du contrôle des juridictions administratives.

Pour les prévenus, la loi pénitentiaire renvoie à l’autorité judiciaire. Le décret d’application
du 23 décembre 2010 se contente de prévoir que « la diffusion de l’image ou de la voix des
personnes détenues prévenues est autorisée par le magistrat saisi du dossier de la procé-
dure » (C. pr. pén., art. R. 57-6-17).

J D - La protection européenne du droit à l’image (Conv. EDH, art. 8)


La protection du droit à l’image est assurée par la Cour européenne des droits de l’homme
par application de l’article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée. Il s’agit donc
d’un droit auquel il peut être dérogé sous réserve du respect des conditions posées à l’alinéa
2. L’utilisation par les médias de l’image d’autrui pose souvent l’épineux problème d’un
conflit de droits, dans la mesure où le droit à l’image peut être mis en balance avec le droit
à l’information du public dérivé de la liberté d’expression relevant de l’article 10. De fait,
la plupart des contentieux sur le droit à l’image concernent des situations où l’image d’une
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personne a été fixée et diffusée publiquement contre sa volonté. Cette question sera reprise
dans les développements qui suivent.

Dans les deux décisions commentées ci-dessous, il s’agissait de situations où, à l’inverse, des
personnes détenues revendiquaient leur droit à disposer de leur image et de leur voix aux
fins de diffusion publique. Cependant, dans l’un et l’autre cas, les requérants ne sont pas
les personnes détenues, mais des représentants de médias télévisuels. C’est en effet le droit
à l’information du public qui est au cœur des deux décisions, la libre disposition du droit à
l’image venant à l’appui de la demande des médias concernés.

(5) Sur ce point la loi pénitentiaire est plus précise que les RPE lesquelles ne contiennent aucune disposition
sur le droit à l’image. La règle 24-12 RPE, dans la partie relative aux « contacts avec l’extérieur », vise de
façon générale la communication avec les médias : « Les détenus doivent être autorisés à communiquer avec
les médias, à moins que des raisons impératives ne s’y opposent au nom de la sécurité et de la sûreté, de
l’intérêt public ou de la protection des victimes, des autres détenus et du personnel ».
(6) V. Paris, 1re ch., 15 avr. 2005, pour un reportage autorisé à la maison d’arrêt de La Santé, au cours duquel
un détenu filmé prétendait être reconnaissable malgré le floutage. Il demandait réparation sur le fondement
de l’article 9 c. civ., mais fut débouté car considéré comme non-identifiable.

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◆ II - QUAND LE DROIT À L’IMAGE ET LE DROIT À


L’INFORMATION DU PUBLIC COÏNCIDENT
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J A - TA Paris, 13 juill. 2012, n° 1201622, Sté Candela Productions et Mme


Catherine R. 7

Dans la nuit du 27 ou 28 mars 2010, les personnes détenues à la très vétuste maison d’arrêt
pour hommes Jacques Cartier, située au centre de la ville de Rennes, sont transférées au
centre pénitentiaire flambant neuf de Rennes-Vezin situé en périphérie. L’opération est
lourde (351 personnes sont transférées) et nécessite la mobilisation de 600 membres du per-
sonnel de l’administration pénitentiaire ainsi que de personnels de la police et de la gen-
darmerie. Elle n’est pas seulement spectaculaire par son ampleur, mais aussi par le change-
ment radical qui attend les personnes transférées dans cette réalisation du « programme 13
200 ». L’établissement est doté de cellules fonctionnelles conformes aux RPE et équipé de
la technologie nécessaire à assurer le maximum de surveillance avec le minimum de per-
sonnel et de contacts humains. L’opération sera filmée.

En effet, la société de productions Candela et la réalisatrice Catherine R. ont obtenu l’au-


torisation de filmer et de réaliser un documentaire de ce déménagement en vue d’être dif-
fusé selon des modalités à déterminer après le tournage. En outre, lors du tournage, chaque
personne susceptible d’apparaître dans le documentaire a signé une autorisation de diffu-
sion portant cession de droit à l’image et à la voix.

