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Jean-Jacques Guillarmé
© Érès | Téléchargé le 25/03/2022 sur www.cairn.info par Sylvie FOLCHER via Université d'Orléans (IP: 194.167.30.107)
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https://www.cairn.info/ecouter-l-enfant-aider-l-eleve---page-155.htm
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Chapitre 4
Les outils de l’aide spécialisée
à dominante relationnelle
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La parole, le silence et l’écoute
ÉCOUTER ET ENTENDRE
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silence des enfants le signe qu’on y est parvenu. La parole serait-elle
donc ainsi individuellement nécessaire à l’enseignement de chacun et le
silence collectivement indispensable au fonctionnement du groupe ? On
comprendrait mieux alors pourquoi le maître réclame si souvent le silence
de la classe et s’agace tant devant le silence d’un élève qu’il invite à
parler. Et ne parlons pas du mutisme, toujours inquiétant pour l’adulte,
ressenti même parfois comme une véritable agression, qui provoque très
souvent un flot de mots sollicitants, une parole intrusive, invasive, visant
à « déclore » au plus vite cette bouche murée dans un visage d’ange et
à faire sortir à tout prix des mots lourds d’affects, pétris de ces secrets
qu’on pressent oppressants.
Bien entendu, il serait erroné de réduire, par souci de symétrie,
l’écoute relationnelle au silence. L’intervenant spécialisé n’est pas un ami
muet fait pour sécher les larmes ; son écoute est active et vise la modi-
fication autonome des conduites mentales et physiques du « plaignant ».
Mais entendons-nous bien ! L’intervenant spécialisé chargé de l’aide n’est
pas psychanalyste. Il n’interprète pas au patient le « transfert » qui s’ins-
talle et les mots impatients qui vibrent comme l’éclair de l’orage et flot-
tent dans l’air de l’inconscient pour en faire les outils incisifs du
changement. Son écoute permet seulement à la pensée de changer
d’angle. Ceci suppose évidemment que « l’écoutant » comprenne ce qu’il
entend. En particulier qu’il saisisse que ce que dit l’autre n’est pas néces-
sairement ce qu’il nous dit apparemment. La parole use en effet parfois
de curieux stratagèmes et la situation d’écoute réactive volontiers chez
« l’écouté » des conduites oubliées venues des tréfonds de l’enfance. La
parole des parents y fût-elle « d’évangile » ! Voici aussitôt notre locuteur
dépendant du moindre toussotement du « spécialiste », du premier éclair
dans son œil et de son tic irrépressible au bout du sourcil droit ; fût-elle
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mettons l’accent en quelques mots sur « l’échec scolaire » qui rapproche
les membres de la famille et notre « consultante » évoquera bientôt sa
propre histoire de mauvaise élève, si « mauvaise » même qu’elle n’en
parla jamais à ses enfants. Qu’elle n’en parla jamais ? Voire ! Peut-être
en parla-t-elle sans rien en dire, au point d’en faire un trait d’union ! Quel
silence dans ces conditions pourrait-il bien la rassurer s’il devenait systé-
matique, et quelle parole l’inciter à parler si nous nous limitions à l’ana-
lyse technique des signes de l’échec scolaire observé ? Comment cette
mère pourrait-elle alors en effet changer de point de vue, déplacer l’in-
terrogation vers elle-même et « voir » l’ambivalence qui l’écartèle et la
fait osciller pour ses enfants entre un souhait de réussite qui sépare et
un désir d’échec qui réunit ?
Cette « vignette clinique », tirée d’une expérience personnelle,
prouve bien que la demande doit toujours être analysée. Notons que,
dans la plupart des cas, elle prend d’abord la forme d’une ou plusieurs
questions précises posées par les parents au « spécialiste ». Ces ques-
tions portent habituellement sur les causes de l’inadaptation de l’enfant
à la norme scolaire et sur les moyens d’y remédier au plus tôt. Rien de
plus normal, direz-vous, que ce questionnement étiologique ; sinon que
dans la grande majorité des cas il comporte déjà – incluse dans la ques-
tion – la réponse souhaitée. Confirmez d’ailleurs cette réponse préfor-
mée, que vous aurez décelée par intuition clinique ou analyse déductive,
et vous verrez bientôt l’adulte à la fois satisfait et convaincu de votre peu
d’utilité. Quoi ! Rien de plus que je ne savais déjà : où est le spécialiste ?
Mais donnez à l’inverse une réponse tranchée, qui rompt avec la convic-
tion du questionneur : il ne vous suivra pas dans votre argumentaire. Du
moins au plus profond, là où se bâtit sa croyance. Inutile donc de
répondre si votre réponse ne tient pas compte de tout cela : tout à la fois
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ENTENDRE ET TRANSFORMER
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identifier les différentes problématiques qui s’associent à l’inadaptation
du sujet. Mais comprendre ne suffit pas non plus, il faut aussi agir si l’on
veut aider l’autre à réduire peu à peu ses difficultés. Cette méthodologie
vaut pour l’enfant comme elle vaut pour l’adulte. Elle donne aux mouve-
ments respectifs qui lient la parole au silence une place prépondérante
dans l’aide relationnelle spécialisée.
Issue de la pédagogie, la parole est en effet l’outil principal du
« soutien scolaire » ordinaire. Elle nourrit les relations « duelles » dans
la classe, elle donne à l’écolier en difficulté un statut privilégié en lui
accordant une attention particulière, elle est le « vecteur » à partir duquel
le maître espère le faire changer. L’outil premier de l’aide spécialisée est
en revanche le silence. Au regard de la plupart des traditions pédago-
giques, surtout s’il s’immisce dans une relation interindividuelle privilé-
giée, cet outil est souvent mal perçu, voire blâmé. Dans le monde
éducatif en effet se taire pour un adulte face aux difficultés qui se mani-
festent chez un enfant revient, croit-on souvent, à renoncer à les
combattre. Le silence constituerait ainsi un aveu de faiblesse ou un signe
de désintérêt. On dit volontiers aux futurs maîtres dans les IUFM 1 qu’il ne
faut pas crier si l’on veut garder quelque autorité sur la classe, mais on
ne leur enseigne pas – sauf exception – l’art relationnel du silence. Or le
silence ne participe en fait vraiment de l’aide que s’il soutient une action
retournant avant tout l’interrogation de l’enfant sur lui-même. Il s’agit
donc d’en faire l’apprentissage. Dans les activités à visée rééducative, ce
mouvement de retournement se trouve d’ailleurs parfois bloqué, parce
que l’intervenant, formé à la pédagogie de la parole, tourné vers « l’ob-
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la situation et qu’il explique au praticien, en répondant à ses questions,
ce que celui-ci ne parvient pas encore à comprendre ? L’aide relationnelle
n’aurait alors plus totalement lieu d’être, puisque l’enfant lucide, établis-
sant tout seul les causes de ses peines comme de ses insuccès, se serait
déjà forgé les armes pour les surmonter dans la classe. Convenons-en :
l’approche de la « problématique » individuelle par le contenu des
productions en rééducation est bien souvent « contre-transférentielle ».
Elle conduit souvent le praticien à « tourner en rond » en enfermant l’in-
terrelation d’aide dans une répétition qui échappe à son propre juge-
ment.
En fait, tous les intervenants spécialisés le constatent : le sens n’est
jamais donné spontanément à l’un des deux protagonistes découvrant
brutalement le secret du contenu des « messages » inconscients comme
le chercheur d’or la pépite. Il est dévoilé par un travail d’échanges et par
l’action conjointe des partenaires transformant peu à peu un signifiant
commun. L’aide spécialisée à dominante relationnelle apparaît donc ainsi,
dans sa démarche et sa technique, comme un dialogue en action s’exer-
çant sur une situation et sur ses formes. Elle réunit et elle englobe l’en-
fant et l’intervenant adulte dans un effort conjoint et les conduit, ici
d’abord à modifier, à ajouter, à retrancher, sous l’égide du silence et de
la parole associés, la place ou la forme d’un objet, d’un signe, d’un
personnage en vue de transformer ou d’enrichir le sens de la situation
crée par eux, puis là ensuite à substituer par jeu une représentation
symbolique à une autre. C’est à ce prix seulement, nous semble-t-il, que
le travail conjugué de l’adulte et de l’enfant – par avancées interaction-
nelles et touches cognitives successives – peut devenir un puissant
vecteur d’aide. Il favorise alors en effet, sous l’égide de l’affect, le
passage cognitif – fondamental pour l’adaptation et la réussite scolaires
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et le possible – à un même signifiant. S’il y parvient, l’enfant devient
capable de comprendre vraiment ce qu’il y a derrière les mots et perçoit
mieux les intentions d’autrui. Il peut alors, suivant l’expression de
A.M. Leslie, construire une « théorie de l’esprit » appliquée à autrui 2.
Cette construction d’un système symbolique de communication est
capitale pour l’acquisition catégorielle et la maîtrise relationnelle du
langage. Certains enfants y parviennent aisément, d’autres moins. Les
difficultés qu’ils éprouvent tiennent le plus souvent, non pas à la maîtrise
ou à la perception des symboles, mais aux conflits intimes qui les
érodent, les entrechoquent, parfois les brisent et les rendent coupants
comme le verre pour l’affectivité individuelle et la pensée 3. L’aide consis-
tera donc à utiliser cette capacité à manier la communication symbolique
pour aider l’enfant à se délier d’une dépendance relationnelle répétitive
face au désir d’autrui (voir Les grands axes d’une aide individualisée à
l’enfant). Le conte à transformer sera l’un de ses outils les plus utiles.
D’autres enfants en revanche, du fait des caractéristiques de leur
environnement précoce, des conditions interrelationnelles de leur évolu-
tion ou d’événements particuliers de leur histoire, ne parviennent pas
d’emblée à une symbolisation maîtrisée. Ils absorbent le réel et le
possible au sein d’un monde virtuel intermédiaire, qui bloque toute
distinction tranchée entre réalité et imaginaire et toute représentation
stable de « l’absent ». Un tel mécanisme rend la réalité sans cesse très
incertaine et l’imaginaire de l’enfant diffus et transparent. Plutôt que
2. A.M. Leslie, « Pretense and representation : the origins of “Theory of Mind” », Psycho-
logical Review, n° 94, Londres, 1987, p. 412-426.
3. Voir première partie, L’enfant face à l’élève, les appartenances tyranniques, p. 62 et
suivantes.
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des individus : c’est l’ambition des politiques, des utopistes et trop
souvent des démagogues. Mais elle peut agir sur le récit que chacun se
fait de cette histoire, sur les outils qu’il utilise pour donner un sens à
celle-ci, sur les savoirs qu’il « métabolise » et sur les formes de la
communication interrelationnelle qui organisent alors son raisonnement
et bâtissent son autonomie. Or, pour construire ce récit autonome, l’en-
fant doit à la fois savoir se conformer au groupe et se distancier de celui-
ci. En fait, il doit apprendre à quitter sans rompre. Pour régler ce conflit
intime, il aura besoin de jouer avec ses représentations et avec les
symboles qu’elles contiennent. Le récit inventé pour le groupe, le
« roman familial », le conte issu du rêve et du folklore commun lui en
fournissent l’occasion. Ils servent à la fois au codage culturel, qui insère
le sujet dans un référentiel d’appartenance et à « l’échappée belle » des
différentes idées qui spécifient l’individu. Il s’agira donc pour l’intervenant
spécialisé, lorsque le conflit intime perfuse notamment l’autonomie
personnelle de l’enfant d’une culpabilité trop délétère, non pas comme on
le croit souvent de confronter cet enfant à un récit relationnellement et
culturellement consensuel – ainsi qu’on le fait régulièrement à la maison
ou dans la classe – mais de lui offrir un « support » attrayant qu’il devra
transformer pour mieux apprivoiser et affirmer sa différence.
Ce « conte-support » pourra être tiré d’un recueil d’histoires ou d’un
texte écrit par un grand auteur, mais il pourra aussi être improvisé par les
récitants afin de favoriser les transformations opérées par l’enfant qui
« travaille » ainsi ses conflits et ses rêves. Un tel conte improvisé doit
toutefois répondre à quelques conditions :
– D’abord, il doit correspondre à l’enfant, c’est-à-dire à ses intérêts et à
son âge réel. En fait, le conte improvisé plaît surtout aux enfants entre
quatre et huit ans. Au-delà, mieux vaut partir de textes d’auteurs, lus et
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rect et le responsable fautif des événements. Le conte improvisé ne doit
donc jamais être moralisateur ; il peut certes parfois apparaître comme
un baume, mais il est surtout un outil de travail visant l’autonomie
personnelle, la résolution des conflits intimes qui altèrent dans certains
cas la réussite scolaire, enfin le renforcement de l’estime de soi. On ferait
donc erreur en imposant directement à l’imagination de l’enfant un héros
permanent (lui-même), qui s’imposerait dans toutes les histoires. L’effi-
cacité de la technique réside au contraire dans la stimulation des capaci-
tés du sujet à transformer l’histoire, à jouer avec les personnages et avec
les symboles et à soumettre peu à peu les événements à son langage au
lieu de se soumettre à eux.
