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NAÎTRE : BASSE CONTINUE ET SYNCOPES

Sylvain Missonnier

Érès | « Spirale »

2007/4 n° 44 | pages 165 à 179


ISSN 1278-4699
ISBN 9782749208213
DOI 10.3917/spi.044.0165
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Naître :
basse continue et syncopes
Sylvain Missonnier

Si l’on en croit Diotime 1, pour accéder à la perpétuité tant désirée,


l’humain peut se faire un nom et acquérir une gloire éternelle grâce à son
génie de l’invention, sa vertu. Le désir est fréquent, l’obtention rare ! Une
autre voie s’impose plus communément : la génération et l’enfantement.
« La nature mortelle cherche toujours, autant qu’elle le peut, la perpétuité
et l’immortalité ; mais elle ne le peut que par la génération, en laissant
toujours un individu plus jeune à la place d’un plus vieux. » Cet amour de
l’immortalité ne permet pas de rester « toujours exactement le même,
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comme ce qui est divin », prévient Diotime mais cela donne corps à la
succession des générations. Avec cette cascade, s’établit la permanence
de la filiation. La pure continuité échappe à l’individu mais fonde le
continuum de l’arbre de vie généalogique.
Au cœur de cette matricielle paradoxalité une rencontre récurrente :
celle du « devenir parent » et du « naître humain ». Un processus en
double hélice sous les hospices de l’amour, pour le meilleur et pour le
pire. Un espace-temps où se confrontent l’indigente opportuniste Pénia et
le beau et rusé Poros ; une scène à l’interface de l’épreuve du mortel et de
la nostalgie de l’immortel.
Dans ce creuset, la continuation des générations met en exergue une
composante aussi variable qu’intrinsèque : la contenance. En latin, conti-
nuus est dérivé de continere, contenir. L’étymologie semble indiquer com-

Sylvain Missonnier, maître de conférences en psychologie clinique à Paris X-Nanterre, directeur de


recherches dans le laboratoire du LASI, psychanalyste (SPP).
1. Platon, Le banquet, Paris, Garnier-Flammarion, 1964.
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bien la poursuite de la flèche du temps générationnelle dépend de la qua-


lité de l’attention accordée aux périlleux passages de relais. Pour que la
pérennité de la flamme de la filiation entre générations ait lieu, sa préser-
vation à travers le processus de transmission entre individus est détermi-
nante. L’hypothétique fécondité biologique et la spécificité relationnelle
de ce passage reflètent l’issue dialectique de cette confrontation entre
continuité générationnelle et discontinuité individuelle. La continuité
signe l’origine, la discontinuité ouvre sur l’originalité.
Ce double ancrage permet d’emblée de s’écarter du fatalisme d’une
répétition continue, aveugle et indomptable. Il invite aussi simultanément
à ne pas sous-estimer l’hypothèse d’une telle répétition générationnelle où
le « Je » naissant de l’enfant est colonisé par une conflictualisation incons-
ciente parentale atemporelle 2.
Or, si l’on en croit la clinique périnatale, l’aube de la vie est habitée par
cette double origine de l’humain : celle de ses liens – en plein ou en creux
– avec son substrat génétique, sa filiation, son terroir collectif, sa culture,
et celle de l’unicité de l’épigenèse de son être, de sa possible et si fragile
originalité. Mais, initialement dépendant, comment le nourrisson va-t-il
conquérir son autonomie ? Quelles sont les conditions requises pour que
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la discontinuité de ses mille et un conflits de séparation soit source de
sutures maturantes au profit d’une individuation continue et non de rup-
tures aliénantes ?
Pour appréhender ces parcours familiaux toujours singuliers, l’observa-
tion du tempo de la contenance des échanges relationnels entre les
parents et leur fœtus/bébé occupe une place axiale car ce rythme rela-
tionnel correspond à chaque fois à un scénario unique de continuité
(basse continue) et de discontinuité (syncopes) 3.
Face à un couple de danseurs observés 4, la qualité de la chorégraphie
dépend simultanément de la qualité métronomique de la réciprocité ges-

2. « L’inconscient est totalement atemporel » écrit Freud dans Psychopathologie de la vie quotidienne
(1901), Paris, Payot, 1973.
3. Le rhythmus latin évoqué dans l’introduction renvoie à la polarité de la basse continue et le rhuth-
mos grec à celle de la syncope.
4. On doit à Daniel Stern d’avoir choisi d’illustrer les interactions parents/bébé par la métaphore cho-
régraphique mais aussi par celle des combats de boxe : D.N. Stern, Mère enfant, les premières rela-
tions, Bruxelles, P. Mardaga, 1977.

