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La communication gouvernementale, un ordre en

négociation
Caroline Ollivier-Yaniv
Dans Revue française d'administration publique 2019/3 (N° 171), pages 669 à 680
Éditions Institut national du service public
ISSN 0152-7401
DOI 10.3917/rfap.171.0669
© Institut national du service public | Téléchargé le 19/07/2023 sur www.cairn.info (IP: 190.27.2.75)

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LA COMMUNICATION GOUVERNEMENTALE,
UN ORDRE EN NÉGOCIATION

Caroline OLLIVIER-YANIV

Professeure en sciences de l’information et de la communication


à l’Université de Paris-Est Créteil *

Résumé
La multitude des activités ministérielles de communication donne-t-elle à voir la communication du
Gouvernement dans l’espace public ? Une telle question interroge le processus de légitimation de
l’action de ministères et de ministres hétérogènes et surtout, d’une action gouvernementale unifiée
et institutionnalisée. Prenant acte de la prolifération, de la professionnalisation et de l’hétérogénéité
des pratiques d’information, de communication et d’accès aux médias dans les ministères, cet article
entend y répondre en prenant en considération les interactions avec l’organisme consacré à leur
coordination : le Service d’information du Gouvernement (SIG), dont l’une des missions originelles
est la « coordination interministérielle de la communication du Gouvernement ». Prenant appui sur
trois facteurs constitutifs de la fabrique d’un ordre négocié de la communication gouvernementale
– procédural, professionnel et politique – cet article permettra de mettre en évidence qu’à côté
des transformations médiatiques et professionnelles, le facteur politique demeure prédominant et
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contredit la thèse d’une communication gouvernementale unifiée de manière durable.
Mots-clefs
Gouvernement, SIG, ministères, ministres, communication, médias, numérisation, interactions
professionnalisation, politisation.

Abstract
— The French government communication as a negotiated order – Is the multitude of ministerial
communication activities equivalent to government communication in the public space? Such
an interrogation questions the process of legitimising the action of heterogeneous ministries and
ministers and mostly, the topic of a unified and institutionalised government action. In order to
enlighten this issue, this paper takes into account the proliferation, the professionalisation and
the heterogeneity of information, communication and media activities of the ministries: it puts the
emphasis on the interactions with the organisation devoted to their coordination, the Government
Information Service (Service d’information du Gouvernement), whose one of the original missions
is the «interdepartmental coordination of government communication». Relying on three factors
constituting the government communication as a negotiated order – regulatory, professional and
political – this article highlights that, despite substantial media and professional transformations,
the political factor remains predominant and contradicts the thesis of a unified governmental
communication on a long-term basis.
Keywords
Government, Government Information Service (Service d’information du Gouvernement, SIG),
ministries, ministers, communication, medias, digitalisation, interactions, professionalisation,
politicisation.

* yaniv@u-pec.fr

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La multitude des discours et des pratiques ministérielles de communication donne-t-elle


