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LA DIFFUSION DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE AU SEIN

DES FAMILLES : UNE ÉTUDE EXPLORATOIRE

Isabelle Robert

Union nationale des associations familiales | « Recherches familiales »

2006/1 N°3 | pages 149 à 164


ISSN 1763-718X
DOI 10.3917/rf.003.0149
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Travaux
LA DIFFUSION DU CONCEPT
DE DÉVELOPPEMENT DURABLE
AU SEIN DES FAMILLES :
UNE ÉTUDE EXPLORATOIRE
Isabelle Robert

Hier confiné au sein des instances onusiennes ou réservé à quelques scientifiques éclairés, le
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développement durable a réussi en quelques années à s’imposer dans le vocabulaire socio-
politique contemporain. Bien que cette expression soit plus ou moins galvaudée, sa théma-
tique a aujourd’hui envahi l’ensemble des champs disciplinaires. Reprise par de nombreux
acteurs, tels que les entreprises, associations, collectivités locales, l’expression pénètre
aujourd’hui la sphère privée. Pour mieux appréhender le processus de diffusion de ce princi-
149
pe au sein de la sphère familiale, cet article propose de mieux circonscrire les relations entre
le développement durable et la famille, en identifiant plus précisément les composantes de
cette sensibilité familiale et sa traduction dans les comportements.

" INTRODUCTION
Au milieu de la décennie 1990, certains auteurs tels que Serge Latouche nous interpel-
laient en considérant le développement durable comme « un concept alibi, le dernier gad-
get idéologique de l’Occident et le dernier avatar du développement»[1]. Aujourd’hui, il ne
peut être assimilé à une simple mode éphémère mais permet au contraire de repenser le
clivage homme-nature et de reposer la question des finalités de l’activité économique.
Toutefois, l’appropriation multiforme et tout azimut du concept par les entreprises mon-
tre sa vacuité. Sa pénétration rapide et récente au sein des entreprises se matérialise par
une multiplication incessante des termes adossés à ce concept tels que le management
durable, la croissance durable, l’organisation durable… et bien souvent par une simple
opération de verdissage des modes de production et de consommation actuels. Ainsi, les
entreprises, en construisant des stratégies dont l’enjeu principal est la recherche d’une
certaine légitimité auprès des investisseurs, des consommateurs ou des salariés, ont sou-

[1] Serge LATOUCHE, « Développement durable, un concept alibi », Revue Tiers Monde, Paris, IEDES, n° 137, janvier-mars
1994, p. 77-94.

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LA DIFFUSION DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE AU SEIN DES FAMILLES

vent utilisé abusivement cette notion. En ajoutant une simple couche d’environnement à
leurs politiques, elles peuvent de ce fait avoir contribué à minimiser la portée de ce
concept dans la sphère privée, et plus précisément dans la sphère familiale. Cet article
propose donc de faire un état des lieux du processus de diffusion du développement dura-
ble au sein des familles. Bien que les études empiriques sur le consommateur citoyen se
soient multipliées depuis les années 1990, peu de recherches se sont intéressées à la péné-
tration de ce concept dans la sphère familiale. Les travaux sur la famille et le développe-
ment durable sont assez fragmentaires et se concentrent sur certaines facettes du concept :
l’éducation, les villes durables, l’habitat, la consommation durable, les comportements
écologiques…
L’objet de cet article est d’explorer et d’identifier la sensibilité des familles au développement
durable. Peut-on identifier une forme de sensibilité familiale à celui-ci, et quelles en sont ses
principales composantes ? Existe-t-il une convergence des perceptions selon le sexe et l’âge
des membres de la famille ? Cette sensibilité s’accompagne-t-elle de comportements et de
mises en pratique au quotidien du développement durable ? Afin de répondre à ces questions,
l’exposé qui suit s’articulera autour de trois parties. Dans une première partie, nous nous inter-
rogerons sur les origines de l’expression « développement durable » et nous essaierons
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d’évaluer son processus de diffusion. Dans une deuxième partie, nous tenterons de cerner
comment la famille s’est appropriée le concept et sous quel angle il a été appréhendé. Enfin,
dans une troisième partie, nous analyserons plus précisément la traduction de cette sensibili-
té dans les comportements familiaux.

150
" LE DEVELOPPEMENT DURABLE : UNE NOTION ENVAHISSANTE
Mise sur le devant de la scène lors du sommet de la terre en 1992, la thématique du dévelop-
pement durable a aujourd’hui envahi l’ensemble des champs disciplinaires. Le foisonnement
des travaux académiques et la médiatisation du concept reflètent les enjeux scientifiques et
pratiques qu’il génère. Cette incroyable popularité tient en partie au fait qu’il soit flou et mul-
tiforme. Ainsi, l’expression est aujourd’hui reprise par de nombreux acteurs : gouvernements,
entreprises, organisations internationales, scientifiques, citoyens, consommateurs, syndicats,
salariés, ONG,… Ceci génère des recherches mobilisant des cadres théoriques et méthodolo-
giques multiples et parfois contradictoires, au prix d’un grand flou sémantique.
La naissance du concept de développement durable est généralement rattachée à la publica-
tion du rapport Brundtland, produit par la Commission mondiale sur l’environnement et le
développement pour les Nations Unies en 1987[2]. Si l’on se réfère à la définition la plus
consensuelle émanant de cette commission, différentes marges d’interprétation sont possibles.
« Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. ». Bien que les trois
axes fondateurs du développement durable: l’équité sociale, l’efficacité économique et la pré-
servation de l’environnement soient aujourd’hui communément admis et que leur interdépen-
dance soit la marque identitaire de cet objet, il n’existe pas de consensus sur ce que recouvre

[2] Gro H. BRUNDTLAND, Notre avenir à tous, Québec, Edition du Fleuve, 1987.

