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Alice Mazeaud
© Institut national du service public | Téléchargé le 13/02/2023 sur www.cairn.info via Campus Condorcet (IP: 193.48.187.1)
ISSN 0152-7401
DOI 10.3917/rfap.179.0107
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-
publique-2021-3-page-621.htm
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Alice MAZEAUD
Maîtresse de conférences en science politique, La Rochelle Université,
LIENSs (UMR 7266)
Résumé
Toutes les politiques l’affirment désormais : la transition écologique ne se fera pas sans les citoyen·nes.
Mais cette institutionnalisation de la participation citoyenne dans l’action publique environnementale
s’opère en trompe-l’œil : elle vise moins à renforcer la démocratie environnementale qu’à gouverner
la transition écologique par la responsabilisation et la mobilisation d’écocitoyen·nes. La participation
citoyenne suit une trajectoire de dépolitisation, elle se diffuse avant tout comme instrument de
l’État mobilisateur. Elle change alors de logique : il ne s’agit plus de participer à la discussion sur
les principes d’actions, mais de participer à l’exécution de l’action publique.
Mots-clefs
Participation citoyenne, transition écologique, écocitoyenneté, dépolitisation.
Abstract
— Governing the ecological transition rather than strengthening environmental democracy: a
deceptive institutionalisation of citizen participation – All policies now affirm it: the ecological
transition will not take place without the citizens. However, this institutionalization of citizen
participation in environmental public action is deceptive: it aims less at strengthening environmental
democracy than at governing the ecological transition through the empowerment and mobilization
of eco-citizens. Citizen participation follows a trajectory of depoliticization, it is being disseminated
above all as an instrument of the “mobilizing State”. It then changes its logic: it is no longer a
question of participating in the discussion of the principles of action, but of participating in the
execution of public action.
Keywords
Citizen participation, ecological transition, ecocitizenship, depoliticization
Convention citoyenne pour le climat, débat public sur l’agriculture, défis citoyens
« Famille à énergie positive », budget participatif pour la transition écologique, etc. : la
participation citoyenne est aujourd’hui un trait saillant de l’action publique environnemen-
tale. D’un côté, depuis les années 1990 le principe de participation du public est peu à peu
devenu une composante à part entière du droit de l’environnement et de l’aménagement.
Plus largement la participation citoyenne est érigée en enjeu prioritaire et incontournable
de l’action publique en matière de transition écologique. De l’autre, depuis deux décen-
nies, le tournant participatif de l’action publique s’est matérialisé par une augmentation
continue du nombre de dispositifs participatifs sur des sujets souvent en lien avec l’envi-
ronnement et le cadre de vie. Après s’être d’abord développé au niveau local, le thème
participatif a pris de l’ampleur au niveau national ces dernières années. En 2007 le Grenelle
de l’environnement a consacré le principe de la « gouvernance à cinq ». En 2019-2020, au
nom de la « double urgence démocratique et climatique », le Président de la République
a suscité l’organisation d’une Convention citoyenne pour le climat (CCC), rassemblant
150 citoyen·nes tiré·es au sort pour formuler des propositions pour diminuer les émissions
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de GES dans un esprit de justice sociale.
Sans entrer dans une analyse du processus lui-même, la CCC marque un changement
d’échelle : des citoyen·nes sont invité·es à participer à l’élaboration d’une politique nationale
de premier plan. Ce changement d’échelle pourrait être perçu comme la consécration, au
plus haut niveau, du principe de participation du public à l’action publique environne-
mentale, et partant de la « démocratie environnementale » 1. Mais cette vision mérite selon
nous d’être nuancée en replaçant la CCC dans l’histoire plus longue, et plus ordinaire, du
« participationnisme » de l’État environnemental. En poursuivant le travail de P. Aldrin
et N. Hubé (2016), qui définissent le participationnisme comme « la doctrine – qu’elle
se manifeste sous la forme d’une conviction, de programmes d’action concrets, d’ingé-
nieries sociotechniques ou de propositions théorico-éthiques – qui défend l’introduction
de procédures organisées de délibération, de participation et d’enrôlement d’acteurs non
institutionnels dans la production décisionnelle des exécutifs publics », nous brosserons
à grands traits la « doctrine » participative des acteurs publics, et en particulier de l’État,
dans le domaine de l’action publique environnementale 2. Ce secteur d’action publique est
sans aucun doute celui où l’institutionnalisation de la participation citoyenne est la plus
ancienne et la plus forte. Cela est notamment dû à la constitution progressive d’un droit de
la participation du public en matière environnementale, pour partie inspiré de la convention
d’Aarhus de 1998 et reconnu par la Constitution à travers la Charte de l’environnement
de 2005 3. Toutefois, le périmètre de la mise en œuvre des procédures et des processus
participatifs s’étend bien au-delà du périmètre de la participation du public aux décisions
environnementales. En particulier, au-delà du changement de vocabulaire, le passage de
l’environnement au développement durable, puis à la transition écologique, se caractérise
par la montée en puissance du thème de la participation des parties prenantes, de la société
civile et des citoyen·nes. Ainsi, de la participation du public aux projets d’aménagement au
1. La notion de démocratie environnementale peut être mobilisée dans un sens extensif – le principe
d’un gouvernement démocratique de l’action environnementale caractérisé par la possibilité offerte à tou·tes de
participer aux décisions – ou plus restrictif – les droits des citoyen·nes à l’information, et à la participation du
public constitutionnellement garantis. Nous utiliserons l’expression « participation du public » pour désigner la
participation des citoyen·nes dans le périmètre défini par la loi.
