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MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, DES CENTRES UNIVERSITAIRES
REGIONAUX, DES UNIVERSITES ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
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UNIVERSITE GASTON BERGER
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SAINT-LOUIS DU SENEGAL
DISCIPLINE
PROFESSEUR : REDACTION :
AVERTISSEMENT
Le présent fascicule est établi par Mr MAREGA. Il correspond à ses prises de notes et
documentations personnelles qu’il a réunies en un seul document pour en faciliter la
consultation. Loin d’être riche et exhaustif, ce support ne doit pas être utilisé comme
un cours magistral. Il peut servir d’appui et procurer même un avantage appréciable
mais n’est jamais comparable à l’enseignement magistral dispensé par le Professeur
Maurice Dione. Tout étudiant se trouve dès lors dans l’exigence d’honorer de par sa
présence obligatoire les cours magistraux pour une compréhension approfondie de la
discipline qui lui procurera des chances inégalées lors de l’examen.
Ces quelques faits sont tout simplement porter à votre attention pour éviter certains
malentendus car Mr MAREGA n’est ni un juriste non plus un politiste confirmé mais
un simple étudiant en L2 droit public.
PROLEGOMENES
Les inputs sont considérés comme les messages ou impulsions que le système reçoit
de l’environnement. Ce sont les exigences et les soutiens. Par exigences, il faut
entendre les attentes ou demandes sociales et par soutiens, les manifestations en
faveur du système politique.
Les outputs sont le produit de la réaction du système aux exigences et soutiens. Ils
s’expriment à travers des décisions et des actions.
Dans ce cours de système politique sénégalais, nous allons nous focaliser sur une
sociologie de la construction démocratique pour plusieurs raisons. Ces dernières
tiennent d’abord aux passés précolonial et colonial du Sénégal. Dans les royautés
traditionnelles, il existait des mécanismes de limitation du pouvoir. En effet,
l’absolutisme royal était tempéré par le pouvoir magico-religieux, par les dépositaires
de la coutume et par les règles et structures constitutionnelles de désignation et de
contrôle du souverain.
En effet, le roi était assisté par un conseil du peuple où toutes les catégories de la
société étaient représentées que ce soit les hommes libres, les captifs, les maîtres de la
terre, les marabouts… Dès lors, beaucoup d’auteurs ont estimé que ces royautés
traditionnelles étaient des sortes de monarchies constitutionnelles où le pouvoir
n’était pas exercé de manière despotique et autocratique mais plutôt encadré par des
normes.
Pour Ceerno Suleymaan Baal, l’imam peut être choisit dans n’importe quel tribu
à condition qu’il soit un homme savant et travailleur.
Il faut également dire que la République Lébou du Cap-Vert peut être considérée
comme une expérience démocratique réussie. En effet selon Makhtar Diouf, les
lébou, après s’être émancipés du royaume du Cayor à la fin du XVIIIe siècle, ont
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fondé « une véritable république n’ayant rien à envier aux modèles occidentaux ni au
plan de l’antériorité, ni au plan de la cohérence des structures d’organisation. »
En effet, c’est en 1790 qu’est enclenchée une lutte d’indépendance contre le Damel
du Cayor dont le meneur le plus en vue fut Dial Diop jusqu’en 1812 date à laquelle
est fondée la République Parlementaire Lébou.
L’autorité politique est détenue par une assemblée de chefs composée de deux (2)
collèges : le diambour-i-ndakaru qui signifie l’assemblée générale de Dakar et le
diambour-i-penc qui signifie l’assemblée des notables de quartiers.
Ce sont ces chefs qui sélectionnaient au sein de l’une des grandes familles lébou un
serigne-ndakaru qui était le chef, le juge et l’instance d’appel suprême de la
communauté. Il était également l’éducateur du peuple dont l’origine est en principe
maraboutique. Ils (les deux collèges) choisissaient également le jaraf (titre donné
auparavant au gouverneur nommé par le Damel). Celui-ci fixait l’époque des
semailles, réglait les disputes sur les terres et les questions d’héritage en même temps
qu’il faisait respecter l’ordre public.
Par ailleurs, il est possible de fonder le choix d’articuler le cours sur une sociologie de
la construction démocratique à partir de l’histoire coloniale du Sénégal.
En effet, c’est en 1789 que la colonie du Sénégal a envoyé de Saint-Louis des cahiers
de doléances à Versailles mais il existait déjà en 1776 un maire nommé à Saint-Louis.
Sous la monarchie de juillet, une ordonnance du 07 septembre 1840 institue le
conseil général de la colonie une sorte de parlement local avec des compétences
restreintes en matière budgétaire (établissement de l’assiette, de l’impôt, du montant
des taxes et perception).
De 1848 à 1914, ce sont les négociants européens bordelais le plus souvent et les
métisses ou mulâtres qui dominent la scène politique. L’élection de Blaise Diagne le
10 mai 1914 marque un tournant décisif dans la prise de conscience et dans la
maturité de l’électorat noir.
Il faut ajouter à cela que les idées de la révolution française ont toujours eu une
influence au Sénégal en tant que trait dominant de la culture moderne et de la
personnalité culturelle des habitants du pays. L’acclimatation de ces idées va servir
aux évolués (c’est-à-dire les intellectuels) à revendiquer plus d’égalité malgré les
réformes de l’enseignement initiées en 1924 et dans les années 1930 pour le rendre
plus compatible avec l’idéologie coloniale. Ces intellectuels parmi lesquels les maîtres
d’écoles au premier plan ont créé et entretenu selon Boubacar Ly la tradition
démocratique et républicaine au Sénégal. Cette aventure exceptionnelle de
participation qui fait la singularité de la trajectoire historique et politique du Sénégal
et qui ne se généralisera en Afrique qu’avec le contexte d’après-guerre, en plus des
éléments exhumés du passé précolonial où l’on notait des mécanismes de contrôle et
de limitation du pouvoir sont à la base de la tradition démocratique sénégalaise.
Le cours sera articulé autour de deux (2) axes d’une part la dimension socio-
institutionnelle de la construction démocratique du système politique sénégalais et
d’autre part la dimension socio-culturelle de la construction démocratique du
système politique sénégalais.
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La République parlementaire est mise sur pied par la loi n° 59-003 du 24 janvier
1959 portant constitution de la République du Sénégal instituée par la constitution
fédérale (Fédération du Mali) du 22 janvier 1959. Le bicéphalisme du pouvoir
exécutif institué dans la République parlementaire d’alors finit par entrainer une
crise politique au sommet de l’Etat qui éclate le 17 décembre 1962 et qui a opposé
les deux (2) factions et fractions du pouvoir exécutif à savoir Léopold Sédar
Senghor Président de la République et Mamadou Dia Président du Conseil. A
l’issu de cette crise, on assiste à la fin de la République parlementaire et à
l’avènement d’un pouvoir centralisé et fort incarné par Léopold Sédar Senghor.
En effet, l’accord tacite de la primauté des instances partisanes sur les organes
constitutionnels assurait l’équilibre et le fonctionnement harmonieux du système de
parti Etat. La rupture du consensus intervint du moment où un groupe de députés
influents de l’UPS (parti de Senghor créé en 1948 après la rupture des liens avec
SFIO) Abdoulaye Fofana, Maguette Lô, Doudou Thiam, Ousmane Ngom
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Les parlementaires qui lui avaient manifesté leur attachement verront leur immunité
levée. L’assemblée nationale adopte le 07 janvier 1963 une résolution demandant la
traduction de Mamadou Dia devant la Haute Cour de Justice accusé d’avoir
fomenté un coup d’Etat. C’est finalement le 09 mai 1963 que le Président
Mamadou Dia est jugé par la Haute Cour de Justice. Les six juges députés étaient
les suivants : Abass Guèye, Ansou Mandian, Théophile James, Mary
Cissokho, Alioune Niang et Amadou Gorgui Samb. Bien qu’ayant toujours
soutenu qu’il ne voyait pas la nécessité de faire un coup d’Etat vu qu’il disposait de la
réalité du pouvoir, il est condamné à perpétuité après un procès d’une durée de cinq
jours.