Comme il en avait été préalablement convenu, le tournage terminé, la société productrice


adresse à l’administration pénitentiaire un plan de diffusion du documentaire, lequel com-
porte des diffusions publiques lors de divers festivals ainsi que des diffusions télévisuelles
sur trois chaines de télévision (France 3, TV Rennes, Planète Justice). C’est alors que le
directeur de l’administration pénitentiaire (DAP), dans un courrier du 18 janvier 2011,
pose une restriction à l’exploitation de l’image et à l’identification des personnes détenues
en exigeant leur anonymat physique et patronymique. La décision sera ensuite confirmée
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une deuxième fois par le DAP puis par le garde des Sceaux. Ce sont ces décisions qui font
l’objet du recours en annulation adressé au tribunal administratif de Paris par la société
Candela et par la réalisatrice.

Si la loi pénitentiaire a soumis toute utilisation ou diffusion de l’image ou de la voix d’une


personne détenue à son consentement écrit dès lors que l’identification est possible, elle n’a
pas pour autant reconnu un droit absolu et exclusif de la personne détenue sur son image.
Nonobstant un consentement écrit, l’administration pénitentiaire peut s’opposer à la diffu-
sion ou à l’utilisation de l’image et de la voix d’une personne condamnée.

Le tribunal administratif ne remet nullement en cause la possibilité d’opposition, mais il


entend que toute décision dans ce sens se conforme strictement aux exigences de l’article
41 de la loi pénitentiaire, c’est-à-dire que la décision soit motivée avec précision et compte
tenu des circonstances.

(7) G. Bechlivanou, Un demi pas en avant pour le droit à l’image des personnes détenues, Ban Public, 2012,
http://prison.eu.org ; S. Slama, Contrariété à la loi pénitentiaire d’une autorisation de diffusion télévisuelle
d’un documentaire conditionnée à l’anonymat physique et patronymique des détenus, Lettre Actualités
Droits-Libertés, CREDOF, 14 août 2012.

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En effet, l’article 41 de la loi pénitentiaire conditionne toute restriction à des motifs, certes
larges, mais précisément énumérés. D’une part, la diffusion litigieuse doit permettre l’iden-
tification. D’autre part, la restriction ainsi posée doit s’avérer « nécessaire à la sauvegarde
de l’ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou

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de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion de la personne concernée ».

Une motivation circonstanciée de la décision est donc requise. Or, les décisions contestées
ne comportaient pas une telle motivation et se contentaient de reprendre de façon géné-
rale les termes mêmes de la loi. L’annulation s’imposait donc.

Mais le tribunal administratif ne se contente pas de relever l’absence de motivation cir-


constanciée. Les juges ont visionné le film et sont catégoriques : le documentaire n’est pas
de nature à faire obstacle à la réinsertion des personnes concernées, car il n’aborde à aucun
moment les faits pour lesquels elles ont été condamnées et porte seulement sur les chan-
gements dans les conditions de détention ; le documentaire ne comporte aucune image
dégradante pour les intéressés dont au surplus l’anonymat patronymique est préservé.

La décision du tribunal administratif permet certes de confirmer le droit dont dispose les
personnes détenues sur leur image et sur leur voix. Mais c’est aussi et surtout une décision
qui entend protéger le droit à l’information du public sur des sujets d’intérêt général. Le
dossier de presse du film, comme les propos de la réalisatrice publiés dans la presse, tra-
duisent ce souci. L’objectif du documentaire est une interrogation, menée avec les per-
sonnes détenues 8, mais aussi avec les personnels de l’administration pénitentiaire, sur la
façon dont l’architecture interfère dans le mode de fonctionnement d’une prison et le lien
supposé entre la modernisation des locaux et l’amélioration de la vie en détention. Au-delà
de la prison, le film entend questionner « le postulat selon lequel, nouveauté et avancées
technologiques signifient nécessairement, mieux-être et progrès ».

