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NEURODÉVELOPPEMENT
Marie-Hélène Plumet
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Résumé
Cet article aborde l’impact d’un trouble neurodéveloppemental, le trouble du
spectre de l’autisme, sur le développement de la communication sociale chez
l’enfant. Les processus sous-jacents aux fonctionnements et dysfonctionne-
ments sociocommunicatifs sont situés dans leur trajectoire atypique à partir
du double appui des connaissances en psychologie du développement et des
travaux en neurosciences cognitives et sociales. Ces recherches ouvrent sur des
perspectives d’application pour les pratiques d’intervention et de prise en charge
des enfants et de leurs familles.
Mots-clés
Trouble du spectre de l’autisme, communication, compréhension sociale,
trajectoires de développement, trouble neurodéveloppemental, interaction-
nisme social, neuroconstructivisme.
241
L
es troubles de la communication recouvrent un large éventail de
dysfonctionnements, depuis les troubles spécifiques du langage
(oral/écrit, expressif/réceptif ), ceux consécutifs à des déficiences
sensorielles, jusqu’aux troubles plus globaux de la communication qui
affectent en profondeur la transmission sociale des intentions et repré-
sentations quels que soient les moyens communicatifs, qu’ils soient
verbaux ou non verbaux. Dans cet article, nous nous centrerons sur
ces derniers. Nous présenterons l’impact d’un trouble neurodévelop-
pemental (trouble du spectre de l’autisme-tsa, apa, 2013) sur le déve-
loppement sociocommunicatif de l’enfant en croisant les approches
socioconstructivistes interactionnistes du développement et l’apport
récent des neurosciences sociales et cognitives. Nous terminerons par
les implications de ces travaux pour la prise en charge et l’accompagne-
ment des enfants et partenaires éducatifs et de soin concernés (familles
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et professionnels).
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par une spécialisation du fonctionnement cérébral (Johnson, 2011).
Cependant, chez certains nourrissons, des singularités neurofonction-
nelles modifient qualitativement dès les phases précoces ses rapports à
son environnement, au plan perceptif comme de ses actions et inter-
actions. Il s’ensuit des expériences du monde atypiques avec des effets
développementaux en cascade en termes de valences motivationnelles,
d’impact sur les processus d’auto et corégulation, et d’occasion d’exer-
cice, non seulement pour l’enfant lui-même mais pour ses partenaires
déstabilisés dans leurs tentatives d’éveil et de soutien des échanges avec
un bébé à la réactivité très inhabituelle.
Dans ces conditions, les interactions humaines, au lieu de constituer
pour l’enfant une source d’intérêt spontané et d’appui intuitif à ses
acquisitions, peuvent alors devenir un défi adaptatif, non pas consé-
cutivement à une incapacité parentale, comme d’anciens modèles
aujourd’hui obsolètes en ont fait l’hypothèse, mais par le dépassement
des possibilités de traitement que suscitent les échanges sociaux compte
tenu du fonctionnement neurocognitif et émotionnel vulnérable de
ces enfants. La recherche montre en effet que, chez les enfants avec
tsa, les réactions neurophysiologiques aux stimulations présentent de
façon très précoce de grandes divergences par rapport à des enfants
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conduisant peu à peu l’enfant à une focalisation de ses activités sur
quelques champs restreints (dont certains très investis peuvent aboutir
à développer des talents inhabituels) et à limiter ses échanges sociaux
à certaines personnes et conditions très familières. Peu à peu, l’en-
fant poursuit un cheminement très singulier au plan social et cognitif
comme de la spécialisation cérébrale dans une dynamique d’effets plas-
tiques réciproques, soulignée par les approches neuroconstructivistes
des troubles du développement (Karmiloff-Smith, 2018).
On peut noter que, selon plusieurs chercheurs, ces singularités ne relè-
veraient pas nécessairement d’un « déficit » initial (au sens des modèles
lésionnels en neuropsychologie), mais potentiellement de surfonction-
nements ou de variations extrêmes sur le continuum de la neuro
diversité. Toutefois, des écarts trop importants fragilisent les possibilités
du bébé d’entrer en phase de manière synchronisée avec le rythme de
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sa participation nécessitent en effet des aménagements dont certains
sont « contre-intuitifs » ou très éloignés des interactions habituellement
soutenantes pour un enfant ordinaire (par exemple, réduire la multi-
modalité ou ralentir le rythme de l’échange). En outre, des décalages
importants apparaissent entre l’âge réel de l’enfant et le niveau de
développement de son usage social des moyens de communication, y
compris lorsque le langage apparaît. Le risque (chez les parents mais
aussi les enseignants par exemple) est alors de confondre niveau formel
expressif (lexique et syntaxe) et niveau de compréhension et d’uti-
lisation des fonctions communicatives du langage, ce qui engendre
méprises et frustrations de part et d’autre.
