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REPUBLIQUE DU SENEGAL

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MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, DES CENTRES UNIVERSITAIRES
REGIONAUX, DES UNIVERSITES ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
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UNIVERSITE GASTON BERGER
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SAINT-LOUIS DU SENEGAL

U.F.R. des S.J.P.

(Sciences Juridique et Politique)

DISCIPLINE

SYSTEME POLITIQUE SENEGALAIS

PROFESSEUR : REDACTION :

MAURICE DIONE MAREGA KHALILOU

Année Académique 2012 – 2013


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AVERTISSEMENT
Le présent fascicule est établi par Mr MAREGA. Il correspond à ses prises de notes et
documentations personnelles qu’il a réunies en un seul document pour en faciliter la
consultation. Loin d’être riche et exhaustif, ce support ne doit pas être utilisé comme
un cours magistral. Il peut servir d’appui et procurer même un avantage appréciable
mais n’est jamais comparable à l’enseignement magistral dispensé par le Professeur
Maurice Dione. Tout étudiant se trouve dès lors dans l’exigence d’honorer de par sa
présence obligatoire les cours magistraux pour une compréhension approfondie de la
discipline qui lui procurera des chances inégalées lors de l’examen.
Ces quelques faits sont tout simplement porter à votre attention pour éviter certains
malentendus car Mr MAREGA n’est ni un juriste non plus un politiste confirmé mais
un simple étudiant en L2 droit public.
PROLEGOMENES

Le système politique est un ensemble d’éléments interdépendants et interagissant


confrontés aux facteurs de déséquilibre et d’instabilité provenant de son
environnement.

Le système politique dans la conception de David Easton c’est l’allocation des


ressources et des avantages à travers des décisions faisant autorité dans la société.
Cette dernière étant conçue comme le produit des interactions entre des individus
cherchant la satisfaction de leurs besoins personnels. Dans le modèle de David
Easton, le système politique est considéré comme un lieu opaque et obscur qui
échappe à l’entendement d’où sa désignation par la notion de boite noire. Dès lors, la
seule réalité connaissable reste les transactions multiformes entre le système et son
environnement. Ainsi dans ces relations, on distingue les inputs et les outputs.

Les inputs sont considérés comme les messages ou impulsions que le système reçoit
de l’environnement. Ce sont les exigences et les soutiens. Par exigences, il faut
entendre les attentes ou demandes sociales et par soutiens, les manifestations en
faveur du système politique.

Les outputs sont le produit de la réaction du système aux exigences et soutiens. Ils
s’expriment à travers des décisions et des actions.

On comprend dès lors que le système politique se différencie du régime politique


dans la mesure où le régime renvoie essentiellement au droit et aux institutions. Le
régime politique apporte des réponses à quatre questions essentielles à savoir les
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règles relatives à l’origine, à la conquête, à l’exercice et à la transmission du pouvoir


politique.

Dans ce cours de système politique sénégalais, nous allons nous focaliser sur une
sociologie de la construction démocratique pour plusieurs raisons. Ces dernières
tiennent d’abord aux passés précolonial et colonial du Sénégal. Dans les royautés
traditionnelles, il existait des mécanismes de limitation du pouvoir. En effet,
l’absolutisme royal était tempéré par le pouvoir magico-religieux, par les dépositaires
de la coutume et par les règles et structures constitutionnelles de désignation et de
contrôle du souverain.

En effet, le roi était assisté par un conseil du peuple où toutes les catégories de la
société étaient représentées que ce soit les hommes libres, les captifs, les maîtres de la
terre, les marabouts… Dès lors, beaucoup d’auteurs ont estimé que ces royautés
traditionnelles étaient des sortes de monarchies constitutionnelles où le pouvoir
n’était pas exercé de manière despotique et autocratique mais plutôt encadré par des
normes.

On peut donner comme exemple à cet égard la République Théocratique de Ceerno


Suleymaan Baal au Fouta où des principes étaient érigés contre l’arbitraire et
l’exploitation. Parmi ces principes, on distingue le choix d’un homme savant, pieux et
honnête qui n’accapare pas les richesses de ce bas monde pour son profit personnel
ou celui de ses enfants. Ceerno Suleymaan Baal recommande dans cette logique
de détrôner tout imam dont on voit la fortune s’accroître et demande de confisquer
ses biens, de le combattre et de l’expulser s’il s’entête.

Il y a également le fait de veiller à ce que l’imamat ne soit pas transformé en une


royauté héréditaire où les fils succèdent à leurs pères.

Pour Ceerno Suleymaan Baal, l’imam peut être choisit dans n’importe quel tribu
à condition qu’il soit un homme savant et travailleur.

Il déconseille également de limiter le choix à une seule et même tribu. Enfin, il


recommande de toujours se fonder sur le critère de l’aptitude.

Il faut également dire que la République Lébou du Cap-Vert peut être considérée
comme une expérience démocratique réussie. En effet selon Makhtar Diouf, les
lébou, après s’être émancipés du royaume du Cayor à la fin du XVIIIe siècle, ont
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fondé « une véritable république n’ayant rien à envier aux modèles occidentaux ni au
plan de l’antériorité, ni au plan de la cohérence des structures d’organisation. »

En effet, c’est en 1790 qu’est enclenchée une lutte d’indépendance contre le Damel
du Cayor dont le meneur le plus en vue fut Dial Diop jusqu’en 1812 date à laquelle
est fondée la République Parlementaire Lébou.

L’autorité politique est détenue par une assemblée de chefs composée de deux (2)
collèges : le diambour-i-ndakaru qui signifie l’assemblée générale de Dakar et le
diambour-i-penc qui signifie l’assemblée des notables de quartiers.

Ce sont ces chefs qui sélectionnaient au sein de l’une des grandes familles lébou un
serigne-ndakaru qui était le chef, le juge et l’instance d’appel suprême de la
communauté. Il était également l’éducateur du peuple dont l’origine est en principe
maraboutique. Ils (les deux collèges) choisissaient également le jaraf (titre donné
auparavant au gouverneur nommé par le Damel). Celui-ci fixait l’époque des
semailles, réglait les disputes sur les terres et les questions d’héritage en même temps
qu’il faisait respecter l’ordre public.

Le troisième personnage choisit par l’assemblée était le ndey-ji-reew qui était le


ministre de l’intérieur et des affaires étrangères et qui fut vite chargé des contacts
avec l’administration française. Les deux collèges avaient l’obligation de le consulter
avant de prendre toute décision.

Par ailleurs, il est possible de fonder le choix d’articuler le cours sur une sociologie de
la construction démocratique à partir de l’histoire coloniale du Sénégal.

En effet, c’est en 1789 que la colonie du Sénégal a envoyé de Saint-Louis des cahiers
de doléances à Versailles mais il existait déjà en 1776 un maire nommé à Saint-Louis.
Sous la monarchie de juillet, une ordonnance du 07 septembre 1840 institue le
conseil général de la colonie une sorte de parlement local avec des compétences
restreintes en matière budgétaire (établissement de l’assiette, de l’impôt, du montant
des taxes et perception).

Le 30 octobre 1848, des élections sont organisées pour la représentation de la


colonie au palais Bourbon (Assemblée Nationale Française). Cette représentation est
supprimée par le prince président Napoléon le 02 février 1852 et confirmé en
1871 sous la 3ème république dont l’universalisme ira en faveur de l’extension du
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mouvement communal dans l’empire français. Les communes de plein exercice de


Saint-Louis et Gorée sont créées par un décret du 10 aout 1872, celles de Rufisque
par un décret du 12 juin 1880 et de Dakar par un décret du 17 juin 1887. Ces
communes fonctionnaient sur la base du suffrage universel et de la gestion libre des
affaires locales.

Les joutes ou compétitions électorales étaient marquées par l’affrontement très


personnalisé des leaders politiques par clientèles interposées.

De 1848 à 1914, ce sont les négociants européens bordelais le plus souvent et les
métisses ou mulâtres qui dominent la scène politique. L’élection de Blaise Diagne le
10 mai 1914 marque un tournant décisif dans la prise de conscience et dans la
maturité de l’électorat noir.

Régulièrement élu de 1914 à sa mort en 1934, Blaise Diagne s’est opposé


victorieusement à Ngalandou Diouf qui lui reprochait de s’être compromis avec les
maisons de commerce et l’administration coloniale. Ce dernier affronte avec succès
Lamine Guèye de 1934 à sa disparition en 1940.

Il faut ajouter à cela que les idées de la révolution française ont toujours eu une
influence au Sénégal en tant que trait dominant de la culture moderne et de la
personnalité culturelle des habitants du pays. L’acclimatation de ces idées va servir
aux évolués (c’est-à-dire les intellectuels) à revendiquer plus d’égalité malgré les
réformes de l’enseignement initiées en 1924 et dans les années 1930 pour le rendre
plus compatible avec l’idéologie coloniale. Ces intellectuels parmi lesquels les maîtres
d’écoles au premier plan ont créé et entretenu selon Boubacar Ly la tradition
démocratique et républicaine au Sénégal. Cette aventure exceptionnelle de
participation qui fait la singularité de la trajectoire historique et politique du Sénégal
et qui ne se généralisera en Afrique qu’avec le contexte d’après-guerre, en plus des
éléments exhumés du passé précolonial où l’on notait des mécanismes de contrôle et
de limitation du pouvoir sont à la base de la tradition démocratique sénégalaise.

Le cours sera articulé autour de deux (2) axes d’une part la dimension socio-
institutionnelle de la construction démocratique du système politique sénégalais et
d’autre part la dimension socio-culturelle de la construction démocratique du
système politique sénégalais.
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PREMIERE PARTIE : LA DIMENSION SOCIO-INSTITUTIONNELLE DE LA


CONSTRUCTION DEMOCRATIQUE DU SYSTEME POLITIQUE SENEGALAIS

CHAPITRE I : LA PROBLEMATIQUE DE LA CONSTUCTION DEMOCRATIQUE


ENTRE AFFIRMATION AUTORITAIRE ET LIBERALISATION POLITIQUE

La construction démocratique sera envisagée ici à travers les luttes de pouvoirs au


sein de l’élite politique. Elle est fondée sur une contradiction principielle née de
l’affirmation d’un pouvoir personnel et autocratique fondé sur le prestige
charismatique et diplomatique d’être un démocrate.

SECTION I : DE LA REPUBLIQUE PARLEMENTAIRE A L’AUTORITARISME


MODERE

La République parlementaire est mise sur pied par la loi n° 59-003 du 24 janvier
1959 portant constitution de la République du Sénégal instituée par la constitution
fédérale (Fédération du Mali) du 22 janvier 1959. Le bicéphalisme du pouvoir
exécutif institué dans la République parlementaire d’alors finit par entrainer une
crise politique au sommet de l’Etat qui éclate le 17 décembre 1962 et qui a opposé
les deux (2) factions et fractions du pouvoir exécutif à savoir Léopold Sédar
Senghor Président de la République et Mamadou Dia Président du Conseil. A
l’issu de cette crise, on assiste à la fin de la République parlementaire et à
l’avènement d’un pouvoir centralisé et fort incarné par Léopold Sédar Senghor.

En effet, l’accord tacite de la primauté des instances partisanes sur les organes
constitutionnels assurait l’équilibre et le fonctionnement harmonieux du système de
parti Etat. La rupture du consensus intervint du moment où un groupe de députés
influents de l’UPS (parti de Senghor créé en 1948 après la rupture des liens avec
SFIO) Abdoulaye Fofana, Maguette Lô, Doudou Thiam, Ousmane Ngom
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(responsable politique à Thiès), Théophile James, Lamine Guèye, Boubacar


Guèye, Khar Ndoffène Diouf décidèrent de déposer une motion de censure
contre le gouvernement de Mamadou Dia. Dans le texte de la motion, on peut lire
« l’assemblée nationale en déposant cette motion de censure met fin, non sans regret à
un soutien constant et inconditionnel apporté quatre années durant à un
gouvernement dont elle devait attendre à défaut d’estime et de considération, le
respect scrupuleux de ses prérogatives. Les entraves au libre exercice des prérogatives
parlementaires ne se comptent plus. Elles ont pris un relief particulier à l’occasion de
la pseudo-crise qui a secoué le pays dans un passé récent autant par les menaces
articulées de façon précise que par celles qui sont demeurées sous entendues. »

Le président du conseil en même temps ministre de la défense réquisitionne le 17


décembre 1962 les forces de gendarmerie pour s’opposer à la réunion des députés
au siège de l’assemblée nationale. Il demande à un détachement de gendarmerie de
faire évacuer l’assemblée nationale. Quatre (4) députés sont interpellés. Il s’agissait
de Théophile James, Maguette Lô, Abdoulaye Fofana et Moustapha Cissé.

L’arbitrage de l’armée tourne en faveur de Léopold Sédar Senghor. Le Président


du Conseil est arrêté le 18 décembre en même temps que les ministres qui le
soutenaient.

Les parlementaires qui lui avaient manifesté leur attachement verront leur immunité
levée. L’assemblée nationale adopte le 07 janvier 1963 une résolution demandant la
traduction de Mamadou Dia devant la Haute Cour de Justice accusé d’avoir
fomenté un coup d’Etat. C’est finalement le 09 mai 1963 que le Président
Mamadou Dia est jugé par la Haute Cour de Justice. Les six juges députés étaient
les suivants : Abass Guèye, Ansou Mandian, Théophile James, Mary
Cissokho, Alioune Niang et Amadou Gorgui Samb. Bien qu’ayant toujours
soutenu qu’il ne voyait pas la nécessité de faire un coup d’Etat vu qu’il disposait de la
réalité du pouvoir, il est condamné à perpétuité après un procès d’une durée de cinq
jours.

Ses compagnons écopent des peines moins lourdes que la sienne. Valdiodio
Ndiaye, Ibrahima Sarr et Joseph Mbaye sont condamnés à 20 ans de
réclusion criminelle et Alioune Tall à 5 ans d’emprisonnement.

