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Transnational Dispute Management

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ISSN : 1875-4120 La protection de l’environnement dans


Issue : (Provisional)
l’accord créant la zone de libre-échange
Published : February 2023
continentale africaine
by E.M.S. Ngondje Songue
This paper will be part of the second TDM Special Issue on "The

This article will bepublished  in a African Continental Free Trade Agreement (AfCFTA)". More
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This article may not be the final
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La protection de l’environnement dans l’accord créant la zone de
libre-échange continentale africaine
NGONDJE SONGUE Emma Marie Solange*

Résumé

L’une des critiques adressées aux traités de libre-échange est la faible prise en compte de
l’impact environnemental du commerce international. Si la libéralisation du commerce est un
facteur de croissance économique, elle ne devrait pas se faire au détriment de la préservation
de l’environnement, gage d’un développement durable. D’où l’importance de faire une analyse
de la protection de l’environnement dans l’Accord créant la zone de libre-échange continentale
africaine. La question principale à laquelle nous apporterons des éléments de réponse est celle
de savoir si le niveau de protection accordé à l’environnement dans cet Accord permet de
garantir un commerce intra-africain source d’un développement durable du continent.  Nous
démontrerons que le dualisme des normes protectrices de l’environnement dans cet Accord
nécessite des outils à mobiliser si l’on souhaite éviter des contentieux environnementaux de
nature à réduire l’impact recherché lors de sa mise sur pied.

I. Introduction

S’il est à relever que l’accroissement du commerce n’implique pas nécessairement


l’accroissement de la pollution1 et partant la dégradation de l’environnement de manière
significative, il n’en demeure pas moins que l’expansion des échanges internationaux et
l’intégration croissante des chaînes de valeur mondiales suscitent tout de même des réflexions
sur les interférences entre commerce et environnement. Ainsi comme le relève opportunément
Jean Lamesch, le « spectre de la dégradation de l’environnement » par l’accroissement du
commerce international a occasionné la montée de prise de conscience de la question
environnementale dans la révision des accords commerciaux dans une tentative consistant à
rallier la promotion des échanges commerciaux avec la préservation de l’environnement.

 
* NGONDJE SONGUE Emma Marie Solange (PhD) est enseignante-chercheur à la Faculté des sciences
juridiques et politiques de l’université de Douala (Cameroun). Juriste internationaliste, ses travaux scientifiques
portent notamment sur le droit international économique, le droit de l’environnement, l’arbitrage et les droits de
l’homme. Elle est ancienne stagiaire de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) instituée par
l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et participante aux cours d'été de
l'Académie de droit international de la Haye (Pays-Bas). Les points de vue exprimés dans cet article n’engagent
que son auteur. Contact: <emma_songue@yahoo.com>.
1
En effet, la qualité environnementale est tributaire de certains facteurs liés au commerce national et international
tels que le volume des transactions ou encore l’évolution de la structure des industries nationales dû au libre-
échange. Relativement au volume des transactions, selon le moyen de transport utilisé, on assiste à plus ou moins
d’émissions de CO2 par rapport au tonnage transporté. Pour ce qui est de l’évolution de la structure des industries
nationales, le cas du Luxembourg est révélateur. Les émissions de CO2 ont été réduites grâce au changement
structurel de la sidérurgie qui est passée des hauts fourneaux aux fours électriques entrainant une contraction des
émissions luxembourgeoises de quelques 20 millions de t/an à environ 10. Pour en savoir plus sur la question, lire
Jean Lamesch, ‘Traités de libre-échange et environnement’ (fondation-idea.lu, 4 novembre 2016)
<https://www.fondation-idea.lu/2016/11/04/traites-de-libre-echange-environnement/>.
1
L’accord créant la zone de libre-échange continentale africaine2 (ZLECAf) n’échappe pas à ce
défi.

En effet, le 7 juillet 2019 à Niamey au Niger, les pays membres de l’Union africaine (UA) ont
lancé symboliquement la « phase opérationnelle 3» de la ZLECAf.4  Cette dernière vise la
création d’un marché unique continental5 pour les biens et les services avec la libre circulation
des biens, des personnes, des capitaux et des investissements, semblable à celle de l’Union
européenne.