Recherches familiales, n° 3, 2006


Isabelle ROBERT

cette notion. En effet, les priorités divergent selon que l’on privilégie la dimension écono-
mique, environnementale ou sociale. En outre, la conciliation de ces trois dimensions est-elle
réellement possible ? Comme le souligne Gilbert Rist[3], ce concept est un « oxymore », une
forme rhétorique qui cherche à concilier les contraires, tout en masquant les problématiques
inhérentes au terme de développement.
Cependant, malgré son ambiguïté, nous assistons depuis deux décennies à une diffusion géné-
ralisée du concept de développement durable dans tous les domaines. L’adjonction de l’ad-
jectif durable dans le vocabulaire couramment usité (ville, consommation, management,
croissance, tourisme…) démontre sa croissante popularité. Un bref rappel historique nous
permettra de mettre en lumière cette diffusion progressive et son corollaire, la mobilisation
des différents acteurs.
Durant le XIXe siècle, les réflexions de nombreux scientifiques sur les dommages environne-
mentaux provoqués par notre modèle de développement vont constituer les prémisses du
concept de développement durable. Il s’inscrit également dans l’histoire de la notion de déve-
loppement et signerait pour certains auteurs tels que Sylvie Brunel « la fin de l’idéologie du
développement »[4] en privilégiant principalement la logique environnementale.
Parallèlement, l’expression prend racine au sein de différents courants de pensée qui couvrent
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des thématiques très hétéroclites rassemblant les mouvements éthiques nés aux Etats-Unis,
sous l’impulsion de mouvements religieux –anabaptistes et quakers– les mouvements des
droits civiques et des droits de l’homme, notamment les mouvements pacifistes et de mobili-
sation contre l’apartheid en Afrique du Sud. En outre, la véritable impulsion donnant nais-
sance au concept de développement durable est donnée par les mouvements écologiques et
naturalistes. En effet, l’expression cristallise la réflexion sur l’éco-développement entamée 151
lors de la conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain à Stockholm en 1972.
Conjointement, le rapport alarmiste « Halte à la croissance » du Club de Rome, mettant en
avant l’épuisement des ressources naturelles, a soulevé un débat planétaire et oeuvra comme
le précise Franck-Dominique Vivien[5] à la construction de la question de l’environnement. Au
cours des années 1980, les pionniers du développement durable ont vu leurs préoccupations
relayées par les institutions internationales: ONU[6], Union européenne, OCDE… Ainsi, sous
l’égide de l’ONU, l’expression développement durable prit véritablement forme en 1987.
L’entrée en lice de nouveaux acteurs s’effectue à partir de la seconde moitié des années 1990.
La mobilisation des entreprises répond en grande partie aux pressions réglementaires multi-
ples (loi sur les nouvelles régulations économiques[7] en France, foisonnement de normes et
de principes…), aux pressions financières (développement de l’investissement socialement
responsable, évaluation des performances sociétales…) mais également aux pressions socié-
tales. Parallèlement, le suivi et l’application de l’agenda 21 issu du sommet de Rio[8] ont per-

[3] Gilbert RIST, Le développement, histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Science Politique, 443 p., 2001.
[4] Sylvie BRUNEL, Le développement durable, Paris, PUF, coll. Que Sais-Je ?, 127 p., 2004.
[5] Franck-Dominique VIVIEN, « Histoire d’un mot, histoire d’une idée : le développement durable à l’épreuve du temps »,
Nature, Sciences Sociétés : Le développement durable, de l’utopie au concept. De nouveaux chantiers pour la recherche,
Elsevier, 2001, pp. 19-60.
[6] 1ère Conférence sur l’homme et le climat sous l’égide de l’ONU, publication du rapport Brundtland en 1987…
[7] Loi NRE, voté en mars 2001.
[8] L’Agenda 21 : agenda pour le XXIe siècle, adopté par 173 chefs d’Etat comporte 27 principes définissant les objectifs du déve-
loppement durable.

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mis aux collectivités locales et territoriales de se doter d’outils visant à instaurer des politiques
locales de développement durable. L’implication des pouvoirs publics nationaux se révèle
plus tardive. L’exemple de la France est particulièrement probant : instauration de la loi NRE
en 2001, définition d’une stratégie nationale de développement durable adoptée en juin 2003,
inscription du principe de précaution dans la constitution française en 2005… L’émergence
d’une société civile favorable à cette idée est issue prioritairement du dynamisme et de la ren-
contre de trois acteurs : les ONG, les syndicats de salariés et les consommateurs. Le graphique
suivant met en lumière la diffusion progressive du concept parmi les différents acteurs.

Graphique 1 : Les prémisses du concept de développement durable et sa diffusion


Consommateurs
Etat
Syndicats
Collectivités locales
Entreprises
Organisations internationales
Mouvements des droits civiques
et mouvements écologiques
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Ethique religieuse
Scientifiques

XIXème siècle 1920 1970 1990 1995 2000 2005


152

Graphique réalisé par moi-même à partir des sources suivantes : Stephany Didier, Développement durable et performance
de l’entreprise, Editions liaison, 2003, p. 21.

" LE DEVELOPPEMENT DURABLE ET LE CITOYEN :


UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE ?
Depuis dix ans, on assiste à une prise de conscience, dans la société civile, des enjeux du
développement durable. L’appropriation des valeurs qu’il incarne par les citoyens est asso-
ciée à la multiplication des risques liés à l’économie (catastrophes industrielles, impact
sanitaire de la pollution, instabilité économique, fracture sociale…). Cette prise de cons-
cience s’exprime d’une part par des manifestations de masse de plus en plus nombreuses et
d’autre part se manifeste également par la multiplication d’actions concrètes, souvent enca-
drées par des ONG. Ainsi, on constate une montée progressive de l’activisme social. De
même, l’expression fait irruption dans la rue par le biais de vastes campagnes d’affichage[9]
et les initiatives des pouvoirs publics et des associations pour sensibiliser les Français à
cette problématique se multiplient depuis l’instauration des semaines « développement

[9] Nous faisons référence à la campagne publicitaire organisée par Carrefour au printemps 2004.