Ils ne sont libérés que le 28 mars 1974 à la faveur d’une grâce présidentielle.
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Sur le plan juridique, la crise est liée à la dyarchie instaurée au sein de l’exécutif par la
constitution du 25 aout 1960 qui cherche à instaurer un équilibre non pas entre
l’exécutif et le législatif mais entre les deux fractions de l’exécutif : la présidence de la
République et la présidence du Conseil. C’est ainsi qu’il résulte de l’examen de la
charte fondamentale de 1960 de l’existence de compétences concurrentes entre deux
autorités différentes par leur statut et leur rôle dans le fonctionnement du régime ; ce
qui prédispose au conflit. Léopold Sédar Senghor exposant son programme de
gouvernement le 19 décembre 1962 abonde dans le même sens « à vrai dire, les
structures de notre Etat, notre constitution sont plus responsables dans cette
douloureuse affaire que le caractère des hommes quoi qu’on dise. L’éclatement du Mali
avait prouvé qu’une fédération à deux était impossible. La fin d’une collaboration de 17
ans prouve qu’en Afrique pour le moment l’exécutif bicéphale est impossible. »

Mais le conflit n’était pas seulement d’ordre constitutionnel et formel, il était aussi
politique opposant un « courant pro français et conservateur » incarné par Senghor
et un « courant pro soviétique et progressiste » incarné par Mamadou Dia favorable
à l’application des réformes d’indépendance et de développement économique
fondées sur un socialisme autogestionnaire inspiré par Tito et qui menaçait les
intérêts de la métropole et des marabouts.

En définitive, les circonstances politiques ont été déterminantes dans l’avènement du


pouvoir personnel incarné par Senghor (crise de la fédération du Mali, élections de
1960 troublées par la violence et crise du 17 décembre 1962 notamment). Le
président Senghor estimait alors qu’il fallut mettre en place un pouvoir fort qui
devait reposer sur le monolithisme politique et idéologique et qui adoptait une
constitution qui lui accorda des pouvoirs exorbitants. En effet, la constitution de
1963 s’inspire non seulement du présidentialisme classique des États-Unis mais
aussi du système de la Vème République et de la pratique africaine du monopartisme.
Comme l’écrit Saïd Ajami « du présidentialisme classique, on a retenu le
monocéphalisme de l’exécutif l’irresponsabilité du Président élu au suffrage universel
et le mécanisme du véto suspensif dont dispose le Président dans la procédure
législative. A la Vème République, on a emprunté la restriction du domaine législatif
au profit de l’exécutif, le recours possible au référendum, à l’initiative du Président
pour l’adoption d’un texte législatif, la possibilité d’une délégation du pouvoir
législatif en faveur de l’exécutif et surtout les pouvoirs illimités que le célèbre article 16
de la constitution française met à la disposition du Président dans les circonstances
exceptionnelles. » Le Président concentre ainsi entre ses mains tous les pouvoirs en sa
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qualité de chef de l’Etat, de chef du parti hégémonique qui devient un parti unique de
fait à partir de 1966 et en qualité de père de la nation. Il n’est ainsi responsable
qu’en cas de haute trahison ou de violation intentionnelle de la constitution ; ce qui
dans la pratique n’a guère qu’une signification symbolique. A la suite d’une
expérience de 4 ans, le président Senghor procède à une nouvelle révision
constitutionnelle en date du 20 juin 1967 à l’effet de faire coïncider le mandat du
président avec celui de l’assemblée nationale pour une durée identique de 5 ans tout
en modifiant par ailleurs l’allocation du pouvoir entre l’exécutif et le législatif. Dès
lors le président détenait le pouvoir de dissoudre l’assemblée nationale en cas de
conflit, la dissolution devant entrainer obligatoirement la démission du président.

Ainsi le conflit entre les deux pouvoirs devait-il être résolu par l’arbitrage du peuple
souverain qui peut donner tort au président en élisant un successeur ou alors
désavouer les parlementaires opposants et renvoyer à l’assemblée nationale une
majorité cohérente, favorable à la politique présidentielle.

Sur le plan politique, Senghor construit son hégémonie en combattant toutes les
forces politiques voulant émerger au moyen de la répression policière et judiciaire
qu’elles aient été des forces clandestines avec des stratégies de subversion par la
violence ou de simples associations ou partis politiques même si certaines
organisations comme le PAI semble jouer sur les deux registres. En effet, le PAI
(parti créé en 1957), après sa dissolution à la suite des élections troublées et violentes
de 1960, poursuit ses activités clandestines au Sénégal et à l’étranger. Un premier
conseil constitutif s’est tenu à Bamako en 1962. Majhmoud Diop était élu
secrétaire général. Babacar Niang et Seydou Cissokho deviennent ses adjoints
directs. La propagande reprend ainsi que les distributions de tracts et du journal
Moom sa Rew qui signifie indépendance. Utilisant à leur compte la solidarité
internationale, des jeunes désœuvrés sont recrutés en 1963-1964 et envoyés à
l’Université Patrice Lumumba en URSS alors que d’autres sont initiés aux
techniques de la guérilla à Cuba. 22 d’entre eux s’infiltrent au Sénégal Oriental pour y
mener une agitation en milieu rural. Inadaptée au contexte et mal préparée, cette
activité subversive échoue. Les faiseurs de troubles sont dénoncés, capturés et
condamnés à des peines de prison d’un an à 30 mois par le tribunal spécial de
Dakar le 19 mars 1966. Un autre groupe d’émigrés s’active au Mali d’où ils tentent
de déstabiliser le gouvernement sénégalais. Le président Senghor dans son adresse à
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la nation le 04 avril 1962 confirme l’information circulant depuis le 13 février de


la même année « depuis des mois, les émigrés de Bamako, dociles aux ordres d’un
gouvernement étranger, recrutaient quelques dévoyés perclus de dettes ; ceux-ci
s’entrainaient aux méthodes modernes de subversion sous la conduite d’instructeurs
venus d’un second pays africain. » Ainsi l’opposition clandestine traquée, arrêtée,

jugée et condamnée. Une stratégie plus subtile est utilisée par Senghor contre les
partis légaux d’opposition susceptibles d’appuyer le PAI.

Le 15 septembre 1961, est constitué le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS). Il


est dirigé par Samba Diop alors que l’une des vices présidences est confiée à l’ex
premier ministre de la justice du Mali Boubacar Guèye et le secrétariat général à
l’historien Cheikh Anta Diop. Des contacts sont entrepris par le parti au pouvoir
sur les suggestions du khalife général des mourides. Ces pourparlers ayant abouti en
partie, on assiste au départ de Boubacar Guèye et une partie des membres du Bloc
également rejoint l’UPS. Profitant de cette scission, le ministre de l’intérieur prend
un arrêté constatant la dissolution du parti d’opposition. Cheikh Anta Diop et
Samba Diop organisent la parade en créant le Front National Sénégalais (FNS)
le 03 novembre 1963.

Prenant acte de la jonction du nouveau mouvement politique avec les partisans de


Mamadou Dia (l’ex président du Conseil emprisonné) qui sont devenus
majoritaires dans la direction du Front, la décision de dissoudre celui-ci intervient
fondée sur des craintes de déstabilisation du gouvernement. Ce dernier explique la
décision « par le fait que les conjurés du 17 décembre s’étaient glissés dans le bureau de
ce parti et s’évertuaient à maintenir cet esprit de conjuration qui avait conduit à la
tentative de coup d’Etat, le gouvernement du Sénégal, qui dans sa constitution, admet
la pluralité des partis ne peut et ne doit pas cependant tolérer qu’un groupe politique
quelconque se livre à la subversion. »

Une unité d’organisation et d’action est tentée contre le parti dominant de Senghor
et regroupe le Parti du Regroupement Africain (PRA), les militants du PAI qui
évoluent dans la clandestinité, les anciens militants du Front National et quelques
opposants esseulés faisant liste commune aux élections législatives sous la bannière
de Démocratie et Unité Sénégalaise. Mais personne n’accepte de concourir avec
Senghor pour la présidentielle qui se tenait en même temps. Un mois avant les
joutes électorales, le leader du PRA Abdoulaye Ly fait une mise en garde dans un
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tract sur la transparence des opérations électorales « les spécialistes UPS de la fraude
qu’ils soient campés au ministère de l’intérieur, dans les édifices publiques
transformées en véritables permanences du népotisme et de la combine ou ailleurs
préparent la prochaine victoire électorale sur notre peuple. » Une première escalade

de la violence se produit avec l’incendie d’une permanence du mouvement


majoritaire le 25 novembre alors que le 29 on assiste à des batailles rangées et à
l’assassinat d’un policier.

Le secrétaire général du PRA en appelle à l’arbitrage des militaires et gendarmes qui


« ne sauraient demeurer indifférents à ce qui se passe à la maison, à ce qui arrive à
leurs frères et à leurs sœurs au devenir de leur pays. » Il est arrêté pour incitation à la

rébellion ; ce qui rajoute à la tension. De nombreux actes de violences sont décomptés


à Rufisque, à Thiès mais surtout à Dakar. La police et la gendarmerie interviennent.
L’armée est appelée en renfort. Le bilan est lourd : 11 morts et de nombreux
blessés dont des enfants et des adolescents. Sur les 41 blessés graves admis à
l’Hôpital Aristide Le Dantec, 20 ont moins de 18ans.

L’épisode des élections de 1963 fut l’un des plus sanglants de l’histoire politique du
Sénégal. Si elles ont abouti à des troubles et manifestations durement réprimés, cela
était en partie lié au caractère inique, injuste du mode de scrutin qui avait été mis en
place pour décourager toute opposition. Il s’agit du scrutin majoritaire à un seul tour
avec une seule circonscription que constitue le territoire national.

Mais il faut dire que malgré cette répression, le régime de Senghor a su garder une
certaine mesure considérée ou qualifiée en cela d’autoritarisme modéré comme le
confirme Christian Coulon (spécialiste du Sénégal des années 1980 et auteur de
marabout et prince) « le régime n’a jamais débouché sur un Etat policier ou inspiré

par la violence. » Dans le même sens du caractère modéré de l’autoritarisme

senghorien, Me Abdoulaye Wade, lors d’une conférence organisée par le Club


Nation et Développement en 1969, affirme « alors que la dictature est instaurée
dans la plupart des pays d’Afrique, notre pays en a été épargné. Les craintes que les
uns et les autres avaient pu manifester sur ce point ont été tôt dissipées parce que le
président de la république n’avait pas le tempérament d’un dictateur bien qu’il avait
tout pour exercer la dictature. Qu’il soit incontestable que le régime présidentiel que
nous vivons présente un vice fondamental qui est la grande centralisation avec son
corolaire l’irresponsabilité des autres, je suis le premier à l’admettre. Mais il est juste
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de reconnaitre que disposant des mêmes pouvoirs que les autres chefs d’Etats, Senghor
a laissé la magistrature indépendante et fait respecter les libertés fondamentales. »

Après la répression, l’autre arme redoutable détenue par le président Senghor est la
cooptation (fait d’inclure dans une structure d’autres membres avec l’avis des uns qui
la composent) stratégie idéologiquement enrobée par la nécessité de réaliser l’unité
nationale par l’unité partisane. Dès lors après la vague de la répression, le courant
s’établit lentement entre la formation politique du président Senghor et le PRA. Un
premier rapprochement se fait à la suite d’une crise interne du PRA dont les
scissionnistes menés par Malick Dione, Yaya Traoré, Ibrahima Diouf et
Moussa Thiam créent le PRA Rénovation et rejoignent en février 1964 le parti
présidentiel non sans préciser au préalable que leur désaccord avec leurs camarades
de parti se situait « non pas sur le programme et le sigle… mais sur le partage des
responsabilités politique et gouvernemental. » Mais la majorité du parti reste dans

l’opposition.

Les péripéties ou rebondissements judiciaires consécutifs aux élections de


décembre 1963 avec particulièrement la condamnation du leader du PRA
Abdoulaye Ly à une peine d’emprisonnement de deux (2) années vont conduire
progressivement à un nouveau rapprochement avec le parti au pouvoir. En effet, le
président Senghor prend un décret en date du 04 avril 1965 qui accorde une
remise de peine au dirigeant du PRA dans un premier temps avant de poser un autre
acte politique en ouvrant des négociations secrètes avec les responsables de ce parti.
C’est ainsi qu’en mai et juin 1966 le président Senghor en compagnie
d’Abdoulaye Fofana et d’Alioune Badara Mbengue rencontre Abdoulaye Ly,
Assane Seck et Abdoulaye Guèye. Ces pourparlers aboutissent à un accord signé
le 13 juin 1966 dont voici la teneur « entre l’Union Progressiste Sénégalaise et le PRA
Sénégal, convaincus de la nécessité de réaliser l’unité africaine pour la sauvegarde et
la consolidation de l’indépendance nationale et pour l’accélération du développement
social du Sénégal conformément aux aspirations populaires ; constatant la
convergence de leurs points de vue sur l’orientation générale et l’accord sur la façon
réaliste d’aborder la question du programme, il a été convenu ce qui suit : 1)
l’unification dans le cadre de l’UPS 2) la participation de 10 membres du PRA Sénégal
au bureau politique de l’UPS 3) la participation de 54 membres du PRA Sénégal au
conseil national de l’UPS 4) l’unification à la base… 5) la participation au
gouvernement de 3 membres du PRA Sénégal »
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Face à l’imminence des élections générales, il est fort probable qu’un arrangement ait
été trouvé concernant le nombre de sièges de députés à réserver au PRA.

Dans la foulée, le président Senghor prend un décret portant remaniement


ministériel et nomme ministre de la République Amadou Makhtar Mbow à qui est
confié le département de l’Education Nationale, Abdoulaye Ly qui dirige le
ministère de la Santé Publique et Assane Seck celui des Affaires Culturelles. Le
parti de Senghor engrange ainsi environ 20.000 nouveaux adhérents. Le 03 juin
1966, Samba Diop président de l’ancien Front National se rallie à son tour au parti
de Senghor.

