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« LA RÉPÉTITION NE SE PRODUIT QU'UNE SEULE FOIS »

Colette Soler

ERES | « L'en-je lacanien »

2010/2 n° 15 | pages 9 à 20
ISSN 1761-2861
ISBN 9782749213415
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Rencontre et répétition
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« La réptition ne se produit
qu’une seule fois »

Colette SOLER
J
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’ai choisi cette phrase, pas du tout parce que j’en avais la clé.
C’est juste le contraire, pour m’expliquer son côté paradoxal.
J’aime ces phrases paradoxales, si nombreuses chez Lacan, et qui
à l’examen s’avèrent ne pas l’être. Elles me plaisent pour l’effet d’éveil
qu’elles produisent, parce qu’elles contribuent à secouer l’assurance des
fausses évidences que donnent les phrases canoniques, bien connues et
répétées, tous ces « jolis fossiles », c’est Lacan qui le dit, que son ensei-
gnement a déposés.
Concernant la répétition, elles sont particulièrement nombreuses,
mais pas toutes du même niveau. Certaines sont seulement en contraste
avec l’idée commune de la répétition. Parce qu’il y a une idée commune.
Or, ce qu’en dit la psychanalyse s’y oppose point par point. On croit que
c’est le retour du même, et du passé. Pour la psychanalyse, avec Lacan,
la répétiton n’est pas un retour, n’est pas du passé, c’est du neuf, la seule
chose qui ne vieillisse pas ; ça n’est pas du même mais du différent, ça
n’est pas du destin mais une figure du hasard.

Colette Soler est psychanalyste à Paris, membre de l’EPFCL.


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On ne doute pas non plus que la répétition soit du multiple, du plu-


sieurs fois, presque par définition, et là on ne peut pas échapper aux pres-
sions de la langue, or dans cette phrase que j’ai choisie Lacan nous dit :
une seule fois. Pour ébranler encore un peu plus les évidences, j’ajoute
qu’il avance également qu’« il ne peut pas y en avoir de première »
(12 mai 1972).
Voilà donc l’embrouille. Elle m’oblige à m’interroger sur ce qui doit
être mis au pluriel de la répétition au sens banal, car il faut bien que ce
qui est déposé dans la langue et le discours commun soit motivé, et ce qui
de la répétition analytiquement conçue est au singulier. D’ailleurs, quand
Lacan avance sa première formule du concept de rencontre manquée,
c’est au singulier. Il n’a pas dit : les rencontres manquées, ce qui pourtant
irait bien avec les hasards, eux aussi au pluriel, qui la ramènent.
Je crois que l’on ne peut s’orienter dans ces questions que si on
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donne tout son poids au fait que la répétition n’est pas l’ICS-langage. J’ai
beaucoup insisté sur ce point dans mon cours de cette année. Certes il
n’y a de répétition que pour l’être parlant, la répétition est une consé-
quence du langage, ce point ne fait pas de doute, néanmoins, ce n’est
pas pour rien que Lacan distingue les concepts.
Or, lui-même ne s’est pas orienté immédiatement dans la question.
Je l’ai mis en valeur. En 1953, il homologuait une confusion de l’ICS et de
la répétition en disant qu’avec cette notion Freud n’avait fait que réaffir-
mer sa découverte première de l’ICS comme mémoire, et il identifiait expli-
citement la répétition au retour des signes. Ce n’est qu’en 1964, dans le
séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, qu’il
dira, contre lui-même, que la répétition n’est pas le retour des signes.
Alors, le pluriel est du côté de l’ICS, l’ICS en exercice qui donne lieu
à l’émergence dans le temps à la succession de ses éléments. Lacan a
d’abord dit de ses signifiants, puis de ses traits unaires, dans le chiffrage
de l’Arbeiter, de l’ICS au travail. Je cite : « Le trait unaire est ce dont se
marque la répétition. » Il a beaucoup insisté pour dire que c’est du Un
comptable, d’où son recours aux problèmes du dénombrable et à
Cantor, et il en a distingué, à répétition si je puis dire, le l’Un de totalité
d’abord, dans la logique du fantasme, et ensuite le Un du Y a d’l’Un, au
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sens du Un-dire du parlêtre. Impossible donc de s’y retrouver sans suivre