 
2
L’idée d’un marché unique africain n’est pas une nouveauté. Ainsi, à la veille de la naissance, en 1963, de
l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’un des principaux protagonistes du débat, le président du Ghana,
Kwame Nkrumah, avait insisté sur la dimension économique de l’unité ou l’union africaine en gestation à
l’époque. « Un Marché commun africain, dans l’intérêt des seuls Africains, serait beaucoup plus propre à aider
les États d’Afrique. Il présuppose une politique commune de commerce extérieur et intérieur, et doit sauvegarder
notre droit de commercer avec qui nous voulons » affirmait-il. Une décennie plus tard, confrontés, au cours des
années 1970, à la persistance du sous-développement - au « développement du sous-développement », les États
africains, après avoir, en vain, participé au plaidoyer à l’Organisation des nations unies (ONU), de 1973 à 1976,
en faveur d’un Nouvel ordre économique international, ont fini par retrouver le chemin du projet panafricaniste
dont la formulation est le Plan d’action de Lagos pour le développement économique de l’Afrique 1980-2000,
adopté par la deuxième session extraordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’OUA
(Lagos, 28-29 avril 1980). A cette occasion, les chefs d’Etat ont pu constater l’échec des « stratégies globales de
développement » ainsi que leur incapacité à atteindre le moindre taux significatif de croissance ou un niveau
satisfaisant de bien-être général. Ils vont alors affirmer l’engagement à « promouvoir le développement
économique et social et l’intégration de leurs économies en vue d’accroître l’auto dépendance et favoriser un
développement endogène et auto-entretenu », devant mener à « l’établissement ultérieur d’un marché commun
africain ». Le Plan d’action de Lagos a été remplacé en juin 1991 par le Traité instituant la Communauté
économique africaine (CEA), signé à Abuja, traité qui avait même établi le calendrier de la transition vers ladite
communauté, étalée sur trente-quatre années maximum (prévue pour 2025), et divisée en six étapes. La mise en
place en 10 ans maximum des zones de libre-échange dans les communautés économiques régionales (CER) – en
Afrique australe, Afrique centrale, Afrique de l’Est, Afrique du Nord, Afrique de l’Ouest – étant la troisième
étape. C’est dix ans après l’adoption du traité d’Abuja que l’organisation panafricaine des États de l’Union
africaine s’est mise à assumer publiquement une orientation néolibérale en adoptant, en 2001, le Nouveau
partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD, son acronyme en anglais). Le nouveau projet que
revendique l’Union africaine actuellement est l’agenda 2063, dont l’entrée en vigueur de la ZLECAf le 7 juillet
2019 est une étape décisive. Cf. Jean Nanga, ‘Zone de libre-échange continentale africaine : Quel panafricanisme
? Partie 1/3’ (cadtm.org, 2 novembre 2018), <https://www.cadtm.org/Zone-de-libre-echange-continentale-
africaine-Quel-panafricanisme-Partie-1-3>.
3
La phase opérationnelle qui est la phase I de l’Accord portait principalement sur le commerce des biens et des
services ainsi que sur les règles et procédures pour le règlement des différends. La phase II des négociations en
cours couvre les investissements, les droits de propriété intellectuelle et la politique de concurrence. La phase III
qui s’ouvrira juste après la conclusion de la phase II consistera à négocier un Protocole sur le commerce
électronique conformément à la décision prise par les Membres de l’UA lors du Sommet de février 2020.
4
Selon l’article XXIV (8) (b) de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT 1947/organisation
mondiale du commerce, OMC), on entend par zone de libre-échange « un groupe de deux ou plusieurs territoires
douaniers entre lesquels les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives (à
l'exception, dans la mesure où cela serait nécessaire, des restrictions autorisées aux termes des articles XI, XII,
XIII, XIV, XV et XX) sont éliminés pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires
des territoires constitutifs de la zone de libre-échange ».
5
Le marché commun continental permettra « le renforcement de l’intégration économique, la promotion du
développement agricole, la sécurité alimentaire, l’industrialisation et la transformation structurelle
économique ». Voir Accord créant la ZLECAf, Préambule, 4e para.
2
Cependant, l’entrée en vigueur de cette zone de libre-échange préoccupe plusieurs pays
africains6, étant donné que cet accord est concerné par une moindre considération de l’impact
environnemental du commerce international 7

Si la libéralisation du commerce est un facteur de croissance économique, elle ne devrait pas


se faire au détriment de la préservation de l’environnement, gage d’un développement durable.
D’où l’importance de faire une analyse de la protection de l’environnement dans l’Accord
créant la zone de libre-échange continentale africaine ; d’autant plus que pendant longtemps,
le commerce mondial et la protection de l’environnement ont été appréhendés de manière
isolée.

Cette réflexion scientifique mérite une attention à plus d’un titre. En effet, L'étude fort
intéressante intitulée « Évaluation des écosystèmes en début de millénaire »8 est parvenue à la
conclusion selon laquelle, au cours des 50 dernières années, les êtres humains ont modifié
significativement les écosystèmes mondiaux plus qu'à toute autre période de l'histoire de
l'humanité et presque 60 % des services fournis par les écosystèmes mondiaux se détériorent
ou sont utilisés de manière non durable. Au niveau continental, la redéfinition de la politique
du Groupe de la Banque africaine de développement en matière de développement
écologiquement durable en Afrique s’explique par un certain nombre de facteurs notamment
la reconnaissance et l’acceptation du développement durable comme principal paradigme du
développement au XXIe siècle : les progrès rapides enregistrés par l’intégration incontournable
de l’Afrique dans le processus de mondialisation. Si cette nouvelle politique note la dégradation
constante de l’environnement à travers le continent, elle prend par-dessus tout en compte les
différentes opportunités – sous forme de ressources et de compétences – qui s’offrent au
continent pour assurer son développement et améliorer la qualité de vie générale des
populations du continent.9 Toutes choses qui méritent qu’on s’attarde sur le niveau de
protection de l’environnement dans les relations commerciales multilatérales, en particulier
dans l’Accord créant la ZLECAf.

La question principale à laquelle nous apporterons des éléments de réponse est celle de savoir
si le niveau de protection accordé à l’environnement dans cet Accord permet de garantir un
commerce intra-africain source d’un développement durable du continent.

 
6
C’est le cas notamment du Nigéria qui pendant plusieurs mois a hésité à adhérer à la zone de libre-échange,
craignant qu’une déferlante de produits étrangers ne vienne ruiner son industrie naissante. Le pays rappelle
régulièrement que le libre échangisme prôné par l’OMC a dévasté son industrie textile. Cf.
<http://www.rfi.fr/afrique/20190404-zlec-afrique-harmonisation-lois-commerce>.
7
Le libre-échange est un système économique dans lequel les échanges commerciaux sont libres de toute entrave
douanière ou d’autres réglementations commerciales restrictives. Cf. Jean Salmon, Dictionnaire de droit
international (Bruyant 2001) 1157, 662. À l’origine, les accords de libre-échange ne devaient concerner que les
projets d’intégration essentiellement régionale visés à l'article XXIV du GATT (General agreement on tariffs and
trade) (Cf. Arslan Tariq Rana et Philippe Saucier, ‘Les clauses environnementales dans les accords de libre-
échange entre pays développés et pays émergents. Analyse des déterminants’ (2013) 162(2) Mondes en
développement 49-66, 49; Les accords de libre-échange à cet égard sont des exceptions au principe de non-
discrimination prévues à l’article XX du GATT.
8
Kalemani Jo Mulongoy et Annie Cung, ‘Évaluation des écosystèmes en début de millénaire : conclusions et
retombées’ (2009) 4(1) Les ateliers de l’éthique 46–51, 47-48.
9
Banque Africaine de Développement, Fonds africain de développement, ‘Politique environnementale du groupe
de la Banque africaine de développement’ (Unité du développement durable et de la réduction de la pauvreté/
PSDU, février 2004).
3
Après avoir démontré l’existence d’un dualisme des normes protectrices de l’environnement
dans l’Accord de libre-échange continental africain, nous présenterons les outils à mobiliser
pour protéger efficacement l’environnement dans le cadre de la mise en œuvre effective de cet
accord sur le continent après avoir évoqué l’éventuelle étendue des contentieux
environnementaux de nature à réduire l’impact recherché lors de sa mise sur pied.

