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Guy Peters
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Guy PETERS
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À l’instar de ce qui s’est produit dans tous les systèmes politiques, l’appareil
administratif aux États-Unis a connu d’importantes réformes au cours des dernières
décennies 2. Cette période ne présente pas un caractère très original car les réformes s’y
sont avérées être plus régulières et plus incrémentielles que dans beaucoup d’autres pays.
Par exemple, le New Deal et la seconde guerre mondiale ont entraîné des modifications
profondes dans l’appareil administratif fédéral 3, modifications aussi bien suscitées par
les recommandations managérialistes de la Commission Hoover, elles-mêmes suivies de
l’adoption de la loi sur les procédures administratives 4, que par d’importantes réformes
du dispositif de la sécurité nationale après la guerre 5. Même la présidence Eisenhower,
pourtant considérée comme assez inactive 6, avait mis en œuvre des changements
importants dans le mode de fonctionnement du gouvernement fédéral, suivant en partie
les idées des différentes commissions qui avaient proposé des modifications de type
managérial.
Le principal argument de cet article repose sur l’idée selon laquelle les réformes
entreprises pendant les dernières décennies n’ont pas entraîné des changements signifi-
catifs de l’État, mais représentent plutôt une solution de continuité dans le cadre d’une
tradition bien établie de l’État aux États-Unis 7. Les États-Unis n’ont pas mis en œuvre
8. Cf. Aberbach (J.-D.) et Rockman (B.-A.), In the Web of Politics, Washington, DC, The Brookings
Institution, 2000.
9. Cf. Seidman (H.), Politics, Power and Position, New York, Oxford University Press, 5e éd., 1999.
10. Schulman (B.-J.), The Seventies : The Great Shift in American Culture, Society and Politics, New
York, Free Press, 2001.
11. Trattner (W.-I.), From Poor Law to Welfare State : A History of Social Welfare in America, New
York, Free Press, 1999.
12. L’on pourra objecter qu’il paraît difficile de l’affirmer, mais d’autres on pu avancer que l’État
américain est tout à fait puissant lorsqu’il désire l’être. La différence avec les États européens consiste en ce
que le gouvernement américain a rarement voulu exercer son pouvoir, au moins dans le domaine intérieur.
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les années soixante, mais pour beaucoup de citoyens la possible réduction de l’activité
fédérale en matière de soins de santé et d’autres programmes sociaux constitue une
menace pour l’avenir. Cela dit, cependant, l’administration Bush prend également des
initiatives régulatrices qui l’impliqueront plus directement dans des politiques qui
relevaient jusqu’alors de la responsabilité des États, des collectivités locales ou du
secteur privé.
Margaret Thatcher peut facilement être identifiée comme la source des réformes
administratives au Royaume-Uni, mais ses homologues (dans le temps comme sur le plan
idéologique) à Washington n’ont pas été en mesure de produire de la même manière des
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13. Cf. Savoie (D.-J.), Reagan, Thatcher, Mulroney : In Search of a New Bureaucracy, Pittsburgh,
University of Pittsburgh Press, 1994.
14. Benda (P.) and Levine (C.-H.), Reagan and the Bureaucracy : Bequest, Promise and Legacy », in :
Jones (C.-O.), The Reagan Legacy, Chatham, NJ, Chatham House, 1988.
15. Aberbach (J.-D.) et Rockman (B.-A.), op. cit.
16. Cf. pour une appréciation équilibrée, Hill (L.-B.), « Is American Bureaucracy an Immobilized
Gulliver or a Regenerate Phoenix ? », Administration and Society, n° 27, 1995, p. 322-360.
17. Aberbach (J.-D.) et Rockman (B.-A.), op. cit.
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18. Peterson (P.-E.) et Rom (M.), « Lower Taxes, More Spending and Budget Deficits », in : Jones (C.-
O.) (ed.), The Reagan Legacy, Chatham, NJ, Chatham House, 1988.
19. Sawhill (I.-V.), « Reaganomics in Retrospect », in : Palmer (J.-V.) (ed.), Perspectives on the Reagan
Years, Washington, DC, The Urban Institute, 1986.
20. L’administration Bush II s’engage dans un programme fiscal assez comparable, avec toutefois une
meilleure compréhension des conséquences que cela entraîne pour les programmes fédéraux (internes).
21. National Performance Review, « Creating a Government that Works Better and Costs Less » (The
Gore Report), Washington, DC, Government Printing Office, March 1993.
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22. DiIulio (J. J.), Deregulating Government, Washington, DC, The Brookings Institution, 1994.
23. Radin (B.-A.), « The Government Performance and Results Act (GPRA) : Hydra-Headed Monster or
Flexible Management Tool ? », Public Administration Review, n° 58, 1998, p. 307-316.
24. Dans la plupart des pays, ce rôle ne serait pas facilement accepté par le pouvoir législatif, mais le
Congrès s’est toujours perçu comme un partenaire égal avec le Président en matière de bonne gestion.
