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DE LA STABILITÉ DE L'IMAGINAIRE LINGUISTIQUE

Evangelia Adamou
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Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage et société »

2002/1 n° 99 | pages 77 à 95
ISSN 0181-4095
ISBN 273510950X
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2002-1-page-77.htm
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De la stabilité de l’Imaginaire Linguistique

Adamou Evangelia
Laboratoire THEDEL
Université René Descartes-Paris V

INTRODUCTION

Dans le présent article, issu d’une thèse de doctorat en


linguistique soutenue en 2001, nous abordons la question de la
stabilité des représentations linguistiques, en nous appuyant sur
le cadre de l’Imaginaire Linguistique proposé par Anne-Marie
Houdebine (1979, 1985). À partir d’un corpus d’entretiens, nous
examinons la façon dont les Français évaluent des néologismes
forgés tantôt sur des racines grecques, tantôt sur des racines
“autochtones”. Le point qui nous intéresse plus précisément est la
question de la stabilité ou de la fluctuation dans les attitudes des
sujets interrogés 1 (nous parlerons désormais de stabilité attitudinale
et de fluctuation attitudinale). Il s’agit de montrer comment la
fluctuation attitudinale, entre fiction et prescription, est fonction
de l’Imaginaire Linguistique, et non de l’ajustement dialogique
entre interviewé et enquêteur, comme le proposent d’autres

1. Selon la proposition de Nicole Gueunier (1997), nous considérons les attitudes


comme des jugements positifs ou négatifs à partir desquels le travail peut remonter
au modèle abstrait des représentations.

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chercheurs 2. Dans nos entretiens, nous pouvons observer en effet,


d’une part, des cas de stabilité attitudinale où les sujets n’hésitent
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pas à s’opposer à l’enquêteur ; d’autre part, des cas de fluctuation,
mais qui ne vont pas sans de multiples résistances des sujets
devant une modification radicale de leur attitude. Enfin, nous
observons des cas de fluctuation spontanée que nous interprétons
comme une tension à l’intérieur même de l’Imaginaire du sujet.

LES REPRÉSENTATIONS LINGUISTIQUES DU POINT DE VUE


DE L’IMAGINAIRE LINGUISTIQUE

La notion de représentations linguistiques est abordée de façon


très diverse par les linguistes, tant au niveau théorique qu’au
niveau méthodologique. Il y a débat sur le “lieu” dans lequel les
représentations se matérialisent, à savoir le sujet parlant. La
conception du modèle de l’Imaginaire Linguistique (désormais
I.L.) est psychanalytique : le sujet parlant manifeste en premier
lieu « son rapport intime, primaire (Freud), à une langue (sa
langue) le constituant comme sujet parlant (parlêtre selon Lacan) »
(Houdebine (1997 : 167).
L’aspect intime du rapport du sujet à la langue n’enlève rien à sa
part d’inscription sociale. Nous pouvons nous référer à Cornelius
Castoriadis. Quand il considère la participation à la communication
linguistique (définie comme une proto-institution de la société et
comme la condition essentielle pour que le sujet puisse exister), il
confirme la propriété de parlêtre de ce sujet. La distinction de deux
aspects du sujet parlant, le social et l’intime, est en ce sens impensa-
ble ; les effets de la socialisation « sont inextricablement tissés à la
psyché telle que celle-ci existe dans la réalité effective » (Castoriadis,
1997 : 266).

2. La fluctuation dans les attitudes a été abordée notamment par Cécile Canut (2000)
qui propose une dimension interlocutive dans l’ajustement des imaginaires linguis-
tiques et par Jacques Brès (1996) qui parle d’une dimension interpersonnelle.
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L’I.L. ne rejette pas la nature sociale du sujet parlant, tout en


