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Contributions des SI aux innovations managériales : le cas

Valeo
Émilie Canet, Sébastien Tran
Dans Management des technologies organisationnelles 2015/1 (N° 4), pages 79 à 90
Éditions Les Presses des Mines
ISSN 2553-3851
ISBN 9782356711359
© Les Presses des Mines | Téléchargé le 23/01/2024 sur www.cairn.info via Université Catholique de Lyon (IP: 193.51.243.241)

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II – Contributions
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Emilie Canet et Sébastien Tran

Antoine Chollet, Isabelle Bourdon et Florence Rodhain

Isabelle Choquet

Igor Crevits, Laurence Cournot et Saïd Hanafi

Thibault de Swarte

Jacques Folon

Eric Lacombe

Célia Lemaire et Thierry Nobre

Annie Liothin et Pierre-Michel Riccio

Evelyne Lombardo, Serge Agostinelli, Sophie Arvanitakis,


Marie Ouvrard et Marielle Metge

Sophie Renault

Marc Robert et Philippe Giuliani


Emilie Canet et Sébastien Tran
Emilie Canet est Maître de Conférences à l’Université Paris-Dauphine. Elle appartient à l’équipe
de recherche M-Lab au sein du laboratoire de recherche Dauphine Recherches en Management.

Sébastien Tran est Doyen de la Faculté de l’EM Normandie en France, enseignant-chercheur en


stratégie et chercheur associé au laboratoire M-Lab de l’Université Paris Dauphine.

Contributions des SI aux innovations managériales : le cas Valeo

L’innovation managériale est au cœur de nombreuses réflexions (Kimberly, 1981 ; Birkinshaw


et al., 2008, Le Roy et al., 2013). La question de leur appropriation par les organisations est
particulièrement sensible compte tenu de leurs propriétés et des enjeux stratégiques qui sont liés.
Peu de travaux en sciences de gestion ont cherché à faire le lien entre les SI et l’appropriation des
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innovations managériales alors que le prisme des recherches en SI est très orienté sur l’efficience
organisationnelle (Deweet et Jones, 2001), voire sur la transformation des organisations (Besson
et Rowe, 2011). Cette recherche exploratoire se concentre sur la problématique suivante : quel
rôle peuvent jouer les SI dans le processus d’appropriation des innovations managériales ? Cette
recherche proposera de distinguer les différents rôles d’un SI dans ce processus à partir d’une étude
de cas d’un équipementier automobile qui va déployer une innovation managériale : les roadmaps de
management.

Mots clés : innovation managériale, Systèmes d’Information, appropriation, substrat technique

IS Contributions to Management Innovations: Valeo Case

Management innovations are at the heart of many reflections (Kimberly, 1981 ; Birkinshaw et al.,
2008, Le Roy et al., 2013). The question of their appropriation by organizations is particularly
sensitive given the fact of their properties and the related strategic challenges. Few works have
attempted to make the connection between IS and the appropriation of management innovations,
whereas the focus of research in IS is very much oriented towards organizational efficiency (Deweet
and Jones, 2001), or even the transformation of organizations (Besson and Rowe, 2011). This
exploratory research concentrates on the following problem: what role can IS play in the process
of appropriation of management innovations? This research will propose a distinction between
the different roles of an IS in this process using the case study of an automobile equipment maker,
which is going to deploy a management innovation: management roadmaps.

Keywords: management innovation, Information Systems, appropriation, technical substrate


Contributions des SI aux innovations managériales :
le cas Valeo
Emilie Canet et Sébastien Tran
M-Lab, Université Paris Dauphine et EM Normandie

L’innovation managériale s’est développée dans les pratiques des entreprises


(comptabilité par activité, Balance Scorecard, etc.) et est l’objet de recherches
académiques (Wolfe, 1994 ; Birkinshaw et al., 2008). Elle apparaît comme le
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principal facteur d’explication de la performance (Hamel, 2006, 2009 ; Le Roy
et al., 2013). De plus, les Systèmes d’Information (SI) occupent une place majeure
dans les organisations (Porter et Millar, 1985) et sont le support des processus
organisationnels ou de la stratégie (Swanson, 1994 ; Brockman et Morgan, 1999 ;
Bonfour, 2010). Ils sont définis comme :

« un ensemble de processus formels de saisie, de traitement, de stockage


et de communication de l’information, basés sur des outils technologiques,
qui fournissent un support aux processus transactionnels et décisionnels,
ainsi qu’aux processus de communication actionnés par des acteurs
organisationnels, individus ou groupes d’individus, dans une ou dans
plusieurs organisations » (Kéfi et Kalika, 2004).