II. Le dualisme des normes protectrices de l’environnement dans l’Accord


de libre-échange continental africain

Par dualisme des normes, nous entendons deux types de normes n’ayant pas la même valeur
en ce qui concerne leur application. Ainsi, l’Accord de libre-échange continental africain laisse
apparaitre deux types de normes protectrices de l’environnement. Le premier type renvoie aux
normes dont la mise en œuvre est facultative et relève du bon vouloir de son destinataire : il
s’agit de soft law.10 Le deuxième type quant à lui a trait aux normes dont l’application s’impose
aux destinataires parce que contraignantes : on l’appelle encore hard law.11

La lecture des différents protocoles qui constituent le squelette du traité portant création de la
zone de libre-échange continentale africaine laisse apparaitre clairement la place accordée à la
protection de l’environnement dans le cadre des échanges commerciaux qui s’y dérouleront.
Dès son entame, l’Accord portant création de la ZLECAf réaffirme « le droit des États de
règlementer sur leur territoire les flexibilités dont ils disposent pour poursuivre des objectifs
légitimes de politique publique, y compris dans les domaines de la santé publique, de la
sécurité, de l’environnement […] ».

Si d’emblée, la lecture de cet accord laisse transparaitre un faible niveau de protection de


l’environnement, ceci à travers les règles qui ne seraient pas juridiquement contraignantes pour
les Etats parties à l’Accord : dans ce cas nous sommes sur le terrain de la soft law. Un autre
prisme de lecture permet de voir dans cet Accord une protection forte de l’environnement grâce
à un mécanisme certes peu ordinaire, mais efficace : le pouvoir qu’ont les Etats de fixer le
niveau de protection qu’ils accordent à l’environnement sur leurs territoires respectifs. Les
règles qu’ils édictent devenant de ce fait contraignantes : nous sommes là sur le terrain de la
hard law.

 
10
La « Soft law » renvoie à l’ensemble des textes de droit international non contraignants et pouvant être librement
interprétés car ne créant pas d’obligations de droit positif. « Considérée comme processus à finalité normative,
une règle de soft law serait cependant susceptible, pour les défenseurs de cette expression, d’aboutir par
l’accumulation convergente des prétentions normatives, à la constitution d’une norme nouvelle ayant un
caractère juridiquement obligatoire. D’une façon générale, le concept est invoqué à propos de résolutions ou
recommandations adoptées par diverses organisations internationales dans divers domaines comme par exemple
celui du droit international économique (notamment du développement), celui de la protection de
l’environnement, […] ». Cf. Salmon (n 7) 1039.
11
Contrairement à la soft law qui est un droit « souple », la hard law est un droit « dur » dont les dispositions sont
contraignantes.
4
1. La soft law

Au regard de la présence quasi systématique de la soft law dans les traités et conventions
commerciaux ayant trait à l’environnement tant au niveau international que régional12, celle-ci
peut être considérée comme la « norme » par excellence en matière environnementale.
S’inscrivant dans cette dynamique, l’accord portant création de la ZLECAf s’est aligné sur la
pratique et les standards internationaux en matière de protection de l’environnement dans un
contexte de libéralisation des échanges commerciaux. Ainsi, les règles protectrices de
l’environnement à portée non contraignante dans l’Accord créant la ZLECAf sont nombreuses.

L’article 3 alinéa (e) portant sur les objectifs généraux, dispose que la ZLECAf vise à «
promouvoir et réaliser le développement socio-économique inclusif et durable ».

L’article 26 relatif aux exceptions générales du Protocole sur le commerce des marchandises,
indique pour sa part, en son alinéa (b), qu’aucune disposition du Protocole ne peut être
interprétée comme empêchant l’adoption ou l’application par tout État partie des mesures
nécessaires « à la protection de la vie ou de la santé des personnes et des animaux ou la
préservation des végétaux ». L’alinéa (g) du même article mentionne que ces dispositions ne
peuvent être interprétées comme empêchant l’application de mesures qui se rapportent « à la
conservation des ressources naturelles épuisables ».

Pour ce qui est du Protocole sur le commerce des services relatif à l’Accord portant création
de la ZLECAf, son préambule reconnaît aux États parties le droit de « réglementer la fourniture
de services sur leur territoire et d’introduire de nouvelles réglementations dans la poursuite
des objectifs légitimes de leur politique nationale, y compris […]le développement durable
dans son ensemble », en même temps qu’il est à souligner que ce droit doit s’exercer « sans
compromettre la protection de l’environnement et le développement durable en général ».
L’article 3 de ce Protocole précise à l’alinéa (b) que celui-ci vise à « promouvoir le
développement durable conformément aux objectifs de développement durable (ODD) ».

Selon l’article 7 alinéa (a) relatif au traitement spécial et différencié, les États « accordent une
attention particulière à la libéralisation progressive des secteurs des services et des modes de
fourniture en vue de promouvoir […] un développement économique social et durable ».
L’article 15 de ce Protocole relatif aux exceptions générales mentionne « qu’aucune
disposition du Protocole n’est interprétée comme empêchant l’adoption ou l’application, par
tout État partie, de mesures nécessaires […] à la protection de la santé et de la vie des
personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux […] ».

S’il ressort que les dispositions relatives à la protection de l’environnement dans l’Accord
créant la ZLECAf font partie d’un droit mou et relèvent de la volonté des Etats parties à
l’Accord pour leur mise en œuvre, cet état de fait peut avoir plusieurs explications.

En effet, la différence de niveau de développement semble favorable à l'introduction de clauses


environnementales, de même que la proximité, mais la taille agit dans le sens inverse.

