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2.

GENÈSE ET STRUCTURATION DU LEXIQUE

Bernadette Piérart
in Bernadette Piérart, Le langage de l’enfant

De Boeck Supérieur | « Questions de personne »

2005 | pages 49 à 63
ISBN 9782804145620
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/le-langage-de-l-enfant---page-49.htm
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2
Genèse et structuration
du lexique
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Bernadette Piérart

INTRODUCTION
Le lexique comporte différentes catégories : noms, verbes, adjectifs,
prépositions, adverbes, etc. Les grammaires décrivent les structures de
ces unités lexicales dont les fonctions se complètent pour construire la
phrase et communiquer des contenus significatifs. Les diverses unités
linguistiques se mettent en place successivement au cours du développe-
ment de l’enfant, pour des raisons cognitives et pour des raisons linguis-
tiques.
Les troubles graves du langage chez l’enfant témoignent de
dysharmonies dans le calendrier et dans les itinéraires du développement
langagier qu’il est important de pouvoir évaluer précisément pour affiner
le diagnostic des troubles et planifier les étapes d’une rééducation.
Ce chapitre est consacré à la description des principales caractéris-
tiques des premières étapes du développement du langage1.

1. Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur aux excellents ouvrages de synthèse de
Moreau et Richelle (1981) et de Rondal et al. (1999).

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L’évaluation des composantes formelles du langage

1 LA DÉNOMINATION CHEZ L’ENFANT :


ORIGINE, DÉVELOPPEMENT
ET CONSÉQUENCES POUR L’ÉVALUATION
L’origine de la dénomination remonterait à l’âge de 4 mois (Bruner,
1978). Avec les débuts de la préhension, le bébé devient capable de saisir
un objet pendant qu’il interagit avec sa mère. Les prémices de la
dénomination seraient à rechercher à cet âge dans les pleurs de l’enfant
et l’orientation de son regard vers l’objet souhaité. La mère va suivre le
regard de son enfant, deviner ce qu’il souhaite et habituellement dénom-
mer l’objet avant de le donner à son bébé. Les caractéristiques de
l’interaction mère-enfant, et plus particulièrement les caractéristiques du
langage maternel, jouent à ce stade comme lors des stades ultérieurs un
rôle qui fait l’objet d’un corpus croissant de recherches, décrites habituel-
lement sous le nom générique anglais de motherese (pour le français, voir
notamment Rondal, 1983 ; Rondal et al., 1999 ; Piérart et Harmegnies,
1993).
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Dans quelle mesure la fréquence des termes lexicaux dans le langage
que la mère adresse à son enfant joue-t-elle un rôle sur la composition du
lexique de l’enfant ? La fréquence lexicale dans les propos adressés à
l’enfant est-elle la seule variable qui influence l’architecture du lexique
enfantin ?

1.1 Fréquence et longueur des items lexicaux


La fréquence correspond au nombre de fois qu’un mot est rencontré dans
un corpus oral. Il s’agit le plus souvent d’une évaluation statistique
réalisée par des méthodes objectives sur un échantillon de mots effecti-
vement produits dans une langue donnée. Pour obtenir des informations
sur la connaissance des mots par l’enfant, on peut aussi recourir à des
méthodes subjectives : demander à des adultes, par exemple des ensei-
gnants, d’évaluer le degré de connaissance par des enfants d’un certain
âge d’une liste de mots. C’est cette procédure qui a été suivie pour établir
les listes LOGOLEX (Piérart, inédit). Il y a une très forte corrélation entre
les évaluations de la fréquence lexicale recueillies par ces deux procédu-
res (Bonnin, 2003).
L’effet de fréquence se traduit par le raccourcissement du temps
d’identification d’une image. Les temps de dénomination sont plus courts
pour les mots fréquents que pour les mots rares (Forster et Chambers,
1973 ; Lachman, 1973 ; Lachman et al., 1974 ; Huttenlocher et Kubicek,
1983, notamment). L’influence de l’item sur la qualité de sa dénomination
et sur la rapidité de son évocation du mot est bien documentée chez