accordant une prépondérance théorique à son aspect subjectif, dans le
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sens où « la socialisation est le processus moyennant lequel la psyché
est forcée d’abandonner (jamais complètement) son sens originel
monadique pour le sens participé fourni par la société, et de
subordonner ses créations et ses poussées propres aux exigences de la
vie sociale » (Castoriadis, 1997 : 257). Une lecture attentive d’A.-M.
Houdebine montre qu’elle envisage un sujet parlant socialisé,
construit par le discours de l’Autre familial et social, par son époque et
par les rationalisations, voire les fictions, de la société linguistique dans
laquelle il s’inscrit. Pour autant, le sujet parlant n’est pas seulement un
porteur de normes sociales (Boyer, 1990), ou d’idéologies (Eloy, 1999).
C’est ce qu’indique l’hétérogénéité des attitudes des membres d’un
même groupe social. Cette position théorique a un impact
méthodologique évident. Elle conduit à commencer par l’analyse
individuelle des discours et à ne regrouper les sujets dans des
catégories sociologiques, que dans un deuxième temps, et seulement
si l’analyse montre qu’ils partagent des attitudes identiques.
Enfin, A.-M. Houdebine, en définissant l’I.L. comme le « rapport
du sujet à la lalangue (Lacan 3) et la Langue (Saussure) », rappelle
l’importance du système linguistique qui se trouve à la base de
toute définition du sujet parlant. Ce dernier hérite entre autres

3. Avec ce concept lacanien, A.-M. Houdebine réintroduit les équivoques dans l’étude lin-
guistique. Par équivoque, on entend la capacité du signifiant de représenter le sujet
par un autre signifiant. Cette possibilité, offerte essentiellement à l’oral, est très
exploitée en psychanalyse. Par exemple, dans le discours d’un sujet évoquant le désir
d’un/nuvone/, il peut y avoir équivoque entre “nouveau né” et “nouveau nez”.
Le sujet inconscient fait irruption dans la séquence de langue et « tout bascule : la
calculabilité syntaxique cesse, la représentation grammaticale cède et les éléments
articulés tournent en signifiants » (Milner, 1978 : 104) ; on voit apparaître ce désir du
sujet : « Lalangue est […] l’ensemble virtuel des dires du désir. » (Milner, 1978 : 105).
Si, en psychanalyse, la voie vers l’inconscient passe par le rêve, les actes manqués et
les lapsus, le linguiste, lui, ne peut avoir accès à l’inconscient que par ces traces lin-
guistiques. Il peut se pencher sur les lapsus (Fenoglio, 1997), ou sur les autres traces
de l’inconscient, impliquant toutefois également la participation du conscient, telles
que le mot d’esprit (Freud, [1940] 1988) et la métaphore, ou encore sur les attitudes
des sujets parlants vis-à-vis des langues.
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d’un vocabulaire, d’une syntaxe et d’une prononciation familiale et


régionale que le linguiste se doit de prendre en compte dans son
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analyse. La pertinence linguistique des facteurs externes fonde la
particularité de l’I.L. ; les facteurs subjectifs et sociaux sont étudiés
afin de montrer leur rôle dans l’explication et dans la prédiction de
la synchronie dynamique (Martinet, 1975).

L’ENQUÊTE

Notre réflexion sur la stabilité de l’Imaginaire Linguistique


s’appuie sur un corpus de 60 entretiens semi-directifs, centré sur
les dénominations à matériau grec ou autochtone en français.
L’enquête a été menée en France en 1999-2000. Les entretiens,
d’une durée de 15 minutes en moyenne, sont habituellement
réalisés en situation d’interlocution binaire, entre l’enquêtrice et
l’informateur. L’échantillon est constitué de locuteurs Français
francophones, d’âge, de niveau d’études, de sexe différents et
ayant des rapports variés au grec.
Pour étudier l’Imaginaire Linguistique, nous nous sommes penchée
sur l’aspect attitudinal présent dans le discours métalinguistique des
sujets parlants. Nous considérons le discours métalinguistique comme
un reflet de l’activité métalinguistique (l’actualisation, par le sujet
parlant, de la fonction métalinguistique du langage (Jakobson, 1963 :
218), sans prétendre pour autant l’atteindre dans sa totalité, faute
d’une étape intermédiaire entre l’activité cognitive et son actualisa-
tion linguistique explicite. L’Imaginaire Linguistique est donc appré-
hendé via les attitudes des sujets parlants, telles qu’on les repère dans
leurs évaluations plus ou moins normatives.
Dans nos entretiens, nous avons proposé aux informateurs de
réagir à différents néologismes correspondant au signifié
“spécialiste de maladies des végétaux” : des lexèmes à matériau
grec (phytopathologue, phytiatre), autochtone (médecin de plantes) ou
hybride (phytorinaire). La variation des signifiants, en dehors des
évaluations immédiates sur les lexèmes proposés, a servi de
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prétexte pour faire parler – peut-être même pour faire réfléchir


