Vous êtes sur la page 1sur 19

TROUBLES DE LA COMMUNICATION SOCIALE ET

NEURODÉVELOPPEMENT

Marie-Hélène Plumet

Érès | « Contraste »

2020/1 N° 51 | pages 241 à 258


ISSN 1254-7689
ISBN 9782749266893
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-contraste-2020-1-page-241.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Érès.


© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
© Érès. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Troubles de la communication sociale
et neurodéveloppement
Marie-Hélène Plumet
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
Résumé
Cet article aborde l’impact d’un trouble neurodéveloppemental, le trouble du
spectre de l’autisme, sur le développement de la communication sociale chez
l’enfant. Les processus sous-jacents aux fonctionnements et dysfonctionne-
ments sociocommunicatifs sont situés dans leur trajectoire atypique à partir
du double appui des connaissances en psychologie du développement et des
travaux en neurosciences cognitives et sociales. Ces recherches ouvrent sur des
perspectives d’application pour les pratiques d’intervention et de prise en charge
des enfants et de leurs familles.
Mots-clés
Trouble du spectre de l’autisme, communication, compréhension sociale,
trajectoires de développement, trouble neurodéveloppemental, interaction-
nisme social, neuroconstructivisme.

Marie-Hélène Plumet, maître de conférences en psychologie du développement, Labora-


toire de psychopathologie et processus de santé-lpps (ea 4057), Institut de psychologie,
université de Paris, 71 av. Édouard Vaillant, 92100 Boulogne-Billancourt, France ;
marie-helene.plumet@u-paris.fr

241

CONTRASTE 51.indd 241 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

L
es troubles de la communication recouvrent un large éventail de
dysfonctionnements, depuis les troubles spécifiques du langage
(oral/écrit, expressif/réceptif ), ceux consécutifs à des déficiences
sensorielles, jusqu’aux troubles plus globaux de la communication qui
affectent en profondeur la transmission sociale des intentions et repré-
sentations quels que soient les moyens communicatifs, qu’ils soient
verbaux ou non verbaux. Dans cet article, nous nous centrerons sur
ces derniers. Nous présenterons l’impact d’un trouble neurodévelop-
pemental (trouble du spectre de l’autisme-tsa, apa, 2013) sur le déve-
loppement sociocommunicatif de l’enfant en croisant les approches
socioconstructivistes interactionnistes du développement et l’apport
récent des neurosciences sociales et cognitives. Nous terminerons par
les implications de ces travaux pour la prise en charge et l’accompagne-
ment des enfants et partenaires éducatifs et de soin concernés (familles
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
et professionnels).

Comprendre les fonctionnements et dysfonctionnements


sociocommunicatifs des enfants en les situant dans leurs
trajectoires développementales atypiques
La communication humaine est une activité complexe pour laquelle
le bébé est ordinairement bien préparé à la naissance. Il vient au
monde avec des ressources sensori-motrices, cognitives, émotionnelles
et motivationnelles qui lui permettent de s’orienter en priorité vers
les interactions avec les personnes, de s’engager spontanément dans
des comportements réciproques et temporellement coordonnés qui
fondent les échanges interpersonnels, d’y trouver de l’intérêt, du plaisir,
des moyens de réguler son activité ainsi que des repères (schémas,
routines…) soutenant ses capacités à construire, à partager et à trans-
mettre des significations. La mise en place rapide de la communication
dès les premiers mois est rendue possible grâce, d’une part, à des pré­
dispositions innées du nourrisson (attrait attentionnel pour les visages
et les sons humains, imitation, associations perceptives intermodales et
reconnaissance de configurations régulières) et, d’autre part, à la forte
motivation de ses proches à communiquer avec lui et à interpréter ses

