Vous êtes sur la page 1sur 20

L’INCLUSION SCOLAIRE EN QUESTION(S).

IMPACTS SUR LES


PRATIQUES ENSEIGNANTES

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

ERES | « Vie sociale »

2015/3 n° 11 | pages 127 à 145


ISSN 0042-5605
ISBN 9782749248820
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2015-3-page-127.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
Distribution électronique Cairn.info pour ERES.
© ERES. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page127

L’inclusion scolaire en question(s)


Impacts sur les pratiques enseignantes

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

L’ usaGE du terme « inclusion » s’est banalisé en france au début


des années 2000. nous avons donc cherché à en situer le sens et
l’anamnèse à partir de définitions, puis de son utilisation dans l’espace
scolaire. Ces précisions terminologiques permettent de nous interroger
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
sur le choix de ce terme au niveau des politiques éducatives et des
127

pratiques. au demeurant, si la tradition orale véhicule abondamment le


terme d’inclusion, il n’apparaît cependant pas, paradoxalement, dans le
texte fondateur de la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handica-
pées ». pour savoir comment les enseignants s’y prennent pour gérer
concrètement ces situations nouvelles d’inclusion, nous avons rencontré
des enseignants de terrain, placés au cœur des changements actuels,
pour identifier les pratiques et déterminer les logiques en jeu.

II INCLUSION SCOLAIRE : DE QUOI PARLE-T-ON EXACTEMENT ?


d’après le Dictionnaire historique de la langue française (1998),
« inclusion » est emprunté au dérivé latin classique inclusion, « empri-
sonnement », qui signifie (latin chrétien) « réclusion » pour parler d’un
ermite.

nicole Galasso-Chaudet est docteure en sciences de l’éducation, professeure des écoles ;


enseignante spécialisée, rééducatrice et formatrice vacataire ; chargée, durant dix ans, d’ac-
compagner les enseignants pour la mise en place des pprE.
vincent Chaudet est docteur en sciences de l’éducation, directeur pédagogique de l’arifts
(association régionale pour l’institut de formation en travail social, pays de la Loire),
éducateur spécialisé, consultant.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page128

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

des définitions courantes d’« inclusion », « inclusif » et « inclure »,


antérieures à la loi de 2005, il ressort un état d’enfermement ou d’en-
veloppement d’une chose (en minéralogie), d’une personne (liste du
martyrologe), d’un objet mathématique (un ensemble), ou encore d’en-
veloppement complet d’un corps étranger (en biologie). Ces domaines,
bien que différents, ne laissent pas de doute quant à la convergence de
sens donné à ce terme à travers ses emplois.
dans le domaine scolaire, nous constatons que la dénomination d’in-
clusion, et par extension l’école inclusive et l’inclusion scolaire, corres-
pond à un glissement sémantique. L’on passe en effet rapidement
« d’intégration scolaire », en référence à la loi de 1975 1, à « scolarisa-
tion » dans la loi du 11 février 2005 concernant les personnes handica-
pées. pour autant, la tradition orale parle couramment d’inclusion.
qu’est-ce à dire ? nous savons l’importance des mots utilisés en péda-
gogie ainsi que le risque de confusion à faire passer un mot d’un domaine
à un autre, notamment celui de produire des contresens. En apportant
l’idée d’inclure les personnes handicapées, la loi sous-entend que ces
personnes étaient auparavant exclues dans la mesure où le terme d’in-
clusion se conçoit en opposition logique à l’exclusion. Cependant,
comme nous allons le voir, non seulement le présupposé d’une exclusion
préalable n’est pas avéré, le secteur médicosocial et médico-pédagogique
étant un modèle historique d’inclusion et d’adaptation aux handicaps
(sauf cas particulier), mais l’on considère aussi comme admise l’obliga-
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
tion pour tous de recevoir une instruction scolaire.
128

En france, les termes « intégration » et « inclusion » ne figurent


pas dans la loi du 11 février 2005 et la signification de l’inclusion telle
qu’elle y est suggérée (mais non définie) ne forme pas un concept
opératoire. il s’agit d’un terme qui vise une efficacité, inscrite dans une
pensée « militante » et forgée par des groupes de pression, des asso-
ciations de parents d’enfants handicapés qui ont utilisé ce terme pour
influencer des courants politiques – certaines de ces associations se
définissant d’ailleurs elles-mêmes comme des « lobbies » qui entendent
combattre les formes d’exclusion liées au handicap. sur son site inter-
net, l’unapEi affirme qu’elle « organise des actions permanentes de
lobbying à travers ses diverses représentations, négociations et actions
auprès des pouvoirs publics, que ce soit ou non à l’occasion de
réformes législatives » (onglet « L’unapEi et ses associations »). Cette
idée louable pose toutefois problème, d’un point de vue théorique et
sur le plan des pratiques, dès lors qu’il s’agit de transposer cette inten-
tion militante dans une pensée de l’action professionnelle comprenant
des articulations conceptuelles.

1. Cette loi reconnaît et fonde une dignité à la personne handicapée suivant toutes les étapes
de sa vie. une impulsion nouvelle est donnée pour la prise en compte des différences.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page129

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

à noter également que le terme « inclusion » n’apparaît pas non


plus dans la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour
l’avenir de l’école. plus tardivement, le terme « inclusion » est inscrit
par deux fois dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de program-
mation pour la refondation de l’école de la république. Ce à un
moment où d’autres chercheurs que nous interrogent la pertinence de
cet usage.

nous relevons donc un contresens entre l’usage sémantique usuel du


terme « inclusion », du côté d’une ouverture sociétale, et sa signification
étymologique désignant quelque chose qui est enfermé. Ce contresens
entre emploi usuel et définition s’explique par le présupposé selon lequel
le système scolaire, lieu de transmission d’apprentissages et de sociali-
sation, serait un lieu d’enveloppe pour contenir, au risque de l’enferme-
ment, des personnes dont les besoins particuliers nécessitent des espaces
spécialisés pour une autonomie adaptée. Ce qui porte en creux le risque
encouru d’une inclusion « à tout prix ». Gérald Boutin et Lise Bessette 2,
chercheurs de l’université du québec à montréal, enseignent aux futurs
enseignants à composer avec les élèves « à risque » ; ils constatent que
« sans l’aide adéquate, l’inclusion à tout crin nuit… aux enfants. Et aux
enseignants qui, rappelle madame Bessette, abandonnent dans une
proportion de 20 % en début de carrière 3 ». voyons à présent, de façon
plus approfondie, comment différents auteurs parlent de l’inclusion dans
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
la littérature scientifique récente.