2. Dans la continuité de Aldrin et Hubé, l’État sera appréhendé dans un sens extensif : nous étudierons
l’État, ses services centraux et déconcentrés, ses établissements, mais également les collectivités territoriales.
3. Pour la chronologie des textes applicables en matière de participation du public, voir https://www.
debatpublic.fr/textes-applicables
soutien aux coopératives citoyennes d’énergie, c’est tout un continuum participatif qui se
constitue dans un mouvement d’institutionnalisation croisée de la participation citoyenne
et de la transition écologique. En effet, à l’image du New Public Management, la doctrine
de l’État en matière de participation citoyenne à l’action publique environnementale est
loin de former un tout homogène et cohérent, elle est davantage une praxéologie qu’une
idéologie : « un mélange d’idées, de croyances, de valeurs, de slogans et de récits de
politique publique venant en appui d’un répertoire pratique de recettes, de techniques et
d’instruments » (Eymeri-Douzans, 2010 cité par Cole, Eymeri-Douzans, 2010).
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la protection de la nature, conseils de gestion des parcs marins, commissions locales de
l’eau, commissions de suivi de site pour les Installations Classées pour la Protection de
l’Environnement, etc. Ils organisent la participation de la société civile à la gouvernance
des enjeux environnementaux et leur rôle oscille entre consultation et surveillance.
– Les dispositifs de la concertation réglementaire – enquête publique, débat public,
concertation – et volontaire – pour les projets ayant un impact sur l’environnement.
– Les dispositifs de participation à l’élaboration des politiques (des projets, plans
et programmes) qui s’adressent à la fois aux parties prenantes ou aux citoyens ordi-
naires : faire participer peut être obligatoire (pour les plans et programmes nationaux
tels que Programmation pluriannuelle de l’énergie, la PAC, etc.), prescrit (Agenda 21,
plans Climat, écoquartiers) ou volontaire (convention citoyenne pour le climat ; atelier
de co-construction du plan de mobilité, etc.).
– Les « défis citoyens » (défi famille à énergie positive) et « initiatives citoyennes »
(création de jardins partagés, zone de gratuité, AMAP, etc.) qui organisent la participation
d’individus et de collectifs à la mise en œuvre de l’action publique.
Ces différents dispositifs ont fait l’objet de nombreux travaux (pour des synthèses,
voir Barbier, Larrue, 2011 ; Mermet, Salles, 2015), en particulier dans le cadre de
programmes financés par le ministère de l’environnement (Programme concertation,
décision, environnement ; programme Cit’In « Expérimentations démocratiques pour
la transition écologique »).
4. Des travaux ont déjà documenté les années 1990-2000 (Ollivier-Trigalo, Piechazick 2001 ; Blatrix 2000).
sur une dizaine d’entretiens réalisés avec des acteurs de l’État et de ses établissements 5
dans le cadre d’une enquête en cours sur la participation au sein de l’État français, et des
observations ponctuelles réalisées au cours d’interventions dans le cadre de formations
à la participation citoyenne à destination de professionnels de l’environnement et de la
transition écologique.
Nous montrerons que si le tournant des années 1990-2000 a marqué la consécration
du principe de participation du public comme composante de la démocratie environne-
mentale, avec la reconnaissance de la CNDP comme autorité administrative indépendante
(AAI) en figure de proue (Blatrix et al., 2007), la décennie ouverte par le Grenelle de
l’environnement de 2007 est celle d’une institutionnalisation en trompe-l’œil. D’une part,
nous verrons dans un premier temps que le périmètre historique de la participation du
public aux décisions environnementales a été considérablement élargi, mais que la portée
décisionnelle des dispositifs n’a pas été approfondie ; au contraire les droits des citoyen·nes
ont dans ce domaine régressé. D’autre part, nous montrerons dans un second temps que la
participation citoyenne s’est diffusée bien au-delà de son périmètre initial. Elle est devenue
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une composante à part entière des politiques de transition écologique. Elle a acquis une
place dans les discours, les pratiques et les organigrammes des administrations dédiées à la
transition écologique. Mais contrairement à ce qu’une analyse en première lecture pourrait
laisser penser, cette institutionnalisation ne traduit pas un élargissement et un renforcement
de la démocratie environnementale. Elle s’inscrit dans un processus de dépolitisation des
questions environnementales et climatiques (Comby, 2015) et d’affirmation de la figure de
« l’État mobilisateur » (Lascoumes, Le Galès, 2005). Il ne s’agit pas de permettre à tou·tes
de participer à la construction des choix collectifs environnementaux, mais de gouverner la
transition écologique en recherchant la participation active des « publics » à des politiques
dont les orientations ne sont pas ouvertes à la discussion.
