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Laboratoire de Recherche CEREFIGE
Centre Européen de Recherche en Économie Financière
et Gestion des Entreprises
Université de Lorraine
frederic.bornarel@univ-lorraine.fr
Sandrine VIRGILI
IAE de Metz
Laboratoire de Recherche CEREFIGE
Centre Européen de Recherche en Économie Financière
et Gestion des Entreprises
Université de Lorraine
sandrine.virgili@univ-lorraine.fr
RÉSUMÉ
Ce papier interroge une forme de confiance peu étudiée dans la littéra-
ture, et pourtant très actuelle, la swift trust ou confiance rapide. En effet,
le contexte des équipes temporaires, très largement diffusé, n’offre pas les
conditions de stabilité et de longévité propices au développement de la
confiance personnelle. Ceci est problématique car la confiance person-
nelle est vue comme un ingrédient essentiel à l’engagement dans la dyna-
mique collaborative. Notre objectif est double. Premièrement, d’un point
de vue conceptuel, nous interrogeons les mécanismes organisationnels
qui permettent de produire cette forme de confiance dépersonnalisée.
Deuxièmement, nous cherchons à en préciser la réalité et les usages empi-
riquement à travers une étude exploratoire menée au sein de trois cabi-
nets de conseil, considérés comme un des idéaux-type d’équipes tempo-
raires. Nos résultats permettent de préciser la réalité de cette forme de
confiance ainsi que les mécanismes organisationnels qui la soutiennent.
ABSTRACT
Swift Trust and Temporary Groups: An
Exploratory Study in Consulting Firms
This paper questions the swift trust, a form of trust still little studied and
yet very current. Indeed, the context of temporary teams, which brings
together actors without a common relational history and without guar-
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antee of being able to build one, does not offer the conditions of stabil-
ity conducive to the development of personal trust. This is problematic
because trust is viewed as essential for cooperative dynamics. Our aim is
twofold. First, we seek to understand what are organizational mechanisms
producing this depersonalized trust. Second, we seek to clarify its reality
and uses from an empirical point of view. We rely on an exploratory study
conducted in three consulting firms, as another ideal-type of temporary
teams. Our results make it possible to better define the reality of this swift
trust as well as organizational mechanisms that support it. To conclude,
we examine the articulation of swift trust and personal trust.
KEYWORDS: Swift Trust, Personal Trust, Temporary Teams, Consulting Firms
JEL CODES: M5, M12
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Swift trust et équipes temporaires
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comme pour les individus (Bornarel, 2017). Basée sur des composantes
cognitives et affectives (Mc Allister, 1995), la confiance personnelle
suscite et renforce les comportements coopératifs. Des études centrées sur
le lien entre performance et confiance ont d’ailleurs établi depuis long-
temps que les équipes avec un haut niveau de confiance personnelle et
affective étaient plus performantes que celles démontrant des niveaux de
confiance plus faibles (De Jong, Elfring, 2010).
Les travaux en innovation confirment également ce lien fort entre
haut niveau de confiance et capacité à innover au sens large (Boschma,
2004 ; Loilier, Tellier, 2004). Elle est vue comme favorisant l’engagement
dans des interactions collaboratives, elles-mêmes au cœur de l’innova-
tion (Blomqvist, Cook, 2018). La confiance personnelle affective est par
exemple une caractéristique fondamentale des communautés centrées sur
l’innovation d’exploration (Amin, Cohendet, 2004) ou l’innovation radi-
cale (Nooteboom, 2002). Elle soutient en effet l’apparition d’un climat de
travail psychologiquement sûr pour inciter les individus à échanger. Plus
précisément, la dimension affective de la confiance instaure une logique
de réciprocité motivant les acteurs de l’innovation à s’engager durable-
ment dans des relations d’échanges créatrices de nouveauté (Loilier,
Tellier, 2004). Des travaux plus récents sur l’innovation ouverte (Bertin,
2019) ou les fablab (Aubouin, Capdevila, 2019) confirment le rôle crucial
de la confiance dans l’organisation d’un espace relationnel où la collabo-
ration soutient efficacement la dynamique de l’innovation. Finalement,
la réussite de tout système coopératif et collaboratif repose sur sa capacité
à faciliter l’émergence, le renforcement et le maintien dans le temps de
1. The willingness of a party to be vulnerable to the actions of another party based on the expectation that
the other will perform a particular action important to the trustor, irrespective of the ability to monitor or
control that other party.