Ainsi le dépistage puis le diagnostic de tsa n’est qu’une étape, qui ne
fige pas l’enfant dans un tableau descriptif de ses « incapacités » à inter
agir ou à communiquer. Conserver une approche développementale
est essentiel pour soutenir et accompagner l’enfant et son entourage,
dans le but de favoriser une appropriation progressive des moyens
d’échange depuis leurs composantes les plus élémentaires jusqu’aux
modalités communicatives plus intégrées et élaborées, tout en tenant
compte des particularités de fonctionnement de l’enfant.
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en France), un grand nombre de ces recherches inclut des participants
d’âge relativement avancé ou des adultes pour caractériser leur fonc-
tionnement. Il n’est donc pas toujours aisé de reconstituer la trajectoire
développementale qui a conduit aux particularités observées. Cela vaut
pour le plan sociocognitif comme le plan cérébral, ni l’un ni l’autre
ne fournissant des marqueurs-traits figés de la pathologie, et tous deux
évoluant dans un rapport dynamique bidirectionnel. On peut néanmoins
s’appuyer depuis quelques années sur des ressources complémentaires
de données sur les phases initiales de développement du syndrome : a)
l’étude d’enfants qui ont reçu un diagnostic précoce (vers 18-24 mois) ;
b) l’étude rétrospective d’enfants ayant un diagnostic de tsa, à partir des
films familiaux (recueillis avant l’âge de 2-3 ans) confiés à des observa-
teurs non informés du diagnostic codant les comportements interactifs,
dont une part de vidéos sur des enfants sans tsa ; c) l’étude prospective
depuis leur plus jeune âge de cohortes d’enfants « à risque plus élevé »
de troubles neurodéveloppementaux, comparées à des cohortes à risque
plus faible. Les groupes ciblés « à risque » sont d’une part les sœurs ou
frères puînés d’un enfant avec tsa (en raison des facteurs importants
de vulnérabilité génétique), d’autre part les enfants prématurés (fragi-
lisés par leur immaturité neurobiologique). Ces bébés sont suivis dès les
premiers mois à l’aide d’échelles de développement et d’outils techniques
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imitation, réciprocité des signaux affectifs, anticipation postu-
rale et coordination avec les mouvements d’autrui, jeux partagés,
attention conjointe ; une faible réaction du bébé à son prénom ;
– des limites des capacités de régulation (états d’éveils, émotions,
attention, comportements) ;
– des difficultés à combiner les différents moyens de communica-
tion dès le niveau verbal, puis avec les premiers éléments verbaux,
dans une variété de buts sociaux.
La plupart de ces anomalies touchent les bases de la coordination des
conduites de l’enfant au plan inter et intra-individuel.
Les travaux menés auprès de participants avec tsa un peu plus âgés
et aux âges de développement variés complètent la caractérisation des
troubles du développement sociocommunicatif dans le tsa.
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n’est pas distinctive chez les enfants avec tsa, ce qui peut contribuer
aux difficultés à établir les échanges. En outre, ils ne montrent pas
l’appétence privilégiée des bébés tout-venant pour le langage de type
« motherese » (formes langagières à prosodie très modulée, à pauses plus
fréquentes et longues, que les personnes adoptent intuitivement en
s’adressant à de jeunes bébés, très efficace ordinairement pour capter
leur attention, maintenir l’interaction et échanger des signaux affectifs).
Ils rencontrent d’importantes difficultés à extraire les patterns carac-
téristiques des principales émotions que ce soit au plan des mimiques
faciales, des postures du corps ou encore de la prosodie vocale. Leur
traitement semble se focaliser sur les détails perceptifs ce qui gêne, ou
pour le moins ralentit, la catégorisation d’ensemble dans des unités
signifiantes présentant des points communs au-delà des différences
locales. L’imitation est utilisée de façon atypique : l’enfant peut repro-
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duire très précisément au plan de la forme certains productions vocales/
verbales ou gestuelles des personnes (écholalies, échopraxies) mais il ne
le fait pas nécessairement sur demande ni spontanément de la façon
réciproquement modulée telle qu’attendue dans les usages sociaux de
l’imitation (dialogues non verbaux, jeux à tour de rôles, etc.). Il peut
néanmoins être sensible au fait d’être imité si l’on renforce l’imitation
de ses actions ou vocalisations, y compris celles qui semblent bizarres
à ses partenaires, ce qui constitue un levier précieux pour amorcer la
communication et l’intérêt mutuel (Nadel, 2011). Dans les contextes
de vie quotidienne, on observe chez les enfants avec tsa une variabilité
importante de la réactivité et de la motivation aux échanges sociaux.
