Vous êtes sur la page 1sur 13

QUALITÉ FORMELLE ET QUALITÉ SUBSTANTIELLE DES DÉCISIONS DE

JUSTICE ADMINISTRATIVE

Clotilde Deffigier

Institut national du service public | « Revue française d'administration publique »

2016/3 N° 159 | pages 763 à 774


ISSN 0152-7401
DOI 10.3917/rfap.159.0763
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-
publique-2016-3-page-763.htm
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Institut national du service public.


© Institut national du service public. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


QualitÉ formelle et qualitÉ substantielle
des dÉcisions de justice administrative

Clotilde DEFFIGIER

Professeur de droit public, Université de Limoges


(Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques – omij)

Résumé
Se soucier de la qualité de la décision de justice conduit à s’interroger sur la manière dont elle
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
est rendue, dont elle peut être compréhensible ou non pour le justiciable. Cette recherche impose
de travailler à la qualité rédactionnelle de la décision rendue par la juridiction administrative ;
celle‑ci doit être claire et intelligible, sans pour autant être trop standardisée. La qualité substan‑
tielle mérite aussi d’être analysée : la décision doit être motivée, la solution expliquée, les réfé‑
rences explicites. Les 0juges doivent néanmoins travailler avec un matériau imparfait, les textes
n’étant pas toujours précis.

Mots‑clefs
Intelligibilité, justiciable, motivation, qualité formelle, qualité substantielle, standardisation

Abstract
– Formal quality and substantive quality in administrive justice systems – If we are concerned
about the quality of judicial decision‑making process, we should give thought to the way deci‑
sions are reached, including whether or not it is understandable for plaintiffs. It is thus neces‑
sary to examine how well decisions are drafted by administrative courts; they should be clear
and intelligible, without being too standardised. Substantive quality should also be considered,
for example reasons should be given for decisions, solutions explained and precise references
provided. Judges nevertheless have to work with imperfect material, with texts that are not
always clear.

Keywords
Intelligibility, plaintiff, motivation, formal quality, substantive quality, standardisation

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


764 clotilde deffigier

« De tout temps, le langage des juges, empreint d’une certaine sacralité, a paru her‑
métique aux yeux du profane ; on en a souvent dénoncé son caractère ésotérique, voire
impénétrable pour le grand public. Plus encore que les décisions des juridictions judi‑
ciaires, les décisions des juridictions administratives ont été, de cette façon, stigmati‑
sées » (Péano, 2011, 612). Une évolution a‑t‑elle eu lieu ? Le rapport Martin, remis au
Conseil d’État le 14 mai 2012 (Pauliat, 2012, 334 ; Malhière, 2012 ,9), a eu le mérite
d’accélérer la formalisation des réflexions sur la qualité de la décision des juridictions
administratives ; il est donc utile désormais de tenter d’apprécier les modifications for‑
melles et substantielles de la décision de justice administrative en termes d’amélioration
de sa qualité.
En effet, Jean‑Marc Sauvé, Vice‑Président du Conseil d’État, souligne que « la
position du juge dans notre société évolue : celui‑ci ne manque pas de s’interroger, sous
l’effet de chocs exogènes multiples, et, en particulier des interpellations de la société,
sur la façon dont peuvent être perçues ses décisions, sur leur intelligibilité et, au‑delà,
sur le rôle et même la légitimité qui sont les siens ». Il vise ainsi à améliorer la qualité
formelle, rédactionnelle, mais aussi la qualité substantielle, c’est‑à‑dire le contenu, les
propriétés mêmes de ses décisions et pas seulement au regard du critère de performance
et de l’indicateur 2‑1 du programme 165 de la LOLF (« Taux d’annulation des décisions
juridictionnelles »).
Le but est d’atteindre une certaine qualité, qui traduit une exigence de clarté, d’intel‑
ligibilité et d’accessibilité 1, de cohérence mais aussi de prévisibilité, synonyme de sécu‑
rité juridique. L’objectif est ici, comme le souligne le rapport Martin, de « faciliter autant
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
que possible la lecture de la décision et d’enrichir son contenu informatif sans rien céder
de la rigueur et de la précision du raisonnement du juge ni accroître la charge de travail
de ceux qui élaborent la décision ».
Sur le plan de la forme, une simplification a été opérée, la rédaction des décisions en
porte témoignage. Sur le plan plus substantiel du contenu de la décision de justice adminis‑
trative, des efforts ont été réalisés. Le résumé des requêtes, de la procédure, semble essen‑
tiel, comme la mention de la note en délibéré. Il a été proposé une suppression de l’analyse
des moyens dans les visas, un aménagement du raisonnement syllogistique (référence des
jurisprudences utilisées externes et internes, explication des solutions écartées, explicitation
de la portée et des motifs, justification de l’économie de moyens et du caractère inopérant
des moyens). La présentation des faits déterminants est valorisée. La motivation, élément
clef, source de pédagogie, de compréhension et d’adhésion, est aussi renforcée par volonté
d’explication (meilleure motivation de la qualification juridique des faits, motivation dif‑
férenciée en fonction de la nature du contentieux ou de la solution retenue, du niveau de
juridiction ou de l’importance du problème de droit en cause : arrêts de série, revirement,
décisions de rejet ou d’irrecevabilité). Du fait de la « refondation de l’office du juge », le
juge précise aussi les modalités d’exécution de ses décisions, il peut même expliciter ses
revirements de jurisprudence. Il justifie et explicite son interprétation des textes.
S’agit‑il de gain en qualité (attendue, ressentie, voulue) en termes de stabilité et de
prévisibilité des jugements, de qualité de la relation entre le juge et les parties, d’intelli‑
gibilité des décisions rendues, de possibilité d’obtenir l’exécution, éventuellement forcée,
des décisions (critères de qualité définis dès 2007 par J.‑M. Sauvé) ? Ses gains sont‑ils

1.  L’article 9 du code de justice administrative impose une motivation, le Conseil constitutionnel a consi‑
déré que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi devait être respecté par
le législateur (CC, 16 décembre 1999, n° 99‑421 DC, Loi portant habilitation du gouvernement à procéder par
ordonnances à l’adoption de certains codes, AJDA 2000. 31, note J.‑E. Schoettl).