II
129

CHRONOLOGIE DE L’APPARITION DU TERME D’INCLUSION


DANS L’ÉCOLE

Le terme d’inclusion apparaît pour la première fois dans les textes


législatifs français à partir de 2009. mais, dans la tradition orale, c’est
depuis les années 2000 qu’il se substitue à celui d’intégration et désigne
globalement l’école comme devant accueillir tous les enfants au sein
des établissements ordinaires. En france, la politique d’inclusion
scolaire est basée sur une politique européenne de « non-discrimina-
tion » visant à accueillir tout enfant à l’école.

En angleterre, le « mouvement inclusif » émerge notamment à la


publication, en 1997, du Livre vert sur l’éducation spéciale, à partir
duquel un débat se développe sur le handicap et l’inclusion. Ce Livre
vert, publié par le parti politique new Labour, propose entre autres
« des stratégies en faveur d’un système d’éducation inclusive pour

2. Gérald Boutin, Lise Bessette, Inclusion ou illusion ? Élèves en difficulté en classe ordi-
naire : défis, limites et modalités, montréal, éditions nouvelles, 2009.
3. http://www.ledevoir.com/societe/education/279198/inclusion-ou-illusion

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page130

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

tous 4 ». nous notons au passage que ce parti se rapproche essentielle-


ment de thèses libérales, voire ultralibérales en matière d’éducation.
sous la direction de tony Blair 5, « les gouvernements du new Labour
ont créé un cocktail original composé de trois quarts de réformes néoli-
bérales et antilibérales inspirées de l’exemple américain, d’un doigt de
social-démocratie scandinave, et d’une volonté aiguë d’expérimenta-
tion qui a profondément transformé la Grande-Bretagne ». Les auteurs
analysent « le “laboratoire” new Labour et ses effets sur la vie des
citoyens britanniques [comme] “une révolution bureaucratique” qui
continue à se diffuser en france et en Europe ! ».

un article d’éric plaisance, Brigitte Belmont, aliette vérillon et


Cornelia schneider 6 explique qu’en angleterre, le terme d’intégration
« désigne cette seule présence physique », alors que le terme d’inclu-
sion « implique une appartenance pleine et entière à la communauté
scolaire ».

selon robert doré 7, l’inclusion nous vient d’une expression anglaise


« full inclusion, qu’on définit comme un nouveau paradigme ». La
logique inclusive s’appuie dans ce cas sur le principe selon lequel tous
les enfants doivent être inclus dans la vie sociale et éducative de l’école
de quartier : « Le but premier de l’inclusion [étant] de ne laisser personne
à l’extérieur de l’enseignement ordinaire au départ 8. »
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
130
recueillant le témoignage des professionnels du collège ullswater
Community College 9, felicity armstrong 10 constate que la culture
d’inclusion se manifeste autant au niveau des processus, des pratiques,
des rapports sociaux qu’au niveau de l’organisation spatiale, financière
et administrative des institutions. néanmoins, armstrong relève que
pour ces professionnels, « il est impossible de trouver assez de temps
pour réaliser les rencontres entre enseignants et professionnels et de
faire le planning pour que les collaborations sur le plan des curriculum

4. felicity armstrong, « Les politiques éducatives de l’inclusion : pratiques et contradic-


tions », actes de l’Université d’automne. Le système éducatif français et les élèves à
besoins éducatifs particuliers, 27-30 octobre 2003, p. 9, http://eduscol.education.fr/
cid45897/les-politiques-educatives-de-l-inclusion%C2%a0-pratiques-et-contra
dictions.html
5. florence faucher-King, patrick Le Galès, Les gouvernements New Labour. Le bilan de
Tony Blair et Gordon Brown, paris, presses de sciences po, 2010.
6. « intégration ou inclusion ? éléments pour contribuer au débat », La Nouvelle revue de
l’adaptation et de la scolarisation, n° 37, 1er trimestre 2007, p. 160.
7. robert doré, « intégration scolaire », 2001, en ligne (http://sbisrvntweb.uqac.ca/ archi-
vage/12784051.pdf), p. 3.
8. Ibid.
9. établissement secondaire en Cumbria qui s’est engagé à poursuivre une politique en
faveur de l’inclusion.
10. felicity armstrong, op. cit., p. 9.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page131

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

et pédagogies soient une réussite à chaque fois » et note « un manque


de ressources [or] si l’inclusion doit devenir une réalité, il faut s’assurer
qu’il y a suffisamment de moyens techniques, humains et financiers
alloués ». à lire armstrong, loin de simples intentions et même de la
ferme volonté de modifier des pratiques, l’inclusion suppose aussi de
mobiliser des moyens structurels de différents niveaux, financiers,
humains, matériels et architecturaux. L’emploi du terme « inclusive
education » paraît finalement mal défini pour armstrong 11.
Le paradigme de l’inclusion scolaire est récent. il est venu se substi-
tuer à une conception et à une pratique de l’intégration scolaire qui
consistaient à intégrer à l’école, de façon très ponctuelle, des enfants à
problèmes ou porteurs de handicap. Ce phénomène d’intégration ne
concernait alors qu’une frange restreinte d’élèves. Jusqu’à récemment,
toute une population d’enfants n’avait jamais été accueillie à l’école
ordinaire, sans que cela pose à l’école plus de problèmes. que s’est-il
donc passé à travers cette évolution récente ? pour comprendre ce chan-
gement opéré sur de longues périodes, il importe de prendre un recul
historique, depuis que l’école est devenue obligatoire. à ce moment,
les enfants étaient-ils pris, ou pas, en charge ? étaient-ils mal pris en
charge auparavant pour que l’on souhaite un changement ?

II L’ÉDUCATION SPÉCIALISÉE FACE À TROIS TYPES D’ÉCOLE


© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
131

La iiie république voit naître les grandes lois de Jules ferry insti-
tuant l’école gratuite (1881), laïque et obligatoire (1882). La loi de
l’obligation scolaire pour toute la population (6-12 ans) va créer une
situation inédite en confrontant ensemble toute une classe d’âge d’en-
fants qui ne se rencontraient pas auparavant. pour situer ce phénomène,
nous portons l’attention sur la sémantique qui a été utilisée dans les
textes de lois pour désigner les enfants différents : anormalité (anté-
rieure à la loi de 1909), arriération (1909) 12, inadaptation (1943) 13,
handicap et intégration sociale (1975), intégration scolaire (1983), enfin

11. Ibid.
12. « au terme d’enfance anormale, mentionné dans le projet de loi de 1909, se substitue,
dans la loi promulguée, celui d’enfance arriérée, jugé moins péjoratif, la notion d’irréver-
sibilité est nuancée, gommée, du moins en apparence. Le terme d’arriéré n’a pas la conno-
tation péjorative actuelle » (Jacqueline roca, De la ségrégation à l’intégration, évry,
CtnErhi, 1992, p. 16).
13. dans les années 1940, le secteur de l’enfance inadaptée, distinct du milieu scolaire,
s’institutionnalise en france. En 1940, Léonce malécot crée à paris une association de
parents, « Les papillons blancs », puis « dans la période de l’après-guerre naissent les asso-
ciations de parents d’enfants inadaptés » (Jacqueline roca, op. cit., p. 177). En 1960,
l’union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés (unapEi) est fondée. « Les
enfants pris en charge par le secteur privé [associatif] ne sont pas les mêmes que ceux dont
s’occupe l’éducation nationale. il s’agit la plupart du temps d’enfants débiles profonds,
caractériels ou délinquants » (Jacqueline roca, op. cit., p. 178).