De nombreux SI sont ainsi développés pour soutenir la compréhension des


problèmes de management complexes, la prise de décision et permettre la mise
en œuvre de la stratégie et du changement (Phaal et al., 2005). SI et innovations
managériales s’apparentent tous deux aux outils de gestion visant à améliorer la
performance des organisations. Quelques travaux, assez rares dans la littérature,
ont commencé à établir un lien entre les innovations et les SI, ces derniers pouvant
jouer un rôle de « formalisation des savoirs dans des procédures codifiées »
(Moisdon, 1997, p. 230). Le SI peut être un composant d’une innovation
managériale en étant un élément de son substrat technique. Cette recherche se
concentre sur la problématique suivante : quelle est la contribution des SI dans le
processus d’appropriation des innovations managériales ? Nous présenterons dans
une première partie les propriétés et difficultés d’appropriation d’une innovation
managériale. Dans un second temps, nous détaillerons notre étude de cas : la
80 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

méthode 5 steps, innovation managériale dont la mise en œuvre au sein de Valeo


s’appuie sur un SI et nous montrerons ses 4 rôles dans le processus d’appropriation.

1. Innovation managériale : une logique dʼappropriation dynamique


et complexe

1.1. Comment caractériser l’innovation managériale ?

Au sein de la littérature certains auteurs (Wolfe, 1994 ; Abrahamson, 1996 ;


Birkinshaw et al., 2008) se sont intéressés à l’innovation managériale qui se définit
comme :
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« l’invention et la mise en œuvre d’une pratique, d’un processus, d’une
structure ou d’une technique managériale, qui est nouvelle par rapport
à l’état de l’art et qui vise à prolonger les objectifs de l’organisation »
(Birkinshaw et al., 2008).

L’élément cœur d’une innovation managériale est sa philosophie (Mamman, 2009).


Celle-ci traduit l’esprit et les comportements de travail que l’innovation promeut.
Elle est le reflet des hypothèses sous-jacentes à l’innovation sur la manière de
manager une organisation. Ces innovations prennent une forme matérielle par
leur substrat technique (David, 1996). Celui-ci désigne l’ensemble des supports
concrets sur lesquels repose l’innovation et qui lui permet de fonctionner
(tableaux, courbes, graphiques, interfaces d’outils informatiques, etc.). Le SI peut
donc représenter le substrat technique des innovations managériales en incarnant
une forme de matérialité partielle en tant qu’artefact.

La question de l’appropriation des innovations managériales est un processus


qui passe par trois phénomènes (Proulx, 2001 ; Grimand, 2012). Il implique une
maîtrise croissante de l’innovation par les acteurs de l’organisation ; passe par
son intégration réelle dans les routines des acteurs ; et comprend une dimension
de création rendue possible par l’usage de l’innovation par les acteurs de
l’organisation. En effet, la compréhension de l’appropriation interdit de penser
conception et usage séparément (Lorino, 2002 ; de Vaujany et Grimand, 2005).
Ces deux aspects sont intégrés dans un processus récursif et continu au cours
duquel l’innovation est soumise à une conception-reconception permanente
Contributions des SI aux innovations managériales : le cas Valeo 81

afin de répondre aux spécificités et contextes de l’organisation qui l’adopte. Cela


impose donc de considérer l’appropriation comme un processus interprétatif
(Ségrestin, 2004). Les acteurs négocient et construisent le sens et la représentation
partagée de l’innovation.

1.2. Appropriation et spécificités d’une innovation managériale

Tout d’abord, l’innovation managériale est un concept abstrait et des zones


d’incompréhension existent (Mamman, 2009), notamment pour expliquer
l’abstraction nécessaire à son transfert (Lillrank, 1995). Afin de se dégager de son
contexte original de conception, l’innovation managériale doit nécessairement
être l’objet d’un effort d’abstraction, qui assure l’adaptation au contexte des
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nouvelles organisations. De plus, elle n’est pas totalement achevée au moment
où elle commence à se diffuser au sein des organisations. Cette incomplétude
laisse aux adopteurs l’opportunité d’expérimenter et de modifier l’innovation
pour qu’elle s’adapte à leurs spécificités (Godowski, 2003 ; Mamman, 2009). Dès
lors qu’un acteur souhaite mettre en place dans son organisation une innovation
managériale, il bénéficie d’une certaine marge de liberté quant à son utilisation,
et a la possibilité de la modifier, ce qui participe au processus d’appropriation.
Là encore, on peut retrouver une similitude avec certains travaux en SI qui
les considèrent comme étant des artefacts socialement construits et souples
du point de vue de l’interprétation des utilisateurs (DeSanctis et Poole, 1994 ;
Orlikowski, 2000).

