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Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et

sociaux
Sylvie Craipeau, Bertrand Seys
Dans Psychotropes 2005/2 (vol. 11), pages 101 à 127
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1245-2092
ISBN 2804147436
DOI 10.3917/psyt.112.0101
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 09/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.69.196.237)

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Jeux et Internet :
quelques enjeux psychologiques
et sociaux

Sylvie Craipeau
Professeur, sociologue
Groupe des écoles de télécommunications
Institut national des télécommunications (GET-INT)
et Bertrand Seys
Maître de Conférence
Groupe des écoles de télécommunication
École nationale supérieure des télécommunications
(GET-ENST Bretagne)
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Résumé : Cet article analyse les pratiques de jeu sur Internet selon
un double point de vue, sociologique et psychologique. Nous pré-
sentons les dispositifs technico-organisationnels des jeux pour
comprendre comment ils transforment les pratiques ludiques. Nous
exposons les travaux menés sur l’addiction, laquelle est présentée,
en particulier dans les médias, comme la principale dimension de
ces jeux. Nous proposons une autre lecture de ce phénomène en
étudiant comment les usages de ces jeux émergent, et le sens qu’on
peut leur donner. Ces pratiques ludiques s’accompagnent d’une
transformation des rapports à soi et à l’autre, d’un rapport au
corps ambivalent. Ils participent enfin d’un processus de socialisa-
tion qui dépasse le seul cadre ludique et témoignent des transfor-
mations de notre société.

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Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

Abstract : This paper analyses Internet game practices following a


double point of view, sociological and psychological. Technical
and organisational game devices are presented in order to better
understand how they do transform diverting practices. The authors
present studies done on addiction, and especially discuss how
addiction is presented in the medias as being the main topic of
these online games. They propose another view on this phenome-
non by analysing how the usages of these games do emerge and the
meaning we can give to them. These diverting practices do trans-
form the relationship to oneself, to the other, as well as the ambi-
valent connection to the body. They finally take part in a
socialisation process that goes beyond the diverting level, and
show the changes in our society.

Mots clés : addiction, dépendance, Internet, sociabilité, sociali-


sation.

Introduction
Nous assistons depuis les années 1990 à l’émergence de technologies
nouvelles qui bouleversent les habitudes de travail de bon nombre de
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personnes, participent à changer les formes de nos relations sociales et
de nos modalités de communication. Ce mouvement de fond est celui de
la révolution numérique. Entre les années 1950 et 1970, l’industrie de
l’informatique se développe sur le principe de la numérisation (codage)
de l’information, et l’industrie des télécommunications se développe sur
le traitement et le transport de l’information sous forme analogique
(ondes). Les années 1980 verront la numérisation de l’industrie des télé-
communications.
À partir des années 1990, la distinction entre informatique et télé-
communication s’estompe et émerge une nouvelle industrie, celle des
Technologies de l’information et de la communication (TIC). L’électro-
nique fera le reste : toujours plus petite, toujours plus puissante… et
moins chère. Ce qui est à notre disposition comme puissance de calcul,
sur un micro-ordinateur standard d’environ 1000 euros, correspond à ce
qui était disponible sur les plus puissants ordinateurs scientifiques et
militaires des années 1960 pour un encombrement 15 000 fois supérieur.
La progression semble continuer et va de pair avec le développement,
pour un faible coût, des capacités de transport de l’information sur les
réseaux de télécommunications.

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Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

Dans notre environnement, les technologies de l’information et de


la communication deviennent, au moins dans les sociétés occidentales,
un élément structurant de notre organisation spatiale et temporelle au
même titre que l’électricité, l’eau, les transports en commun et indivi-
duels. Les jeux en ligne participent massivement de ce développement,
c’est pourquoi nous nous proposons de les étudier1.
Dans un premier temps, nous identifierons les jeux et leurs disposi-
tifs. En effet, ce sont les dispositifs de jeux, pensons-nous, qui différen-
cient en grande partie les pratiques ludiques.
Dans un second temps, nous aborderons le discours culpabilisant
concernant l’usage des jeux vidéo. Vecteurs d’addiction et de comporte-
ment violent, les jeux vidéo et Internet seraient vecteurs de psychopatho-
logie. Nous montrerons que ce discours est, sur le fond, technophobe et
que les usages « souffrants » des jeux vidéo et sur Internet sont plus liés
à un déplacement sur ces objets de symptômes déjà existants. En fait, les
jeux sur Internet relèvent d’une nouvelle forme culturelle qu’ils contri-
buent à développer. Celle-ci s’inscrit dans des formes de sociabilité, une
relation au corps et à l’autre, à l’intimité, qui se transforment. C’est ce
que nous étudierons dans la troisième partie de cet article.

Jeux et dispositifs de jeux


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Les pratiques ludiques, voire les profils des joueurs, varient en fonction
des dispositifs de jeu : de rôle (JDR) en face-à-face, en salle de réseau, en
ligne (MMORPG).
Nous distinguerons les dispositifs selon le degré de médiation socio-
technique en place :
• en face-à-face : pas de médiation sociotechnique,
• en association : médiation organisationnelle,
• en salle de réseaux : médiation technique (ordinateurs et réseaux) et
organisationnelle (le gérant de la salle),
• en ligne à domicile : médiation technique (ordinateur et réseau) et
organisationnelle (dispositif de conception et fabrication, gestion
des jeux).

1. Cet article est écrit à partir de deux recherches principales :


- Craipeau S, Auray N, Seys B et al : Les communautés électroniques – Paris,
Rapport GET (2002) ;
- Craipeau S, Seys B, Auray N et al : Mega usages, les jeux sur téléphones portables –
Paris, Rapport GET (2005).

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Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

Les jeux de rôles et les jeux vidéo ainsi que les jeux en ligne semblent
relever d’une culture particulière. Nous n’avons pas ici les moyens
d’explorer comme nous le souhaiterions cette dimension, mais il nous
paraît important de l’évoquer. Tout d’abord les jeux de rôles sont d’une
apparition très récente : les années 1970 aux États-Unis. Ils viendraient
d’une adaptation de jeux de stratégie par la création d’univers de fiction
complets : le premier jeu de ce type traditionnellement évoqué étant
Donjons et Dragons (Tremel, 2001).
Il nous semble qu’il y a un lien entre la culture informatique et ces
jeux. C’est ce que semble confirmer Sherry Turckle (1986) lorsqu’elle
souligne que Donjons et Dragons est un environnement social structuré
comme une machine : « Le donjon lui offre un monde sûr (dit-elle d’une
personne qu’elle a interviewée) lui permettant de construire des aventu-
res à partir d’un ensemble complexe de règles. » « Il n’y a pas d’ordina-
teur dans les premiers jeux de Donjons. Mais ces mondes artificiels sont
imprégnés de l’esprit du programme de l’ordinateur. Leurs limites leur
sont imposées par les systèmes de règles, pas par la réalité physique, ni
par des considérations morales. Le temps peut revenir en arrière, les per-
sonnages peuvent avoir des pouvoirs surhumains, tout est possible. La
seule obligation est la logique » (Turckle, 1986).
Ces caractéristiques sont démultipliées par l’apparition des jeux en
réseau dans les années 1990. Mais il semble que, dans le même temps,
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les jeux de rôles sur table laissent plus de place à l’interprétation, les
règles devenant moins déterminantes (Jaulin & Weil, 2003).
Le jeu de rôle repose sur trois dimensions : l’imaginaire, l’aléa, le
respect des règles. Ce sont les différentes façons de jouer qui privilégient
l’une d’entre elles. On peut par ailleurs considérer que les jeux en ligne
(et les jeux vidéo) se répartissent selon ces trois grandes catégories qui
regroupent partiellement la partition entre play et game (Winnicott,
1975). Le jeu vidéo élimine quasiment l’imaginaire, l’aléa tend à être
maîtrisé, le respect des règles est ce qui est dominant, intégré au système
technique, il n’y a guère de choix, sauf de contourner le système (sortir
du jeu avant la fin, par exemple, pour les jeux d’action).
Les jeux en ligne diffèrent en ce que certains sont des jeux d’action,
d’autres des jeux de rôles, ou – si l’on en croit les tenants des jeux tradi-
tionnels – des tentatives de transposition des jeux de rôles sur table. Mais
même dans ce que l’on pourrait considérer comme jeux de rôles en ligne,
des différences importantes existent du fait de l’ingénierie du jeu. Ces
jeux sont « un art du dispositif » (Jaulin & Weil, 2003), des univers créés
par des « ingénieurs de mondes » (Jaulin & Weil, 2003). L’univers est