Recherches familiales, n° 3, 2006


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durable ».
L’ensemble de ces actions contribue à accroître le degré de connaissance du concept au
sein de la population française. En effet, la notoriété de l’expression continue de progres-
ser, sans toutefois susciter un véritable engouement, passant de 31,5% en 2002 à 38% en
2004[10]. Selon la même enquête, près d’un tiers des français qui connaissent l’expression
ne savent pas ce qu’elle recouvre. Cependant, les résultats des enquêtes diffèrent d’une
étude à l’autre, par le choix du mode d’administration et par le biais de réponses influen-
cées par la désirabilité sociale du sujet. Ainsi, les résultats collectés à l’aide de question-
naires sur cette thématique sont parfois biaisés et peu valides car le répondant a tendance
à présenter une image plus favorable de lui. En effet, en 2004 et 2005, le degré de connais-
sance du concept oscille entre 36%[11], 38% et 66,7%[12] selon les sociétés d’étude. Ainsi,
selon les enquêtes d’Ethicity, agence spécialisée dans la communication éthique, la noto-
riété du développement durable est grandissante car 66,7% des français connaissent l’ex-
pression en 2005 contre 54,3% en 2003. Malgré la forte variabilité du degré de connais-
sance, l’ensemble des études met en exergue l’existence de facteurs socio-démographiques
discriminants. En tête, les critères profession et catégorie socioprofessionnelle, suivis du
niveau d’éducation et de la zone d’habitation, segmentent fortement le niveau de connais-
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sance de la population française. Selon l’étude d’Ethicity réalisée au début de l’année
2005, 94,1% des CSP les plus élevées et 91,2% des personnes dotées d’un troisième cycle
connaissent l’expression. En revanche, le degré de connaissance de l’expression ne sem-
ble pas être altéré par la variable âge. En outre, selon les données de 2003, parmi les
Français qui connaissent l’expression, 56,5% identifient les trois facettes du concept. Ces
différents résultats d’enquête mettent en lumière l’appropriation croissante du terme par 153
les citoyens.
Pour éclairer le comportement du citoyen en la matière, nous nous réfèrerons aux analyses
académiques et empiriques portant sur les actes de consommation et plus précisément sur la
consommation « engagée » ou la consommation citoyenne. En effet, il est frappant de voir
qu’un nouveau type de citoyen-consommateur commence à émerger en Europe. Comme le
rappellent Marie-Emmanuelle Chessel et Franck Cochoy[13], la consommation engagée média-
tisée et traduite dans les faits par le boycott, le buycott[14], le commerce équitable et éthique ou
les critiques altermondialistes de la société de consommation s’inscrivent dans l’histoire de
l’usage politique de la consommation. Dans différents pays, la fin du XIXe et le début du XXe
siècle voient se développer différents discours et mouvements protestataires liés à la consom-
mation, ce qui incite certains chercheurs à parler d’une « certaine politisation de la consom-
mation ». Les mouvements faisant la promotion d’une consommation éthique[15] au début du
XXe siècle aux Etats-Unis ou les mouvements coopératifs traduisent cette politisation de la

[10] Source : « Baromètre du Développement durable », Efficience, 3 octobre 2004.


[11] Source : sondage effectué en décembre 2004 par le Ministère de l’environnement.
[12] Source : Ethicity. Media Cara, Enquêtes réalisées en janvier-février 2005 auprès de 3375 personnes âgées de 15 à 70 ans en
auto administrée (sans l’assistance d’un enquêteur) par voie postale et auprès de 4500 individus en décembre 2003.
[13] Marie-Emmanuelle CHESSEL, Franck COCHOY, « Autour de la consommation engagée. Enjeux historiques et poli-
tiques », Sciences de la Société, n° 62, 2004, pp. 3-16.
[14] Le buycott consiste à valoriser les entreprises qui intègrent les valeurs du développement durable.
[15] Lawrence GLICKMAN, « Consommer pour réformer le capitalisme américain. Le citoyen et le consommateur au début du
XXe siècle », Sciences de la Société, n° 62, 2004, pp. 17-44.

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consommation.
Depuis désormais quinze ans, la montée des angoisses chez le consommateur, provoquée par
la multiplication des crises sanitaires et des problèmes engendrés par la pollution, l’ont amené
à réfléchir sur sa consommation. Les attentes des consommateurs se sont d’abord portées sur
des produits porteurs de signes de « réassurance » (santé, terroir, tradition, solidarité…).
Ensuite, les comportements de consommation ont été marqués par la sensibilité « naturalis-
te » du consommateur. Aujourd’hui, plus préoccupés par les enjeux que recouvre l’acte de
consommation, les consommateurs sont plus enclins à sélectionner non seulement des pro-
duits respectueux de la santé et de l’environnement mais aussi à contribuer au développement
du commerce équitable, à choisir des produits dits « éthiques » ou à refuser certaines pratiques
telles que le travail des enfants. Comme le précise Gilles Lipovetsky[16], « après la consom-
mation ostentatoire de classe, après les produits-plaisir, le temps est aux produits de sens per-
mettant d’exprimer des choix authentiques, une vision du monde, une identité choisie ».
Cependant, ce type de consommation se différencie de celle observée au début du XXe siècle
car selon Marie-Emmanuelle Chessel et Franck Cochoy « ces formes de consommation
contemporaines privilégient plutôt les solutions industrielles « anonymes », appuyées sur des
procédures, des référentiels, des labels empruntés à l’appareillage scientifico-technique du
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capitalisme, et singulièrement aux outils de standardisation/normalisation »[17]. Bien que
l’émergence d’une conscience citoyenne de la consommation soit en marche, sa traduction
dans les comportements d’achat n’est pas en adéquation avec les déclarations d’intérêt porté
aux critères sociétaux. Malgré un degré de notoriété du commerce équitable de 57%[18], cette
forme de commerce ne parvient pas à décoller et ne concerne que 1% des produits achetés[19].
154 Un constat analogue peut être formulé sur le marché des produits bio: la part de ces produits
dans la consommation alimentaire française reste marginale, soit 1% en 2004. Force est de
constater la forte dichotomie entre l’intérêt porté au concept de développement durable et sa
traduction dans le domaine de la consommation. Ceci nous a conduit à nous interroger plus
précisément sur la sensibilité des familles au développement durable et sur les mises en pra-
tique au quotidien de ce concept dans la sphère familiale.