Le film Le déménagement peut ainsi être considéré comme un documentaire portant sur un
sujet d’intérêt général, à savoir la politique du ministère de la Justice relative à la concep-
tion et à la construction des nouveaux établissements pénitentiaires. Les choix opérés sont
ainsi soumis à l’appréciation des « usagers », personnels et personnes détenues, et sont
opportunément remis en cause.
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J B - CEDH, 21 juin 2012, n° 34124/06, Schweizerische Radio-und


Fernsehgesellschaft SRG c/ Suisse 9
Comme dans l’affaire soumise au tribunal administratif de Paris, la CEDH avait à connaître
d’un différend opposant un média, une société de radiodiffusion et de télévision suisse, aux
autorités pénitentiaires, et concernait un tournage effectué en détention, sur un sujet qua-
lifié d’intérêt public, avec l’accord de la personne détenue concernée. Les circonstances de
l’espèce étaient cependant bien différentes.

En effet, la société requérante s’était vue d’emblée opposer un refus relatif au projet d’é-
mission lequel concernait une affaire qui avait été très médiatisée, et en particulier le cas de

(8) Un atelier de films documentaires s’est tenu dans la maison d’arrêt en amont du tournage. Par le vision-
nage de films documentaires en lien avec l’architecture et l’urbanisation, l’objectif de l’atelier était d’asso-
cier les personnes incarcérées à la réflexion sur l’image et sur l’architecture, fondement du projet.
(9) N. Hervieu, Droit d’accès des médias à l’espace carcéral, Lettre Actualités Droits-Libertés, CREDOF, 23 juin
2012.

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A., condamnée pour meurtre dans le cadre de cette affaire. Il avait été envisagé initialement
de filmer A. dans sa vie à l’intérieur de l’établissement et, bien entendu, de s’entretenir avec
elle. A. avait dument donné son consentement. La diffusion était prévue dans le cadre d’une
émission de grande écoute, semble-t-il réputée pour son sérieux, consacrée au procès ayant
CHRONIQUES

lieu le même jour d’une autre personne accusée dans cette affaire de meurtre. L’affaire avait
suscité un intérêt considérable en Suisse et la condamnation de A. avait donné lieu à diverses
manifestations publiques sous l’impulsion de l’association Appel-Au-Peuple, œuvrant contre
des erreurs judiciaires supposées, provoquant même le remplacement de juges du Tribunal
fédéral pour connaître de la procédure en révision engagée par A. Dans ce contexte, la
société requérante invoquait donc une violation de l’article 10 Conv. EDH. L’ingérence était
certaine et la question portait alors sur sa justification.

La Cour constate que l’ingérence des autorités suisses était prévue par une loi (loi visant de
façon générale « les contacts avec l’extérieur ») et poursuivait des buts légitimes (l’ordre et
la sécurité de l’établissement, ainsi que la protection de l’intégrité des personnes détenues).
La discussion porte donc sur le point de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une
société démocratique ». Reprenant les critères dégagés dans de nombreux arrêts antérieurs
la Cour examine dans quelle mesure cette ingérence des autorités pénitentiaires suisses
répondait à un « besoin social impérieux » et était « proportionnée aux buts légitimes pour-
suivis ». Pour le savoir, tout comme l’avait fait le tribunal administratif de Paris, elle examine
si les motifs invoqués par les autorités nationales (maintien du calme, de l’ordre et de la
sécurité dans l’établissement ; égalité de traitement entre les détenues, etc.) sont pertinents
et résultent d’un raisonnement convaincant et étayé. Pas convaincue, la Cour européenne
conclut à une violation de l’article 10 Conv. EDH, par cinq voix contre deux.