pour la première fois – sur le grec et sur les traces qu’il a laissées
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en français. Nous avons focalisé sur des lexèmes spécialisés
conformément au constat, apparu très tôt dans les études
attitudinales, selon lequel les évaluations des locuteurs concernent
essentiellement les usages les plus marginaux, comme c’est le cas
ici avec ces lexèmes rares. Les formes lexicales bien intégrées ne
suscitent au contraire que des évaluations neutres (ex.4 « ben
c’est/disons que c’est un mot qui fait partie du langage courant//
donc c’est comme une armoire ou un tableau/pédiatre c’est la
même chose » (24/14) ; ou bien que des évaluations qui
concernent les signifiés (ex. [un tremblement de terre ou un
séisme] « pour moi ça a la même signification/c’est l’inquiétude la
terreur// angoisse// ben la révolte avec une révolution des + des
systèmes actuels/euh électroniques » (16/5).
Les évaluations relevées dans les entretiens ont été réparties en
trois classes de normes subjectives : les normes prescriptives, pour les
évaluations étayées par un discours institutionnel, les normes
fictives, pour les arguments esthétisants non étayés par un
discours antérieur scolaire ou grammatical et les normes
communicationnelles, pour les arguments qui mettent l’accent sur la
compréhension et l’intégration au groupe. Pour notre objet lexical,
nous avons repéré plus précisément :

1. Des normes prescriptives d’intensité variable : ex. « phytorinai-


re c’est pas du français/c’est pas acceptable en français »
(26/22) ; ex. « ça serait le terme/je sais pas// au niveau tu vois
terme correct » (2/16).
Des normes prescriptives à tension fictive :
a. Lorsque les informateurs confèrent au grec ancien des qualités

4. Les énoncés sont identifiés par deux chiffres; le premier correspond au code de l’in-
formateur dans notre corpus et le second au rang dans l’entretien. Signes de trans-
cription:/ = pause brève,// = pause longue, + = allongement phonique, * = élément
indéchiffrable, [ ] = chevauchement d’énoncés. I = informateur, E = enquêtrice.
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de dénomination précise : ex. « il y a une supériorité de + la lan-


gue grecque de/une possibilité de meilleure précision » (3/83). Ces
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évaluations témoignent, pour une part, d’une vision fictive, parce
qu’elles opèrent des distinctions qualitatives entre les langues et
les moyens qu’elles utilisent. Pour une autre part, elles témoi-
gnent d’une vision prescriptive, parce qu’elles s’inscrivent dans
une reprise approximative du discours institutionnel, qui véhicule
l’idée d’une précision obtenue en terminologie par le recours aux
mots d’origine grecque, ce que signale déjà Claude Hagège : « un
terme qui se rapporte facilement à des racines connues éveille
des associations qui peuvent altérer le sens requis, alors qu’un
terme international opaque, précisément parce qu’il n’est pas lesté
de ces différences locales, est un instrument adéquat : démotivé,
il peut s’appliquer à un objet ou à un concept précis » (Hagège,
1992 : 180).
b. Pour traiter de la fiction d’origine qui inscrit le français dans
un rapport de filiation au grec, manifeste dans l’héritage lexical,
et qui refoule l’usage que les scientifiques ont fait du grec pour
la création terminologique : « oui on est les héritiers/pour une
certaine partie de la langue » [grecque] (41/12).

2. Des normes fictives esthétisantes, pour des jugements invo-


quant la beauté des lexèmes : ex. « c’est plus joli » ; ou la valori-
sation sociale qu’on peut en attendre : ex. « ça fait beaucoup plus
scientifique ça fait beaucoup plus crédible » (13/55). Dans notre
enquête, la valorisation sociale est liée à la scientificité et elle est
souvent associée à une dénomination dite complexe. Lorsque
les moyens lexicaux compliqués sont reconnus être à la base
d’une valorisation de l’objet représenté, nous considérons qu’il
y a tension mystificatrice 5.