Selon les mots de Michel Prieur (1999), « la convention d’Aarhus sur l’accès à
l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice
en matière d’environnement n’est pas une nouvelle convention sur l’environnement, mais
une convention qui introduit la démocratie dans le processus de décision publique ». Par
application de cette convention, le principe de participation du public, et à travers lui
l’idée de démocratie environnementale, a été consacré dans le droit français par plusieurs
législations successives, et notamment la loi de 2002 consacrant la CNDP comme Autorité
Administrative Indépendante (AAI), et constitutionnellement garantie par l’article 7
de la Charte de l’environnement en 2005 selon lequel « toute personne a le droit, dans
les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à
l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des
décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». En réponse à cette consé-
cration d’un droit à participer, les maîtres d’ouvrage se sont organisés et professionnalisés.
5. Nous avons interrogé des agent.es en poste, ou anciennement en poste, en Dreal, au CGDD, au Cerema,
à la DITP, ainsi que la présidente et l’ancien président de la CNDP entre 2020 et 2021.
La concertation et le débat public sont désormais intégrés dans les routines de la conduite
des projets. À partir des années 2010, l’État confronté au regain de conflictualité contre
des projets d’aménagement, dont la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et l’épisode tragique
du barrage de Sivens sont les exemples les plus connus, a entamé un processus de réforme
des procédures du dialogue environnemental. Les ordonnances de 2016 portant réforme du
dialogue environnemental ont ainsi considérablement élargi le périmètre de la participation
du public, mais la portée décisionnelle des dispositifs n’a pas été approfondie. Au contraire,
certaines réformes ultérieures ont affaibli les droits des citoyen·nes en la matière et entravé
la démocratie environnementale.
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l’aménagement et de l’environnement constitue l’un des traits marquants de la période
(Mazeaud, Nonjon, 2018). Pour reprendre une formule déjà ancienne, mais plus que jamais
à propos : « le débat ne fait plus débat » (Dziedziecki, 2007), la participation du public a été
intégrée à la formation des ingénieurs et des managers de l’équipement (Gervais, 2007).
Même au sein de la Direction des routes qui fut longtemps désignée comme un adversaire
de la concertation, le guide d’instruction des projets consacre plus de vingt pages à la
concertation et encore dix autres à l’enquête publique : « Il est important, pour poser les
conditions d’une poursuite sereine des projets, de concerter et d’associer les acteurs du
territoire dès les phases les plus initiales des projets, quelle que soit leur taille » 6.
Les maîtres d’ouvrage ont intégré cette contrainte à leurs routines de gestion des projets
(calendrier, coûts). Au sein des établissements publics gestionnaires d’infrastructures (tels
que RTE, SNCF Réseau, le STIF), fréquemment confrontés au débat public et à la concer-
tation, ainsi qu’au sein des collectivités territoriales, des services dédiés à la concertation
ont été créés à partir du milieu des années 2000. Ainsi, pour prendre un exemple non
représentatif, mais illustratif de ce mouvement, SNCF Réseau (ex-RFF) a créé dès 2002
un pôle concertation. Dans les services opérationnels de l’État, et notamment au sein des
directions issues du ministère de l’équipement, il n’y a pas eu de processus de spécialisa-
tion administrative et de recrutement d’agents dédiés à la concertation et au débat public.
En effet, si la constitution de services dédiés à la participation au sein des administrations
publiques est un signe fort d’institutionnalisation, c’est la consolidation d’un « marché
de la participation » qui est le plus emblématique du processus de professionnalisation
(Mazeaud, Nonjon, 2018) 7, en particulier dans les domaines de l’environnement et de
l’aménagement qui composent l’essentiel du marché. Ces consultants, spécialisés dans le
domaine de la participation citoyenne, jouent depuis les années 1990 un rôle majeur, non
seulement dans la mise en œuvre, mais également dans l’élaboration et la codification des
« bonnes pratiques ». Ainsi, la première charte de la participation en 1996 avait été élaborée
avec le concours d’un cabinet pionnier dans l’accompagnement du débat public. Depuis
les années 2000, ce secteur s’est fortement structuré, avec des formations dédiées, des
associations et des réseaux professionnels (Décider ensemble ; Institut de la concertation
6. Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, Instruction technique relative aux
modalités d’élaboration des opérations d’investissement et de gestion, 2018.
7. Pour des éléments sur les processus de mise en administration de la participation et le fonctionnement
de ce marché, nous nous permettons de renvoyer à l’ouvrage précité.
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devenues particulièrement nombreuses conduisant à faire de la concertation une dimension
ordinaire de la conduite de ces projets.