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Frédéric Bornarel, Sandrine Virgili
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nombreuses organisations actuelles, qualifiées de temporaires (Burke,
Morley, 2016) ?
Afin de répondre à cette question, nous mobilisons une forme de
confiance particulière, encore très peu étudiée et pourtant propre à ces
contextes : la swift trust2 ou confiance rapide (Meyerson et al., 1996). Ce
concept se réfère à une forme de confiance dépersonnalisée qui diffère
significativement de la confiance personnelle, mais dont on connaît très
peu les ressorts ou la nature hormis dans le contexte d’équipes virtuelles
(Blomqvist, Cook, 2018 ; Jawadi, 2010). En nous basant sur l’article sémi-
nal de Meyerson et al. (1996) et à partir d’une revue de littérature sur
cette swift trust, l’objectif de ce papier est d’étudier à travers une démarche
exploratoire la réalité et les usages de cette forme de confiance dans le
contexte de trois cabinets de conseils, considérés comme un idéal type des
formes organisationnelles temporaires. Nous souhaitons ainsi explorer les
mécanismes producteurs de cette swift trust car ils restent largement sous-
théorisés (Crisp, Jarvenpaa, 2013), tout comme les études empiriques en
contexte de travail réel. Nos résultats démontrent que non seulement la
swift trust existe, mais surtout qu’elle ne se transforme pas de facto en une
confiance personnelle. Elle se maintient tout au long des projets à travers
des mécanismes organisationnels qui la renforcent.
L’article présente dans une première partie les fondements théoriques
de la swift trust. Dans une seconde partie, nous exposons la démarche
exploratoire, fondée sur une méthodologie qualitative et justifions l’inté-
rêt des contextes étudiés. Enfin nous présentons dans une troisième partie
2. Dans ce qui suit, nous mobiliserons toujours le même terme en anglais : « swift trust ». Étant donné
sa spécificité (notamment par rapport à la confiance personnelle) et le peu d’études (hors contexte
virtuel) à ce sujet, nous avons jugé pertinent de garder la terminologie originelle.
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Swift trust et équipes temporaires
les résultats et discutons le lien swift trust / innovation dans les cabinets
de conseils.
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sur ce sujet, nous exposons et justifions de l’intérêt de nous centrer sur les
mécanismes organisationnels soutenant ce type de confiance et qui feront
l’objet de notre étude de terrain.
Émergence du concept et
positionnement des travaux
La « swift trust » a été introduite par Meyerson et al. (1996) pour quali-
fier la nature des liens de confiance particuliers qui se développent dans
des organisations structurant le travail autour d’équipes temporaires. Il
s’agissait de comprendre comment ce type d’organisation parvenait à fonc-
tionner efficacement alors que les conditions traditionnelles de formation
de la confiance personnelle (stabilité des membres dans l’équipe, degré de
connaissance interpersonnelle ou engagement dans des relations affec-
tives) n’étaient pas réunies. En effet, les équipes temporaires consistent
essentiellement à rassembler dans le cadre de projets à horizon temporel
limité, une équipe de personnes hautement qualifiées qui se connaissent
peu, qui auront peu d’occasions de travailler de nouveau ensemble à l’issue
de la clôture de ce projet ; ces équipiers doivent pourtant interagir rapide-
ment dans un environnement complexe et incertain et sont soumis à une
pression temporelle forte (Goodman, Goodman, 1976).
Après deux décennies, le mode d’organisation en équipes tempo-
raires est devenu commun (Burke, Morley, 2016). Il concerne tout autant
les organisations du secteur industriel ou informatique, que les projets
cinématographiques ou encore les cabinets de conseils. La diffusion des
équipes temporaires rend donc particulièrement pertinente la question de
la formation et de la dynamique de la swift trust pour comprendre les
nouvelles pratiques managériales à l’œuvre, mais également pour ajouter
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Elle se distingue de la confiance personnelle sur deux points principaux.