Par ailleurs, la philosophie gestionnaire de l’innovation managériale est


particulièrement difficile à expliciter et à formaliser. Le processus d’appropriation
n’est pas prévisible et l’innovation peut être l’objet de détournements. Ainsi, de
nombreuses mises en œuvre de l’innovation ne sont pas initialement prévues
par ses concepteurs. Enfin, l’innovation managériale peut être divisible (Ansari
et al., 2010) car il est possible de tester et mettre en œuvre uniquement certaines
de ses composantes. Cela peut favoriser son appropriation : les organisations
peuvent adopter et mettre en œuvre uniquement les éléments pertinents et
adaptés à leurs besoins et leur contexte organisationnel. Les innovations
managériales concourent ainsi à la transformation des organisations qui est
également supportée par les SI, notamment au niveau des pratiques des acteurs
(Orlikowski et Iacono, 2001).
82 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

2 . Contribution du SI dans l’appropriation d’une innovation


managériale

2.1. Présentation de la méthodologie et de l’étude de cas

Compte tenu de la perspective exploratoire et de la complexité des deux


objets de recherche encastrés que sont le SI et l’innovation managériale, nous
avons fait le choix de réaliser une étude de cas (Yin, 1989). Celle-ci repose sur
la méthode 5 steps (encadré 1), conçue au sein du groupe Valeo lors d’une
collaboration entre la Direction des Systèmes d’Informations et un cabinet de
conseil, MNM Consulting.
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La méthode 5 steps permet « à la Direction de décrire, déployer et piloter la mise
en œuvre de la stratégie » (Blanc et Monomakoff, 2008, p. 3) afin d’atteindre
l’excellence opérationnelle. Elle repose sur des roadmaps de management (feuilles
de route), matrices à cinq niveaux de progrès, qui décrivent la maturité des entités
de l’organisation sur un sujet. La méthode vise à piloter de manière harmonisée
l’acquisition et le renouvellement des capacités organisationnelles dont chaque entité
de l’organisation a besoin pour mettre en œuvre la stratégie.

Encadré 1 : présentation de la méthode 5 steps

Une fois que les deux concepteurs, le DSI de Valeo et le directeur du cabinet
de conseil, ont imaginé les principes qui régissent la méthode, la question de
l’outillage SI au sein de Valeo est apparue comme indispensable compte tenu de
la taille de l’organisation et de la dispersion géographique des entités (230 sites
sur plus de 30 pays).

Nous avons suivi la conception de l’innovation managériale que constitue la


méthode 5 steps et la contribution du SI en distinguant deux phases entre 2005 et
2010. Plusieurs matériaux sous différentes formes ont pu être collectés (tableau 1).
-- Phase 1 : conception de la méthode et du développement du SI associé
entre 2005 et 2008 – SI qui repose sur deux applications déjà existantes
(Matrix et SAP BusinessWarehouse).
Contributions des SI aux innovations managériales : le cas Valeo 83

Valeo est un groupe industriel international, spécialisé dans la conception, la


fabrication et la vente de composants, de systèmes de modules pour l’automobile et
les poids lourds. En 2004, des problèmes de mise en œuvre de la stratégie et d’écarts
de maturité entre ses sites apparaissent. La performance repose sur un équilibre entre
l’autonomie et la standardisation : les entités opérationnelles sont autonomes pour
mettre en œuvre la stratégie du groupe mais doivent respecter un certain nombre
de procédures et de standards. Valeo souhaite déployer un dispositif permettant de
décrire la progression des sites, quant à leur acquisition des standards de l’entreprise
et d’en avoir une vision réaliste. Au premier semestre 2005, des roadmaps sont rédigées
et déployées pour le réseau fonctionnel du SI. Au second semestre 2005, la méthode
est appliquée à plusieurs réseaux fonctionnels de Valeo et plus de 80 roadmaps sont
rédigées et déployées dans l’ensemble de l’organisation.
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Encadré 2 : phase 1 : Valeo et situation de conception de l’innovation