à voir la communication gouvernementale dans l’espace public ? Cette question interroge le
processus de légitimation d’une action gouvernementale unifiée, que s’attachent à mettre en
œuvre le Premier ministre et son administration. L’information du grand public sur les décisions
ministérielles et gouvernementales par les médias n’échappe pas à cet objectif de coordination :
il s’agit de l’une des missions dévolues au Service d’information du Gouvernement (SIG),
depuis sa création en 1976 1 au sein du Secrétariat général du Gouvernement.
L’hypothèse selon laquelle la « communication gouvernementale » se réduit à celle
du chef du Gouvernement ou de son porte-parole est souvent mise en avant. Les usages
courants de cette expression contribuent à essentialiser un phénomène de fait caractérisé
par de multiples facteurs d’hétérogénéité et de tension. Chaque ministre, tout en étant
membre du collectif gouvernemental, est en effet responsable de la communication de son
ministère. La communication ministérielle, à la fois instrument des politiques publiques et
modalité de légitimation de l’action publique et de ses responsables politiques (Ollivier-
Yaniv, 2013b) se trouve ainsi dépendante de contraintes sectorielles. Les moyens consacrés
à la communication sont différents d’un domaine ministériel à l’autre, pour des raisons
historiques, budgétaires et fonctionnelles. Dans certains secteurs (santé, environnement,
sécurité), la communication est un instrument traditionnel des politiques publiques de
prévention, notamment en vue d’agir sur les comportements individuels. Dans bien des
secteurs, la communication ministérielle repose plutôt sur la médiatisation du ministre dans
les médias d’information classiques et désormais, via les réseaux sociaux. Parallèlement,
l’institutionnalisation et la professionnalisation des acteurs spécialistes du travail pour et
avec les médias dans les différents ministères ont contribué à la diversification des exper-
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tises, au développement des interactions avec les journalistes et avec des professionnels
prestataires de service extérieurs. Cette revendication de compétences spécifiques aux
acteurs de la communication des institutions est notamment observable au travers l’émer-
gence d’un domaine professionnel bénéficiant d’une qualification qui lui est propre : la
« communication publique », distincte car différenciée de la « communication politique »
(ici restreinte à son acception partisane), de la « propagande » (Ollivier-Yaniv, 2014) mais
encore de la « publicité » commerciale.
Si l’on définit le Gouvernement dans une perspective de « monde social » (Strauss,
1992), c’est-à-dire comme une organisation constituée d’interactions entre des groupes
sociaux et professionnels hétérogènes et dépassant ses frontières instituées, la relation entre
la communication gouvernementale et les communications des ministères et des ministres
constitue donc un ordre en tension et faisant l’objet de négociations entre des acteurs aux
propriétés sociales, professionnelles et politiques diversifiées. Les membres du SIG et son
responsable y occupent une position singulière : tout en étant censés appartenir au même
domaine professionnel que leurs homologues en ministères, ils ont la responsabilité de
coordonner leurs activités.
Dans une recherche antérieure portant sur l’institutionnalisation des pratiques d’infor-
mation puis de communication dans le travail gouvernemental (Ollivier-Yaniv, 2000), j’avais
mis en évidence, à partir d’entretiens avec des membres du SIG et des acteurs ministériels,
que le travail de coordination du SIG présentait trois propriétés principales : procédurale,
professionnelle et politique. La coordination procédurale reposait sur une disposition
réglementaire et coercitive connue sous le nom de « procédure d’agrément » : l’avis du

1. À l’époque sous l’intitulé de Service d’information et de diffusion (SID) du Premier ministre, l’appel-
lation de SIG datant de 1996.

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SIG constituait une condition nécessaire à la mise en œuvre de toute campagne de com-
munication ministérielle dans le respect des règles des marchés publics. Parallèlement, les
membres du département des campagnes du SIG faisaient en sorte de faire reconnaître leur
expertise technique : la régulation des pratiques de communication ministérielles s’appuyait
ainsi également sur une revendication de professionnalisme et d’expertise. Enfin l’appui
du Premier ministre et de son cabinet constituait une autre modalité de la coordination de
la communication des ministères, tout en étant largement déniée par les membres du SIG.
Vingt ans plus tard, on peut considérer que cette tripartition permet toujours de rendre
compte du positionnement du SIG dans les interactions avec les ministères. Pour autant, cet
article mettra en évidence que chacune de ces propriétés, y compris la plus réglementaire
et donc la plus contraignante pour des organisations administratives, fait l’objet de négo-
ciations entre des acteurs aux caractéristiques professionnelles et politiques hétérogènes.
La multiplication des techniques et des supports de communication, l’importance prise par
les outils numériques, mais encore la revendication de la professionnalisation des acteurs
ont transformé les pratiques et les interactions entre communicants sectoriels et commu-
nicants du SIG. Entre une composante procédurale débordée et une professionnalisation
ambivalente, la coordination de cette communication supposée dépolitisée s’en trouve
d’autant plus dépendante du politique.
Cette actualisation repose sur des sources diversifiées. Elle s’appuie sur des recherches
à caractère monographique (Berlivet, 2004 ; Comby, 2013 ; Ketterer, 2012 ; Nollet, 2010 ;
Ward, 2015), à la croisée de la sociologie de l’État, de la sociologie des médias et de la
construction sociale des problèmes publics, qui rendent compte des pratiques de commu-
nication médiatiques dans un ou plusieurs secteurs ministériels à un moment donné. Elle
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est également nourrie d’enquêtes et d’observations menées pour étudier des controverses
relatives à des sujets de santé publique, la vaccination notamment. J’ai ainsi retrouvé les
traces des acteurs du SIG dans un domaine de l’action publique profondément marqué par
les cultures professionnelles médicale et scientifique. Il ne s’agit donc pas de répéter ni
même de renouveler une analyse sociohistorique « vingt ans plus tard », mais de reconsidérer
l’ordre de la communication gouvernementale avec un regard décentré.