Ce mouvement de standardisation de la participation citoyenne à l’action publique
environnementale a été consolidé par plusieurs lois qui, entre 2010 et 2016, sont interve-
nues pour renforcer les procédures de participation du public. Pour les pouvoirs publics,
il s’agissait autant de tirer toutes les conséquences de la convention d’Aarhus que de
répondre aux critiques sur les faiblesses de la concertation et au regain de conflictualité
sur les projets. Notamment, les ordonnances de 2016 portant réforme du dialogue environ-
nemental ont élargi le périmètre de la participation du public (débat public sur les plans
et programmes nationaux, droit d’initiative citoyenne, etc.) Ainsi, au cours des dernières
années, la CNDP a enregistré une forte augmentation de son activité avec un nombre de
saisines multipliées par 7 depuis 2016, et une forte hausse des concertations en dehors
du champ de saisine obligatoire (multiplié par 6 depuis 2016) motivées notamment par le
souhait des maîtres d’ouvrage d’éviter l’initiative citoyenne 9. Les ordonnances ont aussi
renforcé la professionnalisation de la participation, c’est-à-dire ici la construction et la
consolidation des savoirs et savoir-faire participatifs, à travers l’adoption d’une nouvelle
charte de la participation du public et, surtout, l’introduction de la figure du « garant de
la concertation ». Cette pratique du garant existe de longue date, mais sa reconnaissance
et sa systématisation dans les concertations ont considérablement fait évoluer leur statut
et leur rôle. Désormais, c’est la CNDP qui établit une liste de garants et les désigne pour
les différentes concertations. Lors du premier appel à candidatures, il était exigé que les
candidat·es aient validé un MOOC dédié à la réforme de 2016 pour candidater puis ils
bénéficiaient d’une formation. Lors du nouvel appel à candidatures en 2019, la CNDP
est venue préciser ses critères de recrutement et confirmer les attendus professionnels du
« garant » (notamment la connaissance des règles et méthodes de la concertation et débat
public). Par ces recrutements, la CNDP a constitué une base de plus de 250 garant·es dont
la variété des profils illustre, à elle seule, la diffusion du thème participatif : des chef·fes
de projets éoliens, des anciens commissaires enquêteurs, des consultant·es en participa-
tion ou en développement durable, des fonctionnaires d’État ou territoriaux retraité·es,
8. Le récent rachat par une entreprise d’ingénierie du cabinet spécialisé dans le débat public qui fut impliqué
dans la rédaction de la charte de la concertation en 1996 est tout à fait illustratif.
9. Rapport d’activité de la CNDP pour l’année 2019.
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dans le cadre de la concertation » (Michel, Dizedziecki 2017). Mais s’il doit garantir que
le public a pu participer à l’élaboration des décisions, il ne dispose d’aucun moyen pour
garantir que cette participation produise des effets sur la décision.
Si les travaux menés au début des années 2000 ont, à juste titre, souligné la rupture
que constituait l’introduction de ces « concessions procédurales » dans les processus d’amé-
nagement (Blatrix, 2000), il convient de rappeler que la création de ce droit à participer a
été toléré parce que la décision demeurait le monopole des élu·es et des maîtres d’ouvrage.
Notamment, la CNDP a été consacrée comme AAI par les parlementaires, à la condition
qu’elle ne rende pas d’avis sur le fond et donc qu’elle soit déconnectée de la décision 11.
La CNDP « ne décide pas, elle prépare à la décision. Cette participation à la préparation
n’est pas une participation à la prise de décision, et, au contraire de l’enquête publique,
dont le débat public est déconnecté, tout est fait dans l’organisation du débat pour que
cette séparation nette soit présente à l’esprit de tous » (Romi, 2007). Or, sur ce plan de la
portée décisionnelle de la participation, il n’y a eu aucune avancée juridique. Ainsi, que le
souligne la présidente de la CNDP, le droit de la participation du public est « un droit qui
est extrêmement formaté, riche et complet sur les procédures, mais très faible sur l’impact
de la participation, sur le lien entre participation et décision […]. C’est un peu comme
l’Europe, c’est-à-dire qu’on a élargi, élargi, élargi le champ de la participation, mais que
finalement on n’a pas approfondi sa portée juridique » 12.
La critique sur l’absence d’effets décisionnels de la participation est partagée par les
institutions (voir par exemple l’avis de la CNDP du 19 décembre 2019 sur les consultations
en ligne du ministère de la transition écologique) et plus encore par les associations et les
collectifs qui trouvent dans la faiblesse des procédures une raison d’opter pour des actions
plus contestataires (pensons par exemple au boycott du débat public sur l’enfouissement
10. CNDP. Notice de présentation jointe à l’appel à candidatures pour devenir garant de la concertation.
https://www.debatpublic.fr/devenez-garant. Consulté le 6 mai 2021.
11. Voir notamment le rapport de la commission des lois du Sénat lors des débats parlementaires de 2002.
https://www.senat.fr/rap/l01-156/l01-156_mono.html#toc374
12. Entretien, décembre 2020.
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cer les projets en obligeant le maître d’ouvrage à motiver sa décision (Bétaille, 2019).