2005-2008 2008-2010
Données Vingt entretiens menés Observations de deux réunions
primaires auprès des utilisateurs par un avec MNM et Valeo. Observation
doctorant en CIFRE* (nov des réunions internes au sein de
2007 à fev 2008). Entretiens MNM concernant le SI. Entretiens
et discussions informelles et discussions informelles avec
avec les deux concepteurs de les consultants en charge de la
la méthode, les consultants de mission chez Valeo. Observation
MNM et les développeurs. participante au sein de MNM
Consulting entre 2008 et 2010 sur
une problématique plus générale
autour de l’innovation managériale.
Données Documents de Valeo et de
secondaires MNM (comptes-rendus
des réunions). Analyse de la
plateforme via un accès en ligne
(observation participante).
Analyse du guide utilisateur
VRM de la plateforme (141
diapositives ppt).

Tableau 1 : synthèse des matériaux collectés


* Entretiens menés par Ibrahim Fall (2008) dans le cadre de sa thèse de doctorat

-- Phase 2 : relance de la dynamique d’utilisation de la méthode notamment


en 2010 par une direction fonctionnelle au sein de Valeo soutenue par
un nouvel SI appelé Roadmap Manager, qui inclut de nombreuses
fonctionnalités ayant vocation à faciliter l’appropriation de l’innovation.
84 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

Au début de l’année 2010, le directeur Risque, Assurance et Environnement du


groupe Valeo souhaite déployer de nouvelles roadmaps, suite à la définition d’un
référentiel Hygiène, Sécurité, Environnement pour le groupe. Une roadmap concerne
les aspects de « Santé et Sécurité » et une seconde ceux de l’« Environnement ». Ce
déploiement est l’occasion de tester la plateforme Roadmap Manager au sein de Valeo.
Cette plateforme a été conçue par MNM Consulting, entre 2007 et 2009, afin de
fournir un SI qui permettait de répondre aux besoins révélés par les difficultés de
mise en œuvre dans la phase 1.

Encadré 3 : phase 2 : contexte d’utilisation de Roadmap Manager au sein de Valeo

2.2. Analyse de deux situations d’appropriation de l’innovation managériale


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Des difficultés de l’appropriation

Dans la phase 1, la définition et la construction de l’innovation ont conduit à


utiliser un SI déjà existant afin de soutenir sa mise en œuvre. Les apports et limites
de ce SI dans l’appropriation sont multiples. Tout d’abord, les opérationnels
qui doivent utiliser la roadmap pour évaluer leur avancement sur les différents
sujets sont les plus impactés par les propriétés du SI. Le manque d’ergonomie et
l’interface sommaire rendent difficile l’utilisation de la roadmap, notamment du fait
que Matrix et SAP sont deux outils très orientés vers le reporting. En conséquence,
de nombreux opérationnels ont pris l’habitude de la charger en format excel pour
s’évaluer. Cela réduit l’incitation à son utilisation régulière (« rentrer dans les roadmaps
sont la corvée mensuelle », formateur MNM Consulting). De plus, le SI n’inclut pas
de fonctionnalités de communication pour les opérationnels. Ces derniers ne
parviennent pas à trouver d’interlocuteurs lorsque le contenu de la roadmap n’est
pas clair ou pas adapté à leur situation.

Malgré ces limites, le SI contribue partiellement à l’appropriation de la méthode par


les opérationnels. Il fait partie intégrante du substrat technique puisque méthode
et outil sont présentés aux acteurs comme formant un tout, notamment lors des
formations à l’outil qui sont l’occasion de sensibiliser les acteurs aux principes de
la méthode. Le SI est un support concret et tangible qui permet de leur donner
corps. Ainsi, il facilite la transportabilité de l’innovation au sein des entités du
groupe Valeo. En 2008, près de 17 000 roadmaps de management ont été déployées
sur près de 210 sites. Le directeur de l’audit interne de Valeo ajoute :
Contributions des SI aux innovations managériales : le cas Valeo 85

« aujourd’hui avec le système en place, on a associé un certain formalisme


à une base de donnée interactive qui couvre tout le groupe. Les roadmaps
sont disponibles sur tous les sites dans le monde entier avec une demande
du groupe de faire de l’autoévaluation sur ce référentiel, ce qui n’existait pas
avant ».