50
Genèse et structuration du lexique

l’adulte (Newcombe et al., 1965 ; Rochford et Williams, 1965 ; Oldfield,


1966 ; Bachy-Langedock, 1988).
L’âge d’acquisition des mots s’est révélé être un déterminant impor-
tant des latences de dénomination orale de mots à partir d’images
(Rochford et Williams, 1962 ; Barry et al., 1997 ; Caroll et White, 1973a,
1973b ; Morrisson et al., 1997). Selon ces auteurs, les effets de fréquence
rapportés en dénomination seraient en réalité des effets de l’âge d’acqui-
sition.
Le rôle de la longueur des mots dans les tâches d’évocation est connu
en neuropsychologie de l’adulte (Goodglass et al., 1976 ; Howard et al.,
1984). L’allongement des items à dénommer induit l’accroissement du
taux d’erreurs et du temps de latence.
On sait par ailleurs que la fréquence d’un mot et sa longueur sont des
variables très significativement intercorrélées (Oldfield et Wingfield,
1964 ; Costermans, 1980) qui influencent le temps de dénomination.
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1.2 L’architecture du lexique enfantin
La constitution du lexique obéit au processus suivant : l’enfant entend
autour de lui des mots et les retient, avec leur contexte extralinguistique.
Pour construire ses représentations mentales, l’enfant doit découvrir les
régularités sous-jacentes à l’utilisation des lexèmes par l’adulte. Dans
cette perspective, la structuration du lexique est initialement une cons-
truction intrinsèque à l’enfant, ultérieurement mise en forme dans les
canevas de sa langue maternelle par ses interlocuteurs et plus spécifique-
ment par sa mère (Evans et Wodar,1997).
La rapidité de l’acquisition du vocabulaire par le jeune enfant est
notoire. Le premier mot apparaît en moyenne à 10 mois. Le répertoire
lexical s’accroît ensuite lentement pour atteindre une vingtaine de mots
vers 18 mois. Le rythme d’acquisition du lexique connaît alors une
accélération spectaculaire, pour arriver à quelque 100 mots vers 20 mois,
300 mots vers 24 mois et un millier de mots à 36 mois (Smith, 1926). On
estime à 3 à 10 mots par jour le rythme de cette acquisition, depuis l’âge
de 2 ans environ jusqu’à 10 ans (Carey, 1978). Les raisons de cette
explosion linguistique font l’objet d’hypothèses et de travaux de recher-
che depuis 1980.
Cette brusque accélération du rythme d’acquisition lexicale s’ob-
serve, quel que soit l’âge du début du langage. Elle se constate aussi chez
les enfants dont le développement langagier est atypique ou
dysharmonique. Les observations prennent ici valeur épistémologique et
les travaux se multiplient pour tenter d’identifier les raisons de ce brusque
accroissement quantitatif du lexique. Les enfants examinés dans un
contexte de consultation pour troubles du développement du langage

51
L’évaluation des composantes formelles du langage

sont faciles à recruter. La lenteur de leur développement langagier permet


de vérifier plus aisément des hypothèses relatives aux facteurs de
développement langagier dont l’effet est plus rapide et plus discret chez
les enfants au développement langagier standard.
Une estimation quantitative du vocabulaire à ce stade ne donne
cependant qu’une image très lacunaire du développement verbal. Sans
doute sur le plan du signifiant mais aussi sur celui du signifié, les unités
identifiées comme des mots chez l’enfant peuvent-elles être rapprochées
d’unités existant dans le langage de l’adulte. Elles en diffèrent cependant
par leurs caractéristiques et leur statut : leur forme phonologique est
approximative et évolue à maintes reprises, rendant le signifiant formel-
lement instable ; leurs unités ne sont pas catégorisées grammaticale-
ment, du moins par l’enfant, ainsi que le montre l’observation de leur
utilisation (Moreau et Richelle,1981). Si on les étiquette parfois comme
substantifs, verbes ou adjectifs, c’est uniquement en référence à leur
statut dans la langue adulte. Dans celle de l’enfant, un même mot peut
désigner aussi bien un objet, qu’une action, ou un contexte situationnel
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plus large.
Aux tout débuts du langage, le nombre de noms acquis est plus
important que celui des verbes. Deux hypothèses tendent à rendre
compte de cette asymétrie, dans la littérature. L’hypothèse dominante est
conceptuelle : les verbes sont cognitivement plus complexes que les
noms. Leur acquisition requiert de ce fait chez l’enfant un niveau de
développement intellectuel plus avancé. L’hypothèse alternative (Gillette
et al., 1999) soutient que les exigences d’information qui sous-tendent
l’apprentissage des verbes ne sont pas prioritairement conceptuelles
mais plutôt linguistiques. Un apprentissage efficace des verbes requiert
l’accès à des caractéristiques structurales du langage. Il ne pourrait donc
pas se produire avant que les bases nominales soient solidement cons-
truites.

1.2.1 Les catégories grammaticales


dans le développement du lexique de l’enfant

Dès le début de l’acquisition du lexique, les noms d’objets sont les plus
fréquents (environ 40 % selon Bloom et al., 1993). Dans le lexique de
l’enfant jusqu’à environ trois ans, les noms sont sur-représentés et les
verbes sont sous-représentés, comparativement à la fréquence de ces
catégories dans les propos tenus dans l’entourage de l’enfant. Les noms
vont apparaître avant les verbes dans le développement de la production
lexicale (Nelson, 1973). Les noms sont aussi compris plus tôt que les
verbes.