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page132

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

scolarisation (2005) et non pas inclusion, et dernièrement inclusion


scolaire de tous les enfants (2013), sans aucune distinction.

L’ensemble des choix réalisés dans l’institution scolaire depuis


l’école obligatoire (1882), puis après une trentaine d’années d’exis-
tence (1909) pour faire face aux élèves qui posaient problème, a été
taxé a posteriori d’« école ségrégative ». nous nous demandons si ce
jugement de « l’histoire » consistant à qualifier d’« école ségrégative »
un système scolaire qui a pourtant pris conscience relativement tôt (en
1904, avec la « commission Bourgeois ») de la nécessité de distinguer
différentes réalités d’enfants ne serait pas une tentative de notre époque
pour se persuader de la légitimité de l’inclusion généralisée. La période
historique dite d’« école intégrative » (1975) serait, elle, plus proche
de l’idée d’une école équitable où l’insertion sociale prime, où le
« sentiment de différence » n’est pas nié mais engendre une culture du
respect et de l’entraide mutuelle. il semble que les potentialités mobi-
lisées dans cette période intégrative, ce dont témoigne le corpus de lois
afférent, ne soient pas allées au maximum de leur déploiement, cela
pour de multiples raisons : professionnels insuffisamment formés,
montée de l’individualisme, « superficialité » des mentalités, insou-
ciance en période d’abondance.

Le tableau récapitulatif ci-après donne un aperçu des différents


© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
contextes concernant les trois types d’école et des évolutions en faveur
132
des élèves différents, depuis l’école obligatoire.

Les trois types d’école


« école ségrégative » « école intégrative » « école inclusive »
modèle civique modèle domestique, montage composite
puis industriel des modèles

Contexte : Contexte : Contexte :


1881-1882 : accueil de tous 1970 : Comité 1990 : création des rasEd
les enfants de france interministériel 14 2001 : adoption d’une
par la fondation de l’école (quatre années de travail) nouvelle classification (Cif)
obligatoire, laïque et gratuite 1970 : création des Gapp de conception plus sociale
(lois Jules ferry) 1975 : loi de 1975, la notion 2002 : classes d’intégration
1908 : échelle métrique de de handicap succède scolaire (CLis)
l’intelligence (Binet-simon) à celle d’inadaptation 2005 : loi pour « l’égalité
1909 : création des classes et 1982-1983 : mise en œuvre des droits et des chances,
écoles de perfectionnement d’une politique d’intégration pour la participation et
1940 : association de parents 1989 : adoption par la france la citoyenneté des personnes
« Les papillons blancs » de la trilogie de Wood handicapées », inscription
…/…

14. Le Comité interministériel de 1970 a permis une maturation simultanée et parallèle


des pouvoirs publics et de l’opinion publique face au handicap. La concertation et la colla-
boration des ministères et des associations à cette occasion ont fortifié la prise en compte
du handicap dans la société civile, en la considérant dans toutes ses dimensions.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page133

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

…/…

(Léonce malécot) (handicap pensé comme une systématique et obligatoire


1966 : étude du problème de dimension personnelle) à l’école
l’inadaptation des personnes 2006 : création des mdph/pps
handicapées 2007 : prise en compte
(rapport Bloch-Lainé) de la précocité
2009 : classes pour l’inclusion
scolaire (CLis)
2015 : pprE/pai/pps/pap

orientation de certaines intégration partielle ou totale scolarisation de tous


catégories d’enfants, dans le milieu scolaire les élèves : l’école s’adapte
en fonction de leurs ordinaire d’enfants handicapés pour prendre en compte
caractéristiques : intégration scolaire = la diversité des élèves
risque de relégation, intégration sociale risque d’inclusion
d’exclusion entre relégation, exclusion à « tout prix »
et intégration manque de formation
des enseignants
« inclusion massifiée »

dans une perspective de « dans une perspective « dans une perspective


ségrégation, le non-conforme, d’intégration, les conditions inclusive, on considère que
l’anormal posent problème : se situent plutôt du côté c’est prioritairement à l’école
ils sont « exclus » des enfants. C’est sur eux de s’adapter pour prendre
essentiellement que repose en compte la diversité
l’effort d’adaptation à l’école des élèves, c’est-à-dire
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
et à ses normes de s’engager dans 133
de fonctionnement. des aides une évolution des pratiques
individuelles leur sont d’accueil et d’enseignement,
en général apportées pour pour permettre à tous
leur permettre de suivre les élèves d’apprendre 16. »
l’enseignement
tel qu’il est 15. »

II MULTIPLICITÉ DES AIDES INDUITE PAR LES BEP


ET NOUVELLE PROFESSIONNALITÉ ENSEIGNANTE

aujourd’hui, en 2015, dans ce contexte d’école inclusive, chaque


enseignant est, en pratique, susceptible d’accueillir et d’accompagner
dans sa classe des enfants porteurs de handicap ou en situation de
handicap, laquelle population se trouve catégorisée dans une désigna-
tion plus large des enfants à besoins éducatifs particuliers (handicapés,
primo-arrivants, troubles du comportement, précoces). nous arrivons

15. Bernard Gossot, Claude mollo, « Les groupes départementaux handiscol’ en 2001 :
mise en place et fonctionnement », rapport au ministre de l’éducation nationale et au
ministre délégué à l’Enseignement professionnel, 2002, en ligne : ftp://trf.education.
gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/handiscol.pdf
16. éric plaisance et coll., op. cit., p. 161.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page134

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

à ce point au questionnement initial qui a été à la source de nos travaux


de recherche doctorale 17 : face à l’injonction d’inclure, comment les
enseignants s’y sont-ils pris pour modifier et adapter leurs pratiques ?
Y parviennent-ils ou n’y parviennent-ils pas ? sur le terrain, intervenant
en ZEp depuis plusieurs années pour l’intégration scolaire d’enfants en
difficulté en tant qu’enseignante spécialisée (option G), nous avons
observé en direct différentes réactions aux changements de pratiques
induits par la rencontre avec ces nouveaux publics : gêne, défi, enga-
gement, déni, stupéfaction, sidération, inquiétude… avant de tenter de
comprendre comment la professionnalité enseignante peut être percutée
par l’arrivée de nouveaux publics élèves, tâchons de situer ce qu’il en
est de cette catégorie des élèves à Besoins éducatifs particuliers (BEp).

