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cas Apple
Thibault de Swarte
Dans Management des technologies organisationnelles 2015/1 (N° 4), pages 141 à 150
Éditions Les Presses des Mines
ISSN 2553-3851
ISBN 9782356711359
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cas emblématique d’Apple29.
In this paper, I study technologies and mobility practices (through smartphones and mobile
networks) by building a perspective since the ten last years. To what extent do we face a real
innovation? If yes, which kind of innovation? A technical and economical one of course, but
certainly also an organizational and managerial innovation. I particularly rely on the theory of
innovation and the emblematic case of Apple.
29 Cet article reprend des éléments d’un travail de recherche de Bérangère de St Laon (2008) réalisé
en codirection (Pr. Dominique Martin et moi-même) à Telecom Bretagne et à l’Université Rennes
1 (IGR-IAE).
Théorie de l’innovation et technologies
de la mobilité : le cas Apple
Thibault de Swarte
Lacan aurait pu gratifier son auditoire d’un des ses fameux calembours sur
l’innovation, où le « in » et le « no » se contredisent sur un mode parfois pathétique
et où « vation » hésite entre élévation et « vation » mot anglais qui signifie agité, frustré
ou anxieux. Les recherches concernant l’innovation ne sont bien sûr pas le simple
fruit d’une mode, mais aussi le reflet d’interrogations très anciennes. L’innovation
ne peut pourtant aujourd’hui se rattacher aisément à aucune des disciplines
classiques de la recherche académique, même si la visibilité de ces questions s’est,
il est vrai, accrue depuis une quinzaine d’années dans le contexte de l’accélération
de la mondialisation de l’économie, donnant une place de choix à la « compétition
par l’innovation intensive » bien décrite dès 1999 par Hatchuel et Weil.
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L’innovation, en tant qu’objet de recherche, pose ainsi des questions aussi
bien sur le phénomène de l’innovation lui-même (interrogations théoriques
telles que la caractérisation du phénomène, ses causes et ses conséquences sur
la société…) que sur son champ d’action (interrogations pratiques comme les
processus facilitant l’émergence d’idée innovantes, la conception par les usages,
les ressources à allouer à l’innovation et comment les répartir efficacement…).
Ces questions ne peuvent plus sagement se cantonner au sein des frontières fixées
par les disciplines académiques.
Une étude d’usages que nous avions conduite à la fin des années 2000 à propos
de la TV sur mobile avait abouti à la conclusion que l’apparition d’un téléphone
multifonctions de type « couteau suisse » était une hypothèse prometteuse.
L’innovation est finalement venue là où personne ou presque ne l’attendait avec la
« révolution » du smartphone survenue depuis environ 5 ans. C’est ainsi le terminal
mobile qui a provoqué la rupture innovante, pas le réseau de téléphonie mobile.
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2. Innovation économique et technologies de la mobilité
Joseph Schumpeter (1912) est l’un des premiers à avoir écrit sur l’innovation. Il
utilise ce concept pour expliquer les cycles économiques. En effet, selon lui, le
progrès technique est au cœur de l’économie et les innovations apparaissent en
grappes ou essaims : après une innovation majeure, souvent une innovation de
rupture due à un progrès technique, voire scientifique (par exemple : la vapeur,
l’électricité, les circuits intégrés, les nanotechnologies), d’autres innovations sont
portées par ces découvertes. On constate alors des cycles industriels où, après
une innovation majeure, l’économie entre dans une phase de croissance (créatrice
d’emplois), suivie d’une phase de dépression, où les innovations chassent les
entreprises ‘dépassées’ et provoquent une destruction d’emplois. Pour décrire
ce processus, Schumpeter emploie le terme de « destruction créatrice » (1942).
Les économistes ont longtemps considéré l’innovation comme la résultante de la
seule évolution technologique.
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Le boom des réseaux mobiles et des smartphones répond bien aux quatre critères
ci-après :
144 De l’innovation technologique à l’innovation managériale
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L’approche économique de l’innovation est généralement liée à la maîtrise
des coûts. On est dans la filiation théorique de concepts bien établis tels que
le positionnement vis-à-vis de la concurrence (Porter, 1982), la typologie de
l’innovation, l’investissement en R&D, les systèmes nationaux d’innovation.
Mais les évolutions radicales des technologies de la mobilité depuis 10 ans ont
contribué à reformuler les termes du débat « Porterien ». Apple a écrasé ses
concurrents en construisant un quasi-monopole du fait d’une innovation dans le
champ des services mobiles dûment verrouillée par des brevets aussi nombreux que
précis. Les considérables investissements en R&D ont autant porté sur l’ergonomie
et le design que sur les logiciels. Enfin, le système national d’innovation américain
a fonctionné à plein régime tout en se renouvelant, permettant de dégager une
rentabilité marginale – celle du n+unième Iphone – considérable, ce d’autant plus
que le terminal lui-même est « designed by Apple in California » mais « made in China ».