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Les réformes administratives des années quatre-vingt-dix peuvent être opposées aux
plus importantes initiatives politiques mises en œuvre pendant les années soixante et
soixante-dix. Les programmes de la « Grande Société » sous l’administration Johnson et,
par la suite certaines des réformes réalisées ou tout juste esquissées sous l’administration
Nixon, constituèrent une rupture avec le passé pour le gouvernement fédéral. Elles
modifièrent les tâches du gouvernement ainsi que son rôle dans la société et rapprochè-
rent les États-Unis des États-providence d’Europe. En outre, si certains projets de
l’administration Nixon avaient été mis en œuvre, ils auraient à la fois confirmé
l’apparition d’un État-providence et, de surcroît, auraient pu renforcer la branche
exécutive en la rendant encore plus « impériale » que ce qu’en disaient déjà ses critiques.
D’une certaine façon, l’ampleur des changements introduits par l’administration
Johnson peut difficilement être surestimée. Même si le New Deal avait ajouté un
programme élémentaire d’assurance sociale aux attributions du gouvernement américain,
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25. Cette idée a été « vendue » au Président Nixon par feu Daniel Patrick Moynihan, qui en était alors
le conseiller, Cf. Moynihan (D.-P.), The Politics of the Guaranteed Income : The Nixon Administration and the
Family Assistance Plan, New York, Random House, 1973.
26. Nathan (R.), The Plot That Failed : Nixon and the Administrative President, New York, Wiley, 1975.
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de l’après-guerre en Irak, l’usage (ou l’abus) des services de renseignements ayant mené
à cette guerre, et, de façon plus générale, la manière de traiter la fonction publique 29.
Le changement le plus important que l’on est en train de mettre en œuvre, bien
qu’en général de manière très furtive, consiste à supprimer la possibilité pour le
gouvernement fédéral d’être un acteur central de la politique intérieure en raison de la
réduction des impôts et de la croissance du déficit du budget fédéral. Les prétextes de ces
allégements fiscaux sont plus ou moins identiques à ceux invoqués sous Reagan, mais
s’ils produisent quelque effet, ce sera une baisse bien plus significative des ressources
publiques. Si on compare cette situation à celle de la présidence Clinton, on peut
remarquer que l’une des nombreuses ironies de la politique américaine fut qu’un
président démocrate, vilipendé par la droite politique comme un homme de gauche non
repenti, ait été capable d’éliminer, pendant son mandat, l’immense déficit fédéral qu’il
avait hérité de son prédécesseur « conservateur ». Autre ironie, les surplus créés par
l’administration Clinton ont été éliminés et remplacés par des déficits massifs pendant les
premières années de Bush II.
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29. Barr (S.), « Civil Service Reform in a Crossfire », Washington Post, May 25, 2003. Barr (S.),
« Whatever Merit Means, It Has Plenty of Support », Washington Post, June 1, 2003.
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droit de penser qu’elle avait été jusqu’à présent plutôt desservie par les arrangements
existants.
La description que l’on peut faire des changements effectués dans le gouvernement
américain par l’administration actuelle donne un nouvel exemple du cliché du verre à
moitié plein ou à moitié vide. D’un côté, un certain nombre de modifications ont réduit
la capacité du gouvernement fédéral à mettre en œuvre toute une gamme de programmes
relevant de la politique intérieure dont il avait accepté la responsabilité durant les
dernières décennies. Pour l’instant cette incapacité constitue seulement une conséquence
présumée des changements affectant la politique fiscale et de l’alourdissement des
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30. Hood (C.), James (O.), Peters (B.-G.) et Scott (C.), Regulating the Public Sector, Cheltenham,
Edward Elgar, à paraître.
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sont en fait exécutés par les appareils administratifs des États fédérés et des collectivités
locales. Ainsi, l’une des options pourrait être que le gouvernement fédéral devienne
davantage un État régulateur, comparable au style de gouvernement dont on a pu dire
qu’il caractérisait l’Union européenne.
L’intervention du gouvernement fédéral en matière d’éducation, mentionnée plus
haut, est importante en tant qu’il s’agit d’une implication dans un domaine où le
gouvernement fédéral n’a formellement que peu d’autorité ou d’activités directes. Alors
que le gouvernement se dégage de certaines politiques publiques il pourrait bien
intervenir plus activement dans d’autres. Toutefois, les interventions concernant les
écoles en défaut pourrait bien constituer un prétexte en vue d’étendre le principe des
vouchers dans le domaine de l’éducation ou bien de lancer une autre attaque contre le
secteur public en général, bien que les stratégies de ce genre soient potentiellement
dangereuses. Ayant choisi d’intervenir d’une certaine façon, il peut être difficile de
refuser d’intervenir dans l’avenir dans le même domaine pour d’autres objectifs. En effet,
étant donné que beaucoup de districts scolaires sont confrontés à d’immenses problèmes
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