" UN CONCEPT EMERGENT MAIS NON OPERATOIRE


AU SEIN DES FAMILLES
■ La méthodologie
La recherche menée est de nature exploratoire. Elle doit permettre de faire émerger la sensi-
bilité familiale au développement durable et de mieux circonscrire les relations entre celui-ci
et la famille. Ce travail se base sur une étude qualitative menée auprès de 48 familles[20]. Au

[16] Gilles LIPOVETSKY, « Le marketing en quête d’âme », Revue française du marketing, n° 153-154, pp. 11-15, 1995.
[17] Marie-Emmanuelle CHESESSEL, Franck COCHOY, « Autour de la consommation engagée. Enjeux historiques et poli-
tiques », Sciences de la Société, n° 62, 2004, pp. 3-16.
[18] Source : Baromètre de notoriété du label Max Havelaar, juin 2004.
[19] Pour un chiffre d’affaires estimé en 2004 de 72 millions d’euros.
[20] Cette recherche a été menée en collaboration avec les étudiants suivants : G.Barbier, J. Bredin, J.Braun, R. Duhomme,
T. Granjard, H. Jammes, M. Kersaint, G. Lusteau, M. Pillon, F. Vacher et D. Rhodes.

Recherches familiales, n° 3, 2006


Isabelle ROBERT

sein de chaque famille, les différents membres (soit au total 124) étaient interrogés indivi-
duellement puis collectivement. Parmi les interviewés, 19 enfants âgés de 9 à 15 ans ont été
interrogés. Dans un premier temps, l’entretien individuel a été préféré afin d’éviter l’influen-
ce des différents membres de la famille sur les réponses des répondants, l’objectif étant d’ob-
tenir une totale spontanéité et sincérité dans les réponses. La recherche portant sur une thé-
matique où la désidérabilité sociale est forte, l’entretien de groupe fut exclu afin de recenser
des réponses objectives et sincères. La composition de l’échantillon qualitatif s’est opérée sur
trois critères : l’âge, les catégories socioprofessionnelles des individus et la présence ou non
d’enfants au sein du foyer, afin de répondre au principe de représentativité.
Les interviewés devaient en premier lieu préciser leur représentation du développement dura-
ble en quelques mots. Puis, il leur était demandé de détailler ce que ce concept signifie pour
eux en termes d’idées et d’actions. Par ailleurs, les différents participants devaient également
évaluer au sein de leur famille les membres les plus sensibles à cette notion. La seconde par-
tie de l’entretien portait davantage sur la mise en pratique du développement durable: les pra-
tiques actuelles, les freins rencontrés, les actions envisagées, leurs pratiques en tant que
consommateur…

■ Une sensibilité au développement durable dominée par les questions


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écologiques
Les résultats de cette étude exploratoire montrent que les différents membres au sein des
familles interrogées sont dans une grande majorité capables de donner un sens au concept
même si celui-ci reste très général. C’est également une notion perçue comme difficile à 155
appréhender, qui fait appel aux notions abstraites de développement et de durabilité[21]. Sur un
total de 124 réponses à la question « Pour vous, qu’évoque la notion de développement ? »,
20 répondants ne connaissent absolument pas l’expression et 11 interviewés évoquent les
notions de long terme ou de durable sans précisément les rattacher à des domaines particu-
liers ; les réponses étant succinctes et du type : « le long terme », « c’est créer quelque chose
qui va perdurer », « les investissements à long terme », « un développement qui est dura-
ble »…. Les définitions recueillies démontrent l’existence d’un certain consensus autour des
problématiques environnementales. Le tableau 1 met en exergue la domination d’une des
facettes du développement durable : ce sont avant tout la protection de l’environnement et la
préservation de la nature qui sont les plus spontanément associées à la notion. Certaines
réponses sont parcellaires et se focalisent sur une conception plus pragmatique des problèmes
environnementaux en insistant sur le recyclage, les économies d’énergie et le développement
des énergies renouvelables. Outre la simple référence à la préservation de l’environnement,
plusieurs répondants évoquent l’association de deux dimensions du développement durable :
l’économique et l’environnement. Pour un certain nombre d’entre eux, la notion fait référen-
ce à la création de richesses, à la production de biens et à la croissance tout en préservant l’en-
vironnement. Si l’on se réfère aux différentes conceptions des relations économie-nature, ces
propos s’inscrivent dans la logique de l’économie de l’environnement reposant sur le para-
[21] La notion de développement durable suscite une adhésion presque unanime de la part des familles (61 avis positifs sur 81
réponses). 11 personnes estiment que la notion est vague et confuse…, 6 ont des doutes quant à sa mise en pratique et 3
interviewés ne se sentent pas concernés par la notion.

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digme dominant traditionnel.


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156

[22] Catégories de codage issues de l’analyse thématique prenant en compte le groupe de phrases comme unité de contenu.
Unités de contenu issues des réponses à la 1ère question de l’entretien : « Pour vous, qu’évoque la notion de développement
durable ? »
[23] En valeurs absolues.