 
12
Cf. article 24 de l’accord Canada-Etats –Unis-Mexique de 2018, Accord économique et commercial global
(AECG) entre le Canada, d’une part, et l’union européenne [et ses états membres], Préambule, 6è para., article 24
du CETA ; chapitre 13 de l’Accord commercial entre l’Union européenne et le Vietnam entré en vigueur en 2020,
article 5 du Traité de la SADC, article 20.6 du Trans-Pacific Partnership Agreement.
5
Pour ce qui est des Etats parties à l’Accord créant la ZLECAf, la presque totalité sont des pays
en développement (PED) et en particulier les pays les moins avancés (PMA). Ces pays
« considèrent que la prise en charge de l'environnement est susceptible de constituer un frein
important à la croissance, alors même que leur stratégie de rattrapage et d'offensive
concurrentielle repose en partie sur un niveau faible d'exigences environnementales »13, ce
d’autant plus que leurs populations n’expriment presque pas d'exigences environnementales et
ont très peu d’influence politique face aux lobbys industriels. Ceci expliquant cela, nous tenons
là une explication de l’existence des normes protectrices de l’environnement non
contraignantes dans l’Accord créant la ZLECAf.

Un autre facteur explicatif de l’existence de dispositions non contraignantes en matière de


protection de l’environnement dans l’Accord créant la ZLECAf réside dans la difficulté à
repartir les efforts. « Concrètement, elle renvoie à la question de l’équité entre pays dont
l’histoire, le niveau de développement ou les intérêts ne sont pas les mêmes. La question est
polémique dès lors qu’on parle des responsabilités et des capacités respectives de pays
différents ».14 Lorsqu’on sait que tous les pays du continent n’ont pas le même niveau de
développement tant économique que social, il aurait été difficile dans le cadre de l’Accord de
libre-échange continental d’imposer des responsabilités à chaque pays même en tenant compte
du principe du traitement spécial et différencié.

Une autre explication de cette « faible protection » apparente de l’environnement dans cet
Accord se trouve dans le fait que la distance entre partenaires agit généralement négativement
dans l'introduction de clauses environnementales dans les accords de libre-échange, la
proximité multipliant plutôt les points d'intérêt commun en matière d'environnement. Ainsi, la
protection contre les dommages des gaz à effet de serre relève d'une approche mondiale, même
si tous les pays ne font pas peser des menaces identiques en termes de réchauffement
climatique. Par contre, certaines atteintes environnementales font peser des risques plus
circonscrits géographiquement, voire de voisinage, qui justifient pleinement des négociations
régionales ou bilatérales entre pays proches (protection de l'environnement des côtes de pays
partageant un même bassin maritime, gestion de l'eau de pays frontaliers, pollution de l'air
transfrontalière).15

Les atteintes environnementales liées à la libéralisation de l’essentiel des échanges entre les
parties prenantes à l’Accord créant la ZLECAf ne faisant pas peser des risques plus circonscrits
géographiquement, voire de voisinage, cela peut également expliquer la raison pour laquelle
les règles contraignantes de portée globale visant à protéger l’environnement ne figurent pas
dans cet Accord.

Si pour les raisons sus-évoquées, des règles contraignantes pour les Etats parties à l’Accord
créant la ZLECAf ne figurent pas expressément dans cet instrument juridique conçu en vue de
libéraliser l’essentiel des échanges commerciaux à l’échelle continentale et favoriser la
croissance économique, nous ne pensons pas pour autant que de telles règles sont inexistantes.
Elles y figurent bel et bien. Seulement, le mécanisme pour les mettre en œuvre est peu
commun : il s’agit du pouvoir qu’ont les Etats de fixer le niveau de protection qu’ils accordent

 
13
Tariq Rana et Saucier (n 7) 52.
14
Christian Edmond Bepit Pout, Sécurité humaine et diplomatie de l’émergence : Enjeux pour le Cameroun
(Presses universitaires de Yaoundé) 452, 142.
15
Tariq Rana et Saucier (n 7) 52.
6
à l’environnement sur leurs territoires respectifs. Les règles qu’ils édictent devenant de ce fait
contraignantes : nous sommes là sur le terrain de la hard law.

2. La hard law

Si les règles de soft law relatives à la protection de l’environnement généralement rencontrées


dans les accords de libre-échange peuvent aboutir par l’accumulation convergente des
prétentions normatives, à la constitution de normes nouvelles ayant un caractère juridiquement
obligatoire, elles peuvent aussi contenir en elles des éléments qui leur donnent un caractère
contraignant sur un espace géographique certes restreint par rapport à celui de la zone de libre-
échange. C’est le cas lorsque ces règles donnent le pouvoir aux Etats parties à des accords de
libre-échange de fixer le niveau de protection qu’ils accordent à l’environnement sur leurs
territoires respectifs. Les règles qu’ils édictent devenant de ce fait contraignantes.

Pour ce qui est de l’accord créant la ZLECAf, son préambule réaffirme « le droit des États de
règlementer sur leur territoire les flexibilités dont ils disposent pour poursuivre des objectifs
légitimes de politique publique, y compris dans les domaines de la santé publique, de la
sécurité, de l’environnement […] ». Ainsi chaque Etat partie à l’Accord est libre d’édicter des
normes environnementales contraignantes applicables sur l’étendue de son territoire.

Au Cameroun par exemple, relativement à la protection de la faune, il est interdit de déverser


dans le domaine forestier national, ainsi que dans les domaines public, fluvial, lacustre et
maritime, un produit toxique ou déchet industriel susceptible de détruire ou de modifier la faune
et la flore.16 Pour ce qui est des armes de chasse, est interdit toute chasse effectuée au moyen
d’armes ou de munitions de guerre composant ou ayant composé l’armement réglementaire des
forces militaires ou de police.17 Ces infractions sont punies des peines qui peuvent être
constituées soit d’une amende de 5000 à 10000000 FCFA ou d’un emprisonnement de 10 jours
à trois ans ; ou doublées en cas de récidive ou de complicité avec les officiers de police
judiciaire, ou de chasse à l’aide de produits chimiques ou toxiques.18