242

CONTRASTE 51.indd 242 20/04/2020 14:03


Troubles de la communication sociale et neurodéveloppement

comportements comme motivés par des intentions sociales et commu-


nicatives (Tomasello, 2010). Ainsi, chez le bébé tout-venant, tout
concorde à ce que l’environnement humain ait dès les premiers jours
une saillance privilégiée et qu’il y déploie rapidement, via l’engage-
ment mutuel de ses partenaires d’interaction et la fréquence élevée des
échanges, une expertise comportementale (ajustements adaptatifs) et
représentationnelle (mise en sens) spécifique. Les interactions humaines
constituent ainsi la matrice de l’apprentissage implicite d’une commu-
nication de plus en plus sophistiquée, d’une intentionnalité partagée, et
d’une co-construction des moyens d’échanges et de compréhension des
états internes (ressentis, intérêts, représentations, etc.) [Plumet, 2019].
Non seulement ces processus ont de nombreux effets d’étayage pour
le développement social et cognitif du jeune enfant (Vygotski, 1985 ;
2014), mais cette « priorisation sociale » se traduit également très tôt
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
par une spécialisation du fonctionnement cérébral (Johnson, 2011).
Cependant, chez certains nourrissons, des singularités neurofonction-
nelles modifient qualitativement dès les phases précoces ses rapports à
son environnement, au plan perceptif comme de ses actions et inter-
actions. Il s’ensuit des expériences du monde atypiques avec des effets
développementaux en cascade en termes de valences motivationnelles,
d’impact sur les processus d’auto et corégulation, et d’occasion d’exer-
cice, non seulement pour l’enfant lui-même mais pour ses partenaires
déstabilisés dans leurs tentatives d’éveil et de soutien des échanges avec
un bébé à la réactivité très inhabituelle.
Dans ces conditions, les interactions humaines, au lieu de constituer
pour l’enfant une source d’intérêt spontané et d’appui intuitif à ses
acquisitions, peuvent alors devenir un défi adaptatif, non pas consé-
cutivement à une incapacité parentale, comme d’anciens modèles
aujourd’hui obsolètes en ont fait l’hypothèse, mais par le dépassement
des possibilités de traitement que suscitent les échanges sociaux compte
tenu du fonctionnement neurocognitif et émotionnel vulnérable de
ces enfants. La recherche montre en effet que, chez les enfants avec
tsa, les réactions neurophysiologiques aux stimulations présentent de
façon très précoce de grandes divergences par rapport à des enfants

243

CONTRASTE 51.indd 243 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

témoins quant aux seuils de sensibilité, de modulation et de mise en


phase/synchronisation des activations, avec une alternance de sous et
de sur-réactions, et un ajustement temporel perturbé (Gepner, 2014).
De ce fait, il semble que ces bébés, et de façon persistante jusqu’à l’âge
adulte 1, se trouvent très rapidement débordés par la grande variété
et complexité des flux d’informations à prendre en compte, trier et
hiérarchiser en situation sociale et par les exigences de co-ajustements
successifs en temps réel. Les interactions sont propices à engendrer
chez eux des surcharges de traitement accompagnées de stress par la
difficulté d’en tirer des effets prévisibles et d’entrer sans effort en réso-
nance avec les comportements, motivations ou intérêts des personnes.
De façon corrélative, des conduites répétitives et davantage tournées
vers le monde physique traduiraient chez eux la recherche d’expé-
riences sensorielles et motrices à effets plus reproductibles et contrôlés,
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
conduisant peu à peu l’enfant à une focalisation de ses activités sur
quelques champs restreints (dont certains très investis peuvent aboutir
à développer des talents inhabituels) et à limiter ses échanges sociaux
à certaines personnes et conditions très familières. Peu à peu, l’en-
fant poursuit un cheminement très singulier au plan social et cognitif
comme de la spécialisation cérébrale dans une dynamique d’effets plas-
tiques réciproques, soulignée par les approches neuroconstructivistes
des troubles du développement (Karmiloff-Smith, 2018).
On peut noter que, selon plusieurs chercheurs, ces singularités ne relè-
veraient pas nécessairement d’un « déficit » initial (au sens des modèles
lésionnels en neuropsychologie), mais potentiellement de surfonction-
nements ou de variations extrêmes sur le continuum de la neuro­
diversité. Toutefois, des écarts trop importants fragilisent les possibilités
du bébé d’entrer en phase de manière synchronisée avec le rythme de

1. Par exemple, Daniel Tammet, un adulte « autiste savant » explique : « Pour


moi, ce sont les visages qui posent problème, même ceux de personnes que je
connais depuis des années. Réfléchissez un instant à la complexité de chaque
visage humain, pas seulement aux nombreux petits détails personnels qui le
composent, mais aussi à l’instabilité de ses traits qui sont continuellement en
mouvement » D. Tammet, Embrasser le ciel immense, Paris, Les Arènes, 2014.