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tuelle et de l’accordage affectif entre les deux


partenaires. Sur la base continue de cet ajuste-
ment mutuel à la partition musicale, c’est la sur-
prise dans cette prévisible permanence qui crée
l’émotion esthétique.
Face à un fœtus/bébé et ses apprentis parents, la constance du portage
et la continuité affective constituent la condition première de la naissance
psychosociale du nouveau venu. Mais pour qu’un nouvellement né puisse
conquérir progressivement son originalité, il doit bénéficier d’un nid,
certes contenant, mais qui laisse place peu à peu à la survenue et à l’ap-
prentissage de l’imprévisible discontinuité. L’absence récurrente de cette
exposition mesurée scelle des pathologies symbiotiques où l’individuation
est muselée. L’envahissement de cette mise à l’épreuve induit des désor-
ganisations précoces. Dans les situations favorables, à l’abri du Charibe
morbide du pur continu et du Scylla éclaté de la discontinuité démesurée,
des « non-équilibres 5 » psychologiques s’instaurent où l’enfant à naître et
le nourrisson peuvent déployer leur créativité.
Pour tenter de partager la force signifiante de cette ligne de crête para-
digmatique en clinique, j’ai choisi de décrire ici quelques balises sémio-
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logiques de l’évaluation des relations parents-fœtus-bébé qui,
historiquement, ont joué un rôle essentiel dans la structuration des théra-
pies précoces. Le pari est le suivant : la focalisation sur les enjeux psy-
cho(patho)logiques de l’homéostase continuité/discontinuité en
périnatalité est une bonne introduction à l’exploration de ses multiples
avatars individuels et collectifs plus tardifs.
Dans cette perspective, je vais d’abord repréciser un outil conceptuel
épistémologiquement fondateur – l’interaction – afin d’envisager les
conditions synchroniques d’un environnement fiable pour le bébé.
Ensuite, dans une perspective psychanalytique, je m’appuierai sur la dis-
tinction freudienne entre angoisse automatique et signal pour défendre
l’anticipation comme un marqueur clinique pertinent à double titre :
comme trace inaugurale de la naissance de la psyché du nourrisson ;
comme mémoire des enjeux psycho(patho)logiques de la transmission

5. I. Prigogine, I. Stengers, La nouvelle alliance, Paris, Gallimard, 1986.

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générationnelle précoce dont la continuité et la discontinuité sont les


pôles nord et sud.

La danse interactive
À la fin du XIXe siècle, le premier emploi connu du terme d’interaction
a lieu en physique avec le sens d’action réciproque. Mais c’est avec la
théorie générale des systèmes de Von Bertalanffy 6 qu’elle prend toute son
ampleur dans le courant systémique. Les organismes vivants y sont décrits
comme des systèmes à la fois fermés et ouverts, dans une unité dialec-
tique. Trois principes essentiels les gouvernent :
– le système est un tout ; ses éléments ne peuvent être décrits qu’en fonc-
tion de sa totalité ;
– il est homéostatique : les informations extérieures déclenchent par rétro-
action des modifications du système qui ont pour but le retour à l’équi-
libre antérieur ;
– la causalité n’y est pas linéaire mais circulaire, inter et rétroactive.
Depuis cette proposition inaugurale, une critique salvatrice du postulat
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du « retour à l’équilibre » a été formulée grâce, notamment, à l’étude de
Prigogine 7 de systèmes « loin de l’équilibre ». En rompant avec la réver-
sibilité constante des processus structurés par des lois sources de prévisi-
bilité, la dimension temporelle est réintroduite, et le non-équilibre,
pourvoyeur de bifurcations irréversibles. La discontinuité événementielle
y est reconnue à sa juste place ; elle n’est plus un accident de l’homéo-
stase mais une composante intrinsèque essentielle.
Appliquée aux membres d’un système familial ou à l’épigenèse du
fœtus/enfant, l’interaction concerne l’ensemble des phénomènes dyna-
miques qui se déroulent dans le temps entre le sujet et son environne-
ment. Dans le cadre des interactions périnatales précoces, on dira que
l’environnement et le fœtus/nourrisson s’influencent l’un l’autre dans un
processus continu de développement et de changement. L’environ-
nement, c’est, bien sûr, la mère, le père, tout autre interlocuteur humain

6. K.L. Von Bertalanffy (1968), Théorie générale des systèmes, Paris, Dunod, 1993.
7. I. Prigogine, I. Stengers, op. cit.

