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Institute of Sustainable Business and Organizations - Confluence :
Sciences et Humanités - UCLY, ESDES
Résumé
Abstract
digital transformation influences the evolution of careers in the public sector, we conduc-
ted a study in seven local authorities of the same region in France. Our results suggest
that digitalization creates transversality and promotes collaborative work between ser-
vice departments and between local authorities. This evolution creates opportunities for
the development of career competencies (knowledge and know-how, internal and exter-
nal networks, motivation and occupational identity), leading to a context favorable to
boundaryless careers. Nevertheless, boundaryless careers are only partially realized. The
internal labor market’s operating rules and structural inertia hinder the offer of concrete
opportunities for mobility. This study illustrates a traditional model of career manage-
ment for local governments’ employees, which opposes in a structural way to the deve-
lopment of a boundaryless model. © 2021 IDMP/Lavoisier SAS. Tous droits réservés
Keywords: digitalization, careers, boundaryless careers, local authorities, internal labour market.
Introduction
La transformation digitale peut se définir comme « un processus de changement fondamental,
rendu possible par l’utilisation innovante de technologies digitales accompagnée d’une capi-
talisation stratégique des ressources et des capacités clés, visant à améliorer radicalement une
entité et à redéfinir sa proposition de valeur pour ses parties prenantes » (Gong et Ribiere, 2021 :
12)1. Depuis son apparition autour des années 2000 (Pène, 2020), la transformation digitale n’a
pas cessé d’être au cœur des préoccupations des collectivités publiques (Schnäbelé et Beauvais
2001 ; Koubi 2013b). Elle entraîne un bouleversement du contexte dans lequel travaillent les
agents en les amenant à se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée et à développer
des collaborations transversales (Bourdreau, 2009). Les recherches existantes ont montré que
dans ce nouveau contexte les agents endossent de nouveaux rôles (Bourdreau, 2009 ; Zacklad,
2020), exercent de nouveaux métiers (Boulesnane, Benaissa, Bouzidi et Chappoz, 2019 ; Pène,
2020) et développent de nouvelles compétences (Wairiuko, Nyonje, Omulo, 2018 ; Zacklad,
2018 ; Meyenberg, 2018). En revanche, nous n’avons pas connaissance de travaux qui précisent
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Source : Site emploi des collectivités territoriales : https://www.emploi-collectivites.fr/filieres-fpt-blog-
territorial
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collaboratif entre services et entre collectivités. Cette évolution crée des opportunités de déve-
loppement des compétences de carrière (savoirs et savoir-faire, réseaux internes et externes,
motivation et identité professionnelle), amorçant l’émergence d’un contexte favorable à des
carrières de type boundaryless (Arthur et Rousseau, 1996). En d’autres termes, le modèle de la
carrière organisationnelle, basé sur les règles de fonctionnement du marché interne pourrait être
remplacé par celui des boundaryless careers, porté par la proactivité d’individus désireux de
saisir des opportunités de mobilité. Néanmoins, ces dernières demeurent à un stade de réalisation
partielle. Le maintien des règles de fonctionnement du marché interne et de l’inertie structurelle
brident une dynamique qui ne permettra guère d’offrir des opportunités concrètes de mobilité.
Cette étude illustre la permanence d’un modèle traditionnel de gestion de la carrière des agents
territoriaux, qui oppose une résistance structurelle au développement d’un modèle boundaryless.
Après une revue de la littérature qui précise la manière dont la transformation digitale
influence les agents des collectivités publiques et leur ouvre de nouvelles perspectives de
carrière, nous détaillons le contexte dans lequel l’enquête de terrain a été menée ainsi que le
mode de collecte et d’analyse des données. Nous présentons ensuite les principaux résultats
de notre recherche que nous discutons au regard de la littérature existante.