Ainsi, tout contrevenant à la réglementation camerounaise protégeant la faune, quoi qu’étant


ressortissant d’un Etat partie à l’Accord créant la ZLECAf, est passible de sanctions mises en
œuvre par les juridictions pénales camerounaises. Parce que cet Accord contient des
dispositions permettant d’aboutir à ce résultat19, n’y a-il pas lieu de dire que ce dernier protège
de manière forte et contraignante l’environnement ? Le cas du Cameroun n’est pas isolé.
Plusieurs autres pays africains ont dans leur ordonnancement juridique, des dispositions de
droit positif de nature contraignante protégeant l’environnement : c’est le cas entre autres du
Rwanda et du Sénégal.20

 
16
Article 18 de la Loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche.
17
ibid. Article 80.
18
ibid. Articles 154-162.
19
Tel que l’article 26 relatif aux exceptions générales du Protocole sur le commerce des marchandises, qui indique
en son alinéa (b), qu’aucune disposition du Protocole ne peut être interprétée comme empêchant l’adoption ou
l’application par tout État partie des mesures nécessaires « à la protection de la vie ou de la santé des personnes
et des animaux ou la préservation des végétaux ».
20
Le Code forestier du Sénégal qui découle de la loi n° 98/03 du 8 janvier 1998 et du décret n° 98-164 du 20
février 1998 protège la diversité biologique. Relativement à la gestion des forêts, l’article L.31 de ce code indique
 
7
Les règles juridiques contraignantes en matière de protection de l’environnement pour les Etats
parties à l’Accord créant la ZLECAF ne figurent certes pas de manière explicite dans ledit
Accord, mais elles sont néanmoins bien présentes et peuvent être activées à tout moment par
chaque Etat partie à l’Accord sur son territoire.

A titre de droit comparé, l’Accord Canada‐Etats-Unis-Mexique (ACEUM) soutient que les


standards nationaux relatifs à la protection de l'environnement ne doivent pas être abaissés pour
favoriser les investissements.21 ACEUM va plus loin en permettant aux États « d’adopter ou
de maintenir à titre provisoire une mesure sanitaire ou phytosanitaire en l’absence de preuves
scientifiques pertinentes suffisantes  ».22 Ainsi, chaque État à la latitude de fixer lui-même le
niveau de risque considéré comme « socialement acceptable », sans avoir à produire de preuves
scientifiques.23 Le Trans-Pacific Partnership Agreement pour sa part martèle que chaque Etat
partie audit accord « adopte, maintient et met en œuvre des lois, règlements et autres mesures
pour remplir ses obligations au titre de la Convention sur le commerce international des
espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) ».24

Si le pouvoir laissé aux Etats parties à l’Accord créant la ZLECAf de fixer le niveau de
protection de l’environnement sur leur territoire permet de préserver de manière certaine
l’environnement, il n’en demeure pas moins que cette protection a des limites dues à
l’unilatéralité des mesures prises. Car en effet, « qu'il s'agisse de sanctions ou de restrictions
au commerce, de limitations de vente, de prescriptions de qualité ou de quotas d'importation,
les mesures commerciales imposées unilatéralement par un État pour atteindre des objectifs
environnementaux ne sont pas facilement acceptées par la communauté internationale ».25
Pour preuve, les organes juridictionnels du GATT ont, dans leur large majorité, interprété de
manière restrictive les exceptions prévues par l'article XX26 et cette interprétation a été très
limitative dans le cas de mesures unilatérales édictées en faveur de la protection de
l'environnement.27

En effet, durant des années, les pressions internationales ont renforcé la suprématie des règles
de libre-échange, toutes choses faisant en sorte que se diffuse de nos jours l’idée selon laquelle
 
que tous les bois et produits provenant d’espèces protégées abattues ou récoltées sans autorisation sont
obligatoirement saisis. L’article L.41 quant à lui énonce que quiconque porte atteinte aux plants ou arbres d’espèce
locale ou exotique classée dans la catégorie d’espèces protégées est puni d’une amende de 20 000 à 500 000 francs
et d’un emprisonnement d’un mois à deux ans ou de l’une de ces deux peines, sans préjudice des dommages-
intérêts. Au Rwanda, l’environnement est protégé par la Loi organique n°04/2005 du 8 avril 2005. L’article 94
interdit de « : 1° tuer, blesser ou capturer les animaux appartenant aux espèces protégées ; (…) ; 5° procéder à
l’abattage d’arbres dans les forêts classées, aires protégées et parcs nationaux ». Selon l’article 96 de cette même
loi, « Est puni d’un emprisonnement de deux mois a deux ans et d’une amende de 300.000 à 2.000.000 FRW ou
l’une de ces peines, quiconque, en violation de la réglementation en vigueur, procède ou fait procéder à l’abattage
d’arbres ou d’animaux dans les forêts classées, les aires protégées et les parcs nationaux. Les complices sont
punis de mêmes peines ». Les cas du Sénégal et du Rwanda laissent apparaitre en fin de compte la même réalité.
21
Article 24.4.32 de l’Accord Canada-Etats-Unis-Mexique.
22
Article 9.6.4.c de l’Accord Canada-Etats-Unis-Mexique.
23
Cette latitude laissée aux Etats de fixer eux-mêmes le niveau de risque acceptable est néanmoins sujet à la
critique. Cf. Maryse Grandbois, ‘Le droit de l’environnement et le commerce international: quelques enjeux
déterminants’ (1999) 40(3) Les cahiers du droit 545-590, 561.
24
Article 20.7(2) du Trans-Pacific Partnership Agreement.
25
Grandbois (n 23) 561.
26
Steve Charnovitz, ‘Exploring the Environmental Exceptions in GATT Article XX’ (1991) 25(5) JWT 37-55,
37.
27
Grandbois (n 23) 561, note de bas de page 77.
8
seules les grandes puissances peuvent tirer parti de l'imposition des mesures unilatérales
relatives à la protection de l’environnement. À ce titre, le cas de l'Autriche est révélateur.
Voulant restreindre les ventes de bois tropicaux récoltés en violation des principes du
développement durable, l’Autriche a été menacée de représailles économiques et a finalement
renoncé à ces restrictions.28 Le Canada a également dû retirer ses mesures protectionnistes du
saumon et du hareng du Pacifique.29

Si des mesures contraignantes de protection de l’environnement ont été introduites de manière


indirecte dans l’Accord créant la ZLECAf, c’est pour contourner une difficulté, celle de la
répartition des efforts que doivent supporter chaque partie prenante pour la préservation de
l’environnement dans le cadre d’une négociation multilatérale. Car elle aurait abouti au blocage
des négociations parce que le niveau de développement des pays du continent étant différent. 
Face à cette difficulté, le mécanisme de la fixation des normes environnementales
contraignantes par chaque Etat qui le souhaite a été adopté.