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Naître : basse continue et syncopes La période de la


grossesse est le
véritable « premier
chapitre » de la
et l’ensemble de ce qui peut constituer un phé- biographie vraie de
nomène perçu par le fœtus/bébé. l’enfant à naître.
En prénatal, la simultanéité des processus
interactifs de nidification parentale et de nida-
tion fœtale ouvre le bal 8. La période de la grossesse est le véritable « pre-
mier chapitre 9 » de la biographie vraie de l’enfant à naître. La profondeur
et l’influence de son empreinte biopsychique sur sa vie durant sont géné-
ralement proportionnelles à l’intensité de son refoulement ultérieur 10.
En postnatal, les compétences sociales du bébé donnent une suite
aérienne à son originalité aquatique fœtale : il a un style relationnel
propre, il s’inscrit activement dans l’échange et peut en avoir l’initiative.
Bébé n’est plus une cire vierge passive, il est tout autant émetteur que
récepteur. Classiquement, l’interaction des relations parents-bébé se
divise en trois secteurs d’observation : l’interaction comportementale,
affective et fantasmatique.
a) Les études portant sur les interactions comportementales se centrent sur
ce qui est plus directement observable. On distingue les interactions cor-
porelles, visuelles, vocales. On peut procéder à deux types d’analyse de
ces processus interactifs : une analyse transversale et longitudinale. La
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première porte sur les caractéristiques temporelles, le niveau de stimula-
tion et certaines caractéristiques générales comme la réciprocité.
L’analyse longitudinale étudie de son côté la dynamique interactive tout
au long du développement qui va du contrôle homéostatique au déploie-
ment des capacités interactives.
b) Progressivement, les cliniciens se sont intéressés au climat émotionnel
ou affectif des interactions, c’est-à-dire au vécu agréable ou déplaisant de
la communication de part et d’autre. L’affect est reconnu comme objet
même de l’interaction à travers la variété des transpositions intermodales.
Le postulat implicite à l’interaction affective est simple : chaque parte-
naire de l’interaction perçoit plus ou moins l’état affectif de l’autre et y
répond lui-même par un état affectif qui en retour produira un nouvel

8. Pour un plus large développement, se rapporter à S. Missonnier, « Le premier chapitre de la vie.


Nidification parentale. Nidation fœtale », dans J. Bergeret, M. Soulé, B. Golse, Anthropologie du
fœtus, Paris, Dunod, 2006, 61-80.
9. www.psynem.necker.fr/Waimh/Francophone/GroupesDeTravail/PremierChapitre.
10. S. Missonnier, op. cit.

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affect chez l’autre, etc. Dans le cas de l’interaction affective mère/bébé, le


décodage maternel des affects du bébé est la part la plus visible de « l’ac-
cordage affectif 11 ». Par exemple, à des gestes du bébé correspondent des
vocalisations maternelles qui prêtent des affects, proposent une interpré-
tation verbale dont l’intensité, la chronologie et la forme spécifiques sont
la marque externe d’une communion affective interne. De son côté, l’en-
fant prend également l’initiative d’engager des séquences relationnelles
dont le progressif ajustement affectif est le ferment dynamique.
c) L’originalité des psychanalystes développementalistes francophones 12
est d’avoir défendu la complémentarité clinique des panneaux comporte-
mental, affectif et fantasmatique du triptyque interactif. Dans cette
optique, les deux partenaires sont étudiés en tant que sujet dont la vie
mentale comporte des scénarios imaginaires figurant l’accomplissement
de leurs désirs. Ainsi, l’interaction fantasmatique cible l’expression des
fantasmes des partenaires et de leur influence réciproque lors des
échanges. Ces cliniciens plaident en faveur de la complémentarité de la
trame neurobiologique de l’enfant avec son histoire générationnelle, celle
de l’enfant imaginairement et fantasmatiquement construit par les parents,
sur la base de leur propre histoire développementale avec les grands-
parents.
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Résumons-nous. Dans un espace variable de fortes amplitudes, laissant
place à l’infinie variété des variations idiosyncrasiques, les interactions
parents-bébé seront jugées suffisamment harmonieuses si elles sont syn-
chroniques, symétriques, contingentes (réponses « pertinentes ») affecti-
vement et fantasmatiquement accordées, ludiques, flexibles, orientées
vers une autonomisation de l’enfant (rapport interactions prévisibles/sur-
prenantes). « Suffisamment harmonieuses » signifie ici en faveur de l’in-
tersubjectivité naissante de l’enfant 13. Mais on pourrait tout autant dire :
des interactions offrant un rapport « acceptable » entre basse continue
(continuité) et syncopes (discontinuité).