L’entreprise de contrôle politique du régime de Senghor s’étend aussi aux syndicats


qui sont intégrés dans le régime pour neutraliser leur capacité de nuisance politique à
travers l’idéologie de la participation responsable. Celle-ci consistait essentiellement
à leur octroyer des postes ministériels et des sièges à l’assemblée nationale.

Là où le bât blesse dans cette formule de participation au pouvoir c’est qu’il est fort à
craindre que les luttes syndicales ne soient détournées de leurs objectifs
d’amélioration des conditions d’existence matérielle et morale des travailleurs pour
ne porter que sur la compétition pour accéder aux postes attribués aux dirigeants
syndicaux. Dès lors, leur degré d’allégeance et de loyauté au pouvoir était un élément
essentiel. Domestiqués, les syndicats cessent alors d’être des contre-pouvoirs. En
conséquence, on peut dire qu’avec l’idéologie de la participation responsable, on
assiste à la neutralisation des syndicats comme forces politiques comme le souligne
L. S. Senghor lui-même « la réalisation de la participation responsable a permis
d’éviter la multiplication des grèves qui caractérise les régimes parlementaires en
Europe surtout il est vrai dans les pays latins. De temps en temps, il y a des grèves
sauvages bien sûr mais tout de suite la direction de la Confédération Nationale des
Travailleurs Sénégalais intervient. C’est la paix sociale qui nous a permis en grande
partie de surmonter la sécheresse qui en 18 années d’indépendance a sévi nos fois et
d’avancer quand même. » Mais le pouvoir de Senghor n’est pas épargné pour autant

des troubles dans la mesure où les grands évènements de 1968-1969 avec les grèves
des ouvriers et des étudiants combinées le développement des activités politiques
clandestines ont violemment ébranlé le régime. Dès lors ces difficultés à gérer le
pouvoir de manière autoritaire vont amener le président Senghor a opéré des
réformes politiques.
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SECTION II : LA DECONGESTION DU SYSTEME POLITICO- ADMINISTRATIF

Cette décongestion va aller dans deux (2) sens. D’une part la déconcentration du
pouvoir exécutif et d’autre part l’ouverture contrôlée du jeu politique.

PARAGRAPHE I : LA DECONCENTRATION DU POUVOIR EXECUTIF

Dans ces réformes de relâchement autoritaire, il s’est d’abord s’agit d’une


décongestion du pouvoir exécutif car la très forte centralisation du pouvoir entre les
mains du président de la république était source de déresponsabilisation pour toutes
les autorités politique et administrative.

Le but de la révision constitutionnelle du 26 février 1970 était d’y remédier grâce à


une déconcentration de l’exécutif qui permettait dans le même temps de régler le
problème de la succession du président Senghor.

Il ne s’agissait pas d’une remise en cause fondamentale du présidentialisme mais


seulement d’une réadaptation de celui-ci. En effet, il s’agissait de permettre au
président d’être secondé par un gouvernement qui assure dorénavant la
responsabilité de l’exécutif non seulement devant lui mais également devant le
législatif qui contrôlera son action sans pour autant mettre en cause la responsabilité
du président. En d’autres termes, il a fallu procéder à une division du pouvoir exécutif
de déconcentrer le régime présidentiel de 1963, cela pour mettre fin à ce que le
président Senghor appelait le poncepilatisme (néologisme formé par Senghor qui
veut dire s’en laver les mains). Concrètement, il s’agissait de mettre en place un
gouvernement présidé par un premier ministre solidairement responsable devant le
Président de la République et devant l’Assemblée Nationale.

Néanmoins le système reste présidentiel en ce sens que c’est le président seul qui
détient la plénitude du pouvoir exécutif. Ainsi le premier ministre dirige
quotidiennement le gouvernement et à travers ce dernier l’administration détient
tant dans le domaine pratique que dans le domaine juridique un certain pouvoir
distinct du pouvoir du président de la république qui donne dès lors sa teneur à l’idée
d’un exécutif présidentiel déconcentré.

A cela, s’ajoute le prestige personnel du président Senghor perçu aux yeux des
masses et des leaders politiques comme l’unique chef du pays et des institutions qui
15

fait du premier ministre un fidèle collaborateur qu’il se charge de former en vue de sa


succession.

L’autre élément lié à la décongestion du système politico-administratif est l’ouverture


contrôlée du jeu politique.

PARAGRAPHE II : L’OUVERTURE CONTROLEE DU JEU POLITIQUE

Celle-ci est étroitement liée ou associée à Abdoulaye Wade. En effet, ce dernier va


d’abord s’illustrer dans le cadre du Club Nation et Développement qui était un
forum de discussions, de dialogues et d’échanges créé après les événements de 1968.
Il permettait une expression canalisée des revendications, de participation dans un
contexte où l’Etat pour asseoir son autorité devait faire preuve d’imagination tant
dans le domaine économique que politique. S’interdisant toute activité politique, les
buts de ce club était de constituer un groupe de réflexion, de recherches et de travail,
d’entreprendre des études sur les questions concernant la nation et son
développement, de stimuler la création artistique et littéraire, de contribuer à
l’édification d’une démocratie sénégalaise authentique par la participation large et
responsable des cadres à la construction de la nation, d’engager un dialogue
permanent avec les autorités et les forces vives de la nation. Abdoulaye Wade fut
l’un des animateurs de cette association. Dans une conférence intitulée « Options
structurelles pour un développement optimal » présenté le 24 janvier 1969
et présidé malgré son caractère hérétique (qui s’écarte des fondements d’une
doctrine) par le ministre de la culture d’alors Alioune Sène, Abdoulaye Wade
dégage les principaux reproches faits au régime de Senghor.

Premièrement d’un côté un régime présidentiel dont la tare essentielle est la grande
centralisation et partant l’irresponsabilité des autres autorités administrative et
politique.

Deuxièmement d’un autre côté beaucoup de cadres et de jeunes sénégalais qui,


marginalisés par le régime, n’ont pas de prises réelles sur la vie quotidienne.

Troisièmement enfin des masses privées de structures d’accueil, d’institutions


capables de les faire participer dans leur environnement immédiat à des projets
conçus en fonction de cette participation donc des masses non conscientisées et à la
limite in-conscientisables.
16

Abdoulaye Wade finit par militer à l’UPS en 1970 et s’engage à la base dans son
terroir natal de Kébémer. Aux élections pour le poste de secrétaire général de la
coordination départementale, il obtient d’après lui 1001 voix contre 804 pour son
adversaire Dourou Fall. Mais en l’absence de commissaire politique, les résultats ne
furent pas entérinés ou validés et lors de la réunion du bureau politique du parti, son
adversaire fut déclaré élu. C’était en juin 1971.

Abdoulaye Wade dénonce alors les blocages anti-démocratiques qui existent au


sein du parti au pouvoir et décide de démissionner officiellement de l’UPS. Elu en
décembre 1971 doyen de la faculté de droit et de sciences économiques, en
désaccord avec le pouvoir tant sur le plan politique que sur les mesures économiques,
il est sommé autrement dit il lui est fait injonction de choisir entre l’enseignement et
le barreau sous prétexte d’une incompatibilité entre les deux fonctions.

En 1972, il quitte l’université et se livre à des activités de consultance auprès de


l’Organisation de l’Unité Africaine et de la Banque Africaine de
Développement. C’est alors qu’il rédige en aout 1973 le manifeste démocratie et
développement signé par 200 cadres sénégalais. Ce texte est conçu « plutôt comme

une contribution à la réorientation de la politique nationale. » Il se donne pour

objectif « moins d’engager une polémique que d’affirmer avec détermination un point
de vue sur la direction qu’il convient désormais de donner à la politique nationale et à
la gestion des affaires publiques. »

Le manifeste s’articule autour de thèmes majeurs tels que l’apport d’une contribution
à la réorganisation de la politique nationale, le refus de cadres sénégalais d’être
marginalisés, la primauté accordée au militantisme étant préjudiciable à la
démocratie, à la compétence et à la valeur personnelle, le rappel avec force du
panafricanisme, la contestation de la stratégie de développement qui repose
principalement sur l’aide extérieur et qui n’accorde pas la priorité aux ressources
humaines, l’adoption d’une stratégie visant la révision des accords liant le pays à
l’extérieur de manière à les inscrire davantage dans le sens de l’effort national. Bref le
Manifeste des 200 se prononçait en faveur d’une politique résolument africaine,
d’une démocratie réelle, d’une véritable politique nationale de développement
économique et social et d’une politique d’indépendance nationale. Il sera intimement
lié à la future création du PDS. Le contexte politique d’alors est ambigu avec un parti
unique de fait et un multipartisme de droit puisque la constitution du 07 mars 1963
17

disposait en son article 3 « les partis et groupements politiques concourent à


l’expression du suffrage, ils sont formés et exercent leurs activités dans les conditions
déterminées par la loi. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale
et de la démocratie. » Cette inadéquation entre le droit et le fait a ramené le président

Senghor à parler de parti unifié que plutôt de parti unique. Saisissant cette
opportunité, Abdoulaye Wade mandaté par le groupe des 200 décide par simple
courtoisie selon son expression d’informer le président Senghor gardien de la
constitution de sa volonté de créer un parti politique conformément à un droit
reconnu par la charte fondamentale. A l’occasion d’un entretien avec le président à
Mogadiscio lors du 10e sommet des chefs d’Etats de l’OUA, Abdoulaye Wade lui
soumet le problème et le président accède immédiatement à sa demande.

Instamment Me Wade avertit alors la presse et choisit de présenter ce parti comme


un parti de contribution et non d’opposition pour éviter de heurter des esprits
habitués à la césure abrupte entre parti au pouvoir et partis d’opposition.

Le 31 juillet 1974, le PDS dépose ses statuts conformément à la loi et obtient son
récépissé de déclaration délivré par le ministre de l’intérieur le 08 aout 1974 qui
était synonyme de reconnaissance légale. Mais il existe également deux autres raisons
intéressantes qui sont à la base de la création du PDS. Ce sont le refus d’un éventuel
chantage politique pour obtenir une position de pouvoir au sommet en menaçant de
créer une dissidence d’une part et d’autre part la volonté prêtée au président
Senghor de faire adhérer son parti à l’international socialiste qui exigeait le
pluralisme partisan. Concernant la première raison, Abdoulaye Wade ayant été un
militant de l’UPS dont il a démissionné, le président Senghor pensait qu’il s’agissait
de sa part d’une stratégie pour rebondir. La seconde raison est liée au désir du
président Senghor d’intégrer l’international socialiste pour redorer son blason et
pour accroître son prestige international. Mais la création du PDS de Me A. Wade
avait incité d’autres dirigeants politiques à formuler des demandes de reconnaissance
légale.

Dans cette optique, une réforme constitutionnelle est mise en œuvre à travers un
tripartisme à contenu idéologique. En effet, la loi n°76-26 du 06 avril 1976
abrogeant et remplaçant l’article 2 de la loi n°75-68- du 09 juillet 1975 relative
aux partis politiques disposait que « les trois partis politiques autorisés par la
constitution doivent représenter respectivement les courants de pensées suivants
18

libéral et démocratique, socialiste et démocratique, marxiste-léniniste ou


communiste. Les statuts des trois partis politiques doivent se référer expressément et
respectivement à l’un de ces trois courants de pensées. »

En outre, ce texte précisait que les partis politiques pouvaient être dissous par décret
motivé dès lors que les déclarations répétées de leurs responsables nationaux les
motions et décisions prises publiquement par leurs instances nationales prouvent
qu’ils ne respectent pas les objectifs définis par leur statut par référence à l’un des
trois courants de pensées mentionnées à l’alinéa 1.

Pour ce qui est des courants idéologiques, il faut dire qu’Abdoulaye Wade avait
choisi initialement l’idéologie travailliste avant de se résigner à accepter l’étiquette
libérale qui a été collée de force à son parti pour éviter sa dissolution. Le travaillisme
originel de Me Wade s’inspirait de l’Angleterre et de la doctrine du mouridisme car
pour lui, le Sénégal étant un pays pauvre, il ne saurait fonder son développement sur
le facteur capital sauf à l’emprunter et à devenir indéfiniment débiteur. Le
travaillisme de Wade se fonde alors sur le travail comme premier facteur de
production. C’est un travaillisme différent de celui britannique où il s’est agi après
une longue période d’accumulation de procéder à une redistribution du profit en
faveur du facteur travail. Cette dimension re-distributive est retenue dans le
travaillisme de Wade en plus des possibilités d’utiliser à titre gracieux le facteur
travail pour des tâches d’intérêt national. Quoiqu’il en soit les partis politiques
reconnus étaient tenus de rester dans le corset idéologique imposé par la loi car la
limitation tripartite des courants était selon les tenants du pouvoir une manière
d’élever le débat politique. Elle obéissait donc selon les gouvernants à une volonté de
privilégier la confrontation des idées et des projets de société afin de transcender les
clivages interpersonnels et endiguer les ambitions individuelles du pouvoir d’où une
organisation du jeu politique autour d’idéologies structurantes. Au demeurant, on
comprend difficilement qu’une loi puisse contraindre un parti d’adopter une manière
de voir le monde. Ainsi, en imposant des carcans de prêts à penser aux formations
politiques dès le départ et dont le non-respect entraine la dissolution par simple
décret, ce sont les notions de libertés d’expression et d’association qui sont bafoués
car de deux choses l’une soit on nourrit une idéologie contraire à ses convictions, à
ses aspirations soit on développe des idées qui ne reflètent pas l’idéologie que la loi
impose et le parti est dissout.
19

Le président Senghor avait bien mûri sa décision car le résultat aurait été le même.
Si la reconnaissance de trois partis était prévue, qui devaient ensuite choisir
librement leur idéologie ? Le cas échéant ils auraient été en effet quasiment
impossible de sortir du schéma senghorien d’autant plus que la loi prévoyait qu’en
cas où plusieurs partis existants se réclameraient du même courant de pensée, le plus
ancien sera seul considéré comme autorisé au regard des dispositions de la présente
loi.

