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Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le

cas Apple
Thibault de Swarte
Dans Management des technologies organisationnelles 2015/1 (N° 4), pages 141 à 150
Éditions Les Presses des Mines
ISSN 2553-3851
ISBN 9782356711359
© Les Presses des Mines | Téléchargé le 21/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.119.101.72)

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Thibault de Swarte
Thibault de Swarte est agrégé de sciences sociales et maître de conférences HDR à Telecom Bretagne
(Institut Mines Télécom) et responsable du mastère spécialisé « ingénieur d'affaires européen ».

Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple

On se propose de considérer les technologies et les usages de la mobilité (réseaux mobiles et


smartphones) en les mettant en perspective depuis une dizaine d’années. Dans quelle mesure
sont-ils une innovation ? De quel type ? Technique bien sûr, économique certainement mais aussi
organisationnelle et managériale. On s’appuiera notamment sur la théorie de l’innovation et sur le
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cas emblématique d’Apple29.

Mots clés : théorie de l’innovation, services de téléphonie mobile, organisation,


management, Apple

Theory of Innovation and Mobile Technologies: Apple Case

In this paper, I study technologies and mobility practices (through smartphones and mobile
networks) by building a perspective since the ten last years. To what extent do we face a real
innovation? If yes, which kind of innovation? A technical and economical one of course, but
certainly also an organizational and managerial innovation. I particularly rely on the theory of
innovation and the emblematic case of Apple.

Keywords: Theory of innovation, mobile services, organization, management, Apple

29 Cet article reprend des éléments d’un travail de recherche de Bérangère de St Laon (2008) réalisé
en codirection (Pr. Dominique Martin et moi-même) à Telecom Bretagne et à l’Université Rennes
1 (IGR-IAE).
Théorie de l’innovation et technologies
de la mobilité : le cas Apple
Thibault de Swarte

LASCO, Université Paris Descartes/Institut Mines-Télécom

Lacan aurait pu gratifier son auditoire d’un des ses fameux calembours sur
l’innovation, où le « in » et le « no » se contredisent sur un mode parfois pathétique
et où « vation » hésite entre élévation et « vation » mot anglais qui signifie agité, frustré
ou anxieux. Les recherches concernant l’innovation ne sont bien sûr pas le simple
fruit d’une mode, mais aussi le reflet d’interrogations très anciennes. L’innovation
ne peut pourtant aujourd’hui se rattacher aisément à aucune des disciplines
classiques de la recherche académique, même si la visibilité de ces questions s’est,
il est vrai, accrue depuis une quinzaine d’années dans le contexte de l’accélération
de la mondialisation de l’économie, donnant une place de choix à la « compétition
par l’innovation intensive » bien décrite dès 1999 par Hatchuel et Weil.
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L’innovation, en tant qu’objet de recherche, pose ainsi des questions aussi
bien sur le phénomène de l’innovation lui-même (interrogations théoriques
telles que la caractérisation du phénomène, ses causes et ses conséquences sur
la société…) que sur son champ d’action (interrogations pratiques comme les
processus facilitant l’émergence d’idée innovantes, la conception par les usages,
les ressources à allouer à l’innovation et comment les répartir efficacement…).
Ces questions ne peuvent plus sagement se cantonner au sein des frontières fixées
par les disciplines académiques.

À travers le cas des technologies de la mobilité et notamment du smartphone,


on cherchera à montrer la complexité des enjeux technologiques, économiques,
organisationnels et managériaux autour de la question des relations entre
innovation et technologies de la mobilité depuis une dizaine d’années.
142 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

1. L’innovation dans le terminal mobile plutôt que dans le réseau

Une étude d’usages que nous avions conduite à la fin des années 2000 à propos
de la TV sur mobile avait abouti à la conclusion que l’apparition d’un téléphone
multifonctions de type « couteau suisse » était une hypothèse prometteuse.
L’innovation est finalement venue là où personne ou presque ne l’attendait avec la
« révolution » du smartphone survenue depuis environ 5 ans. C’est ainsi le terminal
mobile qui a provoqué la rupture innovante, pas le réseau de téléphonie mobile.