Ses compagnons écopent des peines moins lourdes que la sienne. Valdiodio
Ndiaye, Ibrahima Sarr et Joseph Mbaye sont condamnés à 20 ans de
réclusion criminelle et Alioune Tall à 5 ans d’emprisonnement.
Ils ne sont libérés que le 28 mars 1974 à la faveur d’une grâce présidentielle.
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Sur le plan juridique, la crise est liée à la dyarchie instaurée au sein de l’exécutif par la
constitution du 25 aout 1960 qui cherche à instaurer un équilibre non pas entre
l’exécutif et le législatif mais entre les deux fractions de l’exécutif : la présidence de la
République et la présidence du Conseil. C’est ainsi qu’il résulte de l’examen de la
charte fondamentale de 1960 de l’existence de compétences concurrentes entre deux
autorités différentes par leur statut et leur rôle dans le fonctionnement du régime ; ce
qui prédispose au conflit. Léopold Sédar Senghor exposant son programme de
gouvernement le 19 décembre 1962 abonde dans le même sens « à vrai dire, les
structures de notre Etat, notre constitution sont plus responsables dans cette
douloureuse affaire que le caractère des hommes quoi qu’on dise. L’éclatement du Mali
avait prouvé qu’une fédération à deux était impossible. La fin d’une collaboration de 17
ans prouve qu’en Afrique pour le moment l’exécutif bicéphale est impossible. »
Mais le conflit n’était pas seulement d’ordre constitutionnel et formel, il était aussi
politique opposant un « courant pro français et conservateur » incarné par Senghor
et un « courant pro soviétique et progressiste » incarné par Mamadou Dia favorable
à l’application des réformes d’indépendance et de développement économique
fondées sur un socialisme autogestionnaire inspiré par Tito et qui menaçait les
intérêts de la métropole et des marabouts.
qualité de chef de l’Etat, de chef du parti hégémonique qui devient un parti unique de
fait à partir de 1966 et en qualité de père de la nation. Il n’est ainsi responsable
qu’en cas de haute trahison ou de violation intentionnelle de la constitution ; ce qui
dans la pratique n’a guère qu’une signification symbolique. A la suite d’une
expérience de 4 ans, le président Senghor procède à une nouvelle révision
constitutionnelle en date du 20 juin 1967 à l’effet de faire coïncider le mandat du
président avec celui de l’assemblée nationale pour une durée identique de 5 ans tout
en modifiant par ailleurs l’allocation du pouvoir entre l’exécutif et le législatif. Dès
lors le président détenait le pouvoir de dissoudre l’assemblée nationale en cas de
conflit, la dissolution devant entrainer obligatoirement la démission du président.
Ainsi le conflit entre les deux pouvoirs devait-il être résolu par l’arbitrage du peuple
souverain qui peut donner tort au président en élisant un successeur ou alors
désavouer les parlementaires opposants et renvoyer à l’assemblée nationale une
majorité cohérente, favorable à la politique présidentielle.
Sur le plan politique, Senghor construit son hégémonie en combattant toutes les
forces politiques voulant émerger au moyen de la répression policière et judiciaire
qu’elles aient été des forces clandestines avec des stratégies de subversion par la
violence ou de simples associations ou partis politiques même si certaines
organisations comme le PAI semble jouer sur les deux registres. En effet, le PAI
(parti créé en 1957), après sa dissolution à la suite des élections troublées et violentes
de 1960, poursuit ses activités clandestines au Sénégal et à l’étranger. Un premier
conseil constitutif s’est tenu à Bamako en 1962. Majhmoud Diop était élu
secrétaire général. Babacar Niang et Seydou Cissokho deviennent ses adjoints
directs. La propagande reprend ainsi que les distributions de tracts et du journal
Moom sa Rew qui signifie indépendance. Utilisant à leur compte la solidarité
internationale, des jeunes désœuvrés sont recrutés en 1963-1964 et envoyés à
l’Université Patrice Lumumba en URSS alors que d’autres sont initiés aux
techniques de la guérilla à Cuba. 22 d’entre eux s’infiltrent au Sénégal Oriental pour y
mener une agitation en milieu rural. Inadaptée au contexte et mal préparée, cette
activité subversive échoue. Les faiseurs de troubles sont dénoncés, capturés et
condamnés à des peines de prison d’un an à 30 mois par le tribunal spécial de
Dakar le 19 mars 1966. Un autre groupe d’émigrés s’active au Mali d’où ils tentent
de déstabiliser le gouvernement sénégalais. Le président Senghor dans son adresse à
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jugée et condamnée. Une stratégie plus subtile est utilisée par Senghor contre les
partis légaux d’opposition susceptibles d’appuyer le PAI.
Une unité d’organisation et d’action est tentée contre le parti dominant de Senghor
et regroupe le Parti du Regroupement Africain (PRA), les militants du PAI qui
évoluent dans la clandestinité, les anciens militants du Front National et quelques
opposants esseulés faisant liste commune aux élections législatives sous la bannière
de Démocratie et Unité Sénégalaise. Mais personne n’accepte de concourir avec
Senghor pour la présidentielle qui se tenait en même temps. Un mois avant les
joutes électorales, le leader du PRA Abdoulaye Ly fait une mise en garde dans un
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tract sur la transparence des opérations électorales « les spécialistes UPS de la fraude
qu’ils soient campés au ministère de l’intérieur, dans les édifices publiques
transformées en véritables permanences du népotisme et de la combine ou ailleurs
préparent la prochaine victoire électorale sur notre peuple. » Une première escalade
L’épisode des élections de 1963 fut l’un des plus sanglants de l’histoire politique du
Sénégal. Si elles ont abouti à des troubles et manifestations durement réprimés, cela
était en partie lié au caractère inique, injuste du mode de scrutin qui avait été mis en
place pour décourager toute opposition. Il s’agit du scrutin majoritaire à un seul tour
avec une seule circonscription que constitue le territoire national.
Mais il faut dire que malgré cette répression, le régime de Senghor a su garder une
certaine mesure considérée ou qualifiée en cela d’autoritarisme modéré comme le
confirme Christian Coulon (spécialiste du Sénégal des années 1980 et auteur de
marabout et prince) « le régime n’a jamais débouché sur un Etat policier ou inspiré
de reconnaitre que disposant des mêmes pouvoirs que les autres chefs d’Etats, Senghor
a laissé la magistrature indépendante et fait respecter les libertés fondamentales. »
Après la répression, l’autre arme redoutable détenue par le président Senghor est la
cooptation (fait d’inclure dans une structure d’autres membres avec l’avis des uns qui
la composent) stratégie idéologiquement enrobée par la nécessité de réaliser l’unité
nationale par l’unité partisane. Dès lors après la vague de la répression, le courant
s’établit lentement entre la formation politique du président Senghor et le PRA. Un
premier rapprochement se fait à la suite d’une crise interne du PRA dont les
scissionnistes menés par Malick Dione, Yaya Traoré, Ibrahima Diouf et
Moussa Thiam créent le PRA Rénovation et rejoignent en février 1964 le parti
présidentiel non sans préciser au préalable que leur désaccord avec leurs camarades
de parti se situait « non pas sur le programme et le sigle… mais sur le partage des
responsabilités politique et gouvernemental. » Mais la majorité du parti reste dans
l’opposition.