La CNDP le revendique d’ailleurs en affirmant que la quasi-totalité des projets ont été
modifiés suite au débat public 14. Mais cette influence demeure soumise à la volonté du
maître d’ouvrage. Malgré cette limite majeure qui fait courir le risque à la participation
du public d’être privée d’utilité (pour les citoyen·nes), la « démocratie environnementale »,
entendue ici comme le droit de participer aux décisions en matière environnementale, est
régulièrement contestée par les autorités. Tout d’abord, soulignons que même si la CNDP
n’a pas d’autorité, son indépendance a motivé sa mise à l’écart de l’organisation de débats
dont les enjeux politiques étaient trop manifestes. Tel était le cas en 2004 lors du débat sur
l’eau (Rui, 2006), en 2007 lors du Grenelle de l’environnement où la CNDP était réduite
au statut de partie prenante, et plus récemment lors du Grand débat national quand la
CNDP a été écartée de l’organisation après avoir affirmé son indépendance 15, et tenue à
l’écart de l’organisation de la Convention citoyenne pour le climat confiée à un comité
de pilotage ad hoc. On pourrait arguer, pour chacun des quatre exemples précités, que les
dispositifs se situaient en dehors du périmètre d’intervention de la CNDP, à savoir celui de
la concertation et du débat public réglementaire. Un tel argument serait recevable si cette
mise à l’écart de la CNDP ne s’inscrivait pas dans un processus plus large de fragilisation
de la démocratie environnementale, et de reprise en main managériale de la participation
citoyenne 16. Ainsi, si l’absence de la CNDP dans l’organisation de la CCC a pu être justifiée
par l’ampleur du sujet et la volonté de marquer le caractère innovant, elle reflète aussi la
dimension « monarchique » du processus où tout, de l’initiative aux conclusions, dépend
de la volonté du Président de la République, marquant ainsi un recul de l’état de droit dans
le domaine de la participation des citoyen·nes à l’action publique environnementale 17.
13. Idem.
14. 88 projets modifiés sur 91. https://www.debatpublic.fr/sites/cndp.portail/files/documents/
cndp_democratie-envir_v2.pdf
15. Rappelons que la CNDP a publiquement insisté sur l’impossibilité d’entamer un débat en définissant
des lignes rouges et sur la nécessité de travailler les suites des propositions issues du débat.
16. Sans pouvoir le développer ici, soulignons que dans le même mouvement un centre de la participation
citoyenne a été créé par la Direction interministérielle à la transformation publique placée sous l’autorité du
Premier ministre.
17. Arnaud Gossement, « La convention citoyenne pour le climat est profondément monarchique »,
Reporterre, 5 février 2020.
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de l’efficacité et de la rapidité des projets, l’enquête publique, la procédure la plus ancienne
et élémentaire, est aujourd’hui vidée de sa substance à travers la promotion de procédure
d’enquête électronique et surtout la possibilité pour le préfet d’y déroger. On pourrait presque
s’étonner de l’intérêt du législateur à affaiblir une procédure déjà fortement limitée. Mais
il faut garder à l’esprit que c’est précisément parce que, contrairement à la concertation et
au débat public, l’enquête publique est juridiquement connectée à la décision, via l’avis
du commissaire enquêteur 18, que le législateur s’ingénie à la détricoter.
En effet, depuis de nombreuses années, les acteurs économiques font valoir que la
contestation des projets entrave le bon fonctionnement de la vie économique, et valorisent
la concertation comme instrument de production de l’acceptabilité sociale. Pourtant, on
l’a vu, les maîtres d’ouvrage publics et privés se sont adaptés, organisés, professionnalisés
pour intégrer cette contrainte nouvelle à leurs pratiques. L’organisation procédurale de la
participation du public s’est incontestablement améliorée. Mais s’il n’est pas certain que
la concertation soit toujours rentable pour les maîtres d’ouvrage, il est tout aussi évident
que la concertation n’est pas toujours favorable aux opposant·es, loin de là. Pour les asso-
ciations de protection de l’environnement, l’augmentation des offres de participation rend
la concertation toujours plus coûteuse pour un bénéfice limité (Blatrix, 2018). Malgré tout,
les acteurs économiques ont trouvé des relais au sein des autorités publiques. Dans la loi
ASAP de décembre 2020, la démocratie environnementale est subordonnée à l’impératif
d’efficacité de l’activité économique, « dès lors qu’elle est susceptible d’entraver le jeu
du marché et la marche de l’économie, la démocratie est perçue comme un obstacle »
(Blondiaux, 2021) 19. Dans ce contexte on pourrait s’étonner qu’en parallèle la participa-
tion citoyenne se renforce en dehors du périmètre réglementaire. Mais ce paradoxe n’est
qu’apparent. Par la promotion de la participation citoyenne, il ne s’agit pas tant de renforcer
la démocratie, au sens d’assurer une intervention effective des citoyen·nes dans le pro-
cessus de décision publique, que de rechercher des solutions pour gouverner la transition
écologique sans engager l’État dans une réforme du modèle économique.
18. À l’issue de l’enquête publique, le commissaire enquêteur rend un avis favorable ou défavorable, qui
a des conséquences sur la procédure d’approbation des opérations soumises à enquête publique. En cas d’avis
défavorable, certes rares, le maître d’ouvrage peut réitérer sa demande, mais il doit alors la motiver. Et un avis
défavorable augmente les chances de succès d’un recours devant le juge administratif.
