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DROIT INTERNATIONAL
Ali Kairouani
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 23/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.249.152.242)
ISBN 9782807394070
DOI 10.3917/ride.343.0253
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-
economique-2020-3-page-253.htm
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Ali KAIROUANI 1
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« La frontière se réclame de la stabilité ;
les confins restent l’expression du mouvement » 2.
Résumé : L’analyse avancée dans cet article révèle le rôle normatif adjacent et
sous-jacent des sociétés transnationales en raison de leur inexistence statutaire
au sein de l’ordre juridique international. Leur participation active aux institu-
tions internationales par le développement d’une diplomatie autour des normes
contribue consécutivement à l’action normative de ces sociétés d’un point de
vue proactif et d’un point de vue réactif en droit international. L’irruption des
entreprises multinationales dans le processus normatif international reflète leur
pouvoir normatif en droit international et par rapport au droit international.
La nature juridique fuyante des entreprises multinationales et la normativité
fluctuante du corpus normatif international génèrent une instrumentalisation
privée des normes internationales, ce qui conduit à la transformation de ces
opérateurs économiques en opérateurs juridiques puisqu’ils concourent à la
diffusion du droit international.
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2.1 L’optimisation du droit international par les entreprises multinationales
2.1.1 L’ouverture du droit international aux règles marchandes
2.1.1.1 La codification internationale des normes privées
2.1.1.2 La privatisation de la justice internationale
2.1.2 La marchandisation du droit international
2.1.2.1 La pratique du dumping normatif
2.1.2.2 La pratique du pick and choose
2.2 La stimulation du droit international par les entreprises multinationales
2.2.1 L’inflexion structurelle des normes internationales
2.2.1.1 Le soft power normatif des entreprises multinationales
2.2.1.2 L’ubiquité normative des entreprises multinationales
2.2.2 La dissémination substantielle des normes internationales
2.2.2.1 La translation normative
2.2.2.2 La réalisation normative
3. Chr. Chavagneux, M. Louis, Le pouvoir des multinationales, Paris, PUF, 2018, p. 7. Thibaut
Le Texier met en avant l’idée de fantôme juridique en présentant la réglementation qui en-
toure les entreprises multinationales. Cette idée est fort discutable en raison de la présence,
dans différents systèmes juridiques nationaux, de la théorie de la personne morale de droit
privé qui est à l’origine de l’ubiquité des activités commerciales des entreprises multinatio-
nales grâce au dédoublement de cette dernière.
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L’entreprise multinationale trouve une définition plus ou moins complète
notamment dans deux textes distincts en droit international. Le premier est celui
de la Déclaration de principes tripartite de l’Organisation internationale du tra-
vail et le second celui des principes directeurs de l’Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE). La Déclaration de principes tripar-
tite dispose que « les entreprises multinationales comprennent des entreprises,
que leur capital soit public, mixte ou privé, qui possèdent ou contrôlent la pro-
duction, la distribution, les services et autres moyens en dehors du pays où elles
ont leur siège. Le degré d’autonomie de chaque entité par rapport aux autres au
sein des entreprises multinationales est très variable d’une entreprise à l’autre,
selon la nature des liens qui unissent ces entités et leur domaine d’activité et
compte tenu de la grande diversité en matière de forme de propriété, de taille, de
nature des activités des entreprises en question et des lieux où elles opèrent » 4.
Les principes directeurs de l’OCDE, et contrairement au code de conduite des
sociétés transnationales, définissent ces dernières afin de mieux les identifier, en
rappelant qu’« il s’agit généralement d’entreprises ou d’autres entités établies
dans plusieurs pays et liées de telle façon qu’elles peuvent coordonner leurs
activités de diverses manières. Une ou plusieurs de ces entités peuvent être en
mesure d’exercer une grande influence sur les activités des autres, mais leur
degré d’autonomie au sein de l’entreprise peut être très variable d’une multina-
tionale à l’autre. Leur actionnaire peut être privé, public ou mixte » 5. Si l’on se
réfère à l’expérience du Codex Alimentarius conjointement menée par l’OMS
et la FAO ou bien aux sentences arbitrales transnationales du CIRDI ou de
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opération logique est d’appréhender ce pouvoir normatif dans une perspective
non compartimentée et complémentaire du droit international.
À cet effet, il semble possible d’évoquer un pouvoir normatif adjacent
des entreprises multinationales au droit international lorsqu’elles exercent
une forme de diplomatie normative qui va leur permettre de réaliser certaines
actions normatives. Cette diplomatie normative semble se dessiner sous deux
angles, institutionnel et économique.
La première forme se révèle au travers du développement des partenariats
directs ou indirects entre les organisations internationales, à l’instar de l’ONU, et
les entreprises multinationales pour l’élaboration de certaines normes à l’image
du Codex Alimentarius, de certains standards ou des normes techniques.
La seconde forme se réalise par la conclusion d’une multitude de contrats
transnationaux avec les États dans le but d’investir ou de vendre leurs biens.
Les entreprises multinationales peuvent ainsi participer directement ou indi-
rectement par le biais des organisations professionnelles – comme la Chambre
de commerce internationale (CCI) – à la prise de décisions au sein des insti-
tutions internationales à vocation économique ou technique, et indirectement
par leur contribution à l’élaboration et à l’affermissement des normes transna-
tionales indispensables dans le cadre des régimes juridiques spéciaux du droit
international, particulièrement économique. Dès lors, la diplomatie normative
constitue le point de départ de toutes leurs actions normatives au sein de l’ordre
6. A.-B. Claire, Les nouveaux pouvoirs. Approche pluraliste des nouveaux foyers de création
du droit, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 6.
7. G. Scelle, Précis de droit des gens, Paris, Éditions du CNRS, 1984, pp. 14-17.
8. O. Beaud, « La multiplication des pouvoirs », Pouvoirs 2012/4, n° 143, p. 54 ; G. Ripert,
Les forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 1955, pp. 74-75.
9. J.-Ph. Robe, Le temps du monde de l’entreprise, Paris, Dalloz, 2015, p. 109.
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dans lequel le droit dur coexiste avec le droit souple, et a permis aux entre-
prises multinationales de s’infiltrer dans le processus normatif international 11.
Les entreprises multinationales bénéficient de cette réalité juridique pour déve-
lopper un pouvoir normatif sous-jacent en droit international. Elles contribuent
activement à l’optimisation du droit international en introduisant des normes
marchandes et en exacerbant la marchandisation des normes internationales.
L’ouverture du droit international aux normes marchandes s’explique par la
volonté de compléter, voire de combler, les manques ou la relativité juridique
de certains des aspects du droit international, qui demeurent généraux et non
spécifiques à des situations nécessitant la mise en œuvre de normes techniques.
Cet élargissement du droit international a eu un effet direct sur les destinataires
ou les bénéficiaires de ce droit étant donné que les multinationales en sont elles-
mêmes devenues bénéficiaires, avec le droit de recourir à l’arbitrage unilatéral
d’investissement, qui s’apparente aux principes des droits de la défense. La
justice privée, incarnée par l’arbitrage, devient un outil décisif entre les mains
des sociétés transnationales pour dessiner un nouvel ordre juridique au sein
du droit international. À côté de cette optimisation du droit international, les
firmes réseaux participent à la normalisation du droit international en adaptant
sa texture et en diffusant largement sa substance. En effet, ces entreprises for-
ment un réseau de filiales qui appliquent et relaient leurs règles afin de diffuser
le plus largement possible certains des principes juridiques qu’elles défendent.
Les entreprises multinationales ont su développer une due diligence ou un audit
normatif propre à leur champ d’intervention au sein du droit international, qui
10. M. Merle, « Un imbroglio juridique : le statut des OING, entre le droit international et les
droits nationaux », in L’internationalité dans les institutions et le droit, Études offertes à
Alain Plantey, Paris, Pedone, 1995, pp. 341-342.
11. P. Mercial, Les entreprises multinationales en droit international, Bruxelles, Bruylant, 1993,
pp. 135-148.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 258
se traduit par les droits dont elles disposent et la protection dont elles béné-
ficient par le biais du droit international. En effet, le transfert de la normati-
vité vers les entreprises multinationales est une donnée contemporaine en droit
international 12. Autrement dit, la grande influence des entreprises multinatio-
nales résulte du fait qu’elles sont devenues des acteurs incontournables dans
la vie économique internationale, malgré l’absence de personnalité juridique
internationale, défaut qui leur permet d’échapper éventuellement à des pour-
suites judiciaires et d’engager leur responsabilité internationale. Toutefois, les
évolutions récentes démontrent que les multinationales ont des obligations
internationales, particulièrement dans le cadre des traités bilatéraux d’investis-
sement de seconde génération au travers des clauses de responsabilité sociale
des entreprises. Cette personnalité juridique implicite de l’entreprise multina-
tionale peut devenir explicite en raison des normes individuelles internationales
produites par ces entreprises et dont elles sont parfois les destinataires. En défi-
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nitive, il sera d’abord question de mettre en lumière le déploiement du pouvoir
normatif adjacent monovalent au droit international (démarche constructive)
des entreprises multinationales, en expliquant l’importance de la diplomatie
normative qui constitue la base des actions normatives de ces acteurs écono-
miques transnationaux (1). Cette analyse conduira à dévoiler l’existence d’un
pouvoir normatif sous-jacent ambivalent (démarche disruptive) des entreprises
multinationales au sein de l’ordre juridique international, consistant à optimiser
et à moduler le droit international (2).