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Genèse et structuration du lexique

1.2.1.1 Le lexique des noms


Le nom est un substitut de l’objet qu’il identifie. Le verbe est un substitut
de l’action qu’il fige en une étiquette ou alors il encode les relations entre
les objets. Dans ce sens, les noms semblent plus simples et de ce fait, ils
pourraient être appris plus rapidement par les bébés, même à un âge
mental peu élevé. Il existe néanmoins un écart, souvent difficile à détecter,
entre le contenu sémantique des termes utilisés par les adultes et celui qui
est sous-jacent à l’utilisation des mêmes mots par les jeunes enfants
(Clark, 1973 ; 1979) Ces ambiguïtés référentielles et sémantiques, sou-
vent d’origine cognitive, se lèveront au fur et à mesure du développement
du langage enfantin (Piérart et Huvelle-Delhaye, 1985). L’enfant organise
et stocke en mémoire la signification des mots sous la forme de traits
sémantiques (Clark, 1973). Ces structures de significations minimales ne
lui sont pas données d’emblée : l’enfant les construit au fur et à mesure
de son développement cognitif. Les noms comportent quelques traits
sémantiques intrinsèques mais leur contenu sémantique va aussi être
fonction du contexte d’évocation. La représentation des noms comprend
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un nombre, parfois important, de liens entre leurs traits sémantiques. Le
contenu sémantique des mots ne sera pleinement utilisable par l’enfant
que lorsqu’il aura construit toutes les bases cognitives sous-jacentes à la
représentation de ces traits (voir, pour des exemples, Piérart, 1978a,
1998a). Avec le développement langagier, les divers champs sémanti-
ques lexicaux de l’enfant connaîtront maintes révisions, plusieurs enri-
chissements, quelques nuances. Ces remaniements contribuent à la
structuration du lexique ou du moins de quelques facettes de celui-ci,
telles les relations d’inclusion (chien-animal), les relations de partie à tout
(doigt main bras), à la détection des incompatibilités lexicales (un chien
ne peut être aussi un chat), et des différentes significations d’un mot
(Rondal et al., 1999).
Les verbes ne décrivent pas directement le monde (Gleitman, 1990).
Cette observation concerne aussi plusieurs termes relationnels, comme
les prépositions, les adverbes, les adjectifs comparatifs. Les verbes
décrivent plutôt une certaine perspective sur le monde, choisie par le
locuteur (« Marie donne une balle à Jean », comporte des nuances
différentes de « Jean reçoit une balle de Marie »). On peut donc s’attendre
à ce que l’acquisition des noms représentant des objets ait lieu avant que
l’apprentissage des verbes puisse réellement commencer.

1.2.1.2 Le développement du lexique des verbes


Les verbes servent à exprimer les processus ou les structures d’événe-
ments (Tomasello,1992). Les verbes diffèrent des noms du fait de leur
fonction syntaxique : les noms jouent le rôle d’arguments là où les verbes

53
L’évaluation des composantes formelles du langage

servent à encoder le rôle de fonctions. Il y a toutefois aussi quelques autres


différences plus subtiles. Le rappel des verbes est plus difficile (Gentner,
1981). Leur représentation sémantique est intrinsèquement plus com-
plexe que celle du nom puisqu’elle requiert la compréhension des termes
relationnels. Les noms, par contre, n’impliquent normalement pas d’opé-
ration de mise en relation : ils nécessitent uniquement la référence à
l’objet.
Si l’enfant organise et stocke la signification des mots comme un
réseau de traits sémantiques, les explications basées sur la complexité
des différences de représentations entre les noms et les verbes semblent
plausibles. Les verbes d’action ne seront pas représentés par une collec-
tion aussi importante de traits sémantiques que les noms. Il devrait donc
être plus difficile de produire et de comprendre les verbes que les noms.
Plusieurs travaux récents sur le développement sémantique et syn-
taxique réservent un rôle de premier plan à l’acquisition des verbes.
L’articulation du lien sémantique-syntaxe fait l’objet de deux types
d’hypothèses : les hypothèses qui accordent une priorité à la sémantique
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et celles qui réservent une priorité à la syntaxe. La structure sémantique
des verbes contient des rôles conceptuels, particulièrement étudiés à
propos des verbes de dire et de don (par ex., le donneur, l’objet donné et
le receveur). Les tenants d’une explication développementale sémanti-
que notent qu’une fois que l’enfant comprend la signification d’un verbe,
il est capable d’utiliser ce verbe pour en découvrir les fonctions syntaxi-
ques (Gropen et al., 1991 ; Pinker, 1989). Les partisans de l’hypothèse
d’un lien syntaxique induit par le verbe ont relevé des corrélations
significatives entre la signification du verbe et la structure syntaxique de
la phrase (Gleitman, 1990 ; Naigles et al., 1993). Bien que les verbes
jouent un rôle primordial dans l’organisation et la production du langage,
leurs référents sont souvent rapides et fugaces. Les enfants pourraient, de
ce fait, tirer moins facilement parti de leurs observations sur les person-
nes, les lieux et les objets de leur environnement, pour construire la
signification des verbes, alors que cet inconvénient ne se produit pas pour
d’autres catégories grammaticales. Dans un certain nombre de recher-
ches, on a pu montrer que les enfants et aussi les adultes exploitent les
indices structuraux de la phrase lorsqu’ils rencontrent un nouveau verbe.
Dès deux ans, l’enfant est sensible aux particularités des structures
syntaxiques comportant un argument (Naigles, 1990).
Gentner (1981) montre que la complexité sémantique de la représen-
tation n’est pas le seul critère pour distinguer l’acquisition des noms de
celle des verbes. Les différents types de verbes, leur valence et leur
rection, pourraient jouer en outre un rôle non négligeable. Les verbes
intransitifs et les verbes transitifs diffèrent à la fois dans leur complexité
sémantique et dans leur complexité syntaxique. Leur production requiert
une référence à un nombre différent d’arguments. Un verbe intransitif