Lacan dans ses considérations sur le Un.
Le trait unaire n’est pas un signifiant. Il en a la structure différen-
cielle, il comporte même la seule mêmeté concevable, qui est, je cite une
expression de Lacan, « la mêmeté de la différence », je pourrais dire le
chiffre de la différence, mais il s’en distingue par deux aspects : il n’a pas
de sens et ne représente rien. Il ignore la nature des choses, disait Lacan
dans La logique du fantasme. Et plus explicitement dans …Ou pire, le
10 mai 1972 : « Le trait unaire n’a rien à faire avec Y a d’l’Un. Le trait
unaire est ce dont se marque la répétition comme telle. […] N’importe
quoi peut servir à écrire l’Un de répétition. Ce n’est pas qu’il soit rien,
c’est qu’il s’écrit avec n’importe quoi. »
Son chiffre affecte seulement la jouissance d’un effet de perte, qui
est identique à la production du sujet divisé. Les traits unaires de l’ICS, eux,
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sont au pluriel, ils supposent si on veut un sujet, mais, ce sujet, ils ne le
représentent pas, ils le produisent comme coupure, à mesure de leur mise
en série, coupure dans le champ de « la jouissance de l’Autre », qui n’est
rien de moins que la surface du corps. Voyez dans « Radiophonie » la
réponse à la question III. Le sujet que nous appelons souvent le sujet de
l’ICS, Lacan l’a d’abord présenté comme supposé à la chaîne signifiante,
c’est le cas dans le graphe du désir. Mais, comme supposé à la série des
uns du travail de l’ICS, savoir sans sujet, qui chiffre la jouissance, il est
identique à la coupure. La thèse est écrite dans « Radiophonie », mais for-
mulée bien avant.
On est à mille lieux de la conception commune du sujet psychologi-
que, dont il est si difficile de se défaire. Je dirai plus loin comment Lacan
récupère ce que celui-ci connote dans les esprits. Mais aussi à mille lieux
de ce que les lecteurs de Lacan ont d’abord appris de lui, à savoir que
l’ICS fait chaîne avec les signifiants qui représentent le sujet. Il faut prendre
la mesure du virage qu’introduit la formule l’ICS savoir sans sujet, mais
opérateur langagier sur la jouissance qui implique le corps.
Lacan s’est donc demandé combien de répétitions du trait sont
nécessaires pour produire le sujet, comme effet de perte. À Baltimore, en
octobre 1972, il répond que le trait unaire produit le sujet à condition de
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se reproduire au moins une fois. Et puisque l’on est dans le comptable, il