Face à l’imminence des élections générales, il est fort probable qu’un arrangement ait
été trouvé concernant le nombre de sièges de députés à réserver au PRA.
Là où le bât blesse dans cette formule de participation au pouvoir c’est qu’il est fort à
craindre que les luttes syndicales ne soient détournées de leurs objectifs
d’amélioration des conditions d’existence matérielle et morale des travailleurs pour
ne porter que sur la compétition pour accéder aux postes attribués aux dirigeants
syndicaux. Dès lors, leur degré d’allégeance et de loyauté au pouvoir était un élément
essentiel. Domestiqués, les syndicats cessent alors d’être des contre-pouvoirs. En
conséquence, on peut dire qu’avec l’idéologie de la participation responsable, on
assiste à la neutralisation des syndicats comme forces politiques comme le souligne
L. S. Senghor lui-même « la réalisation de la participation responsable a permis
d’éviter la multiplication des grèves qui caractérise les régimes parlementaires en
Europe surtout il est vrai dans les pays latins. De temps en temps, il y a des grèves
sauvages bien sûr mais tout de suite la direction de la Confédération Nationale des
Travailleurs Sénégalais intervient. C’est la paix sociale qui nous a permis en grande
partie de surmonter la sécheresse qui en 18 années d’indépendance a sévi nos fois et
d’avancer quand même. » Mais le pouvoir de Senghor n’est pas épargné pour autant
des troubles dans la mesure où les grands évènements de 1968-1969 avec les grèves
des ouvriers et des étudiants combinées le développement des activités politiques
clandestines ont violemment ébranlé le régime. Dès lors ces difficultés à gérer le
pouvoir de manière autoritaire vont amener le président Senghor a opéré des
réformes politiques.
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Cette décongestion va aller dans deux (2) sens. D’une part la déconcentration du
pouvoir exécutif et d’autre part l’ouverture contrôlée du jeu politique.
Néanmoins le système reste présidentiel en ce sens que c’est le président seul qui
détient la plénitude du pouvoir exécutif. Ainsi le premier ministre dirige
quotidiennement le gouvernement et à travers ce dernier l’administration détient
tant dans le domaine pratique que dans le domaine juridique un certain pouvoir
distinct du pouvoir du président de la république qui donne dès lors sa teneur à l’idée
d’un exécutif présidentiel déconcentré.
A cela, s’ajoute le prestige personnel du président Senghor perçu aux yeux des
masses et des leaders politiques comme l’unique chef du pays et des institutions qui
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Premièrement d’un côté un régime présidentiel dont la tare essentielle est la grande
centralisation et partant l’irresponsabilité des autres autorités administrative et
politique.
Abdoulaye Wade finit par militer à l’UPS en 1970 et s’engage à la base dans son
terroir natal de Kébémer. Aux élections pour le poste de secrétaire général de la
coordination départementale, il obtient d’après lui 1001 voix contre 804 pour son
adversaire Dourou Fall. Mais en l’absence de commissaire politique, les résultats ne
furent pas entérinés ou validés et lors de la réunion du bureau politique du parti, son
adversaire fut déclaré élu. C’était en juin 1971.
objectif « moins d’engager une polémique que d’affirmer avec détermination un point
de vue sur la direction qu’il convient désormais de donner à la politique nationale et à
la gestion des affaires publiques. »
Le manifeste s’articule autour de thèmes majeurs tels que l’apport d’une contribution
à la réorganisation de la politique nationale, le refus de cadres sénégalais d’être
marginalisés, la primauté accordée au militantisme étant préjudiciable à la
démocratie, à la compétence et à la valeur personnelle, le rappel avec force du
panafricanisme, la contestation de la stratégie de développement qui repose
principalement sur l’aide extérieur et qui n’accorde pas la priorité aux ressources
humaines, l’adoption d’une stratégie visant la révision des accords liant le pays à
l’extérieur de manière à les inscrire davantage dans le sens de l’effort national. Bref le
Manifeste des 200 se prononçait en faveur d’une politique résolument africaine,
d’une démocratie réelle, d’une véritable politique nationale de développement
économique et social et d’une politique d’indépendance nationale. Il sera intimement
lié à la future création du PDS. Le contexte politique d’alors est ambigu avec un parti
unique de fait et un multipartisme de droit puisque la constitution du 07 mars 1963
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Senghor à parler de parti unifié que plutôt de parti unique. Saisissant cette
opportunité, Abdoulaye Wade mandaté par le groupe des 200 décide par simple
courtoisie selon son expression d’informer le président Senghor gardien de la
constitution de sa volonté de créer un parti politique conformément à un droit
reconnu par la charte fondamentale. A l’occasion d’un entretien avec le président à
Mogadiscio lors du 10e sommet des chefs d’Etats de l’OUA, Abdoulaye Wade lui
soumet le problème et le président accède immédiatement à sa demande.
Le 31 juillet 1974, le PDS dépose ses statuts conformément à la loi et obtient son
récépissé de déclaration délivré par le ministre de l’intérieur le 08 aout 1974 qui
était synonyme de reconnaissance légale. Mais il existe également deux autres raisons
intéressantes qui sont à la base de la création du PDS. Ce sont le refus d’un éventuel
chantage politique pour obtenir une position de pouvoir au sommet en menaçant de
créer une dissidence d’une part et d’autre part la volonté prêtée au président
Senghor de faire adhérer son parti à l’international socialiste qui exigeait le
pluralisme partisan. Concernant la première raison, Abdoulaye Wade ayant été un
militant de l’UPS dont il a démissionné, le président Senghor pensait qu’il s’agissait
de sa part d’une stratégie pour rebondir. La seconde raison est liée au désir du
président Senghor d’intégrer l’international socialiste pour redorer son blason et
pour accroître son prestige international. Mais la création du PDS de Me A. Wade
avait incité d’autres dirigeants politiques à formuler des demandes de reconnaissance
légale.
Dans cette optique, une réforme constitutionnelle est mise en œuvre à travers un
tripartisme à contenu idéologique. En effet, la loi n°76-26 du 06 avril 1976
abrogeant et remplaçant l’article 2 de la loi n°75-68- du 09 juillet 1975 relative
aux partis politiques disposait que « les trois partis politiques autorisés par la
constitution doivent représenter respectivement les courants de pensées suivants
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En outre, ce texte précisait que les partis politiques pouvaient être dissous par décret
motivé dès lors que les déclarations répétées de leurs responsables nationaux les
motions et décisions prises publiquement par leurs instances nationales prouvent
qu’ils ne respectent pas les objectifs définis par leur statut par référence à l’un des
trois courants de pensées mentionnées à l’alinéa 1.
