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Ruggero Iori
Sandrine Nicourd
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d Epuis les origines des métiers de l’action sociale, le sujet de la
vocation revient sans cesse dans les discours des professionnels et
des bénévoles, comme dans d’autres professions où la relation humaine
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politiques. Comment ces engagements professionnels ou bénévoles se
construisent-ils et tiennent-ils 2 ?
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par ailleurs, le discours sur la vocation dans les métiers du social
chez les jeunes générations est à contextualiser à l’aune des change-
ments qui ont affecté ce secteur : la démocratisation et la massification
des études en intervention sociale ont modifié la composition sociale,
la salarisation et la professionnalisation progressive de ces métiers et
ont contribué à en changer l’attractivité. malgré les différences et
inégalités dans la scolarité ou dans les trajectoires sociales (âge, capi-
taux culturel, scolaire et économique divers), qui opèrent entre ces
différents groupes et en leur sein même (assistantes sociales, éduca-
teurs, animateurs, salariés de coopération internationale ou nationale,
salariés et bénévoles associatifs divers…), on retrouve des fortes simi-
larités dans la construction et la mobilisation de ce discours vocation-
nel. nos données sont issues à la fois de travaux socio-biographiques
sur des bénévoles et étudiants-salariés du « social » et également d’en-
tretiens sur les trajectoires et les pratiques de travail sous l’angle des
dynamiques professionnelles et des cadres organisationnels.
nous faisons l’hypothèse que ce registre vocationnel peut constituer
une sorte de support, de protection face aux situations difficiles
auxquelles les professionnels sont confrontés. ils se retrouvent en effet
2. Jean-françois Gaspar, Tenir ! Les raisons d’être des travailleurs sociaux, paris, La
découverte, coll. « Enquêtes de terrain », 2012.
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s’engager dans une association ou une institution de travail social
renvoie toujours à mettre en jeu des croyances et plus largement une 103
dimension symbolique qui va donner du sens à l’implication concrète.
L’engagement est d’autant plus fort s’il fait écho à une trajectoire
biographique. il apporte alors des ressources pour construire un assem-
blage identitaire satisfaisant, de façon provisoire, un besoin de cohé-
rence et souvent une vision positive de soi-même. on le voit dans
l’expérience d’un parcours « heurté » et dans la volonté de sa répara-
tion : dans le cas de trajectoires non linéaires, l’individu peut arriver à
reconstruire subjectivement un choix sans que ce choix ait été vérita-
blement possible.
Les données intergénérationnelles confirment qu’il y a de fortes
reproductions dans les engagements. de nombreuses enquêtes démon-
trent la force des transmissions, notamment dans les engagements poli-
tiques et catholiques 3. un cadre normatif religieux peut également
permettre de justifier un engagement : une certaine éducation et socia-
lisation à des valeurs et principes religieux contribue à produire des
protections à des situations difficiles d’aide à autrui (l’individu comme
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DANS DES RÉGULATIONS PROFESSIONNELLES
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nous cherchons à comprendre comment des institutions, comme
les écoles de travail social ou des formations de bénévoles, peuvent
contribuer à créer ou à renforcer ces discours vocationnels. Cela permet
notamment de mettre en évidence les justifications produites lors de la
formation professionnelle en se concentrant sur l’expérience des
travailleurs sociaux formés par les instituts de formation spécialisée.
s’intéresser au centre de formation peut être utile pour voir comment
se (re)produit leur vocation. C’est effectivement lors de la formation
qu’on voit apparaître la construction d’un fort engagement, bien au-
delà du social (cf. J. Bertrand 5, m. simonet 6, J. Laillier 7 et v. dubois 8).
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sur des « preuves de vocation », qui doivent être mobilisés par l’indi-
vidu, plutôt que sur les connaissances théoriques apprises à l’école. 105
Les étudiants, à la suite des conseils donnés sur les forums ou dans les
manuels spécialisés, préparent la présentation de leur biographie, de
leurs motivations, en soulignant les liens avec le social (bénévolat,
expériences en famille, stages, contacts, attitudes particulières…), être
« faits pour » tel secteur ou tel public. Cela se manifeste par la proxi-
mité à l’égard d’un certain type de public ou d’une cause particulière
ainsi que par une expérience de jeunesse dans l’associatif ou dans l’aide
à autrui, qui permettent d’obtenir le concours et d’intégrer une promo-
tion en institut social. Cet aspect vocationnel est souligné dans
plusieurs travaux, entre autres chez f. dubet 13, qui parle de « forme
profane de vocation » assurée par les écoles, bien que cet auteur ne
produise pas une véritable déconstruction de formes de production de
cette « vocation ».
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yeux du travailleur social » pour réadapter une formule d’E. hughes.