s’appuie sur la genèse du nombre, et en particulier sur ce que Frege a
introduit avec ses élaborations sur le zéro comme ensemble vide, premier
Un qui doit être répété pour permettre au 1 de la série des nombres
d’exister comme un autre, car zéro et un ça fait deux, non pas au sens du
nombre 2, mais au sens de la différence des deux uns que sont l’en-
semble vide et le premier des nombres (voir « …Ou pire », Scilicet, n° 5).
Lacan ajoute : « Cette première répétition [celle du Un donc] est la seule
nécessaire pour expliquer la genèse du nombre, et une seule répétition
est nécessaire pour constituer la position du sujet. Le sujet de l’ICS est
quelque chose qui tend à se répéter, mais une seule répétition est néces-
saire pour le constituer. » Il est produit comme effet de perte : « La loi
constituante du sujet c’est la répétition », ou encore : « Le sujet est l’intro-
duction d’une perte dans le réel » sous l’effet du trait unaire (Baltimore).
On comprend alors que Lacan puisse dire que cette production du
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sujet est « déjà répétition à se produire 1 ». Pourquoi ? C’est qu’avant le
Un du trait, dans l’expérience non marquée, « cette chose obscure que
nous appelons tantôt trauma, tantôt plaisir exquis », dit Lacan, le sujet de
l’ICS n’est pas encore produit comme effet du trait, ce qui inciterait à
l’identifier au zéro. Trauma ou plaisir exquis, la référence est freudienne
et elle est double. Elle renvoie, si je ne me trompe, pour le plaisir exquis
à la fin de L’interprétation des rêves, dans le paragraphe où Freud expli-
que la genèse du désir indestructible à partir de la perte de l’expérience
supposée de satisfaction que le trait mémoriel fait perdre ; pour le trauma,
à l’addenda d’Inhibition, symptôme et angoisse, où Freud pose l’origine
traumatique de toute névrose dans l’inscription des premières rencontres
de jouissance, celles où avec le trait le sujet est produit comme perte de
jouissance, chute de a.
On voit que Lacan glisse, dans l’usage du terme, de la répétition au
sens banal – le trait se répète, pluriel – à l’effet produit d’« immixion de
la différence 2 », qui, elle, introduit la répétition au singulier comme effet

1. J. Lacan, « Compte-rendu sur l’acte », Ornicar?, n° 29, p. 15.


2. J. Lacan, « Compte-rendu du séminaire La logique du fantasme », dans Autres écrits,
Paris, Seuil, 2001, p. 325.
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de perte. Lui-même formule explicitement ce double emploi. Après avoir


dit que la répétition ne se produit qu’une seule fois, il ajoute : « Mais elle
est double, ce qui instaure dans son fondement la division du sujet. »
Cette division une fois produite, produite en une seule fois, ne cesse plus.
Et Lacan est fondé à dire encore et sans vraie contradiction avec la
phrase que j’ai choisie : « Il ne peut pas y en avoir de première. » S’il y
en avait une première, il y en aurait une deuxième, une troisième, dans
l’ordinal. Mais il n’y en a qu’une, qui, produite, ne cesse plus, et fait ses
apparitions au hasard. Le « ne cesse plus de s’écrire » est la définition du
nécessaire et Lacan écrit en effet en 1966 que « la répétition est unique
à être nécessaire ». Les traits de l’ICS se répètent, la répétition comme
conséquence de l’ICS ne cesse pas, elle insiste. Voilà le terme qu’il fallait.
Elle est le « rapport vide insistant ».
L’expression « rapport vide insistant » connecte la répétition comme
effet primaire de perte génératrice du sujet avec le non-rapport entre les
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sexes, que Lacan a introduit plus tardivement, dans les années 1970.
Mais quand en 1964 il dit qu’elle est rencontre manquée, avec tout ce
que l’expression a de pathétique, il pose déjà implicitement la question
des limites d’un lien social sexué pour un être qui est fait sujet par l’ICS.
Je fais donc un détour. À vrai dire, si on lit les premiers développe-
ments du Séminaire XI, que vous avez dû je suppose lire et relire et qui
nous semblent plus faciles, ils sont en fait beaucoup moins nets. Quand je
les relis, j’imagine combien il devait être difficile pour les auditeurs du
moment de s’y retrouver, et même pour le lecteur qui n’aurait pas ce qui
suit. Toutes les réponses n’y sont pas encore, et bien des questions se
posent à partir des exemples que prend Lacan. Heureusement que le mys-
tère est un appât pour l’esprit, sans lui, conjugué en outre à la certitude
de la démarche, Lacan aurait sans doute disparu depuis longtemps.
Les exemples de Lacan, vous les connaissez, il y en a deux, et un
seul a été bien aperçu. Le premier est le rêve. La répétition est illustrée par
un rêve qui ne se fait qu’une fois, et en outre a contrario de la thèse de
Freud sur ce rêve, puisque ce dernier en fait l’illustration de sa théorie du
rêve réalisant un désir, celui de voir l’enfant mort encore vivant. C’est déjà
un peu surprenant.
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Ensuite, il y a deux axes dans les développements de Lacan, qu’il