19. Voir à ce sujet l’avis de la CNDP du 3 mars 2021 qui évoque une « régression » des droits.
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écologique et énergétique : la participation des citoyen·nes est avant tout un instrument
de gouvernement caractéristique d’une figure de l’État, centrale dans l’action publique
environnementale : « l’État mobilisateur » (Lascoumes, Le Galès, 2005) 20. La participation
change alors de logique : il ne s’agit plus de participer à la discussion sur les principes
d’actions, mais de participer à l’exécution de l’action publique.
L’une des originalités des politiques environnementales, depuis leur origine, tient à
la place qu’y occupent les associations. Non seulement les réseaux unissant militant·es et
fonctionnaires ont eu un rôle décisif dans la mise à l’agenda des problèmes environnemen-
taux et leur traduction en action publique (Spanou, 1991), mais les associations remplissent
également des missions de service public compensant la faiblesse des moyens du ministère
(Lascoumes, 1991). Avec l’institutionnalisation du développement durable, la participation
de la société civile à l’action publique environnementale a acquis une reconnaissance et une
visibilité nouvelle. Au niveau national, la « novation politique » (Boy, 2010) du Grenelle
de l’environnement de 2007 a matérialisé l’existence de partenaires de l’action environ-
nementale à travers la « gouvernance à cinq » réunissant l’État, les collectivités locales,
les organisations non gouvernementales, les employeurs et les salariés. Au niveau local,
les agendas 21, les plans climats qui sont les principaux instruments des projets territo-
riaux de développement durable, ou encore les écoquartiers, valorisent la mobilisation des
citoyens et des parties prenantes contribuant ainsi au développement d’offres de participa-
tion dans les territoires. À partir de 2012, la notion de « transition écologique » supplante
peu à peu à celle de développement durable. La consécration du terme de transition est
loin d’être neutre. Elle indique que les sociétés doivent se transformer pour s’adapter à la
crise écologique et tendre vers un développement durable, et dans le même temps que ce
20. Cette conception du rôle de l’État est formulée explicitement dans la stratégie nationale bas carbone
adoptée en 2015. « Pour réguler des émissions diffuses, l’intervention publique doit plutôt être conçue comme
“incitative” ou “responsabilisatrice”, faisant levier sur les acteurs privés, mais laissant à chacun sa liberté de
choix dans un cadre régulé et le responsabilisant aux conséquences de ses choix pour la société et les générations
futures. On oriente ainsi les comportements de consommation et d’investissement », p. 47.
changement doit être gouverné en impliquant toutes les « forces vives » de la société ; ce
que visait à souligner l’appel à la « mobilisation générale » lancée par la ministre lors de
l’adoption de la loi de transition énergétique pour la croissance verte en 2015. Ainsi, avec
la montée en puissance des enjeux de transition énergétique et écologique, ce ne sont plus
seulement les partenaires de l’action publique (les acteurs publics, acteurs économiques,
les associations) qui sont associés, mais les citoyens ordinaires qui sont invité. es à « passer
à l’action ». Peu à peu, le thème participatif s’élargit tant dans son périmètre (des projets
d’aménagement aux coopératives d’énergie citoyenne par exemple), que dans son public
(de la société civile aux profanes tiré·es au sort).
« Participation du public » au sein du Commissariat Général au Développement
Durable (CGDD), « mobilisation citoyenne et médias » au sein de l’Ademe, « Service
Mobilisation des citoyens pour la biodiversité » au sein d’une direction des acteurs et des
citoyens au sein de l’Office Français pour la Biodiversité, « Participation citoyenne » au
sein du Cerema : la structuration progressive d’un « service public de la participation » 21
au sein des administrations en charge de la transition écologique est emblématique de
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l’institutionnalisation croisée des impératifs participatifs et écologiques. Au sein des Dreal,
la participation citoyenne est peu visible dans les organigrammes. Néanmoins, pour les
agent·es en charge de la transition écologique et énergétique, la participation citoyenne est
devenue « un instrument d’appropriation de la transition écologique » 22. Ils ont développé
des compétences pour accompagner les porteurs de projets dans le respect des prescrip-
tions participatives des plans climat ou des écoquartiers : « On n’est pas des experts de la
participation, mais on a été sollicités par les acteurs qui voulaient savoir comment mettre
en œuvre les préconisations, alors on s’y est intéressé » 23. Au sein des Dreal, comme dans
les autres administrations la charte de la participation du public adoptée en 2016 a été un
« accélérateur » 24 de ce processus de professionnalisation. Dans son sillage, le CGDD a
créé un pôle participation et anime le réseau des adhérents de la charte de la participation
du public afin de promouvoir des pratiques vertueuses et respectueuses des principes de
la charte, et de structurer une communauté professionnelle en partenariat notamment avec
les Dreal et le Cerema. Le cas du Cerema est particulièrement significatif de ce processus.