Elles peuvent prendre plusieurs formes et évoluer au cours de leur
développement : évitement actif, acceptation passive ou recherches
de contact mais via des modalités bizarres, peu conventionnelles. La
qualité des interactions est meilleure, tant en situation d’apprentissage
que de jeu, avec des partenaires familiers en situation dite « struc-
turée », c’est-à‑dire où le cadre est facilement identifiable et où le parte-
naire, ayant bénéficié d’une guidance spécifique, soutient l’activité en
commun, sollicite et encourage l’enfant, module et ajuste le niveau de
stimulation à des seuils tolérables pour son fonctionnement perceptif
singulier et à ses champs d’intérêts, et ne se décourage pas dans le
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Communication et langage
Bien que l’ensemble des usages sociaux des moyens communicatifs
soit perturbé dans le tsa, l’accès au code verbal concentre souvent les
inquiétudes des familles, d’autant qu’il existe une très grande hétéro-
généité dans les trajectoires langagières des enfants avec tsa. Sur le
versant expressif, les troubles vont d’un mutisme complet persistant à
l’âge adulte jusqu’à des formes de tsa où le niveau formel du langage
est très élevé (lexique et syntaxe très élaborés, parfois supérieurs aux
attentes de l’âge réel). Cela tient probablement aux effets conjugués de
la multiplicité des facteurs de vulnérabilité génétique impliqués dans
le tsa et des opportunités plus ou moins grandes de compensation par
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une prise en charge précoce et ajustée, celle-ci favorisant sensiblement
les chances d’émergence du langage. Il convient cependant de distin-
guer les dimensions linguistiques et communicatives de l’acquisition
du langage, qui se trouvent souvent beaucoup plus dissociées dans les
troubles neurodéveloppementaux que dans le développement typique.
Ainsi des études longitudinales montrent paradoxalement que chez les
individus avec tsa à efficience intellectuelle relativement préservée, on
observe au début de l’acquisition du langage une phase où la compré-
hension verbale tend à être de moins bonne qualité que l’étendue lexi-
cale en production, ce qui est l’inverse des trajectoires typiques. Cela
témoignerait de mécanismes d’apprentissage qualitativement distincts,
l’enfant s’intéressant à reproduire certains mots soit par simple intérêt
sensoriel 2, sans se soucier du sens, soit en procédant par association
2. Ainsi témoigne, par exemple, Jim Sinclair, personne adulte avec tsa, à propos
de son enfance sur un site internet (en anglais) [http://www.inforautisme.
com/02quoi/temoin_sinclair_2.htm#chap2] : « Parce que je n’ai pas utilisé le
langage pour communiquer avant l’âge de douze ans, on était presque sceptique
quant à mes possibilités à apprendre à fonctionner de manière indépendante.
Personne ne devinait combien je comprenais, puisque je ne pouvais pas dire ce
que je savais. Et personne ne devinait la chose essentielle que je ne savais pas,
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entre des unités sonores entendues autour de lui et des éléments perçus
dans son champ perceptif mais avec beaucoup moins d’inscription de
ces mises en lien dans la communication. En effet, ces enfants portent
moins d’attention aux indices déictiques référentiels des locuteurs lors
de leurs énoncés (direction des regards, pointages, attitude corporelle
tournée vers un objet ou préparant une action…) qui signalent ce dont
ils parlent et les intentions qu’ils peuvent avoir à propos des référents
verbalisés.
De manière générale, quel que soit le degré d’avancement du langage
sur le plan formel, plusieurs caractéristiques communes se retrouvent
chez les enfants avec tsa : les aspects sémantiques et pragmatiques
sont souvent affectés de manière plus marquée que les aspects phono
logiques ou lexico-syntaxiques ; des difficultés sociocognitives de même
nature se retrouvent à la fois sur les plans non verbal et verbal. Dans
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un article de synthèse, Kissine, Clin et Villiers rappellent que « la
pragmatique se conçoit comme la capacité cognitive qui permet de
traiter les stimulus communicationnels, verbaux ou non, intégrant
l’information contextuelle, y compris les intentions communicatives
du locuteur » (2016, p. 874).