– Ensuite, le conte et le conteur doivent donner l’enfant un récit dont
l’enchaînement soit cohérent. Car si dire c’est donner le monde, raconter
c’est donner le temps. Cette dimension temporelle est constitutive de la
construction de l’unité personnelle. Or, il n’est pas sûr que les enfants
d’aujourd’hui soient aussi bien placés que ceux d’hier pour acquérir ce
sens du temps. Le TGV, l’avion, l’automobile, la télévision nous jettent en
effet des paysages à la figure sans que l’on ait le temps de les attendre,
les désirer, les deviner, les surprendre. Le récit peut donc être très utile
en apportant un déroulement bien perceptible, le modèle d’une conti-
nuité. À la différence d’un constat, d’un rapport, d’un compte-rendu, un
récit relate toujours en effet l’avancement d’une intrigue, la progression
d’une aventure. Il n’a pas besoin d’être compliqué, il suffit qu’il ait un
début et une fin, voilà tout.
– Enfin, il doit toucher l’imaginaire. Il est donc bon de se souvenir, lors-
qu’on propose un récit, qu’il existe des lieux privilégiés pour susciter le
rêve. Nous pouvons prendre l’exemple du château, lieu de tant de contes,
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et où à votre tour vous pourrez inviter bien des personnages pour escor-
ter l’enfant. C’est que le château est une structure de base de toute
subjectivité. Depuis toujours les nécessités militaires, économiques,
sociales, psychologiques ont contribué en effet à en dessiner les attraits.
Chez les petits, le dessin du château, comme celui de la maison qui
témoigne volontiers de la structure du Moi, se révèle d’ailleurs souvent
tel un visage avec ses yeux, son nez, sa bouche. Il est en outre très
fréquemment flanqué « d’arbres-parents ». Chez l’enfant plus âgé,
l’ivresse d’une victoire possible paraît de même moins compter que la
protection face à l’envahisseur. Les garçons se cachent alors volontiers
derrière les murs et n’oublient pas les meurtrières, les filles se laissent
très souvent admirer à la fenêtre étroite d’un petit donjon, là-haut, et
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font signe au dehors d’un ruban ou d’un rire. Mais pour tous, château,
palais, c’est toujours le même monde : gloire et solennité. On note enfin
très souvent l’abondance de routes semées d’embûches, de barrières et
de ponts, comme pour figurer un parcours de vie ; mais on oublie rare-
ment l’avenir et les départs pour la croisade où le vrai crève-cœur, ce sont
les âmes captives qu’on laisse à l’abri des remparts : son chat, son chien,
son poisson rouge, ses vrais amis.
POUR RÉUSSIR
Il est donc clair qu’il s’agit bien avec le conte ou le récit à transfor-
mer de susciter l’imagination de l’enfant, en quelque sorte de lui
donner licence. Mais gare, ne laissez pas la barque aller à la dérive !
L’enchantement libère certes l’affectivité et l’imagination des enfants,
mais il est souvent imprudent de laisser un jeune esprit vivre trop
exclusivement dans l’imaginaire. Utilisez l’humour, ce meilleur parrain
de la clairvoyance, et faites adhérer l’enfant au rêve, au merveilleux,
au fantastique du conte en les alliant à l’exactitude du cadre et à la
vérité des personnages. Redisons-le : le but est d’amener notre
enfant à jongler avec les histoires et avec les symboles, et pour cela
de lui faire effectuer des transformations sur le récit-support. Certes,
on n’opérera pas de la même manière avec les sujets les plus jeunes
(4-8 ans) et avec les enfants plus âgés (8-12 ans). Mais la méthode
sera toujours la même. Nous pouvons la résumer ainsi :
1. Partez toujours de l’enfant : d’un récit qu’il fait à votre demande,
d’une histoire qu’il invente, d’un petit texte qu’il lit ; dégagez alors la
structure du récit et représentez-la pour qu’elle constitue un support
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« que feraient-ils ? », « comment tout cela pourrait-il finir ? »). Notez
les enrichissements de l’enfant et reprenez alors devant lui, à partir
de vos quatre mots (où, qui, quoi, fin) et en écrivant une phrase, un
mot, une ligne en face de chacun, le récit dans son ensemble :
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– contraste. Le héros : le chien – un chat.
Le milieu : la boucherie – une poissonnerie.
– symétrie. Les objets : un os – une tête de poisson
le rôti – une dorade
le panier – l’étal
Nouveau conte :
Il était une fois un chat très heureux car son maître était poissonnier.
Tous les matins, il recevait quelques têtes fraîches de poissons prépa-
rés par son maître. Un beau matin, il aperçoit sur l’étal des dorades
brillantes et magnifiques. Poussé par la gourmandise, il saute sur
l’étal en souplesse, mais le poissonnier le voit et le chasse à grands
coups de balai. Le matou retourne à son panier, mais le chat du
voisin est passé par là : son assiette est vide.
Avec les plus petits (4-8 ans) ou les plus en difficulté, la transforma-
tion ne peut porter au début que sur un point ou deux : le héros, un
objet, un événement, etc. Peu à peu, elle portera sur l’ensemble. Vous
pourrez également inverser, fournissant vous-même d’emblée un court
récit que l’enfant pourra enrichir, puis transformer.
Avec les enfants plus âgés (8-12 ans) vous partirez d’un texte écrit.
L’enfant (que vous aiderez s’il le faut) en dégagera rapidement la struc-
ture (où, qui, quoi, fin) puis vous transformerez à deux alternativement
le récit, avant de le mettre en forme écrite.
Voici, pour illustrer ces données, deux exemples de contes, l’un
destiné aux enfants les plus jeunes, l’autre à des enfants plus âgés.
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depuis qu’il était tombé sur la tête quand son nid s’était retourné,
un jour d’orage. Mais les autres petits coucous, qui étaient dans le
même nid, étaient aussi tombés sur la tête ce jour-là, et pourtant
ils savaient tous que cou-cou, ça fait deux. Non, il n’est pas idiot,
pensait la maîtresse, s’il se trompe, c’est qu’il ne fait pas attention.
C’était vrai. Par exemple, quand elle avait dit : cou-cou, cou-cou,
cou-cou, au lieu de répondre six, il souriait à la fenêtre. Il se voyait
dans le bois, en train de jouer à cache-cache. Et quand la maîtresse
lui posait la question très fort : Cou-Cou ? il répondait : me voilà !
et ça faisait rire ses camarades. Aussi était-il souvent puni.
Il faut dire que ce petit coucou n’était quand même pas tout à fait
comme les autres. Il avait, au milieu des plumes grises, quelques
poils jaunes sur la tête, son bec était un peu trop long, et en plus,
comme il était le plus gourmand de tous, il avait après dîner un
gros jabot, un ventre tout bombé, et chacun l’imitait en marchant
comme un canard, pour se moquer de lui.
Mais l’année suivant, à la rentrée de septembre, voilà qu’il n’a plus
de poils jaunes sur la tête. Ses plumes sont grises comme celles de
ses camarades, sa gorge et sa poitrine sont roses, ses ailes sont
plus longues, et il n’est plus le dernier de la classe. En géographie,
le Nord, le Sud, l’Afrique, la Suède, il les reconnaît au premier coup
d’œil. En gymnastique, il est le plus fort. Il vole plus vite que ses
camarades, et même plus que le professeur. Et pourtant, il devient
de plus en plus modeste. Il ne crie plus tout haut :
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ne plus revenir à l’école des coucous.
Mais la maîtresse savait aussi parler tourterelle. Et comme elle
voulait aider cet élève si gentil, elle a couru à la fenêtre et l’a
appelé :
– rourrrcoucou, rourrrcou ! Reviens vite, tourterelle, tu as fait des
progrès, tu es bon élève en géographie, mais il faut apprendre à
mieux compter avant de quitter l’école !
– Coucou, reviens ! disent aussi ses camarades, qui ont un peu
honte à présent de son départ. Coucou ! viens jouer avec nous,
viens vite ! Pour une fois c’est bon à la cantine !
La tourterelle glousse d’un petit rire, et la voici de nouveau à
l’école. Elle est heureuse qu’on ait eu envie de son retour. Elle
s’applique tellement qu’elle devient première en calcul ! Elle sait
sa table de multiplication. Elle en est fière. Si fière qu’elle l’en-
seigne à toute la famille des tourterelles, en commençant par la
table de deux. C’est pourquoi tu les vois toujours par deux, dans
le ciel, sur les fils ou sur la route. Puis notre tourterelle a appris
à compter à ses cousins les pigeons, les blancs, les roux, les bleus
cendrés à reflets verts, ceux qui voyagent par dizaines. Et à leur
tour, tous ces pigeons l’ont appris à leurs cousines les palombes,
qui se comptent par milliers dans le ciel de septembre, et récitent
ensemble la table de multiplication pour ne pas se perdre.
Si un jour tu ne t’en souviens pas, demande à la tourterelle !
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PLAN DE MONTAGE
Titre Le coucou qui ne savait pas compter Le silence du petit chien jaune
COMPOSITION
Qui – un coucou pas comme les autres – un petit chien jaune qui refuse d’aboyer
– la maîtresse, qui veut la réussite de cet – le maître qui veut l’intéresser au travail, mais
« élève » un peu déroutant qui n’y parvient pas
– les copains qui se moquent au début de lui, – les copains affolés au début devant ses
puis qui l’appellent ronflements
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Quoi – le coucou, vêtu différemment des autres. – Le petit chien jaune, dans la classe des chiots,
Il n’arrive pas à compter. joue avec la houppe qui termine sa queue. Il
ne peut aboyer.
– À la rentrée, son plumage a changé. Il est – À la rentrée, quand il revient à l’école canine, il
devenu bon en géographie et en gymnastique, est devenu très gros et il porte une barbe
mais il est timide. On se moque de sa nullité énorme autour de la tête. Il est le premier en
en calcul : il s’enfuit. sieste, mais quand il veut aboyer, il rugit.
Fin – C’est une tourterelle. Rappelée par les – C’est un lion dont la maman s’était échappée
coucous, elle revient et s’avère excellente en du zoo.
calcul. Elle transmet alors son savoir aux
autres tourterelles, aux palombes, au pigeons.
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La cuillère sale 5
Il est dans notre village un homme dont la première femme est
morte en mettant au monde une petite fille. Malheureusement la
seconde femme, qui a donc la charge de ce petit bébé, se montre
très cruelle envers l’orpheline, nommée Abra. La vilaine marâtre
est très injuste. Autant sa propre fille est soignée, dorlotée,
gâtée, autant la pauvre Abra est délaissée et battue. C’est sur elle
que retombent toutes les corvées domestiques : aller puiser l’eau,
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balayer la concession, laver les pagnes, piler le mil, nettoyer les
marmites. Elle travaille du matin au soir, est nourrie de déchets,
dort à peine. Continuellement, les insultes et les coups s’abattent
sur la malheureuse fillette.
Un jour, elle va au marigot laver les ustensiles de cuisine. Elle est
si épuisée qu’elle ne sait plus ce qu’elle fait.
Tout à coup, l’eau emporte une cuillère. La petite fille s’en aper-
çoit trop tard. Ses recherches sont vaines. Elle doit revenir à la
maison sans cuillère et avoue sa faute à sa marâtre, en trem-
blant. La méchante femme se met à hurler de fureur, elle frappe
la fillette de toutes ses forces avec un gros bâton : « Paresseuse !
Souillon ! Idiote ! Tant que tu n’auras pas retrouvé la cuillère, tu
n’auras rien à manger ! Retourne au marigot et cherche-la !
Inutile de revenir ici si tu ne l’apportes pas car je te briserai les
reins ! ».
Terrifiée, meurtrie, la pauvre Abra repart en pleurant amèrement.
Toute la nuit, elle fouille les bords du marigot. En vain ! Lorsque le
jour se lève, n’osant plus affronter sa marâtre, la fillette s’en va au
hasard sur le chemin. Elle rencontre une vieille femme qui, en la
voyant, est saisie de pitié et la questionne. L’orpheline lui raconte
son histoire. La vieille l’emmène chez elle, lui donne un peu de
nourriture et lui ordonne de se reposer. Le lendemain, quand la
petite Abra se réveille, la brave femme la nourrit encore. Puis elle
donne à l’enfant une cuillère et trois œufs et lui conseille de
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trer la vieille et d’obtenir les mêmes présents. L’enfant gâtée
obéit. Lorsqu’elle revient, elle a elle aussi trois œufs magiques.
Dans leur impatience de devenir riches, la marâtre et sa fille
cassent les trois œufs à la fois : les murs de leur habitation dispa-
raissent. Une épaisse forêt les entoure. Des bêtes féroces surgis-
sent et les dévorent…
Les dieux protègent les orphelins et châtient ceux qui les
maltraitent.
(Conte watchi)
PLAN DE MONTAGE
Titre La cuillère sale Le collier oublié
COMPOSITION
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– Les trois œufs – Les trois champignons
– La forêt mortelle – Le loup
Fin – La marâtre casse les trois œufs d’un coup : les – La tante donne les trois champignons
murs disparaissent, une épaisse forêt les ensemble ; la chèvre se transforme en loup et
entoure. Des bêtes féroces les dévorent. dévore la tante.
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Recueils de contes
ANDERSEN H.C. Contes, Éd. Mame ; Contes, trad. D. Soldio et
L. Moland, 3 tomes, Paris, Éd. École des loisirs, 1979.
AYMÉ M. Les contes du chat perché, Paris, Éd. Gallimard, Folio.
ESCARPIT R. Les contes de la Saint Glinglin, Paris, Laffont, Livre de
poche jeunesse.
GRIMM, J. ; GRIMM, W. 1976. Contes, trad. M. Robert, Prais, Gallimard,
Folio.
GRIMM, J. ; GRIMM, W. 1979. Les trois plumes et douze autres contes,
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trad. A. Guerne, Paris, Gallimard, Folio junior.