Pour ce qui est des courants idéologiques, il faut dire qu’Abdoulaye Wade avait
choisi initialement l’idéologie travailliste avant de se résigner à accepter l’étiquette
libérale qui a été collée de force à son parti pour éviter sa dissolution. Le travaillisme
originel de Me Wade s’inspirait de l’Angleterre et de la doctrine du mouridisme car
pour lui, le Sénégal étant un pays pauvre, il ne saurait fonder son développement sur
le facteur capital sauf à l’emprunter et à devenir indéfiniment débiteur. Le
travaillisme de Wade se fonde alors sur le travail comme premier facteur de
production. C’est un travaillisme différent de celui britannique où il s’est agi après
une longue période d’accumulation de procéder à une redistribution du profit en
faveur du facteur travail. Cette dimension re-distributive est retenue dans le
travaillisme de Wade en plus des possibilités d’utiliser à titre gracieux le facteur
travail pour des tâches d’intérêt national. Quoiqu’il en soit les partis politiques
reconnus étaient tenus de rester dans le corset idéologique imposé par la loi car la
limitation tripartite des courants était selon les tenants du pouvoir une manière
d’élever le débat politique. Elle obéissait donc selon les gouvernants à une volonté de
privilégier la confrontation des idées et des projets de société afin de transcender les
clivages interpersonnels et endiguer les ambitions individuelles du pouvoir d’où une
organisation du jeu politique autour d’idéologies structurantes. Au demeurant, on
comprend difficilement qu’une loi puisse contraindre un parti d’adopter une manière
de voir le monde. Ainsi, en imposant des carcans de prêts à penser aux formations
politiques dès le départ et dont le non-respect entraine la dissolution par simple
décret, ce sont les notions de libertés d’expression et d’association qui sont bafoués
car de deux choses l’une soit on nourrit une idéologie contraire à ses convictions, à
ses aspirations soit on développe des idées qui ne reflètent pas l’idéologie que la loi
impose et le parti est dissout.
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Le président Senghor avait bien mûri sa décision car le résultat aurait été le même.
Si la reconnaissance de trois partis était prévue, qui devaient ensuite choisir
librement leur idéologie ? Le cas échéant ils auraient été en effet quasiment
impossible de sortir du schéma senghorien d’autant plus que la loi prévoyait qu’en
cas où plusieurs partis existants se réclameraient du même courant de pensée, le plus
ancien sera seul considéré comme autorisé au regard des dispositions de la présente
loi.
Par conséquent, le socialisme démocratique lui était attribué d’avance car son parti
avait été créé en 1948 bien avant le PDS qui, donc, ne pouvait se réclamer de ce
courant.
Par ailleurs, le PDS rejette l’idéologie marxiste qu’il considérait comme incompatible
avec les réalités sénégalaises d’autant plus que le marxisme-léninisme était l’idéologie
d’un parti créé en 1957 le PAI devenu clandestin après sa dissolution en 1960 suite
aux violences enregistrées aux élections de cette année et qui lui été imputé. En
posant ces barrières idéologiques et juridiques, Senghor écartait un autre opposant
Cheikh Anta Diop qui en février 1976 avait introduit une demande de
reconnaissance qui fut rejeté pour vice de forme.
Ce parti était dans tous les cas exclu car il véhiculait comme idéologie le nationalisme.
Par pragmatisme autoritaire donc le constituant et le législateur de 1976 imposaient
le nombre de partis, les idéologies des partis et l’identification des partis aux
idéologies. Mais en définitive, la loi des trois courants était ambiguë car elle
constituait un recul par rapport au multipartisme posé ou illustré par la constitution
mais qui n’existait plus dans les faits en raison d’un processus d’absorption des partis
politiques concurrents de l’UPS et en raison de la répression systématique de toute
velléité d’opposition. Vu le contexte d’autoritarisme modéré d’alors, la loi des trois
courants est cependant une avancée car en plus du PDS, il y avait un autre parti qui
accéder à la légalité le PAI. Evoluant dans ce climat d’une démocratie très encadrée,
le PDS a su éviter les écueils en faisant montre de réalisme d’abord en acceptant
d’être un parti de contribution et ensuite en évitant de trop se cristalliser sur les
considérations d’ordre idéologique se résignant à porter l’étiquette du libéralisme
démocratique qui lui a été collée par la loi contrairement à ses convictions puisées
dans le socialisme travailliste.
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Le président Senghor quant à lui exprime sa démission en raison de son âge avancé
(74ans) et des difficultés économiques qu’il charge son premier ministre et
technocrate Abdou Diouf de résoudre.
Cette loi permettait d’éviter la politisation de certaines identités qui peuvent être de
nature à fausser le jeu démocratique. Ce nouveau régime du pluralisme politique est
critiqué par l’opposition sous l’angle de la dissolution qui laissait au pouvoir exécutif
une certaine marge pouvant entrainer des dérives.
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La révolution passive désigne chez Fatton une volonté de la classe dirigeante par
l’instauration de la démocratie de désamorcer le potentiel révolutionnaire des acteurs
sociaux susceptibles de la prendre en charge. Cette thèse est à nuancer pour plusieurs
raisons. Elles tiennent au fait qu’au Sénégal, le marxisme-léninisme a eu beaucoup de
mal à exister dans les entrailles de la société à cause de l’athéisme qu’il prône mais
surtout parce que cette idéologie concernait plus une élite intellectuelle restée fermée
dans la mesure où la qualité du militant par la formation était jugée plus importante
que la quantité. Ce qui explique que ces partis ont eu du mal à se massifier. Par
conséquent, il aurait été difficile qu’ils eussent réalisé la révolution. En tout cas la
possibilité offerte par le multipartisme intégral de s’organiser politiquement semble
être une relance de la construction démocratique car l’élargissement de la
compétition politique est une condition nécessaire mais non suffisante à la
démocratie. Il a nécessité l’édiction de règles juridiques du jeu politique.
nouveau mode de scrutin pour l’élection des députés. Une moitié de députés étant
élue à la représentation proportionnelle et l’autre moitié au scrutin de liste
majoritaire à un tour au niveau du département. Ce texte essentiel définissant les
règles de la compétition au pouvoir sera l’enjeu central de la construction
démocratique car l’opposition voulait que le jeu fut assez ouvert et transparent de
manière à lui donner des chances d’accéder au pouvoir alors que les dirigeants en
place cherchaient avant tout à consolider leur domination en organisant le jeu de telle
sorte que le pouvoir ne puisse pas leur échapper.
Malgré toutes ces récriminations de l’opposition sur le code électoral jugé inique, les
élections générales de 1983 furent organisées et largement remportées par Abdou
Diouf. Une fois soumis avec succès au test du suffrage universel, le président Diouf
s’emploie à la construction d’un pouvoir personnel quand bien même il n’était pas
doté des mêmes ressources politique et symbolique de son prédécesseur Senghor
présenté comme le père de l’indépendance et de la nation. Celui-ci également
théoricien du socialisme africain a su utiliser politiquement le combat culturel et
littéraire mené avec ses camarades Aimé Césaire et Léon Gontran Damas dans
les années 1930 à Paris pour la défense et l’illustration des valeurs et civilisations
africaines.
Cette réforme institutionnelle est introduite par la loi n°83-53- du 01 mai 1983. Le
constituant affirme dans l’exposé des motifs sa volonté d’établir un lien direct entre le
président de la république et le peuple tout en renforçant l’indépendance et la
puissance de l’assemblée nationale.
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Une autre réforme constitutionnelle vient mettre fin à ses velléités d’autonomie et de
liberté de résistance au rouleau compresseur présidentiel savamment manipulé par
Jean Collin. Le président de l’assemblée nationale Habib Thiam s’oppose à une
réforme constitutionnelle visant à octroyer au président de la république le droit de
dissoudre l’assemblée nationale. Le refus obstiné du président de l’assemblée
nationale d’avaliser, de cautionner ou d’accepter cette réforme le place dans le
collimateur du pouvoir présidentiel. Il est alors désigné comme un élément à
neutraliser. C’est ainsi qu’une loi constitutionnelle n°84-34 du 24 mars 1984
abrogeant l’alinéa 1 de l’article 51 de la constitution vint réduire le mandat du
président de l’assemblée nationale de cinq à un an renouvelable. Elle obéissait
officiellement à une volonté de restituer l’équité par rapport aux autres membres du
bureau à savoir le vice-président, le secrétaire, le questeur (gérant des ressources), les
présidents des différentes commissions du parlement qui tous étaient élu pour un an
renouvelable.