MÉSUSAGES ET LACUNES DE LA RÉGULATION PROCÉDURALE


DE LA COMMUNICATION GOUVERNEMENTALE

Le SIG n’est pas la première structure administrative rattachée au Premier ministre


pour coordonner les activités d’information, puis de communication, des ministères. Trois
organismes analogues l’ont précédé : le Service de liaison interministérielle de l’information
de 1964 à 1968, le Comité d’information interministérielle jusqu’en 1974 puis la Délégation
générale à l’information jusqu’en 1976. Dans un contexte de profonde transformation
des relations entre le pouvoir exécutif, l’audiovisuel public et les journalistes, au travers
de la suppression du ministère de l’information et de l’éclatement de l’ORTF en 1974,
les pratiques médiatiques des ministères et des ministres sont alors en plein essor et très
inégalement développées. Pour le dernier ministre de l’Information, Jean Lecat, la crise
pétrolière constitue une opportunité pour justifier l’utilisation de techniques médiatiques
qui sont importées du monde de la publicité par des consultants par ailleurs impliqués dans
des campagnes électorales : il s’agit de l’achat d’espace dans des médias d’information afin
de diffuser des messages ludiques pour sensibiliser les Français aux économies d’énergie

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– la campagne connue sous le nom « antigaspi ». À la même époque, les acteurs ministériels
des secteurs de la sécurité routière (Picard, 2009) et de la santé (Berlivet, 2004) continuent
de développer des méthodes à caractère publicitaire, faisant de l’attractivité présumée des
messages institutionnels et de leur diffusion via des médias de masse des instruments de
renouvellement de l’éducation à la santé et à la sécurité.
Dans les rapports préparatoires à l’élaboration du SID, la mission de coordination
des activités des différents ministères s’inscrit aussi, pour les hauts fonctionnaires de
Matignon, dans un processus de différenciation entre la diffusion d’information émanant
des services administratifs à l’attention des usagers – ce qu’on appelle alors « l’information
de service » (Ollivier-Yaniv, 2013a, 105) – et l’expression politique de ministres de plus en
plus médiatisés. Marceau Long, Secrétaire général du Gouvernement de 1975 à 1982 après
avoir été le dernier PDG de l’ORTF, s’emploie à faire du futur service d’information du
Premier ministre le garant du caractère dépolitisé de la communication institutionnelle des
ministères et par extension, du Gouvernement dans son ensemble (Long, 1975). Il s’agit
ainsi d’offrir aux citoyens une « information objective » (Aulagnon et Janicot, 1975, 316).
Il appartient donc au Service d’information et de diffusion (SID) créé en 1976, puis
au SIG à partir de 1996, d’élaborer les réglementations en vue de coordonner la commu-
nication des ministères. Le premier dispositif d’envergure concerne les campagnes avec
achat d’espace publicitaire. Il est désigné, encore aujourd’hui, sous le nom de « procédure
d’agrément ». Il s’agit d’obliger chaque ministère à informer les membres du département
des campagnes du SIG de tout projet de campagne de communication en vue d’obtenir
l’autorisation de déployer une procédure de marché public, afin de recruter un prestataire
de services. La procédure d’agrément permet à chaque ministère annonceur d’avoir accès
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au prestataire d’achat d’espace publicitaire sélectionné par le SIG et à ses tarifs préfé-
rentiels. En revanche l’absence d’agrément empêche le paiement des prestataires par les
contrôleurs financiers ministériels.
Comme pour toute réglementation, celle-ci gagne à être éclairée à partir de ses mésu-
sages, même si ceux-ci sont particulièrement délicats à objectiver. Dans les institutions
gouvernementales, personne n’a intérêt à reconnaître la méconnaissance, l’oubli ou le
contournement des règles établies par le SIG : pas plus ceux qui sont censés les appliquer
que ceux qui les instituent. De fait, il est arrivé que des acteurs extérieurs aux institutions
gouvernementales contribuent à l’application des règles établies par le SIG : constatant
qu’un appel d’offres était initié sans mention du service du Premier ministre, des prestataires
de service l’en informaient afin de vérifier les chances d’aboutir du marché.
Par ailleurs cette réglementation est loin de concerner l’ensemble des opérations
de communication ministérielle : elle ne porte que sur les campagnes faisant appel à de
l’achat d’espace publicitaire. Or ces campagnes ne concernent pas de manière équivalente
les ministères et les établissements thématiques sous tutelle ministérielle (Santé Publique
France, Institut national du cancer, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’éner-
gie…). Compte tenu de leur coût, elles sont dépendantes des budgets disponibles, lesquels
sont globalement en baisse depuis plusieurs années. Et il se trouve que les établissements
publics thématiques, pour lesquels la communication constitue un instrument de changement
des comportements individuels, ont beaucoup plus recours aux campagnes publicitaires
que les ministères : en 2012, les ministères consacraient seulement un tiers de leur budget
de communication à ces campagnes, contre 70 % pour les établissements thématiques 2.