GRIMM, J. ; GRIMM, W. 1979. Contes pour les enfants et les parents,
2 tomes, Paris, Éd. École des Loisirs.
GRIMM, J. ; GRIMM, W. 1989. Les sept corbeaux et autres contes, trad.
A. Guerne, Paris, Flammarion, Castor Poche.
GRIPARI, P. 1988. Contes de la rue Broca, Paris, Grasset.
PERRAULT, C. 1987. Contes, Préface B. Bettelheim, Paris, Gallimard,
Livre de Poche.
PINEAU, L. 1979. Les contes de grand-père, 3 vol., Paris, Delagrave.
Pédagogie du conte
BROSSE, J. 1989. Mythologie des arbres, Paris, Payot, Petite Biblio-
thèque.
CNDP – Diapositives – Cassette son – Livret. Namcontinanti et le loup
des contes. Cendrillon dans les contes. Le Petit Poucet et les géants
des contes, 1992-1994.
CDDP du Tarn. L’écriconte. Former des enfants conteurs, Albi, OCCE.
STŒCKLE, R. 1986. Des albums pour une situation, Paris, E.A. Colin.
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vironnement sera créé par les différents partenaires, dans l’interaction ; le
sens se constitue ainsi peu à peu grâce au caractère systématique des
échanges. Mais comment s’élaborent ces processus d’apprentissage ? En
fait, dès la naissance, la mère se comporte comme si le nouveau-né avait
des croyances, des intentions et des souhaits. Autrement dit, elle agit
comme si le bébé dialoguait avec elle, répondant à ses regards, à ses
gestes et à ses mimiques. Là réside sans doute le secret d’un échange
linguistique communicationnel ultérieur effectif. Ces « protoconver-
sations » constituent en effet la première étape de la construction d’un
format lequel, au terme de l’évolution, débouchera sur le maniement
symbolique du langage. Bruner définit le « format » comme un « modèle
d’interaction standardisé – à l’origine microcosmique – entre un adulte et
un enfant et dans lequel chacun a un rôle précis qui à terme peut s’in-
verser » (p. 119). Il s’agit donc d’une stratégie communicative non linguis-
tique, que créent l’adulte et l’enfant avant même l’apparition du langage,
et qui progressivement devient plus conventionnelle et complexe. Les
formats successifs remplissent ainsi des fonctions auxquelles se substi-
tueront peu à peu celles qui sont dévolues au langage.
On peut donc dire que précocement (au cours des deux premières
années de la vie notamment), l’enfant développe par l’interaction une
capacité cognitive générale, qui lui permet de créer des relations avec le
monde des objets et des événements et de réaliser des transactions avec
l’adulte pour s’approprier progressivement les systèmes symboliques et
les outils nécessaires pour penser, vivre en société, se construire une
conscience. Limitez dès lors les interactions de l’enfant avec son envi-
6. Voir J.S. Bruner, Comment les enfants apprennent à parler, Paris, Éd. Retz, 1987.
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place actuellement dans l’école et la classe 8. Ils se trouvent alors face à
des sujets dont le langage intérieur, devenu diaphane, ne soutient plus
véritablement la pensée en action. Avant d’exiger de ces enfants que
pour s’affranchir des difficultés qui les assaillent ils manient les symboles,
les intervenants spécialisés devront donc prioritairement, dans l’interac-
tion, reconstruire ces « formats » précoces défaillants. Ils devront les
amener à utiliser des outils et des signes « taillés à leur mesure », soute-
nus par le désir d’action, lors de séances d’aides spécialisées spécifiques.
En d’autres termes il leur faudra avec l’enfant « refaire le voyage », qui
conduit « format » après « format » à la conquête progressive d’un
système organisé de communication. Ensuite, et ensuite seulement, ils
pourront entrer avec lui dans le maniement symbolique et le sens person-
nel des conflits qui l’éprouvent.
J.S. Bruner décrit quatre types de formats, qui constituent en quelque
sorte les prérequis successifs à la maîtrise individualisée du langage
symbolique.
Le premier résulte de l’attention conjointe, définie comme l’intention
de l’un des partenaires de la dyade d’attirer l’attention de l’autre vers un
objet, une activité ou un état. Ce premier format suppose que soit intro-
duit un « support-tiers » (jeux de repérage, personnages, objets, etc. 9).
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conduit à utiliser un objet ou une action de manière non conventionnelle.
Dans cette situation, beaucoup plus évoluée et complexe que les précé-
dentes, l’enfant doit évidemment abandonner le signifié conventionnel de
l’objet ou de l’action pour lui en donner un autre qu’il devra négocier.
Pour cela, il agira sur l’esprit de son partenaire. Cette conduite ne peut
donc se manifester que si l’enfant est capable de se représenter ce que
l’autre a dans l’esprit. Nous sommes ici aux sources mêmes de la créa-
tion symbolique. Elle suppose que l’enfant, non seulement se représente
les représentations d’autrui, mais qu’il arrive à communiquer ce qu’il a
dans la tête. Pour faire ainsi connaître son idée, il devra nécessairement
agir sur le contexte. Celui-ci n’apparaît donc pas comme une donnée fixe,
immuable, en quelque sorte irréductible, à laquelle il convient de s’adap-
ter, mais comme une construction conjointe, le produit d’une négociation
ludique ou raisonnée. Cette notion est décisive. Elle oriente tout le
processus d’aide spécialisée pour des enfants dont la pensée ne semble
plus organiser l’action, voire dont les actions semblent se substituer sans
cesse à la pensée anticipative.
10. Cet outil a été élaboré et mis au point en réponse aux difficultés rencontrées dans la
pratique avec certains enfants signalés aux RASED. Il a été longuement expérimenté et
« travaillé », lors de « groupes de contrôle des pratiques », avec des praticiens de Toulouse
et Paris notamment. Corinne Baritaud, rééducatrice en Haute-Garonne, s’est beaucoup
impliquée dans cette recherche. Nous lui devons notamment les remarquables notes et
observations qui concernent le cas de l’enfant Bryan.
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l’adulte, lesquels ont altéré chez l’enfant le sentiment de la continuité du
temps et entraîné, par suite, un arrêt dans l’élaboration et dans la
construction pérenne des différents formats communicationnels. L’objec-
tif essentiel est donc ici de renforcer le maniement individuel des repré-
sentations puis des symboles et de favoriser progressivement le recours
au langage intérieur. Autrement dit, il s’agit de permettre à l’enfant d’ac-
céder au plus vite, par l’intermédiaire d’interactions signifiantes, à la
maîtrise du quatrième « format ». Lorsque l’enfant y sera parvenu et utili-
sera librement le « faire semblant » pour jouer avec les signifiés et les
symboles, une aide spécialisée à dominante relationnelle fondée sur les
moyens traditionnels, pourra si nécessaire être mise en place (cf. L’enfant
face à l’élève – Les grands axes d’une aide individualisée à l’enfant,
p. 64).
POUR RÉUSSIR
Le cadre et le matériel
Présentez à l’enfant, de préférence sur une grande table (l’adulte et
l’enfant se trouvant face à face comme dans un jeu de société), un
dispositif d’ensemble regroupant des bâtiments et des lieux matériali-
sés (objets posés sur une grande feuille ou dessins effectués sur de
petits papiers posés sur la table) : une école, un magasin, une maison,
sa piscine, un jardin, des rues, la rivière, la forêt, un château, etc.11
11. On pourra s’inspirer, par exemple, des éléments qui figurent dans le test dit du
« Village » créé par H. Arthus (maisonnettes, église, usine, château, mairie, arbres,
barrières, portiques, anneaux, personnages). Voir H. Arthus, Le village : test d’activité créa-
trice, Paris, L’Hartmann, 1949.
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évidemment dépasser ce nombre dans certains cas cliniques particu-
liers.
Il s’agit au cours du travail de créer des interactions suivant une
progression quantitative (nombre d’interactions) et qualitative
(complexité des interrelations). Les interactions produites vont donc
se succéder, s’accélérer, se diversifier et susciter l’activité et l’imagi-
naire de l’enfant.
L’ensemble se déroule suivant trois phases : Faire – Voir – Penser
(F.V.P.) qui comportent deux temps : Temps 1 : activité de l’enfant sur
sollicitation de l’adulte – Temps 2 : activité de l’adulte sur sollicitation
de l’enfant. Les actions de la phase I « Faire » se déroulent dans le
Présent, les actions de la phase II « Voir » se réfèrent au Passé, les
actions de la phase III « Penser » se rapportent à l’Avenir.
On passera d’une phase à l’autre lorsque l’enfant se trouvera à l’aise
au sein de la phase considérée (interactions rapides et suffisamment
complexes) et lorsque les deux temps de la phase (activité de l’en-
fant, activité de l’adulte) seront réalisés. Parfois, on constatera que
l’enfant s’ennuie un peu. Il sera alors grand temps de passer à la
phase suivante. On ne proposera jamais à l’enfant d’activités de
« faire semblant » (4e format) – a fortiori de « jeux de rôles » – tant
que les trois phases FVP n’auront pas été totalement parcourues et
maîtrisées.
PHASE I
Faire : l e s d i f f é r e n t e s a c t i o n s s e d é r o u l e n t d a n s l e présent
C’est le jeu de l’action exécutée.
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ginaire. N’hésitez pas ainsi à faire « entrer la vache dans la
chapelle », à faire « plonger la chèvre dans la piscine pour se
baigner » et à mettre ensemble à la même table « le loup et le garde-
champêtre ». Vous ferez sans doute rire l’enfant, dont le plaisir à
penser et à imaginer n’en sera que plus grand lorsqu’il vous mettra
directement à contribution au temps 2 de la phase.
– Temps 2 : l’enfant-acteur fait agir l’adulte sur ordre. « Maintenant
c’est toi qui me dis ce que je dois faire ».
Veillez à bien obéir à l’enfant et n’hésitez pas à entrer totalement
dans le jeu. S’il se contente durant toute la séquence d’ordres isolés
« le vieux grand-père entre dans la maison » ajoutez (sans le réali-
ser comme si vous vous parliez à vous-même) : « puis il se met à
table, puis il va se coucher », par exemple. Le but est de bien faire
comprendre à l’enfant qu’il peut enchaîner les ordres et provoquer
des interactions (formats 1 et 2). De temps en temps, pour susciter
l’interaction communicationnelle, trompez-vous, faites plonger le
grand-père dans la piscine au lieu de le mettre devant la télé : les
réactions de l’enfant seront une occasion de vous rendre compte de
son intérêt et de son désir d’interagir avec vous.
PHASE II
Voir : l e s d i f f é r e n t e s a c t i o n s s e s o n t p r o d u i t e s d a n s l e passé
C’est le jeu du regard et du témoignage : un personnage a vu que 2-
3-x autres figurines du « stock-support » ont fait quelque chose. Il dit
ce qu’il a vu. L’enfant réalise alors la scène ou la séquence. Durant
cette phase, il s’agit donc de commencer à user du langage pour
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Exemple :
– l’enfant prend le cochon et le place sur le toit de la maison.
– l’adulte dit « le cheval a vu que le cochon est monté sur le toit ».
A2. – Inversion. L’intervenant spécialisé fait exécuter une ou
plusieurs actions aux figurines. L’enfant choisit un personnage et lui
fait dire ce qu’il a vu :
« L’oiseau a vu que… »
L’adulte complique alors progressivement les actions (rapidité plus
grande, actions successives enchaînées).
– Temps B : Synchronisation descriptive décentrée
B1. – L’intervenant spécialisé choisit d’emblée un personnage qu’il
sort du « stock-support » et qu’il place hors du cadre. Il fait dire au
personnage ce qu’il a vu. L’enfant réalise alors la scène ou la
séquence.
Exemple : l’intervenant spécialisé prend le cheval et le place hors du
cadre. Puis il déclare « Le cheval a vu que le fermier conduisait l’âne
dans le pré ». L’enfant réalise alors la scène avec les deux figurines
(fermier et âne).
Complexifier progressivement (nombre d’actions associées en
séquences).
B2. – Inversion. L’intervenant spécialisé représente avec les figurines
ce que l’enfant énonce en suivant le même schéma.
PHASE III
Penser : l e s d i f f é r e n t e s a c t i o n s s e p r o d u i r o n t d a n s l’avenir
C’est le jeu de la pensée toute puissante : un personnage pense (par
l’intermédiaire de l’enfant ou de l’intervenant spécialisé) à ce qu’un
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fait, il décide des événements à venir, il les organise, il les
« projette ».
Pour rester toutefois dans le cadre d’un jeu et d’une activité où la
pensée ne s’affranchit certes pas de l’imaginaire, mais où l’imaginaire
ne s’affranchit jamais totalement des contraintes de la réalisation,
nous proposons d’appliquer la règle suivante :
– avec les enfants les plus jeunes (jusqu’à 8 ans) l’action inventée
devra avoir le même niveau de crédibilité que l’action proposée.
Autrement dit, si l’action énoncée par l’intervenant est « possible » :
exemple : le cheval pense que l’ours va entrer dans la maison (cette
action est effectivement possible, un ours peut entrer dans une
maison), l’enfant ne pourra inventer et proposer qu’une action
« possible » ; par exemple : le loup entre dans le poulailler. À l’in-
verse si l’action énoncée par l’intervenant est totalement imaginaire
et impossible à observer « en vrai » : « le cheval pense que l’ours va
préparer et faire cuire le dîner de tous les employés de la mairie »,
l’enfant ne pourra proposer qu’une action totalement imaginaire
et impossible à observer ; par exemple : l’ours va piloter l’avion et
s’envoler.
