Vous êtes sur la page 1sur 10

SEPTIÈME PARTIE : CONTESTATION DU DROIT TRANSNATIONAL,

ÉCONOMIQUE ET COMMERCIAL

Chapitre 4 LA REMISE EN CAUSE DES REGLES DU COMMERCE


INTERNATIONAL PAR LES ETATS AFRICAINS : CAUSES, CONSEQUENCES ET
PERSPECTIVES
Résumé
L’encadrement des échanges commerciaux internationaux n’a pas suivi le rythme des
mutations qui se sont opérées dans ce domaine depuis plusieurs décennies. Des voix s’élèvent
de plus en plus en faveur d’une refonte du système régulateur des échanges commerciaux. Ce
chapitre passe en revue la remise en cause des règles du commerce international par les Etats
africains. Les facteurs explicatifs de ce phénomène, ses répercussions ainsi que les
perspectives y sont analysés. Une exégèse des instruments juridiques encadrant les relations
commerciales internationales, une analyse des documents et interviews relatifs à ce champ
d’étude ainsi qu’une observation des faits des différents acteurs constituent les matériaux
méthodologiques ayant été convoqués pour mener à bien notre analyse. A l’issue de ce travail,
il ressort que des facteurs explicatifs tant intrinsèques qu’extrinsèques sont à l’origine de la
remise en cause des règles du commerce international par les Etats africains. Ils entrainent
non seulement la prolifération d’autres formes de régulation des rapports commerciaux
internationaux, mais également des contestations sociales. En vue de contenir un tel
phénomène qui pourrait déboucher sur l’effondrement du système commercial international,
des solutions s’offrent aux différents acteurs de ce système.
Mots clés : Commerce international, - Remise en cause, - Etats africains
Abtract
Current international trade rules have not kept pace with changes that have taken place in this
area over several decades. There are growing calls for an overhaul of the trade regulatory
system. This chapter reviews the questioning of international trade rules by African states.
Explanatory factors of this phenomenon, its repercussions as well as the prospects are
analyzed. An exegesis of legal instruments governing international trade relations, an analysis
of documents and interviews relating to this field of study as well as an observation of actors’
facts constitute methodological materials were used to carry out our analysis. At the end of
this work, it appears that both intrinsic and extrinsic explanatory factors are at the origin of
questioning rules of international trade by African States. They lead not only to the
proliferation of other forms of regulation for international trade relations; but also to social
protests. In order to contain such a phenomenon, which could lead to the collapse of the
international trading system, solutions are available for actors in this system.
Keywords: International trade, - Questioning, - African states
Introduction
Les normes matérielles internationales ont évolué principalement dans les domaines liés au
commerce international. C'est le cas de la vente internationale de marchandises, du transport
international, du droit des transactions financières internationales, du droit international des
investissements et du droit spatial. Face au nouveau contexte économique marqué par
l’émergence de nouveaux acteurs, le changement de la nature des échanges ainsi que la
contestation du Mécanisme de règlement des différends de l’OMC ayant conduit à la
multiplication des accords hors-OMC et à la contestation sans cesse grandissante de cette
institution chargée de réguler les relations commerciales mondiales; c’est de nos jours le
fondement même de l’ordre commercial multilatéral inventé dans l’après-guerre qui est remis
en cause en particulier par les Etats africains. Pour quelles raisons ? Quelles sont les
conséquences d’une telle remise en cause ? Et quelles peuvent être les pistes à explorer pour y
remédier ? La réflexion que nous menons sur le sujet apportera des éléments de réponse à
chacune de ces interrogations. Ainsi avant d’aborder les possibles solutions face à la remise
en cause des règles du commerce international par les Etats africains (Section 3), nous
évoquerons tout d’abord les facteurs explicatifs de ce phénomène (Section 1) et ensuite ses
répercussions (Section 2).
Section 1. Les facteurs explicatifs de la remise en cause des règles du commerce
international
Une cause peut être appréhendée comme ce qui produit quelque chose ou encore la raison ou
l’origine de quelque chose1. Sous ce prisme définitionnel, les facteurs explicatifs de la remise
en cause des règles du commerce international par les Etats africains nous amènent à nous