1. Revue de littérature
1.1. La transformation digitale, un nouvel environnement de travail pour les agents des
collectivités publiques
La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique définit une stratégie pour le
développement des activités et des services digitaux à l’échelle territoriale, en particulier
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via l’open data. De fait, « le développement des téléservices publics et des téléprocédures
administratives en France correspond à une volonté politique affirmée, intimement liée à
l’ambition de réforme de l’État » (Schnäbele et Beauvais, 2001 : 608). Les usages digitaux
sont largement diffusés dans le secteur public, la littératie numérique s’étend au-delà des
instruments et techniques, et une culture de la donnée représente un marqueur de transfor-
mation organisationnelle (Pène, 2020).
En premier lieu, l’orientation client de l’administration en ligne modifie les relations
entre les citoyens, les services publics et les élus nationaux et locaux (Brown, 2005).
Dans la configuration des services publics fournis en ligne, les mesures ont pour but de
simplifier les procédures et d’améliorer la qualité des relations des collectivités publiques
avec les citoyens (Koubi, 2013a). En deuxième lieu, le digital, présenté souvent comme
un moyen de réduction des coûts et des effectifs, induit de nouvelles stratégies de gestion
administrative. De manière concrète, la transversalité devient le noyau des processus
administratifs publics et une convergence s’opère entre les niveaux et les services de
l’administration. Par exemple, les services mutualisés préfigurent l’obligation de passer
par des portails nationaux et des guichets uniques, qui permettent des téléchargements
de formulaires et des téléprocédures à l’aide d’un identifiant (Koubi, 2013b ; Bourdreau,
2009). Ces nouvelles formes de services mutualisés concernent toutes les collectivités
publiques, au niveau national et local. L’environnement de travail interne devient ainsi en
réseau, ce qui signifie que les différentes collectivités territoriales ainsi que leurs services
sont reliés entre eux à travers le partage d’informations et la collaboration, et que cette
connexion peut être étendue à l’ensemble du pays (Brown, 2005). De plus, le digital,
en tant que dispositif de médiation, permet de fluidifier les échanges et d’améliorer les
interactions entre l’État, les collectivités territoriales et l’ensemble des acteurs concernés
(Boulesnane et al., 2019). En outre, comme des plateformes numériques remplacent les
procédures d’information à travers des guichets nationaux et locaux, le fonctionnement
des services administratifs doit s’adapter en conséquence (Boulesnane et al., 2019). Cette
évolution rompt ainsi la division verticale du travail, caractéristique de la bureaucratie
classique (Brown, 2005).
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La transformation digitale exerce une influence particulièrement importante sur les agents
des collectivités publiques, notamment ceux qui occupent des fonctions administratives,
parce qu’ils sont en contact direct avec les citoyens et qu’ils sont chargés de mettre en œuvre
les processus digitaux internes (Brown, 2005 ; Bourdreau, 2009). Plus précisément, elle se
traduit par l’émergence de nouveaux rôles, de nouveaux métiers et de nouvelles compétences.
vers de nouvelles activités à plus forte valeur ajoutée (Bourdreau, 2009). Une étude de cinq
services publics déployés dans la province du Québec montre que la digitalisation permet
aux agents en contact direct avec le public de réaliser des tâches plus polyvalentes : accueil
téléphonique, assistance sur le web et traitement de dossiers (Bourdreau, 2009). Dans une
étude portant sur sept municipalités au Danemark, Schou et Hjelholt (2018) observent que
le rôle des agents occupant des fonctions administratives consiste désormais à guider et
accompagner les citoyens, notamment pour une bonne utilisation des services numériques
en libre accès. Ils deviennent alors des « guides » pour les citoyens, l’objectif étant de leur
permettre de s’aider eux-mêmes et de les intégrer à la culture digitale.