244

CONTRASTE 51.indd 244 20/04/2020 14:03


Troubles de la communication sociale et neurodéveloppement

fonctionnement des personnes et des échanges, conduisant alors à des


inadaptations et à l’installation de handicaps progressifs, particulière-
ment dans la communication. En retour, les particularités de l’enfant
ont un impact sur l’entourage lui-même : ses partenaires éprouvent des
difficultés à établir, à maintenir l’échange et à anticiper ou à décoder
les comportements de l’enfant, à prévoir ce qui va lui plaire, attirer
son attention ou ce qui va provoquer des réactions négatives, ce qui
peut entraîner tour à tour du découragement ou des tentatives invo-
lontairement « surstimulantes », avec le risque d’accroître chez l’enfant
les difficultés adaptatives et l’ampleur des divergences de sa trajectoire
évolutive. Le repérage précoce des signaux d’alerte est donc crucial pour
pouvoir aider les proches (familles, professionnels de la petite enfance) à
s’ajuster aux besoins particuliers de chaque enfant, sur la base de bilans
développementaux spécialisés. Les conditions des échanges favorisant
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
sa participation nécessitent en effet des aménagements dont certains
sont « contre-intuitifs » ou très éloignés des interactions habituellement
soutenantes pour un enfant ordinaire (par exemple, réduire la multi-
modalité ou ralentir le rythme de l’échange). En outre, des décalages
importants apparaissent entre l’âge réel de l’enfant et le niveau de
développement de son usage social des moyens de communication, y
compris lorsque le langage apparaît. Le risque (chez les parents mais
aussi les enseignants par exemple) est alors de confondre niveau formel
expressif (lexique et syntaxe) et niveau de compréhension et d’uti-
lisation des fonctions communicatives du langage, ce qui engendre
méprises et frustrations de part et d’autre.
Ainsi le dépistage puis le diagnostic de tsa n’est qu’une étape, qui ne
fige pas l’enfant dans un tableau descriptif de ses « incapacités » à inter­
agir ou à communiquer. Conserver une approche développementale
est essentiel pour soutenir et accompagner l’enfant et son entourage,
dans le but de favoriser une appropriation progressive des moyens
d’échange depuis leurs composantes les plus élémentaires jusqu’aux
modalités communicatives plus intégrées et élaborées, tout en tenant
compte des particularités de fonctionnement de l’enfant.

245

CONTRASTE 51.indd 245 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

Examinons à présent de quelles façons les recherches ont permis


d’éclairer plus précisément ces éléments atypiques du développement
sociocommunicatif des enfants avec tsa.

Singularités du développement communicatif


et sociocognitif chez les enfants avec tsa
De très nombreuses études internationales ont permis ces dernières
années d’identifier et de mieux comprendre les particularités du dévelop-
pement sociocommunicatif des personnes avec tsa, à l’aide de méthodes
d’observation directe, d’expérimentation ou d’explorations neurofonc-
tionnelles (voir leur synthèse dans Plumet, 2014). À cet égard, soulignons
d’emblée une difficulté méthodologique : le diagnostic de tsa étant rare-
ment posé avant l’âge de 3 ou 4 ans (et même souvent plus tardivement
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
en France), un grand nombre de ces recherches inclut des participants
d’âge relativement avancé ou des adultes pour caractériser leur fonc-
tionnement. Il n’est donc pas toujours aisé de reconstituer la trajectoire
développementale qui a conduit aux particularités observées. Cela vaut
pour le plan sociocognitif comme le plan cérébral, ni l’un ni l’autre
ne fournissant des marqueurs-traits figés de la pathologie, et tous deux
évoluant dans un rapport dynamique bidirectionnel. On peut néanmoins
s’appuyer depuis quelques années sur des ressources complémentaires
de données sur les phases initiales de développement du syndrome : a)
l’étude d’enfants qui ont reçu un diagnostic précoce (vers 18-24 mois) ;
b) l’étude rétrospective d’enfants ayant un diagnostic de tsa, à partir des
films familiaux (recueillis avant l’âge de 2-3 ans) confiés à des observa-
teurs non informés du diagnostic codant les comportements interactifs,
dont une part de vidéos sur des enfants sans tsa ; c) l’étude prospective
depuis leur plus jeune âge de cohortes d’enfants « à risque plus élevé »
de troubles neurodéveloppementaux, comparées à des cohortes à risque
plus faible. Les groupes ciblés « à risque » sont d’une part les sœurs ou
frères puînés d’un enfant avec tsa (en raison des facteurs importants
de vulnérabilité génétique), d’autre part les enfants prématurés (fragi-
lisés par leur immaturité neurobio­logique). Ces bébés sont suivis dès les
premiers mois à l’aide d’échelles de développement et d’outils techniques

246

CONTRASTE 51.indd 246 20/04/2020 14:03


Troubles de la communication sociale et neurodéveloppement

spécifiques (oculométrie, potentiels évoqués perceptifs) aidant au repé-


rage d’éléments inhabituels dans l’exploration ou la réactivité spécifique
aux stimuli sociaux. Ces études longitudinales contribuent à identifier
parmi ceux qui évoluent ensuite vers un tsa les signes distinctifs qui
ont pu émerger avant même le diagnostic et à retracer la séquentialité
d’apparition des troubles (sensori-moteurs, sociocommunicatifs, troubles
du comportement…).
De ces travaux, ont pu être dégagés les signes d’alerte les plus signifi-
catifs, dès la fin de la première année, tels que :
– le manque d’attirance préférentielle vers les personnes (voix,
visages, yeux, mouvements expressifs humains ou actions
motrices dirigées vers un but) ;
– de moindres engagement et maintien dans les interactions :
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
imitation, réciprocité des signaux affectifs, anticipation postu-
rale et coordination avec les mouvements d’autrui, jeux partagés,
attention conjointe ; une faible réaction du bébé à son prénom ;
– des limites des capacités de régulation (états d’éveils, émotions,
attention, comportements) ;
– des difficultés à combiner les différents moyens de communica-
tion dès le niveau verbal, puis avec les premiers éléments verbaux,
dans une variété de buts sociaux.
La plupart de ces anomalies touchent les bases de la coordination des
conduites de l’enfant au plan inter et intra-individuel.
Les travaux menés auprès de participants avec tsa un peu plus âgés
et aux âges de développement variés complètent la caractérisation des
troubles du développement sociocommunicatif dans le tsa.