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


qualité formelle et qualité substantielle des décisions de justice… 765

évaluables (enquêtes de satisfaction des justiciables ou gens de justice) ? Faut‑il s’inspirer


d’expériences étrangères 2?
Un premier bilan peut être tiré de ces évolutions ; ainsi si la qualité formelle per‑
met une lecture facilitée des décisions de justice, la recherche d’une qualité substan‑
tielle ne résout sans doute pas toutes les difficultés de compréhension de la décision par
le justiciable.

L’amÉlioration de la qualitÉ formelle : une lecture


facilitÉe des dÉcisions de justice

Lorsque l’on évoque la qualité formelle d’une décision de justice administrative, ce


sont avant tout la présentation, la rédaction de la décision qui sont étudiées. Mais inéluc‑
tablement l’on est amené à s’interroger sur la question de la simplification de la décision,
la simplification de sa structure. Ce sont donc deux problèmes différents qui sont posés
au juge, mais aussi et sans doute surtout deux éléments qui sont reçus distinctement par
le justiciable.

Une décision reformulée


© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
Comme le soulignait Olivier Le Bot : « s’interroger sur la rédaction des jugements
administratifs implique, en première analyse, de se demander comment ces décisions
sont écrites et comment elles sont lues » (Le Bot, 2010, 281), ce qui renvoie à la qualité
du point de vue du juge, puis du point de vue du justiciable. La manière dont une déci‑
sion juridictionnelle est formulée impose évidemment de conserver la rigueur du raison‑
nement juridique ; c’est un point qui a été largement évoqué par le rapport Martin du
Conseil d’État. Les propositions faites en ce domaine semblaient adaptées à une refor‑
mulation de la décision : ainsi était‑il proposé de remplacer la fameuse phrase unique et
ses multiples subordonnées par des phrases courtes, ponctuées de points, revenant ainsi
sur les traditionnels et historiques considérants 3 ; une présentation en paragraphes courts
pour renforcer la lisibilité de la décision était également préconisée, permettant ainsi de
se rapprocher du langage couramment employé par des non‑professionnels du droit. La
présentation graphique pouvait aussi être revue : citation des textes juridiques en italique,
suppression des majuscules au nom du requérant, différenciation des motifs de droit ou
des visas du texte de la décision ; la numérotation des paragraphes serait aussi susceptible
de réorganiser la présentation de la décision et de hiérarchiser les différents moyens,
pratique d’autant plus utile lorsque lesdits moyens apparaissent nombreux et parfois peu
clairs ; les termes désuets devraient être aussi évités pour ne plus donner à penser que
la justice administrative est hors du temps et surtout en dehors de la société actuelle 4.
L’accessibilité de la décision doit être privilégiée, sans perdre de vue que c’est également
au justiciable de se donner les moyens de la compréhension.

2.  Annexe 3 du Rapport du Conseil d’État de 2012, « Étude comparée de la rédaction des décisions des
juridictions étrangères », p 97.
3.  Proposition n° 14 du Rapport du Conseil d’État de 2012.
4.  Propositions n° 15 à 18 du Rapport du Conseil d’État de 2012.

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


766 clotilde deffigier

La présentation sous forme de considérants a finalement été conservée, alors même


qu’au niveau européen cette pratique reste marginale 5 et que le Conseil constitutionnel
vient de l’abandonner pour une simplification de la lecture des décisions et un approfon‑
dissement de la motivation 6, brûlant ainsi la politesse au Conseil d’État. De même le style
indirect est maintenu comme l’absence de mentions expresses dans les décisions des juris‑
prudences administratives pourtant éclairantes 7, sans doute pour éviter toute référence à
un précédent. Certaines des propositions ont néanmoins été retenues et rapidement mises
en application, devant les juridictions du fond comme devant le Conseil d’État ; on trouve
ainsi souvent, à la suite d’un rappel chronologique simplifié de la procédure suivie, la
formule « considérant ce qui suit » pour éviter un considérant unique et faciliter la lec‑
ture 8, méthode utilisée quel que soit le contentieux, y compris dans le domaine fiscal 9 ; la
décision est un peu conçue comme un « récit » et non comme une simple histoire (Doat,
2007, 396) et le « considérant ce qui suit » introduit, sans considérants ultérieurs, les
éléments du « drame » 10. De plus en plus souvent, les faits sont exposés, mais de manière
concise ; loin de nier leur importance, le juge les mentionne, mais comme l’élément qui
nécessite qu’il tranche et non comme la seule base de la mise en place d’un raisonnement
juridique 11. La conclusion de la décision, le dispositif, la « sentence » si l’on peut dire,
est isolée pour permettre aux parties d’identifier clairement la solution rendue par le juge.
Se pose alors une question relative à la longueur de la décision… Sans vouloir copier sur
les décisions des juges européens, qui se composent de dizaines de pages, les décisions
de la justice administrative avaient indéniablement une marge de progression ; les arrêts
rendus sont en général désormais plus développés, plus explicites (Larere, 2015, 107s).
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
Longueur ne signifie pas pour autant complexité, comme brièveté n’implique pas simpli‑
cité ou simplification…

Une décision standardisée ?