À l’ère des big datas, les agents se voient attribuer de nouveaux rôles de supervision ou
de maintenance (Zacklad, 2020). Les nouvelles technologies, qui permettent une grande
disponibilité des données, s’accompagnent d’une croissance de la surveillance à distance
des citoyens (Sacco, Schiffino, Piron et Perin, 2019). Les agents sont incités à collecter
et analyser eux-mêmes des données et même à travailler avec celles produites par des
consultants. Cet effet est particulièrement notable chez les agents en contact direct avec
les citoyens (Sacco et al., 2019). Par ailleurs, la transversalité crée par la transformation
digitale impose que les agents des collectivités publiques apprennent à̀ travailler ensemble,
d’abord en interne puis avec d’autres organisations (Bourdreau, 2009).
teur public (Alshehri et Drew, 2010). Wairiuko et al. (2018) indiquent par ailleurs qu’une
formation informatique devrait être dispensée notamment à tous les agents de la filière
administrative afin qu’ils soient en mesure d’utiliser de nouvelles applications, de nouveaux
processus et de nouvelles méthodologies de travail axés sur le digital.
Étant donné que leur rôle s’oriente davantage vers le conseil et l’accompagnement, les
agents du secteur public qui occupent des fonctions administratives ont besoin de développer
des compétences comportementales (Zacklad, 2018 ; Wairiuko et al., 2018). Ces compé-
tences leur sont particulièrement nécessaires pour convaincre les citoyens d’adopter des
procédures et des outils digitaux. L’enjeu est crucial car ces initiatives ne peuvent réussir et
se révéler utiles que si les citoyens sont désireux d’y participer (Aubouin et Le Chaffotec,
2017). De plus, les processus de travail digitaux impliquent un niveau d’autonomie plus
élevé chez les agents. Ils doivent ainsi développer leur réactivité et leur créativité (Berhault,
2010) afin de s’adapter aux demandes de plus en plus diverses et imprévisibles des citoyens
(Bourdreau, 2009). Par ailleurs, le développement de la transversalité induit des méthodes
de travail axées sur la coopération de groupe et le partage d’informations entre les services
administratifs et les différents niveaux d’administration (Brown, 2005).
Enfin, la transformation digitale requiert de nouvelles compétences chez les managers
du secteur public. Comme les processus de travail digitaux impliquent un mode de gestion
à distance, les managers doivent adopter un nouveau style qui repose sur la confiance,
l’information et le suivi (Meyenberg, 2018). Ils doivent apprendre à mettre en place une
évaluation continue de la performance en fournissant des données précises rendues possibles
par l’accès à l’information (Bourdreau, 2009).
La transformation digitale modifie le contexte dans lequel les carrières vont se dérouler :
en permettant aux agents de s’orienter vers des rôles à plus forte valeur ajoutée et en favo-
risant la transversalité, intra et inter-organisationnelle (Bourdreau, 2009), elle contribue à
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dans les collectivités territoriales. Ensuite, le concept de boundaryless career s’inscrit dans
une approche fondée sur les compétences (DeFillippi et Arthur, 1994) qui nous semble en
adéquation avec les conséquences de la transformation digitale en termes de développement
de la polyvalence ou des compétences relationnelles observées chez les agents du secteur
public (Zacklad, 2020 ; Bourdreau, 2009). Enfin, s’il se réclame d’une approche interac-
tionniste de la carrière, le concept de boundaryless career confère une place dominante à
l’agentivité puisqu’il se fonde sur un comportement proactif des individus pour franchir
des frontières organisationnelles devenues plus perméables (Inkson, 2006). Il est donc en
cohérence avec le choix d’un positionnement du point de vue de l’individu.
Ainsi, l’individu dont le comportement est caractéristique d’une boundaryless career
est mû par un désir de développer ses connaissances et d’élargir le champ de ses activités
professionnelles en saisissant des opportunités de collaborations, de projets, de mobilités qui
l’amènent à « pousser les murs » de son horizon professionnel. Plus précisément, le processus
de développement de la boundaryless career s’appuie sur une dynamique d’apprentissage
permanent et d’accumulation d’expériences. Cette dynamique permet à l’individu d’en retirer
des bénéfices transférables d’un contexte professionnel à l’autre (Inkson et Arthur, 2001).