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Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

constitué des règles du jeu et du travail de scénariste qui oriente les


modalités du jeu : « Si le système d’expérience récompense le combat
plutôt que le lien social, le visage du jeu change totalement. Ce story
design se retrouve jusque dans la topographie des lieux envisagés
comme des parcs d’attractions. Bref, depuis Donjons et Dragons, un art
du dispositif s’est mis en place. Il associe simulation, règles du jeu, nar-
ration et communication pour canaliser l’imaginaire des joueurs et leur
permettre de donner vie à ces territoires… » (Jaulin & Weil, 2003).
Les façons de jouer, l’attrait que l’on trouve dans le jeu vont large-
ment être tributaires de cette ingénierie (Yee, 2002) Mais il nous semble
que nous pouvons globalement établir une comparaison entre jeu sur
table et jeux en ligne.
Dans le jeu en ligne, l’imaginaire est moins important puisque le
monde virtuel est donné par le logiciel et non construit par un joueur. Les
règles sont partiellement inscrites dans le système technique, partielle-
ment établies par les joueurs, la plupart du temps de façon formalisées
par le système technique (le logiciel) et par les règles écrites établies dans
une guilde (parfois ces règles restent informelles, mais la majorité des
joueurs affirment que leur guilde possède une charte écrite). La coordi-
nation de l’action est centrale, elle focalise l’attention et l’activité de cha-
cun, elle est supportée par les instruments de communication comme les
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chats, les forums et par l’organisation du jeu telle qu’elle est inscrite dans
le logiciel.
Dans le jeu en face-à-face, le rôle du maître du jeu est déterminant :
c’est lui qui propose un univers que partageront ensuite les joueurs, c’est
lui aussi qui anime le jeu, donne les règles, les fait respecter, régule les
relations dans le groupe. On a affaire à une sorte de leader charismatique
pour le bon fonctionnement du groupe : l’intérêt et le plaisir du jeu vien-
nent du maître du jeu. Les normes communes sont essentielles, données
et régulées par lui. La coordination dépend du maître du jeu et de
l’acceptation par chacun des normes et règles. Dans tous les cas, et cela
concerne aussi les jeux d’action, les jeux de rôles s’inscrivent dans un
système de règles et les rôles et jeux de chacun sont reliés au collectif de
joueurs. « L’intériorisation de cet ensemble organisé de rôles corres-
pond à ce qui, sur le plan objectif, est un groupe institutionnalisé.
L’enfant – ici on peut dire l’adolescent, mais aussi l’adulte –, grâce au
jeu réglementé, assume non plus seulement le rôle de tel ou tel parte-
naire, mais finalement celui d’un autrui généralisé, ce qui précisément
permet à la personnalité consciente de s’élaborer à partir d’un substrat
social » (Cazeneuve, 1980). Dans le jeu régi par des règles qu’on assigne

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Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

au joueur, les rôles sont institutionnalisés comme dans la société, avec


un libre choix de règles comme dans l’agon (Caillois, 1967) ou dans
l’aléa qui sont des jeux réglementés (game). On peut considérer que les
jeux en ligne tiennent de ce type. Les jeux de rôles sur table, s’établissent
aussi selon des règles, mais le joueur dispose de plus de liberté pour
façonner son personnage et son évolution dans le jeu, c’est-à-dire de plus
de place pour la mimicry, soit le simulacre, le faire semblant (on est dans
le play).
Nombre de joueurs comparant les différentes situations de jeu insis-
tent pour opposer les jeux vidéo et le jeu en face-à-face par la différence
de place laissée à l’imagination. C’est dans les jeux en co-présence
qu’elle occupe le plus large espace, alors que le jeu vidéo présente plus
la répétitivité de la machine : l’inattendu est du côté de l’humain. Mais
le jeu en ligne introduit une part de l’inattendu qui caractérisait le jeu en
face-à-face puisque les avatars sont dirigés par des humains. Ce jeu
présente un mixte de jeu préprogrammé qui, selon la plupart des joueurs,
limite l’imagination et les capacités créatrices des joueurs, mais main-
tient l’incertitude de l’intervention humaine2.
Le rapport au personnage semble lui aussi différent. Si certains
joueurs en face-à-face s’attachent beaucoup à leur personnage (Élie, le
personnage, « on sait qu’on va le garder, donc on a envie de s’y
attacher »), cette attitude ne paraît pas dominante dans le sens où la force,
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la performance du personnage sont rarement des buts affirmés dans ce
jeu. A contrario, le jeu en ligne favorise ce type d’orientation, ne serait-
ce que parce que le système technique tient un compte précis et indivi-
dualisé des performances de chaque avatar. Dans l’ensemble, ces joueurs
disent privilégier la recherche de détente dans ce jeu : 35 personnes sur
les 48 ayant répondu, qui jouent à Dark Age of Camelot (DAOC) ou à
Everquest, alors que seules 2 personnes mentionnent la compétition et
8 la recherche de rencontre. Mais la recherche de performance est mal-
gré tout présente, en particulier lorsque les joueurs parlent de leur guilde
et de leurs personnages : il s’agit d’atteindre le niveau 50, d’atteindre
le maximum, de ne pas mourir, de défendre le royaume, d’être les
meilleurs…

2. Les réponses des joueurs en ligne vont aussi dans ce sens : « le role playing est plus
poussé sur le papier », « le papier donne plus de liberté dans l’incarnation d’un
personnage », « le jeu de rôle papier donne une plus grande liberté dans l’interpré-
tation du personnage », « le papier éveille plus la créativité », « dans le jeu en ligne,
les mondes sont tout faits ».

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Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

Les jeux sur téléphone portable diffèrent selon qu’ils se jouent seul
ou à plusieurs. La qualité du support (le type de téléphone portable) est
déterminante. Dans les jeux solitaires, on peut avoir des jeux
d’arcade comme le solitaire ou des jeux vidéo caractérisés par l’exis-
tence de personnages et d’un récit. Les jeux à plusieurs sont rares, car
nécessitant des portables sophistiqués comme le Ngage de Nokia. Ils
demandent par ailleurs que les joueurs possèdent les mêmes portables, ce
qui en limite encore l’accès. Si les jeux avec histoire et personnages,
joués seul ou à plusieurs, semblent introduire plus d’espace imaginaire
que les jeux d’arcade et une relation à l’autre dans le mode multijoueur,
il convient de s’interroger sur la véritable présence, sur la place de l’autre
dans le jeu, ce que nous verrons en troisième partie. Avant cela, nous
allons analyser les phénomènes d’addiction qui mobilisent fortement
l’opinion publique comme la communauté scientifique.

Les jeux vidéo, facteurs d’addiction ?