La décision du juge administratif, aux yeux de certains, apparaît donc sous une forme
quelque peu simplifiée. Un certain nombre de questions peuvent cependant se poser.

5.  Annexe 3 du Rapport du Conseil d’État de 2012, préc. p. 97.


6.  Communiqué du Président du Conseil constitutionnel du 10 mai 2015, deux décisions QPC rendues
publiques le 10 mai 2016 matérialisent le changement : n° 2016‑539 QPC et 2016‑540 QPC.
7.  Mention exceptionnelle dans les visas des jurisprudences Benjamin, Commune de Morsang‑sur‑Orge,
Mme Hoffman‑Glemane, CE ord., 9 janvier 2014, Ministre de l’intérieur contre Société Les Productions de la
Plume et M. Dieudonné M’Bala, n° 374508 (J.‑F. Lachaume et al., Droit administratif, Les grandes décisions
de la jurisprudence, PUF, Thémis, 16e ed., 2014, p. 320).
8.  Ainsi peut‑on citer à titre d’exemple la décision de la cour administrative d’appel de Paris du 12 mai
2016 (n° 14PA02356) à propos de la demande d’annulation de la décision du 8 août 2012 par laquelle le
directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris a confirmé la sanction d’avertissement prononcée le
21 juin 2012 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire sud francilien à l’encontre
d’un détenu ; la cour emploie la formule « considérant ce qui suit » avant d’aborder, dans les différents para‑
graphes suivants numérotés, les faits et les différents moyens.
9.  Voir par exemple CAA Bordeaux, 10 mai 2016, M. et Mme Labatut (n° 14BX01386) à propos d’une
décharge de supplément d’impôt sur le revenu auquel ils avaient été assujettis en 2007.
10.  Voir CAA Paris, 31 décembre 2015, Agence de la biomédecine, n° 15PA03398 : les deux premiers
paragraphes sont un rappel des faits, les paragraphes 3 et 4 rappellent les textes, le 5 les interprète au regard du
litige, le 6 est une conclusion partielle d’annulation, le 7 explicite le principe dévolutif de l’appel, les différents
moyens sont ensuite examinés,
11.  « On ne peut qu’être frappé, à la lecture des jugements, par la transformation des histoires effrayantes
en faits édulcorés. Telle est, nous semble‑t‑il, une des contraintes du juge qui n’est pas un simple spectateur mais
qui doit composer une intrigue épurée pour juger » (M. Doat, op. cit., p. 399).

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


qualité formelle et qualité substantielle des décisions de justice… 767

Le rapport Martin insistait sur le fait que les évolutions proposées par le groupe de
travail ne devaient pas alourdir la tâche des juridictions ; ainsi précisait‑il que « le groupe
s’est montré particulièrement vigilant à ce qu’une évolution des modes de rédaction ne
se traduise pas par une augmentation de la charge de travail du rapporteur et des autres
membres de la formation de jugement, tout en ayant bien conscience que toute améliora‑
tion nécessite, ne serait‑ce qu’initialement, un certain effort. Les propositions formulées
visent à poursuivre cette amélioration en en facilitant la mise en œuvre ». Le travail sur la
forme de la décision fait en effet intervenir plusieurs personnes ; la rédaction des décisions
est collégiale, et Olivier Le Bot soulignait les étapes de cette rédaction : le rapporteur, qui
établit un projet de décision ; le réviseur, qui supervise le travail et peut demander des
modifications ; lors de la séance d’instruction, des corrections peuvent encore être appor‑
tées ; le délibéré de la formation de jugement va se prononcer sur les projets proposés, le
projet définitif est soumis au président de la formation de jugement, une dernière relecture
est opérée par le greffier (Le Bot, 2010, 281 ; Genevois, 2007, 296). Il est important de
rappeler que la rédaction de la décision prend du temps : il serait donc incompréhensible
que l’amélioration de la rédaction ou de la présentation des décisions se traduise par un
accroissement du délai de jugement… Mais au‑delà de cet encadrement très formel, les
différents participants à la rédaction se fondent sur les moyens invoqués par les parties,
donc sur les écritures éventuelles des avocats. C’est ce matériau qui constitue le terreau de
la décision, et la multiplicité des intervenants peut être un obstacle à la forme renouvelée
de la décision. Cependant, les réflexions du groupe de travail du Conseil d’État trouvent
une limite dans le fait que n’ont pas été prises en compte la manière dont les conclusions
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
sont formulées, la manière dont les moyens sont présentés. Pour parvenir à une cohérence
globale de la forme de la décision et en permettre une évolution générale, n’était‑il pas
utile de simplifier ou, tout au moins, de revoir l’ensemble du processus qui conduit à la
rédaction de la décision, à savoir les écritures des parties, la manière dont les conclusions
des rapporteurs publics sont présentées, la manière enfin dont la décision est rédigée ?
Mais une autre difficulté peut se rencontrer : la recherche de la qualité formelle d’une
décision suppose que l’on dispose de standards, de repères pour l’apprécier et la mettre en
œuvre. Ainsi, s’agissant des décisions du Conseil d’État, « l’analyse détaillée d’une déci‑
sion […] révèle que celle‑ci est le plus souvent constituée par des « modules élémentaires »
qui, une fois adaptés et assemblés au cas d’espèce, forment un continuum cohérent »
(Rolin, 2007, 156). Et l’auteur de rappeler que des éléments essentiels servent de support
à la rédaction de la décision : le guide du rapporteur, qui « codifie strictement la manière
de répondre aux moyens les plus usuels et les techniques de rédaction de ces réponses » ;
ainsi que les décisions précédentes rendues sur des questions identiques ou voisines. Selon
F. Rolin, cette formalisation serait « poussée à l’extrême dans les affaires les plus simples »,
mais, plus les affaires sont complexes, « plus l’écart avec la norme de rédaction peut être
important ». Cette approche, donnée bien avant les propositions du groupe de travail du
Conseil d’État, met en évidence une question cruciale : la simplification voulue, souhaitée
de la rédaction des décisions n’entraîne‑t‑elle pas ou ne renforce‑t‑elle pas une évolution
vers une standardisation des réponses juridictionnelles aux requérants 12 ? Le recours à des
outils d’aide à la décision, mais aussi d’aide à la rédaction de la décision et l’encadrement
du processus rédactionnel se développent dans la logique managériale de la justice, admi‑
nistrative comme judiciaire. Il est donc utile de prêter attention à une trop grande standar‑