Premièrement ce sont les caractéristiques mêmes de ces organisations qui
présupposent la présence rapide de la confiance : les acteurs ne peuvent
tisser des relations de longue durée qui leur permettraient de former un
jugement les incitant à faire confiance ou non, et ils subissent une pres-
sion temporelle forte. Ils doivent donc immédiatement s’appuyer sur des
référents impersonnels pour interagir avec leurs « collègues ». Sans cette
confiance immédiate dans la structuration du projet, il ne peut y avoir
d’engagement dans l’action. Contrairement à la confiance personnelle qui
met du temps à se développer (Kramer, 1999), la swift trust est donc propre
à ces systèmes temporaires et présumée ex ante. Deuxièmement et consé-
quemment, elle est une forme dépersonnalisée car elle se développe par les
actes et les réalisations dans l’équipe plutôt que sous l’effet de dimensions
relationnelles et affectives (Meyerson et al., 1996).
Ce concept de swift trust a très vite été transposé aux équipes virtuelles4
(Jarvenpaa, Leidner, 1998 ; Kanawattanachai, Yoo, 2002 ; Piccoli, Ives,
2003 ; Jarvenpaa et al., 2004 ; Robert et al., 2009). La dépersonnalisation
produite par l’absence d’interactions en face-à-face et par la médiatisation
technologique, tout comme la distance culturelle souvent forte entre les
membres de ces équipes, ont semblé être un terrain propice à l’étude de la
swift trust (Zolin et al., 2004). Les travaux, foisonnants depuis 20 ans, ont
ainsi cherché à vérifier la réalité de la swift trust ainsi que sa dynamique
d’évolution à l’instar de l’article séminal de Meyerson et al. (1996) Les
résultats principaux vont dans le sens des travaux initiaux : réalité ex ante
3. Notre traduction de :’The trust that unfolds in temporary system sis more accurately portrayed as a
unique form of collective perception and relating that is capable of managing issues of vulnerability, uncer-
tainty, risk and expectations’.
4. Pour une revue de littérature sur ce sujet, voir Blomqvist et Cook (2018)
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sur une base strictement cognitive. En effet, la répétition des interactions
conditionne des échanges principalement motivés par des intérêts person-
nels et mutuellement bénéfiques (Mc Allister, 1995). Bien plus, progressi-
vement, les interactions réussies deviennent suffisantes pour qu’une fami-
liarité s’installe entre les professionnels. Ces interactions deviennent alors
le vecteur d’une communication plus dense qui, à son tour, participe à
soutenir la diffusion de la confiance personnelle dans les échanges pour
remplacer définitivement le recours à la swift trust. Enfin, la plus grande
proximité sociale entre les membres de l’équipe facilite le développement
de la confiance personnelle grâce à l’activation de sa dimension affec-
tive (Mc Allister, 1995 ; Nooteboom, 2002). Cette proximité fait réfé-
rence selon Boschma (2004, p. 15) à « des relations socialement ancrées
entre individus impliquant une confiance fondée sur l’amitié, la familiarité et
l’expérience ».
En dépit de tous ces apports, la plupart des résultats restent ambigus
concernant cette trajectoire de la swift trust (Blomqvist, Cook, 2018).
Certaines recherches, telle Robert et al. (2009), se sont centrés sur l’iden-
tification des antécédents de la confiance au niveau individuel, et notam-
ment la propension naturelle d’un individu à faire confiance, alors qu’il ne
s’agit pas tout à fait du même concept. D’autres travaux se sont davantage
focalisés sur la manière dont on pouvait réguler cette confiance pour la
maintenir dans le temps, en repositionnant le curseur sur les relations
interpersonnelles entre équipiers et managers. L’importance du leadership
et l’usage des pratiques de communication pour maintenir et renforcer
cette confiance sont un autre résultat fort et reconnu de ces recherches
(Jarvenpaa, Leidner, 1998 ; Piccoli, Ives, 2003 ; Zolin et al., 2004 ; Newell
et al., 2007). Mais de manière plus nuancée, des résultats plus récents affir-
ment que ce ne sont pas tant les pratiques de communication ni même
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par chaque membre d’une équipe, des comportements et motivations
de tous les autres. En effet, plus la qualité est élevée, plus les individus
peuvent être réflexifs et plus il leur est facile de s’engager dans de nouvelles
interactions sociales. C’est alors que des échanges personnalisés, appuyés
essentiellement sur les éléments cognitifs de la confiance personnelle,
ouvrent à la construction de nouvelles valeurs partagées. Ces valeurs se
cristallisent dans une nouvelle forme de confiance généralisée et acceptée
collectivement puisque légitimée par tous les intervenants. Cette nouvelle
forme est, comme la swift trust, dépersonnalisée et construite sur une
base strictement cognitive. Tout comme la swift trust, elle agit comme un
mécanisme qui canalise les interactions sociales. Ainsi, elle est suscep-
tible de remplacer idéalement la swift trust puisqu’elle privilégie le recours
à la confiance personnelle pour coordonner les actions, tout en évitant
également que des relations affectives potentiellement destructrices ne
s’immiscent dans le collectif grâce au contrôle assuré par la confiance
généralisée.