Internet et les jeux vidéo offrent de nouveaux espaces à notre environne-
ment. Ces espaces ont la particularité d’être virtuels, c’est-à-dire d’exis-
ter seulement « à l’état de simple possibilité ». Cette particularité nous
permet de faire des projections de notre monde réel. Internet et les jeux
vidéo auraient donc la possibilité d’être une réalité projetée. L’existence
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de mondes virtuels vient bouleverser chez l’internaute son rapport à la
réalité. Internet est un support virtuel, mais qui peut donner lieu à des
événements effectifs. Lorsque deux personnes se rencontrent sur Inter-
net, la relation peut être idéalisée ou fantasmée, mais elle est réelle,
effective. La rencontre n’est pas corporelle, pourtant elle peut se faire par
l’intermédiaire d’avatars qui sont des représentations corporelles.
La fréquentation de ces mondes virtuels par le joueur aurait un
impact réel sur son comportement et favoriserait chez certains sujets
l’émergence de comportements pathologiques comme l’addiction, ou de
comportements déviants comme la violence.
Les jeux vidéo et Internet mettent en exergue deux problématiques :
celle de la dépendance et celle de la confusion entre ce qui est réel et ce
qui est virtuel, dans certains cas l’une venant entretenir l’autre. Par
l’usage des jeux vidéo et d’Internet, ce qui est posé, c’est la question du
contact entre la personne et son environnement. Car si nous pouvons
regarder les espaces virtuels comme des espaces de projection, nous pou-
vons aussi les regarder comme des moments de l’espace-temps de la
personne pendant lesquels elle n’est pas en contact avec d’autres élé-

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Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

ments de son environnement. Qu’est-ce que la personne projette ? Mais


aussi qu’est-ce qu’elle fait ? Et qu’est-ce qu’elle évite ? Quelle place
prend le corps dans ces processus ?
De nombreux auteurs s’intéressent à l’influence que ces nouvelles
technologies peuvent avoir sur les utilisateurs. Ils cherchent à démontrer
ou réfuter l’existence d’un lien de cause à effet entre Internet et les jeux
vidéo et l’émergence de psychopathologies. Ces chercheurs prennent
l’objet comme point de départ de leur réflexion. Dans un premier temps,
nous ferons le point sur ces études3 en ce qui concerne l’addiction et la
violence qui sont les deux phénomènes majeurs étudiés.
Dans une deuxième partie, nous regarderons comment émergent des
problématiques autour des jeux vidéo et d’Internet pour des personnes
qui sont en souffrance psychologique. Il ne s’agit plus ici de placer les
objets (jeux vidéo et Internet) comme point de départ de l’observation,
mais l’utilisateur. Comment l’usager aborde des problématiques autour
des jeux vidéo et d’Internet dans ses processus psychologiques et la place
que le corps y a. Pour ce faire, nous avons mené une étude4 auprès de
psychothérapeutes afin d’étudier les processus d’émergence de problè-
mes liés aux usages des jeux vidéo et d’Internet abordés par des person-
nes en psychothérapie, quels que soient les symptômes pour lesquels ils
sont venus consulter.
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En mettant l’usager au centre de l’étude, nous souhaitons regarder
les sens que peuvent avoir des problématiques d’usage des jeux vidéo et
d’Internet dans la problématique globale de l’utilisateur. Cette approche
doit nous permettre de sortir des normes quantitatives de définitions des
comportements addictifs ou normaux et de sortir des débats en termes de
bien et de mal des jeux vidéo et d’Internet.

Études sur les psychopathologies


des usages des jeux vidéo et d’Internet
La littérature américaine sur Internet et les jeux vidéo est très abondante.
De nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales s’interrogent
sur les impacts de ces deux outils technologiques tant au niveau de l’indi-

3. Cette partie est principalement basée sur l’étude réalisée par Élise Bathany : Appro-
che psychologique des usages des jeux vidéo et d’Internet – Rapport ENST-Bretagne
(2002).
4. Enquête qui a été réalisée dans le cadre d’un projet incitatif du Groupe des écoles
de télécommunications : Communautés virtuelles et TIC, les jeux - Rapport GET,
mars 2003.

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Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

vidu qu’au niveau de la société. Leurs orientations disciplinaires influen-


cent leur manière de considérer cet impact. Nous remarquons que,
généralement, ce ne sont pas les mêmes auteurs qui travaillent sur Inter-
net et sur les jeux vidéo et que la médiatisation de leurs écrits n’est pas
la même.
Un des thèmes les plus développés sur la psychopathologie des usa-
ges d’Internet est le trouble d’addiction à Internet. La plupart des études
sont réalisées par des psychologues cliniciens comportementalistes. La
médiatisation par le biais du web est très forte. La plupart des études sta-
tistiques sont réalisées en ligne. Les recherches sont en général disponi-
bles sur le web. Il existe même une clinique virtuelle pour l’addiction à
Internet. Grâce à cette médiatisation, l’addiction à Internet donne
aujourd’hui l’impression d’être devenue, aux États-Unis, un problème de
santé publique. On trouve également sur le web les écrits de quelques
psychiatres et psychologues d’orientation analytique. La psychopatho-
logie de l’usage des jeux vidéo se centre moins sur le phénomène
d’addiction que sur celui de la violence et de l’agressivité qu’ils peuvent
déclencher chez leurs utilisateurs. La littérature semble moins produc-
tive que pour Internet. Elle porte essentiellement sur les jeunes enfants et
les adolescents. Pratiquement aucune étude ne prend en compte une
population adulte.
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Sur l’addiction aux jeux vidéo
La nature addictive du jeu vidéo fut soulignée en 1998 dans une étude
réalisée par Mark Griffiths (1998). Il estime alors qu’un adolescent sur
cinq peut être diagnostiqué comme dépendant pathologiquement des jeux
d’ordinateur. La liste de diagnostic utilisée pour son enquête est très pro-
che de celle proposée par Young (1996) pour le trouble d’addiction à
Internet.
Selon Griffiths, les jeux vidéo offrent au joueur de fortes récompen-
ses psychologiques qui vont participer à l’émergence d’un comportement
addictif. Les nouveaux jeux sur console du XXIe siècle présenteraient
encore plus de risques pour le jeune joueur que ceux des années 1980. Ils
seraient de « nature addictive » : les jeux sont de plus en plus complexes
et demandent donc plus de réflexion et de dextérité. À ceci viendraient
s’ajouter l’amélioration du graphisme et la valorisation sociale des thè-
mes que mettent en scène les nouveaux jeux.
L’addiction aux jeux vidéo est vue par Griffiths comme une sous-
catégorie de « l’addiction technologique ». Le phénomène continue
d’être traité sous un angle comportementaliste.

Psychotropes – Vol. 11 nº 2 109


Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

Jeanne Funk (2001), docteur en psychologie clinique, aborde le phé-


nomène en s’intéressant à l’histoire de vie du sujet et à la place que vient
occuper le jeu vidéo dans son histoire. Elle fait l’hypothèse que certains
enfants pourraient être plus vulnérables que d’autres à l’impact des jeux
sur console. Elle nomme ce groupe les « joueurs à haut risque ». L’expli-
cation qu’elle propose tente d’éclairer la problématique des enfants qui
sont pris dans des conduites addictives.
Le jeu vidéo peut devenir un lieu de refuge pour certains enfants qui
présentent des problèmes d’adaptation. L’auteur prend l’exemple de
l’enfant en difficulté scolaire qui fuit cette situation dans le jeu vidéo.
Mais bien qu’il puisse en tirer des bénéfices temporaires (réussite dans
le jeu et rehaussement de l’estime de soi), cela aggrave à long terme ses
problèmes scolaires et diminue sa confiance en soi. Les jeux sur
console, en particulier ceux à contenu violent, pourraient également
représenter un risque d’addiction pour des enfants qui contrôlent diffici-
lement leurs émotions. Ils ne vont pas ressentir les expériences de
« stimulation négative » que procure le jeu vidéo violent. Ils recherchent
constamment la stimulation et trouvent pleine satisfaction à leur besoin
à travers les jeux vidéo. En s’immergeant totalement dans cette activité,
ils cherchent avant tout à éviter des affects négatifs comme l’anxiété et
la dépression.
Sylvain Missonnier (1999) propose d’entrevoir le jeu vidéo comme
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un moyen qu’a le jeune sujet de pouvoir exprimer son mal-être et sa souf-
france. À ce propos, il écrit : « Pour nous, acteurs de la santé mentale, le
jeu vidéo est désormais potentiellement au cœur de la relation psycho-
thérapique. (…) À partir d’un échange sur sa position (celle du jeune) sur
ces jeux, le clinicien recueillera des informations capitales sur son inter-
locuteur. Si c’est un pratiquant, un dialogue sur la fréquence et la durée
de cette activité, ses titres de prédilection, ses héros favoris, cet intérêt
dans ses contacts sociaux, l’état des lieux de la négociation avec ses
parents sur cette occupation… permettra d’accéder à la complexité de
son fonctionnement cognitif, affectif et fantasmatique. »

Jeux vidéo et violence


La majorité des jeux vidéo ont aujourd’hui non seulement un contenu
violent et agressif (certains jeux comportant même, de façon explicite,
un but antisocial ou illégal), ils ont également un graphisme de plus en
plus réaliste. Des recherches récentes s’interrogent sur un lien possible
entre le fait de jouer à un jeu vidéo violent et l’émission d’un compor-
tement agressif à court terme ou à long terme. Même si les études