12. G. Farjat, « Les pouvoirs privés économiques », in Souveraineté étatique et marchés inter-
nationaux à la fin du 20ème siècle, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Travaux du
Credimi, vol. 20, Paris, Litec, 2000, pp. 613-617.
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permettant de participer au processus normatif international.
13. P.-M. Dupuy, Droit international public, Paris, Dalloz, 1992, p. 264. La notion de diplomatie
normative renvoie aux écrits de Pierre-Marie Dupuy lorsqu’il évoque cette pression répétitive
du nombre, qui finit par mettre sur la défensive des États désireux de contrôler leurs enga-
gements. S’agissant des multinationales, leur diplomatie normative est davantage axée sur
l’influence qu’elles peuvent avoir au sein du processus normatif multilatéral soit par le biais
de leur participation directe et les propositions qu’elles sont invitées à émettre, soit par le biais
de leur participation indirecte via les associations professionnelles qui défendent leurs intérêts
par des projets de normes ou par l’appui de leurs États à certains de leurs projets normatifs.
14. M. Louis, « La diplomatie sociale des entreprises multinationales », in Chr. Chavagneux,
M. Louis, Le pouvoir des multinationales, op. cit., p. 79.
15. Note du secrétaire général des Nations Unies, « Les partenariats entre les Nations Unies et le
secteur privé dans le contexte du programme de développement durable à l’horizon 2030 »,
A/73/186/Add.1, 73e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, 19 juillet 2018,
p. 11.
16. M. Chemilier-Gendreau, « L’entreprise est-elle soumise aux règles de droit international ? »,
in A. Supiot (dir.), L’entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et
juridiques, Paris, Dalloz, 2015, pp. 94-96.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 260
grâce aux droits et à de rares obligations que ces entreprises peuvent parti-
ciper activement ou passivement au processus normatif international. Il faut
rappeler que le Pacte mondial, au travers de ses dix principes, s’inscrit dans
la continuité du code de conduite élaboré à l’intention des sociétés transnatio-
nales sous l’égide des Nations Unies 17. Plusieurs organisations internationales
du système des Nations Unies disposent d’accords de coopération sectorielle
avec les entreprises multinationales. L’aspect protéiforme des instruments de
coopération entre les Nations Unies et les entreprises multinationales semble
important et ne doit pas porter atteinte aux intérêts de l’ONU 18. À juste titre,
la collaboration entre l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des
Nations Unies et le secteur privé, y compris les entreprises multinationales,
se présente sous trois formes : « les mémorandums d’accord, accord de par-
tenariat et l’échange de correspondance » 19. Dans la même perspective, « la
stratégie définit les principaux domaines d’engagement avec le secteur privé,
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qui sont les suivants : élaboration et exécution de programmes techniques,
dialogue sur les politiques, formulation de normes et de règles, plaidoyer et
communication, gestion et diffusion des connaissances et mobilisation des
ressources » 20. Qu’il s’agisse de l’industrie agro-alimentaire, de l’industrie
pharmaceutique ou du commerce international, les multinationales sont pré-
sentes directement ou indirectement par le biais de représentants, à l’instar de
la Chambre de commerce internationale (CCI) qui dispose d’un observateur
permanent auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies depuis le 1er jan-
vier 2017 21. Aussi, certaines multinationales ont-elles pu adopter des chartes
éthiques ou des codes de conduite pour une meilleure collaboration avec le
système des Nations Unies 22. Ces codes de conduite constituent un exemple
de ce qu’André-Jean Arnaud avait nommé « le déplacement de la production
juridique vers des pouvoirs privés économiques » 23. Malgré le caractère peu
contraignant de ces instruments de partenariat, il n’en demeure pas moins qu’ils
restent l’un des moyens pour générer des normes de soft law entre les Nations
Unies et les entreprises multinationales. La mutualisation des efforts voulue
17. https://www.un.org/fr/chronique/le-pacte-mondial-des-nations-unies-proposer-des-
solutions-aux-d%C3%A9fis-mondiaux, consulté le 11 mars 2020.
18. P. Dimitriu, Rapport du corps commun d’inspection, « Les partenariats entre le système des
Nations Unies et le secteur privé dans le contexte du programme de développement durable à
l’horizon 2030 », JIU/REP/2017/8 Genève, 2017, p. 9.
19. Étude de la FAO, « Stratégie de la FAO en matière de partenariats avec le secteur privé »,
2013, p. 18.
20. Ibid., p. 4.
21. https://www.un.org/press/fr/2018/bio5067.doc.htm. Le 11/03/2020.
22. https://blogs.parisnanterre.fr/article/les-codes-de-conduite-des-entreprises-multinationales-
pharmaceutiques-en-allemagne-et-en, consulté le 11 mars 2020. Dans cet article, il s’agit
principalement de deux entreprises multinationales pharmaceutiques Bayer et Servier.
23. A.-J. Arnaud, Les transformations de la régulation juridique, coll. Droit et société, Paris,
LGDJ, 1998, cité par G. Farjat, « Les pouvoirs privés économiques », op. cit., p. 614.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 261
par les Nations Unies avec les entreprises multinationales conduit à une impli-
cation de ces dernières dans le processus normatif international dans différents
domaines. Bien que leurs actes normatifs possèdent une portée normative non
obligatoire, ils restent utiles et décisifs. En vue de ce résultat, la CCI a obtenu
le statut de membre observateur au sein des Nations Unies, par la résolution
A/RES/71/156 de l’Assemblée générale du 13 décembre 2016 24. Grâce à ce
statut, la CCI peut contribuer directement ou indirectement à la formulation de
propositions ou d’objections lors de l’élaboration de certaines normes. Il existe
d’autres déclinaisons des partenariats entre les entreprises multinationales et
les organisations internationales. Le partenariat public-privé entre Novartis et
l’Organisation mondiale de la santé en 2001 pour produire le Coartem contre
la malaria constitue un exemple édifiant pour les besoins d’urgence de santé
mondiale et érige les multinationales en « collaborateurs » du service public
international de la santé. Le partenariat de celles-ci avec l’OMS a débouché sur
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l’établissement de normes (IDMST de 1990). De ces partenariats public-privé,
on a ainsi vu émergé des normes. Toutefois, il est à souligner que la pandé-
mie de Covid-19 n’a pas suscité un partenariat entre l’OMS et les industries
pharmaceutiques, les initiatives étant restées seulement à l’échelle des États-
nations, ce qui constitue une remise en question de ce type de partenariats et
de la coopération internationale 25. Cependant, il faut retenir une déclaration
conjointe entre la CCI et l’OMS dans laquelle le secrétaire général de la CCI
s’est engagé aux côtés de cette organisation internationale dans la lutte contre
cette maladie par une meilleure information des entreprises sur le virus et une
participation de ces dernières au financement du fonds de lutte contre la pandé-
mie 26. La résolution 60/215 du 22 décembre 2005 de l’Assemblée générale des
Nations Unies rappelle l’importance des partenariats public-privé notamment
dans le domaine de la santé. Les ONG avaient critiqué le Pacte mondial et
souligné le danger qui pesait sur les Nations Unies en s’ouvrant aux entreprises
multinationales 27. D’autres organismes tendent actuellement à représenter les
multinationales auprès du système des Nations Unies par le biais de partena-
riats indirects, à l’exemple des organisations professionnelles ou des autorités
privées de régulation.
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organisations professionnelles ou autres organismes, constitue un moyen pour
orienter le processus normatif au sein du système des Nations Unies soit par
la normalisation soit par l’encouragement du phénomène de la standardisation
du droit international. L’existence d’un soft power normatif des entreprises
multinationales dans les instances internationales devient désormais une ques-
tion épineuse et indispensable pour mieux comprendre leur interaction sociale
avec les sujets de droit international. Cela devient plus visible à la lumière
de l’attribution du pouvoir normatif aux entreprises multinationales grâce aux
États, membres, fondateurs de l’Organisation des Nations Unies. Il est ques-
tion d’un processus de contractualisation normative en cours d’établissement
et dont les résultats restent invisibles, car ils relèvent de la lege ferenda. Cette
fonction normative non autonome des entreprises multinationales trouve son
fondement dans l’arrière-plan économique et social des entreprises multinatio-
nales (pouvoir économique et financier) 29. D’ailleurs, « elles peuvent soumettre
des contributions » 30 au sein de cette institution comme l’OMC. S’agissant
des entreprises multinationales évoluant dans le secteur digital, dénommées
communément GAFAM, elles peuvent compter sur l’ICANN – société pour
28. C. Bonin, S. Menétrey, « Lex mercatoria et OMC : sources, normes, règles ? », in Les
sources et les normes dans le droit de l’OMC, colloque de Nice des 24 et 25 juin 2010, Paris,
Pedone, 2012, p. 229.