De la même manière, il participe à la construction d’un vocabulaire spécifique


autour de l’innovation participant à la compréhension par les opérationnels des
objectifs généraux de la méthode. Ces notions sont transmises au cours des
formations à l’utilisation de la plateforme et ces termes apparaissent dans les
supports à destination des utilisateurs (guide utilisateur notamment).
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Mais cette appropriation par les opérationnels se révèle plus limitée au regard
de l’intention des concepteurs et de la valeur espérée de l’innovation. En effet,
les acteurs perçoivent la méthode essentiellement comme un outil de reporting
au service des directions fonctionnelles et non comme méthode de soutien à
leur progression et apprentissage (déploiement d’une norme, mise en place
d’un nouveau processus, etc.). Ils déclarent ainsi que « l’outil Matrix est un outil de
reporting : il sert à remonter les informations au groupe » (resp. axe qualité) ;

« Vous n'utilisez l’outil Matrix que comme un outil de reporting. L’outil, pour
qu’il vous soit utile, doit permettre de faire des plans d’action et de les suivre,
de faire des comparaisons par rapport aux objectifs, l’outil doit permettre
d’écrire des commentaires, il doit offrir des possibilités de modifications, il
doit permettre un management visuel par des graphiques » (rédacteur d’axe).

Plusieurs responsables ont le sentiment d’une charge de travail plus importante.


Cette fonction de reporting est en revanche particulièrement appréciée par les
directions fonctionnelles pour lesquelles le SI fournit une consolidation des notes
d’avancement et de nombreux tableaux de bord. C’est une partie de la philosophie
gestionnaire de l’outil car comme le souligne le DSI de Valeo, « pour progresser, il
faut mesurer ». L’un des objectifs de Valeo était aussi d’alléger le dispositif d’audit
des sites. En répondant efficacement à la fonction de pilotage, le SI facilite
son appropriation sous cet angle par ces acteurs. En revanche, on ne peut pas
considérer que l’innovation soit utilisée comme un outil de management mais
dans sa fonction plus restrictive de reporting et pilotage.
86 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

Un SI repensé qui favorise l’appropriation

Conscient des limites du SI au sein de Valeo, le cabinet MNM Consulting


développe un SI dédié appelé Roadmap Manager. Une attention particulière est
consacrée à l’ergonomie de la plateforme pour faciliter la lecture de la roadmap
et l’auto-évaluation par les opérationnels en s’appuyant particulièrement sur les
propriétés du SI. Des fonctions de feedback sont incluses pour assurer le dialogue
et les échanges au sujet de la roadmap entre les différents acteurs impliqués dans
la démarche (opérationnels, rédacteurs, fonctionnels, directions). Une réflexion
est menée quant aux différents profils d’utilisateur pour ne fournir que les
informations nécessaires à chacun. Les fonctions de pilotage et de création de
tableaux de bord sont également améliorées. Ce souci d’avoir des fonctions plus
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orientées utilisateurs est revenu fréquemment lors de nos entretiens avec les deux
développeurs de MNM Consulting. L’un des chefs de projet considère ainsi que
« les gens de terrain doivent voir leur progression et se comparer par rapport aux autres sites »,
ce qui est plus en phase avec l’autre partie de la philosophie gestionnaire de
l’innovation. La notion de « self assessment » est également revenue à plusieurs
reprises dans le discours des fondateurs de la méthode.

Dans cette seconde phase, les améliorations et nouvelles fonctionnalités de


Roadmap Manager contribuent à une meilleure appropriation. La communication
et la formation sur ces nouvelles roadmaps au sein des entités incluent
systématiquement celles sur le SI associé, qui apparaît comme le support concret
de l’innovation du point de vue des utilisateurs et participe à la construction d’un
vocabulaire spécifique. L’amélioration de l’ergonomie de la plateforme assure un
affichage lisible de la roadmap, favorisant sa lecture et sa compréhension, mais aussi
un affichage clair de l’avancement de l’opérationnel par rapport à ses objectifs.
Les fonctions de feedback assurent effectivement le dialogue entre les acteurs,
notamment entre les rédacteurs de roadmaps et les opérationnels qui s’évaluent.

