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05.

L’influence de la transformation digitale sur l’évolution


Jean-Denis Culié, Linh-Chi Vo, Xavier Philippe
Dans Politiques & management public 2021/3 (N° 3), pages 277 à 298
Éditions Lavoisier
ISSN 0758-1726
DOI 10.3166/pmp.38.2021.0016
© Lavoisier | Téléchargé le 28/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.155.60.91)

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Revue Politiques et Management Public 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298

L’influence de la transformation digitale sur l’évolution


des carrières : opportunités perçues et inertie structurelle
au sein de collectivités territoriales
0X
05
➤ Jean-Denis Culiéa*, Linh Chi Vob et Xavier Philippea
EM Normandie Business School - Métis Lab
a

b
Institute of Sustainable Business and Organizations - Confluence :
Sciences et Humanités - UCLY, ESDES

Résumé

Les conséquences de la transformation digitale dans le secteur public constituent un sujet


de recherche depuis plusieurs années mais l’impact de ce changement sur les opportunités
de carrière des individus demeure encore à étudier. Afin de déterminer de quelle manière la
transformation digitale influence l’évolution des carrières dans le secteur public, nous avons
réalisé une étude au sein de sept collectivités territoriales d’une même région française. Nos
résultats suggèrent que la digitalisation crée de la transversalité et incite à un travail colla-
boratif entre services et entre collectivités. Cette évolution crée des opportunités de déve-
loppement des compétences de carrière (savoirs et savoir-faire, réseaux internes et externes,
motivation et identité professionnelle), amorçant l’émergence d’un contexte favorable à des
carrières de type boundaryless. Néanmoins, ces dernières demeurent à un stade de réalisation
partielle. Le maintien des règles de fonctionnement du marché interne et de l’inertie structu-
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relle bride une dynamique qui ne permettra pas d’offrir des opportunités concrètes de mobi-
lité. Cette étude illustre la permanence d’un modèle traditionnel de gestion de la carrière des
agents des collectivités publiques, qui oppose une résistance structurelle au développement
d’un modèle boundaryless. © 2021 IDMP/Lavoisier SAS. Tous droits réservés
Mots clés : digitalisation, carrières, boundaryless careers, collectivités territoriales, marché interne.

Abstract

The influence of digital transformation on career development: perceived op-


portunities and structural inertia within local authorities. The consequences of
the digital transformation in the public sector have attracted attention from researchers
and practitioners for several years. However, the impact of this change on the career
opportunities of individuals have been little studied. In order to understand how the

*Auteur correspondant jculie@em-normandie.fr


doi :10.3166/pmp.38.2021.0016 © 2021 IDMP/Lavoisier SAS – Tous droits réservés
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digital transformation influences the evolution of careers in the public sector, we conduc-
ted a study in seven local authorities of the same region in France. Our results suggest
that digitalization creates transversality and promotes collaborative work between ser-
vice departments and between local authorities. This evolution creates opportunities for
the development of career competencies (knowledge and know-how, internal and exter-
nal networks, motivation and occupational identity), leading to a context favorable to
boundaryless careers. Nevertheless, boundaryless careers are only partially realized. The
internal labor market’s operating rules and structural inertia hinder the offer of concrete
opportunities for mobility. This study illustrates a traditional model of career manage-
ment for local governments’ employees, which opposes in a structural way to the deve-
lopment of a boundaryless model. © 2021 IDMP/Lavoisier SAS. Tous droits réservés
Keywords: digitalization, careers, boundaryless careers, local authorities, internal labour market.

Introduction
La transformation digitale peut se définir comme « un processus de changement fondamental,
rendu possible par l’utilisation innovante de technologies digitales accompagnée d’une capi-
talisation stratégique des ressources et des capacités clés, visant à améliorer radicalement une
entité et à redéfinir sa proposition de valeur pour ses parties prenantes » (Gong et Ribiere, 2021 :
12)1. Depuis son apparition autour des années 2000 (Pène, 2020), la transformation digitale n’a
pas cessé d’être au cœur des préoccupations des collectivités publiques (Schnäbelé et Beauvais
2001 ; Koubi 2013b). Elle entraîne un bouleversement du contexte dans lequel travaillent les
agents en les amenant à se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée et à développer
des collaborations transversales (Bourdreau, 2009). Les recherches existantes ont montré que
dans ce nouveau contexte les agents endossent de nouveaux rôles (Bourdreau, 2009 ; Zacklad,
2020), exercent de nouveaux métiers (Boulesnane, Benaissa, Bouzidi et Chappoz, 2019 ; Pène,
2020) et développent de nouvelles compétences (Wairiuko, Nyonje, Omulo, 2018 ; Zacklad,
2018 ; Meyenberg, 2018). En revanche, nous n’avons pas connaissance de travaux qui précisent
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comment ce changement peut influencer leur évolution de carrière. Dès lors, nous pouvons nous
interroger sur la problématique suivante : comment les agents territoriaux perçoivent-ils l’influence
que la transformation digitale exerce sur leur évolution de carrière ? Par agents territoriaux, nous
entendons l’ensemble des personnels employés par des collectivités territoriales, qu’ils soient
titulaires ou contractuels, cadres ou non-cadres2. En s’attachant aux perceptions de ces agents,
notre objectif est de mieux comprendre quels sont les ressorts de la mobilité d’acteurs-clés du
secteur public afin d’aider leurs employeurs à mieux prévoir et accompagner les éventuelles
évolutions. Pour ce faire, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de 34 personnes
travaillant dans sept collectivités territoriales au sein d’une région française. Ces entretiens ont
été complétés par huit entretiens réalisés auprès d’élus de ces mêmes collectivités qui permettent
d’intégrer la vision de ceux qui sont en charge des agents concernés.
Nos résultats suggèrent que la digitalisation crée de la transversalité et incite à un travail

1
Notre traduction.
2
Source : Site emploi des collectivités territoriales : https://www.emploi-collectivites.fr/filieres-fpt-blog-
territorial
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collaboratif entre services et entre collectivités. Cette évolution crée des opportunités de déve-
loppement des compétences de carrière (savoirs et savoir-faire, réseaux internes et externes,
motivation et identité professionnelle), amorçant l’émergence d’un contexte favorable à des
carrières de type boundaryless (Arthur et Rousseau, 1996). En d’autres termes, le modèle de la
carrière organisationnelle, basé sur les règles de fonctionnement du marché interne pourrait être
remplacé par celui des boundaryless careers, porté par la proactivité d’individus désireux de
saisir des opportunités de mobilité. Néanmoins, ces dernières demeurent à un stade de réalisation
partielle. Le maintien des règles de fonctionnement du marché interne et de l’inertie structurelle
brident une dynamique qui ne permettra guère d’offrir des opportunités concrètes de mobilité.
Cette étude illustre la permanence d’un modèle traditionnel de gestion de la carrière des agents
territoriaux, qui oppose une résistance structurelle au développement d’un modèle boundaryless.
Après une revue de la littérature qui précise la manière dont la transformation digitale
influence les agents des collectivités publiques et leur ouvre de nouvelles perspectives de
carrière, nous détaillons le contexte dans lequel l’enquête de terrain a été menée ainsi que le
mode de collecte et d’analyse des données. Nous présentons ensuite les principaux résultats
de notre recherche que nous discutons au regard de la littérature existante.