5. Ce terme renvoie à la fonction mystificatrice du langage (Pergnier, 1989). Il correspond


aux discours de nos informateurs qui utilisent volontiers l’adjectif (ou son contraire
démystifiant, à propos du terme médecin de plantes).
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3. Des normes communicationnelles lorsque les informateurs mani-


festent le souci d’atteindre un degré d’intercommunication opti-
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mal : ex. « parce qu’au moins même les gens qui ne sont pas
instruits pourront comprendre ».

Les normes subjectives ont été mises en relation avec les usages,
afin de repérer leur dynamique, et de noter d’éventuelles corréla-
tions entre variables sociales et Imaginaire Linguistique. Ces
aspects ne seront pas abordés dans cet article qui analyse les entre-
tiens sous l’angle de la fluctuation des attitudes entre les différen-
tes normes subjectives.

LES NIVEAUX DE STABILITÉ ET D’INSTABILITÉ


DE L’IMAGINAIRE LINGUISTIQUE

Pour aborder la dynamique attitudinale, et par ce biais la


dynamique de l’Imaginaire Linguistique, nous avons distingué
deux situations de production du discours. La première concerne
un locuteur suivi pendant un laps de temps important, dans des
situations différentes, face à des objets divers, conditions qui
permettent d’observer des manifestations d’instabilité attitudinale.
La deuxième concerne un locuteur, placé dans une situation
unique, en l’occurrence le temps d’un entretien, et interrogé à
propos d’un seul objet d’évaluation ; nous observons dans ce cas la
possibilité soit de stabilité, soit de fluctuation attitudinale.

1.
même locuteur, objets différents,
instabilité attitudinale
circonstances et moments variés

2. 2.1. fluctuation attitudinale


même locuteur, objet unique, ou
circonstances et moment unique 2.2. stabilité attitudinale
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Instabilité attitudinale
A.-M. Houdebine avance le concept d’instabilité attitudinale pour
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décrire la modification de l’attitude (prescriptive, communica-
tionnelle, fictive) d’un informateur. Plus précisément, l’instabilité
attitudinale se manifeste « selon que les “jugements” sont sponta-
nés ou extorqués (c’est-à-dire demandés par questionnaires ou
tests de normativité), tant en ce qui concerne l’auto-évaluation de
l’informateur, que celle d’un autre sujet (technique du locuteur
masqué), ou d’autres groupes de locuteurs » (Houdebine, 1995).
En outre, l’Imaginaire Linguistique des locuteurs varie en fonction
des langues à évaluer et dépend notamment du « statut du parler,
eu égard aux contacts d’idiomes ou de variétés, et de son rôle d’in-
tégration, voire de promotion sociale, dont dépendent en partie
les macro-représentations du sujet et ses rationalisations. Celles-ci
pouvant différer de micro-repérages normés, plus ou moins
prescriptifs » (Houdebine, 1995). L’instabilité attitudinale remet en
question la notion de communauté linguistique telle qu’elle a été
proposée par William Labov, puisque la communauté supposerait
des normes et des idéalisations partagées par tous les membres de
la communauté.
Nous devons nous interroger sur les effets qu’un décalage
chronologique important peut avoir sur la stabilité de l’Imaginaire
Linguistique, lorsque change la situation socioprofessionnelle des
locuteurs. Comme nous n’avons pas encore mené ce type
d’enquête, qui suppose un grand laps de temps entre chaque
entretien avec un même informateur, nous préférons rester
prudente. Nous nous contentons de citer un extrait dans lequel la
locutrice songe à l’attitude fictive de dénomination mystificatrice,
qui était à son avis la sienne lorsqu’elle était étudiante à
l’Université, et à l’attitude communicationnelle qu’elle manifeste
maintenant qu’elle est journaliste :
4/62 : ah oui ah oui/moi quand j’étais à la fac et que je lisais pas mal de
choses assez intellectuelles etc. à la limite je pouvais avoir du plaisir à lire des
textes difficiles avec des mots difficiles parce que moi je les comprenais aussi
je me sentais incluse dans le cercle de ceux qui sont capables de comprendre
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DE LA STABILITÉ DE L’IMAGINAIRE LINGUISTIQUE 85