12.  Cette approche est largement dénoncée par des associations de magistrats : voir la contribution de
l’association MEDEL à la CEPEJ le 7 décembre 2011, Partager des concepts communs pour évaluer le fonc‑
tionnement des systèmes judiciaires.

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


768 clotilde deffigier

disation (Sayn, 2014), renforcée par l’usage du numérique mais aussi par le recours à des
applications particulières pour déposer des requêtes.
La présentation de la décision doit être accessible, elle ne doit pas pour autant être
un moyen de bouleverser la place de chacun à l’intérieur de la juridiction ; chaque déci‑
sion est unique et si la rédaction de chacune d’elle doit être cohérente avec les autres,
il est important pour le justiciable qu’elle conserve des caractéristiques propres, pour
qu’il soit certain que c’est bien son affaire qui a été jugée, que c’est une décision rendue
au cas d’espèce et non un « copié‑collé » d’une décision voisine portant sur des faits simi‑
laires. La qualité de la réception de la décision passe aussi par la réponse « personnelle »
ou personnalisée au litige.

L’amÉlioration de la qualitÉ substantielle :


une comprÉhension recherchÉe des dÉcisions de justice

L’amélioration formelle de la décision de justice est un premier pas ; la lisibilité est


censée renforcer la compréhension de la décision. Mais la substance même de la décision
est aussi un élément important, voire fondamental pour le justiciable. Le degré de com‑
préhension par les requérants a une influence directe sur la manière dont sera exécutée
la décision de justice. La qualité substantielle nécessite donc de porter une attention par‑
ticulière à la manière dont est exposé le raisonnement du juge ; mais ce dernier demeure
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
tributaire de la qualité des textes sur lesquels il se fonde pour trancher le litige.

Une attention particulière portée au raisonnement du juge

Les arrêts du Conseil d’État étaient considérés, à juste titre souvent, comme par‑
ticulièrement brefs et concis. On oppose parfois la « brièveté légendaire » des grands
arrêts dits intuitifs au « raisonnement long et motivé » des grands arrêts dits discursifs
ou de seconde génération (Deguergue, 2007, 254), les premiers apportant une nouveauté
et faisant œuvre créatrice en l’absence de textes, laissant ainsi libre cours au pouvoir
juridictionnel, les seconds limitant leur entreprise de création à l’interprétation de textes
complexes ou à la combinaison de normes de portées différentes. Une telle approche
impliquerait que le travail du juge évolue d’une manière quelque peu linéaire, la période
des grandes œuvres jurisprudentielles étant révolue, ce qui permettrait alors de passer
à une autre conception de la décision, à une autre manière de présenter et de résoudre
un litige. Une manière différente d’appréhender les choses se trouverait dans la conta‑
mination du raisonnement du juge par une logique gestionnaire et managériale : ainsi
F. Malhière soutient‑elle que, « aux recours qui leur sont transmis, les hautes juridictions
françaises s’efforcent généralement d’apporter une réponse aussi brève que possible. La
concision des motifs de leurs décisions répond elle‑même au souci d’une gestion juri‑
dictionnelle efficiente, qui recentre l’exigence de bonne administration de la justice sur
l’objectif économique d’efficacité » (Malhière, 2013, 269). La démarche managériale
pourrait donc condamner la qualité substantielle de la décision de justice 13 (Guettard,
2014, 9)… C’est sans doute aller trop loin.

13.  « La recherche pressante de ce qu’il faut bien appeler des gains de productivité est une incitation
permanente à sacrifier certains des critères qui font qu’une décision de justice est de bonne qualité ».