2. Modernisation de l’action publique. Évaluation de la communication gouvernementale, 2013, Rapport


public du SIG.

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Une part importante de la communication institutionnelle des ministères échappe


donc à la procédure d’agrément. Cette lacune réglementaire a pris une ampleur particuliè-
rement importante avec le développement exponentiel des sites Internet, dès le début des
années 2000. À l’échelle du SIG, la problématique de la présence numérique de l’État est
tardivement saisie de manière procédurale : il faut attendre 2012 pour qu’une circulaire
du Premier ministre 3 institue une « charte de l’Internet de l’État » ainsi qu’une procédure
de demande d’agrément pour les projets numériques. Quelques années plus tôt, un rapport
portant sur la numérisation des relations avec les usagers de l’administration de l’État avait
mis en évidence une absence de cohérence entre des sites gouvernementaux foisonnants
et à la fréquentation très inégale (Riester, 2010).
Cette réglementation souffre également d’être cycliquement méconnue. Chaque alter-
nance politique, voire chaque remaniement ministériel, implique des changements parmi
les personnels des cabinets mais aussi souvent à la tête des services ou directions consacrés
à la communication. Encore aujourd’hui, chaque nouveau chef du Gouvernement signe
donc une circulaire afin de rappeler aux ministères la nécessité de s’assurer de l’agrément
du SIG. Une procédure analogue existe pour faire respecter la « charte graphique de la
communication gouvernementale ». Établie par une circulaire du Premier ministre de
1999 4 suite à son élaboration par le SIG, elle édicte les règles graphiques censées signifier
l’unité gouvernementale, notamment en associant systématiquement la Marianne 5 à tous
les intitulés ministériels. Elle fait l’objet d’un rappel par circulaire de chaque nouveau
chef de Gouvernement.
Aujourd’hui encore plus qu’il y a vingt ans, le degré de connaissance, mais encore
l’importance accordée à cette réglementation sont différenciés selon les positions et les
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caractéristiques des acteurs de la communication. Parmi les membres du SIG, les personnes
aux trajectoires ou aux positions proches des acteurs politiques ont tendance à considé-
rer la procédure d’agrément comme secondaire par rapport au pilotage politique de la
communication des ministères et des ministres, depuis le cabinet du Premier ministre et
en concertation avec le responsable du SIG. Pour les membres du SIG dont la trajectoire
est plus administrative et institutionnelle, les règles de coordination de la communication
sont considérées comme impératives et devant faire l’objet de rappels officiels réguliers.
On peut toutefois observer des positions plus tolérantes par rapport à l’application de la
réglementation (dans la procédure de sélection d’un prestataire de services, par exemple)
dans des cas où les acteurs ministériels sont considérés comme disposant de suffisamment
d’expérience et de professionnalisme pour se passer de la participation d’un membre du
SIG – comme par exemple dans le cas d’une importante délégation à la communication
travaillant pour plusieurs ministères. Réciproquement, des responsables de communication
ministérielle expérimentés, à la tête de structures importantes, affichent un relatif désintérêt,
parfois de la condescendance, par rapport aux procédures et aux personnes chargées de
définir et de faire appliquer la coordination procédurale.
Enfin il existe une composante de la communication qui n’est couverte par aucune
réglementation des pratiques sur la durée : il s’agit de la communication des ministres.
Considérée par les communicants institutionnels comme ne relevant pas de leur juri-
diction professionnelle et, de fait, largement fabriquée par les conseillers du cabinet, la

3. Circulaire no 5576, du 6 février 2012.


4. Circulaire du 24 septembre 1999 portant la « création d’une marque graphique commune à l’ensemble
des ministères ».
5. Le drapeau français, au centre duquel se trouve une Marianne de profil, est au-dessus de l’intitulé
« République française », lui-même surmonté des trois valeurs républicaines : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