En laissant les Etas membres libres d’adopter le niveau de protection environnementale qui
leur conviendrait, l’accord ZLECAf établit un niveau minimum de protection
environnementale pour tous les Etats parties. En d’autres termes, peu importe leur niveau de
développement, chaque membre de la ZLECAf a l’obligation de protéger l’environnement dans
le cadre des échanges commerciaux.

S’il est cependant à relever que cet instrument juridique de portée continentale peut être
mobilisé dans ce marché unique africain en vue de protéger l’environnement dans le cadre des
échanges commerciaux qui s’y dérouleront, il faut tout de même souligner que sa portée est
limitée en ce sens que depuis son entrée en vigueur en 2016, sa mise en œuvre n’est pas
optimale, car seuls 42 États y ont adhéré jusqu’ici. Ne produisant d’effets qu’entre les parties
l’ayant ratifié, son impact reste par conséquent limité aux seuls Etats l’ayant ratifié. Toutes
choses qui devraient pousser l’Afrique à mettre en place une zone vertueuse de libre-échange,
afin d’impulser une profonde transformation de l’économie continentale. Une configuration
équilibrée de ce marché continental lui permettra de ne pas tomber dans les erreurs de certains
modèles d’industrialisation qui ont été entachés de scandales environnementaux et sanitaires
qui non seulement ternissent l’image de sa croissance économique, mais également sont source
de contentieux environnementaux dont on aurait pu faire l’économie. D’où la nécessité de
s’appesantir sur l’éventuelle étendue du contentieux environnemental dans l’Accord de libre-
échange continental africain.

III. L’étendue éventuelle du contentieux environnemental dans l’Accord de


libre-échange continental africain

Si en Afrique la jurisprudence environnementale n’en est qu’à ses débuts dans bon nombre de
pays, ce n’est pas faute de tout intérêt que ce continent peut avoir à la promotion du
développement durable dans le commerce international comme c’est le cas dans le cadre de la
mise en place de la ZLECAf. Des domaines tels le commerce international du bois ou des
espèces de la faune en voie de disparition et les ressources de la diversité biologique exigeraient
une plus grande implication des États africains. Cette timidité du contentieux environnemental
est perceptible tant au niveau national que régional. Néanmoins, nous nous appesantirons sur
 
28
Cf. Lilly Sucharipa-Behrmann, ‘Austrian Legislative Efforts to Regulate Trade in Tropical Timber and Tropical
Timber Products’ (1994) 46 Austrian Journal of Public and International Law 283-292, 283.
29
Grandbois (n 23) 561, note de bas de page 80.
9
certains cas qui ont un lien avec le commerce et qui pourraient survenir dans le cadre de la mise
en œuvre effective de la ZLECAf.

Au niveau régional, nous pouvons relever le cas de la Cour  de Justice de la Communauté


économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui a eu à se prononcer dans l’affaire
SERAP contre le Nigeria. Dans le jugement qu’elle a rendu, elle souligne que « le Nigeria
devrait être tenu responsable pour avoir violé les articles 21 (sur la disposition des peuples de
leurs richesses et de leurs ressources naturelles) et 24 (sur le droit à un environnement
satisfaisant) de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples en ne protégeant pas
le delta du Niger et ses habitants des opérations des compagnies pétrolières qui pendant de
nombreuses années ont dévasté la région »30 à travers les contrats que ces compagnies ont
signés avec l’Etat du Nigéria en vue de l’exploitation à des fins commerciales du pétrole et du
gaz.

Sur le plan national, en nous référant à la jurisprudence camerounaise, le Tribunal de première


instance de Yaoundé Centre administratif, a prononcé le jugement n° 628/00 dans l’affaire MP
et Administration chargée de la faune c/ Kiaripo André. Le contentieux avait trait à la détention
et à la commercialisation illégales des animaux par le sieur Kiaripo. Le juge, conscient de la
gravité du préjudice que la détention et la commercialisation illégales des animaux fait peser
sur l’environnement a déclaré que : « la faune est importante pour l’humanité, qu’à cet effet la
capture, la détention et la commercialisation des espèces animales protégées affectent la
biodiversité et cause un immense préjudice non seulement à l’Administration des faunes, mais
aussi à la biosphère ».31 Ainsi, le commerce illégal d’animaux protégés fait l’objet de sanctions
de la part du juge judiciaire camerounais.32

Des cas que nous venons de mentionner, il ressort que le contentieux environnemental sera bel
et bien présent dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord créant la ZLECAf et son étendue
est loin d’être circonscrite compte tenu de la liberté laissée aux Etats parties à l’Accord ou aux
Communautés économiques régionales CER) de fixer les règles de protection de
l’environnement sur l’étendue de leur territoire. D’où la nécessité d’harmoniser lesdites règles
en vue d’éviter des décisions de justice contradictoires qui impacteraient négativement le
niveau des échanges commerciaux dans la zone de libre-échange et ne contribueraient pas in
fine à l’un des objectifs recherchés à savoir « promouvoir et réaliser le développement socio-
économique inclusif et durable, l’égalité de genres et la transformation structurelle des États
parties ».33

Pour éviter que le contentieux environnemental ne nuise à la réalisation de l’Accord créant la


ZLECAf et surtout protéger efficacement l’environnement dans cette zone de libre-échange
 
30
Kennedy Kihangi Bindu, ‘La justiciabilité du droit à l’environnement consacré par la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples de 1981 en République démocratique du Congo’ (2013) 4(4,) Revista catalana de dret
ambiental no 1 p 1-34, 27.
31
Emmanuel Kam Yogo et Éric Koua, ‘Les litiges environnementaux devant les juridictions camerounaises’ in
Olivier Ruppel et Emmanuel Kam Yogo (Dir.), Droit et politique de l’environnement au Cameroun Afin de faire
de l’Afrique l’arbre de vie (Presses de l’UCAC, juin 2018) 714, .667.
32
C’est le cas dans l’affaire MP et Administration chargée de la faune c/ Oumarou Haman où celui-ci pour
détention illégale de pointes d’ivoire et commercialisation de trophées avait écopé d’une peine privative de 30
jours (voir TPI Yaoundé Centre administratif : 2003, 3ème rôle) et dans l’affaire MP c/ Bakon Samuel Désiré où le
mis en cause, pour vente illégale d’animaux intégralement protégés s’était vu infliger six mois d’emprisonnement
et 200000 FCFA d’amendes. Cf. Kam Yogo et Koua (n 31) 666.
33
Article 3 (e) de l’accord créant la ZLECAf.
10
continentale, il est opportun de se saisir de certains instruments particulièrement au niveau
national et régional.