Recherches familiales, n° 3, 2006


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Tableau 1 : Evocations et représentations associées


à la notion de développement durable[22]

Regroupement des réponses portant sur l’évocation associée Fréquence Fréquence Fréquence
à la notion de développement durable[23] des citations des citations des citations
124 Femmes 57 Hommes 53
Protection de l’environnement, préservation de la nature, l’écologie 26 16 8
Créer des biens, produire dans un souci d’écologie et de pérennité
de l’environnement 13 8 5
Equilibre qui doit exister entre l’économie, le social et l’environnement 8 1 7
Ne pas épuiser les ressources naturelles, économiser l’énergie
et développer les énergies renouvelables 10 3 7
Le recyclage 3 2
Prendre en compte les besoins des générations futures et leur offrir
les mêmes possibilités de jouir des ressources de la planète 7 4 3
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Commerce équitable et préservation de l’environnement 5 5
Commerce équitable 3 1 2
Aider les pays en voie de développement 8 2 4
Favoriser le développement des pays pauvres 5 3 2
157
Créer des conditions économiques sécurisantes 1 1
Eviter les migrations de population 1 1
Le long terme, des investissements durables, créer des choses
qui vont perdurer… 11 6 2
Un développement axé sur la technologie 1 1
Une politique marketing pour attirer les clients 1 1
Un principe d’éducation 1 1
Ne connaissent pas la notion 20 5 9

Le développement durable est également associé aux dimensions économico-sociales et envi-


ronnementales lorsque les interviewés citent le commerce équitable et la préservation de l’en-
vironnement. Force est de constater que les trois facettes du concept sont rarement appréhen-
dées (8 cas). La prise en compte des besoins des générations futures est également soulevée
par 7 interviewés et fait référence à la définition usuelle issue du rapport Brundtland. Les pro-
blèmes liés aux rapports Nord-Sud sont également cités mais dans une moindre mesure. Dans

[24] Corinne GENDRON, Jean-Pierre REVERET, « Le développement durable », Economies et Sociétés, Série F, n° 37, 2000,
pp. 111-124.
[25] Les autres répondants ne se prononçaient pas sur la question : « Au sein de la famille, qui est le plus sensible au dévelop-
pement durable ? »

Travaux
LA DIFFUSION DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE AU SEIN DES FAMILLES

ce cadre, l’aide aux pays en voie de développement, le commerce équitable, les problèmes de
pauvreté sont mentionnés par 16 répondants. En revanche, l’équité sociale et les problèmes
sociaux intérieurs tels que l’emploi, les conséquences des délocalisations, les inégalités socia-
les et l’insécurité économique sont des thématiques non-associées à l’expression.
Ces différents résultats prouvent que les Français ont été fortement sensibilisés depuis une
vingtaine d’années aux aspects environnementaux, en premier lieu par la catastrophe de
Tchernobyl en 1986, à tel point que les préoccupations écologiques tiennent une place de pre-
mier plan dans leur définition du développement durable. Cette prédominance est corroborée
par la multiplication des recherches économiques et scientifiques et par la vision médiatique
qui privilégient l’étude de problèmes environnementaux. Ainsi, bien que primordiale dans la
vie quotidienne des individus, la dimension sociale est en partie occultée et non-associée au
concept de développement. Comme le soulignent Corinne Gendron et Jean-Pierre Reveret[24],
« … Dans l’expression, la durabilité semble n’être qu’un qualificatif accroché à un substantif
qui a fait, et fait toujours l’objet d’une abondante littérature en sciences sociales. Or, éton-
namment, la notion de développement durable s’est propagée de façon autonome, sans que
l’arrimage avec le substantif soit toujours fait. Il semble exister un ancrage plus fort avec le
monde de l’environnement qu’avec celui du développement. ». Cette primauté des questions
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environnementales observée dans la littérature mais également au sein des ministères est éga-
lement identifiable dans le discours des familles.
La comparaison des données, selon le genre, issues du tableau 1 ne nous permet pas de mettre en
évidence des différences significatives dans les discours des hommes et des femmes. Seules deux
thèmes présentent une certaine singularité. Les hommes évoquent plus spécifiquement la problé-
158 matique des ressources non renouvelables et le développement de nouvelles énergies ; leur discours
apparaissant plus pragmatique et plus « technique ». Les femmes sont également très préoccupées
par les questions environnementales, mais leurs propos sont plus ouverts et moins centrés sur la
question énergétique. En revanche, les femmes abordent davantage l’aspect équitable du dévelop-
pement économique international, ce qui contredit quelque peu l’idée défendue par certains cher-
cheurs minimisant ce dernier aspect. Cette particularité ne peut être jugée comme une différence
significative entre les hommes et les femmes mais comme la résultante d’une pratique d’achat.

■ Des enfants également sensibilisés par la question du développement


durable
Lors des entretiens familiaux, nous avons souhaité faire identifier par chaque interviewé la
personne qui au sein de la famille semblait la plus sensible au développement durable. Les
résultats sont particulièrement probants et mettent en lumière le rôle clé de la mère ou de
l’épouse. Sur 80 réponses[25], 33 font référence à la mère ou à l’épouse, 14 au père ou à
l’époux, 11 à l’ensemble de la famille, 10 aux enfants, 9 au couple et 3 aux frères et sœurs.
Les propos relatés par les époux et les enfants font souvent référence au rôle éducatif de la
mère, qui influence les capacités cognitives de l’enfant et fournit un modèle en matière d’attitudes

[26] Texte faisant référence à la circulaire du 8 juillet 2004 relative à la généralisation d’une éducation à l’environnement pour
un développement durable.
[27] Jacques THEYS, Développement durable villes et territoires. Innover et décloisonner pour anticiper les ruptures, Centre de
Prospective et de veille scientifique sur le thème du développement durable, Série Equipement, n° 13, janvier 2000, p. 20.