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


qualité formelle et qualité substantielle des décisions de justice… 769

Les observateurs et analystes des décisions de la juridiction administrative semblent


d’accord pour reconnaître l’amélioration de la qualité de leur motivation (Petit, 2013,
213) ; il est vrai que les « grands arrêts » étaient souvent peu diserts, que la solution était
donc plus affirmée qu’expliquée et que les requérants pouvaient légitimement s’interro‑
ger sur le sens même de la décision. Une référence scrupuleuse aux textes dans les visas,
une indication sur les moyens successivement invoqués par les requérants, introduisent
une clarté bienvenue dans le raisonnement du juge. L’effort majeur porte sur la motivation
des décisions rendues, en accord avec la conception européenne du procès équitable, la
Cour européenne des droits de l’homme liant exigence de motivation et qualité de la jus‑
tice 14 (Caire, Berthier, 2009, 677).
Certains arrêts ont largement remédié à cette imperfection substantielle ; le juge
explique de plus en plus et délaisse l’imperatoria brevitas 15 (de Béchillon, 2007, 475) ;
ainsi la doctrine se réfère‑t‑elle à la décision d’Assemblée rendue par le Conseil d’État le
11 mai 2004, Association AC ! Le juge ne disposait pas, jusqu’à cette décision, du pou‑
voir de moduler les effets dans le temps d’une décision d’annulation. Il s’octroie une telle
prérogative et explicite longuement sa logique, son sens et ses implications, dans une sub‑
division consacrée à l’office du juge. Le Conseil d’État pose d’abord le principe « l’annu‑
lation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais
intervenu ». Il expose ensuite les cas dans lesquels il est possible de déroger à ce prin‑
cipe : « s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des
conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits
et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets ». Puis il précise la méthode que
doit alors utiliser le juge pour faire jouer la dérogation : « il appartient au juge administra‑
tif – après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble
des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte
en cause – de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité
de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les
inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables
à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ». Enfin sont
envisagées les conséquences sur la décision : « il lui revient d’apprécier, en rapprochant
ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de
l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa
décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de
celle‑ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets
de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le
cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ».
Cette jurisprudence est loin d’être exceptionnelle ! De tels raisonnements détaillés se
retrouvent dans le contentieux des contrats : l’arrêt d’assemblée rendu par le Conseil
d’État le 28 décembre 2009, Commune de Béziers, évoque successivement les hypothèses
selon que les parties saisissent le juge de plein contentieux d’un litige tenant à la validité
du contrat ou selon qu’elles le saisissent d’un litige tenant à l’exécution du contrat qui

14.  CEDH, 13 janvier 2009, Taxquet c./ Belgique.


15.  M. Deguergue, op. cit. : « Il n’a échappé à aucun observateur que l’ancienne imperatoria brevitas
du juge administratif fait place souvent aujourd’hui à des raisonnements amplement motivés et explicatifs qui
développent l’interprétation des textes ou l’interprétation du silence du législateur ».

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


770 clotilde deffigier

les lie, tout en détaillant les pouvoirs du juge dans les deux cas 16. Le contentieux né de la
résiliation d’un contrat est également largement explicité par le juge 17.
Dans ces espèces, la démarche du juge évolue, puisque le considérant de principe
est mis en exergue avant même l’examen des données de l’espèce : les prérogatives du
juge sont ainsi définies et encadrées. L’exemple récent des pouvoirs du juge en matière de
contrôle de la légalité des sanctions disciplinaires infligées à des fonctionnaires en porte
témoignage : le cinquième considérant précise que « il appartient au juge de l’excès de
pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public
ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier
une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes 18 », le
contrôle est alors ensuite effectivement mené par le juge au regard des faits de l’espèce.
Il en est de même de la nature de certains actes pris en matière d’expropriation 19… On
pourrait multiplier les exemples. La volonté d’explication concerne donc tout à la fois
la méthode du juge (arrêts AC !, Béziers I), l’étendue de ce contrôle (arrêt Dahan) ou la
nature juridique des actes soumis, ou non, à son contrôle. La préoccupation d’explication
va plus loin : autant la jurisprudence sur les mesures d’ordre intérieur a paru fluctuante
pendant bon nombre d’années, autant depuis 1995 et surtout 2007 le juge a eu à cœur
de donner des éléments non seulement sur les caractéristiques de l’acte soumis à son
contrôle mais aussi sur les conditions que devraient remplir les actes pour pouvoir être
contrôlés, donnant ainsi, à l’avance, par un obiter dictum, les élément requis 20. L’exigence
de motivation est donc renforcée, tout comme l’est aussi l’exigence de prévisibilité de la
jurisprudence et donc de la solution rendue.
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
Cette évolution mérite d’être saluée tant les domaines concernés sont étendus. Il reste
cependant un point, qui rejoint l’interrogation initiale : si les décisions sont désormais
davantage détaillées (Teitgen‑Colly, 2015, 87), serait‑ce parce que le pouvoir créateur du
juge s’émousse au profit de son pouvoir d’interprétation? Le droit administratif ne serait
plus jurisprudentiel ; c’est ce qui justifierait que le raisonnement du juge soit présenté ou
construit différemment. Cette approche est peut‑être trop simpliste. Force est de consta‑
ter que, lorsque le juge met en œuvre une théorie jurisprudentielle, son raisonnement