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Les technologies de la mobilité permettent à l’évidence une innovation
organisationnelle dans la mesure où elles augmentent le degré de réactivité et de
flexibilité des organisations.
Il est ici utile de revenir vers la théorie. À la croisée des recherches sur l’innovation
et sur la théorie des organisations, sont apparus des concepts désormais
classiques. On a ainsi pu parler d’organisations ambidextres (Duncan, 1976) ou
d’organisations continûment changeantes.
146 De l’innovation technologique à l’innovation managériale
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changement par excellence. C’est exactement ce qu’Apple a appliqué dans
sa stratégie de recherche, de production et de commercialisation de l’Iphone.
Mais une telle innovation organisationnelle rencontre des limites elles-mêmes
organisationnelles entre les entités consommatrices de ressources (R&D,
production, marketing) et les entités « productrices » de ressources (ventes et
finances notamment).
-- Tant que le cours de bourse d’Apple augmente plus vite que les coûts
moyens d’un Iphone, un cercle vertueux peut se maintenir, permettant
de financer une R&D très consommatrice de capitaux et une croissance
externe du même type.
-- Une chute du cours de près de 40 % en un an comme ce fut le cas en 2012-
2013 remet en cause un tel modèle, mettant en place des effets de leviers
négatifs dont le secteur financier a fait l’amère expérience depuis 2008. Les
marchés sont là comme toujours pragmatiques : Apple pourra-t-il continuer
à innover au même rythme ? Ils craignent le contraire.
Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple 147
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Dans le champ des technologies de la mobilité, le GSM (Global System for Mobile
Communications) ou l’UMTS (Universal Mobile Telecommunications System) est le résultat
de ce type de démarche. Mais il ne s’agit pas à proprement parler d’innovations
managériales, c’est-à-dire d’innovations impactant le management des
organisations. Il s’agit de management de l’innovation, c’est-à-dire d’une manière
de coordonner des réseaux d’acteurs technologiques puissants dans le but de
fédérer leur R&D autour de l’élaboration d’une norme synchrone de commutation
en télécommunications, par opposition au principe du best effort asynchrone qui
s’applique dans le monde de l’internet. Or, l’élément décisif avec les smartphones,
c’est que ce sont des objets communicants hybrides qui fonctionnent aussi bien
(ou presque) dans le monde des télécoms que dans celui de l’internet. On a donc
affaire à une innovation managériale décisive dans le champ de la R&D, laquelle va
ensuite permettre à des réseaux d’acteurs en situation de management d’intégrer
les technologies de la mobilité au management opérationnel.
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entre entreprises et chercheurs. En revanche, nous n’avons pas pu observer de
redéfinition des métiers. De même, l’innovation est plus évaluée par l’État sur la
base de la crédibilité du modèle économique proposé – souvent un point faible
des consortia – alors que les ruptures de ces 10 dernières années dans le champ
des technologies et des services en mobilité sont souvent arrivées là où personne
ne les attendait avec des modèles économiques reposant sur la commercialisation
de données personnelles ou une offre d’accès au réseau mobile low cost. De grands
organismes publics de recherche, par exemple l’Institut Mines-Télécom, ont mis
l’innovation au cœur de leur stratégie mais sans la définir rigoureusement du
point de vue du droit public. Le décret fondateur de cet institut (février 2012),
à la rédaction duquel nous avons participé, dresse un catalogue d’innovations
possibles mais ne s’aventure pas à définir la nature ni l’objet de l’innovation dans
un groupe d’école d’ingénieurs. L’innovation est donc une « activité à part entière »
mais sans qu’on sache comment elle va s’articuler avec les activités d’enseignement
et de recherche, là où précisément la Silicon Valley excelle.
Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple 149
Conclusion
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Bibliographie
Askenazy, P. (2011), les moteurs de la croissance d’hier et de demain, in Repenser l’économie,
n°10, la Découverte.
Hatchuel, A. et Weil B., (1999), « Design oriented organizations, towards a unified theory
of design activities », 6th International Product Development Management
Conference, Churchill College, Cambridge, UK.
Mc Cormick, J., Dery K. et Kolb D., (2012), « Engaged or just connected? Smartphones
and employee engagement », Organizational Dynamics, 2012.03.007
Schumpeter, J.A., (1912), Théorie de l’évolution économique, tr. fr. Dalloz, Paris, 1935.
Schumpeter, J.A., (1942), Business cycles: a theoretical, historical and statistical analysis
of the capitalist process, vol. 2, New York, Mc Graw Hill.
Tidd, J., Bessant, J., et Pavitt, K. (2006), Management de l’innovation : intégration du changement
technologique, commercial et organisationnel, De Boeck, Business School,
traduit par Jean-Pierre Verecken, 612 p.
Yoffie, D. et Rossano P. (2012), Apple Inc. in 2012, Harvard Business School, case n° 9-712-
490.
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