Comme le remarque un commentateur 10, ce qui est sanctionné est moins le refus des auto-
rités suisses que le processus décisionnel suivi ; l’utilisation de la « voix procédurale » per-
met en fin de compte de préserver la marge d’appréciation des États sur le fond 11. À condi-
tion toutefois que les décisions soient motivées de façon convaincante. On aimerait que la
Cour soit aussi exigeante sur la motivation des décisions de maintien à l’isolement des per-
sonnes détenues et de refus de libération conditionnelle...

Sur le fond, deux éléments complémentaires nous semblent avoir été déterminants dans ce
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constat de violation de l’article 10 : l’absence de négociation de la part des autorités suisses
et l’appréciation faite par la Cour de la qualité de l’émission et de l’intérêt du thème traité.

Le refus de toute négociation des autorités suisses sur l’organisation matérielle alors que la
société avait manifesté sa volonté de faire des concessions et avait proposé des aménage-
ments (un seul caméraman, un seul journaliste, seulement un entretien dans la cellule de
A.) semble avoir eu une certaine importance dans la décision européenne 12. Mais la marge
d’appréciation restreinte que la Cour accorde aux États dès lors qu’il s’agit d’une « émis-
sion télévisée d’intérêt général majeur » (§56) a aussi été déterminante.

(10) N. Hervieu, op. cit.


(11) Sur cette question, V. Edouard Dubout, La procéduralisation des obligations relatives aux droits fonda-
mentaux substantiels par la Cour EDH, RTDH 2007. 397-425.
(12) La seule concession faite par les autorités suisses portera sur la possibilité de réaliser un entretien télépho-
nique avec A., lequel sera diffusé dans le cadre d’une autre émission avec beaucoup moins d’impact. Cela
après le refus de la société de radiodiffusion de renoncer à l’image au profit d’un reportage radiophonique.
À cette occasion, la Cour rappelle que l’art. 10 de la Convention protège aussi le mode d’expression des
informations, mode dont le choix ne relève que des médias eux-mêmes (§64).
(13) Opinion dissidente commune aux juges Nussberger et Keller.

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Ainsi, le caractère absolu de l’interdiction de la diffusion de toute image, mis en balance
avec le droit à l’information sur un sujet d’intérêt public, à savoir le fonctionnement de la
justice, explique le constat de violation et rendait d’emblée très difficile l’acceptation d’une
motivation convaincante.

CHRONIQUES
Si la décision du tribunal administratif de Paris emporte la conviction en raison des condi-
tions de réalisation et du thème traité par le film, l’arrêt de la Cour européenne peut sus-
citer des interrogations. Dans une opinion dissidente commune, deux juges 13 soulignent
opportunément la difficulté de trouver un juste équilibre entre les « intérêts multipolaires »
présents dans ce type de situation ; assurément l’intérêt de la personne dont le procès devait
avoir lieu est singulièrement négligé. Mais plus encore s’y trouve énoncé la « nécessité de
distinguer la satisfaction de la curiosité du public de la contribution à un débat d’intérêt
général » (§11), formule reprise d’un arrêt devenu de principe 14.

En effet, dans beaucoup d’affaires une personne revendique son droit à l’image alors qu’il
lui est opposé la liberté d’expression des médias. C’est sur ce type de situation que nous vou-
drions à présent faire quelques observations, quand la personne dont le droit à l’image est
ainsi bafoué se trouve être, non pas comme c’est souvent le cas une « personne publique »,
mais une personne condamnée.

◆ III - QUAND LE DROIT À L’INFORMATION DU PUBLIC ET LES


DROITS À L’IMAGE ET AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE S’OPPOSENT

Peu de décisions viennent illustrer ce problème de conflit de droits s’agissant des personnes
détenues. Il y a d’abord la question, relativement simple, de photographies de personnes
détenues prises clandestinement alors qu’elles se trouvent dans les locaux de détention. Tel
fut le cas pour des photos prises au téléobjectif de personnes détenues et de surveillants dans
une cour de promenade. S’agissant de poursuites pénales, la question principale posée était
celle du caractère de « lieu privé » d’une cour de promenade ; une réponse positive y fut
apportée (TGI Paris, 23 oct. 1986, Gaz. Pal. 1987. 1. 21).
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En revanche, rares sont les éléments dont nous disposons concernant les problèmes posés
depuis le début des années 2000 par les émissions de télévision dont l’objet est de donner
à voir et à entendre les protagonistes d’affaires pénales déjà jugées.