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et de comportements, notamment dans le domaine environnemental. Au yeux des enfants et


souvent du conjoint, la sensibilité à l’environnement et/ou aux problèmes sociétaux fait partie
du modèle éducatif. Si la mère est considérée au sein de la sphère familiale comme la person-
ne la plus sensible au concept, les enfants semblent également mobilisés. En effet, parmi les 19
enfants âgés de 9 à 15 ans interrogés, huit enfants font référence aux problèmes environne-
mentaux : « économiser l’énergie, ne pas abîmer la nature, la planète, l’écologie, recycler, ne
pas jeter dans la nature… » et deux enfants mentionnent l’aide aux pays pauvres. Le recueil de
ces verbatims démontre que la famille apparaît comme un des lieux privilégiés d’apprentissa-
ge des bonnes pratiques du développement durable. Ainsi, par des débats et dialogues entre
parents-enfants ou fratrie, nous remarquons que la famille assure auprès des enfants cette fonc-
tion essentielle : la transmission des valeurs. Toutefois, d’autres facteurs de socialisation inter-
viennent : les résultats d’une enquête réalisée par Ipsos au printemps 2005 auprès de 504 jeu-
nes âgés de 10 à 15 ans confirment que le vecteur d’information prédominant sur l’état de
l’environnement et de la nature n’est pas explicitement la famille. En tête, sont cités la télévi-
sion et les professeurs. Ces résultats traduisent les efforts menés par l’Education nationale
visant à impulser une nouvelle dimension pédagogique intégrant ces principes[26].

■ Le développement durable au quotidien : un mythe !


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Excepté la mise en place d’actions concrètes imposées par les collectivités locales comme le
tri des déchets ou la lutte contre le gaspillage (eau, électricité, chauffage) motivée principale-
ment par des soucis d’économie, les résultats de l’étude font ressortir une faible diversité des
pratiques de développement durable au sein des familles, pratiques centrées sur trois com- 159
portements prédominants : économie d’énergie, d’eau et tri des déchets. Par ailleurs, sensibi-
lité exprimée et « désir d’agir » ne correspondent pas avec les conduites au quotidien.
Les différentes actions menées dans les familles font référence au modèle éducatif (ne pas
jeter ses détritus dans la nature…) ou sont réalisées sous contraintes économiques (le renché-
rissement du coût de l’eau, du gaz, du pétrole a incité les individus à contrôler leurs dépenses
d’énergie et d’eau). Outre l’aspect prix, ces actions « anti-gaspillage » répondent également à
des préoccupations écologiques émergentes au sein de certaines familles. La problématique
de l’eau est souvent abordée lors des entretiens.
Ce manque de variété dans les pratiques de développement durable illustre le caractère non opé-
ratoire du concept lui-même. En effet, la pauvreté des actions et la non-émergence de nouvelles
pratiques provient du principe même, qui reste vague et diffus aux yeux des familles. La ques-
tion posée par Jacques Theys, « le développement durable est-il un principe sans contenu ? »[27]
prend tout son sens au regard des actions menées par la famille. Il apparaît effectivement que
« …le développement durable est un mot mal défini, et finalement vide à force de vouloir tout
contenir, d’être un principe à l’évidence normatif – tout en étant incapable de fournir des nor-
mes. » Pour pallier ce déficit « normatif », un sérieux effort de clarification et de sensibilisation

[28] Catégories de codage issues de l’analyse thématique à partir de la question suivante : « Avez-vous le sentiment de mettre en
pratique les idées du développement durable dans votre vie quotidienne ? Comment ? ».
[29] Au total, l’ensemble des réponses recueillies s’élève à 234, chiffre supérieur au nombre de répondants (124) car ces derniers
s’exprimaient librement et émettaient différentes actions. Le nombre de réponses chez les hommes et les femmes est respec-
tivement de 92 et de 121. Dans les réponses en fonction du sexe, nous avons volontairement écarté les réponses des enfants.

Travaux
LA DIFFUSION DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE AU SEIN DES FAMILLES

doit être mené pour permettre aux familles de décliner ce concept dans leur vie quotidienne.
Tableau 2 : Actions réalisées dans les familles
pour contribuer au développement durable[28]

Mise en pratique du développement durable dans la vie quotidienne Fréquence Fréquence Fréquence
des citations des citations des citations
en %[29] en %
Femmes Hommes
Economiser l’eau 20,9 23,1 19,6
Faire des économies d’énergie
(limiter la consommation d’électricité, de gaz…) 20,1 16,5 22,9
Trier les déchets 20,9 24,0 17,4
Limiter l’utilisation de la voiture, utiliser les transports en commun 5,6 6,6 3,3
Respecter la nature, ne pas jeter de détritus… 4,7 1,7 3,3
Recycler des déchets, ne pas utiliser de pesticide,
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fongicide dans le jardin 3,4 1,7 6,5
Réduire la consommation de sacs plastique 1,3 1,7 1,1
Eviter de jeter les piles 1,7 2,5 1,1
Ne pas utiliser de produits toxiques 0,9 0,8 1,1
160 Réduire l’utilisation de la climatisation 0,9 0,8 1,1
Autres actions (recyclage, récupération papier, eau de pluie,
co-voiturage…) 3,0 4,1 2,2
Achat de produits respectueux de la nature 3,4 3,3 4,3
Achat de produits sans emballage 1,7 3,3 0
Achat de produits du commerce équitable 0,9 0,8 1,1
Achat de produits bio 0,4 0 1,1
Achat de légumes de saison 0,4 0 1,1
Non-achat de lingettes et de bombes aérosol 1,7 3,3 0
Consommer moins 0,4 0 1,1
Sous total Achat 8,9 10,7 8,7
Aucune action 7,7 5,8 12,0

[30] Laura DRAETTA, Le décalage entre attitudes et comportements en matière de protection de l’environnement,
Développement et participation publique. De la contestation écologique aux défis de la gouvernance, Les Presses de
l’Université de Montréal, 2003, pp. 79-89.
[31] Martine CHAUDRON, Colette SLUYS, Claude ZAIDMAN, Quand les femmes parlent cuisine. Pratiques culinaires et orga-
nisation domestique, 2002, Enquête citée par Martine SEGALEN, Sociologie de la famille, Armand Colin, 2002, p. 230/
[32] Christine GUIONNET, Erik NEZVEU, Féminins / Masculins. Sociologie du genre, Paris, Armand Colin, 286 p., 2004.