IV. Les outils à mobiliser pour la protection efficace de l’environnement


dans l’Accord de libre-échange continental africain

La protection efficace de l’environnement dans la zone de libre-échange continentale passe par


la mobilisation de certains instruments particulièrement au niveau national et régional.34

1. Les instruments à mobiliser au niveau national

Pour ce qui est du niveau national, les Etats parties à l’Accord créant la ZLECAf doivent activer
le levier de la gouvernance. Il est question de mettre sur pied un système de gouvernance mieux
adapté pour les buts recherchés tant sur le plan économique, social, qu’humain. Si une
gouvernance efficace est établie au niveau des Etats parties à l’Accord, ses effets indirects sur
la protection de l’environnement au sein de la zone pourront être importants. Deux situations
généralement observables permettent d’illustrer cette assertion.

Les effets escomptés du libre-échange supposent en amont un régime de droit, dans lequel nous
avons le droit de propriété. Or, la déforestation est pour l’essentiel un drame de zones de non-
droit. La destruction des forêts amazonienne et africaine est attribuable pour environ un quart
au commerce du bois, et pour le reste à la population locale pour la production de charbon de
bois, donc pour la préparation de la nourriture.35 Cette situation trouve son explication dans
l’inexistence ou encore la non mise en œuvre des droits de propriété quand ces derniers sont
définis ; et la faute ne revient pas à la population pauvre, auteur de cette destruction. De tels
vides juridiques ou la non application de la loi quand elle existe, mènent invariablement à la
perdition des ressources, comme l’a noté il y a déjà un demi-siècle l’écologiste américain
Garret Hardin, avec son axiome de la « Tragedy of the Commons »36, un des piliers de la
réflexion environnementale. Un traité de commerce aura donc comme obligation l’élimination
de ces « zones de non-droit et hors-la-loi ».

La deuxième illustration a trait à la notion de « concourir sur un pied d’égalité », un principe


permanent du libre-échange, mieux connu en anglais sous le nom de « level playing field ». Ce
principe s’accommode mal des politiques protectionnistes telles que les subventions, qui
tendent à défavoriser in fine ceux qu’elles entendent protéger. Pour ce qui est du domaine de
l’agriculture, une corrélation négative a été mise au jour entre subventions et environnement
grâce à une étude menée par la Food and agriculture organisation (FAO). Il est admis que plus
un pays est engagé dans le libre-échange, plus il est porté à réduire les subventions, parmi
lesquelles les subventions agricoles. Or selon la FAO, plus ces subventions sont élevées, plus
l’utilisation d’engrais est massive. Ainsi, les fermiers américains, à peu près deux fois moins
subventionnés que leurs homologues de l’Union européenne, utilisent deux fois moins
d’engrais par hectare, et ceux de l’Union européenne deux fois moins que la Suisse. Le rapport
 
34
L’Afrique étant une région du monde, « régional » dans cette partie de l’analyse désigne le continent africain,
par conséquent, les actions entreprises à cette échelle.
35
Forêts tropicales (World Resources Institute 2009) cité par Lamesch (n 1),
36
La « Tragedy of the commons » est un problème économique qui apparait lorsque les individus négligent le
bien-être de la société au profit de leur gain personnel. Cela conduit à la surconsommation et de manière ultime à
la déperdition de la « ressource commune » au détriment de tout un chacun. (La traduction est la nôtre). Cf.
<https://www.investopedia.com/terms/t/tragedy-of-the-commons.asp>.
11
de la FAO en définitive démontre à suffisance que le libre-échange bien conçu, rime avec plus,
et non avec moins d’écologie, par la pression qu’il met sur les droits de propriété et le « level
playing field ».

Un autre levier à activer en vue de protéger efficacement l’environnement dans le cadre de la


mise en œuvre de l’accord créant la ZLECAf se situe au niveau régional.

2. Les instruments à mobiliser au niveau régional

L’Afrique étant une région du monde et l’Accord créant la ZLECAf concernant la libéralisation
des échanges sur toute l’étendue du continent, cet Accord contient en lui-même un levier à
activer en vue d’une meilleure protection de l’environnement dans le cadre des échanges
commerciaux qui s’y dérouleront. Ce levier dont disposent les Etats africains pour une prise en
compte efficace de l’environnement par le biais de l’Accord est constitué de la « clause de
rendez-vous ».  En effet, l’Accord peut selon l’article 28, faire l’objet d’une révision tous les
cinq ans dans l’optique « de l’adapter aux enjeux nouveaux du développement régional et
international ». Si les cycles successifs de négociations prévus par l’article 7 de l’Accord ne
prévoient pas spécifiquement d’aborder la question de la protection de l’environnement37, on
peut tout de même convoquer l’article 28 qui autorise la modification de l’Accord tous les cinq
ans en cas de besoin afin « de l’adapter aux enjeux nouveaux du développement régional et
international ». Ces derniers peuvent être liés au développement durable qui intègre la question
environnementale. En actionnant ce levier, les Etats africains peuvent aboutir à une
harmonisation des politiques environnementales qui faciliterait la mise sur pied d’un cadre
juridique à même de permettre l’exercice d’une concurrence commerciale favorisant un
développement durable du continent. Cette possibilité qu’ont les Etats de proposer des
amendements qui intègrent la protection de l’environnement dans le cadre des échanges
commerciaux peut être mise en œuvre par les communautés économiques régionales. Cette
mise en œuvre se fera à travers les zones de libre-échange (ZLE) de ces CER qui constituent
les piliers de la ZLECAf38 et dont les meilleures pratiques doivent être prises en compte.39 Ces
communautés jouent un rôle important dans cette ZLE d’autant plus qu’elles sont représentées
au sein du Comité des hauts fonctionnaires du commerce à titre consultatif40. En plus, il est
permis aux États parties à l’Accord, membres d’autres CER au sein desquelles ils ont atteint
un niveau d’intégration plus élevé que celui prévu par l’Accord de le maintenir entre eux.41
C’est le cas de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), qui
dispose d’une Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC) laquelle joue un rôle
intégrateur en matière de conservation et de gestion durable et concertée des écosystèmes
forestiers.42 Elle a entre autres missions l’orientation, l’harmonisation et le suivi des politiques
forestières et environnementales en Afrique centrale, à travers six axes prioritaires