J A - Droit à l’image et intérêts commerciaux


Des émissions de télévision de grande écoute se donnent pour objectif de refaire le travail
de la justice pénale, au cours desquelles défilent ainsi avocats, policiers, magistrats, témoins,
journalistes, parfois même victimes. Quant aux personnes condamnées, aucun anonymat
n’est assuré et leur image est clairement diffusée ; la plupart sont encore détenues, mais
d’autres ont exécuté leur peine et essaient de se faire oublier. La première émission du genre
fut Faites entrez l’accusé (FR2), rapidement suivie par d’autres, telles Suspect n° 1 (TMC), Affaires
classées (FR3), Enquêtes criminelles (W9), Présumé innocent (Direct 8) ou encore Non élucidé (FR2).

(14) Il s’agit de l’un des arrêts intervenus dans l’interminable affaire Von Hannover c/ Allemagne relative à diverses
photos prises de Caroline de Monaco et de ses proches et parues dans divers médias allemands (Von Han-
nover c/ Allemagne, 24 juin 2004, §63 ; V. aussi gr ch., 7 févr. 2012).

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Chronique de l’exécution des peines - Pierrette PONCELA


À la suite de certaines de ces émissions 15, les incidents voire les drames furent et sont à pré-
sent nombreux et les dommages causés certains. En effet, l’identité et l’image des personnes
condamnées ne sont pas dissimulées. Détenues, leur affaire est ainsi exposée sans retenue
à l’ensemble des personnes codétenues et il est aisé de comprendre les problèmes posés non
CHRONIQUES

seulement pour la personne condamnée, mais aussi pour les personnels pénitentiaires, par-
ticulièrement s’agissant d’affaires de violences sexuelles. Pour les personnes libérées, tentant
de reprendre le cours d’une vie entachée, les dégâts ne sont pas moindres par la révélation
soudaine au voisinage ou aux collègues de travail.

Les réactions furent diverses, la plupart non judiciaires, ce qui ne saurait surprendre en rai-
son de la situation et/ou du passé des personnes concernées. Des médiations furent donc
activées ; d’abord, le milieu associatif avec Ban Public et dans une moindre mesure l’OIP ;
ensuite, et cela n’est pas indifférent, les aumôniers des prisons 16, en première ligne ou plutôt
en « première oreille » pour comprendre les dégâts provoqués. Ces médiateurs se sont alors
tournés principalement vers les producteurs des émissions, lesquels ont brandi la liberté
d’expression, et le caractère public des affaires déjà jugées et, pour la plupart, ayant fait l’ob-
jet d’une large couverture médiatique en leur temps. Rejoint entre temps par le contrôleur
général des lieux privatifs de liberté, cet échec les conduisit alors à frapper à la porte du
Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

Le groupe de travail « Déontologie des contenus audiovisuels » du CSA finit par engager
une réflexion sur « le droit à l’oubli » et entendit les plaignants et des représentants de
France Télévision et des sociétés de production concernées. Des courriers furent échangés.
Au total, une mention particulière dans le rapport annuel 2010 du CSA et plusieurs com-
muniqués demandant que des précautions soient prises pour assurer, par tout moyen per-
mettant l’anonymat, le droit à la vie privée des personnes condamnées et se garder de toute
information relative à la vie présente de la personne condamnée. Dans deux communiqués,
le CSA a souligné que toutes les précautions devaient être prises « afin de préserver les pos-
sibilités de réinsertion des personnes condamnées et améliorer leur sécurité ainsi que celle
de leur famille » (7 janv. 2010). Puis dans un autre communiqué (17 mai 2011), il a appelé
les chaînes de télévision « à la plus grande retenue dans la diffusion d’images relatives à des
personnes mises en cause dans une procédure pénale » et a souligné que « le principe de
la liberté d’expression et le droit à l’information ne doivent pas méconnaître le fait que de
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telles images sont susceptibles de porter atteinte au respect de la dignité de ces personnes ».
Dans ces communiqués, en filigrane, sont évoqués les points essentiels : liberté d’informa-
tion, respect de la vie privée, dignité, sécurité, réinsertion.