1. Revue de littérature

Il existe diverses définitions ou désignations de la transformation digitale, mot à la mode


qui a suscité un engouement chez les universitaires et les praticiens. La définition que nous
avons retenue et présentée en introduction est celle de Gong et Ribiere (2021) qui englobe
six dimensions souvent considérées séparément dans la littérature existante : « (1) la nature,
c’est-à-dire la réalité de la transformation digitale ; (2) la portée, c’est-à-dire l’étendue des
changements qui ont lieu au sein de l’entité cible en termes de nature, de résultat et d’impact ;
(3) l’entité concernée ; (4) les moyens, c’est-à-dire les méthodes impliquées dans la création du
changement au sein de l’entité concernée ; (5) le résultat attendu, c’est-à-dire la conséquence
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de la transformation digitale liée aux processus, aux offres, aux changements de processus
et à la qualité de la relation avec les parties prenantes ; et (6) l’impact, c’est-à-dire les effets
non quantifiables à long terme que le changement peut avoir, comme la création de valeur »3
(p. 7). Dans une première section, nous montrons en quoi la transformation digitale façonne
un nouvel environnement de travail pour les agents des collectivités publiques qui les conduit
à se consacrer à des activités à plus forte valeur ajoutée dans un contexte marqué par l’affai-
blissement des hiérarchies traditionnelles. Dans une deuxième section, nous suggérons que ce
contexte peut contribuer à l’émergence de boundaryless careers qui remplaceraient le modèle
de la carrière organisationnelle, basé sur les règles de fonctionnement du marché interne.

1.1. La transformation digitale, un nouvel environnement de travail pour les agents des
collectivités publiques

La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique définit une stratégie pour le
développement des activités et des services digitaux à l’échelle territoriale, en particulier

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Notre traduction.
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via l’open data. De fait, « le développement des téléservices publics et des téléprocédures
administratives en France correspond à une volonté politique affirmée, intimement liée à
l’ambition de réforme de l’État » (Schnäbele et Beauvais, 2001 : 608). Les usages digitaux
sont largement diffusés dans le secteur public, la littératie numérique s’étend au-delà des
instruments et techniques, et une culture de la donnée représente un marqueur de transfor-
mation organisationnelle (Pène, 2020).
En premier lieu, l’orientation client de l’administration en ligne modifie les relations
entre les citoyens, les services publics et les élus nationaux et locaux (Brown, 2005).
Dans la configuration des services publics fournis en ligne, les mesures ont pour but de
simplifier les procédures et d’améliorer la qualité des relations des collectivités publiques
avec les citoyens (Koubi, 2013a). En deuxième lieu, le digital, présenté souvent comme
un moyen de réduction des coûts et des effectifs, induit de nouvelles stratégies de gestion
administrative. De manière concrète, la transversalité devient le noyau des processus
administratifs publics et une convergence s’opère entre les niveaux et les services de
l’administration. Par exemple, les services mutualisés préfigurent l’obligation de passer
par des portails nationaux et des guichets uniques, qui permettent des téléchargements
de formulaires et des téléprocédures à l’aide d’un identifiant (Koubi, 2013b ; Bourdreau,
2009). Ces nouvelles formes de services mutualisés concernent toutes les collectivités
publiques, au niveau national et local. L’environnement de travail interne devient ainsi en
réseau, ce qui signifie que les différentes collectivités territoriales ainsi que leurs services
sont reliés entre eux à travers le partage d’informations et la collaboration, et que cette
connexion peut être étendue à l’ensemble du pays (Brown, 2005). De plus, le digital,
en tant que dispositif de médiation, permet de fluidifier les échanges et d’améliorer les
interactions entre l’État, les collectivités territoriales et l’ensemble des acteurs concernés
(Boulesnane et al., 2019). En outre, comme des plateformes numériques remplacent les
procédures d’information à travers des guichets nationaux et locaux, le fonctionnement
des services administratifs doit s’adapter en conséquence (Boulesnane et al., 2019). Cette
évolution rompt ainsi la division verticale du travail, caractéristique de la bureaucratie
classique (Brown, 2005).
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1.2. Transformation digitale et développement de nouveaux rôles, nouveaux métiers et
nouvelles compétences chez les agents des collectivités publiques

La transformation digitale exerce une influence particulièrement importante sur les agents
des collectivités publiques, notamment ceux qui occupent des fonctions administratives,
parce qu’ils sont en contact direct avec les citoyens et qu’ils sont chargés de mettre en œuvre
les processus digitaux internes (Brown, 2005 ; Bourdreau, 2009). Plus précisément, elle se
traduit par l’émergence de nouveaux rôles, de nouveaux métiers et de nouvelles compétences.

1.2.1. Nouveaux rôles


La transformation digitale impose la consultation et la saisie de l’information par les
administrés et l’automatisation des traitements. La saisie des données, habituellement assurée
par les agents, est remplacée progressivement par des formulaires informatiques et la simple
communication de renseignements d’ordre général a tendance à disparaître. De ce fait, les
agents concernés sont libérés de tâches souvent routinières et peuvent orienter leur travail
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vers de nouvelles activités à plus forte valeur ajoutée (Bourdreau, 2009). Une étude de cinq
services publics déployés dans la province du Québec montre que la digitalisation permet
aux agents en contact direct avec le public de réaliser des tâches plus polyvalentes : accueil
téléphonique, assistance sur le web et traitement de dossiers (Bourdreau, 2009). Dans une
étude portant sur sept municipalités au Danemark, Schou et Hjelholt (2018) observent que
le rôle des agents occupant des fonctions administratives consiste désormais à guider et
accompagner les citoyens, notamment pour une bonne utilisation des services numériques
en libre accès. Ils deviennent alors des « guides » pour les citoyens, l’objectif étant de leur
permettre de s’aider eux-mêmes et de les intégrer à la culture digitale.
À l’ère des big datas, les agents se voient attribuer de nouveaux rôles de supervision ou
de maintenance (Zacklad, 2020). Les nouvelles technologies, qui permettent une grande
disponibilité des données, s’accompagnent d’une croissance de la surveillance à distance
des citoyens (Sacco, Schiffino, Piron et Perin, 2019). Les agents sont incités à collecter
et analyser eux-mêmes des données et même à travailler avec celles produites par des
consultants. Cet effet est particulièrement notable chez les agents en contact direct avec
les citoyens (Sacco et al., 2019). Par ailleurs, la transversalité crée par la transformation
digitale impose que les agents des collectivités publiques apprennent à̀ travailler ensemble,
d’abord en interne puis avec d’autres organisations (Bourdreau, 2009).

1.2.2. Nouveaux métiers


La transformation digitale implique une révolution cognitive en raison des données et
des technologies utilisées et peut ainsi nécessiter le recrutement ou la mobilité d’agents
appelés à occuper de nouvelles fonctions (Sacco et al., 2019). En s’appuyant sur une ana-
lyse des fiches métiers de la fonction publique, Pène (2020) constate qu’il ne s’agit plus de
former une équipe transversale de professionnels techniques mais de modifier des dizaines
de milliers de profils. Boulesnane et al. (2019) suggèrent qu’il y a maintenant trois grandes
catégories de métiers dans la fonction publique : les métiers fonctionnels qui sont spécialisés
dans un secteur d’activité tels que les impôts et l’état-civil, les métiers technologiques qui
sont spécialisés dans le domaine des Technologies de l’Information et de la Communication
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(TIC) et les métiers transversaux qui exploitent des informations issues de plusieurs systèmes
d’information dédiés à la prise de décision, à la validation et à l’intégrité des informations.
De nouveaux métiers font également leur apparition. On y trouve une grande variété
tels qu’ « administrateur de données », « data scientist », « responsable cybersécurité »,
« architecte réseaux » ou encore « webmarketeur ». Pène (2020) constate que le référen-
tiel interministériel des emplois et des compétences SIC (Systèmes d’Information et de
Communication) mentionne neuf familles de métiers qui concernent seulement les tech-
nologies. Les métiers technologiques ne sont plus support des métiers classiques mais sont
maintenant répertoriés en tant que tels.