Motivations et modalités de traitement atypiques


des informations sociales
Alors que les bébés typiques se montrent plus attentifs aux regards et aux
voix dirigés vers eux plutôt qu’ailleurs, cette sensibilité directionnelle

247

CONTRASTE 51.indd 247 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

n’est pas distinctive chez les enfants avec tsa, ce qui peut contribuer
aux difficultés à établir les échanges. En outre, ils ne montrent pas
l’appétence privilégiée des bébés tout-venant pour le langage de type
« motherese » (formes langagières à prosodie très modulée, à pauses plus
fréquentes et longues, que les personnes adoptent intuitivement en
s’adressant à de jeunes bébés, très efficace ordinairement pour capter
leur attention, maintenir l’interaction et échanger des signaux affectifs).
Ils rencontrent d’importantes difficultés à extraire les patterns carac-
téristiques des principales émotions que ce soit au plan des mimiques
faciales, des postures du corps ou encore de la prosodie vocale. Leur
traitement semble se focaliser sur les détails perceptifs ce qui gêne, ou
pour le moins ralentit, la catégorisation d’ensemble dans des unités
signifiantes présentant des points communs au-delà des différences
locales. L’imitation est utilisée de façon atypique : l’enfant peut repro-
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
duire très précisément au plan de la forme certains productions vocales/
verbales ou gestuelles des personnes (écholalies, échopraxies) mais il ne
le fait pas nécessairement sur demande ni spontanément de la façon
réciproquement modulée telle qu’attendue dans les usages sociaux de
l’imitation (dialogues non verbaux, jeux à tour de rôles, etc.). Il peut
néanmoins être sensible au fait d’être imité si l’on renforce l’imitation
de ses actions ou vocalisations, y compris celles qui semblent bizarres
à ses partenaires, ce qui constitue un levier précieux pour amorcer la
communication et l’intérêt mutuel (Nadel, 2011). Dans les contextes
de vie quotidienne, on observe chez les enfants avec tsa une variabilité
importante de la réactivité et de la motivation aux échanges sociaux.
Elles peuvent prendre plusieurs formes et évoluer au cours de leur
développement : évitement actif, acceptation passive ou recherches
de contact mais via des modalités bizarres, peu conventionnelles. La
qualité des interactions est meilleure, tant en situation d’apprentissage
que de jeu, avec des partenaires familiers en situation dite « struc-
turée », c’est-à‑dire où le cadre est facilement identifiable et où le parte-
naire, ayant bénéficié d’une guidance spécifique, soutient l’activité en
commun, sollicite et encourage l’enfant, module et ajuste le niveau de
stimulation à des seuils tolérables pour son fonctionnement perceptif
singulier et à ses champs d’intérêts, et ne se décourage pas dans le

248

CONTRASTE 51.indd 248 20/04/2020 14:03


Troubles de la communication sociale et neurodéveloppement

maintien des échanges, malgré les ruptures, comportements parasites,


et tempos de réponse parfois décalés.

Communication et langage
Bien que l’ensemble des usages sociaux des moyens communicatifs
soit perturbé dans le tsa, l’accès au code verbal concentre souvent les
inquiétudes des familles, d’autant qu’il existe une très grande hétéro-
généité dans les trajectoires langagières des enfants avec tsa. Sur le
versant expressif, les troubles vont d’un mutisme complet persistant à
l’âge adulte jusqu’à des formes de tsa où le niveau formel du langage
est très élevé (lexique et syntaxe très élaborés, parfois supérieurs aux
attentes de l’âge réel). Cela tient probablement aux effets conjugués de
la multiplicité des facteurs de vulnérabilité génétique impliqués dans
le tsa et des opportunités plus ou moins grandes de compensation par
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
une prise en charge précoce et ajustée, celle-ci favorisant sensiblement
les chances d’émergence du langage. Il convient cependant de distin-
guer les dimensions linguistiques et communicatives de l’acquisition
du langage, qui se trouvent souvent beaucoup plus dissociées dans les
troubles neurodéveloppementaux que dans le développement typique.
Ainsi des études longitudinales montrent paradoxalement que chez les
individus avec tsa à efficience intellectuelle relativement préservée, on
observe au début de l’acquisition du langage une phase où la compré-
hension verbale tend à être de moins bonne qualité que l’étendue lexi-
cale en production, ce qui est l’inverse des trajectoires typiques. Cela
témoignerait de mécanismes d’apprentissage qualitativement distincts,
l’enfant s’intéressant à reproduire certains mots soit par simple intérêt
sensoriel 2, sans se soucier du sens, soit en procédant par association