Par conséquent, le socialisme démocratique lui était attribué d’avance car son parti
avait été créé en 1948 bien avant le PDS qui, donc, ne pouvait se réclamer de ce
courant.

Par ailleurs, le PDS rejette l’idéologie marxiste qu’il considérait comme incompatible
avec les réalités sénégalaises d’autant plus que le marxisme-léninisme était l’idéologie
d’un parti créé en 1957 le PAI devenu clandestin après sa dissolution en 1960 suite
aux violences enregistrées aux élections de cette année et qui lui été imputé. En
posant ces barrières idéologiques et juridiques, Senghor écartait un autre opposant
Cheikh Anta Diop qui en février 1976 avait introduit une demande de
reconnaissance qui fut rejeté pour vice de forme.

Ce parti était dans tous les cas exclu car il véhiculait comme idéologie le nationalisme.
Par pragmatisme autoritaire donc le constituant et le législateur de 1976 imposaient
le nombre de partis, les idéologies des partis et l’identification des partis aux
idéologies. Mais en définitive, la loi des trois courants était ambiguë car elle
constituait un recul par rapport au multipartisme posé ou illustré par la constitution
mais qui n’existait plus dans les faits en raison d’un processus d’absorption des partis
politiques concurrents de l’UPS et en raison de la répression systématique de toute
velléité d’opposition. Vu le contexte d’autoritarisme modéré d’alors, la loi des trois
courants est cependant une avancée car en plus du PDS, il y avait un autre parti qui
accéder à la légalité le PAI. Evoluant dans ce climat d’une démocratie très encadrée,
le PDS a su éviter les écueils en faisant montre de réalisme d’abord en acceptant
d’être un parti de contribution et ensuite en évitant de trop se cristalliser sur les
considérations d’ordre idéologique se résignant à porter l’étiquette du libéralisme
démocratique qui lui a été collée par la loi contrairement à ses convictions puisées
dans le socialisme travailliste.
20

En 1978, le président Senghor décide de créer un 4ème courant dit conservateur


animé par l’avocat Boubacar Guèye à la suite de la réforme constitutionnelle n°78-
60 du 28 décembre 1978. Ce qui constituait encore un pas franchi dans
l’élargissement du multipartisme. Le dernier volet des réformes politiques initiées par
Senghor est son retrait volontaire du pouvoir au profit d’Abdou Diouf son dauphin
constitutionnel.

En effet, la loi constitutionnelle n°76-27 du 06 avril 1976 prévoyait en son article


35 alinéa 2 qu’« en cas de démission du président, celui-ci est remplacé par le premier
ministre. » Le passage du pouvoir à Abdou Diouf fut qualifié par l’opposition

notamment le PDS de coup d’Etat constitutionnel prémédité qui, malgré la légalité


dont il s’est artificiellement entouré, n’en instaure pas moins au Sénégal un pouvoir
illégitime que le peuple sénégalais ne saurait accepter. Autrement dit, pour le PDS,
l’installation d’Abdou Diouf à la présidence de la République n’était due qu’à la
volonté de Senghor et que le régime ainsi installé par une loi scélérate était
illégitime. Dès lors, le PDS estimait selon le principe du parallélisme des formes que
seul un référendum populaire aurait pu légitimement modifier les modalités de
succession à la présidence de la république telle qu’elle découlait de la constitution de
1963 adopté par référendum.

Quoiqu’il en soit, il a été possible d’organiser sans heurt juridiquement une


succession au pouvoir qui est un point névralgique dans les systèmes politiques
africains dans lesquels les chefs d’Etats ont tendance à vouloir régner à vie lorsqu’ils
ne sont pas destitués par coup d’Etat. Il ne faut pas oublier également qu’on est ici en
présence d’une alternance au pouvoir, une alternance intra partisane.

Le président Senghor quant à lui exprime sa démission en raison de son âge avancé
(74ans) et des difficultés économiques qu’il charge son premier ministre et
technocrate Abdou Diouf de résoudre.

SECTION III : COMPROMIS ET CONFRONTATIONS POLITIQUES SOUS LE


MAGISTERE D’ABDOU DIOUF

Abdou Diouf élargit la compétition politique en instaurant le multipartisme


intégral. Mais dans le même temps, il instrumentalise et monopolise la production
des règles juridiques du jeu politique pour ses intérêts exclusifs et ceux de son parti
21

afin de conserver le pouvoir. Le multipartisme intégral est par ailleurs un moyen


d’éparpiller les forces politiques oppositionnelles. De tout cela, il résultait des
confrontations avec l’opposition qui sont d’autant plus violentes qu’elles se déroulent
dans un contexte historique d’impasse politique marqué par les effets pervers des
mesures draconiennes dictées par les institutions de Bretton Woods. Ce faisant, la
logique politique contradictoire d’exercice et de conservation du pouvoir d’Abdou
Diouf finit par être résolue à travers la recette de la cogestion du pouvoir.

PARAGRAPHE I : L’AFFIRMATION DU POUVOIR PERSONNEL DANS LA


CONFRONTATION AVEC L’OPPOSITION

Arrivé au pouvoir, Abdou Diouf instaure le multipartisme illimité. Les raisons de ce


choix sont exposées dans le rapport fait au nom de la commission de législation, de la
justice, de l’administration générale et du règlement intérieur sur le projet de loi
n°04-81. « Il faut avouer que depuis l’institution d’un multipartisme limité, une
partie de l’opinion sénégalaise a toujours considéré l’actuel article 3 de la constitution
comme une restriction à la liberté d’appréciation et d’expression. Attentif à cette
critique qui cherche à ternir l’image de marque d’une démocratie pourtant réelle, le
gouvernement a décidé de franchir la dernière étape dans ce domaine en adoptant un
multipartisme total pour permettre à tous les courants politiques de se définir
librement, d’exercer leurs activités dans le cadre de la légalité sans obligation de se
réclamer nécessairement d’une idéologie définie a priori par le législateur. » Ainsi

l’article 3 de la constitution est révisé par la loi constitutionnelle n°81-16 du 06


mai 1981 qui instaure le multipartisme intégral en faisant sauter la limitation des
partis à quatre et le système des idéologies préétablies et neutralise dans cette foulée
le réveil des particularismes de tout bord susceptibles de provoquer l’éclatement de la
nation. Le nouveau texte dispose en effet « les partis politiques concourent à
l’expression du suffrage. Ils sont tenus de respecter la constitution ainsi que les
principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Il leur est interdit de
s’identifier à une race, à une secte, à une langue, à une ethnie, à un sexe, à une religion
ou à une région. »

Cette loi permettait d’éviter la politisation de certaines identités qui peuvent être de
nature à fausser le jeu démocratique. Ce nouveau régime du pluralisme politique est
critiqué par l’opposition sous l’angle de la dissolution qui laissait au pouvoir exécutif
une certaine marge pouvant entrainer des dérives.
22

On peut dire également qu’en instaurant le multipartisme intégral, Abdou Diouf a


développé une stratégie consistant à diviser pour mieux régner car l’article L148 du
code électoral interdisait les coalitions. Chaque parti étant donc obligé de présenter
sa propre liste aux élections législatives et un candidat à la présidentielle.
L’instauration du multipartisme limité était donc une ruse de conservation du
pouvoir dans laquelle Robert Fatton a vu le parachèvement d’une révolution
passive enclenchée sous le régime de Senghor.

La révolution passive désigne chez Fatton une volonté de la classe dirigeante par
l’instauration de la démocratie de désamorcer le potentiel révolutionnaire des acteurs
sociaux susceptibles de la prendre en charge. Cette thèse est à nuancer pour plusieurs
raisons. Elles tiennent au fait qu’au Sénégal, le marxisme-léninisme a eu beaucoup de
mal à exister dans les entrailles de la société à cause de l’athéisme qu’il prône mais
surtout parce que cette idéologie concernait plus une élite intellectuelle restée fermée
dans la mesure où la qualité du militant par la formation était jugée plus importante
que la quantité. Ce qui explique que ces partis ont eu du mal à se massifier. Par
conséquent, il aurait été difficile qu’ils eussent réalisé la révolution. En tout cas la
possibilité offerte par le multipartisme intégral de s’organiser politiquement semble
être une relance de la construction démocratique car l’élargissement de la
compétition politique est une condition nécessaire mais non suffisante à la
démocratie. Il a nécessité l’édiction de règles juridiques du jeu politique.

En effet, en 1982, un nouveau code électoral entre en vigueur dans ce nouveau


contexte politique du multipartisme illimité. Mais ledit code est jugé
antidémocratique par les partis d’opposition notamment le PDS considérant qu’il ne
créait pas les conditions pour garantir des élections transparentes. En somme,
l’opposition revendiquait l’égalité des partis politiques dans l’utilisation des moyens
de propagande, la sincérité du scrutin en ce qui concerne le nombre, la composition
et le fonctionnement des bureaux de vote, les conditions de fonctionnement des
commissions de distribution des cartes d’électeurs, l’identification de l’électeur, le
passage à l’isoloir, le contrôle des opérations électorales par les partis politiques… Les
partis d’opposition contestaient également la procédure d’édiction des nouvelles
règles électorales en dehors de toute concertation préalable notamment en ce qui
concerne le mode de scrutin. Aussi, ont-ils critiqué les conditions de déclaration des
candidatures, le montant du cautionnement jugé trop élevé et la nature mixte du
23

nouveau mode de scrutin pour l’élection des députés. Une moitié de députés étant
élue à la représentation proportionnelle et l’autre moitié au scrutin de liste
majoritaire à un tour au niveau du département. Ce texte essentiel définissant les
règles de la compétition au pouvoir sera l’enjeu central de la construction
démocratique car l’opposition voulait que le jeu fut assez ouvert et transparent de
manière à lui donner des chances d’accéder au pouvoir alors que les dirigeants en
place cherchaient avant tout à consolider leur domination en organisant le jeu de telle
sorte que le pouvoir ne puisse pas leur échapper.

Malgré toutes ces récriminations de l’opposition sur le code électoral jugé inique, les
élections générales de 1983 furent organisées et largement remportées par Abdou
Diouf. Une fois soumis avec succès au test du suffrage universel, le président Diouf
s’emploie à la construction d’un pouvoir personnel quand bien même il n’était pas
doté des mêmes ressources politique et symbolique de son prédécesseur Senghor
présenté comme le père de l’indépendance et de la nation. Celui-ci également
théoricien du socialisme africain a su utiliser politiquement le combat culturel et
littéraire mené avec ses camarades Aimé Césaire et Léon Gontran Damas dans
les années 1930 à Paris pour la défense et l’illustration des valeurs et civilisations
africaines.

Abdou Diouf cherche quant à lui à se démarquer de Senghor pour affirmer sa


personnalité et construire son hégémonie. Il utilise une stratégie politiquement
payante en posant des actes forts dès son accession au pouvoir. Il s’engage à lutter
contre la corruption en créant le délit d’enrichissement illicite ainsi qu’une cour
de répression de ladite infraction afin de moraliser la vie publique.

Auparavant Abdou Diouf avait organisé les Etats généraux de l’enseignement le 28


janvier 1981. Au plan politique, A. Diouf consolide son pouvoir personnel, aidé en
cela, par son homme de confiance Jean Collin. Cette construction hégémonique est
passée par la suppression du poste de premier ministre confié à son ami Habib
Thiam.

Cette réforme institutionnelle est introduite par la loi n°83-53- du 01 mai 1983. Le
constituant affirme dans l’exposé des motifs sa volonté d’établir un lien direct entre le
président de la république et le peuple tout en renforçant l’indépendance et la
puissance de l’assemblée nationale.
24

Evincé du poste de premier ministre, Habib Thiam devient président de l’assemblée


nationale et poursuit le bras de fer avec Jean Collin.

Une autre réforme constitutionnelle vient mettre fin à ses velléités d’autonomie et de
liberté de résistance au rouleau compresseur présidentiel savamment manipulé par
Jean Collin. Le président de l’assemblée nationale Habib Thiam s’oppose à une
réforme constitutionnelle visant à octroyer au président de la république le droit de
dissoudre l’assemblée nationale. Le refus obstiné du président de l’assemblée
nationale d’avaliser, de cautionner ou d’accepter cette réforme le place dans le
collimateur du pouvoir présidentiel. Il est alors désigné comme un élément à
neutraliser. C’est ainsi qu’une loi constitutionnelle n°84-34 du 24 mars 1984
abrogeant l’alinéa 1 de l’article 51 de la constitution vint réduire le mandat du
président de l’assemblée nationale de cinq à un an renouvelable. Elle obéissait
officiellement à une volonté de restituer l’équité par rapport aux autres membres du
bureau à savoir le vice-président, le secrétaire, le questeur (gérant des ressources), les
présidents des différentes commissions du parlement qui tous étaient élu pour un an
renouvelable.

Mais le texte lève un coin du voile sur les motivations sujettes à caution de la réforme
qui de toute évidence cherchait à liquider un potentiel adversaire politique. En effet,
le constituant précise « en outre, il peut paraître inconséquent que dans un système
démocratique comme le nôtre au sein d’une institution parlementaire démocratique
comme la nôtre, la grande majorité des élus du peuple puisse à quelque moment que ce
soit se sentir impuissante et désarmée face à un membre qu’ils ont librement et
démocratiquement porté à leur tête au cas où les intérêts de la masse ou ceux des
mandants seraient menacés ou bafoués. »

Dépité par toutes ces manœuvres Habib Thiam démissionne de toutes ses fonctions
politiques de la présidence de l’assemblée nationale, du poste de député, de secrétaire
général de la coordination départementale de Dagana, de secrétaire général adjoint
de l’union régionale de la région du fleuve, de membre du conseil national et du
bureau politique. S’il n’a pas démissionné du Parti Socialiste c’est dit-il en raison
de son amitié pour Abdou Diouf.