n’accorde pas vraiment, qu’il ne met pas en continuité. J’ai mis fort long-
temps à voir comment cela se raccordait. L’un, bien compréhensible, est
ce rêve de la rencontre manquée entre le père et le fils, qui donne à la
mort de l’enfant, dit Lacan, « son sens de destinée », ce qui veut dire d’im-
possible. Il fait écho dans notre culture au « Père, pourquoi m’as-tu aban-
donné ? » du jardin des Oliviers. Et Lacan est justifié à évoquer en conti-
nuité le problème de Dieu.
Parallèlement à ce thème, Lacan développe celui de ce qu’il appelle
la schize du sujet, qu’il illustre 3 par la division entre le sujet référé par le
rêve et ce qui le cause, à savoir non pas le fils, mais la voix et le regard.
Regard de reproche et voix qui invoque, qui signent la non-rencontre du
père avec le fils. Cette non-rencontre, on la rencontre tous les jours dans
la clinique comme plainte des sujets masculins ; qu’il soit fils ou père,
aucun n’a jamais rencontré son père ou son fils au sens de la rencontre
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qui répondrait à la solitude de la créature. Encore faut-il accorder cela
avec la schize du sujet, j’y reviendrai.
L’autre exemple, beaucoup plus discret mais qui va devenir prépon-
dérant ensuite, est un petit paragraphe à propos de Kierkegaard. Ce que
Lacan tire de son texte La répétition, c’est que Kierkegaard a aperçu que
dans l’amour, il ne retrouvait que lui-même par le biais de la mémoire, et
non pas l’Autre. Nous sommes là au niveau du couple sexué, dont Lacan
fait finalement le champ électif de la répétition.
Comment donc raccorder la non-rencontre et la schize du sujet ? La
question se tranche au niveau du statut de la jouissance pour celui qui est
produit comme sujet-coupure, ce que le texte « …Ou pire » (numéro 5 de
Scilicet) articule en condensé.
La coupure est solidaire de la jouissance Une, « castrée », celle qui
fait, dit Lacan, « fonction de sujet », au sens de la fonction phallique de
« L’étourdit » ; elle est solidaire de l’impuissance imaginaire. Quel peut
être le partenaire d’un tel sujet ? Rien d’autre que la jouissance qui

3. J. Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,


Paris, Seuil, 1973, p. 68.
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circule dans la métonymie du langage, qu’il appelle d’ailleurs « jouis-


sance de l’Autre », et qui est celle des pulsions. La métonymie transférant
de signifiant en signifiant les plus de jouir pulsionnels, les quatre que nous
connaissons, c’est là tout le ressort de l’érotisme. Lacan y revient dans
bien des textes.
Dans « L’étourdit 4 », Lacan parle de « la pulsion génitale, catalogue
des pulsions prégénitales en tant […] qu’elles ont leur cause ailleurs, soit
dans l’Autre ». Plus clairement encore, et de façon catégorique, à la
page 42 de Télévision, il dit que la permanence de la poussée de la pul-
sion « ne consiste qu’en la quadruple instance dont chaque pulsion se
soutient de coexister à trois autres. Quatre ne donne accès que d’être
puissance, à la désunion à quoi il s’agit de parer, pour ceux que le sexe
ne suffit pas à rendre partenaires ». Autrement dit, sans ce transfert méto-
nymique des objets plus de jouir, l’autre corps du couple ne dirait rien au
premier. Et ce que l’on a appelé les traits de perversion ne sont rien
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d’autre que les traits d’érotisation possible, qui ne suppléent au défaut
d’aucune pulsion génitale et qui produisent la jouissance qu’il y a bien en
dépit de celle qu’il n’y a pas.
Résultat qui me ramène aux exemples. La répétition est en jeu dans
tous les rendez-vous de l’amour sexué, au hasard des rencontres de la
vie. Le nécessaire est là en connexion avec la contingence, plus précisé-
ment le nécessaire se révèle cliniquement dans la contingence. Notons
cependant qu’il ne s’agit pas là de la répétition sous transfert.
La répétition de la rencontre manquée avec l’Autre est strictement
solidaire de la rencontre réussie avec l’objet a, qui à la fois objecte à ce
qui serait la rencontre avec l’Autre et supplée au rapport qui manque.
Comme l’a génialement aperçu Kierkegaard, dans La répétition, dans le
chapitre qui redouble le titre, la répétition, c’est que dans l’amour il ne
rencontre que lui-même. D’où la portée ontologique de la répétition, que
Lacan entérine.
C’est le même schéma que le Séminaire XI appliquait au père du
rêve, et qui donne sa cohérence aux deux développements : ce père ne