110 Psychotropes – Vol. 11 nº 2


Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

divergent dans leurs conclusions, toutes s’accordent à reconnaître que


le jeu vidéo est une activité particulièrement stimulante qui excite
l’individu.
Souhaitant vérifier l’impact de la violence présente dans certains
jeux vidéo sur l’individu, Anderson & Dill (2000), psychologues, réali-
sent en 1999 deux études ayant pour thème Les jeux vidéo et les compor-
tements, les pensées et les sentiments agressifs en laboratoire et dans la
vie. Leurs résultats montrent des effets sur le comportement agressif : le
fait de jouer à des jeux vidéo violents est corrélé positivement à l’aug-
mentation du comportement agressif à court terme.
Pour Tisseron (1999), la confusion entre le réel et l’imaginaire est
un des deux dangers des jeux vidéo (le second étant le risque du replie-
ment sur soi). Les victimes seraient d’ailleurs à ses yeux plutôt les adul-
tes que les enfants : les parents s’inquiètent de voir leurs enfants
massacrer des monstres virtuels alors que justement ce ne sont que des
créatures virtuelles… Reprenant l’exemple des tamagotshis, il souligne
que ce sont des adultes qui enterrent leur petit animal électronique
quand il meurt, et non des enfants. « La confusion entre le réel et l’ima-
ginaire, quand elle existe, n’est jamais quelque chose que l’enfant se
construit seul. C’est toujours une erreur à laquelle l’environnement
l’engage, et parfois sans s’en rendre compte, comme [dans le cas des
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jeux vidéo]. »
Ainsi, « ce n’est pas l’envahissement des objets qu’il faut craindre,
c’est la difficulté où nous risquons de nous trouver d’opérer cette opé-
ration psychique de réversibilité au fur et à mesure que les machines
qui nous environnent seront plus compliquées. Mais en même temps, la
complexité croissante des machines est ce qui nous condamne à devoir
entrer avec elles dans ce jeu de la réversibilité. Car sinon les machines
risquent fort de nous apparaître soit comme des concurrents, soit
comme des persécuteurs. » Il apparaît déjà de façon clinique que cer-
tains joueurs se trouvent à un moment dans l’incapacité de réaliser cette
opération psychique de réversibilité. Les relations de dépendance avec
l’ordinateur ou la console pourraient être interprétées dans ce sens. Les
concepteurs de jeux participent à faire disparaître ce mouvement de
réversibilité afin de fidéliser encore plus le joueur. Plus le joueur
s’identifie et donne vie au héros du jeu, plus il a de difficulté à s’en
séparer. Le risque ne résiderait donc pas dans la machine ou dans le jeu,
mais dans la relation que le sujet établit avec elle, cette relation étant
façonnée par l’histoire personnelle de ce sujet et de sa relation à l’envi-
ronnement.

Psychotropes – Vol. 11 nº 2 111


Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

Étude sur l’émergence


des objets jeux vidéo et Internet
dans des processus psychothérapeutiques 5
Les études et enquêtes auxquelles il est fait référence ci-dessus placent
les jeux vidéo et Internet et leurs usages au centre des préoccupations.
Les enquêtes de référence sont des enquêtes en ligne (Internet) ou auprès
d’usagers (jeu vidéo). Il est possible que cette problématique et les
modalités des enquêtes conduisent à poser les problématiques des usages
essentiellement en termes de norme avec les problèmes que cela pose.
Nous avons pu voir, en particulier autour de la notion d’addiction, qu’il
y a, pour les auteurs, des présupposés sur les rôles positifs ou négatifs
d’Internet et des jeux vidéo dans la socialisation, qu’il y a de bons usages
et de mauvais usages.
Nous avons souhaité prendre une démarche différente et regarder
les usages des jeux vidéo et d’Internet du point de vue de l’utilisateur,
regarder comment émergent les usages et le sens que l’on peut leur
donner. Ce que nous avons voulu – plus particulièrement – regarder,
c’est comment dans l’environnement de l’utilisateur émergent des
formes particulières qui se matérialisent par des usages d’Internet et
des jeux vidéo. Notre cadre théorique est phénoménologique tel qu’il
est modélisé par la gestalt-thérapie. Ce sont donc les processus qui
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seront étudiés : il s’agit de voir quand et comment les usages d’Inter-
net et des jeux vidéo émergent dans le processus psychothérapique,
la place qu’ils ont pour la personne dans son environnement relation-
nel et comment ces usages évoluent au cours du processus psychothé-
rapique.
Nous avons à ce jour quinze monographies. L’approche par mono-
graphie ne vise pas à donner des résultats statistiquement représentatifs.
Il ne s’agit donc pas de donner des vérités sur les comportements psy-
chopathologiques des usages d’Internet et des jeux vidéo. Il s’agit de
regarder comment se posent ces problématiques d’usage pour des per-
sonnes qui sont et se reconnaissent en souffrance psychologique.
Les premiers résultats que nous obtenons pour l’instant montrent
que les « particularités » d’Internet et des jeux vidéo sont relativement
peu importantes.
Première « particularité », il semble que les comportements addic-
tifs à Internet et aux jeux vidéo sont réels, mais de court terme. Nous

5. Seys (2003)

112 Psychotropes – Vol. 11 nº 2


Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

avons rencontré des personnes qui, à un moment donné dans leur prati-
que, se sont senties « accro » et ont pensé, sur le moment, ne plus pou-
voir s’en sortir. Mais, liées au produit, nous n’avons pas à ce jour
constaté de compulsions à revenir à l’usage d’Internet ou des jeux vidéo.
Lorsque tel est le cas, il s’agit d’autres types de problématiques, comme
la boulimie, qui sont à l’origine du comportement qui peut apparaître
comme addictif.
Deuxième « particularité », nous avons pu repérer que des person-
nalités paranoïaques pouvaient trouver en Internet un espace de projec-
tion de leur violence et de leur délire de persécution. Cette activité peut
permettre une socialisation du sujet, voire constituer un premier espace
transitionnel dans un processus psychothérapeutique.
Enfin, nous avons pu constater qu’Internet et les jeux vidéo offrent
de nouveaux espaces qui vont servir aux sujets à vivre, à mettre en acte
leurs difficultés. Nous sommes ici dans l’émergence d’un usage plus
banal dans le sens où il n’y a pas de nouveauté, mais de nouvelles
formes.
Les jeux vidéo et Internet peuvent fournir aux personnes qui ont des
troubles de l’intimité, des activités, des contacts sans liens physiques
avec autrui, évitant ainsi une intimité incarnée.
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Internet en tant que nouveau média va pouvoir favoriser les
« boulimies » du contact, les regroupements « thématiques » de person-
nes ayant des problématiques et/ou des comportements psychologiques
communs.
Internet est aussi le média qui pourra favoriser la socialisation du
sujet.
Globalement, Internet et les jeux vidéo favorisent plutôt le déve-
loppement de liens faibles et distants plutôt que de liens forts et de
proximité.
Nous nous proposons donc de regarder les jeux vidéo et Internet
comme des formes nouvelles émergentes dans notre environnement. Ces
formes ne sont pas indépendantes de notre environnement politique,
économique, culturel, social… Regarder Internet et les jeux vidéo,
indépendamment de l’environnement du sujet usager, risque de nous
focaliser sur des aspects comportementaux et non pas sur le sens que
l’usage a pour le sujet. Cette articulation étroite entre technologie, usages
et société est à l’œuvre tout particulièrement dans la transformation des
pratiques ludiques, de la sociabilité, du rapport au corps.