1.2.3. Nouvelles compétences


La transformation numérique nécessite de nouvelles compétences chez les agents, tech-
niques mais aussi comportementales et managériales. Le développement de compétences
en matière de TIC est fondamental pour une mise en œuvre et une adoption réussies de
l’administration en ligne (Wairiuko et al., 2018). La littérature souligne que le manque de
compétences en matière de TIC est un obstacle majeur à la transformation digitale du sec-
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teur public (Alshehri et Drew, 2010). Wairiuko et al. (2018) indiquent par ailleurs qu’une
formation informatique devrait être dispensée notamment à tous les agents de la filière
administrative afin qu’ils soient en mesure d’utiliser de nouvelles applications, de nouveaux
processus et de nouvelles méthodologies de travail axés sur le digital.
Étant donné que leur rôle s’oriente davantage vers le conseil et l’accompagnement, les
agents du secteur public qui occupent des fonctions administratives ont besoin de développer
des compétences comportementales (Zacklad, 2018 ; Wairiuko et al., 2018). Ces compé-
tences leur sont particulièrement nécessaires pour convaincre les citoyens d’adopter des
procédures et des outils digitaux. L’enjeu est crucial car ces initiatives ne peuvent réussir et
se révéler utiles que si les citoyens sont désireux d’y participer (Aubouin et Le Chaffotec,
2017). De plus, les processus de travail digitaux impliquent un niveau d’autonomie plus
élevé chez les agents. Ils doivent ainsi développer leur réactivité et leur créativité (Berhault,
2010) afin de s’adapter aux demandes de plus en plus diverses et imprévisibles des citoyens
(Bourdreau, 2009). Par ailleurs, le développement de la transversalité induit des méthodes
de travail axées sur la coopération de groupe et le partage d’informations entre les services
administratifs et les différents niveaux d’administration (Brown, 2005).
Enfin, la transformation digitale requiert de nouvelles compétences chez les managers
du secteur public. Comme les processus de travail digitaux impliquent un mode de gestion
à distance, les managers doivent adopter un nouveau style qui repose sur la confiance,
l’information et le suivi (Meyenberg, 2018). Ils doivent apprendre à mettre en place une
évaluation continue de la performance en fournissant des données précises rendues possibles
par l’accès à l’information (Bourdreau, 2009).

1.3. La transformation digitale crée un contexte propice au développement de bounda-


ryless careers

La transformation digitale modifie le contexte dans lequel les carrières vont se dérouler :
en permettant aux agents de s’orienter vers des rôles à plus forte valeur ajoutée et en favo-
risant la transversalité, intra et inter-organisationnelle (Bourdreau, 2009), elle contribue à
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remettre en question les hiérarchies traditionnelles. Elle affaiblit ainsi les frontières métiers
et les frontières hiérarchiques. Ce contexte paraît propice à l’émergence de boundaryless
careers, définies comme l’opposé des carrières organisationnelles – carrières conçues pour
se dérouler dans une seule structure autonome en matière d’embauche (Arthur et Rousseau,
1996 : 54). Le choix de ce cadre théorique, emblématique du courant des nouvelles carrières
(Hall, 1996) qui défend l’idée selon laquelle les individus détiennent un rôle prédominant
dans la conduite de leur carrière, peut sembler de prime abord paradoxal. En effet, le concept
de boundaryless career a été élaboré à partir d’observations réalisées dans la Silicon Valley,
vue comme un marché du travail ouvert à l’échelle d’un bassin d’emploi (Saxenian, 1996),
contexte a priori très éloigné des carrières au sein des collectivités territoriales, fondées
sur la préminence des marchés internes. Cependant, ce choix a été motivé par trois raisons.
Tout d’abord, l’une des six significations particulièrement représentatives des boun-
daryless careers proposées par Arthur et Rousseau (1996) se rapporte à la rupture des
frontières organisationnelles traditionnelles, situation induite par la transformation digitale

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Notre traduction.
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dans les collectivités territoriales. Ensuite, le concept de boundaryless career s’inscrit dans
une approche fondée sur les compétences (DeFillippi et Arthur, 1994) qui nous semble en
adéquation avec les conséquences de la transformation digitale en termes de développement
de la polyvalence ou des compétences relationnelles observées chez les agents du secteur
public (Zacklad, 2020 ; Bourdreau, 2009). Enfin, s’il se réclame d’une approche interac-
tionniste de la carrière, le concept de boundaryless career confère une place dominante à
l’agentivité puisqu’il se fonde sur un comportement proactif des individus pour franchir
des frontières organisationnelles devenues plus perméables (Inkson, 2006). Il est donc en
cohérence avec le choix d’un positionnement du point de vue de l’individu.
Ainsi, l’individu dont le comportement est caractéristique d’une boundaryless career
est mû par un désir de développer ses connaissances et d’élargir le champ de ses activités
professionnelles en saisissant des opportunités de collaborations, de projets, de mobilités qui
l’amènent à « pousser les murs » de son horizon professionnel. Plus précisément, le processus
de développement de la boundaryless career s’appuie sur une dynamique d’apprentissage
permanent et d’accumulation d’expériences. Cette dynamique permet à l’individu d’en retirer
des bénéfices transférables d’un contexte professionnel à l’autre (Inkson et Arthur, 2001).
Ces bénéfices, qui s’apparentent à un capital humain générique (Becker, 1962) constituent
les trois compétences de carrière (three ways of knowing, DeFillippi et Arthur, 1994) sur
lesquelles l’individu construit sa carrière.
Le knowing-whom répond à la question : « Avec qui je travaille ? ». Il reflète le dévelop-
pement des réseaux relationnels et de la réputation susceptibles de favoriser l’évolution de
la carrière. Le knowing-how répond à la question : « Comment je travaille ? ». Il englobe
les savoirs et savoir-faire professionnels et explique comment l’individu contribue à la
performance de l’organisation. Enfin, le knowing-why répond à la question : « Pourquoi je
travaille ? ». Il consiste à développer une identité qui donne un sens à l’intégration psycho-
logique dans un environnement de travail en mutation permanente.
Les trois compétences de carrière évoluent en interaction (Beigi, Shirmohammadi et
Arthur, 2018) et leur développement contribue à renforcer chez l’individu la confiance dans
sa capacité à changer d’emploi ou d’employeur (Culié, Khapova et Arthur, 2014). Cette
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notion a été conceptualisée par Sullivan et Arthur (2006) sous la dénomination de mobilité
psychologique lorsque ces auteurs ont précisé et enrichi le concept de boundaryless career.
Ainsi, ce type de carrière s’apprécie par l’association de deux types de mobilité : la mobilité
physique, qui concerne les mouvements effectifs entre emplois, organisations, métiers ou
pays et la mobilité psychologique, considérée comme la « capacité de l’individu, acteur
de sa carrière, à envisager des options de carrière variées » (Forret, Sullivan et Mainiero,
2010 : 6475).
Ainsi, le concept de boundaryless career offre plusieurs outils qui permettent d’ana-
lyser par étapes les représentations que les agents territoriaux se font de leur évolution de
carrière au prisme de la transformation digitale. Nous pouvons dès lors avoir une vision
processuelle de ce que la modification du contexte offre en termes d’opportunités, que ce
soit d’apprentissage, de développement des compétences de carrière, de développement
de la mobilité psychologique et de mobilités physiques.