29. Rapport des Nations Unies, « Les effets des sociétés multinationales sur le développement et
sur les relations internationales », Département des affaires économiques et sociales, 1974.
Pour une perspective plus critique qui met en lumière la dissension existante entre le droit
international et les activités commerciales des sociétés transnationales, voir Ph. de Seynes,
« United Nations Studies of the Multinational Corporations », Nordic Journal of International
Law, 1974, pp. 9-16 ; K. Omoteso, H. Yusuf, « Accountabiliy of Transnational Corporations
in the Developing World », Critical perspective on international business, 2017, vol. 13,
n° 1, pp. 54-71.
30. E. Trhuile-Marengo, « Normes techniques et droit de l’OMC », in Les sources et les normes
dans le droit de l’OMC, op. cit., p. 265.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 263
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gées d’une mission de contrôle pour le compte des multinationales et pouvant
même surveiller l’action budgétaire souveraine des États constitue un parte-
nariat officieux. Il s’agit principalement ici des agences de notation financière
qui représentent un modèle unique dans le monde. Leur rôle premier est de
permettre aux multinationales d’obtenir une information synthétique quant à la
qualité du crédit de l’entité à laquelle elles ont pu prêter. Néanmoins, comme
l’expliquait Thomas Friedman, « nous vivons dans un monde avec deux super
puissances : Les États-Unis et les Moody’s. Les États-Unis peuvent détruire
un pays en le bombardant, Moody’s en dégradant sa note » 35. Les pouvoirs
exercés par les agences de notation dans la régulation du crédit constituent
une contrainte importante à l’égard des États et au service des multinationales
auxquelles elles offrent une information leur permettant de sécuriser leur futur
investissement dans tel ou tel pays et ce, grâce à des standards internationaux
développés par ces autorités de régulation privée 36. Néanmoins, ces agences
échappent à tout contrôle international, ce qui leur donne plus d’autonomie et
laisse place à une forme d’autorégulation des pouvoirs privés économiques 37.
En définitive, cette diplomatie institutionnelle exercée par les multinationales
31. GAFAM est l’acronyme qui désigne Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft.
32. https://www.icann.org/news/announcement-2-2019-02-28-fr, consulté le 22 septembre 2020.
33. Ph. Faucher, J. Niosi, « L’État et les firmes multinationales », Études internationales, 1985,
vol. 16, n° 2, pp. 244-253.
34. Directive du Conseil de l’Union européenne concernant le système commun de taxe sur les
services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numé-
riques, Bruxelles, 23 mars 2018, 2018/0073 (CNS).
35. B. Frydman, « Le pouvoir normatif des agences de notation », in B. Colmant et al., Les
agences de notation financière. Entre marchés et États, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 173.
36. G. Lewkowicz, « Les agences de notation financière contre les États : une lutte globale pour
le droit à l’issue incertaine », ibid., pp. 185-221.
37. Ch. Bergier, Le contrôle international des agences de notation financières, Thèse de Doctorat
soutenue le 2 juillet 2018 à l’Université Côte d’Azur, p. 340.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 264
d’une manière directe ou indirecte laisse place à une autre forme plus dyna-
mique d’un point de vue normatif, à savoir la diplomatie économique ou com-
merciale des multinationales.
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et cela afin de faciliter leurs transactions.
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le contrat d’État établit une norme susceptible de créer des droits et obligations
à l’égard des deux contractants, l’État d’accueil de l’investissement étranger et
l’entreprise multinationale. À ce niveau, l’entreprise détient une part de pou-
voir aussi importante que l’État et l’on peut parler de pouvoir contractuel en
ce sens qu’elle peut, à la suite de cet engagement contractuel, soit neutrali-
ser soit contourner la législation nationale de l’État en recourant aux principes
fondamentaux du droit international et à la fameuse règle de la primauté du
droit international sur le droit interne. En effet, il en résulte un bouleversement
de l’ordonnancement juridique habituel, car le contrat transnational l’emporte
également sur la loi ou vis-à-vis de la constitution de l’État 44. Charles Leben
rappelait sur ce point qu’« il est clair qu’un droit international des contrats est
aujourd’hui en voie de consolidation, indépendamment de l’invention préto-
rienne des règles, même si on est encore loin, bien évidemment, d’un ensemble
de normes internationales » 45. La formation de ce droit est due en partie grâce
aux activités des sociétés transnationales qui contribuent amplement au déve-
loppement de ces normes contractuelles. L’État et l’investisseur incarné par
l’entreprise étrangère représentent à cet effet un exemple de polycentrisme nor-
matif représenté par les normes générées par leurs relations contractuelles ou
conflictuelles, à l’instar des contrats d’État, des principes généraux de droit ou
des sentences arbitrales 46. Le contrat d’investissement représente une norme
42. CIRDI, Lundin Tunisia BV c. République tunisienne, aff. n° ARB/12/30, sentence, 22 dé-
cembre 2015.
43. P. Mayer, « Existe-t-il des normes individuelles », in L’architecture du droit. Mélanges of-
ferts à Michel Troper, Paris, Economica, 2006, p. 661.
44. H. Ascensio, « Rapport introductif », in H. Gherari et Y. Kerbrat (dir.), L’entreprise dans la
société internationale, Paris, Pedone, 2010, p. 29.
45. Ch. Leben, « La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit international des investisse-
ments », RCADI 2003, t. 302, p. 313.
46. M. Forteau, « L’ordre public transnational ou réellement international : l’ordre public inter-
national face à l’enchevêtrement croissant du droit international privé et du droit international
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 266
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appréhender la diplomatie normative des entreprises auprès des organisations
internationales 49. On peut estimer qu’il s’agit d’une privatisation normative
annoncée qui traduit par la même occasion une privatisation de la diploma-
tie internationale. Les entreprises multinationales sont apparentées à des pou-
voirs privés économiques qui « disposent d’un pouvoir de décision unilatéral
analogue sur le plan matériel à celui de la puissance publique » 50. C’est en ce
sens qu’il faudra concevoir l’apparition d’un pouvoir normatif technique des
entreprises multinationales. Même si ce rôle joué par ces dernières se caracté-
rise par une latence formelle, il n’en demeure pas moins qu’il reste observable
en droit international sur le plan matériel. « Les États préfèrent ainsi laisser
faire les puissances économiques privées, les voir se soumettre à leur loi dans
la réalité quotidienne plutôt que de les officialiser comme pouvoirs réels en
tentant de les canaliser » 51. La performativité normative des entreprises mul-
tinationales se révèle par le passage de la normalisation à la normativité des
normes techniques élaborées au sein de l’ordre juridique international. « La
norme technique peut en effet non seulement parfois contribuer elle-même à la
public », Journal du droit international 2011, pp. 3-49 ; Ch. Leben, « La théorie du contrat
d’État et l’évolution du droit international des investissements », op. cit., pp. 311-313 ;
Ch. Leben (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational,
Paris, Pedone, 2015, p. 56.
47. Chr. Bessy, Th. Delpeuch, J. Pelisse, Droit et régulation des activités économiques : perspec-
tives sociologiques et institutionnalistes, Paris, LGDJ, 2011, p. 235.
48. Arcelor Mittal c. République arabe d’Égypte, 5 décembre 2016 ; AngloGold Ashanti (Ghana)
Limited (Ghanaian) c. Republic of Ghana, 2 mai, 2016 ; CIRDI, Diamond Fields Liberia c.
Republique du Liberia, aff. n° ARB/11/14, sentence, 2 mars 2016).
49. M. Lassalle-de Salins, « Normes alimentaires mondiales, commerce international et entre-
prises agroalimentaires », in L’entreprise multinationale dans tous ses états, Archives de phi-
losophie du droit 2013, t. 56, pp. 224-228.
50. G. Farjat, « Les pouvoirs privés économiques », op. cit., p. 613.
51. E. Trhuile-Marengo, « Normes techniques et droit de l’OMC », op. cit., p. 115.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 267
naissance d’une règle de droit, mais plus modestement être reconnue par une
règle de droit qui vient l’homologuer, l’entériner » 52. La maîtrise du contenu
normatif et l’impact de ce dernier sur les entreprises multinationales constituent
l’une des principales raisons de cette tendance de rendre techniques des normes
internationales 53. À cet effet, il faut rappeler « l’élaboration par l’ICANN et
l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle d’un droit spécifique des
noms de domaine reflété par les principes directeurs du 26 août 1999 régis-
sant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine adoptés
par l’ICANN et les règles supplémentaires de l’organisation mondiale pour
la propriété intellectuelle » 54. Un autre phénomène normatif émerge actuelle-
ment : celui du contrôle de l’information par les Gafam (multinationales du
numérique) à des fins strictement économiques ou privées 55, ce qui peut leur
servir ultérieurement au développement de nouvelles normes techniques par
l’intermédiaire de l’ICANN. Sur un autre plan, la participation des entreprises
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multinationales à l’élaboration du Codex Alimentarius a été le fruit du savoir
technologique traduit en tant que pouvoir normatif des entreprises. À cet égard,
« les activités que les entreprises mènent quand elles participent à des travaux
de normalisation sont principalement : la proposition de projets de normes, la
rédaction de commentaires fournis et la mise à disposition d’informations et
d’experts. Les entreprises apportent donc à la normalisation essentiellement des
ressources d’information, qu’elles seules détiennent parfois, et des ressources
organisationnelles » 56. Les multinationales, principalement les industries phar-
maceutiques impliquées dans le cadre de partenariats public-privé avec l’OMS
dans la recherche de médicaments ou des vaccins contre certaines maladies,
contribuent également à la production de certaines normes transnationales.