II Besoins éducatifs particuliers

dans la loi de 1975 en faveur des personnes handicapées, la notion


de besoins particuliers détermine l’orientation de l’enfant en éducation
ordinaire ou en éducation spéciale. si dans la circulaire du 9 avril 1990
(n° 90-082) le mot « besoin(s) » apparaît, il concerne uniquement les
besoins en matière de dispositifs (réseaux), de secteurs et les aides
spécialisées et les « besoins pédagogiques spécifiques ». L’ordonnance
du 15 juin 2000 (n° 2000-549) emploie les termes « besoins particu-
liers », « besoins spécifiques », « besoins divers » ou « besoins de l’en-
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
fant ». Enfin, la circulaire du 30 avril 2002 (n° 2002-111) reprend les
134
termes de « besoins éducatifs particuliers ».

L’expression « besoins éducatifs particuliers » nous vient de Grande-


Bretagne et est empruntée à l’anglais « Special Needs Education »
(snE). suite au rapport Warnock de 1978 18 (angleterre, écosse et pays
de Galles) et à la loi sur l’éducation de 1981 (Education act), l’éduca-
tion spécialisée a été réimplantée à l’intérieur des écoles et des collèges
ordinaires anglais. ainsi, « on est passé à la préoccupation de pourvoir
aux besoins éducatifs particuliers 19 ». La loi de 1981 remplace les
« onze catégories de handicaps existantes, définies sur la base de critères
médicaux par le générique de “besoins éducatifs spéciaux” ou “besoins
éducatifs particuliers” 20 ». à ce propos, rappelons qu’en france (1989)
une « nomenclature des déficiences, incapacités et désavantages » est

17. nicole Galasso-Chaudet, Prise en compte des élèves à « besoins éducatifs particuliers »
et pratiques enseignantes : les logiques en jeu en contexte d’« école inclusive », thèse de
doctorat, universités de nantes, angers et Le mans (unam), 2013.
18. Le titre du rapport est : « special Educational needs. report of the Committee of
Enquiry into the Education of handicapped Children and Young people ».
19. michel Chauvière, dans michel Chauvière, éric plaisance (sous la direction de), L’école
face aux handicaps. Éducation spéciale ou éducation intégrative ?, paris, puf, 2000, p. 119.
20. felicity armstrong, op. cit.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page135

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

fixée aux fins de décrire les handicaps, dans les travaux statistiques et
leur étude. Cette nomenclature française se présente comme un lexique.

dans son article 21, felicity armstrong affirme qu’en pratique, en


angleterre, on a continué et on continue toujours d’utiliser les catégories
issues d’une approche médicale. En revanche, les catégories jugées trop
négatives ont été remplacées par des sous-catégories comme celles
« d’enfants avec difficultés d’apprentissage », avec « difficultés
moyennes d’apprentissage » ou avec « difficultés sévères d’apprentis-
sage ». à noter que de nouvelles catégories ont été découvertes 22, comme
celles de « déficit d’attention avec syndrome d’hyperactivité et de diffi-
cultés comportementales et émotionnelles, ce qui a entraîné le dévelop-
pement de nouveaux domaines d’expertises, de nouvelles carrières et de
nouveaux services spéciaux ».

ainsi, après la loi anglo-saxonne de 1981, les bilans d’évaluation


impliquant plusieurs professions (professionnels de l’éducation, de la
psychologie et de la médecine, et représentants des autorités éducatives
locales) « devinrent un mécanisme essentiel pour que les écoles obtien-
nent des ressources, et pour qu’elles fassent accueillir dans des services
différents et ségrégatifs des élèves considérés comme perturbants 23 ».
Ce fut le cas des élèves ayant « des comportements dérangeants » selon
l’introduction de nouvelles catégories, tel le déficit d’attention avec
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
syndrome d’hyperactivité. nous remarquons au passage qu’une logique
135
marchande 24 s’immisce dans le système scolaire anglais, où il s’agit
d’évaluer, de faire reconnaître des problèmes pour en obtenir en retour
des financements.

désormais, après 2005, en france, la dénomination « Besoins


éducatifs particuliers (BEp) » concerne une vaste population d’élèves
et plus seulement des enfants porteurs de handicap. L’école supérieure
de l’éducation nationale (EsEn) 25 précise que la notion de « scolarisa-
tion des élèves à besoins éducatifs spécifiques » est récente. Cette

21. felicity armstrong, op. cit.


22. michel Chauvière, op. cit., p. 120.
23. Ibid.
24. Luc Boltanski, Laurent thévenot, De la justification : les économies de la grandeur,
paris, Gallimard, 1991.
25. « scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers », EsEn, 2011 (mise à jour
8 février 2011). L’université d’automne organisée par l’académie de Clermont-ferrand
(vichy, 2003), consacrée spécialement à ce sujet, reprend en effet qu’il s’agit d’élèves « en
situation de handicap, nouveaux arrivants, intellectuellement précoces, en situation d’illet-
trisme, dysphasiques, dyslexiques, etc. » (Joce Le Breton, Scolarisation des élèves à
besoins éducatifs particuliers ?, 2007, p. 4, en ligne : http://centre-alain-savary.ens-
lyon.fr/Cas/documents/publications/xyzep/ boussole/boussole-de-2006-a-2007). s’y
rajoutent également les élèves présentant des difficultés graves et durables ou des difficultés
d’adaptation.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page136

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

notion recouvre une population d’élèves très diversifiée : « handicaps


physiques, sensoriels, mentaux ; grandes difficultés d’apprentissage ou
d’adaptation ; enfants intellectuellement précoces ; enfants malades ;
enfants en situation familiale ou sociale difficile ; mineurs en milieu
carcéral ; élèves nouvellement arrivés en france (Enaf) ; enfants du
voyage 26… » or, regrouper toutes ces situations d’élèves sous un
même intitulé « peut conduire à homogénéiser ces catégories pourtant
bien différentes 27 ». La circulaire de préparation de la rentrée 2010 28
désigne, dans le paragraphe concernant les besoins éducatifs particu-
liers des élèves, « les enfants et les jeunes handicapés, les enfants de
familles non sédentaires, les enfants qui arrivent en france sans maîtri-
ser notre langue et les enfants intellectuellement précoces ». autrement
dit, le risque est encouru de mettre ensemble sous l’appellation
« besoins éducatifs particuliers » des situations sans commune mesure :
par exemple, le projet scolaire d’un enfant présentant un retard mental
et celui d’un enfant non francophone. La catégorie de « BEp » n’a fina-
lement pas d’autre propriété que d’englober les autres catégories exis-
tantes, en réaffirmant la reconnaissance de BEp pour tous les élèves.