5
Notre traduction.
284 Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298

2. Méthodologie

Notre enquête de terrain s’appuie principalement sur des entretiens réalisés auprès de 34
agents qui travaillent dans sept collectivités territoriales d’une même région. Comme nous
étudions la perception qu’ont les individus de l’influence que peut avoir la transformation
digitale sur leur carrière, la perception de chaque individu est inséparable du contexte
organisationnel dans lequel il travaille. Par conséquent, notre stratégie de recherche peut
être considérée comme une étude de cas multiples, chaque individu constituant un cas, et
plus précisément une étude de cas multiples enchâssés (embedded multiple-case study, Yin,
2018) puisque chaque cas est inséré dans un contexte organisationnel spécifique.

2.1. Constitution de l’échantillon

Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de 34 agents qui travaillent
dans sept collectivités territoriales d’une même région française. Pour assurer une certaine
homogénéité en termes de contexte organisationnel, nous avons choisi d’interviewer des
personnes qui travaillent dans des collectivités de grande taille (plusieurs milliers d’agents)
ou dans des municipalités membres de communautés de communes de taille importante.
Plus précisément, les sept collectivités concernées incluent le Conseil régional, deux
Conseils départementaux, une ville chef-lieu de département, une communauté urbaine,
une communauté de communes et une ville membre d’une communauté urbaine. La grande
majorité des entretiens a été réalisée dans quatre d’entre elles. Nous avons cependant choisi
de conserver l’ensemble des entretiens de l’échantillon pour cette recherche à des fins de
triangulation de nos sources et de renforcement de la validité de nos résultats. En outre,
nous nous sommes efforcés d’offrir une certaine diversité de profils, en termes de genre,
d’âge, de fonction et de statut, comme en témoigne le tableau 1 ci-dessous.

2.2. Recueil et analyse des données


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Les entretiens ont été réalisés entre mai 2016 et mars 2017 en face-à-face. Nous nous
sommes appuyés sur un guide d’entretien thématique destiné à recueillir les perceptions
des interviewés sur les modalités organisationnelles de la transformation digitale et de ses
conséquences. Nous les avons interrogés sur la manière dont ils percevaient ce nouveau
contexte et s’il :
- entraînait une modification de leurs missions : valeur ajoutée, responsabilités supplé-
mentaires, autonomie, collaborations transversales ;
- leur offrait des opportunités d’apprentissage, de travailler au-delà de leur cadre pro-
fessionnel habituel ;
- leur permettait de développer leurs compétences de carrière : savoirs et savoir-faire
techniques, réseaux relationnels, sens donné au travail et identité professionnelle ;
- leur permettait d’envisager des opportunités de mobilité : en interne, en externe (autres
collectivités territoriales, autres types d’organisation, mobilité géographique) ;
- lèverait d’éventuels freins relatifs aux mobilités envisagées : freins structurels, politique
de gestion des ressources humaines.
Les entretiens, d’une durée moyenne de 1 heure 10 minutes, ont tous été enregistrés, avec
Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298 285

l’accord des interviewés, puis intégralement transcrits. En complément de ces entretiens,


nous avons interviewé huit élus de la plupart des collectivités dans lesquelles travaillent les
personnes interviewées. Ces huit élus sont à la tête de leur collectivité ou au niveau N – 1
(vice-président, adjoint au maire). Nous avons recueilli leurs perceptions sur les thèmes
listés dans le guide d’entretien, non pas à titre personnel mais par rapport aux agents dont ils
avaient la charge. Ces entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement et d’une transcription
intégrale. Nous avons également recueilli des documents émanant des collectivités dans
lesquelles l’enquête de terrain a été menée. Les entretiens additionnels et ces documents ont
permis de confirmer dans certains cas les informations communiquées par les interviewés
et ainsi de renforcer la rigueur de l’enquête. Le tableau 1 ci-dessous détaille les principales
caractéristiques de l’ensemble des interviewés ainsi que le type de documents collectés.

Tableau 1 : principales caractéristiques des interviewés et détail des documents collectés

Collectivité n° 1 : Conseil régional

Entretiens Agents

N° Genre Age Fonction Statut6

1 H 35-44 Chargé de mission Titulaire catégorie A

2 F 35-44 Chef de projet Titulaire catégorie A

3 H 35-44 Agent administratif Titulaire catégorie C

4 H 45-54 Responsable de service Titulaire catégorie A

5 F > 54 Responsable de service Contractuelle catégorie A

6 H 35-44 Responsable de service Titulaire catégorie A


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7 H >54 Directeur de service Titulaire catégorie A

Entretien élus

35 F 35-44 Vice-Présidente

Documents collectés : bulletins d’information, organigramme des services, compte-rendus


de six réunions d’un groupe de travail interne sur la mutualisation des services digitaux aux
citoyens

Collectivité n° 2 : ville chef-lieu de département

Entretiens agents

8 F 45-54 Directrice adjointe de service Titulaire catégorie A

9 H 35-44 Directeur de service Titulaire catégorie A

6
La catégorie A correspond à des fonctions de conception et de direction, la catégorie B à des fonctions
d’application et d’encadrement intermédiaire, la catégorie C à des fonctions d’exécution (source : Guide
de la Fonction Publique Territoriale- Centre National de la Fonction Publique Territoriale).
286 Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298

10 H 45-54 Responsable de service Titulaire catégorie A

11 F 35-44 Directrice de service Titulaire catégorie A

12 H 35-44 Responsable administratif Titulaire catégorie A


d’établissement culturel

13 H 35-44 Directeur de service Titulaire catégorie A

14 F >54 Directrice d’établissement Titulaire catégorie A


sportif

15 H < 35 Responsable administratif Titulaire catégorie B

16 F 45-54 Agent administratif Titulaire catégorie C

17 F 35-44 Responsable de service Titulaire catégorie B

18 F < 35 Agent administratif Titulaire catégorie C

19 F 35-44 Responsable administratif Titulaire catégorie B


d’établissement culturel

20 H > 55 Enseignant établissement Titulaire catégorie A


culturel

Entretiens élus

36 H > 54 Adjoint au Maire

37 H 45-54 Maire

Documents collectés : bulletins d’information, organigramme des services, notes internes sur
les grands projets digitaux

Collectivité n° 3 : communauté urbaine


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Entretiens agents

21 F >54 Directrice de service Titulaire catégorie A

22 H 45-54 Responsable administratif Titulaire catégorie B

23 H 35-44 Directeur de service Titulaire catégorie A

24 H 45-54 Technicien supérieur Titulaire catégorie B

25 F >54 Directrice de service Titulaire catégorie A

26 H > 54 Chargé de mission Titulaire catégorie A

27 F 35-44 Chargée de mission Titulaire catégorie A

28 H < 35 Directeur général adjoint Contractuel catégorie A

Entretiens élus
Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298 287

38 H 35-44 Vice-Président

Documents collectés : bulletins d’information, organigramme, présentation aux agents du


projet de gestion numérique de la relation citoyenne

Collectivité n° 4 : communauté de communes

Entretien agents

29 F < 35 Chef de projet Titulaire catégorie B

Documents collectés : bulletins d’information, organigramme

Collectivité n° 5 : ville membre d’une communauté urbaine

Entretiens agents

30 F 45-54 Directrice d’établissement Titulaire catégorie A

31 F 35-44 Agent établissement culturel Titulaire catégorie C

32 F 35-44 Agent établissement culturel Titulaire catégorie C

Entretiens élus

39 H 35-44 Adjoint au Maire

40 H > 54 Maire

41 F > 54 Adjointe au Maire

42 H > 54 Adjoint au Maire

Documents collectés : bulletins municipaux d’information

Collectivité n° 6 : Conseil départemental A


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Entretiens agents

43 F 35-44 Directrice adjointe de service Titulaire catégorie A

Documents collectés : bulletins d’information, organigramme des services

Collectivité n° 7 : Conseil départemental B

Entretiens agents

44 H 45-54 Directeur de service Contractuel catégorie A

Documents collectés : bulletins d’information, organigramme des services

Nous avons ensuite procédé à une analyse thématique de contenu, via un codage manuel
des données transcrites. Nous avons eu recours à une démarche abductive (Van Maanen,
Sorensen et Mitchell, 2007 ; Locke, Godden-Biddle et Feldman, 2008) en commençant par
un codage descriptif. Il nous est apparu que les différentes dimensions du modèle des bounda-
288 Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298

ryless careers permettaient d’offrir une grille d’analyse pertinente pour étudier la plupart des
perceptions des interviewés. Nous avons ensuite agrégé les codes descriptifs dans des codes
théoriques correspondant aux différentes composantes de ce modèle : proactivité, apprentissage,
knowing-whom, knowing-how, knowing-why, mobilité psychologique, mobilité physique.
Enfin, nous avons regroupé les obstacles à la réalisation des opportunités de carrière perçues
dans le contexte façonné par la transformation digitale selon deux codes théoriques : les freins
liés à la structure et un discours sur le changement non relayé dans la pratique.