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Total 100% 100% 100%

Les écarts importants entre le faire et dire ont souvent été analysés en sociologie. Les
recherches académiques se sont surtout penchées sur les relations existant entre une pré-
occupation générale relative à son objet et les comportements notamment dans les domai-
nes de la consommation, de l’environnement et de l’écologie. Selon Laura Draetta, cette
ambivalence entre les discours des répondants et leurs actes caractérise le rapport à l’en-
vironnement. « D’un coté on retrouve la reconnaissance d’un problème, les déclarations
de valeurs, l’expression d’une sensibilité et le désir d’agir en faveur de la protection envi-
ronnementale, de l’autre on retrouve le vécu au quotidien, qui ne reconnaît pas toujours,
sur le plan pratique, la préoccupation pour l’environnement. »[30]. Cet écart est particuliè-
rement observable vis à vis d’un objet particulier : l’automobile. Nombreuses sont les
familles préoccupées par le problème de l’effet de serre qui n’intègrent absolument pas
cette préoccupation sur le plan pratique et qui expriment plutôt un maintien des pratiques
habituelles (Seules 5,6% des pratiques menées par les familles interrogées concernent
une moindre utilisation de la voiture)
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• Des pratiques en fonction du genre parfois différentes

Cette étude met en lumière quelques divergences comportementales selon le sexe de l’indi-
vidu, sans toutefois déceler une forte singularité dans les pratiques (Cf. Tableau 2). Si glo-
balement, les pratiques sont similaires, quelques différences apparaissent entre les hommes
et les femmes, notamment concernant le tri des déchets, les économies d’énergie, le recy- 161
clage dans le jardin et les achats de produits connotés « développement durable ». Le tri des
déchets et les achats sont des tâches davantage exercées par les femmes, pratiques afférentes
à la cuisine et considérées encore à ce jour comme un attribut fondamentalement féminin.
Comme le révèle une enquête conduite par Martine Chaudron, Colette Sluys et Claude
Zaidman, « La gestion quotidienne de la chaîne des tâches liées à la cuisine : (prévoir le
menu, s’approvisionner, préparer le repas, le servir, débarrasser, nettoyer et ranger) relève de
l’entière responsabilité des femmes ».[31] En outre, selon la division traditionnelle qui attri-
bue à l’homme le domaine du bricolage et du jardinage, nous remarquons également dans
nos résultats une prise en charge majoritairement masculine des pratiques « développement
durable » rattachées au jardinage. Le relevé de ces pratiques démontre à nouveau la perpé-
tuation des modes de répartition des activités ménagères issues majoritairement comme le
rappellent Christine Guionnet et Erik Neveu « des routines sociales et des logiques de socia-
lisation » .
Les pratiques des enfants se rapprochent de celles exercées par leurs parents : « éteindre la
lumière, couper l’eau lorsque je me lave les dents, ne pas laisser les téléviseurs et appareils
vidéo en veille, trier les déchets et ne rien jeter par terre, dans la rue ou à la campagne ». Ici,
la famille joue pleinement son rôle en matière d’apprentissage des normes et des règles de

[33] Précisément la question issue du guide d’entretien est la suivante: « Comment pratiquez-vous le développement durable en
tant que consommateur/acheteur ? ».

Travaux
LA DIFFUSION DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE AU SEIN DES FAMILLES

comportement.[32]
• Une consommation citoyenne en voie de démocratisation

Malgré une littérature très prolixe et particulièrement optimiste sur ce sujet, nous ne pouvons
aujourd’hui confirmer l’explosion d’une consommation engagée ou d’une consommation
citoyenne. Si l’on s’appuie sur les résultats de notre étude qualitative, nous constatons que
la mise en pratique du développement durable ne se traduit pas spontanément dans la
consommation ou dans les achats des familles. Il faut noter que sur un total de 108 individus
interrogés, seuls huit personnes ont mentionné l’achat de produits respectueux de la nature
et deux personnes ont évoqué spontanément l’achat de produits issus du commerce équita-
ble. Cherchant davantage de cohérence entre ses aspirations citoyennes et la matérialisation
de ses sensibilités, la famille devrait être tentée d’appliquer le précepte « penser globale-
ment, agir localement » et donc d’intégrer la dimension sociale ou écologique dans ses
achats. Or cette cohérence n’est pas encore manifeste, elle s’opère sur un nombre limité de
familles. Pour parfaire notre analyse, nous avons au cours des entretiens orienté plus préci-
sément la thématique sur le développement durable et le consommateur/acheteur[33]. Le
tableau 3 met en évidence la construction progressive d’une dynamique qui va dans le sens
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d’une « consommation responsable » où les motivations écologique et sociale occupent une
place croissante dans le choix des produits. Toutefois, les actions citées par les familles ne
portent que sur une partie limitée de leur consommation : les achats restent majoritairement
occasionnels et isolés (exemple des achats de produits issus du commerce équitable limités
à un seul produit : le café).
162
Tableau 3 : La pratique du développement durable
en tant que consommateur / acheteur

Mise en pratique du développement durable Fréquence


en tant que consommateur/acteur des citations
90 réponses
Achats de produits bio 17
Achats de produits issus du commerce équitable 10
Achats de produits limitant l’emballage ou recyclable 10
Achats de produits naturels, sans OGM… 7
Achats provenant de France, de petits producteurs locaux… 9
Achats issus du commerce éthique 2
Achats de produits de saison 2
N’achète pas de produits connotés « développement durable » 33

[34] Le commerce éthique vise à assurer de bonnes conditions de travail chez les producteurs et à garantir le respect des droits
fondamentaux de l'homme, alors que le commerce équitable vise à développer des échanges solidaires entre les pays du
Nord et du Sud et à aider les producteurs des pays émergents à se développer durablement.
[35] Sur un total de 108 personnes âgées de plus de 15 ans.