interroger du point de vue des Etats africains, sur les raisons ou encore les origines de la
nécessité de revoir les règles régulant le commerce international. Les raisons peuvent être
liées à ces règles telles qu’elles sont actuellement appliquées, ou provenir d’autres facteurs.
Dans le premier cas, il s’agira des facteurs explicatifs intrinsèques alors que dans le second
cas, on parlera des facteurs explicatifs extrinsèques
§ 1. Les facteurs explicatifs intrinsèques
L’adjectif intrinsèque renvoie à ce qui est intérieur et propre à ce dont il s'agit. Dans le cadre
des facteurs explicatifs intrinsèques de la remise en cause des règles du commerce
international par les Etats africains, nous évoquerons les failles et les insuffisances de ces
règles à réguler les échanges commerciaux mondiaux au regard de nombreuses mutations et
évolutions observées dans ce secteur. Ainsi, nous parlerons tour à tour de l’inadaptation des
règles de l’OMC à régir les rapports commerciaux actuels et de l’effritement de la légitimité
de l’OMC.
- L’inadaptation des règles de l’OMC à régir les rapports commerciaux actuels
L'internationalisation croissante des processus de production, le développement du
commerce international des services et des investissements étrangers, l'émergence de
nouvelles nations commerciales, le rôle croissant des normes et l'évolution des politiques
agricoles et industrielles ont profondément modifié le paysage des affaires. Cette situation a
pour corollaire une multiplicité des différends commerciaux. Cette nouvelle donne exige des
règles évolutives auxquelles, jusqu'à présent, l'OMC a semblé impuissante à établir. A titre
1
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/cause/13860
d’illustration, l’inefficience du statut de tierces parties sous une double déclinaison (le risque
d’atteinte aux droits des tierces parties et l’existence du contentieux de la mise en œuvre des
recommandations du groupe spécial) est une réalité implacable.
Le risque d’atteinte aux droits et intérêts des tierces parties dans le règlement des
différends est implicitement prévu dans le Mémorandum d’accord2. Ce dispositif revient à
reconnaître que le régime d’intervention prévu à l’article 10.2 et 10.3 du Mémorandum
d’accord peut ne pas suffire à protéger les droits et intérêts des tierces parties 3. Le Cameroun
membre de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale a relevé cette
insuffisance textuelle des règles de l’OMC.
En effet, lors de l’adoption du rapport de l’Organe d’appel et du Groupe spécial dans
l’affaire CE – Bananes III (deuxième recours de l’Equateur à l’article 21.5), le Cameroun a
insisté sur ce risque, lorsque le juge de l’OMC ne prend pas en compte les arguments soulevés
par les tierces parties4. Il apparaît que le risque soulevé par le Cameroun est le plus cohérent.
Quoique reconnaissant que le juge ait décidé de ne prendre en compte que les informations
pertinentes dans les communications écrites ou orales soumises par les tierces parties, la façon
dont il les traite peut susciter l’appréhension. Il est très rare que les arguments des tierces
parties soient discutés par le juge, ce qui en soi est questionnable. Le mutisme du juge, ou
plus précisément, l’absence de référence explicite aux arguments des tierces parties donne
alors l’impression que ces arguments ne sont pas du tout examinés 5. La deuxième déclinaison
de l’inefficience du statut de tierce partie est l’existence du contentieux de la mise en œuvre
des recommandations du groupe spécial.
Lorsqu’un Membre commence une procédure de règlement des différends et que cette
procédure aboutit à une recommandation de l'Organe de règlement des différends (ORD), il
paraît légitime que l'État plaignant s'attende au retrait des mesures qui réduisent ses
avantages6. Comme le relève Carine Mocquart, « [l]es rapports adoptés par l'ORD ne
constituent que la manifestation des droits et obligations que le membre s'est engagé à
respecter »7. Toutefois, un Membre peut choisir délibérément de ne pas mettre en œuvre les
recommandations adressées par l'ORD. Dans ce cas, l'article 22 du Mémorandum d’accord
2
A cet égard, il faut noter que l’article 10.4 du Mémorandum d’accord prévoit explicitement que : Si une tierce
partie estime qu’une mesure qui a déjà fait l’objet de la procédure des groupes spéciaux annule ou compromet
des avantages résultant pour elle d’un accord visé, ce Membre pourra avoir recours aux procédures normales de
règlement des différends prévues dans le présent mémorandum d’accord. Un tel différend sera, dans tous les cas
où cela sera possible, porté devant le groupe spécial initial.