Une fois le président Diouf assuré de la stabilité de son pouvoir personnel en


éclipsant ou en éliminant tous les rivaux potentiels de son camp, il lui fallait
préserver son pouvoir des visés de l’opposition. De ce fait, il s’est posé à Diouf un
25

dilemme cornélien comment dans un contexte de crise économique, donner les


apparences d’une démocratie afin de conserver un pouvoir autocratique fondé sur le
prestige d’être un démocrate. C’est dire que les limites à la construction hégémonique
d’Abdou Diouf se posent dans les termes d’une gestion problématique du pouvoir
dans la confrontation avec l’opposition. Les difficultés politiques rencontrées par le
régime de Diouf sont liées à la contestation des élections par l’opposition qui juge le
code électoral inique en ce sens qu’il favorise des fraudes à grande échelle.

Cette pierre d’achoppement est à l’origine de remous ou de contestations socio-


politiques qui sont aggravés par le contexte historique de l’ajustement structurel.
Cette crise sociale sur fond de malaise de la jeunesse ne manque pas de générer
chômage, pauvreté et marginalisation.

Les élections générales de 1988 constituent un point culminant dans la confrontation


entre le pouvoir et l’opposition qui dégénère dans la violence. Les bus sont saccagés,
ce qui n’est pas nouveau, ainsi que les voitures de l’administration et des particuliers,
les feux de signalisation, les cabines téléphoniques… L’Etat d’urgence est décrétée et
le couvre-feu établi partout à Dakar.

Les principaux leaders de l’opposition notamment Me Wade sont arrêtés et déférés


devant la Haute Cour de Justice. La situation politique demeure trouble et instable
alors que les principales revendications de l’opposition liées à la réforme
constitutionnelle du code électoral sont méconnues du pouvoir.

Abdou Diouf est porté à la tête de l’Etat avec 73,20% des voix et 103 députés de
son parti sont élus sur les 120 que compte l’assemblée nationale.

Cette confrontation avec l’opposition met le pays dans une situation politique
délétère c’est-à-dire tendue que le régime d’Abdou Diouf va tenter de dénouer en
s’acheminant progressivement vers une cogestion du pouvoir.

PARAGRAPHE II : LE DENOUEMENT PROGRESSIF DES TENSIONS


POLITIQUES : VERS LA COGESTION DU POUVOIR

Il y a eu un jeu subtil entre le président Diouf et son principal opposant dans la


gestion de la crise politique de 1988. La résolution de celle-ci s’est faite à travers leur
complicité objective l’un œuvrant pour la paix sociale afin de poursuivre les politiques
26

d’austérité imposées par les bailleurs de fonds et l’autre voulant obtenir des garanties
d’une compétition électorale équitable afin d’avoir des chances d’accéder au pouvoir.
Cette période de négociation dans une certaine instabilité politique du pays a été
cruciale dans la construction démocratique du Sénégal. Cela étant, pour juguler la
crise de 1988, le pouvoir s’est essayé à une reprise en main qui s’annonce avec le
discours du président Diouf le 01 mai en lieu et place du défilé traditionnel des
travailleurs. Le président se limite à la sphère économique : prix aux producteurs,
pouvoir d’achat, projets de création d’emplois. En ce qui concerne l’augmentation du
pouvoir d’achat et d’emploi, il prévient « je réprouve la démagogie qu’avons-nous
entendu ces derniers mois : le riz à 60fr, l’emploi pour tous et tout de suite et d’autres
promesses tout aussi stupides que leurs auteurs seraient bien incapables de réaliser
tout simplement parce qu’elles sont impossibles aujourd’hui. Croire à de telles
élucubrations c’est faire confiance à des charlatans, je le dis comme je le pense. »

Abdou Diouf annonce ensuite la baisse des denrées dites de première nécessité le
riz, le sucre, et l’huile d’arachide. C’était là pour lui un moyen d’atténuer l’impact du
discours subversif de l’opposition et de désamorcer sa capacité de nuisance en lui
enlevant ses thèmes les plus mobilisateurs, les plus populaires, et les plus populistes.

A. Wade est condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis et retrouve la


liberté le 11 mai 1988 alors que Boubacar Sall condamné à deux (2) ans
d’emprisonnement ferme fut transféré à Kolda ; ce qui était une manière d’exercer
une pression sur le PDS et l’obliger à négocier. La décrispation politique est scellée à
travers une loi d’amnistie adopté le mardi 24 mai en conseil des ministres et voté le
samedi 28 mai 1988 par l’assemblée nationale. Elle concernait également les
événements de Casamance avec la libération de 320 personnes condamnées.

Moins d’une semaine plus tard, à l’occasion de l’Aïd El Fitr (la fête qui marque la fin
du ramadan) fête de réconciliation et de pardon célébrée par la communauté
musulmane les mardi et mercredi 16 et 17, le président Diouf révèle dans son
adresse à la nation les mesures prises pour apaiser la situation politique et sociale et
affirme en ce sens « j’ai décidé tout d’abord de lever à la fin de cette semaine l’Etat
d’urgence que j’avais décrété à Dakar au lendemain des élections. J’ai décidé
également de déposer sur le bureau de l’assemblée nationale un projet de loi
d’amnistie. J’ai enfin décidé d’appeler Me Wade chef de l’opposition parlementaire à
me rencontrer pour que nous cherchions ensemble les voies et moyens d’une vraie
concertation sur les problèmes qui préoccupent les sénégalais. Sur la consolidation de
27

notre démocratie, sur les questions économiques et sociales, sur les problèmes de la
jeunesse, de l’éducation et de l’emploi, l’opposition a son mot à dire et le gouvernement
doit l’entendre. »

Dans la lignée de cette ouverture, Me Wade est reçu par Abdou Diouf le jeudi 26
mai en présence d’Ousmane Ngom et de Jean Collin. A sa sortie d’audience, Me
Wade fait une déclaration lue par Ousmane Ngom et dont voici la teneur « après
la volonté exprimée de part et d’autre d’une concertation, nous nous sommes retrouvés
aujourd’hui et nous avons passé en revue tous les problèmes qui se posent au Sénégal
sans en exclure aucun. Nous pensons que des solutions peuvent être trouvées à
condition qu’il y ait une concertation démocratique. Nous avons réfléchi sur une
approche et nous avons proposé un cadre de concertation sous la forme d’une table
ronde nationale à laquelle sera conviée l’opposition. Cette table ronde travaillerait
sous forme de commission correspondant aux différents secteurs identifiés (politique,
jeunesse, emploi, économie, social, éducation). Ces commissions devraient pouvoir
siéger dans un délai de quinze jours et terminer leurs travaux dans les plus brefs
délais. »

Mais A. Wade en acceptant le principe de la discussion avec Diouf n’était plus en


phase avec le cadre des 11, la structure autour de laquelle s’était organisée
l’opposition et dont la plateforme revendicative s’articulait autour de deux points
essentiels : la démission de Diouf et de Jean Collin et l’organisation d’élections
nouvelles, libres et démocratiques.

C’est ainsi que seul le PDS et ses alliés le PIT, la LDM/PT sont allés à la table ronde
avec le PS et ses partis satellites dont l’URDS de Mamadou Puritain Fall et le
PDSR de Serigne Diop. Prévues pour le 15 juin, les négociations sont finalement
entamées le 04 juillet 1988.

Après des débats passionnés, seule la commission politique a fonctionné et le


consensus ne fut établi que sur un point à savoir l’élection du président au scrutin
majoritaire à deux tours. Le PS et ses alliés d’un côté et l’opposition d’un autre se
renvoient l’accusation de sabotage des négociations. Abdoulaye Wade se retire à
Paris le 29 aout 1988. Malgré les garanties politiques apportées pour fiabiliser la
compétition du jeu politique notamment à travers la réforme du code électoral, la
charte de la démocratie, le statut de l’opposition, le financement des partis politiques
etc., l’opposition choisit de radicaliser la lutte pour maintenir la pression sur Diouf.
Après son séjour parisien de six mois, A. Wade rentre triomphalement à Dakar le
28

07 mars 1989 deux jours après le congrès du PS qui revêtait une double
signification politique.

La première signification était une tentative d’affaiblissement de Jean Collin et la


deuxième une volonté de promouvoir le président de l’assemblée nationale Daouda
Sow comme n°2 du PS. Mais en définitive, le comité central décide de différer
l’application des réformes et convoque un congrès extraordinaire dit de rénovation et
d’ouverture qui marque un retour en force de Jean Collin qui contraint son rival à
démissionner après une motion de défiance des députés du parti mise en service par
les alliés de Jean Collin.

Le retour de Me Wade est pour lui une occasion d’effectuer une remarquable
démonstration de force. Les menaces les plus radicales pour le PDS de Wade étaient
de constituer un gouvernement parallèle, de publier des résultats des élections à
partir des procès-verbaux détenus par le PDS et de contester la légitimité d’Abdou
Diouf.

La publication des vrais résultats selon le PDS intervient en mars 1989 dans le
n°52 du sopi du 10 mars 1989 après l’échec des négociations entre Wade et le
pouvoir. Plusieurs manifestations sont organisées par l’Alliance sopi entre le 07
mars et le 04 avril 1989. A partir de cette date, les meetings de l’opposition sont
systématiquement interdits à Dakar. Abdoulaye Wade était d’autant plus
déterminé à en découdre qu’il n’eut point apprécié le coup politique comploté par
Jean Collin et Ahmed Khalifa Niasse lui faisant croire qu’il serait nommé vice-
président.

Finalement plusieurs facteurs vont faciliter le rapprochement entre pouvoir et


opposition dont le conflit sénégalo-mauritanien, le départ de Jean Collin et les
mutations géopolitiques internationales marquées par les transitions en Afrique dans
les années 90. Dans la crise sénégalo-mauritanienne, les perspectives économiques
offertes par les barrages et la volonté de l’Etat mauritanien de contrôler
exclusivement la rive droite en confisquant au besoin les terres des autochtones
semblent constituer les ressorts profonds du conflit. Il se passe dans un climat de
tension entre les deux protagonistes qui culmine avec l’incident frontalier de Diawara
(09 avril 1989) qui se répercute dans les deux pays par une spirale de violences
aveugles et de pillages. Il est résulté de cette crise mauritanienne une prise de
29

conscience de l’existence d’intérêts nationaux vitaux à préserver au-delà des querelles


partisanes.

Le raccommodement entre le pouvoir et l’opposition a été également favorisé par le


départ du très puissant ministre d’Abdou Diouf en l’occurrence Jean Collin
considéré par beaucoup comme étant à l’origine d’une certaine intransigeance du
pouvoir quant à opérer les réformes démocratiques souhaitées par l’opposition. Il a
joué un rôle déterminant pour rendre irrévocable le projet de démission de Senghor
et la montée d’Abdou Diouf au premier plan ; ce qui lui vaudra une licence à tout
faire, à lui concéder par le chef de l’Etat en plus d’une estime et d’une considération
sans borne qui frise le fanatisme.

Jusqu’à son départ, Jean Collin marquera très personnellement l’Etat sénégalais
plus que ne l’aura fait Abdou Diouf. Il aura construit progressivement son influence
et sa mainmise sur l’appareil étatique et servi d’écran entre Abdou Diouf et les
autres. Enfin, stratège et tacticien, il a su combattre tous ceux qui étaient susceptibles
de porter ombrage à Diouf ou qui manifestaient des velléités d’autonomie. Etant
français et donc ne pouvant pas succéder à Diouf, il réunissait en sa personne les
conditions requises pour gérer la réalité du pouvoir sans inquiéter celui qui en était
constitutionnellement le détenteur. Jean Collin, au sommet de sa puissance, a
combattu âprement le rapprochement entre Diouf et son opposition notamment Me
Wade qu’il considérait comme un « dangereux aventurier capable de mettre en feu le
Sénégal en voulant faire passer le pays de l’Etat de non droit à l’Etat de droit en 48
heures. »

Longtemps attendu, la disgrâce de Jean Collin intervient le 30 mars 1990 à


l’occasion d’un remaniement ministériel. Cette passerelle établit entre les différents
protagonistes engagés dans la compétition du pouvoir était également tributaire des
bouleversements géopolitiques intervenus dans la nouvelle donne internationale
favorable à la démocratisation des régimes politiques africains.

Finalement les pourparlers enclenchés au mois de janvier 1991 connaissent un


dénouement heureux. Ainsi le leader du PDS devenait-il ministre d’Etat auprès du
président de la république alors qu’Ousmane Ngom pilotait le ministère du travail
et de la formation professionnelle pendant que Jean Paul Diaz était nommé à
l’intégration africaine et Aminata Tall à l’alphabétisation. Plusieurs interprétations
30

théoriques de ce mode de gestion du pouvoir peuvent être échafaudées. On pourrait


le retrancher au transformisme c’est-à-dire l’absorption par la classe dominante des
intellectuels susceptibles de diriger politiquement et idéologiquement les classes
subordonnées. Cela d’autant plus que le PDS et son leader étaient particulièrement
populaires. Pour d’autres, l’opposition lassée par une confrontation éprouvante avec
le pouvoir recherchait une trêve à la faveur de laquelle elle pourrait gouter aux délices
du pouvoir. Le gouvernement de majorité présidentiel peut encore être interprété
comme une collusion stratégique, un gentleman agreement entre le président officiel
et le président officieux, le président de la république et le président de la rue
publique, entre les deux principaux leaders du pays Abdou Diouf et Abdoulaye
Wade. Les intérêts contradictoires au départ entre les deux principaux adversaires se
disputant le pouvoir seront surmontés pour aboutir à un compromis. En effet, le
pouvoir voulant se maintenir, avait besoin de combler le gap de légitimité induit par
les effets néfastes des politiques économique et sociale drastiques menées sous l’égide
des institutions de Bretton Woods tout en rompant le cercle vicieux des contentieux
et troubles électoraux récurrents avec leurs lots de violence. C’est là également une
manière de s’inscrire dans le contexte favorable à la démocratie en Afrique.
L’opposition quant à elle voulait gagner en crédibilité en démontrant son aptitude à
gouverner en même temps qu’elle cherchait à l’intérieur un moyen d’obtenir plus
efficacement et plus facilement des réformes politiques à travers une compétition
électorale transparente et loyale susceptible de déboucher sur une alternance.