Lorsque le langage émerge, même s’il peut servir à terme d’appui
adaptatif compensant certaines limitations développementales chez
ces enfants, les problèmes de communication ne disparaissent pas.
La gamme des difficultés d’usage social du langage se manifeste par :
– le manque de maîtrise des aspects paraverbaux, tels qu’une
modulation bizarre des intonations, une gestion mal coordonnée
des éléments expressifs (gestes, regards…) qui accompagnent les
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– des problèmes d’adaptation au point de vue de l’interlocuteur
au fil des échanges : gestion des thèmes de conversation, prise
en compte des feedbacks tels que les indices d’intérêt/ désintérêt
de l’interlocuteur ;
– de nombreuses erreurs de décodage inférentiel des présupposés
implicites derrière les énoncés insuffisamment reliés aux éléments
contextuels (notamment la compréhension des intentions lors
de messages non littéraux comme l’ironie ou les métaphores, et
plus globalement les problèmes dits de « théorie de l’esprit »,
soit d’interprétation des attitudes mentales comme les émotions,
désirs, attentes, représentations (cf. Veneziano, 2015).
À nouveau, il est important de mettre ces différentes manifestations
des troubles communicatifs et langagiers en perspective développemen-
tale pour chaque individu. En effet, malgré les handicaps importants
qu’elles entraînent dans les relations sociales au quotidien, ce ne sont
pas des incapacités absolues ; les compétences sont susceptibles d’évo-
luer au cours de la vie de la personne, de ses occasions d’échanges et
des accompagnements mis en œuvre au cours de la prise en charge.
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Les procédures d’intervention découlant de cette approche « domaine
spécifique » visent à compenser les handicaps induits par l’altération
des systèmes préprogrammés pour la cognition sociale par des moyens
alternatifs, qui contournent ou remplacent les traitements inaccessibles
spontanément par des moyens davantage à la portée des sujets avec tsa
(par exemple, entraînement à la reconnaissance émotionnelle faciale
ou vocale, à l’attention conjointe, apprentissage explicite des habiletés
sociales, stockage sur tablette de répertoires de scénarios sociaux et
schémas- types pour se repérer dans la vie sociale, etc.). Cette approche
oriente également le dépistage précoce des signes d’alerte essentielle-
ment vers les anomalies de la réactivité sociale.
L’approche « domaine général » met l’accent sur les particularités plus
larges de la régulation des ressources perceptives et cognitives du sujet
qui impactent plus sévèrement le développement communicatif, mais
dont on retrouve également des conséquences fonctionnelles dans les
domaines non sociaux (par exemple, des spécificités de l’intégration
sensorielle et motrice, des biais de traitement localiste des informa-
tions ou encore un développement atypique des fonctions exécutives,
ces particularités régulatrices globales se retrouvant également au plan
cérébral).
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tionnel, la régulation des affects face à la nouveauté ou la planification
et la coordination motrice.
Enfin, la troisième approche ré-analyse et intègre les deux précédentes sous
l’angle d’une « spécialisation développementale interactive atypique ».
Elle relève d’une conception plus constructiviste et interactionniste
du développement des aptitudes adaptatives comportementales et
neurocognitives en lien avec leurs domaines d’application. Le bébé est
vu comme un sujet actif dans la construction de ses connaissances : ses
conduites adaptatives, le sens donné à ses expériences et les ressources
allouées par son cerveau à tel ou tel domaine évolueraient à mesure de
ses rencontres avec l’environnement et des occasions d’apprentissage
qu’il y réalise. Plutôt que d’opposer les hypothèses sur la primauté
des anomalies « domaine général » ou « domaine spécifique » dans les
tsa, cette prise en compte du contexte expérientiel et culturel dans
lequel l’enfant se développe permet d’articuler de façon dynamique leur
évolution ainsi que leurs corrélats neurocérébraux, eux-mêmes évolutifs
(Leekam, 2016). Du point de vue de l’accompagnement de terrain,
des perspectives innovantes découlent de ces manières d’envisager les
relations entre neurodéveloppement et expériences du bébé humain.