– avec les enfants plus âgés (après 8 ans) la consigne sera exacte-
ment l’inverse : soit ils feront exécuter aux personnages l’action
imaginée (pensée) par le tuteur, soit (s’ils veulent manifester – pour
rire – la toute-puissance de leur imagination et de leur propre
pensée) ils feront exécuter une action imaginaire « impossible »
lorsque la situation proposée sera « possible» et une situation
« possible » lorsque la situation proposée sera totalement « impos-
sible ».
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et continuez le jeu (nouvelle proposition). Vous ne passerez au
temps 2 que lorsque le sujet manipulera aisément les situations et la
consigne.
Temps 2 : Les deux protagonistes (l’enfant et l’intervenant spécialisé)
échangent leurs rôles. Autrement dit, c’est l’enfant qui décide main-
tenant du « référent qui pense » et de l’action pensée et c’est l’adulte
qui exécute ou non. L’intérêt, ici encore, c’est d’introduire des inter-
actions de plus en plus rapides et de plus en plus complexes. À cet
égard, on pourra demander à l’enfant avant que l’intervenant n’exé-
cute l’action pensée par le « référent » ou en propose une autre, que
l’enfant ordonne « possible » ou « impossible », afin que l’adulte
introduise une action conforme à ce souhait. Il contrôlera alors de
bout en bout par la pensée toutes les démarches imaginaires de la
chaîne.
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avec la mère (entretien informatif) fait apparaître les éléments
suivants :
– Bryan est l’aîné de 4 enfants (5 ans – 4 ans – 2 ans – 6 mois).
Les parents se sont séparés peu avant ses 4 ans. Le père était
violent, alcoolique, autoritaire ; Bryan s’interposait quand il
battait sa mère. Par décision du juge, le père a le droit de voir
ses enfants tous les quinze jours dans un « point rencontre » (en
fait, Bryan n’a jamais revu son père depuis la séparation des
parents).
– La mère, qui a déjà vécu la violence dans son enfance, pense
qu’elle a « répété » son histoire avec le père de Bryan. Elle vit
désormais avec un nouveau compagnon, dont l’enfance a elle-
même été très difficile. Père du dernier enfant, il est illettré. Le
couple est au chômage.
L’observation de l’enfant (2 séances) révèle une grande difficulté
d’accès à la symbolisation, avec un imaginaire troublé, finalement
assez pauvre, envahi par la résurgence permanente de fantasmes
violents. L’élocution est très perturbée, parfois difficilement
compréhensible, créant une parole « brouillée », comme on l’ob-
serve souvent chez les enfants porteurs d’un « secret » indicible.
Le projet d’aide spécialisée s’organise donc autour des deux axes
suivants :
– tenter d’abord de remettre en route une fonction symbolique
« en panne », en utilisant la technique du Faire/Voir/Penser ;
– aider l’enfant dans un second temps à développer et à enrichir
son imaginaire, en travaillant avec lui notamment à partir de
contes (contes à transformer, à créer, etc.).
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Le temps du faire/voir/penser
Le travail a duré 9 séances (3 sur le « Faire », 3 sur le « Voir »,
3 sur le « Penser »). Chaque séance s’est achevée par la lecture
d’un conte à l’enfant. Les séances ont eu lieu à raison de 2 par
semaine. Elles se sont déroulées, pour l’essentiel, entre mi-avril
et début juin.
Phase I : faire
– Séance 1 12:
Je choisis des animaux, 4 tigres, 4 lions, 1 marionnette et plante
le décor en matérialisant différents lieux au sol (lieux que je
nomme) :
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1 feuille de papier blanche pour représenter la maison des tigres,
1 feuille de papier orange pour représenter la maison des lions,
1 feuille de papier jaune pour représenter une école,
1 cerceau pour représenter un magasin,
1 boîte pour représenter une voiture,
des anneaux bleus qui représentent une rivière,
…
Exemples d’interactions simples : le père tigre emmène ses
enfants à l’école ; les enfants rentrent dans l’école ; les enfants
lions arrivent à l’école ; les enfants tigres et lions se saluent ; le
maître rentre dans la classe et va saluer chaque enfant ; le lion
va à la piscine, le tigre se promène en voiture, le tigre va à la
rivière…
Au cours de cette séance, seul le temps 1 « tu vas faire ce que
je dis » est travaillé : Bryan agit sans parler pendant une heure ;
puis nous rangeons ensemble et passons à la lecture d’un conte.
– Séance 2 :
Bryan choisit des animaux, un chien, un âne, un cheval, un
cochon, un taureau, un mouton, une fille et un garçon (Légos). Il
m’aide également à installer des lieux : une piscine, une ferme,
une maison, une prairie…
12. Nous reproduisons ici, telles qu’elles nous ont été transmises, les notes de la rééduca-
trice.
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vite ; aussi j’accélère les interactions, ce qui le motive davantage.
Peut-être en a-t-il assez du « Faire » ?
Rangement et lecture d’un conte : il est captivé par les illustra-
tions, très à l’écoute et trouve l’histoire trop courte.
Phase II : voir
– Séance 1 :
Bryan prend beaucoup de plaisir à installer les lieux : une forêt
avec des chaises, un château avec des cartons, une rivière avec
des cerceaux, des maisons avec des feuilles de papier… Prenant un
large cylindre en carton, je réfléchis à voix haute, me demandant
ce que ça pourrait bien être : Bryan suggère « peut-être un
jardin ? ». Bonne idée ! Je choisis des marionnettes et lui des
animaux : un roi, une reine, deux sorciers, un policier, quatre chiens
et un cheval.
Comme pour la première séance du « Faire », nous restons au
Temps I pendant toute la séance pour que Bryan comprenne bien
ce que j’attends de lui.
Je suis donc le roi « qui a vu » (mais je change aussi de person-
nage) : Bryan fait ce que le roi a vu et se comporte très bien.
Rangement et lecture d’une histoire.
– Séance 2 :
Bryan choisit des marionnettes et des animaux : un roi, une reine,
un loup, un sorcier, deux chiens, deux chevaux et deux lions. Puis
nous installons le décor avec différents matériels : un château, une
rivière, un puits, un jardin, la maison du loup et celle du sorcier…
Aujourd’hui nous réalisons les deux temps de la façon suivante :
Temps I, Temps II, Temps I.
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père, la mère et deux fils. Il rajoute quatre tigres et quatre lions
(deux familles également). Les lieux sont le zoo avec des terri-
toires différents pour les tigres et les lions, une maison pour
chaque famille humaine, une école, une piscine…
Au Temps I, je change souvent de « personnage qui a vu
que… » : « la mère a vu… » puis « le maître a vu… » ou bien « le
lion a vu… ». Bryan fait consciencieusement exécuter tout ce que
l’autre a vu.
Au Temps II, il en choisit un seul « qui a vu… » : le lion. La séance
se déroule beaucoup plus rapidement que la précédente ; il ne se
trompe presque plus entre le présent et le passé.
Rangement et lecture d’une histoire : comme la fois précédente
il repère des lettres, les nomme… Il est très intéressé par le livre,
sa capacité d’écoute s’est nettement améliorée.
Phase III – Penser
Rappel des consignes : Temps I : « Je choisis un personnage qui
va penser que d’autres vont faire des choses et toi tu fais faire
comme tu veux ». Temps II : « Maintenant on inverse les rôles.
C’est toi qui choisis celui qui pense. Tu me dis à quoi il pense et
on verra si je me trompe ou si je fais ce qu’il faut ».
– Séance 1 :
Bryan choisit des marionnettes et des animaux…
Temps I : je choisis le roi et lui explique la consigne. Bryan fait
faire tout ce que le roi pense. Il reste dans ce qu’il connaît,
comme « fixé » aux séances précédentes, et n’utilise pas son
pouvoir de choisir (besoin de sécurité ? peur de se lancer ? imagi-
naire verrouillé ?).
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connaît et qu’il m’explique) pour en faire, dit-il, une montagne.
Ceci nous autorise à penser que la fonction symbolique est opéra-
tionnelle.
Temps I : il ne s’autorise aucune liberté.
Temps II : il ne se trompe presque plus entre le passé et le futur
mais ne réagit toujours pas si je ne fais pas faire ce que « le roi
pense ».
Pour tenter de le bousculer, j’introduis alors en Temps I le
« peut-être » (ex : le roi pense que l’ours va peut-être aller voir
le lion) : ça ne change rien (et donc l’ours va voir le lion) même
si je précise (peut-être ou peut-être pas). La prise de risque reste
très difficile.
– Séance 3 :
Bryan reprend les mêmes quilles qui deviennent les arbres d’une
forêt. Il confirme sa capacité à symboliser.
Temps I : je dis « je pense que l’ours va peut-être sortir de sa
maison » et Bryan fait ce que je pense, conformément aux
séances précédentes.
Alors je tente d’introduire deux lieux pour l’amener à choisir : « je
pense que le lion va aller dans la forêt ou à la rivière ».
Bryan est surpris mais il choisit.
Temps II : il continue à fonctionner comme à la séance précé-
dente, ce qui confirme son besoin de rester dans ce qu’il connaît.
Rangement et lecture d’un album : pour la première fois il mani-
feste son envie de dessiner.
Bilan de ces 9 séances : Bryan a montré qu’il était capable de
symboliser. Il s’est montré actif malgré la nouveauté, tout en
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La mère trouve son fils beaucoup plus ouvert, épanoui : il raconte
maintenant ce qu’il fait à l’école ; il se révèle très curieux et a
« envie d’apprendre ».
Le temps de l’imagination
En septembre 2003 Bryan entre au CP. Sa nouvelle enseignante
– très bienveillante à son égard – met en évidence l’inhibition de
l’enfant, notamment hors de la classe. Dans la classe en revanche
il se sent, dit-elle, « en sécurité et s’investit beaucoup ». Elle l’ap-
pelle d’ailleurs « mon aide-éducateur ». Il fait en effet son travail
et va ensuite spontanément aider les autres pour que ça avance
plus vite. La rééducation est donc reprise avec un nouvel objec-
tif : développer et donner à l’imaginaire une forme créative utili-
sable dans le monde réel de l’école.
Dans les trois premières séances, nous découvrons puis utilisons
un tarot des contes. Bryan se montre capable de choisir des
personnages, des lieux, des objets et d’inventer des liens entre
toutes les cartes que nous gardons d’une séance à l’autre.
Nous créons ensemble une histoire, mais c’est très laborieux : je
pratique en permanence l’auto-questionnement (je me demande…)
et la suggestion directe. Aucune idée spontanée ne semble jaillir de
lui. Il faut l’encourager, le stimuler et, là, il peut suivre.
En fait il n’est vraiment pas à son aise, répond souvent « je sais
pas », s’agite, se tortille sur la chaise, se mange les doigts,
grimace, a envie d’aller aux toilettes…
Peu à peu pourtant il se calme, en dessinant alors les person-
nages qu’il a choisis.
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tionne. Il est très intéressé, mais les gestes « parasites » persis-
tent (grimaces, tics, doigts dans la bouche, agitation…).
Je relis l’histoire et propose de la dessiner ensemble. Il est ravi,
choisit de dessiner Jacques, répond « je ne sais pas » quand je
lui demande ce que je dois dessiner, puis il se lance.
Tous les personnages et les différents éléments de l’histoire sont
représentés : il voudra même écrire le titre.
Il est tellement enthousiaste que je lui propose d’inventer, la fois
suivante, une suite à l’histoire de Jacques : il est d’accord, très
souriant, très détendu, et je constate qu’il n’y a plus ni grimace
ni agitation.
Cette troisième séance est une séance-clé. Le changement de
comportement va se confirmer.
– À la quatrième séance (retour des vacances de la Toussaint) il
semble très en forme et me parle spontanément.
Nous relisons « Jacques et le haricot » afin d’écrire une suite : il
réfléchit et, malgré plusieurs « je ne sais pas », trouve des idées
pertinentes.
Bien évidemment, je stimule, encourage et valorise ses trou-
vailles. Simultanément j’écris ce qu’il dit, ce que nous inventons,
puis le lis : il est très étonné de cette production.
Je constate donc qu’avec un étayage, il ose se lancer, prendre
des « risques » et qu’il arrive à imaginer.
Lors de la séance suivante nous relirons notre texte tapé à l’ordi-
nateur : je lis, il lit, nous lisons ensemble et il prend du plaisir à
chercher les mots identiques.
Une évaluation scolaire et comportementale est alors effectuée.
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Elle montre que Bryan est tout à fait adapté aux exigences de sa
classe. La mère et la maîtresse sont satisfaites de son travail. Par
décision commune et avec l’accord de Bryan l’aide rééducative
est alors arrêtée. Elle aura duré une vingtaine de séances.
Pour illustrer ces résultats voici le texte obtenu, puis lu et dessiné
lors de notre dernière séance :
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pilotes.
Jacques leur dit qu’il veut aller dans la maison de l’ogre.
Jacques leur montre l’endroit où habite l’ogre : « tout droit, au
ciel ».
Ils s’envolent puis redescendent un peu et s’arrêtent devant la
maison de l’ogre.
Jacques va toquer à la porte.
La femme ouvre la porte et laisse rentrer Jacques.
Il trouve chez l’ogre des haricots magiques : il les prend pour
chez lui.