54
Genèse et structuration du lexique

nécessite uniquement un argument (par ex. : le garçon dort) ; un verbe


transitif en requiert au moins deux (par ex. : le garçon coupe une pomme).
Le rappel des verbes transitifs isolés est plus difficile que celui des
intransitifs, dans les tâches de rappel libre chez les adultes, ce qui illustre
une des conséquences de cette complexité. Néanmoins, les verbes
transitifs sont plus faciles à traiter à partir de matériel imagé que les verbes
intransitifs comme le montrent tant l’observation des temps de latence
des réponses des adultes que les données empiriques sur l’acquisition des
verbes. Les différences d’acquisition peuvent être dues à des différences
sémantiques : beaucoup d’arguments des verbes réfèrent à des objets
concrets. Si l’enfant a déjà acquis les noms d’objets pertinents, il pourra
alors les utiliser comme ancrage pour produire les verbes. Les verbes
transitifs nécessitent deux ancrages ou davantage. Leur production
pourrait de ce fait être plus aisée que celle des verbes intransitifs qui ne
requiert qu’un seul ancrage. Davidoff et Masterson (1995) ont présenté
57 dessins en noir et blanc à des enfants de 3 ans à 6 ; 5 ans, répartis en
cinq groupes de six en six mois. Les dessins représentaient 19 noms, 19
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verbes intransitifs, 19 verbes transitifs, ces trois catégories étant appa-
riées pour la fréquence. Les résultats montrent une asymétrie très
significative dans l’acquisition des catégories d’items : les verbes intran-
sitifs sont plus difficiles que les deux autres catégories. Les variables d’âge
et de type d’habitat sont significatives. Une asymétrie de même type peut
être constatée quand les verbes sont présentés sur vidéo : il y a, dans
l’ensemble de l’échantillon, 81 % de réussite pour les verbes intransitifs et
93 % de réussite pour les verbes transitifs.

1.2.2 Origine et développement de la dénomination


chez l’enfant dysphasique (SLI)

Les comparaisons, à visée épistémologique, de l’ordre d’émergence du


vocabulaire dans des langues différentes ont montré une très grande
cohérence dans l’ordre d’apparition des relations syntaxiques et séman-
tiques même dans des langues différentes (Slobin, 1970,1981), encore
que les stratégies individuelles puissent diverger dans les détails. L’ordre
d’émergence et l’évolution des stades langagiers chez les enfants
dysphasiques font l’objet de recherches récentes qui, bien que dirigées
vers des objectifs appliqués, soulèvent d’intéressantes retombées épisté-
mologiques.
Les enfants qui présentent des troubles du développement du langage
(SLI, dans les travaux anglo-saxons) sont à la fois plus lents et moins
précis dans la dénomination d’images que leurs pairs (Denckla et Rudel,
1976 ; Lahey et Edwards, 1996, 1999 ; Leonard et al., 1983 ; German,

55
L’évaluation des composantes formelles du langage

1979 ; Snowling et al., 1988 ; Wiig et al., 1982). Les raisons de ces
différences ne sont pas claires. Quelques recherches ont conclu qu’elles
étaient liées aux processus linguistiques impliquant le stockage et le
rappel des items lexicaux (Denckla et Rudel, 1976 ; Kail et Leonard,
1986). Les enfants (SLI) examinés par Lahey et Ewards (1996) étaient
plus lents dans la dénomination des images d’objets communs que leurs
pairs sans troubles de langage. Comparant les deux types d’enfants dans
différentes tâches, les auteurs attribuent à des traitements non linguisti-
ques plutôt qu’à des traitements linguistiques la plus grande rapidité de
dénomination des enfants contrôles par rapport aux enfants SLI (voir
aussi Kail, 1994). Par contre, ils attribuent à certaines aspects du
traitement linguistique la plus grande imprécision des dénominations des
enfants SLI en référence à celle de leurs pairs.
Plusieurs recherches ont documenté des différences importantes
dans l’utilisation des verbes par les enfants dysphasiques, en comparai-
son aux enfants qui développent normalement leur langage (Kelly et Rice,
1994 ; van der Lely, 1994 ; Watkins et al., 1993). Les enfants dysphasiques
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(SLI) disposent d’un lexique des verbes limité. Les analyses de cas de Rice
et Bode (1993) sur le langage spontané de trois jeunes enfants
dysphasiques (SLI) indiquent qu’ils produisent moins de verbes au total
et que leur lexique verbal se caractérise par une diversité moindre (IDL)
que les enfants-contrôles, pairés pour l’âge et le LMPV. Ils produisent un
éventail plus restreint de verbes très fréquents. Les verbes utilisés dans
leurs productions spontanées sont davantage des verbes non spécifiques,
passe-partout, qui répondent à trois caractéristiques :1) leur occurrence
est très fréquente ; 2) leur forme est phonétiquement simple : ils sont
monosyllabiques ; 3) les rapports sémantique/syntaxe qu’ils encodent ne
sont pas spécifiques.
Dans leur recherche sur l’utilisation des verbes et de la morphologie
verbale, Conti-Ramsden et Jones(1997) observent sur des études longi-
tudinales que les enfants SLI utilisent moins fréquemment les verbes et
plus fréquemment les noms. En outre, les traitements des verbes seraient
particuliers.