Psychotropes – Vol. 11 nº 2 113


Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

Jeux, dispositifs et pratiques :


du rapport à l’autre au rapport à soi

La sociabilité
L’usage d’Internet et des jeux renvoie directement à la question de la
sociabilité. Il s’agit donc de savoir si les dispositifs technico-organisa-
tionnels différents sur lesquels reposent les jeux favorisent et accompa-
gnent ou non une transformation des modes de sociabilité.
On peut tout d’abord considérer la sociabilité comme les multiples
manières, pour les individus, d’être reliés au tout et d’être liés entre eux
(Akoun, 1998). « C’est en ces myriades de relations de sociabilité,
momentanées ou durables, qui nous lient constamment les uns aux
autres, que consistent la plupart des actions réciproques qui soutiennent
toute la fermeté et l’élasticité, toute la multiplicité et toute l’unité de
la vie en société » (Deroche-Gurel & Watier 2002). La sociabilité est la
forme ludique de la socialisation : « elle établit un jeu où les acteurs sem-
blent libérés de toute contrainte ». Nous nous interrogeons ici sur la place
et le rôle de dispositifs techniques tels qu’Internet dans la façon dont les
joueurs se lient les uns aux autres et se lient globalement à la société.
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Une modification des modes de sociabilité :
extension et affaiblissement de l’engagement
Il semble que les modes d’articulation de l’espace et du temps dans le jeu
varient selon les dispositifs et de ce fait modifient les modes de sociabi-
lité. Le jeu de rôle en face-à-face requiert un cadrage du temps et de
l’espace car il nécessite des rencontres, si ce n’est régulières, du moins
répétées. Les joueurs doivent se retrouver dans un lieu particulier (chez
l’un d’entre eux la plupart du temps, ou bien dans les locaux d’une asso-
ciation). Le jeu nécessite une longue durée (de 6 à 8 heures le plus sou-
vent), les week-ends sont souvent privilégiés, voire les nuits. Un certain
nombre de joueurs adultes disent avoir abandonné cette pratique faute de
disponibilité. On peut aussi voir dans notre enquête qu’une majorité de
joueurs en ligne viennent du jeu en co-présence (Beau, 2003)6. La prati-
que adolescente du jeu de rôle en face-à-face structure des amitiés qui
durent la plupart du temps jusqu’à l’âge adulte ; les contraintes de la vie

6. Nous avons envoyé un questionnaire aux joueurs de Dark Age of Camelot (et notre
analyse porte sur cet échantillon), Everquest, Ultima on line, 4e Prophétie (enquête
réalisée par F. Beau). Il s’agit de jeux à univers persistant.

114 Psychotropes – Vol. 11 nº 2


Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

familiale et professionnelle remettent souvent en cause ces liens et l’acti-


vité qui les accompagnait, à l’instar de ce que l’on peut observer plus glo-
balement concernant l’amitié (Bidart, 1997). Pourtant, quelques groupes
amicaux résistent, ou se recomposent, sans doute grâce au lien ludique
qui les construit. On a là un lien social fort où les amis partagent une pra-
tique qui les rassemble, mais aussi un univers culturel (littérature,
cinéma en particulier). En fait, il semble que les caractéristiques sociales
des joueurs ne soient pas indifférentes à leur rassemblement. Le cas de
groupes issus de la fréquentation d’écoles de commerce ou d’ingénieurs
est typique de cette configuration. La durée du groupe s’inscrit dans ce
partage de catégorie sociale lorsqu’il s’agit de groupes amicaux ; cela est
peut-être moins vrai dans le cadre associatif.
Les jeux en ligne rassemblent, au contraire, des centaines de milliers
de joueurs par le monde qui s’organisent en guildes plus ou moins impor-
tantes numériquement. Cet espace rassemble donc tout à la fois une
masse d’individus, des organisations et des groupes.
L’image que l’on peut avoir spontanément du jeu en ligne est celle
d’individus isolés. Pourtant, la majorité des joueurs interrogés lors de
notre enquête7 disent jouer avec des amis qu’ils ont rencontrés hors du
jeu8. Ils vont alors transposer leur pratique de jeu sur Internet, en général
quand leurs contraintes de vie quotidienne les empêchent de continuer à
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jouer en co-présence, au début de l’âge adulte. Le jeu en ligne favorise
une sorte de « commutation » de la sociabilité, le joueur passant du jeu
solitaire face à l’ordinateur, au jeu en petit groupe d’amis, ou en organi-
sation de guilde, sur l’espace public du jeu en ligne (la masse). Il favorise
des rencontres nouvelles. Il donne accès à un espace public et plus
seulement à un espace privé et intime. Cet espace public diffère cepen-
dant de la rue ou du café, en ce que l’accès à l’autre, la rencontre y est
plus facile puisque les joueurs échangent avec leur pseudonyme (c’est ce
que disent nombre de joueurs) et c’est d’ailleurs, pour certains, ce qui en
fait l’attrait. La plupart d’entre eux affirment par ailleurs ne pas chercher
à connaître l’identité des autres joueurs.
Le niveau de connaissance de l’autre est plus superficiel9 qu’en
face-à-face, l’engagement plus faible. Si des rencontres sont organisées

7. Enquête réalisée par F. Beau pour le rapport GET 2002.


8. 19 réponses dans ce sens sur 27 personnes ayant répondu au questionnaire et jouant
sur DAOC (Dark Age of Camelot).
9. Très peu de personnes disent ignorer l’identité des joueurs qu’ils rencontrent (4 sur
27) et pourtant une majorité affirme ne pas chercher à la connaître (16 sur 27).

Psychotropes – Vol. 11 nº 2 115


Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

qui favorisent la connaissance de l’autre réel, il ne s’agit pas toujours de


liens amicaux : les joueurs peuvent ne partager que leurs centres d’inté-
rêts, aucunement leur univers culturel. Les groupes de joueurs amicaux
du jeu en face-à-face diffèrent ici des groupes de jeu en ligne. Dans le jeu
en face-à-face, on a des groupes d’amis, des groupes de pairs construits
lors de la fréquentation d’un établissement scolaire, avec souvent des
entrecroisements entre des cercles familiaux et une sociabilité de quar-
tier. L’importance des plaisanteries qu’on peut constater lors des réu-
nions de jeu manifeste cette appartenance à une même classe d’âge,
phénomène qu’on peut aussi constater en ligne avec, de plus, des défis et
des provocations10. Une différence apparaît déjà avec l’organisation
associative dans laquelle les affinités électives jouent moins que le par-
tage d’un hobby, d’un centre d’intérêt commun. Les joueurs estiment
former une équipe plus qu’un groupe d’amis.
La relation distante modifie aussi la qualité des relations. Vincent,
par exemple, insiste sur le fait qu’il s’est fait des connaissances avec
le jeu en ligne, mais il l’oppose au jeu en salle. Dans ce cas de figure, la
relation en face-à-face transforme la qualité des échanges : « On aborde
plus difficilement des sujets de fond, importants, douloureux, avec
quelqu’un en salle, on n’est pas caché derrière le masque de l’écran et le
masque du perso, du pseudo… quand vous avez une tension devant votre
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PC et qu’il y a personne autour, ça peut monter très très vite. Tandis
que lorsque vous êtes dans un environnement réel, et qu’il y a la tension
qui monte, on fait gaffe. » La présence de l’autre suffit à réguler les
échanges, a contrario le masque et l’écran favorisent une expression plus
libre tant de l’agressivité que des confidences. Cette liberté d’expression
peut donner l’illusion qu’un lien existe. En situation réelle, le sentiment
peut être vécu plus violemment mais son expression est retenue, alors
qu’à distance, le joueur peut couper sentiment et relation d’un même
mouvement : « Je me suis retenu de lui mettre une baffe alors que, si je
n’avais pas été en sa présence, jamais je n’aurais eu envie de lui mettre
une baffe. Je l’aurais squelché, c’est une commande qui permet de rendre
l’autre muet. Il peut dire ce qu’il veut, vous ne l’entendez pas… C’est un
peu claquer la porte au nez. »

10. Briole & Tyar ont relevé ce phénomène en ce qui concerne la sociabilité sur le
réseau de téléconvivialité : « La caractéristique de ce type de relations est de ne pas
s’inscrire dans le système hiérarchique de la société, mais de se produire entre indi-
vidus occupant la même position sociale… À certains égards, les téléconvives
vivent un peu la même situation : leur désir de parler s’exerce en dehors des cadres
contraignants de la société » (Briole & Tyar, 1987).