Les possibilités de paramétrage des différents profils d’utilisateurs de Roadmap


Manager assurent une réflexion en termes de management sur la mise en œuvre
de la méthode sur ces sujets. Cette flexibilité assure donc une conception du
SI adaptée aux objectifs du projet dans sa dimension managériale. Ainsi, pour
chaque profil (évaluateur, manager, responsable fonctionnel), l’utilisateur n’a
accès qu’à l’information qui lui est strictement utile. Cette vision partielle facilite
sa compréhension rapide de la méthode et de ses apports vis-à-vis des objectifs
qui lui sont fixés. On constate donc que ce paramétrage de la plateforme conduit
Contributions des SI aux innovations managériales : le cas Valeo 87

à définir le substrat technique en fonction des profils, support à la compréhension


et l’intérêt pour chaque type d’acteur et concourant à l’amélioration de
l’appropriation. La méthode, dans cette situation de mise en œuvre, est davantage
perçue comme un outil de management par les fonctionnels et un outil de soutien
aux progrès par les opérationnels.

2.3. Implications managériales : quels apports du SI dans l’appropriation


d’une innovation managériale ?

Tout d’abord, le SI compose le substrat technique de l’innovation managériale


et apparaît comme un médiateur permettant sa transportabilité au sein de
l’organisation. Il lui « donne vie » à travers une existence matérielle (le hardware, les
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guides utilisateurs, etc.) et permet une représentation visuelle partagée par l’ensemble
des acteurs, même si son interprétation peut être différente. Le SI permet ainsi
l’actionnabilité de l’innovation managériale et sa validation empirique au travers de
ses possibilités de représentations graphiques, fonctionnalités, modules, etc.

Il participe également à la construction d’un vocabulaire caractéristique de


l’innovation. Les éléments intégrateurs d’une certaine rhétorique, à savoir les
guides utilisateurs, les plaquettes de présentation et les différentes formations
contribuent à diffuser le langage gestionnaire et la philosophie liés à l’innovation
managériale (responsabilisation et autonomisation des acteurs, enrichissement des
tâches, diffusion d’un management participatif, etc.).

Le SI peut également jouer un rôle à partir de ses propriétés intrinsèques et


de son interface. Le travail réalisé sur l’ergonomie de l’interface, l’aide en ligne,
les FAQ, l’interopérabilité des systèmes, l’automatisation de certains traitements,
etc. peuvent être considérés comme des éléments facilitant l’appropriation d’une
innovation managériale encastrée dans un SI.

Le SI doit enfin être pensé comme instrument de flexibilité en soutien à l’évolution


de l’innovation managériale, pour l’adapter aux besoins des acteurs et favoriser
leur compréhension et leur intérêt en faveur de l’innovation. Il peut participer à
l’évolution de l’innovation grâce à ses propriétés techniques et ses fonctionnalités
dans le cadre d’une conception continue de l’innovation : les possibilités de
modification de l’innovation par les acteurs et/ou les concepteurs est une condition
de son intégration dans des contextes singuliers au travers de versions remaniées.
88 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

CONCLUSION

Cette recherche a permis de mettre en évidence quatre rôles du SI dans


l’appropriation d’une innovation managériale. Dans notre étude de cas, il incarne
l’aspect « technique » de cette dernière (Maton et Zelinshi, 2012). Il faut penser
et construire le SI comme réel support d’appropriation en s’appuyant sur ses
propriétés intrinsèques découlant de son statut de substrat technique. Plus
particulièrement, l’accent doit être mis sur la conception du SI comme instrument
de flexibilité au service de l’évolution de l’innovation. Cet aspect contribue à la
dimension de création inhérente à l’appropriation et rendue possible par l’usage
de l’innovation. Le SI joue donc un rôle important dans le processus interprétatif
et supporte la construction du sens et la représentation partagée de l’innovation
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par les acteurs. La conception du SI participe ainsi à la réflexion sur la définition
et le contenu de l’innovation. L’identité de l’innovation peut se préciser à travers la
conception du SI, le développement de certaines fonctionnalités venant soutenir
l’affirmation de principes qui composent l’innovation. La conception du SI
participe donc à la création de sens et de représentation de l’innovation parce
qu’elle conduit à penser des règles ou des principes qui vont venir composer
l’innovation (règles d’animation du SI, gestion des droits des utilisateurs, etc.).
Enfin, la conception modulaire des SI, de configurations spécifiques choisies
ou de la sélection de certains modules (exemple des ERP où les entreprises ne
choisissent que certains modules selon leurs processus cœur de métier) peut
également soutenir la caractéristique de divisibilité de l’innovation managériale,
et in fine son appropriation.

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