2 UN CHAMP PARTICULIÈREMENT HIÉRARCHISÉ :


LE LEXIQUE DU SCHÉMA CORPOREL
Le schéma corporel est défini comme l’image que nous nous formons de
notre corps, image totale ou segmentaire, à l’état statique ou à l’état
dynamique, dans le rapport de ses parties constitutives entre elles et
surtout dans ses rapports avec l’espace et les objets environnants (Brin
et al., 1997). Ce concept a occupé une place centrale dans les théories

56
Genèse et structuration du lexique

instrumentales des troubles du langage oral et du langage écrit actuelle-


ment remises en question (Piérart, 1994). En apprenant à nommer les
différentes parties de son corps, l’enfant va en maîtrise progressivement
la topographie.
Les capacités praxiques globales s’accroissent notablement à l’âge
préscolaire mais les gestes manquent encore de précision. Les praxies
(utilisation des membres en relation avec les objets) précèdent le déve-
loppement de la connaissance du corps propre (De Negri, cité par
Chevrie-Muller et Narbonna, 1996). Si dénommer quelques items du
corps (montrer le nez, par ex.) fait partie des items les plus classiques des
tests d’intelligence, le développement du lexique des partie du corps n’a
guère soulevé d’intérêt.
Le corps humain présente une hiérarchie topographique qui se reflète
probablement dans la hiérarchie des noms désignant les parties du corps.
Les épreuves psycholinguistiques de disponibilité permettent d’identifier
les liaisons les plus marquantes entre divers termes du lexique (Costermans,
1980). La procédure qui consiste à demander à des sujets de fournir, en
réponse à un inducteur une série d’associations en chaîne, permet de
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repérer les liaisons les plus marquantes et représenter ces liaisons au
moyen d’un graphe. Appliquée avec des adultes, au lexique des parties
du corps, cette procédure conduit à une représentation qui fait apparaître,
non seulement que certaines régions du corps sont plus détaillées que
d’autres,mais qu’il existe tout un réseau de relations constitutives de
sous-ensembles intégrés : les organes localisés dans la tête, et spéciale-
ment la bouche ; les membres supérieurs, les membres inférieurs ; les
principaux organes internes du tronc. La procédure est applicable avec de
grands enfants. Elle montre une réorganisation lexicale des parties du
corps avec l’âge (Costermans ;1979).

3 LE DÉVELOPPEMENT DES CHAMPS LEXICAUX


RELATIONNELS
La dénomination d’images et leur désignation sont des tâches qui
sollicitent l’appariement entre une représentation imagée et son étiquette
verbale.
Les antonymes partagent entre eux un contenu sémantique partielle-
ment commun, à côté de nuances sémantiques spécifiques. Leur maîtrise
par l’enfant témoigne de l’organisation de son lexique. Les relations
spatiales entre les objets ne constituent pas des données perceptives mais
résultent d’une construction cognitive. La maîtrise des marqueurs de
relations spatiales consacre et étiquette cette construction. Le champ des
couleurs offre un continuum perceptif qui est segmenté, pour des raisons
perceptives et/ou cognitives en un certain nombre de catégories discrè-
tes, étiquetées différemment.

57
L’évaluation des composantes formelles du langage

Ces trois champs constituent des atouts pour approfondir la relation


entre représentation conceptuelle et maîtrise du langage, dans le champ
de l’intervention logopédique avec des enfants porteurs de divers syndro-
mes cognitifs, tel le syndrome de Down, du X fragile (Piérart et Comblain,
1998), de William Bueren, de Prater Willy. Dans des pathologies langa-
gières où des atteintes cognitives peuvent accompagner les troubles du
langage, telles les dysphasies, les fentes palatines, les déficiences audi-
tives, voire les bégaiements, l’analyse de l’organisation sous-jacente aux
tableaux sémiologiques langagiers est informative.