Malgré « le caractère non contraignant de ces normes, elles influent sur le droit
international classique » 57. Le même constat est observé auprès de l’Organi-
sation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) qui pré-
voit des partenariats avec les entreprises multinationales afin de développer
conjointement des normes et des standards industriels 58. Cela consacre cette
Ce sont des actes réalisés par les entreprises multinationales en tant qu’acteurs
ou parfois sujets limités du droit international dans une perspective proactive
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ou réactive. Il s’agit des deux pratiques normatives permettant à ces dernières
de participer au jeu normatif dans les relations internationales.
le 3 octobre 2020 ; ONUDI, « Normes privées, mieux les connaître pour mieux les appli-
quer », Vienne 2010, p. 73, https://www.unido.org/sites/default/files/2010-11/UNIDO_%20
Guidelines_%20french_0.pdf, consulté le 3 octobre 2020.
59. P. Dumberry, « L’entreprise, sujet de droit international ? Retour sur la question à la lumière
des développements récents du droit international des investissements », RGDIP 2004,
pp. 114-120.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 269
des stratégies que les entreprises ou les acteurs privés mettent en œuvre auprès
des décideurs publics en vue d’obtenir des décisions en leur faveur » 60. Elles
peuvent recourir aux groupes de pression à l’image de la CCI qui « est particu-
lièrement connue, depuis de longues années, pour des travaux qui ont rencontré
un immense succès en codifiant des pratiques commerciales usuelles et en les
systématisant de manière à mettre à la disposition des opérateurs du commerce
international des outils juridiques, efficaces, clairs, faciles à insérer dans leurs
accords contractuels » 61. L’article V paragraphe 2 de l’accord instituant l’OMC
prévoit la consultation et la coopération avec les organisations non gouverne-
mentales qui peuvent représenter les intérêts des entreprises multinationales à
l’instar de la CCI 62. Les entreprises jouent un rôle très important au sein de
l’OMC depuis sa création, bien qu’informel. Malgré l’absence des entreprises
du processus décisionnel de l’OMC, elles exercent une influence considérable
sur leurs États respectifs qui sont membres de cette organisation. À côté du jeu
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des influences, elles peuvent contribuer à la production normative d’une manière
détournée lors des travaux des organes de l’OMC, comme celui du Comité du
commerce et de l’environnement 63. Les entreprises restent également actives au
sein du Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires parce que, comme le
rappelle Hervé Ascensio, « il importait de savoir si l’examen de ces normes sani-
taires, adoptées par les entreprises elles-mêmes et plus exigeantes que le droit
national, relevaient bien du comité SPS et si les membres de l’OMC avaient
l’obligation indirecte de faire respecter par les acteurs privés les règles de l’Ac-
cord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires […] » 64. L’OMC reste princi-
palement une enceinte interétatique, pourtant les entreprises ont réussi à obtenir
un accès à plus de protection juridique tant sur le plan normatif que sur le plan
juridictionnel par l’ouverture du mécanisme de règlement des différends aux
acteurs privés 65. Autrement dit, « les entreprises peuvent être perçues comme les
acteurs principaux dans l’établissement des règles relatives à l’investissement
ou à l’économie. Au travers de leurs fonctions de lobbying auprès des instances
nationales, de leur pression auprès des organisations internationales établissant
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L’existence de « coutumes privées », à portée générale, et le recours à la lex
mercatoria, sous sa forme classique ou bien sous sa forme moderne dans le
cadre des relations économiques internationales, restent le fruit des multinatio-
nales qui représentent les principaux producteurs et bénéficiaires de ces normes.
Ces dernières constituent un moyen pour faciliter les transactions économiques
des entreprises multinationales, y compris avec les États opérateurs écono-
miques. L’autoproduction est essentiellement focalisée sur cette lex mercatoria
qui reste le produit des relations horizontales entre des entreprises multinatio-
nales du même secteur 70. Ces dernières années ont été marquées par la spécia-
lisation de cette lex mercatoria et par l’apparition de différents types de normes
selon la diversité des secteurs d’activités économiques dans lesquels évoluent
les multinationales. Dans le domaine de l’extraction minière en droit internatio-
nal, s’est développée une lex petrolea ou une lex mineria 71. En effet, « le droit
international économique reconnaît que des règles de droit obligatoires pour les
États puissent être posées par des personnes privées » 72. Ce corps de normes est
66. Les principes directeurs ainsi que le rapport Social Impact Investment : The Impact Imperative
for Sustainable Development de l’OCDE de 2019.
67. Th. Walde, Nouveaux horizons pour le droit international des investissements dans le
contexte de la mondialisation, op. cit., p. 27.
68. https://www.wto.org/french/news_f/archive_f/bus_arc_f.htm, consulté le 4 octobre 2020.
69. C. Karila-Vaillant, « La fonction juridique en entreprise », in L’entreprise multinationale
dans tous ses états, op. cit., p. 117.
70. Chr. Joerges, J. Falke, Karl Polanyi, Globalisation and the Potential of Law in Transnational
Markets, Oxford, Hart Publishing, 2011, p. 522 ; A. Byrnes, M. Hayashi, Chr. Michaelsen
(eds.), International Law in the New Age of Globalization, Boston, Martinus Nijhoff
Publishers, 2013, p. 441.
71. R. Dolzer, Petroleum Contracts and International Law, Oxford, Oxford University Press,
2018, pp. 21-57.
72. Th. Walde, Nouveaux horizons pour le droit international des investissements dans le
contexte de la mondialisation, op. cit., pp. 111-112.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 271
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centrisme juridique où acteurs publics traditionnels et acteurs privés transna-
tionaux créent de plus en plus souvent ensemble et en concertation des règles
de droit applicable à tous » 77. Cette transnationalisation de la production nor-
mative trouve avant tout un ancrage en droit international des traités. Plusieurs
traités et conventions ont codifié d’une manière volontaire ou involontaire des
règles d’origine privée généralement produites par ou pour les entreprises mul-
tinationales 78. Néanmoins, il s’agit le plus souvent d’une orientation et non
d’une décision directe puisque généralement, à l’occasion de ces conférences
internationales, ce sont les États qui sont souvent présents. Sans oublier que le
« couple État-multinationales », formé notamment avec les États développés,
entretient souvent des liens opaques, à savoir que les premiers sont au service
des intérêts des secondes en ignorant leurs obligations internationales au regard
des principes de coopération et de solidarité internationale 79. Les entreprises
multinationales au travers de leurs différentes activités économiques interna-
tionales représentent un nouveau foyer juridique 80. Toutefois, il est impossible
de trouver dans les traités cités une quelconque référence explicite aux entre-
prises multinationales. Il est à cet effet possible d’emprunter l’expression « fan-
tôme juridique » en droit international pour désigner les multinationales 81.
Leur inexistence ostentatoire dans les traités internationaux ne nous empêche
pas d’observer leurs « activités normatives » au sein du droit international 82.
Cependant, l’absence d’une personnalité juridique internationale continue de
constituer la principale entrave à l’encadrement des entreprises multinationales
par le droit international 83. D’ailleurs, la personnalité juridique internationale
explicite nécessite un critère important de permanence que les entreprises ne
possèdent pas dans le cadre des dispositions normatives internationales, à l’ex-
ception de l’ordre juridique marchand qui ne l’exige pas. C’est pour cela que les
entreprises prospèrent davantage dans la production normative privée. Pourtant,
certaines de leurs interventions sont prévues d’une manière ponctuelle en droit
international à l’occasion de certaines opérations souvent de nature économique
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et parfois de nature juridictionnelle 84. Celles-ci conduiront les multinationales
à développer un pouvoir normatif réactif afin d’anticiper ou de réparer toute
atteinte à leurs intérêts économiques en recourant au droit international.
81. Th. Le Texier, « L’entreprise hors-la-loi », in Chr. Chavagneux, M. Louis, Le pouvoir des
multinationales, op. cit., p. 55.
82. H. Ascensio, « Les activités normatives des entreprises multinationales », op. cit.,
pp. 265-277.
83. M. Chemillier-Gendreau, « L’entreprise est-elle soumise aux règles de droit internatio-
nal ? », in A. Supiot (dir.), L’entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives écono-
miques et juridiques, op. cit., pp. 90-91.
84. Ibid., pp. 112-113.
85. L. Usunier, « Droit d’agir en justice et des actions des groupes transnationaux », in Les rela-
tions privées transnationales. Mélanges en l’honneur du professeur Bernard Audit, Paris,
LGDJ, 2014, p. 692.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 273
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latéralement à l’arbitrage transnational en contournant la souveraineté législa-
tive et en limitant le pouvoir juridictionnel de l’État d’accueil 90. Le fait pour
les entreprises de conclure des contrats avec des sujets de droit international,
de saisir un tribunal arbitral international ou de participer à des procédures de
règlement des différends internationaux impliquant des États constitue des
actions normatives qui se déroulent au sein de l’espace normatif international.