pour résumer, en france, l’inclusion évoque le plus souvent les


personnes handicapées. Cependant, selon danielle Zay 29, l’inclusion
s’élargit actuellement aux « jeunes qui présentent des différences par
rapport aux normes du système général d’éducation, que ces diffé-
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
rences soient biologiques ou socioculturellement construites », l’école
136
de type « comprehensive school » faisant une place à tous les élèves.
Cette évolution signifie que les problématiques qui émergent ne se
posent plus en termes d’inclusion/non-inclusion, mais en termes de
« besoins éducatifs particuliers » conséquents à la scolarisation et à
l’inscription de tous les élèves. autrement dit, la notion d’école inclu-
sive reposerait en premier lieu sur le principe légal du droit pour tout
enfant, quel qu’il soit, à fréquenter l’école ordinaire. Ce que confirment
éric plaisance et coll. 30 quand ils affirment qu’« en france, on préfère
parler d’école pour tous » (Ept).

26. Ces précisions sont suivies du commentaire suivant : « Les prises en charge par l’ins-
titution scolaire sont elles-mêmes diverses et évolutives. »
27. felicity armstrong, op. cit.
28. Circulaire n° 2010-38 du 16 mars 2010. préparation de la rentrée 2010.
29. danielle Zay, « quelles politiques d’inclusion scolaire et sociale dans une Europe bras-
sant des populations multiples ? », 2010, en ligne (https://plone. unige.ch/aref2010/com
munications-orales/premiers-auteurs-en-z/quelles%20politiques%20dinclusion.pdf), et
L’éducation inclusive. Une réponse à l’échec scolaire ?, paris, L’harmattan, 2012.
30. éric plaisance et coll., op. cit., p. 160.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page137

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

II Pratiques enseignantes impactées par l’inclusion

or, qu’en est-il aujourd’hui des pratiques enseignantes face à la prise


en compte des BEp de tous les élèves et de l’arrivée de nouveaux publics
élèves porteurs de handicap ou de troubles importants du comporte-
ment ? du côté du terrain, dans le cadre d’une observation quotidienne,
par immersion, nous avons été surpris par l’expression spontanée des
enseignants signalant pour certains un engagement de l’ordre du défi à
relever et pour d’autres, un malaise prenant des formes de résignation,
de déni ou de découragement. tandis que du côté des politiques éduca-
tives, les valeurs mobilisées par les textes législatifs déploient des
formules positives : « réussite scolaire », « donnons des couleurs à la
réussite », « non-discrimination », « projet personnalisé », « programme
personnalisé de réussite éducative », « prendre en compte la diversité
des élèves », « suivre leurs parcours individuels ». Ces différentes
missions s’étendent désormais à l’ensemble des professeurs et personnels
d’éducation, pédagogues et éducateurs, en une sorte de service obliga-
toire pour « la réussite de tous les élèves 31 ». idéologiquement, face à ce
regain de positivité, les enseignants ne peuvent que partager ces principes
dans la mesure où ils visent une efficacité concrète en faveur de leurs
élèves. L’inclusion, univoque et positive, est nécessairement fédératrice
pour l’action. Le problème en est que, lorsqu’une telle notion est à ce
point plébiscitée par l’opinion, d’autant qu’elle promet des jours
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
meilleurs, il est plus difficile et risqué pour le chercheur d’engager un
137
travail de déconstruction, et pour le praticien d’exercer sa pensée critique.

dans notre recherche, nous avons voulu savoir, en définitive, sur


quoi s’appuient les enseignants pour réussir à s’en sortir, ou non, face
à des situations professionnelles issues de rencontres avec des publics
qu’ils ne connaissent pas et pour lesquels ils n’ont jamais été, ou si
peu, formés ? pour comprendre leurs appuis ou défaut d’appuis, nous
sommes repartis des récits et des justifications qu’eux-mêmes en tant
qu’acteurs invoquent pour caractériser leur travail au cœur de ces
rencontres professionnelles avec des élèves à BEp.

II DES PRATIQUES ENSEIGNANTES


dans le cadre d’entretiens, nous les avons fait s’exprimer sur des
situations vécues dans leur classe, sachant qu’ils pouvaient avoir affaire
à des élèves différents les obligeant à des ajustements multiples, diffi-
ciles à articuler. Ces récits ont été orientés sur la description des
pratiques, à travers la description de situations dans lesquelles les
enseignants sont engagés.

31. « référentiel de compétences des enseignants », Bulletin officiel, 25 juillet 2013.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page138

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

nous avons ainsi utilisé auprès de quatre enseignantes (novice,


expérimentées et confirmées) la méthodologie des récits de pratiques 32,
que nous avons ensuite retranscrits intégralement à des fins d’analyse.
voici la synthèse de nos résultats.

II Usages lexicaux quotidiens

Pour l’ensemble des récits de pratiques, l’usage lexical des ensei-


gnantes interrogées ne fait aucunement apparaître les termes
d’« élèves différents » et de « BEP », ni d’« inclusion » (0 fois). La
sémantique professionnelle des enseignantes en classe ordinaire est
articulée essentiellement autour des termes « difficultés », « difficiles »
et « besoins ».

II Des pratiques empiriques

Les enseignantes qui prennent en compte les élèves en difficulté


considèrent chaque élève au cas par cas. Placées au cœur de situations
à chaque fois uniques, ces enseignantes composent « au fur et à
mesure » et agissent de manière empirique. pour traiter des situations
souvent délicates, elles procèdent par tâtonnements et s’appuient sur
leur propre expérience. nous avons constaté que pour faire évoluer des
situations difficiles rencontrées, les professionnelles interviewées
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
mobilisent ce qu’elles savent déjà et ont recours aux collègues lorsque
138
c’est possible (si disponibilité et solidarité dans l’épreuve). mais elles
ne font jamais référence spontanément dans leurs récits à des outils
préconstruits, ni à des méthodes pédagogiques, ni encore à des auteurs
comme point d’appui pour appréhender ces situations. nous supposons
que ces appuis référentiels qui sous-tendent des pratiques auraient pu
déjà être intégrés dans l’action et l’expérience, sans qu’il soit pour
autant nécessaire aux enseignantes d’y revenir.

II Quatre catégories de l’action

notre analyse de données issues de quatre récits de pratiques a


permis de faire émerger quatre catégories déterminant la compréhen-
sion de l’action inclusive : le groupe-classe, les élèves différents, les
professionnels et les parents. Comme grille d’analyse, nous avons
utilisé la théorie des justifications de Luc Boltanski et Laurent théve-
not 33, qui interprètent les compétences selon différents « mondes » ou
« logiques ».