3
Pour une analyse approfondie sur le risque d’atteinte aux droits et intérêts des tierces parties dans le règlement
des différends de l’O.M.C., lire NGUYEN (Ngoc Ha), L’intervention des tierces parties dans le règlement des
différends à l’OMC, Thèse de doctorat en droit public, Université Aix Marseille, 2015, 372 p. (spéc. pp .343 et
suivants).
4
On pouvait comprendre qu’un certain nombre d’arguments soulevés par les tierces parties ne soient pas pris en
compte lorsque l’organe, du moins l’Organe d’appel, décidait de les écarter au motif qu’ils étaient, selon lui,
dénués de fondement, mais lorsque ces arguments étaient simplement passés sous silence, cela posait problème.
Ces arguments devraient être traités et réfutés formellement. Le Cameroun se demandait si l’Organe d’appel
avait décidé de faire fi du droit de se défendre. (Voir WT/DSB/M/260, note 1667, para. 18.).
5
Cf. NGONDJE SONGUE Emma, Les implications juridiques de la participation des Etats de la CEMAC à
l’OMC, Thèse de doctorat en droit public, Université Douala, 2020, 344 p. (spéc. pp .143 et suivants).
6
Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, Annexe 2 de l’Accord
de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, (article 3 (7).
7
Voir MOCQUART (Carine), « Problems of Commercial Compensations and Withdrawals of Concession in the
WTO Dispute Settlement System », [2003)], 1, R.D.A.I., pp. 39-59 (spéc. p.39) ; cité par BURDA (Julien), «
L'efficacité du mécanisme de règlement des différends de L'OMC : vers une meilleure prévisibilité du système
commercial multilatéral », (2005), 18.2, Revue québécoise de droit international, pp.1-37(spéc. p.26).
donne la possibilité de compenser cette absence de mise en œuvre des recommandations par
le recours à des mesures correctives dans le but de revenir à l'équilibre des concessions
négociées.
Cette disposition prévoit deux hypothèses pour remédier au défaut de mise en œuvre des
recommandations : l'octroi d'une compensation volontaire et mutuellement acceptable et
acceptée au profit du Membre plaignant ou, à défaut, l'autorisation de suspendre des
concessions ou d'autres obligations à l'égard du Membre incriminé.
Pour ce qui est de l'octroi d'une compensation volontaire et mutuellement acceptable et
acceptée au profit du Membre plaignant, elle doit également n'être que temporaire dans
l'attente du retrait définitif de la mesure incriminée, car une telle compensation ne saurait se
substituer à l'obligation de mettre en œuvre les recommandations de l'ORD 8. Mais force est de
constater au regard de la pratique, une déformation de l'esprit originel, qui s'est
progressivement instaurée entre les Membres : la volonté pour la plupart de se complaire dans
leurs violations et accepter certaines concessions, qui est un prix du non-respect du droit.
C’est dans cette catégorie que se trouve le Brésil dans le différend États-Unis – Coton
upland qui s’est achevé, non par le retrait des subventions américaines jugées illégales, mais
plutôt par un arrangement mutuellement convenu entre le Brésil et les Etats Unis. Et c’est à ce
niveau que les tierces parties soutenant la position du Brésil, en particulier le Tchad autre Etat
de la CEMAC, se trouvent doublement lésées. Non seulement les subventions américaines,
source de distorsions des échanges et de préjudices pour les producteurs de coton ne sont pas
retirées, mais en plus ces pays, tierces parties, ne bénéficient pas véritablement de l’accord
conclu entre les principales parties au différend. Ainsi, tous les efforts déployés en tant que
tierces parties pour défendre leurs intérêts dans le cadre de ce différend produisent très peu
d’effets, ceci en raison non seulement de la construction des règles de l’OMC (qui le
permettent), mais également de la pratique des Membres qui se complaisent à violer leurs
obligations et à accepter certaines concessions, prix du non-respect du droit.
Toutes choses nous amenant à penser que le contentieux de la mise en œuvre des
recommandations de l’ORD reste entier, réduisant à peu de choses en réalité, les bénéfices
attachés au statut de tierces parties dans un différend à l’OMC. Il est impératif pour assurer la
crédibilité de cette institution, qu’une réforme profonde du système de règlement des
différends (SRD) ait lieu et aboutisse à des résultats satisfaisants pour toutes les parties. Ainsi,
l’effritement sans cesse grandissant de la légitimité de l’OMC, autre facteur explicatif
intrinsèque de la remise en cause des règles du commerce international par les Etats africains,
pourra être inversé.