ça donc/donc ça gratifie le lecteur aussi/bon maintenant je suis un peu sortie


de ce système-là même complètement (rires) donc à la limite ça m’énerve un
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peu/à l’époque ça * si j’en ai pu en inventer des mots j’aurais été la première à
le faire aussi hein (rires)

Fluctuation attitudinale
Nous empruntons le terme de fluctuation aux études phonolo-
giques, où l’on a repéré « la possibilité pour le même locuteur, dans
les mêmes circonstances, de faire alterner librement deux ou plus
de deux phonèmes dans la même unité significative, et cela seule-
ment pour certaines unités du lexique » (Clairis, 1981 : 103). Nous
utilisons le terme de fluctuation attitudinale lorsqu’on observe
la possibilité pour le même locuteur, dans les mêmes
circonstances, de faire alterner son attitude pour un seul objet. Il
s’agit pour nous de savoir si la fluctuation attitudinale a lieu sous
la pression de l’interaction, de façon sollicitée, ou non, et si elle
suppose une modification radicale de l’attitude exprimée en
premier lieu.
Nous avons donc analysé plusieurs types d’interactions de type
métalinguistique, afin d’apprécier l’influence du discours d’autrui
sur la stabilité de l’Imaginaire Linguistique.

Fluctuation attitudinale sollicitée


Dans un premier extrait, que nous citons un peu longuement, une
attitude communicationnelle est remise en question, par suite de
l’intervention d’un tiers qui assiste à l’entretien (Informateur B,
désormais I B). Cette intervention provoque un trouble dans la
pensée de l’interviewée, l’informatrice principale (Informatrice A,
dorénavant I A), trouble manifesté par des reculs et des reprises
d’arguments, dans un effort pour adopter une attitude plus stable.
Cette informatrice a 21 ans ; elle est étudiante en Licence de
gestion d’entreprise, et ne connaît pas le grec. Le locuteur B, a le
même profil à l’exception du sexe.
12 I A : médecin de plantes/ça ça sera encore mieux à mon avis/parce que
c’est direct/on sait tout de suite de quoi il s’agit (rires)/ par
exemple le terme nous indique tout de suite
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13 I B : mais en même temps ça enlève le charme


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14 I A : médecin/c’est vrai que le mot

15 I B : par exemple si pour psychologue on dirait + médecin de la tête


16 I A : médecin de l’individu ouais
17 I B : non médecin de la tête
18 I A : médecin de la tête/non c’est vrai que médecin de plantes c’est peut-
être à la limite trop simplifié// phytopathologue c’est peut- être
plus compliqué mais il suffit qu’il rentre dans l’habitude de
gens/dans le vocabulaire de gens comme psychologue/et puis
après on s’habituerait// mais peut-être que l’autre le deuxième
c’était ?

19 E : phytorinaire

20 I A : phytorinaire c’est peut-être mieux [ah bon] ben rinaire ça fait penser
à vétérinaire/ça concerne déjà pas des individus/pas des animaux
non plus/mais c’est dans le domaine de la nature quand même//
donc phytorinaire ouais

21 E : mais comment médecin de plantes ça fait trop +

22 I A : ça fait/ben/médecin de plantes/on a l’impression qu’on prend les


gens un petit peu pour des imbéciles/médecin de plantes/ça fait vrai-
ment/on a la/c’est vrai/c’est comme je sais pas/c’est décortiqué en
fait/phytorinaire ou phyto + phyto + pathologue/c’est le traduire en
fait quelque part/c’est ça en fait