Peut-on dès lors en rester à des exigences seulement déontologiques ? Assurément des
actions judiciaires doivent et ont été initiées, à tout le moins pour préciser les données juri-
diques en présence et, si possible, tenter de faire assurer le difficile et périlleux respect de
droits en conflit. Les décisions jusqu’à aujourd’hui sont rares mais ont le mérite de stimu-
ler la réflexion et la critique. Notre point de départ sera une ordonnance de référé du TGI
de Paris du 16 août 2010 17.

(15) Plusieurs affaires ont donné lieu à des rediffusions dans la même émission ; la cession des droits permet
aussi de multiplier les rediffusions dans des émissions différentes et sur d’autres chaînes.
(16) Plus précisément, l’Aumônerie catholique des prisons.
(17) Nous remercions bien vivement Maître Benoit David, engagé dans un difficile combat à bien des égards, de
nous avoir communiqué cette décision.

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J B - TGI Paris, ordonnance de référé, 16 août 2010, n° 10-56840
Les faits étaient les suivants : France 2 (Faites entrer l’accusé) devait rediffuser, dans les jours sui-
vant la demande, une émission sur une affaire de viols en réunion et de meurtres ayant fait

CHRONIQUES
l’objet de nombreux articles de presse. L’un des condamnés (E. B.), en cours d’exécution
d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 30 ans,
assigne France Télévisions en référé pour voir interdire la diffusion imminente de l’émission
ainsi que la cession des droits de diffusion, et subsidiairement demande d’ordonner de faire
les modifications nécessaires pour assurer son anonymat. À la date de l’assignation E. B. a
effectué 21 ans en détention et suivi un parcours exemplaire de préparation à la réinsertion
aussi bien psychologique, qu’académique et de formation à une profession, parcours attesté
par diverses personnes l’ayant suivi en détention ; une demande de relèvement ou de réduc-
tion de la période de sûreté avait été déposée au moment de la requête.

Les violations alléguées sont les articles 9 du code civil, 8 de la Convention EDH et 41 de la
loi pénitentiaire. Est aussi invoqué le « droit à l’oubli », pour le moment sans fondement tex-
tuel direct et précis, mais notion très présente dans les préoccupations d’instances officielles,
telles la CNIL et la Commission européenne s’agissant des données personnelles sur internet.

Les trois violations textuelles invoquées sont rejetées et le « droit à l’oubli », sans consécra-
tion légale ou jurisprudentielle directe, est écarté de la discussion. Quant au risque dom-
mageable imminent justifiant le référé, il est déclaré non démontré, d’autant plus qu’il s’agis-
sait d’une rediffusion. Piètre raisonnement, pour le moins. Si vous avez déjà fait l’objet de
violences sans déposer plainte, vous ne pouvez plus le faire si vous êtes à nouveau l’objet de
violences ! De fait, la motivation de l’ordonnance est lapidaire et, compte tenu du caractère
pour le moins délicat de la question soulevée, peu convaincante. Notons qu’après cette
action judiciaire, les droits furent cédés à Planète Cable du groupe Canal +, et l’émission fut
bien rediffusée en août 2010, puis quatre fois en 2011, sans qu’aucune modification n’ait
été introduite pour assurer l’anonymat.

