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Ce qui
s'apprend de Joyce
Michel Bousseyroux
Dans L'en-je lacanien 2014/2 (n° 23), pages 75 à 84
Éditions Érès
ISSN 1761-2861
ISBN 9782749241920
DOI 10.3917/enje.023.0075
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Michel BOUSSEYROUX
Q u’est-ce que le nœud borroméen ? C’est le nouveau mos geo-
metricus, si cher à Spinoza, Pascal et Descartes, la nouvelle méthode géo-
métrique qui permet le mieux de se repérer dans le discours analytique,
dans sa nouveauté qui est de permettre de se passer du Nom-du-Père à
condition de s’en servir (le père étant, comme S1, un produit de ce nou-
veau discours – qu’il promet à un nouvel usage).
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La méthode borroméenne
Ses catégories, Lacan les a mises à l’épreuve de ce nœud borroméen
auquel la mathématique s’était encore peu vouée. Il a fait du borroméen
sa méthode analytique, sa méthode pour penser l’expérience analytique,
comme Descartes a fait de la géométrie sa méthode pour bien conduire
sa raison et chercher la vérité afin de bien penser l’expérience scienti-
fique. Le borroméen est devenu pour Lacan sa méthode d’éveil au réel de
l’expérience. Mais ce qui conduit la pensée du borroméen n’est pas un
cogito ergo sum, c’est un fodio ergo sequor, « je creuse donc je suis » (du
verbe suivre), je creuse le nœud, je creuse son réel troué, donc je suis la
corde de la structure, je suis le filon du réel – je suis la trace, le tracé du
réel du nœud tout entier, en tant que le nœud borroméen tout entier est
une écriture du réel.
Cette méthode a consisté en effet à explorer l’écriture, les écritures
des nœuds borroméens, pour en creuser le réel. Il s’agit pour Lacan de
voir où l’expérience du borroméen le conduit par son énoncé. C’est ce
dont il témoigne dans cette introduction à la publication de R.S.I. Il affirme
que le séminaire borroméen a valeur de contrôle. Il s’agit pour lui de creu-
ser le filon du réel, d’en creuser l’énigme. Le 13 novembre 1979 encore,
à la veille de dissoudre son école, Lacan déclarait : « Je dois dire que le
nœud borroméen est une énigme. » Au fond, au fond de la mine où il a
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Apprendre de Joyce
Fulvio Marone était un passionné de Joyce, de son œuvre. Lors de
la conférence, qui fut sa dernière, puisqu’une semaine après il est mort
brutalement, qu’il fit sur Joyce à Mestre, la ville en face de Venise, Fulvio
se disait, dans sa pratique d’analyste auprès des psychotiques, joycien
avant d’être lacanien : « Sono stato joyciano prima di essere lacaniano. »
Audace à la hauteur de son engagement psychanalytique auprès des psy-
chotiques, auxquels il se dévouait corps et âme. Ça tranche avec ceux qui,
par je ne sais quel principe de précaution, se sentent tenus de se dire freu-
diens avant d’être lacaniens. Certes, Lacan se disait freudien. Mais c’est
bien à partir de Joyce et au regard de Joyce que s’est déterminée sa posi-
tion originale, irréductible à Freud, dans la psychanalyse, en particulier en
ce qui concerne sa doctrine du sinthome, qui modifie considérablement sa
conception des psychoses.
Être post-joycien
Il aura fallu que, cinquante-cinq ans après sa rencontre avec Joyce,
Lacan fasse tout un séminaire sur Joyce le Symptôme pour qu’alors il finisse
par se dire post-joycien. Ce qui veut dire lacanien. Car le séminaire Le
sinthome est ce seuil, cette passe à partir de laquelle Lacan passe de
l’Unbewußt à l’une-bévue, de l’inconscient freudien à l’inconscient laca-
nien, et où, de joycien avant d’être freudien que de départ il fut, il devient
post-joycien, c’est-à-dire réellement lacanien.
Être post-joycien est l’expression de Lacan dans le texte au style très
joycien qu’il a écrit pour les actes du symposium, « Joyce le symptôme II ».
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réussir à faire aussi bien que lui, avec le sinthome. Le sinthome est la façon
joycienne de se passer du père en s’en servant comme d’un sinthome.