- L’effritement de la légitimité de l’OMC


La crise de légitimité que traverse l’institution en charge de la régulation du commerce au
niveau mondial est visible depuis quelques années. L’OMC est critiquée de l’intérieur par
plusieurs membres dont les Etats Unis. En outre, les retombées liées à la libéralisation ou à la
régulation du commerce international ne sont pas toujours perceptibles. Selon Houssein,
Guimbard9, « Certains ajustements dans ces politiques commerciales peuvent créer des pertes
localisées très visibles sur le marché du travail de certains secteurs dans certains pays,
ajoutant aux critiques de l’organisation ».

8
Mémorandum d’accord, à l’art. 22 (1).
9
Économiste au Centre d’Etudes prospectives et d'Informations internationales (CEPII)
En outre, il faut relever que le principal cycle de négociations de l’OMC, à savoir le cycle
de Doha, a été un échec. Il est par conséquent difficile de légitimer une institution dont l’un
des buts majeurs a été mis en échec voilà quelques années. C’est ainsi l’ensemble de la
structure de l’OMC qui a du mal à tenir debout.
Par ailleurs, la règle de l’unanimité et du consensus dans la prise des décisions au sein de
l’OMC a contribué au fil du temps à paralyser son fonctionnement. Pour mémoire, les Etats-
Unis utilisent cette « arme » pour bloquer le renouvellement des juges à l’organe d’appel qui
n’exerce plus ses activités depuis décembre 2009, ce qui remet en cause sa capacité à faire
appliquer les règles de l’organisation10.
A côté de ces causes intrinsèques justifiant la remise en cause des règles du commerce
international par les Etats africains en particulier, nous pouvons également relever quelques
facteurs explicatifs extrinsèques.

§ 2. Les facteurs explicatifs extrinsèques


Au rang des causes extérieures au système de régulation du commerce international
responsables de la remise en causes des règles du commerce international particulièrement par
les pays africains, nous avons les règles commerciales faussées en faveur des pays riches et le
mythe de l’échange libre et sans entrave.

- Les règles commerciales faussées en faveur des pays riches

Les normes du commerce international ont été principalement établies par les pays
développés durant la dernière série de négociations commerciales (cycle d’Uruguay). Elles
correspondent surtout aux intérêts de ces pays. Pendant le cycle d’Uruguay qui a pris fin en
1994, un grand nombre de pays en développement n’ont pas eu les moyens d’envoyer des
négociateurs les représenter ou se sont surtout intéressés à des questions qui les préoccupaient
davantage à cette époque, telles que les subventions agricoles qu’accordent les pays du Nord.
Bon nombre de ces pays ne font toujours pas partie des institutions internationales qui fixent
les normes applicables dans ce domaine et ne disposent pas non plus des fonds, de la main-
d’œuvre ni de l’infrastructure nécessaires pour se conformer aux normes adoptées.
Selon Mme Simonetta Zarrilli de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le
développement, bien qu’il faille des mesures sanitaires et phytosanitaires pour protéger les
consommateurs, les retombées bénéfiques de la libéralisation des échanges dans le secteur
agricole qu’a permise le cycle d’Uruguay « risquent d’être compromises par le recours à des
fins protectionnistes de mesures sanitaires et phytosanitaires »11.
A titre d’illustration, on dénombre de nombreux exemples de mesures sanitaires et
phytosanitaires permises par les règles du commerce international ayant servi à limiter
l’entrée de marchandises africaines sur les marchés étrangers. A la fin des années 90, les pays
européens ont interdit les poissons en provenance du Kenya, du Mozambique, de l’Ouganda
et de la Tanzanie en raison de doutes quant aux normes sanitaires de ces pays et à leurs
systèmes de réglementation. L’Ouganda a ainsi enregistré un manque à gagner de 36,9
10
La situation actuelle est que des 7 juges, il n’en reste plus qu’un, le Chinois Hong Zhao, dont le mandat
arrivera à échéance à la fin de l’année. Pour juger un différend, il faut 3 juges, or il n’y en a plus qu'un de
disponible. La paralysie vient donc du fait que les USA s’opposent au renouvellement des juges et qu’il n’y a pas
assez de juges actuellement pour régler les différends.
11
https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/january-2006/de-nouveaux-obstacles-au-commerce-de-l
%E2%80%99afrique
millions de dollars. En Tanzanie, où les poissons et les produits dérivés représentaient 10 %
des exportations annuelles, les pêcheurs tributaires des ventes à l’Union européenne ont perdu
80 % de leurs revenus, d’après la Banque mondiale12. Cette situation révélatrice des
distorsions des règles du commerce international au niveau de l’esprit desdites règles nous
amène à souscrire à l’assertion de M. Trevor Manuel, Ministre des finances de l’Afrique du
Sud selon laquelle : « Le problème n’est pas que le commerce international aille
fondamentalement à l’encontre des besoins et des intérêts des pays pauvres, mais que les
règles qui le régissent soient faussées en faveur des pays riches ». Hormis le caractère
déséquilibré des règles du commerce international expliquant leur remise en cause, celle-ci se
justifie également par le mythe de l’échange libre et sans entrave.