Ces données justifient largement qu’une action sur le fond soit entreprise, dans cette affaire
comme dans d’autres. Indépendamment de la procédure de référé, nous ferons donc à pré-
sent quelques observations sur le fond. D’abord sur l’article 41 LP, puis sur l’article 9 du
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code civil., fondement principal d’une action possible, dont le succès dépend de la capacité
du juge civil à appréhender des réalités pénales dont il est peu familier.

J C - Retour sur l’article 41 de la loi pénitentiaire


Incontestablement une violation de l’article 41 de la loi pénitentiaire ne pourrait être invo-
quée que devant les juridictions administratives. Cependant, il nous semble tout à fait contes-
table d’affirmer, comme le fait l’ordonnance du TGI, que l’article 41 ne serait pas applicable
au motif qu’il ne concernerait que les images « représentant des personnes en situation en
détention ». Donc des images prises ou enregistrées en détention, alors que ce type d’é-
missions, est-il affirmé, se contente de reprendre des images (films et photographies)
contemporaines de l’enquête, de l’instruction et du procès.

Cette interprétation de l’article 41 de la loi pénitentiaire peut être mise en doute pour plu-
sieurs raisons. D’abord parce que la lettre du texte ne le dit pas, mais vise l’image ou la voix
des personnes détenues, sans autre précision. Ensuite parce que c’est la personne qui est
protégée et pas seulement le lieu. Peu importe que les photographies aient été prises ou les
films aient été réalisés en détention. Il s’agit de protéger une personne détenue donc vulné-
rable, car les risques ne sont pas minimes pour elle quand certains faits la concernant sont

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révélés. Les personnes travaillant en milieu pénitentiaire savent pertinemment, et pour cer-
taines d’entre elles ont été témoins, des représailles exercées et des violences subies. L’évo-
lution générale de la personne détenue s’en trouve aussi affectée, avec souvent une remise
en cause de plusieurs années de travail d’intervenants en détention, et plus encore du tra-
CHRONIQUES

vail sur soi de la personne qui fut condamnée et de ses efforts de réinsertion.

C’est pourquoi il appartient aussi à l’administration pénitentiaire, pour autant qu’elle soit
saisie préalablement à la diffusion (ce qui ne semble pas avoir été jamais le cas), de faire
valoir les motifs énoncés à l’article 41 de la loi pénitentiaire. Il ne nous semble pas incon-
gru, que cette information préalable soit exigée des producteurs afin que les chefs d’éta-
blissement puissent prendre les mesures préventives nécessaires et qu’à tout le moins, un
strict anonymat soit respecté. Ajoutons pour rappel que cette même loi pénitentiaire, dans
son article 44 pose un droit à la sécurité pour les personnes détenues dont la responsabilité
incombe à l’administration pénitentiaire, responsabilité sans faute en cas de décès causé par
des violences. Ce sont là de solides raisons pour, si ce n’est une autorisation préalable qui
serait difficilement conciliable avec la liberté d’expression et le droit à l’information, au
moins une information préalable avec possibilité de visionner le film. L’article 41 LP doit
donc être revu pour inclure ces situations éminemment dommageables.

J D - Dignité et réinsertion comme limites au droit à l’information du public


Le respect de la dignité des personnes détenues dans leurs parcours de réinsertion doit trou-
ver place dans la protection de l’article 9 du code civil. Une étude approfondie nécessite-
rait de convoquer toute la jurisprudence sur la protection du droit au respect de la vie privée
et du droit à l’image. Mais l’espace de cette chronique nous oblige à être plus concise.

La question centrale, posée par la Cour de cassation, est la suivante : « Mais attendu que les
droits au respect de la vie privée et à liberté d’expression, revêtant, eu égard aux articles 8
et 10 de la Convention européenne et 9 du code civil, une identique valeur normative, font
ainsi devoir aux juges saisis de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la
solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime » (Civ. 1re, 9 juill. 2003, n° 00-20.289,
D. 2004. 1633, obs. C. Caron ; RTD civ. 2003. 680, obs. J. Hauser). Pesée des intérêts en pré-
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sence, proportionnalité des restrictions à un droit ou à une liberté fondamentale, dans ce
difficile exercice les positions de la cour de cassation et de la cour européenne se rejoignent.