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Par ailleurs, les motivations ne sont pas toujours de nature altruiste. Ainsi, consommer des
produits bio peut répondre à une logique narcissique de peur et correspondre à une attitude
défensive ayant pour but de se prémunir contre des dommages corporels. En outre, l’adoption
de comportements d’achat intégrant les produits issus du commerce éthique[34] est pratique-
ment invisible. Ainsi, nous pouvons en déduire que les familles sont en partie concernées par
les produits, mais ne se sentent pas véritablement préoccupées par les pratiques des entrepri-
ses qui les fabriquent ou les commercialisent. De même, un seul individu a mis en évidence
le caractère antinomique des termes consommation et développement durable, en faisant réfé-
rence à la formule consacrée « consommer moins ». L’ensemble de ces propos démontre qu’u-
ne dynamique de consommation citoyenne est en marche, mais elle se révèle fragile par la fai-
ble part de marché des produits connotés « développement durable » –en 2004, les Français
ont consacré en moyenne 1,13 euro aux achats de produits du commerce équitable– et par la
difficulté des familles à se sortir de la logique de consommation et du « consommer toujours
plus » véhiculée par nos sociétés depuis des décennies.

■ Des familles prêtes à modifier leurs habitudes mais sous certaines


conditions…
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Globalement, les familles souhaitent modifier leurs habitudes en intégrant davantage les pra-
tiques du développement durable au quotidien. Cependant elles semblent relativement désar-
mées devant la mise en application du concept et attendent en priorité des actions de commu-
nication concrètes sur les « bonnes pratiques ». La poursuite ou la systématisation de certains 163
comportements type (économiser l’eau, l’énergie, trier les déchets…) fait partie des actions
envisagées sans toutefois qu’apparaissent de nouvelles initiatives. En revanche, la majorité
des familles souhaite faire des efforts dans ce sens si des campagnes de sensibilisation ou
d’information les guident concrètement dans leur démarche. Le recueil des verbatims met en
lumière ce besoin d’informations : « il faudrait que l’on me donne des exemples, je ne sais
pas comment faire, il faudrait dire aux gens : faites ceci, faites cela, j’aimerais faire quelque
chose si on me donnait des explications… » Quelques individus souhaitent également que les
actions soient rapidement visibles pour être amplifiées et que cette dynamique soit initiée au
niveau national car ils estiment que leur démarche individuelle ne peut infléchir les tendances
actuelles.
Le tableau 4 révèle également une certaine pauvreté des initiatives envisagées. On note la
redondance des thématiques et le manque d’information sur des pratiques autres que celles
centrées sur les énergies, l’eau ou le tri sélectif. Lors de l’entretien, nous avons testé la faisa-
bilité de certaines actions dans divers domaines : tourisme, déplacement, mode d’épargne…
Il ressort de ce test une grande méconnaissance des pratiques possibles : ainsi dans le domai-
ne de l’épargne, six individus[35] connaissaient l’existence de fonds socialement responsables
ou d’épargne solidaire. Une quinzaine d’interviewés connaissaient véritablement l’expression
« tourisme durable ».
Tableau 4 : les actions futures envisagées pour intégrer

[36] En valeurs absolues.

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le développement durable au quotidien

Modification des habitudes et actions futures envisagées Fréquence


pour intégrer le développement durable dans le quotidien des familles des citations
129 réponses[36]
Acheter davantage de produits connotés « développement durable » :
produits bio, naturels… 10
Faire des économies d’énergie 10
Limiter l’utilisation de la voiture 7
Réduire ma consommation d’eau 7
Développer des petits gestes quotidiens (éteindre les lumières…) 6
Trier les déchets 5
Favoriser les commerce équitable 4
Divers (boycotter certains produits, consommer des produits bio-dégradables,
faire attention à la provenance des produits…) 13
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Oui, mais je souhaiterais être informé, davantage sensibilisé,
avoir des exemples concrets… car je ne sais pas quoi faire 34
Oui, si cela ne me dérange pas et ne change pas ma vie 9
164 Oui, si les actions sont moins coûteuses 4
Oui, si cela devient quelques chose de prioritaire 5
Oui, s’il y a une traduction immédiate dans les faits 3
Oui, si tout le monde participe 3
Oui, si le gouvernement met en place une législation 1
Pas de volonté de modifier les habitudes, aucune action envisagée 8

Lors des entretiens, nous avons également recensé de nombreux freins qui vont à l’encontre
de l’insertion du concept au sein des familles. Prioritairement, elles déclarent avoir des diffi-
cultés à modifier leurs habitudes quotidiennes pour des raisons de temps, de confort mais éga-
lement de culture, de peur du changement…. En fait, la mise en place de nouvelles pratiques
exige de s’investir, de concevoir autrement notre mode de vie, de se détacher de la supréma-
tie de l’avoir sur l’être et de reconsidérer nos valeurs, démarche que la plupart des familles
n’a pas encore réalisée. Le deuxième frein est essentiellement lié au manque d’information.
Un troisième frein « institutionnel » est cité par une personne sur dix. Ces individus mettent
en exergue le manque de volonté politique, une certaine tiédeur dans la prise de décision et
attendent parfois de la coercition.

" Conclusion

Recherches familiales, n° 3, 2006

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