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Jean Mambrino
S.E.R. | « Études »
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T
THÉÂTRE
de Marie JONES
au Théâtre La Bruyère
s’est jeté à l’eau par désespoir avec des cailloux dans les poches.
Ce qui est admirable, ici, c’est la manière dont cette histoire
très amère, telle qu’elle est contée par les deux compères, éclate
d’une humanité formidable pleine de drôlerie, comme une farce
moyenâgeuse dont le rire dissimule à peine la compassion. Eric
Métayer et Christian Pereira jouent respectivement Charlie et Jack,
deux figurants irlandais du film qui se transformeront en : Simon,
Les
T
THÉÂTRE
va trop souvent dans la mise en scène dont je parle. Il suffit d’enten-
dre, de lire leur nom : Sir Andrew Aguecheek et Sir Toby Belch, que
Pierre Leyris avait traduit avec un humour exact : Messire André
Grisemine et Messire Tobie Rotegras (to belch veut dire roter) 3. Ce
dernier incarne l’amour de la boisson, de la bonne chère, de la vie
débridée, il est Carnaval en personne. Grisemine est tout autre,
3. Ce dernier est traduit ici efflanqué, tremblant, lâche caricature d’un squire de campagne. La
par l’expression : Tobie Ro-
toto !
drôlerie doit venir de leur dissemblance. Laurence Olivier a incarné
Sir Toby, Jouvet Sir Andrew. Imaginez...
Même nuance entre le duc Orsino, amant mélancolique,
4. Shakespeare lui a confié amoureux de son propre amour 4, et Olivia, amoureuse de son chagrin
des paroles profondes, dans lequel elle vit cloîtrée : « ... like a cloistress she will veiled walk. »
dérangeantes, ambiguës,
qu’il profère presque mal- Viola, qui évoque à son propos l’image fameuse de « la Résignation
gré lui... assise sur une tombe, souriant au Malheur », porte en elle un ressort
secret, un élan qui prépare la résurrection de son frère. Elle affirme :
« Les tempêtes sont bonnes, et les vagues salées tout amour et dou-
ceur. » Le Duc, grâce à elle, parvient à une véritable métamorphose
amoureuse, que l’on perçoit lorsqu’il lui murmure, à la fin : « ... quand
l’heure dorée sera venue / avec solennité sera scellée l’union / de
5. Il faut traduire littéra- nos chères âmes 5 ».
lement le golden time de Prenons encore le couple Antonio-Sébastien, dans lequel le
l’original, car il annonce
la chanson magique de premier accompagne le second par dévouement et amour. Entre eux
Cymbeline : « ... golden boys s’exprime une amitié magnifique. Mais, lorsque Antonio se croit
and girls... »
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JEAN MAMBRINO
PS. Faute de place, je ne puis que signaler le travail magnifique que Marcel
Maréchal continue de faire en sillonnant l’Hexagone avec les Tréteaux de
France. J’ai vu tardivement sa dernière production quand il est passé à
Nanterre. Après Molière et Hugo, il présente avec une verve éblouissante le
noir chef-d’œuvre de Feydau, La Puce à l’oreille. A voir absolument, quand il
passera dans votre ville. Le spectacle sera donné à Paris en mai 2004, au
Théâtre Silvia-Montfort ; j’en parlerai alors plus longuement. Ceci seulement :
ce vaudeville métaphysique, qui bascule dans l’absurde jusqu’au seuil de la
folie, est illuminé par la manière dont Maréchal, avec sa jeune troupe, chérit
chacun de ses personnages fantoches et leur donne une épaisseur presque
émouvante, sans jamais les mépriser. D’où l’étrange gravité que prend la déli-
rante poursuite de leurs médiocres désirs. Maréchal joue prodigieusement
Chandebise et Poche, le héros dédoublé qui ne sait plus qui il est.
J. M.