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communication des ministres en général et leurs relations avec les journalistes en particulier
font l’objet de mécanismes de régulation politiques et variables : ces derniers dépendent
du volontarisme du Premier ministre et de l’organisation de son cabinet, mais aussi des
objectifs et des ressources politiques de chaque ministre.
Par exemple, lors du gouvernement de François Fillon (2007-2012), le SIG se trouve
chargé de fabriquer et de diffuser des argumentaires destinés à l’ensemble des ministres.
Cette pratique, communément désignée sous le nom d’« éléments de langage » par les
professionnels de la communication et par les journalistes dans leur activité de dévoilement
des coulisses de la politique, est significative d’une démarche d’unification des discours
ministériels et de coordination de ses acteurs. Dans un tout autre contexte politique et com-
municationnel, celui du gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002), les prises de parole
des ministres issus d’un parti politique autre que le PS (Dominique Voynet, pour les Verts)
ou ayant eu la responsabilité d’autres portefeuilles ministériels (Jean-Pierre Chevènement,
également leader du Mouvement des citoyens) apparaissent porteuses de divergences fortes
par rapport à d’autres ministres ou par rapport à l’épicentre que constituent les positions du
chef du Gouvernement. Ces ministres « pluriels » prennent en outre régulièrement position
sur des sujets qui ne relèvent pas de leur portefeuille. L’alliance de plusieurs partis de gauche
constitutive de ce gouvernement, favorablement qualifiée de « majorité plurielle » (Fiala et
Rennes, 2002), et les pratiques de coordination du cabinet, en interaction avec la direction
du SIG de l’époque ne suffisent donc pas à réguler les positionnements médiatiques des
ministres n’appartenant pas au parti politique du chef du Gouvernement.
Autrefois transgressée, la coordination procédurale se trouve aujourd’hui débordée
et contrecarrée par la numérisation et par la professionnalisation de la communication
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institutionnelle des ministères, la régulation de la communication des ministres demeurant
dépendante du cabinet.

L’AMBIVALENTE PROFESSIONNALISATION DES COMMUNICANTS

Les modalités réglementaires de la coordination de la communication des ministères


ont pour autre caractéristique de générer des interactions entre les membres du SIG et les
communicants sectoriels – en ministère ou en établissement public sous tutelle ministérielle.
La procédure d’agrément pour une campagne à caractère publicitaire induit par exemple
la participation de membres du SIG au processus de sélection d’un prestataire : ceux-ci se
positionnent alors comme des consultants internes au Gouvernement plutôt que comme
des contrôleurs des pratiques ministérielles. Cette analyse rend bien compte des chaînes
de coopération que constituent les coûteuses campagnes de communication avec achat
d’espace publicitaire, lesquelles associent des représentants du ministère, des prestataires
de services d’agences de communication ou de publicité, des représentants d’associations
d’usagers (pour les thématiques de santé ou de sécurité routière par exemple) ainsi que
des spécialistes des campagnes du SIG. La dimension procédurale de leur participation
tend à se trouver amoindrie, au profit d’une interaction professionnelle entre pairs plutôt
que sous la forme de rapports hiérarchiques, sauf en cas de contexte politique spécifique.
Ainsi au printemps 2006, un mouvement social lycéen et étudiant contre un nouveau type
de contrat de travail pour les moins de 26 ans (le « Contrat première embauche ») conduisit
le SIG, sur ordre de Matignon, à restreindre drastiquement le plan média d’une campagne
de lutte contre le tabagisme des adolescents et des jeunes adultes prévue de longue date
par le ministère de la santé et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé.

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Les caractéristiques des spécialistes de la communication dans les ministères, tout


comme leurs trajectoires professionnelles, restent à documenter par une enquête qui permet-
trait d’aller au-delà des quelques monographies existantes ou des enquêtes réalisées par les
principales associations professionnelles du secteur – Communication publique notamment.
De manière générale, plusieurs observations permettent de considérer que la profession-
nalisation des communicants est globalement montée en puissance dans les ministères. Les
métiers de la communication et de la médiatisation constituent un domaine fonctionnel du
Répertoire interministériel des métiers de l’État (RIME) sous la rubrique « Communication et
valorisation des organisations ». L’analyse des organigrammes des ministères et des agences
permet de mettre en évidence la présence de l’information et de la communication dans la
division du travail technique (Hughes, 1996). Les formations spécialisées en communication
institutionnelle ou en communication publique se sont développées dans les universités, dans
des instituts d’études politiques et dans certaines écoles privées (Ollivier-Yaniv, 2014). Enfin
dans un domaine sectoriel comme celui de la santé, l’analyse des trajectoires professionnelles
des communicants permet de formuler l’hypothèse de l’existence d’un « segment » (Strauss,
1992) de la communication publique sanitaire : nombreuses sont les carrières qui sont consti-
tuées d’une succession de positions spécialisées en communication dans des organisations
diversifiées et interdépendantes, à l’intérieur ou en dehors du système de santé (direction ou
délégation à la communication d’un ministère ou d’une agence de l’État, agence privée de
conseil en communication institutionnelle, mutuelle, société d’assurances…).
La professionnalisation de la communication et la consolidation d’une identité pro-
fessionnelle partagée, par l’institutionnalisation du nom de domaine de la « communication
publique », peuvent faciliter les relations entre communicants du SIG et communicants minis-
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tériels, conçus comme des pairs. Mais la capacité des membres du SIG à faire reconnaître leur
position de consultant interne dans les interactions avec les communicants sectoriels se trouve
du coup soumise à des exigences professionnelles plus importantes. L’époque où les membres
du département campagnes du SIG, forts de la maîtrise des rouages administratifs et d’une
expertise des outils et des pratiques médiatiques, se trouvaient le plus souvent en position
dominante dans les interactions avec les communicants ministériels, est globalement révolue.
Le positionnement du SIG comme partenaire professionnel est donc fortement dépen-
dant de sa composition et des compétences de ses membres. L’expertise en matière de
communication numérique (Internet puis réseaux sociaux) est un exemple emblématique
de ce phénomène au sens où elle est présente au sein du SIG de manière intermittente. Au
tout début des années 2000, le service initie et participe activement au développement de la
communication en ligne de Matignon et des ministères en y consacrant plusieurs emplois,
sous la responsabilité de l’un des premiers entrepreneurs du web politique français, proche
du Parti socialiste 6. Par la suite, le service continue d’animer les pratiques de communication
numériques avec une participation variable des ministères et ceci, pour différentes raisons. Les
outils numériques sont intégrés aux plans de communication et sont beaucoup moins coûteux
que l’achat d’espace publicitaire : ils n’impliquent donc pas une surveillance aussi importante.
Les usages des réseaux sociaux, tels qu’ils sont pratiqués par les spécialistes du community
management (Olivesi, 2016), ont longtemps été limités car ils entrent en contradiction avec les
principes et les pratiques de vérification et de validation de tout discours diffusé dans l’espace
public par une institution. C’est notamment ce que montre l’analyse des transformations du