116 Psychotropes – Vol. 11 nº 2


Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

L’absence physique de l’autre favorise le maintien de chacun dans


sa bulle, ce qui favorise l’apparition de la violence. Celle-ci est d’autant
plus importante que le joueur n’a pas de contact direct avec les autres : il
est dans sa bulle « tranquillement derrière sa machine » (Dubey, 2001).
Ainsi Vincent affirme pouvoir « mieux se contenir en salle, les gens
s’insultent moins facilement » que devant l’écran : « L’écran et le
pseudo désinhibent, on parle plus facilement de choses très personnelles,
c’est différent de la salle où on se voit. » Cette forme de sociabilité favo-
rise un sentiment de plus grande proximité tout en diminuant, paradoxa-
lement, l’engagement social. Turckle signale, elle aussi, ce paradoxe en
indiquant que la relation en ligne – elle parle des hackers11 – permet
d’être solitaire sans être seul.
Avec le portable, le jeu apparaît encore plus fortement comme créa-
teur d’une bulle personnelle (il fait penser, de ce point de vue, à l’usage
du walkman). L’usage de ces jeux permet d’être avec les autres en mar-
quant une distance, il est d’ailleurs souvent utilisé pour s’isoler et mar-
quer son retrait, sa non-disponibilité.
Ce qu’apprécient particulièrement les joueurs qui se rencontrent
avec des dés et du papier, c’est l’expérience commune construite en
commun, le jeu en train de se faire, c’est-à-dire les interactions des
joueurs et du maître du jeu. Les interactions aussi bien verbales que ges-
tuelles construisent l’événement que partagent ainsi les joueurs. « Ces
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événements de langage demeurent des événements scéniques pour
autant qu’ils construisent et distinguent dans l’environnement des parti-
cipants et avec leur concours, des activités accessibles et d’autres qui ne
le sont pas » (Joseph, 1998). La convivialité tant appréciée par les
joueurs provient de cette expérience construite en commun. Le corps
tient sa place dans ce processus : un joueur interviewé explique son refus
du jeu en réseau car il ne permet pas de visualiser les réactions des
joueurs à ses interventions. La complicité exprimée par des clins d’œil,
des mimiques, accompagne en permanence le jeu. Si le chat permet des
échanges entre joueurs en réseau, favorise-t-il l’expression du même
type de complicité ? La question n’est d’ailleurs peut-être pas purement
technique : les joueurs en réseau viennent-il chercher cette complicité,
cette proximité ?
Pour ce qui concerne le jeu de rôle sur papier, en tout état de cause,
le jeu s’inscrit dans la réalité par la mobilisation du joueur dont on

11. Nous avons remarqué à plusieurs reprises, lors des réunions de travail du groupe de
recherche, une grande proximité entre la culture des hackers et celle des joueurs
(particulièrement en ligne).

Psychotropes – Vol. 11 nº 2 117


Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

n’ignore jamais qu’il joue, et dont chacun essaie de comprendre, voire


d’anticiper les réactions par l’interprétation de ses réactions. Le plaisir
du maître du jeu tient à la manipulation qu’il peut opérer, orientant le
comportement de l’autre, essentiellement par l’identification et la com-
préhension qu’il a de ses réactions, grâce à la parole, mais aussi, voire
surtout, à la lecture du visage. Les modifications du regard de l’auditeur
modifient l’engagement de celui qui parle (Goffman, 1991). En fait, le
maître du jeu peut jouer à manipuler l’autre, s’exerçant au jeu social
analysé par Goffman ou Whyte. Si les personnages et les univers sont
imaginaires, le jeu social de contrôle et/ou d’expérimentation des com-
portements est bien réel. Les caractéristiques et les ressources que le
maître du jeu accorde à chaque personnage sont autant d’attributs
sociaux et de répertoires de rôles investis par les joueurs. Ainsi les jeux
de rôle en face-à-face sont des moyens d’apprentissage et d’intégration
sociale, l’engagement est soutenu par la rencontre physique, ce qui n’est
pas le cas des jeux en ligne.

Parole et agir : rencontrer l’autre ou coller à soi ?


La sociabilité du jeu « papier » et du jeu en salle, dont nous avons
esquissé quelques traits, se transforme avec le dispositif technique et
organisationnel des jeux en ligne. Transformer ne veut pas dire exclure
ou diminuer la sociabilité, mais en changer les formes, l’inscription
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sociale, les modes d’intégration entre les différents temps et espaces
sociaux de travail, de loisir, de vie domestique ; cette modification vient
d’un autre rapport au temps et à l’espace et d’un autre rapport au récit et
à l’action.
Ce qui est important dans la conversation sociable, c’est la circula-
tion de la parole (Simmel, 1981). Or, dans les jeux en ligne, on ne parle
qu’en cas de nécessité, le jeu n’est pas construit par la parole qui circule,
mais par un éditeur et un portail qui gèrent l’ensemble, par le déplace-
ment d’avatars et des combats, alors que le jeu en face-à-face est un récit
collectif. On sait que les joueurs en ligne échangent par les forums et les
chats, mais s’agit-il du même type de sociabilité puisqu’elle est dissociée
de l’espace de jeu ? La parole tient une place importante aussi dans les
salles de réseau, mais cette fois à côté du jeu, la salle devenant un lieu de
rencontre tout autant qu’un lieu de jeu.
La parole ne sert pas, dans les jeux en ligne, à construire l’univers
partagé. Ce n’est plus la parole qui rassemble les joueurs et crée leur
espace imaginaire commun, c’est l’action ou plutôt l’« agir ». Les échan-
ges scripturaux par chats ou forums accompagnent la plupart du temps

118 Psychotropes – Vol. 11 nº 2


Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

l’action qu’ils préparent ou ponctuent. L’univers du jeu, le monde par-


tagé, est donné par le logiciel de jeu, même si les joueurs peuvent en faire
évoluer quelques éléments. De ce fait, les joueurs partagent essentielle-
ment une action, soit une quête si c’est ce qui les rassemble, soit une
recherche de performance pour ceux qu’on appelle les hard core gamers.
Action et parole, jeu et sociabilité sont dissociés12. Or le récit instaure la
distance entre lui-même et l’expérience vive. « Entre vivre et raconter,
un écart, si infime soit-il, se creuse. La vie est vécue, l’histoire est
racontée » (Ricœur, 1986). Le jeu de rôle présente une articulation parti-
culière entre récit et action, puisque les joueurs représentent l’action
autant qu’ils la racontent, mais la parole est centrale car c’est par elle que
se construit l’action. La distance est ainsi possible, et la connaissance de
soi, la constitution identitaire (Ricœur). Or le jeu électronique propose
essentiellement de l’action, même si des paroles circulent sur les chats et
les forums.
Cette importance de l’action peut expliquer la capacité quasi hypno-
tique de l’écran car « l’identification par l’action a une emprise particu-
lière. Comme la pratique d’un sport, elle met le joueur dans un état de
grande tension nerveuse et de concentration d’esprit » (Turckle, 1986).
C’est d’ailleurs souvent cette recherche de concentration qui motive le
choix du jeu en ligne car elle procure un remède contre le stress (cela
nous a été dit en entretien et Turckle signale aussi ce phénomène).
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L’implication dans le jeu par l’action favorise un rapprochement avec le
sport (rapprochement qui s’institutionnalise pour les jeux d’action par
des compétitions) et n’est pas la même que celle du jeu en co-présence.
Le jeu (surtout sur portable) renvoie à un besoin quasi biologique, il
exprime la pulsion et le refus de la séparation d’avec soi ou le renforce-
ment du rapport à soi-même. Sur les différents types de jeux sur
portable : les jeux les plus simples (jeux d’arcade) renvoient à des dis-
cours manifestant l’adhérence du joueur à l’objet et au service proposé :
on constate une certaine disparition de l’imaginaire, une pauvreté des
discours des joueurs qui manifestent une adhérence de soi à soi. Le jeu
sur portable paraît très marqué par le support lui-même. On retrouve
finalement les mêmes dynamiques dans les usages du jeu que dans celle
du portable en général. Ainsi Baudry (2004) nous dit que « s’il est
possible d’être accro au portable, ce n’est pas parce qu’il est pratique de

12. Un jeu comme Never Winter Knight diffère des MMORPG et se rapproche du jeu en
face-à-face en ce qu’il permet les discussions en groupe en temps réel avec une sorte
de téléréunion. Par ailleurs, le logiciel est un moteur qui permet de construire des
scénarios MMORPG.