23 E : alors le prestige en fait/ça influence le prestige du métier tu penses ?

24 I A : ben je pense/peut-être pas/mais/oh/remarque/si quelque part oui


(bis)/ * ça fait trop simple peut-être comme terme

25 E : c’est pas lié alors à la science

26 I A : ouais voilà/il y a aucun terme dans le mot qui renvoie à la science//


contrairement aux deux termes précédents// là je pense qu’on ferait
mieux d’essayer l’un des deux premiers// mais bon/tout en sachant
qu’au départ on sait pas du tout à quoi ça fait référence// ouais c’est
vrai médecin de plantes tout de suite les gens savent à quoi ça */ le
premier c’est/il faut le temps que les gens s’habituent
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Nous pouvons nettement identifier dans cet extrait la


fluctuation de l’attitude de la locutrice. Les normes
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communicationnelles initialement exprimées sont remises en
question par la fiction à tension mystificatrice de l’autre locuteur,
qui intervient sur le “charme” perdu lorsqu’on vise une
compréhension optimale. La fluctuation d’attitude de la locutrice
se manifeste quand elle admet que le mot « simple » et
« compréhensible » est chargé de négativité car « trop simplifié ».
À première vue son attitude semble modifiée, mais on note que le
terme « compliqué » ne trouve de légitimité que du moment où il
est susceptible de devenir communicationnel par suite de
l’habitude langagière. Ainsi, le facteur initialement pertinent de
“communicabilité” est maintenu. Une telle contradiction,
probablement ressentie par la locutrice même, l’oblige à rechercher
une autre solution, mais elle est apparemment peu convaincue de
ce choix biaisé. Elle reprend un troisième terme, parmi ceux qui lui
ont été proposés, terme qui pourrait représenter le juste milieu
entre l’aspect communicationnel et la mystification. La fiction à
tension mystificatrice est remise de nouveau en question, lorsque
l’enquêtrice (E) insiste sur le critère qui a induit dans un premier
temps la fluctuation attitudinale. La locutrice tente alors
d’expliquer comment c’est « prendre les gens pour des imbéciles »,
en concluant : « c’est ça en fait », une remarque qui à nos yeux
semble s’adresser à elle-même dans son effort pour stabiliser son
attitude. Suivent les énoncés contradictoires 24 et 26, où l’on voit
de façon assez nette que les facteurs de communication et de
compréhension persistent. Tout au long de cet extrait, on voit que
la déstabilisation, provoquée par l’attitude opposée d’un
interlocuteur, n’aboutit pas à une modification radicale de
l’attitude de la locutrice. À notre avis, ceci s’explique par son
Imaginaire Linguistique, antérieur à la situation d’interlocution, et
qui subsiste malgré les pressions de l’interaction.
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88 EVANGELIA ADAMOU

Fluctuation attitudinale spontanée


Dans d’autres entretiens, on peut observer comment une
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intervention de l’interlocuteur n’est pas toujours nécessaire pour
provoquer une fluctuation attitudinale; celle-ci peut advenir dans
le cas où l’Imaginaire Linguistique est lui-même divisé. Dans
l’exemple suivant, nous avons affaire à un type de fluctuation
attitudinale spontanée, construite autour de la norme
communicationnelle et de la norme fictive de valorisation sociale.
La locutrice, âgée de 27 ans, est doctorante en astronomie et n’a pas
connaissance du grec ancien, ni du grec moderne:
parallèlement// ben il y en a deux en fait// médecin de plantes je trouve
que c’est bien/parce que c’est clair et + tu vois c’est simple et puis c’est + trans-
parent/sinon c’est/ouais c’est phytopathologue/je crois je trouve ça un peu
compliqué quoi/mais bon ouais ça serait le terme + ouais/je sais pas// au
niveau tu vois/terme correct quoi/mais moi je préfère médecin de plan-
tes/mais bon ça fait un peu// [non non] c’est pas assez scientifique quoi
médecin de plantes/alors que phytopathologue * ça fait plus sérieux [2/16]

On note tout d’abord la prépondérance de la fiction de


transparence à tension communicationnelle ; les adjectifs « clair »,
« simple » et « transparent » indiquent que l’objectif de la
communication est atteint, dans une vision fictive d’une langue
non-arbitraire, d’une langue “parlante”. Dans un deuxième
temps, face à la langue communicationnelle s’élève la langue
légitimée par un usage socialement normé, voire normatif,
exprimé par des qualifiants du type « correct ». La locutrice
s’oppose pourtant à la prescription en soutenant les normes
communicationnelles. Or la valorisation sociale du produit lexical
remet de nouveau en question le choix initial peu « sérieux ». Le
problème se pose désormais jusqu’à la fin de l’entretien car la
locutrice ressent que la valeur sociale véhiculée par la langue est
inséparable de la communication.
Étant donné les attitudes manifestées également dans d’autres
entretiens, on peut tenter de conclure que les locuteurs adoptent
dans un premier temps des attitudes directement liées à leur expé-
rience personnelle de compréhension et ils réagissent à l’embarras
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DE LA STABILITÉ DE L’IMAGINAIRE LINGUISTIQUE 89