Depuis la création de cet établissement en 2014, quelques agentes dans les directions
régionales menaient des actions en lien avec la participation citoyenne, mais cette mission
n’apparaissait ni dans les fiches de poste, ni dans les organigrammes. En 2019, le CGDD
a mandaté le Cerema pour la réalisation d’une enquête sur les expériences de participation
citoyenne afin de « capitaliser les bonnes pratiques en la matière, en lien avec les principes
et les valeurs de la charte de la participation du public ». Dans la continuité de ce travail, le
Cerema a engagé un travail d’identification des compétences et de structuration d’un pôle
dédié à la participation citoyenne. Il développe désormais une offre de services à destination
des agents de l’État et des collectivités territoriales, « adaptable à toute sorte de projets ou
processus participatifs, qu’ils soient volontaires ou réglementaires et quelle que soit leur
échelle territoriale » et intitulée « la boussole de la participation ». On comprend ainsi que
pour les services de l’État, il ne s’agit « pas de se positionner en concurrent sur le marché
21. Entretien chargée mission participation citoyenne au Cerema, avril 2021. Ce mouvement n’est pas
limité aux questions environnementales. Au contraire, au cours des dernières années, la participation citoyenne
a trouvé une place au sein de nombreuses administrations de l’État (DITP, Cerema, ANCT…) qui visent autant
à développer la « culture de la participation » au sein des administrations qu’à internaliser des compétences
détenues par les prestataires.
22. Entretien, agente de la transition écologique, Dreal, février 2020.
23. Entretien, agente de la transition écologique, Dreal, février 2020.
24. L’expression est utilisée en entretien par une agente de la Dreal et une agente du Cerema.
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La participation citoyenne et son double :
gouvernement des conduites écologiques et désengagement de l’État
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responsabilisation et l’initiative individuelle. » 29
Un rapport de l’Ademe le souligne d’ailleurs : « De manière plus générale, l’Agenda 21
et le PLU sont devenus des outils de conscientisation, utilisés comme des déclencheurs
d’une démarche accompagnatrice au changement vers des comportements plus vertueux » 30.
Les effets sur les comportements et les représentations des citoyen·nes de ces concertations
sont limités (Almaric, Bertrand, 2017) 31, mais cela montre que la prise de conscience des
citoyen·nes et la modification de leurs comportements ne sont plus envisagées comme un
bénéfice indirect de la participation démocratique 32 mais comme un objectif à part entière.
L’offre de participation citoyenne s’articule désormais à l’objectif de développement
d’une « écocitoyenneté ». Il ne s’agit plus simplement d’agir sur les consciences par des
campagnes d’information, mais bien de rechercher l’implication active des citoyen·nes à
travers des dispositifs participatifs comme les « défis citoyens » (famille à énergie positive,
zéro déchet…). Par exemple, l’objectif de la politique de mobilisation citoyenne de l’AFB
est de « créer une relation particulière entre les citoyens et l’AFB pour favoriser leur impli-
cation dans la gouvernance des politiques publiques de biodiversité et des comportements
favorables à la préservation de la biodiversité. D’autre part elle vise à contribuer à faire
émerger une dynamique d’engagement des citoyens en faveur de la biodiversité » 33. Ce
brouillage entre participation citoyenne et action sur les comportements est conforté par le
succès des sciences comportementales qui occupent désormais aujourd’hui une place de
choix dans l’arsenal de la « modernisation écologique » 34. Il traduit clairement le dépla-
cement de la participation de l’espace de l’élaboration des décisions à celui de l’exécution
des solutions : il ne s’agit pas de faire participer à la définition des politiques, et donc des
29. « Mobiliser la société civile en développant la concertation », Fiche ressources, Territoires & Climat.
https://www.territoires-climat.ademe.fr/ressource/530-172
30. Ademe, Réussir la planification et l’aménagement durable, 2013.
31. On le sait, seuls des processus participatifs très intenses, comme la CCC, sont susceptibles de produire
des effets durables sur les citoyen·nes.
32. Les effets d’apprentissage permis par la participation ont toujours été soulignés, mais ces effets indi-
viduels étaient considérés comme secondaires.
33. Offre d’emploi chef du département Mobilisation citoyenne, AFB, 2019.
34. Voir la publication récente, par la Direction interministérielle de la transformation publique, d’un guide
dédié aux apports des sciences comportementales pour la transition écologique. Pour une discussion critique du
« biais comportementaliste », voir Bergeron, Castel, Dubuisson Quellier (2018).
« bons » comportements, mais bien de faire participer en vue de l’adoption des comportements
préalablement définis comme « bons ». On observe ainsi un glissement d’une conception
politique de l’écocitoyenneté, qui reconnaît aux citoyen·nes l’expression d’une capacité
critique, à une conception dépolitisée qui promeut l’engagement et la responsabilisation 35,
tout en invisibilisant les déterminants sociaux de l’action individuelle (Comby, 2015).