Mais le texte lève un coin du voile sur les motivations sujettes à caution de la réforme
qui de toute évidence cherchait à liquider un potentiel adversaire politique. En effet,
le constituant précise « en outre, il peut paraître inconséquent que dans un système
démocratique comme le nôtre au sein d’une institution parlementaire démocratique
comme la nôtre, la grande majorité des élus du peuple puisse à quelque moment que ce
soit se sentir impuissante et désarmée face à un membre qu’ils ont librement et
démocratiquement porté à leur tête au cas où les intérêts de la masse ou ceux des
mandants seraient menacés ou bafoués. »
Dépité par toutes ces manœuvres Habib Thiam démissionne de toutes ses fonctions
politiques de la présidence de l’assemblée nationale, du poste de député, de secrétaire
général de la coordination départementale de Dagana, de secrétaire général adjoint
de l’union régionale de la région du fleuve, de membre du conseil national et du
bureau politique. S’il n’a pas démissionné du Parti Socialiste c’est dit-il en raison
de son amitié pour Abdou Diouf.
Abdou Diouf est porté à la tête de l’Etat avec 73,20% des voix et 103 députés de
son parti sont élus sur les 120 que compte l’assemblée nationale.
Cette confrontation avec l’opposition met le pays dans une situation politique
délétère c’est-à-dire tendue que le régime d’Abdou Diouf va tenter de dénouer en
s’acheminant progressivement vers une cogestion du pouvoir.
d’austérité imposées par les bailleurs de fonds et l’autre voulant obtenir des garanties
d’une compétition électorale équitable afin d’avoir des chances d’accéder au pouvoir.
Cette période de négociation dans une certaine instabilité politique du pays a été
cruciale dans la construction démocratique du Sénégal. Cela étant, pour juguler la
crise de 1988, le pouvoir s’est essayé à une reprise en main qui s’annonce avec le
discours du président Diouf le 01 mai en lieu et place du défilé traditionnel des
travailleurs. Le président se limite à la sphère économique : prix aux producteurs,
pouvoir d’achat, projets de création d’emplois. En ce qui concerne l’augmentation du
pouvoir d’achat et d’emploi, il prévient « je réprouve la démagogie qu’avons-nous
entendu ces derniers mois : le riz à 60fr, l’emploi pour tous et tout de suite et d’autres
promesses tout aussi stupides que leurs auteurs seraient bien incapables de réaliser
tout simplement parce qu’elles sont impossibles aujourd’hui. Croire à de telles
élucubrations c’est faire confiance à des charlatans, je le dis comme je le pense. »
Abdou Diouf annonce ensuite la baisse des denrées dites de première nécessité le
riz, le sucre, et l’huile d’arachide. C’était là pour lui un moyen d’atténuer l’impact du
discours subversif de l’opposition et de désamorcer sa capacité de nuisance en lui
enlevant ses thèmes les plus mobilisateurs, les plus populaires, et les plus populistes.
Moins d’une semaine plus tard, à l’occasion de l’Aïd El Fitr (la fête qui marque la fin
du ramadan) fête de réconciliation et de pardon célébrée par la communauté
musulmane les mardi et mercredi 16 et 17, le président Diouf révèle dans son
adresse à la nation les mesures prises pour apaiser la situation politique et sociale et
affirme en ce sens « j’ai décidé tout d’abord de lever à la fin de cette semaine l’Etat
d’urgence que j’avais décrété à Dakar au lendemain des élections. J’ai décidé
également de déposer sur le bureau de l’assemblée nationale un projet de loi
d’amnistie. J’ai enfin décidé d’appeler Me Wade chef de l’opposition parlementaire à
me rencontrer pour que nous cherchions ensemble les voies et moyens d’une vraie
concertation sur les problèmes qui préoccupent les sénégalais. Sur la consolidation de
27
notre démocratie, sur les questions économiques et sociales, sur les problèmes de la
jeunesse, de l’éducation et de l’emploi, l’opposition a son mot à dire et le gouvernement
doit l’entendre. »
Dans la lignée de cette ouverture, Me Wade est reçu par Abdou Diouf le jeudi 26
mai en présence d’Ousmane Ngom et de Jean Collin. A sa sortie d’audience, Me
Wade fait une déclaration lue par Ousmane Ngom et dont voici la teneur « après
la volonté exprimée de part et d’autre d’une concertation, nous nous sommes retrouvés
aujourd’hui et nous avons passé en revue tous les problèmes qui se posent au Sénégal
sans en exclure aucun. Nous pensons que des solutions peuvent être trouvées à
condition qu’il y ait une concertation démocratique. Nous avons réfléchi sur une
approche et nous avons proposé un cadre de concertation sous la forme d’une table
ronde nationale à laquelle sera conviée l’opposition. Cette table ronde travaillerait
sous forme de commission correspondant aux différents secteurs identifiés (politique,
jeunesse, emploi, économie, social, éducation). Ces commissions devraient pouvoir
siéger dans un délai de quinze jours et terminer leurs travaux dans les plus brefs
délais. »
C’est ainsi que seul le PDS et ses alliés le PIT, la LDM/PT sont allés à la table ronde
avec le PS et ses partis satellites dont l’URDS de Mamadou Puritain Fall et le
PDSR de Serigne Diop. Prévues pour le 15 juin, les négociations sont finalement
entamées le 04 juillet 1988.
07 mars 1989 deux jours après le congrès du PS qui revêtait une double
signification politique.
Le retour de Me Wade est pour lui une occasion d’effectuer une remarquable
démonstration de force. Les menaces les plus radicales pour le PDS de Wade étaient
de constituer un gouvernement parallèle, de publier des résultats des élections à
partir des procès-verbaux détenus par le PDS et de contester la légitimité d’Abdou
Diouf.
La publication des vrais résultats selon le PDS intervient en mars 1989 dans le
n°52 du sopi du 10 mars 1989 après l’échec des négociations entre Wade et le
pouvoir. Plusieurs manifestations sont organisées par l’Alliance sopi entre le 07
mars et le 04 avril 1989. A partir de cette date, les meetings de l’opposition sont
systématiquement interdits à Dakar. Abdoulaye Wade était d’autant plus
déterminé à en découdre qu’il n’eut point apprécié le coup politique comploté par
Jean Collin et Ahmed Khalifa Niasse lui faisant croire qu’il serait nommé vice-
président.
Jusqu’à son départ, Jean Collin marquera très personnellement l’Etat sénégalais
plus que ne l’aura fait Abdou Diouf. Il aura construit progressivement son influence
et sa mainmise sur l’appareil étatique et servi d’écran entre Abdou Diouf et les
autres. Enfin, stratège et tacticien, il a su combattre tous ceux qui étaient susceptibles
de porter ombrage à Diouf ou qui manifestaient des velléités d’autonomie. Etant
français et donc ne pouvant pas succéder à Diouf, il réunissait en sa personne les
conditions requises pour gérer la réalité du pouvoir sans inquiéter celui qui en était
constitutionnellement le détenteur. Jean Collin, au sommet de sa puissance, a
combattu âprement le rapprochement entre Diouf et son opposition notamment Me
Wade qu’il considérait comme un « dangereux aventurier capable de mettre en feu le
Sénégal en voulant faire passer le pays de l’Etat de non droit à l’Etat de droit en 48
heures. »
C’est dans cette perspective qu’il faut appréhender la mise en place du premier
gouvernement de majorité présidentielle élargie présidé par Habib Thiam. Le
gouvernement de majorité présidentielle élargie s’analyse dès lors comme un creusé
de construction démocratique entre politisation du droit et juridisation de la
politique.