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devant le choc, les élèves mettent notamment en valeur certaines
dispositions biographiques qu’ils ne pensaient pas avoir : la capacité de
gestion d’un moment de crise, la mise en place d’un réel esprit de
groupe par exemple. ils réutilisent des ressources qu’ils n’ont pas
apprises lors de la formation mais qui renvoient à des apprentissages
personnels, aux dispositions acquises et incorporées par le passage par
divers moments de socialisation.
14. Claude dubar, Idéologies et choix professionnels des éducateurs spécialisés, thèse de
3e cycle, 1970.
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remise en question, elle est également dévalorisée dans les discours de
certains interviewés. insistant sur les apprentissages pratiques, les 107
savoirs théoriques (et scolaires) se voient souvent discrédités 16 face
aux épreuves techniques intégrées tout au long des trois ans. Ce sont
alors l’espoir d’ascension sociale et l’intériorisation d’un destin social
particulier qui façonnent un discours vocationnel centré sur les quali-
tés personnelles du travailleur. C’est donc du côté d’un double regard,
sur sa marginalité et son appartenance de classe, qu’il faut rechercher
la construction de ces discours et le recours à ceux-ci pour justifier le
besoin d’affirmer sa légitimité 17.
15. ruggero iori, Vivre du et pour le social. Enquête sur la socialisation professionnelle
des jeunes travailleurs sociaux en Île-de-France, mémoire de recherche, master université
de saint quentin-en-Yvelines, 2012.
16. À propos du rapport que ces professionnels entretiennent avec les connaissances
théoriques et la forme écrite, voir delphine serre, Les coulisses de l’État social. Enquête
sur le signalement des enfants en danger, raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », 2009.
17. Claude dubar, op. cit., 1970 ; vincent dubois, op. cit., 2013.
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croyance peut être incarnée dans un individu ou un projet singulier.
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À l’heure où de nombreuses contraintes gestionnaires s’appliquent sur
les associations de travail social, il est important de considérer égale-
ment la permanence de ces ressorts dans la mobilisation des salariés et
des bénévoles. La rationalisation laisse encore des espaces de
croyances.
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schématisation qui serait commode pour étiqueter des collectifs d’en-
gagement, mais de s’en saisir pour montrer la permanence dialectique 109
entre ces deux formes typiques, l’une étant instituée, l’autre étant plus
contractuelle. Cet instrument de réflexion a une portée qui dépasse les
groupes d’origine chrétienne sur lesquels il s’est fondé. Weber avait
lui-même non seulement élargi sa réflexion aux autres religions mais
aussi aux formes politiques. Ce ne sont pas les systèmes de croyance
qui intéressent Weber mais bien les systèmes de réglementation qui
sont liés aux croyances, les systèmes de régulation qui organisent les
croyances. L’analogie entre politique et religion est alors sociologique-
ment pertinente. de nombreuses associations de travail social ont
encore toutes les caractéristiques d’une institution de salut et donc
d’une église au sens wébérien.
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secteur du travail social.
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Ces deux « façons d’agir en communauté morale » constituent une
clé pour comprendre l’organisation du travail des « croyants », mais
également un mode spécifique de régulation du pouvoir et des conflits.
philippe Cibois 24, à la suite des travaux de Charles suaud 25, montre
que la vocation à l’engagement ecclésial est collectivement construite
même si elle est vécue subjectivement comme un appel de dieu. par
une régulation spécifique du temps et des activités au sein du sémi-
naire, chacun est préparé à être en conformité avec les attentes de
l’église. L’intense socialisation est avant tout orchestrée par des choix
d’organisation de l’institution.
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pie constituent en effet des ensembles historiques qui ont apporté
certaines réponses plus ou moins collectives et individuelles à la ques- 111
tion sociale qui se formule à la naissance du xxe siècle. À ce titre, on
remarque dans le travail social, en lien avec des demandes urgentes
d’usagers, la récurrence des référentiels implicites néo-philanthro-
piques 28 ou encore de nouveaux esprits de rationalisation, au point
parfois d’évoquer la résurgence de rapports sociaux fortement asymé-
triques, voire renforçant les formes de domination sociale.
II CONCLUSION
on constate empiriquement que lorsqu’il y a convergence dans les
relais biographique, professionnel et organisationnel, l’engagement
dans le métier, dans le travail, est fort. aujourd’hui, les relais organi-
sationnels peuvent apparaître plus flottants et en particulier souvent
26. olivier fillieule (« post-scriptum : propositions pour une analyse processuelle de l’en-
gagement individuel », Revue française de science politique, vol. 51, n° 1-2, 2001, p. 199-
217) reprend la définition d’E. hughes en mettant l’accent sur la dialectique permanente
entre histoires individuelles, institutions et plus généralement contextes.
27. Bénédicte havard duclos, sandrine nicourd, Pourquoi s’engager ? Bénévoles et mili-
tants dans les associations de solidarité, paris, payot, 2005.
28. robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, paris, fayard, 1995.
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