Ces bénéfices, qui s’apparentent à un capital humain générique (Becker, 1962) constituent
les trois compétences de carrière (three ways of knowing, DeFillippi et Arthur, 1994) sur
lesquelles l’individu construit sa carrière.
Le knowing-whom répond à la question : « Avec qui je travaille ? ». Il reflète le dévelop-
pement des réseaux relationnels et de la réputation susceptibles de favoriser l’évolution de
la carrière. Le knowing-how répond à la question : « Comment je travaille ? ». Il englobe
les savoirs et savoir-faire professionnels et explique comment l’individu contribue à la
performance de l’organisation. Enfin, le knowing-why répond à la question : « Pourquoi je
travaille ? ». Il consiste à développer une identité qui donne un sens à l’intégration psycho-
logique dans un environnement de travail en mutation permanente.
Les trois compétences de carrière évoluent en interaction (Beigi, Shirmohammadi et
Arthur, 2018) et leur développement contribue à renforcer chez l’individu la confiance dans
sa capacité à changer d’emploi ou d’employeur (Culié, Khapova et Arthur, 2014). Cette
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2. Méthodologie
Notre enquête de terrain s’appuie principalement sur des entretiens réalisés auprès de 34
agents qui travaillent dans sept collectivités territoriales d’une même région. Comme nous
étudions la perception qu’ont les individus de l’influence que peut avoir la transformation
digitale sur leur carrière, la perception de chaque individu est inséparable du contexte
organisationnel dans lequel il travaille. Par conséquent, notre stratégie de recherche peut
être considérée comme une étude de cas multiples, chaque individu constituant un cas, et
plus précisément une étude de cas multiples enchâssés (embedded multiple-case study, Yin,
2018) puisque chaque cas est inséré dans un contexte organisationnel spécifique.
Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de 34 agents qui travaillent
dans sept collectivités territoriales d’une même région française. Pour assurer une certaine
homogénéité en termes de contexte organisationnel, nous avons choisi d’interviewer des
personnes qui travaillent dans des collectivités de grande taille (plusieurs milliers d’agents)
ou dans des municipalités membres de communautés de communes de taille importante.
Plus précisément, les sept collectivités concernées incluent le Conseil régional, deux
Conseils départementaux, une ville chef-lieu de département, une communauté urbaine,
une communauté de communes et une ville membre d’une communauté urbaine. La grande
majorité des entretiens a été réalisée dans quatre d’entre elles. Nous avons cependant choisi
de conserver l’ensemble des entretiens de l’échantillon pour cette recherche à des fins de
triangulation de nos sources et de renforcement de la validité de nos résultats. En outre,
nous nous sommes efforcés d’offrir une certaine diversité de profils, en termes de genre,
d’âge, de fonction et de statut, comme en témoigne le tableau 1 ci-dessous.
Entretiens Agents
Entretien élus
35 F 35-44 Vice-Présidente
Entretiens agents
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La catégorie A correspond à des fonctions de conception et de direction, la catégorie B à des fonctions
d’application et d’encadrement intermédiaire, la catégorie C à des fonctions d’exécution (source : Guide
de la Fonction Publique Territoriale- Centre National de la Fonction Publique Territoriale).
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Entretiens élus
37 H 45-54 Maire
Documents collectés : bulletins d’information, organigramme des services, notes internes sur
les grands projets digitaux
Entretiens élus
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38 H 35-44 Vice-Président
Entretien agents
Entretiens agents
Entretiens élus
40 H > 54 Maire
Entretiens agents
Nous avons ensuite procédé à une analyse thématique de contenu, via un codage manuel
des données transcrites. Nous avons eu recours à une démarche abductive (Van Maanen,
Sorensen et Mitchell, 2007 ; Locke, Godden-Biddle et Feldman, 2008) en commençant par
un codage descriptif. Il nous est apparu que les différentes dimensions du modèle des bounda-
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ryless careers permettaient d’offrir une grille d’analyse pertinente pour étudier la plupart des
perceptions des interviewés. Nous avons ensuite agrégé les codes descriptifs dans des codes
théoriques correspondant aux différentes composantes de ce modèle : proactivité, apprentissage,
knowing-whom, knowing-how, knowing-why, mobilité psychologique, mobilité physique.