C’est dans cette perspective qu’il faut appréhender la mise en place du premier
gouvernement de majorité présidentielle élargie présidé par Habib Thiam. Le
gouvernement de majorité présidentielle élargie s’analyse dès lors comme un creusé
de construction démocratique entre politisation du droit et juridisation de la
politique.

CHAPITRE II : LA DYNAMIQUE DE LA CONSTRUCTION DEMOCRATIQUE


ENTRE POLITISATION DU DROIT ET JURIDISATION DE LA POLITIQUE

La politisation du droit est les stratégies et les jeux déployés par les acteurs politiques
pour instrumentaliser le droit par rapport à leurs intérêts de conquête ou de
conservation du pouvoir. Mais en même temps que le droit est instrumentalisé, il
secrète également des obligations de comportements à l’égard des acteurs qui, en la
31

manipulant, ne sauraient s’en écarter nettement et durablement. Cette relation


dialectique entre droit et politique a été la matrice essentielle de l’évolution
démocratique du Sénégal.

SECTION I : UN CONTROLE JURIDICTIONNEL PLUS EFFICACE FONDE SUR


DES REGLES PLUS EQUITABLES

A partir de 1992, après une longue crise socio-politique, la décrispation s’opère avec
l’élaboration d’un code électoral consensuel qui sera éprouvé par la pratique ; lequel
code avec la réforme juridictionnelle de 1992 qui a marqué la création du conseil
constitutionnel va entrainer un relèvement qualitatif du contentieux électoral.

PARAGRAPHE I : L’ELABORATION D’UN CODE ELECTORAL CONSENSUEL


EPROUVE PAR LA PRATIQUE

Le code électoral de 1992 va constituer une sorte de révolution copernicienne dans le


jeu politique sénégalais. Mais ce code va révéler ses premières imperfections lors des
élections de 1993.

A- LA SECRETION DE REGLES ELECTORALES CONSENSUELLES

Dans le contexte de la gestion concertée du pouvoir, il était plus aisé pour l’opposition
d’obtenir des garanties pour améliorer le processus démocratique. En ce sens, une
commission nationale dirigée par le magistrat Kéba Mbaye est mise en place pour
réformer le code électoral afin d’en finir avec la récurrence des contestations et
violences qui émaillent les joutes politiques. Le document ainsi produit est le fruit
d’un consensus autour duquel était agglutinée une quinzaine de partis politiques.

Parlant du texte législatif, le président Abdou Diouf affirme que c’est le meilleur
code électoral dont on ne devrait pas changer une virgule. Il est adopté par
l’assemblée nationale à l’unanimité le 07 février 1992 et promulgué le 22 mars de
la même année. Le code introduit de nombreuses et cruciales innovations qui visaient
à rétablir l’équilibre entre le parti au pouvoir et l’opposition lors des compétitions
électorales et à assurer plus généralement la loyauté et la limpidité des scrutins.
D’abord la majorité électorale est ramenée de 21 ans à 18 ans ; c’était là une
revendication constante de l’opposition qui pensait à tort ou à raison qu’elle détenait
un immense potentiel de suffrage parmi les jeunes notamment ceux-là qui avaient
participé aux émeutes de 1988 sans avoir voté pour autant parce qu’ils n’étaient pas
32

inscrits sur les listes électorales, ils n’avaient donc pas de cartes électeurs ou n’avaient
pas atteint l’âge de 21 ans requis pour s’acquitter de leurs devoirs civils. C’est en vue
de régler ce problème que l’article L1 du code électoral dispose « sont électeurs les
sénégalais des deux sexes âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et
politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi. » Pour une plus

grande équité, le code électoral interdit au parti au pouvoir d’user et d’abuser de sa


position dominante notamment à travers la prohibition de la propagande déguisée et
d’utilisation des biens de l’Etat à des fins électoralistes. Abondant dans le registre des
ruptures d’égalité pouvant provenir des capacités financières des différents candidats
à la compétition électorale, l’article L51 du nouveau code dispose « les frais de
fournitures d’enveloppes, bulletins de vote, procès-verbaux et papeteries ainsi que
ceux qu’entraine l’installation des isoloirs et des bureaux de vote sont à la charge de
l’Etat. » De même, les candidats sont protégés par une immunité prévue à l’article

L83. De telles dispositions sont de nature à tempérer l’hégémonie du parti au


pouvoir et créent des conditions juridiques susceptibles de faciliter l’avènement d’une
alternance démocratique considérée par l’opposition comme un support fondamental
de consolidation de la démocratie. Le code consensuel permettait également une plus
grande représentation des petits partis dans la mesure où il confie de manière
paritaire le scrutin majoritaire départemental avec la représentation proportionnelle.
En effet il prévoyait sur 120 députés d’en élire 50 au scrutin majoritaire
départemental et 70 par le biais de la proportionnelle ; ce qui avantage les
partis de faible envergure nationale. Dans le même sens le code assurait la
démocratisation de certaines informations stratégiques en prévoyant de
communiquer la carte électorale à tous les partis politiques supprimant ainsi la
possibilité d’existence frauduleuse de bureaux de vote.

En ce qui concerne les listes électorales, un droit de regard est reconnu aux partis
politiques. En plus les représentants des partis politiques acquièrent le droit de siéger
dans les bureaux de vote pour apprécier la régularité des opérations électorales en
même temps que la possibilité est donnée aux candidats de se rendre dans les
bureaux de vote où ils compétitionnent pour s’enquérir du déroulement des
opérations.

Au surplus, les pouvoirs du président du bureau de vote sont strictement encadrés en


matière de police pour éviter tout abus. Des dispositions sont également prises pour
rendre le vote à la fois secret dans le choix de l’électeur et transparent dans sa
33

procédure. En effet, avant de voter, l’électeur doit être clairement identifié et


soustrait à toutes sortes de pressions de quelque nature qu’elles fussent.
L’identification préalable de l’électeur permet d’éviter les votes multiples. Elle est
complétée par une imprégnation au pouce d’une encre indélébile et par le passage
obligatoire à l’isoloir. Toutes ces dispositions sont prévues à l’article L50 du
nouveau code électoral. Par rapport au dépouillement, des règles strictes sont posées
en même temps, il est fait appel à des scrutateurs dont le rôle participe à la
crédibilisation des suffrages exprimés.

C’est cette même recherche de transparence qui régit la proclamation des résultats au
niveau des bureaux de vote. Chaque membre du jury, les représentants des candidats
et partis politiques notamment signent le procès-verbal. Après l’établissement des
procès-verbaux, la loi électorale prévoit les mesures devant présider à leurs
acheminements par des personnes assermentées sous le contrôle des délégués de la
cour d’appel.

De même, le code consensuel exprime une volonté de sécuriser les opérations et lieux
de vote de même que les personnes préposées à la supervision des procédures
électorales. Le code sévit les citoyens coupables de fraude pour avoir exercé
faussement, indument un ou plusieurs fois l’acte de vote. Aussi sont-ils pénalement
punis les actes frauduleux perpétrés dans le décompte ou le dépouillement des
suffrages. D’autres mesures sont également prévues par la nouvelle loi électorale
visant à pacifier l’atmosphère des opérations (interdiction de toutes formes de
propagande le jour du scrutin, sanction des manœuvres dolosives consistant par des
rumeurs, des bruits ou tout autre moyen à empêcher des citoyens à exercer leurs
devoirs civiques, des faits de violence individuels ou collectifs avec ou non d’usage
d’arme de nature à porter atteinte au bon ordre dans les lieux de vote ou à entacher la
sincérité du scrutin).

Le code électoral de 1992 a été concocté dans un climat politique très favorable
marqué par un certain dépassement des contradictions entre le pouvoir et
l’opposition. Mais les limites du code vont se manifester à l’épreuve de la pratique.

B- LES TENSIONS ET DISSENSIONS POLITIQUES AUTOUR DE


L’APPLICATION DU CODE CONSENSUEL
34

Après la période euphorique de l’unité politique réalisée autour du code consensuel,


l’unanimisme s’estompe dès lors que le code est mis à l’épreuve de la pratique lors de
l’élection présidentielle de 1993 notamment à travers le blocage de la Commission
Nationale de Recensement des Votes (CNRV). Il va révéler à travers les
imperfections du code les stratégies des différents acteurs politiques cherchant à
manipuler en leur faveur le droit électoral. Les travaux de la commission buttent en
effet sur plusieurs obstacles tenant à des irrégularités notées à la méthode de travail
et d’interprétation des textes mais également à cause de sa composition. En effet, elle
regroupe tous les représentants des partis politiques et un magistrat mais ce dernier
ne peut prendre la décision d’envoyer les procès-verbaux au conseil constitutionnel
sans l’avis de tous les membres restés attachés aux intérêts contradictoires de leurs
partis.

Concernant les irrégularités, il y avait le contentieux délicat des ordonnances car si le


nouveau code rendait obligatoire l’identification des nouveaux électeurs, la question
de la rectification des erreurs contenues dans le fichier électoral d’avant cette date se
posait. Cela a donné lieu à un décret afin que les autorités judiciaires puissent
rectifier les erreurs éventuelles compte tenu des preuves qui leurs sont présentées. Ce
problème de rectification des erreurs contenues dans le fichier a été à l’origine de
fraudes massives dans la mesure où les ordonnances délivrées qui devaient pourtant
être la solution aux problèmes originels ont donné lieu à des votes multiples qui ont
entaché la sincérité du scrutin. La commission nationale de recensement des votes est
définitivement bloquée par une autre forme de discorde lorsque les commissaires
représentant les candidats de l’opposition exigent que soient revus tous les procès-
verbaux des six (6) départements que sont Dagana, Kaolack, Ziguinchor, Matam,
Podor et Mbour totalisant 1515 bureaux de vote.

La présidente Andrésia Vaz estime alors que cette requête n’entre ni dans la
compétence, ni dans les missions de la commission nationale. Compte tenu de la
paralysie de la commission nationale de recensement des votes et des multiples
controverses juridique et politique, Mme Vaz transmet le dossier au conseil
constitutionnel le samedi 27 février 1993 avec un rapport circonstancié annexé à
celui des autres commissaires et avec l’ensemble des pièces provenant des 31
commissions départementales.
35

Les représentants des candidats de l’opposition protestent alors contre cette décision
arguant leur volonté de poursuivre leurs missions au sein de la commission nationale
jusqu’à la proclamation définitive des résultats conformément à l’article L56 du
code. En effet, ils estimaient que le conseil constitutionnel ne peut être saisi qu’aux
termes de l’article 48 du code électoral à la triple condition que la commission
nationale finisse le recensement général des votes, que les résultats provisoires soient
proclamés et qu’une copie du procès-verbal de réunion soit remise à chaque
représentant de candidat. Considérant que la CNRV n’a statué que sur quatre des
31 procès-verbaux, les représentants de l’opposition dans une lettre adressée au
président du conseil soutiennent que la saisine de la juridiction suprême est
irrégulière et ne saurait légalement aboutir à la proclamation des résultats.

Le conseil constitutionnel estime quant à lui qu’en dehors de toute disposition


textuelle, la commission nationale de recensement des votes doit pouvoir statuer
dans un délai raisonnable de 72 heures. Passé ce délai, le conseil constitutionnel
devra être saisi qu’il y ait ou non proclamation des résultats.

En fait, le code portait en lui-même les germes du conflit qui, en érigeant la toute-
puissance des parties en règle absolue, a privé le jeu électoral d’un arbitre ayant la
mission et le pouvoir de freiner les ambitions partisanes. C’est dire que le
consensualisme et l’unanimisme qui ont prévalu la rédaction du code ont trompé la
vigilance de ses rédacteurs qui s’en sont fiés de bonne foi à la culture démocratique
postulés des acteurs politiques sans prévoir l’hypothèse d’un arbitrage nécessaire et
efficace pouvant transcender les prétentions et intérêts partisans.