Jacques retourne dans l’avion et rentre à sa maison avec la
femme de l’ogre qui a décidé de venir habiter avec eux.
Bryan
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CARENCES ET TRAUMATISMES
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communicationnelles en raison de l’incapacité éducative partielle et/ou
de la négligence étourdie des adultes qui les entourent, mais surtout des
conséquences globales d’une altération profonde de deux déterminants
fondamentaux de l’individuation : d’une part la protection psychologique
précoce et les soins physiques ritualisés prodigués aux jeunes enfants en
réponse à leur besoin de « sécurité de base », d’autre part la reconnais-
sance concomitante du petit enfant comme « personne » différenciée et
distincte par les adultes de son groupe d’appartenance premier. Ces
troubles, lorsqu’ils surviennent très tôt (0 à 2 ans), perturbent profondé-
ment le processus d’attachement et le destin du narcissisme primaire 13.
Ils entraînent une sorte d’incertitude identitaire chronique qui empêche
l’enfant d’accéder à un sentiment continu d’existence. Dans ces situations
cliniques, où l’enfant suivant le mot de Rémy Puyello apparaît avant tout
comme un « abusé narcissique 14 », c’est donc cette construction identi-
taire branlante – que le moindre souffle peut jeter à bas – qu’il convient
d’abord d’étayer, avant même de solliciter par des stimulations interrela-
tionnelles différenciées les ajustements nécessaires de l’imaginaire
personnel aux exigences de l’alentour, puis la maîtrise raisonnée de la
communication symbolique.
Les troubles sévères de l’attachement se présentent donc comme une
maladie du lien et de ses usages plutôt que de ses usagers. Ils résultent,
soit d’une carence précoce de soins, d’attention et de « contacts » condui-
sant le sujet à développer une immaturité relationnelle et émotionnelle
durable et parfois même, paradoxalement, une fixation et une organisa-
13. Voir Les trois cercles de l’appartenance – engendrement par le corps et appartenance
psychobiologique, première partie, p. 19.
14. R. Puyuelo, L’enfant abandonné, N.P. Rigaard, Préface, Bruxelles, De Bœck, 2005, p. 7.
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telle distinction peut permettre en effet, au-delà des principales données
cliniques qui constituent le fond commun de ces « pathologies du narcis-
sisme primaire », d’isoler certains signes et certains mécanismes spéci-
fiques et de mieux choisir alors les outils constitutifs d’un projet d’aide
spécialisée adapté. Ce sont ces signes communs puis spécifiques que nous
allons maintenant présenter – sous forme d’un petit guide sémiologique –
avant de présenter quelques outils utilisables au cours de l’action d’aide,
pour chacune des deux situations évoquées (carence – sévices).
GUIDE PRATIQUE
QUELQUES REPÈRES P O U R IDENTIFIER DES TROUBLES SÉVÈRES
D E L ’ A T T A C H E M E N T C H E Z L ’ E N F A NT 16
15. Par « mère », il faut entendre une fonction et non pas nécessairement une personne
sexuée. En fait, c’est la personne principalement responsable durant les premières années
de la vie (0-3 ans) des soins donnés à l’enfant et à laquelle cet enfant peut s’attacher en
lui adjoignant très souvent des références et des modèles secondaires.
16. Cette fiche-guide a été réalisée, d’une part en nous référant aux observations cliniques
que nous pouvons faire régulièrement au sein du Village d’enfants de Chatillon en Bazois
(58), d’autre part en nous inspirant des travaux effectués actuellement sur la clinique
sémiologique des troubles de l’attachement. (Voir, par exemple, N.P. Rygaard, « Psychopa-
thic Children : Indicators of Organic Dysfunction », dans T. Million et coll., Pyschopathy –
Antisocial, Criminal and violent Behavior, Éd. Guilford Press, New York, 1998, p. 247-259).
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Alcoolisme familial,
Hospitalisations ou placements fréquents durant la petite enfance,
* Mère seule au foyer. Nombreux partenaires, dont la présence et l’im-
plication éducative est faible ou fugace,
Nombreux changements de résidence.
– Cadre éducatif et comportement maternel
Cadre instable, sans sécurité ni pérennité,
* Irrégularité de l’attention à l’enfant et des soins durant la petite
enfance,
* Comportement immature de la mère. À l’inverse, l’enfant est traité
comme un adulte,
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* La mère a parfois été abusée sexuellement durant son enfance,
Pas ou peu de capacité d’autocritique sur les aspects éducatifs anté-
rieurs de la part des parents.
– Comportement de l’enfant
* Variations dans la « distance relationnelle » (alternance de collages et
de retraits),
Altération des rythmes de vie (sommeil, nourriture, etc.),
Hypoactivité dans la toute première enfance (0-1 an) ensuite hyperacti-
vité (> 2 ans),
* Réactions anormales au toucher (contact) : hypo ou hyper sensibilité,
Dépendance envers l’entourage,
* Peu de réactions à la douleur, à la fatigue, etc.,
* L’enfant se met facilement en danger physiquement (ne perçoit pas le
risque),
* Pas d’anxiété de séparation. Relations comparables avec l’étranger et
le proche,
Attention fragile, brève, superficielle. Ne se rappelle pas ce qu’on lui a dit,
Intolérance à la frustration,
* Émotivité exacerbée, qui s’auto-renforce et provoque des réactions et
des comportements d’agitation excessifs,
Aborde les personnes et les objets comme des produits de consomma-
tion (oralité),
* Veut toujours réussir immédiatement, sans apprentissage et mieux
que les autres,
Bien entendu les signes notés ici n’ont pas, en soi, de valeur « pathognomonique ». Ils
constituent simplement des indices. Nous avons toutefois noté par un astérisque les signes
qui paraissent les plus pertinents.
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* Identification à la souffrance du parent, à ses besoins, à ses attentes,
Jalousie fréquente envers les autres enfants de la fratrie (sentiment d’in-
justice),
Aucune permanence des concepts acquis,
Difficultés d’organisation spatiale,
Pas de construction symbolique,
* Sous-stimulation de l’enfant (délaissement – indifférence).
• Intégration sensorielle, rythmes de vie et image du corps
Image du corps peu unifiée (problème de limites),
* Contact : importance de la peau (enveloppe). Fait, par exemple, peu
de différence entre le chaud et le froid ; stimulé par le port de vêtements
rugueux, une douche, etc.
* Goût : préfère souvent les aliments mous ; distingue peu les goûts
(sucré, salé, etc.) ; apprécie peu les nouveaux goûts ;
Kinesthésies : réagit peu aux douleurs internes.
• Conduites sociales et comportement personnel
Enfant « pseudo-mature » (parentification). Les parents sont en effet
habituellement eux-mêmes très infantiles et immatures, parfois dépri-
més. Ils ne jouent pas avec l’enfant ;
Difficultés dans les relations avec le groupe. Docile lorsqu’on est seul
avec lui ;
Besoin que l’on s’occupe de lui. Immaturité et instabilité d’appel ;
* Réagit surtout à la voix forte et aux bruits violents ;
Manque de curiosité, refus d’apprendre, passivité,
Capable d’intégrer les interdits,
* Peut présenter des phases ou des moments dépressifs,
Se fait facilement « oublier » (difficultés à laisser une trace).
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* Absence de culpabilité. Inaccessibilité émotionnelle,
Sur-stimulation parentale inopportune et intrusive. L’enfant est utilisé
comme un objet qu’on manipule à loisir,
Sentiment de honte (honte de la filiation, du nom). Position en quelque
sorte sacrificielle,
* Manipule volontiers l’observateur,
* Ego surdimensionné. Sentiment de toute-puissance,
Attachement à une figure idéalisée, puissante, invincible, pour éviter
d’être confronté à la reviviscence du trauma,
Difficultés à maîtriser la temporalité (passé-futur).
• Intégration sensorielle, rythmes de vie et image du corps
Image du corps fragmentée. Angoisse brutale,
* Contact : fuite devant le contact. Explosions caractérielles. Comporte-
ment et gestes « impudiques », parfois gênants pour l’observateur. Atti-
tude et langage parfois scatologique,
* Goût et hygiène : mange souvent salement, goulûment, volontiers
malpropre, pas d’hygiène du corps.
• Conduites sociales et comportement personnel
Pas de moments d’hyper maturité,
* Régression brutale face au stress (souvent à l’âge même où s’est
produit le traumatisme),
* Clivage du Moi face aux menaces sur le cadre. Les adultes disent
volontiers qu’il y a un « bon » et un « mauvais » en lui,
Comportement antisocial en groupe,
* Se met facilement en danger physique (accident, défi, etc.),
* Refuse de reconnaître les faits. Dénie la réalité lorsqu’il est « coincé »
ou s’il ne peut résoudre le problème,
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Accuse toujours autrui, l’État, la Société des fautes ou des erreurs qu’il
a commises,
* Parfois sadique avec les faibles, les animaux, etc.,
Conduite intégrant parfois des stéréotypies (balancement, obsession
du feu ou des allumettes, violence, etc.),
Transgression régulière des interdits,
Pas de phases dépressives. La position « sacrificielle » barre l’accès à
la dépression.
RECONNAÎTRE ET ACCOMPAGNER
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L’outil « mise sous le regard »
déçus, violents, impatients d’existence, qu’on les voie et qu’on les recon-
naisse pour grandir et pour s’estimer. La technique de « mise sous le
regard » vise à renouer ou à créer cette reconnaissance. Elle cherche
donc, ni à se saisir brutalement des symptômes pour les affronter et les
combattre l’un après l’autre, au corps à corps, en rase-campagne, ni à les
contourner ou les prendre à revers par le recours au sens (en mobilisant
d’emblée la réflexion intime et l’imaginaire du sujet), mais à reconnaître
d’abord l’enfant comme personne et à saisir sa permanence singulière à
partir d’une attention soigneuse portée par un adulte référent aux
ombres successives de ses métamorphoses.
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POUR RÉUSSIR
Le cadre
Le cadre spatial est constitué par un territoire nettement délimité,
réservé à l’enfant le temps de la séance dans la salle d’aide spéciali-
sée. Fermé, sans faille, clos aux frontières, cet espace vise avant tout
à assurer la protection individuelle. Il constitue un « espace de conte-
nance » fait d’objets, d’interactions et d’idées, au sein duquel l’enfant
spécifiquement identifié agit seul 17. Il est à bien des égards compa-
rable au berceau du bébé ou au parc de l’enfant, territoires premiers
d’activités, de repos et de jeux protégés par le regard attentif de la
mère, avant que ne survienne la révolution des risques et des
rencontres induite avant tout par la marche. Le territoire réservé à
l’enfant peut être matérialisé en pratique par un tapis, une corde, une
marque faite à la craie sur le sol. Veillez dans tous les cas à le clore
uniformément ; évitez donc tout « chaînage » constitué d’objets, de
chaises, de tabourets, etc., qui laissent des vides redoutables et
compromettent l’efficacité de la méthode. Seule une fermeture conti-
nue garantit en effet une protection constante, du moins ressentie
comme telle par l’enfant. Elle évite toute irruption du « dehors »
personnel dans le « dedans » de l’intimité et limite le risque « d’hé-
morragie narcissique » du sujet. Elle construit en fait un « espace
privé » au sein duquel l’enfant, « reconnu » par l’adulte, va pouvoir
exister par lui même. C’est à cette double condition de protection et
17. Voir W.R. Bion, L’attention et l’interprétation. Une approche scientifique de la compré-
hension intuitive en psychanalyse et dans les groupes, Paris, Payot, 1974.
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très sérieusement et calmement à jouer avec.
Notez bien que l’enfant doit toujours être placé seul dans ce lieu
réservé sous le regard du praticien situé à distance proche et stable
(2 mètres environ). Dans la très grande majorité des cas, si l’indica-
tion est bien posée et la consigne clairement énoncée, l’enfant
accepte volontiers cette situation et se met à agir sans se préoccuper
apparemment du rééducateur (en fait, il l’observe souvent du coin de
l’œil !). Certains praticiens utilisant cet outil ont évoqué quelques cas
d’enfants rebelles sortant spontanément du cadre ou bien refusant
d’y entrer. Il s’agit dans la plupart des cas, soit d’un espace mal
fermé, d’un territoire tracé à la hâte, d’un espace contenant trop peu
d’objets ou bien surtout jonché d’objets trop « homogènes » corres-
pondant plutôt à l’âge réel qu’aux attentes immatures de l’enfant, soit
d’une consigne trop rapidement énoncée, peu claire, quelquefois
même escamotée. Il reste donc au mieux quelques situations (dans
l’expérimentation que nous avons menée pendant trois ans : deux ou
trois) pour lesquelles il convient de reprendre et de répéter la
consigne et de replacer l’enfant, sans mot dire, dans son territoire
d’activités pour régler définitivement le problème.
La consigne
« J’ai préparé des jeux pour toi : tu peux choisir ceux que tu veux, je
te regarde. Tu n’as pas le droit de sortir du tapis/carré/rectangle/etc.
qui est là. Quand tu auras fini, je te dirai tout ce que j’ai vu. Tu peux
commencer ».
Le déroulement des séances
Les activités du sujet durant le temps de « mise sous le regard » sont
libres ; la durée de chaque séance est ainsi largement réglée par
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vu que… (tu jouais avec un dé, que tu le retournais dans tous les
sens pour regarder les images qui sont dessus, puis que… etc.). Vous
pouvez, au début, commencer votre énumération par la phrase
suivante : « J’ai été intéressé par ton travail. Je vais maintenant te
dire tout ce que j’ai vu. » Interdisez-vous ensuite tout jugement,
toute interprétation, toute correction : contentez-vous simplement de
décrire en gardant la neutralité qui sied à l’exercice.