2. Ainsi témoigne, par exemple, Jim Sinclair, personne adulte avec tsa, à propos
de son enfance sur un site internet (en anglais) [http://www.inforautisme.
com/02quoi/temoin_sinclair_2.htm#chap2] : « Parce que je n’ai pas utilisé le
langage pour communiquer avant l’âge de douze ans, on était presque sceptique
quant à mes possibilités à apprendre à fonctionner de manière indépendante.
Personne ne devinait combien je comprenais, puisque je ne pouvais pas dire ce
que je savais. Et personne ne devinait la chose essentielle que je ne savais pas,

249

CONTRASTE 51.indd 249 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

entre des unités sonores entendues autour de lui et des éléments perçus
dans son champ perceptif mais avec beaucoup moins d’inscription de
ces mises en lien dans la communication. En effet, ces enfants portent
moins d’attention aux indices déictiques référentiels des locuteurs lors
de leurs énoncés (direction des regards, pointages, attitude corporelle
tournée vers un objet ou préparant une action…) qui signalent ce dont
ils parlent et les intentions qu’ils peuvent avoir à propos des référents
verbalisés.
De manière générale, quel que soit le degré d’avancement du langage
sur le plan formel, plusieurs caractéristiques communes se retrouvent
chez les enfants avec tsa : les aspects sémantiques et pragmatiques
sont souvent affectés de manière plus marquée que les aspects phono­
logiques ou lexico-syntaxiques ; des difficultés sociocognitives de même
nature se retrouvent à la fois sur les plans non verbal et verbal. Dans
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
un article de synthèse, Kissine, Clin et Villiers rappellent que «  la
pragmatique se conçoit comme la capacité cognitive qui permet de
traiter les stimulus communicationnels, verbaux ou non, intégrant
l’information contextuelle, y compris les intentions communicatives
du locuteur » (2016, p. 874).
Lorsque le langage émerge, même s’il peut servir à terme d’appui
adaptatif compensant certaines limitations développementales chez
ces enfants, les problèmes de communication ne disparaissent pas.
La gamme des difficultés d’usage social du langage se manifeste par :
– le manque de maîtrise des aspects paraverbaux, tels qu’une
modulation bizarre des intonations, une gestion mal coordonnée
des éléments expressifs (gestes, regards…) qui accompagnent les

la connexion manquante dont dépendaient tellement d’autres : je ne commu-


niquais pas en parlant, non parce que j’étais incapable d’apprendre à utiliser le
langage, mais parce que je ne savais pas à quoi servait le langage. Apprendre
comment parler découle du fait de savoir pourquoi parler – et jusqu’à ce que
j’aie appris que les mots ont une signification, il n’y avait pas de raison de me
compliquer la vie à apprendre à les prononcer en tant que sons. […]. Je n’avais
pas la moindre idée que cela aurait pu être une manière d’échanger des choses
sensées avec d’autres personnes. »

250

CONTRASTE 51.indd 250 20/04/2020 14:03


Troubles de la communication sociale et neurodéveloppement

énoncés (et corrélativement une mauvaise prise en compte de


ces éléments pour interpréter les propos qui leur sont adressés) ;
– des difficultés à prendre son tour de parole dans les conversations ;
– une utilisation du langage dans une gamme de buts fonction-
nels interpersonnels plus limitée que les sujets à développement
typique d’âge verbal équivalent (dominance de fonctions instru-
mentales telles que les requêtes, refus ou protestations auxquelles
s’ajoutent chez les sujets de niveau plus avancé des fonctions
informatives factuelles ; moindre usage des fonctions de partage
d’états mentaux : partager des intérêts, se témoigner une recon-
naissance/considération mutuelle par des routines et conventions
verbales, mentir/tromper, raconter, faire des projets, imaginer
expliquer, négocier, blaguer, etc.) ;
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
– des problèmes d’adaptation au point de vue de l’interlocuteur
au fil des échanges : gestion des thèmes de conversation, prise
en compte des feedbacks tels que les indices d’intérêt/ désintérêt
de l’interlocuteur ;
– de nombreuses erreurs de décodage inférentiel des présupposés
implicites derrière les énoncés insuffisamment reliés aux éléments
contextuels (notamment la compréhension des intentions lors
de messages non littéraux comme l’ironie ou les métaphores, et
plus globalement les problèmes dits de « théorie de l’esprit »,
soit d’interprétation des attitudes mentales comme les émotions,
désirs, attentes, représentations (cf. Veneziano, 2015).
À nouveau, il est important de mettre ces différentes manifestations
des troubles communicatifs et langagiers en perspective développemen-
tale pour chaque individu. En effet, malgré les handicaps importants
qu’elles entraînent dans les relations sociales au quotidien, ce ne sont
pas des incapacités absolues ; les compétences sont susceptibles d’évo-
luer au cours de la vie de la personne, de ses occasions d’échanges et
des accompagnements mis en œuvre au cours de la prise en charge.