3.1 Les antonymes


Les théories de l’acquisition du langage qui postulent un ordre de
développement reflétant la complexité sémantique des termes à acquérir
s’appuient, notamment, sur l’observation des modalités du développe-
ment des antonymes dans le lexique. Clark (1973), dans sa théorie de la
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marque, postule que le rythme d’acquisition des antonymes, tels « grand-
petit », « haut-bas », « long-court » sera fonction du nombre de traits
sémantiques qu’ils comportent. Le trait marqué contient un trait séman-
tique de plus que son antonyme non marqué. Il devrait être acquis après
l’autre terme.
Les « antonymes lexicaux » mettent en opposition de marque deux
substantifs, deux verbes, deux adjectifs, différents, qui pourraient être
appris et traités lexicalement de manière indépendante, comme par
exemple « guerre-paix », « lourd-léger », « gentil-méchant », « haut-bas »,
« allumer-éteindre », etc. Leur relation tient au partage d’un certain
nombre de traits sémantiques communs. On distingue par ailleurs des
antonymes qui sont construits par ajout d’un préfixe à un radical,par
exemple « soumis-insoumis », « facile-difficile », « utile-inutile », « habiller-
déshabiller », etc. Cette construction systématique exige l’application
d’une règle morphosyntaxique.
La littérature rapporte que les enfants découvrent assez facilement les
contraires « lexicaux » qui font appel à un mot différent, alors qu’à
l’inverse, ils échouent massivement aux contraires construits par appli-
cation des règles grammaticales (voir par exemple, Charkes et al., 1994).

3.2 Les marqueurs de relations spatiales


Dans toutes les langues naturelles, il existe un sous-système linguistique
pour exprimer la localisation d’objets dans l’espace et leurs relations. Le
champ des marqueurs de relations spatiales a fait l’objet de systématisa-
tions en linguistique et en psycholinguistique qui se caractérisent par le

58
Genèse et structuration du lexique

recours à la signification. Celle-ci est envisagée comme la composition


d’un certain nombre de traits sémantiques ou sèmes (Clark, 1973 ; Le Ny,
1979 ; Piérart et Costermans, 1979), c’est-à-dire d’éléments minimum de
sens, en principe hiérarchisables.
Sujets d’intérêt précoce, les relations spatiales entre les objets sont
représentées très tôt par l’enfant. La plupart des modèles de développe-
ment des représentations spatiales chez l’enfant s’articulent autour des
interactions entre le sujet, ses actions, les objets sur lesquels portent ses
actions, en attribuant à chaque élément de l’interaction un poids qui varie
d’un modèle à l’autre
La référence à un espace perceptif où certains traits sont visuellement
saillants (le haut de l’axe vertical, l’avant de l’axe sagittal, constitue le
concept organisateur d’un premier type de modèle. Ces modèles qui
accordent une importance principale aux caractéristiques présentées
naturellement par les objets dans l’espace, au jeu de phénomènes
physiques, comme la pesanteur, ne confèrent aucun rôle à l’activité de
représentation de l’enfant. La représentation de l’enfant qui projette son
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axe corporel sur les objets à localiser est un concept central dans un
deuxième type de modèle théorique. Les modèles sémantiques consti-
tuent un troisième type de référence théorique, qu’ils soient locaux ou
généraux.
Les premières observations sur l’acquisition des marqueurs de rela-
tions spatiales par les enfants se sont essentiellement inscrites dans le
contexte des modèles psychosémantiques lexicaux faisant la part belle
aux hypothèses de complexité sémantique. Nos observations sur la
genèse et le développement des marqueurs de relations spatiales, entre
trois et dix ans (Piérart, 1975 ; 1977 ; 1978a ; 1978b), ont montré la
pertinence de ces modèles psychosémantiques lexicaux : (1) la construc-
tion du sens des marqueurs de relations spatiales est de nature opposi-
tionnelle ; (2) l’ordre d’acquisition des prépositions d’espace et leurs
particularités de compréhension et d’usage au cours du développement
de l’enfant confirment la nature componentielle du contenu lexical
sémantique de celles-ci ; (3) l’enfant comprend et utilise les marqueurs
de relations spatiales en réduisant leur contenu sémantique à celui qui
correspond à son niveau de représentation des relations spatiales, quand
il ne leur confère pas tout simplement le rôle d’exprimer la permanence
de l’objet.
L’ensemble de nos observations permet de distinguer deux périodes
dans l’organisation des marqueurs de relations spatiales, en prenant six
ans comme point charnière. Les marqueurs acquis au début de la
première période sont dans, autour (de) (Piérart, 1976a), près (de), à côté
(de) (Piérart, 1976b). Avant six ans, les enfants attribuent un sens
particulier au marqueur derrière, celui d’un voisinage spécifique lié à un
objet de référence naturellement orienté. Ce sens particulier se combine