Nous pouvons convenir, en l’état de la jurisprudence, que les limites intangibles à l’exercice
de ces droits en conflit, pour des personnes condamnées détenues, sont les suivantes : le
droit à la vie privée et au droit à l’image peuvent céder devant le caractère d’intérêt public
du sujet traité, son actualité, ou encore son intérêt historique ; mais la liberté d’expression
trouve sa limite dans le droit au respect de la dignité.

La liberté d’expression doit incontestablement être protégée s’agissant de la diversité de l’ex-


pression de toutes les opinions ou idées même celles qui « choquent ou dérangent » selon
l’expression bien connue de la Cour EDH. Peut-on y inclure ces émissions portant sur des
affaires judiciaires définitivement jugées ? Certes elles peuvent à l’occasion être considérées
comme traitant de sujets d’intérêt général, puisque concernant le fonctionnement de la jus-
tice pénale. Certes aussi elles furent en leur temps rendues publiques. Mais la condamnation
n’a pas arrêté le temps et les personnes condamnées ont tant bien que mal survécu, ainsi le
veut notre justice pénale. Or l’un des objectifs de la peine infligée est de préparer les per-
sonnes détenues à leur réinsertion, en bravant mais aussi en utilisant le temps long de la
peine. Ne pourrait-on considérer que les efforts de réinsertion déployés, impératif et objec-
tif de l’exécution d’une peine, font partie intégrante de la dignité d’une personne détenue ?

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Dans tous les cas, la « nouvelle personne », difficilement reconstruite – ou pas, peu importe
– a un droit à la dignité 18 qui inclut l’oubli pour le public de ce qu’elle fut et le respect
pour ce qu’elle est devenue. Comment accepter que des intérêts commerciaux puissent ainsi
l’emporter sur l’intérêt de la société et de l’État à voir des personnes condamnées réussir

CHRONIQUES
leur réinsertion ?

Ces réalités, trop rapidement évoquées, doivent être pleinement prises en considération par
les juridictions au moment de « la pesée des intérêts ». Nous avons insisté sur les personnes
condamnées détenues, mais que dire de celles qui ont terminé leur peine aux prises avec
les dégâts provoqués par la révélation médiatique d’un passé tragique 19.

Qu’il nous soit permis d’emprunter notre conclusion à Christophe Bigot, fin analyste du
droit de la presse et des médias : « Nous sommes aujourd’hui dans le champ d’une déon-
tologie de l’image ou éthique de l’image, qui consiste à vérifier si l’image de la personne
est publiée, soit dans des conditions qui visent à nier le concept même de personne
humaine, ce sera le cas des photographies attentatoires à la dignité, soit dans des conditions
qui constituent une dénaturation ou un détournement, c’est-à-dire un acte fautif dans l’uti-
lisation de l’image. On se situe donc aujourd’hui, clairement à notre sens, dans le champ
d’un abus de la liberté d’expression » 20.
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(18) Nous n’ignorons pas le caractère relativement imprécis du concept de dignité (V. notre chronique Quelques
aspects du respect de la dignité en droit de l’exécution des peines, cette Revue 2010. 640, spéc. 643), mais
dans une telle situation il remplit parfaitement son rôle de correcteur de l’indicible juridique.
(19) Ajoutons, même si ce n’était pas l’objet de la présente chronique, que les victimes d’infraction sont aussi
concernées : leur consentement ou celui de leurs proches a-t-il été systématiquement recueilli ? À défaut,
leur anonymat est-il respecté ?
(20) C. Bigot, Droits sur l’image des personnes : une matière réorganisée, Gaz. Pal. 2007, n° 139, p. 8.

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