Le « téléphone chic » est dans un premier temps une innovation organisationnelle


des laboratoires d’Apple en Californie, en liaison avec une innovation managériale
dans laquelle Steve Jobs a voulu, soutenu et fait aboutir des processus de
management de l’innovation radicalement nouveaux (Yoffie et Rossano,
2012). C’est aussi une innovation cognitive (interfaces tactiles, conception des
applications par les utilisateurs…). C’est ensuite une innovation marchande au
travers d’un modèle économique simple et très rentable (l’Apple Store). C’est enfin
une innovation économique au sens de Schumpeter qui a abouti à un gigantesque
transfert de valeur au profit d’Apple et au détriment des autres acteurs (opérateurs
historiques de télécoms, fabricants de terminaux mobiles classiques, fournisseurs
de contenus…). Commençons par examiner l’innovation économique.
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2. Innovation économique et technologies de la mobilité

Joseph Schumpeter (1912) est l’un des premiers à avoir écrit sur l’innovation. Il
utilise ce concept pour expliquer les cycles économiques. En effet, selon lui, le
progrès technique est au cœur de l’économie et les innovations apparaissent en
grappes ou essaims : après une innovation majeure, souvent une innovation de
rupture due à un progrès technique, voire scientifique (par exemple : la vapeur,
l’électricité, les circuits intégrés, les nanotechnologies), d’autres innovations sont
portées par ces découvertes. On constate alors des cycles industriels où, après
une innovation majeure, l’économie entre dans une phase de croissance (créatrice
d’emplois), suivie d’une phase de dépression, où les innovations chassent les
entreprises ‘dépassées’ et provoquent une destruction d’emplois. Pour décrire
ce processus, Schumpeter emploie le terme de « destruction créatrice » (1942).
Les économistes ont longtemps considéré l’innovation comme la résultante de la
seule évolution technologique.
Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple 143

Dans le cas des technologies de réseaux de mobiles, ce raisonnement demeure


largement pertinent. En effet, on a d’abord affaire à la fin des années 1990 au 2G
(réseau de téléphonie mobile permettant le transport de la voix et de messages
courts (sms : short message service). On voit ensuite apparaître le 2,5G (ou
« Edge ») permettant l’acheminement de données à un débit relativement lent mais
à des coûts d’infrastructure modérés. La grande affaire du début des années 2000
est le réseau mobile de 3e génération (3G) qui va correspondre au pic de la bulle
internet. Cette innovation technologique radicale permet le transport de données
mobiles à haut débit. Mais ses perspectives économiques sont assombries très vite
par une fiscalité des licences 3G confiscatoire, notamment en Angleterre et en
Allemagne et par une spéculation boursière effrénée sur les valeurs internet qui va
ensuite plonger le secteur dans le marasme durant plusieurs années. Le décollage
économique du 3G commence vraiment en 2009 avec l’arrivée sur le marché
des smartphones. La figure 1 ci-dessous montre l’évolution du cours d’Apple
(2003-2013), dopée par le boom des Iphones, avec un pic remarquable en 2012
qui correspond aussi au début de la saturation du réseau 3G. D’où l’apparition
commerciale en 2013 du réseau 4G (LTE, Long Term Evolution) au débit bien plus
élevé que le 3G. Il est encore trop tôt pour dire si la chute de 2013 correspond à
un retournement de cycle Schumpeterien ou à une simple pause dans la croissance
financière d’Apple tout à fait hors normes.
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Figure 1 : évolution du cours de bourse d’Apple 2003-2013 en $ américains

Le boom des réseaux mobiles et des smartphones répond bien aux quatre critères
ci-après :
144 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

-- l’innovation est un succès, dans le sens d’une durabilité économique.