16.  M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence admi‑
nistrative, Dalloz, 20e ed., n° 112, p. 868 ; J.‑F. Lachaume et al., op. cit., p. 513.
17.  CE, 1er octobre 2013, Société Espace Habitat Construction, n° 349099.
18.  CE, Ass., 13 novembre 2013, Dahan, Rec., p. 279 ; J.‑F. Lachaume et al., op. cit., p. 717.
19.  CE, 30 décembre 2013, Société immobilière d’économie mixte de la ville de Paris (n° 355556) :
« Considérant que l’acte par lequel une personne privée chargée d’une mission de service public et ayant reçu
délégation à cette fin en matière d’expropriation demande au préfet l’expropriation d’un immeuble pour cause
d’utilité publique traduit l’usage de prérogatives de puissance publique et constitue ainsi un acte administratif ».
20.  CE, Ass., 14 décembre 2007, Ministre de la justice c./ Boussouar : « Considérant que, pour déter‑
miner si une décision relative à un changement d’affectation d’un détenu d’un établissement pénitentiaire à
un autre constitue un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir, il y a lieu d’apprécier sa
nature et l’importance de ses effets sur la situation des détenus (…).Considérant qu’il résulte de l’ensemble
des dispositions législatives et réglementaires précitées que le régime de la détention en établissement pour
peines, qui constitue normalement le mode de détention des condamnés, se caractérise, par rapport aux maisons
d’arrêt, par des modalités d’incarcération différentes et, notamment, par l’organisation d’activités orientées vers
la réinsertion ultérieure des personnes concernées et la préparation de leur élargissement ; qu’ainsi, eu égard à
sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision de changement d’affectation
d’une maison centrale, établissement pour peines, à une maison d’arrêt constitue un acte administratif suscep‑
tible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et non une mesure d’ordre intérieur ; qu’il en va autre‑
ment des décisions d’affectation consécutives à une condamnation, des décisions de changement d’affectation
d’une maison d’arrêt à un établissement pour peines ainsi que des décisions de changement d’affectation entre
établissements de même nature, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux
des détenus ».

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


qualité formelle et qualité substantielle des décisions de justice… 771

demeure limité, voire abscons. Tel est le cas de l’exemple suivant : à la demande d’un
requérant tendant à l’annulation de la décision prise par le groupe français de la Cour
permanente d’arbitrage d’écarter sa candidature pour l’élection des juges à la Cour pénale
internationale, le Conseil d’État répond que « les actes contestés ne sont pas détachables
de la procédure d’élection des juges à la Cour pénale internationale par l’Assemblée des
États parties à la convention portant statut de cette juridiction internationale et échappent,
dès lors, à la compétence de la juridiction administrative française 21 ». On pourra toujours
objecter que cette réponse est faite à un juge, censé donc manier les remarques elliptiques
de la haute juridiction administrative française, mais ce serait réducteur ; la théorie des
actes de gouvernement, utilisée ici, n’est pas explicitée et l’incompétence de la juridiction
administrative est affirmée mais non expliquée ou justifiée.
Le juge ne s’expliquerait donc pas nécessairement lorsqu’il met en œuvre une
« théorie jurisprudentielle » (de Gliniasty, 2015), il se contenterait de l’appliquer, sup‑
posant ainsi celle‑ci connue. La théorie jurisprudentielle pourrait être identifiée comme
« un énoncé qui, construit a posteriori par touches successives, reflète les considérations
d’une société donnée à un moment donné » (de Gliniasty, 2015, 66). Elle permettrait
de constituer une « unité jurisprudentielle, autrement dit un véritable modèle normatif
à partir duquel pourront être justifiées de futures décisions » (de Gliniasty, 2015, 60).
Si la théorie s’applique à une espèce donnée 22, le juge ne donne pas de plus amples
explications. Si l’on prend alors l’exemple de la théorie de la connaissance acquise, le
juge formule la règle dans la décision, mais ne se réfère pas à un texte particulier dans la
décision : il rappelle la norme jurisprudentielle et l’applique au cas d’espèce : « l’auteur
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
d’un recours juridictionnel tendant à l’annulation d’une décision administrative doit être
réputé avoir eu connaissance de la décision qu’il attaque au plus tard à la date à laquelle il
a formé son recours ». Mais peut‑on exiger du juge qu’il indique précisément la référence
et l’utilisation de telle ou telle théorie ? La question n’a pas du tout été abordée dans le
rapport Martin du Conseil d’État ; il n’aurait pas été inintéressant de réfléchir à la manière
dont le juge formule sa solution lorsqu’il la fonde sur une théorie de cette nature ; faut‑il
constituer un corpus de théories, à la manière du glossaire du vocabulaire juridique auquel
se référait le rapport Martin ? Ce serait probablement brider la liberté du juge mais rendre
service au justiciable pour la bonne compréhension de la solution rendue (Barthélémy,
2015, 115).
Au‑delà de l’utilisation des théories, c’est le juge lui‑même qui définit souvent les
règles d’accès au prétoire : la définition de l’intérêt à agir a été largement construite par
le Conseil d’État ; c’est également lui qui détermine les tiers qui peuvent contester telle
ou telle décision en matière contractuelle. Si les critères et les principes ainsi posés sont
établis dans la décision, il n’en reste pas moins que la qualité de la décision souffre d’un
manque de prévisibilité et suscite de redoutables problèmes d’application du principe
dans le temps 23.
Enfin, les techniques mêmes du juge peuvent conduire le justiciable à s’interroger
sur la qualité de la décision rendue ; ainsi en est‑il du principe de l’économie des moyens :
le juge doit en principe répondre à l’ensemble des moyens non inopérants invoqués par

21.  CE, Sect., 28 mars 2014, de Baynast, n° 373064.


22.  J. de Gliniasty distingue une vingtaine de théories jurisprudentielles, parmi lesquelles la théorie du
bilan, celle de l’imprévision, celle de la connaissance acquise, celle de l’inexistence, celle de la voie de fait, des
circonstances exceptionnelles…
23.  Tel est le cas pour le principe posé par l’arrêt CE, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux
Signalisation, Rec., p. 360 ; RFDA, 2007, p. 696, concl. D. Casas.