6. Après cinq années au SIG, il fait partie des concepteurs de la campagne participative de Ségolène Royal
pour les primaires du Parti socialiste puis dirige sa première campagne numérique pour l’élection présidentielle.
À l’issue de l’élection, il fonde l’une des premières sociétés de conseil en participation politique numérique.

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travail ministériel dans des situations de controverses sur la santé (Ollivier-Yaniv, 2015). Avec
le déploiement des réseaux sociaux, le SIG recrute au début de la décennie 2010 un nouveau
responsable de la stratégie digitale et s’efforce d’animer les relations entre les spécialistes de
la veille dans les différents ministères : par des réunions régulières et par le partage en ligne
d’informations et de bonnes pratiques, le groupe connu sous le nom de « réseau interministériel
des veilleurs » apparaît caractéristique de la capacité du service à faire valoir son expertise
professionnelle dans les interactions avec des communicants ministériels.
Un processus analogue peut être repéré pour un autre « segment » des métiers de la
communication institutionnelle, à savoir la communication dite « de crise ». Dans la division
du travail des structures ministérielles consacrées à la communication, l’apparition de cette
spécialité date de la deuxième moitié des années 2000, notamment dans les ministères
ayant été confrontés à des crises sanitaires (Nollet, 2010). Un département spécifique est
créé au SIG en 2005, sous la direction, jusqu’en 2008, non pas d’un professionnel de la
communication mais d’un fonctionnaire, ayant une longue expérience de collaborateur
d’élu local, expérimenté en communication interministérielle en préfecture et ayant réalisé
une part importante de sa carrière au ministère de l’Intérieur 7. En collaboration avec une
agence privée de conseil en stratégie de communication alors spécialisée dans la « gestion
de crise », le SIG publie à La Documentation française un ouvrage sur ce sujet (Dupui-
Casteres et Dubos, 2007), lequel vient compléter la liste des manuels destinés aux praticiens
de la communication ministérielle (Ollivier-Yaniv, 2015).
Le positionnement des membres du SIG en tant que partenaires professionnels des
communicants ministériels s’est accentué au cours des années, pour devenir aujourd’hui
prédominant. Son appréciation et l’utilité qu’en retirent les communicants ministériels
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n’en restent pas moins subordonnées à leur position – plus ou moins technique ou plus
ou moins stratégique et décisionnaire –, ainsi qu’aux moyens et aux compétences dont
sont dotés les secteurs ministériels. Plus les postes occupés par les communicants sont
élevés dans la hiérarchie (moins ils sont techniques), et plus les moyens dont disposent le
ministère sont importants – dans les secteurs de la santé ou de la défense par exemple –,
plus les structures ministérielles de communication considèrent pouvoir se passer du SIG.
Ce phénomène constitue l’une des manifestations du processus de professionnalisation
des communicants ministériels, dans les institutions mais aussi dans les agences privées de
conseil. Il se lit également dans le développement des interactions et de l’interconnaissance entre
spécialistes d’un même métier (animation des réseaux sociaux, veille numérique, édition…) au
sein de ministères différents. Il s’agit là d’un travail d’animation de segments professionnels,
souvent à dominante technique et non interministérielle au sens strict du terme, les pratiques
de ces professionnels demeurant subordonnées aux choix communicationnels, fonctionnels
et politiques qui dépendent des décisions et de la culture leur ministère d’appartenance.