- Le mythe de l’échange libre et sans entrave

Longtemps présentée comme un système gagnant-gagnant par les partenaires du continent


africain, la libéralisation des échanges s’est trop souvent faite aux dépens des pays africains.
Plusieurs traités de libre échange ont été signés par les pays africains et les pays développés.
Mais dans les faits, très peu d’entre eux ont abouti à l’objectif premier du texte ratifié. En
l’occurrence, « promouvoir, par l’expansion du commerce réciproque, le développement
harmonieux des relations économiques ». Le malaise est grandissant partout en Afrique. Pour
preuve, le Cameroun, l’un des premiers pays d’Afrique subsaharienne francophone à signer,
en 2014, un accord de partenariat économique (APE) avec l’UE, a récemment activé, des «
mesures de sauvegarde » et suspendu le deuxième pan de démantèlement tarifaire prévu par le
traité. Motif officiel : l’impact du Covid-19. Les médias locaux avaient pour leur part pointé
une baisse des recettes douanières du fait des exonérations de l’APE… 13 Mais la décision de
Yaoundé est symptomatique d’un malaise croissant quant aux vertus du subtil mélange de
coopération, d’aide au développement et de stratégie commerciale poursuivie, dans sa relation
avec l’Afrique, par le Vieux Continent, qui reste, malgré la percée de la Chine, son premier
partenaire commercial.
Le dogme du commerce « libre et sans entraves » sans cesse scandé par les défenseurs du
libéralisme économique se trouve être à l’origine, au regard de ses effets, de la remise en
cause des règles du commerce international dont les conséquences sont perceptibles à
plusieurs niveaux.

Section 2. Les conséquences de la remise en cause des règles du commerce


international
Certains se réjouiront sans doute de l’infortune d’une organisation qui a mauvaise presse sur
le continent africain. Pourtant, l’alternative qui se dessine ne présente guère d’attrait : c’est
celle d’une multitude d’accords où les rapports de force s’exprimeront de façon plus brutale et
opaque, où les pays les plus pauvres resteront à l’écart, et où des règles à géométrie variable
compliqueront la vie des exportateurs, surtout les plus petits d’entre eux. Cette description du
rapport des Etats africains aux règles du commerce international laisse percevoir les
conséquences d’une remise en cause de ces règles tant sur le plan juridique que sur le plan
économique et social.
12
https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/january-2006/de-nouveaux-obstacles-au-commerce-de-l
%E2%80%99afrique
13
https://www.jeuneafrique.com/mag/1034302/economie/commerce-international-pourquoi-lafrique-doit-en-
finir-avec-la-comedie-de-lechange-libre-et-sans-entraves/
§ 1. Sur le plan juridique
Une des répercussions la plus visible de la remise en cause des règles du commerce
international par les Etats africains est la multiplication grandissante des accords
commerciaux régionaux (ACR) et bilatéraux.
Les accords commerciaux régionaux représentent aujourd’hui plus de la moitié des
échanges internationaux, et se mettent en place parallèlement aux vastes accords multilatéraux
de l’Organisation mondiale du commerce 14. Un des objectifs de la signature de ces ACR par
certains pays est la création d’un précédent ayant pour finalité l’élaboration de futures règles
multilatérales. Un autre but de la croissance rapide des accords commerciaux régionaux est
l’élaboration des règles et mesures plus adaptées à l’évolution des relations commerciales
actuelles. Les présentes règles du système commercial mondial n’étant pas en mesure de
répondre à une telle évolution, celles contenues dans les ACR ambitionnent de les compléter,
voire de les faire évoluer. C’est ainsi que le champ couvert par les ACR s’étend de nos jours
au-delà du cadre des règles multilatérales déjà en place. Ils couvrent les domaines tels que
l’investissement, la concurrence et les entreprises publiques, le commerce électronique, la
lutte contre la corruption, autant d’enjeux majeurs pour l’action publique et dont il faut
désormais tenir compte sur des marchés de plus en plus interconnectés. Au rang des ACR,
nous pouvons citer la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA)15 qui élimine les
droits de douane sur 90 % des biens produits sur le continent, s'attaque aux obstacles non
tarifaires au commerce et garantit la libre circulation des personnes.
A côté de cette conséquence juridique liée à la remise en cause des règles de l’OMC par
les Etats africains, nous observons également des impacts sur le plan économique et social.