Psychotropes – Vol. 11 nº 2 119


Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

pouvoir parler à des gens qui sont physiquement éloignés. La séparation


dont il s’agit n’est pas celle qui concerne un rapport à l’autre, mais une
relation à soi. » Il semble bien que le joueur sur portable cherche plus ce
rapport à soi qu’une relation à l’autre. En effet, c’est un sentiment de
solitude qui ressort de nos entretiens, même si tous les joueurs interrogés
ne vivent pas seuls.
L’un d’eux indique que le jeu Clintfighting, qui se joue à plusieurs,
est en fait un jeu très solitaire. Cette pratique ludique relève de l’impul-
sivité. « L’idée de dire, l’intention de parler ne devrait pas souffrir de
délai. Il ne faudrait pas subir la durée avec ce qu’elle comporte du danger
d’altérer l’envie de dire et de modifier des mots. L’installation de la satis-
faction au plus près de la pulsion est le propre d’une séparation imaginai-
rement abolie et qui, par sa permanence têtue, relance sans cesse l’appétit
réflexe de s’en débarrasser. Nous touchons ici à un entremêlement com-
plexe d’enjeux : l’excès du lien tient pour une part à une fixation, comme
s’il s’agissait de garantir une réassurance, et dans la mise en œuvre de
cette fixation d’une dissociation de soi-même. En somme il ne s’agit pas
seulement d’abolir la séparation physique entre les gens en lui substi-
tuant techniquement une proximité durable : cela c’est le simple niveau
d’une idéologie relationnelle ; il s’agit davantage de refuser une sépara-
tion d’avec soi et, dans l’injonction de ce refus, d’installer l’individu
dans une continuité avec lui-même » (Baudry, 2004).
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Jane Vincent (2003) a remarqué la force de l’investissement émo-
tionnel et de l’impulsivité dans l’usage des téléphones portables :
« J’avais juste besoin d’appeler quelqu’un », dit l’une des personnes
qu’elle a interviewée.
L’écran, et ce qui s’y passe, constitue un cadre participatif (Goffman,
1991) spécifique, il sépare les protagonistes du jeu de leur environne-
ment. Ce cadre participatif engage totalement les joueurs, et de façon,
semble-t-il, beaucoup plus exclusive que dans le jeu en face-à-face. Si
donc l’imaginaire tient plus de place dans la création du monde que favo-
rise le jeu en co-présence, le jeu en ligne (MMORPG)13 permet moins de
présence à la vie réelle quotidienne (dans le moment du jeu). Dans le cas
du jeu en ligne, il paraît difficile de naviguer entre plusieurs cadres
d’interaction lorsqu’ils ne sont pas situés dans l‘espace électronique
(chat, forums) ou entièrement séparés dans le temps et l’espace comme
les rencontres physiques entre joueurs. En fait, l’irruption du réel dans le
jeu paraît problématique lorsque l’on est en ligne. Sylvain indique par

13. Jeux massivement multijoueurs (Massively Multi Role Playing Game).

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Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

exemple qu’il est fortement dérangé lorsque quelqu’un entre dans la


pièce alors qu’il est en ligne, en revanche cela ne pose aucun problème
lorsqu’il est en train de jouer avec des amis en co-présence. L’écran
absorbe davantage son utilisateur. Nous avions déjà identifié ce phéno-
mène d’adhésion engendré par l’usage de la télématique (Craipeau,
2001)14. À la distance introduite par le récit s’oppose donc le collage à
l’écran. Les professionnels utilisant les messageries électroniques sont
pris dans l’urgence des échanges qu’elle induit et peuvent difficilement
garder une distance (et un point de vue critique) vis-à-vis de l’injonction
à répondre que véhicule le système.
On peut analyser de la même façon l’accent mis sur la force et la per-
formance des joueurs. Les objets à s’approprier et à échanger, voire à
acheter réellement, ne font-ils pas finalement basculer le jeu de pure
sociabilité fondé sur le partage d’imaginaire vers une reproduction de
plus en plus réaliste de la vie socio-économique des sociétés
industrielles ? Sylvain pense ainsi que le jeu en ligne (4e Prophétie)
demande trop d’implication ou plutôt demande de développer des capa-
cités telles pour son personnage qu’il doit passer des nuits entières en
ligne : « On ne faisait plus que ça », dit-il. L’injonction à la performance,
entendue comme la montée en niveau du personnage, conduit à des pra-
tiques intensives du jeu et transforme quasiment ces jeux en activité
sportive, telle qu’elle est, centrée sur la performance et la concurrence,
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dans notre société industrielle (Ehrenberg, 1991).

Co-présence ou système
Alors que le jeu en ligne favorise les pratiques individuelles, le jeu en
solitaire est impossible en « papier ». Plusieurs dimensions viennent dif-
férencier les situations de jeu : le corps avec la co-présence et donc le
mode d’intégration (Giddens, 1987), les caractéristiques de « l’environ-
nement social », groupe, communauté (comme groupe fermé), société, le
type de sociabilité.
Les jeux en ligne permettent une séparation du temps et de l’espace,
« condition d’une distanciation spatio-temporelle » (Giddens, 1994).
Ainsi, les mécanismes de délocalisation « détachent l’activité sociale des

14. Sherry Turckle (1984) avait déjà noté ce phénomène. Est-il dû, comme elle le sug-
gère, à l’inquiétude que suscite l’ordinateur face à notre perfectibilité ? « Il est
impossible de résister à une machine qui promet à tous la perfection en toutes cho-
ses… Il est difficile d’abandonner un jeu vidéo alors qu’il serait possible de faire un
meilleur score la prochaine fois. »

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Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

contextes locaux et réorganisent les relations sociales sur de grandes


perspectives spatio-temporelles » (Giddens, 1994). On passe d’une
intégration sociale (de co-présence) avec les jeux « papier », à une inté-
gration systémique avec les jeux en ligne. L’intégration systémique est
d’ailleurs préfigurée avec l’organisation associative, puisque c’est
l’organisation qui rassemble ici les joueurs, ceux-ci n’ayant pas globale-
ment de relations amicales (même si quelques petits groupes d’amis se
retrouvent, comme dans les jeux en ligne du reste). C’est le système
(selon Giddens, nous dirions le dispositif) technique et organisationnel
qui fait lien.
Or nous avons évoqué le fait que les concepteurs de jeu en ligne se
considèrent eux-mêmes comme des ingénieurs d’univers. C’est l’ingé-
nierie du jeu qui va orienter les comportements possibles, « canaliser
l’imaginaire » (Jaulin & Weil, 2003) : « Le travail de scénariste consiste
en fait à insuffler un esprit au jeu, en gardant en tête cette préoccupation
communautaire : si la mort du personnage est définitive, le joueur réflé-
chira beaucoup plus à la conséquence de ses actes ; si le système d’expé-
rience récompense le combat plutôt que le lien social, le visage du jeu
change totalement » (Jaulin et Weil 2003).
On considérera que les jeux en ligne, soutenus par un cadre tech-
nico-organisationnel complexe favorisent de ce fait des jeux sur une
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longue durée, avec une désynchronisation partielle des joueurs et de
leurs rencontres. C’est le cadre technico-organisationnel qui favorise la
rencontre à distance et non synchronisée. Cette désynchronisation rap-
proche le monde du jeu du monde social dans le sens où il continue
d’exister même lorsque le joueur n’y participe pas activement. Cela
motive d’ailleurs chez le joueur un sentiment d’exclusion de l’action,
d’impuissance. Cela favoriserait a contrario l’assiduité au jeu puisque
seule la connexion permet de participer (on retrouve ici l’importance,
dans notre société, d’être connecté dans ce que Boltanski et Chiapello
nomment « la cité par projet »).
À l’inverse, le jeu en face-à-face a pour principal vecteur le corps
et la parole, il se construit dans le jeu lui-même, par la co-présence. Ainsi
le jeu se fait par une articulation permanente entre la personne et le per-
sonnage, articulation toujours visible en co-présence et que le maître du
jeu utilise dans sa conduite. Les personnes interrogées insistent sur la
nécessité et le plaisir obtenu dans le jeu en face-à-face grâce aux interac-
tions elles-mêmes ; il leur paraît indispensable de voir leur interlocuteur,
ses mimiques, ses réactions aux différents moments du jeu et aux situa-
tions que propose le maître du jeu. « Le sentiment qu’un autre se tient