59
L’évaluation des composantes formelles du langage

avec le sens /caché/, absent dans les représentations de l’adulte, mais


pouvant souvent être inféré des situations que l’enfant est invité à décrire.
C’est la notion de voisinage, non spécifique cette fois, qui fonde l’utilisa-
tion de à côté de, près de, lorsque l’enfant éprouve des difficultés pour
exprimer un rapport spatial (« entre », « devant », surtout) : il le réduit alors
à une relation élémentaire construite plus tôt. L’opposition lexicale sur/
en dessous (de) se ramène durant cette première période à l’opposition
sémique /recouvrant/-/recouvert/, dans laquelle le sème /caché/ joue un
rôle important, ainsi que le contact. De manière générale, d’ailleurs, le
contact est un aspect important dans les dispositions de jouets par rapport
au référent : il disparaît après 4 ans en réponse à l’instruction derrière,
mais persiste jusqu’aux environs de 7 ans pour devant et à côté de.
L’enfant considère comme porteuse de sens la distinction / contact/-/
séparation/ dans les oppositions lexicales au-dessus de/sur et près de/
contre (Piérart, 1978b) après six ans seulement. C’est en effet durant la
deuxième période que les axes sémantiques enfantins se rapprochent de
ceux des adultes et que les significations construites durant la première
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période s’estompent. À partir de 6 ans, les enfants deviennent capables
de se représenter la droite projective, ou du moins ses premières étapes
et il est permis de supposer que ces prémices représentatives de la droite
projective fondent la représentation des axes « verticalité », « sagittalité »,
« latéralité » ainsi que leur coordination réciproque. La construction
euclidienne de la mesure débute simultanément à la prise de conscience
de l’influence des divers points de vue du sujet sur l’objet, caractérisant
la genèse de l’espace projectif, pour s’achever vers 9 ans 6 mois. À partir
de ce moment, l’enfant différencie entre de au milieu de (Piérart, 1975),
qu’il réserve à la description d’une égalité des distances alors qu’entre 5
et 9 ans, l’enfant utilise ces deux lexèmes comme synonymes pour
marquer une relation entre trois ou plusieurs objets.
L’acquisition des marqueurs de relations spatiales est une construc-
tion originale de l’enfant, à partir des caractéristiques que ceux-ci
présentent en français, en appui sur les particularités de son développe-
ment cognitif. Les spécificités des marqueurs de relations spatiales en
français, proposées à maintes reprises dans l’environnement langagier
des enfants, ne deviennent pleinement utilisables que lorsque s’achève le
développement des notions cognitives sous-jacentes.

3.3 Les couleurs


Depuis la fin du siècle dernier, l’apparition relativement tardive des
premiers termes de couleur par rapport au lexique général a fait l’objet de
mentions, puis de travaux systématiques qui ont tenté de cerner les
différents facteurs qui influencent cette acquisition.

60
Genèse et structuration du lexique

On a d’abord montré la relation entre le niveau de développement de


l’enfant dans le champ des termes de couleur et son niveau de dévelop-
pement général (Kimball et Dale, 1972), avant de souligner l’influence du
sexe de l’enfant (au profit des filles) dans cette acquisition (Johnson,
1977 ; Bornstein, 1985a et b ; Gérard et al., 1989). Plus récemment, les
effets de l’environnement socioculturel et de l’âge de la scolarisation ont
été documentés (Andrick et Tager-Flusberg, 1986 ; Anyan et Quillian,
1971). Toutefois, les premiers travaux soit ne vont guère au-delà d’un
bilan chronologique soit ne dissocient pas ce qui revient à la perception
des couleurs et ce qui relève du développement cognitif et de l’acquisition
du langage. Les travaux plus récents sont méthodologiquement assez
différents tant en ce qui concerne les procédures d’examen qu’en ce qui
concerne l’âge et la taille des échantillons d’enfants, les items sous étude.
De ces travaux se dégagent les constats suivants : (a) le lexique des
couleurs émerge entre 2 et 3 ans et (b) la dénomination correcte et stable
des couleurs ne pourrait être envisagée avant 5-6 ans, selon les travaux
(Fijalkow, 1974).
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L’enfant perçoit les couleurs comme les adultes très précocement,
dès 4 mois, âge où il est déjà capable de segmenter le spectre des couleurs
en catégories semblables à celles des adultes. Il semble que les bébés
organisent les couleurs de base autour de prototypes, de manière
naturelle, bien avant qu’ils n’apprennent leur nom, puis celui d’autres
couleurs, en augmentant le nombre de catégories et en restreignant
l’extension de chacune. Le même phénomène se produit pour les formes
visuelles (Landeau et al., 1988) et pour la perception auditive de phonè-
mes. Heider (1971) a conduit une série d’expériences avec des enfants de
3-4 ans pour tester l’hypothèse que les couleurs de base sont plus
saillantes, pour le jeune enfant que pour l’adulte. Cette saillance serait
basée sur la neuropsychologie de la vision. Ces couleurs, au nombre de
onze, sont présentes dans toutes les langues (Berlin et Kay, 1969).
Les recherches anglo-saxonnes se sont inscrites dans un débat
théorique opposant les tenants d’une conception constructiviste du sens
des items lexicaux, procédant par un processus d’addition de structures
sémantiques minimales (Clark, 1973) et les partisans, plus nombreux,
d’une conception alternative basée sur la notion de prototype, en relation
avec cette saillance perceptive (Rosch, 1973,1975 ; Mervis et al., 1975 ;
Barrett, 1982 ; Bowerman, 1978 ; Greenberg et Kuczaj, 1982).
Cruse (1977) rapporte que les enfants comprennent le sens du mot
« couleur » très tôt. Leur vocabulaire inclut un ou plusieurs termes de
couleur très précocement aussi (à 2 ans 6 mois les enfants dénomment
trois couleurs en moyenne, Johnson, 1977). Bien avant l’entrée à l’école
primaire, les enfants ont déjà associé correctement les termes désignant
les couleurs de base à leurs couleurs respectives. Ils continuent à