4. J. Lacan, « L’étourdit », Scilicet, n° 4, Paris, Seuil, p. 49.


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rencontre pas son fils, mais, en lui, il rencontre ses objets cause, voix et
regard. Tout comme Dante rencontre non pas Béatrice mais seulement
son battement de cils qui le regarde. Ce n’est donc ni par ironie ni par
goût du paradoxe que Lacan formule dans Télévision que la répétition,
c’est le bon heur, en deux mots, du sujet. À toute heure, avec un e, que
ce soit la première heure du trauma ou les heures de ses bonnes fortunes,
comme dit notre langue, à toutes les heures du hasard, il a l’heur (sans e
cette fois) de se répéter identique à lui-même, sous l’effet d’une nécessité
démoniaque, selon le mot de Freud, et que Lacan a logifiée.
Comment avec ça rejoindre la clameur du malheur des hommes,
dont le discours commun fait ses choux gras, sans retomber dans les leur-
res du sujet psychologique ? Car il faut bien la rejoindre si on veut que la
psychanalyse continue à parler à son temps. Eh bien, il suffit d’apercevoir
que ce bon-heur est synonyme de ce que Lacan a nommé dans le même
texte, Télévision, la « malédiction sur le sexe », avec toutes les équivoques
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du terme, et que ledit bonheur n’est que l’autre face de ce que l’expé-
rience atteste largement, à savoir le malheur du parlêtre. Le parlêtre qui
ne se manifeste pas tant dans les uns de répétition que dans, je cite
Lacan, « l’Un-dire qui se sait tout seul là où se dirait le rapport ». « Point-
de-réel du rapport vide », dit Lacan, c’est l’impossible pris au niveau syn-
chronique, le même qui dans la répétition insiste dans la diachronie des
hasards. Et c’est lui, cet Un-dire qui se répercute dans ces affects spéci-
fiques, que Lacan a distingué : ennui, morosité, mauvaise humeur.
Avec le problème de ce que nous en faisons dans l’analyse, puis-
qu’il n’est pas question d’en venir à bout, selon l’expression de Lacan.
Autant dire qu’on ne soigne pas la répétition. L’effet thérapeutique existe
mais porte ailleurs. Non seulement on ne vient pas à bout de la répéti-
tion, elle est un fait de structure, mais on la produit, on la convoque. Dans
la psychanalyse, la répétition n’est pas laissée à elle-même, comme c’est
le cas dans les affaires d’amour, elle est répétition provoquée, et provo-
quée veut dire programmée, alors que partout ailleurs on tâche de l’évi-
ter, en vain.
Pourquoi le transfert, qui n’est pas la répétition, Lacan l’a démontré,
et qui se situe du sujet supposé savoir, convoque-t-il nécessairement la
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répétition, et quel résultat attendre de cette convocation ? Le transfert est