Cette évolution contractuelle souligne par la même occasion « le phénomène
de transfert du pouvoir économique et politique aux forces vives du marché,
et pour l’État le passage de la souveraineté puissance à la souveraineté délé-
gation » 91. L’arbitrage unilatéral permet aux entreprises multinationales d’être
protégées contre des mesures législatives étatiques qui peuvent porter atteintes
à leurs intérêts 92. Cette réaction normative de la part des entreprises génère
in fine une norme individuelle par le biais des sentences arbitrales CIRDI ou
CNUDCI qui forment une jurisprudence internationale. Ce moyen permet aux
entreprises multinationales de saisir les tribunaux arbitraux transnationaux afin
de défendre leurs positions juridiques par le biais d’une justice contractuelle qui
86. J.-B. Racine, « Les entreprises et l’Organisation mondiale du commerce », in Th. Garcia et
V. Tomkiewicz (dir.), L’OMC et les sujets de droit, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 235.
87. G. Shaffer, Defending Interest: Public-private Partnerships in WTO Litigation, Washington,
Brookings Institution, 2003, pp. 84-101.
88. B. Stern, « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », RGDIP 2003, p. 256.
89. J. Motte-Baumvol, « Le règlement des différends à l’intention des entreprises multinatio-
nales », RGDIP 2014, pp. 303-330.
90. P. Weil, « Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et un particulier », RCADI
1969, t. 128, pp. 109-119 ; Ch. Leben, « La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit
international des investissements », op. cit., pp. 197-386.
91. H. Causse, M. Sinkondo, Le concept d’investissement. Regards croisés des droits interne,
communautaire et international, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 19.
92. Ch. Leben, « Droit international des investissements : un survol historique », in Ch. Leben
(dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, op. cit., p. 56.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 274
leur offre une très grande flexibilité. Sans oublier que ce cadre arbitral permet
de développer un droit transnational qui sera influencé en grande partie par les
grands cabinets d’avocats qui sont au service des entreprises multinationales.
Dès lors, ce pouvoir normatif réactif constitue une assise de développement
pour le pouvoir normatif des entreprises multinationales au sein de l’ordre juri-
dique international. Il est certain que ces normes restent individuelles et ne
visent que les multinationales et les États impliqués dans des affaires devant les
tribunaux arbitraux. Cela dit, la combinaison du nombre de sentences arbitrales
rendues et de l’essor que connaît l’arbitrage transnational aujourd’hui permet
de dire qu’il est question d’un nouveau foyer normatif pour les entreprises
multinationales 93. À cet effet, le professeur Hayakawa met en avant l’idée
du « strategic use of arbitration in investment », ce qui traduit l’importante
influence des entreprises multinationales sur la procédure arbitrale transnatio-
nale relative aux investissements 94. L’accès direct à l’arbitrage unilatéral amène
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à contourner l’accord négocié entre deux pays et permet d’une certaine manière
de soustraire le contrat conclu entre l’entreprise multinationale et l’État de
l’ordre juridique de l’État. Les intermédiaires du droit à l’instar des avocats,
des conseillers juridiques et des arbitres jouent ainsi un rôle considérable dans
l’élargissement de la portée de la clause d’arbitrage et permettent le passage
d’une offre d’arbitrage contractuelle à une offre d’arbitrage non contractuelle 95.
Ce pouvoir procédural naissant des multinationales ne doit pas faire oublier le
pouvoir substantiel dont celles-ci disposent également.
93. J. Kalicki, Reshaping Investor-state Dispute Settlement System Journeys for the 21st Century,
Brill/Nijhoff, 2015, pp. 333-346.
94. Y. Hayakawa, « Business Corporations as Non-state Actors in International Law: A Brand-new
International Law-making Process through Investment Treaty Arbitration », in A. Byrnes,
M. Hayashi, Chr. Michaelsen (eds.), International Law in the New Age of Globalization,
op. cit., p. 348.
95. J.E. Vinuales, « L’État face à la protection internationale de l’entreprise », in A. Supiot (dir.),
L’entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, Paris,
Dalloz, 2015, p. 109.
96. P. Weil, « Vers une normativité relative en droit international ? », RGDIP 1982, n° 86,
pp. 6-47.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 275
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tisseur ou le marchand. Paul Shiff Berman rappelle que « la prolifération des
tribunaux internationaux ouvre bien sûr aussi la voie à une création norma-
tive plurielle » 99. La combinaison fréquente entre le droit international et le
droit national conduit à générer un droit transnational qui est le produit d’un
ordre juridique spécifique du droit international, celui du CIRDI 100. D’un côté,
plusieurs traités d’investissement comprennent des clauses dites de pouvoir
d’action normative en faveur des entreprises multinationales. En ce sens, ces
clauses substantiellement confèrent des droits aux entreprises multinationales
permettant à celles-ci de générer des normes ou du moins de pouvoir conduire
à une remise en question de certaines normes existantes. D’un autre côté, les
traités d’investissement accordent plusieurs possibilités d’aiguillage normatif
aux entreprises multinationales à l’instar de la liberté d’investir, du droit de
propriété et du droit de recourir à l’arbitrage transnational. En ce sens, l’ar-
ticle 42 de la Convention de Washington dispose que : « le tribunal statue sur
le différend conformément aux règles adoptées par les parties. Faute d’accord
entre les parties, le tribunal applique le droit de l’État contractant partie au dif-
férend, y compris les règles relatives aux conflits de lois, ainsi que les principes
97. W. Ben Hamida, « Les principes d’Unidroit et l’arbitrage transnational. L’expansion des prin-
cipes d’Unidroit aux arbitrages opposant des États ou des organisations internationales à des
personnes privées », Journal du droit international 2012, pp. 1213-1242.
98. R. Michaels, « The True Lex Mercatoria: Law Beyond the State », Indian Journal of Global
Legal Studies, 2007, p. 447. Il faut entendre par là que le processus normatif poursuivi par
la lex mercatoria est différent du processus habituel des lois qui implique un aller-retour des
projets normatifs entre le gouvernement et le parlement. Ce schéma étatique de la loi obéit
à des contraintes relatives aux visions politiques de la majorité versus celles des minorités,
alors que la lex mercatoria échappe aux contraintes du système constitutionnel.
99. P. Schiff Berman, « Le nouveau pluralisme juridique », Revue internationale de droit écono-
mique 2013, p. 241.
100. A. Pellet, « La jurisprudence de la Cour internationale de Justice dans les sentences CIRDI »,
Journal du droit international 2014, pp. 5-32.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 276
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2 LE POUVOIR NORMATIF SOUS-JACENT
DES ENTREPRISES MULTINATIONALES
AU DROIT INTERNATIONAL
Dans le champ assez limité qui est accordé aux entreprises multinationales par
le droit international, celles-ci ont pu optimiser les normes par l’introduction
de normes marchandes et par la marchandisation de ces normes. Ces sociétés
sont devenues un vecteur d’inflexion du droit international, par l’inflexion des
normes internationales, ainsi que de dissémination normative.
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internationale de la lex mercatoria. Notons que toutes ces codifications de la
lex mercatoria se font par le biais d’instruments diplomatiques, à savoir les
conventions internationales 105. Cette systématisation possède plusieurs facettes
et pose plusieurs « difficultés en raison du caractère élusif de la lex mercatoria,
la profusion de significations diverses qu’on lui donne, la mise en doute de
sa véritable existence » 106. Il peut s’agir du « creeping codification » 107, de la
« codification privée » 108 à l’image des lois types de la CNUDCI, comme celles
relatives à l’arbitrage commercial international, au commerce électronique (lex
electronica) 109. Des traités, comme les accords de l’OMC ou la Convention
de Vienne sur le contrat de vente internationale, permettent aux entreprises
multinationales de se positionner en tant que chevilles ouvrières de ce type de
droit par le biais de la prolifération du polycentrisme juridique 110. On peut citer
aussi les principes d’UNIDROIT « relatifs aux contrats du commerce inter-
national qui constituent un droit savant, œuvre d’universitaires et praticiens,
mais élaboré au sein d’une organisation internationale à partir notamment des
solutions des droits internes » 111. Il convient de souligner que toutes ces codi-
fications de la lex mercatoria se font en partie grâce aux canaux diplomatiques
du droit international conventionnel. On utilise souvent le terme de codifica-
tion rampante lorsqu’il s’agit du droit marchand ou lex mercatoria. La cristal-
lisation de ces normes générées par les multinationales se fait d’une manière
progressive et séquencée au sein de l’ordre juridique international. De là, le
rapport en filigrane entre la volonté normative des multinationales et le droit
international dans son application générale. Les principes d’Unidroit étant
considérés comme une nouvelle lex mercatoria par les auteurs anglo-saxons,
cette tendance à la cristallisation du droit marchand se voit confortée 112. Il en
va de même des auteurs francophones qui évoquent une formalisation inter-
nationale de la lex mercatoria 113. Les règlements d’arbitrage constituent une
passerelle normative des règles marchandes vers le droit international. Le règle-
ment d’arbitrage de la Cour permanente d’arbitrage de 2012 distingue, dans
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son article 35 relatif au droit applicable, les principes de droit international des
usages du commerce international 114. Le règlement d’arbitrage de la CNUDCI
de 2013 distingue également, dans son article 35, le droit applicable des usages
du commerce inhérents à l’opération économique objet du différend 115. Ces
clauses de droit applicable se transforment, lors de la procédure arbitrale, en
clauses passerelles pour les normes marchandes puisqu’elles vont les insérer
dans les sentences arbitrales qui constituent un acte juridictionnel international.