Permettant de générer des emplois, elle assure des retours sur investissement
et des gains financiers durables ;
-- l’innovation est utilisée par des clients. En effet, pour être considéré
comme une innovation, le produit doit être lancé sur un marché pour
être consommé ou intégré dans d’autres produits. Une des originalités des
smartphones est en effet d’être un « produit générateur de services » au
travers du développement d’applications et de services spécifiques d’ailleurs
plus souvent liés au monde des constructeurs de terminaux qu’au monde
des opérateurs de réseaux mobiles ;
-- l’innovation crée de la valeur. L’innovation peut permettre des gains
financiers mais également apporter des atouts stratégiques de compétitivité
ou ouvrir de nouvelles voies de développement. Clairement, à ce jour, la
création de valeur s’est faite au profit des constructeurs de terminaux (mais
pas tous) et au détriment des opérateurs de télécommunications. Du côté de
la demande, il est clair qu’un nombre considérable de services nouveaux sont
apparus (covoiturage, partage d’appartements, billets de train en ligne…) ;
-- enfin, l’innovation est une rupture plus ou moins importante avec les
produits existants. Les difficultés récentes d’un industriel tel que Nokia
qui s’était positionné sur le milieu de gamme des terminaux mobiles et ne
croyait pas au smartphone en sont une bonne illustration.
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L’approche économique de l’innovation est généralement liée à la maîtrise
des coûts. On est dans la filiation théorique de concepts bien établis tels que
le positionnement vis-à-vis de la concurrence (Porter, 1982), la typologie de
l’innovation, l’investissement en R&D, les systèmes nationaux d’innovation.

Mais les évolutions radicales des technologies de la mobilité depuis 10 ans ont
contribué à reformuler les termes du débat « Porterien ». Apple a écrasé ses
concurrents en construisant un quasi-monopole du fait d’une innovation dans le
champ des services mobiles dûment verrouillée par des brevets aussi nombreux que
précis. Les considérables investissements en R&D ont autant porté sur l’ergonomie
et le design que sur les logiciels. Enfin, le système national d’innovation américain
a fonctionné à plein régime tout en se renouvelant, permettant de dégager une
rentabilité marginale – celle du n+unième Iphone – considérable, ce d’autant plus
que le terminal lui-même est « designed by Apple in California » mais « made in China ».

Si les technologies de la mobilité permettent de revisiter Porter, il en va de même


pour Schumpeter. La pertinence du macrocycle techno-économique se trouve
Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple 145

confirmée, le 3G détruisant la valeur du 2G et le 4G étant peut être le futur


vampire de la valeur du 3G.

Le modèle économique d’Apple, notamment l’Apple Store intègre le concept


d’innovation en essaim plutôt qu’en grappe. Plus précisément c’est une grappe
génératrice de services innovants vu du point de vue d’Apple mais plutôt un essaim
de services en alvéoles dûment protégés vu du point de vue des concurrents.
Une question intéressante, que Schumpeter avait commencé à aborder, serait
celle du rapport entre l’innovation économique et ce que, faute de mieux, on
appellera l’inconscient collectif. Dans quelle mesure existe-t-il un lien entre des
technologies et des services mobiles d’une part et d’autre part l’imaginaire de
l’homo mobilicus pour qui le smartphone devient une sorte de prolongation de son
moi, quand ce n’est pas une annexe de son « ça » et de ses pulsions ? Mais si les
organisations sont surprises voire déstabilisées par l’irruption des technologies de
la mobilité, elles ont vocation à « récupérer » les usages de ces technologies afin de
les transformer en innovations organisationnelles.

3. Innovation organisationnelle et technologies de la mobilité


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Les technologies de la mobilité permettent à l’évidence une innovation
organisationnelle dans la mesure où elles augmentent le degré de réactivité et de
flexibilité des organisations.

Elles impactent aussi le management – pas seulement pour la prétendue


génération Y – en autorisant une communication plus fluide entre les différentes
composantes de l’organisation. Rien n’indique pour autant que la productivité
organisationnelle bénéficie de ce type d’innovation organisationnelle. Il faudrait
conduire des études empiriques sur les effets pervers des technologies de la
mobilité sur la productivité, ce qui semble encore peu développé en 2013. On
pense en particulier au problème de la saturation informationnelle et à la fatigue
cognitive dont ces technologies sont un vecteur éminent.

Il est ici utile de revenir vers la théorie. À la croisée des recherches sur l’innovation
et sur la théorie des organisations, sont apparus des concepts désormais
classiques. On a ainsi pu parler d’organisations ambidextres (Duncan, 1976) ou
d’organisations continûment changeantes.
146 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