L’INVARIABLE POLITISATION DE LA COORDINATION


DES COMMUNICATIONS MINISTÉRIELLES

Enfin la proximité avec les acteurs politiques de Matignon demeure une composante
importante du travail de coordination de la communication des ministères. L’hypothèse
de l’appui du Premier ministre, comme « condition nécessaire à la reconnaissance du

7. À partir de 2008, il réintègre le ministère de l’Intérieur où il est chargé de la mise en place de l’unité
« communication de crise » dans le Centre Interministériel de Crise qui dépend du ministère et non du SIG.

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la communication gouvernementale, un ordre en négociation 677

service » (Ollivier-Yaniv, 2000, 254), ne s’est pas démentie au fil des années. Il en est de
même de l’attention prêtée par l’entourage politique du chef du Gouvernement au poste
de responsable du SIG.
La comparaison des chronologies des Premiers ministres et des chefs du service
depuis 1976 est à cet égard édifiante : à une exception près, chaque entrée en fonction
d’un chef de Gouvernement est suivie par le changement du responsable du SIG, qu’il y
ait une alternance partisane ou pas.

Tableau no1 : chronologies des Premiers ministres


et des responsables du SIG depuis 1976

Premier ministre Responsable du SIG


J. Chirac : 1974-1976 Henri Pigeat : février 1976 - 27 avril 1976
R. Barre : 1976-1981 Hubert Blanc : 28 avril 1976 - 18 mai 1978
Jacques Bille : 19 mai 1978 - 2 août 1981
P. Mauroy : 1981-1983 Jean-Cyril Spinetta : 3 août 1981 – décembre 1983
L. Fabius : 1984-1986 Joseph Daniel : janvier 1984 – mai 1986
J. Chirac : 1986-1988 Jean-Pierre Charverron : mai 1986 – avril 1987
Gérard Coste : avril 1987 – août 1988
M. Rocard : 1988-1991 Jean-Louis Missika : août 1988 – octobre 1991
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E. Cresson : 1991-1992 Jean-François Mary : octobre 1991 – mars 1993
P. Beregovoy : 1992-1993
E. Balladur : 1993-1995 Jean-Claude Halle : mai 1993 – novembre 1995
A. Juppé : 1995-1997 Alexandre Basdereff : novembre 1995 – juillet 1997
L. Jospin : 1997-2002 Bernard Candiard : juillet 1997 – août 2002
E. Raffarin : 2002-2005 Françoise Miquel : septembre 2002 – février 2005
D. de Villepin : 2005-2007 Vincent de Bernardi : février 2005 – septembre 2007
F. Fillon : 2007-2012 Thierry Saussez, avec le titre inédit de délégué à la
communication : avril 2008 – octobre 2010
Véronique Mély : avril 2011 – septembre 2012
J.-M. Ayrault : 2012-2014 Philippe Guibert : septembre 2012 – avril 2014
M. Valls : 2014-2016 Christian Gravel : avril 2014 – février 2017
B. Cazeneuve : 2016-2017 Virginie Christnacht : mars 2017 – juillet 2018
E. Philippe : depuis mai 2017 Michael Nathan : depuis octobre 2018

Même s’il existe une division du travail communicationnel et médiatique entre le cabinet
du Premier ministre et le SIG (le premier s’occupant des relations avec les journalistes, les
parlementaires et les représentants des parties prenantes tandis que le second est chargé
des questions plus institutionnelles et techniques), les membres des deux organisations