Malgré l’amélioration des connaissances sur la swift trust et ses trajec-
toires permise par les travaux évoqués ci-dessus, deux problèmes subsistent.
Premièrement, l’essentiel des recherches empiriques est basé sur des
méthodes quasi-expérimentales auprès de populations composées de
groupes d’étudiants travaillant à distance. Des tâches leur sont réguliè-
rement assignées et des variations dans les conditions d’expérimentation
sont introduites pour intégrer une perspective longitudinale (désignation
autoritaire ou émergence d’un leader, variation des tâches, modifications
temporelles des activités, actions du leadership, etc.). Si l’on considère
avec Meyerson et al. (1996) que la confiance est contextuelle, il paraît
difficile de transposer sans précaution les résultats de ces études aux
équipes temporaires plus « classiques » : celles où l’essentiel des tâches et
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ante, elle n’est pas spontanée et se fonde sur des mécanismes qui sont expli-
citement mis en œuvre par l’organisation elle-même. Or, ils n’ont pas fait
l’objet d’une attention approfondie dans la littérature (Crisp, Jarvenpaa,
2013) et restent donc à explorer sérieusement, autant d’un point de vue
théorique qu’empiriquement. Nous exposons ces mécanismes dans la
partie suivante.
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La réputation
La qualité de la réputation facilite un engagement rapide et significa-
tif dans la confiance. Un inconnu jouissant d’une bonne réputation sera
catégorisé comme une personne digne de confiance alors même que l’on
ne disposera pas de savoir de première main sur lui (Mc Knight et al.,
1998). La réputation agit alors comme un proxy de l’historique relationnel
(Meyerson et al., 1996) puisque les informations de seconde main sont
essentielles au jugement sur la confiance. Elle est le construit d’un juge-
ment condensé sur des relations du passé qu’un collectif a formé par la
mise en commun de ses expériences professionnelles. Cette évaluation
collective et positive confère à son porteur un crédit d’intention qui pose
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la confiance avant même que la relation ait lieu. Dans le contexte des
organisations projets, le fait qu’une personne ait été choisie pour intégrer
le projet accorde de facto un capital confiance, qui s’actualisera au fur et à
mesure des échanges au cours du projet.
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manière dont ils sont ou non mobilisés dans les cabinets de conseil.
La démarche qualitative et le terrain d’étude sont précisés dans la
partie suivante.
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Âge + 20 ans +15 ans +15 ans
Activité ressources communication ressources humaines
Effectif humaines et et changements et management
organisation 37 personnes 24 personnes
44 personnes
Échantillon
interrogé
Total 15 13 11
Associé 2 2 2
Manager 4 4 3
Consultant 9 7 6
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une logique abductive. Le matériel empirique est alors considérablement
réduit et davantage centré sur l’objet de recherche. La deuxième étape
s’inscrit dans une démarche d’abstraction. Les données précédemment
réduites sont codées pour être à nouveau condensées et faciliter davantage
la lecture du matériel empirique. L’analyse peut se centrer plus finement
sur les éléments empiriques significatifs pour comprendre le questionne-
ment théorique initial et produire des résultats originaux. Les analyses et
résultats sont détaillés dans la partie suivante.