11. D. Stern, Le monde interpersonnel du nourrisson, Paris, PUF, 1989.


12. L. Kreisler, B. Cramer, « Les bases cliniques de la psychiatrie du nourrisson », Psychiatrie de l’en-
fant, 24, 1, 1981, p. 223-263. S. Lebovici, S. Stoleru, Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les
interactions précoces, Paris, Le Centurion, 1983.
13. La maltraitance psychologique du bébé peut être génériquement définie comme un déni de cette
intersubjectivité.

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Naître : basse continue et syncopes

Faux pas dans la danse


Schématiquement, il existe des dysharmonies
interactives synchroniques et diachroniques 14.
On distingue trois types de dysfonctionnements précoces synchro-
niques quelles que soient les situations qui peuvent les engendrer : l’ex-
cès de stimulations, le manque de stimulations ou leur caractère
paradoxal. Il faut ajouter qu’un même niveau de stimulation peut conve-
nir à un nourrisson donné, et constituer un excès de stimulation pour un
autre dont le seuil de tolérance est bas et qui va se montrer hyperexci-
table ; à l’inverse, il constitue une hypostimulation chez un nourrisson
plus calme qui a besoin de beaucoup de sollicitations. En effet, le carac-
tère excessif ou insuffisant des stimulations peut provenir :
– du parent (énergique, anxieusement agité, hypersollicitant, ou, à l’in-
verse, déprimé, avec des comportements d’évitement phobique de l’en-
fant) ;
– de l’enfant (hypersensibilité néonatale ou à l’inverse hyporéactivité, fai-
blesse, flou des signaux émis).
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Dans une perspective diachronique, on repère différentes modalités
évolutives : la stabilité du mode interactif, le caractère de fixation et de
régression des patterns interactifs, l’aspect oscillant des perturbations de
l’interaction (hyperstimulation/hypostimulation), l’incohérence du mode
évolutif…
De nouveau, quel que soit le facteur interactif étudié, la ligne continue
qui va des variations psychologiques aux dysharmonies psychopatholo-
giques peut se formuler en termes de rapport entre continuité et disconti-
nuité.
Prenons un exemple. Les cliniciens de la première enfance savent bien
que la règle la plus importante pour le maintien d’une synchronie com-
portementale, affective et fantasmatique tempérée entre un parent et son
nourrisson, c’est le respect de l’alternance attention/retrait. De brefs
cycles d’attention et de repli constituent la ponctuation nécessaire à la

14. On trouvera des illustrations cliniques par exemple dans S. Missonnier, « Pour une démocratie
périnatale », Enfance et Psy, n° 22, 2003, 97-107.

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continuité d’une séquence interactive prolongée. Plus précisément, du


côté du bébé, lors d’une situation en face à face avec un adulte, son
détournement ponctuel du regard reflète son besoin de maintenir un cer-
tain contrôle sur la quantité de stimulations qu’il peut absorber durant des
périodes d’intenses accordages. En d’autres termes, la récurrence de la
discontinuité interactive est la condition sine qua non de la continuité
comportementale, affective et fantasmatique de l’échange relationnel.
Les relations entre une mère présentant une dépression post-partum et
son nourrisson constituent un bon contre-exemple : c’est, paradoxale-
ment, le non-respect maternel des temps de retraits lors des échanges qui
conduit l’enfant à un évitement symptomatique du contact visuel. Bien
sûr, les études comparatives avec des mères « non cliniques » ont démon-
tré que les mères déprimées étaient statistiquement plus en retrait, moins
engagées dans l’interaction, plus irritables, plus en peine pour soutenir les
apprentissages… Toutefois, lors des séquences d’échanges avec le bébé,
une probable envie de contrebalancer ces « lâchages » précédents
entraîne une adhésivité visuelle maternelle décuplée qui ne respecte pas
les « légitimes » fenêtres de repli transitoire du bébé. Dans cette situation
dramatique, l’excès de continuité visuelle est synonyme d’intrusion, d’em-
piétement et elle nuit à la pérennité de la sécurité affective interactive.
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Pour mieux comprendre de quoi est privé le bébé dans cette situation
pathologique, le pédiatre-psychanalyste Winnicott est un bon guide.