251

CONTRASTE 51.indd 251 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

Modélisations et perspectives d’application


Comment articuler ces singularités du développement communicatif
et sociocognitif avec leurs corrélats neurodéveloppementaux dans les
tsa ? Trois approches principales se dégagent, chacune ouvrant sur des
pistes complémentaires pour l’intervention.
L’approche « domaine spécifique » cherche à circonscrire des atteintes
neurodéveloppementales qui, chez les personnes avec tsa, altèreraient
de façon centrale le « cerveau social », touchant au niveau structural
des fonctions spécialisées de façon prédéterminée pour l’adaptation
sociale et le traitement des informations pertinentes. En ce sens, de
très nombreuses études en neuro-imagerie fonctionnelle confirment
que les activations cérébrales pendant des tâches requérant le traite-
ment d’informations sociales sont atyiques chez les individus avec tsa.
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
Les procédures d’intervention découlant de cette approche « domaine
spécifique » visent à compenser les handicaps induits par l’altération
des systèmes préprogrammés pour la cognition sociale par des moyens
alternatifs, qui contournent ou remplacent les traitements inaccessibles
spontanément par des moyens davantage à la portée des sujets avec tsa
(par exemple, entraînement à la reconnaissance émotionnelle faciale
ou vocale, à l’attention conjointe, apprentissage explicite des habiletés
sociales, stockage sur tablette de répertoires de scénarios sociaux et
schémas- types pour se repérer dans la vie sociale, etc.). Cette approche
oriente également le dépistage précoce des signes d’alerte essentielle-
ment vers les anomalies de la réactivité sociale.
L’approche « domaine général » met l’accent sur les particularités plus
larges de la régulation des ressources perceptives et cognitives du sujet
qui impactent plus sévèrement le développement communicatif, mais
dont on retrouve également des conséquences fonctionnelles dans les
domaines non sociaux (par exemple, des spécificités de l’intégration
sensorielle et motrice, des biais de traitement localiste des informa-
tions ou encore un développement atypique des fonctions exécutives,
ces particularités régulatrices globales se retrouvant également au plan
cérébral).

252

CONTRASTE 51.indd 252 20/04/2020 14:03


Troubles de la communication sociale et neurodéveloppement

Ces conceptions ouvrent sur des approches complémentaires d’inter-


vention, basées sur des exercices de remédiation cognitive qui dépassent
le domaine social et dont on attend des influences positives sur ce
champ (logiciels de ralentissement du son et de l’image de vidéos pour
permettre une intégration plus aisée des informations en provenance
des visages ou des voix, entraînement aux fonctions exécutives, habi-
tuation sensorielle progressive, etc.). Elles justifient également des
aménagements de l’environnement éducatif conçus pour optimiser les
conditions les plus favorables aux apprentissages comme aux échanges
sociaux ludiques, d’une façon qui s’adapte aux besoins et aux modalités
propres des enfants avec tsa (structuration, réduction des distracteurs,
soutiens à la motivation, etc.). Elles donnent en outre de nouvelles
pistes pour la recherche de signes d’alerte précoces, dans des domaines
fonctionnels non spécifiquement sociaux tels que l’engagement atten-
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
tionnel, la régulation des affects face à la nouveauté ou la planification
et la coordination motrice.
Enfin, la troisième approche ré-analyse et intègre les deux précédentes sous
l’angle d’une « spécialisation développementale interactive atypique ».
Elle relève d’une conception plus constructiviste et interactionniste
du développement des aptitudes adaptatives comportementales et
neurocognitives en lien avec leurs domaines d’application. Le bébé est
vu comme un sujet actif dans la construction de ses connaissances : ses
conduites adaptatives, le sens donné à ses expériences et les ressources
allouées par son cerveau à tel ou tel domaine évolueraient à mesure de
ses rencontres avec l’environnement et des occasions d’apprentissage
qu’il y réalise. Plutôt que d’opposer les hypothèses sur la primauté
des anomalies « domaine général » ou « domaine spécifique » dans les
tsa, cette prise en compte du contexte expérientiel et culturel dans
lequel l’enfant se développe permet d’articuler de façon dynamique leur
évolution ainsi que leurs corrélats neurocérébraux, eux-mêmes évolutifs
(Leekam, 2016). Du point de vue de l’accompagnement de terrain,
des perspectives innovantes découlent de ces manières d’envisager les
relations entre neurodéveloppement et expériences du bébé humain.
Cette conception confère au cerveau et à l’ontogenèse des fonctions