provoqué par un nouveau mot qu’ils ne maîtrisent pas. Cette situa-


tion se heurte au fantasme de maîtrise de sa « propre langue »,
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démenti de la façon la plus récurrente en matière lexicale. Le pas-
sage d’un rapport individuel et intime à la langue à un rapport
social, à tension prescriptive, déclenche une déstabilisation du
locuteur. Nous considérons que se manifestent ainsi deux types de
rapport du sujet à la langue ; un rapport individuel et un rapport
socialement déterminé et prescriptif. Le locuteur privilégie tantôt
l’un, tantôt l’autre, en tendant vers une stabilité attitudinale, même
s’il conclut parfois sur une attitude souple qui prend en compte les
deux types de rapports à la langue :
je prendrai quand même médecin de plantes parce que les gens
comprendraient tout de suite de quoi il s’agit/qu’ils se sentiraient peut-être
pas impressionnés + par un titre enflant/maintenant mon but c’est de me
faire reconnaître dans une communauté scientifique + je prendrais pas le
deuxième phytiatre (rires)/ mais éventuellement le + premier qui était
+ phyto + [32/24]

Stabilité attitudinale
Le point de vue théorique de l’antériorité de l’Imaginaire Linguistique
par rapport à la situation d’interlocution est soutenu par des contre-
exemples concernant des locuteurs qui persistent dans leur attitude
initiale, sans le moindre signe de fluctuation. Dans les deux exem-
ples qui suivent, les informateurs sont fermes, quant à l’attitude
exprimée, communicationnelle pour le premier et prescriptive pour
le second, car elle découle de leur vision de la langue.

Stabilité attitudinale communicationnelle


Notre premier exemple de stabilité attitudinale provient d’un infor-
mateur âgé de 31 ans, un commercial sans connaissance du grec.
32 I : médecin de plantes ?
33 E : ouais
34 I : ah oui on comprend mieux // c’est moins scientifique
35 E : c’est moins scientifique
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90 EVANGELIA ADAMOU

36 I : oui c’est beaucoup plus comme on dit + à la portée de tout le monde hein?
37 E : aha
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38 I : oui oui
39 E : et toi tu préférerais lequel/en fait
40 I : eh bien pour faire passer un message/médecin de plantes ça passe mieux
[oui] on est sûr que même le français moyen peut comprendre
41 E : mais au niveau de prestige ?

42 I : non au niveau de prestige médecin de plantes ça passe très très bien

43 E :c’est vrai ?

44 I : ben oui// ben le prestige + c’est d’être compris quand même // si on est
pas compris et ça sonne scientifique */ c’est quoi le but?/ si c’est de vendre
// je pense/hein [30]

Dans cet extrait, on peut noter une cohérence dans l’attitude du


locuteur qui évalue les deux lexèmes selon les critères de
communicabilité et de scientificité, tout en favorisant le premier.
Cette attitude n’est, à aucun moment, abandonnée par le locuteur
malgré les questions de l’enquêtrice, certes discrètes, mais
exprimant très nettement l’étonnement et le doute, suffisantes de
toute façon pour déclencher une fluctuation attitudinale dans
d’autres entretiens. L’informateur (I) soutient la prépondérance
des normes communicationnelles, quitte à nier les normes fictives
du socialement acceptable lorsque l’objectif communicationnel ne
fonctionne plus.