32. daniel Bertaux, Histoires de vie ou récits de pratiques. Méthodologie de l’approche


biographique en sociologie, paris, Cordes, tome 1, 1976.
33. Luc Boltanski, Laurent thévenot, op. cit.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page139

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

Le groupe-classe s’impose avec sa dynamique propre. En premier


lieu, ce n’est pas tant la prise en compte des élèves différents qui mobilise
l’enseignant, mais plus fondamentalement l’entité « groupe », qui
procède de la « logique civique 34 ». Cette dimension groupale est omni-
présente dans les pratiques enseignantes collectées par notre enquête.
tout ce que l’enseignant fait dans sa classe se rapporte et se mesure à la
dimension groupale. L’enseignant garant de cette dynamique consacre
son attention et sa disponibilité au maintien de la cohésion du groupe-
classe. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il y parvient toujours, du
fait d’une différence d’instrumentation dans ce domaine entre les ensei-
gnants. L’on peut d’ailleurs se demander à ce propos : où les enseignants
se forment-ils à la dynamique de groupe ? La dimension du groupe-
classe (logique civique) entre en tension permanente avec le devoir, pour
l’enseignant, de « centration » sur l’élève différent (logique domestique).
au quotidien, l’enseignant doit trouver un dosage, d’ordre psychosocial,
entre le collectif et l’individuel.

En entrance dans le métier, le fait d’être pour l’enseignante novice,


sans formation préalable à la dynamique de groupe, accentue, voire
accélère, la difficulté rencontrée à conduire le groupe-classe vers la
coopération.

Les élèves à « besoins éducatifs particuliers » (élèves différents)


© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
sont « présents » dans toutes les classes. Les enseignants du premier
139
degré s’efforcent de faire face à la demande croissante d’aide aux
élèves en difficulté. pour les enseignantes interviewées, il n’y a pas de
refus d’aider les élèves. Elles s’y engagent, mais en même temps témoi-
gnent de leur manque de formation ainsi que de l’insuffisance de temps
à consacrer aux élèves différents, dont certains sont laissés-pour-
compte. La « logique domestique » se déploie dans son état de grand 35,
qui consiste à chercher des réponses, à se concentrer, à aider les élèves.
L’état de petit est également présent, à travers le fait de ne pas toujours
pouvoir accorder plus de disponibilité à des élèves qui en auraient pour-
tant besoin. Cette distinction suscite plusieurs remarques.

d’une part, la forte prescription d’individualisation de l’aide aux


élèves à travers l’inclusion scolaire implique des changements profonds
à différents niveaux du métier enseignant (pédagogique, didactique,
relationnel, organisationnel). Comme professionnel, l’enseignant n’est,
potentiellement, plus seul dans sa classe lorsqu’un avs (auxiliaire de
vie scolaire) est présent. mais notons que cette présence professionnelle
soulève d’autres problèmes d’adaptation et de redistribution des places.

34. Ibid.
35. Ibid.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page140

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

d’autre part, l’aide aux élèves différents se structure dans une


temporalité particulière, ou elle s’anticipe et s’effectue sur des temps
repérés, formels, ou encore est dispensée de manière spontanée. une
attitude réflexive s’observe chez les enseignantes concernées.

Les problèmes répétés de comportements d’élèves débordants


déconcertent et « envahissent » les enseignantes. dans les récits de
pratiques, cela se mesure quantitativement par la proportion de paroles
consacrées à des situations anxiogènes et, qualitativement, par l’inten-
sité émotionnelle exprimée en termes de « peur », d’« horreur » et de
« solitude ». face à ces perturbations relatives aux problèmes de
comportements, les enseignantes réagissent à des niveaux différents :
au niveau spatial (« où le mettre ? »), au niveau sonore (« il parle tout
le temps »), aux niveaux physique et temporel (« il a besoin de l’adulte,
physiquement, tout le temps »), au niveau groupal (« il n’avait pas un
comportement pour vivre en groupe ») et au niveau émotionnel
(« j’avais peur »). au niveau institutionnel, la violence d’élèves inter-
pelle la capacité à gérer ces situations problématiques dans le cadre
d’un établissement. Les enseignantes et plus largement les écoles s’in-
terrogent sur leur capacité à intégrer un élève atypique et violent, les
exposant au risque de la désintégration d’un groupe-classe et de
troubles dans l’établissement (à la cantine, sur la cour de récréation,
dans les couloirs, à l’étude…), des situations conduisant à ne pas
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
prendre en compte les symptômes réels ou la pathologie de l’élève
140

concerné. nous avons constaté également que la difficulté de l’ensei-


gnant à répondre aux BEp peut n’être que passagère, transitoire, et
déboucher sur des stratégies d’adaptation aux difficultés, avec des trou-
vailles qui offrent de nouvelles potentialités, de nouvelles issues. par
exemple, une enseignante attentionnée, ne sachant plus quoi faire pour
calmer un enfant aux troubles du comportement importants et faire
qu’il travaille a minima, est venue simplement s’asseoir à côté de lui :
« Cela, il aime bien, il discute, il raconte sa vie. Rien à voir avec le
travail de classe quoi… Et puis, petit à petit […] il est venu me deman-
der. Il vient me demander maintenant. »

Les professionnels. La relation aux collègues se décline principale-


ment suivant trois niveaux :

– dans une proximité, en recourant aux collègues au fur et à mesure de


la gestion d’événements inhabituels et répétitifs, pour éviter le débor-
dement de l’élève ou/et la « saturation » de l’enseignant ;

– dans une collégialité et un partenariat, à travers les réunions de travail


pluri-professionnelles permettant des directives et de l’organisation,
mais induisant en retour un investissement personnel conséquent
(logique domestique) de chaque acteur ;

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page141

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

– dans une solidarité : par le recours aux collègues dont la solidarité


est vecteur d’apaisement, mais augmentant a contrario un sentiment
de solitude quand ces soutiens font défaut.

Les parents d’élèves. pour la prise en compte des élèves différents,


les parents sont des interlocuteurs importants. Les rencontres entre les
parents et les enseignants s’effectuent suivant différentes modalités.
soit l’enseignant provoque un rendez-vous pour échanger à propos de
l’enfant, soit les parents demandent un rendez-vous. par ailleurs, l’en-
seignant, qui a besoin de comprendre et de situer son aide auprès de
l’enfant, est amené à s’intéresser à la sphère privée (famille, santé de
l’élève, etc.), ce qui l’expose ainsi aux réactions diverses des parents,
allant de la coopération au changement d’école de l’enfant.