Continuité/discontinuité et illusion/désillusion
Winnicott 15 a décrit l’état psychique normal de la mère en pré et post-
partum immédiat comme un état de « préoccupation maternelle pri-
maire » pour son fœtus/bébé : « Il se développe graduellement pour
atteindre un degré de sensibilité accrue pendant la grossesse et spéciale-
ment à la fin ; il dure encore quelques semaines après la naissance de
l’enfant. » Il précise : « Je ne pense pas qu’il soit possible de comprendre
l’attitude de la mère au début de la vie du nourrisson, si l’on n’admet pas
qu’il faut qu’elle soit capable d’atteindre ce stade d’hypersensibilité –

15. D.W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969.

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Naître : basse continue et syncopes « La tâche ultime


de la mère est
de désillusionner
progressivement
presque une maladie – pour s’en remettre l’enfant. »
ensuite. » Après la naissance, la mère, mais aussi Winnicott
plus généralement les parents, sont, dans des
conditions « normales », des gardes du corps
hypervigilants. Le nourrisson face à un parent
déprimé est privé de cette sollicitude.
Cette préoccupation primaire donne au nouveau-né l’illusion que les
soins sont une partie de lui-même. Durant cette période transitoire, c’est
certainement ce que Winnicott 16 nomme « la continuité d’être du bébé »
qui s’impose comme l’enjeu primordial de l’accordage environnement-
parents-nouveau-né. De cette transitoire mais nécessaire continuité bio-
psychique des soins donnés – synonyme de transfert « d’être » et de
partage « d’être avec » – dépendra la transmission de la contenance bio-
psychique initiale.
Toutefois, insiste Winnicott, « la tâche ultime de la mère est de désillu-
sionner progressivement l’enfant », c’est-à-dire de ne pas l’emprisonner dans
la tour d’ivoire de l’illusoire continuité inaugurale, mais de l’accoutumer peu
à peu à la désillusion inexorable de l’algorithme continuité/discontinuité.
Winnicott parle de processus « d’illusion-désillusionnement 17 ». Le sevrage
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en représente un événement majeur avant l’apprentissage de la propreté,
mais tous les conflits de « séparation/individuation 18 » du quotidien en fon-
dent la véritable trame. À chaque fois, la négociation entre principe de plai-
sir et principe de réalité, synonyme d’acceptation de continuité/
discontinuité, est entamée si le nourrisson bénéficie – au-delà des conflits
nécessaires – de l’empathie de la mère. Avec une mère « suffisamment
bonne », l’apprivoisement progressif de l’enfant à l’inévitable et souhaitable
« défaillance maternelle » succède à une période où la mère « s’est d’abord
montrée capable de donner les possibilités suffisantes d’illusion ». À cette
condition, ce désillusionnement sera pour lui synonyme de constitution d’un
espace psychique « qui se situe entre la créativité primaire et la perception
objective ».

16. D.W. Winnicott, La nature humaine, Paris, Gallimard, 1990.


17. D.W. Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.
18. M. Mahler et coll., La naissance psychologique de l’être humain. Symbiose et individuation, Paris,
Payot, 1980.

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Chemin faisant, entre continuité de l’attention parentale bienveillante et


discontinuité progressive de la désillusion, le nourrisson va donc faire
sienne cette sollicitude pas seulement maternelle mais plus largement
parentale et environnementale. C’est à son compte qu’il va peu à peu
s’installer en bénéficiant de ces conflits successifs de séparation-indivi-
duation.
Cette autonomisation met en jeu d’innombrables vecteurs développe-
mentaux. Nombreux sont ceux qui entretiennent une frontière commune
avec la dyade continuité-discontinuité. Mais, à mon sens, l’un d’entre eux
brigue en clinique une position privilégiée : l’anticipation. Pour un bébé,
anticiper, c’est d’abord conquérir la continuité du prendre d’avant (ante
capere) de sa mémoire naissante. Dans le meilleur des cas, la suffisam-
ment bonne prévisibilité des interactions avec ses interlocuteurs et son
environnement non humain en constitue le matériau d’origine. La pro-
portion justement dosée de surprise en constitue l’originalité.
L’apprentissage de l’anticipation est si rapide et l’amnésie infantile si
pesante qu’on en oublierait bien vite la tragédie de la discontinuité initiale
de la naissance et l’angoisse des débuts. Une période inaugurale de
dépendance absolue où la continuité dépend radicalement du bon vou-
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loir de l’environnement.