(i) Mais quid, pour commencer, de la distinction entre innovation produit et


innovation organisationnelle ? Force est de constater que le rapport de forces
favorable aux géants du secteur des technologies de la mobilité permet d’entretenir
une lucrative confusion entre ces deux types d’innovations. Il n’est pas contestable
que l’innovation produit est forte, il n’est pas non plus contestable que les services
et les usages innovants associés sont nombreux (Farshad et Kwek Choon, 2012).
Mais une mesure de l’innovation et de la productivité organisationnelles demande
de la prudence. Une organisation tout d’abord n’a pas pour fonction d’être
innovante mais de structurer dans la durée le cadre d’action et de production
d’acteurs économiques. Si les gains de productivité apparents des technologies
de la mobilité détruisent de manière souterraine des points nodaux des structures
organisationnelles, alors on risque de voir se développer une « économie de bazar »
à forte densité de transactions mais à faibles gains de productivité. Comme le
souligne Askenazy (2011), rien n’indique au plan macroéconomique (et donc au
plan macro-organisationnel) que l’effet positif des TIC observé dans les années
1990 se soit maintenu depuis la crise de 2008.

(ii) Une autre question concerne la nature de l’innovation. Depuis Brown


et Eisenhardt (1995), la conception de produits n’est plus considérée comme
une banale situation de changement mais comme le mode d’adaptation au
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changement par excellence. C’est exactement ce qu’Apple a appliqué dans
sa stratégie de recherche, de production et de commercialisation de l’Iphone.
Mais une telle innovation organisationnelle rencontre des limites elles-mêmes
organisationnelles entre les entités consommatrices de ressources (R&D,
production, marketing) et les entités « productrices » de ressources (ventes et
finances notamment).
-- Tant que le cours de bourse d’Apple augmente plus vite que les coûts
moyens d’un Iphone, un cercle vertueux peut se maintenir, permettant
de financer une R&D très consommatrice de capitaux et une croissance
externe du même type.
-- Une chute du cours de près de 40 % en un an comme ce fut le cas en 2012-
2013 remet en cause un tel modèle, mettant en place des effets de leviers
négatifs dont le secteur financier a fait l’amère expérience depuis 2008. Les
marchés sont là comme toujours pragmatiques : Apple pourra-t-il continuer
à innover au même rythme ? Ils craignent le contraire.
Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple 147

La course à l’innovation dans le champ des technologies de la mobilité ne court-


elle pas alors le risque d’être une course à l’échalote ou que les innovations
organisationnelles soient destructrices de valeur financière puis de valeur techno-
économique et enfin de valeur organisationnelle ? Deighton et Kornfeld (2013)
disent à propos des géants du numérique que « le futur des marchés n’a jamais
été aussi fluide ». Schumpeter ne disait pas autre chose en parlant de destruction
créatrice.

4. Innovation managériale et technologies de la mobilité

La vision traditionnelle de l’innovation la considère comme un processus


permettant la transformation d’une idée en un objet ou un service nouveau. Elle
est alors constituée d’étapes successives qu’il convient de manager avec succès
pour assurer l’aboutissement de l’idée. Les recherches basées sur cette approche
portent donc sur l’optimisation et la structuration d’étapes telles que l’élaboration
de planning ou la rédaction de cahiers des charges. Encore récemment, cette
démarche a permis des innovations décisives dans le domaine du nucléaire ou de
la haute vitesse ferroviaire.
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Dans le champ des technologies de la mobilité, le GSM (Global System for Mobile
Communications) ou l’UMTS (Universal Mobile Telecommunications System) est le résultat
de ce type de démarche. Mais il ne s’agit pas à proprement parler d’innovations
managériales, c’est-à-dire d’innovations impactant le management des
organisations. Il s’agit de management de l’innovation, c’est-à-dire d’une manière
de coordonner des réseaux d’acteurs technologiques puissants dans le but de
fédérer leur R&D autour de l’élaboration d’une norme synchrone de commutation
en télécommunications, par opposition au principe du best effort asynchrone qui
s’applique dans le monde de l’internet. Or, l’élément décisif avec les smartphones,
c’est que ce sont des objets communicants hybrides qui fonctionnent aussi bien
(ou presque) dans le monde des télécoms que dans celui de l’internet. On a donc
affaire à une innovation managériale décisive dans le champ de la R&D, laquelle va
ensuite permettre à des réseaux d’acteurs en situation de management d’intégrer
les technologies de la mobilité au management opérationnel.