La politisation du droit est les stratégies et les jeux déployés par les acteurs politiques
pour instrumentaliser le droit par rapport à leurs intérêts de conquête ou de
conservation du pouvoir. Mais en même temps que le droit est instrumentalisé, il
secrète également des obligations de comportements à l’égard des acteurs qui, en la
31
A partir de 1992, après une longue crise socio-politique, la décrispation s’opère avec
l’élaboration d’un code électoral consensuel qui sera éprouvé par la pratique ; lequel
code avec la réforme juridictionnelle de 1992 qui a marqué la création du conseil
constitutionnel va entrainer un relèvement qualitatif du contentieux électoral.
Dans le contexte de la gestion concertée du pouvoir, il était plus aisé pour l’opposition
d’obtenir des garanties pour améliorer le processus démocratique. En ce sens, une
commission nationale dirigée par le magistrat Kéba Mbaye est mise en place pour
réformer le code électoral afin d’en finir avec la récurrence des contestations et
violences qui émaillent les joutes politiques. Le document ainsi produit est le fruit
d’un consensus autour duquel était agglutinée une quinzaine de partis politiques.
Parlant du texte législatif, le président Abdou Diouf affirme que c’est le meilleur
code électoral dont on ne devrait pas changer une virgule. Il est adopté par
l’assemblée nationale à l’unanimité le 07 février 1992 et promulgué le 22 mars de
la même année. Le code introduit de nombreuses et cruciales innovations qui visaient
à rétablir l’équilibre entre le parti au pouvoir et l’opposition lors des compétitions
électorales et à assurer plus généralement la loyauté et la limpidité des scrutins.
D’abord la majorité électorale est ramenée de 21 ans à 18 ans ; c’était là une
revendication constante de l’opposition qui pensait à tort ou à raison qu’elle détenait
un immense potentiel de suffrage parmi les jeunes notamment ceux-là qui avaient
participé aux émeutes de 1988 sans avoir voté pour autant parce qu’ils n’étaient pas
32
inscrits sur les listes électorales, ils n’avaient donc pas de cartes électeurs ou n’avaient
pas atteint l’âge de 21 ans requis pour s’acquitter de leurs devoirs civils. C’est en vue
de régler ce problème que l’article L1 du code électoral dispose « sont électeurs les
sénégalais des deux sexes âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et
politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi. » Pour une plus
En ce qui concerne les listes électorales, un droit de regard est reconnu aux partis
politiques. En plus les représentants des partis politiques acquièrent le droit de siéger
dans les bureaux de vote pour apprécier la régularité des opérations électorales en
même temps que la possibilité est donnée aux candidats de se rendre dans les
bureaux de vote où ils compétitionnent pour s’enquérir du déroulement des
opérations.
C’est cette même recherche de transparence qui régit la proclamation des résultats au
niveau des bureaux de vote. Chaque membre du jury, les représentants des candidats
et partis politiques notamment signent le procès-verbal. Après l’établissement des
procès-verbaux, la loi électorale prévoit les mesures devant présider à leurs
acheminements par des personnes assermentées sous le contrôle des délégués de la
cour d’appel.
De même, le code consensuel exprime une volonté de sécuriser les opérations et lieux
de vote de même que les personnes préposées à la supervision des procédures
électorales. Le code sévit les citoyens coupables de fraude pour avoir exercé
faussement, indument un ou plusieurs fois l’acte de vote. Aussi sont-ils pénalement
punis les actes frauduleux perpétrés dans le décompte ou le dépouillement des
suffrages. D’autres mesures sont également prévues par la nouvelle loi électorale
visant à pacifier l’atmosphère des opérations (interdiction de toutes formes de
propagande le jour du scrutin, sanction des manœuvres dolosives consistant par des
rumeurs, des bruits ou tout autre moyen à empêcher des citoyens à exercer leurs
devoirs civiques, des faits de violence individuels ou collectifs avec ou non d’usage
d’arme de nature à porter atteinte au bon ordre dans les lieux de vote ou à entacher la
sincérité du scrutin).
Le code électoral de 1992 a été concocté dans un climat politique très favorable
marqué par un certain dépassement des contradictions entre le pouvoir et
l’opposition. Mais les limites du code vont se manifester à l’épreuve de la pratique.
La présidente Andrésia Vaz estime alors que cette requête n’entre ni dans la
compétence, ni dans les missions de la commission nationale. Compte tenu de la
paralysie de la commission nationale de recensement des votes et des multiples
controverses juridique et politique, Mme Vaz transmet le dossier au conseil
constitutionnel le samedi 27 février 1993 avec un rapport circonstancié annexé à
celui des autres commissaires et avec l’ensemble des pièces provenant des 31
commissions départementales.
35
Les représentants des candidats de l’opposition protestent alors contre cette décision
arguant leur volonté de poursuivre leurs missions au sein de la commission nationale
jusqu’à la proclamation définitive des résultats conformément à l’article L56 du
code. En effet, ils estimaient que le conseil constitutionnel ne peut être saisi qu’aux
termes de l’article 48 du code électoral à la triple condition que la commission
nationale finisse le recensement général des votes, que les résultats provisoires soient
proclamés et qu’une copie du procès-verbal de réunion soit remise à chaque
représentant de candidat. Considérant que la CNRV n’a statué que sur quatre des
31 procès-verbaux, les représentants de l’opposition dans une lettre adressée au
président du conseil soutiennent que la saisine de la juridiction suprême est
irrégulière et ne saurait légalement aboutir à la proclamation des résultats.
En fait, le code portait en lui-même les germes du conflit qui, en érigeant la toute-
puissance des parties en règle absolue, a privé le jeu électoral d’un arbitre ayant la
mission et le pouvoir de freiner les ambitions partisanes. C’est dire que le
consensualisme et l’unanimisme qui ont prévalu la rédaction du code ont trompé la
vigilance de ses rédacteurs qui s’en sont fiés de bonne foi à la culture démocratique
postulés des acteurs politiques sans prévoir l’hypothèse d’un arbitrage nécessaire et
efficace pouvant transcender les prétentions et intérêts partisans.
erreur juridique car le droit est pour les acteurs politiques à la fois une contrainte et
une ressource. Ils utilisent le droit pour faire valoir leurs intérêts personnels et
partisans tout comme le droit produit à leur encontre des obligations, des contraintes
auxquelles ils ne peuvent échapper. Cela étant, dans sa composition comme dans son
36
présence des représentants des partis politiques. Ils peuvent toutefois assister aux
réunions à l’exception de la délibération et peuvent porter leurs observations au
procès-verbal.
Il s’agira de voir d’une part que la cour suprême va procéder à l’application rigide de
loi inique jusqu’à la réforme de 1992 avec la création du conseil constitutionnel qui
va assurer un relèvement qualitatif du contentieux.
Avant 1978, les décisions de la cour suprême en matière électorale ne sont point
intéressantes dans la mesure où il n’y avait à proprement parler de contentieux car un
seul parti et un seul homme étaient concernés pour les différentes élections.