3. Résultats

Dans une première section, nous montrons que l’évolution du contexte de travail des agents
territoriaux, marqué par un affaiblissement des frontières métiers, permet d’initier le processus
de développement de boundaryless careers à travers l’accroissement des compétences de
carrière et de la mobilité psychologique. Cependant, la persistance de freins structurels liés
au maintien des règles de fonctionnement du marché interne et une gestion des carrières peu
dynamique malgré un discours présentant le digital comme vecteur de changement profond
ne permettront pas de concrétiser les opportunités de mobilité perçues par les agents.

3.1. L’individu dans l’organisation : la transformation digitale permet à l’individu d’initier


le développement d’une boundaryless career

La transformation digitale entraîne une évolution du contenu du travail, notamment


une réduction des tâches à faible valeur ajoutée. Elle conduit également à la conception
de processus communs à différents services, ce qui implique un accroissement de la col-
laboration transversale. Avec l’affaiblissement du fonctionnement en silos, les agents de
catégorie B et C occupent dès lors une position centrale dans l’organisation du travail qui
remet en question les modes de management traditionnels :
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« Là, c’est l’agent qui produit la plus grosse valeur ajoutée donc c’est lui qui est au cœur
des processus qui produit réellement la valeur ajoutée donc il faut l’écouter, c’est lui le
levier de performance, c’est lui qui est un levier de modernisation. Et si on ne prend pas
,en compte ses idées, si la collectivité ne l’accompagne pas dans la mise en place de ses
idées, on reste sur l’ancien fonctionnement où c’est le manager qui cible, sauf que quand les
managers commencent à décider du mode de fonctionnement, on ne va pas tout voir et ce
qu’on va estimer comme étant très bien ne va pas être forcément adapté quand on le déploie
vis-à-vis des agents. Donc, c’est fixer une ligne, leur dire : ‘Voilà mon objectif et à vous de
définir le comment, comment y arriver’. Je pense qu’il y a un changement par rapport à
ça, au niveau des frontières, de la hiérarchie qui est en train de se casser » (entretien n° 6).

Ce contexte d’affaiblissement des frontières hiérarchiques est propice à la réalisation de


boundaryless careers car il offre aux individus la possibilité de repousser les frontières de
leur métier et de leur environnement de travail en mettant en œuvre de nouvelles compé-
tences. Il offre aussi des opportunités d’apprentissage autour de nouveaux outils. Cependant,
le rôle de l’individu reste primordial dans l’adoption ou non d’un comportement proactif
caractéristique de ce type de carrière :
Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298 289

« Je dirais qu’il y a aussi beaucoup un état d’esprit de l’agent : on peut avoir des agents
qui sont plus âgés mais qui sont très ouverts et qui ont l’envie d’apprendre et d’aller vers
des nouveaux outils et parfois des agents plus jeunes qui n’ont pas l’envie d’évoluer. Il
vaut mieux quelqu’un qui maîtrise très mal voire pas du tout les outils mais qui a une
réelle envie d’apprendre et de découvrir des nouvelles choses que d’avoir quelqu’un de
plus jeune et qui est réfractaire ou qui n’a pas d’envie » (entretien n° 15).

À travers notamment l’apprentissage, la digitalisation des pratiques de travail et des


services aux citoyens entraîne un développement largement observé des compétences de
carrière. L’élément central nous semble résider dans le développement du knowing-whom
car le développement de projets transversaux qui placent les citoyens au cœur du dispositif
amène les acteurs des collectivités à initier des interactions avec des collègues d’autres services
mais aussi des partenaires extérieurs à la collectivité. Le développement du knowing-whom
est perçu par de nombreux interlocuteurs, à tous les niveaux de la hiérarchie, notamment
chez cet agent de catégorie C, ce qui confirme la transformation de leurs missions et leur
positionnement au centre de la nouvelle organisation du travail :
« J’aime le relationnel donc là, on a beaucoup de relationnel au niveau du partenariat
(…) Je trouve que le dispositif va vers l’avenir et qu’il sera beaucoup plus intéressant,
on va moins se focaliser sur des choses matérielles et plus sur l’animation ou des choses
comme ça, c’est mon avis » (entretien n° 3).

De manière concomitante, la transformation digitale entraîne un accroissement du


knowing-how, à travers l’acquisition de nouvelles compétences techniques, nécessaires
pour mieux maîtriser les outils. Ce développement des compétences techniques n’est pas
perçu comme une difficulté majeure, une fois passée la phase d’acculturation aux outils
digitaux. Au-delà d’un accroissement attendu des savoir-faire techniques, la digitalisation,
en favorisant le travail transversal et collaboratif, représente une opportunité de mettre
en œuvre des compétences comportementales et managériales jusque-là peu sollicitées :
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« Une personne, qui a accepté bon gré mal gré de faire ça [des activités liées au digital]
parce qu’il faut vivre, tout d’un coup s’est révélée être une personne de très grande
qualité, multi-compétences, parce qu’elle s’est retrouvée dans un espace ouvert, où elle
pouvait associer des qualités de relations humaines à des capacités d’organisation qu’elle
n’utilisait jamais » (entretien n° 4).

Enfin, la transformation digitale suscite un accroissement du knowing-why, car en


permettant de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, elle constitue une
source d’accroissement de l’intérêt du travail. La digitalisation est également largement
perçue comme un moyen d’améliorer les services offerts aux citoyens, ce qui renforce le
sens donné au travail, à travers le sentiment de mieux remplir une mission de service public.
Le développement du knowing-why repose ainsi sur une double dynamique, individuelle
et collective :
« Le numérique, pour moi, est un gros levier de la performance à terme. Et à partir du
moment où on arrivera à réduire au maximum les tâches inintéressantes pour les agents,
on arrivera à les motiver, ils trouveront leur métier plus intéressant et on apportera un
service supplémentaire au niveau du citoyen » (entretien n° 6).
290 Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298

La transformation digitale apparaît ainsi comme un catalyseur du développement des


trois compétences de carrière. Certains interviewés perçoivent que le développement de
ces compétences pourrait être valorisé sur le marché du travail interne et externe, car elles
leur paraissent transférables dans d’autres contextes marqués de manière similaire par une
digitalisation croissante. Le développement des compétences de carrière nourrit ainsi la
mobilité psychologique et permet d’envisager de nouveaux scénarios de carrière :
« Si je bouge à l’extérieur, c’est le numérique que je vendrais, la capacité à gérer du
projet non pas en tant qu’expert du numérique ou quelque chose comme ça mais comme
quelqu’un qui sait repérer les compétences qu’il faut pour faire avancer les projets »
(entretien n° 4).