Cette justice arbitrale transnationale consacre une privatisation de la justice
internationale par l’introduction de l’aspect contractuel et par l’ouverture de
celle-ci aux personnes morales privées 116.
111. S. Manciaux, « Le point de vue des entreprises : la régulation d’origine privée des opérations
d’investissement », in S. Robert-Cuendet (dir.), Droit des investissements internationaux.
Perspectives croisées, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 175.
112. J. Mustill, « The New lex mercatoria: The First Twenty Five Years », Arbitration
International, April 1988, vol. 4, issue 2, pp. 86-119 ; A. Connerty, « Lex mercatoria:
Reflexions from an English Lawyer », Arbitration International, December 2014, vol. 30,
issue 4, pp. 701-720.
113. P. Mayer, « Principes Unidroit et lex mercatoria », op. cit., p. 31 ; C. Kessedjian, « La codi-
fication en droit international privé », op. cit., p. 105.
114. Règlement d’arbitrage de la CPA de 2012, entré en vigueur le 17 décembre 2012, p. 17.
115. Règlement d’arbitrage de la CNUDCI de 2013 ; Résolution 68/109 adoptée par l’Assemblée
générale des Nations Unies le 16 décembre 2013.
116. E. Gaillard, « Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international », RCADI 2008,
t. 329, p. 176.
Le pouvoir normatif des entreprises multinationales en droit international 279
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multinationales devient l’apanage des arbitres CIRDI et CNUDCI. Jean-Claude
Escarras reste celui qui a invoqué le concept pour la première fois dans la
sphère du droit comparé. Cela implique l’existence de modèles juridiques dif-
férents, qu’il paraît possible de rapprocher 120. La communicabilité est d’autant
plus plausible qu’Alain Pellet, lorsqu’il décrypta la lex mercatoria à la lumière
du droit international, a découvert une ressemblance formelle et parfois même
substantielle avec les principes généraux du droit et l’article 38 du Statut de la
CIJ 121. Le point de rencontre réside, au sein du CIRDI ou de la CNUDCI, tel que
le prévoient les articles 42 de la Convention de Washington ou 35 du règlement
d’arbitrage de la CNUDCI, dans la faculté de recourir à plusieurs systèmes
juridiques afin de résoudre le problème de droit posé. Cette approche permet
une application progressive des normes privées dans l’arbitrage transnational
opposant l’entreprise étrangère à l’État hôte de l’investissement. L’ensemble
des sentences rendues constitue une jurisprudence transnationale répondant
en partie à l’intérêt des multinationales soit par la réparation financière soit
par un dédommagement financier des pertes subies par ces dernières. En effet,
cette justice arbitrale laisse à ces groupes transnationaux le soin d’intégrer dans
le droit applicable une interprétation privée de ce droit, qui leur serait plus
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heurte à plusieurs contraintes en partie dues à la pression directe ou indirecte
exercée par les multinationales. La réforme en cours de ce système oppose
généralement des investisseurs, souvent des multinationales puissantes, à des
États souvent moins riches que ces dernières, et devrait être effectuée par des
personnes neutres. À cet égard, la nature des liens existants entre les entreprises,
les États et les organisations internationales décidera du sort de la réforme de
ce système ainsi que de celui des institutions internationales d’arbitrage 124. Le
IIIe groupe de travail est chargé de la réforme éventuelle du système auprès de
la CNUDCI qui est un organe des Nations Unies chargé du développement du
droit commercial international 125. Toutefois, celui-ci fait face à une divergence
des propositions qui oscillent entre transformation du système et maintien de
celui-ci 126. La tendance récurrente à une marchandisation des normes interna-
tionales constitue le second volet de cette optimisation observée des sociétés
transnationales du droit international.
122. CIRDI, Petroleum corp. c. République de l’Équateur, aff. n° ARB/06/11, 5 octobre 2012.
123. G. L’Huilier, « La concurrence normative transnationale », RIDE 2018-3, p. 254.
124. G. Dimitropoulos, « Investor-State Dispute Settlement Reform and Theory of institution-
al Design », Journal of International Dispute Settlement, December 2018, vol. 9, issue 4,
pp. 535-569.
125. Note du secrétariat de la CNUDCI, « Éventuelle réforme du système de règlement des dif-
férends entre investisseurs et États », Vienne, 10-20 janvier 2020, A/CN.9/WG.III/WP.185,
pp. 2-17.
126. A. Roberts, « Incremental, Systemic and Paradigmatic Reform of Investor-state Arbitration »,
American Journal of International Law, July 2018, vol. 113, issue 3, pp. 410-432.
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des autres instruments juridiques leur permettant d’engager une manœuvre à
la lumière de l’environnement normatif le moins exigeant juridiquement et le
plus avantageux sur le plan fiscal et sur le plan social. Le droit international
devient dès lors, un moyen pour maximiser les bénéfices et réduire les coûts
de ces firmes grâce à leur analyse préalable du réseau normatif. Cette pratique,
communément appelée shopping normatif, crée souvent des tensions entre les
États et les entreprises multinationales souvent accusées d’être opportunistes
et incontrôlables 128. Plusieurs phénomènes peuvent décrire le recours par les
entreprises multinationales au dumping normatif. Le premier domaine où l’on
observe cette attitude reste le domaine fiscal dans lequel est pratiqué le dumping
fiscal ou tax shopping « puisqu’il existe des différences de taxation entre les
pays, une entreprise multinationale peut être incitée à manipuler le prix de trans-
fert des biens entre ses différentes unités afin de maximiser son profit. Dès lors,
la valeur des échanges entre filiales et sociétés-mères – plus généralement la
valeur de leurs opérations – incorpore la manipulation des prix de transfert » 129.
Mounir Snoussi rappelle à juste titre que, dans les prix de transfert, nous assis-
tons à l’émergence « d’un droit de l’attractivité ». Tout en visant à détourner le
droit fiscal international, particulièrement les conventions fiscales, les multina-
tionales vont, dans « le cadre des consultations par les États lors des réformes
fiscales », pouvoir intégrer des montages financiers qui leur permettront de
pays le moins d’impôts 130. Les groupes transnationaux pratiquent également
127. M. Marques, « Vers une stratégie juridique de l’organisation des holdings », in L’entreprise
multinationale dans tous ses états, op. cit., pp. 98-99.
128. Chr. L. Baker, « L’ordre juridique de la société multinationale », in L’entreprise multinatio-
nale dans tous ses états, ibid., p. 78.
129. S. Levasseur, « Investissements directs à l’étranger et stratégies des entreprises multinatio-
nales », Revue de l’OFCE 2002, n° 83 bis, p. 121.
130. M. Snoussi, « Les stratégies juridiques des sociétés transnationales : l’exemple des prix de
transfert », RIDE 2003-3, p. 468.
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ser uniquement les normes ou règles qui leur seront utiles ou avantageuses et
d’exclure toute norme contraire à leurs intérêts. Grégory Lewkowicz évoque
pertinemment l’idée d’« une lutte globale pour le droit afin de désigner un com-
portement en vue de faire prévaloir la norme la plus conforme à leurs valeurs ou
à leur intérêt dans un environnement global incertain » 133. Cela est encore plus
visible en droit international des investissements. À cet effet, dans les contrats
conclus entre les entreprises avec les États en matière d’investissement, il
n’est pas rare de trouver des clauses de choix du droit applicable ainsi que des
clauses relatives au choix du juge ou de l’arbitre compétent 134. Les multina-
tionales vont généralement recourir au droit le plus avantageux pour résoudre
un différend relatif à un investissement, mais elles vont également recourir au
tribunal arbitral le plus rentable pour elles. D’abord, il s’agit d’une subversion
du droit des États étant donné que les multinationales ont réussi à soustraire
en premier lieu le différend aux juridictions nationales par le biais de l’inser-
tion d’une clause compromissoire négociée par les États de même nationalité
que la multinationale. Ensuite, il sera question de choisir, sur le fondement de
l’article 42 de la Convention de Washington du CIRDI ou de l’article 35 du
Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, la norme qui répond aux attentes finan-
cières des investisseurs. À l’intérieur de ce système de règlement des différends
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situation crée une confusion normative pour les arbitres qui doivent trancher
afin de déterminer avec précision la règle qui sera susceptible d’être appliquée.