II Les logiques en jeu dans la prise en compte des élèves à BEP

Comme indiqué précédemment, pour comprendre et interpréter les


situations professionnelles éducatives vécues au contact des élèves
différents, nous nous sommes intéressés aux logiques de Boltanski et
thévenot. Ce notamment à partir de derouet 36 qui estime possible de
comprendre les évolutions et les pratiques enseignantes « en les carac-
térisant dans les termes que Luc Boltanski et Laurent thévenot ont
employés pour décrire des modèles de compétence sociale plus géné-
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
raux : le modèle [ou logique] civique, le modèle domestique et le
141
modèle industriel », également logique de l’opinion, de l’inspiration et
marchande. ainsi, pour être totalement justifié, un bon professeur doit
être à la fois : « un magistrat » (application de règles) ; « un père
aimant » (relation humaine individuelle auprès de chacun) ; « un expert
performant » (techniques pédagogiques, efficacité, évaluation) ; « un
artiste inspiré » (motivant, captivant) 37. voici comment les pratiques
enseignantes peuvent se trouver caractérisées en termes de logiques :

– la logique de l’inspiration passe relativement inaperçue, elle apparaît


peu fréquemment ou seulement à travers des détails ;

– la logique domestique est, en revanche, omniprésente dans les récits


des enseignants. Elle apparaît systématiquement dans des « montages
composites 38 », c’est-à-dire à travers l’agencement de plusieurs
logiques professionnelles simultanées, constitutives de la profession-
nalité des enseignants. La logique domestique correspond, en pratique,
à la centration de l’enseignant sur l’élève envisagé dans sa complétude.

36. Jean-Louis derouet, « La profession enseignante comme montage composite. Les


enseignants face à un système de justification complexe », Éducation permanente, n° 96,
octobre 1988, p. 61-71.
37. Ibid., p. 62.
38. Ibid.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page142

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

Cette centration oblige l’enseignant à prendre en compte et à assumer


dans l’unité de son action l’aspect multidimensionnel (cognitif, affectif,
socioculturel, familial, environnemental, conatif) de l’élève. Elle
touche au domaine du vivant, où il n’y a pas deux situations pareilles,
ce qui souligne par là une transférabilité réduite due à l’imprévisibilité
des situations. Elle est accentuée et amplifiée face à des situations
limites, principalement les problèmes de comportement d’élèves, liés
ou non à un handicap. La logique domestique, de par sa prégnance dans
les pratiques enseignantes, concerne très sûrement un aspect impensé
de la professionnalité des enseignants ;

– la logique de l’opinion est présente dans l’expérience des ensei-


gnantes lorsqu’elles sont confrontées à des situations éprouvantes
(élèves ou classes difficiles). dans ces situations, les enseignantes ont
des réactions de méfiance et vivent un trouble fort et durable, avec des
variations. Elles redoutent ou expérimentent de la part de leurs
collègues directs (voire des supérieurs) des jugements négatifs ou inter-
prétés comme tels et éprouvent un sentiment de solitude. L’absence de
tels jugements, à l’inverse, apporte de l’apaisement ;

– la logique civique. L’enseignant est constamment responsable d’un


groupe-classe dont il a la charge. or, dans l’ordre des logiques étudiées,
la dimension groupale relève de la logique civique. Le groupe classe
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
apparaît alors comme un collectif qui fait corps et dont la logique
142
civique entre en tension permanente avec les autres logiques, et plus
précisément avec la logique domestique ;

– la logique marchande se comprend à travers les récits de pratiques


aux niveaux local et national. Localement, dans la vie de l’école, la
logique marchande est visible à travers la recherche de fonds. de
manière plus large, les conditions de travail des enseignants sont étroi-
tement liées aux effectifs d’élèves (surnombre), au souci de mettre en
place une pédagogie différenciée et dépendent donc directement des
conditions matérielles et budgétaires pour réaliser ce travail qualitatif ;

– la logique industrielle. Les textes officiels et les programmes impo-


sent aux pratiques des enseignants des orientations de l’ordre de la
logique industrielle : programmes, objectifs, évaluations, productions,
apprentissages. sur le plan pédagogique, l’efficacité recherchée par les
enseignantes pour accompagner et former les élèves dans cette logique
inclut la dimension de l’erreur dans les apprentissages scolaires. dès
lors, les enseignantes interrogées structurent différemment les stratégies
et les phases mêmes de ces apprentissages.

dans l’ensemble des situations scolaires abordées dans les récits


d’enseignantes, ces logiques se déploient chacune sur un versant péda-
gogique qui se manifeste, selon la terminologie de Luc Boltanski et

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page143

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

Laurent thévenot 39, à l’état de grandeur à l’opposé du versant négatif,


qui est l’état de petit. La dimension pédagogique des enseignantes
constitue ici la grandeur de chacune des logiques, qu’elles soient prises
indépendamment ou agencées en montage composite.

II QUESTIONS VIVES AU CŒUR DE L’INCLUSION EN ÉCOLE PRIMAIRE


La prédominance de la logique domestique, soubassement des
compétences enseignantes mobilisées pour faire face aux élèves diffé-
rents, met en évidence plusieurs questions vives. pour faire face à
toutes sortes de publics élèves :

– les enseignants doivent mobiliser une multiplicité de connaissances


concernant différentes problématiques d’élèves (handicap, troubles de
la personnalité, précarité, précocité, cultures différentes…), ce qui
génère une perte de repères, jusqu’à une « errance » professionnelle
des enseignants ;

– les enseignants doivent gérer des contraintes supplémentaires, quel-


quefois démesurées en termes de volume horaire qui augmente pour
répondre aux nouveaux besoins (discussions avec l’enfant, rencontres
avec l’avs, équipes éducatives-EE…). mais aussi, pour concevoir, rédi-
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
ger et mettre en œuvre de nombreux projets : pprE, pps, pai, pap (respec-
143
tivement projet personnalisé de réussite éducative mis en place pour
chaque élève en difficulté ; projet personnalisé de scolarisation, pour
les élèves en situation de handicap ; projet d’accueil individualisé,
répondant au besoin de santé des élèves ; plan d’accompagnement
personnalisé récemment institué – circulaire du 22 janvier 2015 – pour
les élèves ayant des difficultés durables).

tandis que cette mutation inclusive s’accélère et s’intensifie par voie


législative, l’enseignant se trouve engagé dans un paradoxe consistant à
faire davantage avec plus d’élèves singuliers et différents dans des
groupes hétérogènes et avec moins de moyens (restrictions budgétaires).