Angoisse et anticipation :
l’angoisse automatique traumatique
et l’angoisse signal d’alarme
La distinction freudienne 19 entre angoisse automatique et angoisse
signal s’affirme comme un guide d’une grande valeur heuristique pour
cerner les balbutiements de l’anticipation et en cerner ses avatars.
Pour Freud, au départ, le nouveau-né ne peut pas réguler les augmen-
tations de tension, et il est entièrement dépendant de la fonction pare-

19. S. Freud (1926), Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1981. S. Freud (1932), XXXII
Conférence : « Angoisse et vie pulsionnelle », dans Nouvelles conférences d’introduction à la psy-
chanalyse, Paris, Gallimard, 1984.

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Selon Freud,
Naître : basse continue et syncopes le nouveau-né ressent
une « angoisse originaire »
lors de sa venue au monde
qui sera le « prototype de
excitante d’un moi auxiliaire. Au fil du temps, la toutes les situations de
maturation et l’autonomisation progressive du danger qui apparaissent
moi rendent possible son apprivoisement de la ultérieurement ».
détresse biologique et psychique initiale effrac-
tante. L’Hilflosigkeit primaire, qui constitue la
situation traumatique par excellence, sera, dans des conditions favorables,
dépassée au profit d’une reconnaissance anticipée autonome du danger,
rendue possible par le signal d’angoisse que contient l’affect.

L’angoisse automatique-traumatique
Chez le nouveau-né, le danger primaire, c’est l’angoisse automatique-
traumatique qui déborde les possibilités défensives du moi corporel.
L’origine de cette angoisse, c’est le vécu du bébé au moment de la nais-
sance. Selon Freud, le nouveau-né ressent une « angoisse originaire » lors
de sa venue au monde qui provoque une « perturbation économique
consécutive à l’accroissement des quantités d’excitation ». Cette forme
primitive d’angoisse sera le « prototype de toutes les situations de danger
qui apparaissent ultérieurement ». Elle est traumatique car le bébé ne peut
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s’en rendre maître par une décharge.
Point essentiel, la naissance ne correspond nullement à une perte d’ob-
jet pour le nouveau-né, car « la naissance n’est pas vécue subjectivement
comme séparation de la mère car celle-ci est, en tant qu’objet, complète-
ment inconnue du fœtus absolument narcissique ». Pour Freud, ce pas-
sage de la vie intra-utérine à la vie aérienne s’effectue, au-delà de la
césure de la naissance, dans la « continuité » car « l’objet maternel psy-
chique remplace la situation fœtale biologique ». Toutefois, « ce n’est pas
une raison pour oublier que dans la vie intra-utérine la mère n’était pas
un objet pour le fœtus, et qu’il n’y avait pas alors d’objet ».

L’angoisse signal d’alarme


Dans une perspective développementale de l’anticipation, l’argument
le plus convaincant de Freud, c’est l’articulation qui permet le passage de

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l’angoisse automatique à l’angoisse signal. « Avec l’expérience qu’un