Cette conception confère au cerveau et à l’ontogenèse des fonctions
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communicatifs et de régulation émotionnelle qu’il peine à mobiliser
spontanément, par un aménagement du cadre des sollicitations ajusté
à ses particularités, tout en lui donnant progressivement l’occasion
d’y prendre davantage d’initiatives et d’y construire des moyens signi-
fiants de relations sociales (par exemple : les thérapies d’échange et de
développement (ted) mises au point par l’équipe du chu de Tours ;
les programmes de soutien à la communication précoce tels que le
modèle de Denver-esdm ; ou de soutien renforcé de l’imitation, Nadel,
2011). L’impact positif de ces prises en charge s’observe non seulement
sur le plan comportemental, dans une communication de meilleure
qualité, mais aussi, conformément à l’hypothèse de plasticité, sur le plan
des indices neurophysiologiques (potentiels évoqués, mesures oculo-
métriques d’exploration visuelle) qui rejoignent progressivement des
patterns fonctionnels plus proches des enfants typiques.
En outre, dans cette perspective interactionniste, il est essentiel d’ac-
compagner aussi les partenaires d’échanges de l’enfant, en fournissant
aux familles et aux professionnels qui sont en contact régulier avec lui
plusieurs types d’aides : un éclairage informatif sur le tsa , fondé scien-
tifiquement (afin de donner du sens aux réactions déroutantes et aux
fonctionnements singuliers de l’enfant) ; des programmes de guidance
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Conclusion
Bien que cet article se centre sur les enfants avec tsa, chez qui les
troubles sociocommunicatifs sont particulièrement saillants et ont
été le plus étudiés, d’autres troubles neurodéveloppementaux (par
exemple le tdah) ont également des impacts sur le développement
communicatif et mériteraient, dans une approche transnosographique
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et dimensionnelle, des analyses comparables de certains processus sous-
jacents, même si leurs trajectoires évolutives se différencient progressi-
vement (Karmiloff-Smith, 2018 ; Sturm et coll., 2018). Signalons en
outre que le dsm-5 a introduit au sein de la catégorie troubles neuro
développementaux un nouvel intitulé « troubles de la communication
sociale (pragmatique) » pour rendre compte de profils d’enfants qui
présentent des troubles de l’utilisation sociale de la communication
(verbale et non verbale) du même type que les enfants avec tsa, mais
pas de comportements et intérêts à caractère restreint et répétitif (axe
2 dans les critères du tsa). Auparavant, les troubles de ces enfants
se trouvaient regroupés soit sous le label « troubles envahissants du
développement non spécifiés » dans le dsm-iv soit sous celui d’autisme
atypique dans la cim-10, ou bien encore étaient identifiés comme des
troubles du langage, mais portant davantage sur le versant sémantique-
pragmatique que sur les dimensions structurelles du code linguistique.
Le trouble de la communication sociale pragmatique n’est donc pas un
« nouveau trouble » mais résulte d’un compromis entre enjeux scien-
tifiques et enjeux de terrain. D’un côté, le dsm-5 a revu son système
de classification en optant pour une approche dimensionnelle, qui
correspond mieux à l’hétérogénéité clinique constatée à large échelle
sur le plan épidémiologique et s’exprime sur des variations continues
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moins important, sur les plans fonctionnel et de la clinique de terrain,
de prendre en compte les difficultés que rencontrent ces enfants dans
leur communication sociale.
Pour terminer, gardons à l’esprit que les troubles neurodéveloppe-
mentaux n’induisent pas seulement des perturbations endogènes des
processus de traitement et de maturation chez l’enfant mais modifient
les conditions même d’instauration des échanges communicatifs et de la
compréhension sociale réciproque de son entourage au fonctionnement
« neurotypique », avec des effets dominos du fait de ce champ expé-
rientiel transformé. C’est donc la co-adaptation des moyens mais aussi
des objets référentiels des échanges qui se trouve fragilisée. La mise en
liens des comportements comme des significations est « atypique » au
sens d’étrange et déstabilisante, et nécessite des efforts mutuels, autant
que possible avec l’aide de professionnels suffisamment bien formés.
Trouver des moyens de rendre ces relations plus « intelligibles », tout
en respectant les différences de fonctionnement mental de chacun,
est un défi posé par cette neurodiversité. C’est à ce niveau que se joue
l’essentiel des retombées de ces recherches, qu’il s’agisse du terrain
clinique, éducatif, ou plus largement de l’inclusion sociétale.
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