Progressivement, après un certain nombre de séances (sept à huit en
moyenne) l’enfant cherche souvent à communiquer et à créer avec
l’adulte, à l’aide des jeux ou des activités choisies, des interactions de
plus en plus nombreuses. Sans jamais déroger au principe fondamen-
tal de la parole différée et du regard autorisant et irriguant la relation,
vous pourrez alors commencer à entrer dans cette « connivence » :
jouet supplémentaire introduit au dernier moment lorsque l’enfant
pénètre dans son espace, réalisation durant un très court laps de
temps – et pendant que l’enfant joue seul – d’une activité effectuée par
vous en parallèle (activité analogue ou contraire, par exemple, à celle
qu’effectue l’enfant). Au besoin, si vous voulez déclencher une interre-
lation plus rapide, faites varier la distance et rapprochez-vous de l’en-
fant de telle sorte que, sans sortir de son territoire, il puisse échanger
avec vous des objets ou des jeux. Cette « transgression » fracture l’es-
pace de référence. Elle sort l’enfant de son auto-activité, augmente son
autonomie, nourrit l’échange et la relation interpersonnelle. Mais elle
supprime la protection et minore la « reconnaissance ». Il faut donc
veiller à ne pas s’y engager prématurément, au risque de voir resurgir
l’instabilité et le désordre narcissique.
Dans la très grande majorité des cas, la méthodologie de « mise sous
le regard » s’avère efficace en dix à douze séances. Ne cherchez pas
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traiter les enfants), la « mise sous le regard » n’est pas un médica-
ment de l’instabilité scolaire, mais plutôt un moyen de répondre à
certaines de ses causes. Là est sans aucun doute son mérite, là aussi
sa limitation.
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suivant une procédure séquentielle que nous allons décrire maintenant.
POUR RÉUSSIR
Le cadre de travail
Le local qui accueille le groupe (4-5 enfants au maximum) doit être
suffisamment vaste pour permettre aux enfants de se déplacer et
d’agir aisément. Son organisation et son décor doivent rester néan-
moins immuables et ne pas contenir, lors des exercices, d’objets
distrayants ou mobiles apparents. Ce local ne doit pas être de surcroit
utilisé comme une classe ordinaire. C’est avant tout un « atelier »
visant l’adaptation de différentes techniques relationnelles à la scène
sociale et scolaire, et non pas un lieu de savoir et de valeurs normés
où les enfants apprendraient l’art « de se bien comporter ». De même
que le lieu, le cadre temporel est immuable. L’entrée des enfants s’ef-
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fectue dans le calme, ils se déchaussent avant les exercices, car le
bruit ici est « ciblé », lié à tel exercice, à telle situation, à telle
séquence de travail. Le bruit constitue donc en soi un « objet
d’étude » pour le groupe : il n’est ni un accompagnateur de l’action,
ni un intrus frappant en permanence à la porte ou à la fenêtre de
l’atelier de travail des enfants.
La méthode
Elle découle d’une observation simple : toute situation socialement
« codée » invite implicitement ses différents protagonistes à « jouer »
un rôle prescrit, écrit pour chacun d’eux. C’est le cas pour le bureau,
la caserne ou l’école ! Ainsi l’enfant vient-il chaque jour « jouer »
dans la classe son rôle d’élève et, comme le maître, exercer un
métier. Se soumet-il avec aisance et bonne grâce aux exigences de
forme appelées par l’usage (langage, attitude, relations, etc.) et il
apparaîtra bien adapté et souvent « bon élève ; déroge-t-il à ces
prescriptions implicites et en dépit de tout – de son intelligence, de
sa vivacité d’esprit, de ses qualités de cœur ou de ses compétences
– il apparaîtra rapidement comme un inadapté. Il est donc raison-
nable de penser qu’une modification formelle des conduites et des
relations sociales de l’enfant, en entraînant très rapidement une
modification des perceptions de l’entourage, favorisera l’adaptation
scolaire du sujet.
L’action d’aide comportera ainsi trois séquences :
– Séquence 1 : Travail sur les variables constitutives des comporte-
ments
Vous isolerez pour chaque enfant du groupe (enfants présentant
notamment un déficit précoce d’attachement et ayant bien réagi au
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• Phase I
Le travail, au cours de cette première phase, consiste simplement à
imaginer des variations autour d’un comportement donné. En effet,
lorsqu’un enfant est capable de réaliser une variation à partir d’un
schéma comportemental initial, il devient capable de contrôler ce
comportement. Pour provoquer ces variations vous utiliserez deux
variables : la vitesse (plus vite, moins vite) et l’intensité (plus fort,
moins fort). Vous procéderez, par exemple, ainsi :
Consigne : « Nous allons faire comme à la “Star Ac” et je vais compo-
ser un jury. Chacun à votre tour vous serez acteur et juré. Vous
devrez “jouer” votre scène, en suivant les consignes le mieux
possible. C’est comme une audition de star : qui veut être le premier
candidat ? ».
Vous installez donc votre jury, avec vous-même derrière une table,
chacun disposant d’une feuille de papier et d’un crayon pour
« prendre des notes ». Puis vous indiquez à chaque enfant, succes-
sivement acteur face au jury, un comportement à « jouer » (par
exemple : jeter successivement son cahier puis son crayon à bille par
terre). En utilisant les variables vitesse-intensité les membres du jury
donnent alors des instructions au candidat :
« Pouvez-vous jouer cette scène… » :
– plus vite
– moins vite
– au ralenti (comme dans un film)
– moins fort
18. Écouter l’enfant, aider l’élève – Les métamorphoses de l’échec (outils disponibles en
version numérique sur le site des éditions érès www.edition-eres.com, automne 2007).
01 Intérieur 20/04/07 16:47 Page 203
– à l’envers
– etc.
Ne cherchez pas lorsque vous donnez des instructions au candidat à
faire jouer à tout prix des comportements « convenables » pour que
l’enfant prenne de « bonnes habitudes ». Prenez les comportements
habituels de l’enfant. Il s’agit en effet de l’amener à contrôler ses
conduites, non de lui inculquer des conduites qui ne lui appartiennent
pas. Après chaque « audition », en présence de l’enfant (candidat),
faites discuter le jury pour évaluer la scène. Il convient d’apprécier la
qualité de « l’acteur », la justesse des variations, le respect des
consignes, en aucun cas de porter un jugement sur son comporte-
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ment. En fin de séance, faites vous-même la synthèse. Ne retenez
que les points positifs, ne portez aucun jugement sur le contenu, ne
parlez que de la forme. Montrez que tous les enfants au cours des
exercices ont prouvé qu’ils pouvaient faire varier leurs comporte-
ments. Pour sauvegarder le sentiment d’un exercice, ne demandez
jamais à ce stade, en dehors de ces situations-auditions, de change-
ments de comportement aux enfants de votre groupe.
• Phase II
En gardant la même organisation (jury-candidats successifs, audi-
tion) passez alors des comportements au texte. Prenez des phrases,
des expressions de l’enfant et demandez lui de dire cette phrase,
d’utiliser cette expression, en faisant varier l’émotion qu’elle véhi-
cule 19. Par exemple : « tu es un véritable idiot » (phrase dite en se
tournant vers un camarade imaginaire).
Instructions : dites cette phrase avec…
– colère
– douceur
– en chuchotant
– en riant
– avec tristesse
– etc.
Faites intervenir le jury et faites vous-même la synthèse, lorsque tous
les candidats sont passés, comme à la phase I.
19. Chacun songera ici à la scène du film de Marcel Pagnol « Le Spountz » lorsque Fernan-
del, face à la caméra, prononce successivement de mille et une manières, avec mille et un
sentiments, la phrase « tout condamné à mort aura la tête tranchée ».
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permettant à l’enfant d’obtenir ce qu’il souhaite (un stylo pour écrire)
sans aller au conflit avec l’autre et sans être rejeté.
Méthode : l’enfant-acteur joue la scène avec un comparse. Les autres
enfants observent. Question : comment jouer la scène autrement ?
Les enfants font des suggestions. Après deux ou trois suggestions,
l’enfant-acteur rejoue la scène. Nouvelle discussion : certes il n’y a
plus de bagarre, mais l’acteur doit beaucoup se déplacer, négocier,
parler ; or, s’il était en classe, le maître n’accepterait pas ces dépla-
cements. « Comment faire alors si nous étions en classe ? ».
Peu à peu un comportement plus adapté se profile. : permission
demandée au maître, prêt d’un stylo de remplacement, déplacement
en silence pour ne pas gêner les autres, etc. Comme pour la
séquence I, lorsque tous les enfants ont « travaillé une scène », l’in-
tervenant-adulte fait la synthèse.
• Phase II
C’est l’enfant lui-même qui propose un comportement problématique
pour le « travailler » et l’adapter à son but. Chacun est ainsi invité à
proposer un comportement directement issu de son expérience
scolaire ou sociale personnelle. Un premier enfant joue la scène, puis
en commun on tente de l’améliorer.
À la fin de la séance, l’adulte évalue et fait la synthèse. Notons qu’à
cette phase, les comportements sont directement liés aux difficultés
quotidiennes. Des mécanismes d’évitement vont donc souvent se
mettre en place (absence d’idées, négation des difficultés, sabotage
du « jeu » de l’autre, interventions intempestives, suggestions
inadaptées, etc.). Maintenez votre attitude confiante. « Je sais que
vous pouvez tous atteindre votre objectif, nous continuons donc à
réfléchir et à proposer ».
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réussite qui leur donne ici un statut scolaire. Des progrès dans l’art
d’apprendre, dans les acquisitions comme dans l’appropriation des
savoirs, sont alors très souvent observés.
Ne vous laissez pas aller toutefois à l’illusion d’une « guérison » mira-
culeuse et définitive, notamment lorsqu’il s’agit de carences très
précoces d’attachement. Un cadre un peu relâché, des changements
brutaux de référence, le simple risque d’un changement (autre ensei-
gnant, changement d’horaire, de classe, de forme dans les exercices,
une modification de la disposition des élèves dans la classe, etc.)
peuvent brutalement faire régresser l’enfant. Il faudra alors remettre
sur le métier l’ouvrage. Nulle raison pourtant de se désespérer : la
guérison totale est sans doute impossible, mais la stabilisation des
conduites est tout à fait à portée de la main.
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Ce fonctionnement psychologique particulier explique toutes les diffi-
cultés, sinon ici souvent l’échec, des aides spécialisées traditionnelles.
Psychothérapies, rééducations, aide et soutien pédagogiques, toutes ces
interventions butent en effet dans leurs formes habituelles, enfant après
enfant, sur les incohérences de l’organisation temporelle, le blocage du
« plaisir à penser », les difficultés à trouver la distance relationnelle
adéquate ou la répétition stéréotypée des « situations traumatiques » au
cours de l’action d’aide. Il faut bien voir en effet que le traumatisme, lié
aux sévices, confronte toujours l’enfant à une expérience indicible et irre-
présentable où le « trop de réel » prohibe l’accès au symbolique. Seules
demeurent donc habituellement, lors des séances, les formes du
« passage à l’acte 20 », durant lequel l’enfant répète compulsivement les
scènes et les violences d’antan sans que les interventions du praticien
puissent vraiment introduire du nouveau dans ce scénario dramatique 21.
Toutes ces scènes, irradiées par l’imaginaire, sont caractérisées en fait
par la violence brutale, directe, crue, la prégnance de la mort, le non-
sens, l’absence d’espoir et de figures aidantes. Elles se trouvent à mille
lieues des jeux de « faire semblant » et du « ce serait comme si… » qui
constituent le fond commun traditionnel des aides spécialisées à domi-
nante relationnelle, ainsi que des « supports » favorisant le double
passage de l’imaginaire bouillonnant à l’imagination créatrice et du
symbole au sens.
20. Voir, à cet égard, E. Houssier dans Figures et traitements du traumatisme, Paris, Dunod,
2001, p. 79 et suivantes.
21. Il faut bien distinguer ici la reviviscence d’un trauma, qui est la conséquence d’un sévice
effectivement vécu dans la réalité, de la contrainte de répétition telle qu’on l’observe dans
le « jeu de la bobine » décrit par Freud et qui représente une tentative d’élaboration
personnelle à partir du jeu fantasmatique de l’imaginaire.
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Les silences douloureux du langage
22. Voir, à cet égard, le chapitre L’appartenance rompue – une violence traumatique aux
mille conséquences, p. 66.
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les troubles psychiques dont j’ai hérité leur ont également été transmis »
écrit ainsi Janine Altounian, historienne, qui n’a publié qu’en 1982 le jour-
nal de déportation de son père tant la parole sur ce crime était familiale-
ment scellée. C’est, dit-elle, ce non-dit de trois quarts de siècle qui
explique la persistance de troubles issus de l’héritage chez les enfants de
la troisième génération 23. Nous voici bien au cœur de ce qu’Helen
Esptein, privée elle-même du récit de ses parents rescapés des camps
nazis, appelle sa « chambre forte 24 » et que Robert Neuburger nomme
la « face noire de la transmission 25 ».