 
37
En effet, cette clause prévoit les négociations dans les domaines suivants : « (a) les droits de propriété
intellectuelle ; (b) l’investissement ; et (c) la politique de concurrence ».
38
Article 5 alinéa (b) de l’Accord créant la ZLECAf.
39
En effet, aux termes de l’article 5 alinéa (l) la « prise en compte des meilleures pratiques au sein des CER et
dans le cadre des conventions internationales applicables à l’Union africaine » est un des principes régissant la
ZLECAf.
40
Article 12-5 de l’Accord créant la ZLECAf.
41
Article 19-2 de l’Accord créant la ZLECAf.
42
<https://www.comifac.org>.
12
d’intervention.43 Ainsi, ces différentes politiques d’intégration environnementales peuvent être
mises en œuvre lors des échanges commerciaux au sein de la CEEAC dans le cadre de la
ZLECAf.

A côté de la « clause de rendez-vous » que les Etats parties à l’Accord créant la ZLECAf
peuvent actionner en vue d’une meilleure protection de l’environnement, un autre instrument
peut être utilisé par ces Etats au niveau régional pour aboutir au même résultat : il s’agit de la
Convention de Maputo  relative à la conservation de la nature et des ressources naturelles en
Afrique.44 Elle constitue un outil à mobiliser pour une meilleure protection de l’environnement
dans le cadre de la ZLECAf, car la protection des espèces et des espaces se révèle comme un
enjeu majeur dans ce marché.45 Pour ce qui est de la protection des espèces, elle passe par la
lutte contre le braconnage qui peut se faire efficacement par le biais de la Convention de
Maputo. Car cette dernière définit dans son annexe 1 les espèces menacées, dites « en danger
critique d’extinction », « en danger » ou « vulnérables », dont le commerce et la chasse sont
interdits ou strictement réglementés.46

V. Conclusion

La question principale de notre analyse, à savoir si le niveau de protection accordé à


l’environnement dans l’Accord créant la ZLECAf permet de garantir un commerce intra-
africain source de développement durable du continent, nous amène aux termes de notre
réflexion aux assertions suivantes : à travers la discrétion laissée aux Etats membres d’édicter
les lois protectrices de l’environnement dans le cadre des échanges commerciaux, l’Accord
ZLECAf a posé un niveau minimum de la préservation de l’environnement sur l’ensemble du
continent africain. Comparativement à d’autres accords commerciaux, ce niveau de protection
de l’environnement dans l’accord ZLECAf peut être apprécié différemment. Il protège mieux
l’environnement dans le contexte des échanges commerciaux que le Regional Comprehensive
Economic Partnership qui ne contient aucun article consacré explicitement à la protection de
l’environnement ; protection qui ne peut être perçue dans cet accord commercial que par
référence de manière indirecte à certains articles tel que l'article 17.10 qui réaffirme les droits
des parties et les responsabilités découlant de la Convention sur la diversité biologique. Par
contre, la protection conférée à l’environnement dans l’Accord créant la ZLECAf est
relativement faible lorsqu’on convoque d’autres accords commerciaux. C’est le cas du Trans-
Pacific Partnership Agreement qui pose un niveau de protection plus élevé de l’environnement
dans le cadre des échanges commerciaux (Article 20.7(2)). C’est également le cas de l’accord
Canada-Etats-Unis-Mexique (Article 24.4.32). Ce constat donne une résonnance aux propos
de Jean Philipe BARDE selon lesquels « L’impact des politiques de l’environnement sur les
échanges est resté modeste, notamment en raison du faible poids macro-économique de ces
 
43
Qui sont : l’harmonisation des politiques forestières et environnementales ; la gestion et la valorisation durable
des ressources forestières ; la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique ; la lutte contre les
effets du changement climatique et la désertification ; le développement socio-économique et la participation
multi-acteurs ; et les financements durables.
44
Elle a été adoptée à Maputo le 11 juillet 2003 par la conférence des chefs d’États et de gouvernement de l’Union
africaine.
45
En effet, cette Convention réaffirme l’importance pour le continent africain de protéger le capital naturel
irremplaçable des dangers qui le menacent, y compris contre le commerce illicite de spécimens d’animaux et de
plantes. Un de ces dangers provenant de l’industrie extractive qui dégrade fréquemment les sites miniers et ne
procède presque pas à leur réhabilitation véritable, alors que celle-ci est préconisée par la Convention de Maputo
(article VI-3-c).
46
Article XI de l’Annexe 1 de la Convention de Maputo.
13
politiques et de la généralisation des mesures de protection de l’environnement dans la
majorité des pays ».

Si ce qui est fait jusqu’à présent dans l’Accord ZLECAf n’est pas suffisant pour garantir un
développement durable du continent, nous ne saurions jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est
une dynamique enclenchée à saluer qui devrait se poursuivre afin de parvenir à allier
harmonieusement commerce et préservation de l’environnement sur le continent.  Ainsi,
repenser l’économie en verdissant les politiques commerciales placera le continent africain sur
une trajectoire progressiste, indispensable dans un univers très concurrentiel et ultra compétitif
comme celui du commerce international.

14

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