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678 caroline ollivier-yaniv

entretiennent des interactions dans lesquelles le responsable du SIG occupe une fonction
pivot, à bien des égards significative de la continuité – et non de la séparation – entre « com-
munication publique » et la « communication politique » en contexte d’exercice du pouvoir.
La collaboration avec les membres du cabinet du Premier ministre porte en partie sur les
activités de commande d’études et de sondages d’opinion, très dépendantes du politique.
Si certains membres du SIG s’attachent à justifier cette activité en explicitant la différence
entre les sondages commandés par le cabinet (plus politiques car relatifs aux membres du
Gouvernement) et ceux qui dépendent du SIG (qui ne porteraient que sur les politiques
publiques), la frontière n’en est pas moins régulièrement franchie et la transparence de
cette répartition, pointée comme insuffisante 8.
Les interactions entre la direction du SIG et les membres du cabinet contribuent égale-
ment à renforcer le caractère interministériel de la communication institutionnelle. Lorsque
les membres du SIG sont en désaccord avec un ministère sur un objectif de communication,
ou lorsqu’une décision gouvernementale est de nature interministérielle, l’existence d’une
telle proximité est une condition nécessaire – même si pas toujours suffisante – pour négo-
cier des collaborations entre ministères sur le plan de la communication institutionnelle.
Au regard de l’analyse des trajectoires professionnelles de ses occupants, la fonction
de responsable du SIG est aussi caractérisée par l’engagement politique. Le SIG a été dirigé
par des hauts fonctionnaires ou par des personnes ayant une carrière de professionnel de
la communication, en institution et en agences privées de conseil. Pour autant, les respon-
sables du SIG dont la trajectoire ne comprend pas des activités de collaborateur politique
(notamment de la personne devenue Premier ministre ou Président de la République), ou
de conseil en communication politique sont rares. Pour certains d’entre eux, l’expérience
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en tant que collaborateur politique, sur des fonctions de conseil stratégique, l’emporte
même sur les positions de professionnel de la communication.
Au SIG comme dans bien d’autres structures institutionnelles de communication,
« la porosité entre les dimensions communicationnelles et politiques est très forte pour
ce qui concerne les postes de direction et de conseil » (Aldrin et Ollivier-Yaniv, 2014,
28). Elle est significative de la dépendance politique des activités de communication
institutionnelle et de leur coordination.

*
* *
Au terme de cette réflexion, la fabrique d’un ensemble unifié à partir des communi-
cations de multiples ministères, secrétariats et agences de l’État ainsi que de leurs repré-
sentants politiques apparaît désormais reposer, par ordre d’importance, sur des modalités
professionnelle, politique et procédurale.
Les particularités des cultures administratives et professionnelles de ces organisa-
tions gouvernementales, liées aux domaines qu’elles administrent (la santé, la sécurité,
l’éducation, la justice…), souvent redoublées par les objectifs de visibilité des différents
ministres, entrent en contradiction avec les missions imparties au SIG. L’idée selon laquelle
on ne communique pas de la même manière lorsqu’il s’agit de santé, ou d’éducation, est
aussi un effet de l’antériorité et de l’ampleur des pratiques communicationnelles, qui vont
de pair avec des marchés publics plus ou moins importants et récurrents et par suite, avec

8. « Organisation et fonctionnement du service d’information du Gouvernement », rapport de la Cour des


comptes, septembre 2012.

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la communication gouvernementale, un ordre en négociation 679

une spécialisation plus ou moins affirmée dans le monde des agences privées de conseil.
Il en est ainsi du domaine de la santé : les multiples annonceurs institutionnels, la succes-
sion de crises sanitaires et, ou réputationnelles ont induit la structuration d’une sorte de
sous-marché de la communication institutionnelle et d’un segment professionnel. De tels
attributs sectoriels s’accommodent mal d’une coordination perçue comme trop généraliste
et dont l’apport professionnel est relativement négligeable. Dans bien des institutions du
système de santé, tout se passe comme si on pouvait se passer du SIG.
Par ailleurs, la constitution de collectifs métiers interministériels concerne essen-
tiellement les spécialistes de techniques ou d’outils de communication, dans le domaine
numérique notamment. Le caractère interministériel de ce type de réseau professionnel
se situe alors à une échelle opérationnelle et instrumentale, et plus rarement stratégique.
Quant aux acteurs en position de direction de la communication, ils sont pris dans des
logiques professionnelles contradictoires : tout en revendiquant une « licence » (Hughes,
1996) en matière de « communication publique » fondée sur les idéaux d’intérêt général et
de transparence, ils demeurent dépendants des décisions des acteurs politiques ministériels.
Les chaînes de coopération entre professionnels de la communication en ministère,
prestataires de service extérieurs, journalistes, collaborateurs politiques des cabinets et
membres du SIG sont ainsi fortement dépendantes de chaque culture sectorielle et du niveau
politique. La disciplinarisation des discours émanant des ministères est traversée par des
rapports de forces indexés sur des objectifs divergents – sectoriels ou tactiques – et sur
des ressources politiques, médiatiques et matérielles inégales d’un ministère à l’autre. La
« communication gouvernementale » apparaît donc un ordre en perpétuelle négociation, la
maîtrise de l’hétérogénéité ministérielle médiatique constituant un enjeu renouvelé pour
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chaque gouvernement.

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