L’examen du contentieux électoral vidé par la cour suprême révèle une vicieuse
manipulation du jeu politique dans laquelle les citoyens sont pris en otage et où les
opposants n’ont pas les moyens de faire valoir leurs droits car le juge pose des
conditions draconiennes dans l’administration des preuves tout en étant neutralisé
lui-même par la loi. Dans cette situation, il est évident que le processus démocratique
était encore claudiquant c’est-à-dire boitant, il n’a pas encore permis l’affirmation
suffisante du juge électoral pour arbitrer de manière convenable et acceptable la
compétition politique. Il convient d’analyser successivement toutes ces idées qui
constituent la charpente sur laquelle repose le pouvoir minutieusement gardé par le
PS dans les compétitions électorales arbitrées par la cour suprême.
désignation à la présidence des bureaux de vote. » On voit ici que le juge a les mains
liées qu’il doit se baser sur la loi pour trancher le contentieux électoral alors que celle-
ci est injuste car il se pose la question de fond de savoir si ceux qui sont engagés dans
la composition politique peuvent en superviser le déroulement sans que cela ne porte
atteinte à la sincérité des opérations de vote.
Lors des élections de1983, le juge va encore plus loin et estime dans l’arrêt conjoint
n°4c, 5c, 6c, 8c-83 du 23 mars 1983 concernant les recours du PDS, de la
LDM/PT, du et du PAI que le fait pour les membres des bureaux de vote
d’appartenir au parti au pouvoir n’a rien d’incidences. A travers cette position
jurisprudentielle, c’est un principe élémentaire de droit et d’équité selon lequel on ne
peut pas être juge et partie qui est foulé au pied. La suspicion est en effet légitime si
on sait que ceux qui établissent les procès-verbaux sont eux-mêmes candidats ou sont
membres d’un parti qui est en liste dans les joutes électorales. Pour ces mêmes
élections de 1983 la loi cautionne également l’arbitraire en donnant au président des
bureaux de vote choisis sur des bases partisanes des pouvoirs étendus de maintien de
l’ordre qui sont abusivement utilisés. Dans une telle situation de deux choses l’une ou
le délégué laisse faire les membres du bureau dans leur penchant à la partialité et les
intérêts de son parti sont lésés tout en cautionnant la mascarade par sa présence ou il
ne se laisse pas faire et alors il est expulsé et remplacé par un suppléant si tenter qu’il
y en ait et qui est tenu de faire profil bas. La coloration partisane des membres du
bureau couvre un enjeu fondamental celui de l’identification de l’électeur car dès lors
que le vote est public et qu’on peut savoir le choix de l’électeur, il leur est aisé d’être
complaisant et peu regardant lorsqu’il s’agit d’un électeur voulant voter pour le parti
au pouvoir. La question de l’identification de l’électeur a soulevé plusieurs
controverses dans la mesure où l’opposition a toujours soutenu que le non-respect de
cette condition était source de fraudes massives.
1963 dispose « le suffrage peut être direct ou indirect, il est toujours universel, égal et
secret. Ce principe permet de garantir la liberté de l’électeur qui peut subir des
pressions dans un environnement socio-culturel marqué par des rapports de
dépendances. » Le juge électoral le reconnait en affirmant « le caractère secret du vote
tel qu’il résulte des dispositions ci-dessus rappelées a pour but et objet de protéger les
électeurs. » Mais ce principe constitutionnel était totalement dévoyé par l’article
L50 du code électoral de 1978 qui précisait en son dernier alinéa « les isoloirs
doivent être placés de façon à ne pas dissimuler au public les opérations électorales. »
Pour parer à toute éventualité, le parti au pouvoir effectue une manipulation de la loi
encore plus pernicieuse en conférant aux électeurs le droit de soustraire à l’obligation
de respecter le secret du vote ; ce qui est un bon moyen de contrôler leur loyauté vis-
à-vis du parti au pouvoir. Dans ces conditions, le vote n’est plus secret mais public car
on pouvait identifier les électeurs qui votaient pour l’opposition et exerçait des
représailles contre eux. En refusant de procéder à un contrôle de constitutionnalité, le
juge laissait primer la loi expression de la volonté du parti au pouvoir sur le texte
suprême qu’est la constitution.
Cette contradiction vicieuse est renforcée par le fait que le juge électoral refuse
d’apprécier la loi par rapport à la constitution, texte qui fait pourtant partie
intégrante du système juridique. Quant au requérant, il se heurte aux obstacles
difficilement surmontables d’apporter les preuves de ses allégations du fait même de
la complexité des situations et de la sévérité des conditions posées par le juge
concernant le régime juridique de la preuve. En 1978, le juge a rejeté les griefs
avancés par les requérants faute de preuves notamment sur la violation du secret du
vote et sur la corruption en nature et en argent aux abords des bureaux de vote. Cette
tendance au rejet des allégations des requérants pour absence de preuve se confirme
à l’issu des élections présidentielles et législatives de 1983 concernant les
inscriptions multiples et au fait que les procès-verbaux n’aient pas été signés par
l’ensemble des membres des bureaux de vote.
Mais lors des élections générales de 1988 par rapport aux deux requêtes introduites
par Abdoulaye Bathily et Opa Diallo à travers lesquelles il était demandé au juge
d’annuler les élections au motif que 156 procès-verbaux de bureaux de votes ont été
annulés par la commission de recensement de la cour suprême ; ce qui était de nature
à biaiser la représentativité des partis en compétition. La cour suprême a purement et
simplement rejeté le grief considérant que la signature des procès-verbaux est une
formalité substantielle dont l’inobservation doit être sanctionnée de nullité. Il faut
remarquer que cette solution apparait pour le moins simpliste car vu le nombre élevé
de procès-verbaux en question et compte tenu du fait que les requérants ont soutenu
que les délégués du PS avaient refusé de les signer. Le juge aurait dû approfondir la
question pour savoir si cela n’était pas l’expression d’une volonté délibérée de fraude.
Il résulte de tout cela un certain discrédit de l’instance judiciaire.
Ainsi en 1988, le nombre particulièrement élevé de recours introduit par les partis
d’opposition auprès de la cour suprême et qui ont tous étaient rejetés pour
irrecevabilité ou défaut de base légale ont donné l’impression que la cour était aux
ordres du pouvoir exécutif. De tout cela, il résulte que la cour suprême ne semble pas
avoir beaucoup apporté au contrôle juridictionnel de la compétition politique. Ce
handicap était lié au contexte historique marqué par la forte emprise du parti au
pouvoir sur les règles du jeu. Dès lors avec les mutations d’ordre politique, juridique
et institutionnel intervenues au début des années 1990, la justice du politique évolue
qualitativement. Ainsi avec la réforme judiciaire de 1992, la cour suprême est éclatée
41
A partir de 1993, le contrôle des élections par le juge connait une certaine évolution à
la suite du consensus politique qui a permis au pouvoir et à l’opposition de se
retrouver pour élaborer un code électoral adopté sans qu’une virgule n’ait été
retranchée pour reprendre l’expression du président Abdou Diouf. Le conseil
constitutionnel rappelle cette nouvelle donne dans sa décision n° 05-93 du 02
mars 1993 et ne manque pas d’élaborer une nouvelle doctrine quant au contrôle des
opérations électorales. La juridiction souveraine affirme en ce sens « considérant en
effet que le code électoral de 1992 dit nouveau code est inspiré par la volonté commune
de rendre les opérations électorales totalement transparentes et les résultats des
élections fiables grâce au rôle prépondérant accordé aux candidats dans la conduite
desdites opérations. » il est notamment stipulé « chaque liste de candidats ou chaque
candidat a le droit de contrôler l’ensemble des opérations électorales depuis
l’ouverture des bureaux de vote jusqu’à la proclamation et l’affichage des résultats
dans ces bureaux. »
En effet les partis politiques représentés à chaque échelon du contrôle peuvent faire
mentionnés dans les procès-verbaux leurs réserves et les irrégularités qu’ils ont eu à
constater. Cela donne cet avantage qu’à chaque niveau ils sont plus au fait des réalités
qu’ils dénoncent et au cas où ils ne le feraient pas la faute leur incomberait. En plus
même si cette doctrine ne renvoie pas à une synthèse dans la vérification de tous les
42
Dans le même ordre d’idées, le juge réfute également tous les arguments qui auraient
dû être mentionnés au niveau des échelons inférieurs de contrôle. En effet, les
réclamations faites devant le conseil constitutionnel ne sont recevables que dès lors
qu’elles ont été soulevées préalablement par les représentants des candidats ou des
partis politiques associés à tous les échelons du contrôle des opérations électorales.