§ 2. Sur le plan économique et social


Les règles du commerce international ne sont pas seulement contestées au niveau
juridique, mais également économique et social. Car elles influencent le quotidien de
nombreuses personnes à travers le monde. De telles influences conduisent de manière
croissante à la montée de la protestation contre la mondialisation libérale.
En effet, quelques chiffres16 permettent de remettre en perspective les affirmations des
thuriféraires de la mondialisation heureuse … En fin de compte, la mondialisation libérale
n’apporte pas automatiquement joie et bien-être aux peuples du monde. On observe depuis
quelques années, une multiplication de combats à l’échelle mondiale. Les mouvements contre
la mondialisation libérale prennent des formes parfois diversifiées : altermondialisme, luttes
de type « indignés », processus révolutionnaires dans le monde arabe, flambées de
contestation au Brésil, mais aussi grèves ouvrières plus classiques (Afrique du Sud, par

14
https://www.oecd.org/fr/echanges/sujets/accords-commerciaux-regionaux/
15
Cet accord a été adopté le 21 mars 2018 et est entré en vigueur le 30 mai 2019. La date de la dernière signature
étant le 05 février 2021.
16
Dans un rapport publié au mois de janvier 2014, l’organisation non gouvernementale Oxfam indique que les
inégalités économiques s’amplifient rapidement dans la plupart des pays. D’un côté, 85 personnes, les plus
riches de la planète. De l’autre, 3,5 milliards d’individus, les plus pauvres. Les premiers possèdent autant que les
seconds réunis. Près de la moitié des richesses mondiales est concentrée entre les mains des 1 % les plus riches,
tandis que 99 % de la population mondiale se partagent l’autre moitié. Sept personnes sur dix vivent dans un
pays au sein duquel les inégalités se sont creusées au cours de ces trente dernières années. Cf. Didier Billion,
« Grandeur et misère des mouvements de contestation de la mondialisation libérale »in Revue internationale et
stratégique 2014/1 (n° 93), pages 49 à 52.
exemple) ou encore des émeutes contre la vie chère en Afrique subsaharienne (émeutes de la
faim au Cameroun).
L’ensemble de ces formes de contestation indique la recherche de nouvelles voies au
modèle de développement économique dominant. Le mouvement de contestation de la
mondialisation stigmatise l'approche libérale et le pouvoir des multinationales et défend des
dossiers spécifiques : protection de l'environnement et de la biodiversité, défense des droits de
l'homme, lutte contre le blanchiment d'argent, remise de la dette des pays pauvres, etc. Au
sein de ce mouvement à travers le monde, on retrouve des universitaires, des auteurs, des
étudiants, des parlementaires, des journalistes, des associations nationales et internationales,
des mouvements de jeunes, des syndicats professionnels, et bien d'autres participants. Cette
pluralité d’acteurs de la remise en cause des règles du commerce international démontrent à
suffisance l’impérieuse nécessité de proposer des solutions qui permettront une régulation
plus efficace et efficiente du commerce international.