La réputation
Le conseil est une prestation de service qui le plus souvent résulte
d’un travail en équipe. Généralement, et comme cela se vérifie dans les
cabinets étudiés, le manager du projet compose librement son équipe. Le
consultant ne réalise donc son travail que s’il est sélectionné par le mana-
ger. Un consultant qui n’est pas suffisamment sélectionné risque de ne pas
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manager. Le consultant doit impérativement se former une bonne réputa-
tion. Celle-ci se construit rapidement, le consultant étant principalement
jugé sur la qualité de ses premières participations à des projets :
« On se retrouve très vite sous les spots, c’est énorme ». (Consultant)
« C’est plus en faisant mes preuves. Ils ont dit : il répond bien, c’est
l’occasion de le mettre sur ce type d’intervention ». (Consultant)
Le consultant doit rapidement démontrer ses capacités à bien répondre
aux attentes du manager. Notamment, de faire du projet sa priorité :
« Nous n’avons pas de problème à mobiliser les troupes lorsqu’on a
une charrette6 ». (Manager)
« On prend beaucoup sur sa vie personnelle. Les missions sont très
intenses ». (Consultant)
« Je sais qu’en cas de problème, le consultant s’implique. Il reste
la nuit s’il le faut ou travaille le week-end. Il s’investira à fond ».
(Manager)
Un consultant qui ne comprend pas cette règle comportementale se
retrouve rapidement sans affectation sur de nouvelles missions. Le mana-
ger a le pouvoir de porter atteinte à la réputation du consultant et d’en
faire la publicité à tous les managers du cabinet comme en témoignent les
verbatim suivants :
5. Dans les cabinets de conseil, il est dit que le consultant est « staffé » par le manager. Le « staffing »
est l’opération par laquelle un manager recrute un consultant sur une mission. L’objectif de staffing est
le nombre de jours d’intervention que le consultant doit facturer aux clients.
6. Charrette, terme employé pour désigner un travail à effectuer de toute urgence et nécessitant de
travailler le soir et le week-end.
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relationnel très bref et, deuxièmement, sa visibilité participe à renfor-
cer le pouvoir du manager. Dans les cabinets étudiés, la réputation est
tout autant un mécanisme de sélection que de sanction sociale puisqu’il
permet de choisir et de discipliner les consultants. Nous comprenons alors
mieux comment le manager bénéficie de la forte implication du consul-
tant dans le projet sans qu’il lui soit nécessaire de construire une relation
de confiance personnelle.
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et à gérer une mission ont été mis en place de manière rigoureuse ».
(Associé)
La clarté des rôles l’aidera à répartir rapidement le travail sans que
cette attribution soit discutée dans l’équipe. En effet, la clarté des rôles est
construite par l’organisation pour signifier à chacun de ses membres quelle
est sa place dans la structure grâce à une définition claire des fonctions :
« On a des fonctions qui sont très claires ». (Manager)
« L’équipe se compose de consultants appartenant à des statuts
différents allant d’expert à junior. Chaque statut est associé à des
tâches précises du projet ». (Manager)
Avec la clarté des rôles, les étapes et les activités du projet priment
sur les caractéristiques personnelles. Chacun comprend rapidement ce
qu’il doit faire dans le projet, mais aussi ce que les autres doivent faire.
La clarté des rôles assure une visibilité des actions qui canalise une mise
sous tension de l’équipe durant tout le déroulement de la mission, tout en
conférant de l’autonomie à des personnes jugées rapidement et collective-
ment sur leurs actions. Par ailleurs, la clarté des rôles invite les membres
de l’équipe à ne contacter le manager que pour des demandes en relation
avec la tenue de leur rôle. Le manager répond donc aux attentes d’ajuste-
ment en levant d’éventuelles ambiguïtés grâce à une réponse centrée sur
une meilleure clarification des rôles.
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« Je surveille au jour le jour la charge de tous mes consultants.
Quand j’en surprends un en sous-activité, je descends à l’étage le
voir ». (Associé)
Il convient de préciser que la politique d’évaluation est adossée à une
politique de gestion de carrière particulièrement exigeante. L’évaluation
des résultats ne conduit pas seulement à vérifier si les objectifs sont
atteints, elle facilite également la classification des consultants. À partir
d’un classement des consultants selon ce seul critère des résultats obtenus,
le cabinet repère ceux qui seront aptes à être promus managers. Ce prin-
cipe de sélection est très diffusé dans les cabinets de conseil. Il est nommé
« up or out » pour signifier que seuls les meilleurs méritent de progresser
tandis que les autres doivent partir.