Stabilité attitudinale prescriptive


À l’inverse, le locuteur suivant maintient son attitude prescriptive
face aux normes communicationnelles rappelées par l’enquêtrice.
Cet informateur est un gastro-entérologue, âgé de 56 ans, ayant fait
des études poussées en grec ancien :
17 E : phytiatre

18 I : non parce que dans les racines on peut être gastro-entérologue// et


phytopathologue/et la phytopathologie/non phytiatre si/mais c’est
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DE LA STABILITÉ DE L’IMAGINAIRE LINGUISTIQUE 91

pas un nom/c’est pas un terme qui existe/il est pas courant/j’ai jamais
vu écrire phytiatre// médecin de plantes phytopathologue j’ai vu mais
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phytiatre phytiatre jamais
19 E : ah bon// et bon à la fin phytorinaire

20 I : phytorinaire c’est + euh + soigner les plantes/les animaux par les plantes?

21 E : pas du tout/c’est soigner les plantes/c’est la même chose/c’est à la


base de vétérinaire

22 I : oui bien sûr mais + phytorinaire c’est pas du français/c’est pas accep-table
en français// phytorinaire non phytorinaire non/parce que phytori-
naire ça veut dire aussi qu’on soigne les plantes/c’est plutôt soigner
les plantes qu’être soigné par les plantes

23 E : tout à fait

24 I : alors c’est le jardinier/ah mais j’avais pas compris le jardinier est un


phytorinaire d’accord (rires)// ça c’est des précieuses ridicules hein
quand même

25 E : des ?
26 I : des précieuses ridicules
27 E: ah ouais// et sinon est-ce que vous pensez que les mots d’origine grecque
gênent les Français/ils arrivent pas à les + comprendre tout à fait

28 I : ben les Français ne sont pas gênés par les mots d’origine grecque parce
que déjà les mots français ils les comprennent pas/alors les mots d’ori-
gine grecque ça les gêne pas du tout

29 E: ah oui? (rires) parce que j’ai remarqué dans les entretiens que quand même
ça +/ ça leur pose énormément de problèmes/c’est à dire que médecin de
plantes ils préfèrent quephytopathologue/phytopathologue ils ont beau-
coup de mal

30 I : je pense que ce qu’on a fait/ce qu’on a comme bagages d’études/mais


bon bien sûr/ils préfèrent des mots français qu’ils comprennent tout
de suite mais +/ si ils étaient phytopathologues ils voudraient peut-
être pas qu’on les appelle médecins de plantes

31 E : parce que ça fait plus sérieux ?


32 I : parce que + ça fait plus sérieux justement
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92 EVANGELIA ADAMOU

Les premières réactions prescriptives qui excluent les lexèmes


en question de la langue (« c’est pas acceptable en français, ça
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n’existe pas, c’est pas du français ») sont maintenues en situation
d’allo-évaluation, lorsque l’enquêtrice met en avant le critère de
compréhension et de communication. L’attitude puriste de ce
médecin se manifeste par des commentaires sur la décadence du
niveau de maîtrise de la langue par les locuteurs français. Nous
avons donc dans cet extrait un exemple de stabilité attitudinale,
tant en auto-évaluation qu’en allo-évaluation. L’énoncé 30
explique l’attitude puriste adoptée par le locuteur en l’inscrivant
dans une vision, qui – contrairement à celle de l’informateur
précédent – conçoit une langue régulée essentiellement par des
hiérarchisations d’ordre social, où la communication n’a que peu
d’importance, face au prestige social véhiculé par la langue.

CONCLUSION

Le maintien des facteurs pertinents pour le locuteur, même après


une déstabilisation attitudinale, suggère que l’Imaginaire
Linguistique existe préalablement à la situation d’interaction et
qu’il n’est pas facilement altéré par le discours d’autrui. Il ne faut
pas pour autant concevoir l’Imaginaire Linguistique comme une
masse de représentations fossilisées. Cette interprétation – que
l’on rencontre parfois – nous paraît dictée par la volonté de créer
sur ce point une opposition suggestive mais fallacieuse entre les
théories discursives 6 et l’I.L. Selon nous, l’Imaginaire Linguistique
est stable face à l’interaction (dans le sens où le sujet parlant est
plein de représentations) mais il permet au sujet d’osciller entre les
pôles prescriptif et communicationnel en fonction des objets à
évaluer et des types d’évaluation.

6. Les courants discursifs proposent, à divers degrés, une approche des représenta-
tions comme objets de discours interactivement construits, donc de nature fonda-
mentalement dialogique. Voir, entre autres, Bruno Maurer, 1998.
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DE LA STABILITÉ DE L’IMAGINAIRE LINGUISTIQUE 93

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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