Section 3. Les perspectives face à la remise en cause des règles du commerce


international
Le libéralisme économique n’a pas toujours servi les pays en voie de développement et la
mondialisation n’a pas tenu ses promesses. L’Organisation mondiale du commerce se trouve
en grandes difficultés, sans plus aucun accord multilatéral convenable possible. Face à cette
impasse, des issues de secours doivent être envisagées pour que les règles du commerce
international atteignent les buts qui sont les leurs ; entre autres réguler les échanges
commerciaux mondiaux de manière juste et équitable. Pour ce faire, des initiatives doivent
être entreprises aussi bien au niveau de l’organisme régulateur du commerce international
qu’au niveau régional et sous régional.
§ 1. Au niveau de l’institution régulatrice du commerce international
Pour que les règles du commerce international soient de moins en moins contestées et
qu’elles regagnent la confiance des acteurs de ce secteur névralgique pour l’économie des
pays, nous souscrivons à l’adoption d’un multilatéralisme croisé.
En effet, face à l’OMC qui se trouve en grande difficulté, la frustration est profonde.
Comment négocier au sein de cette institution en charge de réguler les échanges commerciaux
internationaux des dispositions sur les transactions électroniques par exemple, alors que les
précédentes négociations ne sont pas mises en œuvre ? Dans cet environnement, les nouvelles
formes du multilatéralisme sont peut-être celles les moins vulgarisées : les coopérations en
matière de numérique, de propriété intellectuelle, de droits de l’homme, les nouveaux secteurs
à prendre en compte dans la nouvelle configuration des relations commerciales
internationales. Bilatérales, plurilatérales ou multilatérales, ces coopérations sont concrètes et
ponctuelles. Ce qui existe doit être vulgarisé, même si c’est moins spectaculaire pour faire
renaitre la confiance. A titre d’illustration, l’organisation mondiale de la météorologie a mis
en place des systèmes d’alerte au tsunami. Les règles de sécurité routière sont standardisées
au niveau de l’ONU, des conventions sur la biodiversité sont signées. La CNUCED a par
exemple développé depuis 10-15 ans avec quelques ports européens, dont Dublin pour les
pays en développement anglophones et Marseille pour les francophones, un réseau de
formation des gestionnaires de port. Ce projet est aujourd’hui fragilisé par le rachat de ports
par des grandes puissances comme la Chine17. De telles initiatives constituent des voies de

17
https://www.open-diplomacy.eu/blog/grand-entretien-durant-commerce-juste
contournement au multilatéralisme classique. Selon Isabelle Durant, « Ce multilatéralisme
croisé produit des résultats intéressants, souples et concrets, et peut nourrir des formes plus
classiques de multilatéralisme »18.
S’il reste beaucoup à faire en matière de lutte contre l’évasion fiscale, les paradis fiscaux,
la critique est cependant nécessaire autant que la lucidité sur les faiblesses du système
multilatéral de ce début de XXIe siècle, mais attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du
bain. En attendant que l’OMC ne refonde ses règles, ce qui existe au niveau multilatéral
pourrait atténuer les distorsions observées dans la mise en œuvre des règles du commerce
international. Des solutions au niveau régional et sous régional peuvent également être
envisagées.

§ 2. Au niveau régional et sous régional


Malgré la longue histoire de l’intégration régionale sur le continent, le commerce intra-
africain reste inférieur à celui observé dans toutes les autres parties du monde, aussi bien
développées qu’en développement19. Pourtant, plus des trois quarts des échanges
commerciaux intra-africains s’effectuent au sein des accords commerciaux régionaux20. Parmi
ces derniers, ceux de l’Afrique Centrale à savoir la CEEAC et CEMAC 21 présentent les plus
mauvais scores en matière de commerce intra-sous régional. Un des leviers à activer par la
CEMAC serait de renforcer le commerce intra-sous régional en vue de booster l’intégration
régionale en matière de commerce sur le continent.
Pour ce faire, l’organisation sous régionale doit s’attaquer à l’épineux problème de la
qualité du cadre juridique et de la corruption comme l’a révélée une étude empirique menée
sur la question22. Ainsi, avant de s’attaquer de manière frontale aux règles du commerce
international qui, nous le reconnaissons, ne sont pas en l’état actuel capables de réguler de
manière juste et équitable les rapports commerciaux, le continent africain doit être conscient
que : « Le vrai problème de l’Afrique reste qu’elle demeure à 3 % du commerce international.
Il faut se poser la question de l’intégration avant de poser celle d’un libre-échange égalitaire
»23.
L’intégration commerciale intra-africaine constitue un autre levier à activer par les Etats
africains pour avoir voix au chapitre dans l’établissement de nouvelles règles de régulation du
commerce international. Une phase importante de l’activation de ce levier a été la création
d’une zone de libre-échange au sein de l’Union africaine visant ainsi à faire tomber les
barrières internes et à générer un grand marché24 : cela prendra du temps, mais c’est important
et pourrait permettre de rééquilibrer les règles du commerce international.