« Celui qui n’a pas de résultat, on ne le regarde pas. On sait que
dans peu de temps il sera ailleurs ». (Consultant)
Le système d’évaluation des résultats exige du consultant qui souhaite
faire carrière dans le conseil de ne jamais relâcher sa forte implication
dans les projets.
« On est évalué en permanence. On est toujours exposé même
lorsqu’on progresse ». (Manager)
« Cela est toujours vérifié quelle que soit son ancienneté : on ne
peut pas justifier de mauvais résultats dans le présent par de bons
résultats dans le passé ». (Associé)
L’évaluation des résultats génère donc une tension suffisamment
forte qu’elle évite l’apparition de problèmes disciplinaires qui oblige-
raient le manager à faire preuve d’autorité dans la conduite du projet.
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de développement du projet
Notre premier résultat vérifie la présence de la swift trust dans les cabi-
nets de conseil. La préférence pour cette forme de confiance en lieu et
place de la confiance personnelle dans la conduite des projets est confir-
mée par une mobilisation significative de ses trois mécanismes organi-
sationnels. Cependant, nous avons procédé à une description de l’usage
de la réputation, de la clarté des rôles et de l’évaluation des résultats sans
nous interroger sur leurs interrelations. Notre second résultat apporte des
précisions à cette question. Nous mettons désormais à jour leurs interrela-
tions significatives en centrant notre analyse selon les moments structu-
rants de la vie des projets évoqués lors des entretiens.
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faire ». (Manager)
La réputation est un jugement des managers sur la capacité du consul-
tant à tenir ses rôles. La relation entre réputation et clarté des rôles
confirme que la réputation est un mécanisme de sélection rationnel pour
composer les équipes mais aussi pour anticiper la qualité du pilotage du
projet.
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toutes les étapes du projet. À la fin du projet, le consultant qui a satisfait
efficacement à ses rôles par une évaluation objective de ses résultats sur
toutes les étapes du projet, peut enfin confirmer que toutes ses actions
justifient la confiance qui lui a été accordée ex ante7.
7. Précisons que si l’évaluation des résultats sur le dernier projet est supérieure aux anticipations
fondées sur la réputation, le consultant a des chances d’améliorer sa réputation. Dans ce cas, l’évalua-
tion des résultats agit comme un antécédent de la réputation. Cependant, cette situation est rarement
observée.
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luation des résultats.
En résumé, les consultants qui ont les résultats les mieux évalués (après
le projet) sont ceux qui ont la meilleure réputation et qui seront les plus
sollicités par les managers (avant le projet) parce que leur réussite passée
indique qu’ils comprennent mieux que les autres les rôles à tenir (pendant
le projet). L’ensemble de ces éléments structure une dynamique collabora-
tive efficace au sein d’une équipe où il n’y a pas nécessité que la confiance
personnelle soit présente. L’articulation de ces mécanismes est représentée
dans la figure suivante.
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Nos résultats apportent une confirmation empirique à la lecture analy-
tique de la confiance dans les équipes temporaires initialement proposée
dans l’article de Meyerson et al. (1996). Les résultats ajoutent également
une contribution supplémentaire aux travaux empiriques existants sur la
swift trust. Ils répondent ainsi à l’appel de plusieurs chercheurs pour amélio-
rer la connaissance de la swift trust (Crisp, Jarvenpaa, 2013 ; Blomqvist,
Cook, 2018), et en particulier dans les nouveaux contextes organisation-
nels où les équipes temporaires deviennent un mode d’organisation de
plus en plus commun.
Nous espérons que cette contribution soit jugée comme significative
puisque le contexte organisationnel de notre étude n’a jamais fait l’objet
d’une observation empirique appuyée sur ce sujet, alors même qu’il est
particulièrement adapté à une compréhension approfondie de cette forme
de confiance. En effet, ce terrain nous a permis de détailler comment les
trois mécanismes fondamentaux de la swift trust (réputation, clarté des
rôles et évaluation des résultats) participent à la formation d’une percep-
tion collective partagée. Or, une analyse approfondie des mécanismes est
nécessaire pour comprendre comment le partage de la perception collec-
tive imprègne toutes les actions avant que le projet ne démarre. Nos résul-
tats confirment ce point fondamental.