253

CONTRASTE 51.indd 253 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

cognitives une plus grande puissance et souplesse d’adaptation (ainsi


qu’en témoigne l’étendue des différences interindividuelles) que si
les compétences de base sont déjà structurées de façon cloisonnée.
En psychopathologie développementale, cela donne l’espoir que des
particularités neurofonctionnelles de base, telles qu’une réactivité trop
sensible du système à la nouveauté, repérées très tôt comme déséqui-
librant et fragilisant l’adaptation, puissent se réguler à condition d’un
repérage et d’une intervention très précoces offrant des opportunités
à l’enfant de transformer les réglages généraux dans un sens qui lui
permette davantage de modulation et d’intégration. De plus en plus
de programmes sont élaborés avec cet objectif de relancer chez l’enfant
un développement sociocognitif et neurocérébral plus fonctionnel, en
misant sur leur plasticité réciproque. Leur principe commun consiste à
fournir à l’enfant des opportunités d’exercer ces schèmes sociocognitifs,
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
communicatifs et de régulation émotionnelle qu’il peine à mobiliser
spontanément, par un aménagement du cadre des sollicitations ajusté
à ses particularités, tout en lui donnant progressivement l’occasion
d’y prendre davantage d’initiatives et d’y construire des moyens signi-
fiants de relations sociales (par exemple : les thérapies d’échange et de
développement (ted) mises au point par l’équipe du chu de Tours ;
les programmes de soutien à la communication précoce tels que le
modèle de Denver-esdm ; ou de soutien renforcé de l’imitation, Nadel,
2011). L’impact positif de ces prises en charge s’observe non seulement
sur le plan comportemental, dans une communication de meilleure
qualité, mais aussi, conformément à l’hypothèse de plasticité, sur le plan
des indices neurophysiologiques (potentiels évoqués, mesures oculo-
métriques d’exploration visuelle) qui rejoignent progressivement des
patterns fonctionnels plus proches des enfants typiques.
En outre, dans cette perspective interactionniste, il est essentiel d’ac-
compagner aussi les partenaires d’échanges de l’enfant, en fournissant
aux familles et aux professionnels qui sont en contact régulier avec lui
plusieurs types d’aides : un éclairage informatif sur le tsa , fondé scien-
tifiquement (afin de donner du sens aux réactions déroutantes et aux
fonctionnements singuliers de l’enfant) ; des programmes de guidance

254

CONTRASTE 51.indd 254 20/04/2020 14:03


Troubles de la communication sociale et neurodéveloppement

(savoir-faire clés, pour ajuster la communication et les apprentissages


aux besoins spécifiques de l’enfant à partir d’une évaluation individuelle
approfondie) ; enfin, un soutien social et émotionnel pour faire face aux
répercussions du handicap, améliorer la qualité de vie et les stratégies de
coping (groupes de parole pour la famille – parents, fratrie –, groupes
d’analyse des pratiques pour les professionnels).

Conclusion
Bien que cet article se centre sur les enfants avec tsa, chez qui les
troubles sociocommunicatifs sont particulièrement saillants et ont
été le plus étudiés, d’autres troubles neurodéveloppementaux (par
exemple le tdah) ont également des impacts sur le développement
communicatif et mériteraient, dans une approche transnosographique
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
et dimensionnelle, des analyses comparables de certains processus sous-
jacents, même si leurs trajectoires évolutives se différencient progressi-
vement (Karmiloff-Smith, 2018 ; Sturm et coll., 2018). Signalons en
outre que le dsm-5 a introduit au sein de la catégorie troubles neuro­
développementaux un nouvel intitulé « troubles de la communication
sociale (pragmatique) » pour rendre compte de profils d’enfants qui
présentent des troubles de l’utilisation sociale de la communication
(verbale et non verbale) du même type que les enfants avec tsa, mais
pas de comportements et intérêts à caractère restreint et répétitif (axe
2 dans les critères du tsa). Auparavant, les troubles de ces enfants
se trouvaient regroupés soit sous le label « troubles envahissants du
développement non spécifiés » dans le dsm-iv soit sous celui d’autisme
atypique dans la cim-10, ou bien encore étaient identifiés comme des
troubles du langage, mais portant davantage sur le versant sémantique-­
pragmatique que sur les dimensions structurelles du code linguistique.
Le trouble de la communication sociale pragmatique n’est donc pas un
« nouveau trouble » mais résulte d’un compromis entre enjeux scien-
tifiques et enjeux de terrain. D’un côté, le dsm-5 a revu son système
de classification en optant pour une approche dimensionnelle, qui
correspond mieux à l’hétérogénéité clinique constatée à large échelle
sur le plan épidémiologique et s’exprime sur des variations continues