61
L’évaluation des composantes formelles du langage

apprendre les couleurs non élémentaires (comme kaki, taupe, bordeaux)


jusqu’au milieu de la petite enfance.
L’apprentissage de la dénomination des couleurs a la réputation d’être
long et difficile (Braisby et Dockrell, 1999) comparativement à l’aisance
avec laquelle les enfants acquièrent les autres items lexicaux fréquents.
Cet allongement du temps d’apprentissage de la dénomination des
couleurs intrigue, étant donné que la moyenne des enfants de 3 ans
possèdent les capacités linguistiques nécessaires pour utiliser correcte-
ment le champ des couleurs. Les jeunes enfants auraient peu de mal à
générer les termes de couleur quand on le leur demande. Leurs difficultés
surviendraient plutôt lorsqu’il s’agit d’attribuer correctement le nom de
couleur à son référent. Diverses explications sont proposées, tantôt
d’ordre cognitif, tantôt de l’ordre de « l’utilité linguistique ». Certains
argumentent que les difficultés seraient dues à la structure conceptuelle
du champ des couleurs : les couleurs sont vagues et les catégories tendent
à fusionner les unes avec les autres. Les couleurs ne sont pas hiérarchi-
quement organisées (Miller et Johnson-Laird, 1976) et enfin, certaines
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couleurs peuvent être créées en mélangeant d’autres (olive est vert-
jaune ; bleu turquoise est bleu-vert et crème est blanc-jaune). Les
épreuves de fluence révèlent bien ce phénomène (Piérart, en prépara-
tion). D’autres soulignent le caractère non prioritaire des qualités chro-
matiques des objets. La couleur est inhérente à l’objet et par conséquent,
en préciser la couleur est nécessairement secondaire dans la dénomina-
tion. Connaître le nom de l’objet est aussi plus utile que de connaître le
nom de sa couleur (Mc Namara, 1972). Baldwin (1989) a montré que
lorsque les objets n’ont pas encore d’étiquette verbale, l’enfant tend à les
ranger par couleur alors que lorsqu’ils sont étiquetés, il tend à les ranger
selon d’autres critères que la couleur.
La fréquence d’emploi des unités lexicales exerce une influence sur
les acquisitions du langage l’enfant en lui indiquant l’ordre dans lequel il
doit effectuer son apprentissage.
Qu’en est-il pour les noms de couleur ? La table de Gougenheim
(1964) range les couleurs de base selon leurs fréquences décroissantes :
noir, blanc, rouge, bleu, vert, jaune, rose, gris, orange, violet, marron,
beige. Les fréquences des mêmes couleurs dans la table NOVLEX
(Lambert et Chesnay, 2001) sont toutes supérieures à 4 284, ce qui en fait
des mots fréquents.

62
Genèse et structuration du lexique

CONCLUSION : UNE ÉVALUATION CRITÉRIÉE


DU LEXIQUE ENFANTIN ?
Pourquoi les étiquettes nominales sont-elles acquises avant les étiquettes
verbales dans les tâches de dénomination d’images ? Les dénominations
d’images sont des composantes classiques des batteries de tests de
langage pour enfant. La plupart des tests de dénomination d’images se
contentent de noms uniquement pour évaluer la production de l’enfant.par
ailleurs, il a peu de recherches sur la dénomination d’actions (verbes) à
partir d’images, ce qui est surprenant puisqu’il y a quelques différences
importantes entre les noms et les verbes.
Les difficultés spécifiques des dysphasiques dans le traitement diffé-
rentiel des items lexicaux nominaux et verbaux soulignent le besoin d’un
outil qui évalue non seulement la dénomination de noms, mais aussi celle
de verbes imageables. Idéalement un tel outil devrait intégrer aussi une
attention à la fréquence des items lexicaux sélectionnés en fonction de
leur catégorie grammaticale. Le chapitre trois présente des épreuves de
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dénomination destinées à l’enfant, qui tentent d’intégrer ces paramètres.

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