Ils l’enrichissent également. La description précise des usages des
mécanismes sur les trois stades du projet révèle que la perception collec-
tive imprègne aussi les actions pendant toute la réalisation du projet. La
référence à la confiance personnelle n’est pas absente des discours des
managers interrogés. Cependant, l’analyse démontre qu’ils ne la jugent
pas comme essentielle pour gérer leur équipe. Ce comportement contre-
dit un point théorique défendu par l’approche considérant que la swift
trust est une forme fragile qui se doit d’être remplacée par la confiance
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Swift trust et équipes temporaires
personnelle une fois le projet démarré (Robert et al., 2009 ; Hung et al.,
2004 ; Blomqvist, Cook, 2018).
Ainsi, nos résultats provisoires, qui ne sont pas en ligne avec cette
thèse, invitent à réfléchir à une lecture alternative pour comprendre la
dynamique de la swift trust. Ils conduisent in fine à interroger le rôle de la
swift trust pour manager l’innovation dans les cabinets de conseils et plus
largement dans les formes organisationnelles comparables.
Premièrement, cette lecture alternative confirme que la confiance
personnelle n’assure toujours qu’un rôle très secondaire dans le fonction-
nement des projets, notamment par sa faible contribution à l’efficacité du
travail en équipe. En effet, les consultants sont régulièrement affectés sur
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des projets dont la configuration toujours différente en termes de nature,
taille, composition ou encore pilotage, les dissuadent de s’engager dans
des relations de confiance personnelle -tout du moins d’un point de vue
rationnel8. Certes, il arrive que des membres du projet aient déjà travaillé
ensemble par le passé. Le plus souvent, c’est le cas lorsqu’un manager gère
de nombreux projets simultanément et/ou des projets de courte durée. Une
relation de confiance personnelle a alors pu s’établir. Mais cette relation
demeure secondaire au regard de son efficacité dans le fonctionnement
de l’équipe. La contrainte du temps exercée sur le projet étant particuliè-
rement forte, une atmosphère « d’urgence » règne et exerce une pression
constante à l’action. Pour agir vite, le consultant est invité à faire preuve
d’initiative pour préférer une solution autonome à une discussion coûteuse
en temps avec son manager. L’usage de la confiance personnelle reste un
calcul non rationnellement justifié.
Selon nous, l’inefficacité de la confiance personnelle dans le fonction-
nement des équipes temporaires étudiées justifie l’usage privilégié et répété
de la swift trust par tous les membres de l’équipe, et ce pour organiser
individuellement leur activité et coordonner collectivement les actions.
La swift trust n’est donc pas, dans le contexte organisationnel particu-
lier observé, une confiance fragile. À l’inverse, les relations personnelles,
quand elles existent, prennent davantage la forme de relations éphémères.
Dans cette perspective, le premier élément de la vision alternative
proposée consiste à poser la stabilité de la swift trust dans le fonctionne-
ment des équipes temporaires comme hypothèse de départ. En procédant
ainsi, ce cadrage facilite l’application de la recommandation de Meyerson
8. Il est fréquent pour le consultant de n’avoir que très peu de connaissance sur la personnalité des
consultants et/ou manager avec lesquels il va travailler sur de nouveaux projets.
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Frédéric Bornarel, Sandrine Virgili
et al. (1996) selon laquelle il faut éviter de tomber dans le piège d’une
lecture trop rapidement centrée sur les conditions de la confiance person-
nelle dans le fonctionnement de l’équipe pour préférer porter le regard sur
le rôle des actions dans la formation et le maintien de la swift trust.
Deuxièmement, la relation particulière entre swift trust et forme
personnelle de la confiance observée interroge le management de l’inno-
vation dans les équipes temporaires sous un nouveau jour.
Prise plus globalement, notre analyse participe à mieux comprendre
comment des organisations qualifiées « d’intenses en connaissance »,
par référence à leur expertise métier et à leur personnel très qualifié,
présentent un potentiel d’innovation limité. En dissuadant les acteurs de
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s’engager dans des relations de confiance personnalisées, le recours prédo-
minant à la swift trust est nuisible pour manager efficacement l’innova-
tion. En effet, le rôle des relations de confiance personnelle construites
par le manager dans la gestion efficace de l’innovation est clairement
établi depuis au moins la fin du XXe siècle (Adler, 2001). Récemment,
Aubouin et Capdevila (2019) confirment que réunir des collaborateurs
dans un espace spécialement dédié à l’innovation ne suffit pas pour qu’ils
innovent, il faut d’abord que le manager favorise le recours à la confiance
personnelle pour que l’innovation soit gérée efficacement : si de bonnes
conditions pour coopérer ne sont pas réunies, alors l’innovation n’aura
pas lieu.