En parallèle de ce mouvement, l’attrait des acteurs publics pour les « initiatives
citoyennes » mérite d’être souligné. À l’image du Cerema qui promeut le budget parti-
cipatif comme un « outil de valorisation et de stimulation des initiatives citoyennes » qui
« améliorent l’espace public », ou des multiples appels à projets locaux pour soutenir
des « projets participatifs et citoyens pour la transition énergétique », l’action citoyenne
est désormais identifiée comme « accélératrice de transition vers des modes de vie plus
durables » 36. Ainsi, le guide Initiatives citoyennes et transition écologique : quels enjeux
pour l’action publique ? publié en 2019 par le CGDD, indique que :
« Le repérage, l’appui, l’accompagnement à l’essaimage et au changement d’échelle
des initiatives locales de transition constituent aujourd’hui un enjeu et une opportu-
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nité d’évolution de l’action publique. En effet, beaucoup d’innovations citoyennes
dans les territoires tracent les chemins d’une transition écologique, sociale, écono-
mique et démocratique. Ces initiatives “qui marchent”, innovantes à leur échelle,
illustrent souvent des transformations des pratiques et des rapports sociaux, avec
les différentes formes d’intelligence collective qui les accompagnent. »
L’enthousiasme affiché par les rapports officiels pour ces initiatives citoyennes contraste
avec les retours d’expériences qui se révèlent beaucoup plus nuancés. Ces initiatives sont
en effet encastrées dans un cadre technique et économique qu’elles ne parviennent pas à
déconstruire. Ainsi, c’est un bilan sévère qui est dressé de la participation des citoyen·nes
à des projets d’énergie renouvelable en Alsace :
« Face à la technicisation d’un agir sur l’environnement, les référents et les savoirs
mobilisés par les habitants sont le plus souvent disqualifiés et ne trouvent guère de
résonance parmi les modalités d’actions normalisées et “légitimes”. On observe
ainsi un encastrement des enjeux environnementaux dans des intérêts économiques
et non la déconstruction de ces derniers à l’aune de principes écologiques. Une
transition “alternative” supposerait plus que l’affirmation du seul répertoire de la
participation citoyenne, fréquemment cadrée en même temps qu’elle est octroyée,
si l’on vise un nouvel ordre socio-économique et donc éthique et épistémique »
(Christen, Hamman, 2015).
Cette articulation des initiatives citoyennes à l’action publique est traversée de ten-
sions. Certes, grâce à l’intérêt des acteurs publics, les collectifs citoyens ont pu trouver
un soutien symbolique, financier et matériel pour la mise en œuvre de leurs actions, mais
il n’est pas certain qu’ils partagent les mêmes objectifs. Du côté des collectifs citoyens,
les motivations et les pratiques, bien que variables, sont à rechercher dans une logique
de « politisation du moindre geste » (Pruvost, 2015) : il s’agit souvent d’expérimenter des
alternatives au modèle capitaliste. Du côté des acteurs publics, l’intérêt exprimé pour ces
initiatives apparaît beaucoup plus ambigu. On peut y voir l’expression du militantisme
écologique d’agent·es qui au sein de l’État et des collectivités territoriales partagent cette
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L’institutionnalisation de la participation citoyenne est l’un des traits saillants de
l’action publique environnementale des deux dernières décennies. Toutes les politiques
l’affirment désormais : la transition écologique ne se fera pas sans les citoyens. L’offre de
participation a été considérablement renforcée et diversifiée, que ce soit dans le périmètre
réglementaire de la participation du public aux projets ayant un impact sur l’environnement
ou dans le cadre de l’élaboration des politiques de transition écologique et énergétique. Mais
cette institutionnalisation s’opère en trompe-l’œil. Si les procédures participatives ont pu
favoriser la critique publique des projets, le plus souvent elles n’élargissent pas les cercles
décisionnels – la décision demeurant le monopole des élu·es et des maîtres d’ouvrage – et ne
permettent pas la construction collective des choix de société. Surtout, les dernières années
ont été marquées par deux évolutions parallèles qui montrent que l’institutionnalisation
de la participation citoyenne est traversée de tensions : d’un côté, une régression du droit
de l’environnement et de la participation du public au nom de l’efficacité économique ; de
l’autre, la valorisation de la participation citoyenne à la transition écologique notamment
sous la forme renouvelée d’un soutien aux initiatives citoyennes. Mais dans ses tensions
et contradictions, qui sont aussi celles que vivent les agent·es en place, on observe bien un
déplacement de la « doctrine » participative de l’État environnemental vers une conception
dépolitisée de l’écocitoyenneté : la participation des citoyen·nes est encouragée dès lors
qu’elle ne contrarie pas l’activité économique et qu’elle ne conduit pas à politiser la question
écologique c’est-à-dire à mettre en discussion l’ordre politique, économique et social qui
conditionne les comportements. Lorsqu’elle vise à transformer les rapports de domination
et à bousculer l’ordre des priorités et la distribution des valeurs et des ressources, elle est
entravée. En ce sens, l’institutionnalisation de la participation citoyenne vise moins à
renforcer la démocratie environnementale qu’à gouverner la transition écologique par la
responsabilisation et la mobilisation d’écocitoyen·nes (Salles, 2009).
37. Cela serait à approfondir, mais on peut faire l’hypothèse que les déceptions des agents du ministère
de la transition écologique à l’égard des politiques menées et des moyens à leur disposition (Reporterre, 6 avril
2021 « Au ministère de l’écologie, les fonctionnaires souffrent et constatent leur impuissance »), les conduisent
à agir encore davantage comme des militant·es soutenant de l’intérieur des initiatives citoyennes.
38. Cela a été déjà abondamment commenté : les militant·es écologistes subissent de plus en plus de
répression.
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