Les enseignants sont placés face à une hétérogénéité aiguisée à son


paroxysme. à un niveau microsocial, leur forte implication les entraîne
dans un inconfort, voire une souffrance allant de pair avec une démo-
tivation passagère ou durable. Les différences liées aux difficultés, au
handicap, à la douance (sur-efficience), quand elles sont exacerbées et
répétitives, précipitent les enseignants dans un embarras lié au manque
de temps et à l’équation difficile entre la prise en compte simultanée
de l’individu et celle du groupe-classe. pour ce qui concerne les

39. op. cit.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page144

Nicole Galasso-Chaudet, Vincent Chaudet

problèmes de comportement, l’état émotionnel qui en découle pour ces


professionnels confine à la peur. La prise en compte des élèves diffé-
rents s’effectuant au cas par cas, chaque « cas » impose en effet une
« rencontre » humaine qualitative avec un sujet, sa problématique et
son environnement.

à l’issue de cette présentation, la première remarque que nous


pouvons faire concerne l’écart entre la prescription d’inclure l’enfant
différent, l’intention de l’aider, et la capacité réelle pour l’enseignant
d’y parvenir. La question consiste à savoir, dans ce cas, quelles seraient
les compétences professionnelles à mobiliser, suivant quels savoirs et
pratiques spécifiques adaptés à des situations précises (handicaps,
douance, violence, relation individus/groupe…).

La seconde remarque, plus générale, porte sur la prescription d’in-


clure, en inadéquation avec les ressources matérielles et profession-
nelles disponibles dans le système scolaire actuel. force est de
constater aussi que des équilibres, acquis assez tôt dans l’histoire de
l’éducation (1909) 40 lors du partage entre éducation nationale et
éducation spécialisée, ont été bouleversés, venant brouiller par là les
repères pour penser ce changement de paradigme.

L’ensemble de ces éléments qui trament le contexte inclusif actuel


© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
risque, au final, d’induire de la souffrance : pour l’enfant à inclure et
144
chez les autres élèves, là où une inclusion ponctuelle et au cas par cas
était auparavant réalisée et aurait pu être simplement amplifiée (sans
pour autant être massifiée). L’inclusion s’apparenterait, de cette
manière, pour certains types d’élèves (porteurs de handicaps spéci-
fiques, souffrant de retards mentaux, de troubles aigus du comporte-
ment), à un forçage, obligeant dès lors l’enfant différent à se comparer
à l’aune d’une normalité pourtant inaccessible pour lui, et amené à se
référer constamment à son irréductible différence, tandis que le
discours social, dans un déni de réalité, prétend le contraire. souffrance
également pour des professionnels qui affrontent ces mutations sans
préparation aucune. dans cette dynamique, relevant de l’injonction
contradictoire ou paradoxale (Bateson), la logique domestique qui
étaye les compétences professionnelles, au vu de son inflation constatée
dans les récits de pratiques, se précise comme étant le recours principal
pour étayer les pratiques enseignantes. Le débat devient plus vif à
considérer les parents et familles d’enfants handicapés qui, en plus de
devoir effectuer un douloureux travail de prise de recul concernant la
différence de leur enfant, peuvent se trouver maintenus dans l’illusion
de l’enfant « normal », « comme » les autres et sans problème.

40. voir « Les débuts de l’éducation spéciale », dans maurice Capul, michel Lemay, De
l’éducation spécialisée, toulouse, érès, 1999 (1re éd. 1996), p. 27-36.

Vie Sociale n° 11 – 2015


VIE SOCIALE 11 (3-2015).qxp_CF 28/08/2015 11:26 Page145

L’inclusion scolaire en question(s). Impacts sur les pratiques enseignantes

Ces questions ne cessent pas, en définitive, de traverser l’institution


scolaire, alors qu’elles sont l’objet d’une réflexion soutenue depuis plus
d’un siècle par les institutions spécialisées (imp, imE, puis itEp, sEssad,
etc.). de son côté, l’éducation spécialisée constate que dans les établis-
sements médicosociaux (Ems), « les arrivées sont de plus en plus
tardives et le temps laissé pour parvenir à des résultats s’est considé-
rablement réduit 41 ». au demeurant, le rapport de la Commission du
débat national sur l’avenir de l’école, présidée par Claude thélot 42,
mentionne très clairement que « les classes spécialisées, intégrées dans
les écoles et les collèges, sont très précieuses pour certains enfants ».
il préconise que « des établissements médico-éducatifs doivent conti-
nuer à accueillir les élèves les plus lourdement handicapés ». La
commission recommande également que toutes ces structures soient
« largement ouvertes et que les élèves qui y sont scolarisés participent
le plus souvent possible aux activités proposées aux élèves des autres
classes ». malgré cela, pour le seul exemple de la sarthe, à la rentrée
de septembre 2013, une centaine d’enfants reconnus admissibles en
imE n’avaient toujours pas de place par manque de structures.

finalement, d’après nos travaux de recherche, si des enseignants


s’en sortent relativement bien en contexte inclusif, c’est en bonne partie
grâce aux ressources qu’ils trouvent en appui sur un registre essentiel-
lement domestique. réalité qui n’est pas étrangère aux constats réalisés
© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

© ERES | Téléchargé le 17/01/2021 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
par d’autres chercheurs 43 qui parlent d’inclusion « en trompe- l’œil 44 »,
145
de « contradiction 45 », de « forçage intégratif » et de « normalisa-
tion »46, d’« accroissement des écarts 47 » et de « stigmatisation de
l’élève 48 ».

41. philippe Jourdy, « inclusion scolaire : quel rôle pour le médicosocial ? », Direction[s],
n° 95, mai 2012, p. 47-49.
42. « rapport officiel de la Commission du débat national sur l’avenir de l’école », paris,
La documentation française, 2004, p. 59.
43. nicole Galasso-Chaudet, op. cit., p. 98-100.
44. Jean-Yves Le Capitaine, « L’intégration : une inclusion en trompe-l’œil », Liaisons,
2006, en ligne : http://dcalin.fr/publications/le_capitaine.html.
45. philippe Cormier, « La question de l’adaptation de l’école aux élèves à besoins parti-
culiers », 2005, en ligne : http://dcalin.fr/publications/cormier2.html
46. Jacky poulain, « Badaboum ? (épiques équipes, écoles et drames) ou Les questions
posées par la scolarisation des élèves handicapés après la loi de 2005 », 2007, en ligne :
http://dcalin.fr/publications/poulain2.html
47. élisabeth Bautier, « pratiques scolaires et difficultés des élèves », dans Tisser des liens
pour apprendre, paris, retz, 2007, p. 9-24.
48. alexis pourriau, mémoire sur les relations d’apprentissage en interaction entre un élève
handicapé mental et un élève classique en Eps, université du maine, 2011, p. 8.

Vie Sociale n° 11 – 2015

Vous aimerez peut-être aussi