255

CONTRASTE 51.indd 255 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

plutôt que discontinues. Cette conception concorde également avec


les modèles étiologiques plurifactoriels et dynamique sous-jacents aux
troubles neurodéveloppementaux avec différenciation progressive de
trajectoires, diverses combinaisons et degrés existant sur chaque dimen-
sion et pouvant évoluer au cours du développement de l’enfant et de
ses expériences. Mais pour des enjeux de prise en charge, certaines
distinctions « catégorielles » ont été maintenues. Ainsi il a fallu créer
une sous-catégorie qui puisse reconnaître les handicaps découlant des
troubles des enfants qui partagent les mêmes troubles que les enfants
avec tsa sur l’axe 1, sans pour autant satisfaire l’ensemble des critères,
puisque ne manifestant pas ou très peu de troubles sur l’axe 2. Il restera
à clarifier au plan des mécanismes étiologiques la nature et la validité de
ces distinctions (Brukner-Wertman et coll., 2016). Il n’en demeure pas
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
moins important, sur les plans fonctionnel et de la clinique de terrain,
de prendre en compte les difficultés que rencontrent ces enfants dans
leur communication sociale.
Pour terminer, gardons à l’esprit que les troubles neurodéveloppe-
mentaux n’induisent pas seulement des perturbations endogènes des
processus de traitement et de maturation chez l’enfant mais modifient
les conditions même d’instauration des échanges communicatifs et de la
compréhension sociale réciproque de son entourage au fonctionnement
« neurotypique », avec des effets dominos du fait de ce champ expé-
rientiel transformé. C’est donc la co-adaptation des moyens mais aussi
des objets référentiels des échanges qui se trouve fragilisée. La mise en
liens des comportements comme des significations est « atypique » au
sens d’étrange et déstabilisante, et nécessite des efforts mutuels, autant
que possible avec l’aide de professionnels suffisamment bien formés.
Trouver des moyens de rendre ces relations plus « intelligibles », tout
en respectant les différences de fonctionnement mental de chacun,
est un défi posé par cette neurodiversité. C’est à ce niveau que se joue
l’essentiel des retombées de ces recherches, qu’il s’agisse du terrain
clinique, éducatif, ou plus largement de l’inclusion sociétale.

256

CONTRASTE 51.indd 256 20/04/2020 14:03


Troubles de la communication sociale et neurodéveloppement

Bibliographie
apa. American psychiatric association. 2013. Diagnostic and Statistical
Manual of Mental Disorders, dsm-5, Arlington, us, American Psychiatric
Association.
Brukner-Wertman, Y. ; Laor, N. ; Golan, O. 2016. « Social (pragmatic)
communication disorder and its relation to the autism spectrum: Dilemmas
arising from the dsm-5 classification », Journal of Autism and Developmental
Disorders, 46(8), p. 2821-2829.
Gepner, B. 2014. Autismes : ralentir le monde extérieur, calmer le monde
intérieur, Paris, Odile Jacob.
Johnson, M.H. 2011. « Interactive specialization: A domain-general
framework for human functional brain development? », Developmental
Cognitive Neuroscience, 1(1), p. 7-21.
Karmiloff-Smith, A. 2018. « Development itself is the key to under­
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)
standing developmental disorders », dans Thinking Developmentally from
Constructivism to Neuroconstructivism, New York, Routledge, p. 97-117.
Kissine, M. ; Clin, E. ; Villiers, J. de. 2016. « La pragmatique dans les
troubles du spectre autistique-développements récents », Médecine/Sciences,
32(10), p. 874-878.
Leekam, S. 2016. « Social cognitive impairment and autism: What are we
trying to explain? Philosophical Transactions of the Royal Society B », Biolo-
gical Sciences, 371(1686), 20150082.
Nadel, J. 2011. Imiter pour grandir. Développement du bébé et de l’enfant
avec autisme, Paris, Dunod.
Plumet, M.-H. 2014. L’autisme de l’enfant : un développement sociocognitif
différent, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus ».
Plumet, M.-H. 2019. « Le développement des théories de l’esprit : processus
et étapes précoces chez le jeune enfant », dans E. Devouche, J. Provasi, Le
développement du bébé : de la vie fœtale à la marche (chap.11), Paris, Elsevier
Masson.
Sturm, A. ; Rozenman, M. ; Chang, S. ; McGough, J.J. ;
McCracken, J.T. ; Piacentini, J.C. 2018. « Are the components of social
reciprocity transdiagnostic across pediatric neurodevelopmental disorders?
Evidence for common and disorder-specific social impairments » , Psychiatry
Research, 264, p. 119-123.

257

CONTRASTE 51.indd 257 20/04/2020 14:03


Contraste 51 � Les troubles du neurodéveloppement

Tomasello, M. 2010. Origins of Human Communication, Cambridge, mit


Press.
Veneziano, E. 2015. « Théories de l’esprit et acquisition du langage chez le
jeune enfant », Spirale, 3, p. 119–136.
Vygotski, L. 1985. Langage et pensée, Paris, Éd. Sociales.
Vygotski, L. 2014. Histoire du développement des fonctions psychiques supé-
rieures (trad. en français par F. et L.. Sève), Paris, La Dispute.
© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

© Érès | Téléchargé le 06/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

258

CONTRASTE 51.indd 258 20/04/2020 14:03

Vous aimerez peut-être aussi