Cependant, l’accroissement de la mobilité psychologique est surtout observable chez


ceux qui sont déjà inscrits dans une dynamique de mobilité. Si la transformation digitale
élargit les perspectives de carrière de certains interviewés, elle enferme davantage ceux
qui pensaient déjà qu’ils ne pourraient pas ou peu évoluer. En d’autres termes, la mobilité
psychologique dépend de la nature des trajectoires déjà réalisées :
« Quand on fait toujours la même chose dans le même cadre, on le fait presque par automa-
tisme : on sait qu’on maîtrise la chose, donc au bout du compte, il y a une marge d’erreur
qui est faible. Et là, pour deux de mes collègues, j’ai bien vu que ça devenait inquiétant pour
elles, parce qu’on allait changer les choses et que donc là, la marge d’erreur va devenir
plus importante… je leur ai bien dit que “pendant deux ans, on n’aura pas quelque chose
de très fonctionnel, on va essuyer les plâtres, il y aura quelques bugs… ça ne m’inquiète
pas, mais c’est comme ça… et ce serait faux de vous dire qu’on aura quelque chose qui
tournera très bien dès le début”. À côté de ça, j’avais trois autres collègues qui étaient
hyper enthousiastes, à qui ça n’a pas fait peur du tout, mais c’est trois collègues qui ont
changé plusieurs fois de service, de mission, de rôle, de lieu de travail, de collectivité,
etc. Donc, j’ai envie de dire, le neuf, le nouveau, le changement de pratiques parce que
quand on change de collectivité ou de mission, on change les pratiques aussi, ça leur a
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pas fait peur à elles » (entretien n° 29).

Ainsi, la transformation digitale permet à l’individu d’initier le développement d’une


boundaryless career, car elle lui offre des opportunités de développer ses compétences de
carrière et d’envisager un spectre plus large de mobilités. Pourtant, le maintien des rigidités
organisationnelles ne va pas permettre de concrétiser ces opportunités.

3.2. L’individu face à l’organisation : l’agentivité entravée par la structure

Si la transformation numérique entraîne une modification du contenu du travail,


pouvant entraîner un développement des compétences de carrière, ce dernier vient se
heurter aux règles d’évolution professionnelle. En effet, les interviewés décrivent deux
politiques de gestion du marché interne du travail mais l’une comme l’autre sont perçues
comme une limite à la valorisation des compétences acquises grâce au numérique pour
une potentielle évolution de carrière. Tout d’abord, le modèle pyramidal structurant les
catégories d’emploi (A, B ou C) pour les titulaires vient freiner les évolutions possibles
d’une catégorie à l’autre :
Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298 291

« Il faudrait voir le niveau exigé par rapport au service numérique. [La catégorie] C,
pour nous, dans la nomenclature du statut, c’est agent d’exécution. Dans le numérique,
il y a quand même une vision que je vois de conception, développement, donc je serais
plutôt sur des évolutions de C en B (…) Mais il faut revenir sur un principe de réalité
pour passer de C en B, il faut passer des concours, des examens professionnels ou il faut
passer en promotion interne et là, il y a des quotas » (entretien n° 21).

En dehors de la gestion des catégories d’emploi, la politique de gestion des ressources


humaines spécifique à chaque structure est également perçue comme un frein pour l’évo-
lution. En dépit des besoins en compétences que nécessite la transformation digitale, une
certaine inertie est décrite par les interviewés en termes de gestion des carrières et les
mesures mises en œuvre leur paraissent trop timides :
« On a aussi à [collectivité X] tous ces directeurs (…) qui sont là depuis 25 ans, qui ont
commencé à 30 ans (…) du coup ils n’ont pas vu autre chose, ils n’ont pas d’organisation, ils
ont été tout le temps directeurs, ils ont réussi entre la communication, les agents d’entretien
à se recaser (…) J’avais des collègues [à la direction X] quand j’y étais qui étaient depuis
40 ans dans le service. La DRH n’a pas de projet de mobilité pour tous, en fait. Maintenant,
ils ont une cellule pour ceux qui cherchent à bouger, pour les accompagner, refaire un CV,
se présenter, dialoguer et tout ça, sinon ils n’ont pas de plan de mobilité (…) C’est d’autant
plus terrible qu’on a des projets nouveaux, on a des choses avec le numérique et on n’a pas
de forces vives qui nous arrivent. Il y a [M. X] qui est arrivé, il y en a un autre ici au cabinet
du président mais ce n’est pas au niveau des directions » (entretien n°27).

Le sentiment qui s’installe alors est que la transformation digitale permet de renforcer
les compétences de carrière mais que cette évolution ne donnera pas la possibilité d’accéder
aux emplois ou aux grades correspondants :
« Je prépare le concours d’attaché territorial pour pouvoir soit rester dans les missions
qui sont en évolution et qui s’inscrivent dans la réorganisation mais aussi, selon l’avenir,
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pouvoir évoluer. Et si j’ai le concours, je pense qu’avoir développé des projets numériques
me permettra d’évoluer car ce sont des expériences où il n’y a rien de figé, tout est à créer,
c’est ça qui me plaît. Mais il n’y a qu’une dizaine de postes au concours d’attaché et on
doit être plusieurs centaines de candidats » (entretien n°17).

Ainsi l’organisation fait preuve de peu de reconnaissance envers ce développement des


compétences de carrière et ne mobilise pas les moyens adéquats pour conduire une politique
de gestion des carrières adaptée à ce nouveau contexte. De ce fait, les rigidités perçues sur
les évolutions individuelles dans le cadre des règles du marché interne sont renforcées au
niveau de la collectivité par une absence pratique de gestion des carrières. On gère au cas
par cas, au bénéfice de ceux qui ont déjà l’intention de bouger.
De plus, la transformation digitale permet d’envisager une réduction de la masse salariale
et offrira donc peu d’opportunités concrètes d’évolutions de carrière :
« On sait aujourd’hui aussi que dans la fonction publique territoriale, ce qu’on veut
c’est faire le même travail voire plus avec le même personnel ou moins de personnel.
Ce sont les contraintes aujourd’hui, il y a moins de financements, donc on arrivera à
ne pas remplacer le personnel et se retrouver à faire beaucoup plus. C’est pour ça, la
292 Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298

dématérialisation c’est très bien parce qu’on va gagner, ça va être le gain de temps qui
va permettre de réduire peut-être la masse salariale, de ne pas remplacer en tout cas les
futurs retraités. Et je pense que c’est cette idée-là, je ne sais pas si tout le monde y pense
mais moi, je pense que, oui, on va vers ça. Trop de fonctionnaires. Ça se dit partout trop
de fonctionnaires, donc ça sera ça » (entretien n° 22).

Cette rigidité interne se double d’une perception que la gestion des carrières va utiliser
la transformation digitale comme un alibi permettant de présenter l’organisation sous un
nouveau jour pour renforcer son attractivité auprès des jeunes, dans une perception stéréo-
typée des nouvelles générations :
« Les jeunes qui arrivent sont formatés différemment… ils préfèrent leurs outils à eux
plutôt que l’outil fourni par la collectivité ou par l’organisation donc ils sont capables de
dire : “Non, je ne viens pas parce que votre ordinateur ou votre accès internet est moins
rapide que ce que j’ai moi tout seul, bah non, je vais aller bosser chez quelqu’un d’autre”.
C’est une contrainte aujourd’hui des ressources humaines : comment des administrations
ou des organisations vieillissantes ou qui dégagent ce côté vieillissant de hiérarchisa-
tion peuvent être attractives ? On est vraiment sur un choc culturel des générations qui
arrivent » (entretien n° 1).