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


772 clotilde deffigier

le requérant 24 ; cependant, si l’un des moyens invoqués suffit à lui donner satisfaction,
le juge est dispensé d’examiner l’ensemble des autres moyens (Seiller, Guyomar, 2012,
371). Le justiciable peut ainsi considérer qu’il n’a pas obtenu de réponse à ses diverses
interrogations, la décision se contentant d’indiquer « sans qu’il soit besoin de statuer
sur les autres moyens de la requête 25 ». On comprend que répondre à l’ensemble des
moyens soulevés par le requérant entraînerait un alourdissement du travail de la juridic‑
tion et serait probablement peu utile dans certains contentieux de masse. Peut‑être, alors,
serait‑il utile de différencier les divers contentieux, et généraliser l’exigence de réponse
à l’ensemble des moyens à d’autres domaines que celui du droit de l’urbanisme (Péano,
2011, 613). Ce serait sans doute apporter une réponse de meilleure qualité, plus compré‑
hensible et plus satisfaisante au requérant.
La qualité de la décision de justice est donc liée à la clarté et à la rigueur du raison‑
nement du juge ; mais celui‑ci demeure tributaire, pour trancher le litige, de la qualité des
textes sur lesquels il se fonde.

Une qualité substantielle dépendante du matériau juridique

La mauvaise qualité des textes, qu’il s’agisse de lois ou de décrets, sans parler des
circulaires est connue et régulièrement dénoncée par toutes les autorités juridiction‑
nelles. Cet aspect revêt cependant une importance particulière au regard de la qualité de
la décision juridictionnelle et de la solution rendue. Lorsqu’un texte est peu clair, voire
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
incompréhensible, comment le juge peut‑il fonder un raisonnement juridique rigoureux
et accessible pour parvenir à trancher ?
La décision rendue peut donc, parfois, apparaître très hermétique au requérant ;
comment peut‑il comprendre et donc accepter un raisonnement ainsi formulé : « contrai‑
rement à ce que soutient la requérante, les catégories de “ zone très tendue “ ou “ zone
tendue “, auxquelles l’article 2 du décret attaqué recourt pour moduler les plafonds qu’il
fixe, sont définies avec précision par les renvois qu’opère le II de l’article 1er du décret à
d’autres dispositions réglementaires ; qu’ainsi le moyen tiré de ce que les dispositions de
l’article 2 du décret attaqué méconnaîtraient l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté
et d’intelligibilité de la norme et le principe de sécurité juridique doit être écarté 26 » ?
Quelles sont les autres dispositions règlementaires en question ? Que dire encore de l’ar‑
rêt du 12 février 2016 27 qui tente d’interpréter avec difficulté l’article L. 2224‑2 du code
général des collectivités territoriales, qui, du fait de modifications par des textes succes‑
sifs et sans véritable cohérence, devient peu compréhensible ? Et l’on pourrait aussi faire
référence à l’arrêt Société éditions et protection route 28, qui refuse d’engager la respon‑
sabilité de l’État du fait du manque de clarté de l’article L. 321‑1‑3 du code du travail
alors en vigueur, qui a entraîné des divergences d’interprétation importantes entre juges
du fond et Cour de cassation ?

24.  Sauf en matière d’urbanisme.


25.  Ex : CE, 25 mars 2016, n° 386199, à propos d’un refus illégal d’un enseignant à la classe exception‑
nelle de professeur.
26.  CE, 16 mars 2016, SARL D. Degueldre Gestion, n° 384955.
27. Association « Avenir d’Alet « et Association « Collectif aletois gestion publique de l’eau »,
n° 375790.
28.  CE, 23 juillet 2014, n° 354365.

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


qualité formelle et qualité substantielle des décisions de justice… 773

C’est donc ici l’incertitude sur le sens ou sur l’interprétation à donner à un texte,
qui constitue la base juridique du raisonnement du juge, qui conduit à s’interroger sur
la qualité de la décision ou de la solution. Mais, contrairement à ce que relèvent certains
auteurs, le fait que le droit administratif soit de plus en plus un droit écrit, codifié ne
résout pas les difficultés. Ainsi le juge s’appuie‑t‑il sur le code général de la propriété
des personnes publiques pour trancher un litige en matière d’appartenance des biens au
domaine public, et en particulier sur l’article L. 2111‑1 29. Mais il interprète ce texte pour
en dégager une autre théorie, celle de la domanialité publique virtuelle : « Considérant
que, quand une personne publique a pris la décision d’affecter un bien qui lui appartient
à un service public et que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce
service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l’ensemble
des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs inter‑
venus, les contrats conclus, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une
dépendance du domaine public 30 ». Alors même que le droit de la domanialité publique
est largement codifié, le juge continue à dégager des principes pour trancher un litige :
« Considérant qu’il résulte des principes de la domanialité publique qu’une servitude
conventionnelle de droit privé constituée avant l’entrée en vigueur du code général de la
propriété des personnes publiques peut être maintenue sur une parcelle appartenant au
domaine public à la double condition d’avoir été consentie antérieurement à l’incorpo‑
ration de cette parcelle dans le domaine public, lorsque cette incorporation est elle aussi
antérieure à l’entrée en vigueur du code, et d’être compatible avec son affectation 31 ». Le
juge a également été amené à s’interroger sur la portée de l’entrée en vigueur du code
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
général de la propriété des personnes publiques, pour savoir à partir de quel moment les
critères requis par les dispositions devaient être appliqués à un bien 32.