Il faut souligner l’existence parfois d’une clause composite dans les contrats
d’État ou d’investissement mêlant droit international par les TBI et droit privé
par la lex mercatoria ou lex petrolea pour désigner le droit applicable 139. Cela
n’exclut pas la capacité de suggestion des entreprises vers tel ou tel droit qui
représentera un avantage lucratif important. Cela conforte l’idée d’un pick and
choose procédural au sein duquel se trouve une pratique de cherry-picking qui
permet aux multinationales de justifier l’usage conforme au droit international
de l’arbitrage transnational et de voiler l’arrière-plan économique et financier
qui constitue leur motivation première. À cet égard, « dans près de 60 % des
cas, les multinationales ressortent au moins en partie gagnantes » dans le cadre
des procédures d’arbitrage États-investisseurs 140. Par ailleurs, les investisseurs
135. Q.C. Go, V.A. Ly, « Le chalandage de traités à l’épreuve des accords de nouvelle généra-
tion », RIDE 2017-3, p. 92.
136. CIRDI, Menzies Middle East and Africa S.A. et Aviation Handling Services International Ltd.
c. République du Sénégal, aff. n° ARB/5/21, sentence du 5 août 2016. Le tribunal arbitral a
rejeté le fait que la clause de la nation la plus favorisée de l’accord général sur le commerce
des services de l’OMC ait été invoquée pour condamner le Sénégal pour violation d’un TBI
tiers. Cette affaire constitue l’une des consécrations de cette pratique du chalandage de traités
en matière d’arbitrage transnational.
137. P.H. Bekker, « Recalibrating the Investment Treaty Arbitration System Through Non-
compartmentalized Legal Thinking », Harvard International Law Journal, December
2013, vol. 55, pp. 8-18 ; Y. Hayakawa, « Business Corporations as Non-state Actors in
International Law: A Brand-new International Law-making Process through Investment
Treaty Arbitration », in A. Byrnes, M. Hayashi, Chr. Michaelsen (eds.), International Law in
the New Age of Globalization, op. cit., pp. 356-357.
138. J. Matringe, « Les effets juridiques internationaux des engagements des personnes privées »,
in SFDI, Le sujet en droit international, colloque du Mans, Paris, Pedone, 2005, pp. 135-139.
139. B. Montembault, « La stabilisation des contrats d’État à travers l’exemple des contrats pétro-
liers », RDAI 2003, p. 609.
140. D. Philon, « Les multinationales ont-elles une nationalité ? Le patriotisme économique au
début du XXIe siècle », Revue internationale et stratégique, 2016, n°102, p. 102.
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l’assouplissement et de la dynamisation de ce corpus normatif.
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entre les entreprises multinationales et certaines organisations internationales
comme cela a été exposé précédemment. L’exemple des normes développées
avec le concours de l’ONUDI, des normes sanitaires et phytosanitaires ainsi
que du Codex Alimentarius est représentatif, et en particulier celui des normes
privées développées avec le concours des entreprises multinationales évoluant
dans différents secteurs de l’économie internationale 148. En effet, les entre-
prises multinationales imposent souvent des « bonnes pratiques » dans leurs
propres codes de conduite afin de répondre aux exigences de certains standards
internationaux 149. Cet ensemble normatif génère un droit sous-jacent au droit
international inhérent à la compliance internationale 150. La soft law devient
une réalité du droit international relatif aux entreprises multinationales ; même
produite par les États, certaines normes sont des directives ou des codes de
conduite à l’intention des entreprises qui n’ont aucune valeur contraignante 151.
146. O. Quirico, « Droit “flou”, droit “doux” ou droit “mou” ? Brèves réflexions sur la “texture”
des mesures conservatoires et des constatations dans les procédures individuelles devant le
Comité des droits de l’homme », in Unité et diversité du droit international. Écrits en l’hon-
neur du Professeur Pierre-Marie Dupuy, Boston, Brill/Nijhoff, 2014, pp. 875-887.
147. J. Salmon, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 1049.
148. R. Bismuth (dir.), La standardisation internationale privée. Aspects juridiques, Bruxelles,
Larcier, 2014, pp. 20-25.
149. V. le code de conduite d’AirBus de septembre 2019 ; le code de conduite professionnel de
Nestlé de 2007 ; les standards relatifs aux fournisseurs de Johnson & Johnson de 2017 et les
principes de conduite de Shell de 2014.
150. M.-A. Frison-Roche, Pour une Europe de la compliance, Paris, Dalloz, 2019, p. 124.
151. Y. Kerbrat, « Les manifestations de la notion d’entreprise multinationale en droit interna-
tional », in SFDI, L’entreprise multinationale en droit international, colloque de Paris 8
Vincennes/Saint-Denis, Paris, Pedone, 2017, p. 60. L’auteur semble affirmer que la notion
d’entreprise multinationale relève du droit mou en droit international étant donné son absence
formelle des textes normatifs. Ce constat conforte l’hypothèse de la latence de la normativité
inhérente à l’entreprise multinationale puisqu’elle n’est pas détectée par les radars du droit
international. Il faut dire que les instruments juridiques traditionnels du droit international ne
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stratégie permet aux entreprises multinationales de rester loin des sphères de
décisions interétatiques tout en jouant un rôle déterminant dans la canalisation
ou dans l’orientation du droit international. Cette configuration révèle une autre
réalité qui favorise cette tendance à la souplesse normative : celle de la concur-
rence normative entre les États. « À la fois acteur et arbitre de la confrontation
des forces du marché, l’État se trouve pris dans une logique concurrentielle,
libérale et internationaliste qui menace sa capacité à rester la principale source
d’édiction de la réglementation économique et financière » 153. À cet égard, le
droit négocié renvoie à ce que disait Jean-Marc Sorel : « Dans ce sens, le droit
peut être un élément actif de l’internationalisation des opérateurs poussés vers
l’extérieur par le jeu de règles internes trop contraignantes » 154. Cette pression,
exercée par les acteurs transnationaux sous l’impulsion d’une mondialisation
effrénée, oblige l’État à réduire la contrainte dans ses règles. La standardisation
de l’arbitrage transnational unilatéral constitue un reflet de ce soft power nor-
matif des entreprises multinationales. Le droit transnational poursuit un objectif
lié principalement au profit des actionnaires des multinationales, tandis que le
droit provenant des États a pour principal objectif la réalisation de la justice.
Certains expliquent l’absence de sanction du droit transnational par le fait qu’il
est orienté vers la prévention des risques, celui-ci étant un élément accompa-
gnant normalement toute activité économique et intéressant principalement
les opérateurs économiques 155. En réalité, la métaphore de la toile normative
démontre que le réseau des multinationales sécrète des normes qui leur sont
destinées et pour des besoins spécifiques, ce qui instaure une certaine circularité
de ces normes. Il s’agit d’une forme d’« autopoïèse » qui permet le recyclage
des normes les plus performantes et d’évacuer les moins rentables. Cela « ren-
voie au concept de la Pareto-efficience à savoir la maximisation des richesses.
Dès lors, on évalue les actions en situation de risque ou d’incertitude à partir de
la distribution des résultats qu’elles engendrent » 156. Cette normativité générée
est accompagnée par une forme de comitas gentium de la part des États qui
se prêtent au jeu en participant à ce processus normatif et en appliquant les
règles ou en se conformant à ce type de standard dans le cadre de leurs relations
contractuelles avec les multinationales. Cela est d’autant plus plausible en rai-
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son de l’ubiquité du soft power normatif des multinationales.
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tématique. Les enceintes dans lesquelles se déroulent parfois les pourparlers ou
les discussions sèment le trouble sur la nature du standard qui est à la fois public
et privé 162. L’adoption des standards transnationaux représente la volonté des
opérateurs transnationaux et passe essentiellement par la concertation de tous
les acteurs transnationaux, exempli gratia, la comitologie au sein des institu-
tions européennes ou le filtrage normatif de l’EFFRAG 163. Ces deux exemples
sont le terreau de ce soft power normatif susceptible d’orienter les normes selon
le bon vouloir des sociétés et dans la direction qu’elles estiment idéales. Par ail-
leurs, à côté de l’efficacité normative, cette standardisation, qu’elle soit privée
ou publique, contribue à l’harmonisation normative, ce qui conduit à la stabili-
sation de l’environnement juridique au profit des entreprises multinationales 164.
Dès lors, le droit transnational constitue un moyen pour réduire les risques et
un versant moderne du principe de due diligence en droit international écono-
mique 165. Fabrizio Marella souligne justement qu’« on peut observer que les
personnes privées sont peu impliquées dans l’élaboration du droit interétatique
économique alors qu’il y a une participation pleine et immédiate à l’élaboration
160. J. Wouters, « Le statut juridique des standards publics et privés dans les relations écono-
miques internationales », RCADI 2020, t. 407, pp. 67-69.
161. Th. Delpeuch, « Une critique de la globalisation juridique de style civiliste. État de réflexions
latines sur la transnationalisation du droit », Droit et société 2012, n° 82, pp. 747-748.
162. J.-S. Bergé, « Topographie des rapports “pouvoirs privés économiques” et “ordre public éco-
nomique” autour de la figure générale du standard », RIDE 2019-1, p. 29.
163. L’European Financal Reporting Advisory Group est composé d’un comité qui décide à huit
clos concernant les normes comptables internationales IFRS produites par l’IASB, un comité
privé financé par des multinationales et qui dépend de la Commission européenne.