Dans le champ des technologies de la mobilité, on peut aussi envisager de travailler


sur la mise au point de systèmes d’information (SI) adaptés à la conception de
services innovants, ou d’outils permettant d’intégrer plusieurs étapes du processus
148 De l’innovation technologique à l’innovation managériale

ensemble. Dans ce cas, c’est le management des systèmes d’information qui


« tire » le processus innovant. Mais il faut reconnaître que c’est une démarche
un peu contre-nature pour de grands groupes dont les processus d’innovation
reposent sur une R&D puissamment structurée mais peu flexible. D’où la percée
solitaire d’Apple sur le marché des terminaux entre 2008 et 2012, à rebours de
ses compétiteurs plus classiques dans leur management de l’innovation (Nokia,
Samsung, Blackberry…). Depuis, Samsung a réagi avec un certain succès sans
qu’il soit possible de dire si son SI a joué un rôle important.

Depuis le milieu des années 2000, la recherche académique propose de ne plus


se focaliser sur le management en tant que coordination de métiers mais sur
la redéfinition des métiers eux-mêmes, prenant en compte l’innovation comme
une activité à part entière (Tidd et al., 2006). Il est difficile d’avoir une vue
d’ensemble des effets de cette recherche sur le modus operandi du management de
l’innovation dans le champ des technologies de la mobilité. Mais on peut livrer
quelques observations. Dans le champ du management public, l’observation des
pôles de compétitivité, supposés être les vecteurs d’un management public de
l’innovation, laisse dubitatif. Il n’est pas contestable que le travail effectué au sein
de ces pôles permet une coordination des métiers sur une thématique précise, par
exemple « images et réseaux » et le renforcement des collaborations de recherche
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entre entreprises et chercheurs. En revanche, nous n’avons pas pu observer de
redéfinition des métiers. De même, l’innovation est plus évaluée par l’État sur la
base de la crédibilité du modèle économique proposé – souvent un point faible
des consortia – alors que les ruptures de ces 10 dernières années dans le champ
des technologies et des services en mobilité sont souvent arrivées là où personne
ne les attendait avec des modèles économiques reposant sur la commercialisation
de données personnelles ou une offre d’accès au réseau mobile low cost. De grands
organismes publics de recherche, par exemple l’Institut Mines-Télécom, ont mis
l’innovation au cœur de leur stratégie mais sans la définir rigoureusement du
point de vue du droit public. Le décret fondateur de cet institut (février 2012),
à la rédaction duquel nous avons participé, dresse un catalogue d’innovations
possibles mais ne s’aventure pas à définir la nature ni l’objet de l’innovation dans
un groupe d’école d’ingénieurs. L’innovation est donc une « activité à part entière »
mais sans qu’on sache comment elle va s’articuler avec les activités d’enseignement
et de recherche, là où précisément la Silicon Valley excelle.
Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple 149

Conclusion

Au-delà de l’évidente complexité de la question de l’innovation, même limitée


au cas des technologies de la mobilité, on a montré ici que les grands auteurs,
notamment Schumpeter, conservaient leur pertinence pour expliquer une
innovation qui, à l’échelle du siècle, n’est après tout qu’une composante d’un
macrocycle techno-économique marqué par l’avènement du « numérique pour
tous ». D’un point de vue organisationnel, l’impact des technologies de la mobilité
est évident mais il n’est pas certain qu’on considérera encore en 2025 qu’il s’agissait
d’une « révolution », pas plus que les smartphones n’ont fait tomber à eux seuls le
régime égyptien. Pour ce qui concerne l’innovation managériale, il semble que ce
soit plus le management de l’innovation que l’innovation en management qui ait
été impacté par les technologies de la mobilité. Une question intéressante pour le
management sera de savoir si le smartphone est plutôt un facteur d’engagement
ou de retrait pour les employés (Mc Cormick et al., 2012). Mais on peut aussi à
l’inverse s’inquiéter des ravages possibles de l’hyper connectivité, d’une sorte de
servitude numérique volontaire où les technologies de la mobilité s’avèreraient
intrusives, destructrices de valeurs au sens sociologique et pas forcément créatrices
de valeur économique à long terme.
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Farshad, M. et Kwek Choon, L. (2012), « Exploring the Relationship between Experiential


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Tidd, J., Bessant, J., et Pavitt, K. (2006), Management de l’innovation : intégration du changement
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traduit par Jean-Pierre Verecken, 612 p.

Yoffie, D. et Rossano P. (2012), Apple Inc. in 2012, Harvard Business School, case n° 9-712-
490.
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