objet extérieur, perceptible, est susceptible de mettre fin à la situation dan-
gereuse qui évoque celle de la naissance, le contenu du danger se déplace
de la situation économique à ce qui en est la condition déterminante : la
perte de l’objet. L’absence de la mère est désormais le danger à l’occasion
duquel le nourrisson donne le signal d’angoisse avant même que la situa-
tion économique redoutée ne soit instaurée. Cette transformation a la
valeur d’un premier et important progrès dans les dispositions prises
en vue d’assurer l’autoconservation ; elle implique en même temps le
passage d’une angoisse produite comme manifestation à chaque fois nou-
velle, involontairement, automatiquement à sa reproduction intention-
nelle comme signal de danger. »
Le moi, pour éviter l’apparition de l’angoisse de l’absence (angoisse de
séparation), se forge défensivement une aptitude à anticiper. En attendant
et en reproduisant de façon atténuée l’effraction, le traumatisme est pré-
venu. La fonction signal de l’angoisse s’inscrit bien en ce sens dans le cadre
d’une élaboration symbolique constructive face à la menace traumatique.
La célèbre description par Freud 20 du jeu de la bobine de son petit-fils âgé
de 1 an et demi est l’illustration emblématique de cette dialectique matu-
rative. Quelques années après le récit de cette scène, c’est la préhistoire
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relationnelle mère/enfant du jeu de la bobine que Freud explore avec le jeu
du cache-cache : « Il faut la répétition d’expériences rassurantes pour qu’il
(l’enfant) apprenne qu’une telle disparition de la mère est habituellement
suivie de sa réapparition. La mère favorise le développement de cette
connaissance, de tant d’importance pour le nourrisson, en jouant avec lui
le jeu bien connu de cacher son visage devant lui, puis de le recouvrir pour
sa plus grande joie. Il peut alors ressentir quelque chose comme de la nos-
talgie, sans que celle-ci s’accompagne d’angoisse 21. »
Précurseur des interactionnistes, Freud souligne en filigrane combien
cette construction symbolique de l’angoisse signal chez le nourrisson néces-
site une qualité du tempo dans l’alternance des moments de partage et de
séparation. Pionnier dans l’exploration de la transmission psychique, on
retiendra aussi l’ancrage résolument intergénérationnel de sa théorie : la

20. S. Freud (1920), « Au-delà du principe de plaisir », dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot,
1982.
21. S. Freud (1926), op. cit.

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maturation de la fonction signal de l’angoisse de


l’enfant y dépend étroitement de l’histoire de celle
de ses parents avec ses grands-parents. La dialec-
tique individuelle entre angoisse traumatique et
angoisse signal accompagne toute la durée de la
vie, insiste Freud. De plus, dans cet espace de rencontre privilégiée entre les
générations, les situations de séparation varient selon les âges « mais elles
signifient toutes une séparation de la mère ; d’abord une séparation uni-
quement biologique, puis au sens d’une perte directe de l’objet, et plus tard
au sens d’une perte de l’objet produite par des moyens indirects ».

Épigenèse de l’anticipation et « protopensée »


L’usage ordinaire de la fonction de signal se met en place grâce à une inté-
riorisation réussie et à une identification avec les fonctions organisatrices et
régulatrices des parents. La structuration et le fonctionnement effectif de la
fonction de signalisation nécessitent des réponses environnementales cohé-
rentes et chronologiquement adaptées : aux sentiments exprimés par le nour-
risson à travers ses comportements, les parents répondent par des actes
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diminuant sa détresse et lui donnant un sentiment de confort et de sécurité
qui soutient les fonctions de synthèse et d’autorégulation.
En d’autres termes, l’enfant incorpore, introjecte, et s’identifie à la fonc-
tion de régulation et d’organisation de ses parents et, plus largement, de
ses pourvoyeurs de soins. Cette fonction de pare-excitation, de moi auxi-
liaire, de contenance est faite sienne par l’enfant dans un mouvement
d’individuation qui lui permet d’utiliser ses propres affects comme
signaux d’un danger imminent pouvant mettre en péril ce que Winnicott
intitule son « sentiment continu d’existence ».
Marcelli 22 a bien rendu compte de la convergence entre faculté de pen-
ser et cet investissement du temps de l’anticipation. À partir de l’expérience
de l’absence et plus encore de la succession présence/absence, cette matu-
ration s’effectue, de son point de vue, grâce à l’opposition dialectique entre

22. D. Marcelli, Position autistique et naissance de la psyché, Paris, PUF, 1986. D. Marcelli, « Le rôle
des microrythmes et des macrorythmes dans l’émergence de la pensée chez le nourrisson »,
Psychiatrie de l’enfant, 35, 1, 1992, p. 57-82.