– la parole de l’enfant ou de l’adolescent peut enfin se dissoudre dans
l’impéritie relationnelle de l’entourage. Elle devient alors un outil rouillé,
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considéré comme inefficace, rangé dans le grand placard de l’inutile
intime et des accessoires encombrants. Comment naît cette braderie des
mots ? Elle se construit et s’organise dans la majorité des cas à partir de
l’apprentissage progressif au sein de la famille d’un échange sans parole,
faisant place aux seuls gestes, menant de fait à la rupture de communi-
cation. Ainsi se forme parfois un quotidien consumériste, dont on peut
décrire aisément le rituel : le père de famille, comme chaque soir, est
rentré sans mot dire : il s’installe d’un bloc, en soupirant, face à l’écran
de sa télé. Pas le temps de discuter, sinon d’un borborygme : la Roue de
la fortune, son jeu indispensable, tourne déjà rapidement devant le
candidat hébété. À quoi servent les mots quand on n’a rien à dire ? La
fille a son portable et son « blog » préféré, le fils l’escalier et la rue des
copains, la mère son Franprix et son anticholestérol en prime. « Elle est
pas belle la vie », quand la société fait rêver ?
des explications qui s’y rattachent. On constate en effet que les enfants
dont l’enfance fut très endolorie par des impérities éducatives ou des
sévices répétitifs sont en réalité très peu conscients d’eux-mêmes et de
leurs schémas de comportement. Il convient donc d’amener le sujet à iden-
tifier ses propres comportements comme des fragments de vie pouvant
être mis à distance de lui-même, plutôt que de tenter de redresser ceux-ci
en stigmatisant d’un côté tous les comportements inadaptés et en félicitant
d’un autre côté l’enfant pour ses conduites jugées convenables.
POUR RÉUSSIR
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La méthode
1. Commencez par dresser une brève liste des troubles dont l’enfant
souffre et sur lesquels vous souhaitez insister. Vous construirez très
rapidement cette liste à partir des observations de l’enseignant et de
celles que vous avez pu faire vous-même. Voici pour vous aider,
quelques comportements souvent notés : ne pas être capable d’écou-
ter ; discuter en permanence ce que disent ou ce que proposent les
adultes ; se battre fréquemment avec les autres ; faire des crises de
colère sans raison ; se montrer toujours méfiant ; détester les autres
enfants, tenter parfois de leur faire du mal ; détruire les objets ; tout
faire pour être vu de l’adulte.
2. Si votre sujet est suffisamment âgé pour se repérer dans un texte
écrivez cette liste sur une feuille de papier et lisez-la de la manière la
plus neutre possible. Elle servira de référence et de « support » pour
le travail d’explication et d’auto-observation de l’enfant. Il est essen-
tiel en effet de faire apparaître ces comportements et ces conduites
comme des réactions normales à un dysfonctionnement précoce
entraînant nécessairement des troubles relationnels. C’est ce
dysfonctionnement qui est en cause, non l’enfant.
3. En vous référant à la liste des comportements, dites à l’enfant :
« Nous allons maintenant essayer de comprendre toi et moi pourquoi
on observe ces difficultés. Tu sais, certains parents ne savent pas
bien s’occuper des bébés : certains parents sont trop en colère,
certains sont malades, certains n’ont pas la force. Il arrive même que
des parents, sans bien s’en rendre compte, fassent mal à leur enfant.
Or, les bébés et les enfants sont intelligents et ils font toujours du
mieux qu’ils peuvent. Si quelqu’un les frappe par exemple, ils frappent
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les enfants vous écoutent. Mais vous leur parlez d’eux et ils n’ont pas
encore toujours appris à avoir confiance dans la parole de l’adulte.
4. Ces quelques explications entraînent souvent un changement
important dans la manière dont l’enfant considère ses conduites,
puisque celles-ci lui deviennent en quelque sorte accessibles et
compréhensibles. Profitez de ce temps de « mise à distance » cogni-
tive pour prolonger votre travail de quelques séances (quatre ou cinq)
au cours desquelles vous comparerez les comportements de l’enfant
dans les activités collectives (atelier d’apprentissage relationnel
séquentiel par exemple) et les différents comportements notés sur la
liste première. Vous commencerez par énoncer dans l’ordre les
comportements gênants observés dans la séance collective (« tu as
fait ceci, puis tu as fait cela, etc. ») et vous les situerez ensuite sur
la liste-type : « ce comportement est toujours là, ce comportement
au contraire n’est plus là, etc. ». Si un comportement n’est plus
observé durant au moins deux séances, il sera effacé de la liste ; si
un nouveau comportement gênant apparaît, durant au moins deux
séances successives, il sera en revanche noté sur la liste de référence
comportementale de l’enfant.
5. Vous pourrez terminer ce travail d’analyse et de distanciation en
invitant l’enfant à noter lui-même ses comportements gênants dans
la classe puis à les comparer à sa liste. Comme pour le point 4, on
supprimera ou on écrira les comportements en fonction des observa-
tions de l’enfant. Le but est évidemment d’arriver à une feuille vierge.
Mais ne vous leurrez pas, les rechutes sont fréquentes et la liste fluc-
tue. L’essentiel réside en fait dans le travail effectué par l’enfant sur
ses comportements ramenés à des formes, autrement dit à des
objets d’étude très largement désaffectivés.
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multiples accointances avec les pathologies du temps blessé. Or, dans
nos sociétés médiatiques où l’événement pousse l’événement, le temps
se rompt et se délite très vite au fil courant de la mémoire. Que deman-
dent aujourd’hui (au risque d’ailleurs de s’installer avec armes et bagages
dans un communautarisme d’exclusion jetant à bas la République qu’ils
apostrophent) les tenants d’une histoire coloniale « black, blanc, beur »
acceptant d’être beaucoup plus diserte sur ses errements et ses
victimes ? Avant tout que l’on redresse par des mots et des faits attes-
tés, pour les descendants victimaires, une mémoire restée en eux très
largement en ruine. Curieuse analogie, convenons-en, avec les enfants
violentés, dont l’histoire niée par le silence des plus grands laisse
constamment flotter au fil du temps, comme chiens crevés au fil de l’eau,
des débris de raison, des bribes d’humiliation, des fragments de révolte,
des lambeaux de souffrance.
En fait, tous les enfants s’intéressent à leur histoire, au point que bien
souvent ceux qui en sont privés cherchent à la retrouver pour la recons-
tituer et la connaître, en renouant s’ils le peuvent avec leurs géniteurs. Il
apparaît donc indispensable dans certains cas, avant même de donner à
l’enfant la moindre explication sur ses comportements préjudiciables, de
mettre d’abord en place pour lui un cadre temporel de référence cohé-
rent. Ce cadre l’assurera dans sa recherche du passé et son rapport à
l’origine, comme la corde dans la cordée « assure » l’alpiniste dans son
ascension progressive. Il contribuera à lui donner une « sécurité de
base » alternative à l’insécurité de la première enfance. Il n’effacera pas
bien entendu celle-ci, mais il créera les conditions d’une construction
identitaire plus solide. C’est l’ambition de la démarche de « recomposi-
tion du passé » que nous allons décrire maintenant.
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POUR RÉUSSIR
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conduite évidemment sans les parents par un psychologue clinicien
qualifié attaché à l’établissement. Il partira alors du dossier de l’en-
fant et des éléments d’anamnèse qu’il contient.
La méthode
L’ensemble du travail de « recomposition du passé » dépasse rare-
ment deux à trois séances. Il s’agit pour l’essentiel en effet de racon-
ter à l’enfant son histoire. La famille pourra s’appuyer sur des
supports diversifiés (album-photo, enregistrements, petits films,
documents divers) qui seront commentés à l’enfant. Si les parents
craignent de ne pas savoir comment faire, vous pourrez préparer la
rencontre avec eux, en dehors de l’enfant, en élaborant un docu-
ment-support (arbre généalogique par exemple).
La consigne
La consigne sera donnée à l’enfant par l’intervenant spécialisé, en
présence des parents, en début de séance : « J’ai demandé à tes
parents (ou, selon le cas, ta mère, ton père) de te raconter devant
moi ton histoire : où tu es né, quel bébé tu étais, les événements
de ta vie jusqu’ici, quelle fut l’histoire de ta famille. Ils ont amené
aujourd’hui des souvenirs. Tu pourras au fur et à mesure leur poser
des questions, si tu le souhaites. Nous allons maintenant les
(l’) écouter ».
Les principales données
Trois séries de données doivent être portées à la connaissance de
l’enfant. Elles se rapportent à son origine, aux conditions et à l’envi-
ronnement de sa naissance, enfin aux événements qui ont accompa-
gné ou déterminé son évolution personnelle.
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souvenirs et dans leurs émotions. Plus que le lieu de naissance que
les sujets connaissent souvent, ce sont les anecdotes qui intéressent
l’enfant : perte brutale des eaux, affolement de la famille, taxi qui
manque à la station, attente à la clinique ou à l’hôpital, etc. Encou-
ragez le cas échéant, lors de la préparation de la séance, l’évocation
de ces anecdotes. Elles permettent dans bien des cas d’évoquer
ensuite par association les premières relations mère-enfant (tétées,
sommeil, cris, etc.), et également de parler – parfois pour la première
fois – d’émotions retenues, discrètes, violentes ou diffuses, liées au
choix du prénom, à la ressemblance du bébé avec le père, un frère,
une sœur, un autre membre de la famille, au bonheur ou au désarroi
soudain de la famille, à la peur et aux douleurs de la mère, à la joie
de tel ou tel, à la déception de certains.
– Les événements ayant rythmé l’évolution. L’accent doit être mis ici :
• d’une part sur les ruptures et les changements qui ont marqué
l’évolution de l’enfant depuis sa naissance (maladies, hospitalisations,
placements, changements de domicile, changements d’école, etc.) ;
• d’autre part sur les réussites de l’enfant (scolaires, sportives, artis-
tiques, etc.) et sur les difficultés surmontées (lesquelles ?
comment ?) par l’enfant et sa famille.
Quel rôle pour l’intervenant spécialisé ?
Quel rôle l’intervenant spécialisé joue-t-il au cours de ces
rencontres ? Ne parlons évidemment pas des cas où il assure lui-
même, seul, le travail de « recomposition du passé » et où c’est l’en-
fant qui « comble les trous » de la chronologie familiale. Une sorte
de connivence du savoir réciproque et de la parole partagée s’établit
alors très souvent ; elle débouche volontiers sur une relation
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thérapeutique duelle. Non ! L’interrogation sur son rôle porte ici sur
la fonction, la forme et le contenu de ses interventions lorsque la
famille est regroupée (limitée néanmoins quelquefois au couple
mère-enfant). Fait-il alors essentiellement de la « figuration », est-il
un facilitateur d’échanges, un animateur énonçant simplement des
« consignes » ou s’implique-t-il directement dans les situations ?
Autrement dit sa présence vise-t-elle à assurer la paix, éviter les
conflits et arrondir les angles, ou l’engage-t-elle totalement dans une
démarche de transformation relationnelle qui implique l’adulte
comme l’enfant ?
Rappelons d’abord que l’enjeu principal de la technique d’évocation
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et de recomposition du passé est le renforcement du cadre tempo-
rel, lequel protège et organise la construction identitaire de chaque
sujet.
La première tâche de l’intervenant, s’il veut favoriser vraiment l’éla-
boration et la construction déterminée de ce cadre, est donc d’inter-
venir sur les interactions, non pas sur les personnes. L’essentiel
réside ainsi pour lui dans l’identification et l’analyse des liens qui unis-
sent les membres de la famille : liens de maîtrise et de dépendance,
liens de répétition intergénérationnelle, liens de réparation person-
nelle, liens de substitution, etc. Pour le dire autrement, lorsque les
liens interpersonnels ne sont tissés dans une famille que sur le conflit
et la violence, c’est ce conflit et cette violence qui deviennent « orga-
nisateurs » de tout. Substitués à la protection et à l’amour, l’incerti-
tude et le rejet se confondent alors bientôt avec l’amour et la
protection. Être violent devient ainsi pour l’enfant la seule manière de
se maintenir dans son appartenance fondamentale.
Toute éducation est en effet interactionnelle. La violence – même
lorsqu’elle se confond avec une personne – n’est donc souvent que
l’expression d’une interaction dramatique, laquelle conduit parfois à
la dissociation morale. On peut ainsi la considérer comme une
manière paradoxale de rester unis en substituant Thanatos à Eros, la
destruction à l’édification. Seul le langage des mots peut faire pièce
à une telle violence. Lui seul peut conduire en effet à la distanciation
qu’offre la symbolisation. Si l’enfant ne parvient pas à parler, il faut
donc parler à sa place. L’intervenant spécialisé s’abstiendra ainsi le
plus possible d’intervenir au cours de l’évocation du passé par les
différents membres de la famille, mais il interviendra après-coup en
mettant l’accent sur les liens qui unissent les acteurs et en se plaçant
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peut-être la meilleure manière de les faire revenir et d’être alors
ensemble ! »
Le second point d’intervention c’est la nature et c’est la forme de l’at-
tention que le parent porte à l’enfant. On confond volontiers, lorsqu’on
parle aux parents, l’attention et l’attente. Or, l’attente n’est nullement
l’attention 26. L’attente est centrée en effet sur une situation ou un
objet précis : elle est ciblée, focalisée, en « entonnoir » ; un linguiste
dirait qu’elle est métonymique. À l’inverse, l’attention est ouverte,
diffuse, plus indéterminée ; c’est un état d’alerte actif qui rend
sensible à l’imprévu. Elle n’a donc pas a priori d’objet-support déter-
miné : elle est plutôt métaphorique. Nous le savons, les parents ont
souvent des « attentes » à l’égard de l’enfant. Et elles sont volontiers
en relation avec leur propre enfance : un rêve qui ne fut jamais
réalisé, une humiliation à laver, un rejet à surmonter, une injustice à
redresser. L’enfant à son insu en est chargé et la vigilance parentale
se centre alors sur cet objectif. L’échec scolaire est ainsi bien souvent
une rançon versée par l’enfant pour payer aux adultes leur soif inex-
tinguible de revanche. Le travail de l’intervenant spécialisé lors de la
recomposition familiale du passé peut aider à réhabiliter ces secteurs
censurés de la vie du sujet. Par le récit qu’il construit et l’attention
ouverte qu’il lui porte, le parent considère en effet non seulement l’en-
fant manifeste, de chair et d’os, tel qu’il se présente aujourd’hui, mais
également l’enfant qui fut autrefois et qu’il retrouve dans son propre
psychisme. Autrement dit, au-delà des signes et des événements non
26. Sur ce point précis de la différenciation des concepts, voir D. Anzieu, « Une approche
psychanalytique du travail de penser – Naissance de la pensée, processus de pensée »,
dans Journal de la psychanalyse de l’enfant, Paris, 1993, p. 146-168.