164. F. Ost, M. Van De Kerchove, De la pyramide au réseau ? pour une théorie dialectique du
droit, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2003, pp. 113-114.
165. M. Disant, G. Lewkowicz, P. Turk, Les standards constitutionnels mondiaux, Bruxelles,
Bruylant, 2018, pp. 209-240.
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2.2.2.1 La translation normative
L’exportation ou l’extension normative sont deux notions voisines et interdé-
pendantes qui retracent un processus de translation normative effectué par les
multinationales. La première vise à poursuivre l’objectif de la norme interna-
tionale ou du standard par l’entreprise et la seconde vise à contraindre un sujet
ou un acteur de droit international à se conformer à cette règle en cas de man-
quement. Cette pratique met en lumière le rôle de gardien ou de protecteur
du droit international exercé par les entreprises multinationales, ce qui reste
une approche iconoclaste, mais fort intéressante. Selon Jay Butler, il existe
différentes raisons qui animent les entreprises gardiennes du droit internatio-
nal. « The corporate keeper phenomenon encompasses a broad range of busi-
ness activities and decision support of international law » 168. L’auteur mêle
les notions d’extension, d’exportation et d’application du droit international
alors que les deux premières notions signifient la même chose, la troisième
relevant par ailleurs d’un autre champ. C’est pour cela que la question de l’ap-
plication du droit international par les entreprises multinationales sera traitée
séparément. Plusieurs intervenants peuvent inciter les entreprises à rendre leur
conduite conforme aux principes du droit international. Parmi ces intervenants,
figurent les organisations internationales, les organisations non gouvernemen-
tales et parfois les médias. Par exemple, il est mentionné dans les principes
directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme
que, lorsqu’elles le peuvent, celles-ci doivent ne pas s’opposer à l’exercice des
droits de l’homme et au contraire promouvoir la réglementation internationale
de protection des droits de l’homme 169. Le représentant spécial du Secrétaire
général des Nations Unies rappelle dans le point 6 de son rapport que « les États
devraient promouvoir le respect des droits de l’homme par les entreprises avec
lesquelles ils effectuent des transactions commerciales » 170. La circulation des
normes internationales de protection des droits de l’homme semble évidente au
travers de ces principes et les sociétés ont un rôle à y jouer. La conclusion des
contrats devrait obéir aux standards internationaux de promotion et de protec-
tion internationale des droits de l’homme. Il se dégage de ce même principe
un besoin d’assistance de la part des multinationales dans les zones de conflit
armé. C’est l’une des différentes formes de la translation normative remplie par
les entreprises multinationales. La translation normative se présente également
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sous une forme d’internalisation des normes internationales. Le cas des trai-
tés bilatéraux d’investissement qui ouvrent différents droits aux investisseurs
(multinationales) demeure à juste titre très édifiant, spécialement au regard de
l’impact de ces traités sur la gouvernance nationale de l’État d’accueil 171. Le
fait d’invoquer des clauses de protection des droits de l’homme (tels que la
liberté d’investir ou le droit propriété) figurant dans les contrats ou celles visant
à contourner la juridiction de l’État d’accueil par l’arbitrabilité internationale
d’éventuels différends contractuels entre ce dernier et l’entreprise enracine
davantage le droit international. Le principe de primauté du droit international
sur le droit interne, tel qu’il est prévu par l’article 27 de la Convention de Vienne
sur le droit des traités du 23 mai 1969, vient se greffer sur la clause compro-
missoire insérée dans les TBI ainsi que les droits garantis aux entreprises dans
les mêmes traités. De cette façon, ces sociétés (investisseurs) contribuent acti-
vement à l’extension du droit international et à opposer aux États leurs propres
obligations internationales 172. Le droit international façonne dès lors le compor-
tement des sociétés transnationales et met à l’ordre du jour l’interaction norma-
tive forte entre les normes internationales et la conduite des entreprises au sein
du système juridique international. L’exigence de la conformité au droit inter-
national constitue l’une des facettes de l’extension normative réalisée par les
multinationales chinoises dans le différend relatif à la propriété intellectuelle
169. Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mise en œuvre du cadre
de référence protéger, respecter, réparer, Genève, Nations Unies, 2011.
170. Rapport du représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies chargé de la question
des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, A/HCR/17/31,
21 mars 2011, p. 12.
171. J. Calamita, « The Internalisation of Investment Treaties and the Rule of the Law Promise »,
Oxford University, conférence, 7 mars 2019.
172. J. Butler, « The Coporate Keepers of International Law », op. cit., pp. 199-200.
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une double dimension : d’une part, un recalibrage des relations commerciales
interentreprises et interétatiques et, d’autre part, une normalisation des relations
économiques entre les deux pays. Il s’agit principalement des clauses relatives
à la propriété intellectuelle, au transfert de technologie, et de celles relatives
aux produits alimentaires agricoles et financiers. L’intégration de ces clauses
permet plus de protection des entreprises américaines contre la politique com-
merciale prônée par Pékin 176. L’exportation et l’extension du droit international
par les multinationales ne doivent pas faire oublier le rôle de plus en plus appa-
rent de celles-ci dans la mise en œuvre des normes internationales.
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et sociales de l’État d’accueil. Ces clauses peuvent être limitées à la protec-
tion de l’environnement et au développement durable ou couvrir des domaines
plus larges tels que les droits de l’homme, le droit social, le droit fiscal, etc.
Le cas des traités bilatéraux d’investissement conclus entre le Maroc et le
Nigéria (article 13 du TBI) en 2016, ainsi qu’entre le Maroc et le Brésil en
2019 (article 23) constituent des exemples édifiants 179. Parfois, les États dans
lesquels les multinationales s’installent sont moins exigeants sur le plan de la
sécurité que les entreprises elles-mêmes qui vont bénéficier un degré de pro-
tection plus élevé en raison des standards qu’elles utilisent à l’échelle de leurs
différentes filiales. L’« importation » de ces standards sera ou non consentie
par les entreprises selon les différents cas de figure. Cependant, la participa-
tion des entreprises à la mise en œuvre du droit international est considérée
comme subversive en matière environnementale lorsqu’elle favorise les inté-
rêts économiques au détriment des enjeux écologiques avec une forte limitation
de l’action des États, notamment dans le cadre du contentieux arbitral trans-
national devant le CIRDI 180. Les arbitres CIRDI appliquent progressivement
des éléments relatifs au droit de l’environnement et aux droits de l’homme en
les combinant avec les règles de protection des investissements étrangers sur
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seize ans. L’arbitre de l’OMC a rendu récemment une décision qui condamne
les États-Unis et autorise l’UE à prendre des mesures de rétorsion à hauteur de
4 milliards de dollars. Cette décision arbitrale constitue un cas concret d’appli-
cation du droit international économique au profit d’une entreprise multinatio-
nale et au détriment d’une autre 184.
CONCLUSION
Le pouvoir normatif adjacent développé par les multinationales échappe au
droit international, d’une part, à cause de son élaboration au sein de la sphère
transétatique en recourant à des modes semblables à ceux des États, mais avec
une finalité différente et, d’autre part, du fait de son déploiement en marge des
circuits normatifs westphaliens, particulièrement dans une perspective pure-
ment transnationale. L’exemple de la diplomatie entrepreneuriale (diplomatie
institutionnelle et commerciale) développée par ce type de sociétés reste une
première au sein du système juridique international. L’ubiquité normative des
sociétés transnationales va à l’encontre du modèle normatif interétatique, ce
181. O. Danic, « Droit international des investissements, droits de l’homme, droit de l’environne-
ment », in Ch. Leben (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transna-
tional, op. cit., pp. 553-569.
182. A. Telesetsky, « Co-regulation and the Role of Transnational Corporations as Subjects in
Implementing International Environmental Law », in A. Byrnes, M. Hayashi, Chr. Michaelsen
(eds.), International Law in the New Age of Globalization, op. cit., pp. 287-293.
183. M. Chemillier-Gendreau, « L’entreprise est-elle soumise aux règles de droit internatio-
nal ? », in A. Supiot (dir.), L’entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives écono-
miques et juridiques, op.cit., pp. 100-101.
184. OMC, États-Unis – Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs, décision
de l’arbitre en vertu de l’article 22 :6 du Mémorandum d’accord sur le règlement des diffé-
rends, WT/DS353/ARB, 13 octobre 2020.
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juridique internationaliste qui devra développer une nouvelle grille d’analyse
capable de mieux cerner les stratégies juridiques des multinationales. Volens
nolens, le phénomène de canalisation des normes internationales poursuivie par
ces entreprises est la conséquence de l’enchevêtrement des marchés, des activi-
tés commerciales des entreprises et des États. La place occupée aujourd’hui par
les entreprises multinationales au sein de l’ordre juridique international consti-
tue une question aux confins incertains des ordres juridiques transnational et
international et des interactions normatives en plusieurs systèmes de droit. Les
manœuvres normatives des entreprises multinationales génèrent des modula-
tions qui accroissent davantage la diversité et la densité du droit international.
La sagacité de l’entreprise multinationale réside dans son assimilation du droit
international pour une utilisation optimale, comme moyen d’action ou de réac-
tion afin de défendre ses intérêts partout dans le monde.
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