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les « macrorythmes » et les « microrythmes » dont, par exemple paradig-


matique, chaque dyade mère/bébé a une mise en scène unique.
Les macrorythmes, domaine de la répétition des soins, correspondent
aux « anticipations confirmées » chez le bébé que Marcelli rapporte, à
juste titre, à la capacité de la mère décrite par Winnicott de présenter les
objets dans un bon tempo (synchronique et contingent). « La continuité
narcissique du bébé s’étaye sur la confirmation des attentes et nous pro-
posons une équivalence entre macrorythme, relation de soins, anticipa-
tions confirmées et rythme nycthéméral ». Le territoire spatio-temporel
des surprises, des provocations ludiques de certains « faire semblant » des
séquences interactives brèves, c’est le domaine des microrythmes :
« Nous proposons une autre équivalence entre microrythme, interaction
ludique, attente trompée, relation proximale transitoire. »
Selon Marcelli, c’est la conjonction de ces deux temps qui permet l’in-
vestissement de la pensée chez l’enfant. À partir de la base continûment
sûre des macrorythmes, l’attente est possible et motivée par l’anticipation
de la surprise : « L’attente de la surprise permet l’investissement libidinal
de cette tension croissante par anticipation de la détente liée à la sur-
prise. » Ici, l’investissement du temps qui permet l’accès à la symbolisa-
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tion n’est autre qu’une intégration de la fonction signal de l’angoisse qui
permet d’apprivoiser la surprise, le différent, dans la mesure où l’antici-
pation parentale exprimée dans l’interaction dyadique rend possible cette
internalisation chez le nourrisson.

Pour conclure
« Exister requiert la coupure du lien et le maintien d’un lieu de conte-
nance 23. »
L’observation des relations parents-fœtus-bébé met l’accent sur l’intri-
cation de la continuité et de la discontinuité relationnelles. L’alliance
paradoxale d’un maintien de la contenance d’une basse continue et de
successives coupures syncopales du lien en caractérise le dynamisme
évolutif.

23. René Kaës, « Introduction à l’analyse transitionnelle », dans R Kaës et coll., Crise, rupture et
dépassement, Paris, Dunod, 1990.

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« Exister requiert
la coupure du lien
et le maintien d’un
lieu de contenance. »
Dans les consultations thérapeutiques périna- René Kaës
tales 24 , les variations de l’équilibre entre créa-
tivité et vulnérabilité de cette partition rythmique
sont bien mises en exergue par l’évaluation des
interactions comportementales, affectives et fan-
tasmatiques entre la mère, le père et le fœtus/bébé. Cet axe sémiologique
s’impose comme une poutre maîtresse de la transmission générationnelle
des conflits conscients (s’inscrivant dans un temps linéaire) et inconscients
(atemporels).
Du côté du fœtus/bébé, ce n’est rien de moins que la naissance de la
pensée et son entrée dans l’échange intersubjectif qui sont en jeu ici. La
« protopensée » de la succession continuité/discontinuité et les premières
traces d’une représentation anticipée permettent au fœtus/bébé de se
dégager d’une activité neurocérébrale non exclusivement sous la dépen-
dance des perceptions sensorielles en temps réel. C’est à travers l’expé-
rience d’un continuum de prévisibilité de l’interaction que se constituent
les premières ébauches de l’attention. C’est grâce à la discontinuité
instaurée par la surprise de l’imprévisible que cette concentration devient
ingénieuse, originale et source de plaisir partagé.
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Le fœtus/bébé ne s’installe à son propre compte comme sujet de l’anti-
cipation que dans la mesure où il peut mettre en lui une prévenance qu’il
trouve à l’extérieur et dont il est l’objet. Cette contenance protectrice et
adaptative lui permet d’affronter peu à peu ses angoisses archaïques
désorganisantes, et d’y substituer des angoisses adaptatives faisant fonc-
tion de signal symboligène. Le saut qualitatif est magistral : il passe d’une
discontinuité subie à une continuité affective où, grâce à la maturation de
son anticipation, il va « lier les catégories discontinues de l’activité per-
ceptivo-sensorielles aux catégories continues du vécu affectif 25 ».
Programme prometteur s’il en est ! Mais dont la féconde virtualité n’a
d’égal que les menaces traumatiques qui menacent le petit d’homme sou-
mis dans le nid au « diktat d’un discours social qui n’a d’autre but que de
s’opposer à tout changement dans les modèles par lui institués 26 ».

24. S. Missonnier, La consultation thérapeutique périnatale, Toulouse, érès, 2003 et S. Missonnier,


« Pour une démocratie périnatale », Enfance et Psy, n° 22, 2003, 97-107.
25. D. Marcelli, La surprise, chatouille de l’âme, Paris, Albin Michel, 2000.
26. P. Aulagnier, La violence de l’interprétation, Paris, PUF, 1975.

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