Une question se pose : comment une organisation peut-elle bénéficier
des avantages de la swift trust et manager efficacement l’innovation ? Pour
y répondre positivement, revenons sur l’articulation swift trust / confiance
personnelle à l’appui de la lecture analytique de la confiance proposée par
Adler (2001).
Pour Adler (2001), une nouvelle forme de confiance plus moderne,
« réflective » c’est-à-dire reposant sur des éléments objectifs et non sur les
sources affectives traditionnelles de la confiance, est indispensable pour
manager l’innovation dans les environnements concurrentiels actuels. La
confiance réflective autorise un management des relations sociales plus
efficace grâce à une plus grande fluidité des échanges de savoirs tacites
essentiels à la production rapide d’innovations plus complexes.
La confiance réflective repose sur une base strictement cognitive via
la mobilisation de normes de management rationnelles et partagées. Elle
opère à deux niveaux : collectif et personnel. Sur le plan personnel, elle est
efficace pour gérer les relations hiérarchiques. Le manager construit une
relation de confiance avec ses collaborateurs en adoptant principalement
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La confiance réflective présente néanmoins l’inconvénient de prendre
du temps pour que son développement soit efficace. Mais à l’inverse des
formes traditionnelles, elle est davantage compatible avec la swift trust
puisqu’elle canalise de manière dépersonnalisée et rationnelle les compor-
tements en conditionnant les actions à des normes (les valeurs construites
et partagées par tous). Une articulation entre ces deux formes semble
une solution pertinente pour que l’organisation bénéficie des avantages
associés à l’usage d’une nouvelle forme de confiance mieux adaptée aux
exigences actuelles du management de l’innovation. Ainsi la complémen-
tarité pourrait s’opérer de la manière suivante : la swift trust répond au
besoin d’un usage rapide de la confiance tandis que la confiance réflective
répond à celui d’un usage plus efficace.
Conclusion
La revue de littérature sur la swift trust et l’application d’une démarche
qualitative exploratoire à une forme organisationnelle représentative du
fonctionnement en équipes temporaires ont permis d’améliorer notre
compréhension des usages de cette forme de confiance dépersonnalisée.
Nous avons également centré notre analyse et discussion sur les principaux
mécanismes producteurs de la swift trust pour que les résultats donnent
des éléments de réponse à cet aspect sous-théorisé de la littérature.
Cependant, compte tenu du caractère exploratoire de notre travail,
l’étude comporte des limites qui peuvent ouvrir plusieurs pistes de
recherches futures. Premièrement, l’accent sur les mécanismes producteurs
de confiance identifiés dans les cabinets de conseil devrait être davan-
tage mis en relation avec les mécanismes de socialisation particuliers à
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2005) nous pourrions vérifier la prédominance de la swift trust sur la
confiance personnelle. En effet, quels que soient les niveaux de confiance
évoqués, elle reste produite par et dans les interactions quotidiennes. Il
s’agit donc d’un processus social dynamique, évolutif et complexe que des
méthodes de type ethnographique sont mieux à même de saisir. Une voie
de recherche à développer devrait s’attacher justement à étudier la dyna-
mique possible entre la swift trust et la confiance personnelle en plaçant
davantage l’observation sur le regard des consultants vis-à-vis du compor-
tement de leur manager pour approfondir la thèse de la non substitution
des formes de confiance que nous défendons. Selon nous, les deux formes
peuvent coexister et il est probable que tandis que l’attention des mana-
gers porte sur l’instrumentalisation d’une confiance rapide, les consul-
tants soient plus attentifs à tenter de nouer des relations plus personnali-
sées avec leurs managers. Ce qui pose la question d’une asymétrie dans les
formes de confiance. Enfin une extension à des contextes organisation-
nels temporaires plus innovants serait utile pour approfondir le lien swift
trust/ innovation.
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