Enfin, nous avons regroupé les obstacles à la réalisation des opportunités de carrière perçues
dans le contexte façonné par la transformation digitale selon deux codes théoriques : les freins
liés à la structure et un discours sur le changement non relayé dans la pratique.
3. Résultats
Dans une première section, nous montrons que l’évolution du contexte de travail des agents
territoriaux, marqué par un affaiblissement des frontières métiers, permet d’initier le processus
de développement de boundaryless careers à travers l’accroissement des compétences de
carrière et de la mobilité psychologique. Cependant, la persistance de freins structurels liés
au maintien des règles de fonctionnement du marché interne et une gestion des carrières peu
dynamique malgré un discours présentant le digital comme vecteur de changement profond
ne permettront pas de concrétiser les opportunités de mobilité perçues par les agents.
« Je dirais qu’il y a aussi beaucoup un état d’esprit de l’agent : on peut avoir des agents
qui sont plus âgés mais qui sont très ouverts et qui ont l’envie d’apprendre et d’aller vers
des nouveaux outils et parfois des agents plus jeunes qui n’ont pas l’envie d’évoluer. Il
vaut mieux quelqu’un qui maîtrise très mal voire pas du tout les outils mais qui a une
réelle envie d’apprendre et de découvrir des nouvelles choses que d’avoir quelqu’un de
plus jeune et qui est réfractaire ou qui n’a pas d’envie » (entretien n° 15).
« Il faudrait voir le niveau exigé par rapport au service numérique. [La catégorie] C,
pour nous, dans la nomenclature du statut, c’est agent d’exécution. Dans le numérique,
il y a quand même une vision que je vois de conception, développement, donc je serais
plutôt sur des évolutions de C en B (…) Mais il faut revenir sur un principe de réalité
pour passer de C en B, il faut passer des concours, des examens professionnels ou il faut
passer en promotion interne et là, il y a des quotas » (entretien n° 21).
Le sentiment qui s’installe alors est que la transformation digitale permet de renforcer
les compétences de carrière mais que cette évolution ne donnera pas la possibilité d’accéder
aux emplois ou aux grades correspondants :
« Je prépare le concours d’attaché territorial pour pouvoir soit rester dans les missions
qui sont en évolution et qui s’inscrivent dans la réorganisation mais aussi, selon l’avenir,
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dématérialisation c’est très bien parce qu’on va gagner, ça va être le gain de temps qui
va permettre de réduire peut-être la masse salariale, de ne pas remplacer en tout cas les
futurs retraités. Et je pense que c’est cette idée-là, je ne sais pas si tout le monde y pense
mais moi, je pense que, oui, on va vers ça. Trop de fonctionnaires. Ça se dit partout trop
de fonctionnaires, donc ça sera ça » (entretien n° 22).
Cette rigidité interne se double d’une perception que la gestion des carrières va utiliser
la transformation digitale comme un alibi permettant de présenter l’organisation sous un
nouveau jour pour renforcer son attractivité auprès des jeunes, dans une perception stéréo-
typée des nouvelles générations :
« Les jeunes qui arrivent sont formatés différemment… ils préfèrent leurs outils à eux
plutôt que l’outil fourni par la collectivité ou par l’organisation donc ils sont capables de
dire : “Non, je ne viens pas parce que votre ordinateur ou votre accès internet est moins
rapide que ce que j’ai moi tout seul, bah non, je vais aller bosser chez quelqu’un d’autre”.