18
Isabelle Durant est Secrétaire générale adjointe de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le
développement - CNUCED.
19
Cf. Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED),2009.
20
Cf. CNUCED 2009.
21
La CEEAC est la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale. La CEMAC quant à elle est la
communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.
22
Désiré Avom, Gislain Stéphane Gandjon Fankem ; « Qualité du cadre juridique, corruption et commerce
international : le cas de la CEMAC » ; in Revue d'économie politique 2014/1 (Vol. 124), pages 101 à 128.
23
Selon l’analyse un diplomate, familier des projets de coopération et de développement sur le continent.
24
Le traité instaurant la Zone de libre-échange continentale fixe un cap. L’objectif est de porter le commerce
intra-africain à 60% d’ici une quinzaine d’années au lieu de 16% aujourd’hui. Et pour y parvenir, il est prévu la
suppression progressive de 85% à 90% des tarifs douaniers sur les biens et les services.
Conclusion
Les règles actuelles gouvernant les rapports commerciaux internationaux sont loin de
promouvoir un commerce équitable, encore moins un commerce juste entre les différents
acteurs de ce secteur névralgique des économies des nations. Un bon diagnostic sur les causes
permet de comprendre les réelles raisons pour lesquelles l’institution en charge de réguler les
échanges commerciaux internationaux est grippée dans son fonctionnement entrainant de ce
fait la naissance non seulement d’une règlementation spontanée desdits échanges, mais
également une contestation évolutive de l’idéologie sous tendant ces échanges. Une thérapie
pour remédier à la situation doit être administrée aussi bien au cadre institutionnel qu’aux
différents acteurs du commerce international. La paix et la stabilité mondiale en sont
largement tributaires.
Bibliographie
- Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement
(CNUCED),2009.
- Désiré Avom, Gislain Stéphane Gandjon Fankem ; « Qualité du cadre juridique,
corruption et commerce international : le cas de la CEMAC », in Revue d'économie
politique 2014/1 (Vol. 124), pages 101 à 128.
- Didier Billion, « Grandeur et misère des mouvements de contestation de la
mondialisation libérale », in Revue internationale et stratégique 2014/1 (n° 93), pages
49 à 52.
- https://www.jeuneafrique.com/mag/1034302/economie/commerce-international-
pourquoi-lafrique-doit-en-finir-avec-la-comedie-de-lechange-libre-et-sans-entraves/
- https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/cause/13860
- https://www.oecd.org/fr/echanges/sujets/accords-commerciaux-regionaux/
- https://www.open-diplomacy.eu/blog/grand-entretien-durant-commerce-juste
- https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/january-2006/de-nouveaux-obstacles-
au-commerce-de-l%E2%80%99afrique
- https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/january-2006/de-nouveaux-obstacles-
au-commerce-de-l%E2%80%99afrique
- Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des
différends, Annexe 2 de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du
commerce, (article 3 (7).
- MOCQUART (Carine), « Problems of Commercial Compensations and Withdrawals
of Concession in the WTO Dispute Settlement System », [2003)], 1, R.D.A.I., pp. 39-
59 (spéc. p.39) ; cité par BURDA (Julien), « L'efficacité du mécanisme de règlement
des différends de L'OMC : vers une meilleure prévisibilité du système commercial
multilatéral », (2005), 18.2, Revue québécoise de droit international, pp.1-37(spéc.
p.26).
- NGONDJE SONGUE Emma, Les implications juridiques de la participation des Etats
de la CEMAC à l’OMC, Thèse de doctorat en droit public, Université Douala, 2020,
344 p.
- NGUYEN (Ngoc Ha), L’intervention des tierces parties dans le règlement des
différends à l’OMC, Thèse de doctorat en droit public, Université Aix Marseille, 2015,
372 p. (spéc. pp.343 et suivants).
- WT/DSB/M/260, note 1667, para. 18.

Vous aimerez peut-être aussi