demande, pas n’importe laquelle, demande adressée au savoir, ce qui le
distingue grandement de la seule réitération des demandes infantiles,
celles de ladite névrose infantile. Le dispositif analytique use de cette
demande pour mettre l’ICS « en exercice », c’est ce que nous appelons
l’effet d’hystérisation de l’analyse. Comment dès lors la déclinaison des
uns de l’ICS dans la parole analysante ne ranimerait-il pas son effet auto-
matique de perte ?
Conséquence : le transfert donne à la répétition la forme de la
demande. Ce pourquoi, pour situer le dire, non pas les dits, le dire de la
demande analysante, Lacan réécrit la répétition en re-petitio. Sans même
connaître le latin, on retrouve la racine latine dans « pétition », qui est l’ex-
pression d’une demande, généralement collective, et dans « appétit », qui
désigne disons une quête, elle plutôt individuelle, de jouissance, puisque
l’appétit évoque le corps. La re-petitio, c’est ce qui a fait confondre le
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transfert avec la répétition, comme retour des exigences infantiles. Une
re-petitio adressée à l’Autre. Voyez la page vibrante que Freud consacre
au transfert au début de son « Au-delà du principe de plaisir », pour dire
l’insistance sous transfert du malheur de l’enfance.
Hors transfert, la répétition n’est pas essentiellement demande, le
sujet se répète automatiquement, quoique au hasard des appétits de
l’amour. Voyez l’exemple de Dante et Béatrice : pas l’ombre d’une
demande, seulement une question sur l’Autre. C’est différent. Voyez aussi
le jeu du Fort-Da, ce jeu solitaire de la perte réitérée, jeu qui dans sa vertu
séparatrice ne demande rien à personne. Le transfert demande, lui, et fait
miroiter, espérer l’Autre qui pourrait répondre, justement celui dont le rêve
« Père ne vois-tu pas… ? » manifestait le manque, désolant.
Qu’obtiennent donc les réponses de celui qui n’est pas l’Autre mais
qui, dit Lacan, « a chance de répondre 5 », à savoir l’analyste, s’il l’est ?
Autrement dit, quelle est l’opération sur la répétition que l’on a provo-
quée ? Je vais vous laisser sur la question. C’est un autre chapitre. Je
donne seulement les axes majeurs qui m’apparaissent.

5. J. Lacan, « Introduction à l’édition allemande des Écrits », dans Autres écrits, op. cit.,
p. 558.
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D’abord, on en révèle la nécessité, « de notre index », selon l’ex-


pression de Lacan. Ce qui veut dire qu’on la montre, qu’on vise à la faire
apparaître pour ce qu’elle est : irrémédiable au sens fort. À la fin d’une
analyse, l’Un-dire qui se sait tout seul n’a pas trouvé compagnie de ce qui
serait un dire de complément, mais il sait qu’il n’en trouvera pas. Pas éton-
nant dès lors que Lacan puisse formuler que le réel du dispositif touche
au réel, j’ai souvent commenter cette phrase. Impossible d’atteindre avec
la parole de vérité qu’est l’association libre le réel qui me constitue
comme Un-dire. Est-ce un résultat négatif ? Sûrement pas. L’avantage de
l’irrémédiable est le même que celui de l’impossible : il met fin à l’espoir
vain et à l’affect d’impuissance qui accompagne celui-ci.
On fait encore autre chose, on ne fournit pas la compagnie atten-
due, mais on touche à ce qui y supplée, malgré tout, à savoir le symp-
tôme. La nécessité de la répétition qui se révèle hors transfert est liée aux
contingences de l’amour et va de pair avec l’autre irrémédiable, l’impos-
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sible du rapport. Mais, dans l’analyse, on apparie, c’est l’expression de
Lacan dans « L’étourdit », le nécessaire au possible. Soit le « ce qui ne
cesse pas » de la répétition à ce qui cesse de s’écrire. Qu’est-ce que ce
possible ? Rien d’autre, je crois, que l’effet thérapeutique : ce qui des
symptômes cesse de s’écrire. Je conclus donc : on n’améliore pas la répé-
tition du rapport vide, mais bien ce qui y supplée et qui justement permet
à l’occasion à chacun de trouver sa chacune. D’où, c’est mon dernier
énoncé, l’importance de bien distinguer le concept de répétition de la
constance du symptôme.

Toulouse, le 12 février 2010.

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