On comprend dès lors la position du juge Kéba Mbaye président de la commission


nationale de réforme du code électoral lorsque démissionnant de la présidence du
conseil constitutionnel, il affirme « nous avons élaboré un code, qui je le répète, reste
pour moi excellent. Mais il reste bien entendu que ce code comme je l’avais dit
d’ailleurs à l’occasion d’une interview le 31 décembre à la télévision nécessite une
certaine culture démocratique et l’acceptation sans arrière-pensée du jeu des règles
qui permettent de jauger les pulsions du peuple et de les respecter telles qu’elles
soient. » Mais à la vérité, il s’agit d’un déficit de culture démocratique que d’une

erreur juridique car le droit est pour les acteurs politiques à la fois une contrainte et
une ressource. Ils utilisent le droit pour faire valoir leurs intérêts personnels et
partisans tout comme le droit produit à leur encontre des obligations, des contraintes
auxquelles ils ne peuvent échapper. Cela étant, dans sa composition comme dans son
36

fonctionnement, la commission nationale avait ceci d’incohérent que les partis


politiques engagés dans la compétition électorale étaient ceux-là mêmes qui devaient
trancher les litiges y afférent et dès lors la confrontation de leurs intérêts
contradictoires ne pouvait que déboucher sur une impasse. Comme on pouvait le
prévoir en raison de la radicalisation des uns et autres dans leur position la CNRV
connait un nouveau blocage fondé précisément sur des divergences relatives aux
méthodes de travail notamment le souhait des représentants des candidats de
l’opposition d’appliquer la règle de la majorité. Pour Mamadou Diop, représentant
le candidat Abdou Diouf, cette position n’est rien d’autre qu’une manœuvre
politicienne en réalité dit-il « le fond du problème est qu’on pense qu’avec la loi
automatique de la majorité c’est très claire et il y a deux blocs formés sept contre un et
on pense pouvoir régler les élections au niveau de la commission nationale. Ils veulent
avec ce principe annuler les votes des départements de Kaolack, Podor, Matam et
Ziguinchor et c’est dit partout. Cela permet simplement d’abaisser les résultats du
candidat Diouf et d’aller au 2ème tour. Est – ce que cela est acceptable ? Ce n’est pas
acceptable. Voilà le problème. » Dès lors qu’il semble que l’opposition ait voulu

instrumentaliser les normes électorales en cherchant à faire appliquer la règle du


quart bloquant prévue par l’article 28 de la constitution du 07 mars 1963 qui
disposait « le scrutin a lieu un dimanche, nul n’est élu au 1 er tour s’il n’a obtenu la
majorité absolue des suffrages exprimés représentant au moins le quart des électeurs
inscrits. Si aucun candidat n’a obtenu la majorité requise, il est procédé à un second
tour de scrutin le 2ème dimanche suivant celui du 1 er tour. Seuls sont admis à se
présenter à ce second tour les deux candidats arrivés en tête au 1er tour. En cas de
contestation, le second tour a lieu le 2ème dimanche suivant le jour du prononcé de
l’arrêt du conseil constitutionnel. Au second tour la majorité relative suffit. »

Le conseil constitutionnel tranche finalement le litige et publie les résultats de la


présidentielle remportée par Abdou Diouf. Du blocage de la commission nationale de
recensement des votes, il est sorti l’idée d’une nécessaire réforme du code électoral.
La réforme est finalement introduite par la loi n°93-08 du 21 mai 1993 et concerne
les articles L44 et L58 du code électoral alors que les articles LO111 et LO112 sont
modifiés par la LO n°93-09 du 23 avril 1993.

Les partis politiques continuent de siéger dans les commissions départementales


mais n’ont que des attributions de pure comptabilisation. En revanche la composition
de la CNRV est modifiée avec des prérogatives plus grande et une présence renforcée
des magistrats qui seuls ont voix délibérative. Ils prennent la décision finale hors la
37

présence des représentants des partis politiques. Ils peuvent toutefois assister aux
réunions à l’exception de la délibération et peuvent porter leurs observations au
procès-verbal.

Quoiqu’il en soit, les réformes juridiques et juridictionnelles entreprise depuis 1992


vont impulser qualitativement le contrôle exercé par le juge sur la compétition
électorale.

PARAGRAPHE II : L’EVOLUTION QUALITATIVE DU CONTROLE


JURIDICTIONNEL

Il s’agira de voir d’une part que la cour suprême va procéder à l’application rigide de
loi inique jusqu’à la réforme de 1992 avec la création du conseil constitutionnel qui
va assurer un relèvement qualitatif du contentieux.

A- L’APPLIATION RIGIDE DE LOI INIQUE PAR LA COUR SUPREME

Avant 1978, les décisions de la cour suprême en matière électorale ne sont point
intéressantes dans la mesure où il n’y avait à proprement parler de contentieux car un
seul parti et un seul homme étaient concernés pour les différentes élections.
L’examen du contentieux électoral vidé par la cour suprême révèle une vicieuse
manipulation du jeu politique dans laquelle les citoyens sont pris en otage et où les
opposants n’ont pas les moyens de faire valoir leurs droits car le juge pose des
conditions draconiennes dans l’administration des preuves tout en étant neutralisé
lui-même par la loi. Dans cette situation, il est évident que le processus démocratique
était encore claudiquant c’est-à-dire boitant, il n’a pas encore permis l’affirmation
suffisante du juge électoral pour arbitrer de manière convenable et acceptable la
compétition politique. Il convient d’analyser successivement toutes ces idées qui
constituent la charpente sur laquelle repose le pouvoir minutieusement gardé par le
PS dans les compétitions électorales arbitrées par la cour suprême.

D’abord, il s’agit de la coloration partisane des membres du bureau qui faussent la


compétition électorale. Ainsi les bureaux de vote ont été présidés par des candidats
du PS aux élections législatives, municipales et rurales de 1978. Ce grief soulevé avec
pertinence par les requérants est balayé par le juge qui dans sa décision n°4c78 du
13 mars 1978 considérant que c’est ce que la loi prévoit en tire la conclusion
suivante « le fait que les personnalités énumérées aient pu être candidates à une
élection législative, municipale ou rurale ne constitue pas un empêchement pour leur
38

désignation à la présidence des bureaux de vote. » On voit ici que le juge a les mains

liées qu’il doit se baser sur la loi pour trancher le contentieux électoral alors que celle-
ci est injuste car il se pose la question de fond de savoir si ceux qui sont engagés dans
la composition politique peuvent en superviser le déroulement sans que cela ne porte
atteinte à la sincérité des opérations de vote.

Lors des élections de1983, le juge va encore plus loin et estime dans l’arrêt conjoint
n°4c, 5c, 6c, 8c-83 du 23 mars 1983 concernant les recours du PDS, de la
LDM/PT, du et du PAI que le fait pour les membres des bureaux de vote
d’appartenir au parti au pouvoir n’a rien d’incidences. A travers cette position
jurisprudentielle, c’est un principe élémentaire de droit et d’équité selon lequel on ne
peut pas être juge et partie qui est foulé au pied. La suspicion est en effet légitime si
on sait que ceux qui établissent les procès-verbaux sont eux-mêmes candidats ou sont
membres d’un parti qui est en liste dans les joutes électorales. Pour ces mêmes
élections de 1983 la loi cautionne également l’arbitraire en donnant au président des
bureaux de vote choisis sur des bases partisanes des pouvoirs étendus de maintien de
l’ordre qui sont abusivement utilisés. Dans une telle situation de deux choses l’une ou
le délégué laisse faire les membres du bureau dans leur penchant à la partialité et les
intérêts de son parti sont lésés tout en cautionnant la mascarade par sa présence ou il
ne se laisse pas faire et alors il est expulsé et remplacé par un suppléant si tenter qu’il
y en ait et qui est tenu de faire profil bas. La coloration partisane des membres du
bureau couvre un enjeu fondamental celui de l’identification de l’électeur car dès lors
que le vote est public et qu’on peut savoir le choix de l’électeur, il leur est aisé d’être
complaisant et peu regardant lorsqu’il s’agit d’un électeur voulant voter pour le parti
au pouvoir. La question de l’identification de l’électeur a soulevé plusieurs
controverses dans la mesure où l’opposition a toujours soutenu que le non-respect de
cette condition était source de fraudes massives.

Dans le contentieux électoral, il y a la question essentielle du secret du vote. Là-


dessus, la responsabilité du juge est flagrante dans la mesure où c’est un principe
prévu par la constitution et dès lors que la loi ne saurait déroger à celle-ci l’alibi du
juge ne tient plus. La question du secret du vote est un aspect essentiel de la
démocratie comme capacité d’un individu autonome à exprimer librement ses choix
politiques. Cependant, ce principe constitutionnel est vidé de sa substance par les lois
votées par la majorité. En effet, l’article 2 alinéa 3 de la constitution du 07 mars
39

1963 dispose « le suffrage peut être direct ou indirect, il est toujours universel, égal et
secret. Ce principe permet de garantir la liberté de l’électeur qui peut subir des
pressions dans un environnement socio-culturel marqué par des rapports de
dépendances. » Le juge électoral le reconnait en affirmant « le caractère secret du vote
tel qu’il résulte des dispositions ci-dessus rappelées a pour but et objet de protéger les
électeurs. » Mais ce principe constitutionnel était totalement dévoyé par l’article

L50 du code électoral de 1978 qui précisait en son dernier alinéa « les isoloirs
doivent être placés de façon à ne pas dissimuler au public les opérations électorales. »
Pour parer à toute éventualité, le parti au pouvoir effectue une manipulation de la loi
encore plus pernicieuse en conférant aux électeurs le droit de soustraire à l’obligation
de respecter le secret du vote ; ce qui est un bon moyen de contrôler leur loyauté vis-
à-vis du parti au pouvoir. Dans ces conditions, le vote n’est plus secret mais public car
on pouvait identifier les électeurs qui votaient pour l’opposition et exerçait des
représailles contre eux. En refusant de procéder à un contrôle de constitutionnalité, le
juge laissait primer la loi expression de la volonté du parti au pouvoir sur le texte
suprême qu’est la constitution.

Par rapport à ce volontarisme posé comme échappatoire, il convient de faire


remarquer une formule bien connue en droit selon lequel entre le fort et le faible c’est
la liberté qui opprime et la loi qui libère. Dans le même registre, il est intéressant
d’évoquer un autre moyen de pression à savoir la présence d’autorités administratives
dans les bureaux de vote dans un système de confusion entre l’Etat et le parti au
pouvoir. En effet ces autorités n’ont rien à faire dans les bureaux de vote dont la
sécurité est assurée par les forces de l’ordre. En fait, vu qu’en milieu rural, ces
autorités sont respectées et craintes par les populations qui ne font pas la différence
entre celles-ci et le parti au pouvoir ou l’Etat, leur présence favorise le parti au
pouvoir. Mais le juge estime dans sa décision n°4c-78 du 13 mars 1978 que même
si la présence de ces autorités dans les bureaux de vote n’est pas souhaitable, aucune
disposition législative ou réglementaire ne l’interdit. En d’autres termes, toute la
difficulté d’exercer un contrôle efficace par le juge électoral réside dans cette
confrontation à savoir que la loi électorale soit l’expression des intérêts du parti au
pouvoir qui détient une forte majorité au parlement 111/120 députés en 1983 et que
cette même loi soit regardée par le juge comme étant l’expression de la volonté
générale et par conséquent qu’il ne peut aller au-delà de celle-ci sans contredire le
principe de la séparation des pouvoirs.
40

Cette contradiction vicieuse est renforcée par le fait que le juge électoral refuse
d’apprécier la loi par rapport à la constitution, texte qui fait pourtant partie
intégrante du système juridique. Quant au requérant, il se heurte aux obstacles
difficilement surmontables d’apporter les preuves de ses allégations du fait même de
la complexité des situations et de la sévérité des conditions posées par le juge
concernant le régime juridique de la preuve. En 1978, le juge a rejeté les griefs
avancés par les requérants faute de preuves notamment sur la violation du secret du
vote et sur la corruption en nature et en argent aux abords des bureaux de vote. Cette
tendance au rejet des allégations des requérants pour absence de preuve se confirme
à l’issu des élections présidentielles et législatives de 1983 concernant les
inscriptions multiples et au fait que les procès-verbaux n’aient pas été signés par
l’ensemble des membres des bureaux de vote.

Mais lors des élections générales de 1988 par rapport aux deux requêtes introduites
par Abdoulaye Bathily et Opa Diallo à travers lesquelles il était demandé au juge
d’annuler les élections au motif que 156 procès-verbaux de bureaux de votes ont été
annulés par la commission de recensement de la cour suprême ; ce qui était de nature
à biaiser la représentativité des partis en compétition. La cour suprême a purement et
simplement rejeté le grief considérant que la signature des procès-verbaux est une
formalité substantielle dont l’inobservation doit être sanctionnée de nullité. Il faut
remarquer que cette solution apparait pour le moins simpliste car vu le nombre élevé
de procès-verbaux en question et compte tenu du fait que les requérants ont soutenu
que les délégués du PS avaient refusé de les signer. Le juge aurait dû approfondir la
question pour savoir si cela n’était pas l’expression d’une volonté délibérée de fraude.
Il résulte de tout cela un certain discrédit de l’instance judiciaire.

Ainsi en 1988, le nombre particulièrement élevé de recours introduit par les partis
d’opposition auprès de la cour suprême et qui ont tous étaient rejetés pour
irrecevabilité ou défaut de base légale ont donné l’impression que la cour était aux
ordres du pouvoir exécutif. De tout cela, il résulte que la cour suprême ne semble pas
avoir beaucoup apporté au contrôle juridictionnel de la compétition politique. Ce
handicap était lié au contexte historique marqué par la forte emprise du parti au
pouvoir sur les règles du jeu. Dès lors avec les mutations d’ordre politique, juridique
et institutionnel intervenues au début des années 1990, la justice du politique évolue
qualitativement. Ainsi avec la réforme judiciaire de 1992, la cour suprême est éclatée
41

en trois juridictions souveraines et spécialisées : conseil d’Etat, cour de cassation et


conseil constitutionnel. Ce dernier s’emploie à appliquer plus judicieusement des
règles électorales plus justes.

B- L’APPLICATION PLUS JUDICIEUSE DE REGLES PLUS EQUITABLES PAR LE


CONSEIL CONSTITUTIONNEL

A partir de 1993, le contrôle des élections par le juge connait une certaine évolution à
la suite du consensus politique qui a permis au pouvoir et à l’opposition de se
retrouver pour élaborer un code électoral adopté sans qu’une virgule n’ait été
retranchée pour reprendre l’expression du président Abdou Diouf. Le conseil
constitutionnel rappelle cette nouvelle donne dans sa décision n° 05-93 du 02
mars 1993 et ne manque pas d’élaborer une nouvelle doctrine quant au contrôle des
opérations électorales. La juridiction souveraine affirme en ce sens « considérant en
effet que le code électoral de 1992 dit nouveau code est inspiré par la volonté commune
de rendre les opérations électorales totalement transparentes et les résultats des
élections fiables grâce au rôle prépondérant accordé aux candidats dans la conduite
desdites opérations. » il est notamment stipulé « chaque liste de candidats ou chaque
candidat a le droit de contrôler l’ensemble des opérations électorales depuis
l’ouverture des bureaux de vote jusqu’à la proclamation et l’affichage des résultats
dans ces bureaux. »

Par rapport à cette évolution à la fois politique, juridique et institutionnelle, le juge


électoral formule un principe de succession et non de cumul entre les différents
niveaux de contrôle. A cet égard, le conseil constitutionnel affirme « considérant que
depuis les bureaux de vote jusqu’à la commission nationale de recensement des votes,
les contrôles se succèdent mais ne se cumulent pas ; qu’ainsi le bureau de vote contrôle
le scrutin, la commission départementale de recensement des votes contrôle les procès-
verbaux des bureaux de vote et la commission nationale de recensement des votes
contrôle les procès-verbaux des commissions départementales de recensement des
votes. » Cette doctrine du conseil semble logique et cohérente et paraît être de nature

à garantir une bonne justice.