Ainsi, la structure se limite à utiliser la transformation digitale pour recruter et valoriser


sa marque employeur mais elle n’est pas prête à mettre en place un véritable processus de
gestion des carrières capable de tenir compte du rôle plus important conféré à l’agentivité.
Au-delà de la gestion des carrières, la perception de la transformation digitale comme alibi
discursif nous semble confirmée pour souligner un changement dans les processus orga-
nisationnels face à un système décrit comme figé. Cependant, les interviewés, y compris
les élus, ne semblent pas convaincus et évoquent plutôt un découplage entre des discours
volontaristes annonçant le changement et une réalité opérationnelle maintenant en place
les pratiques existantes :
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« Je m’interroge sur le numérique, honnêtement je pense que c’est un bon moyen pour
nous obliger à changer les organisations mais c’est pour ça que ça peut être aussi utilisé
comme moyen pour ne rien changer. C’est-à-dire qu’on l’utilise pour corriger à la marge
et faire croire qu’on est dans l’innovation alors qu’en fait, on est dans le plus grand des
conservatismes » (entretien n° 37).
En définitive, la transformation digitale entraîne une évolution du contenu du travail,
en particulier celui des agents de catégorie B et C, vers des activités transversales à plus
forte valeur ajoutée. En affaiblissant les hiérarchies traditionnelles, elle offre aux individus
désireux de réaliser une boundaryless career des opportunités de développement des com-
pétences de carrière. Le développement de ces compétences, transférables dans d’autres
contextes, les conduit à ressentir un accroissement de leur mobilité psychologique, à travers
des perspectives élargies de mobilité. Cependant, le maintien des règles de fonctionnement
des marchés internes aux collectivités territoriales et une gestion des carrières limitée au coup
par coup ne permettent pas de concrétiser ces scénarios de mobilité. Le processus de mise
en œuvre de la boundaryless career s’arrête en chemin car l’organisation ne mobilise pas la
transformation digitale comme un levier pour modifier en profondeur les processus RH et
organisationnels mais comme un outil rhétorique destiné à donner l’illusion du changement.
Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298 293

4. Discussion

Notre recherche permet d’enrichir la littérature sur l’influence que la transformation


digitale exerce sur les agents territoriaux. Les études existantes ont montré qu’elle entraînait
le développement de nouvelles missions qui tendent vers davantage de travail collaboratif,
une plus grande polyvalence et l’apport d’une plus forte valeur ajoutée (Bourdreau, 2009 ;
Zacklad, 2020). Elles ont également souligné le développement de nouveaux métiers, trans-
versaux et surtout technologiques (Boulesnane et al., 2019 ; Pène, 2020). Elles ont enfin
mis en exergue le développement des compétences, techniques (Wairiuko et al., 2018) mais
aussi comportementales (Zacklad, 2018) et managériales (Bourdreau, 2009 ; Mayenberg,
2018). Notre recherche complète ces connaissances en apportant des éléments jusque-là
restés dans l’ombre en ce qui concerne l’influence de la transformation digitale sur les car-
rières au sein des collectivités territoriales. En s’appuyant sur l’approche des boundaryless
careers, nos résultats suggèrent que le processus de développement de ce type de carrière
s’amorce en termes d’opportunités d’apprentissage et de développement des compétences
de carrière mais n’est pas relayé par la structure qui ne permet pas d’offrir des opportunités
concrètes de mobilité. Nos observations soulignent ainsi un double décalage autour duquel
s’articule la présente discussion : au niveau individuel, un décalage entre le développement
des compétences de carrière et celui de la mobilité effective ; au niveau organisationnel,
un décalage entre le discours sur la transformation digitale et des pratiques qui illustrent
une absence d’évolution des processus traditionnels. Cela entraîne un risque, celui de la
non-reconnaissance des individus au travail.

4.1. Un décalage entre le développement des compétences de carrière et celui de la


mobilité effective

Nos résultats indiquent empiriquement que le développement des collaborations transver-


sales et plus généralement la rupture des frontières hiérarchiques traditionnelles constitue un
environnement de travail qui offre davantage d’opportunités d’apprentissage et de dévelop-
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pement des compétences de carrière. À ce titre, il nous paraît intéressant de souligner que le
knowing-whom est la compétence de carrière dont le développement est le plus fréquemment
perçu. Cette observation nous paraît en cohérence avec l’affaiblissement des frontières
métiers, consécutif au développement de la transversalité. En offrant des opportunités de
développement de leur réseau de relations professionnelles, les individus développent leurs
autres compétences de carrière, ce qui souligne l’importance de la rencontre, préalable au
développement des idées et des collaborations (Retour, 2009 ; Culié, 2012).
En outre, nos résultats confirment que le développement de la boundaryless career
s’effectue par étapes (Culié et al., 2014) mais que ce processus est remis en question à
chaque étape. Ainsi, si le développement de l’apprentissage favorise le développement des
compétences de carrière qui entraîne à son tour un accroissement de la mobilité psycho-
logique, le processus se grippe ensuite. Les opportunités perçues par les individus ont peu
de chances de se concrétiser. La notion de mobilité psychologique révèle ainsi certaines
ambiguïtés car un niveau de mobilité psychologique élevé peut être fondé non pas sur une
appréciation réaliste des opportunités de mobilité offertes par l’environnement mais sur
une vision idéalisée, sans doute entretenue par un discours ambiant sur le digital comme
294 Jean-Denis Culié, Linh Chi Vo et Xavier Philippe / PMP 38/3 Juillet-Septembre 2021/ 277-298

vecteur d’un bouleversement profond dans le fonctionnement des collectivités territoriales.


En d’autres termes, les frontières psychologiques s’estompent alors que l’affaiblissement
des frontières physiques n’est qu’une façade qui touche l’organisation du travail mais ne
remet pas en question le fait que les décisions relatives aux évolutions de carrière dans les
collectivités territoriales étudiées restent essentiellement dans les mains des organisations.
Cette observation souligne ainsi les limites d’un modèle fondé sur l’agentivité et le manque
de prise en compte des structures dans lesquelles se déroulent les carrières (Dany, 2014). Même
si les frontières métiers et hiérarchiques deviennent plus perméables et permettent l’amorce
de boundaryless careers, le développement de ces dernières se heurte au maintien des règles
du marché interne et aux pratiques de gestion des carrières. Les collectivités territoriales
sont loin d’être devenues des organisations sans frontières, vues comme des mécanismes de
développement des compétences au sein desquelles les individus saisissent les opportunités
de mobilité offertes par un contexte en mutation permanente (Inkson et Arthur, 2001).