Mais, lorsque la juridiction spécialisée est compétente pour statuer sur les allégations
des requérants, ceux-ci n’obtiennent gain de cause qu’en se soumettant à un certain
régime d’administration des preuves. Celui-ci repose sur deux critères cumulatifs des
faits constants et avérés dont la matérialité est clairement établie d’une part et d’autre
part que ces mêmes faits soient de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Ces deux critères ont été adaptés au principe de la succession des contrôles édictés
par le conseil constitutionnel en 1993 pour rationaliser le contentieux électoral.
Fidèle à cette doctrine, la juridiction spécialisée a rejeté toutes les prétentions non
étayées de preuves.
En 2000, une affaire de fraude a été signalée au juge concernant les électeurs du
Mali précisément à Kayes. En effet, il a été reproché à un responsable du parti au
pouvoir d’avoir fait massivement voter des maliens avec de faux documents sans que
cela ne soit prouvée par les requérants.
Or, il est hypothétique de trouver des huissiers en nombre suffisant pour les déployer
dans les milliers de bureaux de vote existant sur toute l’étendue du territoire.
Ajoutant à cela, la nécessité d’établir un rapport de cause à effet quant à la sincérité
des opérations électorales, on comprend alors aisément que l’ONEL a assuré une
mission essentielle tendant vers une atténuation considérable des difficultés relatives
à l’administration des preuves. La logique du juge en la matière est simple. Les faits
allégués sont favorablement accueillis si les documents de l’ONEL les confirment et
s’ils ont été mentionnés dans les niveaux inférieurs de supervision conformément au
principe de succession des contrôles. Cette position est adoptée par le conseil
constitutionnel lors des législatives de 1998.
estime en effet « considérant que selon Oumar Niang, mandataire de la liste PIT, les
violences et voies de fait exercées contre les représentants des partis politiques dans
les bureaux de vote de Rufisque-Est doivent entrainer l’annulation des élections
législatives du 24 mai 1998 ; considérant qu’en ce qui concerne les bureaux de vote de
Seno Palel 1 & 2, de Lolali et de l’école Ousmane Mbengue ni les procès-verbaux, ni les
rapports de l’observatoire départemental des élections (ODEL) ne viennent étayer les
allégations des requérants respectifs qu’elles ne sauraient donc être retenues. »
Par ailleurs, le juge a pu procéder à des annulations sélectives dès lors que les
dysfonctionnements soulevés par les requérants ont été confirmés par les procès-
verbaux des bureaux de vote et par ceux de l’ONEL. En ce sens, le conseil
constitutionnel se fondant sur de tels documents a accédé à la demande d’annulation
des résultats dans certains bureaux à Rufisque en raison de votes multiples
notamment dans les bureaux 4 & 5 de Médina. Une autre orientation majeure du
conseil constitutionnel est d’accorder toujours dans sa démarche la primauté et la
priorité à la volonté des électeurs. Dès lors, il ne recourt pas de manière systématique
et absolue à l’annulation. Il utilise pour cela plusieurs techniques qui l’amènent à
faire primer l’esprit de la loi sur la lettre ou à chercher à reconstruire la volonté des
électeurs a posteriori tel un véritable faiseur de système pour faire respecter autant
que faire se peut la souveraineté populaire qui est le socle sur lequel repose la
démocratie. Le juge a estimé en effet dans sa décision n° 06-93 du 13 mars 1993
que des procès-verbaux transmis par des personnes non assermentées conformément
à la loi n’est pas en soi un motif d’annulation. Persistant dans son option d’accorder
la prééminence de l’esprit de la loi sur la lettre, le juge a assoupli les règles relatives à
la validité des procès-verbaux. Concernant leur validité formelle en rapport avec la
présence, le statut et le rôle des représentants des partis politiques dans les bureaux
de vote, le conseil constitutionnel affirme : « le seul fait qu’un procès-verbal n’ait pas
été signé par un ou plusieurs membres n’emporte pas en lui-même nullité dudit procès-
verbal. »
45
Le juge a fait primer également l’esprit de la loi sur la lettre dans le contentieux de
1998 eu égard à la prorogation de l’heure de clôture du scrutin jugée illégale par les
requérants de l’alliance Jëf Jël. Le juge considère que « cette circonstance même si
elle est le fait des membres de bureaux de vote est sans influence sur la régularité des
élections surtout lorsqu’elle a pour objet essentiel de compenser le retard pris à la
suite de l’ouverture tardive des bureaux de vote ; que dès lors le moyen doit être
écarté. »
leurs voix du nombre de suffrage obtenu par le candidat dont ils sont les
mandataires. »
Cette doctrine du juge qui fait primer le respect de la volonté des électeurs sur le
respect de la légalité dans son abstraction semble avoir été formulée par le président
du conseil constitutionnel Youssoupha Ndiaye dans son allocution du 03 avril
1993 à l’occasion de la cérémonie de prestation de serment du président de la
république en ces termes « lorsqu’il a à connaitre d’un litige électoral, le juge doit être
guidé avant tout par le souci de faire respecter la sincérité du scrutin c’est-à-dire la
volonté du corps électoral. Ainsi lorsqu’il est en présence d’une illégalité ou d’une
fraude, il ne doit pas procéder à l’annulation systématique, il ne le fait que lorsqu’il a
acquis la conviction que la volonté des électeurs a été trahie et de manière telle qu’il est
impossible de la restituer a posteriori de façon certaine. »
Au demeurant, le juge électoral est resté très rigoureux dans l’administration des
preuves à travers les critères cumulatifs classiques à savoir l’établissement matériel
des faits et que ceci soit articulé dans une relation de cause à effet de nature à
compromettre la sincérité des opérations électorales.
En plus de ces critères, le juge exige également que les faits aient été signalés au
niveau des échelons inférieurs de surveillances électorales selon le principe de la
hiérarchie des contrôles.
semble plus conforme aux valeurs et principes démocratiques. Pour cela, le juge fait
primer l’esprit de la loi sur la lettre par rapport à la validité formelle ou matérielle des
procès-verbaux, par rapport à leurs modes de transmission, par rapport à des
décisions administratives suspectes comme la délocalisation des bureaux de vote ou
autres. Il apprécie dans tous les cas s’il y a eu ou non intention de fraude et s’il y a eu
fraude effective.