En effet les partis politiques représentés à chaque échelon du contrôle peuvent faire
mentionnés dans les procès-verbaux leurs réserves et les irrégularités qu’ils ont eu à
constater. Cela donne cet avantage qu’à chaque niveau ils sont plus au fait des réalités
qu’ils dénoncent et au cas où ils ne le feraient pas la faute leur incomberait. En plus
même si cette doctrine ne renvoie pas à une synthèse dans la vérification de tous les
42

contrôles par le conseil constitutionnel juge en dernière instance chargé de la


proclamation définitive des résultats, il n’en demeure pas moins que le conseil peut
examiner selon les circonstances de l’espèce des cas de fraudes, d’irrégularités ou de
la violation de la loi dans des cas précis. En application de cette doctrine, le conseil
constitutionnel a eu à préciser l’étendue de son contrôle de manière très claire en
1993. Ce contrôle semble s’exercer essentiellement sur celui opéré par la commission
nationale de recensement des votes. Dans cette rationalisation de l’organisation du
contentieux, le conseil constitutionnel estime que les questions relatives à l’utilisation
des médias publics de manière inéquitable en faveur du parti au pouvoir relèvent de
la compétence de l’instance de régulation de l’audiovisuel ; pour les inscriptions
électorales, qu’elles sont du ressort de tribunal départemental et du conseil
d’Etat (aujourd’hui remplacé par la cour suprême) ; et pour l’utilisation des moyens
et biens de l’Etat à des fins de campagne, la haute juridiction estime que de tels griefs
doivent être déférés à l’attention du juge pénal.

Dans le même ordre d’idées, le juge réfute également tous les arguments qui auraient
dû être mentionnés au niveau des échelons inférieurs de contrôle. En effet, les
réclamations faites devant le conseil constitutionnel ne sont recevables que dès lors
qu’elles ont été soulevées préalablement par les représentants des candidats ou des
partis politiques associés à tous les échelons du contrôle des opérations électorales.
Mais, lorsque la juridiction spécialisée est compétente pour statuer sur les allégations
des requérants, ceux-ci n’obtiennent gain de cause qu’en se soumettant à un certain
régime d’administration des preuves. Celui-ci repose sur deux critères cumulatifs des
faits constants et avérés dont la matérialité est clairement établie d’une part et d’autre
part que ces mêmes faits soient de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Ces deux critères ont été adaptés au principe de la succession des contrôles édictés
par le conseil constitutionnel en 1993 pour rationaliser le contentieux électoral.
Fidèle à cette doctrine, la juridiction spécialisée a rejeté toutes les prétentions non
étayées de preuves.

En ce sens, lors de la présidentielle de 1993, le juge a estimé par rapport aux


allégations de corruption ce qui suit : « considérant que la distribution gratuite de
denrées et de vivres dans les départements de Matam et de Podor est simplement
alléguée mais pas davantage prouvée, décide au fond le rejet des recours de Abdoulaye
Bathily, Babacar Niang, Abdoulaye Wade, Iba Der Thiam, Landing Savané comme
mal fondés. »
43

De même, dans sa décision n° 06-93 du 13 mars 1993, le moyen tiré du trafic


d’influence exercé par le parti au pouvoir aux alentours des bureaux de vote avancés
par l’alliance Jëf Jël – USD a été rejeté par le juge « considérant qu’il est difficile de
rapporter la preuve que tous ceux qui gravitent le jour du scrutin auprès des centres de
vote appartiennent à une formation politique déterminée ; qu’il ne s’agit là que d’une
simple affirmation sans influence déterminante sur le déroulement normal du scrutin
dont la sincérité ne saurait être entachée par ce fait. »

En 2000, une affaire de fraude a été signalée au juge concernant les électeurs du
Mali précisément à Kayes. En effet, il a été reproché à un responsable du parti au
pouvoir d’avoir fait massivement voter des maliens avec de faux documents sans que
cela ne soit prouvée par les requérants.

Régulier dans sa logique, le conseil constitutionnel a rejeté de telles prétentions. Tous


ces inconvénients dans l’administration des preuves ont été sensiblement réduits
avec la création de l’Observatoire National des Elections (ONEL) en 1997.

En effet, cette institution va contribuer substantiellement au relèvement de la qualité


du contentieux électoral car les rapports fournis par ses instances présentes au niveau
des bureaux de vote et des départements vont permettre de contourner l’obstacle
quasi structurel de fournir des preuves à l’appui des allégations de fraudes qui
devaient être établies par exploit d’huissier.

Or, il est hypothétique de trouver des huissiers en nombre suffisant pour les déployer
dans les milliers de bureaux de vote existant sur toute l’étendue du territoire.
Ajoutant à cela, la nécessité d’établir un rapport de cause à effet quant à la sincérité
des opérations électorales, on comprend alors aisément que l’ONEL a assuré une
mission essentielle tendant vers une atténuation considérable des difficultés relatives
à l’administration des preuves. La logique du juge en la matière est simple. Les faits
allégués sont favorablement accueillis si les documents de l’ONEL les confirment et
s’ils ont été mentionnés dans les niveaux inférieurs de supervision conformément au
principe de succession des contrôles. Cette position est adoptée par le conseil
constitutionnel lors des législatives de 1998.

Eu égard aux griefs fondés sur l’absence, l’insuffisance ou la soustraction de bulletins


dans les bureaux de vote, les organes de l’ONEL n’ayant pas signalés de telles
irrégularités et les requérants n’ayant pas pu fonder matériellement la véracité de
leurs allégations, le juge a tout simplement rejeté les faits. Le conseil constitutionnel
44

estime en effet « considérant que selon Oumar Niang, mandataire de la liste PIT, les
violences et voies de fait exercées contre les représentants des partis politiques dans
les bureaux de vote de Rufisque-Est doivent entrainer l’annulation des élections
législatives du 24 mai 1998 ; considérant qu’en ce qui concerne les bureaux de vote de
Seno Palel 1 & 2, de Lolali et de l’école Ousmane Mbengue ni les procès-verbaux, ni les
rapports de l’observatoire départemental des élections (ODEL) ne viennent étayer les
allégations des requérants respectifs qu’elles ne sauraient donc être retenues. »

A Rufisque, lors de la présidentielle de 2000, le parti au pouvoir estime avoir été


victime d’actes de violence, de bourrage d’urnes et de disparition de feuilles
d’émargement. Invariable dans sa démarche, le juge rejette de telles allégations qui
n’ont été ni consignées ni confirmées dans aucun document électoral et sans que le
requérant ait établi lui-même la matérialité des faits.

Par ailleurs, le juge a pu procéder à des annulations sélectives dès lors que les
dysfonctionnements soulevés par les requérants ont été confirmés par les procès-
verbaux des bureaux de vote et par ceux de l’ONEL. En ce sens, le conseil
constitutionnel se fondant sur de tels documents a accédé à la demande d’annulation
des résultats dans certains bureaux à Rufisque en raison de votes multiples
notamment dans les bureaux 4 & 5 de Médina. Une autre orientation majeure du
conseil constitutionnel est d’accorder toujours dans sa démarche la primauté et la
priorité à la volonté des électeurs. Dès lors, il ne recourt pas de manière systématique
et absolue à l’annulation. Il utilise pour cela plusieurs techniques qui l’amènent à
faire primer l’esprit de la loi sur la lettre ou à chercher à reconstruire la volonté des
électeurs a posteriori tel un véritable faiseur de système pour faire respecter autant
que faire se peut la souveraineté populaire qui est le socle sur lequel repose la
démocratie. Le juge a estimé en effet dans sa décision n° 06-93 du 13 mars 1993
que des procès-verbaux transmis par des personnes non assermentées conformément
à la loi n’est pas en soi un motif d’annulation. Persistant dans son option d’accorder
la prééminence de l’esprit de la loi sur la lettre, le juge a assoupli les règles relatives à
la validité des procès-verbaux. Concernant leur validité formelle en rapport avec la
présence, le statut et le rôle des représentants des partis politiques dans les bureaux
de vote, le conseil constitutionnel affirme : « le seul fait qu’un procès-verbal n’ait pas
été signé par un ou plusieurs membres n’emporte pas en lui-même nullité dudit procès-
verbal. »
45

Le juge a fait primer également l’esprit de la loi sur la lettre dans le contentieux de
1998 eu égard à la prorogation de l’heure de clôture du scrutin jugée illégale par les
requérants de l’alliance Jëf Jël. Le juge considère que « cette circonstance même si
elle est le fait des membres de bureaux de vote est sans influence sur la régularité des
élections surtout lorsqu’elle a pour objet essentiel de compenser le retard pris à la
suite de l’ouverture tardive des bureaux de vote ; que dès lors le moyen doit être
écarté. »

Dans le même registre de protéger et de préserver l’expression de la volonté


populaire, le conseil constitutionnel écarte l’annulation systématique du fait des
irrégularités. Il s’emploie plutôt ingénieusement à démontrer dans quelle mesure
celles-ci ont entaché la sincérité du scrutin de telle sorte qu’elles ont faussé le verdict
des urnes.

Un autre problème de compétition déloyale au profit du parti au pouvoir a été soulevé


lors des élections de 1998 sous la forme d’un grief fondé sur la nomination
irrégulière et tardive des membres de bureaux de vote. Dans cette affaire, le juge
semble avoir adopté une démarche pragmatique en ne cherchant pas à savoir si les
allégations de collusion avec le parti au pouvoir sont avérées, preuve qui est à la
charge des requérants. Le juge semble plutôt privilégier ou éclaircir le caractère
effectif du vote dès l’instant que les membres du bureau à la neutralité remise en
cause n’ont pas été à l’origine d’irrégularités et que d’autres irrégularités n’ont pas été
constatées et consignées dans les procès-verbaux par les représentants des partis
politiques.

Au 1er tour de l’élection présidentielle de 2000, la question d’un transfert illégal


d’électeurs dans le département de Kaolack a été soulevée devant le juge électoral. Là
encore, l’annulation des suffrages a été refusée au motif que le nombre de personnes
concernées était insignifiant. Dans certaines situations, même lorsque l’irrégularité
est établie, le juge essaie d’en circonscrire les effets pour éviter une annulation
globale. C’est la solution qui a été retenue lors de la présidentielle de 2000 suite au
vote de mandataires dans un bureau de vote du département de Linguère.

Le conseil constitutionnel déclare à cet égard « considérant que l’examen du procès-


verbal du bureau de vote n°1 de Malem montre effectivement les deux mandataires
susvisés ont voté dans ce bureau alors qu’aucune disposition du code électoral ne leur
en donne le droit ; qu’en conséquence il y a lieu d’annuler leur vote et de soustraire
46

leurs voix du nombre de suffrage obtenu par le candidat dont ils sont les
mandataires. »

Cette doctrine du juge qui fait primer le respect de la volonté des électeurs sur le
respect de la légalité dans son abstraction semble avoir été formulée par le président
du conseil constitutionnel Youssoupha Ndiaye dans son allocution du 03 avril
1993 à l’occasion de la cérémonie de prestation de serment du président de la
république en ces termes « lorsqu’il a à connaitre d’un litige électoral, le juge doit être
guidé avant tout par le souci de faire respecter la sincérité du scrutin c’est-à-dire la
volonté du corps électoral. Ainsi lorsqu’il est en présence d’une illégalité ou d’une
fraude, il ne doit pas procéder à l’annulation systématique, il ne le fait que lorsqu’il a
acquis la conviction que la volonté des électeurs a été trahie et de manière telle qu’il est
impossible de la restituer a posteriori de façon certaine. »

La contribution du conseil constitutionnel à la construction démocratique est non


négligeable. Dans certaines affaires, le juge ne se borne plus à affirmer de façon
péremptoire sa position dans un langage abscons, il fait une véritable œuvre
pédagogique en élaborant des hypothèses qu’il s’emploie à dégager et à étayer de
manière logique et rationnelle. On a pu remarquer que les décisions du conseil
constitutionnel en matière électorale sont beaucoup plus longues que celles de la cour
suprême ; ce qui illustre cette volonté didactique, pédagogique du censeur du
politique. Cela milite également en faveur de l’acceptation de la justice du politique
car lorsqu’elle est bien comprise, elle gagne en légitimité et en autorité ; ce qui est
essentiel au renforcement de la démocratie et permet d’éviter le recours à la violence.

Au demeurant, le juge électoral est resté très rigoureux dans l’administration des
preuves à travers les critères cumulatifs classiques à savoir l’établissement matériel
des faits et que ceci soit articulé dans une relation de cause à effet de nature à
compromettre la sincérité des opérations électorales.

En plus de ces critères, le juge exige également que les faits aient été signalés au
niveau des échelons inférieurs de surveillances électorales selon le principe de la
hiérarchie des contrôles.

La création de l’ONEL a permis de relever substantiellement la qualité du contentieux


électoral en surmontant les difficultés d’administration des preuves. Il faut ajouter à
cela que la haute juridiction ne verse pas dans l’annulation systématique en cas de
fraude. Il met en avant la volonté des électeurs et la protection de leurs droits ; ce qui
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semble plus conforme aux valeurs et principes démocratiques. Pour cela, le juge fait
primer l’esprit de la loi sur la lettre par rapport à la validité formelle ou matérielle des
procès-verbaux, par rapport à leurs modes de transmission, par rapport à des
décisions administratives suspectes comme la délocalisation des bureaux de vote ou
autres. Il apprécie dans tous les cas s’il y a eu ou non intention de fraude et s’il y a eu
fraude effective.

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