4.2. De l’acquisition des compétences à la gestion des carrières : un impensé de la tran-


formation digitale dans les collectivités publiques

On assiste ainsi à un certain décalage entre discours et pratiques. En effet, les personnes
interrogées notent un décalage entre un imaginaire discursif très volontariste relatif à la
transformation digitale et des manifestations concrètes qui seront probablement peu effectives.
Cet imaginaire leurrant (Enriquez, 1997) se traduit par un écart entre la perception positive
qu’ont les agents de la transformation digitale, vecteur principal d’un changement profond
des pratiques organisationnelles et le sentiment négatif lié à l’absence d’une politique de
gestion des carrières ayant intégré cette transformation. Ce point aveugle de la transfor-
mation digitale peut s’expliquer par la persistance d’une régulation normée des carrières
des agents territoriaux. En effet, les agents se retrouvent confrontés à un paradoxe. Si la
transformation digitale leur permet d’acquérir des compétences de carrière (DeFillippi et
Arthur, 1994) contribuant à accroître leur mobilité psychologique (Sullivan et Arthur, 2006),
celle-ci ne peut trouver son équivalent en matière de mobilité physique car la structure limite
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les possibilités. Les agents indiquent que peu de perspectives s’offrent à eux en raison de
l’absence d’une politique de gestion des ressources humaines adaptée à la transformation
digitale. Par ailleurs, ce ressenti est couplé à une persistance de règles d’évolutions fondées
principalement sur les statuts et des critères prédéfinis. Cela réduit considérablement leur
agentivité, gage de la possibilité d’une évolution de carrière pour l’individu (Inkson, 2006).
Les règles d’évolution demeurant figées par la structure, il devient impossible pour les agents
de faire de leurs nouvelles compétences un levier pour une mobilité physique. On assiste
alors à une double négation de la promesse engendrée par l’acquisition de compétences
nouvelles, celle de la carrière mais également celle de l’employabilité (Dany, 1997). On
note par ailleurs une forme d’acceptation de cette situation par les agents. N’étant pas des
« capitalistes de la carrière » (Inkson et Arthur, 2001), les agents ne sont pas pour autant
dénués de tout sens politique en matière de carrière. Ils témoignent d’une connaissance
fine d’un script de promotion préexistant, détaillant les conditions d’évolution de carrière
et face auquel la transformation digitale ne changera rien. Par conséquent, elle ne sera pas
de nature à favoriser une approche boundaryless des carrières (Dany, Louvel et Valette,
2011) mais maintiendra une forme de statu quo.
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4.3. Transformation digitale dans les collectivités territoriales et absence de gestion des
carrières : les risques d’une non-reconnaissance

Cette situation constitue un risque en ce qui concerne la gestion des ressources humaines.
Le décalage entre acquisition de compétences de carrière et mobilité physique non associée est
susceptible d’entrainer une absence de reconnaissance qui peut in fine mener à de la souffrance au
travail (Dejours, 1993). Notre étude montre que la transformation digitale procure la possibilité
d’acquérir une forme d’estime de soi, critère crucial pour la reconnaissance au travail (Renault,
2007). En effet, l’acquisition de nouvelles compétences est vécue par les agents territoriaux
comme la possibilité d’une forme d’enrichissement du travail et donc d’un enrichissement per-
sonnel. Mais cette reconnaissance ne peut être simplement instrumentale (Saint-Onge, Haines,
Aubin, Rousseau, Lagasse, 2005), c’est-à-dire limitée par l’organisation à servir ses propres
buts, elle doit également être sociale c’est-à-dire permettre à l’individu de devenir visible au
sein d’une communauté de travail dans les valeurs de laquelle il s’inscrit pleinement (Philippe,
Alves et Ardouin, 2019). Cette forme de reconnaissance est souvent associée à une promesse,
celle de l’évolution de l’individu et génère alors des attentes (Philippe et al., 2019). Or, la trans-
formation digitale se révèle impuissante à concrétiser ces attentes. Cela fait écho aux récents
travaux de Sacco et al. (2019) qui viennent interroger les effets de certaines pratiques liées à la
transformation digitale sur les fonctionnaires en interaction avec les usagers. Sacco et al. (2019)
démontrent que ces nouvelles pratiques transforment la division du travail mais également les
identités professionnelles. Notre recherche montre ainsi en complément que la transformation
digitale vient également créer de grandes espérances mais est en retour susceptible de créer de la
déception en matière d’évolution professionnelle. Les règles en matière d’évolution de carrière
sont indépendantes des modifications des modalités pratiques du travail au sein de la structure
et du développement de compétences individuelles sur le terrain. Par ailleurs, les nouveaux
embauchés décrivent une forme de leurre lié à la transformation digitale qui devient un alibi
pour le recrutement, un argument au service de la marque employeur pour attirer de nouveaux
profils étant donné la complexité technique entraînée par la transformation digitale (Sacco et al.,
2019). Cela demeure cependant indépendant de la politique de gestion des carrières. Le risque
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est alors celui d’une mise en retrait par rapport à la transformation digitale et de l’apparition
d’une souffrance au travail. Ce que décrivent les individus interrogés présente deux signaux
d’un tel risque. Tout d’abord, il y a une perception progressive d’une surqualification par rapport
à l’emploi occupé. Ce développement invisible des compétences n’aura aucun impact sur la
carrière et pourra mener à une forme de souffrance par des individus ne se sentant pas reconnus
pour l’utilité et la qualité de leur travail (Dejours, 1993). Ensuite, on observe une persistance
des processus traditionnels liés à la carrière. En effet, l’absence de ressources financières et
humaines dédiées à la gestion des mobilités vient démontrer qu’il s’agit là d’un impensé de la
transformation digitale. Cette dernière se révèle alors vecteur de nouveaux rôles, de nouveaux
métiers, de nouvelles compétences mais d’anciennes carrières.

Conclusion

Comme nous l’avons évoqué à travers notre étude, la transformation digitale dans les
collectivités territoriales comporte des enjeux qui vont au-delà du seul changement tech-
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nique. Le développement des compétences et la gestion des carrières en constituent deux


exemples. Liés dans la littérature à travers le cadre d’analyse des boundaryless careers,
notre étude montre qu’il n’y a pas concomitance de l’une et de l’autre dans le cas des collec-
tivités territoriales. La transformation digitale est perçue par les agents comme constitutive
d’opportunités de développement, notamment de compétences qui pourraient être utiles à
la carrière des agents concernés. Cependant, les mécanismes statutaires venant définir les
modalités d’évolution interne constituent un frein au développement des carrières car cela
n’a pas été intégré dans la mise en œuvre de la transformation digitale. Sur la base de cet
impensé, les organisations concernées sont donc régies par le statu quo et la gestion des
carrières et plus largement des ressources humaines ne peuvent se saisir de cette question.
Quelques recommandations managériales peuvent ainsi être formulées. Tout d’abord,
concernant le recrutement, s’il semble important de diversifier les profils (Sacco et al.,
2019), il apparaît nécessaire de rendre les postes plus attractifs pour les nouveaux recrutés
en insistant sur la transformation digitale comme un levier de carrière mais surtout en en
faisant un critère de mobilité interne. De plus, c’est aussi la question de la mobilité trans-
versale, inter-services, que pose la transformation digitale car elle permet l’acquisition de
nouvelles compétences qui relèvent souvent d’un capital humain dit « générique » (Becker,
1962) et donc transférables à de nombreuses situations professionnelles. Enfin, par-delà la
mobilité, il est également nécessaire de prendre en compte l’acquisition de compétences
digitales dans le développement au long cours des collaborateurs. Cela passe par de la
formation et un système d’évaluation intégrant l’acquisition de cette nouvelle compétence
afin d’assurer une mise en cohérence de la politique RH. On pourrait ainsi envisager, sans
bouleverser la gestion statutaire des collaborateurs, d’instaurer des dispositifs de mobilité
temporaire entre collectivités par des détachements sur des projets spécifiques.
Cette recherche comporte deux limites. En premier lieu, elle repose sur les perceptions
des interviewés à un moment donné. Une étude longitudinale permettrait d’affiner notre
analyse et d’observer si les interviewés ont réalisé ou non des évolutions de carrière tangibles
en lien avec la transformation digitale. En second lieu, cette étude s’applique aux collecti-
vités territoriales françaises et de nouveaux travaux au sein d’autres types d’organisations
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publiques pourraient venir enrichir nos conclusions. Cela ouvre donc la voie à de futures
recherches et constitue pour le management public un argument en faveur d’une transfor-
mation digitale plus intégrative, pensée non seulement comme un outil du changement mais
comme un facteur structurant de l’organisation dans son ensemble.
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