122 Psychotropes – Vol. 11 nº 2


Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

derrière le rôle sera constamment nourri par ce qui se passe localement »


(Goffman, 1991).
Les jeux sur portable, surtout les jeux monojoueurs, sont utilisés
comme des modulateurs, des marqueurs de présence : le jeu sur portable
permet de marquer sa distance avec les autres, de maintenir « la bonne
distance ». Plusieurs personnes indiquent ainsi que, dans les transports
en commun, cela équivaut à regarder en l’air : « Bon ben, y a tous les
gens qui regardent dans le coin, en l’air dans le métro. Au lieu de choisir
un coin en l’air, on peut choisir son téléphone et puis jouer un petit peu »
(Antoine). Carlos, étudiant, confirme cette pratique, il indique qu’il par-
tage un logement avec une autre personne, « alors on joue avec le
portable : c’est comme si on était seul ». L’usage du portable signale
l’envie du joueur d’être tout seul.
Mais la pratique du jeu sur portable correspond aussi à une tentative
de combler ce que le joueur ressent comme un vide créé par la relation à
l’autre lorsqu’il considère qu’elle ne lui apporte rien : « C’est que la pré-
sence de l’autre n’apporte rien en fait finalement. Et que si nous, on ne
s’occupe pas tout seul, ben on est vacant pour le coup » (Fabien).
Il semble que la pratique des jeux sur portable correspond à une nou-
velle forme de sociabilité, d’un « être ensemble séparément » (Baboulin,
Gaudin & Mallein,1983). C’est à la fois l’organisation du temps et de
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l’espace qui sont réaménagés dans la façon d’être avec l’autre, avec les
autres. On est présent par intermittence, on s’isole sans bouger en
s’adonnant à une activité que le support rend banale.

Le corps

Corps et Internet
L’avatar est un corps virtuel. S’il est là pour permettre à l’internaute
d’exprimer son identité, il est aussi là pour procurer un corps à l’inter-
naute dans le cyberespace. Un avatar joue ainsi deux rôles complémen-
taires distincts : il sert simultanément à incarner et à intégrer la
« personne » dans le cyberespace et à différencier la personnalité numé-
rique de celle des « autres » et de son environnement immédiat. Ce corps
virtuel permet à l’internaute de se faire une place dans le cyberespace.
L’avatar peut tendre vers la représentation du corps physique réel de
l’internaute. L’avatar est donc tour à tour objet de projection, d’identifi-
cation ou d’extension du corps physique de l’homme dans l’espace
virtuel. Il rend effective la participation de l’internaute en lui permettant

Psychotropes – Vol. 11 nº 2 123


Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

d’être à la fois ici, devant son écran d’ordinateur, et là, dans un monde
« en puissance » tissé par le réseau. Il lui procure le don d’ubiquité.

Corps et jeux vidéo


Le rapport au corps dans l’espace virtuel du jeu vidéo est sensiblement
différent. Sans avatar, l’internaute n’est pas représenté et n’est pas perçu
par les autres personnes connectées. Ce problème ne se pose pas pour le
joueur de jeux vidéo puisqu’il est seul. Le corps virtuel du jeu vidéo n’est
donc plus un support d’identité, mais plutôt d’identification. L’image du
corps des personnages s’est considérablement améliorée, grâce aux pro-
grès spectaculaires des graphismes. Le corps physique des personnages
est de plus en plus élaboré et offre de plus grandes possibilités d’identi-
fication au joueur. Dans le monde virtuel des jeux vidéo, le corps physi-
que a une plus grande place. Le corps y est mis en mouvement.
L’expérience que le joueur de jeu vidéo fait de son corps virtuel est plus
corporelle que celle de l’internaute.
Les nouvelles technologies sont à l’origine d’une modification de la
représentation du corps. L’expérience que nous faisons de notre corps
dans l’espace virtuel de l’ordinateur ou du jeu vidéo est beaucoup plus
cognitive que corporelle.
Les TIC sont des outils qui nous sont devenus quasiment indispen-
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sables. Ils sont devenus des « extensions » de notre corps. L’espace virtuel
entraîne un dédoublement virtuel de notre corps : la souris est l’extension
de notre main et le curseur est la projection de cette même main dans
l’espace virtuel. Ce n’est plus notre corps physique qui fait l’expérience
de ce déplacement, mais notre corps « mental ». Tout ce que nous res-
sentons, percevons, accomplissons par le biais du corps projeté dans
l’espace virtuel est intellectualisé.

Un cas particulier : le portable, un objet transitionnel ?


Chez Winnicott (1975), l’objet transitionnel est une « aire transition-
nelle ». Il est le signe visible de cette aire. Il peut être ainsi catégorisé :
• L’objet permet de temporiser l’expérience de séparation et de perte.
• Il symbolise la continuité de l’union du sujet à l’autre, même séparé.
• L’objet doit être doué d’une permanence et d’une continuité.
• Il permet de lutter contre une angoisse de type dépressif.
• L’utilisation peut s’inscrire dans des activités auto-érotiques, mais
pas obligatoirement.

124 Psychotropes – Vol. 11 nº 2


Sylvie Craipeau et Bertrand Seys

• Pour le sujet, l’objet n’est « ni du dehors, ni du dedans ». Pour


l’observateur, il est du dehors.
• Il participe de l’expérience d’illusion.
• Le jeu est un espace potentiel de créativité et d’illusion, toujours à
comprendre comme un espace intermédiaire entre la réalité psychi-
que interne et la réalité extérieure.
Le téléphone mobile dans sa fonction téléphone correspond bien à cette
définition. Potentiellement pouvoir joindre, pouvoir être joint, être en
lien avec l’autre. Éviter l’angoisse de la séparation, être en lien toujours
et partout. La pratique de jeux sur téléphone mobile apporte un complé-
ment par rapport à ces fonctions. Le joueur utilise aussi cet objet comme
un moyen de couper le contact avec ce qui ne lui convient pas dans son
environnement (perte de temps, promiscuité des lieux publics, manque
d’espace intime). Le jeu devient alors espace de création d’une activité
propre.
Par certains aspects, le jeu sur téléphone mobile permet au joueur
de « s’enfermer en lui-même », de s’isoler de son environnement et de
développer un sentiment de toute-puissance par la maîtrise qu’il a de
l’objet et des jeux.
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Conclusion
Les jeux en ligne et sur portable sont des objets ambivalents : ils favori-
sent dans le même temps la socialisation et la séparation de l’autre. Mais
ils participent aussi d’une transformation des modes de sociabilité, du
rapport à l’autre et à soi.
L’engagement s’affaiblit en même temps qu’il s’étend. On constate
une commutabilité de la sociabilité qui change facilement d’espace
d’inscription, passant du domaine public au privé, de la relation amicale
à une relation quasi anonyme, du groupe à l’organisation. Le jeu électro-
nique sert autant à rencontrer l’autre qu’à l’éviter, mais aussi, avec le
portable, à manifester sa disponibilité. Il peut être une forme d’addiction,
mais aussi un moyen de socialisation.
Plus globalement, le fait que ces jeux s’inscrivent dans des disposi-
tifs technico-organisationnels complexes contribue à la séparation entre
intégration systémique et intégration sociale (Habermas, 1987), les
médiations techniques et organisationnelles prenant le pas sur les média-
tions sociales.

Psychotropes – Vol. 11 nº 2 125


Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux

Ce mouvement se renforce en ce qu’il s’inscrit dans le phénomène


de rationalisation et d’industrialisation de la société. Les jeux vidéo, en
ligne ou sur portable, deviennent un objet de consommation produit par
de grands acteurs économiques (nous n’avons pas pu présenter ce point
dans notre article par manque de place). Mais là encore, l’ambivalence
du jeu sur Internet est forte : il est un produit de consommation, fabriqué
par des industriels, limitant l’investissement imaginaire des joueurs ;
mais il est aussi un espace transitionnel, il élimine la présence du corps
et, dans le même temps, il est un prolongement ou un substitut (avec les
avatars) au corps.
Article reçu en mars et accepté en avril 2005

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