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pleinement ce rôle d’accompagnateur et d’aidant ?
– En premier lieu, c’est un truisme, il doit être qualifié. C’est-à-dire
posséder une connaissance et une pratique (contrôlée par une super-
vision et un travail d’analyse approfondi de ses pratiques), des condi-
tions psychologiques, économiques, sociologiques et culturelles qui
créent chez un enfant, comme dans son alentour, des désordres
profonds de la temporalité. Dans nombre de cas en effet l’intervenant
spécialisé se trouve confronté à ce que Maurice Berger appelle une
« carence en originaire 27 ». Les parents ne peuvent alors se repré-
senter aucune origine à leur comportement. Aussi l’intervenant doit-
il présenter lui-même différentes hypothèses, en se référant non pas
aux fantasmes et aux représentations des parents – puisque ceux-ci
ne semblent pas pourvoir en produire – mais au savoir qu’il possède
et qui concerne essentiellement la constitution du psychisme, le
narcissisme primaire, les transmissions intergénérationnelles cryp-
tiques 28. Toutes ces données, bien entendu, seront présentées aux
familles de manière accessible et comme de simples hypothèses.
Elles n’ont pour but que d’apporter des matériaux aux parents, de
leur fournir du « représentable », de déclencher en eux des associa-
tions d’images et d’idées.
– En second lieu, il doit présenter une réelle souplesse adaptative, et
notamment ne pas se laisser aller à projeter ses propres critères
éducatifs sur la situation. Ses interventions ne doivent donc pas être
27. Voir, M. Berger, Le travail thérapeutique avec la famille, Paris, Dunod, 1995.
28. On consultera avec profit, à cet égard, l’article de R. Roussillon, « L’indécidabilité de
l’originaire : figures de l’écart théorico-pratique », dans La Revue de psychanalyse, 1990,
p. 231 et suivantes.
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grands services, mais il n’est pas Dieu le père et même rarement son
assistant. Attention donc au sentiment de toute-puissance : la décep-
tion serait à la hauteur du sentiment. Évitons ainsi par exemple de
parler à tout propos de « thérapie familiale », comme s’il fallait
donner un cadre plus légitime et plus « chic » à cet affrontement pied
à pied, trivial et souvent très pénible, avec des maladresses paren-
tales de langage et de pauvres fantasmes peu productifs d’idées ;
évitons même parfois de tenter l’aventure, lorsque la violence brise
toutes les relations adulte-enfant, rompt brutalement la filiation et
justifie d’abord le placement de l’enfant dans une institution plus
protectrice que sa famille. Il y a n’en doutons pas des parents qui se
montrent incapables d’effectuer un véritable travail psychique. Ils
nous laissent seuls avec l’enfant et l’enfant seul avec lui-même. Nous
devons nous en accommoder et en tirer les conséquences.
29. Ce chapitre a été rédigé à partir de plusieurs documents (article intitulé « thérapie assis-
tée par ordinateur dans le traitement des traumatismes » et cas clinique « Alice » réalisés
par K. Marot, psychologue-psychothérapeute, chargée d’enseignement à l’Université Paris
V et à l’IUFM de Paris. Son expérience clinique et ses écrits relatifs d’une part aux consé-
quences relationnelles, cognitives et affectives des maltraitances subies par l’enfant et
d’autre part du « debriefing » lors de procédures judiciaires conduites avec des enfants
abusés sexuellement, nous ont été particulièrement précieux.
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POUR RÉUSSIR
30. Voir, L’appartenance rompue – une violence traumatique aux mille conséquences, p. 66.
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écrites n’ont jamais aucun caractère contraignant, puisque l’enfant est
libre de les effacer, de les confirmer ou d’en substituer d’autres. Ainsi
l’écran, comme dans un miroir, renvoie-t-il à l’enfant ses conflits et ses
drames, en lui laissant chaque fois le choix de ses ressources.
Un cadre dans le cadre
Parce qu’il suppose des règles d’utilisation particulières, l’ordinateur est
porteur en lui-même d’un cadre spécifique. Il renforce le caractère
contractuel du travail, garantit mieux la confidentialité de l’expression
et constitue un cadre dans le cadre. Cette constatation, déjà mise en
évidence par certains auteurs 31, est particulièrement intéressante lors-
qu’il s’agit d’enfants victimes de sévices. L’ordinateur, ce « partenaire
humanisé mais non humain » comme le disent H. Garrel et D. Calin,
offre en effet l’assurance de sa neutralité, dans le sens où il ne juge
pas et ne se révèle ni menaçant, ni en mesure de faire subir des repré-
sailles à quiconque. Par son caractère de contenant étanche, il appa-
raît donc apte à accueillir le traumatisme, la peur, la honte, la colère et
d’en être en quelque sorte le dépositaire sûr et discret. La procédure
ritualisée d’ouverture du fichier informatique, qui contient les produc-
tions de l’enfant (code d’accès personnel gardé secret par le sujet, puis
étapes successives à franchir avant d’atteindre les informations) déli-
mite ainsi un « dehors » et un « dedans » et impose très clairement
l’idée d’une protection à la frontière. Son utilisation comme « support-
tiers » dans les séances permet donc de minorer le risque de répétition
d’une relation abuseur-abusé.
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termine ainsi par l’enregistrement et la « sauvegarde » de productions
datées, titrées, puis conservées dans les fichiers informatiques, tandis
que le temps du travail psychique se lit dans la transformation, séance
après séance, des réalisations personnelles de l’enfant.
Mais la maîtrise du temps, si elle apparaît comme une condition
nécessaire, n’est pas une condition suffisante pour que s’installe l’au-
tonomie du sujet. Car le traumatisme, en faisant de l’enfant un objet
réduit aux acquêts du désir pernicieux de l’autre, prive cet enfant du
recours au symbole. Comment lui demander alors de mettre directe-
ment en mots et d’énoncer un trauma « impensable » ? En vérité
l’enfant, lorsqu’il s’installe – notamment au début – devant l’ordina-
teur, se contente de « faire », c’est tout. Il laisse une trace sur l’écran,
il en travaille la forme et manipule des signifiants comme on mani-
pule des objets. Des objets, c’est d’ailleurs ce qu’il dessine en réalité
très souvent sur l’écran : des visages, des lettres, des formes, des
signes, des taches. Ce sont les mots « peur » ou « viol », comme on
le verra dans l’exemple d’Alice – des mots qu’il traite comme des
signes – ce sont des erreurs ou des taches qu’il recouvre ou qu’il fait
disparaître, un texte qui devient illisible, un visage déformé et qui
devient grotesque ou un corps qui devient un déchet.
Peu à peu, en combinant l’historicité et la forme, le Je pourtant trou-
vera un espace d’expression. Il utilisera alors son passé comme une
préhistoire et pourra mettre enfin son futur en espoir et en mots.
Ainsi parcourra-t-il lentement le chemin rocailleux qui mène l’enfant
blessé de l’aliénation insoutenable à l’altérité assumée.
Histoire de l’enfant
Alice est la troisième enfant d’une famille de cinq (deux garçons,
trois filles). Ses parents en grande difficulté sociale, se séparent
lorsqu’elle a cinq ans. Elle vit alors avec son père et les autres
enfants de la fratrie chez sa grand-mère paternelle. À l’âge de
sept ans – et pendant plusieurs mois – Alice est violée par son
oncle. Cet oncle, présent au foyer, a également abusé des deux
sœurs d’Alice. Toute la famille était au courant des exactions
commises (y compris la mère, à laquelle Alice s’est confiée) mais
personne n’a rien dit, jusqu’au jour où les services sociaux –
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régulièrement présents dans la famille – ont pris conscience des
faits et permis que les enfants soient entendus. L’oncle d’Alice est
alors condamné à plusieurs années de prison et les enfants
placés en institution 33.
Après deux années passées dans un foyer de l’Enfance, Alice est
placée au Village d’Enfants de Châtillon-en-Bazois dans la Nièvre :
elle a 11 ans. Son niveau scolaire est très faible, elle déchiffre à
peine, mais ses résultats dans les tests d’efficience intellectuelle
la situent dans la zone normale. Elle a été suivie un temps en
psychothérapie pour un « syndrome posttraumatique », mais la
prise en charge a été vite entravée par des difficultés d’élabora-
tion cognitive, un refus de la parole et une grande méfiance à
l’égard du thérapeute.
À l’âge de 12 ans, Alice est en 6e de collège. Elle est faible en
français, nulle en orthographe. Les révélations de son frère aîné,
qui affirme à cette époque avoir été lui-même violé par son père,
réactivent le traumatisme. Dans les jours qui suivent les révéla-
tions, Alice manifeste ainsi une humeur dysphorique, souffre de
manifestations phobiques, présente un comportement régressif
évoquant l’âge de son propre trauma et des troubles importants
du sommeil qui justifient la décision d’une nouvelle « prise en
charge ». Le projet comporte alors : recomposition du passé,
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– Le déroulement des séances
Alice commence par manifester une grande agressivité à l’égard de
la psychologue qui assure la prise en charge. Elle proteste contre
la décision d’aide, mais accepte pourtant de venir travailler. Au
cours de la première séance, elle dessine ainsi une vague forme,
écrit « c’est » sans aller plus loin, et conclut rassurée et étonnée à
la fois : « Je peux écrire ce que je ne peux pas dire. »
Au fil des séances, Alice va alors représenter les personnages
qu’elle a rencontrés dans la réalité et qui envahissent sa vie inté-
rieure. Elle figure son abuseur pour lui dire sa haine et « joue »
à transformer sa représentation en l’affublant d’un costume de
bagnard et d’une figure repoussante, pour finalement l’envoyer
croupir dans une île lointaine. Quelques annotations complètent
petit à petit ses dessins. Elles témoignent d’un questionnement
qui naît et s’organise. Alice interroge ainsi le sens de sa souf-
france, les raisons qui ont conduit son oncle à abuser d’elle, les
demandes de pardon qu’elle n’a jamais entendues dans la réalité.
Elle représente un jour sa mère qui s’adresse à elle et à laquelle
elle répond. Très en colère, elle intitule ce fichier (7e séance)
« mère, je ne suis pas ». Deux mois après elle reprendra ce docu-
ment, lui fera subir un certain nombre de modifications, parlera
de sa déception face à une mère incompétente, mais qui a su
pendant de courts instants se révéler aimante, et écrira un
nouveau titre « mère je ne suis pas à 100 % ».
En fait, dès la 5e séance, Alice « clique » à tout va, change les
polices de caractères, modifie les couleurs, encadre, surligne,
sans introduire encore de sens. Elle se sert du violet par exemple
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sur l’écran devient le doigt qui l’a violée et l’impact psychique du
trauma une image bizarre et floue de soi-même. Elle fait ainsi le
lien entre l’expérience traumatique et le « blanc » de sa pensée.
La fin du travail
Après quelques mois, Alice écarte la souris et le clavier et s’empare
du stylo relié à l’ordinateur. Peu à peu, elle délaisse même l’ordi-
nateur pour écrire sur une feuille de papier. Parallèlement, la
parole prend de plus en plus de place. Émergent alors des affects
dépressifs, liés au travail de deuil devant une enfance idéale fracas-
sée. Elle doit désormais – et elle le sait – « faire avec » les parents
qu’elle a eus et se débrouiller avec un passé ineffaçable. Une
reprise de l’élan de vie succède à cette période dysphorique. Alice
l’illustre magistralement en rédigeant un récit chronologique de sa
vie (recomposition personnelle du passé) qui intègre les moments
de ruptures (traumatismes, séparations, placements). Elle va
jusqu’à évoquer le contexte de sa naissance et ses relations
précoces avec sa mère. Ce travail effectué, elle reprend sur une
autre feuille les mêmes événements, mais en construisant une
chronologie inversée et ouvre des perspectives sur son avenir
(avoir un métier, des enfants, etc.). Elle détruit alors avec jubila-
tion le premier document. Il n’y a donc plus simplement un
« avant » et un « après » le traumatisme, mais une vie réelle,
continue et difficile, durant laquelle le malheur l’a frappé. L’avenir
devient ainsi possible. Nous pouvons envisager, écrit à ce moment
la psychologue, la « fin de l’accompagnement thérapeutique ».
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ÉCOUTER L’ENFANT, AIDER L’ÉLÈVE
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