C’est une contrainte aujourd’hui des ressources humaines : comment des administrations
ou des organisations vieillissantes ou qui dégagent ce côté vieillissant de hiérarchisa-
tion peuvent être attractives ? On est vraiment sur un choc culturel des générations qui
arrivent » (entretien n° 1).
4. Discussion
On assiste ainsi à un certain décalage entre discours et pratiques. En effet, les personnes
interrogées notent un décalage entre un imaginaire discursif très volontariste relatif à la
transformation digitale et des manifestations concrètes qui seront probablement peu effectives.
Cet imaginaire leurrant (Enriquez, 1997) se traduit par un écart entre la perception positive
qu’ont les agents de la transformation digitale, vecteur principal d’un changement profond
des pratiques organisationnelles et le sentiment négatif lié à l’absence d’une politique de
gestion des carrières ayant intégré cette transformation. Ce point aveugle de la transfor-
mation digitale peut s’expliquer par la persistance d’une régulation normée des carrières
des agents territoriaux. En effet, les agents se retrouvent confrontés à un paradoxe. Si la
transformation digitale leur permet d’acquérir des compétences de carrière (DeFillippi et
Arthur, 1994) contribuant à accroître leur mobilité psychologique (Sullivan et Arthur, 2006),
celle-ci ne peut trouver son équivalent en matière de mobilité physique car la structure limite
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4.3. Transformation digitale dans les collectivités territoriales et absence de gestion des
carrières : les risques d’une non-reconnaissance
Cette situation constitue un risque en ce qui concerne la gestion des ressources humaines.
Le décalage entre acquisition de compétences de carrière et mobilité physique non associée est
susceptible d’entrainer une absence de reconnaissance qui peut in fine mener à de la souffrance au
travail (Dejours, 1993). Notre étude montre que la transformation digitale procure la possibilité
d’acquérir une forme d’estime de soi, critère crucial pour la reconnaissance au travail (Renault,
2007). En effet, l’acquisition de nouvelles compétences est vécue par les agents territoriaux
comme la possibilité d’une forme d’enrichissement du travail et donc d’un enrichissement per-
sonnel. Mais cette reconnaissance ne peut être simplement instrumentale (Saint-Onge, Haines,
Aubin, Rousseau, Lagasse, 2005), c’est-à-dire limitée par l’organisation à servir ses propres
buts, elle doit également être sociale c’est-à-dire permettre à l’individu de devenir visible au
sein d’une communauté de travail dans les valeurs de laquelle il s’inscrit pleinement (Philippe,
Alves et Ardouin, 2019). Cette forme de reconnaissance est souvent associée à une promesse,
celle de l’évolution de l’individu et génère alors des attentes (Philippe et al., 2019). Or, la trans-
formation digitale se révèle impuissante à concrétiser ces attentes. Cela fait écho aux récents
travaux de Sacco et al. (2019) qui viennent interroger les effets de certaines pratiques liées à la
transformation digitale sur les fonctionnaires en interaction avec les usagers. Sacco et al. (2019)
démontrent que ces nouvelles pratiques transforment la division du travail mais également les
identités professionnelles. Notre recherche montre ainsi en complément que la transformation
digitale vient également créer de grandes espérances mais est en retour susceptible de créer de la
déception en matière d’évolution professionnelle. Les règles en matière d’évolution de carrière
sont indépendantes des modifications des modalités pratiques du travail au sein de la structure
et du développement de compétences individuelles sur le terrain. Par ailleurs, les nouveaux
embauchés décrivent une forme de leurre lié à la transformation digitale qui devient un alibi
pour le recrutement, un argument au service de la marque employeur pour attirer de nouveaux
profils étant donné la complexité technique entraînée par la transformation digitale (Sacco et al.,
2019). Cela demeure cependant indépendant de la politique de gestion des carrières. Le risque
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Conclusion
Comme nous l’avons évoqué à travers notre étude, la transformation digitale dans les
collectivités territoriales comporte des enjeux qui vont au-delà du seul changement tech-
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