*
* *
Des efforts importants ont été réalisés par les juridictions administratives pour renfor‑
cer la lisibilité et la compréhension des décisions rendues. La préoccupation pédagogique
transparaît clairement dans la démarche des juges. Les réflexions portent maintenant sur
l’utilité d’aller plus loin : expliquer encore davantage le raisonnement conduit sans doute
à inviter le requérant à comprendre le droit administratif dans son ensemble, les théories
jurisprudentielles, les techniques de contrôle, les principes généraux du droit… La ques‑
tion de la qualité de la décision nécessite alors de s’interroger sur l’objectif poursuivi
dans cette quête. Un code de contentieux administratif serait‑il désormais utile, à l’image
de ce que pratique l’Italie, mais intégrant alors un corpus de principes jurisprudentiels ?
Il s’agit sans doute d’une étape ultérieure des réflexions sur la qualité de la décision
de justice.

29.  « Le domaine public d’une personne publique (...) est constitué des biens lui appartenant qui sont soit
affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un
aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ».
30.  CE, 13 avril 2016, Commune de Baillargues, JCP‑A 2016, 2124, note P. Hansen.
31.  CE, 26 février 2016, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble « Le Mercure », n° 383935.
32.  Parmi une jurisprudence abondante, CE, 12 février 2016, Société Cathédrale d’images, n° 384228.

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774


774 clotilde deffigier

Références bibliographiques

Béchillon, Denys de (2007), « Comment légitimer l’office du juge ? » in L’office du juge, Les col‑
loques du Sénat, p. 475.
Barthélémy, Jean (2015), « Le regard du justiciable sur les décisions du juge administratif » in Les
figures du juge administratif, Teitgen‑Colly C. (dir), LGDJ, Grands Colloques p 115.
Gliniasty, Jeanne de (2015), Les théories jurisprudentielles en droit administratif, Thèse
Cergy‑Pontoise.
Caire, Anne.‑Blandine. et Berthier, Laurent (2009), « La motivation des décisions de justice et la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme », RFDA, p. 677.
Deguergue, Maryse (2007), « Déclin ou renouveau de la création des grands arrêts ? », RFDA,
p. 254.
Doat, Matthieu (2007), « Le jugement comme un récit », Actes du colloque du Sénat des 29 et
30 septembre 2006, L’office du juge, Les colloques du Sénat, p. 396.
Genevois, Bruno (2007), « Comment tranche‑t‑on au Conseil d’État ?, in L’office du juge, Les
colloques du Sénat, p. 296.
Guettard, Hervé (2014), « De la justice productiviste », Gaz. Pal., 11 janvier 2014, n° 11, p. 9. 
Lachaume, Jean‑François. et al. (2014), Droit administratif, Les grandes décisions de la jurispru‑
dence, PUF, Thémis, 16e ed.
© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)

© Institut national du service public | Téléchargé le 15/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.119.187.108)
Larere, Séverine (2015) « le renouveau de la rédaction des décisions du juge administratif » in Les
figures du juge administratif, Teitgen‑Colly C. (dir), LGDJ, Grands Colloques, p. 107.
Le Bot, Olivier (2010), « Rédaction des jugements et lisibilité des décisions du juge administratif »,
in La modernisation de la justice administrative en France, M. Paillet (dir.), Larcier, p. 281.
Long, Marceau. ; Weil, Prosper ; Braibant, Guy ; Delvolvé, Pierre ; Genevois, Bruno (2015), Les
grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 20e ed.
Malhière, Fanny (2012), « Rédaction des décisions de la juridiction administrative : le changement,
c’est maintenant ? », Gaz. Pal., n° 284‑285, p. 9.
Malhière, Fanny (2013), La brièveté des décisions de justice, Contribution à l’étude des représen‑
tations de la justice, Dalloz, Bibliothèque des thèses, 2013.
Pauliat, Hélène (2012), « Le rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions des juridic‑
tions administratives, une contribution essentielle à la qualité de la justice administrative »,
JCPA, n°21, act. 334.
Péano, Didier (2011), » Qualité et accessibilité des décisions des juridictions administratives »,
AJDA, p. 612.
Petit, Jacques (2013), « La motivation des décisions du juge administratif français », in La motiva‑
tion en droit public, Thèmes et commentaires, Dalloz, p. 213.
Rolin, Frédéric (2007), « La qualité des décisions du Conseil d’État », in La qualité des décisions
de justice, P. Mbongo (dir), Ed. du Conseil de l’Europe, Les études de la CEPEJ, n° 4, p. 153.
Sayn, Isabelle (2014), Le droit mis en barèmes, Dalloz, Thèmes et commentaires.
Seiller, Bertrand et Guyomar, Matthias (2012), Contentieux administratif, Dalloz Hypercours.
Teitgen‑Colly, Catherine (dir) (2015), Les figures du juge administratif, LGDJ, Grands Colloques.
Teitgen‑Colly, Catherine (2015), « La pédagogie dans la rédaction des décisions du juge adminis‑
tratif » in Les figures du juge administratif, LGDJ, Grands Colloques.

Revue française d’administration publique n° 159, 2016, p. 763-774

Vous aimerez peut-être aussi